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LES
GRANDS ÉCRIVAINS
DE LA FRANGE
NOUVELLES ÉDITIONS
DE M. AD. REGNIER
Membra da nutitot
ŒUVRES
DE
J. RACINE
TOME V
IMPRIMERIE GlîlfiRALE DE CH. LAHURB
Rue d« Flcunu, 9, à Ptuû
OEUVRES
DE
J. KACJNE
NOllVh.r.LE ÉDITION
flUB Ut PLUS AXOOOEMê IMPBSMIOII8
R US AVnOGRAPBXS
lac ia^dits, des TariaDte», de notSeet, de note», d'un lexique dei mott
eC lodfttioiie mnaitiuables, d*iiii portrait, de fac-similé, etc.
PAR M. PAUL^fiESNARD
4 fe
TOME CINQUIÈME
PARIS
LIBRAÏKIK DE L. HACHETTE ET C'
■ ovi.mT*ao (AiaT-aBKMAiK, n* 77
i865
ÉPITAPHES
J. Ra
NOTICE.
Dk trois éfiîtaphes sorantes il y en a une que Lonis Ra^
dnei dans ses Mémmresf reconnaît pour l'œuvre de son père :
« Ha, dît-il, composé en prose l'épitaphe de Mlle de Vertus,
dont lalongue pénitence l'avoit pénétré d'admiration. » Voyez
notre tome I, p. 347. Ce témoignage de Lonis Racine est
d'aïUeurs saperÂi. L'épltaphe se trouTe écrite, arec quelques
ntDies et corrections, de la main même de Racine, au tome II,
feuillet ia3, de ses manuscrits conservés à la Bibliothèque
iiapériale*
L'authenticité de l'épitaphe de Michel le Tellier et de celle
de Mlle de Lamoignon ne se démontre pas aussi absolument.
Les preuves que nous en avons nous semblent cependant très-
soffisantes,
Boiieau écrivait à Racine le 29 juillet 1687 : « Je n'ai
jamais pu deviner la critique que peut faire M. l'abbé Tal«
lemant sur l'endroit de l'épitaphe que vous m'aves mar-
qué. ITest-ce point qu'il prétend que ces termes : < il fut
c Donuné, » semblent dire que le roi Louis XIII a tenu M. le
Tellier sur les fonts de baptême; ou bien que c'est mal dit,
que le R<m le choisit < pour remplir la charge, etc., » parce
qœ c'est la charge qui a rempli M. le Tellier, et non pas
M. le Tellier qui a rempli la charge...? C'est à tous à m'ex-
pliqœr cette énigme.. •• Vous ne me parlez point de l'épitaphe
de Mlle de Lamoignon.... » U est important de remarquer que
dans la lettre autographe, la première phrase était d'abord
JÔnsi écrite : « Je n'ai jamais pu deviner la critique que vous
peat faire. ... » Tel est le texte que tous les éditeurs avant
M. Berriat-Saint-Prix avaient conservé. Boiieau a effacé le mot
t'ow. Mab, en dépit de la rature, il subsiste comme preuve.
4 ÉPITAPHES.
Racine, dans la réponse qu'il fit à Boileau le 4 ^oût suivant,
parlait ainsi des deux épitaphes : « Je suis bien aise que vous
n'ayez pas conçu la critique de Fabbé Tallemant : c'est signe
qu'elle ne vaut rien. La critique tomboit sur ces mots : « Il en
« commença les fonctions. » Il prétendoit qu'il falloit dire né-
cessairement : c 11 commença à en faire les fonctions. » Le
P.Bouhours ne le devina point, non plus que vous, et quand
je lui dis la difficulté, il s'en moqua. Je donnai l'épitaphe de
Mlle de Lamoignon à M. de la Chapelle en l'état que nous
en étions convenus à Montgeron; je n'en ai pas ouï parler de-
puis. » On ne peut pas raisonnablement douter, aprà avoir lu
ces passages des deux, lettres, que Racine ne soit l'auteur de
l'épitaphe de M. le Tellier, et qu'il n'ait rendu un semblable
hommage à la mémoire de Mlle de Lamoignon. Ce qu'il
écrit de Vépitaphe composée pour celle-ci pourrait, il est
vrai, fsûre soupçoimer que Boileau y a eu quelque part. Il
semble toutefois plus probable que Racine lui a seulement de-
mandé quelques conseils.
Les chicanes de l'abbé Paul Tallemant citées par Boileau et
par Racine se rapportent an texte que nous donnons de l'é-
pitaphe de le Tellier. Cette épitaphe est donc bien celle que
Racine ayait écrite.
A-t-on la même certitude pour l'épitaphe gravée sur le
tombeau de Mlle de Lamoignon, et dont le lecteur trouvera
ci-après le texte? Plusieurs avaient pu être proposées^ mais,
en fût-il ainsi, il resterait infiniment probable que la famille
de Lamoignon, si étroitement liée d'amitié avec Racine , lui
donna la préférence sur tout autre. M. Berriat-Saint-Prix
(voyez le tome IV de ses Œuvres de Boileau^ p. i66, note 6,
et le tome II, p. 44 1» note 3) a cru que l'épitaphe mentionnée
dans les lettres de Boileau et de Racine n'est autre chose que
les Vers de Boileau pour mettre au bas du portrait de Mlle de
Lamoignon. Cette opinion serait difiicile à admettre.
Les épitaphes de le Tellier et de Mlle de Lamoignon ont été
pour la première fois recueillies dans les Œuvres de Racine
par M. Aignan (édition de i8a4, tomelV, p. 38i et 38a), U
les avait tirées de la Description historique de la ville de Paris
par Piganiol de la Force (lo vol. in-ia, 1765}. Cet auteur ne
dit pas par qui elles ont été composées. Il s'est contenté de
NOTICE. 5
les copier sur les pierres des tombeaaxy dont l'une était dans
Téglise de Saint-Gervais et Saint-Protais, l'antre dans l'église
des Cordeliers, située sor nne petite place où conunençait la
me de l'Observance, près de l'École de médecine. Nous n'a-
¥ons pu savoir ce qu'est derenue, depnb la démolition de cette
église, la pierre tnmulaire de Madeleine de Lamoignon. Le
tombeau du chancelier le Tellier se voit encore aujourd'hui
dans l'église de Saint-Gerrais; mais l'inscription a disparu;
nous ignorons également quel sort elle a eu. On s'expliquerait
sans peine que la Révolution ne l'eût pas épargnée; il y a
même lien de s'étonner que l'œuvre du sculpteur ait été pré-
servée de la destruction. Le texte que nous donnons des deux
inscriptions est celui de Piganiol die la Force.
Voici la description qu'il fiiit du tombeau de Michel le Tel-
lier, au tome IV, p. 140 et 141, de l'ouvrage cité ci-dessus:
t Dans une chiq>elle qui est à côté du choeur («fe V église
Saini'Gervais)f à main droite, on remarque le tombeau de
Ifichel le Tellier, chancelier de France.... Sous un grand arc
porté sur deux jambages est un sarcophage, ou tombeau de
marbre noir, sur lequel est la figure du chancelier le Tellier,
à demi couchée, et au pied de laquelle est un génie en pleurs.
Sur un cartouche qui est au-dessus est l'urne qui est censée
contenir ses cendres, et qui est entre deux autres génies aussi
en pleurs. Sur l'archivolte sont les figures de la Prudence et
de la Justice; et sur des piédestaux en saillie, au bas des pi*
lastres, sont la Religion et la Force. Ce monument est orné de
feuillages, de festons et de pentes, le tout de bronze doré.
Tout l'ouvrage est d'un très-bon goût. La sculpture est du
dessin et de l'exécution de Pierre Mazeline et de Simon Hur*
trelle, sculpteurs de l'Académie royale de peinture et de
sculpture. Sur le devant de ce tombeau est gravée l'in-
scription. »
Le Tellier est trop célèbre pour que nous ayons id à par-
ler de lui. Au sujet de l'épitaphe que, par ordre sans doute.
Racine a composée pour ce dur ministre, nous ne ferons
qu'une remarque. Les mots : « content d'avoir vu consommer
ce grand ouvrage, * sont, dans les écrits qui nous restent
de Racine, le seul éloge que nous ayons rencontré (et il eût
été difficile alors de le faire plus modéré) de la révoca-
s ÉPITAPHES.
don de Tédit de Nantes, Voyez ce qoe nous avens dit d'un
passage dn Prologue d^Esther^ dans notre tome III, p. 462,
note 4*
Piganiol de la Force, dans sori tome Vil, p. 27 et soivan-
tes, décrit la chapelle des Besançon de l'église des Cordeliers.
c La chapelle des Besançon, dit-il , renferme les cendres de
plusieurs magistrats de ce nom et de plusieurs autres des fa-
miUes des Bullion et des Lamoignon, qui en descendent par
Charlotte de Besançon, femme de Charles de Lamoignon,
conseiller d'État, mort en i573.... On voit dans cette même
chapelle les épitaphes de Charles, de Guillaume et de Made-
laine de Lamoignon.*.. La Demoiselle (^ Lamoignon) dont on
va lire Tépitaphe étoit sœur de Guillaume de Lamoignon ,
premier président du parlement de Paris, et fille de Chrétien
de Lamoignon, président à mortier au même parlement, et
de Marie Deslandes {de Landes^ dans le Diethrmaire de Mo-'
réri)» »
L'épitaphe que Racine avait écrite pour Mlle de Vertus
n'est point celle que cite le Nécrologe de 1 72) comme ayant
été gravée sur la pierre tumulaire , qui était à Port-Royal
des Champs, dans le cimetière des Religieuses. Le lecteur
aimera sans doute à trouver ici cette épitaphe du Néèro»
loge pour la comparer avec celle de Racine. On remarquera
entre Tune et l'autre des rapports frappants : quelquefois des
expressions semblables, et partout les idées s'enchalnant dans
le même ordre. Il est vraisemblable que Pépitaphe de notre
auteur a été composée la première, qu'à Port-Royal on s'est
fait scrupule d'une forme qui pouvait sembler trop littéraire,
et qu'on s'est beaucoup aidé du travail de Racine en le refai-
sant. Voici l'épitaphe qu'on trouve dans le Nécrologe ^ avec la
courte notice qui l'y précède (p. 438} :
c Le vingt et unième jour {de novembre) 169a, moumt en
ce monastère Demoiselle Catherine-Françoise de Bretagne de
Vertus, que l'on peut regarder comme une héroïne du chris-
tianisme et un prodige de piété. En qualité de bienfactrice elle
a demeuré vingt et un ans dans cette maison; et pendant tout
ce temps nous a donné en toute occasion des marques écla-
tantes de sa charité, de sa libéralité chrétienne et de son ten-
dre attachement. Elle nous étoit si unie que la mort même
-^
NOTICE. 7
D'à pas été capable de la séparer de nous. Son humilité hi a
£ût choisir sa sépulture dans le cimetière des Religieuses^ oè
noos loi aTons fait dresser cette épitaphe :
c Ici repose Catherine-Françoise de Bretagne, Demoiselle
de Vertns. Elle fat sérieuse, constante, généreuse dès Pen*
fiuiœ. Elle passa sa plus grande jeunesse pratiquant par
piété la règle de saint Benott dans un monastère. Elle en
fut tirée par les flatteries de la cour, où elle prit tn^ de
part aux intrigues et aux plaisirs qu'elle désiqiprouvoit. Mais
Dieu la fit enfia ressouvenir de ses premiers sentiments ; et
die lui rendit tout son ccBurw U lui montra le sentier droit
qui mène è la vie; et la princesse Anne- de Bourbon^ l'y
ayant suivie, die Ja oonsola par l'exemple de sa joie dans
hs austérités d'un jeâne continuel, et la soutint par sa tran-
quillité au milimi de la tempête qui agitoit alors TÉgliae*
Son application aux besoins de l'Épouse de Jésus-Christ la
rendit digne de contribuer à la paix de ses enfants. Après
quoi, n'ayant plus rien à faire sur la terre, qu'à se préparer
à la mort, elle se retira dans ce monastère, où elle se seroit
engagée sans ses infirmités. Elles l'attachèrent au lit durant
les dernières années de sa vie; mais elles n'interrompirent
ni sa régularité à la lécttation de l'office à toutes les heures
de la communauté, ni son attention aux besoins du pro-
chain, ni le progrès de son amour pour Dieu et pour son
Eglise. Elle passa de ce monde après vingt et im ans de souf-
frances et de clôture, âgée de soixante et quinze ans, aya^t
disposé en faveur des pauvres du peu que ses grandes et
continudles aumônes lui avoient laissé, le ar novembre
169S1. »
Bans cette épitaphe, comme dans celle que Bacine a écrite,
le nom de Catherine-Françoise de Bretagne rappelle l'illustre
origine de Mlle de Vertus, qui descendait des anciens princes
de la Bretagne, et ne la rappelle qu'autant qu'il convenait.
Le cimetière des Beligieuses de Port-Royal n'était pas un
lieu où dussent s'étaler avec trop de faste les titres mondains
de la bienfaitrice du monastère. U était mieux d'ailleurs de
ne pas nonomer expressément une maison souveraine dont
I. La dachesse de Longaerille.
8 ÉPITAPHES.
Mlle de Vertus n'était îssae que par un frère naturel de la
reine Anne. Le père de la piense pénitente de Port-Royal
était Claude d'Avaugoor, comte de Vertus , et sa mère Cathe-
rine Fonquet de la Varenne. La belle Montbason était sa sœur
aînée. On trouvera d'intéressants détaik sur toute la vie de
Mlle de Vertus, particulièrement sur le temps de sa pénitence
et de sa retraite, dans le Pon^Rojral de M. Sainte-Beuve.
Nous y avons déjà renvoyé à la page 347, note a, de notre
tome I ; mais nous n'avions pas alors l'édition de ce livre pu-
bliée en 1867 ; nous indiquerons ici de préférence cette nou-
velle édition, à laquelle l'auteur a fiât des additions. On peut
voir le tome V, aux pages 9^1 aa; M. Sainte-Beuve y a cité
dans une note (p. io3) quelques médisances du P. Rapin»
qui ne sauraient jeter aucune ombre sur l'éloge que Racine a
fait de Mlle de Vertus.
Dans un autre de ses écrits (voyez notre tome IV, p. 6o5)
Racine a dit quelques mois de Mlle de Vertus et de son amie
Mme de Longaeville, en laissant tout l'avantage à la première.
Nous avons en sous les yeux une ancienne copie de l'épi-
taphe de Mlle de Vertus, faisant partie des manuscrits de la
bibliothèque de Troyes, que nous avons déjà mentionnés
dans notre tome IV, p. 267 et 599. Cette copie est presque
entièrement conforme à l'autogriqïhe, qui la rendait d'ailleurs
à p«i près inutile pour nous.
n
ÉPITAPHES.
I
ÉPITAPHE
DE C. F. DE BRETAGNE,
DBMOISBLLB DB VBRTUS ^
IcT repose Catherine-Françoise db Bextàcnb, Demoi-
selle DB Vbbtus. Elle passa sa plus tendre jeunesse dans
le désir de se donner à Dieu, pratiquant dès lors avec un
goût particulier la règle de S. Benoît dans un monastère.
Mais engagée dans le monde par ses parents, les flatteries
des gens du siècle et cette estime dangereuse que lui
attiroient les grftces de sa personne et les agréments de
son esprit ' l'emportèrent bientôt sur ses premiers senti-
ments, dont elle ne laissoit pas d*étre toujours combattue.
Pour sorcrott de malheur* se trouyant mêlée fort ayant
I. Le texte que nous donnons de cette ^itaphe est celui du
numnscrit aatographe. Voyez oi-dessos, p. 3, au conunencement
de UiVtfllM. — Dans la copie de Troyet, le titre est : ÈpUaphe de
Mlle de Vertuê^ wtorie et enterrée à Port-Bojrtd des Ckan^,
1. La première rédaction dana le manuscrit était : « que loi atti«
rotent les pnandes qualités de fon corpa et de son esprit. »
3. Pour comble de malheur, (i^* rédaction.)
lo ÉPITAPHES.
dans les cabales ^ qui divisoient alors la cour^ elle prit
hélas ! trop de part et aux plaisirs et aux intrigues ' que
dans son ftme elle condamnoit. Mais Dieu, qui ne vouloit
pas qu*elle pérît , jeta une amertume salutaire sur ses
vaines occupations *, et permit que rebutée de leur mau-
vais succès ^ elle en connût mieux le néant, et qu*ellelui
rendit tout son cœur. Elle eut le bonheur, dans les pre-
miers temps de sa conversion, de fortifier par son exemple
et par ses conseils la duchesse de Longueville dans le
dessein qu'elle forma aussi de se convertir, et fut l'ange
visible* dont Dieu se servit po|ir aider à cette princesse
à trouver la voie étroite du salut*. Catherine, malgré ses
continuelles infirmités, affligeoit son corps par des austé-
rités continuelles, goûtoit une paix profonde et une soli-
tude intérieure au milieu des troubles et des orages dont
elle voyoit avec douleur TÉglise agitée, veillant sans
cesse à tous les besoins de cette Épouse de J. G. et de
ses membres , surtout de ceux qui souffSroient pour la
défense des vérités chrétiennes''; et fut rendue digne par
cette charité si compatissante de contribuer à la paix qui
calma pour un temps toutes ces tempêtes. Alors per-
suadée qu*elle n'avoit plus autre chose à faire que de
consommer sa pénitence, elle se retira dans cette maison,
dont elle embrassa toutes les pratiques, et où ses * vio-
lentes maladies, qui rattachèrent au lit pendant les
I. Dans les intrigues, (i** rëdacdon.)
«. Et aux affaires, {i^ rédaction.)
3. Sor ses vains amusements, (i^* rédaction.)
4. Dans la copie de Troyes : u de leurs mauTâit suoo^ »
5. L'ange tutëlaire. (i** rédaction.)
6. Et pour aider à cette princesse à trouver la voie étroite du
salut, et pour la consoler et la soutenir dans le» longs traraux de
sa pénitence, (i^ rédaction.)
7. Surtout de ceux qui sonffiroîent pour é\e, (i>* rédaction.)
8. D y a ^/, au lieu de set^ dans la copie de Troyes.
ÉPITAPHES. II
onze dernières années de sa vie, l'empêchèrent seules de
&ire profession. Mais elles n'empêchèrent pas sa régu-
larité à réciter tous les jours TofiBce aux mêmes heures
de la communauté, son attention aux nécessités du pro-
diain ', sa charité pour toutes les sœurs, et surtout son
attention i Dieu dans uiie adoration perpétuelle ^ au mi-
lieu de tous ses maux, qu*elle souffrit avec une extrême
humilité et avec une patience incroyaUe '• Enfin, âgée
de 74 tuiSi après avoir laissé ce qui lui restoit de bien
aux pauvres, et vécu en pauvre elle-même *, elle rendit
son âme i Dieu, munie de tous les sacrements des mou-
rants, au milieu de toutes les sœurs ', le.... *.
I. An néïesâtés des pauvres, (f^ rédaction.)
1. Son attendon à Dieu et une adoiation peipëtuelle de sa ml-
iéricarde. (i'*rëdaction.)
3. Et aTec une padenoe sans bornes, (i'* rëdacdon.)
4. Et v^n eUe-même comme les pauTres. (i'* rëdacdon.)
5. De toutes les scsurs, quMle avoit tendrement aimées, (i'* ré-
daction.)
6. La date est le ii novembre 1693. Voyez ci-dessus, p. 6.
la ÉPITAPHES.
II
ÉPITAPHE
DE MICHEL LE TELLIER,
A LA GLOIRE DE DIEU,
XT A Là MJliOlllH JTBIlWKf.f.»
DE MICHEL LE TELLIER,
Chancelier de France , illustre par sa fidélité inviolable
envers son prince , et par sa conduite toujours sage ,
toujours heureuse. Il fut nommé par le roi Louis XIII
pour remplir la charge de secrétaire d^État de la guerre,
et en commença les fonctions la première année de la
régence d^ÀNNS d^Autrichs. Dans des temps si difficiles,
il n*eut d'autre intérêt que son devoir, et fut regardé de
tous les partis comme le plus habile et le plus zélé dé-
fenseur de l'autorité royale. Louis lb Grand , ayant ré-
solu de gouverner toutes choses par lui-même, le choisit
pour être un des principaux ministres de ses volontés,
et se servit de lui pour rétablir Tordre de son État et la
discipline dans ses armées. U Téleva depuis à la dignité
de Chancelier.
Dans cette longue suite d'honneurs, il signala sa piété
envers son Dieu , sa passion pour la gloire de son roi, et
son amour pour le bien de l'État. Il fit également admi-
rer en lui le grand sens, l'équité, la modestie. Enfin, à
Tàge de lxzxiii ans , le 3o d'octobre de Tan m dclxxxv,
huit jours après qu'il eut scellé la révocation de l'édît de
ÉPITAPHBS. i3
Nantes, oonleiit d'avoir vu consommer ce grand on-
vnge, et tout plein des pensées de rétemité , il expira
dans les bras de sa fanuUe , pleuré des peuples , et re-
gretté de Louis lb GaAJiD.
III
ÉPITAPHE
DE MADEMOISELLE DE LAMOIGNON.
ICT GIIT
1IA1III.AIHS DB LÂMOIGirONt
FI1.LB DB GHBBSTIBII DB LÂMOIGIION,
MÀBQUIS BB BÀSVILLB,
CBAMll PBBSIBBHT DU PABUKMBIIT.
ElXB FUT URIQUBmilT OCCUpis,
PBBDÂirr UHB LON6UB VIB, DU SOIN
DB SOULAGBR TOUTB SOBTB DB MALHBUBBUX.
il. ir^T A POINT DB PROVINCES BN FKÀNCB,
NI DS PAYS DANS LB MONDB^,
I. On peut rapprocher de cet ^loge les rert KÛTants de Boileau
Cette admirable et lainte fille
Jusqu'aux eUmat» où naît et finit la dartë
Kt reiicntîr Peffet de sef toini teconrablee
{Fers pour mettra au hms du parîrmt
Je MlU de Lamoignon) ;
et la note par laquelle le poète explique cet mêmet rers :
■ MOe de Lamoignon , mbut de Monaienr le premier président, fai-
•oit tenir de Targent k beaucoup de missionnairef juique dant les
bdcs «mentales et occidentales, »
i4 EPITAPHES.
QUI n'aIBHT BBflSBirri LB8 EFFKM
DB aà CHAAITÉ.
^ Elle naquit lb . • < •
Elue bst mobtb lb^ • . • «
I . Dans la transcription donnée par Piganiol de la Force, la date
de la naissance et celle de la mort sont restées en blanc. La pre-
mière est le i8 septembre 1609, et la seconde le 14 avril 1687.
Voyez le Dieiiomuûre de Morériy à Tartide Chrétien de Lamoignom^
seigneur de Bé9UU,
expucahons
DE MÉDAILLES
NOTICE.
Racins a été pendant près de seize ans, de ]a fin de i683
jusqa'à sa mort (avril 1699)9 on des membres de l'Académie
royale des inscriptions*. La part qui lui revient dans les tra-
vaux collectifs de cette compagnie peut jusqn'à un certain point
être connue. Nous en avons recherché lés traces, et nous
avons ainsi recueilli quelques pages qui manquaient aux pré-
cédentes éditions des Œuvres de notre auteur.
H. Berriat-Saint-Prix avait indiqué déjà la source où Von
pouvait puiser. Dans son édition des Œuvres de Boileau^ il a
donné, au tome III, p. 124-139, les Descriptions ou explica-
tions de médaiUes que celui-ci a rédigées. Il avertit qu'il en a
pris le texte dans l'Histoire métallique du Roi publiée en 1 702,
et que ce sont les registres de l'Académie qui lui ont fait con-
naître qu'eUes sont de fioileau.
M. Guigniaut, aujourd'hui secrétaire perpétuel de T Acadé-
mie des inscriptions et belles^lettres, nous a permis, avec la
plus gracieuse obligeance, de consulter les mêmes registres.
Nous y avons trouvé pour Racine ce que M. Berriat-4Saint-Prix
avait trouvé pour Boileau, c'est-à-dire une partie de ce que
l'on peut revendiquer pour lui dans la rédaction de l'Histoire
métallique du Roi.
Ce fut seulement en 1694 que, dans l'Académie dite alors des
inscriptions et médailles, on commença à tenir un registre exact
des assemblées. Celle du samedi 3 avril 1694 est la première
dont il soit rendu compte dans le plus ancien des registres. En
ce temp»-là, le Roi avait placé l'Académie sous la direction de
I. Voyez les Mémoires de Louis Racine, dans notre tome I,
p. 376, et la Notice ifiographique au même tome, p. io3 et 104 •
J. Racutb. V s
i8 EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
Pontchartrain, contrôleur général et secrétaire d*£tat, ayant le
département de la maison da Roi. Dans la liste des académi-
ciens, qa'onjit en tète du registre de 1694 9 le premier nom
est celui de ce ministre ; il est immédiatement suivi de celui
de son fils, M. Phelippeaux, secrétaire d'État reçu en survi-
vance, puis de celui de l'abbé Bignon, neveu de Pontchar-
train, et à qui celui-ci avait confié l'inspection de TAcadémie.
Les vrais académiciens, ceux qui étaient à titre égal dans la
Compagnie et qui y prenaient part au travail, étaient alors,
suivant l'ordre de leur réception. Charpentier, Féjibien,
Racine I Despréaux, de Tourreil, l'abbé Renaudot, de la
Loubère, et l'abbé Tallemant secrétaire. La Compagnie sié-
geait au Louvre, dans le même lieu où se tenaient les assem-
blées de l'Académie française* Elle se réunissait deux fois la
semaine, le mardi et le samedi. Pontchartrain, homme d'es-
prit, et qui aimait les lettres, donnait une attention particu-
lière à ses travaux^ ils étaient alors en progrès, parce que
l'expérience était plus grande qu'à l'origine,. et. qi^, depuis
Louvoisy des hommes d'un mérite supérieur avaient été appe-
lés dans le sein de cette académie. A l'époque où commencent
les registres, on revoyait avec spin toutes les médailles dont
le projet avait été adopté précédemment^ on s'occupait d'en ré-
former plusieurs, et d'en ajouter un grand nombre de nou-
velles, pour compléter la série. Il est à regretter que les pro-
cès-verbaux des assemblées ne remontent pas plus haut. Nous
n'ayons ainsi qu'une histoire incomplète de la composition des
médailles, et nous ne connaissons pas toutes celles auxquelles
Racine a travaillé. Dès le temps de Colbert, et lorsque la Com*
pagnie se réunissait chez ce ministre, dans une petite chambre,
on travaillait à des médailles, dont la première fut celle de
l'alliance des Suisses^. Interrompue dans lea dernières an-
nées de Colbert, Tœnyre fut reprise avec ardeur sous Lou-
vois. On fit frapper des médailles d(e grand module, qui ont
été désignées sous le nom de MédaiHes de la grande histoire.
Dans une lettre écrite de Paris, le 10 février i685, à l'auteur
des Nouvelles de la République des lettres^ il est dit que les
1. Mémoires de Charles Perrault (i volume tn-ia, à Avignon,
MDCCLIX), p. 35.
NOTICE. f9
membres de l'Académie des inscriptions, dont Racine et Boi-
leaa faisaient partie depuis deux ans, « traTaillent à des des-
seins^ de médailles et d'inscriptions pour Sa Majesté. » Parmi
les médailles de l'histoire du Roi il y en a donc qui ont été
composées avant le temps o& les registres ont été exactement
tenns, quelques-nnes dès les commencements de l'Académie,
on plus grand nombre depuis l'entrée de Racine et de Boileau
dans la Compagnie jusqu'en 1694; des unes comme des autres
nous ignorons les auteurs. A partir de 1694, les registres
nous permettent d'attribuer à Racine cinq médailles, qui, dans
Tordre dironologique des événements historiques qu'elles rap-
pellent, sont : I* La prise de Marsal; a* La ville d'Erford rendue
à l'archevêque de Majence; 3® Dunkerque fortifiée; 4* Woër-
den secouru; 5* La trêve de 1684. Voici les témoignages, ex-
traits des registres, qui désignent Racine comme auteur des
explications qui s'y rapportent : « Du sambdi 19 rÉvam 1695.
« M« Racihe a apporté la description de la médaille sur la
< prise de Marsal, et elle a été arrêtée. — Du sambdi 3 1 Aoiir
• 1697. On a examiné trois descriptions faites par M. Racinb,
« l'une sur la médaille des fortifications de Dunkerque; la
« seconde sur la médaille du secours de Woérden; et la
« troisième sur la médaille d'Erford rendu à l'électeur de
« Mayence. Ces trois descriptions ont été arrêtées. — On
« MAKDi 18 Ftvanni 1698. On a examiné la description faite
« par M. Racikb de la médaille sur la trêve, et elle a été ar-
« rètée. > Ces mentions des registres sont suivies du texte des
descriptions rédigées par Racine. Nous parlerons tout à
Theure de ce texte.
Avant la date du 3i août 1697, où l'explication de la mé-
daille d'Erford fut arrêtée, nous trouvons en divers passages
des registres qoe cette médaille avait été proposée par Ra-
cine : « Du SAMEDI 17 dAcembbb 1695. M. Racotb a proposé un
• dessein de médaille sur ce que le Roi fit rentrer la ville d'Er-
I. Dans les citations que renferme cette notice, nous avons cru
plus sâr de conserver partoat, pour le mot dessein, Porthographe
du temps. Cette orthographe ne faisait pas de distinction entre des-
sein et dessin; et en bien des cas il nous aurait été difficile de déci-
der si le dessein d^une' médaille signifiait la mt^dallle projetée, ima"
finie, ou bien la m<?daille dessinée.
ao EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
ford sous Tobéissance de Tarchevèque de Mayence, son véri-
table seigneur, en 1664* Il vouloit représenter la France qui
remet à la Religion le bouclier de la ville d^Erford, avec
cette légende : Rkligionb bt sogiis defensis; et à Texergue:
Eeportium AmcHiBrisGoro moguntivo KBSTrruTDM. Le type
a assez plu à la Compagnie ; mais on a fait quelque difficulté
sur rinscription de l'exergue, plusieurs disant que ce mot
de BESTiTUTUM pouvoit supposer qu'Erford avoit été pris
ou enlevé à Tarchevéque de Mayence, et n'exprimoit pas
bien la vérité, qui est que cette ville s'étoit soustraite à la
domination de son légitime maître. On a proposé de mettre :
EbPO&DIA IIT POSSBSSIONBV ABCHIEPISCOPI MOGUNTIMI BESUTUTA,
cette phrase étant toute de Cicéron ; d^autres ont proposé
une phrase du droit romain, qui est, Jubi aESTmrruii ; d'au-
tres encore trouvoient plus à propos de mettre : Ebfobdia
DOUDTATIOia ARCHnSFISCOPI MOGURTIMI BESTITCTA OU BEDDITA.
On a remis à l'assemblée suivante à décider. — Du mabdi
ao DÉGBMBBB 1695. M. l'abbé Tallemant a proposé à la
Compagnie de décider sur le dessein de M. Rachtb pour
Erford. Plusieurs avoient peine à s'accommoder de la lé-
gende : Rbligionb bt sociis DEPBKsn, et sembloient pencher
à mettre plutôt pour légende ce que l'on vouloit mettre à
l'exergue et de se contenter de la date à l'exergue. Après
plusieurs discussions des différentes manières d'exprimer
en latin le fait dont il étoit question, on s'est arrêté à celle-
ci : Ebfobdu bcclbsle MOGuirmrjB bbstitdta. Mais pour cela
il a semblé à propos de changer quelque chose au type.
M. CoypeH doit donc représenter la France, qui présente
à la Religion la ville d'Erford sous la figure d'une femme
couronnée de tours, et qui a près d'elle un bouclier chaîné
de ses armoiries. Mais conmie quelques-uns de Messieurs
sembloient encore souhaiter à l'exergue quelque chose qui
marquât que c'est le Roi qui par sa protection a forcé
I. Antoine Coypel, qui devint depuis premier peintre du Roi,
avait été choisi pour exécuter les dessins des médailles. Il assistait
d'ordinaire aux assemblées. On employait les plus habiles graveurs
de PEurope pour les coins d'acier. Voyez VHUtoire de C Académie
royale des inscriptions et belUs'Uttres (in-4*)i tome I, p. 7.
NOTICE. ai
« cette ville à rentrer sous l'obéissance de son souverain,
c M. l'abbé Tallemaat a proposé de mettre à Fexergne :
c Galua vindbz. La Compagnie a approuvé cette pensée. »
Sous la date du mardi 17 juillet 1696 on lit dans le regis-
tre : « M. l'abbé Tallemant.... a lu ensuite le catalogue des
• descriptions qui manquent, et Messieurs les ont distribuées
c entre eux, ainsi qu'il est ici arrêté. M. Racine, Erford rendu
« à l'électeur de .Mayence, Woërden secouru.... » Et sous
la date du mardi 5 juillet 1695 : * M. l'abbé Tallemant a
c dit que pour achever les descriptions des médailles jusqu'en
c l'année 167a, où commençoit la guerre de Hollande, il
< en restoit encore quelques-unes, et que si chacun de Mes-
c sieurs vonloit se charger d'en faire une, cela avanceroit
c beaucoup le travail.... M. lUcna s'est chargé de celle qui
c a été faite sur les fortifications de Dnnkerque, en 1671. t
On sait que les descriptions des médailles ont été imprimées
dans l'ouvrage que l'on appelle d'ordinaire f Histoire métaiii''
que de Louis XIV, et qui a pour titre : Médaiixbs sua uts
PUHCVAVX ÉVtmiiEZITS DU BàCKB DE LoUIS LE GrAND AVEC DES
HFUcukTiolis KiSToaiQuas. Par t Académie royale des médailles
et des inscriptions ^k Paris, de l'Imprimerie royale. M.DCC.IP.
Dans ce magnifique volume in-folio, où les caractères, les
dessins et la gravure des médailles sont d'une égale beauté,
les descriptions sont toutes assez succinctes pour qu'au-
cooe d'elles n'excède jamais la page. On avait ainsi voulu
que le lecteur pût toujours avoir la médaille sous les yeux.
Saint-Simon dit^ que l'abbé Tallemant, Tourreil et Dacier
avaient été chargés de lexplication des médailles. Bayle, dans
\t& Nouvelles de la République des lettres*^ est plus exact lors-
qu'il nomme Charpentier, l'abbé Tallemant, Racine, Des-
préaux, Tourreil, l'abbé Renaudot, Dacier, et, depuis la mort
de Racine, Pavillon, comme s'étant occupés de ce travail
i. Noos n'ayons pas dû tenir compte ici, à cause de sa date,
d'une nouvelle édition publiée en ijsS, arec beaucoup de change-
ments, d'additions et de suppressions. Qa'il nous suffise de l'indi-
quer aux curieux. Cela ne regarde plus Racine.
a. Mémoires^ tome III, p. 388 et 389.
3. Norembre 170a, article m.
na EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
soas la direction générak de Vabbé Bignon* Toatefois en se
bornant à citer trois noms, Saint*Simon, qui a dû être bien
initié dans tout ce qui touche à la préparation de l'ouvrage *,
n'a-t«il pas été en un certain sens plus près de la vérité qu'on
ne le croirait d'abord? L'abbé Taliemant, Tourreil et Dacier
avaient peut-être été choisis par la Compagnie pour être les
éditeurs de l'Histoire métallique, et autorisés en cette qualité
à reviser les Explications que chacun avait fournies. Ce qui
est certain^ c'est que le texte de ces explications n'a pas été im-
primé tel que nous le trouvons dans les registres de l'Acadé-
mie. Les modifications qu'il a subies avant l'impression sont-
elles dues aux académiciens qui ont pris soin de l'édition? ou
les auteurs de chacune des descriptions avaient-ils eu le
temps de corriger eux-mêmes leur travail depuis la lecture
qu'ils en avaient faite à l'Académie? Mous ne saurions le dire.
Dans ce doute nous donnons d'abord comme le texte authen-
tique des Explications rédigées par Racine, celui qui se trouve
dans les registres académiques; mais nous avons cru qu'il
convenait de le faire suivre du texte adopté pour l'impression
de l'Histoire métallique, en distinguant cette seconde rédac-
tion de la première par le caractère que nous avons réservé aux
oBUvres d'une authenticité incertaine.
La collaboration de Racine aux travaux de l'Académie des
médailles a laissé dans les registres de cette compagnie d'an-
tres traces que la rédaction des cinq explications que nous
avons recueillies. Il prenait souvent la parole dans les discus-
sions auxquelles donnait lieu la préparation des médailles. En
outre l'Histoire métallique du règne de Louis XFV n'était
point l'unique occupation de l'Académie. Ce que s'était pro-
posé Colbert dans Torigine, c'était de se faire, dit Otaries Per-
rault^, c une espèce de petit conseil qu'il pût consulter sur
toutes les choses qui regardent les bâtiments, et où il peut
entrer de l'esprit et de l'érudition. » V Histoire de r Académie
royale des inscriptions et belles^- lettres entre à ce sujet dans
■
I. n avait été chatte d'écrire une partie de la préface, et, après
l'avoir composée, ne pnt la faire insérer, comme il le raconte lui-
même dans le passage des Mémoires cité ci-dessns.
s. Mémoires^ p. 33.
NOTICE. !i3
quelques détails* : c II y fjùsoît GontmneileiDent inTenter oa
eraminer les différents desseins de peinture et de sadptare
dont on Tooloit «nbellnr Versailles. On j régloît le choix et
l'ordre des statues; on y consultoit les ornements des fontai-
nes et des bosquets, et tout ce qne l'en proposoit pour la dé*
contion des appartements et rembellissement des jardins. »
Ce fut -aussi au temps de Colbertque, suivant la même Hit^
toire*, « on commença à fiûre des devises peur les jetons du
Trésor royal, des Parties casuelles, des'Bl^timeUls etdela Ma-
rine; et tous les ans on en donna de nouvelles. »
hkpeiite Académie était même chargée de soins qui diffiè*
rent encore plus des graves et savants travaux auxquels est li-
vrée aujourd'hui la classe de l'Institut de Frsnee qui lui doit
son origine : « Quand M. Qimiaait ftit chargé de travailler
pour le Roi aux tragédies en niusic|ue, Sa Majesté lui' enjoignit
expressément de consulter l'Académie. C'étoit Va qu'on déter-
minoit les sujets, qu'cm régloit lès actes, qu^én (fistribuoit les
scènes, ipi'on plaçoit les divertissements. » On ne peut s'éton-
ner beaucoup que le chancellerie Tellier se 'moquAt de cette
réunion de quelques beaux esprits, choisis dans- Fâtadémie
française pour délibérer savamment sfur la plus agréable forme
à donner aux plus frivoles flatteries qu'on prodiguait au Roi :
« Elle étoit le sujet ordinaire de ses plaisanteries, et il disoit
qu'il ne trouvoit pas d'argent plus mal pkcé que celui que
M. Colbert donnoit à des faiseurs de rébus et de chansonïiet-
tes*. » Lorsque Louvois fit entrer dans la Compagnie Racine,
Despréaux et le savant numismate Raînssatit, il se proposait
de donner à ses travaux un développement plus sérieux. Les
devises des jetons continuèrent cependant d'être proposées par
rAcadémie des médailles. Avec les jetons dont on s'occupait
déjà sous Colbert, on eut aussi à préparer ceux de POrdinaire
et de l'Extraordinaire des guerres. Les compagnies et les
princes en faisaient également fabriquer à leur nom, et à
ï'nsage de leurs officiers. Destinés d'abord à faciliter les cal-
culs de ceux qui, dans les administrations publiques ou dans
I. ttutcire de V Académie voyait^ etc., tome I, p. 3.
1. Ibidem^ p. s.
3. Mémoires de Charles-Perrault, p. 198.
!k4 EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
les grandes maisons, étaient chargés des états de dépense et
du maniement des deniers, ces jetons avaient fini par n'être
plus qu'une marope de distinction, une espèce de symbole
qa'on distribuait à différentes personnes d'un certain état, ou
dont on gratifiait les gens de lettres dans les académies^. On
y mettait des devises ingénieuses, dont les spirituelles allu-
sions pourraient bien paraître à quelques personnes sévères
mériter encore le nom de rébus. Quoi qu'il en soit, les hom-
mes d'esprit et de goût savent ae distinguer même dans les
petites choses. Racine, comme on peut bien le croire, n'était
pas des moins heureusement inventif)» dans ces jeux d'esprit.
On aimera,/ ce nous semble, à trouver ici et les avis qu'il
eut l'occasion de proposer sur quelques-unes des médailles
dont la description ne lui fut pas confiée, et les devises
qu'il imagina pour les jetons. Nous allons extraire des re-
gistres, en suivant l'ordre des dates, d'abord ses avis dans la
discussion des médailles, puis ses propositions au sujet des
devises.
c MàADi Ao Avaii*- 1694. On a proposé de faire une médaille
« sur la mort du feu roi Louis treizième, et sur le commence-
c ment du règne du Boi. La première pensée a été de faire
» une médaille à l'exemple de plusieurs antiques, où l'on voit
« d'un c6té la tète de Jules César, et de l'autre celle d'An-
« guste soji successeur. Cette manière simple de marquer
« le mort et le successeur, le père et le fils, a paru assez natu*
• relie. On ardouté seulement si la bienséance ne seroit pas un
« peu blessée de mettre un prince encore enfiint au revers de
« la tête d'ua prince avancé en âge.
« On proposa aussi de mettre le père et le fils en regard
« dans le même côté de la médaille et d'inventer un revers qui
« convînt à la mort de l'un et au commencement du règne
« de l'autre, mais on s'arrêta peu à ce dessein, étant peu con-
« venable de mettre en regard un mort et un vivant.
« On mit en délibération si on ne pourroit pas mettre la
« tète du Roi jeune d'un côté, au revers quelque chose en
I. Voyez dans V Histoire de P Académie rojàU des inscriptions et
heUeS'Uttresy au tome Y, p. sSg et soiTantes, le mémoire de Ma-
hudel qui a pour titre : De Porigine et de Pusage des Jettons,
NOTICE. a5
rhonneor du feu Roi ; maiB on ne crat pas à propos de mêler
rîtn de Ingobre au commencement d'an si beau règne.
« Enfin on parut s'arrêter à la pensée de faire deux mé*
dailles : Tune de la tète du feu Âoi, avec un revers sur ea
mort, et à Texergne quelque chose qui marque que c'est le
Roi qui l'a fait frapper.
« L'autre médaille pourra être des deux tètes, du père et
du fils, à la manière antique, suivant la première proposi-
tion.
« M. Racine, dans cette pensée, a imaginé, pour revers de
la médaille du feu Roi, de mettre une figure qui repré-
sente la Gloire, et qui enlève au ciel Louis le Juste couronné
de lauriers et comme mourant au milieu des triomphes;
pour mot à la légende : Memorije optimi Pabkntis. M. l'abbé
Tallemânt se chargea de la faire dessiner par M. le Clerc. ■
La Compagnie, qui avait goûté la proposition de Racine, re-
jeta à la séance suivante le dessin de le Clerc : t Du sakeoi
a4 AVBii. 1694* On a apporté le dessein fait par M. le Clerc
et projeté dans la dernière assemblée pour le revers de la
médaille sur la mort du feu roi Louis XIII. Ce dessein n'a
point plu à la Compagnie. La Gloire, qui étoit figurée par un
ange, et qui, élevée sur des nuages, sembloit conduire
Louis XIII. en paradis, a paru une chose tout à lait contre
la bienséance. » Un autre projet prévalut. Dans l'Histoire
métallique il y a (folio 3) une médaiUe sur la Mort de
Louis XIII. On y voit sur un piédestal la Justice debout, qui
couronne ce prince. Les mots de la légende sont : Lin>ovico Justo,
Paeutti optime nseito. Ceux de l'exergue : Oynr xiv Mail
M.oc.xun. La même médaille représente de l'autre c6té
Louis XIV enfant. Une autre médaille (folio 4) a été faite sur
le Commencement du règne du Roi, On y voit le Roi élevé sur
UD pavois ou bouclier, qui est soutenu d'un côté par la France,
et de l'autre par la Providence, représentée à U manière an-
tique sous la figure d'une femme qui tient un gouvernail et
aux pieds de laquelle il y a un globe et ime corne d*abon-
dance. C'est au sujet de la médaille de Louis XIII que Saint-
Simon avait été invité à écrire quelques lignes, qui devaient
être, dit-il, soit insérées dans la préface, soit placées au-des-
soos de la médaille, mais auxquelles les académiciens fini-
a6 explications DE MÉDAILLES.
rent par renoncer, « ponr n'obscorcir pas leur héros par une
comparaison '• »
Dans la même année 1694, Hacine-fit des dl>servations sur
l'explication d'une médaille qui devait oonsaorer le souvenir
de la bataille navale gagnée en 164 3 par le duc de Brésé près
de Carthagène : « Du mardi i i mai 1694. M. Tabbé Renau-
« dot, revenu de la campagne, avoît envoyé la description de
« la bataille navale dont il s'étmt chargé. On Talue» M. Ra-
< CDŒ a cru se souvenir qu'il y manquoit quelque circonstance
« essentielle, ce qui a été cause qu'on a remis l'examen au pre-
c mier jour, et M. Raginb a promis d'apporter une relation qui
f est fort exacte de cet événement. *- Du sAwnM i5 xai 1694.
c On a lu le mémoire que M. Raciuv a apporté touchant la ba-
< taille navale près de Carthagène. On a relu la description
« faite pstt M. l'abbé Renaudot , et comme il y avoît quelque
< petite circonstance dans le mémoire de M. Racrtb qui a
« paru nécessaire, on a prié M. l'abbé Renaudot de prendre la
c peine de l'insérer dans sa description,' qui d'ailleurs a paru
« très-bonne. »
Racine avait, comme historiographe, une autorité toute par-
ticulière dans la préparation d'un ouvrage où ne devait être
omis aucun des fkits les plus éclatants du règne. On s'en rap-
portait volontiers à lui pour indiquer le choix à faire parmi ces
faits : c Du mardi a5 mai 1694. M. Racine a rapporté le cata-
logue des villes prises sous le règne du Roi, qu'il a revu
exactement, et auquel on peut s'arrêter. — Du samkdi
19 JUIN 1694. M. Racinb a rapporté le mémoire de la vie du
Roi, auquel avec beaucoup de soin il avoit ajouté quantité
de choses mémorables qui peuvent fournir des sujets de
médailles. On a examiné une partie de son mémoire, sur
lequel il a marqué les événements que la Compagnie ju-
geoit devoir être traités. On continuera à examiner le reste
à une autre assemblée, après quoi on tâchera d'obtenir une
heure de loisir de M. de Pontchartrain pour déterminer
précisément les sujets qu'on doit traiter, afin que l'histoire
du Roi soit complète, et que la Compagnie puisse travailler
à achever ce grand ouvrage. »
I . Hémoires de Saint-Simon, tome ITT, p. 890.
NOTICE. !k7
« Du vsKDRBDi a3 jonxET 1694. M* de Pontdiartrain aToit
c nunadé la Compagnie à VersaiUes. MM. Tabbé BigBon, Char-
« pentier, Félibiea, Racine, Renaudot, TallemaDt s'y sont
«trouvés.... M. Rachtb a la le mémoire des événements
« da règne du Roi, auquel il avoit exactement travaillé; et le
< tout bien examiné, suivant la décision de M. de Pontchar*
« train, il s*est trouvé que pour achever Phistoire du Roi
• jusqu'à aujourd'hui il reste trente-netif médailles à faire. »
Le registre donne ensuite le catalogue de ces médailles.
Le mardi i3 décembre 169S on discuta sur la médaille de la
Prise de Dunketque en 1646 : « M. Racihv vouloit que Ton
t remarquât que c'étoit pour la première fois que Dimkerque
< av#it été prise par les François. » Il n'est pas- dit dans le
registre qu'on- ait rien objecté à^ cette observaûon de. Racine;
cependant il n'en fut pas tenu compte, comme on peut le
voir dans l'explication delà médaille, au folio ai de l'His-
toire métallique.
La médaille sur la Flotte tmglaise repoussée au Canada
en 1690, qui est au folio !k34, doit quelque chose à Racine :
«Du sAHSDi ^è iànvaxi 1696. M. l'abbé Tallemant a apporté
« les différentes légendes de M. l'abbé Renaudot sur la dé-
« faite des Anglois à Rebec, et a dit en même temps que toutes
« ces légendes avoient été ^caminées dans rassemblée du
« samedi 27 août (1695), et qu'on s'étoii arrêté à une pro-
« posée par M. RicnfE : F^arcia in novo oaav vicraix, et à
« l'exergue : Rebbca libbrata. m.ocxc. La Compagnie a con-
« firme sa première décision. >
La légende de la médaille sur la Pthe de Besançon en 1668
donna lien à diverses propositions. Celle de Racine ne fut pas
adoptée : « Dn mabdi 29 mai 1696. M. Coypel a apporté le
« dessein de la médaille proposée sur la prise de Besançon en
« 1668. La Compagnie a jugé qu'au lieu de la figure de l'Hi-
« Yer, il étoit plus à propos de mettre le vent Borée, qui sou£Qe
« la neige et les frimas; et pour la légende M. Dacier a pro-
« posé un mot de Virgile : MaoïisQUB aquilonibus; M. Racinb
< àa même Virgile : Nbc fbigoba tabdamt; M. l'abbé Renaudot:
« Nbc ionava hybhs; et M. Despréaùx : Nbquicquav scvibntb
« BncRB. On a vernis à la première assemblée à délibérer sur
« ces légendes. » «»Dv samedi 14 juin 1696. LajCompagnie a
%s
EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
« résola de mettre pour légende : Nie hybms ignava. » L^ap-
probation donnée à la proposition de Fabbé Renaodot avait
cependant rencontré quelques contradicteurs. Nous voyons au
folio io4 de TEUstoire métallique que la médaille eut pour
légende : TsaBoa vomuiu, et pour exergue : VasuirTio capta,
M.DCLXVUI.
Voici une médaille pour laquelle on adopta l'avis ouvert
par Racine : « Dd mamdi 17 juiLXiBT 1696. On avait pro-
posé quelque dessein pour les villes prises en i653; mais
M. Racdtb a dit qu'il croyoit que pour cette année-là on
devoit faire connoltre que les dissensions étoient apaisées,
et que les villes prises étant simplement des villes qui ren-
troient sous l'obéissance du Roi, il falloit s'exprimer autre-
ment que pour des villes conquises sur les ennemis; et pour
cela il a proposé de représenter le soleil qui sort brillant
des nuages, pour légende : SsaranTAS, et à l'exergue : PLiTaiXiS
UEBBs ascEPTA. Cette pensée a fort plu à la société; le mot
de Sereniîas a paru un peu nouveau ; mais on a trouvé qu'il
exprime si bien le calme qui succéda à tous les malheurs
de la guerre civile, que l'on a résolu que M. Coypel la
dessineroit, et qu*on l'enverroit à M. de Ponchartrain. »
La médaille des Filles remises sous l'obéissance du Roi se
trouve au folio 34 de l'Histoire métallique, telle que Racine
l'avait proposée.
Un mois après il prit une grande part à la discussion de
trois différentes médailles : « Du mabdi ai ao^ 1696. Gomme
il restoit principalement encore trois médailles à inventer,
savoir la prise de Beffort en i654, et la prise de Saint-
Guislain en i6S5 et en 1677, ^* Racinb, pour en Êiciliter
les desseins, a apporté un petit détail des circonstances de
ces prises, qui a d'abord servi à trouver un type fort beau
pour la prise de Beffort; car comme il fait connoltre que
cette ville, qui avoit une bonne citadelle, et qui étoit à l'en^
trée de la haute Alsace, faisoit contribuer toute l'Alsace et
toute la Lorraine, on a jugé qu'on ne pouvoit mieux taire
connoltre l'importance de cette prise qu'en représentant la
Lorraine et l'Alsace tranquillement assises, et pour légende :
AlAATlM BT LOTHABDIGUI QUIBS; Ct à l'cXCrgUe : BBPOaTIUll
CAPTUM. M.DCLTv. M. Coypcl doit faire ce dessein.
NOTICE. 29
« M. RAcniK avoit remarqué, entre antres choses, sur la
• prise de Saint-Gmslain en 1677, que cette place avoit été
• prise à la fin de Tannée dans laquelle on avoit pris Valen-
< ciennes, Cambray, Saint-Omer, Fribourg : à quoi il joignoit
« encore la bataiUe de Casse! et plusieurs antres avantages.
« M. Tabbé TaUemant avoit heureusement entré dans sa peu*
< sée par un dessein qu'il a apporté; il vouloit figurer une
« Pallas qui tient un cercle formé par un serpent qui mord
« sa queue, ce qui est le symbole de Tannée selon les anciens,
• et ce cercle doit être entouré de laurier; pour légende :
c Ainrns laueiatus fkligitbb clausus, et à l'exergue : Gislb-
< NOPOU8 CAPTA, ou FaiTOM SARCn GlSLBNI CAPTOM. 12 DBGEM-
« sais 1C.DG.LXXTII. On a approuvé ce dessein; et pour la lé-
« gende, la Compagnie a jugé que le mot LAuasATus n'étoit
• pas nécessaire, et qu'il sufiBsoit de mettre Anirus feucitba
« clausub; et elle a mieux aimé Fakuk bancti GisLszri que Giv
« UNOPOLIS.
« Pour la première prise de Saint-Guislain en i655, M. Ba«
f cnn disoit qu'il falloit la joindre avec celle de Condé, qui fut
« pria peu de jours devant; mab comme ces deux places furent
c reprises deux mois après, et que Ton a d'ailleurs une mé-
« daille générale pour les conquêtes de cette même année,
« on a été d'avis de représenter à M. de Pontchartrain qu'on
« pouvoit se dispenser de faire cette médaille, et d'attendre
< un nouvel ordre là-dessus. » La Prise de Beffort est au
folio 35 de l'Histoire métallique; la Prise de Landrecy^ de
Omdé et de Saini^Guislain en i655, au folio 4i; 1a Prise de
Saint^Guislain en 1677, ^^ ^^^^ '^^* ^^ ^^^^ médailles ont
été exécntées de la manière que la Compagnie l'avait décidé,
en tenant compte des remarques de Racine.
L'invention de la médaille sur la Marche de Monseigneur le
Dtuipfiin au pont dEspierre en 1694 appartient à Racine. La
Compagnie ne Ta du moins que légèrement modifiée. « Du
« MARDI 29 jAvviu 1697. Sur la marche prompte de Mon-
« seigneur le Dauphin au pont d'Espierre, par laquelle les en-
«nemis furent prévenus et obligés de s'en retourner, sans
« exécuter le dessein qu'ils avoient de passer nos lignes, et
« peut-être d'assiéger Dunkerque, on a proposé de se servir
« de l'antique dans des médailles où Ton voit TEmpereur à
3o
EXPLICATIONS DE MEDAILLES.
« cheval qui arrive en courant, avec le mot Adventus. Cette
•c pensée a d'abord assez plu; mais en l'examinant davantage,
« on a reconnu que ces Adventus dans l'antique sont seulement
« pour l'arrivée de l'Empereur à Rome ou en quelque autre
« lieu, et c[ue cela ne marquoit aucun avantage; qu'ici la
c prompte marche de Monseigneur avoit sauvé les lignes, et
c rompu toutes les mesures des alliés ; que d'ailleurs il falloit
« manpier dans cette action la diligence et l'ardeur des trou-
< pes. Cela a fait penser à M. Racihb de mettre Monsei-
c gneur sur un cheval ailé, et pour légende : ALACarrAs. Ce
« mot à^Alacritcu a paru très-beau, et on a cherché s'il n'avoit
« pas été employé dans l'antique. On a trouvé dans le Recueil
« d'Occo une médaille de Gallien qui a paru comme faite ex-
« près pour cette pensée. Le type est le cheval Pégase, et pour
« légende : ALAcarrATi. On a donc résolu de figurer Persée
c tenant la tète de Méduse et monté sur le cheval Pégase qui
« vole, et de mettre à l'exergue : Militum alacaitas. Pour lé-
< gende oii a proposé: Faôstus ±0 Scaldim adventus, 'Fausiitm
c AD ScALDiH rrxR, ct OU a cru qa!iter exprimoit mieux une
« marche; mais enfin, après avoir bien agité la chose, il a
c semblé que l'épithète de faustug étoit inutile, et qu'il suf-
< fisoit de mettre simplement : Dblphini ad Scaldim ma.
c M. Coypel doit dessiner cette médaille et l'apporter à la
« première assemblée. » La médaille, qui est au folio tiSg de
l'Histoire métallique, est entièrement conforme à la décision
que nous venons d'extraire du registre.
La médaille de la Conférence pour la paixy qui fut tenue
dans l'tle des Faisans en 1659, fut également imaginée par
Racine : t Dû «ardi la mabs 1697. On a reparlé de la mé-
c daille sur la Conférence.... M. Racine proposoit, au lieu
« de représenter la Conférence historiquement, de figurer un
« petit temple dans l'île des Faisans, et la Paix qui descend
c du ciel, et pour légende : Pacisadytum, pour dire le Sanc-
« tuaire de la Paix. Cette pensée a paru bonne; mais on a jugé
« plus à propos de représenter l'historique. — Du samedi
« 27 AVBiL 1697. On a reparlé de la médaille sur la Confé-
« rence, et M. Racine a insisté sur la proposition qu'il avoit
« déjà faite de représenter un petit temple dans l'tle de^ Fai-
c sans, et Mercure qui descend du ciel avec son caducée. La
NOTICE. 3i
« G>oi|Nigiiie a para mieux goûter ce dessein qu'elle n'aToit
« fait la première fois, et la légende :'Pagib AnTTVM, a été fort
« approuvée, et à l'exergue : Ad Bidassoam. m.bc.ux.M. Ghar-
c pentier proposoit, au lieu d*un temple, de mettre senle-
• ment un autel de la Faix, à l'antique, etfpour légende : Aea
« PAcis; à l'exergue : GonGaasHin ad Bioaisoam» Ov a trouiré
« cette pensée très-bonne ; mais le type de l'autre a paru plus
« beau, avec la légende; et Mw Coypel s'est chargé de le des-
« siner. » Dans la médaille, qui se trouve au folio 53 de THis-
toire métallique, on n'a point mis le Mercure avec son caducée ;
il avait été en effet décidé dans une séance du samedi aa juin
1697 c d'ôter le Mercure, et de laisser le temple, qui sera un
peu plus petit. « Pour le reste, les indications de Racine furent
suivies : « On 7 voit le cours de la rivière de Bidassoa, et
rile des Faisans, qui depuis a été nommée Tlfe de la Confé"
renée. Au milieu de cette lie on a mis un temple de la Paix, à
l'antique. La légende :: «Pacis asttum, signifie U Sanctuaire de
laPaia:; Fexergue : Gouaquium ab BmASSOAM. m.dc.ux, Co/i-
férences tenues dans Vtle de la rivière de Bidastoa^ lÔSg, »
Dans une eiplieati<m que l'abbé TaHemant avait préparée
de la médaille sur la Prise de- Dole en 16749 i|ne omission fut
réparée par le conseil de Racine : c Du samedi 4 ^^ 1697*
« M. l'abbé TaHemant avoit apporté la description de la mé-
c daille sur la prise de Dole en 1674. Mais^, comme il n'a-
« voit pas £aît mention des nouvelles fortifications qui avoient
« été £Îites à cette place depuis 1668 qu'elle- fut prise par le
c Roi, M. Racinx a promis d*en apporter un petit détail, après
« quoi on l'arrêtera. » On lit en effet dans l'explication de
la médaille, au folio i35 de l'Histoire métallique : « Au com-
mencement de l'année t668, le Roi avoit pris Dole en deux
jours ; mais les Espagnols s'étoient persuadé que cette place
n'avoit été prise si facilement qu'à cause que ses fortifica-
tions étoient imparfaites. Us en relevèrent les remparts , et y
mirent une grosse garnison. Tout cela n'empêcha pas le Roi
de l'attaquer, etc. »
Le vendredi i4 y^ i%7) une assemblée qui tint lieu de
celle du lendemain, samedi i5, fut tenue dans le cabinet de
PèDtchartrain, à qui Ton présenta le catalogue nouvellement
arrêté : « La première chose qui s'est présentée est la médaille
3a
EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
da Rétablissement de f ordre de Saint-Lazare» On loi a dit (à
M. de Pontchartrain) que ce rétablissement-là n'ayant pas
en lien, on aToit "penché à la retrancher du catalogue ; que
la seule chose qui fidsoit de la peine, c*étoit qu'ayant été
frappée, elle étoll entre les mains du public, et qu'ainsi il y
avoit peut-être quelque danger de la supprimer : à quoi on
avoit répondu qu'il s'en trouToit plusieurs ainsi retranchées
de notre nonvel ordre; que la Compagnie s'attachoit à
faire une suite d'histoire raisonnable, sans avoir égard à ce
qui a été fait, et que cette médaille sera réputée avoir été
frappée sans ordre.
c M. Bàcihk a proposé de la laisser et d'en faire une sur
ce que le Roi reconnoissant le peu de droit qu'il avoit à
se faire grand maître de l'ordre de Saint-Lazare sans les
formalités requises, il avoit révoqué et annulé ce qui avoit
été fait, aimant mieux avouer qu'il s'étoit trompé que de
continuer une chose qu'il trouvoit peu régulière. A cela on
a répondu qu'il valoit encore mieux n'en point parler que
d*en faire une excuse.
« Plusieurs néanmoins convenoient que si on pouvoit faire
une belle médaille dans le sens de M. Racinb, ce ne se-
roit pas un petit sujet de louange pour le Roi ; mais M. de
Pontchartrain a dit qu'il la croyoit difficile, pour ne pas
dire impossible. Sa raison est que la médaille est un mo-
nument qui marque des choses positives et déterminées, et
dont la légende est simple et claire; qu'à la vérité dans un
arrêt, dans une déclaration, on donne les couleurs qu'on
veut aux choses; qu'un poète même, ou un orateur pourroit
avec son art tourner cette action d'une manière noble et
grande, connue l'action l'est en effet, mais que dans une
médaille il ne croyoit pas que Ton pût bien intelligiblement
et simplement donner un tour à une chose connue celle-là.
U a néanmoins laissé la question indécise, jusqu'à ce qu'on
ait essayé si on pourra y réussir. » Les objections faites par
le ministre étaient justes; Tidée de la médaille proposée par
Racine fut abandoimée. On se contenta de supprimer simple-
ment celle du Rétablissement de f ordre de Saint-'Lazare.
Charpentier avait apporté, le mardi lo décembre 1697, trois
projets de médaille sur la Paix de Ryswick^ contre les-
NOTICE. 33
quels il s*é!eva des objections. Racine prit alors la parole :
M. RàONE a proposé un dessein sur le même sujet.
Gomme les ennemis n'ont consenti k la paix que parce
qu'ils ont éprouvé la formidable puissance du Roi, et
parce que Sa Majesté s*est dépouillée de ses propres inté-
rêts par un principe d'équité et de justice, sa pensée est
de représenter la valeur ou vertu guerrière, à la manière
des anciens, sous la figure d'une femme armée qui tient
un long javelot en sa main, et qui a un casque en tète; et
vis-à-vis d'elle une autre femme qui tient une balance en la
main, et qui représente l'équité; pour légende : VnTus bt
^uiTis; à l'exergue : Pacàta Eurofa. Cette pensée, qui
exprime les véritables motifs de la paix, a fort plu à la
Compagnie. > Dans l'Histoire métallique il y a trois mé-
dailles sur la Paix de Riswick, La première, qu'on trouve au
folio !ft7a, est celle que Racine a inventée : « On voit l'Équité
et la Valeur représentées à l'antique. Elles tiennent ensemble
ime couronne d'olive. La légende : Vietus et iEguiTAS, signifie
la Valeur et V Équité, L'exergue : Pacata Eubopa. M.oc.xcvn.
veut dire, PEitrope pacifiée^ 1697. »
A l'assemblée suivante, qui fut celle du samedi 14 décembre
1697, Racine fit une proposition que ce même jour l'Aca-
démie agréa, mais qui finit par être écartée : « M. Racihs
« a dit une pensée qui lui étoit venue pour une médaille sur
« la Prise de Barcelone. Il vouloit représenter la Victoire
c fermant le temple de Janus. Elle a près d'eUe un bouclier
• où sont les armes de la ville de Barcelone ; le mot de la
< légende : Sic Jaitom glausit, pour faire connoltre que c*est
c en faisant cette conquête que le Roi donna la paix d'une
c manière toute glorieuse; à l'exergue : Babcino capta.
« M.Dc.xcvii. Cette pensée a été approuvée de toute la Compa-
c gnie. » Nous ne savons à quel moment la Compagnie prit
one décision difiPérente; mais dans l'Histoire métallique, au
folio 167, la médaille de la Prise de Barcelone est tout autre
que Racine ne lavait imaginée : On voit Hercule appuyé
snr sa massue; à ses pieds il a un booclier aux armes de Bar-
celone. La légende est : Binis gastius delbtis; et l'exergue :
Bàbciko capta, m.dc.xcvii.
Le samedi 19 juillet 1698, Racine donna son avis sur la
J. RAOïm. V 3
3/i EXPLICATIONS DE MEDAILLES.
description d^nne médaille préparée par Pabbé Taliemant :
< On a examiné la description faite par M. l*abbé Taliemant
c de la médaille snr le Combat de Leuze 1691; mais comme
« il y manquoit quelques circonstances essentielles, M. Racinb
c mieaUc instruit s'est chargé de la réformer. » Comme il n'es
point dit qu'il ait entièrement refait la description incom-
plète, nous n'avons pu regarder comme son œuvre celle qui
se trouve an folio a38 de l'Histoire métallique.
La médaille du Port de. Toulon donna lieu à une discus-
sion, dans laquelle Racine eut à dire son mot : « Du sa-
c MBDi 26 JUILLET 1698. M. Dacicr a proposé pour légende à
« I9 médaille de Toulon, où l'on a résolu de mettre une
c figui^e de Minerve avec une vue du port et de l'arsenal :
« MufEavA cusTOS.... M. Racine proposoit de mettre Ma-
«r amiiA, pour faire connoltre que cette déesse ne s'occupe
« à Toulon qu'aux ouvrages iiôécéssaires à la mer. Après
« plusieurs contestations, on a remis à une autre assemblée à
«r en délibérer.... — Du samedi a'Aoïhr '1698. On a re-
« parlé de l'inscription pour la médaille de Toulon. M. Char-
« pentier a proposé encore Minerva WLitAEis. M. Dacier
N a toujours soutenu Minerva cîtstos'.... If proposoit aussi
< MiNERVA HospiTA.... La Compagnie s'est -enfin déterminée à
« MiNXBVA cusTos, sauf le sentiment de M. de Pontchartrain. »
Voici la médaille telle qu'on la trouve au folio 1 8a de l'Histoire
métallique : c'On y voit le plan de la ville, de l'arsenal et du
port. Pallas, assise sur des nuées, parott en avoir ordonné
tous les travaux. La légende : Tolonii Pôètus et Navale, signi-
fie le Port et t Arsenal de Toulon; l'exergue marque l'année
1680, où la plupart de ces ouvrages ont été achevés. «
La médaille du Camp de Compiègne fut une de celles qui
exercèrent le plus Tesprit des académiciens. Racine donna
son avis. On revint sur ce sujet dans plusieurs assemblées :
« Du MAEDi 18 NOVEHBEE 1698. M. de Tourrcî] a proposé....
« un athlète qui promène son fils dans l'arène, avec ce mot
« de Virgile : H^b tibi srunt artes, pour le camp de Compiègne,
« où le Roi enseignoit à Monseigneur le duc de Bourgogne
< l'art de commander les armées. Sur le même sujet, une
< aigle qui présente ses petits au soleil, avec ce mot de Clan-
c dien : Flammas iubbt orb pati. M. Raohb a proposé, sur le
NOTICE. 35
« même sujet, Enée qui mène son fils Ascagne dans le camp,
< aTec ce mot de Virgile : Discb, pubb, pour marquer les
< instrtictions militaires du Roi à son fils. » Dans la séance
du samedi 17 janvier 1699 on avait goûté la légende pro-
posée par Boilean : PecNA mobb hostili belata. Il avait tiré
cette expression d'un vers d'Horace, le 6a' dans la xvin* épi-
tre éxkV' livre; à Texergac on devait mettre simplement :
An CoMFïKDivir. « Du mabdi 20 jarvibb 1699. On a encore
parlé de la médaille da Camp de Compiègne, On s'est tenu
an type qui a été d'abord proposé; et M. RAcnn: a dit
que rinscription : Puona mohb oostili relata, ne suffisoit
pas, qu'il falloît dans cette médaille marquer quelque chose
pour le Roi qui instmisoit ainsi Monseigneur le duc de
Bourgogne au métier de la guerre^ et pour cela il avoit
pensé de mettre pour légende ; iNsimmo Duas Buacnn-
OLB, et à l'exergue, au Heu dfe Pugna : VtLMLiA mobb Boaniii
asLATA. La Compagnie a été de son avis, et M, Tabbé
Bignon s*est chargé de savoir le sentiment de M. de
Pontchartrain. i> Le ministre consulté fut d'avis, comme
0» le voit dans le registre, â la date du samedi ai février 1699,
que le mot Ingtitutio tout seul était trop vague, puisqu'à ce
camp il ne s'agissait que* de guerre, et que ce'mdt'inis seul
comprend toute l'éducation du Prince. Il pensa donc qu'on
devait ajouter militaris, La médaille fut exécutée' suivant ses
instructions. Elle est au folio ^77 de l'Histoire métallique :
1 On y voit un guerrier qui tient par la main un jeune
homme armé, et le conduit dans un camp représenté par des
tentes. La légende : MirrrAKis institu'tio dugis Buegiindic, si-
gnifie : ie duc de Bourgogne instruit au métier de la guerre,
L^exergne : Castaa Gomïendiexsia. m.dg.xcvui, le Camp de
C<impiègne. 1698. i»
Nous venons d'intervertir légèrement Tordre chronologi-
que, ponr donner dé suite les diverses délibérations sur la
médaille du Camp de Compiègne. Avant l'assemblée du ao jan-
vier 1699, Racine avait donné son opinion sur une médaille
qui devait porter la date de l'année de la paix (1697), et rap-
peler que pendant dix ans la France avait heureusement tenu
tète à toute l'Europe. Dans la séance du mardi a décembre
1698, oiï cette médaille fut discutée, l'abbé Bignon fit savoir
36 EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
que c M. de Pontchartrain trouTOÎt à propos de mettre quel-
que chose à l'exergue de la médaille, sur ce que la France
a résisté seule pendant dix ans à toutes les puissances de
l'Europe sans receroir aucun dommage. On aroit résolu dans
la Compagnie de se contenter de la légende : Gàixia inyicta,
et de ne mettre à l'exergue que la date de l'année de la
paix ; mais sur l'a^s de M. de Pontchartrain, Messieurs ont
jugé qu'effectivement une inscription à Texergue rendroit
la médaille moins obscure, et ils ont promis d'y penser. »«-
Du BAïuDi 6 DÉcniBAB 1698. Ou a parlé de l'inscriptioa
pour mettre à l'exergue de la médaille : Galua invigta.
M. Racike croyoit qu'il étoit nécessaire de faire con*
noltre que toute l'Europe armée euTironnoit la France
et l'attaquoit, et que n^nmoins elle a toujours été victo-
rieuse ; et pour cela proposoit : Tota Euhopa per obcbk-
NiUM cxaGUMFmBMBHTB. Le mot paroissoit beau, mais un peu
trop fort; on croyoit que l'on devoit seulement parler du
bonheur des armes du Roi pendant toute la guerre, et que
cela suffiroit, puisque toutes les autres médailles parlent
assez de tous les ennemis alliés contre la France. Sur cela,
on a proposé plusieurs mots différents ; mais on s'est arrêté
à ces deux : DuaDi vali bbllo yaosPBax gbsto, ou bien : Bbi«lo
PB! DRGBNNiuM FEuciTKE OBSio. Ces iuscriptions out paru
nobles et simples, et la Compagnie a cru que c'étoit dans
ce sens-là qu'on devoit s'expliquer. M. Tabbé Bignon s'est
chargé de savoir là-dessus le sentiment de M. de Pont-
chartrain. » Ce sentiment fut connn de l'Académie dans
l'assemblée du ai février 1699, et suivi dans l'exécution de
la médaille, qui est an folio 270 de l'Histoire métallique. Elle
y a pour titre : La France toujours victorieuse. « On y voit
la France armée, et à ses pieds les boucliers où sont les armes
des puissances ennemies. D*ane main elle tient un javelot, et
de l'autre une Victoire. Les mots de la légende : Gallu uî-
TiCTA, signifient : ia France invincible. Ceux de l'exergue :
Bbllo pbb DBCBNNniM FBLicrrBa obsto. x.Dc.xcviiy veulent dire :
Guerre €ie dix ans faite avec succès • i^97* *
La Compagnie consacra plusieurs assemblées à la discus-
sion d'une devise pour la médaille de Vjicadémie des sciences^
à laquelle le Roi venait de donner « une nouvelle forme et
«OTICB. 37
on étaUissement pins solide. » Fontenelle, secrétaire de TAca-
demie des sciences, était venu dans l'assemblée du 7 février
1699 prier l'Académie des inscriptions de s'occaper de cette
devise, et lui-même c avoit en même temps apporté quelques
pensées.... Ces pensées ont paru belles. » Cependant plusieurs
objections y avaient été faites. La délibération fut remise à
on antre jour. Elle occupa la Compagnie dans la séance du
mardi 10 février; mais ce fîit seoleroent dans la suivante
que Racrine prit la parole : « Du sairdi 14 rÉvana 1699.
On a encore parlé des devises pour l'Académie royale des
sciences. M. Ragins a proposé une aigle qui regarde le
soleil avec ce mot : Solbm iMPsaTUBrrus imum PnausraAT.
On a trouvé que cette idée est belle k cause que les astro-
nomes de ce temps ont trouvé des taches dans le soleil ;
mais comme cette pensée ne regarde que l'astronomie,
M. Tabhé Tallemant a proposé, suivant la même idée, plu-
sieurs aigles, avec ce mot français : Ribn n'éghappb a nos
BJKAaos.... Cette devise a été approuvée, hors le mot,
qu'on aoroit souhaité latin. » Nous n'avons pas à suivre
jusqu'au bout les discussions de la Compagnie sur ce sujet.
Elles continuèrent le mois suivant; mais Racine, alors trés-
malade, n*y assistait pas. En face de la légende proposée
par lui dans l'assemblée du 14 février, on a écrit au crayon
sur le registre, c C'est le dernier mot de Racine à TAcadémie.
Mort le ao avril. » On peut voir dans T Histoire métallique,
folio 88, quelle médaille fut définitivement adoptée pour Vj4ca^
demie des sciences. Elle n'a aucun rapport avec celle qu'avait
imaginée Racine.
En ce qui touche aux médailles, les discussions auxquelles
Racine a pris part s'arrêtent à celle de la devise qu'avait
demandée l'Académie des sciences; il ne nous reste plus à
parler que des devises qu'il proposa pour divers jetons.
Dans l'assemblée du 7 août 1694 l'abbé Bignon avait
< exhorté Messieurs à songer de bonne heure aux devises....
« Ces devises sont pour les jetons du Trésor royal, des Par-
« ties casuelles, de la Marine, des Galères, de l'Extraor-
« dinaire des guerres, de l'Ordinaire des guerres, des Bàti-
< ments du Roi, de l'Artillerie royale, de la Chambre aux
■ deniers, de la Ville. • Le mardi 7 septembre de la même
3S EXPLICATIOirS I>£ MÉDAILLES.
année ^ plusieurs devises forent apportées, et ikinnées à
Goypel pour les dessiner, une entre autres que Racine avait
imaginée sur les Bâtiments.' Ce n'est point le procès-verbal
du 7 septembre qui nous fait connaître cette devise , maïs
celui du samedi i3 novembre 1694 : « M. Tabbé Bignon
a apporté les devises qai .loi avoient été envoyées par
quelques-nns de Messieurs, et dessinées par M. CojpeL...
U a fait connoitre à la Compagnie que désormais toutes les
devises des jetonsi seroient faîtes par PAcadén^ie royale des
inscriptions^ et que déjà oeUo des Bâtiments du Roi avoit
été arrêtée^ Slle est de M. Pagine, et elle est mise ici, des-
sinée avec son explication. Une abeille snr des • fleurs, et
des frelons qui fuient, avec- ces mots : Abcbtquk bostbs dum
LuiMT IN uoETis.' Ce vcrs de Virgile {Géargiquesy livre IV,
vers 16S) a donné lieu à cette pensée :
< Ignavum fuco^ pecus a prœsepibus arceni.
« L'abeille va de fleur en fleur et voltige dans les jardins,
« et chasse en même temps les frelons qui voudroient atta-
M qner sa ruche : ce qui convient au Roi, qui s'amuse et se dé-
c lasse dans ses jardins, tandis que ses ordres, portés dans ses
« différentes armées, éloignent les ennemis de no& frontières
« et de nos rivages. » — c Du samedi ho NOVEMBits 1694....
« Pour les galères, une sirène, avec ce mot : Et dbcds et
< TEBBoa VBLAGi: Lcs sirèues se faisaient admi^et* par leur
« chant, et se faisoient' craindre par la mort Certaine qu'elles
« donnoient lorsqu'on s'y arrètoit, II n'est dé même rien de
c plus beau à voir, ni rien de plus redoutable, que les galères
« du Roi. Cette devise est de M. Bague, et le mot a été ré-
c formé dans la Compagnie. »
Dans l'assemblée du a 3 novembre 1694, l'abbé Tallemant
avait proposé pour la Marine un rocher au milieu de la mer,
avec ce mot : Immota TiMSTim. Pontchar train avait fait une
objection, parce que cette devise avait quelque ressemblance
avec une autre choisie depuis peu. Racine proposa en consé-
quence une nouvelle devise le samedi 4 décembre suivant :
c Pour satisfaire.... à ce que souhaitoit M. de Pontchartrain,
c M. Racine a proposé pour corps un cheval bridé et har-
« naché,| avec ce mot : £epbctatqub tcbam, pour comparer
NOTICE. 39
noue flotte, qui a^ toiqoiirs été équipée et prète^ et. n'at-
tOiàûil qfue les ordres éa Roi, avec on cbeTal' de bataille,
qui n'attend que le signal dn combat pour partir. Cette idée
a para noUe et assez convenable, d^aatant; plas que le
chevjd est on présent qoe Neptune fit aux hommes.
M. Charpentier avott proposé une devise d'vn. Neptune
qui menaçoit de.scm trident une ville, avec ce nx>( : iPaa mb
■OK srrrrr, pour fi^e entendre que si lés troupes de terre
avoient été aussi bien en état que la marine d'attaquer
Barcelone, on n'avroît pas manqué cette bonquéte. Mais ces
paroles y Psa as votr'airrrr, avoient paru trop fortes:
M. RiUxmB a proposé de mettre, avec ce même corps, ces
mots fameux du premier livre de V Enéide (vers i SS) : Quos
iGo.... sKD«... Ces paroles qui ne disent guère, et signifient
beaucoup, ont assez pin à la Compagnie, ' et M. Coypel,
qui étoit présent, a promis de dessiner les deux devises
pour le lendemain, et de les porter hiinnème à >MJ Tabbé
Bignon. » Oa apprit à la séance suivante ce qui avait été
décidé sur ces divers projets : « Du XABot ^ aécsumis- 1694.
