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Full text of "Œuvres de J. Racine"

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LES 


GRANDS  ÉCRIVAINS 


DE  LA  FRANGE 


NOUVELLES    ÉDITIONS 


DE  M.  AD.  REGNIER 

Membra  da  nutitot 


ŒUVRES 


DE 


J.  RACINE 


TOME   V 


IMPRIMERIE    GlîlfiRALE   DE   CH.    LAHURB 
Rue  d«  Flcunu,  9,  à  Ptuû 


OEUVRES 


DE 


J.     KACJNE 


NOllVh.r.LE    ÉDITION 

flUB  Ut  PLUS  AXOOOEMê   IMPBSMIOII8 
R  US   AVnOGRAPBXS 


lac  ia^dits,  des  TariaDte»,  de  notSeet,  de  note»,  d'un  lexique  dei  mott 
eC  lodfttioiie  mnaitiuables,  d*iiii  portrait,  de  fac-similé,  etc. 


PAR  M.  PAUL^fiESNARD 


4  fe 


TOME    CINQUIÈME 


PARIS 

LIBRAÏKIK  DE  L.    HACHETTE   ET  C' 

■  ovi.mT*ao   (AiaT-aBKMAiK,   n*  77 

i865 


ÉPITAPHES 


J.  Ra 


NOTICE. 


Dk  trois  éfiîtaphes  sorantes  il  y  en  a  une  que  Lonis  Ra^ 
dnei  dans  ses  Mémmresf  reconnaît  pour  l'œuvre  de  son  père  : 
«  Ha,  dît-il,  composé  en  prose  l'épitaphe  de  Mlle  de  Vertus, 
dont lalongue  pénitence l'avoit  pénétré  d'admiration. »  Voyez 
notre  tome  I,  p.  347.  Ce  témoignage  de  Lonis  Racine  est 
d'aïUeurs  saperÂi.  L'épltaphe  se  trouTe  écrite,  arec  quelques 
ntDies  et  corrections,  de  la  main  même  de  Racine,  au  tome  II, 
feuillet  ia3,  de  ses  manuscrits  conservés  à  la  Bibliothèque 
iiapériale* 

L'authenticité  de  l'épitaphe  de  Michel  le  Tellier  et  de  celle 
de  Mlle  de  Lamoignon  ne  se  démontre  pas  aussi  absolument. 
Les  preuves  que  nous  en  avons  nous  semblent  cependant  très- 
soffisantes, 

Boiieau  écrivait  à  Racine  le  29  juillet  1687  :  «  Je  n'ai 
jamais  pu  deviner  la  critique  que  peut  faire  M.  l'abbé  Tal« 
lemant  sur  l'endroit  de  l'épitaphe  que  vous  m'aves  mar- 
qué. ITest-ce  point  qu'il  prétend  que  ces  termes  :  <  il  fut 
c  Donuné,  »  semblent  dire  que  le  roi  Louis  XIII  a  tenu  M.  le 
Tellier  sur  les  fonts  de  baptême;  ou  bien  que  c'est  mal  dit, 
que  le  R<m  le  choisit  <  pour  remplir  la  charge,  etc.,  »  parce 
qœ  c'est  la  charge  qui  a  rempli  M.  le  Tellier,  et  non  pas 
M.  le  Tellier  qui  a  rempli  la  charge...?  C'est  à  tous  à  m'ex- 
pliqœr  cette  énigme.. ••  Vous  ne  me  parlez  point  de  l'épitaphe 
de  Mlle  de  Lamoignon....  »  U  est  important  de  remarquer  que 
dans  la  lettre  autographe,  la  première  phrase  était  d'abord 
JÔnsi  écrite  :  «  Je  n'ai  jamais  pu  deviner  la  critique  que  vous 
peat  faire. ...  »  Tel  est  le  texte  que  tous  les  éditeurs  avant 
M.  Berriat-Saint-Prix  avaient  conservé.  Boiieau  a  effacé  le  mot 
t'ow.  Mab,  en  dépit  de  la  rature,  il  subsiste  comme  preuve. 


4  ÉPITAPHES. 

Racine,  dans  la  réponse  qu'il  fit  à  Boileau  le  4  ^oût  suivant, 
parlait  ainsi  des  deux  épitaphes  :  «  Je  suis  bien  aise  que  vous 
n'ayez  pas  conçu  la  critique  de  Fabbé  Tallemant  :  c'est  signe 
qu'elle  ne  vaut  rien.  La  critique  tomboit  sur  ces  mots  :  «  Il  en 
«  commença  les  fonctions.  »  Il  prétendoit  qu'il  falloit  dire  né- 
cessairement :  c  11  commença  à  en  faire  les  fonctions.  »  Le 
P.Bouhours  ne  le  devina  point,  non  plus  que  vous,  et  quand 
je  lui  dis  la  difficulté,  il  s'en  moqua.  Je  donnai  l'épitaphe  de 
Mlle  de  Lamoignon  à  M.  de  la  Chapelle  en  l'état  que  nous 
en  étions  convenus  à  Montgeron;  je  n'en  ai  pas  ouï  parler  de- 
puis. »  On  ne  peut  pas  raisonnablement  douter,  aprà  avoir  lu 
ces  passages  des  deux,  lettres,  que  Racine  ne  soit  l'auteur  de 
l'épitaphe  de  M.  le  Tellier,  et  qu'il  n'ait  rendu  un  semblable 
hommage  à  la  mémoire  de  Mlle  de  Lamoignon.  Ce  qu'il 
écrit  de  Vépitaphe  composée  pour  celle-ci  pourrait,  il  est 
vrai,  fsûre  soupçoimer  que  Boileau  y  a  eu  quelque  part.  Il 
semble  toutefois  plus  probable  que  Racine  lui  a  seulement  de- 
mandé quelques  conseils. 

Les  chicanes  de  l'abbé  Paul  Tallemant  citées  par  Boileau  et 
par  Racine  se  rapportent  an  texte  que  nous  donnons  de  l'é- 
pitaphe de  le  Tellier.  Cette  épitaphe  est  donc  bien  celle  que 
Racine  ayait  écrite. 

A-t-on  la  même  certitude  pour  l'épitaphe  gravée  sur  le 
tombeau  de  Mlle  de  Lamoignon,  et  dont  le  lecteur  trouvera 
ci-après  le  texte?  Plusieurs  avaient  pu  être  proposées^  mais, 
en  fût-il  ainsi,  il  resterait  infiniment  probable  que  la  famille 
de  Lamoignon,  si  étroitement  liée  d'amitié  avec  Racine ,  lui 
donna  la  préférence  sur  tout  autre.  M.  Berriat-Saint-Prix 
(voyez  le  tome  IV  de  ses  Œuvres  de  Boileau^  p.  i66,  note  6, 
et  le  tome  II,  p.  44 1»  note  3)  a  cru  que  l'épitaphe  mentionnée 
dans  les  lettres  de  Boileau  et  de  Racine  n'est  autre  chose  que 
les  Vers  de  Boileau  pour  mettre  au  bas  du  portrait  de  Mlle  de 
Lamoignon.  Cette  opinion  serait  difiicile  à  admettre. 

Les  épitaphes  de  le  Tellier  et  de  Mlle  de  Lamoignon  ont  été 
pour  la  première  fois  recueillies  dans  les  Œuvres  de  Racine 
par  M.  Aignan  (édition  de  i8a4,  tomelV,  p.  38i  et  38a),  U 
les  avait  tirées  de  la  Description  historique  de  la  ville  de  Paris 
par  Piganiol  de  la  Force  (lo  vol.  in-ia,  1765}.  Cet  auteur  ne 
dit  pas  par  qui  elles  ont  été  composées.  Il  s'est  contenté  de 


NOTICE.  5 

les  copier  sur  les  pierres  des  tombeaaxy  dont  l'une  était  dans 
Téglise  de  Saint-Gervais  et  Saint-Protais,  l'antre  dans  l'église 
des  Cordeliers,  située  sor  nne  petite  place  où  conunençait  la 
me  de  l'Observance,  près  de  l'École  de  médecine.  Nous  n'a- 
¥ons  pu  savoir  ce  qu'est  derenue,  depnb  la  démolition  de  cette 
église,  la  pierre  tnmulaire  de  Madeleine  de  Lamoignon.  Le 
tombeau  du  chancelier  le  Tellier  se  voit  encore  aujourd'hui 
dans  l'église  de  Saint-Gerrais;  mais  l'inscription  a  disparu; 
nous  ignorons  également  quel  sort  elle  a  eu.  On  s'expliquerait 
sans  peine  que  la  Révolution  ne  l'eût  pas  épargnée;  il  y  a 
même  lien  de  s'étonner  que  l'œuvre  du  sculpteur  ait  été  pré- 
servée de  la  destruction.  Le  texte  que  nous  donnons  des  deux 
inscriptions  est  celui  de  Piganiol  die  la  Force. 

Voici  la  description  qu'il  fiiit  du  tombeau  de  Michel  le  Tel- 
lier, au  tome  IV,  p.  140  et  141,  de  l'ouvrage  cité  ci-dessus: 
t  Dans  une  chiq>elle  qui  est  à  côté  du  choeur  («fe  V  église 
Saini'Gervais)f  à  main  droite,  on  remarque  le  tombeau  de 
Ifichel  le  Tellier,  chancelier  de  France....  Sous  un  grand  arc 
porté  sur  deux  jambages  est  un  sarcophage,  ou  tombeau  de 
marbre  noir,  sur  lequel  est  la  figure  du  chancelier  le  Tellier, 
à  demi  couchée,  et  au  pied  de  laquelle  est  un  génie  en  pleurs. 
Sur  un  cartouche  qui  est  au-dessus  est  l'urne  qui  est  censée 
contenir  ses  cendres,  et  qui  est  entre  deux  autres  génies  aussi 
en  pleurs.  Sur  l'archivolte  sont  les  figures  de  la  Prudence  et 
de  la  Justice;  et  sur  des  piédestaux  en  saillie,  au  bas  des  pi* 
lastres,  sont  la  Religion  et  la  Force.  Ce  monument  est  orné  de 
feuillages,  de  festons  et  de  pentes,  le  tout  de  bronze  doré. 
Tout  l'ouvrage  est  d'un  très-bon  goût.  La  sculpture  est  du 
dessin  et  de  l'exécution  de  Pierre  Mazeline  et  de  Simon  Hur* 
trelle,  sculpteurs  de  l'Académie  royale  de  peinture  et  de 
sculpture.  Sur  le  devant  de  ce  tombeau  est  gravée  l'in- 
scription. » 

Le  Tellier  est  trop  célèbre  pour  que  nous  ayons  id  à  par- 
ler de  lui.  Au  sujet  de  l'épitaphe  que,  par  ordre  sans  doute. 
Racine  a  composée  pour  ce  dur  ministre,  nous  ne  ferons 
qu'une  remarque.  Les  mots  :  «  content  d'avoir  vu  consommer 
ce  grand  ouvrage,  *  sont,  dans  les  écrits  qui  nous  restent 
de  Racine,  le  seul  éloge  que  nous  ayons  rencontré  (et  il  eût 
été   difficile  alors  de  le   faire   plus  modéré)  de  la  révoca- 


s  ÉPITAPHES. 

don  de  Tédit  de  Nantes,  Voyez  ce  qoe  nous  avens  dit  d'un 
passage  dn  Prologue  d^Esther^  dans  notre  tome  III,  p.  462, 

note  4* 

Piganiol  de  la  Force,  dans  sori  tome  Vil,  p.  27  et  soivan- 
tes,  décrit  la  chapelle  des  Besançon  de  l'église  des  Cordeliers. 
c  La  chapelle  des  Besançon,  dit-il ,  renferme  les  cendres  de 
plusieurs  magistrats  de  ce  nom  et  de  plusieurs  autres  des  fa- 
miUes  des  Bullion  et  des  Lamoignon,  qui  en  descendent  par 
Charlotte  de  Besançon,  femme  de  Charles  de  Lamoignon, 
conseiller  d'État,  mort  en  i573....  On  voit  dans  cette  même 
chapelle  les  épitaphes  de  Charles,  de  Guillaume  et  de  Made- 
laine  de  Lamoignon.*..  La  Demoiselle  (^  Lamoignon)  dont  on 
va  lire  Tépitaphe  étoit  sœur  de  Guillaume  de  Lamoignon , 
premier  président  du  parlement  de  Paris,  et  fille  de  Chrétien 
de  Lamoignon,  président  à  mortier  au  même  parlement,  et 
de  Marie  Deslandes  {de  Landes^  dans  le  Diethrmaire  de  Mo-' 
réri)»  » 

L'épitaphe  que  Racine  avait  écrite  pour  Mlle  de  Vertus 
n'est  point  celle  que  cite  le  Nécrologe  de  1 72)  comme  ayant 
été  gravée  sur  la  pierre  tumulaire ,  qui  était  à  Port-Royal 
des  Champs,  dans  le  cimetière  des  Religieuses.  Le  lecteur 
aimera  sans  doute  à  trouver  ici  cette  épitaphe  du  Néèro» 
loge  pour  la  comparer  avec  celle  de  Racine.  On  remarquera 
entre  Tune  et  l'autre  des  rapports  frappants  :  quelquefois  des 
expressions  semblables,  et  partout  les  idées  s'enchalnant  dans 
le  même  ordre.  Il  est  vraisemblable  que  Pépitaphe  de  notre 
auteur  a  été  composée  la  première,  qu'à  Port-Royal  on  s'est 
fait  scrupule  d'une  forme  qui  pouvait  sembler  trop  littéraire, 
et  qu'on  s'est  beaucoup  aidé  du  travail  de  Racine  en  le  refai- 
sant. Voici  l'épitaphe  qu'on  trouve  dans  le  Nécrologe  ^  avec  la 
courte  notice  qui  l'y  précède  (p.  438}  : 

c  Le  vingt  et  unième  jour  {de  novembre)  169a,  moumt  en 
ce  monastère  Demoiselle  Catherine-Françoise  de  Bretagne  de 
Vertus,  que  l'on  peut  regarder  comme  une  héroïne  du  chris- 
tianisme et  un  prodige  de  piété.  En  qualité  de  bienfactrice  elle 
a  demeuré  vingt  et  un  ans  dans  cette  maison;  et  pendant  tout 
ce  temps  nous  a  donné  en  toute  occasion  des  marques  écla- 
tantes de  sa  charité,  de  sa  libéralité  chrétienne  et  de  son  ten- 
dre attachement.  Elle  nous  étoit  si  unie  que  la  mort  même 


-^ 


NOTICE.  7 

D'à  pas  été  capable  de  la  séparer  de  nous.  Son  humilité  hi  a 
£ût  choisir  sa  sépulture  dans  le  cimetière  des  Religieuses^  oè 
noos  loi  aTons  fait  dresser  cette  épitaphe  : 
c  Ici  repose  Catherine-Françoise  de  Bretagne,  Demoiselle 
de  Vertns.  Elle  fat  sérieuse,  constante,  généreuse  dès  Pen* 
fiuiœ.  Elle  passa  sa  plus  grande  jeunesse  pratiquant  par 
piété  la  règle  de  saint  Benott  dans  un  monastère.  Elle  en 
fut  tirée  par  les  flatteries  de  la  cour,  où  elle  prit  tn^  de 
part  aux  intrigues  et  aux  plaisirs  qu'elle  désiqiprouvoit.  Mais 
Dieu  la  fit  enfia  ressouvenir  de  ses  premiers  sentiments  ;  et 
die  lui  rendit  tout  son  ccBurw  U  lui  montra  le  sentier  droit 
qui  mène  è  la  vie;  et  la  princesse  Anne-  de  Bourbon^  l'y 
ayant  suivie,  die  Ja  oonsola  par  l'exemple  de  sa  joie  dans 
hs  austérités  d'un  jeâne  continuel,  et  la  soutint  par  sa  tran- 
quillité au  milimi  de  la  tempête  qui  agitoit  alors  TÉgliae* 
Son  application  aux  besoins  de  l'Épouse  de  Jésus-Christ  la 
rendit  digne  de  contribuer  à  la  paix  de  ses  enfants.  Après 
quoi,  n'ayant  plus  rien  à  faire  sur  la  terre,  qu'à  se  préparer 
à  la  mort,  elle  se  retira  dans  ce  monastère,  où  elle  se  seroit 
engagée  sans  ses  infirmités.  Elles  l'attachèrent  au  lit  durant 
les  dernières  années  de  sa  vie;  mais  elles  n'interrompirent 
ni  sa  régularité  à  la  lécttation  de  l'office  à  toutes  les  heures 
de  la  communauté,  ni  son  attention  aux  besoins  du  pro- 
chain, ni  le  progrès  de  son  amour  pour  Dieu  et  pour  son 
Eglise.  Elle  passa  de  ce  monde  après  vingt  et  im  ans  de  souf- 
frances et  de  clôture,  âgée  de  soixante  et  quinze  ans,  aya^t 
disposé  en  faveur  des  pauvres  du  peu  que  ses  grandes  et 
continudles  aumônes  lui  avoient  laissé,  le  ar  novembre 
169S1.  » 

Bans  cette  épitaphe,  comme  dans  celle  que  Bacine  a  écrite, 
le  nom  de  Catherine-Françoise  de  Bretagne  rappelle  l'illustre 
origine  de  Mlle  de  Vertus,  qui  descendait  des  anciens  princes 
de  la  Bretagne,  et  ne  la  rappelle  qu'autant  qu'il  convenait. 
Le  cimetière  des  Beligieuses  de  Port-Royal  n'était  pas  un 
lieu  où  dussent  s'étaler  avec  trop  de  faste  les  titres  mondains 
de  la  bienfaitrice  du  monastère.  U  était  mieux  d'ailleurs  de 
ne  pas  nonomer  expressément  une  maison  souveraine  dont 

I.  La  dachesse  de  Longaerille. 


8  ÉPITAPHES. 

Mlle  de  Vertus  n'était  îssae  que  par  un  frère  naturel  de  la 
reine  Anne.  Le  père  de  la  piense  pénitente  de  Port-Royal 
était  Claude  d'Avaugoor,  comte  de  Vertus ,  et  sa  mère  Cathe- 
rine Fonquet  de  la  Varenne.  La  belle  Montbason  était  sa  sœur 
aînée.  On  trouvera  d'intéressants  détaik  sur  toute  la  vie  de 
Mlle  de  Vertus,  particulièrement  sur  le  temps  de  sa  pénitence 
et  de  sa  retraite,  dans  le  Pon^Rojral  de  M.  Sainte-Beuve. 
Nous  y  avons  déjà  renvoyé  à  la  page  347,  note  a,  de  notre 
tome  I  ;  mais  nous  n'avions  pas  alors  l'édition  de  ce  livre  pu- 
bliée en  1867  ;  nous  indiquerons  ici  de  préférence  cette  nou- 
velle édition,  à  laquelle  l'auteur  a  fiât  des  additions.  On  peut 
voir  le  tome  V,  aux  pages  9^1  aa;  M.  Sainte-Beuve  y  a  cité 
dans  une  note  (p.  io3)  quelques  médisances  du  P.  Rapin» 
qui  ne  sauraient  jeter  aucune  ombre  sur  l'éloge  que  Racine  a 
fait  de  Mlle  de  Vertus. 

Dans  un  autre  de  ses  écrits  (voyez  notre  tome  IV,  p.  6o5) 
Racine  a  dit  quelques  mois  de  Mlle  de  Vertus  et  de  son  amie 
Mme  de  Longaeville,  en  laissant  tout  l'avantage  à  la  première. 

Nous  avons  en  sous  les  yeux  une  ancienne  copie  de  l'épi- 
taphe  de  Mlle  de  Vertus,  faisant  partie  des  manuscrits  de  la 
bibliothèque  de  Troyes,  que  nous  avons  déjà  mentionnés 
dans  notre  tome  IV,  p.  267  et  599.  Cette  copie  est  presque 
entièrement  conforme  à  l'autogriqïhe,  qui  la  rendait  d'ailleurs 
à  p«i  près  inutile  pour  nous. 


n 


ÉPITAPHES. 


I 

ÉPITAPHE 

DE  C.  F.  DE  BRETAGNE, 

DBMOISBLLB    DB    VBRTUS ^ 


IcT  repose  Catherine-Françoise  db  Bextàcnb,  Demoi- 
selle DB  Vbbtus.  Elle  passa  sa  plus  tendre  jeunesse  dans 
le  désir  de  se  donner  à  Dieu,  pratiquant  dès  lors  avec  un 
goût  particulier  la  règle  de  S.  Benoît  dans  un  monastère. 
Mais  engagée  dans  le  monde  par  ses  parents,  les  flatteries 
des  gens  du  siècle  et  cette  estime  dangereuse  que  lui 
attiroient  les  grftces  de  sa  personne  et  les  agréments  de 
son  esprit  '  l'emportèrent  bientôt  sur  ses  premiers  senti- 
ments, dont  elle  ne  laissoit  pas  d*étre  toujours  combattue. 
Pour  sorcrott  de  malheur*  se  trouyant  mêlée  fort  ayant 


I.  Le  texte  que  nous  donnons  de  cette  ^itaphe  est  celui  du 
numnscrit  aatographe.  Voyez  oi-dessos,  p.  3,  au  conunencement 
de  UiVtfllM.  —  Dans  la  copie  de  Troyet,  le  titre  est  :  ÈpUaphe  de 
Mlle  de  Vertuê^  wtorie  et  enterrée  à  Port-Bojrtd  des  Ckan^, 

1.  La  première  rédaction  dana  le  manuscrit  était  :  «  que  loi  atti« 
rotent  les  pnandes  qualités  de  fon  corpa  et  de  son  esprit.  » 

3.  Pour  comble  de  malheur,  (i^*  rédaction.) 


lo  ÉPITAPHES. 

dans  les  cabales  ^  qui  divisoient  alors  la  cour^  elle  prit 
hélas  !  trop  de  part  et  aux  plaisirs  et  aux  intrigues  '  que 
dans  son  ftme  elle  condamnoit.  Mais  Dieu,  qui  ne  vouloit 
pas  qu*elle  pérît ,  jeta  une  amertume  salutaire  sur  ses 
vaines  occupations  *,  et  permit  que  rebutée  de  leur  mau- 
vais succès  ^  elle  en  connût  mieux  le  néant,  et  qu*ellelui 
rendit  tout  son  cœur.  Elle  eut  le  bonheur,  dans  les  pre- 
miers temps  de  sa  conversion,  de  fortifier  par  son  exemple 
et  par  ses  conseils  la  duchesse  de  Longueville  dans  le 
dessein  qu'elle  forma  aussi  de  se  convertir,  et  fut  l'ange 
visible*  dont  Dieu  se  servit  po|ir  aider  à  cette  princesse 
à  trouver  la  voie  étroite  du  salut*.  Catherine,  malgré  ses 
continuelles  infirmités,  affligeoit  son  corps  par  des  austé- 
rités continuelles,  goûtoit  une  paix  profonde  et  une  soli- 
tude intérieure  au  milieu  des  troubles  et  des  orages  dont 
elle  voyoit  avec  douleur  TÉglise  agitée,  veillant  sans 
cesse  à  tous  les  besoins  de  cette  Épouse  de  J.  G.  et  de 
ses  membres ,  surtout  de  ceux  qui  souffSroient  pour  la 
défense  des  vérités  chrétiennes'';  et  fut  rendue  digne  par 
cette  charité  si  compatissante  de  contribuer  à  la  paix  qui 
calma  pour  un  temps  toutes  ces  tempêtes.  Alors  per- 
suadée qu*elle  n'avoit  plus  autre  chose  à  faire  que  de 
consommer  sa  pénitence,  elle  se  retira  dans  cette  maison, 
dont  elle  embrassa  toutes  les  pratiques,  et  où  ses  *  vio- 
lentes maladies,  qui  rattachèrent  au  lit  pendant  les 

I.  Dans  les  intrigues,  (i**  rëdacdon.) 
«.  Et  aux  affaires,  {i^  rédaction.) 

3.  Sor  ses  vains  amusements,  (i^*  rédaction.) 

4.  Dans  la  copie  de  Troyes  :  u  de  leurs  mauTâit  suoo^  » 

5.  L'ange  tutëlaire.  (i**  rédaction.) 

6.  Et  pour  aider  à  cette  princesse  à  trouver  la  voie  étroite  du 
salut,  et  pour  la  consoler  et  la  soutenir  dans  le»  longs  traraux  de 
sa  pénitence,  (i^  rédaction.) 

7.  Surtout  de  ceux  qui  sonffiroîent  pour  é\e,  (i>*  rédaction.) 

8.  D  y  a  ^/,  au  lieu  de  set^  dans  la  copie  de  Troyes. 


ÉPITAPHES.  II 

onze  dernières  années  de  sa  vie,  l'empêchèrent  seules  de 
&ire  profession.  Mais  elles  n'empêchèrent  pas  sa  régu- 
larité à  réciter  tous  les  jours  TofiBce  aux  mêmes  heures 
de  la  communauté,  son  attention  aux  nécessités  du  pro- 
diain  ',  sa  charité  pour  toutes  les  sœurs,  et  surtout  son 
attention  i  Dieu  dans  uiie  adoration  perpétuelle  ^  au  mi- 
lieu de  tous  ses  maux,  qu*elle  souffrit  avec  une  extrême 
humilité  et  avec  une  patience  incroyaUe  '•  Enfin,  âgée 
de  74  tuiSi  après  avoir  laissé  ce  qui  lui  restoit  de  bien 
aux  pauvres,  et  vécu  en  pauvre  elle-même  *,  elle  rendit 
son  âme  i  Dieu,  munie  de  tous  les  sacrements  des  mou- 
rants, au  milieu  de  toutes  les  sœurs  ',  le....  *. 

I.  An  néïesâtés  des  pauvres,  (f^  rédaction.) 
1.  Son  attendon  à  Dieu  et  une  adoiation  peipëtuelle  de  sa  ml- 
iéricarde.  (i'*rëdaction.) 

3.  Et  aTec  une  padenoe  sans  bornes,  (i'*  rëdacdon.) 

4.  Et  v^n  eUe-même  comme  les  pauTres.  (i'*  rëdacdon.) 

5.  De  toutes  les  scsurs,  quMle  avoit  tendrement  aimées,  (i'*  ré- 
daction.) 

6.  La  date  est  le  ii  novembre  1693.  Voyez  ci-dessus,  p.  6. 


la  ÉPITAPHES. 


II 


ÉPITAPHE 

DE   MICHEL   LE   TELLIER, 


A  LA  GLOIRE  DE  DIEU, 

XT  A  Là  MJliOlllH  JTBIlWKf.f.» 

DE  MICHEL  LE  TELLIER, 

Chancelier  de  France ,  illustre  par  sa  fidélité  inviolable 
envers  son  prince ,  et  par  sa  conduite  toujours  sage , 
toujours  heureuse.  Il  fut  nommé  par  le  roi  Louis  XIII 
pour  remplir  la  charge  de  secrétaire  d^État  de  la  guerre, 
et  en  commença  les  fonctions  la  première  année  de  la 
régence  d^ÀNNS  d^Autrichs.  Dans  des  temps  si  difficiles, 
il  n*eut  d'autre  intérêt  que  son  devoir,  et  fut  regardé  de 
tous  les  partis  comme  le  plus  habile  et  le  plus  zélé  dé- 
fenseur de  l'autorité  royale.  Louis  lb  Grand  ,  ayant  ré- 
solu de  gouverner  toutes  choses  par  lui-même,  le  choisit 
pour  être  un  des  principaux  ministres  de  ses  volontés, 
et  se  servit  de  lui  pour  rétablir  Tordre  de  son  État  et  la 
discipline  dans  ses  armées.  U  Téleva  depuis  à  la  dignité 
de  Chancelier. 

Dans  cette  longue  suite  d'honneurs,  il  signala  sa  piété 
envers  son  Dieu ,  sa  passion  pour  la  gloire  de  son  roi,  et 
son  amour  pour  le  bien  de  l'État.  Il  fit  également  admi- 
rer en  lui  le  grand  sens,  l'équité,  la  modestie.  Enfin,  à 
Tàge  de  lxzxiii  ans ,  le  3o  d'octobre  de  Tan  m dclxxxv, 
huit  jours  après  qu'il  eut  scellé  la  révocation  de  l'édît  de 


ÉPITAPHBS.  i3 

Nantes,  oonleiit  d'avoir  vu  consommer  ce  grand  on- 
vnge,  et  tout  plein  des  pensées  de  rétemité ,  il  expira 
dans  les  bras  de  sa  fanuUe ,  pleuré  des  peuples ,  et  re- 
gretté de  Louis  lb  GaAJiD. 


III 

ÉPITAPHE 


DE  MADEMOISELLE  DE  LAMOIGNON. 


ICT  GIIT 

1IA1III.AIHS   DB  LÂMOIGirONt 

FI1.LB    DB    GHBBSTIBII    DB    LÂMOIGIION, 

MÀBQUIS  BB  BÀSVILLB, 

CBAMll  PBBSIBBHT  DU  PABUKMBIIT. 

ElXB  FUT  URIQUBmilT  OCCUpis, 

PBBDÂirr  UHB  LON6UB  VIB,    DU   SOIN 

DB    SOULAGBR    TOUTB    SOBTB    DB     MALHBUBBUX. 

il.  ir^T  A  POINT  DB  PROVINCES  BN   FKÀNCB, 

NI   DS  PAYS  DANS  LB  MONDB^, 

I.  On  peut  rapprocher  de  cet  ^loge  les  rert  KÛTants  de  Boileau 
Cette  admirable  et  lainte  fille 


Jusqu'aux  eUmat»  où  naît  et  finit  la  dartë 
Kt  reiicntîr  Peffet  de  sef  toini  teconrablee 

{Fers  pour  mettra  au  hms  du  parîrmt 
Je  MlU  de  Lamoignon)  ; 

et  la  note  par  laquelle  le  poète  explique  cet  mêmet  rers  : 
■  MOe  de  Lamoignon ,  mbut  de  Monaienr  le  premier  président,  fai- 
•oit  tenir  de  Targent  k  beaucoup  de  missionnairef  juique  dant  les 
bdcs  «mentales  et  occidentales,  » 


i4  EPITAPHES. 

QUI  n'aIBHT  BBflSBirri   LB8  EFFKM 
DB  aà   CHAAITÉ. 

^  Elle  naquit  lb  .  •  <  • 
Elue  bst  mobtb  lb^  •  .  •  « 

I .  Dans  la  transcription  donnée  par  Piganiol  de  la  Force,  la  date 
de  la  naissance  et  celle  de  la  mort  sont  restées  en  blanc.  La  pre- 
mière est  le  i8  septembre  1609,  et  la  seconde  le  14  avril  1687. 
Voyez  le  Dieiiomuûre  de  Morériy  à  Tartide  Chrétien  de  Lamoignom^ 
seigneur  de  Bé9UU, 


expucahons 


DE  MÉDAILLES 


NOTICE. 


Racins  a  été  pendant  près  de  seize  ans,  de  ]a  fin  de  i683 
jusqa'à  sa  mort  (avril  1699)9  on  des  membres  de  l'Académie 
royale  des  inscriptions*.  La  part  qui  lui  revient  dans  les  tra- 
vaux collectifs  de  cette  compagnie  peut  jusqn'à  un  certain  point 
être  connue.  Nous  en  avons  recherché  lés  traces,  et  nous 
avons  ainsi  recueilli  quelques  pages  qui  manquaient  aux  pré- 
cédentes éditions  des  Œuvres  de  notre  auteur. 

H.  Berriat-Saint-Prix  avait  indiqué  déjà  la  source  où  Von 
pouvait  puiser.  Dans  son  édition  des  Œuvres  de  Boileau^  il  a 
donné,  au  tome  III,  p.  124-139,  les  Descriptions  ou  explica- 
tions de  médaiUes  que  celui-ci  a  rédigées.  Il  avertit  qu'il  en  a 
pris  le  texte  dans  l'Histoire  métallique  du  Roi  publiée  en  1 702, 
et  que  ce  sont  les  registres  de  l'Académie  qui  lui  ont  fait  con- 
naître qu'eUes  sont  de  fioileau. 

M.  Guigniaut,  aujourd'hui  secrétaire  perpétuel  de  T Acadé- 
mie des  inscriptions  et  belles^lettres,  nous  a  permis,  avec  la 
plus  gracieuse  obligeance,  de  consulter  les  mêmes  registres. 
Nous  y  avons  trouvé  pour  Racine  ce  que  M.  Berriat-4Saint-Prix 
avait  trouvé  pour  Boileau,  c'est-à-dire  une  partie  de  ce  que 
l'on  peut  revendiquer  pour  lui  dans  la  rédaction  de  l'Histoire 
métallique  du  Roi. 

Ce  fut  seulement  en  1694  que,  dans  l'Académie  dite  alors  des 
inscriptions  et  médailles,  on  commença  à  tenir  un  registre  exact 
des  assemblées.  Celle  du  samedi  3  avril  1694  est  la  première 
dont  il  soit  rendu  compte  dans  le  plus  ancien  des  registres.  En 
ce  temp»-là,  le  Roi  avait  placé  l'Académie  sous  la  direction  de 

I.  Voyez  les  Mémoires  de  Louis  Racine,    dans  notre  tome  I, 
p.  376,  et  la  Notice  ifiographique  au  même  tome,  p.  io3  et  104 • 
J.  Racutb.  V  s 


i8  EXPLICATIONS  DE  MÉDAILLES. 

Pontchartrain,  contrôleur  général  et  secrétaire  d*£tat,  ayant  le 
département  de  la  maison  da  Roi.  Dans  la  liste  des  académi- 
ciens, qa'onjit  en  tète  du  registre  de  1694  9  le  premier  nom 
est  celui  de  ce  ministre  ;  il  est  immédiatement  suivi  de  celui 
de  son  fils,  M.  Phelippeaux,  secrétaire  d'État  reçu  en  survi- 
vance, puis  de  celui  de  l'abbé  Bignon,  neveu  de  Pontchar- 
train, et  à  qui  celui-ci  avait  confié  l'inspection  de  TAcadémie. 
Les  vrais  académiciens,  ceux  qui  étaient  à  titre  égal  dans  la 
Compagnie  et  qui  y  prenaient  part  au  travail,  étaient  alors, 
suivant  l'ordre  de  leur  réception.  Charpentier,  Féjibien, 
Racine I  Despréaux,  de  Tourreil,  l'abbé  Renaudot,  de  la 
Loubère,  et  l'abbé  Tallemant  secrétaire.  La  Compagnie  sié- 
geait au  Louvre,  dans  le  même  lieu  où  se  tenaient  les  assem- 
blées de  l'Académie  française*  Elle  se  réunissait  deux  fois  la 
semaine,  le  mardi  et  le  samedi.  Pontchartrain,  homme  d'es- 
prit, et  qui  aimait  les  lettres,  donnait  une  attention  particu- 
lière à  ses  travaux^  ils  étaient  alors  en  progrès,  parce  que 
l'expérience  était  plus  grande  qu'à  l'origine,. et. qi^,  depuis 
Louvoisy  des  hommes  d'un  mérite  supérieur  avaient  été  appe- 
lés dans  le  sein  de  cette  académie.  A  l'époque  où  commencent 
les  registres,  on  revoyait  avec  spin  toutes  les  médailles  dont 
le  projet  avait  été  adopté  précédemment^  on  s'occupait  d'en  ré- 
former plusieurs,  et  d'en  ajouter  un  grand  nombre  de  nou- 
velles, pour  compléter  la  série.  Il  est  à  regretter  que  les  pro- 
cès-verbaux des  assemblées  ne  remontent  pas  plus  haut.  Nous 
n'ayons  ainsi  qu'une  histoire  incomplète  de  la  composition  des 
médailles,  et  nous  ne  connaissons  pas  toutes  celles  auxquelles 
Racine  a  travaillé.  Dès  le  temps  de  Colbert,  et  lorsque  la  Com* 
pagnie  se  réunissait  chez  ce  ministre,  dans  une  petite  chambre, 
on  travaillait  à  des  médailles,  dont  la  première  fut  celle  de 
l'alliance  des  Suisses^.  Interrompue  dans  lea  dernières  an- 
nées de  Colbert,  Tœnyre  fut  reprise  avec  ardeur  sous  Lou- 
vois.  On  fit  frapper  des  médailles  d(e  grand  module,  qui  ont 
été  désignées  sous  le  nom  de  MédaiHes  de  la  grande  histoire. 
Dans  une  lettre  écrite  de  Paris,  le  10  février  i685,  à  l'auteur 
des  Nouvelles  de  la  République  des  lettres^  il   est  dit  que  les 

1.  Mémoires  de  Charles  Perrault  (i  volume  tn-ia,  à  Avignon, 
MDCCLIX),  p.  35. 


NOTICE.  f9 

membres  de  l'Académie  des  inscriptions,  dont  Racine  et  Boi- 
leaa  faisaient  partie  depuis  deux  ans,  «  traTaillent  à  des  des- 
seins^ de  médailles  et  d'inscriptions  pour  Sa  Majesté.  »  Parmi 
les  médailles  de  l'histoire  du  Roi  il  y  en  a  donc  qui  ont  été 
composées  avant  le  temps  o&  les  registres  ont  été  exactement 
tenns,  quelques-nnes  dès  les  commencements  de  l'Académie, 
on  plus  grand  nombre  depuis  l'entrée  de  Racine  et  de  Boileau 
dans  la  Compagnie  jusqu'en  1694;  des  unes  comme  des  autres 
nous  ignorons  les  auteurs.  A  partir  de  1694,  les  registres 
nous  permettent  d'attribuer  à  Racine  cinq  médailles,  qui,  dans 
Tordre  dironologique  des  événements  historiques  qu'elles  rap- 
pellent, sont  :  I*  La  prise  de  Marsal;  a*  La  ville  d'Erford  rendue 
à  l'archevêque  de  Majence;  3®  Dunkerque  fortifiée;  4*  Woër- 
den  secouru;  5*  La  trêve  de  1684.  Voici  les  témoignages,  ex- 
traits des  registres,  qui  désignent  Racine  comme  auteur  des 
explications  qui  s'y  rapportent  :  «  Du  sambdi  19  rÉvam  1695. 
«  M«  Racihe  a  apporté  la  description  de  la  médaille  sur  la 
<  prise  de  Marsal,  et  elle  a  été  arrêtée.  —  Du  sambdi  3 1  Aoiir 

•  1697.  On  a  examiné  trois  descriptions  faites  par  M.  Racinb, 
«  l'une  sur  la  médaille  des  fortifications  de  Dunkerque;  la 
«  seconde  sur  la  médaille  du  secours  de  Woérden;  et  la 
«  troisième  sur  la  médaille  d'Erford  rendu  à  l'électeur  de 
«  Mayence.  Ces  trois  descriptions  ont  été  arrêtées.  —  On 
«  MAKDi  18  Ftvanni  1698.  On  a  examiné  la  description  faite 
«  par  M.  Racikb  de  la  médaille  sur  la  trêve,  et  elle  a  été  ar- 
«  rètée.  >  Ces  mentions  des  registres  sont  suivies  du  texte  des 
descriptions  rédigées  par  Racine.  Nous  parlerons  tout  à 
Theure  de  ce  texte. 

Avant  la  date  du  3i  août  1697,  où  l'explication  de  la  mé- 
daille d'Erford  fut  arrêtée,  nous  trouvons  en  divers  passages 
des  registres  qoe  cette  médaille  avait  été  proposée  par  Ra- 
cine :  «  Du  SAMEDI  17  dAcembbb  1695.  M.  Racotb  a  proposé  un 

•  dessein  de  médaille  sur  ce  que  le  Roi  fit  rentrer  la  ville  d'Er- 

I.  Dans  les  citations  que  renferme  cette  notice,  nous  avons  cru 
plus  sâr  de  conserver  partoat,  pour  le  mot  dessein,  Porthographe 
du  temps.  Cette  orthographe  ne  faisait  pas  de  distinction  entre  des- 
sein et  dessin;  et  en  bien  des  cas  il  nous  aurait  été  difficile  de  déci- 
der si  le  dessein  d^une' médaille  signifiait  la  mt^dallle  projetée,  ima" 
finie,  ou  bien  la  m<?daille  dessinée. 


ao  EXPLICATIONS  DE  MÉDAILLES. 

ford  sous  Tobéissance  de  Tarchevèque  de  Mayence,  son  véri- 
table seigneur,  en  1664*  Il  vouloit  représenter  la  France  qui 
remet  à  la  Religion  le  bouclier  de  la  ville  d^Erford,  avec 
cette  légende  :  Rkligionb  bt  sogiis  defensis;  et  à  Texergue: 
Eeportium  AmcHiBrisGoro  moguntivo  KBSTrruTDM.  Le  type 
a  assez  plu  à  la  Compagnie  ;  mais  on  a  fait  quelque  difficulté 
sur  rinscription  de  l'exergue,  plusieurs  disant  que  ce  mot 
de  BESTiTUTUM  pouvoit  supposer  qu'Erford  avoit  été  pris 
ou  enlevé  à  Tarchevéque  de  Mayence,  et  n'exprimoit  pas 
bien  la  vérité,  qui  est  que  cette  ville  s'étoit  soustraite  à  la 
domination  de  son  légitime  maître.  On  a  proposé  de  mettre  : 

EbPO&DIA  IIT  POSSBSSIONBV  ABCHIEPISCOPI  MOGUNTIMI  BESUTUTA, 

cette  phrase  étant  toute  de  Cicéron  ;  d^autres  ont  proposé 
une  phrase  du  droit  romain,  qui  est,  Jubi  aESTmrruii  ;  d'au- 
tres encore  trouvoient  plus  à  propos  de  mettre  :  Ebfobdia 

DOUDTATIOia    ARCHnSFISCOPI   MOGURTIMI   BESTITCTA   OU  BEDDITA. 

On  a  remis  à  l'assemblée  suivante  à  décider.  —  Du  mabdi 
ao  DÉGBMBBB  1695.  M.  l'abbé  Tallemant  a  proposé  à  la 
Compagnie  de  décider  sur  le  dessein  de  M.  Rachtb  pour 
Erford.  Plusieurs  avoient  peine  à  s'accommoder  de  la  lé- 
gende :  Rbligionb  bt  sociis  DEPBKsn,  et  sembloient  pencher 
à  mettre  plutôt  pour  légende  ce  que  l'on  vouloit  mettre  à 
l'exergue  et  de  se  contenter  de  la  date  à  l'exergue.  Après 
plusieurs  discussions  des  différentes  manières  d'exprimer 
en  latin  le  fait  dont  il  étoit  question,  on  s'est  arrêté  à  celle- 
ci  :  Ebfobdu  bcclbsle  MOGuirmrjB  bbstitdta.  Mais  pour  cela 
il  a  semblé  à  propos  de  changer  quelque  chose  au  type. 
M.  CoypeH  doit  donc  représenter  la  France,  qui  présente 
à  la  Religion  la  ville  d'Erford  sous  la  figure  d'une  femme 
couronnée  de  tours,  et  qui  a  près  d'elle  un  bouclier  chaîné 
de  ses  armoiries.  Mais  conmie  quelques-uns  de  Messieurs 
sembloient  encore  souhaiter  à  l'exergue  quelque  chose  qui 
marquât  que  c'est  le  Roi  qui  par   sa  protection  a  forcé 


I.  Antoine  Coypel,  qui  devint  depuis  premier  peintre  du  Roi, 
avait  été  choisi  pour  exécuter  les  dessins  des  médailles.  Il  assistait 
d'ordinaire  aux  assemblées.  On  employait  les  plus  habiles  graveurs 
de  PEurope  pour  les  coins  d'acier.  Voyez  VHUtoire  de  C Académie 
royale  des  inscriptions  et  belUs'Uttres  (in-4*)i  tome  I,  p.  7. 


NOTICE.  ai 

«  cette  ville  à  rentrer  sous  l'obéissance  de  son  souverain, 
c  M.  l'abbé  Tallemaat  a  proposé  de  mettre  à  Fexergne  : 
c  Galua  vindbz.  La  Compagnie  a  approuvé  cette  pensée.  » 
Sous  la  date  du  mardi  17  juillet  1696  on  lit  dans  le  regis- 
tre :  «  M.  l'abbé  Tallemant....  a  lu  ensuite  le  catalogue  des 
•  descriptions  qui  manquent,  et  Messieurs  les  ont  distribuées 
c  entre  eux,  ainsi  qu'il  est  ici  arrêté.  M.  Racine,  Erford  rendu 
«  à  l'électeur  de  .Mayence,  Woërden  secouru....  »  Et  sous 
la  date  du  mardi  5  juillet  1695  :  *  M.  l'abbé  Tallemant  a 
c  dit  que  pour  achever  les  descriptions  des  médailles  jusqu'en 
c  l'année  167a,  où  commençoit  la  guerre  de  Hollande,  il 
<  en  restoit  encore  quelques-unes,  et  que  si  chacun  de  Mes- 
c  sieurs  vonloit  se  charger  d'en  faire  une,  cela  avanceroit 
c  beaucoup  le  travail....  M.  lUcna  s'est  chargé  de  celle  qui 
c  a  été  faite  sur  les  fortifications  de  Dnnkerque,  en  1671.  t 
On  sait  que  les  descriptions  des  médailles  ont  été  imprimées 
dans  l'ouvrage  que  l'on  appelle  d'ordinaire  f  Histoire  métaiii'' 
que  de  Louis  XIV,  et  qui  a  pour  titre  :  Médaiixbs  sua  uts 

PUHCVAVX  ÉVtmiiEZITS  DU   BàCKB  DE  LoUIS  LE  GrAND  AVEC  DES 

HFUcukTiolis  KiSToaiQuas.  Par  t  Académie  royale  des  médailles 
et  des  inscriptions ^k  Paris,  de  l'Imprimerie  royale.  M.DCC.IP. 
Dans  ce  magnifique  volume  in-folio,  où  les  caractères,  les 
dessins  et  la  gravure  des  médailles  sont  d'une  égale  beauté, 
les  descriptions  sont  toutes  assez  succinctes  pour  qu'au- 
cooe  d'elles  n'excède  jamais  la  page.  On  avait  ainsi  voulu 
que  le  lecteur  pût  toujours  avoir  la  médaille  sous  les  yeux. 
Saint-Simon  dit^  que  l'abbé  Tallemant,  Tourreil  et  Dacier 
avaient  été  chargés  de  lexplication  des  médailles.  Bayle,  dans 
\t& Nouvelles  de  la  République  des  lettres*^  est  plus  exact  lors- 
qu'il nomme  Charpentier,  l'abbé  Tallemant,  Racine,  Des- 
préaux, Tourreil,  l'abbé  Renaudot,  Dacier,  et,  depuis  la  mort 
de  Racine,  Pavillon,   comme  s'étant  occupés  de  ce  travail 


i.  Noos  n'ayons  pas  dû  tenir  compte  ici,  à  cause  de  sa  date, 
d'une  nouvelle  édition  publiée  en  ijsS,  arec  beaucoup  de  change- 
ments, d'additions  et  de  suppressions.  Qa'il  nous  suffise  de  l'indi- 
quer aux  curieux.  Cela  ne  regarde  plus  Racine. 

a.  Mémoires^  tome  III,  p.  388  et  389. 

3.  Norembre  170a,  article  m. 


na  EXPLICATIONS  DE  MÉDAILLES. 

soas  la  direction  générak  de  Vabbé  Bignon*  Toatefois  en  se 
bornant  à  citer  trois  noms,  Saint*Simon,  qui  a  dû  être  bien 
initié  dans  tout  ce  qui  touche  à  la  préparation  de  l'ouvrage  *, 
n'a-t«il  pas  été  en  un  certain  sens  plus  près  de  la  vérité  qu'on 
ne  le  croirait  d'abord?  L'abbé  Taliemant,  Tourreil  et  Dacier 
avaient  peut-être  été  choisis  par  la  Compagnie  pour  être  les 
éditeurs  de  l'Histoire  métallique,  et  autorisés  en  cette  qualité 
à  reviser  les  Explications  que  chacun  avait  fournies.  Ce  qui 
est  certain^  c'est  que  le  texte  de  ces  explications  n'a  pas  été  im- 
primé tel  que  nous  le  trouvons  dans  les  registres  de  l'Acadé- 
mie. Les  modifications  qu'il  a  subies  avant  l'impression  sont- 
elles  dues  aux  académiciens  qui  ont  pris  soin  de  l'édition?  ou 
les  auteurs  de  chacune  des  descriptions  avaient-ils  eu  le 
temps  de  corriger  eux-mêmes  leur  travail  depuis  la  lecture 
qu'ils  en  avaient  faite  à  l'Académie?  Mous  ne  saurions  le  dire. 
Dans  ce  doute  nous  donnons  d'abord  comme  le  texte  authen- 
tique des  Explications  rédigées  par  Racine,  celui  qui  se  trouve 
dans  les  registres  académiques;  mais  nous  avons  cru  qu'il 
convenait  de  le  faire  suivre  du  texte  adopté  pour  l'impression 
de  l'Histoire  métallique,  en  distinguant  cette  seconde  rédac- 
tion de  la  première  par  le  caractère  que  nous  avons  réservé  aux 
oBUvres  d'une  authenticité  incertaine. 

La  collaboration  de  Racine  aux  travaux  de  l'Académie  des 
médailles  a  laissé  dans  les  registres  de  cette  compagnie  d'an- 
tres traces  que  la  rédaction  des  cinq  explications  que  nous 
avons  recueillies.  Il  prenait  souvent  la  parole  dans  les  discus- 
sions auxquelles  donnait  lieu  la  préparation  des  médailles.  En 
outre  l'Histoire  métallique  du  règne  de  Louis  XFV  n'était 
point  l'unique  occupation  de  l'Académie.  Ce  que  s'était  pro- 
posé Colbert  dans  Torigine,  c'était  de  se  faire,  dit  Otaries  Per- 
rault^, c  une  espèce  de  petit  conseil  qu'il  pût  consulter  sur 
toutes  les  choses  qui  regardent  les  bâtiments,  et  où  il  peut 
entrer  de  l'esprit  et  de  l'érudition.  »  V Histoire  de  r Académie 
royale  des  inscriptions  et  belles^- lettres  entre  à  ce  sujet  dans 

■ 

I.  n  avait  été  chatte  d'écrire  une  partie  de  la  préface,  et,  après 
l'avoir  composée,  ne  pnt  la  faire  insérer,  comme  il  le  raconte  lui- 
même  dans  le  passage  des  Mémoires  cité  ci-dessns. 

s.  Mémoires^  p.  33. 


NOTICE.  !i3 

quelques  détails*  :  c  II  y  fjùsoît  GontmneileiDent  inTenter  oa 
eraminer  les  différents  desseins  de  peinture  et  de  sadptare 
dont  on  Tooloit  «nbellnr  Versailles.  On  j  régloît  le  choix  et 
l'ordre  des  statues;  on  y  consultoit  les  ornements  des  fontai- 
nes et  des  bosquets,  et  tout  ce  qne  l'en  proposoit  pour  la  dé* 
contion  des  appartements  et  rembellissement  des  jardins.  » 
Ce  fut -aussi  au  temps  de  Colbertque,  suivant  la  même  Hit^ 
toire*,  «  on  commença  à  fiûre  des  devises  peur  les  jetons  du 
Trésor  royal,  des  Parties  casuelles,  des'Bl^timeUls  etdela  Ma- 
rine; et  tous  les  ans  on  en  donna  de  nouvelles.  » 

hkpeiite  Académie  était  même  chargée  de  soins  qui  diffiè* 
rent  encore  plus  des  graves  et  savants  travaux  auxquels  est  li- 
vrée aujourd'hui  la  classe  de  l'Institut  de  Frsnee  qui  lui  doit 
son  origine  :  «  Quand  M.  Qimiaait  ftit  chargé  de  travailler 
pour  le  Roi  aux  tragédies  en  niusic|ue,  Sa  Majesté  lui' enjoignit 
expressément  de  consulter  l'Académie.  C'étoit  Va  qu'on  déter- 
minoit  les  sujets,  qu'cm  régloit  lès  actes,  qu^én  (fistribuoit  les 
scènes,  ipi'on  plaçoit  les  divertissements.  »  On  ne  peut  s'éton- 
ner beaucoup  que  le  chancellerie  Tellier  se  'moquAt  de  cette 
réunion  de  quelques  beaux  esprits,  choisis  dans- Fâtadémie 
française  pour  délibérer  savamment  sfur  la  plus  agréable  forme 
à  donner  aux  plus  frivoles  flatteries  qu'on  prodiguait  au  Roi  : 
«  Elle  étoit  le  sujet  ordinaire  de  ses  plaisanteries,  et  il  disoit 
qu'il  ne  trouvoit  pas  d'argent  plus  mal  pkcé  que  celui  que 
M.  Colbert  donnoit  à  des  faiseurs  de  rébus  et  de  chansonïiet- 
tes*.  »  Lorsque  Louvois  fit  entrer  dans  la  Compagnie  Racine, 
Despréaux  et  le  savant  numismate  Raînssatit,  il  se  proposait 
de  donner  à  ses  travaux  un  développement  plus  sérieux.  Les 
devises  des  jetons  continuèrent  cependant  d'être  proposées  par 
rAcadémie  des  médailles.  Avec  les  jetons  dont  on  s'occupait 
déjà  sous  Colbert,  on  eut  aussi  à  préparer  ceux  de  POrdinaire 
et  de  l'Extraordinaire  des  guerres.  Les  compagnies  et  les 
princes  en  faisaient  également  fabriquer  à  leur  nom,  et  à 
ï'nsage  de  leurs  officiers.  Destinés  d'abord  à  faciliter  les  cal- 
culs de  ceux  qui,  dans  les  administrations  publiques  ou  dans 

I.  ttutcire  de  V Académie  voyait^  etc.,  tome  I,  p.  3. 

1.  Ibidem^  p.  s. 

3.  Mémoires  de  Charles-Perrault,  p.  198. 


!k4  EXPLICATIONS  DE  MÉDAILLES. 

les  grandes  maisons,  étaient  chargés  des  états  de  dépense  et 
du  maniement  des  deniers,  ces  jetons  avaient  fini  par  n'être 
plus  qu'une  marope  de  distinction,  une  espèce  de  symbole 
qa'on  distribuait  à  différentes  personnes  d'un  certain  état,  ou 
dont  on  gratifiait  les  gens  de  lettres  dans  les  académies^.  On 
y  mettait  des  devises  ingénieuses,  dont  les  spirituelles  allu- 
sions pourraient  bien  paraître  à  quelques  personnes  sévères 
mériter  encore  le  nom  de  rébus.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  hom- 
mes d'esprit  et  de  goût  savent  ae  distinguer  même  dans  les 
petites  choses.  Racine,  comme  on  peut  bien  le  croire,  n'était 
pas  des  moins  heureusement  inventif)»  dans  ces  jeux  d'esprit. 
On  aimera,/ ce  nous  semble,  à  trouver  ici  et  les  avis  qu'il 
eut  l'occasion  de  proposer  sur  quelques-unes  des  médailles 
dont  la  description  ne  lui  fut  pas  confiée,  et  les  devises 
qu'il  imagina  pour  les  jetons.  Nous  allons  extraire  des  re- 
gistres, en  suivant  l'ordre  des  dates,  d'abord  ses  avis  dans  la 
discussion  des  médailles,  puis  ses  propositions  au  sujet  des 
devises. 

c  MàADi  Ao  Avaii*- 1694.  On  a  proposé  de  faire  une  médaille 
«  sur  la  mort  du  feu  roi  Louis  treizième,  et  sur  le  commence- 
c  ment  du  règne  du  Boi.  La  première  pensée  a  été  de  faire 
»  une  médaille  à  l'exemple  de  plusieurs  antiques,  où  l'on  voit 
«  d'un  c6té  la  tète  de  Jules  César,  et  de  l'autre  celle  d'An- 
«  guste  soji  successeur.  Cette  manière  simple  de  marquer 
«  le  mort  et  le  successeur,  le  père  et  le  fils,  a  paru  assez  natu* 
•  relie.  On  ardouté  seulement  si  la  bienséance  ne  seroit  pas  un 
«  peu  blessée  de  mettre  un  prince  encore  enfiint  au  revers  de 
«  la  tête  d'ua  prince  avancé  en  âge. 

«  On  proposa  aussi  de  mettre  le  père  et  le  fils  en  regard 
«  dans  le  même  côté  de  la  médaille  et  d'inventer  un  revers  qui 
«  convînt  à  la  mort  de  l'un  et  au  commencement  du  règne 
«  de  l'autre,  mais  on  s'arrêta  peu  à  ce  dessein,  étant  peu  con- 
«  venable  de  mettre  en  regard  un  mort  et  un  vivant. 

«  On  mit  en  délibération  si  on  ne  pourroit  pas  mettre  la 
«  tète  du  Roi  jeune  d'un  côté,  au  revers  quelque  chose  en 

I.  Voyez  dans  V Histoire  de  P Académie  rojàU  des  inscriptions  et 
heUeS'Uttresy  au  tome  Y,  p.  sSg  et  soiTantes,  le  mémoire  de  Ma- 
hudel  qui  a  pour  titre  :  De  Porigine  et  de  Pusage  des  Jettons, 


NOTICE.  a5 

rhonneor  du  feu  Roi  ;  maiB  on  ne  crat  pas  à  propos  de  mêler 
rîtn  de  Ingobre  au  commencement  d'an  si  beau  règne. 
«  Enfin  on  parut  s'arrêter  à  la  pensée  de  faire  deux  mé* 
dailles  :  Tune  de  la  tète  du  feu  Âoi,  avec  un  revers  sur  ea 
mort,  et  à  Texergne  quelque  chose  qui  marque  que  c'est  le 
Roi  qui  l'a  fait  frapper. 

«  L'autre  médaille  pourra  être  des  deux  tètes,  du  père  et 
du  fils,  à  la  manière  antique,  suivant  la  première  proposi- 
tion. 

«  M.  Racine,  dans  cette  pensée,  a  imaginé,  pour  revers  de 
la  médaille  du  feu  Roi,  de  mettre  une  figure  qui  repré- 
sente la  Gloire,  et  qui  enlève  au  ciel  Louis  le  Juste  couronné 
de  lauriers  et  comme  mourant  au  milieu  des  triomphes; 
pour  mot  à  la  légende  :  Memorije  optimi  Pabkntis.  M.  l'abbé 
Tallemânt  se  chargea  de  la  faire  dessiner  par  M.  le  Clerc.  ■ 
La  Compagnie,  qui  avait  goûté  la  proposition  de  Racine,  re- 
jeta à  la  séance  suivante  le  dessin  de  le  Clerc  :  t  Du  sakeoi 
a4  AVBii.  1694*  On  a  apporté  le  dessein  fait  par  M.  le  Clerc 
et  projeté  dans  la  dernière  assemblée  pour  le  revers  de  la 
médaille  sur  la  mort  du  feu  roi  Louis  XIII.  Ce  dessein  n'a 
point  plu  à  la  Compagnie.  La  Gloire,  qui  étoit  figurée  par  un 
ange,  et  qui,  élevée  sur  des  nuages,  sembloit  conduire 
Louis  XIII.  en  paradis,  a  paru  une  chose  tout  à  lait  contre 
la  bienséance.  »  Un  autre  projet  prévalut.  Dans  l'Histoire 
métallique  il  y  a  (folio  3)  une  médaiUe  sur  la  Mort  de 
Louis  XIII.  On  y  voit  sur  un  piédestal  la  Justice  debout,  qui 
couronne  ce  prince.  Les  mots  de  la  légende  sont  :  Lin>ovico  Justo, 
Paeutti  optime  nseito.  Ceux  de  l'exergue  :  Oynr  xiv  Mail 
M.oc.xun.  La  même  médaille  représente  de  l'autre  c6té 
Louis  XIV  enfant.  Une  autre  médaille  (folio  4)  a  été  faite  sur 
le  Commencement  du  règne  du  Roi,  On  y  voit  le  Roi  élevé  sur 
UD  pavois  ou  bouclier,  qui  est  soutenu  d'un  côté  par  la  France, 
et  de  l'autre  par  la  Providence,  représentée  à  U  manière  an- 
tique sous  la  figure  d'une  femme  qui  tient  un  gouvernail  et 
aux  pieds  de  laquelle  il  y  a  un  globe  et  ime  corne  d*abon- 
dance.  C'est  au  sujet  de  la  médaille  de  Louis  XIII  que  Saint- 
Simon  avait  été  invité  à  écrire  quelques  lignes,  qui  devaient 
être,  dit-il,  soit  insérées  dans  la  préface,  soit  placées  au-des- 
soos  de  la  médaille,  mais  auxquelles  les  académiciens  fini- 


a6  explications  DE  MÉDAILLES. 

rent  par  renoncer,  «  ponr  n'obscorcir  pas  leur  héros  par  une 
comparaison '•  » 

Dans  la  même  année  1694,  Hacine-fit  des  dl>servations  sur 
l'explication  d'une  médaille  qui  devait  oonsaorer  le  souvenir 
de  la  bataille  navale  gagnée  en  164  3  par  le  duc  de  Brésé  près 
de  Carthagène  :  «  Du  mardi  i  i  mai  1694.  M.  Tabbé  Renau- 
«  dot,  revenu  de  la  campagne,  avoît  envoyé  la  description  de 
«  la  bataille  navale  dont  il  s'étmt  chargé.  On  Talue»  M.  Ra- 

<  CDΠ a  cru  se  souvenir  qu'il  y  manquoit  quelque  circonstance 
«  essentielle,  ce  qui  a  été  cause  qu'on  a  remis  l'examen  au  pre- 
c  mier  jour,  et  M.  Raginb  a  promis  d'apporter  une  relation  qui 
f  est  fort  exacte  de  cet  événement.  *-  Du  sAwnM  i5  xai  1694. 
c  On  a  lu  le  mémoire  que  M.  Raciuv  a  apporté  touchant  la  ba- 

<  taille  navale  près  de  Carthagène.  On  a  relu  la  description 
«  faite  pstt  M.  l'abbé  Renaudot ,  et  comme  il  y  avoît  quelque 

<  petite  circonstance  dans  le  mémoire  de  M.  Racrtb  qui  a 
«  paru  nécessaire,  on  a  prié  M.  l'abbé  Renaudot  de  prendre  la 
c  peine  de  l'insérer  dans  sa  description,'  qui  d'ailleurs  a  paru 
«  très-bonne.  » 

Racine  avait,  comme  historiographe,  une  autorité  toute  par- 
ticulière dans  la  préparation  d'un  ouvrage  où  ne  devait  être 
omis  aucun  des  fkits  les  plus  éclatants  du  règne.  On  s'en  rap- 
portait volontiers  à  lui  pour  indiquer  le  choix  à  faire  parmi  ces 
faits  :  c  Du  mardi  a5  mai  1694.  M.  Racine  a  rapporté  le  cata- 
logue des  villes  prises  sous  le  règne  du  Roi,  qu'il  a  revu 
exactement,  et  auquel  on  peut  s'arrêter.  —  Du  samkdi 
19  JUIN  1694.  M.  Racinb  a  rapporté  le  mémoire  de  la  vie  du 
Roi,  auquel  avec  beaucoup  de  soin  il  avoit  ajouté  quantité 
de  choses  mémorables  qui  peuvent  fournir  des  sujets  de 
médailles.  On  a  examiné  une  partie  de  son  mémoire,  sur 
lequel  il  a  marqué  les  événements  que  la  Compagnie  ju- 
geoit  devoir  être  traités.  On  continuera  à  examiner  le  reste 
à  une  autre  assemblée,  après  quoi  on  tâchera  d'obtenir  une 
heure  de  loisir  de  M.  de  Pontchartrain  pour  déterminer 
précisément  les  sujets  qu'on  doit  traiter,  afin  que  l'histoire 
du  Roi  soit  complète,  et  que  la  Compagnie  puisse  travailler 
à  achever  ce  grand  ouvrage.  » 

I .  Hémoires  de  Saint-Simon,  tome  ITT,  p.  890. 


NOTICE.  !k7 

«  Du  vsKDRBDi  a3  jonxET  1694.  M*  de  Pontdiartrain  aToit 
c  nunadé  la  Compagnie  à  VersaiUes.  MM.  Tabbé  BigBon,  Char- 
«  pentier,  Félibiea,  Racine,  Renaudot,  TallemaDt  s'y  sont 

«trouvés....  M.  Rachtb  a  la le  mémoire  des  événements 

«  da  règne  du  Roi,  auquel  il  avoit  exactement  travaillé;  et  le 

<  tout  bien  examiné,  suivant  la  décision  de  M.  de  Pontchar* 
«  train,  il  s*est  trouvé  que  pour  achever  Phistoire  du  Roi 
•  jusqu'à  aujourd'hui  il  reste  trente-netif  médailles  à  faire.  » 
Le  registre  donne  ensuite  le  catalogue  de  ces  médailles. 

Le  mardi  i3  décembre  169S  on  discuta  sur  la  médaille  de  la 
Prise  de  Dunketque  en  1646  :  «  M.  Racihv  vouloit  que  Ton 
t  remarquât  que  c'étoit  pour  la  première  fois  que  Dimkerque 

<  av#it  été  prise  par  les  François.  »  Il  n'est  pas-  dit  dans  le 
registre  qu'on- ait  rien  objecté  à^  cette  observaûon  de.  Racine; 
cependant  il  n'en  fut  pas  tenu  compte,  comme  on  peut  le 
voir  dans  l'explication  delà  médaille,  au  folio  ai  de  l'His- 
toire métallique. 

La  médaille  sur  la  Flotte  tmglaise  repoussée  au  Canada 
en  1690,  qui  est  au  folio  !k34,  doit  quelque  chose  à  Racine  : 
«Du  sAHSDi  ^è  iànvaxi  1696.  M.  l'abbé  Tallemant  a  apporté 
«  les  différentes  légendes  de  M.  l'abbé  Renaudot  sur  la  dé- 
«  faite  des  Anglois  à  Rebec,  et  a  dit  en  même  temps  que  toutes 
«  ces  légendes  avoient  été  ^caminées  dans  rassemblée  du 
«  samedi  27  août  (1695),  et  qu'on  s'étoii  arrêté  à  une  pro- 
«  posée  par  M.  RicnfE  :  F^arcia  in  novo  oaav  vicraix,  et  à 
«  l'exergue  :  Rebbca  libbrata.  m.ocxc.  La  Compagnie  a  con- 
«  firme  sa  première  décision.  > 

La  légende  de  la  médaille  sur  la  Pthe  de  Besançon  en  1668 
donna  lien  à  diverses  propositions.  Celle  de  Racine  ne  fut  pas 
adoptée  :  «  Dn  mabdi  29  mai  1696.  M.  Coypel  a  apporté  le 
«  dessein  de  la  médaille  proposée  sur  la  prise  de  Besançon  en 
«  1668.  La  Compagnie  a  jugé  qu'au  lieu  de  la  figure  de  l'Hi- 
«  Yer,  il  étoit  plus  à  propos  de  mettre  le  vent  Borée,  qui  sou£Qe 
«  la  neige  et  les  frimas;  et  pour  la  légende  M.  Dacier  a  pro- 
«  posé  un  mot  de  Virgile  :  MaoïisQUB  aquilonibus;  M.  Racinb 

<  àa  même  Virgile  :  Nbc  fbigoba  tabdamt;  M.  l'abbé  Renaudot: 
«  Nbc  ionava  hybhs;  et  M.  Despréaùx  :  Nbquicquav  scvibntb 
«  BncRB.  On  a  vernis  à  la  première  assemblée  à  délibérer  sur 
«  ces  légendes.  »  «»Dv  samedi  14  juin  1696.  LajCompagnie  a 


%s 


EXPLICATIONS   DE  MÉDAILLES. 


«  résola  de  mettre  pour  légende  :  Nie  hybms  ignava.  »  L^ap- 
probation  donnée  à  la  proposition  de  Fabbé  Renaodot  avait 
cependant  rencontré  quelques  contradicteurs.  Nous  voyons  au 
folio  io4  de  TEUstoire  métallique  que  la  médaille  eut  pour 
légende  :  TsaBoa  vomuiu,  et  pour  exergue  :  VasuirTio  capta, 

M.DCLXVUI. 

Voici  une  médaille  pour  laquelle  on  adopta  l'avis  ouvert 
par  Racine  :  «  Dd  mamdi  17  juiLXiBT  1696.  On  avait  pro- 
posé quelque  dessein  pour  les  villes  prises  en  i653;  mais 
M.  Racdtb  a  dit  qu'il  croyoit  que  pour  cette  année-là  on 
devoit  faire  connoltre  que  les  dissensions  étoient  apaisées, 
et  que  les  villes  prises  étant  simplement  des  villes  qui  ren- 
troient  sous  l'obéissance  du  Roi,  il  falloit  s'exprimer  autre- 
ment que  pour  des  villes  conquises  sur  les  ennemis;  et  pour 
cela  il  a  proposé  de  représenter  le  soleil  qui  sort  brillant 
des  nuages,  pour  légende  :  SsaranTAS,  et  à  l'exergue  :  PLiTaiXiS 
UEBBs  ascEPTA.  Cette  pensée  a  fort  plu  à  la  société;  le  mot 
de  Sereniîas  a  paru  un  peu  nouveau  ;  mais  on  a  trouvé  qu'il 
exprime  si  bien  le  calme  qui  succéda  à  tous  les  malheurs 
de  la  guerre  civile,  que  l'on  a  résolu  que  M.  Coypel  la 
dessineroit,  et  qu*on  l'enverroit  à  M.  de  Ponchartrain.  » 
La  médaille  des  Filles  remises  sous  l'obéissance  du  Roi  se 
trouve  au  folio  34  de  l'Histoire  métallique,  telle  que  Racine 
l'avait  proposée. 

Un  mois  après  il  prit  une  grande  part  à  la  discussion  de 
trois  différentes  médailles  :  «  Du  mabdi  ai  ao^  1696.  Gomme 
il  restoit  principalement  encore  trois  médailles  à  inventer, 
savoir  la  prise  de  Beffort  en  i654,  et  la  prise  de  Saint- 
Guislain  en  i6S5  et  en  1677,  ^*  Racinb,  pour  en  Êiciliter 
les  desseins,  a  apporté  un  petit  détail  des  circonstances  de 
ces  prises,  qui  a  d'abord  servi  à  trouver  un  type  fort  beau 
pour  la  prise  de  Beffort;  car  comme  il  fait  connoltre  que 
cette  ville,  qui  avoit  une  bonne  citadelle,  et  qui  étoit  à  l'en^ 
trée  de  la  haute  Alsace,  faisoit  contribuer  toute  l'Alsace  et 
toute  la  Lorraine,  on  a  jugé  qu'on  ne  pouvoit  mieux  taire 
connoltre  l'importance  de  cette  prise  qu'en  représentant  la 
Lorraine  et  l'Alsace  tranquillement  assises,  et  pour  légende  : 

AlAATlM  BT  LOTHABDIGUI  QUIBS;    Ct  à  l'cXCrgUe   :    BBPOaTIUll 

CAPTUM.  M.DCLTv.  M.  Coypcl  doit  faire  ce  dessein. 


NOTICE.  29 

«  M.  RAcniK  avoit  remarqué,  entre  antres  choses,  sur  la 

•  prise  de  Saint-Gmslain  en  1677,  que  cette  place  avoit  été 

•  prise  à  la  fin  de  Tannée  dans  laquelle  on  avoit  pris  Valen- 

<  ciennes,  Cambray,  Saint-Omer,  Fribourg  :  à  quoi  il  joignoit 
«  encore  la  bataiUe  de  Casse!  et  plusieurs  antres  avantages. 
«  M.  Tabbé  TaUemant  avoit  heureusement  entré  dans  sa  peu* 

<  sée  par  un  dessein  qu'il  a  apporté;  il  vouloit  figurer  une 
«  Pallas  qui  tient  un  cercle  formé  par  un  serpent  qui  mord 
«  sa  queue,  ce  qui  est  le  symbole  de  Tannée  selon  les  anciens, 

•  et  ce  cercle  doit  être  entouré  de  laurier;  pour  légende  : 
c  Ainrns  laueiatus  fkligitbb  clausus,  et  à  l'exergue  :  Gislb- 

<  NOPOU8  CAPTA,  ou  FaiTOM  SARCn  GlSLBNI  CAPTOM.    12   DBGEM- 

«  sais  1C.DG.LXXTII.  On  a  approuvé  ce  dessein;  et  pour  la  lé- 
«  gende,  la  Compagnie  a  jugé  que  le  mot  LAuasATus  n'étoit 

•  pas  nécessaire,  et  qu'il  sufiBsoit  de  mettre  Anirus  feucitba 
«  clausub;  et  elle  a  mieux  aimé  Fakuk  bancti  GisLszri  que  Giv 

«  UNOPOLIS. 

«  Pour  la  première  prise  de  Saint-Guislain  en  i655,  M.  Ba« 
f  cnn  disoit  qu'il  falloit  la  joindre  avec  celle  de  Condé,  qui  fut 
«  pria  peu  de  jours  devant;  mab  comme  ces  deux  places  furent 
c  reprises  deux  mois  après,  et  que  Ton  a  d'ailleurs  une  mé- 
«  daille  générale  pour  les  conquêtes  de  cette  même  année, 
«  on  a  été  d'avis  de  représenter  à  M.  de  Pontchartrain  qu'on 
«  pouvoit  se  dispenser  de  faire  cette  médaille,  et  d'attendre 

<  un  nouvel  ordre  là-dessus.  »  La  Prise  de  Beffort  est  au 
folio  35  de  l'Histoire  métallique;  la  Prise  de  Landrecy^  de 
Omdé  et  de  Saini^Guislain  en  i655,  au  folio  4i;  1a  Prise  de 
Saint^Guislain  en  1677,  ^^  ^^^^  '^^*  ^^  ^^^^  médailles  ont 
été  exécntées  de  la  manière  que  la  Compagnie  l'avait  décidé, 
en  tenant  compte  des  remarques  de  Racine. 

L'invention  de  la  médaille  sur  la  Marche  de  Monseigneur  le 
Dtuipfiin  au  pont  dEspierre  en  1694  appartient  à  Racine.  La 
Compagnie  ne  Ta  du  moins  que  légèrement  modifiée.  «  Du 
«  MARDI  29  jAvviu  1697.  Sur  la  marche  prompte  de  Mon- 
«  seigneur  le  Dauphin  au  pont  d'Espierre,  par  laquelle  les  en- 
«nemis  furent  prévenus  et  obligés  de  s'en  retourner,  sans 
«  exécuter  le  dessein  qu'ils  avoient  de  passer  nos  lignes,  et 
«  peut-être  d'assiéger  Dunkerque,  on  a  proposé  de  se  servir 
«  de  l'antique  dans  des  médailles  où  Ton  voit  TEmpereur  à 


3o 


EXPLICATIONS  DE  MEDAILLES. 


«  cheval  qui  arrive  en  courant,  avec  le  mot  Adventus.  Cette 
•c  pensée  a  d'abord  assez  plu;  mais  en  l'examinant  davantage, 
«  on  a  reconnu  que  ces  Adventus  dans  l'antique  sont  seulement 
«  pour  l'arrivée  de  l'Empereur  à  Rome  ou  en  quelque  autre 
«  lieu,  et  c[ue  cela  ne  marquoit  aucun  avantage;  qu'ici  la 
c  prompte  marche  de  Monseigneur  avoit  sauvé  les  lignes,  et 
c  rompu  toutes  les  mesures  des  alliés  ;  que  d'ailleurs  il  falloit 
«  manpier  dans  cette  action  la  diligence  et  l'ardeur  des  trou- 

<  pes.  Cela  a  fait  penser  à  M.  Racihb  de  mettre  Monsei- 
c  gneur  sur  un  cheval  ailé,  et  pour  légende  :  ALACarrAs.  Ce 
«  mot  à^Alacritcu  a  paru  très-beau,  et  on  a  cherché  s'il  n'avoit 
«  pas  été  employé  dans  l'antique.  On  a  trouvé  dans  le  Recueil 
«  d'Occo  une  médaille  de  Gallien  qui  a  paru  comme  faite  ex- 
«  près  pour  cette  pensée.  Le  type  est  le  cheval  Pégase,  et  pour 
«  légende  :  ALAcarrATi.  On  a  donc  résolu  de  figurer  Persée 
c  tenant  la  tète  de  Méduse  et  monté  sur  le  cheval  Pégase  qui 
«  vole,  et  de  mettre  à  l'exergue  :  Militum  alacaitas.  Pour  lé- 

<  gende  oii  a  proposé:  Faôstus  ±0  Scaldim  adventus,  'Fausiitm 
c  AD  ScALDiH  rrxR,  ct  OU  a  cru  qa!iter  exprimoit  mieux  une 
«  marche;  mais  enfin,  après  avoir  bien  agité  la  chose,  il  a 
c  semblé  que  l'épithète  de  faustug  étoit  inutile,  et  qu'il  suf- 

<  fisoit  de  mettre  simplement  :  Dblphini  ad  Scaldim  ma. 
c  M.  Coypel  doit  dessiner  cette  médaille  et  l'apporter  à  la 
«  première  assemblée.  »  La  médaille,  qui  est  au  folio  tiSg  de 
l'Histoire  métallique,  est  entièrement  conforme  à  la  décision 
que  nous  venons  d'extraire  du  registre. 

La  médaille  de  la  Conférence  pour  la  paixy  qui  fut  tenue 
dans  l'tle  des  Faisans  en  1659,  fut  également  imaginée  par 
Racine  :  t  Dû  «ardi  la  mabs  1697.  On  a  reparlé  de  la  mé- 
c  daille  sur  la  Conférence....  M.  Racine  proposoit,  au  lieu 
«  de  représenter  la  Conférence  historiquement,  de  figurer  un 
«  petit  temple  dans  l'île  des  Faisans,  et  la  Paix  qui  descend 
c  du  ciel,  et  pour  légende  :  Pacisadytum,  pour  dire  le  Sanc- 
«  tuaire  de  la  Paix.  Cette  pensée  a  paru  bonne;  mais  on  a  jugé 
«  plus  à  propos  de  représenter  l'historique.  —  Du  samedi 
«  27  AVBiL  1697.  On  a  reparlé  de  la  médaille  sur  la  Confé- 
«  rence,  et  M.  Racine  a  insisté  sur  la  proposition  qu'il  avoit 
«  déjà  faite  de  représenter  un  petit  temple  dans  l'tle  de^  Fai- 
c  sans,  et  Mercure  qui  descend  du  ciel  avec  son  caducée.  La 


NOTICE.  3i 

«  G>oi|Nigiiie  a  para  mieux  goûter  ce  dessein  qu'elle  n'aToit 
«  fait  la  première  fois,  et  la  légende  :'Pagib  AnTTVM,  a  été  fort 
«  approuvée,  et  à  l'exergue  :  Ad  Bidassoam.  m.bc.ux.M.  Ghar- 
c  pentier  proposoit,  au  lieu  d*un  temple,  de  mettre  senle- 
•  ment  un  autel  de  la  Faix,  à  l'antique,  etfpour  légende  :  Aea 
«  PAcis;  à  l'exergue  :  GonGaasHin  ad  Bioaisoam»  Ov  a  trouiré 
«  cette  pensée  très-bonne  ;  mais  le  type  de  l'autre  a  paru  plus 
«  beau,  avec  la  légende;  et  Mw  Coypel  s'est  chargé  de  le  des- 
«  siner.  »  Dans  la  médaille,  qui  se  trouve  au  folio  53  de  THis- 
toire  métallique,  on  n'a  point  mis  le  Mercure  avec  son  caducée  ; 
il  avait  été  en  effet  décidé  dans  une  séance  du  samedi  aa  juin 
1697  c  d'ôter  le  Mercure,  et  de  laisser  le  temple,  qui  sera  un 
peu  plus  petit.  «  Pour  le  reste,  les  indications  de  Racine  furent 
suivies  :  «  On  7  voit  le  cours  de  la  rivière  de  Bidassoa,  et 
rile  des  Faisans,  qui  depuis  a  été  nommée  Tlfe  de  la  Confé" 
renée.  Au  milieu  de  cette  lie  on  a  mis  un  temple  de  la  Paix,  à 
l'antique.  La  légende  ::  «Pacis  asttum,  signifie  U  Sanctuaire  de 
laPaia:;  Fexergue  :  Gouaquium  ab  BmASSOAM.  m.dc.ux,  Co/i- 
férences  tenues  dans  Vtle  de  la  rivière  de  Bidastoa^  lÔSg,  » 

Dans  une  eiplieati<m  que  l'abbé  TaHemant  avait  préparée 
de  la  médaille  sur  la  Prise  de- Dole  en  16749  i|ne  omission  fut 
réparée  par  le  conseil  de  Racine  :  c  Du  samedi  4  ^^  1697* 
«  M.  l'abbé  TaHemant  avoit  apporté  la  description  de  la  mé- 
c  daille  sur  la  prise  de  Dole  en  1674.  Mais^,  comme  il  n'a- 
«  voit  pas  £aît  mention  des  nouvelles  fortifications  qui  avoient 
«  été  £Îites  à  cette  place  depuis  1668  qu'elle-  fut  prise  par  le 
c  Roi,  M.  Racinx  a  promis  d*en  apporter  un  petit  détail,  après 
«  quoi  on  l'arrêtera.  »  On  lit  en  effet  dans  l'explication  de 
la  médaille,  au  folio  i35  de  l'Histoire  métallique  :  «  Au  com- 
mencement de  l'année  t668,  le  Roi  avoit  pris  Dole  en  deux 
jours  ;  mais  les  Espagnols  s'étoient  persuadé  que  cette  place 
n'avoit  été  prise  si  facilement  qu'à  cause  que  ses  fortifica- 
tions étoient  imparfaites.  Us  en  relevèrent  les  remparts ,  et  y 
mirent  une  grosse  garnison.  Tout  cela  n'empêcha  pas  le  Roi 
de  l'attaquer,  etc.  » 

Le  vendredi  i4  y^  i%7)  une  assemblée  qui  tint  lieu  de 
celle  du  lendemain,  samedi  i5,  fut  tenue  dans  le  cabinet  de 
PèDtchartrain,  à  qui  Ton  présenta  le  catalogue  nouvellement 
arrêté  :  «  La  première  chose  qui  s'est  présentée  est  la  médaille 


3a 


EXPLICATIONS  DE   MÉDAILLES. 


da  Rétablissement  de  f  ordre  de  Saint-Lazare»  On  loi  a  dit  (à 
M.  de  Pontchartrain)  que  ce  rétablissement-là  n'ayant  pas 
en  lien,  on  aToit  "penché  à  la  retrancher  du  catalogue  ;  que 
la  seule  chose  qui  fidsoit  de  la  peine,  c*étoit  qu'ayant  été 
frappée,  elle  étoll  entre  les  mains  du  public,  et  qu'ainsi  il  y 
avoit  peut-être  quelque  danger  de  la  supprimer  :  à  quoi  on 
avoit  répondu  qu'il  s'en  trouToit  plusieurs  ainsi  retranchées 
de  notre  nonvel  ordre;  que  la  Compagnie  s'attachoit  à 
faire  une  suite  d'histoire  raisonnable,  sans  avoir  égard  à  ce 
qui  a  été  fait,  et  que  cette  médaille  sera  réputée  avoir  été 
frappée  sans  ordre. 

c  M.  Bàcihk  a  proposé  de  la  laisser  et  d'en  faire  une  sur 
ce  que  le  Roi  reconnoissant  le  peu  de  droit  qu'il  avoit  à 
se  faire  grand  maître  de  l'ordre  de  Saint-Lazare  sans  les 
formalités  requises,  il  avoit  révoqué  et  annulé  ce  qui  avoit 
été  fait,  aimant  mieux  avouer  qu'il  s'étoit  trompé  que  de 
continuer  une  chose  qu'il  trouvoit  peu  régulière.  A  cela  on 
a  répondu  qu'il  valoit  encore  mieux  n'en  point  parler  que 
d*en  faire  une  excuse. 

«  Plusieurs  néanmoins  convenoient  que  si  on  pouvoit  faire 
une  belle  médaille  dans  le  sens  de  M.  Racinb,  ce  ne  se- 
roit  pas  un  petit  sujet  de  louange  pour  le  Roi  ;  mais  M.  de 
Pontchartrain  a  dit  qu'il  la  croyoit  difficile,  pour  ne  pas 
dire  impossible.  Sa  raison  est  que  la  médaille  est  un  mo- 
nument qui  marque  des  choses  positives  et  déterminées,  et 
dont  la  légende  est  simple  et  claire;  qu'à  la  vérité  dans  un 
arrêt,  dans  une  déclaration,  on  donne  les  couleurs  qu'on 
veut  aux  choses;  qu'un  poète  même,  ou  un  orateur  pourroit 
avec  son  art  tourner  cette  action  d'une  manière  noble  et 
grande,  connue  l'action  l'est  en  effet,  mais  que  dans  une 
médaille  il  ne  croyoit  pas  que  Ton  pût  bien  intelligiblement 
et  simplement  donner  un  tour  à  une  chose  connue  celle-là. 
U  a  néanmoins  laissé  la  question  indécise,  jusqu'à  ce  qu'on 
ait  essayé  si  on  pourra  y  réussir.  »  Les  objections  faites  par 
le  ministre  étaient  justes;  Tidée  de  la  médaille  proposée  par 
Racine  fut  abandoimée.  On  se  contenta  de  supprimer  simple- 
ment celle  du  Rétablissement  de  f  ordre  de  Saint-'Lazare. 

Charpentier  avait  apporté,  le  mardi  lo  décembre  1697,  trois 
projets  de  médaille  sur   la  Paix  de  Ryswick^  contre    les- 


NOTICE.  33 

quels  il  s*é!eva  des  objections.  Racine  prit  alors  la  parole  : 
M.  RàONE  a  proposé  un  dessein  sur  le  même  sujet. 
Gomme  les  ennemis  n'ont  consenti  k  la  paix  que  parce 
qu'ils  ont  éprouvé  la  formidable  puissance  du  Roi,  et 
parce  que  Sa  Majesté  s*est  dépouillée  de  ses  propres  inté- 
rêts par  un  principe  d'équité  et  de  justice,  sa  pensée  est 
de  représenter  la  valeur  ou  vertu  guerrière,  à  la  manière 
des  anciens,  sous  la  figure  d'une  femme  armée  qui  tient 
un  long  javelot  en  sa  main,  et  qui  a  un  casque  en  tète;  et 
vis-à-vis  d'elle  une  autre  femme  qui  tient  une  balance  en  la 
main,  et  qui  représente  l'équité;  pour  légende  :  VnTus  bt 
^uiTis;  à  l'exergue  :  Pacàta  Eurofa.  Cette  pensée,  qui 
exprime  les  véritables  motifs  de  la  paix,  a  fort  plu  à  la 
Compagnie.  >  Dans  l'Histoire  métallique  il  y  a  trois  mé- 
dailles sur  la  Paix  de  Riswick,  La  première,  qu'on  trouve  au 
folio  !ft7a,  est  celle  que  Racine  a  inventée  :  «  On  voit  l'Équité 
et  la  Valeur  représentées  à  l'antique.  Elles  tiennent  ensemble 
ime  couronne  d'olive.  La  légende  :  Vietus  et  iEguiTAS,  signifie 
la  Valeur  et  V Équité,  L'exergue  :  Pacata  Eubopa.  M.oc.xcvn. 
veut  dire,  PEitrope  pacifiée^  1697.  » 

A  l'assemblée  suivante,  qui  fut  celle  du  samedi  14  décembre 
1697,  Racine  fit  une  proposition  que  ce  même  jour  l'Aca- 
démie agréa,  mais  qui  finit  par  être  écartée  :  «  M.  Racihs 
«  a  dit  une  pensée  qui  lui  étoit  venue  pour  une  médaille  sur 
«  la  Prise  de  Barcelone.  Il  vouloit  représenter  la  Victoire 
c  fermant  le  temple  de  Janus.  Elle  a  près  d'eUe  un  bouclier 
•  où  sont  les  armes  de  la  ville  de  Barcelone  ;  le  mot  de  la 
<  légende  :  Sic  Jaitom  glausit,  pour  faire  connoltre  que  c*est 
c  en  faisant  cette  conquête  que  le  Roi  donna  la  paix  d'une 
c  manière  toute  glorieuse;  à  l'exergue  :  Babcino  capta. 
«  M.Dc.xcvii.  Cette  pensée  a  été  approuvée  de  toute  la  Compa- 
c  gnie.  »  Nous  ne  savons  à  quel  moment  la  Compagnie  prit 
one  décision  difiPérente;  mais  dans  l'Histoire  métallique,  au 
folio  167,  la  médaille  de  la  Prise  de  Barcelone  est  tout  autre 
que  Racine  ne  lavait  imaginée  :  On  voit  Hercule  appuyé 
snr  sa  massue;  à  ses  pieds  il  a  un  booclier  aux  armes  de  Bar- 
celone. La  légende  est  :  Binis  gastius  delbtis;  et  l'exergue  : 
Bàbciko  capta,  m.dc.xcvii. 
Le  samedi  19  juillet  1698,  Racine  donna  son  avis  sur  la 

J.  RAOïm.  V  3 


3/i  EXPLICATIONS  DE  MEDAILLES. 

description  d^nne  médaille  préparée  par  Pabbé  Taliemant  : 

<  On  a  examiné  la  description  faite  par  M.  l*abbé  Taliemant 
c  de  la  médaille  snr  le  Combat  de  Leuze  1691;  mais  comme 
«  il  y  manquoit  quelques  circonstances  essentielles,  M.  Racinb 
c  mieaUc  instruit  s'est  chargé  de  la  réformer.  »  Comme  il  n'es 
point  dit  qu'il  ait  entièrement  refait  la  description  incom- 
plète, nous  n'avons  pu  regarder  comme  son  œuvre  celle  qui 
se  trouve  an  folio  a38  de  l'Histoire  métallique. 

La  médaille  du  Port  de.  Toulon  donna  lieu  à  une  discus- 
sion, dans  laquelle  Racine  eut  à  dire  son  mot  :  «  Du  sa- 
c  MBDi  26  JUILLET  1698.  M.  Dacicr  a  proposé  pour  légende  à 
«  I9  médaille  de  Toulon,  où  l'on  a  résolu  de  mettre  une 
c  figui^e  de  Minerve  avec  une  vue  du  port  et  de  l'arsenal  : 
«  MufEavA  cusTOS....  M.  Racine  proposoit  de  mettre  Ma- 
«r  amiiA,  pour  faire  connoltre  que  cette  déesse  ne  s'occupe 
«  à  Toulon  qu'aux  ouvrages  iiôécéssaires  à  la  mer.  Après 
«  plusieurs  contestations,  on  a  remis  à  une  autre  assemblée  à 
«r  en  délibérer....  —  Du  samedi  a'Aoïhr  '1698.  On  a  re- 
«  parlé  de  l'inscription  pour  la  médaille  de  Toulon.  M.  Char- 
«  pentier  a  proposé  encore  Minerva  WLitAEis.  M.  Dacier 
N  a  toujours  soutenu  Minerva  cîtstos'....  If  proposoit  aussi 

<  MiNERVA  HospiTA....  La  Compagnie  s'est  -enfin  déterminée  à 
«  MiNXBVA  cusTos,  sauf  le  sentiment  de  M.  de  Pontchartrain.  » 
Voici  la  médaille  telle  qu'on  la  trouve  au  folio  1 8a  de  l'Histoire 
métallique  :  c'On  y  voit  le  plan  de  la  ville,  de  l'arsenal  et  du 
port.  Pallas,  assise  sur  des  nuées,  parott  en  avoir  ordonné 
tous  les  travaux.  La  légende  :  Tolonii  Pôètus  et  Navale,  signi- 
fie le  Port  et  t  Arsenal  de  Toulon;  l'exergue  marque  l'année 
1680,  où  la  plupart  de  ces  ouvrages  ont  été  achevés.  « 

La  médaille  du  Camp  de  Compiègne  fut  une  de  celles  qui 
exercèrent  le  plus  Tesprit  des  académiciens.  Racine  donna 
son  avis.  On  revint  sur  ce  sujet  dans  plusieurs  assemblées  : 
«  Du  MAEDi  18  NOVEHBEE  1698.  M.  de  Tourrcî]  a  proposé.... 
«  un  athlète  qui  promène  son  fils  dans  l'arène,  avec  ce  mot 
«  de  Virgile  :  H^b  tibi  srunt  artes,  pour  le  camp  de  Compiègne, 
«  où  le  Roi  enseignoit  à  Monseigneur  le  duc  de  Bourgogne 

<  l'art  de  commander  les  armées.  Sur  le  même  sujet,  une 

<  aigle  qui  présente  ses  petits  au  soleil,  avec  ce  mot  de  Clan- 
c  dien  :  Flammas  iubbt  orb  pati.  M.  Raohb  a  proposé,  sur  le 


NOTICE.  35 

«  même  sujet,  Enée  qui  mène  son  fils  Ascagne  dans  le  camp, 

<  aTec  ce  mot  de  Virgile  :  Discb,  pubb,  pour  marquer  les 

<  instrtictions  militaires  du  Roi  à  son  fils.  »  Dans  la  séance 
du  samedi  17  janvier  1699  on  avait  goûté  la  légende  pro- 
posée par  Boilean  :  PecNA  mobb  hostili  belata.  Il  avait  tiré 
cette  expression  d'un  vers  d'Horace,  le  6a'  dans  la  xvin*  épi- 
tre  éxkV'  livre;  à  Texergac  on  devait  mettre  simplement  : 
An  CoMFïKDivir.  «  Du  mabdi  20  jarvibb  1699.  On  a  encore 

parlé  de  la  médaille  da  Camp  de  Compiègne,  On  s'est  tenu 
an  type  qui  a  été  d'abord  proposé;  et  M.  RAcnn:  a  dit 
que  rinscription  :  Puona  mohb  oostili  relata,  ne  suffisoit 
pas,  qu'il  falloît  dans  cette  médaille  marquer  quelque  chose 
pour  le  Roi  qui  instmisoit  ainsi  Monseigneur  le  duc  de 
Bourgogne  au  métier  de  la  guerre^  et  pour  cela  il  avoit 
pensé  de  mettre  pour  légende  ;  iNsimmo  Duas  Buacnn- 
OLB,  et  à  l'exergue,  au  Heu  dfe  Pugna  :  VtLMLiA  mobb  Boaniii 
asLATA.  La  Compagnie  a  été  de  son  avis,  et  M,  Tabbé 
Bignon  s*est  chargé  de  savoir  le  sentiment  de  M.  de 
Pontchartrain.  i>  Le  ministre  consulté  fut  d'avis,  comme 
0»  le  voit  dans  le  registre,  â  la  date  du  samedi  ai  février  1699, 
que  le  mot  Ingtitutio  tout  seul  était  trop  vague,  puisqu'à  ce 
camp  il  ne  s'agissait  que*  de  guerre,  et  que  ce'mdt'inis  seul 
comprend  toute  l'éducation  du  Prince.  Il  pensa  donc  qu'on 
devait  ajouter  militaris,  La  médaille  fut  exécutée' suivant  ses 
instructions.  Elle  est  au  folio  ^77  de  l'Histoire  métallique  : 
1  On  y  voit  un  guerrier  qui  tient  par  la  main  un  jeune 
homme  armé,  et  le  conduit  dans  un  camp  représenté  par  des 
tentes.  La  légende  :  MirrrAKis  institu'tio  dugis  Buegiindic,  si- 
gnifie :  ie  duc  de  Bourgogne  instruit  au  métier  de  la  guerre, 
L^exergne  :  Castaa  Gomïendiexsia.  m.dg.xcvui,  le  Camp  de 
C<impiègne.  1698.  i» 

Nous  venons  d'intervertir  légèrement  Tordre  chronologi- 
que, ponr  donner  dé  suite  les  diverses  délibérations  sur  la 
médaille  du  Camp  de  Compiègne.  Avant  l'assemblée  du  ao  jan- 
vier 1699,  Racine  avait  donné  son  opinion  sur  une  médaille 
qui  devait  porter  la  date  de  l'année  de  la  paix  (1697),  et  rap- 
peler que  pendant  dix  ans  la  France  avait  heureusement  tenu 
tète  à  toute  l'Europe.  Dans  la  séance  du  mardi  a  décembre 
1698,  oiï  cette  médaille  fut  discutée,  l'abbé  Bignon  fit  savoir 


36  EXPLICATIONS  DE  MÉDAILLES. 

que  c  M.  de  Pontchartrain  trouTOÎt  à  propos  de  mettre  quel- 
que chose  à  l'exergue  de  la  médaille,  sur  ce  que  la  France 
a  résisté  seule  pendant  dix  ans  à  toutes  les  puissances  de 
l'Europe  sans  receroir  aucun  dommage.  On  aroit  résolu  dans 
la  Compagnie  de  se  contenter  de  la  légende  :  Gàixia  inyicta, 
et  de  ne  mettre  à  l'exergue  que  la  date  de  l'année  de  la 
paix  ;  mais  sur  l'a^s  de  M.  de  Pontchartrain,  Messieurs  ont 
jugé  qu'effectivement  une  inscription  à  Texergue  rendroit 
la  médaille  moins  obscure,  et  ils  ont  promis  d'y  penser.  »«- 
Du  BAïuDi  6  DÉcniBAB  1698.  Ou  a  parlé  de  l'inscriptioa 
pour  mettre  à  l'exergue  de  la  médaille  :  Galua  invigta. 
M.  Racike  croyoit  qu'il  étoit  nécessaire  de  faire  con* 
noltre  que  toute  l'Europe  armée  euTironnoit  la  France 
et  l'attaquoit,  et  que  n^nmoins  elle  a  toujours  été  victo- 
rieuse ;  et  pour  cela  proposoit  :  Tota  Euhopa  per  obcbk- 
NiUM  cxaGUMFmBMBHTB.  Le  mot  paroissoit  beau,  mais  un  peu 
trop  fort;  on  croyoit  que  l'on  devoit  seulement  parler  du 
bonheur  des  armes  du  Roi  pendant  toute  la  guerre,  et  que 
cela  suffiroit,  puisque  toutes  les  autres  médailles  parlent 
assez  de  tous  les  ennemis  alliés  contre  la  France.  Sur  cela, 
on  a  proposé  plusieurs  mots  différents  ;  mais  on  s'est  arrêté 
à  ces  deux  :  DuaDi vali  bbllo  yaosPBax  gbsto,  ou  bien  :  Bbi«lo 
PB!  DRGBNNiuM  FEuciTKE  OBSio.  Ces  iuscriptions  out  paru 
nobles  et  simples,  et  la  Compagnie  a  cru  que  c'étoit  dans 
ce  sens-là  qu'on  devoit  s'expliquer.  M.  Tabbé  Bignon  s'est 
chargé  de  savoir  là-dessus  le  sentiment  de  M.  de  Pont- 
chartrain. »  Ce  sentiment  fut  connn  de  l'Académie  dans 
l'assemblée  du  ai  février  1699,  et  suivi  dans  l'exécution  de 
la  médaille,  qui  est  an  folio  270  de  l'Histoire  métallique.  Elle 
y  a  pour  titre  :  La  France  toujours  victorieuse.  «  On  y  voit 
la  France  armée,  et  à  ses  pieds  les  boucliers  où  sont  les  armes 
des  puissances  ennemies.  D*ane  main  elle  tient  un  javelot,  et 
de  l'autre  une  Victoire.  Les  mots  de  la  légende  :  Gallu  uî- 
TiCTA,  signifient  :  ia  France  invincible.  Ceux  de  l'exergue  : 
Bbllo  pbb  DBCBNNniM  FBLicrrBa  obsto.  x.Dc.xcviiy  veulent  dire  : 
Guerre  €ie  dix  ans  faite  avec  succès •  i^97*  * 

La  Compagnie  consacra  plusieurs  assemblées  à  la  discus- 
sion d'une  devise  pour  la  médaille  de  Vjicadémie  des  sciences^ 
à  laquelle  le  Roi  venait  de  donner  «  une  nouvelle  forme  et 


«OTICB.  37 

on  étaUissement  pins  solide.  »  Fontenelle,  secrétaire  de  TAca- 
demie  des  sciences,  était  venu  dans  l'assemblée  du  7  février 
1699  prier  l'Académie  des  inscriptions  de  s'occaper  de  cette 
devise,  et  lui-même  c  avoit  en  même  temps  apporté  quelques 
pensées....  Ces  pensées  ont  paru  belles.  »  Cependant  plusieurs 
objections  y  avaient  été  faites.  La  délibération  fut  remise  à 
on  antre  jour.  Elle  occupa  la  Compagnie  dans  la  séance  du 
mardi  10  février;  mais  ce  fîit  seoleroent  dans  la  suivante 
que  Racrine  prit  la  parole  :  «  Du  sairdi  14  rÉvana  1699. 
On  a  encore  parlé  des  devises  pour  l'Académie  royale  des 
sciences.  M.  Ragins  a  proposé  une  aigle  qui  regarde  le 
soleil  avec  ce  mot  :  Solbm  iMPsaTUBrrus  imum  PnausraAT. 
On  a  trouvé  que  cette  idée  est  belle  k  cause  que  les  astro- 
nomes de  ce  temps  ont  trouvé  des  taches  dans  le  soleil  ; 
mais  comme  cette  pensée  ne  regarde  que  l'astronomie, 
M.  Tabhé  Tallemant  a  proposé,  suivant  la  même  idée,  plu- 
sieurs aigles,  avec  ce  mot  français  :  Ribn  n'éghappb  a  nos 
BJKAaos....  Cette  devise  a  été  approuvée,  hors  le  mot, 
qu'on  aoroit  souhaité  latin.  »  Nous  n'avons  pas  à  suivre 
jusqu'au  bout  les  discussions  de  la  Compagnie  sur  ce  sujet. 
Elles  continuèrent  le  mois  suivant;  mais  Racine,  alors  trés- 
malade,  n*y  assistait  pas.  En  face  de  la  légende  proposée 
par  lui  dans  l'assemblée  du  14  février,  on  a  écrit  au  crayon 
sur  le  registre,  c  C'est  le  dernier  mot  de  Racine  à  TAcadémie. 
Mort  le  ao  avril.  »  On  peut  voir  dans  T Histoire  métallique, 
folio  88,  quelle  médaille  fut  définitivement  adoptée  pour  Vj4ca^ 
demie  des  sciences.  Elle  n'a  aucun  rapport  avec  celle  qu'avait 
imaginée  Racine. 

En  ce  qui  touche  aux  médailles,  les  discussions  auxquelles 

Racine   a  pris  part  s'arrêtent  à  celle  de  la  devise  qu'avait 

demandée  l'Académie  des  sciences;  il  ne  nous  reste  plus  à 

parler  que  des  devises  qu'il  proposa  pour  divers  jetons. 

Dans  l'assemblée   du    7   août  1694   l'abbé  Bignon   avait 

<  exhorté  Messieurs  à  songer  de  bonne  heure  aux  devises.... 
«  Ces  devises  sont  pour  les  jetons  du  Trésor  royal,  des  Par- 
«  ties  casuelles,  de  la  Marine,  des  Galères,  de  l'Extraor- 
«  dinaire  des  guerres,  de  l'Ordinaire  des  guerres,  des  Bàti- 

<  ments  du  Roi,  de  l'Artillerie  royale,  de  la  Chambre  aux 
■  deniers,  de  la  Ville.  •  Le  mardi  7  septembre  de  la  même 


3S  EXPLICATIOirS  I>£  MÉDAILLES. 

année ^  plusieurs  devises  forent  apportées,  et  ikinnées  à 
Goypel  pour  les  dessiner,  une  entre  autres  que  Racine  avait 
imaginée  sur  les  Bâtiments.'  Ce  n'est  point  le  procès-verbal 
du  7  septembre  qui  nous  fait  connaître  cette  devise ,  maïs 
celui  du  samedi  i3  novembre  1694  :  «  M.  Tabbé  Bignon 
a  apporté  les  devises  qai  .loi  avoient  été  envoyées  par 
quelques-nns  de  Messieurs,  et  dessinées  par  M.  CojpeL... 
U  a  fait  connoitre  à  la  Compagnie  que  désormais  toutes  les 
devises  des  jetonsi  seroient  faîtes  par  PAcadén^ie  royale  des 
inscriptions^  et  que  déjà  oeUo  des  Bâtiments  du  Roi  avoit 
été  arrêtée^  Slle  est  de  M.  Pagine,  et  elle  est  mise  ici,  des- 
sinée avec  son  explication.  Une  abeille  snr  des  •  fleurs,  et 
des  frelons  qui  fuient,  avec- ces  mots  :  Abcbtquk  bostbs  dum 
LuiMT  IN  uoETis.'  Ce  vcrs  de  Virgile  {Géargiquesy  livre  IV, 
vers  16S)  a  donné  lieu  à  cette  pensée  : 

<  Ignavum  fuco^  pecus  a  prœsepibus  arceni. 

«  L'abeille  va  de  fleur  en  fleur  et  voltige  dans  les  jardins, 
«  et  chasse  en  même  temps  les  frelons  qui  voudroient  atta- 
M  qner  sa  ruche  :  ce  qui  convient  au  Roi,  qui  s'amuse  et  se  dé- 
c  lasse  dans  ses  jardins,  tandis  que  ses  ordres,  portés  dans  ses 
«  différentes  armées,  éloignent  les  ennemis  de  no&  frontières 
«  et  de  nos  rivages.  »  —  c  Du  samedi  ho  NOVEMBits  1694.... 
«  Pour  les  galères,  une  sirène,  avec  ce  mot  :  Et  dbcds  et 
<  TEBBoa  VBLAGi:  Lcs  sirèues  se  faisaient  admi^et*  par  leur 
«  chant,  et  se  faisoient'  craindre  par  la  mort  Certaine  qu'elles 
«  donnoient  lorsqu'on  s'y  arrètoit,  II  n'est  dé  même  rien  de 
c  plus  beau  à  voir,  ni  rien  de  plus  redoutable,  que  les  galères 
«  du  Roi.  Cette  devise  est  de  M.  Bague,  et  le  mot  a  été  ré- 
c  formé  dans  la  Compagnie.  » 

Dans  l'assemblée  du  a  3  novembre  1694,  l'abbé  Tallemant 
avait  proposé  pour  la  Marine  un  rocher  au  milieu  de  la  mer, 
avec  ce  mot  :  Immota  TiMSTim.  Pontchar train  avait  fait  une 
objection,  parce  que  cette  devise  avait  quelque  ressemblance 
avec  une  autre  choisie  depuis  peu.  Racine  proposa  en  consé- 
quence une  nouvelle  devise  le  samedi  4  décembre  suivant  : 
c  Pour  satisfaire....  à  ce  que  souhaitoit  M.  de  Pontchartrain, 
c  M.  Racine  a  proposé  pour  corps  un  cheval  bridé  et  har- 
«  naché,|  avec  ce  mot  :  £epbctatqub  tcbam,  pour  comparer 


NOTICE.  39 

noue  flotte,  qui  a^  toiqoiirs  été  équipée  et  prète^  et.  n'at- 
tOiàûil  qfue  les  ordres  éa  Roi,  avec  on  cbeTal'  de  bataille, 
qui  n'attend  que  le  signal  dn  combat  pour  partir.  Cette  idée 
a  para  noUe  et  assez  convenable,  d^aatant;  plas  que  le 
chevjd  est  on  présent  qoe  Neptune  fit  aux  hommes. 
M.  Charpentier  avott  proposé  une  devise  d'vn.  Neptune 
qui  menaçoit  de.scm  trident  une  ville,  avec  ce  nx>(  :  iPaa  mb 
■OK  srrrrr,  pour  fi^e  entendre  que  si  lés  troupes  de  terre 
avoient  été  aussi  bien  en  état  que  la  marine  d'attaquer 
Barcelone,  on  n'avroît  pas  manqué  cette  bonquéte.  Mais  ces 
paroles  y  Psa  as  votr'airrrr,  avoient  paru  trop  fortes: 
M.  RiUxmB  a  proposé  de  mettre,  avec  ce  même  corps,  ces 
mots  fameux  du  premier  livre  de  V Enéide  (vers  i  SS)  :  Quos 
iGo....  sKD«...  Ces  paroles  qui  ne  disent  guère,  et  signifient 
beaucoup,  ont  assez  pin  à  la  Compagnie,  '  et  M.  Coypel, 
qui  étoit  présent,  a  promis  de  dessiner  les  deux  devises 
pour  le  lendemain,  et  de  les  porter  hiinnème  à  >MJ  Tabbé 
Bignon.  »  Oa  apprit  à  la  séance  suivante  ce  qui  avait  été 
décidé  sur  ces  divers  projets  :  «  Du  XABot  ^  aécsumis- 1694. 
H.  Tabbé  Bignon  a  dit  que  M.  de  Pontchartraîn  avoit  arrêté 
que  nonobstant  la  ressemblance,  la  devise  de  la  Marine 
demenreroit  ainsi  qu'elle  avoit  été  d'abord  résolue^  les 
autres  doivent  être  gardées  dans  le  portefeuille»  » 
«  Dv  xABDi  14  DÉGEMBEE  1694.  M.  Raciiib  et  M.  de  Tour- 
reil  ont  proposé  chacun  une  devise-  pour  Madame  la  prin- 
cesse de  Conti.  »  A  la  séance  précédente  (samedi  ii  dé- 
cembre) ,  Boileau ,  l'abbé  Tailemant  et  Charpentier  avaient 
Qssi  proposé  chacun  la  leur.  Ce  fut  celle  de  Racine  que 
on  préféra  :  «  Du  sauedi  9  roihupr  169S.  On  a  dit  que  le 
choix  avoit  été  fait  de  la  devise  de  Madame  la  princesse 
de  Conti;  qu'elle  avoit  pris  celle  de  l'Aurore,  faite  par 
M.  Racutb.  La  voici.  Les  mots  sont  :  Sof.BMQUB  pabbntiem 
Qd»  kbcbt?  Mais  il  étoit  question  de  mettre  en  latin 
l'inscription  autour  du  portrait  de  cette  princesse  :  Mabie- 

AvHB  DB   BoUBBON,  LÉGITDCÂB  DB  FbANCB,  PBINCBSSB    DOUAI- 

aiÂBB  ox  CoMTi.  La  Compagnie  a  trouvé  presque  impos- 
sible de  mettre  en  bon  latin  légitimée  de  France  tX,  princesse 
douairière.  Après  plusieurs  contestations,  elle  a  cru  que  l'in- 
scription se  devoit  faire  ainsi  :  Mabia  Anna  Lud.  Mac.  filia 


40 


EXPLICATIONS  DE  MÉDAILLES. 


n.  CoMTTi  TiDUA.  Oh  a  pensé  qa'il  étoit  pins  honorable  à 
Madame  la  princesse  de  Gonti  de  la  qualifier  fille  de  Louis 
le  Grand,  d'antant  plus  que  quelqu'un  a  assuré  qu'il  y 
avoit  des  jetons  de  Charles  duc  d' Angoulème,  où  on  a  mis 
Caboli  Nom  FiLius.  La  Compagnie  a  résolu  que  M.  l'abbé 
Tallemant  enverroit  cette  inscription  à  M.  l'abbé  Bignon 
pour  savoir  l'avis  de  M.  de  Pontchartrain.  — -  Du  sambdi 
i6  juiLLiT  169S.  M.  l'abbé  Renaudot  a  dit  qu'il  avoit  parlé 
par  occasion  à  M.  de  Pontchartrain  de  l'inscription  du 
portrait  de  Madame  la  princesse  de  Conti,  et  qu'il  lui  avoit 
répondu  qu'il  falloit  savoir  le  sentiment  du  Roi.  M.  Ra- 
cnrB  s'est  chargé  d'en  parler  à  Madame  la  princesse  de 
Conti.  —  Du  MARDI  6  siPTSMaas  1695.  Le  sieur  Cheron, 
graveur,  a  fait  demander  à  la  Compagnie  une  résolution 
certaine  sur  l'inscription  de  la  médaille  de  Madame  la  prin- 
cesse de  Conti,  dont  il  a  été  parié  dans  le  mois  de  juillet. 
M.  l'abbé  Bignon  a  dit  que  M.  de  Pontchartrain  penchoit 
fort  à  la  faire  mettre  en  françois,  parce  qu'il  étoit  difficile 
de  mettre  en  latin  MAais-Ainn  db  Botobon,  légitiiiéb  db 
Fbavcb,  ce  root  de  légitimée  ne  pouvant  se  joindre  avec 
France.  M.  Tabbé  Renaudot  a  dit  que  le  mot  legitimata 
étoit  bon,  et  qu'il  étoit  employé  dans  le  droit  romain  ;  mais 
qu'on  ne  pouvoit  dire  legitimata  Francim.  M.  l'abbé  Bignon 
a  proposé,  pour  lever  la  difliculté,  de  mettre  Mabia  Aitha 
BoBBONiA,  I^jDovici  Magni  filia  uBomMATA,  ce  quo  toute  la 
Compagnie  a  approuvé;  mais  pour  ne  rien  faire  qui  ne  soit 
agréable  à  Madame  la  princesse  de  Conti,  M.  l'abbé  Re- 
naudot doit  envoyer  à  M.  Dodart  les  deux  inscriptions, 
l'une  latine,  l'autre  françoise,  pour  les  faire  voir  à  la  prin- 
cesse, et  savoir  son  sentiment,  après  quoi  il  en  informera 
M.  l'abbé  Bignon.  »  Consultée  par  Dodart,  son  médecin, 
qui  avait  toute  sa  confiance,  que  décida  la  princesse  de  Conti? 
On  ne  nous  l'apprend  pas.  Soit  en  latin,  soit  en  français,  elle 
conserva  sans  doute  le  mot  de  légitimée^  qu'elle  tint  toujours  à 
ajouter  à  sa  signature  pour  se  distinguer  par  là  des  filles  de 
Mme  de  Montespan  et  leur  faire  sentir,  dit  Saint-Simon*, 
«  qu'elle  avoit  une  mère  connue  et  nommée.  »  C'est  ce  qui 


I.  Mémoirt»^  tome  I,  p.  346. 


NOTICE.  4i 

e  la  persistance  de  l'Académie  des  inscriptioiis  à  ne 
pas  omettre  ce  titre,  malgré  la  difficulté  qu'elle  trouvait  à 
Feiprimer  en  latin.  Peu  importe  d'ailleurs  le  choix  que  fit 
entre  les  deux  langues  la  princesse  de  Conti.  Le  corps  de  la 
médaille  et  la  devise,  qui  sont  de  l'invention  de  Racine,  peu- 
vent seuls  nous  intéresser. 
«  Du  MAEDi  i5  NOVBMBBK  1695.  M,  RiGiNB  a  proposé  uue 
devise  pour  la  Marine.  Le  feu  Saint-Elme,  ou  la  constel- 
lation de  Castor  et  PoUux  autour  du  mât  d'un  vaisseau» 
avec  ce  mot  :  Sidseb  uêta  suo.  Quand  les  matelots  voient 
cette  constellation  ou  plutôt  ce  feu  autour  de  leur  mât,  ils 
sont  sûrs  d'une  heureuse  navigation.  Tous  les  officiers  de 
la  marine  se  tiennent  de  même  sûrs  de  toute  sorte  de  bons 
succès,  ayant  Monsieur  le  comte  de  Toulouse  pour  leur 
admirai..  •.  La  Compagnie  a  examiné  et  approuvé  ces  devises. 
(7/  y  en  avoit  eu  ït autres  proposées  pour  d  autres  médaiUes 
à  la  mime  assemblée ^yiA*  Coypel  les  doit  dessiner.  » 
«  Da  lAMiDi  19  HOVBMBBB  1695...,  M.  Raginb  b  proposé 
pour  l'Ordinaire  des  guerres  un  bélier  dont  se  servoient 
les  anciens  pour  battre  les  murailles,  avec  ce  mot  :  Cuucta 
BiTUBT  QuocmiQUB  FBBiT.  Lc  bélier  dont  se  servoient  les  an- 
ciens renversoit  les  plus  fortes  murailles.  Les  gendannes 
et  les  chevau-légers  de  la  Garde  du  Roi  font  plier  toutes 
les  troupes  ennemies  qu'ils  attaquent.  La  Compagnie  a  exa- 
miné et  approuvé  toutes  ces  devises.  M.  Coypel  les  doit 
dessiner.  » 

<  Du  xABDi  aa  MOVBMBBB  1695.  M.  Racibb  b  apporté  une 
devise  pour  les  Galères  :  Des  rochers  qui  mettent  un  port 
à  l'abri  des  vents  et  des  orages,  avec  ce  mot  :  Tutatub 
UTTOBA.  Les  rochers  ou  montagnes  mettent  les  vaisseaux 
qui  sont  au  port  à  couvert  des  orages.  Les  galères  du  Roi  ont 
sauvé  nos  côtes  des  bombardements  et  des  descentes  dont  les 
ennemis  nous  menaçoient.  »  Ici  encore  le  registre  constate 
reiamen  et  l'approbation  de  la  Compagnie.  Cette  approbation 
toutefois  laissait  au  secrétaire  d'État  sous  l'autorité  duquel 
était  l'Académie  la  liberté  du  choix  entre  les  projets  approu- 
vés. Ceux  de  Racine  n'étaient  pas  toujours  préférés  aux  autres. 
Dans  l'assemblée  du  mardi  29  novembre,  on  fit  connaître  les 
denses  que  M.  de  Pontchartrain  avait  dhoisies.  Pour  l'Ordi- 


4a 


EXPLICATIONS  DE  MÉDAILLES. 


naire  des  guerres  il  donna  la  préfôrenceïA  œllet  qu'avait  ima» 
ginée  Boilean,  un  Hercule  dans  une  lice,  aveo  ce  root  :  Quis 
GONTBA?  et  pour  les  Galéres>  à  c^elle  de.Tabbé  Tallemant,  un 
laurier  avec  ce  mot  :  Da.'T  spbbneek  fuuuna* 

c  Du  samedi  3  DidanBis  1695.  M.  Racuik  a  dit  à  la  Cooh 
pagnie  que  M.  Vilkcerf,  surintendant  .des  B&iiœents  dn 
Roi,  avoit  demandé  une  devise  :  à  quoi  il  avoit  répondu 
que  M.  de  Pontchartrain  en  avoil  choisi  une,  qu'il  auroit 
soin  de  lui  donner;  mais  il  s'est  trouvé  que  le  mot -n'en 
étoit  pas  encore  Umt  à  fait  arrêté.  M.  Racine. a. proposé  une 
autre  devise,  qui  a  paru  aussi  très-i^onveDable,  de  aorte 
qu'on  a  résolu  que  M.  Racimb  prendroit.la  peine  de  mon- 
trer les  deux  à  M.- de  Villacerf»  Dans.  la.  même  séance 
plusieurs  accadémiciens  proposèrent  des  devises  povr-  la 
Marine  :  M.  Racikk,  sur  le  même  suj^t,  une  aigle  avec  ce 
mot  :  Ad  PBiEDÂM  mvtoiLAT,  ou  Ut  vidbt!  m  BiriTl^On 
compare  dans  cette  devise  les  armateurs  fraaçois,  qui  ont 
fait  de  si  grosses  prises*  sur  les  ennemis,  à  une  aigle  qui 
plane  en  l'air,  et  qui  oherdie  la  proie  qu^ellé  ne  manque 
jamais  d'enlever.  »-  -—  «  Du  mabdi  6  DÉcBvaaB  i^S. 
M.  Racine  a  rapporté  à  la  Compagnie  les  devises  des  Bâ- 
timents; voici  celle  qui  •»> été  choisie  :  «.«.  Pallas  armée 
ayant  à  ses  pieds  des  équerres  et  quelques  autres  instru- 
ments servant  à  bÂtir,  avisO'Oe  mot  :  Nimc  ammis  TOTA,pour 
faire  connoltre'que  la  guerre  occupe  tons  les  soins  du  Roi, 
et  lui  fait  négliger  les  Bâtiments,  dont  Pallas  a  soin  sous  le 
nom  de  Minerve.  Cette  devise  est  de  M.  Racimb.  »  Il  est  dit 
dans  le  registre,  sous  la  date  du  7  janvier  1696,  que  Tabbé 
Tallemant  apporta  à  la  Compagnie  une  bourse  de  jetons  d'ar- 
gent, qui  lui  avait  été  donnée  par  M.  le  marquis  de  Villacerf. 
Sur  ces  jetons  était  empreinte  la  devise  proposée  par  Racine, 
dont  il  vient  d'être  parlé.  M.  de .'ViUacerf  promettait  que  tons 
les  ans  il  en  userait  de  même. 

Le  samedi  10  décembre  1695,  Racine  rapporta  les  de- 
vises choisies  pour  le  Trésor  rojal  et  pour  la  Marine.  Ce  ne 
fut  point  son  aigle  que  l'on  préféra  pour  cette  dernière;  on 
adopu  ce  qui  avait  été  proposé  par  l'abbé  Tallemant  :  des 
nuages  qui  renferment  le  tonnerre,  avec  ces  mots  :  Ipso  btiam 

METUEBrUA  nULGOEB. 


NOTICE.  43 

«  Do  vABitt  i3  Koviiun*  1696^  Oa  a.d'abord  parJé  décide- 
•  vises  pour  let  jelons  de  TaDoée  ^^91*  Plusieurs  de  Mes- 
<  mars  en  ont  q)porté  qu'Us,  .^y^j^t  pensées  dmift  leur  loi- 
€  sir....  Pour  les  Bâtioii^ots  du  Roi,  M^  &acikb  :  un  Alcyon, 
€  avec  ce  mot  :  Qtu  mundi.  Exf^ctat.  »  M.  de  Villacerf, 
comme  le  marque  le  x^$tre  hh^  date  du.sio  npveodb^  16969 
préféra  cet  emblème,  donné  par  Charpentier  :  l'arc  d'Her** 
cule  débandé,  avec  ce  mot  :  Et  suvr  <^u  divis. 
m  Dv  SAiiHDi  1.7  ROVKua^e  1696.  Pojur  rExtraoi;dînAire  des 
guerres,...  M.  JUcnni  s  nn  faisceau  de  flèches  déliée  avec 
ce  mot  :  Jim  YAciun  fRASOi  ^  II»  l!abbé  Tallemant  :  un 
lion  qui  met  en  fuite,  des  troupeauj^  avec  ce  mot  t  Tmmos 
Amvis  nEanMnB:,co«tT,  M»  Bacine  a  proposé  an  lien  de  ce 
mot  :  Boarnu  aBcvAV  m  âmno* 

c  Do  aaifx&i  a4.  Kcymsax  iSgfi.  M.  l'abbé  Bignon  a  rap- 
porté à  la  ÛCMnpagnîe  les  devises  choisies  par  M.  de  Pont- 
cha^tiaki....  Pour.  FExtniordtnaire  des  guerres,  nn  fais- 
oean  de  .serges  délié,  «avec  ce  mot  :  Jam  yacilm  feangi. 
Cette  devise  est  fondée  sur  wie<  fable  connue.  Ce  ûiscean 
lié  est  difficile  à  roAlpre*  Dès  qu'il  est  délié,  on  rompt 
aisément  les  verges  ou  baguetles  qui  le  composent.  Les  en- 
nemis de  la  France  ligués  étaient  dîfliciles  à  dompter.  La 
paix  de  Savoie,  qui  commence  k  désunir  leurs  intérêts, 
donne  plus  de  facilité  à  les  Taincre.  *<—  Do  samedi  16  no- 
TBMBKX  1697.  On  a  continué  à  proposer  des  devises.  M.  l'abbé 
Tallemant,  pour  les  Parties  casuelles*  :  un  homme  qui 
taille  un  arbre,  avec  ce  mot  de  Virgile  (G^r^/^uef,  livre  I, 
vers  a  16)  :  Amroa  ooEAi  M.  Raonb  a  dit  que  ce  mot  ne 
disoit  pas  assez,  et  qn'il.  falloit  montrer  que  œ  soin  que 
l'on  a  de  tailler  les  aii)res  tous  les  ans,  comme  de  payer  le 
drmt  annuel,  est  très-utile,  et  pour  cela  il  a  ajouté  Juvai  : 
JuvAT  AinruA  CUBA.  M.  de  VilUcerf  avoit  écrit  à  M,  l'abbé 
Tallemant  pour  la   devise  des  Bâtiments;  M.   Racinb  a 

I.  «  Les  Parties  casuelles,  outre  le  droit  axmael,  sont  destinées 
t  receroîr  les  fonds  des  charges  que  le  hasard  fait  vaquer,  ou 
fiuite  d'avoir  pAjré  le  droit  annuel,  ou  par  le  changement  des 
officiers.  »  {Registre  de  f  Académie  de*  uueriptions^  à  la  date  du 
19  noTendl»re  1694-} 


44  EXPLICATIONS  DE  MÉDAILLES. 

M  dit  qu'il  croyoit  qu'on  déçoit  prendre  pour  corps  de  cette 
«  devise  la  nouvelle  cascade  de  Marly  qu'on  appelle  la  Ri- 
«  vière,  parce  qu'effectivement  toute  l'eau  de  la  Seine  que  la 
«  machine  élève  tombe  en  cet  endroit  dans  les  jardins  de 
«  Marly.  »  L'idée  suggérée  par  Racine  ne  fut  pas  adoptée  : 
«  Du  MAADi  19  MovBMBBB  1697.  M.  l'abbé  Tallemant  a  montré 
«  une  lettre  de  M.  de  Villacerf,  |>ar  laquelle  il  mandoit  que 
t  la  devise  du  Fleuve  ne  plaisoit  pas,  et  qu'il  prioit  la  Corn- 
c  pagnie  de  songer  à  quelque  autre.  »  Ce  fut  en  définitive 
une  devise  fournie  par  Boileau  que  l'on  choisit. 

c  Du  SAMEDI  14  DÉCiOfBaB  1697.  M.  l'abbé  Bignon  a  dit 
que  M.  de  Pontchartrain  demandoit  à  la  Compagnie  mue 
devise  pour  les  jetons  de  Madame  la  duchesse  de  Bour- 
gogne. Plusieurs  de  Messieurs  en  ont  proposé  une  sur-le- 
champ.  Monsieur  Dacier  a  proposé  Tétoile  de  Vénus,  avec 
ce  mot  :  SnaanjE  innrriA  lucis.  M.  Charpentier,  une  étoile 
naissante,  ou  plutôt  qui  commence  à  paroitre  sur  l'hori- 
zon, avec  ce  mot  :  Obituk  geatissiiu..  M.  l'abbé  Talle- 
mant, une  fleur  d'hyacinthe  sur  laquelle  le  soleil  darde  ses 
rayons,  avec  ce  mot  d'Ovide  {Méiamorphoses^  livre  X, 
vers  a  i4)  :  Is  knim  rurr  luiHoa  HOHoais,  pour  faire  connoltre 
que  c'est  le  Roi  qui  a  choisi  cette  princesse  pour  son  petit- 
fils.  M.  Rachtb  a  imaginé  deux  petits  palmiers,  l'un  mâle, 
l'autre  femelle,  qui  se  courbent  l'un  vers  l'autre,  selon 
ce  que  disent  les  naturalistes,  avec  ce  mot  de  Virgile 
{Éclogues^  Xj  vers  54)  :  Cbescknt  iula,  crbscbtis  amoebs.  » 
«  Du  MABDi  17  DteBMBBB  1697.  Lc  sîcur  Rousscl  a  apporté 
le  poinçon  de  la  tète  de  Madame  le  duchesse  de  Bourgo- 
gne, que  l'on  a  trouvé  très-beau.  Il  a  demandé  l'inscription 
pour  mettre  autour,  et  on  a  résolu  de  mettre  simplemoit  : 
Mabia  Adblaïs  ducissa  Bubgundlb....  m.  l'abbé  Bignon  a  dit 
que  M.  de  Pontchartrain  avcit  choiû  pour  la  devise  pour 
Madame  la  duchesse  de  Bourgogne,  deux  petits  palmiers 
qui  se  penchent  Tun  vers  l'autre,  avec  le  mot  de  Virgile  : 
Cbbscbnt,  cbescbtis  amobbs,  » 
Le  mardi  a5  novembre  1698,  on  eut  encore  à  délibérer  sur 
une  devise  pour  la  duchesse  de  Bourgogne*  Afin  que  l'on 
puisse  comparer  la  proposition  de  Racine  avec  celle  de  ses 
confrères,  nous  rapporterons  les  divers  projets  :  «  M.  Char- 


NOTICE.  45 

<  pentier,  un  bouton  de  rose,  avec  ces  mots  :  Quantos  mox 
«  FUHDiT  oDOBis!  M.  de  Tourreily  sur  le  même  sujet  :  un 
c  miroir  ardent,  avec  ce  mot  :  Quàittus  com  bols  mitokI 
«  pour  marquer  le  soin  que  le  Roi  prend  de  l'éducation  de 
«  cette  princesse.  M.  Tabbé  Tallemant,  sur  le  même  su-* 
c  jet  :  rétoilc  de  Ténus,  et  le  soleil  qui  paroît  sur  l'horizon, 

•  avec  ce  mot  :  Paorioai  lumutb  fulgbt.  L'étoile  de  Vénus , 
«  qui  ne  s'éloigne  jamais  du  soleil,  en  tire  un  éclat  plus 
«  brillant  que  les  autres  étoiles  ;  Madame  la  duchesse  de  Bour- 
c  gogne,  que  le  Roi  prend  soin  d'élever,  en  reçoit  un  éclat 
«  sans  pareil.  M.  Dacier,  sur  le  même  sujet  :  deux  tour- 
c  terelles  sur  un  myrte,  avec  ce  mot  :  Amant,  ÀMAirrua. 
«  M.  Racihb,  sur  le  même  sujet  :  un  bouton  de  rose  sur 
c  lequel  le  soleil  darde  ses  rayons,  avec  ce  mot  :  Fibmat  sol, 

<  ce  qui  est  tiré  de^...  M.  de  Tourreil,  encore  sur  le  même 

•  sujet  :  l'étoile  de  Vénus,  avec  ce  mot  d'Ovide  {Métamor^ 
c  phases j  livre  IV,  vers  197)  :  Qaos  dbbbt  xurdo,  pe^bbt  mihi, 
«  pour  dire  que  le  Roi  partage  ses  soins  entre  son  royaume 

<  et  la  jeune  princesse.  M.  Despréaux,  sur  le  même  sujet  : 
«  nue  vigne  vierge  qui  est  autour  d'un  laurier,  avec  ce  mot  : 
c  Lauxos  pAximiB  ADHJUKNS,  pour  faire  connoltre  que  l'at- 

<  tacfaement  de  cette  princesse  au  Roi  lui  attire  toute  sorte 
«  de  grandeur  et  de  gloire.  »  Dans  l'assemblée  du  samedi 
29  novembre  1698,  la  Compagnie  fut  informée  que  M.  de 
Poatchartrain  <  avoit  été  trés-content  de  l'abondance  et  de 
«  la  beauté  des  devises,  et  qu'il  falloit  garder  pour  d'autres 
c  années  celles  qui  n'étoient  pas  employées.  »  Parmi  celles 
qu'il  choisît  dès  lors,  se  trouva  celle  de  Racine,  pour  la 
duchesse  de  Bourgogne  :  <  La  devise  du  bouton  de  rose,  avec 
«  le  mot  FixMAT  sol,  pour  Madame  la  duchesse  de  Bourgogne, 

<  plaisoit  aussi  à  M.  de  Pontchartrain  ;  mais  il  souhaitoit  que 
«  l'on  pût  joindre  encore  un  mot  à  Fibhat.  M.  Racinb  ,  qui 

<  avoit  fait  la  devise,  a  trouvé  le  mot  à  l'instant  :  Fiemat  et 

<  oiHATy  sans  mettre  sol^  qui  est  inutile.  La  Compagnie  a 

I.  La  citation  est  restée  en  blanc  dans  le  registre.  Les  mots  de 
h  devise  de  Racine  sont  tirés  du  Carmen  nuptuUe  de  Catulle, 
▼en  41  : 

Quem  nuâUsnt  aww,  firmat  soi,  educaS  imber* 


46  EXPLICATIONS  DE  MEDAILLES. 

c  approavé  ce  mot;  et  M«  l'abbé  Bignen  s'est  aussi  diargé 
c  de  TenToyer  à  M.  de  Pontchartrain. 

«  Du  MABOi  a  DÉcufBRE  1698.  M.  l'abbé  Brgnon  a  dit  qae 
«  M.  de  Pontchartrain  avoit  approuvé...,  poar  Madame  la 
c  duchesse  de  Bourgogne ,  un  bouton  dé  rose  sur  lequel  le 
9  soleil  darde  ses  rayons,  avec  le  mot  :  Firmat  et  ohnat.  » 

Nous  avons  dit  que  les  registres  n'ayant  été  régulièrement 
tenus  que  depuis  1694,  nous  n'avons  pu  connaître  avant  cette 
époque  la  part  que  chacun  des  académiciens  prit  aux  travaux 
de  la  Compagnie.  Nous  n'avons  donc  ni  toutes  les  explications 
des  médailles  de  l'histoire  du  Roi,  ni  toutes  les  devises  que 
l'on  doit  à  Racine.  Nous  pouvons  seulement  rappeler  ici, 
comme  un  maigre  supplément,  ce  que  Louis  Racine  dit  des 
travaux  de  son  père  à  l'Académie  des  inscriptions*.  «  Mon 
père,  dit-il,  a  donné,  dans  quelques  occasions,  des  devises 
qui  y  dans  leur  simplicité,  ont  été' trouvées  fort  heureuses, 
comme  celle  dont  le  corps  étoit  une  orangerie,  et  l'àme  :  Con- 
lUBATOS  fiiDET  AQuiLONES.  Elle  fut  approuvéc,  parce  qu'elle  avoit 
également  rapport  à  Forangerie  de  Versailles,  b&tie  depub 
peu,  et  à  la  ligue  qui  se  formoit  contre  la  France,  s  II  nous 
apprend  aussi,  au  même  passage  de  ses  Mémoires,  que  Racine 
et  Boileau  avaient  remplacé  par  de^'  insolations  plus  simples 
les  inscriptions  pleines  d'emphase  qu'avait  faites  Charpentier 
pour  être  mises  au  bas  des  tableaux  de  le  Brûh,  dans  la  ga- 
lerie de  Versailles,  et  dont  les  pompeuses  déclamations  avaient 
justement  déplu  à  Louvois.  ' 

Nous  ne  pouvons  mieux  terminer  cette  notice  que  par  les 
quelques  lignes  que  nous  trouvoiis  dans  lé  registre  de  l'Aca- 
démie à  la  date  du  :k8  avril  1699.  Elles  renferment  un  témoi- 
gnage des  sentiments  que  Racine  avait  inspirés  à  sa  Compa- 
gnie :  «  La  mort  de  M.  Racine,  arrivée  après  une  longue 
maladie,  le  20  de  ce  mois,  a'extrèmeraent  affligé  la  Corn* 
pagnie.  Il  étoit  grand  pôëte,  elcellent  orateur,  et  très-bien 
instruit  en  toute  sorte  de  genres  de  littérature.  H  étoit  d'un 
grand  secours  à  l'Académie,  tant  par  la  vivacité  de  son  esprit 
que  par  la  connoissance  certaine  qu'il  avoit  de  tout  ce  qui  re- 
garde l'histoire  du  Roi.  » 

I.  Voyez  notre  tome  I,  p.  176. 


LA  PRISE  DE  MARSAL.  47 


I 


LA  PRISE  DE  MARSAL. 


(Extrait  da  registre  de  rAcadëmie  det  inscriptions.) 

CHâRi.is  I\  duc  de  Lorraine,  célèbre  par  sa  valeur  et 
par  son  habileté 'pour  la  guerre,  Test  encore  plus  par  son 
inconstance  et  par  la  légèreté  de  son  esprit,  qui  enfin  Font 
conduit  à  sa  mineur  H  n*est  pas  croyable  combien  de  dif- 
férents traités  il  avoit  faits  avec  la  France,  qu'il  avoit 
tous  également  violés.  Le  Boi  néanmoins,  peu  de  temps 
après  la  paix  des  Pyrénées,  lui  rendit  gracieusement  ses 
Etats,  mais  aux  conditions  qui  furent  jugées  nécessaires 
pour  s^assurer  contre  son  peu  de  bonne  foi.  A  peine  il  fut 
rétabli,  qu'il  proposa  de  lui-même  au  Roi  le  fameux  traité 
par  lequel  il  lui  cédoit  la  Lorraine,  et  lui  remettoit  d^a- 
bord  Mabsal  pour  sûreté  de  sa  parole.  Mais  le  traité  ne 
Ait  pas  plus  tôt  signé  qu^il  chercha  tous  les  moyens  d'en 
éluder  Vexécution.  Il  fit  travailler  en  hâte  aux  fortifica- 
tions de  Marsal,  j  jeta  une  garnison  nombreuse,  et  re- 
commença ses  anciennes  pratiques  avec  les  ennemis  de 
la  France.  Lie  Roi,  justement  indigné  de  ce  manquement 
de  parole,  fit  aussitôt  investir  Marsal,  et  voulant  faire  ce 
siège  en  personne,  se  rendit  en  deux  jours  à  Metz  avec 

1.  Dans  THistoire  métallique,  aussi  bien  que  dans  le  registre  de 
l'Académie  des  inscriptions,  on  lit  Charles  I,  au  lieu  de  Charles  IV. 
Cette  Amte  ainsi  r^^tëe  est  difficile  à  expliquer.  On  arait,  il  est 
▼ni,  eontnme  en  France  de  dire  simplement  «  le  duc  de  Lorraine,  » 
ou  «  Charles  de  LorrAine,  »  et  non  «  Oiarles  IV.  »  Mais  ses  prë- 
décetteon  n'y  Paient  pas  inconnus. 


48  EXPLICATIONS  DE  MÉDAILLES. 

toute  sa  cour.  Alors  le  Duc«  dont  cette  extrême  diligence 
avoît  rompu  toutes  les  mesures,  vit  bien  qu'il  ne  lui  res- 
toit  d^autre  parti  que  de  se  remettre  entre  les  mains  du 
Roi.  En  effet  il  vint  le  trouver  à  Metz,  et  après  avoir  si- 
gné un  nouveau  traité,  qui  étoit  le  troisième  depuis  trois 
ans ,  envoya  ses  ordres  pour  faire  rendre  Marsal  à  Sa 
Majesté. 

C'est  le  sujet  de  cette  médaille^.  Le  duc  de  Lorraine  y 
est  représenté  sous  la  forme  du  dieu  Protée,  qui,  comme 
on  sait,  se  changeoit  en  toutes  sortes  de  figures,  et  qu'il 
falloit  enchaîner  pour  le  faire  parler.  Ces  mots  :  Màrsa- 
LiUM  CAPTUM ,  et  ces  autres:  Protbi  artes  delu&b^  font 
entendre  que  toutes  les  ruses  du  nouveau  Protée  furent 
déconcertées  par  la  prise  de  Marsal. 


MÊME  SUJET. 

(Extrait  de  l'Histoire  métBlUqoc.) 

Charles  I*,  dac  de  Lorraine,  célèbre  par  sa  râleur  et  par  sa 
grande  capacité  pour  la  guerre,  Test  aussi  par  son  inconstance 
et  par  la  légèreté  de  son  esprit,  qui  enfin  le  conduisirent  à  sa 
perte.  D  n^est  pas  crojable  combien  de  différents  traités  il  aroit 
faits  arec  la  France,  qu'il  ayoit  tous  également  TÎolés.  Le  Roi 
néanmoins,  peu  de  temps  après  la  paix  des  Pyrénées,  lui  rendit 
généreusement  ses  États.  A  peine  fut-il  rétabli,  qu'il  proposa,  de 
lui-même  le  fameux  traité  par  lequel  il  cédoit  au  Roi  la  Lorraine, 
et  remettoit  d'abord  Marsal,  pour  sûreté  de  sa  parole.  Dès  que  le 
traité  fut  signé,   il  chercha  tous  les  mojens  d'en  éluder  l'exé- 

I.  Dans  VAlbtun  qui  sera  joint  à  cette  édition  des  OEu^ret  de 
Racine^  nous  donnerons,  d'après  l'Histoire  métallique,  les 
des  cinq  médailles  que  Racine  a  décrites  et  expliquées. 

1.  Vojes  ci- dessus  la  note  i  de  la  page  47. 


LA  PRISE  DE  MAftSAL.  49 

cation,  recommença  ses  anciennes  pratiques  arec  les  ennemis  de 
la  France,  fit  fortifier  Marsal,  et  y  jeta  une  garnison  nombreuse. 
Le  Roi,  justement  irrite,  fit  investir  Marsal,  dont  il  vouloit  faire 
If  si^e  en  personne,  se  rendit  à  Metz  en  quatre  jours,  et  s'a- 
vança â  Nomen  j,  où  il  fit  la  revue  de  ses  troupes.  Alors  le  Duc,  dont 
cette  extrême  diligence  avoit  rompu  toutes  les  mesures,  prit  le 
ptrti  de  se  mettre  à  la  merci  du  Roi.  Il  vint  tronyer  Sa  fifajestë  à 
Metz,  euToja  ordre  de  remettre  Marsal  aux  troupes  du  Roi,  et 
signa  un  nouveau  traité,  qui  étoit  le  troisième  depuis  trois  ans. 
C'est  le  sujet  de  cette  médaille.  Le  duc  de  Lorraine  est  repré- 
senté 90US  la  forme  du  dieu  Protée,  qui,  selon  la  fable,  se  cban- 
geoit  en  toute  sorte  de  fiigures,  et  qu'on  ne  pouvoit  fixer  que  par 
la  forée.  La  légende  :  Paoïmi  abtss  dblusc ,  signifie  Lu  artifices 
eu  mmvtttu  Prciée  renduâ  inutiles;  l'exergue  :  MaBiAf.iUM  CAPTcni. 
M.OC.IJUII,  Prise  de  Marsal.  i663. 


J.  Racwb.  V 


5o  EXPLICATIONS  DE  MEDAILLES. 


Il 


LA  VILLE  D'ERFORD 

RBNDUB   A   L^ARCHByAqUB  DB   MAY^felTCB. 

(Extrait  du  regutre  de  rAcadëmie  des  inacriptioiu.)    . 

QiroiQUK  par  la  paix  dé  MniMter  Tarcbevéqae  et  TÉ- 
glise  de  Mayence  eussent  été  rétablis  dans  leur  dtoit  de 
souveraineté  sur  la  ville  d'Erford,  cette  grande  ville 
néanmoins ,  qui  étoit  presque  toute  luthérienne ,  pré- 
tendoit  toujours  demeurer  libre  et  indépendante ,  et 
par  son  opiniâtreté  avoit  enfin  obligé  l'Empereur  à  la 
mettre  au  ban  de  TEmpire.  Mais  TEmpereur  n'étoit 
guère  en  état  de  faire  exécuter  ce  décret,  étant  lui-même 
assez  embarrassé  à  se  défendre  contre  le  Turc  :  d'au- 
tant plus  qu'on  appréhendoit  que  tout  le  parti  protes- 
tant ne  se  déclarât  pour  Erford.  Dans  cette  extrémité, 
rArchevéque  eut  recours  au  Roi,  comme  au  protecteur 
des  traités  de  Westphalie.  Aussitôt  le  Roi  lui  envoya  un 
corps  de  six  mille  hommes  conmiandés  par  Pradel; 
lieutenant  général,  qui  eut  ordre  de  passer  le  Rhin 
en  diligence ,  et  de  marcher  droit  à  Erford.  Ces  trou- 
pes, auxquelles  se  joignirent  quelques  régiments  de  l'É- 
lecteur, s'emparèrent  d'abord  d'un  fort  dont  la  ville 
étoit  commandée ,  et  se  préparoient  à  emporter  la  ville 
même;  mais  les  habitants  effrayés  offrirent  de  se  sou- 
mettre, et  en  effet  jurèrent  à  l'Électeur  et  à  son  Église 
la  fidélité  qu'ils  leur  dévoient. 

C'est  le  sujet  de  cette  médaille.  On  y  voit  la  France 


LA  VILLE  D'ERFORD.  5i 

qui  présente  à  la  Religion  la  ville  d*Erford,  aisée  à 
oonnottre  à  l'écusson  de  ses  armes  gravé  sur  son  bou- 
clier. Les  mots  latins  de  la  légende  :  Erfordia  Ecclb- 
siA  MoGuifTiif js  ABSTiTDTA,  Signifient  Erford  restituée  à 
FÉglUe  de  Mayence;  et  ceux  de  l'exergue  :  Gallia  vin- 
su,  veulent  dire  Laprotecti^m  de  la  France*  'i664* 


I  ■ 


MÊME  SUJET. 

(Bxinit  ^  l*Hwt€ire  nMliçM.) 

Qaoïque  par  la  paix  '  de  Munster  .  l'archevêque  ^t  TEglifte  de 
Majrence  eussent. ëté  rétablis ' dans  leur  droit  de  souTerainetë  sur 
h  TÎlle  d'Erford,  cette  graJnde  Tille  n'ëanmoins,  presque  'tonte  Iti-^ 
thÀîenne,  prétendait  toiij6ilr^  demeurer  indépendante,  et  pM*  «oit 
opînîttretë  elle  aToh  enfla  Gdi%^'  l^Rmperenr  à  la  meure  au*  ban 
del'Empû^-  BHûs  l'Bmperenry  aiBsen  embanrasil  lui-mltas^  à,  se  àér- 
fendre  contre  le  Turc,  se  trouvoijt  d'amant  mçin^  en.  .étatd/s  £^i^ 
ex^ter  ce  décret,  qu'il  aToit  ^uje|  d'apprëbend^r  que  tout  le 
parti  protestant  ne  se  déclarât  pour  Erford.  Dans  cette  extrémité, 
rArcherêque  eut  recours  au  Rôij  comme  au  protecteur  des  traités 
de  Westphalie.  Atissitôt  9a  Majesté  Ini'é^oya  six  miffe  hommes 
eommandës  par  le  lieutenant  gféiftéMl  Pràdel ,  qui  eurent  ôi^re  de 
pâmer  le  Ahin  en-,  diligenee;  et'  dtf  marcher,  droit  à  Erford.'  Ces 
troupes,  amqnelles  se  jcâ^ûrenl  quelques  régiment  de  rÉIecteufc-| 
s'emparèrent  d'un  ibrt  qui  conuuandoit  la  Tille,  et  s^  prépaa^oi^t 
à  emporter  la  Tille  même;  mais  les  habitants  effrayés  offrirent  de 
te  soumettre,  et  jurèrent  à  l'Électeur  et  à  son  Eglise  la  fidélité 
qn^ils  leur  dcToient. 

Cest  le  siqet  de  cette  médaiHe.  On  y  toîi  la  FV-aiice  qui  pré- 
sente à  la  Religion  k  Tille  d*Erfofé;  De*  ttiots  dé  la  légende  :  Gaxxia 
rvKOBLy  signifient  La  •Frtmcê-protieatTueii  ceux  de.l'«KQrguè  :  Eavoar 
nu  ZccLMMUi  iSoQVwnMM  aBSorarciÂ.  m.dg.x.xit,  Erford  rendu  à 
PÊ^Ue  dg  Uttvence.  i664> 


5a  EXPLICATIONS  DE  MEDAILLES. 


m 

DUNKERQUE   FORTIFIÉE. 

(Extrait  du  registre  de  rAcadëmie  des  inscriptioiis.) 

DuNKBRQUB  passoit  déjà  pour  une  des  plus  considé- 
rables places  des  Pays-Bas ,  lorsque  le  Roi  la  retira  des 
mains  des  Anglois  ;  mais  il  trouva  tant  de  défauts  dans 
son  port  et  dans  ses  fortifications  qu'il  se  crut  obligé  de 
la  renouveler  presque  toute  entière.  En  effet,  outre  la 
construction  d'une  citadelle  à  cinq  bastions  et  du  fort 
Louis,  qui  en  a  quatre,  il  est  incroyable  combien  de 
nouveaux  ouvrages  on  a  élevés,  tant  du  côté  de  la  mer 
que  de  celui  de  la  campagne,  combien  de  bastions  on  a 
revêtus,  combien  d'autres  on  a  rebâtis.  Ses  dehors,  qui 
n'étoient  partout  que  de  terre ,  sont  maintenant  ^  de 
grosse  maçonnerie.  Il  a  fallu  nettoyer  et  creuser  les 
fossés,  et  pour  empêcher  qu'ils  ne  fussent  comblés  à 
l'avenir,  on  a  rasé  quantité  de  dunes  fort  élevées ,  dont 
les  sables  y  étoient  à  toute  heure  portés  par  les  vents. 
On  n*a  pas  moins  travaillé  à  creuser  et  à  nettoyer  son 
canal,  en  telle  sorte  qu'au  lieu  qu'il  n*y  pouvoit  entrer 
que  des  barques  de  pêcheurs ,  les  plus  grands  vaisseaux 
y  entrent  très-facilement.  On  a  fait  aussi  des  jetées  de 
pierre,  qui  s'avancent  fort  loin  dans  la  mer,  avec  des 
forts  et  des  batteries  ;  et  on  a  coupé  un  grand  banc  de 
sable  qui  fermoit  presque  entièrement  l'entrée  du  port. 
En  un  mot,  à  comparer  l'état  où  le  Roi  a  trouvé  Dun- 

I .  Il  j  a  dans  le  registre  :  «  quê  de  grosse  maçonnerie.  • 


DUNKERQUE   FORTIFIÉE.  53 

kerqae  avec  celui  où  on  la  voit  aujourd'hui ,  on  peut  dire 
qae  d'une  place  très^foible,  il  en  a  fait  la  plus  formidable 
de  ses  places. 

C'est  le  sujet  de  cette  médaille.  On  y  voit  le  plan 
exact  de  Dunkerque,  du  port,  et  de  ses  fortifications. 
Sur  le  devant  de  la  médaille  est  la  ville  de  Dunkercpie, 
sous  la  figure  d'une  Femme  couronnée  de  tours.  Elle  est 
assise,  et  tient  d'une  main  un  gouvernail,  et  de  l'autre 
one  ancre.  Les  mots  de  la  légende  :  Frsti  Gallici  db- 
cns  BT  SBCURiTAS,  fout  entendre  que  cette  place  fait  la 
sûreté  et  romement  de  la  côte  de  France.  Il  y  a  à  l'exer- 
gue :  DmfKSRCA  m dnita  bt  ampliata,  Dunkerque  aug- 
maitée  et  fortifiée,  1671. 


MÊME  SUJET. 

(Extnh  de  rHistolre  mtolHfiiie.) 

Le  Roi,  lorsqu'il  eat  retire  Dunkerque  des  mains  des  Anglois, 
tnwnra  de  si  grands  défauts  dans  les  fortifications  qu'il  jugea  d'une 
absolue  nécessite  de  les  refaire  presque  entièrement.  Dès  l'année 
i665,  on  commença  par  le  château,  et  on  changea  tous  les  dehors. 
Ce  trarail  fcit  continué  en  1671  par  trente  mille  hommes  que  le 
Roi  j  emploja.  H  n'est  pas  crojahle  combien  il  y  a  eu  de  nou- 
Tcaux  onvrag^a  élerés  et  du  côté  de  la  mer  et  du  côté  de  la  teire; 
combien  de  bastions  rerétus,  changés  ou  refaits.  On  a  rasé  plu- 
ncors  dunes  «{ni  dominoient  la  place,  et  dont  les  sables  étoient 
portés  par  les  Tents  dans  les  canaux  et  dans  les  fossés.  La  citadelle 
a  été  perfectionnée,  et  le  fort  Louis  acheré;  et  pour  rétablir  le  port, 
on  a  coapë  un  banc  de  sable  de  cinq  à  six  cents  toises,  qui  fermoit 
l'entrée.  An  lieu  du  canal  de  Mardik,  que  les  sables  combloient, 
on  a  fait  le  nouTcau  canal,  par  où  en  tout  temps  peuvent  entrer 
et  sortir  dea  vaisseaux  de  soixante  pièces  de  canon.  Ce  canal  est 
lOQtenn  par   deux  jetées  de  charpente,   qui  s'aTancent  fort  loin 


54  EXPLICATIONS  DE  MÉDAILLES. 

dans  ht  ner,  et  dont  les  approches  sont  défendues  par  deox  ris- 
bans,  ou  forts  de  maçonnerie,  et  par  deux  batteries.  On  a  creusé 
dans  la  Tille  un  bassin  qui  peut  toujours  tenir  à  flot  trente  vais- 
seaux, de  guerre,  et  plusieurs  autres  bâtiments.  En  un  mot,  à 
comparer  Tëtat  où  le  Roi  a  trouvé  Dunkerque  avec  celui  où  elle 
est  aujourd'hui,  on  peut  dire  que  d*une  place  très-foible,  il  en 
a  fait  la  plus  forte  de  ses  places. 

C'est  le  sujet  de  cette  médaille.  EHe  représente  le  plan  exact  de 
Dunkerque;  la  ville,  boom  la  figure  d'une  Femme  couronnée  de 
tours,  tient  un  (sic)  ancre  et  un ' gouvernail.  La. légende  :  Fbjvi 
•jtfJUCK  DBÇVS  V,  ttCON^A»,^  tiffijifip,  Vornement  €f  fa  ^ibvte'  de  la 
edte  de  France  dans  la  Manche;  l'exergue  :  DuvQuzacà  MimiTÂ  sr 
AXPUATA.  M.DC.LXXi,  Dunkerque  agrandie  et  fortifiée.  167 1. 


î     •       *  ■  »    .  I  »  ' 


WOÊRDEN  SECOURU.  55 


IV 


WOËRDEN  SECOURU. 

(Extrait  du  registre  de  PAcadëmie  des  inscriptions.) 

Lb  doc  de  Luxembourg;  qui  comknàndoit  dans  Utrecht, 
n  eut  pas  plus  tôt  appris  que  Woërden  étoit  assiégé  par 
le  prince  d'Orange,  qu^il  y  courut  avec  environ  trois  mille 
hommes  qui  se  trouvèrent  en  état  de  marcher,  laissant 
ordre  au  reste  de  ses  troupes  de  le  suivre  en  diligence. 
La  place  .étoit  fort  pressée,  et  il  n*y  avoit  pas  de  t^mps 
à  perdre  pour  la  secourir  ;.  mais  la  difficulté  étoit  de 
poii?oir  aborder  les  quartiers  dès  ennemis,  tout  le  pays 
étant  inondé,  à  la  réserve  d'une  digue,  où  ils  avoient  cinq 
on  six  retranchements  les  uns  sur  les  autres ,  bordés  de 
canon  et  d*infanterie.  Toutefois  le  duc  de  Luxenibourg 
ne  balança  paa  à  les  attaquer.  Il  entra  dans  Tinondatioi^ 
lepéeâ  h  xnain,  et  les  prenant  par  le  front  et  par  les 
flancs,  pendant  que  la  ganlison  de  la  place  les  diargeoit 
aussi  de  son  côté ,  il  les  força ,  et  tailla  en  pièces  tout  ce 
qui  osa  lui  résister.  Le  prince  d'Oràn^e  n^eut  que  le 
temps  de  mettre  des  canaux  entre  lui  et  les  François, 
leur  abandonnant-  six  pièces  de  canon  et  une  partie  de 
son  bagage,  quantité  de  prisonniers,  et  plus  de  deux  mille 
morts,  entre  lesquek  étoit  le  comte  de  Zuylestain,  oncle 
natorel  de  ce  prince  et  général  de  Finfanterie  hollan- 
doise.  Cette  action  se  passa  le  onzième  octobre  1672. 

C'est  le  sujet  de  cette  médaille.  La  "Victoire  présente 
une  couronne  d'herbes  verdoyantes  et  fleuries  sur  une 
colonne  plantée  au  milieu  d'un  marais,  et  à  laquelle  est 


56  EXPLICATIONS   DE   MÉDAILLES. 

attaché  un  bouclier  aux  armes  de  Hollande.  Cette  cou- 
ronne marque  la  levée  du  siège.  Il  y  a  à  la  légende  : 
Batatoruii  castris  captis  et  DiRBPTis,  Le  camp  des 
Hollandois  pris  et  pillé;  à  Texergue  :  Wurda  obsidione 
LiBBRATAy  Woerden  secouru  et  le  siège  levé.  167a. 


MÊME   SUJET. 

(Extrait  de  l'Histoire  méfedUqne.) 

Le  dnc  de  Luxembourg,  ^pi  commandoit  pour  le  Roi  dans  U 
proTince  d'Utrecht,  n'eut  pas  plus  tôt  appris  que  Woêrden  étoit 
assiëgë  par  le  prince  d'Orange,  qu'il  y  courut  arec  enTÎron  trois 
miUe  hommes  qui  se  trouTèrent  en  ëtat  de  marcher,  et  laissa 
ordre  au  reste  des  troupes  de  le  sÛTre  en  diligence.  Les  ennemis 
pressoient  fort  la  place,  et  il  n'j  avoit  pas  de  temps  à  perdre 
pour  la  sauTer.  La  difficulté  étoit  d^aborder  leurs  quartiers  dans 
un  pajs  tout  inondé,  a  la  réserve  d'une  digue,  où  ils  aToient  cinq 
ou  six  retranchements  l'un  sur  l'autre,  bordés  de  canon  et  d'infan- 
terie. Le  onze  d'octobre,  à  deux  heures  après  minuit,  le  duc  de 
Luxembourg,  arec  ses  trois  mille  hommes,  arrira  à  la  vue  des 
retranchements.  0  attendit  jusqu'à  cinq  heures  le  reste  de  son 
infanterie;  mais  craignant  que  s'il  attendoit  plus  longtemps,  il 
ne  pourroit  cacher  le  petit  nombre  de  ses  troupes  aux  ennemis, 
et  perdroit  l'occasion  de  se  battre,  il  ne  balança  point.  0  passa 
l'inondation  sur  la  glace,  et  les  attaquant  de  front  et  en  flanc, 
pendant  que  la  garnison  de  la  place  les  chargeoit  aussi  de  son 
c6té,  il  força  et  tailla  en  pièces  tout  ce  qui  lui  résista.  Le  prince 
d'Orange  n'eut  que  le  temps  de  mettre  des  canaux  entre  loi  et 
les  François.  H  abandonna  six  pièces  de  canon  et  une  partie  de 
son  bagage.  On  fit  un  grand  nombre  de  prisonniers,  et  on  tua 
plus  de  deux  mille  hommes,  entre  lesqueb  se  trouTa  le  comte 
de  Zuilestain ,  oncle  naturel  de  ce  prince  et  général  de  l'infanterie 
hoUandoise. 

Cest  le  sujet  de  cette  médaille.  On  Toit  au  milieu  d'un  marais 


WOÊRDEN  SECOURU.  5? 

mie  colonne,  à  Uipielle  on  a  attache  un  bouclier.  La  Victoire  pose 
sur  le  haut  de  ce  bouclier  une  couronne  d'herbes  yerdoyantes  et 
fleuries.  La  l^ende  :  Cairus  BATAToauif  gaptis  xt  dibsptis,  signifie 
U  eamf  des  HoUandois  pris  ei  piilé;  l'exergue  :  Wimna  obsidiosb 
umATA,  M.DC.i.xxn,   Woërâen  tecauru.  1679. 


SS  EXPLICATIONS  DE  MÉDAILLES. 


LA  TRÊVE. 

(Extrait  du  registre  de  rAcadëmie  des  inseriptioiis.) 

Après  la  conquête  de  Luxembourg,  le  Roi  se  trouvoît 
en  état  d^emporter  sans  résistance  le  reste  des  Pays-Bas 
catholiques.  Il  a  voit  en  Flandre  deux  armées  de  quarante 
mille  hommes  chacune,  et  non  loin  de  là,, les  troupes  de 
Télecteur  de  Cologne,  son  allié,  montoient  à  près  de 
vingt  mille  hommes,  commandés  par  un  de  ses  lieute- 
nants généraux.  Les  Espagnols ,  qui  lui  avoient  déclaré 
la  guerre,  n'avoientni  argent  ni  troupes.  Toutes  leurs 
places  étoient  en  fort  mauvais  état.  L'Empereur,  occupé 
contre  le  Turc,  ne  pouvoit  de  longtemps  les  secourir;  et 
les  Hollandois,  divisés  entre  eux  par  des  factions,  étoient 
à  la  veille  d*une  guerre  civile.  Le  Roi,  persistant  dans 
le  dessein  de  donner  la  paix  à  la  chrétienté,  ne  changea 
rien  néanmoins  aux  conditions  auxquelles,  avant  la  prise 
de  Luxembourg,  il  avoit  promis  de  poser  les  armes.  U 
offrit  toujours  de  rendre  à  FEspagne  Courtray  et  Dix- 
mude  rasés,  et  de  (aire  avec  elle,  et  en  même  temps  avec 
TEmpereur  et  avec  TEmpire,  ou  la  paix  ou  une  trêve  de 
vingt  années.  Les  Hollandois,  malgré  les  oppositions  du 
prince  d'Orange,  embrassèrent  avec  joie  la  trêve,  qui 
bientôt  après  fut  aussi  acceptée  de  tous  les  princes  de  l'Em- 
pire, et  de  FEmpereur  même.  Les  Espagnols,  demeurés 
seuls ,  enfin ,  après  bien  des  plaintes ,  renvoyèrent  aux 
commissaires  de  l'Empereur  tous  leurs  différendspour 
être  terminés  à  Ratisbonne.   Ils  espéroient  faire  com- 


I/A  TRÊVE.  59 

prendre  dans  le  traité  la  république  de  Gènea,  qui  a'étoit 
DOoveHement  mise  sous  leur  protection;  mais  le  Roi 
voulat  absolument  se  réserver  la  liberté  de  châtier  cette 
république,  si  elle  n*avoit  recours  à  sa  clémence.  Ainsi 
la  trêve  fut  signée  e.t  ratifiée  pour  vingt,  ans. 

C'est  le  sujet,  de  cette  médaille^  P^las,  qui  représente 
k  prudence  et  la  valeur  du  Roi  t  y  est  assise  i  l'ombre 
d'un  laurier,  sur  un  monceau  d'armes  ^  tenant  sa  lanee 
ïime  main,  et  s'appujant  de  l'autte  strr  ^on  boticlier, 
dont  elle  cache  l'égide.  Les  mots  de  la  légeil'de  :  iNDtJCiiB 
u»  viGnrn  Aimos  data,  signifient  La  treize  accordée  pour 
vingt  ans;  et  ceux  de  l'exergue  :  Virtutb  bt  prudbntia 
PiinciPiSy  yeul/snt  dire  que  cette  trêve  est  également 
Touvrage  de  la  valeur  et  de  la  prudence  du  Roi.  i684» 


MÊME  SUJET. 

(Ennît  éè  raktoire  métallîqiie.) 

lis  la  conqaète  de  Luxembourg,  le  Roi  te  Tojoit  en  ëtat  de 
Moquiérir  le  reste  des  Pajs-Bas  catholiques.  H  aroit  en  Flandre 
denz  limées  de  quarante  mille  hommes  chacune;  et  un  de  ses 
ficotenuits  généraux  commandoit  dans  le  pajs  de  Liège  les  troupes 
de  Pélectenr  de  Cologne,  son  allié.  Les  Espagnob  n'avoient  ni 
troupes  ni  argent,  et  toutes  leurs  places  étoient  en  fort  mauTais 
état.  L'Empereur,  occupé  contre  le  Turc,  ne  ponroit  de  longtemps 
la  Mconrir  ;  et  les  Hollandois,  divisés  entre  eux  par  des  factions, 
étcnent  k  la  reille  d'une  guerre  civile.  Le  Roi,  constant  dans  la 
réiolation  de  donner  la  paix  a  la  chrétienté,  ne  changea  rien  aux 
propositions  qu'il  avoit  £ûtes  avant  la  prise  de  Luxembourg.  Il 
oAit  toujours  de  rendre  à  l'Espagne  Courtraj  et  Dixmude  rasés, 
et  de  faire  avec  elle,  et  en  même  temps  avec  l'Empereur  et  avec 
l'Empire,  on  la  paix  ou  une  trêve  de  vingt  années.  La  Hollande, 
Bilgré  les  oppositions  du  prince  d'Orange,   embrassa  avec  joie 


6o  EXPLICATIONS  DE  MÉDAILLES. 

la  trêre,  qui  fut  aiuti  bientôt  acceptée  de  tons  les  princes  de 
FEmpire,  et  de  PEmpereor  même.  L'Eipagne  demeura  tenle;  et 
après  bien  des  plaintes,  elle  renToya  enfin  aux  oommissairet  de 
PEmpereur  tous  ses  difFërends  pour  être  tenninës  à  Ratislxmne,  où 
la  trêve  fîit  signée  et  ratifiée. 

C'est  le  sujet  de  cette  médaille.  Pallas,  assise  sur  un  monceau 
d'armes,  à  Tombre  d'un  laurier,  tient  sa  lance  d'une  main,  et 
s'appuie  de  l'autre  sor  son  égide,  qu'elle  cache.  La  légende  : 
Vnnjs  KT  pEDDsrn  PaivciFiSy  signifie  Valeur  et  tageat  eu  Boi; 
l'exergtfe  :  Ihduolb  ad  rianm  amvos  vaxm.  m.do.lxxjot,  TWcv 
accordée  pour  ç'mgt  ont.  i684* 


FRAGMENTS 


ET 


NOTES  HISTORIQUES 


.-I . 


NOTICE. 


LouB  Racine  a  le  premier  publié,  sont  le  titre  de  Fragments 
historiques^  quelques  notes  qu'il  avait  trouvées  dans  les  pa- 
piers de  son  père.  On  troure  ces  Fragments  aux  pages  ir-55 
de  l'appendice  qui  '  fait  suite  aux  Mémoires  sur  la  pie  de  Jean 
BacinCy  publiés  à  Lausanne  et  à  Genève  en  1747-  Us  y  sont 
précédés  de  cet  avertissement  (p.  19  et  10)  :  «  Je  ne  donne 
qn^one  petite  partie  de  ces  -fragments,  dont  je  ne  relève  le 
prix,  ni  pour  le  fond,  ni" pour  la  forme.  Quant  au  fond, 
on  n'y  trouve  rien  de  curieux  :  ce  qui  pouVoit  l'être  du  temps 
de  l'auteur  a  été  écrit  depuis  par  différente  historiens.  Quant 
à  la  forme,  ce  ne  sont  que^de  courtes* observations  qtie  l'au- 
tenr,  qui  en  devoît  faire  usage  dans  la  suite,  jetoit  sur  le 
papier  sans  style  et  sans  ordre.  Cette  raison  m'oblige  en- 
core à  n'en  donner  qu'une  petite  partie,  puisqti'on  ignore 
i'nsage  qu'un  auteur  devoit  faire  des  <;boses  qu'on  trouve 
après  sa  itidrt,  écrites  par  lui  sans'ordM,'ët  qu'il  n'écrifoit 
que  pour  Im  âenl:  Il  peut  avoir  écrit  tel  iait,  non  comme 
véritable,  mais  comme  débité  dé  sota  temps,  et  dans  le  dessein 
de  le  détruirtV 

«  Ce  ne  sont  ici  qire  ^es  membres  épars  et  décharnés,  que 
l'historien  dcvôit  rassembler  et  animer  ;  et  j>  ta'aî  d'autre 
objet,  en'Ii^s  faisant  connoftre,  que  dé  détromper 'ceitit  qui 
croyent  qu'il  né  s'océupoit  point  de  Phistoire  dû  Hoi;  ou  qu'il 
ne  Touloit  donnée  quHm  éloge  historique  de  ce  prince.  Il 
parolt  au  contraire,  parles  extraits  qu'il  a  faits  deVittorio  Siri 
et  de  plusieurs  M^émoireS,  qu'il  s'étoit  formé  un  plan  très-vaste, 
et  que  se  mettant  an  fait  des  affaires  étrangères,  comme  de 
celles  de  Tintérieur,  il  embrassoit  son  grand  objêl  dans  toute 
son  étendue,  el  ctomptoit  faire  l'histoire  du  royaume  sons  le 


64       FRAGMENTS  ET  NOTES  HISTORIQUES. 

règ[ne  de  Louis  XIV.  Il  en  avoit  déjà  composé  plusieurs  grands 
morceaux;  mais  comme  je  l'ai  dit,  ils  périrent  dans  l'incen* 
die  par  lequel  tout  ce  que  M.  de  Valinoonr  conserroit  dans 
sa  maison  de  Saint-Gloud  fut  consumé  en  un  moment,  magno 
eum  Musarum  mœrore.  » 

Louis  Racine  a  eu  raison  de  ne  pas  exagérer  la  iraleur  des 
quelques  pages  qu'il  publiait;  il  est  très-?rai  qu'en  général  ce 
ne  sont  que  de  courtes  notes  prises  en  différents  temps  par 
Racine,  lorsqu'il  rassemblait  les  matériaux  de  son  travaiJ 
d'historiographe;  et  le  nom  de  Fragments  historiques  qu'on 
leur  a  donné  pourrait  en  faire  prendre  une  fausse  idée.  Biais 
nous  nous  sommes  contenté  de  modifier  légèrement,  sans  l'aban- 
donner tout  à  fait,  un  titre  que  l'usage  a  consacré  dans  toutes 
les  éditions  des  Œuvres  de  Racine^  et  que  Voltaire  a  adopté 
dans  une  note  du  chapitre  xrv  de  son  Siècle  de  Louis  XJV* 
Parmi  ces  pages  d'ailleurs,  il  se  trouTe,  comme  nous  le  dirons 
tout  à  rheure,  deux  ou  trob  véritables  fragments  d'histoire. 

A  défaut  du  monument  historique  que  Racine  avait  laissé 
plus  ou  moins  avancé,  mais  que  l'incendie  a  détruit»  on  trouve 
quelque  intérêt  à  connaître  le  peu  qui  nous  a  été  conservé  des 
matériaux  de  son  travail;  et  l'on  ne  serait  pas  ai^ourd'hui, 
nous  le  croyons  du  moins,  de  l'avis  de  Louis  Racine,  lorsqu'il 
jugeait  suffisant  «  d'en  donner  une  petite  partie.  »  Sa  pubU- 
cation  incomplète,  et  cependant  de  quelque  étendue,  ne  s'ex- 
plique pas  très-bien  :  c'était  trop  ou  trop  peu;  ce  qu'il  a  omis 
a  généralement  le  même  intérêt  que  ce  qu'il  a  conservé*  En 
outre,  il  aurait  dû  donner  avec  plus  d'exactitude  le  texte  des 
feuillets  qu'il  recueillait.  Il  avait  donc  laissé  quelque  chose  à 
faire  aux  éditeurs  qui  sont  venus  après  lui.  Combler  les  lacu- 
nes de  son  travail,  rétablir  les  passages  altérés ,  devait  être 
pour  eux  une  t&che  facile,  le  manuscrit  autographe  des  Frag^ 
ments  et  Notes  historiques  faisant  partie  des  papiers  que  le 
même  Louis  Racine  avait  donnés  à  la  Eibliothèque  du  Roi. 

Parmi  les  éditeurs  qui  ont  jugé  utile  de  consulter  ce  manu- 
scrit il  ne  faut  pas  compter  ceux  de  1768  {édition  de  Luneau 
de  Boisjermain),  Ils  se  sont  bornés  à  réimprimer  le  texte 
donné  par  Louis  Racine,  comme  on  peut  le  voir  dans  leur 
tome  VI,  p.  335-366.  La  courte  préface  qu'ils  ont  mise  en 
tête  des  Fragments  historiques  n'ajoute  rien  d'intéressant  k 


NOTICE.  65 

V Avertissement  de  1747*  £Ue  commence  par  une  phrase  assez 
malheureuse,  qui  lui  est  en  partie  empruntée  :  «  Ce  ne  sont 
ici  que  des  membres  épars,  auxquels  l'historien  déçoit  un 
jour  donner  la  couleur,  la  force  et  la  vie.  »  En  forçant  l'ex- 
pression de  Louis  Racine,  les  éditeurs  de  1768  l'ont  rendue 
moms  juste  encore.  On  croirait  qu'il  s'agit  d'une  première 
esquisse,  à  laquelle  il  ne  manque  plus  que  le  dernier  trait  et 
la  ^facité  du  coloris.  U  n'y  a  cependant  là  ni  membres  épars, 
m  ébauche,  ni  plan  quelconque;  mais,  à  peu  d'exceptions  près, 
de  simples  renseignements  dont  l'historien  faisait  provision. 

Dans  l'édition  de  1807,  connue  sous  le  nom  d'édition  de 
la  Harpe,  les  Frtigments  historiques  se  trouvent  au  tome  VI, 
p.  111-244.  L'éditeur,  Germain  Garnier,  n'a  pas  négligé 
de  comparer  le  texte  du  manuscrit  avec  celui  de  Louis  Racine; 
eette  collation  lui  a  fourni  d'utiles,  quoique  incomplètes,  cor- 
rections, qu'il  n'a  pas  cherché  à  faire  valoir  dans  son  Aver^ 
tistement  (p.  309  et  a  10}.  S'il  s'est  contenté  d'ailleurs  de 
corriger  les  fragments  déjà  publiés,  sans  y  rien  ajouter,  c'est 
qae  c  après  avoir  parcouru  toute  la  liasse  de  ces  notes,  qui 
existe  à  la  Bibliothèque  impériale,  »  il  avait  cru  n'y  rien  trou- 
ver «  qui  put  fournir  matière  à  grossir  ces  Fragments,  »  Il 
cherche  à  justifier  cette  opinion  dans  une  note  (p.  aoget  a  10)  : 
«  Tout  le  reste  de  cette  liasse,  dit-il,  ne  consiste  qu'en  frag- 
ments extraits  des  Mémoires  secrets  {Memorie  recondite)  de 
Vittorio  Siri.  Ces  Mémoires,  aujourd'hui  peu  estimés,  étaient 
alors  rares  et  recherchés.  Les  deux  premiers  volumes  paru- 
rent l'année  même  où  Racine,  nommé  historiographe  du  Roi, 
se  livra  tout  entier  à  l'étude  de  l'histoire  de  son  temps.  Il 
s'était  hâté  d'extraire  de  ce  livre  tout  ce  qu'il  y  avait  trouvé 
digne  d'être  employé  ou  d'être  réfuté*  Ces  extraits,  copiés 
presque  littéralement,  ne  sont  donc  nullement  l'ouvrage  de 
Radne,  et  quoique  écrits  de  sa  main,  ils  n'ont  pas  le  droit  de 
figurer  parmi  ses  œuvres.  »  Cette  note  n'est  pas  tout  à  fait 
exacte.  Les  fragments  laissés  de  côté  ne  sont  pas  tous,  comme 
elle  le  donne  à  entendre,  extraits  de  Vittorio  Siri.  En  outre,  ce 
a^est  pas  seulement  sur  Us  Memorie  recondite  de  cet  auteur 
que  Racine  avait  pris  des  notes,  mais  aussi  sur  son  Mercure 
(il  Mercurio\  et  sur  quelques-uns  de  ses  ouvrages  inédits. 
Il  semblerait,  à  la  manière  dont  s'exprime  Germain  Garnier, 

J.  lUcnim.  V  5 


66      FRAGMENTS  ET  NOTES  HISTORIQUES. 

que  Racine  n'a  fait  des  extraits  que  des  deux  premiers  to- 
lumes  des  Memorie  recondite;  il  en  a  fait  aussi  du  dernier 
mémey  dn  huitième.  Dn  reste,  la  raison  alléguée  pour  exclure 
les  extraits  de  Siri  serait  également  valable  pour  supprimer  à 
peu  près  tout  le  reste  de  ces  notes,  qui  n*ont  pas  davantage 
le  caractère  d'un  travail  original,  et  ne  sont  d'aucune  manière 
ce  qu'on  peut  appeler  une  œuvre» 

Germain  Garnier  a  cru  faire  assez  en  corrigeant  le  texte 
déjà  connu,  en  l'éclaircissant  par  quelques  notes  exactes, 
enfin  en  présentant  les  fragments  dans  un  meilleur  ordre. 
«  Ces  fragments,  dit-il,  ayant  été  écrits  par  l'auteur  sur  au- 
tant de  feuilles  détachées,  l'éditear  est  maître  de  les  ranger 
dans  l'ordre  qu'il  juge  convenable  ;  et  nous  avons  usé  de  cette 
liberté  pour  faire  disparaître  un  désordre  et  une  confusion  de 
dates  et  de  matières,  qui  ne  pouvait  que  fatiguer  le  lecteur.  » 
Nous  aurons  à  revenir  sur  cette  question  de  Tordre  adopté 
par  les  différents  éditeurs.  Pour  ajouter  quelque  chose  à  la 
clarté  de  celui  qu'il  a  suivi,  Germain  Garnier  a  marqué  la 
dinsion  des  divers  sujets  par  les  titres  suivants,  qui  la  plupart 
ne  sont  ni  dans  le  manuscrit,  ni  dans  Louis  Racine  :  Campagne 
de  1667.  —  1677.  ■"  ï^?^»  Notes  prises  pendant  la  route.  — 
1693.  — Finances.  Mabinb.  —  Sur  louis  XIF.  —  Le  cardinal 
Masarin.  —  Colbert,  —  Fouquet.  —  Turenne»  —  Schomberg» 

—  Sohieski.  Siège  de  Vienne.  —  Troubles  de  Hongrie.  Tekdi. 

—  Jean  de  fFitt»  —  Lord  Russel.  —  Alexandre  FlII.  Inno- 
cent  XIL  —  Le  nonce  Roberti.  —  Le  Teilier^  archepéjue  de 
Reims,  —  Feuillet,  doyen  de  Saint-Cloud.  -—  Pierre  de  Marca, 

—  Fra  Paolo,  —  Les  comté  d Auvergne  et  haronnie  de  la  Tour. 

—  Achille  de  Harlay.  —  Eudes  de  Mezerai. 

Geoffroy,  dans  son  édition  publiée  en  1808  (voye2  le  tome 
VI,  p»  829- 383),  a  donné  des  Fragments  historiques  un 
texte  plus  étendu  que  celui  dont  on  s'était  jusque-là  contenté, 
c  En  publiant  ces  FragmentSy  précieux  à  beaucoup  d'égards, 
dit- il  dans  sa  Préface^  (p.  827  et  3a8),  Louis  Racine  les 

X.  Cette  préface,  beaucoup  moins  simple  que  celle  de  l'^itioll 
ae  1807,  ne  nous  parait  pas  toujours  aussi  judicieuse.  Nous  aTous 
inutilement  cherché  où  Geoffroy  avait  lu  cette  phrase  qu'il  attribue 
à  Louis  Racine,  qu^il  semble  citer  comme  extraite  de  son  Avertit" 


NOTICE.  67 

mit  stngalièrenient  tltirésy  et  par  conséqaent  en  avait  di- 
Btmié  l'intérèl.  Us  paraissent  ici  dans  un  noaTel  ordre,  avec 
des  augmentations  oonsidérablesy  et  fidèlement  rétablis  sur  les 
minascrits  de  Racine.  On  pourra  jnger  de  l'importance  des 
ngnaitations,  en  confrontant  cette  édition  avec  les  autres. 
Noos  indiquons  particulièrement  les  articles  qui  concernent  le 
cardinal  de  Richelieu,  le  cardinal  Maxarin,  M.  de  Turenne,  la 
lérofaition  de  Portugal,  et  la  Hollande.  »  L'assertion  que  le 
texte  des  Fragmemt  était  cette  fois  t  fidèlement  rétabli  sur 
les  mamiflcrits  de  Racine  »  ne  soutient  pas  l'examen.  En  quel- 
ques passages,  Geofiroj  a  copié  le  texte  des  éditions  précé- 
dentes, sans  en  corriger,  d'après  le  manuscrit,  les  inexacti* 
tildes.  Quant  aux  additions  qu'on  lui  doit,  elles  ont,  comme 
3  le  dit,  leur  importance, 

Âimé^lfartin  s'est  aperçu  que  ces  additions  n^avaient  pas 
épuisé  le  manuscrit,  dont  il  a  tiré  encore  plusieurs  pages 
obligées  par  Geoffroy.  En  tète  des  Fragments  historiques  qui 
se  troDvent  aux  pages  4o3-46i  de  son  tome  IV  (édition  de 
1844),  il  a  réimprimé  la  Préface  de  Geoffroy,  en  y  ajoutant 
tootefob  cette  note  :  «  L'auteur  de  cette  préface  a  laissé  des 
homes  considérables,  que  nous  avons  remplies  sur  les  manu- 
scrits déposés  à  la  Bibliothèque  du  Roi.  H  sera  facile  de  s'en 
oonvaincre  en  lisant  les  articles  Schomberg  et  Fra  Paolo.  Les 
tttides  Angleterre^  Allemagne  et  Strtubourg  sont  imprimés  ici 
pour  la  première  fois.  »  En  général  le  texte  d'Aimé-lklartin 
est  plus  fidèle  que  celui  de  Geoffroy,  sans  l'être  encore  en- 
tièrement. Pour  l'ordre  dans  lequel  il  a  disposé  les  Fragments^ 
3  t  suivi  l'édition  de  Geoffroy,  qui  sur  ce  point  diffère  éga- 
kment  et  de  l'édition  de  Louis  Racine  et  de  celle  de  1807J 

Ihlgré  les  promesses  et  les  a£Brmations  que  nous  venons 
de  rapporter,  nous  avons  eu  beaucoup  à  faire  pour  compléter 
et  réformer  le  travail  de  nos  devanciers. 

I^  Fragments  historiques  sont  au  tome  II  des  manuscrits 
de  Badne  que  possède  la  Bibliothèque  impériale,  feuillets 


«>■«<  sur  lu  Fragmentt  historiques  «  et  qtd  n'y  est  pat  :  «  Cependant 
<A  7  troave  des  anecdotes  corieuses,  et  plusieurs  mots  piquants 
(pi  peignent  bien  le  caractère  des  personnages  auxqneb  on  les 

tttribae.  » 


68      FRAGMENTS  ET  NOTES  HISTORIQUES. 

i56-îi34.  Sur  le  premier  de  ces  feuillets  Ix>uis  Racine  a  mis 
cette  note  :  «  Fragments  historiques  écrits  de  la  main  de  Jean 
Racine,  dont  plusieurs  ont  été  imprimés  à  la  fin  des  Mémoires 
sur  sa  vie.  »  En  tête  du  même  feuillet  on  Ut  :  c  99  feuillets 
tant  écrits  que  blancs.  .  Le  compte  des  feuillets  ne  se  trouve 
plus.  Ce  qui  pourrait  d'abord  sembler  rassurant,  c'est  que  la 
note  parle  de  feuillets  blancs  mêlés  aux  feuillets  écrits;  mais 
quelques-uns  de  ceux-ci  mêmes  ont  incontestablement  dis- 
paru; car  Louis  Racine  a  fait  imprimer  plusieurs  pajges  ^e 
Ton  chercherait  en  vain  aujourd'hui  dans  le  manuscrit.  EUes 
exisuient  encore,  sbon  au  temps  où  Aimé-Martin  a  travaillé 
à  son  édition,  au  moins  en  1808,  puisque  Geofifroy,  comme 
nous  le  montrerons  dans  les  notes,  a  pu  faire  an  texte  de  ces 
pages  quelques  légères  additions. 

Le  papier  des  divers  feuillets  n'est  point  le  même,  ni  de 
semblable  format;  l'écriture  aussi  diffère.  Il  est  donc  visible 
qu'ils  n'ont  pas  été  écrits  dans  le  même  temps,  ni  pour  se 
faire  suite.  Ce  sont  des  notes  prises  à  différents  moments,  à 
mesure  que  l'occasion  s'en  présentait. 

Plusieurs  de  ces  feuillets  n'ont  pas  été  jugés  dignes  de  l'im- 
pression par  les  éditeurs  précédents.  Cette  exclusion  nous  a 
paru  arbitraire,  et  difficile  à  justifier,  surtout  dans  les  éditions 
qui,  à  la  différence  de  celle  de  Louis  Racine,  ont  presque  tout 
donné.  Nous  n'avons  pu  bien  saisir  ce  qui  à  leurs  yeux  distin- 
guait les  passages  omis  de  plusieurs  passages  recueillis,  si  ce 
n'est  peut-être  pour  les  tableaux  chronologiques,  qui  ont,  s'il 
est  possible,  moins  de  valeur  littéraire  encore  que  le  reste, 
mais  que  nous  avons  cru  devoir  donner,  au  moins  en  petit 
texte,  parce  qu'ils  sont  aussi  un  témoignage  des  études  de 
Racine.  Nous  avons  eu  à  réparer  quelques  omissions  et  quel- 
ques inexactitudes  dans  les  morceaux  qui  n'étaient  pas  restés 
inédits.  On  avait  surtout  supprimé  à  tort  en  plusieurs  endroits 
l'indication  donnée  par  Racine  des  auteurs  qu'il  avait  con- 
sultés. 

Si,  après  Germain  Garnier,  Geoffroy  et  Aimé-Martin,  nous 
avons  à  notre  tour  rangé  les  Fragments  dans  un  ordre  nou- 
veau, ce  n'a  pas  été  pour  la  puérile  satisfaction  de  faire 
autrement  que  nos  devanciers.  Ils  avaient  eu  raison  de  penser 
que  des  notes  écrites  sur  des  feuilles  détochées  n'avaient  pas 


NOTICE.  69 

dans  le  manascrit  an  ordre  auquel  les  éditeurs  fussent  as- 
treintSy  et  qu'il  fallait  seulement  tAcher  d'adopter  celui  qui 
mettrait  le  moins  de  confusion  dans  les  matières  et  dans 
les  dates.  Mais  un  tort  qu'ils  ont  eu  tous,  c'a  été  de  ne  pas 
remarquer  ce  qui  limitait  cette  liberté  des  éditeurs.  Ce  que 
Radne  a  écrit  sur  un  même  feuillet,  simple  ou  double,  ne 
devait  pas  être  séparé,  même  lorsqu'il  s'agissait  d'éTéne* 
meats  de  nature  et  de  date  différentes.  En  transportant  ainsi 
des  notes  d'un  feuillet  à  un  autre,  pour  les  grouper  suivant 
Fanalogie  des  sujets,  on  risque  de  tromper  le  lecteur  sur  les 
sources  d'information  d'où  Racine  a  tiré  tel  ou  tel  fait,  et 
même,  comme  il  est  arrivé  quelquefois,  de  tomber  dans  de 
^ves  erreurs,  en  donnant  une  apparence  de  liaison  à  des 
choses  qui  n'ont  entre  elles  aucun  rapport.  Si  l'ordre  suivi 
par  Louis  Racine  n'est  pas  tout  à  fait  exempt  de  ce  défaut,  et 
est  d'ailleurs  un  peu  plus  confus  que  celui  des  plus  récents 
éditeurs,  il  avait  eu  le  soin  du  moins  de  distinguer  quelque- 
fois par  des  astérisques  les  divers  fragments;  et  dans  un  pas- 
sage  où  la  remarque  avait  quelque  importance,  il  avertit 
par  une  note  (p.  3o)  que  «  toutes  ces  observations  sont 
détachées  les  unes  des  autres.  »  Il  est  fâcheux  qu'il  n'ait  point 
placé  ces  astérisques  partout  où  il  aurait  dû  le  faire.  Les  édi- 
teurs suivants  eussent  été  peut-être  mieux  avertis  ainsi  de  leur 
sens  et  de  leur  utilité.  Us  les  ont  au  contraire  jugés  superflus, 
et  les  ont  supprimés,  à  commencer  par  Luneau  de  Boisjermain, 
quoique  du  reste  il  n'ait  fait,  comme  nous  l'avons  dit^  que 
réimprimer  le  texte  de  Louis  Racine. 

Nous  n'avons  pas  manqué,  pour  notre  part,  de  marquer  la 

séparation  des  divers  fragments,  et  nous  avons  cru  plus  clair 

de  les  dbtinguer  par  des  chiffres  que  par  des  astérisques.  Sans 

attacher  une  grande  importance  à  l'ordre  chronologique  dans 

la  disposition  de  notes  si  diverses,  nous  avons  cependant 

jugé  plus  naturel  de  le  suivre  autant  que  nous  l'avons  pu; 

nous  j  ayons  dérogé  toutes  les  fois  que  c'est  Racine  qui, 

dans  un  même  feuillet,  s'en  est  écarté  ;  toutes  les  fois  aussi 

qu'il  a  paru  bon  de  rapprocher,  sans  tenir  compte  de  la  suite 

dironologique,  des  morceaux  de  même  nature.  11  y  en  a  trois 

par  lesquels,  sans  égard  aux  dates,  nous  avons  commencé, 

parce  que  seuls  entre  tous  ils  nous  ont  paru  non  de  simples 


70       FRAGMENTS  HISTORIQUES.  NOTICE. 

notes,  mais  de  véritables  fragmetHs  d'histoire.  Noos  croyons 
que  cette  remarque,  qui  n'avait  pas  encore  été  faite,  est  incon* 
testable  surtout  pour  les  deux  premiers.  Nous  en  proposons 
les  raisons  dans  les  notes  qui  s'y  rapportent,  et  où  nous  fusons 
remarquer  en  outre  que  Louis  Racine  et  tons  les  éditeurs  sui- 
vants avaient  fait  aux  commencements  de  ces  deux  morceaux 
des  modifications  qui  n'étaient  pas  sans  inconvénient.  Elles 
empêchaient  le  lecteur  de  s'apercevoir  que  ces  firagments 
étaient  détachés  d'un  plus  long  récit.  C'est  peut-être  la  plus 
grave  infidélité  que  l'on  ait  à  reprocher  à  ces  éditeurs;  et 
il  est  singulier  qu'aucun  d'eux  n'ait  manqué  de  la  commettre. 

Les  fragments  qui  ne  se  trouvent  plus  dans  le  manuscrit, 
et  du  texte  desquels  nous  n'avons  pu  par  conséquent  con- 
trôler l'exactitude,  devaient  être  séparés  des  autres.  Noos  les 
avons  mis  après  ceux  que  la  Bibliothèque  impériale  possède 
encore,  avant  toutefob  les  tableaux  chronologiques,  que  leur 
moindre  importance  et  le  caractère  dans  lequel  nous  les  avons 
imprimés  ont  &it  passer  au  dernier  rang. 

Parmi  les  notes  qu'cm  a  réunies  dans  les  manuscrits  de 
Racine  sous  le  titre  de  Fragments  historiques^  il  y  en  a  trois 
qui  n'appartiennent  pas  à  l'histoire  proprement  dite,  et  qae 
par  cette  raison  nous  avcms  cm  préférable  d'en  distraire  pour 
les  placer  dans  une  autre  section  de  notre  volume.  Ou  les 
trouvera  plus  loin,  rapprochées  de  notes  du  même  genre 
auxquelles  nous  avons  donné  le  titre  de  Notes  sur  divers  sujets 
religieux* 

L'annotation  des  Fragments  historiques  était  fort  courte 
dans  les  précédentes  éditions,  et,  ce  nous  semble,  insuffisante. 
Ces  quelques  feuilles  volantes  sur  lesquelles  Racine  jetait  des 
notes  ne  forment  pas,  il  est  vrai,  une  osuvre  qu'on  puisse 
songer  à  profondément  étudier.  Mais  on  y  rencontre  tant  de 
faits  et  de  noms  divers',  que  de  nombreux  éclaircissements 
nous  ont  paru  utiles. 

i.  Nous  aTons  oonBerré  pour  les  noms  propres  rorthographe  du 
manuscrit,  qui  très-sooTent  diffère  de  l'usage  actuel. 


FRAGMENTS  ET  NOTES  HISTORIQUES.      71 


Ls  '  penmonnaire  Wit  pressoit  avec  impatience  la  con- 
danon  de  ce  traité.  G*étoit  sur  lui  que  rouloit  alors  la 
principale  conduite  des  affaires  des  états*  :  homme  zélé 
pour  sa  république,  et  ennemi  de  la  maison  d'Orange, 
qa*il  tenoît  le  {dus  bas  qu*il  pouvoit*.  Il  avoit  hérité  ces 
sentiments  de  son  père,  vieux  magistrat  de  Dort',  qu'on 
legardoit  autrefois  comme  le  chef  du  parti  opposé  au 
prince  Guillaume*.  Ce  prince,  jeune'  et  entreprenant, 
fier  de  Falliance  du  roi  d'Angleterre,  qui  lui  avoit  donné 
n  fille ^9  regardoit  le  titre*  de  gouverneur  et  de  capi- 

I.  Ce  fragment  est  éridemment  quelque  chose  de  plus  qu^nne  note 
prise  par  Racine  pour  fixer  un  souyenir.  Il  sufiGit,  pour  être  de  cet 
STÎi,  de  faire  attention  à  la  manière  dont  il  est  rëdigë,  et  de 
remarquer  les  laturea  et  les  corrections,  assez  nombreuses,  du  ma- 
Busorit.  n  aemUe  que  nous  ajons  là  un  morceau  dëtaché  de 
lliistoire  du  règne  de  Louis  XTV,  dès  lors  sans  doute  commence. 
D  est  écrit  sur  le  double  feuiUet  cote  si6  et  3x7.  —  Le  traite 
d«ot  le  grand  pensionnaire  pressait  la  conclusion  est  sans  doute 
odni  d'alliance  défensÎTe  et  de  mutuelle  garantie  conclu  le  97  aTril 
i66s  entre  la  France  et  les  Prorinces  Unies.  Nous  ne  croyons  pas 
qa*il  s'agisse  de  la  paix  de  Breda,  signée  le  3i  juillet  1667.  Louis 
Racine  et  les  éditeurs  suirants  ont  retranché  la  première  phrase  ;  on 
ne  pouTait  plus  ainsi,  comme  nous  FaTons  dit  dans  la  Notice,  p.  70, 
reeonnaitre  que  ce  morceau  était  la  suite  d'un  plus  long  récit. 

a.  Racine  arait  d'abord  écrit  :  «  la  conduite  des  Prorinces  Unies.  » 

3.  H  7  axait  d'abord  :  «  dans  un  fort  grand  abaissement.  » 

4.  Dort  on  Dordrecht,  dans  une  ile  formée  par  la  Meuse  et  le 
petit  golfe  de  Biesbocb. 

5.  Guillaume  II  de  Nassau. 

6.  An  lieu  déjeune^  il  y  arait  d'abord  «  ambitieux.  » 

7.  Guillaume  II  arait  épousé  Henriette-Marie  Stuart,  fille  de 
Ghafiesl». 

8.  Les  charges.  (1**  rédaction.) 


72  FRAGMENTS 

taine  général  des  états  comme  trop  au-dessous  de  lui, 
et  aspiroit  assez  ouvertement  à  la  monarchie.  Il  fit  arrê- 
ter Wit  dans  son  hôtel  à  la  Haye%  et  l'envoya  prison- 
nier, avec  cinq  des  principaux  de  ce  parti*,  dans  son 
château  de  Louvestein.  En  même  temps  il  marcha  vers 
Amsterdam,  qu'il  avoit  fait  investir,  et  ne  manqua  cpie 
de  quelques  heures  la  prise  de  cette  grande  ville.  On  peut 
dire  avec  assez  de  certitude  qu'il  n'y  avoit  plus  de  répu- 
blique de  Hollande,  si  la  mort  de  ce  prince'  qu'on  croit 
même  avoir  été  avancée  par  ^  quelque  breuvage,  n'eût  in- 
terrompu' tous  ses  desseins.  Il  laissa  sa  femme  enceinte 
du  prince  qui  vit  aujourd'hui,  dont  elle  accoucha  deux 
mois  après  la  mort  de  son  mari.  La  Zélande  et  quelques 
autres  provinces  vouloient  qu'il  succédât  à  toutes  les  di- 
gnités de  son  père'  ;  mais  la  province  de  Hollande,  où 
la  faction  d'Wit''  étoit  la  plus  forte,  empêcha  que  cette 
bonne  volonté  n'eût  aucun  effet*.  La  charge  de  gouver- 
neur et  de  capitaine  général  ne  fut  point  remplie*  ;  et  les 
états  s'emparèrent  et  de  la  nomination  des  magistrats  et 
de  tous  les  autres  privilèges  attachés  à  cette  chaîne  ^® .  On 
prétend  que  le  vieil  Wit,  avant  que  mourir,  ne  cessoit 
d'encourager  son  fils  à  l'abaissement  de  cette  maison, 

X.  En  i65o.  —  9.  Il  y  avait  d'abord  :  «  de  cette  faction.  » 

3.  Il  mourut  le  6  novembre  i65o.  «^  4-  ^^''  ^  ^^^  substitue  à  ée, 

5.  Il  y  avait  d'abord  :  «  arrête.  » 

6.  Que  le  fils  succédât  à  toutes  les  charges  de  son  père,  (i**  ré- 
daction.) 

7.  Racine  a  écrit  w  d'Wit  »  et  non  «  de  Wit;  »  un  peu  plus 
Las  :  u  le  vieil  Wit.  »  Il  prononçait  apparemment  le  W  comme 
iirtO  voyelle.  —  Nous  trouverons  de  même  plus  bas,  dans  le  ix«  frag^ 
ment  (p.  98)  :  t  d'Wigt.  > 

8.  Il  y  avait  d'abord  :   «  que  ces  charges  ne  fussent  remplies.  » 

9.  Ce  membre  de  phrase  est  écrit  à  la  marge  ;  mais  sans  aucun 
doute  il  doit  être  placé  où  nous  l'avons  mis. 

10.  Aux  charges  de  gouverneur  et  de  capitaine  général,  {y  ré- 
daction.) 


\  • 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  73 

dont  il  regardoh  Télévation  comme  la  ruine  de  la  liberté, 
et  qa'fl^  répétoit  souvent  ces  paroles  :  «  Souviens-toi , 
mon  fils,  de  la  prison  de  Louvestein.  » 


n 

Pendaht*  que  les  armes  du  Roi  prospéroient  ainsi  en 
Allemagne,  ses  forces  maritimes  s'accroissoient  consîdé- 
nblement,  jusqu'à  donner  déjà  de  l'inquiétude  à  ses  al- 
liés. Us  s*étoient  moqués*  de  tous  les  projets  qu'on  faisoit 
en  France  pour  se  rendre  puissant  sur  la  mer,  s'imagi- 

I.  Aa  lien  de  :  c  et  qu^îl,  »  Racine  ayait  d'abord  ml»  :  t  On  dit 
même  qu'il  lai.  » 

1.  Ce  fragment  de  quelques  lignes,  ëcrit  sur  nn  morceau  de  pa- 
pier froisse,  qui  forme  le  feuillet  193,  parait,  comme  le  pr^tfdent 
et  par  des  raisons  semblables,  un  débris  de  Tbistoire  écrite  par  Ra- 
cine. Louis  Racine  l'a  donné  à  la  suite  du  f^ajrage  du  Moi  en  1678 
(Toyei  plus  bas,  p.  106),  mais  il  a  pris  soin  de  l'isoler  de  ce  qui 
précède  par  un  astérisque,  et  de  placer  en  cet  endroit  même  une 
Dote  pour  aTertir  que  :  «  toutes  ces  observations  sont  détachées  les 
unes  des  autres,  m  En  outre,  il  a  retranché  ainsi,  t^prèê  prospéroient, 
Gcoffroj  et  Aimé-Martin,  en  laissant  le  fragment  à  la  même 
place,  n'ont  reproduit  ni  l'astérisque,  ni  l'aTertissement  de  Louis 
Racine,  de  sorte  que  la  phrase  :  «  Pendant  que  les  armes  du  Roi 
proipéroient  en  Allemagne,  n  semble,  dans  leur  édition,  se  rappor- 
ter à  la  prise  de  Gand  et  à  l'année  1678.  Dans  l'édition  de  1807, 
ee  même  fragment  est  placé  après  les  événements  de  1693.  Le 
mot  ainsi  y  est  retranché,  comme  dans  les  autres  éditions.  —  Ce 
que  Racine  dit  de  l'état  où  se  trouvait  la  marine,  ne  peut,  ce  nous 
lemble,  convenir  qu'au  temps  où  Golbert  commençait  à  la  rétablir. 
Dans  l'Histoire  métallique,  la  médaille  de  la  Navigation  rétablie 
porte  à  l'exergue  la  date  de  x665.  Dans  cette  même  année,  les 
Français,  après  la  victoire  de  Saint-Gothard,  avaient  eu  un  bril- 
Uat  ioecès  en  Allemagne,  où  ils  avaient  replacé  Érfîut  sous  la  do* 
oination  de  l'archevêque  de  Majrence. 

3.  Racine  a  écrit  moequd,  sans  accord. 


74  FRAGMENTS 

nant  qa*on  se  rebuteroit  bientôt  par  les  difficultés  qui 
se  rencontreroient  dans  rexécution^  et  par  les  horribles 
dépenses  qa*il  falloit  faire.  Hs  ne  vojoient  dans  les  ports 
que  deux  galères  et  une  douzaine  de  vaisseaux  de  guerre, 
dont  plus  de  la  moitié  tomboienti  pour  ainsi  dire,  par 
pièces;  les  arsenaux  et  les  magasins  entièrement  dé- 
garnis*. 


m 

*  CATHBRiirB  de  Médicis  étoit  fille  de  Laurent  de  Médi- 
cis,  duc  d*Urbin,  et  de  Madeleine  de  la  Tour,  de  la  mai- 
son de  Boulogne.  Le  pape  Clément  YIP,  son  onde,  la 
dota,  en  la  mariant,  d'une  sonmie  de  cent  mille  écns 

X.  Racine  STait  ^crit  d'abord  :  «  ne  croyant  à  la  nation  ni  le 
génie  ni  la  patience  nécessaire  ponr  réussir  dans  ce  métier. 

a.  Après  le  mot  dégarnit^  Louis  Racine  et,  à  son  exemple,  Geof- 
fipoj  et  Aimé-Martin  ont  ajouté  «rc,  qui  n'est  pas  dans  le  manuscrit. 

3.  Ce  fragment  est  éôit  sur  le  doubl^ feuillet  i6$  et  x66.  Le 
titre  CàTHawnni  db  MaDias,  que  lui  ont  dbnné  Geoffroj  et  Aimé- 
Martin,  n'est  point  dans  le  manuscrit.  Dans  l'édition  de  1807,  on 
a  mis  cet  autre  titre,  qui  n'est  pas  non  plus  de  Racine  :  Lu  comié 
4tjiwmrgne  et  hûronmë  de  la  Tour,  A  en  juger  par  les  ratnret  et 
corrections,  noua  ayons  ici  encore  un  morcean  rédigé,  et  non  une 
•impie  note.  S'il  en  est  ainsi,  de  quel  travail  ce  fragment  fiûsoit-il 
partie  ?  Dans  les  factnms  pour  et  contre  le  maréchal  de  Luxem- 
bourg, dont  nous  aurons  à  parler  f>lus  loin  dans  ce  même  volume, 
on  discuta  beaucoup  sur  l'arrêt  de  16S91,  rendu  au  sujet  des  terres 
de  Châtean-Thierry  et  d'Albret,  qui  avoient  été  données  au  doc 
de  BouiUon  en  échange  de  la  principauté  de  Sedan,  et  érigées  en  sa 
fiiTeur  en  duchés  et  pairies.  Le  comté  d'Auvergne  fut  comprit  dans 
l'échange,  et  passa  alors  dans  la  maison  de  Bouillon,  dont  nom 
croyons  probable  que  Racine  s'occupait  quand  il  a  écrit  cette  page 
•ur  Catherine  de  Médicis.  Nous  ne  voulons  pas  dire  cependant 
qu'elle  ait  pu  trouver  place  dans  un  des  fiictums  pour  le  maréchal 
de  Luxembourg  ;  seulement  elle  nous  fait  plutôt  songer  A  qudqne 
mémoire  judiciaire  qu'à  un  ouvrage  historicpe. 


ET  NOTBS  HIST0EIQUE8.  7S 

oompunt;  etBfadeleine  de  la  Tour  déclara  dans  le  oon* 
tnt  de  mariage  qa^elle  loi  donnoit  et  aubstituoit  son 
droit  ^  de  Baocesûon  aux  comtés  d^Auvergne  et  de  Laiira- 
goais,  baromiie  de  la  Tomr,  et  autres  terres  possédées 
don  par  Anne  de  la  Tour,  sa  sosor  atnée,  laquelle  n*a- 
voh  point  d'en&nts. 

En  effet,  après  la  mort  d^Anne  de  la  Tour,  Catherine*, 
comme  unique  héritière  de  la  maison  de  Boulogne,  entra 
en  possession  de  toutes  ces  terres.  En  l'année  iSSp,  le 
roi  Henri  n,  son  mari,  étant  mort,  le  duché  de  Valois 
loi  fiit  assigné.  En  i58a,  elle  décacha  de  cette  duché*  la 
terre  de  la  Ferté-BIilon,  et  rengagea  à  BIme  de  Sauve, 
depuis  marquise  de  Noirmoustier^,  pour  une  somme  de 
dix  mille  écus  d'or,  que  la  reine  Catherine  lui  avoit  ac- 
cordée pour  récompense  de  services.  Le  roi  Henri  m, 
ion  fik,  continua  depuis  et  la  donation  et  rengagement. 
Catherine  mourut  en  iSSg,  et  le  roi  Henri  El  lui  survé- 
cut de  huit  on  neuf  mois.  Ainsi  ce  prince  a  été,  ou  a  dû 
être,  son  héritier*. 

n  est  vrai  que  Catherine  fit  don,  par  son  testament, 
des  comtés  d*Auvergne  et  de  Lauraguais,  etc.,  à  feu 

I.  H  7  «nàt  d'abord  :  f  lai  domui  par  contrat  de  mariaga  aon 
ece.  s 

1.  Radne  wnit  d'abord  ^crit  :  f  En  effet,  Catberine,  aprèa  la  mort 
ai  cette  Anne,  aa  tante;  i»  et  aprèa  lea  mots  :  de  toutes  ces  terres  : 
c  dont  elle  a  joui  jnsqa'à  ta  mort.  > 

3.  Racine  a  écrit  cette  dmché^  quoique  à  la  ligne  prëoMente  il  ait 
dit  :  «  le  duohë  de  Valois.  » 

4«  H  7  andt  d'abord  :  «  fille  dn  surintendant  Semblança7  et 
ea  ifcandei  noces  femme  dn  marquis  de  Noirmoustier.  i»  Charlotte 
de  Btime  Seniblança7,  dame  de  SauTc,  si  fameuse  par  ses  galan- 
teries, était  née  en  i55i.  Elle  aTait  épousé  Simon  de  Fîtes,  baron 
de  Savre.  Oerenue  Teure  en  1679,  elle  épousa  en  secondes  noces, 
cinq  sus  après,  François  de  la  Trémoille,  marquis  de  NoirmoAtier. 
EDe  mourut  en  1617. 

S.  n  7  andt  d'abord  :  «  a  pu  hériter  et  des  cent  mille  éeus 
d'aifem  et  des  fonds  de  terre  qu'elle  possédoit.  » 


76  FRAGMENTS 

M.  le  doc  d^Angonléme^,  ({ui  en  prit  même  alore  le  nom 
de  comte  d'Auvergne. 

Mais,  en  1606,  la  femeuse  reine  Marguerite,  restée 
seule  des  enfants,  fit  déclarer  ce  testament  nul  ;  et  en 
vertu  de  la  donation  par  forme  de  substitution  stipulée 
dans  le  contrat  de  mariage  de  Catherine*,  se  fit  adju- 
ger par  le  parlement  de  Paris  et  par  le  parlement  de 
Toulouse  toutes  les  terres  que  la  Reine  sa  mère  avoit  pos- 
sédées, et  aussitôt  en  fit  présent  au  Dauphin,  qui  depuis 
a  été  le  roi  Louis  XIII',  père  de  Sa  Majesté  :  de  telle  fa- 
çon que  ces  comtés  et  cette  baronnie  ont  été  '  réunis  à  la 
couronne. 


IV 

Ia^  cardinal  de  Richelieu  se  fit  donner  la  commission 
de  chef  et  surintendant  de  la  marine,  parce  que  le  duc 

X.  Charles  de  Valois,  duc  d^Angonléme,  fils  de  Charles  IX  et  de 
Marie  Touchet,  fille  du  lieutenant  particulier  au  prësidial  d'Or- 
léans, n  mourut  le  24  septembre  x65o.  Quoique  dépouille  en  1606 
des  comtes  que  lui  ayait  lëguës  Catherine  de  Mëdicis,  il  arait 
continué  à  porter  le  titre  de  comte  d'Aurergne  jusqu'en  lôtg, 
annëe  où  il  obtint  le  duchë  d'Angouléme,  après  la  mort  de  Diane 
de  France,  duchesse  d'Angouléme. 

a.  De  Catherine  sa  mère,  (x'*  rédaction.) 

3.  n  j-  ayait  d'abord  :  t  furent,  a 

4.  Nous  devons  donner  comme  un  seul  et  même  fragment  tout 
ce  qui  est  ^rit  sur  le  double  feuillet  17$  et  176  du  manuscrit. 
Louis  Racine  n'en  a  conserve  qu'une  partie  ;  et  ce  qu'il  a  choisi,  il 
l'a  dispersé  çà  et  là,  comme  l'ont  fait  ausai  les  ^iteurt  suivants. 
En  tète  de  la  première  page  du  double  feuillet.  Racine  a  mis  : 
Jl.  le  maréchal  de  Humières  (plus  loin,  p.  80,  il  écrit  d*Hwmièr€s)f  ce 
qui  signifie  certainement  quUl  devait  à  ce  maréchal  les  renseigne- 
ments qu'il  a  recueillis  dans  cette  suite  de  notes.  On  ne  sera  donc 
pas  étonne  d'y  trouver  dans  plusieurs  passages  quelque  sévérité 
pour  Turenne,  sous  les  ordres  duquel  le  maréchal  d'Humières  n'a- 
vait pas  voulu  servir  en  167a.  D'Humières  mourut  en  1694. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  77 

de  Guise  S  comme  gouvemem'  de  Provence,  pr^ndoit 
être  amiral  de  Levant,  et  ne  point  céder  à  l'amiral  dans 
h  Méditerranée.  Il  y  a  même  encore  des  ancres  à  la  porte 
de  Thôtel  de  Guise.  Le  gouverneur  de  Bretagne  a  aussi 
des  droits  de  naufrage,  etc.  ;  mais  le  cardinal  de  Riche- 
lieu avoit  ce  gouvernement. 

Le  cardinal  Mazarin  avoit  recommandé  au  Roi  trois 
hommes  :  Golbert,  Lescot  jouaillier',  et  Ratabon  des  bâ- 
timents. 

Deux  jours  avant  sa  mort,  il  vit  Monsieur  le  Prince, 
M....*,  leur  parla  fort  longtemps  et  fort  affectueuse- 
ment, et  ils  reconnurent  après  qu*il  ne  leur  avoit  pas  dit 
on  mot  de  vrai. 

La  Reine  mère  dit  un  jour  à  la  Chastre  ^,  qui  revenoit 
d*Anet,  et  qui  disoit  qu'il  avoit  vu  M.  de  Beaufort  :  «  Vous 
avez  vu  le  plus  galant*  homme  du  monde.  »  Beaufort 
se  donna  à  Mme  de  Monbazon,  et  de  là  les  haines 
contre  lui. 

Le  Roiy  peu  avant  le  jugement  de  M.  Foucquet,  dit  à  la 
Reine,  dans  son  oratoire,  qu'il  vouloit  qu'elle  lui  promit 
ane  chose  qu'il  lui  demandoit  :  c'étoit,  si  Foucquet  étoit 
condamné,  de  ne  point  lui  demander  sa  grâce.  Le  jour 
de  Farrêt,  il  dit  chez  Mlle  de  la  Yalière  :  «  S'il  eût  été 
condamné  à  mort,  je  l'aurois  laissé  mourir.  » 

I.  Charies  de  Lorraine,  duc  de  Guise,  fils  aine  de  Henri  de 
Goiie  et  de  Catherine  de  Qères,  mort  en  1640. 

a.  Telle  est  l^orthographe  du  manuscrit. 

3.  Après  cette  H  il  j  a  des  points  et  une  ligne  de  blanc. 

4-  Le  comte  de  la  Châtre,  qui  a  laisse  des  Mémoires,  étoit  lie 
sTec  le  duc  de  Beaufort,  dont  il  partagea  la  disgrâce.  Le  maréchal 
d^nmières  avoit  épousé,  en  i653,  sa  fille  Louise-Antoinette-Thérèse 
de  la  Châtre.  Nous  le  faisons  remarquer,  parce  que  cela  serri- 
nit  encore  à  prouver,  s'il  en  était  besoin,  que  Racine  avait  recueilli 
CCS  notes  dans  des  entretiens  avec  le  maréchal.  Tous  les  éditeurs 
précédents  ont  omis  ce  passage. 

S.  Dans  Tautographe  :  gnlaiul. 


â 


78  FRAGMENTS 

n  dit  aussi  à  M.  de  Tctrenne  très«fortement  de  ne 
plus  se  mêler  de  cette  affaire.  M.  de  Turenne  espéroit 
gagnera  la  disgrâce  deFoucqaeti  et  se  flattoit  d^étre  chef 
dn  conseil  des  affaires  étrangères,  comme  Yilleroi  des 
finances  ;  et  voyant  qa*il  n'en  étoit  rieni  ne  le  pardonna 
jamais  à  M.  le  Tellier. 

Un  peu  ayant  la  guerre  de  lilleS  on  6ta  à  la  charge 
de  colonel  général  de  la  cavalerie  légère*  la  nomination 
de  toutes  les  charges;  et  Turenne  n*osa  souffler,  de  peur 
de  dégoûter  le  Roi  de  lui,  et  qu*on  né  fit  point  la  guerre. 
Un  peu  après  la  revue  de  Mouchi  *,  le  Roi  dit  à  Turenne  : 
«  Oii  compte^  à  Paris  que  voilà  la  soixantième  (ou  la 
«  soixante-deuxième*)  revue.  » 

On  pensa  commencer  la  guerre  dès  le  commencement 
de  1666,  mais  il  n'y  avoit  rien  de  prêt.  Le  Roi  en  avoit 
fort  envie.  Lorsqu^on  la  commença,  Tartillerie  n^étoit 
pas  prête,  et  ce  fut  une  des  raisons  (pii  fit  qu'on  s^arréta 
à  réparer  Gharleroi,  où  les  Espagnols  avoient  laissé  des 
demi-lunes  entières.  De  là  le  Roi  alla  à  Avesnes,  où  on 
fit  venir  la  Reine  et  Mme  de  Montespan.  Feu  Bfadame 
persuada  à  MUe  de  la  Yalière,  qui  étoit  à  Mouchi,  de 

I.  En  1667. 

9.  Cette  charge  appartenait  à  Turenne  ;  elle  loi  a^ait  été  conter- 
Tée^  ainti  que  celle  de  grand  maître  de  Partillerie  au  duc  de  Mazarin, 
quoique  la  charge  de  colonel  général  de  Pinfanterie  eût  été  sup- 
primée en  1661. 

3.  Ce  fut  le  t5  mars  1666  que  le  Roi  passa  une  grande  reTue 
dans  la  plaine  de  Mouchjr,  à  deux  lieues  de  Compiègne.  Vojrez 
l'^HUioire  de  Lauwis  par  M.  C.  Rousset,  tome  I,  p.  97.  Le  maréchal 
d*Humières  arait  à  ce  Mouchy,  qu'on  appelle  aussi  Mouchy-Hu- 
mières,  une  terre  où  Saint-Simon  dit  (Mémoires^  tome  I,  p.  so5) 
que  le  Roi  alla  le  roir  plusieurs  fois.  Un  peu  plus  bas,  au  paragra- 
phe suivant,  il  est  encore  question  de  ce  même  Mouchy. 

4.  Dans  l'autographe  :  «  On  conte.  » 

5.  Ces  mots  :  «  ou  la  'soixante-deuxième,  >  sont  écrits  en  inter- 
ligne. Us  ne  doÎTent  sans  doute  pas  faire  partie  de  la  phraMi  et 
iterqnent  seulement  une  hésitation  du  sonrenir. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  79 

sonre  la  Reine,  et  lui  prêta  un  carrosse.  Monsieur  Ta- 
miral^  étoit  de  cette  année-là*.  On  auroit  pu  prendre 
Gand  et  Ipres;  mais  M.  de  Turenne  eut  peur  d'attirer 
les  Anglois  et  les  HoUandois,  et  que  la  guerre  ne  finit, 
n  étoit  bat  de  tout  le  monde,  surtout  des  ministres,  qu*il 
insultoit  tous  les  jours.  M.  le  Tellier  envoyoit  toujours 
demander  à  Humiéres  où  on  alloit  camper.  Il*  avoit  dé« 
crié  dans  l'esprit  du  Roi  tous  les  maréchaux,  surtout  le 
maréchal  de*  Gramont,  qui  étoit  au  désespoir,  et  qui 
monta  la  tranchée  à  la  tête  des  gardes*.  H  poussoit  Du- 
ras*, et  le  favorisoit  en  toutes  rencontres;  [il]  voulut  faire 
attaquer  le  château  de  Toumay  "^  par  Lauzun,  déjà  &vori, 
tptciqae  Humiéres  fût  de  jour.  Bellefonds*  étoit  aussi 
fort  favorisé  du  Roi  et  de  M.  de  Turenne.  Bellefonds  ne 


I.  Le  duc  de  Beanfoit.  D  reçut  en  1666  Tordre  d^opërer  ta 
joncdoo  arec  la  flotte  hollandaise  contre  les  Anglaif . 

1.  Dans  rëdition  de  Geoffroy  et  dam  celle  d'Aimé-Martin,  on  A 
remplacé  aimee  par  armée, 

3.  Cet  II  te  rapporte  à  Turenne. 

4.  Let  mot!  :  «  tout  les....  le  maréchal  de,  ■  ont  été  ajoutés  après 
ooop,  en  inteiiigne. 

5.  Après  la  mort  du  due  d'Épemon,  colonel  général  de  Finfan'^ 
tm,  cette  cliarge  fut  abolie  ;  et  ce  fut  alors  que  le  Roi  donna 
M  loaréchal  de  Gramont  celle  de  colonel  de  ses  gardes  fran- 
{lues,  c  Le  maréchal  de  Gramont  fut  douze  ans  colonel  des 
girdes....  U  suirit  le  Roi  à  ses  premières  campagnes  de  Flandre; 
et  bien  qu'il  n'y  eût  point  l'emploi  qu'il  devoit  naturellement  y 
iToir,  M.  de  Turenne  étant  à  la  tête  de  l'armée,  il  ne  laissa  pas  de 
monter  la  tranchée  comme  simple  colonel  des  gardes,  aux  sièges 
de  Toumay  et  de  Douay  (Juin  et  Juillet  1667)1  obéissant  aux 
officiers  généraux  qu'il  avoit  tus  à  la  barette,  etc.  1  {Mémoires 
éumertschal  de  Gramont^  9  volumes  in-ia,  MDCCXYI)  tome  II, 
p.  aS6  et  287.) 

6.  Jacques-Henri  de  Durfort ,  comte  et  plus  tard  duc  de  Duras, 
lion  tientenant  général.  D  fut  fait  maréchal  de  F'rance  en  167$. 

7.  La  citadelle  de  Tournai  se  rendit  le  9  5  juin  1667* 

8.  Bernardin  Gigault,  marquis  de  delléfonds,  fut  fait  maréchal 
«11668. 


So  FRAGMENTS 

voulut  point  du  gouvernement  de  Lille,  pour  ne  pas  quit- 
ter la  cour;  et  Turenne  le  fit  donner  à  Humières,  qui  se 
remit  en  grâce  avec  lui.  Humières  se  plaignoit  aussi  de 
Duras,  à  qui,  au  siège  de  Tournay,  on  avoit  donné  une 
brigade  fort  bonne  qui  étoit  au  quartier  d'Humières,  et 
qui  ne  voulut  pas  laisser  aller  la  brigade  de  la  Yallette, 
et  les  garda  toutes  deux. 

Pradelle^  servoit  aussi  de  lieutenant  général,  brave 
homme,  mais  pas  plus  capable  qu'il  est  aujourd'hui.  Le 
Roi  Taimoit  assez. 

Après  la  paix  Turenne  eut  bien  du  dessous.  H  de- 
manda quartier  au  comte  de  Gramont,  qui  Faccabloit 
de  plaisanteries.  Un  jour  le  Roi  pensa  dire  des  rudesses 
là-dessus  à  ce  comte,  à  ce  que  disoit  Turenne. 

Monsieur  le  Prince  entend  bien  mieux  les  sièges  que 
M.  de  Turenne. 

Le  marquis  de  Créqui  ne  parut  que  sur  la  fin  de  la 
campagne,  à  Taffaire  de  Marsin*.  On  ne  fortifia  point 
Alost',  place  importante,  et  qui  auroit  coupé  tous  les 
Pays-Bas,  parce  qu'on  avoit  trop  peu  de  troupes  pour 
en  mettre  dans  tant  de  places.  M.  de  Turenne  auroit 
bien  voulu  aller  reconnottre  Termonde^,  avant  que  de 

I.  Le  marquis  François  de  Pradelle  ou  de  Pradel  ëtaît  d^jà 
lieutenant  général  en  1664,  lorsqu^il  fit  rentrer  Erfurt  sous  la 
domination  de  Pëlecteur  de  Mayence. 