H. Tabbé Bignon a dit que M. de Pontchartraîn avoit arrêté
que nonobstant la ressemblance, la devise de la Marine
demenreroit ainsi qu'elle avoit été d'abord résolue^ les
autres doivent être gardées dans le portefeuille» »
« Dv xABDi 14 DÉGEMBEE 1694. M. Raciiib et M. de Tour-
reil ont proposé chacun une devise- pour Madame la prin-
cesse de Conti. » A la séance précédente (samedi ii dé-
cembre) , Boileau , l'abbé Tailemant et Charpentier avaient
Qssi proposé chacun la leur. Ce fut celle de Racine que
on préféra : « Du sauedi 9 roihupr 169S. On a dit que le
choix avoit été fait de la devise de Madame la princesse
de Conti; qu'elle avoit pris celle de l'Aurore, faite par
M. Racutb. La voici. Les mots sont : Sof.BMQUB pabbntiem
Qd» kbcbt? Mais il étoit question de mettre en latin
l'inscription autour du portrait de cette princesse : Mabie-
AvHB DB BoUBBON, LÉGITDCÂB DB FbANCB, PBINCBSSB DOUAI-
aiÂBB ox CoMTi. La Compagnie a trouvé presque impos-
sible de mettre en bon latin légitimée de France tX, princesse
douairière. Après plusieurs contestations, elle a cru que l'in-
scription se devoit faire ainsi : Mabia Anna Lud. Mac. filia
40
EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
n. CoMTTi TiDUA. Oh a pensé qa'il étoit pins honorable à
Madame la princesse de Gonti de la qualifier fille de Louis
le Grand, d'antant plus que quelqu'un a assuré qu'il y
avoit des jetons de Charles duc d' Angoulème, où on a mis
Caboli Nom FiLius. La Compagnie a résolu que M. l'abbé
Tallemant enverroit cette inscription à M. l'abbé Bignon
pour savoir l'avis de M. de Pontchartrain. — - Du sambdi
i6 juiLLiT 169S. M. l'abbé Renaudot a dit qu'il avoit parlé
par occasion à M. de Pontchartrain de l'inscription du
portrait de Madame la princesse de Conti, et qu'il lui avoit
répondu qu'il falloit savoir le sentiment du Roi. M. Ra-
cnrB s'est chargé d'en parler à Madame la princesse de
Conti. — Du MARDI 6 siPTSMaas 1695. Le sieur Cheron,
graveur, a fait demander à la Compagnie une résolution
certaine sur l'inscription de la médaille de Madame la prin-
cesse de Conti, dont il a été parié dans le mois de juillet.
M. l'abbé Bignon a dit que M. de Pontchartrain penchoit
fort à la faire mettre en françois, parce qu'il étoit difficile
de mettre en latin MAais-Ainn db Botobon, légitiiiéb db
Fbavcb, ce root de légitimée ne pouvant se joindre avec
France. M. Tabbé Renaudot a dit que le mot legitimata
étoit bon, et qu'il étoit employé dans le droit romain ; mais
qu'on ne pouvoit dire legitimata Francim. M. l'abbé Bignon
a proposé, pour lever la difliculté, de mettre Mabia Aitha
BoBBONiA, I^jDovici Magni filia uBomMATA, ce quo toute la
Compagnie a approuvé; mais pour ne rien faire qui ne soit
agréable à Madame la princesse de Conti, M. l'abbé Re-
naudot doit envoyer à M. Dodart les deux inscriptions,
l'une latine, l'autre françoise, pour les faire voir à la prin-
cesse, et savoir son sentiment, après quoi il en informera
M. l'abbé Bignon. » Consultée par Dodart, son médecin,
qui avait toute sa confiance, que décida la princesse de Conti?
On ne nous l'apprend pas. Soit en latin, soit en français, elle
conserva sans doute le mot de légitimée^ qu'elle tint toujours à
ajouter à sa signature pour se distinguer par là des filles de
Mme de Montespan et leur faire sentir, dit Saint-Simon*,
« qu'elle avoit une mère connue et nommée. » C'est ce qui
I. Mémoirt»^ tome I, p. 346.
NOTICE. 4i
e la persistance de l'Académie des inscriptioiis à ne
pas omettre ce titre, malgré la difficulté qu'elle trouvait à
Feiprimer en latin. Peu importe d'ailleurs le choix que fit
entre les deux langues la princesse de Conti. Le corps de la
médaille et la devise, qui sont de l'invention de Racine, peu-
vent seuls nous intéresser.
« Du MAEDi i5 NOVBMBBK 1695. M, RiGiNB a proposé uue
devise pour la Marine. Le feu Saint-Elme, ou la constel-
lation de Castor et PoUux autour du mât d'un vaisseau»
avec ce mot : Sidseb uêta suo. Quand les matelots voient
cette constellation ou plutôt ce feu autour de leur mât, ils
sont sûrs d'une heureuse navigation. Tous les officiers de
la marine se tiennent de même sûrs de toute sorte de bons
succès, ayant Monsieur le comte de Toulouse pour leur
admirai.. •. La Compagnie a examiné et approuvé ces devises.
(7/ y en avoit eu ït autres proposées pour d autres médaiUes
à la mime assemblée ^yiA* Coypel les doit dessiner. »
« Da lAMiDi 19 HOVBMBBB 1695..., M. Raginb b proposé
pour l'Ordinaire des guerres un bélier dont se servoient
les anciens pour battre les murailles, avec ce mot : Cuucta
BiTUBT QuocmiQUB FBBiT. Lc bélier dont se servoient les an-
ciens renversoit les plus fortes murailles. Les gendannes
et les chevau-légers de la Garde du Roi font plier toutes
les troupes ennemies qu'ils attaquent. La Compagnie a exa-
miné et approuvé toutes ces devises. M. Coypel les doit
dessiner. »
< Du xABDi aa MOVBMBBB 1695. M. Racibb b apporté une
devise pour les Galères : Des rochers qui mettent un port
à l'abri des vents et des orages, avec ce mot : Tutatub
UTTOBA. Les rochers ou montagnes mettent les vaisseaux
qui sont au port à couvert des orages. Les galères du Roi ont
sauvé nos côtes des bombardements et des descentes dont les
ennemis nous menaçoient. » Ici encore le registre constate
reiamen et l'approbation de la Compagnie. Cette approbation
toutefois laissait au secrétaire d'État sous l'autorité duquel
était l'Académie la liberté du choix entre les projets approu-
vés. Ceux de Racine n'étaient pas toujours préférés aux autres.
Dans l'assemblée du mardi 29 novembre, on fit connaître les
denses que M. de Pontchartrain avait dhoisies. Pour l'Ordi-
4a
EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
naire des guerres il donna la préfôrenceïA œllet qu'avait ima»
ginée Boilean, un Hercule dans une lice, aveo ce root : Quis
GONTBA? et pour les Galéres> à c^elle de.Tabbé Tallemant, un
laurier avec ce mot : Da.'T spbbneek fuuuna*
c Du samedi 3 DidanBis 1695. M. Racuik a dit à la Cooh
pagnie que M. Vilkcerf, surintendant .des B&iiœents dn
Roi, avoit demandé une devise : à quoi il avoit répondu
que M. de Pontchartrain en avoil choisi une, qu'il auroit
soin de lui donner; mais il s'est trouvé que le mot -n'en
étoit pas encore Umt à fait arrêté. M. Racine. a. proposé une
autre devise, qui a paru aussi très-i^onveDable, de aorte
qu'on a résolu que M. Racimb prendroit.la peine de mon-
trer les deux à M.- de Villacerf» Dans. la. même séance
plusieurs accadémiciens proposèrent des devises povr- la
Marine : M. Racikk, sur le même suj^t, une aigle avec ce
mot : Ad PBiEDÂM mvtoiLAT, ou Ut vidbt! m BiriTl^On
compare dans cette devise les armateurs fraaçois, qui ont
fait de si grosses prises* sur les ennemis, à une aigle qui
plane en l'air, et qui oherdie la proie qu^ellé ne manque
jamais d'enlever. »- -— « Du mabdi 6 DÉcBvaaB i^S.
M. Racine a rapporté à la Compagnie les devises des Bâ-
timents; voici celle qui •»> été choisie : «.«. Pallas armée
ayant à ses pieds des équerres et quelques autres instru-
ments servant à bÂtir, avisO'Oe mot : Nimc ammis TOTA,pour
faire connoltre'que la guerre occupe tons les soins du Roi,
et lui fait négliger les Bâtiments, dont Pallas a soin sous le
nom de Minerve. Cette devise est de M. Racimb. » Il est dit
dans le registre, sous la date du 7 janvier 1696, que Tabbé
Tallemant apporta à la Compagnie une bourse de jetons d'ar-
gent, qui lui avait été donnée par M. le marquis de Villacerf.
Sur ces jetons était empreinte la devise proposée par Racine,
dont il vient d'être parlé. M. de .'ViUacerf promettait que tons
les ans il en userait de même.
Le samedi 10 décembre 1695, Racine rapporta les de-
vises choisies pour le Trésor rojal et pour la Marine. Ce ne
fut point son aigle que l'on préféra pour cette dernière; on
adopu ce qui avait été proposé par l'abbé Tallemant : des
nuages qui renferment le tonnerre, avec ces mots : Ipso btiam
METUEBrUA nULGOEB.
NOTICE. 43
« Do vABitt i3 Koviiun* 1696^ Oa a.d'abord parJé décide-
• vises pour let jelons de TaDoée ^^91* Plusieurs de Mes-
< mars en ont q)porté qu'Us, .^y^j^t pensées dmift leur loi-
€ sir.... Pour les Bâtioii^ots du Roi, M^ &acikb : un Alcyon,
€ avec ce mot : Qtu mundi. Exf^ctat. » M. de Villacerf,
comme le marque le x^$tre hh^ date du.sio npveodb^ 16969
préféra cet emblème, donné par Charpentier : l'arc d'Her**
cule débandé, avec ce mot : Et suvr <^u divis.
m Dv SAiiHDi 1.7 ROVKua^e 1696. Pojur rExtraoi;dînAire des
guerres,... M. JUcnni s nn faisceau de flèches déliée avec
ce mot : Jim YAciun fRASOi ^ II» l!abbé Tallemant : un
lion qui met en fuite, des troupeauj^ avec ce mot t Tmmos
Amvis nEanMnB:,co«tT, M» Bacine a proposé an lien de ce
mot : Boarnu aBcvAV m âmno*
c Do aaifx&i a4. Kcymsax iSgfi. M. l'abbé Bignon a rap-
porté à la ÛCMnpagnîe les devises choisies par M. de Pont-
cha^tiaki.... Pour. FExtniordtnaire des guerres, nn fais-
oean de .serges délié, «avec ce mot : Jam yacilm feangi.
Cette devise est fondée sur wie< fable connue. Ce ûiscean
lié est difficile à roAlpre* Dès qu'il est délié, on rompt
aisément les verges ou baguetles qui le composent. Les en-
nemis de la France ligués étaient dîfliciles à dompter. La
paix de Savoie, qui commence k désunir leurs intérêts,
donne plus de facilité à les Taincre. *<— Do samedi 16 no-
TBMBKX 1697. On a continué à proposer des devises. M. l'abbé
Tallemant, pour les Parties casuelles* : un homme qui
taille un arbre, avec ce mot de Virgile (G^r^/^uef, livre I,
vers a 16) : Amroa ooEAi M. Raonb a dit que ce mot ne
disoit pas assez, et qn'il. falloit montrer que œ soin que
l'on a de tailler les aii)res tous les ans, comme de payer le
drmt annuel, est très-utile, et pour cela il a ajouté Juvai :
JuvAT AinruA CUBA. M. de VilUcerf avoit écrit à M, l'abbé
Tallemant pour la devise des Bâtiments; M. Racinb a
I. « Les Parties casuelles, outre le droit axmael, sont destinées
t receroîr les fonds des charges que le hasard fait vaquer, ou
fiuite d'avoir pAjré le droit annuel, ou par le changement des
officiers. » {Registre de f Académie de* uueriptions^ à la date du
19 noTendl»re 1694-}
44 EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
M dit qu'il croyoit qu'on déçoit prendre pour corps de cette
« devise la nouvelle cascade de Marly qu'on appelle la Ri-
« vière, parce qu'effectivement toute l'eau de la Seine que la
« machine élève tombe en cet endroit dans les jardins de
« Marly. » L'idée suggérée par Racine ne fut pas adoptée :
« Du MAADi 19 MovBMBBB 1697. M. l'abbé Tallemant a montré
« une lettre de M. de Villacerf, |>ar laquelle il mandoit que
t la devise du Fleuve ne plaisoit pas, et qu'il prioit la Corn-
c pagnie de songer à quelque autre. » Ce fut en définitive
une devise fournie par Boileau que l'on choisit.
c Du SAMEDI 14 DÉCiOfBaB 1697. M. l'abbé Bignon a dit
que M. de Pontchartrain demandoit à la Compagnie mue
devise pour les jetons de Madame la duchesse de Bour-
gogne. Plusieurs de Messieurs en ont proposé une sur-le-
champ. Monsieur Dacier a proposé Tétoile de Vénus, avec
ce mot : SnaanjE innrriA lucis. M. Charpentier, une étoile
naissante, ou plutôt qui commence à paroitre sur l'hori-
zon, avec ce mot : Obituk geatissiiu.. M. l'abbé Talle-
mant, une fleur d'hyacinthe sur laquelle le soleil darde ses
rayons, avec ce mot d'Ovide {Méiamorphoses^ livre X,
vers a i4) : Is knim rurr luiHoa HOHoais, pour faire connoltre
que c'est le Roi qui a choisi cette princesse pour son petit-
fils. M. Rachtb a imaginé deux petits palmiers, l'un mâle,
l'autre femelle, qui se courbent l'un vers l'autre, selon
ce que disent les naturalistes, avec ce mot de Virgile
{Éclogues^ Xj vers 54) : Cbescknt iula, crbscbtis amoebs. »
« Du MABDi 17 DteBMBBB 1697. Lc sîcur Rousscl a apporté
le poinçon de la tète de Madame le duchesse de Bourgo-
gne, que l'on a trouvé très-beau. Il a demandé l'inscription
pour mettre autour, et on a résolu de mettre simplemoit :
Mabia Adblaïs ducissa Bubgundlb.... m. l'abbé Bignon a dit
que M. de Pontchartrain avcit choiû pour la devise pour
Madame la duchesse de Bourgogne, deux petits palmiers
qui se penchent Tun vers l'autre, avec le mot de Virgile :
Cbbscbnt, cbescbtis amobbs, »
Le mardi a5 novembre 1698, on eut encore à délibérer sur
une devise pour la duchesse de Bourgogne* Afin que l'on
puisse comparer la proposition de Racine avec celle de ses
confrères, nous rapporterons les divers projets : « M. Char-
NOTICE. 45
< pentier, un bouton de rose, avec ces mots : Quantos mox
« FUHDiT oDOBis! M. de Tourreily sur le même sujet : un
c miroir ardent, avec ce mot : Quàittus com bols mitokI
« pour marquer le soin que le Roi prend de l'éducation de
« cette princesse. M. Tabbé Tallemant, sur le même su-*
c jet : rétoilc de Ténus, et le soleil qui paroît sur l'horizon,
• avec ce mot : Paorioai lumutb fulgbt. L'étoile de Vénus ,
« qui ne s'éloigne jamais du soleil, en tire un éclat plus
« brillant que les autres étoiles ; Madame la duchesse de Bour-
c gogne, que le Roi prend soin d'élever, en reçoit un éclat
« sans pareil. M. Dacier, sur le même sujet : deux tour-
c terelles sur un myrte, avec ce mot : Amant, ÀMAirrua.
« M. Racihb, sur le même sujet : un bouton de rose sur
c lequel le soleil darde ses rayons, avec ce mot : Fibmat sol,
< ce qui est tiré de^... M. de Tourreil, encore sur le même
• sujet : l'étoile de Vénus, avec ce mot d'Ovide {Métamor^
c phases j livre IV, vers 197) : Qaos dbbbt xurdo, pe^bbt mihi,
« pour dire que le Roi partage ses soins entre son royaume
< et la jeune princesse. M. Despréaux, sur le même sujet :
« nue vigne vierge qui est autour d'un laurier, avec ce mot :
c Lauxos pAximiB ADHJUKNS, pour faire connoltre que l'at-
< tacfaement de cette princesse au Roi lui attire toute sorte
« de grandeur et de gloire. » Dans l'assemblée du samedi
29 novembre 1698, la Compagnie fut informée que M. de
Poatchartrain < avoit été trés-content de l'abondance et de
« la beauté des devises, et qu'il falloit garder pour d'autres
c années celles qui n'étoient pas employées. » Parmi celles
qu'il choisît dès lors, se trouva celle de Racine, pour la
duchesse de Bourgogne : < La devise du bouton de rose, avec
« le mot FixMAT sol, pour Madame la duchesse de Bourgogne,
< plaisoit aussi à M. de Pontchartrain ; mais il souhaitoit que
« l'on pût joindre encore un mot à Fibhat. M. Racinb , qui
< avoit fait la devise, a trouvé le mot à l'instant : Fiemat et
< oiHATy sans mettre sol^ qui est inutile. La Compagnie a
I. La citation est restée en blanc dans le registre. Les mots de
h devise de Racine sont tirés du Carmen nuptuUe de Catulle,
▼en 41 :
Quem nuâUsnt aww, firmat soi, educaS imber*
46 EXPLICATIONS DE MEDAILLES.
c approavé ce mot; et M« l'abbé Bignen s'est aussi diargé
c de TenToyer à M. de Pontchartrain.
« Du MABOi a DÉcufBRE 1698. M. l'abbé Brgnon a dit qae
« M. de Pontchartrain avoit approuvé..., poar Madame la
c duchesse de Bourgogne , un bouton dé rose sur lequel le
9 soleil darde ses rayons, avec le mot : Firmat et ohnat. »
Nous avons dit que les registres n'ayant été régulièrement
tenus que depuis 1694, nous n'avons pu connaître avant cette
époque la part que chacun des académiciens prit aux travaux
de la Compagnie. Nous n'avons donc ni toutes les explications
des médailles de l'histoire du Roi, ni toutes les devises que
l'on doit à Racine. Nous pouvons seulement rappeler ici,
comme un maigre supplément, ce que Louis Racine dit des
travaux de son père à l'Académie des inscriptions*. « Mon
père, dit-il, a donné, dans quelques occasions, des devises
qui y dans leur simplicité, ont été' trouvées fort heureuses,
comme celle dont le corps étoit une orangerie, et l'àme : Con-
lUBATOS fiiDET AQuiLONES. Elle fut approuvéc, parce qu'elle avoit
également rapport à Forangerie de Versailles, b&tie depub
peu, et à la ligue qui se formoit contre la France, s II nous
apprend aussi, au même passage de ses Mémoires, que Racine
et Boileau avaient remplacé par de^' insolations plus simples
les inscriptions pleines d'emphase qu'avait faites Charpentier
pour être mises au bas des tableaux de le Brûh, dans la ga-
lerie de Versailles, et dont les pompeuses déclamations avaient
justement déplu à Louvois. '
Nous ne pouvons mieux terminer cette notice que par les
quelques lignes que nous trouvoiis dans lé registre de l'Aca-
démie à la date du :k8 avril 1699. Elles renferment un témoi-
gnage des sentiments que Racine avait inspirés à sa Compa-
gnie : « La mort de M. Racine, arrivée après une longue
maladie, le 20 de ce mois, a'extrèmeraent affligé la Corn*
pagnie. Il étoit grand pôëte, elcellent orateur, et très-bien
instruit en toute sorte de genres de littérature. H étoit d'un
grand secours à l'Académie, tant par la vivacité de son esprit
que par la connoissance certaine qu'il avoit de tout ce qui re-
garde l'histoire du Roi. »
I. Voyez notre tome I, p. 176.
LA PRISE DE MARSAL. 47
I
LA PRISE DE MARSAL.
(Extrait da registre de rAcadëmie det inscriptions.)
CHâRi.is I\ duc de Lorraine, célèbre par sa valeur et
par son habileté 'pour la guerre, Test encore plus par son
inconstance et par la légèreté de son esprit, qui enfin Font
conduit à sa mineur H n*est pas croyable combien de dif-
férents traités il avoit faits avec la France, qu'il avoit
tous également violés. Le Boi néanmoins, peu de temps
après la paix des Pyrénées, lui rendit gracieusement ses
Etats, mais aux conditions qui furent jugées nécessaires
pour s^assurer contre son peu de bonne foi. A peine il fut
rétabli, qu'il proposa de lui-même au Roi le fameux traité
par lequel il lui cédoit la Lorraine, et lui remettoit d^a-
bord Mabsal pour sûreté de sa parole. Mais le traité ne
Ait pas plus tôt signé qu^il chercha tous les moyens d'en
éluder Vexécution. Il fit travailler en hâte aux fortifica-
tions de Marsal, j jeta une garnison nombreuse, et re-
commença ses anciennes pratiques avec les ennemis de
la France. Lie Roi, justement indigné de ce manquement
de parole, fit aussitôt investir Marsal, et voulant faire ce
siège en personne, se rendit en deux jours à Metz avec
1. Dans THistoire métallique, aussi bien que dans le registre de
l'Académie des inscriptions, on lit Charles I, au lieu de Charles IV.
Cette Amte ainsi r^^tëe est difficile à expliquer. On arait, il est
▼ni, eontnme en France de dire simplement « le duc de Lorraine, »
ou « Charles de LorrAine, » et non « Oiarles IV. » Mais ses prë-
décetteon n'y Paient pas inconnus.
48 EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
toute sa cour. Alors le Duc« dont cette extrême diligence
avoît rompu toutes les mesures, vit bien qu'il ne lui res-
toit d^autre parti que de se remettre entre les mains du
Roi. En effet il vint le trouver à Metz, et après avoir si-
gné un nouveau traité, qui étoit le troisième depuis trois
ans , envoya ses ordres pour faire rendre Marsal à Sa
Majesté.
C'est le sujet de cette médaille^. Le duc de Lorraine y
est représenté sous la forme du dieu Protée, qui, comme
on sait, se changeoit en toutes sortes de figures, et qu'il
falloit enchaîner pour le faire parler. Ces mots : Màrsa-
LiUM CAPTUM , et ces autres: Protbi artes delu&b^ font
entendre que toutes les ruses du nouveau Protée furent
déconcertées par la prise de Marsal.
MÊME SUJET.
(Extrait de l'Histoire métBlUqoc.)
Charles I*, dac de Lorraine, célèbre par sa râleur et par sa
grande capacité pour la guerre, Test aussi par son inconstance
et par la légèreté de son esprit, qui enfin le conduisirent à sa
perte. D n^est pas crojable combien de différents traités il aroit
faits arec la France, qu'il ayoit tous également TÎolés. Le Roi
néanmoins, peu de temps après la paix des Pyrénées, lui rendit
généreusement ses États. A peine fut-il rétabli, qu'il proposa, de
lui-même le fameux traité par lequel il cédoit au Roi la Lorraine,
et remettoit d'abord Marsal, pour sûreté de sa parole. Dès que le
traité fut signé, il chercha tous les mojens d'en éluder l'exé-
I. Dans VAlbtun qui sera joint à cette édition des OEu^ret de
Racine^ nous donnerons, d'après l'Histoire métallique, les
des cinq médailles que Racine a décrites et expliquées.
1. Vojes ci- dessus la note i de la page 47.
LA PRISE DE MAftSAL. 49
cation, recommença ses anciennes pratiques arec les ennemis de
la France, fit fortifier Marsal, et y jeta une garnison nombreuse.
Le Roi, justement irrite, fit investir Marsal, dont il vouloit faire
If si^e en personne, se rendit à Metz en quatre jours, et s'a-
vança â Nomen j, où il fit la revue de ses troupes. Alors le Duc, dont
cette extrême diligence avoit rompu toutes les mesures, prit le
ptrti de se mettre à la merci du Roi. Il vint tronyer Sa fifajestë à
Metz, euToja ordre de remettre Marsal aux troupes du Roi, et
signa un nouveau traité, qui étoit le troisième depuis trois ans.
C'est le sujet de cette médaille. Le duc de Lorraine est repré-
senté 90US la forme du dieu Protée, qui, selon la fable, se cban-
geoit en toute sorte de fiigures, et qu'on ne pouvoit fixer que par
la forée. La légende : Paoïmi abtss dblusc , signifie Lu artifices
eu mmvtttu Prciée renduâ inutiles; l'exergue : MaBiAf.iUM CAPTcni.
M.OC.IJUII, Prise de Marsal. i663.
J. Racwb. V
5o EXPLICATIONS DE MEDAILLES.
Il
LA VILLE D'ERFORD
RBNDUB A L^ARCHByAqUB DB MAY^felTCB.
(Extrait du regutre de rAcadëmie des inacriptioiu.) .
QiroiQUK par la paix dé MniMter Tarcbevéqae et TÉ-
glise de Mayence eussent été rétablis dans leur dtoit de
souveraineté sur la ville d'Erford, cette grande ville
néanmoins , qui étoit presque toute luthérienne , pré-
tendoit toujours demeurer libre et indépendante , et
par son opiniâtreté avoit enfin obligé l'Empereur à la
mettre au ban de TEmpire. Mais TEmpereur n'étoit
guère en état de faire exécuter ce décret, étant lui-même
assez embarrassé à se défendre contre le Turc : d'au-
tant plus qu'on appréhendoit que tout le parti protes-
tant ne se déclarât pour Erford. Dans cette extrémité,
rArchevéque eut recours au Roi, comme au protecteur
des traités de Westphalie. Aussitôt le Roi lui envoya un
corps de six mille hommes conmiandés par Pradel;
lieutenant général, qui eut ordre de passer le Rhin
en diligence , et de marcher droit à Erford. Ces trou-
pes, auxquelles se joignirent quelques régiments de l'É-
lecteur, s'emparèrent d'abord d'un fort dont la ville
étoit commandée , et se préparoient à emporter la ville
même; mais les habitants effrayés offrirent de se sou-
mettre, et en effet jurèrent à l'Électeur et à son Église
la fidélité qu'ils leur dévoient.
C'est le sujet de cette médaille. On y voit la France
LA VILLE D'ERFORD. 5i
qui présente à la Religion la ville d*Erford, aisée à
oonnottre à l'écusson de ses armes gravé sur son bou-
clier. Les mots latins de la légende : Erfordia Ecclb-
siA MoGuifTiif js ABSTiTDTA, Signifient Erford restituée à
FÉglUe de Mayence; et ceux de l'exergue : Gallia vin-
su, veulent dire Laprotecti^m de la France* 'i664*
I ■
MÊME SUJET.
(Bxinit ^ l*Hwt€ire nMliçM.)
Qaoïque par la paix ' de Munster . l'archevêque ^t TEglifte de
Majrence eussent. ëté rétablis ' dans leur droit de souTerainetë sur
h TÎlle d'Erford, cette graJnde Tille n'ëanmoins, presque 'tonte Iti-^
thÀîenne, prétendait toiij6ilr^ demeurer indépendante, et pM* «oit
opînîttretë elle aToh enfla Gdi%^' l^Rmperenr à la meure au* ban
del'Empû^- BHûs l'Bmperenry aiBsen embanrasil lui-mltas^ à, se àér-
fendre contre le Turc, se trouvoijt d'amant mçin^ en. .étatd/s £^i^
ex^ter ce décret, qu'il aToit ^uje| d'apprëbend^r que tout le
parti protestant ne se déclarât pour Erford. Dans cette extrémité,
rArcherêque eut recours au Rôij comme au protecteur des traités
de Westphalie. Atissitôt 9a Majesté Ini'é^oya six miffe hommes
eommandës par le lieutenant gféiftéMl Pràdel , qui eurent ôi^re de
pâmer le Ahin en-, diligenee; et' dtf marcher, droit à Erford.' Ces
troupes, amqnelles se jcâ^ûrenl quelques régiment de rÉIecteufc-|
s'emparèrent d'un ibrt qui conuuandoit la Tille, et s^ prépaa^oi^t
à emporter la Tille même; mais les habitants effrayés offrirent de
te soumettre, et jurèrent à l'Électeur et à son Eglise la fidélité
qn^ils leur dcToient.
Cest le siqet de cette médaiHe. On y toîi la FV-aiice qui pré-
sente à la Religion k Tille d*Erfofé; De* ttiots dé la légende : Gaxxia
rvKOBLy signifient La •Frtmcê-protieatTueii ceux de.l'«KQrguè : Eavoar
nu ZccLMMUi iSoQVwnMM aBSorarciÂ. m.dg.x.xit, Erford rendu à
PÊ^Ue dg Uttvence. i664>
5a EXPLICATIONS DE MEDAILLES.
m
DUNKERQUE FORTIFIÉE.
(Extrait du registre de rAcadëmie des inscriptioiis.)
DuNKBRQUB passoit déjà pour une des plus considé-
rables places des Pays-Bas , lorsque le Roi la retira des
mains des Anglois ; mais il trouva tant de défauts dans
son port et dans ses fortifications qu'il se crut obligé de
la renouveler presque toute entière. En effet, outre la
construction d'une citadelle à cinq bastions et du fort
Louis, qui en a quatre, il est incroyable combien de
nouveaux ouvrages on a élevés, tant du côté de la mer
que de celui de la campagne, combien de bastions on a
revêtus, combien d'autres on a rebâtis. Ses dehors, qui
n'étoient partout que de terre , sont maintenant ^ de
grosse maçonnerie. Il a fallu nettoyer et creuser les
fossés, et pour empêcher qu'ils ne fussent comblés à
l'avenir, on a rasé quantité de dunes fort élevées , dont
les sables y étoient à toute heure portés par les vents.
On n*a pas moins travaillé à creuser et à nettoyer son
canal, en telle sorte qu'au lieu qu'il n*y pouvoit entrer
que des barques de pêcheurs , les plus grands vaisseaux
y entrent très-facilement. On a fait aussi des jetées de
pierre, qui s'avancent fort loin dans la mer, avec des
forts et des batteries ; et on a coupé un grand banc de
sable qui fermoit presque entièrement l'entrée du port.
En un mot, à comparer l'état où le Roi a trouvé Dun-
I . Il j a dans le registre : « quê de grosse maçonnerie. •
DUNKERQUE FORTIFIÉE. 53
kerqae avec celui où on la voit aujourd'hui , on peut dire
qae d'une place très^foible, il en a fait la plus formidable
de ses places.
C'est le sujet de cette médaille. On y voit le plan
exact de Dunkerque, du port, et de ses fortifications.
Sur le devant de la médaille est la ville de Dunkercpie,
sous la figure d'une Femme couronnée de tours. Elle est
assise, et tient d'une main un gouvernail, et de l'autre
one ancre. Les mots de la légende : Frsti Gallici db-
cns BT SBCURiTAS, fout entendre que cette place fait la
sûreté et romement de la côte de France. Il y a à l'exer-
gue : DmfKSRCA m dnita bt ampliata, Dunkerque aug-
maitée et fortifiée, 1671.
MÊME SUJET.
(Extnh de rHistolre mtolHfiiie.)
Le Roi, lorsqu'il eat retire Dunkerque des mains des Anglois,
tnwnra de si grands défauts dans les fortifications qu'il jugea d'une
absolue nécessite de les refaire presque entièrement. Dès l'année
i665, on commença par le château, et on changea tous les dehors.
Ce trarail fcit continué en 1671 par trente mille hommes que le
Roi j emploja. H n'est pas crojahle combien il y a eu de nou-
Tcaux onvrag^a élerés et du côté de la mer et du côté de la teire;
combien de bastions rerétus, changés ou refaits. On a rasé plu-
ncors dunes «{ni dominoient la place, et dont les sables étoient
portés par les Tents dans les canaux et dans les fossés. La citadelle
a été perfectionnée, et le fort Louis acheré; et pour rétablir le port,
on a coapë un banc de sable de cinq à six cents toises, qui fermoit
l'entrée. An lieu du canal de Mardik, que les sables combloient,
on a fait le nouTcau canal, par où en tout temps peuvent entrer
et sortir dea vaisseaux de soixante pièces de canon. Ce canal est
lOQtenn par deux jetées de charpente, qui s'aTancent fort loin
54 EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
dans ht ner, et dont les approches sont défendues par deox ris-
bans, ou forts de maçonnerie, et par deux batteries. On a creusé
dans la Tille un bassin qui peut toujours tenir à flot trente vais-
seaux, de guerre, et plusieurs autres bâtiments. En un mot, à
comparer Tëtat où le Roi a trouvé Dunkerque avec celui où elle
est aujourd'hui, on peut dire que d*une place très-foible, il en
a fait la plus forte de ses places.
C'est le sujet de cette médaille. EHe représente le plan exact de
Dunkerque; la ville, boom la figure d'une Femme couronnée de
tours, tient un (sic) ancre et un ' gouvernail. La. légende : Fbjvi
•jtfJUCK DBÇVS V, ttCON^A»,^ tiffijifip, Vornement €f fa ^ibvte' de la
edte de France dans la Manche; l'exergue : DuvQuzacà MimiTÂ sr
AXPUATA. M.DC.LXXi, Dunkerque agrandie et fortifiée. 167 1.
î • * ■ » . I » '
WOÊRDEN SECOURU. 55
IV
WOËRDEN SECOURU.
(Extrait du registre de PAcadëmie des inscriptions.)
Lb doc de Luxembourg; qui comknàndoit dans Utrecht,
n eut pas plus tôt appris que Woërden étoit assiégé par
le prince d'Orange, qu^il y courut avec environ trois mille
hommes qui se trouvèrent en état de marcher, laissant
ordre au reste de ses troupes de le suivre en diligence.
La place .étoit fort pressée, et il n*y avoit pas de t^mps
à perdre pour la secourir ;. mais la difficulté étoit de
poii?oir aborder les quartiers dès ennemis, tout le pays
étant inondé, à la réserve d'une digue, où ils avoient cinq
on six retranchements les uns sur les autres , bordés de
canon et d*infanterie. Toutefois le duc de Luxenibourg
ne balança paa à les attaquer. Il entra dans Tinondatioi^
lepéeâ h xnain, et les prenant par le front et par les
flancs, pendant que la ganlison de la place les diargeoit
aussi de son côté , il les força , et tailla en pièces tout ce
qui osa lui résister. Le prince d'Oràn^e n^eut que le
temps de mettre des canaux entre lui et les François,
leur abandonnant- six pièces de canon et une partie de
son bagage, quantité de prisonniers, et plus de deux mille
morts, entre lesquek étoit le comte de Zuylestain, oncle
natorel de ce prince et général de Finfanterie hollan-
doise. Cette action se passa le onzième octobre 1672.
C'est le sujet de cette médaille. La "Victoire présente
une couronne d'herbes verdoyantes et fleuries sur une
colonne plantée au milieu d'un marais, et à laquelle est
56 EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
attaché un bouclier aux armes de Hollande. Cette cou-
ronne marque la levée du siège. Il y a à la légende :
Batatoruii castris captis et DiRBPTis, Le camp des
Hollandois pris et pillé; à Texergue : Wurda obsidione
LiBBRATAy Woerden secouru et le siège levé. 167a.
MÊME SUJET.
(Extrait de l'Histoire méfedUqne.)
Le dnc de Luxembourg, ^pi commandoit pour le Roi dans U
proTince d'Utrecht, n'eut pas plus tôt appris que Woêrden étoit
assiëgë par le prince d'Orange, qu'il y courut arec enTÎron trois
miUe hommes qui se trouTèrent en ëtat de marcher, et laissa
ordre au reste des troupes de le sÛTre en diligence. Les ennemis
pressoient fort la place, et il n'j avoit pas de temps à perdre
pour la sauTer. La difficulté étoit d^aborder leurs quartiers dans
un pajs tout inondé, a la réserve d'une digue, où ils aToient cinq
ou six retranchements l'un sur l'autre, bordés de canon et d'infan-
terie. Le onze d'octobre, à deux heures après minuit, le duc de
Luxembourg, arec ses trois mille hommes, arrira à la vue des
retranchements. 0 attendit jusqu'à cinq heures le reste de son
infanterie; mais craignant que s'il attendoit plus longtemps, il
ne pourroit cacher le petit nombre de ses troupes aux ennemis,
et perdroit l'occasion de se battre, il ne balança point. 0 passa
l'inondation sur la glace, et les attaquant de front et en flanc,
pendant que la garnison de la place les chargeoit aussi de son
c6té, il força et tailla en pièces tout ce qui lui résista. Le prince
d'Orange n'eut que le temps de mettre des canaux entre loi et
les François. H abandonna six pièces de canon et une partie de
son bagage. On fit un grand nombre de prisonniers, et on tua
plus de deux mille hommes, entre lesqueb se trouTa le comte
de Zuilestain , oncle naturel de ce prince et général de l'infanterie
hoUandoise.
Cest le sujet de cette médaille. On Toit au milieu d'un marais
WOÊRDEN SECOURU. 5?
mie colonne, à Uipielle on a attache un bouclier. La Victoire pose
sur le haut de ce bouclier une couronne d'herbes yerdoyantes et
fleuries. La l^ende : Cairus BATAToauif gaptis xt dibsptis, signifie
U eamf des HoUandois pris ei piilé; l'exergue : Wimna obsidiosb
umATA, M.DC.i.xxn, Woërâen tecauru. 1679.
SS EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
LA TRÊVE.
(Extrait du registre de rAcadëmie des inseriptioiis.)
Après la conquête de Luxembourg, le Roi se trouvoît
en état d^emporter sans résistance le reste des Pays-Bas
catholiques. Il a voit en Flandre deux armées de quarante
mille hommes chacune, et non loin de là,, les troupes de
Télecteur de Cologne, son allié, montoient à près de
vingt mille hommes, commandés par un de ses lieute-
nants généraux. Les Espagnols , qui lui avoient déclaré
la guerre, n'avoientni argent ni troupes. Toutes leurs
places étoient en fort mauvais état. L'Empereur, occupé
contre le Turc, ne pouvoit de longtemps les secourir; et
les Hollandois, divisés entre eux par des factions, étoient
à la veille d*une guerre civile. Le Roi, persistant dans
le dessein de donner la paix à la chrétienté, ne changea
rien néanmoins aux conditions auxquelles, avant la prise
de Luxembourg, il avoit promis de poser les armes. U
offrit toujours de rendre à FEspagne Courtray et Dix-
mude rasés, et de (aire avec elle, et en même temps avec
TEmpereur et avec TEmpire, ou la paix ou une trêve de
vingt années. Les Hollandois, malgré les oppositions du
prince d'Orange, embrassèrent avec joie la trêve, qui
bientôt après fut aussi acceptée de tous les princes de l'Em-
pire, et de FEmpereur même. Les Espagnols, demeurés
seuls , enfin , après bien des plaintes , renvoyèrent aux
commissaires de l'Empereur tous leurs différendspour
être terminés à Ratisbonne. Ils espéroient faire com-
I/A TRÊVE. 59
prendre dans le traité la république de Gènea, qui a'étoit
DOoveHement mise sous leur protection; mais le Roi
voulat absolument se réserver la liberté de châtier cette
république, si elle n*avoit recours à sa clémence. Ainsi
la trêve fut signée e.t ratifiée pour vingt, ans.
C'est le sujet, de cette médaille^ P^las, qui représente
k prudence et la valeur du Roi t y est assise i l'ombre
d'un laurier, sur un monceau d'armes ^ tenant sa lanee
ïime main, et s'appujant de l'autte strr ^on boticlier,
dont elle cache l'égide. Les mots de la légeil'de : iNDtJCiiB
u» viGnrn Aimos data, signifient La treize accordée pour
vingt ans; et ceux de l'exergue : Virtutb bt prudbntia
PiinciPiSy yeul/snt dire que cette trêve est également
Touvrage de la valeur et de la prudence du Roi. i684»
MÊME SUJET.
(Ennît éè raktoire métallîqiie.)
lis la conqaète de Luxembourg, le Roi te Tojoit en ëtat de
Moquiérir le reste des Pajs-Bas catholiques. H aroit en Flandre
denz limées de quarante mille hommes chacune; et un de ses
ficotenuits généraux commandoit dans le pajs de Liège les troupes
de Pélectenr de Cologne, son allié. Les Espagnob n'avoient ni
troupes ni argent, et toutes leurs places étoient en fort mauTais
état. L'Empereur, occupé contre le Turc, ne ponroit de longtemps
la Mconrir ; et les Hollandois, divisés entre eux par des factions,
étcnent k la reille d'une guerre civile. Le Roi, constant dans la
réiolation de donner la paix a la chrétienté, ne changea rien aux
propositions qu'il avoit £ûtes avant la prise de Luxembourg. Il
oAit toujours de rendre à l'Espagne Courtraj et Dixmude rasés,
et de faire avec elle, et en même temps avec l'Empereur et avec
l'Empire, on la paix ou une trêve de vingt années. La Hollande,
Bilgré les oppositions du prince d'Orange, embrassa avec joie
6o EXPLICATIONS DE MÉDAILLES.
la trêre, qui fut aiuti bientôt acceptée de tons les princes de
FEmpire, et de PEmpereor même. L'Eipagne demeura tenle; et
après bien des plaintes, elle renToya enfin aux oommissairet de
PEmpereur tous ses difFërends pour être tenninës à Ratislxmne, où
la trêve fîit signée et ratifiée.
C'est le sujet de cette médaille. Pallas, assise sur un monceau
d'armes, à Tombre d'un laurier, tient sa lance d'une main, et
s'appuie de l'autre sor son égide, qu'elle cache. La légende :
Vnnjs KT pEDDsrn PaivciFiSy signifie Valeur et tageat eu Boi;
l'exergtfe : Ihduolb ad rianm amvos vaxm. m.do.lxxjot, TWcv
accordée pour ç'mgt ont. i684*
FRAGMENTS
ET
NOTES HISTORIQUES
.-I .
NOTICE.
LouB Racine a le premier publié, sont le titre de Fragments
historiques^ quelques notes qu'il avait trouvées dans les pa-
piers de son père. On troure ces Fragments aux pages ir-55
de l'appendice qui ' fait suite aux Mémoires sur la pie de Jean
BacinCy publiés à Lausanne et à Genève en 1747- Us y sont
précédés de cet avertissement (p. 19 et 10) : « Je ne donne
qn^one petite partie de ces -fragments, dont je ne relève le
prix, ni pour le fond, ni" pour la forme. Quant au fond,
on n'y trouve rien de curieux : ce qui pouVoit l'être du temps
de l'auteur a été écrit depuis par différente historiens. Quant
à la forme, ce ne sont que^de courtes* observations qtie l'au-
tenr, qui en devoît faire usage dans la suite, jetoit sur le
papier sans style et sans ordre. Cette raison m'oblige en-
core à n'en donner qu'une petite partie, puisqti'on ignore
i'nsage qu'un auteur devoit faire des <;boses qu'on trouve
après sa itidrt, écrites par lui sans'ordM,'ët qu'il n'écrifoit
que pour Im âenl: Il peut avoir écrit tel iait, non comme
véritable, mais comme débité dé sota temps, et dans le dessein
de le détruirtV
« Ce ne sont ici qire ^es membres épars et décharnés, que
l'historien dcvôit rassembler et animer ; et j> ta'aî d'autre
objet, en'Ii^s faisant connoftre, que dé détromper 'ceitit qui
croyent qu'il né s'océupoit point de Phistoire dû Hoi; ou qu'il
ne Touloit donnée quHm éloge historique de ce prince. Il
parolt au contraire, parles extraits qu'il a faits deVittorio Siri
et de plusieurs M^émoireS, qu'il s'étoit formé un plan très-vaste,
et que se mettant an fait des affaires étrangères, comme de
celles de Tintérieur, il embrassoit son grand objêl dans toute
son étendue, el ctomptoit faire l'histoire du royaume sons le
64 FRAGMENTS ET NOTES HISTORIQUES.
règ[ne de Louis XIV. Il en avoit déjà composé plusieurs grands
morceaux; mais comme je l'ai dit, ils périrent dans l'incen*
die par lequel tout ce que M. de Valinoonr conserroit dans
sa maison de Saint-Gloud fut consumé en un moment, magno
eum Musarum mœrore. »
Louis Racine a eu raison de ne pas exagérer la iraleur des
quelques pages qu'il publiait; il est très-?rai qu'en général ce
ne sont que de courtes notes prises en différents temps par
Racine, lorsqu'il rassemblait les matériaux de son travaiJ
d'historiographe; et le nom de Fragments historiques qu'on
leur a donné pourrait en faire prendre une fausse idée. Biais
nous nous sommes contenté de modifier légèrement, sans l'aban-
donner tout à fait, un titre que l'usage a consacré dans toutes
les éditions des Œuvres de Racine^ et que Voltaire a adopté
dans une note du chapitre xrv de son Siècle de Louis XJV*
Parmi ces pages d'ailleurs, il se trouTe, comme nous le dirons
tout à rheure, deux ou trob véritables fragments d'histoire.
A défaut du monument historique que Racine avait laissé
plus ou moins avancé, mais que l'incendie a détruit» on trouve
quelque intérêt à connaître le peu qui nous a été conservé des
matériaux de son travail; et l'on ne serait pas ai^ourd'hui,
nous le croyons du moins, de l'avis de Louis Racine, lorsqu'il
jugeait suffisant « d'en donner une petite partie. » Sa pubU-
cation incomplète, et cependant de quelque étendue, ne s'ex-
plique pas très-bien : c'était trop ou trop peu; ce qu'il a omis
a généralement le même intérêt que ce qu'il a conservé* En
outre, il aurait dû donner avec plus d'exactitude le texte des
feuillets qu'il recueillait. Il avait donc laissé quelque chose à
faire aux éditeurs qui sont venus après lui. Combler les lacu-
nes de son travail, rétablir les passages altérés , devait être
pour eux une t&che facile, le manuscrit autographe des Frag^
ments et Notes historiques faisant partie des papiers que le
même Louis Racine avait donnés à la Eibliothèque du Roi.
Parmi les éditeurs qui ont jugé utile de consulter ce manu-
scrit il ne faut pas compter ceux de 1768 {édition de Luneau
de Boisjermain), Ils se sont bornés à réimprimer le texte
donné par Louis Racine, comme on peut le voir dans leur
tome VI, p. 335-366. La courte préface qu'ils ont mise en
tête des Fragments historiques n'ajoute rien d'intéressant k
NOTICE. 65
V Avertissement de 1747* £Ue commence par une phrase assez
malheureuse, qui lui est en partie empruntée : « Ce ne sont
ici que des membres épars, auxquels l'historien déçoit un
jour donner la couleur, la force et la vie. » En forçant l'ex-
pression de Louis Racine, les éditeurs de 1768 l'ont rendue
moms juste encore. On croirait qu'il s'agit d'une première
esquisse, à laquelle il ne manque plus que le dernier trait et
la ^facité du coloris. U n'y a cependant là ni membres épars,
m ébauche, ni plan quelconque; mais, à peu d'exceptions près,
de simples renseignements dont l'historien faisait provision.
Dans l'édition de 1807, connue sous le nom d'édition de
la Harpe, les Frtigments historiques se trouvent au tome VI,
p. 111-244. L'éditeur, Germain Garnier, n'a pas négligé
de comparer le texte du manuscrit avec celui de Louis Racine;
eette collation lui a fourni d'utiles, quoique incomplètes, cor-
rections, qu'il n'a pas cherché à faire valoir dans son Aver^
tistement (p. 309 et a 10}. S'il s'est contenté d'ailleurs de
corriger les fragments déjà publiés, sans y rien ajouter, c'est
qae c après avoir parcouru toute la liasse de ces notes, qui
existe à la Bibliothèque impériale, » il avait cru n'y rien trou-
ver « qui put fournir matière à grossir ces Fragments, » Il
cherche à justifier cette opinion dans une note (p. aoget a 10) :
« Tout le reste de cette liasse, dit-il, ne consiste qu'en frag-
ments extraits des Mémoires secrets {Memorie recondite) de
Vittorio Siri. Ces Mémoires, aujourd'hui peu estimés, étaient
alors rares et recherchés. Les deux premiers volumes paru-
rent l'année même où Racine, nommé historiographe du Roi,
se livra tout entier à l'étude de l'histoire de son temps. Il
s'était hâté d'extraire de ce livre tout ce qu'il y avait trouvé
digne d'être employé ou d'être réfuté* Ces extraits, copiés
presque littéralement, ne sont donc nullement l'ouvrage de
Radne, et quoique écrits de sa main, ils n'ont pas le droit de
figurer parmi ses œuvres. » Cette note n'est pas tout à fait
exacte. Les fragments laissés de côté ne sont pas tous, comme
elle le donne à entendre, extraits de Vittorio Siri. En outre, ce
a^est pas seulement sur Us Memorie recondite de cet auteur
que Racine avait pris des notes, mais aussi sur son Mercure
(il Mercurio\ et sur quelques-uns de ses ouvrages inédits.
Il semblerait, à la manière dont s'exprime Germain Garnier,
J. lUcnim. V 5
66 FRAGMENTS ET NOTES HISTORIQUES.
que Racine n'a fait des extraits que des deux premiers to-
lumes des Memorie recondite; il en a fait aussi du dernier
mémey dn huitième. Dn reste, la raison alléguée pour exclure
les extraits de Siri serait également valable pour supprimer à
peu près tout le reste de ces notes, qui n*ont pas davantage
le caractère d'un travail original, et ne sont d'aucune manière
ce qu'on peut appeler une œuvre»
Germain Garnier a cru faire assez en corrigeant le texte
déjà connu, en l'éclaircissant par quelques notes exactes,
enfin en présentant les fragments dans un meilleur ordre.
« Ces fragments, dit-il, ayant été écrits par l'auteur sur au-
tant de feuilles détachées, l'éditear est maître de les ranger
dans l'ordre qu'il juge convenable ; et nous avons usé de cette
liberté pour faire disparaître un désordre et une confusion de
dates et de matières, qui ne pouvait que fatiguer le lecteur. »
Nous aurons à revenir sur cette question de Tordre adopté
par les différents éditeurs. Pour ajouter quelque chose à la
clarté de celui qu'il a suivi, Germain Garnier a marqué la
dinsion des divers sujets par les titres suivants, qui la plupart
ne sont ni dans le manuscrit, ni dans Louis Racine : Campagne
de 1667. — 1677. ■" ï^?^» Notes prises pendant la route. —
1693. — Finances. Mabinb. — Sur louis XIF. — Le cardinal
Masarin. — Colbert, — Fouquet. — Turenne» — Schomberg»
— Sohieski. Siège de Vienne. — Troubles de Hongrie. Tekdi.
— Jean de fFitt» — Lord Russel. — Alexandre FlII. Inno-
cent XIL — Le nonce Roberti. — Le Teilier^ archepéjue de
Reims, — Feuillet, doyen de Saint-Cloud. -— Pierre de Marca,
— Fra Paolo, — Les comté d Auvergne et haronnie de la Tour.
— Achille de Harlay. — Eudes de Mezerai.
Geoffroy, dans son édition publiée en 1808 (voye2 le tome
VI, p» 829- 383), a donné des Fragments historiques un
texte plus étendu que celui dont on s'était jusque-là contenté,
c En publiant ces FragmentSy précieux à beaucoup d'égards,
dit- il dans sa Préface^ (p. 827 et 3a8), Louis Racine les
X. Cette préface, beaucoup moins simple que celle de l'^itioll
ae 1807, ne nous parait pas toujours aussi judicieuse. Nous aTous
inutilement cherché où Geoffroy avait lu cette phrase qu'il attribue
à Louis Racine, qu^il semble citer comme extraite de son Avertit"
NOTICE. 67
mit stngalièrenient tltirésy et par conséqaent en avait di-
Btmié l'intérèl. Us paraissent ici dans un noaTel ordre, avec
des augmentations oonsidérablesy et fidèlement rétablis sur les
minascrits de Racine. On pourra jnger de l'importance des
ngnaitations, en confrontant cette édition avec les autres.
Noos indiquons particulièrement les articles qui concernent le
cardinal de Richelieu, le cardinal Maxarin, M. de Turenne, la
lérofaition de Portugal, et la Hollande. » L'assertion que le
texte des Fragmemt était cette fois t fidèlement rétabli sur
les mamiflcrits de Racine » ne soutient pas l'examen. En quel-
ques passages, Geofiroj a copié le texte des éditions précé-
dentes, sans en corriger, d'après le manuscrit, les inexacti*
tildes. Quant aux additions qu'on lui doit, elles ont, comme
3 le dit, leur importance,
Âimé^lfartin s'est aperçu que ces additions n^avaient pas
épuisé le manuscrit, dont il a tiré encore plusieurs pages
obligées par Geoffroy. En tète des Fragments historiques qui
se troDvent aux pages 4o3-46i de son tome IV (édition de
1844), il a réimprimé la Préface de Geoffroy, en y ajoutant
tootefob cette note : « L'auteur de cette préface a laissé des
homes considérables, que nous avons remplies sur les manu-
scrits déposés à la Bibliothèque du Roi. H sera facile de s'en
oonvaincre en lisant les articles Schomberg et Fra Paolo. Les
tttides Angleterre^ Allemagne et Strtubourg sont imprimés ici
pour la première fois. » En général le texte d'Aimé-lklartin
est plus fidèle que celui de Geoffroy, sans l'être encore en-
tièrement. Pour l'ordre dans lequel il a disposé les Fragments^
3 t suivi l'édition de Geoffroy, qui sur ce point diffère éga-
kment et de l'édition de Louis Racine et de celle de 1807J
Ihlgré les promesses et les a£Brmations que nous venons
de rapporter, nous avons eu beaucoup à faire pour compléter
et réformer le travail de nos devanciers.
I^ Fragments historiques sont au tome II des manuscrits
de Badne que possède la Bibliothèque impériale, feuillets
«>■«< sur lu Fragmentt historiques « et qtd n'y est pat : « Cependant
<A 7 troave des anecdotes corieuses, et plusieurs mots piquants
(pi peignent bien le caractère des personnages auxqneb on les
tttribae. »
68 FRAGMENTS ET NOTES HISTORIQUES.
i56-îi34. Sur le premier de ces feuillets Ix>uis Racine a mis
cette note : « Fragments historiques écrits de la main de Jean
Racine, dont plusieurs ont été imprimés à la fin des Mémoires
sur sa vie. » En tête du même feuillet on Ut : c 99 feuillets
tant écrits que blancs. . Le compte des feuillets ne se trouve
plus. Ce qui pourrait d'abord sembler rassurant, c'est que la
note parle de feuillets blancs mêlés aux feuillets écrits; mais
quelques-uns de ceux-ci mêmes ont incontestablement dis-
paru; car Louis Racine a fait imprimer plusieurs pajges ^e
Ton chercherait en vain aujourd'hui dans le manuscrit. EUes
exisuient encore, sbon au temps où Aimé-Martin a travaillé
à son édition, au moins en 1808, puisque Geofifroy, comme
nous le montrerons dans les notes, a pu faire an texte de ces
pages quelques légères additions.
Le papier des divers feuillets n'est point le même, ni de
semblable format; l'écriture aussi diffère. Il est donc visible
qu'ils n'ont pas été écrits dans le même temps, ni pour se
faire suite. Ce sont des notes prises à différents moments, à
mesure que l'occasion s'en présentait.
Plusieurs de ces feuillets n'ont pas été jugés dignes de l'im-
pression par les éditeurs précédents. Cette exclusion nous a
paru arbitraire, et difficile à justifier, surtout dans les éditions
qui, à la différence de celle de Louis Racine, ont presque tout
donné. Nous n'avons pu bien saisir ce qui à leurs yeux distin-
guait les passages omis de plusieurs passages recueillis, si ce
n'est peut-être pour les tableaux chronologiques, qui ont, s'il
est possible, moins de valeur littéraire encore que le reste,
mais que nous avons cru devoir donner, au moins en petit
texte, parce qu'ils sont aussi un témoignage des études de
Racine. Nous avons eu à réparer quelques omissions et quel-
ques inexactitudes dans les morceaux qui n'étaient pas restés
inédits. On avait surtout supprimé à tort en plusieurs endroits
l'indication donnée par Racine des auteurs qu'il avait con-
sultés.
Si, après Germain Garnier, Geoffroy et Aimé-Martin, nous
avons à notre tour rangé les Fragments dans un ordre nou-
veau, ce n'a pas été pour la puérile satisfaction de faire
autrement que nos devanciers. Ils avaient eu raison de penser
que des notes écrites sur des feuilles détochées n'avaient pas
NOTICE. 69
dans le manascrit an ordre auquel les éditeurs fussent as-
treintSy et qu'il fallait seulement tAcher d'adopter celui qui
mettrait le moins de confusion dans les matières et dans
les dates. Mais un tort qu'ils ont eu tous, c'a été de ne pas
remarquer ce qui limitait cette liberté des éditeurs. Ce que
Radne a écrit sur un même feuillet, simple ou double, ne
devait pas être séparé, même lorsqu'il s'agissait d'éTéne*
meats de nature et de date différentes. En transportant ainsi
des notes d'un feuillet à un autre, pour les grouper suivant
Fanalogie des sujets, on risque de tromper le lecteur sur les
sources d'information d'où Racine a tiré tel ou tel fait, et
même, comme il est arrivé quelquefois, de tomber dans de
^ves erreurs, en donnant une apparence de liaison à des
choses qui n'ont entre elles aucun rapport. Si l'ordre suivi
par Louis Racine n'est pas tout à fait exempt de ce défaut, et
est d'ailleurs un peu plus confus que celui des plus récents
éditeurs, il avait eu le soin du moins de distinguer quelque-
fois par des astérisques les divers fragments; et dans un pas-
sage où la remarque avait quelque importance, il avertit
par une note (p. 3o) que « toutes ces observations sont
détachées les unes des autres. » Il est fâcheux qu'il n'ait point
placé ces astérisques partout où il aurait dû le faire. Les édi-
teurs suivants eussent été peut-être mieux avertis ainsi de leur
sens et de leur utilité. Us les ont au contraire jugés superflus,
et les ont supprimés, à commencer par Luneau de Boisjermain,
quoique du reste il n'ait fait, comme nous l'avons dit^ que
réimprimer le texte de Louis Racine.
Nous n'avons pas manqué, pour notre part, de marquer la
séparation des divers fragments, et nous avons cru plus clair
de les dbtinguer par des chiffres que par des astérisques. Sans
attacher une grande importance à l'ordre chronologique dans
la disposition de notes si diverses, nous avons cependant
jugé plus naturel de le suivre autant que nous l'avons pu;
nous j ayons dérogé toutes les fois que c'est Racine qui,
dans un même feuillet, s'en est écarté ; toutes les fois aussi
qu'il a paru bon de rapprocher, sans tenir compte de la suite
dironologique, des morceaux de même nature. 11 y en a trois
par lesquels, sans égard aux dates, nous avons commencé,
parce que seuls entre tous ils nous ont paru non de simples
70 FRAGMENTS HISTORIQUES. NOTICE.
notes, mais de véritables fragmetHs d'histoire. Noos croyons
que cette remarque, qui n'avait pas encore été faite, est incon*
testable surtout pour les deux premiers. Nous en proposons
les raisons dans les notes qui s'y rapportent, et où nous fusons
remarquer en outre que Louis Racine et tons les éditeurs sui-
vants avaient fait aux commencements de ces deux morceaux
des modifications qui n'étaient pas sans inconvénient. Elles
empêchaient le lecteur de s'apercevoir que ces firagments
étaient détachés d'un plus long récit. C'est peut-être la plus
grave infidélité que l'on ait à reprocher à ces éditeurs; et
il est singulier qu'aucun d'eux n'ait manqué de la commettre.
Les fragments qui ne se trouvent plus dans le manuscrit,
et du texte desquels nous n'avons pu par conséquent con-
trôler l'exactitude, devaient être séparés des autres. Noos les
avons mis après ceux que la Bibliothèque impériale possède
encore, avant toutefob les tableaux chronologiques, que leur
moindre importance et le caractère dans lequel nous les avons
imprimés ont &it passer au dernier rang.
Parmi les notes qu'cm a réunies dans les manuscrits de
Racine sous le titre de Fragments historiques^ il y en a trois
qui n'appartiennent pas à l'histoire proprement dite, et qae
par cette raison nous avcms cm préférable d'en distraire pour
les placer dans une autre section de notre volume. Ou les
trouvera plus loin, rapprochées de notes du même genre
auxquelles nous avons donné le titre de Notes sur divers sujets
religieux*
L'annotation des Fragments historiques était fort courte
dans les précédentes éditions, et, ce nous semble, insuffisante.
Ces quelques feuilles volantes sur lesquelles Racine jetait des
notes ne forment pas, il est vrai, une osuvre qu'on puisse
songer à profondément étudier. Mais on y rencontre tant de
faits et de noms divers', que de nombreux éclaircissements
nous ont paru utiles.
i. Nous aTons oonBerré pour les noms propres rorthographe du
manuscrit, qui très-sooTent diffère de l'usage actuel.
FRAGMENTS ET NOTES HISTORIQUES. 71
Ls ' penmonnaire Wit pressoit avec impatience la con-
danon de ce traité. G*étoit sur lui que rouloit alors la
principale conduite des affaires des états* : homme zélé
pour sa république, et ennemi de la maison d'Orange,
qa*il tenoît le {dus bas qu*il pouvoit*. Il avoit hérité ces
sentiments de son père, vieux magistrat de Dort', qu'on
legardoit autrefois comme le chef du parti opposé au
prince Guillaume*. Ce prince, jeune' et entreprenant,
fier de Falliance du roi d'Angleterre, qui lui avoit donné
n fille ^9 regardoit le titre* de gouverneur et de capi-
I. Ce fragment est éridemment quelque chose de plus qu^nne note
prise par Racine pour fixer un souyenir. Il sufiGit, pour être de cet
STÎi, de faire attention à la manière dont il est rëdigë, et de
remarquer les laturea et les corrections, assez nombreuses, du ma-
Busorit. n aemUe que nous ajons là un morceau dëtaché de
lliistoire du règne de Louis XTV, dès lors sans doute commence.
D est écrit sur le double feuiUet cote si6 et 3x7. — Le traite
d«ot le grand pensionnaire pressait la conclusion est sans doute
odni d'alliance défensÎTe et de mutuelle garantie conclu le 97 aTril
i66s entre la France et les Prorinces Unies. Nous ne croyons pas
qa*il s'agisse de la paix de Breda, signée le 3i juillet 1667. Louis
Racine et les éditeurs suirants ont retranché la première phrase ; on
ne pouTait plus ainsi, comme nous FaTons dit dans la Notice, p. 70,
reeonnaitre que ce morceau était la suite d'un plus long récit.
a. Racine arait d'abord écrit : « la conduite des Prorinces Unies. »
3. H 7 axait d'abord : « dans un fort grand abaissement. »
4. Dort on Dordrecht, dans une ile formée par la Meuse et le
petit golfe de Biesbocb.
5. Guillaume II de Nassau.
6. An lieu déjeune^ il y arait d'abord « ambitieux. »
7. Guillaume II arait épousé Henriette-Marie Stuart, fille de
Ghafiesl».
8. Les charges. (1** rédaction.)
72 FRAGMENTS
taine général des états comme trop au-dessous de lui,
et aspiroit assez ouvertement à la monarchie. Il fit arrê-
ter Wit dans son hôtel à la Haye% et l'envoya prison-
nier, avec cinq des principaux de ce parti*, dans son
château de Louvestein. En même temps il marcha vers
Amsterdam, qu'il avoit fait investir, et ne manqua cpie
de quelques heures la prise de cette grande ville. On peut
dire avec assez de certitude qu'il n'y avoit plus de répu-
blique de Hollande, si la mort de ce prince' qu'on croit
même avoir été avancée par ^ quelque breuvage, n'eût in-
terrompu' tous ses desseins. Il laissa sa femme enceinte
du prince qui vit aujourd'hui, dont elle accoucha deux
mois après la mort de son mari. La Zélande et quelques
autres provinces vouloient qu'il succédât à toutes les di-
gnités de son père' ; mais la province de Hollande, où
la faction d'Wit'' étoit la plus forte, empêcha que cette
bonne volonté n'eût aucun effet*. La charge de gouver-
neur et de capitaine général ne fut point remplie* ; et les
états s'emparèrent et de la nomination des magistrats et
de tous les autres privilèges attachés à cette chaîne ^® . On
prétend que le vieil Wit, avant que mourir, ne cessoit
d'encourager son fils à l'abaissement de cette maison,
X. En i65o. — 9. Il y avait d'abord : « de cette faction. »
3. Il mourut le 6 novembre i65o. «^ 4- ^^'' ^ ^^^ substitue à ée,
5. Il y avait d'abord : « arrête. »
6. Que le fils succédât à toutes les charges de son père, (i** ré-
daction.)
7. Racine a écrit w d'Wit » et non « de Wit; » un peu plus
Las : u le vieil Wit. » Il prononçait apparemment le W comme
iirtO voyelle. — Nous trouverons de même plus bas, dans le ix« frag^
ment (p. 98) : t d'Wigt. >
8. Il y avait d'abord : « que ces charges ne fussent remplies. »
9. Ce membre de phrase est écrit à la marge ; mais sans aucun
doute il doit être placé où nous l'avons mis.
10. Aux charges de gouverneur et de capitaine général, {y ré-
daction.)
\ •
ET NOTES HISTORIQUES. 73
dont il regardoh Télévation comme la ruine de la liberté,
et qa'fl^ répétoit souvent ces paroles : « Souviens-toi ,
mon fils, de la prison de Louvestein. »
n
Pendaht* que les armes du Roi prospéroient ainsi en
Allemagne, ses forces maritimes s'accroissoient consîdé-
nblement, jusqu'à donner déjà de l'inquiétude à ses al-
liés. Us s*étoient moqués* de tous les projets qu'on faisoit
en France pour se rendre puissant sur la mer, s'imagi-
I. Aa lien de : c et qu^îl, » Racine ayait d'abord ml» : t On dit
même qu'il lai. »
1. Ce fragment de quelques lignes, ëcrit sur nn morceau de pa-
pier froisse, qui forme le feuillet 193, parait, comme le pr^tfdent
et par des raisons semblables, un débris de Tbistoire écrite par Ra-
cine. Louis Racine l'a donné à la suite du f^ajrage du Moi en 1678
(Toyei plus bas, p. 106), mais il a pris soin de l'isoler de ce qui
précède par un astérisque, et de placer en cet endroit même une
Dote pour aTertir que : « toutes ces observations sont détachées les
unes des autres, m En outre, il a retranché ainsi, t^prèê prospéroient,
Gcoffroj et Aimé-Martin, en laissant le fragment à la même
place, n'ont reproduit ni l'astérisque, ni l'aTertissement de Louis
Racine, de sorte que la phrase : « Pendant que les armes du Roi
proipéroient en Allemagne, n semble, dans leur édition, se rappor-
ter à la prise de Gand et à l'année 1678. Dans l'édition de 1807,
ee même fragment est placé après les événements de 1693. Le
mot ainsi y est retranché, comme dans les autres éditions. — Ce
que Racine dit de l'état où se trouvait la marine, ne peut, ce nous
lemble, convenir qu'au temps où Golbert commençait à la rétablir.
Dans l'Histoire métallique, la médaille de la Navigation rétablie
porte à l'exergue la date de x665. Dans cette même année, les
Français, après la victoire de Saint-Gothard, avaient eu un bril-
Uat ioecès en Allemagne, où ils avaient replacé Érfîut sous la do*
oination de l'archevêque de Majrence.
3. Racine a écrit moequd, sans accord.
74 FRAGMENTS
nant qa*on se rebuteroit bientôt par les difficultés qui
se rencontreroient dans rexécution^ et par les horribles
dépenses qa*il falloit faire. Hs ne vojoient dans les ports
que deux galères et une douzaine de vaisseaux de guerre,
dont plus de la moitié tomboienti pour ainsi dire, par
pièces; les arsenaux et les magasins entièrement dé-
garnis*.
m
* CATHBRiirB de Médicis étoit fille de Laurent de Médi-
cis, duc d*Urbin, et de Madeleine de la Tour, de la mai-
son de Boulogne. Le pape Clément YIP, son onde, la
dota, en la mariant, d'une sonmie de cent mille écns
X. Racine STait ^crit d'abord : « ne croyant à la nation ni le
génie ni la patience nécessaire ponr réussir dans ce métier.
a. Après le mot dégarnit^ Louis Racine et, à son exemple, Geof-
fipoj et Aimé-Martin ont ajouté «rc, qui n'est pas dans le manuscrit.
3. Ce fragment est éôit sur le doubl^ feuillet i6$ et x66. Le
titre CàTHawnni db MaDias, que lui ont dbnné Geoffroj et Aimé-
Martin, n'est point dans le manuscrit. Dans l'édition de 1807, on
a mis cet autre titre, qui n'est pas non plus de Racine : Lu comié
4tjiwmrgne et hûronmë de la Tour, A en juger par les ratnret et
corrections, noua ayons ici encore un morcean rédigé, et non une
•impie note. S'il en est ainsi, de quel travail ce fragment fiûsoit-il
partie ? Dans les factnms pour et contre le maréchal de Luxem-
bourg, dont nous aurons à parler f>lus loin dans ce même volume,
on discuta beaucoup sur l'arrêt de 16S91, rendu au sujet des terres
de Châtean-Thierry et d'Albret, qui avoient été données au doc
de BouiUon en échange de la principauté de Sedan, et érigées en sa
fiiTeur en duchés et pairies. Le comté d'Auvergne fut comprit dans
l'échange, et passa alors dans la maison de Bouillon, dont nom
croyons probable que Racine s'occupait quand il a écrit cette page
•ur Catherine de Médicis. Nous ne voulons pas dire cependant
qu'elle ait pu trouver place dans un des fiictums pour le maréchal
de Luxembourg ; seulement elle nous fait plutôt songer A qudqne
mémoire judiciaire qu'à un ouvrage historicpe.
ET NOTBS HIST0EIQUE8. 7S
oompunt; etBfadeleine de la Tour déclara dans le oon*
tnt de mariage qa^elle loi donnoit et aubstituoit son
droit ^ de Baocesûon aux comtés d^Auvergne et de Laiira-
goais, baromiie de la Tomr, et autres terres possédées
don par Anne de la Tour, sa sosor atnée, laquelle n*a-
voh point d'en&nts.
En effet, après la mort d^Anne de la Tour, Catherine*,
comme unique héritière de la maison de Boulogne, entra
en possession de toutes ces terres. En l'année iSSp, le
roi Henri n, son mari, étant mort, le duché de Valois
loi fiit assigné. En i58a, elle décacha de cette duché* la
terre de la Ferté-BIilon, et rengagea à BIme de Sauve,
depuis marquise de Noirmoustier^, pour une somme de
dix mille écus d'or, que la reine Catherine lui avoit ac-
cordée pour récompense de services. Le roi Henri m,
ion fik, continua depuis et la donation et rengagement.
Catherine mourut en iSSg, et le roi Henri El lui survé-
cut de huit on neuf mois. Ainsi ce prince a été, ou a dû
être, son héritier*.
n est vrai que Catherine fit don, par son testament,
des comtés d*Auvergne et de Lauraguais, etc., à feu
I. H 7 «nàt d'abord : f lai domui par contrat de mariaga aon
ece. s
1. Radne wnit d'abord ^crit : f En effet, Catberine, aprèa la mort
ai cette Anne, aa tante; i» et aprèa lea mots : de toutes ces terres :
c dont elle a joui jnsqa'à ta mort. >
3. Racine a écrit cette dmché^ quoique à la ligne prëoMente il ait
dit : « le duohë de Valois. »
4« H 7 andt d'abord : « fille dn surintendant Semblança7 et
ea ifcandei noces femme dn marquis de Noirmoustier. i» Charlotte
de Btime Seniblança7, dame de SauTc, si fameuse par ses galan-
teries, était née en i55i. Elle aTait épousé Simon de Fîtes, baron
de Savre. Oerenue Teure en 1679, elle épousa en secondes noces,
cinq sus après, François de la Trémoille, marquis de NoirmoAtier.
EDe mourut en 1617.
S. n 7 andt d'abord : « a pu hériter et des cent mille éeus
d'aifem et des fonds de terre qu'elle possédoit. »
76 FRAGMENTS
M. le doc d^Angonléme^, ({ui en prit même alore le nom
de comte d'Auvergne.
Mais, en 1606, la femeuse reine Marguerite, restée
seule des enfants, fit déclarer ce testament nul ; et en
vertu de la donation par forme de substitution stipulée
dans le contrat de mariage de Catherine*, se fit adju-
ger par le parlement de Paris et par le parlement de
Toulouse toutes les terres que la Reine sa mère avoit pos-
sédées, et aussitôt en fit présent au Dauphin, qui depuis
a été le roi Louis XIII', père de Sa Majesté : de telle fa-
çon que ces comtés et cette baronnie ont été ' réunis à la
couronne.
IV
Ia^ cardinal de Richelieu se fit donner la commission
de chef et surintendant de la marine, parce que le duc
X. Charles de Valois, duc d^Angonléme, fils de Charles IX et de
Marie Touchet, fille du lieutenant particulier au prësidial d'Or-
léans, n mourut le 24 septembre x65o. Quoique dépouille en 1606
des comtes que lui ayait lëguës Catherine de Mëdicis, il arait
continué à porter le titre de comte d'Aurergne jusqu'en lôtg,
annëe où il obtint le duchë d'Angouléme, après la mort de Diane
de France, duchesse d'Angouléme.
a. De Catherine sa mère, (x'* rédaction.)
3. n j- ayait d'abord : t furent, a
4. Nous devons donner comme un seul et même fragment tout
ce qui est ^rit sur le double feuillet 17$ et 176 du manuscrit.
Louis Racine n'en a conserve qu'une partie ; et ce qu'il a choisi, il
l'a dispersé çà et là, comme l'ont fait ausai les ^iteurt suivants.
En tète de la première page du double feuillet. Racine a mis :
Jl. le maréchal de Humières (plus loin, p. 80, il écrit d*Hwmièr€s)f ce
qui signifie certainement quUl devait à ce maréchal les renseigne-
ments qu'il a recueillis dans cette suite de notes. On ne sera donc
pas étonne d'y trouver dans plusieurs passages quelque sévérité
pour Turenne, sous les ordres duquel le maréchal d'Humières n'a-
vait pas voulu servir en 167a. D'Humières mourut en 1694.
ET NOTES HISTORIQUES. 77
de Guise S comme gouvemem' de Provence, pr^ndoit
être amiral de Levant, et ne point céder à l'amiral dans
h Méditerranée. Il y a même encore des ancres à la porte
de Thôtel de Guise. Le gouverneur de Bretagne a aussi
des droits de naufrage, etc. ; mais le cardinal de Riche-
lieu avoit ce gouvernement.
Le cardinal Mazarin avoit recommandé au Roi trois
hommes : Golbert, Lescot jouaillier', et Ratabon des bâ-
timents.
Deux jours avant sa mort, il vit Monsieur le Prince,
M....*, leur parla fort longtemps et fort affectueuse-
ment, et ils reconnurent après qu*il ne leur avoit pas dit
on mot de vrai.
La Reine mère dit un jour à la Chastre ^, qui revenoit
d*Anet, et qui disoit qu'il avoit vu M. de Beaufort : « Vous
avez vu le plus galant* homme du monde. » Beaufort
se donna à Mme de Monbazon, et de là les haines
contre lui.
Le Roiy peu avant le jugement de M. Foucquet, dit à la
Reine, dans son oratoire, qu'il vouloit qu'elle lui promit
ane chose qu'il lui demandoit : c'étoit, si Foucquet étoit
condamné, de ne point lui demander sa grâce. Le jour
de Farrêt, il dit chez Mlle de la Yalière : « S'il eût été
condamné à mort, je l'aurois laissé mourir. »
I. Charies de Lorraine, duc de Guise, fils aine de Henri de
Goiie et de Catherine de Qères, mort en 1640.
a. Telle est l^orthographe du manuscrit.
3. Après cette H il j a des points et une ligne de blanc.
4- Le comte de la Châtre, qui a laisse des Mémoires, étoit lie
sTec le duc de Beaufort, dont il partagea la disgrâce. Le maréchal
d^nmières avoit épousé, en i653, sa fille Louise-Antoinette-Thérèse
de la Châtre. Nous le faisons remarquer, parce que cela serri-
nit encore à prouver, s'il en était besoin, que Racine avait recueilli
CCS notes dans des entretiens avec le maréchal. Tous les éditeurs
précédents ont omis ce passage.
S. Dans Tautographe : gnlaiul.
â
78 FRAGMENTS
n dit aussi à M. de Tctrenne très«fortement de ne
plus se mêler de cette affaire. M. de Turenne espéroit
gagnera la disgrâce deFoucqaeti et se flattoit d^étre chef
dn conseil des affaires étrangères, comme Yilleroi des
finances ; et voyant qa*il n'en étoit rieni ne le pardonna
jamais à M. le Tellier.
Un peu ayant la guerre de lilleS on 6ta à la charge
de colonel général de la cavalerie légère* la nomination
de toutes les charges; et Turenne n*osa souffler, de peur
de dégoûter le Roi de lui, et qu*on né fit point la guerre.
Un peu après la revue de Mouchi *, le Roi dit à Turenne :
« Oii compte^ à Paris que voilà la soixantième (ou la
« soixante-deuxième*) revue. »
On pensa commencer la guerre dès le commencement
de 1666, mais il n'y avoit rien de prêt. Le Roi en avoit
fort envie. Lorsqu^on la commença, Tartillerie n^étoit
pas prête, et ce fut une des raisons (pii fit qu'on s^arréta
à réparer Gharleroi, où les Espagnols avoient laissé des
demi-lunes entières. De là le Roi alla à Avesnes, où on
fit venir la Reine et Mme de Montespan. Feu Bfadame
persuada à MUe de la Yalière, qui étoit à Mouchi, de
I. En 1667.
9. Cette charge appartenait à Turenne ; elle loi a^ait été conter-
Tée^ ainti que celle de grand maître de Partillerie au duc de Mazarin,
quoique la charge de colonel général de Pinfanterie eût été sup-
primée en 1661.
3. Ce fut le t5 mars 1666 que le Roi passa une grande reTue
dans la plaine de Mouchjr, à deux lieues de Compiègne. Vojrez
l'^HUioire de Lauwis par M. C. Rousset, tome I, p. 97. Le maréchal
d*Humières arait à ce Mouchy, qu'on appelle aussi Mouchy-Hu-
mières, une terre où Saint-Simon dit (Mémoires^ tome I, p. so5)
que le Roi alla le roir plusieurs fois. Un peu plus bas, au paragra-
phe suivant, il est encore question de ce même Mouchy.
4. Dans l'autographe : « On conte. »
5. Ces mots : « ou la 'soixante-deuxième, > sont écrits en inter-
ligne. Us ne doÎTent sans doute pas faire partie de la phraMi et
iterqnent seulement une hésitation du sonrenir.
ET NOTES HISTORIQUES. 79
sonre la Reine, et lui prêta un carrosse. Monsieur Ta-
miral^ étoit de cette année-là*. On auroit pu prendre
Gand et Ipres; mais M. de Turenne eut peur d'attirer
les Anglois et les HoUandois, et que la guerre ne finit,
n étoit bat de tout le monde, surtout des ministres, qu*il
insultoit tous les jours. M. le Tellier envoyoit toujours
demander à Humiéres où on alloit camper. Il* avoit dé«
crié dans l'esprit du Roi tous les maréchaux, surtout le
maréchal de* Gramont, qui étoit au désespoir, et qui
monta la tranchée à la tête des gardes*. H poussoit Du-
ras*, et le favorisoit en toutes rencontres; [il] voulut faire
attaquer le château de Toumay "^ par Lauzun, déjà &vori,
tptciqae Humiéres fût de jour. Bellefonds* étoit aussi
fort favorisé du Roi et de M. de Turenne. Bellefonds ne
I. Le duc de Beanfoit. D reçut en 1666 Tordre d^opërer ta
joncdoo arec la flotte hollandaise contre les Anglaif .
1. Dans rëdition de Geoffroy et dam celle d'Aimé-Martin, on A
remplacé aimee par armée,
3. Cet II te rapporte à Turenne.
4. Let mot! : « tout les.... le maréchal de, ■ ont été ajoutés après
ooop, en inteiiigne.