3.  Après  la  reddition  de  LiÛe,  le  marquis  de  Créqui  batdt  dans 
un  combat  de  cavalerie  le  comte  de  Marsin,  autrefois  lieutenant  du 
grand  Condé,  et  qui  commandait  alors  les  troupes  espagnoles  en 
Flandre,  et  était  venu  secourir  Lille,  dont  il  ignorait  la  capitula- 
tion. Le  combat  fiit  livré  le  3i  août  1667.  L'année  suivante,  le 
marquis  de  Créqui  fut  fait  marécbal. 

3.  Pendant  le  siège  de  Lille,  les  ennemis  s'étaient  étabUs  dans 
Alost,  que  les  Français  avaient  abandonné.  Turenne  j  marcha 
après  le  départ  du  Roi,  s'en  empara  le  xi  septembre  1667,  et  fit 
raser  la  place. 

4.  Termonde  on  Dendermonde,  au  confluent  de  la  Dender  et 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  81 

1  attaquer  ;  mais  le  Roi  vouloit  être  partout.  On  y  alla 
donc  avec  Tamiée. 

La  Reine  mère  savoit  qu'on  arréteroit  M.  Foucquet. 
OnTavoit  dit  à  Laigue^  pour  le  dire  à  Mme  de  Cbe- 
rreuse,  afin  qu'elle  7  disposât  la  Reine  :  ce  qui  se  fit  à 
Dampierre.Villeroy  le  sut  aussi.  Le  Roi  vouloit  l'arrêter 
dans  Vaux,  mais  la  Reine  dit  :  «  Voulez-vous  l'arrêter  au 
milieu  d*une  fête  qu'il  vous  donne  ?  » 

On  n'a  jamais  conçu  l'état  des  places  du  Pays-Bas* 
aussi  pitoyable  qu'il  étoit,  même  à  ce  dernier  voyage'. 

En  Hongrie*,  Coligni  écrivoit  en  cour  tous  les  jeudis, 
et  donnoit  ses  lettres  au  courrier  ordinaire  de  l'armée, 
pour  les  porter  à  Vienne.  La  Feuillade  écrivoit  tous  les 
samedis,  et  les  faisoit  porter  par  un  honmie  exprès.  U 
feignoit  de  prévoir  tout  ce  que  les  Turcs  avoient  £ait  de- 
puis le  jeudi  jusqu'au  samedi. 

Si*,  avant  la  guerre  de  Flandres,  on  eût  donné  au  Roi 


de  l^Eacaut.  Tnrenne  parut  le  3  août  1667  derant  cette  ville;  le  5, 
il  leva  le  si^ge.  Ayant  l'amyée  de  l'armée  royale,  le  comte  de  Mai^ 
on  avait  pn  jeter  deux  mille  cinq  cents  hommes  dans  Termonde, 
et  inonder  les  alentours  en  ouvrant  les  écluses. 

I.  Le  marquis  de  Laigue  avait  été  un  des  chefs  du  parti  de 
la  Fronde. 

s.  n  y  a  bien  dans  le  manuicrit  :  «  du  Pays-Bas,  »  au  singulier. 

3.  Geoffroy  et  Aimé-Martin  ont  transporté  ce  paragraphe  im- 
Biédiatement  après  la  phrase  :  «  On  y  alla  donc  avec  Tannée,  » 
qui  esta  cette  même  page,  lignes  i  et  s.  Il  semble  en  effet  que  ce 
loit  la  vraie  place.  Biais  dans  le  manuscrit,  le  paragraphe  se  trouve 
où  nous  Pavons  laissé. 

4-  Hacine  a  écrit  en  marge  :  Dan^.  D  tenait  sans  doute  de  Dan- 
gean  ce  qu^il  a  noté  ici.  —  Dans  l'expédition  de  Hongrie  de  1664, 
qui  le  teimina  par  la  victoire  de  Saint-Gothard,  le  comte  de  Coli- 
gny  commandait  en  chef.  Le  comte  de  la  Feuillade  y  servait  comme 
maréchal  de  camp.  On  essaya  de  ravir  à  Coligny  l'honneur  de  sa  vic- 
toire pour  l'attribuer  à  la  Feuillade,  qui  avait  un  parti  dans  l'armée. 

5.  On  lit  ici  en  marge,  dans  le  manuscrit  :  iTiim.,  sans  doute 
le  maréchal  d'Humières,  au  témoignage  duquel  Racine  revient. 

J.  Racnn.  ▼  6 


82  FRAGMENTS 

Gambray  ou  même  Bergue,  il  se  seioit  peut-être  oon* 
tenté.  Ldomie^  surtout  étoit  au  désespoir  de  la  guerre. 

Le*  cardinal  Mazarin  avoit  connu  le  Tellier  en  Pié- 
mont'y  et  le  mit  à  la  place  de  des  Noyers.  Le  Tellier  de- 
voit  donner  deux  cent  mille  francs,  le  Roi  cent  mille. 
Des  Noyets  *  voulut  un  évéché  pour  sa  démission,  et 
mourut  ^.  Le  Tellier  eut  les  cent  mille  écu§. 

Le  cardinal  de  Richelieu  avoit  des  traits  de  folie.  Un 
jour,  Schomberg  dit  àVilleroy,  au  sortir  de  sa  chambre  : 
«  Le  Cardinal  voudroit  pour  cent  mille  écus  que  nous  ne 
Teussions  pas  vu  ce  matin.  »  U  s'étoit  fort  emporté. 

Le  cardinal  M azarîn  dit  à  Yilleroy,  quatre  jours  avant 
sa  mort  :  «  On  fait  bien  des  choses  en  cet  état,  qu'on  ne 
fait  pas  se  portant  bien.  » 

Celui*  qui  a  les  finances  peut  toujours  tromper  quand 
il  veut.  On  a  beau  tenir  des  registres. 

I.  Hugues  de  Lionne,  secrëtaire  d'État  des  affaires  étrangères 
depuis  i663.  D  mourut  en  1671. 

3.  Le  manuscrit  indique  ici  en  marge  une  nourelle  autorité  :  Lt 
M,  de  nUeroy. 

3.  Ou  Michel  le  Tellier  était  intendant  de  Parmée  d'Italie  de- 
puis l'année  1689.  H  fiit  nommé  (secrétaire  d'État  de  la  guerre 
peu  de  jours  avant  la  mort  de  Louis  XIII,  en  remplacement  de 
Sublet  des  Nojers,  que  le  Roi  arait  congédié  le  10  ayril  1643. 

4.  Le  30  octobre  1645. 

5.  En  supprimant  l'alinéa,  et  contipuant  les  guillemets  qui  pré- 
cèdent, Geoffroj  et  Aimé-Martin  mettent  cette  réflexion  dans  la 
bouche  de  Mazarin.  C'est  très-évidemment  à  tort,  cornait  le  prou- 
rent  et  le  sens  et  le  manuscrit,  qui  n'a,  il  est  vrai,  de  guillemets 
nulle  part ,  mais  commence  à  la  ligne  la  phrase  :  t  Celui  qui  a  les 
finances....  i 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  »3 


Extrait  du  XYI^  polume  manuscrit  de  Siri^.  — D  traite 
de  l'autorité  da  Parlement;  il  dit  que  les  décrets,  les 
actes  et  les  délibérations  des  états  généraux  même, 
qnoiqu^ils  aient  le  penvotr  d'élire  un  roi,  an  cas  que 
la  race  royale  finit,  n*ont  aucune  force,  s'ils  ne  sont  vé« 
rifiés  au  Parlement,  lequel  les  modère,  les  corrige  et 
les  réforme,  et  même  les  annule  pendant  la  tenue  des 
états,  comme  il  annula  les  délibérations  des  états  tenus 
pendant  la  ligue  pour  élire  un  roi,  ce  qui  contribua  le 
plus  à  conserver  à  Henri  IV  et  aux  Bourbons  la  succes- 
sion à  la  couronne. 

I.  Ce  firagmcnt  se  trouve  aux  feuillets  179  et  1^3.  Il  a  été  omis 
par  Louis  Racine,  et  dans  PéditLon  de  1^07.  Geoffinoj  «t  Aimë- 
Mutin  ont  donne  une  partie  des  trois  derniers  paragraphes.  — 
Qoel  est  ce  XVI*  volume  manuscrit  de  Siri  ?  Nous  ne  trouvons  au~ 
joordlini  dans  nos  bibliothèques  publiques  de  Paris  aucun  ma- 
nuscrit de  Siri  qui  réponde  à  cette  indication;  mais  elle  parait 
se  ni^rter  parfidtement  aux  manuscrits  de  Siri  signalés  dans 
là.  BihUogr€q>hie  instructive  de  G.  F.  de  Bure  (Paris,  1768,  in-ia). 
H  y  est  dit,  an  tome  I  de  V Histoire^  n»  4^69,  p.  978  et  979  : 
«  L'auteur  de  cet  ouTrage  {il  Mercurio)  avoit  eu  dessein  de  donner 
an  poblic  deux  autres  Tolumcs...,  qui  auroient  formé  les  tomes 
XYI  et  XVU...,  et  qui  auroient  contenu  Vhistoire  secrète  des 
gnerres  ciriles  de  France  et  des  éyénements  arriTés  durant  les 
troubles  de  Paris  et  la  prison  des  Princes  sous  le  règne  de 
Louis  XrV;  mais  ces  deux  rolnmes  n^ont  jamais  pu  jusqu'à 
présent  passer  à  Pimpression,  et  sont  restés  manuscrits.  Il  en  existe 
on  exemplaire  à  Paris,  dans  le  cabinet  de  M.  le  comte  de  Lau- 
nguais;  et  cet  exemplaire....  pisse  pour  être  la  copie  qui  fut  dé- 
posée an  Loorre,  et  que  le  cardinal  Dubob  en  retira  pour  la  mettre 
dans  sa  bibliothèque.  On  peut  regarder  ce  manuscrit  comme  un 
motcean  d'autant  plus  précieux  qu'on  le  Croit  unique.  Nous  en  al- 
lons donner  l'intitulé  dans  le  numéro  suivant.  »  De  Bure  le  donne 
en  effet  sous  le  n®  4370  :  «c  éelle  Turhulenze  del  regno  di  Francia, 
opère  mis.  del  medesimo  Vittorio  Siri,  4  ^^l-  in-folio.  »  Voyest 


84  FRAGMENTS 

Il  prétend  que  les  deux  premières  races  ont  disposé 
de  rÉtat  comme  de  leur  patrimoine,  Taliénant  et  le  par- 
tageant entre  leurs  enfants,  et  admettant  leurs  bâtards  à 
portion  égale  avec  les  fils  légitimes,  en  telle  sorte  que 
dans  leurs  apanages  ils  étoient  souverains  et  indépen- 
dants comme  les  autres.  Ainsi  Théodoric,  b&tard  de 
Glovis,  partagea  également  avec  ses  autres  enfants,  et  eut 
la  Lorraine.  Un  autre  Théodoric,  fils  puîné  de  Clotaire, 
fîit  préféré  aux  aînés.  Pépin  égala  son  fils  bâtard, 
Charles  Martel,  avec  ses  autres  enfants.  U  ajoute  que  les 
Mérovingiens  ont  été  aussi  cruels  à  leurs  parents  que  le 
sont  les  Othomans.  Les  impositions  sur  le  peuple  ont  été 
excessives  et  entièrement  arbitraires  pendant  ces  deux 
races. 

Nota,  Les  Capétiens,  corne  usurpatori  dello  scettro 
reale  contra  Carlo^^  y  procédèrent  avec  plus  de  précau- 
tion, jusqu'à  Philippe  le  Bel,  qui  foula  beaucoup  le  peu- 
ple, imité  en  cela  par  Philippe  le  Long  et  par  Charles 
le  Bel.  Et  c^est  à  quoi  on  a  imputé  la  ruine  de  leur 
maison. 

Les  dignités  de  ducs,  de  comtes  et  de  barons  étoient  à 
vie  et  amovibles  sous  les  Mérovingiens.  Mais  pendant 
les  révoltes  qui  s'élevèrent  sous  le  règne  de  Clotaire  III*, 
les  ducs,  comtes  et  barons,  dans  F  Aquitaine,  le  Péri- 
gord  et  FAuvergne,  changèrent  leurs  gouvernements  en 
seigneuries.  Et  de  là  vinrent  les  fiefs,  les  droits  de  uaS'^ 
sellaggio   et    les  justices   subalternes ,   sans   que    les 

aussi  la  Bibliothèque  historique  de  la  Fratice^  par  Jacques  Lelong 
(in-folio,  MDCCLXIX),  tome  II,  p.  56o.  C'est  sans  doute  dans 
le  tome  XVI  des  manuscrits  indiqués  par  de  Bure  que  Racine  a 
pris  son  Extrait,  La  Biographie  universelle,  article  Siri,  parle  auasi 
de  manuscrits  de  cet  historiographe  qui  seraient  aujonitl'hui  Hag^* 
les  bibliothèques  de  Parme  et  de  Florence. 
|..   I .  «  Comme  usurpateurs  du  sceptre  royal  contre  Charles,  s 


ET  I90TES  HISTORIQUES.  85 

Pépins  et  les  Carlo vingiens,  qui  se  regardoient  comme 
usurpateurs,  osassent  s'y  opposer.  Au  contraire,  pour 
se  faire  des  créatures,  ils  exemptèrent  plusieurs  familles 
ieir  ordine  popufctre^»  Philippe  Auguste  sut  peu  à  peu 
s'assujettir  les  États  et  les  terres  dont  les  grands  sei- 
gnexm  jouissoient  corne  in  sopranità*. 

Les  maires  du  palais  font  bien  voir  que  les  François 
sont  toujours  prêts  à  subir  le  joug  de  quiconque  ose  leur 
commander,  pourvu  qu'il  ait  en  sa  main  la  disposition 
des  grâces. 

Il  remarque  que  les  François,  si  hardis  et  si  prêts  à 
exposer  leur  vie  dans  les  batailles,  tremblent  à  l'aspect 
d'un  homme  de  justice;  et  que  les  rois  n'ont  jamais 
mieux  fait  que  d'établir  ainsi  entre  eux  et  les  grands  un 
juge  qui,  sans  qu'ils  s'en  mêlassent,  pût  châtier  les 
grands  et  protéger  les  petits. 

Ce  fut  le  Coadjuteur  qui  porta  le  prince  de  Conti*,  le 
duc  et  la  duchesse  de  Longueville  à  se  mettre  du  parti 
du  Parlement  :  celle-ci  irritée  contre  Monsieur  le  Prince, 
qui  désapprouvoit  hautement  sa  conduite;  le  prince  de 
Conti dépendant  absolument  de  Mme  de  Longueville;  et 
le  Duc  possédé  de  Tenvie  d'avoir  le  Pont-de-l' Arche, 
qu'il  espéroit  obtenir  par  le  moyen  du  Parlement.  Cette 
résolution  fut  prise  à  Noisy,  maison  de  l'archevêque  de 
Puis,  où  se  trouva  le  duc  de  Longueville  avec  le  Coad- 
juteur et  le  duc  de  Retz* . 

Le  Cardinal  fit  tout  son  possible  pour  engager  le  duc 


I.  t  De  Tordre  populaire,  a 
s.  fl  Comme  en  souyeraînetë.  » 

3.  Aroiand  de  Bom*bon,  prince  de  Conti,  frère  de  Monsieur  le 
Prince  (le  gnnd  Condë)  :  voyez  notre  tome  FV,  p.  477»  n®'®  '• 
n  mourut  le  ai  février  i666. 

4.  Pierre  de  Gondi,  duc  de  Retz,  frère  aîné  du  cardinal  de 
Retz.  Il  mourut  le  %o  avril  1676. 


86  FRAGMENTS 

de  Bonillon^  dans  les  intérêts  de  la  cour,  et  loi  promit 
les  récompenses  du  monde  les  plus  avantageuses  en 
échange  de  Sedan  ;  mais  ce  duc  étoit  gouverné  absolu- 
ment par  la  duchesse  sa  femme,  qui  étoit  gagnée  par 
Mme  de  LonguevîUe.  La  duchesse  de  Bouillon*  étoit 
aussi  zélée  catholique  que  Mlle  de  Bouillon  *,  sa  belle- 
sœur,  étoit  zélée  huguenote.  Celle-ci,  extrêmement  fière, 
ne  pouvoit  digérer  de  voir  sa  maison  dépouillée  de  la 
principauté  de  Sedan,  et  vouloit  toujours  marcher  d*égale 
avec  les  maisons  souveraines.  Aussi  fut-elle  une  des 
principales  causes  de  tous  les  partis  que  le  duc  de  Bouil- 
lon et  Turenne,  son  frère,  prirent  contre  la  cour. 

La,  uerità  si  era  ancora^  que  les  deux  frères,  Bouillon 
et  Turenne,  tous  deux  grands  maîtres  en  fait  de  guerre, 
et  le  premier  principalement  joignant  aux  qualités  mili- 
taires celles  de  fin  courtisan  et  de  très-habile  politique*, 
avoient  hérité  la  torbidezza  deW  animo*  du  père'',  chef 
de  la  faction  huguenote,  pieno  di  rigiri  e  eTintrigki 
et  in  tutte  le  fattioni  e  partiti  délia  Francia  o  capo  o  di- 
rettorcy  corne  anco  precipuo  sommoçitore  delF  elettore 
Palatine* j  à  recevoir  des  rebelles  de  Bohême  la  cou- 

I.  Frëdërîc-Maurîce  de  la  Tour  d^ Auvergne,  duc  de  Bouillon, 
frère  aine  de  Turenne.  Il  mourut  le  9  août  i659. 

3.  Le  duc  de  Bouillon  arak  ëpowë  la  fille  du  comte  de  Ber- 
ghes,  gouTemeur  de  Frise.  Elle  mourut  cinq  ans  après  le  duc  de 
Bouillon.  Voyez  les  Mémoires  de  Saint-Simon,  tome  V,  p.  3x3. 

3.  Morte  sans  alliance  en  1669. 

4.  «  La  vëritë  pourtant  ëtait  encore.  » 

5.  Politique  est  écrit  au-dessus  de  négociateur^  qui  n^a  pas  été 
efface.  C'est  une  variante  ;  Racine  n'a  pu  vouloir  écrire  :  «  et  de  trèsp 
habile  négociateur  politique.  » 

6.  c  La  turbulence  du  caracti^re.  > 

7.  Henri  de  la  Tour  d'Auvergne,  duc  de  Bouillon  par  son  ma- 
riage avec  Charlotte  de  la  Marck  ;  maréchal  de  France  en  iSga  ; 
mort  le  a 5  mars  i6i3. 

8.  «  Plein  de  détours  et  d'intrigues,  chef  de  toutes  les  factions 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  87 

ronne  qui  a  été  si  funeste  à  lui  et  à  toute  sa  maison  : 
de  sorte  qu'ayant  sucé  tous  deux  avec  le  lait  un  esprit  de 
fiction  et  d'ambition,  il  ne  falloit  pas  grand  art  ni  grande 
rhétorique  pour  les  engager  dans  un  parti  d'où  ils  atten- 
doient  des  avantages,  eomme  la  riseossa  di'Sedano^^ 
et  beaucoup  d'autres  qu'ils  espéroient  pécher  en  eau 
trouble. 

Le  Cardinal  avoit  fait  pressentir  si  Turenne  voudroit 
se  frire  catholique,  auquel  cas  il  liû  destinoit  les  plus 
grands  emplois  et  les  premières  dignités  du  rojraume, 
tfec  une  de  ses  nièces.  Mais  Mlle  de  Bouillon,  que  la 
Gonvenioin  de  son  frère  atné  avoit  mortellement  affligée, 
fit  son  possible  pour  traverser  cette  seconde  conversion; 
et  elle  auroit  mieux  aimé  voir  Tùrenne  sur  xm  échafaud 
que  devenu  catholique. 

et  dé  tons  les  partù  en  Franoe,  on  les  dirigeant  par  ses  conseils, 
comme  aussi  ajant  plus  que  personne  pousse  rélecteur  palatin....  » 
—•  D  s^agit  de  Télecteur  palatin  Frédéric  V.  La  couronne  de  Bo- 
hême loi  fîit  déférée  au  mois  d'août  16 19.  Vaincu  à  la  bataille  de 
Pngne  le  8  norembre  i6ao,  il  fut  dépouillé  de  ses  États  hérédi- 
taires et  de  la  dignité  éleetorale.  Il  mourut  le  ag  norembre  i639. 

I.  «  Le  reeonrrement  de  Sedan,  m  — -  Frédéric-Maurice,  duc 
de  Bouillon  (voyez  ci-dessus,  p.  86,  note  i),  arait,  an  mois  de 
mars  i65i,  cédë  an  Roi  la  sonreraineté  de  Sedan. 


88  FRAGMENTS 


VI 

Extrait  du,...  w>lume  deSiri^. — Il  traite  fort  au  long 
roTÎgine  de  la  paulette  et  tous  les  mouvements  qu'elle  a 
excités  pendant  la  régence  de  Marie  de  Médicis  par  la 
peur  que  les  parlements  et  les  autres  corps  avoient  qu'elle 
ne  fût  supprimée. 

n  traite  aussi  de  Torigine  des  parlements  et  de  leur 
autorité. 

Émeri  Particelli*  étoit  de  Luques  et  avoit  une  grande 
habileté  pour  les  finances.  Le  cardinal  Mazaiin  ne  de* 
voit  jamais  l'abandonner. 

Ghavigny'  a  voit  été  l'ami  intime  du  cardinal  Mazarin, 
qui  lui  faisoit  bassement  sa  cour  sous  le  ministère  du 
cardinal  de  Richelieu.  Puis  il  vit  que  Chavigny  vouloit 
partager  la  faveur  avec  lui,  et  il  le  trompa,  lui  faisant 
pourtant  de  grandes  caresses.  Chavigny  Ait  averti  par 
Seneterre*  que  Mazarin  le  jouoit,  et  pour  se  venger 

I.  Ce  fragment  est  aa  feuillet  170.  Les  quatre  premiers  paragra- 
phes ont  été  omis  par  Louis  Racine  et  par  Tuteur  de  1807;  les 
trois  premiers  seulement,  par  GeofTroj  et  par  Aimé-Martin.  — 
Racine  a  laissé  en  blanc  le  chiffre  du  Tolume  de  Siri  dont  il  a 
donné  cet  extrait.  N'est-ce  pas  le  même  XVI*  tome  manuscrit  d'où 
le  fragment  précédent  a  été  tiré?  En  tout  cas,  il  s'agit  sans  aucun 
doute  d'un  des  Tolumes  manuscrits  de  Siri  :  Tojez  ci-dessus,  p.  83, 
note  I. 

a.  Michel  Particelli,  sieur  d'Émeri,  mort  le  a5  mai  i65o.  Con- 
trôleur général,  puis  surintendant  des  finances,  Mazarin  le  sacrifia 
au  Parlement,  et  le  destitua  le  9  juillet  1648.  D  le  rappela,  il  est 
▼rai,  à  la  surintendance  le  9  novembre  1649. 

3.  Léon  le  Bouthilier,  comte  de  Chavignj,  mort  le  11  octobre 
x65a.  n  avait  été  ministre  et  secrétaire  d'État  aux  affaires  étran- 
gères sous  le  ministère  de  Richelieu.  Appelé  au  conseil  de  ré- 
gence après  la  mort  de  Louis  XIII,  il  donna  sa  démission  lorsqu'il 
se  vit  abandonné  auprès  de  la  Régente  par  le  cardinal  Mazarin. 

4.  Henri  de  Senneterre  ou  de  Saint-Nectaire,  marquis  de  la 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  89 

chercha  a  précipiter  dans  des  conseils  violents  qui  fissent 
enfin  chasser  le  Cardinal.  Il  conseilla  remprisonnement 
de  BronsseP,  et  en  même  temps  il  assistoit  à  des  confé- 
rences secrètes  avec  les  frondenrs  chez  Pierre  Longuëi*. 
La  raison  pourquoi  le  Cardinal  différoit  tant  à  accor- 
der les  grâces  qa^il  avoit  promises,  c*est  qu'il  étoit  per- 
saadé  que  TespéTance  est  bien  plus  capable  de  retenir 
les  hommes  dans  le  devoir  que  non  pas  la  reconnois* 
sance. 


VII 

CÀHDINÀL    MÀZÀRIn'. 

Sni^,  en  cherchant  les  raisons  pourquoi  le  Cardinal 
abandonna  le  duc  de  Guise*,  dit  qae  peut-être  ce  cardi- 
nal songeoit  à  se  faire  roi  de  Naples.  Cela  est  d*autant 

FcTt^Nabcrt,  ambaMadear  en  Angleterre  et  à  Rome,  et  minbtre 
(i^Éut,  mort  le  4  janyier  1669,  âge  de  quatre-yingt-denx  ans.  Il 
^tpère  du  maréchal  de  la  Ferté. 

I.  Pierre  Bronasel,  conseiller  clerc  au  parlement  de  Paris,  iîit 
vtké  le  96  août  1648. 

a.  L'abbé  Pierre  de  Longnei  on  de  LongueU,  frère  de  René 
I^mgaeil,  marquis  de  Maisons,  président  au  Parlement,  était  con- 
KÎDer  de  la  grand'cbambre. 

3.  Ce  fragment  se  tronye  aux  feuillets  168  et  169,  qui  doiyent  in- 
coDtestablement  se  suivre.  Geoffroy  et  Aûné-Martin  y  ont  in- 
tercalé d^autres  notes  de  Racine,  qui  regardent  aussi  Mazarin, 
■ail  qui  font  partie  d^autres  fragments.  Louis  Racine  et  Téditenr 
àt  1807  n'ont  pas  donné  le  premier  paragraphe. 

4-  Tome  XI,  p.  $87.  —  Ce  reuToi  au  Mercure  de  Siri  est  de  la 
Bttin  de  Racine. 

S.  Henri  II  duc  de  Guise,  mort  en  1664.  Il  était  entré  à  Naples  le 
i5  oetobre  1647.  Les  Espagnols  reprirent  possession  de  cette  rille 
le  6  anil  1648.  Le  duc  de  Guise  resta  quatre  ans  prisonnier  de 
l'Espace. 


90  FRAGMENTS 

plus  Traisemblable  qu'il  avoit  quelque  pratique  pour  se 
faire  roi  de  Sicile  :  témoin  une  lettre  qu'un  certain  An- 
toine d'Aglié^  lui  écrivoit  de  Rome,  le  i®' juin  1648,  qui 
lui  mandoit  qu'on  avoit  fort  délibéré  en  Sicile  de  mettre 
la  couronne  de  ce  royaume  sur  la  tête  ou  du  prince  Tho- 
mas', ou  du  connétable  Colonne*,  mais  que  le  Cardinal 
avoit  été  préféré  à  tout  autre  ;  que  sans  partir  de  Paris, 
il  n*avoit  qu'à  envoyer  une  armée  pour  donner  cœur  au 
peuple  et  à  la  noblesse,  et  qu'on  lui  envoyeroit  aussitôt 
des  ambassadeurs  pour  le  couronner;  que  s'il  ne  vouloit 
point  quitter  la  France,  il  pourroit  laisser  en  Sicile  ou 
son  frère*,  ou  le  cardinal  Grimaldi  *,  avec  la  qualité  de 
vice-roi. 

L'auteur  croit,  pour  lui,  que  le  Cardinal  avoit  dessein 
d'envoyer  à  Naples  Monsieur  le  Prince,  afin  de  l'éloigner 
de  France,  avec  tous  les  petits-maîtres,  et  quantité  d'au- 
tres gens  capables  de  remuer'-  Cela  est  si  vrai,  qu'après 
la  disgrâce  et  l'emprisonnement  du  duc  de  Guise,  le  Car- 
dinal envoya  l'abbé  Bentivoglio  en  Flandres,  à  l'armée  de 
Monsieur  le  Prince,  un  peu  devant  qu'il  assiégeât  Ypres  \ 
pour  le  tâter,  non  pas  en  traitant  directement  avec  lui, 

I.  S'agit-îl  de  Vàbbé  d^Aglië  qui  fiit  enroyë  du  dac  de  Savoie  en 
France? 

3.  Thomas-François  de  Savoie,  prince  de  Garignan,  fila  du  duc 
de  Saroie  Charles-Emmanuel  I***.  Il  avait  toute  la  confiance  de 
Mazarin.  D  mourut  le  99  janvier  x656. 

3.  Le  prince  Lanrent-Oonphre  Colonna,  qui  fut  grand  ccmnë- 
tahle  du  royaume  de  Naples.  Il  épousa  en  166 1  Marie  Manôni, 
nièce  du  cardinal  Mazarin.  U  mourut  le  i5  anil  1689. 

4.  Michel  Mazarin,  arcberéque  d'Aix,  cardinal  en  1646.  D  sera 
parlé  de  lui  un  peu  plus  bas. 

5.  Jérôme  de  Grimaldi,  qui  fut  archevêque  d^Aix  après  Michel 
Mazarin.  Il  mourut  le  4  novembre  i665. 

6.  Il  Itfercurio,  tome  XI,  p.  588. 

7.  Ypres  fut  assiégée  le  x3  mai  1648  et  capitula  le  ap  du  même 
mois. 


-m 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  91 

mais  avec  Chfttillon',  la  Moussaye*,  et  les  autres  peths- 
maftres,  qui  récoutèrent  fort  volontiers,  se  remplissant 
déjà  l'esprit  d'idées,  Tun  se  flattant  de'  se  faire  duc  de 
Calabre,  Tautre  prince  de  Tarente .  Le  Cardinal  offroit  à 
Monsieur  le  Prince  tous  les  régiments  de  Condé  et  de 
CoDti,  et  de  sa  maison,  avec  une  armée  navale  équipée 
ani  dépens  du  Roi.  Mais  les  cabales  commençoient  déjà 
à  éclore;  et  Monsieur  le  Prince,  se  défiant  et  de  la  pro-> 
position  et  de  celui  qui  la  faisoit,  ne  put  se  résoudre  à 
({nitter  Paris  et  la  cour*. 

Le  même  auteur  dit  que  le  Cardinal  étoit  maître  de 
toutes  ses  passions,  excepté  de  Vaçarice^, 

Le  cardinal  de  Sainte-Cécile,  son  frère  ',  étant  en  mau- 
vaise humeur  contre  lui,  disoit  à  tous  les  gens  de  la  cour 
qai  venoient  lui  recommander  leurs  intérêts  que  le 
moyen  le  plus  sûr  d'obtenir  de  son  frère  tout  ce  qu'on 
Tooloit,  c'étoit  de  faire  du  bruit,  parce  que  son  frère 
étoit  un  coyon*. 

Ces  paroles ,  dit  Siri ,  ne  tombèrent  pas  à  terre  ;  et 
bien  des  courtisans  se  résolurent  dès  lors  de  le  prendre 
de  hauteur  avec  le  Cardinal,  et  commencèrent  à  le  me- 
nacer pour  obtenir  de  lui  ce  qu'ils  vouloient. 

Ce  cardinal  de  Sainte-Cécile  s'en  alla  à  Rome  au  sor- 
tir de  son  gouvernement  de  Catalogne,  plein  de  mau- 


I.  Gafpard  IV  de  Coligny,  marquis  d'Andelot,  puis  duc  de 
ChatiQon,  tué  le  8  férrier  1649  à  Tattaque  de  Charenton. 

3.  Le  marquis  de  la  Moussaje-Gojon  avait  été  aide  de  camp  du 
duc  d'Enghien  à  la  bataille  de  Rocroi,  dont  il  a  laissé  une  relation. 

3.  //  Mereurh^  tome  XI,  p.  SSg. 

4-  Racine  indique  ici  le  tome  XII,  p.  934*  —  On  trouve  en  efFet 
à  cette  page  de  Siri  (i7  Mercurio)  la  phrase  qui  vient  d'être  traduite 
littéralement. 

5-  Voyex  ci-dessus,  p.  90,  note  4. 

6.  Perche  tuo  fratello  era  un  coglione,  (Il  Mercurio,  tome  XH, 
P  9>5.) 


9^  FRAGMENTS 

vaise  volonté  contre  son  (rère,  et  résolu  d'embrasser  les 
intérêts  des  Espagnols,  qui  ne  manquoient  pas  de  leur 
côté  de  lui  faire  des  offres  avantageuses.  Il  mourut  peu 
de  jours  après  ^  qu'il  fut  arrivé  à  Rome,  où  il  tomba  ma- 
lade d'une  grosse  fièvre  que  lui  avoient  causée  la  fetigne 
du  chemin  et  les  grandes  chaleurs  de  Fautomne. 

Les  secrets  du  Cardinal'  étoient  souvent  trahis  et  ré- 
vélés aux  ennemis  par  des  domestiques  infidèles  et  inté- 
ressés. Le  Cardinal  fermoit  les  yeux  pour  ne  pas  voir  leur 
friponnerie;  et  c'étoit  là  la  plus  grande  récompense  dont 
il  payoit  leurs  services,  comme  il  punissoit  leurs  infidéli- 
tés en  ne  les  payant  point  de  leurs  gages. 

Il  ne  donna  pas  un  sou*  au  courrier  qui  apporta  la 
nouvelle  de  la  paix  de  Munster,  et  ne  lui  paya  pas  même 
son  voyage,  là  où  l'Empereur  donna  un  riche  présent  et 
mille  écus  de  pension  à  celui  qui  la  lui  apporta.  La  reine 
de  Suède  fit  noble  son  courrier.  Servien  étoit  au  déses* 
poir  de  cette  vilenie. 

Le  même  Siri,  tome  XUI,  p.  pSo,  dit  que  ce  cardinal 
avoit  l'artifice  de  trouver  toujours  quelque  défaut  aux 
plus  belles  actions  des  généraux  d'armée,  non  pas  tant 
pour  les  rendre  plus  vigilants  à  l'avenir,  que  pour  dimi- 
nuer leurs  services ,  et  délivrer  le  Roi  de  la  nécessité  de 
les  récompenser.  Il  dit  cela  à  Toccasion  de  la  prise  de 
Tortose  par  le  maréchal  de  Schomberg  *. 

I.  Dans  la  nuit  da  3i  août  au  !«■*  septembre  1648.  {Il  Mercurio^ 
tome  XII,  p.  937.) 

a.  Tome  XUI,  p.  866.  {Note  de  Racine.)  —  D  faut  ajouter:  et 
p.  867,  da  même  ourrage  de  Siri,  il  Mercurio. 

3.  Dans  ]e  texte  de  Louis  Racine  :  «  D  ne  donna  rien.  »  Geoffroy 
a  reproduit  cette  correction,  que  cependant  Tëdition  de  1807  avait 
déjà  rejetée. 

4.  Charles  de  Scliomberg,  duc  dUallujn,  prit  la  ville  de  Tor- 
tose en  Catalogne  le  la  juillet  1648.  U  mourut  le  6  juin  t656. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  9) 

Vffl 

Dânb^  la  cession  que  TEmpereur  et  TEmpire  faisoient 
du  landgraviat  de  F  Alsace  à  la  France*,  on  n'exceptoit 
d'abord  que  le  droit  de  Tévéque  de  Strasbourg.  La  ville 
ne  se  contenta  pas  de  cette  exception  de  Tévéque ,  mais 
TGukt  y  être  aussi  comprise.  On  n^eut  pas  grand*peine 
i  loi  accorder  une  demande  si  juste,  dans  laquelle  le 
roi  de  France  ne  prenoit  aucun  intérêt,  n^ayant  nulle 
prétention  sur  la  ville  de  Strasbourg.  Et  il  seroit  arrivé 
même  que  le  moindre  refus  ou  le  moindre  doute  qu'on 
aoroit  proposé  là-dessus  auroit  suffi  pour  irriter  toutes 
lei  villes  impériales,  et  pour  les  aliéner  entièrement  de 
la  France. 

Cession  de  F  Empereur  et  des  États  de  F  Empire^, 
Dans  cet  acte  il  paroit  que  le  landgraviat  d'Alsace  et 
les  deux  Suntgaw  ^  ont  été  cédés  à  la  France  de  la 
même  manière  que  les  trois  évéchés  de  Lorraine  '.  0  y 
a  pourtant  une  parenthèse  qui  comprend  l'exception  des 
évéchés  et  États,  singulièrement  exceptés  dans  le  traité  *. 

I.  Radne  a  écrit  ici  en  marge  :  Siri^  tome  XŒ,  p.  i36.  Il  traduit 
CQ  eHet  preaqae  littéralement  la  page  dn  Mercure  qu'il  indique.  — 
Ce  fragment  est  an  feuillet  187.  Âncnn  des  éditeurs  précédents  ne 
h  donné. 

a-  Par  le  traité  de  Munster  en  1648. 

3.  Radne  a  écrit  en  marge  :  page  i94-  U  £ant  lire  page  aa3  (du 
Meratre  de  Siri,  tome  XIII).  Le  titre  en  italien  de  la  pièce  citée 
pv  Racine  est  :  Ceuione  delT  Imper€ulare  e  de  gli  Siati  delT  Imperio. 

4.  Dans  Siri  :  Superiore  e  inferiore  Suntgovia.  Le  Sundgau,  qui 
«▼ait  pour  chef-lieu  Béfort,  forme  aujourd'hui  la  partie  sud  du 
<i^partement  dn  Haut-Rhin. 

5.  Metz,  Tonl  et  Verdun. 

6.  Seivi  tutia9ia  e  eeeeUuatl  queîll  cke  neW  istrumenio  di  pace  sono 
'**goUrmefUe  eeeeituaiif  e  ail'  Imp^io  Romano  rUervaii,  (Siai,  à  Ten- 
(iroit  indiqué.) 


94  FRAGMENTS 


IX 

M.    DB  BCHOMBBRG^ 

Son  grand  -  père  *  amena  des  troupes  au  service 
d'Henri  IV,  lorsque  le  prince  Casimir*  en  amena;  et 
M.  de  Schomberg  prétend  qu'il  lui  en  est  encore  dû  de 
l'argent. 

Son  père  *  fut  gouverneur  de  l'électeur  Palatin ,  de- 
puis roi  de  Bohême*;  ce  fut  lui  qui  alla  en  Angleterre 

I.  Ce  fragment  est  ëcrit  sur  le  double  feuillet  179-180,  et  sur  le 
feuillet  t8i,  qui  loi  foit  ëiidemment  mite.  *-  Dans  Tëdition  d^Ai- 
gnan,  il  y  a  ici  une  note  qui  est  donnée  comme  Note  de  Racine  .*  «  Le 
maréchal  de  Schomberg,  pair  de  France,  cheyalier  des  ordres  du  Roi 
et  colonel  général  des  Suisses,  mourut  sans  enfants,  le  6  juin  i656.  » 
Cette  note  se  troure  en  effet  dans  le  manuscrit,  mais  parait  être 
de  l'écriture  de  Jean-Baptiste  Racine  ;  elle  n'est  point  et  ne  pou- 
vait pas  être  de  son  père,  qui  savait  bien  de  qui  il  parlait.  L'éditeur 
de  1807  l'a  remplacée  par  celle-ci,  qui  seule  est  exacte  :  «  Frédéric- 
Armand  de  Schomberg,  tué  au  combat  de  la  Boyne,  en  Irlande,  en 
1690.  M  II  était  d'une  autre  famille  que  les  deux  premiers  maréchaux 
de  Schomberg,  dont  le  second,  Charles  duc  d'Halluyn-Schomberg, 
fut  celui  qui  mourut  en  i656.  "Voyez  ci-dessus,  p.  99,  note  4< 

a.  Menard  de  Schomberg.  Il  était  de  la  même  famille  que  Théo- 
doric  Schomberg,  qui  commanda  les  reitres  à  la  bataille  d'Irry,  y 
combattit  à  côté  de  Henri  IV,  et  7  fut  tué.  Voyez  le  Dlctiomtmre  de 
Moréri,  article  Schomberg. 

3.  Le  comte  palatin  Jean  Casimir,  frère  de  l'électeur  palatin 
Frédéric  III.  En  i568,  il  amena  d'Allemagne  une  armée  au  secours 
du  prince  de  Condé.  Ce  que  dit  ici  Racine  ne  se  rapporte  pas  à 
ce  temps-là,  puisqu'il  parle  d'un  secours  amené  à  Henri  IV.  Il 
s'agit  évidemment  des  troupes  auxiliaires  qui  Tinrent  se  joindre  à 
celles  de  ce  prince  en  1687.  Mais  cette  fois  Jean  Casimir  en  avait 
laissé  la  conduite  à  Fabien,  baron  de  Dohna. 

4.  Jean  Menard,  comte  de  Schomberg.  Il  fut  grand  maréchal  du 
haut  et  bas  Palatinat,  gouyemeur  de  Juliers  et  de  Clèves. 

5.  Frédéric  V,  qui  épousa  en  161 8  Elisabeth,  fille  de  Jacques  I* 
roi  d'Angleterre.  D  fut  élu  en  16 19  roi  de  Bohême.  Voyez  ci-des- 
sus, p.  86,  note  8. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  95 

négocier  le  mariage  avec  la  princesse  Elisabeth.  Le  roi 
d'Angleterre  lui  donna  une  pension  de  dix  mille  écus, 
dont  il  (nt  payé  toute  sa  rie.  Il  eut  beaucoup  de  part 
aux  partis  qui  se  formèrent  en  Bohême  pour  TÉlecteur, 
et  mourut  âgé  de  trente^troi^  ans,  avant  que  ce  prince 
fût  élu  roi. 

M.  de  Schomberg  n'avoit  que  sept  ou  huit  mois  à  la 
mort  de  son  père.  Il  dit  que  TÉlecteur  voulut  être  son 
toteur,  et  nonuna  quatre  commissaires  pour  administrer 
son  bien.  Il  prétend  de  grandes  sommes  de  Monsieur 
Télecteur  Palatin  pour  cette  administration,  dont  on 
ne  lui  a  pas  rendu  compte. 

D  se  trouva,  âgé  de  seize  ans,  à  la  bataille  de  Nortlin*- 
gne  \  où  le  duc  de  Yejrmar  fut  défait.  U  se  trouva  aussi 
ila  fameuse  retraite  de  Mayence  '. 

H.  de  Rantzau  '  lui  donna  une  compagnie  d'infanterie 
dans  son  régiment.  Il  se  trouva  à  la  retraite  de  devant 
Dôle  \  sous  le  même  M.  de  Rantzau. 

D  fat  fait  commandant  dans  Yerdun-sur-Saône',  avec 
nn  bataillon,  et  se  trouva  au  secours  de  Saint- Jean-de- 

I.  LÎTrée  le  6  septembre  16 34-  Le  duc  Bernard  de  Saxe-Wei- 
Bur  Y  fut  battu  par  Farm^e  aiutro-bararoise. 

3.  An  mois  de  septembre  16  35.  Après  aToir  force  Mansfeld  à 
lever  le  siëge  de  Mayence,  les  armées  du  doc  Bernard  et  da  car- 
dinal de  la  Valette ,  que  la  famine  menaçait ,  se  décidèrent  à  re- 
IttMer  le  Rhin.  pQUvairis  par  Galas,  ils  s'ouvrirent  le  passage  par 
plosieiirs  combats  très-brillants.  Cette  retraite  de  treize  jours  à 
tnters  les  montagnes  et  les  défiles  fut  une  des  plus  belles  opéra- 
tions du  duc  de  Saxe-Weimar. 

3.  Josias  comte  de  Rantzau,  maréchal  de  France  en  i645t 
mort  le  4  septembre  i65o. 

4-  Les  Français  avaient  mis  le  siège  devant  D61e  au  commence- 
ment de  juin  i636.  Rantzau  y  perdit  un  oeil  d^une  mousquetade. 
1^  liège  fut  levé  le  i5  août.  La  sagesse  des  dispositions  de  Rantzau 
unn  la  retraite. 

5.  Vekdun>sur-Sa6ne  on  snr-ie-Doubs,  au  confluent  de  la  Saône 
^  du  Doubs.  Les  Impériaux  s'en  emparèrent  en  i636« 


96  FRAGMENTS 

Laune  \  assiégé  par  Galas,  la  même  amiée  du  siège  de 
Dôle. 

Hermenstein  '  ayant  été  pris  par  les  ennemis,  le  car- 
dinal de  Richelieu,  piqué  au  vif  de  cette  perte,  donna 
ordre  à  M.  de  Rantzau  de  lever  en  Allemagne  douze 
mille  hommes.  Rantzau  fit  cette  levée  fort  lentement, 
s^amusa  vers  Hambourg,  et  se  maria  à  sa  cousine,  et  se 
laissa  enlever  un  quartier.  Pour  avoir  sa  revanche,  il 
envoya  Schomberg  avec  des  troupes  pour  enlever  un 
quartier  des  ennemis  qui  étoient  dans  Northausen  '.  Il 
tomba  sur  une  garde  de  dragons  qui  étoient  hors  de  la 
place,  et  entra  dedans  péle-méle  avec  les  fuyards.  Il 
étoit  alors  major  du  régiment  de  cavalerie  de  Rantzau, 
et  avoit,  outre  cela,  une  compagnie  franche  de  dragons. 
Vers  ce  temps-là,  le  cardinal  de  Richelieu,  mécontent 
de  Rantzau,  le  congédia  ^. 

Schomberg  se  maria*;  et  parce  que  l'Empereur  avoit 
fait  confisquer  tous  ses  biens,  il  quitta  le  service  de  la 
France. 

Ennuyé  d'être  sans  rien  fiiire,  il  alla  en  Hollande,  où 

I.  Saint-Jean-de-Loane,  sur  la  rire  droite  de  la  Saône,  dam 
le  Toiainage  de  Dôle.  Rantzau,  cliargé  d'y  conduire  seize  cents 
hommea,  les  introduisit  dans  la  place.  Le  duc  de  Lorraine  et 
Galas  furent  forcés  de  lerer  le  siëge  le  3  noTembre  i636.  Le  cou- 
rage avec  lequel  les  habitants  de  SaintJeanrde-Losne  aTÛent  sou- 
tenu le  siëge  valut  à  cette  ville  le  nom  de  Belle  Défense, 

a.  Le  ai  juin  1687 ,  la  forteresse  d'Hermenstein  (Ehrenbreitsteio), 
vis-à-vis  de  Coblentz,  se  rendit  à  Jean  de  Wertb. 

3.  Ville  impériale,  près  des  montagnes  du  Hartz.  Dans  rëdition 
de  Louis  Racine ,  ce  nom  a  été  imprime  Narthauven,  Il  j  aurait 
plutôt  dans  le  manuscrit  I/orihmiren, 

4.  Rantzau  donna  sa  démission  en  i638,  et  passa,  avec  la  per- 
mission du  Roi,  en  Danemark,  où  il  demeura  deux  ans. 

5.  Avec  sa  cousine  germaine,  Jeanne-Elisabeth  de  Schombei^, 
fille  de  Henri  Dieterich,  comte  de  Schomberg.  Il  devait  plus  tard 
épouser  en  secondes  noces  Suzanne  d'Aumale  de  Haucourt,  qui  fut 
liée  d^amitié  avec  Hmes  de  Sévigné  et  de  Grignon. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  97 

le  prince  Heiiri-Fecleric(^/c)*  lui  donna  une  compagnie 
de  cavalerie.  M.  de  Turenne  avoit  alors  un  régiment 
d'infanterie.  Il  entra  dans  la  confidence  du  prince  Guil- 
laume', malgré  Taversion  de  la  princesse  douairière  ', 
fiUe  du  prince  de  Solms,  que  le  père  de  Schomberg 
refusa  d'épouser,  et  qui  étoit  venue  en  Hollande  avec  la 
reine  de  Bohême,  dont  elle  étoit  fille  d'honneur. 

Le  prince  Guillaume  lui  communiqua  son  dessein  sur 
Amsterdam,  qui  fut  entrepris  de  concert  avec  la  France 
et  la  Suède  ^.  Schomberg  donnoit  avis  de  toutes  choses 
à  Servien  *•  Ce  fut  lui  qui  arrêta  dix  ou  douze  des 
êuu*,  du  nombre  desquels  étoit  le  père  de  d'  Wit  '^^ 
et  il  les  remit  entre  les  mains  du  capitaine  des  gardes 
du  prince. 

Le  prince  de  Galles*,  peu  de  temps  après,  avoit  ré- 
solu de  faire  une  descente  à  Yarmout,  et  Schomberg  le 
devoit  suivre.  Le  prince  d'Orange  avoit  préparé  pour 


I.  Frédéric-Henri  de  Nassau,  prince  d'Orange,  fils  du  quatrième 
lit  de  Guillaume  de  Nassau  et  d^une  fille  de  l'amiral  Gaspard  de 
Golignj.  n  succéda  comme  stathouder  de  Hollande  à  son  frère 
Maarioe  de  Nassau.  D  mourut  le  14  mars  1647. 

3.  Guillaume  II,  fils  de  Frëdëric-Henri  de  Nassau,  auquel  il  suc- 
c^coDune  stathouder.  Voyez  ci-dessus,  p.  71  et  7s. 

3.  Emilie  comtesse  de  Solms  avait  épousé  Frédéric-Henri  de 
Nusaa,  â  la  Haye,  le  iS  ayril  i6i5. 

4-  Les  états  de  Hollande  ayant,  en  i65o,  ordonné  aux  capi- 
taines de  réformer  leurs  compagnies,  Guillaume  H,  que  ce  lîcen- 
oement  îmtait,  résolut  de  se  rendre  maître  d* Amsterdam.  La  ré- 
siitaiice  de  cette  rille  le  força  à  entrer  arec  elle  en  accommodement. 

5.  Àbel  Serrien ,  marquis  de  Sablé ,  envoyé  comme  plénipo- 
tentiaire du  roi  de  France  à  Munster,  dont  il  signa  la  paix 
en  1648. 

6.  Basnage,  dans  ses  dtmaUs  des  ProtfmeeS'Vnies  (  a  volumes  in-fo- 
liOfàla  Haye,  M.DCC.XXVI),  tome  I,  p.  17a,  ne  parle  que  de  six 
<^»utés  arrêtés  par  ordre  du  prince  d'Orange. 

7.  Voyex  ci-dessus,  p.  7a.  —  Il  y  a  bien  ici  de  d*  Wit. 

8.  Depuis  Charles  II. 

J.  Racivb.  t  7 


98  FRAGMENTS 

cela  des  troupes  et  des  vaisseaux.  Mais  le  prince  de 
Galles  n'osa  exécuter  ce  dessein,  de  peur  d'iirîter 
le  Parlement,  qui  tenoit  le  Roi  prisonnier  dans  Tile 
d'  Wigt*.  Le  prince  d'Orange,  épuisé,  et  par  la  dépense 
qu'il  avoit  faite  pour  cette  entreprise,  et  par  l'argent 
qu'il  envoyoit  souvent  à  la  Reine  mère,  réfugiée  à  Pa- 
ris, déclara  au  Prince  qu'il  ne  pouvoit  plus  se  mêler  de 
ses  affaires. 

Le  prince  Guillaume  mourut  peu  de  temps  après  '. 
Schomberg  avoit  promis  de  mener  des  troupes  en 
Ecosse  au  service  du  roi  d'Angleterre  ;  mais  ce  prince, 
ayant  perdu  la  bataille  de  Vorcester  *,  vint  à  Paris,  ou  il 
conseilla  à  Scbomberg,  qu'on  regardoit  comme  Anglois, 
et  dont  la  mère  ^  étoit  Angloise  en  effet ,  d^cheter  là 
compagnie  des  gardes  écossoises  du  comte  de  Grey. 
Schomberg  en  donna  vingt  mille  francs,  avec  six  cents 
écus  de  pension  viagère  à  ce  comte. 

Au  commencement  des  guerres  civiles,  le  cardinal 
Mazarin  l'envoya  en  Poitou  avec  trois  régiments  de  ca- 
valerie et  quelques  compagnies  franches ,  pour  dissiper 
les  levées  que  le  prince  de  Tarante  *  assembloit  dans 
cette  province  ;  de  là  il  vint  au  siège  de  Rhetel  *,  où 
M.  de  Turenne  lui  donna  le  commandement  de  Tinfan* 
terie,  en  l'absence  des  officiers  généraux,  qui  n'étoient 
pas  encore  arrivés. 


I.  Voyez  p.  7a,  note  7. 

3.  Le  6  novembre  i65o,  comme  il  a  déjà  été  dit  à  la  note  3 
de  la  page  73. 

3.  Le  3  septembre  t65i. 

4.  Anne,  fille  d'Edouard  Dudley^  pair  et  second  baron  d'An- 
gleterre. 

5.  Henri-Charles  dnc  de  la  Trëmoille,  prince  de  Tarente. 

6.  Rhetel,  on  mieux  i?efA«/,  fut  attaqué  et  emporte  de  vive  force 
par  Turenne  en  quatre  jours,  du  5  au  9  juillet  i653. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  99 

Lorsque  Monsieur  le  Prince  eut  passé  la  Somme  ^  et 
vint  jusqu'à  Montdidler,  Schomberg  eut  ordre  d'aller  se 
jeter  dans  Corbie  avec  quatre  cents  chevaux,  cbacun  un 
(antassîn  en  croupe  :  ce  qu'il  fit,  et  passa  pour  cela 
derrière  l'armée  ennemie.  II  eut  quelque  rnacimtre  au* 
pès  d'Ancre  '. 

An  secours  d'Arras  ',  il  commandoit  la  gendarmerie. 
Ensuite  le  Cardinal  le  choisit  pour  aller  surprendre  Guel- 
dres*,  que  Plettemb^g*  promettoit  de  Ûvr^  au  Roi. 
Schomberg  avoît  ordre  d'aller  faire  des  levées  en  West- 
phaKe,  et  de  se  venir  jeter  dans  cette  place.  Mais  Plet- 
tembei^,  mal  satisfait  du  Cardinal,  qui  ne  lui  donnoit 
ps8  anez  d'argent,  voulut  livrer  Schomberg  aux  Espa** 
gnols.  Schomberg  échappa ,  alla  faire  ses  levées,  et  les 
•mena  à  Thionville. 

L'Archiduc*  s'étant  plaint  aux  Hollandois  de  ce 
qu'une  partie  de  ces  levées  8*étoit  faite  dans  leur 
pays,  les  états  cassèrent  la  compagnie  de  cavalerie 
que  Schomberg  avoit  à  leur  service ,  et  qu'il  avoit  tou- 
jours conservée  jusqu'alors,  comme  Estrade  ^  a  toujours 

I.  An  mois  d'août  i653. 

1.  Petite  Wlle  de  Picardie,  k  4  lieues  et  demie  de  Përoiuie,  tra- 
▼en^  par  on  bras  de  la  riTière  d^Ancre.  Elle  porte  anjourd'hui  le 
aoa  d^Albett,  qui  loi  fîit  donné  après  la  chute  de  Goncini. 

3.  Les  Espagnols  avaient  ouvert  la  tranchée  devant  Àrras  do  19 
an  i5  juillet  i654'  Turenne  fit  échouer  Tattaque  qu'ils  tentèrent  le 
sS  août.  Le  siège  fut  levé. 

4.  Depuis  que  les  Provinces  Unies  avaient  secoué  le  joug  de 
TEspigne,  la  ville  de  Gueidres  était  restée  en  la  possession  des 
Kspagnob. 

5-  Ce  Plettenberg  paroit  avoir  été  à  ce  moment  gouverneur  de 
Gwldwi. 

6.  Léopold-Guillaume,  qui,  de  1647  à  16S6,  fut  gouverneur  des 
Payi^Bis  espagnols.  U  était  frère  de  l'empereur  Ferdinand  III.  Il 
^Boimit  le  ai  novembre  1661. 

7.  Godefroi  comte  d'Estrades,  maréchal  de  France  en  1676,  mort 
le  16  fémer  1686 


loo  FRAGMENTS 

conservé  sa  compagnie  d'infanterie  jasqu*à  la  dernière 
guerre. 

Le  Cardinal  lui  avoit  donné  une  commission  de  lieu- 
tenant général  ^  pour  cette  expédition  de  Gueldres.  Il 
servit  en  cette  <{aalité  au  siège  de  Landrecies',  puis  aa 
siège  de  Saint-Guilain  ',  où  le  Roi  se  trouva  au  camp. 
Schomberg  fut  blessé  à  ce  siège,  et  eut  le  gouverne- 
ment de  la  place. 

D  servit  encore  au  siège  de  Valenciennes  *  en  qualité 
de  lieutenant  général.  Son  fils  aîné  fut  tué  tout  roide 
dans  la  tranchée ,  à  sa  vue ,  et  comme  il  lui  comman- 
doit  de  poser  une  fascine  à  un  endroit  découvert.  U 
commanda  qu'on  remportât,  et  continua  à  donner  ses 
ordres. 

n  '  étoit  de  jour  lorsque  Monsieur  le  Prince  attaqua 
les  lignes;  il  pensa  être  prisonnier,  et  fit  enfin  sa  retraite 
jusqu'au  Quesnoy,  avec  un  bon  nombre  de  régiments, 
M.  de  Turenne  n'ayant  donné  aucun  ordre  pour  la 
retraite. 

Monsieur  le  Prince  vint  se  présenter  à  la  vue  du  Ques- 
noy .  M.  de  Turenne  ne  doutant  point  qu'il  ne  s'allât  jeter 
sur  Condé  ou  sur  Saint-Guilain ,  mais  plutôt  sur  Condé, 
Schomberg  fut  détaché  avec  six  cents  chevaux,  pour 
porter  des  sacs  de  farine  dans  ces  deux  places  ;  ce  qu'il 
exécuta  à  la  vue  de  l'armée  ennemie.  Il  revint  dans  Saint- 


I.  Le  6  juin  i655. 

a.  Investi  par  Turenne  le  i8  juin  i655,  Landrecies  se  rendit  le 
i3  juillet.  Schomberg  commandait  la  tranchée  dans  la  nuit  du  la 
au  i3  juillet. 

3.  La  tranchée  avait  été  ouverte  devant  Saint-Guislain  le  a  a  août 
i655.  La  ville  capitula  le  a5  août. 

4.  Turenne  investit  Valenciennes  le  i5  juin  i656.  Condé  fit 
lever  le  siège  le  16  juillet,  ayant  fait  essuyer  une  sanglante  défaite 
au  corps  d^armée  du  maréchal  de  la  Ferté. 

5.  Ici  commence  le  feuillet  181. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  loi 

Gnilain.  Après  la  prise  de  Condé  %  Monsieur  le  Prince 
ne  manqua  pas  d^assiéger  SainuGuilain  '  ;  la  place  étoit 
dépourvue  de  tout,  par  la  faute  du  cardinal  Bfazarin,  qui 
se  fioit  a  de  mauvais  avis  que  lui  donnoit  Navarre,  secré- 
taire à  Bruxelles  pour  les  affaires  de  la  guerre,  gagné 
par  le  Cardinal.  &itre  le  peu  de  troupes  qu'il  y  avoit  à 
Saint-Guilain,  il  y  avoit  un  régiment  irlandois  qui  s'en« 
tendoit  avec  le  roi  d'Angleterre  ',  alors  dans  Tarmée 
d'Espagne,  et  qui  livra  aux  ennemis  une  redoute  et  une 
demi-lune^. 

L  année  suivante,  on  assiégea  Montmédy ',  contre  Fin- 
tendon  des  Anglois,  qui  vouloient  qu'on  fît  des  sièges 
sur  la  c6te.  De  là  on  prit  Saint-Venant  *,  puis  Mardik  ''• 
L'hiver,  Schomberg  eut  ordre  de  se  tenir  dans  Bour- 
bourg  *•  Il  boucha  deux  fois  le  canal  *  par  où  Mar- 
sin  entreprit  [de  faire  passer^  des  vivres  dans  Gra- 
velines. 

A  la  bataille  des  Dunes  ^^,  il  commandoit  la  seconde 
ligne  de  l'aile  gauche.  Comme  il  vit  que  les  Anglois 
de  la  première  ligne  étoient  maltraités  sur  les  dunes 

I.  La  Tille  de  Condë  s'était  rendue  le  i5  août  i656  au  prince 
de  Condë. 

1.  Schomberg,  taùégé  dans  Saint-Guislain  par  douze  miUe  Espa- 
gnols, qui  perdirent  deux  mille  hommes  à  ce  siège,  remit  la  place 
à  don  Juan  d'Autriche  et  an  prince  de  Condé  le  a  a  mai  1657, 
«près  Taroir  défendue  avec  opiniâtreté  pendant  huit  jours. 

3.  Charles  II,  ou  peut-être  Jacques  U,  alors  duc  d'York.  ^ 

4>  Racine  écrit  u/ie  Jemie  lune. 

5.  Montmédi,  dans  le  Luxembourg,  fut  assiégé,  non  l'année 
lairante,  mais  cette  même  année  1667,  et  se  rendit  au  Roi  en 
personne  le  6  août. 

6.  Le  29  août  1657. 

7.  Le  3  octobre  1657. 

8.  Petite  ville  à  cinq  lieues  de  Dunkerque.  Schomberg  s'en  était 
emparé  le  18  septembre  1657,  et  en  avait  reçu  le  gouvernement. 

9.  Le  canal  de  Bourbourg,  sur  lequel  cette  ville  est  située. 

10.  Livrée  le  14  juin  i658,  et  gagnée  par  Turenne. 


loa  FRAGMENTS 

par  les  Espagnols,  il  vînt  prendre  le  second  bataillon  des 
Anglois  dans  la  seconde  ligne,  et  les  mena  au  secours 
des  autres,  qui  chassèrent  et  défirent  les  Espagnols. 

Ensuite  on  assiégea  Bergues^,  dont  il  eut  le  gou- 
vernement; de  le  il  fut  encore  commandé  pour  le  siège 
d^Oudenarde,  ensuite  pour  le  siège  de  Gravelines  *.  H 
employoit  volontiers  Vauban  dans  tous  ces  sièges, 
parce  que  le  chevalier  de  Glerville  *  n'alloit  point  lui- 
même  voir  les  travaux,  et  que  Vauban  se  trouvoit 
partout. 

Après  la  défaite  du  prince  de  Ligne  ^,  Schomberg  eut 
ordre  de  marcher  vers  la  Knoque  *,  et  d'investir  Ypres  *. 
On  lui  avoit  promis  que  toutes  les  places  qu*on  pren- 
droit  de  ce  côté-là  seroient  de  son  gouvernement  de  Ber- 
gues.  Cependant  M.  de  Turenne  fit  donner  Ypres  à 
M.  de  Humières,  qui  étoit  fort  dans  ses  bonnes  grâces. 
Schomberg  sut  encore  que  M.  de  Turenne  avoit  écrit  à 
la  cour  pour  faire  que  M.  de  Lillebonne  ''  commandât 
en  qualité  de  capitaine  général  :  ainsi  il  n*auroit  été  que 
subalterne.  Voilà  les  premiers  sujets  de  mécontentement 
qu'il  eut  de  M.  de  Turenne. 

I .  Bergues  Saînt-Wînox,  prise  le  3  juillet  i6S8. 

a.  Grayelines  capitula  le  37  août  i658,  après  rîngt-deux  jours 
de  tranchée  ;  Oudenarde  se  rendit  dans  les  premiers  jours  de  sep- 
tembre, et  n'arait  résisté  que  deux  jours.  Il  aurait  donc  fallu  placer 
le  siège  de  Grayelines  ayant  celui  d^Oudenarde. 

3.  Louis-Nicolas  de  Glerville,  commissaire  général  des  fortifica- 
tions, mort  en  décembre  1677. 

4.  Le  prince  de  Ligne  et  don  Francisco  de  Melo,  ajant  marché 
au  secours  de  Menin  (septembre  i658),  furent  défaits  par  les  trou- 
pes de  Turenne. 

5.  Forteresse  de  Flandre,  bâtie  sur  PYser,  entre  Ypres  et  Dix- 
mude,  à  une  lieue  de  cette  dernière  ville. 

6.  Le  i5  septembre  i658.  Ypres  capitula  le  i5  septembre. 

7.  François-Marie  de  Lorraine,  coipte  de  Lillebonne,  mort  le 
II  janvier  1694. 


ET  NOTES   HISTORIQUES.  io3 

Duiant  qu*oii  traitoît  la  paix  aux  PyréDées,  quelques 
Anglois  de  Dunquerque  s'affrirent  de  lui  dpnner  les  defs 
d'une  des  portes  de  la  ville,  comme  eu  effet  ils  les  lui 
mirent  entre  les  mains.  Il  en  écrivit  au  Cardinal,  qui 
rejeta  cette  affaire,  de  peur  de  se  brouiller  avec  les 
Angbis,  quoique  CFomvel  fût  mort  ^  Schomberg  pro- 
posa la  chose  an  roi  d* Angleterre ,  qui  n'y  voulut  point 
entendre,  parce  qu'il  étoit  alors  d'accord  avec  Monk. 


Eir'  i663,  le  commandeur  Pol  *  alla  faire  mettre  le 

I.  CromweU  moamt  le  3  leptembre  i658. 

a.  Ce  fragment  o'a  pas  été  dqnnë  par  Louis  Racine  ni  par  les 
^tems  soÎTants.  U  se  trouve  au  feuillet  197.  Sur  le  même  feuillet 
Racine  a  écrit,  à  la  suite,  quelques  phrases  et  expressions  latines 
tirées  des  livres  XXIV  et  XXV  de  Tite  Lire.  Comme  elles  n*ont 
ineon  rapport  arec  la  note  historique  qui  les  prëeède,  nous  les 
pUcercms  parmi  les  notes  de  Racine  sur  les  classiques  anciens. 

3.  Paul  de  Saumnr,  connu  sons  le  nom  du  ekepoiUr  PmiU  ou  Pol, 
Le  grand  maître  de  Malte  Pavait  fait  chevalier  servant  d*armes. 
Le  cardinal  de  Richelieu  le  nomma  capitaine  d*un  vaisseau  de 
pierre.  Plus  tard,  Pol  s^ëleva  à  la  dignité  de  lieutenant  du  grand 
unirai  de  France.  Voyez  V Histoire  du  ....  ekevaUers  de  Malte  de 
Vertot  (4  volumes  in-40,  MDGGXXVI),  tome  IV,  p.  i85.  Quincy, 
dans  son  Histoire  militaire  du  règne  de  Luuis  le  Grtmd  (8  vol.  in-4®, 
MDCCXXVl),  tome  I,  p.  a6a,  parle  de  Fexp^tion  de  i663  : 
«  Le  Roi  avoit  pris  des  mesures  pour  réduire  les  Algériens....  D 
>Toit  fait  armer  dans  les  ports  de  la  Méditerranée  une  flotte,  dont 
le  duc  de  Beaufbrt,  amiral,  eut  le  conmiandement,  ayant  pour 
lieutenant  général  le  commandeur  Paul;  il  les  combattit,  maltraita 
^elqaes>uns  de  leurs  vaisseaux  ;  et  leur  ayant  donné  la  chasse,  il  les 
contraignit  de  rentrer  dans  leurs  ports.  »  La  Gazette  du  i5  septem- 
bre i663  dit  que  le  duc  de  Reaufort,  parti  le  9  août  i663  du  golfe  de 
Pafana,  s'était  abouché  à  Rougie  avec  le  commandeur  Pol.  L'expédi- 
tion fat  de  courte  durée.  La  Gazette  parle  de  deux  vaisseaux  que  Pol 


104  FRAGMENTS 

feu  à  deux  vaisseaux  amarrés  à  la  forteresse  de  la 
Goulette  \  et  la  chose  fut  exécutée  par  vingt  mous- 
quetaires du  Roi ,  Moissat'  entre  autres.  Béthomas  *  les 
commandoit. 

Le  même  attaqua^  lui  quatrième  dans  une  chaloupe, 
une  chaloupe  pleine  de  Mores,  au  nombre  de  trente. 


XI 


En  *  1667,  on  effaça  toutes  les  couleuvres*  ou  ser- 
pents des  ornements  qui  étoient  au  Louvre. 

En  167a,  le  Roi  vouloit  que  MM.  de  Malte  se  décla- 
rassent aussi  contre  les  Hollandois.  Us  dirent  qu'ils  ne 
se  déclaroient  jamais  que  contre  le  Turc.  Néanmoins 


poursuiTit  si  Tirement  qu^il  les  contraignit  de  s'échouer  ;  mais  elle 
ne  donne  pas  les  détails  que  Racine  a  recueillis.  Le  commandeur 
Pol  mourut  le  18  octobre  1667. 

I .  Cette  forteresse  défend  rapproche  de  Tunis. 

s.  Le  même  sans  doute  que  Moiuae  nommé  par  Quincy  (tome  I, 
p.  537)  parmi  ceux  qui  furent  tués  à  la  bataille  de  Cassel  en  1677. 
Il  était  alors  cornette  des  mousquetaires. 

3.  Nous  ne  savons  s^il  s^agit  d^un  Béthomas  qui  fut  tué  à  la 
Marsaille,  en  1693,  étant  lieutenant  d'une  compagnie  de  gendar- 
mes, ou  du  commandeur  de  Béthomas,  qui  fut  chef  d'escadre  des 
galères,  et  mourut  en  170a. 

4.  Ce  fragment  est  écrit  sur  le  feuillet  186.  Louis  Racine  et 
l'éditeur  de  1807  n'en  ont  donné  que  le  second  paragraphe. 

5.  Nous  pensons  que  ces  couleuvres  avaient  été  sculptées  en 
l'honneur  de  Colbert,  dont  elles  étaient  les  armes  pariantes,  et 
qui,  nommé  surintendant  des  bâtiments  en  x664t  s'était  beaucoup 
occupé  de  l'achèvement  du  Louvre.  En  1667  son  crédit  n^avait 
encore  nullement  diminué  ;  ce  fut  lui-même  peut-être  qui  craignit 
d'exciter  l'envie  et  de  déplaire  au  Roi,  dont  la  gloire  seule  devait 
être  rappelée  par  les  ornements  de  l'édifice. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  io5 

l^ambassadenr   demandoit  qu'on  les  comprtt  dans  le 
traité  qu^on  pensa  faire  à  Utrecht. 

On  prétend  qae  M.  de  Lauzun  avoit  eu  une  extrême 
passion  d'avoir  le  régiment  des  gardes,  mais  qu'à  cause 
du  maréchal  de  Gramond  *  il  eût  bien  voulu  que  le  Roi 
Fen  eût  pressé.  On  dit  donc  qu'il  en  parla  à  Mme  de 
Hontespan ,  et  qu'ensuite  il  se  cacha  pour  voir  conmie 
elle  en  parlerait  au  Roi  ;  qu'ayant  vu  qu'elle  s'étoit  mo- 
quée de  lui,  il  lui  chanta  pouille  et  la  menaça. 


XII 

Li'  puits  de  Besançon ,  j'entends  de  la  citadelle,  a 
soixante-six  toises  deux  pieds  de  profondeur. 

On  a  creusé  de  douze  pieds  tout  le  terrain  de  la 
citadelle,  pour  se  couvrir  des  deux  montagnes  qui  la 
commandoient. 


I.  Le  maréchal  de  Gramont  était  cousin  germain  du  père  de 
Lauznn,  qui  devait  le  ménager.  Le  régiment  des  gardes  apparte- 
nait an  maréchal,  qui  en  arait  obtenu  la  survivance  pour  son  fils  le 
comte  de  Guiche,  à  qui  elle  fut  retirée  par  le  Roi,  dont  il  avait 
enoouni  la  disgrâce.  Suivant  Saint-Simon,  qui  raconte  avec  des 
détails  très-piquants  l'anecdote  notée  ici  par  Racine  (voyez  ses 
MimoireSy  tome  XX,  p.  4o~44)9  ce  ne  serait  pas  le  régiment  des 
gardes,  mais  la  charge  de  grand  maitre  de  Partillerie  qu'à  ce  mo- 
ment Lauzod  aurait  sollicitée.  L'anecdote  est  de  l'année  1669. 

3.  Ces  lignes,  écrites  sur  le  feuillet  aoa,  n'ont  pas  été  données  par 
tes  éditeurs  précédents.  Elles  sont  précédées,  dans  le  manuscrit, 
d'an  astérisque,  par  lequel  Racine  renvoyait  sans  doute  à  quelque 
fragment  historique  où  était  raconté  le  siège  de  Besançon  au  mois 
de  mai  1674.  Sur  ce  siège,  voyez  ci-après  le  Précis  historique. 


io6  FRAGMENTS 


XIII 


BrUK 

NangU, 

Provins, 

Sejane.  On  y  séjourna  deux  jours. 

Fère  Champenoise. 

Fitry  * .  A£ffction  des  habitants  ;  feux  de  joie ,  lan- 
ternes à  toutes  les  fenêtres.  Ils  arrachèrent  de  Téglise 
où  le  Roi  devoit  entendre  la  messe  la  tombe  d*un  de 
leurs  gouverneurs,  qui  avoit  été  dans  le  parti  de  la 


I.  Ce  fragment  est  aux  feuillets  i8i  et  i83.  Le  titre  :  Voyagt  du 
Mai,  donne  par  quelques  éditeurs,  n^est  pas  dans  le  manuscrit,  non 
plus  que  celui  qu^on  trouTe  dans  Tëdition  de  1807  :  Noies  prues 
pendant  la  route.  En  tête  du  fragment  on  lit  cette  note  :  «  Vraisem- 
blablement en  1678.  Le  Roi  partit  de  Saint-Germain-en-Laye  dès  le 
7  de  fénier.  »  Elle  nous  parait  de  la  main  de  Jean-Baptiste  Racine. 
La  forme  dubitatire  :  vràuemhlahUment^  est  assez  étrange;  car  il  est 
parfaitement  clair  quUl  ne  peut  être  question  que  de  Pannëe  1678,  où 
Racine,  comme  bistoriographe,  suivit  pour  la  première  fois  le  Roi  à 
Tarmée.  On  peut  Toir  dans  la  Gazette  du  19  féTrier,  du  a3  fëvrier 
et  du  5  mars  1678,  le  journal  du  Toyage  du  Roi,  depuis  Brie4>>mte- 
Robert  jusqu'à  Stenai  (7-17  férrier)  ;  l'itinéraire  j  est  semblable  à 
celui  que  donne  Racine.  Les  détails  sur  le  siège  de  Gand  (yojez  dans 
la  même  Gazette  de  1678,  p.  9o5-9i6,  le  Journal  de  ce  siège)  auraient 
en  tout  cas  déterminé  Tannée  d*une  manière  indubitable.  —  Ce  qui 
est  plus  étrange  encore  que  Tbésitation  de  Jean-Baptiste  Racine, 
c'est  que  la  note  dont  nous  le  croyons  Fauteur  est  attribuée  à  Ra- 
cine lui-même  dans  l'édition  de  M.  Aignan.  M.  Aimé-Martin  la 
donne  également  pour  être  de  Racine  ;  mais  il  faut  dire  qu^il  Fa 
corrigée  par  le  retrancbement  du  mot  vraisemblablement^  dans  celle 
du  moins  de  ses  éditions  que  nous  avons  sous  les  yeux  (la  5*). 

1.  Louis  Racine  ne  donne  pas  les  cinq  premières  lignes;  il  ne 
commence  qu'à  ^itry,  M.  Aimé-Martin  a  de  plus  la  ligne  4  :  Se- 
tanne,  etc.  Il  omet,  dans  la  suite,  de  même  que  Louis  Racine,  Bar* 
le-Duc,  Pont-à^âfousson,  Fresne,  Oudenarde^  et  plusieurs  phrases  des 
alinéas  qui  suivent  celui  de  Guise  (p.  107  et  108). 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  107 

ligue,  de  peur  que  le  Roi  ne  vît  dans  leur  église  le  nom 
et  Fépitaphe  d'un  rebelle. 

Sermaise^  vilain  lieu,  où  le  Roi  avoit  une  chambre  oA 
son  ftuteuil  ne  pouvoit  presque  tenir. 

Commercx*  Le  bruit  de  la  cour,  ce  jourJà,  étoit  qu'ood 
retonmoit  à  Paris. 

Toul.  On  séjourna  un  jour.  Le  Roi  fit  le  tour  de  la 
ville,  visita  les  fortifications,  et  ordonna  deux  bastions 
da  côté  de  la  rivière. 

Pont^à^Mousson. 

Metz.  On  séjourna  deux  jours.  Le  maréchal  de  Gré* 
qai  s'y  rendit,  et  eut  ordre  d'en  partir  le  lendemain. 
Quantité  d'ofliciers  eurent  ordre  de  marcher  vers  Thion- 
ville.  Le  Roi  visita'enoore  les  fortifications,  qu'il  fait  ré- 
parer. Grand  zèle  des  habitants  de  Metz  pour  le  Roi. 

Fresne. 

Ferdun,  Le  Roi  y  trouva  Monsieur,  qui  avoit  une 
grosse  fièvre.  U  alla  visiter  la  citadelle,  où  l'on  travaille, 
du  côté  de  la  prairie. 

Stenay.  Le  Roi  y  arriva  devant  la  Reine,  et  alla  voir  les 
fortifications  de  la  citadelle,  qui  est  assez  bonne,  mais 
on  peu  commandée  par  la  hauteur.  Le  bas  de  la  ville, 
c'est-à-dire  le  côté  de  la  Meuse,  est  inondé.  Le  Roi 
quitta  la  Reine  et  partit  le  matin  à  cheval.  H  ne  trouva 
point  son  dtné  en  chemin;  il  mangea  sous  une  halle,  et 
bat  le  plus  mauvais  vin  du  monde. 

Aubignjr^  méchant  village.  Le  Roi  coucha  dans  une 
ferme;  il  vouloit  aller  le  lendemain  à  Landrecies,  mais 
toat  le  monde  s'écria  qu'il  y  avoit  trop  loin.  Il  envoya  les 
maTéchaux  des  logis  à  Guise.  D  dtna  le  lendemain  à 
une  abbaye,  et  fit  jaser  un  moine  pour  se  divertir. 

Guise.  Grand  nombre  de  charités  que  le  Roi  fai- 
soit  en  chemin.  A  une  lieue  de  Guise,  une  vieille  de- 


fo8  FRAGMENTS 

mancla  où  étoit  le  Roi;  on  lui  montra ,  elle  dit  :  «  Je 
vous  ai  déjà  vu  une  fois^,  dit-elle,  et  vous  êtes  bien 
changé.  » 

Le  Roiy  approchant  de  Valenciennes,  reçut  nouvelle 
que  Gand  étoit  investi,  et  qu*il  n'y  avoit  dans  la  ville  et 
dans  le  château  que  cent  cinquante  hommes  d'infanterie 
et  cinq  cents  chevaux.  Grand  zèle  des  paysans  de  cette 
frontière.  Férocité  des  paysans  à  Cateau-Cambrésis. 

Le  sot  de  la  ville  vint  à  une  heue  de  Yalenciennes 
au-devant  du  Roi  '.  Le  Roi  nous  montra ,  au  sortir  des 
portes,  le  côté  de  Tattaque  et  les  dehors  qui  furent 
emportés.  A  une  lieue  de  Yalenciennes,  ilm'avoit  montré 
sept  villes  tout  d'une  vue,  qui  sont  maintenant  à  lui  ;  il 
dit  :  «  Vous  verrez  Toumay,  qui  vaut  bien  que  je  ha- 
sarde quelque  chose  pour  le  conserver,  i* 

I.  Ce  passage,  depuis  :  «  une  Tieille  demanda  »,  jusqu^à  «  bien 
changé  »,  a  été  ajoute  entr«  les  lignes;  et  la  fin,  depuis  :  «  dit- 
elle  »,  est  écrite  un  peu  plus  bas  que  le  commencement,  auquel 
elle  se  rattache  par  un  signe  de  renvoi.  C^la  explique  ce  dit -elle 
superflu  après  elle  dit,  et  qui  a  échappé  à  Racine. 

a.  Nous  n'avons  pu  trouver  ailleurs  qu'ici  la  mention  de  cette 
petite  circonstance.  Pour  savoir  au  juste  ce  qu'était  le  sot  de  Ya- 
lenciennes, nous  avons  eu  recours  a  IVrudition  de  M.  Caffiaux, 
archiviste  de  cette  ville.  D  a  eu  l'obligeance  de  nous  apprendre 
que  dans  les  comptes  de  la  ville  il  était  souvent  parlé  des  fotu 
ou  bouffons  attachés  aux  compagnies  bourgeoises  des  archers, 
des  arbalétriers ,  des  canonniers  et  des  gladiateurs ,  autrement  dit 
aux  quatre  Serments;  ces  fous  les  accompagnaient  partout  et  étaient 
de  toutes  les  fêtes.  D  semble  qu'il  j  avait  plus  particulièrement 
un  fou  fie  la  ville.  Dans  un  compte  de  1611  il  est  dit  :  «  Au  fol 
de  la  ville  pour  et  en  advancement  d'une  robe  à  faire  le  fol,  nr*  x*.  » 
S'il  n'y  avait  dans  les  comptes  une  lacune,  de  l'année  161 1  à  Tan- 
née 1686,  il  eût  pu  se  faire  qu'on  y  eût  trouvé  quelque  indem- 
nité accordée  en  1678  au  fou  de  Yalenciennes  pour  les  beaux  habits 
qu'il  avait  dû  revêtir,  lorsqu'il  alla  au-devant  du  Roi,  peut-être 
avec  les  Serments  de  la  ville.  Dans  aucun  des  documents  qu'a  vus 
M.  Caffiaux,  le  fou  de  la  ville  n'est  appelé  le  sot.  Mais  il  ne  semble  pas 
douteux  que  le  fou  et  le  sot  n'aient  été  un  seul  et  même  personnage. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  109 

Saint'j/mant,  Le  Roi,  eh  arrivant,  se  trouva  si  las, 
qn^ilnepouvoit  se  résoudre  à  monter  jusqu'à  la  chambre. 
Oudenarde» 

Garnie  4*  nMirs.  Le  Roi,  en  arrivant,  à  onze  heures 
da  matin,  trouva  Gand  investi  par  le  maréchal  d'Hu- 
mières*.  Il  dîna,  et  alla  donner  les  quartiers,  et  faire  le 
tour  de  la  place.  Le  quartier  du  Roi  étoit  depuis  le  petit 
Escaut  jusqu'au  grand  Escaut;  M.  de  Luxembourg,  de- 
puis le  grand  Escaut  jusqu*au  canal  du  Sas-de-6and  :  la 
Dunne ,  petite  rivière,  passoit  au  travers  de  son  quar- 
tier; M.  de  Schomberg,  entre  le  canal  du  Sas-de-6and 
elle  canal  de  Bruges;  M.  de  Lorges,  entre  le  canal  de 
Bruges  et  le  petit  Escaut  :  la  Lys  passoit  au  travers  de 
son  quartier.  M.  le  maréchal  d'Humières  étoit  dans  le 
quartier  du  Roi.  Les  lignes  de  circonvallation  étoient 
commencées,  et  le  Roi  commanda  qu'on  les  achevât  : 
elles  étoient  de  sept  lieues  de  tour.  On  travailla  dès  le 
soir  à  préparer  la  tranchée.  Bf .  de  Maran  avec  les  fu- 
seliers  fit  faire  un  boyau,  dont  on  s'est  servi  depuis,  et 
qui  a  été  l'attaque  de  la  droite,  qu'on  a  appelée  V attaque 
de  Navarre.  Le  lendemain,  5*  mars,  la  tranchée  fut  ou- 
verte sur  la  gauche  par  le  régiment  des  gardes ,  et  fut 
conduite  jusqu'auprès  d'un  fort. 

Le  Roi  a  dit,  après  la  prise  de  Gand,  qu'il  y  avoit  plus 
de  trois  mois  que  le  roi  d'Angleterre  avoit  mandé  à 
ViUa-Hermosa'  qu'il  avoit  surtout  à  craindre  pour  Gand. 

Misérable  état  des  troupes  espagnoles  :  ils  se  sont 
rendus'  faute  de  pain.  Le  gouverneur,  vieil  et  barbu, 
ne  dit  au  Roi  que  ces  paroles  :  «  Je  viens  rendre  Gand  à 
Votre  Majesté  ;  c'est  tout  ce  que  j'ai  à  lui  dire.  » 

I.  Racine  écrit  ailleurs  :  <«  de  Humières  »  (voyez  p.  76 ,  note  4)- 
a.  Le  duc  de  Villa-Hermota,  gouverneur  des  Pays-Bas  catholiques. 
3.  Il  j  a  rtndu^  sans  i,  dans  le  manuscrit. 


no  FRAGMENTS 


XIY 


MORT   DE  M.    GOLBBAT^. 


On  prétend  qu'il  ett  mort  Bial  content*;  que  le  Roi  lui 
ayant  écrit  peu  de  jours  avant  sa  mort,  pour  lia  ocNnr 
mander  de  manger  et  de  prendre  soin  de  lui,  il  ne  dit 
pas  un  mot  après  qu'on  hd  eut  lu  cette  lettre.  On  lui  ap- 
porta un  bouillon  là-dessus,  et  il  le  refusa.  Mme  Ck>I- 
bert  lui  dit  :  «  Ne  voulez  [-vous]  pas  répondre  au  Roi?  » 
B  lui  dit  :  «  Il  est  bien  temps  de  cela.  G*est  au  Roi  des 
rois  qu*il  faut  que  je  songe  à  répondre.  »  Gomme  elle 
lui  disoit  une  autre  fois  quelque  <^ose  de  cette  natw^, 
il  lui  dit  :  «  Madame,  quand  j*étois  dans  ce  ealmiet 
à  travailler  pour  les  affaires  du  Roi,  ni  vous  m  les  attires 
n'osiez  y  entrer;  et  maintenant  qu'il  faut  que  je  tra- 
vaille aux  affaires  de  mon  salut,  voua  ne  me  laissez  point 
en  repos.  » 

M.  Mansard  prétend  qu'il  y  a  trois  ans  qu'il'  étoît  à 
charge  au  Roi  pour  les  bâtiments,  jusque-là  que  le  Roi  lui 
dit  une  fois  :  «  Mansard,  on  me  donne  trop  de  dégoûts, 
je  ne  veux  plus  songer  à  bfttir.  » 

Le  vicaire  de  Saint-Eustache  dit  à  M.  Golbert  qu'il 
avertiroit  les  paroissiens  au  prône  de  prier  Dieu  pcmr  sa 
santé.  «  Non,  pas  cela,  dit  M.  Golbert,  mais  bien  qu'ils 
prient  Dieu  de  me  fiùre  miséricorde.  » 


I.  Ce  fragment  est  au  feuillet  177.  n  porte  au  commencement, 
à  la  marge,  la  date  de  la  mort  de  Colbert  :  c  i683,  6  teptembre.  > 
Cette  date  n*est  pas  de  la  main  de  Racine,  mais  de  celle  de  son  fils 
Jean -Baptiste. 

9.  Louis  Racine  et  Pëditeur  de  1807  ont  supprime  ce  premier 
membre  de  phrase. 

3.  Colbert. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  m 

Où  dit  que  la  veille  de  sa  mort  il  signa  le  contrat  d'ac- 
quisition de  la  terre  de^.... 

Deax  jours  après  sa  mort,  les  bouchers  de  Paris  et 
les  nuux:hands  forains  avoient  abandonné  Seaux  et  al- 
loient  à  Poissy  :  lettre  de  cachet,  puis  arrêt  du  conseil 
pour  les  obliger  de  retourner  à  Seaux. 

Taille8^ 

En  i658 56  millions. 

En  1678 4^  millions. 

En  1679 34  millions. 

En  1680 32  millions. 

En  1 681 35  millions. 

En  i685 3a  millions. 


XV 

Là  dépense  des  bâtiments  en  i685  a  monté  à  seize 
millions*. 


XVI 

Li  ^  France  a  cent  soixante  lieues  de  côtes  sur  TO- 


I.  Le  nom  de  la  terre  est  resté  en  blanc  dans  le  manuscrit.  Tous 
les  ^iteurs  ont  omis  cette  phrase. 

9.  Ce  tableau  se  trouve,  comme  ce  qui  précède,  sur  le  verso  du 
fenillet  177. 

3.  Cette  phrase  est  au  feuillet  194,  et  elle  y  est  seule. 

4-  Cette  courte  note,  que  n'ont  pas  donnée  les  éditeurs  précédents, 


lia  FRAGMENTS 

céan,   trois  bons  ports,  Brest,  Rochefort,  et  le  Port- 
Louise 


xvn 

i685e 

Juillet.  —  Nouvelles  des  honnêtetés  du  prince  Charles 
envers  Messieurs  les  princes,  leur  donnant  la  main,  et 
plus  encore  qu'ils  n'auroient  demandé,  une  garde  à  Tar- 
mée  plus  grosse  que  la  sienne;  leur  voulant  céder  son 
logis,  et  leur  déclarant  qu'il  avoit  ordre  de  l'Emperear 
d'empêcher  qu'ils  ne  s'exposent  trop. 

est  sur  le  feuillet  104.  Elle  y  est  prëcëdëe  de  Texplication,  écrite  de 
la  main  de  Racine,  de  quelques  termes  de  marine  : 

w  Louvoyer^  c'est  lorsqu'on  a  le  vent  tout  contraire,  et  qu^on  va 
en  manière  de  ziczac  {tic)  et  à  la  bouline. 

«  Aller  au  last,  ou  au  plut  prêt  du  vent^  ce  qui  est  la  même  chose, 
c'est  lorsque  le  vent  ne  fait  que  glisser  dans  les  voiles,  et  qu'il  s'fo 
faut  peu  qu'on  ne  l'ait  contraire. 

N  Étaler  let  marées^  c'est  lorsqu'on  se  laisse  aller  au  jusant,  ou  à  la 
marée  lorsqu'elle  se  retire.  » 

I .  Port-Louis,  dans  le  Morbihan,  doit  son  nom  à  Louis  XIU,  qoi 
l'avait  fait  construire  à  l'entrée  de  la  rade  de  Lorient.  Louis  XIV 
le  fit  fortifier. 

9.  Le  feuillet  188  ne  contient  que  ce  court  fragment,  qui  n'a  ^t^ 
donné  ni  par  Louis  Racine,  ni  par  aucun  des  éditeurs  suivants. 
Racine  7  parle  de  la  campagne  de  i685  contre  les  Turcs,  à  laquelle 
prirent  part,  sans  l'autorisation  du  Roi,  le  prince  de  Conti  et  le 
prince  de  la  Roche-4ur-Yon  son  frère.  L'armée  de  TEmperear 
était  commandée  par  le  prince  Charles  et  par  Montieur  de  Bavière 
(le  duc  Charles  V  de  Lorraine,  et  Maximilien-Emmanuel,  électeur 
de  Bavière).  Voyez,  dans  la  Gazette  du  91  juillet  i685,  l'arriTëe 
au  camp  impérial  près  de  Gran,  des  princes  français,  suivis  par 
le  vicomte  de  Turenne,  par  le  chevalier  Lauzun,  par  le  marquû  de 
Lassay. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  ii3 

Monsieur  de  Bavière  les  avoit  aussi  traités  de  même. 
On  dit  qae  l'Eniperear  a  offert  de  les  faire  traiter  comme 
on  traite  les  électeurs. 


xvni 

1691*. 

Uh  o£Bcier  espagnol,  à  qui  Beauregard^  avoit  de- 
mandé quartier  quand  on  fut  repoussé  de  Touvrage  à 
corne  de  Mons,  non-seulement  le  lui  donna,  mais  le  dé- 
fendit Tépée  à  la  main  contre  des  Brandebourgs  '  qui  le 
Tonloient  tuer,  se  fit  blesser  pour  lui,  et  Tayant  mis  dans 
iayille,  mit  une  garde  devant  la  maison.  Cet  officier  sor- 
tit de  Mous  dans  une  litière,  à  cause  du  coup  qu'il  avoit 
reçn  dans  cette  dispute. 

Le  comte  de  la  Motte*,  lieutenant  général,  ne  voulut 

I.  Ce  firagment  est  écrit  sur  le  feuillet  189.  La  date  de  1691 
eit  d^iine  antre  encre;  mais  nous  la  croyons  de  la  main  de  Racine, 
^e  ne  se  rapporte  qn^au  premier  alinëa,  où  il  est  question  du 
ii^e  de  Mons.  Le  fragment  tout  entier  manque  dans  Louis  Racine 
et  dans  Fédition  de  1807.  Geoffroy  et  Aimé-Martin  n'en  ont  donné 
^  les  deux  premiers  paragraphes. 

3.  «  Le  i«  de  ce  mois  (april  1691)  ....  le  sieur  de  Beauregard, 
eapitsme  aux  gardes,  fut  fait  prisonnier.  »  (Gasette  de  1691,  p.  1x8, 
àâia  k  StiUe  du  siège  de  Mons,)  —  Ce  même  Beanregard,  capitaine 
aox  grenadiers  des  gardes,  fut  tué  au  combat  de  Steinkerque,  le  3 
août  169a. 

3.  Des  soldats  de  Télecteur  de  Brandebourg.  M.  Aimé-Bfartin  a 
ois  :  des  Brandebourgtois. 

4*  Fils  du  frère  aîné  du  maréchal  de  la  Mothe-Houdancourt.  Il 
nooniten  1718,  âgé  de  quatre-vingt-cinq  ans.  On  voulut  à  diverses 
l^riies  lui  donner  l'occasion  de  gagner  le  bdton  de  maréchal  ;  mais 
il  nanqaa  toujours  sa  fortune  ;  la  reddition  de  Gand  en  1709  Pabima 

L  Ràcm.  ▼  8 


ii4  FRAGMENTS 

jamais  quitter  le  service  de  Monsieur  le  Prince;  et  quand 
H.  de  Loavois  lui  fit  entendre,  pour  le  débaucher^  qu'il 
pourroit  même  dans  la  suite  être  maréchal  de  France, 
il  fit  réponse  «  que  d'être  à  Monsieur  le  Prince,  ce  n  est 
pas  un  titre  pour  être  maréchal  de  France.  » 

Bombe  qui  tomba  au  siège  de  Charleroy^  sur  un  petit 
endroit  où  Monsieur  le  Duc'  donnoit  à  dîner  i  plus  de 
quarante  personnes.  D  n*y  eut  que  deux  verres  de  cas- 
sés, et  tout  le  dîné  gftté  de  la  terre  qui  retomba  en  un 
nuage  de  poussière. 


XIX 

Traita'  de  neutralité  avec  le  roi  de  Danemarc^,  du 
117* mars  1691,  par  lequel  on  lui  accordoit*....  pour  sub- 
sides ordinaires. 

Autre  traité  particulier,  du  5*  avril  1693,  par  lequel  on 
promettoit  de  lui  payer  des  subsides  extraordinaires  au 
cas  qu'il  attaquât  Ratzeboui]g*  lorsque  le  Roi  auroit  com- 

sanf  retour.  Saint-Simon  vante  son  dësintëreasement,  mais  le  repré- 
sente comme  très-opiniâtre  et  très-incapable.  Voyez  les  Mémoires  de 
Saint-Simon,  tome  VI,  p.  414,  et  tome  Vn,  p.  3i. 

I.  Ce  siège  dora  du  9  septembre  au  11  octobre  1693. 

9.  Louis  m  de  Bourbon,  petit-fils  du  grand  Condë. 

3.  Ce  fragment,  qui  n^a  pas  été  donné  par  les  ^iteois  précé- 
dents, est  écrit  sur  le  feuillet  an. 

4.  Christian  V;  il  succéda  à  Frédéric  III  au  mois  de  février  1670*, 
il  mourut  le  9 5  août  1699. 

5.  Le  chiffre  est  resté  en  blanc  dans  le  manuscrit. 

6.  Ville  d'Allemagne,  dans  un  lac  du  même  nom,  à  cinq  lieues  de 
Lubeck.  Elle  appartenait  alors  à  George- Guillaume,  duc  de  Zell, 
qui  s'en  était  emparé  en  1689,  après  la  mort  de  Jules-François,  der- 
nier duc  de  Saxe-Lauenbourg.  George-Guillaume  était  frère  d'£r- 
nest-Auguste ,  comme  lui  duc  de  &iinswick-Lunebourg^   et  qui 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  ii5 

menoé  à  fiure  agir  ses  armées  en  Flandres  et  sur  le 
Rhin. 

Incident  qnW  fait  nattre  au  roi  de  Danemarc  sur  ce 
qa^il  n  a  commencé  les  hostilités  que  le  ao*  août. 

Néanmoins  on  est  convenu  que  les  cent  mille  francs 
qa'3  a  déjà  touchés  pour  cette  affaire  lui  demeureront. 
On  Teut  remettre  à  lui  payer  après  la  paix  les  deux  cent 
mille  francs  restants,  et  à  lui  faire  un  double  payement 
prochain  au  cas  qu'on  le  voye  engagé  en  guerre  avec  la 
maison  d'Hanovre  (lo  septembre^).  Le  roi  de  Dane- 
marc se  plaint  que  c'est  l'abandonner  et  menace  de  s'ac- 
commoder. Le  Roi,  de  son  côté,  craint  que  le  roi  de  Da- 
nemarc, après  avoir  reçu  son  argent,  ne  s'acconmiode. 


XX 

1693. 

Depuis^  Tannée  1689  jusqu'au  dixième  octobre  1693, 
OQ  a  fait  pour  quatre  cent  soixante  et  dix  millions  d'af- 
faires extraordinaires. 

Le'  clergé,  entre  autres,  dans  ces  quatre  années,  a 
donné  soixante  et  cinq  millions. 

Le  Roi  avoit  cette  année*  près  de  cent  mille  chevaux 
et  quatre  cent  cinquante  mille  hommes  de  pied.  C'étoit 

Mt  entre  en  1691  dans  la  coalition  contre  la  France,  Guillaume  III 
lai  ajant  promis  de  faire  ëriger  en  électorat  son  duché  de  Ha- 
noTfe. 

I.  Cette  date  est  à  la  marge  dans  le  manuscrit. 

3.  Ce  fragment  est  écrit  sur  le  feuillet  19a. 

3.  Louis  Racine  a  supprime  ce  paragraphe. 

4-  Cest-à-dire  l'année  1693. 


ii6  FRAGMENTS 

quarante  mille  chevaux  de  plus  qu*îl  n^avoit  dans  la 
guerre  de  Hollande. 

M.  de  Feuquières^  avoit  parlé  tout  l'hiver  à  H.  de 
Pomponne'  de  l'avantage  qu'on  trouveroit  à  porter  le 
fort  de  la  guerre  en  Allemagne.  Lorsqu'on  fut  arrivé  au 
Quesnoy,  et  qu'on  sut  la  prise  de  Heidelberg',  ces  dis- 
cours furent  remis  sur  le  tapis.  Le  Roi  demanda  à  Gham* 
lay  *  un  mémoire  où  il  expliquât  les  raisons  pour  la  Flan- 
dre et  pour  l'Allemagne.  Ghamlay  avoue  qu'il  appuya 
un  peu  trop  pour  TAllemagne.  Ainsi  on  résolut  dès  lors 
de  pousser  de  ce  côté-là  ;  et  le  détachement  de  Monsei- 
gneur' fut  résolu.  On  espéroit  en  quelques  négociations 
avec  les  princes  d'Allemagne.  Le  Roi  apprit  cette  résolu- 
tion à  M.  de  Luxembourg'  près  de  Mons. 

On'  compte  trente-six  miUe  paroisses  en  France. 

I.  Antoine  de  Pas,  marquis  de  Feaquières,  mort  le  17  janTÎer 
171 1.  En  169a,  il  aTait  serri  à  Tannée  d^AIlemagne,  sons  le  maré- 
chal de  Lorges.  En  1698,  il  fut  nonuné  lieutenant  général. 

1.  Le  nom  est  ainsi  abrégé  dans  le  manuscrit  :  c  M.  de  Pomp.  » 

3.  Parti  le  i5  mai  1693  de  Versailles,  Louis  XTV  était  arrivé  le 
95  au  Quesnoi.  Le  maréchal  de  Lorges  avait  pris  Heidelberg  le 
as  mai. 

4.  Chamlay,  maréchal  des  lo^  des  années,  mort  en  1719.  Après 
la  mort  de  Louvois,  le  Roi  voulut  lui  donner  la  place  de  ce  mi- 
nistre; mais  Chamlay  la  refusa,  pour  ne  pas  en  dépouiller  Bar- 
bezieux,  qui  en  avait  la  surrivance.  Voyez  les  Mémoires  de  Saint- 
Simon,  tome  XII,  p.  4ai  et  4aa,  et  tome  XVII,  p.  217.  En  cette 
année  1693,  Chamlay  fut  fait  grand-croix  de  Saint-Louis. 

5.  Du  Dauphin. 

6.  «  Le  Roi  déclara  le  8  juin  à  M.  de  Luxembourg  qu'il  s'en 
retoumoit  a  Versailles,  qu'il  envoyoit  Monseigneur  en  Allemagne 
avec  un  gros  détachement....  Luxembourg,  au  désespoir  de  se  voir 
échapper  une  si  glorieuse  et  si  facile  campagne,  se  mit  à  deux 
genoux  devant  le  Roi,  et  ne  put  rien  obtenir.  »  {Mémoires  de  Saint- 
Simoh,  tome  I,  p.  86  et  87.) 

7.  Tout  le  reste  du  fragment  est  sur  le  verso  du  feuillet  19s. 
Jean-Baptiste  Racine  a  écrit  en  tête  de  la  page  :  c  169$.  Voyez  ci- 
derrière,  s  U  indiquait  par  là  comme  le  verso  du  feuillet  ce  que 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  117 

An  siège  de  Gambray ',  Yaiiban  n'étoit  pas  d'avis  qu'on 
attaquât  la  demi-lune  de  la  citadeUe  avant  qu'il  eût 
bien  assuré  cette  attaque.  Du  Mets*,  brave  homme,  mais 
chaad  et  emporté,  persuadoit  au  Roi  de  ne  pas  différer 
davantage.  Ce  fut  dans  cette  contestation  que  Yauban 
dit  au  Roi  :  «  Vous  perdrez  peut-être  à  cette  attaque  tel 
homme  qui  vaut  mieux  que  la  place.  »  Du  Mets  Tem* 
porta,  la  demi-lune  fîit  attaquée'  et  prise;  mais  les  en- 
nemis y  étant  revenus  avec  un  feu  épouvantable,  ils  la 
reprirent,  et  le  Roi  y  perdit  plus  de  quatre  cents  hommes 
et  quarante  officiers.  Yauban,  deux  jours  après,  Tattaqua 
dans  les  formes,  et  s'en  rendit  maître,  sans  y  perdre  que 
trois  hommes.  Lé  Roi  lui  promit  qu'une  autre  fois  il  le 
laisseroit  faire. 

Cétoit  M.  d'Espenan*  que  Monsieur  le  Prince  et  M.  de 
Turenne  firent  gouverneur  de  Philisbourg,  et  qui,  dans 
le  temps  même  qu'ils  lui  déclaroient  qu*ils  Tavoient  choisi 
pour  cela,  et  qu'ils  lui  recommandoient  de  bien  faire  son 
devoir,  les  interrompoit  pour  aller  chasser  une  chèvre 
qui  mangeoit  des  choux  sur  un  bastion. 

nous  ayons  oonsidërë  comme  le  recto.  Il  s'est  trompé  en  mettant  la 
date  de  1695.  C'est,  comme  nous  l'ayons  vu,  celle  de  1698  qae  Ra- 
ciiie  a  écrite  en  tête  du  fragment. 

I.  En  1677. 

s.  Claude  Beriiier  du  Metz,  comniandant  de  l'artillerie  ;  il  devint 
en  1688  lieutenant  des  armées  du  Roi,  et  fut  tué,  en  1690,  à  la  ba- 
taille de  Flenms. 

3.  Le  x4  avril  1677. 

4.  Louis  Racine  écrit  ce  nom  :  ePErpenau.  —  Le  comte  d'Espenan 
commandait  à  Rocroi  le  centre  de  l'armée  française.  —  Ce  fut  en 
1644  qu'Enghien  et  Turenne  donnèrent  à  d'Espenan  le  gouverne- 
ment de  Philisbourg,  dont  la  garnison  était  sortie  le  la  septembre. 
Vojrex  Quincjr,  tome  I,  p.  3a. 


ii8  FRAGMENTS 

XXI 

1693,  ai  mai\ 

M.  le  maréchal  de  Lorges  dit  qu'il  avoit  proposé  tout 
rbiver  le  siège  de  Mayeuce,  Festlmant  beaucoup  plus 
important  et  plus  aisé  même  que  celui  de  Heidelberg. 

n  prétend  aussi  que  Monseigneur  lui  ayant  demandé, 
en  arrivant  au  delà  du  Rhin,  ce  qu'il  y  avoit  à  faire,  il 
lui  répondit  qu'il  falloit  faire  ce  que  César  avoit  fait  en 
Espagne  contre  les  lieutenants  de  Pompée  :  c'est-à-dire 
faire  périr  l'armée  de  Monsieur  de  Bade,  en  lui  coupant 
les  vivres  et  les  fourrages.  M.  de  Boufflers  *  fut  de  son 
avis.  M.  de  Choiseuil'  dit  :  «  Cela  me  passe.  »  La  chose 
auroit  pourtant  pu  éti'e  exécutée,  mais  les  nouveUes 
d'Italie  firent  prendre  d'autres  résolutions. 

n  ^  assure  que  les  prisonniers  ont  dit  que  si  on  eût 
pris  le  parti  de  bloquer  Monsieur  de  Bade  dans  Hafl- 
bron  *y  ce  général  avoit  résolu  de  conmiencer  par  égor- 
ger tous  les  chevaux  de  son  armée. 

On  '  avoit  fort  négligé  Brest  sur  de  faux  avis  du  roi 

I.  Ce  fragment  est  écrit  sur  le  feuillet  191.  La  date  du  11  mai 
1693  nous  parait  être  plutôt  de  la  main  de  Jean-Baptiste  Racine  que 
de  celle  de  son  père.  Elle  se  rapporte  à  la  prise  de  Heidelberg.  Ce- 
pendant celle  du  a 9  mai  serait  seule  tout  à  &it  exacte.  Vojrez  ci- 
dessus,  p.  116,  note  3. 

a.  Louis-François  duc  de  Boufflers,  mort  le  ai  août  17x1.  D 
avait  ëtë  fait  maréchal  de  France  le  97  mars  1698. 

3.  Claude  marquis  de  Francières,  comte  de  Choiseul,  maréchal 
de  la  même  promotion  que  le  duc  de  Boufflers;  il  mourut  le  i5 
mars  1711. 

4.  Louis  Racine  a  supprimé  ce  paragraphe. 

5.  HeUbronn,  ville  impériale  d'Allemagne,  située  sur  le  Neckar. 
-—  HaUhron  est  Porthographe  du  manuscrit,  et  celle  qui  alors  était 
communément  suivie. 

6.  A  la  marge  de  ce  dernier  paragraphe,  qui  a  été  omis  par 


ET  NOT£S  HISTORIQUES.  119 

d'Angleterre  ^  Cependant  Tannée  navale  y  étoit  en  fort 
grand  pkîl.  Yauban  représenta  ce  danger  au  Roi,  après 
le  départ  de  M.  de  Tourville,  lequel  de  son  côté  deman- 
doit  an  mrâis  vingt  mille  hommes  pour  le  garder.  On  ré- 
solut donc  de  Ten  faire  sortir,  et  de  l'envoyer  au  cap 
Saint-Vincent*. 


1694. 

NieociATioif  *  de  Piémont.  C'est  Monsieur  de  Savoye 
qui  le  premier  a  fait  des  propositions  d'accommode- 
ment *•  Et  Ton  dit  que  c'étoit  pour  sauver  son  pays ,  qui 
alloît  être  ravagé. 

Loaift  Racine  ftiuti  bien  qne  par  les  ^teur»  BolTantt,  Racine  a 
écrit  :  M,  de  Croisty.  Il  démit  donc  ces  deuils  à  ce  miniitre, 

I.  Da  roi  Jacques  II. 

9.  Le  marëchÂl  de  Tourville,  Tiee-amiral  de  France,  quitta  Brest 
le  36  mai  1698,  arec  soixante  et  ente  vaisseaux  de  ligne,  plusieurs 
frètes  et  autres  bâtiments.  Le  4  juin,  Farina  navale  qu'il  com- 
mandait mouilla  dans  la  baie  de  Lagos,  près  du  cap  Saint-Yincent. 
Voyez  la  Gazette  du  3o  mai  et  du  27  juin  1693. 

3.  Le  feuillet  190  ne  contient  que  ces  quelques  lignes.  Louis  Ra- 
cine et  les  éditeurs  suivants  les  ont  omises. 

4.  Après  sa  défaite  de  la  Marsaille  (3  otetobre  1693),  le  duc  de 
Savoie,  Victor-Amédëe  II,  avait  engage  des  négociations  secrètes 
arec  la  France. 


lao  FRAGMENTS 


XXIII 

ÀRmuncNT*  à  Brest  et  à  Rochefort,  que  doit  oomman- 
der  le  marquis  de  Nesmond*  pour  Terreneuve  et  la  Noa- 
veUe  Angleterre,  où  les  ennemis  envoyent  aussi  une  es- 
cadre. Ils  ont  70  vaisseaux  de  ligne  pour  la  Manche. 

De  Gennes  '  est  arrivé,  et  n'a  rien  fait. 

Des  Angers  a  dissipé  l' Armadille  des  Espagnols*,  qui 
sert  à  assurer  la  navigation  du  Mexique  à  Saint-Domin- 
gue. Il  a  pris  un  vaisseau  estimé  onze  à  douze  cent 
mille  francs*. 


I.  Ce  fragment,  qui  se  tronre  au  feuillet  igS,  n'a  été  donné  m 
par  Louis  Racine  ni  par  les  éditeurs  suirants.  En  marge  Racine  a 
écrit  :  Jtfîu.  Il  n'a  pas  marqué  l'année,  qui  est  1697. 

a.  Le  marquis  de  Neimond,  lieutenant  général  des  armées  naTa- 
les  du  Roi. 

3.  En  1695,  une  escadre  commandée  par  de  Gennes  était  partie 
pour  une  expédition  dans  le  grand  Océan;  mais  assaiUie  par  des 
rents  violents  dans  le  détroit  de  Magellan,  elle  renonça  à  Pentre- 
prise,  et  rentra  à  la  Rochelle  le  ai  avril  1697. 

4.  «  On  a  eu  avis  de  File  de  Saint-Domingue  que  le  sieur  des 
Angers,  commandant  les  vaisseaux  du  Roi  U  Bourbon^  le  Bon  et  U 
Fapori^  et  la  frégate  la  Badine,  avoit  rencontré  le  6  du  mois  de  jan- 
vier dernier,  à  douze  lieues  au  vent  de  la  ville  de  Saint-Domingue, 
une  escadre  de  cinq  vaisseaux  de  guerre  espagnols,  qu'ils  appellent 
rArmadilla....  A  peine  le  sieur  des  Angers  se  fut  approché  à  deux 
portées  de  canon,  que  ces  cinq  vaisseaux  prirent  la  fuite.  »  {Gazette 
du  ao  avril  1697.) 

5.  «  On  a  eu  avis  de  la  Rochelle,  du  ao  du  mois  dernier,  qu'on 
h&timent  arrivé  d'Amérique  avoit  apporté  la  nouvelle  que  le  sieur 
des  Angers,  avec  deux  vaisseaux  du  Roi,  avoit  pris  et  enlevé,  dans 
un  port  sur  la  côte  de  Carthag^e,...  un  grand  navire  espagnol,... 
chargé  de  600000  piastres....  »  (Gazette  du  a  mars  1697.) 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  lai 


XXIV 

BM.  '  de  Bouillon  sont  princes  par  brevet ,  mais  le 
breret  ne  fut  point  enregistré,  comme  rechange  Ta 
ete  . 

Ce  (ut  depuis  ce  brevet  que  M.  de  Turenne  ne  voulut 
plas prendre  la  qualité  de  maréchal  de  France';  et  ce 
(nt  MQe  de  Bopillon,  sa  sœur,  qui  Ten  détourna.  Il 
ne  se  trouva  plus  aux  assemblées  des  maréchaux ,  et 
envojoit  même  leur  recommander  les  affaires  pour  les- 
quelles on  le  sollicitoit.  Les  maréchaux  furent  sur  le 
point  de  le  citer,  mais  n^osèrent. 

Affaire  ^  du  cardinal  de  Bouillon  avec  Mme  de  Sou- 
bize*.  Elle  a  désiré  que  Tabbé  de  Rohan*  fût  traité 
de  Sérénissime  Prince  ^  et  fût  dispensé  d'enseigner  un 
cours  de  philosophie.  Sur  les  difficultés  de  Farchevéque 
de  Rheims  ''^  elle  a  écrit  au  cardinal  de  Bouillon  pour 

I.  Ce  fragment  est  aa  feuillet  171. 

%.  L'échange  de  Sedan  et  de  Bouillon  contre  le  comté  d*ÉTrenx 
et  let  duchés  d'Alhret  et  de  Château-Thierry  Ait  fait  en  mars  i65i 
par  Frédéric -Maurice  duc  de  Bouillon.  Voyez  les  Mémoires  de 
Stint-Simon,  tome  Y,  p.  3i3. 

3.  Racine  parle  sans  doute  d'après  Siri.  Turenne,  selon  Saînt- 
SimoD  (tome  V,  p.  3 16),  ne  quitta  qu'à  partir  de  1660,  lorsqu'il 
eot  reçu  la  charge  de  maréchal  général  des  camps  et  armées  de 
France,  le  titre  de  maréchal,  «  qu'il  aToit  toujours  porté  depuis 
plus  de  dix-sept  ans.  » 

4.  Ce  paragraphe  a  été  omis  par  Louis  Racine  et  par  tous  les 
^tenrs  suiTanU. 

5.  Anne  de  Rohan-Chabot,  princesse  de  Soubise,  morte  le  14  f^- 
▼rier  1709. 

6.  Armand -Gaston  de  Rohan,  fils  de  la  princesse  de  Soubise.  Il 
deiînt  éréqne  de  Strasbourg  et  cardinal.  H  mourut  le  19  juillet 
1749.  —  sûr  l'affaire  dont  Racine  parle  ici  et  qui  est  de  l'année 
1698,  Toyez  les  Mémoireê  de  Saint-Simon,  tome  II,  p.  16S  et  166. 

7.  Charles-Maurice  le  Tellier.  Dans  les  lettres  de  doctorat  de 


laa  FRAGMENTS 

lui  demander  ce  qui  s'étoit  passé  à  son  égard*.  Le  Car- 
dinal a  dit  qu*il  ne  B*en  souvenoit  pas  bien,  que  ses  titres 
étoient  ici  dans  une  armoire,  où  étoient  tous  ses  papiers 
de  la  plus  grande  conséquence.  Le  Roi  lui  a  fait  écrire 
qu'il  eût  à  dire  la  vérité.  Le  Cardinal  Ta  écrite,  mais  en 
même  temps  a  mandé  qu'il  y  avoit  grande  différence 
entre  les  Bouillons  et  les  Rohans,  alléguant  entre  autres 
une  souveraineté  subsistante.  Le  prince  de  Turenne', 
son  neveu,  fut  assis  devant  Alexandre  VIII  (Ottobon)'. 

Quand  le  cardinal  Mazarin  sortit  de  France,  il  de- 
manda à  M.  le  Tellier  un  homme  en  qui  il  pût  se  confier, 
et  celui-ci  lui  donna  Colbert.  Il  pria  même  Monsieur  le 
Cardinal  que,  quand  il  recevroit  de  lui  des  lettres  se- 
crètes, il  ne  les  gardât  point,  mais  les  rendit  à  Colbert. 
Un  jour  le  Cardinal  en  voulut  garder  une  ;  Colbert  lui 
résista  jusqu'à  le  mettre  en  colère.  Ensuite  le  Cardinal 
le  prit  pour  son  intendant^. 

Vahhé  de  Rohan,  TÀrcheTéque,  alors  proviseor  de  Sorbonne,  ne 
voulait  pas  mettre  les  mots  à^ Altesse  Sérénisùme. 

I.  M.  de  Përëfixe  avait  àonné  à  M.  de  Bouillon,  depuis  car- 
dinal, V Altesse  Sérénîssime^  dans  ses  lettres  de  doctorat.  Voyez  Saint- 
Simon,  à  Tendroit  cite. 

3.  Louis  de  la  Tour  de  Bouillon,  prince  de  Turenne,  fils  de 
Godefroi  de  la  Tour,  duc  de  Bouillon,  et  de  Marie-Anne  Mancini. 
n  accompagna  en  1689,  à  Rome,  son  oncle  le  cardinal  de  Bouillon, 
envoyé  au  conclave  où  fut  ëlu  Pierre  Ottoboni  (Alexandre  VIII). 

3.  C'est  ce  qui  est  attesté  par  les  Mémoires  de  Coulanges,  p.  187. 

4.  Louis  Racine  a  omis  cette  dernière  phrase. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  laS 


XXV 

BONS   MOTS  DU  a<x\ 

Lk  Nonce'  lai  dit  que  si  le  Doge'  et  quatre  des  prin- 
cipaux sénateurs  *  venoient,  la  République  demeureroit 
sans  chef  pour  la  gouverner  ;  il  répondit:  «  Il  n^est  pas 
mai  à  propos  qu'ils  les  envoyent  ici  pour  apprendre  à 
goQYemer  mieux  qu'ils  ne  font.  » 

Uévêque  de  Mets*,  reyenant,  disoit-il,  d'un  sémi- 
naire, où  fl  avoit  demeuré  dix  jours,  parloit  avec  exagé- 
lation  du  désintéressement  de  tous  ces  ecclésiastiques, 
qui  ne  Ëûsoient  aucun  cas  ni  de  bénéfices,  ni  de  ri- 
chesses, et  s'en  moquoient  même.  Le  Roi  dit  :  «  Ils  s'en 
mo({aent,  vous  vous  moquez  donc  bien  d'eux  '•  » 

LWhevéque  d'Ambrun''  louoit  fort,  au  lever,  la  ha- 

I.  Ce  fragment  est  écrit  sur  les  fenillets  184  et  i85. 

3.  Angdo  Ranazzî,  mort  te  «7  septembre  1689. 

3.  Le  doge  de  Gênes,  Impériale  Lercaro,  qni  rint  le  i5  mai  168$ 
à  Volailles,  faire  satisfaction  au  Roi,  comme  il  avait  été  exige  de 
loi  par  le  traite  du  la  février  de  la  même  année. 

4-  Qnatre  sénatenn,  Garibaldi,  Lomellino ,  Salxago  et  Durazzo , 
eurent  en  effet  arec  le  Doge.  Voyez  la  G^tzette  da  19  mai  i685. 

5.  Georges  d'Anbosson  de  la  Feîiillade,  qui  passa  de  rarchevéché 
dTjnbfon  à  l'éyêchë  de  Metz  en  1668;  il  j  mourut  le  la  mai  1697, 
^  de  qDatre-ringt-hnit  ans.  «Le  Roi,  dit  Saint-Simon  {Mémoires^ 
tome  I,  p.  436),  lui  parloit  toujours,  et  plaisantoit  avec  lui....  On 
l'attaqiioît  fort  sur  son  avarice.  >  H  ajoute  qu*  c  il  ëtoit  bon  évéque, 
ridant,  et  fort  appliqué  à  ses  devoirs.  »  Quelque  bon  évéqne  qu'il 
^  MB  avttîce  suffirait  pour  expliquer  le  mot  piquant  du  Roi. 

6.  Ridne  avait  d'abord  écrit  :  «  Us  n'en  font  aucun  cas,  vous  ne 
faites  donc  guère....  »  Cette  variante  semble  indiquer  une  espèce 
<le  tianil  pour  polir,  pour  affiler  le  bon  mot,  dont  sans  doute  le 
*cnsieiil  avait  été  retenu. 

7.  Chartes  Brâlart  de  Genlis,  nommé  à  l'arcbevéché  d'Embrun 
^  1668,  en  remplacement  de  Georges  de  la  Feuillade.  D  mourut 
dans  sou  diocèse,  le  1  novembre  17141  ^  de  quatre-vingt-six  ans. 


ia4  FRAGMENTS 

rangae  de  Tabbé  Golbert  ^ .  Le  Roi  dit  i  M.  de  Bfaoleyrier  '  : 
«  Promettez-moi  de  ne  pas  dire  un  mot  à  M.  Golbert  de 
tout  ce  que  va  dire  Tarchevéque  d'Ambmn  ;  »  et  ensuite 
il  dit  i  r Archevêque  :  «  Continuez  tant  qu'il  vous  plaira.» 

Lorsque  le  chevalier  de  Lorraine  fut  obligé  un  jour  de 
se  retirer,  il  dit  au  Roi,  en  prenant  congé  de  lui,  qu*il  ne 
Touloit  plus  songer  qu'à  son  salut.  Quand  il  fut  sorti,  le 
Roi  dit  :  «  Le  Chevalier  songe  à  faire  une  retraite,  et 
emmène  avec  lui  le  père  Nantouillet  *.  » 

Quand  je  lui  eus  récité  mon  discours* ,  il  me  dit  devant 
tout  le  monde  :  «  Je  vous  louerois  davantage,  si  vous  ne 
me  louiez  pas  tant.  » 

Le*  Roi  reconnut  dans  le  régiment  de  Hautefeuille 
un  passe-volant  qui  étoit  valet  de  chambre  de  M.  de 
Hautefeuille,  et  le  Roi  le  reconnut  à  ses  souliers,  que 
son  maître  avoit  portés. 

En  donnant  l'agrément  et  la  dispense  d'âge  à  M.  Cho- 
pin pour  la  charge  de  lieutenant  criminel,  le  Roi  lui  dit: 
«  Je  vous  exhorte  à  suivre  plutôt  les  maximes  de  vos 
ancêtres  '  que  les  exemples  de  vos  prédécesseurs.  » 


I.  Prononcée  à  PAcadémie  françaiie  le  3i  octobre  1678.  Vojex 
notre  tome  IV,  p.  34a  et  343. 

s.  Le  comte  de  Maolerrier,  qui  mourut  gouremenr  de  Toamâi 
en  1693,  du  chagrin  de  n*aToir  pas  éié  fait  maréchal  de  France, 
était  frère  du  ministre  Golbert,  à  qui  le  Roi  lui  fait  promettre  de 
ne  rien  dire  des  compliments  de  rarchevéqne  d'Embron. 

3.  Sor  François  du  Prat,  dit  le  cheralier  de  NantoniUet,  Tojex 
notre  tome  II,  p.  4^1  v  QOte  i.  Premier  maître  d%ôtd  de  Monsieur, 
il  était  un  des  compagnons  de  plaisir  du  chevalier  de  Ix>rraine. 

4.  Celui  qui  fut  prononcé  à  la  réception  de  MM.  de  Corneille 
et  de  Bergeret.  Voyez  notre  tome  FV,  p.  347. 

5.  Ici  commence  le  feuillet  i85.  — •  c  On  appelle  ainsi  (passê^woUaU) 
un  homme  qui,  sans  être  enrôlé,  se  présente  dans  une  rerue  pour 
faire  paroitre  une  compagnie  plus  nombreuse,  et  pour  tirer  la  paye 
an  profit  du  capitaine,  s  (Dictionnaire  de  rjieadémde  de  1694.) 

6.  Parmi  ces  ancêtres  du  noureau  lieutenant  criminel  était  le 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  laS 

M.  Golbeit  disoit  qu^au  commencement  que  le  Roi 
prit  connoissance  de  ses  a£faires,  ce  prince  lui  dit  et  aux 
aatres  ministres:  «  Je  vous  avoue  firanchement  que  j*ai 
on  fort  grand  penchant  pour  les  plaisirs  ;  mais  si  vous 
vous  apercevex  qu'ils  me  fassent  négliger  mes  affaires, 
je  vous  ordonne  de  m'en  avertir.  » 

PATISHCB    DU    ROI. 

Gonmie  il  se  nettoyoit  les  pieds,  un  valet  de  diambre 
qui  tenoit  la  bougie  lui  laissa  tomber  sur  le  pied  de  la 
cire  toute  brûlante  ;  le  Roi  répondit  froidement  ^  :  «  Tu 
aarois  aussi  bien  (iBÙt  de  la  laisser  tomber  à  terre.  » 

A  un  autre  valet  de  chambre,  qui,  en  hiver,  apporta 
la  chemise  toute  froide,  il  dit  encore,  sans  gronder  :  «  Tu 
me  la  donneras  brûlante  à  la  canicule.  » 

Un  portier  du  parc,  qui  avoit  été  averti  que  le  Roi  de- 
voit  sortir  par  la  porte  où  il  étoit,  ne  s'y  trouva  pas,  et  se 
fit  longtemps  chercher.  Conmie  il  venoit  tout  en  courant, 
c^êtoit  à  qui  le  gronderoit  et  lui  diroit  les  injures  '  ;  le 
Roi  dit  :  «  Pourquoi  le  grondez-vous?  Croyez-vous  qu'il 
ne  soit  pas  assez  affligé  de  m'avoir  fait  attendre*?  » 

cdèbre  jariscontalte  du  aeiztème  siècle,  Renë  Chopin,  anteur  de 
ttTsmts  oorraget  sur  le  Domaine^  sur  la  Police  ecclésiastique^  sur  la 
Cmdume  ê Anjou  et  sur  la  Coututfte  de  Paris. 

I.  Dans  le  texte  de  Louis  Racine  :  «  D  dit  froidement.  »  Cette 
correcdon  a  été  adoptée  par  les  éditeurs  suirants. 

s.  n  y  a  bien  «  les  injures  »,  et  non  «  des  injures  »,  comme  a 
corrige  Louis  Racine. 

3.  Cette  anecdote  est  racontée  à  pep  près  de  la  même  manière 
aox  pages  3i7et3i8dn  Furetiriana^  qui  donne  aussi  (p.  949)9  ^oè\a 
ai  s^ëloignant  daTantage  cette  fois  des  termes  du  récit  de  Racine , 
celle  de  la  cire  brillante  (voyez  ci-dessus,  ligne  8). 


ia6  FRAGMENTS 

XXVI 

HOUVBLLES^ 

Neuf  hommes  qui  travailloient  à  tirer  de  la  marne 
auprès  de  Chàteau-du-Loir  *  ont  été  accablés  de  la  terre 
qui  s*est  éboulée.  Us  ont  trouvé  moyen  de  se  retirer 
sous  une  petite  caverne  creusée  dans  la  terre,  où  ils  ont 
demeuré  huit  jours  entiers  sans  boire  ni  manger,  en  at- 
tendant qu^on  les  ait  déterrés. 


xxvn 

STRASBOURG*. 

V.  Lotychins,  p.  5i4.  Un  édit  de  Ferdinand  II,  qui 
ordonne  aux  magistrats  et  aux  habitants  de  Strasbourg, 
senatui  populoque  ArgerUinemi^  de  restituer  l'église  ca- 

I.  Cette  note,  sur  un  fait  auquel  Racine  ne  songeait  sans  doute 
pas  à  donner  place  dans  Thistoire,  est  écrite  sur  le  feuillet  9o3t 
qui  ne  contient  rien  de  plus.  Les  éditeurs  prëcédents  Tout  négligée, 
et  cette  fois  Ton  comprend  leur  omission. 

9.  Cette  petite  ville  est  aujourd'hui  de  Tarrondissement  de  Saint- 
Calais,  dans  le  département  de  la  Sarthe. 

3.  Ce  fragment,  qui  est  au  feuillet  909,  a  été  publié  pour  la  pre- 
mière fois  par  M.  Aimé-Martin.  La  source  où  ont  été  puisés  ces 
renseignements  est  indiquée  par  Racine,  qui  a  écrit  en  tête  do 
fragment  :  «  Y.  (c^est-à^tUn  royez)  Lotjchius,  p.  5i4-  »  H  ^^^ff^ 
du  livre  qui  a  pour  titre  :  lo.  Pétri  Laiietui  rerum  Gtrmanicarum 
suh  Maiihia,  Ferdinandis  II  et  ///.  /ifyjp.  gestarum  Uhri  LV..,.  FreM" 
eofurti  ad  Mœnum,  MDCXXXXVl,  4  volumes  in-folio.  Racine  aviit 
en  vue  le  tome  I,  i>«  partie,  Uvre  XVIII,  chapitre  v.  Il  analyse 
fidèlement  ce  qui  s^  trouve  à  la  page  5i4* 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  127 

thédrale  et  toutes  les  églises  parochiales,  qu'eux  ou 
lears  pères  ont  usuipées  su^  les  catholiques,  et  de  resti- 
tner  aussi  tous  les  revenus,  décimes,  droits,  privilèges, 
meubles,  ornements,  et  généralement  toutes  choses  ap* 
putenant  légitimement  à  rÉvéque  ou  aux  ecclésias- 
tîqaes,  de  rétablir  les  catholkpies  dans  le  droit  de  bour- 
geoisie et  tous  leurs  autres  droits  et  honneurs. 

L'archiduc  Léopold,  fils  de  Ferdinand,  étoit  alors  évé« 
que  de  Strasbourg  et  de  Passau  * . 

n  parott,  par  cet  édit,  que  dans  les  premiers  troubles 
d'Allemagne ,  causés  par  l'hérésie  de  Luther,  ceux  de 
Strasbourg,  ayant  de  bonne  heure  embrassé  la  religion 
protestante,  s^étoient  emparés  des  églises  et  de  la  mai- 
son épîscopale,  avoient  ensuite  privé  les  catholiques  de 
tons  droits  de  bourgeoisie ,  et  usurpé  tous  les  biens  et 
revenus  ecclésiastiques  dans  leur  ville. 

Par  redit  de  pacification  de  Passau,  en  i55o*,  il 
étoit  ordonné  que  les  deux  religions  seroient  librement 
exercées  dans  toutes  les  villes,  tant  libres  qu^impériales, 
et  que  les  protestants  ne  troubleroient  et  n'offenseroient 
en  aucune  sorte  les  catholiques.  Il  étoit  même  arrivé 
qu'en  Tan  iSap  et  en  l'an  i549,  les  catholiques  à  Stras- 
bourg avoient  commencé  de  se  remettre  en  possession 
de  ce  qui  leur  appaitenoit  *.  Mais  depuis,  sans  avoir 


I.  Hobu^in  ah»€ntiaBe9er€mdiss»  et  Cêititi»  FrineipU^  Leopoldi  GuH~ 
^dmifJrchidiueis  Auttrim^  Argentinentii  et  Passapufuis  Ëpucopi^.., 
f^uantu^  Decamaet  Capitidaret^  tanquam  admbdttraiores.,,^  humUlime 
'9timaree€ipenuit.  (Loncaïus.) 

a.  Racine  a  ajoute  en  interligne  cette  date  inexacte  :  c  en  i55o.  1 
I^ch  donne  pour  la  pacification  de  Passau  la  date  de  i555.  La 
^e  date  est  le  3  août  i55a. 

3.  Tametsi  ienùpu  Epiteopatus  Ule  jirgentinensisy  sub  annis  MDXXIX 
*t  MDXLIXp  in  prmsulatuum^  et  paroehiarumf  a  S.  P.  Q-  jirgen- 
thietuidê  facto  aeeapatarumf  posseulonem  plemùsimùm  de  *ttn  immitti 
fvperit,,,.  (LonoBnrs.) 


ia8  FRAGMENTS 

égard  iTédit  de  Pàssau,  les  protestants,  en  iSSg  et 
i56i  V  s'emparèrent  tout  de  nouveau  de  Téglise  et  de 
la  maison  épiscopale,  et  de  toutes  les  autres  paroisses, 
y  mettant  des  ministres  de  leur  religion;  en  un  mot, 
défendirent  absolument  Tusage  de  la  religion  catholi- 
que, et  exclurent  tous  les  catholiques  du  droit  de  bour- 
geoisie et  de  rentrée  aux  charges. 

L'édit  de  Ferdinand  est  de  1627 ,  au  mois  d*avril  '. 
LVuteur  parle  de  grands  troubles  excités  vers  Fan  1600, 
entre  les  chanoines  de  Strasbourg,  cathoUques  et  pro- 
testants, pour  TégUse  cathédrale,  jusqu'à  Tan  i6o4, 
qu'on  fit  une  transaction  par  laquelle  toutes  choses  de- 
meuroient  suspendues  pour  quinze  ans.  En  1620,  cette 
transaction  fut  encore  prolongée  i  Haguenau  pour  sept 
ans  *,  lesquek  étant  expirés,  le  grand  -vicaire,  le  doyen 
et  le  chapitre  de  Strasbourg,  en  Tabsence  de  Tarchiduc 
leur  évéque,  présentèrent  une  requête  à  l'Empereur,  en 
conséquence  de  laquelle  il  leur  fit  intimer  l'édit  dont  3 
est  question. 

I ContuUt  Semaioresquu  ^rgtmtmenset  ^  sui  «m».   MDUX^ 

ÈÊDLXJ^  mdem  hasilieam,  aliasque  parochlas^  de/mop  de  faeto^  itUer- 
eipere^  pastores  intrudere^  CathoUem  rdigionh  exereitiuM  ùmmMO  efi- 
mimai  muL  (Lotichius.) 

9.  jém.  ÊiDCXXFJI,,,.  suh  iptk  Idikis  AprUUmi.  (ibidem.) 
3.  Suh  mmo  MDClVf  inttrvenkntibus  arhiiris^  ru  ad  trmiumctwmm 
devenU  interimiitieam,  sic  dictam,  pactes  in  quindteim  aimas  imdatàis, 
isthme  capitulatio  apud  BagoMûam,.,^  aimo  MDCXX^  in  septamiam 
ysfUê  estrahi  capit,  {I6idem.) 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  lag 

xxvm 

ALLEMAGNE  ^ 

La  Transylvanie  est  divisée  en  sept  comtés,  sept  villes, 
et  sept  sièges.  Les  sept  comtés  sont  les  Saxons,  qui  se 
prétendent  originaires  de  Saxe,  et  suivent  les  mêmes 
ooQtomes  et  les  mêmes  changements  de  religion;  les 
sept  villes  sont  les  originaires  du  pays;  les  sept  sièges 
sont  les  Seclers,  ainsi  appelés  de  ckek*^  qui,  en  langue 
do  pays,  signifie  «  siège.  »  Quelques-uns  les  font  mal  à 
propos  descendre  des  Siciliens  qui  vinrent  en  Hongrie 
arec  un  roi  de  Naples. 

Le  Grand  Seigneur  prètendoit  nommer*  lui  seul  à  la 
principauté  de  Transylvanie;  mais  lui  et  TEmpereur  re- 
noncèrent par  le  dernier  traité  de  1664  au  droit  qu'ils 
prétendoient  avoir  d'y  nommer,  et  il  fiit  dit  que  les 
états  du  pays  nommeroient  leur  prince. 

Solyman  *  fut  appelé  en  Hongrie  par  Jean  Zapolia  •, 
qui  s'étoit  fait  élire  par  les  peuples ,  malgré  les  préten- 
tions de  Ferdinand  *,  qui  prètendoit  succéder  au  droit 

I.  Ce  fragment  est  aux  feuilleu  207  et  ao8.  M.  Aimë-Martin  est 
le  premier  qui  l'ait  donne. 

a.  Plaûeim  ^teura  ont  omis  ce  mot  (en  hongrois  szek)^  et  Pont 
remplace  par  an  blanc  qui  n'est  pas  dans  le  manuscrit.  A  la  même 
ligne,  ils  ont  mis  Sicuies^  au  lieu  de  Seclerci  {Szekiers^  qu'on  rend 
d'ordinaire  en  effet  par  le  latin  Siculî).  Jean  Betlen  {Rerum  Trantyl- 
'râr  liiri  quatuor^  p*  5s,  Amsterdam,  1669)  nomme  les  sept  sièges 

3.  Dans  le  manuscrit,  il  7  avait  d'abord  :  nomme.  Au-dessus  de  ce 
mot  Racine  a  ^crit  :  prètendoit. 

4.  Soliman  I«r,  le  Magnifique,  sucera  en  z  5 10  à  son  père  Sëlim  V^ 
nr  le  trâne  des  sultans. 

S-  Jean  Zapolia  ou  Zapoli,  comte  de  Scepus.  Il  mourut  le  ai 
joillct  i54o. 
6.  L'archidnc  d'Autriche  Ferdinand,  depuis  l'empereur  Ferdi- 

J.  lUciKB.   T  O 


i3o  FRAGMENTS 

de  Ladislas.  Solyman  vint  en  Hongrie,  la  conquit,  et  la 
rendit  toute  entière  à  Zapolia^.  Mais  comme  ce  Zapolia 
étoit  encore  opprimé  par  l'Empereur,  Solyman  vint,  qui 
s'empara  de  toute  la  haute  Hongrie,  la  retint  pour  lui, 
et  investit  2^polia  de  la  principauté  de  Transylvanie,  qui 
faisoit  partie  du  royaume  de  Hongrie,  et  qui  étoit  gouver- 
née par  un  vayvode  qu  y  mettoient  les  rois  de  Hongrie» 

L'Allemagne^,  par  la  paix  de  Munster,  a  logé  deux 
puissances  formidables  à  ses  deux  extrémités  :  les  Sué- 
dois dans  la  Poméranie,  et  les  François  dans  F  Alsace: 
dangereux  voisins  qui  balancent  à  la  vérité  la  maison 
d'Autriche,  mais  qui  épuisent  aussi  la  plupart  des  prin- 
ces de  rSmpire,  par  l'inquiétude  que  leur  cause  un  voi- 
sinage si  redoutable. 

V  '.  la  cession  de  TAlsaoe,  du  Suntgau,  etc.,  à  la 
France  par  l'Empereur  et  les  États  de  l'Empire. 

Tous  les  Etats  de  l'Empire  louoient  le  procédé  franc 
et  sincère  de  la  France,  et  au  contraire  blàmoient  le 
procédé  artificieux  et  intéressé  des  Suédois. 

Avantages  de  la  paix  de  Munster  pour  la  France  ^ 
Elle  est  signée  le  24  octobre  '. 

Dans  toute  la  guerre  d'Allemagne,  la  France  et  la 

liand  I«r  (i558).  Il  avait  ^poiu^  en  i5ai  Anne  Jagellon,  sœur  de 
Louis  II  roi  de  Hongrie,  tué  le  ag  août  i5a6  à  la  bataille  de 
Mohacz,  et  fille  de  Ladislas  VI. 

I.  En  zSag. 

a.  Siri,  tome  XIII,  p.  5.  {Note  de  Racine,)  — ^  A  la  page  indiquée 
par  Racine,  on  lit  dans  il  Mereurio  que  les  princes  et  les  États  d^Al- 
lemagne  se  non  tottoposero  il  coUo  al  giogo  tU  servitti  straniera^  furono 
eostretti  almeno  di  portarlo  nelle  due  sue  estremità^  ove^  in  peee  H 
duoi  principi  deboli^  si  pianiarono  dus  sterminate  potenze;  etc. 

3.  Tome  XIII,  p.  aa3.  {Note  de  Bacine,)  —  Le  V.,  comme  nous 
Tarons  déjà  tu  plus  haut  (pi  ia6,  note  3),  est  Tabréviation  em- 
ployée par  Racine  pour  Fojez.  —  Le  passage  du  Mereurio  auquel 
Racine  renvoie  a  déjà  été  indique  ci-dessus,  p.  93,  note  3. 

4.  Il  Mereurio^  tome  XIII,  p.  a44  et  a45.  -^  5.  ibidem^  p.  a4i. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  i3i 

Suède  ont  plus  combattu  TEmpire  avec  des  soldats  alle- 
mands ^  qu^avec  leurs  propres  soldats. 

Et  du  temps  même  de  Charles-Quint,  tout  grand  et 
paissant  qu'il  étoit,  François  I*'  avoit  dans  ses  troupes 
toot  autant  d'Allemands  qu'il  vouloit.  Car,  outre  l'argent 
que  la  France  peut  répandre  en  abondance,  les  Alle- 
mands s'accommodent  mieux  avec  les  François  qu'avec 
les  Espagnols. 

Le  titre  d'Excellence  étoit  inconnu  en  Allemagne  avant 
rassemblée  de  Munster,  et  les  Allemands  ne  vouloient 
point  rintroduire,  comme  étranger  et  qui  sonnoit  mal 
en  leur  langue.  Mais  comme  ils  virent  que  les  étrangers 
se  le  donnoient  les  uns  et  les  autres ,  ils  souhaitèrent 
d  être  traités  comme  eux  pour  ne  leur  paroître  pas  infé- 
rieurs en  rien.  Les  ambasAdeurs  de  l'Empereur  le  pri- 
rent, et  eurent  ordre  de  le  donner  à  ceux  des  électeurs. 
Le  seul  électeur  de  Saxe  défendit  à  ses  ministres  de  le 
prendre,  et  leur  ordonna  de  laisser  aux  étrangers  leurs 
cérémonies.  Les  ministres  des  princes  d'Allemagne  non 
électeurs,  jaloux  de  ce  qu'on  le  donnoit  aux  députés  des 
électeurs,  et  non  point  à  eux,  évitoient  avec  soin  de  le 
donner  à  personne,  et  mirent  au  nombre  de  leurs  griefs 
cette  nouvelle  coutume,  comme  contraire  à  l'usage  de 
remjnre  germanique.  (Siri,  tome  Y,  partie  ii,  p.  3i6*.) 

I.  Ici  commence  le  feuillet  908. 

9.  Le  passage  de  Siri  d*où  Racine  a  ùré  ce  dernier  alinéa  con^ 
tinae  à  la  page  817  du  tome  V  du  Mereurio  quHl  indique  ici. 


i3a  FRAGMENTS 


XXIK 

ANGLETBRRB^. 
M,  Arhert  chez  M,  de  Mont,  *. 

Il  n'y  a  pas  plus  de  cinquante  millions  d^ai^ent  en 
Angleterre,  soit  dans  le  commerce,  soit  dans  les  coffres 
des  particuliers. 

La  France  tire  tous  les  ans  quelques  *  douze  millions 
d'Angleterre,  tant  par  les  vins  que  par  les  toiles  de  Bre- 
tagne, etc.  ;  et  T Angleterre  ne  tire  pas  de  France  pins 
de  quatre  millions. 

I.  Ce  fragment  est  au  feuillet  double  so5  et  so6.  D  manque 
entièrement  chez  tous  les  éditeurs  qui  ont  précédé  M.  Aimé-Martin. 
Celui-ci  en  a  donné  seulement  la  première  partie,  qui  se  rapporte 
à  TAngleterre,  et  a  omis  ce  qui  concerne  TEspagne. 

9.  Cette  ligne,  placée  dans  le  manuscrit  au-dessous  du  titre 
AirouoBBBB,  et  qui  indique  sans  doute  de  qui  Racine  tenait  ces 
informations,  a  été  retranchée  par  tous  les  éditeurs  précédents. 
M,  de  Mont,  doit  être  M.  de  Montaigu;  et  M.  Arhert  était  sani 
doute  attaché  à  son  ambassade.  Ralph  de  Montaigu  ou  Mantagu^ 
qui  mourut  en  1708,  fut  en  1669  ambassadeur  en  France.  «  Le 
a5  avril....  Mjlord  Montaigu,  grand  écujer  de  la  reine  d'Angle- 
terre, ambassadeur  ordinaire  du  roi  de  la  Grande-Bretagne,  fit  son 
entrée  en  cette  ville  {Paris).  »  {Gazette  du  17  ayril  1669.}  D  revint 
en  France,  comme  ambassadeur  extraordinaire,  au  mois  de  décem- 
bre 1676.  n  Y  était  encore  en  1678.  Voyez  la  Gazette  du  19  dé- 
cembre 1676,  et  celle  du  i«r  janvier  1678.  Une  note  de  M.  Walcke- 
naer  sur  la  fable  du  Benard  anglais  supposerait  qu'il  était  aussi  à 
Paris  en  i683.  Ralph  de  Montaigu  était  frère  d'Edouard  de  Mon- 
taigu, tué  devant  Bergues  en  i665,  et  d'Elisabeth  Harvej,  mariée 
à  sir  Daniel  Harvejr,  ambassadeur  d'Angleterre  en  Turquie,  et  à 
laquelle  la  Fontaine  a  dédié  le  Renard  anglais.  Voyez  au  tome  III 
des  Lettres  de  Mme  de  Sévigne\  la  note  5  de  la  page  179. 

3.  Ici  et  cinq  lignes  plus  loin,  il  7  a  bien  quelques^  au  pluriel, 
dans  l'autographe  ;  mais  à  la  page  i44i  1^®  ^1  Racine  a  écrit  fueique 
six  mille  liommes. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  iW 

La  milice  d'Angleterre,  appelée  Trainbans^,  peut 
Ikire  quelques  cent  cinquante  mille  hommes  *.  Chacun 
les  paye  à  proportion  de  ses  biens.  Un  homme  qui  a  huit 
cents  pièces  de  revenus  entretient  un  cavalier;  et  ainsi 
du  reste.  Ces  milices  ne  peuvent  être  assemblées  et  de- 
meurer armées  plus  de  six  semaines,  pour  remédier  aux 
invasions  ou  aux  rébellions,  et  donner  temps  au  Roi  d'as- 
sembler son  parlement.  On  en  fait  des  revues  quatre 
fois  Fan. 

BSPAGNS  *. 

y.  Dans  Siri,  XIII*  vol.^,  p.  920,  le  siège  et  la  prise  de 
Tortose  sur  l'Èbre.  L'Évéque  y  fut  pris,  la  demi-pique  à 
la  main,  aussi  bien  que  tous  les  prêtres  et  les  moines  *• 

Embarras  *  de  Tarmée  de  France  en  Catalogne  après 
la  prise  de  cette  place.  Elle  fut  quatre  mois  entiers  sans 
recevoir  un  sou.  L*autenr  prend  de  là  un  sujet  de  faire 
une  très-belle  réflexion  sur  la  patience  et  sur  la  fidélité 
du  soldat  franoois,  capable  de  vivre  sans  paye ,  et  de 
vendre  jusqu^à  ses  habits  pour  subsister,  bien  différent 
en  cela  des  Espagnols,  avares,  glorieux,  impatients,  et 

I.  On  platêt  Trainhands, 

1.  Cest  on  chiflre  qui  difFère  assez  peu  de  celui  que  donne  Mâ- 
canlaj  pour  s 660;  la  milice  des  Trttmbandt  montait  alors  au  moins 
à  cent  Tingt  mille  hommes  :  Tku  forée  eannot  he  estimated  at  less 
tkùm  a  ktaulred  and  twenty  ihousand  men.  (The  History  of  Bngltmd^ 
^tion  Tanchnitz,  tome  I,  p.  146  et  i47-) 

3.  Ici  commence  le  feuillet  so6,  inséparable  du  feuillet  so5. 

4.  Racine  renvoie  au  XIII*  volume  du  Mercure  de  Siri.  Le  siëge 
et  la  prise  de  Tortose  y  sont  racontes  aux  pages  917-993.  Voyez 
ei-dessos,  p.  9a,  note  4. 

5.  //  peseoFO  deiim  eittà  fU  fatto  prigione,  eomèattendo  egU  eon  una 
meta  picea,  ed  esortando  i  suai  a  martre  valoratamente  per  la  pair  ta , 
e  i«  partieoiare  i  preii  e  regoiari  che  tenevano  impugnate  Varmi.  (Il 
Mtreuno^  tome  XIII,  p.  9^3.) 

6.  Racine  renvoie  ici  à  la  page  941  du  môme  tome  de  Siri. 


i34  FRAGMENTS 

qui  par  leurs  fréquentes  révoltes  ont  mis  la  monarchie 
(l*Espagne  à  deux  doigts  de  sa  perte  '. 


XXX 

TUACS  *. 
HBOOCIATIOVt  DB  VOAXLLU,   ^tAqUI  D'AX*. 

Saint  Louis  fut  le  premier  qui  traita  et  prit  des  sûretés 
pour  le  commerce  avec  le  soudan  d'Egypte,  et  fit  éta- 
blir des  consuls  à  Alexandrie  en  Egypte ,  et  à  Tripoli 
de  Sorie  ^.  Les  Carcasses  et  Mamelus  étoient  bien  plus 
traitables  et  moins  injustes  que  les  Turcs.  Depuis  ce 
temps-là,  les  rois  de  France  ont  toujours  eu  un  ambas- 
sadeur ou  un  agent  à  la  Porte,  et  pour  l'intérêt  du  com- 
merce, et  pour  détourner  les  Turcs  d'attaquer  les  terres 
de  l'Église. 

Tous  les  chrétiens  d'Europe,  que  depuis  saint  Louis 

X.  Voici  les  expressions  de  Siri  à  la  page  que  Racine  vient  de 
citer  :  ....  Contra  il  comune  sentire  h  Spagnuolo  anzi ,  contumace , 
eervicosp^  açaro ,  intofferente^  e  grave  a  suoi  generali;  e  per  contrario 
il  Francese^  patientCf  ostequioto^  ilocile,  libérale^  e  eostante  ne*  dehiti 
délia  itde  a  ehi  lo  toprasta  e  rcgge. 

a.  Ce  fragment  se  troure  sur  le  feuillet  double  as3  et  aa4-  Louis 
Racine  et  Tëditeur  de  1807  Tout  entièrement  omis.  Geoffroy  et 
Aimë-Martin  en  ont  donne  la  partie  qui  est  au  feuillet  aa3,  mais 
non  celle  qui  est  au  feuillet  aa4,  et  qui  a  pour  titre  YsinsB. 

3.  Ce  sous-titre  est  écrit  en  marge  dans  le  manuscrit.  —  François 
de  Noailles,.  nomme  par  Henri  II  évêque  d'Acqs  ou  de  Dax,  puis 
ambassadeur  de  France  d^abord  en  Angleterre,  ensuite  a  Venise. 
Charles  IX  Tenvoya  en  1571  à  Constantinople,  dont  il  lui  confia 
l'ambassade.  Rentré  en  France  en  1574)  il  J  mourut  en  i585. 

4.  Nous  ayons  consenré  le  nom  de  Sorie  y  qui  est  dans  le  manu- 
scrit ;  il  était  équiraleut  à  Syrie. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  i35 

on  a  aj^lés  Francs  dans  le  Levant,  y  ont  négocié  sous 
la  bannière  de  France.  Les  Ragosains  sont  les  premiers 
qui  s'en  sont  tirés,  se  prétendant  sujets  ou  sous  la  pro- 
tection  du  Grand  Seigneur;  les  autres  ont  tâché  succès- 
nvement  de  faire  leurs  affaires  à  part. 

Le  roi  Charles  IX.  pria  la  Porte  d'envoyer  recom- 
mander en  Pologne  les  intérêts  du  duc  d'Anjou.  Le  pre- 
mier hassa  y  envoya  un  chiaoux  pour  recommander  pu- 
bh'cpiement  ce  prince,  et  secrètement  on  grand  seigneur 
polonois,  parent  du  Bassa,  au  cas  que  la  chose  put  réus- 
sir ;  sinon,  ordre  à  lui  d'appuyer  de  tout  son  pouvoir  le 
duc,  et  de  menacer  même  de  la  guerre,  si  on  élisoit  un 
Moscovite  ou  un  Autrichien  \ 

L'évêque  de  Noailles,  ambassadeur  à  la  Porte,  écrivoit 
ainsi  à  Monseigneur,  car  on  appeloit  de  la  sorte  le 
duc  d'Anjou  :  «  Ramenez  bientôt  les  François  voir 
les  Palus-Méotides,  d'où  ils  sortirent  lorsqu'ils  vinrent 
s'établir  en  Franconie  avant  que  de  passer  le  Rhin.  » 

Cet  évêque  conseilloit  fortement  à  Charles  IX  de  ne 
point  faire  de  ligue  avec  les  Espagnols  et  les  Vénitiens 
contre  le  Turc,  mai»  bien  jdutôt  d'entretenir  avec  lui 
bonne  correspondance ,  afin  de  reprendre  sur  les  Espa- 
gnols ce  qu*ils  avoient  pris  à  la  France. 

Le  doc  d'Anjou  avoît  eu  dessein  de  se  faire  roi  d^ Al- 
ger, à  quoi  les  Turcs  ne  voulurent  point  entendre; 
mais  au  lieu  de  cela  offiroient  à  la  France ,  si  elle 
se  vouloit  joindre  à  eux,  de  donner  au  duc  tout  ce 
qn'ib  prendroient  en  Italie  ;  et  l'évêque  d'Ax  étoit  de 
cet  avis. 

Les  Turcs  disoient  que  le  duc  d'Anjou  ne  voudroit 
jamais  être  leur  tributaire  ;  car  ils  appellent  tribut  les 

I.  Le  succès  de  cette  négociation  fut  dû  à  Thabiletë  de  Tëvéque 
d'Aoq»,  qui^  ëuit  alors,  comme  il  est  dit  à  la  ligne  suirante,  ambas- 
sadeur à  Constantinople. 


i36  FRAGMENTS 

présents  que  TEmperear  leur  fait,  et  ceux  que  la  Pologne 
leur  faisoit  encore. 

VBRISE^ 

Candie  (ut  assiégée  '  et  la  tranchée  ouverte  le  a*  mai 
1648  par  ITssaim  Bâcha,  qui  commandoit  Tarmée  des 
Turcs  en  Candie,  homme  d*une  fort  grande  valeur. 

Les  Turcs  prirent  le  temps  que  Tarmée  navale  des 
Vénitiens  venoit  de  (aire  un  grand  naufrage,  le  18  mars, 
devant  Tîle  de  Psara  *.  Ils  perdirent  dix-sept  galères, 
douze  vaisseaux  et  deux  mille  ^  tant  soldats  que  forçats, 
avec  leur  général  Grimani,  qui  alloit  boucher  aux  Turcs 
le  passage  des  Dardanelles. 

Avant  ce  naufrage,  leurs  affaires  étoient  eu  très-bon 
état  en  Candie ,  et  ils  y  avoient  pris  le  château  de  Mira- 
bel,  d*où  les  Turcs  commandoient  tous  les  environs  de 
Spina-Longa  et  de  Sitia.  Gildhas  *  commandoit  les  trou- 
pes allemandes,  et  le  chevalier  de  Gremonville  les 
(rançoises  *. 

I .  Ici  commence  le  feuillet  994i  ins^panBle  du  précédent.  Ra- 
cine a  écrit  à  la  marge  :  «  Siri,  tome  XII,  p.  960.  »  L^ouTrage  de 
Siri  auquel  il  renvoie  est  toujours  il  Mercurio, 

3.  La  guerre  de  Candie  dura  ringt-cinq  ans.  Elle  ne  se  termina 
qu'en  1669,  par  la  prise  de  Candie,  qui  se  rendit  an  grand  vizir 
Achmet  Kuperli  ou  Koproli  le  5  septembre  1669. 

3.  Siri,  il  Mercurio,  tome  XII,  p.  953.  —  «  La  Gatette  dit  devant 
Scio.  »  {Note  de  Racine.) 

4.  «  La  Gazette  dit  sept  k  huit  miUe  hommes.  »  {Note  de  Rame.) 

5.  Voyez  encore  la  Gatette  du  11  avril  1648.  Gildhas  amena  des 
secours  en  Candie  en  1647.  La  Gatette  écrit  ce  nom  GU  ilTHas^ 
et  ailleurs  Ghil  d'Has. 

6.  //  Mercurio,  tome  XII,  p.  950.  —  Le  chevalier,  plus  tard 
commandeur,  de  Gremonville,  dont  le  firère  fut  ambassadeur  du 
Roi  à  Venise,  servait  à  Candie,  dans  les  troupes  de  Venise,  depuis 
Fan  1647.  Il  fut  résident  près  de  PEmpereur  de  1664  à  1673.  D 
mourut  le  i^^  décembre  1686.  Voyez  la  Gazette  du  7  décembre 
1686. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  187 

En'  janvier  1649,  le  baîle'  de  Venise  offiroit  au  nou- 
veau yisir  (car  Ibrahim  venoit  d'être  étranglé,  et  Maho- 
met mis  sur  le  trône*],  il  offiroit,  dis-je,  de  partager  avec 
les  Turcs  Ttle  de  Candie  ;  et  se  cachoit  de  Tambassa- 
deur  de  France  pour  faire  cette  o£fre. 

La  Haye  ^  avoit  des  ordres  exprès  de  ne  point  tremper 
dans  une  paix  si  honteuse,  et  dans  un  traité  par  lequel 
les  chrétiens  abandonneroient  un  royaume  tout  entier 
aax  infidèles*. 


XXXI 

YissBLLiHi*  étoit  d'abord  chef  des  mécontents;  après 
lui  Teleki^,  premier  ministre  de  Transylvanie;  puis 
celni-d  s'étant  tiré  adroitement  d'affaire,  Tekeli*  prit  sa 

1.  Racine  a  écrit  en  marge  :  «  Siri,  tome  XŒ,  p.  706.  » 

1.  Cétait  le  titre  qu'on  donnait  à  Tambassadeur  de  Veniie  près 
àe  la  Porte. 

3.  Voyez  notre  tome  II,  p.  47^1  note  i.  Ce  fat  en  1648,  comme 
noos  Favons  dit  dans  cette  note,  qu*Ibrahim  fut  étranglé,  et  que 
Mahomet  IV  monta  sur  le  trdne.  La  Biographie  universelle,  arti- 
cles Ihahim  et  Mahomet  IV,  place  a  tort,  ainsi  que  plusieurs  histo- 
n^ns,  ces  érénements  en  1649.  Voyez  la  Gazette  du  19  décem- 
bre 1648. 

4-  Jean  de  la  Haye,  seigneur  de  Venteley.  U  avait,  en  1641, 
remplacé  Philippe  de  Harlay,  comte  de  Cézy,  comme  ambassadeur 
à  Consrantinople.  Voyez  notre  tome  II,  p.  474,  note  a. 

5.  llMereurio,  tome  XIII,  p.  707. 

^.  Ce  fragment  est  au  feuillet  219.  —  Paul  Wesselini,  fr^  du 
palatin  de  Hongrie  comte  Wesselini,  commanda  Parmée  des  mé- 
contents hongrois  en  1677  et  1678. 

7.  Le  commandement  général  des  mécontents  hongrois  fut  re- 
mit a  Michel  Teleki,  premier  ministre  du  prince  de  Transylvanie 
ApafE,  qui  était  arriré  à  leur  camp  le  96  avril  1678.  Voyez  la 
Gvette  du  II  avril  1678.  Geoffroy  a  confondu  Teleki  avec  Tekeù. 

S.  Émeric  Tekeli  ou,  comme  la  Gazette  le  nomme  le  plus  souvent, 


i38  FRAGMENTS 

place  :  homme  de  fort  bonne  maison ,  seigneur  d'Ha- 
niade,  et  des  descendants  du  fameux  Huniade^.  Son 
père  étoit  chevalier  de  la  Toison.  Il  étoit  tout  jeune 
quand  on  fit  le  procès  à  Nadasti  et  au  comte  de 
Serin*,  et  s'enfuit  de  Vienne  pour  se  retirer  en  Tran- 
sylvanie. 

Le  Grand  Seigneur  '  ne  songeoit  rien  moins  qu'à  la 
réduction  des  Cosaques,  quand  ils  lui  envoyèrent  de- 
mander sa  protection.  Il  étoit  i  la  chasse  à  Larisse,  vers 
la  fin  du  siège  de  Candie  ^.  Ce  (ut  le  général  Tétera, 
chef  des  Cosaques,  qui  s'y  en  alla,  pour  se  venger 
des  Polonois,  qui  avoient  pris  le  parti  de....  son  se- 
crétaire, qui  s'étoit  révolté  contre  lui.  Le  Grand  Sei- 
gneur leur  donna  un  étendard,  pour  marque  qu'il  les 
prenoit  sous  sa  protection.  Nointel  et  H''....*. 


le  comte  Teokeoli,  mort  le  i3  septembre  1705.  Après  avoir  lenri 
quelque  temps  sous  Teleki,  à  qui  il  ëtaît  Tenu  se  joindre,  il  se 
trouva,  vers  la  fin  de  Tannée  1678,  investi  du  commandement  supé- 
rieur de  Tarmée.  Pendant  plusieurs  années  il  fut  vainqueur  des 
armées  impériales.  En  168  a,  il  fut  proclamé  prince  de  la  hante 
Hongrie  sous  la  suzeraineté  ottomane. 

I.  Jean  Corvin  Huniade,  vafvode  de  Transylvanie,  célèbre  par 
ses  exploits  contre  les  Ottomans,  surtout  par  la  défense  de  fielgrade 
en  1456,  qui  fut  Tannée  même  de  sa  mort. 

s.  François  de  Nadasti,  comte  de  Forgatsch,  dont  la  fille  fiat 
mère  d^Émeric  Tekeli,  et  Pierre  comte  de  Serin,  dont  le  même 
Tekeli  épousa  la  fille  en  i68a,  furent  décapités  à  Nenstadt  le  3o 
avril  1671. 

3.  Mahomet  IV.  Voyez  ci-dessus,  p.  137,  note  3. 

4.  En  1669.  Voyez  ci-dessus,  p.  i36,  note  a. 

5.  Peut-être  cette  phrase  inachevée  commençait-elle  l'exposé  de 
quelque  nouveau  fait.  Peut-être  aussi  Racine  se  proposait-il  seule- 
ment de  citer  ses  autorités  pour  ce  qu'il  vient  de  rapporter.  — 
Charles-François  Olier,  marquis  de  Nointel,  fut,  après  la  prise  de 
Candie,  nommé  ambassadeur  de  France  à  Constantinople,  où  il 
eut  sa  première  audience  du  Grand  Seigneur  en  1671,  et  d'où  il 
ne  fut  rappelé  qu'en  1678.  Il  mourut  le  3i  mars  x685. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  1)9 

Vers  le  même  temps,  les  Hongrois,  irrités  de  la  mort 
da  comte  de  Serin,  etc.,  envoyèrent  aussi  demander  au 
Grand  Seigneur  sa  protection* 

L'Empereur^,  pour  ramener  les  mécontents,  leur 
écrivoit  pour  les  exhorter  à  revenir  partager  avec  lui 
les  grands  butins  qu'il  iaisoit  en  France, 


XXXII 


Pologne'» 


Les  Cosaques  commencèrent  à  se  soulever  en  1648, 
an  peu  avant  la  mort  du  roi  Ladislas  *. 

Ce  prince  avoit  dessein  de  faire  la  guerre  aux  Tar-> 
tares  jusque  dans  leur  pays  de  Grim,  et  vouloit  mettre 
à  la  tête  de  Tarmée  des  Cosaques  Kmielnischi.  La  Ré- 
pabliqae  n'approuva  point  cette  guerre,  et  le  Roi  fut 
obligé  de  licencier,  malgré  lui,  ses  troupes.  H  en  eut 
tant  de  dépit  qu^on  prétend  qu*il  excita  en  secret  Kmiel- 
nischi de  faire  révolter  les  Cosaques,  afin  d'obliger  la 
République  d'avoir,  malgré  elle,  sur  pied  une  armée,  et 
de  lui  en  donner  le  commandement,  bien  résolu  de  se 
joindre  avec  les  Cosaques  quand  il  seroit  proche  d'eux, 
et  de  marcher  non-seulement  contre  les  Tartares,  mais 
même  contre  les  Turcs.  Kjnielnischi,  se  voyant  sans  em- 
ploi, et  de  plus  ayant  été  maltraité  dans  un  grand  pio- 


I.  Lëopold  !•«•. 

1.  Ce  fragment,  qui  est  an  feuillet  918,  n'a  pas  été  donne  par 
Lotit  Racine,  ni  par  l'ëditeur  de  1807.  Geoffroy  (1808)  eft  le 
praoier  qui  l'ait  publie. 

3.  Ladialas  on  Vladislas  Vil  monint  le  ao  mai  1648. 


i4o  FRAGMENTS 

ces  qu*il  avoit  eu  pour  des  terres  qui  lui  appartenoient, 
commença  à  cabaler  parmi  les  Cosaques,  à  qui  la  paix 
étoit  insupportable ,  et  surtout  au  peuple  de  Russie ,  à 
cause  des  duretés  et  des  vexations  de  la  noblesse  polo- 
noise.  Kmielnischi  étoit  fils  d'un  noble  Polonois,  et  dans 
sa  jeunesse  s^étoit  enrôlé  dans  la  milice  cosaque,  où  il 
s'étoit  distingué  et  étoit  monté  4  la  charge  de  capitaine. 
(Voir^  son  portrait  dans  Siri*,  tome  XU,  p.  987;  voir 
Torigine  des  Cosaques  dans  le  Voyage  de  la  reine  de 
Pologne^y  p.  aaS,  et  Siri,  au  même  tome  et  au  même 
endroit.) 

C'étoient  des  brigands  sans  loi  et  sans  discipline,  qui 
s'amassoient  sur  les  frontières  de  Russie,  pour  faire  des 
courses  sur  les  Turcs  par  la  mer  Noire.  Etienne  Battori* 
leur  donna  des  lois,  pour  s'en  servir  dans  le  besoin  de 
la  guerre  et  pour  garder  les  avenues  de  la  Russie.  Il 
les  plaça  dans  les  îles  du  Boristène  :  ce  qui  les  a  fait  ap- 
peler Cosaques  Zaporouschi.  Kosa  signifie  «  chèvre,  »  et 
porohif  en  langage  sclavon,  signifie  «  écueils*,  »  à  cause 


I.  Cette  parenthèse  a  M  omise  par  Geoffroy  etpar  Aimë-Maitiii. 
a.  //  Mereurio, 

3.  Le  titre  exact  de  ce  liyre  est  :  Histoire  et  Relation  du  vcyaçtit 
la  royne  de  Pologne,..,  par  Jean  le  Laboureur....  Paris,  MDCXLVUI 
(i  Yolume  in>4o).  Cette  reine  de  Pologne  ett  Marie  de  Goniagae, 
femme  de  Ladislas  IV.  A  la  suite  de  la  première  partie  de  la  Àtk-- 
tion,  le  Laboureur  a  place  un  Traité  du  royaume  de  Pologne j  avec 
lequel  recommence  une  nouvelle  pagination.  C'est  à  la  page  aaS  de 
ce  Trmté  que  se  troure  le  cbapitre  intitule  :  des  Cosaques  Zaporo' 
viens^  milice  de  Russie,  H  finit  an  milieu  de  la  page  a3i. 

4.  Prince  de  Trans^Tanie  en  1571,  ëlu  roi  de  Pologne  en  1576. 
Il  mourut  le  i3  décembre  i586. 

5.  Cette  double  ëtymologie  ett  tirée  de  V Histoire  et  Relation  d* 
poyage  de  la  royne  de  Pologne^  p.  937.  La  première,  dérivant  Kesek 
de  Kosa^  «  cbèvre,  »  est  «plus  que  douteuse;  on  rattache  ce  nom 
avec  plus  de  vraisemblance  au  mot  KazitaA,  qui,  chez  les  Torcf 
orientaux,  signifie  «  partisan,  soldai  errant,  armé  a  la  légère.  »  La 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  141 

du  grand  nombre  d^écueils  qui  sont  dans  le  lit  du  Boris- 
tène,  et  qui  le  séparent  en  plusieurs  petits  bras  ^ 

Yoy.  aussi  Henricus  /*  de  Fredro,  p.  ii6g^  où  est  Fori- 
gine  et  les  mœurs  des  Cosaques. 

y.  au  même  endroit,  p.  ayS^  la  manière  de  combattre 
des  Tartares  *. 

y.  la  harangue  des  ambassadeurs  de  Pologne  au  roi 
Henri  m*,  où  sont  exprimés  tous  les  droits,  les  avan- 
tages et  les  revenus  du  roi  de  Pologne,  [page]  1 19  *. 

teetmàe  est  exacte  :  porog^  en  rmae,  a  pour  sent  «  seuil,  »  et  au  figuré 
«  btmge,  brisant,  chute  d'eau;  »  et  xa  vent  dire  «  an  delà.  » 

I.  Geoffroy  et  Aimé-Martin  s'arrêtent  ici  dans  le  texte  qu'ils  don- 
nent de  ce  fragment.  Ils  suppriment  les  indications  suiTantes  des 
oomges  auxquels  Racine  renToie. 

3.  Le  liTTe  de  Fredro,  Guia  pcp^di  Poloni  tub  Henrico  Vtileno,,.» 
(Dantisci,  MDCLII,  i  rolnme  in-4®)«  &  pour  titre  courant  :  Henricus 
primas  rex  PoUmontm.  Le  passage  auquel  renvoie  Racine  commence 
I  la  dernière  ligne  de  la  page  969,  et  finit  aux  dernières  lignes  de 
la  page  173.  Il  y  est  question,  à  la  page  979,  des  parohi  dont 
Racine  rient  de  parier  :  Boristhenes  /iupUu....  per  duodeeim  porohos 
{fû grodus  seu  ohiees  diei  possunt)  descendit..,, 

3.  Voici  le  passage  assez  intéressant  de  Fredro  :  Tartari^.,,  qui 
«Ml  pn  vidanm^  ud  prmda  eertani,  difficulier  evocûntur  im  prmUum^ 
^  sms  perieuio  prtsdam  qumrwU;  pel  si  eoatti  deseendunt  inpugnamf 
^fdto  in  ecnfU^tu  eedêre  pro  stratagematê  hahent,.,,  Quare  integris 
^rdinikis  sequemdi;  nom  fugiwU^  redeuni^  atsuUant^  omnia  uno  motu 
pmtant^  cum  pericuh  sêquemûs.  Arma  eomm  suni  framêa  et  arcusf 
ff^^ea  eamimtSj  areu  emmut  feriunif  in  pugna  desperaiione  armantur; 
c^nmaUuti  fuam  captipetri;  nusquam  Tartarum  witam  orantem  miriM, 
av(  jMKii  eaptmm  et  Ugatum;  dum  arma  perdant j  pugno  ferlant  s  op» 
M  mûtes j  dum  pugnare  proponunt, 

4-  Racine  renroie  encore  ici  au  Uttc  de  Fredro,  où  se  lit  la 
^ivingne  prononcée  par  le  chef  de  l'ambassade,  Adam  Konarskî , 
^^^^qne  de  Posnanie.  EUe  commence  à  la  page  119  et  finit  aux  der- 
nières lignes  de  la  page  194.  Fredro  donne  à  la  page  io5  les  noms 
des  ambassadeurs  enroyés  à  Paris  au  roi  élu.  Cette  ambassade  est 
<ie  Tannée  1573. 


t4a  FRAGMENTS 


xxxm 

Ragotski  ^  fut  obligé  d'abandonner  Graoovie ,  pressé 
par  les  Polonois,  qui  avoient  reçu  du  secours  de  l'Empe- 
reur ;  tandis  que  le  roi  de  Suède  *,  de  son  côté,  avoit  été 
obligé  de  courir  dans  ses  JÊtats  de  Brème,  attaqués  pr 
les  Danois.  Ragotski,  en  se  retirant  de  Pologne,  fat 
battu  '  par  les  Polonois,  qui  Fattendoient  dans  de  cer- 
tains défilés,  d*où  il  ne  put  sortir  qu'à  force  d*argent  et 
en  signant  une  paix  honteuse.  Il  n'en  fut  pas  quitte  pour 
cela.  Car,  dans  sa  retraite,  il  fut  encore  chargé  par  les 
Tartares,  eut  bien  de  la  peine  à  se  sauver  de  leurs 
mains,  son  général  étant  demeuré  prisonnier  avec  la 
meilleure  partie  de  son  armée.  Il  revint  donc  dans  ses 
États,  détesté  à  cause  de  tant  de  malheurs  dont  il  avoit 
été  cause,  et  ne  songea  plus  qu'à  fléchir  par  beaucoup 
de  soumissions  et  les  Turcs  et  le  conseil  de  TEmpereur, 
également  indignés  de  Tirruption  qu'il  avoit  faite  dans 
la  Pologne,  malgré  les  avis  de  Fun  et  sans  la  permissioa 
des  autres.  Mais  surtout  le  grand  visir  Kuperli  ^  le  haîssoit 

1.  En  tête  de  ce  fragment,  qui  se  troare  aa  double  feuillet  sao 
et  aai4  Racine  a  écrit  Naiti,  non*  indiquant  ainsi  quel  historien  il 
k  suiri.  L'ouvrage  aux  pages  duquel  il  renvoie  en  plusieurs  endroits 
a  pour  titre  :  Historm  délia  R^uhUca  Feneia  di  Baitiita  iV«iî.... 
Parte  seconda»  In  Fenetia,  MDCLXXIX,  i  Tolume  in-4°.  Nonsrefi- 
Yoyons,  comme  nous  Pavons  fait  pour  Siri,  à  quelques  pages  qoe 
Racine  n'a  pas  indiquées.  —  Ce  fragment  a  été  laissé  de  oôté  par 
tous  les  éditeurs'  précédents.  —  Georges  II  Ragotski  ou  Racoezi 
succéda  à  son  père,  comme  prince  de  Transylvanie,  en  164B.  U 
mourut  le  26  juin  1660.  Les  événements  rapportés  ici  sont  des 
années  1657  et  i658. 

%.  Charles-Gustave,  qui  avait  fait  alliance  avec  Ragotski.  Le 
duché  de  Brdme  fiit  attaqué  aux  mois  de  juin  et  de  juillet  1657. 

3.  Le  14  Juillet  1657. 

4-  Mehemet  Kuperli  ou  Koproli,  père  de  cet  Acfamet  Knperli 
dont  il  a  été  parlé  ci-dessus,  p.  i36,  note  a. 


ET  NOTES   HISTORIQUES.  ifi'i 

mortellement,  parce  qu^autrefois  Ragotski  lui  avoit  ren- 
da,  à  la  Porte,  de  fort  mauvais  offices,  et  même  lui 
avoit  pensé  faire  perdre  la  tête  ^. 

Le  Visir  prit  donc  l'occasion  de  se  venger  en  Taccu- 
sant  d'avoir  osé,  sans  la  permission  du  Sultan,  faire 
alliance  avec  des  étrangers,  entreprendre  la  guerre,  et 
se  retirer  de  Tobéissance  qu'il  devoit  à  la  Porte. 

Le  conseil  de  Vienne,  appréhendant  qu^en  voulant 
perdre  Ragotski  les  Turcs  ne  s'emparassent  de  la  Tran- 
sylvanie, faisoit  les  derniers  efforts  pour  apaiser  le  Visir; 
mais  inutilement;  car  le  Visir  refusoit  argent,  emprison- 
noit  tous  les  envoyés  de  Ragotski,  et  menaçoit  les  Tran- 
sylvains d'une  entière  ruine  s'ils  ne  lui  envoyoient  la 
tête  de  leur  prince*.  Le  Visir  destitua  les  princes  de  Va- 
lachie  et  de  Moldavie, amis  de  Ragotski*.  L'Empire  étoit 
alors  vacant,  et  le  roi  de  Hongrie  étoit  à  la  dicte  de 
Francfort. 

Ligue  du  Rhin,  p.  478  *. 

Le  Visir,  vers  le  temps  du  couronnement  de  l'Empe- 
reur', se  met  en  campagne,  joint  les  bassas  de  Bude  et 


I.  Toat  ce  qui  précède  est  aux  pages  4^0  et  461  de  VMutoire  de 
Nui. 
1.  Bittoria  délia  Repuhltca  Veneta^  p.  461. 

3.  Ibidem  y  p.  477* 

4.  Racine  renroie  encoi^  à  VMutoire  de  Nani. —  Cette  ligue  du  Rhin 
fbt  lignée  au  mois  d^aout  i658.  La  France  fit  alliance  avec  le  roi  de 
Suède,  les  électeurs  de  Mayence,  de  Cologne  et  de  Trèyes,  Péréque 
<^  Manster,  les  ducs  de  Brunswick  et  de  Neubourg,  et  le  land- 
K^Te  de  Hesse-Cassel  :  /  Francesi  eredendo  la  pià  sUura  cautione 
^^pûtti  asere  il  timoré  e  la  forza^  stabilirono  unione^  ehe  poi  chiamassi 
lega  del  Rheno,  eon  la  corona  di  Suetia,  con  gli  Mlettori  di  Magonza 
fColonia,  coït  i  Duehi  di  Braus^ieh,  e  di  Neobuig^  e  col  langra»io 
^Haùay  eon  Ucambievole  accorda  di  aiutarsi  Pun  Paltro,  e  di  attrin» 
gère  U  nuovo  Cesare  aW  ouervama  délia  divisata  capitolatione.  (Nak, 
a  l'endroit  indiqué.) 

5.  Léopold  I«r.  U  fut  couronné  le  3i  juillet  i658. 


1 


144  FRAGMENTS 

de  Temisvar.  Ragotski,  ayant  ramassé  ce  qu'il  put  troa- 
ver  de  troupes,  et  entre  autres  trois  ou  quatre  mille  Al- 
lemands, qui  fut  tout  ce  qu*il  put  obtenir  de  TEmperenr, 
attaque  et  défait  un  grand  corps  de  Turcs  proche  d'A- 
radS  ^t  leur  tue  quelque  six  mille  hommes  ayec  bon 
nombre  d'ofBciers  prisonniers*. 

Néanmoins  le  Yisir,  poursuivant  sa  pointe,  attaque  et 
prend  Jenè  {Janos  *),  place  importante  qui  couvroit  les 
villes  des  montagnes,  environnée  d'un  grand  marais,  et 
oblige  les  états  à  déposer  Ragotski.  Jenô  se  rendit  an 
mois  de  septembre^,  et  Ragotski  fit  couper  la  tète  au 
gouverneur.  Acace  Bachiani*,  avec  le  consentement  de 
la  Porte,  à  laquelle  il  promettoit  un  grand  tribut,  fut 
substitué  à  la  place  de  Ragotski. 

n  a  dit  plus  haut  *  que  Francisco  Redey  avoit  été  élu 
à  la  place  de  Ragotski,  de  son  consentement  même,  et 
que,  rhiver  suivant,  comme  il  avoit  des  places,  beau- 
coup d'argent  et  de  partisans,  se  voyant  pour  un  temps 
hors  d'appréhension  des  Tartares  et  des  Turcs,  il  avoit 
repris  le  nom  et  l'autorité  de  prince.  Tout  cela  s'étoit 
passé  avant  que  le  Yisir  se  (Ùt  mis  en  campagne. 


I.  Ville  de  Hongrie,  sur  le  Maros.  Sur  cette  TÎctoire  d^Arad,  rem- 
portëe  par  Ragotski,  on  peut  roir  la  Gazeite  du  a  9  norembre  1659. 
a.  Page  479  [de  Nani].  (Note  de  Racine.) 
3.  Janot  eat  écrit  au-dessus  de  Jenb^  dans  Pinterligne.  —  4*  '^^9* 

5.  Acacto  Baehiani^  eol  beneplaeito  délia  Porîa^  perche  U  promet" 
tepa  maggior  trihuto,  fU  sostituito  nel  prineipaio.  {Hisioria  delta  i?e- 
publiea  Feneta,  p.  479-)  —  Au-dessus  du  nom  d^Jeaea  Bmektaaif 
Racine  a  écrit  en  interligne  :  Bardai.  La  Gatette  Pappelle  conitain- 
ment  le  comte  Barklai  ou  le  prince  Barklai.  Son  nom  paraft  aroir  été 
Acaxio  Barezm,  U  est  appelé  Acaeius  Barctai  à  la  page  53  du  livre 
de  Jean  Betlen  que  nous  avons  cité  ci-dessus,  p.  IS9,  note  9. 

6.  Page  47^-  —  Au-dessus  du  nom  de  Franeeseo  Redey  (dans 
Nani  :  Franceico  Redeit)^  Racine  a  écrit  en  interligne  :  Redeii  Ferens. 
Dans  la  Gazette  du  as  juin  x658,  ce  compétiteur  de  Ragotiki  est 
appelé  le  comte  de  Rédey  Ferents. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  145 

Bien  que  Ragotski  eût  donc  fait  un  traité  avec  Ba- 
chûni,  et  qu^il  ne  se  fût  réservé  que  ses  biens  et  deux 
comtés  dans  la  Hongrie,  néanmoins  le  Yisir  demandoît 
toajonrs  sa  tête.  P.  49^'* 


XXXIV 

Là'  Valaquie  est  contiguë  à  la  Pologne,  et  les  géo- 
graphes appellent  mal  à  propos  Moldavie  ce  qui  est 
proprement  la  Valaquie.  Les  Polonois  ne  font  sou- 
?ent  de  ces  deux  pays  qu^un  seul  pays,  nommant  Tun 
nmpiement  Valaquie ,  et  Tautre  tantôt  la  Valaquie 
de  delà  les  monts,  Transalpinam  Valachiam^  et  tan- 
tôt Moldavie. 

Le  '  courrier  de  Tévéque  de  Marseille,  Fourbin^,  qui 
apporta  en  France  la  nouvelle  de  Félection  de  Sobieski 
poarroi  de  Pologne,  alla  descendre  chez  M.  le  Tellier*, 
et  fut  renvoyé  en  Pologne  avec  une  lettre  du  cardinal  de 

I.  Voici  le  passage  de  Nani,  k  la  page  indiquée  par  Racine  : 
iSstrvatisi  dal  Sagotzi  tolamente  i  suoi  beni^  e  i  due  Conùtati  delP  On- 
fAcrû,  il  Fuir  nondimeno  non  ti  mostrava  content o^  e  ehieJeva  à'po' 
poU  perîinaeementêf  ehe  gli  mandassero  la  di  lui  testa, 

>.  Ce  fragment  est  au  feuillet  aaa.  Le  premier  alinéa  n'a  été 
donné  par  aucun  des  éditeurs  précédents. 

3.  An  commencement  de  cet  alinéa  Racine  a  écrit  en  marge  ; 
«  M.  de  Torcy.  » 

4-  Toussaint  de  Forbin  ou  de  Fourbin  Janson,  mort  le  «4  mars 
1713.  n  fut  ëvéque  de  Digne  en  i658,  de  Marseille  en  1668,  de 
Beaurais  en  1679,  cardinal  en  1690.  Louis  XIV,  à  la  fin  de  1673, 
le  nomma  son  ambassadeur  extraordinaire  à  la  diète  de  Pologne, 
alors  réunie  pour  Félection  d'un  roi.  H  passa  pour  avoir  beaucoup 
contribué  à  l'élection  de  Jean  Sobieski  (1674). 

5.  Micbel  le  Tellier,  secrétaire  d*État  au  département  de  la  guerre 
depuis  1643.  n  ne  devint  chancelier  qu'en  1^77. 

J.  Racub.  ▼  10 


i46  FRAGMENTS 

Bonzy^  pour  la  Reine  '•  Ce  cardinal  lui  mandoit  que  si 
le  Roi  son  mari  vouloit,  on  lui  donneroit  cent  mille  écus 
pour  nommer  au  cardinalat  un  sujet  qui  auroit  toutTap- 
pui  qu'on  pouvoit  désirer  pour  faire  réussir  cette  nomina- 
tion :  et  ce  sujet  étoit  Monsieur  Tarchevéque  de  Reims'. 
Le^  roi  de  Pologne  Sobieski'  ne  songeoit  point  à  re- 
connoitre  le  prince  d'Orange  pour  roi  d'Angleterre, 
n'ayant  ni  besoin  de  lui,  ni  affaire  à  lui.  Un  Polonois, 
qui  avoit  besoin  en  Hollande  d'une  recommandation  au- 
près du  prince  d'Orange,  donna  trois  cents  pistoles  à  an 
jésuite  *  allemand  qui  étoit  auprès  du  roi  de  Pologne  ;  et 
le  Roi  se  laissa  gagner  par  ce  jésuite. 

I.  Pierre  de  Bonzi,  mort  arcbevéque  de  Narbonoe  en  lyoS.  Il 
ibt  soeoeuivement  ^véque  de  Béziers  et  archevêque  de  Touloiue. 
AmbaMadenr  en  Pologne,  en  x668,  au  temps  du  roi  Casimir  IV,  il 
rapporta  de  cette  ambassade  la  nomination  de  Pologne  au  cardi- 
nalat. Voyez  les  Hémoires  de  Saint-Simon,  tome  I,  p.  404*  ^^ 
tome  rV,  p.  i33  et  snirantes;  et  les  Lettret  de  Mme  de  Sipigni^ 
tome  II,  p.  517,  à  la  note  6  de  la  lettre  s53. 

a.  La  reine  de  Pologne,  femme  de  Sobieski,  Marie-Casimire  de 
la  Grange  d'Arquien ,  fille  du  marquis  d'Arquien,  capitaine  des 
gardes  de  Monsieur. 

3.  Cbarles-Maurice  le  Tellier,  mort  le  a  a  février  17 10,  fils  de  Mi-* 
chel  le  Tellier.  U  avait  ëtë  nommé  arcbevéque  de  Reims  en  1671. 

4.  Ici  Bacine  a  écrit  en  marge  :  «  Bonrep.  »  (Bonnpaax).  Il 
devait  ces  renseignements  à  M.  de  Bonrepaux,  comme  les  précé- 
dents à  M.  de  Torcy.  —  François  Dusson  de  Bonrepanx,  mort  le 
la  août  171 9,  avait  été  dans  les  bureaux  de  la  marine  an  temps 
de  Colbert,  puis  devint  un  des  premiers  commis  de  Seignelay.  D  fut 
cbargé  de  diverses  missions  en  Angleterre,  en  i685,  1687  et  1688. 
En  1693,  il  fut  nonmié  à  Fambassade  de  Danemark,  et  plus  tard  à 
celle  de  Hollande,  où  Jean*Baptiste  Racine  fut  envoyé  près  de  lui  dans 
l'année  1698.  Racine  écrivait  alors  à  son  fils  (lettre  du  5  juin  1698) 
que  M.  de  Bonrepaux  était  le  meilleur  ami  qu'il  eût  au  monde. 

5.  Racine  écrit  ici  Sohîeschi. 

6.  Ici  et  à  la  fin  de  la  phrase,  Louis  Racine  a  remplacé  le  mot 
jésuite  par  celui  de  religieux.  L'édition  de  1807  donne  jésuite^  mais 
omet  allemand;  Geoflroy  est  revenu  an  texte  de  Louis  Racine. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  147 

XXXV 

VIENNE^. 

Coma  le  roi  de  Pologne  '  fut  monté  à  cheval  pour  al- 
ler secourir  Vienne*,  la  Reine ^  le  regardoit  en  pleurant, 
et  embrassant  un  jeune  fils  qu'elle  avoit;  le  Roi  lui  dit  : 
«  Qu'aveab-vous  à  pleurer,  Madame?  »  Elle  répondit  : 
«  Je  plenre  de  ce  que  cet  enfant  n'est  pas  en  état  de  vous 
suivre  conune  les  autres.  »  Le  Roi  s'adressant  au  Nonce 
lui  dit  :  «  Mandez  au  Pape  que  vous  m'avez  vu  à  cheval, 
et  que  Vienne  est  secourue.  » 

Après  la  levée  du  siège,  il  a  écrit  au  Pape  :  «  Je  suis 
venu,  j'ai  vu,  et  Dieu  a  vaincu.  » 

U  avoit  mandé  à  l'Empereur,  lorsqu'il  étoit  encore  en 
chemin,  qu'il  n'y  avoit  qu'à  ne  point  craindre  les  Turcs, 
et  aller  à  eux. 

J'ai  ouï  dire  à  Monsieur  le  Prince,  aux  premières 
nouvelles  de  ce  siège,  que  si  la  tête  n'avoit  point  entière- 
ment tourné  aux  Allemands,  le  plus  grand  bonheur  du 
monde  pour  l'Empereur  étoit  que  les  Turcs  eussent  as- 
siégé Vienne. 

La  première  nouvelle  de  la  levée  du  siège  a  été  que  les 
Turcs  avoient  été  battus.  Le  jour  d'après,  on  a  dit  qu'ils 
s'étoient  retirés. 

Insolence'^  des  bourgeois  d'Anvers  à  leur  feu  d'arti- 

I.  Ce  fragment  est  au  feuillet  aïo.  -^  Ce  que  Racine  rapporte 
(Uns  les  deux  premiers  alinéas,  se  lit  aussi,  et  presque  dans  les 
mêmes  termes,  dans  le  Furetirianay  p.  337. 

3.  Jean  Sobieski,  mort  le  17  juin  1696.  Voyez  ci>dessus,  p.  i4^, 
note  4. 

3.  En  i683.  —  4-  Voyez  ci-dessus,  p.  146,  note  a. 

5.  Cet  alinëa,  que  Louis  Racine  avait  conservé  à  sa  véritable 
place,  a  ëté  mis  à  tort  par  Sf .  Aimé-Martin  à  la  fin  du  fragment* 


i48  FRAGMENTS 

fice.  Ils  ont  représenté  le  Grand  Turc,  un  prince  d^Eu- 
rope  '  et  le  diable,  ligués  tous  trois,  qu'on  a  fait  sauter, 
disent-ils,  en  Tair,  avec  l'applaudissement  de  tous  les 
spectateurs*. 

Les  cardinaux  ont  envoyé  à  l'Empereur  cent  mille  écns, 
les  dames  romaines  autant,  et  le  Pape  deux  fois  autant. 

Le  Roi,  dès  qu'il  eut  nouvelle  du  siège  levé,  l'envoya 
dire  au  Nonce. 

Le  roi  de  Pologne  joue  presque  tous  les  soirs  à  colin* 
maillard  :  on  dit  qu'on  le  fait  jouer  de  peur  qu'il  ne 
s'endorme. 


XXXVI 

OLLANDB  *. 


Gblui  ^  qui  contribua  le  plus  à  séparer  la  Hollande  des 
intérêts  de  la  France,  en  1648,  ce  fot  un  député  de  Hol- 
lande à  MuQSter,  nonuné  Knut.  La  France  lui  avoit  pro- 
mis une  pension  de  deux  mille  écus  en  i635,  et  il  n'en 

I.  ÉTidemment  Louis  XIV,  qui  espérant  que  TEmpire  serait 
force  de  recourir  à  la  France,  s'efforça  d'empêcher  Sobieski  de 
teooorir  Vienne.  On  publia  à  Cologne  un  pamphlet  intitule  :  Im 
cour  de  France  turhanuée. 

a.  Louis  Racine  a  retranche  les  mots  «  avec  Papplaudissement  de 
tons  les  spectateurs.  »  —  Us  ont  été  rétablis  dans  Tëdition  de  1807, 
arec  la  rariante:  «  aux  applaudissements;  »  et  exactement  dans 
celle  de  1808. 

3.  Ce  fragment  appartient  aux  feuillets  91 3,  ai4  et  ai 5,  qui 
ETidemment  ne  doivent  pas  être  séparés.  Il  manque  presque  entiè- 
rement dans  IVdition  de  1807.  Geoffroy  et  Aimé-Martin  en  ont 
donné  tout  ce  qui  appartient  aux  feuillets  ai3  et  3i4i  uibxb  du 
feuillet  a  1 5  le  dernier  paragraphe  seulement,  qui  se  trouve  d'ailleurs 
dans  toutes  les  éditions. 

4.  Racine  a  écrit  en  marge  :  «  Siri,  tome  XI,  p.  839.  »  Vojres 
il  MercurUfj  au  tome  et  à  la  page  qu'il  indique. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  149 

toucha  jamais  que  la  première  année.  G^est  ce  qui  rirrita 
contre  la  France,  dont  il  ruina  les  affaires  autant  qu*il 
put;  et  il  goûta,  dit  Siri,  la  vengeance  la  plus  douce 
qu  un  particulier  puisse  goûter,  qui  est  de  se  venger  d*un 
grand  prince  quij'a  offensé^. 

On  manqua  aussi  de  payer  à  la  princesse  d*Orange' 
quelques  sommes  promises  à  son  mari,  qui  les  lui  avoit 
cédées  ;  et  de  là  vint  cette  inimitié  qu'elle  eut  toujours 
depuis  contre  la  France. 

La  duchesse  de  Mantoue'  en  usa  de  même,  paroe 
qa  on  ne  lui  paya  plus  sa  pension. 

Ces  sortes  de  manquements  de  parole  que  les  rois  font 
à  des  particuliers  leur  sont  quelquefois  rendus  avec  de 
grosses  usures^. 

Les  '  Hollandois  n'ont  aucune  religion,  et  ne  connois- 
sent  de  dieu  que  leur  intérêt.  Leurs  propres  écrivains 
confessent  que  dans  le  Japon,  où  Ton  punit  des  plus  cruels 
supplices  tout  ce  qu'on  y  trouve  de  chrétiens,  il  suffit  de 
se  dire  Hollandois  pour  être  en  sûreté  ;  et  lorsqu'ils  ap* 

I .  Hiente  dl  pm  appetiiosOf  e  piU  ghiotto  potendo  gtuiare  il  palato 
ai  pertona  di  privata  eonditionef  che  U  hoceone  deUa  vendetta  eontra 
M  Potentato  di  eut  si  dia  per  offeto,  (Sni,  à  Tendroit  indique.) 

a.  ÉmiJie  d«  Solnu,  femme  de  Frëdërio-Henri  de  Nasaau,  prince 
d^Orange.  Nous  avons  déjà  parlé  d'elle  plus  haut»  p.  97,  note  3.  — 
Mme  de  Motterille  (Mémoires^  tome  II,  p.  air,  collection  Petitot, 
1*  lâie,  tome  XXXVII)  donne  de  son  hostilité  contre  la  France 
nue  explication  peu  différente  de  celle  de  Siri  :  «  D*Estrades.... 
me  dit  que  cette  princesse  ne  s'étoit  liée  à  PEspagne  que  par  dépit 
de  ce  que  le  cardinal  Mazarin  manqua  de  lui  envoyer  des  pendants 
d^oreilles  de  diamant  qu'il  lui  avoit  fait  espérer.  » 

3.  Marie  de  Gonzague,  fiUe  de  François  de  Gonzague,  duc  de 
Uantoae.  En  i63y,  elle  fut  chargée  de  la  tutelle  de  son  fils  Charles  III 
duc  de  Mantoue. 

4'  Ma  questi  jcherzi ,  che  i  regtuuiii  tavente  fanno  aile  pertone  di 
privata  condiiiome^  ricadono  tal  una  fiata  in  ioro  danno  eon  usura  een- 
tiflicata,  {Il  Mercurio^  tome  XI,  p.  840.) 

5.  Sîri  \il  Mercurio]^  tome  XIII,  p.  345.  {Noie  de  Racine.) 


i5o  FRAGMENTS 

prochoient  des  côtes  de  ce  royamne,  le  premier  soin  de 
leurs  capitaines  de  vaisseaux  étoit  de  cacher  jus({a*aux 
monnoies  oh  la  croix  étoit  empreinte. 

La  ville  d'Amsterdam^  étoit  celle  qui  avoit  le  plus 
conspiré  à  faire  un  traité  séparé  avec  TEspagne,  dans 
Tenvie  d'attirer  à  elle  tout  le  commerce  d'Espagne  du- 
rant la  guerre  entre  les  deux  couronnes,  et  d'en  priver 
les  marchands  firançois;  et  ce  fut  là  le  principal  but  des 
Hollandois. 

Les  privilèges  dont  les  Hollandois  jouissoient  en  France 
n'étoient  fondés  que  sur  les  traités  de  confédération  qu'ils 
avoient  violés' • 

La  haine  qu'ils  avoient  contre  les  Portugais,  et  les  hos- 
tilités mêmes  qui  s'exerçoient  de  part  et  d'autre  dans  le 
Brésil,  n'avoient  pu  faire  résoudre  les  états  à  rompre  ou- 
vertement avec  le  Portugal,  pour  n'être  pas  privés  du 
commerce  de  ce  royaume ,  qui  auroit  passé  en  d'antres 
mains.  En  ce  temps-là  même,  c'est-à-dire*  en  1648,  ils 
apprirent  la  défaite  entière  de  leurs  troupes  dans  le  Bré- 
sil^. Brasset',  dans  ce  même  temps,  négocie  à  la  Haye 
pour  la  paix  entre  le  Portugal  et  les  états.  La  compagnie 
des  Indes,  insolente  dans  la  prospérité  et  basse  dans  Tad- . 
versité*,  demande  la  paix;  mais  les  états  croient  qu'A  y 
va  de  leur  honneur. 

La  France  avoit  intérêt  à  cette  paix  dans  le  Brésil, 

I.  Tome  Xin,  p.  99.  V.  pages  snirantes.  (Ifoie  de  Racine.)  Cette 
indication  se  rapporte  toujours  à  Stri,  //  Mercurio, 
9.  Ibidem^  p.  a3. 

3.  Le  manascrit,  en  cet  endroit,  comme  en  plusieurs  autres, 
donne,  au  lieu  de  c^esi-à-éire,  son  équivalent  i.,  abrériation  de 
iJ  est. 

4.  //  Mercurio f  tome  XIII,  p.  94. 

5.  n  ëtait  résident  de  France  à  la  Haye.  —  Au  mot  Brastet  com- 
mence le  feuillet  914. 

6.  //  Mercurio^  tome  XIII,  p.  97. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  i5i 

afin  que  les  Portugais  n^eussent  plus  d^ennemis  que  les 
Espagnols. 

Les  HoUandois,  aussitôt  après  qu'ils  eurent  traité 
ayec  TEspagne,  envoyèrent  des  ministres  dans  les  terres 
qui  leur  étoient  cédées,  et  en  firent  chasser  rigoureuse- 
ment les  ecclésiastiques^,  sans  que  les  Espagnols  osassent 
protéger  le  moins  du  monde  les  catholiques. 

Brasset,  après  le  traité  des  Holtandoîs  -avec  TEspagne, 
leur  déclara,  de  la  part  de  la  Reine,  qu'elle  ne  pouvoit 
plus  observer  le  traité  de  marine  fait  avec  eux  en  t^6^ 
par  lequel  ils  pouvoient  porter  sur  leurs  vaisseaux  des 
blés  et  autres  denrées  aux  Espagnols*. 

Ils  auroient  voulu  que  toute  l'Europe  fht  en  guerre 
lorsqu'ils  se  virent  en  paix  avec  TEspagne  ;  et  quelques- 
uns  d'entre  eux  n^  osèrent  accepter  la  commission  de  plé- 
nipotentiaires à  Munster,  de  pem:  que  si  la  paix  générale 
yenoit  à  se  faire,  ils  n'en  fussent  blâmés  par  les  états. 

Le  commandeur  de  Souvray  vint  en  ce  temps-là  *  à 
la  Haje  en  qualité  d'ambassadeur  extraordinaire  du 
grand  maître  de  Malte,  pour  demander  la  restitution  des 
commanderies  usurpées  par  les  Hollandois.  Les  états  dé- 
clarèrent qu'ils  ne  reconnoissoient  point  le  grand  maître, 
et  par  conséquent  qu'ils  ne  reconnoissoient  point  Souvray 
pour  ambassadeur.  Grand  nombre  de  chevaliers  vou- 
loient  qu'on  s'emparât  des  vaisseaux  hollandois  qu'on 
trouveroit  dans  la  Méditerranée.  Mais  les  autres,  plus 
modérés,  furent  d^avis  de  remettre  à  un  autre  temps  à 


I.  IlMereurioy  tome  Xm,  p.  38. 

a.  Ibidem^  p.  99  et  3o. 

3.  19  septembre  1648.  {Note  de  Racine.)  —  Jacques  de  SoaTray  ou 
de  SoQTrë,  filg  de  Gilles  de  Souvré,  marquis  de  Courtenraux,  maré- 
chal de  France.  Il  devint  en  1667  grand  prieur  de  France,  et 
mourut  le  a  a  mal  1670.  Racine  a  oublie  dUndiquer  ici  le  Mercure 
àe  Siri  (tome  XIII,  p.  197  et  198),  d^où  il  a  tiré  cet  alinéa. 


i5a  FRAGMENTS 

prendre  leur  résolution,  pour  ne  pas  s'engager  dans  une 
guerre  dont  ils  ne  sortiroient  pas  quand  ils  voudroient. 

Qiamacé^  fut  le  premier  qui  traita  d'Altesse  le  capi- 
taine général  des  Provinces  Unies. 

D'Avaux  et  la  Thuillerie'  étant  à  Venise  ne  donnèrent 
jamais  FExcellence  aux  ambassadeurs  des  états,  quoi* 
qu'ils  leur  donnassent  la  main  chez  eux. 

Plaintes*  des  plénipotentiaires  de  France  contre  les 
demandes  des  Hollandois,  qui  vouloient  qu'on  les  traitât 
de  pair  avec  Venise.  Y.  leur  naissance  et  leur  élévation  \ 

11  *  y  a  dans  les  traités  de  confédération  une  lettre  do 
comte  d'Estrade  aux  états,  17  février  i645,  par  laquelle 
il  les  assure  que  le  Roi  consent  que  leurs  ambassadeurs 
soient  traités  comme  ceux  de  Venise. 

Les  plénipotentiaires,  dans  le  traité  de  i644>  ^^  y^^' 
loient  point  mettre  «  les  Seigneurs  états  généraux.  »  Biais 
voyant  qu'il  en  faudroit  venir  à  une  rupture,  ils  consen- 
tirent de  le  mettre  en  deux  endroits,  d'autant  plus  qu'il 
étoit  dans  le  traité  de  i634  et  dans  celui  de  1610,  où 
même  ils  sont  qualifiés  hauts  etpuissanis  Seigneurs  dans 
une  déclaration  où  le  Roi  parle.  Dans  d'autres  traités, 
on  dit  :  Messieurs.  Il  n'y  avoit  point  Seigneurs  en  aucun 
endroit  du  traité  de  i635. 


X.  Siii  [1/  Mereurio],  tome  IV,  p.  70.  {Ifote  de  Racine,)  —  Hercule- 
Girard  baron  de  Chamacë  fut  successivement  ambassadeur  en 
Suède,  en  Bavière  et  en  Hollande.  U  fîit  tuë  en  1687  au  siège  de 
Breda. 

a.  Ceci  est  également  de  Siri,  tome  IV,  p.  70.  —  Claude  de 
Mesmes,  comte  d' A  vaux,  et  Gaspar  Coignet  de  la  Thnillerie  avaient 
ëtë  envojës  tous  deux  à  la  Haye  pour  la  nëgociation  de  la  paix  de 
Munster. 

3.  Racine  renvoie  ici  à  la  page  78  du  tome  IV  de  Siri,  qu^il  a 
cite  plus  haut. 

4.  Racine  a  ëcrit  à  la  marge  devant  cette  dernière  phrase  :  Nota. 

5.  Ici  commence  le  feuillet  3i5. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  t53 

Le  droit  de  cinquante  firancs  par  tonneau,  autrement 
appelé  droit  de  fret,  est  un  droit  que  tout  vaisseau  étran- 
ger paye  aa  sortir  des  ports  de  France,  soit  qu'il  sorte 
chaîné  ou  à  vide.  On  jauge  le  vaisseau  et  on  voit  corn- 
ïÀen  de  tonneaux  il  peut  contenir.  Qiaque  tonneau  paye 
cinquante  francs;  et  cela  sans  compter  le  droit  que 
payent  les  marchandises.  Car  ce  droit  de  fret,  c*est  le 
maître  du  vaisseau  qui  le  paye. 

Dikfeld  ^  a  avoué  à  un  Danois,  nommé  M.  Schell,  que 
ceGrandval  qui  fut  exécuté  en  Hollande,  pour  avoir  voulu 
assassiner  le  prince  d'Orange,  avoit  déclaré  en  mourant 
que  jamais  le  roi  de  France  n'avoit  eu  aucune  connois- 
sance  de  son  dessein  ;  et  que  s'étant  même  voulu  adisesser 
à  M.  de  Louvois,  celui-ci  lui  dit  que  si  le  Roi  savoit  qu'il 
eût  une  pareille  pensée,  il  le  feroit  pendre* 

I.  Cet  alinéa  se  trouve  aa  reno  du  feuillet  ai5.  Cett  le  seul  de 
ce  feuillet  que  Louis  Racine  et  les  éditeurs  suivants  aient  donné. 
G^flroj  et  Aimé-Martin  Font  intercalé  parmi  les  anecdotes.  — 
Racine  a  écrit  en  itiarge  de  l'alinéa  :  «  Bonrep.  »,  c*esc-à-dire 
«  Bonrepanx.  i  —  Dickfeld  ou  Dickvelt  était  ambaisadear  en 
France  des  états  généraux  des  Provinces  Unies.  Macaulay  {Historf 
of  Englami^  chapitre  xix,  tome  Vil,  p.  97-101  de  l'édition  Tauch- 
aiu)  a  parié  de  ce  complot  de  François  Grandval ,  qui  fut  mis  en 
JD^ment  quelques  jours  après  la  bataille  de  Steinkerque  (169a). 
L'historien  anglais  dit  que  le  complot  contre  le  roi  Guillaume  III 
avait  été  préparé  en  France,  dans  les  bureaux  de  la  guerre,  que 
Loavois  en  avait  ébauché  le  plan  et  l'avait  légué  à  son  fik  et  snc- 
cesieor  Barbezienx;  que  le  silence  du  gouvernement  français  et  de 
la  Gûxette  de  France  sur  cette  af&ire  est  significatif.  Les  renseigne- 
ments que  Racine  tenait  de  M.  de  Bonrepaux  sont  intéressants  à 
comparer  avec  le  récit  de  Macaulay. 


iS4  FRAGMENTS 


XXXVII 


PORTUGAL  '• 


En  iSoo*,  les  Portugais  découTrirent  le  Brésil,  distant 
de  la  Guinée  environ  quatre  cent  cinquante  lieues.  Peral- 
verez  Cabrai,  capitaine  du  roi  de  Portugal,  en  prit  pos* 
session  pour  le  Roi  son  mattre,  sept  ans  après  la  décon- 
verte  du  nouveau  monde  par  Christophe  Colomb.  «  Le' 
Pape,  pour  conserver  la  paix  entre  les  couronnes  de 
Castille  et  de  Portugal,  ordonna  *  que  chacune  jouiroit 
des  terres  qu'elle  pourroit  découvrir,  en  tirant  une  ligne 
d*un  pôle  à  l'autre,  qui  les  séparât  des  tles  A^res  et  des 
îles  du  CapVert,  à  la  distance  de  cent  lieues.  » 

Les  Castillans  se  rendirent  maîtres  du  Brésil  lorsque 
le  Portugal  tomba  sous  la  puissance  de  Philippe  U*,  et 
tuèrent  tout  ce  qui  leur  osa  faire  résistance. 

Les  Hollandois,  vers  Fan  i6a3,  non  contents  de  faire 
la  guerre  en  Europe  au  roi  d'Espagne,  voulurent  encore 
la  lui  faire  dans  le  nouveau  monde.  Ds  passèrent  la  li- 
gne ,  et  étant  abordés  au  Brésil,  s'emparèrent  de  Fer- 
nambouc,  du  Récif,  du  cap  de  Saint-Augustin,  en  un 
mot,  de  toute  la  côte,  depuis  Ciara  jusqu'à  la  Baye*  de 

I.  Ce  fragment  est  aux  feuUlets  998,  a 39,  s3o,  aSi  et  i3i.  H 
n*est  point  chez  Loais  Racine  ni  dans  Fédition  de  1807. 

a.  Le  a4  avril. 

3.  En  marge  de  cette  citation,  Racine  a  ëcrit  :  «  Herrera^  tome  I, 
p.  109.  M  L^édition  qu'il  cite  est  celle  de  la  traduction  de  la  Cotte, 
dont  Toici  le  titre  :  Histoire  générale  des  voyages  et  conquestes  des  Cas- 
tiilans  dans  les  isles  et  terre- ferme  des  Indes  occidentales^  traduite  de 
r espagnol  dt Antoine  d'Herrera^  par  N.  de  la  Coste,,,^  a  Paris, 
MDCLIX-MDCLXXI  (3  Tolumes  in-4»).  La  ciution,  malgré  les 
guillemets  qui  sont  dans  le  manuscrit,  n*est  pas  textuelle. 

4-  Par  une  bulle  de  Pan  i493. 

5.  Dans  le  manuscrit  Forthographe  de  ce  nom  est  tantôt  Bajt^ 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  iS5 

tons  les  Saints,  qui  demeura  toujours  aux  Castillans. 
Cette  conquête  s^étoit  faite  aux  dépens  de  quelques  par- 
ticuliers, et  non  point  de  TEtat.  Ces  particuliers,  voyant 
les  grandes  richesses  qu'ils  pouvoient  tirer  du  Brésil,  tant 
par  le  débit  du  sucre  que  par  le  débit  du  bois  de  Brésil  *, 
demandèrent  aux  états  qu*il  leur  fbt  permis  d'établir  une 
compagnie,  avec  pouvoir  de  nommer  des  officiers  de  jus- 
tice, guerre  et  marine,  dans  les  Indes,  pour  trente  ans; 
après  quoi ,  tout  ce  pays  qu'ils  auroient  conquis  appar- 
tiendroit  aux  états,  auxquels  cependant  la  Compagnie 
préteroit  serment  de  fidélité. Cela  fut  approuvé;  et  ainsi 
fut  établie  la  compagnie  des  Indes  occidentales,  en  i6a4- 
EUe  composa  un  conseil  de  directeurs ,  au  nombre  de 
dix-neuf,  entre  lesquels  ils  mirent  par  honneur  le  prince 
d'Orange*. 

Cette  compagnie  ne  tarda  guère  à  étendre  ses  con- 
quêtes, et  ils  s'emparèrent  de  toute  la  côte  qui  est  depuis 
la  capitainerie  de  Siara  jusqu'à  la  Baye  de  tous  les 
Saints,  c'est-à-dire  de  plus  de  trois  cents  lieues  de  côtes. 
Ils  établirent  un  conseil  politique,  qui  résidoit  au  Récif, 
qui  jugeoit  souverainement  de  toutes  les  affaires.  Ds  exi- 
geoient  de  grands  tributs  des  Portugais,  leurs  vassaux , 
qui  travailloient  à  faire  le  sucre,  descendus  de  ces  pre- 
miers Portugais  qui  découvrirent  le  Brésil  ;  et  de  crainte 
qu'ils  ne  se  révoltassent  contre  eux,  ils  leur  ôtèrent  toutes 
les  armes  i  feu. 

En'  1641,  la  Baye  de  tous  les  Saints  suivit  la  rëvolu- 

tantdt  AoîAtf,  on  encore  BMe.  Baie  en  espagnol  est  Bahîa;  et  ce 
nom  de  Baya  est  celui  de  la  province  où  se  trouye  la  Baie  de  tous 
les  Saints  {Bahia  de  todos  îos  Santos). 

I.  Bois  ronge  propre  à  la  teinture.  Il  ^tait  connu  axant  la  dé- 
('ouTerte  du  Brésil,  qui  lui  doit  son  nom. 

a.  Frédéric-Henri  de  Nassau.  Voyez  ci-dessus,  p.  97,  note  i. 

3.  Ici  commence  le  feuillet  a  39. 


i56  FRAGMENTS 

tion  de  Portugal  :  les  Castillans  en  furent  chassés,  et  on 
y  reconnut  don  Jean  IV*.  Le  gouverneur  fit  part  de  ce 
changement  aux  HoUandois  dans  le  Récif,  avec  promesse 
de  bien  vivre  avec  eux.  Les  HoUandois  furent  bien  aises 
de  la  perte  que  les  Castillans  faisoient,  et  cette  même  an- 
née ils  firent  un  traité  de  trêve  pour  dix  ans  avec  les  Por- 
tugais ;  et  la  compagnie  des  Indes  voulut  que  le  Brésil  fot 
compris  dans  ce  traité.  Dés  qu'il  fut  signé,  ils  envoyèrent 
des  vaisseaux  dans  le  Brésil,  qui  au  lieu  d'aller  droit  an 
Récif,  pour  y  faire  publier  la  trêve,  allèrent  en  Guinée, 
et  se  saisirent  d'Angola^,  de  Loanda,  et  de  quelques  au- 
tres places  des  Portugais.  Us  crièrent  contre  cette  mau- 
vaise foi;  et  voyant  qu'on  ne  leur  en  faisoit  point  de 
justice,  ils  résolurent  de  s'en  venger  à  la  première  oc- 
casion. 

Le  vice-roi  de  la  Baye  de  tous  les  Saints  commença 
à  faire  des  pratiques  parmi  ceux  de  sa  nation  qui 
étoient  au  Récif,  à  Fernambouc  et  aux  autres  places  de 
la  domination  des  HoUandois.  H  gagna  surtout  Jean- 
Femandez  Viera,  Portugais,  qui,  de  simple  garçon 
boucher,  s'étant  mis  au  service  des  HoUandois,  s'étoit 
extrêmement  enrichi,  et  qui  avoit  grand  nombre  d'es- 
claves sous  lui,  qu'il  iaisoit  travaiUer  au  sucre,  dans 
plusieurs  ingénions*  ou  manufactures  de  sucre  qui  lui 
appartenoient.  Cet  homme,  qui  avoit  beaucoup  d'es- 
prit, conspira  avec  ceux  de  sa  nation  pour  secouer  le 
joug  des  HoUandois.  Os  gardèrent  longtemps  ce  des- 
sein sans  en  rien  faire  paroître.  Au  contraire.  Us  flattoient 

I.  Racine  a  mis  à  la  marge  la  date  de  Mai  1643,  et  cette  note  : 
«  Angola  est  mie  forteresse  et  wie  grande  province  sm*  la  oête 
d^Afrique,  par  delà  la  ligne,  un  peu  au  delà  de  Congo.  » 

9.  Le  mot  portugais  engenho  (répondant  à  Tespagnol  îmgtnio)  a, 
outre  le  sens  moral  :  «  faculté  d'inTenter,  m  celui  de  «  machine,  » 
et  en  particulier  de  «  moulin  à  sucre.  » 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  167 

plus  que  jamais  les  Hollandois  par  leur  extrême  sou- 
mission, s'endettant  exprès  enrers  eux  de  grosses  som- 
mes, achetant  cher  toutes  les  choses  que  les  HoUandois 
leur  vendoient,  comme  les  viandes  et  Teau-de-vie.  Enfin 
ils  firent  si  bien,  qu'ils  persuadèrent  aux  Hollandois  de 
leur  domier  des  armes,  qu'ils  achetoient  bien  cher,  pour 
se  défendre,  disoient-ils,  contre  les  Tapoios  et  les  Bra- 
siliens,  qui  les  haïssoient  naturellement,  parce  qu'ils 
les  avoient  autrefois  traités  avec  beaucoup  de  dureté.  Les 
Hollandois  se  laissent  endormir  par  leurs  belles  paroles, 
et  surtout  par  les  artifices  de  ce  Viera ,  qui  se  rendoit 
fort  nécessaire  à  la  Compagnie  par  son  intelligence  dans 
le  commerce,  et  par  les  grands  services  qu'il  leur  ren- 
dott. 

Enfin  ^  toutes  choses  étant  préparées,  et  les  Portu- 
gais étant  convenus  du  jour  qu'ils  dévoient  faire  éclater 
leur  conspiration,  et  assassiner  les  chefs  du  conseil,  les 
Hollandois  en  eurent  avis  de  plusieurs  endroits,  et  en- 
voyèrent des  gardes  pour  anréter  Viera,  qui  s' étant 
sauvé  dans  les  bois,  amassa  autour  de  lui  grand  nombre 
de  Portugais,  s'empara  de  quelques  places  qui  n'étoient 
point  en  défense.  Les  Hollandois,  qui  ne  s'attendoient 
point  à  cette  révolte,  et  qui,  au  contraire,  pour  s'épar- 
gner de  la  dépense,  avoient  renvoyé  en  Hollande  la  meil- 
leure partie  de  leurs  garnisons,  avec  les  officiers  et  le 
comte  de  ]!ïas6au,  se  trouvèrent  fort  embarrassés.  Ils  en- 
voyèrent à  la  Baye,  se  plaindre  au  Vice-Roi  de  la  révolte 
de  ceux  de  sa  nation.  Le  Vice-Roi,  feignant  de  la  désap- 
prouver, envoya  un  grand  vaisseau,  chargé  de  deux  cents 
hommes  qui  mirent  pied  à  terre,  et  se  joignirent  aux 
révoltés.  Le  fort  Saint-Augustin  leur  fut  rendu  pour  de 
Urgent;  ils  prirent  aussi  Femambouc,  et  il  ne  restoit 

I.  Id  commenoe  le  feuillet  s3o. 


i58  FRAGMENTS 

presque  plus  que  le  Récif,  qu'ils  assiégèrent.  Les  Hol> 
landois,  qui  n'avoient  que  peu  de  vivres,  envoyèrent 
porter  ces  tristes  nouvelles  à  la  Haye,  et  demander  du 
secours. 

Les  états  firent  grand  bruit,  ne  menaçant  pas  moins 
que  d'exterminer  le  roi  de  Portugal.  Le  peuple  de  la 
Haye  se  voulut  jeter  sur  Tamb^ssadeur  de  ce  prince,  et 
le  prince  d'Orange  eut  beaucoup  de  peine  à  le  sauver  de 
leurs  mains.  Les  ministres  de  France  voulurent  s'entre- 
mettre d'accommodement,  disant  que  les  Hollandois  et 
les  Portugais  ne  dévoient  point  rompre  pour  cela,  mais 
imiter  les  François  et  les  Anglois,  qui  ne  laissoient  pas 
d'être  en  bonne  intelligence  en  Europe,  quoiqu'ils  fas- 
sent presque  toujours  aux  mains  à  Terre-Neuve  en  Amé- 
rique. 

Les  Hollandois  envoient  une  flotte  au  Brésil,  au  com* 
cernent  de  1646,  sous  la  conduite  de  Baucher,  amiral 
de  Zélande,  qu'ils  déclarèrent  amiral  des  mers  de  Brésil 
et  d'Angola.  Cette  flotte  ne  fit  pas  grand'chose,  quoi- 
qu'elle fuit  de  cinquante-deux  vaisseaux.  La  plupart  de 
ceux  qui  étoient  dessus  périrent  de  chaud  et  de  maladie 
sous  la  ligne,  où  ils  furent  retenus  par  un  calme  de  six 
jours.  Baucher,  l'amiral,  fut  contremandé  peu  de  temps 
après  son  arrivée  ;  et  les  états,  vojrant  que  la  Compagnie 
étoit  désormais  trop  foible  pour  soutenir  cette  grande 
guerre,  entreprirent  eux-mêmes  de  la  soutenir  en  leur 
nom  et  aux  dépens  du  public. 

Cependant*  l'ambassadeur  de  Portugal  tâohoit  à  la 
HayC)  par  ses  négociations,  de  les  amuser,  et  d'empê- 
cher qu'une  nouvelle  flotte  ne  mît  à  la  voile.  Il  faisoit 
plusieurs  offres,  qui  toutes  furent  refusées.  Cette  guerre 
du  Brésil  fut  une  des  principales  raisons  qui  détermi- 

I.  Ici  commence  le  feuillet  a3i. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  1B9 

nèfcnt  les  états  à  faire  leur  paix  avec  TEspagne'.  En 
effet,  ils  firent  comprendre  dans  leur  traité  avec  les 
Espagnols  toutes  les  places  que  les  Portugais  avoient 
prises  sur  eux  dans  le  Brésil,  parmi  les  places  qui  appaiv 
tenoient  aux  états. 

La  flotte  partit  ;  et  les  Hollandois  assiégés  dans  le  Ré- 
cif,  pour  faire  diversion,  envoyèrent  le  colonel  Scop 
9*emparer  de  Taparica,  île  à  trois  lieues  de  la  Baye.  Il 
s  j  fortifia,  et  s^y  défendit  longtemps  ;  mais  enfin  il  fut 
obligé  de  Tabandonner,  sur  la  fin  de  16479  après  y  avoir 
perdu  beaucoup  de  monde.  La  flotte  portugaise  arriva 
en  ce  même  temps  à  la  Baye.  La  flotte  de  Hollande , 
forte  de  trente-deux  vaisseaux  et  de  quatre  mille  soldats, 
ariiveau  Rédf  le  18  mars  1648.  Après  s'être  rafraîchis 
on  mois,  les  Hollandois  se  mettent  en  campagne,  au 
nombre  de  six  mille  hommes.  Les  Portugais  révoltés, 
commandés  par  Jean  Viera  et  André  Vidal,  les  attendent 
de  pied  ferme,  quoiqu'ils  ne  fussent  que  deux  mille 
hommes.  Le  combat  se  donne  le  19*  avril  ;  les  Portugais 
gagnent  la  bataille,  avec  un  grand  butin.  Les  Hollandois 
y  perdent  douze  cents  hommes  ;  leur  général  Scop,  au- 
trement dit  l^gismond,  y  est  blessé  d'un  coup  de  mous* 
qnet  à  la  cuisse.  Les  Portugais  continuent  à  les  tenir 
enfermés  dans  le  Récif,  étant  maîtres  de  tous  les  forts 
qui  étoient  au-dessus  et  au-dessous.  D'un  autre  côté,  la 
flotte  hollandoise,  conunandée  par  Tamiral  Witten-Wit- 
t€ns,  tenoit  la  flotte  portugaise  enfermée  dans  le  port  de 
la  Baye;  mais,  vers  le  mois  d'août,  cette  flotte  trouve 
inoyen  de  sortir  à  Tinsu  des  Hollandois. 