5. Après la mort du due d'Épemon, colonel général de Finfan'^
tm, cette cliarge fut abolie ; et ce fut alors que le Roi donna
M loaréchal de Gramont celle de colonel de ses gardes fran-
{lues, c Le maréchal de Gramont fut douze ans colonel des
girdes.... U suirit le Roi à ses premières campagnes de Flandre;
et bien qu'il n'y eût point l'emploi qu'il devoit naturellement y
iToir, M. de Turenne étant à la tête de l'armée, il ne laissa pas de
monter la tranchée comme simple colonel des gardes, aux sièges
de Toumay et de Douay (Juin et Juillet 1667)1 obéissant aux
officiers généraux qu'il avoit tus à la barette, etc. 1 {Mémoires
éumertschal de Gramont^ 9 volumes in-ia, MDCCXYI) tome II,
p. aS6 et 287.)
6. Jacques-Henri de Durfort , comte et plus tard duc de Duras,
lion tientenant général. D fut fait maréchal de F'rance en 167$.
7. La citadelle de Tournai se rendit le 9 5 juin 1667*
8. Bernardin Gigault, marquis de delléfonds, fut fait maréchal
«11668.
So FRAGMENTS
voulut point du gouvernement de Lille, pour ne pas quit-
ter la cour; et Turenne le fit donner à Humières, qui se
remit en grâce avec lui. Humières se plaignoit aussi de
Duras, à qui, au siège de Tournay, on avoit donné une
brigade fort bonne qui étoit au quartier d'Humières, et
qui ne voulut pas laisser aller la brigade de la Yallette,
et les garda toutes deux.
Pradelle^ servoit aussi de lieutenant général, brave
homme, mais pas plus capable qu'il est aujourd'hui. Le
Roi Taimoit assez.
Après la paix Turenne eut bien du dessous. H de-
manda quartier au comte de Gramont, qui Faccabloit
de plaisanteries. Un jour le Roi pensa dire des rudesses
là-dessus à ce comte, à ce que disoit Turenne.
Monsieur le Prince entend bien mieux les sièges que
M. de Turenne.
Le marquis de Créqui ne parut que sur la fin de la
campagne, à Taffaire de Marsin*. On ne fortifia point
Alost', place importante, et qui auroit coupé tous les
Pays-Bas, parce qu'on avoit trop peu de troupes pour
en mettre dans tant de places. M. de Turenne auroit
bien voulu aller reconnottre Termonde^, avant que de
I. Le marquis François de Pradelle ou de Pradel ëtaît d^jà
lieutenant général en 1664, lorsqu^il fit rentrer Erfurt sous la
domination de Pëlecteur de Mayence.
3. Après la reddition de LiÛe, le marquis de Créqui batdt dans
un combat de cavalerie le comte de Marsin, autrefois lieutenant du
grand Condé, et qui commandait alors les troupes espagnoles en
Flandre, et était venu secourir Lille, dont il ignorait la capitula-
tion. Le combat fiit livré le 3i août 1667. L'année suivante, le
marquis de Créqui fut fait marécbal.
3. Pendant le siège de Lille, les ennemis s'étaient étabUs dans
Alost, que les Français avaient abandonné. Turenne j marcha
après le départ du Roi, s'en empara le xi septembre 1667, et fit
raser la place.
4. Termonde on Dendermonde, au confluent de la Dender et
ET NOTES HISTORIQUES. 81
1 attaquer ; mais le Roi vouloit être partout. On y alla
donc avec Tamiée.
La Reine mère savoit qu'on arréteroit M. Foucquet.
OnTavoit dit à Laigue^ pour le dire à Mme de Cbe-
rreuse, afin qu'elle 7 disposât la Reine : ce qui se fit à
Dampierre.Villeroy le sut aussi. Le Roi vouloit l'arrêter
dans Vaux, mais la Reine dit : « Voulez-vous l'arrêter au
milieu d*une fête qu'il vous donne ? »
On n'a jamais conçu l'état des places du Pays-Bas*
aussi pitoyable qu'il étoit, même à ce dernier voyage'.
En Hongrie*, Coligni écrivoit en cour tous les jeudis,
et donnoit ses lettres au courrier ordinaire de l'armée,
pour les porter à Vienne. La Feuillade écrivoit tous les
samedis, et les faisoit porter par un honmie exprès. U
feignoit de prévoir tout ce que les Turcs avoient £ait de-
puis le jeudi jusqu'au samedi.
Si*, avant la guerre de Flandres, on eût donné au Roi
de l^Eacaut. Tnrenne parut le 3 août 1667 derant cette ville; le 5,
il leva le si^ge. Ayant l'amyée de l'armée royale, le comte de Mai^
on avait pn jeter deux mille cinq cents hommes dans Termonde,
et inonder les alentours en ouvrant les écluses.
I. Le marquis de Laigue avait été un des chefs du parti de
la Fronde.
s. n y a bien dans le manuicrit : « du Pays-Bas, » au singulier.
3. Geoffroy et Aimé-Martin ont transporté ce paragraphe im-
Biédiatement après la phrase : « On y alla donc avec Tannée, »
qui esta cette même page, lignes i et s. Il semble en effet que ce
loit la vraie place. Biais dans le manuscrit, le paragraphe se trouve
où nous Pavons laissé.
4- Hacine a écrit en marge : Dan^. D tenait sans doute de Dan-
gean ce qu^il a noté ici. — Dans l'expédition de Hongrie de 1664,
qui le teimina par la victoire de Saint-Gothard, le comte de Coli-
gny commandait en chef. Le comte de la Feuillade y servait comme
maréchal de camp. On essaya de ravir à Coligny l'honneur de sa vic-
toire pour l'attribuer à la Feuillade, qui avait un parti dans l'armée.
5. On lit ici en marge, dans le manuscrit : iTiim., sans doute
le maréchal d'Humières, au témoignage duquel Racine revient.
J. Racnn. ▼ 6
82 FRAGMENTS
Gambray ou même Bergue, il se seioit peut-être oon*
tenté. Ldomie^ surtout étoit au désespoir de la guerre.
Le* cardinal Mazarin avoit connu le Tellier en Pié-
mont'y et le mit à la place de des Noyers. Le Tellier de-
voit donner deux cent mille francs, le Roi cent mille.
Des Noyets * voulut un évéché pour sa démission, et
mourut ^. Le Tellier eut les cent mille écu§.
Le cardinal de Richelieu avoit des traits de folie. Un
jour, Schomberg dit àVilleroy, au sortir de sa chambre :
« Le Cardinal voudroit pour cent mille écus que nous ne
Teussions pas vu ce matin. » U s'étoit fort emporté.
Le cardinal M azarîn dit à Yilleroy, quatre jours avant
sa mort : « On fait bien des choses en cet état, qu'on ne
fait pas se portant bien. »
Celui* qui a les finances peut toujours tromper quand
il veut. On a beau tenir des registres.
I. Hugues de Lionne, secrëtaire d'État des affaires étrangères
depuis i663. D mourut en 1671.
3. Le manuscrit indique ici en marge une nourelle autorité : Lt
M, de nUeroy.
3. Ou Michel le Tellier était intendant de Parmée d'Italie de-
puis l'année 1689. H fiit nommé (secrétaire d'État de la guerre
peu de jours avant la mort de Louis XIII, en remplacement de
Sublet des Nojers, que le Roi arait congédié le 10 ayril 1643.
4. Le 30 octobre 1645.
5. En supprimant l'alinéa, et contipuant les guillemets qui pré-
cèdent, Geoffroj et Aimé-Martin mettent cette réflexion dans la
bouche de Mazarin. C'est très-évidemment à tort, cornait le prou-
rent et le sens et le manuscrit, qui n'a, il est vrai, de guillemets
nulle part , mais commence à la ligne la phrase : t Celui qui a les
finances.... i
ET NOTES HISTORIQUES. »3
Extrait du XYI^ polume manuscrit de Siri^. — D traite
de l'autorité da Parlement; il dit que les décrets, les
actes et les délibérations des états généraux même,
qnoiqu^ils aient le penvotr d'élire un roi, an cas que
la race royale finit, n*ont aucune force, s'ils ne sont vé«
rifiés au Parlement, lequel les modère, les corrige et
les réforme, et même les annule pendant la tenue des
états, comme il annula les délibérations des états tenus
pendant la ligue pour élire un roi, ce qui contribua le
plus à conserver à Henri IV et aux Bourbons la succes-
sion à la couronne.
I. Ce firagmcnt se trouve aux feuillets 179 et 1^3. Il a été omis
par Louis Racine, et dans PéditLon de 1^07. Geoffinoj «t Aimë-
Mutin ont donne une partie des trois derniers paragraphes. —
Qoel est ce XVI* volume manuscrit de Siri ? Nous ne trouvons au~
joordlini dans nos bibliothèques publiques de Paris aucun ma-
nuscrit de Siri qui réponde à cette indication; mais elle parait
se ni^rter parfidtement aux manuscrits de Siri signalés dans
là. BihUogr€q>hie instructive de G. F. de Bure (Paris, 1768, in-ia).
H y est dit, an tome I de V Histoire^ n» 4^69, p. 978 et 979 :
« L'auteur de cet ouTrage {il Mercurio) avoit eu dessein de donner
an poblic deux autres Tolumcs..., qui auroient formé les tomes
XYI et XVU..., et qui auroient contenu Vhistoire secrète des
gnerres ciriles de France et des éyénements arriTés durant les
troubles de Paris et la prison des Princes sous le règne de
Louis XrV; mais ces deux rolnmes n^ont jamais pu jusqu'à
présent passer à Pimpression, et sont restés manuscrits. Il en existe
on exemplaire à Paris, dans le cabinet de M. le comte de Lau-
nguais; et cet exemplaire.... pisse pour être la copie qui fut dé-
posée an Loorre, et que le cardinal Dubob en retira pour la mettre
dans sa bibliothèque. On peut regarder ce manuscrit comme un
motcean d'autant plus précieux qu'on le Croit unique. Nous en al-
lons donner l'intitulé dans le numéro suivant. » De Bure le donne
en effet sous le n® 4370 : «c éelle Turhulenze del regno di Francia,
opère mis. del medesimo Vittorio Siri, 4 ^^l- in-folio. » Voyest
84 FRAGMENTS
Il prétend que les deux premières races ont disposé
de rÉtat comme de leur patrimoine, Taliénant et le par-
tageant entre leurs enfants, et admettant leurs bâtards à
portion égale avec les fils légitimes, en telle sorte que
dans leurs apanages ils étoient souverains et indépen-
dants comme les autres. Ainsi Théodoric, b&tard de
Glovis, partagea également avec ses autres enfants, et eut
la Lorraine. Un autre Théodoric, fils puîné de Clotaire,
fîit préféré aux aînés. Pépin égala son fils bâtard,
Charles Martel, avec ses autres enfants. U ajoute que les
Mérovingiens ont été aussi cruels à leurs parents que le
sont les Othomans. Les impositions sur le peuple ont été
excessives et entièrement arbitraires pendant ces deux
races.
Nota, Les Capétiens, corne usurpatori dello scettro
reale contra Carlo^^ y procédèrent avec plus de précau-
tion, jusqu'à Philippe le Bel, qui foula beaucoup le peu-
ple, imité en cela par Philippe le Long et par Charles
le Bel. Et c^est à quoi on a imputé la ruine de leur
maison.
Les dignités de ducs, de comtes et de barons étoient à
vie et amovibles sous les Mérovingiens. Mais pendant
les révoltes qui s'élevèrent sous le règne de Clotaire III*,
les ducs, comtes et barons, dans F Aquitaine, le Péri-
gord et FAuvergne, changèrent leurs gouvernements en
seigneuries. Et de là vinrent les fiefs, les droits de uaS'^
sellaggio et les justices subalternes , sans que les
aussi la Bibliothèque historique de la Fratice^ par Jacques Lelong
(in-folio, MDCCLXIX), tome II, p. 56o. C'est sans doute dans
le tome XVI des manuscrits indiqués par de Bure que Racine a
pris son Extrait, La Biographie universelle, article Siri, parle auasi
de manuscrits de cet historiographe qui seraient aujonitl'hui Hag^*
les bibliothèques de Parme et de Florence.
|.. I . « Comme usurpateurs du sceptre royal contre Charles, s
ET I90TES HISTORIQUES. 85
Pépins et les Carlo vingiens, qui se regardoient comme
usurpateurs, osassent s'y opposer. Au contraire, pour
se faire des créatures, ils exemptèrent plusieurs familles
ieir ordine popufctre^» Philippe Auguste sut peu à peu
s'assujettir les États et les terres dont les grands sei-
gnexm jouissoient corne in sopranità*.
Les maires du palais font bien voir que les François
sont toujours prêts à subir le joug de quiconque ose leur
commander, pourvu qu'il ait en sa main la disposition
des grâces.
Il remarque que les François, si hardis et si prêts à
exposer leur vie dans les batailles, tremblent à l'aspect
d'un homme de justice; et que les rois n'ont jamais
mieux fait que d'établir ainsi entre eux et les grands un
juge qui, sans qu'ils s'en mêlassent, pût châtier les
grands et protéger les petits.
Ce fut le Coadjuteur qui porta le prince de Conti*, le
duc et la duchesse de Longueville à se mettre du parti
du Parlement : celle-ci irritée contre Monsieur le Prince,
qui désapprouvoit hautement sa conduite; le prince de
Conti dépendant absolument de Mme de Longueville; et
le Duc possédé de Tenvie d'avoir le Pont-de-l' Arche,
qu'il espéroit obtenir par le moyen du Parlement. Cette
résolution fut prise à Noisy, maison de l'archevêque de
Puis, où se trouva le duc de Longueville avec le Coad-
juteur et le duc de Retz* .
Le Cardinal fit tout son possible pour engager le duc
I. t De Tordre populaire, a
s. fl Comme en souyeraînetë. »
3. Aroiand de Bom*bon, prince de Conti, frère de Monsieur le
Prince (le gnnd Condë) : voyez notre tome FV, p. 477» n®'® '•
n mourut le ai février i666.
4. Pierre de Gondi, duc de Retz, frère aîné du cardinal de
Retz. Il mourut le %o avril 1676.
86 FRAGMENTS
de Bonillon^ dans les intérêts de la cour, et loi promit
les récompenses du monde les plus avantageuses en
échange de Sedan ; mais ce duc étoit gouverné absolu-
ment par la duchesse sa femme, qui étoit gagnée par
Mme de LonguevîUe. La duchesse de Bouillon* étoit
aussi zélée catholique que Mlle de Bouillon *, sa belle-
sœur, étoit zélée huguenote. Celle-ci, extrêmement fière,
ne pouvoit digérer de voir sa maison dépouillée de la
principauté de Sedan, et vouloit toujours marcher d*égale
avec les maisons souveraines. Aussi fut-elle une des
principales causes de tous les partis que le duc de Bouil-
lon et Turenne, son frère, prirent contre la cour.
La, uerità si era ancora^ que les deux frères, Bouillon
et Turenne, tous deux grands maîtres en fait de guerre,
et le premier principalement joignant aux qualités mili-
taires celles de fin courtisan et de très-habile politique*,
avoient hérité la torbidezza deW animo* du père'', chef
de la faction huguenote, pieno di rigiri e eTintrigki
et in tutte le fattioni e partiti délia Francia o capo o di-
rettorcy corne anco precipuo sommoçitore delF elettore
Palatine* j à recevoir des rebelles de Bohême la cou-
I. Frëdërîc-Maurîce de la Tour d^ Auvergne, duc de Bouillon,
frère aine de Turenne. Il mourut le 9 août i659.
3. Le duc de Bouillon arak ëpowë la fille du comte de Ber-
ghes, gouTemeur de Frise. Elle mourut cinq ans après le duc de
Bouillon. Voyez les Mémoires de Saint-Simon, tome V, p. 3x3.
3. Morte sans alliance en 1669.
4. « La vëritë pourtant ëtait encore. »
5. Politique est écrit au-dessus de négociateur^ qui n^a pas été
efface. C'est une variante ; Racine n'a pu vouloir écrire : « et de trèsp
habile négociateur politique. »
6. c La turbulence du caracti^re. >
7. Henri de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon par son ma-
riage avec Charlotte de la Marck ; maréchal de France en iSga ;
mort le a 5 mars i6i3.
8. « Plein de détours et d'intrigues, chef de toutes les factions
ET NOTES HISTORIQUES. 87
ronne qui a été si funeste à lui et à toute sa maison :
de sorte qu'ayant sucé tous deux avec le lait un esprit de
fiction et d'ambition, il ne falloit pas grand art ni grande
rhétorique pour les engager dans un parti d'où ils atten-
doient des avantages, eomme la riseossa di'Sedano^^
et beaucoup d'autres qu'ils espéroient pécher en eau
trouble.
Le Cardinal avoit fait pressentir si Turenne voudroit
se frire catholique, auquel cas il liû destinoit les plus
grands emplois et les premières dignités du rojraume,
tfec une de ses nièces. Mais Mlle de Bouillon, que la
Gonvenioin de son frère atné avoit mortellement affligée,
fit son possible pour traverser cette seconde conversion;
et elle auroit mieux aimé voir Tùrenne sur xm échafaud
que devenu catholique.
et dé tons les partù en Franoe, on les dirigeant par ses conseils,
comme aussi ajant plus que personne pousse rélecteur palatin.... »
—• D s^agit de Télecteur palatin Frédéric V. La couronne de Bo-
hême loi fîit déférée au mois d'août 16 19. Vaincu à la bataille de
Pngne le 8 norembre i6ao, il fut dépouillé de ses États hérédi-
taires et de la dignité éleetorale. Il mourut le ag norembre i639.
I. « Le reeonrrement de Sedan, m — - Frédéric-Maurice, duc
de Bouillon (voyez ci-dessus, p. 86, note i), arait, an mois de
mars i65i, cédë an Roi la sonreraineté de Sedan.
88 FRAGMENTS
VI
Extrait du,... w>lume deSiri^. — Il traite fort au long
roTÎgine de la paulette et tous les mouvements qu'elle a
excités pendant la régence de Marie de Médicis par la
peur que les parlements et les autres corps avoient qu'elle
ne fût supprimée.
n traite aussi de Torigine des parlements et de leur
autorité.
Émeri Particelli* étoit de Luques et avoit une grande
habileté pour les finances. Le cardinal Mazaiin ne de*
voit jamais l'abandonner.
Ghavigny' a voit été l'ami intime du cardinal Mazarin,
qui lui faisoit bassement sa cour sous le ministère du
cardinal de Richelieu. Puis il vit que Chavigny vouloit
partager la faveur avec lui, et il le trompa, lui faisant
pourtant de grandes caresses. Chavigny Ait averti par
Seneterre* que Mazarin le jouoit, et pour se venger
I. Ce fragment est aa feuillet 170. Les quatre premiers paragra-
phes ont été omis par Louis Racine et par Tuteur de 1807; les
trois premiers seulement, par GeofTroj et par Aimé-Martin. —
Racine a laissé en blanc le chiffre du Tolume de Siri dont il a
donné cet extrait. N'est-ce pas le même XVI* tome manuscrit d'où
le fragment précédent a été tiré? En tout cas, il s'agit sans aucun
doute d'un des Tolumes manuscrits de Siri : Tojez ci-dessus, p. 83,
note I.
a. Michel Particelli, sieur d'Émeri, mort le a5 mai i65o. Con-
trôleur général, puis surintendant des finances, Mazarin le sacrifia
au Parlement, et le destitua le 9 juillet 1648. D le rappela, il est
▼rai, à la surintendance le 9 novembre 1649.
3. Léon le Bouthilier, comte de Chavignj, mort le 11 octobre
x65a. n avait été ministre et secrétaire d'État aux affaires étran-
gères sous le ministère de Richelieu. Appelé au conseil de ré-
gence après la mort de Louis XIII, il donna sa démission lorsqu'il
se vit abandonné auprès de la Régente par le cardinal Mazarin.
4. Henri de Senneterre ou de Saint-Nectaire, marquis de la
ET NOTES HISTORIQUES. 89
chercha a précipiter dans des conseils violents qui fissent
enfin chasser le Cardinal. Il conseilla remprisonnement
de BronsseP, et en même temps il assistoit à des confé-
rences secrètes avec les frondenrs chez Pierre Longuëi*.
La raison pourquoi le Cardinal différoit tant à accor-
der les grâces qa^il avoit promises, c*est qu'il étoit per-
saadé que TespéTance est bien plus capable de retenir
les hommes dans le devoir que non pas la reconnois*
sance.
VII
CÀHDINÀL MÀZÀRIn'.
Sni^, en cherchant les raisons pourquoi le Cardinal
abandonna le duc de Guise*, dit qae peut-être ce cardi-
nal songeoit à se faire roi de Naples. Cela est d*autant
FcTt^Nabcrt, ambaMadear en Angleterre et à Rome, et minbtre
(i^Éut, mort le 4 janyier 1669, âge de quatre-yingt-denx ans. Il
^tpère du maréchal de la Ferté.
I. Pierre Bronasel, conseiller clerc au parlement de Paris, iîit
vtké le 96 août 1648.
a. L'abbé Pierre de Longnei on de LongueU, frère de René
I^mgaeil, marquis de Maisons, président au Parlement, était con-
KÎDer de la grand'cbambre.
3. Ce fragment se tronye aux feuillets 168 et 169, qui doiyent in-
coDtestablement se suivre. Geoffroy et Aûné-Martin y ont in-
tercalé d^autres notes de Racine, qui regardent aussi Mazarin,
■ail qui font partie d^autres fragments. Louis Racine et Téditenr
àt 1807 n'ont pas donné le premier paragraphe.
4- Tome XI, p. $87. — Ce reuToi au Mercure de Siri est de la
Bttin de Racine.
S. Henri II duc de Guise, mort en 1664. Il était entré à Naples le
i5 oetobre 1647. Les Espagnols reprirent possession de cette rille
le 6 anil 1648. Le duc de Guise resta quatre ans prisonnier de
l'Espace.
90 FRAGMENTS
plus Traisemblable qu'il avoit quelque pratique pour se
faire roi de Sicile : témoin une lettre qu'un certain An-
toine d'Aglié^ lui écrivoit de Rome, le i®' juin 1648, qui
lui mandoit qu'on avoit fort délibéré en Sicile de mettre
la couronne de ce royaume sur la tête ou du prince Tho-
mas', ou du connétable Colonne*, mais que le Cardinal
avoit été préféré à tout autre ; que sans partir de Paris,
il n*avoit qu'à envoyer une armée pour donner cœur au
peuple et à la noblesse, et qu'on lui envoyeroit aussitôt
des ambassadeurs pour le couronner; que s'il ne vouloit
point quitter la France, il pourroit laisser en Sicile ou
son frère*, ou le cardinal Grimaldi *, avec la qualité de
vice-roi.
L'auteur croit, pour lui, que le Cardinal avoit dessein
d'envoyer à Naples Monsieur le Prince, afin de l'éloigner
de France, avec tous les petits-maîtres, et quantité d'au-
tres gens capables de remuer'- Cela est si vrai, qu'après
la disgrâce et l'emprisonnement du duc de Guise, le Car-
dinal envoya l'abbé Bentivoglio en Flandres, à l'armée de
Monsieur le Prince, un peu devant qu'il assiégeât Ypres \
pour le tâter, non pas en traitant directement avec lui,
I. S'agit-îl de Vàbbé d^Aglië qui fiit enroyë du dac de Savoie en
France?
3. Thomas-François de Savoie, prince de Garignan, fila du duc
de Saroie Charles-Emmanuel I***. Il avait toute la confiance de
Mazarin. D mourut le 99 janvier x656.
3. Le prince Lanrent-Oonphre Colonna, qui fut grand ccmnë-
tahle du royaume de Naples. Il épousa en 166 1 Marie Manôni,
nièce du cardinal Mazarin. U mourut le i5 anil 1689.
4. Michel Mazarin, arcberéque d'Aix, cardinal en 1646. D sera
parlé de lui un peu plus bas.
5. Jérôme de Grimaldi, qui fut archevêque d^Aix après Michel
Mazarin. Il mourut le 4 novembre i665.
6. Il Itfercurio, tome XI, p. 588.
7. Ypres fut assiégée le x3 mai 1648 et capitula le ap du même
mois.
-m
ET NOTES HISTORIQUES. 91
mais avec Chfttillon', la Moussaye*, et les autres peths-
maftres, qui récoutèrent fort volontiers, se remplissant
déjà l'esprit d'idées, Tun se flattant de' se faire duc de
Calabre, Tautre prince de Tarente . Le Cardinal offroit à
Monsieur le Prince tous les régiments de Condé et de
CoDti, et de sa maison, avec une armée navale équipée
ani dépens du Roi. Mais les cabales commençoient déjà
à éclore; et Monsieur le Prince, se défiant et de la pro->
position et de celui qui la faisoit, ne put se résoudre à
({nitter Paris et la cour*.
Le même auteur dit que le Cardinal étoit maître de
toutes ses passions, excepté de Vaçarice^,
Le cardinal de Sainte-Cécile, son frère ', étant en mau-
vaise humeur contre lui, disoit à tous les gens de la cour
qai venoient lui recommander leurs intérêts que le
moyen le plus sûr d'obtenir de son frère tout ce qu'on
Tooloit, c'étoit de faire du bruit, parce que son frère
étoit un coyon*.
Ces paroles , dit Siri , ne tombèrent pas à terre ; et
bien des courtisans se résolurent dès lors de le prendre
de hauteur avec le Cardinal, et commencèrent à le me-
nacer pour obtenir de lui ce qu'ils vouloient.
Ce cardinal de Sainte-Cécile s'en alla à Rome au sor-
tir de son gouvernement de Catalogne, plein de mau-
I. Gafpard IV de Coligny, marquis d'Andelot, puis duc de
ChatiQon, tué le 8 férrier 1649 à Tattaque de Charenton.
3. Le marquis de la Moussaje-Gojon avait été aide de camp du
duc d'Enghien à la bataille de Rocroi, dont il a laissé une relation.
3. // Mereurh^ tome XI, p. SSg.
4- Racine indique ici le tome XII, p. 934* — On trouve en efFet
à cette page de Siri (i7 Mercurio) la phrase qui vient d'être traduite
littéralement.
5- Voyex ci-dessus, p. 90, note 4.
6. Perche tuo fratello era un coglione, (Il Mercurio, tome XH,
P 9>5.)
9^ FRAGMENTS
vaise volonté contre son (rère, et résolu d'embrasser les
intérêts des Espagnols, qui ne manquoient pas de leur
côté de lui faire des offres avantageuses. Il mourut peu
de jours après ^ qu'il fut arrivé à Rome, où il tomba ma-
lade d'une grosse fièvre que lui avoient causée la fetigne
du chemin et les grandes chaleurs de Fautomne.
Les secrets du Cardinal' étoient souvent trahis et ré-
vélés aux ennemis par des domestiques infidèles et inté-
ressés. Le Cardinal fermoit les yeux pour ne pas voir leur
friponnerie; et c'étoit là la plus grande récompense dont
il payoit leurs services, comme il punissoit leurs infidéli-
tés en ne les payant point de leurs gages.
Il ne donna pas un sou* au courrier qui apporta la
nouvelle de la paix de Munster, et ne lui paya pas même
son voyage, là où l'Empereur donna un riche présent et
mille écus de pension à celui qui la lui apporta. La reine
de Suède fit noble son courrier. Servien étoit au déses*
poir de cette vilenie.
Le même Siri, tome XUI, p. pSo, dit que ce cardinal
avoit l'artifice de trouver toujours quelque défaut aux
plus belles actions des généraux d'armée, non pas tant
pour les rendre plus vigilants à l'avenir, que pour dimi-
nuer leurs services , et délivrer le Roi de la nécessité de
les récompenser. Il dit cela à Toccasion de la prise de
Tortose par le maréchal de Schomberg *.
I. Dans la nuit da 3i août au !«■* septembre 1648. {Il Mercurio^
tome XII, p. 937.)
a. Tome XUI, p. 866. {Note de Racine.) — D faut ajouter: et
p. 867, da même ourrage de Siri, il Mercurio.
3. Dans ]e texte de Louis Racine : « D ne donna rien. » Geoffroy
a reproduit cette correction, que cependant Tëdition de 1807 avait
déjà rejetée.
4. Charles de Scliomberg, duc dUallujn, prit la ville de Tor-
tose en Catalogne le la juillet 1648. U mourut le 6 juin t656.
ET NOTES HISTORIQUES. 9)
Vffl
Dânb^ la cession que TEmpereur et TEmpire faisoient
du landgraviat de F Alsace à la France*, on n'exceptoit
d'abord que le droit de Tévéque de Strasbourg. La ville
ne se contenta pas de cette exception de Tévéque , mais
TGukt y être aussi comprise. On n^eut pas grand*peine
i loi accorder une demande si juste, dans laquelle le
roi de France ne prenoit aucun intérêt, n^ayant nulle
prétention sur la ville de Strasbourg. Et il seroit arrivé
même que le moindre refus ou le moindre doute qu'on
aoroit proposé là-dessus auroit suffi pour irriter toutes
lei villes impériales, et pour les aliéner entièrement de
la France.
Cession de F Empereur et des États de F Empire^,
Dans cet acte il paroit que le landgraviat d'Alsace et
les deux Suntgaw ^ ont été cédés à la France de la
même manière que les trois évéchés de Lorraine '. 0 y
a pourtant une parenthèse qui comprend l'exception des
évéchés et États, singulièrement exceptés dans le traité *.
I. Radne a écrit ici en marge : Siri^ tome XŒ, p. i36. Il traduit
CQ eHet preaqae littéralement la page dn Mercure qu'il indique. —
Ce fragment est an feuillet 187. Âncnn des éditeurs précédents ne
h donné.
a- Par le traité de Munster en 1648.
3. Radne a écrit en marge : page i94- U £ant lire page aa3 (du
Meratre de Siri, tome XIII). Le titre en italien de la pièce citée
pv Racine est : Ceuione delT Imper€ulare e de gli Siati delT Imperio.
4. Dans Siri : Superiore e inferiore Suntgovia. Le Sundgau, qui
«▼ait pour chef-lieu Béfort, forme aujourd'hui la partie sud du
<i^partement dn Haut-Rhin.
5. Metz, Tonl et Verdun.
6. Seivi tutia9ia e eeeeUuatl queîll cke neW istrumenio di pace sono
'**goUrmefUe eeeeituaiif e ail' Imp^io Romano rUervaii, (Siai, à Ten-
(iroit indiqué.)
94 FRAGMENTS
IX
M. DB BCHOMBBRG^
Son grand - père * amena des troupes au service
d'Henri IV, lorsque le prince Casimir* en amena; et
M. de Schomberg prétend qu'il lui en est encore dû de
l'argent.
Son père * fut gouverneur de l'électeur Palatin , de-
puis roi de Bohême*; ce fut lui qui alla en Angleterre
I. Ce fragment est ëcrit sur le double feuillet 179-180, et sur le
feuillet t8i, qui loi foit ëiidemment mite. *- Dans Tëdition d^Ai-
gnan, il y a ici une note qui est donnée comme Note de Racine .* « Le
maréchal de Schomberg, pair de France, cheyalier des ordres du Roi
et colonel général des Suisses, mourut sans enfants, le 6 juin i656. »
Cette note se troure en effet dans le manuscrit, mais parait être
de l'écriture de Jean-Baptiste Racine ; elle n'est point et ne pou-
vait pas être de son père, qui savait bien de qui il parlait. L'éditeur
de 1807 l'a remplacée par celle-ci, qui seule est exacte : « Frédéric-
Armand de Schomberg, tué au combat de la Boyne, en Irlande, en
1690. M II était d'une autre famille que les deux premiers maréchaux
de Schomberg, dont le second, Charles duc d'Halluyn-Schomberg,
fut celui qui mourut en i656. "Voyez ci-dessus, p. 99, note 4<
a. Menard de Schomberg. Il était de la même famille que Théo-
doric Schomberg, qui commanda les reitres à la bataille d'Irry, y
combattit à côté de Henri IV, et 7 fut tué. Voyez le Dlctiomtmre de
Moréri, article Schomberg.
3. Le comte palatin Jean Casimir, frère de l'électeur palatin
Frédéric III. En i568, il amena d'Allemagne une armée au secours
du prince de Condé. Ce que dit ici Racine ne se rapporte pas à
ce temps-là, puisqu'il parle d'un secours amené à Henri IV. Il
s'agit évidemment des troupes auxiliaires qui Tinrent se joindre à
celles de ce prince en 1687. Mais cette fois Jean Casimir en avait
laissé la conduite à Fabien, baron de Dohna.
4. Jean Menard, comte de Schomberg. Il fut grand maréchal du
haut et bas Palatinat, gouyemeur de Juliers et de Clèves.
5. Frédéric V, qui épousa en 161 8 Elisabeth, fille de Jacques I*
roi d'Angleterre. D fut élu en 16 19 roi de Bohême. Voyez ci-des-
sus, p. 86, note 8.
ET NOTES HISTORIQUES. 95
négocier le mariage avec la princesse Elisabeth. Le roi
d'Angleterre lui donna une pension de dix mille écus,
dont il (nt payé toute sa rie. Il eut beaucoup de part
aux partis qui se formèrent en Bohême pour TÉlecteur,
et mourut âgé de trente^troi^ ans, avant que ce prince
fût élu roi.
M. de Schomberg n'avoit que sept ou huit mois à la
mort de son père. Il dit que TÉlecteur voulut être son
toteur, et nonuna quatre commissaires pour administrer
son bien. Il prétend de grandes sommes de Monsieur
Télecteur Palatin pour cette administration, dont on
ne lui a pas rendu compte.
D se trouva, âgé de seize ans, à la bataille de Nortlin*-
gne \ où le duc de Yejrmar fut défait. U se trouva aussi
ila fameuse retraite de Mayence '.
H. de Rantzau ' lui donna une compagnie d'infanterie
dans son régiment. Il se trouva à la retraite de devant
Dôle \ sous le même M. de Rantzau.
D fat fait commandant dans Yerdun-sur-Saône', avec
nn bataillon, et se trouva au secours de Saint- Jean-de-
I. LÎTrée le 6 septembre 16 34- Le duc Bernard de Saxe-Wei-
Bur Y fut battu par Farm^e aiutro-bararoise.
3. An mois de septembre 16 35. Après aToir force Mansfeld à
lever le siëge de Mayence, les armées du doc Bernard et da car-
dinal de la Valette , que la famine menaçait , se décidèrent à re-
IttMer le Rhin. pQUvairis par Galas, ils s'ouvrirent le passage par
plosieiirs combats très-brillants. Cette retraite de treize jours à
tnters les montagnes et les défiles fut une des plus belles opéra-
tions du duc de Saxe-Weimar.
3. Josias comte de Rantzau, maréchal de France en i645t
mort le 4 septembre i65o.
4- Les Français avaient mis le siège devant D61e au commence-
ment de juin i636. Rantzau y perdit un oeil d^une mousquetade.
1^ liège fut levé le i5 août. La sagesse des dispositions de Rantzau
unn la retraite.
5. Vekdun>sur-Sa6ne on snr-ie-Doubs, au confluent de la Saône
^ du Doubs. Les Impériaux s'en emparèrent en i636«
96 FRAGMENTS
Laune \ assiégé par Galas, la même amiée du siège de
Dôle.
Hermenstein ' ayant été pris par les ennemis, le car-
dinal de Richelieu, piqué au vif de cette perte, donna
ordre à M. de Rantzau de lever en Allemagne douze
mille hommes. Rantzau fit cette levée fort lentement,
s^amusa vers Hambourg, et se maria à sa cousine, et se
laissa enlever un quartier. Pour avoir sa revanche, il
envoya Schomberg avec des troupes pour enlever un
quartier des ennemis qui étoient dans Northausen '. Il
tomba sur une garde de dragons qui étoient hors de la
place, et entra dedans péle-méle avec les fuyards. Il
étoit alors major du régiment de cavalerie de Rantzau,
et avoit, outre cela, une compagnie franche de dragons.
Vers ce temps-là, le cardinal de Richelieu, mécontent
de Rantzau, le congédia ^.
Schomberg se maria*; et parce que l'Empereur avoit
fait confisquer tous ses biens, il quitta le service de la
France.
Ennuyé d'être sans rien fiiire, il alla en Hollande, où
I. Saint-Jean-de-Loane, sur la rire droite de la Saône, dam
le Toiainage de Dôle. Rantzau, cliargé d'y conduire seize cents
hommea, les introduisit dans la place. Le duc de Lorraine et
Galas furent forcés de lerer le siëge le 3 noTembre i636. Le cou-
rage avec lequel les habitants de SaintJeanrde-Losne aTÛent sou-
tenu le siëge valut à cette ville le nom de Belle Défense,
a. Le ai juin 1687 , la forteresse d'Hermenstein (Ehrenbreitsteio),
vis-à-vis de Coblentz, se rendit à Jean de Wertb.
3. Ville impériale, près des montagnes du Hartz. Dans rëdition
de Louis Racine , ce nom a été imprime Narthauven, Il j aurait
plutôt dans le manuscrit I/orihmiren,
4. Rantzau donna sa démission en i638, et passa, avec la per-
mission du Roi, en Danemark, où il demeura deux ans.
5. Avec sa cousine germaine, Jeanne-Elisabeth de Schombei^,
fille de Henri Dieterich, comte de Schomberg. Il devait plus tard
épouser en secondes noces Suzanne d'Aumale de Haucourt, qui fut
liée d^amitié avec Hmes de Sévigné et de Grignon.
ET NOTES HISTORIQUES. 97
le prince Heiiri-Fecleric(^/c)* lui donna une compagnie
de cavalerie. M. de Turenne avoit alors un régiment
d'infanterie. Il entra dans la confidence du prince Guil-
laume', malgré Taversion de la princesse douairière ',
fiUe du prince de Solms, que le père de Schomberg
refusa d'épouser, et qui étoit venue en Hollande avec la
reine de Bohême, dont elle étoit fille d'honneur.
Le prince Guillaume lui communiqua son dessein sur
Amsterdam, qui fut entrepris de concert avec la France
et la Suède ^. Schomberg donnoit avis de toutes choses
à Servien *• Ce fut lui qui arrêta dix ou douze des
êuu*, du nombre desquels étoit le père de d' Wit '^^
et il les remit entre les mains du capitaine des gardes
du prince.
Le prince de Galles*, peu de temps après, avoit ré-
solu de faire une descente à Yarmout, et Schomberg le
devoit suivre. Le prince d'Orange avoit préparé pour
I. Frédéric-Henri de Nassau, prince d'Orange, fils du quatrième
lit de Guillaume de Nassau et d^une fille de l'amiral Gaspard de
Golignj. n succéda comme stathouder de Hollande à son frère
Maarioe de Nassau. D mourut le 14 mars 1647.
3. Guillaume II, fils de Frëdëric-Henri de Nassau, auquel il suc-
c^coDune stathouder. Voyez ci-dessus, p. 71 et 7s.
3. Emilie comtesse de Solms avait épousé Frédéric-Henri de
Nusaa, â la Haye, le iS ayril i6i5.
4- Les états de Hollande ayant, en i65o, ordonné aux capi-
taines de réformer leurs compagnies, Guillaume H, que ce lîcen-
oement îmtait, résolut de se rendre maître d* Amsterdam. La ré-
siitaiice de cette rille le força à entrer arec elle en accommodement.
5. Àbel Serrien , marquis de Sablé , envoyé comme plénipo-
tentiaire du roi de France à Munster, dont il signa la paix
en 1648.
6. Basnage, dans ses dtmaUs des ProtfmeeS'Vnies ( a volumes in-fo-
liOfàla Haye, M.DCC.XXVI), tome I, p. 17a, ne parle que de six
<^»utés arrêtés par ordre du prince d'Orange.
7. Voyex ci-dessus, p. 7a. — Il y a bien ici de d* Wit.
8. Depuis Charles II.
J. Racivb. t 7
98 FRAGMENTS
cela des troupes et des vaisseaux. Mais le prince de
Galles n'osa exécuter ce dessein, de peur d'iirîter
le Parlement, qui tenoit le Roi prisonnier dans Tile
d' Wigt*. Le prince d'Orange, épuisé, et par la dépense
qu'il avoit faite pour cette entreprise, et par l'argent
qu'il envoyoit souvent à la Reine mère, réfugiée à Pa-
ris, déclara au Prince qu'il ne pouvoit plus se mêler de
ses affaires.
Le prince Guillaume mourut peu de temps après '.
Schomberg avoit promis de mener des troupes en
Ecosse au service du roi d'Angleterre ; mais ce prince,
ayant perdu la bataille de Vorcester *, vint à Paris, ou il
conseilla à Scbomberg, qu'on regardoit comme Anglois,
et dont la mère ^ étoit Angloise en effet , d^cheter là
compagnie des gardes écossoises du comte de Grey.
Schomberg en donna vingt mille francs, avec six cents
écus de pension viagère à ce comte.
Au commencement des guerres civiles, le cardinal
Mazarin l'envoya en Poitou avec trois régiments de ca-
valerie et quelques compagnies franches , pour dissiper
les levées que le prince de Tarante * assembloit dans
cette province ; de là il vint au siège de Rhetel *, où
M. de Turenne lui donna le commandement de Tinfan*
terie, en l'absence des officiers généraux, qui n'étoient
pas encore arrivés.
I. Voyez p. 7a, note 7.
3. Le 6 novembre i65o, comme il a déjà été dit à la note 3
de la page 73.
3. Le 3 septembre t65i.
4. Anne, fille d'Edouard Dudley^ pair et second baron d'An-
gleterre.
5. Henri-Charles dnc de la Trëmoille, prince de Tarente.
6. Rhetel, on mieux i?efA«/, fut attaqué et emporte de vive force
par Turenne en quatre jours, du 5 au 9 juillet i653.
ET NOTES HISTORIQUES. 99
Lorsque Monsieur le Prince eut passé la Somme ^ et
vint jusqu'à Montdidler, Schomberg eut ordre d'aller se
jeter dans Corbie avec quatre cents chevaux, cbacun un
(antassîn en croupe : ce qu'il fit, et passa pour cela
derrière l'armée ennemie. II eut quelque rnacimtre au*
pès d'Ancre '.
An secours d'Arras ', il commandoit la gendarmerie.
Ensuite le Cardinal le choisit pour aller surprendre Guel-
dres*, que Plettemb^g* promettoit de Ûvr^ au Roi.
Schomberg avoît ordre d'aller faire des levées en West-
phaKe, et de se venir jeter dans cette place. Mais Plet-
tembei^, mal satisfait du Cardinal, qui ne lui donnoit
ps8 anez d'argent, voulut livrer Schomberg aux Espa**
gnols. Schomberg échappa , alla faire ses levées, et les
•mena à Thionville.
L'Archiduc* s'étant plaint aux Hollandois de ce
qu'une partie de ces levées 8*étoit faite dans leur
pays, les états cassèrent la compagnie de cavalerie
que Schomberg avoit à leur service , et qu'il avoit tou-
jours conservée jusqu'alors, comme Estrade ^ a toujours
I. An mois d'août i653.
1. Petite Wlle de Picardie, k 4 lieues et demie de Përoiuie, tra-
▼en^ par on bras de la riTière d^Ancre. Elle porte anjourd'hui le
aoa d^Albett, qui loi fîit donné après la chute de Goncini.
3. Les Espagnols avaient ouvert la tranchée devant Àrras do 19
an i5 juillet i654' Turenne fit échouer Tattaque qu'ils tentèrent le
sS août. Le siège fut levé.
4. Depuis que les Provinces Unies avaient secoué le joug de
TEspigne, la ville de Gueidres était restée en la possession des
Kspagnob.
5- Ce Plettenberg paroit avoir été à ce moment gouverneur de
Gwldwi.
6. Léopold-Guillaume, qui, de 1647 à 16S6, fut gouverneur des
Payi^Bis espagnols. U était frère de l'empereur Ferdinand III. Il
^Boimit le ai novembre 1661.
7. Godefroi comte d'Estrades, maréchal de France en 1676, mort
le 16 fémer 1686
loo FRAGMENTS
conservé sa compagnie d'infanterie jasqu*à la dernière
guerre.
Le Cardinal lui avoit donné une commission de lieu-
tenant général ^ pour cette expédition de Gueldres. Il
servit en cette <{aalité au siège de Landrecies', puis aa
siège de Saint-Guilain ', où le Roi se trouva au camp.
Schomberg fut blessé à ce siège, et eut le gouverne-
ment de la place.
D servit encore au siège de Valenciennes * en qualité
de lieutenant général. Son fils aîné fut tué tout roide
dans la tranchée , à sa vue , et comme il lui comman-
doit de poser une fascine à un endroit découvert. U
commanda qu'on remportât, et continua à donner ses
ordres.
n ' étoit de jour lorsque Monsieur le Prince attaqua
les lignes; il pensa être prisonnier, et fit enfin sa retraite
jusqu'au Quesnoy, avec un bon nombre de régiments,
M. de Turenne n'ayant donné aucun ordre pour la
retraite.
Monsieur le Prince vint se présenter à la vue du Ques-
noy . M. de Turenne ne doutant point qu'il ne s'allât jeter
sur Condé ou sur Saint-Guilain , mais plutôt sur Condé,
Schomberg fut détaché avec six cents chevaux, pour
porter des sacs de farine dans ces deux places ; ce qu'il
exécuta à la vue de l'armée ennemie. Il revint dans Saint-
I. Le 6 juin i655.
a. Investi par Turenne le i8 juin i655, Landrecies se rendit le
i3 juillet. Schomberg commandait la tranchée dans la nuit du la
au i3 juillet.
3. La tranchée avait été ouverte devant Saint-Guislain le a a août
i655. La ville capitula le a5 août.
4. Turenne investit Valenciennes le i5 juin i656. Condé fit
lever le siège le 16 juillet, ayant fait essuyer une sanglante défaite
au corps d^armée du maréchal de la Ferté.
5. Ici commence le feuillet 181.
ET NOTES HISTORIQUES. loi
Gnilain. Après la prise de Condé % Monsieur le Prince
ne manqua pas d^assiéger SainuGuilain ' ; la place étoit
dépourvue de tout, par la faute du cardinal Bfazarin, qui
se fioit a de mauvais avis que lui donnoit Navarre, secré-
taire à Bruxelles pour les affaires de la guerre, gagné
par le Cardinal. &itre le peu de troupes qu'il y avoit à
Saint-Guilain, il y avoit un régiment irlandois qui s'en«
tendoit avec le roi d'Angleterre ', alors dans Tarmée
d'Espagne, et qui livra aux ennemis une redoute et une
demi-lune^.
L année suivante, on assiégea Montmédy ', contre Fin-
tendon des Anglois, qui vouloient qu'on fît des sièges
sur la c6te. De là on prit Saint-Venant *, puis Mardik ''•
L'hiver, Schomberg eut ordre de se tenir dans Bour-
bourg *• Il boucha deux fois le canal * par où Mar-
sin entreprit [de faire passer^ des vivres dans Gra-
velines.
A la bataille des Dunes ^^, il commandoit la seconde
ligne de l'aile gauche. Comme il vit que les Anglois
de la première ligne étoient maltraités sur les dunes
I. La Tille de Condë s'était rendue le i5 août i656 au prince
de Condë.
1. Schomberg, taùégé dans Saint-Guislain par douze miUe Espa-
gnols, qui perdirent deux mille hommes à ce siège, remit la place
à don Juan d'Autriche et an prince de Condé le a a mai 1657,
«près Taroir défendue avec opiniâtreté pendant huit jours.
3. Charles II, ou peut-être Jacques U, alors duc d'York. ^
4> Racine écrit u/ie Jemie lune.
5. Montmédi, dans le Luxembourg, fut assiégé, non l'année
lairante, mais cette même année 1667, et se rendit au Roi en
personne le 6 août.
6. Le 29 août 1657.
7. Le 3 octobre 1657.
8. Petite ville à cinq lieues de Dunkerque. Schomberg s'en était
emparé le 18 septembre 1657, et en avait reçu le gouvernement.
9. Le canal de Bourbourg, sur lequel cette ville est située.
10. Livrée le 14 juin i658, et gagnée par Turenne.
loa FRAGMENTS
par les Espagnols, il vînt prendre le second bataillon des
Anglois dans la seconde ligne, et les mena au secours
des autres, qui chassèrent et défirent les Espagnols.
Ensuite on assiégea Bergues^, dont il eut le gou-
vernement; de le il fut encore commandé pour le siège
d^Oudenarde, ensuite pour le siège de Gravelines *. H
employoit volontiers Vauban dans tous ces sièges,
parce que le chevalier de Glerville * n'alloit point lui-
même voir les travaux, et que Vauban se trouvoit
partout.
Après la défaite du prince de Ligne ^, Schomberg eut
ordre de marcher vers la Knoque *, et d'investir Ypres *.
On lui avoit promis que toutes les places qu*on pren-
droit de ce côté-là seroient de son gouvernement de Ber-
gues. Cependant M. de Turenne fit donner Ypres à
M. de Humières, qui étoit fort dans ses bonnes grâces.
Schomberg sut encore que M. de Turenne avoit écrit à
la cour pour faire que M. de Lillebonne '' commandât
en qualité de capitaine général : ainsi il n*auroit été que
subalterne. Voilà les premiers sujets de mécontentement
qu'il eut de M. de Turenne.
I . Bergues Saînt-Wînox, prise le 3 juillet i6S8.
a. Grayelines capitula le 37 août i658, après rîngt-deux jours
de tranchée ; Oudenarde se rendit dans les premiers jours de sep-
tembre, et n'arait résisté que deux jours. Il aurait donc fallu placer
le siège de Grayelines ayant celui d^Oudenarde.
3. Louis-Nicolas de Glerville, commissaire général des fortifica-
tions, mort en décembre 1677.
4. Le prince de Ligne et don Francisco de Melo, ajant marché
au secours de Menin (septembre i658), furent défaits par les trou-
pes de Turenne.
5. Forteresse de Flandre, bâtie sur PYser, entre Ypres et Dix-
mude, à une lieue de cette dernière ville.
6. Le i5 septembre i658. Ypres capitula le i5 septembre.
7. François-Marie de Lorraine, coipte de Lillebonne, mort le
II janvier 1694.
ET NOTES HISTORIQUES. io3
Duiant qu*oii traitoît la paix aux PyréDées, quelques
Anglois de Dunquerque s'affrirent de lui dpnner les defs
d'une des portes de la ville, comme eu effet ils les lui
mirent entre les mains. Il en écrivit au Cardinal, qui
rejeta cette affaire, de peur de se brouiller avec les
Angbis, quoique CFomvel fût mort ^ Schomberg pro-
posa la chose an roi d* Angleterre , qui n'y voulut point
entendre, parce qu'il étoit alors d'accord avec Monk.
Eir' i663, le commandeur Pol * alla faire mettre le
I. CromweU moamt le 3 leptembre i658.
a. Ce fragment o'a pas été dqnnë par Louis Racine ni par les
^tems soÎTants. U se trouve au feuillet 197. Sur le même feuillet
Racine a écrit, à la suite, quelques phrases et expressions latines
tirées des livres XXIV et XXV de Tite Lire. Comme elles n*ont
ineon rapport arec la note historique qui les prëeède, nous les
pUcercms parmi les notes de Racine sur les classiques anciens.
3. Paul de Saumnr, connu sons le nom du ekepoiUr PmiU ou Pol,
Le grand maître de Malte Pavait fait chevalier servant d*armes.
Le cardinal de Richelieu le nomma capitaine d*un vaisseau de
pierre. Plus tard, Pol s^ëleva à la dignité de lieutenant du grand
unirai de France. Voyez V Histoire du .... ekevaUers de Malte de
Vertot (4 volumes in-40, MDGGXXVI), tome IV, p. i85. Quincy,
dans son Histoire militaire du règne de Luuis le Grtmd (8 vol. in-4®,
MDCCXXVl), tome I, p. a6a, parle de Fexp^tion de i663 :
« Le Roi avoit pris des mesures pour réduire les Algériens.... D
>Toit fait armer dans les ports de la Méditerranée une flotte, dont
le duc de Beaufbrt, amiral, eut le conmiandement, ayant pour
lieutenant général le commandeur Paul; il les combattit, maltraita
^elqaes>uns de leurs vaisseaux ; et leur ayant donné la chasse, il les
contraignit de rentrer dans leurs ports. » La Gazette du i5 septem-
bre i663 dit que le duc de Reaufort, parti le 9 août i663 du golfe de
Pafana, s'était abouché à Rougie avec le commandeur Pol. L'expédi-
tion fat de courte durée. La Gazette parle de deux vaisseaux que Pol
104 FRAGMENTS
feu à deux vaisseaux amarrés à la forteresse de la
Goulette \ et la chose fut exécutée par vingt mous-
quetaires du Roi , Moissat' entre autres. Béthomas * les
commandoit.
Le même attaqua^ lui quatrième dans une chaloupe,
une chaloupe pleine de Mores, au nombre de trente.
XI
En * 1667, on effaça toutes les couleuvres* ou ser-
pents des ornements qui étoient au Louvre.
En 167a, le Roi vouloit que MM. de Malte se décla-
rassent aussi contre les Hollandois. Us dirent qu'ils ne
se déclaroient jamais que contre le Turc. Néanmoins
poursuiTit si Tirement qu^il les contraignit de s'échouer ; mais elle
ne donne pas les détails que Racine a recueillis. Le commandeur
Pol mourut le 18 octobre 1667.
I . Cette forteresse défend rapproche de Tunis.
s. Le même sans doute que Moiuae nommé par Quincy (tome I,
p. 537) parmi ceux qui furent tués à la bataille de Cassel en 1677.
Il était alors cornette des mousquetaires.
3. Nous ne savons s^il s^agit d^un Béthomas qui fut tué à la
Marsaille, en 1693, étant lieutenant d'une compagnie de gendar-
mes, ou du commandeur de Béthomas, qui fut chef d'escadre des
galères, et mourut en 170a.
4. Ce fragment est écrit sur le feuillet 186. Louis Racine et
l'éditeur de 1807 n'en ont donné que le second paragraphe.
5. Nous pensons que ces couleuvres avaient été sculptées en
l'honneur de Colbert, dont elles étaient les armes pariantes, et
qui, nommé surintendant des bâtiments en x664t s'était beaucoup
occupé de l'achèvement du Louvre. En 1667 son crédit n^avait
encore nullement diminué ; ce fut lui-même peut-être qui craignit
d'exciter l'envie et de déplaire au Roi, dont la gloire seule devait
être rappelée par les ornements de l'édifice.
ET NOTES HISTORIQUES. io5
l^ambassadenr demandoit qu'on les comprtt dans le
traité qu^on pensa faire à Utrecht.
On prétend qae M. de Lauzun avoit eu une extrême
passion d'avoir le régiment des gardes, mais qu'à cause
du maréchal de Gramond * il eût bien voulu que le Roi
Fen eût pressé. On dit donc qu'il en parla à Mme de
Hontespan , et qu'ensuite il se cacha pour voir conmie
elle en parlerait au Roi ; qu'ayant vu qu'elle s'étoit mo-
quée de lui, il lui chanta pouille et la menaça.
XII
Li' puits de Besançon , j'entends de la citadelle, a
soixante-six toises deux pieds de profondeur.
On a creusé de douze pieds tout le terrain de la
citadelle, pour se couvrir des deux montagnes qui la
commandoient.
I. Le maréchal de Gramont était cousin germain du père de
Lauznn, qui devait le ménager. Le régiment des gardes apparte-
nait an maréchal, qui en arait obtenu la survivance pour son fils le
comte de Guiche, à qui elle fut retirée par le Roi, dont il avait
enoouni la disgrâce. Suivant Saint-Simon, qui raconte avec des
détails très-piquants l'anecdote notée ici par Racine (voyez ses
MimoireSy tome XX, p. 4o~44)9 ce ne serait pas le régiment des
gardes, mais la charge de grand maitre de Partillerie qu'à ce mo-
ment Lauzod aurait sollicitée. L'anecdote est de l'année 1669.
3. Ces lignes, écrites sur le feuillet aoa, n'ont pas été données par
tes éditeurs précédents. Elles sont précédées, dans le manuscrit,
d'an astérisque, par lequel Racine renvoyait sans doute à quelque
fragment historique où était raconté le siège de Besançon au mois
de mai 1674. Sur ce siège, voyez ci-après le Précis historique.
io6 FRAGMENTS
XIII
BrUK
NangU,
Provins,
Sejane. On y séjourna deux jours.
Fère Champenoise.
Fitry * . A£ffction des habitants ; feux de joie , lan-
ternes à toutes les fenêtres. Ils arrachèrent de Téglise
où le Roi devoit entendre la messe la tombe d*un de
leurs gouverneurs, qui avoit été dans le parti de la
I. Ce fragment est aux feuillets i8i et i83. Le titre : Voyagt du
Mai, donne par quelques éditeurs, n^est pas dans le manuscrit, non
plus que celui qu^on trouTe dans Tëdition de 1807 : Noies prues
pendant la route. En tête du fragment on lit cette note : « Vraisem-
blablement en 1678. Le Roi partit de Saint-Germain-en-Laye dès le
7 de fénier. » Elle nous parait de la main de Jean-Baptiste Racine.
La forme dubitatire : vràuemhlahUment^ est assez étrange; car il est
parfaitement clair quUl ne peut être question que de Pannëe 1678, où
Racine, comme bistoriographe, suivit pour la première fois le Roi à
Tarmée. On peut Toir dans la Gazette du 19 féTrier, du a3 fëvrier
et du 5 mars 1678, le journal du Toyage du Roi, depuis Brie4>>mte-
Robert jusqu'à Stenai (7-17 férrier) ; l'itinéraire j est semblable à
celui que donne Racine. Les détails sur le siège de Gand (yojez dans
la même Gazette de 1678, p. 9o5-9i6, le Journal de ce siège) auraient
en tout cas déterminé Tannée d*une manière indubitable. — Ce qui
est plus étrange encore que Tbésitation de Jean-Baptiste Racine,
c'est que la note dont nous le croyons Fauteur est attribuée à Ra-
cine lui-même dans l'édition de M. Aignan. M. Aimé-Martin la
donne également pour être de Racine ; mais il faut dire qu^il Fa
corrigée par le retrancbement du mot vraisemblablement^ dans celle
du moins de ses éditions que nous avons sous les yeux (la 5*).
1. Louis Racine ne donne pas les cinq premières lignes; il ne
commence qu'à ^itry, M. Aimé-Martin a de plus la ligne 4 : Se-
tanne, etc. Il omet, dans la suite, de même que Louis Racine, Bar*
le-Duc, Pont-à^âfousson, Fresne, Oudenarde^ et plusieurs phrases des
alinéas qui suivent celui de Guise (p. 107 et 108).
ET NOTES HISTORIQUES. 107
ligue, de peur que le Roi ne vît dans leur église le nom
et Fépitaphe d'un rebelle.
Sermaise^ vilain lieu, où le Roi avoit une chambre oA
son ftuteuil ne pouvoit presque tenir.
Commercx* Le bruit de la cour, ce jourJà, étoit qu'ood
retonmoit à Paris.
Toul. On séjourna un jour. Le Roi fit le tour de la
ville, visita les fortifications, et ordonna deux bastions
da côté de la rivière.
Pont^à^Mousson.
Metz. On séjourna deux jours. Le maréchal de Gré*
qai s'y rendit, et eut ordre d'en partir le lendemain.
Quantité d'ofliciers eurent ordre de marcher vers Thion-
ville. Le Roi visita'enoore les fortifications, qu'il fait ré-
parer. Grand zèle des habitants de Metz pour le Roi.
Fresne.
Ferdun, Le Roi y trouva Monsieur, qui avoit une
grosse fièvre. U alla visiter la citadelle, où l'on travaille,
du côté de la prairie.
Stenay. Le Roi y arriva devant la Reine, et alla voir les
fortifications de la citadelle, qui est assez bonne, mais
on peu commandée par la hauteur. Le bas de la ville,
c'est-à-dire le côté de la Meuse, est inondé. Le Roi
quitta la Reine et partit le matin à cheval. H ne trouva
point son dtné en chemin; il mangea sous une halle, et
bat le plus mauvais vin du monde.
Aubignjr^ méchant village. Le Roi coucha dans une
ferme; il vouloit aller le lendemain à Landrecies, mais
toat le monde s'écria qu'il y avoit trop loin. Il envoya les
maTéchaux des logis à Guise. D dtna le lendemain à
une abbaye, et fit jaser un moine pour se divertir.
Guise. Grand nombre de charités que le Roi fai-
soit en chemin. A une lieue de Guise, une vieille de-
fo8 FRAGMENTS
mancla où étoit le Roi; on lui montra , elle dit : « Je
vous ai déjà vu une fois^, dit-elle, et vous êtes bien
changé. »
Le Roiy approchant de Valenciennes, reçut nouvelle
que Gand étoit investi, et qu*il n'y avoit dans la ville et
dans le château que cent cinquante hommes d'infanterie
et cinq cents chevaux. Grand zèle des paysans de cette
frontière. Férocité des paysans à Cateau-Cambrésis.
Le sot de la ville vint à une heue de Yalenciennes
au-devant du Roi '. Le Roi nous montra , au sortir des
portes, le côté de Tattaque et les dehors qui furent
emportés. A une lieue de Yalenciennes, ilm'avoit montré
sept villes tout d'une vue, qui sont maintenant à lui ; il
dit : « Vous verrez Toumay, qui vaut bien que je ha-
sarde quelque chose pour le conserver, i*
I. Ce passage, depuis : « une Tieille demanda », jusqu^à « bien
changé », a été ajoute entr« les lignes; et la fin, depuis : « dit-
elle », est écrite un peu plus bas que le commencement, auquel
elle se rattache par un signe de renvoi. C^la explique ce dit -elle
superflu après elle dit, et qui a échappé à Racine.
a. Nous n'avons pu trouver ailleurs qu'ici la mention de cette
petite circonstance. Pour savoir au juste ce qu'était le sot de Ya-
lenciennes, nous avons eu recours a IVrudition de M. Caffiaux,
archiviste de cette ville. D a eu l'obligeance de nous apprendre
que dans les comptes de la ville il était souvent parlé des fotu
ou bouffons attachés aux compagnies bourgeoises des archers,
des arbalétriers , des canonniers et des gladiateurs , autrement dit
aux quatre Serments; ces fous les accompagnaient partout et étaient
de toutes les fêtes. D semble qu'il j avait plus particulièrement
un fou fie la ville. Dans un compte de 1611 il est dit : « Au fol
de la ville pour et en advancement d'une robe à faire le fol, nr* x*. »
S'il n'y avait dans les comptes une lacune, de l'année 161 1 à Tan-
née 1686, il eût pu se faire qu'on y eût trouvé quelque indem-
nité accordée en 1678 au fou de Yalenciennes pour les beaux habits
qu'il avait dû revêtir, lorsqu'il alla au-devant du Roi, peut-être
avec les Serments de la ville. Dans aucun des documents qu'a vus
M. Caffiaux, le fou de la ville n'est appelé le sot. Mais il ne semble pas
douteux que le fou et le sot n'aient été un seul et même personnage.
ET NOTES HISTORIQUES. 109
Saint'j/mant, Le Roi, eh arrivant, se trouva si las,
qn^ilnepouvoit se résoudre à monter jusqu'à la chambre.
Oudenarde»
Garnie 4* nMirs. Le Roi, en arrivant, à onze heures
da matin, trouva Gand investi par le maréchal d'Hu-
mières*. Il dîna, et alla donner les quartiers, et faire le
tour de la place. Le quartier du Roi étoit depuis le petit
Escaut jusqu'au grand Escaut; M. de Luxembourg, de-
puis le grand Escaut jusqu*au canal du Sas-de-6and : la
Dunne , petite rivière, passoit au travers de son quar-
tier; M. de Schomberg, entre le canal du Sas-de-6and
elle canal de Bruges; M. de Lorges, entre le canal de
Bruges et le petit Escaut : la Lys passoit au travers de
son quartier. M. le maréchal d'Humières étoit dans le
quartier du Roi. Les lignes de circonvallation étoient
commencées, et le Roi commanda qu'on les achevât :
elles étoient de sept lieues de tour. On travailla dès le
soir à préparer la tranchée. Bf . de Maran avec les fu-
seliers fit faire un boyau, dont on s'est servi depuis, et
qui a été l'attaque de la droite, qu'on a appelée V attaque
de Navarre. Le lendemain, 5* mars, la tranchée fut ou-
verte sur la gauche par le régiment des gardes , et fut
conduite jusqu'auprès d'un fort.
Le Roi a dit, après la prise de Gand, qu'il y avoit plus
de trois mois que le roi d'Angleterre avoit mandé à
ViUa-Hermosa' qu'il avoit surtout à craindre pour Gand.
Misérable état des troupes espagnoles : ils se sont
rendus' faute de pain. Le gouverneur, vieil et barbu,
ne dit au Roi que ces paroles : « Je viens rendre Gand à
Votre Majesté ; c'est tout ce que j'ai à lui dire. »
I. Racine écrit ailleurs : <« de Humières » (voyez p. 76 , note 4)-
a. Le duc de Villa-Hermota, gouverneur des Pays-Bas catholiques.
3. Il j a rtndu^ sans i, dans le manuscrit.
no FRAGMENTS
XIY
MORT DE M. GOLBBAT^.
On prétend qu'il ett mort Bial content*; que le Roi lui
ayant écrit peu de jours avant sa mort, pour lia ocNnr
mander de manger et de prendre soin de lui, il ne dit
pas un mot après qu'on hd eut lu cette lettre. On lui ap-
porta un bouillon là-dessus, et il le refusa. Mme Ck>I-
bert lui dit : « Ne voulez [-vous] pas répondre au Roi? »
B lui dit : « Il est bien temps de cela. G*est au Roi des
rois qu*il faut que je songe à répondre. » Gomme elle
lui disoit une autre fois quelque <^ose de cette natw^,
il lui dit : « Madame, quand j*étois dans ce ealmiet
à travailler pour les affaires du Roi, ni vous m les attires
n'osiez y entrer; et maintenant qu'il faut que je tra-
vaille aux affaires de mon salut, voua ne me laissez point
en repos. »
M. Mansard prétend qu'il y a trois ans qu'il' étoît à
charge au Roi pour les bâtiments, jusque-là que le Roi lui
dit une fois : « Mansard, on me donne trop de dégoûts,
je ne veux plus songer à bfttir. »
Le vicaire de Saint-Eustache dit à M. Golbert qu'il
avertiroit les paroissiens au prône de prier Dieu pcmr sa
santé. « Non, pas cela, dit M. Golbert, mais bien qu'ils
prient Dieu de me fiùre miséricorde. »
I. Ce fragment est au feuillet 177. n porte au commencement,
à la marge, la date de la mort de Colbert : c i683, 6 teptembre. >
Cette date n*est pas de la main de Racine, mais de celle de son fils
Jean -Baptiste.
9. Louis Racine et Pëditeur de 1807 ont supprime ce premier
membre de phrase.
3. Colbert.
ET NOTES HISTORIQUES. m
Où dit que la veille de sa mort il signa le contrat d'ac-
quisition de la terre de^....
Deax jours après sa mort, les bouchers de Paris et
les nuux:hands forains avoient abandonné Seaux et al-
loient à Poissy : lettre de cachet, puis arrêt du conseil
pour les obliger de retourner à Seaux.
Taille8^
En i658 56 millions.
En 1678 4^ millions.
En 1679 34 millions.
En 1680 32 millions.
En 1 681 35 millions.
En i685 3a millions.
XV
Là dépense des bâtiments en i685 a monté à seize
millions*.
XVI
Li ^ France a cent soixante lieues de côtes sur TO-
I. Le nom de la terre est resté en blanc dans le manuscrit. Tous
les ^iteurs ont omis cette phrase.
9. Ce tableau se trouve, comme ce qui précède, sur le verso du
fenillet 177.
3. Cette phrase est au feuillet 194, et elle y est seule.
4- Cette courte note, que n'ont pas donnée les éditeurs précédents,
lia FRAGMENTS
céan, trois bons ports, Brest, Rochefort, et le Port-
Louise
xvn
i685e
Juillet. — Nouvelles des honnêtetés du prince Charles
envers Messieurs les princes, leur donnant la main, et
plus encore qu'ils n'auroient demandé, une garde à Tar-
mée plus grosse que la sienne; leur voulant céder son
logis, et leur déclarant qu'il avoit ordre de l'Emperear
d'empêcher qu'ils ne s'exposent trop.
est sur le feuillet 104. Elle y est prëcëdëe de Texplication, écrite de
la main de Racine, de quelques termes de marine :
w Louvoyer^ c'est lorsqu'on a le vent tout contraire, et qu^on va
en manière de ziczac {tic) et à la bouline.
« Aller au last, ou au plut prêt du vent^ ce qui est la même chose,
c'est lorsque le vent ne fait que glisser dans les voiles, et qu'il s'fo
faut peu qu'on ne l'ait contraire.
N Étaler let marées^ c'est lorsqu'on se laisse aller au jusant, ou à la
marée lorsqu'elle se retire. »
I . Port-Louis, dans le Morbihan, doit son nom à Louis XIU, qoi
l'avait fait construire à l'entrée de la rade de Lorient. Louis XIV
le fit fortifier.
9. Le feuillet 188 ne contient que ce court fragment, qui n'a ^t^
donné ni par Louis Racine, ni par aucun des éditeurs suivants.
Racine 7 parle de la campagne de i685 contre les Turcs, à laquelle
prirent part, sans l'autorisation du Roi, le prince de Conti et le
prince de la Roche-4ur-Yon son frère. L'armée de TEmperear
était commandée par le prince Charles et par Montieur de Bavière
(le duc Charles V de Lorraine, et Maximilien-Emmanuel, électeur
de Bavière). Voyez, dans la Gazette du 91 juillet i685, l'arriTëe
au camp impérial près de Gran, des princes français, suivis par
le vicomte de Turenne, par le chevalier Lauzun, par le marquû de
Lassay.
ET NOTES HISTORIQUES. ii3
Monsieur de Bavière les avoit aussi traités de même.
On dit qae l'Eniperear a offert de les faire traiter comme
on traite les électeurs.
xvni
1691*.
Uh o£Bcier espagnol, à qui Beauregard^ avoit de-
mandé quartier quand on fut repoussé de Touvrage à
corne de Mons, non-seulement le lui donna, mais le dé-
fendit Tépée à la main contre des Brandebourgs ' qui le
Tonloient tuer, se fit blesser pour lui, et Tayant mis dans
iayille, mit une garde devant la maison. Cet officier sor-
tit de Mous dans une litière, à cause du coup qu'il avoit
reçn dans cette dispute.
Le comte de la Motte*, lieutenant général, ne voulut
I. Ce firagment est écrit sur le feuillet 189. La date de 1691
eit d^iine antre encre; mais nous la croyons de la main de Racine,
^e ne se rapporte qn^au premier alinëa, où il est question du
ii^e de Mons. Le fragment tout entier manque dans Louis Racine
et dans Fédition de 1807. Geoffroy et Aimé-Martin n'en ont donné
^ les deux premiers paragraphes.
3. « Le i« de ce mois (april 1691) .... le sieur de Beauregard,
eapitsme aux gardes, fut fait prisonnier. » (Gasette de 1691, p. 1x8,
àâia k StiUe du siège de Mons,) — Ce même Beanregard, capitaine
aox grenadiers des gardes, fut tué au combat de Steinkerque, le 3
août 169a.
3. Des soldats de Télecteur de Brandebourg. M. Aimé-Bfartin a
ois : des Brandebourgtois.
4* Fils du frère aîné du maréchal de la Mothe-Houdancourt. Il
nooniten 1718, âgé de quatre-vingt-cinq ans. On voulut à diverses
l^riies lui donner l'occasion de gagner le bdton de maréchal ; mais
il nanqaa toujours sa fortune ; la reddition de Gand en 1709 Pabima
L Ràcm. ▼ 8
ii4 FRAGMENTS
jamais quitter le service de Monsieur le Prince; et quand
H. de Loavois lui fit entendre, pour le débaucher^ qu'il
pourroit même dans la suite être maréchal de France,
il fit réponse « que d'être à Monsieur le Prince, ce n est
pas un titre pour être maréchal de France. »
Bombe qui tomba au siège de Charleroy^ sur un petit
endroit où Monsieur le Duc' donnoit à dîner i plus de
quarante personnes. D n*y eut que deux verres de cas-
sés, et tout le dîné gftté de la terre qui retomba en un
nuage de poussière.
XIX
Traita' de neutralité avec le roi de Danemarc^, du
117* mars 1691, par lequel on lui accordoit*.... pour sub-
sides ordinaires.
Autre traité particulier, du 5* avril 1693, par lequel on
promettoit de lui payer des subsides extraordinaires au
cas qu'il attaquât Ratzeboui]g* lorsque le Roi auroit com-
sanf retour. Saint-Simon vante son dësintëreasement, mais le repré-
sente comme très-opiniâtre et très-incapable. Voyez les Mémoires de
Saint-Simon, tome VI, p. 414, et tome Vn, p. 3i.
I. Ce siège dora du 9 septembre au 11 octobre 1693.
9. Louis m de Bourbon, petit-fils du grand Condë.
3. Ce fragment, qui n^a pas été donné par les ^iteois précé-
dents, est écrit sur le feuillet an.
4. Christian V; il succéda à Frédéric III au mois de février 1670*,
il mourut le 9 5 août 1699.
5. Le chiffre est resté en blanc dans le manuscrit.
6. Ville d'Allemagne, dans un lac du même nom, à cinq lieues de
Lubeck. Elle appartenait alors à George- Guillaume, duc de Zell,
qui s'en était emparé en 1689, après la mort de Jules-François, der-
nier duc de Saxe-Lauenbourg. George-Guillaume était frère d'£r-
nest-Auguste , comme lui duc de &iinswick-Lunebourg^ et qui
ET NOTES HISTORIQUES. ii5
menoé à fiure agir ses armées en Flandres et sur le
Rhin.
Incident qnW fait nattre au roi de Danemarc sur ce
qa^il n a commencé les hostilités que le ao* août.
Néanmoins on est convenu que les cent mille francs
qa'3 a déjà touchés pour cette affaire lui demeureront.
On Teut remettre à lui payer après la paix les deux cent
mille francs restants, et à lui faire un double payement
prochain au cas qu'on le voye engagé en guerre avec la
maison d'Hanovre (lo septembre^). Le roi de Dane-
marc se plaint que c'est l'abandonner et menace de s'ac-
commoder. Le Roi, de son côté, craint que le roi de Da-
nemarc, après avoir reçu son argent, ne s'acconmiode.
XX
1693.
Depuis^ Tannée 1689 jusqu'au dixième octobre 1693,
OQ a fait pour quatre cent soixante et dix millions d'af-
faires extraordinaires.
Le' clergé, entre autres, dans ces quatre années, a
donné soixante et cinq millions.
Le Roi avoit cette année* près de cent mille chevaux
et quatre cent cinquante mille hommes de pied. C'étoit
Mt entre en 1691 dans la coalition contre la France, Guillaume III
lai ajant promis de faire ëriger en électorat son duché de Ha-
noTfe.
I. Cette date est à la marge dans le manuscrit.
3. Ce fragment est écrit sur le feuillet 19a.
3. Louis Racine a supprime ce paragraphe.
4- Cest-à-dire l'année 1693.
ii6 FRAGMENTS
quarante mille chevaux de plus qu*îl n^avoit dans la
guerre de Hollande.
M. de Feuquières^ avoit parlé tout l'hiver à H. de
Pomponne' de l'avantage qu'on trouveroit à porter le
fort de la guerre en Allemagne. Lorsqu'on fut arrivé au
Quesnoy, et qu'on sut la prise de Heidelberg', ces dis-
cours furent remis sur le tapis. Le Roi demanda à Gham*
lay * un mémoire où il expliquât les raisons pour la Flan-
dre et pour l'Allemagne. Ghamlay avoue qu'il appuya
un peu trop pour TAllemagne. Ainsi on résolut dès lors
de pousser de ce côté-là ; et le détachement de Monsei-
gneur' fut résolu. On espéroit en quelques négociations
avec les princes d'Allemagne. Le Roi apprit cette résolu-
tion à M. de Luxembourg' près de Mons.
On' compte trente-six miUe paroisses en France.
I. Antoine de Pas, marquis de Feaquières, mort le 17 janTÎer
171 1. En 169a, il aTait serri à Tannée d^AIlemagne, sons le maré-
chal de Lorges. En 1698, il fut nonuné lieutenant général.
1. Le nom est ainsi abrégé dans le manuscrit : c M. de Pomp. »
3. Parti le i5 mai 1693 de Versailles, Louis XTV était arrivé le
95 au Quesnoi. Le maréchal de Lorges avait pris Heidelberg le
as mai.
4. Chamlay, maréchal des lo^ des années, mort en 1719. Après
la mort de Louvois, le Roi voulut lui donner la place de ce mi-
nistre; mais Chamlay la refusa, pour ne pas en dépouiller Bar-
bezieux, qui en avait la surrivance. Voyez les Mémoires de Saint-
Simon, tome XII, p. 4ai et 4aa, et tome XVII, p. 217. En cette
année 1693, Chamlay fut fait grand-croix de Saint-Louis.
5. Du Dauphin.
6. « Le Roi déclara le 8 juin à M. de Luxembourg qu'il s'en
retoumoit a Versailles, qu'il envoyoit Monseigneur en Allemagne
avec un gros détachement.... Luxembourg, au désespoir de se voir
échapper une si glorieuse et si facile campagne, se mit à deux
genoux devant le Roi, et ne put rien obtenir. » {Mémoires de Saint-
Simoh, tome I, p. 86 et 87.)
7. Tout le reste du fragment est sur le verso du feuillet 19s.
Jean-Baptiste Racine a écrit en tête de la page : c 169$. Voyez ci-
derrière, s U indiquait par là comme le verso du feuillet ce que
ET NOTES HISTORIQUES. 117
An siège de Gambray ', Yaiiban n'étoit pas d'avis qu'on
attaquât la demi-lune de la citadeUe avant qu'il eût
bien assuré cette attaque. Du Mets*, brave homme, mais
chaad et emporté, persuadoit au Roi de ne pas différer
davantage. Ce fut dans cette contestation que Yauban
dit au Roi : « Vous perdrez peut-être à cette attaque tel
homme qui vaut mieux que la place. » Du Mets Tem*
porta, la demi-lune fîit attaquée' et prise; mais les en-
nemis y étant revenus avec un feu épouvantable, ils la
reprirent, et le Roi y perdit plus de quatre cents hommes
et quarante officiers. Yauban, deux jours après, Tattaqua
dans les formes, et s'en rendit maître, sans y perdre que
trois hommes. Lé Roi lui promit qu'une autre fois il le
laisseroit faire.
Cétoit M. d'Espenan* que Monsieur le Prince et M. de
Turenne firent gouverneur de Philisbourg, et qui, dans
le temps même qu'ils lui déclaroient qu*ils Tavoient choisi
pour cela, et qu'ils lui recommandoient de bien faire son
devoir, les interrompoit pour aller chasser une chèvre
qui mangeoit des choux sur un bastion.
nous ayons oonsidërë comme le recto. Il s'est trompé en mettant la
date de 1695. C'est, comme nous l'ayons vu, celle de 1698 qae Ra-
ciiie a écrite en tête du fragment.
I. En 1677.
s. Claude Beriiier du Metz, comniandant de l'artillerie ; il devint
en 1688 lieutenant des armées du Roi, et fut tué, en 1690, à la ba-
taille de Flenms.
3. Le x4 avril 1677.
4. Louis Racine écrit ce nom : ePErpenau. — Le comte d'Espenan
commandait à Rocroi le centre de l'armée française. — Ce fut en
1644 qu'Enghien et Turenne donnèrent à d'Espenan le gouverne-
ment de Philisbourg, dont la garnison était sortie le la septembre.
Vojrex Quincjr, tome I, p. 3a.
ii8 FRAGMENTS
XXI
1693, ai mai\
M. le maréchal de Lorges dit qu'il avoit proposé tout
rbiver le siège de Mayeuce, Festlmant beaucoup plus
important et plus aisé même que celui de Heidelberg.
n prétend aussi que Monseigneur lui ayant demandé,
en arrivant au delà du Rhin, ce qu'il y avoit à faire, il
lui répondit qu'il falloit faire ce que César avoit fait en
Espagne contre les lieutenants de Pompée : c'est-à-dire
faire périr l'armée de Monsieur de Bade, en lui coupant
les vivres et les fourrages. M. de Boufflers * fut de son
avis. M. de Choiseuil' dit : « Cela me passe. » La chose
auroit pourtant pu éti'e exécutée, mais les nouveUes
d'Italie firent prendre d'autres résolutions.
n ^ assure que les prisonniers ont dit que si on eût
pris le parti de bloquer Monsieur de Bade dans Hafl-
bron *y ce général avoit résolu de conmiencer par égor-
ger tous les chevaux de son armée.