Sur  la  fin  de  la  même  année  1648,  les  Portugais  re- 
premient  Angola  sur  les  Hollandois,  le  roi  de  Portugal 
feignant  de  désapprouver  le  gouverneur  de  la  rivière  de 

I.  Elle  fat  signée  à  Mmitter  en  janvier  1647^ 


i6o  FRAGMENTS 

Janeiro,  dans  le  Brésfl,  qui  a  fait  cette  entreprise  dang 
un  temps  où  Ton  négocioit  un  accommodement  entre 
les  deux  nations  pour  les  affaires  du  Brésil  ^  ;  car  quel- 
que sujet  de  plainte  que  les  Hollandois  eussent  contre 
les  Portugais,  ils  ne  pouvoient  pourtant  se  résoudre  à 
une  guerre  ouverte,  tant  ils  avoient  peur  de  perdre  les 
avantages  que  leur  rapportoit  leur  commerce  avec  ce 
royaume.  Surtout  la  province  de  Hollande  insistoit  à  ne 
point  rompre  avec  le  Portugal,  et  ne  vouloit  point  qu  on 
exerçât  d'hostilités  dans  les  ports  de  ce  royaume,  mais 
seulement  en  pleine  mer.  Mais  enfin,  les  affaures  n'ayant 
pu  s'accommoder,  et  la  trêve  de  dix  ans  expirant  Ton- 
zième  juin  i65i,  l'ambassadeur  de  Portugal  s*en  re- 
tourne, et  on  se  prépare  à  la  guerre  des  deux  côtés. 

Néanmoins*  toute  l'année  lâSa  et  celle  de  1 653  se 
passent  sans  aucune  hostilité  en  Europe,  et  sans  aucune 
expédition  considérable  dans  le  Brésil.  Enfin,  au  mois  de 
janvier  de  i654v  François  Beretto,  qui  commandoit  les 
Portugais  révoltés  de  Fernambouc ,  ayant  reçu  qudqoe 
petit  renfort  de  la  flotte  de  la  compagnie  de  Lisbonne,  qui 
vint  mouiller  auprès  du  Récif,  attaque  l'un  après  l'antre 
tous  les  forts  qui  étoient  au  devant  du  Récif,  attaque  en- 
fin le  Récif  même,  qui  lui  est  rendu  avec  toutes  les  places 
que  les  Hollandois  occupoient  sur  les  côtes  du  Brésil;  et 
ils  s'en  retournent  en  Hollande  avec  les  meubles  et  les 
autres  choses  que  les  Portugais  leur  avoient  permis  d'em- 
porter, par  la  capitulation  du  i6  janvier  i654. 

I.  Racine  a  mU  ici  cette  note  en  marge  :  k  Les  Portngait  gagnent 
encore  one  bataiUe  en  1649,  près  de  Fernambouc,  où  plus  de  dea\ 
mille  Hollandois  demeurent  sur  la  place. 

9.  Lie  feuillet  aSi  commence  ici. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  i6i 


xxxvm 


PORTUGAL*. 


V.  un  mémoire  présenté  au  Roi  de  la  part  du  roi  de 
Portugal,  en  1648,  par  un  François  qui  servoit  en  Por- 
tugal. 

L'état  où  étoit  alors  le  Portugal  est  dépeint  dans  ce 
mémoire,  et  surtout  le  grand  besoin  qu'ils  avoient  d'un 
secours  de  cavalerie. 

«  Le  roi  de  Portugal,  depuis  les  cinq  dernières  années, 
a  fait  une  distraction  de  cinq  ou  six  mille  chevaux,  et  de 
quinze  ou  vingt  mille  hommes  de  pied,  que  les  Espagnols 
auroient  envoyés  contre  la  France,  et  qui  ont  été  occupés 
sur  les  frontières  de  Portugal.  » 

>  n  me  souvient,  dit  celui  qui  présente  le  mémoire, 
qu'en  i638,  lorsque  j'apportai  au  feu  roi  Louis  XIII  la 
Douvelle  de  l'intention  des  Portugais,  il  me  commanda 
d'envoyer  un  honune  exprès,  pour  les  assurer  que  s'ils 
vouloient  s'aider  eux-mêmes  et  faire  roi  le  duc  de  Bra- 
gance,  la  France  leur  envoyeroit  cinq  cents  cavaliers 
bien  montés  et  tout  armés,  mille  autres  avec  selles, 
brides,  armes  et  pistolets,  et  dix  ou  douze  mille  fantas- 
sins. Sur  cette  parole,  qui  leur  fîit  portée  par  Tillac,  ils 
m^écrivirent ,  au  commencement  de  novembre  1640, 
qu'ils  étoient  prêts  à  se  déclarer,  et  qu'il  étoit  temps  de 
faire  souvenir  le  Roi  de  sa  promesse.  Je  mis  cette  lettre 

I.  Ce  fragment  est  distinct  du  prëcëdent.  Il  est  au  feuillet  i33. 
0  nunqae  chez  Louis  Racine  et  dans  Tëdition  de  1807.  Racine  a 
écrit  en  marge  :  c  Siri,  tome  XII,  p.  98 a.  »  Le  mémoire  men- 
tionne à  la  ligne  i  est  cité  dans  le  tome  du  Mercure  que  Racine  in- 
(liqne,  de  la  page  gSs  à  la  page  935.  Siri  dit  quUl  ignore  le  nom 
(iu  sujet  français  qui  le  présenta. 

J.  Racimb.  y  II 


i6a  FRAGMENTS 

à  Ruel,  entre  les  mains  de  M.  des  Noyers,  sur  les  dix 
heures  du  soir.  Des  Noyers  la  fit  voir  au  Cardinal  duc, 
qui  le  lendemain,  de  grand  matin,  la  porta  au  Roi  à 
Saint-Germain ,  qui  Ta  toujours  gardée  depuis  ;  et  il 
commanda  au  Cardinal  d^assurer  les  Portugais  de  toute 
sorte  de  secours,  quand  il  devroit  engager  la  moitié  de 
son  royaume.  Les  Portugais  ne  manquèrent  pas  de  se 
déclarer  au  bout  d'un  mois,  c'est-à-dire  au  conunence- 
ment  de  décembre,  etc.;  et  le  Roi  promit  que  jamais 
il  ne  feroit  de  traité  avec  les  Espagnols  que  le  Portugal 
n'y  fût  compris.  » 

Les  Portugais,  durant  qu^on  étoit  assemblé  à  Munster, 
s'étoient  bien  gardés  de  presser  les  Espagnols  avec  tontes 
leurs  forces,  de  peur  qu'ils  ne  fissent  leur  traité  avec  la 
France,  et  qu'ils  ne  retombassent  sur  le  Portugal. 


XXXIX 

Un  *  peu  avant  que  la  reine  de  Portugal  '  se  séparât 
du  Roi  son  mari,  elle  avoit  oublié  sous  son  chevet  une 


I.  Ce  fragment  est  au  feuillet  a34-  Q  manque,  comme  les  précé- 
dents, chez  Louis  Racine  et  dans  IVdition  de  1807. 

9.  «  Cëlèbre  pour  aToir  répudie,  dëtrôné  et  confiné  son  mari,  n 
épojué  son  beau-frère.  »  (Mémoires  de  SûintSimon^  tome  VI,  p.  S9.) 
Voyez  aussi  le  chapitre  x  du  Sièele  de  Louis  XIV  de  Voltaire 
Cette  reine  de  Portugal  ëtait  Marîe-Élisabeth-Françoise  d^Aumale, 
princesse  de  Saroie-Nemours,  fille  pnfnée  de  Charles-Amédée  de 
SaToie-Nemours,  et  d'Elisabeth  de  Vendôme,  fille  du  duc  de 
Vendôme,  bâtard  de  Henri  IV.  Mariée  en  1666  au  roi  Alphonse  VI, 
elle  le  fit  déposer,  en  1667,  de  concert  avec  son  beau-frère  don  Pèdrc, 
quMIe  obtint  de  la  cour  dtf  Rome  la  permission  dVpouser.  Elle 
mourut  en  décembre  i683. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  i63 

hugae  lettre  du  comte  de  Schomberg^,  où  étoit  tout 
le  projet  de  la  révolution  qui  se  devoit  faire.  Elle  se  sou- 
vint de  sa  lettre  à  la  messe,  fit  révanouie,  et  se  fit  re- 
porter sur  son  lit,  où  elle  retrouva  sa  lettre. 

Toute  l'affaire  fut  entreprise  et  conduite  par  le  P.  Lami, 
jésuite,  son  confesseur. 

Un  peu  avant  la  séparation,  elle  avoit  écrit  à  Mme  de 
Vendôme*  qu'elle  étoit  grosse'.  Celle^îi  en  montra  la 
lettre  à  l'ambassadeur  de  Savoie,  afin  qu'il  fit  part  de  la 
bonne  nouvelle  en  son  pays. 

On  fait  en  Portugal  des  comtes  pour  la  vie,  quelquefois 
pour  deux  races,  quelquefois  pour  tous  les  aînés.  M»  de 
Schomberg  a  été  fait  comte  ^  pour  tous  les  aînés  qui  des- 
cendront de  lui. 

Trois  François  de  Mello  :  le  premier,  celui  qui  perdit 
la  bataille  de  Rocroy  '  ;  le  second  qui,  en  1661,  fit  le 
mariage  du  roi  d* Angleterre  *,  et  qui  fut  ensuite  assas- 

I.  Le  comte  Frëdëiic-Annaiid  de  Schomberg  (voyez  oi-dewos, 
P-  94)  a^ût  en  1659  pamë  au  service  de  Portugal,  avec  l'agrément 
de  la  cour  de  France.  Il  y  demeura  jusqu'en  1668,  et  remporta 
pendant  ce  temps  des  Tictoires  signalées  sur  les  Espagnols. 

a.  Françoise  de  Lonaine,  duchesse  de  Meroœur,  yeuve  alors  de 
César  de  Vendôme,  morte  le  8  septembre  1669,  Igée  de  sobcante- 
<iix-sept  ans.  £Ue  était  la  grand'mère  maternelle  de  la  reine  de  Por- 
tugal. 

3.  Racine  le  fait  remarcpier,  à  cause  des  motifs  qu'elle  allégua 
bientôt  après  pour  obtenir  l'annulation  de  son  mariage. 

4«  En  récompense  de  ses  serrices,  Alphonse  VI  le  créa  comte  de 
Mertohi. 

5.  Don  Francisco  de  Mello,  gouyemeur  des  Pays-Bas  catholiques 
après  la  mort  dn  cardinal  infant,  ayait  remporté  des  ayantages  si- 
gnalés en  1649.  n  fut  yaincu  à  Rocroi  le  19  mai  1643. 

6.  Le  roi  d'Angleterre  Charles  II  épousa  le  3i  mai  166 a  l'infante 
de  Portugal  Catherine,  sœur  dn  roi  Alphonse  VI.  Voyez  dans  la 
Gazgtte  extraordinmre  du  S  mai  1669  la  Paix  coneUm  entre  rjngU- 
tare  et  le  Portugal,  Dans  cet  acte,  daté  de  Lisbonne,  le  96  février 
i66s,  le  roi  Alphonse  dit  que  la  paix  a  été  conclue  avec  l' Angle*- 


i64  FRAGMENTS 

sine  ;  le  troisième,  qui  a  été  depuis  en  ambassade  aussi 
en  Angleterre.  Ils  n'étoient  point  parents  :  le  premier, 
Portugais  de  grande  maison  ;  les  deux  autres,  de  mé- 
diocre noblesse. 


XL 

C'bst  ^  dans  le  premier  volume  des  Memorie  recondite^ 
p.  434*,  que  Siri  charge  Frà  Polo*  de  n'avoir  pas  été 
bon  catholique. 

J*ai  relu  avec  attention  cet  endroit  de  son  histoire.  Sa 
narration  m'a  paru  fort  embarrassée  ;  et  de  tout  ce  qu'il 
dit,  je  ne  vois  pas  qu*on  puisse  tirer  aucune  démonstra- 
tion contre  la  pureté  de  la  foi  de  F.  Polo. 

Siri  dit  deux  choses  qui  semblent  même  se  contredire. 

L'une',  que  F.  Polo,  dans  le  cœur,  étoit  luthériea; 

terre  par  rhëuretue  négociation  de  Franwco  Melio^  comte  de  Potttty 
qu'il  y  a  employé  en  qualité  d'ambassadeur  extraordinaire,  et  que 
le  traite  de  mariage  a  été  signé  par  le  même  ambassadeur  à  Wbite- 
hall  le  a3  juin  1661.  —  Dans  les  Mémoires  de  Gramont,  cbapitre  ti, 
on  nomme,  parmi  les  Portugais  qui  accompagnèrent  Catherine  de 
firagance  en  Angleterre,  Francisco  de  Mello,  frère  de  la  comtesse  de 
Panetra,  dame  d'atour  de  la  nouvelle  reine. 

I.  Ce  fragment  est  au  feuillet  double  a  16  et  s  17. 

a.  En  marge  du  passage  indiqué  ici,  Siri  a  écrit  :  Credeasa  di 
F.  Paoio. 

3.  Pierre  Sarpi,  qui  prit  dans  Pordre  des  Senrites  le  nom  de  FrJ 
Paolo,  né  à  Venise  le  14  août  i55a,  mort  le  14  janvier  i6a3.  Bos- 
suet,  dans  son  Histoire  des  Fariations  (livre  VH),  l'appelle  «  un  pro- 
testant  habillé  en  moine...,  un  protestant  dans  un  firoc,  qui  disoit  la 
messe  sans  y  croire,  et  qui  demeuroit  dans  une  Église  dont  le  culte 
lui  paroissoit  une  idolâtrie.  »  Si  Racine  était  disposé  à  une  opinion 
plus  indulgente  sur  Frà  Paolo,  c'est  peut-être  parce  que  quelques- 
uns  des  sentiments  de  ce  théologien  sur  la  grâce  et  sur  l'abus  que 
le  saint-siége  faisait  des  censures  ecclésiastiques  se  rencontraient 
jusqu'à  un  certain  point  avec  ceux  de  Port-Royal. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  l'iS 

Tautre,  qu*il  entretenoit  commerce  avec  des  haguenots 
de  France^. 

Il  avance  le  premier  fait  sur  un  simple  ouï-dire.  U 
appuie  le  second  sur  des  dépêches  de  M.  Brulart,  ambas-> 
sadeor  de  France  à  Yenisey  qui  sont  dans  la  bibliothèque 
do  Roi. 

«  Ces  dépêches  portent,  dit  Siri,  que  le  nonce  du  Pape 
en  France,  ayant  surpris  des  lettres  de  F.  Polo  à  des 
huguenots,  forma  le  dessein  de  le  déférer  à  l'inquisition 
de  Venise,  afin  qu'on  lui  fit  son  procès,  et  en  même 
temps  de  donner  avis  de  la  chose  au  sénat,  afin  que  la 
République  connût  de  quel  théologien  elle  se  servoit  ;  car 
F.  Polo  avoit  la  qualité  de  théologien  de  la  République. 
Mais  le  Nonce  ayant  fait  réflexion  qu'étant  ministre  du 
Pkpe,  le  sénat  n'auroit  pas  grand  égard  à  son  témoi- 
gnage, il  s'adressa  à  M.  Brulart,  pour  le  prier  de  se  char- 
ger de  la  chose,  et  de  se  plaindre,  tant  au  nom  du  Roi 
son  mattre  que  pour  l'intérêt  de  la  religion,  des  cabales 
que  F.  Polo  faisoit  avec  les  calvinistes  de  France.  M.  Bru- 
lart, connoissant  à  quel  point  la  République  étoit  pré- 
venue pour  F.  Polo,  jugea  à  propos  de  ne  point  intenter 
cette  accusation,  qui  au  lieu  de  perdre  F.  Polo,  ne  ser- 
viroit  qu'à  rendre  sa  personne  et  son  mérite  plus  recom- 
mandables  en  ce  pays-là.  Du  reste,  M.  Brulart  savoit,  il 
y  a  longtemps,  ce  prétendu  commerce,  qui  lui  avoit  été 
révélé  en  France  par  un  lieutenant  de  Laval  ' ,  nommé 
la  Motte.  »  Siri  ajoute  que  cet  ambassadeur,  en  arri- 
vant à  Venise,  eut  la  curiosité  de  connottre  un  honune 
si  fameux,  et  voulut  lui  rendre  visite;  mais  que  F.  Polo, 
qui  étoit  devenu  fort  circonspect,  et  se  tenoit  sur  ses 

I.  Memorie  reeo/uUte,  tome  I,  p.  435. 

s.  n  était  auaai  intendant  de  Mme  de  la  Trëmoille  :  Sign.  délia 
Motta  laogotemenie  délia  Val^  e  iniendente  de  gli  affari  di  Madama  délia 
Tramogùa.  {^Memorie  recondite,  tome  I,  p.  4^6.) 


i66  FRAGMENTS 

gardes,  fit  dire  à  TambasBâdeor  qu*étant  théologien  de 
la  République,  il  ne  lui  étoit  pas  permis  d'avoir  com- 
merce avec  les  ministres  des  princes  sans  permission  de 
ses  supérieurs^,  c'est-à-dire  du  sénat;  que  Tambassadeur 
sachant  d'ailleurs  que  c* étoit  un  homme  sans  foi,  sans 
religion,  sans  conscience,  et  qui  ne  croyoit  pas  Timmor- 
talité  de  l'âme,  ne  se  soucia  pas  trop  de  faire  habitude 
avec  lui  ;  et  que  la  chose  en  demeura  là.  Siri  dit  encore 
que  Tambassadeur  avoit  apporté  à  F.  Polo  des  lettres  de 
M.  de  Thou  et  de  M.  l'Échassier,  avocat  au  Parlement*, 
comme  voulant  insinuer  que  c'étoient  des  calvinntes; 
mais  que  F.  Polo,  qui  se  croyoit  épié,  ne  leur  fit  point 
de  réponse. 

Tout  cela,  ce  me  semble,  ne  prouve  pas  grand*chose 
contre  F.  Polo.  Il  faudroit  avoir  rapporté  quelques-unes 
de  ces  lettres  *  pour  juger  si  elles  étoient  hérétiques.  Un 
homme  peut  écrire  à  des  huguenots  sans  être  huguenot 
lui-même:  d'autant  plus  que  Siri,  comme  j'ai  déjà  re- 
marqué, l'accuse  d'avoir  été  de  la  confession  d'Ausbourg. 
Siri  auroit  mieux  fait,  ou  de  bien  prouver  la  chose,  ou  de 
ne  pas  noircir  légèrement  la  mémoire  d'un  honmne  qui 
vaut  infiniment  mieux  que  lui,  et  qui  peut-être  avoit 
plus  de  religion  que  Siri  même.  Je  ne  sais  si  ce  n'est  pas 
même  faire  quelque  tort  à  la  religion  de  dire  qu'on 
homme  si  généralement  estimé  des  hommes  n'a  point  ea 
de  religion.  Les  impies  peuvent  abuser  de  cet  exemple. 

I.  Memorie  reeondite^  tome  I,  p.  487. 

a.  Ibûiem^p,  ^6  et  437*  —  Au  lieu  de  fÉchassUr  (ou  Leschassier), 
Siri  ëcrit  U  Chaisier. 

3.  On  dit  que  les  autographes  de  ces  lettres  sont  encore  à  Venise. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  167 


XLI 

cardiuauxI 


M.  le  comte  de  Soissons  '  ne  Youloît  point  aller  voir 
le  cardinal  de  RicbelieUy  parce  que  ce  ministrey  suivant 
Tiuage  de  Rome,  ne  vouloit  point  donner  chez  lui  la 
main  aux  princes  du  sang.  Enfin  le  comte  Ait  obligé  d'y 
aller. 

Henri  111%  en  haine  du  cardinal  de  Guise,  ou  aux 
cardinaux  la  possession  où  ils  étoient  de  précéder  les 
princes  du  sang.  (Siri,  Memorie  recondite^  tome  YIII, 

p.207\) 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  n'a  point  marié  M.  de  Bour- 
bon *,  parce  qu*il  prétendoit  se  mettre  à  table  à  dîner 
aTec  Messieurs  les  princes  du  sang.  On  envoya  au  plus 
rite  quérir  Monsieur  Févéque  d*( 


I.  Ce  fragment  ett  an  feuillet  196.  D  a  été  omu  tont  entier  par 
Louis  Racine,  par  rëditeur  de  1807  et  par  Geoffroy.  Aimé-Martin 
en  a  donne  le  dernier  paragraphe. 

1.  Louis  de  Bourbon,  comte  de  Soîssons,  petit-fila  de  Louis  I'' 
prince  de  Condë.  U  mourut  le  6  juillet  1641  à  la  bataille  de  la 
Harfëe. 

3.  Racine  renvoie  à  cette  page  du  tome  VUI  des  Memorie  reeon- 
dite  (lu  LUme ,  MDCLXXIX  } ,  non-seulement  pour  ce  second  para- 
graphe, mais  aussi  pour  celui  qui  précède. 

4.  Louis  m  duc  de  Bourbon-Condë ,  mort  le  4  mars  1710, 
sTsit  épousé  le  94  juillet  i685  Mademoiselle  de  Nantes.  Voyez  le 
Mercure  galant  du  mois  d^aoât  i685,  p.  io6-a63,  et  la  Geuette  du 
18  juillet  de  la  même  année  ;  il  y  est  dit  que  ce  fut  PéTéque  d'Or- 
léans qui  fit  le  i3  juillet  la  cérémonie  des  fiançailles,  et  le  94  celle 
dci  épousailles. 

5.  Pierre  de  Camboust  de  Goislin,  alors  premier  aumônier  du 
Roi,  et  éréque  d'Orléans  depuis  1666  jusqu'à  sa  mort,  dont  la  date 
est  le  5  férrier  1706.  Il  fut  fait  cardinal  en  1695. 


i68  FRAGMENTS 


XLII 


ROME  ^ 


Alexandre  VIII  n'étant  encore  que  Monsignor  Otto- 
bon,  et  ayant  grande  envie  d'être  cardinal  *  sans  qu'il  lui 
en  coûtât  rien,  avoit  un  jardin  près  duquel  la  dona  Olym- 
pia '  venoit  souvent.  Il  avoit  à  la  cour  de  cette  dame  un 
ami,  par  le  moyen  duquel  il  obtint  d'elle  qu'elle  vien- 
droit  un  jour  faire  collation  dans  son  jardin.  II  Tattendit 
en  effet  avec  une  collation  fort  propre,  et  un  très-beao 
buffet  tout  aux  armes  d'Olympia.  Elle  s'aperçut  bientôt 
de  la  chose,  et  compta  déjà  que  le  buffet  étoit  à  elle;  car 
c'étoit  la  mode  de  lui  envoyer  des  fleurs  ou  des  fruits 
dans  des  bassins  de  vermeil  doré,  qui  lui  demeuroient 
aussi.  Au  sortir  de  chez  Ottobon,  Tami  commun  dit  à  ce 
prélat  qu'Olympia  étoit  charmée,  et  qu'elle  avoit  Ineo 
compris  le  dessein  galant  d'Ottobon.  Celui-ci  mena  son 
ami  dans  son  cabinet,  et  lui  montra  un  très-beau  fil  de 
perles*,  en  disant  :  «  Ceci  ira  encore  ai^ec  la  credenza^  » 
c'est-à-dire  avec  le  buffet.  Quinze  jours  après  il  y  eut  une 

I.  Ce  fragment  est  au  feuillet  as 5.  Racine  a  ^crit  «n  marge  :  U 
Nonce.  W  parait  quUl  tenait  du  Nonce  cette  anecdote,  ainsi  que  b 
suivante,  qui  est  aussi  assez  gaie  dans  la  bouche  d^nn  nonce.  O 
nonce  est  Traisemblablement  Marc-Daniel  Delfinî,  qui  fut  nonce 
en  France  de  1696  à  1700,  et  mourut  le  5  août  1704;  on  son  pré- 
décesseur Jean  Jacques  Cavallerini,  mort  le  18  février  1699.  Racines 
écrit  ce  fragment  sous  le  pontificat  d'Innocent  XII,  comme  on  ]e 
voit  par  le  second  paragraphe. 

9.  Pierre  Ottoboni  fut  promu  au  cardinalat  le  19  fërrier  i659 
par  le  pape  Innocent  X,  puis  ëlevé  a  la  papauté  le  16  octobre  1689. 

3.  Dona  Olympia  Maidalchini-Pamphili,  belle-sœur  du  pape 
Innocent  X,  morte  en  i656.  Grcgorio  Leti  a  écrit  sa  vie. 

4.  Un  très-beau  collier  de  perles  enfilées.  Voyez  le  Dictionnaire 
de  M.  Littré,  au  mot  PU, 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  169 

promotion  dans  laquelle  Ottobon  fut  nommé  ;  et  il  ren- 
voja  le  fil  de  perles  chez  Torfévre,  avec  la  vaiflaelle,  d'où 
3  fit  ôter  les  armes  d'Olympia. 

H.'  Pignatelli,  maintenant  pape,  au  retour  de  sa  non- 
ciature de  Pologne  *,  n'étoit  g;uère  mieux  instruit  des  af- 
faires de  ce  pays-là  que  s'il  n'eût  jamais  sorti  de  Rome. 
Un  jour  qu'on  parloit  du  siège  de  Relgrade,  le  pape  In- 
nocent XI  ',  qui  avoit  fort  à  coeur  la  guerre  du  Turc  ^,  dit 
à  M.  Pignatelli  qu'il  vînt  l'après-dtnée  l'entretenir  sur  le 
siège  et  la  situation  de  Belgrade.  Le  bon  prélat,  fort  em- 
barrassé, se  confia  à  un  capitaine  suisse  de  la  garde  du 
Pape,  qui  avoit  servi  quelques  années  en  Hongrie.  Ce 
capitaine  fit  ce  qu'il  put  pour  lui  fidre  comprendre  la  si- 
tuation de  cette  place  ;  et  lui  ouvrant  les  deux  doigts  de 
la  main,  lui  disoit  :  Eccopi  la  Sava^  ecco  il  Danubio;  et 
dans  la  fourche  des  deux  doigts,  ecco  Belgrada.  Pigna- 
telli s'en  alla  à  l'audience,  tenant  ses  deux  doigts  ou- 
verts, et  répétant  la  leçon  du  Suisse  *  ;  mais  sur  le  point 
d'entrer,  il  oublia  lequel  de  ses  deux  doigts  étoit  la  Save 

I.  Racine  a  ëciit  en  marge  :  Le  mime  nonce,  —  Antonio  Pignatelli 
fut  ëla  pape  le  la  jnillet  1691,  sous  le  nom  d^Innocent  XII.  Il 
ffloornt  le  7  septembre  1700. 

s.  Où  il  ayait  ëté  enroyé  par  le  pape  Alexandre  VII.  Voyez  les 
Mémoires  de  Coulanges,  p.  980. 

3.  Dans  le  manascrit,  il  y  a  «  Innocent  XI,  »  et  non,  comme  Tont 
imprime  Louis  Racine  et  les  ëditeors  soirants,  «  Innocent  X.  >»  Le  I 
a  été  ajont^  après  coup  et  n'est  pas  trèsnlistincr.  —  Belgrade, 
aniëgée  en  1688  par  rëlecteur  palatin  Maximilien-Emmanuei  II,  fut 
priie  d*assaut  le  6  septembre  de  cette  année.  La  tranchée  avait 
^é  ouTerte  dans  la  nuit  du  la  au  i3  septembre.  Les  Turcs  re- 
prirent Belgrade  le  8  octobre  1690;  mais  ce  second  siège  de  Bel- 
grade est  du  temps  du  pontificat  d'Alexandre  VIII. 

4.  Il  y  a  :  de  TYire,  dans  le  manuscrit;  mab  c'est  évidemment  un 
iepstu. 

5.  Dans  le  manuscrit,  il  y  a  :  «  de  la  Suisse.  »  La  correction  a  été 
faite  par  Louis  Racine,  et  adoptée  par  tous  les  éditeurs  suivants.  On 
poomit  cependant  la  ccmtester. 


I70  FRAGMENTS 

ou  le  Danube,  et  revint  au  Suisse  lui  redemander  la  po- 
sition de  œs  deux  rivières.  Du  reste,  homme  de  grande 
piété  ^  et  aimant  TÉglise. . 


XLIII 

Le'  Pariement  complimenta  par  députés  le  roi 
Henri  IV  sur  la  mort  de  Mme  Gabrielle.  Le  premier 
président  de  Harlay,  rendant  compte  de  sa  députation, 
dit  :  Laqueus  contriius  est^  et  nos  liberati  sunms  *. 


XLIV 

Plusieurs  choses  extravagantes  trouvées  après  la  mort 
de  Mezerai  dans  son  inventaire,  entre  autres  ce  billet  : 
«  G^est  ici  le  dernier  argent  que  j'ai  reçu  du  Roi;  aussi, 
depuis  ce  temps-là,  n'ai-je  jamais  dit  de  bien  de  lui*.  » 

I.  Dans  Louis  Racine  et  dans  l'ëdition  de  Geoffroy  :  «  fMpe  de 
grande  piëtë.  » 

a.  Ce  fragment  et  les  sept  siÛTants  ont  été  donnés  par  Lcmis 
Racine.  On  ne  les  tronTe  plus  aujourd'hui  dans  les  manuscrits  au- 
tographes. Voyez  ci-dessus,  p.  68. 

3.  «  Le  lacs  est  rompu,  et  nous  ayons  été  dëlirrës.  »  (Psâame 
cxxm,  verset  7.) 

4.  Colbert  lui  arait  àté  sa  pension  d'historiographe,  à  cause  de  U 
liberté  arec  laquelle  il  avait  parle  des  financiers  dans  son  Jàrégé 
chronologique^  imprimé  en  z668.  {T^ote  de  V édition  de  1807.)— Cette 
note  ne  parait  pas  tout  a  fait  exacte.  Colbert  demanda  des  correc- 
tions à  VAMgéy  et  ayant  jugé  insuffisantes  celles  que  Mezerai  anit 
faites,  il  lui  retrancha  la  moitié  de  sa  pension. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  171 

Dans  un  sac  d'écus  d'or  il  y  avoit  un  éou  d'or  enve- 
loppé seul  dans  un  papier  où  étoit  écrit  :  «  Cet  écu  d  or 
est  du  bon  roi  Louis  XII  ;  et  je  Tai  gardé  pour  louer  une 
place  d'où  je  puisse  voir  pendre  le  plus  fameux  financier 
de  notre  siècle.  »  On  lui  trouva  plus  de  cinquante  mille 
francs  en  argent  derrière  des  livres  et  de  tous  côtés.  Il 
fit  un  cabaretier  de  la  Chapelle^  son  légataire  universel. 


XLV 

M.  Feuillet*  regardoit  Monsieur  faire  collation  en  ca« 
rème.  Monsiçur,  en  sortant  de  table,  lui  montra  un  petit 
biscuit  qaû  prit  encore  sur  la  table  en  disant  :  «  Gela 
n'est  pas  rompre  le  jeûne,  n'est-il  pas  vrai  ?  »  Feuillet  lui 
répondit  :  «  Mangez  un  veau  et  soyez  chrétien.  » 


XLVI 

Le  nonce  Roberti'  dîsoit  :  Bisogna  infarinarsi  di  teo- 
logia,  e  farsi^  un  fonda  di politica*. 

I.  Village  près  Saint-Denis.  Ce  cabaretier  se  nommait  Lefaa- 
chcnx.  {Note  de  C édition  de  1807.)  —  Dans  la  Biogrophie  uniperselle^ 
article  Mbxebai,  ce  cabaretier  est  appelé  Leftmchear, 

a.  Nicolas  Feuillet,  cbanoine  de  Saint-Cloud,  mort  le  7  septembre 
1693. 

3.  Roberti,  archeyêqne  de  Tarse,  nonce  en  France  de  1664  i  1667. 

4.  Dans  le  texte  de  Louis  Racine,  il  7  a  /or,  au  lieu  de  farsi^  que 
donnent  Geoffroy  et  Aimé-Martin,  sans  doute  d'après  le  manuscrit, 
qo^iU  ont  encore  pu  Toir  (voyez  ci-après,  p.  178,  note  3). 

5.  «  D  faut  s*enfariner  de  théologie,  et  se  faire  un  fonds  de  poli- 
Û4]ae.  »  Le  même  mot,  attribué  également  au  nonce  Roberti,  que  dé- 
signe l'initiale  R,  est  dans  le  Furetiriana,  p.  817. 


17a  FRAGMENTS 

Le  même  noace  disoit  à  M.  l'abbé  le  Tellier,  depuis 
archevêque  de  Reims  ^,  qui  lui  soutenoit  l'autorité  du 
concile  au-dessus  du  Pape  :  «  Ou  n*ayez  qu*un  bénéfice, 
ou  croyez  à  Tautorité  du  Pape'.  » 


XLVII 

Monsieur  Tarchevèque  de  Reims  répondit  à  Tévéque 
d*Autun*,  qui  lui  montroit  un  beau  buffet  d'argent  en 
lui  disant  qu*il  étoit  pour  les  pauvres  :  «  Vous  pouviez 
leur  en  épargner  la  façon.  » 

Quand  il  fut  coadjuteur,  sous  le  titre  de  Nazîance^, 
les  révérends  pères  ....'  lui  vinrent  demander  sa  protec- 
tion; il  leur  dit  :  «  Je  n'ai  point  de  pouvoir  à  Reims; 
mais  à  Naziance,  tant  que  vous  voudrez.  » 

On  dit  qu'à  Strasbourg,  quand  le  Roi  y  fit  son  entrée*, 
les  députés  des  Suisses  Tétant  venus  voir,  rarchevéque 
de  Reims,  qui  vit  parmi  eux  Tévéque  de  Bàle,  dit  à  sod 
voisin  :  «  C'est  quelque  misérable  apparemment  que  cet 
évéque  ?  —  Gomment  !  lui  dit  Tautre ,  il   a  cent  mille 

I.  En  1671.  Voyez  cinlewas,  p.  146,  note  3. 

a.  Geoffroy  explique  bien  ce  mot  :  «  La  plonilitë  des  bâiéficei, 
dit-il,  interdite  par  les  conciles,  n^ëtoit  tolérée  en  France  qu^en 
yertu  des  dispenses  du  Pape.  » 

3.  Gabriel  de  Roquette,  ëvéque  d*Autun  de  1667  à  170s,  mort 
en  1707. 

4.  En  z668,  il  fut  fait  coadjuteur  de  Langres,  et  quelques  joun 
après  coadjuteur  de  Reims,  et  consacre  le  10  norembre  de  la  même 
année  par  le  cardinal  Barberini,  dans  la  cbapelle  de  la  Sorbonne, 
sous  le  titre  d^arcberéque  de  Nazianze.  Voyez  le  Gallia  ehrittituta, 
tome  IX,  p.  i63. 

5.  Ces  points  sont  dans  le  texte  de  Louis  Racine.  Les  noms  étaient 
peut-être  dans  le  manuscrit . 

6.  Le  a3  octobre  1681. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  173 

livres  de  rentes.  —  Oh,  oh  !  dit  FArchevéque,  c*est  donc 
un  honnête  homme  !  »  Et  il  Ini  fit  mille  caresses. 


XLYIII 

HiLORD  Roussel,  qai  a  eu  depuis  peu  le  cou  coupé  à 
Londres  %  en  montant  à  Téchafaud  donna  sa  montre  au 
ministre  qui  Texhortoit  à  la  mort  :  «  Tenez,  dit-il,  voilà 
qui  sert  à  marquer  le  temps;  je  vais  compter  par  Téter- 
nité.  9  Ce  ministre  étoit  M.  Bumet*. 


XLIX 

PIERBB    DB   MÀRCa'. 


Il  fut  nourri  de  lait  de  chèvre  les  quatre  premiers 
mois^.  n  se  maria,  eut  plusieurs  enfants,  et  demeura 

I.  Lord  William  Rassel  fut  dëcapitë  le  ai  juillet  i683,  dans  sa 
qosruite-qaatrième  annëe. 

a.  Gilbert  Bomet,  qui  devint  en  1689  ëvéqne  de  Salisbury.  Il 
mounit  le  17  mars  1715. 

3.  Sur  Pierre  deMarca,  voyez  notre  tome  IV,  p.  493-*499f  ^^^v 
S3i  et  53a.  —  En  écrivant  cette  notice,  Racine  avait  sous  les  yeux 
^  Fie  de  Pierre  de  Marea  qu^Étienne  Baluze  a  placée  en  tête  de 
TÀiition  in-folio  quUI  a  donnée  en  i653  du  de  Coneordia  SaeerdotU 
tt  Im/terii.  Cette  ^f>  a  pour  titre  :  ...  Epîttola  ad  elaristtmum  et  eru- 
^'uàmum  ptrum  Samuelem  Sorberium.  Elle  est  ainsi  datée  à  la  fin: 
luUtim  Pandorum ,  ///.  Idus  Décerneriez  anno  filDCLXII.  —  Baluze, 
chanoine  de  Reims,  mort  le  a8  juillet  161 8,  avait  bien  connu  de 
^^*raii  qui  Pavait  associé  à  ses  travaux. 
~  4-  H  était  né,  diaprés  Baluze,  le  aa  janvier  i594«  à  Gant  en  Béam. 


174  FRAGMENTS 

veuf  en  i632.  U  étoit  alors  oonseillir  au  conseil  de  Pau; 
et  lorsqu'en  1640^  Louis  XIII.  érigea  ce.  conseil  en  par- 
lement, il  fit  Marca  président. 

On  disoit  que  le  cardinal  de  Richelieu,  dans  le  dessein 
de  se  faire  patriarche  en  France,  avoit  fait  faire  par 
M.  Dupuy  '  le  Uvre  des  Libertés  de  F  Eglise  gallicane,  Q 
parut  un  livre  intitulé  Optatus  Gallus*^  contre  le  livre 
de  M.  Dupuy.  Blarca  répondit  à  ce  livre  par  ordre  du  Car- 
dinal, et  ce  fut  le  sujet  qui  lui  fit  faire  son  livre  de  Con- 
cordia  sacerdotii  etimperii^,  Tan  1641  •  La  même  année, 
le  Roi  le  nomma  à  Tévéché  de  Conserans.  On  lui  refusa 
assez  longtemps  ses  bulles,  à  cause  de  ce  livre,  dont  pla- 
sieurs  endroits  avoient  choqué  la  cour  de  Rome.  Après  la 
mort  d*Urbain  Vin.*,  Innocent  X.  fit  encore  examiner  ce 
livre,  et  apportoit  bien  des  longueurs  aux  bulles  de  Blarca, 
qui  en  ce  temps-là  même  fit  un  écrit*  pour  expliquer  son 


t .  Racine  s'est  trompe  sur  la  date  de  l*ërection  du  conseil  de  Pao 
en  parlement.  Cette  érection  eut  lien  en  i6ao  (octobre).  Baloze, 
qn'il  n'a  pas  cette  fois  lu  arec  assez  d'attention,  donne  à  la  page  5 
la  date  de  i6ai.  C'est  également  celle  que  donne  le  GMa  chris- 
tiana  (tome  XIII,  p.  67),  pour  la  nomination  de  Pierre  de  Marca 
an  parlement  nouvellement  institué  à  Pau. 

a.  Pierre  Dupuy,  mort  le  14  décembre  z6Si,  auteur  des  Traitez  des 
iiroits  et  lihertez  de  t  Eglise  galHeanej  arec  les  Preupee  des  HhtrUt  de 
r  Eglise  gaUieane ,  MDCXXXIX.  9  volumes  in-folio,  sans  nom  d'au- 
teur et  s.  1. 

3 .  Optati  Gattide  Cavendo  schismate^  adilUutrimmos  ae  reverendiamos 
Eeelesim  gaUicam  Primates^  ArehUpiseopos^  Effisa^s»  lÀher  parmneti" 
eus^  MDCXL ,  in-80,  s.  1.  L'antenr  de  ce  livre  est  Cbarles  Hersent, 
d'après  le  P.  Lelong. 

4.  De  Concordia  saeerdoûi  et  imperii,  seu  de  iiberisUihus  Eeelesim 
gallieanss»  Dissertaiionum  libri  quatuor,  Auetore  Petro  de  Marca,  Pari' 
siiêy  MDCXLI.  i  volume  in-40. 

5.  Urbain  VIII  mourut  le  99  juillet  i644* 

6.  Balnze  (p.  8)  parle  ainsi  de  cet  écrit  :  lÀheUum  Bareimone 
edidit  anno  1641,  Xli.  kalend.  apriiis  :  Quo  editianis  iihrorum  de  Co»- 
cordia  Sacerdotii  et  Imperii  consUium  esspomtp  opm  ApoitoUett  Sedis 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  175 

dessein  sor  la  publication  du  livre  de  Concordia^  etc.,  le 
soumettre  à  rautorité  et  à  la  censure  du  saint-siége,  et 
prouver  que  les  rois  étoient  les  défenseurs,  et  non  pas 
les  auteurs  des  canons;  que  les  libertés  de  TÉglise  galli- 
cane consistoient  dans  la  pratique  des  canons  et  des  dé- 
crétâtes, et  beaucoup  d*autres  choses  peu  avantageuses 
aux  rois.  Il  envoya  ce  dernier  livre  à  Innocent  X.,  avec 
une  lettre  où  il  désavouoit  beaucoup  de  choses  qu'il  avoit 
ayancées  dans  le  premier,  demandoit  pardon  des  fautes 
où  il  y  ctoit  tombé,  et  déclaroit  qu'à  l'avenir  il  soutien- 
droit  de  toute  sa  force  les  droits  de  l'Église  :  tout  cela, 
comme  fl  l'avouoit  lui-même  dans  une  autre  lettre '^,  pour 
avoir  ses  bulles,  qu'il  eut  en  1647.  ^  n^étoit  que  tonsuré; 
3  se  fit  ordonner  prêtre  après  avoir  reçu  ses  bulles  à  Bar- 
celone, où  autrefois  saint  Paulin*  fut  ordonné  prêtre, 
mais  malgré  lui. 

Peu  de  temps  après,  il  écrivit  de  singulari  Primatu 
Petri^^  pour  faire  plaisir  à  Innocent  X.,  ensuite  une  lettre 
de lautorité  des  papes  envers  les  conciles  généraux. 

En  1644*  îl  avoit  été  fait  visiteur  général  de  la  Gâta* 
logne,  avec  une  jurisdiction  sur  les  troupes,  et  avec  le  soin 
des  finances.  En  i65i,  il  partit  de  Barcelone,  et  fit  son 
entrée  à  Conserans.  L'année  d'après,  il  fut  nonmié  à 
rarchevéché  de  Toulouse.  11  écrivit  fort  humblement  à 


cennrm  ntimittii^  et  Reget  eanonum  etutodes^  non  yero  auetoret^  9sse 
^oeet.  Hk  tst  enim  lihelli  hujtu  tUulut. 

I.  Au  cardinal  Panciroli.  Voyez  Baluze,  p.  8. 

1.  Saint  Paulin,  ^yéque  de  Noie,  né  en  353  à  Bordeaux,  mort 
le  11  juin  43z.  Il  fut  ordonne  prêtre  à  Barcelone  en  SgS. 

3.  Ësercitatlonem    Bareinone  V,  kaiendas  j'unii  anno  MC.D.XLVH 

icri^itde  singulari  Primûiu  Petri^qum  nondum  édita  est,  (Bai^ihck,  p.  10.) 

Pins  tard  Baluze  publia  YMxereitatio  de  singulari  Primatu  Pétri  aux 

pages  53-73  du  lÎTre  intitule  :  Opuscula  Pétri  de  Marca  archiepiscopi 

^erittentUf  nune  primum  in  lueem  édita.  Paris,  MDCLXXXI.  i  to- 
Itune  in-So, 


176  FRAGMENTS 

Innocent  X.  pour  avoir  ses  bulles,  et  se  comparoit  à  un 
Exupère  ^,  qui,  ayant  été,  disoit-il,  président  en  Espagne, 
fut  élevé  par  Innocent  I"*  à  Févéché  de  Toulouse.  Sur 
qaoi  Baluze'  remarque  que  son  Mécénas  (car  c'est  ainsi 
qu'il  appelle  toujours  Marca)  fit  un  mensonge  de  dessein 
formé  pour  chatouiller  les  oreilles  du  Pape;  car  TEzu- 
père  qui  fut  évéque  de  Toulouse  n'étoit  point  TExupère 
qui  exerça  la  magistrature  en  Espagne.  Baluze  rapporte 
qu'ayant  appris  qu'un  auteur  l'avoit  accusé  de  s'être 
trompé  sur  ce  fieiit  d'histoire,  il  rioit  de  la  simplicité  de 
cet  auteur,  qui  n'avoit  pas  pris  garde  qu'il  s'agissoit 
d'avoir  ses  bulles,  et  qu'il  falloit  tromper  le  Pape,  qui  ne 
Im'  étoit  pas  d'ailleurs  fort  favorable. 

Le  Pape  le  soupçonnoit  fort  mal  à  propos  d'être  jan- 
séniste, et  ne  lui  envoyoit  point  ses  bulles;  mais  heureu- 
sement ce  pape  ayant  publié  alors  sa  constitution  contre 
Jansénius*,  et  Marca  l'ayant  reçue  avec  grande  joie,  on 
lui  envoya  ses  bulles. 

I .  Saint  Exupère,  éieré  au  sîëge  ëpisçopal  de  Toulouse  au  com- 
mencement du  cinquième  siècle,  mort  rers  417* 

a.  On  pourrait  soupçonner  ici  Racine  de  malice;  il  n^a  cepen- 
dant rien  prête  à  Baluze,  qui  s'exprime  ainsi  (p.  i3  et  14):  Sciei^t 
sane  9Ïr  erudititsimus  (de  Marca)  diçertum  ab  Exuptrio  episcopo  Tolo- 
tano  fuisse  Exuperium  illum  qui  prmndatum  in  Hispaniis  tgit;  quis  emim 
ignorât?  Verum  quum  argumtntum  esset  accommodât usimum  ad  rem  quam 
traetahat^  sciretque  prmterea  priiieipnm  atires  ita  esse  formatas  ut  mkU 
nisi  jueundum  Isitumque  aecipere  çeUnt^  vim  aUquam  inferre  peritati  non 
aènuit,  ut  pontifieem  aUoqui  difficUêm  ae  morosum,  sibi  faventem  «c 
propitium  hahere  posset,  Quod  ideo  retuû^  ut  eatur  oMam  scrupulasm 
eufusdam  seriptoris  diUgentisf,  qui  in  adversariis  suis  adnotatdt  lapsnm 
heic  esse  Marcam  :  de  quo  admonitus  a  me  vir  optimus  paucis  ante  obi* 
tum  mensibuSy  risit  honûnis  supinitatem^  qui  non  animadvertertt  eu/us- 
modi  argumentum  in  ea  epistola  tractaretur,  —  Le  GaUia  christiana, 
tome  XIII ,  p.  68,  cite  le  passage  de  la  lettre  de  Pierre  de  Marca 
à  Innocent  X  où  le  nouvel  archevêque  de  Toulouse  rappelle  le 
souvenir  d*Exupère,  président  en  Espagne. 

3.  Le  3i  mai  i653.  Cest  la  bulle  Cum  occasione. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  177 

£0  i656,  il  fut  député  à  rassemblée  du  clergé,  où  il 
soDtint  si  vigoureusement  les  intérêts  du  saint-siége,  que 
le  pape  Alexandre  VII  Ten  remercia  par  un  bref.  Cétoit 
lui  qui  écrivoit  toutes  les  lettres  du  clergé  au  Pape. 

Comme  il  avoit  honte  d'être  si  longtemps  absent  de  son 
diocèse,  pour  lever  son  scrupule  on  le  fit  ministre  d'État. 
Durant  les  conférences  de  la  paix,  il  fut  un  des  commis* 
saires  pour  régler  les  limites  des  deux  royaumes  du  côté 
des  Pyrénées.  Ses  décisions  furent  suivies,  c'est-à-dire 
que  les  comtés  de  Roussillon,  de  G)nflans,  le  Capsir  et  le 
Val-de-Querol,  avec  une  grande  partie  de  la  Cerdagne, 
demeurèrent  à  la  France  ^.  Après  la  mort  du  Cardinal,  le 
Roi  le  mit  de  son  conseil  de  conscience,  avec  Tarchevêque 
d'Auch,  révêque  de  Rhodez,  et  le  P.  Annat*.  Peu  de 
temps  après,  il  (it  un  traité  c/«  C Infaillibilité  du  Pape^  qui 
est  son  dernier  ouvrage. 

Le  25  février  1.662,  la  ducbesse  de  Retz'  apporta  au 
Roi  la  démission  du  cardinal  de  Retz  pour  rarchevêché 
de  Paris,  qu'il  avoit  signée  à  Commercy  le  1 3  février.  Le 
jour  même,  le  Roi  appela  Marca  dans  son  cabinet,  lui  dit 

I.  Baluze,  p.  31. 

3.  Rébus  ecclesiasticU....  traetandis  admotus  est  Marea,  eumque  eo 
lUiutrûsimi  Firi  Henrlcus  Lamotha  Hodencuriiit  Rhedonensis  episeo-» 
/>tfi,...  Harduînus  Perrfuca  Rutenorum  iLm  tpiscopus^  et  R.  P.  Anaatus^ 
preibyter  e  Socîetate  Je^it.  (Baluze,  p.  a  a.)  —  Le  prélat  que  Racine 
appelle  Varchevéque  d'Audi  ^  Balu/.e  Tappelle  Vwtque  de  Rennes, 
Henri  de  la  Motlie-Houdancourt,  frère  puîné  du  maréchal  de  la 
Mothe,  fut  d'abord  évêque  de  Rennes,  et  ne  monta  sur  le  siège 
archiépiscopal  d'Auch  que  le  i*^' juillet  166a.  Il  était  nommé  sans 
doute  dès  Tannée  précédente,  Dominique  de  Vie,  son  prédécesseur, 
éunt  mort  en  if^6i.  —  LVvêque  de  Rhodez  était,  comme  le  dit 
Baluze,  Hardouin  de  Beaumont  de  Péréiixe,  qui  avait  été  nommé 
à  ce  siège  en  1648,  et  qui  succéda  plus  tard  à  M.  de  Marca  comme 
archevêque  de  Paris. 

3.  Voyez  Baluze,  p.  aa.  —  Catherine  de  Gondi,  duchesse  de 
Retz,  belle-sœur  du  Cardinal,  dont  elle  avait  épousé  en  i633  le 
frère  aine,  Pierre  de  Gondi.  Elle  mourut  le  3o  septembre  1679. 

J.  Racws.  ▼  la 


178  FRAGMENTS 

qu'il  le  faisoit  archevêque  de  Paris,  et  écrivit  lui-même 
au  Pape  pour  avoir  ses  bulles.  Il  tomba  malade  le  10  mai 
suivant,  reçut  le  12  juin  des  lettres  de  Rome,  qui  Fassu- 
roient  de  sa  translation  à  Tarchevêché  de  Paris,  en  té- 
moigna une  grande  joie,  et  mourut  le  29  juin*,  laissant 
un  fils  qui  avoit  sa  charge  de  premier  président  et  l'ab- 
baye de  Saint- Aubin  d'Angers.  Marca  mourut  à  soixante- 
deux  ans*,  et  fut  enterré  dans  le  chœur  de  Notre-Dame, 
au-dessous  du  trône  archiépiscopal. 


Prédictions^  de  Campanella  sur  la  grandeur  future 

1 .  Dans  le  texte  de  Louis  Racine,  il  y  a  98  juillet^  au  liea  de 
39  juin,  Nous  ne  savons  si  cette  erreur  se  trouvait  dans  le  mann- 
scrit.  La  date  donnée  par  Baluze,  par  le  Gallia  christlana  et  par 
la  Gazette  du  i^  juillet  i66a  est  le  39  juin. 

2.  U  mourut  dans  sa  soixante-neuvième  année  :  Decessit  Marca 
ad  III.  kalendas  juiùy  qiim  dies  D.  Petro  Jpostoto  sacra  erat,.,.  nùoo 
et  sexagesimo  «tat'u  anno  nondum  exacte.  (Baluze,  p.  a6.) —  Les  trois 
erreurs  de  chiffres  qui  se  sont  glissées  dans  ce  fragment  ne  peuvent 
être  que  des  inadvertances,  puisque,  dans  tous  les  détails.  Racine  a 
pris  pour  guide  Baluze,  qui  ne  les  a  pas  faites.  La  première  (voyez 
ci-dessus,  p.  174,  note  i)  est  d'ailleurs  la  seule  qu'on  ne  puisse  attri- 
buer à  une  copie  inexacte  du  manuscrit  de  notre  auteur. 

3.  Les  pages  auxquelles  le  lecteur  est  renvoyé  dans  le  titre  de 
ce  fragment  n^étant  pas  indiquées  dans  le  texte  de  Louis  Racine, 
comme  elles  le  sont  dans  celui  de  GeolTroy  et  d'Aimé -Martin,  on 
voit  que  ces  dei-niers  éditeurs,  tout  au  moins  le  plus  ancien,  avaient 
encore  Pautographe  sous  les  yeux.  L'ouvrage  de  Campanella,  que 
cite  Racine,  a  pour  titre  :  Ecloga  in  portentosam  nativitatem  Dclphini 
Gallim^  Paris,  1689,  pièce  in-4®-  Mais  c'est  dans  \e&  Lettres  deCroiiii* 
que  Racine  a  trouvé  la  prédiction  de  Campanella,  aussi  bien  qiu* 
celle  de  Grotius  ;  et  les  pages  qu'il  indique  sont  celles  du  livre  inti- 
tulé; Uugonis  Grotii..,.  Epistolss  quotquot  reperiri potuerunt . . . .  Anutc 
Ijdami^  MDCLXXXVII,  i  volume  in-folio. 


ET  NOTES   HISTORIQUES.  179 

du  Dauphin  ^    p.  4^9*-  Présages  sur  la  même  chose  ^ 
Grotius,  p.  4^5*. 

La  constellation  du  Dauphin  composée  de  neuf  étoiles 
[les  neuf  Muses,  comme  Tentendent  les  astrologues),  en- 
vironnée de  l'Aigle,  grand  génie;  du  Pégase,  puissant  en 
cavalerie;  du  Sagittaire,  infanterie;  de  TAquarius,  puis- 
sance maritime;  du  Cygne,  poètes,  historiens,  orateurs, 
qui  le  chanteront.  Le  Dauphin  touche  Téquateur,  justice. 
Né  le  dimanche,  jour  du  Soleil.  Ad  solis  instar^  beaturus 
suo  calore  ac  lumine  Galliam  Galliœque  amicos,  Jam  * 
lionam  nutricem  sugit;  aufagiunt  omnes  quod  mammas 
earum  maie  tractet  *.  i"  janvier  lôSp. 


I.  Aux  pages  4B8  et  4S9  du  liyre  cité  dans  la  note  précédente, 
est  une  lettre  de  Grotîus  au  chancelier  Oxenuiern  {lettre  io85,  datée 
de  Paris,  le  18  décembre  i638),  où  se  lit,  à  la  page  489,  cette  phrase  : 
Mttto  etiam  Campanel/m  ^  ex  astris  et  ediunde  divinandi  ariem  tiSi 
9in(rieaatiSf  pro  Delphino  atigurïa. 

3.  A  cette  page  est  une  lettre  de  Grotius  à  Christine,  reine  de 
Suède  {Uttre  1079,  datée  de  Paris  le  5  décembre  i638).  On  y 
trouve  tout  ce  qui  est  analysé  en  français  et  cité  en  latin  par 
Racine,  à  Fexccption  de  la  dernière  phrase.  —  Grotius  s^était  rendu 
\^  4  décembre  chez  le  Roi  et  chez  la  Reine  pour  les  complimenter 
de  la  part  de  la  reine  de  Suède  sur  la  naissance  du  Dauphin, 
depuis  Louis  XIV. ^11  récita  une  partie  de  sa  prédiction  chez  le  Roi, 
ane  partie  chez  la  Reine. 

3.  Ceci,  depuis  les  mots  :  Jam  nonam,  n^est  pa^  dans  la  lettre  k  la 
leine  Christine,  mais  dans  une  lettre  au  chancelier  Oxenstiern  {let^ 
Ire  1090,  p.  490).  Cette  lettre  est  datée  Ca/endis  januard  anni 
»ov}^  ut  ft'te  numtramuSy  ifi39  :  ce  qui  explique  la  date  du  i*^  janvier 
1639  donnée  par  Racine. 

4-  «  Destiné  comme  le  soleil  à  répandre  sur  la  France  et  sur  les 
amis  de  la  France  les  bienfaits  de  sa  chaleur  et  de  sa  lumière.  — 
l)tji  il  lette  sa  neuyièqie  nourrice  ;  tontes  s'enfuient,  parce  qu'il 
nialtrailc  leurs  mamelles.  » 


i8o  FRAGMENTS 


LI 

Comète  '.  Janvier. 

Reforme  de  Tordre  de  Saint-Michel *.  Janvier. 

Établissements  pour  le  commerce  et  pour  les  arts^,  et  expédi- 
tions da  duc  de  Beaufort  en  Barbarie,  la  première  en  arril,  tous  U 
Goulette,  et  la  seconde,  qui  est  la  plus  considérable,  devant  Sanselie, 
en  septembre". 

Canonisation  de  saint  François  de  Sales*  et  les  afTaires  du 
Formulaire'.  Avril,  mai. 

Grands  jours  d^Aurergne*.  Septembre. 

Fixation  des  charges'.  Décembre, 

I .  Les  tablettes  clironolngiqaes  qne  nous  duonon«  ici  véritent  encore  laoio» 
qne  les  notes  précétlentes  le  nom  de  fragments  bifttoriquea.  C'est  ponnjnoi 
noas  les  avons  rejetées  à  la  fin  et  imprimées  en  petit  texte.  CeUe  par  la- 
quelle nous  commençons,  et  qoi  se  rapporte  à  Tannée  i665,  se  trouve  aa 
feuillet  174. 

9.  Voyez  la  Gazette  du  17  janvier  i665. 

3.  Yoyes,  dans  la  même  Gazette,  V Extraordinaire  du  i3  février  (p.  iS;), 
contenant  ce  qui  s'est  passé  au  rétablissement  de  l'ordre  de  Saint- Bficfad. 

4.  Voyage  du  cavalier  Beruin  depuis  juin  jusqu'en  octobre.  [fVote  de  Ai* 
eine^  à  la  marge.)  —  Le  cavalier  Beruin  avait  été  présenté  au  Roi  le  4  juin  par 
Colbert.  Il  quitta  Paris  le  ao  octobre  pour  retourner  à  Rome.  Voyei  la  Ga- 
lette du  i3  juin  et  du  24  octobre  i665. 

5.  Sur  Texpédition  du  duc  de  Beaufort  en  avril,  voyes  la  Gazette  du  19  joia 
i665,  p.  585.  Voyex  aussi  dans  la  Gazette  du  16  septembre  i665,  p.  901, 
Le  combat  donné  entre  les  vaisseaux  du  Rojr,  commandez  par  le  due  de  Be^m- 

Jort,  et  ceux  des  corsaires  tt Afrique,  sous  la  forteresse  de  Serselies  (Cber- 
chell}  près  d'Algier,  le  34  "oût  |665.  —  Cette  ville  que  Racine  appelle  SéiasfUe^ 
et  la  Gazette  Sei  selles  ^  cette  mèioe  Gazette,  dans  son  numéro  du  i3  octobre 
168a,  p.  668,  l'appelle  Sarselli^  et  dit  qu'elle  est  située  à  trente  milles  d'Al- 
ger, du  côté  du  couchant. 

6.  Voyex  le  récit  des  solennités  de  cette  canonisation  da^s  la  Gautudu 
aa  mai  i665,  p.  485. 

7.  Voycx  la  Gazette  du  a  mai  i665. 

8.  L'ouverture  des  grands  jours  se  fit  le  a6  septembre  à  Qennuat.  Tojcx 
la  Gazette  du  17  octobre  i665. 

9.  Le  aa  décembre,  le  Roi  tint  un  lit  de  justice.  «  Le  greffier  en  dief  fit  lec- 
ture de  quelques  édits  par  l*un  desquds  le  Roi  accorde  le  droit  annuel  posr 
trois  années  au  Parlement,  à  la  chambre  des  comptes,  au  grand  conseil,  i  b 
cour  des  aides  et  à  la  oonr  des  monnoies,  et  fixe  le  prix  des  charges  de  m* 
cinq  cours  souveraines,  m  (Gazette  dn  a6  décembre  i665.) 


ET  NOTES  HISTORIQUES,  i8i 

Buisy  mU  ù  la  Bastille  *.  AvriL 

Gaeire  déclarée  par  les  Anglois  à  la  Hollande*.  Mars. 

EnToi  de  Vemeuil  et  Courtin  à  Londres'.  Avril, 

Bataille  navale^.  i3  juin. 

Attaque  devant  Bergue*.  Août. 

Peste  en  Angleterre  •. 

Mariage  de  Mlle  de  Nemours  avec  le  duc  de  Savoie'.  Mai, 

Propositions  de  mariage  de  Mlle  d^Auroale*. 

Bataille  de  Montesclaros *.  ^  juin. 

Mort  de  Tarchiduc  d^Inspruk  ***.  a  4  y''^"- 

Mort  du  roi  d^E^pagne  *'.  17  septembre. 

Différend  et  accommodement  des  princes  de  Lunebourg".  Août. 

I.  Le  17  avril.  Il  7  resta  jusqu'au  iG  mai  i666. 

3.  La  déclaration,  donnée  à  Limdre»  le  4  taskn  i665^  se  trouve  dans  l*£x- 
traortfi/uiire  dt  la  Gazelle  du  3  avril,  p.  3o7-3il. 

3.  Le  duc  de  Verneud  et  Courtin,  mettre  des  requêtes,  prirent  congé  du 
Roi  dans  b  seconde  semaine  d'avril,  et  firent  le  10  mai  leur  entrée  à  Londres, 
eomme  amlMs^adeurs  extraordinaires  de  Sa  MMJesté.  Voyex  la  Gazette  du 
II  arril  et  du  3o  mui  |665. 

4.  Toyea  la  Gazette  du  3  juillet  i665,  p.  ôaS. —  Cette  bataille  navale  entre 
la  fliitie  anglaise,  commandée  par  le  duc  d'York,  et  la  flotte  koUandaîse,  com- 
nandée  par  l'amiral  d'Obdam,  eut  lieu  sur  la  G6te  de  Soffolk.  L'Angleterre  eut 
la  TÏctciire. 

5.  Voyez  dans  la  Gazette  dn  1 1  septembre  i665,  p.  877,  Ce  qui  s* est  passé 
«  Bfrgme  en  ISoitwege  entre  tes  vaisseaux  anglo:s  et  ceux  des  Jfrllandoiê.., . 
U  toat  en  une  lettre  de  la  Haye, 

6.  Elle  fut  si  violente,  qu'en  moins  d'un  an  elle  enleva  à  Londres  cent  mille  ha- 
bltinL«.  Le  roi  Cbarles  11  convoqua  le  Parlement  à  Oxford  (10  octobre  i665). 

7.  VoTex  la  Gazette  du  16  mai  et  celle  du  a3  mai  i665. —  Cbarles-Emma- 
onel  II  épousa  au  mois  de  mai  |665  Marie- Jeanne-Baptiste  de  Nemours ,  fille 
aînée  de  Charles-Amédce  duc  de  Nemours  et  d'Éiisabetli  de  Vendôme. 

S.  Mlle  d'Aumale  était  scrur  putnée  de  Mlle  de  Nemnurs.  Elle  épousa  au 
molt  de  mars  de  l'année  suivante  le  roi  de  PurtugHl  Alphonse  VI.  Voyez  ci- 
dosus,  p.  16a,  note  a. 

9.  Voyn  la  Gazette  da  18  juillet  i665.<—  Dans  cette  bataille  de  Montes-Claros 
na  de  Villaviciosa,  livrée  entre  les  Portugais  et  les  Espagnols,  ceux-ri  fuient 
ratièrement  défaits,  grAce  surtout  à  la  valeur  des  Français  et  des  Anglais  et  à 
rhabileté  du  comte  de  Scliorobcrg. 

10.  Le  prince  Fran^is-Sigisroond. 

II.  Ibilippe  IV. 

la.  Georges- Guillaume  duc  de  Brunswick-Lunebourg  et  son  frère  Jean-Fré* 
dénc  furent  longtemps  en  différend  au  sujet  de  la  succession  de  leur  père,  le 
doc  Georges,  et  de  leur  frère  Hiné,  le  duc  Christiun-Louis.  Ils  s'accommodèrent 
nifin  dans  l'assemblée  tenue  à  Hildesbeim  entre  leurs  députés  et  ceux  des  mé- 
diateurs. L'alné  eut  Zell  pour  son  partage,  et  l'autre  Hanovre.  Voyez  la  Gw 
^te  du  19  septembre  et  celle  du  3  octobre  i665. 


iH'x  FRAGMENTS 

Guerre  de  Tévéque  de  Munster  contre  les  Hollandois^  Septembre 
Envoi  de  Pradelle*.  Novemhte. 
Prise  de  Lokem'.  De'cfmSrr. 


LU 

1672*. 

Juw  II.  Passage  du  Rhin*. 

i3.  Le  prince  d'Orange  abandonne  Flssel.  Le  Roi  revient  camper 
à  Emmerick,  et  donne  au  vicomte  de  Turenne  le  commandement 
de  Parmée  du  prince  de  Cond^.  Le  vicomte  de  Turenne  se  saisit 
du  pont  que  les  ennemis  a  voient  sous  le  fort.  Prise  de  bagages. 

i5.  Amheim  capitule.  Knotzembourg  attaque. 

lô.  Knotzembourg  rendu. 

19.  Pri^e  du  fort  de  Skinc  (3000  hommes  de  garnison),  parle 
vicomte  de  Turenne. 

Députés  d'Utrecht  viennent  au  camp  devant  Skinc  demander  uu 
passe-port. 

20.  Rochefort*  détaché  avec   3ooo  chevaux. 

ai.  Députés  d'Utrecht  envoyés  au  Roi,  qui  les  reçoit  devant 
Doesbourg.  Witt  attaqué  par  deux  bourgeois  et  blessé.  Le  Roi 

I.  Voyez  la  Gazette  du  10  octobre  i665. 

a.  Louis  XIY  envoya  nu  secoure  des  Uoll.indais  attaqués  par  Tévéque  de 
Munster  un  corps  de  quatre  mille  hommes  de  pied  et  de  ch^ux  mille  clievanx, 
suus  le  commandement  du  marquis  de  Pradel. 

3.  I/evéque  de  Munster  avait  foitifié  la  ville  de  Lochem.  Les  troupes  dt 
Hollande,  juiutes  à  celles  de  France,  arrivèrent  le  9  décembre  devant  cette  bi- 
coque mal  détendue,  qui  se  rendit  le  14  décembre.  Voyez  U  Gazstte  du 
a6  décembre  ir)65. 

4.  Cette  tibletle  chronologique  de  Tannée  167a  est  au  feuillet  167,  écrite 
sur  deux  colonnes  ;  on  n'y  reconnaît  pa.«,  comme  dans  les  précédentes  et  dans 
les  suivantes,  l'écriture  de  Racine.  Nous  ne  l'avons  cependant  pas  retranchée, 
])arce  qu*elle  avait  été  conservée  p:irmi  ses  papiers,  et  qa*en  tournant  la  page 
dans  l'autre  sens,  on  y  trouve  de  sa  main  :  Es/'Ugne,  Italie,  France^  AUf' 
magttf^  Pologne,  Il  est  très-probable  qu'il  avait  fait  dresser  ce  tableau  sous 
M!s  }eux. 

5.  La  vraie  date  est  le  la  juin. 

(>.  Le  marqui^i  de  Rochefurt,  lieutemitit  général  et  capitaine  des  gardes  du 
Corps. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  i83 

apprend  la  noavelle  de  la  naissance  du  Dauphin.  Prise  de  Does- 
bourg. 

la.  Lie  Roi  reçoit  la  nouvelle  de  la  prise  de  Deventer,  de  Zwol, 
Campen,  Elboorg,  Ardervick,  Hattem,  Hasselt,  et  Ommen.  Trom- 
pette •. 

a3.  Vom,  Saint-André,  â  trois  cents  chevaux  du  vicomte  de 
Turenne*. 

14  •  Le  Roi  envoie  un  renfort  à  Monsieur  qui  assiégeoit  Zutphen. 
11  apprend  du  marquis  de  Rochefort  que  les  habitants  d^Utrecht 
lui  aroient  livre  deux  de  leurs  portes.  LVvdque  de  Strasbourg 
arrive  au  camp. 

sS.  LVvéque  de  Munster  arrive  au  camp.  Le  Roi  reçoit  nou- 
velles de  la  prise  de  Zutphen.  Prise  de  Zutphen*. 

37.  Le  Roi  va  de  Biloin  ^  à  Ameronge. 

Aùllet  3.  Le  vicomte  de  Turenne  commence  à  assiéger  Nimcgue. 
Élection  du  prince  d^Orange  à  la  charge  de  général.  Monsieur  à 
Llrecht. 

4.  Prise  de  Gennep  par  le  comte  de  Chamilli,  et  de  Grave  par 
le  chevalier  du  Plessis*.  Infanterie  de  Bolduc*  défaite'. 

7.  Le  Roi  donne  audience  an  sieur  d'Arlington  •. 

I.  Ce  qui  petit  sembler  un  peu  obscur  ici  est  expliqué  par  ce  i>assage  de  la 
Gazette  de  l'iiimée  1672,  p.  666  :  a  Le  aa  {juin  167a),  Elle  {Sa  Afajette)  eut 
avis  de  la  prise  de  Dewenter...^  et  que  Zwol^  Kampeny  Elbourg^  Arderwik , 
HattvHj  Hasselt  et  Ommen  aroient,  sur  la  simple  sommation  d'un  trompette, 
chassé  leurs  garnisons.  9  Sur  la  situation  de  toutes  ces  places,  Toyez  la  même 
Gasetie^  P«  678  et  suivantes. 

a.  ■  Le  a3,  on  la  Tint  aussi  informer  de  la  prise  du  fort  de  Woorn  et  de  celui  de 
Satat^André,  qui  sont  les  clefs  de  Tile  de  Dommel  :  ces  deux  postes  s'étant 
irudus  seulement  a  la  vue  de  ti'ois  cents  chevaux  que  le  vicomte  de  Turenne  y 
avoit  envoi  es  avec  le  sieur  d'Apremont.  >»  [Ibidem^  p.  666.)  —  La  même  Gazette ^ 
p.  657,  partant  do  fort  Saint- André,  dit  :  a  C'est  une  forteresse....  que  l'ami- 
rant«  d* Aragon  fit  bâtir  dans  le  plus  étroit  de  ladite  île  {de  Bommel) ,  et  que  le 
cardinal  André,  d'Autriche,  lieutenant  général  des  armées  d'Espagne,  fit  ainsi 
appeler  de  son  nom.  » 

3.  Zutphen  s^étaât  rendu  à  Monsieur  le  aa  juin. 

4.  «  Du  ca*np  de  Biloiat  entre  Dœsbourg  et  AraJiemj  le  TtS  Juin  167a.  Hier, 
Sa  Majesté  partit  de  ce  lieu....  pour  aller  camper  à  Ameronge.  »  {Gazette 
(lu  9  juillet  167a.) 

5.  Du  Ples»i»>PrasKn. 

6.  Boldue,  ou  Sos-le-Due,  ou  Bois-le-Duc. 

7.  Par  le  marquis  de  Joyeuse.  —  Sur  tous  ces  événements ,  voyez  dans  la 
Gazette  du  19  juillet  167a,  p.  709-7ao,  Le  siège  et  la  prise  de  IVimègue. 
avtc  celte  de  la  ville  et  du  fort  de  Crave^  de  Genep  et  de  quelques  autres 
pvtes. 

S.  Henry  Bcniiet  lord  Arlington.   Buckingham  avait  été  envoyé  avec  lui 


i84  FRAGMENTS 

9.  Réduction  dp  Nimègue.  Siège  de  CoTerden. 

10.  Le  Roi  dëcampe  de  Zeist  '  et  revient  à  Ameronge. 
la.  Corerden  rendu*. 

19.  Crèvecœur  rendu  après  deux  jours  de  tranchée.  Bommel 
assiégé,  et  pris  en  deux  jours. 

aS.  Le  prince  de  Neubourg  vient  voir  le  Roi  à  son  camp  de 
Boxtel'. 

Août  I.  Prise  du  fort  de  Kronembourg^. 


LUI 

1679». 

En  Angleterre,  disgrâce  du  Trésorier*. 

Traité  de  paix  entre  la  France  et  l'Empereur.  5  février. 


pour  négocier  avec  Lunis  XIV.  lU  étaieat  tous  deux  ministres  de  Charles  II, 
et  memlires  de  la  Cabale. 

1.  Près  d*Utr«clit. 

a.  A  révéque  de  Monstrr.  Voyez  la  Gazette  Au  3o  juillet  167a. 

3.  Sur  la  rivière  dp  Dommcl. —  n  Du  camp  de  Boxtelf  le  ^%  juillet  1673. ••■ 
Le  a 5,  le  duc  de  Neuhourg,  avec  le  prince  sua  fils,  vint  saluer  le  Koi,...  >  (Cd- 
zette  du  6  aufjt  167^.) 

4.  «  lyUtrecht^  le  4  août  167a....  Le  premier  de  ce  mois,  sur  le  soir,  on  fit 
ici  un  détiirhemcnt  tle  sept  soldats  par  compagnie,  dont  on  forma  un  gros  et 
trois  à  quatre  mille  hommes,  qui  furent  embarqués  pimr  aller  sur  le  cbemia 
d'Amsterdam  sVmpurer  de  deux  petits  chiteaox,  où  il  y  avoit  garnison  bulUa* 
dnise,  et  d^m  autre  fur  la  route  de  Wesep,  nommé  Cronembourg,  que  les 
François  avoient  ci-devant  abandonné,  et  dans  lequel  il  j  avoit  trois  cents 
hommes,  qui  sont  demeurés  priscmnicrs  de  guerre.  Le  prince  Maurice,  qui  est 
à  Mnyden  et  près  de  Wesep,  avec  quatre  à  cinq  mille  hommes,  se  mit  ea 
devoir  d'aller  un  secours  de  ce  fort...;  il  altandonna  sa  belle  entreprise.» 
{G.izette  du  |3  anût  167a.) 

5.  Ces  notes  clironologiques  de  1679,  1680,  1681  et  i68a  sont  écrites  as 
feuillet  186  Al/. 

6.  Sir  Thomas  Osliorn,  comte  de  Danbj,  grand  trésorier.  Lord  Mtmtaign, 
ambassadeur  en  France,  fit  communiquer  à  la  chambre  des  conunnncs  00e 
lettre  que  Danby  lui  avait  écri le,  pendunt  la  négociation  de  la  paix  de NimègnCt 
pour  le  charger  de  solliciter  du  roi  de  France,  au  nom  de  Charles  I(,  on  sub- 
side en  argent.  Les  communes  dressèrent  cimtre  le  grand  trésorier  nn  acte  de 
hante  trahison. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  i85 

Et  de  TEmpereur  avec  la  Sut*cle. 

Traite  de  paix  entre  la  France,  la  Suède  et  la  maison  de  Bruns- 
wic.  5  février. 

Inixé  de  paix  entre  la  France  et  Tévéque  de  Munster  et  de 
Paderbom.  29  mars. 

Pendant  arril,  suspension  entre  la  France,  Suède  et  Danemarck 
et  Brandebourg,  et  continuée  pendant  mai. 

Sur  la  fin  de  juin,  Créqui  passe  le  Veser  et  dëfaît  le  général 
SpanV 

Traité  de  paix  entre  la  France,  la  Suède  et  Vélecteur  de  Bran- 
debourg, conclu  et  signé  à  Saint-Germain-en-Laje.  a  g  jmn. 

Traité  de  paix  entre  la  France,  la  Suède  et  le  Danemarck.  Fait 
à  Fontainebleau,  a  septembre. 

Autre  traité  entre  Ja  Suède  et  le  Danemarck,  à  Lunden  en 
Scanie.  26  septembre. 

Mariage  du  roi  d*Espagne*.  3o  août,  s 

Cbambre  des  poisons  sur  la  fin  de  l'année  '. 

Mort  de  Mme  de  Longueville*.  i5  apr'd. 

—  du  cardinal  de  Rets*.  34  août. 

—  de  IVvêque  de  Beauvais*.  ai  juillet. 

I.  Ce  fot  le  3o  jnin  que  le  maréchal  de  Créqui  força,  près  de  Minden,  le 
pisMgedu  Weser,  et  défit  le  m.ijor  général  comte  Spaen.  Voyez  la  Guaeiie  du 
iSjotUel  1679. 

1.  Le  cimtrat  de  mariage  de  Tharlei  H,  mi  d'Espagne,  avec  Mnrîe-Loaise 
d'Oriéani,  fille  de  Monsieur  et  de  Heariette  d'Angleterre,  fut  signé  k  Fontai> 
Bet>l«aa  le  3o  a«»At  1679,  et  l*on  fit  ce  jour-là  la  cérémonie  des  fiançailles.  La 
mvflioiiie  du  mariage  fut  célébrée  le  lendemuin  3i,  dans  la  chapelle  du  châ* 
tna.  Vojez  la  Gazette  dn  la  r^cptembre  1679. 

).  Ce  fot  en  1679  que  le  Roi  attribua  la  connaissance  exclasÎTe  dn  crime  de 
poison  à  la  chamlire  de  TAnienal.  Cette  chambre  ne  fut  inst.>Uée  qu'au  mois  de 
jiioTirr  16H0,  ponr  raffatre  des  poisons  à  laquelle  donnèrent  lien  les  révél.itions 
df  U  Voisin. 

4*  «  Le  quinzième  de  ce  mois,  Anne-GenerieTe  de  Bourbon,  duchesse  de 
LmgiieTille,  mourut  ici  (à  Paris)  ^  après  une  longue  maladie*  ■  {Gazette  du 
M  avril  1679  ) 

5.  «  Le  Tingt-quatrième,  Jean-Francois-Panl  de  Gondi,  cardinal  de  Retz.... 
moarot  ici  (à  Paris),  Agé  de  soixante-six  ans.  »  {Gazette  du  a6  août  1679.) 

6.  «  Bfes«ire  Ni<Ml«s-Cboart  de  Bnsanval,  évèque  et  comte  de  Beanvais,  pair 
àf  France,  est  mort  le  vingt-unième  de  ce  mois.  »  {Gazette  du  29  juillet 
«679.) 


i86  FRAGMENTS 


1680. 

Mariage  du  prince  de  Conty*.   i^  janvier. 
Charlemont  cëdé  à  la  France  sur  la  fin  de  février  *. 
Troisième  bref  du  Pape  sur  la  régale  *.  Il  est  daté  du  a8  décem- 
bre 167g. 

Inondation  à  Maslipatan^. 

Pompone  se  retire  ;  Croissy  en  sa  place'*. 

Mariage  de  Monseigneur*.  7  mars. 

Réunions  en  Alsace  et  dans  le  bas  Palatinat'. 

Prétendue  conspiration  des  catholiques  en  Angleterre*. 

I.  Loais- Armand  de  Bourbon,  prince  de  Conti,  fils  atoé  d'Armand  de  Bour- 
bon, priuce  de  G)nti,  frère  du  grand  Condé,  épousa  Anne-Marie  de  BowIiob, 
dite  Mademoi%elU  de  Bioi*.  Le  contrat  fut  signé  le  i5  janvier  1680,  àSaint- 
Germuin,  dans  la  chambre  du  Roi,  et  la  cérémonie  des  fiançailles  fut  bite  le 
même  jour.  Voyez  la  GazétttAu  20  janvier  i68o. 

a.  «  Dtf  Charlemont,  le  27  J'evrirr  1680.  Le  comte  de  Montbron,  Ueate- 
nant  général  de  Flandre  et  gouTerceur  de  Tournaj,  vient  d'entrer  id  avec 
les  troupes  du  Roi,  et  a  pria  possession  de  la  place,  conformément  au  traité 
de  Nimègue.  >i  {Gazette  du  2  mars  1680.) 

3.  Lejt  deux  premiers  brefs  du  pape  Innocent  XI  sur  la  régale  étaient  d« 
mois  de  mars  et  de  septembre  1678.  Le  Mercure  hollandais  de  Tan  i6$o 
donne  aux  pages  1 1 5-122  le  texte  du  bref  du  28  décembre  1679. 

4.  Ceci  a  été  ajouté  après  coup,  à  la  di*oite  de  la  page,  eu  dehors  des  autres 
lignes  ;  de  même  que  pins  loin  :  «  Mariage  du  grand-duc.  Juillet;  »  et  «  Mort 
de  MontecuculU.  16  octobre  »  (voyex  ci-après,  p.  187,  note  4)*  —  Maslipitaa 
[Masulipatam)  est  une  ^  il  le  de  Tlnde,  sur  la  c6te  de  Coromandel,  sor  la  rivière 
Kriclina.  La  compagnie  française  des  Indes  orientales,  constituée  en  1664,  5 
avait  établi  un  comptoir.  La  Gazette  Am  t8  octobre  1681,  p.  634,  parie  de 
l'inondation  de  Masulipatam  sous  la  rubrique  de  Golconda,  le  premier  aoû.t  1G80: 
c  Les  grandes  euux  ont  ruiné  à  Masuliptitan  toutes  les  maisons  qui  n*étoieot  pas 
de  pierre.  Celles  des  Anglois  et  des  Uollandois  ont  été  fort  endommagées,  et 
la  plupart  des  marchandises  ont  été  perdues.  » 

5.  Pompone  avait  eu  ordre  de  se  défaire  de  sa  charge  le  18  norembre  1679. 
On  lit  dans  la  Gazette  du  25  novembre  de  cette  même  année  :  c  La  Rui  a 
donné  au  sieur  Colbert,  prèsidcut  au  mortier,  la  diarge  de  secrétaire  d*État, 
vacante  par  la  démissit»n  du  sieur  de  Pompone.  »  Colbert  (Croissy)  était  «lors 
en  Bavière,  pour  y  négocier  le  mariage  du  Dauphin,  et  ne  prit  posses^on  dr 
sa  nouvelle  diarge  qu'en  1680.  C'est  pour  cela  sans  doute  que  Racine  a  pl<ior 
son  élévation  au  ministère  à  cette  date. 

6.  Avec  Marie-Annr-Victo.re  de  Bavière,  sœur  de  Télecteur  de  BaTieic 
Voyez  la  Gazette  du  16  mars  1680 

7.  Elles  furrnt  ordonnées  par  des  arrêts  du  parlement  de  Besançon,  de  ce)»' 
de  Brisach,  et  de  la  chambre  de  Metz. 

8.  Le  prétendu  complot  papiste  avait  été  dénoncé  par  Titus  Oates  dè^  Dn- 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  187 

Voyage  da  Roi  en  Flandres.  Il  part  le  i3  juillet  *. 

Mort  de  IVvéque  de  Pamiers*.  7  aoiU. 

Mariage  du  grand-duc*.  Juillet. 

Mort  de  Montecuculli  *.  17  octobre. 

)hnage  du  roi  de  Suède".  i5  mai. 

Prince  de  Parme  enroyë  aux  Pay»-Bas*. 

Mort  du  duc  de  la  Rochefoucauld  et  de  Foucquet'. 

Mort  de  FÉIecteur  palatin*.  7  septembre. 


Dec  1678.  Les  communes  ea  1680  reprirent  le  procès  contre  les  lords  catholi- 
ques, priioniiiers  à  la  Tour.  Le  supplice  du  comte  de  Stafford  est  noté  d- 
jprrt,  p.  188. 

I.  Voyez  dansla  Gazette  du  7  août  1680,  p.  389,  ItJournaldu  vujrage  duRgU. 

1.  ■  Messire  François-Etienne  de  Caulet,  éréque  de  PaniieS)  est  mort  en 
tonëréihé,  le  7  de  ce  mois.  »  [Gazette  du  a4août  1680.) 

3.  La  Gazette  du  ai  septembre  1680,  sous  la  rubrique  de  Moscow,  le 
2"^  juillet  1680,  place  an  14  juillet  de  cette  année  les  cérémonies  du  mariage 
du  grancinluc  de  Moscou,  Fédor  II  Alexiewitcli,  surnommé  Théodore^  «  avec 
DOC  trcs-beile  fiUe,  qu'il  a  choisie  dans  une  famille  qui  n*est  pas  fort  considé- 
nUe.  »  —  Dans  la  Gaftte  du  la  octobre  i6'>0,  cette  jeune  fille  est  nommée 
Ettpliémie  Routetsky,  nièce  de  Simon  Ivanowit/  Sabarnfsky  Le  Dictionnaire 
de  Moréri  (au  mot  Moscovie)  dit  que,  suivant  d'autres,  elle  s^appelait  Agatlie 
Oniinchka,  qu'elle  était  Polonaise  de  naissance,  et  qu'elle  mourut  peu  de 
temps  après  son  mariage. 

4.  Un  peu  plus  loin.  Racine  répète  la  nouvelle  de  cette  mort,  dans  une  note 
ajuotée  à  la  droite  de  la  page  (voyez  p.  186,  note  4)t  et  il  donne  cette  fois 
li  date  du  16  octobre.  On  lit  dans  la  Gazette  du  9  novembre  1680,  sous  la  ru- 
brique de  lÀniZj  le  a3  octobie  i63o  :  «  Le  prince  de  Moutecuculii  mourut  ici 
|a  nuit  du  16  au  17  de  ce  mois.  » 

5.  Le  roi  de  Suède  Charles  XI  épousa,  le  16  mai  1680,  la  princesse  Ul- 
rique-Élétinore ,  sœur  du  roi  de  Danemark  Christian  Y.  Voyez  Li  Gazette  du 
i  5  juin  1680. 

6.  Le  roi  d'Espagne  donna  le  gouvernement  des  Pays-Bas  à  Alexandre 
Fjrnèsc,  frère  cadet  do  duc  de  Parme  régnant,  Ranuce  II  Farnèse.  Le  prince 
•ie  Parme  arriva  le  14  octobre  à  Gand,  où  te  duc  de  Villa  Hermosa  lui  remit 
le  gooTememeut. 

7.  «  François  doc  de  la  Rochefoucauld,  pair  de  France,  chevalier  des  ordres 
(lu  Roi,  mourut  ici  (à  Paris)  ^  le  die -septième  de  ce  mois.  »  [Gazette  du  a3  mars 
i6^o.)  —  Fuucquet  mourut  le  23  mars,  s  On  nous  mande  de  Pignerol,  que  le 
^etir  Fuucquet  y  est  mort  d'apoplexie.  Il  avoit  été  procureur  génèr<il  du  par- 
lemrot  de  Paris  et  surintendant  des  finances.  »  [Gazette  du  6  avril   i6'So.) 

8.  «  Le  7*  de  ce  mois  ts^pteinhie)^  Charles-Louis  comte  pal.itin  du  Rhin  et 
Htcu-ur  de  TErapire  mourut  subitement  sur  le  chemin  de  Manheim  à  Fran- 
^^o>idl....  Il  étoit  âgé  de  soixante- trois  an.*,  et  a  lai^sé  de  Charlotte,  fille  de 
Ouilldume  landgrave  de  Hesse-Cassel,  sa  femme,  Charles  à  présent  électeur. 
Q^l'ui  i65i,  et  Charlotte-Elisabeth,  femme  de  Monsieur.  »  [Gazette  du  ai  sep- 
î^-Jubre  1680.) 


i88  FRAGMENTS 


1681. 

Huit  vaisseaux  de  Tripoli  battus  par  du  Quesue  dans  le  port  de 
Chioi.  2^  juillet. 

Leur  paix*.  Décembre. 

Assemblée  générale  du  clergé  sur  raffaire  des  brefs'.  Octobre . 

Strasbourg  et  Casai  reçoivent  garnison  du  Roi*.  3o  septembre. 

Le  Roi  à  Strasbourg.  14  octobre*. 

Exécution  du  vicomte  de  Stafford*.  17  décembre. 

Ambassadeur  de  Maroc  '.  Décembre. 

Blocus  de  Luxembourg  sur  la  (in  de  Tannée  '. 

Conversions  en  Poitou*. 

Soulèvement  en  Hongrie  •**. 

I.  Voyei  ce  combat  de  du  Quesne  dans  la  Gazette  du  5  septembre  16S1, 
p.  541. 

a.  La  régence  de  Tripoli  demanda  la  pais,  et  s'engagea  à  recevoir  un  000- 
sdI  français. 

3.  C'est  la  célèbre  assemblée  qui  fut  convoquée  le  3 1  octobre  x68 1 ,  et  Tota, 
le  19  mars  i6Sa.  les  articles  de  la  DeJaration  du  cierge  de  France  sur  U 
puissante  ecclesiasîique, 

4.  Les  troupes  fnmçuUes  entrèrent  dans  Canal  le  même  jour  qu'à  Stra»- 
bourg,  à  la  d.iie  indiquée  par  Racine. 

5.  Le  Roi  fit  son  entrée  à  Strasbourg,  non  le  14*  mais  le  aS  octobre.  Vo;ei 
la  Gazette  ùvi  3i  octobre  itiSi.  Le  i4>  les  magistrats  de  Strasbourg  étaient veous 
lui  faire  leur  soumission  à  SchelestaJt. 

6.  Ceci  a  été  ajouté  en  interligne,  et  sé)>are  dans  le  manuscrit  les  dnix 
lignes  précc-lentes.  La  date  du  17  décembre  aurait  dû  être  rapportée,  non  pas 
à  Tannée  i()8i,  mais  à  Tannée  iGSo.  Elle  est  celle  de  la  sentence  de  mort,  qui 
liit  prononcée  ce  jnnr-Ià  (rn  16S0)  ;  quant  à  l'exécution,  elle  eut  lieu  le  S  jan- 
vier 16S1.  Voyez  la  Cazitte  des  18,  a5  et  39  jan\ier  i63i. 

7.  La  Gazette  du  3  janvier  lOSa  dit  que  l'ambass.ideiir  du  Maroc  arriu 
à  Paris  le  3o  octobre  1  OS  1  ;  mais  il  ne  fut  conduit  à  l'audience  du  Rci,  ' 
SainNGrrmiiin,  que  le  4  janvier  suivant.  Voyez  la  Gazette  du  10  janvier  |6S'>, 
qui  lui  donne  des  noms  un  peu  différents  de  ceux  qu'on  trouve  dans  cA\f 
du  3  janvier  :  «  Le  sieur  Hadgi  Mebemed  Thummin,  gouverneur  de  Tétonaa, 
ambassiideur  de  Mula  I<^maël,  roi  <le  Maroc  et  de  Fetz.  » 

8.  Voyez  ci-après,  année  i6Sa,  la  levée  de  ce  blocus. 

9.  Elles  étaient  conduites  par  l'intendant  Marillac,  qui  fut  révc»qné  Vaxi' 
née  suivante. 

10.  Dans  tout  le  cours  de  cette  année  1681. 


ET  NOTRS  HISTORIQUES.  1S9 


168a. 

Le  marquis  de  Grane  arrive  '  aux  Pays  Bas  sur  la  un  de  mars. 

Blocus  de  Luxembourg  lève.  Mars. 

Premier  Tojage  de  du  Qnesne  devant  Alger,  au  commencement 
d^aoûtV 

Naiuance  du  duc  de  Bourgogne.  7  août*. 

l'raitë  d^alliance  entre  la  France,  le  Danemarck  et  Brande- 
bourg^. 


LIV 


Thorne*^  ville  au-dessus  de  Dantsic  sur  la  Vistuie,  dans  la  Prusse 
Royale. 

Bresiau,  capitale  de  Silibie. 

Le  SunJ^  détroit  qui  passe  entre  la  Selande  et  la  Scanie  ou  Scho- 
ncD.  Uy  a  encore  deux  autres  Sunds.  U  y  a  le  Belt  Sund,  entre  la 
Selande  et  File  de  Fionie  ou  Funen.  L^autre  est  un  très-petit 
détroit  qui  passe  entre  Fredericode  dans  THolsace  et  Tile  de 
Funen. 

Malmoè  ou  Malmuyen  en  Schonen ,  sur  le  bord  de  la  mer  ou 
dëtroit  du  Sund. 

Landse/iron^  encore  sur  le  bord  du  Sund,  en  Scanie,  vis-à-vis 
d^Elseneur  en  Selande. 

Christian Jtandy  en  Scanie,  sur  la  frontière  de  Blekinge,  province 
appartenante  aux  Suédois. 

I.  Othon-HeDri  d«  Caretto,  marquis  de  Grana,  gonveroear  des  Pays* Bas 
cspagoiils,  mort  le  19  juin  i685.  Ce  fut  le  ap  mars  que  le  marquis  de  Giana 
•rriT4  à  Bruxelles,  a%ec  les  patentes  de  gouvrraeur  et  rapitaine  géoéral  f*er 
ùiurim.  Le  priace  Alexandre  de  Parme  partit  le  i*' avril.  Voyez  la  Gazette 
do  II  avril  lô'^a. 

a  Du  Quesne  était  parti  de  Toulon  le  la  juillet  168a.  Le  ai,  toute  l'ar- 
mée  arriva  sur  la  cAte  de  Darl>arie.  Le  aa,  on  fit  voile  vers  Alger;  et  le  a3,  on 
mouilla  dans  la  l)aie,  à  deux  portées  de  canon  de  U  ville.  Voyez  la  Gazette  dn 
>9  août  et  du  ]3  octobre  i68a. 

3.  Le  dnc  de  Bourgogne  naquit  le  6  août,  entra  dix  et  onxe  heures  du  soir. 
Toyei  la  Gazette  do  8  aoÀt  x68a. 

4.  Les  traités  favcnt  condns  en  septembre  i68a. 

5.  Ces  notes  géographiques  sont  écrites  sur  le  feuillat  ai  a. 


^ 


lyo  FRAGMENTS 

Gripsvalde ,  dans  le  duché  de  Poméranie,  à  5  ou  6  lieues  dr 
StraUund. 

Hasselty  ville  d^HoUande,  dans  TOverissel,  proche  de  Kempen. 

Ruremonde^  dans  le  dnchc  de  Gueldrcs^  sur  la  Meuse,  au-dessous 
de  Maseich. 


LV 


Hugues  Capet  *,  fils  de  Hugues  le  Grand,  duc  de  France,  comie, 
c'est-à-dire  gouverneur  de  Paris ,  fils  de  Robert  roi,  fils  de  Robert 
le  Fort,  comte  d'Anjou,  au-dessus  duquel  rien  de  certain. 

Charles  le  Chauve  fut  celui  qui,  allant  en  Italie,  confirma  les 
ducs  et  comtes,  cVst-à-dire  les  gouverneurs,  dans  leurs  duchés  et 
comtés,  en  sorte  qu^ils  en  devinrent  comme  les  seigneurs,  relevant 
du  Roi,  et  ayant  quantité  de  seigneurs  qui  relevoient  d'eux.  Ainsi 
le  duc  d'Aquitaine  avoit  les  comtes  de  Poitou,  les  comtes  de  Li- 
moges et  autres,  qui  relevoient  de  lui*. 

1.  Cette  chronologie  d'une  partie  de  IMiistoire  de  France  se  trouTe  aut 
feuillets  i57-i()4.  Les  éditeurs  précédents  n'avaient  pas  cru  devoir  la  tirer  de> 
papiers  de  Racine.  £lle  est,  il  est  vrai,  presque  entièrement  extraite  de  Mé- 
zerai  ;  et  par  cette  raison,  nous  Taurions  également  négligée,  si  le  texte  mèiDe 
de  cet  historien  y  était  reproduit;  mais  Racine  ne  lui  a  emprunté  que  la  sub- 
stance  des  faits.  Dan»  le  manuscrit  de  Racine  Poudrage  historique  qu'il  a^ait 
pris  pour  guide  nVst  pas  nommé;  mais  la  fwg^  a3  y  e^t  citée,  à  1  oocjsion  de 
l'ori/Zammc:  de  Saint-Denis  (1124).  Cette  indication  ne  convient  qu*à  réditioD 
de  1676  de  VAbié^é  chronologique  de  Mézerai.  En  même  temps,  cette  édition 
est  la  seule  où  tout  soit  conforme  à  ce  que  Racine  a  noté  ici.  Si  l*on  cnnsolte 
les  éditions  antérieures  îi  1676,  à  commencer  par  celle  de  1668  in-4*,  et  les  di- 
versos  éditions  de  Ui>IIande  qui  n'en  sont  que  le»  réimpressions,  on  trouven 
que  xnr  beaucoup  de  faits  elie^i  ne  sont  pas  en  rapport  avec  les  notes  de  Racioe. 
L'édition  de  1676  est  très- différente  des  précédentes,  ce  que  nous  n'avons '« 
signalé  nulle  part  ;  et  c'est  de  celle-là  que  Racine  incf»nlestablement  s'est  seni- 
!Nous  en  d(>nuons  la  preuve  en  renvoyant  d.ms  notre  annot«tion  aux  \>^s,^ 
de  cette  édition.  Nous  avons  donc  ici  une  étude,  non  point  de  la  prcniivrc 
jeunesse  de  R<u-ine,  comme  on  pourrait  d'abord  être  tenté  de  le  croire,  taxi^ 
du  temps  Siin^  doute  où  il  commençait  à  se  prépai-er  à  ses  travaux  d'hi>turio- 
graphe.  —  Voici  le  titre  de  l'édition  de  1676  :  Abrégé  chronohgi^ae  ou 
extrait  de  ritistvire  de  France  par  le  sieur  de  Mezerai^  historiogra^<  ^f 
France,  7  volumes  in-ia,  à  Paris,  cliez  Denys  Thierry,  M.DCLXXVI.  Cettt' 
même  édition  parut,  en  1676,  chez  Louis  Billaine;  il  n'y  a  quelenotu  du 
libraire  qui  diflère. 

2.  Dans  le  manuM:rit,  il  n'y  a  [>as  de  lui^  mais  deux.  Nctus  avons  dû  <"">' 
rigcr  ce  lapsus. 


ET  NOTES  HISTORIQUES. 


lui 


Le  comté  d^Aurergne  nVst  pas  toute  1^ Auvergne,  mais  seulement 
on  petit  pajs,  qui,  ayant  passé  de  la  maison  de  la  Tour  à  un  duc 
d'Orléans,  a  été  réuni  à  la  couronne  *. 

En  io34i  sous  le  règne  de  Henry  I"",  un  seigneur  de  Normandie 
nommé  Alvrède  Gigauït,  c^est-à-dire  le  Géant  *. 

io33. 

Kobert,  frère  du  roi  Henry  I",  fils  du  roi  Robert,  chef  de  la  pre- 
mière race  des  ducs  de  Bourgogne*. 

io35. 

(foiilaume  le  Conquérant,  fils  bâtard  de  Robert  duc  de  Nor- 
loandie  et  de  la  fille  d^un  pelletier  de  Falaise.  Robert ,  en  allant 
en  terre  sainte,  le  laissa  à  la  garde  et  protection  du  roi  Henry  ^. 

io36. 

Conquêtes  des  Normands  en  Italie". 

Henry  I*',  de  peur  de  contracter  un  mariage  dans  un  degré 
défendu,  envoya  cbercfaer  femme  en  Moscovie.  Ces  degrés  étoient 
poussés  jusqu'au  septième*. 

Maison  de  Saint-Simon  descend  d^un  Eudes  fils  de  Hébert,  der- 
nier comte  de  la  première  branche  de  Vermandois  et  [qui]  fut  dé- 
pouillé par  sa  sœur  Adeleîde  a  cause  de  son  imbécillité,  défaut  de 
1>  race  des  Carlovingiens.  Cette  Adeleîde  épousa  Hugues,  troisième 
fils  du  roi  Henry,  qui  fut  chef  de  la  seconde  maison  de  Verman- 
dois'. 

I  •  Ce  eommencement,  depuis  «<  Hugues  Capet,  »  jusqu'uux  mots  :  «  réuni  à  la 
t'ovonne,  «  n'ett  pas  rmpranté  à  Mézerai  ;  inai^  tt>ut  ce  qui  sait  se  trouTe  en 
wbstance,  C(»iiune  nnus  TenouA  de  le  dire,  d.ins  V Abrégé  chronologique.  — 
Suk  comté  d* Auvergne  et  la  maison  de  la  Tcur,  voyez  ci-dessus,  p.  74~76« 

a.  Abrégé    chronologique    de    Mczerai     (édition    de     1676},    tome    H, 

P-4U. 

1  Ibidem^  p.  439.  —  4>  Ibidem^  p.  444. 

5.  Ibidem^  p.  445  et  suiTintes.  —  6.  Ihidem^  p.  469. 

;•  Ibidem,  p.  470.  —  Ce  que  Racine  a  tiré  de  Mézerai  sur  Tantiquité  de 
U  maison  de  Saint-Simon  a  été  contesté.  Duns  le  Mémoire  du  parlement  de 
^""i*  contre  Us  ducs  et  pairs  à  S,  A.R.  le  duc  d'Orléans  régent  du  royaume, 
H'BpUet  qui  est  de  Taonce  17 16  et  que  Ton  a  attribué  à  diverses  pcrson- 
"«)  entre  antres  au  président  Potier  de  Ifovion,  et  au  président  Portail,  on 
lu  :  c  La  fortane  des  ducs  de  Saint-Simon  est  si  récente  que  tout  le  monde  en 


i9'i  FRAGMEI4TS 


io33. 

Humbert  comte  de  Maurienne  et  de  Savoye,  descendu,  seloD 
quelqueft-uns,  de  Vitikind,  mais  à  la  vérité  dVn  Constantin  comte 
de  Vienne,  fils  de  Hugues  roi  d^Italie*. 

Robert  eut  trois  fils,  Hugues,  Fainé,  quUl  fit  couronner  de  son 
vivant,  mais  qui  étant  persécuté  par  la  reine  Constance,  fut  obligé 
de  chercher  sa  vie,  et  même  fut  mis  en  prison  par  un  comte  du 
Perche  pour  une  méchante  a.ction  '  ;  Henry,  et  Robert,  que  cette 
reine  voulut  soutenir  contre  Henry,  et  qui  fut  duc  de  Boulogne. 

io65. 

Saint  Edouard,  roi  d^Âugleterre ,  ayant  déclaré  Guillaume  le 
Bâtard  son  successeur  par  son  testament,  celui-ci  passe  en  Angle- 
terre, défait  Haralde,  grand  seigneur  du  pays  et  fils  d^une  flUe  de 
Kanut  II.,  change  toutes  les  lois  du  pays,  ôte  aux  Anglois  toutes 
leurs  terres,  qu^iî  donne  aux  seigneurs  qui  Tavoient  suivi  '. 


1070. 

Philippes  I***,  encore  fort  jeune,  battu  a  Cassel,  ayant  pris  la 
défense  de  Ricliilde  comtesse  de  Monts,  contre  Amoul  comte  de 
Flandres*. 

1087. 

Guillaume  le  Conquérant,  raillé  par  Philippes,  qui  lui  demanda 
quand  il  relèveroit  de  ses  couches,  voulut  venir  assiéger  Paris, 
mourut  en  chemin.  Son  second  Hls,  Guillaume  le  Roux,  lui  succède 

e.«t  insirnit.  Jamnis  il  ii*y  eut  oussi  mince  noblesse.  L'atné  de  la  maison  était 
presque  encore  de  nos  jnur»  rcuyer  du  m.iréchal  de  Schorolierg.  La  ressem- 
blance des  nrroes  de  Ih  Yacquerie.  qu'ils  écartèleut  siver  celles  de  YrrmtB- 
dois,  leur  a  fuit  dire  qu*îls  ont  épou-é  nne  £lle  de  cettr  maistin.  »  (Vi>)c«  an 
tome  XXIX  du  RecNnil  Thoisy  A«  la  Bibliothèque  impériale  la  ropie  mano- 
scrite  de  ce  Mffuoire.  Le  p;is5«ge  que  nous  menons  de  citer  est  aux  ffuilletsKjo 
et  191.)  Le  Dictionnaire  de  Moiéri,  au  contraire,  tome  IX,  p.  6a  et  sui- 
vantes, article  Saint-Stmon^  élablÏKsant  la  généalogie  de»  SainlrSîmoii,  b  bit 
remonter  aux  comtes  de  Vermaodois, 

I.  Abrégé  chronologique  de  Mézerai,  tome  II,  p.  44 1  et  442. 

3.  Ibidem^  p.  427*  —  3.  ibidem^  p.  475  et  476. 

4.  Ibidem^  p.  479'4Si' 


ET  IfOTES  HISTORIQUES.  uj\ 

ra  Angleterre;  Robert^  l'aînë,  en  Normandie.  Robert  Tonlut  anwi 
soumettre  PAngleterre  et  ne  put' . 


1090. 

Grande  délation  en  France  par  les  ardents,  on  feu  Saint-An- 
toine*. 

1094. 

Philippet  £ût  enlever  Bertrade,  '  fenune  de  Foolqoes  le  Rechin, 
comte  d^Anjoa.  De  lA  les  exoommanicationa  eonm  le  Roi  par  le 
pape  UriNÛn  II.  en  personne,  au  ooll^'  de  Oonnont.  Yves  de 
Chaitrss  fit  ee  qn^il  put  d'abord  pour  détourner  le  Roi  de  oe  ma- 
nage.  Le  Rot  persévéra,  et  enfin  TMsporta,  et  ii  ne  parait  point 
qa'il  soit  mort  exeommioûé.  Ce  roi  fort  mol  et  voluptuflox*. 

1095. 

Alors  la  querelle  qui  a  voit  commencé  entre  Grégoire  VII.  et 
Henri  IV*  sor  le  sujet  des  investitures  étoit  fort  échauffée*. 

Les  Turcs,  appelés  an  secours  du  roi  de  Perse  contre  le  calife  de 
Bai)ylone,  mahométan,  s'emparent  de  la  Perse  et  établissent  cinq 
djnaities  dans  TOrient,  Perse,  Bithjnie,  Cillcie,  Damas,  dont  Jéru- 
salem dépendoit,  et  Antioche,  et  se  font  mabométans,  qui  étoit  la 
religion  des  Persans*. 

Urbain  II.  précbe  la  croisade  au  concile  de  Clermont,  et  elle  est 
embrassée.  C'est  la  première  croisade,  où  alla  Godefroy  de  Bouillon, 
qae  tons  les  croisés  élurent  pour  leur  chef,  puis  pour  roi  ;  il  ne 
r^a  qu*un  an'. 

IIOO. 

Seconde  croisade,  de  plus  de  3oo  000  hommes,  dont  étoit  Hugues, 
frère  du  Roi.  L'empereur  de  Constantinople  les  fit  périr  tous,  parce 

I.  Jhégé  ehronohgiqaê  de  Méienl,  tome  II,  p.  489  et  490. 

j.  AûlfM,  p.  491. 

3.  Ua  peu  pins  bas,  li^e  ai,  Racine  avait  écrit  :  «  Urbain  II.  prêche  U 
croisade  an  coOfge  de  Oennont;  »  pois  11  a  effacé  collège^  et  écrit  au-deatas  : 
concile,  n  a  sans  doute  oabUé  de  faire  id  la  même  correctioa,  qui  y  parât i 
«Sdcaent  nécasaain. 

4-  Ahrégé  ekroHologi^  de  Méxeraî,  tome  II»  p.  493-494. 

5.  IbUem^p,  494.^  6.  IhUém,  p.  495.-*  7.  Ibidem,  p.  496  et  soWantcs. 

J.  Racibx*  v  i3 


i<^4  FRAGMENTS 

qu^ou  refusa  de  tenir  de  lui  les  terres  qui  seroient  conquises.  De 
ces  voyages  l'usage  des  armoiries  ' . 

iio3« 

Louis  le  Gros,  prince  du  royaume,  désigna  roi,  travaille  fort  cou- 
rageusement pour  lui-même,  et  défait  quantité  de  petits  tyrans. 

Le  règne  de  Philippes,  le  plus  fameux  de  tous  les  règnes,  non  par 
ses  actions,  mais  par  la  conquête  de  Jérusalem,  celle  d'Angleterre 
par  le  duc  de  Normandie,  et  celle  de  Sicile,  de  la  Pouille  et  de  la 
Calabre  par  les  aventuriert  normands,  sans  compter  de  grands  fait» 
d'armes  en  Espagne  contre  les  Mores  par  les  François. 

En  ce  siècle,  natsMaee  des  sacramentaires  par  Jean  Scot  Erigene, 
puis  par  Berenger,  archidiacre  d'Angers,  qui  pourtant  se  rédvcta 
par  deux  fois  à  Rome  et  se  retira,  pour  faire  pénitence  enfin,  dan» 
le  prieuré  d«  Satnt-Cosme,  k  deux  lieues  de  Tours,  où  il  mourut*. 

Entreprises  des  papes,  qui  usurpèrent  la  souveraine  puissance  sur 
l'Église,  principalement  en  envoyant  une  multitude  de  légats,  qui 
jugeoient  souverainement  et  cassoient  toutes  les  décisions  des  con- 
ciles provinciaux*. 

L'Annonciation,  qui  se  célébroit  en  Espagne  le  i8  décembre,  fut 
maintenue  au  a5«  mars,  comme  on  faisoit  en  France**  L'archevê- 
que de  Lyon  déclaré  primat  des  quatre  Lyonnoises. 

L'archevêque  de  Sens  succomba,  mais  non  celui  de  Rouen,  qui 
s'appela  primat  de  Normandie*. 

Urbain  II.  ordonna  qu'on  réciteroit  l'office  de  Notre-Dame,  qne 
récitoient  déjà  les  Chartreux*. 

La  coupe  commença  à  être  retranchée,  a  cause  de  la  trop  grande 
foule  des  communiants  à  Jérusalem'. 

Naissance  de  quatre  ordres,  les  Chartreux,  Cîteaux,  les  religieux 
de  Saint-Antoine,  et  Fontevraud*. 

iio8*. 

Mort  de  Philippes,  ayant  régné  49  &ns- 

I .  Abrégé  chnnologiqme  de  Mêlerai,  tone  II,  p.  5o5-5i  i. 

3.  Ibidem,  p.  535  et  SSg.  —  3.  Ibidem,  p.  5U  ^  545. 

4.  Ibidem,  p.  549.  —  5.  Ibidem,  p.  55S  et  559. 

6.  Ibidem,  p.  555.  —  7.  Ibidem,  p.  557.  —  8.  Ibidem,  p.  559  ^  56o. 

9.  Du»  le  oMAïucrit,  ao  lieu  de  «  1 108,  »  qui  est  U  vraie  date,  dooace 
d*ailleiin  par  Héwrai,  on  lit  :  «  1 109.  »  ConiiiM  immédiatement  après  la  Ugvc 
qni  suit,  et  devant  les  mots  :  «  Louis  le  Gros,  snceèdant  à  son  père,  »  Raoar 
a  écrit  w  1 108,  »  nous  avons  dA  c(»rrig«r  oe  qui  n*ett  qu'une  inadvertanee. 


ET  NOTES  HISTORIQUES.  ujy 

Louis  le  Gros,  succédant  à  son  père,  achève  de  délivrer  ta  France 
de  tous  les  petits  tyrans  qui  Pinfestoîent. 

II24*. 

Oriflamme,  étendard  de  Saint-Denys.  Les  comtes  du  Vexin  iran- 
cois,  comme  premiers  vassaux  de  Saint-Denys,  avoîent  droit  de  le 
porter.  Les  rois  de  la  deuxième  race  et  les  premiers  de  la  troisième, 
JQsqa^à  la  fin  de  Philippes  I*',  faisoient  porter  devant  eux  la  chape 
ou  manteau  de  Saint-Martin  par  le  comte  d'Anjou. 


1127. 

Charles  le  Bon,  comte  de  Flandres,  assassiné  à   Bruges  par  des 
marchands.  Sa  mort  vengée  par  le  Roi  *. 


II 


3i. 


Saint  Bernard  prédit  au  Roi,  qui  persécutoit  les  évéques,  la  mort 
de  son  fils  aine,  et  c«  prince,  nommé  Philippes,  déjà  couronné,  est 
taé  en  tombant  de  son  cheval,  qui  se  cabra  par  la  peur  d*un  pour- 
ceau qui  s'étoit  fourré  dans  ses  jambes,  vers  Pendroit  où  est  la 
place  Rojale.  Louis  le  Gros  fait  sacrer  Louis  le  Jeune  *. 

II 36. 

Guillaume,  dernier  duc  de  Guyenne,  meurt,  et  laisse  par  son 
testament  sa  duché  à  Aliénor,  sa  fille  aînée,  avec  ordre  qu'elle 
«^pocueroit  le  jeune  roi  Louis,  et  lui  apporteroit  toutes  ses  seigneu- 
ries :  ce  qui  s'exécute*. 

Grande  piété  de  Louis  le  Gros  à  sa  mort.  11  se  fait  étendre  sur 
un  lit  de  cendre  en  forme  de  croix'.  De  lui  est  sortie  la  maison  de 
Hreux,  et  celle  de  Courtenay,  dont  il  y  a  encore  des  puînés*. 


I.  là  Racine  a  écrit,  à  c6té  de  la  date  :  «  p.  a3.  »  Cette  remarque  sur  l*o- 
riflaonne  se  trouve  en  eflct  à  h  page  aS  du  tome  III  de  VAhrègi  chromoto- 
;>fWi  comme  noosl'ovoas  ditci-daMis»  p.  190,  note  i. 

1.  IhiJaM,  p.  a6-a8.  —  3.  IHiêm^  p.  37  et  38. 

4.  Ibidem^  p.  43.  —  5.  lUdêm^  p.  47. 

6.  Ibidem,  p.  48.  —  Il  j  a  ici  une  lacune  dans  les  notes  de  Racine.  CeUe« 
(pi*il  sTÛt  prises  sans  nul  doute  sur  les  règnes  de  Louis  YIII,  de  Philippe  An- 
gaitc,  deLcinis  TIII,  de  Louis  IX,   de  Philippe  III,  de  Pliilippe  le  Bel,  de 


196  FRAGMENTS 


i328. 

La  rëgeoce  adjugée  à  Philippes  de  Valois  par  les  pain  et  hauts 
barons  du  royaume  pendant  la  grossesse  de  la  reine  Jeanne  à^É- 
Treux,  veiiTe  de  Charles  le  Bel.  Edouard,  roi  d^Angleterre,  la  dîs- 
putoit  comme  fils  d'Isabelle,  sœur  du  roi  défunt*. 

Pierre  Remy,  qui  avoit  succédé  k  Enguerrand  de  Marigny  dans 
Tadministration  des  finances,  pendu  et  attaché  k  Montfaucon,  qa^il 
avoit  fait  rehatir*. 

1329. 

La  reine  Jeanne  n'accouche  que  d'une  fille,  et  les  états,  qui 
avoient  déféré  la  régence  a  Philippes,  lui  confirment  auisi  la 
royauté.  U  s'appela  le  BUn fortuné ,  à  cause  de  la  mort  de  ses  trois 
cousins*. 

Bataille  de  Mont-Cassel,  où  les  Flamands,  qui  s'étoient  réroltà 
contre  Louis  leur  comte,  sont  entièrement  défaits  ^. 

Edouard  rend  hommage  pour  la  duché  de  Guienne  et  pour  les 
eomtés  de  Ponthien  et  de  Montreuil  ". 


l33l. 

Robert  d^ Artois,  irrité  d'avoir  perdu  son  procès  contre  la  com- 
tesse Mahaud,  se  retire  auprès  d'Edouard,  et  l'excite  a  la  guerre 
contre  Philippes. 

i333. 

Le  pape  Jean  XXIl.  condamné  par  une  assemblée  de  docteurt  de 
Sorbonne,  et  par  une  autre  d'éréques  assemblés  k  Vincennes,  à  m* 
rétracter  de  son  opinion  sur  l'imparfaite  yision  des  âmes  des  hin- 
heureux  et  aussi  sur  l'imparfaite  punition  des  damnés  jusqu'à  la 
résurrection*. 

Origine  de  la  querelle  pour  la  Bretagne.  Arthur  II.  avoit  épouse 
deux   femmes  :  l'une  fille  de  Guy,  vicomte   de  Limoges;  l'antre 


Louis  X,  de  Philippe  le  Long,  de  CbaHes  le  Bel,  me  se  trouvât  pas  dam  le 
tuannscrit. 

I.  Abrégé  ekronologiqiu  de  HÀEersi,  tome  HT,  p.  3-5' 

9.  Ihidgm^  p.  6.  —  3.  Ibidem,  p,  8. 

4.  lUdêm^  p.  8  et  9.  —  5.  ibidem,  p.  i5. 

6.  IHdem,  p.  16  et  Q7. 


ET  JHOTES  HISTORIQUES.  197 

Yoiind,  fille  de  Robert  comte  de  Dreux,  héritière  par  «1  mère 
d'Amanri  comte  de  Montfort.  Du  premier  lit,  il  eut  Jean  II.,  qui 
fiit  duc  après  «on  père  et  n^ent  point  d^enfants,  et  Guy,  comte  de 
Pendèvre,  qui  en  mourant  ne  laÎMa  qu'une  fille  nommée  Jeanne. 
Dn  fécond  Ut,  Jean  comte  de  Montfort. 

Le  duc  Jean  marie  ta  nièce  Jeanne  à  Charles  de  Chastillon,  frère 
de  Louis  comte  de  Blois,  et,  par  sa  mère,  nereu  dn  roi  Philippes 
de  Valois.  Le  duc  Jean  le  retire  près  de  lui,  et  le  traite  comme 
»n  héritier  présomptif. 

i336. 

Edouard  redemande  la  couronne  de  France  et  déclare  la  guerre 
à  Philippes.  Commencement  d'hostilités. 

Philippes,  a  l'aide  des  Génois  et  des  Espagnols,  met  en  mer  une 
armée  naTale,  composée  de  60  000  hommes,  qui  font  de  grands 
nTiges  aux  côtes  d'Angleterre.  EUe  aroit  deux  amiraux,  qui  ne 
Tétoient  que  par  commission.  L'un  étoit  Nicolas  Bauchet,  grand 
trésorier  de  France*. 

Jacques  Arterelle,  marchand  de  Gand,  fait  déclarer  les  Flamands 
pour  Edouard'. 

1339. 
Edouard  prend  le  titre  et  les  armes  de  roi  de  France^. 

i34o. 

Edouard  déûdt  l'armée  narale  de  France  et  fait  pendre  Bauchet, 
par  représailles  des  horribles  rarages  commis  en  Angleterre". 

Trére  de  trois  ans  entre  les  deux  rois,  à  l'instance  des  légats  du 
Pape». 

i34i* 

Après  la  mort  de  Jean  II.  duc  de  Bretagne,  Jean  comte  de 
Montfort  entre  en  Bretagne,  et  s'empare,  entre  autres,  des  rilles  de 
Nantes,  de  Brest,  de  Rennes  et  de  Hennebond,  puis  passe  en  An- 
gleterre, pour  se  mettre  sous  la  protection  d'Edouard.  Charles  de 
Blois  se  pourroit  par  derers  Philippes,  comme  seigneur  souverain 

I .  Abrité  ehnmolagiquê  de  Méserai,  tome  IV,  p.  a8  et  ag. 

1.  Ibidem^  p.  3i-33.  —  3.  Ihtdem^  p.  34. 

4'  Ihiitm^  p.  38.  —  5.  Ibidem^  p.  40.  —  6.  Ibidem^  p.  4a. 


198      FRAGMENTS  ET  NOTES  HISTORIQUES. 

de  la  Bretagne,  depuis  que  Pierre  Mauclerc  avoît  recoima  la  tenir 
det  rois  de  France,  et  mAme  ayant  M  honora  du  titre  de  pairie 
par  Philippe  le  Bel. 

La  dispute  est  remise  au  jugement  des  pairs.  Jean  de  Montfort 
comparoft  d*abord,  puis  s'enfuit.  Les  pairs  prononcent  en  fareur 
de  Charles,  qui  est  reçu  à  Thommage.  Jean  duc  de  Normandie,  fils 
du  Roi,  mène  Charles  de  Blois  pour  le  mettre  en  possession, 
assiège  Nantes,  où  ëtoit  Jean  de  Montfort,  qui  se  rend  et  est  anen^ 
prisonnier  dans  la  tour  du  Louvre.  Mais  sa  femme  Marguerite,  fille 
de  Robert  comte  de  Flandres,  soutient  son  parti,  se  fortifie  dans 
Brest,  envoie  en  Angleterre  son  fils  Sigé  de  4  s^ns*  Charles  prend 
Rennes  et  accorde  une  trére  d*un  an*. 


Robert  d'Artois  vient  avec  la  flotte  angloise  ponr  rétablir  la 
duchesse  Marguerite,  descend  à  Vannes,  qu'il  prend  d'assaut,  puis 
j  est  pris  lui-même,  et  blesse  à  mort  par  ceux  du  parti  de  Charles 
de  Blois.  Edouard  vient  lui-même  en  Bretagne  pour  Jean  de  Mon- 
fort;  le  duc  de  Normandie  y  va  aussi  ponr  Charles  de  Blois.  Tr^Tf 
de  deux  ans*. 

1344. 

Mais  la  mort  d^Olivier  de  Clisson,  que  le  roi  Philippes,  sur  quel- 
ques soupçons,  fit  dëcapiti?r  à  Paris  avec  douze  autres  seigneurs 
bretons,  fait  rompre  la  trêve  à  Edouard,  et  donne  Heu  à  la  san- 
glante guerre  qui  a  duré  près  d'un  siècle  *. 


I .  Abrégé  ekronoiogique  de  BléMni,  tome  IV,  p.  49-46. 
a.  IhùletH,  p.  47  et  48.  —  3.  Ibidem,  p.  5o  et  5i. 


NOTES 


SUR 


DES  SUJETS  REUGIEUX 


NOTES 


SUE 


DES  SUJETS  RELIGIEUX. 


I 

RÉFLEXIONS  PIEUSES  SUR  QUELQUES  PASSAGES 
DE  L'ÉCRITURE  SAmTE^ 

Ps.  LXXTU*  Adhue  esem  {eontm\  erant  in  ore  ipsorum^  et  ira 
Dei  ascendii  super  easK  Combien  de  gens  aytnt  trayaillé  tonte 

1.  Ces  rëflexiont  ont  éîé  données  par  Louis  Racine,  en  17479  aux 
piges  S6-60  de  l'appendice  placé  à  la  suite  des  Mémoires  sur  la  P'ie  de 
Jean  Bûe'me  :  «  Je  n^en  donne  qu'un  très-petit  nombre,  dit-il  dans 
one  note,  pour  confirmer  seulement  ce  que  j'ai  dit  dans  sa  Vie  de  ses 
occupations  de  piëtë.  »  H  ne  nous  apprend  pas  s'il  avait  trouvé  ces 
réflexions  â  la  marge  d'une  Bible  ayant  appartenu  à  son  père ,  ou  si 
elles  avaient  été  jetées  par  Racine  sur  quelques  feuillets  manuscrits, 
semblables  a  cenx  où  nous  ont  été  conservées  ses  Rematfuêâ  écrites 
inu  k  temps  s^peremmeni  qu^U  eomposoit  son  Athalie,  et  ses  extraits  des 
livres  saints  à  propos  de  Port-Bojral  et  des  Fiiles  de  t  Enfance  (voyez 
ci-après,  p.  aia-aiS).  Cette  dernière  supposition  est  de  beaucoup  la 
plus  vraisemblable,  d'après  la  forme  du  fragment.  Mais  pourquoi 
Louis  Racine  n'a-t-il  pas  joint  ce  manuscrit  précieux  aux  autres 
manoscrits  de  son  père  qu'il  a  donnés  à  la  Bibliothèque  du  Roi,  et 
pourquoi  ne  nous  en  a-t-il  fait  connaître  qu'un  court  extrait?  Crai- 
gnait-il que  le  commentaire  de  Racine  ne  fût  une  occasion  de  cri- 
tiques tbéologiqaes? 

3.  Versets  3o  et  3i.  «  Leurs  viandes  étoient  encore  dans  leur 
bouche,  et  la  colère  de  Dieu  est  montée  sur  eux.  » 


sto2  SUR  QUELQUES  PASSAGES 

leur  vie  pour  parvenir  à  quelque  fortune,  à  une  charge,  etc., 
meurent  dans  le  moment  qu'ils  espèrent  en  jouir,  ayant  encore 
le  morceau  dans  la  bouche  I 

Ps.  CT.  Et  dédit  eis  petitionem  ipsorunty  etc^,  Cest  dans  sa 
colère  que  Dieu  accorde  la  plupart  des  choses  qu'on  désire 
dans  ce  monde  avec  passion. 

Isaïe,  LT.  Quare  appenditis  itrgentum  non  in  panibus,  etc.'? 
Pourquoi  se  donner  tant  de  peines  pour  des  choses  qui  nous 
rassasient  si  peu,  et  qui  nous  laissent  mourir  de  faim  ?  L'enfant 
prodigue  souhaitoit  au  moins  pouvoir  se  rassasier  de  gland, 
et  encore  ne  peut-on  parvenir  à  avoir  de  ce  gland.  Fenite^ 
emite  ahsque  argentOf  dît  Isaïe'*  Nous  n'avons  qu*à  nous 
tourner  vers  Dieu  :  il  nous  donnera  de  quoi  nous  nourrir  en 
abondance. 

Filius  hominis  non  venit  ministrari^  sed  ministrare.  Math. 
XX*.  Belle  leçon  pour  nous  faire  soufirir  toutes  les  négligences 
de  nos  domestiques.  Il  n'y  a  qu'à  se  bien  mettre  dans  Tesprit 
({u'on  n'est  point  né  pour  être  servi,  mais  pour  servir. 

Jean,  xi,  vers.  9.  Nonne  duodecim  sunt  horx  diei,  etc.*  ?  Jé- 
sus-Christ entend  parler  du  temps  que  son  père  a  prescrit  à  sa 
vie  mortelle,  et  la  compare  à  une  journée,  comme  s'il  disoit  : 
«Tant  que  le  jour  luit,  on  peut  marcher  sans  péril;  mais  quand 
la  nuit  est  venue,  on  ne  peut  marcher  sans  tomber  :  ainsi  les 
Juifs  ont  beau  me  vouloir  perdre,  ils  n'ont  aucun  pouvoir  de 
me  faire  du  mal,  jusqu'à  ce  que  la  nuit,  c'est-à-dire  le  temps 
des  ténèbres,  soit  venu. 

Idem,  chap.  xviii,  vers,  i .  Trans  torrentem  Cedron  •.  Gix)- 
tins  croit  qu'il  étoit  ainsi  nommé,  à  cause  qu'il  y  avoit  eu  des 
cèdres  dans  cette  vallée.  En  grec,  c'est  le  torrent  des  Cèdres. 
Jésus«>Ghrist  accomplit  ici  ce  qui  le  figura  en  la  personne  de 

f .  Verset  i5.  «  Et  ii  leur  accorda  leur  demande.  » 
s.  Verset  9.  «  Pourquoi  n'employez-rout  pas  l'argent  pour  ache- 
ter du  pain?  *»  —  Dans  le  texte  de  Louis  Racine,  il  y  a  $4  ?<*'"' 
le  numéro  du  chapitre  :  c'est  une  erreur. 

3.  Ibidem^  verset  i.  —  «  Venez,  achetez  sans  argent.  >• 

4.  Verset  a8.  «  Le  fils  de  l'homme  n'est  pas  renu  pour  être 
servi,  mais  pour  servir.  » 

5.  «  N'y  a-t-il  pas  douze  heures  de  jour?  » 

6.  «  \u  delà  du  torrent  Cedron.  *» 


DE  LECRIÏURE   SAINTE.  aoi 

David,  quand  ce  roi,  fuyant  Absalon,  passa  ce  torrent,  étant 
trahi  par  Acfaitophel. 

?ers,  6.  Abierunt  retrorsum*^ ,  David  a  dit,  Ps.  xxxrv  :  Aver* 
tantur  retrorsum^ \  et  Isaïe,  xxviii  :  Codant  retrorsum^.  Quelle 
terreur  n'iroprimera-t-il  point  quand  il  viendra  juger,  s'il  a  été 
si  terrible  étant  près  d'être  jugé  ? 

Responsum  non  dédit  ei^.  [Saint  Jean]  Chap.  xix,  vers.  9.  Il  lui 
en  avoit  assez  dit,  en  lui  disant  que  son  royaume  n'étoit  pasde 
re  monde;  et  d'ailleurs  Pila  te,  en  faisant  maltraiter  un  homme 
qu'il  croyoit  innocent,  s*étoit  rendu  indigne  qu'on  l'éclaircit  da- 
Tantage.  Ne  s'étoit-il  pas  même  rendu  indigne  que  Jésus-Christ 
hû  répondit  maintenant,  lui  qui  lui  ayant  demandé  ce  que  c^étoit 
qoe  la  vérité  n'avoit  pas  daigné  attendre  la  réponse?  Les  gens 
qui  oDt  négligé  de  savoir  la  vérité  quand  ils  la  pouvoient  appren- 
dre, ne  retrouvent  pas  toujours  l'occasion  qu'ils  ont  perdue. 

Nescis  quia potestatem  habcoj  etc.*?  vers.  10.  Puisqu'il  est 
en  son  pouvoir  de  le  sauver,  il  se  reconnoit  donc  coupable 
de  sa  mort,  à  laquelle  il  ne  souscrit  que  par  une  lâche  com- 
plaisance. 

Non  habemus  regem^  etc.*  vers.  i5.  Les  Juifs  reconnois- 
sent  donc  que  le  temps  du  Messie  est  venu,  puisque  le  sceptre 
n'est  plus  dans  Juda ,  et  en  même  temps  ils  renoncent  à  la 
promesse  du  Messie. 

Quod  scripsij  scripsP.  C'étoit  comme  la  sentence  du  juge,  à 
laquelle  on  ne  pouvoit  plus  rien  changer.  D'ailleurs  Philon 
a  remarqué  que  Pilate  étoit  d'un  esprit  inflexible*.  Dieu  se 

■ 

I.  «  Ib  sVn  sont  allés  à  la  renrene.  » 

3.  «  Qu'ils  soient  rejetés  en  arrière.  »  Dans  le  texte  de  Louis 
Racine,  le  psaume  indiqué  est  le  xxxt«  ;  mais  le  passage  cité  est  au 
▼«net  4  du  psaume  xxxrv. 

3.  Verset  i3.  «  Qu^ils  tombent  à  la  renverse.  »  Le  texte  de  Louis 
Radne  indique  inexactement  le  chapitre  xxxvn  à^ isaïe. 

4*  «  H  ne  lui  donna  pas  de  réponse.  » 

5.  «I  Ne  sais-tu  pas  que  j'ai  le  pouvoir...  ?  etc.  » 

6.  «  Nous  n^avons  pas  de  roi.  » 

7.  Ibidem^  Ters  29.  «  Ce  que  j'ai  écrit,  je  l'ai  écrit.  » 

8.  «  D  était,  dit  Philon,  inflexible  et  implacable  avec  arrogance.  » 
%'fâtp  TJjv  f6atv  dlxa(ji3djç  xa\  \fxzh  toO  o&OdSouç  dlpieCXixTOc.  {De  FirtU" 
tibtu  et  Legatiofie  ad  Caium,  Paris,  16/^0,  in-folio,  p.  io34.) 


■1 


?oi  SUR  QUELQUES  PASSAGES,  ETC. 

sert  de  tout  cela  pour  faire  triompher  b  vérité  en  dépit  des 
Juifs* 

Miserwu  sortem^f  vers.  24*  Cette  tunique  qui  n'est  point  dé- 
chirée est  Tunité  qu'on  ne  doit  jamais  rompre. 

Stabat^y  vers.  aS.  La  sainte  Vierge  étoit  debout,  et  mm  pas 
évanouie,  comme  les  peintres  la  représentent.  Elle  se  sonve- 
noit  des  paroles  de  l'ange,  et  savoit  la  divinité  de  son  fils.  Et 
dans  le  chapitre  suivant,  ni  dans  aucun  évangéliste,  elle  n'est 
point  nommée  entre  les  saintes  femmes  qui  allèrent  au  sépul* 
cre  :  elle  étoit  assurée  que  Jésus-Christ  n'y  étoit  plus. 

Separaiim  imHdaium^^  chap.  jul,  vers.  7.  Les  linges  ainsi 
placés,  et  séparés  les  uns  des  autres,  marquoient  que  le  corps 
n'avoit  point  été  enlevé  par  des  vdeurs.  Ceux  qui  volent  font 
les  choses  plus  tumultuairement. 

Ad  fratres  meos^f  vers.  17.  U  les  appelle  frères^  pour  les 
consoler  du  peu  de  courage  qu'ils  ont  témoigné.  Narrabo  nomen 
tuum  frairibus  meis  '.  U  semble  que  Jésus-Christ  ait  eu  ce 
verset  en  vue,  en  les  appelant  ses  frères,  comme  tout  ce  qui 
précède  dans  ce  même  psaume  a  été  une  prédiction  de  ses 
souffrances. 

I.  «  Os  ont  tiré  au  sort....  » 
s.  «  Elle  se  tenoit  debout.  » 

3.  «  Plié  séparément.  » 

4.  «  Vers  mes  frères.  » 

5.  «  Je  raconterai  ton  nom  à  mes  frères.  »   (Psaume  xxi,  ver- 
ser a3.) 


REMARQUES  SUR  ÀTHALIE.  2oj 

II 

REMARQUES  SUR  ATHAUE'. 
Nul  knélite  ne  pouvoit  être  roi  qn'il  ne  fût  de  la  maison 

I.  Elles  se  trourent  aux  feuillets  89  et  90  du  tome  II  des  ma- 
DDScriti  de  Racine.  Sur  le  feuillet  88  on  lit  ce  petit  avertissement 
de  Louis  Racine  :  «  Quelques  remarques  écrites  par  Jean  Racine, 
dans  le  temps  apparemment  qu'il  oomposoit  son  Aihaite,  puisqu'on 
j  tfooYe  que,  pour  justifier  TéquiToque  du  grand  prltre,  si  elle  est 
attaquée,  on  se  servira  de  ces  mots  de  J.  C.  :  Solpite  temphim 
itfc,  etc.  [Saint  Jean,  chapitre  11,  verset  19].  »  —  On  ne  peut  en 
effet  douter  cpie  ces  Remar^mes  ne  se  rapportent  à  la  tragédie  d'^- 
ikâlit.  Racine  a  dd  1^ s  écrire,  non  pas  au  temps  qu*il  composait 
JtkûÙê,  mais  plutôt  quand  sa  tragédie  était  achevée  ou  près  de 
rétre;  car  il  j  cite  un  vers  de  la  scène  ti  de  Pacte  V.  Nous  avons 
déjà  fait  usage  de  ces  Remarques  pour  Tannotation  à^Athalie^  et 
nooi  les  J  avons  citées  passim.  Mais  nous  devons  les  remettre 
ici  sons  les  yeux  du  lecteur  dans  leur  ensemble  et  dans  leur  ordre. 
—  Quelques  personnes  peut -être  demanderont  pourquoi  nous  n*y 
avons  pas  joint  celles  qui  ont  été  publiées  par  M.  de  la  Rochefou- 
caold-Liancourt  sur  la  même  tragédie  (Études  Vatéreùrts  et  morales 
isRêe'mt^  édition  de  i856,  p.  179-901).  Dans  ces  iVofe^  sur  Aihalie 
qne  M.  de  la  Rochefoucauld  dit  avoir  recueillies  sur  les  feuilles 
volantes  où  Racine  lui-même  les  avait  écrites,  on  retrouve,  avec 
qaelqnes  changements  toutefois,  presque  toutes  celles  que  nous 
donnons  ici.  Il  s^jr  joint  un  certain  nombre  de  citations  des  livres 
ttints,  qne  nous  nWons  pas  dans  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque 
impériale.  A  côté  du  texte  latin  de  ces  citations,  l'éditeur  en  donne 
la  traduction,  qu^il  attribue  à  Racine  lui-même  ;  nous  avouons  ce- 
pendant que  cette  traduction  nous  est  souvent  suspecte.  Dans  le 
manuscrit  que  nous  avons  suivi,  Racine  n'indique  pas  à  quel  vers 
de  la  tragédie  se  rapporte  telle  ou  telle  de  ses  Remarques  :  il  en 
^  tout  aulrement  dans  les  Notes  publiées  par  M.  de  la  Rochefou- 
<^nld.  Si  quelqu'un  méritait  d'être  cru  sur  parole ,  c'était  certaine- 
ment M.  de  la  Rochefoucauld-Liancourt.  Mais  il  ne  suffit  pas  que 
sa  bonne  foi  soit  indiscutable.  Quelle  règle  a-t-il  suivie  dans  son 
tniTail?  Q  semble  que  pour  ces  Remarques  sur  Athalie  il  ait  eu  a  la 
fois  sous  les  yeux  quelques  notes  trouvées  nous  ne  pouvons  savoir 
^ù,  et  qui,  à  tort  ou  à  raison,  passaient  pour  être  de  Racine;  en 
««tre,  lès  notes  très-authentiques  du  manuscrit  dr  la  Bibliothèque 


2o6  REMARQUES 

de  David  et  de  la  race  de  SikMttOQ.  Et  c'est  de  cette  race  qu  ou 
attendoit  le  Messie.  Talmud^. 

Les  Septante,  aux  Paraltpomènes*y  diseat  que  Joïada  entre- 
prit de  rétablir  Joas  à  la  huitième  année. 

Depuis  le  meurtre  de  Zacharie,  Sanguis  aiiigit  sangmjucm^ 
l'Etat  des  Juifs  a  toujours  été  en  dépérissant.  (Voyez  lÀekf, 
tome  II,  p«  36 1.*)  Gladius  tester  exedit  prophetas  vesiros^, 
p.  363. 

impériale;  et  quUl  ait  mêlé  et  arrangé  tout  cela  à  sa  guise.  Quant 
à  croire  que  Racine  ait  deux  fois  écrit  des  remarques  à  peu  près 
les  mêmes,  nous  ne  nous  y  prêterions  pas  facilement.  Il  nous  parait 
donc  certain  que  M.  de  la  Rochefoucauld  n*a  fait,  pour  une  partie 
de  ces  notes ,  que  se  servir  du  texte  que  nous  donnons  ici  notu- 
méme.  S'il  en  est  ainsi,  il  y  a  là  un  échantillon  de  sa  mani^  dr 
travailler.  Par  exemple,  trouve-t~il  cette  note  :  c  Monsieur  de 
Meaux  appelle  Joas  précieux  reste  de  la  maison  de  David?  >  il 
met  :  «  J'ai  emprunté  ces  paroles  de  l'illustre  et  savant  prélat, 
Monseigneur  de  Meaux,  qui  appelle  Joas  précieux  reste  de  la  mai- 
son de  David,  i  Nous  reviendrons  ailleurs  sur  les  raisons  qui  nous 
ont  engagé  à  omettre  généralement  tout  ce  qu'auraient  pu  nous 
fournir  les  Etudes  littéraires  et  moiaies  de  Racine, 

X.  A  la  marge  de  ce  premier  alinéa.  Racine  a  écrit  \IÀek,  tomeH, 
page  3.  L'auteur  qu'il  cite,  et  dont  il  a  plus  loin  écrit  en  toutes 
lettres  le  nom  de  cette  manière  :  Uehfot^  est  Jean  Ligthfoot,  théo- 
logien de  l'Église  anglicane  et  célèbre  hébraîsant,  mort  en  1675. 
On  publia  en  1686  à  Rotterdam,  chez  Leers,  ses  œuvres  complètes 
(/oh,  lÀghtfooti  Opéra  onmia),  en  3  volumes  in-folio.  C'est  Fon- 
vrage  que  Racine  a  consulté.  Ou  y  lit  à  la  page  qu'il  indique  ici  : 
Aeminem  Israelitarum  regem  futurum  qui  nom  e  domo  DavutU  et  Seio' 
monts  prostpia  fuerit,  Talmud  in  sanhédrin,  cap.  x.  Ideoque  regtm 
Messiam  ex  ea  prosapia  expeciaiant.  Voyez  notre  tome  III,  p.  61 3, 
note  3. 

9.  Livre  II,  chapitre  xxiii,  verset  i. 

3.  A  la  page  36 1,  Lightfoot  parle  de  Zucharie  ;  mais  c'est  à  li 
page  363  qu'il  parle  du  dépérissement  de  l'Etat  des  Juifii  et  qu'il 
cite  Osée,  chapitre  rv,  verset  a,  pour  l'expression  :  Sanguis  aitigit  se»- 
guinem  (dans  la  Vulgate  :  Sanguis  sanguinem  tetigii)^  «  le  sang  est 
venu  se  mêler  au  sang.  »  Voyez  notre  tome  III,  p.  60a,  note  i. 

4.  «  Votre  glaive  a  dévoré  vos  prophètes.  »  Lightfoot  renToie 
au  verset  3o  du  chapitre  11  de  Jérémie,  où  le  texte  porte  dans  la  f^nl' 
gâte  :  Devoravit  gladius  vtster  propitetas  veslros. 


SUR  AT  H  A  LIE.   '  207 

Lichfot  dit  que  tout  se  fit  par  les  prêtres  et  par  les  lé<^ 
vîtes*. 

Promesse  de  l'étermté  dn  trône  en  faveur  de  Salomon. 
n  Beg,  cap.  vu,  vers*  i3;  et  I  Paràlip.  cap.  xvu,  vers.  1% 
etseq. 

Psaume  lxxi  tout  en  faveur  de  Salomon.  Psaume  DixU 
Dominiu\  Misericordias*^  et  Mémento''.  Et  I  Paralip.  cap. 
xzinii, 

Jechonias  eut  Assir,  Assir  eut  Salathiel,  et  celui-ci  Zoroba- 
bel'.  Quand  Jérémie  appelle  Jechonias  virum  steriiem^y  c'est 
i  dire  :  «  dont  les  enfants  n'ont  point  régné.  »  Car  le  même 
Jérémie  parle  ailleurs  de  la  postérité  de  Jechonias. 

Monsieur  de  Meaux''  appelle  Joas  «  précieux  reste  de  la 
maison  de  David.  » 

Athalie*  voulut  qu'il  ne  restât  pas  un  seul  de  la  maison  de 
David,  et  elle  crut  avoir  exécuté  son  dessein.  Il  n'en  resta 
qu'un  seul,  qoi  étoit  fils  d'Okosias. 

M.  d'And.*.  Voilà  le  seul  qui  vous  reste  de  la  maison  de 
David. 


I.  Voyez  notre  tome  III,  p.  $97,  note  3.  Nous  y  citons  le  pas- 
sage de  Lightfoot  (tome  I,  p.  89)  auquel  noos  pensons  que  Racine 
a  fait  allosion. 

a.  Psttume  ax.  —  3.  Psaume  txxxyni. 

4-  Psaume  cxxxi. 

5.  FUu  Jechonim  fuerunt  Asir^  Salatfùel  (I  Paral^.,  chap.  m, 
vers.  17.)  Il  est  dit  au  verset  19  du  même  chapitre  que  iSorobabel 
était  fiJs  de  Phadaia  ;  mais  on  lit  dans  saint  Matthieu^  chap.  i, 
venet  i3  :  Salathial  autem  gemuit  Zoroèabel;  et  dans  EsdraSy  chap.  y, 
verset  a  :  Zorobabel  fUius  Salathiel. 

6.  «  Un  homme  stérile.  »  (Chapitre  xxii,  verset  3o.) 

7.  Dans  le  Discours  sur  t histoire  universelle^  a«  partie,  section  ri. 
Racine,  dans  une  note  a  la  marge,  renvoie  à  la  page  27.  H  s'est 
Knri  de  la  première  édition,  qui  est  celle  de  1681  (i  rolume  in-4", 
à  Paris,  chez  Sébastien  Mabre  Cnimoisy). 

8.  Racine  a  écrit  à  la  marge  :  Joseph.  Voyez  les  Antiqmtés  juJat- 
f^  de  Josèphe,  livre  IX,  chapitre  vu,  J  i . 

9.  Cest-â-dire,  M.  d'AndiÛy.  Dans  la  traduction  qu'Amauld 
d\4ndilly  a  donnée  de  V Histoire  des  Juifs  écrite  par  Flavien  Joseph^ 
U  phrase  citée  par  Racine  ne  se  trouTe  pas  textuellement,  mais 
■mlement  celle-ci  à  la  page   lai  du  tome  U  (édition  de  1668, 


'2o8  REMARQUES 

UParalip.  chap.  xxi*. /orom  occidit  omnes  fratrts  suos 
gladio,,,»  Noluil  autem  Dominas  disperdere  domum  David, 
propîer  pœtum  etc^  et  quia  promiserat  ut  daret  ei  lucemam 
et  filiis  ejus  omni  tempore. 

Si  ces  promesses  n'avoient  été  faites  à  la  race  de  Salomon, 
Dieu  n'avoit  qu'à  mettre  sur  le  trône  les  enfants  de  NathanV 

Le  P.  R.*.  Josabet  conserva  Joas,  et  Diea  le  permit  pour 
empécher  que  la  race  de  David  ne  fût  éteinte. 

Sohite  templum  hoc^^  etc.,  pour  justifier  l'équivoque  du 
grand  prêtre,  si  on  Tattaque. 

Zacharie,  fils  de  Joad,  est  nommé  prophète*. 

Les  Ismaélites  étoient  idolâtres  et  fort  attachés  à  leurs  faux 


5  volâmes  iii-12)  :  «  Voilà  votre  roi,  et  le  seul  qui  reste  de  U 
maison  de  celui  que  vous  savez  que  Dieu  a  prédit  qui  régneroit  a 
jamais  sur  vous.  » 

I.  Voyez  les  versets  4  et  7.  «  Joram  fit  mourir  par  Tëpée  tous 
ses  frères....  Cependant  le  Seigneur  ne  voulut  point  perdre  la  mai- 
son de  David,  à  cause  de  Palliance,  etc.,  et  parce  qu'il  lui  avoit 
promis  de  lui  donner  un  flambeau  à  lui  et  à  ses  enfants  pour  tous 
les  temps.  » 

a.  Sur  Nathan,  le  troisième  fils  de  David  et  de  BersalxSe,  vojez 
le  livre  II  des  Hou^  chapitre  v,  verset  14  ;  le  livre  I  des  Pmfvl^ 
mènes ^  chapitre  m,  verset  5,  et  chapitre  xrv,  verset  4f  et  iechi- 
pitre  ni  de  «oln/  Luc^  verset  3i. 

3.  Racine  a  écrit  à  la  marge  :  «  p.  636.  »LeP.'A,  signifie  UPort- 
JRojrai.  Racine  désigne  ainsi  la  Bihle  dite  de  Saci.  Dans  le  velome 
où  se  trouve  le  passage  qu'il  ne  cite  pas  textuellement,  les  Ejpà- 
cations  sont  de  Thomas  du  Fossé.  C'est  celui  qui  a  pour  titre  : 
Le*  deux  derniers  livres  des  Rois.  On  lit  dans  V Explication  dm  diâ- 
pitre  XI  du  livre  IV  (p.  636  de  Fédition  de  1686)  :  «  Une  ssor 
d'Ochosias, . . .  touchée  de  compassion  pour  ces  enfants  qu'on  égor- 
geoit  si  cruellement,  usa  de  sagesse  pour  ea  sauver  un,  et  pour 
empêcher,  comme  parle  l'Écriture  en  plusieurs  endroits,  que  la 
lampe  de  David,  c'est-à-dire  que  sa  race  ne  fât  éteinte.  » 

4.  «  Détruisez  ce  temple.  »  {Saint  Jean,  chapitre  n,  verset  19.)  " 
Un  peu  plus  loin,  Racine  cite  de  nouveau  ce  passage  de  l'évangé- 
liste.  Jésus-Christ  y  parle  de  son  corps,  tandis  qu'il  laine  con- 
prendre  aux  Juifs  qu'il  s'agit  de  leur  temple. 

5.  Au  moius  est-il  dit  au  livre  II  des  ParatqMumènoSn  chapitre  uiv. 
verset  so  :  Spiritus  itaque  Dei  induit  Zachariam^  fi&um  Joiadm. 


SUR  ATHALIE.  209 

dieux.  Jéréaim  chap.  u'.  In  Cedarmitiite  et  consieierate,,.,  si 
mutavit  gens  deos  suas^  et  certe  ipsi  non  sont  dit, 

Octo*  annorum  erat  Josias  cum  regnare  cœpisset;  et  triginta 
et  uno  anno  regnavit  in  Jérusalem  ;  fecitque  quod  erat  rectum 
inconspectu  Dominé^  et  ambulavit  in  viis  David patris sui^  etc.  '• 

Joachin,  fils  de  Joakiin,  lequel  étoit  fils  de  Josias*. 

Ocio  annorum  erat  Joachin*  cum  regnare  cœpisset^  et  tribus 
mensibtts  ac  decem  diebus  regnavit  in  Jérusalem^  fecitque  ma- 
lum  in  amspectu  Domini^,  »  Dans  les  RoiSy  il  a  dix-huit  ans^. 

Temple,  c  In  domo  hàg  et  in  Jérusalem.,,,  ponam  nomen 
meum  in  sempiternum.  >  II  Paralip.    xxziii*. 

Prêtres  {ipastats.  Mathan»  Voy.  Ezech.  chap.  vui ,  idolâtrie 
des  prêtres. 

Ad  iracundiam  me  provocaverunt  ipsi,  et  reges  eorum,  et 
iacerdotes  eonwu...  ^dificaperunt  excelsa  Baal.  Jérém.  chap. 
uxu,  yers.  3  a  et  35*. 


I.  Venets  10  et  11.  «  Enroyez  en  Cëdar  et  examinez....  si  cette 
Dation  a  change  ses  dieux,  qui  certainement  ne  sont  point  des 
dieux.  »  Voyez  notre  tome  III,  p.  667,  note  i. 

s.  Ici  Racine  a  écrit  à  la  marge  :  huit  ans.  Sur  les  raisons  qu^il  pa- 
rait avoir  eues  de  rappeler  Tage  de  Josias,  et  plus  bas  celui  de  Joachin, 
à  leur  aTénement  au  trône,  voyez  notre  tome  III,  p.  $9$,  note  i. 

3.  n  Paralip.  chap.  xxxit,  vers,  i  et  s.  <«  Josias  avoit  huit 
ans  quand  il  commença  à  régner,  et  il  régna  trente  et  un  ans  à 
Jérusalem,  et  il  fit  ce  qui  étoit  bon  devant  la  face  du  Seigneur,  et 
il  marcha  dans  les  voies  de  David  son  père. ...» 

4.  Voyez  le  livre  II  des  Paralipomènes ,  chapitre  xxxvi ,  ver- 
sets 4  et  8. 

5.  Jechonias.  (^Note  de  Racine,)  Il  veut  dire  qu^au  même  verset, 
dans  les  Septante^  au  lieu  du  nom  de  Joachin^  donné  par  la  Vulgate^ 
il  7  a  Jechonias.  —  Un  peu  au-dessous  du  nom  de  Jechonias^  Racine 
a  encore  écrit  à  la  marge  :  «<  Nota.  Les  70  disent  aussi  huit  ans.  >» 

6.  H  Paralip,  chap.  xxxvi,  vers.  9.  «  Joachin  avoit  huit  ans 
quand  il  conunença  à  régner,  et  il  régna  trois  mois  et  dix  jours  à 
Jérusalem;  il  fit  le  mal  devant  la  face  du  Seigneur.  » 

7.  Voyez  le  livre  IV  des  Rois^  chapitre  xxiv,  verset  8. 

8.  Verset  7.  «  Dans  cette  maison  et  dans  Jérusalem  jVtablirai 
mon  nom  pour  jamais.  »  —  Au  lieu  du  chapitre  xxxiii,  Racine  a 
par  erreur  indiqué  le  chapitre  xxiii. 

9.  Racine,  au   lieu  des  versets  3a  et  35,  indique  par  erreur  le 
J.  RACira.  T  14 


aïo  REMARQUES 

Et  in prophctis  Jérusalem  vidi  similitudinem  adulterantium\ 
Jérém.  chap.  xxiii,  vers.  i4« 

Vers.  27  •,  Qui  volant  facere  ut  obliviseaiur  popubu  nomnis 
mei.,,y  sicut  obliti  sunt patres  eorum  nominis  met  propterBad, 

Jérém.  chap.  viii.  Ejicient  ossa  [regum  Juda,,..  et  assa  saca-' 
dotum^  et  ossaprophetarum.,,.  Et  expandeni  ea  ad  solem  et 
iunam  et  omnem  militiam  cœli  qu».,,,  adoraveruni^  etc.*.  1 

Les  Juifs  appeloient  tussî  Dieu  leur  père*.  Moïse  dît  :  c  Vous 
avez  abandonné  le  Dieu  qui  vous  a  engendrés  '.  »  Et  Malachie  :  <  Il 
n'y  a  qu'un  Dieu  et  un  père  de  nous  tous'.  »  Mais  en  priant  ils 
ne  disoient  point  :  «  Père.  »  Si  quelques-uns  l'ont  fait,  c'a  été 
par  un  instinct  particulier.  Saint  Chrysostome  sur  Ahba  paler\ 

Un  roi  s'appelle  Joachin  ',  un  grand  prêtre  Joachim  ou  ÉUor 
chim  •. 

venet  34-  Sa  citation  n'est  pas  tout  à  fait  textuelle.  —  «  Us  ont 
provoqué  mon  courroux,  eux-mêmes  et  leurs  rois  et  leurs  prêtres. ■■• 
Us  ont  bâti  des  autels  à  Baal.  » 

I .  «  J'ai  vu  les  prophètes  de  Jérusalem  semblables  à  des  adultères.  » 
—  A  la  marge  de  cette  citation,  Racine  a  écrit  :  Nota. 

a.  Au  même  chapitre  de  Jêrénde:  «  Qui  veulent  faire  que  moo 
peuple  oublie  mon  nom...,  comme  leurs  pères  ont  oublié  mon  nom 
à  cause  de  Baal.  » 

3.  Versets  i  et  a.  «  Us  jetteront  {liora  de  leurs  sépideres)  les  os 
des  rois  de  Juda, . . .  et  les  os  des  prêtres,  et  les  os  des  prophètes...- 
Et  ils  les  exposeront  au  soleil,  et  à  la  lune  et  à  toute  la  milice  da 
ciel...,  qu'ils  ont  adorés.  » 

4.  Voyez  notre  tome  III,  p.  645,  note  a. 

5.  Deutéronome^  chap.  xxxii,  verset  18.  —  6.  Chap.  n,  verser  10. 

7.  Les  mots  Abha  pater  sont  trois  fois  dans  le  Nouveau  Tesu- 
ment,  dans  saint  Marc,  chapitre  xiv,  verset  36  ;  dans  salni  Paul^  Êpùn 
aux  Romains,  chapitre  vni,  verset  1 5  ;  et  Èpitrt  aux^  Galatcs,  chapitre  rr, 
verset  6.  —  Saint  Jean  Chrysostome  a  commenté  ces  passages  en 
différents  endroits.  Mais  nous  croyons  que  Racine  a  eu  en  vne 
VlioméVie  qui  est  la  xiv«  au  tome  VIII  de  l'édition  de  Montfaucon 
(Paris,  1728,  in-folio).  Voyez  aux  pages  79  et  80  de  ce  tome.  Saint 
Chrysostome  y  établit  que  l'adoption  des  Juifs  comme  fils  de  Die» 
a  été  surtout  nominale,  et  qu'ils  ont  conservé  l'esprit  de  servi- 
tude, tandis  que  l'adoption  des  chrétiens  a  été  réelle  et  effective; 
et  il  cite  le  verset  i5  du  chaptire  viii  de  VÉpitre  aux  Romains. 

8.  Voyez  ci-dessus,  p.  009,  note  6. 

9.  Voyez  le  Livre  de  Judith^  chapitre  iv,  versets  5  et  ix,  dam  U 


SUR  ATHALIE,  an 

Du  haut  de  nos  sacrés  parvis^ »  On  fit  monter  saint  Jacques, 
frère  dn  Seigneor,  au  haut  du  temple,  pour  y  déclarer  à  tout 
le  people  ses  sentiments  sur  Jésus-Christ.  Et  aussitôt  tous  ses 
ennemis  y  montèrent  en  foule  pour  l'en  précipiter*. 

Équivoque  de  Joad.  i®  Soiçiie  iemplum  hoc*,  %^  Martyre  de 
saint  Laurent,  à  qui  le  juge  demanda  les  trésors  de  FÉglise. 
Aquoquum  qumrerentur  thesauri  Ecctesm^  phomisit  demonstra^ 
turum  se.  Sequenti  die  pauperes  daxii.  Inierrogaius  ubi  essent 
thesauri  quos  promiserai  ^  ostendit  pauperes ,  dicens  :  Hi  suict 
TRKÂUBi  EccLESLB....  Lourentius  pro  singulari  su»  interpréta^ 
tionis  viçacitate  sacram  martjrrii  accepit  coronam,  (Saint  Am- 
broisc,  de  Officiis^) 

Dans  Prudence',  saint  Laurent  demande  du  temps  pour  cal- 
culer toute  la  sonmie* 


yalgaie,  où  on  lit  le  nom  du  grand  prêtre  ÉOac/iim;  et  le  même 
chapitre,  rersets  6,  8  et  14,  dans  les  Septante^  qui  appellent  ce  m^me 
grand  prêtre /oaAfm.  —  Racine  a  sans  doate  voulu  expliquer  le  choix 
qu'il  a  fait  du  nom  d^Éliacin  dans  Athalie^  acte  I,  scène  n,  vers  i8a. 

I.  C'est  le  vers  1749  ^Atludie  (acte  V,  scène  vi).  Voyez  notre 
tome  in,  p.  701,  note  3. 

a.  Voyez  le  tome  I  des  Acta  sanctorum  Maii^  publié  par  les  Bol- 
landlstes  en  1680.  Aux  pages  33  et  iS,  on  trouve  le  récit  du  mar- 
tjre  de  saint  Jacques  {Jkfartjrrium  saneti  Jaeobi^  fratris  Domini)  d'après 
Hégésippe. 

3.  Voyez  ci-dessus,  p.  908,  note  4* 

4-  Livre  II,  chapitre  xxvin.  «  Comme  on  lui  demandait  les  tré- 
sors de  rÉglise ,  Û  promit  qu'il  les  montrerait.  Le  lendemain,  il 
imena  des  pauvres.  Questionné  sur  Tendroit  où  se  trouvaient  les 
trésors  qu'il  avait  promis,  il  montra  les  pauvres,  en  disant  :  ^oiei 
^  trésors  de  l'Église..,.  Son  explication  singulièrement  frappante 
^alnt  k  Laurent  la  sainte  couronne  du  martyre.  » 

5.  Dans  Vhjrmne  de  Prudence  en  l'honneur  de  saint  Laurent 
(^CTs  ia5-i33),  le  Saint  parle  ainsi  : 

Umim  sed  orans  flagilo 
Induciarum  paululum^ 
Quo  fungar  efficaeius 
Prom'usionis  munere, 
Dum  tota  dîeesttm  mihi 
Christi  supeïUx  serièiiur. 
Nam  ealeulanda  primitus. 


ai2  REMARQUES  SUR  ÂTHÂLIE. 

Saint  Augustin  même,  si  ennemi  du  mensonge,  loue  ce  mot 
de  saint  Laurent  :  H»  suni  divitim  Eeciesi»^  {Sermon  cocni^,) 

Dieu  dit  à  Moise  :  c  Dites  à  Pharaon  :  Dimitte  populum 
meum^  ui  sacrificet  mihi  in  deserto*,  >  Etchap.  yiu',: Pharaon 
répond  :  Ego  dîmittam  9os  ui  sacrificetis  Domino  Deo  çestro 
in  deserto.  Ferumtamen  hngius  ne  {tbeatis.  Dieu  a  trompé 
exprès  Pharaon.  Sjmops^,  Une  antre  fois  Pharaon  dit*  :  «  Sa- 
crifiez ici.  >  Moïse  répond'  :  «  Nos  victimes  sont  yos  dieux.  > 
Abominationes  Mgxptiorum  immolabimus  domino^.  Donc  Dieu 
vouloit  faire  sortir  le  peuple  tout  à  fait,  et  Pharaon  ne  Tai- 
tendoit  pas  ainsi. 


m 

PORT-ROYAL  ET  FILLES  DE  L'ENFANCE». 
Michée  ^  chap.  ii,  v.  g.  Mulieres  populi  mei  ejecistis  de 

Tune  tuhnotanda  est  summula. 

Voyez  les  OEuvres  de  Prudence,  publiées  en  i537,  à  Râle,  i  to- 
lome  in-ia,  p.  ii8. 

I .  Voyez  au  tome  V,  a*  partie,  de  Fédition  des  Bénédictins  (Paris, 
MDCLXXXUI),  p.  ii33,  le  sermon  intitulé  :  /a  Hatati  martjm 
Laurentu,  ii.  Saint  Augustin  y  rapporte  le  mot  de  saint  Laurent, 
et  le  loue  en  ces  termes  :  Aperuit  fauces  aparitia;  sêd  tciehat  fui 
facerei  sapientia, 

a.  Exade^  chapitre  y,  verset  i.  «  Laisse  aller  mon  peuple,  afin 
quUl  me  sacrifie  dans  le  désert.  » 

3.  De  V Exode  ^  verset  a8.  «  Je  vous  laisserai  aller,  afin  que  ^ous 
sacrifiiez  dans  le  désert  au  Seigneur  votre  Dieu.  Cependant  ne  tous 
éloignez  pas  trop.  » 

4.  Synopsis  criticorum  aliorumque  sandtÊ  Scripturm  interpretum.  • 
(Londres,  1669-1680,  in-folio),  tome  I,  p.  369.  Voyez  aussi  noire 
tome  m,  p.  694,  note  a. 

5.  Exodey  chapitre  vm,  verset  a5.  —  6.  Ibidem^  verset  a6. 

7.  te  Nous  ferons  au  Seigneur  des  sacrifices  abominables  au^ 
yeux  des  Égyptiens.  » 

8.  En  tête  de  ces  pages  qui  se  trouvent  aux  feuillets  91  et  9s  àA 


PORT-ROYAL  ET  FILLES  DE  L'ENFANCE,     aiî 

dama  Miciantm  suarum;  a  parvulis  earum  iulistis  Ituidem 
meam  in  perpetuum  * . 

Cbap.  m,  y.  3.  Expressions  fortes  pour  marquer  les  tîo- 
lences  des  grands*. 

Vers.  5.  Faux  prophètes,  qui  seducimt  populum  meuniy  qui 
mordent  dentibus  suis^  et  prtediceint  pacem;  et  si  quis  non  dede^ 
rii  in  are  eorum  quippiam^  sanctifieant  super  eum  prxlium^. 

Vers.  II.  Et  cependant  ces  faux  prophètes  espéroient  encore 
ao  Seigneur,  disant  :  Numquid  non  Dominus  in  medio  nostri^  ? 

tome  n  de  ses  manuscrits.  Racine  a  ^crit  Michée;  et  sur  ce  nom 
il  a  fait  cette  note  :  «  Il  prophëtisoit  dans  le  même  temps  qu'Isaïe, 
«t  il  se  sert  de  beanconp  d^expressions  qui  semblent  être  tirées  de 
lai.  »  —  On  peut  voir  aux  pages  487  et  488  de  notre  tome  IV  ce 
que  Racine,  dans  son  Abrégé  de  l'histoire  de  Port-Rojrai,  dit  de 
rinstitat  des  Filles  de  tEnfancê  de  Nôtre-Seigneur.  A  la  note  que 
nous  aTons  donnée  (ibidem ,  p.  4^^)  ^^r  ^^^  institut,  ajoutons 
quWntoine  Amauld  en  prit  la  défense  dans  son  livre  intitulé  : 
V Innocence  opprimée  par  la  calomnie,  ou  V Histoire  de  la  Congrégation 
du  Filles  de  tEnfanee  de  Notre  Seigneur  Jesus^Christ,  Et  de  quelle 
manière  on  a  surpris  la  Beligion  du  Roy  TreS'Ckrestien ,  pour  porter  Sa 
Majesté  à  la  destruire  par  un  arrest  du  Conseil*  Violences  et  inhumanitet 
txercées  contre  ces  Filles  dans  Vexeeution  de  cet  arrest^  et  F  injure  faite 
ou  S.  Siege^  etc.  A  Toulouse^  chez  Pierre  de  la  Noue,  1688.  i  volume 
in-ia.  L'année  suivante ,  le  même  libraire  de  Toulouse  publia  la 
Relation  de  PEstablissement  de  Vlnstitut  des  Filles  de  r Enfance  de  Je- 
nu,  apec  le  récit  fidèle  de  tout  ce  qui  s* est  passé  dans  le  renversement 
du  mesme  Instituts  Par  une  des  Filles  de  cette  Congrégation^  de  la 
maison  de  Toulouse,  i  volume  in-ia.  M.  Sainte-Beuve,  dans  son 
Port'Bojral  (tome  V  d^  la  3*  édition,  p.  453-456,  et  p.  617-691),  a 
donné  des  détails,  auxquels  nous  renvoyons  le  lecteur,  sur  Tlnstitut 
et  sur  sa  suppression. 

I.  «  Vous  avez  chassé  les  femmes  de  mon  peuple  de  la  maison 
qai  faisait  leurs  délices;  vous  avez  pour  jamais  imposé  silence  à 
leon  petits  enfants  sur  mes  louanges.  » 

s.  Qui  eomederunt  carnem  populi  meij  et  pellem  eorum  desuper  exco- 
naftrunt;  et  ossa  eorum  confrrgerunt ;  et  conciJerunt  sicut  in  lebete^  et 
^uasi  carnem  în  medio  ollte, 

3.  «  Qui  séduisent  mon  peuple,  et  qui  déchirent  avec  les  dents, 
^  ne  laissent  pas  de  prêcher  la  paix  ;  et  si  quelqu'un  ne  leur  donne 
pas  à  manger,  ils  lui  déclarent  la  guerre  sainte.  >» 

4-  «  Le  Seigneur  n'est-il  pas  au  milieu  de  nous  ?  » 


ai  4  PORT-ROYAL 

Chap.  vi,  ▼.  7  %  etc.  Quid  dignum  offeram  Domino?,,. 
Numquid  dabo  primogenitwn  meum  pro  scekre  meo?.».  etc. 

Yen*  8.  Indicabo  tibi^^  o  homo^  quid  sit  bonum^  et  quid  Do- 
minus  requirat  a  te  :  utique  facere  judicium^  et  diligere  mise- 
ricordianij  et  soUkitum  ambulare  cum  Deo  tuo  '. 

Chap.  VII,  y.  I .  Dieu  se  compare  à  un  homme  qui  a  en^ie 
de  manger  da  raisin,  et  qoi  vient  pour  cela  dans  nne  yigDe, 
qu'il  trouve  déjà  vendangée.  Non  est  bonus  ad  comedendum^ 

Vers.  a.  Periit  sanctus  de  terra^  et  rectus  in  hominibus  non 
est  .•••  etc. 

Vers.  3.  Malum  manuum  suarum  dicunt  bonum.  Pr inceps 
postulat^  etjudex  in  reddendo  est.  Et  magnus  locutus  est  desi- 
derium  anirnss  susB^  et  conturbmferunt  eam*» 

Vers.  4*  Qui  optimus  in  eis^est^  quasi  paliurus;  et  qui  rectus, 
quasi  spina  de  sepe^, 

aasiaiGonDB  db  uibu. 

Vers.  19.  Pei^ertetur^  et  miserebitur  nostri  :  deponet^  iniqui' 
tates  nostrasy  et  projiciet  in  profundum  maris  omnia  peccata 
nostra  •. 


I.  Plus  exactement  :  versets  6  et  7. 

a.  Racine  a  ëcrit  ici  à  la  marge  :  VraU  fruits  de  pénitence. 

3.  <c  Qu^offrirai-je  au  Seigneur  qui  soit  digne  de  lui?...  Sacrî* 
fierai-je  pour  mon  crime  mon  fils  aînë?...  O  homme,  je  t^tndi- 
querai  ce  qui  est  utile,  et  ce  que  le  Seigneur  demande  de  toi  : 
c^est  d'agir  justement,  et  d'aimer  la  miséricorde,  et  de  marcher 
plein  d'une  crainte  respectueuse  avec  ton  Dieu.  » 

4.  «  Il  n'est  pas  bon  à  manger.  » 

5.  «  D  n'y  a  plus  de  saint  sur  la  terre;  personne  parmi  les  hom- 
mes n'a  le  cœur  droit.  » 

6.  M  Ils  appellent  bien  le  mal  que  font  leurs  mains.  Le  prince 
exige,  et  le  juge  a  été  achète.  Et  le  grand  a  laisse  sortir  de  sa  bouche 
la  passion  de  son  ame ,  et  {les  hommes)  l'ont  troublée.  » 

7.  «  Celui  qui  est  le  meilleur  parmi  eux,  est  comme  une  ronce; 
et  celui  qui  est  juste,  est  comme  l'épine  d'une  haie.  >» 

8.  Racine  a  écrit  en  note  à  la  marge  :  Mettre  sous  ses  pieds. 

9.  «  Il  reviendra,  et  aura  pitié  de  nous  :  il  mettra  sons  ses  pieds 
nos  iniquités,  et  jettera  tous  nos  péchés  au  fond  de  la  mer.  » 


ET  FILLES  DE  L'ENFANCE.  ai5 

Chap.  i,  T.  I.  Nabvm*,  Peintare  terrible  de  Dien,  lorsqu'il 
s*ipprète  à  se  yenger*. 


SOGliTB  DIS  MiCBABTf. 

Vers.  lo.  Sicuî  spinm  se  invicem  eomplectuntur^  sic  conpwium 
nrum  pariter  potaniium.  Consumentur  quasi  stipula  aritlitate 


Chap.  II,  Y.  6.  Le  prophète  prédit  la  mine  de  Ninive  de  la 
même  manière  qu'elle  arriva,  c'est-à-dire  par  le  débordement 
dn  Tigre,  qui  renversa  une  partie  de  ses  remparts^  et  la  livra 
ainsi  aux  Chaldéens  après  deux  ans  de  siège. 

Vers.  i3.  Et  non  audietur  uitra  pox  nunciorum  tuorum*»  Les 
menaces  de  tes  ambassadeurs.  Il  parle  à  Ninive • 

Chap.  m,  vers.  1 1»  Excès  du  malheur.  Et  tu  quseres  auxilium 
oh  inimico*. 

Vers.  I a.  Et  tes  remparts  tomberont,  comme  les  (ignés  mûres 
tombent,  pour  peu  qu'on  secoue  le  figuier^. 

Vers.  17.  Tes  défenseurs  seront  comme  des  sauterelles  qui 
s'tnétent  sur  les  haies  dans  un  temps  froid*.  Sol  ortus  est, 
etavolaveruni*..»,  etc. 

I.  Toute  sa  prophétie  est  contre  Ninive,  quelques  cent  ans  avant 
»  mine,  qui  arrÎTa  soua  Sennacherib.  (Note  de  Bacine.) 

a.  Plus  exactement  Racine  devait  citer  le  verset  9  :  ....  Deits 
tmuUtory  et  ulcUcens  Dominus  :  ulciseens  DomimUj  et  hahent  fiirorem  : 
tUucens  Dominus  in  kostes  suos^  et  irasetns  ipte  inimtciâ  suis, 

3.  «  Comme  les  épines  s'entrelacent,  ainsi  ils  s'enivrent  ensemble 
dans  les  festins.  Qs  seront  consomés  conune  la  paille  sèche.  » 

4.  Portât  fluviorum  apertm  sunt^  et  templum  ad  solum  dirutum, 

5.  «  Et  Ton  n'entendra  plos  la  voix  de  tes  ambassadeurs.  » 

6.  «  Et  tu  demanderas  secours  à  ton  ennemi.  » 

7.  Omnes  munitiones  tust  sicut  ficus  cum  grossis  suis  .*  si  eoueussm 
fuerint^  codent  in  os  comedentium, 

8.  Custodes  tut  quasi  locustm;  et  parvuU  tui  quasi  loeustss  loeusttarum^ 
fm  considunt  in  sepihus  in  die  frigoris, 

9-  «  Le  soleil  s'est  levé,  et  elles  se  sont  envolées.  » 


aifî  EXTRAIT 

IV 

EXTRAIT  DES  9"-  DIFFICULTÉS». 

On  a  mis  à  l'Index  les  Lettres  Provinciedes^  on  n'y  a  jamais 
mis  Wendrok*. 

On  y  a  mis  V Histoire  de  M.  de  Thon',  celle  de  Grotiiis*  et 
son  excellent  livre  de  Jure  belli  et  pacis*^  Tarrèt  dn  Parlement 
contre  Jean  Chastel*,  etc. 

I.  Feuillet  aoo  du  manuscrit  de  Racine  (tome  II).  n  se  tronre 
mélë,  dans  le  volume,  aux  Fragments  historiques.  Le  lirre  dont  Ra- 
cine a  fait  ici  un  extrait  est  d* Antoine  Amauld.  U  a  pour  titre  : 
Difficultés  proposées  à  M,  Stejraert  sur  l*a»is  par  lui  donnée  Mgr  t et" 
chevéque  de  Cambraf....  Les  deux  premiers  volumes  de  cet  ourrige, 
contenant  les  huit  premières  parties,  parurent  en  1691,  à  Cologne, 
chez  Pierre  le  Grand  ;  la  9*  partie  chez  le  même  libraire,  à  la  fin 
de  169s.  C'est  cette  9^  partie  que  Racine  appelle  les  9™**  Diffutd^ 
tés.  Elle  a  été  réimprimée  au  tome  IX  des  OBuvres  de  Mesure  An- 
toine jémauld  (48  tomes  en  4^  volumes  in-4*f  publiés  à  Lausanne, 
1775 -1783).  Dans  les  notes  qui  suivent,  nous  renvoyons  à  cette 
édition,  n'ayant  pu  trouver  l'édition  détachée  de  169s.  On  peut  Toir 
dans  les  lettres  d'Amauld  ce  qu'il  dit  lui-mdme  de  cette  9*  partie 
des  Difficultés  (tome  III  de  ses  OEuvres^  p.  466,  4^8,  554,  5S6  et 
641).  A  cette  dernière  page,  dans  une  lettre  a  M.  du  Yaucel,  du 
93  mai  1693,  il  dit  avoir  pour  lui  le  suffrage  de  Bossnet  :  «  On 
nous  mande  de  Paris  que  Monsieur  de  Meaux  est  très-content  de 
la  9«  partie  des  Difficultés,  n  Les  neuf  parties  de  ces  DifpcuUù 
furent  mises  à  l'Index,  mais  seulement  en  170$,  sous  le  pontificat 
de  Clément  XI. 

9.  Œupres  de  Meuire  Amauld^  tome  IX ,  p.  986.  —  Amauld  j 
conclut  de  ce  fait  qu'il  y  a  «  un  juste  sujet  de  croire  qu'elles  (/«f 
Lettres  Provinciales)  ne  se  trouvent  dans  le  Catalogue  des  livres  dé- 
fendus que  parce  qu'elles  avoient  paru  sans  nom  d'auteur,  sans 
approbateur  et  sans  le  lieu  de  l'impression.  » 

3.  Ibidem,  p.  3oi. 

4.  Ibidem,  p.  199.  —  Il  s'agit  du  livre  qui  a  pour  titre  :  Hugoms 
Grotii  Annales  et  historm  de  rébus  Belgieis,  Amstelstdami.. . .  MDCLVII. 
I  volume  in-folio. 

5.  Ibidem,  p.  999. 

6.  Ibidem,  p.  3oi    et  3o3  :  «  C'est  une  chose  bien  surprenante, 


DES  9»«  DIFFICULTÉS.  117 

Le  Rituel  d'Aleth  fut  condamné  par  l'Inqaisition  à  être 
brAlé,  parce  qa'il  fut  publié  pendant  la  qaerelle.  Il  fut  depuis 
approuvé  par  vingt-neuf  évéques,  en  y  faisant  seulement  quel- 
ques changements*. 

Une  des  trente-deux  propositions  condamnées  par  le  décret 
d^Alexandre  VIII*  se  trouve  en  propres  paroles  être  de  saint 
Augustin  :  Deo  patri  simulacrum  nef  as  est  Christianum  in  tem» 
pio  ccUocare^,  Belle  explication  de  la  doctrine  de  l'Eglise  sur 
ce  sujet*. 

On  a  mis  dans  V Index  la  Métaphysique  de  M.  Descartes  et 
sa  Réponse  à  Gassendi  pour  prouver  T immortalité  de  Tàme. 

dit  Amatdd ,  de  le  trouver  dans  l'Index  en  ces  termes  :  Arrestum 
contra  Joannem  Casiellum  Sc/iofastieum.  » 

I.  OEuvrMS  de  Messire  Arnauld,  tome  IX,  p.  389-391.  •—  Les  in- 
structions du  nouveau  Rituel^  publie  par  Nicolas  Pavillon ,  <;véque 
d'Aleth,  pour  son  diocèse,  avaient  été  revues  par  Amauld.  Un  bref 
do  pape  Qément  IX,  daté  du  17  avril  1668,  condamna  ce  Rituel. 

a.  Le  décret  d'Alexandre  VIII,  qui  est  daté  du  7  décembre  1690, 
condamne  non  pas  trente-deux  propositions,  comme  Racine  l'a 
écrit  par  inadvertance,  mais  trente-une  :  Statuit  et  deerevit  XXXI 
fropoiitionesy  (anquam  temerarias^  scandalosas^  malesonantes^  injuriosas^ 
kmresi  prommas^  /mresim  sapientes^  erroneas,  scltUmaticaSf  et  luereticas 
respective^  esse  damnnndas  et  prohibendas.  De  ces  propositions  la 
vingt-cinquième  est  ainsi  énoncée  dans  le  décret  :  Dei  pairit  sedentis 
simuiaerum  ne  fus  est  Christiano  in  templo  collocare, 

3.  Cette  proposition  avait  été  signalée  chez  Hesselius  (Jean  Hes- 
lels,  docteur  de  Louvain),  dans  son  Catéchisme  sur  le  Décalogue^ 
chapitre  i.xiv.  Amauld  (tome  IX,  p.  887)  montre  qu'elle  est  tex- 
taellement  dans  saint  Augustin,  de  Fide  et  Sjrmbolo^  chapitre  xiv. 
On  l'y  trouve  en  ces  termes  au  tome  VI,  p.  167  de  l'édition  des 
Bénédictins  :  Nec  ideo  tamea  quasi  hutnana  forma  circumscriptum  Deum 
Petrem  arbitrandum  estf  aut  id  ipsum  quod  sedere  Pater  dicitur^  flexis 
popiîtibus  fieri  putandum  est,  ne  in  illud  incidamus  sacrilegium,  quo  exe^ 
cratur  jlpostolus  eos  qui  commutaverunt  gloriam  incorruptibUis  Dei  in 
timilitudinem  eorruptibilis  hominis.  Taie  enim  simulacrum  Dei  nefas 
est  christiano  in  templo  collocare,  multo  magis  in  corde  nefarium  est^ 
tibi  çere  est  templum,  si  a  terrena  cupiditate  atque  errore  mundetur» 
Dans  le  Catéchisme  de  Hessels  les  paroles  sont  exactement  les  mêmes, 
si  ce  n'est  qu'au  commencement  de  la  première  phrase  il  y  a  Non 
igitur,  au  lieu  de  JVec  ideo  tamen. 

4-  Voyez  les  (XRuvres  éTArnauld^  tome  IX,  p.  388-390. 


1 


2i8  EXTRAIT  DES  9—  DIFFICULTES. 

On  n'y  a  point  mis  la  PhQosophie  de  Gassendi,  ni  son  Traité 
contre  Deicartes,  où  il  donne  des  prennes  contre  rimmor> 
talité  de  ^Ame^ 

Belle  dissertation  sur  le  système  de  Copernic,  aussi  censuré 
à  rinqnisition*,  sur  les  façons  de  parler  de  rÉcritore  accom- 
modées an  sentiment  Tnlgaire*;  sur  la  mer  de  Salomon,  qui 
étoit  ronde,  qai  avoit  dix  condées  d'un  bord  à  l'antre,  et  dont 
le  tour  étoit  de  trente  condées  au  m*  livre  des  Rois^, 

Sermon  de  saint  Chrysostome  sur  ce  que  la  terre  nageoit  sur 
Teau'.  Son  ignorance  sur  la  physique. 

I.  Voyez  les  OEuvrtt  itJrnauldj  tome  IX,  p.  3o4.  «  N'est-ce  pas, 
dit  Amauld,  permettre  d*aTaler  le  poison  et  empêcher  qu'on  ne  prenne 
Fantidote  ?  » 

s.  Ibidemy  p.  807. 

3.  Ibidem,  p.  3x9  et  3x3. 

4.  Ibidem^  p.  3ii  :  «  Il  y  est  dit  :  {diuu  le  xn"  chapitre  Jk 
in*  livre  des  Rois)  que  Salomon  fit  faire  urne  mer  de  fanie,  qm  étoit 
ronde  f  qui  avoit  dix  coudées  tTun  bord  à  F  autre  ^  et  qui  étoit  environnée 
à  tentour  tTun  cordon  de  trente  coudées.  L'historien  sacre  a  marqué 
par  là  que  ce  yaissean  rond,  appelé  mer,  avoit  dix  coudées  de  dia- 
mètre, et  trente  de  circuit  on  de  circonférence.  Ce  seroit  donc, 
dira  quelqu'un,  démentir  le  Saint-Esprit  que  de  ne  pas  demenrer 
d'accord  que  la  circonférence  d'un  cercle  est  triple  de  son  diamè- 
tre. . . .  S'en  pourra-t-on  servir  pour  pousser  le  pyrrhonisme  jasqo'à 
prétendre  que  la  géométrie  même  n'est  pas  certaine,  parce  qae, 
selon  les  géomètres,  un  vaisseau  rond,  qui  auroit  dix  coudées  de 
diamètre,  en  auroit  plus  de  trente-une  de  circonférence,  ce  qui 
est  contraire  à  ce  que  dit  l'Écriture  ?  » 

5.  Ibidem,  p.  3xx  :  «  Dans  le  ix*  de  ses  sermons  au  peuple  d'An- 
tioche,  il  {saint  Chrysostome)  propose  comme  un  fait  indubitable) 
attesté  par  le  Prophète-Roi  dans  ses  Psaumes  (xxin  et  cxxxv)  que 
la  terre  nage  sur  les  mers. . . .  etc.  » 


LES  PP.  BÉNÉDICTINS.  %ig 


ACCUSATIONS  CONTRE  LES  PP.  BÉNÉDICTINS  ^ 

Il  n'y  a  pas  une  seule  déclamation  contre  Jansénins  dans 
tonte  leur  édition*. 

A  la  marge  d'une  définition  de  la  GrAce  :  c  C'est  une  inspi- 
ration lumineuse  qui  nous  fait  faire  le  bien  par  la  Charité,  » 
ils  ont  mis  :  Definitio  Gratix  ^ 

I.  Cette  note,  de  même  que  la  précédente,  a  été  placée  parmi  les 
Fragments  historiques  dans  les  manuscrits  de  Racine.  Elle  est  au  feuil* 
let  101.  Racine  a  extrait  ces  accusations  contre  les  Bénédictins  d^une 
brochure  intitulée  :  Lettre  de  Vabbé  ***  aux  jï.  B.  P.  P.  Bénédictins 
de  la  Congrégation  de  Saint'Maur^  sur  le  dernier  tome  de  leur  édition  de 
seint  Augustin ,  pièce  in-4**9  de  36  pages,  à  Cologne,  sans  date  et  sans 
nom  d^auteur.  Un  A9ertissement  du  Uhraire^  qui  est  en  tête  du  libelle, 
dit  que  «  cette  lettre  a  été  écrite  en  latin  par  un  des  plus  consi- 
dâables  abbés  d^ Allemagne,  »  et  que  «  Timprimeur  a  cru  obliger 
le  public  en  la  faisant  traduire.  »  Mais  on  se  douta  bien  tout 
d'abord  que  le  prétendu  abbé  d^ Allemagne  était  un  jésuite.  Racine 
ne  pat  pas  connaître  son  nom,  s'il  est  Trai  que  ce  fut  seulement 
par  une  lettre  de  dom  Sainte-Marthe,  du  3i  octobre  1699,  écrite  de 
Rome  à  Monsieur  de  Reims,  qu'on  apprit  que  l'auteur  anonyme  s'ap- 
peloit  Langlois  (Jean-Baptiste  Langlois,  jésuite  de  Nerers,  mort  en 
1706).  Vojrez  V Histoire  des  contestations  arrivées  entre  les  Jésuites  et 
la  Congrégation  de  Saint^Bisttsr^  au  sujet  de  la  nouvelle  édition  des 
Œuvres  de  saint  Augustin  procurée  par  la  Congrégation,  pièce  in-4*i 
en  France^  MDCCXXXVI.  Elle  est  de  dom  Antoine- Vincent  Thuil- 
Hrr.  n  j  est  dit  (p.  7.)  que  la  lettre  de  l'abbé  d'Allemagne  parut 
SOT  la  fin  de  l'année  1698.  Racine  n'a  donc  pu  la  connaître  que 
dans  les  derniers  mois  de  sa  yie,  et  la  page  que  nous  donnons  ici 
doit  être  une  des  dernières  qu'il  ait  écrites. 

3.  «  D'où  vient  qu'il  ne  vous  est  jamais  échappé  un  mot  qui 
marquât  dans  vous  quelque  indignation  contre  les  Jansénistes?...  » 
[Lettre  de  F  abbé  de  ***,  etc.,  p.  6,  i^  preuve.) 

3.  «  Voici....  la  note  que  tous  mettez  à  la  marge  vis-a- vis  de  ces 
paroles  :  «  Un  secours  qui  fait  faire  le  bien  par  l'inspiration  d'une 
«  très-ardente  et  très-lumineuse  charité,  »  Definitio  gratiœ  Christi.,.. 
Mais  il  est  évident  que  cette  définition  prétendue  de  la  grâce  de 
J«^U9-Chri8t  que  vous  faites  donner  par  le  Saint  ne  convient  aucu- 


!i20  LES  pp.  BÉNÉDICTINS. 

A  la  tète  du  livre  de  la  Correction  et  de  là  Grâce^  qnoiqa'il 
ne  soit  pas  dit  on  mot  de  la  grâce  suffisante  dans  ce  livre,  ils 
ont  mis  :  <  Toute  l'économie  de  la  grâce  est  menreilleasemeDt 
expliquée  dans  ce  livre*.  » 

A  la  marge  d'un  antre  passage  :  InielUgenda  est  gratia  Dei 
per  Christum  qua  sola  homines  liberantur  a  malo^  ce  qui  ne  se 
peut  entendre  de  la  grâce  suffisante,  ils  ont  mis  :  Gratia  Dei 
per  Christum  guêsnam  sit*. 

Voilà  les  principales  raisons  sur  quoi  cet  impudent  jésmte 
traite  les  bénédictins  d'hérétiques. 

nement  à  la  grâce  purement  suffittiite,  car  c^est  la  définition  de  la 
seule  grâce  efficace....  «{Lettre  de  Pal/bê  de  ***,  etc.,  p.  i8  et  19, 
vii«  preuve.) 

I.  u  Vous  osez,  dam  une  note  qu'on  troare  au  commencemfnt 
de  ce  traité,  avancer  que  le  livre  de  ta  Correction  et  de  la  Grâce  pré- 
sente aux  yeux  toute  l'économie  de  la  grâce  divine  :  umversam  divi' 
n»  gratîm  œconomiam  tubjicit  hic  liber.  Le  croyez-vous,  mes  PèrfS, 
qu'un  livre  où,  selon  vous,  on  parle  seulement  de  la  grâce  efBcare 
et  où  il  n'est  fait  nulle  mention  de  la  suffisante,  présente  aux  jeui 
toute  l'ëconomie  de  la  grâce  divine?  »  {Ibidem^  P*  16,  y* preuve). 

9.  «  Saint  Augustin  parle  d'une  manière  très-juste  au  livre  de  le 
Correction  et  de  la  Gréce^  chapitre  ii,  quand  il  dit  qu'il  foui  recoH' 
noùre  la  grâce  de  Dieu  en  Jésus-Christ,  par  laquelle  seule  les  hommes 
sont  délivrés  du  mal.  Intelligenda  est  gratia  Dei  per  Christum^  qua  sole 
homines  liberantur  a  malo.  Cette  vérité,  mes  Pères,  est  incontestable. 
....  Mais  je  vous  avoue  que  je  ne  reconnots  plus  la  pensée  de  ce 
saint  docteur  quand  je  jette  les  yeux  a  la  marge,  et  que  je  vois  tîs* 
a-vis  de  ces  paroles  la  note  que  vous  y  avez  ménagée  :  Gratia  Dei 
per  Christum  qumnam  sit....  En  efTot  les  paroles  du  saint  ne  donnent 
nulle  atteinte  à  la  grâce  suffisante,  et  votre  annotation  la  détruit. 
Car  si  la  grâce  de  Jésn»-Christ  est  précisément,  comme  le  marque 
votre  observation,  celle  qui  délivre  les  hommes  du  mal,  et  qui  les 
sanctifie,...  la  grâce  suffisante  des  catholiques  ne  peut  être  grâce 
de  Jésus-Christ,  puisqu'elle  ne  délivre  pas  les  hommes  du  mal  et 
ne  les  sanctifie  pas.  »  (Ibidem,  p.  3,  ym* preuve.) 


REGISTRES  DU  PARLEMENT.  liai 

YI 

EXTRAIT  DES  REGISTRES  DU  PARLEMENT'. 
Le  la.  février.  Les  députés  de  Sorbonne,  mandés  par  arrêt 

I .  Nous  donnons  lous  ce  titre,  qui  n*est  point  dans  le  manuscrit 
de  Racine,  des  notes  que  sans  nul  doute  il  avait  en  effet  tirées  du 
Registre  du  corueil  ucret  de  Tannée  i663,  comme  notre  annotation 
le  prouvera.  On  a  bien  voulu  nous  communiquer  ce  registre  aux 
Archives  de  TEmpire.  C'est  un  volume  in-folio  coté  K  —  XI  A 
8393.  Toutes  les  pièces  sommairement  analysées  par  Racine,  et 
celles-là  seulement,  y  sont  marquées  de  traits  au  crayon  rouge, 
ainsi  que  les  passages  les  plus  saillants  des  discours  des  gens  du 
Roi  qui  se  trouvent  dans  ces  mêmes  pièces.  Ces  traits  et  accolades 
aa  crayon  rouge  peuvent  bien  être  de  Racine  lui-même;  car  on 
en  trouve  de  semblables  dans  plusieurs  livres  qu'il  a  annotés. 

Si  cet  Extrait  des  Registres  du  Parlement  ne  nous  avait  d'abord 
échappé  an  milieu  des  Fragments  historiques  parmi  lesquels  on  l'a 
placé  dans  le  manuscrit  de  Racine  (tome  II,  feuillets  198  et  199), 
nous  eussions  dà  plutôt  l'insérer  dans  notre  tome  IV,  à  côté  de  1'£j^ 
trait  des  Registres  du  conseil  tTÉtat  que  nous  avons  donné  aux  pages 
595-597,  comme  un  appendice  à  VUisloire  de  Port'Rojral,  Car, 
iuivant  toute  apparence,  c'est  aussi  lorsqu'il  composait  cette  Histoire 
que  Racine  a  noté  les  principaux  incidents  des  démêlés  du  Parle- 
ment et  de  la  faculté  de  théologie  en  i663.  D  a  en  effet  parlé  de 
ces  démêlés  dans  VHistoire  de  Port^Rojaly  et  l'on  y  retrouve  en 
sobstance  tout  ce  que  renferment  les  notes  tirées  du  Registre  du 
eotueii  secret.  Voyez  notre  tome  IV,  p.  534-536.  Nous  avons  in- 
diqué, dans  l'annotation  de  ces  pages,  quelques  pièces  imprimées 
qn'au  besoin  Racine  aurait  pu  consulter  également;  mais  les  notes 
qui  suivent  sont  trop  complètes  pour  que  Racine  ne  les  ait  pas 
puisées  dans  le  registre  même. 

Cette  affaire  des  thèses  ultramontaines  que  favorisait  la  Sorbonne 
est  fort  curieuse  à  lire  tout  au  long  dans  le  Registre  du  conseil 
secret.  Le  Parlement,  par  ses  arrêts,  et  par  les  discours  des  gens 
du  Roi  et  du  premier  président,  y  défendit  avec  une  grande  fer- 
meté, beaucoup  d'érudition  et  une  grave  éloquence,  les  libertés  de 
rÉglise  gallicane.  Ce  qui  nous  semble  aujourd'hui  le  côté  le  plus 
étrange  et  le  moins  justifiable  peut-être  de  son  rôle,  c'est  que  ses 
magbtrats,  comme  s'ils  n'eussent  pas  été  seulement  les  gardiens  des 


222  EXTRAIT  DES  REGISTRES 

du  XI*  ^,  représentent  lears  raisons  smyant  la  délibération  de 
Sorbonne.  Le  premier  président  leur  répond  que  c'est  à  eux 
de  se  soumettre ,  et  qu'ils  aient  à  rapporter  Fenregistrement 
au  premier  jour,  la  proposition  de  Conciiia  generalia  non  suni 
necessaria  *  étant  mauvaise  et  contraire  à  la  pureté  et  police 
extérieure  de  TÉglise',  etc. 

La  cabale  de  quelques  particuliers  avoit  empêché  le  Recteur 
d'enregistrer  l'arrêt. 

lois  de  PKtat,  mais  aussi  ceux  de  la  religion,  parlaient  un  langage 
de  théologiens  dans  les  longues  discussions  où  ils  s'engageaient 
avec  la  Sorbonne. 

X.  L'arrêt  n'est  pas  du  ii,  mais  dn  lo  février,  comme  on  le  Terra 
dans  les  deux  notes  suivantes.  L'arrêt  du  samedi  lo  février  i663 
est  au  folio  a  83  du  Registre  du  conseil  secret. 

a.  n  Les  conciles  généraux  ne  sont  pas  nécessaires.  »  Cette  pro- 
position ainsi  énoncée  textuellement  :  Concilia  generalia  ad  eistir- 
pandas  htereses,  schismata  et  alia  incommoda  tollenda^  admodum  sant 
utilia^  non  tamen  ahsolute  necessaria^  était  dans  la  huitième  position 
d'une  thèse  qu'un  Breton,  bachelier  en  tlii^ologie,  Gabriel  Drouet 
de  Villeneufve,  avait  dû  soutenir  publiquement  en  la  dispute  de  la 
Sorbonne,  le  vendredi  19  janvier  i663.  Ce  même  jour,  la  Cour,  pré- 
sidée par  Guillaume  de  Lamoignon,  et  devant  laquelle  Jérôme 
Bignon ,  procureur  du  Roi ,  porta  la  parole ,  avait  fait  défense 
de  soutenir  la  thèse,  et  avait  ordonné  que  le  syndic  de  la  faculté 
de  théologie,  celui  qui  devait  présider  à  la  thèse  et  le  répondant 
comparaîtraient  publiquement  le  lendemain  pour  rendre  raison  da 
contenu  d'une  thèse  dont  plusieurs  propositions  étaient  «  contraires 
aux  libertés  de  l'Église  gallicane  et  aux  anciennes  maximes  reçues 
de  tout  temps  en  France.  »  Un  arrêt  du  lundi  a  a  janvier  supprima 
la  thèse.  Un  autre  arrêt  du  samedi  10  février  manda  au  premier 
jour  six  docteurs  de  la  Faculté  et  le  syndic  «  pour  rendre  compte 
de  ce  qu'ils  ont  fait  en  exécution  de  l'arrêt  du  a  a  janvier,  et  s'il  a 
été  registre  es  registres  de  ladite  faculté.  »  La  Cour  avait  appris 
qu'il  ne  l'avait  pas  encore  été.  Voyez  aux  folios  a3a,  aSa  et  a83 
du  Registre  du  conseil  secret. 

3.  K  Du  lundi  la  février  i663.  Ce  jour,  les  gens  du  Roi,  M*  Denis 
Talon,  avocat  dudit  seigneur  Roi,  portant  la  parole,  ont  dit  à  la 
Cour  que  le  doyen  de  la  faculté  de  théologie  de  la  maison  de 
Sorbonne,  le  Syndic,  et  MM****,  docteurs  en  ladite  Faculté, 
mandés  suivant  l'arrêt  du  10  de  ce  mois,  étoient  au  parquet  dc^ 
huissiers;  ont  été  faits  entrer....  L'uu  desdits  docteurs,  curé  de  Ii 


DU  PARLEMENT.  aaS 

i3.  a^ril.  Apporté  au  Parlement  l'enregistrement  de  Bour- 
ges; Orléans,  Angers  et  Rheims  ont  enregistré,  et  même  la 
Facalté  de  Paris,  où  ceci  s'étoit  passé  le  i5.  février.  Rapport 
fait  en  Sorbonne  par  les  députés  de  ce  qu'on  leur  a\oit  dit 
an  Parlement;  en  suite  de  quoi  la  Faculté  ordonne  qu'il  sera 
enregistré,  mais  avec  certaines  distinctions*. 

i6.  avril»  Douze  docteurs  mandés  encore  au  Parlement,  où 
on  les  réprimande,  entre  autres,  de  leurs  distinctions;  et  ordre 
à  enx  d*exécuter  ponctuellement  Tarrèt*. 

14.  avril .  Le  syndic,  le  proviseur  des  bernardins,  et  autres 
bernardins,  mandés  pour  leur  thèse  du  4*  avril. 

paroisse  de  Saint-Andrë,  a  dit.. . .  Monsieur  le  premier  président  leur 
a  dit  que  quand  la  Cour  a  ordonné  quelque  chose,  tous  les  sujets 
du  RoinWt  rien  à  faire  qu^à  s^j  soumettre  et  obéir  entièrement.... 
Et  comme  la  Cour  ne  s'arrête  pas  à  leurs  distinctions  scholasti- 
ques,  qui  bien  souvent  pourroient  rendre  soutenables  en  apparence 
les  plus  mauvaises  propositions,  elle  a  interposé  Tautorité  royale 
pour  défendre  absolument  de  soutenir  des  propositions  si  dange- 
reuses, qui  causent  tant  de  trouble  et  de  scandale,  et  qui  sont  si 
contraires  à  la  pureté  de  la  police  extérieure  de  V  Église^  qui  fait  une 
des  principales  parties  de  la  police  de  PÉtat,  quUls  eussent  à  enre- 
gistrer incessanoument  Tarrêt  et  en  rapporter  Pacte  au  premier  jour.  » 
(Registre  du  conseil  secret^  folios  384  et  s85.)  La  phrase  que  nous 
avons  imprimée  en  italique,  n*a  pas  été ,  on  peut  le  remarquer, 
transcrite  par  Racine  d'une  manière  textuellement  exacte. 

!.«/)«  vendredi  i3«  avril  i663....  Ce  jour,  le  procureur  général 
a  rapporté  les  actes  d'enregistrement  de  l'arrêt  du  a  3  janvier 
toachant  la  thèse  de  M«  Gabriel  Drouet  de  Villeneufve,  faits  par 
les  oniTerûtés  de  Bombes,  Orléans,  Angers  et  Reims,  ensemble 
l'acte  d'enregistrement  dudit  arrêt  fait  en  la  faculté  de  théologie  de 
cîette  ville.  »  Suit  l'Extrait  des  registres  des  universités  qui  vien- 
nent d'être  nommées,  et  le  rapport  fait  en  Sorbonne,  qui  est  daté 
du  iS  février  i663.  (Folio  336.) 

a.  <c  Du  lundi  i6«  avril  i663.  Ce  jour,  les  gens  du  Roi,  M»  Denis 
Talon,  avocat  dudit  seigneur,  portant  la  parole,  ont  dit  que  douze 
docteurs  de  la  faculté  de  théologie  mandés  étoient  au  parquet  des 
huissiers...  La  Cour  a  arrêté  et  ordonne  que  Monsieur  le  premier 
président  {G.  de  Lamoignon)  fera  connoitre  auxdits  docteurs  que 
ladite  Cour  n'est  pas  satisfaite  de  la  manière  dont  ils  [en]  ont  usé 
en  cette  occasion,  et  leur  enjoint  de  nouveau  d'observer  ledit  arrêt 
du  a  a  janvier  selon  sa  forme  et  teneur....  »  (Folios  33o  et  33 1.) 


aa4  EXTRAIT  DES  REGISTRES 

Grandin  dit  que  les  temps  étoient  mauvais  et  qu'il  falloit 
attendre  que  la  liberté  fût  rendue  à  la  Faculté.  Sur  quoi  ioter- 
rompn  et  réprimandé  par  le  premier  président.  La  thèse  si- 
gnée dès  décembre  1662^  et  soutenue  le  4'  avril.  Plénitude 
de  jurisdiction,  et  q\ie  les  évéques  étoient  à  l'égard  du  Pape, 
comme  les  curés  à  Tégard  de  Pévèque. 

Arrêt  par  lequel  Grandin  suspendu  de  sa  fonction  pendant 
six  mois.  Défense  au  docteur  la  Morlière  président  de  pré- 
sider durant  un  an,  et  au  Fr.  Desplantes  de  prendre  aucun 
degré  dans  la  présente  licence  ^ 

I.  La  veille  du  jour  de  cet  arrêt,  c^efit-à-dire  le  1 3,  la  Cour  s'était 
déjà  occupée  de  «  la  thèse  soutenue  le  4  avril  dans  le  collège  des 
bernardins  par  Frère  Desplantes,  religieux  bernardin,  dans  laquelle 
il  y  avoit  quelques  propositions  pareilles  à  celles  de  la  thèse  de 
VUleneufre  ;  »  et  elle  avait  fait  faire  commandement  au  syndic  de 
la  Faculté,  à  celui  qui  avait  présidé  la  thèse,  au  répondant,  et  au 
proviseur  et  aux  deux  lecteurs  du  collège  des  bernardins  de  com- 
paraître le  lendemain  matin.  (Folio  3 16.)  —  Us  comparaissent  en 
effet  le  samedi  i4  avril,  et  nous  trouvons  sous  cette  date  dans  le  il*- 
g'uire:  «...  Ledit  Grandin  Çsjrndie)^  ayant  pris  la  parole,  a  dit  qu'il 
ne  croit  pas  avoir  contrevenu  à  Tarrêt  de  la  Cour  du  a  a  janvier 
dernier,  ni  rien  fait  contre  les  défenses  portées  par  icelui,  doutant 
qu'il  avoit  signé  ladite  thèse  dès  le  mois  de  décembre  166 a,  qoe  le 
répondant  n'avoit  pu  soutenir  avant  le  4*  de  ce  mois...,  qoe  d'ail- 
leurs Gerson  avoit  parlé  plus  fortement  que  la  thèse,  ayant  aTancé 
que  le  Pape  habebat  plenitudlnem  potestatisy  et  que  Ton  s'étoit  con- 
tenté de  dire  qu'il  woil  plenitudinemjurisdictioms,..^  qa'il  n'auroit 
pourtant  pas  signé  cette  thèse,  si  elle  lui  eut  été  présentée  depuis 
l'arrêt  de  la  Cour;  qu'il  falloit  laisser  passer  ces  mauvais  temps,  et 
que,  puisque  la  Cour  ne  l'appronvoit  pas,  il  n'en  signeroit  plus  de 
pareilles.  Sur  quoi  Monsieur  le  premier  président  (fi,  de  Lamoignoa) 
l'interrompit,  et  lui  dit  qu'avant  que  d'examiner  ce  qu'il  venoit  de 
dire  sur  la  thèse,  il  étoit  obligé  de  l'interrompre  parce  qu'on  ne  pou- 
voit  pas  souffrir  qu'il  avançât  que  les  temps  étoient  mauvais  et  qu'il 
n'y  eût  pas  de  liberté;  que  les  temps  étoient  très-bons  pour  sou- 
tenir la  bonne  et  véritable  doctrine  et  que  la  liberté  étoit  toute  en- 
tière pour  cet  effet,  mais  que  les  temps  étoient  très-fachenx  et  très- 
mauvais  pour  ceux  qui  vouloient  avancer  de  mauvaises  doctrines  ou 
en  altérer  de  véritables....  Monsieur  le  premier  président  leur  a 
remontré  qu'en  ce  que  la  thèse  faisoit  la  même  relation  du  Pape 
aux  évéques,  que  des  évéques  aux  curés,  elle  établissoit  une  dépen- 


DU  PARLEMENT.  aaîi 


19.  mai,  Reqaéte  présentée  par  Grandki,  la  Morlière  et  Des- 
plantes,  à  ce  que  leurs  suspensions  fussent  levées.  Nota  qu'il 
étoit  dit  dans  la  requête  que  la  faculté  de  théologie  assemblée 
avmt  fait  une  déclaration  de  ses  sentiments  touchant  l'autorité 
du  Pape.  Ainsi,  par  l'arrêt  de  ce  jour,  ordonné  qoe  six  anciens 
de  la  faculté  riendroient  le  lendemain  à  la  Coiir  et  apporte- 
roient  ladite  déclaration*. 

3o.  mai.  Le  Doyen,  mandé  avec  quatre  autres,  dit  qu'il 
apporte  la  déclaration  extraite  des  registres  de  la  faculté, 
signée  du  bedeau.  La  Cour  leur  ordonne  que  la  déclaration 
sera  enregistrée  au  greffe,  lève  les  suspensions*. 

danee  afaaolae  des  évéqaet  à  l'égard  du  Pape  d'une  manière  qui 
B'a  jamais  été  reçue  en  France....  Et  quant  à  l'antre  partie  de  la 
même  propotiticm,  qui  parle  de  la  plénitude  de  la  juriadiotîon , 
qa^oD  ne  peut  a'arréter  à  rexplication  qu'ils  Yenlent  donner  à  leur 
thèse  pour  la  renfermer  dans  l'administration  du  sacrement  de  pë- 
nitence....  La  Cour...,  pour  la  contravention  faîte  audit  arrêt  (du 
»  jùnwUr) ,  a  suspendu  et  suspend  le  docteur  Grandin  dndit  syn- 
dicat pendant  six  mois,...  a  fait  et  fait  inhibitions  et  défenses  audit 
de  ia  Morlière,  qui  a  présidé  ladite  thèse,  de  présider  aucunes 
anemblées  pendant  un  an,  et  audit  Deiplantes,  répondant,  de 
prendre  aucuns  degrés  dans  la  présente  licence,  de  laquelle  la  Cour 
Ta  déclaré  déchu.  »  (Folios  3a»-33o.)  Le  premier  président  de 
Lamoîgnon  avait  donné  à  sa  réprimande  de  longs  développements 
en  grande  partie  théologiques. 

I.  «  />tt  mardi  19*  nuù  i663.  Ge  jour,  la  Cour  ayant  délibéré  sur 
la  reqaéte  à  elle  présentée  par  MM.  Martin  Grandin,  docteur  et 
midic  de  la  faculté  de  théologie  de  Paris ,  Jean  de  la  Morlière, 
docteur  de  ladite  faculté,  et  frère  Laurent  Desplantes,  religieux 
de  l'ordre  de  Qteaux,  bachelier  de  ladite  faculté  de  théologie, 
à  ce  que....  leurs  suspensions  portées  par  l'arrêt  du  14.  avril  fussent 
levées,  oui  le  procureur  général  du  Roi,  arrête  que  six  anciens 
docteurs  de  ladite  faculté  viendront  demaip  en  ladite  Cour,  sept 
heures  du  matin,  et  apporteront  à  icelle  la  déclaration  mentionnée 
en  ladite  requête,  faite  par  la  faculté  de  théologie,  de  ses  sentiments 
toocbant  l'autorité  du  Pape....  »  (Folio  871.  Le  même  arrêt  se 
HouTe  répété  â  la  fin  du  kegtatre^  folios  47>  ^t  473.) 

3.  «  Du  mercredi  3o*  mai  i663.  Ce  jour,...  les  docteurs  de  la  fa- 
culté de  théologie,  mandés  suivant  l'arrêt  du  jour  d'hier,  étoient  au 
parquet  des  huissiers.  Eux  entrés.  Monsieur  le  premier  président 
(G.  de  Lamoignou)  leur  a  dit  que  la  Cour  les  avoit  mandés  pour 
J.  Raon.  V  i5 


326  EXTRAIT  DBS  REGISTRES 

a5.  septembre  i663.  Le  ppocareor  général  âte  les  arrêts  de 
i6a6,  52  et  48  ponr  la  rédacdon  des  réguliers  à  deax  de 
chaque  ordre.  Ces  arrêts  non  ezécatés,  à  caase  d'anrèu  da 
conseil  accordés  aox  religieux  pour  la  rencontre  des  temps. 

Arrêt  portant  que  lesdits  arrêts  de  ai,  a6  et  48  seroient 
exécutés,  à  peine  de  nullité  de  tous  les  actes.  L*arrèt  sen 
signifié  dans  les  couvents,  et  lu  dans  la  faculté,  et  enregistré*. 

27.  septembre.  Rapport  fait  par  les  députés  de  la  Cour  de  ce 
qu'ils  ont  fait  en  Soii)onne.  Us  ont  fait  apporter  le  registre 

apporter  la  déclaration  faite  par  la  faculté  de' théologie  de  tes  senti- 
ments touchant  Tautoritë  du  Pape.  Le  doyen  de  ladite  faculté  ai  dit 
que  pour  obéir  aux  ordres  de  la  Cour,  ils  ont  apporté  ladite  décbn- 
tion  extraite  des  registres  de  ladite  fiicnlté,  et  signëe  par  le  bedcaa 
dUoelle....  Eux  retires,  la  Cour  a  ordonné  et  ordonne  que  les  arti- 
cles contenus  en  la  déclaration  de  ladite  fiiculté  seront  regûtiés 
au  greffe...,  a  levé  et  l^ve  les  su^ensions  portées  par  les  arrêts  des 
la.  janrier  et  i4*  avril  dernier....  »  (Folio  371.) 

I.  «  Dm  mardi  a5«  septembre  166S.  —  Em  paeatUms.  —  M,  N,  Pttîtr 
présideiu.  —  Ce  joor,  est  entré  M«  Achille  de  Hariay,  solMdtot  dn 
procureur  général  du  Roi,  lequel  dit  que....  sachant  par  TexpénoMe 
du  passé  que  la.  principale  cause  des  altérations  qui  sont  inÎTén 
dans  la  faculté  de  théologie  a  été  la  contrarention  des  ancteu 
règlements,  qui  enjoignent  aux  Mendiants,  après  qu^ils  ont  reçu  le 
degré  de  docteur,  de  se  retirer  dans  le  couvent  de  leur  profauoa 
pour  répandre  dans  toute  la  France  les  bonnes  semences  de  U 
doctrine  qu'ils  ont  apprise  dans  cette  illustre  école  ;  et  ç*a  M  dao» 
cette  pensée,  et  de  peur  que  les  sentiments  et  les  suffrages  dei 
docteurs  séculiers  ne  fussent  emportes  par  la  multitude  des  reli- 
gieux nourris  dans  des  maximes  que  leur  exemption  et  les  dépen- 
dances de  leur  ordre  y  ont  introduites,  que  la  Cour  a  peq>étoelie- 
ment  réglé  par  ses  arrêts  qu'ils  n'entreroient  es  assemblées  de  U 
fiiculté  de  théologie  en  plus  grand  nombre  que  deux  de  cbaqoe 
ordre,  principalement  par  ses  arrêts  rendus  es  années  seize  cciit 
cinquante-deux,  seize  cent  ringt-un,  seize  cent  vingt-six  et  xitf 
cent  quarante-huit...;  mais  l'exécution  desdits  arrêts  ayant  été  re- 
tardée par  les  arrêts  accordés  au  conseil  par  les  empressements  de»- 
dits  religieux  par  le  rencontre  seul  du  temps,...  U  chambres 
arrêté  et  ordonné  que  lesdits  arrêts  et  règlements  des  années  seiu 
cent  cinquante-deux ,  seize  cent  vingt-un ,  seize  cent  vingt-six  ^ 
seize  cent  quarante-huit  seront  exécutés...,  à  peine  de  nullité  de 
tous  les  actes....  »  (Folios  4^3  et  4^4.) 


DU  PARLEMENT.  utt; 

poor  y  transcrire  l'arrêt.  Le  P.  Lombard  carme  s'est  (^posé 
de  la  paît  de  tons  les  religieax  aadit  arrêt,  demandant  que  le 
Roi  en  fût  informé.  On  a  répondu  qu'il  falloit  obéir.  Et  l'arrêt 
fut  enregistré*. 


Vil 

EXTRAIT  DU  LIVRE  INTITULÉ  CONCORDIA  RJTIOMS 
ET  FIDBl  SBU  ALNETANJE  QUJESTIONES. 

Noos  ne  devions  pas  entièrement  passer  sous  silence  un  Extrait 
dont  Louis  Racine  parle  dans  ses  HemoirM  (rojea  notre  tome  I, 
p.  3o4),  et  que  l'on  trouxe  an  tome  II  des  manuscrits  de  Racine, 
faiiJlets  79-81.  Mais  ne  pas  en  omettre  la  mention,  et,  comme  nous 
venons  de  le  faire,  en  oîter  le  titre,  paraîtra  sans  doute  suffisant. 
Cens  de  nos  lecteurs  qui  connaissent  TouTrage  sur  lequel  Racine  a 

I.  Ce  rapport,  qui  est  aux  folios  465  et  4^6  du  Registre ^  est  fait 
pu*  Jean  le  Coq  et  Charles  de  Saveuse,  conseillers  du  Roi  en  sa 
coar  da  Parlement,  qui  s'étaient  rendus  le  jeudi  97  septembre  en 
la  maison  de  Sorbonne.  Voici  un  extrait  du  rapport  :  «  Nous  ayons 
eajoiot  an  scribe  et  bedeau  de  ladite  fiicultë  d'apporter  son  regis- 
tre^ dans  lequel  nous  lui  avons  fait  en  notre  présence  transcrire  et 
registrer  ledit  arrêt,  lequel  lui  a  étë  dicté  par  notre  greiâer  {ce 
ftffier  était  Biérosme  Boileau^  frère  de  Nicolas  Boileau  Despréaux)  ; 
et  pendant  que  l'on  transcrÎToit  ledit  arrêt,  le  P.  Lombard,  docteur 
de  ladite  faculté,  religieux  carme  du  grand  couvent,...  nous  a  de- 
mande s'il  lui  ëtoit  permis  de  représenter  les  raisons  des  religieux, 
poor  n'être  point  réduits  au  nombre  de  deux. ...  Il  nous  a  dit  que. . . . 
poor  obéir  à  l'arrêt  de  la  Cour...,  il  étoit  à  propos  de  savoir  du 
Roi  si  c'étoit  sa  volonté.  Nous  avons  relevé  ce  discours,  et  lui 
avons  dit  que  l'autorité  du  Roi  étoit  inséparable  des  arrêts  de  la 
Cour,  et  le  substitut  {Achille  de  Harlay) ,  ayant  pris  la  parole ,  a 
dit  audit  P.  Lombard  qu'il  ne  devoit  parler  en  ces  termes,  et 
que  quand  la  Cour  donnoit  des  arrêts,  c'étoit  au  nom  du  Roi  et 
»ÙTant  sa  volonté.  Le  P.  Lombard  a  répliqué....  Nous  lui  avons 
représenté....  qu'il  falloit  obéir  à  l'arrêt  et  l'exécuter....  »  (Folios 
465.467.) 


:ia8  EXTRAIT 

pris  ce»  notes,  ne  s'étonneront  point  que  nous  n'ayons  pas  todIb 
risquer  de  lui  fidre  attribuer  à   lui-même  ce  que  oeruinement  û 
condamnait  arec  autant  de  êévénté  qne  personne.  Le  iÎTre  do 
Questions  J^Aubutj  (Aulnay  ëuit  le  nom  de  Tabbaye  que  Huet  anii 
près  de  Caen)  a  pour  titre  :  DonUUs  Buetu  Spiscopi  AhrmeoM»  àià- 
gnati  Alnetanœ  Qusestiones  de  Concordîa  rationis  et  fidei....  CtJomi, 
apwi  Joa/mem  Caveùer.,.,  Prostani  Lutêtist  Parisiormm^  apud  Tharnsm 
Moette,...  MDCXC,   in-4«.  Basnagc  de  BeauTal,  qui  en  a  rendo 
compte  dans  son  Histoire  des  ouvrages  des  sapants  (juin  1691,  arti- 
cle n,  p.  446  et  suivantes),  en  a  très-sagement  montre  les  dan- 
gers. Son  article  fit  connaître  les  Questions  ttAulnay  à  Amauld,  qni 
écrivait  à  œ  sujet  dans  une  lettre  à  M.  Dodart,  du  i«  notem- 
bre  169 1  :  «  Si  l'auteur  protestant  {Basnage  de  Beauval)  n'a  point 
altéré  ce  qu'il  rapporte  de  la  seconde  et  de  la  troisième  jàrtic  de 
ce  livre,  ce  sont  d'horribles  choses....  Je  ne  m'étonnerois  pas  de 
trouver  ces  choses  dans  quelque  ouvrage  de  la  Mothe  le  Vayer.... 
Est-ce  qu'un  sous-précepteur  de  Monsieur  le  Dauphin  ne  vaudroit 
pas  mieux,  et  qu'il  auroit  si  peu  de  jugement  que  sans  y  penser, 
il  détruiroit  sa  propre  religion ,  en  employant  tout  ce  qu'il  a  d'éru- 
dition a  faire  voir  que  la  raison  ne  s'accommoderoit  pas  moins  bien 
du  paganisme  qu'elle  s'accommode  du  christianûme?  »  [Olwnsi* 
Messire  Amauld^  tome  III,  p.  400  et  401,  lettre  Doccxxxm.)  Ar- 
nauld  n'était  pas  moins  sévère  pour  l'ouvrage  de  Huet,  après  l'aToir 
lu.  Il  écrivait  à  M.  du  Vaucel,  le  i«  novembre  1691  :  «  Remarqnei 
surtout  ce  qui  est  dit  dans  la  page  454  {U  ff^i  i*re  sens  doute  3  4  5) 
des  miracles  de  Jésus-Christ  comparés  a  ceux  des  païens.  Cela  est 
horrible...  Je  crois  que  vous  serez  obligé  en  conscience  d'en  feire 
avertir  les  cardinaux  qui  ont  de  la  piété,  afin  qu'on  en  donne  am 
au  Pape,   en  lui  représentant  qu'il  ne  doit  point  souffrir  qn'w" 
donne  des  bulles  à  un  écrivain  qui  a  fait  un  si   méchant  livre.  > 
{Œuvres  de  Messire  Amauld^  tome  III,  p.  404,  lettre  Dcocxxxnr.) 
Comment  douter  que  Racine  ne  portât  des  Questions  ^Asi»ej  on 
semblable  jugement?  U  n'a  pu  en  faire  VEsstrait  conservé  panni  ses 
manuscrits  que  dans  un  temps  où  ses  sentiments  religieux  ne  font 
pas  question,  et  où  ses  opinions  étaient  sur  de  tels  points  en  paifut 
accord  avec  celles  d' Amauld.  Louis  Racine  d'ailleurs,  dans  le  pas- 
sage des  Mémoires  cité  plus  haut,   dit  expressément  que  son  père 
désapprouvait   les  Questions  d'Aulnajr^   et  rapporte  Tapplication  pi- 
quante qu'il  faisait  d'un  vers  de  Térence  à  un  autre  livre  de  Huet. 


DES   QUESTIONS  D'àVLNAY.  aag 

la  Demomstratio  evangeitea,  où  de  semblables  bizarreries  d'érudition 
cfamjiuiient  «gaiement  les  esprits  sensés.  Nous  ne  saurions  dire  si 
Racine  aon^eait  à  préparer  quelque  réfutation  du  lirre  de  Huet. 
Quoi  qa'il  en  soit,  on  aurait  pu  nous  accuser  de  trahir  sa  mémoire, 
si  en  publiant  pour  la  première  fois  des  notes  où  les  témérités  de 
FéTêque  d^ATranches  ne  sont  pas  atténuées,  mais  plutôt  aggrayées 
et  miaes  en  relief  par  la  crudité  de  Texpression ,  des  notes  où  Ra- 
cine ne  commente  pas  ce  qu'il  rapporte,  et  n'explique  pas  son  in- 
tention ,  nous  donnions  lieu  contre  lui  à  de  fausses  interprétations, 
et  si  nooa  faisions  serrir  une  édition  de  ses  Œuvres  k  tirer  de  l'oubli 
et  a  propager  ces  étranges  rapprochements  entre  la  Bible  et  la  my- 
thologie, dont  il  avait  assurément  compris  et  déploré  l'imprudence. 
Le  lecteur  ne  perdra  rien  à  l'omission  d'Msirtùtt  où  tout  est  de  Huet, 
où  rien  n^est  de  Racine.  C'est  ce  que  les  éditeurs  précédents  ayaient 
aussi  compris. 


OUVRAGES 


ATTRIBUES   A  RACINE 


s 


PRÉCIS   HISTORIQUE 
DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV 


DKFUIt    167  s   JUSQU'hV    1678. 


NOTICE. 


QiisLQu'oFiHioif  que  Ton  ait  sur  l'authenticité  du  Précis 
historique  des  campagnes  de  Louis  XIF^  et  sur  celle  de  la 
EeUuion  du  siège  de  Namur,  que  nous  donnons  à  la  suite,  il 
faut  reconnaître  que  ces  deux  ouvrages,  écrits  dans  des  occa- 
sioDs  particulières,  et  formant  chacun  un  tout  complet,  ne 
pouvaient  faire  partie  de  cette  Histoire  du  royaume  sous  le  rè- 
gne de  Louis  XIV  dont. Racine  «  avoit  déjà,  nous  dit  son 
fils* ,  composé  plusieurs  grands  morceaux,  »  et  que  détruisit 
entièrement  l'incendie  de  la  maison  de  Valincour,  à  Saint- 
Qoud,  dans  la  nuit  du  i3  au  14  janvier  1726*. 

I.  Dana  ton  AvtrtUsemtmt  en  tète  des  Fragments  historiques^  Toyez 
ci-detsuB,  p.  64. 

1.  Voyez  les  Hémoires  de  Louis  Racine,  i  la  page  987  de  notre 
tome  I;  la  Notice  biographique^  à  la  page  118  du  même  tome;  et  le 
commencement  de  la  préface  de  VHistoire  militaire  du  règne  de 
Louis  le  Grande  par  le  marquis  de  Quincy.  —  La  Beaumelle  {Mé» 
mobret  pour  servir  à  rhistoire  de  Mme  de  Maintenons  livre  VIII,  chapi- 
tre xt)  raconte  que,  dans  cet  incendie,  Valincour,  voyant  Ton- 
▼rage  de  Racine  près  d'étr«  consume,  «  donna  vingt  louis  a  un 


!i34  PRÉCIS  HISTORIQUE. 

Par  leur  étendue  toutefois,  ces  deux  écrits,  le  prenûer 
surtout,  qui  est  d'un  intérêt  plus  général  et  moins  techni- 
que, peuvent  suffire  pour  nous  donner  une  juste  idée  du 
style  historique  de  Racine,  si  on  n'hésite  pas  à  croire  qu'il 
en  soit  Fauteur*  Nous  n'hésitons  guère  pour  notre  part,  et 
nous  regardons  leur  authenticité  comme  étant  tout  au  moins 
d'une  probabilité  très-voisine  de  la  certitude.  Si  nous  les  pla- 
çons parmi  les  Ouvrages  attribués^  c'est  seulement  pour  tenir 
compte  des  doutes  qui  peuvent  rester  à  quelques  personnes; 
mais  dérogeant  d'ailleurs  à  la  règle  généradement  suivie  dans 
cette  édition,  nous  avons  cru  qu'il  nous  serait  permis  de 
ne  pas  imprimer  en  petit  texte  deux  morceaux  de  cette  im- 
portance. 

Le  Précis  historique  des  campagnes  de  Louis  XÏV  a  été 
pour  la  première  fois  joint  aux  Œuvres  de  Bacine  par  les 
éditeurs  de  1807.  Us  Font  fait  précéder  d'un  Avertissement 
qui  se  trouve  aux  pages  97-ioa  de  leur  tome  VI,  et  que 
nous  devons  reproduire  ici  presque  tout  entier,  parce  que 
«  la  destinée  de  cet  écrit,  »  comme  ils  s'expriment,  y  est 
racontée ,  et  que  les  raisons  très-fortes  qu'ils  ont  eues  pour 

SaToyard  pour  Taller  qaerir  au  traTers  des  flaounes.  An  lien  do 
manascrît  unique,  le  SaToyard  rapporta  un  recueil  des  Gazttiet  de 
France.  »  Le  même  la  Beaumelle,  dans  ses  Lettres  de  Mme  de  lfo«- 
tenon  (tome  TV,  p.  876  de  l'édition  de  Glascow,  1756),  donne  une 
lettre  de  Valincour  à  Mme  de  Maintenon,  lettre  qui  n'est  pas  da- 
tée,  mais  qui  semblerait  être  de  171 1.  Il  y  est  parlé  en  ces 
termes  de  ce  que  Racine  et  Boilean  avaient  laissé  sur  l'histoire  da 
Roi  :  «  Je  prends  la  liberté  de  tous  euToyer  un  mémoire,  où  je 
rends  compte  au  Roi  du  peu  de  travail  qui  s'est  fait,  et  de  ce  qni 
seroit  nécessaire  pour  le  £sire  avancer  plus  qu'il  n'a  fait  jns^'a 
présent.  >•  Ce  mémoire,  s'il  pouvait  se  retrouver,  serait  intéressant 
à  connaître.  Du  rapprochement  entre  la  lettre  donnée  par  la  Beta- 
melle  et  l'anecdote  qu'il  raconte,  on  pourrait  conclure  que  Racine 
n'avait  pas,  lorsqu'il  mourut,  poussé  bien  loin  encore  son  travail, 
et  que  cependant  ce  qu'il  avait  écrit  ne  laissait  pas  d'avoir  un  grand 
prix  aux  yeux  même  de  Valincour,  tout  intéressé  qu'il  était  a 
faire  bon  marché  des  travaux  qu'on  lui  avait  remis  pour  qu'il  les 
continuait.  Mais  avec  un  homme  tel  que  la  Beaumelle,  on  ne  peut 
faire  grand  fonds  ni  sur  la  vérité  de  l'anecdote,  ni  sur  l'authenticitr 
de  la  lettre. 


NOTICE.  a35 

rattribuer  à  Racine  y  sont  fort  bien  déduites.  Laissons  donc 
parler  ces  ëditenrs  : 

«  Dans  l'intervalle  de  tranquillité  qui  suivit  la  paix  de  Ni* 
mègue,  Louis  XIV  agréa  le  projet  d'un  ouvrage  où  les  évé- 
nements mémorables  de  la  guerre  que  cette  paix  avmt  ter- 
minée, dévoient  être  représentés  dans  une  suite  d'estampes 
dessinées  et  gravées  par  les  premiers  artistes.  Ce  livre,  des- 
tiné à  être  donné  en  présent  à  ceux  à  qui  le  Roi  jugeroit  à 
pn^os  d'accorder  cette  faveur,  devoit  commencer  par  un 
Précis  historique  des  faits  ainsi  représentés.  Cette  dernière 
partie  du  travail  fut  confiée  à  Racine  et  à  Boileau;  et  la 
place  d'historiographes  du  Roi,  qui  leur  avoit  été  donnée  dès 
1677,  ne  permettoit  pas  qu'aucun  autre  qu'eux  en  fût  chargé. 
Ce  fut  à  cette  occasion  que  Racine ,  celui  des  deux  qui  te- 
noit  ordinairement  la  plume,  composa  l'écrit  suivant.  Mais 
cet  écrit  eut  une  destinée  si  singulière ,  que  nous  devons  en 
rendre  compte. 

c  La  guerre,  qui  ne  tarda  pas  à  se  rallumer ,  arrêta  l'exé- 
cution de  ce  projet,  qui  fut  repris,  dans  la  suite,  d'une  autre 
manière,  et  qui  se  termina  par  le  Recueil  de  médaittes  publié 
en  170a,  dans  lequel  les  explications  historiques  furent  aussi, 
pour  la  plupart,  rédigées  par  Racine  et  Roileau,  qui  s'ad- 
joignirent dans  ce  travail  plusieurs  de  leurs  confrères  de  l'A- 
cadémie des  inscriptions.  Quant  au  Précis  historique  de  la 
pierre  de  167a,  il  resta  dans  les  papiers  de  Racine  jusques 
à  sa  mort ,  et  ensuite  il  passa  successivement  dans  les  mains 
de  Boileau  et  dans  celles  de  Valincour,  avec  tous  les  autres 
papiers  relatifs  à  l'histoire  du  Roi.  On  sait  quel  fut  le  sort 
de  ces  papiers,  et  que  tous  périrent  dans  l'incendie  de  la 
maison  de  Valincour,  à  Saint-Cloud,  en  1726.  Les  seuls  qui 
purent  échapper  au  désastre  furent  ceux  qui  se  trouvoient 
alors  dans  des  mains  tierces.  Tel  fut  le  Précis  historique  que 
Valincour  avoit  communiqué  à  l'abbé  Vatry,  qui  travailloit 
alors  au  Journal  des  Savants^  et  qui  fut  peu  après  principal 
au  collège  de  Reims,  et  livré  à  d'autres  études.  Valincour 
mourut  en  1730. 

«  Cependant,  cette  même  année  r73o,  le  libraire  Mesnier  fit 
imprimer  ce  Précis^  sous  le  titre  de  Campagne  de  Lmis  XIV ^ 
p9r  M,  Peliisson^  sans  qu'aucune  pièce  préliminaire  indiquât 


a36  PRÉCIS  HISTORIQUE. 

comment  le  manuscrit  lui  ëtoit  parvenu ,  ni  sur  quel  fonde- 
ment il  l'attribuoit  à  Pellisson,  mort  alors  depuis  trente-sept 
ans. 

«  En  1 749,  l'abbé  le  Mascrier  donna  une  édition  de  YHiUoire 
de  Louis  XIF^  par  Pellisson,  dans  laquelle  il  essaya  de  rem- 
plir lui-même  quelques  lacunes  qui  se  trouvoient  dans  les 
premiers  livres.  Ensuite  il  donna,  comme  un  dixième  livre 
de  cette  histoire,  le  Précis  hisiori^ue  de  la  guerre  de  167a, 
après  avoir  eu  la  précaution  d'en  retrancher  les  dernières 
pages,  qui  auroient  appris  à  quelle  occasion  cet  ouvrage  avoit 
été  originairement  composé. 

«  Ce  prétendu  dixième  livre  cependant  s'ajustait  mal  avec 
le  neuvième  ;  car  ce  dernier  n'a  pas  même  été  terminé  par 
Pellisson.  Une  partie  des  événements  de  Tannée  1670,  tous 
ceux  de  l'année  suivante ,  et  notamment  les  importants  trai- 
tés qui  furent  alors  conclus,  ne  s'y  trouvent  point  racontés, 
en  sorte  qu'il  existe  un  vide  considérable  entre  l'ouvrage  de 
Pellisson,  et  celui  qu'on  donne  comme  en  étant  la  suite. 

«  La  différence  seule  du  style  des  deux  autetirs  auroit  dû 
prévenir  l'éditeur  contre  une  telle  méprise.  Quoique  Pellisson 
soit  sans  doute  un  des  meilleurs  écrivains  du  siècle  de 
Louis  XIV,  cependant  il  a  des  défauts  qui  lui  sont  particu- 
liers ;  et  ces  défauts  sont  ceux  dont  Racine  s'est  le  plus  éloi- 
gné.... 

«  Mais  si  ces  caractères  du  style  peuvent  être  matière  à 
dispute,  ce  qui  est  certainement  incontestable,  c'est  qu'un 
travail  dont  la  destination  est  aussi  clairement  indiquée,  ne 
pouvoit  être,  à  cette  époque,  confié  à  PeUisson.  On  sait  qu'il 
avoit  encouru  l'inimitié  de  Mme  de  Montespan,  et  que, 
longtemps  avant  l'époque  de  la  paix  de  Nimègue,  on  lui  avoit 
ôté  les  fonctions  d'historiographe.  Comment  donc  supposer 
que,  poiu*  un  ouvrage  entrepris  postérieurement  à  1678,  dont 
Mme  de  Montespan  avoit  eu  la  première  idée,  et  auquel 
on  vouloit  donner  tant  d'éclat,  on  eût  eu  recours  à  la  plume 
de  Pellisson,  au  préjudice  des  deux  célèbres  écrivains  qui 
avoient  pour  em  les  titres  réunis  de  la  place,  du  talent  et 
de  la  faveur?  L'erreur  de  l'abbé  le  Mascrier  est  d'autant 
moins  excusable,  qu'ayant  eu  communication  des  manuscrits 
de  Pellisson,  il  n'y  avoit  rien  trouvé  de  relatif  à  la  guerre  de 


NOTICE.  a37 

1672,  eoBime  il  en  convient  dans  sa  Préface  (p.  41),  et  que 
ce  n'est  que  sur  des  conjectures  qu  il  s'est  appuyé  pour  attri- 
buer à  cet  historien  l'ouvrage  de  Racine. 

c  Enfin,  en  1 784,  un  autre  éditeur*  qu'on  croit  être  Frén>n 
le  fils,  fit  imprimer  chez  Bleuet,  à  Paris,  ce  Précis  hiitth- 
rique^  sous  le  nom  de  ses  véritables  auteurs.  Racine  et  Boi- 
leau,  historiographes  de  France.  Cet  éditeur,  qui  ignoroit 
que  la  même  pièce  eût  déjà  été  imprimée  en  1730  et  en 
1749,  Tannonça,  dans  son  Avertissement^  comme  la  décou- 
verte récente  d'un  morceau  jusqu'alors  inconnu,  trouvé  parmi 
les  papiers  de  feu  l'abbé  Vatry,  à  qui  il  avoit  été  confié  par 
Vaiiacour.  Il  est,  dans  cette  édition  de  1784*  presque  en- 
tièrement semblable  à  celle  de  Mesnier,  de  1730;  et  on  y 
retrouve  les  dernières  pages  que  l'abbé  le  Mascrier  avoit 
jugé  à  propos  de  supprimer,  et  qui  constatent  à  quelle  oc- 
casion et  pour  quel  objet  les  deux  illustres  historiographes 
l'ont  entrepris. 

«  Nous  restituons  donc  aux  Œuvres  de  Racine  un  morceau 
qui  doit  nécessairement  en  faire  partie,  et  qui  y  paroftra 
pour  la  première  fois.  » 

Une  objection  pourrait  être  faite  à  un  passage  de  cet 
Avertissement.  Rien  ne  s'oppose  absolument  à  ce  que  Pel- 
lisson  ait  été  chargé  de  ce  travail  historique,  puisqu'il  n'était 
pas  en  complète  disgrâce  à  l'époque  où  le  Précis  a  dû  être 
écrit,  et  qu'il  suivit  Louis  XIV  pendant  les  campagnes  de  1672 
à  1678,  comme  l'attestent  ses  Lettres  historiques*^  adressées  à 
Mlle  de  Scudéri.  Tout  le  reste  de  l'argumentation  des  éditeurs  de 
1807  paraît  convaincant.  M.  Marcou,  dans  son  Étude  sur  la  vie 
et  ics  œuvres  de  PeUisson  (i  volume  in-d<*,  Paris,  1859), p.  3 149 
est  d'avis  que  la  restitution  du  Précis  faite  par  Fréron  fils  à 
Racine  et  à  Boileau  a  pour  elle  toutes  les  vraisemblances.  Il 
rappelle  qu'elle  a  été  adoptée  par  Quérard  dans,  la  France 
littéraire,  a  Comme  les  papiers  de  Pellisson  concernant  l'his- 
toire du  Roi,  ajoute  M.  Marcou,  avaient  été  portés  chez  Ra- 
cine, en  1693,  par  ordre  de  Louis  XIV,  on  ne  pourrait  déci- 
der auquel  des  deux  il  doit  être  attribué ,  si  les  caractères 
du  style  ne  semblaient  le  donner  à  ce  dernier.  Le  style  a 

I.  3  volâmes  in-ia,  Paris,  1729. 


«Se  PRÉCIS  HISTORIQUE. 

quelque  chose  de  ferme  et  de  court  qui  appartient  rarement 
À  Pellisson.  »  Les  pages  retranchées  à  dessein  par  le  Mas- 
crier  prouvent  d'ailleurs  incontestablement  que  le  Précis  his- 
torique  n'a  jamais  été  le  dixième  livre  de  ï Histoire  de  Pel- 
lisson, 

Un  des  arguments  des  éditeurs  de  1807  en  faveur  de  l'au- 
thenticité du  Précis  devient  à  peu  près  décisif,  quand,  au 
lieu  de  Fexposer,  comme  ils  ont  fait,  en  termes  trop  vagues, 
on  lui  donne  toute  sa  force.  L'ouvrage,  dont  ils  disent  seu- 
lement que  Louis  XIV  avait  agréé  le  projet,  fut  exécuté. 
Nous  l'apprenons  par  ce  passage  du  Journal  de  Dangeau 
(tome  I ,  p.  87) ,  que  ces  éditeurs  auraient  dû  citer  :  «  Di- 
manche 3i  {décentre  1684)....  Mme  de  Montespan  fit  pré- 
sent au  Roi ,  le  soir  après  souper,  d'un  livre  reUé  d'or  et 
plein  de  tableaux  de  mignature,  qui  sont  toutes  les  villes  de 
Hollande  que  le  Roi  prit  en  167:1.  Ce  livre  lui  coûte  quatre 
mille  pistoles ,  à  ce  qu  elle  nous  dit.  Racine  et  Despréaux  en 
ont  fait  tous  les  disoours ,  et  y  ont  joint  un  éloge  historique 
de  S.  M.  Ce  sont  les  étrennes  que  Mme  de  Montespan  donne 
au  Roi.  On  ne  sauroit  rien  voir  de  plus  riche ,  de  mieux  tra- 
vaillé et  de  plus  agréable.  » 

Les  dernières  lignes  du  Précis  historique  s'accordent  si  bien 
avec  ce  témoignage  de  l'exact  chroniqueur,  qu'on  croirait  dif- 
ficilement qu'ici  et  là  il  ne  fût  ]>as  question  du  même  ouvrage. 
Fréron  paraît  donc  avoir  eu  de  fort  bonnes  raisons ,  en  pu- 
bliant le  Précis^  de  lui  donner  le  titre  iï Éloge  historique  du 
roi  Louis  XIF^  et  de  nommer  Racine  et  Despréaux  comme 
en  étant  les  auteurs.  On  a  pu  remarquer  dans  le  passage  de 
Dangeau  qu'outre  cet  Éloge ,  les  deux  liistoriographes  avaient 
fait  tous  les  discours^  c'est-à^ire  sans  doute  les  descriptions 
et  explications  qui  accompagnaient  chacun  des  tableaux.  Ces 
Discours  ne  nous  ont  pas  été  conservés. 

Lorsque  les  éditeurs  de  1807  disent  que  Racine  était  celai 
«  qui  tenoit  ordinairement  la  ]ilumc,  »  et  en  concluent  qu'il 
a  seul  écrit  le  Précis ,  n'ont-ils  pas  été  un  ]ïeu  vite  ?  Rien  ne 
prouve  que  Boileau  eût  coutume  de  s'effacer  aussi  complète- 
ment qu'ils  le  prétendent  devant  son  collaborateur.  Bornons- 
nous  donc  à  regarder  comme  vraisemblable  que  la  part  qu'il 
a  prise  à  la  rédaction  du  Précis  n'at  pas  été  la  plus  grande. 


NOTICE.  :ft39 

• 

Cette  narratîoD  ^lëgante,  écrite  d'un  style  rapide,  a  surtout 
les  qualités  de  la  prose  de  Racine.  Il  éiut  convenir  du  reste 
que  pour  tous  les  écrits  auxquels  Racine  et  Boileau  ont  pu 
coopérer  dans  des  proportions  inégales,  il  restera  toujours 
un  petit  problème  qu'on  n'a  aucun  moyen  de  résoudre  com- 
plètement. Pour  ce  qui  est  du  Précis^  le  manuscrit  même,  s'il 
nous  était  rendu,  et  qu'il  se  trouvât  être  de  la  main  soit  de 
Boileau,  soit  de  Racine,  ne  déciderait  pas  entre  eux  :  cefui 
qui  aurait  tenu  la  plume  aurait  bien  pu  ne  pas  être  le  prin- 
cipal auteur.  Au  surplus,  il  est  probable  que  le  manuscrit 
confié  à  l'abbé  Vatry,  et  que  les  premiers  éditeurs  du  Précis 
ont  eu  sous  les  yeux,  était  de  l'écriture  d'un  copiste,  non  de 
celle  des  deux  historiographes,  qui  eût  sans  doute  été  recon- 
nue et  aurait  sur-le-champ  tranché  la  question  contre  Pellis- 
son.  Il  n'en  est  pas  moins  regrettable  que  cette  copie  ait  jus- 
qu'ici échappé  aux  recherches.  Elle  aurait  fixé  le  texte,  dont 
il  nous  reste  a  parler.  Les  éditeurs  de  1807  ont  négligé  de 
donner  aucun  éclaircissement  sur  la  manière  dont  ils  l'ont 
établi  ;  et  tel  qu'ils  le  donnent,  on  peut  en  affirmer  l'inexac- 
titude. 

Les  éditions  du  Précis  historique  qui  ont  précédé  la  leur 
sont  les  suivantes,  qu'ils  ont  eux-mêmes  citées  : 

1*  Campagne  de  Louis  XIV,  Par  M,  Pelisson.  Ji^ec  la  corn" 
paraison  de  François  I*^  avec  C/iaries-Quint^  par  M.  ***  (i  vo- 
lume in-ia,  à  Paris,  chez  Mesnier....  M.DCC.XXX). 

a*  Le  Livre  dixième  contenant  la  guerre  de  Hollande  Jusqu^à 
la  paix  de  Nimegue,  au  tome  III,  p.  ai!k  et  suivantes,  de 
Y  Histoire  de  Louis  XI V^  depuis  la  mort  de  Mazarin  en  1661 
jusque  à  la  paix  de  Nimegue  en  1678.  Par  M,  Pelisson^  de  VA- 
cadémie  françoise  (publié  par  le  Mascrier,  3  volumes  in-ia, 
à  Paris,  chezRoUin  fils,  M.DCC.XLIX). 

3»  Éloge  historique  du  roi  Louis  XIV y  sur  ses  conquêtes  depuis 
\^']'kjusqiien  1678, /?flr  MM^  Racine  et  Boileau  de  t Académie 
françoise  y  et  historiographes  de  France  (i  volume  in-8',  Amster- 
dam, et  se  trouve  à  Paris,  chez  Bleuet,  M.DCC.LXXXIV).  On 
le  croit  publié  par  Fréron  fils.  Le  sous-titre  de  cet  Éloge  est  : 
Précis  historique  des  campagnes  de  Louis  XIV  depuis  167*2 
jusqu'en  1678, 

Comparés  entre  eux,  le  premier  et  le  dernier  de  ce»  textes 


!i4o  PRÉCIS  HISTORIQUE. 

• 

offinent  des  variantes  très-nombreuses,  et  împcMtantes  pour 
le   style.  Dans  Y  Avertissement  que  nous   venons  de  mettre 
sous  les  yeux  du  lecteur,  il  est  dit  à  tort  que  les  éditions  de 
1730  et  de  1784  sont  a  presque  entièrement  semblables.»  Le 
texte  de  date  intermédiaire,  celui  que  le  Mascrier  a  domié 
en  i749t  se  rapproche  beaucoup  de  celui  de  17)0,  mats  est 
bien  loin  encore  d'être  identique  avec  lui.  Les  éditeurs  de 
1807  ont  suivi  surtout  Fréron,  mais  inexactement,  et  en  se 
permettant  des  changements  qui  n  ont  pu  être  qu'arbitraires. 
Le  texte  de   1784  pourrait  avoir  autant  d'autorité  que  ce> 
lui  de  17)0;  car  il  a  été  donné  d'une  manière  tout  à  fait 
indépendante  de  la  première  édition,  et,  comme  elle,  très- 
évidemment   sur  le  manuscrit,  dont   Fréron  fils  ignorait  la 
publication  antérieure:  «  On  croit,  dit  cet  éditeur  dans  son 
Jvertissement^  page  vu,  faire  un  véritable  présent  au  public 
éclairé,  en  lui  communiquant  par  la  voie  de  l'impression  ce 
manuscrit  précieux,  qui  doit  être  ajouté  aux  QEupres  de  Ra- 
cine et  de  Boileau.  »  Mais  si  les  deux  éditions   sont,   l'une 
comme  l'autre ,  immédiatement  tirées  du  manuscrit ,  on  s'a- 
perçoit bien  vite,  en  les  confrontant,  que  la  plus  ancienne  doit 
être  la  plus  fidèle.  Les  retouches,  le  rajeunissement  du  style 
sont  faciles  à  reconnaître  dans  ceUe  de  .Fréron  fils.  Il  y  a 
cependant  tel  passage  où  visiblement  le  désaccord  entre  l'é- 
diteur de   1730  et  celui  de  1784  ne  vient  que  d'une  diflSfr- 
rence  de  lecture  ;  et,  dans  ce  cas,  il  arrive  parfois  que  Fré- 
ron paraît  avoir  mieux  lu  le  manuscrit  que  son  devancier. 
Lorsqu'il  en  est  ainsi,  nous  avons  donné  la  préférence  au 
texte  de    1 784  ;  partout  ailleurs  nous   avons  suivi  celui  de 
1730.  Nous  indiquons  dans  les  notes  les  différences  des  deux 
éditions,  et  nous  y  ajoutons  celles  qui  sont  particulières  au 
texte  de  1749-  Nous  ne  saurions  dire   si  le  Mascrier  a  de 
son  côté  préparé  sur  le  manuscrit  le  texte  qu'il  donne.  Si 
l'on  pouvait  croire  qu'il  ne  se  fût  pas  borné  à  copier  l'édi- 
tion de  1730,  en  la  défigurant  quelquefois,  ses  leçons  con- 
firmeraient la  plupiirt  du  temps  l'exactitude  de  cette  première 
édition,  avec  laquelle  elles  sont  si  souvent  d'accord  ;  et  l'on 
aurait  pu  môme  examiner  si,  en  quelques  endroits,  où  son 
texte  s'en  éloigne ,  ce  texte  ne  serait  pas  préférable  aux  deux 
autres.  Mais  ce  qui  nous  paraît  le  plus  probable,  c'est  qu'il 


NOTICE.  a4i 

n'a  eu  sous  les  yeux  que  l'édition  de  1730,  et  que  ses  va-* 
riantes  ne  sont  que  des  changements  dus  à  son  caprice. 

Si,  malgré  tant  de  vraisemblances,  Ton  se  refusait  à  ad- 
mettre l'authenticité  du  Précis  historique  et  de  la  Relation  du 
siège  de  Namur,  les  travaux  auxquels  Racine  s'est  livré  du- 
rant tant  d'années  comme  historiographe  n'auraient  vérita- 
blement laissé  aucune  trace,  les  Fragments  donnés  ci-dessus, 
p.  71  et  suivantes,  n'étant  que  de  simples  notes,  à  l'exception 
de  quelques  lignes.  On  ne  pourrait  non  plus  regarder  comme 
une  œuvre  d'histoire  la  Relation  de  la  çictoire  remportée  sur  les 
aliiés  à  Nerivinde,  qui  se  trouve  dans  la  Gazette  du  la  août 
1693  (p.  399-400),  cette  courte  Relation  fût-elle  incontes- 
tablement de  Racine.  Nous  ne  croyons  d'ailleurs  pas  qu'il 
y  ait  lieu,  de  lui  donner  place  dans  notre  édition  :  les  con- 
clusions que  nous  avons  entendu  tirer  à  quelques  personnes 
de  la  lettre  écrite  par  Racine  à  Boileau  le  6  août  1693  nous 
paraissent  un  peu  forcées.  Voici,  dans  cette  lettre,  le  passage 
qu'il  s'agit  d'examiner  :  «  Il  me  vient  en  pensée  de  vous  en- 
voyer deux  lettres,  une  de  Bruxelles,  l'autre  de  Vilvorde,  et 
un  récit  du  combat  en  général,  qui  me  fut  dicté  hier  au  soir 
par  M.  d'Albergotti....  Vous  me  feriez  un  fort  grand  plaisir, 
quand  vous  aurez  lu  tout  cela ,  de  l'envoyer  bien  cacheté , 
avec  cette  même  lettre  que  je  vous  écris,  à  M.  l'abbé  Re- 
naudot,  afin  qu'il  ne  tombe  point  dans  l'inconvénient  de  l'an- 
née passée....  Il  pourra  distribuer  une  partie  des  choses  que 
je  vous  envoie  en  plusieurs  articles,  tantôt  sous  celui  de 
Bruxelles,  tantôt  sous  celui  de  Landefermé,...  tantôt  même 
sous  l'article  de  Malines  ou  de  Vilvorde.  »  Il  doit  s'ensuivre, 
nous  a-t-on  dit,  que  le  récit  de  la  bataille  de  Nerwinde  qu'on 
lit  dans  la  Gazette  est  de  Racine,  et  doit  être  recueilli  par  les 
éditions  de  ses  Œuvres.  Mais  que  trouvons-nous  dans  ce  jour- 
nal? On  y  chercherait  en  vain,  en  ce  temps-là,  les  articles 
écrits  de  Malines  et  de  Landefermé.  Dans  le  numéro  du  8  août 
il  y  a  (p.  386)  une  lettre  datée  de  Louvain,  le  3o  juillet  1693; 
une  de  Vilvorde  (même  page) ,  du  3 1  juillet  ;  et  une  de  Bruxelles, 
^us  la  même  date  (p.  387).  Chacune  de  ces  lettres  a  une 
demi-page  seulement;  la  défaite  du  prince  d'Orange  et  de 
l'électeur  de  Bavière  y  est  assez  brièvement  annoncée.  La 
Gazette  daane  ensuite,  dans  un  Extraordinaire  du  12  août 

1.  Racimb.  t  16 


a4a  PRÉCIS  HISTORIQUE.  —  NOTICE. 

(p.  389-400},  la  Relation  que  nous  avons  tout  à  l'heure  men- 
tionnée. Cette  Relation  n'est  pas  très-développée^.  Renaodot 
y  a  fait  certainement  usage  des  lettres  et  mémoires  com- 
muniqués par  Racine,  mais  en  les  arrangeant  et  les  abré- 
geant, puisqu'il  n'a  pas  reproduit  tous  les  détails  qui  sont 
dans  la  lettre  de  Racine  à  Boileau,  une  des  pièces  que  Racine 
avait  recommandé  de  lui  envoyer;  et  lors  même  que  nous 
serions  assurés  qu'il  a  tout  copié  exactement,  serait-îl  l^idoie 
de  grossir  les  Œuvres  de  Racine  d'une  relation  composée  en 
partie  d'extraits  d'une  de  ses  lettres,  que  nous  donnons  en 
son  lieu ,  en  plus  grande  partie  de  mémoires  écrits  sous  la 
dictée  d' Albergotti ,  et  auxquels  Racine  n'avait  pu  avoir  le 
temps  de  travailler,  même  pour  en  polir  le  style  ? 

I .  La  fin  de  la  Relation  (p.  400)  a  quelque  chose  d'oratoire.  Ce 
serait  le  morceau  le  plus  digne  de  quelque  attention  qn'on  j  troQ- 
▼erait ,  s^il  y  arait  de  meilleures  raisons  de  croire  que  la  Rtltti» 
tout  entière  fût  de  Racine.  Voici  cette  fin  :  «  La  perte  que  cause  anx 
alliés  cette  mémorable  journée,  jointe  à  la  prise  de  Heidelberg,  de 
Rose,  d^Huy,  et  de  la  plus  grande  partie  des  flottes  angloise  et  bol» 
landoîse  destinées  pour  Smyme,  fait  assez  voir  que  Dieu  favorise 
toujours  la  justice  de  la  cause  du  Roi  ;  et  que  si  ses  ennemis  sont 
assez  aveuglés  pour  préférer  la  continuation  d'une  guerre  si  mal- 
heureuse pour  eux  à  une  bonne  paix,  ses  sujets  auront  au  moins 
la  satisfaction  de  voir  augmenter  sa  gloire  et  les  limites  de  son 
royaume  par  de  nouvelles  conquêtes,  et  par  une  suite  de  pro^éritÀ 
qui  les  récompensera  de  ce  qu'ils  ont  été  obligés  de  contribacr 
pour  le  maintien  de  la  religion  et  pour  le  bien  de  l'État.  » 


PRÉCIS   HISTORIQUE 


DES 


CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV 

DEPUIS    167a    JUSQU^EN   1678. 

AvAifT  que  le  Roi  déclarât  la  guerre  aux  états  des 
Provinces  Unies*,  sa  réputation  avoit  déjà  donné  de  la 
jalousie  à  tous  les  princes  de  FEurope.  Le  repos  des 
peuples'  affermii  Tordre  rétabli  dans  ses  financesi  ses 
ambassadeurs  vengés,  Dunkerque  retiré  des  mains  des 
Anglois,  et  TEmpire  si  glorieusement  secouru,  étoient 
des  preuves  illustres  de  sa  sagesse  et  de  sa  conduite;  et 
par  la  rapidité  de  ses  conquêtes  en  Flandres  et  en 
Franche-Comté,  il  avoit  fait  voir  qu*il  n^étoit  pas  moins 
excellent  capitaine  que  grand  politique. 

Ainsi  révéré  de  ses  sujets,  craint  de  ses  ennemis,  ad- 
miré de  toute  la  terre,  il  sembloit  n^avoir  plus  qu*à  jouir 
en  paix  d*une  gloire  si  solidement  établie,  quand  la 
Hollande  lui  offrit  encore  de  nouvelles  occasions  de  se 
signaler,  et  ouvrit  le  chemin  à  des  actions'  dont  la 
mémoire  ne  sauroit  jamais  périr  parmi  les  hommes. 


I.  yar.  Aux  ProTinces  Unies.  (1749) 

3.  Var,  De  tes  peuples.  (1784.) 

3.  Var,  Lorsque  la  Hollande  lui  offrit  encore,  comme  nous  Ta- 
vons  dit,  de  nouYelles  occasions  de  se  signaler,  en  n^oubliant  rien 
de  ce  qui  pouvoit  attirer  sur  elle  Porage  qu'il  avoit  tenu  longtemps 
suspendu,  et  ouvrit  le  chemin  à  des  actions.  (1749*)  —  Quand  la 


244  PRÉCIS   HISTORIQUE 

Cette  petite  république^,  si  foible  dans  ses  commence- 
ments, s' étant  un  peu  accrue  par  le  secours  de  la  France 
et  par  la  valeur  des  princes  de  la  maison  de  Nassau,  étoit 
montée  à  Un  excès  d'abondance  et  de  richesses  qui  b 
rendoient  formidable  à  tous  ses  voisins.  Elle  avoit  plu- 
sieurs fois  envahi  leurs  terres,  pris  leurs  viUes  et  ravagé 
leurs  frontières;  elle  passoit  pour  le  pays  qui  savoit  le 
mieux  faire  *  la  guerre  ;  c' étoit  une  école  *  où  se  formolenl 
les  soldats  et  les  capitaines.  Les  étrangers  ^  y  alloient 
apprendre  Fart  d'assiéger  les  places  et  de  les  défendre. 
Elle  ikisoit  tout  le  commerce  des  Indes  orientales,  où 
elle  avoit  presque  entièrement  détruit  la  puissance  des 
Portugais;  elle  traitoit  d'égale  avec  TAngleterre,  sur  qui 
elle  avoit  même  remporté  de  glorieux  avantages,  et  dont 
elle  avoit  tout  fraîchement*  brûlé  les  vaisseaux  dans  la 
Tamise;  et  enfin,  aveuglée  de  sa  prospérité,  elle  com- 
mença à  méconnoître  la  main  qui  l'avoit  tant  de  fois  af- 
fermie et  soutenue^.  Elle  prétendit  faire  la  loi  à  rEorope; 
elle  se  ligua  avec  les  ennemis  de  la  France,  et  se  vanta 
qu'elle  seule  avoit  mis  des  bornes  aux  conquêtes  du  Roi. 
Elle  opprima  les  catholiques  dans  tous  les  pays  de  sa  do- 
mination, et  s'opposa  aux  commerces''  des  François  dans 
les  Indes.  En  un  mot,  elle  n'oublia  rien  de  tout  ce  qui 
pouvoit  attirer  sm*  elle  Torage  qui  la  vint  inonder. 

Hollande  lui  offrit  enoore  de  nouvelles  occasions  de  se  signaler  par 
des  actions.  (1784.) 

X .  Tout  ce  paragraphe,  depuis  :  «  Cette  petite  république,  »  jus- 
qu'à :  «  Le  Roi,  las  de  souffrir,  »  manque  dans  l'édition  de  1749- 

9.  Var.  Qui  saToit  mieux  faire.  (i784-) 

3.  Var.  C'étoit  comme  une  école.  (1784*) 

4.  ^ar.  Et  les  étrangers*  (1^84.) 

5.  Var.  Tout  récemment.  (1784.) 

6.  Ce  même  reproche  est  développé  par  Louis  XIV  lui-même 
dans  son  Mémoire  (inédit)  sur  la  campagne  de  167a,  cité  par 
M.  Rousset,  Histoire  de  Louifois,  tome  I,  p*  39i-3a3. 

7.  ^ar.  Au  commerce.  (1784O 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  a45 

Le  Roi,  las  de  souffrir  ses  insolences,  résolut  de  les  pré- 
veiiir\  n  déclara  la  guerre  aux  Hollandois  sur  le  com- 
mencement du  printemps',  et  marcha  aussitôt  contre 
eax.  Le  bruit  de  sa  marche  les  étonna.  Quelque  crimi- 
nels* qu'ils  fussent,  ils  ne  pensoient  pas  que  la  punition 
dût  suivre  de  si  près  l'offense.  Ils  avoient  peine  à  s^ima* 
giner  qu*nn  prince  jeune,  né  avec  toutes  les  grftces  de 
Tesprit  et  du  corps,  dans  l'abondance  de  toutes  choses, 
an  milieu  des  plaisirs  et  des  délices*,  qui  seinbloient  le 
chercher  en  foule,  pût  s'en  débarrasser  si  aisément  pour 
aller,  loin  de  son  royaume',  s'exposer  aux  périls  et  aux 
fatigues  d'une  guerre  longue  et  fâcheuse,  et  dont  le  suc- 
cès étoit  incertain.  Ils  se  rassuroient  pourtant  sur  le  bon 
état  où  ils  croyoient  avoir  mis  leurs  places. 

En  effet,  comme  le  tonnerre  avoit  grondé  longtemps  *, 
ils  avoient  eu  le  loisir  de  les  remplir  d'hommes,  de  mu- 
nitions et  de  vivres;  ils  avoient  fortifié  tous  les  bords  de 
rissel.  Le  prince  d'Orange,  pour  défendre  ce  passage, 
s*y  étoit  campé  avec  une  armée  nombreuse.  Le  Rhin,  de 
tous  les  autres  côtés,  couvroit  leur  pays.  L'Europe  étoit 
dans  Fattente  de  ce  qui  aUoit  arriver.  Ceux  qui  connois- 
soient  les  forces  de  la  Hollande  et  la  bonté  des  places 
qui  la  défendoient,  ne  pensoient  pas  qu'on  la  pût  seule- 


I.  Var,  Le  Roi,  las  de  souflnr  son  ingratitude,  rëtolut  enfin  de 

la  punir.  (i749-) 

».  «  Le  7  {avril  167  a),  on  publia  ici  (à  Paris)  Pordonnance  du 
Rot  par  laquelle  Sa  Majesté....  déclare  ayoir  résolu  de  faire  la 
gnnre  aux  états  généraux  des  Proyinces  Unies  des  Pays-Bas,  tant 
par  mer  que  par  terre.  »  {Gazette  du  9  arril  167a.)  Louis  XIV 
quitta  Saint-Germain  le  a8  du  même  mois;  le  5  mai  il  étoit  au 
milieu  de  Parmée,  à  Charleroi. 

3.  Var,  Quelque  coupables.  (1784O 

4.  ^ar.  Des  délices  et  des  plaisirs.  (1784.) 

5.  Far,  Loin  de  sa  cour.  (1749O 

6.  Var.  Fort  longtemps.  (1784.) 


246  PRECIS  HISTORIQUE 

ment  aborder^  ;  et  ils  publioient  que  la  gloire  du  Roi  seroit 
assez  grande  si,  en  toute  sa  campagne,  il  pouvoit  empor- 
ter une  seule  de  ces  places.  Quel  fut  donc  leur  étonne- 
menty  ou  plutôt  quelle  fut  la  surprise  de  tout  le  mondes 
lorsque  Ton  apprit  qu'il  a  voit  mis  le  siège  devant  quatre 
fortes  villes*  en  même  temps,  et  que,  sans  qu'il  eût 
fait  ni  lignes  de  circonvallation  ni  de  contrevallation,  ces 
quatre  villes  s'étoient  rendues  à  discrétion  au  premier 
jour  de  tranchée  '  ! 

Un  exploit  si  extraordinaire,  et^  si  peu  attendu,  jeta  la 
terreur  dans  tous  les  pays  que  les  Hollandois  occupoient 
le  long  du  Rhin  ;  on  apportoit  au  Roi  de  tous  côtés  les 
clefs  des  places.  A  peine  les  gouverneurs  avoient-ils  le 
temps  de  se  sauver  dans  des  barques',  avec  leurs  familles 
épouvantées ,  et  une  partie  de  leur  bagage  :  sa  marche 
étoit  un  continuel  triomphe.  Il  s'avança  de  la  sorte  jus- 
qu'auprès de  Tholus*.  Le  Rhin,  qui  en  cet  endroit  est 
fort  large  et  fort  profond,  sembloit  opposer  une  barrière 
invincible  à  l'impétuosité  des  François.  Le  Roi  pourtant 
se  préparoit''  à  le  passer  :  son  dessein  étoit  d'abord  de 


X.  Vor,  Ne  pensoient  pas  qu'on  pût  seulement  l'aborder.  (1749) 
«-  Ne  pensoient  pas  seulement  qu'on  la  pût  aborder.  (1784-) 

a.  Var,  Devant  trois  fortes  villes.  (1749.)  —  Quatre  doit  être  la 
vraie  leçon.  Il  s'agit  de  Rhinberg,  Orsoi,  Wesel  et  Burick.  Ces 
quatre  places  sur  le  Rhin  furent  prises  en  quatre  jours.  Le  Roi  était 
arrive  le  a  juin  devant  Orsoi,  qui  fut  la  première  place  assiégée. 
Celle  qui  capitula  la  dernière,  Rhinberg,  se  rendit  le  6  juin  au  matin. 
Voyez  la  Gazette  du  i3  juin  1672,  p.  5S3-564. 

3.  Var.  De  tranchée  ouverte.  (1749.) 

4.  Et  manque  dans  l'édition  de  1784* 

5.  Var.  Sur  des  barques.  (1784.) 

6.  Var.  U  s'avança  de  la  sorte  auprès  de  Toluis.  (1784.) — B<>'' 
leau,  au  vers  55  de  son  Épitre  iv,  au  Roi^  écrit  Tholut.  La  vraie  fonnf 
est  Toi'HuU  (maison  du  péage).  L'édition  de  1749  donne  Tolhuis. 

7.  Vtw,  Le  Roi  se  préparoit  cependant.  (i749-)  —  I*  ^^^  pour- 
tant se  prépare.  (1784) 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.         947 

faire*  un  pont  de  bateaux;  mais  comme  cela  ne  se  pou- 
voit  exécuter  qu'avec  lenteur,  et  que  d'ailleurs  les  enne- 
mis commencoient  à  se  montrer  sur  l'autre  bord,  il  ré- 
solut  d'aller  à  eux  avec  une  promptitude  qui  acheva  de 
les  étonner.  D  commanda*  à  sa  cavalerie  d'entrer  dans 
le  fleuve  :  l'ordre  s'exécute*.  Il  faisoit  ce  jour-là  un  vent 
fort  impétueux,  qui,  agitant  les  eaux  du  Rhin,  en  rendoit 
l'aspect  beaucoup  plus  terrible.  Il  marche  néanmoins  ; 
ancon  ne  s'écarte  de  son  rang,  et  le  terrain  venant  à 
manquer  sous  les  pieds  de  leurs  chevaux,  ils  les  font 
nager,  et  approchent  avec  une  audace  que  la  présence  du 
Roi  pouvoit  seule  leur  inspirer^.  Cependant  trois  esca- 
drons paroissent  de  l'autre  côté  du  fleuve;  ils  entrent 
même  dans  l'eau,  et  font  une  décharge  qui  tue  quelques- 
uns  des  plus  avancés,  et  en  blessent  d'autres*.  Malgré 
ces  obstacles* ,  les  François  abordent,  et  l'eau  ayant  mis 
leurs  armes  à  feu  hors  d'état  de  leur  servir'',  ils  fondent 
sur  ces  escadrons  l'épée  à  la  main.  Les  ennemis  n'osent 
les  attendre;  ils  fuient  à  toute  bride,  et  se  renversant  les 
uns  sur  les  autres,  vont  porter  la  nouvelle  jusqu'au  fond 
de  la  Hollande*  que  le  Roi  étoit  passé. 

Alors  il  n'y  eut  plus  rien  qui  osât  faire  résistance.  Le 
prince  d'Orange,  craignant  d'être  enveloppé,  abandonna 
aassi*  les  bords  de  l'Issel  ;  et  le  Roi  y  campa,  peu  de  jours 
après,  dans  ses  fortifications,  dont  le  seul  récit  jeta  l'épou- 

I.  Far,  D'y  faire.  (17%^.) 
a.  Far.  Il  commande.  (1784-) 

3.  Le  19  juin  167a. 

4.  Far.  Qae  la  présence  seule  du  Roi  pouvoit  leur  inspirer.  (i749-) 

5.  Far.  Et  en  blesse  d'autres.  (1784O 

6.  Far.  Malgré  cet  obsucle.  (1784) 

7.  Far.  Hors  d'état  de  servir.  (1749  et  1784.) 

8.  Far.  Vont  porter  jusqu'au  fond  de  la  Hollande  la  nouvelle. 

(î7»4.) 

9.  Far.  Abandonna  aussitôt.  (1784-) 


a48  PRÉCIS  HISTORIQUE 

vantée  Amheim  se  rendit;  Doësbourg  samt  son  exem- 
ple ;  le  fort  de  Sklnk*,  si  femeux  par  les  longs  sièges  qa*il 
a  autrefois  soutenus,  n'attendit  pas  l'ouverture  de  la 
tranchée.  Utrecht,  ancienne  capitale  de  la  Hollande,  en- 
voya aussitôt  ses  clefs.  Woerden'  pris,  Narden  emporté, 
tout  reçoit  le  joug,  tout  cède  à  la  rapidité  du  torrent. 
Amsterdam  commença  ^  à  trembler.  Cette  ville,  si  superbe 
dans  sa  prospérité',  maintenant  humble  dans  Tinfortone, 
songe  déjà  à  &ire  sa  capitulation.  On  voit  ses  ambassa- 
deurs, qui  quelques  mois  auparavant  donnoient*  au  Roi 
le  choix  de  la  paix  ou  de  la  guerre,  on  voit,  dis-je,  ces 
mêmes  ambassadeurs  tremblants  et  soumis  implorer  la 
clémence  du  vainqueur.  Cependant  la  désunion''  se  met 
parmi  les  chefs  de  la  Répubhque.  Les  uns  souhaitent  la 
paix;  les  autres,  dévoués  au  prince  d'Orange,  veulent 

I.  f^ar,  Jetoit  Tëponyante.  (1784*)  —  Cette  yariante  doit  #treime 
correction  de  Tëditeur,  qui  aura  mal  compris  ce  passage.  Don/,  qni 
est  ici  pour  ce  dont,  chose  dont,  ne  se  rapporte  pas  au  mot  fortifia 
cations,  mais  à  tout  le  membre  de  phrase  qui  précède.  L^^tnr 
de  1749  ne  s'y  est  pas  trompé;  mais  croyant  que  cette  phrase 
surannëe  derait  être  corrigée,  il  a  mis  :  «  et  le  Roi  j  campa,  pen 
de  jours  après,  dans  ses  retranchements.  Ce  seul  récit  jeta  Tépon- 
▼ante.  » 

a.  Le  fort  de  Skink  on  de  Schenck,  qui  défendait  la  pointe  da 
Betau,  se  rendit  à  Turenne  le  19  juin  167a,  après  trois  jours  de 
tranchée  ourerte. 

3.  f^ar.  Coeverden.  (1784.)  —  La  leçon  Woérden  est  seule  bonne. 
KoeTorden,  dans  la  prorince  de  Drenthe,  arait  été  occupé  par  le 
duc  de  Luxembourg  ayant  le  passage  du  Rhin  ;  Woérden,  qni  est 
sur  le  canal  du  Rhin,  entre  Utrecht  et  Leyde,  fit  sa  soumission, 
ainsi  que  Nafirden,  après  ce  passage.  Voyez  la  Gazette  du  la  juillet 
167a,  p.  673-684* 

4.  ^ar.  Commence.  (1784.) 

5.  F'ar,  Dans  la  prospérité.  (1784.) 

6.  Dans  les  éditions  de  1730  et  de  1749  on  lit  dopmèrent;  mais 
donnaient,  qui  est  dans  Tédition  de  1784^  nous  paraît  être  la  mue 
leçon. 

7.  f^ar.  La  division.  (1784.) 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  %^g 

empêcher  la  négociation.  Le  Pensionnaire  est  assassinée 
Ce  n'est  qne  confusion  et  que  trouble.  Le  parti  du  prince 
d*Oninge  demeure  enfin  le  plus  fort.  Ce  prince  prend 
son  temps;  et  pour  sauver  son  pays  de  Tinondation  des 
François,  ne  sait  point*  d'autre  expédient  que  de  le 
noyer  dans  les  eaux  de  la  mer';  il  làche^  les  écluses  de 
rOcéan  :  voilà  Amsterdam  au  milieu  des  eaux,  et  les 
Hollandois  sont  de  nouveau  renfermés  *  dans  le  fond  de 
ces  marais  d*où  nos  pères  les  avoient  autrefois  tirés  '. 

Tandis  que  le  Roi  poussoit  ainsi  sa  victoire  jusqu'aux 
derniers  confins  de  la  Hollande,  le  duc  d'Orléans  assié* 
geoit  Zutphen,  qu'il  prit  en  moins  de  huit  jours''.  Ni- 
mégae  se  défendit  un  peu  mieux  contre  le  vicomte  de 
Torenne.  Le  Roi  lui  avoit  donné  la  conduite  de  l'armée 
que  commandoit  le  prince  de  Condé,  qui  avoit  été  blessé 
an  passage  du  Rhin.  Nimègue  enfin  se  rendit  aux  mêmes 
conditions  que  Zutphen',  et  sa  prise,  qui  fut  suivie  de 
celle  de  Grave  et  de  Crèvecœur',  mit  tout  le  pays  ^^  sous 
le  pouvoir  des  François.  Ainsi  les  armes  du  Roi  triom- 
phoient  également  partout  ;  et  le  duc  de  Luxembourg, 


I.  Le  30  août  1679. 

).  Far,  0  ne  s^t  point.  (1749*) 

3.  f^ar.  Sons  les  flots  de  la  mer.  (1749.} 

4.  rar.  Et  lâche.  (1784.) 

5.  f^ar.  Et  les  Hollandois  se  Toîent  de  nonrean  renfermas.  (1749-) 
—  Et  les  Hollandois  tout  de  nouveau  renfermas.  (1784.) 

6.  Fiw.  Les  aToient  tires.  (1749.) 

7.  Zutphen  se  rendit  le  94  juin  1679  à  Monsieur,  qui  7  fit  son 
entr^  le  36. 

8.  Nimègue  capitula  le  9  juillet  167a. 

9.  Grave,  sur  la  Meuse,  fut  pris  par  le  comte  de  Chamillj  le 
S  juillet  167a,  par  conséquent  avant  la  capitulation  de  Nimègue. 
Le  fort  de  Crèvecœur,  qui  commandait  les  communications  de  Bois- 
)e-Dnc  avec  Pile  de  Bommel,  fut  pris  le  19  juillet.  Turenne  7  avait 
fait  ouvrir  la  tranchée  le  17. 

10.  Far.  Tout  le  Betau  et  toute  Pile  de  Bomel.  (1784.) 


aSo  PRÉCIS   HISTORIQUE 

ayant  joint  l'évêque  de  Munster,  n^eut  pas  dessaocès 
moins  glorieux  que  les  autres  capitaines.  Le  nombre  des 
prisonniers  de  guerre  étoit  si  grand,  que  les  temples  et 
les  lieux  publics  ne  pouvoient  plus  les  contenir;  et  il  y  en 
avoit  de  quoi  composer  une  armée  presque  aussi  nom- 
breuse que  celle  de  France.  Par  là  on  peut  voir  qu'il  y  a 
quelquefois  des  choses  vraies  qui  ne  sont  pas  vraisem- 
blables^ aux  yeux  des  hommes,  et* que  nous  traitons  sou- 
vent de  fabuleux,  dans  Thistoire',  des  événements  qui, 
tout  incroyables  qu'ils  sont,  ne  laissent  pas  d'être  véii- 
tables.  En  effet,  comment  la  postérité  pourra-t-elle  croire 
qu'un  prince,  en  moins  de  deux  mois^,  ait  pris  quarante 
villes  fortifiées  régulièrement;  qu'il  ait  conquis  une  si 
grande  étendue  de  pays  en  aussi  peu  de  temps  qu'il  en 
faut  pour  faire  le  voyage,  et  que  la  destruction  d'une  des 
plus  redoutables  puissances  de  l'Europe  n'ait  été  qae 
l'ouvrage  de  sept  semaines  ? 

Le  Roi  ayant  ainsi  conquis  presque  toute  la  Hollande, 
il  *  pouvoit  exercer  sur  les  villes  qu'il  avoit  prises  une  ven- 
geance légitime;  mais  la  soumission  des  vaincus  avoit 
désarmé  sa  colère.  11  y  rétablit  seulement  l'exercice  de 
la  religion  catholique.  Après  avoir  mis  partout  des  gou- 
verneurs et  des  garnisons,  il  reprit  le  chemin  de  France. 
On  lui  préparoit  des  entrées  et  des  triomphes ,  mais  il 
ne  vouloit  pas  *  les  accepter  :  il  se  contenta  des  accla- 
mations des  peuples,  et  de  la  joie  universelle  que  son 
retour  excita  dans  le  royaume. 


I.  Var,  Qui  ne  sont  point  yraisemblables.  (1784-) 
a.  Et  manque  dans  l'édition  de  1780 . 

3.  Var,  Dans  les  histoires.  (1784*) 

4.  yoar.  QuVn  moins  de  deux  mois  un  prince.  (1749.) 

5.  //  manque  dans  IVdition  de  1784. 

^*  1749  et  1784  ont  voulut^  au  Heu  de  votiloU  ;  1784  a  point ,  au 
lieu  àe  pas. 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.         aSi 

Son  absence  et  les  approches  de  Thiver  donnèrent 
ijaelque  relâche  aux  Hollandois,  à  qui  la  mer  avoit  été 
un  peu  plus  favorable  que  la  terre. 

Le  prince  d'Orange,  déclaré  généralissime  de  leurs  ar- 
mées, voulut  signaler  sa  dignité^  ;  il  sut  le  peu  d'hommes 
qu'il  y  avoit  dans  Woërden*,  et  se  servant  de  cette  oc- 
easion'f  alla  mettre^  le  siège  devant  cette  ville.  Il  s'étoit 
campé  de  telle  sorte  qu'on  ne  pouvoit  aller  à  lui  que  par 
nn  grand  marais,  où  il  y  avoit  une  chaussée  très-étroite. 
Mais  les  François,  quoique  en  petit  nombre ,  se  jetant 
dans  l'eau',  allèrent  Vattaquer  jusque  dans  les  retranche- 
ments*, au  travers  du  feu  épouvantable  que  faisoit  son 
mfanterie.  Au  même  temps,  la  garnison  de  la  ville  étant 
sortie  sur  eux,  il  s'en  fit  un  carnage  horrible,  et  tous  les 
marais  des  environs  furent  teints  du  sang  des  malheu- 
reux HoUandois.  Depuis  cette  défaite,  le  prince  d'Orange 
n  osa  plus  rien  tenter  du  côté  de  la  Hollande.  Il  ne  perd 
pas^  néanmoins  tout  à  fait  courage  :  il  va  en  Flandres 
joindre  les  Espagnols,  et  songe  avec  leurs  secours'  à 
faire  aux  François  quelque  insulte  qui  pût  en  quelque 
sorte  effacer  l'ignominie  de  son  pays.  Charleroy  semble 
loi  en  offrir  l'occasion.  Montai,  gouverneur,  avoit  eu  or- 
dre d'en  sortir  pour  aller  à  Tongres.  Le  prince  d'Orange 
propose  aux  Espagnols  de  mettre  le  siège  devant  cette 

I.  f^ar.  Sa  nouvelle  dignité.  (1784-) 

a.  Dans  Tëdition  de  1784  il  7  a  ici  Cœnden  (plushant  Coêferdên), 
—  Le  prince  d'Orange  était  arriTé  dans  la  nuit  du  10  octobre  167  a 
derant  Woérden.  Luxembourg  lui  fit  lever  le  siëge  de  cette  place, 
le  I a  octobre,  après  un  combat  acharné. 

3.  Far,  Et  se  servant  de  Pocccasion.  (1784-) 

4-  Far.  U  alla  mettre.  (1749  ^t  1784.) 

5.  Var.  Se  jetant  encore  dans  Teau.  (1784.) 

6.  Var.  Jusque  dans  ses  retranchements.  (1749  ^  17^40 

7.  Far.  Il  ne  perdit  pas.  (1784.) 

8.  Far.  Avec  leur  secours.  (1749  et  1784.) 


aSa  PRÉCIS  HISTORIQUE 

ville,  persuadé  qu'eUe  seroit  prise  avant  qu^on  fUt  en  état 
de  la  secourir.  Ce  dessein^  leur  plaît;  ils  Tiavestissent 
avec  tout  ce  qu'ils  ont  ^  de  forces.  Mais  le  Roi  s'étant  ap- 
proché de  la  frontière  avec  six  cents  hommes  seulement, 
la  terreur  se  met  dans  leurs  esprits,  déjà  rebutés*  parla 
rigueur  de  la  saison  ^.  Cette  nuée  se  dissipa  avec  la  même 
vitesse  qu'elle  s'étoit  amassée,  et  les  Espagnols  ne  rem- 
portèrent de  cet  exploit  que  la  honte  d'avoir  donné  at- 
teinte aux  traités  qu'ils  avoient  faits*  avec  la  France. 

Cependant  l'électeur  de  Brandebourg  s'étoit  mis  en 
campagne  avec  les  troupes  de  l'Empereur ',  dans  l'espé- 
rance de  faire  pour  les  Hollandois''  quelque  chose  d'é- 
clatant. Mais  le  vicomte  de  Turenne  Im'  coupa  chemin 
dans  la  Westphalie,  et  l'ayant  repoussé  dans  son  pays, 
l'obligea  à  demander  honteusement  la  paix*,  que  l'an- 
née suivante  il  rompit*  plus  honteusement  encore. 

Un  si  grand  nombre  de  victoires  entassées  les  unes 
sur  les  autres  dévoient  avoir  abattu  entièrement  le  cou- 
rage des  ennemis.  Maëstricht  ^  *  pourtant  restoit  encore  ;  et 

X.  Var,  Le  dessein.  (1784.) 

a.  Var,  Ayec  tout  ce  qu^ils  ayoîent.  (1784.) 

3.  f^ar.  Dans  leurs  troupes,  d^jà  rebuta.  (1784.) 

4.  Le  comte  de  Marcin  ayait  fait  inrestir  Charleroi  le  i5  d^oem* 
bre  167a.  Le  prince  d^Orange  y  arrira  le  17.  Le  comte  de  Montai 
rentra  dans  Charleroi  dans  la  nuit  du  i8aui9.Leaa,  dès  la  pointe 
du  jour,  toutes  les  troupes  des  assiégeants  décampèrent.  Voyez  la 
Gazette  du  3o  décembre  1679,  p.  laSi-iapa. 

5.  Var,  Au  traité  qu^ils  ayoient  fait.  (1784.) 

6.  Var,  De  TEmpire.  (1749.) 

7.  Var,  Plus  que  les  Hollandois.  (1784.) 

8.  lie  i*r  mars  1678,  les  Français  étaient  complètement  maîtres 
de  la  Westphalie.  Le  6  mars,  les  ennemis  repassaient  le  Weser  en 
désordre  ;  et  huit  jours  après,  un  envoyé  de  l'électeur  de  Brande- 
bourg se  rendait  à  Versailles  pour  négocier  un  traité  de  paix. 

9.  Far,  Qu'il  rompit  Tannée  suivante.  (1749.) 

10.  L'orthographe  de  ce  nom  est  toujours  Mastrich  dans  l'édition 
de  1780. 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIY.  aSS 

tandis  qu'ils  étoient  maîtres  d'une  ville  de  cette  réputa- 
tion, ils  ne  pouvoient  se  croire  absolument  vaincus  ^  Le 
Roi  Tavoit  déjà  comme  bloquée  par  les  postes  qu'il  avoit 
pris  aux  environs*,  où  ilpouvoit'  peu  à  peu  l'affamer  s'il 
eût  voulu;  mais  cette  manière  lente  de  faire  la  guerre 
s'acconmiodoit  peu  à  l'humeur  impatiente  d'un  conqué- 
rant. Il  résolut  d*ôter  tout  d'un  coup  aux  Hollandois  ce 
reste  d'espérance  qui  nourrissoit  leur  orgueil,  et  alla  en 
personne  l'assiéger  ^.  Les  ennemis,  qui  s'attendoient  à  ce 
siège,  n'a  voient  épargné  m'  soins'  ni  dépense.  Il  n'étoit 
parlé  que  des  grands  préparatifs  qu'ils  avoient  faits  pour 
se  mettre  en  état  de  le  soutenir.  Û  y  avoit  dans  la  place 
sept  mille  hommes  de  guerre,  et  entre  eux  des  régiments 
d'Espagnols  et  d'Italiens,  tous  vieux  soldats  dont  la  va- 
leur s'étoit  rendue  célèbre  dans  les  guerres  précédentes. 
Farjau'  les  commandoit,  ofScier  d'une  expérience  con- 
sommée, que  les  Hollandois  avoient  demandé  aux  Espa- 
gnols, et  qui  s'étoit  signalé  à  la  défense  de  Yalenciennes, 
dont  les  François  avoient  autrefois  été  contraints  de  lever 
le  siège.  Les  ennemis  s'attendoient  de  voir  la  même  chose 

1.  ^or.  Absolument  ruinés.  (1784-). 

2.  Nous  suivons  ici  les  éditions  de  1749  ^^  ^^  ^7^4 •  Celle  de 
1780  a  :  tt  aux  ennemis.  »  C'est  sans  doute  une  erreur  de  lecture. 

3.  Fiar,  Et  il  pouvoit.  (1784.)  —  L'édition  de  1749  «  ainsi  cor- 
rigé la  phrase  :  «  par  le  moyen  desquels  il  pouYoit  Taflamer  peu 
a  peu....  n 

4.  L'investissement  de  Maëstricht  fut  commencé  le  6  juin  1673 
par  le  comte  de  Lorges  et  le  comte  de  Montai.  Le  10  juin,  le  Roi 
arriva  dans  le  camp.  Voyez  la  Gazgtte  du  xo,  du  19  et  du  17  juin 
1673. 

5.  Dans  les  éditions  de  1730  et  de  1749*  U  J  ^  ni  force.  C'est 
sans  doute  on  mot  mal  lu  dans  le  manuscrit. 

6.  On  lit  Farjan  dans  les  éditions  de  1730  et  de  17491  Fanant 
dans  celle  de  1784.  —  Le  nom  du  commandant  de  Maéstricht  est 
le  colonel  Par  tau  dans  la  Gazette  f  et,  ce  qui  revient  au  mémb  pour 
Torthographe  du  temps,  Farj'au  dans  les  Lettres  historiques  de  Pel- 
litMm  (tome  I,  p.  393). 


254  PRECIS  HISTORIQUE 

à  Maëstricht.  Jamais  ville  en  effet  ne  fit  d'abord  une  ré- 
sistance plus  vigoureuse,  ni  un  feu  plus  cruel ^  et  pins 
terrible.  On  y  épuisa  de  part  et  d'autre  toutes  les  finesses 
du  métier.  Mais  que  peuvent*  la  force  et  Tindustrie  contre 
une  armée  de  François  animée  '  par  la  présence  de  leur 
roi  ?  Cette  ville  si  bien  défendue,  mieux  attaquée  encore, 
tint  à  peine  treize  jours ^.  On  se  rend  maître  des  dehors; 
toutes  les  défenses  de  la  place  sont  ruinées  :  le  Roi  y 
entre  victorieux,  et  la  garnison  se  croit*  trop  glorieuse  de 
pouvoir  sortir  tambour  battant  et  enseignes  déployées. 
La  prise  de  Maëstricht  n*étonne'  pas  seulement  les  Hol- 
landois;  elle  épouvante  encore  toute  F  Allemagne''. 

L'Empereur,  qui  avoit  déjà  en  quelque  sorte  rompa 
avec  la  France  par  les  secours  qu'il  avoit  prêtés*  à  Télec- 
teur  de  Brandebourg,  cherche  *  des  prétextes  pour  se  li- 
guer ouvertement  avec  les  Hollandois.  Il  portoit  impa- 
tiemment la  prospérité  d'un  prince  trop  redoutable  à  la 
maison  d'Autriche,  et  appréhendoit  que  ce  torrent,  ayant 
emporté  tous  les  Pays-Bas ^^,  ne  se  répandit  enfin  sur 
l'Allemagne  même.  Ainsi  la  frayeur,  la  jalousie,  etl'argent 
des  Hollandois  prodigué  à  ses  ministres,  le  déterminèrent 
à  la  guerre.  D'autre  côté,  les  Espagnols,  voyant  la  ligne 

I.  Var.  Plus  continuel.  (1784.) 
a.  Var.  Mais  que  purent.  (1784.) 

3.  ^ar.  Animes.  (1749  et  1784.) 

4.  Le  3o  juin  1678,  le  gouyemeur  de  Maëstricht  fit  hattre  It 
chamade.  «  Le  sieur  Fariau  se  prëparoit  à  en  sortir  le  lendemain, 
et  le  Roi  y  dcToit  faire  son  entrée  le  a  de  ce  mois.  »  (fi^zeUt  dn 
4  juillet  1673.) 

5.  Var.  Se  crut.  (1784.) 

6.  Far,  N'étonna.  (1784.) 

7.  Var.  Elle  épouvanta  toute  rAllemagne.  (1784.) 

8.  f^ar.  Par  le  secours  qu'il  avoit  prêté.  (1749.) 

9.  Var.  Chercha.  (1784.) 

10.  Var,  Tout  le  Pays-Bas.  (1784.)  —  Voyez  ci-dessus,  p.  8ii 
note  a. 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  255 

bien  formée  \  enorgueillis  de  la  prise  de  Narden^,  dont 
le  prince  d'Orange,  par  leur  moyen,  yenoit  de  se  res- 
saisir', songèrent  aussi  à  se  déclarer. 

Le  Roi,  instruit  du  dessein  ^  de  ses  ennemis,  se  met  en 
état  de  les  prévenir,  et  s'empare  de  la  ville  de  Trêves*. 
Alors  FEmpereur  crut  qu'il  étoit  temps  d'éclater  ;  il  ne  se 
souvient  plus  *  des  engagements  qu'Û  avoit  faits  avec  le 
Roi,  ni  du  traité  qu'il  avoit  signé.  Il  oublie  que  les  Fran- 
çois, quelques  années  auparavant,  sur  les  bords  du  Raab, 
avoient  sauvé  l'Empire  de  la  fureur  des  infidèles.  Il  fait 
des  plaintes  et  des  manifestes  remplis  d'injures,  et  pu- 
blie partout  que  le  roi  de  France  veut  usurper  la  couronne 
impériale,  et  aspirer''  à  la  monarchie  universeUe.  D  em- 
ploie enfin,  pour  le  rendre  odieux,  tout  ce  que  la  passion 
peut  inspirer  de  plus  violent  et  de  plus  aigre.  Il  fit  même 
des  protestations  dans  Vienne,  aux  pieds'  des  autels;  il 
se  montra  '  aux  chefs  de  ses  troupes,  un  crucifix  à  la 
main,  et  les  exhorta*®  à  rappeler  leur  courage  pour  dé- 
fendre la  chrétienté  opprimée.  Il  oublie  ^\  en  ce  moment, 
que  les  HoUandois  qu'il  prenoit  en  sa  protection  ^^étoient 
les  plus  constants  ennemis  de  la  religion  catholique;  et 

I.  yar.  Si  bien  formée.  (1784.) 

a.  Naerden  fat  iiiTesti  le  4  septembre  1678  par  Farmëe  du  prince 
d^Orange,  forte  de  yingt-cinq  mille  bommes  ;  la  tranchée  Ait  ou- 
Terte  le  8,  et  la  rille  prise  le  11.  Voyez  la  Gazette  du  x6  et  celle 
da  a3  septembre  1673. 

3.  Var,  Venoit  de  se  ressaisir  par  leur  moyen.  (1749O 

4-  ^or.  Des  desseins.  (1784.) 

5.  Trèrea  se  rendit  an  marqnis  de  Rochefort  le  7  septembre 
1673. 

6.  Var,  n  ne  se  sonrint  plus.  (1784O 

7.  yar.  Et  aspire.  (1749  et  1784.) 

8.  yar.  Au  pied.  (1749*) 

9.  yar.  Il  se  montre.  (1784*) 

10.  yar.  Et  les  exhorte.  (1784.) 

II.  yar,  U  oublia.  (1784.) 

la.  yar.  Sons  sa  protection.  (1784* 


tàSe  PRÉCIS  HISTORIQUE 

que  le  Roi  non-seulement  la  rétablissoit  dans  tontes  les 
places  qu'il  prenoit  sur  eux,  mais  qu'il  leur  avoit  même 
en  partie  déclaré  la  guerre  pour  défendre  deux  princes 
ecclésiastiques  de  leurs  injustes  oppressions^.  Les  plaintes 
de  l'Empereur,  toutes  frivoles  qu'elles  étoient,  ne  laissè- 
rent pas  de  faire  impression  sur  l'esprit  des  Allemands, 
naturellement  envieux  de  la  gloire  des  François.  Le  dac 
de  Bavière  et  le  duc  d'Hanover*  furent  les  seuls  qui  de- 
meurèrent neutres;  tous  les  autres  se  déclarèrent  peu  à 
peu  contre  la  France.  Ni  les  raisons  d'intérêt,  ni  les  plus 
étroites  alliances,  ne  purent  les  retenir;  et  la  plupart  de 
ces  mêmes  princes  qu'on  avoit  vus  si  tardifs  et  si  pares- 
seux à  secourir  l'Empire  contre  l'invasion  des  Turcs,  se 
hfttèrent  de  rassembler  leurs  forces  pour  s'opposer  aui 
progrès  des  François,  qu'ils  ne  pouvoient  souffrir  pour 
voisins,  et  dont  la  prospérité  commençoit  à  leur  donner 
trop  d'ombrage.  C'étoit  la  première  fois  qu'on  avoit  va 
toutes  ces  puissances  unies  de  la  sorte  avec  l'Empereur. 
L'Angleterre  même,  qui  s'étoit  liguée  avec  la  France 
pour  abattre  la  fierté  des  Hollandois,  trop  riches  et  trop 
puissants,  commença  à  regarder  d'un  œil  de  pitié  les 
Hollandois  vaincus  et  détruits,  et  quelques  mois  après  fit 
son  traité  avec  eux*. 

Jamais  la  France  ne  se  vit  tout  à  la  fois  tant  d^ennemis 
sur  les  bras  ^.  Les  Allemands  la  regardoient  déjà  comme 
un  butin  qu'ils  alloient  partager  entre  eux.  On  crut  que 

I.  F^ar,  De  leur  injuste  oppression.  (1784.) 
a.  rar.  Et  celui  d^Hanovre.  (1749.) 

3.  «  Le  19  (février  1674),  le  traite  de  paix  d'entre  le  roy  de  la 
Grand*Bretagne  et  les  ëtats  généraux  des  Provinces  Unies  fut  sign^ 
par  les  députés  de  sadite  Majesté  britannique  et  par  le  marquis  del 
FresDO,  ambassadeur  d'Espagne,  au  nom  desdits  états  génëraox.  • 
(Gazette  du  3  mars  1674 •) 

4.  Far.  Ne  se  vit  tant  d'ennemis  à  la  fois.  (X784O 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  ^57 

le  Roi  se  tiendroit  sur  la  défensive*  ;  et  les  étrangers  Tes- 
timoient  assez  heureux  s'il  pouvoit  sauver  ses  frontières 
de  rinondation  qui  les  menaçoit.  Cependant  il  méditoit 
en  ce  temps-là  même  la  conquête  de  la  Franche-Comté. 
D  s'étoit  déjà  une  fois  emparé 'de  cette  province  au  mi- 
lieu des  neiges  *  et  des  rigueurs  de  Thiver,  avec  une  vi- 
tesse qui  surprit  toute  TEurope.  Mais  comme  il  ne  Tavoit 
conquise  que  pour  forcer  ses  ennemis  à  accepter  les 
conditions  qu^il  leur  ofiroit,  il  la  leur  avoit  rendue  par  le 
traité  d^Âix-la-Chapelle.  Les  Espagnob,  devenus  sages 
pr  Texpérience  du  passé,  avoient  tout  de  nouveau  fait 
fortifier  leurs  places,  et  pensoient  les  avoir  mises  en 
état  de  ne  plus  redouter  une  pareille  insulte.  Surtout  Be- 
sançon passoit  alors  pour^  une  des  meilleures  places  du 
monde;  et  sa  citadelle',  bâtie  sur  un^roc  inaccessible, 
sembloit  n'avoir  rien  à  craindre  que  la  surprise  et  la  tra- 
hison. L'élite  de  leurs  troupes  étoic  là;  le  prince  de  Vau- 
demont  s'y  étoit  jeté  avec  plusieurs  officiers  résolus  de  se 
défendre  jusqu'aux  dernières  extrémités.  La  saison  sem- 
bloit conspirer  avec  eux.  Le  Roi  ayant  assiégé  cette  ville, 
le  temps  se  rendit  insupportable.  La  rivière  du  Doubs  *, 
qui  passe  au  pied  des  remparts,  devenue  extrêmement 
grosse  et  rapide,  il  fit  de  si  grandes  pluies''  que  dans  la 
tranchée  et  dans  le  camp 'les  soldats  étoient  dans  l'eau 
jusqu'aux  genoux.  Il  n'y  a  point  de  troupes  qui  ne  se  fus- 
sent rebutées  :  à  peine  les  soldats  pouvoient-ik  porter 

I.  Far,  Sur  la  défense.  (1784-) 

1.  f^oTm  Déjà  empare  une  fois.  (1784-) 

3.  Far.  Au  milieu  des  glaces,  des  neiges.  (1784*) 

4.  Far.  Besançon  surtout  passoit  pour.  (1749.) 

5.  Far.  Et  la  ciudelle.  (1784.) 

6.  Dans  les  trois  éditions  Torthographe  de  ce  nom  est  Doux, 

7-  Far.  Étoit  devenue  extrêmement  grosse  et  rapide,  et  il  fit  de 

ûgnmdes  pluies.  (1749O  —  Devint et  i{  fit....  (1784-) 

8.  Far.  Et  dans  les  camps.  (1784.) 

J.  Bacibb,  ▼  17 


a58  PRECIS  HISTORIQUE 

leurs  armes  ^.  Le  Roi  avolt  soin  que  Fargent  ne  leur  fût 
point  épargné;  mais  ils  ne  demandoient  que  du  soleil. 
Enfin  l'exemple  du  Roi,  qui  s'exposoit  à  tous  les  périls  et 
essuyoit  toutes  les  fatigues*  leur  fit  vaincre  ces  obstacles. 
La  ville  fut  obligée  de  se  rendre,  et  la  garnison  se  ren- 
ferma dans  la  citadelle.  On  n'en  pouvoit'  approcher 
qu'en  se  rendant  maître  du  fort  '. 

Ce  fort  ^  étoit  conmie  une  autre  citadeUe,  qu'on  ne  pou- 
voit  aborder  qu'à  découvert  et  avec  des  difficultés  incroya- 
bles. Une  poignée  de  François  entreprend  de  l'emporter 
en  plein  midi  ;  ils  grimpent  sur  le  roc  en  se  donnant  la 
main  les  uns  aux  autres;  ils  rompent  et  arrachent*  les 
palissades;  les  ennemis  prennent  Tépouvante,  et  cèdent 
plutôt  à  l'audace  qu'à  la  force.  Le  Roi  avoit  si  bien  fait 
placer  son  artillerie,  qu'elle  battoit  en  ruine  la  citadelle 
et  le  fort.  Il  la  fit  tourner  alors  contre  la  citadelle'. 
L'effet  du  canon  fut  si  prodigieux,  qu'en  peu  de  temps 
une  partie  du  roc  fut  brisée  "^  ;  les  éclats  en  volèrent'  avec 
tant  de  violence,  que  les  assiégés  n'osoient  paroître  sur 
les  remparts,  et  ne  pouvoient  même  dans  la  place  trou- 
ver un  lieu  pour  s'en  garantir  :  tellement  qu'an  bout 
de  «deux  jours  ils  furent  contraints  de  capituler  ;  et  cette 
forteresse  imprenable  fut  prise^ns  qu'il  en  contât  un  seul 
homme  aux  François*.  Dole,  Salins^^  et  toutes  les  autres 


X.  Var,  Les  armes.  (1784*) 

9.  Var,  Dans  la  citadelle,  dont  on  ne  ponToit.  (1749*} 

3.  yar.  Du  fort  Saînt-Étienne.  (1784.) 

4.  Far,  Le  fort.  (1784.)  —  5.  Vear.  Ou  arrachent.  (1784O 

6.  Var.  Contre  la  citadelle  seule.  (1784.) 

7.  Var,  En  fut  brisée.  (1784.)  —  8.  Far,  En  Tioloîent.  (1784) 

9.  Le  Roi  ëtait  arriyë  le  a  mai  1674  devant  Besançon,  investi  àh 
le  x5  avril.  Le  i5  mai,  on  signa  les  articles  de  la  capitulation  pour 
la  rille,  et  le  ai  mai  pour  la  citadelle. 

10.  Dôle  capitula  le  6  juin;  la  Feuillade  fit  ouvrir  le  s4  j^  ^ 
tranchée  devant  Salins,  et  entra  dans  la  place  le  19. 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.         aSg 

villes  de  la  province  furent  attaquées  avec  le  même  suc- 
cès, quoique  Tarmée  du  Roi  fût  si  fort  diminuée  par  les 
détachements  qu'il  avoit  été  obligé  de  faire^  que  les 
assiégés  étoient  bien  souvent,  en  nombre,  égaux ^  aux 
assiégeants. 

Voilà  donc  le  Roi  encore  une  fois  maître  de  la  Franche- 
Comté  ;  et  pour  comble  de  gloire  il  reçut  la  nouvelle  que 
le  vicomte  de  Turenne  avoit  battu  les  ennemis  à  Sintz- 
heim*.  Cependant  le  comte  de  Souches,  à  la  tète  des 
troupes  de  TEmpereur,  avoit  joint  en  Flandres  le  prince 
d'Orange  et  les  Espagnok.  Ces  trois  armées  ensemble  fai- 
soient'un  corps  de  soixante  mille  hommes,  qui  ne  se  pro- 
mettoient  ^  pas  moins  que  de  conquérir  la  Picardie  et  la 
Champagne;  mais  il  falloit  auparavant  vaincre  le  prince 
de  Condé,  qui  commandoit  Tannée  de  France.  Ce  prince 
ayant  grossi  ses  troupes  des  garnisons  de  plusieurs  places 
d'Hollande',  que  le  maréchal  de  Bellefonds,  par  ordre 
da  Roi,  avoit  fait  raser*,  se  vint  camper "^  vis-à-vis  des 
ennemis  proche  le  village  de  Senef,  et  s'étant  posté  avan- 
tageusement, les  fatigua  de  telle  sorte  qu'il  les  obligea 
de  décamper.  On  ne  fait  point  impunément  une  fausse 
démarche  en  présence  d^un  tel  capitaine.  A  peine  ils  com- 
mençoient  à  marcher,  qu'il  fond  sur  leur  arrière-garde  et 
la  taille  en  pièces.  11  poursuit  sa  victoire  ;  et  c'étoit  fait 

I.  f^ar.  Égaux  en  nombre.  (1749*) 

9.  Zinzin  dans  rëdltion  de  1780,  Seinizêim  dans  IVdition  de  1749? 
Ziatkeim  dans  celle  de  1784.  Ce  fiit  le  16  juin  1674  que  Turenne 
gagna  la  bataille  de  Sintzheim,  dans  le  Palatinat,  sur  Tarmée  du 
doc  Cbaries  de  Lorraine  et  sur  les  troupes  de  Caprara.  Voyez  la 
Gnutte  du  4  juillet  1674,  p.  6i5-63o. 

3.  Far.  Faisoient  ensemble.  (1784-) 

4-  ^«r.  Qni  ne  se  promettoit.  (1784O 

S.  far.  De  Hollande.  (1749  et  1784.) 

^.  Far,  ÀToit  fait  raser  par  ordre  du  Roi.  (1749-) 

7.  Far.  Vint  camper.  (1749-)  —  Vint  se  camper.  (1784.) 


a6o  PRÉCIS    HISTORIQUE 

de  leur  nombreuse  armée  ^  sans  que  le  comte  de  Soaches 
plaça  des  troupes  et  fit  en  diligence  mettre  le  canon'. 
Par  cette  précaution',  il  mit  ses  soldats  en  état  d'entre- 
tenir le  combat  jusqu'à  la  nuit  qui  étoit  proche.  Alors  ils 
se  retirèrent  à  grande  hâte*,  laissant  les  François  maîtres 
du  champ  de  bataille,  de  tout  le  bagage,  et  d'un*  fort 
grand  nombre  de  prisonniers*.  Les  ennemis,  honteux  de 
cette  déroute,  la  voulurent  *  faire  oublier  par  quelque  en- 
treprise plus  heureuse.  Us  vont  devant  Oudenarde,  et 
mènent  un  grand  nombre  de  travailleurs  pour  presser  le 
siège.  Ils  ne  pensoient  pas  que  le  prince  de  Condé  put 
arriver  à  temps  pour  la  secourir'';  mais  il  j  fut  presque 
aussitôt  qu'eux;  et  tout  ce  qu'ils  purent  faire,  fut*  de  se 
retirer  fort  vite  à  la  faveur  d'un  brouillard,  auquel  ce 
jour-là  ils  furent  redevables  de  leur  salut*. 

X.  Far.  De  cette  nombreiue  armëe.  (1749O 

3.  Far.  Si  le  comte  de  Souches  n'avoit  pas  plac<;  des  troupes  et 
le  canon  avec  précipitation.  (1749*)  —  Sans  une  raTÎne  où  le  comte 
de  Souches  plaça  des  troupes  et  fit  mettre  en  diligence  du  cuioo. 
(1784-)  —  Sur  la  rwfine,  dont  la  mention  a  sans  doute  été  ajoutée 
ici,  pour  corriger  la  phrase,  par  Tëditeur  de  1784*  voici  commeot 
s'exprime  Pellisson  (Lettres  historiques^  tome  U,  p.  a6o):  «  D  n^ 
a  personne  qui  n'ait  été  ëtonnë  de  voir  la  ravine  où  les  Soiset 
s'arrêtèrent  et  où  finit  l'action.  Ce  qui  s'y  passa  de  mëmorable  nous 
l'avoit  fait  conceroir  à  tous  comme  une  grande  fondrière  fort  diffi- 
cile à  passer.  Cependant,  à  dire  la  vente,  jamais  rien  ne  porta  le 
nom  de  ravine  à  si  bon  marche.  Ce  n'est  qu'un  petit  chemin  qui 
coupe  le  champ  de  bataille,  qu'on  ne  peut  pas  même  en  bon  fran- 
çois  appeler  un  chemin  creux  ;...  mais  le  grand  feu  qui  étoit  der- 
rière le  fit  paroitre  ravine.  » 

3.  Far.  Par  cette  prévoyance.  (1784') 

4*  ^or.  En  diligence.  (1749.) 

5.  Le  sanglant  combat  de  Senef  fut  livré  le  11  aont  1674  • 

6.  Far,  La  vouloient.  (1784.) 

7.  Far.  Pour  secourir  la  place.  (  1749*) — Pour  le  secourir.  (1784) 

8.  Far.  Ce  fut.  (1784.) 

9.  Les  armées  confédérées  des  Impériaux,  des  Espagnob  rt  Af* 
Hollandais  avaient  investi  Oudenarde  le  iS  aoât  1674.  Le  ai,  il> 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  261 

Ainsi  tous  ces  beaux  projets  de  conquérir  la  Picardie 
et  la  Champagne  s'en  allèrent  en  fumée,  et  ces  trois 
grandes  puissances,  jointes  ensemble,  purent  à  peine  ré- 
sister à  une  partie  des  forces  du  Roi.  Tlol  division  se  mit 
parmi  les  généraux  ^  :  ils  se  séparèrent  ;  et  le  prince  d'O- 
range, avec  le  reste  de  ses  troupes,  s'en  alla  devant  Grave 
pour  hâter  la  prise  de  cette  ville,  que  les  Hollandois  assié- 
geoient  depuis  trois  mois  avec  une  lenteur  et  une  infor- 
tune qui  les  exposoit^  à  la  risée  de  toute  l'Europe .  Us 
ne  faisoient  point  de  travaux  qui  ne  fussent  ruinés  un 
moment  après,  point  d'attaque  qu'ils  ne  fussent  repous- 
sés'. Les  choses  en  vinrent  à  tel  point  ^,  que  les  assié- 
geants alloient  devenir*  les  assiégés.  La  place  étoit  jdeine 
de  déserteurs,  qui  ne  se  croyoient  point  en  sûreté  dans 
leur  camp,  et  s'alloient  réfugier  *  dans  la  ville  ;  ils  deman- 
doient  tous  les  jours  des  suspensions  d'armes  pour  avoir 
k  liberté  d'enterrer  leurs  morts'.  Le  prince  d'Orange, 
étant  donc  arrivé,  crut  à  son  abord  que  tout  alloit  *  chan- 
ger de  face  :  il  eut  pourtant  la  douleur  de  faire'  plu- 
sieurs attaques  inutiles,  et  de  voir  périr  à  ses  yeux  ses 
meilleures  trbupes^^.Cependantl'hiverapprochoit.  Grave, 
dont  la  prise  n'avoit  pas  coûté  au  Roi  un  seul  homme,  en 


d^mperent  en  hâte  dès  la  pointe  du  jour,  à  Papproche  du  prince 
de  Condë.  Voyez  la  Gazette  du  36  septembre  1674,  p.  ioa4-io»6« 

I.  Far,  Parmi  leurs  généraux.  (1749.) 

3.  Far,  Qui  les  exposoient.  (1784.) 

3.  Far,  Où  ils  ne  fussent  repoussés.  (1784*) 

4'  Far,  Les  choses  en  vinrent  à  un  tel  point.  (1749O  —  Les 
choies  vinrent  à  tel  point.  (1784*) 

5.  Far.  Étoient  devenus.  (1784*) 

6.  Far.  Et  s'ëtoient  réfagiés.  (1784.) 

7.  Far,  D'enlever  leurs  morts.  (1784O 

8.  Far.  Crut  qu'à  son  abord  tout  alloit.  (1749.) 

9.  Far,  De  faire  luî-mdme.  (1784.) 

10.  Far.  Et  de  voir  périr  ses  meilleures  troupes.  (i749- 


!i6i  PRÉCIS  HISTORIQUE 

coûtoit  déjà  douze  mille  ^  aux  HoUandois;  et  quoique 
leur  canon  eût  presque  abattu  toutes  les  maisons  de  la 
ville,  la  plupart  des  dehors  étoient  encore  dans  leur  en- 
tier* quand  le  gouverneur*  reçut  ordre  de  capituler.  Le 
Roi,  touché  de  la  valeur  de  tant  de  braves  soldats,  et 
ayant  appris  que  la  maladie  se  mettoit  parmi  eux,  se 
voulut  pas  les  exposer  davantage  pour  une  place  qui  loi 
étoit  si  inutile^.  Le  gouverneur  fit  sa  capitulation*,  i 
telles  conditions  *  qu'il  lui  plut  d*imposer  aux  assié- 
geants ^.  Tandis  que  ces  choses  se  pa^^oient  dans  le  Pays- 
Bas*,  le  vicomte  de  Turenue  s'étant  avancé*  vers  le 
Rhin,  où  il  faisoit  tête  lui  seul  aux  armées  de  TEmperear 
et  des  confédérés,  iP*  les  chassoit  de  tous  leurs  postes,  et 
rompoit^^  toutes  leurs  mesures.  Il  les  avoit  déjà  mis  en 


'  I.  Var,  Coûtoit  dëjÀ  douze  mille  hommeft.  (1784.) 
a.  Var.  Étoient  en  leur  entier.  (1749.) 

3.  Var.  Lorsque  le  gouverneur.  (1749  et  1784.) 

4.  Var.  Qui  lui  ëtoit  inutile.  (1784.) 

5.  Var.  Fit  la  capitulation.  (1784O 

6.  Var.  A  telle  condition.  (1784.) 

7.  Le  marquis  de  Chamilly,  gouverneur  de  Grave,  avait  défendu 
vaillamment  cette  place  depuis  la  fin  de  juillet  1674,  avec  une  gar- 
nison de  quatre  mille  hommes.  Le  prince  d^Orange  vint  presser  \t 
siège  au  mois  d'octobre,  et  concentra  autour  de  Grave  la  plus 
grande  partie  de  son  armée.  Le  la  octobre,  le  Roi  envoya  au  gou- 
verneur Tordre  de  capituler.  «  On  capitula  le  a 6  {octobre  1674),  ^ 
les  articles  furent  signés  le  37.  Le  a 8,  les  troupes  françoises  sorti- 
rent avec  tout  leur  bagage,  tambour  battant,  mèche  allumée  par 
les  deux  bouts,  balle  en  bouche,  enseignes  déployées. ...  Sa  Majestr 
ne  voulut  pas  recevoir  des  preuves  extrêmes  du  zèle  que  ses  sujett 
ont  pour  son  service,  et  que  les  soldats,  les  officiers  et  le  marquis 
de  Chamilly  avoient  résolu  de  donner  en  cette  occasion.  »'  {Gatetif 
du  10  novembre  1674,  p.  1187  et  xi4i*) 

8.  Var.  Aux  Pay^-Bas.  (1749.) 

9.  Var.  S'étoit  avancé.  (1784.) 

10.  //  manque  dans  IVdition  de  1749. 

11.  11  les  chassoit...,  il  rompoit.  (1784*) 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  t263 

faîte  à  Ladenbourg^;  et  après  que*  les  habitants  de 
Strasbourg  leur  eurent  donné  passage  sur  leur  pont,  il 
avoit  encore  été  à  Ensheim,  où  il  avoit  défait  leur  avant- 
garde»  et  les  avoit  contraints  de  se  retirer'.  Enfin  leurs 
armées  s'étant  grossies^  des  troupes  de  Fclecteur  de 
Brandebourg  et  de  celles'  des  ducs  de  Zell,  ce  déluge 
d*AUemands  se  répandit  de  tous  côtés  dans  la  Haute- 
Alsace,  résolus  d'y  prendre  les  quartiers  d'hiver*,  et  de 
fondre  à  la  première  occasion  dans  la  Franche-Comté. 
Le  vicomte  de  Turenne,  avec  un  petit  nombre  de  troupes 
fatiguées,  n'étoit  point  en  état  de  les  arrêter  ;  mais  dans 
ce  temps-là  même  il  reçut  un  détachement  considérable 
que  le  Roi  avoit  fait  heureusement  partir^  de  Flandres 
aussitôt  après  la  levée  du  siège  d'Oudenarde.  Avec  ce  se- 
cours, le  vicomte  de  Turenne,  malgré  les  rigueurs'  et  les 
incommodités  de  la  saison,  fait  une  marche  effroyable  '  au 
travers  des  montagnes  de  Yauge^',  et  se  présenta^*  tout 
ci*un  coup  à  eux.  U  renverse  tout  ce  qui  se  présente  ^'  à  son 


I.  On  lit  Lwcêmbourg  dans  les  éditions  de  1780  et  de  17491  l^fuo'm^ 
bourg  dans  celle  de  1784;  mais  nous  aTons  dû  corriger  ces  fautes. 
Il  s'agit  de  Ladenbourg  sur  les  bords  du  Neckar.  Le  duc  de  Lor- 
raine et  le  comte  de  Caprara,  qui,  renforcés  par  Boumonville  et 
par  Télecteur  palatin ,  avaient  pris  position  entre  Ladenbourg  et 
Manbeim,  se  retirèrent  précipitamment  jusqu*au  nord  du  Mein,  à 
rapproche  de  Turenne. 

a.  Var.  Et  depuis  que.  (1784.)  —  3.  Le  4  octobre  1674. 
\.  Far.  Enfin  leur  armée  sVtant  grossie.  (1784.) 

5.  Dû  celtes  manque  dans  l'édition  de  1749* 

6.  Far.  Résolus  d'y  prendre  des  quartiers  d'hiver.  (i749')  — 
Résolut  d'y  prendre  ses  quartiers  d'hiver.  (1784.) 

7.  Var.  Avoit  heureusement  fait  partir.  (1749.) 

8.  Var.  Malgré  la  rigueur.  (1749») 

9.  Var,  Fait  une  marche  étonnante.  (1749.) 

10.  On  lit  de  Vauge^  et  non  des  Vosges^  dans  les  trois  éditions. 

II.  Var,  Et  se  présente.  (1749  et  1784.) 
la.  Var,  S'offre.  (1784,) 


!i6/|  PRÉCIS  HISTORIQUE 

passage,  et  lear  enlève  des  régiments  tous  entiers^.  Li 
terreur  et  la  division  se  mettent  dans  leur  armée  ;  vingt 
mille  hommes  en  chassent  cinquante  mille  ;  toute  cette 
multitude  repasse  le  Rhin  en  désordre,  entraîne'  avec 
elle  six  mille  hommes  de  renfort  qu'elle  rencontre,  et 
qui,  au  lieu  de  lui  faire  rebrousser  chemin,  deviemient 
eux-mêmes  les  compagnons  de  leur  fuite  '. 

La  fortune  ne  favorisoit  pas  moins  les  François  sur 
mer.  La  flotte  des  HoUandois,  délivrée  de  la  crainte  des 
Anglois,  et  forte  de  plus  de  cent  voiles,  après  avoir  vai- 
nement couru  le  long  des  côtes  de  France,  avoit  toomé 
enfin  ses  projets  du  côté  de  TAmérique;  mais  elle  ne  fut 
pas  plus  heureuse  dans  le  Nouveau-Monde  que  dans  Tan- 
cien;  car  ayant  assiégé  la  Martinique,  elle  fut  contrainte 
de  lever  honteusement  le  siège  ^.  Elle  revint  de  ce  long 
voyage  sans  avoir  fait  autre  chose  que  de  donner*  des 
preuves  de  sa  foiblesse.  Il  n'en  alla  pas  de  même*  de  lai^ 
mée  navale  de  France  sur  la  mer  Méditerranée^.  Les  Mes- 
sinois,  en  Sicile,  avoient  secoué  le  joug  d'Espagne;  onles 
environne'  aussitôt  de  tous  côtés  :  Messine  f\it  bientôt 
affamée;  ses'  malheureux  habitants  étoient  déjà  réduits 

1.  «  Tous  entiers  »  est  dans  le  texte  de  Pëdition  de  1730;  les 
antres  éditions  ont  :  «  tout  entiers.  »  —  Ce  fut  à  Mulhausen,  Ir 
29  décembre  1674,  que  Turenne  mit  ainsi  en  déroute  la  cavalerie 
de  l'Empereur  et  celle  du  duc  de  Lorraine. 

2.  Far.  Et  entraîne.  (1784.) — 3.fflr.  De  sa  fuite.  (1749  et  1784) 

4.  Le  90  juillet  1674.  C'ëtait  Ruytcr  qui  arait  opérë  la  descente 
à  la  Martinique.  Ses  troupes  furent  forcées  de  regagner  leurs  Tais- 
seaux,  et  il  revint  en  Europe  sans  avoir  rëparé  son  ëchec.  Voyei 
dans  la  Gazette  du  30  décembre  1674,  Tarticle  intitulé  :  ta  retraite 
honteuse  du  lieutenant  amiral  Rtifter  de  tisle  de  la  Martinique. 

5.  Var.  Que  donner.  (1784.) 

6.  Var.  U  n'en  fut  pas  de  même.  (1784.) 

7.  Var.  Sur  la  Méditerranée.  (1784.) 

8.  Var.  On  les  environna.  (1784.) 

9.  Il  y  a  ces  dans  IVdition  de  1730. 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  a65 

à  manger  des  cuirs.  Enfin,  résolus  de  périr  plutôt  que  de 
rentrer*  sous  le  gouvernement  tyrannique  d'une  nation 
qui  ne  pardonne  jamais,  ils  arborèrent  Tétendard  de 
France,  et  implorèrent'  le  secours  du  Roi'.  Il  y  envoya 
quatre  vaisseaux  et  six  cents  hommes  de  guerre^,  avec 
ordre  de  se  saisir  des  châteaux  qui  commandent  la  ville'. 
U  s'assure  ainsi'  des  Messinois,  et  en  même  temps  fait 
partir^  le  duc  de  Vivonne,  général  des  galères.  Ce  gé- 
néral' trouvant  la  flotte  espagnole  à  la  vue  de  Messine, 
3  l'attaque  et  la  met  en  fuite',  et  entre  triomphant  dans 
la  ville  *^.  On  ne  sauroit  concevoir  la  joie  de  ce  misérable 
peuple,  qui  se  voyoit  délivre  ^^  dans  le  temps  qu'il  n'avoit 
plus  devant  les  yeux  que  Tirnage  des  supplices  et  de  la 
mort.  Ses  exclamations  et  ses  transports  faisoient  assez 
voir  qu'ils  croyoient  devoir  au  Roi  quelque  chose  plus 
que  la  vie**. 
Ainsi  la  victoire  menoitles  François  par  la  main*'  dans 

I.  Var.  Que  de  tomber.  (1784.) 

a.  Var.  Il»  arborent et  implorent.  (1749O 

3.  L'insurrection  de  Messine  éclata  le  7  juillet  1674.  Les  Messî- 
DOIS  envoyèrent  une  dëputation  à  Paris  pour  implorer  la  protection 
de  Louis  XIV. 

4.  Sous  le  commandement  du  chevalfer  de  Valbelle. 

5.  Fiir.  Qui  commandoient  à  la  ville.  (1784O 

6.  f^ar.  Il  s'assure  aussi.  (1784.) 

7.  Far.  Fit  partir.  (1784.)  —  8.  f^ar.  Le  duc.  (1749.) 

9.  For à  la  vue  de  Messine,  l'attaque,  la  met  en  fuite.  (1784.) 

10.  Le  duc  de  Vivonne,  parti  de  Toulon  le  19  janvier  1675,  se 
trouva  le  II  février  à  la  vue  dès  ennemis,  qui  se  retirèrent.  Il  put 
opérer  son  débarquement,  et  fut  reçu  des  habitants  de  Messine 
comme  un  libérateur.  Voyezla  Gazette  du  i5  mars  167$,  p.  161-171. 

II.  Le  mot  JéGvre'y  que  donne  l'édition  de  1784*  est  omis  dans 
celle  de  1730.  L'édition  de  1749  ^  ainsi  rempli  la  lacune:  «  qui  se 
▼oFoit  si  efficacement  secouru.  » 

13.  «  Quelque  chose  plus  »  est  le  texte  de  1780;  les  autres  édi- 
tions portent  :  «  quelque  chose  de  plus.  » 
i3.  For.  Comme  par  la  main.  (1784.) 


a66  précis  historique 

tous  les  pays  des  Espagnols,  qnî  avoient  même  bien  de 
la  peine  ^  à  se  défendre  du  côté  de  la  Catalogne,  où  ils 
avoient  été  repoussés  plusieurs  fois  au  delà  des  Pyrénées. 
Toutefois  ces  orgueilleux  ennemis',  voyant  la  France  des- 
tituée du  secours  de  ses  alliés,  ne  désespéroient  pas'  de 
se  racquitter  de  leurs  pertes.  En  effi^,  les  Suédois,  qui 
étoient  les  seuls  qui  tenoient  pour  elle,  n*avoient  pas  en 
des  succès  plus  heureux  ^  contre  l'électeur  de  Brandebourg. 

Les  Espagnols  firent  donc  de  nouveaux  efforts  .  ils  at- 
tendoient*  à  la  prochaine  campagne  de  se  venger'  de 
tous  les  affronts  qu'ils  avoient  reçus  ;  mais  à  peine  le  prin- 
temps parut,  qu'ils  se  virent  encore  dépouillés  d'une  de 
leurs  meilleures  provinces  par  la  prise  de  Limbourg\ 
Le  Roi,  s'étant  emparé  de  Dinant  et  de  Huy^,  empoita 
cette  place  avec  sa  promptitude  ordinaire,  avant  que  les 
ennemis  fussent  en  état  de  s'opposer  à  ses  desseins. 

La  fortune  néanmoins  sembla  un  peu  balancer  du  côté 
de  l'Allemagne.  Le  vicomte  de  Turenne,  allant  recoa- 

I.  Var.  Qui  avoient  même  beaucoup  de  peine.  (1749O  —  ^ip^ 
avoient  même  de  la  peine.  (1784*) 

3.  Var,  Cependant  ces  ennemis.  (1749 •) 

3.  Var.  Ne  désespéroient  pas  encore.  (X784*) 

4.  Var,  N'avoient  eu  que  des  succès  malheureux.  (1749-)  —  ^*- 
voient  pas  eu  des  succès  heureux .  (1784.) 

5.  Var:  Ils  s^attendoient.  (i749-)  —  6'  '^«w-  Pour  se  venger.  {1784) 

7.  Le  10  juin  1675,  le  marquis  de  Rochefort  arriva  devant  Lim- 
bourg,  quUl  investit.  La  place  capitula  le  31  jum;  le  a  a,  les  troupes 
du  Roi  prirent  possession  de  la  vÛle  et  du  château.  Voyez  la  Gauitt 
du  la  et  du  a8  juin  1675. 

8.  «  Le  maréchal  de  Créqui  sVtant  présenté  devant  Dinant,  le 
19  de  ce  mois  {nuù,  1675),  la  ville  ouvrit  d^abord  ses  portes....  Le 
a9  du  passé  {mai  1675),  le  château  de  Dinant  se  rendit,  après  sept 
jours  de  tranchée  ouverte.  »  (Gazette  du  i"' juin  et  du  8  juin  1675.) 
—  «  Après  la  prise  de  Dinant  sur  la  Meuse,  le  siège  de  Huj,  sor  la 
même  rivière,  fut  aussitôt  résolu.  Le  manjuis  de  Rochefort....  ar- 
riva devant  la  place  le  i*'  de  ce  mois  (juin  1675)....  Le  7*,  la  gar- 
nison impériale  en  sortît.  »  (Gazette  dn  1 5  juin  1676.) 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  467 

noitre  une  hauteur,  sur  le  point  de  donner  bataille,  est 
emporté  d^un  coup  de  canon*.  L'armée  françoise  étoit 
alors  avancée^  dans  le  pays  ennemi;  et  toute  l'Europe 
la  crut  perdue  par  la  perte  d'un  chef  de  cette  importance, 
qni  étoit  mort  sans  communiquer  ses  desseins. 

Les  ennemis  s'attendoient  de  Texterminer*  toute  ei^ 
tière,  et  ne  croyoient  pas  qu^un  seul  des  François  leur 
pût  échapper^.  Toutefois  le  comte  de  Lorges  et  le  marquis 
de  Vaubrun,  lieutenants  généraux,  qui  en  avoient  pris  la 
conduite,  ne  s'étonnèrent  point.  Ils  rassurent'  les  soldats 
affligés  de  la  mort  de  leur  général ,  mais  animés  d'un 
juste  désir  de  la  venger,  aussitôt  se  rapprochent*  du 
Rhin,  et  se  mettent  en  devoir  de  le  repasser ''. 

Par  là  ils  obligent  les  ennemis  à  sortir  de  leur  camp 
pour  les  charger  dans  leur  retraite*.  Alors  ils  marchent 
à  eux,  et  rompent  leur  arrière-garde.  L'armée  françoise 
se  retire  en  bon  ordre,  et  rapporte  au  deçà*  du  Rhin 
les  dépouilles  et  les  drapeaux  de  ceux  qui  prétendoient 
loi  en  empêcher  le  passage.  Peu  de  temps  après,  le  prince 
deCondé,  par  ordre  du  Roi,  partit  de  Flandres**  pour  aller 
prendre  le  commandement  de  Tarmée  ^*.  La  présence  et 

I.  Le  37  juillet  1675,  près  du  village  de  Sasbach. 
î.  Vor.  Étoit  alors  fort  avancée.  (1784) 

3.  Var.  S'attendoient  à  Texterminer.  (1784O    • 

4.  Vv.  Pût  leur  échapper.  (i749-) 

5.  Var.  Ils  rassurèrent.  (1784) 

6.  Var.  En  môme  temps  ils  se  rapprochent.  (1749-)  —  Aussitôt 
ils  se  rapprochent.  (1784.) 

7.  Var.  En  état  de  le  repasser.  (1749O 

8.  Au  pont  d'Altenheim,  entre  la  Schulter  et  le  Rhin.  Le  com- 
bat d'.\ltenheim  fut  livré  le  i*'  août  1675.  Le  marquis  de  Vaubrun 
y  fat  tué  ;  le  comte  de  Lorge  s*y  couvrit  de  gloire. 

9.  «Au  deçà  M  est  le  texte  de  1780;  les  autres  éditions  ont: 
«  en  deçà.  » 

10.  Var.  Partit  de  Flandres  par  ordre  du  Roi.  (1749O 

if .  Vwr.  lie  commandement  de  l'armée  en  Allemagne.    1749* 


a68  PRÉCIS    HISTORIQUE 

la  réputation  de  ce  prince  achevèrent  de  rétablir  tontes 
choses.  Le  comte  de  Montécucnli,  qui  avoit  passé  le 
Rhin  à  Strasbourg,  à  la  tête  de  trente  mille  hommes, 
sembla  n*étre  entré  en  Alsace  que  pour  y  faire  une  montre 
inutile  de  son  armée  ;  car  après  avoir  tenté  vainement 
le  siège  de  deux  villes \  il  se  retira;  et  les  Allemands  Ta- 
rent encore  obligés,  pour  cet  hiver,  d'aller  loger  sur  les 
terres  de  leurs  alliés.  Bien  que'  la  retraite  des  François 
ne  (bt  pas  une  de  leurs  moins  vigoureuses  actions,  néan- 
moins ils  s'étoient  retirés,  et  c^étoit  assez'  pour  enfler  le 
courage  des  ennemis  ^  qui  avoient  toujours  fui  devant  eux. 
Les  Espagnols  en  triomphèrent*  dans  leurs  rdations; 
mais  le  Roi  rabaissa  bientôt  cet  orgueil  par  la  prise  de 
Condé,  qu'il  emporta  d'assaut  au  commencement  de  la 
campagne'.  Le  prince  d'Orange,  justement  alarmé  de 
cette  conquête,  s'avança^  à  grandes  journées  pour  se- 
courir Bouchain,  que  le  duc  d'Orléans  assiégeoit*.  lise 
campe'  sous  le  canon  de  Valenciennes;  mais  le  Roi.se 
met^^  entre  lui  et  le  duc  d'Orléans.  Bouchain  est  pris" 

I.  F'ar.  De  deux  place».  (1749.)  —  Ces  deux  places  sont  Hagne- 
nau  et  Sareme.  Le  comte  de  Mont^cuculli  investit Haguenau  le  19  août 
1675;  il  fit  battre  la  place  le  so  et  le  ai  avec  trente-deux  pièces  dr 
canon.  Il  leva  le  si^ge  le  a  a  août,  au  bruit  de  la  marche  du  princf 
de  Condé.  Voyez  la  Gazette  du  3i  août  et  celle  du  4  septembre  167$. 
Le  I  a  septembre,  Tarmëe  impériale  marcha  pour  investir  Saverne. 
Le  14,  le  comte  de  MontécucuUi  changea  de  dessein.  U  fit  sommer 
le  commandant  de  Saveme  de  se  rendre,  puis  abandonna  le  si^. 
Voyez  la  Gazette  du  ai  septembre  167$. 

a.  Far.  Quoique.  (1749.)  —  3.  ^ar.  Et  c'en  étoil  assez.  (1749) 
4.  ^ar.  Aux  ennemis.  (1749.) —  5.  Var,  Entriomphoient.  (1784) 

6.  Le  Roi  était  arrivé  le  ai  avril  1676  au  camp  devant  Condé. 
Le  gouverneur  se  rendit  avec  sa  garnison  dans  la  nuit  du  a5  au 
a6  avril.  Voyez  la  Gazette  du  a5  avril  et  celle  du  9  mai  1676. 

7.  Var.  S'avance.  (1749  *t  17840 

8.  yar.  Qu'assiégeoit  le  duc  d'Orléans.  (1784.) 

9.  Far.  U  campe.  (1784.)  —  10.   Far,  Se  mit.  (1784.) 

I I .  Monsieur,  assisté  du  maréchal  de  Créqui  et  de  Vauban,  in- 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  169 

sans  que  le  prince  d'Orange  ose  sortir  de  dessous  les 
remparts  qui  le  couvrent*  ;  et  il  semble  ne  8*étre  appro- 
ché de  si  près*  que  pour  être  spectateur  des  réjouissances 
que  fit  Tarmée  du  Roi  pour  la  prise  de  cette  place. 

Voyons  maintenant  ce  qui  se  passe  sur  la  mer.  Le  duc 
de  Vivonne  avoit  pris  la  forteresse  d'Agouste  '  :  c'est  un 
des  plus  fameux  ports  de  la  Sicile.  Les  Espagnols  effrayés 
ont  recours  aux  HoUandois.  Ruyter  reçoit  ordre  de 
passer  le  détroit.  Quelle  apparence  que  les  François 
paissent  tenir  la  mer  devant  les  flottes  d'Espagne  et  de 
Hollande  jointes  ensemble,  et  commandées  par  un  capi- 
taine de  cette  réputation?  La  fortune  toutefois^  en  dé- 
cida d'une  autre  sorte*.  Duquesne,  lieutenant  général, 
ayant  deux  fois  rencontré  les  ennemis,  eut  toutes  les  deux 
fois  de  l'avantage*;  et  Ruyter,  au  second  combat,  reçut 
une  blessure  dont  il  mourut  peu  de  jours  après''.  Cétoit 
la  plus  grande  perte  que  les  Hollandois  pussent  faire. 
Aussi  le  duc  de  Vivonne,  qui  étoit  alors  dans  Messine, 

vesdt  BoQchain,  le  9  mai  1676.  Le  11  mai,  le  gouverneur  demanda 
à  capituler.  Le  lendemain  la,  la  garnison  fut  conduite  à  Saint-Omer 
STec  armes  et  bagages.  Voyez  la  Gazette  du  ai  mai  1676,  p.  369-387. 

I.  F'ar.  Qui  le  couvroient.  (1784*) 

a.  Far.  Ne  s'être  approche  si  près.  (1784.) 

3.  Le  duc  de  Vivonne  arriva  le  17  août  167$  à  la  vue  du  port 
d\\gosta.  Le  commandant  du  fort  capitula  le  même  jour.  Voyez, 
dans  la  Gaxette  du  10  octobre  1675,  p.  737'747,  la  Relation  de  la 
nrite  tCjigouâta» 

4-  La  fortune  cependant.  (1749.) 

5.  For.  En  décida  autrement.  (x784-) 

6.  Tôt.  Eut  toutes  les  deux  fois  l'avantage.  (1784.) 

7.  Le  7  janvier  1676,  les  deux  flottes  s'étaient  trouvées  en  pré- 
sence dans  les  eaux  de  Stromboli.  Duquesne  attaqua  le  même  jour 
les  vaisseaux  hollandais.  Les  ennemis  se  retirèrent  le  xo  à  Melazzo. 
Voyez  la  Gaxette  du  7  mars  1676.  Le  a  3  avril  de  la  même  année,  les 
flottes  se  rencontrèrent  entre  Catane  et  Agosta.  Ruyter  fut  blessé 
(Uns  le  combat.  Il  mourut  le  a  mai  1676,  le  dixième  jour,  des  blés- 
»ares  qu'il  avait  reçues.  Voyez  la  Gazette  du  1 3  et  du  16  juin  1676. 


270  PRÉCIS  HISTORIQUE 

crut  qu'il  se  falloit  hâter  de  profiter  de  cette  mort,  et 
du  trouble  qu'elle  avoit  sans  doute  jeté^  parmi  les  en- 
nemis. 

Dès  que  Tannée  eut  pris  un  peu  de  repos,  il  se  met  en 
mer',  et  il  les  va  chercher',  résolu  de  les  combattre  par- 
tout où  il  pourroit  les  trouver.  Leur  flotte  étoit  à  Tancre 
devant  Palerme.  Les  ennemis  le  reçoivent  d'abord  avec 
assez  de  résolution;  mais  ils  n'avoient  point  de  chef  à 
opposer  au  duc  de  Vivbnne.  Les  François  les  pressent  de 
tous  côtés  ;  ils  les  poursuivent  jusque  dans  le  port  :  ja- 
mais on  ne  vit  une  déroute  et  un  fracas  si  épouvantable  \ 
Les  vaisseaux  foudroyés  par  le  canon,  ou  embrasés  par 
les  brûlots',  sautent  en  Tair*  avec  toute  leur  chaire,  et 
retombant  sur  la  ville,  en  écrasent  ou  brûlent  une  partie 
des  maisons'.  Enfin  le  duc  de  Vivonne,  après  avoir  ainsi 
mis  en  cendres'  ou  coulé  à  fond  quatorze  vaisseanx  et* 
six  galères,  tué  près  de  cinq  mille  honunes,  entre  antres 
le  vice-amiral  d'Espagne,  et  mis  le  feu  dans  Païenne,  re- 
tourna à  Messine,  d'où  il  envoya  au  Roi  les  nouvelles  de 
cette  victoire,  la  plus  complète  que  les  François  rempor- 
tèrent jamais  sur  mer*®. 


I.  Var,  Jet^  sans  doute.  (1749.) 

a.  Var,  Ils  se  mettent  en  mer.  (1784O 

3.  Var,  Il  se  met  en  mer,  va  les  chercher.  (1749.) 

4*  Var,  Si  épouvantahles.  (1784.) 

5.  Var,  Foudroyés  ou  embrases  par  le  canon.  (1749*) 

6.  Var.  Sautant  en  Tair.  (1784) 

7.  Var,  Écrasent  et  brûlent  une  grande  partie  des  maisons,  [yfik- 

8.  Var,  Après  aroir  mis  en  cendres.  (1749.) 

9.  Et  manque  dans  les  éditions  de  1780  et  de  1749;  la  premierr 
de  ces  éditions  Ta  mis  dans  la  même  phrase  derant  en/re  auJtrtts  ou 
il  n^est  pas  nécessaire. 

10.  Yojez  dans  la  Gazette  du  33  juin  1676^  p.  ^Bi^^J^M  ^' 
tion  du  combat  naval  et  de  la  victoire  remportée  U  a*  juin  (1676)  p^ 
t armée  du  Rojr^  sous  le  commandement  du  maréchal  duc  de  Vivomut 
viceraj  de  Sicile^  sur  les  flottes  et  Espagne  et  de  Hollande  mouillées  à  U 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  271 

Cependant  le  prince  d'Orange,  las  de  n  être  que  le 
spectateur  des  victoires  de  ses  ennemis,  forme  ^  enfin  un 
dessein  qui  devoit  faire  oublier  toutes  ces  disgrâces*. 
Maêstricht  étoit  la  place  qui  incommodoit  le  plus  les 
HoUandois,  à  cause  des  contributions  que  sa  garnison  le* 
voit  jusqu'aux  portes  de  Nimègue  :  il  va  l'assiéger ',  et 
voyant  l'armée  françoise  fort  éloignée,  il  s'apprête  à  faire 
les  derniers  efforts  pour  s'en  emparer.  Le  Roi  apprit  la 
nouvelle  de  ce  siège  à  Saint-Germain  :  il  songea  aussitôt 
à  profiter  de  l'imprudence  de  ses  ennemis;  et  tandis 
qu'ils  consommoicnt  leurs  armées  ^autour  de  Maêstricht, 
il  donna  ordre  *  au  maréchal  d'Humières  d'aller  assiéger 
Aire".  Comme  cette  ville  est  une  des  plus  importantes 
places  des  Pays-Bas"',  on  crut  d'abord  que  désespérant 
de  sauver^  Maêstricht,  il  vouloit  contre-balancer  sa 
perte  par  la  prise  d'une  ville  '  non  moins  forte,  et  beau- 
coup plus  à  sa  bienséance.  Mais  il  avoit  bien  de  plus 
grands  desseins*®;  et  connoissant,  comme  il  faisoit,  l'état 
de  ses  places  et  la  valeur  de  ses  troupes,  il  ne  douta  point 


it 


rade  de  Palerme,  H  y  est  dit  que  les  ennemis  ont  perdu  «  douze 
corps  de  leurs  plus  grands  vaisseaux,  six  galères,  sept  cents  pièces  de 
canon,  plus  de  cinq  mille  hommes.  » 

I.  Var,  Forma.  (1784.)  —  a.  Var.  Toutes  ses  disgrâces.  (1784.) 

3.  n  en  commença  TinTCStissement  le  7  juillet  1676. 

4.  Far,  Qu'ils  consumoient  leur  armëe.  (1749O  —  Qu'ils  ëpui» 
soient  leurs  armées.  (1784.) 

5.  Var.  n  donne  ordre.  (1749-) 

6.  L'ëdition  de  1780  nomme  par  erreur  ici  et  plus  bas  Ath^  att 
lien  ^Aîre, 

7.  Far,  Une  des  plus  importantes  des  Pajs-Bas.  (1749O  —  Une 
des  plus  importantes  places  du  Pays-Bas.  (1784.) 

8.  Far,  Que  désespëralit  en  quelque  sorte  de  sauver.  (1784-) 

9.  Far.  D'une  place.  (1749*) 

10.  Far^  Des  desseins  bien  plus  grands.  (1749.) 

II.  LVdition  de  1780 porte  :  «  il  ne  doute  point,  m  Mais,  la  phrase 
ëtant  incorrecte  ainsi,  on  doit  penser  que  Pëditeur  de  17844  qui  a 
donne  «  douta,  »  a  mieux  lu.  Dans  iVdîition  de  17491  ii  y  si  doutait. 


372  PRÉCIS  HISTORIQUE 

qu'après  avoir  pris  Aire,  son  armée  n  eût  encore  assez 
de  temps  pour  aller  secourir  Maëstricht.  La  chose  réussit 
comme  il  se  Tétoit  imaginée  contre  toutes  les  apparences 
humaines,  et  la  ville  se  rendit  au  cinquième  jour  de  tran- 
chée ouverte*.  Aussitôt  le  maréchal  de  Schomberg  eut 
ordre  de  marcher  vers  Maëstricht.  LesHoUandois,  contre 
leur  ordinaire,  y  avoient  fait  des  actions  d^une  fort 
grande  valeur  *  ;  et  *  le  prince  d'Orange  y  a  voit  été  blessé. 
Et  toutefois  à  peine  étoient-ils  encore  sous  la  contres- 
carpe, qu'aussitôt  que  les  premiers  coureurs  de  Tar- 
méc  françoise  ^  parurent,  les  ennemis  levèrent  le  siège; 
ils  se  retirèrent  en  diligence,  et  ne  songèrent  qu'à 
sauver  les  débris*  de  leur  armée,  dont  la  fatigue,  les 
maladies,  et  les  sorties  continuelles  des  assiégés,  avoient 
emporté  plus  de  la  moitié*.  Il  sembloit  que  la  fortune 
de  la  France  dût  se  borner  là  pour  cette  année.  Ce- 
pendant quelques  mois  après  le  Roi  apprit  que  le  ma- 
réchal de  Vivonne  avoit  pris  Tahormine  et  la  Scalette^, 

I .  Le  maréchal  d^Humîères  a^ait  investi  Aire  la  nuit  du  19  juil* 
let  1676.  Le  marquis  de  Wargnies,  qui  j  commandait,  en  sortit  le 
3i  juillet,  après  cinq  jours  de  tranchée  ouverte,  et  vint  demander 
a  capituler.  Voyez  la  Gazette  du  i*^  août  et  du  ix  août  1676, 
p.  56i-568. 

a.  Far.  Les  Hollandois  y  avoient  fait  des  actions  d'une  grande 
valeur.  (ï749') 

3.  Et  manque  dans  Tédition  de  1784- 

4.  Far sous  la  contrescarpe.  Aussitôt  que  les  premiers  cou- 
reurs françois.  (1784.) 

5.  Far,  Le  débris.  (1784.) 

6.  Le  comte  de  Calvo,  qui  commandait  la  garnison  de  MaCstricht, 
se  couvrit  de  gloire  par  sa  belle  défense.  L'approche  du  maréchal 
de  Schomberg,  et  le  mauvais  succès  des  dernières  attaques  des  en- 
nemis, les  obligèrent  à  abandonner  leurs  tranchées  le  97  août  1676. 
Le  siège  avoit  duré  cinquante  et  un  jours.  Voyez  la  Gazette  do 
10  septembre  1676. 

7.  Ces  deux  noms  sont  écrits  ia  Horaùne  et  LeschaUtte  dans  i^é- 
dition  de  1780,  la  Hormine  et  la  Scaleite  dans  celle  de  1749*  Tehor- 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.         !»73 

et  que  toute  la  Sicile  étoit  en  branle  de  suivre  Mes- 
sine '. 

Jamais  les  François  n*avoient  peut-être  fait  une  cam- 
pagne qui  leur  fût  ni  plus  glorieuse  ni  plus  utile.  Néan- 
moins la  prise  de  Philisbourg,  qui,  après  six  mois^  de 
si^e,  fut  obligé'  de  se  rendre,  et  les  autres  avantages^ 
que  le  prince  de  Lunebourg  avoit  remportés  '  dans  Té- 
vèché  de  Trêves,  avoient  persuadé  aux  ennemis  que  les 
François  pouvoient  être  quelquefois  vaincus.  Ils  crovoient 
qu'il  en  seroit  de  la  fortune  du  Roi  comme  de  toutes  les 
choses  du  monde*,  qui  étant  parvenues  à  un  certain 
point,  ne  sauroient  plus  croître.  En  effet,  après  tout  ce 

muu  et  VEseaUtte  dans  celle  de  1784-  —  Taormine  fat  prise  le 
ifi  octobre  1676.  Le  »5  du  même  mois,  le  maréchal  de  Vivomie 
fit  investir  la  Scaletta  par  terre  et  par  mer.  Le  9  novembre,  la  ca- 
pitulation fut  signée  et  exécutée.  Voyez  la  Gazette  du  9  décembre 
1676,  p.  845-853. 

I.  Var,  Se  disposoit  a  suivre  l'exemple  de  Messine.  (1749.}  — 
Étoit  disposée  à  suivre  l'exemple  de  Messine.  (1784.) 

s.  Dans  les  éditions  de  1780  et  de  1749,  il  7  a  après  un  mois.  Mais 
la  tranchée  fut  régulièrement  ouverte  devant  Philisbourg  le  a  a  juin 
1676;  dès  le  10  mai  précédent,  le  prince  de  Bade  Tavait  ouverte 
devant  le  fort.  Le  blocus  de  la  place  avait  commencé  beaucoup 
pliu  tôt.  La  capitulation  n'eut  lieu  que  le  17  septembre  1676.  Après 
six  mois,  que  donne  l'édition  de  I784«  doit  donc  être  la  véritable 
leçon.  —  Du  Pajr  était  gouverneur  de  Philisbourg.  Il  sortit  de  la 
place,  tambour  battant,  mèche  allumée  ;  la  capitulation  fut  très-ho- 
norable. Voyez  la  Gazette  du  3  octobre  1676. 

3.  Dans  l'édition  de  1784  '•  obligée. 

4.  yar.  Et  les  avantages.  (1784.) 

5.  Far.  Avoit  remportés  l'année  précédente.  (1784.) —  L«  ^^- 
nements  malheureux  auxquels  l'historien  ne  fait  ici  qu'une  rapide 
allusion  avaient  eu  lieu  en  effet  en  1675.  Le  duc  de  Lunebourg-Zell 
et  son  frère  l'évéque  d'Osnabruck,  auxquels  s'était  joint  le  vieux 
duc  Charles  de  Lorraine,  avaient  paru  le  9  août  1675  sous  les  murs 
de  Trêves.  Le  lendemain,  le  maréchal  de  Créqui  se  posta  près  d'eux 
à  Konz-Saarbrûck.  Il  y  essuya  une  complète  défaite  le  11  août 
15^5.  Trêves  tomba  au  pouvoir  de  l'ennemi  le  6  septembre. 

6.  Var.  Comme  de  tontes  les  autres  choses  du  monde.  (1784O 

J.  RACum.  v  18 


274  PRÉCIS  HISTORIQUE 

que  ce  prince  avoit  fait  en  Hollande,  en  Flandres  \  en 
Bourgogne  et  en  Allemagne,  il  n'y  avoit  pas  d'apparence 
que  sa  gloire  pût  augmenter.  Elle  augmenta  pourtant  : 
toutes  ces  conquêtes  et  tant  de  victoires  qu'il  a  rempor- 
tées* n'ont  été ,  ce  semble  ',  qu'un  «cheminement  aux 
grandes  choses  qu'il  fit  Tannée  suivante;  car  bien  que^ 
les  villes  qu'il  avoit  prises  fussent  des  places  d'une  grande 
réputation,  il  y  en  avoit  pourtant  de  plus  fortes,  et  sur 
lesquelles  les  Espagnols  faisoient  un  plus  grand  fonde- 
ment. Valenciennes  étoit  de  ce  nombre.  Elle  est  riche  et 
fort  peuplée  ;  ses  habitants  s'étoient  rendus  célèbres  par 
la  haine  qu'ils  ont  toujours  eue*  pour  les  François;  et  ses 
fortifications  passoient  dans  l'opinion  du  monde  pour  une 
merveille.  Le  Roi,  qui,  dès  le  commencement  de  lagaeire, 
méditoit  de  les  assiéger,  s'étoit  saisi  des  villes  voisines,  et 
y  avoit  ordonné  '  de  grands  magasins  :  de  sorte  que  sur  la 
fin  de  l'hiver  ^,  et  avant  '  qu'il  y  eût  du  fourrage  à  la  cam- 
pagne, il  fut  en  état  d'agir,  et  y  alla  mettre  le  siège*. 

Il  y  avoit  dans  la  place  une  très-forte  garnison  :  la 
noblesse  voisine  s'y  étoit  jetée  ;  et  les  habitants,  pleins 
de  leur  ancienne  animosité,  présumoient  qu'eux  seuls, 
sans  autre  secours,  pourroient'®  la  défendre. 

I.  L^ëdition  de  1784  omet  :  «  en  Flandres.  » 
a.  Var.  QuUl  avoit  remportées.  (i749') 

3.  Var,  N^ëtoient,  ce  semble.  (1749.)  —  N'ont  été  ensemble.  (1784  ) 

4.  y  or.  Car  quoique.  (1749.) 

5.  Var.  Qu'ils  ont  eue  de  tout  temps.  (1749*) 

6.  Var.  Et  avoit  ordonné.  (1784.) 

7.  Var.  Si  bien  que  dès  le  commencement  du  printemps.  (i/Sf) 

8.  Var.  Et  même  avant.  (1784.) 

9.  «  Le  Roi  chargea  le  duc  de  Luxembourg  d'investir  Valeo' 
ciennes  le  a8  février  (1677).  Sa  Majesté  partit  le  même  jour  de  son 
château  de  Saint-Germain-en-Laye  pour  se  rendre  à  grandes  jour- 
nées devant  cette  place,  où  Elle  arriva  le  4  de  ce  mois,  m  (paieite  du 
a4  mars  1677,  p.  laa.) 

10.  Var.  Pouvoient.  (1784*) 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  275 

n  n'y  avolt  point  de  bravades  qu'ils  ne  fissent  d'abord  : 
ils  donnoient  le  bal  sur  les  remparts^  ;  ils  disoient  que 
lear  ville  étoit  le  fatal  écueil  où  la  fortune  des  François 
venoit  toujours  échouer  *  ;  et  fiers  de  leur  avoir  fait  au- 
trefois lever  le  siège,  ils  leur  demandoient  s'ils  venoient 
autour  de  Yalenciennes  chercher  les  os  de  leurs  pères. 
Cependant  les  François  avançoient  leurs  travaux. 

Yalenciennes,  du  côté  que'  le  Roi  la  fit  attaquer,  étoit 
défendue  par  un  grand  nombre  de  dehors,  qu^il  falloit 
forcer  pied  à  pied,  et  qui,  selon  toutes  les  règles  de  la 
guerre,  ne  pouvoient  être  emportés  sans  qu'il  en  coû- 
tât plusieurs  milliers  d'honmies.  Il  falloit,  entre  autres 
choses,  franchir  quatre  grands  fossés,  dont  il  y  en  avoit 
deux  que  la  rivière  de  l'Escaut  formoit,  et  où  elle  rou- 
loit*  avec  beaucoup  de  rapidité. 

Le  Roi,  après  avoir  fait  battre  par  le  canon  les  pre- 
miers dehors,  ordonne  qu'on  fasse*  Tattaque.  Aussitôt 
les  mousquetaires,  accompagnés  de  grenadiers,  et  d'au- 
tres troupes  commandées',  partent  de  leurs  postes  difie- 
rents  avec  une  égale  hardiesse  :  ils  se  rendent  maîtres  de 
la  contrescarpe;  ils  entrent  dans  un  ouvrage  couronné 
qui  faisoit  la  plus  forte  défense  de  la  place'',  et  passant* 
au  fil  de  l'épée  huit  cents  hommes,  de  deux  mille  qui 
étoient  dans  cet  ouvrage*,  le  reste  des  ennemis^  se 
voyant  attaqué  par  le  front  et  par  les  flancs,  ne  songe 

I.  Far.  Sur  leurs  remparts.  (1749  et  1784.) 

».  Dans  rédition  de  1780  :  «  ëcheoir.  » 

3.  Var.  Dn  oôttf  par  où.  (1749.)  —  4-  ^^-  Couloh.  (1784) 

5.  Far.  Ordonna  qa^on  fît.  (1784.) 

6.  Far.  Accompagnes  des  grenadiers,  et  les  autres  troupes  com- 
mandées. (1784.) 

7.  Far,  La  principale  défense  de  la  place.  (1749.) 

8.  For.  Passent.  (1784O  L'édition  de  1784  a  «n  conséquence  un 
point  après  «  cet  ouvrage.  » 

9.  ^or.  Dans  ce  poste.  (1749-) 


%'je  PRÉCIS  HISTORIQUE 

plas  qu*à  se  sauver  ;  ils  se  pressent,  ik  se  poussent;  une 
partie  tombe  dans  le  fossé^  Tautre  se  retire  de  fortifica- 
tion en  fortification.  Ils  étoient  suivis  de  si  près,  qu'ils 
n*earent  pas  le  temps  de  lever  les  ponts  qui  commoni- 
quoient  avec  la  ville,  ni  même  de  fermer  les  portes 
qui  étoient  dans  leur  chemin.  Une  de  ces  portes  se 
trouve*  extrêmement  basse  et  à  demi  bouchée  de  corps 
morts  des  ennemis  :  les  François  marchent  sur  ces 
corps  sanglants,  et  passent  pêle-mêle  avec  les  fuyards, 
et  sans  s'amuser  à  se  couvrir  et  à  se  loger*,  les  pour- 
suivent' jusqu'au  corps  de  la  place.  C'est  là  qu'ik  font 
ce  qu'on  n'a  jamais  lu  que  dans  les  romans  et  dans  des 
histoires  données  à  plaisir^.  Ds  trouvent  un  petit  degré 
pratiqué'  dans  l'épaisseur  d'un  mur'  :  ce  degré  conduisoit 
sur  le  rempart  ;  ils  montent  un  à  un  ;  les  voilà  sur  la  mu- 
raille. A  peine  ils  j  sont,  que  les  uns  se  saisissent  du  ca- 
non et  le  tournent  contre  la  ville,  les  autres  descendent 
dans  la  rue,  s'y  barricadent'',  et  rompent  les  portes  de  la 
ville  à  coups  de  haches'.  Tout  cela  se  fit  avec  tant  de 
vitesse,  que  les  boui^eois  les  prenoient  d'abord  pour  les 
soldats  de  la  garnison.  Le  Roi,  qui  les  suivoit  de  prés  pour 
donner  ses  ordres  à  mesure  qu'ils  avançoient,  apprend 

I.  Far,  Se  trouTa.  (1784.)  Dans  IVdition  de  1780,  il  y  a  la  dote 
ëridente  se  trouvent,  pour  se  trompe. 
a.   y^ar.  Ni  à  se  loger.  (1784.) 

3.  Fiar,  Us  les  poarsuiyent.  (1749.) 

4.  Far.  Et  dans  des  histoires  écrites  à  plaisir.  (1749*)  ^^  ^^  ^^ 
les  histoires  inventées  a  plaisir.  (1784.) 

5.  Tel  est  le  texte  de  l'édition  de  17499  et  seul  il  nous  paiait 
vraisemblable.  Les  éditions  de  1780  et  de  1784  s'accordent  à  donner 
presque^  au  lien  de  pratiqué  ;  et  comme  ces  deux  éditions  ne  se  sont 
pas  copiées,  il  fant  croire  que  dans  le  manuscrit  on  lisait  ^rsf^ar-  U 
y  avait  donc  là  un  mot  peu  lisiblement  écrit  on  un  lapsus. 

6.  Far,  Du  mur.  (1784.) 

7.  Dans  rédition  de  1730:  «  et  s'y  barricadent.  » 

8.  f'ar.  A  coups  de  hache.  (1749.) 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.         1^^ 

que  ses  troupes  sont*  dans  Valenciennes*.  La  première 
chose  qu'il  fit,  ce  fut  d'envoyer  défendre  le  pillage,  qui 
étoit  déjà  commencé  et  qui  cessa  aussitôt'.  Ce  n'est  pas 
sans  doute  une  chose  peu  étonnante,  qu'une  des  plus 
fortes  villes  de  Flandres  ait  ainsi  été  emportée  d'assaut 
en  moins  d'une  demi-heure  ;  mais  ce  n'est  pas  un  moin- 
dre miracle  qu'elle  ait  pu  être  sauvée  du  pillage,  et  que 
Tordre  du  Rôi  ait  pu  être  sitôt  écouté  par  des  soldats 
acharnés  au  meurtre,  au  milieu  du  bruit  et  des  fureurs  de 
la  victoire.  On  peut  dire  que  jamais  troupes  n'ont  donné 
aneplus  grande  preuve  d'obéissance  et  de  discipline.  Il 
y  avoit  dans  la  ville,  outre  les  bourgeois  qui  étoient  en 
armes,  cinq  mille  hommes  d'infanterie  et  douze  cents 
chevaux,  qui  furent  trop  heureux  de  se  rendre  à  discré- 
tion. Le  Roi,  par  le  droit  de  la  guerre,  pouvoit  traiter  les 
habitants  avec  les  dernières  rigueurs*,  et  jamais  peuple 
n'a'  mieux  mérité  de  servir  d'exemple  ;  mais  ce  n'é- 
toit  pas  contre  des  malheureux,  et  des  malheureux  sou* 
mis',  que  le  Roi  exercoit  sa  vengeance  :  il  les  traite  avec 
autant  de  douceur'  que  s'ils  eussent  fait  de  bonne  heure 
leur  composition,  et  leur  conserve  '  presque  tous  leurs 
privilèges. 

Mais,  sans  faire  de  séjour  dans  cette  ville,  il  marche 
aussitôt,  et  se  prépare  à  de  nouvelles  conquêtes.  Cambray 
et  Saint-Omer  étoient  les  deux  plus  forts  boulevards  que 

I.  Kar.  Étoient.  (1784.)  —  2.  he  ly  mars  1677. 

3.  «  Le  comiiundement  exprès  da  Roi  suspendit  la  fureor  ordi- 
naire aux  soldats,  animés  par  le  succès,  par  le  sang  et  par  le  désir 
d'an  grand  butin,  et  la  Tille  ne  fut  pas  pillée.  »  {Gazette  du  ao  mars 
1677,  p.  aao.) 

4.  yar.  kree  la  dernière  rigueur.  (x749-} 

5.  rar.  N'aToit.  (1784.) 

6.  ^OF*.  Mais  ce  n*étoit  pas  contre  des  malheureux  soumis.  (1784.) 

7.  ^ar.  Il  les  traita  arec  les  mêmes  douceurs.  (1784) 

8.  yar.  Et  leur  conserra.  (1784-) 


278  PRÉCIS  HISTORIQUE 

les  Espagnols  eussent  en  Flandres.  Ces  denx  villes,  â- 
tuées*  sur  les  frontières  de  la  France,  lui  servoient 
comme  de  fraise  *,  et  lui  faisoient  la  loi  au  milieu  de  ses 
triomphes  :  surtout  Gambray*s*étoit  rendu  redoutable. 
Les  rois  d*Espagne  estimoient  plus  cette  place  seule  ^  que 
tout  le  reste  de  la  Flandre  ensemble.  Elle  étoit  fameuse 
par  le  nombre  des  affronts  qu'elle  avoit  fait  souffrir  aux 
François,  qui  Tavoient  plus  d'une  fois  attaquée,  et  qui 
avoient  toujours  été  obligés  de  lever  le  siège*.  Elle  fai- 
soit  contribuer  presque  toute  la  Picardie  ;  et  sa  garnison 
avoit  autrefois  fait  des  courses,  et  porté  le  ravage  et  la 
flamme  jusque  dans  TIle-de-France,  et  dans  les  lieu 
voisins  de  Paris. 

Ainsi,  pendant  que  le  Roi  étendoit  ses  conquêtes  aa 
delà  du  Rhin,  une  ville  ennemie  levoit  des  tributs  dans 
son  royaume,  et  le  bravoit  pour  ainsi  dire  aux  portes  de 
sa  capitale.  Il  voulut  donc  pour  jamais  assurer*  le  repos 
de  ses  frontières  :  il  assiège  "^  en  personne  cette  place 
avec  la  moitié  de  son  armée,  tandis  que  le  duc  d'Orléans, 
avec  l'autre*,  va  attaquer*  Saint-Omer.  Cesdeux  sièges,  si 
difficiles  autrefois^*,  entrepris  en  même  temps,  étonnè- 
rent tout  le  monde.  On  jugea  que  les  Espagnols  feroient 
les  derniers  efforts  pour  sauver  deux  villes  dont  la  perte 

I.  Var.  Ces  villes  sitaëes  toutes  deux.  (1784-) 

9.  Le  Dictionnaire  de  P académie  (1694)  définit  la  fraise  «  un  rang 
de  pieux  qui  garnit  une  fortification  de  terre  par  dehors,  vers  k 
milieu  du  talus ,  et  qui  présente  presque  la  pointe  a  ceux  qui  too- 
droient  monter  à  Fassaut.  » 

3.  yar.  Cambraj  surtout.  (1749  et  1784) 

4.  ^«r.  Cette  seule  place.  (1749.) 

5.  r«r.  D*en  lerer  le  siëge.  (1749.) 

6.  Far.  Assurer  pour  jamais.  (1749-) 

7.  f'ar.  Et  assiégea.  (1784-) 

8.  f^ar.  Tandis  qu*avec  Tautre  le  duc  d'Orléans.  (1749) 

9.  Far.  Va  investir.  (1784.) 

10.  Autrefois  est  omis  dans  Fédition  de  1784* 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  27^ 

alloit  apparemment  entraîner  tout  le  reste  des  Pays-Bas*. 
Cambray  toutefois  ne  fit  pas  une  résistance  digne  de  sa 
réputation.  Le  gouverneur,  quoique  très-brave,  ne  vou- 
lut point  perdre  ses  troupes  en  s'opiniàtrant  à  défendre 
plus  longtemps  la  ville,  où  il  craignoit  la  révolte  des  habi- 
tants, que  l'exemple  de  Yalenciennes  faisoit  trembler.  Il 
se  retira  dans  la  citadelle  '  ;  mais  avant  que  de  s'y  ren- 
feraier,  il  fit  mettre  à  pied  la  plupart  de  la  cavalerie  et 
tuer  les  chevaux*;  il  exigea  de  ses  soldats  de  nouveaux 
serments  de  fidélité,  et  donna  enfin  toutes  les  marques 
d'un  homme  qui,  par  une  défense  extraordinaire,  vouloit 
rétablir  Thonneur  de  sa  nation. 

Saint-Omer,  de  son  côté,  se  défendoit  courageusement, 
et  le  prince  d'Orange,  qui  avoit  solennellement  promis 
aux  Espagnols  d'en  faire  lever  le  siège,  eut  le  temps  de 
s'avancer.  Le  Roi,  informé  de  sa  marche,  envoya  ordre  au 
duc  d'Orléans  d*aller  au-devant  des  ennemis,  çt  de  s'em- 
parer des  postes  qu'il  croiroit  ^  les  plus  avantageux  pour 
les  combattre  ;  en  même  temps  il  fit  un  grand  détache- 
ment de  son  armée  pour  renforcer  celle  de  ce  prince.  Le 
duc  d'Orléans,  suivant  cet  ordre,  s'avança  vers  le  Mont- 
Cassel.  Â  peine  y  étoit-il  campé  qu'il  vit  parottre  les  en- 
nemis. Comme  il  avoit  laissé  une  partie  de  ses  troupes  au 
siège  de  Saint-Omer',  il  fut  d'abord  un  peu  incertain  du 
parti  qu'il  devoit  prendre,  ne  se  croyant  pas  en  état,  avec 
si  peu  de  forces,  de  donner  la  bataille*  ;  mais  le  Roi  avoit 
pris  ses  mesures  si  justes,  que  dans  cet  instant  même  le 

I.  Far.  Du  Pays-Bas.  (1784) 

3.  Le  5  ayril  1677,  layllle  capitula,  les  ennemis  se  retirèrent  dans 
la  citadelle.  Une  note  de  Pëdition  de  1749  dit  à  tort  le  i5  au  lieu 
du  5  a^ril. 

3.  Var.  La  plupart  de  sa  cavalerie,  et  fit  tuer  les  chevaux.  (1784-) 

4.  Far.  Qu'il  jugeroit.  (1749.)  —  Qu'il  croyoit.  (1784) 

5.  Var,  Une  partie  de  ses  troupes  devant  Saint-Omer.  (1784.) 

6.  Far.  De  donner  bataille.  (1784-) 


a8o  PRÉCIS  HISTORIQUE 

renfort  qu*il  lui  envoyoit  arriva.  Alors  il  ne  balança  pins, 
et  plein  de  joie  et  de  confiance,  il  résolut  de  combattre. 
Les  deux  armées  n^étoient  séparées  que  par  un  petit  rais- 
seau.  Le  lendemain  \  dés  le  point  du  jour,  le  duc  d'Or- 
léans mit  son  armée  en  bataille*;  et  voyant  que  les  en- 
nemis commençoient  à  faire  un  mouvement,  il  passa  le 
ruisseau,  et  marcha  à  eux.  Leur  armée  étoit  au  moins  de 
trente  mille  hommes  :  ils  soutinrent  le  premier  choc  des 
François  avec  une  grande  vigueur*,  et  renversèrent 
même  plusieurs  de  leurs  escadrons.  La  victoire  fut  plos 
de  deux  heures  en  balance  ;  mais  la  présence  du  duc 
d'Orléans,  qui  fit  ce  jour-là  ^  partout  l'office  de  soldat  et 
de  capitaine,  força  la  fortune  à  se  déclarer  de  son  parti. 
Alors  les  François,  irrités  d'une  si  longue  résistance,  fi- 
rent un  fort  grand  massacre*  des  ennemis.  La  déroute 
fut  générale,  et  il  y  demeura  de  leur  côté  plus  de  six  mille 
hommes  sur  la  place;  leur  canon  fnt  pris,  et  tout  leur 
bagage  pillé*.  Aussitôt  le  duc  d'Orléans  retourna  devant 
Saint-Omer,  et  eut  soin  de  faire  savoir  aux  assiégés  le 
succès  de  la  bataille. 

Cependant  le  Roi,  quoiqu'avec  un  petit  nombre  dliom- 
mes,  pressoit  fortement  la  citadelle  de  Cambray;  et 
malgré  les  sorties  continuelles  des  assiégés,  qui  étoient 
au  nombre  déplus  de  quatre  mille  hommes^,  il  avoit  em- 
porté tous  les  dehors  de  la  place  ;  il  avoit  fait  attacher  les 
mineurs*.  Les  assiégés  néanmoins  refiisoient  encore  de 

I.  II  arril  1677.  Voyez  la  Relation  de  la  ôataille  de  Cûstd  dans 
la  Gazette  à%i  a3  avril  1677,  p.  3i3-3a4* 

9.  Var.  Mit  ses  troupes  en  bataille.  (1749.) 

3.  yar.  Avec  une  fort  grande  vigueur.  (1784) 

4.  y  or.  Qui  ce  jour-là  fit.  (1749.) 

5.  Var,  Un  grand  massacre.  (1784O 

6.  yar.  Et  tout  leur  bagage  entièrement  pill^.  (1784O 

7.  yar.  Qui  ëtoient  au  nombre  de  <{uatre  mille.  (1784.) 

8.  yar.  Où  il  avoit  fait  attacher  les  mineurs.  (1749-)  —  ^  *^'^ 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  !i8r 

se  rendre  ;  mais  la  mine  ayant  fait  une  brèche,  et  le  ca- 
non d*un  autre  côté  ayant  ruiné  un  bastion  tout  entier, 
ib  demandèrent  à  capituler,  et  n'osèrent  s'exposer  au 
hasard  d'un  assaut.  Quoique  ils  eussent  attendu  cette  ex- 
trémité, le  Roi  ne  laissa  pas  de  leur  accorder  une  com- 
position honorable  ^  et  le  gouverneur  eut  la  triste  con-  . 
solation  de  sortir  de  sa  citadelle  par  la  brèche  '. 

Saint-Omer,  privé  de  toute  espérance  de  secours,  ne 
tarda  guère  *  à  suivre  l'exemple  de  Cambray  * .  Ainsi  le  Roi 
réduisit,  en  six  semaines,  trois  places  qui  a  voient  été  *  la 
terreur  et  le  fléau  de  ses  frontières,  et  dont  la  moindre 
nauroit  pas  paru  trop  achetée  par  un  siège  de  six  mois' 
et  par  les  travaux  de  toute  une  campagne.  Cependant^ 
les  ennemis  trouvoient  encore  des  raisons  pour  excuser 
leurs  disgrâces.  Ils  publioient'  que  la  prise  de  ces  trois 
places*  n'étoit  pas  tant  un  effet  de  la  valeur  des  François 
que  de  la  prévoyance  du  Roi,  qui  en  feisant  de  bonne 
heure  des  magasins,  prévenoit  toujours  ses  ennemis  ;  que 
les  choses  changeroient  bientôt  de  face,  et  que  la  fin  de  la 
campagne  seroit  pour  eux  aussi  favorable  que  le  commen- 

emportë  tous  les  dehors,  sVtoit  approché  du  corps  de  la  place,  où 
il  AToit  fait  attacher  les  mineurs.  (1784.) 

I.  Far.  Une  capitulation  honorable.  (1749.) 

».  La  cîtadeUe  de  Cambrai  capitula  le  17  avril  1677.  —  k  Vous 
aurez  su  les  conditions  de  la  capitulation  pour  la  citadelle  de  Cam- 
bray, et  la  garnison  sortie  par  la  brèche  ; . . .  cela  fut  exécuté  le 
lendemain  18.,  jour  de  Pâques,  le  Roi  présent.  »  {Lettres  historiques 
de  Monsieur  PelOsson^  tome  III,  p.  aSs.) 

3.  Far.  Ne  tarda  pas.  (1749*) 

4.  Le  90  avril  1677,  les  assiégés  de  Saint-Omer  demandèrent  à 
capituler.  Voyez  la  Gazette  du  8  mai  1677,  p.  377. 

5.  ^ar.  Qui  aToient  été  longtemps.  (1784.) 

6.  Far.  De  six  semaines.  (1784-)  ^^^^  évidemment  une  faute  que 
les  imprimeurs  ont  faite,  ayant  trouvé,  deux  lignes  plus  haut,  six 
semaines. 

7.  Far,  Toutefois.  (1784.)  —  8.   Far.  Ils  publièrent.  (1784.) 
9.  Far.  De  ces  trois  villes.  (1784) 


a8a  PRÉCIS  HISTORIQUE 

cernent  en  avoit  été^  malheureux.  Déjà  le  prince  Charles 
de  Lorraine'  étolt  sur  les  bords  du  Rhin  avec  vingt-quatre 
mille  hommes,  fier  de  se  voir  à  la  tête  de  toutes  ces  forces 
de  TEmpire,  plus  fier  encore  de  Fespérance  d'être  dans 
peu  beau-frère  de  TEmpereur;  il  tnomphoit  en  idée  des 
plus  fortes  places  de  la  Lorraine  et  de  la  Champagne,  où 
il  avoit  résolu  de  prendre  ses  quartiers  d'hiver,  et  où  il 
se  tenoit  si  assuré  de  la  victoire,  qu'il  avoit  fait  mettre 
sur  ses  drapeaux  :  «  Ou  maintenant,  ou  jamais'.  •  D 
passe  la  Sarre,  il  entre  dans  la  Lorraine,  et  se  vient  cam- 
per fort  près^  de  Tarmée  de  France,  commandée  parle 
maréchal  de  Créqui.  Les  François,  quoique  beaucoup  infé- 
rieurs en  nombre,  pressoient'  de  combattre;  mais  le  Roi 
ne  voulut  point  faire  dépendre  de  l'incertitude  d'une  ba- 
taille une  victoire  qu'il  pouvoit  remporter  sans  combat  : 
il  commanda  au  maréchal  de  Créqui  de  les  fatiguer  le  plus 
qu'il  pourroit*,  et  de  ne  combattre  qu'avec  avantage. 

Cependant  le  prince  d'Orange  rassembloit''  une  autre 
armée  beaucoup  plus  nombreuse  que  la  première;  et 
l'ayant  grossie  des  troupes  des  princes  de  la  basse  Alle- 
magne', il  formoit,  à  son  ordinaire,  de  grands  desseins. 
Enfin,  après   avoir  longtemps  consulté  avec  le  gonver- 

I.  Fiur.  Que  le  commencement  aToit  été.  (1749  et  1784-) 
a.  Far.  Déjà  le  prince  Charles.  (1784.)  —  Le  duc  Charles  V.  En 
France  on  continuait  de  le  nommer  le  prince  Charles.  Son  oncle  le 
duc  Charles  lY  étant  mort  le  18  septembre  1675,  il  avait  alors  bit 
part  de  son  avènement  a  l'Empereur  et  aux  états  généraux  des  Pro- 
vinces Unies. 

3.  j4tU  nunCf  aut  nunquam. 

4.  Far.  Et  vient  camper  au  voisinage.  (1749.)  —  Et  vint  se  cam- 
per  fort  près.  (1784O 

5.  Far.  Bruloient.  (1784.) 

6.  Var.  De  fatiguer  les  Impériaux.  (x749-} 

7.  Far.  Le  prince  d'Orange  de  son  côté  rassembloit  cependant. 

(1749) 

8.  Far.  Des  troupes  des  princes  et  de  la  basse  Allemagne.  (1784} 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.         a83 

nenr  des  Pays-Bas  laquelle  place  ^  seroit  le  plus  à  leur 
bienséance^  il  vint,  avec  soixante  mille  hommes,  tenter 
006  seconde  fois  la  fortune  devant  Charleroy  *.  On  crut 
qn^il  ne  retoumeroit  pas  devant  cette  place  sans  avoir 
bien  pris  ses  mesures  pour  ne  pas  recevoir*  un  second 
affront.  Déjà  les  lignes  de  circonvallation  étoient  ache- 
vées; déjà  le  prince  Charles,  qui  le  devoit  joindre  avec 
toutes  ses  troupes,  étoit  sur  le  bord^  de  la  Meuse  :  le  duc 
de  Luxembourg  eut  ordre  de  s'avancer  vers  la  place.  On 
se  croyoit  '  de  part  et  d'autre  à  la  veille  d'un  grand  événe- 
ment *.  Plusieurs  braves  volontaires  s'étoient  rendus  en 
diligence  à  Tannée  de  ce  général,  où  ils  étoient  accourus 
comme  à  une  occasion  infaillible  de  se  signaler.  Le  prince 
d'Orange  et  le  gouverneur  des  Pays-Bas  avoient  fait 
bonne  provision  de  poudre',  de  bombes,  de  grenades  et 
de  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  un  siège  ;  mais  ils 
trouvèrent  tout  à  coup  que  le  pain  leur  manquoit  :  c'étoit 
la  seule  provision  à  laquelle  ils  n'avoient  pas  songé.  I^e 
duc  de  Luxembourg  s'étoit  placé  entre  eux  et  Bruxelles  ; 
et  le  maréchal  d'Humières,  d'un  autre  côté,  leur  fermoitle 
chemin  de  Mons  et  de  Namur*,  et  de  leurs  autres  places: 
de  sorte  que  voyant  leur  armée  en  danger  de  mourir  de 
faim,  ils  décampèrent  au  grand  étonnemeut  de  tout  le 
monde**  ;  et  après  avoir  tourné  leur  furie  contre  le  bourg 

I.  Far.  Quelle  place.  (1784.) 

a.  D  rûiTestit  le  6  août  1677.  Voyez  la  Gazette  du  ai  août  1677, 
p.  660. 

3.  Far.  Pour  n'y  pas  reccroir.  (1784) 

4.  Far.  Sur  les  bords.  (1749O 

5.  0  7  a  dans  IVdition  de  1730:  «  On  le  croyoit  »;  c*est  ëridem- 
ment  une  feute  d'impression. 

6.  Var.  De  quelque  grand  événement.  (1784-) 

7.  Far.  Dans  l'armëe  du  général .  (1784-) 

8.  Far.  De  poudres.  (1749O 

9.  Far,  De  Mons,  de  Namur.  (1749.) 

10.  Le  14  aoât  1677.  Voyez  la  Gazette  du  si  aoât  1677. 


a84  PRÉ;CIS  HISTORIQUE 

de  Binch\  leur  consolation  ordinaire  quand  ils  ont  man- 
qué Charleroy'y  ils  employèrent  le  reste  de  la  campagne 
à  faire  des  manifestes  l^un  contre  l'autre. 

Les  Allemands,  de  leur  côté,  n'étoient  pas  plus  heu- 
reux. Le  maréchal  de  Créqui  les  suivoit  toujours,  cam- 
pant à  leur  vue,  toujours  maître  de  donner  bataille  ou 
de  la  refuser;  quelquefois  son  canon  les  foudroyoit  jus- 
que dans  leurs  tentes;  il  leur  coupoit  les  vivres  et  arré- 
toit  leurs  convois;  il  leur  enlevoit  leurs  chevaux  au  four- 
rage' ;  tout  ce  qui  s*écartoit  du  gros  de  l'armée  tomboit 
entre  les  mains  des  soldats,  ou  des  paysans,  plus  terribles 
encore  que  les  soldats.  Le  prince  Charles  reconnut  alors 
son  imprudence  :  son  armée  à  demi  défaite  repassa  en 
diligence  et  la  Moselle  et  la  Sarre,  et  abandonna*  une 
partie  de  son  bagage*. 

Dans  ce  même  temps*,  l'armée^,  commandée  par  le 


I.  Ce  bourg,  situé  entre  Mons  et  Charleroi,  est  nommé  Babu â»ni 
les  éditions  de  1780  et  de  17491  Bines  dans  celle  de  I784«  —  *  ^ 
rient  d'apprendre  que  l'armée  des  confédérés,  se  retirant  de  Cbir- 
leroy,  s'est  rapprochée  de  Binch  ;  et  que  Pajrant  investi  une  secoode 
fois,  elle  l'a  pris  en  peu  de  temps,  quoique  il  y  eut  soixante  et  dii 
hommes  qu'on  y  avoit  laissés  pour  garder  quelques  grains.  Ce  poste 
a  voit  été  pris  une  autre  fois  par  les  ennemis  ;  et  il  n'y  a  point  de 
ville  dans  la  Flandres  françoise  de  laquelle  ils  aient  tant  affecté  h 
conquête.  »  (G€uette  dn  %S  août  1677,  p.  676.) 

9.  On  lit  dans  les  éditions  de  1780  et  de  T749  :  «  Leur  consob- 
tton  ordinaire,  quand  ils  eurent  manqué  Charleroy .  »  Mais  ce  nt^ 
point  sans  doute  le  véritable  texte.  Le  prince  d'Orange  avait  déjà 
pris  deux  fois  le  bourg  ou  la  petite  ville  de  Binch  :  après  le  ùrçi^ 
manqué  de  Charleroi,  en  167a,  après  le  siège  manqua  d'OodeMnic 
en  1674  :  voyez  la  note  précédente. 

3.  yar.  Leurs  chevaux  et  fourrages.  (1784*) 

4.  yar.  Et  abandonna,  en  se  retirant.  (1784-) 

5.  Au  mois  d'août  1677. 

6.  F'ar.  Dans  le  même  temps.  (1749.)  —  Dans  ce  même  Bo- 
rnent. (1784) 

7.  Far.  L'armée  des  Cercles.  (1784.) 


DES   GAMPAGIIES  DE  LOUIS  XIV.  a85 

prince  de  Saxe-Eisenach  \  étoit  de  Tautre  côté  du  Rhin, 
et  ne  pouvoit  se  débarrasser  du  baron  de  Moutclar,  qui  la 
tenoit  comme  assiégée  en  pleine  campagne.  Pour  comble 
d  effiroif  le  maréchal  de  Créqui  s*avance  et  repasse  le 
Rbin.  L'armée  des  Cercles,  entourée  de  tous  côtés,  se 
retire  en  hâte*,  laissant  *  sur  le  chemin  *  un  grand  nombre 
de  morts  et  de  prisonniers,  anîve  effrayée  au  pont  de 
Strasbourg,  et  se  réfugie  dans  une  île  qui  est  au  milieu  * 
de  ce  pont.  Les  habitants  de  Strasbourg,  touchés  du  pé- 
ril des  Allemands,  qu*ils  voy oient  exposés  à  la  boucherie, 
s'employèrent  pour  eux,  et  demandèrent*  au  maréchal 
on  passe-port  pour  des  malheureux  qui  ne  cherchoient 
qn'à  s'enfuir''.  La  demande  est  accordée,  et  onvitFbeure 
que  Tarmée  et  le  général  se  mettoient  en  chemin,  con- 
duits par  un  garde  que  le  maréchal  avoit  chargé  du  passe- 
port. Mais  le  prince  Charles,  qui  étoit  accouru  au  même 
temps,  leur  épai^a  cette  honte.  Toutefois'  il  acheta  cher 
la  gloire  de  les  avoir  délivrés  ;  car,  à  quelques  jours  de  là  *, 
Faile  droite  de  sa  cavalerie  fut  taillée  en  pièces,  et  tout  ce 
qu'il  put  faire  fut  de  regagner  promptement  les  lieux  d'où 
il  étoit  parti,  et  de  songer  à  couvrir  Sarbruck,  que  les 
François  sembloient  menacer.  Le  maréchal  profite  de 
cette  erreur  :  il  fait  semblant  de  mettre  ses  troupes ^^  en 
quartier  d'hiver  aux  environs  de  Schelestat^^;  mais  ayant 


I.  Var,  Par  le  duc  de  Saxe-Eisenach.  (1749.) —  DansTëdition 
de  1780,  il  7  a  :   «  par  le  prince  de  Condë.  »  C'est  use  inadver- 
Unoe. 
a.  Far.  A  la  hâte.  (1749.)  —  3.  Far.  Et  laissant.  (1784.) 
4.  yar.  Sur  sa  route.  (1749-}  —  5.  yar.  Vers  le  milieu.  (1784.) 

6.  Var.  S'emplojent  pour  eux,  et  demandent.  (1749.) 

7.  Voyez  dans  la  Gazette  du  a  octobre  1677,  p.  768,  la  copie  du 
paue-port  accordé  par  te  maréchal  de  Créqui  à  t armée  commandée  par 
le  prmee  d'Ejrtenaeh,  Il  est  date  du  94  septembre  1677. 

8.  rar.  Cependant.  (1749.) —  9.  Le  7  octobre  1677. 

10.  Far.  Ses  forces.  (1784.)  —  11.  Celeitai  dans  Tëdition  de  1730. 


a86  PRÉCIS  HISTORIQUE 

appris  que  les  Allemands  avoient  déjà  disposé  les  leurs  en 
plusieurs  quartiers,  il  passe  encore  le  Rhin,  et  va  assiéger 
Fribourg*. 

Le  prince  Charles,  étrangement  alarmé  de  cette  nou- 
velle, se  représente  Tétonnement  de  toute  l'Allenuigne, 
rindignation'  de  l'Empereur,  si^n  lui  enlève  une  place  si 
importante*.  Qui  pourra  désormais  empêcher  les  Fran- 
çois d'entrer  dans  la  Souabe*  et  dans  le  Yirtemberg,  de 
ravager'  les  terres  impéiîales*?  H  rassemble  donc  ses 
troupes;  il  marche  à  grandes  journées,  et  arrive  à  une 
lieue  de  Fribourg.  Mais  trouvant  tous  les  passages  fermés, 
il  demeure  sans  rien  entreprendre  ;  toutefois  "^  il  ne  vou- 
lut point  s'en  retourner  qu'il  n'eût  vu  de  ses  propres  yeux 
que  la  place  étoit  rendue*.  Pour  surcroit  de  malheur,  la 
nouvelle  arrive*  que  les  troupes  que  le  Roi  entretient*' 
dans  la  Hongrie  ont  battu**  celles  de  TEmpereur,  dont  3 
est  demeuré  **  sur  le  champ  de  bataille  plus  de  trois  miUe 
hommes. 

Les  ennemis,  voyant  approcher  la  fin  de  l'année, 

I .  Le  baron  de  Monclar,  par  Tordre  du  maréchal  de  Créqui,  in- 
vestit Fribourg  le  9  novembre  1677. 

a.  Var,  Et  l'indignation.  (1749  et  1784.) 

3.  Var,  De  cette  importance.  (1784.) 

4.  Les  éditions  de  1780  et  de  1749  ont  la  Suahe, 

5.  f'or.  Et  de  ravager.  (1749  et  1784.) 

6.  L'édition  de  1780  a  un  point  et  virgule  devant  qui  pourra,  et  n'a 
pas  de  point  d'interrogation  à  la  fin  de  la  phrase  ;  mais  cela  est 
contraire  au  vrai  sens. 

7.  Far.  Cependant,  (1749.) 

8.  Elle  se  rendit  le  17  novembre  1677.  Voyez  dans  la  Gazette  au 
9$  novembre  1677,  p.  881*890,  la  Relation  de  la  prue  Je  la  ville  et 
de  la  citadelle  de  Fribourg, 

9.  Far,  Arriva.  (1784.) 

10.  yar,  Entretenoit.  (1784.) 

II.  Var.  Avoient  battu.  (1784.) 

la.  Far.  Dont  il  est  resté.  (1749.)  —  Dont  il  étoit  demeure- 
(1784.) 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  287 

croyoient  avec  apparence  être  aussi  à  la  fin  de  leurs  dis- 
grâces. Ils  comptoient  en  une  seule  campagne  quatre  de 
leurs  meilleures  villes  emportées,  deux  batailles  perdues, 
QQ  siège  honteusement  levé,  deux  grandes  armées  rui- 
nées, et  le  pays  de  leurs  alliés  entièrement  désolé.  Le  Roi 
pourtant  ne  put  pas  se  résoudre^  à  les  laisser  en  repos. 
0  commande  au  maréchal  d'Humières  d^assembler  des 
troupes,  et  d'aller  mettre  le  siège  devant  Saint-Ghislain*. 
Quand  il  n^  auroit  pas  eu'  dans  la  place  une  garnison  de 
douze  cents  hommes,  les  pluies,  les  neiges,  et  les  marais 
dont  elle  est  environnée  ^,  sembloient  être  seuls  capables 
de  la  défendre;  mais  le  soldat,  animé  de  tant  de  victoi- 
res*, remporte  en  moins  de  huit  jours  ';  et  il  étoit  déjà 
maître  des  portes  quand  le  gouverneur''  des  Pays-Bas 
donna  le  signal  qu'il  étoit  arrivé  à  Mons  pour  le^  secourir. 
La  prise  de  cette  place  acheva  de  consterner  les  enne- 
mis. Ils  commencèrent  à  changer  de  langage.  Ce  n'étoit* 
plus  des  menaces,  comme  autrefois,  et  des  espérances  de 
victoires**  :  ils  reconnoissoient  **  de  bonne  foi  leur  foi- 

X.  Fetr.  Le  Roi  ne  put  cependant  pas  se  résoudre.  (1749.)  —  Le 
Roi  pourtant  ne  put  se  résoudre.  (1784-) 

a.  Stùnt'GuUlin  dans  les  éditions  de  1780  et  de  1784;  Saint'GuU- 
loin  dans  celle  de  1749- 

3.  Far.  Quand  il  n^  eût  pas  eu.  (1749-) 

4.  Dans  rédition  de  1784  il  y  a  :  «  dont  il  est  environné.  »  Ce 
n'est  qu^ane  faute  d'impression .  A  la  fin  du  membre  de  phrase,  la 
même  édition  porte  :  »  de  la  défendre.  » 

5.  Far.  Par  tant  de  victoires.  (1784) 

6.  Saint-Ghislain  avait  été  investi  dans  la  nuit  du  3o  novembre 
au  ler  décembre  1677  ;  dans  celle  du  9  au  10  décembre,  tous  les 
dehors  furent  emportés.  Don  Hemandez  fit  battre  la  chamade  le 
10  décembre  à  midi.  Le  lendemain,  11  décembre,  à  la  pointe  du 
jour,  il  sortit  de  la  place.  Voyez  la  Gazette  du  x8  décembre  1677. 

7.  f^or.  Lorsque  le  gouverneur.  (1749*) 

8.  Au  lieu  de  /e,  les  éditions  de  1749  et  de  1784  ont  la, 

9.  Far,  Ce  n'étoient.  (1749O  —  10.  Far.  De  victoire.  (1749-) 
II.  Far,  Us  reconnurent.  (1784O 


288  PRÉCIS  HISTORIQUE 

blesse.  Tant  de  puissances  liguées  contre  un  seul  homme, 
TEspagne,  la  Hollande  et  ^  rAllemagne^  ne  se  croient  pas' 
assez  fortes  pour  lui  faire  tête.  Ils  vont  mendier  de  nou- 
veaux secours;  ils  cherchent  à  faire  pitié  aux  Anglois,  et 
n'oublient  rien  '  de  ce  qui  peut  renouveler  *  cette  ancienne 
jalousie  qui  a  tant  de  fois  armé  TAngleterre  contre  la 
France.  Le  prince  d'Orange,  qui  a  voit  épousé*  la  fille  du 
duc  d'Yorck*,  et  qui  étoit  regardé  comme  l'héritier  pré- 
somptif de  la  couronne,  fait  sa  brigue  auprès  des  grands 
et  auprès  du  peuple'.  Il  leur  représente  la  perte  infail- 
lible des  Pays-Bas,  les  François  maîtres  bientôt  de  toutes 
les  côtes  de  la  Manche,  et  en  état  de  faire  la  loiàTOcéan; 
la  religion  protestante  en  péril,  TEurope  entière  menacée 
d'une  dangereuse  servitude.  Les  peuples  murmurent,  le 
Parlement  demande  qu'on  sauve  la  Flandre,  le  roi  d'An- 
gleterre lui-même  est  ébranlé.  Les  Espagnols,  désespérant 
de  pouvoir  conserver  leurs  places,  parlent  de  les  lui  aban- 
donner. Enfin  on  ne  doute  point  qu'il  ne  quitte  le  per- 
sonnage de  médiateur  pour  prendre  celui  d'ennemi.  Snr 
cette  espérance,  les  confédérés  reprennent  courage;  ils 
veulent  continuer  la  guerre,  ou  prescrire  eux-mêmes  les 
conditions  de  la  paix  ;  ils  se  flattent  que  le  Roi  va  laisser 
au  moins  la  Flandre  en  repos,  et  qu'ils  n'auront  plos 
à  couvrir  que  les  provinces  voisines  de  l'AUemage.  Le  Roi 
contribue  à  les  entretenir  dans  cette  erreur.  H  venoit  de 


I.  Ei  manque  dans  Tëdition  de  1784* 
a.   rar.  Ne  se  cpoyoient  pas.  (1784.) 

3.  Tar.  El  n^oubliant  rien.  (1749.)  —  La  même  édition  n'a  «i 
consëquence  qu^une  virgule,  deux  lignes  plus  bas,  avant  :  «  Le  prioct 
d'Orange.  »» 

4.  rtfr.  De  ce  qui  peut  rëveiller,  (1749.)  —  I>e  tout  ce  qui  pet« 
rëveiller.  (1784) 

5.  f^ar.  Qui  venoit  d'épouser,  (1784.) 

6.  Le  i5  novembre  1677. 

7.  P^ar.  Auprès  des  grands  et  du  peuple.  (ï749v 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.         289 

prendre  Saint-Ghislain  pour  faire  croire^  qu'Q  vouloit 
attaquer  Mons,  et  achever  la  conquête  du  Hainaut.  Enfin 
il  56  met  en  campagne,  et  part  avec  sa  cour'  au  com- 
mencement de  février  pour  s'en  aller  à  Metz'. 

Au  bout  de  quelques  jours,  il  semble  tourner  vers 
Nanci;  puis  tout  d^un  coup  il  se  rend^  à  Metz,  où  il  a  voit 
mandé  au  maréchal  de  Créqui  de  le  venir  trouver.  Il  y 
avoit  quelques  jours*  que  le  maréchal'  avoit  eu''  ordre 
de  passer  le  Rhin,  et  d'aller  avec  un  corps  d'armée  dans 
leBrisgau,  tandis  que  d'autres  troupes  se  tiendroient  aux 
environs  de  Metz. 

Tout  cela  avoit  fait  juger  que  l'orage  tomberoit  vrai- 
semblablement du  côté  de  l'Allemagne.  Cette  opinion 
augmente  lorsqu'on  voit  arriver  à  Metz  le  maréchal,  tout 
malade  qu'il  étoit.  Pour  confirmer  entièrement  le  bruit', 
le  Roi  lui  commanda  '  de  marcher  vers  Thionville,  et  fait 
semblant^'  lui-même  d'y  vouloir  aller. 

Les  ennemis,  alarmés  de  la  marche  ^^,  sont  dans  une 

I.  y  or.  Pour  leur  faire  croire.  (X784O 
a.  Var.  Atcc  toute  sa  cour.  (i784') 

3.  «  Leurs  Majestés  partirent  du  château  de  Saint-Germain  en 
Laye  le  7  de  ce  mois.  »  (Gazette  du  19  fëvrier  1678.) 

4.  y  or.  Ensuite  il  se  rend  tout  d'un  coup.  (1749.)  —  Puis  tout  à 
coup  il  se  rend.  (1784.) 

5.  n  7  aToit  quelques  mois*  (1784.) 

6.  yor.  Que  ce  général.  (1749O  —  Q^c  ce  maréchal.  (i784>) 

7.  y  or,  Avoit  reçu.  (1749.) 

8.  Tôt.  Pour  confirmer  ce  bruit.  (1749O  — Nous  avons  suivi, 
comme  la  plus  satisfaisante,  la  ponctuation  de  cette  dernière  édi- 
tion. Celle  de  1784  a  une  virgule  après  :  c  tout  malade  qu'il  étoit;  » 
on  point  avant  :  «  le  Roi.  »  L'édition  de  1780  ne  décide  rien,  met- 
tant entre  deux  virgules  la  phrase  :  «<  pour  confirmer  entièrement 
le  brtdt.  » 

9.  VoT,  Lui  commande.  (1784*} 

10.  For.  Et  fit  semblant.  (x749*) 

ti.  y  or.  Alarmés  de  cette  marche.  (1749.)  —  Alarmés  et  incer- 
tains de  sa  marche.  (1784-) 

J.  Ragxsx.  V  19 


ago  PRÉCIS  HISTORIQUE 

agitation  continuelle^.  Les  Allemands,  qat  à  peine 
avoient  leurs  quartiers  d'hiver*,  sont  contraints  d'en 
sortir  pour  se  rassembler.  La  ville  de  Strasbourg  parle 
d'envoyer  des  députés  ;  Trêves  se  croit  déjà  voir  au  pil- 
lage'; Luxembourg  ne  doute  plus  d'être  assiégé.  Cepen- 
dant le  Roi  rebrousse  chemin,  et  se  rendant  à  Verdun, 
fait  courir  le  bruit  qu'il  va  assiéger  Namur*.  Le  gou- 
verneur des  Pays-Bas  ne  sait  plus  de  quel  c6té  tourner  : 
il  voit  aller  et  revenir*  de  toutes  parts  les  armées  firan- 
çoises;  il  voit  que  depuis  le  fond  de  la  Flandre  jusqu  au 
Rhin,  le  Roi  a  partout  des  magasins;  il  ne  sait  quelle 
place  abandonner  ni  défendre  :  s'il  en  assure  une,  il  en 
expose  vingt  autres.  U  court  enfin  au  plus  pressé,  et 
rappelant  toutes  les  troupes  qu'il  avoit  en  Flandres,  il  en 
remplit  toutes  les  villes  du  Hainaut  et  du'  Luxembourg. 
A  peine  il  a  pris  ces''  précautions',  qu'on  lui  vient  dire' 
que  le  maréchal  d'Humières  s'approche  d'Ypres  :  il  Y 
jette  la  meilleure  partie  de  la  garnison  de  Gand  *'.  Il  se 
repose  alors^*,  et  pense  avoir  bien  pourvu  à  toutes  choses; 
mais  en  un  même  jour  il  apprend  de  six  courriers  diffé- 
rents qu'il  y  a  six  grandes  villes*'  investies  :  Mons,  Namur, 

« 

I.  Var,  Dans  une  continuelle  agitation.  (1784-) 

a.  Var,  Étoient  entres  dans  leurs  quartiers  d'hiyer.  (1749)*' 
ÂToient  pris  leurs  quartiers  d'hiver.  (1784.) 

3.  Var,  Se  croit  déjà  au  pillage.  (1749*) 

4*  ^ar.  Et  se  rend  à  Verdun,  faisant  courir  le  bruit  qu^il  alloit 
assiéger  Namur.  (1784.) 

5.  Var.  Aller  et  Tenir.  (1749  et  1784.) 

6.  n  7  a  de^  et  non  du^  dans  IVdition  de  1730. 

7.  Set^  au  lieu  de  c«/,  dans  la  même  édition. 

8.  Var,  A  peine  a-t-il  pris  ces  précautions.  (i749>) 

9.  Var,  Qu'on  rient  lui  dire.  (1784.) 

10.  Dans  l'édition  de  1784,  il  y  a  :  «  la  meilleure  garnison  de 
Gand.  »  Ce  ne  peut  être  qu'une  faute  de  l'imprimeur. 

II.  Var,  U  respire  alors.  (1784.) 

la.  Var.  Cinq  grandes  villes.  (1749.} 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  291 

Cbarlemont,  Luxembourg,  Ypres;  enfin  que  Gand  méme^ 
estassiégé.  Cette  dernière  nouvelle  est  pour  lui  un  coup  de 
foudre  :  il  est  longtemps  sans  y  vouloir  ajouter  foi  ' .  Quelle 
apparence  que  le  Roi,  qu'il  croit  en  Lorraine,  vienne  as- 
siéger au  fort  de  l'hiver  la  plus  grande  ville  des  Pays-Bas, 
entreprenne  '  de  faire  une  circonvallation  de  plus  de  huit 
lieues  dans  un  pays  de  marécage^  et  facile  à  inonder, 
coupé  de  quatre  rivières  et  de  deux  larges  canaux?  Ce- 
pendant la  chose  se  trouve  vraie.  Plus  de  soixante  mille 
hommes,  partis  de  différents  endroits,  étoient  arrivés  à 
une  même  heure  devant  cette  grande  ville,  et  Tavoient 
investie,  sans  savoir  eux-mêmes  qu^'lsrinvestissoient.  Le 
Roi ,  ayant  supputé  le  temps  que  '  ses  ordres  pouvoient 
être  exécutés,  laisse  la  Reine  à  Stenay,  monte  à  cheval, 
traverse  en  trois  jours  plus  de  soixante  lieues  de  pays,  et 
joint  son  armée  qui  est  devant  Gand'.  Il  trouve  en  arri- 
vant la  circonvallation  presque  achevée,  et  tous  les  quar- 
tiers déjà  disposés,  suivant  le  plan  qu'il  en  avoit  lui-même 
dressé  à  Saint-Germain.  I^s  ennemis  avoient  lâché  leurs 
écluses  ;  mais  il  y  eut  bientôt  partout  des  digues  et  des 
ponts  de  communication.  La  tranchée  est  ouverte  dès  le 
soir;  bientôt  les  dehors  sont  emportés  l'épée  à  la  main  : 
la  ville  se  rend  ;  et  la  citadelle,  quoique  très-forte  et  en- 
vironnée de  larges  fossés,  capitule  deux  jours  après ^« 


I.  Tor.  Gand  Ini-méme.  (1749-) 

a.  yar.  Sans  pouToir  y  ajouter  foi.  (1784.) 

3.  Var.  Et  entreprenne.  (1784O 

4.  Var.  De  marécages.  (1749  «t  1784O 

5.  Var,  Le  temps  auquel.  (1749O 

6.  Le  Roi  arriva  le  4  mars  1678  devant  Gand,  que  le  marëchai 
dHumières  avait  investi  depuis  quelques  jours.  Voyez  la  Gazette 
du  5  mars  1678. 

7.  La  ville  de  Gand  se  rendit  au  Roi  le  9  mars  1678,  et  la  cita- 
delle le  II.  Voyez,  dans  la  Gazette  du  18  mars  1678,  le  Journal  du 
siège  de  Gand, 


2(^2  PRECIS  HISTORIQUE 

Ainsi  le  Roi,  par  sa  conduite,  se  rend  en  six  jours  maître* 
de  cette  ville  si  renommée*,  qui  faisoit  autrefois  la  loi  à 
ses  princes',  et  qui  prétendoit  égaler  Paris  même  par  la 
grandeur  de  son  circuit  ^  et  par  le  nombre  de  ses  habi- 
tants. A  peine  est-elle  prise,  que  le  maréchal  de  Lorges  a 
ordre  de  s'avancer  vers  Bruges  avec  un  corps  de  cavalerie. 
Aussitôt  deux  bataillons  espagnols  de  la  garnison  dTpres 
s'y  jettent*  \  mais  tout  à  coup  voilà  le  Roi  devant  Ypres*. 
U  y  avoit  longtemps^  qu'il  avoit  dessein  sur  cette  place 
importante  par  elle-même  et  parce  que  sa  prise  achevoit 
d'assurer  toutes  ses  conquêtes'.  II  y  restoit  encore  trois 
mille  hommes  de  guerre,  qui  se  défendirent  d'abord  cou- 
rageusement; mais  les  approches  étant  faites,  la  contres- 
carpe, bordée  d'une  double  palissade,  est  forcée  eo  une 
nuit,  et  le  lendemain,  dès  le  point  du  jour*,  la  citadelle  et 
la  ville  envoyèrent  des  otages  et  signèrent  la  capitula- 
tion^^. Ces  deux  dernières  conquêtes  changèrent  toute  b 
face  des  affaires.  Le  Roi  est  à  deux  lieues  des  places  des 
HoUandois,  et  ils  pensent  à  toute  heure  le  revoir  encore 
aux  portes  de  leur  capitale.  Mais  quelle  douleur  aux  Es- 
pagnols'* de  perdre  tout  un  grand  pays  dont  ils  tiroient 


t.  F^ar.  Se  rend  maître  en  six  jonrs.  (1749O 
s.  f^ar.  De  cette  Tille  renommée.  (1749.) 
3.  Far,  A  ses  princes  mdmes.  (1784O 

4>  For.  Et  qui  prétendoit  égaler  Paris  par  la  grandeur  de  iod 
enceinte.  (1784.) 

5.  Far.  Se  jettent  dedans.  (1749.) 

6.  n  7  arriya  le  i5  mars  1678.  Voyez  la  Gtizette  du  s  avril  1678. 

7.  Far,  Il  j  avoit  déjà  longtemps.  (1749.} 

8.  Far.  Toutes  nos  conquêtes.  (1749*) 

9.  Far.  Dès  la  pointe  du  jour.  (1784-) 

10.  Le  vendredi  aS  mars  1678,  jour  de  TAnnonciation,  Ypres  ca- 
pitula. La  garnison  sortit  le  lendemain  36.  Voyez  la  Gazette  da  1  rt 
du  5  avril  1678. 

11.  Far.  Pour  les  Espagnols.  (1749  et  1784.) 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  293 

toute  leur  subsistance,  et  de  le  voir  en  proie  aux  armées 
delears  ennemis! 

Les  Anglois^  se  troublent  à  cette  nouvelle  :  c*est  en 
vain  qu^ils  sont  déjà  dans  Bruges  et  dans  Ostende.  Par 
quel  chemin  iront- ils  joindre  les  Espagnols?  Tous  les  pas- 
sages leur  sont  fermés  :  les  voilà  désormais  resserrés  dans 
un  très-petit  espace'  de  pays;  et  les  seules  garnisons 
d*Ypres  et  de  Gand  sont  capables  de  ruiner  leurs  armées'* 
On  arme  pourtant  à  Londres;  on  distribue^  des  commis- 
sions pour  lever  des  troupes;  on  équipe  des  vaisseaux;  on 
défend  tout  commerce  avec  la  France,  et  on  veut  que  les 
Hollandois  fassent  de  pareilles  défenses  chez  eux.  Mais 
les  Hollandois  ne  veulent  point  renoncer  aux  avantages 
qu'ils  tirent  du  commerce.  Les  disputes  s'échauffent'; 
Talliance  n*est  pas  encore  signée,  et  les  voilà  déjà  brouil- 
lés. Le  Roi,  instruit  de  leur  division,  compte  pour  vaincus 
des  ennemis  qui  s'accordent  si  mal  ensemble.  Toutefois, 
comme  il  voit'  sa  gloire  au  point  de  ne  pouvoir  croître^, 
ses  frontières  entièrement  assurées^  son  empire  accru 
de  tons  côtés,  il  songe  au  repos  et  à  la  félicité  de  ses 
peuples. 

Cette  seule  ambition  peut  désormais  flatter  son  cou- 
rage :  il  se  résout  donc  de  donner'  la  paix  à  l'Europe; 
mais  c^est  aux  conditions  qu^il  veut  bien  imposer  lui- 
même,  n  trace  un  peti,t  projet  de  paix  et  l'envoie'  à  Ni- 

I.  Var,  LesAngloîfl  eux-mêmes.  (i749-) 

s.  Dans  Tëdition  de  1780  on  a  imprima:  «  mie  très-petîte  es- 
pace. »  EêpacM  a  ëtë  autrefois  du  féminin. 

3.  VoT,  Leur  armëe.  (1749  et  1784.) 

4.  ^«r.  On  dëlirre.  (1784.) 

5.  Var.  La  dispute  sVchauffe.  (1784.) 

6.  Var,  Cependant,  comme  il  Toit.  (1749-) 

7.  y  or.  De  ne  pouvoir  plus  croître.  (1784.) 

8.  Var.  n  se  râout  donc  à  donner.  (i784>) 

9.  Var.  n  traça....  et  Penvoya.  (1784.) 


^91  PRÉCIS  HISTORIQUE 

mègue.  Ce  projet  rendu  public  fait*  Teffet  qu'3  s'étoit 
imaginé.  Les  ennemis  commencèrent'  à  ouvrir  les  yeux. 
Les  peuples  de  HoUande,  épuisés  d'argent  et  de  forces,  et 
las  d'entretenir  des  armées  qui  peuvent  les  opprimer  ud 
jour,  songent  à  assurer  leur  repos  et  leur  liberté'.  Lespro* 
positions  du  Roi  sont  dans  la  justice,  et  il  faut  ou  de  Ta- 
veuglement  ou  de  l'opiniâtreté  pour  les  refuser.  [Enfin, 
si  on  ne  fait  la  paix,  ils  déclarent  qu'ils  ne  fourniront  plos 
aux  frais  de  la  guerre.  Les  états  généraux  s'assemblent; 
mais  le  terme  que  le  Roi  leur  a  donné  expire  bientôt.  Il 
leur  semble  à  tout  moment  qu'il  va  partir,  et  ils  deman- 
dent du  tempiis  pour  délibérer.  Il  leur  accorde  trois  se- 
maines, et  va  lui-même  attendre  à  Gand  la  réponse*,  à  la 
tête  de  son  armée.  Tandis  qu'ils  consultent  et  que  les  choses 
sont  balancées*,  il  leur  envoie  un  trompette  pour  ache- 
ver de  leur  expliquer  les  intentions  favorables  qu'il  a  pour 
eux.  Alors  les  Hollandois  ne  peuvent  plus*  se  contenir; 
la  mémoire  de  tant  de  bienfaits  qu'ils  ont  reçus  autrefois^ 
de  la  France  se  réveille  en  eux.  Ils  avouent  leurs  ingrati- 
tudes* ;  ils  crient  que  les  François  sont  leurs  vrais  alliés, 
que  le  Roi  est  leur  naturel  protecteur.  On  entend  partout 
retentir  dans  la  Haye  :  «  Vive  le  roi  de  France  !  Vive  le 
grand  prince  qui  veut  bien  nous  donner  la  paix  !  >  En 
même  temps  ils  lui  envoient  des  députés  pour  lui  témoi- 
gner leur  juste  reconnoissance.  Le  prince  d'Orange  est  le 
seul  qui  ne  prend  point  de  part  à  la  joie  publique.  Quoi- 
que la  guerre  jusques  alors  lui  ait  été  si  contraire,  il  ne 


I.  Var,  Produit.  (1749O  —  a.  ^«'•.  Commencent.  (1784.) 

3.  Vttr,  Et  leur  félicite.  (1749.)  —  4.  Vat.  Leur  réponse.  (1784.} 

5.  Var,  Sont  en  balance.  (1784.)  —  Cette  édition  a  une  rirgule 
avant  tandis  que^  et  un  point  après  les  mots  en  balance, 

6.  yar.  Ne  pouvant  plus.  1(17840 

7.  Var^  Qu'ils  ont  autrefois  reçus*  (1784.) 

8.  f^ar.  Leur  ingratitude.  (1749.) 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  agS 

peut  soufiiir  une  paix  qui  lui  va  ôter*  le  commandement 
des  armées  :  il  n'y  a  point  d'adresse  qu'il  n'emploie,  point 
de  machine  qu'il  ne  remue.  Il  fait  agir  ses  créatures;  il 
envoie  en  Angleterre;  il  jette  l'alarme  dans  toutes  les 
cours  des  alliés  ' .  On  voit  arriver  de  toutes  parts  à  Nimègue 
des  courriers  chargés  de  plaintes  contre  les  états.  L'Em- 
pereur éclate  surtout  en  reproches  ;  il  les  accuse'  d'aban- 
donner la  cause  commune  :  c'est  pour  eux  que  l'Allema- 
gne est  engagée  dans  une  guerre  qui  lui  est^  si  onéreuse; 
que  deviendront  maintenant  leurs  alliés?  et  comment 
soutiendront-ils  séparément  une  puissance  que  tous  en- 
semble n'ont  pu  soutenir '^?  D'autre  part  les  Anglois 
achèvent  de  lever  le  masque  :  ils  se  déclarent  ouvertement 
contre  la  France,  et  sont  désormais  ses  plus  grands  en- 
nemis. Il  n'y  a  rien  qu'ils  ne  fassent  pour  empêcher  les 
Hollandois  de  se  réconcilier  avec  elle  :  ils  leur  offrent  de 
Taigent,  des  vaisseaux,  des  troupes,  et  les  engagent  enfin 
à  signer  un  traité  de  ligue  offensive  et  défensive  avec 
eux*. 

Le  Roi,  de  retour  à  Saint-Germain,  apprend  sans  s'é- 
mouvoir toutes  ces  ligues  nouvelles.  Il  a  ses  mesures 
prises;  il  est  si  assuré  de  faire  la  loi  à  ses  ennemis,  qu'il  a 
déjà  par  avance  déchargé  ses  peuples  de  six  millions 
de  taÛles''.  Il  semble  même  que,  dans  le  temps  qu'il  ofire 
la  paix,  la  fortune  de  tous  les  côtés'  prenne  plaisir  à  fa- 
voriser ses  armées  :  trois  cents  hommes  de  la  garnison  de 

I.  Var.  Qui  ra  lui  êter.  (1749  et  1784.) 

s.   Var*  Dans  tons  les  cœurs  des  allies.  (1784.) 

3.  Var,  Et  les  accuse.  (1784O 

4.  yar.  Qui  lui  derient.  (1749.) 

5.  ytw.  Que  tous  ensemble  n'ont  pu  arrêter? (1749.)  —  Que  tous 
ilsn'ont  pu  soutenir?  (1784*) 

6.  n  fiit  conclu  le  a6  juillet  1678. 

7.  Var,  Des  tailles.  (1749.) 

8.  Var.  De  tous  côtés.  (1784.) 


%ge  PRÉCIS  HISTORIQUE 

Maêstricht  emportent  d^assaut,  en  une  nuit,  une  pkce  du 
Brabant*  que  trente  mille  hommes  oseroient  à  peme 
assiéger.  Le  duc  de  Navailles*,  malgré  des  difficultés 
incroyables,  et  presque  à  la  vue  de  Tarmée  d'Espagne, 
prend  la  capitale  de  Cerdagne',  et  s*ouvre  Tentrée  dans 
la  Catalogne.  Le  maréchal  de  Crëqui  défait  une  partie 
des  meilleures  troupes  de  l'Empire,  les  poussant*  avec 
grand  carnage*  jusque  dans  les  fossés  de  Rheinfeld*;  il 
brûle  le  pont  de  Strasbourg,  et  s'empare  de  tous  les 
forts  qui  le  défendoient.  Le  duc  de  Luxembourg  de  son 
côté  ne  demeure  pas  oisif.  Âpres  avoir  tenu  longtemps 
Bruxelles  comme  assiégé'',  il  entre  dans  le  Haynaut,  et  va 
bloquer  Mons.  Le  prince  d'Orange,  ayant  grossi  son  ar- 
mée de  plusieurs  troupes  angloises  et  allemandes,  marche 
en  diligence  pour  secourir  cette  grande  ville,  et  les  ar- 
mées sont  en  présence.  Cependant  les  Hollandois,  plos 

I.  Lewe  ou  Leeuw,  à  huit  lieues  de  Maêstricht.  Le  comte  de 
Calvo  concerta  le  dessein  de  la  surprendre  avec  M.  de  la  Bretèche, 
colonel  d*un  régiment  de  dragons  à  Maêstricht.  Dans  la  nuit  du  3 
au  4  mai  1678,  les  troupes  arrivèrent  près  de  la  place.  Le  goarer- 
neur  fut  oblige  de  se  rendre  prisonnier.  La  garnison  de  la  ville  et 
de  la  citadelle  était  de  six  à  sept  cents  hommes.  «  Le  sienr  de  la 
Bretesche  a  mis  sous  l'obéissance  du  Roi,  en  moins  d'une  heure,  la 
place  la  plus  forte  et  la  plus  considérable  du  Brabant.  »  ÇGctettt  da 
17  mai  1678,  p.  410.) 

1.  L'édition  de  1730  a  changé  par  erreur  ce  nom  en  celai  de 
Noailles. 

3.  De  Serdaigne  dans  l'édition  de  1730.  —  Cette  capitale  de  la 
Cerdagne  est  Pujcerda.  Le  gouverneur  capitula  le  18  mai  1678, 
après  trente  et  un  jours  de  tranchée  ouverte.  Voyez  dans  la  GMSittt 
du  14  juin  1678  la  Prise  de  la  vUle  de  Puyeerda. 

4.  ^ar.  Et  les  pousse.  (1784.) 

5.  ^ar.  Avec  un  grand  carnage.  (I749>) 

6.  Brisfeld  dans  l'édition  de  1730;  RhinfeUt  dans  l'édition  de 
1749;  Rinfeld  dans  celle  de  1784*  —  Deux  ou  trois  miUe  Impériaox 
furent  tués,  noyés  ou  faits  prisonniers  dans  ce  combat  de  Rfaem- 
feld,  livré  le  6  mai  1678. 

7.  Dans  l'édition  de  1784,  assiégée^  au  féminin. 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  297 

touchés  de  leurs  yéritables  intérêts  ^  que  des  vaines  pro- 
messes des  Anglois  et  de  leurs  autres  alliés,  ordonnent  à 
leurs  plénipotentiaires  d'achever  le  traité  qu^ils  ont  com- 
mencé avec  la  France.  La  paix  est  signée  à  Nimégue*,  et 
un  courrier  en  porte  la  nouvelle  au  prince  d^Orange. 
Néanmoins  ce  prince  malheureux  ne  perd  pas  encore  Fes- 
pérance  d'empêcher  la  ratification.  Il  résout'  de  tenter 
encore  une  fois  la  fortune  en  attaquant  promptement  les 
François,  et  songe,  par  un  dernier  effort,  ou  à  rompre  la 
paix,  ou  du  moins  à  terminer  la  guerre  avec  éclat. 

Le  lendemain,  dés  le  point  du  jour  ^,  il  passe  les  dé- 
filés qui  séparoient  *  les  deux  armées ,  et  attaque  *  les 
François  dans  leurs  postes.  Comme  il  combattoit  en 
homme  désespéré,  sa  témérité  eut  d'abord  quelque  suc- 
cès :  il  renverse  quelques  gardes  avancées,  et  les  pour- 
suit jusque  vers  Tendroit  où  le  gros  de  Farmée  étoit 
en  bataille.  Mais  alors  la  fortune  changea  de  face''  :  les 
François  fondent  sur  les  ennemis  avec  leur  impétuosité 
ordinaire,  et  les  mettent  en  déroute  ;  près  de  quatre 
mille  hommes  demeurèrent'  sur  la  place*.  Le  prince 


I.  F'ar.  De  leur  rentable  intérêt.  (1784.) 
s.  Dans  la  nuit  du  10  au  11  août  1648. 

3.  yûr.  Il  se  résout.  (1784.) 

4.  Var,  Deux  jours  api^ès,  dès  le  point  du  jour.  (1749)  —  Le 
lendemain,  dès  la  pointe  du  jour.  (1784-) 

5.  Vmr.  Qui  séparent.  (1784.) 

6.  Vûr.  Et  charge.  (1749.) 

7.  Vûr,  Change  de  face.  (1749O 

8.  Var.  Demeurent.  (1784-) 

9.  Le  combat  de  Saint-Denis,  près  de  Mons,  fut  lirré  le  14  aoât 
1678.  «  Le  due  de  Luxembourg  ayant  demeuré  quelques  jours 
campé  à  Soignies,  sur  le  chemin  de  Bruxelles  à  Mons,  et  voyant  que 
le  prince  d'Orange  marchoit  pour  attaquer  le  comte  de  Montai  et 
le  baron  de  Quincy,  lieutenants  généraux,  qui  aroient  depuis  quel- 
que temps  formé  le  blocus  de  Mons,  il  s'approcha  d'eux,  pour  être 
en  état  de  les  secourir,  en  cas  que  les  ennemis  les  voulussent  atta- 


298  PRÉCIS  HISTORIQUE 

d'Orange  *  fut  trop  heureux  le  jour  suivant  de  publier 
lui-même  la  nouvelle  de  la  paix.  C'étoit  le  seul  moyen 
de  délivrer  Mons. 

Les  plénipotentiaires  d^Espagne  la  signèrent  bientôt 
après*.  Mais  quand  le  traité  parut  à  Madrid,  et  qu^il fallut 
le  ratifier,  la  plume  tombe  '  des  mains  à  tout  le  conseil. 
Ces  politiques,  si  accoutumés  à  regagner  par  des  traités* 
ce  qu'ils  a  voient  perdu  dans  la  guerre  *,  ne  savent  plos  où 
ils  eu  sont  lorsqu'ils  voient  tout  ce  qui  leur  faut  abandon- 
ner par  celui-ci  :  Cambray,  Valenciennes ,  tant  d'antres 
places  fameuses,  de  grandes  provinces,  ou,  pour  mieux 
dire,  des  royaumes  entiers,  et  surtout  cette  Bourgogne 
qui  leur  donnoit  voix  dans  les  diètes  de  TEmpire*.  Mais 
cependant  les  armées  de  France  sont  aux  portes  de 
Bruxelles,  et  il  n'est  plus  temps''  de  délibérer.  Le  Roi 
d'Espagne  envoie  à  Nimègue  le  traité  ratifié  de  sa  main', 
avec  ordre  à  ses  ministres  d'obtenir  des  conditions  meil- 
leures s'ils  peuvent,  sinon  de  le  publier  tel  qu'il  étoit*. 

Que  fera  désormais  l'Empereur,  destitué  du  secours 

quer.  Il  se  posta  sur  le  ruisseau  qui  passe  par  Sirieu ,  par  Ciftean 
et  par  Tabbaye  de  Saint -Denys....  Le  14*  le  prince  d^Onmge.... 
tenta  le  passage  des  dëfiles  de  Casteau  et  de  Tabbaye  de  SaÎDt- 
Denjs  ;  et  après  un  combat  de  plus  de  six  heures,  où  il  perdit  prêt 
de  quatre  mille  hommes,  il  fut  obligé  de  se  retirer.  »  (Gusettt  du 
37  août  1678.) 

I.  Far.  Et  le  prince  d^Orange.  (1749*) 

s.  Le  17  septembre  1678. 

3.  rar.  Tomba.  (1784.) 

4.  ^ar.  Parles  traités.  (1784.) 

5.  f^ar.  Ce  qu*ib  avoient  perdu  à  la  guerre.  (1749O  —  Ce  qu'ib 
ont  perdu  dans  la  guerre.  (1784O 

6.  On  peut  comparer  à  cet  endroit  un  passage  du  Discours  jfro- 
nonce  à  la  réception  de  Thomas  Corneille  :  voyez  tome  IV,  p.  364, 
ligne  19,  jusqu^à  la  ligne  3  de  la  page  365. 

7.  ^or.  Sont  aux  portes  de  Bruxelles;  il  n^est  pas  temps.  (1784^ 

8.  E  avait  été  ratifié  le  i5  décembre  1678. 

9.  ymr.  Tel  qu'il  est.  (1749) 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  299 

des  Hollandois  et  des  Espagnols?  Il  croit  d'abord,  en 
traînant  la  négociation,  rendre  son  traité  plus  avanta- 
geux; mais  à  mesure  qu'il  retarde,  le  Roi  lui  fait  de 
nouvelles  demandes.  II  se  hâte  donc  de  conclure,  et  sans 
s'arrêter  ^  aux  vaines  protestations  de  ses  alliés  qui  dif- 
féroient  de  souscrire  la  paix  aux  conditions  qu'on  lui 
avoit  présentées*. 

Ainsi  le  Roi,  qui  avoit  vu  tous  les  princes  de  l'Europe 
se  déclarer  l'un  après  l'autre  ',  voit  les  mêmes  princes^ 
l'un  après  Tautre'  rechercher  son  amitié,  recevoir  en 
quelque  sorte  la  loi  de  lui,  et  signe'  une  paix  qui  laisse 
à  douter  s'il  a  plus  glorieusement  fait  la  guerre,  ou  s'il  l'a 
terminée  avec  plus  d'éclat'^. 

Voilà,  en  abrégé,  une  partie  des  actions  d'un  prince 
que  la  fortune  a  pris,  ce  semble,  plaisir  d'élever^  au  plus 
haut  degré  de  la  gloire  où  puissent  monter  les  hommes, 
si  toutefois  on  peut  dire  que  la  fortune  ait  eu  quelque 
part  dans  ces  succès*,  qui  n*ont  été  que  la  suite  infaillible 
d'une  conduite  toute  merveilleuse.  En  effet,  jamais  capi- 
taine n'a  été  plus  caché  dans  ses  desseins,  ni  plus  clair- 
voyant dans  ceux  de  ses  ennemis.  Il  a  toujours  vu  en 
toute  chose  ce  qu'il  falloit  voir^^,  toujours  fait  ce  qu'il 

I.  far.  Et  il  le  fait  sans  s'arrêter.  (1749.) 

a.  y  or.  Et  sans  s'arrêter  aux. vaines  protestations  de  ceux  de  ses 
alliés  qui  difTéroient  de  souscrire,  il  accepte  la  paix  aux  conditions 
qa^on  lui  avoit  prescrites.  (1784-) 

3.  Ftw.  Contre  lui  l'un  après  l'autre.  (1749.)— L'un  après  l'autre 
contre  lui.  (1784.) 

4.  yar.  Ces  mêmes  princes.  (1749  ^t  1784*) 

5.  «  L'un  après  l'autre  »  manque  ici  dans  l'ëdition  de  1784- 

6.  ^tfr.  Et  signer.  (1749  et  1784.) 

7.  Le  Dixième  et  dernier  livre  de  l'Histoire  de  Louis  XIV  (1749)*  qui 
contient  ce  Précis  des  campagnes  de  167a  à  1678,  s'arrête  ici.  Voyez 
ci-dessus,  p.  a36. 

8.  Var,  A  élever.  (1784.)  —  9.  Var.  Dans  ses  succès.  (1784.) 
xo.  L'édition  de  1780  ne  donne  point  les  mots  :  «  toujours  vu 


3oo  PRÉCIS  HISTORIQUE 

(ieilloît  faire.  Avant  que  la  ^erre  fût  commencée,  il  avoit 
aguerri  ses  troupes  dès  longtemps  par  de  continuels 
exercices,  par  l'exacte  discipline  qu^il  leur  faisoit  obser- 
ver. Il  a  toujours  prévenu  ses  ennemis  par  la  promp- 
titude de  ses  exploits.  Dans  le  temps  qu^ils  faisoient  des 
préparatifs  pour  l'attaquer  ^,  il  les  a  souvent  réduits  à  U 
nécessité  de  se  défendre,  et  leur  a  quelquefois  enlevé 
trois  villes  pendant  qu'ils  délibéroient  d'en  assiéger 
une.  Il  ne  s'est  point  trompé  dans  ses  mesures,  et 
quand  *  il  entra  dans  la  Franche-Comté,  il  avoit  pris  ses 
précautions  si  justes  du  côté  de  rAUemagne,  qu'en  une 
province  ouverte  de  toutes  parts,  les  ennemis  ne  purent, 
dans  une  occasion  si  pressante,  se  faire  un  passage  pour 
y  jeter  le  moindre  secours.  D  n'a  point  fait  de  conquêtes 
qu'il  n'ait  méditées  longtemps  auparavant,  et  où  il  ne  se 
soit  acheminé  comme  par  degrés.  En  prenant  Condé  et 
Bouchain,  il  se  mit  en  état  d'assiéger  Valenciennes  et 
Cambray  ;  par  la  prise  d'Aire,  ils  ouvrit  le  chemin  à  Saint- 
Omer'  ;  et  c'est  en  partie  à  la  conquête  de  Saint-Ghislain 
qu'il  doit  celle  *  de  Gand  et  d'Ypres. 

Jamais  prince  n'observa  si  religieusement' sa  parole; 
il  l'a  toujours  exactement  tenue*  à  ses  ennemis  mêmes; 
et  dans  la  paix  d'Aix-la-Chapelle,  il  aima  mieux,  en  ren- 


en  toute  chose  ce  qaUl  falloît  voir,  »  qui  ne  paraissent  pas  cependant 
pouvoir  être  une  interpolation  de  Pëdition  de  1784- 

I.  LVdition  de  1780  met  une  rirgule  ayant  les  mots:  «  Dam  le 
temps  ;  »  point  et  virgule  après  ceux-ci  :  «  pour  Fattaquer.  »  U 
ponctuation  de  1784  semble  préférable. 

a.  Au  lieu  de  et  quand^Védiûon  de  1784  donne  simplement fiwA'^. 
et  fait  précéder  d^un  point  cette  conjonction. 

3.  LVdition  de  1780  n*a  pas  ce  membre  de  phrase  :  c  par  la 
prise  d^Aire,  il  s^ouvrit  le  chemin  à  Saint-Omer.  » 

4.  Far.  Qu^il  doit  la  conquête.  (1784.) 

5.  Far.  Si  régulièrement.  (1784.) 

6.  Far.  Il  Ta  toujours  tenue.  (1784.) 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  3oi 

dantia  Franche-Comté,  renoncer  à  la  plus  glorieuse  et  à 
k  plus  utile  de  ses  conquêtes,  que  de  manquer  à  la  pa- 
role qu^il  avoit  donnée  de  la  rendre.  Ce  n'est  pas  une 
chose  concevable  que  la  fidélité  qu'il  a  gardée  à  ses  al- 
liés: il  a  toujours  ^  eu  plus  de  soin  de  leur  intérêt*  que  des 
siens  propres.  Dans  le  projet  de  paix  qu'il  envoya  à  Ni- 
mègue,  il  y  avoit  pour  premier  article,  qu'avant  toutes 
choses  on  restitueroit  aux  Suédois  ce  qui  avoit  été  pris' 
sur  eux;  et  quoiqu'il  vît  toute  l'Europe  en  armes  contre 
lui,  ce  ne  fut  qu'à  l'instante  prière  des  mêmes  Suédois  ^ 
qu'il  souffrit  que  la  paix  se  fît  avec  la  Hollande  avant  la 
restitution.  Jamais  un  mouvement  de  colère  ne  lui  a  fait 
faire  une  fausse  démarche.  Quand  l'Angleterre,  qui  s'é- 
toit  liée  avec  lui,  se  détache*  tout  à  coup  de  ses  intérêts, 
il  ne  s'emporte  ni  en  plaintes  ni  en  reproches;  il  n'en  té- 
moigne au  roi  d'Angleterre  aucune  froideur;  et  en  lui 
montrant  au  contraire  qu'il  étoit  toujours  persuadé  de 
son  amitié,  il  l'engage  à  demeurer*  son  ami.  Il  a  toujours 
appelé  aux  emplois''  de  la  guerre  les  hommes  qui  en 
étoient  les  plus  dignes,  et  n'a  jamais  laissé  une  belle  ac- 
tion sans  récompense  :  aussi  jamais  prince  ne  fut  servi 
avec  tant  d'ardeur  par  ses  soldats.  Cette  ardeur  a  passé 
à  de  tels  excès,  qu'il  a  eu  besoin  de  toute  son  autorité 
pour  la  réprimer.  Quand  il  a  pu  voir  une  chose  par  ses 
yeux,  il  ne  s'est  point  fié  aux  yeux  d'autrui.  U  a  toujours 

I.  Var.  Que  dans  la  fidélité  qu'il  a  gardée  a  ses  alliés,  il  a  tou- 
jours.... (1784.) 

s.  yar.  De  leurs  intérêts.  (1784.) 

3.  yar.  Tout  ce  qui  avoit  été  pris.  (1784O 

4.  f^or.  Des  Suédois.  (1784.) 

5.  Far,  Se  déucha.  (1784.)  La  même  édition  met  également  au 
prétérit  les  autres  rerbes  de  cette  phrase. 

6.  Var.  A  demeurer  toujours.  (1784-) 

7.  L'édition  de  ijSo,  au  lieu  d^empitfis  donne  exploits.  C*est  évi- 
demment une  faute. 


3o2  PRÉCIS  HISTORIQUE 

reconnu  lui-même  les  places  qu'il  a  voulu  attaquer;  et  en 
cette  noble  fonction  de  capitaine,  il  a  eu  plusieurs  fois 
des  hommes  tués  et  blessés  auprès  de  lui^  Judicieux 
dans  toutes  ses  entreprises,  intrépide  dans  le  péril,  infa- 
tigable dans  le  travail,  on  ne  sauroit  rien  lui  reprocher 
que  d'avoir  souvent  exposé  sa  personne  avec  trop  peu  de 
précaution. 

Cependant  il  est  merveilleux  que  parmi  les  soins  d'une 
guerre  qui  a  dû,  ce  semble,  l'occuper  tout  entier,  ce 
prince  soit  encore  entré  dans  le  détail  du  gouvernement 
de  son  Etat,  et  qu'on  l'ait  vu  aussi  appliqué  aux  be- 
soins particuliers'  de  ses  sujets,  que  si  toutes  ses  pensées 
a  voient  été  renfermées  au  dedans  de  son  royaume. 

De  là  vient  que  dans  un  temps  que  toute  l'Europe  étoit 
en  feu,  la  France  ne  laissoit  pas  de  jouir  de  toute  la  tran- 
quillité et  de  tous  les  avantages  d'une  paix  profonde. 
Jamais  elle  ne  fut  si  florissante,  jamais  la  justice  ne  fut 
exercée  avec  tant  d'exactitude,  jamais  les  sciences,  ja- 
mais les  beaux-arts  n'y  ont  été  cultivés  avec  tant  de  soin. 
Il  a  lui  seul  plus  fait  bâtir  de  somptueux  édifices,  qae 
tous  les  rois  qui  l'ont  précédé.  Il  n'est  pas  croyable  com- 
bien de  citadelles  il  a  fait  construire,  combien  il  en  a  re- 
paré, de  combien  de  nouveaux  bastions  il  a  fortifié  se9 
places. 

Les  François',  il  y  a  quinze  ans,  passoient  pour  n'avoir 
aucune  connoissance  de  la  navigation  :  ils  pouvoient  à 
peine  mettre  en  mer  six  vaisseaux  de  guerre,  et  qaztre 
galères.  Maintenant  la  France  compte  dans  ses  ports 
vingt-six  galères,  et  cent  vingt  gros  vaisseaux,  et  on 
nombre  prodigieux  d'autres  bâtiments  :  elle  s'est  rendue 

1.  rar.  A  côté  de  lui.  (1784.) 

2.  f^ar.  Au  besoin  particulier.  (1784-) 

3.  Tout  ce  passage,  depuis  :  «  Les  François  »  jusqu'à  «  et  de» 
matelots,  n  ne  se  trouve  pas  dans  IVditîon  de  1780. 


DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV.  3o3 

si  savante  dans  la  marine,  qu'elle  donne  aujourd'hui  aux 
étrangers  et  des  pilotes  et  des  matelots.  Il  n'y  a  point  de 
génie  un  peu  élevé  au-dessus  des  autres,  dans  quelque 
profession  que  ce  soit,  que  le  Roi,  par  ses  largesses,  n'ait 
excité  à  travailler.  Aussi  la  France,  sous  son  règne,  ne  se 
ressentit  *  en  rien  ni  de  Tair  grossier  de  nos  pères,  ni  de 
la  rudesse  qu'une  longue  guerre  apporte  d'ordinaire  avec 
soi  :  on  y  voit  briller  une  politesse  que  les  nations  étran- 
gères prennent  pour  modèle  et  s'efforcent  d'imiter.  Mais 
ce  ne  sont  pas  les  seuls  bienfaits  du  Roi  qui  ont  produit 
tant  de  miracles,  et  qui  ont  porté  toutes  choses  à  ce  de- 
gré de  perfection  :  la  finesse  de  son  discernement  y  a 
plas  contribué  que  ses  libéralités  ;  les  plus  grands  génies, 
les  plus  savants  ouvriers'  ont  remarqué  que  pour  trou- 
ver le  plus  haut  point  de  leur  art,  il  leur  suffisoit  d'étu- 
dier le  goût  de  ce  prince.  La  plupart  des  chefs-d'œuvre 
qu'on  admire  dans  ses  palais  doivent  leur  naissance  aux 
idées  qu'il  en  a  fournies.  Toutes  ces  grâces,  toute  cette 
disposition  si  merveilleuse,  qui  surprend,  qui  enchante 
dans  ses  magnifiques  jardins,  n'est  bien  souvent  que  l'ef- 
fet de  quelque  ordre  qu'il  a  donné  en  les  visitant. 

Il  est  donc  juste  que  les  sciences  et  les  arts'  s'emploient 
à  éterniser  la  mémoire  d'un  prince  à  qui  ils  sont  rede- 
vables. Il  est  juste  que  les  écrivains  les  plus  illustres  le 
prennent  pour  l'objet  de  toutes  leurs  veilles^;  que  les 
pemtres,  que  les  sculpteurs*  s'exercent  sur  un  si  noble 
sujet.  Mais  tandis  qu'ils  travaillent  à  remplir  les  places  et 
les  édifices  publics  d'excellents  ouvrages  où  ses  actions* 

I.  yar.  Ne  se  ressent.  (1784.) 
a.  ^ar.  Les  plus  sarants  artistes.  (i784') 
3.  f^ar.  Que  les  sciences,  que  les  beaux-arts.  (1784.) 
4-  Comparez  les  rers  xgS-saa  du  chant  IV  de  V  Art  poétique  de 
Boileau. 

5.  y».  Que  les  peintres  et  les  sculpteurs.  (1784.) 

6.  Var,  Ou  ses  Tictoires.  (1784.) 


3o4  PRECIS  HISTORIQUE,  ETC. 

sont  représentées,  quelques  personnes  zélées  plus  parti- 
culièrement pour  sa  gloire  ont  voulu  avoir  dans  leur  ca- 
binet un  abrégé  en  tableaux  .des  plus  grandes  actions  de 
ce  prince  ;  c'est  ce  qui  a  donné  occasion  à  ce  petit  ou- 
vrage, qui  renferme  tant  de  merveilles  en  très-peu  d'es- 
pace, pour  leur  mettre  à  tout  moment^  devant  les  yeux 
ce  qui  fait  la  plus  chère  occupation  de  leurs  pensées. 

I .  Var^  C'est  ce  qui  a  donné  occasion  à  ce  volume.  EJles  ont 
choisi  un  pinceau  délicat,  qui  pât  renfermer  tant  de  merveilles 
en  trè»-peu  d^espace,  et  leur  mettre  à  tous  moments....  (1784-) 


FIN    DU    PBÉGIS  HISTORIQUE. 


RELATION 


DX  GX  QUI  s'XfT  PAfSB 


AU   SIEGE  DE  NAMUR 


NOTICE. 


Louis  Racins  a  donne  place  à  cette  Relation  parmi  les  Ou- 
vrages  attribués  à  Jean  Racine  c[u'il  a  publies  en  174?  axas 
l'appendice  qui  fait  suite  à  ses  Mémoires.  Voici  \  Avertissement 
dont  il  l'a  fait  précéder  :  «  La  relation  suivante,  imprimée  m- 
folio,  par  ordre  du  Roi,  chez  Thierry,  en  169a,  est  attribuée  à 
feu  M.  Racine  par  c[uelc[ues  personnes  qui  prétendent  que  le 
pablic,  trompé  par  un  style  qu'il  n'attendoit  pas  d'une  plume 
poétique,  n'en  soupçonna  pas  l'auteur,  et  parut  même  goûter 
davantage  l'histoire  du  même  événement  faite  dans  un  style 
très-dififérent  par  M.  de  Visé.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  a  cru  de- 
voir imprimer  ici  cette  Relation^  parce  qu'elle  est  devenue  fort 
rare,  et  qu'elle  a  rapport  à  plusieurs  choses  qui  se  trouvent 
dans  les  lettres  écrites  du  camp  devant  Namur  par  M.  Ra- 
cine à  Boileau.  »  On  pourrait  souhaiter  que  ce  témoignage,  le 
seul  que  nous  ayons,  fût  plus  aflirmatif.  Toutefois,  recueillie 
par  un  fils  de  Racine,  une  tradition,  même  trop  timidement 
attestée,  a  sa  valeur.  La  présomption  qu'elle  fournit  nous  pa- 
raît confirmée  par  les  indices  d'authenticité  qu'à  notre  senti- 
ment l'opuscule  porte  en  lui-même. 

J.  RAcnn.  T  90 


3o6         RELATION  DU  SIEGE  DE  NAMUR. 

Le  style  en  est  toujours  élégant  ;  mais  cp'on  fasse  particu- 
lièrement attention  au  début  de  l'historien^  aux  réflexions  par 
lesquelles  il  conclut  sa  Beiation^  à  tous  les  passages  qui  ne 
sont  pas  purement  techniques  :  c'est  là  surtout  qu'on  trouvera 
la  même  noblesse  sans  enflure,  la  même  marche  ferme  et  ra- 
pide des  périodes,  parfois  ce  même  souffle  oratoire,  c[ui  se  mo- 
dère autant  qu'il  faut  dans  un  écrit  de  ce  genre,  en  un  mot 
les  mêmes  caractères  que  d'autres  avant  nous  avaient  remar- 
qués dans  le  Précis  des  campagnes  de  167a  à  1678'.  11  semble 
bien  que  les  deux  ouvrages  doivent  être  de  la  même  plume. 
Ceux  qui  le  remarqueront  comme  nous  ne  mettront  pas  beau- 
coup plus  facilement  en  doute  l'authenticité  de  la  Rdation 
que  celle  du  Précis. 