On ' avoit fort négligé Brest sur de faux avis du roi
I. Ce fragment est écrit sur le feuillet 191. La date du 11 mai
1693 nous parait être plutôt de la main de Jean-Baptiste Racine que
de celle de son père. Elle se rapporte à la prise de Heidelberg. Ce-
pendant celle du a 9 mai serait seule tout à &it exacte. Vojrez ci-
dessus, p. 116, note 3.
a. Louis-François duc de Boufflers, mort le ai août 17x1. D
avait ëtë fait maréchal de France le 97 mars 1698.
3. Claude marquis de Francières, comte de Choiseul, maréchal
de la même promotion que le duc de Boufflers; il mourut le i5
mars 1711.
4. Louis Racine a supprimé ce paragraphe.
5. HeUbronn, ville impériale d'Allemagne, située sur le Neckar.
-— HaUhron est Porthographe du manuscrit, et celle qui alors était
communément suivie.
6. A la marge de ce dernier paragraphe, qui a été omis par
ET NOT£S HISTORIQUES. 119
d'Angleterre ^ Cependant Tannée navale y étoit en fort
grand pkîl. Yauban représenta ce danger au Roi, après
le départ de M. de Tourville, lequel de son côté deman-
doit an mrâis vingt mille hommes pour le garder. On ré-
solut donc de Ten faire sortir, et de l'envoyer au cap
Saint-Vincent*.
1694.
NieociATioif * de Piémont. C'est Monsieur de Savoye
qui le premier a fait des propositions d'accommode-
ment *• Et Ton dit que c'étoit pour sauver son pays , qui
alloît être ravagé.
Loaift Racine ftiuti bien qne par les ^teur» BolTantt, Racine a
écrit : M, de Croisty. Il démit donc ces deuils à ce miniitre,
I. Da roi Jacques II.
9. Le marëchÂl de Tourville, Tiee-amiral de France, quitta Brest
le 36 mai 1698, arec soixante et ente vaisseaux de ligne, plusieurs
frètes et autres bâtiments. Le 4 juin, Farina navale qu'il com-
mandait mouilla dans la baie de Lagos, près du cap Saint-Yincent.
Voyez la Gazette du 3o mai et du 27 juin 1693.
3. Le feuillet 190 ne contient que ces quelques lignes. Louis Ra-
cine et les éditeurs suivants les ont omises.
4. Après sa défaite de la Marsaille (3 otetobre 1693), le duc de
Savoie, Victor-Amédëe II, avait engage des négociations secrètes
arec la France.
lao FRAGMENTS
XXIII
ÀRmuncNT* à Brest et à Rochefort, que doit oomman-
der le marquis de Nesmond* pour Terreneuve et la Noa-
veUe Angleterre, où les ennemis envoyent aussi une es-
cadre. Ils ont 70 vaisseaux de ligne pour la Manche.
De Gennes ' est arrivé, et n'a rien fait.
Des Angers a dissipé l' Armadille des Espagnols*, qui
sert à assurer la navigation du Mexique à Saint-Domin-
gue. Il a pris un vaisseau estimé onze à douze cent
mille francs*.
I. Ce fragment, qui se tronre au feuillet igS, n'a été donné m
par Louis Racine ni par les éditeurs suirants. En marge Racine a
écrit : Jtfîu. Il n'a pas marqué l'année, qui est 1697.
a. Le marquis de Neimond, lieutenant général des armées naTa-
les du Roi.
3. En 1695, une escadre commandée par de Gennes était partie
pour une expédition dans le grand Océan; mais assaiUie par des
rents violents dans le détroit de Magellan, elle renonça à Pentre-
prise, et rentra à la Rochelle le ai avril 1697.
4. « On a eu avis de File de Saint-Domingue que le sieur des
Angers, commandant les vaisseaux du Roi U Bourbon^ le Bon et U
Fapori^ et la frégate la Badine, avoit rencontré le 6 du mois de jan-
vier dernier, à douze lieues au vent de la ville de Saint-Domingue,
une escadre de cinq vaisseaux de guerre espagnols, qu'ils appellent
rArmadilla.... A peine le sieur des Angers se fut approché à deux
portées de canon, que ces cinq vaisseaux prirent la fuite. » {Gazette
du ao avril 1697.)
5. « On a eu avis de la Rochelle, du ao du mois dernier, qu'on
h&timent arrivé d'Amérique avoit apporté la nouvelle que le sieur
des Angers, avec deux vaisseaux du Roi, avoit pris et enlevé, dans
un port sur la côte de Carthag^e,... un grand navire espagnol,...
chargé de 600000 piastres.... » (Gazette du a mars 1697.)
ET NOTES HISTORIQUES. lai
XXIV
BM. ' de Bouillon sont princes par brevet , mais le
breret ne fut point enregistré, comme rechange Ta
ete .
Ce (ut depuis ce brevet que M. de Turenne ne voulut
plas prendre la qualité de maréchal de France'; et ce
(nt MQe de Bopillon, sa sœur, qui Ten détourna. Il
ne se trouva plus aux assemblées des maréchaux , et
envojoit même leur recommander les affaires pour les-
quelles on le sollicitoit. Les maréchaux furent sur le
point de le citer, mais n^osèrent.
Affaire ^ du cardinal de Bouillon avec Mme de Sou-
bize*. Elle a désiré que Tabbé de Rohan* fût traité
de Sérénissime Prince ^ et fût dispensé d'enseigner un
cours de philosophie. Sur les difficultés de Farchevéque
de Rheims ''^ elle a écrit au cardinal de Bouillon pour
I. Ce fragment est aa feuillet 171.
%. L'échange de Sedan et de Bouillon contre le comté d*ÉTrenx
et let duchés d'Alhret et de Château-Thierry Ait fait en mars i65i
par Frédéric -Maurice duc de Bouillon. Voyez les Mémoires de
Stint-Simon, tome Y, p. 3i3.
3. Racine parle sans doute d'après Siri. Turenne, selon Saînt-
SimoD (tome V, p. 3 16), ne quitta qu'à partir de 1660, lorsqu'il
eot reçu la charge de maréchal général des camps et armées de
France, le titre de maréchal, « qu'il aToit toujours porté depuis
plus de dix-sept ans. »
4. Ce paragraphe a été omis par Louis Racine et par tous les
^tenrs suiTanU.
5. Anne de Rohan-Chabot, princesse de Soubise, morte le 14 f^-
▼rier 1709.
6. Armand -Gaston de Rohan, fils de la princesse de Soubise. Il
deiînt éréqne de Strasbourg et cardinal. H mourut le 19 juillet
1749. — sûr l'affaire dont Racine parle ici et qui est de l'année
1698, Toyez les Mémoireê de Saint-Simon, tome II, p. 16S et 166.
7. Charles-Maurice le Tellier. Dans les lettres de doctorat de
laa FRAGMENTS
lui demander ce qui s'étoit passé à son égard*. Le Car-
dinal a dit qu*il ne B*en souvenoit pas bien, que ses titres
étoient ici dans une armoire, où étoient tous ses papiers
de la plus grande conséquence. Le Roi lui a fait écrire
qu'il eût à dire la vérité. Le Cardinal Ta écrite, mais en
même temps a mandé qu'il y avoit grande différence
entre les Bouillons et les Rohans, alléguant entre autres
une souveraineté subsistante. Le prince de Turenne',
son neveu, fut assis devant Alexandre VIII (Ottobon)'.
Quand le cardinal Mazarin sortit de France, il de-
manda à M. le Tellier un homme en qui il pût se confier,
et celui-ci lui donna Colbert. Il pria même Monsieur le
Cardinal que, quand il recevroit de lui des lettres se-
crètes, il ne les gardât point, mais les rendit à Colbert.
Un jour le Cardinal en voulut garder une ; Colbert lui
résista jusqu'à le mettre en colère. Ensuite le Cardinal
le prit pour son intendant^.
Vahhé de Rohan, TÀrcheTéque, alors proviseor de Sorbonne, ne
voulait pas mettre les mots à^ Altesse Sérénisùme.
I. M. de Përëfixe avait àonné à M. de Bouillon, depuis car-
dinal, V Altesse Sérénîssime^ dans ses lettres de doctorat. Voyez Saint-
Simon, à Tendroit cite.
3. Louis de la Tour de Bouillon, prince de Turenne, fils de
Godefroi de la Tour, duc de Bouillon, et de Marie-Anne Mancini.
n accompagna en 1689, à Rome, son oncle le cardinal de Bouillon,
envoyé au conclave où fut ëlu Pierre Ottoboni (Alexandre VIII).
3. C'est ce qui est attesté par les Mémoires de Coulanges, p. 187.
4. Louis Racine a omis cette dernière phrase.
ET NOTES HISTORIQUES. laS
XXV
BONS MOTS DU a<x\
Lk Nonce' lai dit que si le Doge' et quatre des prin-
cipaux sénateurs * venoient, la République demeureroit
sans chef pour la gouverner ; il répondit: « Il n^est pas
mai à propos qu'ils les envoyent ici pour apprendre à
goQYemer mieux qu'ils ne font. »
Uévêque de Mets*, reyenant, disoit-il, d'un sémi-
naire, où fl avoit demeuré dix jours, parloit avec exagé-
lation du désintéressement de tous ces ecclésiastiques,
qui ne Ëûsoient aucun cas ni de bénéfices, ni de ri-
chesses, et s'en moquoient même. Le Roi dit : « Ils s'en
mo({aent, vous vous moquez donc bien d'eux '• »
LWhevéque d'Ambrun'' louoit fort, au lever, la ha-
I. Ce fragment est écrit sur les fenillets 184 et i85.
3. Angdo Ranazzî, mort te «7 septembre 1689.
3. Le doge de Gênes, Impériale Lercaro, qni rint le i5 mai 168$
à Volailles, faire satisfaction au Roi, comme il avait été exige de
loi par le traite du la février de la même année.
4- Qnatre sénatenn, Garibaldi, Lomellino , Salxago et Durazzo ,
eurent en effet arec le Doge. Voyez la G^tzette da 19 mai i685.
5. Georges d'Anbosson de la Feîiillade, qui passa de rarchevéché
dTjnbfon à l'éyêchë de Metz en 1668; il j mourut le la mai 1697,
^ de qDatre-ringt-hnit ans. «Le Roi, dit Saint-Simon {Mémoires^
tome I, p. 436), lui parloit toujours, et plaisantoit avec lui.... On
l'attaqiioît fort sur son avarice. > H ajoute qu* c il ëtoit bon évéque,
ridant, et fort appliqué à ses devoirs. » Quelque bon évéqne qu'il
^ MB avttîce suffirait pour expliquer le mot piquant du Roi.
6. Ridne avait d'abord écrit : « Us n'en font aucun cas, vous ne
faites donc guère.... » Cette variante semble indiquer une espèce
<le tianil pour polir, pour affiler le bon mot, dont sans doute le
*cnsieiil avait été retenu.
7. Chartes Brâlart de Genlis, nommé à l'arcbevéché d'Embrun
^ 1668, en remplacement de Georges de la Feuillade. D mourut
dans sou diocèse, le 1 novembre 17141 ^ de quatre-vingt-six ans.
ia4 FRAGMENTS
rangae de Tabbé Golbert ^ . Le Roi dit i M. de Bfaoleyrier ' :
« Promettez-moi de ne pas dire un mot à M. Golbert de
tout ce que va dire Tarchevéque d'Ambmn ; » et ensuite
il dit i r Archevêque : « Continuez tant qu'il vous plaira.»
Lorsque le chevalier de Lorraine fut obligé un jour de
se retirer, il dit au Roi, en prenant congé de lui, qu*il ne
Touloit plus songer qu'à son salut. Quand il fut sorti, le
Roi dit : « Le Chevalier songe à faire une retraite, et
emmène avec lui le père Nantouillet *. »
Quand je lui eus récité mon discours* , il me dit devant
tout le monde : « Je vous louerois davantage, si vous ne
me louiez pas tant. »
Le* Roi reconnut dans le régiment de Hautefeuille
un passe-volant qui étoit valet de chambre de M. de
Hautefeuille, et le Roi le reconnut à ses souliers, que
son maître avoit portés.
En donnant l'agrément et la dispense d'âge à M. Cho-
pin pour la charge de lieutenant criminel, le Roi lui dit:
« Je vous exhorte à suivre plutôt les maximes de vos
ancêtres ' que les exemples de vos prédécesseurs. »
I. Prononcée à PAcadémie françaiie le 3i octobre 1678. Vojex
notre tome IV, p. 34a et 343.
s. Le comte de Maolerrier, qui mourut gouremenr de Toamâi
en 1693, du chagrin de n*aToir pas éié fait maréchal de France,
était frère du ministre Golbert, à qui le Roi lui fait promettre de
ne rien dire des compliments de rarchevéqne d'Embron.
3. Sor François du Prat, dit le cheralier de NantoniUet, Tojex
notre tome II, p. 4^1 v QOte i. Premier maître d%ôtd de Monsieur,
il était un des compagnons de plaisir du chevalier de Ix>rraine.
4. Celui qui fut prononcé à la réception de MM. de Corneille
et de Bergeret. Voyez notre tome FV, p. 347.
5. Ici commence le feuillet i85. — • c On appelle ainsi (passê^woUaU)
un homme qui, sans être enrôlé, se présente dans une rerue pour
faire paroitre une compagnie plus nombreuse, et pour tirer la paye
an profit du capitaine, s (Dictionnaire de rjieadémde de 1694.)
6. Parmi ces ancêtres du noureau lieutenant criminel était le
ET NOTES HISTORIQUES. laS
M. Golbeit disoit qu^au commencement que le Roi
prit connoissance de ses a£faires, ce prince lui dit et aux
aatres ministres: « Je vous avoue firanchement que j*ai
on fort grand penchant pour les plaisirs ; mais si vous
vous apercevex qu'ils me fassent négliger mes affaires,
je vous ordonne de m'en avertir. »
PATISHCB DU ROI.
Gonmie il se nettoyoit les pieds, un valet de diambre
qui tenoit la bougie lui laissa tomber sur le pied de la
cire toute brûlante ; le Roi répondit froidement ^ : « Tu
aarois aussi bien (iBÙt de la laisser tomber à terre. »
A un autre valet de chambre, qui, en hiver, apporta
la chemise toute froide, il dit encore, sans gronder : « Tu
me la donneras brûlante à la canicule. »
Un portier du parc, qui avoit été averti que le Roi de-
voit sortir par la porte où il étoit, ne s'y trouva pas, et se
fit longtemps chercher. Conmie il venoit tout en courant,
c^êtoit à qui le gronderoit et lui diroit les injures ' ; le
Roi dit : « Pourquoi le grondez-vous? Croyez-vous qu'il
ne soit pas assez affligé de m'avoir fait attendre*? »
cdèbre jariscontalte du aeiztème siècle, Renë Chopin, anteur de
ttTsmts oorraget sur le Domaine^ sur la Police ecclésiastique^ sur la
Cmdume ê Anjou et sur la Coututfte de Paris.
I. Dans le texte de Louis Racine : « D dit froidement. » Cette
correcdon a été adoptée par les éditeurs suirants.
s. n y a bien « les injures », et non « des injures », comme a
corrige Louis Racine.
3. Cette anecdote est racontée à pep près de la même manière
aox pages 3i7et3i8dn Furetiriana^ qui donne aussi (p. 949)9 ^oè\a
ai s^ëloignant daTantage cette fois des termes du récit de Racine ,
celle de la cire brillante (voyez ci-dessus, ligne 8).
ia6 FRAGMENTS
XXVI
HOUVBLLES^
Neuf hommes qui travailloient à tirer de la marne
auprès de Chàteau-du-Loir * ont été accablés de la terre
qui s*est éboulée. Us ont trouvé moyen de se retirer
sous une petite caverne creusée dans la terre, où ils ont
demeuré huit jours entiers sans boire ni manger, en at-
tendant qu^on les ait déterrés.
xxvn
STRASBOURG*.
V. Lotychins, p. 5i4. Un édit de Ferdinand II, qui
ordonne aux magistrats et aux habitants de Strasbourg,
senatui populoque ArgerUinemi^ de restituer l'église ca-
I. Cette note, sur un fait auquel Racine ne songeait sans doute
pas à donner place dans Thistoire, est écrite sur le feuillet 9o3t
qui ne contient rien de plus. Les éditeurs prëcédents Tout négligée,
et cette fois Ton comprend leur omission.
9. Cette petite ville est aujourd'hui de Tarrondissement de Saint-
Calais, dans le département de la Sarthe.
3. Ce fragment, qui est au feuillet 909, a été publié pour la pre-
mière fois par M. Aimé-Martin. La source où ont été puisés ces
renseignements est indiquée par Racine, qui a écrit en tête do
fragment : « Y. (c^est-à^tUn royez) Lotjchius, p. 5i4- » H ^^^ff^
du livre qui a pour titre : lo. Pétri Laiietui rerum Gtrmanicarum
suh Maiihia, Ferdinandis II et ///. /ifyjp. gestarum Uhri LV..,. FreM"
eofurti ad Mœnum, MDCXXXXVl, 4 volumes in-folio. Racine aviit
en vue le tome I, i>« partie, Uvre XVIII, chapitre v. Il analyse
fidèlement ce qui s^ trouve à la page 5i4*
ET NOTES HISTORIQUES. 127
thédrale et toutes les églises parochiales, qu'eux ou
lears pères ont usuipées su^ les catholiques, et de resti-
tner aussi tous les revenus, décimes, droits, privilèges,
meubles, ornements, et généralement toutes choses ap*
putenant légitimement à rÉvéque ou aux ecclésias-
tîqaes, de rétablir les catholkpies dans le droit de bour-
geoisie et tous leurs autres droits et honneurs.
L'archiduc Léopold, fils de Ferdinand, étoit alors évé«
que de Strasbourg et de Passau * .
n parott, par cet édit, que dans les premiers troubles
d'Allemagne , causés par l'hérésie de Luther, ceux de
Strasbourg, ayant de bonne heure embrassé la religion
protestante, s^étoient emparés des églises et de la mai-
son épîscopale, avoient ensuite privé les catholiques de
tons droits de bourgeoisie , et usurpé tous les biens et
revenus ecclésiastiques dans leur ville.
Par redit de pacification de Passau, en i55o*, il
étoit ordonné que les deux religions seroient librement
exercées dans toutes les villes, tant libres qu^impériales,
et que les protestants ne troubleroient et n'offenseroient
en aucune sorte les catholiques. Il étoit même arrivé
qu'en Tan iSap et en l'an i549, les catholiques à Stras-
bourg avoient commencé de se remettre en possession
de ce qui leur appaitenoit *. Mais depuis, sans avoir
I. Hobu^in ah»€ntiaBe9er€mdiss» et Cêititi» FrineipU^ Leopoldi GuH~
^dmifJrchidiueis Auttrim^ Argentinentii et Passapufuis Ëpucopi^..,
f^uantu^ Decamaet Capitidaret^ tanquam admbdttraiores.,,^ humUlime
'9timaree€ipenuit. (Loncaïus.)
a. Racine a ajoute en interligne cette date inexacte : c en i55o. 1
I^ch donne pour la pacification de Passau la date de i555. La
^e date est le 3 août i55a.
3. Tametsi ienùpu Epiteopatus Ule jirgentinensisy sub annis MDXXIX
*t MDXLIXp in prmsulatuum^ et paroehiarumf a S. P. Q- jirgen-
thietuidê facto aeeapatarumf posseulonem plemùsimùm de *ttn immitti
fvperit,,,. (LonoBnrs.)
ia8 FRAGMENTS
égard iTédit de Pàssau, les protestants, en iSSg et
i56i V s'emparèrent tout de nouveau de Téglise et de
la maison épiscopale, et de toutes les autres paroisses,
y mettant des ministres de leur religion; en un mot,
défendirent absolument Tusage de la religion catholi-
que, et exclurent tous les catholiques du droit de bour-
geoisie et de rentrée aux charges.
L'édit de Ferdinand est de 1627 , au mois d*avril '.
LVuteur parle de grands troubles excités vers Fan 1600,
entre les chanoines de Strasbourg, cathoUques et pro-
testants, pour TégUse cathédrale, jusqu'à Tan i6o4,
qu'on fit une transaction par laquelle toutes choses de-
meuroient suspendues pour quinze ans. En 1620, cette
transaction fut encore prolongée i Haguenau pour sept
ans *, lesquek étant expirés, le grand -vicaire, le doyen
et le chapitre de Strasbourg, en Tabsence de Tarchiduc
leur évéque, présentèrent une requête à l'Empereur, en
conséquence de laquelle il leur fit intimer l'édit dont 3
est question.
I ContuUt Semaioresquu ^rgtmtmenset ^ sui «m». MDUX^
ÈÊDLXJ^ mdem hasilieam, aliasque parochlas^ de/mop de faeto^ itUer-
eipere^ pastores intrudere^ CathoUem rdigionh exereitiuM ùmmMO efi-
mimai muL (Lotichius.)
9. jém. ÊiDCXXFJI,,,. suh iptk Idikis AprUUmi. (ibidem.)
3. Suh mmo MDClVf inttrvenkntibus arhiiris^ ru ad trmiumctwmm
devenU interimiitieam, sic dictam, pactes in quindteim aimas imdatàis,
isthme capitulatio apud BagoMûam,.,^ aimo MDCXX^ in septamiam
ysfUê estrahi capit, {I6idem.)
ET NOTES HISTORIQUES. lag
xxvm
ALLEMAGNE ^
La Transylvanie est divisée en sept comtés, sept villes,
et sept sièges. Les sept comtés sont les Saxons, qui se
prétendent originaires de Saxe, et suivent les mêmes
ooQtomes et les mêmes changements de religion; les
sept villes sont les originaires du pays; les sept sièges
sont les Seclers, ainsi appelés de ckek*^ qui, en langue
do pays, signifie « siège. » Quelques-uns les font mal à
propos descendre des Siciliens qui vinrent en Hongrie
arec un roi de Naples.
Le Grand Seigneur prètendoit nommer* lui seul à la
principauté de Transylvanie; mais lui et TEmpereur re-
noncèrent par le dernier traité de 1664 au droit qu'ils
prétendoient avoir d'y nommer, et il fiit dit que les
états du pays nommeroient leur prince.
Solyman * fut appelé en Hongrie par Jean Zapolia •,
qui s'étoit fait élire par les peuples , malgré les préten-
tions de Ferdinand *, qui prètendoit succéder au droit
I. Ce fragment est aux feuilleu 207 et ao8. M. Aimë-Martin est
le premier qui l'ait donne.
a. Plaûeim ^teura ont omis ce mot (en hongrois szek)^ et Pont
remplace par an blanc qui n'est pas dans le manuscrit. A la même
ligne, ils ont mis Sicuies^ au lieu de Seclerci {Szekiers^ qu'on rend
d'ordinaire en effet par le latin Siculî). Jean Betlen {Rerum Trantyl-
'râr liiri quatuor^ p* 5s, Amsterdam, 1669) nomme les sept sièges
3. Dans le manuscrit, il 7 avait d'abord : nomme. Au-dessus de ce
mot Racine a ^crit : prètendoit.
4. Soliman I«r, le Magnifique, sucera en z 5 10 à son père Sëlim V^
nr le trâne des sultans.
S- Jean Zapolia ou Zapoli, comte de Scepus. Il mourut le ai
joillct i54o.
6. L'archidnc d'Autriche Ferdinand, depuis l'empereur Ferdi-
J. lUciKB. T O
i3o FRAGMENTS
de Ladislas. Solyman vint en Hongrie, la conquit, et la
rendit toute entière à Zapolia^. Mais comme ce Zapolia
étoit encore opprimé par l'Empereur, Solyman vint, qui
s'empara de toute la haute Hongrie, la retint pour lui,
et investit 2^polia de la principauté de Transylvanie, qui
faisoit partie du royaume de Hongrie, et qui étoit gouver-
née par un vayvode qu y mettoient les rois de Hongrie»
L'Allemagne^, par la paix de Munster, a logé deux
puissances formidables à ses deux extrémités : les Sué-
dois dans la Poméranie, et les François dans F Alsace:
dangereux voisins qui balancent à la vérité la maison
d'Autriche, mais qui épuisent aussi la plupart des prin-
ces de rSmpire, par l'inquiétude que leur cause un voi-
sinage si redoutable.
V '. la cession de TAlsaoe, du Suntgau, etc., à la
France par l'Empereur et les États de l'Empire.
Tous les Etats de l'Empire louoient le procédé franc
et sincère de la France, et au contraire blàmoient le
procédé artificieux et intéressé des Suédois.
Avantages de la paix de Munster pour la France ^
Elle est signée le 24 octobre '.
Dans toute la guerre d'Allemagne, la France et la
liand I«r (i558). Il avait ^poiu^ en i5ai Anne Jagellon, sœur de
Louis II roi de Hongrie, tué le ag août i5a6 à la bataille de
Mohacz, et fille de Ladislas VI.
I. En zSag.
a. Siri, tome XIII, p. 5. {Note de Racine,) — ^ A la page indiquée
par Racine, on lit dans il Mereurio que les princes et les États d^Al-
lemagne se non tottoposero il coUo al giogo tU servitti straniera^ furono
eostretti almeno di portarlo nelle due sue estremità^ ove^ in peee H
duoi principi deboli^ si pianiarono dus sterminate potenze; etc.
3. Tome XIII, p. aa3. {Note de Bacine,) — Le V., comme nous
Tarons déjà tu plus haut (pi ia6, note 3), est Tabréviation em-
ployée par Racine pour Fojez. — Le passage du Mereurio auquel
Racine renvoie a déjà été indique ci-dessus, p. 93, note 3.
4. Il Mereurio^ tome XIII, p. a44 et a45. -^ 5. ibidem^ p. a4i.
ET NOTES HISTORIQUES. i3i
Suède ont plus combattu TEmpire avec des soldats alle-
mands ^ qu^avec leurs propres soldats.
Et du temps même de Charles-Quint, tout grand et
paissant qu'il étoit, François I*' avoit dans ses troupes
toot autant d'Allemands qu'il vouloit. Car, outre l'argent
que la France peut répandre en abondance, les Alle-
mands s'accommodent mieux avec les François qu'avec
les Espagnols.
Le titre d'Excellence étoit inconnu en Allemagne avant
rassemblée de Munster, et les Allemands ne vouloient
point rintroduire, comme étranger et qui sonnoit mal
en leur langue. Mais comme ils virent que les étrangers
se le donnoient les uns et les autres , ils souhaitèrent
d être traités comme eux pour ne leur paroître pas infé-
rieurs en rien. Les ambasAdeurs de l'Empereur le pri-
rent, et eurent ordre de le donner à ceux des électeurs.
Le seul électeur de Saxe défendit à ses ministres de le
prendre, et leur ordonna de laisser aux étrangers leurs
cérémonies. Les ministres des princes d'Allemagne non
électeurs, jaloux de ce qu'on le donnoit aux députés des
électeurs, et non point à eux, évitoient avec soin de le
donner à personne, et mirent au nombre de leurs griefs
cette nouvelle coutume, comme contraire à l'usage de
remjnre germanique. (Siri, tome Y, partie ii, p. 3i6*.)
I. Ici commence le feuillet 908.
9. Le passage de Siri d*où Racine a ùré ce dernier alinéa con^
tinae à la page 817 du tome V du Mereurio quHl indique ici.
i3a FRAGMENTS
XXIK
ANGLETBRRB^.
M, Arhert chez M, de Mont, *.
Il n'y a pas plus de cinquante millions d^ai^ent en
Angleterre, soit dans le commerce, soit dans les coffres
des particuliers.
La France tire tous les ans quelques * douze millions
d'Angleterre, tant par les vins que par les toiles de Bre-
tagne, etc. ; et T Angleterre ne tire pas de France pins
de quatre millions.
I. Ce fragment est au feuillet double so5 et so6. D manque
entièrement chez tous les éditeurs qui ont précédé M. Aimé-Martin.
Celui-ci en a donné seulement la première partie, qui se rapporte
à TAngleterre, et a omis ce qui concerne TEspagne.
9. Cette ligne, placée dans le manuscrit au-dessous du titre
AirouoBBBB, et qui indique sans doute de qui Racine tenait ces
informations, a été retranchée par tous les éditeurs précédents.
M, de Mont, doit être M. de Montaigu; et M. Arhert était sani
doute attaché à son ambassade. Ralph de Montaigu ou Mantagu^
qui mourut en 1708, fut en 1669 ambassadeur en France. « Le
a5 avril.... Mjlord Montaigu, grand écujer de la reine d'Angle-
terre, ambassadeur ordinaire du roi de la Grande-Bretagne, fit son
entrée en cette ville {Paris). » {Gazette du 17 ayril 1669.} D revint
en France, comme ambassadeur extraordinaire, au mois de décem-
bre 1676. n Y était encore en 1678. Voyez la Gazette du 19 dé-
cembre 1676, et celle du i«r janvier 1678. Une note de M. Walcke-
naer sur la fable du Benard anglais supposerait qu'il était aussi à
Paris en i683. Ralph de Montaigu était frère d'Edouard de Mon-
taigu, tué devant Bergues en i665, et d'Elisabeth Harvej, mariée
à sir Daniel Harvejr, ambassadeur d'Angleterre en Turquie, et à
laquelle la Fontaine a dédié le Renard anglais. Voyez au tome III
des Lettres de Mme de Sévigne\ la note 5 de la page 179.
3. Ici et cinq lignes plus loin, il 7 a bien quelques^ au pluriel,
dans l'autographe ; mais à la page i44i 1^® ^1 Racine a écrit fueique
six mille liommes.
ET NOTES HISTORIQUES. iW
La milice d'Angleterre, appelée Trainbans^, peut
Ikire quelques cent cinquante mille hommes *. Chacun
les paye à proportion de ses biens. Un homme qui a huit
cents pièces de revenus entretient un cavalier; et ainsi
du reste. Ces milices ne peuvent être assemblées et de-
meurer armées plus de six semaines, pour remédier aux
invasions ou aux rébellions, et donner temps au Roi d'as-
sembler son parlement. On en fait des revues quatre
fois Fan.
BSPAGNS *.
y. Dans Siri, XIII* vol.^, p. 920, le siège et la prise de
Tortose sur l'Èbre. L'Évéque y fut pris, la demi-pique à
la main, aussi bien que tous les prêtres et les moines *•
Embarras * de Tarmée de France en Catalogne après
la prise de cette place. Elle fut quatre mois entiers sans
recevoir un sou. L*autenr prend de là un sujet de faire
une très-belle réflexion sur la patience et sur la fidélité
du soldat franoois, capable de vivre sans paye , et de
vendre jusqu^à ses habits pour subsister, bien différent
en cela des Espagnols, avares, glorieux, impatients, et
I. On platêt Trainhands,
1. Cest on chiflre qui difFère assez peu de celui que donne Mâ-
canlaj pour s 660; la milice des Trttmbandt montait alors au moins
à cent Tingt mille hommes : Tku forée eannot he estimated at less
tkùm a ktaulred and twenty ihousand men. (The History of Bngltmd^
^tion Tanchnitz, tome I, p. 146 et i47-)
3. Ici commence le feuillet so6, inséparable du feuillet so5.
4. Racine renvoie au XIII* volume du Mercure de Siri. Le siëge
et la prise de Tortose y sont racontes aux pages 917-993. Voyez
ei-dessos, p. 9a, note 4.
5. // peseoFO deiim eittà fU fatto prigione, eomèattendo egU eon una
meta picea, ed esortando i suai a martre valoratamente per la pair ta ,
e i« partieoiare i preii e regoiari che tenevano impugnate Varmi. (Il
Mtreuno^ tome XIII, p. 9^3.)
6. Racine renvoie ici à la page 941 du môme tome de Siri.
i34 FRAGMENTS
qui par leurs fréquentes révoltes ont mis la monarchie
(l*Espagne à deux doigts de sa perte '.
XXX
TUACS *.
HBOOCIATIOVt DB VOAXLLU, ^tAqUI D'AX*.
Saint Louis fut le premier qui traita et prit des sûretés
pour le commerce avec le soudan d'Egypte, et fit éta-
blir des consuls à Alexandrie en Egypte , et à Tripoli
de Sorie ^. Les Carcasses et Mamelus étoient bien plus
traitables et moins injustes que les Turcs. Depuis ce
temps-là, les rois de France ont toujours eu un ambas-
sadeur ou un agent à la Porte, et pour l'intérêt du com-
merce, et pour détourner les Turcs d'attaquer les terres
de l'Église.
Tous les chrétiens d'Europe, que depuis saint Louis
X. Voici les expressions de Siri à la page que Racine vient de
citer : .... Contra il comune sentire h Spagnuolo anzi , contumace ,
eervicosp^ açaro , intofferente^ e grave a suoi generali; e per contrario
il Francese^ patientCf ostequioto^ ilocile, libérale^ e eostante ne* dehiti
délia itde a ehi lo toprasta e rcgge.
a. Ce fragment se troure sur le feuillet double as3 et aa4- Louis
Racine et Tëditeur de 1807 Tout entièrement omis. Geoffroy et
Aimë-Martin en ont donne la partie qui est au feuillet aa3, mais
non celle qui est au feuillet aa4, et qui a pour titre YsinsB.
3. Ce sous-titre est écrit en marge dans le manuscrit. — François
de Noailles,. nomme par Henri II évêque d'Acqs ou de Dax, puis
ambassadeur de France d^abord en Angleterre, ensuite a Venise.
Charles IX Tenvoya en 1571 à Constantinople, dont il lui confia
l'ambassade. Rentré en France en 1574) il J mourut en i585.
4. Nous ayons consenré le nom de Sorie y qui est dans le manu-
scrit ; il était équiraleut à Syrie.
ET NOTES HISTORIQUES. i35
on a aj^lés Francs dans le Levant, y ont négocié sous
la bannière de France. Les Ragosains sont les premiers
qui s'en sont tirés, se prétendant sujets ou sous la pro-
tection du Grand Seigneur; les autres ont tâché succès-
nvement de faire leurs affaires à part.
Le roi Charles IX. pria la Porte d'envoyer recom-
mander en Pologne les intérêts du duc d'Anjou. Le pre-
mier hassa y envoya un chiaoux pour recommander pu-
bh'cpiement ce prince, et secrètement on grand seigneur
polonois, parent du Bassa, au cas que la chose put réus-
sir ; sinon, ordre à lui d'appuyer de tout son pouvoir le
duc, et de menacer même de la guerre, si on élisoit un
Moscovite ou un Autrichien \
L'évêque de Noailles, ambassadeur à la Porte, écrivoit
ainsi à Monseigneur, car on appeloit de la sorte le
duc d'Anjou : « Ramenez bientôt les François voir
les Palus-Méotides, d'où ils sortirent lorsqu'ils vinrent
s'établir en Franconie avant que de passer le Rhin. »
Cet évêque conseilloit fortement à Charles IX de ne
point faire de ligue avec les Espagnols et les Vénitiens
contre le Turc, mai» bien jdutôt d'entretenir avec lui
bonne correspondance , afin de reprendre sur les Espa-
gnols ce qu*ils avoient pris à la France.
Le doc d'Anjou avoît eu dessein de se faire roi d^ Al-
ger, à quoi les Turcs ne voulurent point entendre;
mais au lieu de cela offiroient à la France , si elle
se vouloit joindre à eux, de donner au duc tout ce
qn'ib prendroient en Italie ; et l'évêque d'Ax étoit de
cet avis.
Les Turcs disoient que le duc d'Anjou ne voudroit
jamais être leur tributaire ; car ils appellent tribut les
I. Le succès de cette négociation fut dû à Thabiletë de Tëvéque
d'Aoq», qui^ ëuit alors, comme il est dit à la ligne suirante, ambas-
sadeur à Constantinople.
i36 FRAGMENTS
présents que TEmperear leur fait, et ceux que la Pologne
leur faisoit encore.
VBRISE^
Candie (ut assiégée ' et la tranchée ouverte le a* mai
1648 par ITssaim Bâcha, qui commandoit Tarmée des
Turcs en Candie, homme d*une fort grande valeur.
Les Turcs prirent le temps que Tarmée navale des
Vénitiens venoit de (aire un grand naufrage, le 18 mars,
devant Tîle de Psara *. Ils perdirent dix-sept galères,
douze vaisseaux et deux mille ^ tant soldats que forçats,
avec leur général Grimani, qui alloit boucher aux Turcs
le passage des Dardanelles.
Avant ce naufrage, leurs affaires étoient eu très-bon
état en Candie , et ils y avoient pris le château de Mira-
bel, d*où les Turcs commandoient tous les environs de
Spina-Longa et de Sitia. Gildhas * commandoit les trou-
pes allemandes, et le chevalier de Gremonville les
(rançoises *.
I . Ici commence le feuillet 994i ins^panBle du précédent. Ra-
cine a écrit à la marge : « Siri, tome XII, p. 960. » L^ouTrage de
Siri auquel il renvoie est toujours il Mercurio,
3. La guerre de Candie dura ringt-cinq ans. Elle ne se termina
qu'en 1669, par la prise de Candie, qui se rendit an grand vizir
Achmet Kuperli ou Koproli le 5 septembre 1669.
3. Siri, il Mercurio, tome XII, p. 953. — « La Gatette dit devant
Scio. » {Note de Racine.)
4. « La Gazette dit sept k huit miUe hommes. » {Note de Rame.)
5. Voyez encore la Gatette du 11 avril 1648. Gildhas amena des
secours en Candie en 1647. La Gatette écrit ce nom GU ilTHas^
et ailleurs Ghil d'Has.
6. // Mercurio, tome XII, p. 950. — Le chevalier, plus tard
commandeur, de Gremonville, dont le firère fut ambassadeur du
Roi à Venise, servait à Candie, dans les troupes de Venise, depuis
Fan 1647. Il fut résident près de PEmpereur de 1664 à 1673. D
mourut le i^^ décembre 1686. Voyez la Gazette du 7 décembre
1686.
ET NOTES HISTORIQUES. 187
En' janvier 1649, le baîle' de Venise offiroit au nou-
veau yisir (car Ibrahim venoit d'être étranglé, et Maho-
met mis sur le trône*], il offiroit, dis-je, de partager avec
les Turcs Ttle de Candie ; et se cachoit de Tambassa-
deur de France pour faire cette o£fre.
La Haye ^ avoit des ordres exprès de ne point tremper
dans une paix si honteuse, et dans un traité par lequel
les chrétiens abandonneroient un royaume tout entier
aax infidèles*.
XXXI
YissBLLiHi* étoit d'abord chef des mécontents; après
lui Teleki^, premier ministre de Transylvanie; puis
celni-d s'étant tiré adroitement d'affaire, Tekeli* prit sa
1. Racine a écrit en marge : « Siri, tome XŒ, p. 706. »
1. Cétait le titre qu'on donnait à Tambassadeur de Veniie près
àe la Porte.
3. Voyez notre tome II, p. 47^1 note i. Ce fat en 1648, comme
noos Favons dit dans cette note, qu*Ibrahim fut étranglé, et que
Mahomet IV monta sur le trdne. La Biographie universelle, arti-
cles Ihahim et Mahomet IV, place a tort, ainsi que plusieurs histo-
n^ns, ces érénements en 1649. Voyez la Gazette du 19 décem-
bre 1648.
4- Jean de la Haye, seigneur de Venteley. U avait, en 1641,
remplacé Philippe de Harlay, comte de Cézy, comme ambassadeur
à Consrantinople. Voyez notre tome II, p. 474, note a.
5. llMereurio, tome XIII, p. 707.
^. Ce fragment est au feuillet 219. — Paul Wesselini, fr^ du
palatin de Hongrie comte Wesselini, commanda Parmée des mé-
contents hongrois en 1677 et 1678.
7. Le commandement général des mécontents hongrois fut re-
mit a Michel Teleki, premier ministre du prince de Transylvanie
ApafE, qui était arriré à leur camp le 96 avril 1678. Voyez la
Gvette du II avril 1678. Geoffroy a confondu Teleki avec Tekeù.
S. Émeric Tekeli ou, comme la Gazette le nomme le plus souvent,
i38 FRAGMENTS
place : homme de fort bonne maison , seigneur d'Ha-
niade, et des descendants du fameux Huniade^. Son
père étoit chevalier de la Toison. Il étoit tout jeune
quand on fit le procès à Nadasti et au comte de
Serin*, et s'enfuit de Vienne pour se retirer en Tran-
sylvanie.
Le Grand Seigneur ' ne songeoit rien moins qu'à la
réduction des Cosaques, quand ils lui envoyèrent de-
mander sa protection. Il étoit i la chasse à Larisse, vers
la fin du siège de Candie ^. Ce (ut le général Tétera,
chef des Cosaques, qui s'y en alla, pour se venger
des Polonois, qui avoient pris le parti de.... son se-
crétaire, qui s'étoit révolté contre lui. Le Grand Sei-
gneur leur donna un étendard, pour marque qu'il les
prenoit sous sa protection. Nointel et H''....*.
le comte Teokeoli, mort le i3 septembre 1705. Après avoir lenri
quelque temps sous Teleki, à qui il ëtaît Tenu se joindre, il se
trouva, vers la fin de Tannée 1678, investi du commandement supé-
rieur de Tarmée. Pendant plusieurs années il fut vainqueur des
armées impériales. En 168 a, il fut proclamé prince de la hante
Hongrie sous la suzeraineté ottomane.
I. Jean Corvin Huniade, vafvode de Transylvanie, célèbre par
ses exploits contre les Ottomans, surtout par la défense de fielgrade
en 1456, qui fut Tannée même de sa mort.
s. François de Nadasti, comte de Forgatsch, dont la fille fiat
mère d^Émeric Tekeli, et Pierre comte de Serin, dont le même
Tekeli épousa la fille en i68a, furent décapités à Nenstadt le 3o
avril 1671.
3. Mahomet IV. Voyez ci-dessus, p. 137, note 3.
4. En 1669. Voyez ci-dessus, p. i36, note a.
5. Peut-être cette phrase inachevée commençait-elle l'exposé de
quelque nouveau fait. Peut-être aussi Racine se proposait-il seule-
ment de citer ses autorités pour ce qu'il vient de rapporter. —
Charles-François Olier, marquis de Nointel, fut, après la prise de
Candie, nommé ambassadeur de France à Constantinople, où il
eut sa première audience du Grand Seigneur en 1671, et d'où il
ne fut rappelé qu'en 1678. Il mourut le 3i mars x685.
ET NOTES HISTORIQUES. 1)9
Vers le même temps, les Hongrois, irrités de la mort
da comte de Serin, etc., envoyèrent aussi demander au
Grand Seigneur sa protection*
L'Empereur^, pour ramener les mécontents, leur
écrivoit pour les exhorter à revenir partager avec lui
les grands butins qu'il iaisoit en France,
XXXII
Pologne'»
Les Cosaques commencèrent à se soulever en 1648,
an peu avant la mort du roi Ladislas *.
Ce prince avoit dessein de faire la guerre aux Tar->
tares jusque dans leur pays de Grim, et vouloit mettre
à la tête de Tarmée des Cosaques Kmielnischi. La Ré-
pabliqae n'approuva point cette guerre, et le Roi fut
obligé de licencier, malgré lui, ses troupes. H en eut
tant de dépit qu^on prétend qu*il excita en secret Kmiel-
nischi de faire révolter les Cosaques, afin d'obliger la
République d'avoir, malgré elle, sur pied une armée, et
de lui en donner le commandement, bien résolu de se
joindre avec les Cosaques quand il seroit proche d'eux,
et de marcher non-seulement contre les Tartares, mais
même contre les Turcs. Kjnielnischi, se voyant sans em-
ploi, et de plus ayant été maltraité dans un grand pio-
I. Lëopold !•«•.
1. Ce fragment, qui est an feuillet 918, n'a pas été donne par
Lotit Racine, ni par l'ëditeur de 1807. Geoffroy (1808) eft le
praoier qui l'ait publie.
3. Ladialas on Vladislas Vil monint le ao mai 1648.
i4o FRAGMENTS
ces qu*il avoit eu pour des terres qui lui appartenoient,
commença à cabaler parmi les Cosaques, à qui la paix
étoit insupportable , et surtout au peuple de Russie , à
cause des duretés et des vexations de la noblesse polo-
noise. Kmielnischi étoit fils d'un noble Polonois, et dans
sa jeunesse s^étoit enrôlé dans la milice cosaque, où il
s'étoit distingué et étoit monté 4 la charge de capitaine.
(Voir^ son portrait dans Siri*, tome XU, p. 987; voir
Torigine des Cosaques dans le Voyage de la reine de
Pologne^y p. aaS, et Siri, au même tome et au même
endroit.)
C'étoient des brigands sans loi et sans discipline, qui
s'amassoient sur les frontières de Russie, pour faire des
courses sur les Turcs par la mer Noire. Etienne Battori*
leur donna des lois, pour s'en servir dans le besoin de
la guerre et pour garder les avenues de la Russie. Il
les plaça dans les îles du Boristène : ce qui les a fait ap-
peler Cosaques Zaporouschi. Kosa signifie « chèvre, » et
porohif en langage sclavon, signifie « écueils*, » à cause
I. Cette parenthèse a M omise par Geoffroy etpar Aimë-Maitiii.
a. // Mereurio,
3. Le titre exact de ce liyre est : Histoire et Relation du vcyaçtit
la royne de Pologne,.., par Jean le Laboureur.... Paris, MDCXLVUI
(i Yolume in>4o). Cette reine de Pologne ett Marie de Goniagae,
femme de Ladislas IV. A la suite de la première partie de la Àtk--
tion, le Laboureur a place un Traité du royaume de Pologne j avec
lequel recommence une nouvelle pagination. C'est à la page aaS de
ce Trmté que se troure le cbapitre intitule : des Cosaques Zaporo'
viens^ milice de Russie, H finit an milieu de la page a3i.
4. Prince de Trans^Tanie en 1571, ëlu roi de Pologne en 1576.
Il mourut le i3 décembre i586.
5. Cette double ëtymologie ett tirée de V Histoire et Relation d*
poyage de la royne de Pologne^ p. 937. La première, dérivant Kesek
de Kosa^ « cbèvre, » est «plus que douteuse; on rattache ce nom
avec plus de vraisemblance au mot KazitaA, qui, chez les Torcf
orientaux, signifie « partisan, soldai errant, armé a la légère. » La
ET NOTES HISTORIQUES. 141
du grand nombre d^écueils qui sont dans le lit du Boris-
tène, et qui le séparent en plusieurs petits bras ^
Yoy. aussi Henricus /* de Fredro, p. ii6g^ où est Fori-
gine et les mœurs des Cosaques.
y. au même endroit, p. ayS^ la manière de combattre
des Tartares *.
y. la harangue des ambassadeurs de Pologne au roi
Henri m*, où sont exprimés tous les droits, les avan-
tages et les revenus du roi de Pologne, [page] 1 19 *.
teetmàe est exacte : porog^ en rmae, a pour sent « seuil, » et au figuré
« btmge, brisant, chute d'eau; » et xa vent dire « an delà. »
I. Geoffroy et Aimé-Martin s'arrêtent ici dans le texte qu'ils don-
nent de ce fragment. Ils suppriment les indications suiTantes des
oomges auxquels Racine renToie.
3. Le liTTe de Fredro, Guia pcp^di Poloni tub Henrico Vtileno,,.»
(Dantisci, MDCLII, i rolnme in-4®)« & pour titre courant : Henricus
primas rex PoUmontm. Le passage auquel renvoie Racine commence
I la dernière ligne de la page 969, et finit aux dernières lignes de
la page 173. Il y est question, à la page 979, des parohi dont
Racine rient de parier : Boristhenes /iupUu.... per duodeeim porohos
{fû grodus seu ohiees diei possunt) descendit..,,
3. Voici le passage assez intéressant de Fredro : Tartari^.,, qui
«Ml pn vidanm^ ud prmda eertani, difficulier evocûntur im prmUum^
^ sms perieuio prtsdam qumrwU; pel si eoatti deseendunt inpugnamf
^fdto in ecnfU^tu eedêre pro stratagematê hahent,.,, Quare integris
^rdinikis sequemdi; nom fugiwU^ redeuni^ atsuUant^ omnia uno motu
pmtant^ cum pericuh sêquemûs. Arma eomm suni framêa et arcusf
ff^^ea eamimtSj areu emmut feriunif in pugna desperaiione armantur;
c^nmaUuti fuam captipetri; nusquam Tartarum witam orantem miriM,
av( jMKii eaptmm et Ugatum; dum arma perdant j pugno ferlant s op»
M mûtes j dum pugnare proponunt,
4- Racine renroie encore ici au Uttc de Fredro, où se lit la
^ivingne prononcée par le chef de l'ambassade, Adam Konarskî ,
^^^^qne de Posnanie. EUe commence à la page 119 et finit aux der-
nières lignes de la page 194. Fredro donne à la page io5 les noms
des ambassadeurs enroyés à Paris au roi élu. Cette ambassade est
<ie Tannée 1573.
t4a FRAGMENTS
xxxm
Ragotski ^ fut obligé d'abandonner Graoovie , pressé
par les Polonois, qui avoient reçu du secours de l'Empe-
reur ; tandis que le roi de Suède *, de son côté, avoit été
obligé de courir dans ses JÊtats de Brème, attaqués pr
les Danois. Ragotski, en se retirant de Pologne, fat
battu ' par les Polonois, qui Fattendoient dans de cer-
tains défilés, d*où il ne put sortir qu'à force d*argent et
en signant une paix honteuse. Il n'en fut pas quitte pour
cela. Car, dans sa retraite, il fut encore chargé par les
Tartares, eut bien de la peine à se sauver de leurs
mains, son général étant demeuré prisonnier avec la
meilleure partie de son armée. Il revint donc dans ses
États, détesté à cause de tant de malheurs dont il avoit
été cause, et ne songea plus qu'à fléchir par beaucoup
de soumissions et les Turcs et le conseil de TEmpereur,
également indignés de Tirruption qu'il avoit faite dans
la Pologne, malgré les avis de Fun et sans la permissioa
des autres. Mais surtout le grand visir Kuperli ^ le haîssoit
1. En tête de ce fragment, qui se troare aa double feuillet sao
et aai4 Racine a écrit Naiti, non* indiquant ainsi quel historien il
k suiri. L'ouvrage aux pages duquel il renvoie en plusieurs endroits
a pour titre : Historm délia R^uhUca Feneia di Baitiita iV«iî....
Parte seconda» In Fenetia, MDCLXXIX, i Tolume in-4°. Nonsrefi-
Yoyons, comme nous Pavons fait pour Siri, à quelques pages qoe
Racine n'a pas indiquées. — Ce fragment a été laissé de oôté par
tous les éditeurs' précédents. — Georges II Ragotski ou Racoezi
succéda à son père, comme prince de Transylvanie, en 164B. U
mourut le 26 juin 1660. Les événements rapportés ici sont des
années 1657 et i658.
%. Charles-Gustave, qui avait fait alliance avec Ragotski. Le
duché de Brdme fiit attaqué aux mois de juin et de juillet 1657.
3. Le 14 Juillet 1657.
4- Mehemet Kuperli ou Koproli, père de cet Acfamet Knperli
dont il a été parlé ci-dessus, p. i36, note a.
ET NOTES HISTORIQUES. ifi'i
mortellement, parce qu^autrefois Ragotski lui avoit ren-
da, à la Porte, de fort mauvais offices, et même lui
avoit pensé faire perdre la tête ^.
Le Visir prit donc l'occasion de se venger en Taccu-
sant d'avoir osé, sans la permission du Sultan, faire
alliance avec des étrangers, entreprendre la guerre, et
se retirer de Tobéissance qu'il devoit à la Porte.
Le conseil de Vienne, appréhendant qu^en voulant
perdre Ragotski les Turcs ne s'emparassent de la Tran-
sylvanie, faisoit les derniers efforts pour apaiser le Visir;
mais inutilement; car le Visir refusoit argent, emprison-
noit tous les envoyés de Ragotski, et menaçoit les Tran-
sylvains d'une entière ruine s'ils ne lui envoyoient la
tête de leur prince*. Le Visir destitua les princes de Va-
lachie et de Moldavie, amis de Ragotski*. L'Empire étoit
alors vacant, et le roi de Hongrie étoit à la dicte de
Francfort.
Ligue du Rhin, p. 478 *.
Le Visir, vers le temps du couronnement de l'Empe-
reur', se met en campagne, joint les bassas de Bude et
I. Toat ce qui précède est aux pages 4^0 et 461 de VMutoire de
Nui.
1. Bittoria délia Repuhltca Veneta^ p. 461.
3. Ibidem y p. 477*
4. Racine renroie encoi^ à VMutoire de Nani. — Cette ligue du Rhin
fbt lignée au mois d^aout i658. La France fit alliance avec le roi de
Suède, les électeurs de Mayence, de Cologne et de Trèyes, Péréque
<^ Manster, les ducs de Brunswick et de Neubourg, et le land-
K^Te de Hesse-Cassel : / Francesi eredendo la pià sUura cautione
^^pûtti asere il timoré e la forza^ stabilirono unione^ ehe poi chiamassi
lega del Rheno, eon la corona di Suetia, con gli Mlettori di Magonza
fColonia, coït i Duehi di Braus^ieh, e di Neobuig^ e col langra»io
^Haùay eon Ucambievole accorda di aiutarsi Pun Paltro, e di attrin»
gère U nuovo Cesare aW ouervama délia divisata capitolatione. (Nak,
a l'endroit indiqué.)
5. Léopold I«r. U fut couronné le 3i juillet i658.
1
144 FRAGMENTS
de Temisvar. Ragotski, ayant ramassé ce qu'il put troa-
ver de troupes, et entre autres trois ou quatre mille Al-
lemands, qui fut tout ce qu*il put obtenir de TEmperenr,
attaque et défait un grand corps de Turcs proche d'A-
radS ^t leur tue quelque six mille hommes ayec bon
nombre d'ofBciers prisonniers*.
Néanmoins le Yisir, poursuivant sa pointe, attaque et
prend Jenè {Janos *), place importante qui couvroit les
villes des montagnes, environnée d'un grand marais, et
oblige les états à déposer Ragotski. Jenô se rendit an
mois de septembre^, et Ragotski fit couper la tète au
gouverneur. Acace Bachiani*, avec le consentement de
la Porte, à laquelle il promettoit un grand tribut, fut
substitué à la place de Ragotski.
n a dit plus haut * que Francisco Redey avoit été élu
à la place de Ragotski, de son consentement même, et
que, rhiver suivant, comme il avoit des places, beau-
coup d'argent et de partisans, se voyant pour un temps
hors d'appréhension des Tartares et des Turcs, il avoit
repris le nom et l'autorité de prince. Tout cela s'étoit
passé avant que le Yisir se (Ùt mis en campagne.
I. Ville de Hongrie, sur le Maros. Sur cette TÎctoire d^Arad, rem-
portëe par Ragotski, on peut roir la Gazeite du a 9 norembre 1659.
a. Page 479 [de Nani]. (Note de Racine.)
3. Janot eat écrit au-dessus de Jenb^ dans Pinterligne. — 4* '^^9*
5. Acacto Baehiani^ eol beneplaeito délia Porîa^ perche U promet"
tepa maggior trihuto, fU sostituito nel prineipaio. {Hisioria delta i?e-
publiea Feneta, p. 479-) — Au-dessus du nom d^Jeaea Bmektaaif
Racine a écrit en interligne : Bardai. La Gatette Pappelle conitain-
ment le comte Barklai ou le prince Barklai. Son nom paraft aroir été
Acaxio Barezm, U est appelé Acaeius Barctai à la page 53 du livre
de Jean Betlen que nous avons cité ci-dessus, p. IS9, note 9.
6. Page 47^- — Au-dessus du nom de Franeeseo Redey (dans
Nani : Franceico Redeit)^ Racine a écrit en interligne : Redeii Ferens.
Dans la Gazette du as juin x658, ce compétiteur de Ragotiki est
appelé le comte de Rédey Ferents.
ET NOTES HISTORIQUES. 145
Bien que Ragotski eût donc fait un traité avec Ba-
chûni, et qu^il ne se fût réservé que ses biens et deux
comtés dans la Hongrie, néanmoins le Yisir demandoît
toajonrs sa tête. P. 49^'*
XXXIV
Là' Valaquie est contiguë à la Pologne, et les géo-
graphes appellent mal à propos Moldavie ce qui est
proprement la Valaquie. Les Polonois ne font sou-
?ent de ces deux pays qu^un seul pays, nommant Tun
nmpiement Valaquie , et Tautre tantôt la Valaquie
de delà les monts, Transalpinam Valachiam^ et tan-
tôt Moldavie.
Le ' courrier de Tévéque de Marseille, Fourbin^, qui
apporta en France la nouvelle de Félection de Sobieski
poarroi de Pologne, alla descendre chez M. le Tellier*,
et fut renvoyé en Pologne avec une lettre du cardinal de
I. Voici le passage de Nani, k la page indiquée par Racine :
iSstrvatisi dal Sagotzi tolamente i suoi beni^ e i due Conùtati delP On-
fAcrû, il Fuir nondimeno non ti mostrava content o^ e ehieJeva à'po'
poU perîinaeementêf ehe gli mandassero la di lui testa,
>. Ce fragment est au feuillet aaa. Le premier alinéa n'a été
donné par aucun des éditeurs précédents.
3. An commencement de cet alinéa Racine a écrit en marge ;
« M. de Torcy. »
4- Toussaint de Forbin ou de Fourbin Janson, mort le «4 mars
1713. n fut ëvéque de Digne en i658, de Marseille en 1668, de
Beaurais en 1679, cardinal en 1690. Louis XIV, à la fin de 1673,
le nomma son ambassadeur extraordinaire à la diète de Pologne,
alors réunie pour Félection d'un roi. H passa pour avoir beaucoup
contribué à l'élection de Jean Sobieski (1674).
5. Micbel le Tellier, secrétaire d*État au département de la guerre
depuis 1643. n ne devint chancelier qu'en 1^77.
J. Racub. ▼ 10
i46 FRAGMENTS
Bonzy^ pour la Reine '• Ce cardinal lui mandoit que si
le Roi son mari vouloit, on lui donneroit cent mille écus
pour nommer au cardinalat un sujet qui auroit toutTap-
pui qu'on pouvoit désirer pour faire réussir cette nomina-
tion : et ce sujet étoit Monsieur Tarchevéque de Reims'.
Le^ roi de Pologne Sobieski' ne songeoit point à re-
connoitre le prince d'Orange pour roi d'Angleterre,
n'ayant ni besoin de lui, ni affaire à lui. Un Polonois,
qui avoit besoin en Hollande d'une recommandation au-
près du prince d'Orange, donna trois cents pistoles à an
jésuite * allemand qui étoit auprès du roi de Pologne ; et
le Roi se laissa gagner par ce jésuite.
I. Pierre de Bonzi, mort arcbevéque de Narbonoe en lyoS. Il
ibt soeoeuivement ^véque de Béziers et archevêque de Touloiue.
AmbaMadenr en Pologne, en x668, au temps du roi Casimir IV, il
rapporta de cette ambassade la nomination de Pologne au cardi-
nalat. Voyez les Hémoires de Saint-Simon, tome I, p. 404* ^^
tome rV, p. i33 et snirantes; et les Lettret de Mme de Sipigni^
tome II, p. 517, à la note 6 de la lettre s53.
a. La reine de Pologne, femme de Sobieski, Marie-Casimire de
la Grange d'Arquien , fille du marquis d'Arquien, capitaine des
gardes de Monsieur.
3. Cbarles-Maurice le Tellier, mort le a a février 17 10, fils de Mi-*
chel le Tellier. U avait ëtë nommé arcbevéque de Reims en 1671.
4. Ici Bacine a écrit en marge : « Bonrep. » (Bonnpaax). Il
devait ces renseignements à M. de Bonrepaux, comme les précé-
dents à M. de Torcy. — François Dusson de Bonrepanx, mort le
la août 171 9, avait été dans les bureaux de la marine an temps
de Colbert, puis devint un des premiers commis de Seignelay. D fut
cbargé de diverses missions en Angleterre, en i685, 1687 et 1688.
En 1693, il fut nonmié à Fambassade de Danemark, et plus tard à
celle de Hollande, où Jean*Baptiste Racine fut envoyé près de lui dans
l'année 1698. Racine écrivait alors à son fils (lettre du 5 juin 1698)
que M. de Bonrepaux était le meilleur ami qu'il eût au monde.
5. Racine écrit ici Sohîeschi.
6. Ici et à la fin de la phrase, Louis Racine a remplacé le mot
jésuite par celui de religieux. L'édition de 1807 donne jésuite^ mais
omet allemand; Geoflroy est revenu an texte de Louis Racine.
ET NOTES HISTORIQUES. 147
XXXV
VIENNE^.
Coma le roi de Pologne ' fut monté à cheval pour al-
ler secourir Vienne*, la Reine ^ le regardoit en pleurant,
et embrassant un jeune fils qu'elle avoit; le Roi lui dit :
« Qu'aveab-vous à pleurer, Madame? » Elle répondit :
« Je plenre de ce que cet enfant n'est pas en état de vous
suivre conune les autres. » Le Roi s'adressant au Nonce
lui dit : « Mandez au Pape que vous m'avez vu à cheval,
et que Vienne est secourue. »
Après la levée du siège, il a écrit au Pape : « Je suis
venu, j'ai vu, et Dieu a vaincu. »
U avoit mandé à l'Empereur, lorsqu'il étoit encore en
chemin, qu'il n'y avoit qu'à ne point craindre les Turcs,
et aller à eux.
J'ai ouï dire à Monsieur le Prince, aux premières
nouvelles de ce siège, que si la tête n'avoit point entière-
ment tourné aux Allemands, le plus grand bonheur du
monde pour l'Empereur étoit que les Turcs eussent as-
siégé Vienne.
La première nouvelle de la levée du siège a été que les
Turcs avoient été battus. Le jour d'après, on a dit qu'ils
s'étoient retirés.
Insolence'^ des bourgeois d'Anvers à leur feu d'arti-
I. Ce fragment est au feuillet aïo. -^ Ce que Racine rapporte
(Uns les deux premiers alinéas, se lit aussi, et presque dans les
mêmes termes, dans le Furetirianay p. 337.
3. Jean Sobieski, mort le 17 juin 1696. Voyez ci>dessus, p. i4^,
note 4.
3. En i683. — 4- Voyez ci-dessus, p. 146, note a.
5. Cet alinëa, que Louis Racine avait conservé à sa véritable
place, a ëté mis à tort par Sf . Aimé-Martin à la fin du fragment*
i48 FRAGMENTS
fice. Ils ont représenté le Grand Turc, un prince d^Eu-
rope ' et le diable, ligués tous trois, qu'on a fait sauter,
disent-ils, en Tair, avec l'applaudissement de tous les
spectateurs*.
Les cardinaux ont envoyé à l'Empereur cent mille écns,
les dames romaines autant, et le Pape deux fois autant.
Le Roi, dès qu'il eut nouvelle du siège levé, l'envoya
dire au Nonce.
Le roi de Pologne joue presque tous les soirs à colin*
maillard : on dit qu'on le fait jouer de peur qu'il ne
s'endorme.
XXXVI
OLLANDB *.
Gblui ^ qui contribua le plus à séparer la Hollande des
intérêts de la France, en 1648, ce fot un député de Hol-
lande à MuQSter, nonuné Knut. La France lui avoit pro-
mis une pension de deux mille écus en i635, et il n'en
I. ÉTidemment Louis XIV, qui espérant que TEmpire serait
force de recourir à la France, s'efforça d'empêcher Sobieski de
teooorir Vienne. On publia à Cologne un pamphlet intitule : Im
cour de France turhanuée.
a. Louis Racine a retranche les mots « avec Papplaudissement de
tons les spectateurs. » — Us ont été rétablis dans Tëdition de 1807,
arec la rariante: « aux applaudissements; » et exactement dans
celle de 1808.
3. Ce fragment appartient aux feuillets 91 3, ai4 et ai 5, qui
ETidemment ne doivent pas être séparés. Il manque presque entiè-
rement dans IVdition de 1807. Geoffroy et Aimé-Martin en ont
donné tout ce qui appartient aux feuillets ai3 et 3i4i uibxb du
feuillet a 1 5 le dernier paragraphe seulement, qui se trouve d'ailleurs
dans toutes les éditions.
4. Racine a écrit en marge : « Siri, tome XI, p. 839. » Vojres
il MercurUfj au tome et à la page qu'il indique.
ET NOTES HISTORIQUES. 149
toucha jamais que la première année. G^est ce qui rirrita
contre la France, dont il ruina les affaires autant qu*il
put; et il goûta, dit Siri, la vengeance la plus douce
qu un particulier puisse goûter, qui est de se venger d*un
grand prince quij'a offensé^.
On manqua aussi de payer à la princesse d*Orange'
quelques sommes promises à son mari, qui les lui avoit
cédées ; et de là vint cette inimitié qu'elle eut toujours
depuis contre la France.
La duchesse de Mantoue' en usa de même, paroe
qa on ne lui paya plus sa pension.
Ces sortes de manquements de parole que les rois font
à des particuliers leur sont quelquefois rendus avec de
grosses usures^.
Les ' Hollandois n'ont aucune religion, et ne connois-
sent de dieu que leur intérêt. Leurs propres écrivains
confessent que dans le Japon, où Ton punit des plus cruels
supplices tout ce qu'on y trouve de chrétiens, il suffit de
se dire Hollandois pour être en sûreté ; et lorsqu'ils ap*
I . Hiente dl pm appetiiosOf e piU ghiotto potendo gtuiare il palato
ai pertona di privata eonditionef che U hoceone deUa vendetta eontra
M Potentato di eut si dia per offeto, (Sni, à Tendroit indique.)
a. ÉmiJie d« Solnu, femme de Frëdërio-Henri de Nasaau, prince
d^Orange. Nous avons déjà parlé d'elle plus haut» p. 97, note 3. —
Mme de Motterille (Mémoires^ tome II, p. air, collection Petitot,
1* lâie, tome XXXVII) donne de son hostilité contre la France
nue explication peu différente de celle de Siri : « D*Estrades....
me dit que cette princesse ne s'étoit liée à PEspagne que par dépit
de ce que le cardinal Mazarin manqua de lui envoyer des pendants
d^oreilles de diamant qu'il lui avoit fait espérer. »
3. Marie de Gonzague, fiUe de François de Gonzague, duc de
Uantoae. En i63y, elle fut chargée de la tutelle de son fils Charles III
duc de Mantoue.
4' Ma questi jcherzi , che i regtuuiii tavente fanno aile pertone di
privata condiiiome^ ricadono tal una fiata in ioro danno eon usura een-
tiflicata, {Il Mercurio^ tome XI, p. 840.)
5. Sîri \il Mercurio]^ tome XIII, p. 345. {Noie de Racine.)
i5o FRAGMENTS
prochoient des côtes de ce royamne, le premier soin de
leurs capitaines de vaisseaux étoit de cacher jus({a*aux
monnoies oh la croix étoit empreinte.
La ville d'Amsterdam^ étoit celle qui avoit le plus
conspiré à faire un traité séparé avec TEspagne, dans
Tenvie d'attirer à elle tout le commerce d'Espagne du-
rant la guerre entre les deux couronnes, et d'en priver
les marchands firançois; et ce fut là le principal but des
Hollandois.
Les privilèges dont les Hollandois jouissoient en France
n'étoient fondés que sur les traités de confédération qu'ils
avoient violés' •
La haine qu'ils avoient contre les Portugais, et les hos-
tilités mêmes qui s'exerçoient de part et d'autre dans le
Brésil, n'avoient pu faire résoudre les états à rompre ou-
vertement avec le Portugal, pour n'être pas privés du
commerce de ce royaume , qui auroit passé en d'antres
mains. En ce temps-là même, c'est-à-dire* en 1648, ils
apprirent la défaite entière de leurs troupes dans le Bré-
sil^. Brasset', dans ce même temps, négocie à la Haye
pour la paix entre le Portugal et les états. La compagnie
des Indes, insolente dans la prospérité et basse dans Tad- .
versité*, demande la paix; mais les états croient qu'A y
va de leur honneur.
La France avoit intérêt à cette paix dans le Brésil,
I. Tome Xin, p. 99. V. pages snirantes. (Ifoie de Racine.) Cette
indication se rapporte toujours à Stri, // Mercurio,
9. Ibidem^ p. a3.
3. Le manascrit, en cet endroit, comme en plusieurs autres,
donne, au lieu de c^esi-à-éire, son équivalent i., abrériation de
iJ est.
4. // Mercurio f tome XIII, p. 94.
5. n ëtait résident de France à la Haye. — Au mot Brastet com-
mence le feuillet 914.
6. // Mercurio^ tome XIII, p. 97.
ET NOTES HISTORIQUES. i5i
afin que les Portugais n^eussent plus d^ennemis que les
Espagnols.
Les HoUandois, aussitôt après qu'ils eurent traité
ayec TEspagne, envoyèrent des ministres dans les terres
qui leur étoient cédées, et en firent chasser rigoureuse-
ment les ecclésiastiques^, sans que les Espagnols osassent
protéger le moins du monde les catholiques.
Brasset, après le traité des Holtandoîs -avec TEspagne,
leur déclara, de la part de la Reine, qu'elle ne pouvoit
plus observer le traité de marine fait avec eux en t^6^
par lequel ils pouvoient porter sur leurs vaisseaux des
blés et autres denrées aux Espagnols*.
Ils auroient voulu que toute l'Europe fht en guerre
lorsqu'ils se virent en paix avec TEspagne ; et quelques-
uns d'entre eux n^ osèrent accepter la commission de plé-
nipotentiaires à Munster, de pem: que si la paix générale
yenoit à se faire, ils n'en fussent blâmés par les états.
Le commandeur de Souvray vint en ce temps-là * à
la Haje en qualité d'ambassadeur extraordinaire du
grand maître de Malte, pour demander la restitution des
commanderies usurpées par les Hollandois. Les états dé-
clarèrent qu'ils ne reconnoissoient point le grand maître,
et par conséquent qu'ils ne reconnoissoient point Souvray
pour ambassadeur. Grand nombre de chevaliers vou-
loient qu'on s'emparât des vaisseaux hollandois qu'on
trouveroit dans la Méditerranée. Mais les autres, plus
modérés, furent d^avis de remettre à un autre temps à
I. IlMereurioy tome Xm, p. 38.
a. Ibidem^ p. 99 et 3o.
3. 19 septembre 1648. {Note de Racine.) — Jacques de SoaTray ou
de SoQTrë, filg de Gilles de Souvré, marquis de Courtenraux, maré-
chal de France. Il devint en 1667 grand prieur de France, et
mourut le a a mal 1670. Racine a oublie dUndiquer ici le Mercure
àe Siri (tome XIII, p. 197 et 198), d^où il a tiré cet alinéa.
i5a FRAGMENTS
prendre leur résolution, pour ne pas s'engager dans une
guerre dont ils ne sortiroient pas quand ils voudroient.
Qiamacé^ fut le premier qui traita d'Altesse le capi-
taine général des Provinces Unies.
D'Avaux et la Thuillerie' étant à Venise ne donnèrent
jamais FExcellence aux ambassadeurs des états, quoi*
qu'ils leur donnassent la main chez eux.
Plaintes* des plénipotentiaires de France contre les
demandes des Hollandois, qui vouloient qu'on les traitât
de pair avec Venise. Y. leur naissance et leur élévation \
11 * y a dans les traités de confédération une lettre do
comte d'Estrade aux états, 17 février i645, par laquelle
il les assure que le Roi consent que leurs ambassadeurs
soient traités comme ceux de Venise.
Les plénipotentiaires, dans le traité de i644> ^^ y^^'
loient point mettre « les Seigneurs états généraux. » Biais
voyant qu'il en faudroit venir à une rupture, ils consen-
tirent de le mettre en deux endroits, d'autant plus qu'il
étoit dans le traité de i634 et dans celui de 1610, où
même ils sont qualifiés hauts etpuissanis Seigneurs dans
une déclaration où le Roi parle. Dans d'autres traités,
on dit : Messieurs. Il n'y avoit point Seigneurs en aucun
endroit du traité de i635.
X. Siii [1/ Mereurio], tome IV, p. 70. {Ifote de Racine,) — Hercule-
Girard baron de Chamacë fut successivement ambassadeur en
Suède, en Bavière et en Hollande. U fîit tuë en 1687 au siège de
Breda.
a. Ceci est également de Siri, tome IV, p. 70. — Claude de
Mesmes, comte d' A vaux, et Gaspar Coignet de la Thnillerie avaient
ëtë envojës tous deux à la Haye pour la nëgociation de la paix de
Munster.
3. Racine renvoie ici à la page 78 du tome IV de Siri, qu^il a
cite plus haut.
4. Racine a ëcrit à la marge devant cette dernière phrase : Nota.
5. Ici commence le feuillet 3i5.
ET NOTES HISTORIQUES. t53
Le droit de cinquante firancs par tonneau, autrement
appelé droit de fret, est un droit que tout vaisseau étran-
ger paye aa sortir des ports de France, soit qu'il sorte
chaîné ou à vide. On jauge le vaisseau et on voit corn-
ïÀen de tonneaux il peut contenir. Qiaque tonneau paye
cinquante francs; et cela sans compter le droit que
payent les marchandises. Car ce droit de fret, c*est le
maître du vaisseau qui le paye.
Dikfeld ^ a avoué à un Danois, nommé M. Schell, que
ceGrandval qui fut exécuté en Hollande, pour avoir voulu
assassiner le prince d'Orange, avoit déclaré en mourant
que jamais le roi de France n'avoit eu aucune connois-
sance de son dessein ; et que s'étant même voulu adisesser
à M. de Louvois, celui-ci lui dit que si le Roi savoit qu'il
eût une pareille pensée, il le feroit pendre*
I. Cet alinéa se trouve aa reno du feuillet ai5. Cett le seul de
ce feuillet que Louis Racine et les éditeurs suivants aient donné.
G^flroj et Aimé-Martin Font intercalé parmi les anecdotes. —
Racine a écrit en itiarge de l'alinéa : « Bonrep. », c*esc-à-dire
« Bonrepanx. i — Dickfeld ou Dickvelt était ambaisadear en
France des états généraux des Provinces Unies. Macaulay {Historf
of Englami^ chapitre xix, tome Vil, p. 97-101 de l'édition Tauch-
aiu) a parié de ce complot de François Grandval , qui fut mis en
JD^ment quelques jours après la bataille de Steinkerque (169a).
L'historien anglais dit que le complot contre le roi Guillaume III
avait été préparé en France, dans les bureaux de la guerre, que
Loavois en avait ébauché le plan et l'avait légué à son fik et snc-
cesieor Barbezienx; que le silence du gouvernement français et de
la Gûxette de France sur cette af&ire est significatif. Les renseigne-
ments que Racine tenait de M. de Bonrepaux sont intéressants à
comparer avec le récit de Macaulay.
iS4 FRAGMENTS
XXXVII
PORTUGAL '•
En iSoo*, les Portugais découTrirent le Brésil, distant
de la Guinée environ quatre cent cinquante lieues. Peral-
verez Cabrai, capitaine du roi de Portugal, en prit pos*
session pour le Roi son mattre, sept ans après la décon-
verte du nouveau monde par Christophe Colomb. « Le'
Pape, pour conserver la paix entre les couronnes de
Castille et de Portugal, ordonna * que chacune jouiroit
des terres qu'elle pourroit découvrir, en tirant une ligne
d*un pôle à l'autre, qui les séparât des tles A^res et des
îles du CapVert, à la distance de cent lieues. »
Les Castillans se rendirent maîtres du Brésil lorsque
le Portugal tomba sous la puissance de Philippe U*, et
tuèrent tout ce qui leur osa faire résistance.
Les Hollandois, vers Fan i6a3, non contents de faire
la guerre en Europe au roi d'Espagne, voulurent encore
la lui faire dans le nouveau monde. Ds passèrent la li-
gne , et étant abordés au Brésil, s'emparèrent de Fer-
nambouc, du Récif, du cap de Saint-Augustin, en un
mot, de toute la côte, depuis Ciara jusqu'à la Baye* de
I. Ce fragment est aux feuUlets 998, a 39, s3o, aSi et i3i. H
n*est point chez Loais Racine ni dans Fédition de 1807.
a. Le a4 avril.
3. En marge de cette citation, Racine a ëcrit : « Herrera^ tome I,
p. 109. M L^édition qu'il cite est celle de la traduction de la Cotte,
dont Toici le titre : Histoire générale des voyages et conquestes des Cas-
tiilans dans les isles et terre- ferme des Indes occidentales^ traduite de
r espagnol dt Antoine d'Herrera^ par N. de la Coste,,,^ a Paris,
MDCLIX-MDCLXXI (3 Tolumes in-4»). La ciution, malgré les
guillemets qui sont dans le manuscrit, n*est pas textuelle.
4- Par une bulle de Pan i493.
5. Dans le manuscrit Forthographe de ce nom est tantôt Bajt^
ET NOTES HISTORIQUES. iS5
tons les Saints, qui demeura toujours aux Castillans.
Cette conquête s^étoit faite aux dépens de quelques par-
ticuliers, et non point de TEtat. Ces particuliers, voyant
les grandes richesses qu'ils pouvoient tirer du Brésil, tant
par le débit du sucre que par le débit du bois de Brésil *,
demandèrent aux états qu*il leur fbt permis d'établir une
compagnie, avec pouvoir de nommer des officiers de jus-
tice, guerre et marine, dans les Indes, pour trente ans;
après quoi , tout ce pays qu'ils auroient conquis appar-
tiendroit aux états, auxquels cependant la Compagnie
préteroit serment de fidélité. Cela fut approuvé; et ainsi
fut établie la compagnie des Indes occidentales, en i6a4-
EUe composa un conseil de directeurs , au nombre de
dix-neuf, entre lesquels ils mirent par honneur le prince
d'Orange*.
Cette compagnie ne tarda guère à étendre ses con-
quêtes, et ils s'emparèrent de toute la côte qui est depuis
la capitainerie de Siara jusqu'à la Baye de tous les
Saints, c'est-à-dire de plus de trois cents lieues de côtes.
Ils établirent un conseil politique, qui résidoit au Récif,
qui jugeoit souverainement de toutes les affaires. Ds exi-
geoient de grands tributs des Portugais, leurs vassaux ,
qui travailloient à faire le sucre, descendus de ces pre-
miers Portugais qui découvrirent le Brésil ; et de crainte
qu'ils ne se révoltassent contre eux, ils leur ôtèrent toutes
les armes i feu.
En' 1641, la Baye de tous les Saints suivit la rëvolu-
tantdt AoîAtf, on encore BMe. Baie en espagnol est Bahîa; et ce
nom de Baya est celui de la province où se trouye la Baie de tous
les Saints {Bahia de todos îos Santos).
I. Bois ronge propre à la teinture. Il ^tait connu axant la dé-
('ouTerte du Brésil, qui lui doit son nom.
a. Frédéric-Henri de Nassau. Voyez ci-dessus, p. 97, note i.
3. Ici commence le feuillet a 39.
i56 FRAGMENTS
tion de Portugal : les Castillans en furent chassés, et on
y reconnut don Jean IV*. Le gouverneur fit part de ce
changement aux HoUandois dans le Récif, avec promesse
de bien vivre avec eux. Les HoUandois furent bien aises
de la perte que les Castillans faisoient, et cette même an-
née ils firent un traité de trêve pour dix ans avec les Por-
tugais ; et la compagnie des Indes voulut que le Brésil fot
compris dans ce traité. Dés qu'il fut signé, ils envoyèrent
des vaisseaux dans le Brésil, qui au lieu d'aller droit an
Récif, pour y faire publier la trêve, allèrent en Guinée,
et se saisirent d'Angola^, de Loanda, et de quelques au-
tres places des Portugais. Us crièrent contre cette mau-
vaise foi; et voyant qu'on ne leur en faisoit point de
justice, ils résolurent de s'en venger à la première oc-
casion.
Le vice-roi de la Baye de tous les Saints commença
à faire des pratiques parmi ceux de sa nation qui
étoient au Récif, à Fernambouc et aux autres places de
la domination des HoUandois. H gagna surtout Jean-
Femandez Viera, Portugais, qui, de simple garçon
boucher, s'étant mis au service des HoUandois, s'étoit
extrêmement enrichi, et qui avoit grand nombre d'es-
claves sous lui, qu'il iaisoit travaiUer au sucre, dans
plusieurs ingénions* ou manufactures de sucre qui lui
appartenoient. Cet homme, qui avoit beaucoup d'es-
prit, conspira avec ceux de sa nation pour secouer le
joug des HoUandois. Os gardèrent longtemps ce des-
sein sans en rien faire paroître. Au contraire. Us flattoient
I. Racine a mis à la marge la date de Mai 1643, et cette note :
« Angola est mie forteresse et wie grande province sm* la oête
d^Afrique, par delà la ligne, un peu au delà de Congo. »
9. Le mot portugais engenho (répondant à Tespagnol îmgtnio) a,
outre le sens moral : « faculté d'inTenter, m celui de « machine, »
et en particulier de « moulin à sucre. »
ET NOTES HISTORIQUES. 167
plus que jamais les Hollandois par leur extrême sou-
mission, s'endettant exprès enrers eux de grosses som-
mes, achetant cher toutes les choses que les HoUandois
leur vendoient, comme les viandes et Teau-de-vie. Enfin
ils firent si bien, qu'ils persuadèrent aux Hollandois de
leur domier des armes, qu'ils achetoient bien cher, pour
se défendre, disoient-ils, contre les Tapoios et les Bra-
siliens, qui les haïssoient naturellement, parce qu'ils
les avoient autrefois traités avec beaucoup de dureté. Les
Hollandois se laissent endormir par leurs belles paroles,
et surtout par les artifices de ce Viera , qui se rendoit
fort nécessaire à la Compagnie par son intelligence dans
le commerce, et par les grands services qu'il leur ren-
dott.
Enfin ^ toutes choses étant préparées, et les Portu-
gais étant convenus du jour qu'ils dévoient faire éclater
leur conspiration, et assassiner les chefs du conseil, les
Hollandois en eurent avis de plusieurs endroits, et en-
voyèrent des gardes pour anréter Viera, qui s' étant
sauvé dans les bois, amassa autour de lui grand nombre
de Portugais, s'empara de quelques places qui n'étoient
point en défense. Les Hollandois, qui ne s'attendoient
point à cette révolte, et qui, au contraire, pour s'épar-
gner de la dépense, avoient renvoyé en Hollande la meil-
leure partie de leurs garnisons, avec les officiers et le
comte de ]!ïas6au, se trouvèrent fort embarrassés. Ils en-
voyèrent à la Baye, se plaindre au Vice-Roi de la révolte
de ceux de sa nation. Le Vice-Roi, feignant de la désap-
prouver, envoya un grand vaisseau, chargé de deux cents
hommes qui mirent pied à terre, et se joignirent aux
révoltés. Le fort Saint-Augustin leur fut rendu pour de
Urgent; ils prirent aussi Femambouc, et il ne restoit
I. Id commenoe le feuillet s3o.
i58 FRAGMENTS
presque plus que le Récif, qu'ils assiégèrent. Les Hol>
landois, qui n'avoient que peu de vivres, envoyèrent
porter ces tristes nouvelles à la Haye, et demander du
secours.
Les états firent grand bruit, ne menaçant pas moins
que d'exterminer le roi de Portugal. Le peuple de la
Haye se voulut jeter sur Tamb^ssadeur de ce prince, et
le prince d'Orange eut beaucoup de peine à le sauver de
leurs mains. Les ministres de France voulurent s'entre-
mettre d'accommodement, disant que les Hollandois et
les Portugais ne dévoient point rompre pour cela, mais
imiter les François et les Anglois, qui ne laissoient pas
d'être en bonne intelligence en Europe, quoiqu'ils fas-
sent presque toujours aux mains à Terre-Neuve en Amé-
rique.
Les Hollandois envoient une flotte au Brésil, au com*
cernent de 1646, sous la conduite de Baucher, amiral
de Zélande, qu'ils déclarèrent amiral des mers de Brésil
et d'Angola. Cette flotte ne fit pas grand'chose, quoi-
qu'elle fuit de cinquante-deux vaisseaux. La plupart de
ceux qui étoient dessus périrent de chaud et de maladie
sous la ligne, où ils furent retenus par un calme de six
jours. Baucher, l'amiral, fut contremandé peu de temps
après son arrivée ; et les états, vojrant que la Compagnie
étoit désormais trop foible pour soutenir cette grande
guerre, entreprirent eux-mêmes de la soutenir en leur
nom et aux dépens du public.
Cependant* l'ambassadeur de Portugal tâohoit à la
HayC) par ses négociations, de les amuser, et d'empê-
cher qu'une nouvelle flotte ne mît à la voile. Il faisoit
plusieurs offres, qui toutes furent refusées. Cette guerre
du Brésil fut une des principales raisons qui détermi-
I. Ici commence le feuillet a3i.
ET NOTES HISTORIQUES. 1B9
nèfcnt les états à faire leur paix avec TEspagne'. En
effet, ils firent comprendre dans leur traité avec les
Espagnols toutes les places que les Portugais avoient
prises sur eux dans le Brésil, parmi les places qui appaiv
tenoient aux états.
La flotte partit ; et les Hollandois assiégés dans le Ré-
cif, pour faire diversion, envoyèrent le colonel Scop
9*emparer de Taparica, île à trois lieues de la Baye. Il
s j fortifia, et s^y défendit longtemps ; mais enfin il fut
obligé de Tabandonner, sur la fin de 16479 après y avoir
perdu beaucoup de monde. La flotte portugaise arriva
en ce même temps à la Baye. La flotte de Hollande ,
forte de trente-deux vaisseaux et de quatre mille soldats,
ariiveau Rédf le 18 mars 1648. Après s'être rafraîchis
on mois, les Hollandois se mettent en campagne, au
nombre de six mille hommes. Les Portugais révoltés,
commandés par Jean Viera et André Vidal, les attendent
de pied ferme, quoiqu'ils ne fussent que deux mille
hommes. Le combat se donne le 19* avril ; les Portugais
gagnent la bataille, avec un grand butin. Les Hollandois
y perdent douze cents hommes ; leur général Scop, au-
trement dit l^gismond, y est blessé d'un coup de mous*
qnet à la cuisse. Les Portugais continuent à les tenir
enfermés dans le Récif, étant maîtres de tous les forts
qui étoient au-dessus et au-dessous. D'un autre côté, la
flotte hollandoise, conunandée par Tamiral Witten-Wit-
t€ns, tenoit la flotte portugaise enfermée dans le port de
la Baye; mais, vers le mois d'août, cette flotte trouve
inoyen de sortir à Tinsu des Hollandois.
Sur la fin de la même année 1648, les Portugais re-
premient Angola sur les Hollandois, le roi de Portugal
feignant de désapprouver le gouverneur de la rivière de
I. Elle fat signée à Mmitter en janvier 1647^
i6o FRAGMENTS
Janeiro, dans le Brésfl, qui a fait cette entreprise dang
un temps où Ton négocioit un accommodement entre
les deux nations pour les affaires du Brésil ^ ; car quel-
que sujet de plainte que les Hollandois eussent contre
les Portugais, ils ne pouvoient pourtant se résoudre à
une guerre ouverte, tant ils avoient peur de perdre les
avantages que leur rapportoit leur commerce avec ce
royaume. Surtout la province de Hollande insistoit à ne
point rompre avec le Portugal, et ne vouloit point qu on
exerçât d'hostilités dans les ports de ce royaume, mais
seulement en pleine mer. Mais enfin, les affaures n'ayant
pu s'accommoder, et la trêve de dix ans expirant Ton-
zième juin i65i, l'ambassadeur de Portugal s*en re-
tourne, et on se prépare à la guerre des deux côtés.
Néanmoins* toute l'année lâSa et celle de 1 653 se
passent sans aucune hostilité en Europe, et sans aucune
expédition considérable dans le Brésil. Enfin, au mois de
janvier de i654v François Beretto, qui commandoit les
Portugais révoltés de Fernambouc , ayant reçu qudqoe
petit renfort de la flotte de la compagnie de Lisbonne, qui
vint mouiller auprès du Récif, attaque l'un après l'antre
tous les forts qui étoient au devant du Récif, attaque en-
fin le Récif même, qui lui est rendu avec toutes les places
que les Hollandois occupoient sur les côtes du Brésil; et
ils s'en retournent en Hollande avec les meubles et les
autres choses que les Portugais leur avoient permis d'em-
porter, par la capitulation du i6 janvier i654.
I. Racine a mU ici cette note en marge : k Les Portngait gagnent
encore one bataiUe en 1649, près de Fernambouc, où plus de dea\
mille Hollandois demeurent sur la place.
9. Lie feuillet aSi commence ici.
ET NOTES HISTORIQUES. i6i
xxxvm
PORTUGAL*.
V. un mémoire présenté au Roi de la part du roi de
Portugal, en 1648, par un François qui servoit en Por-
tugal.
L'état où étoit alors le Portugal est dépeint dans ce
mémoire, et surtout le grand besoin qu'ils avoient d'un
secours de cavalerie.
« Le roi de Portugal, depuis les cinq dernières années,
a fait une distraction de cinq ou six mille chevaux, et de
quinze ou vingt mille hommes de pied, que les Espagnols
auroient envoyés contre la France, et qui ont été occupés
sur les frontières de Portugal. »
> n me souvient, dit celui qui présente le mémoire,
qu'en i638, lorsque j'apportai au feu roi Louis XIII la
Douvelle de l'intention des Portugais, il me commanda
d'envoyer un honune exprès, pour les assurer que s'ils
vouloient s'aider eux-mêmes et faire roi le duc de Bra-
gance, la France leur envoyeroit cinq cents cavaliers
bien montés et tout armés, mille autres avec selles,
brides, armes et pistolets, et dix ou douze mille fantas-
sins. Sur cette parole, qui leur fîit portée par Tillac, ils
m^écrivirent , au commencement de novembre 1640,
qu'ils étoient prêts à se déclarer, et qu'il étoit temps de
faire souvenir le Roi de sa promesse. Je mis cette lettre
I. Ce fragment est distinct du prëcëdent. Il est au feuillet i33.
0 nunqae chez Louis Racine et dans Tëdition de 1807. Racine a
écrit en marge : c Siri, tome XII, p. 98 a. » Le mémoire men-
tionne à la ligne i est cité dans le tome du Mercure que Racine in-
(liqne, de la page gSs à la page 935. Siri dit quUl ignore le nom
(iu sujet français qui le présenta.
J. Racimb. y II
i6a FRAGMENTS
à Ruel, entre les mains de M. des Noyers, sur les dix
heures du soir. Des Noyers la fit voir au Cardinal duc,
qui le lendemain, de grand matin, la porta au Roi à
Saint-Germain , qui Ta toujours gardée depuis ; et il
commanda au Cardinal d^assurer les Portugais de toute
sorte de secours, quand il devroit engager la moitié de
son royaume. Les Portugais ne manquèrent pas de se
déclarer au bout d'un mois, c'est-à-dire au conunence-
ment de décembre, etc.; et le Roi promit que jamais
il ne feroit de traité avec les Espagnols que le Portugal
n'y fût compris. »
Les Portugais, durant qu^on étoit assemblé à Munster,
s'étoient bien gardés de presser les Espagnols avec tontes
leurs forces, de peur qu'ils ne fissent leur traité avec la
France, et qu'ils ne retombassent sur le Portugal.
XXXIX
Un * peu avant que la reine de Portugal ' se séparât
du Roi son mari, elle avoit oublié sous son chevet une
I. Ce fragment est au feuillet a34- Q manque, comme les précé-
dents, chez Louis Racine et dans IVdition de 1807.
9. « Cëlèbre pour aToir répudie, dëtrôné et confiné son mari, n
épojué son beau-frère. » (Mémoires de SûintSimon^ tome VI, p. S9.)
Voyez aussi le chapitre x du Sièele de Louis XIV de Voltaire
Cette reine de Portugal ëtait Marîe-Élisabeth-Françoise d^Aumale,
princesse de Saroie-Nemours, fille pnfnée de Charles-Amédée de
SaToie-Nemours, et d'Elisabeth de Vendôme, fille du duc de
Vendôme, bâtard de Henri IV. Mariée en 1666 au roi Alphonse VI,
elle le fit déposer, en 1667, de concert avec son beau-frère don Pèdrc,
quMIe obtint de la cour dtf Rome la permission dVpouser. Elle
mourut en décembre i683.
ET NOTES HISTORIQUES. i63
hugae lettre du comte de Schomberg^, où étoit tout
le projet de la révolution qui se devoit faire. Elle se sou-
vint de sa lettre à la messe, fit révanouie, et se fit re-
porter sur son lit, où elle retrouva sa lettre.
Toute l'affaire fut entreprise et conduite par le P. Lami,
jésuite, son confesseur.
Un peu avant la séparation, elle avoit écrit à Mme de
Vendôme* qu'elle étoit grosse'. Celle^îi en montra la
lettre à l'ambassadeur de Savoie, afin qu'il fit part de la
bonne nouvelle en son pays.
On fait en Portugal des comtes pour la vie, quelquefois
pour deux races, quelquefois pour tous les aînés. M» de
Schomberg a été fait comte ^ pour tous les aînés qui des-
cendront de lui.
Trois François de Mello : le premier, celui qui perdit
la bataille de Rocroy ' ; le second qui, en 1661, fit le
mariage du roi d* Angleterre *, et qui fut ensuite assas-
I. Le comte Frëdëiic-Annaiid de Schomberg (voyez oi-dewos,
P- 94) a^ût en 1659 pamë au service de Portugal, avec l'agrément
de la cour de France. Il y demeura jusqu'en 1668, et remporta
pendant ce temps des Tictoires signalées sur les Espagnols.
a. Françoise de Lonaine, duchesse de Meroœur, yeuve alors de
César de Vendôme, morte le 8 septembre 1669, Igée de sobcante-
<iix-sept ans. £Ue était la grand'mère maternelle de la reine de Por-
tugal.
3. Racine le fait remarcpier, à cause des motifs qu'elle allégua
bientôt après pour obtenir l'annulation de son mariage.
4« En récompense de ses serrices, Alphonse VI le créa comte de
Mertohi.
5. Don Francisco de Mello, gouyemeur des Pays-Bas catholiques
après la mort dn cardinal infant, ayait remporté des ayantages si-
gnalés en 1649. n fut yaincu à Rocroi le 19 mai 1643.
6. Le roi d'Angleterre Charles II épousa le 3i mai 166 a l'infante
de Portugal Catherine, sœur dn roi Alphonse VI. Voyez dans la
Gazgtte extraordinmre du S mai 1669 la Paix coneUm entre rjngU-
tare et le Portugal, Dans cet acte, daté de Lisbonne, le 96 février
i66s, le roi Alphonse dit que la paix a été conclue avec l' Angle*-
i64 FRAGMENTS
sine ; le troisième, qui a été depuis en ambassade aussi
en Angleterre. Ils n'étoient point parents : le premier,
Portugais de grande maison ; les deux autres, de mé-
diocre noblesse.
XL
C'bst ^ dans le premier volume des Memorie recondite^
p. 434*, que Siri charge Frà Polo* de n'avoir pas été
bon catholique.
J*ai relu avec attention cet endroit de son histoire. Sa
narration m'a paru fort embarrassée ; et de tout ce qu'il
dit, je ne vois pas qu*on puisse tirer aucune démonstra-
tion contre la pureté de la foi de F. Polo.
Siri dit deux choses qui semblent même se contredire.
L'une', que F. Polo, dans le cœur, étoit luthériea;
terre par rhëuretue négociation de Franwco Melio^ comte de Potttty
qu'il y a employé en qualité d'ambassadeur extraordinaire, et que
le traite de mariage a été signé par le même ambassadeur à Wbite-
hall le a3 juin 1661. — Dans les Mémoires de Gramont, cbapitre ti,
on nomme, parmi les Portugais qui accompagnèrent Catherine de
firagance en Angleterre, Francisco de Mello, frère de la comtesse de
Panetra, dame d'atour de la nouvelle reine.
I. Ce fragment est au feuillet double a 16 et s 17.
a. En marge du passage indiqué ici, Siri a écrit : Credeasa di
F. Paoio.
3. Pierre Sarpi, qui prit dans Pordre des Senrites le nom de FrJ
Paolo, né à Venise le 14 août i55a, mort le 14 janvier i6a3. Bos-
suet, dans son Histoire des Fariations (livre VH), l'appelle « un pro-
testant habillé en moine..., un protestant dans un firoc, qui disoit la
messe sans y croire, et qui demeuroit dans une Église dont le culte
lui paroissoit une idolâtrie. » Si Racine était disposé à une opinion
plus indulgente sur Frà Paolo, c'est peut-être parce que quelques-
uns des sentiments de ce théologien sur la grâce et sur l'abus que
le saint-siége faisait des censures ecclésiastiques se rencontraient
jusqu'à un certain point avec ceux de Port-Royal.
ET NOTES HISTORIQUES. l'iS
Tautre, qu*il entretenoit commerce avec des haguenots
de France^.
Il avance le premier fait sur un simple ouï-dire. U
appuie le second sur des dépêches de M. Brulart, ambas->
sadeor de France à Yenisey qui sont dans la bibliothèque
do Roi.
« Ces dépêches portent, dit Siri, que le nonce du Pape
en France, ayant surpris des lettres de F. Polo à des
huguenots, forma le dessein de le déférer à l'inquisition
de Venise, afin qu'on lui fit son procès, et en même
temps de donner avis de la chose au sénat, afin que la
République connût de quel théologien elle se servoit ; car
F. Polo avoit la qualité de théologien de la République.
Mais le Nonce ayant fait réflexion qu'étant ministre du
Pkpe, le sénat n'auroit pas grand égard à son témoi-
gnage, il s'adressa à M. Brulart, pour le prier de se char-
ger de la chose, et de se plaindre, tant au nom du Roi
son mattre que pour l'intérêt de la religion, des cabales
que F. Polo faisoit avec les calvinistes de France. M. Bru-
lart, connoissant à quel point la République étoit pré-
venue pour F. Polo, jugea à propos de ne point intenter
cette accusation, qui au lieu de perdre F. Polo, ne ser-
viroit qu'à rendre sa personne et son mérite plus recom-
mandables en ce pays-là. Du reste, M. Brulart savoit, il
y a longtemps, ce prétendu commerce, qui lui avoit été
révélé en France par un lieutenant de Laval ' , nommé
la Motte. » Siri ajoute que cet ambassadeur, en arri-
vant à Venise, eut la curiosité de connottre un honune
si fameux, et voulut lui rendre visite; mais que F. Polo,
qui étoit devenu fort circonspect, et se tenoit sur ses
I. Memorie reeo/uUte, tome I, p. 435.
s. n était auaai intendant de Mme de la Trëmoille : Sign. délia
Motta laogotemenie délia Val^ e iniendente de gli affari di Madama délia
Tramogùa. {^Memorie recondite, tome I, p. 4^6.)
i66 FRAGMENTS
gardes, fit dire à TambasBâdeor qu*étant théologien de
la République, il ne lui étoit pas permis d'avoir com-
merce avec les ministres des princes sans permission de
ses supérieurs^, c'est-à-dire du sénat; que Tambassadeur
sachant d'ailleurs que c* étoit un homme sans foi, sans
religion, sans conscience, et qui ne croyoit pas Timmor-
talité de l'âme, ne se soucia pas trop de faire habitude
avec lui ; et que la chose en demeura là. Siri dit encore
que Tambassadeur avoit apporté à F. Polo des lettres de
M. de Thou et de M. l'Échassier, avocat au Parlement*,
comme voulant insinuer que c'étoient des calvinntes;
mais que F. Polo, qui se croyoit épié, ne leur fit point
de réponse.
Tout cela, ce me semble, ne prouve pas grand*chose
contre F. Polo. Il faudroit avoir rapporté quelques-unes
de ces lettres * pour juger si elles étoient hérétiques. Un
homme peut écrire à des huguenots sans être huguenot
lui-même: d'autant plus que Siri, comme j'ai déjà re-
marqué, l'accuse d'avoir été de la confession d'Ausbourg.
Siri auroit mieux fait, ou de bien prouver la chose, ou de
ne pas noircir légèrement la mémoire d'un honmne qui
vaut infiniment mieux que lui, et qui peut-être avoit
plus de religion que Siri même. Je ne sais si ce n'est pas
même faire quelque tort à la religion de dire qu'on
homme si généralement estimé des hommes n'a point ea
de religion. Les impies peuvent abuser de cet exemple.
I. Memorie reeondite^ tome I, p. 487.
a. Ibûiem^p, ^6 et 437* — Au lieu de fÉchassUr (ou Leschassier),
Siri ëcrit U Chaisier.
3. On dit que les autographes de ces lettres sont encore à Venise.
ET NOTES HISTORIQUES. 167
XLI
cardiuauxI
M. le comte de Soissons ' ne Youloît point aller voir
le cardinal de RicbelieUy parce que ce ministrey suivant
Tiuage de Rome, ne vouloit point donner chez lui la
main aux princes du sang. Enfin le comte Ait obligé d'y
aller.
Henri 111% en haine du cardinal de Guise, ou aux
cardinaux la possession où ils étoient de précéder les
princes du sang. (Siri, Memorie recondite^ tome YIII,
p.207\)
M. le cardinal de Bouillon n'a point marié M. de Bour-
bon *, parce qu*il prétendoit se mettre à table à dîner
aTec Messieurs les princes du sang. On envoya au plus
rite quérir Monsieur Févéque d*(
I. Ce fragment ett an feuillet 196. D a été omu tont entier par
Louis Racine, par rëditeur de 1807 et par Geoffroy. Aimé-Martin
en a donne le dernier paragraphe.
1. Louis de Bourbon, comte de Soîssons, petit-fila de Louis I''
prince de Condë. U mourut le 6 juillet 1641 à la bataille de la
Harfëe.
3. Racine renvoie à cette page du tome VUI des Memorie reeon-
dite (lu LUme , MDCLXXIX } , non-seulement pour ce second para-
graphe, mais aussi pour celui qui précède.
4. Louis m duc de Bourbon-Condë , mort le 4 mars 1710,
sTsit épousé le 94 juillet i685 Mademoiselle de Nantes. Voyez le
Mercure galant du mois d^aoât i685, p. io6-a63, et la Geuette du
18 juillet de la même année ; il y est dit que ce fut PéTéque d'Or-
léans qui fit le i3 juillet la cérémonie des fiançailles, et le 94 celle
dci épousailles.
5. Pierre de Camboust de Goislin, alors premier aumônier du
Roi, et éréque d'Orléans depuis 1666 jusqu'à sa mort, dont la date
est le 5 férrier 1706. Il fut fait cardinal en 1695.
i68 FRAGMENTS
XLII
ROME ^
Alexandre VIII n'étant encore que Monsignor Otto-
bon, et ayant grande envie d'être cardinal * sans qu'il lui
en coûtât rien, avoit un jardin près duquel la dona Olym-
pia ' venoit souvent. Il avoit à la cour de cette dame un
ami, par le moyen duquel il obtint d'elle qu'elle vien-
droit un jour faire collation dans son jardin. II Tattendit
en effet avec une collation fort propre, et un très-beao
buffet tout aux armes d'Olympia. Elle s'aperçut bientôt
de la chose, et compta déjà que le buffet étoit à elle; car
c'étoit la mode de lui envoyer des fleurs ou des fruits
dans des bassins de vermeil doré, qui lui demeuroient
aussi. Au sortir de chez Ottobon, Tami commun dit à ce
prélat qu'Olympia étoit charmée, et qu'elle avoit Ineo
compris le dessein galant d'Ottobon. Celui-ci mena son
ami dans son cabinet, et lui montra un très-beau fil de
perles*, en disant : « Ceci ira encore ai^ec la credenza^ »
c'est-à-dire avec le buffet. Quinze jours après il y eut une
I. Ce fragment est au feuillet as 5. Racine a ^crit «n marge : U
Nonce. W parait quUl tenait du Nonce cette anecdote, ainsi que b
suivante, qui est aussi assez gaie dans la bouche d^nn nonce. O
nonce est Traisemblablement Marc-Daniel Delfinî, qui fut nonce
en France de 1696 à 1700, et mourut le 5 août 1704; on son pré-
décesseur Jean Jacques Cavallerini, mort le 18 février 1699. Racines
écrit ce fragment sous le pontificat d'Innocent XII, comme on ]e
voit par le second paragraphe.
9. Pierre Ottoboni fut promu au cardinalat le 19 fërrier i659
par le pape Innocent X, puis ëlevé a la papauté le 16 octobre 1689.
3. Dona Olympia Maidalchini-Pamphili, belle-sœur du pape
Innocent X, morte en i656. Grcgorio Leti a écrit sa vie.
4. Un très-beau collier de perles enfilées. Voyez le Dictionnaire
de M. Littré, au mot PU,
ET NOTES HISTORIQUES. 169
promotion dans laquelle Ottobon fut nommé ; et il ren-
voja le fil de perles chez Torfévre, avec la vaiflaelle, d'où
3 fit ôter les armes d'Olympia.
H.' Pignatelli, maintenant pape, au retour de sa non-
ciature de Pologne *, n'étoit g;uère mieux instruit des af-
faires de ce pays-là que s'il n'eût jamais sorti de Rome.
Un jour qu'on parloit du siège de Relgrade, le pape In-
nocent XI ', qui avoit fort à coeur la guerre du Turc ^, dit
à M. Pignatelli qu'il vînt l'après-dtnée l'entretenir sur le
siège et la situation de Belgrade. Le bon prélat, fort em-
barrassé, se confia à un capitaine suisse de la garde du
Pape, qui avoit servi quelques années en Hongrie. Ce
capitaine fit ce qu'il put pour lui fidre comprendre la si-
tuation de cette place ; et lui ouvrant les deux doigts de
la main, lui disoit : Eccopi la Sava^ ecco il Danubio; et
dans la fourche des deux doigts, ecco Belgrada. Pigna-
telli s'en alla à l'audience, tenant ses deux doigts ou-
verts, et répétant la leçon du Suisse * ; mais sur le point
d'entrer, il oublia lequel de ses deux doigts étoit la Save
I. Racine a ëciit en marge : Le mime nonce, — Antonio Pignatelli
fut ëla pape le la jnillet 1691, sous le nom d^Innocent XII. Il
ffloornt le 7 septembre 1700.
s. Où il ayait ëté enroyé par le pape Alexandre VII. Voyez les
Mémoires de Coulanges, p. 980.
3. Dans le manascrit, il y a « Innocent XI, » et non, comme Tont
imprime Louis Racine et les ëditeors soirants, « Innocent X. >» Le I
a été ajont^ après coup et n'est pas trèsnlistincr. — Belgrade,
aniëgée en 1688 par rëlecteur palatin Maximilien-Emmanuei II, fut
priie d*assaut le 6 septembre de cette année. La tranchée avait
^é ouTerte dans la nuit du la au i3 septembre. Les Turcs re-
prirent Belgrade le 8 octobre 1690; mais ce second siège de Bel-
grade est du temps du pontificat d'Alexandre VIII.
4. Il y a : de TYire, dans le manuscrit; mab c'est évidemment un
iepstu.
5. Dans le manuscrit, il y a : « de la Suisse. » La correction a été
faite par Louis Racine, et adoptée par tous les éditeurs suivants. On
poomit cependant la ccmtester.
I70 FRAGMENTS
ou le Danube, et revint au Suisse lui redemander la po-
sition de œs deux rivières. Du reste, homme de grande
piété ^ et aimant TÉglise. .
XLIII
Le' Pariement complimenta par députés le roi
Henri IV sur la mort de Mme Gabrielle. Le premier
président de Harlay, rendant compte de sa députation,
dit : Laqueus contriius est^ et nos liberati sunms *.
XLIV
Plusieurs choses extravagantes trouvées après la mort
de Mezerai dans son inventaire, entre autres ce billet :
« G^est ici le dernier argent que j'ai reçu du Roi; aussi,
depuis ce temps-là, n'ai-je jamais dit de bien de lui*. »
I. Dans Louis Racine et dans l'ëdition de Geoffroy : « fMpe de
grande piëtë. »
a. Ce fragment et les sept siÛTants ont été donnés par Lcmis
Racine. On ne les tronTe plus aujourd'hui dans les manuscrits au-
tographes. Voyez ci-dessus, p. 68.
3. « Le lacs est rompu, et nous ayons été dëlirrës. » (Psâame
cxxm, verset 7.)
4. Colbert lui arait àté sa pension d'historiographe, à cause de U
liberté arec laquelle il avait parle des financiers dans son Jàrégé
chronologique^ imprimé en z668. {T^ote de V édition de 1807.)— Cette
note ne parait pas tout a fait exacte. Colbert demanda des correc-
tions à VAMgéy et ayant jugé insuffisantes celles que Mezerai anit
faites, il lui retrancha la moitié de sa pension.
ET NOTES HISTORIQUES. 171
Dans un sac d'écus d'or il y avoit un éou d'or enve-
loppé seul dans un papier où étoit écrit : « Cet écu d or
est du bon roi Louis XII ; et je Tai gardé pour louer une
place d'où je puisse voir pendre le plus fameux financier
de notre siècle. » On lui trouva plus de cinquante mille
francs en argent derrière des livres et de tous côtés. Il
fit un cabaretier de la Chapelle^ son légataire universel.
XLV
M. Feuillet* regardoit Monsieur faire collation en ca«
rème. Monsiçur, en sortant de table, lui montra un petit
biscuit qaû prit encore sur la table en disant : « Gela
n'est pas rompre le jeûne, n'est-il pas vrai ? » Feuillet lui
répondit : « Mangez un veau et soyez chrétien. »
XLVI
Le nonce Roberti' dîsoit : Bisogna infarinarsi di teo-
logia, e farsi^ un fonda di politica*.
I. Village près Saint-Denis. Ce cabaretier se nommait Lefaa-
chcnx. {Note de C édition de 1807.) — Dans la Biogrophie uniperselle^
article Mbxebai, ce cabaretier est appelé Leftmchear,
a. Nicolas Feuillet, cbanoine de Saint-Cloud, mort le 7 septembre
1693.
3. Roberti, archeyêqne de Tarse, nonce en France de 1664 i 1667.
4. Dans le texte de Louis Racine, il 7 a /or, au lieu de farsi^ que
donnent Geoffroy et Aimé-Martin, sans doute d'après le manuscrit,
qo^iU ont encore pu Toir (voyez ci-après, p. 178, note 3).
5. « D faut s*enfariner de théologie, et se faire un fonds de poli-
Û4]ae. » Le même mot, attribué également au nonce Roberti, que dé-
signe l'initiale R, est dans le Furetiriana, p. 817.
17a FRAGMENTS
Le même noace disoit à M. l'abbé le Tellier, depuis
archevêque de Reims ^, qui lui soutenoit l'autorité du
concile au-dessus du Pape : « Ou n*ayez qu*un bénéfice,
ou croyez à Tautorité du Pape'. »
XLVII
Monsieur Tarchevèque de Reims répondit à Tévéque
d*Autun*, qui lui montroit un beau buffet d'argent en
lui disant qu*il étoit pour les pauvres : « Vous pouviez
leur en épargner la façon. »
Quand il fut coadjuteur, sous le titre de Nazîance^,
les révérends pères ....' lui vinrent demander sa protec-
tion; il leur dit : « Je n'ai point de pouvoir à Reims;
mais à Naziance, tant que vous voudrez. »
On dit qu'à Strasbourg, quand le Roi y fit son entrée*,
les députés des Suisses Tétant venus voir, rarchevéque
de Reims, qui vit parmi eux Tévéque de Bàle, dit à sod
voisin : « C'est quelque misérable apparemment que cet
évéque ? — Gomment ! lui dit Tautre , il a cent mille
I. En 1671. Voyez cinlewas, p. 146, note 3.
a. Geoffroy explique bien ce mot : « La plonilitë des bâiéficei,
dit-il, interdite par les conciles, n^ëtoit tolérée en France qu^en
yertu des dispenses du Pape. »
3. Gabriel de Roquette, ëvéque d*Autun de 1667 à 170s, mort
en 1707.
4. En z668, il fut fait coadjuteur de Langres, et quelques joun
après coadjuteur de Reims, et consacre le 10 norembre de la même
année par le cardinal Barberini, dans la cbapelle de la Sorbonne,
sous le titre d^arcberéque de Nazianze. Voyez le Gallia ehrittituta,
tome IX, p. i63.
5. Ces points sont dans le texte de Louis Racine. Les noms étaient
peut-être dans le manuscrit .
6. Le a3 octobre 1681.
ET NOTES HISTORIQUES. 173
livres de rentes. — Oh, oh ! dit FArchevéque, c*est donc
un honnête homme ! » Et il Ini fit mille caresses.
XLYIII
HiLORD Roussel, qai a eu depuis peu le cou coupé à
Londres % en montant à Téchafaud donna sa montre au
ministre qui Texhortoit à la mort : « Tenez, dit-il, voilà
qui sert à marquer le temps; je vais compter par Téter-
nité. 9 Ce ministre étoit M. Bumet*.
XLIX
PIERBB DB MÀRCa'.
Il fut nourri de lait de chèvre les quatre premiers
mois^. n se maria, eut plusieurs enfants, et demeura
I. Lord William Rassel fut dëcapitë le ai juillet i683, dans sa
qosruite-qaatrième annëe.
a. Gilbert Bomet, qui devint en 1689 ëvéqne de Salisbury. Il
mounit le 17 mars 1715.
3. Sur Pierre deMarca, voyez notre tome IV, p. 493-*499f ^^^v
S3i et 53a. — En écrivant cette notice, Racine avait sous les yeux
^ Fie de Pierre de Marea qu^Étienne Baluze a placée en tête de
TÀiition in-folio quUI a donnée en i653 du de Coneordia SaeerdotU
tt Im/terii. Cette ^f> a pour titre : ... Epîttola ad elaristtmum et eru-
^'uàmum ptrum Samuelem Sorberium. Elle est ainsi datée à la fin:
luUtim Pandorum , ///. Idus Décerneriez anno filDCLXII. — Baluze,
chanoine de Reims, mort le a8 juillet 161 8, avait bien connu de
^^*raii qui Pavait associé à ses travaux.
~ 4- H était né, diaprés Baluze, le aa janvier i594« à Gant en Béam.
174 FRAGMENTS
veuf en i632. U étoit alors oonseillir au conseil de Pau;
et lorsqu'en 1640^ Louis XIII. érigea ce. conseil en par-
lement, il fit Marca président.
On disoit que le cardinal de Richelieu, dans le dessein
de se faire patriarche en France, avoit fait faire par
M. Dupuy ' le Uvre des Libertés de F Eglise gallicane, Q
parut un livre intitulé Optatus Gallus*^ contre le livre
de M. Dupuy. Blarca répondit à ce livre par ordre du Car-
dinal, et ce fut le sujet qui lui fit faire son livre de Con-
cordia sacerdotii etimperii^, Tan 1641 • La même année,
le Roi le nomma à Tévéché de Conserans. On lui refusa
assez longtemps ses bulles, à cause de ce livre, dont pla-
sieurs endroits avoient choqué la cour de Rome. Après la
mort d*Urbain Vin.*, Innocent X. fit encore examiner ce
livre, et apportoit bien des longueurs aux bulles de Blarca,
qui en ce temps-là même fit un écrit* pour expliquer son
t . Racine s'est trompe sur la date de l*ërection du conseil de Pao
en parlement. Cette érection eut lien en i6ao (octobre). Baloze,
qn'il n'a pas cette fois lu arec assez d'attention, donne à la page 5
la date de i6ai. C'est également celle que donne le GMa chris-
tiana (tome XIII, p. 67), pour la nomination de Pierre de Marca
an parlement nouvellement institué à Pau.
a. Pierre Dupuy, mort le 14 décembre z6Si, auteur des Traitez des
iiroits et lihertez de t Eglise galHeanej arec les Preupee des HhtrUt de
r Eglise gaUieane , MDCXXXIX. 9 volumes in-folio, sans nom d'au-
teur et s. 1.
3 . Optati Gattide Cavendo schismate^ adilUutrimmos ae reverendiamos
Eeelesim gaUicam Primates^ ArehUpiseopos^ Effisa^s» lÀher parmneti"
eus^ MDCXL , in-80, s. 1. L'antenr de ce livre est Cbarles Hersent,
d'après le P. Lelong.
4. De Concordia saeerdoûi et imperii, seu de iiberisUihus Eeelesim
gallieanss» Dissertaiionum libri quatuor, Auetore Petro de Marca, Pari'
siiêy MDCXLI. i volume in-40.
5. Urbain VIII mourut le 99 juillet i644*
6. Balnze (p. 8) parle ainsi de cet écrit : lÀheUum Bareimone
edidit anno 1641, Xli. kalend. apriiis : Quo editianis iihrorum de Co»-
cordia Sacerdotii et Imperii consUium esspomtp opm ApoitoUett Sedis
ET NOTES HISTORIQUES. 175
dessein sor la publication du livre de Concordia^ etc., le
soumettre à rautorité et à la censure du saint-siége, et
prouver que les rois étoient les défenseurs, et non pas
les auteurs des canons; que les libertés de TÉglise galli-
cane consistoient dans la pratique des canons et des dé-
crétâtes, et beaucoup d*autres choses peu avantageuses
aux rois. Il envoya ce dernier livre à Innocent X., avec
une lettre où il désavouoit beaucoup de choses qu'il avoit
ayancées dans le premier, demandoit pardon des fautes
où il y ctoit tombé, et déclaroit qu'à l'avenir il soutien-
droit de toute sa force les droits de l'Église : tout cela,
comme fl l'avouoit lui-même dans une autre lettre '^, pour
avoir ses bulles, qu'il eut en 1647. ^ n^étoit que tonsuré;
3 se fit ordonner prêtre après avoir reçu ses bulles à Bar-
celone, où autrefois saint Paulin* fut ordonné prêtre,
mais malgré lui.
Peu de temps après, il écrivit de singulari Primatu
Petri^^ pour faire plaisir à Innocent X., ensuite une lettre
de lautorité des papes envers les conciles généraux.
En 1644* îl avoit été fait visiteur général de la Gâta*
logne, avec une jurisdiction sur les troupes, et avec le soin
des finances. En i65i, il partit de Barcelone, et fit son
entrée à Conserans. L'année d'après, il fut nonmié à
rarchevéché de Toulouse. 11 écrivit fort humblement à
cennrm ntimittii^ et Reget eanonum etutodes^ non yero auetoret^ 9sse
^oeet. Hk tst enim lihelli hujtu tUulut.
I. Au cardinal Panciroli. Voyez Baluze, p. 8.
1. Saint Paulin, ^yéque de Noie, né en 353 à Bordeaux, mort
le 11 juin 43z. Il fut ordonne prêtre à Barcelone en SgS.
3. Ësercitatlonem Bareinone V, kaiendas j'unii anno MC.D.XLVH
icri^itde singulari Primûiu Petri^qum nondum édita est, (Bai^ihck, p. 10.)
Pins tard Baluze publia YMxereitatio de singulari Primatu Pétri aux
pages 53-73 du lÎTre intitule : Opuscula Pétri de Marca archiepiscopi
^erittentUf nune primum in lueem édita. Paris, MDCLXXXI. i to-
Itune in-So,
176 FRAGMENTS
Innocent X. pour avoir ses bulles, et se comparoit à un
Exupère ^, qui, ayant été, disoit-il, président en Espagne,
fut élevé par Innocent I"* à Févéché de Toulouse. Sur
qaoi Baluze' remarque que son Mécénas (car c'est ainsi
qu'il appelle toujours Marca) fit un mensonge de dessein
formé pour chatouiller les oreilles du Pape; car TEzu-
père qui fut évéque de Toulouse n'étoit point TExupère
qui exerça la magistrature en Espagne. Baluze rapporte
qu'ayant appris qu'un auteur l'avoit accusé de s'être
trompé sur ce fieiit d'histoire, il rioit de la simplicité de
cet auteur, qui n'avoit pas pris garde qu'il s'agissoit
d'avoir ses bulles, et qu'il falloit tromper le Pape, qui ne
Im' étoit pas d'ailleurs fort favorable.
Le Pape le soupçonnoit fort mal à propos d'être jan-
séniste, et ne lui envoyoit point ses bulles; mais heureu-
sement ce pape ayant publié alors sa constitution contre
Jansénius*, et Marca l'ayant reçue avec grande joie, on
lui envoya ses bulles.
I . Saint Exupère, éieré au sîëge ëpisçopal de Toulouse au com-
mencement du cinquième siècle, mort rers 417*
a. On pourrait soupçonner ici Racine de malice; il n^a cepen-
dant rien prête à Baluze, qui s'exprime ainsi (p. i3 et 14): Sciei^t
sane 9Ïr erudititsimus (de Marca) diçertum ab Exuptrio episcopo Tolo-
tano fuisse Exuperium illum qui prmndatum in Hispaniis tgit; quis emim
ignorât? Verum quum argumtntum esset accommodât usimum ad rem quam
traetahat^ sciretque prmterea priiieipnm atires ita esse formatas ut mkU
nisi jueundum Isitumque aecipere çeUnt^ vim aUquam inferre peritati non
aènuit, ut pontifieem aUoqui difficUêm ae morosum, sibi faventem «c
propitium hahere posset, Quod ideo retuû^ ut eatur oMam scrupulasm
eufusdam seriptoris diUgentisf, qui in adversariis suis adnotatdt lapsnm
heic esse Marcam : de quo admonitus a me vir optimus paucis ante obi*
tum mensibuSy risit honûnis supinitatem^ qui non animadvertertt eu/us-
modi argumentum in ea epistola tractaretur, — Le GaUia christiana,
tome XIII , p. 68, cite le passage de la lettre de Pierre de Marca
à Innocent X où le nouvel archevêque de Toulouse rappelle le
souvenir d*Exupère, président en Espagne.
3. Le 3i mai i653. Cest la bulle Cum occasione.
ET NOTES HISTORIQUES. 177
£0 i656, il fut député à rassemblée du clergé, où il
soDtint si vigoureusement les intérêts du saint-siége, que
le pape Alexandre VII Ten remercia par un bref. Cétoit
lui qui écrivoit toutes les lettres du clergé au Pape.
Comme il avoit honte d'être si longtemps absent de son
diocèse, pour lever son scrupule on le fit ministre d'État.
Durant les conférences de la paix, il fut un des commis*
saires pour régler les limites des deux royaumes du côté
des Pyrénées. Ses décisions furent suivies, c'est-à-dire
que les comtés de Roussillon, de G)nflans, le Capsir et le
Val-de-Querol, avec une grande partie de la Cerdagne,
demeurèrent à la France ^. Après la mort du Cardinal, le
Roi le mit de son conseil de conscience, avec Tarchevêque
d'Auch, révêque de Rhodez, et le P. Annat*. Peu de
temps après, il (it un traité c/« C Infaillibilité du Pape^ qui
est son dernier ouvrage.
Le 25 février 1.662, la ducbesse de Retz' apporta au
Roi la démission du cardinal de Retz pour rarchevêché
de Paris, qu'il avoit signée à Commercy le 1 3 février. Le
jour même, le Roi appela Marca dans son cabinet, lui dit
I. Baluze, p. 31.
3. Rébus ecclesiasticU.... traetandis admotus est Marea, eumque eo
lUiutrûsimi Firi Henrlcus Lamotha Hodencuriiit Rhedonensis episeo-»
/>tfi,... Harduînus Perrfuca Rutenorum iLm tpiscopus^ et R. P. Anaatus^
preibyter e Socîetate Je^it. (Baluze, p. a a.) — Le prélat que Racine
appelle Varchevéque d'Audi ^ Balu/.e Tappelle Vwtque de Rennes,
Henri de la Motlie-Houdancourt, frère puîné du maréchal de la
Mothe, fut d'abord évêque de Rennes, et ne monta sur le siège
archiépiscopal d'Auch que le i*^' juillet 166a. Il était nommé sans
doute dès Tannée précédente, Dominique de Vie, son prédécesseur,
éunt mort en if^6i. — LVvêque de Rhodez était, comme le dit
Baluze, Hardouin de Beaumont de Péréiixe, qui avait été nommé
à ce siège en 1648, et qui succéda plus tard à M. de Marca comme
archevêque de Paris.
3. Voyez Baluze, p. aa. — Catherine de Gondi, duchesse de
Retz, belle-sœur du Cardinal, dont elle avait épousé en i633 le
frère aine, Pierre de Gondi. Elle mourut le 3o septembre 1679.
J. Racws. ▼ la
178 FRAGMENTS
qu'il le faisoit archevêque de Paris, et écrivit lui-même
au Pape pour avoir ses bulles. Il tomba malade le 10 mai
suivant, reçut le 12 juin des lettres de Rome, qui Fassu-
roient de sa translation à Tarchevêché de Paris, en té-
moigna une grande joie, et mourut le 29 juin*, laissant
un fils qui avoit sa charge de premier président et l'ab-
baye de Saint- Aubin d'Angers. Marca mourut à soixante-
deux ans*, et fut enterré dans le chœur de Notre-Dame,
au-dessous du trône archiépiscopal.
Prédictions^ de Campanella sur la grandeur future
1 . Dans le texte de Louis Racine, il y a 98 juillet^ au liea de
39 juin, Nous ne savons si cette erreur se trouvait dans le mann-
scrit. La date donnée par Baluze, par le Gallia christlana et par
la Gazette du i^ juillet i66a est le 39 juin.
2. U mourut dans sa soixante-neuvième année : Decessit Marca
ad III. kalendas juiùy qiim dies D. Petro Jpostoto sacra erat,.,. nùoo
et sexagesimo «tat'u anno nondum exacte. (Baluze, p. a6.) — Les trois
erreurs de chiffres qui se sont glissées dans ce fragment ne peuvent
être que des inadvertances, puisque, dans tous les détails. Racine a
pris pour guide Baluze, qui ne les a pas faites. La première (voyez
ci-dessus, p. 174, note i) est d'ailleurs la seule qu'on ne puisse attri-
buer à une copie inexacte du manuscrit de notre auteur.
3. Les pages auxquelles le lecteur est renvoyé dans le titre de
ce fragment n^étant pas indiquées dans le texte de Louis Racine,
comme elles le sont dans celui de GeolTroy et d'Aimé -Martin, on
voit que ces dei-niers éditeurs, tout au moins le plus ancien, avaient
encore Pautographe sous les yeux. L'ouvrage de Campanella, que
cite Racine, a pour titre : Ecloga in portentosam nativitatem Dclphini
Gallim^ Paris, 1689, pièce in-4®- Mais c'est dans \e& Lettres deCroiiii*
que Racine a trouvé la prédiction de Campanella, aussi bien qiu*
celle de Grotius ; et les pages qu'il indique sont celles du livre inti-
tulé; Uugonis Grotii..,. Epistolss quotquot reperiri potuerunt . . . . Anutc
Ijdami^ MDCLXXXVII, i volume in-folio.
ET NOTES HISTORIQUES. 179
du Dauphin ^ p. 4^9*- Présages sur la même chose ^
Grotius, p. 4^5*.
La constellation du Dauphin composée de neuf étoiles
[les neuf Muses, comme Tentendent les astrologues), en-
vironnée de l'Aigle, grand génie; du Pégase, puissant en
cavalerie; du Sagittaire, infanterie; de TAquarius, puis-
sance maritime; du Cygne, poètes, historiens, orateurs,
qui le chanteront. Le Dauphin touche Téquateur, justice.
Né le dimanche, jour du Soleil. Ad solis instar^ beaturus
suo calore ac lumine Galliam Galliœque amicos, Jam *
lionam nutricem sugit; aufagiunt omnes quod mammas
earum maie tractet *. i" janvier lôSp.
I. Aux pages 4B8 et 4S9 du liyre cité dans la note précédente,
est une lettre de Grotîus au chancelier Oxenuiern {lettre io85, datée
de Paris, le 18 décembre i638), où se lit, à la page 489, cette phrase :
Mttto etiam Campanel/m ^ ex astris et ediunde divinandi ariem tiSi
9in(rieaatiSf pro Delphino atigurïa.
3. A cette page est une lettre de Grotius à Christine, reine de
Suède {Uttre 1079, datée de Paris le 5 décembre i638). On y
trouve tout ce qui est analysé en français et cité en latin par
Racine, à Fexccption de la dernière phrase. — Grotius s^était rendu
\^ 4 décembre chez le Roi et chez la Reine pour les complimenter
de la part de la reine de Suède sur la naissance du Dauphin,
depuis Louis XIV. ^11 récita une partie de sa prédiction chez le Roi,
ane partie chez la Reine.
3. Ceci, depuis les mots : Jam nonam, n^est pa^ dans la lettre k la
leine Christine, mais dans une lettre au chancelier Oxenstiern {let^
Ire 1090, p. 490). Cette lettre est datée Ca/endis januard anni
»ov}^ ut ft'te numtramuSy ifi39 : ce qui explique la date du i*^ janvier
1639 donnée par Racine.
4- « Destiné comme le soleil à répandre sur la France et sur les
amis de la France les bienfaits de sa chaleur et de sa lumière. —
l)tji il lette sa neuyièqie nourrice ; tontes s'enfuient, parce qu'il
nialtrailc leurs mamelles. »
i8o FRAGMENTS
LI
Comète '. Janvier.
Reforme de Tordre de Saint-Michel *. Janvier.
Établissements pour le commerce et pour les arts^, et expédi-
tions da duc de Beaufort en Barbarie, la première en arril, tous U
Goulette, et la seconde, qui est la plus considérable, devant Sanselie,
en septembre".
Canonisation de saint François de Sales* et les afTaires du
Formulaire'. Avril, mai.
Grands jours d^Aurergne*. Septembre.
Fixation des charges'. Décembre,
I . Les tablettes clironolngiqaes qne nous duonon« ici véritent encore laoio»
qne les notes précétlentes le nom de fragments bifttoriquea. C'est ponnjnoi
noas les avons rejetées à la fin et imprimées en petit texte. CeUe par la-
quelle nous commençons, et qoi se rapporte à Tannée i665, se trouve aa
feuillet 174.
9. Voyez la Gazette du 17 janvier i665.
3. Yoyes, dans la même Gazette, V Extraordinaire du i3 février (p. iS;),
contenant ce qui s'est passé au rétablissement de l'ordre de Saint- Bficfad.
4. Voyage du cavalier Beruin depuis juin jusqu'en octobre. [fVote de Ai*
eine^ à la marge.) — Le cavalier Beruin avait été présenté au Roi le 4 juin par
Colbert. Il quitta Paris le ao octobre pour retourner à Rome. Voyei la Ga-
lette du i3 juin et du 24 octobre i665.
5. Sur Texpédition du duc de Beaufort en avril, voyes la Gazette du 19 joia
i665, p. 585. Voyex aussi dans la Gazette du 16 septembre i665, p. 901,
Le combat donné entre les vaisseaux du Rojr, commandez par le due de Be^m-
Jort, et ceux des corsaires tt Afrique, sous la forteresse de Serselies (Cber-
chell} près d'Algier, le 34 "oût |665. — Cette ville que Racine appelle SéiasfUe^
et la Gazette Sei selles ^ cette mèioe Gazette, dans son numéro du i3 octobre
168a, p. 668, l'appelle Sarselli^ et dit qu'elle est située à trente milles d'Al-
ger, du côté du couchant.
6. Voyex le récit des solennités de cette canonisation da^s la Gautudu
aa mai i665, p. 485.
7. Voycx la Gazette du a mai i665.
8. L'ouverture des grands jours se fit le a6 septembre à Qennuat. Tojcx
la Gazette du 17 octobre i665.
9. Le aa décembre, le Roi tint un lit de justice. « Le greffier en dief fit lec-
ture de quelques édits par l*un desquds le Roi accorde le droit annuel posr
trois années au Parlement, à la chambre des comptes, au grand conseil, i b
cour des aides et à la oonr des monnoies, et fixe le prix des charges de m*
cinq cours souveraines, m (Gazette dn a6 décembre i665.)
ET NOTES HISTORIQUES, i8i
Buisy mU ù la Bastille *. AvriL
Gaeire déclarée par les Anglois à la Hollande*. Mars.
EnToi de Vemeuil et Courtin à Londres'. Avril,
Bataille navale^. i3 juin.
Attaque devant Bergue*. Août.
Peste en Angleterre •.
Mariage de Mlle de Nemours avec le duc de Savoie'. Mai,
Propositions de mariage de Mlle d^Auroale*.
Bataille de Montesclaros *. ^ juin.
Mort de Tarchiduc d^Inspruk ***. a 4 y''^"-
Mort du roi d^E^pagne *'. 17 septembre.
Différend et accommodement des princes de Lunebourg". Août.
I. Le 17 avril. Il 7 resta jusqu'au iG mai i666.
3. La déclaration, donnée à Limdre» le 4 taskn i665^ se trouve dans l*£x-
traortfi/uiire dt la Gazelle du 3 avril, p. 3o7-3il.
3. Le duc de Verneud et Courtin, mettre des requêtes, prirent congé du
Roi dans b seconde semaine d'avril, et firent le 10 mai leur entrée à Londres,
eomme amlMs^adeurs extraordinaires de Sa MMJesté. Voyex la Gazette du
II arril et du 3o mui |665.
4. Toyea la Gazette du 3 juillet i665, p. ôaS. — Cette bataille navale entre
la fliitie anglaise, commandée par le duc d'York, et la flotte koUandaîse, com-
nandée par l'amiral d'Obdam, eut lieu sur la G6te de Soffolk. L'Angleterre eut
la TÏctciire.
5. Voyez dans la Gazette dn 1 1 septembre i665, p. 877, Ce qui s* est passé
« Bfrgme en ISoitwege entre tes vaisseaux anglo:s et ceux des Jfrllandoiê.., .
U toat en une lettre de la Haye,
6. Elle fut si violente, qu'en moins d'un an elle enleva à Londres cent mille ha-
bltinL«. Le roi Cbarles 11 convoqua le Parlement à Oxford (10 octobre i665).
7. VoTex la Gazette du 16 mai et celle du a3 mai i665. — Cbarles-Emma-
onel II épousa au mois de mai |665 Marie- Jeanne-Baptiste de Nemours , fille
aînée de Charles-Amédce duc de Nemours et d'Éiisabetli de Vendôme.
S. Mlle d'Aumale était scrur putnée de Mlle de Nemnurs. Elle épousa au
molt de mars de l'année suivante le roi de PurtugHl Alphonse VI. Voyez ci-
dosus, p. 16a, note a.
9. Voyn la Gazette da 18 juillet i665.<— Dans cette bataille de Montes-Claros
na de Villaviciosa, livrée entre les Portugais et les Espagnols, ceux-ri fuient
ratièrement défaits, grAce surtout à la valeur des Français et des Anglais et à
rhabileté du comte de Scliorobcrg.
10. Le prince Fran^is-Sigisroond.
II. Ibilippe IV.
la. Georges- Guillaume duc de Brunswick-Lunebourg et son frère Jean-Fré*
dénc furent longtemps en différend au sujet de la succession de leur père, le
doc Georges, et de leur frère Hiné, le duc Christiun-Louis. Ils s'accommodèrent
nifin dans l'assemblée tenue à Hildesbeim entre leurs députés et ceux des mé-
diateurs. L'alné eut Zell pour son partage, et l'autre Hanovre. Voyez la Gw
^te du 19 septembre et celle du 3 octobre i665.
iH'x FRAGMENTS
Guerre de Tévéque de Munster contre les Hollandois^ Septembre
Envoi de Pradelle*. Novemhte.
Prise de Lokem'. De'cfmSrr.
LU
1672*.
Juw II. Passage du Rhin*.
i3. Le prince d'Orange abandonne Flssel. Le Roi revient camper
à Emmerick, et donne au vicomte de Turenne le commandement
de Parmée du prince de Cond^. Le vicomte de Turenne se saisit
du pont que les ennemis a voient sous le fort. Prise de bagages.
i5. Amheim capitule. Knotzembourg attaque.
lô. Knotzembourg rendu.
19. Pri^e du fort de Skinc (3000 hommes de garnison), parle
vicomte de Turenne.
Députés d'Utrecht viennent au camp devant Skinc demander uu
passe-port.
20. Rochefort* détaché avec 3ooo chevaux.
ai. Députés d'Utrecht envoyés au Roi, qui les reçoit devant
Doesbourg. Witt attaqué par deux bourgeois et blessé. Le Roi
I. Voyez la Gazette du 10 octobre i665.
a. Louis XIY envoya nu secoure des Uoll.indais attaqués par Tévéque de
Munster un corps de quatre mille hommes de pied et de ch^ux mille clievanx,
suus le commandement du marquis de Pradel.
3. I/evéque de Munster avait foitifié la ville de Lochem. Les troupes dt
Hollande, juiutes à celles de France, arrivèrent le 9 décembre devant cette bi-
coque mal détendue, qui se rendit le 14 décembre. Voyez U Gazstte du
a6 décembre ir)65.
4. Cette tibletle chronologique de Tannée 167a est au feuillet 167, écrite
sur deux colonnes ; on n'y reconnaît pa.«, comme dans les précédentes et dans
les suivantes, l'écriture de Racine. Nous ne l'avons cependant pas retranchée,
])arce qu*elle avait été conservée p:irmi ses papiers, et qa*en tournant la page
dans l'autre sens, on y trouve de sa main : Es/'Ugne, Italie, France^ AUf'
magttf^ Pologne, Il est très-probable qu'il avait fait dresser ce tableau sous
M!s }eux.
5. La vraie date est le la juin.
(>. Le marqui^i de Rochefurt, lieutemitit général et capitaine des gardes du
Corps.
ET NOTES HISTORIQUES. i83
apprend la noavelle de la naissance du Dauphin. Prise de Does-
bourg.
la. Lie Roi reçoit la nouvelle de la prise de Deventer, de Zwol,
Campen, Elboorg, Ardervick, Hattem, Hasselt, et Ommen. Trom-
pette •.
a3. Vom, Saint-André, â trois cents chevaux du vicomte de
Turenne*.
14 • Le Roi envoie un renfort à Monsieur qui assiégeoit Zutphen.
11 apprend du marquis de Rochefort que les habitants d^Utrecht
lui aroient livre deux de leurs portes. LVvdque de Strasbourg
arrive au camp.
sS. LVvéque de Munster arrive au camp. Le Roi reçoit nou-
velles de la prise de Zutphen. Prise de Zutphen*.
37. Le Roi va de Biloin ^ à Ameronge.
Aùllet 3. Le vicomte de Turenne commence à assiéger Nimcgue.
Élection du prince d^Orange à la charge de général. Monsieur à
Llrecht.
4. Prise de Gennep par le comte de Chamilli, et de Grave par
le chevalier du Plessis*. Infanterie de Bolduc* défaite'.
7. Le Roi donne audience an sieur d'Arlington •.
I. Ce qui petit sembler un peu obscur ici est expliqué par ce i>assage de la
Gazette de l'iiimée 1672, p. 666 : a Le aa {juin 167a), Elle {Sa Afajette) eut
avis de la prise de Dewenter...^ et que Zwol^ Kampeny Elbourg^ Arderwik ,
HattvHj Hasselt et Ommen aroient, sur la simple sommation d'un trompette,
chassé leurs garnisons. 9 Sur la situation de toutes ces places, Toyez la même
Gasetie^ P« 678 et suivantes.
a. ■ Le a3, on la Tint aussi informer de la prise du fort de Woorn et de celui de
Satat^André, qui sont les clefs de Tile de Dommel : ces deux postes s'étant
irudus seulement a la vue de ti'ois cents chevaux que le vicomte de Turenne y
avoit envoi es avec le sieur d'Apremont. >» [Ibidem^ p. 666.) — La même Gazette ^
p. 657, partant do fort Saint- André, dit : a C'est une forteresse.... que l'ami-
rant« d* Aragon fit bâtir dans le plus étroit de ladite île {de Bommel) , et que le
cardinal André, d'Autriche, lieutenant général des armées d'Espagne, fit ainsi
appeler de son nom. »
3. Zutphen s^étaât rendu à Monsieur le aa juin.
4. « Du ca*np de Biloiat entre Dœsbourg et AraJiemj le TtS Juin 167a. Hier,
Sa Majesté partit de ce lieu.... pour aller camper à Ameronge. » {Gazette
(lu 9 juillet 167a.)
5. Du Ples»i»>PrasKn.
6. Boldue, ou Sos-le-Due, ou Bois-le-Duc.
7. Par le marquis de Joyeuse. — Sur tous ces événements , voyez dans la
Gazette du 19 juillet 167a, p. 709-7ao, Le siège et la prise de IVimègue.
avtc celte de la ville et du fort de Crave^ de Genep et de quelques autres
pvtes.
S. Henry Bcniiet lord Arlington. Buckingham avait été envoyé avec lui
i84 FRAGMENTS
9. Réduction dp Nimègue. Siège de CoTerden.
10. Le Roi dëcampe de Zeist ' et revient à Ameronge.
la. Corerden rendu*.
19. Crèvecœur rendu après deux jours de tranchée. Bommel
assiégé, et pris en deux jours.
aS. Le prince de Neubourg vient voir le Roi à son camp de
Boxtel'.
Août I. Prise du fort de Kronembourg^.
LUI
1679».
En Angleterre, disgrâce du Trésorier*.
Traité de paix entre la France et l'Empereur. 5 février.
pour négocier avec Lunis XIV. lU étaieat tous deux ministres de Charles II,
et memlires de la Cabale.
1. Près d*Utr«clit.
a. A révéque de Monstrr. Voyez la Gazette Au 3o juillet 167a.
3. Sur la rivière dp Dommcl. — n Du camp de Boxtelf le ^% juillet 1673. ••■
Le a 5, le duc de Neuhourg, avec le prince sua fils, vint saluer le Koi,... > (Cd-
zette du 6 aufjt 167^.)
4. « lyUtrecht^ le 4 août 167a.... Le premier de ce mois, sur le soir, on fit
ici un détiirhemcnt tle sept soldats par compagnie, dont on forma un gros et
trois à quatre mille hommes, qui furent embarqués pimr aller sur le cbemia
d'Amsterdam sVmpurer de deux petits chiteaox, où il y avoit garnison bulUa*
dnise, et d^m autre fur la route de Wesep, nommé Cronembourg, que les
François avoient ci-devant abandonné, et dans lequel il j avoit trois cents
hommes, qui sont demeurés priscmnicrs de guerre. Le prince Maurice, qui est
à Mnyden et près de Wesep, avec quatre à cinq mille hommes, se mit ea
devoir d'aller un secours de ce fort...; il altandonna sa belle entreprise.»
{G.izette du |3 anût 167a.)
5. Ces notes clironologiques de 1679, 1680, 1681 et i68a sont écrites as
feuillet 186 Al/.
6. Sir Thomas Osliorn, comte de Danbj, grand trésorier. Lord Mtmtaign,
ambassadeur en France, fit communiquer à la chambre des conunnncs 00e
lettre que Danby lui avait écri le, pendunt la négociation de la paix de NimègnCt
pour le charger de solliciter du roi de France, au nom de Charles I(, on sub-
side en argent. Les communes dressèrent cimtre le grand trésorier nn acte de
hante trahison.
ET NOTES HISTORIQUES. i85
Et de TEmpereur avec la Sut*cle.
Traite de paix entre la France, la Suède et la maison de Bruns-
wic. 5 février.
Inixé de paix entre la France et Tévéque de Munster et de
Paderbom. 29 mars.
Pendant arril, suspension entre la France, Suède et Danemarck
et Brandebourg, et continuée pendant mai.
Sur la fin de juin, Créqui passe le Veser et dëfaît le général
SpanV
Traité de paix entre la France, la Suède et Vélecteur de Bran-
debourg, conclu et signé à Saint-Germain-en-Laje. a g jmn.
Traité de paix entre la France, la Suède et le Danemarck. Fait
à Fontainebleau, a septembre.
Autre traité entre Ja Suède et le Danemarck, à Lunden en
Scanie. 26 septembre.
Mariage du roi d*Espagne*. 3o août, s
Cbambre des poisons sur la fin de l'année '.
Mort de Mme de Longueville*. i5 apr'd.
— du cardinal de Rets*. 34 août.
— de IVvêque de Beauvais*. ai juillet.
I. Ce fot le 3o jnin que le maréchal de Créqui força, près de Minden, le
pisMgedu Weser, et défit le m.ijor général comte Spaen. Voyez la Guaeiie du
iSjotUel 1679.
1. Le cimtrat de mariage de Tharlei H, mi d'Espagne, avec Mnrîe-Loaise
d'Oriéani, fille de Monsieur et de Heariette d'Angleterre, fut signé k Fontai>
Bet>l«aa le 3o a«»At 1679, et l*on fit ce jour-là la cérémonie des fiançailles. La
mvflioiiie du mariage fut célébrée le lendemuin 3i, dans la chapelle du châ*
tna. Vojez la Gazette dn la r^cptembre 1679.
). Ce fot en 1679 que le Roi attribua la connaissance exclasÎTe dn crime de
poison à la chamlire de TAnienal. Cette chambre ne fut inst.>Uée qu'au mois de
jiioTirr 16H0, ponr raffatre des poisons à laquelle donnèrent lien les révél.itions
df U Voisin.
4* « Le quinzième de ce mois, Anne-GenerieTe de Bourbon, duchesse de
LmgiieTille, mourut ici (à Paris) ^ après une longue maladie* ■ {Gazette du
M avril 1679 )
5. « Le Tingt-quatrième, Jean-Francois-Panl de Gondi, cardinal de Retz....
moarot ici (à Paris), Agé de soixante-six ans. » {Gazette du a6 août 1679.)
6. « Bfes«ire Ni<Ml«s-Cboart de Bnsanval, évèque et comte de Beanvais, pair
àf France, est mort le vingt-unième de ce mois. » {Gazette du 29 juillet
«679.)
i86 FRAGMENTS
1680.
Mariage du prince de Conty*. i^ janvier.
Charlemont cëdé à la France sur la fin de février *.
Troisième bref du Pape sur la régale *. Il est daté du a8 décem-
bre 167g.
Inondation à Maslipatan^.
Pompone se retire ; Croissy en sa place'*.
Mariage de Monseigneur*. 7 mars.
Réunions en Alsace et dans le bas Palatinat'.
Prétendue conspiration des catholiques en Angleterre*.
I. Loais- Armand de Bourbon, prince de Conti, fils atoé d'Armand de Bour-
bon, priuce de G)nti, frère du grand Condé, épousa Anne-Marie de BowIiob,
dite Mademoi%elU de Bioi*. Le contrat fut signé le i5 janvier 1680, àSaint-
Germuin, dans la chambre du Roi, et la cérémonie des fiançailles fut bite le
même jour. Voyez la GazétttAu 20 janvier i68o.
a. « Dtf Charlemont, le 27 J'evrirr 1680. Le comte de Montbron, Ueate-
nant général de Flandre et gouTerceur de Tournaj, vient d'entrer id avec
les troupes du Roi, et a pria possession de la place, conformément au traité
de Nimègue. >i {Gazette du 2 mars 1680.)
3. Lejt deux premiers brefs du pape Innocent XI sur la régale étaient d«
mois de mars et de septembre 1678. Le Mercure hollandais de Tan i6$o
donne aux pages 1 1 5-122 le texte du bref du 28 décembre 1679.
4. Ceci a été ajouté après coup, à la di*oite de la page, eu dehors des autres
lignes ; de même que pins loin : « Mariage du grand-duc. Juillet; » et « Mort
de MontecuculU. 16 octobre » (voyex ci-après, p. 187, note 4)* — Maslipitaa
[Masulipatam) est une ^ il le de Tlnde, sur la c6te de Coromandel, sor la rivière
Kriclina. La compagnie française des Indes orientales, constituée en 1664, 5
avait établi un comptoir. La Gazette Am t8 octobre 1681, p. 634, parie de
l'inondation de Masulipatam sous la rubrique de Golconda, le premier aoû.t 1G80:
c Les grandes euux ont ruiné à Masuliptitan toutes les maisons qui n*étoieot pas
de pierre. Celles des Anglois et des Uollandois ont été fort endommagées, et
la plupart des marchandises ont été perdues. »
5. Pompone avait eu ordre de se défaire de sa charge le 18 norembre 1679.
On lit dans la Gazette du 25 novembre de cette même année : c La Rui a
donné au sieur Colbert, prèsidcut au mortier, la diarge de secrétaire d*État,
vacante par la démissit»n du sieur de Pompone. » Colbert (Croissy) était «lors
en Bavière, pour y négocier le mariage du Dauphin, et ne prit posses^on dr
sa nouvelle diarge qu'en 1680. C'est pour cela sans doute que Racine a pl<ior
son élévation au ministère à cette date.
6. Avec Marie-Annr-Victo.re de Bavière, sœur de Télecteur de BaTieic
Voyez la Gazette du 16 mars 1680
7. Elles furrnt ordonnées par des arrêts du parlement de Besançon, de ce)»'
de Brisach, et de la chambre de Metz.
8. Le prétendu complot papiste avait été dénoncé par Titus Oates dè^ Dn-
ET NOTES HISTORIQUES. 187
Voyage da Roi en Flandres. Il part le i3 juillet *.
Mort de IVvéque de Pamiers*. 7 aoiU.
Mariage du grand-duc*. Juillet.
Mort de Montecuculli *. 17 octobre.
)hnage du roi de Suède". i5 mai.
Prince de Parme enroyë aux Pay»-Bas*.
Mort du duc de la Rochefoucauld et de Foucquet'.
Mort de FÉIecteur palatin*. 7 septembre.
Dec 1678. Les communes ea 1680 reprirent le procès contre les lords catholi-
ques, priioniiiers à la Tour. Le supplice du comte de Stafford est noté d-
jprrt, p. 188.
I. Voyez dansla Gazette du 7 août 1680, p. 389, ItJournaldu vujrage duRgU.
1. ■ Messire François-Etienne de Caulet, éréque de PaniieS) est mort en
tonëréihé, le 7 de ce mois. » [Gazette du a4août 1680.)
3. La Gazette du ai septembre 1680, sous la rubrique de Moscow, le
2"^ juillet 1680, place an 14 juillet de cette année les cérémonies du mariage
du grancinluc de Moscou, Fédor II Alexiewitcli, surnommé Théodore^ « avec
DOC trcs-beile fiUe, qu'il a choisie dans une famille qui n*est pas fort considé-
nUe. » — Dans la Gaftte du la octobre i6'>0, cette jeune fille est nommée
Ettpliémie Routetsky, nièce de Simon Ivanowit/ Sabarnfsky Le Dictionnaire
de Moréri (au mot Moscovie) dit que, suivant d'autres, elle s^appelait Agatlie
Oniinchka, qu'elle était Polonaise de naissance, et qu'elle mourut peu de
temps après son mariage.
4. Un peu plus loin. Racine répète la nouvelle de cette mort, dans une note
ajuotée à la droite de la page (voyez p. 186, note 4)t et il donne cette fois
li date du 16 octobre. On lit dans la Gazette du 9 novembre 1680, sous la ru-
brique de lÀniZj le a3 octobie i63o : « Le prince de Moutecuculii mourut ici
|a nuit du 16 au 17 de ce mois. »
5. Le roi de Suède Charles XI épousa, le 16 mai 1680, la princesse Ul-
rique-Élétinore , sœur du roi de Danemark Christian Y. Voyez Li Gazette du
i 5 juin 1680.
6. Le roi d'Espagne donna le gouvernement des Pays-Bas à Alexandre
Fjrnèsc, frère cadet do duc de Parme régnant, Ranuce II Farnèse. Le prince
•ie Parme arriva le 14 octobre à Gand, où te duc de Villa Hermosa lui remit
le gooTememeut.
7. « François doc de la Rochefoucauld, pair de France, chevalier des ordres
(lu Roi, mourut ici (à Paris) ^ le die -septième de ce mois. » [Gazette du a3 mars
i6^o.) — Fuucquet mourut le 23 mars, s On nous mande de Pignerol, que le
^etir Fuucquet y est mort d'apoplexie. Il avoit été procureur génèr<il du par-
lemrot de Paris et surintendant des finances. » [Gazette du 6 avril i6'So.)
8. « Le 7* de ce mois ts^pteinhie)^ Charles-Louis comte pal.itin du Rhin et
Htcu-ur de TErapire mourut subitement sur le chemin de Manheim à Fran-
^^o>idl.... Il étoit âgé de soixante- trois an.*, et a lai^sé de Charlotte, fille de
Ouilldume landgrave de Hesse-Cassel, sa femme, Charles à présent électeur.
Q^l'ui i65i, et Charlotte-Elisabeth, femme de Monsieur. » [Gazette du ai sep-
î^-Jubre 1680.)
i88 FRAGMENTS
1681.
Huit vaisseaux de Tripoli battus par du Quesue dans le port de
Chioi. 2^ juillet.
Leur paix*. Décembre.
Assemblée générale du clergé sur raffaire des brefs'. Octobre .
Strasbourg et Casai reçoivent garnison du Roi*. 3o septembre.
Le Roi à Strasbourg. 14 octobre*.
Exécution du vicomte de Stafford*. 17 décembre.
Ambassadeur de Maroc '. Décembre.
Blocus de Luxembourg sur la (in de Tannée '.
Conversions en Poitou*.
Soulèvement en Hongrie •**.
I. Voyei ce combat de du Quesne dans la Gazette du 5 septembre 16S1,
p. 541.
a. La régence de Tripoli demanda la pais, et s'engagea à recevoir un 000-
sdI français.
3. C'est la célèbre assemblée qui fut convoquée le 3 1 octobre x68 1 , et Tota,
le 19 mars i6Sa. les articles de la DeJaration du cierge de France sur U
puissante ecclesiasîique,
4. Les troupes fnmçuUes entrèrent dans Canal le même jour qu'à Stra»-
bourg, à la d.iie indiquée par Racine.
5. Le Roi fit son entrée à Strasbourg, non le 14* mais le aS octobre. Vo;ei
la Gazette ùvi 3i octobre itiSi. Le i4> les magistrats de Strasbourg étaient veous
lui faire leur soumission à SchelestaJt.
6. Ceci a été ajouté en interligne, et sé)>are dans le manuscrit les dnix
lignes précc-lentes. La date du 17 décembre aurait dû être rapportée, non pas
à Tannée i()8i, mais à Tannée iGSo. Elle est celle de la sentence de mort, qui
liit prononcée ce jnnr-Ià (rn 16S0) ; quant à l'exécution, elle eut lieu le S jan-
vier 16S1. Voyez la Cazitte des 18, a5 et 39 jan\ier i63i.
7. La Gazette du 3 janvier lOSa dit que l'ambass.ideiir du Maroc arriu
à Paris le 3o octobre 1 OS 1 ; mais il ne fut conduit à l'audience du Rci, '
SainNGrrmiiin, que le 4 janvier suivant. Voyez la Gazette du 10 janvier |6S'>,
qui lui donne des noms un peu différents de ceux qu'on trouve dans cA\f
du 3 janvier : « Le sieur Hadgi Mebemed Thummin, gouverneur de Tétonaa,
ambassiideur de Mula I<^maël, roi <le Maroc et de Fetz. »
8. Voyez ci-après, année i6Sa, la levée de ce blocus.
9. Elles étaient conduites par l'intendant Marillac, qui fut révc»qné Vaxi'
née suivante.
10. Dans tout le cours de cette année 1681.
ET NOTRS HISTORIQUES. 1S9
168a.
Le marquis de Grane arrive ' aux Pays Bas sur la un de mars.
Blocus de Luxembourg lève. Mars.
Premier Tojage de du Qnesne devant Alger, au commencement
d^aoûtV
Naiuance du duc de Bourgogne. 7 août*.
l'raitë d^alliance entre la France, le Danemarck et Brande-
bourg^.
LIV
Thorne*^ ville au-dessus de Dantsic sur la Vistuie, dans la Prusse
Royale.
Bresiau, capitale de Silibie.
Le SunJ^ détroit qui passe entre la Selande et la Scanie ou Scho-
ncD. Uy a encore deux autres Sunds. U y a le Belt Sund, entre la
Selande et File de Fionie ou Funen. L^autre est un très-petit
détroit qui passe entre Fredericode dans THolsace et Tile de
Funen.
Malmoè ou Malmuyen en Schonen , sur le bord de la mer ou
dëtroit du Sund.
Landse/iron^ encore sur le bord du Sund, en Scanie, vis-à-vis
d^Elseneur en Selande.
Christian Jtandy en Scanie, sur la frontière de Blekinge, province
appartenante aux Suédois.
I. Othon-HeDri d« Caretto, marquis de Grana, gonveroear des Pays* Bas
cspagoiils, mort le 19 juin i685. Ce fut le ap mars que le marquis de Giana
•rriT4 à Bruxelles, a%ec les patentes de gouvrraeur et rapitaine géoéral f*er
ùiurim. Le priace Alexandre de Parme partit le i*' avril. Voyez la Gazette
do II avril lô'^a.
a Du Quesne était parti de Toulon le la juillet 168a. Le ai, toute l'ar-
mée arriva sur la cAte de Darl>arie. Le aa, on fit voile vers Alger; et le a3, on
mouilla dans la l)aie, à deux portées de canon de U ville. Voyez la Gazette dn
>9 août et du ]3 octobre i68a.
3. Le dnc de Bourgogne naquit le 6 août, entra dix et onxe heures du soir.
Toyei la Gazette do 8 aoÀt x68a.
4. Les traités favcnt condns en septembre i68a.
5. Ces notes géographiques sont écrites sur le feuillat ai a.
^
lyo FRAGMENTS
Gripsvalde , dans le duché de Poméranie, à 5 ou 6 lieues dr
StraUund.
Hasselty ville d^HoUande, dans TOverissel, proche de Kempen.
Ruremonde^ dans le dnchc de Gueldrcs^ sur la Meuse, au-dessous
de Maseich.
LV
Hugues Capet *, fils de Hugues le Grand, duc de France, comie,
c'est-à-dire gouverneur de Paris , fils de Robert roi, fils de Robert
le Fort, comte d'Anjou, au-dessus duquel rien de certain.
Charles le Chauve fut celui qui, allant en Italie, confirma les
ducs et comtes, cVst-à-dire les gouverneurs, dans leurs duchés et
comtés, en sorte qu^ils en devinrent comme les seigneurs, relevant
du Roi, et ayant quantité de seigneurs qui relevoient d'eux. Ainsi
le duc d'Aquitaine avoit les comtes de Poitou, les comtes de Li-
moges et autres, qui relevoient de lui*.
1. Cette chronologie d'une partie de IMiistoire de France se trouTe aut
feuillets i57-i()4. Les éditeurs précédents n'avaient pas cru devoir la tirer de>
papiers de Racine. £lle est, il est vrai, presque entièrement extraite de Mé-
zerai ; et par cette raison, nous Taurions également négligée, si le texte mèiDe
de cet historien y était reproduit; mais Racine ne lui a emprunté que la sub-
stance des faits. Dan» le manuscrit de Racine Poudrage historique qu'il a^ait
pris pour guide nVst pas nommé; mais la fwg^ a3 y e^t citée, à 1 oocjsion de
l'ori/Zammc: de Saint-Denis (1124). Cette indication ne convient qu*à réditioD
de 1676 de VAbié^é chronologique de Mézerai. En même temps, cette édition
est la seule où tout soit conforme à ce que Racine a noté ici. Si l*on cnnsolte
les éditions antérieures îi 1676, à commencer par celle de 1668 in-4*, et les di-
versos éditions de Ui>IIande qui n'en sont que le» réimpressions, on trouven
que xnr beaucoup de faits elie^i ne sont pas en rapport avec les notes de Racioe.