La  Relation  du  siège  de  Namur  a  été  attribuée  à  Louis  XIV 
lui-même  par  le  général  de  Grimoard,  et  par  suite  insérée  au 
tome  IV,  p.  341  et  suivantes,  de  son  édition  des  Œuvres  de 
Louis  XIK*^  parmi  les  Mémoires  et  pièces  militaires,  G>mme 
Y AvertissemeiU  dont  il  l'a  fait  précéder  (p.  338)  contredit 
l'opinion  qui  est  à  nos  yeux  la  plus  vraisemblable ,  nous  de- 
vons le  citer  ici  :  «  Lorsque  Louis  XVI  me  remit  les  Mémoires 
de  Louis  XIV,  il  y  ajouta  quelques  pièces,  soit  manuscrites, 
soit  imprimées,  relatives  au  même  sujet,  et  parmi  ces  der- 
nières un  volume  très-rare  (contenant  seulement  44  pages  pe- 
tit in-folio,  ou  grand  in-4**,  ou  plutôt  d'un  format  bâtard),  io- 
titulé  :  Relation  ile  ce  qui  iest  passé  au  siège  de  Namur,  Avec 
les  plans  des  attaques^  de  la  disposition  des  lignes  et  des  moâr 
vements  des  armées^  imprimée  à  Paris  par  Denis  Thierry,  en 
169a,  avec  tout  le  luxe  typographique  en  usage  alors,  un 
plan  et  une  carte,  siu*  lesquels  on  a  eu  soin  de  ne  pas  omettre 
qu'ils  étaient  gravés  par  ordre  du  Roi,  dont  on  voit  le  chîfire 
et  les  armes  sur  les  vignettes  placées  au  frontispice  et  à  la 
première  page  de  ce  volume.  L'examen  attentif  que  j'en  fis 
me  persuada  que  Louis  XIV  en  était  l'auteur.  On  y  recomiaft 
presque  à  chaque  phrase  son  ton,  ses  locutions  ;  et  si  l'on  sub- 
stitue le  moi  habituel  à  Louis,  quand  il  parlait  de  lui-même, 

I.  Voyez  dans  l'édition  de  1784  de  ce  Précis  la  page  vm  de  VJ- 
vertissemeni, 

3.  Six  volumes  in-S»,  à  Paris,  chez  Treuttel  et  Wârtz,  1806. 


NOTICE.  3o7 

aux  qualifications  le  Roi  ou  Sa  Majesté,  on  croira  lire  ses  Rc'^ 
lotions  de  1678  et  de  1678,  qui  sont  ce  qu'il  a  composé  de 
plus  étendu  et  de  plus  suivi  dans  ce  genre.  On  remarque  seu- 
lement que  le  style  de  cette  pièce  historique  est  un  [)eu  moins 
négligé,  parce  qu'on  y  fit  quelques  légères  corrections  avant 
de  la  mettre  sous  presse  :  mesure  qui  eut  lieu  immédiatement 
après  le  retour  du  Roi  de  l'armée,  et  par  le  motif  évident  de 
blâmer  la  conduite  du  prince  d'Orange,  qui  n'avait  rien  tenté 
pour  secourir  Namur.  L'opuscule  dont  il  s'agit  contient  même 
sur  son  compte  des  réflexions  et  des  traits  que  Louis  seul  au- 
rait osé  se  permettre  ;  et  quand  même  il  n'aurait  pas  eu  pour 
principal  objet  de  décrier  son  ennemi,  la  conquête  de  Namur 
était  pour  lui  une  entreprise  et  un  succès  de  prédilection, 
dont  il  est  assez  naturel  qu'il  ait  rédigé  et  fait  publier  sans 
délai  le  résultat.  Louis  XVI  partagea  mon  opinion,  et  la  for- 
tifia en  m'apprenant  qu'il  avait  trouvé  la  campagne  de  Na-» 
mur  dans  les  armoires  de  Louis  XV,  où  il  en  existait  deux 
exemplaires.  Il  m'en  montra  un  très-bien  conservé,  avec  une 
ancienne  reliure  fort  dorée,  et  ajouta  que  l'état  de  dégrada- 
tion  de  celui   qu'il  m'avait   remis  paraissait  indiquer   qu'il 
avait  pu  servir  à  l'éducation  de  Louis  XV  pendant  son  en- 
fance. Je  crois  que  Pellisson,  rédacteur  ordinaire  de  Louis  XIV, 
et  qui  ne  mourut  que  le  7  février  1693,  corrigea  la  Relation 
de  1692.  Il  est  cependant  possible  que  c'ait  été  Racine.  L'é- 
diteur de  ses  Œuvres  a  placé,  page  298  du  troisième  volume, 
sous  la  dénomination  ^Ouvrages  attribués  à  M.  Racine,  pré- 
cisément le  même  écrit,   avec  le  titre  de  Relation  de  ce  qui 
icst  passé  au  siège  de  Namur,  Mais  Racine  n'en  peut  être 
Fauteur;  car,  outre  qu'il  eût  certainement  employé  une  dic- 
tion plus  pure  et  plus  élégante,   il  n'entendait  pas  assez  les 
détails  d'un  siège  et  des  mouvements  d'armée  pour  les  rendre 
avec  autant  de  clarté,  smtout  d'exactitude,  et  dans  les  termes 
techniques.    Il   rassemblait  des  matériaux  authentiques  pour 
\Eistoire  de  Louis  XIV ,  qui  lui  en  fournissait  lui-même;  il 
peut  donc  lui  avoir  donné  une  copie  de  cette  Relation,  qui 
aura  été  trouvée  parmi  ses  papiers,  et  que  l'éditeur  de  ses 
Œuvres  a  supposé  mal  à  propos  être  son  ouvrage.  » 

Personne  ne  croira  que  la  Relation  du  siège  de  Namur  ait 
été  écrite  par  Louis  XIV,  ni  qu'on  y  reconnaisse  «  presque  à 


/ 


3o8         RELATION  DU  SIEGE  DE  NAMUR. 

chaque  phrase,  son  ton,  ses  locutions.  »  Qu'il  ait  fourni  les 
matériaux  du  travail,  il  est  permis  de  le  supposer  ;  mais  il  ne 
l'eût  pas  ainsi  rédigé  lui-même,  avec  tout  l'art  d'un  littérateur 
de  profession.  On  peut  voir  dans  les  Mémoires  de  Louis  XIV 
publiés  par  M.  Charles  Dreyss  (a  volumes  in-8",  Paris,  1860), 
tome  II,  p.  5o8-5ii,  à  quoi  se  réduisent  ces  Relations  de 
1673  et  de  1678  qu'allègue  le  général  de  Grimoard.  L'édi- 
teur des  Œuvres  de  Louis  XIV  reconnaît  d'ailleurs  que  la 
Relation  du  siège  de  Namur  a  dû,  avant  l'impression,  être  cr»^ 
rigée  par  quelque  écrivain  auquel  le  Roi  aura  confié  ce  soio. 
Il  voudrait  seulement  que  les  corrections  fussent  regardées 
comme  légères.  Mais  quel  a  été  le  correcteur  ?  PellissoD, 
comme  il  le  croit  probable  ?  Les  objections  qu'on  a  opposées 
à  ceux  qui  ont  attribué  à  Pellisson  le  Précis  des  rampagnft 
de  1671  à  1678,  nous  paraîtraient  avoir  plus  de  force  contre 
la  conjecture  du  général  de  Grimoard.  Il  est  encore  moins 
vraisemblable  que  Pellisson  ait  été  choisi  de  préférence  à  Ra- 
cine en  169a,  qu'à  l'époque  de  la  piiix  de  Nimègue.  On  ne 
reconnaît  pas  plus  le  style  de  Pellisson  dans  la  Relation  ài 
siège  de  Namur  que  dans  l'autre  opuscule  historique  :  c'est 
plutôt,  dans  l'une  comme  dans  l'autre,  celui  de  Racine,  suivant 
l'idée  que  peut  nous  en  donner  l'éloge  de  la  politique  de 
Louis  XIV  dans  le  discours  prononcé  à  la  réception  de  Tho- 
mas Corneille.  M.  de  Grimoard  accorde  qu'il  est  possible  que 
Racine  ait  corrigé  la  Relation  écrite  par  le  Roi.  Cela  nous  suf- 
firait; car  ici,  entre  avoir  corrigé  et  avoir  rédigé,  la  diffé- 
rence ne  saurait  être  grande.  Cependant  M.  de  Grimoard  ne 
l'entend  pas  ainsi.  Il  ne  juge  pas  le  style  de  la  Relation  assez 
pur,  assez  élégant  pour  l'attribuer  à  Racine;  nous  ne  pen- 
sons pas  que  tout  le  monde  ait  la  même  impression.  U 
croit  que  Racine  ne  pouvait  pas  raconter  un  siège  avec 
cette  exactitude  et  dans  cette  langue  souvent  technique.  Mais 
un  écrivain  teJ  que  Racine,  ayant  sous  les  yeux  les  docu- 
ments qu'avaient  fournis  les  hommes  du  métier,  savait  com- 
prendre et  parler  leur  langue.  Il  avait  d'ailleurs  assisté  à  ce 
siège  de  Namur,  avec  le  devoir  de  s'y  rendre  compte  de  tout, 
et  les  lettres  qu'il  a  écrites  alors  à  Boileau  attestent  assez  que 
les  détails  techniques  ne  lui  échappaient  point.  Du  reste,  avec 
cet   argument  de  l'incomi^étence  dans  les  choses  militaires. 


NOTICE.  3o9 

on  écarterait  également,  ou  l'on  pourrait  tout  au  plus  recon- 
naître pour  auteurs  de  quelques  retouches  de  style,  Pellisson 
ou  Boileau  ;  si  même  Ton  songeait  à  Valincour,  nous  doutons 
qu'il  fût  beaucoup  plus  homme  de  guerre  que  les  autres  his- 
toriographes. Les  noms  de  Boileau  et  de  Valincour  sont  les 
seub  qui  se  soient  présentés  à  notre  idée  avec  ceux  de  Ra- 
due  et  de  Pellisson.  Au  commencement  de  la  lettre  que  Ra- 
cioe  écrivait  à  Boileau,  Au  camp  près  de  Namur^  le  il^  juin 
(1692),  il  lui  annonçait  que  Valincour  allait  lui  écrire  une 
relatioD  de  la  prise  du  fort  Guillaume.  Vahncour  était  donc 
là  près  du  comte  de  Toulouse.  Témoin  oculaire,  comme  Ra- 
cine, des  hauts  faits  du  siège,  il  aurait  pu  à  la  rigueur  être 
cbargë  d'en  écrire  l'histoire.  Il  ne  faut  pas  oublier  ce|)endant 
qu'il  ne  fut  désigné  pour  continuer  les  travaux  de  Boileau  et 
de  Racine  qu'après  la  mort  de  celui-ci  ;  et  il  est  difficile  d'ad- 
mettre qu'en  169a  Louis  XIV  se  soit  adressé  plutôt  à  lui 
qu'à  l'un  de  ses  historiographes  en  titre.  Quant  à  Boileau, 
qui  n'était  pas  à  Namur,  comme  son  collaborateur,  il  y  a  peu 
de  vraisemblance  qu'on  ait  fait  choix  de  lui;  il  se  contenta 
sans  doute  de  composer  son  Ode  sur  le  fameux  siège.  Enfin 
il  Êiut  toujours,  en  l'absence  de  toute  preuve  positive,  en  re- 
venir au  style  de  la  Relation  :  la  plume  de  Valincour  ou  de 
Boileau  lui-même  s'y  reconnaît-elle  plus  que  celle  de  Pel- 
lisson? 

Dans  le  court  Avertissement  de  Louis  Racine  que  nous 
avons  cité,  il  est  dit  que  le  public  parut  goûter,  plus  que  la 
Relation  attribuée  à  Racine,  celle  que  de  Visé  fit  «  dans  un 
style  très-différent.  »  Cest  ce  qu'on  a  de  la  peine  à  s'expli- 
quer. Sans  doute  les  informations  qui  avaient  été  données  au 
Mercure  galant  étaient  exactes  aussi;  et  poUr  une  partie  des 
événements  il  a  pu  citer  textuellement  un  Journal  envoyé  de 
l'armée  au  duc  de  Bourgogne.  Ce  document  avait  son  prix. 
Mais  combien  d'ailleurs  le  récit  de  de  Visé,  indigeste  dans 
son  ensemble,  méritait  peu  la  préférence  qui  lui  fut,  dit-on, 
donnée!  Louis  Racine  a  bien  raison  de  parler  de  la  grande 
différence  du  style.  Une  singidarité  à  noter,  c'est  que  dans 
la  Relation  attribuée  à  Racine,  on  ne  trouve  rien  qui  rap- 
pelle particulièrement  ce  qu'il  a  écrit  à  Boileau  du  camp  de- 
vant Namur,  tandis  que  de  Visé,  qui  avait  eu  évidemment 


3io         RELATION  DU  SIÈGE  DE  NÀMUR. 

Gommunicatioii  des  lettres  de  Racine,  a  raconta,  avec  des  dé- 
tails tout  semblables  à  ceux  qui  s'y  trouvent,  plusieurs  épi- 
sodes du  siëge,  l'histoire  du  grenadier  Sans^Raison^  le  mot  du 
maréchal  de  Luxembourg  à  un  ofBcier  espagnol  fait  prison- 
nier, celui  d'un  déserteur  de  notre  armée  au  prince  d'Orange, 
l'anecdote  du  soldat  qui  eut  le  bras  fracassé  en  posant  un  ga- 
bion. Mais  il  ne  faudrait  pas  que  cette  remarque  rendît  dou- 
teuse l'attribution  à  Racine  d'une  relation  où  il  aurait  moins 
fait  d'emprunts  que  de  Visé,  dans  la  sienne,  à  sa  propre 
correspondance.  Son  bon  goût  a  pu  l'avertir  que  dans  le  ré- 
cit simple  et  sévère,  publié  comme  celui  même  qu'adoptait 
l'État  (nous  dirions  aujourd'hui  ilans  le  récit  officiel)^  certains 
détails,  quelc[ue  piquants  qu'ils  fussent,  ne  devaient  pas  trou- 
ver place. 

La  Relation  de  de  Visé  a  été  publiée  en  deux  parties.  L'une 
et  l'autre  servent  de  suppléments  au  Mercure  galant  de  juin 
169a.  La  première  a  pour  titre  :  Siège  de  Namur^  avec  unjtmt' 
nal  des  mouvemens  faits  peiidant  ce  siège  par  (armée  du  M^ 
commandée  par  M.  le  maréchal  duc  de  Luxembourg^  et  par  celle 
des  alliés  y  commandée  par  M,  le  prince  et  Orange  (i  volume 
in-i2,  à  Paris,  chez  Michel  Rrunet,  M.DC.XCII).  En  tête  do 
volume  est  une  épître  A  Son  Mtesse  Sérénissime  Monseigneur 
le  Duc^  signée  Devise.  La  seconde  est  intitulée  :  Histoire  du 
siège  du  chasteau  de  N€unur  (i  volume  in-ia,  à  Paris,  chei 
Michel  Rrunet,  M.DC.XCII).  Il  y  a  également  une  épître  en 
tète  de  ce  volume  ;  elle  est  adressée  A  Monseigneur  le  comte 
de  Toulouze^  tuniral  de  France^  et  signée  aussi  Devise. 

Le  texte  c[ue  nous  donnons,  et  que  Louis  Racine  avait  déjà 
suivi  avec  une  exactitude  à  peu  près  irréprochable,  est  celui 
de  la  première  édition,  dont  le  titre  est  tel  que  dans  XAver- 
tissement  du  général  de  Grimoard  ci-dessus  cité.  Avant  le 
titre  il  y  a  dans  la  première  édition  un  Plan  de  la  ville  et  chai' 
teau  de  Namur;  à  la  fin  du  volume  une  Oirte  particulière  des 
mouvements  faits  et  des  postes  occupez  par  les  armées  de  France 
et  celles  des  confederez  pendant  le  siège  de  Namur ,  et  un  Plan 
des  lignes  de  t armée  du  Roi  devant  la  ville  et  château  de 
Namur,  Nous  reproduisons  dans  \  Album  qui  accompagne  notre 
édition  cette  carte  et  ces  deux  plans. 

Dans  l'édition  de  Luneau  de  Boisjermain  (1768),  la  Ke* 


NOTICE.  3ii 


Uuion  de  ce  qui  s'est  passé  au  siège  de  Namur  a  été  placée 
parmi  les  Ouvrages  attribués  à  M.  Racine.  Les  éditions  de  la 
Harpe  (1807),  de  Geofiroy  (1808)  et  de  M.  Âimé-Martîn 
font  donnée  sans  la  distinguer  des  œuvres  authentiques. 


RELATION 

DK  GB  QUI  b'iST  PASSÉ 


AU  SIÈGE  DE  NAMUR 


Il  y  avoit  près  de  quatre  ans*  que  la  France  soutenoit 
^la  guerre  contre  toutes  les  puissances,  pour  ainsi  dire, 
deTEurope,  avec  un  succès  bien  différent  de  celai  dont 
ses  ennemis  s'étoient  flattés.  Elle  avoit  non-seulement 
renversé  tous  les  projets  de  la  fameuse  Ligue  d^Aogs^ 
bourg,  mais  même,  par  la  sagesse  de  sa  conduite  et  par 
la  vigueur  de  sa  résistance,  elle  avoit  réduit  les  confédérés, 
d^agresseurs  qu'ils  étoient,  à  la  honteuse  nécessité  de  se 
défendre.  Tout  le  monde  voy oit  avec  étonnementqu*une 
nation  attaquée  par  tant  de  peuples  conjurés  contre  elle, 
et  dont  ils  avoient  par  avance  partagé  la  dépouiUe,  eût  si 
heureusement  fait  retomber  sur  eux  les  malheurs  qu'ils 
lui  préparoient;  qu'elle  eût  vaincu  dans  tous  les  lieux  où 
ils  Tavoient  obligée  de  porter  ses  armes;  et  qu'enfin, 
tant  de  puissances  réunies  pour  Taccabler  n'eussent  bit 
que  fournir  partout  de  la  matière  à  ses  conquêtes  et  à  ses 
triomphes. 

En  effet,  depuis  cette  dernière  guerre,  sans  parler 
des  célèbres  journées  de  Fleuru*,  de  Staffarde  et  de 

I .  La  guerre  de  la  Ligue  d^Augsboarg  avait  commencé  le  jour  où 
Louis  XIV  publia  le  manifeste  qui  précéda  le  siège  de  Philisboar;, 
c'est-à-dire  le  s4  septembre  1688. 

9.  L'édition  de  1699  a  partout  Fleuru^  et  non  Fleurus.  Nous  con- 
servons pour  les  noms  propres  l'orthographe  de  cette  édition. 


RELATION  DU  SIÈGE  DE  NAMUR.  3i3 

Leoze\  où  ils  avoient  perdu  leurs  meilleures  troupes, 
sans  compter  aussi  {>lasieurs  de  leurs  places  prises  et 
rasées,  ils  avoient  vu  passer  sous  la  domination  de  la 
France  Philisbourg  en  Allemagne ,  Nice  et  Monmélian 
en  Savoie,  et  enfin  Mons  dans  les  Pays-Bas*. 

Mais,  malgré  les  avantages  continuels  que  le  Roi  rem- 
portoit  sur  eux,  ils  se  flattoient  tous  les  ans  de  quelque 
révolution  en  leur  faveur  ;  ils  croyoient  que  la  fortune  se 
lasseroit  de  suivre  toujours  le  même  parti,  et  qu*enfin  la 
France  seroit  contrainte  de  succomber  et  à  la  force  ou- 
verte qu'ils  lui  opposoient  au  dehors,  et  aux  atteintes  se- 
crètes qu'ils  tàchoient  de  lui  porter  au  dedans. 

La  principale  espérance  de  leur  Ligue  étoit  fondée  sur 
la  haute  opinion  que  tous  ceux  qui  la  composent  avoient 
du  grand  génie  du  prince  d'Orange,  qui  en  est  comme  le 
chef  et  le  premier  mobile  ;  et  lui-même  ne  manquoit  pas 
de  les  flatter  par  toutes  les  illusions  dont  il  les  croyoit 
capables  de  se  laisser  prévenir.  Il  leur  avoit  fait  espérer 
d'abord  que  le  premier  effet  de  son  établissement  sur  le 
trône  d'Angleterre  seroit  l'abaissement  de  la  France.  Il 
s'étoit  depuis  excusé  du  peu  de  secours  qu'ib  avoient  reçu 
de  lui,  sur  la  nécessité  où  il  s'étoit  vu  d'employer  à  la 
réduction  de  l'Irlande  la  meilleure  partie  de  ses  forces. 
Hais  enfin,  se  voyant  paisible  possesseur  des  trois  royau- 
mes, et  en  état  de  se  donner  tout  entier  à  la  cause  com- 
mune, il  avoit  marqué  l'année  169a  comme  l'année  fatale 
à  la  France,  et  où  les  révolutions  si  longtemps  attendues 


I .  Le  marëchal  de  Luxembourg  avait  été  vainqueur  dans  la  pre- 
mière de  ces  journées  (i*'  juillet  1690);  Catinat,  dans  la  seconde 
(18  août  1690);  le  marëchal  de  Luxembourg,  dans  la  troisième 
(19  septembre  1691). 

a.  Philisbourg  avait  capitule  le  19  octobre  1688;  Nice,  le  a6  mars 
1691  ;  et  la  citadelle  de  Nice,  le  a  avril  suivant;,  Montmélian,  le 
31  d<k:embre  1691  ;  Mons,  le  8  avril  de  la  même  annëe. 


3i4  RELATION 

dévoient  arriver.  Pour  joindre  rezécation  aux  promesses, 
il  employoit  aux  grands  apprêts  de  la  campagne  prochaine 
les  sonunes  excessives  qu*il  tiroit  des  Anglois  et  des  Hol- 
landois;  et  à  son  exemple  ses  alliés  faisoient  aussi  tous  les 
efforts  possibles  pour  profiter  d'une  si  favorable  conjonc- 
ture. 

Le  Roi,  vers  la  fin  de  l'année  1691,  instruit  de  leurs 
préparatifs,  jugea  qu'il  falloit  non-seulement  opposer  It 
force  à  la  force,  pour  parer  les  coups  dont  ils  le  mena- 
çoient,  mais  qu'il  falloit  même  leur  en  porter  auxquels 
ils  ne  s'attendissent  pas,  et  les  forcer' par  quelque  entre- 
prise éclatante  ou  à  faire  la  paix,  ou  à  ne  pouvoir  faire  la 
guerre  qu'avec  d'extrêmes  difficultés.  Il  étoit  exactement 
informé  de  l'état  de  leurs  forces  tant  de  terre  que  de  mer. 
Il  n'ignoroit  pas  que  le  prince  d'Orange,  dans  les  Pays- 
Bas,  pouvoit,  avec  ses  troupes  et  avec  celles  de  ses  alliés, 
mettre  ensemble  jusqu'à  six-vingt  mille  bonunes;  mais, 
connoissant  ses  propres  forces,  il  crut  que  ce  nombre, 
quelque  grand  qu'il  f&t,  ne  seroit  pas  capable  d'arrêter 
ses  progrès;  et  résolu  d'ailleurs  de  combattre  ses  enne- 
mis s'il  s'en  présentoit,  il  ne  douta  point  de  les  vaincre. 

n  ne  crut  pas  même  devoir  se  borner  à  une  médiocre 
conquête  ;  et  Namur  étant  la  plus  importante  place  qui 
leur  restât,  et  celle  dont  la  prise  pouvoit  le  plus  contri- 
buer à  les  affoiblir  et  à  rehausser  la  réputation  de  ses 
armes,  il  résolut  d'en  former  le  siège. 

Namur,  capitale  de  l'une  des  dix^sept  provinces  des 
Pays-Bas,  à  laquelle  elle  a  donné  le  nom,  avoit  été  re- 
gardée de  tout  temps  par  nos  ennemis  comme  le  plus  fort 
rempart,  non-seulement  du  Brabant,  mais  encore  da 
pays  de  Liège,  des  Provinces  Unies,  et  d'une  partie  de  la 
basse  Allemagne.  En  effet,  outre  qu'elle  assuroit  la  com- 
munication de  toutes  ces  provinces,  on  peut  dire  que,  par 
sa  situation  au  confluent  de  la  Sambre  et  de  la  Meuse, 


DU  SIÈGE  DE  NAMUR.  3i5 

qai  la  rend  maîtresse  de  ces  deux  rivières,  elle  étoit  éga- 
lement bien  placée,  et  pour  arrêter  les  entreprises  que  la 
France  pourroit  faire  contre  les  pays  que  je  viens  de 
nommer,  et  pour  faciliter  celles  qu'on  pourroit  faire  con- 
tre la  France  même.  Ajoutez  à  ces  avantages  l'assiette 
merveilleuse  de  son  château,  escarpé  et  fortifié  de  toutes 
parts,  et  estimé  imprenable  ;  mais  surtout  la  disposition 
du  pays,  aussi  inaccessible  à  ceux  qui  voudroient  attaquer 
la  place,  que  favorable  pour  les  secours;  et  enfin  le 
grand  nombre  de  toutes  sortes  de  provisions  que  les  con- 
fédérés y  avoient  jetées,  et  qu'ils  avoient  dessein  d'y  jeter 
encore  pour  la  subsistance  de  leurs  armées. 

Le  Roi,  après  avoir  examiné  toutes  les  difficultés  qui 
se  présentoient  dans  cette  entreprise,  donna  ses  ordres, 
tant  pour  établir  de  grands  magasins  de  vivres  et  de  mu- 
nitions le  long  de  la  Meuse  et  dans  ses  places  firontières 
des  Pays-Bas,  que  pour  faire  hiverner  commodément 
dans  les  provinces  voisines  de  grands  corps  de  troupes, 
sous  prétexte  d'observer  celles  des  ennemis,  qui  y  gros- 
sissoient  continuellement.  Il  fit  aussi  des  augmentations 
considérables  de  cavalerie  et  d^infanterie,  et  disposa  enfin 
toutes  choses  avec  sa  prévoyance  ordinaire. 

Mais  en  même  temps  il  préparoit  une  puissante  diver- 
sion du  côté  de  l'Angleterre,  où  il  prenoit  des  mesures 
pour  y  rétablir  sur  le  trône  le  légitime  souverain. 

Les  alliés,  de  leur  côté,  ne  formoient  pas,  comme  j'ai 
dit,  de  petits  projets.  Le  prince  d'Orange,  en  passant  la 
mer,  Tavoit  aussi  fait  repasser  à  ses  meilleures  troupes, 
et  en  assembloit  de  toutes  parts  un  grand  nombre  d'au- 
tres, qu'il  établissoit  dans  toutes  les  places  de  son  parti 
les  plus  proches  de  celles  de  France.  Il  avoit  soin  surtout 
d'en  remplir  les  places  des  Espagnols,  desquelles  par  ce 
moyen  il  se  proposoit  de  se  rendre  insensiblement  *le 
maître. 


3i6  RELATION 

Il  se  tenoit  de  continuelles  conférences  à  la  Haye,  en- 
tre lui  et  les  autres  confédérés,  sur  Temploi  qu'ils  dé- 
voient faire  de  leurs  forces,  ne  se  promettant  pas  moins 
que  de  faire  une  irruption  en  France  au  commencement 
du  printemps.  Dans  cette  vue  ils  faisoient  travailler  à  un 
prodigieux  amas  de  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  une 
grande  expédition,  et  se  tenoient  tellement  sûrs  du  suc- 
cès ,  qu'ils  ne  daignoient  pas  même  cacher  les  délibéra- 
tions qui  se  prenoient  dans  leurs  assemblées. 

Ces  conférences  finies,  le  prince  d'Orange  s'étoit  retiré 
à  Lo6,  maison  de  plaisance  qu'il  a  dans  le  pays  de  Guel- 
dres,  lieu  solitaire  et  conforme  à  son  humeur  sombre  et 
mélancolique,  où  d'ailleurs  il  trouvoit  le  plus  de  iaciiité 
pour  entretenir  ses  correspondances  secrètes.  Le  déplaisir 
qu'il  avoit  eu  Tannée  précédente  de  voir  prendre  Mons 
en  sa  présence,  sans  avoir  pu  rien  faire  pour  le  secourir, 
donnoit  lieu  de  croire  qu'il  prendroit  des  mesures  pour 
se  mettre  hors  d'état  de  recevoir  un  pareil  aifront.  Et  en 
effet,  il  prétendoit  avoir  si  bien  disposé  toutes  choses, 
qu'il  pouvoit  assembler  en  peu  de  jours  toutes  les  forces 
de  son  parti,  ou  pour  tomber  sur  les  places  dont  il  juge- 
roi  t  à  propos  de  faire  le  siège,  ou  pour  courir  au  secours 
de  celles  que  la  France  entreprendroit  d'attaquer. 

Ainsi,  en  attendant  la  saison  propre  pour  agir,  il  affec- 
toit  de  mener  à  Loô  une  vie  fort  tranquille,  y  prenant 
presque  tous  les  jours  le  divertissement  de  la  chasse,  et 
paroissant  aussi  peu  ému  de  tous  les  avis  qu'il  recevoit 
des  grands  préparatifs  dé  la  France  sur  mer  et  sur  terre, 
que  si  elle  eût  été  hors  d'état  de  rien  entreprendre,  ou 
qu'il  eût  été  le  maître  des  événements.  Cette  tranquilliti* 
apparente,  à  la  veille  d'une  campagne  si  importante  pour 
les  deux  partis,  étoit  fort  vantée  par  ses  admirateurs,  qui 
l'attribuoient  à  une  grandeur  d'àme  extraordinaire;  et 
ses  alliés  la  croyant  un  effet  de  sa  pénétration  et  de  la 


DU  SIEGE  DE  NAMUR.  3i7 

justesse  des  mesures  qu'il  avoit  prises  pour  assurer  ]e  suc- 
cès de  ses  desseins,  se  moquoient  eux-mêmes  de  toutes 
les  ifaquiétudes  qu'on  leur  vouloit  donner,  et  demeuroient 
dans  une  pleine  confiance  qu'il  ne  leur  pouvoit  arriver 
aucun  mal. 

Au  commencement  du  mois  de  mai,  ils  apprirent  que 
le  Roi,  suivi  de  toute  sa  cour,  étoit  arrivé  auprès  de  Mons, 
où  étoit  le  rendez-vous  de  ses  armées  de  Flandres^.  £n 
même  temps  ils  surent  qu'une  autre  armée  étoit  sur  les 
côtes  de  Normandie,  prête  à  passer  la  mer  avec  le  roi 
d'Angleterre;  qu'un  grand  nombre  de  bâtiments  de 
charge  étoient  à  la  Hogue,  avec  toutes  les  provisions  né- 
cessaires pour  faire  une  descente  dans  ce  royaume;  et 
qu'enfin  une  flotte  de  soixante  gros  vaisseaux,  destinée 
pour  appuyer  le  passage  et  le  débarquement  des  troupes, 
n'attendoit  à  Brest,  et  dans  les  autres  ports,  qu'un  vent 
favorable  pour  entrer  dans  la  Manche. 

Le  prince  d'Orange  commença  alors  à  se  repentir  de 
sa  fausse  confiance.  D'un  côté,  il  prévit  l'orage  qui  alloit 
fondre  dans  les  Pays-Bas,  et  jugea  dès  lors  qu'il  lui  seroit 
fort  difficile  de  l'empêcher;  de  l'autre,  il  n'ignoroit  pas 
que  tous  les  ports  d'Angleterre  étoient  ouverts,  qu'il 
n'avoit  encore  ni  flottes  pour  couvrir  les  côtes  du 
royaume,  ni  armée  pour  combattre  les  François  à  la 
descente;  qu'il  leur  seroit  aisé  d'aller  jusqu'à  Londres, 
où  ils  trouveroient  la  plupart  des  seigneurs  mécontents 
de  lui,  et  les  peuples  fatigués  des  grandes  sommes  qu'il 
exigeoit  d'eux.  En  un  mot,  il  appréhendoit  que  le  roi  son 
beau-père  ne  trouvât  autant  de  facilité  à  se  rétablir  sur 
le  trône,  qu'il  lui  avoit  été  facile  de  l'en  chasser.  Dans 
cet  embarras,  il  feignit  pourtant  de  ne  songer  qu'à  sau- 

I.  Le  Roi  était  parti  de  Versailles  le  lo  mai  169a  ;  il  arriva  le 
17  mai  au  camp  de  Gevries,  près  de  Mons. 


3i8  RELATION 

ver  la  Flandre,  et  assembla  en  diligence,  et  avec  grand 
bruit,  un  corps  de  troupes  sous  Bruxelles.  Mais  en  même 
temps  il  dépécha  le  lord  Pordand  à  Londres,  pour  con- 
certer avec  la  princesse  d'Orange  et  avec  son  conseil  les 
moyens  de  garantir  TAngleterre  de  Finvasion  des  Fran- 
çois. Il  donna  ordre  qu'on  armât  toutes  les  milices  du 
royaume,  et  qu'on  y  fit  repasser  les  troupes  restées  en 
Ecosse  et  en  Irlande;  qu'on  arrêtât  toutes  les  personnes 
soupçonnées  d^intelligence  avec  les  ennemis  ;  et  qu'enfin 
on  assemblât  la  plus  nombreuse  armée  qu^on  pourroit, 
tant  pour  contenir  le  dedans  du  royaume,  que  pour 
border  les  côtes  où  l'on  soupconnoit  que  les  François 
voudroient  tenter  la  descente.  Surtout  il  pressa  Tanne- 
ment  de  ses  flottes,  et  voulut  qu'on  y  travaillât  nuit  et 
jour,  n'épargnant  pour  cela  ni  l'aident  des  Anglois  et  des 
HoUandois,  ni  celui  de  tous  ses  alliés.  Non  content  de 
ces  précautions,  il  fit  remarcher  à  Willemstat,  entre 
l'embouchure  de  l'Escaut  et  de  la  Meuse,  une  partie  des 
régiments  qu'il  avoit  amenés  d'Angleterre ,  pour  être  en 
état  d'y  repasser  au  premier  ordre,  et  commanda  qu  on 
lui  tînt  un  vaisseau  tout  prêt  pour  y  repasser  lui-même. 
Toutes  ces  précautions  étoient  un  peu  tardives,  et  cou- 
roient  risque  de  lui  être  absolument  inutiles,  si  les  vents 
eussent  été  alors  aussi  favorables  aux  François  qu'ils  leur 
étoient  contraires. 

Sur  ces  entrefaites,  le  Roi,  durant  cinq  jours,  ayant 
assemblé  ses  armées  dans  les  plaines  de  Gevries ,  entre 
les  rivières  de  Haisne  et  de  Trouille,  il  en  fit,  le  vingt- 
unième  de  mais  la  revue  générale.  Il  les  trouva  oom- 

1 .  Racine,  dans  sa  Lettre  à  Boileau  datëe  f  Au  camp  de  Gerries, 
le  91*  mai,  »  écrit  :  t  Le  Roi  fit  hier  la  revue  de  son  armée  et  de 
celle  de  M.  de  Luxembourg.  »  Cette  revue  générale  eut  donc  lien 
le  30,  et  non  le  ai.  U  est  vrai  que  dans  la  Gazette  du  8  juillet  1693 
(Journal  du  siège  de  Namur,  p.  395)  on  lit  :  «  Le  ai,  il  fit  la  reme 


DU  SIÈGE  DE  MAMUR.  Big 

plètes,  et  dans  le  meilleur  état  qu'il  pouvoit  souhaiter.  Il 
trouva  aussi  que,  conformément  à  ses  ordres,  on  avoit 
chargé  à  Mons  de  munitions  de  guerre  et  de  bouche  plus 
de  six  mille  chariots  tirés  des  pays  conquis  :  tellement 
qii*il  se  vit  en  état  de  se  mettre  en  marche  deux  jours 
après  cette  revue. 

L'armée  destinée  pour  faire  le  siège  de  Namur,  et  qu'il 
avoît  résolu  de  commander  en  personne,  étoit  de  qua- 
rante bataillons  et  de  quatre-vingt-dix  escadrons.  L'autre 
année,  commandée  par  le  maréchal  duc  de  Luxembourg, 
composée  de  soixante-six  bataillons  et  de  deux  cent  neuf 
escadrons  %  devoit  tenir  la  campagne  et  observer  les  en- 
nemis, qui  à  cause  de  cela  Font  depuis  appelée  Tannée 
d'observation. 

Les  lieutenants  généraux  de  l'armée  du  Roi  étoient  le 
duc  de  Bourbon,  le  comte  d'Auvergne,  le  duc  deVilleroy, 
le  prince  de  Soubize,  les  marquis  de  Tilladet  et  de  Bouf- 
flers  et  le  sieur  de  Rubentel.  Le  marquis  de  Boufflers 
étoit  nommé  aussi  pour  commander  une  autre  armée  que 
dans  ce  temps-là  même  il  assembloit  dans  le  Condroz^. 

des  troupes.  »  Mais  dans  celle  du  a4  mai  169a,  p.  aSa,  les  informa- 
tions sont  d'accord  avec  celles  de  la  Lettre  de  Racine  :  «  Le  ao,  il 
fit  la  revue  des  deux  armées.  1  Le  Mercure  galant  {Siège  de  Namur^ 
p.  39)  donne  à  la  revue  la  date  du  az. 

I.  «  Son  armée  [celle  de  Luxembourg)  est  de  soixante-six  batail- 
lons et  de  deux  cent  neuf  escadrons.  »  (Lettre  de  Racine  à  Boileau, 
31  mai  1693.)  —  «  L'armëe  de  Sa  Majesté,  qui  est  de  quarante  ba- 
taillons et  de  quatre-vingt-dix  escadrons,  sVtendoit  sur  la  gauche  de 
Saint-Sjrmphorien  ;  celle  que  commande  le  maréchal  de  Luxembourg 
tenoit  depuis  Auray  jusqu'aux  hautes  Ëstines. . . .  Elle  est  de  soixante- 
six  bataillons  et  de  cent  quatre-vingt-onze  escadrons.  »  {Gazette  du 
34  mai  1693.)  —  On  voit  qu'il  y  a  une  différence,  mais  peu  considé- 
rable, entre  les  chiffres  des  diverses  relations. 

3.  La  Gazette  du  8  juillet  1693,  p.  336,  nomme  aussi  le  Condros^  à 
Toccasion  de  l'investissement  de  Namur  :  «  Le  marquis  de  Boufflers, 
qui  étoit  dans  le  Condros  ayec  son  armée,  l'investit  en  même  temps.  > 
Autrefois  les  Gcndmses,  peuples  de  la  Gaule  Belgique,  voisins  de 


3ao  RELATION 

Les  maréchaux  de  camp  étoient  le  duc  de  Roquelaure,  le 
marquis  de  Montrevel,  le  sieur  de  Gongis,  les  comtes  de 
Montchevreuil,  de  Gassé  et  de  Guiscar,  et  le  baron  de 
Bresse.  Au  reste,  le  dauphin  de  France,  le  duc  d'Orléans, 
le  prince  de  Condé  et  le  maréchal  de  Humières  avoient  le 
principal  commandement  sous  le  Roi.  Le  sieur  de  Vau- 
ban,  lieutenant  général,  étoit  chargé  de  la  direction  des 
attaques. 

Le  maréchal  de  Luxembourg  avoit  pour  lieutenants 
généraux  le  prince  de  Conti,  le  duc  du  Maine,  le  duc  de 
Yandosme,  le  duc  de  Choiseûil,  le  comte  du  Montai,  et 
le  comte  de  Roses,  mestre  de  camp  de  la  cayalerie  lé> 
gère  ;  et  pour  maréchaux  de  camp,  le  chevalier  de  Yan- 
dosme, grand  prieur  de  France,  les  marquis  de  la  Va- 
lette et  de  Çoigny ,  les  sieurs  de  Vatteville  et  de  Polastron. 
Le  baron  de  Busca,  aussi  maréchal  de  camp,  commandoit 
particulièrement  la  maison  du  Roi.  Le  corps  de  réserve 
étoit  commandé  par  le  duc  de  Chartres. 

Ces  deux  armées  partirent  donc  le  vingt-troisième  de 
mai.  Celle  du  maréchal,  qui  étoit  campée  le  long  du  mis- 
seau  des  Estines,  alla  passer  la  Haisne  entre  Marlanwelz 
sous  Mariraont  et  Mouraige,  et  campa  le  soir  à  Feluy  et 
à  Arquennes,  proche  de  Nivelle.  Celle  du  Roi  traversa 
les  plaines  de  Binche,  et  ayant  passé  la  Haisne  à  Car- 
nières,  alla  camper  à  Capelle  d'Herlaimont,  le  longda 
ruisseau  de  Piéton.  Le  Roi  raenoit  avec  lui  une  partie  de 
son  artillerie  et  de  ses  munitions;  l'autre  partie,  accom- 
pagnée d'une  grosse  escorte,  alla  passer  la  Sambre  à  la 
Bussière,  pour  marcher  à  Philippeville,  et  de  là  au  siège 
qui  de  voit  être  formé. 

la  forêt  des  Ardennes,  habitaient,  sar  les  bords  de  TOurthe,  uo  petit 
pays  qui,  dans  la  basse  latinité,  s^est  appelé  Condrustum^  et  qui  an 
dix-septième  siècle  faisait  partie  de  Tévêché  de  Liège,  sous  le  nom 
à'^archidiaeoné  de  Condros, 


DU  SIEGE   DR  NAMUR.  Su 

Le  lendemain  vingt-quatrième,  le  maréchal  alla  cam- 
per entre  Tabbaye  de  Villers^  et  Marbais,  proche  de  la 
grande  chaussée;  et  le  Roi,  dans  la  plaine  de  Saint- 
Amand,  entre  Ligny  et  Fleuru. 

La  nuit  suivante,  il  détacha  le  prince  de  Condé  avec 
six  mille  chevaux  et  quinze  cents  hommes  de  pied,  pour 
aller  investir  Namur  entre  le  ruisseau  de  Risnes  et  la 
Meuse,  du  côté  de  la  Hesbaye.  Le  sieur  Quadt,  avec  sa 
brigade  de  cavalerie,  Tinvestit  depuis  ce  ruisseau  jusqu'à 
la  Sambre.  Le  marquis  de  BouiQers,  avec  quatorze  batail- 
lons et  quarante-huit  escadrons,  faisant  partie  de  Tarmée 
qu'il  assembloit,  parut  en  même  temps  devant  la  place, 
de  Vautre  côté  de  la  Meuse  ;  et  enfin  le  sieur  de  Ximenes, 
avec  les  troupes  qu'il  venoit  de  tirer  de  Philippeville  et 
de  Dinant,  auxquelles  le  marquis  de  Boufflers  ajouta  en- 
core douze  escadrons,  investit  la  place  du  côté  du  châ- 
teau, occupant  tout  le  terrain  qui  est  entre  Sambre  et 
Meuse,  en  telle  sorte  que  Namur  se  trouva  en  même 
temps  entouré  de  tous  côtés. 

Le  vingt-cinquième,  Tarmée  du  maréchal  de  Luxem- 
bourg alla  camper  sur  le  ruisseau  d'Aurenault,  dans  la 
plaine  de  Gemblours;  et  celle  du  Roi,  auprès  de  Milmont 
et  de  Golzenne,  au  delà  des  Mazis,  d'où  il  envoya  ordre 
au  maréchal  de  détacher  le  comte  du  Montai  avec  quatre 
mille  chevaux,  pour  aller  se  poster  à  Longchamp  et  à 
Gennevoux,  proche  des  sources  de  la  Mehaigne;  et  le 
comte  de  Coigny,  avec  un  pareil  détachement,  pour  aller 


I.  Dans  l'exemplaire  de  IVdition  de  169a  qae  nous  avons  eu  sons 
les  yeux,  une  correction  à  la  main  a 'change  le  nom  de  f^'UUrt  en 
celui  de  yiUej.  On  trouve  en  effet  sur  la  Carte  particulière  des  mou- 
Hments  faits  et  des  postes  occupés...^  qui  est  jointe  à  cette  édition, 
rUUj-tAhhaye^  non  loin  de  Filiey^-la-f^Uie.  Cependant  la  Gaiette  du 
8  juillet  169s  {Journal  du  siège  de  Piamur^  p.  3a6)  et  le  Mercure  ga^ 
laiu  (Siège  de  Namur,  p.  3a),  nomment  V abbaye  de  f^iUers. 

J.  RAcms.  ▼  at 


3aa  RELATION 

se  poster  à  Chasselet,  près  de  Çharleroy.  Le  premier  de- 
voit  couvrir  le  camp  du  Roi  du  côté  du  Brabant,  et  l*aa- 
tre  favoriser  les  convois  de  Maubeuge,  de  Philipperille 
et  de  Dinant,  et  tenir  en  bride  la  garnison  de  Charleroy 
et  les  corps  de  troupes  que  les  ennemis  y  pourroieot  en- 
voyer. 

Le  vingt-sixième,  le  Roi  arriva  sur  les  six  heures  du 
matin  devant  Namur.  Il  reconnut  d'abord  les  environs 
de  la  place  depuis  la  Sambre  jusqu*au  ruisseau  de  We- 
drin,  examina  la  disposition  du  pays,  les  hauteurs  qu'Q 
falloit  occuper,  et  les  endroits  par  où  il  falloit  faire  passer 
les  lignes.  Il  donna  ses  ordres  pour  la  construction  des 
ponts  de  bateaux  sur  la  Sambre  et  smr  la  Meuse,  et  régla 
enfin  tout  ce  qui  concemoit  rétablissement  et  la  $ùreté 
des  quartiers.  Il  choisit  le  sien  entre  le  village  de  Flawine 
et  unç  métairie  appelée  la  Rouge-Cense,  un  peu  au-des- 
sus de  l'abbaye  de  Salzenne.  Ensuite  il  s'avança  sur  la 
hauteur  de  cette  abbaye,  pour  considérer  la  situation  de 
la  placç  et  les  çuvrages  qui  la  couvroient  de  ce  côté-là. 
En  reconnoissant  tous  ces  endrpits,  il  admira  sa  bonne 
fortune  et  le  peu  de  prévoyance  des  ennemis,  et  confessa 
lui-même  qu'en  postant  seulement  de  bonne  heure  quinze 
mille  hommes,  ou  sur  les  hauteurs  du  château,  ou  sur 
celles  du  ruisseau  de  Wedrin,  ils  auroient  pu  faire  avor- 
ter tous  ses  desseins,  et  mettre  Namur  hors  d'état  d^étie 
attaqué.  Il  ordonna  au  comte  d'Auvergne  de  se  saisir  de 
l'abbaye  de  Salzenne,  et  des  moulins  qui  en  sont  proche  : 
ce  qui  fut  aussitôt  exécuté.  Le  marquis  de  Tilladet  eut 
aussi  ordre  de  visiter  tous  les  gués  qu'il  pouvoit  y  avoir 
dans  la  Sambre,  depuis  le  quartier  du  Roi  jusqu'à  la 
place  ;  et  le  marquis  d'AIegre,  avec  un  corps,  de  dragons, 
fut  envoyé  pour  se  saisir  du  passage  de  Gerbizé,  poste 
important  sur  le  chemin  de  Huy  et  de  liége  du  côté  de 
la  Hesbaye. 


DU  SIÈGE  DE  NAMUR.  3!t3 

Cependant  Falamie  étoit  parmi  les  ennemis.  Comme 
ils  ignoroient  encore  où  aboutiroit  la  marche  du  Roi,  ils 
se  hàtoient  de  renforcer  les  garnisons  de  tontes  leurs 
places.  Ils  craignoient  surtout  pour  Charleroy,  pour  Ath, 
pour  Liège,  et  pour  Bruxelles  même.  Mais  à  l'égard  de 
Namur,  Télecteur  de  Bavière,  se  confiant  à  la  bonté  de  la 
place  et  à  la  grosse  garnison  qui  étoit  dedans,  souhaitoit 
qu'il  prît  envie  au  Roi  de  l'assiéger.  Le  rendez-vous  de 
leur  armée  étoit  aux  environs  de  Bruxelles,  et  il  y  arrivoit 
tous  les  jours  un  fort  grand  nombre  de  troupes  de  toute 
sorte  de  nations.  Elles  faisoient  déjà  près  de  cent  mille 
hommes,  dont  le  principal  commandement  et  la  direction 
presque  absolue  étoient  entre  les  mains  du  prince  d'O- 
range, l'électeur  de  Bavière  ^  n'ayant  dans  cette  armée 
qu'une  autorité  comme  subalterne.  On  peut  juger  com- 
bien des  forces  si  prodigieuses  enfloient  le  cœur  des  con- 
fédérés. Us  demandoient  qu^on  les  fît  marcher  au  plus 
^te,  et  se  tenoient  sûrs  de  rechasser  le  Roi  jusque  dans 
le  cœur  de  son  royaume.  Il  étoit  d'heure  en  heure  exac- 
tement informé  et  de  leur  marche  et  de  leur  nombre,  et 
se  mettoit  de  son  côté  en  état  de  les  bien  recevoir. 

L'armée  devant  Namur  étoit  séparée  par  les  deux  ri- 
vières en  trois  principaux  quartiers,  dont  le  premier, 
c'est  à  savoir  celui  du  Roi,  ocoupoit  tout  le  côté  du  Bra- 
bant,  depuis  la  Sambre  jusqu'à  la  Meuse  ;  le  second,  qui 
étoitcehu  du  marquis  de  Boufflers,  s'étendoit  dans  le  Con- 
droz,  depuis  la  Meuse  au-dessous  de  Namur,  jusqu'à  cette 
même  rivière  au-dessus;  et  le  troisième,  sous  le  sieur  de 
Ximenes,  tenoit  le  pays  d'entre  Sambre  et  Meuse.  Au 
reste,  le  quartier  du  Roi  étoit  divisé  en  plusieurs  autres 
quartiers;  car  outre  le  Dauphin  et  le  duc  d'Orléans,  qui 

I.  Maximilten-Emiiumuel,  duc  et  électeur  de  BATière,  av^it  été 
nonuodë  gouverneur  des  Paya-Bas  esp^gnp^s,  en  169^,  apr^s  la 
mort  du  marquis  de  Castanaga. 


324  RELATION 

campoient  tout  auprès  de  sa  personne,  il  a  voit  aussi  dans 
son  quartier  le  prince  de  Gondé,  le  maréchal  de  Hu- 
mières,  et  tous  les  lieutenants  généraux ,  à  la  réserve  du 
marquis  de  Boufflers;  et  ils  y  avoient  chacun  leur  poste 
ou  leur  quartier,  le  long  des  lignes  de  circonvallation. 

Le  Roi ,  dès  le  premier  jour,  donna  ses  ordres  pour 
faire  tracer  ces  lignes  sur  un  circuit  au  moins  de  cinq 
lieues.  Elles  commençoient  à  la  Sambre,  du  côté  du  Bra- 
bant,  un  peu  au-dessus  du  village  de  Flawine;  et  traver- 
sant un  fort  grand  nombre  de  bois,  de  villages  et  de  ruis- 
seaux, en  deçà  et  au  delà  de  la  Meuse,  passoient  dans 
la  forêt  de  Marlagne,  et  revenoient  finir  à  la  Sambre, 
entre  Tabbaye  de  Malogne  et  une  espèce  de  petit  château 
qu^on  appeloit  la  Blcinche-Maison, 

Le  vingt-septième,  c'est-à-dire  le  lendemain  deTar- 
rivée  du  Roi  devant  la  place,  il  alla  visiter  le  quartier 
du  prince  de  Gondé,  entre  le  ruisseau  de  Wedrin  et  h 
Meuse,  et  y  vit  les  parcs  d'artillerie  et  de  munitions.  De 
là  s'étant  avancé  avec  le  sieur  de  Vauban  sur  la  hauteur 
du  Quesne  de  Bouge,  qui  commande  d'assez  près  la 
ville,  entre  la  porte  de  Fer  et  celle  de  Saint-Nicolas,  la 
résolution  fut  prise  d'attaquer  cette  dernière  porte.  Ce 
même  jour  les  ponts  de  bateaux  furent  partout  achevés, 
et  la  communication  des  quartiers  entièrement  établie. 

Il  restoit  encore  les  quartiers  de  Bou£3ers  et  de  Xi- 
menes  à  visiter.  Le  Roi  s'y  transporta  donc  le  vingt-hoi- 
tième,  et  ayant  passé  la  Sambre  à  la  Blanche-Maison,  et 
la  Meuse  au-dessous  du  village  de  Huepion,  reconnut 
tout  le  côté  de  la  place  qui  regarde  le  Condroz,  reconnut 
aussi  le  faubourg  de  Jambe ,  où  les  ennemis  s'étoient  re- 
tranchés au  bout  du  pont  de  pierre  qu'ils  y  avoient  sur 
la  Meuse;  et  ayant  remarqué  le  long  de  cette  rivière  une 
petite  hauteur  d'où  on  voyoit  à  revers  les  ouvrages  de  la 
porte  de  Saint-Nicolas  qui  est  de  l'autre  côté,  il  oom- 


DU  SIEGE   DE  NAMUR.  ':)a5 

manda  qu'on  y  élevât  des  batteries.  Ces  derniers  jours 
et  les  suivants,  les  convois  d'artillerie  et  de  toute  sorte 
de  munitions  arrivèrent  de  Philippeville  par  terre,  et  de 
Dmant  par  la  Meuse  ;  et  on  commença  à  cuire  le  pain 
dans  le  camp  pour  la  subsistance  des  deux  armées  ^ 

Ce  fut  vers  ce  temps-là  que  plusieurs  dames  de  qua- 
lité' de  la  province,  qui  s'étoient  réfugiées  dans  Namur, 
et  plusieurs  des  dames  mêmes  de  la  ville  firent  demander 
par  un  trompette  la  permission  d^en  sortir,  ce  qu'on  ne 
jugea  pas  à  propos  de  leur  accorder.  Mais  ces  pauvres 
dames  se  confiant  à  la  générosité  du  Roi,  et  la  peur  des 
bombes  l'emportant  en  elles  sur  toute  autre  considéra- 
tion, elles  sortirent  à  pied  par  la  porte  du  château,  sui- 
TOs  seulement  de  quelques-unes  de  leurs  femmes,  qui 
portoient  leurs  bardes  et  leurs  enfants,  et  se  présen- 
tèrent à  la  garde  prochaine.  Les  soldats  les  menèrent 
d*abord  à  la  Hanche-Maison,  près  des  ponts  qu^on 
avoit  faits  sur  la  Sambre,  d'où  le  Roi,  qui  eut  pitié 
d^elles,  et  qui  les  fit  traiter  favorablement,  les  fit  con- 
duire le  lendemain  à  l'abbaye  de  Malogne ,  et  de  là  à 
Philippeville. 

Vingt  mille  pionniers ,  commandés  dans  les  provinces 
conquises,  étant  arrivés  alors  à  l'armée,  ils  furent  aussi- 
tôt employés  aux  lignes  de  circonvallation,  aux  abatis  de 
bois  et  aux  réparations  de  chemins. 

Les  assiégés  avoien^  encore  quelque  infanterie  dans  les 
bois  au-dessus  des  moulins  à  papier  de  Saint-Servais; 


I .  c  Les  fours  étant  achèves  de  bâtir  au  yillage  de  Flavines,  près 
de  la  Sambre,  on  commença  à  y  cuire  du  pain  pour  l^armëe  du 
Roi  et  pour  celle  de  M.  de  Luxembourg.  »  {Mercure  galant^  Siégt  de 
Namur^  p.  71.) 

a.  Elles  étaient  au  nombre  de  trente  ou  quarante,  d'après  le  Mer~ 
cure  galamt,  qui  conte  cet  épisode  avec  plus  de  détails,  dans  le  Siège 
Je  Namur^  p.  $9-65. 


3a6  RELATION 

mais  le  Roi  ayant  ordonné  cju'on  Fen  chassât,  elle  ne  tint 
point,  et  se  renferma  fort  vite  dans  la  ville. 

La  garnison  étoit  de  neuf  mille  deux  cent  quatre- 
vingts  hommes,  en  dix-sept  régiments  d'infanterie  de 
plusieurs  nations,  savoir  cinq  allemands  des  troupes  de 
Brandebourg  et  de  Lunebourg,  cinq  hoUandois,  trois 
espagnols,  quatre  wallons,  et  en  un  régiment  de  cava- 
lerie et  quelques  compagnies  franches.  Le  prince  de  Bar- 
bançon,  gouverneur  de  la  province,  Fétoit  aussi  de  la 
ville  et  du  château ,  et  toutes  ces  troupes  avoient  ordre 
de  lui  obéir.  On  ne  doutoit  pas  qu'étant  pourvues  de 
toutes  les  choses  nécessaires  pour  soutenir  un  long  siège, 
et  ayant  à  défendre  une  place  de  cette  réputation,  égale- 
ment bien  fortifiée  et  par  Fart  et  par  la  nature,  une  gar- 
nison si  nombreuse  ne  se  signalât  par  une  vigoureuse 
résistance,  d'autant  plus  qu'elle  n'ignorait  pas  les  grands 
apprêts  qui  se  faisoient  pour  la  secourir. 

Le  Roi,  pour  ne  point  accabler  ses  troupes  de  trop  de 
travail,  n^attaqua  d'abord  que  la  ville  seule.  On  y  fit 
deux  attaques  différentes;  mais  il  y  en  avoit  une  qui 
n'étoit  proprement  qu'une  fausse  attaque,  et  c'étoit  celle 
qui  étoit  de  delà  la  Meuse.  La  véritable  étoit  en  deçà. 
Il  fut  résolu  d'y  ouvrir  trois  tranchées ,  qui  se  rejoin- 
droient  ensuite  par  des  lignes  parallèles  :  la  première,  le 
long  du  bord  de  la  Meuse;  la  seconde,  à  mi-côte  de  la 
hauteur  de  Bouge  ;  et  la  troisième,  par  un  grand  fond  qm 
aboutissoit  à  la  place  du  côté  de  la  porte  de  Fer. 

Toutes  choses  étant  donc  préparées,  la  tranchée  (bt 
ouverte  la  nuit  du  vingt-neuvième  au  trentième  mai. 
Trois  bataillons  avec  un  lieutenant  général  et  un  briga- 
dier montèrent  à  la  véritable  attaque,  et  deux  à  la  fansse 
avec  un  maréchal  de  camp  :  ce  qui  fut  continué  jusqu'à 
la  prise  de  la  ville.  Le  comte  d'Auvergne,  comme  le  plus 
ancien  lieutenant  général,  monta  la  première  garde.  Dès 


DU  SIÈGE  DE  NAMUR.  3^7 

cette  nuit  on  avança  le  travail  jusqu'à  quatre-vingts  toises 
près  *  du  glacis;  on  travailla  en  même  temps  avec  tant  de 
diligence  aux  batteries,  tant  sur  la  hauteur  de  Bouge  que 
de  Tautre  côté  de  la  Meuse,  que  les  unes  et  les  autres  se 
trouvèrent  bientôt  en  état  de  tirer,  et  de  prendre  la  su- 
périorité  sur  le  canon  de  la  place. 

La  nuit  suivante,  le  travail  qu'on  avoit  fait  fut  perfec- 
tionné. 

La  nuit  du  trente-unième  mai,  on  travailla  à  s'étendre 
du  côté  de  la  Meuse,  pour  resserrer  d'autant  plus  les  as- 
siégés, et  les  empêcher  de  (aire  des  sorties. 

Le  premier  de  juin,  on  continua  les  travaux  à  la  sape, 
l'artillerie  ruinant  cependant  les  défenses  des  assiégés^ 
qui  étant  vus  de  front  et  à  revers  de  plusieurs  endroits, 
n'osoient  déjà  plus  parottre  dans  leurs  ouvrages. 

La  nuit  du  premier  au  deuxième  juin,  on  se  logea  sur 
un  avant-chemin  couvert,  en  deçà  de  Favant-fossé  que 
formoient  les  eaux  des  ruisseaux  de  Wedrin  et  de  Risnes. 
On  tira  ensuite  une  ligne  parallèle  pour  faire  la  commu- 
nication de  toutes  les  attaques,  et  on  éleva  de  l'autre 
côté  de  la  Meuse»  sur  le  bord  de  l'eau,  deux  batteries,  qui 
commencèrent  à  tirer,  dès  la  pointe  du  jour,  contre  la 
branche  du  demi-bastion  et  contre  la  muraille  qui  régnent 
le  long  de  cette  rivière.  Ce  même  jour,  sur  les  huit  heured 
du  matin,  le  marquis  de  Boufflers  fit  attaquer  le  fatkbourg 
de  JaUibe,  que  les  ennemis  occùpoient  encore,  et  s'en 
rendit  maître.  Sur  le  midi,  l'avant-fossé  de  la  porte  de 
Saint-Nicolas  se  trouvant  comblé^  et  toutes  choses  dispo- 
sées pour  attaquer  la  contrescarpe,  les  gardes  suisses  et 
le  régiment  de  Stoppa*,  de  la  même  nation,  qui  étoient 

I.  Louis  Racine  a  supprima  le  mot  près. 

9.  D  est  dit  dans  le  Mercure  (Siège  de  Namur^  p.  i3o)  :  «  deux 
{baiatUoni)  du  vieux  Stoupe,  »  On  trouve  dans  les  diverses  relations 
ce  nom  écrit  Stoppa^  Stt^pa,  Stouppa^  Stoupe.  —  Pierre  Stoppa, 


3a8  RELATION 

de  tranchée  sous  le  marquis  de  Tilladet,  lieutenant  gé- 
néral de  jour,  y  marchèrent  Fépée  à  la  main,  et  rempor- 
tèrent. Ils  prirent  aussi  une  petite  lunette  revêtue,  qui 
défendoit  la  contrescarpe,  et  se  logèrent  en  très-peu  de 
temps  sur  ces  dehors,  sans  que  les  ennemis,  qui  (ai- 
soient  de  leurs  autres  ouvrages  un  fort  grand  feu ,  osas- 
sent faire  aucune  tentative  pour  s'y  rétablir.  On  leur 
tua  beaucoup  de  monde  en  cette  action. 

Le  soir  du  deuxième  juin,  le  marquis  de  Boufflers  étant 
de  garde  à  la  tranchée,  on  s'aperçut  que  les  assiégés 
avoient  aussi  abandonné  une  demi-lune  de  terre  qui  coa- 
vroit  la  porte  de  Saint-Nicolas.  G>mme  le  fossé  n'en 
étoit  pas  fort  profond ,  il  {ut  bientôt  comblé ,  et  quoique 
la  demi-lune  fût  fort  exposée,  et  que  les  ennemis  ûrassent 
sans  discontinuer  de  dessus  le  rempart,  on  se  logea  en- 
core dans  cette  demi-lune  sans  beaucoup  de  perte. 

Les  batteries  basses  de  la  Meuse  continuoient  cepen- 
dant à  battre  en  ruine  la  branche  du  demi-bastion  et  la 
muraille,  qui  étoient,  comme  j'ai  dit,  le  long  de  cette 
rivière.  Gomme  ses  eaux  étoient  alors  assez  basses,  on 
s'étoit  flatté  de  pouvoir  conduire  une  tranchée  le  long 
d'une  langue  de  terre  qu'elle  laissoit  à  découvert  au  pied 

Gflîson  d'origine,  et  qui  deyint  en  1678  lieatenant  génénl  des  ar- 
mées du  Roi,  avait  été  chargé  en  1671  de  négocier  en  Saisie  la  le- 
vée de  plusieurs  régiments  pour  le  service  de  la  France.  Par  00m- 
mission  du  17  février  167a,  il  en  eut  un  qui  porta  son  nom.  En 
1677,  son  frère  cadet,  Jean-Baptiste  Stoppa,  fîit  colonel  d'un  aatre 
régiment  suisse,  composé  de  compagnies  franches,  et  qu'on  distin- 
gua, par  le  nom  déjeune  Stoppa,  du  viemx  Stoppa  qui  était  celui  de 
Pierre  Stoppa.  Le  régiment  du  vieux  Stoppa  faisait  partie,  au  siëge 
de  Namur,  de  la  hrigade  de  Polier.  Après  la  reddition  de  la  ville, il  r 
fut  mis  en  garnison.  Voyez  la  Chronologie  lùstorl^ue-mUitaire,.,.  pir 
M.  Pinard  (8  volumes  in-4«,  Paris,  1760-1778),  tome  IV,  p.  3o5; 
et  V Histoire  militaire  des  Suisses  au  service  de  la  France....  par  M.  le 
baron  de  Zur-Lauben  (8  volumes  in-is,  Paris,  1751-1753),  tomel, 
p.  149  et  143,  et  tome  III,  p.  148,  17$  et  a3s. 


DU  SIÈGE  DE  NAMUR.  Bug 

du  rempart,  et  on  auroit  ainsi  attaché  bientôt  le  mineur 
au  corps  de  la  place.  Mais  la  Meuse  s^étant  enflée  tout 
à  coup  par  les  grandes  pluies  qui  survinrent,  et  qui  ne 
discontinuèrent  presque  plus  jusqu'à  la  fin  du  siège,  on 
fut  obligé  d'abandonner  ce  dessein,  et  de  s'attacher  uni- 
quement aux  ouvrages  que  Ton  avoit  devant  soi. 

L'artillerie  ne  cessa ,  pendant  le  troisième  et  le  qua-* 
trième  juin,  de  battre  en  brèche  la  face  et  la  branche  du 
demi-bastion  de  la  Meuse,  et  y  fit  enfin  une  ouverture 
considérable.  Les  assiégés  témoignoient  à  leur  air  beau- 
coup de  résolution,  et  travailloient  même  à  se  retrancher 
en  dedans.  Mais  on  les  voyoit  qui ,  dans  la  crainte  vrai- 
semblablement d'un  assaut ,  transportoient  dans  le  chft- 
teau  leurs  Punitions  et  leurs  meilleurs  effets.  A  la  fin, 
comme  ils  virent  qu'on  étoit  déjà  logé  sur  la  pointe  du 
demi-bastion ,  le  cinquième  de  juin  au  matin ,  le  duc  de 
Bourbon  étant  de  jour,  ils  battirent  tout  à  coup  la  cha- 
made, et  demandèrent  à  capituler.  Après  quelques  pro- 
positions qui  furent  rejetées  par  le  Roi,  on  convint,  entre 
autres  articles  :  Que  les  soldats  de  la  garnison  entreroient 
dans  le  château  avec  leurs  familles  et  leurs  effets;  qu'il 
7  auroit  pour  cela  une  trêve  de  deux  jours,  et  que  pen- 
dant tout  le  reste  du  siège  on  ne  tireroit  point  ni  de  la 
ville  sur  le  château,  ni  du  château  sur  la  ville,  avec  liberté 
aux  deux  partis  de  rompre  ce  dernier  article  lorsqu*ils 
le  jugeroient  à  propos,  en  avertissant  néanmoins  qu'ils 
ne  le  vouloient  plus  tenir. 

La  capitulation  signée,  le  régiment  des  gardes  prit 
aussitôt  possession  de  la  porte  de  Saint-Nicolas.  Ainsi  la 
(ameuse  ville  de  Namur,  défendue  par  neuf  mille  hommes 
de  garnison,  fut,  en  six  jours  d'attaque,  rendue  à  trois  ou 
quatre  bataillons  de  tranchée,  ou,  pour  mieux  dire,  à  un 
seul  bataillon,  puisqu'il  n'y  en  eut  jamais  plus  d'un  à  la 
tranchée  le  long  de  la  Meuse,  qui  fut  celle  par  où  la  place 


33o  RELATI019 

fat  emportée.  On  peut  même  remarquer  qu  on  n'eut  pas 
le  temps  de  perfectionner  les  lignes  de  circottvallation, 
et  qu'à  peine  on  achevoit  d'y  mettre  la  dernière  main, 
que  y  la  ville  étant  prise,  Ton  fut  obligé  de  les  raser  pour 
transporter  les  troupes  de  l'autre  côté  de  la  Sambre. 

Pendant  que  la  ville  capituloit,  on  eut  nouvelles  qu'en- 
fin les  alliés  s'avançoient  tout  de  bon  pour  faire  lever  le 
siège.  Au  premier  bruit  que  le  ftoi  étoit  devant  Namnr, 
ils  s'étoient  hâtés  d'unir  ensemble  toutes  leurs  forces.  Ils 
avoient  dépéché  aux  généraux  Flemming  et  Serclaës, 
dont  le  premier  assembloit  les  troupes  de  Brandeboui]^ 
aux  environs  d'Aix-la-Chapelle,  et  l'autre  celles  de  Liège 
dans  le  voisinage  de  cette  ville,  avec  ordre  de  les  venir 
joindre;  et  le  prince  d'Orange  avec  1  électeur  de  Bavière, 
à  la  tête  de  l'armée  confédérée ,  a  jant  passé  le  canal  de 
Bruxelles,  étoit  venu  camper  à  Dighom,  puis  à  Lefdaël  et 
à  Wossem,  de  là  à  l'abbaye  du  Parc  et  au  château  d'He^ 
verle,  près  de  Louvain.  Il  séjourna  quelque  temps  dans 
ce  dernier  camp^  ou  pour  donner  le  temps  à  toutes  ses 
forces  de  le  joindre,  ou  n'osant  s'engager  trop  avant  dans 
le  pays,  ni  s'éloigner  de  la  mer,  dans  l'inquiétude  où  il 
étoit  de  la  descente  dont  l'Angleterre  étoit  menacée.  Il 
apprit  enfin  que  sa  flotte,  jointe  à  celle  de  Hollande,  fai- 
sant ensemble  quatre-vingt-dix  vaisseaux  de  guerre,  étoit 
à  la  mer  avec  un  vent  favorable;  et  qu'au  contraire  le 
comte  de  Tourville,  n'ayant  pu  être  joint  par  les  escadres 
du  comte  d'Estrée,  du  comte  de  Châteauregnaut,  et  du 
marquis  de  la  Porte ,  n'avoit  que  quarante-quatre  vais- 
seaux, avec  lesquels  il  s'efforcoit  d'entrer  dans  la  Manche. 
Alors,  voyant  ses  afiaires  vraisemblablement  en  sûreté 
de  ce  côté-là,  il  feignit  die  n'y  plus  songer,  et  ne  parla 
plus  que  d'aller  secourir  Namur. 

Il  partit  des  environs  de  Louvain*  lé  cinquième  juin» 
et  vint  camper  à  Meldert  et  à  Bauechem.  Il  campa  le  len* 


DU  SIÈGE  DE  NAMUR.  33 1 

demain  sixième  auprès  de  Hongaerde  et  de  Tirlemont; 
le  septième,  entre  Orp  et  Montenackem,  au  delà  de  la 
rivière  de  Ghete;  et  enfin  le  huitième,  sur  la  grande 
chaussée  entre  Thinnes  et  Breff,  à  la  vue  du  maréchal  de 
Luxembourg.  La  prise  de  la  ville  ayant  mis  le  Roi  en  état 
de  faire  des  détachements  de  son  armée ,  il  avoit  envoyé 
à  ce  maréchal  le  comte  d'Auvergne  et  le  duc  de  Villeroy , 
lieutenants  généraux,  avec  une  partie  des  troupes  qui  se 
trouvoient  campées  du  côté  du  Brabant. 

Pour  lui,  la  trêve  qu'il  avoit  accordée  aux  assiégés 
étant  expirée,  il  avoit  passé  de  l'autre  côté  de  la  Sambre» 
avec  ce  qui  lui  étoit  resté  de  troupes  au  delà  de  cette  ri- 
vière. C'étoit  le  septième  de  juin  qu  il  quitta  son  premier 
camp  pour  en  venir  prendre  un  autre  entre  Sambre  et 
Meuse,  dans  la  forêt  de  Marlagne.  Voici  de  quelle  ma- 
nière ce  nouveau  camp  étoit  disposé.  Le  quartier  du  Roi 
étoit  auprès  d'un  couvent  de  carmes,  qu'on  appeloit  le 
Désert.  Il  y  avoit  une  ligne  de  troupes  qui  s'étendoit  de- 
puis Tabbaye  de  Malogne  sur  la  Sambre,  jusques  au  pont 
construit  sur  la  Meuse  à  Huepion.  Une  autre  ligne  de 
dix  bataillons ,  qui  composoient  la  brigade  du  régiment 
du  Roi,  eut  son  camp  marqué  sur  les  hauteurs  du  châ- 
teau, pour  en  occuper  tout  le  front,  qui  est  fort  resserré 
par  les  deux  rivières,  et  pour  rejeter  ainsi  les  ennemis 
dans  leurs  ouvrages.  Mais  il  n'étoit  pas  facile  de  les  dé- 
poster de  ces  hauteurs ,  et  moins  encore  des  retranche- 
ments qu'ils  y  avoient  faits  à  la  faveur  de  quelques  mai- 
sons, et  entre  autres  d'un  hermitage  qu'ils  avoient  for- 
tifié en  forme  de  redoute.  Néanmoins  la  brigade  du  Roi 
eut  ordre  de  les  aller  attaquer. 

Les  troupes,  qui  avoient  cru  ce  jour-là  n'avoir  autre 
chose  à  (aire  qu'à  s'établir  paisiblement  dans  leur  nou- 
veau camp,  et  qui,  dans  ce  moment-là,  portoient  leurs 
tentes  et  leurs  autres  bardes  sur  leurs  épaules ,  jetèrent 


33a  RELATIOxX 

aussitôt  à  terre  tout  ce  qui  les  embarrassott,  pour  ne  gar- 
der que  leurs  armes,  et  grimpant  en  bon  ordre  et  sur  un 
même  front,  malgré  l'extrême  roideur  d'un  terrain  rabo- 
teux et  inégal,  arrivèrent  sur  la  crête  de  la  montagne,  au 
travers  d'une  grêle  de  coups  de  mousquet,  que  les  enne- 
mis leur  tiroient  avec  tout  l'avantage  qu'on  peut  s'ima- 
giner. Le  soldat,  quoique  tout  hors  d'haleine,  renversa 
leurs  postes  avancés,  et  les  poursuivit  jusques  à  une  se- 
conde hauteur,  non  moins  escarpée  que  la  première,  où 
leurs  babillons  étoient  rangés  en  bon  ordre  pour  les  sou- 
tenir. Mais  rien  ne  put  arrêter  la  furie  des  François.  Les 
bataillons  furent  aussi  chassés  de  ce  second  poste,  et 
menés  battant,  l'épée  dans  les  reins,  jusques  à  leurs  re- 
tranchements, qui  même  couroient  risque  d  être  forcés, 
si  le  prince  de  Soubize,  lieutenant  général  de  jour,  elle 
sieur  de  Vauban,  rappelant  les  troupes,  ne  les  eussent 
obligées  de  se  contenter  du  poste  qu'elles  avoient  occupé. 
Cette  action,  qui  fut  fort  vive  et  fort  brillante  dans  toutes 
ses  circonstances,  coûta  à  la  brigade  du  Roi  douze  ou 
quinze  officiers,  et  quelque*  cent  ou  six-vingts  soldats, 
ou  tués  ou  blessés. 

Aussitôt  on  travailla  à  se  bien  établir  sur  cette  hau- 
teur, et  on  y  ouvrit  une  tranchée ,  laquelle  fut  tous  les 
jours  relevée  par  sept  bataillons.  Il  ne  fut  pas  possible 
les  jours  suivants  d'avancer  beaucoup  le  travail,  tant  à 
cause  du  terrain  pierreux  et  difficile  qu'on  rencontra  en 
plusieurs  endroits,  que  des  orages  eflfroyahles  et  des 
pluies  continuelles  qui  rompirent  tous  les  chemins,  et 
les  mirent  presque  hors  d'état  d'y  pouvoir  conduire  le 
canon.  On  ne  put  aussi  achever  les  batteries  qu'avec 

1 .  Dans  rëdition  de  1693,  quelque,  dans  ce  sens,  est  mis  ordi- 
nairement au  pluriel  (ici  et  p.  344i  ligne  5,  et  p.  347i  ligi>^  4)«  " 
est  cependant  imprime  sans  /,  conformément  à  Pusage  actuel,  dan* 
une  phrase  qui  se  trouve  à  la  page  333  de  notre  édition  (ligne  >5). 


DU  SIEGE   DE  NAMUR.  333 

d  extrêmes  difficultés.  Cependant  les  assiégés  profitèrent 
peu  de  tous  ces  obstacles,  et  firent  seulement  quelques 
sorties  sans  aucun  effet. 

Enfin ,  le  treizième  juin,  les  travaux  ayant  été  poussés 
josqu^aux  retranchements,  il  fut  résolu  de  les  attaquer. 
La  contenance  fière  des  ennemis,  qu'on  voyoit  en  bataille 
en  plusieurs  endroits  derrière  ces  retranchements,  et  qui 
avoient  tout  Pair  de  se  préparer  à  une  résistance  vigou- 
reuse, obligea  le  Roi  de  leur  opposer  ses  meillem^es  trou- 
pes, et  de  se  transporter  lui-même  sur  la  hauteur,  pour 
régler  Tordre  de  Tattaque. 

Le  signal  donné  sur  le  midi,  deux  cents  mousquetaires 
du  Roi  a  la  droite,  les  grenadiers  à  cheval  à  la  gauche,  et 
huit  compagnies  de  grenadiers  d'infanterie  au  milieu, 
marchèrent  aux  ennemis  Tépée  à  la  main,  soutenus  des 
sept  bataillons  de  tranchée  et  des  dix  de  la  brigade  du 
Roi,  qu'il  avoit  fait  mettre  en  bataille  sur  la  hauteur,  à 
la  tète  de  leur  camp.  Les  assiégés,  jusqu'alors  si  fiers, 
s'effrayèrent  bientôt.  Us  firent  seulement  leur  décharge, 
et  abandonnant  la  redoute  et  les  retranchements,  se  reti- 
rèrent en  désordre  dans  les  chemins  couverts  des  ou- 
vrages qu'ils  avoient  derrière  eux.  Ils  perdirent  plus  de 
quatre  cents  hommes',  la  plupart  tués  de  coups  de  main, 
et  entre  autres  plusieurs  officiers  et  plusieurs  gens  de 
distinction.  Les  François  eurent  quelque  cent  trente 
hommes,  et  quarante  tant  officiers  que  mousquetaires 
tués  ou  blessés. 

Le  comte  de  Toulouze,  amiral  de  France,  jeune  prince 

I.  La  Gazette  du  9  juillet  169a  {Suite  du  journal  du  sié^e  de  Na- 
Mut^  p.  340)  dit  «  plus  de  cinq  cents  hommes.  »  Elle  compte  parmi 
les  ennemis  qui  furent  tues  dans  cette  affaire  du  i3  juin  don 
Francisco  Carlos  de  Castro,  fils  du  comte  de  Lemos,  grand  d^Es- 
pagne,  et  le  colonel  RocafuU.  Voyez  la  Lettre  de  Racine  à  Boileau, 
Au  camp  près  de  Namur^  le  iS  juin  (169a). 


334  RELATION 

ftgé  de  quatorze  ans,  reçut  une  contusion  au  bras,  a  côté 
du  Roi,  et  plusieurs  personnes  de  la  cour  furent  aassi 
blessées  autour  de  lui.  Le  duc  de  Bourbon,  qui  étoit  lieu- 
tenant général  de  jour,  donna  ses  ordres  avec  non  moins 
de  sagesse  que  de  valeur.  Les  troupes,  animées  par  la 
présence  du  Roi,  se  signalèrent  à  l'envi  Tune  de  Tautre; 
et  les  moindres  grenadiers  de  Tarmée  disputèrent  d'au- 
dace avec  les  mousquetaires,  de  Taveu  des  mousquetaires 
mêmes.  On  accorda  aux  assiégés  une  suspension  pour 
venir  retirer  leurs  morts;  mais  on  ne  laissa  pas,  pendant 
cette  trêve ,  d'assurer  le  logement  et  dans  la  redoute  et 
dans  tous  les  retranchements  qu^on  venoit  d'emporter. 

Entre  ces  retranchements  et  la  première  enveloppe 
du  château,  nommée  parles  Espagnols  Terra^Nova^  on 
trouvoit,  sur  le  côté  de  la  montagne  qui  descend  vers  la 
Sambre,  un  ouvrage  irrégulier  que  le  prince  d'Orange 
avoitfait  construire  Tannée  précédente,  et  qu'on  appeloit, 
à  cause  de  cela ,  le  Fort-Neuf^  ou  le  Fort-Guillaume. 
n  étoit  situé  de  telle  façon  que ,  bien  qu'il  parût  moins 
élevé  que  les  hauteurs  qu'on  avoit  gagnées,  il  n'en  étoit 
pourtant  point  commandé  ;  et  il  sembloit  se  dérober  et 
an  canon  et  à  la  vue  des  assiégeants,  à  mesure  qu'ils  s'en 
approchoient.  Ce  fut,  de  toutes  les  fortifications  de  la 
place ,  celle  dont  la  prise  coûta  le  plus  de  temps  et  de 
peine ,  à  cause  de  la  grande  quantité  de  travaux  qu'3 
fallut  faire  pour  Tembrasser. 

La  nuit  qui  suivit  Tattaque  dont  nous  venons  de  parler, 
le  travail  fut  avancé  plus  de  cinq  cents  pas  vers  la  gorge 
de  ce  fort.  Le  quatorzième,  on  s'étendit  sur  la  droite,  et 
l'on  y  dressa  deux  batteries,  tant  cojitre  le  Fort-Neuf  que 
contre  le  vieux  château.  Ce  mênae  jour^  les  assiégés  aban- 
donnèrent une  maison  retranchée,  qui  leur  restoit  encore 
sur  la  montagne;  et  ainsi  on  n'eut  plus  rien  devant  soi 
que  les  ouvrages  que  je  viens  de  dire. 


DU  SIEGE  DE  NAMUR.  335 

Le  quinzième,  les  nouvelles  batteries  démontèrent 
presque  entièrement  le  canon  des  assiégés;  mais  elles  ne 
firent  que  très-peu  d'effet  contre  le  Fort-Neuf. 

La  nuit  suivante,  on  ouvrit  au-dessus  de  l'abbaye  de 
Saizenne  une  nouvelle  tranchée  pour  embrasser  ce  fort 
par  la  gauche,  et  le  travail  fîit  poussé  environ  quatre 
cents  pas. 

Pendant  qu*on  pressoit  avec  cette  vigueur  le  château 
de  Namur,  le  prince  d'Orange  étoit,  comme  j'ai  dit,  ar-^ 
rivé  sur  la  Mehaigne.  D  donna  d'abord  toutes  les  marques 
d'un  homme  qui  vouloit  passer  cette  rivière  et  attaquer 
Tannée  du  maréchal  de  Luxembourg,  pour  s'ouvrir  un 
chemin  à  Namur.  Plusieurs  raisons  ne  laissoient  pas  lieu 
de  douter  qu'il  n'eût  ce  dessein  :  son  intérêt  et  celui  de 
ses  alliés,  l'état  de  ses  forces,  sa  réputation,  à  laquelle  la 
prise  de  Mons  avoit  déjà  donné  quelque  atteinte;  en  un 
mot,  les  vœux  unanimes  de  son  parti,  et  surtout  les  pres- 
santes sollicitations  de  Télecteur  de  Bavière,  qui  ne  pou- 
voit  digérer  l'affront  de  se  voir,  à  son  arrivée  dans  les 
Pays-Bas,  enlever  la  plus  forte  place  du  gouvernement 
qu'il  venoit  d'accepter. 

Ajoutez  à  toutes  ces  raisons  les  bonnes  nouvelles  que 
les  alliés  avoient  reçues  de  la  bataille  qui  s' étoit  donnée 
sur  mer  ^.  Car  bien  que  le  combat  n'eût  pas  été  fort  glo- 
rieux pour  les  Hollandois  et  pour  les  Anglois,  mais  sur- 
tout pour  ces  derniers,  et  qu'il  fût  jusqu'alors  inou! 
qu'une  armée  de  quatre-vingt-dix  vaisseaux,  attaquée 
par  une  autre  de  quarante-quatre,  n'eût  fait,  pour  ainsi 
dire,  que  soutenir  le  choc,  sans  pouvoir,  pendant  douze 
heures,  remporter  aucun  avantage,  néanmoins,  comme 
le  vent,  en  séparant  la  flotte  de  France,  leur  avoît  en 
quelque  sorte  livré  quinze  de  ses  vaisseaux,  qui  avoient 

I.  Le  combat  de  la  Hogae,  lÎTrë  le  ag  mai  1691. 


336  RELATION 

été  obligés  de  se  faire  échouer,  et  où  ils  avoient  mis  le 
feu,  il  y  avoit  toute  sorte  d'apparence  que  le  pnnoe 
d'Orange  saisiroit  le  moment  favorable  où  il  sembloit 
que  la  fortune  commençât  à  se  déclarer  contre  les  Fran- 
çois. 11  reconnut  donc,  en  arrivant,  tous  les  environs 
de  la  Mehaigne,  fit  sonder  les  gués,  posta  son  infante- 
rie dans  les  villages  et  dans  tous  les  endroits  qui  pou- 
voient  favoriser  son  passage,  et  enfin  fit  jeter  une  infi- 
nité de  ponts  sur  cette  rivière.  On  remarqua  pourtant 
avec  surprise  que  dans  le  temps  qu*il  faisoit  con- 
struire cette  grande  quantité  de  ponts  de  bois,  il  faisoit 
démolir  tous  les  ponts  de  pierre  qui  se  trouvoient  sur  U 
Mehaigne. 

Une  autre  circonstance  fit  encore  mieux  voir  qn  il 
n'avoit  pas  grande  envie  de  combattre.  Le  Roi,  qui  ne 
vouloit  point  qu'on  engageât,  d'un  bord  de  rivière  à 
l'autre,  un  combat  où  sa  cavalerie  n'auroit  point  eu  de 
part,  manda  au  duc  de  Luxembourg  de  se  retirer  un  peu 
en  arrière ,  et  de  laisser  le  passage  libre  aux  ennemis;  et 
la  chose  fut  ainsi  exécutée.  C'étoit  en  quelque  sorte  les 
défier,  et  leur  ouvrir  le  champ  pour  donner  bataille  s'ils 
vouloient.  Mais  le  prince  d'Orange  demeura  toujoui^ 
dans  son  premier  poste,  tantôt  s'excusant  sur  les  pluies 
qui  firent  déborder  la  Mehaigne  pendant  deux  jouis, 
tantôt  publiant  qu'il  feroit  périr  l'armée  du  maréchal  sans 
la  combattre,  ou  du  moins  qu'il  la  réduiroit  à  décamper, 
faute  de  subsistance. 

Il  forma  néanmoins  un  projet  qui  auroit  été  de  quelque 
éclat  s'il  eût  réussi.  Il  détacha  le  comte  Serclaés  de  Tilly, 
avec  cinq  ou  six  mille  chevaux ,  du  côté  de  Huy .  Ce  gé- 
néral, ayant  pris  encore  dans  cette  place  un  détachement 
considérable  de  l'infonterie  de  la  garnison ,  passa  la 
Meuse,  qu'il  fit  remonter  à  son  infanterie,  dans  le  des- 
sein de  couper  le  pont  de  I^ateaux  qui  étoit  sous  Namur, 


DU  SIEGE  DE  NAMTJR.  337 

et  qui  faisoit  la  commnnication  de  nos  deux  armées.  Lui 
cependant  marcha  avec  sa  cavalerie  pour  attaquer  le 
quartier  du  marquis  de  Boufflers,  et  brûler  le  pont  de 
hante  Meuse,  avec  toutes  les  munitions  qui  se  trouve- 
roîent  sur  le  port,  et  qu'on  a  voit  fa^  descendre  par  cette 
rivière.  Le  Roi  eut  bientôt  avis  de  ce  dessein  :  il  fit  forti- 
fier la  garde  des  ponts  et  le  quartier  de  Boufflers  ;  et  ayant 
rappelé  un  corps  de  cavalerie  de  Tarmée  du  maréchal,  il 
fit  sortir  ses  troupes  hors  des  lignes,  et  les  rangea  lui- 
même  en  bataille.  Mais  Serclaës,  qui  en  eut  le  vent,  re- 
tourna fort  vite  passer  la  Meuse,  et  alla  rejoindre  Tannée 
confédérée. 

Le  prince  d'Orange,  après  avoir  demeuré  inutilement 
quelques  jours  sur  la  Mehaigne,  en  décampa  tout  à 
coap,  et  remontant  le  long  de  cette  rivière  jusque  vers 
sa  source,  vint  camper,  sa  droite  à  la  censé  de  Glinne, 
près  du  village  d' Asche ,  et  sa  gauche  au-dessus  de  celui 
de  Branchon. 

Le  maréchal  de  Luxembourg,  qui  observoit  tous  les 
mouvements  des  ennemis  pour  régler  les  siens,  ne  les  vit 
pas  plus  tôt  en  marche,  que  de  son  côté  il  remonta  aussi 
la  rivière,  en  telle  sorte  que  ces  deux  grandes  armées,  sé- 
parées seulement  par  un  médiocre  ruisseau,  marchoient 
à  la  vue  Tune  de  Tautre,  éloignées  seulement  d'une  demi- 
portée  de  canon.  Celle  de  France  campa,  la  droite  à 
Haurech,  la  gauche  à  Temploux,  ayant  à  peu  près  dans 
son  centre  le  village  de  Saint-Denys. 

Le  prince  d'Orange  fit  encore  en  cet  endroit  des  dé- 
monstrations de  vouloir  décider  du  sort  de  Namur  par 
une  bataille.  Il  fit  élargir  les  chemins  qui  étoient  entre 
les  deux  armées,  et  envoya  l'électeur  de  Bavière  pour 
reconnottre  lui-même  le  camp  des  François.  L'électeur 
passa  la  rivière  à  l'abbaye  de  BonefTe,  et  se  mit  en  devoir 
d'observer  l'armée  du  maréchal;  mais  on  ne  lui  laissa 

J.  Racutb.  V  9 a 


338  RELATION 

pas  le  temps  de  satisfaire  sa  curiosité,  et  il  fut  obligé  de 
repasser  fort  brusquement  la  Mebaigne  à  Fapproche  de 
quelques  troupes  de  carabiniers,  qu^on  avoit  détachées 
pour  l'éloigner  de  la  vue  des  lignes. 

A  dire  vrai,  le  maréchal  ne  fut  pas  fôché  d'ôter  aux 
ennemis  la  connoissance  de  la  disposition  de  son  camp, 
coupé  de  plusieurs  ruisseaux  et  de  petits  marais,  qui  ren- 
doient  la  communication  de  ses  deux  ailes  fort  difficile, 
et  d'ailleurs  commandé  de  la  hauteur  de  Saint-Denys, 
d*où  les  ennemis  auroient  pu  incommoder  de  leur  canon 
le  centre  de  son  armée ,  et  engager  enfin ,  dans  un  pays 
serré  et  embarrassé  de  bois,  un  combat  particulier  d'in- 
fanterie, où  ils  auroient  eu  tout  Tavantage  du  lieu.  Le 
Roi,  qui  sut  Tinquiétude  où  il  étoit,  lui  envoya  proposer 
un  autre  poste,  que  le  maréchal  alla  reconnoître;  et  il  le 
trouva  si  avantageux,  que  sans  attendre  de  nouveaux 
ordres,  il  fit  aussitôt  marcher  son  armée;  il  n'attendit 
pas  même  son  artillerie ,  dont  les  chevaux  se  trouvoient 
alors  au  fourrage ,  et  se  contenta  de  laisser  une  partie  de 
son  infanterie  pour  la  garder.  Il  plaça  sa  gauche  au  clià- 
teau  de  Milmont,  la  couvrant  du  ruisseau  d'AurenauIt, 
et  étendit  sa  droite  par  Temploux  et  par  le  château  de  la 
Falize,  jusques  auprès  du  ruisseau  de  Wedrin,  au  delà 
duquel  il  jeta  son  corps  de  réserve  :  de  sorte  qu'il  se  trou- 
voit  tout  proche  de  l'armée  du  Roi,  et  tout  proche  aussi 
de  la  Sambre  et  de  la  Meuse,  d'où  il  tiroit  la  subsistance 
de  sa  cavalerie,  couvroit  entièrement  la  place ,  et  rédui- 
soit  les  ennemis  à  venir  l'attaquer  dans  son  front  par 
des  plaines  ouvertes  et  propres  à  faire  mouvoir  sa  cava- 
lerie, qui  étoit  supérieure  en  toutes  choses  à  celle  des 
ennemis. 

Il  fit  en  plein  jour  cette  marche,  sans  qu'ils  se  missent 
en  devoir  de  l'inquiéter,  et  sans  qu'ils  se  présentassent 
seulement  pour  charger  son  arrière-garde.  Le  prince  d'O* 


DU  SIEGE  DE  NAMUR.  3^9 

range  décampa  quelques  jours  après.  Il  passa,  le  vingt- 
deuxième  de  juin,  le  bois  des  Cinq-Étoiles,  et  ayant  fait 
faire  à  ses  troupes  une  extrême  diligence,  alla  se  poster, 
la  droite  à  Sombreff,  et  la  gauche  proche  de  Marbais,  sur 
la  grande  chaussée. 

Cette  démarche,  qui  le  mettoit  en  état  de  passer  en 
an  jour  la  Sambre  pour  tomber  sur  le  camp  du  Roi,  au- 
roit  pu  donner  de  Tinquiétude  à  un  général  moins  vigilant 
et  moins  expérimenté.  Mais  comme  il  avoit  pensé  de 
bonne  heure  à  tous  les  mouvements  que  les  ennemis 
pourroient  faire  pour  Finquiéter,  il  ne  les  vit  pas  plus  tôt 
la  tête  tournée  vers  Sombreff,  qu*il  envoya  le  marquis  de 
Boufflers  avec  un  corps  de  troupes  dans  le  pays  d^entre 
Sambre  et  Meuse;  et  après  avoir  fait  reconnoître  les 
plaines  de  Saint-Gérard  et  de  Fosse,  qui  étoient  les  seuls 
chemins  par  où  ils  auroient  pu  venir  à  lui,  il  ordonna  à 
ce  marquis  de  se  saisir  du  poste  d'Auveloy,  sur  la  Sam- 
bre. Il  fit  en  même  temps  jeter  un  pont  sur  cette  rivière, 
entre  Tabbaye  de  Floreff  et  Jemeppe,  vers  l'embouchure 
du  ruisseau  d^Aurenault,  où  la  gauche  du  maréchal  de 
Luxembourg  étoit  appuyée.  Par  ce  moyen,  il  mettoit  ce 
général  en  état  de  passer  aisément  la  Sambre,  dès  que 
les  ennemis  voudroient  entreprendre  la  même  chose  du 
côté  de  Charleroy  et  de  Farsiennes.  La  seule  chose  qui 
étoit  à  craindre,  c'est  que  le  corps  de  troupes  qu'il  avoit 
donné  au  marquis  de  Boufflers  ne  fût  pas  suffisant  pour 
disputer  aux  ennemis  le  passage  de  la  Sambre,  et  que 
s*ils  le  tentoient  si  près  de  lui,  on  n'eût  pas  le  temps  de 
faire  passer  d'autres  troupes  pour  le  soutenir. 

Pour  obvier  à  cet  inconvénient,  le  maréchal  eut  ordre 
de  lui  envoyer  son  corps  de  réserve,  qui  fut  suivi,  peu 
de  temps  après,  des  brigades  d'infanterie  de  Champagne 
et  de  Bourbonnois,  et  enfin  de  l'aile  droite  de  sa  seconde 
ligne,  commandée  par  le  duc  de  Yandosme.  Toutes  ces 


Ho  RELATION 

troupes  furent  postées  sur  le  bord  de  la  Sambre,  proche 
des  ponts  de  bateaux,  à  portée,  ou  de  passer  en  très-pea 
de  temps  dans  les  plaines  de  Fosse  et  de  Saint-Gérard, 
ou  de  repasser  à  Tannée  du  maréchal,  selon  le  parti  que 
prendroient  les  ennemis. 

Pendant  ces  différents  mouvements  des  armées,  les  at- 
taques du  château  de  Namur  se  continuoient  avec  toute 
la  diligence  que  les  pluies  pouvoient  permettre,  les  troa- 
pcs  ne  témoignant  pas  moins  de  patience  que  de  valeur. 
Depuis  le  seizième  de  juin,  les  assiégés  se  tronvoient  ex- 
trêmement resserrés  dans  le  Fort-Neuf,  où  ib  commen- 
çoient  même  d'être  enveloppés.  Le  matin  du  dix-sep- 
tième, ils  firent  une  sortie  de  quatre  cents  hommes  de 
troupes  espagnoles  et  de  firandebourg  sur  l'attaque  gau- 
che, et  y  causèrent  quelque  désordre.  Mais  les  Suisses, 
qui  y  étoient  de  garde,  les  repoussèrent  aussitôt,  et  réta- 
blirent en  très-peu  de  temps  le  travail.  Il  y  eut  quarante 
ou  cinquante  hommes  tués  de  part  et  d*autre.  Le  dii- 
huitième  et  le  dix-neuvième,  les  communications  du 
Fort-Neuf  avec  le  château  furent  presque  entièrement 
6tées  aux  assiégés,  et  leur  artillerie  rendue  inutile;  et 
enfin  le  vingtième,  toutes  les  communications  des  tran- 
chées étant  achevées,  on  se  vit  en  état  d'attaquer  tout  à 
la  fois  et  le  fort  et  le  château.  Mais  comme  vraisembla- 
blement on  y  auroit  perdu  beaucoup  de  monde,  le  Eoi 
voulut  que  les  choses  se  fissent  plus  sûrement.  Ainsi  on 
employa  toute  la  huit  du  vingtième,  et  le  jour  suivant,  i 
élargir  et  â  perfectionner  les  travaux;  et  le  soir  du  vingt- 
unième,  toutes  choses  étant  prêtes  pour  Tattaque,  on 
résolut  de  la  faire,  mais  seulement  aux  dehors^  de  lou- 
vrage  neuf. 

Huit  compagnies  de  grenadiers,  commandées  avec  les 

I .  Dans  IVdition  de  Liouis  Racine  :  «  au-dehors.  >• 


DU  SIÈGE  DE  NAMUR.  34i 

sept  des  batafllons  de  la  tranchée,  commencèrent  sur  les 
six  heures  à  occuper  tous  les  boyaux  qui  enveloppoient 
les  deux  ouvrages.  T^e  duc  de  Bourbon  se  trouvoit  encore 
à  cette  attaque  lieutenant  général  de  jour,  se  croyant 
fort  obligé  à  la  fortune  de  ce  qu'en  un  même  siège  elle 
lai  donnoit  tant  d'occasions  de  s'exposer.  Le  signal  donné 
un  peu  avant  la  nuit,  il  fit  avancer  les  détachements  sou- 
tenus des  corps  entiers.  Ils  marchèrent  en  même  temps 
au  premier  chemin  couvert,  et  en  ayant  chassé  les  as- 
siégés, les  forcèrent  encore  dans  le  second,  et  le  fossé 
n'étant  pas  fort  profond,  les  poursuivirent  jusques  au 
corps  de  l'ouvrage,  dans  lequel  même  quelques  soldats 
étant  montés  par  une  fort  petite  brèche,  les  ennemis  bat- 
tirent à  rinstant  la  chamade,  et  leurs  otages  furent  en- 
voyés au  Roi.  Mais  pendant  qu'ils  faisoient  leur  capitu- 
lation, on  ne  laissa  pas  de  travailler  dans  les  dehors  de 
l'ouvrage,  et  d'y  commencer  des  logements  contre  le 
château. 

Le  lendemain^,  ils  sortirent  du  fort  au  nombre  de 
quatre-vingts  officiers  et  de  quinze  cent  cinquante  sol- 
dats en  cinq  régiments,  pour  être  conduits  àGand.  De  ce 
nombre  étoit  un  ingénieur  hoUandois  nommé  Cohome, 
sur  les  desseins  duquel  le  fort  avoit  été  construit;  et  il  en 
sortit  blessé  d'un  éclat  de  bombe.  Quelques  officiers  des 
ennemis  demandèrent  à  entrer  dans  le  vieux  château, 
pour  y  servir  encore  jusqu'à  la  fin  du  siège.  Mais  cette 
permission  ne  fut  accordée  qu'au  seul  Wimberg,  qui 
commandoit  les  troupes  hollandoises. 

Le  Fort-Guillaume  pris,  on  donna  un  peu  plus  de  ré- 
lâche aux  troupes,  et  la  tranchée  ne  Ait  plus  relevée  que 
par  quatre  bataillons.  Mais  le  château  n'en  fut  pas  moins 


I.  Suirant  la  Gazette  du  lo  juillet  169a,  p.  353,  ce  fut  le  33,  â 
quatre  heures  après  midi,  que  la  garnison  sortit. 


342  RELATION 

vivement  pressé,  et  les  attaques  allèrent  fort  vite^n^étant 
plas  inquiétées  par  aucune  diversion. 

Dès  le  vingt-troisième,  on  éleva  dans  la  gorge  du  Fort- 
Neuf  des  batteries  de  bombes  et  de  canon. 

T^e  vingt-quatrième  et  le  vingt-cinquième,  on  embrassa 
tout  le  front  de  Touvrage  à  cornes  qui  faisoit,  comme  j  ai 
dit,  la  première  enveloppe  du  château  ;  et  on  acheva  la 
communication  de  la  tranchée  qu'on  avoit  conduite  par 
la  droite  sur  la  hauteur  qui  regarde  la  Meuse,  avec  la 
tranchée  qui  regardoit  ^  la  gauche  du  côté  de  la  Sambre. 
Le  Roi  alla  le  vingt-cinquième  visiter  le  Fort-Neuf  et  les 
travaux.  Comme  il  avoit  remarqué  que  sa  présence  les 
avançoit  extrêmement,  il  fit  la  même  chose  presque  tons 
les  jours  suivants,  malgré  les  incommodités  du  temps  et 
Textréme  difficulté  des  chemins,  s' exposant  non-seule- 
ment au  mousquet  des  ennemis,  mais  encore  aux  éclats 
de  ses  propres  bombes,  qui  retomboient  souvent  de  leurs 
ouvrages  avec  violence,  et  qui  tuèrent  ou  blessèrent  plu- 
sieurs personnes  à  ses  côtés  et  derrière  lui. 

Le  vingt-sixième,  les  sapes  furent  poussées  jusqu'au 
pied  de  la  palissade  du  premier  chemin  couvert.  A  me- 
sure qu*on  s'approchoit,  la  tranchée  devenoit  plus  dan- 
gereuse à  cause  des  bombes  et  des  grenades  que  les 
ennemis  y  faisoient  rouler  à  toute  heure,  surtout  du  côté 
du  fond  qui  alloit  tomber  vers  la  Sambre  et  qui  séparoit 
les  deux  forts. 

Le  vingt-septième,  les  travaux  furent  perfectionnés. 
On  dressa  deux  nouvelles  batteries  pour  achever  de  rui- 
ner les  défenses  des  assiégés,  pendant  que  les  autres  bat- 
toient  çi^xuine  les  pointes  et  les  faces  des  deux  demi- 


I.  Le  texte  de  IVdition  de  169  a  porte  :  regarde.  Sur  rexem- 
plaire  dont  nous  avons  fait  usage,  une  correction  à  la  main  a  lul^ 
stitué  regardoit  à  regarde.  C'est  évidemment  avec  raison. 


DU  SIÈGE  DE  NAMUR.  343 

bastions  de  TouTrage;  et  on  disposa  enfin  toutes  choses 
pour  attaquera  la  fois  tous  leurs  dehors.  Tant  d'attaques, 
qui  se  snccédoient  de  si  près,  auroient  dû,  ce  semble, 
lasser  la  valeur  des  troupes;  mais  plus  elles  fatiguoient, 
plus  il  sembloit  qu'elles  redoublassent  de  vigueur;  et  en 
effetf  cette  dernière  action  ne  fut  pas  la  moins  hardie  ni 
la  moins  éclatante  de  tout  le  siège.  Le  Roi  voulut  encore 
j  être  présent,  et  se  plaça  entre  les  deux  ouvrages.  Ainsi, 
le  vingt-huitième,  à  midi,  le  signal  donné  par  trois  salves 
de  bombes,  neuf  compagnies  de  grenadiers  commandées, 
avec  quatre  des  bataillons  de  la  tranchée,  marchèrent 
avec  leur  bravoure  ordinaire,  Fépée  à  la  main,  aux  che- 
mins couverts  des  assiégés.  Le  premier  de  ces  chemins 
se  trouvant  presque  abandonné,  elles  passèrent  au  second 
sans  s'arrêter,  tuèrent  tout  ce  qui  osa  les  attendre,  et 
poursuivirent  le  reste  jusqu'à  un  souterrain  qui  les  déroba 
à  leur  furie.  Les  ennemis  ainsi  chassés  reparurent  en 
grand  nombre  sur  les  brèches,  quelques-uns  même  avec 
Fépée  et  le  bouclier,  et  s'efforcèrent,  à  force  de  grenades 
et  de  coups  de  mousquet,  de  prendre  leur  revanche  sur 
nos  travaiUeurs.  Cependant  quelques  gi*enadiers  de  la 
compagnie  de  Saillant  du  régiment  des  gardes  ayant 
été  commandés  pour  reconnoître  la  brèche  qui  étoit  au 
demi-bastion  gauche,  ils  montèrent  jusqu'en  haut  avec 
beaucoup  de  résolution.  Il  y  en  eut  un,  entre  autres,  qui 
y  demeura  fort  longtemps,  et  y  rechargea  plusieurs  fois 
son  fusil  avec  une  intrépidité  qui  fut  admirée  de  tout  le 
monde*.  Mais  la  brèche  se  trouvant  encore  trop  escar- 


I .  c  Le  sieur  de  Saillant,  capitaine  au  rëgiment  des  gardes  fran- 
çoises,  passa  le  fosse,  et  monta  à  la  brèche  avec  huit  grenadiers. 
Cinq  autres  des  mêmes  gardes  y  montèrent  le  plus  haut  qu^il  leur 
fat  possible,  et  tirèrent  chacun  leurs  grenades  sur  les  ennemis  dans 
le  bastion.  Un  d*eux  sVtant  détache  seul,  monta  par  trois  fois  au 
haut  de  la  brèche,  tirant  toujours  sur  les  ennemis.  A  la  dernière 


344.  RELATION 

pée,  on  se  contenta  de  se  loger  dans  les  chemins  cou- 
verts, dans  la  contre-garde  du  demi-bastîon  gauche,  dans 
une  lunette  qui  étoit  au  milieu  de  la  courtine,  vis-à-vis 
du  chemin  souterrain ,  et  en  un  mot  dans  tous  les  de- 
hors. La  perte  des  assiégés  monta  à  quelque  trois  cents 
hommes,  partie  tués  dans  les  dehors,  partie  accablés  par 
les  bombes  dans  Fouvrage  même.  Les  assiégeants  n*eu- 
rent  guère  moins  de  deux  ou  de  trois  cents  tant  officiera 
que  soldats  tués  ou  blessés,  la  plupart  après  Faction,  et 
pendant  qu'on  travailloit  à  se  loger. 

Peu  de  temps  après,  les  sapeurs  firent  la  descente  du 
fossé;  et  dès  le  soir,  les  mineurs  furent  attachés  en  plu- 
sieurs endroits,  et  on  se  mit  en  état  de  faire  sauter  tout  à 
la  fois  les  deux  demi-bastions,  la  courtine  qui  les  joignoit, 
et  la  branche  qui  regardoit  le  Fort-Neuf,  et  de  donner  un 
assaut  général. 

Néanmoins,  comme  on  se  tenoit  alors  sûr  d'emporter 
la  place,  on  résolut  de  ne  faire  jouer  qu'à  la  dernière  ex- 
trémité les  fourneaux,  qui  en  ouvrant  entièrement  le  rem- 
part, auroient  obligé  à  y  faire  de  fort  grandes  réparations. 
On  espéra  qu'il  suffiroit  que  le  canon  élargit  les  brèches 
qu'il  avoit  déjà  faites  aux  deux  faces  et  aux  pointes  des 
demi-bastions;  et  c'est  à  quoi  on  travailla  le  vingt-neu- 
vième. 

La  nuit  du  trentième,  le  sieur  de  Rubentel,  lieutenant 
général  de  jour,  fit  monter  sans  bruit  au  haut  de  la  brèche 
du  demi-bastion  gauche  quelques  grenadiers  du  régiment 
Dauphin ,  pour  épier  la  contenance  des  ennemis.  Ces 
soldats,  ayant  remarqué  qu'ils  n'étoient  pas  fort  sur  leurs 
gardes,  et  qu'ils  s'étoient  même  retirés  au  dedans  de 
l'ouvrage,  appelèrent  quelques  autres  de  leurs  camarades, 

fois,  il  tua  un  officier  espagnol  qui,  soutenu  de  plusieurs  autreSt 
venoit  sur  lui.  »  {Gatetie  du  lo  juillet  169a,  p.  356.) 


DU  SIEGE  DE  NâMUR.  345 

qui  étant  aussitôt  montés,  ils  chargèrent  avec  de  grands 
cris  les  assiégés,  et  s'emparèrent  d*un  retranchement 
qu  ils  avoient  commencé  à  la  gorge  du  demi-bastion,  où 
ils  commencèrent  à  se  retrancher  eux-mêmes.  Ceux  des 
ennemis  qui  regardoient  le  demi-bastion  de  la  droite, 
voyant  les  François  dans  Touvrage,  et  craignant  d'être 
coupes,  cherchèrent,  comme  les  autres,  leur  salut  dans 
la  Alite,  et  laissèrent  les  assiégeants  entièrement  maîtres 
de  cette  première  enveloppe.  11  restoit  encore  deux  autres 
ouvrages  à  peu  près  de  même  espèce,  non  moins  difficiles 
à  attaquer  que  les  premiers,  et  qui  avoient  de  grands 
fossés  très-profonds  et  taillés  dans  le  roc.  Derrière  tout 
cela,  on  trouvoit  le  corps  du  château,  capable  lui  seul 
d'arrêter  longtemps  un  ennemi,  et  de  lui  faire  acheter 
biea  cher  les  derniers  pas  qui  lui  resteroient  à  faire. 

Mais  le  gouverneur,  qui  vit  sa  garnison  intimidée  tant 
par  le  feu  continuel  des  bombes  et  du  canon  que  par  la 
valeur  infatigable  des  assiégeants,  reconnoissant  d'ailleurs 
le  peu  de  fonds  qu'il  y  avoit  à  faire  sur  les  vaines  pro- 
messes de  secours  dont  le  prince  d'Orange  Tentretenoit 
depuis  un  mois,  ne  songea  plus  qu'à  faire  sa  composition 
à  des  conditions  honorables,  et  demanda  à  capituler. 

Le  Roi  accorda  sans  peine  toutes  les  marques  d'hon* 
ueur  qu'on  lui  demanda  ;  et  dès  ce  jour,  une  porte  fut 
livrée  à  nés  troupes.  Le  lendemain,  premier  jour  de  juillet, 
la  garnison  sortit,  partie  parla  brèche,  qu'on  accommoda 
exprès  pour  leur  en  faciliter  la  descente,  partie  par  la 
porte  vis-à-vis  du  Fort-Neuf.  Elle  étoit  d'environ  deux 
mille  cinq  cents  hommes,  en  douze  régiments  d'infante- 
rie, un  de  cavalerie,  et  quelques  compagnies  franches  de 
dragons,  lesquels,  joints  aux  seize  cents  qui  sortirent  du 
Fort-Neuf,  faisoient  le  reste  des  neuf  mille  deux  cents 
hommes,  qui,  comme  j'ai  dit,  se  trouvoient  dans  la  place 
au  commencement  du  siège.  Ils  prétendoient  qu'ils  en 


34^  RELATION 

avoient  perdu  huit  ou  neuf  cents  par  la  désertion;  tout  le 
reste  avoit  péri  dans  TartQlerie  ou  dans  les  attaques. 

Quelques  jours  avant  que  les  assiégés  battissent  la 
chamade,  les  confédérés  étoient  partis  tout  à  coup  de 
Sombreff;  et  au  lieu  de  faire  un  dernier  effort,  sinon  pour 
sauver  la  place,  au  moins  pour  sauver  leur  réputation,  ils 
avoient  en  quelque  sorte  tourné  le  dos  à  Namur,  et  étoient 
allés  camper  dans  la  plaine  de  Brunehaut,  la  droite  à 
Fleuru,  et  la  gauche  du  côté  de  Frasne  et  de  Liberchies. 
Pendant  le  séjour  qu'ils  y  firent ,  le  prince  d'Orange  ne 
s'étoit  appliqué  qu'à  ruiner  les  environs  de  Charleroy, 
comme  si  dès  lors  il  n*avoit  plus  pensé  qu'à  empêcher  le 
Roi  de  passer  à  de  nouvelles  conquêtes. 

Enfin,  le  soir  du  dernier  jour  de  juin,  ils  apprirent  par 
trois  salves  de  Tarmée  du  maréchal  de  Luxembourg  et  de 
celle  du  marquis  de  Boufflers ,  la  triste  nouvelle  que  Na- 
mur  étoit  rendu.  Ils  en  tombèrent  dans  une  consternation 
qui  les  rendit  comme  immobiles  durant  plusieurs  jours, 
jusque-là  que  le  maréchal  de  Luxembourg  s*étant  mis 
en  devoir  de  repasser  la  Sambre,  ils  ne  songèrent  ni  à  le 
troubler  dans  sa  marche,  ni  à  le  charger  dans  sa  retraite. 
Il  vint  donc  tranquillement  se  poster  dans  la  plaine  de 
Saint-Gérard,  tant  pour  favoriser  les  réparations  les  plus 
pressantes  de  la  place,  et  les  remises  d'artillerie,  de  mu- 
nitions et  de  vivres  qu'il  y  falloit  jeter,  que  pour  donner 
aux  troupes,  fatiguées  par  des  mouvements  continueb, 
par  le  mauvais  temps,  et  par  une  assez  longue  disette  de 
toutes  choses,  les  movens  de  se  rétablir. 

Le  Roi  employa  les  deux  jours  qui  suivirent  la  reddition 
du  château  à  donner  tous  les  ordres  nécessaires  pour  la 
sûreté  d'une  si  importante  conquête.  Il  en  visita  tous  les 
ouvrages  et  en  ordonna  les  réparations.  H  alla  trouver  à 
Floreff  le  maréchal  de  Luxembourg,  qu'il  laissoit  avec 
une  puissante  armée  dans  les  Pays-Bas,  et  lui  expliqua 


DU  SIÈGE  DE  NAMUR.  347 

ses  intentions  pour  le  reste  de  la  campagne.  Il  détacha 
différents  corps  pour  rAllemagne,  et  pour  assurer  ses 
frontières  de  Flandres  et  de  Luxembourg.  Il  avoit  déjà 
quelque  quarante  escadrons  dans  le  pays  de  Cologne, 
sous  les  ordres  du  marquis  de  Joyeuse,  et  il  les  y  avoit 
fait  rester  pendant  tout  le  siège  de  Namur,  tant  pour 
faire  payer  les  restes  des  contributions  qui  étoient  dues, 
que  pour  obliger  les  souverains  de  ce  pays-là  à  y  laisser 
aussi  un  corps  de  troupes  considérable  :  ce  qui  diminuoit 
d'autant  Farmée  du  prince  d'Orange. 

Enfin,  tous  ses  ordres  étant  donnés,  il  partit  de  son 
camp  le  troisième  de  juillet,  pour  retourner,  à  petites 
journées,  à  Versailles,  d*autant  plus  satisfait  de  sa  con- 
quête que  cette  grande  expédition  étoit  uniquement  son 
ouvrage;  qu^il  Tavoit  entreprise  sur  ses  seules  lumières, 
et  exécutée,  pour  ainsi  dire,  par  ses  propres  mains,  à  la 
vue  de  toutes  les  forces  de  ses  ennemis;  que  par  l'éten- 
due de  sa  prévoyance  il  avoit  rompu  tous  leurs  desseins, 
et  fait  subsister  ses  armées;  et  qu'en  un  mot,  malgré  tous 
les  obstacles  qu'on  lui  avoit  opposés,  malgré  la  bizarre- 
rie d'une  saison  qui  lui  avoit  été  entièrement  contraire, 
il  avoit  emporté,  en  cinq  semaines,  une  place  que  les  plus 
grands  capitaines  de  TEurope  avoient  jugée  imprenable, 
triomphant  ainsi,  non-seulement  de  la  force  des  rem- 
parts, de  la  diflSculté  des  pays,  et  de  la  résistance  des 
hommes,  mais  encore  des  injures  de  Tair  et  de  l'opiniâ- 
treté, pour  ainsi  dire,  des  éléments. 

On  a  parlé  fort  diversement  dans  l'Europe  sur  la  con- 
duite du  prince  d'Orange  pendant  ce  siège  ;  et  bien  des 
gens  ont  voulu  pénétrer  les  raisons  qui  l'ont  empêché  de 
donner  bataille  dans  une  occasion  où  il  sembloit  devoir 
hasarder  tout  pour  prévenir  la  prise  d'une  ville  si  impor- 
tante, et  dont  la  perte  lui  seroit  à  jamais  reprochée.  On 
en  a  même  allégué  des  motifs  qui  ne  lui  font  pas  bon- 


348         RELATION  DU  S.IÉGE  DE  NAMUR. 

neur.  Mais  à  juger  sans  passion  d*un  prince  en  qui  Ton 
reconnott  de  la  valear,  on  peut  dire  qu'il  y  a  eu  beau- 
coup de  sagesse  dans  le  parti  qu*ila  pris.  UexpérieDce  do 
passé  lui  ayant  fait  connottre  combien  il  étoit  inutile  de 
s^opposer  à  un  dessein  que  le  Roi  conduisoit  lui-même,  il 
a  jugé  Namur  perdu  dés  qu'il  a  su  qu'il  Tassiégeoit  en 
personne.  Et  d'ailleurs,  le  voyant  aux  portes  de  Brnxdles 
avec  deux  formidables  années,  il  a  cru  qu'il  ne  devoit 
point  hasarder  un  combat  dont  la  perte  auroit  enu^tné 
la  ruine  des  Pays-Bas,  et  peut-être  sa  propre  ruine,  par 
la  dissolution  d'une  ligue  qui  lui  a  tant  coûté  de  peine  à 
former. 


FIN   DB    LA    BELATIOlf    DU    SIÈGE    DB   IfAMUB. 


ÉPITRE 


MADAME  DE  MONTESPAN 


NOTICE. 


VÈpàre  qui  suit  se  troure  en  tête  des  OEuvres  disertes  et  un  auteur 
it  ttpt  Aiu,  oe  recueil  de  quelques  lettres,  réflexions  morales,  etc., 
da  jeune  duc  du  Maine,  qui  fut  ofTert  le  i«'  janvier  1679  à  Mme  de 
Montespan,  et  dont  nous  avons  dëjà  parlé  aux  pages  a37  et  a38  de 
notre  tome  IV.  Là  nous  avons  dit  dVprès  quels  témoignages  il  n^ 
parait  pas  douteux  que  Racine  ait ,  aussi  bien  que  Boileau ,  prête 
son  concours  à  Mme  de  Maintenon  lorsqu'elle  prépara  Pimpression 
du  petit  livre.  Nous  avons  cité  le  Uadrïgal  que  Ton  regarde  avec 
tant  de  vraisemblance  conune  écrit  par  notre  poète.  A-t-on  autant 
de  motifii  de  croire  que  Mme  de  Maintenon  se  soit  également  servie 
de  la  plume  de  Racine,  pour  VÉpitre  à  Mme  de  MotfUespan? 

C'est  dans  l'édition  de  Luneau  de  Boisjermain  (tome  VI,  p.  4^7* 
439)  que  cette  Épure  a  été  pour  la  première  fois  placée  parmi  les 
Ouvrages  attribué*  à  Racine,  Au  sujet  de  cette  attribution,  la  Préface 
des  éditeurs^  qui  est  aux  pages  369  et  370  du  même  tome,  dit  seule- 
ment :  M  Nous  avons  placé  après  ces  deux  morceaux  (la  Harangue  de 
CMé  Colbert  et  le  Siège  de  Namur)  une  Épure  dédieatoire  faite  par 
Racine  an  nom  de  Mme  de  Maintenon,  que  quelques  gens  de  let- 
tres lui  attribuent.  » 


35o      ÉPlTRE  A  MADAME  DE  MONTESPAlf. 

Les  ëditeim  de  1807  ne  nous  en  apprennent  pas  beaucoup  plus 
dans  leur  Avertissement  (royez  les  pages  35  et  36  de  leur  tome  yil\ 
«  Cette  pièce,  disent>ils,  qui  n^ëtait  pas  signée,  fit  bruit  dans  le 
monde,  et  fut  d*abord  attribuée  à  Mme  de  Maintenon.  Hais  les  gens 
de  goât  ne  tardèrent  pas  à  penser  que  c*était  FouTrage  d^ane  plame 
encore  plus  habile  et  plus  exercée  que  la  sienne.  Ils  trouvèrent  qoe 
les  louanges,  qui  n^  étaient  pas  ménagées,  y  étaient  cependant  pr^ 
sentées  arec  une  délicatesse  et  relerées  par  une  grâce  d^expression 
et  une  Tariété  de  tournure  qui  leur  donnait  tout  le  piquant  de  la 
nouveauté.  Ils  en  conclurent  que  Mme  de  Maintenon  arait,  dans  cette 
occasion,  emprunté  le  secours  de  l'écrivain  le  plus  distingué  de  iod 
siècle,  de  celui  qui  avait  le  mieux  étudié  les  finesses  de  la  langae,  et 
qui  en  connaissait  le  mieux  toutes  les  ressources.  Cette  pièce  a  néan- 
moins été  insérée  dans  le  recueil  des  Lettres  de  Mme  de  Blaintenoo 
donné  en  1751  *  (jfor  la  Beaumelle)\  mais  l'éditeur  des  OEwrts  com- 
plètes de  Raeiney  publiées  en  1768,  n'a  pas  balancé  à  la  comprendre 
dans  son  édition,  »  Les  auteiws  de  cet  AvertUsetnent  parient  trèf-bicn, 
ce  nous  semble,  et  avec  beaucoup  de  justesse,  des  qualités  littéraires  de 
cette  Èpûrey  qui  disposent  à  la  croire  l'œuvre  de  Racine  ;  mais  quant 
aux  témoignages  positif,  ils  n'en  allèguent  aucun.  Ils  s'en  rappor- 
tent à  Luneau  de  Boisjermain,  et  à  des  gens  de  goût  y  que  d'ailleun 
ils  ne  nonmient  pas.  Geollroy  était  plus  disposé  que  les  éditeurs  de 
1807  d'élever  des  doutes  sur  l'auteur  de  VÉpître  à  Mme  de  Monte*- 
pan.  «  h''ÉpÙrey  dit-il  dans  sa  Préface  (tome  VII,  p.  7),  est  an  nom 
de  Mme  de  Maintenon  :  on  y  trouve  beaucoup  d'wprit,  des  éloges 
du  Roi  tournés  de  la  manière  la  plus  fine  ;  mais  il  me  semble  qu'il 
n'y  a  rien  qui  soit  au-dessus  de  la  portée  de  Mme  de  Maintenon  : 
une  pareille  fenmie  n'avoit  pas  besoin  de  secrétaire.  » 

M.  Aimé-Martin,  au  contraire,  qui  a  reproduit  dans  son  édition 
V Avertissement  de  celle  de  la  Harpe,  en  adopte  l'opinion  sor  Fattn- 
bution  à  Racine  de  VÉpitre  dédïcatoire  ;  il  est  même  plus  afiBnnatif, 
sans  proposer  toutefois  de  nouvelles  preuves.  Dans  une  note  an  bas 
de  la  page  443  de  son  tome  VI  (édition  de  1844)  ^  dit  :  «  Cette 
Èpitre  fut  d'abord  attribuée  à  Mme  de  Maintenon  ;  mais  elle  est 
évidemment  de  Racine.  »  Nous  ne  saurions  nous  contenter  d'une 
décision  dont  les  motifs  ne  sont  pas  donnés.  Il  faut  sortir  du  vague 
où  sont  restés  les  précédents  éditeurs. 

I .  Il  y  a  là  une  erreur  de  date.  La  première  éditioii  donnée  par  b  Beia* 
melle  parut  en  I75a,  à  Nancy,  eu  deux  vohunes  ia-xa. 


NOTICE.  35i 

VÉpHre,  quoique  sans  signature  dans  les  Œuvres  diverses  tTun  au- 
teur de  sept  ans^  était  ëcrite  cependant  comme  au  nom  d'une  femme, 
qui  n^aorait  pu  être  que  Mme  de  Maintenon.  On  crut  même  tout 
d'abord  qu'elle  en  ëtait  Tauteur  en  effet.  Au  tome  III  des  Nouvelles 
de  la  république  des  lettres  ^  imprimé  à  Amsterdam  en  i685,  Tëcri- 
vain  (Bajle  sans  doute)  qui  rend  compte,  à  la  date  de  février  i685, 
article  ix,  p.   igS  et  suirantes,  des  Œuvres  diverses  ttun  auteur  de 
sept  ans,  s^exprime  ainsi  à  la  page  197  :  «c  [Ce  livre]  est  dédié  à 
Mme  de  Montespan,  et  selon  toutes  les  apparences  c'est  Mme  de 
Blaiiitenon  qui  a  fait  VÊpitre  dedicatoire.  Elle  est  tournée  de  la  ma- 
nière du  monde  la  plus  délicate.  Il  semble  qu'on  n'y  touche  pas, 
00  qu'on  ne  veuille  qu'effleurer.  Cependant  on  loue  jusqu'au  vif, 
et  ou  va  loin  en  peu  de  paroles.  »  Les  apparences  ne  trompèrent 
pas  longtemps  les  personnes  bien  informées.  Dans  une  autre  édi- 
tion du  même  volume  des  Nouvelles  de  la  république  des  lettres^ 
donnée  également  à  Amsterdam ,  mais  l'année  suivante ,  cette  note 
sur  le  passage  que  nous  venons  de  citer  fut  ajoutée  au  bas  de  la 
page  207  :   «  On  a  su  depuis  qu'elle  (yEpttre)  a  été  composée  par 
M.  Racine,  mais  c'est  pour  Mme  de  Maintenon.  »  Ce  témoignage 
est  remarquable  par  sa  date.  Dès  l'année  1686,  on  regardait  Racine 
comme  le  véritable  auteur  de  VÉpitre  dédicatoire. 

L'autorité  de  Cizeron-Rival,  qui  a  écrit  beaucoup  plus  tard,  n'a 
pas,  il  s'en  faut,  le  même  poids.  Cependant  à  l'occasion  du  Madrid 
gai  tiré  des  mêmes  OBuvres  diverses  d'un  auteur  de  sept  ans,  et  inséré 
dans  notre  tome  lY,  p.  288,  nous  avons  dit  que  cette  autorité  n'était 
pas  sans  quelque  valeur,  Cizeron  ayant  fait  usage  des  notes  recueil- 
lies par  Brossette,  qu'avaient  fournies  à  celui-ci  ses  entretiens  avec 
Boileau.  Or  voici  comment  Cizeron  parle  de  VÉpitre  à  la  page  181 
de  ses  Récréations  littéraires  publiées  en  1765:  «  Mme  Scarron....  fit 
imprimer  ce  petit  recueil  (les  Œuvres  diverses  d^un  auteur  de  sept  ans), 
et  le  dédia  à  Mme  de  Montespan.  M.  Racine  en  fit  VÉpitre  dédica^ 
foire,  qui  est  fort  belle,  et  que  l'on  sera  d'autant  moins  fâché  de 
trouver  ici  qu'elle  n'est  pas  imprimée  dans  les  OEuvres  de  cet  au- 
teur. M  Le  texte  qui  est  ensuite  donné  dans  les  Récréations  litté' 
reires  diffère  un  peu  de  celui  que  nous  avons  dans  les  OEuvres 
diverses  d^un  auteur  de  sept  ans. 

Sans  tenir  compte  de  l'affirmation  très-expresse  de  l'auteur  des 
Nouvelles  de  la  république  des  lettres,  ni  de  celle  de  Cizeron-Rival, 
M.  le  duc  de  Noailles,  dans  son  Histoire  de  Mme  de  Maintenon  (tome  I, 


352      ÉPlTRE  A  MADAME  DE  MONTESPAN. 

à  la  note  de  la  page  4779  édition  de  1848)1  incline  à  rerendicpier 
VÉpitrt  pour  IHllustre  femme  dont  il  raconte  la  vie.  «  M.  Charles 
Nodier,  dit-il  (voyez  Mélanges  tirés  et  une  petite  hiùliothè^ué)^  a  cin 
que  cette  Épttre  dédicatoire  avait  éxé  composée  par  Racine,  et  ce  qoi 
détermina  son  opinion,  c'est  que  dans  Texemplaire  qui  loi  appar- 
tenait (des  OKuvres  diverses  ttun  auteur  de  sept  ans),  le  nom  de  Racine, 
d*une  écriture  qui  lui  parut  être  de  Racine  lui-même,  se  tronvait  ao 
bas  du  deuxième  madrigal,  et  que  le  nom  de  Mme  de  Maintenon  se 
trouvait  de  la  même  main  au  bas  de  V Épure;  d'où  il  infère  que  Ra- 
cine a  marqué  de  cette  manière  les  deux  pièces  qu'il  avait  composées, 
tout  en  mettant  le  nom  de  Mme  de  Maintenon  au  bas  de  la  lettre  où 
elle  parle  en  son  propre  nom....  Ce  raisonnement  paraît  peu  con- 
cluant, et  le  nom  de  Mme  de  Maintenon,  même  écrit  par  Racine, 
pourrait  prouver  au  contraire  qu'il  savait  que  la  lettre  était  d'elle, 
et  qu'il  levait  ainsi  sur  cet  exemplaire  l'anonyme  qu'elle  avait  gardé. 
Rien  ne  nous  démontre  que  Mme  de  Maintenon  se  soit  crue  obligée 
d'emprunter  la  plume  de  Racine  pour  cette  Épi'tre^  qu^elle  étoit  fort 
en  état  de  rédiger  elle-même,  et  où  l'on  reconnaît  en  effet  la  grâce 
ordinaire  de  son  style  et  un  ton  que  tout  antre  écrivain  â  sa  place 
aurait  pris  difficilement.  »  Nous  avons  déjà  parlé  (tome  FV,  p.  s38) 
de  cet  exemplaire  de  Charles  Nodier.  L*authenticité  des  signatoret 
qu'il  y  avait  trouvées,  et  qui  lui  semblaient  être  de  la  main  de  Ra- 
cine, est  difficile  à  admettre,  puisque  l'une  d'elles,  nous  l'avons  dit, 
forcerait  d'attribuer  à  Racine  un  madrigal  qui  est  bien  plus  rm- 
semblablement  de  Boileau.  Il  faut  quelquefois  se  défier  des  autogra- 
phes dont  l'origine  est  sans  preuves  suffisantes.  Mais  quand  récri- 
ture de  Racine  ne  laisserait  pas  de  doute  en  cette  occasion,  nous 
trouverions  assez  plausible  l'explication  que  Charles  Nodier  donnait 
du  nom  de  Mme  de  Maintenon  mis  au  bas  de  VÉpûre.  H  était  na- 
turel que  Racine  n'y  écrivît  pas  le  sien,  et  qu'il  ne  dépouillât  pas  de 
l'honneur  de  ce  petit  ouvrage  celle  à  qui  il  avait  prêté  sa  plume.  On 
ne  reprend  pas  ce  qu'on  a  donné. 

Mais  tout  raisonnement  paraîtra  superflu  en  présence  d'un  té- 
moignage bien  moins  équivoque  assurément  que  celui  de  l'exem- 
plaire de  Charles  Nodier,  et  plus  irrécusable  encore  que  cew 
dont  nous  avons  jusqu'ici  parlé.  Ce  témoignage,  nous  l'avons  trooté 
au  tome  II,  p.  a6,  de  la  Correspondance  générale  de  Mme  de  Mm- 
tenon,  publiée  par  M.  La  vallée,  tome  qui  a  paru  en  i865,  et  quepir 
conséquent  nous  ne  connaissions  pas  lorsque  a  été  imprimée  notrr 


NOTICE.  353 

Notkt  biographique  sur  Jean  Racine,  Autrement  noog  n^j  aurions  pas, 
à  la  page  io8,  parlé  sous  une  forme  aussi  dubitative  du  T^ritable 
auteur  de  VÈpùre  dédieatoire.  On  sait  (pie  M.  LaraUée  a  eu  entre 
les  mains  l'exemplaire  des  Lettres  de  Mme  de  Maintenons  publiées  par 
la  Beanmelle,  qui  a  appartenu  à  Louis  Racine,  et  sur  lequel  celui- 
ci  a  écrit  quelques  remarques.  Dans  la  JVote  préliminaire  que  M.  La- 
vallée  a  mise  en  tête  de  VÉpitre  dont  nous  nous  occupons,  il  dit  : 
«  Louis  Racine  écrit  à  la  marge  de  son  exemplaire  des  lettres  pu- 
bliées par  la  Beaumelle  :  Cette  lettre  a  été  faite  par  mon  père.  »  Voilà 
ce  qui  ne  laisse  plus  guère  d^incertitude.  Nous  devions  toutefois 
laiflser  VÉpitre  à  Mme  de  Montespan  parmi  les  Ouprages  attribués^  avec 
tous  les  écrits  que  Racine  a  destinés  à  paraître  sous  un  autre  nom 
que  le  sien. 

Le  texte  que  nous  donnons  est  conforme  à  celui  du  volume  inp4®, 
qui  a  pour  titre  :  Œuvres  diverses  d'un  auteur  de  sept  ans^  ou  :  Meeueii 
des  ouvrages  de  M.  le  due  du  Majne^  qu^il  a  fait  [sic)  *  pendant  Vannée 
1677  et  dans  le  commencement  de  1678.  Le  second  de  ces  titres  se 
troore  seulement  an  dixième  feuillet.  En  tête  de  VÉpitre  dédiea- 
toire il  n'j  a  que  ces  mots  :  A  Madame  de  Montespan.  Le  mot  Epistre 
m  en  titre  courant.  Nous  indiquerons  dans  les  notes  les  variante* 
tirées  du  texte  de  Cizeron-Rival  ;  parmi  ces  variantes,  plusieurs  tout 
aa  moins  ne  sauraient  être  attribuées  a  une  transcription  inexacte, 
et  elles  ont  quelque  intérêt,  parce  que  le  texte  de  Cizeron  doit  venir 
d'une  ancienne  copie,  ou  l'on  peut  conjecturer  que  se  trouvait  la 
première  rédaction  de  VÉpitre^  avant  les  corrections  que  l'auteur  j 
fît  au  moment  de  l'impression. 


MADAME    DE  MONTESPAN 


Madamk, 

Voici  le  plus  jeune  des  auteurs  qui  vient  vous  demander 
^otre  protection  pour  ses  ouvrages.  Il  auroit  bien  voulu  at- 
J.  RAcnn.  V  ^3 


354  ÉPtTRE 

tendre  pour  les  mettre  au  jour*  qu'il  eût  huit  ans  accomplie. 
Mais  il  a  eu  peur  qu'on  ne  le  soupconn&t  d'ingratitude  s'il 
étoit  plas  de  sept  ans  au  monde  sans  vous  donner  des  marques 
publiques  de  sa  reconnoissance. 

En  effety  Madame  ,  il  vous  doit  une  bonne  partie  de  tout  ce 
qu'il  est.  Quoiqu'il  ait  eu  une  naissance  assez  heureuse,  et 
qu'il  y  ait  eu  peu  d'auteurs  que  le  ciel  ait  r^ardés*  aussi  favo- 
rablement que  lui ,  il  avoue  que  votre  conversation  a  beau- 
coup aidé  à  perfectionner  en  sa  personne  ce  que  la  nature 
avoit  commencé.  S'il  pense  avec  quelque  justesse,  s'il  s'ex- 
prime avec  quelque  grâce,  et  s'il  sait  déjà  faire  un  assez  juste 
discernement  des  hommes,  ce  sont  autant  de  qualités  qu'il  i 
tâché  de  vous  dérober.  Pour  moi ,  Madame  ,  qui  conuois  ses 
plus  secrètes  pensées,  je  sais  avec  quelle  admiration  il  \oa> 
écoute  ;  et  je  puis  vous  assurer  avec  vérité  qu*il  vous  étudie  ' 
beaucoup  plus  volontiers  que  tous  ses  livres. 

Vous  trouverez,  dans  l'ouvrage  que  je  vous  présente,  quel- 
ques traits  assez  beaux  de  l'histoire  ancienne  ^.  Mais  il  craint 
que,  dans  la  foule  d'événements'  merveilleux  qui  sont  arrirés 
de  nos  jours ,  vous  ne  soyez  guère  touchée  de  tout  oe  qu'il 
pourra  '  vous  apprendre  des  siècles  passés.  Il  craint  cela  avec 
d'autant  plus  de  raison ,  qu'il  a  éprouvé  la  même  chose'  es 
lisant  les  livres.  Il  trouve  quelquefois  étrange  que  les  homaie) 
se  soient  fait  une  nécessité  d'apprendre  par  cœur  des  aoteors 
qui  nous  disent  des  choses  si  fort  au-dessous  '  de  ce  que  nous 
voyons.  Comment  pourroit-il  être  frappé  des  victoires  des 
Grecs  et  des  Romains,  et  de  tout  ce  que  Florus  et  Justin  lui 
racontent*?  Ses  nourrices ^^,  dès  le  berceau,  ont  accoatnoié 

I .  «  Pour  les  mettre  au  jour  »  ma&nque  dans  Cizeron-Ri^- 
1.  Dans  les  Œuvres  diverses  eTun  auteur  de  sept  ans,  il  y  a  regarde, 
Aans  accord. 

3.  <c  Et  je  vois  avec  plaisir  qu'il  vous  étudie.  »  (CizeroihBiif^-) 

4.  «  Ancienne  »  manque  dans  le  texte  de  Cizeron-Rival. 

5.  t  Des  ëvënements.  a  (Cizeron-Âipai,) 

6.  «  De  ce  quUl  pourra,  a  (Ibidem,) 

y.  «(  Qu'il  a  éprouvé  qu'il  penaoit  de  même.  »  (liidem.) 

8.  «  D'apprendre  par  cœur  des  récita  si  fort  au-dessous.  »  {Ih^- 

9.  «  Noua  racontent.  »  {ibidem.) 

10.  M  Les  nourrices.  »  (Jbidtm,) 


A  MADAME  DE  MONTESPAN.  355 

ses  oreilles  à  de  plus  grandes  choses*.  On  lui  parle,  comme 
d'un  prodige ,  d'nne  ^ille  que  les  Grecs  prirent  en  dix  ans. 
Il  n'a  que  sept  ans ,  et  il  a  déjà  vu  chanter  en  France  des  Te 
Dettm  pour  û  prise  de  plus  de  cent  villes. 

Tout  cela,  MADAiOy  le  dégoûte  un  peu  de  l'antiquité.  Il  est 
fier  naturellement.  Je  vois  bien  qu'il  se  croit  de  bonne  mai- 
son. Et  avec  quelques  éloges  qu'on  lui  parle  d'Alexandre  et 
de  César  *9  je  ne  sais  s'il  voudroit  faire  aucune  comparaison 
avec  les  enfants  de  ces  grands  hommes.  Je  m'assure  que  vous 
ne  désapprouverez  pas  en  lui  cette  petite  fierté ,  et  que  vous 
trouverez  qu'il  ne  se  connoit  pas  mal  en  héros.  Mais  vous 
m'avouerez  aussi  que  je  ne  m'entends  pas  mal'  à  faire  des  pré« 
sents,  et  que  dans  le  dessein  que  j'avois  de  vous  dédier  un 
livre,  je  ne  pouvois  choisir  un  auteur  qui  vous  fût  plus  agréa- 
ble, ni  à  qui  vous  prissiez  plus  d'intérêt  qu'à  celui-ci.  Je  suis, 
Madàmb  , 

Votre  très-humble  et  très-obéissante  servante, 


I .  «  A  de  plus  grandes  actions,  m  {jCizeron-Rîpol,) 
3.  «  On  de  César.  »  (Ihidem.) 

3.  Les  éditions  de  Loneaa  de  Boisjermain  (1768),  de  la  Harpe, 
de  Geoffroy  et  d'Aimé-Martin  ont:  «  qae  je  n'entends  pas  mal.  » 

4.  «  Votre  très-humble  servante ,  ScAaaov.  »  (CtMran-iliVa/.) 


HARANGUE 


FAITB   AU    BOI 


PAR  L'ABBÉ  COLBERT 


NOTICE. 


Louis  RAcnn  a  place  cette  harangae  parmi  les  Ouvrages  ottr^mt 
à  Jean  Racine^  aux  pages  81-89  du  volume  quUl  a  fait  imprimer  eo 
1747  en  appendice  à  ses  Mémoires,  U  «  n^a  poblië  le  discount  ^^ 
Geoffroy  (tome  VII,  p.  6),  que  parce  qu'il  Ta  tronyë  dans  la  ma- 
noscfits  de  son  père.  »  L'assertion  de  cet  éditeur  n'est  pas  justifiée. 
Nulle  part  Louis  Racine  ne  dit  rien  de  semblable.  L'éditeur  de  180;, 
d'ordinaire  plus  exact  que  GeofTroj,  ne  l'a  cependant  pas  ixi  ttwt 
à  fait,  ce  nous  semble,  en  cette  occasion.  «  Les  personnes  les  mieiu 
informées,  dit-il  dans  son  jivertusement  (tome  Vil,  p.  4)«  ^'^ 
tamment  Boileau,  ont  assuré  que  ce  discours  avait  été  composa  par 
Racine.  C'est  d'après  ce  témoignage  que  Louis  Racine  eo  pv^^ 
dans  ses  Mémoires  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  son  père,  p.  ioi-> 
Dans  le  passage  que  Ton  cite  de  ses  Mémoires^  et  qu'on  troaTera  « 
la  page  aSa  de  notre  tome  l,  Louis  Racine  n'aUègue  point  le  té- 
moignage de  Boileau  :  il  y  parle  seulement  de  quelques  perse»a 
éciairées,  que  d'ailleurs  il  ne  nomme  pas.  An  dire  de  ces  persoaoeSt 
Racine  était  l'auteur  de  la  Harangue  au  Boi  qui  «  fut  proooocre 
par  une  autre  bouche  que  la  sienne  en  i685,  et  se  trouTcdu^ 
les  Mémoires  du  clergé,  » 


NOTICE.  357 

L  Membert,  dans  VÉio^e  de  Jacques-Nicolas  Cothert  (tome  II  de 
*  Histoire  des  membres  de  V Académie  française)  ^  dit  à  la  page  876  :  «  On 
usare  quUl  eut  recours  k  Racine  pour  composer  sa  harangue.  » 
Mais,  après  Louis  Racine,  nous  ne  saurions  Toir  en  d^Alembert  un 
témoin  nouveau.  Une  note  qu'il  a  mise  au  bas  de  la  même  page 
donne  k  croire  qu'il  ne  connaissait  d'autre  preure  de  cette  attribu- 
tion a  Racine  que  le  passage  des  Mémoires  de  son  fils,  et  l'insertion 
du  diicours  parmi  les  Ouvrages  attribués  que  celui-ci  avait  fait  im- 
primer en  1747-  C'est  toujours  à  Louis  Racine,  et  à  lui  seul,  qu'il 
en  faut  revenir;  mais  son  autorité  est  ici   d'un  grand  poids;   et 
quoiqu'il  ne  veuille  rien  affirmer,  et  nous  laisse  ignorer  comment 
son  opinion  sVtait  formée ,  il  est  évident  qu'il  la  croyait  bien  fon- 
dée, tenant  sans  doute  le  fait  de  bonne  source.  Il  7  a  d'ailleurs  dans 
la  harangue  un  mérite  littéraire  qui  est  une  preuve  d'un  autre 
genre,  et  tout  aussi  forte.  Sans  faire  tort  à  l'abbé  Colbert,  et  sans 
oublier  qu4l  était  alors  depuis  sept  ans  déjà  un  des  quarante  de 
l'Académie  française,  où  il  était  entré  à  l'âge  de  vingt-quatre  ans, 
il  est  permis  de  douter  qu'il  eût  un  si  remarquable  talent  d'écrivain. 
Dans  les  diverses  éditions  des  Œuvres  de  notre  auteur  on  a  donné 
ce  discours  d'après  le  texte  de  Louis  Racine.  Dans  ce  texte  cepen- 
dant il  sVtait  glissé  quelques  inexactitudes.  Celui  que  le  lecteur 
trouvera  ici  est  conforme  à  l'édition  originale,  pièce  in-4*'  àe  dix 
pages,  qui  a  pour  titre  :  Harangue  faite  au  Roy  à  P'ersaiUes  le  vingt  et 
unjuiilet  M.DC.LXXXf^^  par  Monseigneur  miustrissime  et  reverendis- 
iime  Jacqubs-Nicoias  Colbxbt,  arehevesque  et  primat  de  Carthage, 
eoadjuieMsr  derarehêvciché  de  Rouen,  Assisté  de  Messeigneurs  les  arche- 
MsqueSf  évesquês  et  autres  députés  de  rassemblée  générale  tenOe  à  Saint- 
Germain  en  Laye  en  ladite  année  mil  six  cens  quatre"  vingt-cinq.  En  pre- 
»ant  congé  de  Sa  Majesté.  A  PariSf  de  timprimerie  de  Frédéric  Léonard^ 
in^rumeur  ordinaire  du  Roy...»  M.DCLXXXF,  Louis  Racine  renvoie 
aux  Mémoires  du  clergé.  En  effet,  le  discours  de  l'abbé  Colbert  se 
trouve  aussi  à  la  page  798  du  Recueil  des  Actes,  Titres  et  Mémoires  con^ 
cernant  les  affaires  du  Clergé  de  France^  à  Paris  y  chez  Pierre  Simon, 
M.DCC,XL.  C'est  de  ce  volume  (in-folio)  que  Louis  Racine  a  sans 
doute  fait  usage  ;  mais  sa  transcription  n'a  pas  été  complètement 
fidèle,  puisque  ce  texte  de  1740  est  conforme  à  celui  de  i685.  Un 
troisième  texte  semblable  existe  aux  pages  ^49'%$^  du  Procez'verbal 
de  Rassemblée  générale  du  clergé  de  France,  teniie  à  Saint-Germain  en 
Lt^e  au  Chasteauneuf,  en  Vannée  mil  six  cens  quatre-vingt-cinq.  A  Pa- 


358         HARANGUE   DE  L'ABBÉ  GOLBERT. 

riSf  chez  Frederie  Léonard».,,  M,DC.  IJCXXX^  un  Tolmne  m-folio. 

La  banngne  y  est  précédée  (p.  948)  de  ces  quelques  mots  dVer- 

tissement  : 

«  Du  mesme  jour  de  reler^e  (stmtedif  vingt^unième  jmilet),  Va- 

semblée  s^estant  rendue  à  Versailles  dans  la  salle  des  ambasn- 
deurs  qui  aroit  este  préparée  pour  la  recevoir,  et  Messieon  les 
agens  Payant  avertie  que  le  Royestoit  prest  à  luy  donner  audience, 
M.  le  marquis  de  Sei^elay,  secrétaire  d^Ëstat,  est  renu  la  prendre, 
avec  M.  le  marquis  de  Blainrille,  grand  maître  des  cérémonies; 
on  est  allé  à  la  chambre  du  Roy  ;  les  gardes  estoient  en  baye  loos 
les  armes,  et  les  officiers  à  leur  teste.  Les  deux  battants  de  porte 
ouverts,  et  toutes  choses  disposées  en  la  manière  ordinaire,  Mon- 
seigneur le  coadjuteur  de  Rouen  a  porté  la  parole  et  a  dit.  » 

Ces  anciennes  éditions  nous  apprennent,  comme  on  a  pu  le  remar- 
quer, que  Tabbé  Colbert  prononça  son  discours  le  ii  juillet  168S.  Là 
note  suivante,  qui  a  passé  de  Tédition  de  1807  (tome  VII,  p.  s4) 
dans  celle  de  M.  Aimé-Martin,  contient  donc  une  évidente  et  gisTe 
erreur:  «  Le  principal  objet  de  ce  discours  était  de  remercier 
Louis  XIV  de  Tédit  du  ii  octobre  i685,  portant  révocation  de 
celui  de  Nantes.  »  Comme  nous  Pavons  déjà  fait  remarquer  dans 
VAvertiuement  placé  en  tête  de  notre  tome  I,  à  la  page  xn, 
M.  Aimé-Martin  a  aggravé  Terreur  de  cette  note,  en  y  ajontant 
quelques  lignes  où  il  dit  que  le  plus  grand  poète  de  la  France  n  a 
pu  se  rendre  coupable  d^une  action  déplorable,  et  qu^il  vaut  mieux 
croire  que  Louis  Racine  a  été  mal  informé.  0  faut  avoir  lu  avec 
distraction  la  harangue  du  coadjuteur  de  Rouen,  pour  n^en  aroir 
pas  reçu  une  impression  toute  contraire.  D^Alembert  ne  s'y  est  pas 
trompé,  n  a  été  frappé  des  emue'ds  de  chariié  évangélique  qu'avait 
f«iit  entendre  l'abbé  Colbert  dans  son  discours;  il  y  a  trouvé  m«  It- 
çon  importeutte  et  chrétienne  donnée  au  Roi,  une  leçon  9reimeMt  £^ 
du  miniitre  d'un  Dieu  de  paix.  Bien  loin  en  effet  d'encourager  les  vio- 
lences de  la  persécution,  l'orateur  disait  :  «  Qnelque  intérêt  qœ 
nous  ayons  à  l'extinction  de  l'hérésie,  notre  joie  l'emporteroit  peo 
sur  notre  douleur,  si  pour  surmonter  cet  hydre,  une  fâcheuse  né- 
cessité avoit  forcé  votre  zèle  à  recourir  au  fer  et  au  feu,  comme  00 
a  été  obligé  de  faire  dans  les  règnes  précédents....  Nous  gémirions 
en  secret  sur  un  triomphe  qui,  avec  la  défaite  des  ennemis  de  TE- 
glise,  envelopperoit  la  perte  de  nos  frères.  •  Un  pareil  langage  en 
ce  temps-là  était  assez  significatif;  il  demandait  un  vrai  coorafe. 


NOTICE.  359 

et  fait  honneur  à  Racine  aussi  bien  qn^an  prélat  qui  en  prenait  la 
responsabilité.  On  a  sourent  dit  qne  tons  les  grands  hommes  du 
dix-septième  siècle  araient  approuré  les  rigueurs  de  Louis  XIV 
contre  Vhéréaie  ;  il  est  bon  de  montrer  que  parmi  ceux  dVntre  eux 
qui  aTaient  le  plus  de  religion,  des  exceptions  doivent  être  notées. 
Ni  Fënelcm,  ni  Saint-Simon,  ni  Racine  n'ont  aimé  les  dragonnades. 


Sue  y 

Le  clergé  de  France ,  qui  ne  s'approchoit  antrefois  de  ses 
sooTerains  qne  ponr  leur  retracer  de  tristes  images  de  la  reli- 
gion opprimée  et  gémissante,  vient  aujourd'hui,  la  reconnois- 
sance  et  la  joie  dans  le  cœur ,  faire  parottre  à  Votre  Majesté 
cette  même  religion  toute  couYerte  de  la  gloire  qu'elle  tient 
de  Yotre  piété. 

Elle  a  parUy  durant  plus  d'un  siècle,  sur  le  penchant  de  sa 
ruine  ;  on  l'a  Yue  déchirée  par  ses  propres  enfants,  trahie  par 
ceux  qui  dévoient  la  soutenir  et  la  défendre,  en  proie  à  ses 
plus  cruels  ennemis.  Enfin,  après  une  longue  et  funeste  op* 
pression,  elle  respira  peu  de  temps  avant  votre  naissance  heu. 
reuse;  avec  vous  elle  commença  de  revivre,  avec  vous  elle 
monta  sur  le  tr6ne.  Nous  comptons  les  années  de  son  accrois- 
sement par  les  années  de  votre  règne ,  et  c'est  sous  le  plus 
florissant  empire  du  monde  que  nous  la  voyons  aujourd'hui 
plus  florissante  que  jamais. 

Si  elle  se  souvient  encore  de  ses  troubles  et  de  ses  malheurs 
passés,  ce  n'est  plus  que  pour  mieux  goûter  le  parfait  bon- 
heur dont  vous  la  faites  jouir  :  elle  est  sans  agitation  et  sans 
crainte  à  l'ombre  de  votre  autorité;  elle  est  même,  si  j'ose 
ainsi  dire,  sans  désirs,  puisque  votre  zèle  ne  lui  laisse  pas  le 
temps  d'en  former^  et  que  votre  bonté  va  si  souvent  au  delà  de 
ses  souhaits. 

Ce  zèle  ardent  pour  la  foi,  cette  bonté  paternelle  dans  tous 
les  besoins  de  T Église,  qualités  si  rares  dans  les  princes,  font, 
SiBE,  le  véritable  sujet  de  nos  éloges. 

Nous  laissons  à  vos  autres*  sujets  assez  d'autres  vertus  à 

I.  Dans  le  texte  de  Louis  Racine,  qui  est  aussi  le  texte  des  édi- 


)6o         HARANGUE  DE  UABBÉ  GOLBERT. 

admirer  en  tous.  Les  ans  vous  représenteront  comnie  on  mo- 
narque bienfaisant,  libéral,  magnifique,  fidèle  dans  ses  pro- 
messes, ferme  et  inflexible  contre  toute  sorte  d'injustice,  droit 
et  équitable  jusques  à  prononcer  contre  ses  propres  intérêts, 
véritablement  maître  de  ses  peuples,  et  plus  maître  encore  de 
lui-même. 

Les  autres  tous  respecteront  ^  comme  un  roi  toujours  sage 
et  toujours  yictorieux ,  dont  les  impénétrables  desseins  sont 
plus  tôt  exécutés  que  connus;  qui  ne  règne  pas  seulement  sur 
ses  sujets  par  son  autorité  souveraine ,  mab  sur  son  conseil 
par  la  supériorité  de  son  génie,  mais  sur  les  cours'  de  ses 
voisins  par  la  pénétration  de  son  esprit  et  par  la  sagesse  dont 
U  sait  instruire  ses  ministres  ;  qui  pouvant  tout  par  lui-même, 
sait  se  passer  des  plus  grands  hommes,  et  sans  eux  résoudre» 
entreprendre,  exécuter  ;  qui  donne  la  loi  sur  la  mer  aussi  faiea 
que  sur  la  terre  ;  qui  lance,  quand  il  lui  plaît,  la  foudre  jus- 
que sur  les  bords  de  l'Afrique  ;  qui  sait  à  son  gré  humilier  les 
nations  superbes ,  et  réduire  des  souverains  à  venir  aux  pieds 
de  son  tr6ne,  reconnoltre  son  pouvoir  et  implorer  sa  clé- 
mence*. 

Vos  ennemis  mêmes,  Siab,  ne  peuvent  s'empêcher  de  louer 
vos  actions  héroïques;  ils  sont  contraints  d'avouer  que  rieo 
n'est  capable  de  vous  résister,  et  le  mérite  du  vainqueur  adou- 
cit en  quelque  sorte  le  malheur  des  vaincus. 

Ce  n'est  pas  à  nous,  Siax,  à  parler  des  progrès  étonnants  de 
vos  armes  triomphantes  :  nous  ne  devons  pas  confondre  l'éclat 
d'une  valeur  qui  n'est  que  l'objet  de  l'adnuraûon  des  hoaunes, 
avec  ces  œuvres  saintes  qui  sont  en  estime  devant  Dieu.  Le 
clergéy  Siab,  s'attachera  surtout  à  louer  en  vous  cette  piété 

tient  de  la  Harpe,  de  Geoffiroy  et  d'Aimé-Martio,  le  mot  maint 
a  été  omis. 

I .  Quoique  le  texte  de  Louis  Racine  ait  bien  :  «  tous  respecte- 
ront, w  on  a  imprimé  par  erreur  dans  Tédition  de  1807  :  «  vous 
représenteront.  »  M.  Aimé-Martin  a  reproduit  cette  faute. 

9.  Au  lieu  de  Us  cours  y  il  y  a  /«i  cœurs  dans  le  texte  de  Louis 
Racine. 

3.  Allusion  aux  soumissions  qu'au  mois  de  mai  de  cette  même 
année  le  doge  de  Gènes  étoit  venu  faire  à  Louis  XIV.  Vojex  ci- 
dessus,  p.  laS,  note  3. 


HARANGUE  DE  L'ABBÉ  COLBERT.         36i 

qui  toujours  attentive  aux  intérêts  de  la  religion,  n'omet  rien 
de  ce  qui  peut  être  nécessaire  pour  la  relever  dans  les  lieux 
où  elle  est  abattue,  pour  l'étendre  au  delà  des  mers  dans  les 
liens  où  elle  est  inconnue,  pour  la  faire  triompher  dans  Tun 
et  l'autre  monde. 

Mais,  que  dis-je,  TÉglise  ne  doit-elle  pas  elle-même  con- 
sacrer des  victoires  que  vous  avez  si  heureusement  fait  servir  à 
la  propagation  de  la  foi  et  à  l'extinction  de  l'hérésie  ?  Il  sem- 
ble que  vous  n'ayez  combattu  et  triomphé  cpie  pour  Dieu ,  et 
le  fruit  que  vous  tirez  *  de  la  paix  nous  fait  assez  connoître 
qael  ctoit  le  principal  but  de  vos  victoires.  C'est  par  ces  vic- 
toires que  vous  avez  établi  cette  redoutable  puissance  qui,  te- 
nant désormais  vos  vobîns  en  bride,  6te  aux  hérétiques  de 
votre  royaume,  et  Faudace  de  se  révolter,  et  l'espoir  de  se 
maintenir  par  de  séditieux  commerces  avec  les  ennemis  de 
l'Eut. 

Si  c'eût  été  la  seule  ambition  qui  vous  eût  armé ,  jusqu'où 
n'aoriez-vous  point  étendu  votre  empire  ?  Vous  vous  êtes  hâté 
de  finir  la  guerre,  lorsque  vous  en  pouviez  tirer  de  plus  grands 
avantages.  Ne  sait-on  pas  que  ce  n'a  été  que  par  l'empresse- 
ment que  vous  aviez  de  donner  tous  vos  soins  au  progrès  de 
la  religion?  La  conversion  de  tant  d'âmes  engagées  dans  l'er- 
reur vous  a  paru  la  plus  belle  de  toutes  les  conquêtes,  et  le 
triomphe  le  plus  digne  d'un  roi  très-chrétien. 

Mais  quelle  que  soit  votre  puissance ,  elle  a  voit  encore  be- 
soin du  secours  de  votre  bonté.  C'est  en  gagnant  le  cœur  des 
hérétiques  que  vous  domptez  l'obstination  de  leur  esprit; 
c'est  par  vos  bienfaits  que  vous  combattez  leur  endurcissement  ; 
et  ils  ne  seroient  peut-être  jamais  rentrés  dans  le  sein  de 
l'Église  par  une  autre  voie  que  par  le  chemin  semé  de  fleurs 
que  vous  leur  avez  ouvert. 

Aussi  faut-il  l'avouer,  Sire,  quelque  intérêt  que  nous  ayons 
à  Textinction  de  l'hérésie,  notre  joie  l'emporteroit  peu  sur 
notre  douleur,  si  pour  surmonter  cet  hydre  ' ,  une  fâcheuse 
nécessité  avoit  forcé  votre  zélé  à  recourir  au  fer  et  au  feu , 

I .  Dans  le  texte  de  Louis  Racine  :  «  que  tous  avez  tiré.  » 
9.  Louis  Racine  a  mis  :  «  cette  hydre.  »  Nous  suivons  le  texte 
des  anciennes  éditions,  que  justifie  plus  d^un  exemple. 


36a         HARANGUE  DE  L'ABBÉ  GOLBERT. 

comme  on  a  été  obligé  de  faire  dans  les  r^nes  précédents. 
MoQS  prendrions  part  à  une  guerre  qui  seroit  sainte,  et  nous 
en  aurions  quelque  horreur,  parce  qu'elle  seroit  sanglaDte; 
nous  ferions  des  vœux  pour  le  succès  de  vos  armes  sacrées, 
mais  nous  ne  verrions  qu'avec  tremblement  les  terribles  aé- 
cutions  dont  le  dieu  des  vengeances  vous  feroit  rinstmment 
redoutable  ;  en6n  nous  mêlerions  nos  voix  aux  acclaooadoQS 
publiques  sur  vos  victoires,  et  nous  gémirions  en  secret  sur  on 
triomphe  qui,  avec  la  défaite  des  ennemis  de  l'Église,  enve- 
lopperoit  la  perte  de  nos  frères. 

Aujourd'hui  donc  que  vous  ne  combattez  l'oi^eil  de  Thé- 
résie  que  par  la  douceur  et  par  la  sagesse  du  gouvernement, 
que  vos  lois,  soutenues  de  vos  bienfaits,  sont  vos  seules  armes, 
et  que  les  avantages  que  vous  remportez  ne  sont  dommagea- 
bles qu'au  démon  de  la  révolte  et  du  schisme ,  nous  n'avons 
que  de  pures  actions  de  grÀces  à  rendre  au  ciel,  qui  a  inspiré 
à  Votre  Majesté  ces  doux  et  sages  moyens  de  vaincre  l'erreur, 
et  de  pouvoir,  en  mêlant  avec  peu  de  sévérité  beaucoup  de 
gr&ces  et  de  faveurs,  ramener  à  TÉglise  ceux  qui  s'en  trou- 
voient  malheureusement  séparés. 

Nous  le  confessons,  Sibe,  c'est  à  Votre  Majesté  seule  qœ 
nous  devons  *  bientôt  le  rétablissement  entier  de  la  foi  de  nos 
pères  :  aussi  ne  falloit-il  pas  que  l'Ëtat  vous  devant  déjà  son 
salut  et  sa  gloire,  l'Église  dût  à  un  autre  qu'à  vous  sa  victoire 
et  son  triomphe;  sans  cela,  votre  règne,  que  le  ciel  a  voulu 
qu'il'  fût  un  règne  de  merveilles,  auroit  manqué  de  son  plus 
bel  ornement.  On  auroit  bien  dit  un  jour  de  Votre  Majesté  ce 
que  l'Écriture  dit  de  plusieurs  grands  rois  de  Juda  :  <  H  a  ter- 
rassé ses  ennemis,  et  relevé  la  monarchie  ;  il  a  autorisé  et  ré- 
formé les  lois;  il  a  fait  régner  la  justice;  »  mais  on  aurrat 
ajouté  ce  que  le  saint  Esprit  reproche  à  ces  princes  :  c  II  n'a 
pas  aboli  les  sacrifices  qui  se  faisoient  sur  la  montagne.  » 


I .  Les  plus  récentes  éditions  ont  suhstitaé  «  nous  devroDS  »  à 
«  nous  devons,  »  qui  est  le  teTcte  de  Pédition  originale  aussi  bieo 
que  de  celle  de  Louis  Racine. 

».  Les  éditions  de  la  Harpe,  de  Geoffroy  et  d'Aimë-Marttn  rem- 
placent «  qu'il  »  par  «  qui.  »  On  pourrait  bien  en  effet  regarder fir'i/ 
comme  une  faute  d'impression. 


HARANGUE  DE  L'ABBE  COLBERT.        363 

Qoe  votre  nom,  Sisb,  sera  éloigné  de  ce  reproche  !  Ce  qne 
votre  zèle  a  déjà  fait,  la  postérité  le  regardera  toujours  comme 
la  source  de  vos  prospérités  et  le  comble  de  votre  gloire. 

Mais  ce  n'est  pas  an  rétablissement  des  temples  et  des  autels 
que  se  borne  votre  zèle  :  vous  avez  entrepris  de  faire  revivre 
la  piété  et  les  bonnes  mœurs,  et  c'est  à  quoi  Votre  Majesté  tra- 
vaille avec  succès,  autant  par  son  exemple  que  par  ses  or- 
dres. C'est  un  honneur  maintenant  de  pratiquer  la  vertu,  et  si 
le  vice  n'est  pas  tout  à  fait  détroit,  au  moins  est-il  réduit  à 
se  cacher,  et  les  voiles  dont  il  se  couvre  épargnent  aux  gens 
de  bien  un  fâcheux  scandale,  et  sauvent  les  Ames  foibles  du 
péril  d'une  contagion  funeste. 

Ne  pensons  plus  à  ces  jours  de  ténèbres ,  où  la  plupart  de 
ceux  qui  étoient  encore  dans  le  sein  de  l'Église  sembloîent  n'y 
être  demeurés  que  pour  l'outrager  de  plus  près;  où  les  blas- 
phèmes et  les  railleries  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  saint  éclatoient 
avec  audace  :  ces  monstres  d'infidélité  ont  disparu  sous  votre 
règne  heureux  ;  et  si  les  remontrances,  tant  de  fob  réitérées 
snr  ce  sujet,  ne  nous  donnoient  connoissance  de  ce  désordre, 
nous  l'ignorerions  à  jamais.  * 

Qu'est  devenu  cet  autre  monstre  produit  par  l'esprit  de 
vengeance,  toujours  altéré  du  sang  des  hommes,  mais  plus  en- 
core de  celui  de  la  noblesse  françoise?  Nous  n'avons  qu'à  le 
laisser  dans  l'oubli  étemel  où,  depuis  tant  de  temps,  voos 
l'avez  enseveli.  Vous  l'avez  étouffé,  tout  indomptable  qu'il  pa- 
roissoit  ^.  Votre  Majesté  a  su  renverser  les  fausses  maximes  de 
Thonneur  et  de  la  honte  ;  et  autant  qu'une  détestable  erreur 
avoit  mis  de  fausse  gloire  à  se  venger,  autant  y  auroit-il 
d'ignominie  à  ne  vous  pas  obéir  :  c'est  ainsi  que  votre  volonté 
seule  l'emporte  sur  la  coutume  invétérée  du  mal,  et  sur  le 
penchant  criminel  des  hommes. 

Le  clergé  ne  se  dispose  plus  qu*à  être  le  spectateur  de  la 
fin  de  toutes  vos  saintes  entreprises,  après  en  avoir  admiré  de 
si  heureux  commencements;  il  cesse  d'user  de  remontrances  ; 
s'il  a  encore  quelques  besoins,  vous  les  connoissez  :  cela  lui 
suffit.  Il  vient  encore  de  ressentir  en  cette  assemblée  d'insignes 

I.  La  d<k}laration  du  mois  d'aoât  1679  pour  la  répression  des 
daeb.  (^Note  de  Sédition  de  1807.) 


364         HARANGUE  DE  L'ABBÉ  COLBERT. 

effets  de  votre  protection  royale ,  et  persuadé  que  vous  Im 
avez  destiné  une  longue  suite  de  grâces  dans  d'autres  temps, 
et  avec  les  circonstances  dont  vous  seul  les  savez  si  bien  ac- 
compagner,  il  craindroit  par  ses  demandes,  ou  de  troubler 
Tordre  que  votre  sagesse  y  a  établi ,  ou  peut-être  de  mettre 
des  bornes  où  votre  zèle  n*en  a  point  mis. 

L'unique  affaire  qui  nous  occupe,  c'est  l'obligation  de  ren- 
dre à  Vptre  Majesté  de  très-humbles  actions  de  grâces.  Après 
un  si  juste  devoir,  assurés  que  nous  sommes  de  votre  pois- 
sante protection ,  nous  pouvons  nous  séparer  sans  inquiétade. 
Nous  allons  dans  les  provinces  de  votre  royaume  faire  retentir 
les  louanges  que  TÉglise  doit  à  votre  zèle.  Chaque  pasteor 
aura  la  joie  de  retrouver,  par  vos  soins,  son  troupeau  plos 
nombreux  qu'il  ne  l'avoit  laissé,  et  chacun  de  nous  redoablen 
ses  vœux  pour  obtenir  du  ciel  qu'il  redouble  ses  bénédictions 
en  faveur  d'un  prince  qui  se  les  attire  par  des  actions  si  glo- 
rieuses, et  si  utiles  à  la  religion. 


FACTUMS 

POUR  LE  MARÉCHAL  DE  LUXEBfBOURG. 


NOTICE. 


Qa  peut  s'étonner  qne  dans  aucune  des  précédentes  éditions  de 
Racine  il  n*ait  été  parlé  des  Faetums  poor  le  maréchal  de  Luxem- 
boorg.  Assorément,  par  leur  importance  et  par  la  valeur  du  témoi- 
gnage sur  lequel  s'appuie  l'opinion  que  Racine  j  a  eu  part,  ils  mé- 
ritaient tout  au  moins  une  mention,  et  y  avaient  bien  plus  de  droit 
que  le  Chapelain  décoiffé  et  V Arrêt  burlesque^  nommés  par  les  éditeurs 
de  1768  (tome  VI,  p.  435  et  436)  et  par  ceux  de  1807  (tome  VII, 
p.  37  et  38)  parmi  les  pièces  qu'il  fallait  sinon  donner,  du  moins  in- 
diquer, n  est  vrai  qu'au  temps  de  ces  éditeurs  les  Mémoires  de  Saint- 
Simon  n'avaient  été  publiés  que  très-incomplétement ,  et  n'étaient 
pas  lus  comme  ils  le  sont  maintenant.  Nous  aurions  aujourd'hui 
été  averti  de  toutes  parts,  si  nous  avions  laissé  passer,  sans  le  re- 
marquer, le  passage  suivant  de  ces  Mémoires  (tome  I,  p.  i45)  :  «  Le 
célèbre  Racine,  si  connu  par  ses  pièces  de  théâtre  et  par  la  corn- 
oûssion  où  il  étoit  employé  lors  pour  écrire  l'histoire  du  Roi,  prêta 
sa  belle  plume  pour  polir  les  Faetums  de  M.  de  Luxembourg,  et  en 
réparer  la  sécheresse  de  la  matière  par  un  style  agréable  et  orné, 
pour  les  faire  lire  avec  plaisir  et  avec  partialité  aux  femmes  et  aux 
courtisans.  H  avoit  été  attaché  à  M.  de  Seignelay,  étoit  ami  intime 
de  Givoye,  et  tous  deux  l'avoient  été  de  M.  de  Luxembourg,  et 
CsToye  l'étoit  encore.  »  Dans  le  même  sens  que  cette  dernière 
pbrase  de  Saint-Simon,  nous  avons  eu  occasion  (tome  I,  p.  11 5) 


366  FACTUMS 

de  parler  des  liaisons  de  Racine  avec  le  parti  que  le  maréckal  de 
Luxembourg  avait  tu  se  former  à  la  cour  autour  de  lui. 

Parmi  les  Faetums  qui  ont  été  composés  pour  M.  de  Luxembourg 
dans  son  procès  en  préséance  contre  seize  pairs  de  France,  quels 
sont  ceux  auxquels  on  peut  croire  que  Racine  a  prêté  le  secours  de 
sa  belle  plume?  Saint-Simon  les  a-t-il  clairement  désignés?  Peut-on 
les  trouver  encore  aujourd'hui  ? 

Avant  d'examiner  ces  questions,  nous  devons  dire  quelques  mots 
de  ce  procès  de  préséance ,  que  les  Mémoires  de  Saint-Simon  ont 
d'ailleurs  sauvé  de  l'oubli,  et  qui,  suivant  une  de  ses  expressions  ', 
«  partialisa  le  monde  avec  de  grands  éclats.  »  On  trouve  l'exposé 
du  sujet  et  des  diverses  phases  du  débat  dans  plusieurs  des  Mémoires 
et  des  Faetums  publiés  par  les  deux  parties,  et,  avec  plus  de  détails, 
surtout  sous  une  forme  plus  vive  et  plus  piquante,dans  les  Mémairu 
de  Saint-Simon  et  dans  une  des  notes  qu'il  avait  écrites  sur  le 
/our/ia/ de  Dangeau  (voyez  ce  Journal^  à  la  date  du  3i  janvier  1689, 
tome  II,  p.  3 16-819).  Saint-Simon  étant  dans  toutes  les  mains,  nom 
aurons  à  lui  emprunter  seulement  ce  qui  se  rapporte  à  l'histoire  des 
Faetums  et  ne  se  trouve  pas  ailleurs  ;  quant  aux  origines  de  la  con- 
testation, il  snflfira  de  les  indiquer  brièvement  d'après  une  ancienne 
pièce  manuscrite  que  nous  trouvons  aux  Archives  de  l'Empire,  dans 
le  Recueil  concernant  Us  dues  et  pairs ^  volume  YIII,  coté  KK«  $99. 
Cette  pièce  est  intitulée  :  Extrait  des  Mémoires  faits  pour  et  contre 
Monsieur  de  Luxembourg.  On  j  lit  aux  folios  489  et  490  cet  exposé 
des  faits  préliminaires  de  la  cause  : 

c  En  1576,  au  mois  de  septembre,  le  roi  Henri  III  érigea  le  du- 
ché de  Piney  pour  François  de  Luxembourg^  ses  successeurs  et  ûj-mts 
causcy  tant  mdles  que  femelles,  en  quelque  degré  que  ce  soit,  fils  ou  fUleSf 
ou  ceux  qui  viendront  /Peux,  mdles  et  femelles,  ou  ses  autres  hs'ritien  os 
ayants  cause.  Ces  lettres  furent  registrées  au  Pariement  le  19  dndit 
mois  et  an. 

«  En  1 58 1,  an  mois  d'octobre,  le  Roi  accorda  au  même  Françoîi 
de  Luxembourg,  duc  de  Pinej,  la  pairie  pour  lui,  ses  hoirs  et  sne- 
cesseurs  i^ales  ou  femelles  et  ayants  cause,  ce  qui  fat  registre  an 
Parlement  le  3o  décembre  suivant. 

«  Ce  François  de  Luxembourg  ne  laissa  qu'un  fib,  Heniy  de 
Luxembourg,  duc  de  Piney,  pair  de  France  ;  et  une  fille,  Margae- 

1.  Journal  de  Dangean,  tome  II,  p.  319,  à  U  note. 


POUR  LE  MARECHAL  DE  LUXEMBOURG.     367 

rite  de  Luxembourg,  dont  est  descendu  M.  le  duc  de  Gesvres.  Henry 
mourut  en  1616  et  ne  laissa  qu'une  fille  unique,  Charlotte-Margue- 
rite de  Luxembourg,  duchesse  de  Piney,  princesse  de  Tingry. 

c  En  i6so,  elle  fut  mariëe,  par  contrat  du  5  juillet,  avec  Mes- 
sire  Léon  d'Albert,  seigneur  de  Brantes,  chevalier  des  ordres  du 
Roi,  à  cause  d'elle  duc  de  Piney,  pair  de  France.  Il  fut  dit  par  ce 
contrat  qu'il  porteroit,  et  ses  enfants,  le  nom  et  les  armes  de  Luxem- 
bourg, et  que  le  fils  aSné  seroit  après  eux  duc  de  Piney,  pair  de 
France.  U  obtint  des  lettres  patentes,  le  10  juillet  de  la  même  an- 
née, pour  être  reçu  au  Parlement,  comme  ayant  cause  de  sa  femme, 
et  fut  effectivement  reçu,  le  8  février  i6si,  au  rang  de  l'érection  ci- 
dessus  rapportée.  II  paroit  qu'au  lit  de  justice  du  3  avril  de  la  même 
année  il  eut  séance  après  le  duc  d'Uzès  ou  de  Retz  ',  et  avant  les 
ducs  de  Montbazon,  qui  avoit  rang  de  iSgS,  et  de  Lesdiguières  de 
i6ao.  U  mourut  en  i63o.  De  son  mariage  sortit  un  fils  interdit  et 
hors  du  monde,  et  une  fille.  Sa  veuve  se  remaria,  au  mois  de  juin 
i63i,  avec  Henry  de  Clermont,  à  cause  d'elle  duc  de  Piney,  pair  de 
France,  qui  n'a  point  été  reçu  au  Parlement.  De  ce  second  mariage 
sortit,  pour  unique  héritière,  Magdelène-Charlotte-Bonne-Thérèse 
de  Clermont  de  Luxembourg,  mariée  en  1661  à  François-Henry  de 
Montmorency,  duc  de  Luxembourg  et  de  Piney,  pair  de  France,  en 
conséquence  de  son  contrat  de  mariage,  par  lequel  les  père  et  mère 
de  sa  femme  se  dévêtirent  en  leur  faveur,  du  consentement  du  fils 
du  premier  lit,  et  en  présence  de  la  fille,  lors  religieuse,  chanoinesse 
de  Ponssay,  à  condition  néanmoins  que  ladite  Magdelène-Charlotte- 
Bonne-Thérèse  venant  à  décéder  sans  enfants,  son  mari  resteroit,  sa 
vie  durant,  duc  de  Piney,  pair  de  France,  qu'ensuite  ledit  duché  et 
pairie  retoumeroit  aux  père  et  mère  de  la  dame  sa  femme,  et  pas- 
seroit  après  à  Henry-Léon  d^Albert  de  Luxembourg,  fils  du  pre- 
mier lit  de  Charlotte-Marguerite  de  Luxembourg,  puis  iroit  aux 
héritiers  de  Marguerite  de  Luxembourg,  mariée  au  marquis  de 
Gesvres. 

c  En  1661,  au  mois  de  mars,  le  Roi  accorda  à  M.  le  duc  de 
Luxembourg  des  lettres  patentes,  scellées  en  cire  verte,  pour  au- 

I .  On  explique  cUiu  1«  grand  Factum  pour  Monsieur  de  Luxembourg  que 
oe  fut  après  le  duc  d'Usés,  et  non  après  le  duc  de  Retz,  que  Léon  d'Albert  eut 
aéaice,  et  l'on  en  donne  d'irrécusables  pveoTes.  La  confusion  des  noms  était 
vcnoe  d'ane  erreor  dn  commis  dn  greffe. 


368  FACTUMS 

toriser  son  mariage,  porter  le  nom  et  les  armes  de  Luxembourg 
avec  celles  de  Montmorency,  jouir  du  duché  de  Piney  et  pairie  de 
France,  ses  hoirs  maies  et  femelles,  i 

Le  duc  de  Luxembourg  ayant  poursuivi  Tenregistrement  de  ces 
lettres  patentes  de  1 66 1,  il  y  eut  opposition  formée  par  les  ducs  et 
pairs,  qui  prétendaient  quUl  ne  pouvait  avoir  rang  ni  séance  en  sa 
qualité  de  duc  et  pair  que  du  jour  de  sa  réception.  Un  arrêt  dn 
ao  mai  i66a  ordonna  quUl  serait  incessamment  procédé  a  la  récep- 
tion de  M.  de  Luxembourg,  sans  préjudice  des  droits  des  ducs  et 
pairs  dans  la  question  de  préséance,  laquelle  demeurait  dans  son 
entier.  U  fut  décidé  que  jusqu^à  ce  que  Topposition  des  ducs  et 
pairs  eût  été  jugée,  M.  de  Luxembourg  n*aurait  rang  et  séance  en 
la  cour  en  sa  qualité  de  duc  et  pair  que  du  jour  de  sa  réception. 

En  exécution  de  cet  arrêt  du  ao  mai  i66a,  M.  de  Luxcmbooi^ 
prêta  serment  le  a  a  du  même  mois  ;  mais,  depuis  ce  temps,  iléviu 
de  prendre  séance  en  la  cour. 

Les  ducs  et  pairs  publiant  partout  que  les  lettres  de  1661  conte- 
naient une  nouvelle  érection  de  pairie,  le  duc  de  Luxembourg,  qui 
était  alors  maréchal,  eut  recours  au  Roi  pour  qu^il  interprétât  son 
intention.  Le  Roi  lui  accorda,  le  6  avril  1676,  de  nouvelles  lettres 
patentes,  par  lesquelles  il  déclara  que  sa  volonté  n'avait  pas  été  de 
faire  une  nouvelle  érection  du  duché  et  de  la  pairie  par  les  lettres 
de  1661,  mais  seulement  d'approuver  le  contrat  de  mariage  du  duc 
de  Luxembourg.  Celui-ci  attendit  cependant  jusqu'en  1689  pour 
faire  valoir  de  nouveau  ses  prétentions,  qu'il  réservait  depuis 
vtngt>sept  ans.  Le  ao  janvier  de  cette  année  1689,  il  donna  sa  re- 
quête, par  laquelle  il  conclut  à  ce  que  les  lettres  de  1676  fîtssait 
enregistrées,  et  à  prendre  rang  et  séance  des  19  septembre  1576  et 
3o  décembre  t58i,  jours  des  enregistrements  des  lettres  d'érection 
accordées  à  François  de  Luxembourg.  Les  ducs  et  pairs  déclarèrent 
alors  qu'ils  s'opposaient  à  l'enregistrement  des  lettres  de  1676.  Le 
duc  de  Luxembourg  poursuivit  l'audience  ;  mais  ses  adversaires  re- 
tardèrent le  jugement  par  toutes  sortes  de  formalités  de  procédure. 
On  arriva  ainsi  jusqu'au  19  mars  169a,  jour  où  la  cour  rendit  un 
arrêt  qui  appointait  en  droit  sur  la  demande  du  maréchal,  et  sur 
les  oppositions  des  ducs  et  pairs,  et  joignait  le  tout  au  premier  ap- 
pointement  du  ao  mai  i66a. 

Le  différend   entre  les  parties  portait    principalement  sur  ces 
questions,  si  la  dignité  de  pair  est  masculine,  et  si  les  filles  et  le» 


POUR  LE  MARÉCHAL  DE  LUXEMBOURG.     369 

petitet-filles  penrent  la  transmettre  a  lenrs  maris  et  à  leurs  descen- 
dants; si  les  lettres  dans  lesquelles  le  Roi  approuvait  un  contrat  de 
mariage  contenant  une  cession  de  droits  ainsi  transmis,  étant  oon- 
çoes  et  expédiées  dans  les  termes  et  la  forme  nécessaires  pour  une 
nooTelle  érection,  faisaient  rerivre  Tancienne,  ou  ne  devaient  avoir 
effet  que  du  jour  qu'elles  avaient  été  enregistrées*.  Les  opposants 
soutenaient  que  dans  les  duchés -pairies,  même  femelles,  le  titre  de 
leur  dignité  personnelle,  la  préférence  du  rang  et  de  la  séance  en 
la  cour  des  pairs,  au  sacre  et  couronnement  des  rois,  et  autres  fonc- 
tions de  pairs,  ne  peuvent  passer  à  la  fille  d'un  duc  et  pair  ni  à  son 
mari,  pour  avoir  le  rang  et  les  prérogatives  du  jour  de  l'ancienne 
érection;  que  la  dignité  de  duc  et  pair  dans  les  duchés-pairies, 
m^e  femelles,  peut  encore  moins  passer  à  la  fille  de  la  fille  du  duc 
et  pair,  ou  à  son  mari  ;  que  la  prétention  d'étendre  l'effet  des  du- 
chés et  pairies  femelles  au  delà  même  du  premier  degré,  et  aux 
descendants  des  filles,  principalement  aux  filles  des  filles  ou  à  leurs 
maris,  pour  se  conserver  le  rang  et  la  séance  et  les  fonctions  de  ducs 
et  pairs  du  jour  de  l'ancienne  érection,  est  contre  tontes  les  règles*. 
Le  maréchal  de  son  côté  prétendait  établir  ces  propositions,  que 
la  pairie  est  un  office  de  la  couronne  et  une  dignité  héréditaire, 
patrimoniale  et  perpétuelle,  comme  sont  les  fiefs  ;  et  par  conséquent 
qu'elle  est  transmissible  à  tous  les  héritiers  et  successeurs  du  duc  et 
pair  en  faveur  de  qui  elle  a  été  instituée  ;  que  la  duché-pairie  de 
Pinej  (c'était  celle  qui  lui  avait  été  donnée  par  son  contrat  de  ma- 
riage) était  féminine,  ayant  été  accordée  par  les  lettres  d'érection 
à  tous  les  descendants  de  François  de  Luxembourg  tant  mâles  que 
femelles,  en  quelque  degré  qu'ils  fussent,  et  a  perpétuité;  que  le 
Roi  par  ses  lettres  avait  expressément  joint  et  annexé  la  dignité  de 
pairie  au  duché  et  à  la  terre  de  Piney  par  un  lien  inséparable,  pour 
la  rendre  plus  réelle  ;  que  le  rang  que  la  pairie  donne  à  celui  qui  la 
possède,  se  réglant  par  le  temps  de  l'érection  de  la  terre,  et  étant 
par  conséquent  réel,  il  passe  à  tous  ceux  qui  jouissent  de  cette  di- 
gnité; que  les  femmes  qui  sont  revêtues  d'une  duché-pairie  fémi- 
nine, la  communiquant  naturellement  à  leurs  maris,  qui  ont  l'ad- 
ministration de  leurs  biens,  leur  transmettent  en  même  temps  tous 

I.  Plnidojer  du  cluiiieriier  d'Agaessevu  dmis  ses  Œuvres  [hàxûon  de  176a), 
tome  III,  p.  643. 

a.  Mémoire  sur  la  question  de  pritèanee  pour  Messieurs  les  Ducs  et  Pairs ^ 
d4D«  \t Recueii de/actums publié  à  Toulouse  en  1757,  tome  I,  p.  I73et  174. 

J.  Raciiik.  V  a4 


3-0  FACTUMS 

leg  droit»  et  même  les  fonctions  de  la  pairie,  et  par  conséquent  If 
rang  et  la  séance,  fjni  en  font  partie  *. 

Nous  ayons  dit  que  M.  de  Luxembourg  avait  sollicité  rarrêt 
d'appointement  en  droit  qui  fut  rendu  le   19  mars  169»;  Saini- 
Simon  cependant  fixe  seulement  après  la  victoire  de  Neerwinden 
(19  juillet   1693)  le  moment  où  le  maréchal,  fier  de  cette  vic- 
toire, qu'avaient  précédée  celles  de  Leuze,  de  Fleuras  et  de  Stein- 
kerque,  «  secrat  assez  fort  pour  entreprendre  tout  de  bon  ce  procrt 
de  préséance  •.»—««  Jusqu'en  1693,  dit-U  aiUeurs  »,  qui  fut  Ttii- 
née  qu'il  {ie  duc  de  Saimt^imon)  perdit  son  père,  cette  affaire  ne  61 
que  languir,  mais  elle  devint  alors  fort  échauffée  par  les  procéda- 
res,  et  plus  encore  par  les  procédés.  >•  Saint-Simon  n'avait  alon 
que  dix-huit  ans  ;  U  revenait  de  l'armée,  où  U  avait  servi  loos  k 
maréchal  de  Luxembourg,  et  combattu  à  Neerwinden.  Tout  jeune 
qu'il  était,  il  porta  dans  cette  contestation  la  smgulièrc  ardeur  dont 
il  donna  depuis  tant  de  preuves,  surtout  dans  les  affaires  de  cette 
nature.  Ce  fat  lui  qui  «  en  soutint  les  plus  grands  efforts*.  »  Les  op- 
posants les  plus  fermes  étaient  avec  lui  MM.  de  la  Trémouille,  df 
Chaulnes,  de  RicheUeu,de  la  Rochefoucauld  et  de  Rolian.  Udirec- 
tion  du  procès  était,  du  côté  des  ducs  et  pairs,  principalement  tut 
mains  de  Riparfonds,  célèbre  avocat  consultant,  et,  après  lui,  de 
Magneux  et  d'Aubry,  intendants  des  ducs  de  la  Trémouillc  et  de 
la  Rochefoucauld.  Lorsqu'Us  écrivirent  leurs  Mémoires  et  Faetums. 
ils  ne  se  passèrent  assurément  pas  des  conseils  de  Saint-Simon;  »1 
est  difficile  de  croire  qu'il  n'ait  pas  fait  lui-même  beaucoup  de* 
recherches  historiques  qui  y  abondent,  qu'U  n'ait  pas  rédigé  bi« 
des  passages  de  ces  écrits  souvent  remarquables.  Quelque  différencr 
d'âge,  d'expérience  littéraire  et  de  qualités  d'esprit  qu'il  j  eut  entre 
l'auteur  des  lettres  à  Nicole  et  le  jeune  Saint-Simon,  si,  comiK  il 
y  a  toute  vraisemblance,  deux  tels  jouteurs  ont  été  un  moment 
aux  prises,  la  lutte  était  curieuse;  malheureusement  la  part  de  cha- 
cun ne  peut  se  faire  dans  des  écrits  auxquels  bien  des  personne» 

travaillaient. 

Au  témoignage  de  Saint-Simon,  un  homme  d'une  grande  science 
et  qui  y  joignait  une  réputation  d'éloquence,  Denis  Takm,  écriTiî 

I .  Faetum  pour  Messire  FrùucoU-Etnry  de  Montmoreuejr^  due  de  Laxem- 
bourg  et  de  Pinejr,  pair  de  France^  à  la  fin. 

a.  Mémoire* f  tt»ine  I,  p.  1 38  et  139.  ^^ 

1.  Journal  de  Dangenu,  à  la  note,  tome  II,  p.  3i8.  —  4«  fuédem. 


FOUR  LE  MARÉCHAL  DE  LUXEMBOURG.     871 

pour  M.  de  Luxembourg,  dont  sa  mère,  Françoise  Doajat,  se  trouvait 
être  parente.  Ce  fut  lui  qui  fouilla  les  bibliothèques,  rassembla  les  ma' 
tèriûux  pour  les  factums,  présida  à  tout  ce  qui  se  fit*.  Dans  les  pre  • 
miers  commencements  de  cet  interminable  litige,  il  avait  cependant 
conclu,  comme  avocat  gënëral,  contre  les  prétentions  de  M.  de 
Laxembouig.  L^annëe  même  où  il  changea  d*avis  et  prêta. son  con- 
cours à  la  cause  qu^il  avait  autrefois  combattue,  il  venait  d'être 
nomme  pr^ident  à  mortier  :  citait  en  1693.  Nous  admettrions  mal- 
aisément que  Saint-Simon,  dans  une  affaire  dont  il  s'occupait  si  pas- 
sionnément, et  dont  il  voulait  connaître  tons  les  ressorts,  ait  pu  être 
mal  informe,  et  qu'on  ne  doive  pas  s'en  rapporter  à  lui  lorsque 
dans  la  même  page,  et  dans  le  récit  de  la  même  phase  du  procès, 
iJ  représente  le  président  Talon  et  Racine  comme  donnant  leurs 
soins,  chacun  à  sa  manière,  et  suivant  son  talent  particulier,  aux 
factums  de  M.  de  Luxembourg. 

Nous  regrettons  qu'il  n'ait  pas  dit  expressément  quels  sont  ceux  de 
ces  factums  qu'il  savait  être  l'œuvre  de  Talon  et  de  Racine.  Il  est 
clair  toutefois  qu'il  s'agit  de  ceux  qui  furent  faits  au  temps  où  le 
procès  fut  sérieusement  repris,  c'est-à-dire  en  1698  et  au  commen- 
cement de  1694. 

Lorsque  étudiant  attentivement  son  récit,  on  j  voit  M.  de  Luxem- 
bourg se  hâter  de  prendre  les  devants  et  de  s'assurer  des  conclusions 
du  procureur  général  avant  que  les  productions  de  ses  adversaires 
fussent  faites,  c'en  est  assez  déjà  pour  croire  qu'un  des  factums  du  ma- 
réchal dut  précéder  celui  que  Saint-Simon  appelle  le  premier  factum 
des  ducs  et  pairs,  ce  factum  qu'avec  un  compliment  ironique  le  duc 
de  Chaulnes  lui-même  porta  tout  mouillé  encore  de  l'impression 
aa  procureur  général,  trop  pressé  de  rédiger  ses  conclusions*.  Il  est 
à  remarquer  d'ailleurs  que  dans  le  passage  déjà  cité,  Saint-Simon 
s'exprime  comme  s'il  j  avait  eu  plusieurs  factums  préparés  par  Ta- 
lon, poUs  par  Racine  ;  et  plus  loin,  lorsque  pour  la  première  fois  il 
sort  de  ce  vague  pour  dire  en  quelle  circonstance  un  de  ces  fac- 
tums fut  écrit,  il  l'appelle  un  nouveau  factum  de  M,  de  Ljuxembourg, 
Quelque  autre  avait  donc  précédé  celui-là. 

Voici  ce  qu'il  nous  apprend  de  ce  nouveau  factum  : 

Le  premier  président  de  Harlay,  partial  pour  le   maréchal   de 


I.  Mémoires t  tome  I,  p.  i45. 

a.  Mémoires  de  Saînt-Simon,  totct  1,  p.  146. 


37a  FACTUMS 

Luxembourg,  an  lieu  de  faire  juger  raflaîre  par  TaMembl^  de 
toutes  les  chambres,  nomma  de  petits  commissaires  pour  rexaminer 
chez  lui.  Sur  ces  entrefaites,  «  nous  fûmes  avertis,  dit  Saint-Simon, 
d'un  nouveau  factum  de  M.  de  Luxembourg,  dont  on  avoit  tiré  tm- 
secrètement  peu  d^exemplaires;...  il  se  distribuoit  sous  le  manteao 
aux  petits  commissaires....  Ce  factum,  contre  toutes  règles,  ne  nous 
fut  point  signifie....  Maunouny,  Pun  des  petits  commissaires,  eut 
horreur  d'une  supercherie  qui  n'alloit  à  rien  moins  qu^à  nous  faire 
perdre  notre  procès.  Il  prêta  ce  factum  si  secret  à  Magneux,  inten- 
dant du  duc  de  la  Trëmoille,  qui  le  fit  copier  en  une  nuit,  et  qui  \f 
lendemain....  fit  assembler  chez  Riparfonds  extraordinairement. 
Là  ce  factum  fut  lu.  On  j  trouva  quantité  de  faits  faux,  plnsieon 
tronques,  et  un  éblouissant  tissu  de  sophismes.  La  science  deTak» 
et  Télégance  et  les  grâces  de  Racine  j  ëtoient  toutes  déployées'.  > 

L'affaire  devant  être  jugée  quatre  jours  après  la  révélation  que  le» 
ducs  et  pairs  avaient  eue  du  factum,  ceux-ci  voulurent  réclamer  on 
court  délai  pour  avoir  le  temps  de  faire  leur  réponse  :  ils  ne  paient 
pénétrer  jusqu*au  premier  président,  et  se  virent  réduits  k  à»  ex- 
pédients de  chicane  afin  de  traîner  en  longueur.  Le  duc  de  Riche- 
lieu avait  toutes  ses  causes  commises  au  grand  conseil  ;  od  résolut 
en  conséquence  qu'il  formerait  une  requête  pour  y  faire  renTojer 
celle-ci.  Comme  cependant  le  temps  était  trop  court  pour  intro- 
duire la  requête,  on  s'avisa  d'un  moyen  de  gagner  quelques  jours 
qui  permettraient  au  duc  de  Richelieu  de  faire  sa  signification. 
Saint-Simon  avait  des  lettres  d'état  qu'il  produisit,  et  qui  aonient 
suspendu  le  procès  pour  six  mois,  s'il  n'avait  été  certain  quVUes 
seraient  cassées  au  premier  conseil  des  dépêches  :  elles  le  furent  en 
effet  ;  mais  le  duc  de  Richelieu  avait  eu  le  temps  de  prendre  sn 
mesures  pour  porter  au  conseil  l'affaire  en  règlement  de  juges.  U 
il  j  eut,  comme  au  Parlement,  «  force  factums  de  part  et  d'aobv, 
dit  Saint-Simon,  et  force  sollicitations*.  »  Le  conseil  reoTOja 
l'affaire  au  Parlement  ;  mais  le  but  que  les  ducs  et  pairs  s'étaient 
proposé  n'en  fut  pas  moins  atteint.  «  Le  procès  se  trouva  hors  dV- 
tat  d'être  jugé  de  cette  année  *.  n 

Saint-Simon  raconte  que  le  maréchal  de  Luxembourg  fut  outrr 
de  dépit  contre  le  duc  de  Richelieu,  dont  la  chicane  avait  rompa 


I.  Mémoires,  tt»me  I,  p.  i53  et  i54. 

a.  Ibidem,  p.  161.  —  3.  Ihidem^  p.  i6a. 


POUR  LE  MARÉCHAL  DE  LUXEMBOURG.  3:3 

tontes  tes  mesures.  «  Aussi,  ajoote-t-il,  nVpargiia-t-il  ni  sa  per- 
sonne ni  sa  conduite,  ni  le  ministère  du  cardinal  de  Richelieu, 
dans  un  de  ses  factums.  M.  de  Richelieu,  très-virement  offense,  fit 
lur-le-champ  une  réponse,  et  tout  de  suite  imprimer  et  distribuer, 
par  laquelle  il  attaqua  la  fidëlitë  dont  M.  de  Luxembourg  avoit 
Tante  sa  maison,  par  les  complots  du  dernier  duc  de  Montmorency, 
pris  en  bataille  dans  son  gouvernement  contre  le  feu  Roi  à  CasteU 
naudary,  et  pour  cela  exécuté  a  Toulouse  en  i63s  ;  et  la  personne 
de  M.  de  Luxembourg,  par  sa  conduite  sous  Monsieur  le  Prince,  par 
sa  prison  pour  les  poisons  et  les  diableries....  Outre  ces  faits,  forte- 
ment articulés,  le  sel  le  plus  acre  j  étoit  répandu  partout  ' .  »  Cette 
vengeance  ne  suffisait  pas  au  duc  de  Richelieu.  U  fit  dans  la  salle 
des  Gardes  à  Versailles  une  scène  très-vive  au  maréchal,  qui  se  crut 
obligé  d^apaiser  sa  colère,  en  lui  déclarant  c  qu^il  étoit  très-fSché 
de  l'impertinence  du  factum  publié  contre  lui;...  qu^au  reste  il 
n^avoit  point  du  tout  vu  cette  pièce,  quUl  châtieroit  ses  gens  d^af- 
faires...;  qu^enfin  il  avoit  donné  ordre  très-précis  pour  la  faire 
entièrement  supprimer  *.  »  Le  duc  de  Richelieu  promit  de  son  côté 
la  suppression  de  sa  réponse  Les  deux  pièces  furent  en  effet  sup- 
primées, mais  après  que  le  duc  de  Richelieu  en  eut  donné  à  pleines 
mains  à  tous  ses  amis  '. 

Le  procès  de  préséance,  renvoyé  au  Parlement,  j  recommença 
avec  vigueur  *.  Les  ducs  et  pairs  tentèrent  une  négociation  avec  le 
premier  président  pour  obtenir  l'assemblée  de  toutes  les  chambres. 
Harlay  promit  de  leur  donner  satisfaction  sur  ce  point,  puis  rétracta 
sa  promesse.  Il  fallut  en  revenir  à  la  tactique  dont  on  avait  déjà 
fait  usage,  et  recourir  encore  aux  chicanes  pour  traîner  le  procès 
en  longueur.  On  chercha  tous  les  moyens  de  récuser  le  premier 
président,  et  l'on  finit  par  en  trouver  un  qui  fut  reconnu  valable. 
L'affaire  en  resta  là  pour  cette  année*.  La  mort  du  duc  de  Sully, 
l'un  des  opposants,  une  maladie  de  Portail,  rapporteur  du  procès, 
laissèrent  tout  en  suspens  jusqu'au  moment  où  le  duc  de  Luxem^ 
bourg  mourut  (4  janvier  1695). 

Nous  ne  croyons  pas  qu'il  y  ait  à  chercher  au  delà  de  ce  temps 
la  part  qu'eut  Racine  aux  factums  pour  la  maison  de  Luxembourg. 
Après  la  mort  du  maréchal,  son  fils  aîné,  Charles-François-Frédéric 


I.  HÊèmoiret^  tome  T,  p.  i6a  et  i63.  —  a.  Ibidem ^  p.  i64' 

3.  Ibidem,  p.  i65.  -—  4-  Ibidem,  p.  177.  —  5.  Ibidem^  p.  184* 


•i74  FACTUMS 

de  Montmorency-Luxembourg,  reprit  le  procès  par  un  acte  fait  au 
greffe,  le  16  mars  169$.  Un  arrêt  du  i^''  février  1696  donna  acte 
de  la  reprise.  Nous  trouvons  dans  les  Recueils  plusieurs  mémoires 
de  cette  nouvelle  époque  du  procès.  Un  d*eux  a  pour  titre  :  Mé- 
moire  pour  M.  ie  duc  de  luxembourg  et  de  Piney^  pair  de  France^  con- 
tre MJà,  tes  ducs  et  pairs  (27  pages  in-4**).  H  est  de  Tannée  1696  '. 
Un  autre,  qui  a  pour  titre  :  Mémoire  pour  M.  de  Luxembourg^  pmr  de 
France,  touchant  la  question  de  l'extinction  de  la  pairie  prétendue  pu 
ilfjf.  les  ducs  et  pairs  (28  pages  in-4^),  et  qu^une  note  manuscrite  dn 
Recueil  Thoisj  attribue  a  M.  Argoud^  advocatj  fut  également  &it  pour 
le  fils  du  maréchal,  et  est,  à  ce  qu'il  nous  semble,  de  la  même 
année  1696,  où  fut  aussi  imprimé  le  Mémoire  sur  la  question  dePei" 
tînction  de  la  pairie  de  Pinejr^  pour  Messieurs  Us  dues  et  pairs.  Contre 
Monsieur  le  duc  de  Montmorency  (76  pages  in-4**i  ^  Paris,  chez  Ch. 
Guillerj).  Nous  avons  encore  quelques  écritures  des  ducs  et  pain 
produites  en  janvier  1699,  bien  peu  de  temps  avant  la  mort  de 
Racine.  Ce  qui  se  fit  en  cette  année-là  ne  peut  plus  nous  regarder. 
n  est  fort  douteux  même  qu'à  la  reprise  du  procès,  en  1696,  Racine 
ait  continué  à  prêter  sa  plume  aux  a'vocats  chargés  des  intérêts  de 
la  maison  de  Luxembourg.  En  tout  cas,  Saint-Simon,  dont  le  té- 
moignage est  le  seul  sur  lequel  nous  puissions  nous  appujer,  ne 
parle  certainement  que  de  la  part  que  Racine  prit  en  1698  et  1694 
aux  factums  du  maréchal.  Nous  n'avons  donc  pas  à  nous  occuper  dei 
mémoires  pour  le  fils  du  maréchal  qui  viennent  d'être  mentionnés. 
Bornons-nous  à  dire  quelques  mots  de  la  fin  de  ce  long  procès, 
pour  ne  pas  laisser  trop  incomplet  le  récit  que  nous  en  avons  fait 
Les  ducs  et  pairs  avaient  fait  signifier  au  duc  de  Luxembourg 
qu'il  eât  à  opter  entre  les  lettres  d'érection  de  Piney  de  i58i,  et 
celles  de  1663.  L'abandon  des  premières  faisait  tomber  le  procès; 
si  le  duc  de  Luxembourg  renonçait  aux  dernières,  il  s'exposait, 
dans  le  cas  où  il  perdrait  sa  cause,  à  être  entièrement  déchu  de  la 
dignité  de  pair  de  France.  Un  arrêt  du  i3  avril  1696  donna  gain 
de  cause  à  IHiéritier  du  maréchal  sur  l'érection  de  1663,  et  Tap- 
pointa  sur  celle  de  i58i.  L'affaire  revenait  ainsi  au  même  eut  ou 

I .  Ce  mémoire  se  trouve  dans  le  Recueil  concernant  tes  ducs  et  pairs  qae 
noua  avons  cité  à  la  page  366,  et  qui  est  aux  Archives  de  rfimpire;  3  com- 
mence au  f^  737.  Au-deisns  du  titre  on  y  a  écrit  à  la  main  :  «  Par  M.  NivcOe, 
advucat,  1696.  m  Ce  même  mémoire  est  aussi  à  la  page  a8S  d*oa  volante  do 
Recueil  Thoisjr  dont  nous  auront  à  parler  ci -après. 


POUR  LE  MARÉCHAL  DE  LUXEMBOURG.     37$ 

le  marëchal  TaTait  laissée.  Nous  arons  vu  que  le  procès  donna  lien 
à  des  Mémoires  en  1699.  Le  duc  de  Luxembourg  cependant  laissa 
longtemps  dormir  la  contestation.  H  la  fit  revirre  à  IVpoque  de 
rafTaire  de  d^Antin,  dont  les  prétentions  ne  pouvaient  être  accueil- 
lies sans  derenir  pour  lui  un  précédent  farorable.  Un  édit,  qui  fut 
enregistré  au  Parlement  le  31  mai  171 1,  mit  fin  a  toutes  les  que- 
relles de  la  pairie,  qui  depuis  quelque  temps  s'étaient  multipliées. 
Par  cet  édit  la  prétention  de  Pancienne  érection  de  Piney  se  trouva 
écartée.  Le  duc  de  Luxembourg  eut  son  rang  de  1663,  en  vertu  de 
la  réérection  faite  alors  pour  le  maréchal  son  père. 

Noos  avons  dâ  chercher  quels  sont  parmi  les  factums  produits 
dans  ce  procès  ceux  dont  Racine  passait  pour  avoir  poli  le  stjle  ; 
et,  comme  Fa  montré  le  précédent  exposé  des  faits,  nous  n'avions 
pas,  dans  notre  recherche,  à  sortir  des  limites  des  années  1698  et 
1694-  A  la  Bibliothèque  impériale  nous  avons  trouvé  les  éditions 
originales  de  plusieurs  factums  du  procès  de  préséance  ;  outre  ces 
pièces  détachées,  un  volume  du  Recueil  Tlunsy  (Matières  historiques, 
tome  XXIX,  in-4'*)  où  Ton  a  réuni  ces  mêmes  factums  et  quelques 
autres  relatifs  à  la  même  affaire.  Aux  Archives  de  TEmpire,  le  Re- 
cueil eoneernant  les  ducs  et  pairs,  volume  VDI,  que  nous  avons  eu  oc- 
casion de  citer  plus  haut,  nous  a  donné  plusieurs  des  mêmes  fac- 
tums et  quelques  autres  mémoires  manuscrits.  Il  existe  aussi  un 
Recueil  de  factums  et  mémoires  sur  les  causes  les  plu*  intéressantes  et  lês 
plus  célèbres  (a  volumes  in-4S  à  Lyon,  M.DCC.X,  ou,  même  édition, 
avec  un  changement  de  titre,  à  Toulouse,  M.DCC.LVII),  dans  le 
tome  premier  duquel  on  a  réimprimé  les  plus  importantes  des 
mêmes  pièces,  et  de  plus  un  grand  factum  pour  les  ducs  et  pairs 
que  nous  n'avons  pas  rencontré  ailleurs. 

Parmi  les  pièces  manuscrites  du  Recueil  des  Archives,  il  y  a  une 
Supplique  de  M.  de  Luxembourg  au  Roi  (folios  4^7  ^t  4^9)i  dont 
l'objet  est  de  demander  une  interprétation  des  intentions  du  Roi 
lorsqu'il  avait  donné  les  lettres  patentes  du  mois  de  mars  1661,  et 
une  Requête  au  Roi  (folios  473  et  47^)1  également  pour  obtenir  une 
déclaration  que  par  ces  lettres  de  1661  l'intention  de  Sa  Majesté 
n''a  point  été  de  rien  changer  ni  innover  au  titre  de  la  première 
érection  de  la  pairie  du  duché  de  Piney.  Ces  deux  pièces  sont  an- 
térieures aux  lettres  patentes  du  16  avril  1676.  Fussent-elles  plus 
importantes,  nous  serions  dispensé  par  leur  date  de  nous  y  arrêter. 

Un  Mémoire  sur  les  rangs  de  duc  et  pair  que  M.  de  Luxembourg  de- 


376  FACTUMS 

momie  des  années  1577  et  i58i,  e/  sur  Us  rangs  et  prérogulivet  dt 
prince  qu'il  prétend  pour  ses  enfants^  »e  trotive,  également  manuscrit, 
aux  folios  187-195  du  même  Recueil.  Au-dessus  du  titre  on  a  écrit: 
«  Aoât  1693.  Pour  M.  de  Pontehartrain  fils.  »  La  première  partie 
seule  de  ce  Mémoire  traite  de  Taflfaire  de  préséance.  Une  autre  pièce 
manuscrite,  qui  doit  être  a  peu  près  du  même  temps,  et  qui  est 
donnée  aux  folios  4>5-465,  a  pour  titre  :  Mémoire  pour  servir  de  ré- 
potue  aux  causes  d'opposition  de  quelques-uns  de  Messieurs  Us  ducs  tt 
pairs  à  la  réception  de  Monsieur  U  duc  de  Luxembourg  en  la  dignité  dt 
due  et  pair  à  cause  du  duché  et  pairie  de  Pinejr,  C'est,  il  nous  semble, 
comme  une  première  ébauche,  bien  plutôt  qu'un  résumé,  du  grand 
factum  dont  nous  parlerons  tout  à  Theure.  Dans  un  passage  dn 
Mémoire  manuscrit  on  s'exprime  ainsi  :  «  U  y  auroit  de  la  témérité 
d'avancer  que  le  Roi  n'eût  pas  eu  le  pouvoir  de  faire  une  érection 
de  pairie  de  cette  qualité,  et  de  prétendre  de  donner  des  bornes  à 
la  puissance  des  rois  dans  la  création  des  charges  et  des  dignités. 
Messieurs  les  ducs  et  pairs  apparemment  n'en  formeront  pas  les  dif- 
ficultés. »  La  note  suivante,  d'une  écriture  différente,  se  lit  à  la  fin 
dn  Mémoire  :  «c  Quand  il  est  dit  à  la  fin  de  ces  écritures  qu'il  n'y  a 
pas  d'apparence  que  les  ducs  et  pairs  veulent  entrer  en  contestation 
avec  le  Roi  pour  savoir  s'il  a  pu  faire  l'érection,  il  faadroit  un  stjle 
un  peu  mordicant  contre  les  ducs  et  pairs,  dire  qu'il  est  à  croire 
qu'ils  se  contenteront  de  l'imprudence  qu'ils  ont  commise  d'avancer 
qu'ils  s'estiment  obligés  par  l'intérêt  de  l'ordre  public  et  de  leur 
dignité  d'empêcher  que  M.  de  Luxembourg  ne  fût  reçu  en  vertu  dei 
lettres  que  le  Roi  lui  a  données  ;  puis  que  Sa  Majesté  sait  pourvoir  à 
ce  qui  regarde  le  public  et  qu'il  ne  leur  appartient  pas  de  le  faire,  qne 
leur  dignité  ne  leur  donne  point  ce  droit- là,  et  que  s*il  j  a  quelqae 
chose  qui  soit  contraire  à  la  dignité  de  duc  et  pair,  ce  n'est  pas  d'en 
voir  jouir  un  homme  de  la  naissance  de  M.  de  Luxembooi^.  »  Cette 
note  pourrait  bien  avoir  été  dictée  par  le  maréchal  lui-même.  Au- 
cune recommandation  semblable  ne  fîit  sans  doute  nécessaire  du 
moment  que  Racine  eut  mis  la  main  aux  factums.  On  pouvait  se  re- 
poser sur  lui  du  soin  de  les  assaisonner  d'un  sel  assez  mordicant^  et 
de  trouver  des  termes  fiers  à  la  fois  et  mesurés,  pour  rappeler  aux 
opposants  la  noblesse  de  la  maison  de  Luxembourg.  Nous  ne  sau- 
rions chercher  des  traces  de  sa  collaboration  dans  le  dernier  mé- 
moire dont  nous  venons  de  parler,  et  qui,  nous  l'avons  dit,  n'est 
a  nos  yeux  qu'une  première  ébauche ,  ni  dans  celui  qui  avait  été 


POUR  LE  MARÉCHAL  DE  LUXEMBOURG.     ^77 

écnt  pour  M.  de  PoDtchaitrain  :  tous  deux  sont  trop  peu  dévelop- 
pa, et  trop  peu  remarquables  de  toute  façon. 

Parmi  les  pièces  rraiment  importantes  que  nous  trourons  sur  le 
procès  de  préséance  dans  les  années  dont  nous  arons  à  nous  occu- 
per, celle  qui  nous  parait  la  première  en  date  est  un  factum  pour  les 
ducs  et  pairs,  qui  a  pour  titre  :  Mémoire  sur  la  question  de  préséance. 
Pour  Mât.  Us  dues  et  pairs  de  France^  contre  M.  le  maréchal  de 
Luxembourg,  Nous  ne  Tarons  rencontré  qiié  dans  le  Recueil  de  fac- 
tums  et  mémoires  publié  à  Lyon  et  à  Toulouse,  et  qui  contient  seu- 
lement, comme  nous  Tarons  dit,  des  réimpressions.  Il  y  est  donné 
uns  date;  mais  dans  une  note  manuscrite  du  Recueil  des  Ârcbires 
(folio  8a i),  nous  apprenons  que  ce  Mémoire^  signé  db  Riparpons, 
ûdvocat,  fut  publié  en  i6g3,  chez  L.  Sevestre.  C^est  un  factum  fort 
traraillé,  fort  sarant,  fort  habile,  et  dont  les  développements  sont 
très-longs.  Il  a,  dans  la  réimpression  de  Lyon  et  de  Toulouse, 
108  pages  in-4^,  de  la  page  161  à  la  page  269.  Un  factum  pour  le 
maréchal  de  Luxembourg,  très- important  aussi  et  très-étendu,  Tarait 
nécessairement  précédé.  Ce  n*est  pas  là  une  simple  conjecture.  Il  est 
dit  expressément  dans  le  Mémoire  pour  les  ducs  et  pairs  que  «  Ton  n*a 
rien  oublié  de  toutes  les  couleurs  de  Tart  pour  faire  raloir  une  pré- 
tention de  préséance  aussi  extraordinaire  que  Test  celle  de  M.  le 
duc  de  Luxembourg...  ;  on  a  recherché  arec  soin  dans  tous  les  mo- 
naments  publics  et  particuliers,  dans  tous  les  auteurs  et  dans  les 
bistoriens. . . .  pour  tacher  d^  décourrir  quelques  exemples*.  »  A 
toutes  les  pages  du  Mémoire  on  troure  Texposition  et  la  réfutation  de 
ces  exemples  allégués  par  les  arocats  de  M.  de  Luxembourg  et  de 
tous  les  arguments  dont  ils  ont  fait  usage.  Enfin  on  y  roit  que  dans 
le  factum  de  M.  de  Luxembourg,  auquel  les  ducs  et  pairs  répon- 
dent, il  y  avait  un  mojen  qu*il  arait  «<  roulu  tirer  de  Télération  des 
maisons  de  Luxembourg  et  de  Montmorency*.  »  —  «  Ce  n'est  pas, 
dit  à  ce  sujet  le  Mémoire^  ce  qui  fait  la  matière  des  contestations. 
Messieurs  les  ducs  et  pairs  en  connoissent  Téclat  (des  maisons  de 
Luxembourg"  et  de  Montmorenef)  \  mais  Ton  ne  dcroit  pas  outrer  Tin- 
duction  qu^on  en  a  tirée  :  le  nom  de  Montmorency,  qui  est  à  la  tête 
des  qualités  de  M.  de  Luxembourg,  faisoit  assez  remarquer  les  aran- 
tages  de  sa  naissance,  sans  pousser  les  choses  plus  loin....  On  a  cru 
que  Ton  ne  pouroit  faire  raloir  les  avantages  de  ces  deux  maisons, 

1.  Recueil  de  factum*  et  mémoires^  tome  I,  p.  if)3.  —  a.  Ibidem^  p.  167. 


$78  FACTUMS 

sans  effacer  le  lustre  de  plusieurs  autres,  qui  ont  autant  ou  plus  de 
relief  daus  le  royaume  et  dans  les  autres  États  de  l'Europe,  et  dont 
l'on  ne  devoit  pas  affecter  de  diminuer  la  splendeur....  U  n'étoit 
même  pas  nécessaire  pour  ses  intérêts  de  parler  des  prérogatives 
des  deux  maisons  de  Luxembourg  et  de  Montmorency  :  le  public  les 
connoit  assez,  et  Messieurs  les  ducs  et  pairs  n'auroient  pas  mancpié 
eux-mêmes  d'en  relever  tout  l'éclat;  ils  sont  d'un  caractère  trop 
sincère  pour  leur  dénier  la  justice  qu'elles  méritent,  car  ils  pr«a- 
ment  que  ce  qu'on  a  dit  à  cet  égard  a  été  par  un  zèle  officieux,  et 
contre  l'aveu  même  de  M.  de  Luxembourg,  parce  qu'il  a  parfaite 
connoissance  de  la  grandeur  des  autres  maisons  ' .  »  Un  peu  plus 
bas,  le  Mémoire^  dans  sa  conclusion,  finit  par  ces  paroles  piquantes  : 
«  n  ne  suffit  pas,  pour  avoir  la  gloire  de  précéder  Messieurs  les  pairs, 
d'aspirer  à  cet  honneur.  Quelque  habitude  qu'ait  M.  de  Luxembourg 
de  vaincre  partout,  d'occuper  les  premiers  rangs,  et  ne  rien  troo- 
ver  qui  résiste  à  son  bras,  à  sa  valeur  et  à  son  courage,  il  sait  lui- 
même  que  quand  il  s'agit  de  régler  les  rangs  entre  les  pairs,  d'avoir 
séance  en  la  cour  de  France,  d'entrer  dans  le  sanctuaire  de  la  justice, 
d'avoir  sa  place  dans  le  premier  tribunal  du  monde,  et  de  remplir 
les  autres  fonctions  éminentes  de  ces  dignités,  il  y  a  des  règles  m- 
périeures  auxquelles  on  doit  déférer. . . ,  et  qu'enfin  on  ne  peut  dé- 
placer Messieurs  les  pairs,  troubler  le  rang  de  leurs  séances,  et  in- 
tervertir l'ordre  public*.  »  Le  factum  si  longuement  et  si  viremeot 
réfuté  par  les  ducs  et  pairs,  et  qui  devait  mériter  d'être  ainsi  com- 
battu, ne  pouvait  être,  suivant  toutes  les  vraisemblances,  qu^uu  de 
ceux  dont  le  président  Talon  avait  rassemblé  les  matériaux,  et  où  Ra- 
cine avait  répandu  les  agréments  de  son  style.  Il  s'est  dérobé  à  nos 
recherches.  Le  seul  factum  important  que  nous  ayons  pour  le  ma* 
réchal  est  postérieur  au  Mémoire  des  ducs  et  pairs  publié  chez  Se- 
vestre.  Si,  pour  le  démontrer,  nous  nous  contentions  de  dire  que  le 
titre  de  celui-ci  porte  la  date  de  1698,  et  le  titre  de  l'autre  celle  de 
1694,  ce  genre  de  preuve  pourrait  donner  lieu  à  quelque  contesu- 
tion  ;  mais  il  y  en  a  de  plus  convaincantes.  On  chercherait  en  vab 
dans  le  grand  factum,  imprimé  en  16941  le  moyen  qui  avait  été  tiré 
de  l'élévation  des  maisons  de  Luxembourg  et  de  Montmorencj,  et 
ce  passage  où ,  suivant  le  Mémoire  des  ducs  et  pairs ,  les  avocats  du 


I.  Becueil  defactums  et  mèmxnreey  tome  I,  p.  a68. 
a.  Ibidem,  tome  I,  p.  269. 


POUR  LE  MARÉCHAL  DE  LUXEMROURG.  879 

maréchal  ayaient  tenté  de  rabaisser  la  grandeur  des  autres  mai- 
sons. Les  exemples  d'ailleurs  et  les  arguments  dont  le  Mémoire 
essaye  la  réfutation  ne  sont  pas  précisément  ceux  que  nous  trou- 
Tons  dans  le  factum  que  nous  avons  eu  sous  les  yeux  ;  enfin,  et  ceci 
est  entièrement  décisif,  ce  qui  est  dit  à  la  page  946  du  Mémoire 
des  ducs  et  pairs,  des  arrêts  de  iSog  et  de  i33i  au  sujet  du  comté 
d'Artois,  est  cité  avec  les  expressions  textuelles  à  la  page  5o'  de  notre 
factum.  On  peut  comparer  les  deux  passages  ;  on  verra  que  Tun  ré- 
pond à  l'autre.  Du  reste,  il  n'est  pas  impossible  de  déterminer  assez 
exactement  la  date  du  grand  factum  de  M.  de  Luxembourg,  pour 
tronver  là  une  preuve  de  plus  :  c'est  ce  que  nous  ferons  plus  loin 
quand  nous  aurons  parlé  des  faits  postérieurs,  qui  nous  en  fourni- 
ront les  moyens.  Il  est  établi  par  ce  que  nous  venons  d'exposer 
qa'il  y  eut  avant  le  Mémoire  de  Riparfonds,  publié  en  1698  chez 
GniUery,  un  factum  très-important  pour  le  duc  de  Luxembourg, 
que  ce  n'est  pas  celui  que  nous  avons,  et  que  celui-ci,  au  contraire, 
est  la  réponse  au  Mémoire.  Souvenons-nous  maintenant  de  ce  que 
nous  avons  trouvé  dans  le  récit  de  Saint-Simon*  :  un  premier  factum 
des  ducs  et  pairs  fut  porté  au  procureur  général  LabrifTe  ;  il  répon- 
dait à  un  factum  du  maréchal  qu'on  s'était  hâté  de  donner  avant  que 
les  productions  de  la  partie  adverse  fussent  faites.  Il  semble  bien 
qu'on  doive  reconnaître  là,  et  le  Mémoire  de  Riparfonds  que  nous 
aTons  déjà  cité,  et  le  factum  de  Luxembourg  qui  nous  échappe  au- 
jourd'hui. Saint-Simon  parle  ensuite,  on  ne  l'a  pas  non  plus  oublié, 
d'un  nouveau  factum  secrètement  distribué  aux  petits  commissaires, 
et  dans  lequel  étaient  déployées  c  toute  la  science  de  Talon  et  les 
grâces  de  Racine.  »  Ce  doit  être  celui  que  nous  avons  sous  ce  titre  : 
factum  pour  Messire  Fran^oiâ'Henry  de  Montmorency^  duc  de  Luxem^ 
bourg  et  de  Piney,  pair  de  France  :  demandeur  en  enregistrement  de 
lettres  patentes  des  mois  de  mars  1661  et  avril  iSyS,  et  deffendeur....  A 

Peris^  de  timprimerie  de  Jean- Baptiste  Coignard M.DC.  hXXXXlF ,  Il 

le  trouve,  soit  comme  pièce  détachée,  soit  dans  le  Recueil  de  Lyon  et 
de  Toulouse,  dans  le  Recueil  Thoisy,  dans  celui  des  Archives.  L'édition 
de  1694  a  144  pag^  in-4®.  On  pourrait  s'étonner,  après  l'avoir  lu, 
qu'un  si  complet  et  si  beau  travail,  qui  semblerait  avoir  été  fait  pour 


I.  Dans  le  même  Recueil  de  Tooloiue»  d'après  lequel  nous  Tenons  de  citer 
aoui  le  Mémoire  des  ducs  et  pairs, 
a.  Yoyex  d-dessos,  p.  371  et  37a. 


38o  FACTUMS 

une  entière  publicité,  noiu  paraisse  le  même  que  celui  dont  on  too- 
lut  faire  un  usage  presque  clandestin,  dont  les  planches  furent  rom- 
pues, après  qu^on  en  eut  tire  secrètement  quelques  exemplaires,  et 
qui  d^abord  se  distribua  seulement  à  un  petit  nombre  de  personnes; 
mais  ce  que  dit  Saint-Simon  de  ce  factum  «  ai  secret  •,  de  son  im- 
portance, de  Térudition  et  du  talent  éblouissant  avec  lequel  il  avait 
été  composé  et  écrit,  donne  lieu  exactement  à  la  même  difficulté,  et 
du  reste  s*applique  très-bien  à  la  pièce  que  nous  venons  de  désigner. 
Que  cette  dernière  pièce  soit  bien  celle  dans  laquelle  Saint-Simon 
signale  plus  particulièrement  la  collaboration  de  Racine,  on  en 
doute  encore  moins  lorsqu'on  lit  ces  premières  lignes  d^une  lettrf 
écrite  par  Antoine  Amauld  à  M.  Dodart,  le  ao  mai  1694'  :  «  J^ai  lu 
une  partie  du  factum  de  M.  de  Luxembourg.  Qui  que  ce  soit  qui 
Fait  fait,  il  est  fort  beau.  »  Ces  mots  :  qui  que  ce  soit  qui  tait  fmt^  ne 
laissent  pas  d*étre  significatifs  sous  la  plume  d'un  ami  de  Racine, 
écrivant  à  un  autre  ami  du  même  Racine.  Amauld  avait  évidemment 
entendu  dire  à  qui  on  attribuait  le  factum,  ce  qui  devait  Tavoir dis- 
posé à  le  trouver  beau,  et  en  même  temps  nous  explique  Pintm-t 
qu'il  témoigne  pour  cet  écrit  dans  la  suite  de  sa  lettre,  où  il  donne 
ses  conseils  sur  plusieurs  passages,  ne  se  bornant  pas  à  les  critiquer, 
mais  exprimant  le  désir  que  pour  Tun  d'eux  on  Ht  un  carton.  Or  le 
factum  dont  il  s'occupe  ainsi,  et  dont  l'auteur  présumé  parait  si 
bien  ne  pas  lui  avoir  été  indifférent,  est  justement  celui  qui  a  rtr 
imprimé  chez  Coignard  en  1694.  Les  passages  qu'il  examine  dans  sa 
lettre  en  sont  tous  tirés.  On  les  trouve  aux  pages  33,  37,  5i  et  89 
de  notre  grand  factum. 