L'édition de 1676 est très- différente des précédentes, ce que nous n'avons '«
signalé nulle part ; et c'est de celle-là que Racine incf»nlestablement s'est seni-
!Nous en d(>nuons la preuve en renvoyant d.ms notre annot«tion aux \>^s,^
de cette édition. Nous avons donc ici une étude, non point de la prcniivrc
jeunesse de R<u-ine, comme on pourrait d'abord être tenté de le croire, taxi^
du temps Siin^ doute où il commençait à se prépai-er à ses travaux d'hi>turio-
graphe. — Voici le titre de l'édition de 1676 : Abrégé chronohgi^ae ou
extrait de ritistvire de France par le sieur de Mezerai^ historiogra^< ^f
France, 7 volumes in-ia, à Paris, cliez Denys Thierry, M.DCLXXVI. Cettt'
même édition parut, en 1676, chez Louis Billaine; il n'y a quelenotu du
libraire qui diflère.
2. Dans le manuM:rit, il n'y a [>as de lui^ mais deux. Nctus avons dû <"">'
rigcr ce lapsus.
ET NOTES HISTORIQUES.
lui
Le comté d^Aurergne nVst pas toute 1^ Auvergne, mais seulement
on petit pajs, qui, ayant passé de la maison de la Tour à un duc
d'Orléans, a été réuni à la couronne *.
En io34i sous le règne de Henry I"", un seigneur de Normandie
nommé Alvrède Gigauït, c^est-à-dire le Géant *.
io33.
Kobert, frère du roi Henry I", fils du roi Robert, chef de la pre-
mière race des ducs de Bourgogne*.
io35.
(foiilaume le Conquérant, fils bâtard de Robert duc de Nor-
loandie et de la fille d^un pelletier de Falaise. Robert , en allant
en terre sainte, le laissa à la garde et protection du roi Henry ^.
io36.
Conquêtes des Normands en Italie".
Henry I*', de peur de contracter un mariage dans un degré
défendu, envoya cbercfaer femme en Moscovie. Ces degrés étoient
poussés jusqu'au septième*.
Maison de Saint-Simon descend d^un Eudes fils de Hébert, der-
nier comte de la première branche de Vermandois et [qui] fut dé-
pouillé par sa sœur Adeleîde a cause de son imbécillité, défaut de
1> race des Carlovingiens. Cette Adeleîde épousa Hugues, troisième
fils du roi Henry, qui fut chef de la seconde maison de Verman-
dois'.
I • Ce eommencement, depuis «< Hugues Capet, » jusqu'uux mots : « réuni à la
t'ovonne, « n'ett pas rmpranté à Mézerai ; inai^ tt>ut ce qui sait se trouTe en
wbstance, C(»iiune nnus TenouA de le dire, d.ins V Abrégé chronologique. —
Suk comté d* Auvergne et la maison de la Tcur, voyez ci-dessus, p. 74~76«
a. Abrégé chronologique de Mczerai (édition de 1676}, tome H,
P-4U.
1 Ibidem^ p. 439. — 4> Ibidem^ p. 444.
5. Ibidem^ p. 445 et suiTintes. — 6. Ihidem^ p. 469.
;• Ibidem, p. 470. — Ce que Racine a tiré de Mézerai sur Tantiquité de
U maison de Saint-Simon a été contesté. Duns le Mémoire du parlement de
^""i* contre Us ducs et pairs à S, A.R. le duc d'Orléans régent du royaume,
H'BpUet qui est de Taonce 17 16 et que Ton a attribué à diverses pcrson-
"«) entre antres au président Potier de Ifovion, et au président Portail, on
lu : c La fortane des ducs de Saint-Simon est si récente que tout le monde en
i9'i FRAGMEI4TS
io33.
Humbert comte de Maurienne et de Savoye, descendu, seloD
quelqueft-uns, de Vitikind, mais à la vérité dVn Constantin comte
de Vienne, fils de Hugues roi d^Italie*.
Robert eut trois fils, Hugues, Fainé, quUl fit couronner de son
vivant, mais qui étant persécuté par la reine Constance, fut obligé
de chercher sa vie, et même fut mis en prison par un comte du
Perche pour une méchante a.ction ' ; Henry, et Robert, que cette
reine voulut soutenir contre Henry, et qui fut duc de Boulogne.
io65.
Saint Edouard, roi d^Âugleterre , ayant déclaré Guillaume le
Bâtard son successeur par son testament, celui-ci passe en Angle-
terre, défait Haralde, grand seigneur du pays et fils d^une flUe de
Kanut II., change toutes les lois du pays, ôte aux Anglois toutes
leurs terres, qu^iî donne aux seigneurs qui Tavoient suivi '.
1070.
Philippes I***, encore fort jeune, battu a Cassel, ayant pris la
défense de Ricliilde comtesse de Monts, contre Amoul comte de
Flandres*.
1087.
Guillaume le Conquérant, raillé par Philippes, qui lui demanda
quand il relèveroit de ses couches, voulut venir assiéger Paris,
mourut en chemin. Son second Hls, Guillaume le Roux, lui succède
e.«t insirnit. Jamnis il ii*y eut oussi mince noblesse. L'atné de la maison était
presque encore de nos jnur» rcuyer du m.iréchal de Schorolierg. La ressem-
blance des nrroes de Ih Yacquerie. qu'ils écartèleut siver celles de YrrmtB-
dois, leur a fuit dire qu*îls ont épou-é nne £lle de cettr maistin. » (Vi>)c« an
tome XXIX du RecNnil Thoisy A« la Bibliothèque impériale la ropie mano-
scrite de ce Mffuoire. Le p;is5«ge que nous menons de citer est aux ffuilletsKjo
et 191.) Le Dictionnaire de Moiéri, au contraire, tome IX, p. 6a et sui-
vantes, article Saint-Stmon^ élablÏKsant la généalogie de» SainlrSîmoii, b bit
remonter aux comtes de Vermaodois,
I. Abrégé chronologique de Mézerai, tome II, p. 44 1 et 442.
3. Ibidem^ p. 427* — 3. ibidem^ p. 475 et 476.
4. Ibidem^ p. 479'4Si'
ET IfOTES HISTORIQUES. uj\
ra Angleterre; Robert^ l'aînë, en Normandie. Robert Tonlut anwi
soumettre PAngleterre et ne put' .
1090.
Grande délation en France par les ardents, on feu Saint-An-
toine*.
1094.
Philippet £ût enlever Bertrade, ' fenune de Foolqoes le Rechin,
comte d^Anjoa. De lA les exoommanicationa eonm le Roi par le
pape UriNÛn II. en personne, au ooll^' de Oonnont. Yves de
Chaitrss fit ee qn^il put d'abord pour détourner le Roi de oe ma-
nage. Le Rot persévéra, et enfin TMsporta, et ii ne parait point
qa'il soit mort exeommioûé. Ce roi fort mol et voluptuflox*.
1095.
Alors la querelle qui a voit commencé entre Grégoire VII. et
Henri IV* sor le sujet des investitures étoit fort échauffée*.
Les Turcs, appelés an secours du roi de Perse contre le calife de
Bai)ylone, mahométan, s'emparent de la Perse et établissent cinq
djnaities dans TOrient, Perse, Bithjnie, Cillcie, Damas, dont Jéru-
salem dépendoit, et Antioche, et se font mabométans, qui étoit la
religion des Persans*.
Urbain II. précbe la croisade au concile de Clermont, et elle est
embrassée. C'est la première croisade, où alla Godefroy de Bouillon,
qae tons les croisés élurent pour leur chef, puis pour roi ; il ne
r^a qu*un an'.
IIOO.
Seconde croisade, de plus de 3oo 000 hommes, dont étoit Hugues,
frère du Roi. L'empereur de Constantinople les fit périr tous, parce
I. Jhégé ehronohgiqaê de Méienl, tome II, p. 489 et 490.
j. AûlfM, p. 491.
3. Ua peu pins bas, li^e ai, Racine avait écrit : « Urbain II. prêche U
croisade an coOfge de Oennont; » pois 11 a effacé collège^ et écrit au-deatas :
concile, n a sans doute oabUé de faire id la même correctioa, qui y parât i
«Sdcaent nécasaain.
4- Ahrégé ekroHologi^ de Méxeraî, tome II» p. 493-494.
5. IbUem^p, 494.^ 6. IhUém, p. 495.-* 7. Ibidem, p. 496 et soWantcs.
J. Racibx* v i3
i<^4 FRAGMENTS
qu^ou refusa de tenir de lui les terres qui seroient conquises. De
ces voyages l'usage des armoiries ' .
iio3«
Louis le Gros, prince du royaume, désigna roi, travaille fort cou-
rageusement pour lui-même, et défait quantité de petits tyrans.
Le règne de Philippes, le plus fameux de tous les règnes, non par
ses actions, mais par la conquête de Jérusalem, celle d'Angleterre
par le duc de Normandie, et celle de Sicile, de la Pouille et de la
Calabre par les aventuriert normands, sans compter de grands fait»
d'armes en Espagne contre les Mores par les François.
En ce siècle, natsMaee des sacramentaires par Jean Scot Erigene,
puis par Berenger, archidiacre d'Angers, qui pourtant se rédvcta
par deux fois à Rome et se retira, pour faire pénitence enfin, dan»
le prieuré d« Satnt-Cosme, k deux lieues de Tours, où il mourut*.
Entreprises des papes, qui usurpèrent la souveraine puissance sur
l'Église, principalement en envoyant une multitude de légats, qui
jugeoient souverainement et cassoient toutes les décisions des con-
ciles provinciaux*.
L'Annonciation, qui se célébroit en Espagne le i8 décembre, fut
maintenue au a5« mars, comme on faisoit en France** L'archevê-
que de Lyon déclaré primat des quatre Lyonnoises.
L'archevêque de Sens succomba, mais non celui de Rouen, qui
s'appela primat de Normandie*.
Urbain II. ordonna qu'on réciteroit l'office de Notre-Dame, qne
récitoient déjà les Chartreux*.
La coupe commença à être retranchée, a cause de la trop grande
foule des communiants à Jérusalem'.
Naissance de quatre ordres, les Chartreux, Cîteaux, les religieux
de Saint-Antoine, et Fontevraud*.
iio8*.
Mort de Philippes, ayant régné 49 &ns-
I . Abrégé chnnologiqme de Mêlerai, tone II, p. 5o5-5i i.
3. Ibidem, p. 535 et SSg. — 3. Ibidem, p. 5U ^ 545.
4. Ibidem, p. 549. — 5. Ibidem, p. 55S et 559.
6. Ibidem, p. 555. — 7. Ibidem, p. 557. — 8. Ibidem, p. 559 ^ 56o.
9. Du» le oMAïucrit, ao lieu de « 1 108, » qui est U vraie date, dooace
d*ailleiin par Héwrai, on lit : « 1 109. » ConiiiM immédiatement après la Ugvc
qni suit, et devant les mots : « Louis le Gros, snceèdant à son père, » Raoar
a écrit w 1 108, » nous avons dA c(»rrig«r oe qui n*ett qu'une inadvertanee.
ET NOTES HISTORIQUES. ujy
Louis le Gros, succédant à son père, achève de délivrer ta France
de tous les petits tyrans qui Pinfestoîent.
II24*.
Oriflamme, étendard de Saint-Denys. Les comtes du Vexin iran-
cois, comme premiers vassaux de Saint-Denys, avoîent droit de le
porter. Les rois de la deuxième race et les premiers de la troisième,
JQsqa^à la fin de Philippes I*', faisoient porter devant eux la chape
ou manteau de Saint-Martin par le comte d'Anjou.
1127.
Charles le Bon, comte de Flandres, assassiné à Bruges par des
marchands. Sa mort vengée par le Roi *.
II
3i.
Saint Bernard prédit au Roi, qui persécutoit les évéques, la mort
de son fils aine, et c« prince, nommé Philippes, déjà couronné, est
taé en tombant de son cheval, qui se cabra par la peur d*un pour-
ceau qui s'étoit fourré dans ses jambes, vers Pendroit où est la
place Rojale. Louis le Gros fait sacrer Louis le Jeune *.
II 36.
Guillaume, dernier duc de Guyenne, meurt, et laisse par son
testament sa duché à Aliénor, sa fille aînée, avec ordre qu'elle
«^pocueroit le jeune roi Louis, et lui apporteroit toutes ses seigneu-
ries : ce qui s'exécute*.
Grande piété de Louis le Gros à sa mort. 11 se fait étendre sur
un lit de cendre en forme de croix'. De lui est sortie la maison de
Hreux, et celle de Courtenay, dont il y a encore des puînés*.
I. là Racine a écrit, à c6té de la date : « p. a3. » Cette remarque sur l*o-
riflaonne se trouve en eflct à h page aS du tome III de VAhrègi chromoto-
;>fWi comme noosl'ovoas ditci-daMis» p. 190, note i.
1. IhiJaM, p. a6-a8. — 3. IHiêm^ p. 37 et 38.
4. Ibidem^ p. 43. — 5. lUdêm^ p. 47.
6. Ibidem, p. 48. — Il j a ici une lacune dans les notes de Racine. CeUe«
(pi*il sTÛt prises sans nul doute sur les règnes de Louis YIII, de Philippe An-
gaitc, deLcinis TIII, de Louis IX, de Philippe III, de Pliilippe le Bel, de
196 FRAGMENTS
i328.
La rëgeoce adjugée à Philippes de Valois par les pain et hauts
barons du royaume pendant la grossesse de la reine Jeanne à^É-
Treux, veiiTe de Charles le Bel. Edouard, roi d^Angleterre, la dîs-
putoit comme fils d'Isabelle, sœur du roi défunt*.
Pierre Remy, qui avoit succédé k Enguerrand de Marigny dans
Tadministration des finances, pendu et attaché k Montfaucon, qa^il
avoit fait rehatir*.
1329.
La reine Jeanne n'accouche que d'une fille, et les états, qui
avoient déféré la régence a Philippes, lui confirment auisi la
royauté. U s'appela le BUn fortuné , à cause de la mort de ses trois
cousins*.
Bataille de Mont-Cassel, où les Flamands, qui s'étoient réroltà
contre Louis leur comte, sont entièrement défaits ^.
Edouard rend hommage pour la duché de Guienne et pour les
eomtés de Ponthien et de Montreuil ".
l33l.
Robert d^ Artois, irrité d'avoir perdu son procès contre la com-
tesse Mahaud, se retire auprès d'Edouard, et l'excite a la guerre
contre Philippes.
i333.
Le pape Jean XXIl. condamné par une assemblée de docteurt de
Sorbonne, et par une autre d'éréques assemblés k Vincennes, à m*
rétracter de son opinion sur l'imparfaite yision des âmes des hin-
heureux et aussi sur l'imparfaite punition des damnés jusqu'à la
résurrection*.
Origine de la querelle pour la Bretagne. Arthur II. avoit épouse
deux femmes : l'une fille de Guy, vicomte de Limoges; l'antre
Louis X, de Philippe le Long, de CbaHes le Bel, me se trouvât pas dam le
tuannscrit.
I. Abrégé ekronologiqiu de HÀEersi, tome HT, p. 3-5'
9. Ihidgm^ p. 6. — 3. Ibidem, p, 8.
4. lUdêm^ p. 8 et 9. — 5. ibidem, p. i5.
6. IHdem, p. 16 et Q7.
ET JHOTES HISTORIQUES. 197
Yoiind, fille de Robert comte de Dreux, héritière par «1 mère
d'Amanri comte de Montfort. Du premier lit, il eut Jean II., qui
fiit duc après «on père et n^ent point d^enfants, et Guy, comte de
Pendèvre, qui en mourant ne laÎMa qu'une fille nommée Jeanne.
Dn fécond Ut, Jean comte de Montfort.
Le duc Jean marie ta nièce Jeanne à Charles de Chastillon, frère
de Louis comte de Blois, et, par sa mère, nereu dn roi Philippes
de Valois. Le duc Jean le retire près de lui, et le traite comme
»n héritier présomptif.
i336.
Edouard redemande la couronne de France et déclare la guerre
à Philippes. Commencement d'hostilités.
Philippes, a l'aide des Génois et des Espagnols, met en mer une
armée naTale, composée de 60 000 hommes, qui font de grands
nTiges aux côtes d'Angleterre. EUe aroit deux amiraux, qui ne
Tétoient que par commission. L'un étoit Nicolas Bauchet, grand
trésorier de France*.
Jacques Arterelle, marchand de Gand, fait déclarer les Flamands
pour Edouard'.
1339.
Edouard prend le titre et les armes de roi de France^.
i34o.
Edouard déûdt l'armée narale de France et fait pendre Bauchet,
par représailles des horribles rarages commis en Angleterre".
Trére de trois ans entre les deux rois, à l'instance des légats du
Pape».
i34i*
Après la mort de Jean II. duc de Bretagne, Jean comte de
Montfort entre en Bretagne, et s'empare, entre autres, des rilles de
Nantes, de Brest, de Rennes et de Hennebond, puis passe en An-
gleterre, pour se mettre sous la protection d'Edouard. Charles de
Blois se pourroit par derers Philippes, comme seigneur souverain
I . Abrité ehnmolagiquê de Méserai, tome IV, p. a8 et ag.
1. Ibidem^ p. 3i-33. — 3. Ihtdem^ p. 34.
4' Ihiitm^ p. 38. — 5. Ibidem^ p. 40. — 6. Ibidem^ p. 4a.
198 FRAGMENTS ET NOTES HISTORIQUES.
de la Bretagne, depuis que Pierre Mauclerc avoît recoima la tenir
det rois de France, et mAme ayant M honora du titre de pairie
par Philippe le Bel.
La dispute est remise au jugement des pairs. Jean de Montfort
comparoft d*abord, puis s'enfuit. Les pairs prononcent en fareur
de Charles, qui est reçu à Thommage. Jean duc de Normandie, fils
du Roi, mène Charles de Blois pour le mettre en possession,
assiège Nantes, où ëtoit Jean de Montfort, qui se rend et est anen^
prisonnier dans la tour du Louvre. Mais sa femme Marguerite, fille
de Robert comte de Flandres, soutient son parti, se fortifie dans
Brest, envoie en Angleterre son fils Sigé de 4 s^ns* Charles prend
Rennes et accorde une trére d*un an*.
Robert d'Artois vient avec la flotte angloise ponr rétablir la
duchesse Marguerite, descend à Vannes, qu'il prend d'assaut, puis
j est pris lui-même, et blesse à mort par ceux du parti de Charles
de Blois. Edouard vient lui-même en Bretagne pour Jean de Mon-
fort; le duc de Normandie y va aussi ponr Charles de Blois. Tr^Tf
de deux ans*.
1344.
Mais la mort d^Olivier de Clisson, que le roi Philippes, sur quel-
ques soupçons, fit dëcapiti?r à Paris avec douze autres seigneurs
bretons, fait rompre la trêve à Edouard, et donne Heu à la san-
glante guerre qui a duré près d'un siècle *.
I . Abrégé ekronoiogique de BléMni, tome IV, p. 49-46.
a. IhùletH, p. 47 et 48. — 3. Ibidem, p. 5o et 5i.
NOTES
SUR
DES SUJETS REUGIEUX
NOTES
SUE
DES SUJETS RELIGIEUX.
I
RÉFLEXIONS PIEUSES SUR QUELQUES PASSAGES
DE L'ÉCRITURE SAmTE^
Ps. LXXTU* Adhue esem {eontm\ erant in ore ipsorum^ et ira
Dei ascendii super easK Combien de gens aytnt trayaillé tonte
1. Ces rëflexiont ont éîé données par Louis Racine, en 17479 aux
piges S6-60 de l'appendice placé à la suite des Mémoires sur la P'ie de
Jean Bûe'me : « Je n^en donne qu'un très-petit nombre, dit-il dans
one note, pour confirmer seulement ce que j'ai dit dans sa Vie de ses
occupations de piëtë. » H ne nous apprend pas s'il avait trouvé ces
réflexions â la marge d'une Bible ayant appartenu à son père , ou si
elles avaient été jetées par Racine sur quelques feuillets manuscrits,
semblables a cenx où nous ont été conservées ses Rematfuêâ écrites
inu k temps s^peremmeni qu^U eomposoit son Athalie, et ses extraits des
livres saints à propos de Port-Bojral et des Fiiles de t Enfance (voyez
ci-après, p. aia-aiS). Cette dernière supposition est de beaucoup la
plus vraisemblable, d'après la forme du fragment. Mais pourquoi
Louis Racine n'a-t-il pas joint ce manuscrit précieux aux autres
manoscrits de son père qu'il a donnés à la Bibliothèque du Roi, et
pourquoi ne nous en a-t-il fait connaître qu'un court extrait? Crai-
gnait-il que le commentaire de Racine ne fût une occasion de cri-
tiques tbéologiqaes?
3. Versets 3o et 3i. « Leurs viandes étoient encore dans leur
bouche, et la colère de Dieu est montée sur eux. »
sto2 SUR QUELQUES PASSAGES
leur vie pour parvenir à quelque fortune, à une charge, etc.,
meurent dans le moment qu'ils espèrent en jouir, ayant encore
le morceau dans la bouche I
Ps. CT. Et dédit eis petitionem ipsorunty etc^, Cest dans sa
colère que Dieu accorde la plupart des choses qu'on désire
dans ce monde avec passion.
Isaïe, LT. Quare appenditis itrgentum non in panibus, etc.'?
Pourquoi se donner tant de peines pour des choses qui nous
rassasient si peu, et qui nous laissent mourir de faim ? L'enfant
prodigue souhaitoit au moins pouvoir se rassasier de gland,
et encore ne peut-on parvenir à avoir de ce gland. Fenite^
emite ahsque argentOf dît Isaïe'* Nous n'avons qu*à nous
tourner vers Dieu : il nous donnera de quoi nous nourrir en
abondance.
Filius hominis non venit ministrari^ sed ministrare. Math.
XX*. Belle leçon pour nous faire soufirir toutes les négligences
de nos domestiques. Il n'y a qu'à se bien mettre dans Tesprit
({u'on n'est point né pour être servi, mais pour servir.
Jean, xi, vers. 9. Nonne duodecim sunt horx diei, etc.* ? Jé-
sus-Christ entend parler du temps que son père a prescrit à sa
vie mortelle, et la compare à une journée, comme s'il disoit :
«Tant que le jour luit, on peut marcher sans péril; mais quand
la nuit est venue, on ne peut marcher sans tomber : ainsi les
Juifs ont beau me vouloir perdre, ils n'ont aucun pouvoir de
me faire du mal, jusqu'à ce que la nuit, c'est-à-dire le temps
des ténèbres, soit venu.
Idem, chap. xviii, vers, i . Trans torrentem Cedron •. Gix)-
tins croit qu'il étoit ainsi nommé, à cause qu'il y avoit eu des
cèdres dans cette vallée. En grec, c'est le torrent des Cèdres.
Jésus«>Ghrist accomplit ici ce qui le figura en la personne de
f . Verset i5. « Et ii leur accorda leur demande. »
s. Verset 9. « Pourquoi n'employez-rout pas l'argent pour ache-
ter du pain? *» — Dans le texte de Louis Racine, il y a $4 ?<*'"'
le numéro du chapitre : c'est une erreur.
3. Ibidem^ verset i. — « Venez, achetez sans argent. >•
4. Verset a8. « Le fils de l'homme n'est pas renu pour être
servi, mais pour servir. »
5. « N'y a-t-il pas douze heures de jour? »
6. « \u delà du torrent Cedron. *»
DE LECRIÏURE SAINTE. aoi
David, quand ce roi, fuyant Absalon, passa ce torrent, étant
trahi par Acfaitophel.
?ers, 6. Abierunt retrorsum*^ , David a dit, Ps. xxxrv : Aver*
tantur retrorsum^ \ et Isaïe, xxviii : Codant retrorsum^. Quelle
terreur n'iroprimera-t-il point quand il viendra juger, s'il a été
si terrible étant près d'être jugé ?
Responsum non dédit ei^. [Saint Jean] Chap. xix, vers. 9. Il lui
en avoit assez dit, en lui disant que son royaume n'étoit pasde
re monde; et d'ailleurs Pila te, en faisant maltraiter un homme
qu'il croyoit innocent, s*étoit rendu indigne qu'on l'éclaircit da-
Tantage. Ne s'étoit-il pas même rendu indigne que Jésus-Christ
hû répondit maintenant, lui qui lui ayant demandé ce que c^étoit
qoe la vérité n'avoit pas daigné attendre la réponse? Les gens
qui oDt négligé de savoir la vérité quand ils la pouvoient appren-
dre, ne retrouvent pas toujours l'occasion qu'ils ont perdue.
Nescis quia potestatem habcoj etc.*? vers. 10. Puisqu'il est
en son pouvoir de le sauver, il se reconnoit donc coupable
de sa mort, à laquelle il ne souscrit que par une lâche com-
plaisance.
Non habemus regem^ etc.* vers. i5. Les Juifs reconnois-
sent donc que le temps du Messie est venu, puisque le sceptre
n'est plus dans Juda , et en même temps ils renoncent à la
promesse du Messie.
Quod scripsij scripsP. C'étoit comme la sentence du juge, à
laquelle on ne pouvoit plus rien changer. D'ailleurs Philon
a remarqué que Pilate étoit d'un esprit inflexible*. Dieu se
■
I. « Ib sVn sont allés à la renrene. »
3. « Qu'ils soient rejetés en arrière. » Dans le texte de Louis
Racine, le psaume indiqué est le xxxt« ; mais le passage cité est au
▼«net 4 du psaume xxxrv.
3. Verset i3. « Qu^ils tombent à la renverse. » Le texte de Louis
Radne indique inexactement le chapitre xxxvn à^ isaïe.
4* « H ne lui donna pas de réponse. »
5. «I Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir... ? etc. »
6. « Nous n^avons pas de roi. »
7. Ibidem^ Ters 29. « Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit. »
8. « D était, dit Philon, inflexible et implacable avec arrogance. »
%'fâtp TJjv f6atv dlxa(ji3djç xa\ \fxzh toO o&OdSouç dlpieCXixTOc. {De FirtU"
tibtu et Legatiofie ad Caium, Paris, 16/^0, in-folio, p. io34.)
■1
?oi SUR QUELQUES PASSAGES, ETC.
sert de tout cela pour faire triompher b vérité en dépit des
Juifs*
Miserwu sortem^f vers. 24* Cette tunique qui n'est point dé-
chirée est Tunité qu'on ne doit jamais rompre.
Stabat^y vers. aS. La sainte Vierge étoit debout, et mm pas
évanouie, comme les peintres la représentent. Elle se sonve-
noit des paroles de l'ange, et savoit la divinité de son fils. Et
dans le chapitre suivant, ni dans aucun évangéliste, elle n'est
point nommée entre les saintes femmes qui allèrent au sépul*
cre : elle étoit assurée que Jésus-Christ n'y étoit plus.
Separaiim imHdaium^^ chap. jul, vers. 7. Les linges ainsi
placés, et séparés les uns des autres, marquoient que le corps
n'avoit point été enlevé par des vdeurs. Ceux qui volent font
les choses plus tumultuairement.
Ad fratres meos^f vers. 17. U les appelle frères^ pour les
consoler du peu de courage qu'ils ont témoigné. Narrabo nomen
tuum frairibus meis '. U semble que Jésus-Christ ait eu ce
verset en vue, en les appelant ses frères, comme tout ce qui
précède dans ce même psaume a été une prédiction de ses
souffrances.
I. « Os ont tiré au sort.... »
s. « Elle se tenoit debout. »
3. « Plié séparément. »
4. « Vers mes frères. »
5. « Je raconterai ton nom à mes frères. » (Psaume xxi, ver-
ser a3.)
REMARQUES SUR ÀTHALIE. 2oj
II
REMARQUES SUR ATHAUE'.
Nul knélite ne pouvoit être roi qn'il ne fût de la maison
I. Elles se trourent aux feuillets 89 et 90 du tome II des ma-
DDScriti de Racine. Sur le feuillet 88 on lit ce petit avertissement
de Louis Racine : « Quelques remarques écrites par Jean Racine,
dans le temps apparemment qu'il oomposoit son Aihaite, puisqu'on
j tfooYe que, pour justifier TéquiToque du grand prltre, si elle est
attaquée, on se servira de ces mots de J. C. : Solpite temphim
itfc, etc. [Saint Jean, chapitre 11, verset 19]. » — On ne peut en
effet douter cpie ces Remar^mes ne se rapportent à la tragédie d'^-
ikâlit. Racine a dd 1^ s écrire, non pas au temps qu*il composait
JtkûÙê, mais plutôt quand sa tragédie était achevée ou près de
rétre; car il j cite un vers de la scène ti de Pacte V. Nous avons
déjà fait usage de ces Remarques pour Tannotation à^Athalie^ et
nooi les J avons citées passim. Mais nous devons les remettre
ici sons les yeux du lecteur dans leur ensemble et dans leur ordre.
— Quelques personnes peut -être demanderont pourquoi nous n*y
avons pas joint celles qui ont été publiées par M. de la Rochefou-
caold-Liancourt sur la même tragédie (Études Vatéreùrts et morales
isRêe'mt^ édition de i856, p. 179-901). Dans ces iVofe^ sur Aihalie
qne M. de la Rochefoucauld dit avoir recueillies sur les feuilles
volantes où Racine lui-même les avait écrites, on retrouve, avec
qaelqnes changements toutefois, presque toutes celles que nous
donnons ici. Il s^jr joint un certain nombre de citations des livres
ttints, qne nous nWons pas dans le manuscrit de la Bibliothèque
impériale. A côté du texte latin de ces citations, l'éditeur en donne
la traduction, qu^il attribue à Racine lui-même ; nous avouons ce-
pendant que cette traduction nous est souvent suspecte. Dans le
manuscrit que nous avons suivi, Racine n'indique pas à quel vers
de la tragédie se rapporte telle ou telle de ses Remarques : il en
^ tout aulrement dans les Notes publiées par M. de la Rochefou-
<^nld. Si quelqu'un méritait d'être cru sur parole , c'était certaine-
ment M. de la Rochefoucauld-Liancourt. Mais il ne suffit pas que
sa bonne foi soit indiscutable. Quelle règle a-t-il suivie dans son
tniTail? Q semble que pour ces Remarques sur Athalie il ait eu a la
fois sous les yeux quelques notes trouvées nous ne pouvons savoir
^ù, et qui, à tort ou à raison, passaient pour être de Racine; en
««tre, lès notes très-authentiques du manuscrit dr la Bibliothèque
2o6 REMARQUES
de David et de la race de SikMttOQ. Et c'est de cette race qu ou
attendoit le Messie. Talmud^.
Les Septante, aux Paraltpomènes*y diseat que Joïada entre-
prit de rétablir Joas à la huitième année.
Depuis le meurtre de Zacharie, Sanguis aiiigit sangmjucm^
l'Etat des Juifs a toujours été en dépérissant. (Voyez lÀekf,
tome II, p« 36 1.*) Gladius tester exedit prophetas vesiros^,
p. 363.
impériale; et quUl ait mêlé et arrangé tout cela à sa guise. Quant
à croire que Racine ait deux fois écrit des remarques à peu près
les mêmes, nous ne nous y prêterions pas facilement. Il nous parait
donc certain que M. de la Rochefoucauld n*a fait, pour une partie
de ces notes , que se servir du texte que nous donnons ici notu-
méme. S'il en est ainsi, il y a là un échantillon de sa mani^ dr
travailler. Par exemple, trouve-t~il cette note : c Monsieur de
Meaux appelle Joas précieux reste de la maison de David? > il
met : « J'ai emprunté ces paroles de l'illustre et savant prélat,
Monseigneur de Meaux, qui appelle Joas précieux reste de la mai-
son de David, i Nous reviendrons ailleurs sur les raisons qui nous
ont engagé à omettre généralement tout ce qu'auraient pu nous
fournir les Etudes littéraires et moiaies de Racine,
X. A la marge de ce premier alinéa. Racine a écrit \IÀek, tomeH,
page 3. L'auteur qu'il cite, et dont il a plus loin écrit en toutes
lettres le nom de cette manière : Uehfot^ est Jean Ligthfoot, théo-
logien de l'Église anglicane et célèbre hébraîsant, mort en 1675.
On publia en 1686 à Rotterdam, chez Leers, ses œuvres complètes
(/oh, lÀghtfooti Opéra onmia), en 3 volumes in-folio. C'est Fon-
vrage que Racine a consulté. Ou y lit à la page qu'il indique ici :
Aeminem Israelitarum regem futurum qui nom e domo DavutU et Seio'
monts prostpia fuerit, Talmud in sanhédrin, cap. x. Ideoque regtm
Messiam ex ea prosapia expeciaiant. Voyez notre tome III, p. 61 3,
note 3.
9. Livre II, chapitre xxiii, verset i.
3. A la page 36 1, Lightfoot parle de Zucharie ; mais c'est à li
page 363 qu'il parle du dépérissement de l'Etat des Juifii et qu'il
cite Osée, chapitre rv, verset a, pour l'expression : Sanguis aitigit se»-
guinem (dans la Vulgate : Sanguis sanguinem tetigii)^ « le sang est
venu se mêler au sang. » Voyez notre tome III, p. 60a, note i.
4. « Votre glaive a dévoré vos prophètes. » Lightfoot renToie
au verset 3o du chapitre 11 de Jérémie, où le texte porte dans la f^nl'
gâte : Devoravit gladius vtster propitetas veslros.
SUR AT H A LIE. ' 207
Lichfot dit que tout se fit par les prêtres et par les lé<^
vîtes*.
Promesse de l'étermté dn trône en faveur de Salomon.
n Beg, cap. vu, vers* i3; et I Paràlip. cap. xvu, vers. 1%
etseq.
Psaume lxxi tout en faveur de Salomon. Psaume DixU
Dominiu\ Misericordias*^ et Mémento''. Et I Paralip. cap.
xzinii,
Jechonias eut Assir, Assir eut Salathiel, et celui-ci Zoroba-
bel'. Quand Jérémie appelle Jechonias virum steriiem^y c'est
i dire : « dont les enfants n'ont point régné. » Car le même
Jérémie parle ailleurs de la postérité de Jechonias.
Monsieur de Meaux'' appelle Joas « précieux reste de la
maison de David. »
Athalie* voulut qu'il ne restât pas un seul de la maison de
David, et elle crut avoir exécuté son dessein. Il n'en resta
qu'un seul, qoi étoit fils d'Okosias.
M. d'And.*. Voilà le seul qui vous reste de la maison de
David.
I. Voyez notre tome III, p. $97, note 3. Nous y citons le pas-
sage de Lightfoot (tome I, p. 89) auquel noos pensons que Racine
a fait allosion.
a. Psttume ax. — 3. Psaume txxxyni.
4- Psaume cxxxi.
5. FUu Jechonim fuerunt Asir^ Salatfùel (I Paral^., chap. m,
vers. 17.) Il est dit au verset 19 du même chapitre que iSorobabel
était fiJs de Phadaia ; mais on lit dans saint Matthieu^ chap. i,
venet i3 : Salathial autem gemuit Zoroèabel; et dans EsdraSy chap. y,
verset a : Zorobabel fUius Salathiel.
6. « Un homme stérile. » (Chapitre xxii, verset 3o.)
7. Dans le Discours sur t histoire universelle^ a« partie, section ri.
Racine, dans une note a la marge, renvoie à la page 27. H s'est
Knri de la première édition, qui est celle de 1681 (i rolume in-4",
à Paris, chez Sébastien Mabre Cnimoisy).
8. Racine a écrit à la marge : Joseph. Voyez les Antiqmtés juJat-
f^ de Josèphe, livre IX, chapitre vu, J i .
9. Cest-â-dire, M. d'AndiÛy. Dans la traduction qu'Amauld
d\4ndilly a donnée de V Histoire des Juifs écrite par Flavien Joseph^
U phrase citée par Racine ne se trouTe pas textuellement, mais
■mlement celle-ci à la page lai du tome U (édition de 1668,
'2o8 REMARQUES
UParalip. chap. xxi*. /orom occidit omnes fratrts suos
gladio,,,» Noluil autem Dominas disperdere domum David,
propîer pœtum etc^ et quia promiserat ut daret ei lucemam
et filiis ejus omni tempore.
Si ces promesses n'avoient été faites à la race de Salomon,
Dieu n'avoit qu'à mettre sur le trône les enfants de NathanV
Le P. R.*. Josabet conserva Joas, et Diea le permit pour
empécher que la race de David ne fût éteinte.
Sohite templum hoc^^ etc., pour justifier l'équivoque du
grand prêtre, si on Tattaque.
Zacharie, fils de Joad, est nommé prophète*.
Les Ismaélites étoient idolâtres et fort attachés à leurs faux
5 volâmes iii-12) : « Voilà votre roi, et le seul qui reste de U
maison de celui que vous savez que Dieu a prédit qui régneroit a
jamais sur vous. »
I. Voyez les versets 4 et 7. « Joram fit mourir par Tëpée tous
ses frères.... Cependant le Seigneur ne voulut point perdre la mai-
son de David, à cause de Palliance, etc., et parce qu'il lui avoit
promis de lui donner un flambeau à lui et à ses enfants pour tous
les temps. »
a. Sur Nathan, le troisième fils de David et de BersalxSe, vojez
le livre II des Hou^ chapitre v, verset 14 ; le livre I des Pmfvl^
mènes ^ chapitre m, verset 5, et chapitre xrv, verset 4f et iechi-
pitre ni de «oln/ Luc^ verset 3i.
3. Racine a écrit à la marge : « p. 636. »LeP.'A, signifie UPort-
JRojrai. Racine désigne ainsi la Bihle dite de Saci. Dans le velome
où se trouve le passage qu'il ne cite pas textuellement, les Ejpà-
cations sont de Thomas du Fossé. C'est celui qui a pour titre :
Le* deux derniers livres des Rois. On lit dans V Explication dm diâ-
pitre XI du livre IV (p. 636 de Fédition de 1686) : « Une ssor
d'Ochosias, . . . touchée de compassion pour ces enfants qu'on égor-
geoit si cruellement, usa de sagesse pour ea sauver un, et pour
empêcher, comme parle l'Écriture en plusieurs endroits, que la
lampe de David, c'est-à-dire que sa race ne fât éteinte. »
4. « Détruisez ce temple. » {Saint Jean, chapitre n, verset 19.) "
Un peu plus loin, Racine cite de nouveau ce passage de l'évangé-
liste. Jésus-Christ y parle de son corps, tandis qu'il laine con-
prendre aux Juifs qu'il s'agit de leur temple.
5. Au moius est-il dit au livre II des ParatqMumènoSn chapitre uiv.
verset so : Spiritus itaque Dei induit Zachariam^ fi&um Joiadm.
SUR ATHALIE. 209
dieux. Jéréaim chap. u'. In Cedarmitiite et consieierate,,., si
mutavit gens deos suas^ et certe ipsi non sont dit,
Octo* annorum erat Josias cum regnare cœpisset; et triginta
et uno anno regnavit in Jérusalem ; fecitque quod erat rectum
inconspectu Dominé^ et ambulavit in viis David patris sui^ etc. '•
Joachin, fils de Joakiin, lequel étoit fils de Josias*.
Ocio annorum erat Joachin* cum regnare cœpisset^ et tribus
mensibtts ac decem diebus regnavit in Jérusalem^ fecitque ma-
lum in amspectu Domini^, » Dans les RoiSy il a dix-huit ans^.
Temple, c In domo hàg et in Jérusalem.,,, ponam nomen
meum in sempiternum. > II Paralip. xxziii*.
Prêtres {ipastats. Mathan» Voy. Ezech. chap. vui , idolâtrie
des prêtres.
Ad iracundiam me provocaverunt ipsi, et reges eorum, et
iacerdotes eonwu... ^dificaperunt excelsa Baal. Jérém. chap.
uxu, yers. 3 a et 35*.
I. Venets 10 et 11. « Enroyez en Cëdar et examinez.... si cette
Dation a change ses dieux, qui certainement ne sont point des
dieux. » Voyez notre tome III, p. 667, note i.
s. Ici Racine a écrit à la marge : huit ans. Sur les raisons qu^il pa-
rait avoir eues de rappeler Tage de Josias, et plus bas celui de Joachin,
à leur aTénement au trône, voyez notre tome III, p. $9$, note i.
3. n Paralip. chap. xxxit, vers, i et s. <« Josias avoit huit
ans quand il commença à régner, et il régna trente et un ans à
Jérusalem, et il fit ce qui étoit bon devant la face du Seigneur, et
il marcha dans les voies de David son père. ...»
4. Voyez le livre II des Paralipomènes , chapitre xxxvi , ver-
sets 4 et 8.
5. Jechonias. (^Note de Racine,) Il veut dire qu^au même verset,
dans les Septante^ au lieu du nom de Joachin^ donné par la Vulgate^
il 7 a Jechonias. — Un peu au-dessous du nom de Jechonias^ Racine
a encore écrit à la marge : «< Nota. Les 70 disent aussi huit ans. >»
6. H Paralip, chap. xxxvi, vers. 9. « Joachin avoit huit ans
quand il conunença à régner, et il régna trois mois et dix jours à
Jérusalem; il fit le mal devant la face du Seigneur. »
7. Voyez le livre IV des Rois^ chapitre xxiv, verset 8.
8. Verset 7. « Dans cette maison et dans Jérusalem jVtablirai
mon nom pour jamais. » — Au lieu du chapitre xxxiii, Racine a
par erreur indiqué le chapitre xxiii.
9. Racine, au lieu des versets 3a et 35, indique par erreur le
J. RACira. T 14
aïo REMARQUES
Et in prophctis Jérusalem vidi similitudinem adulterantium\
Jérém. chap. xxiii, vers. i4«
Vers. 27 •, Qui volant facere ut obliviseaiur popubu nomnis
mei.,,y sicut obliti sunt patres eorum nominis met propterBad,
Jérém. chap. viii. Ejicient ossa [regum Juda,,.. et assa saca-'
dotum^ et ossaprophetarum.,,. Et expandeni ea ad solem et
iunam et omnem militiam cœli qu».,,, adoraveruni^ etc.*. 1
Les Juifs appeloient tussî Dieu leur père*. Moïse dît : c Vous
avez abandonné le Dieu qui vous a engendrés '. » Et Malachie : < Il
n'y a qu'un Dieu et un père de nous tous'. » Mais en priant ils
ne disoient point : « Père. » Si quelques-uns l'ont fait, c'a été
par un instinct particulier. Saint Chrysostome sur Ahba paler\
Un roi s'appelle Joachin ', un grand prêtre Joachim ou ÉUor
chim •.
venet 34- Sa citation n'est pas tout à fait textuelle. — « Us ont
provoqué mon courroux, eux-mêmes et leurs rois et leurs prêtres. ■■•
Us ont bâti des autels à Baal. »
I . « J'ai vu les prophètes de Jérusalem semblables à des adultères. »
— A la marge de cette citation, Racine a écrit : Nota.
a. Au même chapitre de Jêrénde: « Qui veulent faire que moo
peuple oublie mon nom..., comme leurs pères ont oublié mon nom
à cause de Baal. »
3. Versets i et a. « Us jetteront {liora de leurs sépideres) les os
des rois de Juda, . . . et les os des prêtres, et les os des prophètes...-
Et ils les exposeront au soleil, et à la lune et à toute la milice da
ciel..., qu'ils ont adorés. »
4. Voyez notre tome III, p. 645, note a.
5. Deutéronome^ chap. xxxii, verset 18. — 6. Chap. n, verser 10.
7. Les mots Abha pater sont trois fois dans le Nouveau Tesu-
ment, dans saint Marc, chapitre xiv, verset 36 ; dans salni Paul^ Êpùn
aux Romains, chapitre vni, verset 1 5 ; et Èpitrt aux^ Galatcs, chapitre rr,
verset 6. — Saint Jean Chrysostome a commenté ces passages en
différents endroits. Mais nous croyons que Racine a eu en vne
VlioméVie qui est la xiv« au tome VIII de l'édition de Montfaucon
(Paris, 1728, in-folio). Voyez aux pages 79 et 80 de ce tome. Saint
Chrysostome y établit que l'adoption des Juifs comme fils de Die»
a été surtout nominale, et qu'ils ont conservé l'esprit de servi-
tude, tandis que l'adoption des chrétiens a été réelle et effective;
et il cite le verset i5 du chaptire viii de VÉpitre aux Romains.
8. Voyez ci-dessus, p. 009, note 6.
9. Voyez le Livre de Judith^ chapitre iv, versets 5 et ix, dam U
SUR ATHALIE, an
Du haut de nos sacrés parvis^ » On fit monter saint Jacques,
frère dn Seigneor, au haut du temple, pour y déclarer à tout
le people ses sentiments sur Jésus-Christ. Et aussitôt tous ses
ennemis y montèrent en foule pour l'en précipiter*.
Équivoque de Joad. i® Soiçiie iemplum hoc*, %^ Martyre de
saint Laurent, à qui le juge demanda les trésors de FÉglise.
Aquoquum qumrerentur thesauri Ecctesm^ phomisit demonstra^
turum se. Sequenti die pauperes daxii. Inierrogaius ubi essent
thesauri quos promiserai ^ ostendit pauperes , dicens : Hi suict
TRKÂUBi EccLESLB.... Lourentius pro singulari su» interpréta^
tionis viçacitate sacram martjrrii accepit coronam, (Saint Am-
broisc, de Officiis^)
Dans Prudence', saint Laurent demande du temps pour cal-
culer toute la sonmie*
yalgaie, où on lit le nom du grand prêtre ÉOac/iim; et le même
chapitre, rersets 6, 8 et 14, dans les Septante^ qui appellent ce m^me
grand prêtre /oaAfm. — Racine a sans doate voulu expliquer le choix
qu'il a fait du nom d^Éliacin dans Athalie^ acte I, scène n, vers i8a.
I. C'est le vers 1749 ^Atludie (acte V, scène vi). Voyez notre
tome in, p. 701, note 3.
a. Voyez le tome I des Acta sanctorum Maii^ publié par les Bol-
landlstes en 1680. Aux pages 33 et iS, on trouve le récit du mar-
tjre de saint Jacques {Jkfartjrrium saneti Jaeobi^ fratris Domini) d'après
Hégésippe.
3. Voyez ci-dessus, p. 908, note 4*
4- Livre II, chapitre xxvin. « Comme on lui demandait les tré-
sors de rÉglise , Û promit qu'il les montrerait. Le lendemain, il
imena des pauvres. Questionné sur Tendroit où se trouvaient les
trésors qu'il avait promis, il montra les pauvres, en disant : ^oiei
^ trésors de l'Église..,. Son explication singulièrement frappante
^alnt k Laurent la sainte couronne du martyre. »
5. Dans Vhjrmne de Prudence en l'honneur de saint Laurent
(^CTs ia5-i33), le Saint parle ainsi :
Umim sed orans flagilo
Induciarum paululum^
Quo fungar efficaeius
Prom'usionis munere,
Dum tota dîeesttm mihi
Christi supeïUx serièiiur.
Nam ealeulanda primitus.
ai2 REMARQUES SUR ÂTHÂLIE.
Saint Augustin même, si ennemi du mensonge, loue ce mot
de saint Laurent : H» suni divitim Eeciesi»^ {Sermon cocni^,)
Dieu dit à Moise : c Dites à Pharaon : Dimitte populum
meum^ ui sacrificet mihi in deserto*, > Etchap. yiu',: Pharaon
répond : Ego dîmittam 9os ui sacrificetis Domino Deo çestro
in deserto. Ferumtamen hngius ne {tbeatis. Dieu a trompé
exprès Pharaon. Sjmops^, Une antre fois Pharaon dit* : « Sa-
crifiez ici. > Moïse répond' : « Nos victimes sont yos dieux. >
Abominationes Mgxptiorum immolabimus domino^. Donc Dieu
vouloit faire sortir le peuple tout à fait, et Pharaon ne Tai-
tendoit pas ainsi.
m
PORT-ROYAL ET FILLES DE L'ENFANCE».
Michée ^ chap. ii, v. g. Mulieres populi mei ejecistis de
Tune tuhnotanda est summula.
Voyez les OEuvres de Prudence, publiées en i537, à Râle, i to-
lome in-ia, p. ii8.
I . Voyez au tome V, a* partie, de Fédition des Bénédictins (Paris,
MDCLXXXUI), p. ii33, le sermon intitulé : /a Hatati martjm
Laurentu, ii. Saint Augustin y rapporte le mot de saint Laurent,
et le loue en ces termes : Aperuit fauces aparitia; sêd tciehat fui
facerei sapientia,
a. Exade^ chapitre y, verset i. « Laisse aller mon peuple, afin
quUl me sacrifie dans le désert. »
3. De V Exode ^ verset a8. « Je vous laisserai aller, afin que ^ous
sacrifiiez dans le désert au Seigneur votre Dieu. Cependant ne tous
éloignez pas trop. »
4. Synopsis criticorum aliorumque sandtÊ Scripturm interpretum. •
(Londres, 1669-1680, in-folio), tome I, p. 369. Voyez aussi noire
tome m, p. 694, note a.
5. Exodey chapitre vm, verset a5. — 6. Ibidem^ verset a6.
7. te Nous ferons au Seigneur des sacrifices abominables au^
yeux des Égyptiens. »
8. En tête de ces pages qui se trouvent aux feuillets 91 et 9s àA
PORT-ROYAL ET FILLES DE L'ENFANCE, aiî
dama Miciantm suarum; a parvulis earum iulistis Ituidem
meam in perpetuum * .
Cbap. m, y. 3. Expressions fortes pour marquer les tîo-
lences des grands*.
Vers. 5. Faux prophètes, qui seducimt populum meuniy qui
mordent dentibus suis^ et prtediceint pacem; et si quis non dede^
rii in are eorum quippiam^ sanctifieant super eum prxlium^.
Vers. II. Et cependant ces faux prophètes espéroient encore
ao Seigneur, disant : Numquid non Dominus in medio nostri^ ?
tome n de ses manuscrits. Racine a ^crit Michée; et sur ce nom
il a fait cette note : « Il prophëtisoit dans le même temps qu'Isaïe,
«t il se sert de beanconp d^expressions qui semblent être tirées de
lai. » — On peut voir aux pages 487 et 488 de notre tome IV ce
que Racine, dans son Abrégé de l'histoire de Port-Rojrai, dit de
rinstitat des Filles de tEnfancê de Nôtre-Seigneur. A la note que
nous aTons donnée (ibidem , p. 4^^) ^^r ^^^ institut, ajoutons
quWntoine Amauld en prit la défense dans son livre intitulé :
V Innocence opprimée par la calomnie, ou V Histoire de la Congrégation
du Filles de tEnfanee de Notre Seigneur Jesus^Christ, Et de quelle
manière on a surpris la Beligion du Roy TreS'Ckrestien , pour porter Sa
Majesté à la destruire par un arrest du Conseil* Violences et inhumanitet
txercées contre ces Filles dans Vexeeution de cet arrest^ et F injure faite
ou S. Siege^ etc. A Toulouse^ chez Pierre de la Noue, 1688. i volume
in-ia. L'année suivante , le même libraire de Toulouse publia la
Relation de PEstablissement de Vlnstitut des Filles de r Enfance de Je-
nu, apec le récit fidèle de tout ce qui s* est passé dans le renversement
du mesme Instituts Par une des Filles de cette Congrégation^ de la
maison de Toulouse, i volume in-ia. M. Sainte-Beuve, dans son
Port'Bojral (tome V d^ la 3* édition, p. 453-456, et p. 617-691), a
donné des détails, auxquels nous renvoyons le lecteur, sur Tlnstitut
et sur sa suppression.
I. « Vous avez chassé les femmes de mon peuple de la maison
qai faisait leurs délices; vous avez pour jamais imposé silence à
leon petits enfants sur mes louanges. »
s. Qui eomederunt carnem populi meij et pellem eorum desuper exco-
naftrunt; et ossa eorum confrrgerunt ; et conciJerunt sicut in lebete^ et
^uasi carnem în medio ollte,
3. « Qui séduisent mon peuple, et qui déchirent avec les dents,
^ ne laissent pas de prêcher la paix ; et si quelqu'un ne leur donne
pas à manger, ils lui déclarent la guerre sainte. >»
4- « Le Seigneur n'est-il pas au milieu de nous ? »
ai 4 PORT-ROYAL
Chap. vi, ▼. 7 % etc. Quid dignum offeram Domino?,,.
Numquid dabo primogenitwn meum pro scekre meo?.». etc.
Yen* 8. Indicabo tibi^^ o homo^ quid sit bonum^ et quid Do-
minus requirat a te : utique facere judicium^ et diligere mise-
ricordianij et soUkitum ambulare cum Deo tuo '.
Chap. VII, y. I . Dieu se compare à un homme qui a en^ie
de manger da raisin, et qoi vient pour cela dans nne yigDe,
qu'il trouve déjà vendangée. Non est bonus ad comedendum^
Vers. a. Periit sanctus de terra^ et rectus in hominibus non
est .••• etc.
Vers. 3. Malum manuum suarum dicunt bonum. Pr inceps
postulat^ etjudex in reddendo est. Et magnus locutus est desi-
derium anirnss susB^ et conturbmferunt eam*»
Vers. 4* Qui optimus in eis^est^ quasi paliurus; et qui rectus,
quasi spina de sepe^,
aasiaiGonDB db uibu.
Vers. 19. Pei^ertetur^ et miserebitur nostri : deponet^ iniqui'
tates nostrasy et projiciet in profundum maris omnia peccata
nostra •.
I. Plus exactement : versets 6 et 7.
a. Racine a ëcrit ici à la marge : VraU fruits de pénitence.
3. <c Qu^offrirai-je au Seigneur qui soit digne de lui?... Sacrî*
fierai-je pour mon crime mon fils aînë?... O homme, je t^tndi-
querai ce qui est utile, et ce que le Seigneur demande de toi :
c^est d'agir justement, et d'aimer la miséricorde, et de marcher
plein d'une crainte respectueuse avec ton Dieu. »
4. « Il n'est pas bon à manger. »
5. « D n'y a plus de saint sur la terre; personne parmi les hom-
mes n'a le cœur droit. »
6. M Ils appellent bien le mal que font leurs mains. Le prince
exige, et le juge a été achète. Et le grand a laisse sortir de sa bouche
la passion de son ame , et {les hommes) l'ont troublée. »
7. « Celui qui est le meilleur parmi eux, est comme une ronce;
et celui qui est juste, est comme l'épine d'une haie. >»
8. Racine a écrit en note à la marge : Mettre sous ses pieds.
9. « Il reviendra, et aura pitié de nous : il mettra sons ses pieds
nos iniquités, et jettera tous nos péchés au fond de la mer. »
ET FILLES DE L'ENFANCE. ai5
Chap. i, T. I. Nabvm*, Peintare terrible de Dien, lorsqu'il
s*ipprète à se yenger*.
SOGliTB DIS MiCBABTf.
Vers. lo. Sicuî spinm se invicem eomplectuntur^ sic conpwium
nrum pariter potaniium. Consumentur quasi stipula aritlitate
Chap. II, Y. 6. Le prophète prédit la mine de Ninive de la
même manière qu'elle arriva, c'est-à-dire par le débordement
dn Tigre, qui renversa une partie de ses remparts^ et la livra
ainsi aux Chaldéens après deux ans de siège.
Vers. i3. Et non audietur uitra pox nunciorum tuorum*» Les
menaces de tes ambassadeurs. Il parle à Ninive •
Chap. m, vers. 1 1» Excès du malheur. Et tu quseres auxilium
oh inimico*.
Vers. I a. Et tes remparts tomberont, comme les (ignés mûres
tombent, pour peu qu'on secoue le figuier^.
Vers. 17. Tes défenseurs seront comme des sauterelles qui
s'tnétent sur les haies dans un temps froid*. Sol ortus est,
etavolaveruni*..», etc.
I. Toute sa prophétie est contre Ninive, quelques cent ans avant
» mine, qui arrÎTa soua Sennacherib. (Note de Bacine.)
a. Plus exactement Racine devait citer le verset 9 : .... Deits
tmuUtory et ulcUcens Dominus : ulciseens DomimUj et hahent fiirorem :
tUucens Dominus in kostes suos^ et irasetns ipte inimtciâ suis,
3. « Comme les épines s'entrelacent, ainsi ils s'enivrent ensemble
dans les festins. Qs seront consomés conune la paille sèche. »
4. Portât fluviorum apertm sunt^ et templum ad solum dirutum,
5. « Et Ton n'entendra plos la voix de tes ambassadeurs. »
6. « Et tu demanderas secours à ton ennemi. »
7. Omnes munitiones tust sicut ficus cum grossis suis .* si eoueussm
fuerint^ codent in os comedentium,
8. Custodes tut quasi locustm; et parvuU tui quasi loeustss loeusttarum^
fm considunt in sepihus in die frigoris,
9- « Le soleil s'est levé, et elles se sont envolées. »
aifî EXTRAIT
IV
EXTRAIT DES 9"- DIFFICULTÉS».
On a mis à l'Index les Lettres Provinciedes^ on n'y a jamais
mis Wendrok*.
On y a mis V Histoire de M. de Thon', celle de Grotiiis* et
son excellent livre de Jure belli et pacis*^ Tarrèt dn Parlement
contre Jean Chastel*, etc.
I. Feuillet aoo du manuscrit de Racine (tome II). n se tronre
mélë, dans le volume, aux Fragments historiques. Le lirre dont Ra-
cine a fait ici un extrait est d* Antoine Amauld. U a pour titre :
Difficultés proposées à M, Stejraert sur l*a»is par lui donnée Mgr t et"
chevéque de Cambraf.... Les deux premiers volumes de cet ourrige,
contenant les huit premières parties, parurent en 1691, à Cologne,
chez Pierre le Grand ; la 9* partie chez le même libraire, à la fin
de 169s. C'est cette 9^ partie que Racine appelle les 9™** Diffutd^
tés. Elle a été réimprimée au tome IX des OBuvres de Mesure An-
toine jémauld (48 tomes en 4^ volumes in-4*f publiés à Lausanne,
1775 -1783). Dans les notes qui suivent, nous renvoyons à cette
édition, n'ayant pu trouver l'édition détachée de 169s. On peut Toir
dans les lettres d'Amauld ce qu'il dit lui-mdme de cette 9* partie
des Difficultés (tome III de ses OEuvres^ p. 466, 4^8, 554, 5S6 et
641). A cette dernière page, dans une lettre a M. du Yaucel, du
93 mai 1693, il dit avoir pour lui le suffrage de Bossnet : « On
nous mande de Paris que Monsieur de Meaux est très-content de
la 9« partie des Difficultés, n Les neuf parties de ces DifpcuUù
furent mises à l'Index, mais seulement en 170$, sous le pontificat
de Clément XI.
9. Œupres de Meuire Amauld^ tome IX , p. 986. — Amauld j
conclut de ce fait qu'il y a « un juste sujet de croire qu'elles (/«f
Lettres Provinciales) ne se trouvent dans le Catalogue des livres dé-
fendus que parce qu'elles avoient paru sans nom d'auteur, sans
approbateur et sans le lieu de l'impression. »
3. Ibidem, p. 3oi.
4. Ibidem, p. 199. — Il s'agit du livre qui a pour titre : Hugoms
Grotii Annales et historm de rébus Belgieis, Amstelstdami.. . . MDCLVII.
I volume in-folio.
5. Ibidem, p. 999.
6. Ibidem, p. 3oi et 3o3 : « C'est une chose bien surprenante,
DES 9»« DIFFICULTÉS. 117
Le Rituel d'Aleth fut condamné par l'Inqaisition à être
brAlé, parce qa'il fut publié pendant la qaerelle. Il fut depuis
approuvé par vingt-neuf évéques, en y faisant seulement quel-
ques changements*.
Une des trente-deux propositions condamnées par le décret
d^Alexandre VIII* se trouve en propres paroles être de saint
Augustin : Deo patri simulacrum nef as est Christianum in tem»
pio ccUocare^, Belle explication de la doctrine de l'Eglise sur
ce sujet*.
On a mis dans V Index la Métaphysique de M. Descartes et
sa Réponse à Gassendi pour prouver T immortalité de Tàme.
dit Amatdd , de le trouver dans l'Index en ces termes : Arrestum
contra Joannem Casiellum Sc/iofastieum. »
I. OEuvrMS de Messire Arnauld, tome IX, p. 389-391. •— Les in-
structions du nouveau Rituel^ publie par Nicolas Pavillon , <;véque
d'Aleth, pour son diocèse, avaient été revues par Amauld. Un bref
do pape Qément IX, daté du 17 avril 1668, condamna ce Rituel.
a. Le décret d'Alexandre VIII, qui est daté du 7 décembre 1690,
condamne non pas trente-deux propositions, comme Racine l'a
écrit par inadvertance, mais trente-une : Statuit et deerevit XXXI
fropoiitionesy (anquam temerarias^ scandalosas^ malesonantes^ injuriosas^
kmresi prommas^ /mresim sapientes^ erroneas, scltUmaticaSf et luereticas
respective^ esse damnnndas et prohibendas. De ces propositions la
vingt-cinquième est ainsi énoncée dans le décret : Dei pairit sedentis
simuiaerum ne fus est Christiano in templo collocare,
3. Cette proposition avait été signalée chez Hesselius (Jean Hes-
lels, docteur de Louvain), dans son Catéchisme sur le Décalogue^
chapitre i.xiv. Amauld (tome IX, p. 887) montre qu'elle est tex-
taellement dans saint Augustin, de Fide et Sjrmbolo^ chapitre xiv.
On l'y trouve en ces termes au tome VI, p. 167 de l'édition des
Bénédictins : Nec ideo tamea quasi hutnana forma circumscriptum Deum
Petrem arbitrandum estf aut id ipsum quod sedere Pater dicitur^ flexis
popiîtibus fieri putandum est, ne in illud incidamus sacrilegium, quo exe^
cratur jlpostolus eos qui commutaverunt gloriam incorruptibUis Dei in
timilitudinem eorruptibilis hominis. Taie enim simulacrum Dei nefas
est christiano in templo collocare, multo magis in corde nefarium est^
tibi çere est templum, si a terrena cupiditate atque errore mundetur»
Dans le Catéchisme de Hessels les paroles sont exactement les mêmes,
si ce n'est qu'au commencement de la première phrase il y a Non
igitur, au lieu de JVec ideo tamen.
4- Voyez les (XRuvres éTArnauld^ tome IX, p. 388-390.
1
2i8 EXTRAIT DES 9— DIFFICULTES.
On n'y a point mis la PhQosophie de Gassendi, ni son Traité
contre Deicartes, où il donne des prennes contre rimmor>
talité de ^Ame^
Belle dissertation sur le système de Copernic, aussi censuré
à rinqnisition*, sur les façons de parler de rÉcritore accom-
modées an sentiment Tnlgaire*; sur la mer de Salomon, qui
étoit ronde, qai avoit dix condées d'un bord à l'antre, et dont
le tour étoit de trente condées au m* livre des Rois^,
Sermon de saint Chrysostome sur ce que la terre nageoit sur
Teau'. Son ignorance sur la physique.
I. Voyez les OEuvrtt itJrnauldj tome IX, p. 3o4. « N'est-ce pas,
dit Amauld, permettre d*aTaler le poison et empêcher qu'on ne prenne
Fantidote ? »
s. Ibidemy p. 807.
3. Ibidem, p. 3x9 et 3x3.
4. Ibidem^ p. 3ii : « Il y est dit : {diuu le xn" chapitre Jk
in* livre des Rois) que Salomon fit faire urne mer de fanie, qm étoit
ronde f qui avoit dix coudées tTun bord à F autre ^ et qui étoit environnée
à tentour tTun cordon de trente coudées. L'historien sacre a marqué
par là que ce yaissean rond, appelé mer, avoit dix coudées de dia-
mètre, et trente de circuit on de circonférence. Ce seroit donc,
dira quelqu'un, démentir le Saint-Esprit que de ne pas demenrer
d'accord que la circonférence d'un cercle est triple de son diamè-
tre. . . . S'en pourra-t-on servir pour pousser le pyrrhonisme jasqo'à
prétendre que la géométrie même n'est pas certaine, parce qae,
selon les géomètres, un vaisseau rond, qui auroit dix coudées de
diamètre, en auroit plus de trente-une de circonférence, ce qui
est contraire à ce que dit l'Écriture ? »
5. Ibidem, p. 3xx : « Dans le ix* de ses sermons au peuple d'An-
tioche, il {saint Chrysostome) propose comme un fait indubitable)
attesté par le Prophète-Roi dans ses Psaumes (xxin et cxxxv) que
la terre nage sur les mers. . . . etc. »
LES PP. BÉNÉDICTINS. %ig
ACCUSATIONS CONTRE LES PP. BÉNÉDICTINS ^
Il n'y a pas une seule déclamation contre Jansénins dans
tonte leur édition*.
A la marge d'une définition de la GrAce : c C'est une inspi-
ration lumineuse qui nous fait faire le bien par la Charité, »
ils ont mis : Definitio Gratix ^
I. Cette note, de même que la précédente, a été placée parmi les
Fragments historiques dans les manuscrits de Racine. Elle est au feuil*
let 101. Racine a extrait ces accusations contre les Bénédictins d^une
brochure intitulée : Lettre de Vabbé *** aux jï. B. P. P. Bénédictins
de la Congrégation de Saint'Maur^ sur le dernier tome de leur édition de
seint Augustin , pièce in-4**9 de 36 pages, à Cologne, sans date et sans
nom d^auteur. Un A9ertissement du Uhraire^ qui est en tête du libelle,
dit que « cette lettre a été écrite en latin par un des plus consi-
dâables abbés d^ Allemagne, » et que « Timprimeur a cru obliger
le public en la faisant traduire. » Mais on se douta bien tout
d'abord que le prétendu abbé d^ Allemagne était un jésuite. Racine
ne pat pas connaître son nom, s'il est Trai que ce fut seulement
par une lettre de dom Sainte-Marthe, du 3i octobre 1699, écrite de
Rome à Monsieur de Reims, qu'on apprit que l'auteur anonyme s'ap-
peloit Langlois (Jean-Baptiste Langlois, jésuite de Nerers, mort en
1706). Vojrez V Histoire des contestations arrivées entre les Jésuites et
la Congrégation de Saint^Bisttsr^ au sujet de la nouvelle édition des
Œuvres de saint Augustin procurée par la Congrégation, pièce in-4*i
en France^ MDCCXXXVI. Elle est de dom Antoine- Vincent Thuil-
Hrr. n j est dit (p. 7.) que la lettre de l'abbé d'Allemagne parut
SOT la fin de l'année 1698. Racine n'a donc pu la connaître que
dans les derniers mois de sa yie, et la page que nous donnons ici
doit être une des dernières qu'il ait écrites.
3. « D'où vient qu'il ne vous est jamais échappé un mot qui
marquât dans vous quelque indignation contre les Jansénistes?... »
[Lettre de F abbé de ***, etc., p. 6, i^ preuve.)
3. « Voici.... la note que tous mettez à la marge vis-a- vis de ces
paroles : « Un secours qui fait faire le bien par l'inspiration d'une
« très-ardente et très-lumineuse charité, » Definitio gratiœ Christi.,..
Mais il est évident que cette définition prétendue de la grâce de
J«^U9-Chri8t que vous faites donner par le Saint ne convient aucu-
!i20 LES pp. BÉNÉDICTINS.
A la tète du livre de la Correction et de là Grâce^ qnoiqa'il
ne soit pas dit on mot de la grâce suffisante dans ce livre, ils
ont mis : < Toute l'économie de la grâce est menreilleasemeDt
expliquée dans ce livre*. »
A la marge d'un antre passage : InielUgenda est gratia Dei
per Christum qua sola homines liberantur a malo^ ce qui ne se
peut entendre de la grâce suffisante, ils ont mis : Gratia Dei
per Christum guêsnam sit*.
Voilà les principales raisons sur quoi cet impudent jésmte
traite les bénédictins d'hérétiques.
nement à la grâce purement suffittiite, car c^est la définition de la
seule grâce efficace.... «{Lettre de Pal/bê de ***, etc., p. i8 et 19,
vii« preuve.)
I. u Vous osez, dam une note qu'on troare au commencemfnt
de ce traité, avancer que le livre de ta Correction et de la Grâce pré-
sente aux yeux toute l'économie de la grâce divine : umversam divi'
n» gratîm œconomiam tubjicit hic liber. Le croyez-vous, mes PèrfS,
qu'un livre où, selon vous, on parle seulement de la grâce efBcare
et où il n'est fait nulle mention de la suffisante, présente aux jeui
toute l'ëconomie de la grâce divine? » {Ibidem^ P* 16, y* preuve).
9. « Saint Augustin parle d'une manière très-juste au livre de le
Correction et de la Gréce^ chapitre ii, quand il dit qu'il foui recoH'
noùre la grâce de Dieu en Jésus-Christ, par laquelle seule les hommes
sont délivrés du mal. Intelligenda est gratia Dei per Christum^ qua sole
homines liberantur a malo. Cette vérité, mes Pères, est incontestable.
.... Mais je vous avoue que je ne reconnots plus la pensée de ce
saint docteur quand je jette les yeux a la marge, et que je vois tîs*
a-vis de ces paroles la note que vous y avez ménagée : Gratia Dei
per Christum qumnam sit.... En efTot les paroles du saint ne donnent
nulle atteinte à la grâce suffisante, et votre annotation la détruit.
Car si la grâce de Jésn»-Christ est précisément, comme le marque
votre observation, celle qui délivre les hommes du mal, et qui les
sanctifie,... la grâce suffisante des catholiques ne peut être grâce
de Jésus-Christ, puisqu'elle ne délivre pas les hommes du mal et
ne les sanctifie pas. » (Ibidem, p. 3, ym* preuve.)
REGISTRES DU PARLEMENT. liai
YI
EXTRAIT DES REGISTRES DU PARLEMENT'.
Le la. février. Les députés de Sorbonne, mandés par arrêt
I . Nous donnons lous ce titre, qui n*est point dans le manuscrit
de Racine, des notes que sans nul doute il avait en effet tirées du
Registre du corueil ucret de Tannée i663, comme notre annotation
le prouvera. On a bien voulu nous communiquer ce registre aux
Archives de TEmpire. C'est un volume in-folio coté K — XI A
8393. Toutes les pièces sommairement analysées par Racine, et
celles-là seulement, y sont marquées de traits au crayon rouge,
ainsi que les passages les plus saillants des discours des gens du
Roi qui se trouvent dans ces mêmes pièces. Ces traits et accolades
aa crayon rouge peuvent bien être de Racine lui-même; car on
en trouve de semblables dans plusieurs livres qu'il a annotés.
Si cet Extrait des Registres du Parlement ne nous avait d'abord
échappé an milieu des Fragments historiques parmi lesquels on l'a
placé dans le manuscrit de Racine (tome II, feuillets 198 et 199),
nous eussions dà plutôt l'insérer dans notre tome IV, à côté de 1'£j^
trait des Registres du conseil tTÉtat que nous avons donné aux pages
595-597, comme un appendice à VUisloire de Port'Rojral, Car,
iuivant toute apparence, c'est aussi lorsqu'il composait cette Histoire
que Racine a noté les principaux incidents des démêlés du Parle-
ment et de la faculté de théologie en i663. D a en effet parlé de
ces démêlés dans VHistoire de Port^Rojaly et l'on y retrouve en
sobstance tout ce que renferment les notes tirées du Registre du
eotueii secret. Voyez notre tome IV, p. 534-536. Nous avons in-
diqué, dans l'annotation de ces pages, quelques pièces imprimées
qn'au besoin Racine aurait pu consulter également; mais les notes
qui suivent sont trop complètes pour que Racine ne les ait pas
puisées dans le registre même.
Cette affaire des thèses ultramontaines que favorisait la Sorbonne
est fort curieuse à lire tout au long dans le Registre du conseil
secret. Le Parlement, par ses arrêts, et par les discours des gens
du Roi et du premier président, y défendit avec une grande fer-
meté, beaucoup d'érudition et une grave éloquence, les libertés de
rÉglise gallicane. Ce qui nous semble aujourd'hui le côté le plus
étrange et le moins justifiable peut-être de son rôle, c'est que ses
magbtrats, comme s'ils n'eussent pas été seulement les gardiens des
222 EXTRAIT DES REGISTRES
du XI* ^, représentent lears raisons smyant la délibération de
Sorbonne. Le premier président leur répond que c'est à eux
de se soumettre , et qu'ils aient à rapporter Fenregistrement
au premier jour, la proposition de Conciiia generalia non suni
necessaria * étant mauvaise et contraire à la pureté et police
extérieure de TÉglise', etc.
La cabale de quelques particuliers avoit empêché le Recteur
d'enregistrer l'arrêt.
lois de PKtat, mais aussi ceux de la religion, parlaient un langage
de théologiens dans les longues discussions où ils s'engageaient
avec la Sorbonne.
X. L'arrêt n'est pas du ii, mais dn lo février, comme on le Terra
dans les deux notes suivantes. L'arrêt du samedi lo février i663
est au folio a 83 du Registre du conseil secret.
a. n Les conciles généraux ne sont pas nécessaires. » Cette pro-
position ainsi énoncée textuellement : Concilia generalia ad eistir-
pandas htereses, schismata et alia incommoda tollenda^ admodum sant
utilia^ non tamen ahsolute necessaria^ était dans la huitième position
d'une thèse qu'un Breton, bachelier en tlii^ologie, Gabriel Drouet
de Villeneufve, avait dû soutenir publiquement en la dispute de la
Sorbonne, le vendredi 19 janvier i663. Ce même jour, la Cour, pré-
sidée par Guillaume de Lamoignon, et devant laquelle Jérôme
Bignon , procureur du Roi , porta la parole , avait fait défense
de soutenir la thèse, et avait ordonné que le syndic de la faculté
de théologie, celui qui devait présider à la thèse et le répondant
comparaîtraient publiquement le lendemain pour rendre raison da
contenu d'une thèse dont plusieurs propositions étaient « contraires
aux libertés de l'Église gallicane et aux anciennes maximes reçues
de tout temps en France. » Un arrêt du lundi a a janvier supprima
la thèse. Un autre arrêt du samedi 10 février manda au premier
jour six docteurs de la Faculté et le syndic « pour rendre compte
de ce qu'ils ont fait en exécution de l'arrêt du a a janvier, et s'il a
été registre es registres de ladite faculté. » La Cour avait appris
qu'il ne l'avait pas encore été. Voyez aux folios a3a, aSa et a83
du Registre du conseil secret.
3. K Du lundi la février i663. Ce jour, les gens du Roi, M* Denis
Talon, avocat dudit seigneur Roi, portant la parole, ont dit à la
Cour que le doyen de la faculté de théologie de la maison de
Sorbonne, le Syndic, et MM****, docteurs en ladite Faculté,
mandés suivant l'arrêt du 10 de ce mois, étoient au parquet dc^
huissiers; ont été faits entrer.... L'uu desdits docteurs, curé de Ii
DU PARLEMENT. aaS
i3. a^ril. Apporté au Parlement l'enregistrement de Bour-
ges; Orléans, Angers et Rheims ont enregistré, et même la
Facalté de Paris, où ceci s'étoit passé le i5. février. Rapport
fait en Sorbonne par les députés de ce qu'on leur a\oit dit
an Parlement; en suite de quoi la Faculté ordonne qu'il sera
enregistré, mais avec certaines distinctions*.
i6. avril» Douze docteurs mandés encore au Parlement, où
on les réprimande, entre autres, de leurs distinctions; et ordre
à enx d*exécuter ponctuellement Tarrèt*.
14. avril . Le syndic, le proviseur des bernardins, et autres
bernardins, mandés pour leur thèse du 4* avril.
paroisse de Saint-Andrë, a dit.. . . Monsieur le premier président leur
a dit que quand la Cour a ordonné quelque chose, tous les sujets
du RoinWt rien à faire qu^à s^j soumettre et obéir entièrement....
Et comme la Cour ne s'arrête pas à leurs distinctions scholasti-
ques, qui bien souvent pourroient rendre soutenables en apparence
les plus mauvaises propositions, elle a interposé Tautorité royale
pour défendre absolument de soutenir des propositions si dange-
reuses, qui causent tant de trouble et de scandale, et qui sont si
contraires à la pureté de la police extérieure de V Église^ qui fait une
des principales parties de la police de PÉtat, quUls eussent à enre-
gistrer incessanoument Tarrêt et en rapporter Pacte au premier jour. »
(Registre du conseil secret^ folios 384 et s85.) La phrase que nous
avons imprimée en italique, n*a pas été , on peut le remarquer,
transcrite par Racine d'une manière textuellement exacte.
!.«/)« vendredi i3« avril i663.... Ce jour, le procureur général
a rapporté les actes d'enregistrement de l'arrêt du a 3 janvier
toachant la thèse de M« Gabriel Drouet de Villeneufve, faits par
les oniTerûtés de Bombes, Orléans, Angers et Reims, ensemble
l'acte d'enregistrement dudit arrêt fait en la faculté de théologie de
cîette ville. » Suit l'Extrait des registres des universités qui vien-
nent d'être nommées, et le rapport fait en Sorbonne, qui est daté
du iS février i663. (Folio 336.)
a. <c Du lundi i6« avril i663. Ce jour, les gens du Roi, M» Denis
Talon, avocat dudit seigneur, portant la parole, ont dit que douze
docteurs de la faculté de théologie mandés étoient au parquet des
huissiers... La Cour a arrêté et ordonne que Monsieur le premier
président {G. de Lamoignon) fera connoitre auxdits docteurs que
ladite Cour n'est pas satisfaite de la manière dont ils [en] ont usé
en cette occasion, et leur enjoint de nouveau d'observer ledit arrêt
du a a janvier selon sa forme et teneur.... » (Folios 33o et 33 1.)
aa4 EXTRAIT DES REGISTRES
Grandin dit que les temps étoient mauvais et qu'il falloit
attendre que la liberté fût rendue à la Faculté. Sur quoi ioter-
rompn et réprimandé par le premier président. La thèse si-
gnée dès décembre 1662^ et soutenue le 4' avril. Plénitude
de jurisdiction, et q\ie les évéques étoient à l'égard du Pape,
comme les curés à Tégard de Pévèque.
Arrêt par lequel Grandin suspendu de sa fonction pendant
six mois. Défense au docteur la Morlière président de pré-
sider durant un an, et au Fr. Desplantes de prendre aucun
degré dans la présente licence ^
I. La veille du jour de cet arrêt, c^efit-à-dire le 1 3, la Cour s'était
déjà occupée de « la thèse soutenue le 4 avril dans le collège des
bernardins par Frère Desplantes, religieux bernardin, dans laquelle
il y avoit quelques propositions pareilles à celles de la thèse de
VUleneufre ; » et elle avait fait faire commandement au syndic de
la Faculté, à celui qui avait présidé la thèse, au répondant, et au
proviseur et aux deux lecteurs du collège des bernardins de com-
paraître le lendemain matin. (Folio 3 16.) — Us comparaissent en
effet le samedi i4 avril, et nous trouvons sous cette date dans le il*-
g'uire: «... Ledit Grandin Çsjrndie)^ ayant pris la parole, a dit qu'il
ne croit pas avoir contrevenu à Tarrêt de la Cour du a a janvier
dernier, ni rien fait contre les défenses portées par icelui, doutant
qu'il avoit signé ladite thèse dès le mois de décembre 166 a, qoe le
répondant n'avoit pu soutenir avant le 4* de ce mois..., qoe d'ail-
leurs Gerson avoit parlé plus fortement que la thèse, ayant aTancé
que le Pape habebat plenitudlnem potestatisy et que Ton s'étoit con-
tenté de dire qu'il woil plenitudinemjurisdictioms,..^ qa'il n'auroit
pourtant pas signé cette thèse, si elle lui eut été présentée depuis
l'arrêt de la Cour; qu'il falloit laisser passer ces mauvais temps, et
que, puisque la Cour ne l'appronvoit pas, il n'en signeroit plus de
pareilles. Sur quoi Monsieur le premier président (fi, de Lamoignoa)
l'interrompit, et lui dit qu'avant que d'examiner ce qu'il venoit de
dire sur la thèse, il étoit obligé de l'interrompre parce qu'on ne pou-
voit pas souffrir qu'il avançât que les temps étoient mauvais et qu'il
n'y eût pas de liberté; que les temps étoient très-bons pour sou-
tenir la bonne et véritable doctrine et que la liberté étoit toute en-
tière pour cet effet, mais que les temps étoient très-fachenx et très-
mauvais pour ceux qui vouloient avancer de mauvaises doctrines ou
en altérer de véritables.... Monsieur le premier président leur a
remontré qu'en ce que la thèse faisoit la même relation du Pape
aux évéques, que des évéques aux curés, elle établissoit une dépen-
DU PARLEMENT. aaîi
19. mai, Reqaéte présentée par Grandki, la Morlière et Des-
plantes, à ce que leurs suspensions fussent levées. Nota qu'il
étoit dit dans la requête que la faculté de théologie assemblée
avmt fait une déclaration de ses sentiments touchant l'autorité
du Pape. Ainsi, par l'arrêt de ce jour, ordonné qoe six anciens
de la faculté riendroient le lendemain à la Coiir et apporte-
roient ladite déclaration*.
3o. mai. Le Doyen, mandé avec quatre autres, dit qu'il
apporte la déclaration extraite des registres de la faculté,
signée du bedeau. La Cour leur ordonne que la déclaration
sera enregistrée au greffe, lève les suspensions*.
danee afaaolae des évéqaet à l'égard du Pape d'une manière qui
B'a jamais été reçue en France.... Et quant à l'antre partie de la
même propotiticm, qui parle de la plénitude de la juriadiotîon ,
qa^oD ne peut a'arréter à rexplication qu'ils Yenlent donner à leur
thèse pour la renfermer dans l'administration du sacrement de pë-
nitence.... La Cour..., pour la contravention faîte audit arrêt (du
» jùnwUr) , a suspendu et suspend le docteur Grandin dndit syn-
dicat pendant six mois,... a fait et fait inhibitions et défenses audit
de ia Morlière, qui a présidé ladite thèse, de présider aucunes
anemblées pendant un an, et audit Deiplantes, répondant, de
prendre aucuns degrés dans la présente licence, de laquelle la Cour
Ta déclaré déchu. » (Folios 3a»-33o.) Le premier président de
Lamoîgnon avait donné à sa réprimande de longs développements
en grande partie théologiques.
I. « />tt mardi 19* nuù i663. Ge jour, la Cour ayant délibéré sur
la reqaéte à elle présentée par MM. Martin Grandin, docteur et
midic de la faculté de théologie de Paris , Jean de la Morlière,
docteur de ladite faculté, et frère Laurent Desplantes, religieux
de l'ordre de Qteaux, bachelier de ladite faculté de théologie,
à ce que.... leurs suspensions portées par l'arrêt du 14. avril fussent
levées, oui le procureur général du Roi, arrête que six anciens
docteurs de ladite faculté viendront demaip en ladite Cour, sept
heures du matin, et apporteront à icelle la déclaration mentionnée
en ladite requête, faite par la faculté de théologie, de ses sentiments
toocbant l'autorité du Pape.... » (Folio 871. Le même arrêt se
HouTe répété â la fin du kegtatre^ folios 47> ^t 473.)
3. « Du mercredi 3o* mai i663. Ce jour,... les docteurs de la fa-
culté de théologie, mandés suivant l'arrêt du jour d'hier, étoient au
parquet des huissiers. Eux entrés. Monsieur le premier président
(G. de Lamoignou) leur a dit que la Cour les avoit mandés pour
J. Raon. V i5
326 EXTRAIT DBS REGISTRES
a5. septembre i663. Le ppocareor général âte les arrêts de
i6a6, 52 et 48 ponr la rédacdon des réguliers à deax de
chaque ordre. Ces arrêts non ezécatés, à caase d'anrèu da
conseil accordés aox religieux pour la rencontre des temps.
Arrêt portant que lesdits arrêts de ai, a6 et 48 seroient
exécutés, à peine de nullité de tous les actes. L*arrèt sen
signifié dans les couvents, et lu dans la faculté, et enregistré*.
27. septembre. Rapport fait par les députés de la Cour de ce
qu'ils ont fait en Soii)onne. Us ont fait apporter le registre
apporter la déclaration faite par la faculté de' théologie de tes senti-
ments touchant Tautoritë du Pape. Le doyen de ladite faculté ai dit
que pour obéir aux ordres de la Cour, ils ont apporté ladite décbn-
tion extraite des registres de ladite fiicnlté, et signëe par le bedcaa
dUoelle.... Eux retires, la Cour a ordonné et ordonne que les arti-
cles contenus en la déclaration de ladite fiiculté seront regûtiés
au greffe..., a levé et l^ve les su^ensions portées par les arrêts des
la. janrier et i4* avril dernier.... » (Folio 371.)
I. « Dm mardi a5« septembre 166S. — Em paeatUms. — M, N, Pttîtr
présideiu. — Ce joor, est entré M« Achille de Hariay, solMdtot dn
procureur général du Roi, lequel dit que.... sachant par TexpénoMe
du passé que la. principale cause des altérations qui sont inÎTén
dans la faculté de théologie a été la contrarention des ancteu
règlements, qui enjoignent aux Mendiants, après qu^ils ont reçu le
degré de docteur, de se retirer dans le couvent de leur profauoa
pour répandre dans toute la France les bonnes semences de U
doctrine qu'ils ont apprise dans cette illustre école ; et ç*a M dao»
cette pensée, et de peur que les sentiments et les suffrages dei
docteurs séculiers ne fussent emportes par la multitude des reli-
gieux nourris dans des maximes que leur exemption et les dépen-
dances de leur ordre y ont introduites, que la Cour a peq>étoelie-
ment réglé par ses arrêts qu'ils n'entreroient es assemblées de U
fiiculté de théologie en plus grand nombre que deux de cbaqoe
ordre, principalement par ses arrêts rendus es années seize cciit
cinquante-deux, seize cent ringt-un, seize cent vingt-six et xitf
cent quarante-huit...; mais l'exécution desdits arrêts ayant été re-
tardée par les arrêts accordés au conseil par les empressements de»-
dits religieux par le rencontre seul du temps,... U chambres
arrêté et ordonné que lesdits arrêts et règlements des années seiu
cent cinquante-deux , seize cent vingt-un , seize cent vingt-six ^
seize cent quarante-huit seront exécutés..., à peine de nullité de
tous les actes.... » (Folios 4^3 et 4^4.)
DU PARLEMENT. utt;
poor y transcrire l'arrêt. Le P. Lombard carme s'est (^posé
de la paît de tons les religieax aadit arrêt, demandant que le
Roi en fût informé. On a répondu qu'il falloit obéir. Et l'arrêt
fut enregistré*.
Vil
EXTRAIT DU LIVRE INTITULÉ CONCORDIA RJTIOMS
ET FIDBl SBU ALNETANJE QUJESTIONES.
Noos ne devions pas entièrement passer sous silence un Extrait
dont Louis Racine parle dans ses HemoirM (rojea notre tome I,
p. 3o4), et que l'on trouxe an tome II des manuscrits de Racine,
faiiJlets 79-81. Mais ne pas en omettre la mention, et, comme nous
venons de le faire, en oîter le titre, paraîtra sans doute suffisant.
Cens de nos lecteurs qui connaissent TouTrage sur lequel Racine a
I. Ce rapport, qui est aux folios 465 et 4^6 du Registre ^ est fait
pu* Jean le Coq et Charles de Saveuse, conseillers du Roi en sa
coar da Parlement, qui s'étaient rendus le jeudi 97 septembre en
la maison de Sorbonne. Voici un extrait du rapport : « Nous ayons
eajoiot an scribe et bedeau de ladite fiicultë d'apporter son regis-
tre^ dans lequel nous lui avons fait en notre présence transcrire et
registrer ledit arrêt, lequel lui a étë dicté par notre greiâer {ce
ftffier était Biérosme Boileau^ frère de Nicolas Boileau Despréaux) ;
et pendant que l'on transcrÎToit ledit arrêt, le P. Lombard, docteur
de ladite faculté, religieux carme du grand couvent,... nous a de-
mande s'il lui ëtoit permis de représenter les raisons des religieux,
poor n'être point réduits au nombre de deux. ... Il nous a dit que. . . .
poor obéir à l'arrêt de la Cour..., il étoit à propos de savoir du
Roi si c'étoit sa volonté. Nous avons relevé ce discours, et lui
avons dit que l'autorité du Roi étoit inséparable des arrêts de la
Cour, et le substitut {Achille de Harlay) , ayant pris la parole , a
dit audit P. Lombard qu'il ne devoit parler en ces termes, et
que quand la Cour donnoit des arrêts, c'étoit au nom du Roi et
»ÙTant sa volonté. Le P. Lombard a répliqué.... Nous lui avons
représenté.... qu'il falloit obéir à l'arrêt et l'exécuter.... » (Folios
465.467.)
:ia8 EXTRAIT
pris ce» notes, ne s'étonneront point que nous n'ayons pas todIb
risquer de lui fidre attribuer à lui-même ce que oeruinement û
condamnait arec autant de êévénté qne personne. Le iÎTre do
Questions J^Aubutj (Aulnay ëuit le nom de Tabbaye que Huet anii
près de Caen) a pour titre : DonUUs Buetu Spiscopi AhrmeoM» àià-
gnati Alnetanœ Qusestiones de Concordîa rationis et fidei.... CtJomi,
apwi Joa/mem Caveùer.,., Prostani Lutêtist Parisiormm^ apud Tharnsm
Moette,... MDCXC, in-4«. Basnagc de BeauTal, qui en a rendo
compte dans son Histoire des ouvrages des sapants (juin 1691, arti-
cle n, p. 446 et suivantes), en a très-sagement montre les dan-
gers. Son article fit connaître les Questions ttAulnay à Amauld, qni
écrivait à œ sujet dans une lettre à M. Dodart, du i« notem-
bre 169 1 : « Si l'auteur protestant {Basnage de Beauval) n'a point
altéré ce qu'il rapporte de la seconde et de la troisième jàrtic de
ce livre, ce sont d'horribles choses.... Je ne m'étonnerois pas de
trouver ces choses dans quelque ouvrage de la Mothe le Vayer....
Est-ce qu'un sous-précepteur de Monsieur le Dauphin ne vaudroit
pas mieux, et qu'il auroit si peu de jugement que sans y penser,
il détruiroit sa propre religion , en employant tout ce qu'il a d'éru-
dition a faire voir que la raison ne s'accommoderoit pas moins bien
du paganisme qu'elle s'accommode du christianûme? » [Olwnsi*
Messire Amauld^ tome III, p. 400 et 401, lettre Doccxxxm.) Ar-
nauld n'était pas moins sévère pour l'ouvrage de Huet, après l'aToir
lu. Il écrivait à M. du Vaucel, le i« novembre 1691 : « Remarqnei
surtout ce qui est dit dans la page 454 {U ff^i i*re sens doute 3 4 5)
des miracles de Jésus-Christ comparés a ceux des païens. Cela est
horrible... Je crois que vous serez obligé en conscience d'en feire
avertir les cardinaux qui ont de la piété, afin qu'on en donne am
au Pape, en lui représentant qu'il ne doit point souffrir qn'w"
donne des bulles à un écrivain qui a fait un si méchant livre. >
{Œuvres de Messire Amauld^ tome III, p. 404, lettre Dcocxxxnr.)
Comment douter que Racine ne portât des Questions ^Asi»ej on
semblable jugement? U n'a pu en faire VEsstrait conservé panni ses
manuscrits que dans un temps où ses sentiments religieux ne font
pas question, et où ses opinions étaient sur de tels points en paifut
accord avec celles d' Amauld. Louis Racine d'ailleurs, dans le pas-
sage des Mémoires cité plus haut, dit expressément que son père
désapprouvait les Questions d'Aulnajr^ et rapporte Tapplication pi-
quante qu'il faisait d'un vers de Térence à un autre livre de Huet.
DES QUESTIONS D'àVLNAY. aag
la Demomstratio evangeitea, où de semblables bizarreries d'érudition
cfamjiuiient «gaiement les esprits sensés. Nous ne saurions dire si
Racine aon^eait à préparer quelque réfutation du lirre de Huet.
Quoi qa'il en soit, on aurait pu nous accuser de trahir sa mémoire,
si en publiant pour la première fois des notes où les témérités de
FéTêque d^ATranches ne sont pas atténuées, mais plutôt aggrayées
et miaes en relief par la crudité de Texpression , des notes où Ra-
cine ne commente pas ce qu'il rapporte, et n'explique pas son in-
tention , nous donnions lieu contre lui à de fausses interprétations,
et si nooa faisions serrir une édition de ses Œuvres k tirer de l'oubli
et a propager ces étranges rapprochements entre la Bible et la my-
thologie, dont il avait assurément compris et déploré l'imprudence.
Le lecteur ne perdra rien à l'omission d'Msirtùtt où tout est de Huet,
où rien n^est de Racine. C'est ce que les éditeurs précédents ayaient
aussi compris.
OUVRAGES
ATTRIBUES A RACINE
s
PRÉCIS HISTORIQUE
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV
DKFUIt 167 s JUSQU'hV 1678.
NOTICE.
QiisLQu'oFiHioif que Ton ait sur l'authenticité du Précis
historique des campagnes de Louis XIF^ et sur celle de la
EeUuion du siège de Namur, que nous donnons à la suite, il
faut reconnaître que ces deux ouvrages, écrits dans des occa-
sioDs particulières, et formant chacun un tout complet, ne
pouvaient faire partie de cette Histoire du royaume sous le rè-
gne de Louis XIV dont. Racine « avoit déjà, nous dit son
fils* , composé plusieurs grands morceaux, » et que détruisit
entièrement l'incendie de la maison de Valincour, à Saint-
Qoud, dans la nuit du i3 au 14 janvier 1726*.
I. Dana ton AvtrtUsemtmt en tète des Fragments historiques^ Toyez
ci-detsuB, p. 64.
1. Voyez les Hémoires de Louis Racine, i la page 987 de notre
tome I; la Notice biographique^ à la page 118 du même tome; et le
commencement de la préface de VHistoire militaire du règne de
Louis le Grande par le marquis de Quincy. — La Beaumelle {Mé»
mobret pour servir à rhistoire de Mme de Maintenons livre VIII, chapi-
tre xt) raconte que, dans cet incendie, Valincour, voyant Ton-
▼rage de Racine près d'étr« consume, « donna vingt louis a un
!i34 PRÉCIS HISTORIQUE.
Par leur étendue toutefois, ces deux écrits, le prenûer
surtout, qui est d'un intérêt plus général et moins techni-
que, peuvent suffire pour nous donner une juste idée du
style historique de Racine, si on n'hésite pas à croire qu'il
en soit Fauteur* Nous n'hésitons guère pour notre part, et
nous regardons leur authenticité comme étant tout au moins
d'une probabilité très-voisine de la certitude. Si nous les pla-
çons parmi les Ouvrages attribués^ c'est seulement pour tenir
compte des doutes qui peuvent rester à quelques personnes;
mais dérogeant d'ailleurs à la règle généradement suivie dans
cette édition, nous avons cru qu'il nous serait permis de
ne pas imprimer en petit texte deux morceaux de cette im-
portance.
Le Précis historique des campagnes de Louis XÏV a été
pour la première fois joint aux Œuvres de Bacine par les
éditeurs de 1807. Us Font fait précéder d'un Avertissement
qui se trouve aux pages 97-ioa de leur tome VI, et que
nous devons reproduire ici presque tout entier, parce que
« la destinée de cet écrit, » comme ils s'expriment, y est
racontée , et que les raisons très-fortes qu'ils ont eues pour
SaToyard pour Taller qaerir au traTers des flaounes. An lien do
manascrît unique, le SaToyard rapporta un recueil des Gazttiet de
France. » Le même la Beaumelle, dans ses Lettres de Mme de lfo«-
tenon (tome TV, p. 876 de l'édition de Glascow, 1756), donne une
lettre de Valincour à Mme de Maintenon, lettre qui n'est pas da-
tée, mais qui semblerait être de 171 1. Il y est parlé en ces
termes de ce que Racine et Boilean avaient laissé sur l'histoire da
Roi : « Je prends la liberté de tous euToyer un mémoire, où je
rends compte au Roi du peu de travail qui s'est fait, et de ce qni
seroit nécessaire pour le £sire avancer plus qu'il n'a fait jns^'a
présent. >• Ce mémoire, s'il pouvait se retrouver, serait intéressant
à connaître. Du rapprochement entre la lettre donnée par la Beta-
melle et l'anecdote qu'il raconte, on pourrait conclure que Racine
n'avait pas, lorsqu'il mourut, poussé bien loin encore son travail,
et que cependant ce qu'il avait écrit ne laissait pas d'avoir un grand
prix aux yeux même de Valincour, tout intéressé qu'il était a
faire bon marché des travaux qu'on lui avait remis pour qu'il les
continuait. Mais avec un homme tel que la Beaumelle, on ne peut
faire grand fonds ni sur la vérité de l'anecdote, ni sur l'authenticitr
de la lettre.
NOTICE. a35
rattribuer à Racine y sont fort bien déduites. Laissons donc
parler ces ëditenrs :
« Dans l'intervalle de tranquillité qui suivit la paix de Ni*
mègue, Louis XIV agréa le projet d'un ouvrage où les évé-
nements mémorables de la guerre que cette paix avmt ter-
minée, dévoient être représentés dans une suite d'estampes
dessinées et gravées par les premiers artistes. Ce livre, des-
tiné à être donné en présent à ceux à qui le Roi jugeroit à
pn^os d'accorder cette faveur, devoit commencer par un
Précis historique des faits ainsi représentés. Cette dernière
partie du travail fut confiée à Racine et à Boileau; et la
place d'historiographes du Roi, qui leur avoit été donnée dès
1677, ne permettoit pas qu'aucun autre qu'eux en fût chargé.
Ce fut à cette occasion que Racine , celui des deux qui te-
noit ordinairement la plume, composa l'écrit suivant. Mais
cet écrit eut une destinée si singulière , que nous devons en
rendre compte.
c La guerre, qui ne tarda pas à se rallumer , arrêta l'exé-
cution de ce projet, qui fut repris, dans la suite, d'une autre
manière, et qui se termina par le Recueil de médaittes publié
en 170a, dans lequel les explications historiques furent aussi,
pour la plupart, rédigées par Racine et Roileau, qui s'ad-
joignirent dans ce travail plusieurs de leurs confrères de l'A-
cadémie des inscriptions. Quant au Précis historique de la
pierre de 167a, il resta dans les papiers de Racine jusques
à sa mort , et ensuite il passa successivement dans les mains
de Boileau et dans celles de Valincour, avec tous les autres
papiers relatifs à l'histoire du Roi. On sait quel fut le sort
de ces papiers, et que tous périrent dans l'incendie de la
maison de Valincour, à Saint-Cloud, en 1726. Les seuls qui
purent échapper au désastre furent ceux qui se trouvoient
alors dans des mains tierces. Tel fut le Précis historique que
Valincour avoit communiqué à l'abbé Vatry, qui travailloit
alors au Journal des Savants^ et qui fut peu après principal
au collège de Reims, et livré à d'autres études. Valincour
mourut en 1730.
« Cependant, cette même année r73o, le libraire Mesnier fit
imprimer ce Précis^ sous le titre de Campagne de Lmis XIV ^
p9r M, Peliisson^ sans qu'aucune pièce préliminaire indiquât
a36 PRÉCIS HISTORIQUE.
comment le manuscrit lui ëtoit parvenu , ni sur quel fonde-
ment il l'attribuoit à Pellisson, mort alors depuis trente-sept
ans.
« En 1 749, l'abbé le Mascrier donna une édition de YHiUoire
de Louis XIF^ par Pellisson, dans laquelle il essaya de rem-
plir lui-même quelques lacunes qui se trouvoient dans les
premiers livres. Ensuite il donna, comme un dixième livre
de cette histoire, le Précis hisiori^ue de la guerre de 167a,
après avoir eu la précaution d'en retrancher les dernières
pages, qui auroient appris à quelle occasion cet ouvrage avoit
été originairement composé.
« Ce prétendu dixième livre cependant s'ajustait mal avec
le neuvième ; car ce dernier n'a pas même été terminé par
Pellisson. Une partie des événements de Tannée 1670, tous
ceux de l'année suivante , et notamment les importants trai-
tés qui furent alors conclus, ne s'y trouvent point racontés,
en sorte qu'il existe un vide considérable entre l'ouvrage de
Pellisson, et celui qu'on donne comme en étant la suite.
« La différence seule du style des deux autetirs auroit dû
prévenir l'éditeur contre une telle méprise. Quoique Pellisson
soit sans doute un des meilleurs écrivains du siècle de
Louis XIV, cependant il a des défauts qui lui sont particu-
liers ; et ces défauts sont ceux dont Racine s'est le plus éloi-
gné....
« Mais si ces caractères du style peuvent être matière à
dispute, ce qui est certainement incontestable, c'est qu'un
travail dont la destination est aussi clairement indiquée, ne
pouvoit être, à cette époque, confié à PeUisson. On sait qu'il
avoit encouru l'inimitié de Mme de Montespan, et que,
longtemps avant l'époque de la paix de Nimègue, on lui avoit
ôté les fonctions d'historiographe. Comment donc supposer
que, poiu* un ouvrage entrepris postérieurement à 1678, dont
Mme de Montespan avoit eu la première idée, et auquel
on vouloit donner tant d'éclat, on eût eu recours à la plume
de Pellisson, au préjudice des deux célèbres écrivains qui
avoient pour em les titres réunis de la place, du talent et
de la faveur? L'erreur de l'abbé le Mascrier est d'autant
moins excusable, qu'ayant eu communication des manuscrits
de Pellisson, il n'y avoit rien trouvé de relatif à la guerre de
NOTICE. a37
1672, eoBime il en convient dans sa Préface (p. 41), et que
ce n'est que sur des conjectures qu il s'est appuyé pour attri-
buer à cet historien l'ouvrage de Racine.
c Enfin, en 1 784, un autre éditeur* qu'on croit être Frén>n
le fils, fit imprimer chez Bleuet, à Paris, ce Précis hiitth-
rique^ sous le nom de ses véritables auteurs. Racine et Boi-
leau, historiographes de France. Cet éditeur, qui ignoroit
que la même pièce eût déjà été imprimée en 1730 et en
1749, Tannonça, dans son Avertissement^ comme la décou-
verte récente d'un morceau jusqu'alors inconnu, trouvé parmi
les papiers de feu l'abbé Vatry, à qui il avoit été confié par
Vaiiacour. Il est, dans cette édition de 1784* presque en-
tièrement semblable à celle de Mesnier, de 1730; et on y
retrouve les dernières pages que l'abbé le Mascrier avoit
jugé à propos de supprimer, et qui constatent à quelle oc-
casion et pour quel objet les deux illustres historiographes
l'ont entrepris.
« Nous restituons donc aux Œuvres de Racine un morceau
qui doit nécessairement en faire partie, et qui y paroftra
pour la première fois. »
Une objection pourrait être faite à un passage de cet
Avertissement. Rien ne s'oppose absolument à ce que Pel-
lisson ait été chargé de ce travail historique, puisqu'il n'était
pas en complète disgrâce à l'époque où le Précis a dû être
écrit, et qu'il suivit Louis XIV pendant les campagnes de 1672
à 1678, comme l'attestent ses Lettres historiques*^ adressées à
Mlle de Scudéri. Tout le reste de l'argumentation des éditeurs de
1807 paraît convaincant. M. Marcou, dans son Étude sur la vie
et ics œuvres de PeUisson (i volume in-d<*, Paris, 1859), p. 3 149
est d'avis que la restitution du Précis faite par Fréron fils à
Racine et à Boileau a pour elle toutes les vraisemblances. Il
rappelle qu'elle a été adoptée par Quérard dans, la France
littéraire, a Comme les papiers de Pellisson concernant l'his-
toire du Roi, ajoute M. Marcou, avaient été portés chez Ra-
cine, en 1693, par ordre de Louis XIV, on ne pourrait déci-
der auquel des deux il doit être attribué , si les caractères
du style ne semblaient le donner à ce dernier. Le style a
I. 3 volâmes in-ia, Paris, 1729.
«Se PRÉCIS HISTORIQUE.
quelque chose de ferme et de court qui appartient rarement
À Pellisson. » Les pages retranchées à dessein par le Mas-
crier prouvent d'ailleurs incontestablement que le Précis his-
torique n'a jamais été le dixième livre de ï Histoire de Pel-
lisson,
Un des arguments des éditeurs de 1807 en faveur de l'au-
thenticité du Précis devient à peu près décisif, quand, au
lieu de Fexposer, comme ils ont fait, en termes trop vagues,
on lui donne toute sa force. L'ouvrage, dont ils disent seu-
lement que Louis XIV avait agréé le projet, fut exécuté.
Nous l'apprenons par ce passage du Journal de Dangeau
(tome I , p. 87) , que ces éditeurs auraient dû citer : « Di-
manche 3i {décentre 1684).... Mme de Montespan fit pré-
sent au Roi , le soir après souper, d'un livre reUé d'or et
plein de tableaux de mignature, qui sont toutes les villes de
Hollande que le Roi prit en 167:1. Ce livre lui coûte quatre
mille pistoles , à ce qu elle nous dit. Racine et Despréaux en
ont fait tous les disoours , et y ont joint un éloge historique
de S. M. Ce sont les étrennes que Mme de Montespan donne
au Roi. On ne sauroit rien voir de plus riche , de mieux tra-
vaillé et de plus agréable. »
Les dernières lignes du Précis historique s'accordent si bien
avec ce témoignage de l'exact chroniqueur, qu'on croirait dif-
ficilement qu'ici et là il ne fût ]>as question du même ouvrage.
Fréron paraît donc avoir eu de fort bonnes raisons , en pu-
bliant le Précis^ de lui donner le titre iï Éloge historique du
roi Louis XIF^ et de nommer Racine et Despréaux comme
en étant les auteurs. On a pu remarquer dans le passage de
Dangeau qu'outre cet Éloge , les deux liistoriographes avaient
fait tous les discours^ c'est-à^ire sans doute les descriptions
et explications qui accompagnaient chacun des tableaux. Ces
Discours ne nous ont pas été conservés.
Lorsque les éditeurs de 1807 disent que Racine était celai
« qui tenoit ordinairement la ]ilumc, » et en concluent qu'il
a seul écrit le Précis , n'ont-ils pas été un ]ïeu vite ? Rien ne
prouve que Boileau eût coutume de s'effacer aussi complète-
ment qu'ils le prétendent devant son collaborateur. Bornons-
nous donc à regarder comme vraisemblable que la part qu'il
a prise à la rédaction du Précis n'at pas été la plus grande.
NOTICE. :ft39
•
Cette narratîoD ^lëgante, écrite d'un style rapide, a surtout
les qualités de la prose de Racine. Il éiut convenir du reste
que pour tous les écrits auxquels Racine et Boileau ont pu
coopérer dans des proportions inégales, il restera toujours
un petit problème qu'on n'a aucun moyen de résoudre com-
plètement. Pour ce qui est du Précis^ le manuscrit même, s'il
nous était rendu, et qu'il se trouvât être de la main soit de
Boileau, soit de Racine, ne déciderait pas entre eux : cefui
qui aurait tenu la plume aurait bien pu ne pas être le prin-
cipal auteur. Au surplus, il est probable que le manuscrit
confié à l'abbé Vatry, et que les premiers éditeurs du Précis
ont eu sous les yeux, était de l'écriture d'un copiste, non de
celle des deux historiographes, qui eût sans doute été recon-
nue et aurait sur-le-champ tranché la question contre Pellis-
son. Il n'en est pas moins regrettable que cette copie ait jus-
qu'ici échappé aux recherches. Elle aurait fixé le texte, dont
il nous reste a parler. Les éditeurs de 1807 ont négligé de
donner aucun éclaircissement sur la manière dont ils l'ont
établi ; et tel qu'ils le donnent, on peut en affirmer l'inexac-
titude.
Les éditions du Précis historique qui ont précédé la leur
sont les suivantes, qu'ils ont eux-mêmes citées :
1* Campagne de Louis XIV, Par M, Pelisson. Ji^ec la corn"
paraison de François I*^ avec C/iaries-Quint^ par M. *** (i vo-
lume in-ia, à Paris, chez Mesnier.... M.DCC.XXX).
a* Le Livre dixième contenant la guerre de Hollande Jusqu^à
la paix de Nimegue, au tome III, p. ai!k et suivantes, de
Y Histoire de Louis XI V^ depuis la mort de Mazarin en 1661
jusque à la paix de Nimegue en 1678. Par M, Pelisson^ de VA-
cadémie françoise (publié par le Mascrier, 3 volumes in-ia,
à Paris, chezRoUin fils, M.DCC.XLIX).
3» Éloge historique du roi Louis XIV y sur ses conquêtes depuis
\^']'kjusqiien 1678, /?flr MM^ Racine et Boileau de t Académie
françoise y et historiographes de France (i volume in-8', Amster-
dam, et se trouve à Paris, chez Bleuet, M.DCC.LXXXIV). On
le croit publié par Fréron fils. Le sous-titre de cet Éloge est :
Précis historique des campagnes de Louis XIV depuis 167*2
jusqu'en 1678,
Comparés entre eux, le premier et le dernier de ce» textes
!i4o PRÉCIS HISTORIQUE.
•
offinent des variantes très-nombreuses, et împcMtantes pour
le style. Dans Y Avertissement que nous venons de mettre
sous les yeux du lecteur, il est dit à tort que les éditions de
1730 et de 1784 sont a presque entièrement semblables.» Le
texte de date intermédiaire, celui que le Mascrier a domié
en i749t se rapproche beaucoup de celui de 17)0, mats est
bien loin encore d'être identique avec lui. Les éditeurs de
1807 ont suivi surtout Fréron, mais inexactement, et en se
permettant des changements qui n ont pu être qu'arbitraires.
Le texte de 1784 pourrait avoir autant d'autorité que ce>
lui de 17)0; car il a été donné d'une manière tout à fait
indépendante de la première édition, et, comme elle, très-
évidemment sur le manuscrit, dont Fréron fils ignorait la
publication antérieure: « On croit, dit cet éditeur dans son
Jvertissement^ page vu, faire un véritable présent au public
éclairé, en lui communiquant par la voie de l'impression ce
manuscrit précieux, qui doit être ajouté aux QEupres de Ra-
cine et de Boileau. » Mais si les deux éditions sont, l'une
comme l'autre , immédiatement tirées du manuscrit , on s'a-
perçoit bien vite, en les confrontant, que la plus ancienne doit
être la plus fidèle. Les retouches, le rajeunissement du style
sont faciles à reconnaître dans ceUe de .Fréron fils. Il y a
cependant tel passage où visiblement le désaccord entre l'é-
diteur de 1730 et celui de 1784 ne vient que d'une diflSfr-
rence de lecture ; et, dans ce cas, il arrive parfois que Fré-
ron paraît avoir mieux lu le manuscrit que son devancier.
Lorsqu'il en est ainsi, nous avons donné la préférence au
texte de 1 784 ; partout ailleurs nous avons suivi celui de
1730. Nous indiquons dans les notes les différences des deux
éditions, et nous y ajoutons celles qui sont particulières au
texte de 1749- Nous ne saurions dire si le Mascrier a de
son côté préparé sur le manuscrit le texte qu'il donne. Si
l'on pouvait croire qu'il ne se fût pas borné à copier l'édi-
tion de 1730, en la défigurant quelquefois, ses leçons con-
firmeraient la plupiirt du temps l'exactitude de cette première
édition, avec laquelle elles sont si souvent d'accord ; et l'on
aurait pu môme examiner si, en quelques endroits, où son
texte s'en éloigne , ce texte ne serait pas préférable aux deux
autres. Mais ce qui nous paraît le plus probable, c'est qu'il
NOTICE. a4i
n'a eu sous les yeux que l'édition de 1730, et que ses va-*
riantes ne sont que des changements dus à son caprice.
Si, malgré tant de vraisemblances, Ton se refusait à ad-
mettre l'authenticité du Précis historique et de la Relation du
siège de Namur, les travaux auxquels Racine s'est livré du-
rant tant d'années comme historiographe n'auraient vérita-
blement laissé aucune trace, les Fragments donnés ci-dessus,
p. 71 et suivantes, n'étant que de simples notes, à l'exception
de quelques lignes. On ne pourrait non plus regarder comme
une œuvre d'histoire la Relation de la çictoire remportée sur les
aliiés à Nerivinde, qui se trouve dans la Gazette du la août
1693 (p. 399-400), cette courte Relation fût-elle incontes-
tablement de Racine. Nous ne croyons d'ailleurs pas qu'il
y ait lieu, de lui donner place dans notre édition : les con-
clusions que nous avons entendu tirer à quelques personnes
de la lettre écrite par Racine à Boileau le 6 août 1693 nous
paraissent un peu forcées. Voici, dans cette lettre, le passage
qu'il s'agit d'examiner : « Il me vient en pensée de vous en-
voyer deux lettres, une de Bruxelles, l'autre de Vilvorde, et
un récit du combat en général, qui me fut dicté hier au soir
par M. d'Albergotti.... Vous me feriez un fort grand plaisir,
quand vous aurez lu tout cela , de l'envoyer bien cacheté ,
avec cette même lettre que je vous écris, à M. l'abbé Re-
naudot, afin qu'il ne tombe point dans l'inconvénient de l'an-
née passée.... Il pourra distribuer une partie des choses que
je vous envoie en plusieurs articles, tantôt sous celui de
Bruxelles, tantôt sous celui de Landefermé,... tantôt même
sous l'article de Malines ou de Vilvorde. » Il doit s'ensuivre,
nous a-t-on dit, que le récit de la bataille de Nerwinde qu'on
lit dans la Gazette est de Racine, et doit être recueilli par les
éditions de ses Œuvres. Mais que trouvons-nous dans ce jour-
nal? On y chercherait en vain, en ce temps-là, les articles
écrits de Malines et de Landefermé. Dans le numéro du 8 août
il y a (p. 386) une lettre datée de Louvain, le 3o juillet 1693;
une de Vilvorde (même page) , du 3 1 juillet ; et une de Bruxelles,
^us la même date (p. 387). Chacune de ces lettres a une
demi-page seulement; la défaite du prince d'Orange et de
l'électeur de Bavière y est assez brièvement annoncée. La
Gazette daane ensuite, dans un Extraordinaire du 12 août
1. Racimb. t 16
a4a PRÉCIS HISTORIQUE. — NOTICE.
(p. 389-400}, la Relation que nous avons tout à l'heure men-
tionnée. Cette Relation n'est pas très-développée^. Renaodot
y a fait certainement usage des lettres et mémoires com-
muniqués par Racine, mais en les arrangeant et les abré-
geant, puisqu'il n'a pas reproduit tous les détails qui sont
dans la lettre de Racine à Boileau, une des pièces que Racine
avait recommandé de lui envoyer; et lors même que nous
serions assurés qu'il a tout copié exactement, serait-îl l^idoie
de grossir les Œuvres de Racine d'une relation composée en
partie d'extraits d'une de ses lettres, que nous donnons en
son lieu , en plus grande partie de mémoires écrits sous la
dictée d' Albergotti , et auxquels Racine n'avait pu avoir le
temps de travailler, même pour en polir le style ?
I . La fin de la Relation (p. 400) a quelque chose d'oratoire. Ce
serait le morceau le plus digne de quelque attention qn'on j troQ-
▼erait , s^il y arait de meilleures raisons de croire que la Rtltti»
tout entière fût de Racine. Voici cette fin : « La perte que cause anx
alliés cette mémorable journée, jointe à la prise de Heidelberg, de
Rose, d^Huy, et de la plus grande partie des flottes angloise et bol»
landoîse destinées pour Smyme, fait assez voir que Dieu favorise
toujours la justice de la cause du Roi ; et que si ses ennemis sont
assez aveuglés pour préférer la continuation d'une guerre si mal-
heureuse pour eux à une bonne paix, ses sujets auront au moins
la satisfaction de voir augmenter sa gloire et les limites de son
royaume par de nouvelles conquêtes, et par une suite de pro^éritÀ
qui les récompensera de ce qu'ils ont été obligés de contribacr
pour le maintien de la religion et pour le bien de l'État. »
PRÉCIS HISTORIQUE
DES
CAMPAGNES DE LOUIS XIV
DEPUIS 167a JUSQU^EN 1678.
AvAifT que le Roi déclarât la guerre aux états des
Provinces Unies*, sa réputation avoit déjà donné de la
jalousie à tous les princes de FEurope. Le repos des
peuples' affermii Tordre rétabli dans ses financesi ses
ambassadeurs vengés, Dunkerque retiré des mains des
Anglois, et TEmpire si glorieusement secouru, étoient
des preuves illustres de sa sagesse et de sa conduite; et
par la rapidité de ses conquêtes en Flandres et en
Franche-Comté, il avoit fait voir qu*il n^étoit pas moins
excellent capitaine que grand politique.
Ainsi révéré de ses sujets, craint de ses ennemis, ad-
miré de toute la terre, il sembloit n^avoir plus qu*à jouir
en paix d*une gloire si solidement établie, quand la
Hollande lui offrit encore de nouvelles occasions de se
signaler, et ouvrit le chemin à des actions' dont la
mémoire ne sauroit jamais périr parmi les hommes.
I. yar. Aux ProTinces Unies. (1749)
3. Var, De tes peuples. (1784.)
3. Var, Lorsque la Hollande lui offrit encore, comme nous Ta-
vons dit, de nouYelles occasions de se signaler, en n^oubliant rien
de ce qui pouvoit attirer sur elle Porage qu'il avoit tenu longtemps
suspendu, et ouvrit le chemin à des actions. (1749*) — Quand la
244 PRÉCIS HISTORIQUE
Cette petite république^, si foible dans ses commence-
ments, s' étant un peu accrue par le secours de la France
et par la valeur des princes de la maison de Nassau, étoit
montée à Un excès d'abondance et de richesses qui b
rendoient formidable à tous ses voisins. Elle avoit plu-
sieurs fois envahi leurs terres, pris leurs viUes et ravagé
leurs frontières; elle passoit pour le pays qui savoit le
mieux faire * la guerre ; c' étoit une école * où se formolenl
les soldats et les capitaines. Les étrangers ^ y alloient
apprendre Fart d'assiéger les places et de les défendre.
Elle ikisoit tout le commerce des Indes orientales, où
elle avoit presque entièrement détruit la puissance des
Portugais; elle traitoit d'égale avec TAngleterre, sur qui
elle avoit même remporté de glorieux avantages, et dont
elle avoit tout fraîchement* brûlé les vaisseaux dans la
Tamise; et enfin, aveuglée de sa prospérité, elle com-
mença à méconnoître la main qui l'avoit tant de fois af-
fermie et soutenue^. Elle prétendit faire la loi à rEorope;
elle se ligua avec les ennemis de la France, et se vanta
qu'elle seule avoit mis des bornes aux conquêtes du Roi.
Elle opprima les catholiques dans tous les pays de sa do-
mination, et s'opposa aux commerces'' des François dans
les Indes. En un mot, elle n'oublia rien de tout ce qui
pouvoit attirer sm* elle Torage qui la vint inonder.
Hollande lui offrit enoore de nouvelles occasions de se signaler par
des actions. (1784.)
X . Tout ce paragraphe, depuis : « Cette petite république, » jus-
qu'à : « Le Roi, las de souffrir, » manque dans l'édition de 1749-
9. Var. Qui saToit mieux faire. (i784-)
3. Var. C'étoit comme une école. (1784*)
4. ^ar. Et les étrangers* (1^84.)
5. Var. Tout récemment. (1784.)
6. Ce même reproche est développé par Louis XIV lui-même
dans son Mémoire (inédit) sur la campagne de 167a, cité par
M. Rousset, Histoire de Louifois, tome I, p* 39i-3a3.
7. ^ar. Au commerce. (1784O
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. a45
Le Roi, las de souffrir ses insolences, résolut de les pré-
veiiir\ n déclara la guerre aux Hollandois sur le com-
mencement du printemps', et marcha aussitôt contre
eax. Le bruit de sa marche les étonna. Quelque crimi-
nels* qu'ils fussent, ils ne pensoient pas que la punition
dût suivre de si près l'offense. Ils avoient peine à s^ima*
giner qu*nn prince jeune, né avec toutes les grftces de
Tesprit et du corps, dans l'abondance de toutes choses,
an milieu des plaisirs et des délices*, qui seinbloient le
chercher en foule, pût s'en débarrasser si aisément pour
aller, loin de son royaume', s'exposer aux périls et aux
fatigues d'une guerre longue et fâcheuse, et dont le suc-
cès étoit incertain. Ils se rassuroient pourtant sur le bon
état où ils croyoient avoir mis leurs places.
En effet, comme le tonnerre avoit grondé longtemps *,
ils avoient eu le loisir de les remplir d'hommes, de mu-
nitions et de vivres; ils avoient fortifié tous les bords de
rissel. Le prince d'Orange, pour défendre ce passage,
s*y étoit campé avec une armée nombreuse. Le Rhin, de
tous les autres côtés, couvroit leur pays. L'Europe étoit
dans Fattente de ce qui aUoit arriver. Ceux qui connois-
soient les forces de la Hollande et la bonté des places
qui la défendoient, ne pensoient pas qu'on la pût seule-
I. Var, Le Roi, las de souflnr son ingratitude, rëtolut enfin de
la punir. (i749-)
». « Le 7 {avril 167 a), on publia ici (à Paris) Pordonnance du
Rot par laquelle Sa Majesté.... déclare ayoir résolu de faire la
gnnre aux états généraux des Proyinces Unies des Pays-Bas, tant
par mer que par terre. » {Gazette du 9 arril 167a.) Louis XIV
quitta Saint-Germain le a8 du même mois; le 5 mai il étoit au
milieu de Parmée, à Charleroi.
3. Var, Quelque coupables. (1784O
4. ^ar. Des délices et des plaisirs. (1784.)
5. Far, Loin de sa cour. (1749O
6. Var. Fort longtemps. (1784.)
246 PRECIS HISTORIQUE
ment aborder^ ; et ils publioient que la gloire du Roi seroit
assez grande si, en toute sa campagne, il pouvoit empor-
ter une seule de ces places. Quel fut donc leur étonne-
menty ou plutôt quelle fut la surprise de tout le mondes
lorsque Ton apprit qu'il a voit mis le siège devant quatre
fortes villes* en même temps, et que, sans qu'il eût
fait ni lignes de circonvallation ni de contrevallation, ces
quatre villes s'étoient rendues à discrétion au premier
jour de tranchée ' !
Un exploit si extraordinaire, et^ si peu attendu, jeta la
terreur dans tous les pays que les Hollandois occupoient
le long du Rhin ; on apportoit au Roi de tous côtés les
clefs des places. A peine les gouverneurs avoient-ils le
temps de se sauver dans des barques', avec leurs familles
épouvantées , et une partie de leur bagage : sa marche
étoit un continuel triomphe. Il s'avança de la sorte jus-
qu'auprès de Tholus*. Le Rhin, qui en cet endroit est
fort large et fort profond, sembloit opposer une barrière
invincible à l'impétuosité des François. Le Roi pourtant
se préparoit'' à le passer : son dessein étoit d'abord de
X. Vor, Ne pensoient pas qu'on pût seulement l'aborder. (1749)
«- Ne pensoient pas seulement qu'on la pût aborder. (1784-)
a. Var, Devant trois fortes villes. (1749.) — Quatre doit être la
vraie leçon. Il s'agit de Rhinberg, Orsoi, Wesel et Burick. Ces
quatre places sur le Rhin furent prises en quatre jours. Le Roi était
arrive le a juin devant Orsoi, qui fut la première place assiégée.
Celle qui capitula la dernière, Rhinberg, se rendit le 6 juin au matin.
Voyez la Gazette du i3 juin 1672, p. 5S3-564.
3. Var. De tranchée ouverte. (1749.)
4. Et manque dans l'édition de 1784*
5. Var. Sur des barques. (1784.)
6. Var. U s'avança de la sorte auprès de Toluis. (1784.) — B<>''
leau, au vers 55 de son Épitre iv, au Roi^ écrit Tholut. La vraie fonnf
est Toi'HuU (maison du péage). L'édition de 1749 donne Tolhuis.
7. Vtw, Le Roi se préparoit cependant. (i749-) — I* ^^^ pour-
tant se prépare. (1784)
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 947
faire* un pont de bateaux; mais comme cela ne se pou-
voit exécuter qu'avec lenteur, et que d'ailleurs les enne-
mis commencoient à se montrer sur l'autre bord, il ré-
solut d'aller à eux avec une promptitude qui acheva de
les étonner. D commanda* à sa cavalerie d'entrer dans
le fleuve : l'ordre s'exécute*. Il faisoit ce jour-là un vent
fort impétueux, qui, agitant les eaux du Rhin, en rendoit
l'aspect beaucoup plus terrible. Il marche néanmoins ;
ancon ne s'écarte de son rang, et le terrain venant à
manquer sous les pieds de leurs chevaux, ils les font
nager, et approchent avec une audace que la présence du
Roi pouvoit seule leur inspirer^. Cependant trois esca-
drons paroissent de l'autre côté du fleuve; ils entrent
même dans l'eau, et font une décharge qui tue quelques-
uns des plus avancés, et en blessent d'autres*. Malgré
ces obstacles* , les François abordent, et l'eau ayant mis
leurs armes à feu hors d'état de leur servir'', ils fondent
sur ces escadrons l'épée à la main. Les ennemis n'osent
les attendre; ils fuient à toute bride, et se renversant les
uns sur les autres, vont porter la nouvelle jusqu'au fond
de la Hollande* que le Roi étoit passé.
Alors il n'y eut plus rien qui osât faire résistance. Le
prince d'Orange, craignant d'être enveloppé, abandonna
aassi* les bords de l'Issel ; et le Roi y campa, peu de jours
après, dans ses fortifications, dont le seul récit jeta l'épou-
I. Far, D'y faire. (17%^.)
a. Far. Il commande. (1784-)
3. Le 19 juin 167a.
4. Far. Qae la présence seule du Roi pouvoit leur inspirer. (i749-)
5. Far. Et en blesse d'autres. (1784O
6. Far. Malgré cet obsucle. (1784)
7. Far. Hors d'état de servir. (1749 et 1784.)
8. Far. Vont porter jusqu'au fond de la Hollande la nouvelle.
(î7»4.)
9. Far. Abandonna aussitôt. (1784-)
a48 PRÉCIS HISTORIQUE
vantée Amheim se rendit; Doësbourg samt son exem-
ple ; le fort de Sklnk*, si femeux par les longs sièges qa*il
a autrefois soutenus, n'attendit pas l'ouverture de la
tranchée. Utrecht, ancienne capitale de la Hollande, en-
voya aussitôt ses clefs. Woerden' pris, Narden emporté,
tout reçoit le joug, tout cède à la rapidité du torrent.
Amsterdam commença ^ à trembler. Cette ville, si superbe
dans sa prospérité', maintenant humble dans Tinfortone,
songe déjà à &ire sa capitulation. On voit ses ambassa-
deurs, qui quelques mois auparavant donnoient* au Roi
le choix de la paix ou de la guerre, on voit, dis-je, ces
mêmes ambassadeurs tremblants et soumis implorer la
clémence du vainqueur. Cependant la désunion'' se met
parmi les chefs de la Répubhque. Les uns souhaitent la
paix; les autres, dévoués au prince d'Orange, veulent
I. f^ar, Jetoit Tëponyante. (1784*) — Cette yariante doit #treime
correction de Tëditeur, qui aura mal compris ce passage. Don/, qni
est ici pour ce dont, chose dont, ne se rapporte pas au mot fortifia
cations, mais à tout le membre de phrase qui précède. L^^tnr
de 1749 ne s'y est pas trompé; mais croyant que cette phrase
surannëe derait être corrigée, il a mis : « et le Roi j campa, pen
de jours après, dans ses retranchements. Ce seul récit jeta Tépon-
▼ante. »
a. Le fort de Skink on de Schenck, qui défendait la pointe da
Betau, se rendit à Turenne le 19 juin 167a, après trois jours de
tranchée ourerte.
3. f^ar. Coeverden. (1784.) — La leçon Woérden est seule bonne.
KoeTorden, dans la prorince de Drenthe, arait été occupé par le
duc de Luxembourg ayant le passage du Rhin ; Woérden, qni est
sur le canal du Rhin, entre Utrecht et Leyde, fit sa soumission,
ainsi que Nafirden, après ce passage. Voyez la Gazette du la juillet
167a, p. 673-684*
4. ^ar. Commence. (1784.)
5. F'ar, Dans la prospérité. (1784.)
6. Dans les éditions de 1730 et de 1749 on lit dopmèrent; mais
donnaient, qui est dans Tédition de 1784^ nous paraît être la mue
leçon.
7. f^ar. La division. (1784.)
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. %^g
empêcher la négociation. Le Pensionnaire est assassinée
Ce n'est qne confusion et que trouble. Le parti du prince
d*Oninge demeure enfin le plus fort. Ce prince prend
son temps; et pour sauver son pays de Tinondation des
François, ne sait point* d'autre expédient que de le
noyer dans les eaux de la mer'; il làche^ les écluses de
rOcéan : voilà Amsterdam au milieu des eaux, et les
Hollandois sont de nouveau renfermés * dans le fond de
ces marais d*où nos pères les avoient autrefois tirés '.
Tandis que le Roi poussoit ainsi sa victoire jusqu'aux
derniers confins de la Hollande, le duc d'Orléans assié*
geoit Zutphen, qu'il prit en moins de huit jours''. Ni-
mégae se défendit un peu mieux contre le vicomte de
Torenne. Le Roi lui avoit donné la conduite de l'armée
que commandoit le prince de Condé, qui avoit été blessé
an passage du Rhin. Nimègue enfin se rendit aux mêmes
conditions que Zutphen', et sa prise, qui fut suivie de
celle de Grave et de Crèvecœur', mit tout le pays ^^ sous
le pouvoir des François. Ainsi les armes du Roi triom-
phoient également partout ; et le duc de Luxembourg,
I. Le 30 août 1679.
). Far, 0 ne s^t point. (1749*)
3. f^ar. Sons les flots de la mer. (1749.}
4. rar. Et lâche. (1784.)
5. f^ar. Et les Hollandois se Toîent de nonrean renfermas. (1749-)
— Et les Hollandois tout de nouveau renfermas. (1784.)
6. Fiw. Les aToient tires. (1749.)
7. Zutphen se rendit le 94 juin 1679 à Monsieur, qui 7 fit son
entr^ le 36.
8. Nimègue capitula le 9 juillet 167a.
9. Grave, sur la Meuse, fut pris par le comte de Chamillj le
S juillet 167a, par conséquent avant la capitulation de Nimègue.
Le fort de Crèvecœur, qui commandait les communications de Bois-
)e-Dnc avec Pile de Bommel, fut pris le 19 juillet. Turenne 7 avait
fait ouvrir la tranchée le 17.
10. Far. Tout le Betau et toute Pile de Bomel. (1784.)
aSo PRÉCIS HISTORIQUE
ayant joint l'évêque de Munster, n^eut pas dessaocès
moins glorieux que les autres capitaines. Le nombre des
prisonniers de guerre étoit si grand, que les temples et
les lieux publics ne pouvoient plus les contenir; et il y en
avoit de quoi composer une armée presque aussi nom-
breuse que celle de France. Par là on peut voir qu'il y a
quelquefois des choses vraies qui ne sont pas vraisem-
blables^ aux yeux des hommes, et* que nous traitons sou-
vent de fabuleux, dans Thistoire', des événements qui,
tout incroyables qu'ils sont, ne laissent pas d'être véii-
tables. En effet, comment la postérité pourra-t-elle croire
qu'un prince, en moins de deux mois^, ait pris quarante
villes fortifiées régulièrement; qu'il ait conquis une si
grande étendue de pays en aussi peu de temps qu'il en
faut pour faire le voyage, et que la destruction d'une des
plus redoutables puissances de l'Europe n'ait été qae
l'ouvrage de sept semaines ?
Le Roi ayant ainsi conquis presque toute la Hollande,
il * pouvoit exercer sur les villes qu'il avoit prises une ven-
geance légitime; mais la soumission des vaincus avoit
désarmé sa colère. 11 y rétablit seulement l'exercice de
la religion catholique. Après avoir mis partout des gou-
verneurs et des garnisons, il reprit le chemin de France.
On lui préparoit des entrées et des triomphes , mais il
ne vouloit pas * les accepter : il se contenta des accla-
mations des peuples, et de la joie universelle que son
retour excita dans le royaume.
I. Var, Qui ne sont point yraisemblables. (1784-)
a. Et manque dans l'édition de 1780 .
3. Var, Dans les histoires. (1784*)
4. yoar. QuVn moins de deux mois un prince. (1749.)
5. // manque dans IVdition de 1784.
^* 1749 et 1784 ont voulut^ au Heu de votiloU ; 1784 a point , au
lieu àe pas.
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. aSi
Son absence et les approches de Thiver donnèrent
ijaelque relâche aux Hollandois, à qui la mer avoit été
un peu plus favorable que la terre.
Le prince d'Orange, déclaré généralissime de leurs ar-
mées, voulut signaler sa dignité^ ; il sut le peu d'hommes
qu'il y avoit dans Woërden*, et se servant de cette oc-
easion'f alla mettre^ le siège devant cette ville. Il s'étoit
campé de telle sorte qu'on ne pouvoit aller à lui que par
nn grand marais, où il y avoit une chaussée très-étroite.
Mais les François, quoique en petit nombre , se jetant
dans l'eau', allèrent Vattaquer jusque dans les retranche-
ments*, au travers du feu épouvantable que faisoit son
mfanterie. Au même temps, la garnison de la ville étant
sortie sur eux, il s'en fit un carnage horrible, et tous les
marais des environs furent teints du sang des malheu-
reux HoUandois. Depuis cette défaite, le prince d'Orange
n osa plus rien tenter du côté de la Hollande. Il ne perd
pas^ néanmoins tout à fait courage : il va en Flandres
joindre les Espagnols, et songe avec leurs secours' à
faire aux François quelque insulte qui pût en quelque
sorte effacer l'ignominie de son pays. Charleroy semble
loi en offrir l'occasion. Montai, gouverneur, avoit eu or-
dre d'en sortir pour aller à Tongres. Le prince d'Orange
propose aux Espagnols de mettre le siège devant cette
I. f^ar. Sa nouvelle dignité. (1784-)
a. Dans Tëdition de 1784 il 7 a ici Cœnden (plushant Coêferdên),
— Le prince d'Orange était arriTé dans la nuit du 10 octobre 167 a
derant Woérden. Luxembourg lui fit lever le siëge de cette place,
le I a octobre, après un combat acharné.
3. Far, Et se servant de Pocccasion. (1784-)
4- Far. U alla mettre. (1749 ^t 1784.)
5. Var. Se jetant encore dans Teau. (1784.)
6. Var. Jusque dans ses retranchements. (1749 ^ 17^40
7. Far. Il ne perdit pas. (1784.)
8. Far. Avec leur secours. (1749 et 1784.)
aSa PRÉCIS HISTORIQUE
ville, persuadé qu'eUe seroit prise avant qu^on fUt en état
de la secourir. Ce dessein^ leur plaît; ils Tiavestissent
avec tout ce qu'ils ont ^ de forces. Mais le Roi s'étant ap-
proché de la frontière avec six cents hommes seulement,
la terreur se met dans leurs esprits, déjà rebutés* parla
rigueur de la saison ^. Cette nuée se dissipa avec la même
vitesse qu'elle s'étoit amassée, et les Espagnols ne rem-
portèrent de cet exploit que la honte d'avoir donné at-
teinte aux traités qu'ils avoient faits* avec la France.
Cependant l'électeur de Brandebourg s'étoit mis en
campagne avec les troupes de l'Empereur ', dans l'espé-
rance de faire pour les Hollandois'' quelque chose d'é-
clatant. Mais le vicomte de Turenne Im' coupa chemin
dans la Westphalie, et l'ayant repoussé dans son pays,
l'obligea à demander honteusement la paix*, que l'an-
née suivante il rompit* plus honteusement encore.
Un si grand nombre de victoires entassées les unes
sur les autres dévoient avoir abattu entièrement le cou-
rage des ennemis. Maëstricht ^ * pourtant restoit encore ; et
X. Var, Le dessein. (1784.)
a. Var, Ayec tout ce qu^ils ayoîent. (1784.)
3. f^ar. Dans leurs troupes, d^jà rebuta. (1784.)
4. Le comte de Marcin ayait fait inrestir Charleroi le i5 d^oem*
bre 167a. Le prince d^Orange y arrira le 17. Le comte de Montai
rentra dans Charleroi dans la nuit du i8aui9.Leaa, dès la pointe
du jour, toutes les troupes des assiégeants décampèrent. Voyez la
Gazette du 3o décembre 1679, p. laSi-iapa.
5. Var, Au traité qu^ils ayoient fait. (1784.)
6. Var, De TEmpire. (1749.)
7. Var, Plus que les Hollandois. (1784.)
8. lie i*r mars 1678, les Français étaient complètement maîtres
de la Westphalie. Le 6 mars, les ennemis repassaient le Weser en
désordre ; et huit jours après, un envoyé de l'électeur de Brande-
bourg se rendait à Versailles pour négocier un traité de paix.
9. Far, Qu'il rompit Tannée suivante. (1749.)
10. L'orthographe de ce nom est toujours Mastrich dans l'édition
de 1780.
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIY. aSS
tandis qu'ils étoient maîtres d'une ville de cette réputa-
tion, ils ne pouvoient se croire absolument vaincus ^ Le
Roi Tavoit déjà comme bloquée par les postes qu'il avoit
pris aux environs*, où ilpouvoit' peu à peu l'affamer s'il
eût voulu; mais cette manière lente de faire la guerre
s'acconmiodoit peu à l'humeur impatiente d'un conqué-
rant. Il résolut d*ôter tout d'un coup aux Hollandois ce
reste d'espérance qui nourrissoit leur orgueil, et alla en
personne l'assiéger ^. Les ennemis, qui s'attendoient à ce
siège, n'a voient épargné m' soins' ni dépense. Il n'étoit
parlé que des grands préparatifs qu'ils avoient faits pour
se mettre en état de le soutenir. Û y avoit dans la place
sept mille hommes de guerre, et entre eux des régiments
d'Espagnols et d'Italiens, tous vieux soldats dont la va-
leur s'étoit rendue célèbre dans les guerres précédentes.
Farjau' les commandoit, ofScier d'une expérience con-
sommée, que les Hollandois avoient demandé aux Espa-
gnols, et qui s'étoit signalé à la défense de Yalenciennes,
dont les François avoient autrefois été contraints de lever
le siège. Les ennemis s'attendoient de voir la même chose
1. ^or. Absolument ruinés. (1784-).
2. Nous suivons ici les éditions de 1749 ^^ ^^ ^7^4 • Celle de
1780 a : tt aux ennemis. » C'est sans doute une erreur de lecture.
3. Fiar, Et il pouvoit. (1784.) — L'édition de 1749 « ainsi cor-
rigé la phrase : « par le moyen desquels il pouYoit Taflamer peu
a peu.... n
4. L'investissement de Maëstricht fut commencé le 6 juin 1673
par le comte de Lorges et le comte de Montai. Le 10 juin, le Roi
arriva dans le camp. Voyez la Gazgtte du xo, du 19 et du 17 juin
1673.
5. Dans les éditions de 1730 et de 1749* U J ^ ni force. C'est
sans doute on mot mal lu dans le manuscrit.
6. On lit Farjan dans les éditions de 1730 et de 17491 Fanant
dans celle de 1784. — Le nom du commandant de Maéstricht est
le colonel Par tau dans la Gazette f et, ce qui revient au mémb pour
Torthographe du temps, Farj'au dans les Lettres historiques de Pel-
litMm (tome I, p. 393).
254 PRECIS HISTORIQUE
à Maëstricht. Jamais ville en effet ne fit d'abord une ré-
sistance plus vigoureuse, ni un feu plus cruel ^ et pins
terrible. On y épuisa de part et d'autre toutes les finesses
du métier. Mais que peuvent* la force et Tindustrie contre
une armée de François animée ' par la présence de leur
roi ? Cette ville si bien défendue, mieux attaquée encore,
tint à peine treize jours ^. On se rend maître des dehors;
toutes les défenses de la place sont ruinées : le Roi y
entre victorieux, et la garnison se croit* trop glorieuse de
pouvoir sortir tambour battant et enseignes déployées.
La prise de Maëstricht n*étonne' pas seulement les Hol-
landois; elle épouvante encore toute F Allemagne''.
L'Empereur, qui avoit déjà en quelque sorte rompa
avec la France par les secours qu'il avoit prêtés* à Télec-
teur de Brandebourg, cherche * des prétextes pour se li-
guer ouvertement avec les Hollandois. Il portoit impa-
tiemment la prospérité d'un prince trop redoutable à la
maison d'Autriche, et appréhendoit que ce torrent, ayant
emporté tous les Pays-Bas ^^, ne se répandit enfin sur
l'Allemagne même. Ainsi la frayeur, la jalousie, etl'argent
des Hollandois prodigué à ses ministres, le déterminèrent
à la guerre. D'autre côté, les Espagnols, voyant la ligne
I. Var. Plus continuel. (1784.)
a. Var. Mais que purent. (1784.)
3. ^ar. Animes. (1749 et 1784.)
4. Le 3o juin 1678, le gouyemeur de Maëstricht fit hattre It
chamade. « Le sieur Fariau se prëparoit à en sortir le lendemain,
et le Roi y dcToit faire son entrée le a de ce mois. » (fi^zeUt dn
4 juillet 1673.)
5. Var. Se crut. (1784.)
6. Far, N'étonna. (1784.)
7. Var. Elle épouvanta toute rAllemagne. (1784.)
8. f^ar. Par le secours qu'il avoit prêté. (1749.)
9. Var. Chercha. (1784.)
10. Var, Tout le Pays-Bas. (1784.) — Voyez ci-dessus, p. 8ii
note a.
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 255
bien formée \ enorgueillis de la prise de Narden^, dont
le prince d'Orange, par leur moyen, yenoit de se res-
saisir', songèrent aussi à se déclarer.
Le Roi, instruit du dessein ^ de ses ennemis, se met en
état de les prévenir, et s'empare de la ville de Trêves*.
Alors FEmpereur crut qu'il étoit temps d'éclater ; il ne se
souvient plus * des engagements qu'Û avoit faits avec le
Roi, ni du traité qu'il avoit signé. Il oublie que les Fran-
çois, quelques années auparavant, sur les bords du Raab,
avoient sauvé l'Empire de la fureur des infidèles. Il fait
des plaintes et des manifestes remplis d'injures, et pu-
blie partout que le roi de France veut usurper la couronne
impériale, et aspirer'' à la monarchie universeUe. D em-
ploie enfin, pour le rendre odieux, tout ce que la passion
peut inspirer de plus violent et de plus aigre. Il fit même
des protestations dans Vienne, aux pieds' des autels; il
se montra ' aux chefs de ses troupes, un crucifix à la
main, et les exhorta*® à rappeler leur courage pour dé-
fendre la chrétienté opprimée. Il oublie ^\ en ce moment,
que les HoUandois qu'il prenoit en sa protection ^^étoient
les plus constants ennemis de la religion catholique; et
I. yar. Si bien formée. (1784.)
a. Naerden fat iiiTesti le 4 septembre 1678 par Farmëe du prince
d^Orange, forte de yingt-cinq mille bommes ; la tranchée Ait ou-
Terte le 8, et la rille prise le 11. Voyez la Gazette du x6 et celle
da a3 septembre 1673.
3. Var, Venoit de se ressaisir par leur moyen. (1749O
4- ^or. Des desseins. (1784.)
5. Trèrea se rendit an marqnis de Rochefort le 7 septembre
1673.
6. Var, n ne se sonrint plus. (1784O
7. yar. Et aspire. (1749 et 1784.)
8. yar. Au pied. (1749*)
9. yar. Il se montre. (1784*)
10. yar. Et les exhorte. (1784.)
II. yar, U oublia. (1784.)
la. yar. Sons sa protection. (1784*
tàSe PRÉCIS HISTORIQUE
que le Roi non-seulement la rétablissoit dans tontes les
places qu'il prenoit sur eux, mais qu'il leur avoit même
en partie déclaré la guerre pour défendre deux princes
ecclésiastiques de leurs injustes oppressions^. Les plaintes
de l'Empereur, toutes frivoles qu'elles étoient, ne laissè-
rent pas de faire impression sur l'esprit des Allemands,
naturellement envieux de la gloire des François. Le dac
de Bavière et le duc d'Hanover* furent les seuls qui de-
meurèrent neutres; tous les autres se déclarèrent peu à
peu contre la France. Ni les raisons d'intérêt, ni les plus
étroites alliances, ne purent les retenir; et la plupart de
ces mêmes princes qu'on avoit vus si tardifs et si pares-
seux à secourir l'Empire contre l'invasion des Turcs, se
hfttèrent de rassembler leurs forces pour s'opposer aui
progrès des François, qu'ils ne pouvoient souffrir pour
voisins, et dont la prospérité commençoit à leur donner
trop d'ombrage. C'étoit la première fois qu'on avoit va
toutes ces puissances unies de la sorte avec l'Empereur.
L'Angleterre même, qui s'étoit liguée avec la France
pour abattre la fierté des Hollandois, trop riches et trop
puissants, commença à regarder d'un œil de pitié les
Hollandois vaincus et détruits, et quelques mois après fit
son traité avec eux*.
Jamais la France ne se vit tout à la fois tant d^ennemis
sur les bras ^. Les Allemands la regardoient déjà comme
un butin qu'ils alloient partager entre eux. On crut que
I. F^ar, De leur injuste oppression. (1784.)
a. rar. Et celui d^Hanovre. (1749.)
3. « Le 19 (février 1674), le traite de paix d'entre le roy de la
Grand*Bretagne et les ëtats généraux des Provinces Unies fut sign^
par les députés de sadite Majesté britannique et par le marquis del
FresDO, ambassadeur d'Espagne, au nom desdits états génëraox. •
(Gazette du 3 mars 1674 •)
4. Far. Ne se vit tant d'ennemis à la fois. (X784O
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. ^57
le Roi se tiendroit sur la défensive* ; et les étrangers Tes-
timoient assez heureux s'il pouvoit sauver ses frontières
de rinondation qui les menaçoit. Cependant il méditoit
en ce temps-là même la conquête de la Franche-Comté.
D s'étoit déjà une fois emparé 'de cette province au mi-
lieu des neiges * et des rigueurs de Thiver, avec une vi-
tesse qui surprit toute TEurope. Mais comme il ne Tavoit
conquise que pour forcer ses ennemis à accepter les
conditions qu^il leur ofiroit, il la leur avoit rendue par le
traité d^Âix-la-Chapelle. Les Espagnob, devenus sages
pr Texpérience du passé, avoient tout de nouveau fait
fortifier leurs places, et pensoient les avoir mises en
état de ne plus redouter une pareille insulte. Surtout Be-
sançon passoit alors pour^ une des meilleures places du
monde; et sa citadelle', bâtie sur un^roc inaccessible,
sembloit n'avoir rien à craindre que la surprise et la tra-
hison. L'élite de leurs troupes étoic là; le prince de Vau-
demont s'y étoit jeté avec plusieurs officiers résolus de se
défendre jusqu'aux dernières extrémités. La saison sem-
bloit conspirer avec eux. Le Roi ayant assiégé cette ville,
le temps se rendit insupportable. La rivière du Doubs *,
qui passe au pied des remparts, devenue extrêmement
grosse et rapide, il fit de si grandes pluies'' que dans la
tranchée et dans le camp 'les soldats étoient dans l'eau
jusqu'aux genoux. Il n'y a point de troupes qui ne se fus-
sent rebutées : à peine les soldats pouvoient-ik porter
I. Far, Sur la défense. (1784-)
1. f^oTm Déjà empare une fois. (1784-)
3. Far. Au milieu des glaces, des neiges. (1784*)
4. Far. Besançon surtout passoit pour. (1749.)
5. Far. Et la ciudelle. (1784.)
6. Dans les trois éditions Torthographe de ce nom est Doux,
7- Far. Étoit devenue extrêmement grosse et rapide, et il fit de
ûgnmdes pluies. (1749O — Devint et i{ fit.... (1784-)
8. Far. Et dans les camps. (1784.)
J. Bacibb, ▼ 17
a58 PRECIS HISTORIQUE
leurs armes ^. Le Roi avolt soin que Fargent ne leur fût
point épargné; mais ils ne demandoient que du soleil.
Enfin l'exemple du Roi, qui s'exposoit à tous les périls et
essuyoit toutes les fatigues* leur fit vaincre ces obstacles.
La ville fut obligée de se rendre, et la garnison se ren-
ferma dans la citadelle. On n'en pouvoit' approcher
qu'en se rendant maître du fort '.
Ce fort ^ étoit conmie une autre citadeUe, qu'on ne pou-
voit aborder qu'à découvert et avec des difficultés incroya-
bles. Une poignée de François entreprend de l'emporter
en plein midi ; ils grimpent sur le roc en se donnant la
main les uns aux autres; ils rompent et arrachent* les
palissades; les ennemis prennent Tépouvante, et cèdent
plutôt à l'audace qu'à la force. Le Roi avoit si bien fait
placer son artillerie, qu'elle battoit en ruine la citadelle
et le fort. Il la fit tourner alors contre la citadelle'.
L'effet du canon fut si prodigieux, qu'en peu de temps
une partie du roc fut brisée "^ ; les éclats en volèrent' avec
tant de violence, que les assiégés n'osoient paroître sur
les remparts, et ne pouvoient même dans la place trou-
ver un lieu pour s'en garantir : tellement qu'an bout
de «deux jours ils furent contraints de capituler ; et cette
forteresse imprenable fut prise^ns qu'il en contât un seul
homme aux François*. Dole, Salins^^ et toutes les autres
X. Var, Les armes. (1784*)
9. Var, Dans la citadelle, dont on ne ponToit. (1749*}
3. yar. Du fort Saînt-Étienne. (1784.)
4. Far, Le fort. (1784.) — 5. Vear. Ou arrachent. (1784O
6. Var. Contre la citadelle seule. (1784.)
7. Var, En fut brisée. (1784.) — 8. Far, En Tioloîent. (1784)
9. Le Roi ëtait arriyë le a mai 1674 devant Besançon, investi àh
le x5 avril. Le i5 mai, on signa les articles de la capitulation pour
la rille, et le ai mai pour la citadelle.
10. Dôle capitula le 6 juin; la Feuillade fit ouvrir le s4 j^ ^
tranchée devant Salins, et entra dans la place le 19.
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. aSg
villes de la province furent attaquées avec le même suc-
cès, quoique Tarmée du Roi fût si fort diminuée par les
détachements qu'il avoit été obligé de faire^ que les
assiégés étoient bien souvent, en nombre, égaux ^ aux
assiégeants.
Voilà donc le Roi encore une fois maître de la Franche-
Comté ; et pour comble de gloire il reçut la nouvelle que
le vicomte de Turenne avoit battu les ennemis à Sintz-
heim*. Cependant le comte de Souches, à la tète des
troupes de TEmpereur, avoit joint en Flandres le prince
d'Orange et les Espagnok. Ces trois armées ensemble fai-
soient'un corps de soixante mille hommes, qui ne se pro-
mettoient ^ pas moins que de conquérir la Picardie et la
Champagne; mais il falloit auparavant vaincre le prince
de Condé, qui commandoit Tannée de France. Ce prince
ayant grossi ses troupes des garnisons de plusieurs places
d'Hollande', que le maréchal de Bellefonds, par ordre
da Roi, avoit fait raser*, se vint camper "^ vis-à-vis des
ennemis proche le village de Senef, et s'étant posté avan-
tageusement, les fatigua de telle sorte qu'il les obligea
de décamper. On ne fait point impunément une fausse
démarche en présence d^un tel capitaine. A peine ils com-
mençoient à marcher, qu'il fond sur leur arrière-garde et
la taille en pièces. 11 poursuit sa victoire ; et c'étoit fait
I. f^ar. Égaux en nombre. (1749*)
9. Zinzin dans rëdltion de 1780, Seinizêim dans IVdition de 1749?
Ziatkeim dans celle de 1784. Ce fiit le 16 juin 1674 que Turenne
gagna la bataille de Sintzheim, dans le Palatinat, sur Tarmée du
doc Cbaries de Lorraine et sur les troupes de Caprara. Voyez la
Gnutte du 4 juillet 1674, p. 6i5-63o.
3. Far. Faisoient ensemble. (1784-)
4- ^«r. Qni ne se promettoit. (1784O
S. far. De Hollande. (1749 et 1784.)
^. Far, ÀToit fait raser par ordre du Roi. (1749-)
7. Far. Vint camper. (1749-) — Vint se camper. (1784.)
a6o PRÉCIS HISTORIQUE
de leur nombreuse armée ^ sans que le comte de Soaches
plaça des troupes et fit en diligence mettre le canon'.
Par cette précaution', il mit ses soldats en état d'entre-
tenir le combat jusqu'à la nuit qui étoit proche. Alors ils
se retirèrent à grande hâte*, laissant les François maîtres
du champ de bataille, de tout le bagage, et d'un* fort
grand nombre de prisonniers*. Les ennemis, honteux de
cette déroute, la voulurent * faire oublier par quelque en-
treprise plus heureuse. Us vont devant Oudenarde, et
mènent un grand nombre de travailleurs pour presser le
siège. Ils ne pensoient pas que le prince de Condé put
arriver à temps pour la secourir''; mais il j fut presque
aussitôt qu'eux; et tout ce qu'ils purent faire, fut* de se
retirer fort vite à la faveur d'un brouillard, auquel ce
jour-là ils furent redevables de leur salut*.
X. Far. De cette nombreiue armëe. (1749O
3. Far. Si le comte de Souches n'avoit pas plac<; des troupes et
le canon avec précipitation. (1749*) — Sans une raTÎne où le comte
de Souches plaça des troupes et fit mettre en diligence du cuioo.
(1784-) — Sur la rwfine, dont la mention a sans doute été ajoutée
ici, pour corriger la phrase, par Tëditeur de 1784* voici commeot
s'exprime Pellisson (Lettres historiques^ tome U, p. a6o): « D n^
a personne qui n'ait été ëtonnë de voir la ravine où les Soiset
s'arrêtèrent et où finit l'action. Ce qui s'y passa de mëmorable nous
l'avoit fait conceroir à tous comme une grande fondrière fort diffi-
cile à passer. Cependant, à dire la vente, jamais rien ne porta le
nom de ravine à si bon marche. Ce n'est qu'un petit chemin qui
coupe le champ de bataille, qu'on ne peut pas même en bon fran-
çois appeler un chemin creux ;... mais le grand feu qui étoit der-
rière le fit paroitre ravine. »
3. Far. Par cette prévoyance. (1784')
4* ^or. En diligence. (1749.)
5. Le sanglant combat de Senef fut livré le 11 aont 1674 •
6. Far, La vouloient. (1784.)
7. Far. Pour secourir la place. ( 1749*) — Pour le secourir. (1784)
8. Far. Ce fut. (1784.)
9. Les armées confédérées des Impériaux, des Espagnob rt Af*
Hollandais avaient investi Oudenarde le iS aoât 1674. Le ai, il>
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 261
Ainsi tous ces beaux projets de conquérir la Picardie
et la Champagne s'en allèrent en fumée, et ces trois
grandes puissances, jointes ensemble, purent à peine ré-
sister à une partie des forces du Roi. Tlol division se mit
parmi les généraux ^ : ils se séparèrent ; et le prince d'O-
range, avec le reste de ses troupes, s'en alla devant Grave
pour hâter la prise de cette ville, que les Hollandois assié-
geoient depuis trois mois avec une lenteur et une infor-
tune qui les exposoit^ à la risée de toute l'Europe . Us
ne faisoient point de travaux qui ne fussent ruinés un
moment après, point d'attaque qu'ils ne fussent repous-
sés'. Les choses en vinrent à tel point ^, que les assié-
geants alloient devenir* les assiégés. La place étoit jdeine
de déserteurs, qui ne se croyoient point en sûreté dans
leur camp, et s'alloient réfugier * dans la ville ; ils deman-
doient tous les jours des suspensions d'armes pour avoir
k liberté d'enterrer leurs morts'. Le prince d'Orange,
étant donc arrivé, crut à son abord que tout alloit * chan-
ger de face : il eut pourtant la douleur de faire' plu-
sieurs attaques inutiles, et de voir périr à ses yeux ses
meilleures trbupes^^.Cependantl'hiverapprochoit. Grave,
dont la prise n'avoit pas coûté au Roi un seul homme, en
d^mperent en hâte dès la pointe du jour, à Papproche du prince
de Condë. Voyez la Gazette du 36 septembre 1674, p. ioa4-io»6«
I. Far, Parmi leurs généraux. (1749.)
3. Far, Qui les exposoient. (1784.)
3. Far, Où ils ne fussent repoussés. (1784*)
4' Far, Les choses en vinrent à un tel point. (1749O — Les
choies vinrent à tel point. (1784*)
5. Far. Étoient devenus. (1784*)
6. Far. Et s'ëtoient réfagiés. (1784.)
7. Far, D'enlever leurs morts. (1784O
8. Far. Crut qu'à son abord tout alloit. (1749.)
9. Far, De faire luî-mdme. (1784.)
10. Far. Et de voir périr ses meilleures troupes. (i749-
!i6i PRÉCIS HISTORIQUE
coûtoit déjà douze mille ^ aux HoUandois; et quoique
leur canon eût presque abattu toutes les maisons de la
ville, la plupart des dehors étoient encore dans leur en-
tier* quand le gouverneur* reçut ordre de capituler. Le
Roi, touché de la valeur de tant de braves soldats, et
ayant appris que la maladie se mettoit parmi eux, se
voulut pas les exposer davantage pour une place qui loi
étoit si inutile^. Le gouverneur fit sa capitulation*, i
telles conditions * qu'il lui plut d*imposer aux assié-
geants ^. Tandis que ces choses se pa^^oient dans le Pays-
Bas*, le vicomte de Turenue s'étant avancé* vers le
Rhin, où il faisoit tête lui seul aux armées de TEmperear
et des confédérés, iP* les chassoit de tous leurs postes, et
rompoit^^ toutes leurs mesures. Il les avoit déjà mis en
' I. Var, Coûtoit dëjÀ douze mille hommeft. (1784.)
a. Var. Étoient en leur entier. (1749.)
3. Var. Lorsque le gouverneur. (1749 et 1784.)
4. Var. Qui lui ëtoit inutile. (1784.)
5. Var. Fit la capitulation. (1784O
6. Var. A telle condition. (1784.)
7. Le marquis de Chamilly, gouverneur de Grave, avait défendu
vaillamment cette place depuis la fin de juillet 1674, avec une gar-
nison de quatre mille hommes. Le prince d^Orange vint presser \t
siège au mois d'octobre, et concentra autour de Grave la plus
grande partie de son armée. Le la octobre, le Roi envoya au gou-
verneur Tordre de capituler. « On capitula le a 6 {octobre 1674), ^
les articles furent signés le 37. Le a 8, les troupes françoises sorti-
rent avec tout leur bagage, tambour battant, mèche allumée par
les deux bouts, balle en bouche, enseignes déployées. ... Sa Majestr
ne voulut pas recevoir des preuves extrêmes du zèle que ses sujett
ont pour son service, et que les soldats, les officiers et le marquis
de Chamilly avoient résolu de donner en cette occasion. »' {Gatetif
du 10 novembre 1674, p. 1187 et xi4i*)
8. Var. Aux Pay^-Bas. (1749.)
9. Var. S'étoit avancé. (1784.)
10. // manque dans IVdition de 1749.