Tout  en  regrettant  de  n'avoir  pu  découvrir  l'autre  factum,  de 
date  antérieure,  auquel  peut-être  aussi  Racine  avait  eu  part,  noo< 
croyons  que  celui  dont  nous  venons  de  parler  est  le  principal  tra- 
vail qui  ait  été  fait  pour  le  maréchal  de  Luxembourg.  C'est  tou- 
jours la  pièce  à  laquelle  on  renvoie  dans  les  divers  mémoires  des 
deux  parties  que  nous  avons  lus  :  par  exemple,  dans  un  àirmoire 
de  97  pages,  déjà  cité,  pour  M.  le  duc  de  Luxembourg ^  fils  du  ma- 
réchal; dans  un  ASémoire  de  67  pages,  écrit  en  janvier  1699,  pour 
les  ducs  et  pairs,  sur  V extinction  d*  la  pairie  de  Pinejr^  créée  en  i58i. 
Il  y  a  un  passage  de  ce  dernier  écrit  où  l'on  accuse  le  maréchal 
d'avoir  altéré  les  termes  du  dispositif  de  l'arrêt  de  1663  «  dans  le< 

I.  Voyez  le  tome  YII  des  Œuvres  d* Amauld,  p.  446,  lettre  dclxv. 


•    ^ 


POUR  LE  MARECHAL  DE  LUXEMBOURG.     38i 

deux  factums  qui  ont  été  distribués  tous  son  nom.  »  Or  quels  sont 
ces  Jeux  faetums ,  les  seuls  que  Pauteur  du  Êiémoire  semble  croire 
digne  d*être  rappelés  ?  Une  note  à  la  marge  du  même  passage  est 
ainsi  conçue  :  «  Cette  altération  se  trouve  dans  le  grand  factum  de 
M.  de  Luxembourg,  p.  i5,  et  dans  Pabrégé,  p.  4*  *  C'est  dans 
notre  factum  de  1694,  à  la  page  i5,  désignée  par  Pavocat  des  ducs 
et  pairs,  que  se  lit  la  pbrase  dénoncée  comme  une  altération  dans 
Tarrdt.  Ellle  est  aussi  à  la  page  4  d'une  courte  pièce  de  94  P^R^i 
intitulée  :  Factum  pour  M.  le  duc  de  Luxem^urg^  contre  MM.  les  dues  et 
pairs.  Sommaire  du  procès  pour  la  préséance  de  la  duehé'pairie  de  Pinejr, 
Ce  n'est  autre  chose,  comme  le  dit  le  Mémoire  des  ducs  et  pairs,  que 
Tabrégé  du  factum  de  i44pAg^^s,  qu'ils  appellent  eux-mêmes  d'une 
façon  significative  le  grand  Factum.  De  tout  cela  il  résulte,  nous  le 
répétons,  que  le  factum  le  plus  considérable,  celui  dont  il  est  le 
moins  douteux  que  Racine  ait  poli  et  orné  la  rédaction,  est  le  factum 
imprime  chez  Coignard  en  1694.  C'est  particulièrement  cet  écrit  qui 
mérite  de  ne  pas  être  tout  à  fait  absent  des  OEuvres  de  Racine. 
Quant  au  Sommaire  qu'on  en  a  tiré,  le  travail  de  rédaction  a  bien  pu 
être  fait  sans  l'aide  de  Racine  ;  et  d'ailleurs  nous  pouvons  en  tout  cas 
le  négliger  :  il  offre  peu  d'intérêt  à  cÔté  du  factum  qu'il  abrège. 

Nous  avions  à  nous  demander  si.  parmi  les  ouvrages  attribués  à 
notre  auteur,  nous  devions  donner  le  grand  Factum  dans  toute  son 
étendue,  ou  seulement  en  détacher,  pour  les  mettre  sous  les  jeux  du 
lecteur,  quelques  parties  saillantes.  Nous  avons  sans  hésitation  pré- 
féré ce  dernier  parti.  S'il  parait  incontestable  que  Racine  a  pris  une 
part  plus  ou  moins  grande  à  la  rédaction  de  cet  écrit,  il  est  impos- 
sible de  déterminer  cette  part  et  celle  qu'il  faut  laisser  à  Denis  Talon 
et  aux  avocats  employés  par  le  maréchal  de  Luxembourg.  Dès  lors 
rien  ne  justifierait  assez  l'insertion  dans  les  QEueres  de  Racine  d'un 
écrit  d'une  telle  étendue,  qui  aurait  rempli  le  quart  à  peu  près  d'un 
volume,  et  qui,  par  l'intérêt  trop  peu  général  du  sujet,  aurait 
peut-être  paru  d'une  lecture  fatigante  à  bien  des  lecteurs.  Sans  mé- 
connaître ce  qu'il  y  a  de  talent  dans  l'exposé  de  tant  d'exemples 
historiques,  recueillis  avec  une  science  très-patiente,  discutés  en  bon 
langage,  nous  avons  choisi  de  préférence  quelques  morceaux  qui 
appartiennent  moins  exclusivement  à  l'érudition,  ceux  qui  nous  ont 
paru  avoir  dans  leurs  développements  la  forme  la  plus  littéraire  ;  et 
cela,  non-seulement  parce  qu'ils  peuvent  plaire  davantage,  mais 
surtout  parce  qu'on  se  sent  plus  porté  à  les  attribuer  à  Racine. 


38a  FAGTUMS 

Quelque  peu  de  précision  que  Saint-Simoa  ait  mit  dans  la  dési- 
gnation des  factums  dont  il  attribue  VéUgànee  et  les  grâces  à  Racine, 
nous  n^avons  guère  risqué  de  nous  tromper  en  regardant  le  factnn 
imprimé  chez  Coignard  en  1694  comme  la  principale  pièce  qu^il  a  eue 
en  Tue.  Nous  avons  parlé  d'un  autre  écrit  pour  M.  de  Luxembourg, 
que  Saint-Simon  mentionne  aussi  sons  le  nom  de  faetum^  et  auquel 
nous  serions  tenté  de  croire  que  Racine  n^est  pas  non  plus  demeuré 
étranger,  sans  quUl  j  ait  la  toutefois,  comme  pour  le  grand  factum. 
une  TTaisemblance  presque  équivalente  â  la  certitude.  C'est  la  Et' 
qtiêtû  au  Roi^  en  réponse  à  eelU  du  due  de  Rtckelieu^  pour  Cévœaiion  du 
procès,  Saint-Simon,  dans  ce  qu'il  dit  de  cette  pièce,  n'avertit  poiot 
spécialement  que  Racine  y  ait  travaillé;  mais  comme  il  fait  entendre 
que  sa  coopération  s'est  étendue  à  tous  les  factums  de  cette  époque, 
il  est  permis  de  conjecturer  que  celui-ci  n'a  pas  fait  exception.  Si 
d'ailleurs,  parmi  les  écritures  de  ce  procès,  il  y  en  a  une  où  semble 
se  trahir  une  plume  exercée  et  redoutable  par  sa  piquante  finesie, 
c'est,  à  notre  avis,  surtout  celle-là.  Une  preuve  de  ce  genre  nW 
peut-être  pas  la  moins  frappante  de  toutes;  elle  nous  porte  à  croire 
que  derrière  les  gens  d'affaires  du  maréchal,  dont  celui-ci,  inti- 
midé par  sa  partie  adverse ,  promettait  de  châtier  l'impertinence, 
on  aurait  peut-être  trouvé  Racine.  Nous  donnons  donc  aussi  quel- 
ques  passages  de  cette  Requête  au  Roi  :  nous  avons  surtout  choisi 
ceux  qui,  par  leur  vivacité,  avaient  fait  scandale,  et  avaient  excité  la 
colère  du  duc  de  Richelieu.  On  trouve  la  Requête  dans  le  volume 
que  nous  avons  déjà  indiqué  du  Recueil  Tftoisjr,  folio  5i3.  C'est  noe 
pièce  de  3o  pages,  sans  nom  d'imprimeur  et  sans  date.  On  sait 
d'ailleurs  qu'elle  est  du  commencement  de  mars  1694.  Le  duc  de 
Richelieu  avait  fait  signifier  la  cédule  évocatoire  le  t*'  février,  et  sa 
requête  au  Roi  le  il^  au  même  mois.  L'arrêt  du  conseil  privé  do 
Roi,  qui  juge  qu'on  ne  peut  évoquer  du  parlement  de  Paris  les 
causes  de  pairie,  est  du  10  mars.  Nous  n'avons  pas  besoin  de  faire 
remarquer  que  la  Requête  du  maréchal  de  Luxemboui^  au  ReitA 
de  date  moins  ancienne  que  son  grand  fiactum  :  cela  résulte  néces- 
sairement de  la  succession  des  faits  du  procès,  tels  que  Saint-Simon 
nous  les  a  fait  connaître.  Mais  ces  deux  pièces  parurent  à  bien 
peu  de  temps  de  distance.  C'est  ici  que  nous  devons  fixer,  comme 
nous  l'avons  promis,  l'époque  précise  où  le  grand  factum  fut  pro- 
duit. U  suffit  pour  cela  de  faire  attention  à  quelques  dates  fournies 
par  la  Requête  du  maréchal  de  Luxemboui^,  et  de  les  rapprocher 


POUR  LE  MARECHAL  DE  LUXEMBOURG.     383 

des  indications  de  Saint-Simon ,  qui  rapporte  les  faits  non  pat,  il 
ett  vrai,  aux  qnantièmes  dn  mois,  mais  aux  jours  de  la  semaine.  «  Ce 
même  jour  (7S  janvier  1694),  dit  la  Requête^  le  sieur  duc  de  Saint- 
Simon  fit  signifier  des  lettres  d^ëtat,  qui  ayant  été  lerëes  par  arrêt  de 
Votre  Majesté  du  3o  dudit  mois,  le  !«>'  février  ensuivant  M.   de 
Richelieu....  fit  signifier  la  cédule  évocatoire.  »  De  son  côté  Saint- 
Simon  nous  apprend  que  le  grand  factum  pour  M.  de  Luxembourg 
fut  communiqué  un  lundi  aux  ducs  et  pairs  par  un  des  petits  com- 
missaires ;  que  le  lendemain  mardi  on  s^assembla  chez  Riparfonds, 
que  TafTaire  devait  être  jugée  le  vendredi  suivant,  et  quUl  fallut  par 
conséquent  se  hâter  de  faire  avant  ce  jour  usage  des  lettres  d^état, 
qui  furent  signifiées  dès  le  jeudi.  Ce  jeudi  était  le  98  janvier  ;  ras- 
semblée des  ducs  et  pairs  chez  Riparfonds  se  tint  donc  le  mardi  96 
du  même  mois;  et  ce  fut  le  lundi  9 5  janvier  1694  que  le  grand  fac- 
tum pour  M.  de  Luxembourg  fut  pour  la  première  fois  révélé  aux 
ducs  et  pairs,  qui  le  firent  copier  en  une  nuit.  Son  impression  clan- 
destine,  et  sa  distribution  aux  petits  commissaires  étaient  certaine- 
ment très-récentes.  LVdition   que   nous  avons  aujourd'hui  {Coi- 
fRarJ^  1694)  paraîtrait  bien  ne  pouvoir  être  celle  qui  avait  été  tirée 
à  si  peu  d'exemplaires,  mais  plutôt  une  réimpression  faite  un  peu 
plus  tard,  lorsqu'on  voulut  avoir  une  publicité  étendue.  Mais  il  im- 
porte assez  peu  :  ce  qu'il  nous  suffit  d'avoir  montré,  c'est  que  les 
deux  pièces  dont  nous  donnons  ici  les  fragments  furent  l'une  et 
Tautre  produites  au  commencement  de  l'année  1694^  à  un  mois  à 
peu  près  d'intervalle.  En  le  remarquant,  on  pourra  trouver  plus  pro- 
bable que  qui  a  prêté  son  concours  à  l'une  ne  Ta  pas  refusé  à  l'autre. 
Le  Recueil  de  Lyon  et  de  Toulouse  donne  le  grand  Faetum  de 
1694  aux  pages  19-96,  et  la  Requête  de  la  même  année,  adressée  au 
Boi  par  le  maréchal  de  Luxembourg,  aux  pages  96-1 19.  Nous  croyons 
utile  d'indiquer  à  nos  lecteurs  cette  réimpression,  qui  est  correcte, 
parce  que  s'ils  désirent  connaître  entièrement  les  deux  écrits  dont 
nous  ne  pouvons  mettre  ici  sous  leurs  yeux  qu'un  petit  nombre  de 
pages,  ils  les  trouveront  là  plus  aisément  qu'en  pièces  détachées ,  et 
que  dans  les  volumes  cités  plus  haut  dn  Recueil  Thoisjr  et  du  Recueil 
des  Archives  de  l'Empire,  où  ils  auraient  seulement  l'avantage  de 
rencontrer,  pour  l'un  comme  pour  l'antre,  l'impression  de  1694* 


384  FACTUMS 


FACTUM 

Pour  Messire  François-Henrj  de  Montmorency  y  duc  de 
Luxembourg  et  de  Pi  nef  y  pair  de  France:  demandeur  en  enre- 
gistrement de  lettres  patentes  des  mois  de  mars  1661  et  ami 
1676,  et  défendt-ur. 

Contre  Messire  Henry  de  Lorraine^  duc  dElbeuf^  ayant  re- 
pris au  lieu  de  Messire  Charles  de  Lorraine^  son  père.  Messire 
Charles  de  Rohan^  duc  de  Montbazon,  Messire  Chartes  de  Levi^ 
duc  de  Fentadour.  Messire  Charles  duc  de  la  Trimoùille  et 
Thoûars,  Messire  Maximilien- Pierre- François  de  Bethune^duc 
de  Sully,  Messire  Henry-Albert  de  Cosse ^  duc  de  Brissac,  Met- 
sire  Char leS" Albert  Dailly^  duc  de  C/uiunes,  Messire  Armand- 
Jean  du  Plessis  de  Fignerod^  duc  de  Richelieu,  Messire  Louis 
duc  de  Saint-Simon,  ayant  repris  au  lieu  de  Claude  de  Saint- 
Simon.  Messire  François  duc  de  la  Hoche foucaut .  Messire 
Jacques  de  Nompar  de  Caumont^  duc  de  la  Force.  Messire  de 
Grimaldyj  duc  de  Falentinois^  tous  ducs  et  pairs  de  France^ 
tléfendeurs  et  demandeurs  en  requête  et  opposition  à  Venrega- 
trement  desdites  lettres  patentes^ 

La  contestation  qui  est  entre  M.  le  duc  de  Luxembourg  et 
Messieurs  les  ducs  et  pairs  est  un  point  d'honneur,  de  rang 
et  de  préséance  pour  la  pairie  de  Pine y ,  et  non  pas  une  ques- 
tion du  titre,  de  la  propriété,  ou  du  domaine  de  cette  terre. 
M.  de  Luxembourg  demande  la  séance  en  ce  premier  |)ar^ 
lement  de  France,  qui  est  la  cour  des  pairs ,  du  temps  que 
ce  duché  a  été  érigé  en  pairie  au  profit  de  François  de 
Luxembourg  et  de  ses  successeurs.  Revêtu  de  cet  office 
éminent  de  la  couronne ,  et  ayant  succédé  à  ce  duché  par  le 
mariage  de  Mme  de  Luxembourg  et  par  le  titre  de  la  dot 
qu'elle  lui  en  a  constituée,  il  soutient  être  bien  fondé  de 
prendre  son  rang  de  Tannée  i58i  que  la  pairie  a  été  créée. 
La  décision  de  cette  question  ne  dé{)end  point  de  la  puis^ 
sance  ni  de  l'ancienneté  des  maisons  des  parties  qui  contes- 
tent,   mais  du   temps  de  l'érection   de   leurs  pairies.  Ainsi 


POUR  LE  MARÉCHAL   D£  LUXEMBOURG.     385 

lorsque  quelques-uns  de   MM.  les  ducs  et  pairs  ont  affecté 
dëlever  le  lustre  et  la  grandeur  de  leurs  maisons,  ils  n'ont 
fait  en  cela  qu'anticiper  ]e  soin  que  M.  de  Luxembourg  au- 
rait pris  avec  plaisir,  s'ils  ne  l'a  voient  point  voulu  prévenir. 
De  sa  part  il  ne  dira  rien  du  nom  glorieux  de  Montmorency, 
de  sa  naissance  ni  de  ses  emplois,  sinon  qu'il  croit  être  gentil- 
homme, et  qu'il  souhaite  que  Messieurs  du  Parlement  soient 
persuadés  qu'il  n'est  pas  indigne  d'avoir  place  dans  cette  il- 
lustre Compagnie,  qui  est  la  première  du  royaume.  On  ne 
peut  pas  lui  ôter  cette  prééminence,  que  plusieurs  de  MM.  les 
ducs  et  pairs  pensoient  si  peu  à  lui  disputer  au  conunence- 
ment  et  dans  le  temps  qu'il  poursuivoit  en   1661   sa  récep- 
tion, qu'ils  lui  ûrent  la  grâce  pendant  son  absence  de  sollici- 
ter Messieurs  de  la  grand'chambre ,  et  de  suppléer  à  ce  de- 
voir que  l'extrémité  de  la  maladie,  où  il  étoit  tombé,   l'empê- 
choit  de  leur  rendre  :  l'on  ne  sait  par  quelle  fatalité  ils  ont 
changé  de  sentiment.  11  a  cet  avantage  d'être  fondé  sur  le 
droit  commun   et   sur   l'usage   ancien  et   non    contesté    du 
royaume,  qui  règle  l'ordre  des  séances  des  pairs  du  temps  de 
l'érection  des  pairies  et  de  l'enregistrement  de  leurs  lettres. 
L'exemple  domestique  de  Léon  d'Albert,  qui  ayant  épousé  la 
fille  de  Henry  de  Luxembourg,  dernier  mâle  de  cette  glo- 
rieuse famille,  a  conservé  par  son  mariage  cette  même  pré- 
rogative, est  un  préjugé  pour  la  petite-iille  du  même  Henry, 
qui  a}  ant  reçu  par  les  traces  du  sang  et  par  le  canal  de  la 
succession*  la  propriété  du  duché,  a  pu  légitimement  trans- 
mettre à  M.  de  Luxembourg,  son  mari,  le  privilège  de  la 
préséance  de  la  pairie.  Enfin  il  a  pour  lui  la  volonté  formelle 
et  expresse  du  Roi,  qui  étant  le  souverain  dispensateur  de 
ces  dignités,  lui  a  continué  par  ces  lettres  de  1661  le  même 
rang  dont  avoient  joui  François  et  Henry  de  Luxembourg,  et 
a  déclaré  par  celles  de  1676  qu'il  n'avoit  point  entendu  faire 

I .  y  y  a-t-il  pas  là  des  expressions  qu'on  aurait  peine  à  croire  de 
Racine?  En  outre,  dès  ce  début,  la  construction  de  quelques  phrases 
est  assez  embarrassée.  Nous  pensons  donc  que  dans  la  rédaction  des 
morceaux  mêmes  les  plus  remarquables,  il  se  peut  bien  que  tout  ne 
soit  pas  de  notre  auteur,  et  qu'il  se  soit  souvent  contenté  de  quel- 
ques retouches. 

J.  Racimx.  s5 


^$6  FA  CTUMS 

une  nouvelle  érection  de  pairie.  C'est  ce  qui  sera  montré  dans 
la  déduction  du  fait,  en  expliquant  toutes  les  lettres  que  trob 
rois  ont  accordées  successivement  pour  la  terre  de  Piney,  doDt 
les  clauses  doivent  faire  la  décision  de  cette  contestation,  qu'oo 
peut  dire  être  autant  et  plus  de  fait  que  de  droit*. 

Pour  le  droit,  il  est  constant  que  les  duchés,  qui  sont 

les  grands  fiefs  de  la  couronne,  sont  héréditaires,  et  patri- 
moniaux de  même  que  les  autres  fiefs  ordinaires;  qu'ils  peu- 
vent être  possédés  par  les  femmes  comme  par  les  hommes, 
pour  les  transmettre  à  leurs  enfants  et  descendants  à  perpé- 
tuité ;  que  la  paine ,  qui  est  une  dignité  ajoutée  et  unie  aoi 
duchés,  de  même  que  les  duchés  le  sont  aux  fiefs,  est  pa- 
reillement héréditaire  et  patrimoniale,  et  que  les  femmes  y 
peuvent  succéder  au  défaut  des  mâles  quand  l'érection  en  est 
faite  en  faveur  des  mâles  et  des  filles  et  de  leurs  descen- 
dants; que  si  les  filles  qui  ont  recueilli  le  duché  et  la  pairie, 
peuvent  les  faire  passer  à  leurs  enfants  et  héritiers  par  voie 
de  succession,  elles  peuvent  aussi  les  transmettre  à  leurs  maris 
par  la  force  et  l'efiet  du  contrat  de  mariage,  pour  en  avoir 
l'administration  et  en  exercer  les  droits  de  même  que  de  k 
dot  et  des  autres  biens  de  la  fenune  ;  qu'entre  ces  droits  de 
la  pairie  est  celui  d'assister  aux  sacres  des  rois,  et  d  avoir 
séance  au  Parlement,  dont  le  mari  aussi  bien  que  les  enfants 
de  la  duchesse  peut  jouir  pour  en  faire  les  fonctions;  or 
comme  le  rang,  l'ordre  et  la  séance  dans  Tune  et  l'autre  cé- 
rémonie sont  réglés  par  l'ancienneté  de  l'érection  suivant  le 
droit  conmiun,  aussi  le  mari,  cpii  représente  la  femme  et  qui 
soutient  son  fief  et  la  dignité  qui  y  est  attachée,  est  bien  fonde 
de  prendre  la  même  prééminence  que  les  autres  pairs'. 

....  Toutes  les  cpiestions  que  MM.  les  ducs  et  pairs  ont 
agitées  dans  leur  Mémoire^  s'évanouissent  par  une  déclara- 
tion si  formelle.  Les  scrupules  qu'on  peut  faire  à  caose  de 
redit  de  i566,  qui  réunit  les  duchés  par. le  défaut  de  miles, 
les  fictions  de  l'extinction  de  la  pairie,  les  difficultés  qn'on  a 
voulu  former  sur  les  érections  féminines,  pour  dire  que  la 

t.  Pages  1-3  de  Tédition  de  1694. 

a.  Page  93  eu.  (D  j  a,  par  une  erreur  de  pagination,  deux  feol^ 
let$  marqués  93-94.) 


POUR  LE  MARÉCHAL  DE  LUXEMBOURG.  38; 

• 

concession  ne  s'étend  point  au  second  degrë  ni  à  la  Glle  d'une 
fille  d'un  duc  et  pair  qui  n'est  plus  de  la  famille;  celles  qu'on 
a  faites  sur  la  transmission  de  la  femme  à  son  mari  qui  est 
un  étranger,  sont  toutes  décidées  par  les  lettres  de  1676,  qui 
doivent  servir  de  loi.  La  volonté  du  Roi,  qui  est  le  dispensa- 
teur des  dignités  de  la  couronne,  qu'il  crée  et  supprime  quand 
il  veut,  et  qu'il  peut  faire  revivre  quand  elles  sont  éteintes, 
est  la  règle  certaine  et  inviolable  de  toutes  ces  contestations. 
Et  ce  seroit  entreprendre  sur  l'autorité  souveraine  et  contre- 
venir à  la  volonté  expresse  du  Roi,  que  de  combattre  les  let- 
tres de  1661  et  de  1676  de  nullité*. 

Il  faut  retrancher  tout  ce  qu'on  a  dit  de  la  loi  salique, 

laquelle  ne  peut  avoir  aucune  application  à  la  succession  des 
duchés  et  des  pairies  ;  car  qu'entend-on  par  la  loi  salique  ?  Ou 
c'est  ce  brocard  rapporté  dans  une  compilation  barbare  et 
inintelligible  qui  porte  le  titre  de  cette  loi  :  De  terra  salica 
nuUa  portio  pertineat  ad  fœminam;  ou  c'est  la  loi  ancienne 
et  fondamentale  de  l'état  monarchique  du  royaume,  qui  n'ad- 
met point  les  femmes  à  la  succession  de  la  couronne.  Si  l'on 
entend  la  première,  l'auteur  du  Mémoire  n'y  trouvera  pas  son- 
compte,  parce  que  dans  cette  même  compilation  il  y  a  un  au- 
tre article,  qui  porte  que  cette  exclusion  des  fenunes  n'a  lieu 
qu'en  cas  qu'il  y  ait  des  mâles  qui  concourent  avec  elles  : 
Dum  virilis  sexus  exstiterit^  fœmina  in  aviaticam  terrtun  non 
succédât.  Cette  exception  prouve  que  cette  exclusion  des  fe- 
melles n'est  pas  absolue,  mais  a  lieu  seulement  en  cas  de  con- 
currence des  mâles.  Aussi  tous  nos  savants  historiens  fran- 
çois,  et  ceux  mêmes  dont  l'auteur  du  Mémoire  s'est  servi, 
ont  évité  cet  endroit  comme  un  écueil ,  et  ont  dit  *  que  la  loi 
de  la  succession  masculine  du  royaume  de  Frcmce  vient  plutôt 
dune  ancienne  coutume  que  d aucune  ordonnance  ni  établisse" 
ment  par  écrit;  que  cette  ancienneté  est  de  plus  grand  poids  que 
la  loi  salique;  et  que  son  origine  est  dcuitant  plus  auguste  et 
vénérable  que  son  observation  immémoriale  a  été  inviolablement 
gardée  pendant  plusieurs  siècles. 

I.  Pages  97  et  98. 

a.  Hotman  in  Franeogallia.  Loisel,  de  la  Loi  souque.  ^^  MM.  Du* 
pojs  dans  le  Traité  du  droits  du  domaku,  {Note  du  Factum.) 


3»»  FACTUMS 

Si  au  contraire  on  entend  par  ia  loi  saiique  cette  loi  origi- 
nale du  royaume  qui  s'est  conservée  en  la  mémoire  de  nos 
|)ères,  et  qui  a  passé  jusqu'à  nous  par  une  tradition  inviola- 
ble et  perpétuelle,  on  se  trompe  de  vouloir  mettre  en  paral- 
lèle la  succession  des  pairies  avec  celle  de  la  couronne.  Cette 
comparaison  est  odieuse,  et  blesse  la  souveraine  puissance 
des  rois.  On  n  a  jamais  douté  qu'ils  ne  soient  en  droit  de 
rendre  ces  dignités  féminines  quand  il  leur  platt,  puisque  les 
grands  seigneurs  et  les  vassaux  mêmes  ont  la  faculté  de  faire 
des  fiefs  et  des  arrière^fiefs  masculins  et  féminins  quand  ils  le 
jugent  à  propos.  Cette  loi  qui  exclut  les  femmes  de  la  cou- 
ronne est  une  loi  étemelle,  immuable  et  indépendante  des 
rois  ;  mais  celle  des  duchés  et  des  pairies  dépend  de  l'autorité 
et  de  la  volonté  du  Roi.  Il  peut,  selon  les  nécessités  de  l'Etat 
et  la  conjoncture  des  temps,  ériger  ces  dignités  pour  des  fe- 
melles, comme  pour  des  mâles,  et  pour  les  descendants  des 
uns  et  des  autres. 

....  La  couronne  est  déférée  aux  mâles  par  le  droit  du 
sang  et  de  la  loi  de  France,  et  non  par  le  droit  d'hérédité; 
mais  les  duchés  et  les  pairies  sont  déférés  par  la  loi  de  l'in- 
vestiture ,  telle  qu'il  a  plu  aux  rois  de  l'accorder.  Si  c'est, 
comme  il  arrive  le  plus  souvent,  aux  hoirs  mâles  et  femelles, 
il  ne  suflit  pas  alors  d'être  du  sang,  mais  il  faut  être  héritier 
de  celui  au  profit  de  qui  la  \mvne  a  été  donnée.  Cest  une  dif- 
férence qui  a  été  marquée  par  du  Molin*,  pour  montrer  que 
ces  grands  fiefs,  quoique  mouvants  de  la  couronne,  ne  sout 
pas  cependant  gouvernés  par  la  loi  de  la  masculinité  ni  par 
celle  de  la  souveraineté,  mais  par  les  conditions  de  l'investi- 
ture, et  par  la  loi  de  Finféodation,  suivant  la  volonté  du  sou- 
verain. L'auteur  qui  dans  ce  siècle  a  défendu  avec  autant  de 
suffisance  que  de  solidité  les  droits  de  la  couronne  contre  les 
prétentions  d'Espagne  a  reconnu  ces  vérités,  quoique  la  cause 
qu'il  défendoit  semblât  l'engager  dans  un  parti  oontraireV 
Mab  conune  il  savoit  que  la  succession  de  la  couronne  n'a 
rien  de  conunun  avec  celle  des  pairies,  il  n'a  pas  fait  difBcultf^ 

I.  Sur  la  eouiume  de  Paris^  article  8,  glose  3.  {Noie  du  Factnm  ) 
9.  Anton.  Dominioy  contre  Chiflet,  et  le  Toameiir,  conseillerai 
parlement  d'Aix.  (Note  du  Factum.) 


POUR  LE  MARÉCHAL  DE   LUXEMBOURG.     ^89 

d'avouer  que  les  ducliés  et  les  pairies  n* étoient  pas  sujets  à  la 
loi  salique  pour  la  condition  de  la  masculinité  ' . 

....  Voilà  quel  ëtoit  Tusage  et  le  droit  commun  des  apa- 
nages, des  pairies,  des  duchés  et  des  comtés  pendant  trois  siè- 
cles. Mais  pour  les  apanages  les  choses  ont  changé  sous  le  roi 
Charles  V.  Il  est  le  premier  qui  a  ordonné  que  la  part  ou  la 
dot  des  filles  de  France  leur  seroient  données  en  deniers  ou 
en  rentes,  et  que  les  apanages  des  fils  de  France  seroient  res- 
treints aux  descendants  mâles,  sans  pouvoir  passer  aux  filles. 
Cet  établissement  plein  de  prudence  et  d'une  bonne  politique, 
fait  par  un  prince  plus  connu  par  le  titre  de  sage  que  par  sa 
qualité  de  roi,  a  été  inviolablement  observé  par  ses  succes- 
seurs, et  renouvelé  par  l'ordonnance  de  Charles  IX.  de  i566. 
Mais  il  n'y  a  \xnni  eu  de  loi  particulière,  ni  aucune  ordon- 
nance qui  ait  abrogé  l'hérédité  des  duchés  et  pairies,  et  la  fa- 
culté de  les  donner  aux  femmes,  qui  n'ont  point  été  excluses. 
Les  uns  et  les  autres  sont  demeurés  dans  leur  première  na- 
ture et  dans  le  droit  commun,  pour  être  héréditaires,  et  su- 
jets aux  conditions  des  fiefs  ordinaires,  à  l'efiet  d'être  concé- 
dés aux  filles,  comme  aux  enfants  mâles  des  ducs  et  pairs. 

L'édit  de  i566,  qui  a  été  fait  dans  la  fin  du  dernier  siècle, 
n'a  rien  statué  de  particulier  sur  l'incapacité  des  femmes,  ni 
sur  leur  exclusion  absolue  des  duchés.  Cette  ordonnance  n'a 
été  faite  que  pour  retrancher  la  multiplicité  de  ces  dignités, 
que  les  rois  avoient  été  comme  forcés  i)endant  les  guerres  ci- 
viles et  étrangères  d'accorder  à  Timportunité  des  courtisans, 
et  des  officiers  qui  étoient  dans  le  service.  Pour  mettre  une 
barrière  et  une  digue  à  ces  nouvelles  créations,  doQt  le  nom- 
bre étoit  excessif,  on  fut  obligé  d'ordonner  la  réunion  des  du- 
chés et  des  comtés  au  domaine  par  le  défaut  des  mâles,  même 
|X)ur  les  terres  qui  ne  venoient  point  de  la  couronne.  On  crut 
que  cette  extinction  qui  se  faisoit  de  plein  droit  par  le  défaut 
des  mâles  seroit  un  frein  pour  retenir  les  particuliers,  qui  ap- 
préhendant la  perte  de  leurs  propres  terres,  ne  voudroient  pas 
la  risquer  sur  la  tète  et  sur  la  vie  de  leurs  enfants  mâles,  au 
préjudice  de  leurs  filles  et  de  leurs  autres  parents.  Mais  cette 
loi  n  a  point  donné  de  bornes  à  la  souveraine  puissance  des 

I.  Page*  10^109. 


Vjo  FACTUMS 

rois,  et  n'a  pu  les  dépouiller  du  pouvoir  qu'ils  ont  de  distri- 
buer ces  dignités  et  ces  offices  à  ceux  qui  ont  bien  mérité  de 
l'État  :  ce  qui  est  le  droit  le  plus  essentiel  et  le  plus  éclatant 
de  la  souveraineté.  La  dispensation  de  ces  grands  offices  de  la 
couronne  est  dans  la  personne  du  Prince,  comme  les  rayons 
dans  le  soleil^.  Il  n'y  a  point  de  loi  qui  puisse  retenir  ces 
épanchements  de  la  royauté  qui  vont  à  récompenser  la  vertu 
et  le  service  de  ses  sujets.  II  s'est  tant  trouvé  d'inconvénients 
dans  cet  édit,  que  jusques  à  présent  il  a  été  impraticable.  Il 
réunit  au  domaine  des  terres  qui  n'en  ont  jamais  fait  partie, 
et  auxquelles  le  Roi  n'a  donné  que  titre  de  duché.  Il  prive 
les  seigneurs  de  qui  ces  terres  érigées  en  duché  ou  comté  re- 
lèvent, de  leur  mouvance  et  de  leur  directe  féodale.  Il  blesse 
les  substitutions  dont  ces  terres  sont  chargées  en  faveur  des 
mâles  et  des  femelles.  Le  remède  pour  ce  mal  dont  l'ordon- 
nance de  Blois  s'est  voulu  servir,  en  obligeant  ceux  qui  ob- 
tiennent de  semblables  érections  à  se  purger  par  serment  que 
leurs  terres  ne  sont  sujettes  à  aucune  substitution,  est  un  re- 
mède captieux,  dit  Coquille^,  qui  souvent  est  l'occasion  d'an 
parjure. 

....  Depuis  cet  édit,  qui  ne  parle  point  des  pairies,  mais 
seulement  des  duchés  et  des  comtés,  il  s'est  fait  autant  d'érec- 
tions de  duchés  et  de  pairies  en  faveur  des  femmes  que  dans 
tous  les  temps  qui  ont  précédé  sa  publication. 

Ces  premiers  offices  de  la  couronne  sont  plus  aux  rois 
qu'aux  personnes  qui  en  sont  revêtues.  Leur  être  n'est  rien 
que  sous  le  nom  glorieux  du  Roi.  Il  dépend  de  lui  de  faire 
une  pairie  personnelle  et  viagère,  ou  de  la  rendre  héréditaire 
et  perpétuelle  ;  de  la  donner  aux  mâles  et  à  leur  postérité  seu- 
lement, ou  de  l'accorder  aux  fenmies  et  à  leurs  descendants; 
de  la  restreindre  à  un  premier  degré,  ou  de  l'étendre  à  tous 
les  degrés  du  sang.  Sa  puissance  en  cela  est  semblable  à  celle 
de  Dieu,  qui  a,  selon  l'Écriture,  les  hommes  entre  ses  mains, 
comme  l'argile  est  entre  celles  du  potier.  Il  a  le  pouvoir  de 
faire  des  vaisseaux  d'un  honneur  éclatant,  et  d'autres  d'un 

I .  j4  principe  exeunt  omnes  dignitates  ut  a  sole  radu.  Casaiodore. 
{Note  du  Factum.) 

9.  Sur  C ordonnance  de  Blois.  {Note  du  Factum.) 


POUR  LE  MARÉCHAL  DE  LUXEMBOURG.     891 

usage  commun*;  les  uns  d'un  plus  grand  et  les  autres  d'un 
moindre  prix.  L'argile  peut-elle  dire  à  l'artisan  :  Pourquoi 
m'as-tu  donné  cette  forme  ?  Nunquid  dicit  figmentum  ei  qui  se 
finxii:  c  Quidme  fecisti  sic*  ?  »  Peut-elle  demander  que  celui  qui 
l'emploie  lui  rende  compte  de  son  ouvrage?  Y  a-t-il  un  duc 
et  pair  qui  puisse  se  plaindre  pourquoi  le  Roi  a  fait  une  pairie 
féminine  plutôt  que  masculine  ?  Un  seigneur  suzerain  peut  bien 
de  son  domaine  faire  un  fief  féminin,  et  les  pairies  par  les  lois 
de  l'Etat  étant  héréditaires  de  même  que  les  fiefs,  qui  empê- 
che que  le  Roi,  dans  la  concession  qu'il  en  fait,  les  assujettisse 
aux  lob  ordinaires  des  successions?  La  dignité  de  pair  n'est 
pas  seulement  distinguée  des  autres  offices  en  ce  qu'elle  n'est 
pas  viagère  et  personnelle,  mais  encore  en  ce  qu'elle  est  hé- 
réditaire, réelle,  féodale  et  seigneuriale.  Cest  à  cause  de  cette 
réalité  de  l'hérédité,  et  de  l'union  à  un  fief  et  à  un  duché, 
qu'elle  peut  être  possédée  par  des  filles  d'un  duc  et  pair  et 
être  transmise  à  leurs  descendants. 

Tout  dépend  donc  de  la  volonté  du  Prince,  des  conditions 
et  des  termes  sous  lesqueb  chaque  pairie  est  érigée* 


AU  ROI 

ET  A  NOSSEIGNEURS  DE  SON  CONSEIL. 

Sl&B, 

FiAwçou-ILnniY  de  MonTMoasMCY,  duc  de  Luxembourg  et 
de  Piney,  pair  de  France,  ExiioNTai  très-humblement  à  Votbe 
MajestA  que  M.  le  duc  de  Richelieu,  dans  une  requête  impri- 

I .  Jn  mon  habet  potestatem  figulut  luti  tx  tadem  nuusa  faetrt  aUud 
guidon  vas  in  honorem^  aiiitd  vtro  in  contumeliam?  Paul,  ad  Rom. 
[chapitre  ix,  vertei  ai].  {Note  du  Factum.) 

s.  Saint  Paul,  Êpùre  aux  Romains  y  chapitre  ix,  verset  30. 

3.  Pages  i3o-i33. 


39»  FACTUMS 

mèe  et  signifiëe   le  a  4    février  dernier,   contenant  tous  ses 
moyens  d'évocation,   se  plaint  a  tort  de  ce  que  le  suppliant 
publie  dans  le  monde  et  répand  dans  la  cour  que  la  cédule 
évocatoire  a  été  obtenue  par  un  esprit  d'incident;  car  ce  ne 
sont  point  les  manières  du  suppliant,   qui  a  toujours  traité 
M.  le  duc  de  Richelieu  et  les  autres  ducs  et  pairs  avec  toute 
l'honnêteté  possible....  L'instance  pendante  au  parlement  de 
Paris  pour  la  préséance  est  commencée  il  y  a  plus  de  trente 
ans;  M.  le  duc  de  Richelieu  a  formé  son  opposition  à  Tenre- 
gistrement  des  lettres  de  continuation  de  pairies  données  en 
faveur  du  suppliant  dès  le  la  février  i66a;  il  a  toujours  con- 
testé, écrit  et  produit  ;  et  dans  le  factum  qu'il  a  donné  con- 
jointement avec  les  autres  ducs  et  pairs,  il  a  reconnu  ce  par- 
lement, qui  est  la  cour  des  pairs,  comme  le  seul  juge  naturel 
de  ces  contestations.  Les  parents  du  suppliant,  du  chef  des- 
quels il  évoque  aujourd'hui,  étoient  officiers  titulaires  dans 
cette    cour,  de  même  qu'ils  le  sont   à  présent.   Cependant, 
après  trente  années  de  contestation  volontaire  au  parlement  de 
Paris,  il  attend  dans  la  dernière  extrémité  que  le  rapport  est 
commencé,  i>our  évoquer  à  un  autre  j^arlement;  il  se  dégrade 
lui-même,  et  avilit,  ou  plutôt  veut  anéantir,  le  plus  beau  pri- 
vilège qu'il  puisse  avoir,  d'être  jugé  dans  cette  cour*. 

....  Les  douze  et  treizième  exemples  qui  regardent  les  con- 
damnations rendues  contre  M.  le  duc  de  Rohan,  par  arrêt  de 
i6a8  au  parlement  de  Toulouse,  et  contre  M.  le  duc  de 
Montmorency  en  16!  a  au  même  parlement,  sont  des  exemples 
singuliers  qui  ne  violent  point  la  règle  ordinaire,  et  ne  font 
point  brèche  à  la  loi  générale.  Dans  ces  temps  difficiles  et  fâ- 
cheux des  mouvements  des  huguenots  au  cœur  du  royaume, 
il  étoit  de  la  prudence  et  de  la  souveraineté  du  Prince  de  ne 
pas  suivre  cette  ponctuelle  et  scrupuleuse  justice  de  la  forma- 
lité des  jugements;  car  il  ne  faut  pas  dans  ces  conjonctures 
attendre  que  les  rebelles  aient  ruiné  i'Ëtat,  afin  d'agir  contre 
eux  légitimement  et  les  poursuivre  devant  leurs  juges  natu- 
reb.  Cette  souveraine  injustice  est  un  souverain  droit ,  dit  un 
excellent  auteur  de  ce  temps  ;  ce  seroit  pécher  contre  la  rai- 
son, de  ne  pas  pécher  en  ceci  contre  les  formes.  Combien 

I.  Pages  I  et  3  de  IVdition  originale. 


POUR    LE  MARÉCHAL  DE  LUXEMBOURG.     393 

étoit-il  périlleux  de  transférer  les  accuses  de  la  province  de 
Languedoc,  où  le  délit  avoit  été  commis,  et  de  faire  venir  les 
témoins  en  la  ville  de  Paris!  D'ailleurs  le  premier  de  ces  ac- 
cusés, M.  de  Rohan,  ne  demande  pas  son  renvoi,  et  le  der- 
nier voulut  bien  renoncer  à  son  privilège  :  Quoique  t^ous  ne 
sqjrez  mes  Juges  nature is^  dit-il  dans  son  interrogatoire,  et  que 
je  ne  doive  vous  reconnottre^  vu  ma  qualité  de  duc  et  pair  de 
France^  néanmoins  ^  puisqu  il  plntt  au  Roi  que  je  réponde^  je  le 
ferai  * .  Ces  exemples  extraordinaires,  qui  arrivent  rarement, 
ne  doivent  pas  être  rap|M)rtés  pour  en  faire  l'application  à  une 
contestation  qui  n'est  qu'un  point  d'honneur,  de  préséance  et 
de  rang,  pour  lequel  le  Roi  s'en  est  rapporté  au  Parlement. 

M.  de  Richelieu  devoit  se  dispenser  du  dernier  exemple  de 
M.  le  duc  de  la  Valette,  étant  plutôt  une  preuve  de  grand 
crédit  de  Monsieur  le  Cardinal  dont  il  porte  le  nom,  qu'un 
véritable  effet  de  la  justice.  Si  son  conseil  n' avoit  pas  tronqué 
les  Mémoires'  d'où  il  a  tiré  l'arrêt  de  1639  qui  condamna 
M.  de  la  Valette  par  des  juges  incompétents,  et  s'il  eût  fait 
voir  l'arrêt  du  3i  juillet  i643',  qui  ayant  cassé  et  annulé 
tonte  la  procédure  faite  par  les  commissaires^  comme  nulle^  dé^ 
chargea  M,  de  la  Falette  de  t  accusation  contre  lui  intentée^ 
sauf  il  se  pourvoir  pour  ses  dommages  et  intérêts ,  l'on  ne  croit 
pis  que  M.  le  duc  de  Richelieu  eût  souffert  dans  cette  requête 
un  exemple  si  extraordinaire  et  si  injuste,  qui  n'est  fondé  que 
sur  le  crédit  et  l'autorité  d'un  ministre  puissant  et  favori*. 

....  Enfin,  pour  détruire  tous  les  faits  de  la  requête  de 
M.  le  duc  de  Richelieu  et  effacer  toutes  les  impressions  qu'il 

I.  Mercure  frati^ou,  année  i63s.  (iVo/e  Je  la  Requête.) 

9.  Mémoires  Je  Montresor.  (Note  de  la  Requête.) 

3.  Noas  avons  cm  pouvoir  ici  faire  un  changement  au  texte  de  la 
Requête^  qui  porte  :  «  Tarrét  du  3  juillet  1^)48.  »  Ce  ne  peut  être 
qu'une  faute  d^împression.  On  lit  dans  la  Gazette  du  8  août  i643  : 
«  Le  duc  de  la  Valette,  à  présent  duc  d^mpemon,  après  avoir  été 
déchargé  par  arrêt  solennellement  rendu  /«  3i  du  passée  toutes  les 
chambres  assemblées,  de  Taccusation  contre  lui  intentée  dès  le  mois 
d'octobre  i638,...  a  été  ensuite  remis  par  Leurs  Majestés  en  ses 
charges  de  colonel  général  de  l'infanterie  françoise  et  de  gouverneur 
^  lieutenant  général  pour  Leurs  Majestés  en  Guyenne.  » 

4-  Pages  37  et  i8. 


394  FACTUMS. 

a  voulu  donner  contre  le  privilège  de  la  pairie,  le  suppliant 
finira  par  les  paroles  mêmes  qu'il  a  employées  dans  son  Fae- 
ium,  signifie  et  imprime  pour  Tinstance  du  Parlement\  et 
qu'on  ne  sauroit  trop  répéter  :  Le  Roi  a  bien  voulu  renvoyer 
la  décision  à  son  parlemeni  de  Paris ^  qui  est  par  le  titre  au- 
guste quil  a  toujours  eu  de  la  cour  des  pairs  et  de  la  cobt 
de  France^  dépositaire  de  cette  puissance  que  nos  rois  lui  ont 
confiée  de  donner  et  Juger  les  rangs  et  les  séances  des  pairs^ 
et  (Tétrt!,  par  une  prérogative  dthonneur  qui  lui  est  réservée^ 
les  seuls  Juges  de  leurs  pairies.  Il  reconnott  lui-même  que  a 
cour  des  pairs,  la  cour  de  France  et  la  cour  du  Roi  étoient 
la  seule  cour  de  Parlement,  et  que  les  autres  parlements 
n'étoient  point  des  émanations  de  cette  cour  de  France  ni  de 
la  cour  des  pairs  :  qu'il  accorde,  s'il  peut,  ce  quil  dit  dans 
son  Factum  avec  ce  qu'il  a  écrit  dans  sa  Requête  du  24  fé- 
vrier dernier*.   .  .* 


X .  Il  s^agit  du  Mémoire  sur  la  question  de  préséance  pour  Meuieurt 
les  dues  et  pairs ^  dont  nous  avons  parlé  ci-dessos,  p.  377. 
1.  Pages  99  et  3o. 


REPONSE 

DE  MONSEIGNEUR  L'ARCHEVÊQUE  DE  PARIS 

AUX  QUATUt  LITTRAfl  DB  MONUIGICKUR  L*AACny|QnB  DS  CAMBRAI. 


NOTICE. 


Csm  Réponse  a  été  imprimée  pour  la  première  fois  en  un  volume 
in- Il  de  cent  page*,  sans  lieu  ni  date;  on  sait  d'ailleurs  qu'elle  est 
de  l'année  1698.  Un  exemplaire  ({ue  possède  la  Bibliothèque  impé- 
riale porte,  au-dessous  du  faux  titre,  cette  petite  note,  qui  est  de  la 
main  du  président  Bouhier  :  jittriiuée  communément  à  M.  Jean  Ra- 
cine de  r Académie  Franf.  Bouhier,  dont  la  jeunesse  avait  été  con- 
temporaine des  dernières  années  de  Racine,  avait  pu  recevoir  cette 
information  au  temps  même  ou  la  lettre  fut  publiée.  Remarquons 
surtout  que,  par  ses  liaisons  avec  les  littérateurs  les  plus  distingués 
de  son  temps,  par  son  goût  éclairé  pour  les  livres,  par  ses  habitudes 
d^esprit,  cet  homme  d'une  érudition  solide  et  variée  échappe  plus 
que  beaucoup  d'autres  au  soupçon  d'avoir  admis  légèrement  et 
uns  critique  la  tradition  qu'il  nous  a  conservée.  Au  tome  IX  de  la 
Correspondance  de  Fénelon  (Paris,  Ferra  jeune  et  A.  le  Clere,  1817- 
1899),  P'  '^^f  nous  trouvons  aussi  cette  note,  au  sujet  delà  Réponse 
aux  quatre  lettres  de  Parchevéque  de  Cambrai  :  «  On  attribue  cette 
Réponse  à  Racine;  mais  il  n'a  fait  que  prêter  sa  plume  à  M.  de 
Noailles,  et  mettre  en  œuvre  les  matériaux  qu'on  lui  a  fournis.  » 
Les  éditeurs  ne  disent  pas  s'ils  ont  eu  sous  les  yeux,  dans  l'exemplaire 
dont  nous  venons  déparier,  la  note  manuscrite  du  président  Bouhier, 
et  si  elle  leur  a  seule  révélé  le  fait  qu'ils  ne  paraissent  pas  révoquer 


igS    REPONSE  DE  L'ARCHEVÊQUE  DE  PARIS. 

en  doute.  Il  peut  bien  être  venu  de  quelque  autre  côte  i  leur  con- 
naissance ;  car  en  tout  ce  qui  touche  à  Fënelon,  les  sources  les  plas 
diverses  dUnformation  leur  ont  été  ouvertes.  Il  ne  serait  donc  psi 
trop  téméraire  de  croire  que  leur  autorité  ne  fait  pas  double  emploi 
avec  celle  de  Bouhier.  Du  reste,  c'est  principalement  dans  le  carac- 
tère, dans  le  style,  dans  les  rares  qualités  de  Fœuvre  de  polémique 
attribuée  à  Racine  que,  pour  notre  compte,  nous  trouverions  Ie« 
meilleures  preuves  que  cette  attribution  mérite  confiance. 

Le  27  octobre  1697,  M.  de  Noailles,  archevêque  de  Paris,  publia 
une  Instruction  pastorale  sur  la  perfection  chrétienne  et  sur  la  vie  inti* 
rieure  ;  contre  les  illusions  des  faux  mystiques.  Le  dessein  de  cette  In- 
struction était  principalement  de  réfuter  le  livre  de  VRxpltcatUm  des 
maximes  des  saints;  et  bien  que  Tarchevéque  de  Cambrai  n*j  fiit 
pas  expressément  nommé,  on  y  affectait  de  relever  toutes  les  pro- 
positions de  son  livre;  et  sa  doctrine  j  était  notée  «  parles  pins 
fortes  qualifications,  dit  Tabbé  Ledieu*,  même  en  des  termes  durs, 
qu^on  pourroit  dire  injurieux.  »Fénelon,  très-blessé  de  cette  hstr»- 
tion,  qui  «  paroit,  écrivait-il  *,  douce  et  modeste,  et. ...  a  plus  de  venin 
que  toute  la  véhémence  de  Monsieur  de  Meaux,  »  répondit  par  quatre 
Lettres  à  Monseigneur  C archevêque  de  Paris.  Le  cardinal  de  Bausset  dit' 
quUl  ne  les  avait  pas  publiées  en  France,  quUl  sVtait  borné  à  les 
adresser  aux  examinateurs  nommés  par  le  Pape  ;  mais  qu^à  son  in«i. 
elles  avaient  été  réimprimées  en  Italie,  et  bientôt  reproduites  par 
les  presses  de  Hollande.  L'archevêque  de  Cambrai,  écrivant  le  m  fé- 
vrier 1698  à  Tabbé  deChanterac,  qui  était  alors  à  Rome,  lui  annon- 
çait renvoi  de  ses  trois  premières  lettres.  Ce  fut  seulement  le  i5  mars 
suivant  que  celui-ci  répondit  qu'il  avait  reçu  les  trois  lettres,  et  les 
avait  portées  le  jour  même  au  saint -office.  Quant  à  la  quatrième 
lettre,  qui  fut  écrite  plus  tard  pour  répondre  à  V Addition  à  t Instruction 
pastorale^  Fénelon  en  parle  pour  la  première  fois  dans  sa  lettre  Ha 
17  mars  1698  au  Nonce,  à  qui  il  l'envoyait^.  Il  ne  tarda  sans  doute 
pas  beaucoup,  après  ce  temps,  si  «  faire  courir  dans  le  monde  •  ses 
lettres  à  l'archevêque  de  Paris,  comme  celui-ci  le  lui  reproche  dan< 

I .  Voyez  les  OEuvres  de  Péaeloa  (édition  de  Lehel),  tome  Y,  p.  199,  note ^. 
a.   Dans  une  lettre  à  l'abbé  de  Chanterac ,  da  7  janvier    1698.  Voyci  k 
tome  YIII  de  la  Correspondance  de  Fénefon,  p.  3l8  et  3i9. 

3.  Histoire  de  Penefan^  tome  II,  p.  io5. 

4.  VoyeK  dana  la  Correspondance   de  Fenefon^  tome    VIII,   les  lettr» 
CCCXT.V111,  CGC1.XVI  et  oocLxvii,  p.  490,  499  et  49^* 


NOTICE.  3y7 

sa  Rêporue.  L'intention  de  M.  de  Noailles  de  préparer  cette  réponse 
était  dëja  annoncée  le  8  avril  1698  par  Tabbé  deCbanterac  à  Tabbé 
de  Langeron*.  Si  nous  avons  relevé  ces  dates,  c'est  qu'on  en  doit 
coDclure  que  la  Réponse  aux  quatre  lettres  fut  faite  en  assez  peu  de 
temps,  en  un  mois,  ou  six  semaines  au  plus.  Fénelon  dit  qu'elle  lui 
fut  envoyée  manuscrite  par  M.  de  Noailles  le  i5  mai  1698,  et  que 
trois  jours  après,  le  98  du  même  mois,  il  la  reçut  imprimée,  et 
apprit  qu'elle  se  vendait  publiquement  chez  le  libraire  de  l'arche- 
Téque  de  Paris*. 

U  nous  semble  que  parmi  les  écrits  polémiques  de  cette  époque 
on  en  trouverait  difficilement  un  où  il  y  ait  la  même  vivacité  de 
•tjrle,  une  ironie  maniée  avec  autant  de  grâce  et  de  finesse,  une 
telle  adresse  à  décocher  les  traits  les  plus  piquants.  Nous  voudrions 
nous  garder  de  toute  prévention;  mais  nous  nous  imaginons  recon- 
naître là  quelque  chose  de  la  manière  de  Racine,  telle  qu'elle  nous 
est  connue  par  ses  lettres  à  Nicole,  et  retrouver  une  malice,  un  art 
à  peu  près  du  même  caractère ,  avec  les  différences  qu'on  est  en 
droit  d'attendre  de  l'âge  beaucoup  plus  sérieux  où  Racine  était 
anivé,  et  de  la  nécessité  où  il  était  de  faire  parler  un  grave  ar- 
chevêque autrement  qu'un  jeune  pofite  raillant  ses  instituteurs. 
Vlnttruetion  pastorale  de  M.  de  Noailles,  à  laquelle  Fénelon  repro- 
chait tant  de  venin,  ne  manque  sans  doute  pas  elle-même  de 
traits  redoutables ,  et  n'est  pas  non  plus  Pœuvre  d'un  écrivain  sans 
talent;  mais  on  n'y  trouve  certainement  ni  le  même  ton,  ni  le 
même  style  que  dans  la  Réponse  aux  quatre  lettres.  A  propos  de  cette 
Instruction  pastorale,  Fénelon  disait  :  «  Monsieur  de  Paris  s'est 
livré  à  MM.  Boileau  (fabbé  Boileau)  et  Duguet*.  »  Ne  voulait-il  pas 
insinuer  par  là  qu'ils  avaient  aidé  le  Cardinal  à  écrire  son  Instruc- 
tion?  S'il  fallait  croire  que  M.  de  Noailles  leur  eût  en  effet  demandé 
des  inspirations,  il  deviendrait  plus  probable  encore  qu'il  a  de  même 
emprunté  quelque  secours  pour  écrire  sa  Réponse  à  l'archevêque 
de  Cambrai  ;  et  l'on  ne  s'étonnerait  pas  qu'il  eût  de  nouveau  cher- 
ché un  auxiliaire  du  côté  de  Port-Royal.  Seulement,  cette  fois, 
pour  un  écrit  qui  n'était  pas  une  lettre  pastorale,  il  ne  se  serait 


I.  Correspondanee  de  Fénelc»t  tome  VIII,  lettre  occLXZvm,  p.  549. 
1.  RespiMsw  D,  Arekiepiecopi  eameraeensis  md  epistolam  />.  parisiensis 
Jrekiepiseopi.  OEmeres  de  Fénelon,  tome  V,  p.  443. 
3.  Carreepondance  de  Fénelon,  tumo  TIII,  p.  319. 


/ 


igS    RÉPONSE  DE  L'ARCHEVÊQUE  DE  PARIS. 

pas  fait  scrapnle  de  recourir  à  une  plume  qu*il  saTait  plus  rire  et 
plus  acérée. 

Les  relations  de  Racine  avec  l'archeréque  de  Paris  sont  connan. 
Dès  les  premiers  temps  de  Tépiscopat  de  M.  de  Noailles,  il  aTait  été 
auprès  de  lui  TaTocat  et  comme  le  charge  d^afTaires  des  religiemet 
de  Port-Royal  '  ;  et  à  Tëpoque  où  fut  écrite  la  Réponse  ans  quatre 
lettres^  il  n^avait  pas  cessé  d^avoir  besoin  de  Tappui  de  rarcheTéqne 
de  Paris  pour  une  si  chère  maison  :  il  devait  donc  être  très^disposé 
à  le  servir  avec  tèle.  Quant  à  M.  de  Noailles,  il  avait  eu  sans  nul 
doute ,  dans  ses  fréquents  entretiens  avec  Racine,  bien  des  occa- 
sions d^admirer  comment  il  savait  plaider  les  causes  qu'il  prenait  eo 
main.  Nulle  difficulté  donc  de  ce  côté  à  croire  que  le  prélat  et  le 
poète  aient  pu  se  concerter  dans  une  œuvre  commune.  D  7  en  a 
un  peu  plus,  nous  Pavouons,  quand  on  regarde  du  cdté  de  Fénelon, 
et  que  Ton  pense  aux  ménagements  que  Racine  lui  aurait  dus.  Noos 
avons,  il  est  vrai,  prouvé  que  les  deux  lettres  de  1697,  citées  par 
Louis  Racine  dans  ses  Hémoirts^  ne  sont  pas  de  Fénelon,  comme 
longtemps  on  Pavait  cru*;  rien  n'établit  donc  qu'il  y  ait  eu  entre 
l'archevêque  de  Cambrai  et  notre  poëte  cette  intime  amitié  qu'on 
s'était  plu  à  supposer.  0  reste  cependant  ceci,  qu'au  commencement 
de  l'année  1698,  à  peine  trois  mois  avant  le  temps  où  Racine  annit 
mis  la  main  à  un  écrit  si  dur  pour  Fénelon,  celui-ci  faisait  le  plus 
gracieux  accueil  dans  son  palais  de  Cambrai  à  Jean-Baptiste  Ra- 
cine, dont  le  père  avait  écrit  au  prélat  pour  le  remercier  de  tant 
de  bonté*.  Nous  venons  de  dire  qu'il  n'avait  jamais  existé  d'intime 
amitié  entre  Racine  et  Fénelon.  Parlant  toutefois  des  sentiments 
que  l'archevêque  de  Cambrai  lui  avait  toujours  témoignés.  Racine 
a  prononcé  lui-même  ce  mot  d'amifiV,  qui  demeure  significatif, 
bien  qu'il  ne  faille  pas  en  exagérer  ici  le  sens  et  la  portée.  Q  écri- 
vait à  son  fils  Jean-Baptiste,  le  5  avril  1697  :  «  L'amitié  qu'avoit 
pour  moi  Monsieur  de  Cambrai  ne  me  permet  pas  d'être  indiffé- 
rent sur  ce  qui  le  regarde,  et  je  souhaiterois  de  tout  mon  coar 
qu'un  prélat  de  cette  vertu  et  de  ce  mérite  n'eât  point  fait  un  livre 
qui  lui  attire  tant  de  chagrins.  »  L'occasion  même  dans  laquelle 
Racine  parlait  ainsi  est  digne  de  remarque.  Celui  en  qui  les  doa- 
leoTt  infligées  â  Fénelon  éveillaient  de  tels  souvenirs  de  reconnais- 

I.  VoycE  notre  tome  I»  p.  i36et  137. 

a*  Voyas  ibidem^  p.  3 10,  note  3. 

3.  Lettre  de  Bmeine  à  eonjilê,  en  date  du  a6  janvitr  169S. 


NOTICE.  399 

ttnce  a^t-îl  pa,  si  peu  de  temps  après,  trayailler  lui-même  i  irriter 
ces  douleurs?  Les  puissants  motifs  que  Racine  avait  de  complaire  à 
TarcheTêque  de  Paris,  les  liens  qui  Tonissaient  à  nn  parti  où  l'on  se 
prononçait  d'autant  plus  Tirement  contre  les  doctrines  de  Fënelon, 
que  ce  prâat  était  ami  des  Jésuites,  pourraient  être  regardés  comme 
des  explications  d'une  pareille  conduite;  mais  n'en  seraient-ils  pas 
des  excuses  bien  insuffisantes?  Et  fitut-il  dès  lors,  sans  preuves 
positives,  imputer  à  Racine  une  action  qui  le  ferait  à  bon  droit 
taxer  de  peu  de  générosité,  on  tout  au  moins  de  grande  faiblesse? 
Nous  laissons  au  lecteur  le  soin  de  décider  si  ces  considérations 
morales,  qui  paraîtront  plus  ou  moins  fortes,  selon  l'idée  qu'on  se 
sera  faite  du  caractère  de  Racine,  doivent  être  d'un  plus  grand 
poids  que  la  tradition  attestée  par  le  président  Bouhier,  et  que  les 
vraisemblances  littéraires  dont  nous  avons  été  frappé. 

On  nous  accordera  tout  au  moins  que,  parmi  les  ouvrages  attri- 
bués à  Racine,  il  y  avait  lieu  de  ne  pas  entièrement  passer  sous  si- 
lence, comme  les  éditeurs  précédents  l'ont  fait,  la  Réponst  aux  qua- 
tre lettres  Je  Varchevéque  de  Cambrai.  Nous  n'en  donnerons  ici  que 
quelques  fragments,  nos  misons  pour  ne  pas  la  reproduire  tout 
entière  étant  à  peu  près  celles  que  nous  avons  exprimées  déjà  au 
sujet  des  Faetums  pour  M.  de  Luxembourg.  Elle  risquerait,  il  est 
vrai,  beaucoup  moins  que  les  Faetums^  de  paraître  trop  longue,  et, 
dans  quelques  parties,  trop  aride;  mais,  d*un  autre  côté,  il  7  a 
moins  d'inconvénient  à  renvoyer  aux  OEuvres  de  Fénelon*,  acces- 
sibles pour  tous,  qu'aux  recueils  de  Faetums,  difficiles  à  trouver, 
ceux  qui  auront  le  désir  de  lire  dans  leur  entier  les  écrits  auxquels 
Racine  passe  pour  avoir  eu  quelque  part. 

I.  La  Réponse  de  Parekepiqué  de  Fans  est  imprimée  aa  tome  V  des 
OEmsres  de  FémtUm^  p.  383-440.  Noos  suivons  le  texte  de  l'édition  de  1698, 
qm  dn  reste  a  été  Sdèlement  reproduit  par  celle  de  Lebel  (Tenailles,  i8ao) 


Aoo  REPONSE 


REPOJSSE 

DR  MONSEIGNEUR  L'ARCHEVEQUE  DE  PARIS 

AUX  QUATms  ucrmu  de  MONintomnii  i.'AiiauvâQui!  dl  cambeai. 
MONSSIGNKUR, 

Je  ne  doute  point  que  vous  n'avez  senti  quelque  peine 
en  m'attaquant  personnellement.  Vous  m'en  assurez  ;  notre  an- 
cienne amitié  et  ma  conduite  à  votre  égard  me  le  persua- 
dent. Vos  amis,  qui  m'ont  fait  des  remerciements  même  depuis 
mon  Instruction  pastorale^  ont  paru  étonnés  du  ton  que  vous 
avez  pris  en  écrivant  contre  moi.  Je  ne  vous  dirai  pas  eo 
'  quels  termes  des  personnes  habiles  et  sages  ont  parlé  de  vos 
leUres.  Je  ne  veux  pas  croire  que  ce  soit  le  succès  de  Xlth- 
struction  qui  vous  ait  mis  en  mauvaise  humeur;  mais  il  est 
vrai  que  dans  le  temps  qu'elle  parut,  vous  y  trouvâtes  de  la 
modération.  Vous  croyez  avoir  droit  présentement  de  me  cen- 
surer et  de  vous  plaindre^  :  c'est  à  vous  à  vous  examiner  de 
votre  côté,  et  à  moi  à  vous  satisfaire,  si  vos  plaintes  sont 
justes. 

Je  ne  vous  reprocherai  point,  Monseigneur,  la  manière  si 
.peu  usitée  de  faire  courir  longtemps  dans  le  monde  des  let- 
tres imprimées  que  vous  marquiez  m'avoir  adressées,  et  que  je 
n'avois  point  vues.  Vous  savez  pourtant  combien  saint  Jérôme 
trouvoit  extraordinaire  qu'une  lettre  que  saint  Augustin  lai* 
avoit  écrite  eût  couru  dans  les  provinces  et  à  Rome,  avant 
que  de  lui  être  rendue  à  lui-même.  Saint  Augustin  se  disculpa 
très-sérieusement  d'une  faute  dont  il  n'étoit  pas  €x>upaUe. 
Mais  je  n'y  regarde  pas  de  si  près.  Si  vous  avez  raison  dans 
le  fond,  je  ne  vous  ferai  point  de  procès  sur  la  forme. 

Vos  quatre  lettres  se  réduisent  à  deux  chefs  :  à  n'atta- 
quer sur  mon  procédé,  et  sur  la  doctrine  de  mon  InstruaiM 
pastoraie.  D'autres  soupçonneroient  que  vous  usez  de  récri- 
mination, pour  embrouiller  l'affaire,  et  pour  faire  diversion, 


DE  L'ARCHEVÊQUE   DE  PARIS.  401 

s'il  est  possible.  Quoi  qu'il  en  soit,  après  avoir  dit  en  géné- 
ral que  le  procédé  des  prélats  dont  vous  vous  plaignez  a  été 
tel  que  vous  ne  pourriez  espérer  d'être  cru  en  le  racontant, 
vous  m'accusez  en  particulier  de  foiblesse ,  de  variation,  d'in- 
discrétion,  de  dureté;  et  vous  le  faites  de  cet  air  décisif  dont 
vous  avez  prononcé  dans  vos  Maximes  des  saints.  Que  ne  me 
permettiez-vous  au  moins  de  me  taire  ?  Je  vous  aurois  volon- 
tiers laissé  triompher  parmi  le  petit  troupeau  qui  vous  applau- 
dit. Mais  vous  me  sommez,  Monseigneur,  vous  me  forcez  de 
parler.  Je  souhaite  de  tout  mon  cœur  qu'on  ne  vous  impute 
pas  ce  qu'on  disoit  sans  fondement  à  saint  Jérôme,  au  sujet 
des  lettres  'de  saint  Augustin  :  Suggerebani  non  simplici  a 
te  animo  factum ,  sed  laudem  aique  rumuscalos  et  gloriolam 
popuii  requirente^  ut  de  nobis  cresceres.  Que  n'avez-vous  lu 
de  sang-froid  les  endroits  de  mon  Infraction  pastorale  que 
vous  attaquez  ?  Que  n'avez-vous  rappelé  dans  votre  esprit  les 
idées  de  mon  procédé?  Vous  m'auriez  épargné  le  déplaisir 
de  vous  répondre. 

J'ai  appris  de  saint  Grégoire  à  ne  point  mettre  mon  hon- 
neur en  ce  qui  peut  blesser  celui  de  mon  frère  ;  et  l'éclair- 
cissement que  vous  eugez  ne  peut  vous  être  avantageux.  On 
dit  que  Votre  style  a  ébloui  diverses  personnes  qui  avouent 
ne  rien  entendre  au  fond  de  la  matière;  mais  l'éblouisse- 
ment  ne  dure  pas  toujours  :  la  vérité  se  manifeste  tôt  ou 
tard  ;  on  fait  justice  à  ceux  qui  l'ont  soutenue  ;  on  est  hon- 
teux de  s'être  laissé  éblouir;  on  se  fâche  quelquefois  contre 
l'auteur  du  prestige*. 

....  Avant  d'entrer  dans  le  détail  des  faits,  permettez-moi. 
Monseigneur,  d'établir  deux  ou  trob  principes ,  sur  quoi  l'on 
doit  juger  de  notre  conduite.  L'équité,  l'amitié,  la  charité 
nous  obligent  de  bien  penser  d'un  homme  que  nous  estimons, 
jusqu'à  ce  que  nous  soyons  convaincus  qu'il  n'a  pas  de  bons 
sentiments.  Après  cette  conviction,  il  faut  employer  les 
moyens  les  plus  propres  à  le  désabuser  :  ces  moyens  sont, 
pour  l'ordinaire,  la  douceur  et  la  patience.  Mais  si  notre 
ami  s'opiniâtre,  et  que  son  autorité  tourne  au  préjudice  de 
l'Église,  alors  il  y  a  obligation  de   se  déclarer  hautement, 

I.  Pages  3-7  de  l'édition  originale. 

J.  RAcms.  V  ai 


4oa  RÉPONSE 

surtout  quand  on  est  en  place.  Le  ménagement  serait  piis, 
selon  la  parole  d'un  saint  pape ,  pour  une  espèce  d'approba- 
tion. Nous  devons  aimer  Jësus-Christ  et  l'Église  plus  que  rami 
le  plus  t^idre. 

On  peut  voir  l'application  de  ces  principes  dans  la  con- 
duite de  saint  Basile,  de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  de 
saint  Augustin  à  l'égard  d'Eustathe,  de  Maxime,  de  Pelage. 
Je  ne  cite  point  ces  exemples  pour  £ûre  des  ocxnparaisoDs 
odieuses,  mais  pour  autoriser  la  règle.  Ne  craignez  pas.  Mon- 
seigneur, que  je  vous  confonde  avec  deà  hérétiques,  après 
les  protestations  que  vous  avez  faites  de  vous  soumettre  au  saint- 
siège.  Si  je  me  suis  écarté,  à  votre  égard,  des  règles  que  je 
viens  d'établir,  j'ai  tort,  vous  avez  eu  raison  de  vous  plaindre. 
Sije  les  ai  observées  exactement,  vos  plaintes  ne  sont  pas  justes  ^ 

....  Répandez  donc  encore,  si  bon  vous  semble,  que  j'ai 
approuvé  votre  ouvrage  :  c'est  là  le  fort  de  vos  plaintes 
contre  moi.  De  ce  que  je  vous  ai  donné  quelques  observadons, 
après  la  simple  lecture  d'un  livre  que  les  plus  habiles  recon- 
noisscnt  ne  pouvoir  être  entendu  qu'à  la  troisième  ou  qua- 
trième fois,  vbus  concluez  que  je  suis  responsable  de  tout  le 
reste.  Vous  établissez  là  une  étrange  maxime.  Voudriez-vous 
qu'on  vous  imputât  d'avoir  approuvé  dans  les  écrits  de 
Mme  Guyon,  que  vous  avez  lus  et  relus,  toutes  les  erreurs 
que  vous  n'y  avez  ni  aperçues  ni  relevées?  Voudriez-vousmême 
que  sur  les  écrits  que  vous  avez  faits  pour  la  défendre  y  on 
vous  rendit  garant  de  toutes  ses  visions  ?  Il  y  en  auroit  pour- 
tant un  peu  plus  de  sujet  que  de  me  rendre  garant  de  votre 
livre.  Les  écrits  de  la  dame  sont  tout  autrement  clairs  que 
les  vôtres;  ils  avoient  été  condamnés;  elle  étoit  violemment 
suspecte  de  fanatisme.  Et  si  vous  prétendez  que  votre  amitié 
pour  un  tel  auteur  peut  excuser  le  jugement  trop  favorable 
que  vous  en  avez  porté,  mon  amitié  pour  vous  méritoit,  ce 
me  semble,  que  vous  vous  échauffassiez  un  peu  moins  ooatrt 
moi,  sur  ce  que  je  ne  vous  ai  pas  jugé  d'abord  avec  assez  de 
rigueur.  C'étoit  à  vous  plus  qu'à  personne  à  couvrir  cette 
faute,  si  c'en  étoit  une  :  Ipse  non  grai>açi  vos^  donate  mihi  hanc 
injuriam^. 

I.  Pages  8  et  9.  —  a.  Pages  i8-ao. 


DE  L'ARCHEVÊQUE  DE  PARIS.  4o3 

....  Les  Pëlagîens  avoient  cela  de  commun  avec  les  faux 
mystiques,  qu'ils  tempëroient  de  telle  sorte  presque  toutes 
leurs  expressions,  qu'ils  pouyoient  les  accommoder,  selon  les 
occurrences,  au  sens  catholique  et  a  leurs  erreurs.  Ita  sèment 
tiam  tempenuii^  disoit  saint  Augustin  à  Julien,  ut  et  vestra  et 
nosi^  potset  voce  défende^.  Ils  ne  fiiisoient  nulle  difficulté, 
par  exemple,  d'employer  le  mot  de  grâce,  et  d  en  reconnot- 
tre  la  nécessité.  Mais  il  se  trouvoit  à  la  fin  que ,  renversant 
le  langage  ordinaire  et  les  idées  communes,  ils  n'entendoient 
fnr  le  mot  de  grâce  qu'une  bonne  inclination  naturelle,  ou 
la  loi  écrite.  Les  fidèles  les  plus  éclairés,  comme  les  plus 
simples,  ne  pouvoient  manquer  d'être  d'abord  trompés  par 
ca  artifices.  On  ne  suppose  pas  du  premier  coup  qu'un 
Komine  nous  parle  en  chifire;  et  plus  on  est  droit  et  sin- 
cère, plus  on  est  porté  à  interpréter  favorablement  le  langage 
andâgu  des  personnes  qu'on  estime,  et  qui  nous  assurent 
qu'elles  pensent  conune  nous.  Saint  Augustin,  avec  toute  sa 
lumière  et  son  zèle,  avoue  qu'il  Ait  surpris  par  les  détours  et 
k$  équivoques  de  Pelage*. 

....  En  vérité.  Monseigneur,  plus  je  rappelle  les  idées  de  mon 
procédé  à  votre  égard,  plus  je  suis  étonné  de  vos  plaintes. 
Peut-on  agir  avec  plus  de  cordialité  ?  Je  parle  avec  confiance, 
jtarce  que  j'ai  cent  témoins  irréprochables  de  ma  conduite. 
Ma  bonté  n'étoit  pas  néanmoins  si  molle  que  vous  l'avez 
^oQJu  faire  entendre ,  et  qu'on  me  l'a  reproché  dans  le  temps 
que  vous  m'en  faisiez  des  remerciements.  Je  vous  ai  aimé; 
mais  je  ne  vous  ai  pas  flatté.  Quelque  porté  que  je  fusse  à 
TOUS  justifier,  je  ne  vous  ai  rien  dissimulé  de  ce  qui  pouvoit 
vous  faire  condamner.  Il  est  vrai  que  je  ne  vous  ai  pas  parlé 
avec  empire,  ni  de»ré  qu'on  usât  de  voies  dures  pour  arrê- 
ter vos  desseins.  Mais  un  homme  de  votre  pénétration  avoit- 
il  besoin  de  paroles  si  fortes  pour  m'entendre?  Un  homme 
de  votre  caractère  doit-il  être  réprimé  par  l'autorité ,  avant 
<pi'oQ  ait  mis  tout  en  œuvre  pour  le  ramener  par  la  raison  ? 
Souvenez-vous,  je  vous  suppÛe,  de  la  manière  dont  je  vous 
parlai  dès  la  première  lecture  que  vous  nous  fîtes  de  votre 

I.  Lib.  IV,  eomtra  Jui.  3  [n.  99,  tome  X,  p.  600].  {Noté  dt  tautwr,) 
a.  Pages  aa  et  i3. 


4o4  REPONSE 

manuscrit,  à  M.  de  Beaufort*  et  à  moi.  Nous  vous  dîmes  que 
vous  entrepreniez  là  une  chose  bien  hardie.  Vous  savez  que 
la  politesse  fait  adoucir  les  expressions ,  quand  on  est  obligé 
de  condamner  un  ami;  mais  si  cet  ami  est  homme  d'esfirit, 
on  suppose  qu'il  suppléera  par  ses  réflexions  tout  ce  que 
l'honnêteté  a  fait  supprimer  en  lui  parlant.  Cest  ainsi  qu'on 
ménage  tout  à  la  fois  et  la  vérité ,  et  la  délicatesse  des  hom- 
mes qui  ont  peine  à  la  souffrir*. 

....  Bien  des  gens  jugèrent ,  en  suivant  votre  livre  pied  à 
pied,  que  c'étoit  une  apologie  adroite  de  votre  amie.  De  là  sont 
venues,  à  ce  qu'on  croit,  les  obscurités  et  les  contradictions 
de  l'ouvrage.  Vous  vouliez  soutenir  une  doctrine  censurée, 
sans  combattre  ouvertement  la  censure.  L'entreprise  étoh 
embarrassante.  Il  falloit  dire  le  oui  ou  le  non  sans  qu'on  s'en 
aperçût  ;  mais  on  s'en  est  aperçu.  Pour  vous  justifier,  vous 
dites  que  si  un  auteur  avoit  fait  de  telles  contradictions,  il 
auroit  été  non-seulement  dissimulé^  mais  extravagant.  Qu'est- 
ce  que  cela  conclut,  Monseigneur,  contre  ceux  qui  montrent 
ces  contradictions  en  propres  termes.'  Le  vrai  dénouement, 
disent  les  gens  éclairés,  c'est  que  l'auteur  a  voulu  ju$ti6er 
des  écrits  censurés,  et  n'a  osé  s'éloigner  en  tout  du  langage 
des  censures*. 

....  La  grande  ressource  de  votre  cause,  dit-on,  a  t\s 
d'introduire  le  jansénisme  sur  la  scène.  Il  y  a  longtemps  que 
Mme  Guyon  et  ses  fauteurs  ont  fait  jouer  ce  ressort  pour 
amuser  le  peuple,  et  pour  la  faire  échapper  à  la  censure. 
Mais  pourquoi  imputer  aux  jansénistes  un  zèle  dont  les  plas 
déclarés  contre. le  jansénisme  sont  visiblemment  aussi  échauf- 
fes que  personne  ?  Qui  l' auroit  cru ,  il  y  a  dix  ans,  disoit  un 
homme  d'esprit,  que  l'abbé  des  Marais*  passeroit  |ioiir  jans*^ 
niste,  et  qiie  l'abbé  de  Fénelon  deviendroit  moliniste?  On 
augure  toujours  mal  d'une  cause  qu'on  défend  par  de  man- 

I.  Joseph  de  Beaafort,  grand  Ticaire  de  M.  de  Noailles.  D  aviit 
pris  part  à  Texamen  da  lirre  des  Maximes  de*  saints.  Voyn  <• 
tome  VII  de  la  Correspondance  de  Fénelon  ^  les  Uttns  cxxxtoi  rt 
eue,  p.  3o4  et  35o. 

a.  Pages  i5-a7.  —  3.  Pages  3i  et  3a. 

4.  C'est  aujourd'hui  Monsieur  l'évéque  de  Chartres.  {Hott  i< 
l'auteur^ 


DE  L*ARCH£VËQIJE  DE  PARIS.  4oS 

vais  moyen».   La  vërité  ne  veut  être  soutenue  que  |>ar  les 
armes  de  la  vërité. 

Qui  est-ce  qui  ne  connoît,  Monseigneur,  ceux  qui  se  sont 
le  plus  déclarés  contre  Mme  Guyon  et  son  parti?  Feu  Mon- 
sieur l'évêque  de  Genève ,  Monsieur  l'évèque  de  Chartres ,  le 
père  général  des  Chartreux \  le  P.  Paulin,  ex-provincial  de  son 
ordre,  feu  Monsieur  de  Paris,  mon  prédécesseur.  Quels  jansé- 
nistes !  Avant  ce  malheureux  temps  de  division,  auriez-vous  cru 
qu'on  pût  soupçonner  seulement  Monsieur  de  Meaux  de  favo- 
riser Jansénius?  Il  auroit  bien  oublié  les  leçons  de  M.  Cornet, 
qui  l'a  élevé.  Pour  moi,  vous  n  ignorez  pas  combien  on  me 
reproche  d'avoir  trop  retenu  les  instructions  du  P.  Amelote. 
Si  vous  aviez  lu  un  livre'  qui  paroît  depuis  quelques  mois 
contre  l'ordonnance  que  je  fis  pour  censurer  le  livre  de  VEx^ 
position  de  la  foi  sur  la  prédestination  et  sur  La  grâce^^  vous 
verriez  comme  je  suis  janséniste.  Il  est  pourtant  vrai  que, 
condanmant  les  sentiments  outrés  de  ce  livre ,  je  me  déclarai 
sans  biaiser  pour  la  doctrine  de  saint  Augustin ,  tant  de  fois 
adoptée  par  le  saint-siége.  Je  connus  fort  bien.  Monseigneur, 
que  ma  conduite  ne  plairoit  pas  à  tout  le  monde;  mais  un 
chrétien,  un  évêque  ne  doit  consulter  que  la  vérité  et  sa 
conscience.  Notre  devoir  est  d'éprouver  tout,  d'approuver  ce 
qui  est  bon,  de  rejeter  ce  qui  est  mauvais.  Nous  devons  re- 
trancher, sans  acception  de  personnes ,  tout  excès  en  matière 
de  foi,  de  morale,  de  discipHne.  J'espère  que  Dieu  me  fera  la 
miséricorde  de  m'inspirer  le  discernement,  l'amour  et  la  pra- 
tique de  ces  règles.  Vous  êtes  aussi  capable  que  nul  autre  de 
les  goûter  et  de  les  pratiquer.  On  prétend  cependant  que  ces 
jansénistes,  contre  lesquels  votre  parti  crie  tant  ici,  vous  ne 

I.  Q  a  écrit  la  vie  de  feu  M.  d^Aranthon,  évêque  de  Genève. 
Voyez  liv.  III,  ch.  rv.  (IVote  de  Fautettr.) 

3.  Ce  livre  doit  être  le  Problème  ecclésiastique^  proposé  à  M,  Boi^ 
leau  Je  Cjirchevéehé...,  1698  (in-ia).  Il  passe  pour  être  d'un  bénë- 
dictin,  dom  Thierry  de  Viaixnes. 

3.  L'ordonnance  de  M.  de  Noailles  est  du  so  août  1696.  L'ou- 
vrage qu'elle  censurait  était  de  Martin  de  fiarcos,  abbé  de  Saint- 
Cyran,  et  avait  pour  titre  :  Exposition  de  la  foi  de  C Église  romaine^ 
touchant  la  grâce  et  la  prédestination^  à  Mons,  chez  Gaspard  Migeot, 
i(>96. 


4o6  RÉPONSE 

les  trouvez  pas  ailleurs  tout  à  fait  si  noirs  :  quod  vohtnms 
sanctum  esi^, 

....  Vous  me  faites  néanmoins  une  étrange  objection.  Mon- 
seigneur. «  Si  j'ai  cru  que  vous  êtes  quiëtiste,  dites-vous,  et 
que  vous  ayez  voulu  enseigner  le  désespoir  sous  le  nom  do 
sacrifice  de  l'intérêt  propre ,  il  falloit  dire  ouvertement  que 
vous  avez  blasphémé,  et  que  vous  avez  déguisé  vos  bla^hè- 
mes.  »  Si,  au  contraire,  j'ai  cru  a  que  vous  avez  entendu  de 
bonne  foi  par  intérêt  propre  non  le  salut,  mais  une  afiectioD 
imparfaite  sur  le  salut'  ;  si  je  pense  que  votre  doctrine  soit 
saine,  quoiqu'il   me  paroisse  qu'il    vous   soit    échappé  des 
termes  qui  l'expriment  mal,  j'aurois  dû  vous  engager,  avec 
ma  bonté  ordinaire,  à  vous  expliquer,  et  favoriser  vos  ex- 
plications. 9  A  cela  vous  savez  mieux  que  personne  comlneo 
il  m'est   aisé  de  répondre.  J'ai  cru.  Monseigneur,   comme 
toutes  les  personnes  habiles  le  croient,  que  vous  enseigniez 
le  sacrifice  absolu  du  salut,  et  non  d'une  affection  imparfaite 
pour  le  salut*.  J'ai  vu,  et  je  vous  le  démontrerai,  si  vous 
voulez  l'entendre,  que  je  ne  pouvois  vous  disculper  de  cette 
erreur,  dont  vous  pouviez  n'avoir  pas  compris  tout  le  venin, 
qu'en   supposant   que  vous  étiez  tombé  dans  une  absurdité 
dont  vous  ne  seriez  peut-être  pas  trop  aise  qu'on  vous  accu- 
sât pour  vous  justifier.  Vous  savez  que  cette  bonté,  qu'on  ma 
tant  reprochée ,  n'a  pu  tirer  de  vous  une  explication  suffi- 
sante, que  je  n'étois  que  trop  porté,  disoit-on,  à  favoriser.  Je 
ne  jugeai  point  à  propos  de  dire,  comme  vous  soutenez  .que 
je  le  devois  faire,  que  vous  aviez  blasphémé^  et  que  vous  vou- 
liez déguiser  vos  blasphèmes.  Je  n'ai  point  cru  vous  elevoir  pleu- 
rer encore  sitôt  comme  mort^.  Défiez-vous,  Monseigneur,  de 

I.  Pages  53-55. 

\.  Dans  la  Seconde  lettre  de  rarcherêqae  de  Cambrai,  p.  4  (^ 
Vidition  de  1698),  d'où  cette  citation  est  tirée,  on  lit  aniêi  :  «  une 
affection  imparfaite  ivr  le  salut.  »  Mais  ici  nous  trouverons  sept  ligs« 
plus  bas  :  «  une  affection  imparfaite  pour  le  salut,  n 

3.  Itfor.  des  saints,  art.  X.  (HFote  de  Pauteur,) 

4.  «  n  falloit  pleurer  sur  moi  comme  sur  un  homme  qui  n'a 
que  le  nom  de  rivant,  et  qui  est  mort.  Il  falloit  dire  ouTertencot 
que  j'ai  blasphémé,  et  que  j'ai  voulu  déguiser  mes  blasphèinet.  • 
(Seconde  lettre  de  rarchevéque  de  Cambrai,  p.  40 


DE  L'ARCHEVÊQUE  DE  PARIS.  407 

la  viyacit^  de  votre  imagination  :  elle  vous  emporte  quelque- 
fois au  delà  des  bornes.  Souvenez-vous  que  la  charitë  ne 
pense  point  le  mal;  qu'elle  soufire  tout;  qu'elle  espère  tout, 
tandis  qu'il  y  a  la  moindre  apparence  de  regagner  nos  frères. 
II  y  peut  avoir  d'abord  plus  d'éblouissement  que  de  mau- 
vaise foi  dans  les  erreurs  qu'on  soutient.  Je  n'ai  point  dû 
vous  traiter  comme  un  quiëtiste  incorrigible,  puisque  vous 
offifiez  au  chef  de  l'Église  de  vous  corriger.  Mais  en  vous 
épargnant,  par  la  bonne  opinion  que  j'avois  de  vous,  je  ne 
devois  pas  épargner  le  quiëtisme,  que  vous  pouviez  fort  bien 
favoriser  sans  y  penser^ 


I.  Pages  65-68. 


CRITIQUE 

DB   L*BpItBB   DioiGATOIBB 

DE    CHARLES   PERRAULT. 


NOTICE. 


Lorsque  l'Acadëmie  eut  achevé  son  Dictionnaire^  quVlle  publia  en 
i694f  elle  chargea  son  secrétaire  perpétuel,  Pabhé  Régnier  De«u- 
raîs,  de  composer  la  Préface  et  VÉpttre  dèdicaicire  an  Roi.  Cepeo- 
dant  Pabbé  Régnier  ayant  été  obligé  de  s'absenter,  qnelqafHUS 
de  ses  confrères  usurpèrent  la  tâche  que  la  Compagnie  lui  arait 
confiée.  Charpentier  fit  une  préface  et  une  épitre;  Charles  Per- 
rault, de  son  côté,  une  autre  épitre.  L'abbé  Régnier  dit  dim  ki 
Mémoires  que  l'Académie  préféra  à  l'épitre  qu'il  arait  préparée  celle 
dont  Charpentier  était  l'auteur.  Mais  le  projet  de  Charpentier,  tel 
que  nous  l'avons ,  diffère  entièrement  de  VÈpitre  dédieaioin  qac 
l'on  trouve  imprimée  à  la  tête  de  l'édition  de  1694;  il  est  dooc 
probable  que  l'Académie  demanda  à  Charpentier  une  nouveUe  ré- 
daction, qui  est  celle  que  nous  avons  aujourd'hui,  et  dans  b- 
quelle  plusieurs  phrases  du  projet  de  Charles  Pemult  ont  été  con- 
servées*. 

L'abbé  Régnier,  piqué  du  dégoât  qu'on  lui  avait  donné,  fit  sur 
le  projet  d'épitre  de  Charpentier  des  remarques  critiques,  que 
d'Alembert  avait  vues  écrites  de  sa  main ,   et  qu'il  a  publiées  à 

I.  Vojex  d'Alembert,  Élo^e  de  Régnier  Desmarais  ^  dans  VEistein  des 
membres  de  V Aatdémie  Jrançwe,  tome  III,  p.  ai3,  a  14  et  «84. 


NOTICE.  409 

la  ioite  de  l^éloge  de  cet  acadëmicien  * .  c  On  ajoute,  dit  d*Alem- 
bert*,  qa'aidé  de  Racine,  il  (J*ahbé  Régnier)  en  arait  fait  de  sem- 
blables sur  VÊpHre  de  Charles  Perrault.  »  Nous  ne  pensons  pas  que 
d'Alembert,  qui  ne  paraît  nullement  sûr  du  fait,  ait  connu,  au  su- 
jet de  ces  remarques,  pour  lesquelles  Racine  aurait  aide  le  secrétaire 
peipëtuel,  un  autre  témoignage  que  celui  de  l'abbë  d'Oliret.  Ce  té- 
moignage est,  il  faut  le  dire,  donné  en  des  termes  assez  Tagues.  A 
la  suite  de  ses  Remarques  de  grammaire  sur  Racine  (Paris,  X738), 
d'Oliyet  a  fait  imprimer  (p.  iai-i48)répitre  de  Perrault  et  la  cri- 
tique de  cette  épitre.  Lorsque  M.  Perrault  «  fut  content  de  son 
ouTrage,  dit-il',  il  en  fit  imprimer  quarante  copies,  pour  en  distri- 
buer à  tous  ses  confrères,  afin  que  chacun  en  son  particulier  se  don- 
nât la  peine  de  Pexaminer.  Une  de  ces  copies  est  heureusement  par- 
Tenue  jusqu'à  moi,  arec  des  remarques  manuscrites,  où  je  soupçonne 
Pabbé  Régnier,  et  Racine  lui-même,  d'avoir  eu  bonne  part.  »  D*où 
Tenait  à  d'Oliret  ce  soup^on^  en  ce  qui  concerne  Racine  ?  U  ne  le  dit 
pas.  Sur  la  copie  qu'il  a  eue  entre  les  mains  quelques-unes  des  re- 
marques étaient-elles  de  l'écriture  de  Racine?  Cette  écriture  n'est 
pas  difficile  à  reconnaître.  Pourquoi  donc  l'abbé  d'Oliret  n'est-il 
pas  plus  affirmatif,  s'il  a  eu  sous  les  yeux  la  plus  simple  et  la  plus 
irrécusable  de  toutes  les  preures  ?  Et  comment  ne  nous  a-t-il  pas  mis 
à  même  de  distinguer  les  notes  de  Régnier  de  celles  de  Racine, 
comme  il  a  dû  le  faire  lui-même  d'après  la  différence  des  deux  écri- 
tures, si  en  effet  il  y  en  avait  deux?  Mais  nous  ne  savons  s'il  est 
très- vraisemblable  que  sur  un  même  exemplaire  de  V  Épure  de  Per- 
rault, deux  académiciens  aient  mêlé  leurs  remarques,  lorsque  chaque 
membre  de  la  Compagnie  avait,  suivant  l'usage,  reçu  le  sien  pour  y 
consigner  séparément  ses  observations.  Les  notes  attribuées  par 
d'Olivet  à  l'abbé  Régnier  et  à  Racine  sont  quelquefois  piquantes; 
les  intentions  satiriques  y  abondent  ;  ce  serait  bien  loin  d'être  une 
raison  de  croire  que  Racine  n'y  a  pas  eu  de  part,  si  quelques  traits  de 
cette  ironie  ne  visaient  bien  haut  pour  laisser  reconnaître  une  main 
prudente,  par  exemple  dans  la  remarque  16  sur  l'expression  ven- 
geur des  rois.  Racine  n'aurait-il  pas  hésité  a  mesurer  avec  tant  de 
rigueur  et  tant  de  malice  le  droit  que  Louis  XIV  pouvait  avoir  à 
cette  épithète?  Dans  plusieurs  passages  de  cette  Critique  de  C  Épitre 

I.  Éloge  de  Régnier  Desmarais,  p.  a8i-aS4. 
a.  Ibidem,  p.  214.  —  3.  Page  lai. 


4io    CRITIQUE  DE  L'ÉPtTRE  DE  PERRAULT. 

on  peut  dire  que  la  gloîie  da  Roî,  telle  an  moins  qne  la  compre- 
nait la  flatterie  de  ce  siècle,  est  à  peu  près  aussi  chicanée  qoe  le 
style  de  Perrault.  H  est  permis  d'hésiter  arant  d*attrihner  à  Racine 
cette  hardiesse,  et  on  choix  si  extraordinaire  da  snjet  de  ses  épi- 
grammes,  n  n*a  pas  échappé  à  d'Alembert  ^  a  propos  de  la  re- 
marque 4«  qu'il  est  difficile  de  la  croire  de  notre  poète,  puisqu'il 
aurait  manqué  de  mémoire  en  critiquant  une  pensée  qu^il  avait  liû- 
même  exprimée  d'une  manière  analogue  dans  son  disoonrs  à  la  ré- 
ception de  l'abbé  Colbert,  et  qui  y  était  sujette  aux  mêmes  objec- 
tions. Plusieurs  des  reproches  faits  au  style  de  Petraolt  ont  été 
notés  par  d'Alembert,  et,  ce  nous  semble,  avec  raison,  comme  man- 
quant de  justesse  dans  leur  sévérité  :  Racine  avait  d'ordinaire  le 
goût  plus  sâr.  En  résumé,  il  y  a  bien  des  raisons  de  douter  qu'il  ait 
en  quelque  part  i^  cette  critique.  Lnneau  de  Boisjermain  (tome  VI, 
p.  436)  s'est  contenté  de  la  signaler  et  de  renvoyer  au  livre  de 
l'abbé  d'Olivet,  sans  la  reproduire  dans  son  édition;  Geoffit>y  l'a 
omise  également.  Peut^tre  ont-ils  bien  fait.  Mais  les  éditeurs  de  1B07 
l'ont  insérée  dans  leur  St^lémênt  aux  (Xuvms  ém  tUÊcine  (tome  VD, 
p.  43-58);  et  M.  Aimé-Bfartin  a  suivi  leur  exemple.  Pour  être  plus 
rigoureux  qu'ils  n'ont  été,  il  nous  eât  fallu  avoir  plus  qne  des 
doutes,  cet  écrit  étant  d'ailleurs  asses  court. 


ÉPÎTRE  AU  ROI 

voua  irax  vLàdm.  as  rta  no  nrorwiiftiaM  nx  Vàc/kaàmoL 
PAR  CHARLES  PERRAULT*. 

L«  Dietûmm*ire  de  VAemiimie/rantoiêe  parott  «fia*  sons  les  magipt»  de 
Yona  MAJKSTfi*,  «t  bous  avont  oté  mettre  à  la  tète  de  notre  oavnge  le  son 
aagatte'  da  plus  grand  des  rois.  Quelques  soins  que  nous  ayons  pris  d*7  n»- 

*  Noos  donnons  cette  Épttre  et  la  CriHque  d'après  le  texte  de  d*Oiivet  Bf^ 
tionné  dans  la  Notice,  Les  chtflres  de  renvoi  plaeés  dans  VÉfftre  cannpem* 
dent  aux  chiffres  des  remarques  dont  se  compose  la  Critàfme» 


ÉPlTRE  DE  PERRAULT.  411 

lenUcH  tous  let  teraiea  dont  l'éloqnaiee^  et  b  poén«  peaTent  fonaer  l'éloge 
des  phu  grtndt  héros,  nous  aTouons,  Sui,  qae  voas  noos  an  «Tei  €ut  sentir 
pies  d'nne  fois  et  le  défaut  et  la  foibleaae*.  Lorsque  notre  léle'  on  notre  deroir 
nous  ont  engagés  à  parler  du  seeret  impénétrable*  de  tos  desseins^  que  la  seule 
eiécDtioo  déeouTre  aux  yeux  des  hommes,  et  toujours  dans  les  moments  mar- 
qués par  Totre  sagesse,  les  mots  de  prévoyance  ^  de  prudeitce  et  de  gages*» 
même  ne  répondoient  pas  à  nos  idées*,  et  nous  aurions  osé  nous  serrir  de 
eehi  de  pnmdence  1*,  s'il  pourott  jamais  être  permis  de  donner  aux  hommes  oe 
qei  n'appartient  qu'à  Dieu  seul.  Ce  qui  nous  console*'.  Sus,  c'est  que  sur  un 
pareil  sujet  les  autres  langues  n'auroient  aucun  aTantage  sur  la  nAtre'^  :  celle 
des  Grées  et  celle  des  Romains  seroient  dans  la  même  indigence  ;  et  tout  ce 
que  nous  Toyons  de  brillant  et  de  sublime  dans  leurs  plus  bmeux  panégy- 
riques *'  n'anroit  ni  asses  de  force  ni  asses  d*écUt  pour  soutenir  le  simple  récit 
de  Tos  Tictoires.  Que  Ton  remonte  de  siècle  en  siède  jusqu'à  l'antiquité  la 
plus  reculée,  qu'y  trouvera-t-on  de  comparable  au  spectacle  qui  fait  aujour- 
d%ai  l'attention  de  TuniTers  :  toute  l'Europe  armée  contre  tous,  et  tonte 
TEurope  trop  foible? 

Qull  nous  soit  permis^  Sinx,  de  détourner  un  moment  les  yeux  d'une  gloire 
si  édatBnte*^,  et  d'oublier,  s'il  est  possible,  le  Tainqueur  des  nations*^,  le  tcu- 
genr  des  rois  **,  le  défenseur  des  sutds,  pour  ne  regarder  que  le  protecteur  de 
l'Aesdémie  firançoise.  Nous  sentons  combien  nous  honore  une  protection  si 
glorieuse '';  mais  qud  bonheur  pour  nous  de  trouTcr  en  même  temps  le  modèle 
le  plus  parfait  de  l'éloquence  ^1  Vous  êtes,  Sinx,  naturellement  et  sans  art,  ce 
qae  nous  tichons  de  derenir  par  le  traTail  et  par  l'étude'*;  il  règne  dans  tous 
Tos discours'*  une  souveraine  raison",  toujours  soutenue  d'expressions  fortes  et 
précises^  qui  tous  rendent  maître  de  toute  l'âme  de  ceux  qui  tous  écoutent, 
et  ne  leur  laissent  d'autre  volonté  que  h  T6tre*>.  L'éloquence  oà  nous  aspirons 
par  nos  veilles ,  et  qui  est  en  vous  un  don  du  ciel ,  que  ne  doit-eOe  point  à 
▼os  aetions  héroïques  ^  ?  Les  grâces  que  tous  verses  sans  cesse  sur  les  gens  de 
lettres  peuvent  bien  faire  fleurir  les  arta  et  les  sciences;  mais  ce  sont  les 
grands  événements  qui  font  les  poètes  et  les  orateurs  ^  :  les  merveilles  de  votre 
lègue  en  anroient  lait  naître  au  milieu  d'un  pays  barbare. 

Tandis  que  noua  nous  appliquons'*  à  l'embeQissentent  de  notre  langue,  vos 
armes  victorieuses  la  font  passer  dies  les  étrangers  :  nous  leur  en  facilitons 
l'intelligence  par  notre  travail,  et  vous  la  leur  rendez  nécessaire  par  tos  con- 
quêtes; et  si  elle  va  encore  plus  loin  que  nos  conquêtes,  si  elle  réduit  toutes 
les  langues  des  pays  où  elle  est  connue  à  ne  servir  prcsqne  plus  qu'au  eom^ 
mon  du  peuple,  une  si  haute  destinée  vient  moins  de  sa  beauté  naturelle  et 
des  ornements  que  nous  avons  tâché  d'y  ajouter*,  que  de  l'avantage  d'être  la 
langée  de  la  nation  qui  vods  a  pour  monarque,  et  (nous  ne  craignons  point 
de  le  dire)  que  vous  avec  rendue  la  nation  dominante.  Yons  répandez  sur 
nous"  un  édat  qui  aasiqettit  les  étrangers  à  nos  coutumes  dans  tout  ce  que 
lears  lois  peuvent  leur  avoir  laissé  de  libre  :  ils  se  font  honneur  de  parier 


4, a  CRITIQUE 

eomme  ee  peuple  à  qm  voiu  «Tes  apprit  à  snnnoater  tout  le»  obttades,  à  ne 
plu»  truoTer  de  plaees  imprenable»,  à  forcer  Ica  retranchemeBU  les  plot  io- 
acMsaiblea.  Quel  empressements*,  Sikb,  la  postérité  n^aura-t-eUe  point  à  re- 
chercher,  à  recoeittir  les  mémoires  de  votre  TÎe,  les  chanU  de  TÏctoire  qn'oa 
aura  mêlés  à  tos  triomphes?  Cest  ce  qni  noos  répond  du  soccès*  de  notre 
oaTmge;  et  s'il  arrire,  comme  nous  osons  Tespérer,  qu'il  ait  le  ponvcnr  de 
fixer  la  langue  pour  toujours,  ce  ne  sera  pas  tant  par  nos  soins,  que  parce 
que  ■•  les  livres  et  les  autres  monuments  qui  parleront  du  règne  de  Vorti 
Majbitk  feront  les  déliées  de  tous  les  peuples,  feront  l*ctnde  de  tous  lee 
rois,  et  seront  toujours  regardés  eomme  faits  dans  le  temps  de  la  pureté  dn 
langage  et  dans  le  beau  siècle  de  la  France.  Nous  sommes  S'.  avec  une  profonae 
Ténératiim,  etc. 


CRITIQUE  DE  L'ÉPÎTRE  DE  CHARLES  PERRAULT. 


I.  Le  Dictionnaire  de  t Académie  fhinçoise  parott  e/ifi/i. 
—  Ce  mot  :  enfin,  ne  peut  ici  être  dit  qu'en  deux  sens  :  ou 
comme  par  un  aveu  de  la  lenteur  de  l'Académie  à  travailler, 
ou  comme  par  une  espèce  de  vaine  complaisance  d'avoir  pu 
venir  à  bout  d'un  si  grand  ouvrage.  Or,  dans  Tun  comme 
dans  l'autre  sens,  il  est  mal,  parce  qu'il  n'est  ici  question  ni 
de  s'accuser,  ni  de  se  vanter. 

a.  Sous  les  auspices  de  Votre  Majf.sté.  —  On  dit  bien  : 
agir  sous  les  auspices ,  entreprendre^  achever  quelque  chose 
sous  1rs  aupices  d'un  grand  prince,  pour  marquer  que  c'est 
par  ses  ordres  que  tout  s'est  fait  ;  que  c'est  son  génie,  son 
bonheur  qui  ont  influé  sur  tout.  Mais  parott  sous  les  auspices 
ne  se  peut  dire,  à  mon  sens,  que  dans  une  occasion  :  ce  sc- 
roit  si  un  auteur,  n'ayant  pas  voulu,  par  modestie,  mettre  un 
ouvrage  au  jour,  venoit  à  y  être  excité,  et  comme  forcé  par 
les  instances  d'un  grand  prince;  car  alors  on  pourroit  dire, 
avec  fondement,  que  cet  ouvrage  parott  au  jour  sous  les  aus- 
pices du  prince.  Mais  ici  il  n'y  a  rien  de  semblable. 

3.  Et  nous  ai>ons  osé  mettre  à  la  tête  de  notre  ouvrage  le 
nom  auguste,  —  Cette  phrase  :  mettre  le  nom  tCun  prince  à  in 
tête  d^un  ouvrage^  pour  dire  :  «  lui  dédier  un  ouvrage,  »  nie 


DE  L'ÉPlTRE   DE   PERRAULT.  /,i3 

semble  impropre,  en  ce  qu'elle  ne  signifie  point  en  effet  ce 
qu'on  veut  lui  faire  signifier.  I^  mot  :  oser^  me  semble  aussi 
n'être  pas  à  propos  en  cet  endroit.  Car,  en  général,  bien  loin 
que  ce  soit  une  hardiesse  à  qui  que  ce  soit  de  dédier  un  li- 
vre à  un  grand  prince,  c'est  au  contraire  une  marque  de 
respect,  un  acte  d'hommage;  et  pour  l'Académie,  à  l'égard 
du  Roi  qui  en  est  le  protecteur,  c'est  un  devoir,  c'est  une 
obligation  indispensable. 

4.  Quelques  soins  que  nous  ayons  pris  d'y  rassembler  tous 
les  termes  dont  f  éloquence  et  la  poésie  peuvent  former  l'éloge 
des  plus  grands  héros,  —  De  la  façon  dont  ceci  est  énoncé,  on 
peut  croire  que  l'Académie,  en  faisant  son  Dictionnaire,  n'a 
eu  d'autre  chose  en  vue  que  de  recueillir  les  mots  dont  on 
|)eut  se  servir  dans  un  (mnégyrique,  dans  une  ode,  dans  un 
|KYême  épique,  ou  que  du  moins,  en  rassemblant  aussi  tous 
les  autres,  elle  ne  l'a  fait  que  par  manière  d'acquit;  mais  que 
pour  ceux  qui  peuvent  entrer  dans  l'éloge  d'un  grand  prince, 
elle  y  a  travaillé  avec  tout  un  autre  soin.  Car  c'est  là  ce  qui 
résulte  naturellement  de  la  phrase  dont  il  s'agit. 

Que  si  on  la  veut  prendre  dans  un  sens  plus  étendu,  et 
comme  faisant  une  figure  qui,  dans  l'expression  de  la  plus 
noble  partie,  comprend  le  tout,  il  y  aura  un  autre  inconvé* 
nient  :  c'est  que  tous  les  faiseurs  de  dictionnaires  seront 
aussi  bien  fondés  que  nous  à  dire  qu'ils  ont  pris  soin  de  ras- 
sembler tous  les  termes  dont  on  peut  former  Céloge  des  plus 
^ands  héros. 

Il  y  a  d'ailleurs  une  autre  observation  à  faire  là-dessus  : 
c'est  que  les  mots  de  Jurer ^  blasphémer,  voler ^  tuer,  assassin ^ 
traître^  crime^  poison^  inceste,  etc.,  ne  sont  pas  moins  dans 
le  Dictionnaire  de  P Académie,  que  ceux  de  régner,  vaincre^ 
iriompfier^  libéral^  magnanime^  conquérant^  valeur^  gloire^  sa-^ 
gesse^  etc.  ;  qu'ainsi  on  peut  dire,  avec  le  même  fondement, 
que  nous  avons  pris  soin  de  rassembler  tous  les  termes  dont 
on  peut  se  servir  pour  faire  les  invectives  les  plus  sanglantes 
et  pour  décrire  les  actions  les  plus  abominables. 

5.  Tous  les  termes  dont  l'éloquence,  —  Phrase  louche  par 
elle-même ,  et  qui  laisse  en  doute  d'abord  si  on  ne  veut  point 
dire  :  tous  les  termes,  ^éloquence  desquels, 

6.  Nous  avouons^  Sire,  que  vous  nous  en  avei  fait  sentir  plus 


4i4  CRITIQUE 

d'une  fois  et  le  défaut  et  la  faiblesse.  —  Ces  mots-là,  de  la 
manière  dont  ils  sont  rangés,  font  tout  un  autre  sens  que  ce- 
lui qu'on  a  voulu  leur  donner.  On  a  voulu  dire  que  le  Roi 
nous  faisoit  sentir  la  foiblesse  et  la  pauvreté  de  la  langue; 
et  cette  phrase,  tout  au  contraire,  signifie  qu'il  nous  a  fait 
sentir  le  défaut  et  la  foiblesse  des  héros. 

7.  Lorsque  notre  zèle.  —  Quand  on  a  avancé  une  proposi- 
tion, il  faut  que  la  preUve  qu'on  en  donne  ensuite  y  ait  un 
parfait  rapport.  Ainsi,  après  a^oir  dit  que  le  Roi  nous  a  fait 
sentir  plus  d'une  fois  la  foiblesse  de  la  langue,  il  faudroit, 
pour  le  bien  prouver,  faire  une  espèce  d'énumération  des  di- 
verses choses  en  quoi  il  nous  l'a  fait  sentir.  Mais  ici  on  ne 
parle  que  d'une  seule  ;  et  outre  qu'en  cela  on  manque  à  prou- 
ver suffisamment  ce  qu'on  avoit  avancé,  puisqu'une  proposi- 
tion générale  ne  sauroit  être  prouvée  par  un  fait  particulier, 
on  donne  de  plus  lieu  de  croire  que  ce  n'est  qu'à  l'égard  de 
ce  fait  particulier  qu'on  a  trouvé  la  langue  foible. 

8.  Parler  du  secret  impénétrable.  —  Parler  d'un  secret, 
c'est  le  révéler,  le  divulguer  :  de  sorte  qu'on  pourroit  dire 
que,  bien  loin  que  le  zèle  et  le  devoir  engagent  à  parler  du 
secret  impénétrable  des  desseins  d'un  prince,  ils  obligent  au 
contraire  à  n'en  dire  mot. 

9.  Ne  répondaient  pas  à  nos  idées»  —  Il  faudroit,  pour  la 
justesse  de  la  construction  :  om  mal  répondu ,  puisque  aupa- 
ravant il  y  a  :  nous  ont  engagés;  ou  bien,  ce  qui  seroît  en- 
core plus  régulier  :  Toutes  les  fois  que  notre  zèle  ou  notre 
devoir  nous  ont  engages...^  nous  avons  trouvé  que  les  mots.,., 
ne  répondaient  pas  à  nos  idées. 

10.  Providence.  —  Reconnoître  que  le  terme  de  Providence 
n'appartient  qu'à  Dieu  seul,  et  qu'il  ne  peut  jamais  être  per- 
mis de  donner  aux  hommes  ce  qui  n'appartient  qu'à  Dieu, 
mais  cependant  dire  en  même  temps  qu'on  le  donneroit  s'il 
étoit  permis  de  le  donner,  il  y  a  en  cela  une  contradiction 
d'idées,  et  cela  se  détruit  de  soi-même. 

D'ailleurs,  en  disant  :  Et  nous  aurions  osé ^  etc,^  sUl  pomvoit 
être  permis^  etc.^  on  marque  une  grande  disposition  à  faire  la 
chose  même  que  l'on  reconnoît  n'être  pas  permise.  Je  ne  sais 
si  je  me  trompe,  mais  cet  endroit,  à  ce  qu'il  me  semble, 
blesse  la  bienséance. 


DE  L'EPlTRE  DE  PERRAULT.  iiS 

11.  Ce  qui  nous  console.  —  Voilà  encore  un  endroit  où 
l'expression  fait  tort  au  sens  ;  car  si  TAcadëmie  est  vraiment 
touchée  de  ce  qui  regarde  la  gloire  du  Roi,  ce  ne  doit  pas 
être  un  sujet  de  consolation  peur  elle  de  ce  que  les  autres 
langues  ne  sont  pas  plus  capables  que  la  nôtre  de  donner 
une  juste  idée  des  actions  d'un  si  grand  prince.  On  ne  peut 
avoir  raison  de  s'exprimer  de  la  sorte  que  quand  on  veut 
laisser  voir  qu'on  n'agit  que  par  émulation.  Mais  hors  de  là, 
il  est  mal  de  dire  qu'on  se  console  de  ne  pouvoir  pas  bien 
faire,  parce  que  d'autres  ne  peuvent  pas  faire  mieux. 

13.  C^est  que  sur  un  pareil  sujet  les  autres  langues  nau- 
roient  aucun  avantage  sur  la  nôtre.  —  De  ces  deux  sur^  le 
premier  est  peut-être  impropre  ;  car  on  ne  dit  pas  avoir  avan^ 
toge  sur  quelque  un  sur  quelque  chose  ^  mais  en  quelque  chose. 
De  plus,  l'exactitude  et  la  pureté  du  style  ne  soufifrent  pas 
qu'on  mette  dans  un  petit  membre  de  période  deux  sur  qui 
dépendent  tous  deux  d'un  même  régime. 

i3.  De  brillant  et  de  sublime  dans  leurs  plus  fameux  pa^ 
négyriques,  —  A  prendre  le  mot  de  panégyrique  dans  un  sens 
étroit,  cela  n'iroit  pas  loin.  Ainsi  je  ne  doute  point  que  par 
les  plus  fameux  panégjTiques ,  on  n'ait  eu  en  vue  tout  ce 
que  les  anciens,  Grecs  et  Romains,  peuvent  avoir  fait  de  plus 
achevé,  en  matière  de  louanges,  dans  tous  leurs  ouvrages. 
Biais  en  même  temps  aussi  je  crois  que  c'est  une  exagération, 
et  trop  forte  en  elle-même,  et  vicieuse  outre  cela  quant  au 
sens  et  à  l'expression,  que  de  dire  que  ce  qu'il  y  a  de  plus 
brillant  et  de  plus  sublime  dans  l'éloquence,  ou  grecque  ou 
romaine,  ne  puisse  pas  avoir  assez  de  force  et  assez  tf  éclat 
pour  soutenir  le  simple  récit  des  victoires  du  Roi.  Le  brillant, 
le  sublime  et  l'éclat  ne  sont  point  faits  pour  soutenir^  et  un 
simple  récit  ne  doit  point  être  soutenu.  Gela  implique  contra- 
diction. 

14.  Qtiil  nous  soit  permis  j  Siae,  de  détourner  les  feux  dune 
gloire  si  éclatante,  —  Je  ne  blâme  jK)int  cette  phrase  ;  mais 
pourtant  les  yeux  et  une  gloire  peuvent  trouver  de  mauvais 
plaisants. 

1 5.  Le  vainqueur  des  nations,  —  Pour  pouvoir  dire  qu'un 
prince  est  le  vainqueur  des  nations^  il  ne  suffit  pas  qu'il  ait  été 
toujours  victorieux  dans  toutes  les  guerres  qu'il  a  ou  entre- 


4i6  CRITIQUE 

prises  ou  soutenues  contre  diverses  nations  :  il  faut  qu'il  ait 
subjugué  des  nations  entières.  Or  cela  ne  se  peut  pas  dire  du 
Roi,  quoique  ses  victoires  et  ses  conquêtes  soient  plus  gran- 
des et  plus  glorieuses  par  elles-mêmes  que  celles  des  princes 
qui  ont  subjugué  plusieurs  nations. 

i6.  Le  vengeur  des  rois.  —  Cette  épithète  ne  convient  pas 
non  plus.  11  faudroit,  pour  la  fonder,  que  le  Roi  eût  effective- 
ment rétabli  le  roi  d'Angleterre  sur  le  XrCme,  Tant  qu'il  ne  l'y  ré- 
tablit point,  il  est  son  protecteur,  son  appui,  mais  il  n  est  point 
son  vengeur ,  le  mot  de  vengeur  supposant  un  homme  qui  non- 
seulement  a  pris  quelqu'un  sous  sa  protection,  mais  qui  Fa  effec- 
tivement vengé  de  ses  ennemis  et  rétabli  en  son  premier  état. 

17.  Une  protection  si  glorieuse,  — -  La  construction  souffre 
ici  ;  car  il  ne  suffit  pas  que,  sous  le  terme  de  protecteur,  celui 
de  protection  soit  enfermé,  pour  dire  ensuite  absolument  :  une 
protection  si  glorieuse;  mais  il  faut  nécessairement  que  celui 
même  de  protection  ait  été  exprimé  :  ces  mots  :  une  si  gioneuse, 
étant  ici  de  même  nature  que  le  pronom  démonstratif  rf, 
qu'on  ne  peut  jamais  employer  sans  que  le  terme  auquel  il  se 
rapporte  ait  été  employé  peu  de  temps  auparavant,  ou  sans 
ajouter  ensuite  quelque  chose  qui  marque  précisément  de  quoi 
il  s'agit.  Ainsi,  après  avoir  parlé  de  la  protection  dont  le  Rot 
honore  l'Académie ,  on  peut  bien  dire  :  une  si  haute  protêt^ 
tion,  SiBK.  Que  si  on  ne  s'est  point  encore  servi  du  mot  de 
protection,  il  faudra  dire  :  une  si  haute  protection  que  celle  dont 
vous  nous  honorez* ,  ou  quelque  autre  chose  de  semblable  ;  car 
si  Ton  n'ajoute  rien  après  une  si  haute  protection,  dans  un  cas 
où  le  même  mot  n'a  pas  précédé ,  encore  une  fois  il  n'y  a 
point  de  construction. 

Si  glorieuse.  En  parlant  des  grandes  actions  du  Roi,  c'est 
fort  bien  dit  :  des  actions  si  glorieuses ,  parce  que  c'est  à  lai 
qu'elles  apportent  de  la  gloire  ;  mais  en  parlant  de  la  protec- 
tion que  le  Roi  nous  donne,  comme  ce  n'est  pas  à  lui,  mais  à 

*  La  phrase  proposée  par  Tabbé  Régnier....  n^est  point  fran- 
çaise; il  faat  dire  :  une  aussi  haute  protection  ^ue  celle  dont  pous  mw 
honorez.  {Note  de  d'Alembert.)  —  La  remarque  de  d^Alembeit  ^ 
juste.  U  est  a  noter  quUl  s'exprime  ici  comme  sUl  croyait  n*aroir 
aflaire  qu'à  Pabbé  Régnier. 


DE  L'ÉPlTRE  DE   PERRAULT.  417 

nous  qu'eOe  fait  honneur,  il  faut  le  marquer,  et  dire  :  uneprt»^ 
tectioti  qui  nous  est  si  glorieuse. 

Ce  qu'il  y  a  encore  de  plus  considérable  à  observer  sur 
cette  phrase  :  combien  nous  honore  une  protection  si  glorieuse^ 
c'est  qu'elle  roule  sur  des  termes  qui  ne  disent  à  peu  près 
que  la  même  chose,  et  qu'ainsi  elle  tombe  dans  le  vice  où 
tomberoit  celui  qui  diroit  :  c  Je  sens  combien  me  fait  de  plaisir 
une  chose  si  agréable,  »  ou  :  c  Je  sens  combien  m'est  utile 
une  chose  si  avantageuse  ;  »  car  l'honneur  et  la  gloire  ne  sont 
pas  plus  distincts  entre  eux  que  l'agrëment  et  le  plaisir,  que 
l'avantage  et  l'utilitë. 

18.  Quel  bonheur  pour  nous  de  trouver  en  même  temps  le 
modèle  le  plus  parfait  de  V éloquence!  —  De  la  façon  dont 
ceci  est  énoncé,  on  ne  donne  pas  assez  à  entendre  où  l'on  a 
trouvé  ce  modèle;  et  puisque  c'est  du  Roi  qu'on  veut  parler, 
il  me  semble  qu'il  auroit  fallu  dire  :  de  trouver  en  vouSy  ou 
quelque  chose  d'équivalent.  Mais  sans  m'arrèter  à  ce  qui  re- 
garde ici  l'expression,  je  passe  à  ce  qui  regarde  le  sens. 

Le  Roi  parle  sans  doute  très-purement;  il  s'exprime  avec 
une  grande  justesse ,  avec  une  grande  précision ,  et  il  a  l'es- 
prit si  excellent,  il  est  si  consonuné  dans  les  affaires  de  son 
État,  que  tout  ce  qu'il  pense  et  tout  ce  qu'il  dit  dans  ses  con- 
seils est  toujours  ce  qu'il  y  a  de  mieux  à  dire  et  à  penser. 
Tout  cela  fait  un  très-grand  prince,  un  très-grand  génie,  qu'on 
peut  proposer  aux  rois  pour  modèle  ;  mais  fait-il  un  orateur 
éloquent  sur  le  modèle  duquel  ceux  qui  aspirent  à  l'élo- 
quence doivent  et  puissent  se  former?  De  plus,  quand  le  bon 
sens ,  la  pureté  et  la  précision  qui  régnent  dans  tout  ce  que 
le  Roi  dit  dans  ses  conseils  feroient  cette  véritable  éloquence 
que  les  académiciens  doivent  chercher,  comment  la  pourroient- 
ils  imiter,  puisque  pour  cela  il  faudroit  être  admis  dans  ses 
conseils  et  pouvoir  l'entendre  parler  sur  les  affaires  de  son 
État  ?  Car  s'ils  n'ont  l'honneur  de  le  voir  et  de  l'entendre  que 
comme  la  foule  des  courtisans,  ils  pourront  bien  apprendre 
de  lui  à  se  posséder  toujours,  à  ne  dire  jamais  rien  de  dur, 
rien  d'inutile,  rien  que  de  précis  et  de  sage;  mais  tout  cela 
regarde  bien  plus  les  mœurs  que  l'éloquence.  Ainsi,  plus  j'ap- 
profondis la  louange  qu'on  a  voulu  donner  en  cela  au  Roi, 
moins  je  la  trouve  convenable. 

J.  RAcnn.  V  37 


4i8  CRITIQUE 

19.  Vous  éiesj  SiBE,  naturellement  et  sans  art^  re  que  nous 
tâchons  de  devenir  par  V étude,  —  Pour  juger  à  cette  propo- 
sition renferme  un  sens  juste ,  il  faut  examiner  ce  que  le  R(n 
est  naturellement,  et  ce  que  les  académiciens  doivent  travail- 
ler à  devenir  par  Tëtude.  Le  Roi  est  naturellement,  c  est-à- 
dire  par  sa  naissance,  et  sans  y  avoir  rien  contribué  de  lui- 
même,  roi  de  France;  il  est  naturellement  très-bien  fait;  il 
est  naturellement  d'une  bonne  et  heureuse  complexion;  et  si 
Ton  veut  étendre  encore  davantage  le  sens  de  naturellement^ 
il  a  naturellement  de  Tesprit,  de  la  pénétration,  de  la  bonté, 
de  la  douceur,  de  la  fermeté,  de  la  grandeur  d'âme.  Voilà  à 
peu  près  ce  qu'on  peut  dire  que  le  Roi  est  naturellement,  et 
qu'il  a  sans  le  secours  de  l'art.  Mais  est-ce  là  ce  qu'un  acadé- 
micien doit  se  proposer  de  devenir  et  d'acquérir?  Il  me  semble 
que,  comme  académicien,  ce  qu'il  doit  se  proposer,  c'est  de 
devenir  im  excellent  grammairien,  un  excellent  critique  en 
matière  de  littérature,  un  excellent  historien,  un  excellent 
orateur,  un  excellent  poète,  enfin  un  excellent  homme  de  let- 
tres. Or  le  Roi  n'est  rien  de  tout  cela  naturellemant. 

ao.  //  règne  dans  tous  vos  discours,  ^  La  chose  est  vraie 
en  soi,  mais  elle  me  parott  mal  énoncée  ;  car  ces  mots  :  dam 
tous  vos  discours  y  ne  conviennent  nullement  au  Roi.  Il  faudrait 
dire  :  Il  règne  dans  tout  ce  que  vous  dites;  ou  bien  \Fousnt 
dites  rien  où  il  ne  règne. 

21.  Une  souveraine  raison,  —  Cette  souveraine  raison  doot 
il  est  ici  question ,  et  qui  fait  les  sages  princes  et  les  habiles 
poUtiques,  est-K:e  la  même  que  celle  qui  fait  les  orateurs  et  les 
poètes  ?  Nullement  :  c'en  est  une  d'une  espèce  toute  différente, 
et  qui  n'a  rien  de  commun  avec  l'éloquence,  si  ce  n'est  parce 
qu'il  n'y  a  point  de  véritable  éloquence  que  celle  qui  est  foo- 
dée  sur  la  raison. 

aa«  Qui  vous  rendent  mattre  de  toute  Vâme  de  ceux  qui  9oas 
écoutent  f  et  ne  leur  laissent  d autre  volonté  que  la  vôtre.  — 
Tout  cela  se  peut  fort  bien  dire  d'un  grand  prédicateur,  d'an 
grand  orateur,  d*un  éloquent  général  d'armée,  accoutumé  à 
haranguer  ses  soldats  et  à  leur  inspirer  ce  qu'il  veut,  wâi 
non  pas  d'un  roi  qui  donne  ses  ordres  à  ses  ministres,  et  qui 
leur  prescrit  ce  qu'ils  doivent  faire.  Voilà  quant  au  sens  de> 
paroles  ;  je  viens  maintenant  aux  paroles  mêmes. 


DE  L'ÉPlTRE  DE  PERRAULT.  419 

Cest  fort  bien  dit,  en  parlant  d'an  orateur  :  ceux  qui  técou^ 
teni.  Mais  en  parlant  d'un  roi  qui  agite,  qui  discute  avec  ses 
ministres  les  affaires  de  son  État,  il  faut  dire  :  ceux  qui  t enten- 
dent parler.  Et  dire  en  cette  occasion  :  ceux  qui  V  écoutent  y 
c'est  une  phrase  aussi  impropre  que  si  on  disoit  :  ses  auditeurs ^ 
pour  dire  :  ses  ministres, 

11  y  a,  ce  me  semble,  une  autre  faute  de  justesse  dans  ces 

paroles  :  qui  vous  rendent et  ne  leur  laissent;  car  ce  ne  sont 

pas  les  expressions  fortes  et  précises  qui  rendent  un  homme 
maure,  etc,^  c'est  la  souveraine  raison,  soutenue  de  ces  ex- 
pressions. Et  par  conséquent,  au  lieu  que  ces  mots  sont  mLs 
au  pluriel  et  se  rapportent  à  expressions^  ib  doivent  être  mis 
au  singulier  et  se  rapporter  à  souvereUne  raison. 

Je  crois  aussi  qu'en  cet  endroit,  expression  forte  n'est  pas 
bien  dit,  parce  que,  dans  la  bouche  du  maître,  des  expressions 
fortes  sont  des  expressions  dures,  et  qui  tiennent  de  l'empire 
et  de  la  menace. 

Quant  à  cette  autre  façon  de  parler  :  maitre  de  toute  l'dme^ 
il  me  semble  qu'elle  a  quelque  chose  de  poétique,  et  qu'elle  est 
ici  mal  appliquée  ;  car  s'agit-il  que  le  Roi,  pour  faire  entrer  ses 
ministres  dans  son  sentiment,  se  rende  mattre  de  leur  esprit 
par  la  force  de  ses  raisons  et  de  ses  paroles  ? 

23.  V éloquence  où  nous  aspirons  par  nos  veilles^  et  qui  est 
en  vous  un  don  du  ciel^  que  ne  doit-elle  point  à  vos  actions 
héroïques?  —  Si  on  s'étoit  contenté  de  dire  que  l'éloquence 
où  l'Académie  aspire  doit  beaucoup  aux  actions  héroïques  du 
Roi,  on  auroit  dit  une  chose  qu'on  pourroit  trouver  moyen  de 
soutenir.  Mais  de  dire  que  l'clocpience,  qui  est  en  lui  un  don 
du  ciel  y  doit  beaucoup  à  ses  actions  héroïques^  c'est  une  chose 
qui  ne  se  peut  pas  défendre;  car  c'est  dire  précisément  que 
le  don  du  ciel,  qui  est  en  lui,  doit  beaucoup  à  ses  actions. 

24.  Les  grâces  que  vous  versez  sans  cesse  sur  les  gens  de  let- 
très  peuvent  bien  faire  fleurir  les  arts  et  les  sciences;  mais  ce 
sont  les  grands  événements  qui  font  les  poètes  et  les  orateurs»  — 
Si  les  grâces  répandues  sur  les  gens  de  lettres  font  fleurir  les 
lettres,  il  s'ensuit  nécessairement  qu'elles  font  aussi  des  poètes 
«*t  des  orateurs;  car  les  lettres  ne  peuvent  pas  fleurir  sans 
1VkK|uence  et  la  |>o<^sie.  Ainsi  le  sens  du  second  membre  de 
cette  période  étant  déjà  enfermé  dans  le  premier,  il  n'y  a  pas 


4ao  CRITIQUE 

lieu  de  renoncer  ensuite  dans  le  second  membre  comme  par 
une  espèce  d'opposition,  et  d'en  former  un  axiome. 

Mais  quand  il  n'y  auroit  nulle  difBculté  en  cela,  je  ne  vois 
pas  sur  quoi  on  fonde  que  ce  sont  les  grands  événements  qui 
font  les  poètes  et  les  orateurs.  Tout  ce  qu'ils  font,  c'est  de 
leur  fournir  des  sujets  propres  à  les  exciter  et  à  les  soutenir. 
Alexandre  a  été  un  des  plus  grands  conquérants  du  monde,  et 
il  n'y  a  peut-être  jamais  eu  de  plus  grand  événement  dans  l'u- 
nivers que  le  renversement  de  l'empire  des  Perses,  suivi  de 
l'établissement  de  celui  des  Grecs  dans  une  partie  considérable 
de  l'Europe,  dans  l'Egypte,  et  dans  l'Asie  jusqu'au  Gange.  Ce- 
pendant les  grandes  choses  qu'il  a  faites  lui  ont-eUes  fait  mi- 
tre un  excellent  poète  grec?  Et  le  poète  Chénlus,  qui  les  a 
vues,  et  qu'il  combloit  même  de  bienfaits,  en  a-t-il  été  moins 
mauvais  poète?  Les  victoires  d'Annibal,  grandes  et  signalées 
en  Espagne  et  en  Italie ,  et  celles  mêmes  de  Jules  César,  ont- 
elles  fait  naître  des  poètes  et  des  orateurs  ?  En  a-t-on  vu  de 
bien  fameux  du  temps  de  Charleraagne,  si  célèbre  |)ar  ses  gran- 
des actions,  et  par  l'empire  romain  partagé  avec  les  Grecs  ?  b 
s'il  étoit  vrai  que  les  mei*veilles  du  règne  d'un  prince  en  dus- 
sent faire  naître  au  milieu  d'un  pays  beirbare^  pourquoi  les  pre- 
miers Ottomans  n'en  ont-ils  point  eu  dont  le  nom  ait  mérité  de 
parvenir  jusques  à  nous  ?  Je  sais  bien  que  l'éloquence  ne  doit 
pas  être  renfermée  dans  les  bornes  d'une  vérité  rigoureose; 
mais  il  ne  faut  pas  aussi,  dans  une  épître,  s'emporter  comme 
feroit  un  orateur  dans  la  tribune,  ou  comme  un  poète  dans  m 
ouvrage  pindarique. 

a5.  Tandis  que  nous  nous  appliquons,  —  Voici  une  période 
d'une  extrême  longueur,  et  qui  n'a  en  cela  nulle  proportion 
avec  les  autres,  qui  sont  presque  toutes  coupées. 

Il  me  semble,  au  reste ,  qu'il  y  a  quelque  chose  qui  blesse 
la  bienséance,  de  représenter  dans  un  même  tableau,  d'un  côté 
l'Académie  travaillant  à  la  composition  ou  à  la  révision  do 
Dictionnaire,  et  de  l'autre  le  Roi  à  la  tête  de  ses  armées. 

Mais  laissant  cela  à  part,  puisque  c'est  du  Dictio/tnairr 
qu'on  parle,  et  du  Dictionnaire  achevé,  il  ne  faut  pas  dire  en  le 
présentant  :  Tandis  que  nous  nous  appliquons, . .,  f^oj  armées  (ski 
victorieuses  Ut  font  passer;  mais  :  Tandis  que  nous  nous  sommes 
appliqués..,,  vos  armées  victorieuses  font  fait  ptuser^  etc. 


DE  L'ÉPlTRE  DE  PERRAULT.  /«af 

26.  Des  ornements  que  nous  avons  tâché  tty  ajouter.  —  Tra- 
vailler au  dictionnaire  d'une  langue,  est-ce  y  ajouter  des  orne^ 
ments?  Tous  ceux  qui  font  des  dictionnaires  ne  sont  que  des 
compilateurs  plus  ou  moins  exacts.  On  orne ,  on  embellit  une 
langue  par  des  ouvrages  en  prose  ou  en  vers,  écrits  avec  un 
grand  sens,  un  grand  goût,  une  grande  puretë,  une  grande 
exactitude,  un  grand  choix  de  pensées  et  d'expressions.  Mais 
on  ne  peut  pas  dire  que  ce  soit  y  ajouter  des  ornements^  que 
d'en  recueillir,  d'en  définir  les  mots,  et  d'en  fournir  des  exem- 
ples tirés  du  bon  usage. 

27.  f^ous  répandez  sur  nous,  —  Ce  nous^  si  on  en  juge  par 
tous  les  autres  qui  sont  dans  XÈpttre^  et  même  par  ceux  qui 
sont  dans  la  période  précédente,  doit  s'entendre  des  académi- 
ciens :  de  sorte  qu'à  prendre  droit  par  les  termes,  cela  signifie 
que  les  étrangers  sont  assujettis  aux  coutumes  de  l'Académie 
dans  tout  ce  que  leurs  lois  leur  ont  pu  laisser  de  libre.  Mais 
quand  on  ôteroit  l'équivoque  de  nous^  qui  est  très-facile  à 
ôter,  il  ne  seroit  peut-être  pas  aisé  de  réduire  cette  pensée  à 
un  sens  juste  et  raisonnable  ;  car  la  langue  d'un  pays  peut-elle 
raisonnablement  se  mettre  au  rang  des  choses  que  les  lois 
laissent  à  la  liberté  des  peuples  de  quitter  comme  il  leur  platt? 

a8.  Quel  empressement.  —  Tout  ceci,  quant  au  sens,  ne  me 
paroft  pas  assez  lié,  ni  avec  ce  qui  précède,  ni  avec  ce  qui  suit. 

ag.  Cest  ce  qui  nous  répond  du  succès,  —  Qu'est-ce  que  le 
succès  d'un  ouvrage?  Est-ce  simplement  de  durer  longtemps, 
et  de  passer  à  k  postérité  ?  Si  cela  est,  tous  les  mauvais  ou- 
vrages qui  sont  parvenus  jusqu'à  nous  depuis  deux  mille  ans, 
plus  ou  moins,  ont  eu  un  grand  succès.  Et  que  promet-on  au 
Dictionnaire,  quand  on  ne  lui  promet  autre  chose?  Mais  si, 
par  le  succès  d'un  ouvrage,  on  entend ,  comme  on  le  doit,  le 
jugement  avantageux  qu'en  fait  le  public  après  l'avoir  exa- 
miné, comment  peut-on  dire  que  l'empressement  que  la  pos- 
térité aura  à  recueillir  les  mémoires  de  la  vie  du  Roi,  est  ce 
qui  répond  du  succès  du  Dictionnaire? 

3o.  S^il  arrive,,.,  qu'il  ait  le  pouvoir  de  fixer  la  langue  pour 
toujours^  ce  ne  sera  pas  tant  par  nos  soins  ^  que  parce  que.  — 
Cest  dire  :  «  S'il  arrive  qu'il  ait  le  pouvoir  de  fixer  la  langue, 
ce  ne  sera  pas  lui  qui  la  fixera.  »  La  bonne  logique  auroit  voulu 
qu'on  eût  dit  :  «  S'il  arrive  que  la  langue  françoise,  telle  qu'elle 


/,2î    CRITIQUE  DE  L'ÉPÎTRE  DE  PERRAULT. 

est  aujourd'hui,  vienne  à  être  fixëe  pour  toujours,  ce  ne  sera 
pas  tant  par  nos  soins,  que  parce  que,  etc.  » 

3 1 .  Nous  sommes,  —  Lorsqu'un  particulier  ëcrit  à  un  autre 
particulier,  il  peut  finir  sa  lettre  partout  où  il  veut.  Il  peut 
couper  tout  d'un  coup ,  et  dire  :  Je  suis,  sans  que  cela  ait 
aucune  liaison  de  sens  avec  ce  qui  a  précédé.  Peut-être  mèine 
que  c*est  mieux  fait  d'en  user  de  la  sorte,  que  de  s'amuser 
à  prendre  un  tour  pour  finir  une  lettre  comme  en  cadence. 
Mais  il  n'en  est  pas  de  même,  à  mon  avis,  quand  une  Com- 
pagnie écrit  au  Roi.  Il  faut  que  tout  soit  plus  compassé,  plos 
mesuré,  plus  étudié,  et  que  du  moins  les  dernières  choses 
qu'on  a  dites  aient  quelque  rapport  de  sens  avec  la  protes- 
tation par  laquelle  on  finit  ;  car  une  fin  brusque  et  qui  n'est 
liée  à  rien  marque  de  la  négligence  ou  de  la  lassitude;  et 
l'un  et  l'autre  blessent  le  respect. 


TRADUCTIONS 


NOTICE. 


Il  convient  de  réunir  dans  une  même  notice  tout  ce  que 
nous  avons  à  dire  des  diverses  traductions  que  Racine  a 
écrites. 

Elles  avaient  toutes  été  déjà  publiées,  et  avaient  pris  place 
dans  ses  Œuvres;  mais  le  texte  n'en  avait  pas  ëtë  donné 
avec  assez  d'exactitude.  Les  éditeurs  s'étaient  plusieurs  fois 
trompés  dans  l'indication  des  auteurs  traduits,  et,  pour  quel- 
ques-uns de  ces  opuscules,  avaient  admis  trop  légèrement 
des  erreurs  accréditées  par  les  ftils  de  Racine  sur  l'époque 
probable  où  leur  père  y  avait  travaillé.  Il  était  cependant  de 
quelque  intérêt  d'y  regarder  de  plus  près. 

Le  Banquet  de  Platon^  les  Fragments  de  la  Poétique  dA» 
nstote  et  les  Extraits  de  Lucien  et  de  Derrys  d  Halicamasse 
sont  les  plus  importants  de  ces  écrits,  parce  qu'ils  doivent 
être  rapportés  à  un  temps  où  Racine  était  maître  de  son  style  ; 
les  autres  sont  des  études  de  jeunesse,  bien  que  Racine  s'en 
soit  occupé  un  peu  plus  tard  qu'on  ne  l'a  dit.  La  valeur  très- 
inégale  qu'ont  ces  écrits,  et  qui  s'explique  par  la  différence 
de  leur  date,  nous  a  engagé  à  en  former  comme  deux  divi- 
sions distinctes,  et  à  les  faire  imprimer  en  caractères  différents. 
Le  petit  texte  nous  a  paru  suffire  pour  la  seconde  division, 
que  nous  donnons  en  appendice,  à  la  fin  du  volume  ;  il  n'au- 
rait pas  suffi  pour  la  première,  qui  n'est  pas  seulement,  comme 
celle-là,  un  objet  de  curiosité  biographique.  Nous  parlerons 
d'abord  des  trois  écrits  qui  composent  cette  première  divi- 
sion, et  que  nous  avons  tout  à  l'heure  nommés. 

De  ces  trois  écrits,  le  seul  qui  puisse  donner  une  juste 
idée  du  talent  de  Racine  dans  la  traduction,  et,  disons-le 
même,   le  seul  qui,  à  parler  rigoureusement,   soit  une  tra- 


4a6  TRADUCTIONS. 

duction  véritable,  est  le  Banquet,  Racine  n'avait  pourtant  tra- 
duit que  par  complaisance,  et  comme  à  regret,  ce  dialogue 
de  Platon;  mais  il  n'était  pas  dans  ses  habitudes  de  s'acquitter 
avec  négligence,  même  d'une  tâche  dont  il  ne  se  chargent 
{)as  sans  quelque  répugnance  et  quelques  scrupules  ;  et  d'ail- 
leurs ,  quelque  impatience  que  lui  causât  l'entreprise  où  on 
l'engageait,  une  fois  aux  prises  avec  l'éloquence  de  liatoo, 
comment  ne  l'eût-elle  pas  bien  inspiré  ?  Il  fit  donc  un  travail 
digne  de  sa  plume  si  élégante  ;  mais  il  ne  le  livra  pas  à  l'im- 
pression ;  et  ce  fut  seulement  trente-trois  ans  après  sa  mort 
qu'une  indiscrétion  le  révéla  au  public.  En  173^,  un  volume 
in-ia  fut  imprimé  sous  ce  titre  :  Le  Banquet  de  Platon.  Tra- 
duit un  tiers  par  feu  M.  Racine^  de  t  Académie  française^  et  le 
reste  par  Madame  de  ***.  A  Paris^  chez  Pierre  Gamiouin  U- 
braire^  Quay  des  Jugustins ,  à  la  Belle  Image,  Au  commence- 
ment du  volume  est  une  Épttre  à  Monsieur  le  marquis  de 
Graçe^  signée  Bousquet  ;  il  y  est  dit  vers  la  fin  :  «  Tels  sont  les 
vœux....  que  je  me  crois  heureux  de  publier  à  la  tète  d'un 
manuscrit  qui  me  tomba,  il  y  a  plus  de  vingt  ans,  entre  les 
mains,  parmi  d'autres  écrits  d'une  dame  très-illustre,  dont  le 
nom ,  si  j'osois  le  déclarer,  n'omeroit  pas  peu  cet  ouvrage.  > 
On  sait  que  Bousquet^  l'éditeur  pseudonyme,  n'était  autre  que 
l'abbé  d'Olivet.  Après  ÏÉpitre  vient  un  court  Açertissemem , 
où  cet  éditeur  s'exprime  ainsi  :  c  Pour  mettre  les  lecteurs  au 
fait,  je  n'ai  qu'à  rapporter  une  lettre  de  M.  Racine  à  M.  Des- 
préaux. Cette  lettre  est  du  18  décembre;  mais  l'année  n'y  est 
pas  marquée.  Il  seroit  aussi  difficile  d'en  deviner  la  date  pré- 
cise, qu'inutile  de  la  savoir  au  juste.  »  D'Olivet  donne  ensuite 
le  texte  de  la  lettre ,  que  l'on  ti*ouvera  plus  loin ,  avant  celui 
du  Banquet^  p.  4^i-'4^^* 

Le  même  abbé  d'Olivet  avait  déjà  parlé  de  la  traduction 
du  Banquet  dans  son  Histoire  de  ^Académie  française  (voyez, 
dans  sa  Notice  sur  Jean  Racine^  sa  Béponse  à  M,  de  FaliR' 
cour)  :  «  J'ai  eu  la  curiosité ,  dit-il ,  de  parcourir  ce  qui  reste 
de  ses  papiers  {des  papiers  de  Racine)  dans  sa  famille.  Il  n'y  a 
rien  qui  puisse  être  publié.  Ce  sont  des  collections  d'Homère 
et  de  Sophocle ,  avec  de  petites  notes  à  son  usage.  C*e^  une 
traduction  du  Banquet  de  Platon;  mais  il  en  manque  la  moitié.  > 
Dans  une  petite  note  de  l'édition  de  1743,  il  ajouta  :  c  On  a 


NOTICE.  4«7 

imprime  à  Paris,  en  lySa,  un  petit  volume  intitule:  le  Banquet 
de  Platofty  traduit  un  tiers  par  feu  M.  Racine  et  le  reste  pa  ' 
Madame  de  ***,  Cette  dame  est  l'illustre  Marie-Madeleine- 
Gabri^lle  de  Rochechouart  de  Mortemart,  abbesse  de  Fonte- 
vrault,  morte  en  1704.  »  Les  éditeurs  de  1807  [Œuvres  de 
Racine^  avec  le  commentaire  de  la  Harpe)  ont  recueilli  dans 
les  papiers  de  Jean- Baptiste  Racine  des  renseignements  cu- 
rieux, qui  complètent  F  histoire  de  la  publication  de  173a,  et 
qui  nous  instruisent  de  ce  que  d'Olivet  n'a  pas  dit.  Voici 
comme  ils  parlent  (tome  V,  p.  369)  dans  leur  Avertissement  sur 
le  Banquet  de  Platon  :  «  Cette  traduction  n'était  pas  destinée 
à  voir  le  jour,  encore  moins  à  paraître  sous  le  nom  de  Ra- 
cine. Elle  s'était  trouvée  à  sa  mort  parmi  ses  papiers,  et  était 
restée  entre  les  mains  de  ses  enfants.  Jean-Baptiste  Racine 
nous  apprend  comment  elle  en  est  sortie.  Dans  ses  notes  ma- 
nuscrites sur  la  vie  de  son  père,  qui  ont  servi  à  Louis  pour 
rédiger  les  Mémoires  publiés  en  17471  il  déclare  qu'en  173a 
l'abbé  d'Olivet,  étant  un  jour  venu  le  trouver  chez  lui,  mit  la 
main  dans  ses  tiroirs ,  s'empara  du  manuscrit  du  Banquet  de 
Platon ,  et,  sans  son  aveu ,  le  porta  aussitôt  chez  un  libraire 
du  quai  des  Augustins  pour  le  faire  imprimer.  A  ce  manu- 
scrit était  jointe  la  lettre  à  Boileau »  Avant  l'année  173a, 

d'Olivet  connaissait  les  papiers  de  Racine,  et  y  avait  remarqué 
la  traduction  du  Banquet;  car  la  première  édition  de  son  Ris^ 
toire  de  t Académie^  où  il  en  parle,  est  de  1729.  Mais  cela  n'in- 
firme aucunement  le  témoignage  de  Jean-Baptiste  Racine,  et 
prouve  seulement  que  lorsque  d'Olivet  fouilla  dans  les  tiroirs, 
il  savait  déjà  (depuis  plus  de  vingt  ans,  dit-il  lui-même)  ce 
qu'il  y  trouverait,  et  avait,  après  réflexion,  changé  d'avis  sur 
le  peu  d'intérêt  qu'il  avait  trouvé  d'abord  à  publier  le  Banquet, 
Ce  qui  est  moins  facile  à  expliquer,  après  la  révélation  que 
les  éditeurs  de  1807  nous  ont  faite  des  notes  manuscrites  de 
Jean-Baptiste  Racine,  c'est  la  manière  dont  son  frère  parle  du 
Banquet  dans  ses  Mémoires,  Il  rapporte  la  traduction  que  Ra- 
cine en  fit  au  temps  de  son  enfance,  lorsqu'il  étudiait  à  Port- 
Royal  (voyez  notre  tome  I,  p.  211).  Puis,  faisant  probable- 
ment réflexion  que  le  style  de  ce  morceau  pourrait  sembler 
bien  étonnant  chez  un  écolier,  même  quand  cet  écolier  était 
Racine ,  il  ajoute  dans  une  note  (ibidem ,  note  3)  :  c  S'il  n'a 


4a8  TRADUCTIONS. 

pas  fait  cette  traduction  à  Port-Royal,  il  Ta  faite  à  Uiès  :  c'est 
un  ouvrage  de  sa  jeunesse.  Quoique  la  traduction  soit  boime, 
un  fragment  si  peu  considérable  ne  mëritoit  peut-être  pas 
d'être  imprimé;  il  le  fut  cependant  chez  Gandouin,  en  i']l%. 
On  a  mis  à  la  tête  une  lettre  sans  date  d'année,  qui  m'est  in- 
connue, et  ne  se  trouve  point  parmi  les  autres  lettres,  écrites 
à  Boileau,  qui  sont  entre  mes  mains.  »  Il  faut  en  e^ti^faaer 
de  reconnaître  l'authenticité  de  la  lettre ,  dès  qu'o^.  ut  faire 
passer  la  traduction  du  Banquet  pour  une  œuvre  de  la  pre- 
mière jeunesse  de  Racine,  c'est-à-dire  d'un  temps  où  ni  Boi- 
leau ni  Racine  n'allaient  à  la  cour,  où  ils  ne  se  connaissaient 
même  pas  encore;  il  faut  plus  :  il  faut  nier  que  le  travail  de 
Racine  ait  eu  rien  de  commun  avec  celui  de  Tabbesse  de  Fon- 
tevrault,  qui,  née  en  1645,  ne  traduisait  apparemment  point 
Platon  lorsque  Racine  était  à  Port-Royal  ou  en  Languedoc 
(de  i655  à  i663). 

L'erreur  que  Louis  Racine  a  commise  dans  ses  Mémnires 
est  trop  évidente  pour  donner  lieu  à  une  discussion  sérieuse. 
C'est  à  regret  que  nous  ajouterons  :  le  mot  d'erreur  convien- 
drait difficilement  ici.  Tous  les  papiers  de  son  père ,  et  aussi 
les  notes  de  Jean-Baptiste  Racine,  avaient  passé  sous  ses  yeux 
quand  il  écrivit  ses  Mémoires,  Ce  qui  est  probable,  c'est  que 
jugeant  l'abbé  d'Olivet  coupable  d'un  abus  de  confiance,  il  n'a 
pas  été  fâché  de  contester  tout  ce  qu'il  a  pu  dans  une  publi- 
cation faite  contre  les  intentions  de  la  famille.  La  traduction 
d'ailleurs  d'un  ouvrage  tel  que  le  Banquet  ne  lui  paraissait 
sans  doute  très-séante  ni  à  une  abbesse,  ni  à  un  converti, 
comme  l'était  Racine  à  l'époque  où  il  s  en  chargea.  Ne  vou- 
lant pas  cependant  aller  jusqu'à  nier  l'authenticité  de  cette 
traduction,  l'auteur  des  Mémoires  aura  pensé  que,  pour  se 
tirer  d'embarras,  il  fallait  en  faire  un  péché  de  jeunesse.  En 
cette  circonstance ,  comme  en  plusieurs  autres ,  par  une  exa- 
gération de  respect  filial,  il  a  manqué  de  sincérité,  et,  ce  qui 
est  moins  grave,  en  même  temps  d'adresse. 

M.  Aimé-Martin ,  dans  une  note  sm*  la  Lettre  où  Racine 
annonçait  à  Boileau  l'envoi  de  la  traduction  du  Banquet  (ton>e  V 
de  l'édition  de  1844  «  P*  97)1  dit  que,  selon  toutes  les  vraisem- 
blances. Racine  écrivit  cette  lettre  après  qu'il  eut  renoncé  au 
théâtre ,  et  avant  la  disgrâce  de  Mme  de  Montespan,  c'est-à- 


NOTICE.  429 

dire  de  1678  à  1686;  il  n'a  fait  qa'adopter  sur  ce  point  Topi* 
nion  de  M.  de  Saint-Surin,  éditeur  des  Œuvres  de  BoUeam, 
(i8ai),  opinion  qu'il  serait  difficile  de  contredire;  car  on  ne 
voit  pas  quel  autre  temps  assigner  au  travail  que  l'abbesse  de 
Fontevrault  obtint  de  la  complaisance  de  Racine. 

Voici  comment  M.  Cousin ,  dans  ses  Notes  sur  le  Banquet 
(tome  VI  de  la  traduction  des  Œuvres  de  Plaion^  p.  411 
et  4  <  a  )  1  parie  de  la  traduction  de  Racine  et  de  celle  de 
Mme  de  Rochechouart  :  «  J'ai  mis  à  profit  ce  morceau  échappé 
à  la  plume  savante  de  l'un  des  écrivains  les  plus  habiles  de 
la  langue  française.  Il  eût  été  ridicule  de  ne  pas  se  servir 
d'une  traduction  de  Racine,  et  cepeudant  même  à  Racine  je 
ne  pouvais  sacrifier  Platon.  De  là  les  emprunts  perpétuels  que 
j'ai  faits  à  ce  fragment,  et  les  changements  que  je  me  suis 
permis  d'y  introduire  pour  rétablir  le  sens  et  quelquefois  la 
couleur  de  l'original.  Quant  à  la  traduction  de  Mme  de  Ro- 
chechouart ,  le  style  en  est  toujours  bon ,  et  il  y  a  de  loin  en 
loin  des  tournures  et  des  expressions  heureuses  que  j'ai  re- 
cueillies. D'ailleurs  elle  est  d'une  inexactitude  qui  ne  permet- 
tait pas  de  songer  à  s'en  servir.  L'auteur  d'Esther^  dans  la 
partie  du  Banquet  qu'il  a  traduite,  affaiblit  l'expression  de 
l'amour  grec  et  substitue  au  langage  naïf  et  direct  de  l'original 
la  phraséologie  équivoque  de  la  galanterie  moderne.  Mme  de 
Rochechouart  dénature  bien  plus  le  texte,  et  le  discours 
d'Aristophane  n'est  plus  reconnaissable  dans  la  chaste  traduc- 
tion de  la  docte  abbesse.  £n  effet ,  l'épreuve  était  aussi  trop 
forte ,  et  on  ne  peut  la  blâmer  de  n'avoir  pas  osé  traduire  ce 
qu'une  femme  lira  même  difficilement.  On  voit,  au  reste, 
qu'elle  a  traduit  sur  le  latin  de  Ficin  et  ne  connaissait  pas  le 
moins  du  monde  l'original.  » 

En  un  point  nous  oserions  ne  pas  nous  soumettre  entiè- 
rement à  l'autorité  du  maître  que  nous  venons  de  citer.  Il 
nous  parait  bien  sévère  quand  il  reproche  à  quelques  parties 
de  l'œuvre  de  Racine  «  la  phraséologie  équivoque  de  la 
galanterie  moderne.  >  L'expression  de  Ftimour  grec  est  cer- 
tainement affaiblie  à  dessein  et  adroitement  voilée  par  notre 
poète,  comme  l'heureuse  différence  de  nos  mœurs  lui  a  paru 
l'exiger;  mais  nous  ne  voyons  pas  qu'il  y  ait  substitué  nulle 
])art  l'expression  de  la  galanterie  française.   On  aurait  tout 


43o  TRADUCTIONS. 

au  plus  à  remarquer,  dans  les  passages  où  la  difficulté  est 
ingénieusement  éludée,  une  inexactitude  historique,  bien  par- 
donnable, nulle  inexactitude  littéraire,  nulle  fade  altération  de 
la  couleur  du  style.  Quelques  faux  sens,  mais  peu  nombreux 
et  de  peu  d'importance,  pourraient  être  relevés;  on  noterait 
quelques  membres  de  phrase  supprimés ,  d'autres  ajoutés  pour 
éclaircir  la  pensée.  Nous  voulons  aujourd'hui  une  litléralité 
plus  scrupuleuse  :  qui  se  flatterait  néanmoins  de  conserver 
aussi  bien  à  la  langue  de  Platon  son  élégance  et  son  charme? 
C'est  là  un  genre  d'exactitude  qui  en  vaut  bien  un  autre. 

Le  texte  grec  sur  lequel  Racine  a  travaillé  est-il  celui  qu'a 
donné  Henri  Estienne  en  1578,  avec  la  traduction  latine  de 
Jean  de  Serres?  M.  Grille  nous  semble  l'insinuer  dans  le  pas- 
sage de  sa  Lettre  à  M.  le  marquis  de  la  Porte  sur  des  livres^ 
des  événements  et  des  hommes  de  V ancien  et  du  nouveau  régime^ 
Paris,  1847,  in-8®  :  c  Je  vous  montrerai  un  bel  exemplaire 
de  Platon,  mis  en  latin  par  Serranus  et  imprimé  par  Henri 
Estienne....  Il  y  a  trois  volumes,  reliés  en  huit  fascicules  in- 
folio. L'exemplaire  porte  les  armes  de  Mme  de  Rochechouart 
abbesse  de  Fontevrauk;  il  fut  pris  en  1792  par  un  moine  de 
cette  maison,  et  vendu  ensuite  à  un  libraire  de  qui  je  l'ai  der- 
nièrement acheté.  C'est  ce  livre  qui  servit  à  la  savante  abbesse 
à  traduire  le  Banquet  en  compagnie  de  Racine.  >  La  décou- 
verte bibliographique  de  M.  Grille  \yent  faire  regarder,  non 
comme  certain,  mais  comme  probable,  que  l'abbesse  de  Fon- 
tevrault  a  fait  sa  traduction  sur  son  exemplaire  d'Henri  Es- 
tienne, et  qu'elle  s'est  aidée  de  la  version  latine  de  Jean  de 
Serres  plutôt  que  de  celle  de  Ficin ,  à  laquelle  M.  Cousin 
avait  pensé.  Mais  Racine  n'a  pas  précisément  travaillé  en 
compagnie  de  Mme  de  Rochechouart;  et  elle  n'a  sans  doute 
pas  eu  besoin  de  lui  prêter  son  exemplaire,  lorsqu'elle  la 
prié  de  revoir  sa  traduction.  Les  Œuvres  de  Platon  ne  man- 
quaient pas  à  la  bibliothèque  de  notre  poète,  et  il  nous 
serait  impossible  de  dire  quel  texte  il  a  suivi.  Nous  avons 
cherché  si  quelques-unes  des  inexactitudes  de  la  traduction  de 
Racine  pouvaient  s'expliquer  par  des  |)articularités  du  texte 
de  1578  ou  du  latin  de  Jean  de  Serres;  et  notre  recherche 
ne  nous  a  fait  rien  trouver  de  décisif  sur  ce  point. 

Dans  la  Copie  exacte  de  tétai  des  livres  que  M,  Racine  a 


NOTICE.  4iï 

r0nis  à  la  Bibliothèque  du  Roi  (c'était  en  1756),  il  est  fait  men- 
tion, parmi  les  Manuscrits^  de  la  Traduction  d'une  partie  du 
Banquet  de  PUUon  et  de  quelques  morceaux  de  la  République. 
Si  ce  don  précieux  de  Louis  Racine  se  trouvait  encore  au- 
jourd'hui à  la  Bibliothèque,  où  il  avait  été  déposé,  l'écriture 
du  manuscrit  suffirait  sans  doute  pour  démontrer  l'anachro- 
nisme commis  ])ar  les  Mémoires  sur  la  vie  de  Jean  Racine. 
Mais  comme  des  preuves  d'autre  nature  surabondent,  le  ma- 
nuscrit nous  aurait  surtout  été  utile  pour  établir  le  texte  dans 
toute  sa  pureté  ;  il  nous  aurait  donné  d'ailleurs,  outre  le  Ban- 
quet^ des  fragments  de  la  République^  qui  nous  sont  inconnus, 
et  qui  devaient  avoir  été  traduits  à  une  époque  antérieure. 
Mais  il  s'est  égaré,  et  depuis  longtemps.  Au  coounencement 
de  ce  siècle,  la  disparition  en  était  constatée  par  Mouchet, 
premier  employé  aux  manuscrits  de  la  Bibliothèque.  Nous 
n'avions  donc  aucun  moyen  de  contrôler  l'exactitude  de  l'é- 
dition de  1732;  notre  texte  y  est  fidèlement  conforme,  ce 
qu'on  ne  peut  pas  toujours  dire  de  celui  qu'ont  donné  les 
précédentes  éditions  des  Œuvres  de  Racine, 

Luneau  de  Boisjermain  est  le  premier  qui  ait  joint  aux 
(ouvres  de  Racine  la  partie  du  Banquet  que  notre  auteur  a 
traduite.  £lle  est  aux  pages  4i3  et  suivantes  dé  son  tome  V. 
Dans  une  courte  préface,  qui  précède  le  Banquet^  l'éditeur 
s'exprime  ainsi  :  «  Nous  ne  dirons  rien  de  cette  traduction  ; 
c'est  un  ouvrage  de  la  jeunesse  de  Racine ,  auquel  il  travailla 
sans  goût  et  sans  plaisir.  »  Luneau  de  Boisjermain  avait  trop 
facilement  accepté  l'assertion  de  Louis  Racine  ;  et  la  manière 
dont  il  parle  d'un  travail  très-remarquable  par  le  style  [)rouve 
qu'il  ne  l'avait  pas  lu  avec  attention.  Nous  avons  vu  que  les 
éditeurs  de  1807  avaient  été  mieux  informés;  en  général  leur 
critique  était  plus  attentive  et  plus  sûre. 

Geoffiroy  (tome  VI,  p.  445  et  suivantes)  a  donné,  non-seu- 
lement cette  partie  du  Banquet  qui  a  été  traduite  par  Ra- 
cine, mais  celle  qui,  dans  l'édition  de  i73a,  appartient  à 
Mme  de  Rochechouart.  Cela  ne  lui  a  pas  encore  semblé  suf- 
fisant. L'abbé  d'OHvet  avait  jugé  à  [)ropos  de  supprimer,  dans 
la  traduction  de  la  docte  abbesse,  le  discours  d'Alcibiade, 
pour  se  conformer  à  l'avis  exprimé  dans  la  lettre  de  Racine 
à  Boileau.  Geoffroy  a  voulu  combler  cette  lacune ,  et  n'a  pas 


43a  TRADUCTIONS. 

craint  de  placer  à  côté  de  la  traduction  de  Racine  et  de 
Mme  de  Rochechouart  la  fin  du  dialogue  traduite  par  lui- 
même.  Il  avait  certainement  raison  de  ne  pas  jugei'  imaile  ce 
discours  d'Alcibiade,  quoi  qu'en  eût  dit  Racine,  à  qui  U  aurait 
dû  suffire  d'alléguer  ce  qu'il  a  pour  nous  de  scandaleux.  Tou- 
tefois on  n'a  aucun  besoin  de  trouver  le  dialogue  complet  dans 
les  Œuvres  iieRarine;  ni  la  traduction  de  Tabbessede  Fonte- 
vrault,  ni  celle  de  Geoffroy  n'y  sont  à  leur  place,  cellenû  sur- 
tout ,  puisque ,  pour  l'y  admettre ,  on  n'a  pas  même ,  conmie 
pour  la  première ,  ce  prétexte  que  le  souvenir  en  est  insépa- 
rable de  celui  de  l'ouvrage  de  Racine.  La  témérité  de  Geoffroy 
n'a  |)as  eu  le  succès  pour  excuse.  Dans  le  voisinage  redou- 
table qu'il  a  affronté,  son  Discours  djkihimie  ne  fait  pas 
une  bonne  figure.  «  Ce  morceau,  dit  M.  Cousin  dans  ses  Woies 
sur  le  Banquet  (p.  412)1  est  si  inexact  et  fait  si  légèrement 
qu*il  nous  a  été  impossible  de  l'employer.  > 

M.  Aimé-Martin  n'a  pas  fait  difficulté  de  donner  place  dans 
son  édition  à  la  traduction  de  Mme  de  Rochechouart  et  à  celle 
de  Geoffroy.  Nous  avons  pensé,  pour  nous,  que  le  lecteur  se 
contenterait  de  trouver  ici  celle  de  Racine. 

Après  le  Banquet  nous  avons  placé  les  Fragments  de  Us  Poé^ 
tique  dAristote.  Ils  ont  été  publiés  pour  la  première  fois  par 
Geoffiroy  dans  son  édition  des  Œuvres  de  Racine^  tome  YI, 
}).  549-563.  Ils  avaient  été  signalés  par  une  lettre  de  Loms 
Racine,  écrite  en  1756  à  l'abbé  Sallier,  bibliothécaire  du  Rd, 
que  Geoffiroy  a  insérée  dans  sa  Préface  (p.  546  et  54 7)*  cl 
qui  nous  a  été  conservée  au  tome  I,  folio  aSa,  des  manuscrits 
de  Racine. 

Louis  Racine,  dans  cette  lettre,  qui  est  datée  simplement  : 
c  Ce  samedi,  »  disait  :  «  Hier  ^u  soir,  je  retrouvai  un  livre 
qui  mci  ite  bien  d'accompagner  les  autres.  Cest  Pétri  F'ictorii 
Commentarii  in  librum  Aristotelis  de  Artepœtarum^  a* editio^ 
Fhrentim,  in  officina  Juntarum^  i573,  in-folio  (/»•  Racine  a 
écrit  par  erreur  1673) .  A  la  marge  de  ce  petit  in-folio  on  trouve 
plusieurs  passages  de  la  Poétique  d'Aristote  traduits  par  mon 
])ère.  Je  vous  prie  d'ajouter  ce  livre  à  l'état  que  je  vous  ai 
remis  ;  et  je  remettrai  le  tout  lorsque  vous  l'enverrez  cher- 
cher, ou  tout  à  l'heure,  ou  lundi  à  huit  heures  du  matin.  > 

1^  Bibliothèque  im|)ériale  possède  l'exemplaire  du  livre  de 


NOTICE.  4ri 

Petnis  Victorim  (Pierre  Vettori,  savant  philologue  florentin  du 
seizième  siècle)  sur  les  marges  duquel  Racine  a  essaye  de  ren- 
dre en  français  plusieurs  passages  de  la  Poétique,  Il  ne  se 
proposait  évidemment  pas  de  travailler  pour  le  public,  nuds 
seulement  de  s'expliquer  mieux  à  lui-même  la  pensée  d'Aris- 
tote,  comme  le  prouveraient  d'ailleurs  assez  les  paraphrases  et 
commentaires  çà  et  là  mêlés  à  la  traduction;  et  l'on  voit 
bien  que  son  travail  eût  été  tout  différent,  s'il  avait  pré- 
tendu faire  véritablement  œuvre  de  traducteur.  Nous  avons 
donc  pu  nous  demander  si  ces  fragments  de  la  Poétique  ne 
devaient  pas  tout  simplement  être  mis  au  nombre  des  anno- 
tations que  portent  à  la  marge  beaucoup  de  livres  ayant  ap- 
partenu à  Racine,  et  dont  le  lecteur  trouvera  dans  le  volume 
suivant  les  plus  intéressantes.  Mais,  toute  réflexion  faite, 
nous  avons  cru  qu'après  avoir  été  au-devant  de  toute  er- 
reur sur  le  véritable  caractère  de  ce  travail ,  U  n'y  avait  au- 
cun inconvénient  à  lui  dcmner  place  parmi  les  traductions  de 
notre  auteur,  ainsi  que  Geoffroy  et  Aimé-Martin  l'avaient  fait 
avant  nous,  et  même  parmi  celles  de  ces  traductions  qui  se 
recommandent  plus  particulièrement  à  l'attention.  En  effet , 
cette  interprétation  de  la  Poétique,  quoique  Racine  ne  la  des- 
tinât qu'à  son  propre  usage,  s'est  trouvée  par  de  très-solides 
qualités  digue  d'échapper  à  l'oubli.  Elle  n'est  certainement  pas 
une  étude  de  la  première  jeunesse  de  Racine  ;  elle  ne  paratt 
pas  non  plus  avoir  pu  l'occuper  après  qu'il  eut  renoncé  au 
théâtre,  mais,  suivant  toute  vraisemblance,  il  l'a  faite  dans  le 
temps  où  il  s'intéressait  le  plus  aux  règles  de  cet  art  tragique 
qu'il  pratiquait  si  glorieusement.  On  n'en  peut  guère  douter, 
lorsqu'on  fait  attention  aux  passages  auxquels  il  s'est  attaché 
de  préférence  dans  l'ouvrage  d'Aristote  :  son  choix  a  porté 
sur  ceux  qui  intéressent  le  poète  dramatique. 

Dans  le  texte  donné  par  Geoffroy,  reproduit  par  Aimé- 
Biartin,  nous  n'avons  eu  à  corriger,  d'après  les  notes  manu- 
scrites de  Racine,  que  de  très-légères  et  très-peu  nombreuses 
inexactitudes. 

Le  titre  de  traduction  pourrait  être  aussi  contesté  au  petit 
traité  qui  a  pour  titre  :  Comment  il  faut  écrire  f  histoire;  mab 
ce  serait  par  des  raisons  un  peu  différentes.  Racine  avait 
voulu  annoter  et  commenter  Aristote  plutôt  que  le   traduire 

J.  Rauiiib.  ▼  98 


434  TRADUCTIONS. 

dans  Tezacte  acception  du  mot.  li  ne  s'est  nnllement  pro- 
posé d'éclaircir  le  texte  de  Lucien  ni  càxà  de  Denys  d'Ha- 
iicamasse,  lorsqu'il  leur  a  emprunté  ce  qu'ils  avaient  dit  de 
plus  sage  sur  les  devoirs  de  l'historien  et  sur  les  règles  à 
suivre  dans  la  composition  historique.  Uniquement  préoccupé 
du  fond  des  choses,  il  n'a  cherché  qu'à  recueillir  d'utiles  le- 
çons :  aussi  a-t-il  abrégé  ses  auteurs,  et  un  peu  librem^it  traité 
leur  texte,  dont  il  a  reproduit  parfois  la  pensée  plutôt  que 
la  forme.  Louis  Racine  paraît  ne  s'être  pas  trompé  sur  k 
temps  où  son  père  s'est  occupé  de  ce  travail.  U  dit,  dans 
ses  Mémoires  (voyez  notre  tome  I,  p.  277),  que  ce  fut 
a  l'époque  où  il  se  prépara  à  sa  tâche  d'historiographe  : 
«  Mon  père,  pour  se  mettre  ses  devoirs  devant  les  yeux,  fit 
une  espèce  d'extrait  du  traité  de  Lucien  sur  la  manière  d'é- 
crire l'histoire.  Il  remarqua  dans  cet  excellent  traité  des 
traits  qui  avoient  rapport  à  la  circonstance  dans  laquelle  il  se 
trouvoit....  »  Si  ce  n'est  qu'une  conjecture,  elle  est  du  moins 
extrêmement  vraisemblable.  Non-seulement  le  dessein  que  Ra- 
cine pouvait  avoir,  en  s'attachant  plutôt  au  sens  qu'à  la  forme 
de  ces  anciens  préceptes,  est  manifeste  ;  il  faut  ajouter  que 
l'élégance  et  la  fermeté  du  style  excluent  tonte  suppositioD 
d'un  travail  de  première  jeunesse.  Un  écrivain  exercé  a  seul 
pu  resserrer  ainsi  Lucien  sans  lui  rien  faire  perdre.  Il  y  a  là 
beaucoup  plus  et  beaucoup  mieux  qu'une  simple  analyse.  Ce 
n'est  pas  tout  à  fait,  je  le  répète,  une  traduction,  au  moins 
une  traduction  fidèle  ;  Racine  toutefois  ne  s'est  pas  tenu  assez 
loin  des  autein<s  dont  il  voulait  avoir  sous  les  yeux  les  judi- 
cieuses remarques,  pour  que  nous  ayons  dû  songer  à  plaça* 
ailleurs  qu'ici  les  extraits  qu'il  en  a  faits. 

Louis  Racine  a  donné  en  1747  V Extrait  da  traité  de  Lacten 
aux  pages  i3-i8  du  volume  qu'il  publia  alors  comme  un 
appendice  à  ses  Mémoires,  Son  texte  est,  cette  fois  encore, 
inexact  de  parti  pris,  et  il  serait  difficile  de  se  rendre  raison 
des  retranchements  et  des  changements  qu'il  s'est  pennb. 
Nous  ne  saurions  non  plus  deviner  pourquoi  il  n'a  pas  joint  à 
ces  pages  celle  que  Racine  a,  sur  le  même  sujet,  tirée  de  De- 
nys d'Halicamasse.  Elle  y  est  cependant  mêlée  aujourdlim, 
parmi  les  papiers  de  son  père  qu'il  a  lui-même  donnés  à  h 
Bibfiothèque  du  Roi  ;  et  elle  ne  peut  lui  avoir 


NOTICE.  435 

M.  Âimë-Martin,  qui  a  eu  entre  les  mains  le  manuscrit  de 
notre  auteur,  Ta  suivi  plus  fidèlement  que  n'avait  fait  Louis 
Racine;  il  a  cependant  encore  altéré  quelques  passages.  Il 
n'a  pas  omis  le  morceau  emprunté  à  Denys  d'Halicarnasse  ;  il 
a  bien  reconnu  qu'il  était  distinct  de  V Extrait  de  Lucie/t^ 
et  l'a  donné  à  part  avant  cet  Extrait;  mais  il  est  clair  qu'Û 
n'a  pas  trouvé  (s'il  l'a  cherché)  de  quel  auteur  Racine  l'avait 
tiré,  et  il  l'a  intitulé  :  Sur  la  manière  décrire  Fhistoirey  par 
Racimb.  Voyez  son  édition  de  i844i  tome  Y,  p.  307. 

h*  Extrait  du  traité  de  LueiOi  est  au  tome  II  des  manuscrits 
de  Racine,  folios  a  1-29.  V Extrait  de  Dènys  d'Halicarnasse  y 
a  été  joint,  ou  plutôt  intercalé,  et  sépare  l'alinéa  qui  finit  par 
ces  mots  :  c  pourvu  qu'elles  conviennent  à  celui  qui  parle,  » 
de  celui  qui  commence  ainsi  :  «  Il  faut  être  court  et  circon- 
spect. »  A  la  rigueur  on  pourrait  croire  que  Racine,  qui  ne 
prétendait  pas  faire  une  traduction,  ne  s'est  pas  fait  scrupule 
d'insérer  parmi  les  emprunts  qu'il  a  faits  à  Lucien  quelques 
préceptes  analogues  tirés  d'un  autre  auteur.  Mais  il  ne  Teût  pas 
fait  à  une  place  où  cette  addition  aurait  coupé  les  idées  dans 
leur  suite  naturelle  ;  et  il  faut  remarquer  que  le  feuillet  dou- 
ble où  est  le  passage  de  Denys  d'Halicarnasse  est  distinct 
des  précédents,  et  que  deux  pages  blanches  suivent  la  der- 
nière phrase  de  ce  passage.  Les  pages  des  deux  Extraits 
ont,  il  est  vrai,  dans  l'ordre  où  elles  sont  disposées  aujour- 
d'hui, une  pagination  qui  se  suit,  de  i  à  17;  mais  ces  chif- 
fr'es  ne  doivent  pas  être  de  la  main  de  Racine.  Nous  avons 
donc,  comme  M.  Aimé-Martin,  séparé  l'Extrait  de  Lucien  et 
celui  de  Denys  d'Halicarnasse,  qui  ont  sans  doute  été  faits 
dans  le  même  dessein  et  dans  le  même  temps,  mais  qui,  em- 
pruntés à  des  sources  difierentes,  seraient  à  tort  confondus. 

On  comprend  difficilement  par  quelle  distraction  M.  Aimé- 
Bfartin  les  a  mêlés  parmi  les  traductions  qu'il  donne  conmae 
des  brouillons  d'écolier,  et  qu'il  a  réunis  sous  le  titre  général 
de  Fragments  de  traductions  par  Jean  Racine.  Un  Jpis  de 
téditeur  qu'il  a  placé  en  tête  de  ces  divers  morceaux'  les  dé- 
signe tous,  sans  faire  d'exceptions,  comme  les  premières  étu^- 

I.  Voyez  le  tome  V,  p.  soS  et  906,  des  OBupres  eomolètes  de 
/.  Racme^  édition  de  i844- 


4i6  TRADUCTIONS. 

des  dun  enfant  :  c  l'auteur  avait  alors  quatorze  ans,  peut- 
être  seize.  Il  était  à  Port-Royal.  >  £t,  dans  cet  Avis^  rien 
n'avertit  le  lecteur  que  V Extrait  du  traité  :  Comment  il  faut 
écrire  f  histoire^  doive  être  distingue  de  ce  que  1  éditeur  croyait 
être  des  exercices  de  collège.  Le  témoignage  de  Louis  Racine 
n'a  pu  cependant,  nous  l'avons  vu,  tromper  ici  M.  Aimé- 
Martin,  comme  il  l'a  fait  pour  d'autres  écrits;  ce  témoignage 
au  contraire  aurait  dû  le  garantir  d'une  si  singulière  erreur, 
et  Louis  Racine  Ta  donné  deux  fois ,  d'abord  dans  ses  ifê- 
moires^  puis  dans  une  petite  nMe  au  bas  de  la  première  page 
du  Ttaité  de  Lucien, 

Il  nous  reste  à  parler  des  traductions  qui  forment  notre  se- 
conde division,  et  qui  sont  réellement  les  seules  que  Louis 
Racine  ait  désignées  comme  des  exercices  scolaires.  Ces  tra- 
ductions sont  la  F'ie  de  Diogène  le  cynique^  l'opuscale  qui  a 
Dour  titre  :  €les  Esséniens;  la  Lettre  de  t Église  de  Smyme^  la 
Vie  de  saint  Polycarpe^  V  Extrait  dune  lettre  de  saint  Irénée  à 
Florin^  VEpttre  de  saint  Polycarpe  aux  Philippiens^  et  les 
ragments  intitulés  :  de  Saint  Denys^  tirchevéque  dt Alexandrie^ 
et  des  Saints  martyrs  d Alexandrie, 

Qu'on  nous  permette  de  donner  quelques  détaib  minutieux 
sur  l'état  où  sont  aujourd'hui,  en  ce  qui  regarde  ces  traduc- 
tions, les  manuscrits  de  Racine  que  possède  la  Bibliothèque 
impériale.  Sur  le  premier  feuillet  du  tome  II  on  lit  cette  indi- 
cation écrite  de  la  main  de  Louis  Racine  :  «  Brooilloos  et 
Extraits  faits  presque  à  la  sortie  du  collège,  i  avec  une  note 
de  son  frère  Jean -Baptiste  expliquant  clairement  que  le  col- 
lège dont  il  s'agit  est  celui  de  Beauvais*.  Aux  feuillets  sui- 
vants (a- 19)  on  trouve  la  Fie  de  Diogène.  Le  feuillet  20  porte 


I.  Voici  cette  note:  k  Jean  Racine  sortit  du  collège  de  Beto- 
vais,  dirigé  par  quelques  eocléslastiqaet  de  mérite  et  de  savoir, 
en  16 55,  le  i*'  octobre,  et  fut  mis  à  Port-Royal,  ou  il  ne  resta  qae 
trois  ans,  puisque,  au  mois  d'octobre  r658,  il  fnt  envoya  à  Parii 
pour  faire  sa  philosophie,  n'ayant  encore  que  quatorze  ans.  Oo  a 
peine  à  comprendre  comment  en  trois  ans  il  a  pu  faire  les  progrès 
qu'il  fit  i  Port-Royal.  Ses  facultés,  qui  ètoient  fort  médiocres,  ne 
lui  permettant  pas  d'acheter  les  belles  éditions  des  anleors  greo. 


NOTICE;  /,^7 

écrit  de  la  mam  de  Louis  Racine  :  «  Extrait  fait  par  Jean 
Racine  du  Ttaité  de  Lueien  sur  la  manière  décrire  fhis' 
toire,  >  Ce  traité  est  écrit  sur  les  feuillets  ai-ag.  Sur  le 
feuillet  3o  Louis  Racine  a  écrit  de  nouveau  :  «  Brouillons  et 
Extraits  faits  par  Jean  Racine, presque  à  la  sortie  du  collège;  » 
et  il  a  ajouté  :  «  On  y  trouve  une  traduction  de  la  Fie  de  Dio~ 
gène  te  cynique  par  Diogène  Laérce;  >  puis  les  titres  sui- 
vants :  La  Vie  de  saint  Denys^  archevêque  d Alexandrie*  — 
Des  Esséniens.  —  Lettre  de  VÉglise  de  Smyrne,  —  Fie  de 
Diogène  le  cynique.  A  la  suite  de  ce  feuillet  viennent,  dans 
Tordre  où  nous  les  avons  nous-même  rangées,  les  traductions 
qui  ont  pour  titre  :  des  Esséniens  (f.  3i-5a),  Lettre  de  tÉ^ 
glise  de  Smyme  (f.  53-6o),  Fie  de  saint  Polycarpe  (f.  6i  et  6a), 
Extrait  dune   lettre  de   saint  Irénée  (f.  6a  et  63),  Épttre 

il  les  Ufloit  dans  les  éditions  de  Baie ,  où  il  n^  a  pat  de  version 
latine. 

«  Son  fils  aYoît  hérité  de  Texemplaîre  de  Platon  et  de  Plntarqiie, 
dont  les  marges  étoient  chargées  d'apostilles  de  sa  main. 

«  Il  traduisit  le  Bani/uet  de  Platon^  imprimé  en  I73a. 

•  Il  fit  des  extraits,  tout  grecs,  de  quelques  traités  de  saint  Ba- 
sile, et  quelques  remarques  sur  Homère  et  Pindare.  t 

Ainsi  les  Brouillons  et  Extraits  que  Louis  Racine  a  voulu  désigner 
auraient  été  écrits  k  la  sortie  du  collège  de  Beanvais,  autrement  dit 
a  Port-Royal,  où  Ton  devrait  croire  également  que  Racine  a  an- 
noté les  œuvres  de  Platon  et  de  Plutarque,  fait  des  extraits  de 
saint  Basile,  des  remarques  sur  Homère  et  sur  Pindare,  et  même 
(cela  semble  du  moins  résulter  de  la  rédaction  de  la  note)  tra- 
duit le  Banquet  de  Platon.  Nous  remontons  là  à  la  source  de  plu- 
sieurs erreurs  qui  depuis  ont  été  reproduites.  Il  y  en  a  d'éviden- 
tes. Louis  Racine,  dans  la  première  édition  de  ses  Mémoires  (voyez 
notre  tome  I,  p.  309,  note  i),  a  dit,  d'après  son  firère,  que  Racine 
fut  envoyé  au  collège  d'Harcourt  «  n'ayant  encore  que  quatorze 
ans.  M  Dans  la  seconde  édition  il  a  corrigé  cette  faute  :  Racine  en 
i658  avait  dix-neuf  ans.  Faire  remonter  au  temps  de  Port-Royal  la 
traduction  du  Banquet^  n'est  pas,  nous  l'avons  déjà  dit,  une  moins 
incontestable  méprise.  Une  note  écrite  si  légèrement  ne  mérite 
donc  confiance  dans  aucune  de  ses  parties.  Il  se  peut  que  Racine 
n'ait  eu  à  Port-Royal  d'autres  éditions  des  auteurs  grecs  que  celles 
de  Bâle,  ainsi  que  Louis  Racine  l'a  répété  dans  ses  Mémoiresi  mais 
alors  ses  traductions  de  Philon  et  d'Rusèbe  sont  d'une  autre  époque, 
car  il  ne  les  a  pas  faites  sur  ces  éditions. 


438  TRADUCTIONS. 

de  saint  Pofycttrpe  (f.  63-67),  ^^  Saint  Denyt^  arekt9éq^ 
d Alexandrie^  et  des  SeUnts  mar^rs  d JUxandrie  (f.  69-77). 

Il  suit  incontestablement  de  là  que  Louis  Racine  regardait 
toutes  les  traductions  que  l'on  trouve  aujourd'hui  encore 
parmi  les  manuscrits  de  son  père,  oonmie  faites  peu  de  temps 
après  sa  sortie  du  collège  de  Beauvais,  c'est-À-dire  à  Port- 
Royal,  à  l'exception  du  Traité  de  Lucien^  qu évidemment 
on  n'a  pas  mis,  en  Tinsërant  entre  les  feuillets  19  et  3o, 
là  où  il  devait  être,  où  Louis  Racine  l'aurait  mis.  La  liste 
qu'il  donne,  au  feuillet  3o  comprend  tout  le  reste;  car 
ceux  des  opuscules  qu'il  n'a  pas  nommes  font  évidemment 
suite,  les  Saints  martyrs  d^ Alexandrie  à  Saint  Denys^  évéque 
tf  Alexandrie  ^  les  autres  à  la  Lettre  de  VÈf^ise  de  Smsfrne, 
On  ne  peut  séparer  ce  qui  non-seulement  est  analogue  par  le 
sujet,  mais  encore  est  d'une  écriture  tout  à  fait  semblable, 
et  se  continue  sur  un  même  feuillet,  quelquefois  sur  une 
même  page. 

La  date  marquée  par  Jean-Baptiste  Racine  sur  quelques-uns 
des  feuillets  du  manuscrit  s'accorde  avec  les  notes  de  son  finère. 
Sur  le  feuillet  x,  il  a  mis  :  a  de  i655  à  i658,  »  et  il  a  répété 
cette  date  en  tète  de  l'opuscule  des  Esséniens  (folio  3i),  en 
tète  aussi  du  feuillet  68  qui  précède  Saint  Denjs  et  les  Sainu 
martyrs  dt  Alexandrie^  et  sur  lequel  Louis  Racine  a  écrit  Vies 
des  saints. 

Les  fils  de  Racine  n'avaient  certainement  fait  qu'une  con- 
jecture ;  et  ils  auraient  dû  s'apercevoir  que  cette  conjecture 
souffrait  de  trop  grandes  difficultés.  L'erreur  en  sera  démon- 
trée, nous  le  croyons,  par  l'examen  que  nous  allons  faire  de 
chacun  des  petits  écrits  auxquels  ils  ont  assigné  leur  date 
entre  i655  et  i658. 

La  Fie  de  Diogène  le  cymque  aurait  été  singulièrement 
choisie  à  Port-Royal  pour  un  exercice  d'écolier.  Louis  Racine 
dit  dans  ses  Mémoires  (voyez  notre  tome  I,  p.  a  10)  que  là 
«  on  ne  confioit  pas  à  un  jeune  homme  un  livre  tout  grec  sans 
précaution  ;  »  et,  comme  exemple  de  l'extrême  attention  qu'on 
y  avait  pour  la  pureté  des  mœurs,  il  cite  les  ouvrages  histori- 
ques de  Plutarque,  dans  lesquels  les  maîtres  de  Racine  efifa- 
çaieiit  avec  soin  les  passages  c  trop  naïfs,  »  avant  de  lui  faire 
traduire  cet  auteur  «  d'ailleurs  si  grave.  »  Comment  donc  s*i- 


NOTICE.  439 

magmer  que  Diogène  de  Laèrte  ait  pu  (échapper  à  une  censure 
si  [uiidente  ?  Mieux  eût  valu  ne  pas  retirer  au  jeune  homme 
l'innocent  roman  des  Amours  de  Théa^ène  et  de  Chanclécy  et 
ne  pas  lui  laisser  entre  les  mains  un  ouvrage  moins  attrayant 
sans  doutCf  mais  qui  convenait  bien  moins  encore  à  son  âge. 
Si  Racine  rencontre  un  passage  scabreux  du  texte,  il  le  tra- 
duit avec  une  hardiesse  de  langage,  et  une  science  d'inter- 
prétation, dont  on  s'étonnerait  moins  au  temps  ou  il  se  fut 
éloigné  de  ses  maîtres  vigilants,  et  où  il  écrivait  des  lettres 
dans  lesquelles  il  est  quelquefois  question  de  lectures  assez 
libres.  Nous  croirions  donc  volontiers  que  la  traduction  de  la 
Vie  de  Diogène  ne  fiit  pas  faite  avant  i658,  mais  plutôt  un 
peu  après,  et  lorsque  Racine  venait  d'achever  ses  études  sca- 
laires. Nous  n'avons  pas  à  alléguer,  il  est  vrai,  de  preuves 
absolues  et  décbives,  mab  seulement  des  vraisemblances  mo- 
rales. Si  quelques  personnes  en  étaient  moins  frappées  que 
nous,  et  s'il  fallait  leur  accorder  que  Racine  ait  pu  faire  ce 
travail  étant  encore  dans  les  petites  écoles  de  Port-Royal, 
nous  aurions  des  raisons  d'une  autre  nature  pour  ne  pas  éten- 
dre notre  concession  aux  autres  traductions.  Celles-ci  ne  doi- 
vent pas  être  de  la  même  date  que  la  traduction  de  la  Fie  de 
DioQène,  Non-seidement ,  dans  cette  dernière ,  l'écriture  n'est 
pas  tout  à  fait  la  même;  mais  on  y  remarque  de  singuliers 
archaïsmes ,  souvent  répétés,  dont  Racine  n'a  pas  fait  usage 
ailleurs.  Entre  des  écrits  différents  par  la  langue,  et  dont  en 
même  temps  les  derniers  nous  semblent  supérieurs  pour  les 
qualités  du  style ,  il  faut  mettre  un  certain  intervalle.  Si  nous 
ne  pouvons  déterminer  cet  intervalle  avec  certitude,  nous  don- 
nerons du  moins,  pour  quelques-uns  des  morceaux  traduits 
d'Eusèbe,  des  preuves  irrécusables  ^'ils  ne  sont  pas  du  temps 
des  études  de  Port-Royal. 

Lorsque  Racine  a  traduit  la  Vie  de  Diogène^  il  n'a  eu  sous  les 
yeux  qu'une  assez  ancienne  édition,  on  le  reconnaît  à  quel- 

I       ques  passages  :  }ieut-être  une  de  ces  éditions  de  Râle  dont 
parle  Jean-Raptiste  Racine,  celle  de  i53i,  ou  celle  de  i533, 

»       l'une  et   l'autre  ne  donnant  que  le  texte  grec^  Ce  qui  est 

1 .  Le  Diogène  de  Inerte  publié  à  Baie  en  i5s4  n^est  au  contraire 
I         qn^une  traduction  Utine  d'Ambroise  le  camaldnle.  Nous  ne  savons 


4^o  TRADDCTIOWS. 

tout  à  fait  certain ,  c'est  qu'il  n'a  pas  alors  ccmnu  les  notes 
de  Ménage  {Mgidii  Menagii  Notm  in  Diogenis  Laertii  de  Fitis 
philosophùrum  libros  Xy  Parisiis,  M.DC.LXII,  în-S«).  U  aurait 
sans  doute  profité  de  ce  savant  travail,  s'il  avait  fait  sa  tra- 
duction après  i66a. 

«  Si  cette  traduction  n'est  pas  irréprochable,  elle  est  loin  ce- 
pendant d'être  sans  mérite,  surtout  quand  on  n'ouhlie  pas  que 
le  jeune  écrivain  trouvait  alors  peu  de  secours  pour  l'intelli- 
gence du  texte.  Racine  y  rencontre  souvent  l'expression  qui 
resterait  aujourd'hui  encore  la  plus  nette  et  la  plus  vive.  Un 
peu  plus  tard  que  lui,  Gilles  Boileau  a  traduit  en  français 
cette  même  Vie  de  Diogène^  dans  le  livre  qui  a  pour  titre: 
Diogène  Laërce^  de  la  Vie  des  Philosophes^  traduction  mmvelk 
par  M.  B***,  à  Paris ^  M.DC.LXVIII,  a  volumes  in-ia.  11  a 
beaucoup  moins  bien  entendu  le  grec  que  Racine,  et  ne  l'a 
pas  si  heureusement  rendu. 

Le  mot  de  brouillons^  que  Louis  Racine  applique  à  toutes 
ces  traductions  de  la  jeunesse  de  Racine,  convient  beaucoup 
moins  à  celle-ci  qu'aux  autres,  qui  sont  très-chargées  de  cor- 
rections et  de  ratures,  tandis  qu'il  y  en  a  peu  dans  la  Vie  àt 
Diogène^  écrite  avec  plus  de  soin. 

Sous  le  titre  :  des  Esséniens^  Racine  a  traduit  ce  qu'il  a 
trouvé  dans  Josèphe  sur  cette  secte  juive ,  et  dans  Philon  sur 
la  même  secte  et  sur  les  Thérapeutes.  Il  a  lui-même  pris 
soin  d'indiquer,  dans  de  petites  notes,  quel  auteur  il  a  suivi; 
et  il  a  écrit  sur  des  feuillets  distincts  ce  qui  n'a  pas  été  pris  à 
la  même  source.  M.  Aimé-Martin  n'aurait  donc  pas  dû  ajouter 
ce  sous-titre  fort  inexact  :  Fragments  tradtùts  de  Philon^  étant 
ainsi  à  Josèphe  sa  part,  qui  n'est  pas  beaucoup  moindre,  oi 
présenter  deux  morceaux  différents  comme  un  seul  ouvrage, 
où  l'on  est  alors  étonné  de  trouver  tantôt  des  redites,  tantôt 
des  choses  qui  ne  s'accordent  pas  tout  à  fait.  Il  est  remar- 
quable que  dans  les  traductions  que  nous  donnons  après  celle- 
ci.  Racine  a  également  pris  de  différents  côtés ,  pour  les  rap- 
procher, des  textes  qui  se  rapportaient  à  un  même  sujet.  On 

si  Racine  a  pu  la  consulter.  Mais  il  ne  s*est  asaurânent  pas  con- 
tenté de  traduire  sur  le  latin.  Il  indique  quelque  part,  dans  uot 
note,  une  rariante  pour  le  texte  grec. 


NOTICE.  44i 

serait  tenté  de  croire  qu'il  ne  se  proposait  |ias  seulement  un 
exercice  d*interprëtati<Hi  et  de  style,  mais  qu'il  réunissait  des 
matériaux  pour  quelque  travail  sur  l'histoire  religieuse,  ou  tout 
au  moins  qu'il  voulait  approfondir,  pour  sa  propre  instruc- 
tion, l'étude  de  certaines  parties  de  cette  histoire.  Ce  dessein, 
qui  parait  si  vraisemblable,  n'est  guère  celui  d'un  écolier. 

S'il  fallait  toujours  songer  aux  éditions  de  Bftle,  Racine  se 
serait  peut-être  servi,  pour  l'historien  Josèphe,  de  celle  de 
i544,  in-folio.  Quant  à  Philon,  l'édition  des  œuvres  de  cet 
auteur  qu'à  un  certain  moment  il  a  eue  entre  les  mains  est, 
comme  nous  le  dirons  bientôt,  celle  de  Paris,  1640,  in-folio. 
Hais  était-ce  à  ce  même  moment  qu'il  traduisait  les  fragments 
sur  les  Esséniens  ?  Nous  ne  devons  pas  l'affirmer,  parce  qu'en- 
tre cette  traduction  et  les  dernières  de  celles  qui  suivirent, 
un  intervalle  de  temps  dont  il  vaudrait  la  peine  de  tenir 
compte  peut  être  supposé. 

La  Lettre  de  t Église  de  Smjrme^  la  f7e  €le  saint  Pofycarpe^  la 
Lettre  de  saint  Irënée^  et  VÉpitre  de  saint  Polrcarpe  aux  Phi" 
lippiens  ont  été  certainement  traduites  ensemble,  et  ne  for- 
ment qu'un  seul  travail.  Tout  le  prouve  :  il  s'agit  toujours 
de  saint  Polycarpe;  l'écriture  n'offire  pas  de  différences;  et 
plusieurs  de  ces  extraits  commencent  sur  le  même  feuillet, 
parfois  sur  la  même  page  où  finit  le  précédent. 

M.  Aimé-Martin  au  titre  des  deux  premiers  a  ajouté  ce  sous- 
titre  :  Fragments  traduits  dEusèlfe;  il  a  eu  tort,  au  moins 
pour  ce  qui  est  de  la  Lettre  de  l'Église  de  Smjrme.  Racine, 
à  la  marge  de  différents  passages  de  cette  lettre,  a  lui-même 
cité  Eusèbe;  mais  il  n'aurait  pas  ainsi  répété  cette  indication, 
s'il  eût  tout  tiré  du  même  auteur.  Voici  d'ailleurs  ce  qui  ne 
laisse  aucun  doute.  Eusèbe,  au  livre  iV,  chapitre  xv\  de  son 
Histoire  ecclésiastique,  n'a  donné  qu'en  partie  la  Lettre  de 
P Église  de  Smjrrne.  Racine,  qui  a  comblé  les  lacunes,  a  donc 
fiût  sa  traduction  sur  un  autre  texte.  La  Lettre^  que  nous  ne 
connaîtrions  pas  tout  entière  si  Eusèbe  seul  nous  l'avait  con- 
servée, avait  été  trop  répandue  dans  toutes  les  Églises  d'O- 
rient, auxquelles  l'Église  de  Smyme  l'avait  envoyée,  pour  qu'on 

I.  Noos  citonft  d'après  T^ition  de  if>$9,  dont  il  sera  parlé  tout 
à  l'heure. 


44a  TRADUCTIONS. 

ne  Tait  pas  retrouvée  aîlleara  que  dans  la  dtation  inoonn 
plète  de  Tëvèque  de  Gësarëe.  U  en  existait  plusieurs  manu- 
scrits. Ce  fut  Usserius  (Jacques  Usher,  ëvèque  d'Armagh)  qm 
le  premier  en  fit  imprimer  le  texte  grec,  en  même  temps 
qu'une  ancienne  traduction  latine,  assez  défectueuse.  En  1647, 
il  publia  à  Londres  un  volume  in-4**  intitulé  :  Appemdix 
Jgnatiana,...  Ce  volume  renferme  une  seconde  partie,  dont 
la  pagination  est  distincte,  et  qui  a  son  titre  à  part  :  Ignatii 
Jntiocheni  et  Polycarpi Smyrneffsis  episcopi  martyria,,..  C'est 
là  (p.  i3-3o)  qu'Usserius  a  donné  la  Lettre  de  PÉglise  de 
Smyrne^  et  c'est  là  que  Racine  a  pris  le  texte  qu'il  a  eu  sous 
les  yeux  en  même  temps  que  celui  d'Eusèbe.  Il  nous  apprend 
lui-même  que  ce  volume  était  entre  ses  mains,  puisqu'il  en 
cite  les  pages  61  et  62  dans  une  note  sur  la  F^ie  de  saint  P<h 
lycarpe.  U  aurait,  il  est  vrai,  à  défaut  du  livre  d'Usserius, 
trouvé  une  partie  des  passages  qui  y  complètent  les  fragments 
donnés  par  Eusèbe,  dans  les  notes*  de  l'édition  de  ce  dernier 
auteur  publiée  à  Paris,  chez  Vitré,  en  1659  (in-folio).  Peut- 
être  sont-ce  ces  notes  qui  l'ont  mis  sur  la  voie  de  VJppendix 
Ignatiana  ;  mais  il  est  aisé  de  reconnaître,  à  quelques  passages, 
qu'il  a  eu  recours  au  texte  complet,  tel  qu'il  est  dans  Usse- 
rius. Toutefois  il  est  certain  qu'il  s'est  servi,  et  ce  n'est  pas 
une  remarque  inutUe  à  faire,  de  l'édition  d'Eusèbe  que  nous 
venons  de  citer,  tout  au  moins  pour  la  traduction  des  Saints 
martyrs  d Alexandrie,  Là,  en  effet,  non-seulement  il  a  cité 
dans  une  note  deux  passages  de  la  traduction  latine  d'Henri 
de  Valois,  qui  est  celle  qu'on  trouve  à  côté  du  texte  grec 
dans  l'édition  de  1659,  où  elle  pai-ut  pour  la  première  fois; 
mais  il  renvoie,  dans  une  autre  note  du  même  opuscule,  à  la 
page  i63  pour  un  passage  d'Eusèbe  ;  et  la  citation  de  cette 
page  ne  se  rapporte  qu'à  cette  même  édition.  Une  petite  dif- 
ficulté se  présente  cependant  pour  ceux  des  fragments  emprun- 
tés à  Eusèbe  où  il  est  question  de  saint  Polycaipe.  A  U 
marge  de  celui  qui  contient  des  renseignements  donnés  sur  la 
vie  de  ce  saint  par  saint  Irénée,  au  troisième  livre  des  Eè^ 
restes^  Racine  a  écrit  :  Eusèbe^  livre  ITy  chapitre  1 3  ;  et  ao 

I .  Voyez  la  page  68  de  la  seconde  partie  de  cette  édition  d'Ea- 
sèbe  {jinnotaltonet  in  librum  IV). 


NOTICE.  443 

même  endroit,  dans  une  note,  il  cite  Je  même  Eusèbe^  livre  Jll^ 
chapitre  35.  Au  commencement  de  la  Lettre  de  saint  Irénée  à 
Ftorin^  il  ëcrit  à  la  marge  :  Eusèbe^  livre  F^  chapitre  19. 
Or,  d'après  l'ëdidon  de  1669,  il  eût  fallu  dire  :  livre  IF  y 
chapitre  14  ;  livre  JIIj  chapitre  36;  livre  V^  chapitre  ao.  Si 
c'est  dans  une  édition  du  texte  grec  d'Eusèbe  que  Racine  a 
pris  ces  chiffi*es  qu'il  donne,  ce  ne  peut  être  que  dans  celle 
de  Genève  {Historié  ecclesiastic»  scriptores  grxciy  grxco^latine 
nunc  primum  editiy  ex  interprétât ione  Christophorsoni.,..  Colo^ 
ni»  Àllobrogum ,  M.DC.XII).  Il  aurait  suivi  le  texte  grec,  pour 
la  citation  du  livre  III,  chapitre  35;  la  traduction  de  Chris- 
tophorson,  dont  les  divisions  sont  différentes,  pour  la  citation 
du  livre  IV,  chapitre  i3,et  du  livre  V,  chapitre  19.  On  serait 
donc  en  droit  de  conclure  de  là  ou  que  Racine  consultait  dans 
le  même  temps,  pour  son  travail ,  deux  éditions  d'£usèbe  dif- 
férentes, ou  qu'il  n'a  eu  l'édition  de  1659  que  lorsqu'il  s'est 
occupé  des  Martyrs  à! Alexandrie,  Cette  seconde  supposition 
n'a  rien  d'improbable ,  l'écriture  des  deux  dernières  traduc- 
tions n'étant  pas  tout  à  fait  la  même  que  celle  des  précédentes, 
et  permettant  de  croire  qu'elles  ont  été  faites  un  peu  plus  tard. 
Quoi  qu'il  en  soit ,  il  reste  bien  établi ,  au  moins  pour  les 
Martyrs  d Alexandrie^  et  pour  le  fragment  sur  Saint  Denvs^ 
qui  en  est  inséparable,  que  Racine  n'a  pas  fait  sa  traduction 
avant  1 659  ;  et  la  date  de  Jean-Baptiste  Racine  est  ici  con- 
vaincue d'erreur,  aussi  bien  que  la  note  de  Louis  Racine  : 
Brouillons  faits  presque  à  la  sortie  du  collège^  entendue  dans 
ce  sens  que  ces  Brouillons  sont  du  temps  de  Port-Royal. 
Maintenant  qu'on  veuille  bien  se  souvenir  des  raisons  qui 
nous  ont  porté  à  croire  entreprise  plus  tard  que  ce  même 
temps  de  Port-Royal  la  traduction  de  la  Fie  de  Diogène^  d'une 
langue  plus  surannée  ce|)endant  que  celles  qui  ont  suivi;  que 
l'on  fasse  attention  à  l'érudition  de  quelques-unes  des  notes 
du  jeune  traducteur,  à  ces  indications  chronologiques,  dans 
lesquelles  il  cite  de  gros  in-folios,  à  la  forme  de  ce  travail,  qui 
suppose  tout  autant,  et  plutôt  peut-être,  des  recherches  his- 
toriques que  le  désir  de  se  fortifier  dans  les  études  grecques 
et  d'exercer  sa  plume  ;  à  ces  divers  ouvrages  qu'il  devait  avoir 
à  sa  disposition ,  Josèphe,  Philon,  Eusèbe,  Usserius,  Baronius 
et  Petau,  en  outre  Tertullien  et  saint  Jérôme,  si  leur  témoi- 


444  TRADUCTIONS. 

gnage,  qu*il  «llègue,  n'a  pas  été  cité  de  seconde  main  :  on  pen- 
sera, ce  nous  semble,  qu'un  écoUer  ne  pouvait  travailler  de 
cette  manière,  et  que,  parmi  les  traductions  qui  commencent 
aux  Exsénitns,  celles  mêmes  pour  lesquelles  nous  n'avons  pas, 
comme  pour  les  autres,  l'indication  d'une  date  fournie  par  b 
citation  de  YEusèbe  de  Vitré,  ne  doivent  pas  non  plus  cepen- 
dant être  antérieures  à  1659. 

Nous  pouvons,  croyons-nous,  ne  pas  nous  borner  à  mar- 
quer cette  limite,  mais  faire  encore  un  pas  de  plus.  Le  seul 
temps  de  la  jeunesse  de  Racine  où  l'on  s'explique  sans  pône 
qu'il  se  soit  essayé  à  un  travail  sérieux  sur  des  sujets  de  l'his- 
toire religieuse,  et  qu'il  ait  eu  à  sa  disposition  une  bibliothèque 
de  théologien,  nous  paraît  être  celui  qu'il  passa  en  Langue- 
doc, près  de  son  oncle  le  vicaire  général  :  arrivé  à  Uzès 
dans  les  derniers  mois  de  1661,  il  y  demeura  probable- 
ment toute  l'année  suivante,  et  même  une  partie  de  Tan- 
née i663'.  Par  les  lettres  qu'il  écrivit  de  cette  ville  nous 
savons  qu'il  se  plaignait  que  le  nombre  de  ses  livres  y  filt 
«  fort  borné.  1»  Mais  il  ajoutait  que  les  livres  qui  lui  man- 
quaient étaient  les  livres  français,  particulièrement  les  c  livres 
à  conter  fleurette;  »  et  que,  d'ailleurs,  «  les  sommes  de  théo- 
logies latines  »  et  les  «  Pères  grecs  »  ne  faisaient  pas  défaut'. 
Il  disait  aussi  :  «  Je  fais  force  extraits  de  théologie'.  •  Les 
travaux  dont  nous  apprenons  ainsi  qu'il  était  occupé  ne  sont 
pas,  on  le  voit,  sans  analogie  avec  ceux  dont  nous  parions 
ici,  et  qu'on  ne  peut  s'étonner  de  ne  pas  trouver  expressé- 
ment mentionnés  dans  ces  mêmes  lettres  :  il  y  glissait  volon- 
tiers, et  avec  une  sorte  d'affectation  de  légèreté,  sur  tout  ce 
qui  aurait  paru  trop  sérieux  à  ses  frivoles  correspondants; 
mais  nous  ne  doutons  pas,  el  nous  l'avons  dit  ailleurs  S  que 
ce  temps  ait  pu  être  un  des  plus  studieux  de  sa  vie;  les  Rt- 
marques  sur  les  Olympiques  et  sur  t  Odyssée  nous  en  fourni- 
ront, dans  le  volume  suivant,  des  preuves  assurées.  Toutes 
les  vraisemblances  nous  paraissent  donc  favoriser  cette  con- 


I.  Voyez  la  Notice  biographique^  p.  43*  47f  ^^  ^^v  note  i. 

a.  Lettre  à  Vahbé  le  P'asseur^  du  4  juillet  1661. 

3.  Lettre  au  même,  du  17  janyier  1^63. 

4.  Notice  biographique ,  p.  5l. 


NOTICE.  445 

jecture  que  Racine  aurait  travaillé  de  1661  à  i663  aux  tra- 
ductions des  fragments  sur  les  Esséniens^  sur  Saint  Poty^' 
carpe  et  sur  les  Martyrs  d Alexandrie,  Il  semblerait  seulement 
que  les  derniers  de  ces  fragments  l'ont  occupé  un  peu  plus 
tard  que  les  autres.  Nous  devons  dire  ici  qu'avant  cet  examen 
approfondi,  nous  avons  eu  nous-mème  trop  de  confiance  dans 
le  témoignage  des  fils  de  Racine,  et  dans  les  indications  des 
éditeurs  qui  l'ont  accepté,  lorsque  nous  avons  admis,  dans 
notre  Notice  biographique ,  p.  ai,  que  les  traductions  de 
Diogène  de  Laèrte,  de  Philon  et  d'Eusèbe  avaient  bien  pu 
être  faites  à  Port-Royal. 

La  digression  à  laquelle  nous  avons  été  entraîné,  et  que 
nous  ne  croyons  pas  inutile,  sur  la  date  probable  de  ces  tra- 
ductions, nous  a  interrompu  lorsque  nous  les  suivions  une  à 
une  et  dans  leur  ordre.  Les  deux  qui  viennent  immédiate- 
ment après  la  Lettre  de  tÈ^ise  de  Smyrne^  et  qui  sont  la 
Vie  de  saint  Poljcarpe^  et  \  Extrait  (tune  lettre  de  saint  1  renée 
à  Florin^  ont  été  faites  Tune  et  l'autre  sur  le  texte  d'Eusèbe. 
Il  n'en  est  pas  de  même  de  YÉpftre  de  saint  Potycarpe  aux 
Philippiens;  et  M.  Aimé-Martin  aurait  dû  le  faire  remarquer. 
Eusèbe  parle  de  VÊpttre  aux  Philippiens ^  comme  d'une  lettre 
excellente  dans  son  livre  IV,  chapitre  xiv  (Racine  a  traduit 
ce  passage),  mais  il  n'en  rapporte  pas  le  texte.  Le  Febvre 
d'Etaples  l'a  publiée  le  premier  en  149^1  tïïaàs  seulement  dans 
une  traduction  latine.  Le  texte  grec  a  été  imprimé  pour  la 
première  fois  par  le  P.  Halloix,  dans  le  livre  qui  a  pour  titre  : 
Illàstrium  Ecclesim  orientalis  scriptorum  qui  primo  Christi 
sxculo  floruerunt  Fitœ  et  Documenta,  Duaci,  M.DC.XXXIII 
(in-folio).  Usserius  l'a  reproduit  aux  pages  i3  et  suivantes  de 
ses  Lettres  de  saint  Polyvewpe  et  de  saint  Ignace  {Pofycarpi 
et  Ignatii  Epistolm,  Oxonia;,  M.DC.XLVIIÏ,  in-4»)  *.  Ce  livre 
d'Usserius  est  probablement  celui  dont  s'est  servi  Racine;  il 
devait  l'avoir  en  même  temps  que  XAppendix  Jgnatiana^  qui 
n'en  est  que  le  complément. 


I .  La  première  édition  publiée  par  UsMriiu  de  Polyearpl  et  Ignatd 
Epistolm  n'est  pas  celle  dont  nous  donnons  ici  le  titre,  mais  celle 
qui  parut  en  i644t  comme  le  dit  Ittig  à  la  page  370  de  la  Biblio" 
theea  PtUrum  aposlolicorum  grmco-tatina^  Leipzig,  1699. 


446  TRADUCTIONS. 

Dans  le  texte  donné  par  Halloix  et  par  Usseiios,  il  y  a  quel- 
ques lacunes,  que  ces  éditeurs  ont  remplies  à  l'aide  d'une 
ancienne  version  latine.  Racine  n'a  pas  seulement  traduit  la 
partie  de  VÉpttre  qui  existe  en  grec,  mais  aussi  les  passages 
que  le  latin  supplée.  Il  a  d'ailleurs  omis  quelques  phrases 
qui  n'avaient  pu  lui  offrir  de  difficultés;  et  la  même  re- 
marque s'appliquerait  à  plusieurs  de  ses  traductions,  même, 
comme  nous  l'avons  dit,  à  celle  du  Banquet^  où  les  omissions, 
il  est  vrai,  sont  sans  importance  :  il  ne  tenait  pas  à  une  mi- 
nutieuse exactitude.  Nous  ne  conclurons  donc  pas  d'un  petit 
nombre  d'omissions  dans  YÉptire  de  saùtg  PÔfycarpe^  qu'il 
ait  fait  usage  d'un  texte  différent  de  celui  dont  nous  avons 
parlé. 

Louis  Racine  a  réservé  le  titre  de  Fies  des  sainis  *  pour 
les  deux  derniers  fragments  que  le  traducteur  a  intitulés  :  de 
Saint  Derrys^  archevêque  d Alexandrie^  et  des  Sainis  martyrs 
d Alexandrie,  Mais  pourquoi  les  fragments  qui  se  rapportent 
à  la  vie  de  saint  Polycarpe  n'auraient-ils  pas  été  aussi  bien 
compris  sous  le  même  titre  de  Vies  des  saints?  Si  Loub  Ra- 
cine avait  su  que  les  deux  dernières  traductions  de  son  |)ère, 
et  celles-là  seulement,  devaient  faii*e  partie  d'un  travail  plus 
étendu  sur  les  Vies  des  saints^  il  l'aurait  sans  doute  dit  plus 
expressément.  N'attachons  pas  trop  d'importance  à  un  titre 
sur  lequel  il  n'avait  sans  doute  pas  beaucoup  médité.  Noos 
avons  déjà  fait  remarquer  (p.  44^)  que  l'écriture  des  deux 
fragments  sur  Saim  Denys  et  sur  les  Martyrs  d Alexandrie^  un 
peu  différente  de  celle  des  fragments  précédents,  peut  donner 
à  croire  qu'ils  ne  sont  pas  tout  à  fait  du  même  temps;  maïs 
le  travail  étant  d'ailleurs  du  même  genre,  nous  croirions  diffi- 
cilement que  les  uns  aient  été  écrits  longtemps  après  les  autres. 
Nous  n'avons  cependant  pas  voulu  regarder  conune  certain 
que  Racine,  lorsqu'il  traduisait  les  Esséniens^  et  tout  ce  qui 
se  rapporte  à  saint  Polycarpe,  eût  déjà  entre  les  mains  les  édi- 
tions qu'il  cite  dans  l'opuscule  des  Sainis  martyrs  d  Alexandrie^ 
en  indiquant  les  chifi&es  des  pages  qu'il  avait  sous  les  yeux. 

I .  Sous  ce  tiu«,  qu^on  trouTC,  comme  il  a  été  dit  (p.  43^)i  ^^ 
feuillet  68,  il  a  écrit  :  neuf  fûuUkts;  c'est  bien  le  nombre  que  nous 
trouvons,  en  ne  comptant  que  les  deux  derniers  fragments. 


NOTICE.  447 

y 

Ces  ëditions,  comme  nous  le  montrerons  ci-après  dans  nos 
notes,  sont,  pomr  les  Œuvres  de  Phihn^  celle  de  Paris,  1640 
(in-folio),  et  pour  les  Œuvres  ctEusèbe^  celle  qui  nous  a  servi 
plus  haut  à  prouver  Terreur  des  fils  de  Racine,  Fëdition  de 
Paris,  1659  (in-folio). 

Dans  le  manuscrit  des  traductions  de  Racine,  à  partir  de 
celle  des  Esséniensy  les  ratures  et  les  corrections  sont  très- 
nombreuses.  Quelquefois  elles  peuvent  laisser  de  l'incertitude 
sui*  l'expression,  sur  la  phrase  auxquelles  le  traducteur  s'est 
définitivement  arrêté.  En  plusieurs  endroits  la  première  expres- 
sion, et  celle  qu'une  correction  lui  a  substituée,  sont  Tune  et 
l'autre  effacées,  de  sorte  qu'une  phrase  entière  ou  une.  partie 
de  phrase  resterait  incomplète  si  l'éditeur  ne  faisait  un  choix 
sous  les  ratures.  On  est  le  plus  souvent  guidé  dans  ce  choix 
par  une  remarquable  particularité  du  manuscrit  :  entre  ces 
variantes,  également  barrées,  la  plupart  du  temps  on  en  trouve 
une  soulignée,  ce  qui  semble  bien  indiquer  qu'elle  doit  être 
rétablie  malgré  la  rature.  M.  Aimé-Martin  en  a  jugé  ainsi; 
et  nous  ne  pensons  pas  que  ce  soit  lui,  ou  quelque  autre  lec- 
teur du  manuscrit  qui  ait  souligné  les  expressions  qu'il  choi- 
sissait. En  général,  M.  Aimé-Martin  s'est  bien  tiré  de  quelques 
petites  difficultés  qu' offraient  tant  de  ratures  ;  et  sa  lecture  a 
rendu  la  nôtre  plus  aisée  ;  mais  dans  quelques  autres  parties 
de  son  travail  nous  avons  rencontré  bien  des  fautes.  Des 
erreurs,  parfois  très-singulières,  qu'elles  soient  de  son  fait 
ou  de  celui  de  son  imprimeur,  affectent  en  plusieurs  passages 
le  sens  des  phrases ,  ou  mettent  à  la  charge  de  Racine  des 
locutions  vicieuses;  dans  la  Fie  de  Diogène  surtout,  il  y  en 
a  beaucoup  de  ce  genre.  M.  Aignan,  dans  son  édition  (si  elle 
mérite  ce  nom),  les  a  acceptées  de  confiance;  et,  comme  il  en 
a  cependant  remarqué  la  bizarrerie,  il  en  a  fait  l'objet  de 
notes,  où  il  les  fait  ressortir,  les  blâme  ou  les  explique.  L'exa- 
men du  manuscrit  lui  eût  épargné  tout  ce  travail,  qu'il  est 
permis  de  trouver  un  peu  singulier. 

Si  nous  n'avions  pas  eu  affaire  ici  à  des  écrits  de  jeunesse, 
dont  il  paraîtrait  superflu  de  recueillir  les  innombrables  va- 
riantes, nous  aurions  indiqué,  comme  nous  l'avons  fait  ailleurs, 
toutes  les  leçons  effacées,  au  lieu  de  nous  borner,  comme 
nous  le  ferons,  à  noter  les  plus  intéressantes,  et  nous  aurions 


44B  TRADUCTIONS.  —  NOTICE. 

rendu  compte  minutieiuemeiit  de  Y  état  da  nunuacrit;  en 
outre,  nous  ne  nous  serions  pas  permis  de  compléter  quelques 
phrases,  dont  autrement  le  sens  resterait  interrompu,  en  pre- 
nant sous  les  ratures  ce  qui  a  été  effacé  sans  avoir  ensuite  été 
soulig;né.  Mais  ici  le  scrupule  eût  été  excessif,  fatigant  pour 
le  lecteur,  et  sans  véritable  utilité.  Il  a  dû  suffire  de  ne  rien 
ajouter  au  manuscrit,  de  n'en  rien  retrancher,  et  de  ne  réta- 
blir, dans  les  passages  qui  se  lisent  sous  les  ratures,  que  ce 
qui  était  nécessaire  au  sens,  et  ce  que  l'auteur  n'avait  pa^  eu 
le  temps  de  refaire. 


LE 


BANQUET  DE  PLATON 


J.    RAGIHm.   ▼  39 


LE  BANQUET  DE  PLATON. 


LETTRE  LE  RACINE  A  DESPRÉAUX, 

EN    LUI    ENVOYANT    IX    tAMQVST   OB    PLATOM. 

i8  décembre. 
« 
Puisque  vous  allez  demain  à  la  cour,  je  vous  prie, 

Monsieur,  d*]r  porter  les  papiers  ci-joints.  Vous  savez  ce 
que  c  est.  J'avois  eu  dessein  de  faire,  comme  on  me  le  de- 
mandoit,  des  remarques  sur  les  endroits  qui  me  parot- 
troient  en  avoir  besoin;  mais  comme  il  falloît  les  rai- 
sonner, ce  qui  auroit  rendu  Touvrage  un  peu  long,  je 
n^ai  pas  eu  la  résolution  d^achever  ce  que  j 'a vois  com- 
mencé, et  j'ai  cru  que  j'aurois  plus  tôt  fait  d'entreprendre 
une  traduction  nouvelle.  J^ai  traduit  jusqu'au  discours  du 
médecin,  exclusivement.  Il  dit,  à  la  vérité,  de  très-belles 
choses,  mais  il  ne  les  explique  point  assez;  et  notre 
siècle,  qui  n'est  pas  si  philosophe  que  celui  de  Platon, 
demanderoit  que  Ton  mit  ces  mêmes  choses  dans  un  plus 
grand  jour.  Quoi  qu'il  en  soit,  mon  essai  suffira  pour 
montrer  à  Mme  de***  que  j'avois  à  cœur  de  lui  obéir.  Il 
est  vrai  que  le  mois  où  nous  sommes^  '  m'a  fait  souvenir 
de  l'ancienne  fête  des  Saturnales,  pendant  laquelle  les 
serviteurs  prenolent  avec  leurs  maîtres  des  libertés  qu'ils 
n'auroient  pas  prises  dans  un  autre  temps.  Ma  conduite 
ne  ressenable  pas  trop  mal  à  celle-là  :  je  me  mets  sans 
façon  à  côté  de  Mme  de***;  je  prends  des  airs  de  maître; 

I»  On  a  TU  que  la  lettre  est  datëe  do  mois  de  décembre. 


45ji  le  banquet  DE  PLATON. 

je  m^accommode  sans  scmpule  de  ses  termes  et  de  ses 
phrases;  je  les  rejette  quand  bon  me  semble.  Mais,  Mon- 
sieur, la  fête  ne  durera  pas  toujours,  les  Saturnales  pas- 
seront, et  rillustre  Dame  reprendra  sur  son  serviteur 
Tautorité  qui  lui  est  acquise.  J'y  aurai  peu  de  mérite  en 
tout  sens;  car  il  faut  convenir  que  son  style  est  admira- 
ble :  il  a  une  douceur  que  nous  autres  hommes  nous 
n'attrapons  point;  et  si  j'avois  continué  à  refondre  son 
ouvrage,  vraisemblablement  je  Taurois  gâté.  Elle  a  tra- 
duit le  discours  d'AIcibiade,  par  où  finit  ie  Banquet  ie 
Platon  ;  elle  Ta  rectifié,  je  Tavoue,  par  un  choix  d'exprès^ 
sions  fines  et  délicates,  qui  sauvent  en  partie  la  gros- 
sièreté des  idées  ;  mais  avec  tout  cela,  je  crois  que  le 
mieux  est  de  le  supprimer*.  Outre  qu^il  est  scandaleux, 
il  est  inutile;  car  ce  sont  les  louanges,  non  de  Tamour, 
dont  il  s'agit  dans  ce  dialogue,  mais  de  Socrate,  qui  n  y 
est  introduit  que  comme  un  des  interlocuteurs.  Voilà, 
Monsieur,  le  canevas  de  ce  que  je  vous  supplie  de  vou- 
loir dire  pour  moi  à  Mme  de***.  Assurez-la  qu'enrhumé 
au  point  que  je  le  suis  depuis  trois  semaines,  je  suis  au 
désespoir  de  ne  point  aller  moi-même  lui  rendre  ces 
papiei*s;  et  si  par  hasard  elle  demande  que  j'achève  de 
traduire  l'ouvrage,  n'oubliez  rien  pour  me  déUvrer  de 
cette  corvée.  Adieu,  bon  voyage;  et  donnest-moi  de  vos 
nouvelles,  dès  que  vous  serez  de  retour. 

I .  On  l'a  supprime  dans  oette  édition  (  /Vo/e  Je  V édition  dt  lySa).  — 
M.  Cousin,  dans  ses  Notes  sur  le  Banquet  (Couvres  de  Piatom,  tome  VI, 
p.  4i  I  et  413),  dit  par  deux  fois  que  Mme  de  Rochechouart  «  t'sr- 
réta  devant  le  discours  d'Alcibiade,  »  comme  avait  fait  avant  elle, 
en  1559,  Louis  le  Roi,  professeur  de  langue  grecque  au  CoU^  àe 
France.  Le  témoignage  de  Racine  nous  avertit  qu'il  jr  a  là  ooe 
petite  erreur;  elle  avait  déjà  été  signalée  à  la  page  9  de  b  bro- 
chure de  M.  F.  Grille,  que  nous  avons  citée  ci-dessus,  p.  43o. 


LE  BANQUET  DE  PLATON. 


SUR   L'AMOUR. 

APOLLODORB. 

Je  crois  que  je  n'aurai  pas  de  peine  à  vous  faire  le  ré* 
cit  que  vous  me  demandez  :  car  hier,  comme  je  revenois 
de  ma  maison  de  Phalère,  un  homme  de  ma  connois- 
sance,  qui  venoit  derrière  moi,  m'aperçut,  et  m'appela 
de  loin.  «  Hé  quoi?  s'écria-t-il  en  badinant,  ApoUodore 
ne  veut  pas  m'attendre?  »  Je  m'arrêtai,  et  je  l'attendis. 
«  Je  vous  ai  cherché  longtemps,  me  dit-il,  pour  vous  de- 
mander ce  qui  s'étoit  passé  chez  Agathon^  le  jour  que 
Socrate  et  Alcibiade  y  soupèrent.  On  dit  que  toute  la 
conversation  roula  sur  l'Amour,  et  je  mourois  d'envie 
d'entendre  ce  qui  s'étoit  dit  de  part  et  d'autre  sur  cette 
matière.  J'en  ai  bien  su  quelque  chose  par  le  moyen  d'un 
homme  à  qui  Phénix  a  voit  raconté  une  partie  de  leurs 
discours  ;  mais  cet  homme  ne  me  disoit  rien  de  certain. 
Il  m'apprit  seulement  que  vous  saviez  le  détail  de  cet  en- 
tretien :  contez-le-moi  donc,  je  vous  prie.  Aussi  bien,  à 

I .  Racine  a  charge  de  notes  latines  et  françaises  les  marges  d'un 
Platon  .édition  de  Baie,  in-folio,  i534).  Nous  parlerons  de  ces  no- 
tes, quand  nous  nous  occuperons  des  livres  que  notre  poète  a  an- 
notés ;  mais  ici  même,  il  peut  être  à  propos  d'en  citer  quelques- 
unes.  Au  bas  de  la  première  page  du  Banquet^  Racine  a  écrit  : 
«  Cest  cet  Agathon  qui  est  cité  trois  ou  quatre  fois  dans  la  Poéti- 
que d'Aristote  (vojrez  chapitres  ix ,  xv  et  xviii} ,  et  qu'Aristophane 
raille  plaisamment  en  le  faisant  venir  habillé  en  femme  dans  le  Ju" 
gement  des  femmes  contre  Euripide  (Racine  désigne  la  comédie  intitulée 
dsojiofopidtouoat).  Il  fallott  qu'il  fiît  beau  par  excellence.  » 


454  LR  BANQUET 

qui  peut-on  mieux  s'adresser  qu'à  vous  pour  entendre 
le  discours  de  votre  ami?  Mais  dites-moi ,  avant  tome 
chose ,  si  vous  étiez  présent  à  cette  conversation.  —  Il 
paroit  bien,  lui  répondis-je,  que  votre  homme  ne  vous  a 
rien  dit  de  certain,  puisque  vous  parlez  de  cette  conver- 
sation comme  d'une  chose  arrivée  depuis  peu,  et  comme 
si  j'avois  pu  y  être  présent.  —  Je  le  croyois,  me  dit-il.— 
Comment,  lui  dis-je,  Glaucon?  ne  savez- vous  pas  qai 
y  a  plusieurs  années  qu'Agathon  n'a  mis  le  pied  dans 
Athènes?  Pour  moi,  il  n'y  a  pas  encore  trois  ans  que  je 
fréquente  Socrate,  et  que  je  m'attache  à  étudier  tontes 
ses  paroles,  toutes  ses  actions.  Avant  ce  temps-là  j*er- 
rois  de  côté  et  d'autre  ;  et  croyant  mener  une  vie  raison- 
nable, j'étois  le  plus  malheureux  de  tous  les  hommes.  Je 
m'imaginois  alors,  comme  vous  faites  maintenant,  qu'on 
honnête  homme  devoit  songer  à  toute  autre  chose  qu'à  ce 
qui  s'appelle  philosophie.  —  Ne  m'insultez  point,  repli- 
qua-t-il.  Dites-moi  plutôt  quand  se  tint  la  conversation 
dont  il  s'agit.  —  Nous  étions  bien  jeunes  vous  et  moi, 
lui  dis-je.  Ce  fut  dans  le  temps  qu'Agathon  remporta  le 
prix  de  sa  première  tragédie  ^  Tout  se  passa  chez  lui  le 
lendemain  du  sacrifice  qu'il  avoit  fait  avec  ses  acteurs 
pour  rendre  grâce  aux  Dieux  du  prix  qu'il  avoit  gagne.— 
Vous  parlez  de  loin,  me  dit-il;  mais  de  qui  savez-vousce 
qui  fut  dit  dans  cette  assemblée?  Est-ce  de  Socrate?  — 
Non,  lui  dis-je  :  je  tiens  ce  que  j'en  sais  de  celui-là  même 
qui  l'a  conté  à  Phénix,  je  veux  dire  d'Aristodème,da 
bourg  de  Cydathène,  ce  petit  homme  qui  va  toujours  nus 
pieds.  Il  se  trouva  lui-même  chez  Agathon  :  c'étoit  alors 
un  des  hommes  qui  étoit  le  plus  attaché  à  Socrate.  J'ti 

I .  Dans  ses  notes  sor  le  Platon  de  Bâle,  Racine,  en  regard  d«  la 
phrase  :  $ts  7f|  rpcGiT)  xparfco^fa  lv(xv)aEV  ^Xyi^top*^  a  ^rit  :  c  Agathoo 
remporta  le  prix  dès  sa  première  tragédie.  »  Dès  ne  serait-il  pai 
également  ici  la  Traie  leçon,  que  d'OIivet  aurait  altérée? 


DE   PLATON,  4>'> 

quelquefois  interrogé  Socrate  sur  des  choses  que  cet  Âris- 
todème  m'avoit  récitées,  et  Socrate  avouoit  qu'il  m'avoit 
dit  la  vérité.  —  Que  tardez-vous  donc,  me  dit  Glaucon, 
que  vous  ne  me  fassiez  ce  récit  ?  Pouvons-nous  mieux 
employer  le  chemin  qui  nous  reste  d'ici  à  Athènes?  »  Je 
le  contentai,  et  nous  discourûmes  de  ces  choses  le  long 
du  chemin.  C'est  ce  qui  fait  que,  comme  je  vous  disois 
tout  à  l'heure,  j'en  ai  encore  la  mémoire  fraîche;  et  il  ne 
tiendra  qu'à  vous  de  les  entendre.  Aussi  bien,  outre  le 
profit  que  je  trouve  à  parler  ou  à  entendre  parler  de  philo- 
sophie, c'est  qu'il  n'y  a  rien  au  monde  où  je  prenne  tant 
de  plaisir.  Tout  au  contraire  des  autres  discours.  Je  me 
meurs  d'ennui  quand  je  vous  entends,  vous  autres  riches, 
parler  de  vos  intérêts  et  de  vos  aflaires.  Je  déplore  en  moi* 
même  l'aveuglement  où  vous  êtes. Vous  croyez  faire  mer- 
veilles, et  vous  ne  faites  rien  d'utile.  Peut-être  vous,  de 
votre  côté,  vous  me  plaignez ,  et  me  regardez  en  pitié. 
Peut-être  mêmi?  avez-vous  raison  de  penser  cela  de  moi. 
Et  moi,  non-seulement  je  pense  que  vous  êtes  à  plaindre, 
mais  je  suis  très-convaincu  que  j'ai  raison  de  le  penser. 

l'ami  d'apollodore. 
Vous  êtes  toujours  vous-même*,  cher  ApoUodore. 
Vous  ne  cessez  point  de  dire  du  mal  de  vous  et  de  tous 
les  autres*.  Vous  êtes  persuadé  qu'à  commencer  par 
vous,  tous  les  hommes,  excepté  Socrate,  sont  des  misé- 
rables. Je  ne  sais  pas  pour  quel  sujet  on  vous  a  donné  le 
nom  de  furieux;  mais  je  sais  bien  qu'il  y  a  quelque  chose 
de  cela  dans  tous  vos  discours.  Vous  êtes  toujours  en  fu- 
reur contre  vous  et  contre  tout  le  reste  des  hommes,  ex- 
cepté contre  Socrate. 

I .  Dant  rëdition  de  Geoffroy  et  dan»  celle  d'Aimë-Martin,  on  a 
ainsi  corrige  cette  phrase  :  «  Vous  ôtes  toujours  le  même.  » 

a.  Dans  ses  notet  sur  le  Platon  de  Bâle,  Racine  traduit  :  «  Vous 
▼DUS  condamnez  toujours  vous  et  les  autres,  n 


456  LE   BANQUET 

APOIXODORB. 

Il  VOUS  sembleMonc  qu'il  (kut  être  un  fiirieux  et  on 
insensé  pou^  parler  ainsi  de  moi  et  de  tous  tant  que  tous 
êtes? 

L^MI   d'aPOLLODORK. 

Une  autre  fois  nous  traiterons  cette  question.  Soutc- 
nez-vous  maintenant  de  votre  promesse,  et  redites-nous 
les  discours  qui  furent  tenus  chez  Âgathon. 

APOLLODORB. 

Les  voici;  ou  plutôt  il  vaut  mieux  vous  faire  cette  nar- 
ration de  la  même  manière  qu'Aristodème  me  Ta  faite. 

«  Je  rencontrai  Socrate,  me  disoit-il,  qui  sortoit  du 
bain,  et  qui  étoit  chaussé  plus  proprement  quà  son  ordi- 
naire. Je  lui  demandai  où  il  alloit  si  propre  et  si  beau.— 
Je  vais  souper  chez  Agathon,  me  répondit-il.  J'évitai  de 
me  trouver  hier  à  la  fête  de  son  sacrifice,  parce  que  je 
craignois  la  foule;  mais  je  lui  promis  en  récompense  qae 
je.serois  du  lendemain,  qui  est  aujourd'hui.  Voilà  ponr- 
quoi  vous  me  voyez  si  paré.  Je  me  suis  fait  beau  pour 
aller  chez  un  beau  garçon.  Mais  vous,  Aristodème,  seiiez- 
vous  d'humeurà  venir  aussi,  quoique  vous  ne  soyez  point 
prié?  —  Je  ferai,  lui  dis-je,  ce  que  vous  voudrez.  —  Ve- 
nez, dit-il,  et  montrons,  quoi  qu'en  dise  le  proverbe, 
qu'un  galant  homme  peut  aller  souper  chez  un  galant 
homme  sans  en  être  prié.  J'accuserois  volontiers  Homère 
d'avoir  péché  contre  ce  proverbe,  lorsque  après  noos 
avoir  représenté  Agamemnon  comme  un  grand  homme 
de  guerre,  et  Ménélas  comme  un  médiocre  guerrier,  il 
feint  que  Ménélas  vient  au  festin  d' Agamemnon  sans  être 
invités  c'est-à-dire  qu'il  fait  venir  un  homme  de  peu  de 
valeur  chez  un  brave  homme  qui  ne  l'attend  pas.  —  J  w 
bien  peur,  dis-je  à  Socrate,  que  je  ne  sois  le  Ménélas  du 

I.  lUade^  livre  II,  vers  408. 


DE  PLATON.  4^7 

festin  où  vous  allez.  C'est  à  vous  de  voir  comment  vous 
vous  défendrez;  car  pour  moi,  je  dirai  franchement  que 
c'est  vous  qui  m'avez  prié. — Nous  sommes  deux,  répon- 
dit Socrate,  et  nous  étudierons  en  chemin  ce  que  nous 
aurons  à  dire.  Allons  seulement.  —  Nous  allâmes  vers  le 
logis  d'Agathon,  en  nous  entretenant  de  la  sorte.  Mais  à 
peine  eûmes-nous  avancé  quelques  pas,  que  Socrate  de- 
vint tout  pensif,  et  demeura  en  la  même  place  sans  bou- 
ger. Je  m'arrétois  pour  l'attendre  ;  mais  il  me  dit  d'aller 
toujours  devant,  et  qu'il  me  suivroit.  Je  trouvai  la  porte 
ouverte  ;  et  il  m'arri  va  même  une  assez  plaisante  aventure . 
Un  esclave  d'Agatlion  me  mena  sur-le-champ  dans  la 
salle  où  étoit  la  compagnie,  qui  étoit  déjà  à  table,  et  qui 
attendoit  que  Ton  servit  ^ .  Agatbon  s* écria  en  me  voyant  : 
O  Aristodème,  soyez  le  bienvenu,  si  vous  venez  pour 
souper.  Que  si  c'est  pour  affaire,  je  vous  prie,  remettons 
les  affaires  à  un  autre  jour.  Je  vous  cherchai  hier  partout 
pour  vous  prier  d'être  des  nôtres.  Mais  que  fait  Socrate? 
—  Alors  je  me  retournai,  croyant  certainement  que  So- 
crate me  snivoit.  Je  fus  bien  surpris  de  ne  voir  personne. 
Je  dis  que  j'étois  venu  avec  lui,  et  qu'il  m'avoit  même 
invité.  -*  Vous  avez  bien  fait  de  venir,  reprit  Agathon  ; 
mais  où  est-il  ?  —  Il  marchoit  sur  mes  pas,  lui  répondis- 
je;  et  je  ne  conçois  point  ce  qu'il  peut  être  devenu.  — 
Petit  garçon,  dit  Agathon,  courez  vite  voir  où  est  Socrate  ; 
dites-lui  que  nous  l'attendons.  Et  vous,  Aristodème, 
placez- vous  à  côté  d'Éryximaque.  —  Un  esclave  eut  or- 
dre de  me  laver  les  pieds  ;  et  cependant  celui  qui  étoit 
sorti  revint  annoncer  qu'il  avoit  trouvé  Socrate  sur  la 
porte  de  la  maison  voisine,  mais  qu'il  n'avoit  point  voulu 
venir,  quelque  chose  qu'on  lui  eût  pu  dire.  —  Vous  me 

1.  En  tête  de  la  page  où  se  trouve  ce  i^cit,  dans  le  Platon  de 
Baie,  Racine  a  t'crit  :  <«  Entrée  du  festin  contée  agréablement.  » 


458  LE  BANQUET 

dites  là  nue  chose  étrange,  dit  Agatbon.  Retournez,  et 
ne  le  quittez  point  qu  il  ne  soit  entré.  —  Non,  non,  dis- 
je  alors,  ne  le  détournez  point  :  il  lui  arrive  assez  souveut 
de  s'arrêter  ainsi,  en  quelque  endroit  qu'il  se  trouve. 
Vous  le  verrez  bientôt,  si  je  ne  me  trompe  :  il  n*y  a  qu'à 
le  laisser  faire.  —  Puisque  c'est  là  votre  avis,  dit  Aga- 
thon,  je  m*y  rends.  Et  vous,  mes  enfants,  apportez-nous 
donc  à  manger;  donnez-nous  ce  que  vous  avez;  on  vous 
abandonne  l'ordonnance  du  repas  :  c'est  un  soin  que  je 
n^ai  jamais  pris.  Ne  regardez  ici  votre  maître  que  comme 
s'il  étoit  du  nombre  des  conviés^.  Faites  tout  de  votre 
mieux;  et  tirez-vous-en  a  votre  honneur.  —  On  servit. 
Nous  commençâmes  à  souper,  et  Socratene  venoit  point. 
Agathon  perdoit  patience,  et  vouloit  à  tout  momeat 
qu'on  rappelât;  mais  j'empéchois  toujours  qn*on  ne  le 
fît.  Enfin  il  entra  comme  on  avoit  à  moitié  soupe.  Aga- 
tbon, qui  étoit  seul  sur  un  lit  au  bout  de  la  table,  le  pria 
de  se  mettre  auprès  de  lui.  —  Venez,  dit-il,  Socrate,  ve- 
nez, que  je  m'approche  de  vous  le  plus  que  je  pourrai, 
pour  tâcher  d'avoir  ma  part  des  sages  pensées  que  vous 
venez  de  trouver  ici  près;  car  je  m'assure  que  vous  avez 
trouvé  ce  que  vous  cherchiez.  Autrement  vous  y  seriex 
encore.  —  Quand  Socrate  se  fut  assis  :  Plût  à  Dieu,  dit- 
il,  que  la  sagesse,  bel  Agathon,  fût  quelque  chose  qui  se 
pût  verser  d*un  esprit  dans  un  autre,  comme  l'eau  se 
verse  d'un  vaisseau  plein  dans  un  vaisseau  vide  !  Ce  seroit 
à  moi  de  m'estimer  heureux  d'être  auprès  de  vous,  dans 
Tespérance  que  je  pourrois  me  remplir  de  Texcellente 
sagesse  dont  vous  êtes  plein  ;  car  pour  la  mienne,  c'est 
une  espèce  de  sagesse  bien  obscure  et  bien  douteuse;  ce 
n'est  qu'un  songe  :  la  vôtre,  au  contraire,  est  une  sagesse 


I .  Agathon  dît  à  ses  valets  :  «  Imaginez-vous  que  vous  nous  aver 
tous  priés  ù  souper.  »  [Note  de  Racine^  dans  le  Platon  de  BdU.) 


DE  PLATON.  459 

magnifique,  et  qui  brille  aux  yeux  de  tout  le  inonde.  Té- 
moin la  gloire  que  vous  avez  acquise  à  votre  âge,  et  les 
applaudissements  de  plus  de  trente  mille  Grecs,  qui  ont 
été  depuis  peu  les  admirateurs  de  votre  sagesse.  —  Vous 
êtes  toujours  moqueur,  reprit  Agathon,  et  vous  n'épar- 
gnez point  vos  meilleurs  amis.  Nous  examinerons  tantôt 
quelle  est  la  meilleure  de  votre  sagesse  ou  de  la  mienne; 
et  Bacchus  sera  notre  juge.  Présentement  ne  songez  qu'à 
souper.  —  Pendant  que  Socrate  soupoit,  les  autres  con- 
viés achevèrent  de  manger.  On  en  vint  aux  libations  or- 
dinaires; on  chanta  un  hymne  en  Fhonneur  du  dieu  Bac- 
chus ;  et  après  toutes  ces  petites  cérémonies,  on  parla  de 
boire.  Pausanias  prit  la  parole  :  «  Voyons,  nous  dit-il, 
comment  nous  trouverons  le  secret  de  nous  réjouir.  Pour 
moi,  je  déclare  que  je  suis  encore  incommodé  de  la  dé- 
bauche d*hier;  je  voudrois  bien  qu'on  m'épargnât  aujour- 
d'hui.  Je  ne  doute  pas  que  plusieurs  de  la  compagnie, 
Surtout  ceux  qui  étoient  du  festin  d'hier,  ne  demandent 
grâce  aussi  bien  que  moi.  Voyons  de  quelle  manière  pas- 
ser gaiement  la  nuit.  —  Vous  me  faites  plaisir,  dit  Aris- 
tophane, de  vouloir  que  nous  nous  ménagions;  car  je  suis 
un  de  ceux  qui  se  sont  le  moins  épargnés  la  nuit  passée. 
—  Que  je  vous  aime  de  cette  humeur  !  dit  le  médecin 
Éryximaque.  Il  reste  à  savoir  dans  quelle  intention  se 
trouve  Agathon.  —  Tant  mieux  pour  moi,  dit  Agathon*, 
si  vous  autres  braves  vous  êtes  rendus  ;  tant  mieux  pour 
Phèdre,  et  pour  les  autres  petits  buveurs,  qui  ne  sont  pas 
plus  vaillants  que  nous.  Je  ne  parle  pas  de  Socrate  :  il 
est  toujours  prêt  à  faire  ce  qu'on  veut.  —  Mais,  reprit 

I .  Racine  a  mis  dans  la  bouche  d^Agathon  ce  que  Platon  fait  dire 
à  Eryximaque.  Ficin  et  de  Serres,  dans  leurs  traductions  latines,  ont 
commis  la  même  erreur;  mais  ils  n*ont  pas  comme  Racine  supprimé 
la  phrase  :  O^sfibic  o^"*  oÛTb^  lppci>p.at,  qui  est  dite  par  Agathon 
arant  la  reprise  d'Éryximaque  :  «  Tant  mieux  pour  moi,  etc.  » 


46o  LE  BANQUET 

Eryximaque%  puisque  vous  êtes  d'avis  de  ne  point  pous- 
ser la  débauche,  j'en  serai  moins  importun  si  je  vous  re- 
montre le  danger  qull  y  a  de  s'enivrer.  C'est  un  dogme 
constant  dans  la  médecine,  que  rien  n'est  plus  pernicieux 
à  rhomme  que  l'excès  du  vin  :  je  Téviterai  toujours  tant 
que  je  pourrai,  et  jamais  je  ne  le  conseillerai  aux  autres, 
surtout  quand  ils  se  sentiront  encore  la  tète  pesante  da 
jour  de  devant.  —  Vous  savez,  lui  dit  Phèdre  en  l'inter- 
rompant, que  je  suis  volontiers  de  votre  avis,  surtout 
quand  vous  parlez  médecine;  mais  vous  voyez  heureuse- 
ment que  tout  le  monde  est  raisonnable  aujourd'hui.  — 
11  n'y  eut  personne  qui  ne  fût  de  ce  sentiment.  On  ré- 
solut de  ne  point  s'incommoder,  et  de  ne  boire  que  pour 
son  plaisir.  —  Puisque  ainsi  est,  dit  Eryximaque,  qu'on 
ne  forcera  personne,  et  que  nous  boirons  à  notre  soif,  je 
suis  d'avis  premièrement  que  l'on  renvoie  cette  joueuse 
de  flûte.  Qu'elle  s'en  aille  jouer  là  dehors  tant  qu'elle 
voudra,  si  elle  n'aime  mieux  entrer  où  sont  les  dames,  et 
leur  donner  cet  amusement.  Quant  à  nous,  si  vous  m'en 
croyez,  nous  lierons  ensemble  quelque  agréable  conver- 
sation. Je  vous  en  proposerai  même  la  matière,  si  vous  le 
voulez.  —  Tout  le  monde  ayant  témoigné  qu'il  feroit 
plaisir  à  la  compagnie,  Eryximaque  continua  ainsi  :  Je 
commencerai  par  ce  vers  de  la  Ménalippe  d'Euripide'  : 
Les  paroles  que  vous  entendez^  ce  ne  sont  point  les  mien- 
nes; ce  sont  celles  de  Phèdre'.  Car  Phèdre  m'a  souvent 
dit  avec  une  espèce  d'indignation  :  O  Eryximaque,  n'est- 

I .  Les  mots  :  «  reprit  Eryximaque,  »  sont  une  addition  de  Rs- 
eine,  rendue  nécessaire  par  Terreur  dont  il  est  parU  dans  la  not^ 
précédente. 

a.  Ménalippe  ou  Mélanippe^  tragédie  d'Euripide  perdue  :  Tojre/. 
Aristophane,  les  Thesmophoriaziues^  vers  548.  Le  Yers  972  de  la  mhof 
pièce  esc,  comme  nous  Papprend  le  scoliaste,  tiré  de  Ménalippe, 

3.  Ce  dernier  membre  de  phrase  est,  comme  ce  qui  prêche,  fo 
italique  dans  IVdition  de  173a;  mais  c'est  à  tort. 


DE  PLATON.  461 

ce  pas  une  chose  étrange  que,  de  tant  de  poètes  qui  ont 
fait  des  hymnes  et  des  cantiques  en  l'honneur  de  la  plu- 
part des  Dieux,  aucun  n'ait  fait  un  vers  à  la  louange  de 
r Amour,  qui  est  pourtant  un  si  grand  dieu?  Il  n'y  a  pas 
jusqu'aux   sophistes  qui  composent   tous  les  jours  de 
grands  discours  à  la  louange  d'Hercule  et  des  autres 
demi-dieux.  Passe  pour  cela.  J*ai  même  vu  un  livre  qui 
portoit  pour  titi'e  :    P Eloge  du  Sel^  où  le  savant  auteur 
exagéroit  les  merveilleuses  qualités  du  sel,  et  les  grands 
services  qu'il  rend  à  l'homme.  En  un  mot,  vous  verreï 
qu'il  n'y  a  presque  rien  au  monde  qui  n'ait  eu  son  pané- 
gyrique. Comment  se  peut-il  donc  faire  que  parmi  cette 
profusion  d'éloges  on  ait  oublié  l'Amour,  et  que  personne 
n'ait  entrepris  de  louer  un  dieu  qui  mérite  tant  d'être 
loué  ?  Pour  moi,  continua  Eryximaque,  j'approuve  l'indi- 
gnation de  Phèdre.  Il  ne  tiendra  pas  à  moi  que  l'Amour 
n'ait  son  éloge  comme  les  autres.  Il  me  semble  même 
qu^il  siéroit  très-bien  à  une  si  agréable  compagnie  de  ne 
se  point  séparer  sans  avoir  honoré  l'Amour.  Si  cela  vous 
plait,  il  ne  faut  point  chercher  d'autre  sujet  de  conver- 
sation. Chacun  prononcei*a  son  discours  à  la  louange  de 
l'Amour.  On  fera  le  tour  à  commencer  par  la  droite. 
Ainsi  Phèdre  parlera  le  premier,  puisque  c'est  son  rang, 
et  puisque  aussi  bien  il  est  le  pi'emier  auteur  de  la  pensée 
que  je  vous  propose. —  Je  ne  doute  pas,  dit  Socrate,  que 
l'avis  d'Eryximaque  ne  passe  ici  tout  d'une  voix.  Je  sais 
bien  au  moins  que  je  ne  m'y  opposerai  pas,  moi  qui  fais 
profession  de  ne  savoir  que  l'amour.  Je  m'assm*e  qu'Aga- 
thon  ne  s'y  opposera  pas  non  plus,  ni  Pausanias,  ni  en- 
core moins  Aristophane,  lui  qui  est  tout  dévoué  à  Bac- 
chus  et  à  Vénus.  Je  puis  également  répondre  du  reste  de 
la  compagnie,  quoique,  à  dire  vrai,  la  partie  ne  soit  pas 
égale  pour  nous  autres  qui  sommes  assis  les  derniers. 
En  tout  cas,  si  ceux  qui  nous  précèdent  font  bien  leur  de- 


46a  LE   BANQUET 

voir,  et  épuisent  la  matière^  nous  en  serons  quittes  pour 
leur  donner  notre  approbation.  Que  Phèdre  conunence 
donc  y  à  la  bonne  heure ,  et  qu'il  loue  rAmour.  »  Le 
sentiment  de  Socrate  fut  généralement  suivi.  De  vous 
rendre  ici  mot  à  mot  tous  les  discours  que  Ton  prononça, 
c'est  ce  que  vous  ne  devez  pas  attendre  de  moi,  Aristo- 
dème,  de  qui  je  les  tiens,  n'ayant  pu  me  les  rapporter  à 
parfaitement,  et  moi-même  ayant  laissé  échapper  quelque 
chose  du  récit  qu'il  m'en  a  fait;  mais  je  vous  redirai  l'es- 
sentiel. Voici  donc  à  peu  près,  selon  lui,  quel  fut  le  dis- 
cours de  Phèdre. 

DISCOUBS   DB    PHÈDRE. 

C'est  un  grand  dieu  que  l'Amour,  et  véritablement 
digne  d'être  honoré  des  Dieux  et  des  hommes.  U  est  ad- 
mirable par  beaucoup  d'endroits,  mais  surtout  à  cause 
de  son  ancienneté  ;  car  il  n'y  a  point  de  dieu  plus  anden 
que  lui.  En  voici  la  preuve.  On  ne  sait  point  quel  est  son 
père  ni  sa  mère,  ou  plutôt  il  n'en  a  pomt.  Jamais  poète, 
ni  aucun  autre  homme  ne  les  a  nommés.  Hésiode,  après 
avoir  d'abord  parlé  du  Chaos,  ajoute^  : 

La  Terre  au  large  sein,  le  fondement  des  cieux; 
Après  elle  l'Amoar,  le  plus  charmant  des  Dieux. 

Hésiode  par  conséquent  fait  succéder  au  Chaos  la  Terre 
et  l'Amour.  Parménide^  a  écrit  que  l'Amour  est  sorti  du 
Chaos  : 

L'Amour  fut  le  premier  enfanté  dans  son  sein. 
Acusilas'  a  suivi  le  sentiment  d'Hésiode.  Ainsi,  d'un 

I.   Théogonie^  vers  Ii6,  117  et  lao. 

a.  Parménide  d*Elée,  philosophe  et  poète. 

3.  Acusilas  d'Argos,  ancien  historien,  qui  TiTmit  un  peu  avant 
rexpëdition  de  Darius  en  Grèce.  Voyez  Josèphe,  Contre  Jpf*o»^ 
livre  I,  chapitres  11  et  m. 


DE  PLATON.  46) 

commun  consentement,  il  n  y  a  point  de  dieu  qui  soit 
plus  ancien  que  l'Amour. 

Mais  c^est  même  de  tous  les  Dieux  celui  qui  fait  le  plus 
de  bien  aux  hommes;  car  quel  plus  grand  avantage  peut 
airiver  à  une  jeune  personne*  que  d'être  aimé*  d'un 
homme  vertueux  -,  et  à  un  homme  vertueux  que  d'aimer 
une  jeune  personne  qui  a  de  l'inclination  pour  la  vertu? 
Il  n'y  a  ni  naissance,  ni  honneurs,  ni  richesses  qui 
soient  capables,  comme  un  honnête  amour,  d'inspirer 
à  l'homme  ce  qui  est  le  plus  nécessaire  pour  la  con- 
duite de  sa  vie  :  je  veux  dire  la  honte  du  mal,  et 
une  véritable  émulation  pour  le  bien.  Sans  ces  deux 
choses,  il  est  impossible  que  ni  un  particulier,  ni  même 
une  ville,  fasse  jamais  rien  de  beau  ni  de  grand.  J'ose 
même  dire  que  si  un  homme  qui  aime  avoit  ou  commis 
une  mauvaise  action,  ou  enduré  un  outrage  sans  le  re- 
pousser, il  n'y  auroit  ni  père,  ni  parent,  ni  personne  au 
monde  devant  qui  il  eût  autant  de  honte  de  paroître  que 
devant  ce  qu'il  aime.  U  en  est  de  même  de  celui  qui  est 
aimé.  U  n'est  jamais  si  confus  que  lorsqu'il  est  surpris  en 
quelque  faute  par  celui  dont  il  est  aimé.  Disons  donc 
que,  si  par  quelque  enchantement  une  ville  ou  une  ar- 
mée pouvoit  n'être  composée  que  d'amants,  il  n'y  auroit 
point  de  féUcité  pareille  à  celle  d'un  peuple  qui  auroit 
tout  ensemble  et  cette  horreur  pour  le  vice  et  cet  amour 
pour  la  vertu.  Des  hommes  ainsi  unis,  quoique  en  petit 
nombre,  pourroient,  s'il  faut  ainsi  dire,  vaincre  le  monde 

I.  Le  texte  grec  est  :  véco  dvri.  Racine  dit  dans  sa  Lettre  à  Boileau 
que  Tabbesse  de  Fontevrault  avait  rectifié  le  discours  d'Alcibiade.  U 
fait  lui-même  ici  quelque  chose  de  semblable.  Voyez  la  note  sui- 
vante, et  ci-dcasus  la  Notice^  p.  4^9  et  43o. 

1.  n  y  a  ainsi  aimé,  au  masculin,  dans  l'^Sdition  de  ijSi.  Voyez 
ci-après,  p.  469,  ligne  92.  —  Nous  avons  i  peine  besoin  de  faire 
remarquer  pourquoi  Racine,  dans  ces  deux  passages^  laisse  un  sens 
très-^tendu  au  mot  personne. 


464  LE   BANQUET 

entier;  car  il  n^  a  point  d'honnête  homme  qui  osât  ja- 
mais se  montrer  devant  ce  qu'il  aime  après  avoir  aban- 
donné son  rang  ou  jeté  ses  armes,  et  qui  n'aimât  mieu 
mourir  mille  fois  que  de  laisser  ce  qu'il  aime  dans  le  pé- 
ril. Ou  plutôt  il  n'y  a  point  d'homme  si  timide  qui  ne 
devînt  alors  comme  le  plus  brave,  et  que  l'Amour  ne 
transportât  hors  de  lui-même.  On  lit  dans  Homère  que 
les  Dieux  inspiroient  l'audace  à  quelques-uns  de  ses  hé- 
ros *  :  c'est  ce  qu'on  peut  dire  de  l'Amour  plus  justement 
que  d'aucun  des  Dieux.  U  n'y  a  que  parmi  les  amants 
que  l'on  sait  mourir  l'un  pour  l'autre.  Non-seulement  des 
hommes,  mais  des  femmes  même  ont  donné  leur  vie 
pour  sauver  ce  qu'elles  aimoient.  La  Grèce  parlera  éter- 
nellement d'Alceste,  fille  de  Pélie'  :  elle  donna  sa  vie 
pour  son  époux,  qu'elle  aimoit,  et  il  ne  se  trouva  qu'elle 
qui  osât  mourir  pour  lui,  quoiqu'il  eût  son  père  et  sa 
mère.  L'amour  de  l'amante  surpassa  de  si  loin  leur  ami- 
tié, qu'elle  les  déclara,  pour  ainsi  dire,  des  étrangers  à 
l'égard  de  leur  fils  :  il  sembloit  qu'ils  ne  lui  fussent  pro- 
ches que  de  nom.  Aussi,  quoiqu'il  se  soit  fait  dans  le 
monde  un  grand  nombre  de  belles  actions,  celle  d'Al- 
ceste a  paru  si  belle  aux  Dieux  et  aux  hommes,  qu'elle  a 
mérité  une  récompense  qui  n'a  été  accordée  qu'à  un 
très-petit  nombre  de  personnes  :  les  Dieux ,  charmés  de 
son  courage,  l'ont  rappelée  à  la  vie.  Tant  il  est  vrai  qu'on 
amour  noble  et  généreux  se  fait  estimer  des  Dieux 
mêmes. 


I.  Voyez  dan»  Vldeuie  le  ven  48a  du  lirre  X,  et  le  vers  26)  da 
livre  XV. 

1.  Pélio^  dans  Tëdition  de  173s.  Les  éditeurs  des  QEupres  Je  Ra- 
cine, à  Pexception  de  Luneau  de  Boisjermain,  ont  corrige  Pélio  m 
Pêiias,  L*erreur  évidente  de  Tédition  de  1781  vient  sans  doute  de 
ce  que  le  manuscrit  portait  (peut-être  avec  un  e  mal  formé)  Pé&e,  qui 
traduit  bien  Pelias,  comme  Élu  traduit  Elias,  tsaie  Isaias,  etc. 


DE  PLATON.  465 

Us  n^ont  pas  ainsi  traité  Orphée  :  ils  Tont  renvoyé  des 
enfers,  sans  lui  accorder  ce  qu*il  demandoit.  Au  lieu  de 
lui  rendre  sa  femme,  qu'il  venoit  chercher,  ils  ne  lui  en 
ont  montré  que  le  fantôme  ;  car  il  manqua  de  courage, 
conune  un  musicien  qu'il  étoit.  Au  lieu  d'imiter  Alceste, 
et  de  mourir  pour  ce  qu'il  aimoit,  il  usa  d'adresse,  et 
chercha  l'invention  de  descendre  vivant  aux  enfers.  Les 
Dieux,  indignés  de  sa  lâcheté,  ont  permis  enfin  qu'il  pé- 
rît par  la  main  des  femmes. 

Combien ,  au  contraire ,  ont-ils  honoré  le  vaillant 
Achille  !  Thétis,  sa  mère,  lui  avoit  prédit  que  s'il  tuoit 
Hector,  il  mourroit  aussitôt  après;  mais  que  s'il  vouloit 
ne  le  point  combattre,  et  s'en  retourner  dans  la  maison 
de  son  père,  il  parviendroit  à  une  longue  vieillesse.  Ce- 
pendant Achille  ne  balança  point  :  il  préféra  la  ven- 
geance de  Patrocle  à  sa  propre  vie.  Il  voulut  non-seule- 
ment mourir  pour  son  ami ,  mais  même  mourir  sur  le 
corps  de  son  ami.  Aussi  les  Dieux  Tont-ils  honoré  par-des- 
sus tous  les  autres  hommes,  et  lui  ont  su  bon  gré  d'avoir 
sacrifié  sa  vie  pour  celui  dont  il  étoit  aimé  ;  car  Eschyle 
se  moque  de  nous  quand  il  nous  dit  que  c'étoit  Patrocle 
cpii  étoit  l'aimé.  Achille  étoit  le  plus  beau  des  Grecs,  et 
par  conséquent  plus  beau  que  Patrocle.  U  étoit  tout 
jeune,  et  plus  jeune  que  Patrocle,  conune  dit  Homère  ^ 
Mais  véritablement,  si  les  Dieux  approuvent  ce  que  l'on 
fait  pour  ce  qu'on  aime,  ils  estiment,  ils  admirent,  ils  ré- 
compensent tout  autrement  ce  que  Ton  fait  pour  la  per- 
sonne dont  on  est  aimé.  En  effet  celui  qui  aime  est  quel- 
que chose  de  plus  divin  que  celui  qui  est  aimé;  car  il  est 
possédé  d'un  dieu.  Et  de  là  vient  qu'Achille  a  été  encore 
mieux  traité  qu' Alceste,  puisque  les  Dieux  l'ont  envoyé 
après  sa  mort  dans  les  lies  des  bienheureux.  Je  conclus 

I.  lUadty  livre  XI,  vers  787. 
J.  Racixx.  ▼  3o 


466  LE  BANQUET 

que  de  tous  les  Dieux  FAmour  est  le  plus  ancien,  le  plus 
auguste,  et  le  plus  capable  de  rendre  Thomme  vertueox 
durant  sa  vie,  et  heureux  après  sa  mort. 

Phèdre  finit  de  la  sorte.  Aristodème  passa  par-dessus 
quelques  autres,  dont  il  avoit  oublié  les  discours,  et  il 
vint  à  Pausanias,  qui  parla  ainsi. 

DISCOUBS  DE   PAUSANIAS. 

Je  n'approuve  point,  à  Phèdre,  la  simple  proposition 
qu'on  a  bâte  de  louer  TAmour.  Cela  seroit  bon  s'il  n  y 
avoit  qu'un  Amour.  Mais,  conmie  il  y  en  a  plus  d'an,  je 
voudrois  qu'on  eût  marqué,  avant  toutes  choses,  quel 
est  celui  que  l'on  doit  louer.  C'est  ce  que  je  vais  essayer 
de  faire.  Je  dirai  quel  est  cet  Amour  qui  mérite  qu'on  le 
loue,  et  je  le  louerai  le  plus  dignement  que  je  pourrai. 

U  est  constant  que  Vénus  ne  va  point  sans  l'Amour.  S  il 
n'y  avoit  qu'une  Vénus,  il  n'y  auroit  qu'un  Amour;  mais 
puisqu'il  y  a  deux  Vénus,  il  faut  nécessairement  qu'A  y 
ait  aussi  deux  Amours.  Qui  doute  qu'il  n'y  ait  deux  Venus? 
L'une  ancienne,  fille  du  Ciel,  et  qui  n'a  point  de  mère  : 
nous  la  nommons  Fénus  Urémie;  l'autre  plus  moderne, 
fille  de  Jupiter  et  de  Dioné  :  nous  l'appelons  F^inus  po- 
pulaire. U  s'ensuit  que  de  deux  Amours,  qui  sont  les  mi- 
nistres de  ces  deux  Vénus,  il  faut  nommer  l'un  céleste^ 
et  l'autre  populaire.  Qr  tous  les  Dieux,  à  la  vérité,  sont 
dignes  d'être  honorés  ;  mais  distinguons  bien  les  fonctions 
de  ces  deux  Amours. 

Toute  action  est  de  soi  indifférente,  comme  ce  que 
nous  faisons  présentement,  boire,  manger,  disconrir. 
Aucune  de  ces  actions  n'est  ni  bonne  ni  mauvaise  par 
elle-même  ;  mais  elle  peut  devenir  l'un  ou  l'autre  par  h 
manière  dont  on  la  fait.  Elle  devient  honnête,  si  on  la 
fait  selon  les  règles  de  l'honnêteté;  et  vicieuse,  si  on  U 


DE  PLATON.  467 

fiut  contre  ces  règles.  Il  en  est  de  même  d^aimer  :  tou 
amoar  en  général  n'est  point  louable  ni  vertueux,  mais 
seulement  celui  qui  fait  que  nous  aimons  vertueusement. 

L'Amour  de  la  Venus  populaire  inspire  des  passions 
basses  et  populaires.  C'est  proprement  T Amour  qui  règne 
parmi  les  gens  du  conmiun.  Us  aiment  sans  choix,  plutôt 
les  femmes  que  les  hommes,  plutôt  le  corps  que  Tesprit. 
Et  même  entre  les  esprits  ils  s'accommodent  mieux  des 
moins  raisonnables,  car  ils  n'aspirent  qu'à  la  jouissance  : 
pourvu  qu'ils  y  parviennent,  il  ne  leur  importe  par  quels 
moyens.  De  là  vient  qu'ils  s'attachent  à  tout  ce  qui  se 
présente,  bon  ou  mauvais;  car  ils  suivent  la  Vénus  po- 
pulaire, qui,  parce  qu'elle  est  née  du  mâle  et  de  la  fe- 
melle, joint  aux  bonnes  qualités  de  l'un  les  imperfections 
de  l'antre. 

Pour  la  Vénus  Uranie,  elle  n'a  point  eu  de  mère,  et 
par  conséquent  il  n'y  a  rien  de  foible  en  elle^  De  plus, 
eUe  est  ancienne,  et  n'a  point  l'insolence  de  la  jeunesse. 
Or  l'Amour  céleste  est  parfait  conmie  elle.  Ceux  qui 
sont  possédés  de  cet  Amour  ont  les  inclinations  géné- 
reuses :  ils  cherchent  une  autre  volupté  que  celle  des 
sens;  il  faut  une  belle  âme,  un  beau  naturel  pour  leur 
plaire  et  pour  les  toucher;  on  reconnoît  dans  leur  choix 
la  noblesse  de  l'Amour  qui  les  inspire.  Us  s'attachent, 
non  point  à  une  trop  grande  jeunesse^  mais  à  des  per-^ 
sonnes  qui  sont  capables  de  se  gouverner;  car  ils  ne 
s'engagent  point  dans  la  pensée  de  mettre  à  profit  l'im- 
prudence d'une  personne  qu'ils  auront  surprise  dans 
sa  première  innocence,  pour  la  laisser  aussitôt  après,  et 
pour  courir  à  quelque  autre  ;  mais  ils  se  lient  dans  le  des- 
sein de  ne  se  plus  séparer,  et  de  passer  toute  leur  vie 
avec  ce  qu'ils  aiment. 

I.  Liexâct,  avec  intention.  Voyez  ci-dessus,  p.  4^3)  note  i. 


468  LE  BANQUET 

Il  seroit  effectivement  à  souhaiter  qa*il  y  e&t  une  loi 
par  laquelle  il  fût  défendu  d'aimer  des  personnes  qui 
n^ont  pas  encore  toute  leur  raison,  afin  qu^on  ne  donnât 
point  son  temps  à  nne  chose  si  incertaine  ;  car  qui  sait 
ce  que  deviendra  un  jour  cette  trop  grande  jeunesse? 
quel  pli  prendront  et  le  corps  et  Tesprit  ?  de  quel  côté 
ils  tourneront,  vers  le  vice  ou  vers  la  vertu?  Les  gens 
sages  s*imposent  eux-mêmes  une  loi  si  juste.  Mais  il  fau- 
droit  la  faire  obsei*ver  rigoureusement  j>ar  les  amants  po- 
pulaires dont  nous  parlions,  et  leur  défendre  ces  sortes 
d^engagements,  comme  on  leur  défend  Tadultère^  Ce 
sont  eux  qui  ont  déshonoré  Tamour  :  ils  ont  fait  dire 
qu^il  étoit  honteux  de  bien  traiter  un  amant.  Leur  indis- 
crétion et  leur  injustice  ont  seules  donné  heu  à  une  sem- 
blable opinion,  qui,  à  la  prendre  en  général,  est  très- 
fausse,  puisque  rien  de  ce  qui  se  fait  par  des  principes 
de  sagesse  et  d*honneur  ne  sauroit  être  honteux. 

Il  n*est  pas  difficile  de  connoître  Topinion  que  les 
hommes  ont  de  Tamour  dans  tous  les  pays  de  la  terre  ; 
car  la  loi  est  claire  et  simple.  Il  n'y  a  que  les  seules  villes 
d'Athènes  et  de  Lacédémone  où  la  loi  est  difficile  à  en- 
tendre, et  où  elle  est  sujette  à  explication.  Dans  TÉlide, 
par  exemple,  et  dans  la  Béotie,  où  les  esprits  sont  pe- 
sants, et  où  l'éloquence  n'est  pas  ordinaire,  il  est  dit 
simplement  qu'il  est  permis  d'aimer  qui  nous  aime.  Per- 
sonne ne  va  parmi  eux  à  l'encontre  de  cette  ordonnance, 
ni  jeunes  ni  vieux.  Il  faut  croire  qu'ils  ont  ainsi  autorisé 
Tamour  pour  en  aplanir  les  difficultés,  et  afin  qu'on  n  ait 
pas  besoin,  pour  se  faire  aimer,  de  recourir  à  des  artifi- 
ces que  la  nature  leur  a  refusés.  Les  choses  vont  autre- 
ment dans  rionie,  et  dans  tous  les  pays  soumis  à  la  do- 

I .  Le  texte  dit  :  «  Comme  on  lear  défend  d^aimer  les  femmct  dt 
condition  libre.  » 


DE  PLATON.  469 

mination  des  barbares;  car  là  on  déclare  infime  toute 
personne  qni  souffre  un  amant.  On  traite  sur  un  même 
pied  Famour,  la  philosophie,  et  tous  les  exercices  dignes 
d'un  honnête  homme ^  D'où  vient  cela?  Cest  que  les 
tyrans  n^aiment  point  à  voir  qu*il  s'élève  de  grands  cou- 
rages, ou  qu*il  se  lie  dans  leurs  Etats  des  amitiés  violen- 
tes :  or  c'est  ce  que  Tamour  sait  faire  parfaitement.  Les 
tyrans  d'Athènes  en  firent  autre  fois  l'expérience  :  l'amitié 
violente  d'Harmodins  et  d'Âristogiton  renversa  la  tyrannie 
dont  Athènes  étoit  opprimée.  Il  est  donc  visible  que  dans 
les  États  où  il  est  honteux  d'aimer  qui  nous  aime,  cette  trop 
grande  sévérité  vient  de  l'injustice  de  ceux  qui  gouver- 
nent, et  de  la  lâcheté  de  ceux  qui  sont  gouvernés  ;  mais 
que  dans  les  pays  au  contraire  où  il  est  honnête  de  rendre 
amour  pour  amour,  cette  indulgence  est  un  effet  de  la 
grossièreté  des  peuples  qui  ont  craint  les  difficultés. 

Tout  cela  est  bien  plus  sagement  ordonné  parmi  nous. 
Mais,  comme  j'ai  dit,  il  faut  bien  examiner  l'ordonnance 
pour  la  concevoir.  Car  d*un  côté,  on  dit  qu'il  est  plus  hon- 
nête d'aimer  aux  yeux  de  tout  le  monde  que  d'aimer  en 
cachette,  surtout  quand  on  aime  des  personnes  qui  ont 
eux-mêmes^  de  l'honneur  et  de  la  vertu,  et  encore  plus 
quand  la  beauté  du  corps  ne  se  rencontre  point  dans  ce 
qu'on  aime  '.  Tout  le  monde  s'intéresse  pour  la  prospérité 
d  an  homme  qui  aime.  On  l'encourage  :  ce  qu'on  ne  fe* 
roit  point  si  l'on  croyoit  qu'il  ne  fût  pas  honnête  d'aimer. 
On  l'estime  quand  il  a  réussi  dans  son  amour  ;  on  le  mé- 
prise quand  il  n'a  pas  réussi.  On  permet  à  son  amant  de 
se  servir  de  mille  moyens  pour  parvenir  à  son  but  ;  et  il 
Q^y  a  pas  un  seul  de  ces  moyens  qui  ne  fi]lt  capable  de  le 

1 .  11  y  a  dans  le  texte  :  ^  9iXoYU|AvaoT(oc,  le  goût  de  la  gymnastique, 
a.  Voyez  ci-desBtu,  p.  4^3,  note  i. 

3.  Le  sent  exact  serait  :  «c  quand  même  ces  personnes  seraient 
plus  laides  que  d'autres.  » 


/i7o  LE  BANQUET 

perdre  dans  Tesprit  de  tous  les  honnêtes  gens,  s'3  s'en 
servoit  pour  toute  autre  chose  que  pour  se  faire  aimer. 
Car  si  un  homme,  dans  le  dessein  de  s'enrichir,  ou  d'ob- 
tenir une  charge,  ou  de  se  faire  quelque  autre  établisse- 
ment de  cette  nature,  osoit  avoir  pour  un  grand  seigneur' 
la  moindre  des  complaisances  qu'un  amant  a  pour  ce 
qu'il  aime;  s'il  employoit  les  mêmes  supplications,  s'il 
avoit  la  même  assiduité,  s'il  faisoit  les  mêmes  serments, 
s'il  couchoit  à  sa  porte,  s'il  descendoit  à  mille  bassesses 
où  un  esclave  auroit  honte  de  descendre,  il  n'auroit  ni 
un  ennemi  ni  un  ami  qui  le  laissât  en  repos.  Les  ans  Ini 
reprocheroient  publiquement  sa  turpitude,  ses  bassesses; 
les  autres  en  rougiroient,  et  s'efiForceroient  de  l'en  corri- 
ger. Cependant  tout  cela  sied  merveilleusement  à  on 
homme  qui  aime.  Tout  lui  est  permis.  Non-seulement 
ses  bassesses  ne  le  déshonorent  pas,  mais  on  l'en  estime 
comme  un  homme  qui  fait  très-bien  son  devoir.  Et  ce  qoi 
est  de  plus  merveilleux,  c'est  qu'on  veut  que  les  amants 
soient  les  seuls  parjures  que  les  Dieux  ne  punissent  point  ; 
car  on  dit  que  les  serments  n'engagent  point  en  amour. 
Tant  il  est  vrai  que  les  hommes  et  les  Dieux  donnent 
tout  pouvoir  à  un  amant.  Il  n'y  a  donc  personne  qui  là- 
dessus  ne  demeure  persuadé  qu'il  est  très-louable  en 
cette  ville,  et  d'aimer»  et  de  vouloir  du  bien  à  ceux  qoi 
nous  aiment. 

Mais  ne  croira-t-on  pas  le  contraire,  si  l'on  regarde 
d'un  autre  côté  avec  quel  soin  un  père  met  auprès  de 
ses  enfants  une  personne  qui  veille  sur  eux,  et  que  le 
plus  grand  soin  de  ces  personnes  est  d'empêcher  qu'ils 
ne  parlent  à  ceux  qui  les  aiment?  S'il  arrive  même 
qu'on  les  voie  entretenir  de,  pareils  commerces ,  tons 
leurs  camarades  les  accablent  de  railleries  ;  et  les  gens 

I.  Rien  dans  le  grec  ne  répond  à  cette  expression. 


DE  PLATON.  471 

pliu  âgés  ni  ne  s'opposent  à  ces  railleries,  ni  ne  querel- 
lent ceux  qui  le^  font.  Encore  une  fois,  à  examiner  cet 
usage  de  notre  yille,  ne  croira-t-on  pas  que  nous  sommes 
dans  un  pays  où  il  y  a  de  la  honte  i  aimer  et  à  se  laisser 
aimer? 

Voici  comme  il  faut  accorder  toutes  ces  contrariétës. 
L'amour,  comme  je  disois  d'abord,  n'est  de  soi-même 
ni  bon  ni  mauvais.  Il  est  louable,  si  l'on  aime  avec  hon- 
neur ;  il  est  condanmable,  si  l'on  aime  contre  les  règles 
de  l'honnêteté. 

n  y  a  de  la  honte  i  se  laisser  vaincre  à  l'amour  d'un 
malhonnête  homme  ;  il  y  a  de  l'honneur  à  se  rendre  à 
l'amitié  d'un  homme  qui  a  de  la  vertu.  J'appelle  malhon- 
nête homme  cet  amant  populaire  qui  aime  le  corps  plutôt 
que  l'esprit.  Son  amour  ne  sauroit  être  de  durée,  car  il 
aime  une  beauté  qui  ne  dure  point  :  dès  que  la  fleur 
de  cette  beauté  est  passée,  vous  le  voyez  qui  s'envole 
ailleurs,  sans  se  souvenir  de  ses  beaux  discours  et  de 
toutes  ses  belles  promesses.  Il  n'en  est  pas  ainsi  de  l'a- 
mant honnête  :  comme  il  s'est  épris  d'une  belle  âme, 
son  amitié  est  immortelle,  car  ce  qu'il  aime  est  solide  et 
ne  périt  point. 

Telle  est  donc  l'intention  de  la  loi  qui  est  établie  parmi 
nous  :  elle  veut  qu'on  examine  avant  que  de  s'engager,  et 
qu'on  honore  ceux  qui  aiment  pour  la  vertu,  tandis  qu'on 
aura  en  horreur  ceux  qui  ne  recherchent  que  la  volupté  ; 
elle  encourage  les  jeunes  gens  à  se  donner  aux  premiers 
et  à  fuir  les  autres;  elle  examine  quelle  est  l'intention  de 
celui  qui  aime,  et  quel  est  le  motif  de  celui  qui  se  laisse 
aimer.  Il  s'ensuit  de  là  qu'il  y  a  de  la  honte  à  s'engager 
légèrement;  car  il  n'y  a  que  le  temps  qui  découvre  le  se- 

I .  D  y  a  bien  le  dans  IVdition  originale.  M.  Aimé-Martin  y  a 
substitué  Us;  mais  ne  peut-on  faire  rapporter  le  aux  mots  :  «  les 
accablent  de  railleries  m  ? 


472  LE  BANQUET 

cret  descœura.  U  est  encore  honteux  de  céder  à  nn  homme 
riche,  ou  à  un  homme  qui  est  dans  une  grande  Tortone, 
soit  qu^on  se  rende  par  timidité,  ou  qu'on  se  hûsse  éblouir 
par  l'argent,  ou  par  Tespérance  d'entrer  dans  les  char- 
ges; car  outre  que  des  raisons  de  cette  nature  ne  peu- 
vent jamais  lier  une  amitié  véritable  et  généreuse,  elles 
portent  d'ailleurs  sur  des  fondements  trop  peu  durables. 
Reste  un  seul  motif  pour  lequel,  selon  Tesprit  de  notre 
loi,  on  peut  accorder  son  amitié  à  celui  qui  la  demande; 
car  tout  de  même  que  les  bassesses  et  la  servitude  volon- 
taire d'un  homme  qui  aspire  *  à  se  faire  aimer  ne  sont 
point  odieuses  et  ne  lui  sont  point  reprochées,  aussi  y  a- 
t-il  une  espèce  de  servitude  volontaire  qui  ne  peut  jamais 
être  blâmée  :  c'est  celle  où  l'on  s'engage  pour  la  verto. 
Tout  le  monde  s'accorde  en  ce  point,  que  si  un  homme 
s'attache  à  en  servir  un  autre,  dans  l'espérance  de  deve- 
nir honnête  homme  par  son  moyen,  d'acquérir  la  sagesse, 
ou  quelque  autre  partie  de  la  vertu,  cette  servitude  n'est 
point  honteuse,  et  ne  s'appelle  point  une  bassesse.  H  bot 
que  l'amour  se  traite  comme  la  philosophie,  et  que  les 
lois  de  l'un  soient  les  mêmes  que  les  lois  de  l'autre,  si 
l'on  veut  qu'il  soit  honnête  de  favoriser  celui  qui  nous 
aime.  Car  si  l'amant  et  l'aimé  s'aiment  tous  deux  à  ces 
conditions,  savoir,  que  l'amant,  en  reconnoissance  des 
honnêtes  faveurs  de  celui  qu'il  aime,  sera  prêt  à  lui  ren- 
dre tous  les  services  qu'il  pourra  lui  rendre  avec  honneur; 
que  l'aimé,  de  son  côté,  pour  reconnottre  le  soin  que  son 
amant  aura  pris  de  le  rendre  sage  et  vertueux,  aura  pour 
lui  toutes  les  complaisances  que  l'honneur  lui  permettra; 
et  si  l'amant  est  véritablement  capable  d'inspirer  la  vertn 
et  la  prudence  à  ce  qu'il  aime,  et  que  l'aimé  ait  un  véri- 


I.  Aspirent^   dans  le  texte  de  1739;  mais  c^est  sans  doute  une 
faute  d'impression. 


DE  PLATON.  473 

able  désir  de  se  faire  instruire  :  si,  dis-je,  toutes  ces  con- 
ditions se  rencontrent,  c^est  alors  uniquement  qu'il  est 
honnête  d'aimer  qui  nous  aime.  L'amour  ne  peut  point 
être  permis  pour  quelque  autre  raison  que  ce  soit.  Alors 
il  n'est  point  honteux  d'être  trompé.  Partout  ailleurs  il  y 
a  de  la  honte^soit  qu'on  soit  trompé,  soit  qu'on  ne  le  soit 
point.  Car  si,  dans  l'espérance  du  gain,  on  s'abandonne 
à  un  amant  que  Ton  croyoit  riche,  et  qu'on  reconnoisse 
que  cet  amant  est  pauvre  en  effet,  et  qu'il  ne  peut  tenir 
parole,  la  honte  est  égale  de  part  et  d'autre.  On  a  dé- 
couvert ce  que  l'on  étoit,  et  on  a  montré  que  pom-  le 
gain  on  pouvoit  tout  faire  pour  tout  le  monde.  Et  qu'y 
a-t-il  de  plus  éloigné  de  la  vertu  que  ce  sentiment  ?  Au 
contraire,  si,  après  s'être  confié  à  un  amant  que  l'on  au- 
roit  cru  honnête  homme,  dans  l'espérance  d'acquérir  la 
vertu  par  le  moyen  de  son  amitié,  on  vient  à  reconnoître 
que  cet  amant  n'est  point  honnête  homme,  et  qu'U  est 
lui-même  sans  vertu,  il  n'y  a  point  de  déshonneur  à  être 
trompé  de  la  sorte;  car  on  a  fait  voir  le  fond  de  son 
cœur  :  on  a  montré  que  pour  la  vertu  et  dans  l'espé- 
rance de  parvenir  à  une  plus  grande  perfection,  on  étoit 
capable  de  tout  entreprendre  ;  et  il  n'y  avoit  rien  de  plus 
glorieux  que  d'avoir  cette  passion  pour  la  vertu.  D  s'en- 
suit donc  qu'il  est  beau  d'aimer  pour  la  vertu.  C'est  cet 
amour  qui  fait  la  Vénus  céleste,  et  qui  est  céleste  lui- 
même,  utile  aux  particuliers  et  aux  républiques,  et  digne 
de  leur  principale  étude,  qui  oblige  l'amant  et  l'aimé  de 
veiller  sur  eux-mêmes,  et  d'avoir  soin  de  se  rendre  mu- 
tuellement vertueux.  Tous  les  autres  amours  appartien- 
nent à  la  Vénus  populaire.  Voilà,  ô  Phèdre,  tout  ce  que 
j'avois  à  vous  dire  présentement  sur  l'amour. 

Pausanias  ayant  fait  ici  une  pause  (car  voilà  de  ces  al- 
lusions que  nos  sophistes  enseignent),  c'étoit  à  Aristo- 


474  LE  BANQUET  DE  PLATON. 

phane  à  parler  ;  mais  il  en  Ait  empêché  par  nn  hoqaet 
qui  lui  étoit  survenu,  apparemment  pour  avoir  trop 
mangé.  Il  s'adressa  donc  à  Eryximaque,  médecin,  auprès 
de  qui  il  étoit,  et  lui  dit  :  «  Il  faut,  ou  que  vous  me  déli- 
vriez de  ce  hoquet,  ou  que  vous  parliez  pour  moi  jus(|a*à 
ce  qu'il  ait  cessé.  —  Je  ferai  Tun  etTautre,  répondit  E17- 
ximaque;  car  je  vais  parler  à  votre  place,  et  vous  parie- 
rez à  la  mienne  quand  votre  incommodité  sera  finie.  Elle 
le  sera  bientôt,  si  vous  voulez  retenir  votre  haleine,  et 
vous  gargariser  la  gorge  avec  de  Teau.  Il  y  a  encore  un 
autre  remède  qui  fait  cesser  infailliblement  le  hoquet, 
quelque  violent  qu'A  puisse  être  :  c'est  de  se  procurer 
l'étemument  en  se  frottant  le  nez  une  ou  deux  fois. 
—  J'aurai  exécuté  vos  ordonnances,  dit  Aristophane, 
avant  que  votre  discours  soit  achevé.  Commencez*.  » 

X.  Ici  finit  la  traduction  de  M.  Racine  :  le  reste  est  de  Mme  de***. 
{Note  de  Pédition  Je  lySa,  p.  48.)  —  Dans  la  même  édition,  le  dis- 
cours d^Eryximaqne  est  a  la  page  49  ;  le  discours  d'Aristoplume, 
à  la  page  61  ;  le  discours  d'Agathon,  à  la  page  78;  le  discours  de 
Socrate,  à  la  page  99,  jusqu^à  la  page  i3a.  Ces  quatre  derniers  di»> 
cours,  comme  Téditeur  en  ayertit,  et  comme  l'atteste  un  passage  de 
la  Lettre  de  Racine  à  Dêipréaux,  n'appartiennent  pas  à  la  tradoctioD 
de  Racine,  mais  à  celle  de  Tabbesse  de  Fontevrault. 


FRAGMENTS 


DE  LA 


POÉTIQUE  D'ARISTOTE 


FRAGMENTS 


DB    LA 


POÉTIQUE    DARISTOTE 


Là^  tragédie  est  donc  rimitation  d'une  action  grave  et 
complète,  et  qui  a  sa  juste  grandeur.  Cette  imitation  se 
(ait  par  un  discours,  un  style  composé  pour  le  plaisir,  de 
telle  sorte  que  chacune  des  parties  qui  la  composent  sub- 
siste et  agisse  séparément  et  distinctement.  Elle  ne  se 
fait  point  par  un  récit,  mais  par  une  représentation  vive, 
qui,  excitant  la  pitié  et  la  terreur,  purge  et  tempère  ces 
sortes  de  passions.  [C^est-à-dire  quCen  émouwant  ces  pas- 
sions^ elle  leur  ôte  ce  qu  elles  ont  éC  excessif  et  de  vicieux  j 
et  les  ramène  à  un  état  modéré  et  conforme  à  la  raison* ."] 

I.  La  traduction  de  Racine  commence  à  la  page  54  du  livre  de 
Pierre  Vettori,  dont  il  a  ëtë  parle  ci-dessus,  p.  43^  et  433,  dans  la 
Notice  sur  les  Traductions.  Jusque-là  on  ne  trouTC,  dans  Texemplaire 
de  la  Bibliothèque  impériale  que  nous  avons  mentionne,  que  des  pas- 
sages marques  de  traits  au  crayon,  et  quelques  petites  notes,  égale- 
ment au  crayon,  qui  indiquent  par  un  ou  deux  mots  ce  dont  il 
s'agit,  par  exemple  :  Parodie,  Dithyrambe^  etc.  —  Ce  premier  alinëa 
est  la  traduction  du  passage  de  la  Poétique^  qui  commence  aux 
mots  :  'Eoxtv  olv  ipayclidCoc,  ei  finit  aux  mots  :  xa\  icopà  rauia  oùSiv 
(chapitre  ti). 

9.  Cette  dernière  phrase  n'est  qu'une  explication  du  texte,  bien 
que  Racine  ne  Fait  point  distinguée  de  sa  traduction,  comme  nous 
le  faisons  ici  en  l'imprimant  en  italique  et  en  la  mettant  entre  des 


478  FRAGMENTS 

J'appelle  discours  composé  pour  le  plaisir,  un  discours 
qui  marche  avec  cadence,  harmonie  et  mesure.  Et  quand 
je  dis  que  chacune  des  parties  doit  agir  séparément,  je 
veux  dire  qu'il  y  a  des  choses  qui  se  représentent  par 
les  vers  tout  seuls,  et  d'autres  par  le  chant.  Or,  puisque 
c'est  en  agissant  que  se  fait  Fimitation,  il  faut  d'abord 
poser  qu'il  y  a  une  des  parties  de  la  tragédie  qui  n'est  qae 
pour  les  yeux  [comme  la  décoration^  les  habits  j  etcJ\\  en- 
suite il  y  a  le  chant  et  la  diction;  car  c'est  avec  ces  cho- 
ses qu'on  imite.  J'appelle  diction  la  composition  des  vers; 
et  pour  le  chant,  il  s'entend  assez  sans  qu'il  soit  besoin 
de  l'expliquer.  La  tragédie  est  l'imitation  d*une  action. 
Or  toute ^  action  suppose  des  gens  qui  agissent,  et  les 
gens  qui  agissent  ont  nécessairement  un  caractère  [c'ef(- 
à'dire  des  mœurs  et  des  inclinations  qui  les  font  agir\\ 
car  ce  sont  les  mœurs  et  l'inclination  [c'est-à-dire*  la 
disposition  de  Fesprit^^  qui  rendent  les  actions  telles  on 
telles  ;  et  par  conséquent  les  mœurs  et  le  sentiment  [ou 
la  disposition  de  Fesprit]  sont  les  deux  principes  des  ac- 
tions. Ajoutez  que  c'est  par  ces  deux  choses'  que  tous  les 
honmies  viennent^  ou  ne  viennent  pas  à  bout  de  leun 
desseins  et  de  ce  qu'ils  souhaitent,  La  fable  est  propre- 
ment l'imitation  de  l'action.  J'entends  par  le  mot  defiible 
le  tissu  ou  le  contexte  des  affaires.  Les  jnœurs  [ou  au- 
trement le  caractère]^  c'est  ce  qui  rend  un  homme  tel  on 
tel  [c'est-à-dire  bon  ou  méchant]  ;  et  le  sentimoit  mar- 
que la  disposition  de  l'esprit,  lorsqu'il  se  déclare  par  les 


crochets.  Dans  la  suite  nous  avons  isole  de  même  ce  qui  nous  a 
paru  une  simple  glose. 

I .  Au  lieu  de  toute^  Racine  avait  d'abord  mis  eeite, 
■  a.  Ici,  comme  en  plusieurs  antres  passages  de  ces  notes.  Racine 
s^est  servi  de  l'abréviation  i.  (i^eif),  au  lieu  de  c^est^^dhre. 

3.  D  y  avait  d'abord  :  par  Iém  actions  » 

4*  U  y  avait  d'abord  :  pairUnment, 


DE  LA  POÉTIQUE  D'ARISTOTE.  479 

paroles,  qui  font  connoître  dans  qael  sentiment  nons 
sommes.  II  faut  donc  nécessairement  qu*il  y  ait  six  par- 
ties de  la  tragédie,  lesquelles  constituent  sa  nature  et  son 
essence  :  la  fable,  les  mœurs,  la  diction,  le  sentiment,  la 
décoration  et  tout  ce  qui  est  pour  les  yeux,  et  le  chant; 
car  il  y  a  deux  choses  par  lesquelles  on  imite  [qui  sont 
le  chant  et  la  diction]^  une  manière  d*imiter  [qui  est  la 
représentation  du  théâtre^  c^est-à-dire  la  décoration^  les 
habits^  le  geste^  etc]  ;  et  il  y  a  trois  choses  qu^on  imite, 
au  delà  desquelles  il  n'y  a  rien  de  plus  [c^est^à-dire  Fac^ 
tion^  les  mœurs  et  les  sentiments], 


Un  ^  tout  est  ce  qui  a  un  commencement,  un  milieu  et 
une  fin.  Le  conmiencement  est  ce  qui  n'est  point  obligé 
d'être  après  une  autre  chose,  et  après  quoi  il  y  a  ou  il  y 
doit  avoir  d'autres  choses.  La  fin,  au  contraire,  est  ce 
qui  est  nécessairement  ou  qui  a  de  coutume  d'être  après 
une  autre  chose,  et  après  quoi  il  n'y  a  plus  rien.  Le  mi- 
lieu est  ce  qui  est  après  une  autre  chose,  et  après  quoi 
il  y  a  encore  d'autres  choses.  Il  faut  qu'une  fable  bien 
constituée  ne  conunence  et  ne  finisse  point  au  hasard , 
mais  qu'elle  soit  selon  les  règles  que  nous  en  venons  de 
donner 


Voilà*  pourquoi  la  poésie  est  quelque  chose  de  plus 
philosophique  et  de  plus  parfait  que  l'histoire.  La  poésie 
est  occupée  autour  du  général,  et  l'histoure  ne  regarde 
que  le  détail.  J'appelle  le  général  ce  qu'il  est  convenable 
qu'un  tel  homme  dise  ou  fasse  vraisemblablement  ou  né- 

I.  ""OXovSé  lait....  xatç  6?pi)(iivai(  Uiaiç  (chapitre  yii). 
a.  Lih  m\  9iXoot>?(j^icpov....  ^  x(  fffaOcv  (chapitre  ix). 


48o  FRAGMENTS 

cessairement;  et  c'est  là  ce  que  traite  la  poésiCf  jetant 
son  idée  sur  les  noms  qui  lui  plaisent  [cesi-à-aire em- 
pruntant les  noms  de  tels  ou  de  tels  pour  les  faire  agir  ou, 
parler  selon  son  idée].  L'histoire,  au  contraire,  ne  traite 
que  ^  le  détail  ;  par  exemple,  ce  qu'a  fait  Alcibiade,  ou  ce 
qui  lui  est  arrivé 


Le*  prologue  est  toute  cette  partie'  de  la  tragédie  qui 
précède  Tentrée  du  chœur.  L'épisode  est  toute  cette  par- 
tie de  la  tragédie  qui  est  entre  deux  cantiques  du  chcenr; 
l'exodcy  toute  cette  partie  de  la  tragédie  après  laqueUe  le 
chœur  ne  chante  plus.  Les  parties  du  chœur  sont  :  i*  l'en- 
trée, 'KipoBoç  [c^est'à'dire  lorsque  le  chœur  parle  tout  en- 
tier la  première  fois]  ;  la  seconde ,  le  repos,  ardatfMv, 
c'est-à-dire  ce  chant  du  chœur  qui  est  sans  anapeste  et 
sans  trochée  [ei  où  le  chœur  demeure  fixe  en  sa  place']  ;  et 
enfin  la  lamentation,  x^fAfxoç,  ce  chant  lugubre  du  chœur 
et  des  acteurs  ensemble 


Puis  ^  donc  qu'il  faut  que  la  constitution  d'unp  exed- 
lente  tragédie  soit,  non  pas  simple,  mais  composée,  et 
pour  ainsi  dire  nouée,  et  qu'elle  soit  une  imitation  de 
choses  terribles  et  dignes  de  compassion  (car  c'est  là  le 
propre  de  la  tragédie),  il  est  clair  premièrement  qu'il  ne 
îfaut  point  introduire  des  hommes  vertueux  qui  tombent 
du  bonheur  dans  le  malheur;  car  cela  ne  seroit  ni  terri- 

I .  Ce  commencement  de  la  phrase  a  été  ajouté  an  texte,  poor 
l'expliquer. 

9.  '^on  Bè  icp^Xopc....  xa\  èssb  oxi^vîSc  (chapitre  xii). 

3.  Il  y  avait  d'ai>ord,  ici  et  dans  la  phrase  suivante  :  «  cette 
partie  entière.  » 

4.  Ï9m($>}  oSv  Set....  m^sî(  dfvSpC{  (chapitre  xui). 


DE  LA  POETIQUE  D*ARISTOTE.  481 

ble  ni  digne  de  compassion,  mais  bien  cela  seroît  détes- 
table et  digne  d'indignation^.  Il  ne  fant  pas  non  pins 
introduire  nn  méchant  homme  qui,  de  malheureux  qu'il 
étoit,  devienne  heureux  :  car  il  n^  ^  rien  de  plus  opposé 
au  but  de  la  tragédie,  cela  ne  produisant  aucun  des  effets 
qu'elle  doit  produite;  c'est-à-dire  qu^il  n'y  a  rien  en  cela 
de  naturel  ou  d'agréable  à  Thomme,  rien  qui  excite  la 
terreur  ni*  qui  émeuve  la  compassion.  Il  ne  faut  pas  non 
plus  qu'un  tré»-méchant  homme  tombe  du  bonheur  dans 
le  malheur;  car  il  y  a  bien  [à]  cela  quelque  chose  de  juste 
et  de  naturel;  mais  cela  ne  peut  exciter  ni  pitié  ni  crainte  ; 

I .  Dans  U  Préface  de  Phèdre^  Racine  fait  allasion  à  ce  paiêage  de 
la  Poétique^  à  propos  du  caractère  d^HippoIyte  dans  Euripide.  Voyez 
notre  tome  III,  p.  3oo  et  3oi.  A  la  note  i  de  cette  dernière  page, 
nous  BTons  dit  qu'il  nous  avait  été  impossible  de  dëcouvrir  où  Ra- 
cine avait  «  remarque  dans  les  anciens  qu'on  reprochoit  à  Euripide 
d'avoir  représente  Hippoljte  comme  un  philosophe  exempt  de 
toute  imperfection  :  ce  qui  faisoit  que  la  mort  de  ce  jeune  prince 
causoit  beaucoup  plus  d'indignation  que  de  pitië;  »  et  nous  avons 
ajoute  qu'il  pouvait  bien  avoir  lu  dans  quelque  commentateur  ce 
que ,  sur  la  foi  d'un  souvenir  un  peu  vague,  il  a  attribue  aux  on- 
cUns.  La  lecture  des  Commentaires  de  Vettori  nous  fait  maintenant 
penser  que  la  réminiscence  de  notre  poète  lui  venait  de  ce  livre, 
dont  il  s'était  servi  quelques  années  sans  doute  avant  la  composi- 
tion de  Phèdre^  pour  étudier  la  Poétique.  Nous  y  lisons  en  effet,  à 
la  page  lao,  le  commentaire  suivant  de  ce  passage  d*Aristote  : 
'Eicct^  otiv  Set  T^v  oiSvOcatv,  x.  t.  X.  :  IVon  sine  causa  autem  existimare 
aUquis  posset^  fretus  hoc  testimomo  summi  doctoris,  peccasse  Euripidem^ 
qui  sumpsii  personmn  Hippolyti  tanquam  tragadûs'  aptam^  misericor" 
diseque  movendm  idoneam;  easus  namque  UUus,  ui  docet  hic  auetor^  dirus 
fuit  ac  uefariuSp  non  miserabilis;  neque  enim  decebat  tam  integrum  et 
castum  adolescentem  in  eam  miseriam  eadere^  etc.  Nous  avons,  dans  la 
même  note,  parlé  de  la  réponse  que  Schlegel  a  faite  a  cette  critique 
du  personnage  dllîppoljte.  Vettori ,  au  passage  dont  nous  venons 
de  citer  une  partie,  avait  dit  avant  Schlegel  :  An  purgmri  potest  poeta, 
quia^  quamvis  eximim  prohitatis  foret  Hippoljrtus,  tamen  contempserat 
Venerem  ipsiusque  digiùtatem  lêuerat?  Est  vero  erratum  non  parpum 
graçeque  erimen  eammittere  quiequam  eonira  Deum  aUquem. 

a.  Au  lieu  de  ni^  il  y  avait  d'abord  ou. 

J.  Racuib.  t  3i 


482  FRAGMENTS 

car  on  n'a  pitié  que  d'un  malheureux  qui  ne  mérite  point 
son  malheur,  et  on  ne  craint  que  pour  ses  semblables. 
Ainsi  cet  événement  ne  sera  ni  terrible  ni  digne  de  com- 
passion •  n  faut  donc  que  ce  soit  un  homme  qui  soit 
entre  les  deux,  c'est-à-dire  qui  ne  soit  point  extrême- 
ment juste  et  vertueux,  et  qui  ne  mérite  point  aussi  son 
malheur  par  un  excès  de  méchanceté  et  d'injustice.  Mais 
il  faut  que  ce  soit  un  homme  qui,  par  sa  faute ,  de- 
vienne malheureux,  et  tombe  d'une  grande  félicité  et 
d'un  rang  très-considérable  dans  une  grande  misère  : 
comme  Œdipe,  Thyeste,  et  d'autres  personnages  illus- 
tres de  ces  sortes  de  familles 


Puis*  donc  que  c'est  par  l'imitation  que  le  poète  peut 
produire  en  nous  ce  plaisir  qui  naît  de  la  compassion  et 
de  la  terreur,  il  est  visible  que  c'est  de  l'action  et  pour 
ainsi  dire  du  sein  de  la  chose  que  doit  naître  ce  plaisir. 
Voyons  maintenant  quelles  sortes  d'événements  peuvent 
j»t>duire  cette  terreur  et  cette  pitié.  Il  faut  de  nécessité 
que  ce  soient  des  actions  qui  se  passent  entre  amis  ou 
entre  ennemis,  ou  entre  des  gens  qui  ne  soient  ni  l'un  ni 
l'autre.  Si  un  ennemi  tue  un  ennemi,  nous  ne  ressentons 
aucune  pitié  ni  à  lui  voir  faire  cette  action,  ni  lorsqu'il  se 
prépare  à  la  faire.  II  n'y  a  que  le  moment  même  où  noos 
lui  voyons  répandre  du  sang  [ou  nous  pouffons  renenUr 
cette  simple  émotion  que  la  nature  ressent  en  ifoyant  tuer 
un  homme'].  Nous  n'aurons  point  non  plus  une  grande 
pitié  pour  des  gens  indifférents  qui  voudront  se  tuer  les 
uns  les  autres.  Il  reste  donc  que  ces  événements  se  pas- 
sent entre  des  personnes  liées  ensemble  par  les  nœuds  do 
sang  et  de  l'amitié  :  comme,  par  exemple,  lorsqu'un  firère 

I.  'E9cc\  Bà  'djv  èaài  SXiou....  iX^'zvlx  fxovfif  (chapitre  zir). 


DE  LA  POÉTIQUE  D'ARISTOTE.  4B3 

ou  tue  ou  est  prêt  de  tuer  son  frère,  un  fils  son  père, 
une  mère  son  fils,  ou  un  fils  sa  mère  ;  et  ce  sont  de  ces 
événements  que  le  poète  doit  chercher.  On  ne  peut  chan- 
ger et  démentir  les  fables  qui  sont  reçues  :  on  ne  peut 
point  faire,  par  exemple,  que  Cljtemnestre  ne  soit  point 
tuée  par  Oreste;  qu'Ériphile  ne  soit  point  tuée  par  AIc- 
maeon.  Il  faut  donc  que  le  poëte  ou  invente  lui-même  un 
sujet  nouveau,  ou  qu'il  songe  à  bien  traiter  ceux  qui  sont 
déjà  inventés.  Expliquons  ce  que  nous  entendons  par 
bien  traiter.  On  peut  faire,  comme  faisoient  les  anciens, 
que  ceux  qui  agissent,  agissent  avec  connoissance  de 
cause  :  comme  Euripide  fait  que  Médée  tue  ses  enfants, 
qu'elle  connoît  pour  ses  enfants;  ou  on  peut  faire  en 
sorte  que  ceux  qui  commettent  une  action  de  cette  nature 
la  commettent  à  la  vérité,  mais  sans  savoir  ce  qu'ils  font, 
et  qu'ils  reconnoissent  ensuite  la  personne  contre  qui  ils 
l'ont  commise  :  par  exemple,  Œldipe  dans  Sophocle.  U 
est  vrai  que  dans  cette  tragédie  l'action  s'est  faite  hors 
de  la  tragédie  [c'e^f-à-rfirc  longtemps  avant  la  recon- 
naissance]'^ mais,  dans  la  tragédie  même,  AIcmaeôn, 
chez  le  poëte  Astydamas,  tue  sa  mère  avant  que  de 
la  connoître;  et  Télégonus  blesse  son  père  avant  que 
de  le  connoître,  dans  la  tragédie  à^ Ulysse  blessé.  Il 
y  a  encore  une  troisième  manière,  qui  est  de  faire  que 
celui  qui  va  commettre  quelque  action  horrible  par  igno- 
rance, reconnoisse,  avant  l'action  même,  l'horreur  de 
son  action.  Et  il  n'y  a  que  ces  trois  manières;  car  il  faut 
de  nécessité  ou  que  Faction  s'achève  ou  qu'elle  ne  s'a- 
chève point;  et  que  ceux  qui  agissent,  ou  connoissent  ou 
ignorent  ce  qu'ils  veulent  faire.  La  plus  mauvaise  de  ces 
trois  manières,  c'est  lorsqu'un  homme  veut  faire  une 
action  horrible  avec  connoissance  de  cause,  et  qu'il  ne 
Tachève  pourtant  pas;  car  il  n'y  a  rien  en  cela  que  de 
scélérat,  et  il  n'y  a  point  de  tragique,  n'y  ayant  point  de 


484  FRAGMENTS 

sang  répandu.  Aussi  il  arrive  peu  qu^on  représente  rien 
de  cette  nature.  On  en  peut  voir  un  exemple  dans  VAfUir 
gone^  où  Hémon  veut  tuer  son  père  Créon,  et  ne  le  tue 
point.  La  seconde  de  ces  trois  manières  [et  qui  est  meil- 
leure que  r  autre  dont  je  uiens  de  parler']^  c'est  lorsqu'on 
homme  [agit  opec  connaissance^  et  fu'i/J  achève  Faction; 
mais  le  meilleur  de  bien  loin,  c'est  lorsqu'un  homme 
commet  quelque  action  horrible  sans  savoir  ce  qu'il  &it, 
et  qu'après  l'action  il  vient  à  reconnottre  ce  qu'il  a  fiiit; 
car  il  n'y  a  rien  là  de  méchant  et  de  scélérat,  et  cette  re- 
connoissance  a  quelque  chose  de  terrible  et  qui  fait  fré- 
mir. Cette  dernière  manière  est  infiniment  la  meilleure. 
En  voici  des  exemples  :  dans  le  Cresphonte^  Mérope, 
mère  de  Cresphonte,  le  veut  faire  mourir,  et  ne  le  tue 
point,  parce  qu'elle  le  reconnoît  pour  son  fils.  Dans  Iplùr 
génie  y  la  sœur  reconnoît  son  firère,  et  ne  le  tue  point;  et 
dans  Hellé^  le  fils  reconnoît  sa  mère  au  moment  qu'il 
Talloit  livrer.  C'est  pour  cela  que  l'on  a  souvent  dit  que 
les  tragédies  ne  mettent  sur  la  scène  qu'un  petit  nombre 
de  familles;  car  les  poètes  qui  cherchoient  à  traiter  des 
actions  de  cette  nature  en  sont  redevables  à  la  fortune, 
et  non  pas  à  leui'  invention.  Ainsi  ils  sont  contraints  de 
revenir  à  ces  mêmes  familles,  où  ces  sortes  d'événements 
se  sont  passés.  Voilà  tout  ce  qu'on  peut  dire  de  la  consti- 
tution de  l'action  et  de  la  fable,  et  de  la  nature  dont  les 
fables  doivent  être. 

Venons^  maintenant  aux  mœurs.  Il  y  a  quatre  choses 
qu'il  faut  y  chercher.  Premièrement,  qu'elles  soient  bon- 
nes. Un  personnage  a  des  mœurs  lorsqu'on  peut  recon- 
noître,  ou  par  ses  actions  ou  par  ses  discours,  TinclinatioD 
et  l'habitude  qu'il  a  au  vice  ou  [à]  la  vertu.  Ses  mœurs 
seront  mauvaises  si  son  inclination  est  mauvaise,  et  elles 

I .  Depl  ^  idt  {6?}. . . .  h  lot^  lx&eSo(iivoic  X^yoi^  Ixavûç  (chapitre xr). 


DE  LA  POÉTIQUE  D'ARISTOTE.  485 

seront  bonnes  si  cette  inclination  est  bonne.  Les  mœurs, 
on  le  caractère,  se  rencontrent  en  toutes  sortes  de  con- 
ditions ;  car  une  femme  peut  être  bonne,  un  esclave  peut 
l'être  aussi,  quoique  d'ordinaire  la  femme  soit  d'une 
moindre  bonté  que  Thoname,  et  que  Tesclave  soit  pres- 
que absolument  mauvais.  La  seconde  qualité  que  doivent 
avoir  les  mœurs,  c'est  d'être  convenables;  car  la  valeur 
tient  rang  parmi  les  mœurs,  mais  elle  ne  convient  pas 
aux  mœurs  d'une  femme,  qui  naturellement  n'est  point 
brave  et  intrépide.  Troisièmement,  elles  doivent  être 
semblables  [cest-^-dire  que  les  personnages  qiCon  imite 
doiçeni  apoir  au  théâtre  les  mêmes  mœurs  que  Pon  sait 
quUls  açoient  durant  leur  W^];  et  cette  qualité  de  sem- 
blables est  différente  des  deux  premières,  qui  sont  d'être 
bonnes  et  convenables.  En  quatrième  lieu,  il  faut  qu'elles 
soient  uniformes;  car  quoique  le  personnage  qu'on  re« 
présente  paroisse  quelquefois  changer  de  volonté  et  de 
discours,  il  faut  néanmoins  [quil  soit  toujours  le  même 
dans  le  fond^  que  tout  parte  cTun  même  principe^  ei\  qu'il 
soit  inégalement  égal  et  uniforme.  On  peut  apporter  pour 
exemples  de  mauvaises  mœurs  qui  le  sont  sans  nécessité,  le 
Ménélas  de  VOreste;  de  mœurs  messéantes,  et  qui  ne  con- 
viennent pas  au  personnage,  les  lamentations  d'Ulysse  dans 
hScjrllat  et  les  discours  philosophiques  de  Ménalippe;  et 
de  mœurs  inégales  et  qui  se  démentent,  VIphigime  en 
Aulide;  car  Iphigénie  timide,  et  qui  a  peur  de  mourir,  ne 
ressemble  en  rien  à  l'Iphigénie  qui  s'offire  généreusement 
à  la  mort,  et  qui  veut  mourir  malgré  tout  le  monde.  Or 
il  faut  toujours  chercher  dans  les  mœurs,  aussi  bien  que 
dans  la  constitution  de  la  fable,  ou  le  nécessaire,  ou  le 
vraisemblable  :  c'est-à-dire  qu'il  faut  que  celui  qui  parle 
ou  qui  agit  fasse  et  dise  tout  nécessairement  ou  vraisem- 
blablement ;  qu'une  chose  n'arrive  point  après  l'autre  que 
par  nécessité,  ou  parce  qu'il  est  vraisemblable  qu'elle  ar- 


486  FRAGMENTS 

rive  ainsi.  U  est  donc  manifeste  que  le  dénouement  de 
la  fable  doit  être  tiré  de  la  (Me  mémei  et  non  point  da 
secours  d'une  machine,  comme  dans  Midie  et  dans 
Y  Embarquement  des  Grecs  après  la  prise  de  Troie.  Le 
secours  d*une  machine  ne  peut  être  bon  que  pour  les  cho- 
ses qui  sont  hors  de  la  fable,  ou  qui  se  sont  passées  devant 
la  fable  (comme  sont  les  choses  qu*il  est  impossible  que 
rhomme  sache  sans  le  secours  des  EKenx),  ou  pour  les 
choses  qui  doivent  arriver  après  la  fied)le,  et  qu'on  ne  peat 
savoir  que  par  révélation  ou  par  prophétie  ;  car  nous  ac- 
cordons aux  Dieux  la  connoissance  de  toutes  choses.  D 
ne  faut  pas  non  plus  qu'il  y  ait  rien  d'absurde  et  de  peu 
vraisemblable  dans  l'action  ;  cela  ne  se  souffre  que  dans 
les  choses  qui  sont  hors  de  la  tragédie  :  ce  qu*on  peut 
voir  dans  VOEdipe  de  Sophocle^.  La  tragédie  étant  une 
imitation  des  mœurs  et  des  personnes  les  plus  excellen- 
tes, il  faut  que  nous  fassions  comme  les  bons  peintres, 
qui  en  gardant  la  ressemblance  dans  leurs  portraits, 
peignent  en  beau  ceux  qu'ils  font  ressembler.  Ainsi  le 
poète,  en  représentant  un  homme  colère  ou  un  homme 
patient*,  ou  de  quelque  autre  caractère  que  ce  puisse 
être,  doit  non-seulement  les  représenter  tels  qu'ils  étoient, 
mais  il  les  doit  représenter  dans  un  tel  degré  d'excel- 
lence, qu'ils  puissent  servir  de  modèle  ou  de  colère,  oo 
de  douceur,  ou  d'autre  chose.  G^est  ainsi  qu'Agathon  et 
Homère  ont  su  représenter  Achille. 

Le  poète  doit  observer  toutes  ces  choses,  et  prendre 
garde  surtout  de  ne  rien  faire  qui  choque  les  sens  qui 
jugent  de  la  poésie  [c'est-à-dire  les  oreilles  et  lesyeax]; 

1 .  Peut-être  il  Teut  dire  qu'il  n'ëtoit  pas  Traisemblable  que  Ton 
n'eût  point  fait  une  recheithe  plus  exacte  des  meortrien  de  Lalus. 
Cette  absurdité  se  peut  souffrir ,  selon  Arislote ,  parce  qu'elle  «t 
dans  des  choses  qui  procèdent  la  tragédie.  {Note  de  Racme.) 

2.  n  y  avait  d'abord  ^t/x,  au  lieu  de  patUnim 


DE  LA  POÉTIQUE  D'ARISTOTE.  487 

car  fl  y  a  ploneon  manidres  de  les  choquer  :  j*en  al  parlé 
dans  d'autres  discours  où  je  traite  de  cette  matière. 

Nous*  avons  dit  ce  que  c'est  que  reconnoissance.  Il  y 
en  a  de  plusieurs  sortes.  La  première,  qui  est  la  plus  gros- 
sière, et  dont  la  plupart  se  servent  faute  d'invention,  est 
«selle  qui  se  fait  par  les  signes.  De  ces  signes  les  uns  sont 
naturels  et  attachés  dès  la  naissance  à  la  personne, 
comme  cette  lance  dont  les  enfants  de  la  terre  sont  mar» 
qués  le*étott  une  famille  de  Thèbes\  ou  de  petites  étoi- 
les, comme  dans  le  Thyeste  de  Garcinus.  Les  autres  sont 
acquis  et  venus  depuis;  et  de  ceux«*là  il  y  en  [a]  qui  sont 
encore  attachés  au  corps  de  la  personne,  comme  sont  les 
cicatrices;  ou  sont  tout  à  fieût  extérieurs,  conmie  les  col- 
liers, et  ce  petit  berceau  dans  la  Tjro.  On  peut  faire 
m  Ae  de  bonnes  ou  de  médiocres  recotmoissances  avec 
ces  sortes  de  signes.  Ulysse,  par  exemple,  à  la  faveur 
de  sa  cicatrice,  est  reconnu  d'une  façon  par  sa  nour- 
rice, et  d'une  autre  façon  par  les  porchers.  \Car  il  y  a 
moins  (Tari  dans  cette  dernière  ^  où  Ulysse  découçre 
exprès  sa  cicatrice  pour  se  fnire  reconnoitre  et  pour 
vérifier  son  discours;  au  lieu  que  dans  F  autre  ^  c^est  Sa 
nourrice  qui  le  reconnoit  d'elle-même  en  ifoyant  cette  ci- 
catrice. Ainsi  il  fCy  a  point  de  dessein  dans  cette  recon- 
noissance; il  y  a,  au  contraire^  une  surprise  qui  fait  une 
péripétie;  et  les  reconnaissances  de  cette  nature  sont  bien 
meilleures  que  ces  autres  qui  se  font  avec  dessein^.'].  . 
Les  secondes' 


I.   'ÂvorpKfipiott  Se....  (»nb  t(5v  ouSoit&v  (chapitre  xyî;. 

9.  Dans  cette  dernière  phrase,  depuis  :  «  Ainsi  il  n^  a  point,  »  on 
retrouTe  quelque  chose  de  la  phrase  du  texte  :  EM  y^Ep  al  pièv 
TcCoreoK...;  mais  c^est  plutôt  commenta  que  traduit. 

3.  Àt^TEpai  Bà....  (chapitre  xti).  Racine  n^a  traduit  que  le  pre> 
mier  mot  de  la  phrase. 


488  FRAGMEI9TS 

La*  plus  belle  des  reconnoiasances  est  celle  qni,  étant 
tirée  du  sein  même  de  la  chose,  se  forme  peu  à  peu  d^une 
suite  vraisemblable  des  affaires^  et  excite  la  terreur  et 
radmiration  :  comme  celle  qui  se  fût  dans  YOEdipe  de 
Sopbode  et  dans  VIphigénie;  car  qu*y  a-t-il  de  plus  yiai- 
semblable  à  Iphigénie,  que  de  vouloir  Sûre  tenir  une  let- 
tre dans  son  pays?  Ces  reconnoissances  ont  cet  avantage 
par-dessus  toutes  les  autres,  qu*elles  n^ont  point  besoin 
de  marques  extérieures  et  inventées  par  le  poète,  de  col- 
liers et  autres  sortes  de  signes.  Les  meilleures,  après  cel- 
les-ci, sont  celles  qui  se  font  par  raisonnement.     .    . 


Homère*  est  admirable  pour  beaucoup  de  choses,  mais 
surtout  en  ce  qu*il  est  le  seul  des  poètes  qui  sait  pafEu- 
tement  ce  qui  convient  au  poète  ;  car  le  poète  doit  rare- 
ment parler  comme  poète;  car  il  n'imite  point  Iorsqa*3 
parle,  mais  lorsqu'il  fait  parler  les  autres.  Tous  les  an- 
tres poètes  parlent  partout  et  n'imitent  presque  jamais. 
Homère,  au  contraire,  dès  qu'il  a  dit  quelques  pardes 
pour  préparer  ses  personnages,  amène  aussitôt  ou  un 
homme,  ou  une  femme,  ou  quelque  autre  personnage, 
qui  parlent  chacun  selon  leurs  mœurs  et  leur  caractère; 
car  tout  a  son  caractère  chez  lui,  et  il  n'y  a  point  de  per- 
sonnage sans  caractère 


On  '  demandera  peut-être  laquelle  imitation  est  la  plus 
parfaite,  ou  celle  qui  se  fait  par  le  poème  épique,  ou  ceUe 
qui  se  fait  par  la  tragédie.  \Ceux  qui  donnent  F  avantage 


I.  IIao£>v  $è  peXT(aTi)....  ix  ouXXoY(9(iou  (chapitre  xti). 

9.  'Opjpoc  Bi  dfXXa  Te  sroXXà....  &X  l-iw  ^Ooç  (chapitre  sxnr). 

3.  ndttpov  Si  peXT^fiiv....  Ilptôtov  uèv  oov....  (chapitre  xxti). 


DE  LA  POÉTIQUE  D'ARISTOTE.  489 

au  poème  épique  disent  quê\  la  meQIeure  des  imitations 
est  celle  qui  se  fait  avec  le  moins  d^embarras,  et  qui  ne 
se  propose  que  les  honnêtes  gens  pour  spectateurs.  Ils 
appellent  une  imitation  qui  se  fait  avec  embarras^  celle 
qui  veut  tout  imiter,  et  qui  craignant  de  n'être  pas  assez 
entendue  et  de  ne  point  faire  son  effet,  s'efforce  de  s'im- 
primer elle-même,  s'agite,  et  emprunte  le  secours  du  geste 
et  du  mouvement  des  acteurs*.  Tels  sont  ces  mauvais 
joueurs  de  flûte,  qui  tournent  autour  d'eux-mêmes  pour 
mieux  représenter  un  disque*,  une  pierre  qui  tourne  \et 
qui  ne  se  fient  pas  à  la  cadence  de  leur  chani\  ;  et  ceux 
encore  qui,  pour  exprimer  l'action  de  ScjUa  [f^ui  attire  à 
elle  les  çaisseauai]j  attirent  à  eux  celui  qui  chante  auprès 
d'eux  [,  soit  le  maître  de  musique  ou  quelque  autre].  La 
tragédie  [disent^ils]  ressemble  en  cela  aux  acteurs  mo- 
dernes, et  elle  est,  à  l'égard  du  poëme  épique,  ce  que 
ces  nouveaux  acteurs  sont  à  l'égard  des  anciens;  car 
Mynisque,  ancien  acteur,  accusant  Callipides  de  faire  trop 
de  gestes,  l'appeloit  un  singe;  on  disoit  la  même  chose 
du  comédien  Pindare  :  au  lieu  que  le  poëme  épique, 
n'ayant  que  les  honnêtes  gens  pour  spectateurs,  n'a  point 
besoin  de  tous  ces  secours  empruntés,  dont  la  tragé- 
die se  sert  pour  feire  son  effet  sur  ses  spectateurs,  qui 
sont  d'ordinaire  une  vile  populace  ;  et  de  là  on  conclut 
qu'elle  est  la  moindre  imitation,  puisqu'elle  se  fait  avec 
le  plus  d'embarras. 

Je  réponds  à  cela,  premièrement 

I .  Le  commentaire  n'a  rien  entendu  a  ce  passage.  (Note  de  Ra» 
eme^  à  la  éuite  du  commentaire.)  —  Geoflroj  a  fait  remarquer  juste* 
ment  que,  si  Racine  a  raison  en  faisant  ce  reproche  au  commen- 
taire de  Vettori,  il  ne  s'est  lui-même  tire,  comme  il  a  pu,  de  ce 
passage  difficile  qu'en  le  paraphrasant  :  en  effet  il  n'a  pas  serre 
de  près  le  texte. 

9.  Racine  a  ëcrit  dise. 


EXTRAITS 

DU  TRAITÉ  DE  LUCIEN 

COMMENT  IL  FJOT  ÉCRIRE  L'HISTOIRE 

ET  DB 

LA  UETTRB  DE  DEITTS  D'HALICARNASSE  A  CNEÎUS  POMPÉE 


EXTRAIT 

DU  TRAITÉ   DE  LUCIEN 

COMMBNT  EL  FAUT  ÉCRIRE  VÊUSTOtRB  •. 

«...  L'klogs*  etThistoire  sont  éloignés  infiniment,  et, 
comme  disent  les  musiciens,  Aç  lA  icoduv'  :  c*est-à-dire 
que  ce  sont  les  deux  extrémités. 

n^  n'y  a  guère  moins  de  différence  entre  Thistoire  et 
la  poésie.  Le  poëte  a  besoin  de  tous  les  Dieux  quand  il 
veut  peindre  Âgamemnon.  Il  lui  faut  la  tête  et  les  yeux 
de  Jupiter,  la  poitrine  de  Neptune,  le  bouclier  de  Mars. 
Mais  rhistorien  peint  Philippe  borgne,  comme  il  étoit". 

L'utilité'  est  le  principal  objet  de  Thistoire.  Le  plaisir 
suit  Futilité,  comme  la  beauté  suit  d'ordinaire  la  santé. 

L'historien^  a  pour  juges  des  lecteurs  malins,  qui  ne 
demandent  pas  mieux  que  de  le  reprendre,  et  qui  Texa- 
minent  avec  la  même  rigueur  qu*un  changeur  examine  la 
monnoie. 

I.  Tel  est  le  titre  que  Racine  lui-même  a  mis  en  tête  du  ma- 
nascrit  de  ce  morceau.  Voyez  ci -dessus,  p.  433-436. 

a.  Lucien,  Comment  il  faut  écrire  Chutoire^  J  7  (édition  Lehmann). 
3.  «  De  deux  octaTcs.  »  —  4*  Lucien,  ièUemf  $  8. 

5.  La  pensée  de  cette  dernière  -phrase  est  empruntée  a  ime 
phrase  du  S  38  :  (dj  (oXiicD  a&tij^....  4>{Xi9n6oc  2xxixo|Apivo(  tbv 
^fOoXpibfv  M>  'Atfiépoc  Tou  ^kyjfimXlxw  tou  ToE6toi>  Iv  X)>îvO(|i,  diXXà 
loiouTOf  oToc  ^  5ctx,0i{otTau  c  Que  Philippe  ait  eu  un  csil  crevé  à 
Oiynthe  par  Tarcher  Aster  d^Amphipolis,  cela  ne  doit  pas  gêner 
rhistorien  :  il  le  montrera  tel  quUl  était.  » 

6.  Lucien,  ibidem^  $  9.  —  7.  ibidem^  %  10. 


494  EXTRAITS  DE  LUCIEN 

Alexandre*  jeta  dans  THydaspe l'histoire  d*Aristobule, 
qui  lui  faisoit  faire  des  actions  merveilleuses  qu'il  n'avoit 
point  faites,  dans  la  bataille  qu^il  avoit  gagnée  contre 
Porus,  et  lui  dit  qu*il  lui  faisoit  grâce  de  ne  Vy  pas  faire 
jeter  lui-même. 

II'  y  a  des  historiens  qui  croient  faire  grand  plaisir  à 
un  prince,  en  ravalant  le  mérite  de  ses  ennemis.  Achille 
seroit  moins  grand,  s'il  n'avoit  défait  que  Thersite,  aa 
lieu  d'Hector. 

D'autres'  invectivent  contre  le  chef  des  ennemis, 
comme  s'ils  vouloient  le  défaire  la  plume  à  la  main. 

U^  se  moque  d'un  historien  impertinent  qui  vooloit 
muter,  ou  pour  mieux  dire  copier  Thucydide  en  toutes 
choses,  jusqu'à  faire  arriver  une  peste  dans  le  camp  des 
ennemis,  parce  qu'il  y  a  une  peste  dans  Thucydide.  0 
commençoit  en  déclinant  son  nom,  et  mettoit  :  «  Crêpe- 
rius  a  écrit,  etc.  »  Il  faisoit  une  oraison  funèbre,  à  rimi- 
tation  de  Périclès,  et  la  faisoit  réciter  par  un  centurion. 

Un'  autre  remplira  son  histoire  de  petits  détails  et  de 
mots  de  I*art,  comme  feroit  un  soldat  ou  un  ouvrier  qui 
auroit  travaillé  dans  le  camp. 

Un  '  autre  emploiera  tout  son  temps  à  (aire  d'ennuyea- 
ses  descriptions  ou  de  l'habillement  et  des  armes  du  gé- 
néral, ou  d'un  bois,  ou  d'une  caverne;  et  quand  ils 
viennent  aux  grandes  affaires,  ds  y  sont  neufs,  comme  un 
valet  que  son  maître  auroit  fait  son  héritier,  qui  ne  sait 

t.  Lucien,  Comment  il  faut  écrire  rkisioirej  J  I9. 
3.  Ibidem,  J^  x3  et  14. 

3.  ibidem^  §  14.  —  Noas  renroyons  à  ce  paragraphe,  <]iM>iqii'ii 
ne  s'y  tronye  pas  de  phrase  prëcisément  semblable  à  celle-ci.  Mais 
Lttciea  y  parie  d'un  historien  <pii,  à  la  fin  de  son  préambule,  pro- 
mettait c  de  faire  essayer  Ini-mtee,  autant  qu'il  était  en  lui,  une 
défaite  aux  barbares.  » 

4.  Ibidem^  §  x5.  —  //«  c'est-ànlire  Lucien. 

5.  Ilndem,  %  16.  --  6.  iMem,  Sg  19  et  20. 


ET  DE  DENTS  D'HALICARNASSE.         49S 

comment  mettre  les  habite  de  son  maîtrci  ni  sur  quelle 
viande  il  doit  se  ruer,  préférant  quelque  méchant  haricot 
aux  perdrix  et  aux  faisans. 

Ils^  pensent  attraper  le  merveilleux  en  écrivant  des 
choses  contre  le  vraisemblable,  des  blessures  prodigieu- 
ses, des  morts  incroyables. 

Un*  autre  faisoit  des  noms  grecs  de  tous  les  noms  la- 
tins, appeloit  Cronos^y  Saturnin  ;  Frontin^  Fronton,  etc. 

Us^  se  servent  quelquefois  de  phrases  magnifiques, 
comme  pourroit  faire  un  poète,  et  tombent  tout  à  coup 
dans  de  basses  expressions.  C'est  un  homme  qui  a  un  pied 
chaussé  d'un  brodequin,  et  une  sandale  à  l'autre  pied. 

Il'  y  en  a  qui  mettent  de  magnifiques  prologues  an 
devant  d'une  histoire  fort  peu  importante*.  Le  casque  est 
d*or  et  la  cuirasse  est  de  haillons  ;  et  tout  le  monde  s'é- 
crie :  «  La  montagne  accouche.  >» 

Un**  autre  entrera  d'abord  en  matière,  et  croira  imiter 
Xénophon,  qui  commence  d'abord  :  «  Darius  et  Parysatis 
eurent  deux  fils.  »  Mais  ils  ne  voient  pas  qu'il  y  a  des 
prologues  qui  sont  imperceptibles,  et  qui  sont  pourtant 
de  véritables  prologues. 

Ils'  confondent  toute  la  géographie. 

Us*  décrivent  curieusement  et  fort  au  long  de  petites 
choses,  et  passent  légèrement  sur  les  grandes.  Ils  ont 
grand  soin  de  bien  examiner  le  piédestal,  et  ne  disent 
presque  rien  de  la  statue. 


1 .  Lucien,  Comment  U  faut  écrire  tfiistoire^  J  *^' 

9.  ibidem^  §  ai. 

3.  Ou  plui6t  Cronios,  leçon  subatituëe  par  Lehmann,  diaprés  plu* 
sieon  manuscrits,  à  Cronos  que  donnent  presque  toutes  les  ancien- 
nes éditions. 

4*  Lucien,  ibUlemy  J  >*•  "~  5*  Ihidem^  §  a3. 

6.  Première  rédaction  :  «  de  l'histoire  la  moins  importante.  » 

7.  Lucien,  ibidem^  §  aS.  —  8.  Ibidem^  %  24.  -^  g.  ibidem^  %  97- 


1 


49^  EXTRAITS  DE  LUCIEN 

Un^  qui  n'avoit  jamaitt  sorti  de  Corintbe  commeocoit 
ainsi  son  histoire  :  «  Les  yeux  sont  de  plus  sûrs  témoins 
que  les  oreilles;  »  et  après  cela  décrivoit  la  Perse  et  toot 
ce  qui  s'y  rencontroit  d'extraordinaire. 

Un*  autre  avoit  fait  un  prologue  prophétique,  promet- 
tant d'écrire  le  triomphe  dans  un  temps  où  la  guerre 
n'étoit  pas  encore  terminée. 

Voilà  *  les  principales  fautes  où  peut  tomber  un  histo- 
rien ;  voici  les  principales  qualités  qu'il  doit  avoir. 

Les  ^  deux  les  plus  nécessaires,  ce  sont  un  bon  sens 
pour  les  choses  du  monde,  et  une  agréable  expression, 
(TuvtffCv  Tt  itoXiTixV  xal  8uva(itv  lp{i.i)v6UTixi(v.  La  première  est 
un  don  du  ciel;  l'autre  se  peut  acquérir  par  un  grand 
travail  et  une  grande  lecture  des  anciens. 

Un*  historien  doit  être  capable  d'agir  lui-même  et  de 
commander*  en  un  besoin.  Il  faut  qu'il  ait  vu  l'armée, 
des  soldats  rangés  en  bataille  et  faisant  l'exercice,  ce  qae 
c'est  qu'une  aile,  qu'un  front,  des  bataillons,  des  esca- 
drons ;  qu'il  ait  vu  de  près  des  machines  de  guerre,  et 
qu'il  ne  s'en  rapporte  pas  aux  yeux  d'autrui. 

Surtout''  il  doit  être  libre,  n'espérant  ni  ne  craignant 
rien,  inaccessible  aux  présents  et  aux  récompenses;  zp' 
pehint  figucy  une  figue,  etc.  ;  ne  faisant  grâce  à  personne, 
et  ne  respectant'  rien  par  mauvaise  honte  ;  juge  équitable 
et  indifférent,  sans  pays,  sans  maître,  et  sans  dépen- 
dance, dbcoXiç»  aB&c<Svo{Aoc,  àSaoikxuxoç  ;  qu'il  dise  les  choses 
comme  elles  sont,  sans  les  farder  ni  les  déguiser;  car  3 
n'est  pas  poète,  il  est  narrateur,  et  par  conséquent  n'est 

I.  Lucien,  Comment  il  faut  écrire  t histoire,  §  39. 

a.  Ibidem,  S  ^'*  —  ^*  ^^'^«^"ii  S  ^^• 

4.  Ibidem^  %  34.  —  5.  Ibidem,  %  3;. 

6.  Racine  avait  mis  d^abord  :  «  gouverner.  » 

7.  Lucien,  ibidem,  %%  38,  4i  et  4a. 

8.  Respectant  a  été  substitué  à  rougissant. 


ET  DE  DENYS  D'BALIGARNASSE.  497 

point  responsable  de  ce  qu'il  raconte.  En  un  mot,  il 
faut  qu*il  sacrifie  à  la  seule  vérité,  et  qu  il  n*ait  pas  de- 
vant les  yeux  des  espérances  aussi  courtes  que  celles  de 
cette  vie,  mais  Testime  de  toute  la  postérité. 

Qu'il'  imite  cet  architecte  du  phare  d'Egypte,  qui  mit 
sur  du  plâtre  le  nom  du  roi  qui  Temployoit,  mais  dessous 
ce  plâtre  son  propre  nom ,  sachant  bien  que  le  plâtre 
tomberoit  après  sa  mort,  mais  qu'en  récompense  son 
nom  se  verroit  éternellement  sur  la  pierre. 

Alexandre*  a  dit  plus  d'une  fois  :  «  Oh!  que  ne  puis- 
je  revenir  dans  trois  ou  quatre  cents  ans  pour  entendre 
de  quelle  manière  les  honames  parleront  de  nous  !  » 

II'  ne  faut  point  se  mettre  en  tête  d'avoir  un  style  si 
magnifique  et  si  guindé  :  il  faut  s'y  prendre  plus  famiUè- 
rement.  Que  le  sens,  à  la  vérité,  soit  pressé,  c'est-â-dire, 
que  ce  ne  soient  point  des  paroles  vagues,  et  qu'il  y  ait 
du  sens  et  des  choses  partout  ;  mais  que  l'expression  soit 
claire,  et  comme  parlent  les  honnêtes  gens.  Car,  comme 
l'historien  ne  doit  avoir  dans  l'esprit  que  la  liberté  et  la 
vérité,  il  faut  aussi  qu'on  n'ait  pour  but  dans  le  style  que 
la  netteté,  et  de  représenter  les  choses  telles  qu'elles 
sont  ;  en  un  mot,  que  tout  le  monde  l'entende,  et  que  les 
savants  le  louent  :  ce  qui  arrivera,  si  on  se  sert  d'expres- 
sions qui  ne  soient  point  trop  recherchées,  ni  aussi  trop 
conmiunes. 

n^  faut  pourtant  que  l'historien  ait  quelque  chose  du 
poëte  dans  les  pensées,  surtout  quand  il  viendra  à  écrire* 
une  bataille,  des  armées  qui  se  vont  choquer,  des  vais- 

X .  Lucien,  CommmU  il  faut  écrire  t histoire^  $  61 .  —  9 .  ihitiem^  g  40. 

3.  Ihidem^  SS  4^  ^  44* — ^^  alin^  commençak  d^abord  ainsi  : 
«  Les  pens^  doirent  lire  profondes,  n  phrase  qne  Racine  a  ef- 
face. 

4.  Lucien,  Comment  U  faut  écrire  thutoire^  §  45* 

5.  Dans  le  texte  de  Louis  Racine  :  décrire^  an  lieu  d^éerire. 

J.  Racuts.  ▼  3i 


498  EXTRAITS  DE  LUCIEN 

seaux  qui  combattent  les  uns  contre  les  antres.  Cest  alors 
qn*on  a  besoin,  pour  ainsi  dire,  d^un  vent  poétique  qni 
enfle  les  voiles,  qui  fasse  grossir  la  mer.  Biais  Q  faut 
pourtant  que  Texpression  ne  s^élève  guère  de  terre,  et 
qu^elle  ne  se  ressente  en  rien  de  la  fureur  des  corybao- 
tes;  enfin  il  faut  aller  bride  en  main. 

N'avoir^  point  trop  de  soin  de  l'harmonie  et  du  son, 
mais  aussi  ne  pas  écorcher  les  oreilles. 

n*  faut  bien  prendre  garde  de  qui  on  prend  des  mé- 
moires, et  ne  consulter  que  des  gens  non  suspects  ou  de 
haine  ou  de  complaisance,  soit  pour  eux-mêmes,  soit  pour 
les  autres. 

Quand'  on  a  fait  provision  de  bons  mémoires,  alors  il 
faut  les  coudre,  et  fciire  comme  une  suite  ou  un  corps 
d^histoire,  sec  et  décharné  d^abord,  pour  7  mettre  ensuite 
la  chair  et  les  couleurs. 

IP  faut,  comme  le  Jupiter  d'Homère,  que  lliistorien 
porte  les  yeux  de  tous  côtés,  tantôt  sur  les  Thraces,  tan- 
tôt sur  les  Mysiens'  ;  qu^il  voie  aussi  bien  ce  qui  se  passe 
dans  le  parti  des  ennemis  comme  dans  l'autre  parti,  qn'il 
mette  tout  dans  une  égale  balance,  qu'il  se  mêle,  qa*il 
combatte,  qu'il  fuie  avec  les  fuyards,  qu'il  donne  la  chasse 
avec  les  victorieux. 

Son  *  esprit  doit  être'  comme  un  miroir  pur  et  sans  ta- 
ches, qui  reçoit  les  objets  tels  qu'ils  sont,  ne  mettant  rien 
du  sien  qu'une  expression  naïve,  sans  se  mettre  en  peine 
de  quelle  nature  est  ce  qu'il  dit,  mais  bien  de  quelle  ma- 
nière il  le  doit  dire.  C'est  aux  Athéniens  à  lui  fournir  For 


I.  Laden,  Comment  il  faut  écrira  Phistoire^  g  46. 

1.  iB'uUm,  S  47-  —  3.  IhUem,  %  48.  —  4.  Ibidem,  $  ig. 

5.  Voyez  Ylliade,  livre  XHI,  rers  4  et  5. 

6.  Lucien,  Comment  il  faut  écrire  T histoire^  $  Su 

7.  Dans  le  texte  de  Louis  Racine  :  «  H  doit  être,  n 


ET  DE  DENTS  D'HALICÀRNÀSSE.        499 

et  l'ivoire,  et  à  lui  de  tailler  l'un  ou  l'autre,  et  de  le  met- 
tre en  œuvre*, 

II'  faut  que  la  narration  ne  soit  point  décousue.  Non- 
seulement  les  choses  doivent  se  suivre,  mais  elles  doivent 
se  tenir  les  unes  aux  autres. 

n  *  faut  savoir  négliger  les  petites  choses,  et  ne  point 
trop  s'étendre  dans  les  descriptions.  Témoin  Homère, 
qai  en  a  pu  faire  de  si  belles,  et  qui  a  si  souvent  passé 
par-dessus  courageusement.  Ne  croyez  point  que  Thucy- 
dide soit  long  dans  la  description  de  la  peste;  songez  de 
qaelle  importance  est  tout  ce  qu'il  dit  :  il  fuit  les  choses, 
mais  les  choses  l'arrêtent  malgré  lui. 

On*  peut  s'élever  et  être  orateur  dans  les  harangues, 
pourvu  qu'elles  conviennent  à  celui  qui  parle. 

Il*  faut  être  court  et  circonspect  dans  les  jugements  que 
l'on  porte  des  uns  et  des  autres,  toujours  être  appuyé  de 
preuves,  éviter  d'être  calomniateur,  et  ne  les  point  faire 
mal  à  propos.  Songez  surtout  que  vous  n'êtes  point  de- 
vant les  juges,  et  qu'il  ne  s'agit  point  de  faire  le  procès 
à  ceux  dont  vous  parlez.  Théopompe  a  passé  en  cela  les 
bornes,  et  semble  plus  un  accusateur  qu'un  historien. 

S'il*  se  présente  des  fables  ou  des  choses  peu  vrai- 
semblables à  raconter,  contez-les,  mais  non  pas  comme 
les  croyant  et  voulant  forcer  les  autres  à  les  croire;  mais 
donnez-les  pour  teUes  qu'elles  sont,  sans  les  appuyer. 

I.  Lucien  ne  se  contente  pas  de  cette  simple  allusion  métapho- 
rique. 11  déreiofpe  la  comparaison,  et  nomme  Phidias,  Praxitèle, 
Alcamine.  ^ 

a.  Lucien,  CommetU  il  faid  écrire  rhûioire^  $  55. 

3.  lèidem^  SS  56  et  Sy. 

4.  Ihidem^%  58. 

5.  lèidem^  $  Sg.  —  6.  Ibidem,  %  60. 


5oo  EXTRAITS  DE  LUCIEN 


EXTRAIT 

DE  DENYS  D'HALICARNASSE 

SUE  LA  MAHliRE  d'ÉCRIRE  L*niSTOIRE  * . 

La  première  chose  que  doit  faire  celui  qui  veut  écrire 
rhîstoire,  c'est  de  choisir  un  sujet  qui  soit  beau  et  agréa- 
ble aux  lecteurs.  C'est  un  avantage  qu'Hérodote  a  par- 
dessus Thucydide.  Car  Hérodote  raconte  la  guerre  que 
les  Grecs  ont  eue*  contre  les  Barbares  et  les  actions  des 
uns  et  des  autres  dignes  de  n^être  jamais  oubliées.  Ad 
lieu  que  Thucydide  n'écrit  qu'une  seule  guerre  et  encore 
infortunée,  qu'il  seroit  à  souhaiter  qui  n'eût  jamais  été, 
ou  qui  fôt  ensevelie  dans  le  silence.  Car  lui-même  éloigne 
son  lecteur  en  lui  disant  qu'il  va  raconter  des  malbeors 
horribles,  des  villes  désertes  ou  renversées,  des  morts 
sans  nombre,  des  pestes,  des  tremblements  de  terre, 
des  éclipses  plus  fréquentes  qu'elles  n'ont  jamais  été. 

La  seconde  chose  que  doit  faire  un  historien,  c'est  de 
bien  considérer  là  où  il  commence  et  là  où  il  finit.  Héro- 
dote a  encore  cet  avantage  sur  Thucydide.  Car  le  pre- 
mier commence  à  la  première  injure  que  les  Barbares 

I.  Ce  titre  n^est  pas  dans  le  manuscrit  de  Racine.  H.  Aiia^- 
Martin  sVst  aperçu  qu'ici  il  n^  a  plus  rien  qui  appartienne  à  La- 
cien,  mais  il  parait  (tojcz  ci-dessus  la  Notice^  p.  43S)  aroir  pris 
pour  une  page  originale  de  Racine  ce  qui  n*est  que  la  traduccioQ 
un  peu  libre  et  abrëg^e  de  deux  passages  de  la  Leitre  de  Dmyi 
tt Hnlicarniuse  à  Cneiiu  Pompée  (^  3  et  4)-  On  trouTen  ces  pas- 
sages aux  pages  ia8  et  139  du  tome  II  des  OSu^tm  de  Demfs  dMe- 
îicarnaste^  édition  in-folio  de  Francfort  (i586). 

3.«I1  y  a  tftt,  sans  accord,  dans  le  manuscrit  de  Racine. 


ET  DE   DENYS   D'HALICARXASSE.         5oi 

firent  aux  Grecs  et  finit^  à  la  vengeance.  Thucydide 
commence  au  conttuire  par  dépeindre  la  Grèce  heureuse 
et  florissante  f  et  finit  à  la  bataille  que  les  Athéniens 
perdirent  contre  ceux  du  Péloponèse. 

I.  Dans  Fédition  de  M.  Aimé-lfartin,  par  une  erreur  sans  doute 
de  l'imprimeur,  qu'aura  trompe  la  répétition  des  mots  et  finii  à 
deux  lignes  de  distance,  on  a  omis  cette  partie  du  texte  :  m  à 
la  vengeance.  Thucjdide  commence  au  contraire  par  dépeindre  la 
Grèce  heureuse  et  florissante,  et  finit.  »  Non-seulement  ainsi  la 
phrase  est  incomplète,  mais  Hérodote  se  trouve  avoir  poussé  son 
histoire  jusqu'à  la  bataille  perdue  par  les  Athéniens  contre  ceux 
du  Péloponèse.  Sans  remarquer  cette  énormité,  M.  Aignan  a  copié 
scrupuleusement  le  texte  de  son  devancier. 


APPENDICE 


AUX  TRADUCTIONS 


LA  VIE 


DE  DIOGÉNE  LE  CYNIQUE' 


Diooiom,  natif  de  Sinope,  ëtoit  fils  d'un  changeur  nomme 
Icësius.  Dioclès  rapporte  qu'il  fut  obligé  de  s'enfuir  de  son 
pays  à  cause  que  son  père,  qui  tenoit  la  banque  publique, 
avoit  fait  de  la  fausse  monnoie.  Mais  Eubulide^,  dans  le  livre 
qu'il  a  écrit  de  ce  philosophe,  assure  que  ce  fut  Diogène  lui- 
même  qui  iiit  atteint  de  ce  crime,  et  qu'il  fiit  banni  pour  cela 
de  Sinope  avec  son  père;  et  en  effet,  il  confesse  ingénument 
lui-même  dans  son  Podaie*  d'avoir  fait  de  la  fausse  monnoie. 
Quelques-uns  disent  qu'ayant  été  créé  maître  de  la  monnoie, 
les  ouvri«*s  qui  travailloient  sous  lui  lui  mirent  en  tête  de  la 
falsifier,  et  que  pour  ce  sujet  il  vint  à  Delphes  et  à  Délos, 
pays  d'Apollon,  pour  savoir  de  ce  dieu  s'il  feroit  ce  qu'on 
lui  conseilloit,  et  que  l'oracle  l'ayant  encore  confirmé  dans 
cette  résolution^,  il  fit  en  effet  de  la  fausse  monnoie,  ne  pré- 
voyant pas  ce  qui  en  pourroit  arriver'  :  si  bien  que  depuis, 

I.  Voyez  la  Notice,  p.  436  et  suiTantes. 

1.  MM.  Ainié-Martin  et  Aignan  ont  imprimé  EucUde,  Cette  faute 
n'ett  pat  dans  le  mamucrit. 

3.  La  plupart  des  anciens  textes  portaient  :  h  12^  IloSdXcfi;  quel- 
ques manuscrits  :  {v  tÇ  nopMX({>  (leçon  adoptée  par  Huebner, 
Leipzig,  i833).  Ménage  a  conjecturé  ingénieusement  quMl  faut  lire 
Ilap^Xti,  Diogène  de  Laêrte  nommant  lui-même  deux  fois  IldpSaXiv 
{la  Panthère)  dans  la  liste  qu'i|  a  donnée  des  ouvrages  du  Cynique. 

4.  Racine  avait  écrit  d'abord  :  «  ayant  rendu  là-dessus  une  ré- 
ponse favorable.  » 

5.  Racine  n'a  pas  bien  compris  la  phrase  tb  icoXiTtxbv  v6(xio|fta  o& 
ouve(<,  «  n'ayant  pas  tu  qu'il  s'agissait  de  la  coutume,  de  Topinion 
publique.  »  L'oracle  avait  joué  sur  le  mot  v6|J.i9(ioi.  Nous  relevons 
le  contre-sens  de  Racine,  parce  qu'il  rend  ce  passage  de  sa  traduc- 


5o6  LA  VIE 

la  chose  ëtant  dëcouverte,  il  fut  banni,  ou,  comme  d'autres 
veulent ,  il  se  retira  de  lui-même ,  pour  la  crainte  qu'il  avoit. 
Jl  y  en  a  d'autres  qui  racontent  qu'ayant  reçu  de  son  père^ 
l'intendance  de  la  monnoie ,  il  la  falsifia ,  et  que ,  pour  ce 
sujet ,  ce  premier  fut  mis  en  prison,  où  il  mourut,  mais  que 
Diogène,  heureusement  pour  lui,  se  sauva.  Ces  mêmes  au- 
teurs assurent  qu'il  vint ,  à  la  vëritë,  à  Delphes,  toutefois  qu'il 
ne  demanda  pas  à  l'oracle  s'il  feroit  de  la  fausse  monnoie ,  mais 
ce  qu'il  feroit  pour  se  rendre  illustre  dans  le  monde  ;  et  que 
l'oracle  là-dessus  lui  répondit  d'en  faire*. 

Étant  arrivé  à  Athènes,  il  alla  aussitôt  trouver  Antisthène, 
pour  êtr^  reçu  au  nombre  de  ses  disciples;  et  bien  que  ce 
philosophe  eût  résolu  de  ne  plus  recevoir  personne ,  et  le  ra- 
brouât d'abord  fort  rudement,  il  le  vainquit  néanmoins  par 
son  obstination;  car  comme  Antisthène  levât*  un  bâton  pour 
le  frapper  s'il  ne  se  retiroit  :  «  Frappe,  lui  dit  Diogène,  en  loi 
présentant  la  tête,  mais  sache  que  tant  que  tu  parleras,  il  n'y 
a  point  de  bâton  si  dur  qu'il  me  puisse  chasser  d'auprès  de 
toi.  »  Antisthène  le  reçut  dès  lors  au  nombre  de  ses  disciples  ; 
X  et  depuis  ce  temps-là,  il  commença  à  vivre  dans  une  sim- 
plicité tout  à  fait  grande,  et  telle  qu'il  convenoit  à  un  misé- 
rable banni,  comme  il  étoit.  Théophraste,  dans  son  Méga- 
rique  *,  dit  de  lui   que  voyant  un  jour  courir  un  rat,  il  prit 

don  peu  intelligible.  H  faut  dire  au  reste  qu'ici  le  grec  est  obscur: 
Ménage  le  croit  altéré,  et  propose  de  lire  :  tb  IlùOtxbv  v6|ito{ia  où 
ouvtCc,  «  ne  comprenant  pas  dans  quel  sens  Toracle  prenait  v6(xt8|iK.  » 

I .  Racine  avait  écrit  d'abord  :  «  qn^ayant  succédé  à  son  père  à 
la  charge;  »  et  à  la  fin  de  la  phrase  :  «  s'enfuit,  »  au  lien  de  :  «  se 
saura.  » 

9.  C'est  la  suite  du  contre-sens  que  nous  avons  fait  remarquer 
plus  haut.  E  eut  fallu  dire  :  «  et  que  l'oracle  là-deasos  lui  fit  la 
réponse  que  nous  avons  rapportée.  » 

3.  M.  Aimé-Martin  a  corrigé  lepdt  en  leva.  Nous  donnons  la  le* 
çon  du  manuscrit.  Ce  latinisme,  de  Timparfait  du  subjonctif  après 
comme^  est  le  tour  que  Racine  prend  d'ordinaire  dans  cette  traduc- 
tion. On  verra  cependant  aussi  que  çà  et  là  il  emploie  l'imparfait 
de  l'indicatif  après  comme  :  voyez  p.  5i6,  5 19,  etc. 

4.  Diogène  deLaêrte  nomme  cet  ouvrage  (Meyscpixâ^)  parmi  ceu\ 
qu'il  attribue  à  Théophraste,  dans  sa  Fie  de  ce  philosophe. 


E 

I 

! 

l. 
l 


DE  DIOGÈNE  LE  CYNIQUE.  S07 

de  là  un  sujet  de  se  consoler,  considérant  que  ce  petit  animal 
▼îvoit  à  son  aise  dans  des  trous  obscurs ,  sans  se  soucier  ni 
de  coucher  dans  un  Ut,  ni  de  manger  des  morceaux  délicats. 
n  fut  le  premier,  au  rapport  de  quelques-uns,  qui  s'avisa  de 
faire  doiÂIer  son  manteau,  à  cause  du  besoin  qu'il  en  avoit, 
parce  qu'il  avoit  accoutume  de  s'entortiller  dedans  quand  il 
vouloit  dormir.  Il  portoit  aussi  ordinairement  une  besace  où 
il  mettoit  ses  provisions  ;  car  il  n'avoit  point  de  lieu  particu- 
lier où  se  retirer  quand  il  vouloit  ou  manger,  ou  dormir,  ou 
étudier  S  mais  le  premier  endroit  où  il  se  trouvoit  lui  ëtoit 
bon;  et  à  propos  de  cela,  il  disoit  que  les  Athéniens •  lui 
avoient  bâti  un  palais  magnifique  pour  prendre  ses  repas, 
montrant  le  portique  du  temple  de  Jupiter.  Il  prit ,  au  com- 
mencement ,  un  bâton  par  nécessité ,  à  cause  qu'il  relevoit  de 
maladie;  depuis,  à  la  vérité,  il  ne  le  porta  plus  dans  la  ville; 
mais  toutes  les  fois  qu'il  alloit  aux  champs,  il  n'alloit  point 
sans  sa  besace  et  son  bâton,  comme  rapportent  Olympiodore, 
Polyeucte  et  Lysanias.  Ayant  écrit  à  un  de  ses  amis  de  lui 
chercher  quelque  maisonnette  pour  se  loger,  et  voyant  que 
cet  homme  ne  s'empressoit  pas  trop  de  lui  en  trouver,  il 
s'alla  loger  dans  un  tonneau  qui  étoit  dans  la  place  de  Mé- 
troos^,  ainsi  qu'il  le  déclare  lui-même  dans  ses  lettres.  Pour 
s'endurcir  au  chaud  et  au  froid ,  il  avoit  accoutumé  ' ,  l'été , 
de  se  rouler  sur  du  sable  brûlant;  et  l'hiver^  il  embrassoit  des 
statues  couvertes  de  neige. 

Cétoit  un  homme,  au  reste,  d'un  naturel  extrêmement  pi- 
quant et  railleur*....  Il  disoit  des  combats  qui  se  font  en 
l'honneur  de  Bacchus,  que  c'étoit  de  grandes  merveilles  pour 
étonner  les  sots;  et  des  orateurs  de  son  temps,  qu'ils  étoient 
les  valets  de  la  populace.  Il  disoit  aussi  que  quand  il  consi- 
déroit  dans  cette  vie  les  magistrats,  les  médecins  et  les  phi- 
losophes, l'homme  lui  paroissoit  l'animal  du  monde  le  plus 

I.  Première  rédaction  :  «  ou  enseigner.  » 

a.  Ou  plutôt  «  du  Métroon,  »  Le  Mitroon  était  le  temple  de  la 
mère  des  Dieux  à  Athènes. 

3.  Racine  avait  écrit  d'abord  :  «  il  prenoit  plaisir.  1 

4.  Racine  a  supprimé  une  phrase  du  texte,  sans  doute  parce 
quHl  a  jugé  que  les  jeux  de  mots  en  étaient  intraduisibles.  II  a 
marqué  la  lacune  par  deux  astérisques. 


5o8  LA   VIE 

sage  et  le  plus  raisonnable;  mais  que  lorsqu'il  venoit  ensuite 
a  contempler  les  devins,  les  ambitieux,  les  avares,  et  toute 
autre  semblable  manière  de  gens ,  il  ne  trouvoit  rien  de  si 
fou  que  l'homme.  Il  répétoit  souvent  cette  parole ,  qu'un 
homme  devoit  toujours  faire  provision  ou  de  raison  pour  se 
consoler  dans  les  adversités  de  la  vie,  ou  de  corde  pow  se 
pendre*.  Voyant  un  jour  Platon  à  un  festin  magnifique,  qui 
ne  mangeoit  que  des  olives  :  «  D'où  vient,  lui  dit-il ,  grand 
philosophe ,  que  vous ,  qui  avez  été  autrefois  tout  exprès  en 
Sicile  pour  manger  de  bons  morceaux,  maintenant  que  vous 
êtes  à  même,  vous  n'ea  mangez  point  ?  —  J'atteste  les  Dieux, 
répliqua  Platon,  que  là,  non  plus  qu'ici,  je  ne  vivois  que 
d'olives  et  d'autres  semblables  fruits.  —  Qu'ëtoit-il  donc  néces- 
saire que  vous  y  allassiez  ?  interrompit  brusquement  Diogène. 
Est-ce  qu'il  n'y  avoit  point  d'olives  en  Attique  dans  ce  temps- 
là?  »  Phavorin,  dans  son  histoire  de  toutes  sortes^,  attribue 
ce  mot  à  Aristippe.  Une  autre  fois,  comme  il  mangeoit  des 
figues,  il  rencontra  Platon  en  son  chemin,  et  d'abord  il  lui 
demanda  s'il  en  vouloit  goûter;  Platon  en  prit  volontiers 
quelques-unes,  qu'il  mangea  :  «  Je  vous  avois  dit,  reprit  tout 
d'un  coup  Diogène,  d'en  goûter  et  non  pas  de  les  avaler,  i  Un 
jour  que  Platon  traitoit  quelques  amis  de  Denys  le  tyran, 
Diogène  se  trouva  chez  lui,  et  voyant  des  tapis  que  ce  phi- 
losophe avoit  fait  étendre  pour  s'asseoir,  il  se  mit  à  les  fouler, 
disant  :  «  Je  foule  aux  pieds  la  vanité  de  Platon.  —  Mab,  lui 
répliqua  Platon,  combien  es-tti  plus  *  vain  et  plus  orgueilleux 
que  moi,  de  croire  que  tu  peux  faire  cela  sans  orgueil!  >  Quel- 
ques-uns rapportent  la  chose  d'une  autre  manière,  et  racon- 
tent que  Diogène  dit  :  «  Je  foule  aux  pieds  l'orgueil  de  Maton;  b 
et  que  Platon  lui  répondit:  «Mais  avec  un  autre  orgueil,  i  So- 

I.  Cette  phrase  est  mieux  comprise  dans  V  Abrégé  des  Fies  àet  phi- 
lotophes^  imprimé  au  tome  XXII  des  Œuvres  de  Péneian  (édition  de 
Lebel)  :  «  U  vaut  beaucoup  mieux,  disoit-il,  se  consoler  que  èc 
pendre  (p.  17a).  m —  Cet  abrégé,  que  nous  aurons  occasion  de  citer 
çà  et  là,  a  été  attribué  à  Tarchevéque  de  Cambrai;  mais  on  le 
croit  du  P.  du  Cerceau. 

a.  CVst-à-dire  :  «  dans  ses  Histoires  diverses,  » 

3.  Racine  a  écrit  à  la  marge  cette  note  :  «  Lege  in  gr,  (in  grcco) 
Siftf  épcic  pro  Sia^afvci^.  » 


D£  DIOGÈNE  LE  CYNIQUE.  609 

tion,  dans  son  quatrième  livre,  rapporte  encore  un  autre  bon 
mot  que  dit  ce  cynique  à  Platon.  Il  a  voit  prié  ce  philosophe 
de  lui  donner  un  peu  de  vin  et  de  figues  ;  Platon  lui  en  en- 
voya une  grande  cruche  toute  pleine.  Diogène  l'ayant  ren- 
contré à  quelque  temps  de  là  :  «  Je  pense ,  lui  dit-il ,  que  si 
l'on  s'enquéroit  de  vous  combien  font  deux  et  deux,  vous 
répondriez  vingts  si  vous  ne  répondez  pas  plus  à  propos  de 
ce  qu'on  vous  interroge ,  que  vous  donnez  à  proportion  de 
ce  qu'on  vous  demande ,  »  voulant  marquer  par  là  le  vice  de 
Platon  qui  étoit  grand  parleur  de  son  naturel.  On  lui  deman- 
doit  une  fois  en  quel  lieu  de  la  Grèce  il  avoit  vu  des  hommes 
cpii  fussent  honnêtes  gens  :  «  Pour  d'iionunes,  répliqua-t-il,  je 
n'en  vis  jamais;  mais  j'ai  vu  des  enfants  à  Lacédémone  qui 
l'étoient.  »  Un  jour  qu'il  discouroit  fort  sérieusement ,  voyant 
que  personne  ne  le  venoit  entendre,  il  se  mit  à  fredonner  de 
la  voix  comme  une  cigale,  et  ayant  de  cette  sorte  amassé 
beaucoup  de  monde  autour  de  soi ,  il  commença  à  leur  repro- 
cher leur  peu  d'esprit ,  de  courir,  comme  ils  faisoient ,  pour 
entendre  des  niaiseries ,  et  de  se  presser  si  peu  pour  ouïr  de 
bonnes  choses.  Il  se  plaignoit  que  les  hommes  disputoient 
tous  les  jours  sur  cent  badineries,  comme  à  qui  escrimeroit 
et  à  qui  lutteroit  le  mieux ,  et  que  personne  ne  disputoit  à 
qui  seroit  le  plus  honnête  homme.  Il  disoit  qu'il  s'étonnoit  de 
la  folie  des  grammairiens  de  son  temps,  qui  se  tourmentoient 
le  corps  et  l'âme  pour  défricher^  les  peines  et  les  fatigues 
d'Ulysse,  et  qui  ne  prenoient  pas  garde  à  celle  qu'ils  se 
donnoient  inutilement.  Il  se  moquoit  plaisamment  des  musi- 
ciens qui  trouvent  bien  le  moyen,  ajoutoit-il,  de  mettre 
leurs  lyres  d'accord ,  et  qui  mènent  une  vie  si  déréglée.  Il 
n'étoit  pas  moins  divertissant  sur  les  astrologues  qui  s'amu- 
sent, poursuivoit-il ,  toute  leur  vie,  à  contempler  le  soleil  et 
la  lune,  et  qui  ne  voient  pas  le  plus  souvent  ce  qui  se  passe 
à  leurs  pieds.  Il  disoit  des  orateurs   qu'ils  s'étudioient  plutôt 


I.  MM.  Aimé-Martin  et  Aignan  ont  remplacé  ce  mot  par  celui 
de  déchiffrer;  c^est  à  tort .  Racine  a  écrit  et  voulu  écrire  défricher^ 
dont  on  trouve  des  exemples  dans  ce  sens.  Ce  verbe,  d'après  le 
Dietiotmaire  de  C Académie  de  i694<,  veut  dire,  au  figuré  :  «  éclaircir, 
démêler  une  chose,  embrouillée  et  épineuse.  » 


5io  LA  VIE 

à  dire  de  bonnes  choses  qu'à  en  faire.  Il  étoit  ennemi  mortel 
des  avares ,  qui  ne  haïssent  rien  tant,  à  les  entendre  pari^ , 
que  Targent ,  et  qui  Tadorent  dans  l'âme.  U  ne  pouvoit  ncm 
plus  souffrir  ces  sortes  de  gens  qui  louent  fort  ceux  qui  ont 
l'esprit  au-dessus  des  richesses  ' ,  et  qui  cependant  n'estimait 
d'heureux  que  ceux  qui  sont  riches.  Û  blâmoit  fort  ces  hypo- 
crites qui  faisoient  des  sacrifices  aux  Dieux  pour  leur  santé,  et 
qui  se  soûloient  au  sacrifice  jusqu'à  se  faire  malades.  Il  disoit 
qu'il  ne  pouvoit  assez  s'étonner  de  la  sobriété  des  valets  qui 
ne  déroboient  rien  de  ce  qu'on  sèrvoit  sur  table,  voyant  leurs 
maîtres  avaler  à  leurs  yeux  de  si  bons  morceaux.  U  lonoit 
fort  ceux  qui  pouvant  se  marier  ne  se  marioient,  ou  qui  pou- 
vant aller  sur  mer  n'y  alloient  point,  et  qui  pouvant  se  mêler 
d'affaires  publiques  ne  s'en  mèloient  point ,  ou  qui  pouvant 
mener  une  vie  voluptueuse  ne  la  menoient  point ,  et  enfin 
ceux  qui  pouvant  s'approcher  des  grands  seigneurs  ne  se  sou- 
cioient  point  d'en  approcher.  Il  disoit  qu'il  falloit  toujours 
avoir  les  mains  ouvertes  pour  ses  amis*.  Ménippe*,  dans  ce 
livre  qu'il  a  écrit  de  la  Fente  de  Diogène,  raconte  de  lui, 
qu'ayant  été  fait  captif,  comme  on  l'eût*  mis  en  vente,  celui 
qui  le  vouloit  acheter  lui  demanda  ce  qu'il  savoit  faire  :  «  Coah 
mander  ' ,  »  reprit  Diogène  ;  puis  s'adressant  au  sergent  qui  le 
crioit  :  a  Crie,  lui  dit-il:  Qui  peut  acfteter son  maître P  »  Durant 
qu'il  étoit  ainsi  exposé  en  vente ,  on  ne  lui  vouloit  pas  per- 
mettre de  s'asseoir  :  «  Hé  quoi  1  dit-il ,  quand  on  achète  des 

t .  Le  manuscrit  donne  à  choisir  entre  ce  membre  de  phrase  et 
celui-Ksi  :  «  qui  méprisent  les  richesses.  »  Le  premier,  qni  se  r^ 
proche  plus  du  grec  :  Sri  ^f}p.dhiuv  bcdvcD  e?6V,est  écrit  en  interligne, 
sans  que  Tautre  soit  ef&cé. 

9.  Racine  avait  écrit  d'abord  :  «  qu'il  falloit  tendre  les  mains  à 
ses  amis.  » 

3.  Dans  Pédition  dont  Racine  a  fait  usage,  on  lisait  Mivuaco(. 
Mais  quelques  manuscriu  ont  *£p{ii)C7coc,  et  Ménage  croit  que  c'est 
la  vraie  leçon,  Hennippe  de  Smyme  ayant  écrit  des  ^ies  des  philo» 
sophes, 

4.  Il  y  a  eust  dans  le  manuscrit.  Voyez  ci-deasus,p.  5o6ynote  3; 
mais  aussi  plus  bas,  p.  56o,  note  s. 

5.  Racine  avait  écrit  d^abord  :  k  commander  aux  hommes;  • 
mais  il  a  ensuite  effacé  les  mots  :  aux  hommêt. 


DE  DIOGÈNE  LE  CYNIQUE.  5ii 

poissons,  regarde-t-on  s'ils  sont  debout  ou  assis ^  ?»  Il  se  plai- 
gnoit  que  c'étoit  une  chose  étrange  que  quand  on  achetoit 
un  plat  ou  une  marmite  on  les  manioit  et  Ton  les  examinoit 
auparavant,  et  qu'on  achetoit  les  hommes  sur  la  simple  vue. 
Il  disoit  à  Xëniade ,  celui  qui  Tavoit  acheté,  qu'encore  qu'il 
fût  son  esclave,  il  falloit  qu'il  se  résolût  à  lui  obéir,  par  la 
raison  qu'on  obéit  à  un  médecin  et  à  un  précepteur',  tout 
esclaves  qu'ils  sont.  Eubule,  dans  le  livre  qui  est  intitulé  ia 
Fente  de  Diogène^  raconte  qu'il  éleva  les  enfants  de  Xéniade 
de  cette  sorte  :  après  qu'il  les  eut  instruits  dans  tous  les  arts 
libéraux,  il  voulut  qu'ils  apprissent  à  monter  à  cheval,  à  tirer 
de  l'arc ,  à  manier  la  fronde  et  à  lancer  le  javelot.  Au  reste 
il  ne  souffrit  point  qu'ils  allassent  aux  lieux  publics  pour 
s'exercer  à  la  manière  des  athlètes,  chez  les  maîtres  de  ces 
exercices  ;  mais  il  se  donna  la  peine  lui-même  de  les  exercer, 
afin  de  les  rendre  plus  robustes  et  plus  dispos.  Il  eut  soin  de 
leur  faire  apprendre  par  coeur  plusieurs  passages,  tant  des 
poètes  que  des  orateurs,  et  même  de  ses  écrits;  et  afin  qu'ils 
retinssent  plus  aisément  ce  qu'il  leur  enseignoit ,  il  leur  fit  un 
abrégé  de  tout  ce  qui  étoit  nécessaire  pour  avoir  les  principes 
des  sciences.  Au  reste  il  vouloit ,  quand  ils  étoient  chez  eux , 
qu'ils  s'employassent  aux  offices  de  la  maison,  en  se  con- 
tentant pour  leur  nourriture  de  quelques  viandes  légères, 
et  d'un  peu  d'eau  pure.  Pour  ce  qui  est  du  corps,  il  ne 
se  soucioit  point  qu'ils  fussent  malpropres  ni  mal  peignés  ; 
au  contraire,  il  les  laissoit  aller  dans  les  rues',  le  plus  sou- 
vent sans  pourpoint  et  sans  souliers,  car  il  vouloit  qu'ils  mar- 
chassent ainsi  sans  dire  mot  et  sans  regarder  personne  qu'eux- 
mêmes,  et  les  menpit  quelquefois  dans  cet  équipage  à  la  chasse. 
Mais  ces  jeunes  gens,  d'autre  côté,  avoient  un  soin  particu- 


I.  Première  rédaction  :  <c  s'ils  sont  debout  ou  non.  » 
9.  Dans  le  texte  grec»  xu6epvi{TY)(,  «  un  pilote.  » 
3.  Il  7  avait  d'abord  :  «  mais  il  les  menoit  ainsi  avec*  soi  tout 
salopes.  » 

*  Riciiie,  dans  cm  tnuliictîoiis  de  m  jeunetse,  écrit  ordiourement  «MOfac. 
EUes  offrent,  en  plus  grand  nombre  que  les  maniucriti  d*an  temps  poelériciir, 
d*«ntret  ardiaUnws  d*ortbogr«phe,  que  noos  mentionnerons  à  U  fin  deT/n/rtf- 
dmetion  grmmmatieaUf  en  tèle  dn  Lexi^me, 


5i2  LA  VIE 

lier  de  lui ,  et  faisoient  tout  ce  qu'ils  pouvoient  pour  le  mettre 
bien  auprès  de  leur  père  et  de  leur  mère.  Eubule  rapporte 
encore  qu'il  acheva  ses  jours  chez  Xéniade,  et  que  les  enfants 
de  son  maître  l'enterrèrent. 

Étant  à  l'article  de  la  mort,  Xéniade  lui  demanda  de  quelle 
manière  il  vouloit  être  enterré  :  c  Le  visage  dessous,  reprit-il  ; 
car  ceux  qui  sont  dessous  auront  bientôt  le  dessus.  »  11  disoit 
cela  à  cause  du  progrès  des  Lacédémoniens,  qui  de  petits 
commencements  s'étoient  élevés  à  une  grande  puissance.  Quel- 
qu'un l'ayant  mené  chez  lui,  le  pria  de  ne  point  cracher,  de 
peur  de  rien  gâter  dans  sa  maison,  qui  étoit  merveilleusement 
propre  et  bien  parée;  mais  Diogène,  sans  «dire  mot,  tira  un 
gros  crachat  du  fond  de  son  estomac,  et  le  lui  jetant  au  nez: 
«  Excusez,  lui  dit-il,  c'est  que  je  n'ai  trouvé  que  ce  lieu-là  ici 
d'assez  sale  pour  cracher.  »  Il  y  en  a  qui  prétendent  que  ce 
mot  est  d'AHstippe.  Une  fois,  étant  au  milieu  de  la  rue,  il  se 
mit  à  crier  :  «  Que  tout  ce  qu'il  y  a  d'hommes  ici  viennent  à 
moi!  »  En  même  temps,  plusieurs  s'amassèrent  autour  de  hii; 
mais  Diogène  les  écartant  avec  son  bâton  :  «  Je  d^nandois  des 
hommes,  dit-il,  et  non  pas  des  bêtes.  »  C'est  Hécaton  qui 
rapporte  cela  dans  son  premier  livre  des  Serttences.  On  ra- 
conte d'Alexandre  qu'il  disoit  de  lui,  que  s'il  n'eût  été  Alexan- 
dre, il  eût  voulu  être  Diogène^.... 

Métrodès,  dans  ses  Diu  notaàles^  rapporte  qu'un  jour, 
comme  on  lui  faisoit  le  poil,  il  s'en  alla,  la  barbe  à  dem 
faite,  à  un  festin  que  faisoient  ensemble  déjeunes  gens,  où  il  ftit 
fort  bien  battu;  mais  que  pour  se  revancher,  il  fit  un  grand 
placard  où  il  mit  en  écrit  le  nom  de  ceux  qui  lui  avoient  fait 
cet  outrage,  et  qu'il  les  suivoit  partout  avec  cette  affiche  dans 
les  mains.  Ainsi  il  se  vengea  de  l'afiront  qu'ils  lui  avoient  fait, 
en  les  faisant  connottre,  et  attirant  sur  eux  la  haine  et  l'indi- 
gnation de  tout  le  monde.  Il  disoit  qu'il  étoit  un  bon  diien 
de  chasse  à  l'égard  des  personnes  louables,  parce  qu'il  ne  les 
survoit  pas  avec  moins  d'ardeur  qu'un  chien  fait  un  lièvre,  et 
que  cependant  personne  de  ceux  qui  font  métier  de  louer  les 

I.  Racine  a  omis  ici  une  phrase  do  texte,  dans  laquelle  il  n^au- 
fait  pu  traduire  le  jeu  de  mots  de  jnjpav,  et  d^divonfpou^.  Il  a  encorv 
cette  fois  marqué  la  lacune  par  des  astérisques. 


DE  DIOGÈNË   LE  CYNIQUE.  5i3 

gens  ne  I  osoit  mener  ^  à  la  chasse'.  Quelqu'un  disoît  une  fois 
devant  lui,  en  se  vantant'  :  «  J'ai  bien  vaincu*  des  hommes 
en  ma  vie  aux  jeux  pythiens.  —  Des  hommes?  reprit  Diogène; 
c'est  moi  qui  sais  vaincre  les  hommes;  mais  toi,  ce  ne  sont 
que  des  faquins.  »  On  lui  représentoit  un  jour  qu'il  étoit  vieux, 
et  qu'il  devoit  songer  à  se  reposer  :  a  Hé  quoi?  repartit-il,  si 
j'ëtois  entré"  en  lice  pour  courir,  songerois-je  à  m'arrêter 
quand  je  serbis  près  du  but;  au  contraire,  ne  tâcherois-je  pas 
à  mieux  courir  que  jamais  ?  »  Quelqu'un  l'ayant  prié  de  souper, 
il  n'y  voulut  point  aller,  à  cause  que  quelques  jours  aupara- 
vant il  y  avoit  été,  et  qu'on  ne  l'en  avoit  point  remercié.  L'hi- 
ver, il  aUoit  les  pieds  nus  dans  la  neige,  et  faisoit  toutes  les 
autres  choses  que  nous  avons  rapportées  ci-devant.  Il  tâcha, 
au  commencement,  de  manger  de  la  viande  crue;  mais  n'en 
pouvant  venir  à  bout,  il  s'en  désista.  Il  rencontra  une  fois 
l'orateur  Démosdiène  dans  un  cabaret,  qui  dinoît  :  dès  que 
Démosthène  le  vit,  il  se  voulut  retirer;  mais  Diogène  l'ayant 
aperçu  :  «  Tu  n'as  que  faire  de  t'enfuir,  lui  dit-il  ;  tu  n'en  auras 
pas  été  moins  au  cabaret  pour  cela*.  »  Quelques  étrangers 
souhaitants'' de  voir  cet  orateur  :  «  Le  voilà,  dit-il,  en  élevant  sa 
main  et  leur  montrant  le  doigt  du  milieu,  le  flatteur  des  Athé- 
niens. 9  Un  jour,  voyant  un  pauvre  homme  qui,  ayant  laissé 
choir  un  morceau  de  pain,  avoit  honte  de  le  ramasser,  il  le 
voulut  guérir  de  cette  mauvaise  honte-là;  et  attachant  une 
corde  à  l'embouchure  de  son  tonneau,  il  se  mit  à  le  traîner 
de  cette  sorte  tout  le  long  de  la  rue  Céramique;  et  il  disoit 

I .  Première  rédaction  :  «  ne  Pavoit  encçNre  voulu  mener.  » 
9.  Cette  phrâBe,  dont  le  sens  a  échappé  au  jeune  Racine,  est  bien 
traduite  à  la  page  i8a  de  V  Abrégé^  déjà  cité,  des  Fies  des  phiiosophe*  : 
u  II  disoit....  qu^aucun  de  ceux  qui  le  loaoient  n'avoit  assez  de 
courage  pour  venir  à  la  chasse  avec  lui.  » 

3.  Et  non  pas  :  «  en  se  vautrant,  »  comme  on  Va  imprimé  dans 
les  éditions  de  MM.  Aimé-Martin  et  Aîgnan. 

4.  Racine  avait  mis  d*abord  :  surmonté, 

5.  Entré  est  en  interligne  et  a  été  ajouté  après  coup. 

6.  L'auteur  de  V Abrégé  des  Vies  des  philosophes  {^.  17$)  est  resté 
plus  près  du  texte  :  «  Plus  tn  te  caches  dans  le  cabaret,  et  plus 
tu  t^y  enfonces.  » 

7.  Souhaitants  est  ainsi  au  pluriel  dans  le  manuscrit. 

J.  RAGin.  V  33 


Si4  LA  VIE 

qu'il  imitoit  en  cela  les  maîtres  de  musique  qui  dëtonneot 
quelquefois  dans  un  concert,  afin  de  faire  prendre  le  ton  aux 
autres.  Il  assuroit  qu'on  pouvoit  être  fou  jusqu'au  bout  des 
doigts  S  et  qu'en  effet,  si  l'on  voyoit  quelqu'un  aller  dans  les 
mes  le  doigt  du  milieu  tendu,  il  n'y  a  personne  qui  ne  le  prit 
pour  un  fou,  au  lieu  qu'on  ne  trouvoit  rien  à  dire  quand  il 
tendoit  celui  qui  est  proche  du  pouce.  Il  disoit  qu'on  avoit  à 
bon  marche  les  cho;»es  qui  valent  beaucoup,  et  qu'an  contraire 
on  vendoit  bien  cher  celles  qui  ne  valent  rien,  vu  qu'on  ne 
pouvoit  faire  faire  une  statue  à  moins  de  trois  mille  oboles, 
et  qu'on  avoit  un  boisseau  de  farine  pour  deux  liards.  Il  di- 
soit une  fois  à  Xëniade,  celui  qui  Tavoit  acheté  :  c  Prenet 
garde  à  m'obéir  de  point  en  point,  et  à  faire  ce  que  je  vous 
ordonnerai.  —  Hë  quoi?  lui  répliqua  Xéniade, 

Les  fleuret  rëroltés  remontant  à  leurs  souroes*! 

— -Mab,  lui  répondit  Diogène,  si  vous  étiez  malade,  et  que  vous 
eussiez  acheté  un  médecin,  au  lieu  de  faire  ce  qu'il  vous  or- 
donneroit  vous  amuseriez-vous  à  lui  dire  : 

Les  fleuves  révoltés  remontent  à  leurs  sources?» 

Il  y  eut  une  fois  un  homme  qui  le  vint  trouver  à  dessein  de 
se  faire  philosophe'.  Diogène,  pour  réprouver,  hn  domu 
d'abord  un  merlan,  qu'il  tei^it,  à  porter,  et  lui  commanda  de 
le  suivre;  mais  l'autre^  jeta  là  le  merlan,  tout  honteux,  et 
s'en  retourna  comme  il  étoit  venu.  Diogène  le  rencontra  i 
quelques  jours  de  là,  et  ne  pouvant  s'empêcher  de  rire  en  le 
voyant  :  «  Faut-il  qu'un  merlan,  lui  dit4l,  ait  rompu  une  amitié 
conune  la  nôtre  ?  »  Dioclès  rapporte  cela  autrement,  et  racoote 
qu'un  homme  ayant  dit  à  Diogène  :  «  Commandez,  et  nous  tous 
obéirons,  »  Diogène  le  prit  à  part,  et  lui  donna  un  morceau  de 
firomage  à  porter;  mais  que  l'autre  ayant  refusé  de  le  faire  : 

I .  Le  sens  est  «  que  la  folie  tient  souTent  à  «m  doigt,  à  la  dif- 
férence d*nn  doigt.  » 

a.  Médée  d^Euripide,  vers  4ii« 

3.  n  j  avait  d^abord  :  «  pour  apprendre  de  Ini  la  philosophie.  • 

4.  Racine  avait  d*abord  ajouté  :  m  mais  celoi-ci,  pUnétmi  f 
m€êoutumé  à  ce  métier»  n 


DE  OIOGËNE  LE  CYNIQUE.  SiS 

«  Hé  qnoi?Iuirépliqua-t-il,  voulez-vous  rompre  avec  moi  pour 
un  morceau  de  fromage  ?  »  Voyant  un  jour  un  petit  garçon  qui 
buvoit  dans  le  creux  de  sa  main,  il  tira  son  ëcuelle  de  sa  be* 
sace,  et  la  jetant  par  terre  :  «  Il  a,  dit-il,  plus  d'esprit  que 
moi.  «  Il  jeta  aussi  sa  cuillère  *  pour  un  même  sujet,  voyant 
un  autre  jeune  garçon  qui  mangeoit  une  soupe  de  lentilles 
avec  une  croûte  de  pain  qu'il  avoit  creusëe  en  guise  de  cuillère. 
Voici  à  peu  près  sa  manière  de  raisonner  :  «  Toutes  choses 
appartiennent  aux  Dieux;  les  sages  sont  amis  des  Dieux  :  or 
est-il  que  tous  biens  sont  communs  entre  amis,  et  par  consé- 
quent toutes  choses  appartiennent  aux  sages.  »  Un  jour,  comme 
rapporte  ZoTle,  voyant  une  femme  qui  se  prostemoit  devant 
un  autel,  jusqu'à  se  mettre  dans  une  posture  indécente,  Dio- 
gène  la  voulut  guérir  de  cette  superstition-là  ;  et  s'approchant 
d'elle  :  «  N'avez-vous  point  peur,  lui  dit-il,  que  Dieu,  qui  est 
partout,  ne  voie  derrière  vous  quelque  chose  qui  ne  soit  pas 
fort  honnête?  n  II  consacra  un  homme  à  Esculape,  seulement 
pour  avoir  soin  d'aller  battre  ceux  qui  viendroient  baiser  la 
terre  dans  le  temple  de  ce  dieu.  II  disoit  que  toutes  les  malé- 
dictions tragiques  étoient  tombées  sur  lui;  qu'il  étoit  sans 
ville,  sans  maison,  sans  pays,  gueux,  vagabond,  et  vivant  à  la 
journée;  mais  qu'il  opposoitli  la  fortune  la  constance,  aux  lois 
la  nature,  aux  passions  la  raison.  Une  fois  Alexandre  le  vint 
voir,  qu'il  se  reposoit  au  soleil  dans  la  place  de  Granion*,  et 
s'arrètant  devant  lui  :  «  Diogène,  lui  dit-il,  demande-moi  ce 
que  tu  voudras.  —  Ce  que  je  veux,  reprit  Diogène,  c'est  que 
vous  vous  ôtiez  un  peu  de  mon  soleil.  »  Quelqu'un  ayant  lu  une 
fois  devant  lui  un  ouvrage  d'assez  longue  haleine,  comme  il 
fut  à  la  fin  du  livre,  voyant  qu'il  n'y  avoit  plus'  de  feuillets 
écrits,  il  se  mit  à  crier,  comme  font  les  matelots  sur  mer  t 
«  Terre  !  terre  !  prenons  courage.  »  Un  homme  lui  vouloit  prou- 
ver une  fois,  par  un  argument  sophistique,  qu'il  avoit  des 
cornes;  mais  Diogène,  pour  toute  réponse,  passant  sa  main 


t .  Racine  écrit  cueilliere, 

a.  Le  Cranion  était  on  bois  sacré,  avec  u^  gymnase,  tout  près 
de  Corinthe. 

3.  Au  Heu  de  ces  mots  :  «  voyant  quUl  n^y  avoit  plus,  »  Racine 
avait  mb  d*abord  :  «  n'y  ayant  plus.  » 


5i6  LA  VIE 

sur  son  front  :  c  Je  ne  les  sens  point,  »  dit-il.  11  lit  environ  U 
même  chose  à  un  autre  qui  soutenoit  qu'il  n'y  avoit  point  de 
mouvemetat  ;  car  il  se  leva  tout  d'un  coup  et  se  mit  à  se  prr)- 
mener.  Un  astrologue  discouroit  un  jour  devant  lui  des  choses 
célestes  :  «  Depuis  quand,  mon  ami,  lui  dit-il,  êtes-vous  revenu 
du  ciel  ?  »  Un  certain  eunuque,  perdu  de  débauche,  avoit  fait 
mettre  cette  inscription  sur  la  porte  de  son  logis  :  Que  rien 
deméctuuu  n* entre  ici  dedans.  «  Où  est-ce  donc,  reprit  Diogène, 
que  logera  le  maître  de  la  maison  ?  »  Ayant  une  ibis  des  huiles 
de  senteur,  au  lieu  de  s'en  parfumer  la  tète ,  comme  font  les 
autres,  il  s'en  oignit  les  pieds;  et  la  raison  qu'il  en  rendit, 
c'est  que  l'odeur  des  parfums  de  la  tête  s'exhaJe  en  l'air,  an 
lieu  que  celle  des  pieds  monte  droit  au  nez.  Les  Athéniens  lui 
conseilloient  de  se  faire  initier  aux  mystères  de  quelques  dieux, 
et  lui  disoient,  pour  l'y  porter  davantage,  que  ceux  qui  l'étoient 
dans  cette  vie  avoient  les  places  honorables  dans  les  enfers. 
«  Vraiment,  répliqua-t-il,  ce  seroit  une  assez  plaisante  chose  que 
tandb  qu'Agésilaus  et  Épaminondas  seroient  dans  la  fange, 
une  troupe  de  marauds  initiés  eût  le  haut  bout  dans  les  tles 
des  bienheureux.  »  Voyant  des  rats  qui  venoient  ronger  ks 
miettes  de  sa  table  :  v  Comment?  dit-il,  Diogène  a  des  para- 
sites! »Un  jour,  Platon  l'appelant  chien  :  «  Vous  avez  raison, 
lui  répliqua-t-il ,  car  *  j'ai  été  retrouver  ceux  qui  m'ont  ven- 
du. »  Une  fois,  comme  il  sortoit  des  bains,  quelqu'un  lai 
demanda  s'il  y  avoit  bien  des  hommes  au  bain  :  «  Il  n'y  en  a 
pas  un,  »  repartit-il  ;  mais  ensuite  un  autre  l'ayant  prié  de  \m 
dire  s'il  y  avoit  bien  du  monde  au  bain  :   «  Tout  en  est 
plein,  »  ajouta-t-il.  Un  jour,  Platon  ayant  défini  l'homme  : 
Un  animal  sans  plumes  et  qui  n^a  que  deux  pieds,  cette  dé- 
finition plut  extrêmement  à  tous  ceux  qui  étoient  présents; 
mais  Diogène,  sans  mot  dire,  prit  un  coq,  qu'il  se  donna  la 
peine  de  plumer  tout  entier,  et  l'ayant  porté  chez  Platon  : 
«  Tenez,  leur  dit-il,  voilà  l'homme  de  Platon,  »  de  sorte  que 
ce  philosophe  fut  obligé  d'ajouter  à  sa  définition  :  c  et  qui  a 
les  ongles  larges.  »  On  lui  demandoit  à  quelle  heure  il  fal- 
loit  dîner  :  a  Si  l'on  est  riche,  reprit-il,  quand  on  vent;  si 
l'on  est  pauvre,  quand  on  peut.  i>  Ayant  remarqué  à  Mégare 

I .  Au  lieu  de  car,  il  y  avail  d^abord  :  «  et  cVst  pour  cela  que.  > 


DE  DIOGÈNE  LE  CYNIQUE.  517 

que  les  moutons  y  étoient  gras  et  couverts  de  bonne  laine, 
au  lieu  que  les  enfants  y  étoient  presque  tous  nus  :  «  J'aime- 
rois  mieux  dit-il,  être  mouton  que  fils  d'un  Mégarien.  »  Un 
homme,  dans  les  rues,  l'ayant  heurté  d'un  ais  qu'il  portoit,  se 
mit  ensuite  à  crier  :  «  Gare  !  gare  !  —  Est-ce,  lui  dit-il,  que 
tu  as  envie  de  me  heurter  encore  une  fois?  »  II  appeloit  les 
orateurs*  les  valets  de  la  populace  ;  et  les  couronnes  qu'on  leur 
donnoit,  des  ampoules  de  gloire.  Il  alloit  quelquefois  en  plein 
jour,  une  lanterne  allumée  à  la  main,  et  comme  on  lui  deman- 
dât '  pcjur  quelle  raison  il  faisoit  cela  :  «  Je  cherche,  répon- 
doit-il,  un  homme.  »  Un  jour  qu'il  se  reposoit*  en  pleine  rue, 
tout  dégouttant  de  l'eau  de  la  pluie  qui  étoit  tombée  sur  lui, 
cela  amassa  autour  de  lui  plusieurs  [)ersonnes  que  ce  spectacle 
avoit  touchés*  de  pitié;  mais  Platon  s'étant  rencontré  là  par 
hasard  :  «  Hé  I  de  grâce,  leur  dit-il,  si  vous  avez  pitié  de  cet 
homme,  laissez-le  là,  »  voulant  témoigner  par  ces  paroles  la 
vanité  de  ce  philosophe,  comme  ne  faisant  cela  que  par  osten- 
tation. Il  y  eut  une  fois  un  homme  qui  lui  donna  un  soufflet  : 
«  Vraiment,  reprit-il,  j'ai  bien  oublié  de  n'avoir  pas  mis  ^  un 
casque.  »  Un  certain  Midias,  qui  lui  en  vouloit,  le  rencontra  un 
jour,  et  l'ayant  bien  battu  :  a  Ton  argent  est  prêt,  »  ajou- 
ta-t-il.  Diogène  ne  répondit  rien  sur  l'heure;  mais  le  lende- 
main il  l'attendit  avec  des  gantelets  aux  deux  mains',  et  lui 
assenant  un  coup  de  toute  sa  force  :  «  Ton  argent  est  prêt,  » 
lui  dit-il.  Lysias,  un  certain  apothicaire,  lui  demandoit  une 
fois  s'il  croyoit  qu'il  y  eût  des  dieux  :  «  Il  faut  bien  que  je  le 
croie,    lui  répliqua-t-il ,   puisque  je   sais  même  qu'ils  n'ont 
point  de  plus  grand  ennemi  que  toi.  »  Quelques-uns  assurent 
que  ce  mot  est  de  Théodore.  Voyant  un  jour  un  homme  qui 
se  lavoit  dans  l'eau  pour  se  purifier  :  a  Hé!   pauvre  misérn- 

I.  Première  rédaction  :  «  U  disoit  que  les  orateurs  étoient.  » 
a.  Voyez  ci-dessus,  p.  5o6,  note  3. 

3.  Racine  avait  écrit  d'abord  :   «  Un  jour  on  le  trouva  »,  dont 
une  première  correction  avait  fait  :.«  Un  jour  qu'il  étoit.  » 

4.  Dans  le  manuscrit  il  y  a  bien  «  touchés,   »  et  non  «  tou- 
chées. »  Voyez  ci-dessus,  p.  4^3,  note  a. 

5    M.  Aimé-Martin  a  ainsi  corrigé  cette  phrase  :  m  j^ai  bien  ou- 
blié de  mettre  un  casque.  » 

6.  Première  rédaction  :  «  à  la  main.  » 


5i8  LA  VIE 

ble,  lui  dit-il,  sache  que  cette  eau  n'est  pas  plus  capable 
d'efiacer  les  crimes  que  tu  as^  commis  pendant  ta  vie,  que 
des  fautes  de  grammaire.  »  Il  assuroit  que  les  hommes  se  pUi- 
gnoient  à  tort  de  la  fortune,  parce  qu'ils  demandoient  aux 
Dieux ,  non  pas  ce  qui  ëtoit  bon  véritablement ,  mais  ce  qui 
leur  paroissoit  bon.  Il  disoit  à  ceux  qui  sont  effirayés  des 
songes  qu'ils  font  :  «  Vous  vous  embarrassez  des  choses  cpie 
vous  faites  en  dormant ,  et  vous  n'avez  pas  la  moindre  in- 
quiétude de  celles  que  vous  faites  étant  éveillés.  »  S'étant  trouvé 
aux  jeux  olympiques,  comme  le  héraut,  selon  la  coutume,  se 
fût  mis  à  crier  :  «  Dioxippe  a  vaincu  tous  les  hommes  qui  ont 
paru  dans  la  lice,  —  C'est  moi,  dit-il,  qui  sab  vaincre  les 
hommes;  car  pour  lui  ce  ne  sont  que  des  esclaves.  »  Il  éunt 
fort  aimé  des  Athéniens ,  jusque-là  qu'ils  condamnèrent  au 
fouet  un  jeune  garçon  pour  avoir  rompu  son  tonneau,  et  lui 
en  firent  donner  un  autre.  Denys  le  stolque  rapporte> qu'après 
la  bataille  de  Chéronée,  il  fut  pris  prisonnier  des  Macédonieus, 
et  qu'étant  mené  à  Philippe,  ce  roi  lui  demanda  qui  il  étXHt  : 
«  Un  espion,  reprit-il,  de  ton  insatiable  avidité.  »  Ce  même 
auteur  assure  que  cette  hardiesse  donna  de  l'admiration  à  Phi- 
lippe, qui  donna  ordre  qu'on  le  délivrât  sur  l'heure.  Alexan- 
dre avoit  envoyé  des  lettres  à  Athènes ,  adressantes  à  Anti- 
patre,  par  un  certain  Athlie,  qui  veut  dire  en  grec  autant  que 
malheureux.  Diogène  s'y  trouva  présent  quand  il  les  reçut, 
et  faisant  allusion  à  ce  nom  :  «  Athlie,  dit-il,  a  envoyé  ks 
lettres  d' Athlie  à  Athlie  par  Athlie.  »  Perdiccas^  l'ayant  me- 
nacé par  lettres  de  le  faire  mourir  s'il  ne  le  venoit  trouver  : 
«  Il  ne  fera  pas  grand'chose,  répliqua-t-il,  puisqu'une  mouche 
et  une  araignée'  en  peuvent  bien  faire  autant.  Que  ne  me  me- 
nace-t-il  plutôt ,  ajouta-t-il ,  que  si  je  ne  le  vais  trouver,  il 
trouvera  bien  le  moyen  de  vivre  heureux  sans  moi  ?»  11  crioit 
souvent  que  les  Dieux  ne  donnoient  que  trop  de  moyens  aux 
hommes  pour  vivre  à  leur  aise*,  mais  que  ces  moyens  étoient 


1 .  «  Tu  as  »  a  été  substitué  à  «  tu  pourrois  aToir.  » 

2.  Dans  rédition  de  M.  Aimé<Martin  on  a  imprimé  Pttviec**, 
M.  Aignan  a  reproduit  cette  faute  d^impression. 

3.  U  y  a  «  un  araignée  »  dans  le  manuscrit. 

4.  Il  y  arait  d^ahord  :  «  pour  vivre  heureux.  » 


DE  DIOGËNE  LE  CYNIQUE.  $19 

caches  à  ceux  qui  aimoient  si  fort  les  ragoûts,  les  parfums ^ 
et  toutes  ces  vaines  superfluitës.  Voyant  un  jour  un  homme 
qui  se  faisoit  chausser  par  son  valet  :  «  Tu  ne  seras  point  en- 
core parfaitement  heureux,  lui  dit^-il,  qu'on  ne  t'ait  coupé  les 
deux  mains,  afin  que  tu  te  puisses  honnêtement  faire  moucher 
par  lui.  »  Une  autre  fois,  ayant  aperçu  des  sergents*  qui  me- 
noient  en  prison  un  coupeur  de  hourse  qui  avoit  vole  une 
aiguière  :  «  Voilà ,  dit-il ,  de  grands  voleurs  qui  en  mènent 
un  petit  en  prison.  »  Voyant  un  jeune  garçon  qui  ruoit  des 
pierres  à  une  potence  :  «  Ck>urage ,  lui  dit-il ,  tu  parviendras 
au  bot'.  »  Il  se  trouva  une  fois  entouré  d'une  foule  de  petits 
garçons  qui  crioient  :  «  Gare  !  gare  !  qu'il  ne  nous  morde.  — 
Ne  craignez  rien,  leur  dit-il  :  un  chien  ne  mange  point  de  ca- 
rottes. »  Voyant  un  homme  qui  prenoit  plaisir  à  se  couvrir  de 
la  peau  d'un  hon  :  «  Gesse,  mon  and,  lui  dit-il,  de  déshonorer 
l'habit  de  la  vertu.  »  On  exaltoit  un  jour  devant  lui  le  bonheur 
de  Callisthène,  d'être  participant*,  comme  il  étoit,  de  toute  la 
magnificence  d'Alexandre  :  «  Et  moi,  répliqua-t-il,  je  le  trouve 
bien  malheureux  de  ne  pouveir  dîner  ni  souper  que  quand  il 
plaît  à  Alexandre.  »  Il  disoit  que  quand  il  avoit  affaire  d'ar- 
gent, et  qu'il  en  prenoit  de  ses  amis,  c'étoit  une  dette  dont 
ils  s'acquittoient ,  plutôt  qu'un  présent  qu'ils  lui  fissent^.  On 
le  trouva  un  jour  en  pleine  rue  qui  faisoit  quelque  chose  de 
la  main  qui  n'étoit  pas  fort  honnête;  mais  lui,  sans  s'étonner  : 
«  Plût  aux  Dieux ,  dit-U,  que  je  pusse  aussi  bien  apaiser  la  faun 
de  mon  ventre  en  le  grattant!  n  U  se  donna  bien  une  fois  la 
peine  de  remener  lui-même  à  la  maison  un  jeune  garçon  qui 
alloit  faire  la  débauche  avec  des  seigneurs  de  Perse,  et  avertit 
ses  parents  d'avoir  l'œil  sur  lui.  U  y  eut  un  jour  un  jeune 
homme  fort  bien  paré  qui  le  vint  consulter  sur  certaine  ma- 
tière :  «  Je  ne  vous  répondrai  point ,  lui  dit  Diogène ,  que  vous 
ne  m'ayez  fait  savoir  auparavant  si  vous  êtes  homme  ou  femme.  » 
Une  autre  fois,  comme  il  étoit  au  bain,  il  en  vit  un  qui  ver- 


I.  Racine  arait  ëcrit  d'abord  :  «  des  archen.  » 
3.  Première  rédaction  :  «  Voyant  un  petit  garçon  qui  jetoit  dei 
pierrei....  à  la  fin  tu  y  viendras.  » 

3.  U  y  ayait  d*abord  :  «  de  participer.  » 

4.  M.  Aimé-Martin  a  mu  faisoUniy  au  lieu  de  fiuent. 


5ao  LA   VIE 

soît  du  vin  d'un  pot  dans  un  autre,  afin  déjuger,  par  le  bruit 
que  faisoit  le  vin  en  tombant',  s'il  réussiroit  dans  ses  amours  ; 
et  comme,  à  son  avis,  le  |)ot  eût  rendu  un  bon  son  :  «  Il  est 
d'autant  plus  mauvais  pour  toi,  lui  dit  Diogène,  qu'il  est  fort 
bon.  9  Quelques-uns,  dans  un  festin*,  lui  jetoient  de  loin,  par 
dërision,  des  os  comme  à  un  chien;  mais  Diogène,  se  levant 
de  table,  se  mit  à  pisser  contre  eux  comme  un  chien.  Il  disoit 
des  orateurs  et  de  ceux  qui  mettent  leur  gloire  à  bien  parler, 
qu'ils  ëtoient  trois  fois  hommes,  c'est-à-dire  trois  f<HS  misé- 
rables. Il  appeloit  un  riche  ignorant,  un  mouton  qui  avoit  une 
toison  d'or*.  Ayant  vu  sur  la  porte  d'un  fameux  débaudië  cet 
écriteau:  Maison  à  vendre:  c  Je  me  doutois  bien,  dit-il,  que 
cette  maison  boiroit  tant  et  mangeroit  tant  qu'elle  vomirott 
enfin  son  maître.  »  Un  jeime  garçon  se  plaignoit  une  UÀ&  à  lui 
de  la  multitude  de  ceux  qui  le  vouloient  corrompre  :  «  Gesse,  loi 
répondit  Diogène,  de  leur  faire  voir  qu'on  te  peut  corrompre.  > 
Étant  un  jour  entré  dans  un  bain  fort  sale  :  «  Où  est-ce,  dit-il, 
qu'on  se  va  laver*  à  la  sortie  de  ce  bain-ci  ?»  Il  entendent  une 
fois  un  joueur  de  luth  qui  en  jouoit  d'une  manière  fort  gros- 
sière, et  comme  tous  les  autres  le  traitassent*  d'ignorant  et  de 
ridicule,  lui  seul  le  louoit  et  le  prisoit  extrêmement.  Quelques- 
uns  lui  en  demandèrent  la  raison  :  c  Je  l'admire,  repnt-il,  de 
ce  que  jouant  si  mal,  il  s'amuse  plutôt  à  cela  qu'à  tuer  ou  à 
voler.  »  II  y  en  avoit  encore  un  autre  qui  faisoit  fuir  tout  le 
monde  dès  qu'il  commençoit  à  jouer;  un  jour  Diogène  l'ayant 
rencontré  :  «  Bonjour,  lui  dit-il.  Monsieur  le  Coq. — D'où  vient 
que  vous  m'appelez  ainsi?  lui  fit  l'autre. — Cest,  répliqua-t-il, 
que  tu  fais  lever  tout  le  monde  dès  que  tu  commences  à 
chanter.  »  Voyant  plusieurs  personnes  qui  avoient  les  yeux  fi- 
chés sur  un  jeune  garçon,  il  se  mit  à  ramasser  du  lupin  qui 
étoit  à  terre,  à  la  vue  de  tout  le  monde,  et  en  remplissoit  à 
mesure  sa  besace.  Cette  action  fit  tourner  la  tête  à  tous  ceux 

I .  Voyez  1(»  lexiques  grecs  aux  mots  KoTta66(  et  Komi6io|ji6ç. 
3 .  Après  festin^  il  y  a  ces  mots,  effacés  :  «  pour  se  moquer.  » 

3.  Racine  avait  mis  dVbord  :  «  une  toison  dorée.  » 

4.  Dans  l'édition  de  M.  Aimé-Martin  on  a  imprimé  :  «  que  Toii 
fera  laver.  »  M.  Aignau,  prenant  ce  non-sens  pour  le  texte  TÀita- 
ble,  en  a  fait  Tobjet  d^une  observation  grammaticale. 

5.  Voyez  ci-dessus,  p.  5o6,  note  3. 


DE  DIOGEME  LE  CYNIQUE.  Sîi 

qui  ëtoient  là:  «  Hé  quoi?  leur  dit-il,  aimez- vous  mieux  me 
voir  que  ce  beau  fils  ?  »  Un  homme  extrêmement  superstitieux 
lui  disoit  une  fois  :  «  Ne  me  fâche  pas;  car  d'un  coup  de  poing 
je  te  romprois  la  tête.  — Et  moi,  reprit-il,  je  te  ferois  trembler 
si  je  t'avois  seulement  regarde^  du  côté  gauche.  »  Un  certain 
Hégésias  le  prioit  un  jour  de  lui  prêter  quelques-uns  de  ses 
ouvrages  pour  apprendre  la  philosophie  :  «  Dites-moi  un  peu, 
reprit  Diogène,  si  vous  vouliez  manger  des  figues,  voudriez- 
vous  qu'on  vous  donnât  des  figues  en  peinture,  et  n'en  achè- 
tenez-vous  pas  de  véritables?  Avouez  donc  que  vous  êtes  fou, 
puisque  pouvant  embrasser  l'exercice  véritable  de  la  philoso- 
phie, vous  vous  contentez  de  la  voir  par  écrit.  »  Quelqu'un  lui 
>eprochoit  qu'il  s'étoit  enfui  de  son  pays  :  «  Hé,  misérable,  lui 
répliqua-t-il,  n'y  ai-je  pas  trop  gagné,  puisque  c'est  ce  qui 
m'a  fait  devenir  philosophe  ?  »  Et  à  un  autre  qui  lui  disoit  : 
«  Ceux  de  Sinope  t'ont  banni  de  leur  pays,  —  Et  moi,  re- 
prit-il, je  les  condamne  à  n'en  bouger.  »  Voyant  un  homme 
qui  avoit  gagné  le  prix  aux  jeux  olympiques,  qui  menoit 
paître  les  brebis  :  «  Pauvre  homme ,  lui  dit-il ,  à  ce  que  je 
vois,  tu  n'as  quitté  les  jeux  olympiques  que  pour  venir  aux 
néçiéens^.  »  On  lui  demandoit  une  fois  d'où  venoit  que  les 
athlètes  ne  sentoient  point  les  coups  qu'on  leur  donnoit  : 
c  C'est,  reprit-il,  qu'ils  ne  sont  faits  que  de  chair  de  pour- 
ceaux et  de  bœufs.  »  Il  demandoit  un  jour  l'aumône  à  une 
statue,  et  la  raison  qu'il  en  donna  :  «  Je  m'apprends,  dit-il, 
à  être  refusé.  »  Il  fut  obligé  au  commencement  de  demander 
l'aumône  pour  subsister.  Un  jour  donc,  comme  il  priât  quel- 
qu'un de  la  lui  donner  :  «  Si  tu  l'as  jamais  donnée  à  quelque 
autre  en  ta  vie,  lui  disoit-il,  donne-la-moi  ;  si  tu  ne  l'as  point 
donnée,  conunence  par  moi.  »  Un  tyran  lui  demandoit  un 
jour  quel  airain  étoit  le  meilleur  :  «  Celui,  répliqua-t-il,  dont 
on  fond  les  statues  d'Harmodius  et  d'Aristogiton.  »  A  propos 

• 

I .  Le  texte  sur  lequel  Racine  a  traduit  avait  napcliv,  au  lieu  de 
Kiapc&y,  éterauant,  qui  est  la  vraie  leçon,  celle  que  Ménage  a  réta-t 
blie  d*après  un  manuscrit. 

9.  Le  jeu  de  mots  était  intraduisible  et  demandait  une  explica<- 
tion  :  li:\  xdt  véfAsa  signifie  «.  aux  jeux  ném^ns  »  ou  «  aux  pâtu- 
rages. » 


5a!i  LA  VIE 

de  Denys  le  tyran ,  il  disoit  qu'il  traitoit  ses  amb  comme  des 
sacs;  <K  car,  ajoutoit-il,  il  les  pend*  quand  ils  sont  pleins ,  et 
les  jette  quand  ils  sont  vides.  »  Un  nouveau  marie  avoit  fait 
mettre  cette  inscription  sur  le  seuil  de  sa  porte  :  Hercule 
Callinique^  fils  de  Jupiter^  loge  céans  ;  que  rien  de  méchant 
n^ entre  ici  dedans  ;  mais  Diogène,  sans  dire  mot,  écrivit  ced 
ensuite  :  Après  la  mort,  le  médecin*.  Il  vit  une  fois  un  homme, 
qui  s'ëtoit  ruine  en  folles  dépenses,  qui  faisoit  son  soupe  de 
quelques  olives  dans  une  gargoterie  :  c  Misérable,  lui  dit-il,  si 
tu  eusses  dîné  de  la  sorte,  tu  ne  souperois'  pas  aujourd'hui 
comme  tu  fais.  9  II  disoit  que  les  hommes  vertueux  étoient 
les  images  des  Dieux.  Il  appeloit  l'amour  l'occupation  des 
oisifs.  Quelqu'un  lui  ayant  demandé  ce  qu'il  croyoit  qu'il  y 
eût  au  monde  de  plus  misérable,  il  répondit  :  c  Un  vieillard 
pauvre  ;  »  et  à  un  autre  qui  s'enquéroit  de  lui  quelle  étoit  la 
bète  la  plus  dangereuse  :  «  Un  médisant,  répliqua-t-il,  entre 
les  farouches;  et  un  flatteur  entre  les  privées.  »  Voyant  un 
tableau  où  il  y  avoit  deux  centaures  fort  mal  peints  :  «  Quel 
est  le  Chiron^  des  deux?  9  dit-il.  Il  appeloit  les  paroles  de 
flatterie  des  fllets  de  miel  ;  et  le  ventre,  la  Charylxle  de  la  vie. 
Ayant  oui  dire  qu'un  certain  Didyme  avoit  été  surpris  en 
adultère  :  c  U  est  digne,  dit-il,  d'être  pendu  par  son  nom'.  » 
On  lui  demandoit  un  jour  d'où  venoit  que  l'or  étoit  pâle  : 


1.  M.  Aimé-Martin  a  lu  :  prend.  Cette  faute  a  été  reprodnîte 
dans  Tédition  de  M.  Aignan. 

2.  Il  y  a  en  grec  un  autre  proverbe  :  «  Après  la  guerre,  l'ai- 
lianoe.  »  —  A  la  suite  de  ceci.  Racine  a  omis  une  petite  phrase  da 
texte,  sans  doute  par  distraction. 

3.  Il  y  a  dans  le  manuscrit  ioupertu^  au  lieu  de  iouperoisf  c'eit 
éridemment  un  lapsus. 

4.  Ou  :  «  Quel  est  le  pire  (yii^ùyi).  »  Ici  encore  le  traducteur 
aurait  dû,  ce  semble,  expliquer  le  jeu  de  mots. 

5.  On  lit  dans  Pëdition  de  M.  Aimé-Martin  :  «  H  est  digne  deox 
foû,  dit-il,  d*étre  pendu  par  son  nom.  »  Deux  fois  n'est  pas  dans 
le  manuscrit,  et  n^est  pas  du  tout  le  sens  du  jeu  de  mots  (Ix  xfiv 
$t(6(M)v),  que  Racine  n'a  pas  expliqué  et  qu'il  ne  pouvait  d'ailleurs 
pas  expliquer  décemment.  Peut-être  eût-il  bien  fait  de  suppri- 
mer une  phrase,  devenue  inintelligible  dans  la  traduction  fran- 
çaise. 


DE  DIOGENE  LE  CYNIQUE.  5!i3 

«  C'est,  rëpliqoa-t-il,  que  tout  le  inonde  est  aux  aguets  pour 
l'attraper.  »  Voyant  une  femme  dans  une  litière  :  «  Ce  n'est 
pas  là,  dit-il,  une  cage  pour  une  bète  si  farouche.  »  Il  vit* 
un  jour  un  esclave  fugitif  qui  ëtoit  assis  sur  la  margelle  d'ua 
puits  :  c  Mon  ami,  lui  fit-il,  prends  garde  d'y  tomber*.  » 
Une  fois  étant  au  bain,  il  aperçut  un  certain  Cillius,  qui 
étoit  un  de  ces  voleurs  qui  viennent  pour  voler  les  habits  de 
ceux  qui  se  baignent,  et  s'approchant  de  lui  :  «  Est-ce  pour 
voler  ou  pour  vous  baigner*,  lui  dit-il,  que  vous  êtes  ici?  » 
Voyant  un  jour  des  femmes  qu'on  avoit  pendues  à  des  oliviers  : 
«  Plût  aux  Dieux,  s'écria-t-il,  que  tous  les  arbres  portassent 
de  semblables  fruits  !  »  Ayant  rencontre  un  certain  homme 
qui  ëtoit  accuse  de  fouiller  dans  les  sépulcres,  il  lui  dit  sur- 
le-champ  ces  deux  vers  : 

«  Qui  t^amène  en  ces  lieux,  honte  de  la  nature? 
Viens-tu  fouiller  les  morts  jusqu'en  leur  sépulture  *  ?  » 

On  lui  demandoit  un  jour  s'il  avoit  un  valet  ou  une  ser- 
vante ;  il  répondit  que  non.  4  Et  qui  est-ce  donc,  reprit  celui 
qui  rinterrogeoit,  qui  prendra  le  soin  de  tes  funérailles  après 
ta  mort?  —  Celui,  répliqua-t-il,  qui  voudra  loger  dans  ma 
maison.  »  Il  aperçut  un  jour  un  beau  garçon  qui  dormoit  à 
son  aise,  couché  tout  de  son  long  :  «  Réveille-toi,  lui  dit  Dio- 
gène,  n  as-tu  point  de  peur 

Qu'une  flèche,  en  dormant,  te  perce  par  derrière*?  >• 


I.  Première  rédaction  :  «  Il  aperçut.  » 

3.  Voici  encore  un  bon  mot  qui  ne  se  comprend  plus  dans  la 
traduction.  Ménage  a  bien  fait  remarquer  que  le  mot  grec  9p^  ne 
signifiait  pas  seulement  un  puits,  mais  qu*il  était  de  plus,  à  Athè- 
nes, le  nom  d'un  tribunal.  Il  croit  même  qu'il  pouvait  y  avoir 
aussi  un  jeu  de  mots  sur  ijucioTic  ou  IxKim^ç, 

3.  La  plaisanterie  de  Diogène  a  plus  de  sel  dans  le  texte  grec  : 
*£n'  àXti(i(jLdTiov  f^  In^  dlXXo  I|Aiiiov.  C'est  un  nouvel  exemple  d'un 
jeu  de  mots  qu'on  ne  pouvait  rendre. 

4.  Le  second  de  ces  vers  traduit  un  vers  grec  qui  revient  deux 
fois  dans  V Iliade  d'Homère  ;  c'est  le  343*  et  le  387*  du  livre  X. 

5.  C'est,  avec  un  l^er  changement  (cSSovii,  «  dormant,  »  pour 
fEu^ovri,  «  fuyant  »),  le  vers  gS  du  livre  VIII  de  V Iliade, 


\ 


^ 


5a4  LA  VIE 

et  a  un  autre  qui  aimoît  extrêmement  la  bonne  chère  :  «  Si 
tu  n'y  donnes  ordre,  lui  dit-il, 

Tel  jûurft  seront,  mon  fils,  de  fort  courte  durée  '.  » 

Un  jour,  Platon  discouroit  de  ses  idées,  assurant  qu*une 
table  avoit  sa  tabléité,  et  un  pot  sa  potéitë  :  «  Pour  moi,  re- 
prit Diogène ,  je  vois  bien  un  pot  et  une  table  ;  mais  je  ne 
vois  ni  potëité,  ni  tabléitë.  —  C'est,  lui  répliqua  Platon,  que 
tu  as  des  yeux  pour  voir  la  table  et  les  pots;  mais  tu  n'as 
pas  assez  d'esprit  pour'  concevoir  la  tabléité  et  la  potéîté.  » 
On  lui  demandoit  une  fois  quel  homme  lui  paroissoit  Socrate  : 
«  Un  fou,  »  réj)liqua-t-il  *.  Un  autre  s'enquéroit  de  lui  en 
quel  âge  il  se  falloit  marier  :  «c  Quand  on  est  jeune,  dit-il,  il 
n'est  pas  temps;  quand  on  est^  vieux,  il  n'est  plus  temps.  » 
Quelqu'un  lui  disoit  un  jour  :  c  Que  voudriez-vous  qu'un 
homme  vous  donnât  pour  recevoir  un  soufflet  de  lui  ?  «  Un 
casque,  »  reprit  Diogène.  Voyant  un  jeune  homme  qui  se  pa- 
roit  :  «  Si  c'est  aux  hommes,  lui  dit-il,  que  tu  veux  disputer 
le  prix  de  la  beauté,  tu  es  bien  misérable;  si  c'est  aux  fem- 
mes, tu  es  bien  injuste.  »  Gomme  un  jeune  homme  eût  rougi 
devant  lui  :  a  G)urage,  lui  dit  Diogène,  je  vois  la  couleur  de 
la  vertu.  »  Entendant  un  jour  plaider  deux  avocats  sur  un 
larcin  dont  l'un  étoit  accusé  par  l'autre,  il  les  condamna  tous 
deux  :  a  Car  l'un,  ajouta-t-il,  a  volé,  et  l'autre  ne  l'a  point 
été.  9  On  lui  demandoit  un  jour  quel  vin  étoit  le  plus  agréable 
à  boire  :  «  Le  vin  d'autrui,  »  répondit-il.  On  lui  disoit  une 
fois  :  «  Tout  le  monde  se  rit  de  toi.  —  Je  ne  suis  pas  ridi- 
cule pour  cela,  »  reprit-il.  Un  autre  soutenoit  devant  lui  que 
c'étoit  une  chose  malheureuse  que  de  vivre  :  «  Dis  de  mal 

I.  Iliade f  lÎTre  XVIII,  vers  95.  Diogène  substitue  d^ppi^ciç,  «  tu 
achètes,  »  au  dernier  mot  d*Homère  :  iyopeSEtc,  «  tu  dis.  m 

9.  Ce  passage,  que  Racine  a  trouTë  dans  l'édition  dont  il  s'est 
senri,  n'est  pas  dans  toutes  les  éditions  ni  dans  tous  les  manuscrits. 
Ménage  a  conjecturé  avec  rraisemblance  qu'on  avait  à  tort  fait 
entrer  dans  le  texte  une  note  dans  laquelle  un  lecteur  de  Diogène 
de  Laér'te  rappelait  ici  un  mot  de  Platon  :  «  On  lui  demandoit  une 
fois  quel  homme  lui  paroissoit  Diogène  :  c  Un  Socrate  fou,  »  répon- 
dit-il. »  Voyez  dans  le  la  Bruyère  de  M.  Servois  (tome  II,  p.  $09- 
5 II),  la  Ltttre  de  la  Bruyère  à  Ménage. 


DE  DIOGÉNE  LE  CYJNIQUE.  5a5 

vivre,  inteiTompit  Diogène,  et  non  pas  de  vivre.  »  Quel- 
ques-uns lui  conseilloient  de  faire  chercher  un  valet  qu'il 
a  voit,  et  qui  s'ëtoit  enfui.  «  Non,  non,  reprit-il,  ce  seroit  une 
chose  ridicule  que  Manès  se  pût  passer  de  Diogène,  et  que 
Diogène  ne  se  pût  passer  de  Manès.  »  Un  jour,  comme  il 
mangeoit  des  olives,  un  honune  lui  vint  offirir  des  gâteaux; 
mais  il  le  renvoya  avec  ce  vers  : 

M  Fuyons,  ami,  fuyons  ces  infâmes  tyrans*.  » 

On  lui  demandoit  une  fois  de  quelle  espèce  de  chien  il 
ëtoit  :  «  Quand  j'ai  faim,  répliqua-t-il ,  je  suis  doux  comme 
un  chien  de  Mëlite;  mais  quand  je  suis  soûl,  je  suis  afrdent 
comme  un  chien  de  Molosse  '.  Enfin ,  ajouta-t-il ,  je  suis  de 
cette  espèce  de  chien  qu'on  prise  extrêmement,  mais  que  peu 
de  personnes  veulent  mener  à  la  chasse,  à  cause  de  la  fatigue 
qu'il  se  faut  donner.  En  effet,  vous  louez  assez  mon  genre  de 
vie,  mais  il  n'y  en  a  pas  un  qui  le  veuille  suivre  à  cause  des 
|>einc$  et  des  sueurs  qu'il  faut  endurer.  »  On  s'enquéroit  une 
fois  de  lui  si  les  sages  mangeoient  des  tartes  et  des  gâteaux  : 
«  Cela  est  étrange,  répliqua-t-il ,  qu'ils  en  mangent  tout  de 
même  que  d'autres  hommes.  »  Quelqu'un  se  plaignoit  à  lui  de 
ce  qu'on  donnoit  sou  veut  l'aumône  à  de  gros  gueux  aveugles 
et  estropies,  et  qu'on  ne  donnoit  rien  aux  philosophes  :  «  C'est, 
rëpliqua-t-il,  que  la  plupart  des  hommes  prévoient  bien  qu'ils 
pourront  devenir  aveugles  ou  estropiés,  mais  pas  un  n'es|)ère 
de  devenir  philosophe.  »  Il  demandoit  un  jour  l'aumône  à  un 
homme  fort  avare,  et  comme  celui-ci  ne  se  pressoit  pas  trop 
de  la  lui  donner  :  a  Je  ne  demande  pas  votre  mort,  lui  dit- 
il,  je  demande  ma  vie*.  »  Quelqu'un  lui  ayant  reproché  qu'il 
avoit  autrefois  fait  de  la  fausse  monnoie  :  «  Il  est  vrai,  ré- 
pondit-il, que  j'ai  été  autrefois  ce  que  vous  êtes  ;  mais  le  mal 
est  que  vous  ne  serez  jamais  ce  que  je  suis.  »  Et  à  un  autre 

I .  Euripide,  Phênlriennes,  vers  40. 

a.  Les  chiens  de  Mélite  (très-probablement  Moite)  étaient  de  pe- 
tits chiens  recherchés  pour  leur  gentillesse;  les  molosses  ou  chiens 
de  Molossie  (contrée  de  Tl^pire)  étaient  pleins  d'ardeur  â  la  chasse. 

3.  Racine  n'a  pas  entendu  cette  phrase,  qui  signifie  :  n  je  te 
demande  pour  ma  nourriture,  non  pour  ma  sépulture.  » 


526  LA  VIE 

qui  lui  faisoit  le  même  reproche  :  c  Je  pissois  aussi,  répli- 
qua-t-il,  plus  roide  en  ce  temps-là  *  que  je  ne  fais  à  cette 
heure.  »  Un  jour,  étant  allë  à  Mynde,  il  prit  garde  en  entrant 
que  les  portes  de  la  ville  étoient  fort  grandes,  bien  que  la 
ville  fût  fort  petite,  et  s'adressant  à  quelques  Myndiens  qui 
étoient  là:  c  Messieurs,  leur  dit-il,  si  vous  m'en  croyez,  vous 
fermerez  les  portes  de  votre  ville,  de  peur  qu'elle  ne  sorte.  » 
Voyant  un  homme  qu'on  avoit  surpris  volant  de  la  pourpre, 
qu'on  menoit  en  pnson,  il  lui  dit  sur-le-champ  ce  vers  : 

«  La  mort  sera  bientôt  de  ton  sang  empourprée*.  » 

Cratère  l'ayant  fait  prier  de  le  venir  trouver  :  «  J'aime  mieux, 
répliqua-t-il,  lécher  du  sel  à  Athènes,  que  de  manger  les 
meilleurs  morceaux  du  monde  à  la  table  de  Cratère.  »  Il  alla 
voir  une  fois  un  certain  orateur  nommé  Anaximène,  qui  étoit 
fort  gras  :  «  Si  vous  faisiez  bien,  lui  dit  Diogène,  vous  nous 
donneriez  la  moitié  de  votre  ventre;  car  vous  n'en  seriez  pas 
plus  mal ,  et  nous  nous  en  trouverions  mieux.  »  Un  jour, 
comme  ce  même  orateur  haranguât  publiquement,  Diogène  se 
mit  à  montrer  de  loin  un  morceau  de  salé,  et  attira  par  cette 
action  tous  les  assistants  auprès  de  soi;  et  comme  Aiiaximène 
s'en  voulût  fâcher  :  «c  Vous  voyez,  leur  dit  Diogène ,  tous  les 
beaux  discours  de  votre  orateur  ne  valent  pas  un  liard,  car 
mon  salé  ne  m'a  pas  coûté  davantage.  »  On  lui  reprochoit  une 
fois  de  ce  qu'il  mangeoiten  plein  marché  :  «  C'est,  répliqua-t-il, 
que  j'ai  faim  en  plein  marché.  »  II  y  en  a  quelques-uns  qui 
lui  attribuent  encore  cet  autre  mot-ci.  Platon  le  trouva  un 
jour  qui  lavoit  des  choux,  et  s' approchant  de  lui  :  c  Si  tu 
eusses  pu  te  résoudre,  lui  dit-il  tout  bas  à  l'oreille,  à  faire 
la  cour  à  Denys  le  tyran,  tu  ne  serois  pas  réduit  à  laver  toi- 
même  tes  choux.  »  Mais  Diogène  s'approchant  de  lui  tout  de 
même  :  «  Si  tu  eusses  pu  te  résoudre,  lui  repartit-il,  à  laver 
toi-même  tes  choux,  tu  ne  serois  pas  réduit  à  faire  la  cour  à 
Denys  le  tyran.  »  Quelqu'un  lui  disoit  un  jour  :  «  Tu  ne  sau- 
rois  croire  combien  il  y  a  de  gens  qui  se  moquent  de  toi.  — 

I.  Racine  a  encore  mal  compris  ce  passage,  qu^il  aorait  pa  we 
dispenser  de  traduire. 

a.  liiatley  livre  V,  vers  83. 


DE  DIOGËNE  LE  CYNIQUE.  $27 

Peut-Stre,  réplîqna-t-il,  que  les  ânes  se  moquent  d'eux  aussi; 
mais  ils  ne  se  soucient  point  pour  cela  des  ânes,  ni  moi  d'eux.  » 
Voyant  un  jeune  homme  qui  raisonnoit  de  philosophie  :  «  Cou- 
rage !  lui  dit-il ,  voilà  le  moyen  de  rendre  les  amants  de  ton 
corps  amoiureux  de  ton  esprit.  »  Étant  un  jour  entre  dans 
le  temple  de  Samothrace,  comme  quelqu'un  s'ëtonnât  de  la 
multitude  des  offrandes  qui  y  avoient  été  faites  par  ceux  qui 
avoient  fait  des  vœux  au  milieu  de  la  tempête,  et  qui  ëtoient 
échappés  du  naufrage  :  «  Vous  en  verriez  bien  d'autres,  re- 
prit Diogène,  si  tous  ceux  qui  n'en  sont  pas  réchappes  avoient 
accompli  les  leurs.  »  Il  y  en  a  qui  donnent  ce  mot  à  Diago- 
ras.  Il  vit^  une  fois  un  jeune  homme  qui  alloit  à  un  festin  : 
«c  Mon  ami,  lui  dit-il,  tu  en  reviendras  pire  que  tu  n'es.  » 
Ce  jeune  homme  le  rencontra  quelques  jours  après,  et  l'ayant 
abordé  :  «  Vous  voyez,  lui  dit-il,  j'ai  été  au  festin,  et  si*  je 
n'en  suis  pas  empiré  pour  cela.  —  Non,  sans  doute,  reprit 
Diogène,  car  tu  en  es  plus  gros  et  plus  gras'.  »  Il  deman- 
doit  un  jour  à  quelqu'un  une  chose  d'assez  grande  consé- 
quence :  «  Si  tu  me  peux  persuader,  lui  dit  l'autre ,  que  je 
te  la  dois  donner,  je  te  la  donne.  —  Moi,  répliqua  Diogène, 
si  j'avois  quelque  chose  à  te  persuader,  je  te  persuaderois 
de  t'aller  pendre.  »  Un  jour,  comme  il  retoumoit  de  Lacé- 
démone  à  Athènes,  on  lui  demanda  d'où  il  venoit  et  où  il 
alloit  :  a  Je  viens  de  quitter  des  hommes,  dit-il,  pour  voir 
des  femmes.  »  Une  autre  fois  qu'il  retournoit  des  jeux  olym- 
piques, on  lui  demanda  s'il  y  avoit  bien  du  monde  :  «  Pour 
du  monde,  répondit-il,  il  y  en  a  assez  ;  mais  d'honunes,  fort 
peu.  »  11  comparoit  les  prodigues  à  ces  figuiers  qui  naissent 
dans  des  précy)ices,  dont  les  fruits  ne  sont  point  mangés  par 
des  honmies,  mais  par  des  corbeaux  et  par  des  vautours. 

I.  Première  rédaction  :  «  H  rencontra.  » 

9.  Racine  emploie  cette  locution  dans  le  sens  de  et  pourtant. 
C'est  encore  un  de  ces  archaïsmes  qui  suffiraient,  nous  l'avons  dit, 
pour  attester  la  date  ancienne  de  ce  travail. 

3.  Ce  n*est  nullement  le  sens  de  la  phrase  :  Xslpiiiv  |jLèv  oÛ, 
'Euputfaiv  Si.  Diogène  joue  encore  sur  le  double  sens  de  X'^P<^  • 
voyez  ci-dessus,  p.  Saa,  note  4*  Eiuytion  était,  comme  Chiron, 
un  centaure  ;  il  y  a  aussi  un  jeu  de  mots  sur  son  nom  y  mais  fondé 
sur  une  allusion  obscène,  qui  ne  pouvait  être  traduite. 


5a8  LA   VIE 

Phryné,  cette  fameuse  courtisane,  ayant  offert  à  Delphes  une 
Vénus  d  or,  il  alla  mettre  cette  inscription  au-dessous  :  Cette 
Fénus  a  été  érigée  des  dépouilles  de  la  lubricité  des  Grecs. 
Un  jour,  comme  Alexandre  passoit  devant  lui  :  «  Ne  me  con- 
nois-tu  pas?  lui  dit  ce  roi;  je  suis  le  grand  Alexandre,  —  Et 
moi,  répliqua  Diogène,.je  suis  Diogène  le  cynique.  »  On  lui 
demandoit  une  fois  d'où  venoit  qu'on  l'appeloit  chien  :  «  C'est, 
répiiqua-t-il,  que  je  caresse  ceux  qui  me  donnent,  j'aboie  après 
ceux  qui  ne  me  donnent  rien,  et  je  mords  les  coquins.  > 
Comme  il  cueilloit  des  figues  à  un  figuier,  quelqu'un  l'en 
voulut  empêcher,  en  lui  disant  que  cet  arbre  étoit  impur,  et 
qu'il  n'y  avoit  rien*  qu'un  homme  s'y  étoit  pendu  :  «  Eh 
bien,  répondit-il,  je  le  purifierai.  »  Voyant  un  athlète  qui  ve- 
noit de  remporter  le  prix  aux  jeux  olympiques,  et  qui  ne  pou- 
voit  détourner  ses  yeux  de  dessus  une  courtisane  :  «  Voyex, 
dit-il,  ce  brave  champion,  qu'une  jeune  fille  emmène  par  le 
collet.  »  Il  comparoit  les  belles  courtisanes  à  du  miel  empoi- 
sonné. Un  jour,  comme  il  mangeoit  en  plein  marché,  il  y 
eut  plusieurs  personnes  qmi  s'amassèrent  autour  de  lui,  et  qui 
se  mirent  à  crier  :  «  Au  chien!  au  chien!  »  Mais  Diogène, 
sans  s'émouvoir  ;  «  C'est  vous,  leur  répliqua-t-il ,  qui  êtes 
des  chiens,  de  rôder  comme  vous  faites  à  l'entour  de  moi 
durant  que  je  dîne.  »  Voyant  deux  jeunes  débauchés  qui  se 
ciichoient  pour  éviter  sa  rencontre  :  «c  Ne  craignez  rien,  leur 
dit-il,  un  chien  ne  mange  point  de  carottes'.  >  On  lui  deman- 
doit un  jour  d'un  jeune  efféminé  de  quel  pays  il  étoit  :  «  Voilà 
une  belle  demande,  répondit-il,  il  est  de  Tégée*.  »  Il  rencon- 
tra une  fois  un  certain  homme  qui  avoit  été  autrefois  fort 
fameux  pour  être  un  méchant  athlète^,  et  qui  depuis  s'étoît 
fait  médecin  :  a  Vraiment,  lui  dit-il,  vous  avez  trouvé  un  beau 
secret  pour  mettre  en  terre  ceux  qui  vous  jetoient  à  terre 

I.  Dans  rédition  de  M.  Aimé-Martin  :  «  qu^il  y  aToit  peu  de 
temps.  » 

a.  Voyez  ci-dessus,  p.  5 19. 

3.  La  réponse  de  Diogène  n^a  pas  de  sens  en  français.  Il  y  a 
une  équivoque  sur  le  mot  Teyedry);,  le  mot  tffoç  pouTant  signifier 
un  lieu  de  prostitution. 

4.  M.  Aimé-Martin  a  ainsi  corrigé  ce  membre  de  phrase  :  «  qui 
avoit  la  réputation  d'avcûr  été  autrefois  un  méchant  athlète.  » 


DE  DIOGÈNE  LE  CYNIQUE.  Sag 

auparavant.  »  Un  jeune  homme  lui  montroit  un  jour  une 
ëpée  qu'un  de  ses  amoureux  lui  avoit  donnée  :  «  Voilà  une 
belle  épée,  répondit-il,  mais  la  garde ^  en  est  fort  vilaine.  > 
Comme  quelques-uns  louassent  fort  un  homme  d'un  présent 
qu*il  lui  avoit  fait  :  «  Et  moi,  répliqua  Diogène,  vous  ne  me 
louez  point  de  l'avoir  mérité?  »  Quelqu'un  lui  redemandoit 
un  manteau  :  «  Si  vous  me  l'avez  donné,  reprit-il,  il  est  à 
moi;  si  vous  me  l'avez  prêté,  je  m'en  sers.  »  Un  autre*  lui 
disoit  une  fois  :  «  Il  a  de  l'or  caché  dans  son  manteau.  — 
Oui,   sans  doute,   répliqua-t-il ,  et   c'est    pour  cela  que  je 
couche  dessus.  i>  On  lui  demandoit  une  fois  quel  fruit  il  avoit 
tire  de  la  philosophie  :  «  N'y  ai-je  pas  trop  gagné,  répliqua- 
t-il,  quand  je  n'y  aurois  gagné  que  d'être  prêt  comme  je  suis 
à  tous  les  accidents  qui  peuvent  m'arriver?  »  Quelqu'im  le 
prioit  de  lui  dire  de  quel  pays  U  étoit  :  «  Du  monde,  »  ré- 
pondit-il. Comme  quelques-uns  sacrifiassent  aux  Dieux  pour 
avoir  un  fils  :  a  Et  vous  ne  sacrifiez  point,  leur  dit-il,  pour 
avoir  un  fils  honnête  homme.  »  Celui  qui  avoit  la  charge  de 
lever  les  tailles  la*  lui  vouloit  faire  payer,  mais  il  le  renvoya 
avec  ce  vers  : 

Dépouillez  les  Troyens,  mais  épargnez  Hector^. 

Il  disoit  que  les  concubines  étoient  les  reines  des  rois, 
parce  qu'eUes  leur  faisoient  faire  tout  ce  qu'elles  vouloient. 
Les  Athéniens  ayant  résolu  qu'on  décemeroit  à  Alexandre  les 

I .  Ménage  fait  remarquer  que  le  même  mot  XaSHi  signifie  la  garde 
de  Cépée  et  V occasion  dans  laquelle  le  présent  a  été  reçu.  Sans  cette 
explication  le  mot  de  Diogène  ne  s^entend  pas  assez. 

3.  Dans  le  texte  grec  il  n^  a  pas  «r  un  autre,  »  mais  «  un  bâ- 
tard, un  enfant  supposé  (0no6oXi(Aa(ou  TtvtSç).  «>  Le  Cynique  dans  sa 
réponse  fait  allusion  à  la  honteuse  condition  de  cet  homme,  par  le 
mot  ^o666Xi](Aivo<,  dont  il  se  sert.  Il  valait  mieux  cette  fois  encore 
ne  pas  essayer  de  traduire  que  de  remplacer  le  bon  mot  de  Dio- 
gène par  une  phrase  qui  n'a  aucun  sel. 

3.  Il  y  a  bien  la  dans  le  manuscrit.  M.  Aimé-Martin  a  substitué 
«  la  taille  »  à  «c  les  tailles.  » 

4.  Ce  vers  était  sans  doute  tire  de  quelque  poème  homérique. 
Ménage,  qui  le  nomme,  sans  indiquer  la  source,  ffomeri  versum^  fait 
remarquer  que  E'  "DxTopo^  prête  à  un  jeu  de  mots  :  S6cTopo(  reut 
dire  «  du  mendiant.  » 

J.  Racjub.  V  34 


53o  LA  VIE 

mêmes  homieurs  qu'à  Bacchus  :  «  Faites-moi,  leur  dit-il,  tout 
d'un  train*  votre  Sërapis.  »  Quelqu'un  lui  reprochoit  qu'il 
hantoit  dans*  des  lieux  infâmes  :  «  Le  soleil,  répliqua-t-il,  entre 
bien  dans  des  cloaques,  et  n'en  est  pas  gâté  pour  cela.  >  Un 
jour  qu'il  soupoit  dans  un  temple,  voyant  des  pains  qu'on  ? 
avoit  apposes  *,  qui  ëtoient  sales  et  gâtes,  il  les  alla  prendre 
et  les  jeta  dehors,  disant  que  rien  de  sale  ni  d'impur  ne  de- 
voit  entrer  dans  le  temple.  Un  homme  lui  disoit  une  fob  qu'il 
étoit  un  ignorant  qui  ne  savoit  rien  et  qui  faisoit  le  philo- 
sophe :  a  Quand  je  le  contreferois,  répondit-il,  il  faudroit  tou- 
jours que  je  le  fusse  beaucoup  pour  le  contrefaire  comme  je 
fais.  »  On  lui  amena  un  jour  pour  être  son  disciple  un  jeune 
garçon  qu'on  lui  disoit  qui  avoit  un  beau  naturel  et  qui  étoit 
bien  morigéné  :  a  Qu'a-t-il  donc  affaire  de  moi?  »  repartit-il.  Il 
comparoit  ceux  qui  parlent  bien  et  qui  font  mal  à  des  luths  qui 
rendent  im  beau  son,  mais  qui  n'ont  aucun  sentiment.  Lors- 
qu'il alloit  au  théâtre,  il  y  entroit  toujours  quand  les  autres  en 
sortent;  et  comme  on  lui  demandât  pourquoi  il  faisoit  cela: 
«  C'est,  répondit-il,  que  je  me  suis  étudié  toute  ma  vie  à  faire 
le  contraire  de  ce  que  font  les  autres.  »  Il  disoit  une  fois  à  un 
jeune  efféminé  :  ce  N'as-tu  point  honte  de  te  faire  pire  que  la 
nature  ne  t'a  fait?  car  elle  t'a  fait  homme,  et  tu  t'efforces  de 
devenir  femme.  »  Voyant  im  homme  sans  jugement  qui  accor- 
doit  un  luth  :  ic  Ne  devrois-tu  pas  être  honteux,  Ini  dit-il,  de 
savoir  mettre  un  luth  d'accord,  et  de  ne  pouvoir  être  d'accord 
avec  toi-même?  »  Quelqu'im  disoit  devant  lui  :  a  Pour  moi, 
je  n'ai  point  d'inclination  à  la  philosophie.  —  Pourquoi  vis-tu 
donc,  lui  répliqua- t-il,  puisque  tu  ne  te  soucies  point  de  biai 
vivre?  »  Voyant  un  jeune  honmie  quiparloit  de  son  père  avec 
mépris  :  «  N'as-tu  point  de  honte,  lui  dit-il ,  de  mépriser  avec 
orgueil  celui  qui  t'a  donné  de  quoi  être  orgueilleux?  ■  En- 
tendant un  beau  garçon  qui  tenoit  des  discours  sales  :  «  Ne 
devrois-tu  pas  rougir,  lui  dit-il,  de  tirer  d'une  gaine  d'ivoire 
une  lame  de  plomb?  »  On  lui  reprochoit  qu'il  alloit  boire  au 

n  I .  Et  non  «  tout  d'un  trait,  »  conune  on  lit  dans  l'édition  de 
M.  Âimé-Martin. 

a.  M.  Âimé-Martin,  et  après  lui  M.  Aignan,  ont  supprimé détM^ 
ce  qui  rajeunit  le  tour. 

3.  Les  mêmes  éditeurs  donnent  apportés  ^  au  lieu  d^t^pasês. 


.   * 


DE  DIOGÈME  LE  CYNIQUE.  53i 

cabaret  :  «  Vous  devriez  ajouter,  répliqua-t-il ,  que  je  me 
fais  faire  la  barbe  chez  nu  barbier.  »  Comme  quelqu'un  l'ac- 
cusât d'avoir  reçu  un  manteau  d'Antipatre,  il  lui  dit  ce  vers  : 

Il  ne  faut  point  des  Dieux  rejeter  les  largesses*. 

Un  homme,  sans  y  prendre  garde,  le  heurta  d'un  grand  ais 
qu'il  portoit,  et  se  mit  ensuite  à  crier  :  c  Gare!  gare!  »  Mais 
Diogène,  pour  toute  réponse,  s'approcliant  de  lui,  lui  donna 
un  bon  coup  de  bâton,  et  se  mit  à  crier  de  même  :  «  Gare  ! 
gare!  »  Voyant  un  dëbauchë  qui  sollicitoit  une  femme  de 
mauvaise  vie  :  c  Misérable,  lui  dit-il,  que  cherches-tu  en  un 
lieu  où  le  meilleur  pour  toi  c'est  de  ne  rien  obtenir?  »  Et  à 
un  autre  extrêmement  poudré  et  parfumé  :  «  Prends  garde, 
lui  fit-il,  que  les  parfums  de  ta  tète  ne  te  mettent  en  mau- 
vaise odeur  dans  le  monde.  »  Il  disoit  que  les  esclaves  obéis- 
sent à  leurs  maîtres,  et  les  méchants  à  leurs  passions.  Quel- 
qu'un lui  demandoit  d'où  venoit  qu'en  grec  on  appelle  les 
esclaves  andrapodas,  «  C'est,  répliqua-t-il,  qu'ils  ont  des  pieds 
d'homme  et  une  âme  comme  la  tienne*.  » 


1 .  iliade,  livre  III,  Ters  65 . 

2.  La  Fie  de  Diofètte  ne  se  termine  pas  ici;  mais  Racine  n'a  pas 
été  plof  loin  dans  sa  traduction. 


DES  ESSÉNIENS*. 


Il  '  y  a  parmi  les  Juifs  ti*ois  différentes  sectes  qui  font  pro- 
fession de  l'amour  de  la  sa|[esse.  La  première  est  des  Phari- 
siens, la  deuxième  des  Saducéens,  et  la  troisième',  qui  parott 
aussi  la  plus  sainte  et  la  plus  austère,  est  de  personnes  que 
l'on  nomme  Essëniens,  qui  sont  bien  Juifs  de  nation,  mais  qui 
sont  beaucoup  plus  étroitement  liés  ensemble  par  une  affection 
mutuelle  que  ne  sont  les  autres. 

Ils  abhorrent  toutes  les  voluptés  et  tous  les  plaisirs,  comme 
mauvais  et  illégitimes,  et  ils  tiennent  comme  une  souveraine 
vertu  parmi  eux  que  de  garder  une  exacte  tempérance  et  de 
ne  se  point  laisser  vaincre  à  leurs  passions.  C'est  pourquoi 
ils  ont  de  l'aversion  pour  le  mariage,  et  prennent  seule- 
ment auprès  d'eux  quelques  enfants  étrangers,  lorsqu'ils  sool 
en  un  âge  tendre  et  susceptible  des  impressions  qu'on  leur 
veut  donner;  et  les  regardant  comme  leur  propre  sang,  ils 

I.  Voyez  CL-deasus  la  Notice,  p.  44^  et  44i- 

3.  Ici  Racine  a  écrit  à  la  marge  :  «  Joseph,  Je  Bello  Jud.^  1.  », 
c.  la.  »  Tout  ce  commencement  est  en  effet  emprunté  à  Thisto- 
rien  Josèphe.  Dans  le  livre  II  de  la  Guerre  de  Judée  ^  comme 
dans  le  livre  XV  Ul  des  Antiquités  judaïques,  cité  un  peu  plus  bas 
par  Racine,  quelques  éditions  ont  des  divisions  de  chapitres  dilTé* 
rentes  de  celies  qu'il  indique.  Au  nombre  des  éditions  avec  les- 
quelles il  est  d'accord,  il  y  a  celle  qui  a  été  donnée  par  F^ben 
à  Baie  (M.D.XLIV,  in'>folio).  Mais  comme  Racine  cite  les  ti- 
tres en  latin,  on  peut  douter  qu'il  ait  fait  usage  de  cette  éditioo 
où  tout,  jusqu'aux  titres,  est  en  grec.  Le  morceau  sur  Us  Mttémiemê 
est  également  au  chapitre  xn  du  livre  II  dans  la  traduction  fran- 
naise  de  Josèphe  par  Amauld  d'Andilly,  dont  Ydchevé  d^imprimer 
est  du  a5  juin  i668.  U  est  au  chapitre  vni  du  même  livre  II 
dans  l'édition  de  Richter  (Leipzig,  1837,  6  volumes  in-ii). 

3.  L'autographe  donne  ainsi  les  noms  de  nombre,  avec  la  dési- 
nenae  une  seule  fois  écrite  pour  les  trois  :  «  la  i.,  la  1.,  U  3*"*.  » 


DES  ESSÉNIENS.  TiH 

les  forment  et  les  élèvent  selon  leurs  mœurs  et  leur  discipline. 
Ainsi  leur  éloignement  du  mariage  ne  vient  pas  de  ce  qu'ils 
voudroient  abolir  la  succession  des  enfants  aux  pères,  qu'il 
entretient  dans  le  monde  ;  mais  c'est  qu'ils  croient  se  devoir 
garantir  de  l'incontinence  des  femmes,  qui,  selon  leur  opinion, 
ne  gardent  presque  jamais^  à  leurs  maris  la  fidélité  qu'elles 
leur  doivent. 

Ils  méprisent  les  richesses,  et  rien  ne  leur  paroît  plus  excel- 
lent et  plus  admirable  qu'une  communauté  de  tous  biens. 
Aussi  l'on  n'en  voit  point  entre  eux  qui  soient  plus  riches  que 
les  autres,  parce  qu'ils  ont  établi  conmie  une  loi  inviolable  à 
tous  ceux  qui  embrassent  leur  genre  de  vie,  de  distribuer  en 
commun  tout  ce  qu'ils  possèdent.  De  là  vient  que  l'on  ne  voit 
parmi  eux  ni  le  rabaissement  de  la  pauvreté,  ni  l'élévation 
des  richesses,  et  que  toutes  leurs  possessions  étant  mêlées 
ensemble,  ils  n'ont  tous  qu'un  seul  patrimoine  comme  des 
frères. 

Ils  tiennent  comme  une  chose  impure  les  eaux  de  senteur 
et  les  huiles  de  parfum,  et  si  par  hasard  et  malgré  eux,  on 
en  a  répandu  quelque  goutte  sur  leurs  corps,  se  lavent  et 
se  nettoient  aussitôt.  Ils  croient  qu'il  n'y  a  rien  pour  eux  qui 
soit  plus  dans  la  bienséance  que  de  fuir  toutes  les  délicatesses, 
et  de  ne  porter  que  des  habits  blancs,  qui  sont  les  plus  simples; 
ils  choisissent  quelques-uns  d'entre  eux,  à  qui  ils  donnent  le 
soin  de  pourvoir  aux  besoins  communs  de  tous. 

Ils  ne  sont  pas  tous  retirés  dans  une  seule  ville  de  la  Judée  ; 
mais  plusieurs  d'entre  eux  habitent  en  diverses  villes.  Ceux 
de  leur  compagnie  qui  viennent  du  dehors  sont  reçus  par  eux 
comme  en  leur  propre  maison,  et  ils  vivent  avec  ceux  qu'ils 
n'ont  jamais  vus  comme  avec  leurs  plus  intimes  amis.  C'est 
pourquoi  ils  font  leurs  voyages  sans  porter  sur  eux  quoi  que  ce 
soit,  sinon  quelques  armes  pour  se  défendre  contre  les  voleurs. 
Il  y  a  dans  chaque  ville  une  personne  qui  a  la  charge  de  re- 
cevoir les  hôtes,  et  de  les  pourvoir  d'habits  et  de  toutes  les 
autres  choses  dont  ils  ont  besoin. 

On  voit  dans  leurs  vêtements,  dans  leur  visage,  et  dans 

I.  Le  texte  dit  ifu'^attcune  femme  {^yfit^loci)  ne  garde  la  fidélilé 
envers  un  seul. 


534  DES  ESSÉNIENS. 

tous  leurs  gestes,  la  même  simplicité  et  la  [même]  modestie  que 
dans  des  enfants  que  Von  élève  sous  une  étroite  discipline.  Us 
ne  quittent  jamais  ni  leurs  habits,  ni  leurs  souliers,  qu'ils  ne 
soient  ou  entièrement  déchirés,  ou  tout  à  fait  usés  par  le 
temps. 

Ils  ne  vendent  jamais  rien ,  et  n'achètent  rien  entre  eux  ; 
mais  chacun  donnant  aux  autres  ce  dont  ils  ont  besoin  reçoit 
aussi  d'eux  ce  qui  lui  est  nécessaire^,  quoiqu'ils  ne  soient  pas 
obligés  de  donner  toujours  quelque  chose  en  échange  à  ceux 
dont  ils  reçoivent  ce  qu'ils  leur  ont  demandé. 

Ils  ont  une  piété  toute  particulière  envers  Dieu;  jamais  ib 
ne  tiennent  aucun  discours  profane  avant  le  lever*  du  soleil, 
mais  ils  passent  tout  ce  temps  en  des  vœux  et  en  des  prières 
qu'ils  ont  reçues*  de  leurs  ancêtres,  comme  s'ils  demandoient 
à  Dieu  qu'il  fasse  lever  cet  astre.  En  suite  de  quoi  les  direc- 
teurs les  envoient  tous  travailler  aux  métiers  auxquels  ils  sont 
propres;  et  après  qu'ils  ont  travaillé  avec  une  grande  assi- 
duité jusqu'à  la  cinquième  heure  (c'est-à-dire  jusqu'à  onze 
heures*),  ils  s'assemblent  encore  tous  en  un  même  lieu,  où  se 
ceignant  d'une  espèce  de  caleçon  de  toile,  ils  se  lavent  dans 
de  l'eau  froide.  Et  s'étant  ainsi  purifiés,  ils  s'assemblent  en  un 
autre  lieu  particulier,  dont  l'entrée  est  défendue  à  tous  ceux 
qui  ne  sont  pas  de  leur  profession. 

Étant  donc  purs,  ils  entrent  tous  dans  leur  réfectoire  avec 
le  même  respect  que  l'on  entreroit  dans  quelque  temple  sacré, 
et  s'y  étant  assis  en  silence  et  avec  modestie,  celui  qui  a 
la  charge  de  faire  le  pain  leur  en  distribue  à  tous  selon  leur 

I.  Nous  avons  ici  pris  sous  les  ratures  la  seule  phrase  TTaiment 
correcte  et  à  peu  près  exacte  qu'on  puisse  tirer  du  manuscrit.  Si 
Ton  négligeait  les  mots  effacés,  pour  ne  transcrire  que  ceux  qui 
leur  ont  été  substitués  dans  Tinterligne,  on  trouverait  cette  phrase  : 
«  mais  se  donnant  chacun  Tun  à  l'autre  ce  dont  il  a  besoin,  reçoit 
aussi  Tun  de  Tautre  ce  qui  lui  est  nécessaire.  » 

9 .  Dans  le  manuscrit,  Uver  a  été  effacé,  et  remplacé  par  rttour^ 
qui  ensuite  a  été  effacé  également. 

3.  Racine  fait  ainsi  accorder  le  participe  reçues  avec  le  second 
des  deux  substantifs  auxquels  il  se  rapporte. 

4.  Nous  n'avons  pas  besoin  d'avertir  que  c^est  une  explication 
ajoutée  par  le  traducteur. 


DES  RSSÉNIENS.  5^fi 

rang,  et  le  cuisinier  leur  sert  aussi  à  chacun  un  petit  plat  où 
il  n'y  a  que  d'une  sorte  de  viande.  Le  prêtre  fait  une  prière, 
avant  lacfuelle  il  n'est  pas  permis  à  aucun  de  rien  manger; 
aussitôt  qu'ils  ont  achevé  de  dîner,  le  même  prêtre  fait  encore 
une  prière;  et  ainsi,  soit  avant  ou  après  leurs  repas,  ils  rendent 
toujours  grâces  à  Dieu,  comme  à  celui  qui  leur  fournit  leur 
nourriture.  Après  cela,  ils  quittent  ces  vêtements  qu'ils  estiment 
comme  sacrés,  et  retournent  à  leur  ouvrage  jusques  au  soir, 
qui  est  le  temps  où  ils  reviennent  souper.  S'il  leur  est  venu 
quelques  étrangers ,  ils  les  font  seoir  à  la  même  table  qu'eux. 

Jamais  aucun  cri  ni  aucun  tumulte  ne  trouble  la  paix  de 
leur  solitude,  et  chacun  aime  mieux  laisser  parler  les  autres 
que  de  parler  lui-même  lorsque  son  rang  vient  de  le  faire  :  de 
sorte  que  le  grand  silence  qui  règne  au  dedans  de  leurs  mai- 
sons est  comme  une  espèce  de  mystère  qui  donne  de  l'éton- 
nement  et  de  la  vénération  à  ceux  qui  sont  de  dehors.  La 
principale  cause  de  ce  grand  silence  est  leur  continuelle  so- 
briété, qui  leur  fait  réduire  leur  boire  et  leur  manger  à  une 
très-petite  mesure.  Ils  ne  font  jamais  rien  sans  l'ordre  de  leurs 
directeurs,  excepté  deux  choses  que  l'on  laisse  en  leur  liberté, 
qui  sont  d'avoir  compassion  des  misérables  et  de  les  secourir  ; 
car  il  leur  est  permis  de  soulager  les  besoins  de  ceux  qui  sont 
dignes  de  leur  assistance,  et  de  leur  donner  de  quoi  vivre 
lorsqu'ils  ^  en  manquent.  Mais  quant  à  leurs  propres  parents, 
ils  ne  peuvent  jamais  leur  faire  aucun  don  sans  la  permission 
des  supérieurs. 

Ils  sont  de  très-justes  modérateurs  de  leur  colère,  et  savent 
tempérer  leurs  ressentiments.  Us  sont  fidèles  dans  leurs  pro- 
messes et  amateurs  de  l'union  et  de  la  paix. 

La  moindre  parole  qu'ils  aient  donnée  leur  est  plus  invio- 
lable que  ne  sont  aux  autres  tous  les  serments  :  c'est  pour- 
quoi ils  ne  jurent  point  afin  qu'on  les  croie,  estimant  que  les 
jurements  sont  encore  pires  que  les  parjures;  car  ils  disent 
qu'un  homme  est  déjà  condanmé  de  mensonge  et  de  perfidie 

I.  M.  Aignan  fait  ici  ane  remarque  sur  Temploi  à^ alors  ^ut. 
Mais  il  a  encore  prit  cette  fois  une  inexactitude  de  l'édition  de 
M.  Aimé-Martin  pour  le  texte  m^me  de  Racine.  Le  manuscrit  a 
lorsque. 


536  DES  ESSÉNIENS. 

dans  l'esprit  de  ceux  qui  le  connoîssent,  lorsqu'on  ne  veut 
point  ajouter  foi  à  ses  paroles  s'il  ne  prend  Dieu  à  témoin 
])our  persuader  qu'elles  sont  sincères. 

Ils  s'appliquent  avec  un  soin  particulier  à  la  lecture  des  livres 
des  anciens,  et  recherchent  principalement  ceux  qui  sont  utiles 
et  pour  l'âme  et  pour  le  corps,  et  ceux  dont  ib  peuvent  tirer 
la  connoissance  de  quelques  herbes  salutaires,  ou  de  la  vertu 
particulière  de  quelques  pierres  minérales,  qui  peuvent  ser- 
vir pour  la  guérison  de  toutes  sortes  de  maux. 

Lorsque  quelqu'un  se  présente  pour  entrer  dans  leur  so- 
ciété, ils  ne  l'y  admettent  pas  aussitôt,  mais  ib  le  font  de- 
meurer au  dehors  l'espace  d'un  an ,  et  lui  proposant  le  même 
genre  de  vie  que  le  leur,  ils  lui  donnent  une  besoche*  pour 
travailler  et  cette  sorte  de  caleçon  dont  nous  avons  parlé,  et 
lui  font  porter  un  habit  blanc. 

Après  qu'il  a  donné  durant  tout  ce  temps  des  preuves  de 
sa  tempérance,  on  lui  accorde  la  même  nourriture  qu'aux  au- 
tres, et  on  lui  permet  de  se  servir  des  eaux  les  plus  pures 
pour  se  laver;  ils  ne  l'admettent  pas  néanmoins  encore  à  leur 
société;  car  après  que  Ton  a  éprouvé  sa  tempérance  durant 
un  an,  on  veut  éprouver  outre  cela  son  esprit  et  son  naturel, 
l'espace  de  deux  autres  années,  et  si  l'on  reconnoît  qu'il  soit 
digne  d'être  reçu,  on  le  reçoit  alors.  Toutefois  il  ne  participe 
point  à  la  table  commune,  qu'il  n'ait  promis  par  des  ser- 
ments solenneb  et  terribles,  premièrement  d'honorer  la  Divi- 
nité d'un  culte  religieux;  ensuite  de  rendre  aux  hommes  ce 
qui  leur  est  dû  selon  la  justice;  de  ne  faire  jamais  tort  à 
personne,  ni  de  son  propre  mouvement,  ni  quand  on  le  lui 
auroit  commandé;  d'abhorrer  toujours  les  méchants,  et  de  se- 
courir et  défendre  les  gens  de  bien;  de  garder  la  foi  à  tout  le 
monde,  et  principalement  aux  puissances  supérieures,  étant 
persuadés  qu'il  n'y  a  point  d'autorité  et  de  domination  dans 
le  monde  qui  ne  soit  établie  de  Dieu;  et  si  lui-même  vient 
à  être  élevé  en  puissance,  de  n'en  point  abuser,  en  maltraî- 


I.  M.  Aimé-Martin  a  corrigé  hesoehe  en  bêche.  Une  betoche  «t 
une  sorte  de  hoyau  :  c^est  ainsi  que  le  Dictionnaire  de  Nicot  (1606) 
traduit  le  mot.  Racine  avait  d^abord  mis  «  une  scie.  »  Le  mot  grec 
est  dl^tydpiov,  hachette. 


DES  ESSÉNIENS.  SB; 

tant  ceux  qui  lui  seront  soumis,  et  de  ne  point  affecter  de  se 
distinguer  d'eux*  par  la  magnificence  des  habits  et  par  tous 
les  autres  ornements  du  luxe.  Ils  font  vœu  encore  d'aimer 
toujours  la  vérité,  et  de  reprendre  les  menteurs,  de  ne  souil- 
ler leurs  mains  d'aucun  larcin,  et  de  garder  leur  âme  pure 
de  tout  gain  injuste  ;  de  ne  rien  cacher  à  ceux  de  leur  pro- 
fession, et  de  ne  rien  découvrir  aux  autres  de  leurs  mystères, 
quand  on  les  y  voudroit  contraindre  jusqu'à  leur  faire  souf- 
frir la  mort  même.  Outre  cela,  ils  font  encore  serment  de 
n'enseigner  jamais  d'autre  doctrine  que  celle  qu'ils  ont  reçue , 
de  garder  avec  un  très-grand  soin  les  livres  de  leur  secte  et 
les  noms  des  anges.  Voilà  les  serments  par  lesquels  ils  enga- 
gent toutes  les  personnes  qui  embrassent  leur  profession. 

Quant  à  ceux  qui  sont  convaincus  de  quelques  fautes  con- 
sidérables, ils  les  chassent  de  leur  société;  et  pour  l'ordi- 
naire, celui  qui  a  été  ainsi  excommunié,  finit  ses  jours  misé- 
rablement; car  étant  comme  lié  à  eux  et  par  ses  serments  et 
par  la  vie  qu'il  y  a  menée,  on  ne  lui  laisse  recevoir  aucune 
nourriture  de  la  main  des  autres.  Et  ainsi,  ne  se  repaissant 
que  de  quelques  herbes,  son  corps  se  détruit  peu  à  |)eu  par 
la  faim,  jusqu'à  ce  qu'il  vienne  à  mourir.  C'est  pourquoi  il  y 
en  a  plusieurs  dont  ils  ont  eu  compassion,  et  qu'ils  ont 
oomme  rappelés  à  la  vie,  lorsqu'ils  rendoient  leurs  derniers 
soupirs,  jugeant  que  des  tourments  qui  les  avoient  réduits  à 
une  telle  extrémité,  étoient  suffisants  pour  l'expiation  de  leurs 
fautes. 

Us  sont  fort  exacts  et  fort  équitables  dans  leurs  jugements. 
Ils  s'assemblent  pour  le  moins  au  nombre  de  cent,  lorsqu'ils 
veulent  juger  de  quelque  chose  ;  et  ce  qu'ils  ont  une  fols  arrêté 
demeure  ferme  et  immuable. 

Après  Dieu  *,  il  n'y  a  point  de  nom  qui  parmi  eux  soit  en 

I .  n  y  a  ici  une  correction,  d'une  autre  encre  et  d'une  écriture 
un  peu  différente,  qui  modifie  ainsi  la  fin  de  la  phrase,  aux  dépens 
du  sens,  si  Ton  fait  dépendre  le  que  de  persuadés^  ou  tout  au  moins 
de  la  clarté,  si  l'on  veut  le  rattacher  à  promis,  qui  est  neuf  lignes 
plus  haut  :  «  et  que  si  lui-même,  etc.,  il  n'en  abusera  point...,  et 
n'affectera  point  de,  etc.  >» 

a.  Racine  a  écrit  ici  en  marge  :  JV«  {Nota).  U  marquait  souvent 
de  ce  Nota,  sur  ses  livres,  les  passages  qui  le  frappaient  le  plus. 


538  DES  ESSENIENS. 

plus  grande  vénération  que  celui  du  lëgislateur  Mùlse  :  jus- 
que-là que  quiconque  d'entre  eux  a  osé  le  blasphémer,  est 
aussitôt  condamné  à  mort. 

Ils  font  gloire  d'avoir  une  grande  déférence  pour  les  an- 
ciens, et  de  céder  à  ce  que  plusieurs  ont  déterminé. 

Ils  sont  infiniment  plus  soigneux  que  tout  le  reste  des  Juifs 
à  s'abstenir  de  tout  travail  des  mains  les  jours  de  sabbat  ;  car 
non-seulement  ils  préparent  leur  nourriture  dès  le  jour  précé- 
dent, pour  ne  point  même  allumer  du  feu  en  ce  saint  jour, 
mais  ils  font  encore  scrupule  d'y  remuer  le  moindre  instru- 
ment et  le  moindre  meuble' 

Ils  vivent  pour  l'ordinaire  fort  longtemps,  et  il  y  en  a  plu- 
sieurs d'entre  eux  qui  passent  même  au  delà  de  cent  ans  :  ce  qui 
provient,  je  crois,  de  la  vie  sobre  et  réglée  qu'on  leur  voit  mener. 

Ils  méprisent  toutes  les  adversités,  et  il  n'y  a  point  de 
douleur  si  grande,  qu'elle  ne  cède  à  la  grandeur  de  leur  cou- 
rage. Us  font  plus  d'état  d'une  mort  belle  et  glorieuse  que 
de  l'immortalité  même.  La  guerre  des  Romains  a  fourni  des 
preuves  suffisantes  de  cette  disposition  de  Jeur  âme  ;  car  au 
milieu  des  supplices  et  des  tortures,  au  milieu  des  feux  et  des 
déboîtements  de  membres  que  l'on  leur  faisoit  endurer,  et  de 
tous  les  divers  tourments  par  lesquels  on  les  vouloit  contrain- 
dre ou  de  blasphémer  le  nom  du  législateur,  ou  de  manger 
des  viandes  qu'ils  n'ont  pas  coutume  de  manger,  non-seule- 
ment ils  ne  condescendirent  à  aucune  de  ces  choses,  mais  ils 
ne  daignoient  pas  même  flatter  leurs  *  bourreaux  le  moins  du 
monde,  et  répandre  une  seule  larme. 

Au  contraire,  riant  parmi  les  douleurs,  et  se  moquant  de 
ceux  qui  les  appliquoient  aux  tortures  les  plus  cruelles,  ils 
rendoient  l'âme  avec  allégresse,  et  comme  la  devant  bientôt 
recouvrer.  Car  c'est  une  opinion  qui  s'est  affermie  parmi  eux, 
que  les  corps  sont  mortels  et  d'une  matière  qui  n'a  aucune 
solidité,  au  lieu  que  les  âmes  sont  immortelles  '  et  durent  tou- 

I .  Racine  a  omis  ici  quelques  phrases,  dont  les  premières  auraient 
pu  répugner  à  la  délicatesse  de  notre  langue. 

a.  Dans  Tautographe,  leur  est  sans  i,  d'après  un  ancien  usage, 
que  Racine  suit  assez  souvent  dans  ces  traductions  de  sa  jeunesse  : 
voyez  le  Lexique. 

3.  Ici  encore  Racine  a  écrit  :  N*  {Nota), 


DES  ESSÉNIENS.  539 

jours,  et  que   sortant  d'un  air  pur  et  subtil,  elles  entrent 

clans  le  corps  comme  dans  une  étroite  prison,  par  la  force 

de    certains    charmes    naturels    qui   les  y  entraînent;   mais 

<|u'aassitôt  qu'elles  sont  détachées  des  liens  de  cette  chair,  se 

trouvant  comme  délivrées  d'une  longue  servitude,   elles  se 

réjouissent  alors  au  milieu  des  airs.  Ils  soutiennent  même  (et 

suivent  en  cela  l'opinion   commune  des  Grecs)  qu'il  y  a  au 

delà  de  l'Océan  une  demeure  destinée  pour  les  âmes  inno- 

c^entes,   c'est-à-dire   un  lieu  qui  n'est  incommodé  ni  de  la 

pluie,  ni  de  la  neige,  ni  de  la  chaleur  excessive,  mais  qui  est 

continuellement  tempéré  par  le   souffle  agréable  d'un  doux 

zéphyr  qui  s'y  élève  de  l'Océan;  et  qu'au  contraire,  pour  les 

âmes  criminelles,  il  y  a  des  cachots  qui  sont  également  froids 

et  ténébreux,  et  où  l'on  ne  trouve  que  des  supplices  qui  durent 

toujours^ 

Voilà  quelle  est  la  théologie  des  Esséniens  touchant  la  na- 
ture de  l'âme  ;  et  leur  sagesse  a  je  ne  sais  quels  appas  inévi- 
tables qui  gagnent  le  coeur  de  tous  ceux  qui  l'ont  une  fois 
goûtée. 

Il  y  en  a  quelques-uns  parmi  eux  qui  se  mêlent  de  prévoir 
les  choses  futures,  et  qui  en  cherchent  la  connoissance  par  la 
lecture  des  livres  sacrés,  par  des  purifications  particulières, 
et  par  les  oracles  des  prophètes;  et  il  arrive  rarement  qu'ils 
se  trompent  dans  leurs  prédictions. 

11  y  a  encore  une  autre  sorte  d'Esséniens,  qui  sont  entière- 
ment conformes  aux  premiers,  quant  à  leur  vivre,  leurs  cou- 
tumes et  leurs  constitutions,  mais  qui  n'ont  pas  du  mariage 
le  même  sentiment  qu'eux.  Car  ils  disent  que  ceux  qui  ne  se 
marient  point  retranchent  une  grande  partie  de  la  vie,  qui  est 
la  succession  des  enfants,  ou  plutôt  que  si  tout  le  monde  sui- 
voit  leur  exemple,  toute  la  race  des  honmies  s'éteindroît 
bientôt. 

Au  reste,  ils  éprouvent  leurs  femmes  durant^  trois  ans,  et 
après  qu'ils  ont  reconnu,  par  des  effets  naturels,  qu'elles  pour- 


I.  Racine  a  passé  ici  deux  phrases,  où  Josèphe  rapproche  de 
cette  croyance  des  Esséniens  celle  des  Grecs  sur  les  Oes  des  bien- 
heureux et  sur  les  supplices  des  enfers. 

a.  Durant  est  biffé,  mais  souligné. 


54o  DES  ESSENIENS. 

ront  être  fécondes,  ils  se  marient  enfin.  Tout  le  temps  qu'elles 
sont  grosses,  ils  ne  les  voient  point,  montrant  bien  par  là 
qu'ils  se  marient,  non  pas  pour  le  plaisir,  mais  pour  la  seule 
génération  des  enfants* 

Les  Esséniens'  font  profession  de  remettre  entre  les  mains 
de  Dieu  le  gouvernement  de  toutes  choses.  Ils  soutiennent 
que  les  âmes  sont  immortelles,  et  croient  que  la  justice  doit 
être  le  principal  objet  de  nos  désirs.  Us  envoient  des  offran- 
des au  temple,  mais  ils  n'y  sacrifient  point,  à  cause  de  la  dif- 
férence des  purifications  dont  ils  se  servent.  Ce  qui  fait  que 
n'étant  point  admis  comme  les  autres  au  temple  public',  ils 
font  leurs  sacrifices  en  particulier. 

Au  reste,  ce  sont  des  hommes  tout  à  fait  honnêtes  et  ver- 
tueux, et  qui  s'emploient  tout  entiers  dans  l'exercice  de  l'a- 
griculture. Mais  ce  qui  les  élève  au-dessus  de  tous  ceux  qui 
suivent  le  chemin  de  la  vertu,  c'est  leur  admirable  justice;  et 
on  n'en  trouvera  aucuns,  ni  chez  les  Grecs,  ni  chez  les  Bar- 
bares, qui  en  aient  approché  le  moins  du  monde.  Cest  de 
toute  antiquité  qu'ils  l'ont  embrassée,  et  jamais  rien  ne  les  » 
détournés  de  la  pratiquer. 

Tous  leurs  biens  sont  en  commun,  et  celui  d'entre  eux  qui 
étoit  le  plus  riche  ne  jouit  pas  davantage  des  biens  qu'il  a  ap- 
portés en  entrant  chez  eux,  que  celui  qui  ne  possédoit  rien 
du  tout;  et  pour  comble  d'étonnement,  ils  vivent  ainsi  étant 
au  nombre  de  plus  de  quatre  mille. 

Ils  ne  veulent  prendre  ni  femmes  ni  esclaves,  jugeant  qu'en 
prenant  ceux-ci,  l'on  viole  le  droit  de  la  nature,  et  qu'en  pre- 
nant celles-là,  l'on  s'expose  à  de  continuelles  dissensions.  C'est 
pourquoi,  vivant  seuls  et  en  leur  particulier,  ils  se  serxcot 
charitablement  les  uns  les  autres. 

I .  Il  ne  manque  ici  que  deux  petites  phrases,  qui  terminent  ce 
qui,  dans  ce  chapitre  de  Josèphe,  concerne  les  Esséniens. 

s.  Il  j  a  ici  dans  le  manuscrit, à  la  marge  :  «c  itiem^  Antuguit.  JuJ.^ 
1.  1 8»  0.  9.  1  Ce  morceau,  qui,  dans  la  traduction  d'Amauld,  est  de 
même  au  chapitre  n,  mais  an  chapitre  i  dans  l'édition  de  Riehter, 
commence  sur  un  nouveau  feuillet.  Toutefois  le  mot  Idem  dont 
Racine  s'est  servi  dans  la  note  montre  que  ce  second  extrait  doit 
être  regardé  comme  faisant  suite  aux  feuillets  précédents. 

3.  Racine  a  de  nouveau  mis  à  la  marge  :  A*  (Ao/«). 


DES  ESSÉMIENS.  54i 

Ils  établissent  des  receveurs,  c'est-à-dire  quelques  prêtres 
reconnus  pour  gens  de  bien,  qui  doivent,  en  recevant  leurs 
revenus  et  tout  ce  que  leurs  terres  leur  rapportent,  leur  four- 
nir leur  pain  et  leur  nourriture. 


Après  ^  avoir  parlé  des  Esséniens'  qui  ont  choisi  et  embrassé 
la  vie  active  et  laborieuse,  et  qui  excellent  avec  tant  de  per- 
fection en  toutes  ses  parties,  ou  au  moins  en  la  plupart,  pour 
me  servir  d'un  terme  moins  fort  et  plus  modeste,  j'ai  mainte- 
nant, pour  suivre  l'ordre  de  mon  dessein,  à  parler  de  ceux 
qui  se  sont  consacrés  à  la  vie  spirituelle  et  contemplative  : 
j'en  dirai  donc  ce  que  j'en  dois  dire,  sans  ajouter  aucune 
chose  du  mien,  pour  embellir  mon  discours  de  ces  ornements 
empruntés  qui  sont  si  ordinaires  aux  poètes  et  à  tous  les  au- 
tres écrivains,  à  cause  de  l'indigence  où  ils  sont  des  belles 
matières*;  et  sans  faire  autre  chose  que  de  m'attacher  simple- 
ment à  la  vérité,  qui  peut  seule  épuiser  l'esprit  le  plus  riche 

I.  Ici  commencent,  sur  un  feuillet  distinct  des  précédents,  les 
fragments  tirés  de  Philon,  dont  le  dernier  est  écrit  sur  un  feuillet 
double,  où  les  deux  premières  pages  seulement  sont  remplies.  Ra- 
cine a  mis  à  la  marge  :  «  Phil.  Jud.  de  Vita  eontetnpL  »  (Philo  Ju- 
daeus,  de  Vita  contemplativa) .  —  Ce  premier  morceau,  bien  que 
Racine  l*ait  compris  sous  le  titre  :  det  Muénient,  ne  concerne  pas 
proprement  les  Esténieru^  mau  les  Thérapeutes*  Voyez  dans  le  Dic' 
iionnaire  de  Trévoux,,  à  Tarticle  Thérapeutes,  une  assez  longue  disser- 
tation sur  ces  deux  questions  :  !<>  les  Thérapeutes  étaient-ils  des 
Juifs  Esséniens?  ^^  Étaient-ils  même  des  Juifs?  nVtaient-ce  pas 
plutôt  des  Chrétiens  ? 

1.  Chez  Philon,  le  traité  d*oii  est  tiré  le  second  fragment  traduit 
par  Racine,  sur  les  Trais  Esséniens  (yojez  ci-après,  p.  554),  pi*é- 
cède  celui  où  se  trouve  ce  premier  fragment,  sur  les  Thérapeutes  : 
de  là  les  mots,  par  lesquels  le  traité  commence  :  «  Après  avoir  parlé 
des  Esséniens.  >•  Malgré  ce  début,  nous  laissons  les  morceaux  dans 
Tordre  où  Racine  les  a  traduits.  Dans  le  manuscrit,  le  second  com- 
mence à  la  même  page  où  finit  le  premier ,  à  savoir  au  verso  du 
feuillet  49* 

3.  M.  Aimé-Martin  a  lu  «  de  telles  matières,  n 


54^1  DES  ESSÉNIENS. 

et  le  plus  fécond  ;  ce  qui  ne  m'empêchera  pas  Dëanmoins  d'en- 
trer dans  la  carrière,  et  de  faire  tous  mes  efforts  poor  nj 
point  demeurer  vaincu;  car  il  ne  faut  pas  que  l'extraordlîiiaire 
vertu  de  ces  grands  hommes  réduise  au  silence  ceux  qui  se 
croiroient  criminels  d'y  avoir  laissé  aucune  belle  action  ense- 
velie. 

Le  nom  de  ces  amateurs  de  la  sagesse  déclare  quelle  est 
leur  profession  ;  car  ils  en  ont  un  qui  signifie  tout  ensemble  ei 
médecins  et  adorateurs*  :  ce  qui  leur  convient  très-bicD ,  soit 
à  cause  qu'ils  font  profession  d'une  médecine  d'autant  plus 
élevée  au-dessus  de  celle  qui  est  en  usage  dans  les  viUes,  que 
celle-ci  ne  s'étend  que  sur  les  corps,  et  que  celle-là  s'exerce 
sur  les  âmes  mêmes,  et  en  chasse  des  maladies  très-fâcfaeoses 
et  très-opiniâtres  qui  ont  leur  source  dans  les  plaisirs  et  dans 
les  cupidités,  dans  les  afBictions  et  dans  les  craintes,  dans 
l'avarice  et  dans  la  folie,  dans  l'injustice,  et  dans  une  infinité 
d'autres  passions  et  d'autres  vices  ;  soit  parce  qu'ils  appren- 
nent par  la  connoissance  de  la  nature  et  des  lois  divines'  à 
adorer  cette  essence  qui  est  infiniment  meilleure  que  le  bon. 
et  qui  est  plus  simple  et  plus  ancienne  que  l'unité  mkne'.     . 

Au  reste,  ceux  qui  embrassent  ce  genre  de  vie  n'y  sont  attirés 
ni  par  coutume,  ni  par  conseil;  mais  étant  comme  ravis  hors 
d'eux-mêmes  par  un  amour  tout  céleste ,  ils  ressoitent  des 
transports  aussi  violents  que  les  bacchantes  et  les  corybantes 
des  païens,  jusqu'à  ce  qu'ils  jouissent  de  la  vue  de  l'objet 
qu'ils  aiment.  Et  ensuite  l'ardent  désir  qu'ils  ont  de  la  vie 
étemelle  et  bienheureuse  leur  faisant  croire  qu'ils  sont  déjà 
morts  à  cette  vie  misérable  et  mortelle,  ils  abandonnent  leurs 
biens*  entre  les  mains  de  leurs  enfants  ou  de  leurs  autres  pa- 


t.  Cest  le  nom  de  Thérapeutes.  U  y  a  dans  le  texte  grec  :  6ipa- 
ic&noLi  Y^p  xa\  0£pa}ceuTp($£ç  li^futoç  xoXoOyrat. 

9.  Dans  rédition  de  M.  Aimé-Martin  et  dans  celle  de  M.  Ai- 
gnan  :  «  des  autres  vices,  »  au  lieu  de  :  «  des  lois  diiines.  i» 

3.  Nous  marquons  les  lacunes,  parfois  assez  longues,  de  la  In- 
duction. Rien  ne  les  indique  dans  le  manuscrit. 

4.  Ici  encore,  il  y  a  /eiir,  sans  s^  avec  biens  an  pluriel  :  voyex  ci- 
dessus,  p.  538,  note  a. 


DES  ESSËNIENS.  543 

rents,  les  en  instituant  hëritiers  par  une  résolution  toute  vo- 
lontaire, ou  s'ils  n'ont  point  de  parents,  à  leurs  plus  intimes 
amis  ;  car  il  est  bien  raisonnable  que  ceux  qui  ont  déjà  acquis 
des  richesses  que  Ton  peut  dire  être  clairvoyantes,  laissent 
des  richesses  aveugles  à  ceux  qui  sont  aveugles  eux-mêmes.    . 

Ainsi  se  dépouillant  de  toutes  leiu*s  possessions,  et  ne  se  lais- 
sant plus  toucher  d'aucun  objet  qui  les  trompe,  ils  fuient  pour 
ne  regarder  jamais  derrière  eux,  et  se  séparent  de  leurs  frè- 
res, de  leurs  enfants,  de  leurs  femmes,  de  leurs  pères  et  de 
leurs  mères,  de  leurs  nombreuses  alliances,  et  de  leurs  plus 
étroites  amitiés,  et  enfin  des  lieux  où  ils  sont  nés  et  où  ils  ont 
été  élevés,  sachant  que  Taccoutumance  que  Ton  y  prend  a 
un  poids  et  un  charme  auquel  il  est  très-difficile  de  résister. 
Mais  leur  retraite  du  monde  ne  consiste  pas  à  passer  seule- 
ment d'une  ville  en  une  autre  ville,  comme  ces  malheureux 
et  pauvres  esclaves  qui  étant  vendus  par  ceux  k  qui  ils  ap- 
partenoient  auparavant,  ne  font  que  changer  de  maître  et  ne 
sont  point  délivrés  de  servitude. 

Car  il  est  certain  que  toutes  les  villes,  et  même  les  mieux 
policées,  sont  toujours  pleines  d'une  infinité  de  tumultes  et  de 
troubles,  qui  ne  peuvent  être  qu'insupportables  à  un  esprit 
uniquement  adonné  à  l'étude  de  la  sagesse.  C'est  pourquoi  ils 
ont  leur  demeure  hors  de  l'enceinte  des  villes,  c'est-à-dire 
dans  de  grands  jardins  ou  dans  des  campagnes  désertes,  dont 
ils  recherchent  la  solitude,  non  point  par  un  esprit  sauvage 
et  une  aversion  des  hommes,  mais  parce  qu'ils  savent  com- 
bien la  conversation  de  ceux  dont  la  vie  est  si  dissemblable  à 
la  leur  est  importune  et  dangereuse. 

Cette  secte  est  répandue  en  plusieurs  endroits  de  la  terre  : 
aussi  est-il  bien  juste  et  que  les  Grecs,  et  que  les  Barbares, 
ne  soient  point  privés  de  la  vue  d'une  si  extraordinaire  vertu. 
Mais  il  n'y  a  point  de  pays  où  ils  soient  en  plus  grand  nom- 
bre que  dans  toutes  les  provinces  d'Egypte,  et  principalement 
aux  environs  d'Alexandrie. 

Ceux  d'entre  eux  qui  sont  les  plus  éminents  en  sainteté 
sont  envoyés  de  toutes  parts,  ainsi  qu'une  espèce  de  colonies, 
en  un  lieu  qu'ils  regardent  comme  leur  véritable  patrie,  et 
qui  est  tout  à  fait  propre  pour  la  vie  qu'ils  mènent.  Il  est  si- 


544  DES  ESSËMENS. 

tué  «tu-^essus  de  l'étang  Marie*,  sur  une  colline  assez  plate  et 
assez  étendue,  et  il  ne  peut  être  placé  plus  commodément,  si 
Ton  regarde  la  sûreté  du  lieu  et  la  bonté  de  Tair  que  Ton  y 
respire.  Je  dis  que  Ton  y  est  en  sûreté,  à  cause  du  grand 
nombre  des  maisons  et  des  bourgades  dont  il  est  environné; 
et  quant  à  la  pureté  de  Tair,  eUe  provient  des  vapeurs  con- 
tinuelles qui  s'élèvent  de  cet  étang  et  de  la  mer  qui  en  est 
proche,  et  dans  laquelle  il  se  décharge  ;  car  les  vapeurs  de  la 
mer  étant  aussi  subtiles  que  celles  de  cet  étang  qui  s'y  dé- 
charge sont  épaisses,  il  s'en  fait  un  mélange  qui  rend  la  tem- 
pérature de  cet  air  extrêmement  saine. 

Leurs  logements  sont  fort  simples,  et  ils  ne  leur  servent 
que  pour  deux  choses  dont  ils  ne  peuvent  se  passer,  c'est-à- 
dire  pour  les  défendre  tant  de  la  chaleur  du  soleil  que  de  la 
froidure  de  l'air.  Ils  ne  sont  pas  fort  proches  les  uns  des  au- 
tres, comme  dans  les  villes;  car  les  voisinages  sont  toujours 
importuns  et  désagréables  à  ceux  qui  aiment  et  recherchent 
la  solitude  avec  tant  d'ardeur.  Ils  ne  sont  pas  non  plus  fort 
éloignés,  parce  qu'ils  se  plaisent  à  vivre  en  communauté,  et 
qu'ils  veulent  se  pouvoir  secourir  les  uns  les  autres,  s'ils 
étoient  attaqués  par  des  voleurs. 

Ils  ont  chacun  un  lieu  particulier  et  sacré ,  qu'ils  appellent 
un  oratoire  ou  cabinet*,  dans  lequel  ils  se  retirent  pour  s'in- 
struire en  secret  dans  les  mystères  de  leur  vie,  toute  d'orai- 
son. Ils  n'y  portent  ni  boire  ni  manger ,  ni  rien  de  tout  ce 
qui  est  nécessaire  pour  les  besoins  du  corps;  mais  seulement 
les  lois  et  ies  oracles  qui  sont  sortis  de  la  bouche  des  pro- 
phètes, les  hymnes  et  toutes  les  autres  choses  qui  peuvent 
servir  à  l'accroissement  et  à  la  perfection  de  leurs  oonoois- 
sances  et  de  leur  piété. 

Le  souvenir  de  Dieu  est  continuellement  gravé  dans  leur 
pensée,  jusque-là  qu'étant  endormis  ils  ne  s'entretiennent  dans 
leurs  songes  que  de  sa  beauté  et  de  sa  grandeur,  et  qu'il  y 
en  a  même  beaucoup  qui   en  expliquant  les  choses  qui  se 

I .  En  marge,  d'une  antre  encre  :  *  Mœris.  »  La  note  n'est  pas 
exacte  :  Mip£(a,  Mapb,  qu'on  lit  dans  le  texte  grec,  désigne  un  étaii| 
ou  lac  (le  Maréotide),  voisin  d'Alexandrie. 

a.  Dans  le  texte  grec  :  OEpitov  xa\  povaam|ptov. 


DES   ESSEJNIENS.  545 

passent  alors  en  leur  imagination,   font  entendre  des  paroles 
d'une  philosophie  très-sainte  et  très-exceilcnte. 

Ils  ont  coutume  de  prier  deuic  fois  le  jour,  au  matin  et  au 
soir,  c'est-à-dire  que  quand  le  soleil  se  lève,  ils  demandent  à 
Dieu  qu'il  leur  rende  la  journée  vëritablement  heureuse,  et 
qu'il  remplisse  leur  esprit  de  sa  divine  lumière  :  de  même  que 
lorsqu'il  se  couche^,  ils  demandent  encore  à  Dieu  que  leur 
âme  étant  déchargée  du  fardeau  des  sens  et  des  choses  sen- 
suelles, elle  puisse  être  renfermée  en  elle-même,  afin  que 
jouissant  d'un  parfait  repos,  elle  s'applique  toute'  entière  à 
la  recherche  de  la  vérité. 

Tout  le  reste  du  temps  qui  est  entre  le  matin  et  le  soir  est 
consacré  à  la  lecture  et  à  la  méditation;  car  ils  lisent  les 
saintes  Ecritures,  et  s'exercent  dans  l'étude  des  préceptes  de 
sagesse  qu'ils  ont  reçus*  de  leurs  pères,  croyant  que  les  se- 
crets de  la  nature  y  sont  cachés  sous  des  paroles  allégoriques 
et  mystérieuses  dont  leurs  pères  se  sont  servis  pour  en  ensei- 
gner la  connoissance. 

Ils  ont  des  livres  de  leurs  anciens ,  qui  ayant  été  comme 
les  patriarches  de  leur  secte,  leur  ont  laissé  plusieurs  mé- 
moires de  la  doctrine  de  ces  allégories,  qu'ils  regardent  com- 
me des  originaux*  et  des  modèles,  par  l'imitation  desquels  ils 
se  conforment  au  véritable  esprit  de  leur  secte;  car  ils  ne 
se  contentent  pas  de  méditer  seulement  sur  les  ouvrages  des 
autres,  mais  ils  composent  eux-mêmes  plusieurs  hymnes  et 
plusieurs  cantiques  à  la  louange  de  Dieu,  y  faisant  entrer 
de  toutes  sortes  de  cadences  et  de  mesures,  et  les  embellis- 
sant de  rimes  qui  les  font  paroître  beaucoup  plus  pompeux  et 
plus  vénérables. 

Les  autres  six  jours  de  la  semaine,  ils  demeurent  chacun 
en  leur  particulier,  et  étudient  en  ces  petits  cabinets  dont 
nou»  avons  parlé,  sans  sortir  le  moins  du  monde  hors  de  la 
porte,  et  sans  regarder  au  dehors  par  quelque  lieu  que  ce 
puisse  être.  Mais  le  jour  du  sabbat,  ils  viennent  tous  ensemble 

I.  Dans  Pëdition  de  M.  Aim^Martin  :  «f  lorsqu^iU  se  couchent.  » 
s.  Ici,  il  y  a  bien  toute ^  au  féminin,  dans  Pautographe. 
3.  Le  manuscrit  porte  reçu  (rrc^ii),  et,  deux  lignes  plus  bas,  servi 
servy)^  sans  accord. 

J.  Ragiae*  V  35 


546  DES  ESSENIENS. 

comme  en  une  commune  assemblée,  et  s'assisent^,  selon  leur 
âge,  avec  une  honnête  contenance,  tenant  leurs  mains  sous 
leur  manteau*.  Lors  celui  d'entre  eux  qui  est  le  plus  ancien, 
et  qui  a  le  plus  de  connoissance  de  leur  doctrine,  s'avance  au 
milieu  de  tous,  et  leur  parle  avec  un  visage  et  une  voix  grave, 
ne  disant  rien  qu'avec  prudence  et  avec  jugement,  et  ne  s'ar- 
rètant  point  à  faire  ostentation  de  son  éloquence,  comme  ces 
orateurs  et  ces  sophistes  que  nous  voyons  aujourd'hui;  mais 
songeant  seulement  à  bien  expliquer  et  à  bien  faire  comprendre 
le  vrai  sens  de  ses  pensées  ;  et  ainsi  ses  paroles  ne  frappent 
pas  seulement  les  oreilles  de  ses  auditeurs,  mais  elles  y  trouvent 
un  chemin  par  où  elles  passent  jusques  au  fond  de  leur  âme, 
pour  y  demeurer  éternellement  gravées.  Cependant  tous  les 
autres  l'écoutent  en  un  profond  silence,  ne  lui  témoignant 
leur  approbation  que  par  quelque  petit  chn  d'œil  ou  par  quel- 
que mouvement  de  tête. 

Cette  salle  publique,  dans  laquelle  ils  s'assemblent  tous  les» 
jours  du  sabbat,  est  divisée  en  deux  différents  appartements, 
l'un  des  hommes  et  l'autre  des  femmes  ;  car  elles  assistent  aussi 
de  tout  temps  à  leurs  assemblées ,  et  n'embrassent  pas  ce  genre 
de  vie  avec  moins  d'ardeur  et  de  zèle  que  les  honmies.  La 
muraille  donc  qui  les  sépare  s'élève  de  terre  environ  trois  ou 
quatre  coudées  de  haut,  en  forme  d'une  petite  cloison,  le  reste 
demeurant  ouvert  jusques  aux  voûtes,  et  cela  pour  deux  rai- 
sons :  la  première,  pour  conserver  la  pudeur  naturelle  que  les 
hommes  doivent  avoir  à  l'égard  des  femmes  ;  la  seconde,  afin 
que  les  femmes  elles-mêmes  étant  en  un  Ueu  où  la  voix  se 
peut  ouïr  distinctement,  elles  écoutent  sans  peine  celui  qui 
parle,  et  ne  trouvent  aucun  obstacle  qui  les  empêche  de 
l'entendre. 

Ils  embrassent  la  tempérance  comme  un  fondement  qu'ils 
doivent  jeter  en  leur  âme  pour  y  établir  ensuite  toutes  le» 

I .  Tel  est  le  texte  du  manuscrit,  et  non  iassextnt^  qui  est  une 
correction  de  M.  Aimé-Martin. 

1.  Le  texte  ajoate  :  «  Tf|V  (xàv  BeÇtàv  (lsto^  oripvou  xa\  ysmlov,  tJ^ 
Bà  £Ù(i>vu(uov  OntaroiXfLivi|v  Aapà  Tf[  Xoydvt.  »  Racine  a  efiaoé  ee  qu'il 
avait  d'abord  écrit  pour  traduire  le  commencement  de  ce  meoibre 
de  phrase  :  «  tenant  leurs  mains  cachées  au  dedans  de  leur 
teau,  c'est-à-dire  la  droite  entre  le  sein....  » 


DES  £SS£NI£]NS.  547 

autres  vertus.  Jamais  aucun  d'eux  ne  boit  ou  ne  mange  le 
moins  du  monde  avant  le  soleil  couche,  parce  qu'ils  croient 
que  les  exercices  de  la  philosophie  sont  des  ouvrages  dignes 
de  la  lumière,  au  lieu  que  les  nécessités  du  corps  doivent  être 
ensevelies  dans  les  ténèbres  :  c'est  pourquoi  ils  donnent  à 
ceux-là  toute  la  journée,  et  n'accordent  à  celles-ci  qu'une 
petite  partie  de  la  nuit.  Il  y  en  a  même  quelques-uns  qui,  en 
Tespace  de  trois  jours,  ne  songent  pas  une  seule  fois  à  manger, 
tant  ils  sont  possédés  de  Tardent  désir  d'accroître  leurs  con- 
noissanccs.  Il  y  en  a  d'autres  qui  trouvent  de  telles  délices  et 
un  contentement  si  grand  à  se  nourrir  l'âme  des  viandes  spi- 
rituelles de  la  sagesse,  qui  leur  déploie  tous  ses  trésors  et  tous 
ses  secrets  avec  une  libéralité  qui  est  sans  bornes,  qu'ils  de- 
meurent à  jeun  une  fois  autant  que  les  autres,  et  passent  près 
de  six  jours  entiers  sans  rien  manger ,  s'accoutumant  à  vivre 
comme  les  cigales,  qui,  à  ce  qu'on  dit,  ne  se  nourrissent  que 
de  l'air,  parce  qu  elles  trouvent  dans  leur  chant ,  comme  je 
crois,  un  divertissement  qui  leur  facilite  cette  abstinence. 

Le  sabbat  est  pour  eux  une  fête  toute  sainte  et  toute  auguste , 
et  ils  le  célèbrent  avec  une  extraordinaire  vénération.  C'est 
en  ce  jour  qu'après  avoir  pourvu  aux  nécessités  de  leur  âme, 
ils  ont  soin  aussi  de  fortifier  la  foiblesse  de  leur  corps,  étant 
certes  bien  juste  qu'ils  prennent  quelque  relâche  après  de  si 
longs  travaux,  puisque  les  bêtes  mêmes  n'en  sont  pas  privées. 
Mais  il  n'y  a  aucune  magnificence  dans  leurs  festins,  et  ils  se 
réduisent  à  manger  un  peu  de  pain  qui  est  fort  simple,  en  y 
joignant  aussi  quelques  grains*  de  sel  pour  tout  assaisonne- 
ment, ou  un  peu  d'hysope,  comme  font  ceux  d'enb*e  eux  qui 
sont  les  plus  délicats  ;  leur  breuvage  est  de  l'eau  courante  ; 
car  ils  regardent  la  faim  et  la  soif  comme  deux  fâcheuses  maî- 
tresses auxquelles  la  nature  a  soumis  tout  le  genre  humain, 
et  qui  se  doivent  adoucir,  non  point  par  des  choses  qui  les 
flattent,  mais  par  celles  qui  sont  absolument  nécessaires,  et 
sans  lesquelles  on  ne  sauroit  vivre.  C'est  pourquoi  ils  mangent 
pour  n'avoir  plus  faim,  et  boivent  pour  n'avoir  plus  soif;  et 
ils  abhorrent  l'assouviisement  comme  l'ennemi  et  le  destruc- 
teur du  corps  et  de  l'âme. 

I.  «  Quelque  grain  » ,  au  singulier,  dans  le  manuscrit. 


j4B  D£S  ËSSËiMlEINS. 

Or,  comme  il  }  a  deux  manières  de  se  couvrir,  dont  l'une 
est  le  vêtement  et  l'autre  la  maison',  et  comme  les  mai^m 
de  ces  sages,  ainsi  que  nous  avons  dit  ci-dessus,  sont  dé|)our- 
vues  de  magnificence  et  d'ornement,  n'y  a\ant  rien  que  ce 
qui  y  est  entièrement  nc'cessaire,  il  en  est  de  même  de  leurs 
habits,  qui  ne  sont  pas  moins  simples  et  moins  modestes,  et 
qu'ils  ne  prennent  que  pour  se  garantir  des  incommodités  da 
froid  et  de  la  chaleur.  En  hiver,  ils  portent  une  robe  épaisse 
et  pesante,  au  lieu  de  fourrure  ;  et  en  été,  ils  se  contentent  de 
quelque  robe  de  toile ,  ou  de  quelque  autre  linge  dont  ils  se 
couvrent;  car,  en  un  mot,  la  simplicité,  la  modc^stie  leur  est 
particulièrement  vénérable ,  sachant  que  le  faste  et  l'orgueil 
est  le  père  de  mensonge',  au  lieu  que  la  modestie  est  la  mère 
de  la  vérité,  et  que  le  mensonge  et  la  vérité  sont  comme  deui 
sources,  dont  la  première  répand  dans  le  monde  toute  cette 
multitude  de  maux  dont  il  est  rempli,  au  lieu  que  l'autre  y 
fait  couler  avec  abondance  toutes  sortes  de  biens  humains  et 
divins. 

Je  veux  dire  aussi  quelque  chose  de  la  manière  dont  ils  se 
comportent  dans  leurs  festins  publics  et  solennels  ' .     .     .     . 

Ils  y  viennent  tous  vêtus  de  blanc  et  avec  un  visage  gai,  mais 
néanmoins  extrêmement  grave  ;  e^  aussitôt  que  le  signal  leur 
a  été  donné  par  quelqu'un  des  semainiei^*  (car  c'est  ainsi 
qu'ils  appellent  ceux  qui  ont  la  charge  du  réfectoire),  ils  se 
tiennent  chacun  debout,  selon  leur  rang  et  avec  une  grande 
modestie;  et  ainsi,  avant  que  se  mettre  à  table,  ils  élèvent  les 
yeux  et  les  mains  au  ciel  :  les  yeux,  parce  qu'ils  ont  appris  à 
attacher  leur  vue  sur  les  objets  qui  méritent  d'être  regardés; 
et  les  mains,  parce  qu'elles  sont  pures  de  toute  avarice,  et  que 
jamais  elles  ne  se  sont  laissé  souiller  par  aucun  gain  illiâte  et 
profane,  pour  quelque  prétexte  que  ce  fût.  Us  demandent  donc 


1.  Nous  n\oiis  du  ici  encore  rétablir  en  partie  ce  qnî  a  été  ra- 
turé, parc«»  que  des  corrections  qui  se  lisent  dans  les  înteHignf*»  on 
ne  pourrait  tirer  une  phrase  régulière  ni  complète. 

2 .  «  De  mensonge  »  a  été  substitué  à  «  du  mensonge.  •» 

3.  Racine  a  passé  ici  plusieurs  pages  du  texte  grec. 

4.  Dans  le  texte  :  &R09y2(i.a(vovT6c  ttvoc  tGW  2^{upeutfir'. 


DES  essi!:nie\s.  549 

à  Dieu  qu'il  daigne  leur  être  favorable,  et  qu'il  n'y  ait  rien 
en  ce  festin  qui  ne  soit  conforme  à  ses  désirs. 

Après  que  leurs  prières  sont  achevées,  les  plus  anciens 
commencent  à  se  mettre  à  table  les  uns  après  les  autres,  selon 
le  temps  qu'ils  sont  entrés  dans  la  compagnie  ;  car  ils  ne  me- 
surent  pas  l'antiquité  par  l'âge,  ou  par  le  nombre  des  années, 
vu  que  ceux  qui  en  ont  le  plus  ne  passent  parmi  eux  que 
comme  des  enfants  et  de  jeunes  gens,  s'il  n'y  a  que  peu  de 
temps  qu'ils  ont  embrassé  leur  genre  de  vie  ;  mais  ils  regardent 
cooime  véritablement  anciens  ceux  qui  ont  passé  leur  enfance, 
leur  jeunesse,  et  toutes  leurs  années,  dans  l'étude  sainte  de 
cette  philosophie  contemplative',  qui  est  aussi  la  plus  belle  et 
la  plus  divine. 

Ils  admettent  à  leur  table  des  femmes,  dont  la  plupart  sont 
fort  âgées,  et  ont  gardé  leur  virginité,  l'ayant  embrassée  non 
point  par  contrainte  et  malgré  elles,  comme  quelques-unes  de 
celles  qui  exercent  la  prêtrise  parmi  les  Grecs,  dont  la  virgi- 
nité est  involontaire;  mais  elles  n'y  ont  été  |K>ussées  que  par 
le  seul  amour  de  la  sagesse,  dans  l'exercice  de  laquelle  ayant 
voulu  passer  toute  leur  vie,  elles  ont  foulé  aux  pieds  toutes 
les  voluptés  du  corps  et  des  sens. 

Toutefois  leurs  places  sont  séparées  de  celles  des  hommes, 
ceux-ci  étant  assis  au  côté  droit,  et  les  femmes  au  côté 
gauche. 

Si  quelqu'un  pense  que  ces  nobles  et  ces  généreux  ama- 
teurs de  la  sagesse  soient  couchés  à  table  sur  des  lits,  qui, 
quoiqu'ils  ne  soient  pas  richement  parés,  peuvent  au  moins 
tenir  quelque  chose  de  la  mollesse  et  de  la  délicatesse  :  qu'il 
sache  qu'ils  ne  se  servent  que  de  simples  matelas,  composés 
de  quelques  herbes  viles  et  communes  en  ce  pays,  où  l'on  en 
fait  d'ordinaire  de  la  natte  et  du  papier,  se  couchant  dessus, 
et  les  élevant  tant  soit  peu  vers  les  coudes,  afin  qu'ils  s'y 
puissent  appuyer. 

Au  reste,  ce  ne  sont  point  des  esclaves  qui  les  servent,  et 
ils  croient  que  c'est  entièrement  agir  contre  Tordre  de  la  na- 
ture que  de  se  faire  servir  par  des  valets;  car  les  hommes. 


I.   M.  Aimé-Martin  a  mit  coniempiatrice.  Cette  forme  n*es»t  pas 
dans  le  manuscrit. 


55o  DES  ESSENIENS. 

disent-ils,  naissent  tous  également  libres,  n'étoit  que  l'injostice 
et  l'ambition  de  ceux  qui  ont  voulu  semer  dans  le  monde 
cette  malheureuse  inégalité  qui  est  la  source  de  tous  les  maux, 
ont  mis  entre  les  mains  des  puissants  la  domination  qu'ils  ont 
usurpée  sur  les  foibles. 

Ils  ne  possèdent  donc  point  d'esclaves  ni  de  valets,  et  ils  ne 
sont  servis  que  par  des  personnes  entièrement  libres,  qui  leur 
rendent  ces  devoirs  ofBcieux  sans  qu'on  les  y  oblige  et  sans 
attendre  qu'on  le  leur  commande;  mais  au  contraire,  ils  se 
viennent  présenter  eux-mêmes  avec  joie  et  avec  empresse- 
ment, avant  qu'on  les  y  ait  exhortés. 

Et  qu'on  ne  pense  pas  que  l'on  les  admette  tous  îadifiEé- 
remment  en  cet  emploi,  car  on  les  examine  auparavant  avec 
grand  soin  entre  les  plus  jeunes  et  les  meilleurs  de  la  cobh 
pagnie  ;  et  ainsi  l'on  ne  choisit  que  des  personnes  sages  et 
bien  élevées,  et  en  qui  l'on  voit  un  véritable  et  parfait  amour 
pour  la  vertu  la  plus  sublime,  aiin  qu'ils  puissent  servir  les 
frères  avec  la  même  affection  et  la  même  ardeur  que  des  en- 
fants bien  nés  serviroient  leurs  pères  et  leurs  mères,  comme 
en  effet  ils  ne  les  regardent  point  autrement  que  leurs  pères 
communs,  et  ont  pour  eux  plus  de  tendresse  que  pour  œux 
liâmes  que  le  sang  leur  a  donnés  :  tant  il  est  vrai  qu'il  n'y  a 
point  de  nœud  si  puissant  sur  les  âmes  vertueuses  que  la  vertu! 

Ils  ne  ceignent  point  leur  robe,  et  ils  ne  la  retroussât 
point  à  leur  ceinture  pour  servir  à  table;  mais  ils  la  laissent 
to^^  étendue',  afin  que  l'on  ne  voie  en  ces  festins  aucune 
marque  de  servitude,  cette  manière  de  servir  étant  particu- 
lière aux  esclaves.  Je  sais  que  quelques-uns,  entendant  ces 
choses,  s'en  riront;  mais  je  sais  aussi  que  ceux-là  seuls  s'en 
riront,  dont  les  actions  ne  sont  dignes  que  de  gémissements 
et  de  pleurs. 

Le  vin  n'y  entre  point  du  tout;  vojaâs  ils  boivent  d'une 
eau  qui  est  fort  claire  et  fort  pure,  avec  cette  seule  distinc- 
tion que  le  commua  d'eqtre  eux  la  prend  toute  froide,  an 
lieu  que  ceux  des  anciens  qui  sont  d'une  complexion  plus  foi- 
hle,  la  font  chauffer  auparavant. 

I .  Éitndiu  a  éxé  bi^é  dans  le  manutcrît,  mais  ensuite  loulii^'  : 
Yoye?.  ci-dessuA,  p.  447. 


DES  KSSÉNIENS.  55i 

Leur  table  est  pure  de  toutes  viandes  qui  aient  eu  vie,  et 
Ton  y  voit  seulement  du  pain  pour  toute  nourriture,  du  sel 
pour  tout  mets,  et  quelquefois  un  peu  d'hysope  que  l'on 
donne  pour  tout  assaisonnement  à  ceux  qui  paroissent  les 
plus  délicats.  Car  la  même  raison  qui  porte  les  prêtres  à 
ofTrir  des  sacrifices  que  Ton  appelle  sobres,  parce  que  Ton 
n'y  boit  point  de  yin,  a  porté  aussi  ces  apiateurs  de  la  sa- 
gesse à  n'en  point  boire,  parce,  disent-ils,  que  le  vin  est  un 
poison  qui  rend  l'âme  folle  et  insensée,  et  que  les  viandes  si 
bien  apprêtées  et  si  délicieuses  ne  servent  qu'à  irriter  la  con- 
cupiscence, qui  est  la  plus  insatiable  de  toutes  les  bêtes. 

Après  qu'ils  se  sont  assis  à  table, *  le  silence  est  en- 
core plus  profond  qu'auparavant,  et  l'on  n'en  verroit  pas  un 
qui  osât  dire  le  moindre  mot  ou  respirer  un  peu  fortement  : 
si  ce  n'est  que  quelqu'un  d'eux  propose  quelque  difficulté  de 
l'Ecriture  sainte,  ou  qu'il  explique  celle  qui  aura  é(é  proposée 
par  un  autre.  Ce  n'est  pas  qu'U  se  mette  beaucoup  en  peine 
d'en  trouver  l'explication;  car  son  but  n'est  pas  de  tirer  de  1^ 
gloire  de  sa  subtilité  et  de  sa  science,  mais  seulement  d'exa- 
miner la  vérité,  et  lorsqu'il  l'a  trouvée,  de  ne  la  point  en- 
vier à  ceux  qui,  bien  qu'ils  n'aient  pas  une  si  grande  viva- 
cité que  lui  pour  la  chercher,  ne  desif*ent  pas  avec  moins 
d'ardeur  d'en  acquérir  la  com^oissance. 

il  leur  parle  donc,  et  les  instruit  avec  loisir,  pesant  et  in- 
sistant sur  ses  paroles,  et  les  répétant  plusieurs  fois,  afin  de 
graver  profondément  dans  leurs  esprits  les  vérités  qu'il  leur 
enseigne;  car  autrement,  lorsque  l'on  parle  avec  trop  peu 
d'étendue  ou  avec  trop  de  vitesse,  et,  comme  l'on  dit,  sans 
reprendre  haleine,  l'esprit  des  auditeurs  ne  pouvant  suivre  la 
volubilité  de  la  langue  de  celui  qui  parle,  ils  sont  contraints 
de  demeurer  beaucoup  en  arrière,  et  ne  peuvent  atteindre  à 
l'intelligence  de  ce  qu'on  leur  dit. 

Cependant  les  autres,  ayant  la  vue  continuellement  atta- 
chée sur  lui,  l'écoutent  tous  avec  une  même  attention  et  une 
même  contenance  ;  et  s'ils  comprennent  et  entendent  parfaite- 


I .  Eacine,  en  pmeUant  ici  quelque*  lignes,  a  trouve  moyen  de 
rendre  ipsentible  une  lacune  qui  existe,  en  cet  endroit,  dans  le 
texte  grec. 


5S2  DES  ESSÉMENS. 

ment  ce  qu'il  leur  dit,  ils  le  lui  font  voir  par  quelque  incli- 
nation de  tète  ou  par  quelque  mouvement  des  yeux;  s'ils  le 
trouvent  digne  de  louanges,  ils  le  lui  témoignent  par  la  joie 
et  par  la  sérénité  qui  se  répand  sur  tout  leur  visage;  et  si, 
au  contraire,  il  leur  vient  en  Tesprit  quelque  incertitude  et 
quelque  doute,  ils  le  lui  font  connoftre  ou  en  branlant  douce- 
ment la  tète,  ou  en  remuant  le  bout  d'un  doigt  de  la  main 
droite. 

Il  en  est  de  même  de  ceux  qui  ont  servi  à  table  ;  car  ils  se 
tiennent  debout  durant  tout  le  temps  qu'il  parle,  et  ne  Té- 
coûtent  pas  avec  moins  d'attention  que  les  autres.     .     .     . 

Lorsque  ce  docteur  juge  qu'il  leur  a  suffisamment  j>arlé,  et 
qu'il  leur  semble  avoir  tous  satisfait*  à  l'obligation  qu'ils 
a  voient,  l'un  d'enseigner  à  ses  auditeurs  une  doctrine  en- 
tièrement conforme  au  véritable  esprit  de  la  secte,  et  les  au- 
tres de  lui  donner  toute  l'attention  qu'il  leur  est  possible,  ils 
frappent  tous  ensemble  des  mains  pour  témoigner  leur  satis- 
faction et  leur  contentement. 

En  suite  de  quoi,  le  docteur  se  lève  et  cbante  un  h}Tnne  à 
la  louange  de  Dieu,  soit  qu'il  l'ait  lui-même  nouvellement 
composé ,   ou   qu'il  vienne   de    quelqu'un   de   leurs   anciens 

poètes Et  cependant  tous  les  autres  demeurent  chacun  en 

leurs  places  avec  modestie ,  et  l'écoutent  en  un  silence  très- 
profond,  jusqu'à  ce  qu'il  vienne  à  prononcer  les  dernières  pa- 
roles de  son  cantique;  car  alors  tous  les  hommes  et  toutes 
les  femmes  élèvent  unanimement  leurs  voix  pour  lui  répondre. 


Le  souper  étant  fini,  ils  célèbrent  la  veille  qu'ils  nomment 
sacrée ,  c'est-à-dire  que,  se  levant  tous  ensemble,  ils  se  ran- 
gent au  milieu  de  la  salle  où  ils  ont  soupe,  et  se  divisent  en 
deux  chœurs,  l'un  des  hommes  et  l'autre  des  femmes.  Cha- 

I .  U  y  a  ici  une  correction  d'une  autre  écriture.  Une  main,  qui 
parait  être  celle  d*une  personne  piui  âgée  (à  en  juger  par  la  forme 
moins  moderne  des  caractères),  a  substitué  à  ces  mots  ceux-ci  : 
«  et  qu'ils  croient  tous  avoir  satisfait.  »  —  Un  peu  plus  loin,  Is 
même  main  a  remplacé  le  membre  de  phrase  :  «  lui  donner  toute 
l'attention  qu'il  leur  est  possible,  »  par  :  Véeouter.  —  Dans  le  pre- 
mier de  ces  deux  passages.  Racine  a  fait  la  faute  de  mettre  satisfùis, 
au  pluriel. 


DES  ESSÉNIENS.  55) 

que  chœur  choisit  pour  chef  et  pour  conducteur  celui  d'entre 
tous  qui  est  le  plus  vénérable,  et  le  plus  habile  en  l'art  de 
chanter;  et  ensuite  ils  chantent  plusieurs  cantiques  compo- 
sés en  la  louange  de  Dieu.  Et  après  que  chaque  chœur  s'est 
comme  rassasié  du  plaisir  de  chanter  l'un  après  l'autre,  ils 
se  joignent  lors  les  uns  aux  autres,  et  ne  font  tous  qu'un 
même  chœur,  afin  de  goûter  ainsi  Siuis  aucun  mélange  les 
délices  de  l'amour  divin. 

En  quoi  ils  imitent  ce  que  firent  autrefois  nos  pères  sur  la 
mer  Rouge ,  en  considération  des  merveilles  que  Dieu  y  avoit 

opérées  pour  eux Car  les  hommes 

et  les  femmes,  se  trouvant  également  transportés  d'étonne- 
ment  et  de  reconnoissance  envers  Celui  qui  leur  avoit  fait  voir 
et  éprouver  des  choses  qui  étoient  élevées  au-dessus  de  toute 
parole,  de  toute  pensée*  et  de  toute  espérance,  s'unirent  en- 
semble en  un  même  chœur,  et  chantèrent  des  cantiques  d'ac- 
tions de  grâces  à  Dieu  :  Moïse  servant  de  chef  et  de  conducteiu* 
aux  hommes,  ainsi  que  la  prophétesse  Marie  aux  femmes. 

C'est  ainsi  que  les  deux  bandes  de  ces  sages  adorateurs  et 
adoratrices  du  vrai  Dieu  s'unissent  ensemble;  et  par  le  mé- 
lange de  leurs  voix  toutes  différentes  et  toutes  contraires, 
celle  des  hommes  étant  aussi  basse  que  celle  des  femmes  est 
ëlevée,  ils  forment  un  concert  véritablement  agréable  et  har- 
monieux. Leurs  cantiques  sont  composés  de  pensées  tout  à 
fait  nobles,  de  paroles  tout  à  fait  belles,  ainsi  que  les  chœurs 
de  ceux  qui  les  chantent  sont  composés  de  personnes  tout  à 
fait  saintes  et  religieuses. 

Après  donc  qu'ils  se  sont  enivrés  jusques  au  matin  de  cette 
ivresse  toute  sainte  et  toute  divine,  ils  sont  très-éloignés  de  se 
sentir  ou  la  tète  pesante',  ou  les  yeux  chargés  de  sommeil  ; 
mais  étant  même  plus  rassis  et  plus  éveillés  que  lorsqu'ils  ont 
commencé*  à  se  mettre  à  table,  ils  tournent  leur  vue  et  tout 
le  reste  du  corps  vers  l'Orient;  et  dès  que  le  soleil  se  mon- 
tre, ils  élèvent  les  mains  au  ciel  et  demandent  à  Dieu  qu'il 
leur  rende  cette  journée  heureuse,  qu'il  leur  fasse  connoître 

I .  Pensée  a  été  effacé,  puis  souligné. 

a.  On  peut  ici  choisir  entre  pesante  et  chargée  de  vin.  L'une  et 
Tautre  traduction  est  effacée,  et  rien  nVst  souligné. 
3.  Dans  l'autographe  :  commencés. 


554  DES  ESSIÎNIEI^S. 

la  vérité,  et  qu'il  rende  leur  esprit  yif  et  pâiétnmt  dans  U 
contemplation  de  ses  mystères.  Ea  suite  de  quoi,  ils  se  retirent 
chacun  en  leurs  petits  oratoires*,  pour  s'appliquer,  selon  leur 
coutume,  à  l'ëtude  et  à  l'exercice  de  la  philosophie.     .     .     . 


Les'  mages  sont  en  vogue  parmi  les  Perses;  et  ce  sont  des 
personnes  qui,  par  la  contemplation  des  ouvrages  de  la  na- 
ture, recherchent  la  connoissance  de  la  vëritë,  et  qui  s'in- 
struisant  à  loisir  dans  la  science  mystérieuse  des  vertus  di- 
vines, en  instruisent  aussi  les  autres  par  des  explications  très- 
claires  et  très-évidentes.  Les  Indes  ont  les  gjnoinosophîstes 
parmi  eux,  qui  ajoutant  l'étude  de  la  morale  à  celle  de  la 
philosophie  naturelle,  rendent  toute  leur  vie  comme  un  mo- 
dèle parfait  de  toutes  sortes  de  vertus. 

La  Palestine  et  la  Syrie  ne  sont  pas  moins  fertiles  en  ces 
grands  exemples  de  sainteté,  étant  l'une  et  l'autre  très-peu- 
plées par  la  nombreuse  nation  des  Juifs,  entre  lesquels  0  y  a 
une  sorte  de  personnes  qui  sont  au  nombre  de  plus  de  quatre 
mille,  ou  peu  s'en  faut,  comme  je  crois,  et  que  les  Grecs  ap- 
pellent Esséniens ,  c'est-à-dire  saints ,  qui  est  un  nom  très- 
conforme  à  leur  sainteté  ;  car  c'est  en  la  parfaite  adoration 
du  vrai  Dieu  qu'ils  excellent  principalement,  non  point  par 
l'immolation  des  bêtes  et  des  victimes,  mais  par  le  grand  soin 
qu'ils  ont  de  rendre  leurs  âmes  toutes  pures  et  toutes  saintes. 

I.  Il  y  avait  d'abord  :  «  en  son  petit  oratoire.  «  Racine  a  sub- 
ttitaë  leur^  sans  «,  à  «on,  et  ajouté  après  coup  deux  «  à  «  petits 
oratoires.  » 

a.  Ce  qui  suit  est  tire  encore  de  Philon,  mais  non  plui  de  sa  ^'i* 
conUmplative.  Racine  a  donn^  en  marge  cette  indication  :  «  Idem 
Phit.  Quod  omnit  prohus  liber.  »  C'est-à-dire  qu'il  traduit  mainte- 
nant quelques  passages  du  traita  de  Philon  qui  a  pour  titre  :  Ilcfl 
Tou  Tzéprz%  orouSarov  sTvai  IXEuOEpov.  Dans  l'édition  de  1640  (ainsi  que 
dans  celle  de  Leipzig,  1828)  ce  titre  est  d'abord  traduit  :  Quod 
liber  tit  quîsquis  virtuti  studet;  mais,  dans  les  deux  éditions,  le  titre 
courant  est  tel  que  Racine  le  donne.  Sa  traduction  commence  à  la 
fin  du  3  II  et  finit  a u^ commencement  du  J  i3  de  l^édition  de  18)8* 
—  Voyez  ci-dessus,  p.  54 1,  notes  i  et  7. 


DES  ESSÉNIENS.  555 

En  premier  lieu,  ils  ont  leur  demeure  dans  la  campagne*, 
et  s'éloignent  des  villes  le  plus  qu'ils  peuvent,  à  cause  des 
vices  et  des  crimes  qui  y  sont  si  ordinaires,  sachant  que  la 
vie  impure  de  tous  ceux  qui  y  demeurent  est  comme  un  air 
corrompu  et  pestiféré  qui  frappe  Tâme  de  plaies  mortelles  et 
incurables. 

Ils  s'exercent  les  uns  dans  l'agriculture,  et  les  autres  dans 
quelques  métiers  qui  s'accordent  avec  le  repos  de  leur  soli- 
tude, travaillant  ainsi  pour  leur  propre  utilité  et  pour  celle 
de  leur  prochain,  sans  amasser  des  trésors  d'or  et  d'argent, 
et  sans  posséder  de  grands  fonds  de  terre  pour  en  tirer  des 
revenus,  mais  se  fournissant  seulement  des  choses  qui  sont 
nécessaires  à  la  vie.  Car  ils  sont  peut-être  les  seuls  entre 
tous  les  hommes  qui,  demeurant  pauvres  et  dénués  de  tout 
bien,  plutôt  par  un  dépouillement  volontaire  que  par  une  in- 
digence forcée,  s'estiment  très-riches  et  très-abondants  en 
toute  sorte  de  félicité,  croyant,  et  certes  avec  grande  raison, 
que  celui-là  possède  beaucoup  de  biens*  qui  se  contente 
de  peu  de  choses. 

L'on  n'en  verra  aucun  entre  eux  qui  se  mêle  de  travailler 
ni  en  dards,  ni  en  javelots,  en  épées  ou  en  casques,  en  cui- 
rasses ou  en  boucliers,  en  armes  ou  en  machines,  ni  en  quel- 
ques instruments  de  guerre  que  ce  puisse  être,  ni  même  en 
aucunes  choses  qui,  en  temps  de  paix,  pourroient  servir  d'oc- 
casions de  péché. 

Pour  ce  qui  est  de  faire  trafic  ou  en  marchandises,  ou  en 
vin,  ou  sur  la  mer,  ils  n'y  pensent  pas  seulement  en  songe , 
rejetant  loiù  d'eux  tout  ce  qui  est  capable  de  les  faire  tomber 
insensiblement  dans  l'avarice. 

L'on  ne  voit  pas  un  seul  esclave  paitni  eux;  mais  étant 
tous  également  libres,  ils  se  servent  les  uns  les  autres,  et 
€M)ndamnent  ceux  qui  possèdent  des  esclaves,  non-seulement 
comme  injustes  et  ennemis  de  l'équité,  mais  même  comme  des 
impies  et  des  destructeurs  de  la  loi  de  la  nature,  laquelle 
ayant  engendré  et  nourri'  tous  les  hommes,  ainsi  que  leur 

I .  Racine  a  substitue  la  a  Us,  tout  en  laissant  le  mot  campagnes 
au  pluriel. 

a.  <«  De  biens  »  est  biffé  et  souligna. 

3.  Dans  le  manuscrit  :  «  engendrés  e|  nourris.  » 


556  DES   ESSEIVIENS. 

mère  commune,  les  a  rendus  fi'ères  et  propres  frères  les  uns 
des  autres,  non  point  seulement  de  nom ,  mais  en  effet  et  en 
vérité.  H  n'y  a  donc,  disent-ils,  que  la  violente  passion  de 
dominer,  qui  n'ayant  trouvé  aucun  obstacle  à  ses  malheureux 
desseins ,  a  rompu  les  nœuds  de  cette  alliance  sacrée ,  vX  a 
fait  succéder  la  discorde  à  l'union,  et  l'inimitié  à  l'amour. 

Quant  à  la  philosophie,  ils  en  laissent  la  logique,  comme 
entièrement  inutile  pour  l'acquisition  de  la  vertu,  à  ceux  qui 
se  plaisent  à  perdre  le  temps  en  paroles;  et  la  physique, 
comme  une  science  tout  à  fait  élevée  au-dessus  de  la  nature, 
à  ceux  qui  aiment  à  promener  leur  esprit  au  delà  des  nues, 
pour  parler  ainsi,  sinon  en  tant  qu'elle  traite  de  l'essence  de 
Dieu  et  de  la  création  de  l'univers;  mais  ils  se  réservent  U 
morale,  et  s'y  exercent  avec  un  soin  tout  particulier,  prenant 
pour  guides  et  pour  maîtresses  les  lois  qu'ils  ont  reçues  de 
leurs  pères,  dont  ils  croient  qu'il  est  impossible  à  l'esprit  hu- 
main de  comprendre  la  sublimité,  s'il  n'est  rempli  d'une  lu- 
mière toute  divine.  Ils  en  enseignent  donc  l'explication  géné- 
ralement en  tout  temps,  mais  particulièrement  les  jours  du 
sabbat;  car  ils  tiennent  le  sabbat  pour  un  jour  sacré,  et  ils 
s'y  abstiennent  de  tout  autre  ouvrage.  Mais  s'assemblant  tous 
en  des  lieux  qu'ils  estiment  saints ,  et  qu'ils  appellent  syna- 
gogues, ils  s'assisent  *  tous  selon  leur  rang  et  selon  leur 
âge ,  c'est-à-dire  les  jeunes  au-dessous  des  anciens ,  se  tenant 
tous  en  une  contenance  honnête,  et  avec  toute  l'attentioD 
qu'ils  doivent  avoir.  Lors  il  y  a  un  d'entre  eux  qui  prend  les 
saintes  Ecritures  et  leur  en  lit  quelque  chose;  et  en  même 
temps  un  autre  des  plus  doctes  et  des  plus  habiles,  remar- 
quant les  passages  les  plus  obscurs  qui  s'y  rencontrent,  leur 
en  donne  aussitôt  l'éclaircissement  ;  car  toute  leur  philosophie 
est  cachée  sous  des  figures  et  sous  des  allégories,  à  l'imitation 
de  celle  des  anciens  philosophes. 

Ils  sont  instruits  dans  la  sainteté ,  dans  la  justice ,  dans  la 
science  de  bien  gouverner  les  familles  et  les  républiques,  dans 
la  connoissance  de  ce  qui  est  véritablement  bon  ou  de  ce  qui 
est  véritablement  mauvais,  et  de  ce  qui  est  indifférent,  dans 
la  pratique  des  choses  honnêtes,  et  dans  la  (iiite  de  celles  qui 

r.  Voy(*7.  ci-desAus,  p.  546,  note  i. 


D£S  £SS£NIEÎNS.  667 

leur  sont  coatraires,  apprenant  à  se  conduire  sur  trois  prin- 
cipes ou  sur  trois  règles  fondamentales  :  l'amour  de  Dieu, 
l'amour  de  la  vertu,  et  Tamour  du  prochain. 

L*amour  qu'ils  ont  pour  Dieu  paroît  en  une  infinité  de 
choses  :  premièrement,  (>ar  la  chasteté  continuelle  et  invio- 
lable qu'ils  gardent  toute  leur  vie  ;  ensuite  par  l'horreur  qu'ils 
ont  de  tout  jurement  et  de  tout  mensonge  ;  et  par  la  créance  où 
ils  sont  que  Dieu  est  Fauteur  de  tous  les  biens,  et  qu'il  ne  le 
peut  être  d'aucun  mal. 

L'amour  qu'ils  ont  pour  la  vertu  paroît  en  ce  qu'ils  n'aiment 
ni  les  richesses,  ni  la  gloire,  ni  les  plaisirs;  il  paroît  encore 
par  leur  tempérance  et  leur  patience,  par  leur  frugalité,  par 
la  simplicité  de  leur  vie,  par  la  facilité  de  leur  humeur,  par 
leur  modestie,  par  le  respect  qu'ils  portent  aux  lois,  par  l'uni- 
formité de  leurs  actions,  et  par  toutes  les  autres  choses  sem- 
blables. 

Enfin  ils  font  paroître  l'amour  qu'ils  ont  pour  le  prochain 
par  l'union  et  l'égalité  parfaite  et  inexplicable  dans  laquelle 
ils  vivent  les  uns  avec  les  autres,  et  par  la  communauté  de 
biens  dont  ils  font  profession,  et  dont  je  crois  qu'il  ne  sera 
pas  mal  à  propos  de  dire  ici  quelque  chose. 

Premièrement,  nui  d'eux  n'a  aucun  logement  qui  ne  lui 
soit  commun  avec  tous  les  autres;  car  outre  qu'ils  vivent 
plusieurs  en  une  même  communauté ,  ils  y  reçoivent  aussi  à 
bras  ouverts  ceux  de  leur  profession  qui  les  viennent  vi- 
siter. 

Ils  n'ont  qu'un  même  lieu  où  ils  renferment  tous  les  meubles 
et  toutes  les  autres  choses  qui  leur  sont  nécessaires  pour  leur 
ménage;  leurs'  dépenses  sont  communes  aussi  bien  que  leurs 
vêtements  et  leur  nourriture,  mangeant  tous  en  un  même 
réfectoire. 

Je  sais  que  l'on  ne  trouvera  point,  en  quelque  autre  lieu 
que  ce  soit,  des  personnes  qui  n'aient  ainsi  qu'une  même 
maison,  qu'un  même  genre  de  vie,  et  qu'une  même  table. 
Mais  pour  eux,  u' ont-ils  pas  raison  de  le  faire?  puisque  de 
tout  ce  qu'ils  reçoivent  d'ordinaire  à  la  fin  de  la  journée  pour 
récompense  de  leurs  travaux,  ib  ne  s'en  réservent  aucune 

I.  Leuty  »aii8  «,  ei»l  ajouté  eu  marge*,  d'un*  autre  encre* 


558  DES  ESSÉNIENS. 

chose  ;  mais  ils  apportent  tout  en  commun  pour  en  accommoder 
ceux  qui  peuvent  en  avoir  besoin. 

Ils  n'abandonilent  point  leurs  malades  comme  des  personnes 
inutiles  et  qui  ne  peuvent  gagner  de  quoi  vivre,  mais  ils  ont 
toujours  en  réserve  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  les  mala- 
dies ,  et  n'épargnent  rien  qui  puisse  servir  au  soulagement  de 
leurs  malades. 

Ils  honorent  extrêmement  les  vieillards,  et  ils  ont  pour  eux 
le  même  respect  et  le  même  soin,  que  de  généreux  et  chari* 
tables  enfants  auroient  pour  leurs  pères,  leur  donnant  toute 
sorte  d'assistance  corporelle  et  spirituelle. 

Voilà  quelle  est  Texcellence  et  la  sainteté  que  ces  généreux 
athlètes  de  la  vertu  reçoivent  de  la  véritable  philosophie,  qui. 
sans  leur  donner  tous  ces  titres  vains  et  ambitieux  que  les 
philosophes  grecs  s'attribuent,  leur  propose  pour  exercices 
ces  actions  si  saintes  et  si  louables  qui  établissent  Tâme  en 
tme  parfaite  liberté 


LETTRE  DE  L'EGLISE  DE  SMYRNE, 

TOUCHANT  LE  MÀETYBB  DB  SAINT  FOLTCAEPB*. 


L*ËGLiSE  de  Dieu  qui  est  dans  Smyrne,  à  TEglise  de  Dieu 
qui  est  dans  Philomélie*,  et  à  toutes  les  autres  Eglises  de  la 
terre  qui  composent  l'Église  sainte  et  catholique  : 

Que  Dieu  le  père  et  son  fils,  Notre  Seigneur  Jésus-Christ, 
répande  sur  vous,  avec  plénitude,  sa  miséricorde,  sa  paix  et 
son  amour. 

Nos  très-chcrs  frères,  nous  vous  envoyons  le  récit  des  com- 
bats de  quelques-uns  de  nos  martyrs,  et  particulièrement  du 
bienheureux  Poly carpe,  qui  a  conm:ie  scellé  de  son  sang  la 
persécution  que  son  martyre  a  terminée.  Car  il  semble  que 
Dieu  nous  ait  voulu  proposer,  dans  le  martyre  de  ce  saint 
homme,  la  manière  dont  nous  devons  combattre  pour  son 
Évangile.  Il  a  permis  qu'il  ait  été  livré  aux  méchants,  conmie 
le  Seigneur  Ta  bien  voulu  être  lui-même,  afin  que  nous  fus« 


I.  Sur  le  texte  que  Racine  a  traduit,  voyez  ci-dessus,  p.  44 < 
et  441. 

a.  Racine  a  écrit  en  marge  :  «  Euseb.  »  U  a  eu  en  effet  soui 
les  yeux  Eusèbe  *,  comme  le  montre  le  nom  de  PhiloméUe  (ville  de 
la  grande  Piu'ygie)  que  donne  le  texte  de  cet  auteur^  tandis  que 
celui  dTJsserius  a  Philadelphie  (ville  de  Lydie),  dans  le  grec,  et  Phi^ 
lomélie  dans  Tancienne  version  latine  seulement  qui  est  imprimée 
en  regard.  Dans  le  manuscrit  de  Racine,  il  y  avait  d'abord  Philw 
delphie-y  qui  a  été  effacé.  La  lettre ^  qui  était  encyclique,  portait  en 
cet  endroit,  tantôt  un  nom,  tantôt  un  autre,  suivant  qu'elle  était 
envoyée  à  telle  ou  telle  Église. 

*  Livra  IV,  chapitra  xv,  dans  Téditioii  de  1659,  de  même  que  dans  ceUe  de 
Heinichcn,  Leipsig,  1827. 


56o  LETTRE 

sions  ses  imitateurs  et  que  nous  n'ayons  pas  soin  seulement 
de  ce  qui  nous  regarde,  mais  encore  de  ce  qui  regarde  notre 
prochain,  vu  que  c'est  un  devoir  du  véritable  et  parfait  amour 
de  ne  désirer  pas  moins  le  salut  de  tous  ses  frères  que  le  sien 
propre. 

Heureux  donc  et  glorieux  sont  tous  les  martyi"es  qu'on 
souffre  selon  la  volonté  particulière  de  Dieu  (car  la  piété 
chrétienne  nous  oblige  de  reconnoître  la  souveraine  puissance 
de  Dieu  sur  toutes  les  créatures);  mais  qui  n'adnoirera  le 
grand  courage,  l'invincible  patience,  et  l'ardente  charité  de 
ces  illustres  martyrs,  qui,  bien  qu'ils  fussent  tellement  déchi- 
rés à  coups  de  fouets,  que  leurs  veines  mêmes  et  leurs  artères 
se  montroient  à  découvert,  et  que  l'on  pouvoit  discerner  sans 
peine  toute  la  disposition  intérieure  de  leur  corps,  et  enfin 
qu'ils  fussent  réduits  en  un  état  qui  donnoit  de  la  compassion 
et  causoit  des  larmes  aux  plus  insensibles  de  leurs  spectatenrs, 
étoient^  néanmoins  si  constants  et  si  généreux,  qu'on  n'en- 
tendit' jamais  aucun  d'eux  ni  gémir  ni  soupirer? 

En  quoi  ces  martyrs  de  Jésus-Christ  nous  faisoient  bien 
voir  que  durant  toutes  ces  tortures,  ils  étoient  comme'  ab- 
sents de  leur  corps,  ou  plutôt  que  le  Seigneur  lui-même  étoit 
présent  en  eux  et  conversoit  avec  eux;  et  qu'étant  tout  rem- 
plis de  sa  grâce,  ils  méprisoient  ces  peines  passagères,  qui, 
par  un  moment  de  douleur,  leur  faisoient  éviter  une  éternité 
de  peines. 

Les  flammes  dont  leurs  bourreaux  les  environnoieat  n'a- 
voient  point  d'ardeur  pour  ceux  qui  avoient  continuellemeot 
gravés  dans  la  pensée  les  feux  qui  ne  s'éteignent  jamais;  et 
qui  étant  déjà  moins  des  hommes  que  des  anges,  élevoîent' 

t.  M.  Aimé-Martin  donne  :  «  Us  étoient.  »  M.  Aignan  a  fait 
sur  cet  ih  une  note,  que  Texamen  du  manuscrit  lui  eût  épargnée. 

a.  Dans  le  manuscrit  :  «  qu'on  n'entendist.  »  Racine  a-t-il 
voulu,  par  un  latinisme,  comme  nous  en  avons  signalé  phisienn 
dans  la  rie  de  Diogène^  mettre  l'imparfait  du  subjonctif?  On  en  peut 
douter  :  il  écrit  souvent  avec  $t  le  passé  défini  de  IHndîcatif. 

3.  M.  Aimé-Martin  a  omis  comme. 

4.  Le  correcteur  dont  non»  avons  déjà  parlé  plus  haut  ;p.  SSï, 
note  I  )   a  ainsi  modifié   ce  commencement  de  phrase,  que,  dans 


DE  L^EGLISE  DE  SMYKNE.  56i 

sans  cesse  les  yeux  de  leur  âme,  ou  plutôt  Dieu  même  tenoit 
sans  cesse  leur  âme  élevée  vers  ces  biens  du  ciel  qui  sont  ré- 
servés à  ceux  qui  auront  persévéré  jusques  à  la  fin  :  ces  biens 
que  l'oreille  n'a  point  entendus,  que  l'œil  n'a  point  vus,  et  que 
l'esprit  de  l'homme  n'a  jamais  compris. 

Us  ne  souflfroient  pas  avec  moins  de  générosité  la  fureur 
des  bètes  auxquelles  on  les  exposoit,  les  pointes  des  pierres 
aiguës,  des  écailles  de  poissons  sur  lesquelles  on  les  couchoit*, 
et  les  rigueurs  d'une  infinité  d'autres  tortures  auxquelles  le 
tyran  les  appliquoit  afin  de  leur  faire  abjurer  la  foi  par  ces 
tourments  si  cruels. 

Il  n'y  a  point  aussi  d'artifice  dont  le  diable  ne  se  soit  avisé 
pour  les  surprendre  ;  mais  grâces  à  Dieu,  ils  n'ont  pas  tous 
succombé  à  ses  efiorts,  la  constance  de  l'illustre  Germanique  ^ 
ayant  servi  beaucoup  à  fortifier  la  foiblesse  de  ses  compa- 
gnons. Car  lorsqu'il  eut'  été  exposé  aux  bètes  farouches,  il  fut 
si  éloigné  de  s'arrêter  aux  vains  discours  du  proconsul  qui 
l'exhortoit  d'avoir  compassion  de  son  jeune  âge,  qu'il  força 
même  la  bête  de  se  jeter  sur  lui,  et  de  le  dévorer  :  tant  il 
souhaitoit  de  se  voir  délivré^  d'une  vie  qui  n'est  que  corrup- 
tion et  que  péché'.  Ce  fut  lors  que  le  peuple,  tout  étonné  du 
courage  inébranlable  de  ces  saints  disciples  de  Jésus-Christ, 


notre  texte,  nous  avons  reproduit  tel  que  Racine  l'avait  d'abord 
écrit,  bien  qu'il  soit  effacé  dans  le  manuscrit,  et  que  le  jeune  tra- 
ducteur ait  probablement  goûté  et,  non  sans  raison,  adopté  la  cor- 
rection :  «  Les  flammes  dont  leurs  bourreaux  inhumains  les  enri- 
ronnoient  leur  paroissoient  froides  parce  qu'ils  ne  pensoient  qu'à 
se  garantir  de  celles  qui  ne  s'éteignent  jamais,  et  qu'étant  déjà 
moins  des  anges  que  des  hommes,  ils  élevoient,  etc.  » 

I .  Cette  phrase  a  été  traduite  plutôt  d'après  le  texte  d'Eusèbe, 
que  d'après  celui  d'Usserius,  un  peu  moins  développé  en  cet  en- 
droit. 

a.  Martyr  dont  les  martyrologes  latins  placent  la  fête  au  19  jan- 
vier. 

3.  Dans  l'autographe  :  eust. 

4-   Délivré  a  été  substitué  à  délivrer, 

5.  U  y  avait  d'abord  :  «  Comme  s'il  se  fût  hâté  de  se  délivrer 
de  la  compagnie  criminelle  de  ces  impies.  »  —  En  marge  :  «  Eu- 
seb.  » 

J.  Racirb.  y  3H 


S6%  LETTRE 

commença  à  crier  :  «  Perdez  les  impies;  que  l'on  cherche 
Polycarpe!  » 

Mais  un  Phrygien  nomme  Quintus,  nouvellement  venu  de 
Phrygie,  ayant  vu  les  bêtes  auxquelles  on  le  menaçoit  de  l'ex- 
poser ^  se  laissa  aller  à  la  crainte  qu'elles  lui  donnèrent.  Cet 
homme  s'ëtoit  venu  présenter  de  lui-même,  et  avoit  persuade 
à  quelques  autres  de  le  suivre  ;  mais  enfin  le  proconsul  le  ga- 
gna si  bien  par  ses  conseils  et  par  ses  prières,  qu'il  le  fit  ré- 
soudre à  jurer  par  la  fortune  de  César,  et  à  sacrifier  aux  ido- 
les. C'est  pourquoi,  nos  très-chers  frères,  nous  ne  pouvons 
approuver  que  Ton  aille  ainsi  se  présenter  de  soi-même, 
comme  en  effet  ce  n'est  point  là  ce  que  l'Évangile  nous  en- 
seigne. 

Quant  à  l'admirable  Polycarpe,  ayant  su  tout  ce  qui  se  pas- 
soit,  il  en  fut  si  peu  troublé  qu'il  ne  vouloit  pas  même  sortir 
de  la  ville;  mais  voyant  que  tout  le  monde  le  lui  conseilloit, 
il  se  retira  dans  une  petite  maison  de  campagne  qui  n'en  étoit 
pas  fort  éloignée,  et  il  demeura  là  quelque  temps,  sans  en 
sortir  ni  jour  ni  nuit,  et  sans  y  avoir  auctme  autre  occupa- 
tion que  de  prier  pour  tout  le  monde,  et  pour  la  paix  [de] 
toutes  les  Églises  de  la  terre,  selon  sa  coutume.  Il  eut  même, 
en  priant,  ime*  vision,  trois  jours  avant  que  d'être  pris,  dans 
laquelle  il  lui  sembla  voir  le  chevet  de  son  lit  tout  en  feu;  et 
s'étant  tourné  à  l'heure  même  vers  ceux  qui  étoient  près  de 
lui,  il  leur  dit,  par  un  esprit  de  prophétie,  qu'il  devoit  être 
brûlé  tout  vif. 

Cependant  ceux  qui  le  cherchoient  n'épargnant  aucune  peine 
pour  le  trouver,  et  étant  déjà  proches  de  ce  lieu,  il  se  retira 
encore  dans  une  autre  petite  maison  de  campagne;  et  aussitôt 
ses  persécuteiurs  arrivèrent  à  celle  dont  il  venoit  de  sortir. 
Mais  voyant  bien  qu'il  n'y  étoit  pas,  ils  se  saisirent  de  deux 


I .  Racine  avait  d'abord  écrit  :  «  auxquelles  on  le  Tonloit  antiî 
exposer.  »  Dans  le  texte  donné  par  Usserias,  il  y  a  simplement  : 
?Bâ>v  tdt  Oi]p(a  ;  mais  dans  celui  d'Eusèbe  :  ÏZ&na  toIk  ^p«(,  sc\  tiç 
hci  TO^TOiç  dbcEiXd(.  C'est  donc  encore  ici  Eusèbe  que  Racine  a  soi* 
vi  :  aussi  a-t-il  de  nouveau,  en  cet  endroit ,  écrit  à  la  mârfe  : 
«  Euseb.  » 

a.  En  marge  :  Mus.  (Eusèbe). 


DE  L'EGLISE  DE  SMTRNE.  563 

jeunes  garçons  qui  s'y  trouvèrent,  dont  Tun,  ne  pouvant  ré- 
sister aux  tourments,  fut  contraint  de  découvrir  le  lieu  où  le 
saint  vieillard  s'en  étoît  allé.  Aussi  bien  il  ne  lui  étoit  pas 
possible  de  demeurer  plus  longtemps  caché,  vu  que  quelques- 
uns  même  de  ses  domestiques  le  trahissoient.  D'ailleurs,  un 
des  intendants  de  la  police,  nommé  Hérode,  n'avoit  rien  tant 
à  cœur  que  de  le  produire  dans  l'amphithéâtre  :  ce  qui  devoit 
faire  entrer  Polycarpe  dans  l'héritage*  du  ciel,  et  le  rendre 
participant  de  la  gloire  de  Jésus-Christ,  au  lieu  que  ceux  qui 
le  tralussoient  se  rendroient  compagnons  du  supplice  de  Ju- 
das. 

Ainsi  ses  persécuteurs,  ayant  pris  ce  jeune  garçon  en  leur 
compagnie,  partirent  le  même  jour,  qui  étoit  le  vendredi, 
vers  l'heure  du  souper,  et  s'en  allèrent  armés  et  à  cheval  après 
ce  saint  vieillard,  conmie  des  archers  après  quelque  insigne 
voleur.  Et  étant  arrivés  la  nuit  à  la  maison  où  il  étoit,  ils  le 
trouvèrent  couché  dans  une  des  chambres  d'en  haut  ;  et  quoi- 
qu'il lui  fût  assez  facile  de  se  retirer  encore  de'  ce  lieu  en  un 
autre ,  il  ne  le  voulut  point  entreprendre,  disant  :  «  Que  la 
volonté  de  Dieu  soit  faite.  j>  Ayant  donc  su  que  ces  gens  l'atten- 
doient,  il  descendit  en  bas,  où  il  leur  tint  quelques  discours, 
pendant*  qu'ils  s'étonnoient  tous  devoir,  dans  un  âge  si  avancé, 
une  constance  si  admirable,  et  que  quelques-uns  même  d'en- 
tre eux  disoient  :  «  £toit-ce  donc  pour  prendre  ce  vieillard 
vénérable  que  nous  nous  sommes  donné  tant  de  peine?  » 

Polycarpe  commanda  que  l'on  leur  apprêtât  à  manger  à 
l'heure  même,  autant  qu'ils  desireroient ,  et  les  supplia  de 
lui  accorder  seulement  une  heure,  pour  prier  en  liberté  :  ce 
qu'ayant  obtenu,  il  commença  à  prier  debout  et  à  haute  voix  ; 
mais  la  grâce  de  Dieu  dont  il  étoit  rempli  lui  fit  faire  cette 
prière  avec  tant  de  ferveur,  qu'il  fut  même  plus  de  deux 
heures  sans  la  pouvoir  finir,  et  que  tous  ceux  qui  étoient  pré- 

t .  Dans  le  texte  gfec  il  y  a  un  jeu  de  mot«,  que  Racine  n'a  pa 
traduire,  sur  xXîJpoc  (héritage)  et  )(Xi)pov6(MK,  terme  ici  assez  obscur 
appliqaé  à  Hërode  outre  le  titre  de  û^Houçt^. 

3.  0  y  a  dans  le  manuscrit,  devant  «  pendant,  »  e/,  non  effacé, 
et  cêy  effacé.  Au  lieu  de  «  pendant  qu*ils  s'étonnoient,  t  Racine 
avait  probablement  d'abord  voulu  tourner  ainsi  :  «  et  cependant 
ils  sVtonnoient.  » 


564  LETTRE 

sents,  admirant  une  si  grande  ferveur,  ne  pouvoient  voir  sans 
quelque  regret  qu'un  vieillard  si  sage  et  si  vénérable  dût  être 
livré  à  la  mort. 

Après  qu'il  eut  achevé  cette  prière,  dans  laquelle  il  s  étoit 
souvenu  de  tous  ceux  qui  ctoient  jamais  venus*  à  sa  coonois- 
sance,  soit  grands  ou  petits,  illustres  ou  inconnus,  et  généra- 
lement de  toute  l'Eglise  catholique  et  universelle,  Theore  de 
partir  étant  veuue,  on  le  mit  sur  un  âne,  et  on  l'amena  ainsi 
vers  la  ville,  le  jour  du  grand  samedi  (c'est-à-dire  le  samedi 
saint)*.  Il  eut  à  sa  rencontre  Hérode, ce  magistrat  dont  nous 
avons  parlé,  qui  étoit  avec  son  père  Nicétès,  dans  un  chariot, 
où  ayant  fait  monter  le  saint  vieillard,  ils  employoient  toutes 
sortes  de  belles  paroles  pour  le  fléchir  :  «  Car  enfin,  lui  di- 
soient-ils,  quel  mal  trouvez-vous  qu'il  y  ait  à  donner  à  César 
le  nom  de  Seigneur,  à  sacrifier,  et  à  faire  quelques  autres 
choses  semblables  pour  vous  garantir  de  la  mort?  »  D'abord 
Polycarpe  ne  leur  voulut  point  répondre  ;  mais  se  voyant 
pressé  :  c  Je  ne  ferai  rien,  leur  dit-il,  de  ce  que  vous  me  coq- 
seillez.  9  Si  bien  que  désespérant  de  le  pouvoir  vaincre,  ils  le 
chargèrent  de  mille  injures,  et  le  poussèrent  d'une  telle  vio- 
lence hors  du  chariot,  qu'il  tomba  à  terre,  et  s'éoorcha,  eo 
tombant,  tout  l'os  de  la  jambe.  Mais  sans  s'étonner  le  mcûns 
du  monde,  et  comme  s'il  ne  lui  fût  rien  arrivé  du  tout,  ii 
poursuivit  gaiement,  et  avec  vitesse,  tout  le  chemin  qui  re^ 
toit  encore  jusqu'à  l'amphithéâtre  où  on  le  menoit,  et  où  le 
bruit  et  la  confusion  étoit  lors  si  grande  que  personne  ne  s'y 
pouvoit  faire  écouter. 

A  peine  Polycarpe  y  eut  mis  le  pied,  que  l'on  entendit  une 
voix  du  ciel  qui  lui  disoit  :  c  Ayez  bon  courage,  Polycarpe,  et 
armez-vous  de  constance.  »  Personne  ne  vit  celui  qui  avoit 
parlé;  mais  quant  à  la  voix,  elle  fut  entendue  de  tous  ceai 

t.  Dans  l'édition  de  M.  Aimé-Martin  on  a  imprimé  :  «  De  tout 
ceux  qui  tiétolent  jamais  venus.  »  M.  Aignan,  croyant  cette  fois 
encore  commenter  une  phrase  de  Racine,  dit  :  «  D  est  difficile  de 
comprendre  qu'on  se  souvienne  de  ceux  qu*on  ne  connoit  pas;  fart 
mention  étoit  peut-être  le  mot  propre.  » 

a.  Les  mots  que  nous  avons  mis  entre  parenthèses  sont  ose 
glose  de  Racine.  Sur  le  sens  des  mots  grecs  90(66^hou  (iSY^Xmi,  TDjn 
ci -après,  p.  571,  note  1. 


DE  L'EGLISE   DE  SMYKNE.  SCS 

des  nôtres  qui  étoient  présents.  Enlin  Poly carpe  étant  entré,  il 
s'éleva  aussitôt  un  grand  bruit  parmi  le  peuple,  dès  qu'il  en- 
tendit seulement  que  Poly  carpe  étoit  pris.  Le  proconsul  le  fit 
approcher,  et  lui  demanda  s'il  étoit  celui  que  l'on  nommoit 
Polycarpe  :  ce  que  le  martyr  ayant  avoué,  le  proconsul  essaya 
par  beaucoup  de  raisons  à  lui  faire  abjurer  la  foi,  en  lui  di- 
sant :  «  Ayez  vous-même  quelque  respect  pour  votre  âge,  »  et 
toutes  les  autres  choses  qu'ils  ont  coutume  de  dire  en  ces  ren- 
contres. «  Jurez,  ajouta-t-il,  par  la  fortune  de  César,  repentez- 
vous  de  votre  erreur,  et  dites  :  Perdez  les  impies.  » 

Ce  fut  lors  que  Polycarpe  ayant  regardé  d'un  visage  grave 
et  assuré  toute  la  multitude  de  ses  spectateurs ,  et  leur  ayant 
imposé  silence  de  la  main ,  éleva  ensuite  les  yeux  au  ciel ,  et 
dit  en  gémissant  :  «  Oui,  mon  Dieu,  perdez  les  impies.  »  Le 
proconsul,  non  content  de  cela,  lui  dit  :  «  Jurez,  et  je  vous 
rends  la  liberté  ;  blasphémez  Jésus-Christ.  —  Il  y  a  quatre- 
vingt-six  ans  que  je  le  sers,  répondit  Polycarpe,  et  jamais  il 
ne  m'a  fait  aucun  mal.  Comment  pourrois-je  blasphémer  mon 
roi  et  mon  sauveur?  » 

Le  proconsul  persistant  toujours  à  lui  dire  qu'il  jurût  par 
la  fortune  de  César  :  a  Si  vous  prétendez  encore,  lui  dit  Poly- 
carpe, de  me  faire  jurer  par  la  fortune  de  César,  comme  vous 
dites,  parce  que  vous  ne  savez  pas  qui  je  suis,  je  ne  vous  le 
cèle  point,  je  suis  chrétien.  Et  si  vous  voulez  savoir  ce  que 
c'est  que  d'être  chrétien,  donnez*moi  du  temps ,  et  je  vous  en 
informerai.  »  Le  proconsul  lui  dit  :  «  Justifiez-vous  devant  le 
peuple.  —  Pour  ce  qui  est  de  vous,  répondit  Polycarpe,  je  ne 
dédaignerai  pas  de  vous  parler  sur  ce  sujet  ;  car  les  chrétiens 
appreiment  à  rendre  aux  puissances  et  aux  grandeurs  établies 
de  Dieu  l'honneur  qu'on  leur  doit,  lorsque  cet  honneur  ne 
blesse  point  leur  religion;  mais  quant  à  cette  populace,  nous 
ne  croyons  pas  qu'elle  mérite  que  nous  défendions  notre  in- 
nocence devant  elle.  » 

Le  proconsul  lui  dit  :  «  J'ai  des  bêtes  sauvages  auxquelles  je 
vous  ferai  exposer  si  vous  ne  vous  repentez  de  votre  erreur.  — 
Faites-les  venir,  dit  Polycarpe;  car  nous  ne  savons  ce  que 
c'est  que  de  nous  repentir  du  bien  pour  suivre  le  mal,  et  il 
n'y  a  que  l'iniquité  dont  on  se  doive  repentir,  afin  d'embrasser 
la  justice.  »  Le  pi*oc()nsul  lui  dit  :  <i  .Si  vous  ne  vous  repentez. 


566  LETTRE 

je  vous  ferai  d<Svorer  par  les  flammes,  puisque  les  bètes  ne 
vous  foDt  point  de  peur.  »  Mais  Polycarpe  lui  répondit  : 
«  Vous  me  menacez  d'un  feu  qui  ne  brûle  que  pour  qd 
temps,  et  qui  s'éteint  un  moment  après  :  c'est  sans  doute  que 
vous  ne  oonnoissez  pas  qu'il  y  a  dans  l'autre  vie  un  feu  qui 
brûle  toujours,  et  où  les  impies  doivent  être  éternellement 
punis.  Mais  que  tardez-vous?  Faites  de  moi  ce  que  vous  vou- 
drez. » 

Pendant  qu'il  disoit  ces  choses ,  et  beaucoup  d'autres  sem- 
blables, l'on  voyoit  naître  en  lui  une  force  et  une  joie  tonte 
nouvelle,  jusque-là  que  l'on  remarqua  même  une  grâce  ex- 
traordinaire sur  son  visage  ;  et  il  s'étonnoit  si  peu  de  tout  ce 
qu'on  lui  disoit,  que  le  proconsul  en  étoit  lui-même  tout 
épouvanté.  Mais  enfin  il  envoya  un  héraut  pour  crier  trois 
fois  au  milieu  de  l'amphithéâtre  :  c  Polycarpe  a  confessé  qa'3 
est  chrétien.  »  Aussitôt  après  ce  cri,  toute  la  multitude  des 
païens  et  des  Juifs  qui  étoient  datns  Smyrne,  étant  comme 
ransportée  de  fureur,  commença  à  crier  de  toute  sa  force  : 
«  C'est  le  docteur  de  l'impiété  dans  toute  l'Asie  ;  c'est  le  père 
des  chrétiens;  c'est  le  destructeur  de  nos  dieux;  c'est  celui 
qui  enseigne  à  tout  le  monde  de  ne  leur  point  sacrifier  et 
de  ne  les  point  adorer.  »  Et  en  même  temps  ib  crierait  à  m 
surintendant  des  jeux ,  nommé  Philippe ,  qu'il  lâchât  un  Ikn 
sur*  Polycarpe.  Mais  cet  homme  leur  ayant  dit  qu'il  ne  k 
pouvoit  pas,  parce  que  le  temps  de  sa  diarge  étoit  expiré,  ib 
crièrent  tous  unanimement  que  Polycarpe  fût  brûlé  tout  vif; 
car  il  falloit  que  la  vision  qu'il  avoit  eue  lorsqu'en  priant  0 
vit  le  chevet  de  son  lit  tout  en  feu  fût  accomplie ,  aussi  bien 
que  les  paroles  qu'il  avoit  dites  alors  par  esprit  de  prophétie', 
en  se  retournant  vers  les  fidèles  qui  étoient  avec  lui  :  «  il 
faut,  leur  dit-il,  que  je  sois  brûlé  tout  vif.  » 

Cette  voix  du  peuple  fut  aussitôt  suivie  de  l'effet  :  cette  fb- 
rieuse  multitude  ramassa  promptement  dans  les  boutiques  et 
dans  les  bains  tout  le  bois  qui  étoit  nécessaire  pour  le  feu  : 
en  quoi  les  Juifs  signaloient  leur  ardeur  par-dessus  tous  k$ 
autres,  selon  leur  coutume. 

Ainsi,  le  bûcher  étant  dressé,  le  saint  martyr  se  dépouilla  de 

I .  II  y  a  prophéties^  au  pluriel,  dans  rantographe. 


DE  L'ÉGLISE  DE  SMYRNE.  ^G'j 

ses  vêtements,  quitta  sa  robe ,  et  commença  à  se  déchausser, 
ce  que  peut-être  il  n'avoit  encore  jamais  fait,  chaque  fidèle 
s'ëtant  toujours  empressé  de  lui  rendre  ce  pieux  office,  afin  de 
trouver  par  là  le  moyen  de  baiser  ses  pieds  sacrés  :  tant  son 
extraordinaire  sainteté  le  rendoit  vénérable  à  tout  le  monde 
avant  son  martyre.  L'on  apprêta  donc  aussitôt  tous  les  instru- 
ments dont  il  étoit  besoin  ;  mais  comme  il  vit  que  Ton  le  vou- 
loît  clouer  à  un  poteau  :  a  Laissez-moi,  dit-il,  en  cette  posture. 
Celui  qui  me  donne  le  courage  d'attendre  le  feu  sans  le  craindre 
me  donnera  aussi  la  force  d'y  demeurer  ferme ,  sans  que  je 
sois  attaché  avec  des  clous.  j> 

Ainsi,  on  ne  le  cloua  point,  et  on  se  contenta  de  le  lier 
avec  des  cordes,  après  qu'il  eut  lui-même  présenté  ses  mains 
derrière  le  poteau  afin  d'y  être  attaché.  Ce  fut  en  cet  état  que, 
comme  un  illustre  agneau  choisi  du  milieu  du  grand  troupeau 
de  l'Église,  et  préparé  pour  être  immolé  en  holocauste  agréable 
à  Dieu,  il  éleva  les  yeux  au  ciel ,  et  parla  de  cette  manière  : 
«  Seigneur,  Dieu  tout-puissant,  père  de  Jésus-Christ,  votre 
cher  fils,  qui  doit  être  béni  de  tous  les  hommes,  et  par  qui 
nous  avons  reçu  la  connoissance  de  votre  nom;  Dieu  des 
anges  et  des  puissances,  aussi  bien  que  de  toutes  les  créatures, 
et  particulièrement  de  tous  les  justes  qui  marchent  en  votre 
présence,  je  vous  bénis  de  ce  que  vous  me  faites  la  grftce , 
en  ce  jour  et  à  cette  heure,  de  me  mettre  au  nombre  de  vos 
martyrs,  en  me  faisant  boire  le  calice  de  Jésus-Christ,  votre 
fils,  pour  entrer,  par  l'incorruption  de  votre  Esprit  saint, 
dans  la  résurrection  et  la  vie  étemelle  de  l'âme  et  du  corps, 
après  que  j'aurai  été  offert  aujourd'hui  devant  vos  yeux 
comme  un  sacrifice  agréable  et  parfait,  selon  que  vous  l'aviez 
déjà  ordonné,  que  vous  me  l'aviez  montré  par  avance,  et  que 
vous  l'accompUssez  présentement,  ô  Dieu  qui  êtes  toujours 
véritable  et  toujours  fidèle.  C'est  pour  cette  grâce  et  pour 
toutes  les  autres  que  je  vous  loue,  que  je  vous  bénis,  et  que 
je  vous  glorifie,  avec  Jésus-Christ,  votre  cher  fils,  qui  est 
l'éternel  dans  le  ciel,  à  qui,  comme  à  vous  et  au  Saint-Esprit, 
gloire  soit  maintenant'  et  dans  tous  les  siècles  à  venir.  Amen.  » 

I .  Racine  avait  d*abord  ëcrit  :  «  que  je  voua  bënis,  et  que  je 
vous  rends  gloire,  à   vous,  et  à  votre  fils  bien-aimé,  Jésus-Christ, 


568  LETTRE 

Il  n'eut  |Mis  plus  tôt  prtinoncé  cette  dernière  parole  que  les 
bourr^m  mirent  le  feu  au  bûcher,  qui  ayant  jeté,  à  riieure 
même,  une  flamme  éclatante,  nous  vîmes  un  miracle  véritable- 
ment grand;  et  Dieu  a  voulu  que  nous  le  vissions,  afin  que 
nous  publiassions  ces  merveilles  à  toute  la  terre  ;  car  cette 
flamme  se  courbant  en  forme  d'arc,  ou  oonmie  le  vinle  d'un 
vaisseau  enflé*  par  les  vents,  enveloppoit  et  environnoit  de 
toutes  parts  le  saint  martyr,  dont  le  corps  étoit  au  milieu  des 
feux,  non  point  comme  une  chair  qui  griUoit,  mais  conmie  un 
pain  qui  cuisoit,  ou  comme  de  Tor  et  de  l'argent  qui  se  pu- 
rifloit  dans  le  fourneau;  car  nous  sentîmes  même  une  odeur 
excellente  qui  en  sortoit,  comme  si  c'eût  été  de  l'encens  qu'on 
eût  brûlé,  ou  de  quelque  autre  parfum  précieux  qu'on  eût  ré- 
pandu. 

Les  idolâtres  s'étant  donc  aperçus  que  le  corps  de  Poly- 
carpe  ne  pouvoit  être  consumé  par  les  flammes,  commandèrent 
à  un  bourreau  de  s'approcher  de  lui,  et  de  lui  plonger  un 
poignard  dans  le  sein.  Il  exécuta  leur  commandement,  et 
aussitôt  il  sortit  de  la  plaie  une  colombe  ^  qui  fut  suivie  d'une 
si  grande  abondance  de  sang  que  le  feu  en  hit  tout  éteint: ce 
qui  fit  admirer  à  tous  les  spectateurs  l'extrême  différence 
qu'il  y  a  entre  les  infidèles  et  les  élus ,  du  nombre  desquels 
étoit  Poly carpe,  cet  admirable  martyr,  ce  docteur  vraiment 
apostolique  et  prophétique  de  notre  siècle ,  et  enfin  ce  grand 
évèque  de  l'Église  catholique  de  Smyrne,  qui  n'a  jamais  pro- 
noncé aucune  parole  qui  n'ait  été  accomplie,  ou  qui  ne  doive 
^'accomplir  un  jour. 

Mais  cet  adversaire  malicieux  et  jaloux  du  Ixmheur  des 
justes,  considérant  la  gloire  du  martyre  de  ce  saint  et  la  con- 
duite irréprochable  de  tout  le  reste  de  sa  vie ,  et  voyant  bien 
qu'il  ne  lui  pouvoit  ravir  la  couronne  d'immortalité  qu'il  avoît 
reçue,  et  le  prix  qu'il  avoit  si  justement  remporté  par  sa 
course,  fit  tous  ses  efforts  pour  nous  ravir  au  moins  la  pos- 

rétemel  et  souverain  prêtre,  par  qui  gloire  soit  à  tous,  à  lui,  et  a« 
Saint-Esprit,  maintenant....  » 

t.  Il  j  a  bien  dans  le  manuscrit  :  «  le  Toile enflé  »,  et  d<» 

ia  ¥oîU  enflée. 

9.  Il  n'est  pas  parlé  de  edomhe  dans  le  texte  d'Eus^be,  mais  seu- 
lement dans  celui  d'Usserius.  » 


DK   L'ÉGLISE  DE  SMYR>E.  ^69 

Âe&sion  de  ses  reliques,  lorsque  plusieurs  des  nôtres  se  prépa- 
roient  à  les  recueillir,  pour  satisfaire  à  Tardent  désir  que  nous 
avions  de  voir  un  corps  si  saint  au  milieu  de  nous; 

Il  suggéfa  donc  à  Nicëtès,  père  d'Hérode  et  frère  d'une 
femme  nommée  Alcès.  d'aller  trouver  le  proconsul  pour  le 
prier  de  n'accorder  point  aux  chrétiens  le  corps  du  martyr, 
de  peur,  disoit-il,  qu'ils  ne  commençassent  à  l'adorer,  et 
n'abandonnassent  même  leur  Jësus  crucifie  :  en  quoi  il  étoit 
secondé  par  les  Juifs  qui  sollicitoient  la  même  chose  très-ar- 
demment, nous  ayant  déjà  empêchés  de  retirer  ce  saint  corps 
du  milieu  du  feu.  Ils  ignoroient  sans  doute  que  les  chrétiens 
ne  peuvent  abandonner  Jésus-Christ,  qui  est  mort  pour  le 
salut  de  tous  ceux  qui  sont  sauvés,  et  qu'ils  n'en  adoreront 
jamais  d'autres.  Car,  pour  ce  qui  est  de  Jésus-Christ,  nous 
l'adorons  comme  fils  de  Dieu  ;  mais  quant  aux  martyrs,  nous 
les  honorons  comme  les  vrais  disciples  et  les  imitateurs  du 
Seigneur,  et  nous  les  aimons  autant  que  mérite  l'amour  ex- 
trême qu'ils  ont  eu  pour  leur  roi  et  pour  leur  maître,  priant 
Dieu  qu'il  nous  fasse  la  grâce  de  les  suivre  dans  la  vertu, 
et  de  les  accompagner  dans  la  gloire. 

Lors  un  centenier,  voyant  le  bruit  que  faisoient  les  Juifs 
sur  ce  sujet,  prit  le  corps  du  martyr,  et  le  fit  jeter  au  milieu 
du  feu  pour  être  brûlé.  Mais  cela  ne  nous  empêcha  pas  de 
recueillir  ensuite  ses  os  et  se^  cendres,  qui  étoient  un  trésor 
pour  nous  plus  estimable  que  l'or,  et  plus  riche  que  les  pierres 
les  plus  précieuses ,  afin  de  les  mettre  dans  quelque  lieu  vé- 
nérable et  digne  de  leur  sainteté.  Et  c'est  là  que  nous  espé- 
rons de  Dieu  la  grâce  de  célébrer  tous,  avec  allégresse  et 
avec  joie,  l'heureux  jour  de  sa  divine  naissance ,  afin  d'hono- 
rer la  mémoire  de  ces  généreux  athlètes  de  Jésus^hrist,  et 
de  laisser  à  la  po.stérité  chrétienne  l'exemple  de  leur  zèle  et 
de  leur  ardeur,  afin  qu'elle  s'efibrce  de  l'imiter. 

Voilà,  nos  très-chers  frères,  tout  ce  qui  s'est  passé  à 
Smyme  touchant  le  martyre  que  le  bienheureux  Poiycarpe  y 
a  soufiert,  avec  douze  autres  disciples  de  Jésus-Christ,  venus 
de  Philadelphie;  mais  sa  gloire  a  tellement  éclaté  au-dessus 
de  tous  les  autres,  que  l'on  n'entend  que  son  nom  dans  la 
bouche  de  tout  le  monde,  jusque-là  même  que  les  païens  ne 
saurojent  s'empAcher  de  publier  ses  louanges  de  toutes  parts. 


ri7o  LETTRE 

Il  n'y  a  personne  qui  n'en  parle,  non-seulement  comme  d'un 
des  plus  excellents  maîtres  de  l'Église,  mais  comme  d'un  de 
ses  plus  illustres  martyrs,  et  qui  ne  désire  très-ardemment 
de  pouvoir  imiter  un  martyr  si  saint  et  si  conforme  à  l'Évan- 
gile de  Jésus-Christ  ;  car  ayant  surmonté  par  sa  constance  la 
cruauté  d'un  juge  inhumain,  et  ayant  reçu  par  ce  moyen  la 
couronne  de  l'immortalité,  il  se  réjouit  maintenant  en  la  com- 
pagnie des  apôtres  et  de  tous  les  justes  ;  il  glorifie  Dieu  le 
père,  et  bénit  son  fils.  Notre  Seigneur,  le  sauveur  de  nos 
âmes,  le  gardien  de  nos  corps,  et  le  souverain  pasteur  de 
l'Église  catholique  répandue  par  toute  la  terre.  Voilà  les  choses 
dont  vous  nous  aviez  demandé  un  ample  récit,  mais  dont  nous 
ne  vous  envoyons,  pour  le  présent,  par  notre  frère  Marc, 
qu'une  courte  relation.  Au  reste,  nous  vous  prions  que,  quand 
vous  l'aurez  lue,  vous  en  fassiez^  part  à  tout  le  reste  de  nos 
frères,  afin  qu'ils  rendent  aussi  gloire  à  Dieu,  qui  sait  si  hmi 
choisir  ses  fidèles  serviteurs,  et  qui,  en  nous  communiquant 
sa  grâce  et  ses  dons,  nous  peut*  faire  tous  entrer  dans  son 
royaume  étemel,  par  Jésus-Christ,  son  fils  unique,  à  qui 
soit  gloire ,  honneur ,  force  et  grandeur  dans  tous  les  siècles. 
Amen. 

Saluez  de  notre  part  tous  les  saints.  Nous  vous  saluons  tous 
aussi;  et  Évariste,  qui  a  écrit  la  présente  lettre,  vous  salue, 
lui  et  toute  sa  maison. 

Saint  '  Polycarpe  soufirit  le  martyre  le  a6.  de  mars  ^,  le 


X.  Racine  a  écrit  :  «  tous  en  faisiez.  » 

9.  Outre  ce  peui,  II  y  en  a  un  autre  dans  le  manuscrit,  après  jm, 
à  la  ligne  précédente. 

3.  Dans  ce  dernier  alinéa,  traduit  sur  le  texte  d'Usserius,  récri- 
ture de  Racine  n'est  pas  tout  à  fait  la  même  que  dans  les  pages  qui 
précèdent;  il  parait  avoir  été  ajouté  un  peu  plus  tard. 

4.  Racine  a  suivi  Usserius,  qui  par  les  mots  fjurjvbç  ÇovOtxoO  t&t- 
xi^  entend  le  a6  mars.  «  A  Smyme,  dit-il,  où  Poiycaipe  a  souffert 
le  martyre,  on  commençait  le  mois  appelé  xantkique  le  aS  mars.  >• 
Voyez  son  ouvrage  :  Ignatii....et  Poljcarpi....  martjrria, k  la  page  69, 
et  aussi  a  la  page  70,  où  il  corrige  la  phrase  :  irpb  brch.  xaXovSûY 
Maftov.  Dans  les  Notes  de  Henri  de  Valois,  dont  Racine  n*a  pas  tenu 
compte  ici,  quoiqu'elles  soient  à  la  suite  du  texte  d'Eusèhe  dans 
l'édition  de  1659,   il  est  dit  (p.  70)  qu'à  Smyme  le  mois   xan- 


DE  L*ÉGLISE  DE  SMTRNE.  571 

jour  du  grand  samedi  *,  à  la  huitième  heure  (c'est-à-dire  à 
deux  heures  après  midi).  It  fîit  pris  par  Hërode,  intendant  de 
la  police  *,  Philippe  de  Trallie'  étant  pontife  (c'est-à-dire  exer- 
çant parmi  les  païens  le  sacerdoce  auquel  étoit  attachée  la 
surintendance  des  jeux  publics,  que  les  païens  estimoient  sa- 
crés parce  qu'ils  les  faisoient  à  l'honneur  des  Dieux  ^),  Sta- 
tius  Quadratus  étant  proconsul,  et  Jésus-Christ  régnant  dans 
tous  les  siècles,  à  qui  soit  gloire,  honneur,  majesté  et  empire 
éternel,  dans  la  suite  de  tous  les  âges.  Amen.  • 

thique  devait  commencer  le  ta  férrier,  puisqu'il  en  était  ainsi  dans 
le  reste  de  l'Asie.  Valois  dit  donc  que  saint  Poljrcarpe  souffrit  le 
martjrre  le  i3  février.  Le  a6  mars  est  la  date  donnée  par  la  chro- 
nique d'Alexandrie. 
'  I.   La  veille  de  Pâques,  dit  Halloix,  suivant  lequel,  en  Tan- 

I  née  169,  Pâques  tombait  le  27  mars.  Valois,  à  la  page  déjà  citée 

i  de  ses  Notes  ^  dit  que  les  opinions  des  savants  varient  beaucoup  sur 

{  le  grand  sabbat.  Suivant  Gilles  Boucher,  c'éuit  le  sabbat  où  tom- 

bait le  premier  jour  des  Azjmes;  suivant  d'autres,  la  fête  du  Purtm 
ou  des  sorts. 

9.  Hérode  n'est  pas  qualifié  dans  ce  passage  du  texte  grec;  mais 
Racine  lui  a  donné  le  même  titre  que  plus  haut,  p.  563. 

3.  Ou  plutôt  de  Tralies  ou  Tntllis^  ville  de  Lydie. 

4.  Cette  glose  de  Racine  est  à  peu  près  la  traduction  de  la  note 
i                        d'Usserius  (p.  70)  sur  les  mots  :  int  d^py^iepiioc  4>iX(7»rou Cum 

enim  sacra  haberentur  ista  eertamina^  et  fest'ms  diebus  in  Deorum  ho» 
norem  exhiberi  solîta ,  qui  eis  prsserant  in  saeerdotum  ordinem  prias 
eooptabaniw. 


LA  VIE  DE  SAINT  POLYCARPE. 


Voici*  comme  Irénëe  parle  de  saint  Polycarpe  dans  son 
troisième  livre  des  Hérésies  : 

Polycarpe  non-seulement  a  ëté  instruit  par  les  apôtres,  et 
a  eu  une  étroite  liaison  avec  un  grand  nombre  de  ceux  qui 
ont  vu  Jésus-Christ;  mais  même  les  apôtres  l'ont  ordonné 
évèque  de  l'Église  de  Smyme  en  Asie.  Nous  l'avons  vu  nous- 
même*  dans  nos  premières  années,  car  il  a  vécu  fort  long- 
temps, et  après  être  parvenu  jusqu'à  une  extrême  vieillesse, 
il  a  enfin  couronné  sa  vie  par  un  très-illustre  et  très-glorieux 
martyre. 

I .  Racine  a  écrit  ici  à  la  marge  :  «  Siueh.^  livre  4*  c.  i3.  ji  (Voyez 
la  Nottctyi^.  44a  et  443-)  Au-dessus  de  cette  indication  et  plus  prèsdu 
titre,  il  a  encore  écrit  la  note  suivante  :  uPoljrcatp.  terpire  Chriito 
capit  un,  Chr,  83.  MpUe,  crgat.,  au  plus  tard,  en  98  de  J.  C,  s'il 
est  vrai,  comme  dit  Tertullien,  </«  Prmseripi,^  c.  3a,  et  Eus.  1.  3, 
c.  35,  et  saint  Jérôme,  Je  Scr.  eceies.,  qu'il  ait  été  sacré  évéque  de 
Smyme  par  Tapôtre  saint  Jean.  V.  i/sser  in  Pot.  aei.^  p.  61  ei  69. 
Selon  ce  calcul,  qui  paroit  indubitable,  il  a  été  plus  de  70  |aos| 
évéque.  t  —  Usserius,  en  effet,  à  la  page  61  du  livre  que  nous 
avons  d<^jà  cité  (c'est  dans  la  partie  de  ce  livre  qui  a  pour  titre  : 
In  acta  martjrrii  s.  Poljcarpl^  ab  Ecelesia  êmyrnensi  eonseripia),  ren- 
voie à  sa  Préface  où   il  a  dit  :  j4b  tmno 'vulgaris  epoekœ  Cf.xix, 

ad  quem  passionem  Poljcarpi  referimtUf  snbduct'u  86,  reiinquiiur  ejus» 
dem  epochm  annus  Lxxxin,  que  non  natum  quidem  illum,  sed  renatam 
Chris to  primum  nomen  dédisse  dicamus  necesse  est,  Usserius  dit  de 
plus,  à  la  page  6a  :  Constat,...  ultra  lxx  annos  episeopatum  smjrmen» 
sem  obtinuisse  Poljrcarpum,  Les  passages  de  Tertullien  et  de  saint 
Jérôme  auxquels  Racine  renvoie  sont  également  cités  par  Halloix, 
qui  en  donne  le  texte,  à  la  page  469  de  ses  lilustrittm  orientalis 
ecelesiss  scriptorum  qui  primo  Christi  smeufo  floruêrunt  Fittt  et  Doctt- 
menta  (i633).  Racine  a-t-il  eu  ce  livre  aussi  entre  les  mains?  Noos 
n'en  trouvons  aucun  autre  indice. 

a.   Il  y  a  ici  nous-mêmes ^  avec  j,  dans  le  manuscrit. 


LA  VIE  DE   SAINT  POLYCARPE.  5;^ 

Il  n'a  jamais  enseigne  d'autre  doctrine  que  celle  qu'il  avoit 
reçue  des  apôtres,  et  que  nous  recevons  de  l'Eglise,  comme 
en  effet  il  n'y  a  que  celle-là  seule  qui  soit  vëritable.  Aussi 
toutes  les  Eglises  d'Asie,  et  ceux  qui  jusques  aujourd'hui  ont 
été  assis  dans  la  chaire  de  Polycarpe,  témoignent  assez  par 
leurs  sentiments  et  par  leur  conduite,  combien  ce  grand 
homme  a  été  un  témoin  plus  vénérable  et  plus  fidèle  de  la 
vérité  que  Valentin,  Marcion,  et  autres  semblables  prédica- 
teurs du  mensonge. 

Ce  fut  lui  qui  étant  venu  à  Rome  sous  le  pontificat  d'Ani- 
cet,  ramena  à  l'Église  de  Dieu  plusieurs  de  ceux  que  ces  mal- 
heureux hérétiques  avoient  arrachés  de  son  sein ,  publiant 
partout  qu'il  n'avoit  reçu  des  apôtres  que  la  seule  et  unique 
vérité  qui  étoit  enseignée  par  l'Eglise. 

Il  y  a  encore  aujourd'hui  des  personnes  qui  lui  ont  autrefois 
entendu  dire  que  Jean,  le  disciple  du  Seigneur,  étant  à  Ephèse, 
alloit  un  jour  pour  se  laver,  et  qu'ayant  trouvé  Cerinthe  dans 
le  bain,  il  en  sortit  aussitôt  avant  que  s'être  lavé,  en  disant  : 
«  Hâtons-nous  de  nous  retirer  d'ici,  de  peur  que  le  bain  où 
est  Cerinthe,  cet  ennemi  de  la  vérité,  venant  à  tomber,  nous 
ne  nous  trouvions  enveloppé  dans  ses  ruines*.  » 

Aussi  Polycarpe  lui-même  ayant  rencontré  un  jour  Mar- 
cion, qui  se  présenta  devant  lui  en  lui  disant  :  c  Voilà  Marcion 
devant  vous  ;  il  faut  qu'aujourd'hui  vous  le  connoissiez.  — 
Je  vous  connois  déjà  bien,  répondit-il  ;  je  sais  que  vous  êtes  le 
fils  aîné  du  démon.  »  Tant  les  apôtres  et  leurs  disciples  ont 
fait  scrupule  d'avoir  le  moindre  commerce,  non  pas  même 
d'un  simple  entretien,  avec  les  hérésiarques  qui  falsifioient  et 
corrompoient  la  vérité  ecclésiastique* 

Nous  avons  aussi  une  excellente  lettre  que  Polycarpe  écri- 
vit aux  Philippiens,  et  c'est  là  que  tous  ceux  qui  ont  quelque 
soin  de  leur  salut  peuvent  apprendre,  s'ils  veulent,  quelle  a 

1 .  0  semble  que  Racine  se  soit  souvenu  de  ce  passage,  lorsqu'il 
a  mis  dans  la  bouche  de  Joad  des  paroles  qui  rappellent  celles  de 
saint  Jean.  Voyez  les  vers  io9i-ioa4  d*jithaiiê, 

a.  Racine  a  effacé  ici  cette  phrase,  qu'il  avait  d'abord,  comme 
tout  ie  reste,  traduite  d'Eusèbe  :  «  Et  c'est  ce  que  saint  Paul  nous 
enseigne,  lorsqu'il  dit  [ÉpHre  à  Tite^  ehapitr*  in,  vertet  lo]  :  Fuyez 
rhérëtiqne^  après  que  vous  l'aurez  averti  une  ou  deux  fois.  «• 


574  Là  VIE 

été  la  foi  que  ce  grand  saint  a  tenue,  et  la  vérité  qa'3  a  en- 
seignée. 

Le  bienheureux  Polycarpe  étant  venu  à  Rome  sous  le  pon- 
tificat d'Anicet^  ils  traitèrent  ensemble  de  quelques  petits 
diBërends  qui  étoient  entre  eux,  et  ils  les  accordèrent  aussi- 
tôt, ne  voulant  pas  même  entrer  dans  une  dispute  contentieuse 
touchant  le  jour  de  la  célébration  de  la  Pâque,  qui  étoit  leur 
principal  différend  ;  car  Anicet  ne  pouvoit  pas  persuader  à  Po- 
lycarpe  de  ne  point  garder  une  coutume  qu'il  avoit  toujours 
pratiquée  avec  Jean,  le  disciple  de  Notre-Seigneur,  et  avec  les 
autres  apôtres,  en  la  compagnie  desquels  il  avoit  vécu,  non 
plus  que  Polycarpe  ne  pouvoit  pas  persuader  à  Anicet  de  ne 
point  garder  une  coutume  qu'il  disoit  avoir  été  pratiquée  par 
tous  les  prêtres,  c'est-à-dire  par  tous  les  prélats  de  son  Église, 
qui  avoient  été  ses  prédécesseurs. 

I.  Racine  a  écrit  ici  en  marge  :  c  Idem  lrên,in  epUt,adFîct.apmi 
Mus,  l,  5,  c.  a 4  ijdem  Irenmus^  in  epistola  adVictorem  apud  Eusehîum^ 
etc.).  >  C'est  rindication  du  passage  d^Eusèbe  dont  la  traduction 
commence.  —  Au-dessus  de  cette  note,  entre  la  dernière  ligne  du 
paragraphe  précédent  et  la  première  de  celui-ci,  on  lit  cette  autre 
note  :  «  An.  167  ex  Baron,  et  Petav.  5.  M.  Anr.  i.  Anic.  (Âtmo  167 
ex  Beromo  et  Petwioy  ^uinto  M.  AureUiy  primo  Jnieeti,)  1  Baronins 
en  effet,  au  tome  I,  p.  348  de  ses  Annmles  eeeUsuutiques  (Paris, 
M.DC.XVI),  dit  que -ce  fut  Tan  de  Jésus-Christ  167  quePoIjcaipc 
vint  à  Rome;  et,  selon  lui  (p.  347),  cette  année  était  la  cinquième 
de  Tempire  de  Marc-Aurèle,  la  première  du  pontificat  d'Anicet.  En 
conséquence,  il  place  le  martyre  de  saint  Polycarpe  en  Tannée  169 
(p.  349)-  Mais  quant  au  P.  Petau,  Racine  s'est  trompé  en  citant 
son  témoignage.  L'année  que  ce  père  compte  comme  la  cinquième 
de  l'empire  de  Marc-Aurèle,  et  la  première  du  pontificat  d' Anicet, 
est  l'année  i65,  qui,  selon  lui,  fut  celle  aussi  où  saint  Polycarpe 
▼int  à  Rome.  Voyez  le  tome  II  de  son  livre  de  Doctrmm  tempo- 
rum  (Paris,  M.DC.XXVII),  p.  689.  A  la  page  suivante,  le  P.  Pe« 
tau  dit  que  saint  Polycarpe  souffrit  le  martyre  en  l'année  167; 
les  BoUandistes  {Aeta  Sanetorum^  janvier,  tome  II,  p.  691)  regar^ 
dent  cette  date  comme  la  mieux  établie.  Halloix  (p.  $73)  vent 
que  le  saint  soit  venu  à  Rome  l'an  de  Jésus-Christ  160  :  «  Baro- 
nins, dit-il,  a  fait  usage  d'une  chronique  d'Eusèbe  inooneote  et 
fautive.  »  Pour  le  martyre  de  saint  Polyeaipe,  Halloix  admet 
(p.  583)  la  date  de  169.  Henri  de  Valois,  k  la  page  109  de  set 
^otesy  conteste  aussi  les  dates  de  Baronius* 


DE  SAINT  POLYCAaPE.  575 

Ils  communiquèrent  donc  ensemble  comme  amis  et  comme 
frères,  et  Anicet  laissa  célébrer  dans  l'Église  à  Polycarpe  les 
mystères  de  TEucharistie,  pour  le  respect  qu'il  lui  portoit. 
Enfin  ils  se  séparèrent  en  paix  l'un  de  l'autre;  et  ainsi  ceux 
qui  observoient  la  coutume  de  Rome,  ou  qui  ne  l'observoient 
pas,  demeurèrent  dans  l'union  de  l'Eglise  universelle. 


EXTRAIT 

D'UNE  LETTRE  DE  SAINT  IRÉNÉE  A  FLORIN, 

QUI    irOIT   TOMBÉ    DANS    l'hÉKKSIE   DBS  VALENTINIRNS. 


Ce  n'est  pas  làV  <>  Florin,  la  doctrine  qui  vous  a  été  ensei- 
gnée par  les  prêtres  /'c'est-à-dire  par  les  évèques')  qui  ont  été 
avant  nous,  et  qui  eux-mêmes  avoient  été  instruits  dans  l'école 
des  apôtres.  Car  je  me  souviens  qu'étant  encore  enfant ,  je 
vous  ai  vu  dans  l'Asie  Mineure,  auprès  de  Poly carpe,  lorsque 
vous  viviez  à  la  cour  de  l'Empereur  avec  tant  d'éclat,  et  que 
vous  faisiez  tous  vos  efforts  {jour  vous  insinuer  dans  les  bonnes 
grâces  de  ce  saint  homme.  Je  me  souviens  même  beaucoup 
plus  des  choses  qui  se  sont  poissées  alors,  que  de  celles  qui 
sont  arrivées  plus  nouvellement,  tant  il  est  vrai  que  ce  que 
nous  avons  vu  dans  notre  enfance  croît  en  nous  à  mesure  que 
nous  avançons  en  âge,  et  s'unit  tellement  avec  notre  âme 
qu'il  ne  s'en  peut  plus  séparer  :  de  sorte  que  je  pourrois  dire 
encore  quel  étoit  le  lieu  où  étoit  assis  le  bienheureux  Poly- 
carpe,  lorsqu'il  nous  instruisoit,  quelles  étoient  ses  démarches 
et  ses  gestes,  son  genre  de  vie  et  la  forme  de  son  corps,  quels 
discours  il  tenoit  au  peuple,  et  la  manière  dont  il  racontoit  les 
entretiens  qu'il  avoit  eus  avec  saint  Jean  et  avec  les  autres 
disciples  qui  avoient  vu  Jésus-Christ,  les  paroles  qu'il  avoit 
entendues  d'eux,  et  les  choses  qu'ils  lui  avoient  dites  touchant 
le  Seigneur,  ses  miracles  et  sa  doctrine;  ce  que  Polycarpe 
ayant  appris  de  ceux  mêmes  qui  avoient  été  les  témoins  ocu- 
laires de  la  vie  du  Verbe  incamé,  nous  le  racontoit  aussi, 
conformément  à  ce  que  nous  voyons  dans  les  saintes  Ecritures. 

I.  Racint*  a  écrit   m   margi*  :  «  Eus,  f.  5.  eap,  19.   »  Voyez  ci- 
deMus,  la  Nolict\  p.  44^* 
9.  Glose  ajouté<>  par  Racine. 


LETTRE  DE  SAINT  IRÉNEE  A  FLORIN.    677 

Dieu  donc  ayant  eu  tant  de  miséricorde  pour  moi,  qu'il  a 
voulu  que  je  fusse  présent  à  tous  les  discours  de  ce  grand 
saint,  je  les  écoutois  attentivement,  et  je  les  gravois,  non  pas 
sur  du  papier,  mais  dans  le  fond  de  mon  cœur,  où,  par  la  grâce 
de  Dieu,  je  les  conserve  encore,  et  les  repasse  continuellement 
dans  mon  esprit. 

Aussi  puis-je  assurer  devant  Dieu  que  si  ce  bienheureux  et 
apostolique  prêtre  (c'est-à-dire  prélat*)  eût  entendu  une  si 
étrange  doctrine,  il  se  fût  écrié  aussitôt  en  se  bouchant  les 
oreilles,  et  en  disant  selon  sa  coutume  :  «  Ô  bon  Dieu,  m'avez- 
vous  laissé  dans  le  monde  jusques  à  cette  heure  afin  que  j'eusse 
la  douleur  d'entendre  des  dogmes  si  abominables  ?  ]»  Je  ne  doute 
pas  même  qu'à  l'instant  il  ne  s'en  fût  enfui  du  lieu  où  on  lui 
eût  tenu  de  tels  discours,  en  quelque  état  qu'il  se  fût  trouvé, 
et  soit  qu'il  y  eût  été  debout  ou  assis.  C'est  ce  que  l'on  peut 
reconnottre  clairement  par  les  lettres  qu'il  a  écrites,  «oit  aux 
églises  voisines  de  la  sienne,  pour  les  confirmer  dans  la  vé- 
rité, soit  à  quelques-uns  des  frères,  pour  les  avertir  de  leur 
devoir  et  les  exhorter  à  l'accomplir. 

I .  Glofe  de  Racine. 


■^^ 


J.  Racxvs.  y  37 


ÉPÎTRE  DE  SAINT  POLYCARPE, 

ivftQUB  DB  SMTKRB,  BT   8AGBÉ   MAKTTB   DB  JÉSUB-CHKIST, 


AUX  PHILIPPIENS  ». 


PoLTCABra  et  les  prêtres  qui  sont  avec  lui,  à  l'Église  de 
Dieu  qui  est  dans  Philippes.  Que  le  Dieu  tout-puissant  et  le 
Seigneur  Jësus-Christ,  Notre  Sauveur,  rëpande  sur  vous  avec 
plénitude  sa  miséricorde  et  sa  paix. 

Je  me  suis  beaucoup  réjoui  en  Jésus-Christ,  Notre  Seigneur, 
de  ce  que  vous  avez  dignement  reçu  chez  vous  des  personnes 
qui  sont  des  modèles  vivants  de  la  parfaite  charité,  et  que 
vous  avez  '  accompagné,  comme  vous  deviez,  ceux  qui  étoient 
chargés  de  ces  chaînes  honorables  qui  sont  de  précieuses 
couronnes  pour  ceux*  que  Dieu  et  Notre  Seigneur  ont  parti- 
culièrement choisis  pour  rendre  témoignage  à  la  vérité. 

Au  reste  ^,  mes  frères,  ce  n'est  pas  de  mon  propre  mouve- 
ment que  je  vous  écris  ici  de  ce  qui  regarde  les  devoirs  de  la 
piété  et  de  la  justice;  mais  parce  que  c'est  vous-mêmes  qui 
m'y  avez  engagé  par  vos  prières  ;  car  moi ,  ni  tout  autre  qui 
me  ressemble ,  ne  sommes  point  capables  de  suivre  que  de 

I .  Sur  le  texte  grec  et  latin  de  cette  Èpùrty  rayez  ci-dessus,  la  Ao- 
tiee,  p.  445  et  446. 

a.  Dans  rédition  de  M.  Aimé-Martin  on  a  imprimé  «  que  roiu 
aviez.  »  M.  Aignan  relèye  rincorrection  de  la  phrase;  mais  cette 
incorrection  n'est  pas  du  fait  de  Racine,  qui  a  écrit  :  «  que  toiis 
avez.  » 

3.  Il  entend  S'  Ignace,  arch.  d'Ant.  {archevêque  JPJmiioeke)^  lo- 
zime  et  Rufe.  {Note  de  Racine,) 

4.  Deux  longs  paragraphes  du  texte  manquent  ici  dans  la  tra- 
duction de  Racine.  Dans  la  suite  il  a  également  omis  plnsieuit 
passages.  Il  nous  parait  superflu  dénoter  ces  omissions  volontaires. 


ISPlTRE  DE  SAINT  POLYCARPE.  $79 

bien  loin  la  sagesse  de  l'illustre  et  bienheureux  Paul,  qu 
vous  ayant  autrefois  honores  de  sa  présence,  vous  a  si  par- 
faitement instruits  S  et  si  puissamment  affermis  dans  la  parole 
de  la  vérité,  et  qui  même,  lorsqu'il  étoit  absent  et  éloigné  de 
Philippes,  a  écrit  des  lettres  si  excellentes,  que  si  vous  les  lisez 
et  les  considérez  avec  soin,  vous  pourrez  vous  établir  de  plus 
en  plus  dans  la  foi  qui  vous  a  été  donnée  de  Dieu,  laquelle 
est  la  mère  qui  vous  a  tous  enfantés,  qui  est  suivie  de  l'espé- 
rance, précédée  et  conduite  par  l'amour  envers  Dieu,  Jésus- 
Christ  et  le  prochain  ;  car  quiconque  est  animé  de  ces  trois 
vertus  a  accompli  les  préceptes  de'  la  justice  évangélique, 
puisque  celui  qui  est  possédé  de  l'amour  divin  est  éloigné  de 
tout  péché. 

Au  contraire,  l'avarice  est  la  source  de  tous  les  maux.  Sou- 
venons-nous donc  que  nous  n'avons  rien  apporté  dans  le 
monde,- et  que  nous  n'en  emporterons  rien  aussi*.  Armons- 
nous  des  armes  de  la  justice*.  Apprenons  premièrement  à  mar- 
cher dans  les  commandements  du  Seigneur  ;  et  après  cela, 
instruisez  vos  femmes  à  marcher  aussi  dans  la  foi  qui  leur  a 
été  donnée  de  -  Dieu ,  dans  la  charité  et  la  pureté.  Qu'elles 
aient  toujours  un  amour  sincère  et  véritable  pour  leurs  maris, 
et  une  charité  qui  se  répande  également  sur  tous  les  autres, 
et  qui  soit  accompagnée  d'une  parfaite  continence.  Qu'elles 
instruisent  leurs  enfants  dans  la  connoîssance  et  dans  la  crainte 
de  Dieu. 

Que  les  veuves  se  conservent  chastes  et  modestes,  marchent 
pour  honorer  la  foi  du*  Seigneur  ;  qu'elles  prient  continuellement 
pour  tout  le  monde  ;  qu'elles  soient  éloignées  de  toutes  sortes 
de  calomnies,  de  médisances,  de  faux  témoignages,  d'avarice 
et  de  péché;  et  qu'elles  se  représentent  sans  cesse  qu'elles 
sont  les  autels  vivants  de  Dieu. 

Considérons  que  l'on  ne  se  moque  point  de  Dieu',  et  me* 

I .  Racine  a  en  entre  écrit  uuiruit,  sans  PefTacer,  deyant  si^  à  la 
ligne  précédente. 

s.  P*  épure  de  sùint  Puul  k  Timothéej  chapitre  vi,  rertet  7. 

3.  Comparez  VÊpitre  de  saint  Paul  aux  Éphésiens,  chapitre  ti, 
verset  11. 

4.  Racine  avait  mis  d*ahord  :  <«  marchent  dans  la  foi.  » 

5.  Épitre  de  saint  Paui  aux  Galates^  chapitre  ti,  verset  7. 


58o  ÉPlTRE  DE  SAINT  POLYGAEPE 

lums  une  vie  qui  soit  conforme  à  ses  commandements  et  qui 
puisse  servir  à  sa  gloire. 

Que  les  diacres  se  rendent  toujours  irréprâiensibles  en  la 
présence  de  sa  justice,  et  qu'ils  vivent  ccHume  des  ministres 
de  Dieu  en  Jésus-Christ,  et  non  pas  comme  des  ministres  des 
hommes. 

Pour  vous  autres,  mes  frères,  soyez  soumis  aux  prâtrea  et 
aux  diacres,  comme  à  Dieu  et  à  Jésus-Christ. 

Et  vous,  vierges,  que  votre  conduite  soit  irréprochable,  et 
que  votre  conscience  soit  toute  chaste  et  toute  pure*. 

Que  les  prêtres  soient  pleins  de  charité,  de  tendresse^  et 
de  compassion  envers  tout  le  monde  ;  qu'ils  ramènent  dans  le 
chemin  du  salut  ceux  qui  en  sont  égarés  ;  qu'ils  visitent  tous 
les  malades  ;  qu'ils  ne  négligent  ni  la  veuve,  ni  l'orphdin ,  ni 
le  pauvre;  mais  qu'ils  aient  soin  de  faire  toutes  sortes  de 
bonnes  œuvres  devant  Dieu  et  devant  ]m  hommes.  Qu'ils 
s'abstiennent  de  toute  colère,  de  tout  égard  aux  différentes 
conditions  des  personnes,  et  de  tout  jugement  injuste;  qu'ils 
soient  éloignés  de  toute  avarice  ;  qu'ils  ne  croient  pas  facile- 
ment le  mal  que  l'on  dit  contre  quelqu'un;  qu'ils  ne  soient 
point  précipités  dans  leur  jugement;  qu'ils  ne  dcmnent  jamais 
aucun  sujet  de  scandale;  qu'ils  évitept  les  faux  frères  et  ceux 
qui  se  servent  du  nom  du  Seigneur  pour  couvrir  leur  hypo- 
crisie, et  tromper  les  simples. 

Car  quiconque  ne  confesse  point  que  Jésus-Christ  est  venu 
en  une  véritable  chair,  est  un  antechrist';  quiconque  ne  con- 
fesse point  le  martyre  [de  la]  croix,  est  enfant  du  diable;  et 
quiconque  altère  les  paroles  du  Seigneur  pour  les  accommoder 
à  ses  propres  passions  en  niant  et  la  résurrection  des  morts 
et  le  jugement  à  venir,  est  le  fils  afné  de  Satan. 

Fuyons  donc  les  vaines  et  fausses  doctrines  de  ces  ccNTvp- 
teurs,  et  embrassons  la  vérité  que  nous  avcms  reçue  par  tradi- 


t .  Dans  l'autographe  :  «  tout  pure.  » 

s.  On  lit  dam  Tédition  de  M.  Aimé-Martin  :  «  de  tendrene 
pure.  »  Dans  le  manuscrit,  le  mot  purt  est  au-dessus  de  la  ligne, 
mais  il  appartient  à  la  phrase  précédente,  qu'il  termine,  et  où  d*ail> 
leurs  M.  Aimé-Martin  l'arait  déjà  placé. 

3.  Z'*  éfiire  de  saïmi  Jêoa^  chapitre  iv,  verset  3. 


AUX   PHILIPPIENS.  58i 

tioD  dès  le  oommencement  de  rÉvangiie  ;  soyons  vigilants  dans 
les  prières  et  infatigables  dans  les  jeûnes^ 

Je  vous  exliorte  tous  d'ëoouter  avec  une  entière  docilité  la 
parole'  de  la  justice,  et  de  faire  tous  vos  efforts  pour  imiter 
cette  admirable  patience  que  vous  aves^  vu  pratiquer  de  vos 
propres  yeux,  non^seulement  aul  bienbeureux  Ignace,  Zoâme 
et  Rufe,  mais  à  plusieurs  autres  de  vos  frères,  au  grand  Paul 
lui-même ,  et  à  tout  le  reste  des  apôtres  :  considérant  que 
tous  ces  saints  n'ont  pas  couru  en  vain  et  sans  récompense, 
mais  qu'étant  parvenus  jusques  au  bout  de  la  carrière  de  la 
foi  et  de  la  justice,  ils  y  ont  reçu  le  rang  et  la  place  qui  leur 
étoit  due  près  du  Seigneur  qu'ils  avoient  suivi  dans  ses  souf- 
frances, n'ayant  point  ajaié  le  siècle  présent,  mais  seulement  Ce- 
lui  qui  est  mort  pour  nous,  et  que  Dieu  a  ressuscité  pour  nous. 

Je  me  suis  beaucoup.  a£Bigé  pour  Valens,  qui  a  été  autre- 
fois ordonné  prêtre  parmi  vous,  lorsque  j'ai  su  combien  il 
connolt  peu  la  dignité  à  laquelle  il  a  été  élevé.  Et  c'est  pour- 
quoi je  vous  conjure  d'être  exempts  de  toute  avarice,  d'être 
toujours  cbastes  et  sincères,  et  de  vous  éloigner  de  tout  pé- 
ché; car  comment  celui  qui  ne  sait  pas  se  gouverner  lui- 
même  pourra-t-il  instruire  lep  autres'? 

Quiconque  se  laisse  corrompre  par  l'avarice,  sera  bientôt 
souillé  de  l'idolâtrie,  et  réputé  entre  les  païens.  Y  a-t-il  per- 
sonne d'entre  vous  qui  ne  sache  point  le  jugement  du  Sei- 
gneur? Ignorons-nous  que  les  saints  jugeront  le  monde  ^,  sel<»i 
que  Paul  nous  l'apprend?  Pour  moi,  je  n'ai  jamab  cru  ni  en- 
tendu de  vous  aucune  chose  semblable.  Aussi  avez-vous  été 


I .  Racine  avait  ainsi  tradnît  le  reste  de  la  phrase,  mais  il  a  en- 
suite effacé  cette  fin  :  «  demandant  continuellement  à  Dieu,  à  qui 
rien  n'est  caché,  qu*il  ne  nous  laisse  point  tomber  dans  la  tentation, 
le  Seigneur  ayant  dit  lui-même  que  l'esprit  est  vif,  mais  que  la  chair 
est  infirme.  »  Ces  dernières  paroles  sont  tirées  de  VÉpangUê  de  saint 
Matthieu^  chapitre  xxvi,  verset  41  • 

a.  Il  y  a  «  les  parole  (sic)  »  dans  le  manuscrit.  —  A  la  ligne  sui- 
vante. Racine  avait  mis  d'abord  :  «  que  vous  avez  vue,  »  puis  il  a 
ajouté  pratiquer  dans  Tinteriigne. 

3.  Comparez  la  F*  épUra  de  saint  Paul  à  Tlmothét^  chapitre  m, 
verset  5. 

4.  i^  épUr9  de  saint  Paul  aux  Corinthiens^  chapitre  vi,  verset  a. 


58a  ÉPlTRE  DE  SAINT  POLYGARPE 

instruits  par  ce  grand  apôtre,  et  tous  avez  ëté  les  premiers 
honorés  de  ses  lettres.  C'est  de  vous  qu'il  se  glorifie  à  toutes 
les  Églises  qui  connoissoient  Dieu,  en  un  temps  où  nous  au- 
tres qui  sommes  à  Smyme  ne  le  connoissions  pas  encore. 

Je  ne  puis  donc,  mes  frères,  ne  point  ressentir  une  ex- 
trême douleur  pour  ce  Valehs  et  pour  sa  femme,  et  je  sou- 
haite de  tout  mon  cœur  que  Dieu  leur  donne  la  grâce  d'une 
véritable  pénitence.  Au  reste,  soyez  doux  et  modérés  envers 
eux,  et  ne  les  regardez  pas  comme  vos  ennemis*,  mais  oHnme 
des  membres  malades  et  blessés  que  vous  devez  tâcher  de 
guérir,  afin  que  tout  le  corps  de  votre  Église  jouisse  d'une 
parfaite  santé.  Et  c'est  en  agissant  de  la  sorte  que  voas  opé- 
rerez vous-mêmes  votre  salut*.... 

Je  prie  Dieu,  le  père  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  et 
Jésus-Christ  lui-même,  qui  est  le  fils  de  Dieu  et  le  grand 
prêtre  étemel,  de  vous  établir  sur  lé  fondement  inébranlable 
de  la  vérité,  de  vous  donner  un  esprit  de  douceur  et  exempt 
de  toute  colère,  de  vous  faire  marcher  devant  lui  avec  tonte 
sorte  de  patience,  de  modération,  de  persévérance  et  de  pu- 
reté, et  enfin  de  vous  faire  part  de  la  gloire  de  ses  saints 
aussi  bien  qu'à  nous  et  à  tous  ceux  qui  vivent  maintenant  sur 
la  terre,  et  qui  doivent  croire  un  jour  en  Jésus-Christ,  Notre 
Seigneur,  et  en  son  Père  qui  l'a  ressuscité  d'entre  les  mcNrts. 

Priez  pour  tous  les  saints;  priez  pour  les  rois ,  les  puis- 
sances et  les  princes,  pour  ceux  qui  vous  persécutent  et  vous 
haïssent,  et  pour  les  ennemis  de  la  croix  :  afin  que  travaillant 
pour  le  salut  de  tout  lé  monde,  vous  parveniez  vous-mêmes, 
par  ce  moyen,  au  comble  de  la  perfection. 

Vous  m'avez  écrit,  vous  et  Ignace,  que  si  quelqu'un  va 
d'ici  en  Syrie,  nous  y  fassions'  tenir  vos  lettres.  Je  ne  man- 

I.  Comparez  VÉpîire  //  aux  l%es4aionieieHt,  chapitre  m,  rer- 
set  i5. 

a.  Après  cette  phrase  on  lit  sous  les  ratures  cette  traduction  de 
la  suite  de  la  Tersion  latine;  le  grec  de  cette  partie  est  perdu 
«  Car  je  ne  doute  pas  que  tous  ne  soyez  beaucoup  rersés  dans  la 
lecture  des  livres  saints  et  que  tous  n*ayez  une  entière  connois- 
sance  de  tout  ce  qu'ils  contiennent.  » 

3.  n  y  a  faisions  dans  le  manuscrit.  Voyez  ci-dessus,  p.  $70, 
note  I. 


AUX   PHILIPPIENS.  583 

querai  pas  de  le  faire  dès  qu'il  s'en  présentera  quelque  oc- 
casion favorable. 

Nous  vous  envoyons,  comme  vous  l'avez  désiré,  les  lettres 
d'Ignace,  tant  celles  qu'il  nous  avoit  adressées  que  toutes  les 
autres  que  nous  avions  entre  nos  mains.  Nous  les  avons  mises 
à  la  suite  de  cette  lettre,  et  vous  en  pourrez  sans  doute  tirer 
un  très-grand  profit.  Car  elles  contiennent  la  véritable  doc- 
trine de  la  foi,  de  la  patience,  et  de  tout  ce  qui  sert  à  l'édi- 
fication de  notre  âme  en  Jésus-Christ,  Notre  Seigneur. 

Je  vous  envoie  cette  lettre  par  Crescens,  dont  vous  savez 
que  je  vous  ai  toujours  recommandé  le  mérite^,  et  que  je  vous 
recommande  encore  particulièrement;  car  il  a  mené  une  vie 
tout  à  fait  irréprochable  tant  qu'il  a  été  parmi  nous,  et  je 
crois  qu'il  ne  vivra  pas  avec  vous  d'une  autre  sorte.  Je  vous 
recommande  aussi  beaucoup  sa  sœur,  lorsqu'elle  sera  arrivée 
en  vos  quartiers.  Je  souhaite  que  vous  soyez  toujours  fidèles 
à  Jésus-Christ,  et  que  sa  grâce  vous  remplisse  tous.  Amen. 

I .  «  Le  mérite  »  est  écrit  au-dessas  de  «  la  personne,  »  qui  n*eftt 
pas  effacé. 


DE  SAINT  DENYS, 

▲  ECHBViQUB     d'aLEXANDKIB*, 


L'RMPBABua^  Philippe  ëtoit  sur  la  troisième  année'  de  son 
empire,  lorsque  Hëracle  étant  passé  de  cette  vie  en  l'autre, 
après  seize  ans  d'épisoopat,  Denys  lui  succéda  dans  le  gouver- 
nement des  Églises  d'Alexandrie. 

Quant  ^  aux  choses  qui  lui  arrivèrent,  je  rapporterai  ici  ce 
qu'il  en  dit  dans  la  lettre  qu'il  a  écrite  à  Germain,  où  il  parie 
de  lui-même  en  cette  manière  :  «  Pour  ce  qui  est  de  moi,  dit- 
il,  je  parle  en  la  présence  de  Dieu,  et  il  sait  que  je  ne  mens 
point  et  que  je  n'ai  jamab  pensé  à  me  retirer  de  mon  propre 
mouvement,  et  sans  m'y  être  vu. engagé  par  l'ordre  de  sa 
Providence.  Gela  est  si  vrai  que,  lors  même  que  l'édit  de  b 


I.  Voyes  ci*deMut,  la  Notice^  p.  44 >«  44^  ^  44^- 
3.  Racine  a  écrit  k  la  marge  :  «  Euseh,  1.  6,  ch.  3S.  »  Ce 
paragraphe  forme  à  lui  leol  le  chapitre  xxxr  da  livre  VI  de  VBU- 
taire  eeclésiastiqus  d*£usèbe,  aussi  bien  dans  Tédition  de  16S9  que 
dans  celle  de  i8a8. 

3.  A  la  marge,  dans  le  manuscrit  :  •Armo  Christ.  14^*  ^^>  10.  * 
Dans  les  Annales  seeiésiastiquês  de  Baronius,  tome  I,  p.  444*  *^  li^  • 
«  L*an  de  Jésus-Christ  ^48,  du  pape  Fabian  10,  de  l'empire  de 
Philippe  3,  Denys  fut  fait  éréque  d'Alexandrie,  après  le  trépas 
d'Héraclas,  qui  Tavoit  été  dooie  ans  selon  Ensèbe,  ou  qoatone  à 
qui  y  Tondra  prendre  garde  de  plus  près.  »  Racine  ne  s'écarte  de 
Baronitts  que  pour  le  nombre  d'années  qu*il  donne  à  i'épiseopat 
d'Héracle.  Ce  nombre  d'années  diffère  selon  les  éditions  d'Eosèbe. 
Dans  celle  de  1659,  que  Racine  a  suirie,  il  y  a  (de  même  que  dam 
celle  de  i8s8)  :  ixxa((txa.  La  traduction  latine  de  Chriatophonon 
(▼oyex  l'édition  de  i58i)  donne  :  wuUeim  ùÊtnis, 

4.  A  la  marge  dans  le  manuscrit  :  «  là.  ^mp,  xx..  »  Racine,  dans 
la  divbion  des  ohapitreK.  continue  a  suivre  l'édition  de  1659. 


DE  SAINT  DfiNYS.  585 

persecotion  de  Dèce^  fut  publié,  Sabin  ayant  envoyé  auMitAt 
Frumentaire  pour  me  chercher,  je  demeurai  quatre  jours  en- 
tiers dans  ma  maison,  attendant  que  cet  homme  m'y  vtnt 
trouver,  lequel  cependant  paroouroit  tout  le  pays  pour  ce  su- 
jet, visitant  les  chemins,  les  fleuves  et  les  canq>agnes,  et  gé- 
néralement tous  les  lieux  qu'il  croyoit  me  devoir  servir  ou 
de  retraite  ou  de  passage.  Il  falloit  sans  doute  qu'il  fût  frappé 
de  quelque  aveuglement  pour  ne  pcMnt  trouver  ma  maison, 
ou  plutôt  il  ne  pouvoit  s'imaginer  que  je  demeurasse  chez  moi 
en  un  temps  où  l'on  me  recherchoit  de  toutes  parts.  Mais  en- 
fin, Dieu  m'ayant  commandé,  quatre  jours  après,  de  me  reti- 
rer, et  m'en  ayant  ouvert  le  chemin  d'une  manière  toute 
miraculeuse,  je  sortis,  quoique  avec  peine,  de  ma  maison,  ac- 
compagné de  mes  domestiques  et  de  plusieurs  de  nos  frères. 
Et  les  choses  qui  sont  arrivées  depuis  font  bien  voir  que  tout 
ce  qui  s'est  passé  en  cette  occasion  a  été  véritablement  un 
ouvrage  de  la  providence  de  Dieu,  puisque  nous  n'avons  pas 
peut-être  été  inutiles  à  quelques  personnes.  > 

Et  un  peu  après  il  rapporte  ce  qui  suivit  sa  retraite,  et 
continue  ainsi  son  discours  : 

«  Etant  tombés  sur  le  soir  entre  les  mains  des  soldats,  moi 
et  tous  ceux  qui  m'accompagnoient,  nous  fûmes  amenés  à  Ta- 
posiris*.  Cependant  Timothée,  qui  par  la  providence  de  Dieu 
ne  s'étoit  pas  trouvé  avec  nous,  et  n'avoit  point  été  pris, 
étant  revenu  ensuite  à  la  maison,  il  la  trouva  toute  déserte 
et  environnée  de  soldats  qui  la  gardoient,  et  sut  que  nous 
étions  tous  prisonniers.  Ecoutez  maintenant,  poursuit-il,  quelle 
a  été  l'admirable  conduite  de  la  sagesse  de  Dieu;  car  je  vous 
dirai  au  vrai  ce  qui  s'est  passé.  Timothée  s'étant  mis  en  fhile, 
et  étant  tout  rempli  de  trouble  et  de  frayeur,  eut  à  sa  ren- 
contre un  paysan  qui  lui  demanda  la  cause  pour  laquelle  il 
couroit  avec  tant  de  hâte.  Timothée  lui  avoua  sincèrement  ce 
qui  se  passoit  :  ce  que  cet  homme  ayant  entendu,  entra  aus- 
sitôt dans  une  maison  où  il  alloit  pour  se  trouver  à  quelques 
noces  qu'on  y  célébrait  (car  ces  sortes  de  gens  ont  coutume 

I.  A  la  marge  :  «  An,  a53.  • 

3.  Petite  rille  d'Egypte,  entre  Canope  et  Alexandrie.  (Hotê  de 
Hacine.)  —  H  y  avait  trois  villes  de  ce  nom  en  Egypte. 


586  DE  SAINT  DENYS. 

de  passer  les  nuits  entières  en  ces  festins),  et  il  mooiita  U 
chose  à  ceux  qui  y  ëtoient  assembles  et  qui  s'<Stoient  déjà  mis 
à  table,  lesquels  s'ëtant  levés  à  Theure  même,  et  avec  autant 
de  promptitude  que  s'ils  en  eussent  reçu  le  signal,  se  mirei^ 
à  courir  de  toute  leur  force,  et  se  vinrent  jeter  avec  de 
grands  cris  dans  le  lieu  où  nous  étions,  lequel  ayant  été  aus- 
silèt  abandonné  des  soldats  qui  nous  gardoient,  ces  gens  s'ap- 
prochèrent de  nous,  et  nous  trouvèrent  sur  quelques  coudbet- 
tes,  qui  n'étoient  couvertes  de  rien.  Quant  à  moi.  Dieu  m'est 
témoin  que  je  les  prenois  d'abord  pour  des  voleurs,  qui  n  é- 
toient  venus  que  pour  piller  et  que  pour  faire  quelque  butin; 
et  ainsi,  sans  bouger  de  dessus  le  lit  où  j'étois  couché  «  je 
commençai  à  me  dépouiller,  et  n'ayant  laissé  sur  moi  qu'une 
simple  robe  de  lin,  je  leur  présentois  déjà  le  reste  de  mes  vè- 
tements.  Mais  ils  me  commandèrent  de  me  lever  et  de  me  re- 
tirer au  plus  tôt.  Ce  fut  alors  que  m'apercevant  du  sujet 
pour  lequel  ils  étoient  venus,  je  m'écriai  en  les  suppliant  avec 
instance  de  se  retirer  eux-mêmes,  et  de  nous  laisser  en  ce 
lieu;  ou  plutôt,  s'ils  nous  voulment  faire  quelque  faveur, 
d'exécuter  par  avance  le  dessein  de  ceux  qui  nous  avoient 
amenés,  et  de  me  couper  la  tète.  Pendant  que  je  m'écriois  de 
la  sorte,  comme  tous  ceux  qui  m'ont  suivi  et  accompagné 
dans  tous  mes  travaux  le  savent  assez,  ces  gens  me  firent  le- 
ver par  force.  Mais  m' étant  ensuite  jeté  par  terre,  ils  me  pri- 
rent par  les  mains  et  par  les  pieds,  et  m'enlevèrent  hors  de 
ce  lieu.  Je  fus  aussitôt  suivi  de  ceux  de  nos  frères  qui  ont  été 
les  témoins  de  tout  ce  que  je  viens  de  rapporter,  savoir  Gaje, 
Fauste,  Pierre  et  Paul,  lesquels,  m'ayant  pris  eux-mêmes  en- 
tre leurs  bras,  m'emportèrent  hors  de  cette  petite  ville,  et 
m'ayant  fait  monter  sur  un  âne  qui  n'étoit  point  sellé,  me  ra- 
menèrent en  cet  état.  »  Ce  sont  là  les  choses  que  Denys  écrit 
de  lui-même. 


DES  SAINTS  MARTYRS  D'ALEXANDRIE.    58; 


DES 


SAINTS  MARTYRS  D'ALEXANDRIE  *• 


Voici  comme  il'  raconte,  dans  sa  lettre  à  Fabius,  évcque 
d'Antioche,  les  combats  de  ceux  qui  souffrirent  le  martyre  dans 
Alexandrie,  sous  l'empereur  Dèce  :  «  Ce  ne  fut  Tédit  de  TEm- 
pereur  qui  alluma  la  persécution  qui  s'est  ëlevée  contre  nous, 
car  elle  a  prévenu  d'une  annë»  entière  la  publication  de  cet 
cklit  *.  Ce  fut  donc  un  je  ne  sais  quel  faux  prophète  et  magi- 
cien qui ,  par  la  prédiction  des  maux  dont  il  menaçoit  la  ville 
d'Alexandrie,  émut  et  excita  contre  nous  toute  la  multitude 
des  païens,  échauffant  en  eux  cet  esprit  de  superstition  qui 

I.  Racine  a  écrit  en  marge  :  «  ih.  chap.  ^i.  »  Au  Heu  de  £m- 
sèhe,  livré  VI,  il  a  mis  IbUiem,  cette  traduction  faisant  suite  a  la 
précédente,  ou  il  a  cité  les  chapitres  xxxt  et  xl  du  même  livre  VI. 
Voyez  ci-desêus,  la  Notice^  p.  449,  443  et  44^- 

a.  Saint  Denyt. 

3.  ^«11.  Christ,  aSa.  Philon,  de  l^gatione  ad  Cajum  ^  p.  1009, 
décrit  une  sédition  qui  s^étoit  élevée  dans  Alexandrie  contre  les 
Juifs,  et  tous  les  supplices  qu^on  leur  faisoit  endurer,  le  pillage  de 
leurs  biens,  et  plusieurs  autres  traitements  tous  semblables  à  ceux 
qu'ils  faisoient  souffrir  aux  chrétiens;  et  Ton  j  peut  voir  combien 
ce  peuple  étoit  sujet  aux  séditions,  et  combien  étoit  furieuse  la 
haine  qu'il  portoit  de  tout  temps  contre  les  Juifs,  avec  lesquels  il 
confondoit  aisément  les  chrétiens.  Il  en  parle  encore  fort  ample- 
ment dans  le  traité  Contra  FiaecwH.  Il  y  décrit  le  naturel  des 
Alexandrins,  et  ce  qu'il  en  dit  est  fort  beau.  U  dit  entre  autres  :  t^ 
al'fwrnoxbv  Sià  Ppax,ui^w  ontvOrjpoc  tScoObç  ixç uoav  cxémç.  Dion  en 
parie  en  mêmes  termes.  {Note  de  Racine,)  —  La  page  1009  indiquée 
dans  cette  note  se  rapporte  à  Tédition  qui  a  pour  titre  :  Philonis 
Judmi  omnia  qum  estant  opéra.  Ex  accuratissima  Sigismundi  Gelenii  et 
aliorum  interpretatione,  Lutetim  Parisiorumy  M.  DC.XL  (in*folio). 
Dans  cette  même  édition ,  à  la  page  967  du  traité  In  Flaceum^ 
est  la  phrase  dont  Racine  cite  le  texte  grec,  et  que  l'interprète  la- 
tin traduit  ainsi  :  ....  JEgjptii  e  minima  scintilla  sueti,,,,  sediiionês 
aeeendere. 


588  DES  SAINTS  MARTYRS  D'ALEXANDRIE. 

leur  a  toujours  été  si  naturel  :  de  sorte  que  ce  peqple  étant 
irrité  contre  nous  par  ses  artifices,  et  se  voyant  en  mains  une 
puissance  absolue  pour  commettre  toutes  sortes  de  cruautés, 
commença  à  croire  que  toute  sa  piété  et  sa  dévotion  envers  les 
Dieux  consistoit  à  r^)andre  le  sang  des  chrétiens. 

«  Premièrement  donc,  ils  se  saisirent  d'un  vieillard  nommé 
Mètre  S  et  lui  commandèrent  da  prononcer  quelques  paroles 
impies  et  sacrilèges;  mais  voyant  qu'il  ne  leur  vouloit  pas 
obéir,  ils  le  chargèrent  de  coups  de  bâtons,  et  après  lui  avcnr 
piqué  les  yeux  et  tout  le  visage  avec  des  roseaux  durs  et 
pointus,  ils  le  menèrent  hors  de  la  ville  *,  et  le  lapidèrent. 

«  Après  cela,  ils  amenèrent  dans  le  temple  de  leurs  idoles  une 
femme  chrétienne,  nommée  Quinte  ',  et  la  voulurent  contraindre 
de  les  adorer  :  ce  qu'ayant  refusé  de  faire  avec  horreur  et 
exécration,  ils  la  lièrent  par  les  pieds,  et  la  traînèrent  par 
toute  la  ville,  sur  un  pavé  de  pierres  inégales  et  escarpées,  la 
déchirant  d'un  côté  à  coups  de  fouets,  pendant  qu'elle  étoit 
toute  écorchée  de  l'autre  par  les  pointes  de  ces  carreaux, 
jusqu'à  ce  qu'ils  l'allèrent  enfin  lapider  au  même  lieu  que  le 
précédent.  Ils  se  jetèrent  tous  ensuite  d'une  commune  foreur 
dans  les  maisons  de  tous  les  fidèles;  et  chacun  d'eux  allant 
attaquer  ceux  de  leurs  voisins  qu'ils  reconnoissoient  pour  tds, 
pillant  et  ravageant  tout  ce  qui  étoit  dans  leur  maison,  se 
saisissant  des  plus  précieux  d'entre  leurs  meubles,  et  jetant  çà 
et  là,  ou  mettant  au  feu  ceux  qui  étoient  plus  vils  ou  qui 
n'étoient  que  de  simple  bois,  ils  faisoient  voir  dans  Alexandrie 
l'image  d'une  ville  prise  d'assaut.  Cependant  nos  frères  se 
sauvoient  le  mieux  qu'ils  pouvoient,  et  tâchoient  de  se  retirer, 
voyant  avec  joie  leurs  biens  perdus  et  dissipés,  à  l'imitatioQ 
de  ceux  à  qui  saint  Paul  a  rendu  cet  honorable  témoignage*; 
et  jusqu'à  présent  je  ne  sache  qu'un  seul  entre  eux  qui,  étant 
tombé  entre  les  mains  des  infidèles,  a  renié  le  Seigneur. 

«  La  très-admirable  ApoUonie',  qui  étoit  une  vierge  déjà 


I .  A  la  marge  du  manuscrit  :  «  Saint  Mètre,  i» 

3.  ibidem  :  «  c?c  tb  9cpoaatcî<yv  »  {dans  le  faubourg)^  texte  d^EoiHie. 

3.  Ibidtm  s  «  Sainte  Quinte,  m 

4>  Voyez  V Épure  aux  Hibreuxy  chapitre  x,  Terset  34* 

5.  A  la  marge  du  manuscrit  :  «  Sainte  Apollonie.  n 


DES  SAINTS  MARTTRS  D'ALEXANDRIE.   SSg 

fort  âgëe,  ayant  aussi  été  saisie  par  ces  barbares,  ils  lui  meur- 
trirent le  visage  de  tant  de  coups,  qu'ils  lui  firent  sortir  toutes 
les  dents  de  la  bouche  ;  en  suite  de  quoi,  ayant  dressé  un  bû- 
cher proche  de  la  ville,  ils  la  menaçoient  de  la  brûler  toute 
vive,  si  elle  ne  *prononçoit  avec  eux  les  blasphèmes  que  leur 
impiété  lui  proposoit.  Mais  cette  courageuse  vierge  les  ayant 
un  peu  adoucis  par  quelques  feintes  prières  S  et  s'étant  ainsi 
dégagée  d'entre  leurs  mains,  elle  se  jeta  tout  d'un  coup  au 
mUieu  du  feu,  où  elle  fut  aussitôt  réduite  en  cendres. 

«  Ils  surprirent  de  même  Sérapion'  lorsqu'il  étoit  encore 
chez  lui,  et  après  l'avoir  appliqué  aux  plus  cruelles  tortures, 
et  l'avoir  rendu  perclus  de  tous  ses  membres,  ils  le  précipitè- 
rent du  haut  de  sa  maison. 

«  Au  reste,  il  n'y  avoit  point  de  nie,  point  de  grand  che- 
min, point  de  détours  par  où  il  nous  fût  libre  de  passer  ;  et 
Ton  ne  voyoit  partout  que  des  gens  qui  crioient  sans  cesse 
que  l'on  entraînât  et  que  l'on  brûlât  à  l'heure  même  tous 
ceux  qui  refuseroient  de  blas[Aémer. 

«  Les  choses  demeurèrent  longtemps  en  cet  état,  jusqu'à 
ce  qu'une  sédition  et  une  guerre  civile  s'étant  allumée*  entre 
ces  malheureux  païens,  leur  fit  tourner  contre  eux-mêmes 
la  cruauté  qu'ils  avotent  exercée  contre  nous.  Ainsi  la  fureur 
dont  ils  étoient  animés  envers  les  chrétiens  ne  pouvant  plus 
avoir  son  cours  ordinaire ,  nous  eûmes  quelque  intervalle  de 
tranquillité  et  de  relâche. 

«  Mais  voilà  que  l'on  nous  annonce  tout  d'un  coup  le  chan- 
gement d'un  règne  qui  nous  étoit  si  favorable.  Les  menaces  ter- 
ribles que  l'on  nous  fait  renouvellent  nos  troubles  et  nos 
firayeurs.  Enfin  l'édit  de  la  persécution  est  publié^,  et  il  s'en 
élève  une  si  efiroyable,  qu'il  sembloit  que  ce  fût  de  celle-là 


I.  Racine  a  aussi  écrit  en  interligne  :  «  ayant  fait  quelque  sem^ 
blant  de  leur  Touloir  obéir.  »  Comme  il  n'a  effacé  ni  Tune  ni  l'au- 
tre des  deux  phraies,  on  ne  sait  quelle  est  celle  qu'il  a  préférée. 

9.  A  la  marge  du  manoscrit  :  «  Saint  Sërapion.  » 

3.  Allumée  est  ainsi  au  singulier  dans  le  manuscrit. 

4.  A  la  marge  du  manuscrit  :  n  An,  953.  »  Racine  a  déjà 
donné  plus  haut  (Toyez  p.  585,  note  i)  cette  date  de  la  persécu- 
tion de  Dèce. 


;> 


Sgo   DES  SAINTS  MARTYRS  D'ALEXANDRIE. 

que  le  Seigneur  eût  voulu  parler,  lorsqu'il  a  dit  que  les  âus 
mêmes,  si  cela  ëtoit  possible,  seroient  en  danger  de  tomber*. 

«  Tout  le  monde  aussitôt  est  saisi  de  crainte.  Entre  ceux  qui 
étoient  les  plus  ëminents,  ou  par  leur  extraction,  ou  par  leurs 
richesses,  les  uns  vont  se  présenter  eui^mèmes  avec  crainte 
pour  sacrifier;  les  autres,  et  particulièrement  ceux  qui  étoient 
élevés  aux  charges  publiques  ',  s'accommodent  à  la  nécessité 
de  leurs  afifaires  ;  d'autres  se  laissent  entraîner  par  leurs  amis, 
et  sitôt  que  l'on  les  appelle  par  leur  nom  à  ces  sacrifices  im- 
purs et  profanes,  ils  s'en  approchent  à  l'heure  même  :  les 
uns  pâlissant  et  tremblant  de  crainte,  comme  s'ils  aliment 
moins  pour  sacrifier  que  pour  être  eux-mêmes  immolés  en 
sacrifice,  jusque-là  qu'ils  attiroient  sur  eux  la  risée  de  tous 
ceux  qui  étoient  présents ,  et  qu'ils  faisoient  juger  à  tout  le 
monde  que  leur  lâche  timidité  les  rendoit  également  incapa- 
bles et  de  sacrifier  et  de  mourir.  Il  y  en  avoit  d'autres  an 
rontraire  qui,  s'approchant  des  autels  avec  plus  d'audace, 
protestoient  hardiment  et  effrontément  qu'ils  n'avoient  jamais 
été  chrétiens  en  toute  leur  vie.  C'est  de  ces  sortes  de  per- 
sonnes que  le  Seigneur  a  prédit  qu'ils  *  seroient  sauvés  difii« 
rilement,  et  cette  prédiction  est  très-véritable. 

«  Quant  au  commun  des  chrétiens,  les  uns  suivent  l'exemple 
de  ces  premiers;  les  autres  se  mettent  en  fuite,  ou  sont  pris 
par  les  infidèles;  et  de  ceux-là  il  y  en  a  eu  qui  étant  de- 
meurés^ fermes  jusque  dans  les  liens  et  dans  la  prison,  et 
quelques-'uns  même  durant  plusieurs  jours  de  captivité,  ont 
ensuite  abjuré  la  foi  avant  que  d'être  amenés  devant  les  juges. 
Il  y  en  a  eu  d'autres  enfin  qui,  ayant  souffert  généreusement 
quelques  tortures,  ont  manqué  de  courage  pour  souffrir  le 
reste. 

I.  Saint  Matthieu  ^  chapitre  xxir,  verset  i4;  ^oÂnf  Mare^  cha- 
pitre xm,  rerset  ai. 

a.  Telle  est  la  leçon  très-lisible  du  manuscrit.  M.  Aimé->Martîn 
a  lu  :  (c  Aux  sublimes  charges,  »  ce  qui  n*a  pas  de  sens  raisonnable 
et  aurait  dâ  paraître  suspect  à  M.  Aignan,  qui  a  cm  derotr  aTertlr 
le  lecteur  de  l'impropriété  de  Pexpression. 

3.  Voyez  ci-dessus,  p.  617,  note  4* 

4.  Demeuré^  sans  accord,  dans  le  manuscrit,  ainsi  que cAoûî,  sin 
lignes  plus  bas. 


DES  SAINTS  MARTYRS  D'ALEXANDRIE.   591 

«  Mais  quant  à  ceux  que  le  Seigneur  avoit  choisis  pour  être 
les  fermes  et  bienheureuses  colonnes  de  son  Eglise  ^,  comme 
ils  ëtoient  soutenus  par  sa  puissance,  et  qu'ils  a  voient  reçu  de 
lui  une  force  et  un  courage  qui  répondoit  à  la  solidité  de  la 
foi  sur  laquelle  ils  ëtoient  établis,  on  les  a  vus*  paroître  ainsi 
que  les  admirables  confesseurs  de  son  royaume. 

«  Le  premier  d'entre  eux  fut  Julien*.  C'étoît  un  homme 
goutteux,  qui  ne  pouvoît  se  tenir  debout,  ni  moins  encore 
marcher.-  Mais  '  on  le  fit  apporter  devant  les  juges  par  deux 
autres  chrétiens,  dont  l'un  renonça  aussitôt  à  la  foi,  au  lieu 
que  l'autre  qui  avoit  nom  Cronien ,  et  qui  étoit  surnommé 
Eunus^,  ayant  confessé  le  Seigneur  aussi  bien  que  le  saint 
vieillard  Julien,  on  les  mit  tous  deux  sur  des  chameaux,  et  on 
les  mena  par  toute  la  ville  d'Alexandrie,  qui  est  très-grande, 
comme  vous  savez,  les  fouettant  le  long  du  chemin  en  cette 
posture  :  en  suite  de  quoi,  on  les  brûla  dans  de  la  chaux 
vive  •,  en  présence  de  tout  le  peuple. 

I.  A  la  marge  du  manuscrit  :  «  Le  saint  fait  allusion  aux  99 
et  a3.«"»«  verset  du  psaume  117.  »  —Voici  le  texte  de  ce»  deux  ver- 
sets :  Lapldtm^  quem  reprohaverunt  mcfificantes,  hic  facius  est  in  eaput 
anguli,  —  j4  Domino  factum  est  istud;  et  êst  admirabile  in  oculii  nostris. 

9.  Vu  {yeû)^  sans  accord,  dans  Tautographe. 

3.  A  la  marge  :  «  Saint  Julien.  » 

4.  Ibidem  :  «  Saint  Eunus.  » 

5.  'Ao€£aiii>  icupC.  L'interprète  a  mis  en  cet  endroit  ardentissimô 
igné;  et  plus  bas  il  a  mis  ealee  viva.  Mais  le  xa\  aÙTo\  qui  est 
au  a.  passage  fait  bien  roir  qu'ils  n'ont  tous  deux  qu'un  même 
sens.  Outre  que  ces  païens  étoient  trop  cruels  pour  faire  mourir 
tout  d'un  coup,  ardentissimô  igné,  ceux  contre  qui  ils  étoient  si  en- 
ragés, o5x  eOObç  Ik\  t^c  xupic&Tota  (jiépT)  thiç  TcXi^yâcç  Içepov,  dit  Philon, 
Tva  [xJi  OatTov  xsXstrn^cravtsç ,  Oofrcov  xa\  tt|v  twv  dSuvTjpûîv  ivT(X7i«I»iv 
din66uivTai.  Il  dit  même  qu'ils  ne  brûloient  les  Juifs  que  dans  de 
fort  petits  feux,  composés  d'un  peu  de  sarments,  o^xTp^tepov  xal 
lm|jL7)xiatefOV  SXeOpov  SeiXafoiç  xexviÇovTeç.  {yote  de  Racine.)  —  Les 
passages  de  PhUon  cités  par  Racine  sont  le  premier  à  la  page  974, 
le  second  à  la  page  97$  de  l'édition  de  1640,  dans  l'opuscule  In 
Fiaccum,  L'un  est  traduit  par  l'interprète  latin  :  Pfec  statim  plo" 
gis  Utatibus  ùppetebantur^  ne  accelerata  morte  cito  eriperentur  cruciati- 
bus;  et  l'autre  :  Quo  diutius  morerentur  et  miser ius.  Dans  le  passage 
de  la  page  974,  Racine  a  substitué  fçepov  à  çipovtec;  dans  celui 


591   DES  SAINTS  MARTYRS  D'ALEXANDRIE. 

c  Pendant  qu*on  les  menait  au  si;qpplice,  il  y  eut  un  loldat 
nommé  BesasS  qui  étant  indigne  du  traitement  injurieux  que 
l'on  leur  faisoit  souffrir,  s'opposa  courageusement  à  ceux  qui 
en  ëtoîent  les  auteurs.  Mais  s'ëtant  tous  écriés  contre  lui,  on 
le  mena  aussitôt  lui-même  en  jugement;  et  ce  généreux  sol- 
dat de  Jésus-Christ,  ayant  glorieusement  combattu  dans  cette 
illustre  guerre  de  la  foi,  fut  condamné  à  perdre  la  tète. 

«  Il  y  en  avoit  aussi  un  autre  qui  étoit  Africain  de  nation, 
et  que  l'on  appeloit  Macar',  c'est-4-dire  heureux,  coune  il 
rétoit  en  effet  par  les  bénédictions  que  Dieu  avoit  répandues 
sur  lui*.  Ce  Macar  donc,  n'ayant  point  voulu  se  rendre  à 
toutes  les  sollicitations  que  le  juge  lui  faisoit  pour  le  persua- 
der d'abjurer  la  foi,  fut  brûlé  tout  vif. 

«  Après  eux  parurent  Épimaque  et  Alexandre^,  qui  «  outre 
les  incommodités  de  la  prison  où  ils  étoient  détenus  depuis 
fort  longtemps,  ayant  été  découpés  avec  des  rasoirs,  décÛrés 
à  coups  de  fouets,  et  tourmentés  par  une  infinité  d'autres 
su{4>lices,  furent  aussi  consumés  dans  de  la  chaux  vive. 

«  Us  furent  suivis  de  quatre  femmes  chrétiennes,  dont  la 
première  étoit  Ammonarie*,  cette  sainte  vierge  qui  irrita  teUe- 
ment  le  juge  par  la  protestation  qu'elle  lui  fit  de  ne  jamais 
prononcer  aucun  des  blasphèmes  qu'il  vouloit  qu'elle  pronon- 
çât, que  cet  homme,  ayant  entrepris  de  la  vaincre  à  quelque 
prix  que  ce  fât,  la  fit  appliquer  durant  un  fort  long  temps  aux 
plus  cruelles  tortures.  Mais  elle  accomplit  fidèlement  sa  pro- 
messe, et  on  la  mena  enfin  au  dernier  suf^Uce.  Les  autre» 

de  la  page  975,  il  a  omis  tom;  devant  SEOlafoic.  Plus  haut,  dans  la 
note,  il  cite  xa\  asMiy  au  lieu  de  xa\  oSxoi ,  et  cmleê  vipa^  au  lieu  de 
pivm  C4tlcis  imeendiQ,  Ces  petites  inexactitudes  sont  sans  importance; 
celles  qui  portent  sur  le  texte  grec  et  sur  la  traduction  de  Téditioa 
d'Eusèbe  publiée  en  1659  ne  doivent  pas  donner  à  croire  que 
Racine  ait  fait  usage  d^une  autre  édition.  Les  traductions  antérieures 
à  celle  de  Henri  de  Valois  ont  tout  autrement  rendu  le  passage 
qui  est  Tobjet  de  la  note.  Voyei  d'ailleurs  plus  bas,  p.  $94 «  note  S. 

I.  A  la  marge  du  manuscrit  :  «  Saint  Besas.  » 

1.  Ibidem  :  «  Saint  Macar.  » 

3.  Voyez  V Évangile  Je  taint  Matthieu ^  chapitre  r,  rerset  10. 

4.  A  la  marge  du  manuscrit  :  «  Epimaque  et  Alexandre.  » 

5.  ibidem  :  «  Sainte  Ammonarie.  » 


DES  SAINTS  MARTYRS  D'ALEXANDRIE.    Sgi 

étoient  MercurieS  que  son  grand  âge  et  sa  yerta  rendoient 
extrêmement  Ténérâd>le'  ;  Denise',  cette  mère  féconde  en  en- 
fants, mais  qui  ne  préféra  pas  l'amour  de  ses  enfants  à 
l'amour  qu'elle  avoit  pour  Dieu;  et  une  autre  femme  qu'on 
nommoit  encore  Ammonarie*.  Gomme  le  juge  étoit  tout  hon- 
teux d'avoir  exercé  en  vain  tant  de  cruautés,  et  qu'il  rougis- 
soit  de  se  voir  vaincu  par  des  femmes,  ces  trois  dernières  ne 
passèrent  point  par  les  tourments ,  mais  il  les  fit  tout  d'un 
coup  mourir  par  le  fer.  Aussi  leur  illustre  conductrice,  la 
généreuse  Anûnonarie,  sembloit*  avoir  été  assez  tourmentée 
pour  toutes  les  autres. 

«  Ensuite  Héron,  Ater  et  Isidore*,  qui  étoient  tous  trois 
d'Egypte,  furent  livrés  en  jugement  avec  un  jeune  enfant  de 
quinze  ans ,  nommé  Dioscore  ^.  Le  juge  voidut  commencer 
par  ce  dernier  ;  et  croyant  qu'il  se  laisseroit  facilement  sur- 
prendre ou  intimider,  il  tenta  d'abord  de  le  persuader  par 
de  beaux  discours,  et  enfin  de  le  forcer  par  les  supplices; 
mais  Dioscore  ne  s^  laissa  ni  tromper  ni  vaincre.  Quant  aux 
autres,  après  qu'il  les  eut  fait  mettre  tout  en  sang,  voyant 
qu'ils  demeuroient  toujours  fermes,  il  les  fit  aussi  jeter  au 
feu.  Mais  pour  revenir  à  Dioscore ,  s'étant  fait  admirer  de 
tout  le  monde,  et  ayant  répondu  avec  une  extraordinaire  sa- 
gesse à  toutes  les  demandes  qu'on  lui  faisoit,  le  juge,  qui  ne 
pouvoit  s'empêcher  lui-même  de  l'admirer,  le  laissa  aller,  di- 
sant qu'en  considération  de  son  âge,  il  lui  vouloit  encore 
donner  du  temps  pour  se  repentir.  Et  maintenant  cet  invin- 
cible soldat  de  Jésus-Oirist  est  avec  nous,  ayant  été  réservé 
pour  soutenir  un  combat  plus  long,  et  pour  remporter  une 
couronne  plus  sublime  et  plus  glorieuse  '. 

t .  A  la  marge  du  manutcrit  :  «  Sainte  Mercnrie.  » 
9.  ibidem  :  «  2i{jkVORpt3CtaTdn)  npio€8tcc.  » 

3.  Ibidem:  «  Sainte  Denise.  » 

4.  Ibidem  :  «  Autre  sainte  Ammonarie.  m 

5.  Semblait  est  biffé  dans  le  manuscrit,  et  cependant  ovoir  u*est 
pas  changé  en  aeoi/. 

6.  A  la  marge  :  «  Antres  martyrs.  »  —  7.  Ibidem  :  «  Dioscore.  » 
8.  ibidem  :  «  EU  jm«P^«P«'  C^^]  *T^^«  *«^  BiopxiarcfW  ....  tbv 

lOXov.  »  —  C'est  le  texte  d'Eusèbe  :  «  Pour  un  combat  plus  long 
et  une  couronne  plus  durable.  » 

J.  Bacihi.  t  3S 


594    DES  SAINTS  MARTYRS  D'ALEXANDRIE. 

c  II  y  eut  un  autre  chrëtien,  qui  ëtoit  ausâ  d'Egypte,  et 
qu'on  nonunoit  Nëmësien^,  lequel  fut  faussement  accusé  comme 
un  compagnon  de  voleurs.  Mais  s'ëtant  purgé,  en  présence  de 
son  centenier  ',  d'une  calomnie  qui  lui  avoit  été  imposée  avec 
si  peu  de  fondement,  on  le  déféra  ensuite  comme  chrétien,  et 
on  l'amena  lié  et  enchafné  devant  le  proconsul*,  qui,  par  mie 
extrême  injustice,  l'ayant  ùlt  fouetter  et  tourmenter  au  douMe 
de  ce  que  les  voleurs  ont  accoutumé  de  l'être,  le  fit  brûler  en 
la  compagnie  de  ces  infâmes.  Et  ainsi  ce  bienheureux  martyr 
eut  l'honneur  d'être  traité  en  sa  mort  comme  on  avoit  traité 
Jésus-Christ  même. 

«  Au  reste,  il  y  aVoit  devant  la  place  où  les  juges  étoient 
assemblés  une  compagnie  entière  de  soldats  chrétiens  *,  qui 
étoient  Ammon,  Zenon,  Ptolémée  et  Ingène,  et  avec  eux  un 
vieillard  nommé  Théophile.  Il  arriva  qu'un  chrétien  ayant  été 
présenté  en  jugement,  ces  généreux  soldats  reconnurent  qu'il 
étoit  prêt  de  succomber  et  de  renoncer  à  la  fm.  Ce  fut  lors 
qu'ils  commencèrent  tous  à  serrer  les  dents  de  dépit,  à  Im 
faire  signe  du  visage,  à  tendre  les  mains  vers  lui,  et  à  s'agita 
de  tout  le  corps  pour  l'exhorter  à  demeurer  ferme'.  Tout  le 
monde  se  tourna  aussitôt  pour  les  regarder;  mais  avant  que 
personne  mit  la  main  sur  eux ,  ils  vinrent  eux-mêmes  se  pré» 
sentei*  devant  le  tribunal  du  juge,  en  disant  qu'ils  étoient 
chrétiens  :  de  sorte  que  le  proconsul  et  tous  ceux  de  son  con- 
seil commencèrent  à  être  saisis  de  crainte.  Et  pendant  que  les 
coupables  attendoient  avec  assurance  les  supplices  auxquels 
ils  se  voyoient  prêts  d'être  condamnés,  les  luges  au  contraire 

1.  A  la  marge  :  «  Saint  Ném^ien.  » 

2.  Ibidem  :  «  Cela  montre  qu'il  étoit  encore  un  soldat.  » 

3.  Ibidem  :  «  ^yo6(&cvov.  »  —  Les  mots  :  ^Hxt  Bco|u&n){  hà  tb» 
^youfuvov,  sont  ainsi  traduits  dans  Tédition  de  lâSg  :  ad  prmfedtam 
viiictus  addueiîur, 

4.  Les  mots  :  «  soldats  chrétiens  m  sont  répétés  à  la  marge. 

5.  V[oyez]  p.  i63,  touchant  les  martyrs  de  Lyon.  D  est  [dit] 
d*un  chrétien,  nommé  Alexandre,  qu*il  paroissoit  conune  one  feoune 
en  travail  d'enfant,  6o3ctp  d^Cvniv,  par  Tempressement  avec  lequel 
il  exhortoit  les  chrétiens  derant  les  juges.  {NoU  de  Maeiim.)  —  Cette 
page  i63  (livre  Y,  chapitre  n)  est  oeUe  de  l'édition  de  16S9. 
Voyez  ci-dessus,  p.  449  et  p.  $91,  note  5. 


DES  SAINTS  MARTYRS  D*ALEXANDRIE.    SgS 

trembloient  de  frayeur.  Enfin  ils  sortirent  de  ce  lieu  (pour 
être  conduits  à  la  mort  *}  avec  la  même  allégresse  que  des 
vainqueurs  après  leur  victoire,  étant  tout  joyeux  d'avoir 
rendu  un  si  illustre  témoignagne  à  la  vérité ,  et  de  voir  que 
Dieu  les  faisoit  trioni[Aer  d'une  manière  si  glorieuse. 

«  IP  y  en  eut  une  infinité  d'autres,  soit  dans  les  villes  on 
dans  les  bourgades,  que  les  païens  immolèrent  à  leur  fureur. 
J'en  rapporterai  ici  un  exemple.  Il  y  avoit  un  chrétien,  nommé 
Ischyrion  *,  qui  s'étoit  mis  au  service  d'un  magistrat,  et  qui 
ëtoit  comme  l'intendant  de  sa  maison.  Son  maître  lui  com- 
manda de  sacrifier  aux  Dieux  ;  mais  voyant  qu'il  refusoit  de 
lui  obéir,  il  lui  en  fit  de  très-grands  reproches;  voyant  en- 
suite que  cela  ne  l'ébranloit  pas ,  il  le  chargea  de  mille  in- 
jures. Enfin,  le  voyant  toujours- inflexible ,  il  prit  un  grand 
bâton  ferré  par  le  bout,  et  lui  en  ayant  percé  les  entrailles  de 
part  en  part ,  il  le  tua. 

«  Que  dirai-je  du  grand  nombre  de  ceux  qui  s'étant  réfu- 
giés dans  les  déserts  et  sur  les  montagnes,  y  périrent  tant  par 
la  rigueur  de  la  faim  et  de  la  soif,  du  froid  et  des  maladies, 
que  par  la  cruauté  des  voleurs  et  des  bêtes  farouches  ?  Ceux 
d'entre  eux  qui  sont  échappés  de  tous  ces  périls  savent  quels 
ont  été  ceux  que  Dieu  a  choisis,  et  qui  ont  reçu  de  lui  la  ré- 
compense de  leurs  travaux.  Je  ne  vous  en  rapporterai  qu'une 
histoire,  et  je  crois  qu'elle  suffira  pour  vous  faire  juger  de  ce 
qui  peut  être  arrivé  aux  autres. 

c  Chérémon,  homme  fort  âgé,  étoit  évêque  d'une  ville  qu'on 
appelle  Nil.  Ce  vieillard,  s'en  étant  fui  avec  sa  femme  sur 
une  montagne  de  l'Arabie,  n'est  point  revenu  depuis.  Et  quel- 
ques recherches  que  nos  frères  aient  faites  *  de  l'un  et  de 
l'autre,  ils  n'en  ont  pu  apprendre  aucune  nouvelle,  et  ne  les 
ont  trouvés  ni  morts  ni  vifs.  Il  y  en  a  eu  plusieurs  autres 
qui  s'étant  retirés  sur  cette  même  montagne,  furent  pris  par 
les  Sarrasins,  et  réduits  en  servitude  par  ces  barbares,  dont 
les  uns  ont  à  peine  été  rachetés  avec  de  très-grandes  sommes 

1 .  Glose  de  Racine, 

a.  A  la  marge  du  manuscrit  :  «  Id,  cap,  xui.  » 

3.  Ibtdêm  :  «  Saint  Ischyrion.  » 

4.  II  y  a  /a//,  sans  accord,  dans  l'autographe. 


S96  DES  SAINTS  MARTYRS  D'ALEXANDRIE- 

d'argent,  et  les  autres  ne  l'ont  pu  être  encore  josquan- 
joord'hui. 

c  Ce  n'est  pas  sans  sujet,  mon  très-cher  firère,  que  je  youa 
ëcris  ces  choses;  mais  c'est  afin  que  vous  connoissiei  combien 
de  maux  et  quelles  misères  nous  avons  ici  endurées^,  quoicfae 
ceux  qui  y  ont  eu  plus  de  part  que  moi  peuvent  aussi  les 
oonnottre  plus  parfaitement.  » 

Voici  ce  qu'il  ajoute  encore  un  peu  après  : 

«  Lors  donc  que  ces  saints  martyrs ,  qui  ëtant  devenus  les 
héritiers  du  royaume  de  Jésus-Christ,  sont  maintenant  assis 
avec  lui,  et  qui  ayant  été  faits  participants  de  la  puissance 
qu'il  a  de  juger  les  hommes,  les  jugent  en  effet  avec  lui- 
même  :  lors,  dis-je,  qu'ils  ëtoient  encore  parmi  nous,  ils  reçu- 
rent à  leur  communion  quelques-uns  de  nos  frères  qui  ëtoient 
tombes,  et  que  l'on  avoit  convaincus  du  crime  d'avw  sa- 
crifié aux  idoles.  Car,  jugeant  que  les  sentiments  de  regret  et 
de  pénitence  qu'ils  voyoient  en  eux,  pourroient  être  agréa- 
bles à  Celui  qui  aime  beaucoup  mieux  la  pénitence  du  pé- 
cheur que  sa  mort,  ils  écoutèrent  favorablement  leurs  prières, 
ils  se  réconcilièrent  avec  eux,  et  donnèrent  à  l'Église  des  let- 
tres de  recommandation  en  leur  faveur,  les  £usant  participer 
i  leurs  prières  et  à  leur  communion'.. 

«  Que  nous  conseillerez-vous  donc,  mes  firères,  en  cette 
rencontre?  Comment  devons-nous  nous  gouverner?  Souscri- 
rons-nous et  nous  conformerons-nous  à  la  sentence  que  ces 
saints  martyrs  ont  prononcée?  Devons-nous  autoriser  leur  ju- 
gement par  notre  conduite,  et  faire  grâce  comme  ils  l'ont 
faite?  Traiterons-nous  avec  douceur  ceux  qu'ils  ont  traités' 
avec  compassion?  ou,  au  contraire,  devons-nous  ONidamDer 
leur  jugement  comme  injuste  et  déraisonnable,  et  nous  consti- 
tuer, par  ce  moyen,  les  examinateurs  et  les  juges  de  oe  que 
ces  saints  ont  arrêté?  Faut-il  que  nous  oontristions  leur  bonté 

I.  Dans  le  mAHUserit,  le  participe  s'accorde  ainsi  arec  le  second 
substantif. 

9.  A  la  marge  dn  manuscrit  :  «  *EoTttoi<.  »  Voici  quel  est,  dans 
Eiisèbe,  le  dernier  membre  de  cette  phrase  :  xal  icpootux,&iv  eâroTc 
ita\  loTitfet«8V  ixotvf&viioav. 

3.  Trotté^  sans  accord,  dans  le  manuscrit. 


DBS  SAINTS  MARTYRS  D'ALEXANDRIE.     597 

par  notre  rigueur,  et  que  nous  renversions  ce  qui  a  été  or- 
donne par  eux?  » 

Ce  n'a  pas  ëtë  sans  raison  que  Denys  a  inséré  ces  choses 
dans  sa  lettre,  et  qu'il  a  remué  cette  question  touchant  la 
manière  dont  on  devoit  traiter  ceux  qui,  durant  la  persécu* 
tion,  étoient  tombés  par  infirmité. 

Car'  ce  fut  en  ce  temps  que  Novatien,  prêtre  de  l'Église  de 
Rome,  s'étant  élevé  contre  eux  par  un  esprit  aveuglé  d'or- 
gueil, et  soutenant  qu'il  ne  leur  pouvoit  plus  rester  aucune 
e^>érance  de  salut,  quand  même  ils  feroient  tout  leur  possible 
pour  retourner  à  Dieu  par  une  sincère  conversion  et  une  con- 
fession pure  de  leurs  péchés,  il  se  fit  l'auteur  d'une  secte  par- 
ticulière de  gens  qui,  par  un  excès  de  vanité,  se  nommèrent 
purs.  Sur  quoi,  après  que  l'on  eut  assemblé  à  Rome  un  fort 
grand  concile,  où  se  rendirent  soixante  évêques,  outre  les  prê- 
tres et  les  diacres,  dont  le  nombre  y  étoit  beaucoup  plus 
grand,  et  que  l'on  se  fut  informé  du  sentiment  particulier  de 
tous  les  pasteurs  des  autres  provinces,  touchant  ce  qu'on  de- 
voit  faire  sur  ce  sujet,  l'on  déclara,  par  un  décret  qiii  fut  pu- 
blié partout,  que  Novatien  et  tous  les  complices  de  son  au- 
dace, aussi  bien  que  tous  ceux  qui  adhéreroient  à  l'opinion 
cruelle  et  impitoyable  de  ce  faux  docteur,  dévoient  être  ré- 
putés comme  des  membres  retranchés  du  corps  de  l'Église; 
et  que  pour  ceux  des  frères  qui  étoient  malheureusement 
tombés  durant  la  persécution,  on  devoit  leur  appliquer  les 
remèdes  de  la  «pénitencci  afin  de  leur  procurer  la  santé. 

On^  pourrait  rapporta^  ici  thistoire  de  Sérapion^  écrite  par 
saint  DenxSf  et  qui  est  dans  t Office  du  Saint-Sacrement^. 

I.  A  la  marge  du  manuscrit  :  «  Id.  c.  43.  » 

9.  Ibidem  :  jr  Id.  chap.  44.  »  —  Au  chapitre  xuv  du  livre  VI 
d*Eusèbe,  que  ces  dernières  lignes  de  Racine  annoncent  l'inten- 
tion de  tradoire,  il  est  en  effet  parle  de  saint  Sërapiom  On  lit 
encore  au-dessous  des  mêmes  lignes,  en  marge  :  «  id,  chap.  4^*  » 
Dans  ce  chapitre  xly  se  trouve  Tépitre  de  saint  Denys  à  Novatien, 
qui  devait,  on  le  voit,  être  traduite  aussi.  Mais  ce  travail  parait 
n*avoir  pas  été  continué. 

3.  VOffice  du  Samt'Sacrement,,,,  apee  trois  cent  douze  noupeiles 
eçons  tirées  des  saints  Pères  et  auteurs  eccle'iiastiques  des  doute  premiers 


598  DES  SAINTS  MARTYRS  D'ALSXANDRIE. 

siècles. „^  fut  publie,  en  lôSp»  chez  Pieirele  Petit  (i  Toliime  în-S). 
La  seconde  partie  du  Tolume,  qui  a  une  pagination  à  part,  a  pour 
titre  :  Tradiiio  EcciesUs  de  sanctUsimo  Eueharistim  saerameiUo,  On  y 
trouTe,  à  la  page  97  (Officium  sextum,  —  Ex  sancto  Dionjslo^  Alesem' 
Jrino  epueopo.  —  Leetio  4)1  l'histoire  de  saint  Sâ*apion,  aTec  ren- 
Toi  au  livre  VI,  chapitre  xixv,  d'Eusèbe.  Nous  ayons  tu  un  antre 
exemplaire  de  ce  livre  portant  la  date  de  1661,  et  qui  du  reste  â  li 
page  97  n'offine  pas  de  diffërence  avec  TMition  de  1659.  Ne  crojaot 
pas  que  Racine  ait  pu  désigner  un  autre  livre  que  celui  dont  nous 
venons  de  parler,  nous  trouvons  là  une  nouvelle  preuve  qu'il  n*t 
pas  écrit  ces  traductions  avant  Tannée  tôSg,  et  qu'on  les  a  rappor- 
tées à  tort  au  temps  de  ses  études  à  Port-Royal. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CONTENUES  DANS  LE  CINQUIÈME  VOLUME. 


EPITAPHES I 

Notice 3 

I.  ÉpITAPBB  DB  g.  F.  DB  BbBTAGITB,  DIMOI8BX.LB  DB  VbE- 

TUS 9 

II.  ÉpFTAPHB  DB  MlCHBL  LB  TblLIBH Il 

in.  Épitapbb  DB  BIadbxoisbllb  DB  Lamoiaiiov i3 

EXPUCATIONS  DE  MÉDAILLES i5 

Notice 17 

I.    La  pbub  DB  Mabsal 47 

II.    La     TIIXB     d'EbFOBD     BBBDDB    a    X.'ABCBBYiQUB    PB 

Matbhgb 5o 

ni.  DUVBBBQUB  fobtipibb Sa 

lY.    WOEBDBir  SBGOUBU 55 

▼.    La  TAÉTB ....  58 

FRAGMENTS  ET  NOTES  HISTORIQUES 6i 

Notice ^3 

I ^ 71 

n 73 

m 74 


6oo  TABLE  DES  MATIËEES. 

IT 7^ 

T 83. 

▼I 88 

▼n.       CiBDDrAL  MÀZÀsm 89 

Tui 93 

IX.  M.  DB  Sghombeeg 94 

X.  .  .  w io3 

XI 104 

xn io5 

XIII -  106 

Xnr.    MOAT  DB  M.  GOIABET IIO 

XT III 

XTI III 

xrn.   i685 iis 

xTiii.     1691 ,....-..^... ii3 

XIX , 114 

XX.  1693 iiS 

XXI.  1693,  91  mai 118 

xxn.      1694 119 

xxm I30 

XXIY • ^ isi 

XIY.        Bout  MOTS  DU  Roi is3 

PArnnrcB  du  Roi is5 

xxTi.     NomrBLLis is6 

XXTII.    STRASBOimO •  is6 

xxTiii.   Allskaobb 1^9 

XXIX.     Ahglbxbrbb i3a 

ESPAOKB.  •  •  •  • • .  • i33 

XXX.        TUBCS.  NsGOCIATIOBt  DB  NoAILIJ»^  BtAqCT  D*Ax.  l34 

Vkhisb 1 36 

XXXI. 137 

XXXII.     PoU}GBB l39 

XXXIII ••.•••  14s 


TABLE  DES  MATIÈRES.  6oi 

xxxrr 145 

xxxT.       Vnm 147 

XXXTI.        HOLLASDB ^ I48 

XXXTII.      POBTUOAL l54 

XXXTIU.    PO&TOOAL ^ l6c 

XXXIX.      •••• » • 169 

XL.               164 

xu.         Gabdivaux 167 

XUI.           ROMB 168 

xLin 170 

XUY 170 

XLT 171 

XLTI 171 

XLTII 17s 

XLTni 173 

XUX.          PiX&IB  DE  MaAGA 178 

«• «78 

u.     i665 , 180 

ui.    1679 189 

jLiii.    1679 184 

1680 186 

1681 188 

1689 189 

UT.      189 

LY.       190 

NOTES  SUR  DES  SUJETS  RELIGIEUX 199 

I.               RinXXIOKS  PIBO8X8   SUA  quxlquss  passaghs  db  * 

L'ÉCUTD»  UI>T. >0t 

it.            Rbxabqubs  sûr  ATBàUE 9o5 

ni.               POBT-AOTAL  BT  FlIXBS   DB    L*B]rFAHCX 919 

lY.               EXTBATT  DB«  9">~  DimCULtis 9l6 

Y.                  AcCUtATIOHft  COBTBB  LBS  PP.  BisioiGTDrft 9l9 


6oi  TABLE  DES  MATIERES. 

Yi.    Extrait  des  axcieniBi  dd  Parlsmkst »3i 

Tii.  Extrait  dd  iiyRs   unrraiÀ  concoudia  râtioms  et 

FIDEI  SEU  ALNETAfiM  ÇVJESTIOfiES    .     337 

OUVRAGES  ATTRIBUÉS  A  RACINE a3i 

PRÉCIS  fflSTORIQUE  DES  CAMPAGNES  DE  LOUIS  XIV 

DEPUIS  167a  JUSQU'EN  1678 a33 

Notice. a33 

Paicis  HISTORIQUE «43 

RELATION  DE  CE  QUI  S'EST  PASSÉ  AU  SIÈGE  DE 

NAMUR 3o5 

Notice 3o5 

Rblatior 3i« 

EPÎTRE  A  MADAME  DE  MONTESPAN 349 

Notice 349 

Épitrb 353 

HARANGUE  FAITE  AU  ROI  PAR  L'ABBÉ  COLBERT. .  356 

Notice 356 

Harahgue 359 

FACTUMS  POUR  LE  MARÉCHAL  DE  LUXEMBOURG.  365 

Notice 365 

Fagtum 384 

Au  Roi  bt  a  NossfiiGNEuits  de  son  coaseil 391 

RÉPONSE  DE  MONSEIGNEUR  L'ARCHEVÊQUE  DE 
PARIS  AUX  QUATRE  LETTRES  DE  MONSEI- 
GNEUR L'ARCHEVÊQUE  DE  CAMBRAI 395 

Notice 3<j5 

RÉPOirgB  Ds  l'arghstAque  ds  Paris 400 


TABLE  DES  MATIERES.  6o3 

CRITIQUE  DE  L'ÉPÎTRE  DÉDICATOIRE  DE  CHAR- 
LES  PERRAULT 408 

Notice 408 

Épîtbb  db  Chablbs  Per&ault 410 

CbITIQUB  de  L'sPiTBB  DB  ChABLBB  PbBBAULT 4l  1 

TRADUCTIONS 4a3 

Notice 495 

LE  BANQUET  DE  PLATON 449 

Lettre  de  Racine  à  Desprâiux  en  loi  enroyant  le  Ban- 
quet de  Platon 4^1 

Lb  Bahqubt  db  Platoh 4^3 

FRAGMENTS  DE  LA  POÉTIQUE  D'ARISTOTE 478 

EXTRAITS  DU  TRAITÉ  DE  LUCIEN,  COlfâfJffJVT  IL 
FAUT   ÉCRIRE  L'HISTOIRE^  ET  DE   LA   LETTRE 

DE  DENYS  D'HALICARNASSE  A  CNEIUS  POMPÉE.  491 

ExTBAIT  DU  TBAiri    DB    LuCIBV  COMMENT.  IL  FAUT  ÉCRIRE 

L'HISTOIRE 493 

EXTBAIT  DB  DbHTS  d'HaLTGABHASSB 5oO 

APPENDICE  AUX  TRADUCTIONS 5o3 

La  Yii  dx  Diooàiri  lb  çtriquk 5o5 

Dii  Essimxm. 539 

LkTTBB  DB  X.'ÉgUSB  DB  SmTBIIX  touchant   lb  MARTTBB  DB  SAINT 

POLTCABPB • 559 

La  Yib  db  SAorr  PoLTCABn 579 

ECTBAIT   O'ONB   LBTTBB    DB    SAIBT   iRBNiB    A   FlOBIN  ,    QUI    iruiT 

TOMBÉ  OARB  l'hBBBSIB  DU  VALEimiflBirt $76 

ÉptTBB  SB  SADIT  POLTCABPB,  ÉviQCB  DB  SnYRIfl,  BT  IACBÉ  MAB- 

TYB  DM  JÉSUI-ChBIST^  AUX  PhIUPPIUTS 578 

Dl  lAOrr  DbBTS,  ABCBBTiQUB  D'AraXAROBXB. • 584 

Du  sAum  MABTTBs  d'Albxaiidbib 587 

PIB  DB   LA   TABLK  DBS  MATlàHBS. 


toooi.  ^  IMPRIMERIE  GÉNÉRALE  DE  CH.  LAHURE 
Rne  de  Fleonii,  9,  à  Paris