11. 11 les chassoit..., il rompoit. (1784*)
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. t263
faîte à Ladenbourg^; et après que* les habitants de
Strasbourg leur eurent donné passage sur leur pont, il
avoit encore été à Ensheim, où il avoit défait leur avant-
garde» et les avoit contraints de se retirer'. Enfin leurs
armées s'étant grossies^ des troupes de Fclecteur de
Brandebourg et de celles' des ducs de Zell, ce déluge
d*AUemands se répandit de tous côtés dans la Haute-
Alsace, résolus d'y prendre les quartiers d'hiver*, et de
fondre à la première occasion dans la Franche-Comté.
Le vicomte de Turenne, avec un petit nombre de troupes
fatiguées, n'étoit point en état de les arrêter ; mais dans
ce temps-là même il reçut un détachement considérable
que le Roi avoit fait heureusement partir^ de Flandres
aussitôt après la levée du siège d'Oudenarde. Avec ce se-
cours, le vicomte de Turenne, malgré les rigueurs' et les
incommodités de la saison, fait une marche effroyable ' au
travers des montagnes de Yauge^', et se présenta^* tout
ci*un coup à eux. U renverse tout ce qui se présente ^' à son
I. On lit Lwcêmbourg dans les éditions de 1780 et de 17491 l^fuo'm^
bourg dans celle de 1784; mais nous aTons dû corriger ces fautes.
Il s'agit de Ladenbourg sur les bords du Neckar. Le duc de Lor-
raine et le comte de Caprara, qui, renforcés par Boumonville et
par Télecteur palatin , avaient pris position entre Ladenbourg et
Manbeim, se retirèrent précipitamment jusqu*au nord du Mein, à
rapproche de Turenne.
a. Var. Et depuis que. (1784.) — 3. Le 4 octobre 1674.
\. Far. Enfin leur armée sVtant grossie. (1784.)
5. Dû celtes manque dans l'édition de 1749*
6. Far. Résolus d'y prendre des quartiers d'hiver. (i749') —
Résolut d'y prendre ses quartiers d'hiver. (1784.)
7. Var. Avoit heureusement fait partir. (1749.)
8. Var. Malgré la rigueur. (1749»)
9. Var, Fait une marche étonnante. (1749.)
10. On lit de Vauge^ et non des Vosges^ dans les trois éditions.
II. Var, Et se présente. (1749 et 1784.)
la. Var, S'offre. (1784,)
!i6/| PRÉCIS HISTORIQUE
passage, et lear enlève des régiments tous entiers^. Li
terreur et la division se mettent dans leur armée ; vingt
mille hommes en chassent cinquante mille ; toute cette
multitude repasse le Rhin en désordre, entraîne' avec
elle six mille hommes de renfort qu'elle rencontre, et
qui, au lieu de lui faire rebrousser chemin, deviemient
eux-mêmes les compagnons de leur fuite '.
La fortune ne favorisoit pas moins les François sur
mer. La flotte des HoUandois, délivrée de la crainte des
Anglois, et forte de plus de cent voiles, après avoir vai-
nement couru le long des côtes de France, avoit toomé
enfin ses projets du côté de TAmérique; mais elle ne fut
pas plus heureuse dans le Nouveau-Monde que dans Tan-
cien; car ayant assiégé la Martinique, elle fut contrainte
de lever honteusement le siège ^. Elle revint de ce long
voyage sans avoir fait autre chose que de donner* des
preuves de sa foiblesse. Il n'en alla pas de même* de lai^
mée navale de France sur la mer Méditerranée^. Les Mes-
sinois, en Sicile, avoient secoué le joug d'Espagne; onles
environne' aussitôt de tous côtés : Messine f\it bientôt
affamée; ses' malheureux habitants étoient déjà réduits
1. « Tous entiers » est dans le texte de Pëdition de 1730; les
antres éditions ont : « tout entiers. » — Ce fut à Mulhausen, Ir
29 décembre 1674, que Turenne mit ainsi en déroute la cavalerie
de l'Empereur et celle du duc de Lorraine.
2. Far. Et entraîne. (1784.) — 3.fflr. De sa fuite. (1749 et 1784)
4. Le 90 juillet 1674. C'ëtait Ruytcr qui arait opérë la descente
à la Martinique. Ses troupes furent forcées de regagner leurs Tais-
seaux, et il revint en Europe sans avoir rëparé son ëchec. Voyei
dans la Gazette du 30 décembre 1674, Tarticle intitulé : ta retraite
honteuse du lieutenant amiral Rtifter de tisle de la Martinique.
5. Var. Que donner. (1784.)
6. Var. U n'en fut pas de même. (1784.)
7. Var. Sur la Méditerranée. (1784.)
8. Var. On les environna. (1784.)
9. Il y a ces dans IVdition de 1730.
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. a65
à manger des cuirs. Enfin, résolus de périr plutôt que de
rentrer* sous le gouvernement tyrannique d'une nation
qui ne pardonne jamais, ils arborèrent Tétendard de
France, et implorèrent' le secours du Roi'. Il y envoya
quatre vaisseaux et six cents hommes de guerre^, avec
ordre de se saisir des châteaux qui commandent la ville'.
U s'assure ainsi' des Messinois, et en même temps fait
partir^ le duc de Vivonne, général des galères. Ce gé-
néral' trouvant la flotte espagnole à la vue de Messine,
3 l'attaque et la met en fuite', et entre triomphant dans
la ville *^. On ne sauroit concevoir la joie de ce misérable
peuple, qui se voyoit délivre ^^ dans le temps qu'il n'avoit
plus devant les yeux que Tirnage des supplices et de la
mort. Ses exclamations et ses transports faisoient assez
voir qu'ils croyoient devoir au Roi quelque chose plus
que la vie**.
Ainsi la victoire menoitles François par la main*' dans
I. Var. Que de tomber. (1784.)
a. Var. Il» arborent et implorent. (1749O
3. L'insurrection de Messine éclata le 7 juillet 1674. Les Messî-
DOIS envoyèrent une dëputation à Paris pour implorer la protection
de Louis XIV.
4. Sous le commandement du chevalfer de Valbelle.
5. Fiir. Qui commandoient à la ville. (1784O
6. f^ar. Il s'assure aussi. (1784.)
7. Far. Fit partir. (1784.) — 8. f^ar. Le duc. (1749.)
9. For à la vue de Messine, l'attaque, la met en fuite. (1784.)
10. Le duc de Vivonne, parti de Toulon le 19 janvier 1675, se
trouva le II février à la vue dès ennemis, qui se retirèrent. Il put
opérer son débarquement, et fut reçu des habitants de Messine
comme un libérateur. Voyezla Gazette du i5 mars 167$, p. 161-171.
II. Le mot JéGvre'y que donne l'édition de 1784* est omis dans
celle de 1730. L'édition de 1749 ^ ainsi rempli la lacune: « qui se
▼oFoit si efficacement secouru. »
13. « Quelque chose plus » est le texte de 1780; les autres édi-
tions portent : « quelque chose de plus. »
i3. For. Comme par la main. (1784.)
a66 précis historique
tous les pays des Espagnols, qnî avoient même bien de
la peine ^ à se défendre du côté de la Catalogne, où ils
avoient été repoussés plusieurs fois au delà des Pyrénées.
Toutefois ces orgueilleux ennemis', voyant la France des-
tituée du secours de ses alliés, ne désespéroient pas' de
se racquitter de leurs pertes. En effi^, les Suédois, qui
étoient les seuls qui tenoient pour elle, n*avoient pas en
des succès plus heureux ^ contre l'électeur de Brandebourg.
Les Espagnols firent donc de nouveaux efforts . ils at-
tendoient* à la prochaine campagne de se venger' de
tous les affronts qu'ils avoient reçus ; mais à peine le prin-
temps parut, qu'ils se virent encore dépouillés d'une de
leurs meilleures provinces par la prise de Limbourg\
Le Roi, s'étant emparé de Dinant et de Huy^, empoita
cette place avec sa promptitude ordinaire, avant que les
ennemis fussent en état de s'opposer à ses desseins.
La fortune néanmoins sembla un peu balancer du côté
de l'Allemagne. Le vicomte de Turenne, allant recoa-
I. Var. Qui avoient même beaucoup de peine. (1749O — ^ip^
avoient même de la peine. (1784*)
3. Var, Cependant ces ennemis. (1749 •)
3. Var. Ne désespéroient pas encore. (X784*)
4. Var, N'avoient eu que des succès malheureux. (1749-) — ^*-
voient pas eu des succès heureux . (1784.)
5. Var: Ils s^attendoient. (i749-) — 6' '^«w- Pour se venger. {1784)
7. Le 10 juin 1675, le marquis de Rochefort arriva devant Lim-
bourg, quUl investit. La place capitula le 31 jum; le a a, les troupes
du Roi prirent possession de la vÛle et du château. Voyez la Gauitt
du la et du a8 juin 1675.
8. « Le maréchal de Créqui sVtant présenté devant Dinant, le
19 de ce mois {nuù, 1675), la ville ouvrit d^abord ses portes.... Le
a9 du passé {mai 1675), le château de Dinant se rendit, après sept
jours de tranchée ouverte. » (Gazette du i"' juin et du 8 juin 1675.)
— « Après la prise de Dinant sur la Meuse, le siège de Huj, sor la
même rivière, fut aussitôt résolu. Le manjuis de Rochefort.... ar-
riva devant la place le i*' de ce mois (juin 1675).... Le 7*, la gar-
nison impériale en sortît. » (Gazette dn 1 5 juin 1676.)
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 467
noitre une hauteur, sur le point de donner bataille, est
emporté d^un coup de canon*. L'armée françoise étoit
alors avancée^ dans le pays ennemi; et toute l'Europe
la crut perdue par la perte d'un chef de cette importance,
qni étoit mort sans communiquer ses desseins.
Les ennemis s'attendoient de Texterminer* toute ei^
tière, et ne croyoient pas qu^un seul des François leur
pût échapper^. Toutefois le comte de Lorges et le marquis
de Vaubrun, lieutenants généraux, qui en avoient pris la
conduite, ne s'étonnèrent point. Ils rassurent' les soldats
affligés de la mort de leur général , mais animés d'un
juste désir de la venger, aussitôt se rapprochent* du
Rhin, et se mettent en devoir de le repasser ''.
Par là ils obligent les ennemis à sortir de leur camp
pour les charger dans leur retraite*. Alors ils marchent
à eux, et rompent leur arrière-garde. L'armée françoise
se retire en bon ordre, et rapporte au deçà* du Rhin
les dépouilles et les drapeaux de ceux qui prétendoient
loi en empêcher le passage. Peu de temps après, le prince
deCondé, par ordre du Roi, partit de Flandres** pour aller
prendre le commandement de Tarmée ^*. La présence et
I. Le 37 juillet 1675, près du village de Sasbach.
î. Vor. Étoit alors fort avancée. (1784)
3. Var. S'attendoient à Texterminer. (1784O •
4. Vv. Pût leur échapper. (i749-)
5. Var. Ils rassurèrent. (1784)
6. Var. En môme temps ils se rapprochent. (1749-) — Aussitôt
ils se rapprochent. (1784.)
7. Var. En état de le repasser. (1749O
8. Au pont d'Altenheim, entre la Schulter et le Rhin. Le com-
bat d'.\ltenheim fut livré le i*' août 1675. Le marquis de Vaubrun
y fat tué ; le comte de Lorge s*y couvrit de gloire.
9. «Au deçà M est le texte de 1780; les autres éditions ont:
« en deçà. »
10. Var. Partit de Flandres par ordre du Roi. (1749O
if . Vwr. lie commandement de l'armée en Allemagne. 1749*
a68 PRÉCIS HISTORIQUE
la réputation de ce prince achevèrent de rétablir tontes
choses. Le comte de Montécucnli, qui avoit passé le
Rhin à Strasbourg, à la tête de trente mille hommes,
sembla n*étre entré en Alsace que pour y faire une montre
inutile de son armée ; car après avoir tenté vainement
le siège de deux villes \ il se retira; et les Allemands Ta-
rent encore obligés, pour cet hiver, d'aller loger sur les
terres de leurs alliés. Bien que' la retraite des François
ne (bt pas une de leurs moins vigoureuses actions, néan-
moins ils s'étoient retirés, et c^étoit assez' pour enfler le
courage des ennemis ^ qui avoient toujours fui devant eux.
Les Espagnols en triomphèrent* dans leurs rdations;
mais le Roi rabaissa bientôt cet orgueil par la prise de
Condé, qu'il emporta d'assaut au commencement de la
campagne'. Le prince d'Orange, justement alarmé de
cette conquête, s'avança^ à grandes journées pour se-
courir Bouchain, que le duc d'Orléans assiégeoit*. lise
campe' sous le canon de Valenciennes; mais le Roi.se
met^^ entre lui et le duc d'Orléans. Bouchain est pris"
I. F'ar. De deux place». (1749.) — Ces deux places sont Hagne-
nau et Sareme. Le comte de Mont^cuculli investit Haguenau le 19 août
1675; il fit battre la place le so et le ai avec trente-deux pièces dr
canon. Il leva le si^ge le a a août, au bruit de la marche du princf
de Condé. Voyez la Gazette du 3i août et celle du 4 septembre 167$.
Le I a septembre, Tarmëe impériale marcha pour investir Saverne.
Le 14, le comte de MontécucuUi changea de dessein. U fit sommer
le commandant de Saveme de se rendre, puis abandonna le si^.
Voyez la Gazette du ai septembre 167$.
a. Far. Quoique. (1749.) — 3. ^ar. Et c'en étoil assez. (1749)
4. ^ar. Aux ennemis. (1749.) — 5. Var, Entriomphoient. (1784)
6. Le Roi était arrivé le ai avril 1676 au camp devant Condé.
Le gouverneur se rendit avec sa garnison dans la nuit du a5 au
a6 avril. Voyez la Gazette du a5 avril et celle du 9 mai 1676.
7. Var. S'avance. (1749 *t 17840
8. yar. Qu'assiégeoit le duc d'Orléans. (1784.)
9. Far. U campe. (1784.) — 10. Far, Se mit. (1784.)
I I . Monsieur, assisté du maréchal de Créqui et de Vauban, in-
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 169
sans que le prince d'Orange ose sortir de dessous les
remparts qui le couvrent* ; et il semble ne 8*étre appro-
ché de si près* que pour être spectateur des réjouissances
que fit Tarmée du Roi pour la prise de cette place.
Voyons maintenant ce qui se passe sur la mer. Le duc
de Vivonne avoit pris la forteresse d'Agouste ' : c'est un
des plus fameux ports de la Sicile. Les Espagnols effrayés
ont recours aux HoUandois. Ruyter reçoit ordre de
passer le détroit. Quelle apparence que les François
paissent tenir la mer devant les flottes d'Espagne et de
Hollande jointes ensemble, et commandées par un capi-
taine de cette réputation? La fortune toutefois^ en dé-
cida d'une autre sorte*. Duquesne, lieutenant général,
ayant deux fois rencontré les ennemis, eut toutes les deux
fois de l'avantage*; et Ruyter, au second combat, reçut
une blessure dont il mourut peu de jours après''. Cétoit
la plus grande perte que les Hollandois pussent faire.
Aussi le duc de Vivonne, qui étoit alors dans Messine,
vesdt BoQchain, le 9 mai 1676. Le 11 mai, le gouverneur demanda
à capituler. Le lendemain la, la garnison fut conduite à Saint-Omer
STec armes et bagages. Voyez la Gazette du ai mai 1676, p. 369-387.
I. F'ar. Qui le couvroient. (1784*)
a. Far. Ne s'être approche si près. (1784.)
3. Le duc de Vivonne arriva le 17 août 167$ à la vue du port
d\\gosta. Le commandant du fort capitula le même jour. Voyez,
dans la Gaxette du 10 octobre 1675, p. 737'747, la Relation de la
nrite tCjigouâta»
4- La fortune cependant. (1749.)
5. For. En décida autrement. (x784-)
6. Tôt. Eut toutes les deux fois l'avantage. (1784.)
7. Le 7 janvier 1676, les deux flottes s'étaient trouvées en pré-
sence dans les eaux de Stromboli. Duquesne attaqua le même jour
les vaisseaux hollandais. Les ennemis se retirèrent le xo à Melazzo.
Voyez la Gaxette du 7 mars 1676. Le a 3 avril de la même année, les
flottes se rencontrèrent entre Catane et Agosta. Ruyter fut blessé
(Uns le combat. Il mourut le a mai 1676, le dixième jour, des blés-
»ares qu'il avait reçues. Voyez la Gazette du 1 3 et du 16 juin 1676.
270 PRÉCIS HISTORIQUE
crut qu'il se falloit hâter de profiter de cette mort, et
du trouble qu'elle avoit sans doute jeté^ parmi les en-
nemis.
Dès que Tannée eut pris un peu de repos, il se met en
mer', et il les va chercher', résolu de les combattre par-
tout où il pourroit les trouver. Leur flotte étoit à Tancre
devant Palerme. Les ennemis le reçoivent d'abord avec
assez de résolution; mais ils n'avoient point de chef à
opposer au duc de Vivbnne. Les François les pressent de
tous côtés ; ils les poursuivent jusque dans le port : ja-
mais on ne vit une déroute et un fracas si épouvantable \
Les vaisseaux foudroyés par le canon, ou embrasés par
les brûlots', sautent en Tair* avec toute leur chaire, et
retombant sur la ville, en écrasent ou brûlent une partie
des maisons'. Enfin le duc de Vivonne, après avoir ainsi
mis en cendres' ou coulé à fond quatorze vaisseanx et*
six galères, tué près de cinq mille honunes, entre antres
le vice-amiral d'Espagne, et mis le feu dans Païenne, re-
tourna à Messine, d'où il envoya au Roi les nouvelles de
cette victoire, la plus complète que les François rempor-
tèrent jamais sur mer*®.
I. Var, Jet^ sans doute. (1749.)
a. Var, Ils se mettent en mer. (1784O
3. Var, Il se met en mer, va les chercher. (1749.)
4* Var, Si épouvantahles. (1784.)
5. Var, Foudroyés ou embrases par le canon. (1749*)
6. Var. Sautant en Tair. (1784)
7. Var, Écrasent et brûlent une grande partie des maisons, [yfik-
8. Var, Après aroir mis en cendres. (1749.)
9. Et manque dans les éditions de 1780 et de 1749; la premierr
de ces éditions Ta mis dans la même phrase derant en/re auJtrtts ou
il n^est pas nécessaire.
10. Yojez dans la Gazette du 33 juin 1676^ p. ^Bi^^J^M ^'
tion du combat naval et de la victoire remportée U a* juin (1676) p^
t armée du Rojr^ sous le commandement du maréchal duc de Vivomut
viceraj de Sicile^ sur les flottes et Espagne et de Hollande mouillées à U
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 271
Cependant le prince d'Orange, las de n être que le
spectateur des victoires de ses ennemis, forme ^ enfin un
dessein qui devoit faire oublier toutes ces disgrâces*.
Maêstricht étoit la place qui incommodoit le plus les
HoUandois, à cause des contributions que sa garnison le*
voit jusqu'aux portes de Nimègue : il va l'assiéger ', et
voyant l'armée françoise fort éloignée, il s'apprête à faire
les derniers efforts pour s'en emparer. Le Roi apprit la
nouvelle de ce siège à Saint-Germain : il songea aussitôt
à profiter de l'imprudence de ses ennemis; et tandis
qu'ils consommoicnt leurs armées ^autour de Maêstricht,
il donna ordre * au maréchal d'Humières d'aller assiéger
Aire". Comme cette ville est une des plus importantes
places des Pays-Bas"', on crut d'abord que désespérant
de sauver^ Maêstricht, il vouloit contre-balancer sa
perte par la prise d'une ville ' non moins forte, et beau-
coup plus à sa bienséance. Mais il avoit bien de plus
grands desseins*®; et connoissant, comme il faisoit, l'état
de ses places et la valeur de ses troupes, il ne douta point
it
rade de Palerme, H y est dit que les ennemis ont perdu « douze
corps de leurs plus grands vaisseaux, six galères, sept cents pièces de
canon, plus de cinq mille hommes. »
I. Var, Forma. (1784.) — a. Var. Toutes ses disgrâces. (1784.)
3. n en commença TinTCStissement le 7 juillet 1676.
4. Far, Qu'ils consumoient leur armëe. (1749O — Qu'ils ëpui»
soient leurs armées. (1784.)
5. Var. n donne ordre. (1749-)
6. L'ëdition de 1780 nomme par erreur ici et plus bas Ath^ att
lien ^Aîre,
7. Far, Une des plus importantes des Pajs-Bas. (1749O — Une
des plus importantes places du Pays-Bas. (1784.)
8. Far, Que désespëralit en quelque sorte de sauver. (1784-)
9. Far. D'une place. (1749*)
10. Far^ Des desseins bien plus grands. (1749.)
II. LVdition de 1780 porte : « il ne doute point, m Mais, la phrase
ëtant incorrecte ainsi, on doit penser que Pëditeur de 17844 qui a
donne « douta, » a mieux lu. Dans iVdîition de 17491 ii y si doutait.
372 PRÉCIS HISTORIQUE
qu'après avoir pris Aire, son armée n eût encore assez
de temps pour aller secourir Maëstricht. La chose réussit
comme il se Tétoit imaginée contre toutes les apparences
humaines, et la ville se rendit au cinquième jour de tran-
chée ouverte*. Aussitôt le maréchal de Schomberg eut
ordre de marcher vers Maëstricht. LesHoUandois, contre
leur ordinaire, y avoient fait des actions d^une fort
grande valeur * ; et * le prince d'Orange y a voit été blessé.
Et toutefois à peine étoient-ils encore sous la contres-
carpe, qu'aussitôt que les premiers coureurs de Tar-
méc françoise ^ parurent, les ennemis levèrent le siège;
ils se retirèrent en diligence, et ne songèrent qu'à
sauver les débris* de leur armée, dont la fatigue, les
maladies, et les sorties continuelles des assiégés, avoient
emporté plus de la moitié*. Il sembloit que la fortune
de la France dût se borner là pour cette année. Ce-
pendant quelques mois après le Roi apprit que le ma-
réchal de Vivonne avoit pris Tahormine et la Scalette^,
I . Le maréchal d^Humîères a^ait investi Aire la nuit du 19 juil*
let 1676. Le marquis de Wargnies, qui j commandait, en sortit le
3i juillet, après cinq jours de tranchée ouverte, et vint demander
a capituler. Voyez la Gazette du i*^ août et du ix août 1676,
p. 56i-568.
a. Far. Les Hollandois y avoient fait des actions d'une grande
valeur. (ï749')
3. Et manque dans Tédition de 1784-
4. Far sous la contrescarpe. Aussitôt que les premiers cou-
reurs françois. (1784.)
5. Far, Le débris. (1784.)
6. Le comte de Calvo, qui commandait la garnison de MaCstricht,
se couvrit de gloire par sa belle défense. L'approche du maréchal
de Schomberg, et le mauvais succès des dernières attaques des en-
nemis, les obligèrent à abandonner leurs tranchées le 97 août 1676.
Le siège avoit duré cinquante et un jours. Voyez la Gazette do
10 septembre 1676.
7. Ces deux noms sont écrits ia Horaùne et LeschaUtte dans i^é-
dition de 1780, la Hormine et la Scaleite dans celle de 1749* Tehor-
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. !»73
et que toute la Sicile étoit en branle de suivre Mes-
sine '.
Jamais les François n*avoient peut-être fait une cam-
pagne qui leur fût ni plus glorieuse ni plus utile. Néan-
moins la prise de Philisbourg, qui, après six mois^ de
si^e, fut obligé' de se rendre, et les autres avantages^
que le prince de Lunebourg avoit remportés ' dans Té-
vèché de Trêves, avoient persuadé aux ennemis que les
François pouvoient être quelquefois vaincus. Ils crovoient
qu'il en seroit de la fortune du Roi comme de toutes les
choses du monde*, qui étant parvenues à un certain
point, ne sauroient plus croître. En effet, après tout ce
muu et VEseaUtte dans celle de 1784- — Taormine fat prise le
ifi octobre 1676. Le »5 du même mois, le maréchal de Vivomie
fit investir la Scaletta par terre et par mer. Le 9 novembre, la ca-
pitulation fut signée et exécutée. Voyez la Gazette du 9 décembre
1676, p. 845-853.
I. Var, Se disposoit a suivre l'exemple de Messine. (1749.} —
Étoit disposée à suivre l'exemple de Messine. (1784.)
s. Dans les éditions de 1780 et de 1749, il 7 a après un mois. Mais
la tranchée fut régulièrement ouverte devant Philisbourg le a a juin
1676; dès le 10 mai précédent, le prince de Bade Tavait ouverte
devant le fort. Le blocus de la place avait commencé beaucoup
pliu tôt. La capitulation n'eut lieu que le 17 septembre 1676. Après
six mois, que donne l'édition de I784« doit donc être la véritable
leçon. — Du Pajr était gouverneur de Philisbourg. Il sortit de la
place, tambour battant, mèche allumée ; la capitulation fut très-ho-
norable. Voyez la Gazette du 3 octobre 1676.
3. Dans l'édition de 1784 '• obligée.
4. yar. Et les avantages. (1784.)
5. Far. Avoit remportés l'année précédente. (1784.) — L« ^^-
nements malheureux auxquels l'historien ne fait ici qu'une rapide
allusion avaient eu lieu en effet en 1675. Le duc de Lunebourg-Zell
et son frère l'évéque d'Osnabruck, auxquels s'était joint le vieux
duc Charles de Lorraine, avaient paru le 9 août 1675 sous les murs
de Trêves. Le lendemain, le maréchal de Créqui se posta près d'eux
à Konz-Saarbrûck. Il y essuya une complète défaite le 11 août
15^5. Trêves tomba au pouvoir de l'ennemi le 6 septembre.
6. Var. Comme de tontes les autres choses du monde. (1784O
J. RACum. v 18
274 PRÉCIS HISTORIQUE
que ce prince avoit fait en Hollande, en Flandres \ en
Bourgogne et en Allemagne, il n'y avoit pas d'apparence
que sa gloire pût augmenter. Elle augmenta pourtant :
toutes ces conquêtes et tant de victoires qu'il a rempor-
tées* n'ont été , ce semble ', qu'un «cheminement aux
grandes choses qu'il fit Tannée suivante; car bien que^
les villes qu'il avoit prises fussent des places d'une grande
réputation, il y en avoit pourtant de plus fortes, et sur
lesquelles les Espagnols faisoient un plus grand fonde-
ment. Valenciennes étoit de ce nombre. Elle est riche et
fort peuplée ; ses habitants s'étoient rendus célèbres par
la haine qu'ils ont toujours eue* pour les François; et ses
fortifications passoient dans l'opinion du monde pour une
merveille. Le Roi, qui, dès le commencement de lagaeire,
méditoit de les assiéger, s'étoit saisi des villes voisines, et
y avoit ordonné ' de grands magasins : de sorte que sur la
fin de l'hiver ^, et avant ' qu'il y eût du fourrage à la cam-
pagne, il fut en état d'agir, et y alla mettre le siège*.
Il y avoit dans la place une très-forte garnison : la
noblesse voisine s'y étoit jetée ; et les habitants, pleins
de leur ancienne animosité, présumoient qu'eux seuls,
sans autre secours, pourroient'® la défendre.
I. L^ëdition de 1784 omet : « en Flandres. »
a. Var. QuUl avoit remportées. (i749')
3. Var, N^ëtoient, ce semble. (1749.) — N'ont été ensemble. (1784 )
4. y or. Car quoique. (1749.)
5. Var. Qu'ils ont eue de tout temps. (1749*)
6. Var. Et avoit ordonné. (1784.)
7. Var. Si bien que dès le commencement du printemps. (i/Sf)
8. Var. Et même avant. (1784.)
9. « Le Roi chargea le duc de Luxembourg d'investir Valeo'
ciennes le a8 février (1677). Sa Majesté partit le même jour de son
château de Saint-Germain-en-Laye pour se rendre à grandes jour-
nées devant cette place, où Elle arriva le 4 de ce mois, m (paieite du
a4 mars 1677, p. laa.)
10. Var. Pouvoient. (1784*)
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 275
n n'y avolt point de bravades qu'ils ne fissent d'abord :
ils donnoient le bal sur les remparts^ ; ils disoient que
lear ville étoit le fatal écueil où la fortune des François
venoit toujours échouer * ; et fiers de leur avoir fait au-
trefois lever le siège, ils leur demandoient s'ils venoient
autour de Yalenciennes chercher les os de leurs pères.
Cependant les François avançoient leurs travaux.
Yalenciennes, du côté que' le Roi la fit attaquer, étoit
défendue par un grand nombre de dehors, qu^il falloit
forcer pied à pied, et qui, selon toutes les règles de la
guerre, ne pouvoient être emportés sans qu'il en coû-
tât plusieurs milliers d'honmies. Il falloit, entre autres
choses, franchir quatre grands fossés, dont il y en avoit
deux que la rivière de l'Escaut formoit, et où elle rou-
loit* avec beaucoup de rapidité.
Le Roi, après avoir fait battre par le canon les pre-
miers dehors, ordonne qu'on fasse* Tattaque. Aussitôt
les mousquetaires, accompagnés de grenadiers, et d'au-
tres troupes commandées', partent de leurs postes difie-
rents avec une égale hardiesse : ils se rendent maîtres de
la contrescarpe; ils entrent dans un ouvrage couronné
qui faisoit la plus forte défense de la place'', et passant*
au fil de l'épée huit cents hommes, de deux mille qui
étoient dans cet ouvrage*, le reste des ennemis^ se
voyant attaqué par le front et par les flancs, ne songe
I. Far. Sur leurs remparts. (1749 et 1784.)
». Dans rédition de 1780 : « ëcheoir. »
3. Var. Dn oôttf par où. (1749.) — 4- ^^- Couloh. (1784)
5. Far. Ordonna qa^on fît. (1784.)
6. Far. Accompagnes des grenadiers, et les autres troupes com-
mandées. (1784.)
7. Far, La principale défense de la place. (1749.)
8. For. Passent. (1784O L'édition de 1784 a «n conséquence un
point après « cet ouvrage. »
9. ^or. Dans ce poste. (1749-)
%'je PRÉCIS HISTORIQUE
plas qu*à se sauver ; ils se pressent, ik se poussent; une
partie tombe dans le fossé^ Tautre se retire de fortifica-
tion en fortification. Ils étoient suivis de si près, qu'ils
n*earent pas le temps de lever les ponts qui commoni-
quoient avec la ville, ni même de fermer les portes
qui étoient dans leur chemin. Une de ces portes se
trouve* extrêmement basse et à demi bouchée de corps
morts des ennemis : les François marchent sur ces
corps sanglants, et passent pêle-mêle avec les fuyards,
et sans s'amuser à se couvrir et à se loger*, les pour-
suivent' jusqu'au corps de la place. C'est là qu'ik font
ce qu'on n'a jamais lu que dans les romans et dans des
histoires données à plaisir^. Ds trouvent un petit degré
pratiqué' dans l'épaisseur d'un mur' : ce degré conduisoit
sur le rempart ; ils montent un à un ; les voilà sur la mu-
raille. A peine ils j sont, que les uns se saisissent du ca-
non et le tournent contre la ville, les autres descendent
dans la rue, s'y barricadent'', et rompent les portes de la
ville à coups de haches'. Tout cela se fit avec tant de
vitesse, que les boui^eois les prenoient d'abord pour les
soldats de la garnison. Le Roi, qui les suivoit de prés pour
donner ses ordres à mesure qu'ils avançoient, apprend
I. Far, Se trouTa. (1784.) Dans IVdition de 1780, il y a la dote
ëridente se trouvent, pour se trompe.
a. y^ar. Ni à se loger. (1784.)
3. Fiar, Us les poarsuiyent. (1749.)
4. Far. Et dans des histoires écrites à plaisir. (1749*) ^^ ^^ ^^
les histoires inventées a plaisir. (1784.)
5. Tel est le texte de l'édition de 17499 et seul il nous paiait
vraisemblable. Les éditions de 1780 et de 1784 s'accordent à donner
presque^ au lien de pratiqué ; et comme ces deux éditions ne se sont
pas copiées, il fant croire que dans le manuscrit on lisait ^rsf^ar- U
y avait donc là un mot peu lisiblement écrit on un lapsus.
6. Far, Du mur. (1784.)
7. Dans rédition de 1730: « et s'y barricadent. »
8. f'ar. A coups de hache. (1749.)
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 1^^
que ses troupes sont* dans Valenciennes*. La première
chose qu'il fit, ce fut d'envoyer défendre le pillage, qui
étoit déjà commencé et qui cessa aussitôt'. Ce n'est pas
sans doute une chose peu étonnante, qu'une des plus
fortes villes de Flandres ait ainsi été emportée d'assaut
en moins d'une demi-heure ; mais ce n'est pas un moin-
dre miracle qu'elle ait pu être sauvée du pillage, et que
Tordre du Rôi ait pu être sitôt écouté par des soldats
acharnés au meurtre, au milieu du bruit et des fureurs de
la victoire. On peut dire que jamais troupes n'ont donné
aneplus grande preuve d'obéissance et de discipline. Il
y avoit dans la ville, outre les bourgeois qui étoient en
armes, cinq mille hommes d'infanterie et douze cents
chevaux, qui furent trop heureux de se rendre à discré-
tion. Le Roi, par le droit de la guerre, pouvoit traiter les
habitants avec les dernières rigueurs*, et jamais peuple
n'a' mieux mérité de servir d'exemple ; mais ce n'é-
toit pas contre des malheureux, et des malheureux sou*
mis', que le Roi exercoit sa vengeance : il les traite avec
autant de douceur' que s'ils eussent fait de bonne heure
leur composition, et leur conserve ' presque tous leurs
privilèges.
Mais, sans faire de séjour dans cette ville, il marche
aussitôt, et se prépare à de nouvelles conquêtes. Cambray
et Saint-Omer étoient les deux plus forts boulevards que
I. Kar. Étoient. (1784.) — 2. he ly mars 1677.
3. « Le comiiundement exprès da Roi suspendit la fureor ordi-
naire aux soldats, animés par le succès, par le sang et par le désir
d'an grand butin, et la Tille ne fut pas pillée. » {Gazette du ao mars
1677, p. aao.)
4. yar. kree la dernière rigueur. (x749-}
5. rar. N'aToit. (1784.)
6. ^OF*. Mais ce n*étoit pas contre des malheureux soumis. (1784.)
7. ^ar. Il les traita arec les mêmes douceurs. (1784)
8. yar. Et leur conserra. (1784-)
278 PRÉCIS HISTORIQUE
les Espagnols eussent en Flandres. Ces denx villes, â-
tuées* sur les frontières de la France, lui servoient
comme de fraise *, et lui faisoient la loi au milieu de ses
triomphes : surtout Gambray*s*étoit rendu redoutable.
Les rois d*Espagne estimoient plus cette place seule ^ que
tout le reste de la Flandre ensemble. Elle étoit fameuse
par le nombre des affronts qu'elle avoit fait souffrir aux
François, qui Tavoient plus d'une fois attaquée, et qui
avoient toujours été obligés de lever le siège*. Elle fai-
soit contribuer presque toute la Picardie ; et sa garnison
avoit autrefois fait des courses, et porté le ravage et la
flamme jusque dans TIle-de-France, et dans les lieu
voisins de Paris.
Ainsi, pendant que le Roi étendoit ses conquêtes aa
delà du Rhin, une ville ennemie levoit des tributs dans
son royaume, et le bravoit pour ainsi dire aux portes de
sa capitale. Il voulut donc pour jamais assurer* le repos
de ses frontières : il assiège "^ en personne cette place
avec la moitié de son armée, tandis que le duc d'Orléans,
avec l'autre*, va attaquer* Saint-Omer. Cesdeux sièges, si
difficiles autrefois^*, entrepris en même temps, étonnè-
rent tout le monde. On jugea que les Espagnols feroient
les derniers efforts pour sauver deux villes dont la perte
I. Var. Ces villes sitaëes toutes deux. (1784-)
9. Le Dictionnaire de P académie (1694) définit la fraise « un rang
de pieux qui garnit une fortification de terre par dehors, vers k
milieu du talus , et qui présente presque la pointe a ceux qui too-
droient monter à Fassaut. »
3. yar. Cambraj surtout. (1749 et 1784)
4. ^«r. Cette seule place. (1749.)
5. r«r. D*en lerer le siëge. (1749.)
6. Far. Assurer pour jamais. (1749-)
7. f'ar. Et assiégea. (1784-)
8. f^ar. Tandis qu*avec Tautre le duc d'Orléans. (1749)
9. Far. Va investir. (1784.)
10. Autrefois est omis dans Fédition de 1784*
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 27^
alloit apparemment entraîner tout le reste des Pays-Bas*.
Cambray toutefois ne fit pas une résistance digne de sa
réputation. Le gouverneur, quoique très-brave, ne vou-
lut point perdre ses troupes en s'opiniàtrant à défendre
plus longtemps la ville, où il craignoit la révolte des habi-
tants, que l'exemple de Yalenciennes faisoit trembler. Il
se retira dans la citadelle ' ; mais avant que de s'y ren-
feraier, il fit mettre à pied la plupart de la cavalerie et
tuer les chevaux*; il exigea de ses soldats de nouveaux
serments de fidélité, et donna enfin toutes les marques
d'un homme qui, par une défense extraordinaire, vouloit
rétablir Thonneur de sa nation.
Saint-Omer, de son côté, se défendoit courageusement,
et le prince d'Orange, qui avoit solennellement promis
aux Espagnols d'en faire lever le siège, eut le temps de
s'avancer. Le Roi, informé de sa marche, envoya ordre au
duc d'Orléans d*aller au-devant des ennemis, çt de s'em-
parer des postes qu'il croiroit ^ les plus avantageux pour
les combattre ; en même temps il fit un grand détache-
ment de son armée pour renforcer celle de ce prince. Le
duc d'Orléans, suivant cet ordre, s'avança vers le Mont-
Cassel. Â peine y étoit-il campé qu'il vit parottre les en-
nemis. Comme il avoit laissé une partie de ses troupes au
siège de Saint-Omer', il fut d'abord un peu incertain du
parti qu'il devoit prendre, ne se croyant pas en état, avec
si peu de forces, de donner la bataille* ; mais le Roi avoit
pris ses mesures si justes, que dans cet instant même le
I. Far. Du Pays-Bas. (1784)
3. Le 5 ayril 1677, layllle capitula, les ennemis se retirèrent dans
la citadelle. Une note de Pëdition de 1749 dit à tort le i5 au lieu
du 5 a^ril.
3. Var. La plupart de sa cavalerie, et fit tuer les chevaux. (1784-)
4. Far. Qu'il jugeroit. (1749.) — Qu'il croyoit. (1784)
5. Var, Une partie de ses troupes devant Saint-Omer. (1784.)
6. Far. De donner bataille. (1784-)
a8o PRÉCIS HISTORIQUE
renfort qu*il lui envoyoit arriva. Alors il ne balança pins,
et plein de joie et de confiance, il résolut de combattre.
Les deux armées n^étoient séparées que par un petit rais-
seau. Le lendemain \ dés le point du jour, le duc d'Or-
léans mit son armée en bataille*; et voyant que les en-
nemis commençoient à faire un mouvement, il passa le
ruisseau, et marcha à eux. Leur armée étoit au moins de
trente mille hommes : ils soutinrent le premier choc des
François avec une grande vigueur*, et renversèrent
même plusieurs de leurs escadrons. La victoire fut plos
de deux heures en balance ; mais la présence du duc
d'Orléans, qui fit ce jour-là ^ partout l'office de soldat et
de capitaine, força la fortune à se déclarer de son parti.
Alors les François, irrités d'une si longue résistance, fi-
rent un fort grand massacre* des ennemis. La déroute
fut générale, et il y demeura de leur côté plus de six mille
hommes sur la place; leur canon fnt pris, et tout leur
bagage pillé*. Aussitôt le duc d'Orléans retourna devant
Saint-Omer, et eut soin de faire savoir aux assiégés le
succès de la bataille.
Cependant le Roi, quoiqu'avec un petit nombre dliom-
mes, pressoit fortement la citadelle de Cambray; et
malgré les sorties continuelles des assiégés, qui étoient
au nombre déplus de quatre mille hommes^, il avoit em-
porté tous les dehors de la place ; il avoit fait attacher les
mineurs*. Les assiégés néanmoins refiisoient encore de
I. II arril 1677. Voyez la Relation de la ôataille de Cûstd dans
la Gazette à%i a3 avril 1677, p. 3i3-3a4*
9. Var. Mit ses troupes en bataille. (1749.)
3. yar. Avec une fort grande vigueur. (1784)
4. y or. Qui ce jour-là fit. (1749.)
5. Var, Un grand massacre. (1784O
6. yar. Et tout leur bagage entièrement pill^. (1784O
7. yar. Qui ëtoient au nombre de <{uatre mille. (1784.)
8. yar. Où il avoit fait attacher les mineurs. (1749-) — ^ *^'^
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. !i8r
se rendre ; mais la mine ayant fait une brèche, et le ca-
non d*un autre côté ayant ruiné un bastion tout entier,
ib demandèrent à capituler, et n'osèrent s'exposer au
hasard d'un assaut. Quoique ils eussent attendu cette ex-
trémité, le Roi ne laissa pas de leur accorder une com-
position honorable ^ et le gouverneur eut la triste con- .
solation de sortir de sa citadelle par la brèche '.
Saint-Omer, privé de toute espérance de secours, ne
tarda guère * à suivre l'exemple de Cambray * . Ainsi le Roi
réduisit, en six semaines, trois places qui a voient été * la
terreur et le fléau de ses frontières, et dont la moindre
nauroit pas paru trop achetée par un siège de six mois'
et par les travaux de toute une campagne. Cependant^
les ennemis trouvoient encore des raisons pour excuser
leurs disgrâces. Ils publioient' que la prise de ces trois
places* n'étoit pas tant un effet de la valeur des François
que de la prévoyance du Roi, qui en feisant de bonne
heure des magasins, prévenoit toujours ses ennemis ; que
les choses changeroient bientôt de face, et que la fin de la
campagne seroit pour eux aussi favorable que le commen-
emportë tous les dehors, sVtoit approché du corps de la place, où
il AToit fait attacher les mineurs. (1784.)
I. Far. Une capitulation honorable. (1749.)
». La cîtadeUe de Cambrai capitula le 17 avril 1677. — k Vous
aurez su les conditions de la capitulation pour la citadelle de Cam-
bray, et la garnison sortie par la brèche ; . . . cela fut exécuté le
lendemain 18., jour de Pâques, le Roi présent. » {Lettres historiques
de Monsieur PelOsson^ tome III, p. aSs.)
3. Far. Ne tarda pas. (1749*)
4. Le 90 avril 1677, les assiégés de Saint-Omer demandèrent à
capituler. Voyez la Gazette du 8 mai 1677, p. 377.
5. ^ar. Qui aToient été longtemps. (1784.)
6. Far. De six semaines. (1784-) ^^^^ évidemment une faute que
les imprimeurs ont faite, ayant trouvé, deux lignes plus haut, six
semaines.
7. Far, Toutefois. (1784.) — 8. Far. Ils publièrent. (1784.)
9. Far. De ces trois villes. (1784)
a8a PRÉCIS HISTORIQUE
cernent en avoit été^ malheureux. Déjà le prince Charles
de Lorraine' étolt sur les bords du Rhin avec vingt-quatre
mille hommes, fier de se voir à la tête de toutes ces forces
de TEmpire, plus fier encore de Fespérance d'être dans
peu beau-frère de TEmpereur; il tnomphoit en idée des
plus fortes places de la Lorraine et de la Champagne, où
il avoit résolu de prendre ses quartiers d'hiver, et où il
se tenoit si assuré de la victoire, qu'il avoit fait mettre
sur ses drapeaux : « Ou maintenant, ou jamais'. • D
passe la Sarre, il entre dans la Lorraine, et se vient cam-
per fort près^ de Tarmée de France, commandée parle
maréchal de Créqui. Les François, quoique beaucoup infé-
rieurs en nombre, pressoient' de combattre; mais le Roi
ne voulut point faire dépendre de l'incertitude d'une ba-
taille une victoire qu'il pouvoit remporter sans combat :
il commanda au maréchal de Créqui de les fatiguer le plus
qu'il pourroit*, et de ne combattre qu'avec avantage.
Cependant le prince d'Orange rassembloit'' une autre
armée beaucoup plus nombreuse que la première; et
l'ayant grossie des troupes des princes de la basse Alle-
magne', il formoit, à son ordinaire, de grands desseins.
Enfin, après avoir longtemps consulté avec le gonver-
I. Fiur. Que le commencement aToit été. (1749 et 1784-)
a. Far. Déjà le prince Charles. (1784.) — Le duc Charles V. En
France on continuait de le nommer le prince Charles. Son oncle le
duc Charles lY étant mort le 18 septembre 1675, il avait alors bit
part de son avènement a l'Empereur et aux états généraux des Pro-
vinces Unies.
3. j4tU nunCf aut nunquam.
4. Far. Et vient camper au voisinage. (1749.) — Et vint se cam-
per fort près. (1784O
5. Far. Bruloient. (1784.)
6. Var. De fatiguer les Impériaux. (x749-}
7. Far. Le prince d'Orange de son côté rassembloit cependant.
(1749)
8. Far. Des troupes des princes et de la basse Allemagne. (1784}
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. a83
nenr des Pays-Bas laquelle place ^ seroit le plus à leur
bienséance^ il vint, avec soixante mille hommes, tenter
006 seconde fois la fortune devant Charleroy *. On crut
qn^il ne retoumeroit pas devant cette place sans avoir
bien pris ses mesures pour ne pas recevoir* un second
affront. Déjà les lignes de circonvallation étoient ache-
vées; déjà le prince Charles, qui le devoit joindre avec
toutes ses troupes, étoit sur le bord^ de la Meuse : le duc
de Luxembourg eut ordre de s'avancer vers la place. On
se croyoit ' de part et d'autre à la veille d'un grand événe-
ment *. Plusieurs braves volontaires s'étoient rendus en
diligence à Tannée de ce général, où ils étoient accourus
comme à une occasion infaillible de se signaler. Le prince
d'Orange et le gouverneur des Pays-Bas avoient fait
bonne provision de poudre', de bombes, de grenades et
de tout ce qui est nécessaire pour un siège ; mais ils
trouvèrent tout à coup que le pain leur manquoit : c'étoit
la seule provision à laquelle ils n'avoient pas songé. I^e
duc de Luxembourg s'étoit placé entre eux et Bruxelles ;
et le maréchal d'Humières, d'un autre côté, leur fermoitle
chemin de Mons et de Namur*, et de leurs autres places:
de sorte que voyant leur armée en danger de mourir de
faim, ils décampèrent au grand étonnemeut de tout le
monde** ; et après avoir tourné leur furie contre le bourg
I. Far. Quelle place. (1784.)
a. D rûiTestit le 6 août 1677. Voyez la Gazette du ai août 1677,
p. 660.
3. Far. Pour n'y pas reccroir. (1784)
4. Far. Sur les bords. (1749O
5. 0 7 a dans IVdition de 1730: « On le croyoit »; c*est ëridem-
ment une feute d'impression.
6. Var. De quelque grand événement. (1784-)
7. Far. Dans l'armëe du général . (1784-)
8. Far. De poudres. (1749O
9. Far, De Mons, de Namur. (1749.)
10. Le 14 aoât 1677. Voyez la Gazette du si aoât 1677.
a84 PRÉ;CIS HISTORIQUE
de Binch\ leur consolation ordinaire quand ils ont man-
qué Charleroy'y ils employèrent le reste de la campagne
à faire des manifestes l^un contre l'autre.
Les Allemands, de leur côté, n'étoient pas plus heu-
reux. Le maréchal de Créqui les suivoit toujours, cam-
pant à leur vue, toujours maître de donner bataille ou
de la refuser; quelquefois son canon les foudroyoit jus-
que dans leurs tentes; il leur coupoit les vivres et arré-
toit leurs convois; il leur enlevoit leurs chevaux au four-
rage' ; tout ce qui s*écartoit du gros de l'armée tomboit
entre les mains des soldats, ou des paysans, plus terribles
encore que les soldats. Le prince Charles reconnut alors
son imprudence : son armée à demi défaite repassa en
diligence et la Moselle et la Sarre, et abandonna* une
partie de son bagage*.
Dans ce même temps*, l'armée^, commandée par le
I. Ce bourg, situé entre Mons et Charleroi, est nommé Babu â»ni
les éditions de 1780 et de 17491 Bines dans celle de I784« — * ^
rient d'apprendre que l'armée des confédérés, se retirant de Cbir-
leroy, s'est rapprochée de Binch ; et que Pajrant investi une secoode
fois, elle l'a pris en peu de temps, quoique il y eut soixante et dii
hommes qu'on y avoit laissés pour garder quelques grains. Ce poste
a voit été pris une autre fois par les ennemis ; et il n'y a point de
ville dans la Flandres françoise de laquelle ils aient tant affecté h
conquête. » (G€uette dn %S août 1677, p. 676.)
9. On lit dans les éditions de 1780 et de T749 : « Leur consob-
tton ordinaire, quand ils eurent manqué Charleroy . » Mais ce nt^
point sans doute le véritable texte. Le prince d'Orange avait déjà
pris deux fois le bourg ou la petite ville de Binch : après le ùrçi^
manqué de Charleroi, en 167a, après le siège manqua d'OodeMnic
en 1674 : voyez la note précédente.
3. yar. Leurs chevaux et fourrages. (1784*)
4. yar. Et abandonna, en se retirant. (1784-)
5. Au mois d'août 1677.
6. F'ar. Dans le même temps. (1749.) — Dans ce même Bo-
rnent. (1784)
7. Far. L'armée des Cercles. (1784.)
DES GAMPAGIIES DE LOUIS XIV. a85
prince de Saxe-Eisenach \ étoit de Tautre côté du Rhin,
et ne pouvoit se débarrasser du baron de Moutclar, qui la
tenoit comme assiégée en pleine campagne. Pour comble
d effiroif le maréchal de Créqui s*avance et repasse le
Rbin. L'armée des Cercles, entourée de tous côtés, se
retire en hâte*, laissant * sur le chemin * un grand nombre
de morts et de prisonniers, anîve effrayée au pont de
Strasbourg, et se réfugie dans une île qui est au milieu *
de ce pont. Les habitants de Strasbourg, touchés du pé-
ril des Allemands, qu*ils voy oient exposés à la boucherie,
s'employèrent pour eux, et demandèrent* au maréchal
on passe-port pour des malheureux qui ne cherchoient
qn'à s'enfuir''. La demande est accordée, et onvitFbeure
que Tarmée et le général se mettoient en chemin, con-
duits par un garde que le maréchal avoit chargé du passe-
port. Mais le prince Charles, qui étoit accouru au même
temps, leur épai^a cette honte. Toutefois' il acheta cher
la gloire de les avoir délivrés ; car, à quelques jours de là *,
Faile droite de sa cavalerie fut taillée en pièces, et tout ce
qu'il put faire fut de regagner promptement les lieux d'où
il étoit parti, et de songer à couvrir Sarbruck, que les
François sembloient menacer. Le maréchal profite de
cette erreur : il fait semblant de mettre ses troupes ^^ en
quartier d'hiver aux environs de Schelestat^^; mais ayant
I. Var, Par le duc de Saxe-Eisenach. (1749.) — DansTëdition
de 1780, il 7 a : « par le prince de Condë. » C'est use inadver-
Unoe.
a. Far. A la hâte. (1749.) — 3. Far. Et laissant. (1784.)
4. yar. Sur sa route. (1749-} — 5. yar. Vers le milieu. (1784.)
6. Var. S'emplojent pour eux, et demandent. (1749.)
7. Voyez dans la Gazette du a octobre 1677, p. 768, la copie du
paue-port accordé par te maréchal de Créqui à t armée commandée par
le prmee d'Ejrtenaeh, Il est date du 94 septembre 1677.
8. rar. Cependant. (1749.) — 9. Le 7 octobre 1677.
10. Far. Ses forces. (1784.) — 11. Celeitai dans Tëdition de 1730.
a86 PRÉCIS HISTORIQUE
appris que les Allemands avoient déjà disposé les leurs en
plusieurs quartiers, il passe encore le Rhin, et va assiéger
Fribourg*.
Le prince Charles, étrangement alarmé de cette nou-
velle, se représente Tétonnement de toute l'Allenuigne,
rindignation' de l'Empereur, si^n lui enlève une place si
importante*. Qui pourra désormais empêcher les Fran-
çois d'entrer dans la Souabe* et dans le Yirtemberg, de
ravager' les terres impéiîales*? H rassemble donc ses
troupes; il marche à grandes journées, et arrive à une
lieue de Fribourg. Mais trouvant tous les passages fermés,
il demeure sans rien entreprendre ; toutefois "^ il ne vou-
lut point s'en retourner qu'il n'eût vu de ses propres yeux
que la place étoit rendue*. Pour surcroit de malheur, la
nouvelle arrive* que les troupes que le Roi entretient*'
dans la Hongrie ont battu** celles de TEmpereur, dont 3
est demeuré ** sur le champ de bataille plus de trois miUe
hommes.
Les ennemis, voyant approcher la fin de l'année,
I . Le baron de Monclar, par Tordre du maréchal de Créqui, in-
vestit Fribourg le 9 novembre 1677.
a. Var, Et l'indignation. (1749 et 1784.)
3. Var, De cette importance. (1784.)
4. Les éditions de 1780 et de 1749 ont la Suahe,
5. f'or. Et de ravager. (1749 et 1784.)
6. L'édition de 1780 a un point et virgule devant qui pourra, et n'a
pas de point d'interrogation à la fin de la phrase ; mais cela est
contraire au vrai sens.
7. Far. Cependant, (1749.)
8. Elle se rendit le 17 novembre 1677. Voyez dans la Gazette au
9$ novembre 1677, p. 881*890, la Relation de la prue Je la ville et
de la citadelle de Fribourg,
9. Far, Arriva. (1784.)
10. yar, Entretenoit. (1784.)
II. Var. Avoient battu. (1784.)
la. Far. Dont il est resté. (1749.) — Dont il étoit demeure-
(1784.)
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 287
croyoient avec apparence être aussi à la fin de leurs dis-
grâces. Ils comptoient en une seule campagne quatre de
leurs meilleures villes emportées, deux batailles perdues,
QQ siège honteusement levé, deux grandes armées rui-
nées, et le pays de leurs alliés entièrement désolé. Le Roi
pourtant ne put pas se résoudre^ à les laisser en repos.
0 commande au maréchal d'Humières d^assembler des
troupes, et d'aller mettre le siège devant Saint-Ghislain*.
Quand il n^ auroit pas eu' dans la place une garnison de
douze cents hommes, les pluies, les neiges, et les marais
dont elle est environnée ^, sembloient être seuls capables
de la défendre; mais le soldat, animé de tant de victoi-
res*, remporte en moins de huit jours '; et il étoit déjà
maître des portes quand le gouverneur'' des Pays-Bas
donna le signal qu'il étoit arrivé à Mons pour le^ secourir.
La prise de cette place acheva de consterner les enne-
mis. Ils commencèrent à changer de langage. Ce n'étoit*
plus des menaces, comme autrefois, et des espérances de
victoires** : ils reconnoissoient ** de bonne foi leur foi-
X. Fetr. Le Roi ne put cependant pas se résoudre. (1749.) — Le
Roi pourtant ne put se résoudre. (1784-)
a. Stùnt'GuUlin dans les éditions de 1780 et de 1784; Saint'GuU-
loin dans celle de 1749-
3. Far. Quand il n^ eût pas eu. (1749-)
4. Dans rédition de 1784 il y a : « dont il est environné. » Ce
n'est qu^ane faute d'impression . A la fin du membre de phrase, la
même édition porte : » de la défendre. »
5. Far. Par tant de victoires. (1784)
6. Saint-Ghislain avait été investi dans la nuit du 3o novembre
au ler décembre 1677 ; dans celle du 9 au 10 décembre, tous les
dehors furent emportés. Don Hemandez fit battre la chamade le
10 décembre à midi. Le lendemain, 11 décembre, à la pointe du
jour, il sortit de la place. Voyez la Gazette du x8 décembre 1677.
7. f^or. Lorsque le gouverneur. (1749*)
8. Au lieu de /e, les éditions de 1749 et de 1784 ont la,
9. Far, Ce n'étoient. (1749O — 10. Far. De victoire. (1749-)
II. Far, Us reconnurent. (1784O
288 PRÉCIS HISTORIQUE
blesse. Tant de puissances liguées contre un seul homme,
TEspagne, la Hollande et ^ rAllemagne^ ne se croient pas'
assez fortes pour lui faire tête. Ils vont mendier de nou-
veaux secours; ils cherchent à faire pitié aux Anglois, et
n'oublient rien ' de ce qui peut renouveler * cette ancienne
jalousie qui a tant de fois armé TAngleterre contre la
France. Le prince d'Orange, qui a voit épousé* la fille du
duc d'Yorck*, et qui étoit regardé comme l'héritier pré-
somptif de la couronne, fait sa brigue auprès des grands
et auprès du peuple'. Il leur représente la perte infail-
lible des Pays-Bas, les François maîtres bientôt de toutes
les côtes de la Manche, et en état de faire la loiàTOcéan;
la religion protestante en péril, TEurope entière menacée
d'une dangereuse servitude. Les peuples murmurent, le
Parlement demande qu'on sauve la Flandre, le roi d'An-
gleterre lui-même est ébranlé. Les Espagnols, désespérant
de pouvoir conserver leurs places, parlent de les lui aban-
donner. Enfin on ne doute point qu'il ne quitte le per-
sonnage de médiateur pour prendre celui d'ennemi. Snr
cette espérance, les confédérés reprennent courage; ils
veulent continuer la guerre, ou prescrire eux-mêmes les
conditions de la paix ; ils se flattent que le Roi va laisser
au moins la Flandre en repos, et qu'ils n'auront plos
à couvrir que les provinces voisines de l'AUemage. Le Roi
contribue à les entretenir dans cette erreur. H venoit de
I. Ei manque dans Tëdition de 1784*
a. rar. Ne se cpoyoient pas. (1784.)
3. Tar. El n^oubliant rien. (1749.) — La même édition n'a «i
consëquence qu^une virgule, deux lignes plus bas, avant : « Le prioct
d'Orange. »»
4. rtfr. De ce qui peut rëveiller, (1749.) — I>e tout ce qui pet«
rëveiller. (1784)
5. f^ar. Qui venoit d'épouser, (1784.)
6. Le i5 novembre 1677.
7. P^ar. Auprès des grands et du peuple. (ï749v
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 289
prendre Saint-Ghislain pour faire croire^ qu'Q vouloit
attaquer Mons, et achever la conquête du Hainaut. Enfin
il 56 met en campagne, et part avec sa cour' au com-
mencement de février pour s'en aller à Metz'.
Au bout de quelques jours, il semble tourner vers
Nanci; puis tout d^un coup il se rend^ à Metz, où il a voit
mandé au maréchal de Créqui de le venir trouver. Il y
avoit quelques jours* que le maréchal' avoit eu'' ordre
de passer le Rhin, et d'aller avec un corps d'armée dans
leBrisgau, tandis que d'autres troupes se tiendroient aux
environs de Metz.
Tout cela avoit fait juger que l'orage tomberoit vrai-
semblablement du côté de l'Allemagne. Cette opinion
augmente lorsqu'on voit arriver à Metz le maréchal, tout
malade qu'il étoit. Pour confirmer entièrement le bruit',
le Roi lui commanda ' de marcher vers Thionville, et fait
semblant^' lui-même d'y vouloir aller.
Les ennemis, alarmés de la marche ^^, sont dans une
I. y or. Pour leur faire croire. (X784O
a. Var. Atcc toute sa cour. (i784')
3. « Leurs Majestés partirent du château de Saint-Germain en
Laye le 7 de ce mois. » (Gazette du 19 fëvrier 1678.)
4. y or. Ensuite il se rend tout d'un coup. (1749.) — Puis tout à
coup il se rend. (1784.)
5. n 7 aToit quelques mois* (1784.)
6. yor. Que ce général. (1749O — Q^c ce maréchal. (i784>)
7. y or, Avoit reçu. (1749.)
8. Tôt. Pour confirmer ce bruit. (1749O — Nous avons suivi,
comme la plus satisfaisante, la ponctuation de cette dernière édi-
tion. Celle de 1784 a une virgule après : c tout malade qu'il étoit; »
on point avant : « le Roi. » L'édition de 1780 ne décide rien, met-
tant entre deux virgules la phrase : «< pour confirmer entièrement
le brtdt. »
9. VoT, Lui commande. (1784*}
10. For. Et fit semblant. (x749*)
ti. y or. Alarmés de cette marche. (1749.) — Alarmés et incer-
tains de sa marche. (1784-)
J. Ragxsx. V 19
ago PRÉCIS HISTORIQUE
agitation continuelle^. Les Allemands, qat à peine
avoient leurs quartiers d'hiver*, sont contraints d'en
sortir pour se rassembler. La ville de Strasbourg parle
d'envoyer des députés ; Trêves se croit déjà voir au pil-
lage'; Luxembourg ne doute plus d'être assiégé. Cepen-
dant le Roi rebrousse chemin, et se rendant à Verdun,
fait courir le bruit qu'il va assiéger Namur*. Le gou-
verneur des Pays-Bas ne sait plus de quel c6té tourner :
il voit aller et revenir* de toutes parts les armées firan-
çoises; il voit que depuis le fond de la Flandre jusqu au
Rhin, le Roi a partout des magasins; il ne sait quelle
place abandonner ni défendre : s'il en assure une, il en
expose vingt autres. U court enfin au plus pressé, et
rappelant toutes les troupes qu'il avoit en Flandres, il en
remplit toutes les villes du Hainaut et du' Luxembourg.
A peine il a pris ces'' précautions', qu'on lui vient dire'
que le maréchal d'Humières s'approche d'Ypres : il Y
jette la meilleure partie de la garnison de Gand *'. Il se
repose alors^*, et pense avoir bien pourvu à toutes choses;
mais en un même jour il apprend de six courriers diffé-
rents qu'il y a six grandes villes*' investies : Mons, Namur,
«
I. Var, Dans une continuelle agitation. (1784-)
a. Var, Étoient entres dans leurs quartiers d'hiyer. (1749)*'
ÂToient pris leurs quartiers d'hiver. (1784.)
3. Var, Se croit déjà au pillage. (1749*)
4* ^ar. Et se rend à Verdun, faisant courir le bruit qu^il alloit
assiéger Namur. (1784.)
5. Var. Aller et Tenir. (1749 et 1784.)
6. n 7 a de^ et non du^ dans IVdition de 1730.
7. Set^ au lieu de c«/, dans la même édition.
8. Var, A peine a-t-il pris ces précautions. (i749>)
9. Var, Qu'on rient lui dire. (1784.)
10. Dans l'édition de 1784, il y a : « la meilleure garnison de
Gand. » Ce ne peut être qu'une faute de l'imprimeur.
II. Var, U respire alors. (1784.)
la. Var. Cinq grandes villes. (1749.}
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 291
Cbarlemont, Luxembourg, Ypres; enfin que Gand méme^
estassiégé. Cette dernière nouvelle est pour lui un coup de
foudre : il est longtemps sans y vouloir ajouter foi ' . Quelle
apparence que le Roi, qu'il croit en Lorraine, vienne as-
siéger au fort de l'hiver la plus grande ville des Pays-Bas,
entreprenne ' de faire une circonvallation de plus de huit
lieues dans un pays de marécage^ et facile à inonder,
coupé de quatre rivières et de deux larges canaux? Ce-
pendant la chose se trouve vraie. Plus de soixante mille
hommes, partis de différents endroits, étoient arrivés à
une même heure devant cette grande ville, et Tavoient
investie, sans savoir eux-mêmes qu^'lsrinvestissoient. Le
Roi , ayant supputé le temps que ' ses ordres pouvoient
être exécutés, laisse la Reine à Stenay, monte à cheval,
traverse en trois jours plus de soixante lieues de pays, et
joint son armée qui est devant Gand'. Il trouve en arri-
vant la circonvallation presque achevée, et tous les quar-
tiers déjà disposés, suivant le plan qu'il en avoit lui-même
dressé à Saint-Germain. I^s ennemis avoient lâché leurs
écluses ; mais il y eut bientôt partout des digues et des
ponts de communication. La tranchée est ouverte dès le
soir; bientôt les dehors sont emportés l'épée à la main :
la ville se rend ; et la citadelle, quoique très-forte et en-
vironnée de larges fossés, capitule deux jours après ^«
I. Tor. Gand Ini-méme. (1749-)
a. yar. Sans pouToir y ajouter foi. (1784.)
3. Var. Et entreprenne. (1784O
4. Var. De marécages. (1749 «t 1784O
5. Var, Le temps auquel. (1749O
6. Le Roi arriva le 4 mars 1678 devant Gand, que le marëchai
dHumières avait investi depuis quelques jours. Voyez la Gazette
du 5 mars 1678.
7. La ville de Gand se rendit au Roi le 9 mars 1678, et la cita-
delle le II. Voyez, dans la Gazette du 18 mars 1678, le Journal du
siège de Gand,
2(^2 PRECIS HISTORIQUE
Ainsi le Roi, par sa conduite, se rend en six jours maître*
de cette ville si renommée*, qui faisoit autrefois la loi à
ses princes', et qui prétendoit égaler Paris même par la
grandeur de son circuit ^ et par le nombre de ses habi-
tants. A peine est-elle prise, que le maréchal de Lorges a
ordre de s'avancer vers Bruges avec un corps de cavalerie.
Aussitôt deux bataillons espagnols de la garnison dTpres
s'y jettent* \ mais tout à coup voilà le Roi devant Ypres*.
U y avoit longtemps^ qu'il avoit dessein sur cette place
importante par elle-même et parce que sa prise achevoit
d'assurer toutes ses conquêtes'. II y restoit encore trois
mille hommes de guerre, qui se défendirent d'abord cou-
rageusement; mais les approches étant faites, la contres-
carpe, bordée d'une double palissade, est forcée eo une
nuit, et le lendemain, dès le point du jour*, la citadelle et
la ville envoyèrent des otages et signèrent la capitula-
tion^^. Ces deux dernières conquêtes changèrent toute b
face des affaires. Le Roi est à deux lieues des places des
HoUandois, et ils pensent à toute heure le revoir encore
aux portes de leur capitale. Mais quelle douleur aux Es-
pagnols'* de perdre tout un grand pays dont ils tiroient
t. F^ar. Se rend maître en six jonrs. (1749O
s. f^ar. De cette Tille renommée. (1749.)
3. Far, A ses princes mdmes. (1784O
4> For. Et qui prétendoit égaler Paris par la grandeur de iod
enceinte. (1784.)
5. Far. Se jettent dedans. (1749.)
6. n 7 arriya le i5 mars 1678. Voyez la Gtizette du s avril 1678.
7. Far, Il j avoit déjà longtemps. (1749.}
8. Far. Toutes nos conquêtes. (1749*)
9. Far. Dès la pointe du jour. (1784-)
10. Le vendredi aS mars 1678, jour de TAnnonciation, Ypres ca-
pitula. La garnison sortit le lendemain 36. Voyez la Gazette da 1 rt
du 5 avril 1678.
11. Far. Pour les Espagnols. (1749 et 1784.)
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 293
toute leur subsistance, et de le voir en proie aux armées
delears ennemis!
Les Anglois^ se troublent à cette nouvelle : c*est en
vain qu^ils sont déjà dans Bruges et dans Ostende. Par
quel chemin iront- ils joindre les Espagnols? Tous les pas-
sages leur sont fermés : les voilà désormais resserrés dans
un très-petit espace' de pays; et les seules garnisons
d*Ypres et de Gand sont capables de ruiner leurs armées'*
On arme pourtant à Londres; on distribue^ des commis-
sions pour lever des troupes; on équipe des vaisseaux; on
défend tout commerce avec la France, et on veut que les
Hollandois fassent de pareilles défenses chez eux. Mais
les Hollandois ne veulent point renoncer aux avantages
qu'ils tirent du commerce. Les disputes s'échauffent';
Talliance n*est pas encore signée, et les voilà déjà brouil-
lés. Le Roi, instruit de leur division, compte pour vaincus
des ennemis qui s'accordent si mal ensemble. Toutefois,
comme il voit' sa gloire au point de ne pouvoir croître^,
ses frontières entièrement assurées^ son empire accru
de tons côtés, il songe au repos et à la félicité de ses
peuples.
Cette seule ambition peut désormais flatter son cou-
rage : il se résout donc de donner' la paix à l'Europe;
mais c^est aux conditions qu^il veut bien imposer lui-
même, n trace un peti,t projet de paix et l'envoie' à Ni-
I. Var, LesAngloîfl eux-mêmes. (i749-)
s. Dans Tëdition de 1780 on a imprima: « mie très-petîte es-
pace. » EêpacM a ëtë autrefois du féminin.
3. VoT, Leur armëe. (1749 et 1784.)
4. ^«r. On dëlirre. (1784.)
5. Var. La dispute sVchauffe. (1784.)
6. Var, Cependant, comme il Toit. (1749-)
7. y or. De ne pouvoir plus croître. (1784.)
8. Var. n se râout donc à donner. (i784>)
9. Var. n traça.... et Penvoya. (1784.)
^91 PRÉCIS HISTORIQUE
mègue. Ce projet rendu public fait* Teffet qu'3 s'étoit
imaginé. Les ennemis commencèrent' à ouvrir les yeux.
Les peuples de HoUande, épuisés d'argent et de forces, et
las d'entretenir des armées qui peuvent les opprimer ud
jour, songent à assurer leur repos et leur liberté'. Lespro*
positions du Roi sont dans la justice, et il faut ou de Ta-
veuglement ou de l'opiniâtreté pour les refuser. [Enfin,
si on ne fait la paix, ils déclarent qu'ils ne fourniront plos
aux frais de la guerre. Les états généraux s'assemblent;
mais le terme que le Roi leur a donné expire bientôt. Il
leur semble à tout moment qu'il va partir, et ils deman-
dent du tempiis pour délibérer. Il leur accorde trois se-
maines, et va lui-même attendre à Gand la réponse*, à la
tête de son armée. Tandis qu'ils consultent et que les choses
sont balancées*, il leur envoie un trompette pour ache-
ver de leur expliquer les intentions favorables qu'il a pour
eux. Alors les Hollandois ne peuvent plus* se contenir;
la mémoire de tant de bienfaits qu'ils ont reçus autrefois^
de la France se réveille en eux. Ils avouent leurs ingrati-
tudes* ; ils crient que les François sont leurs vrais alliés,
que le Roi est leur naturel protecteur. On entend partout
retentir dans la Haye : « Vive le roi de France ! Vive le
grand prince qui veut bien nous donner la paix ! > En
même temps ils lui envoient des députés pour lui témoi-
gner leur juste reconnoissance. Le prince d'Orange est le
seul qui ne prend point de part à la joie publique. Quoi-
que la guerre jusques alors lui ait été si contraire, il ne
I. Var, Produit. (1749O — a. ^«'•. Commencent. (1784.)
3. Vttr, Et leur félicite. (1749.) — 4. Vat. Leur réponse. (1784.}
5. Var, Sont en balance. (1784.) — Cette édition a une rirgule
avant tandis que^ et un point après les mots en balance,
6. yar. Ne pouvant plus. 1(17840
7. Var^ Qu'ils ont autrefois reçus* (1784.)
8. f^ar. Leur ingratitude. (1749.)
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. agS
peut soufiiir une paix qui lui va ôter* le commandement
des armées : il n'y a point d'adresse qu'il n'emploie, point
de machine qu'il ne remue. Il fait agir ses créatures; il
envoie en Angleterre; il jette l'alarme dans toutes les
cours des alliés ' . On voit arriver de toutes parts à Nimègue
des courriers chargés de plaintes contre les états. L'Em-
pereur éclate surtout en reproches ; il les accuse' d'aban-
donner la cause commune : c'est pour eux que l'Allema-
gne est engagée dans une guerre qui lui est^ si onéreuse;
que deviendront maintenant leurs alliés? et comment
soutiendront-ils séparément une puissance que tous en-
semble n'ont pu soutenir '^? D'autre part les Anglois
achèvent de lever le masque : ils se déclarent ouvertement
contre la France, et sont désormais ses plus grands en-
nemis. Il n'y a rien qu'ils ne fassent pour empêcher les
Hollandois de se réconcilier avec elle : ils leur offrent de
Taigent, des vaisseaux, des troupes, et les engagent enfin
à signer un traité de ligue offensive et défensive avec
eux*.
Le Roi, de retour à Saint-Germain, apprend sans s'é-
mouvoir toutes ces ligues nouvelles. Il a ses mesures
prises; il est si assuré de faire la loi à ses ennemis, qu'il a
déjà par avance déchargé ses peuples de six millions
de taÛles''. Il semble même que, dans le temps qu'il ofire
la paix, la fortune de tous les côtés' prenne plaisir à fa-
voriser ses armées : trois cents hommes de la garnison de
I. Var. Qui ra lui êter. (1749 et 1784.)
s. Var* Dans tons les cœurs des allies. (1784.)
3. Var, Et les accuse. (1784O
4. yar. Qui lui derient. (1749.)
5. ytw. Que tous ensemble n'ont pu arrêter? (1749.) — Que tous
ilsn'ont pu soutenir? (1784*)
6. n fiit conclu le a6 juillet 1678.
7. Var, Des tailles. (1749.)
8. Var. De tous côtés. (1784.)
%ge PRÉCIS HISTORIQUE
Maêstricht emportent d^assaut, en une nuit, une pkce du
Brabant* que trente mille hommes oseroient à peme
assiéger. Le duc de Navailles*, malgré des difficultés
incroyables, et presque à la vue de Tarmée d'Espagne,
prend la capitale de Cerdagne', et s*ouvre Tentrée dans
la Catalogne. Le maréchal de Crëqui défait une partie
des meilleures troupes de l'Empire, les poussant* avec
grand carnage* jusque dans les fossés de Rheinfeld*; il
brûle le pont de Strasbourg, et s'empare de tous les
forts qui le défendoient. Le duc de Luxembourg de son
côté ne demeure pas oisif. Âpres avoir tenu longtemps
Bruxelles comme assiégé'', il entre dans le Haynaut, et va
bloquer Mons. Le prince d'Orange, ayant grossi son ar-
mée de plusieurs troupes angloises et allemandes, marche
en diligence pour secourir cette grande ville, et les ar-
mées sont en présence. Cependant les Hollandois, plos
I. Lewe ou Leeuw, à huit lieues de Maêstricht. Le comte de
Calvo concerta le dessein de la surprendre avec M. de la Bretèche,
colonel d*un régiment de dragons à Maêstricht. Dans la nuit du 3
au 4 mai 1678, les troupes arrivèrent près de la place. Le goarer-
neur fut oblige de se rendre prisonnier. La garnison de la ville et
de la citadelle était de six à sept cents hommes. « Le sienr de la
Bretesche a mis sous l'obéissance du Roi, en moins d'une heure, la
place la plus forte et la plus considérable du Brabant. » ÇGctettt da
17 mai 1678, p. 410.)
1. L'édition de 1730 a changé par erreur ce nom en celai de
Noailles.
3. De Serdaigne dans l'édition de 1730. — Cette capitale de la
Cerdagne est Pujcerda. Le gouverneur capitula le 18 mai 1678,
après trente et un jours de tranchée ouverte. Voyez dans la GMSittt
du 14 juin 1678 la Prise de la vUle de Puyeerda.
4. ^ar. Et les pousse. (1784.)
5. ^ar. Avec un grand carnage. (I749>)
6. Brisfeld dans l'édition de 1730; RhinfeUt dans l'édition de
1749; Rinfeld dans celle de 1784* — Deux ou trois miUe Impériaox
furent tués, noyés ou faits prisonniers dans ce combat de Rfaem-
feld, livré le 6 mai 1678.
7. Dans l'édition de 1784, assiégée^ au féminin.
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 297
touchés de leurs yéritables intérêts ^ que des vaines pro-
messes des Anglois et de leurs autres alliés, ordonnent à
leurs plénipotentiaires d'achever le traité qu^ils ont com-
mencé avec la France. La paix est signée à Nimégue*, et
un courrier en porte la nouvelle au prince d^Orange.
Néanmoins ce prince malheureux ne perd pas encore Fes-
pérance d'empêcher la ratification. Il résout' de tenter
encore une fois la fortune en attaquant promptement les
François, et songe, par un dernier effort, ou à rompre la
paix, ou du moins à terminer la guerre avec éclat.
Le lendemain, dés le point du jour ^, il passe les dé-
filés qui séparoient * les deux armées , et attaque * les
François dans leurs postes. Comme il combattoit en
homme désespéré, sa témérité eut d'abord quelque suc-
cès : il renverse quelques gardes avancées, et les pour-
suit jusque vers Tendroit où le gros de Farmée étoit
en bataille. Mais alors la fortune changea de face'' : les
François fondent sur les ennemis avec leur impétuosité
ordinaire, et les mettent en déroute ; près de quatre
mille hommes demeurèrent' sur la place*. Le prince
I. F'ar. De leur rentable intérêt. (1784.)
s. Dans la nuit du 10 au 11 août 1648.
3. yûr. Il se résout. (1784.)
4. Var, Deux jours api^ès, dès le point du jour. (1749) — Le
lendemain, dès la pointe du jour. (1784-)
5. Vmr. Qui séparent. (1784.)
6. Vûr. Et charge. (1749.)
7. Vûr, Change de face. (1749O
8. Var. Demeurent. (1784-)
9. Le combat de Saint-Denis, près de Mons, fut lirré le 14 aoât
1678. « Le due de Luxembourg ayant demeuré quelques jours
campé à Soignies, sur le chemin de Bruxelles à Mons, et voyant que
le prince d'Orange marchoit pour attaquer le comte de Montai et
le baron de Quincy, lieutenants généraux, qui aroient depuis quel-
que temps formé le blocus de Mons, il s'approcha d'eux, pour être
en état de les secourir, en cas que les ennemis les voulussent atta-
298 PRÉCIS HISTORIQUE
d'Orange * fut trop heureux le jour suivant de publier
lui-même la nouvelle de la paix. C'étoit le seul moyen
de délivrer Mons.
Les plénipotentiaires d^Espagne la signèrent bientôt
après*. Mais quand le traité parut à Madrid, et qu^il fallut
le ratifier, la plume tombe ' des mains à tout le conseil.
Ces politiques, si accoutumés à regagner par des traités*
ce qu'ils a voient perdu dans la guerre *, ne savent plos où
ils eu sont lorsqu'ils voient tout ce qui leur faut abandon-
ner par celui-ci : Cambray, Valenciennes , tant d'antres
places fameuses, de grandes provinces, ou, pour mieux
dire, des royaumes entiers, et surtout cette Bourgogne
qui leur donnoit voix dans les diètes de TEmpire*. Mais
cependant les armées de France sont aux portes de
Bruxelles, et il n'est plus temps'' de délibérer. Le Roi
d'Espagne envoie à Nimègue le traité ratifié de sa main',
avec ordre à ses ministres d'obtenir des conditions meil-
leures s'ils peuvent, sinon de le publier tel qu'il étoit*.
Que fera désormais l'Empereur, destitué du secours
quer. Il se posta sur le ruisseau qui passe par Sirieu , par Ciftean
et par Tabbaye de Saint -Denys.... Le 14* le prince d^Onmge....
tenta le passage des dëfiles de Casteau et de Tabbaye de SaÎDt-
Denjs ; et après un combat de plus de six heures, où il perdit prêt
de quatre mille hommes, il fut obligé de se retirer. » (Gusettt du
37 août 1678.)
I. Far. Et le prince d^Orange. (1749*)
s. Le 17 septembre 1678.
3. rar. Tomba. (1784.)
4. ^ar. Parles traités. (1784.)
5. f^ar. Ce qu*ib avoient perdu à la guerre. (1749O — Ce qu'ib
ont perdu dans la guerre. (1784O
6. On peut comparer à cet endroit un passage du Discours jfro-
nonce à la réception de Thomas Corneille : voyez tome IV, p. 364,
ligne 19, jusqu^à la ligne 3 de la page 365.
7. ^or. Sont aux portes de Bruxelles; il n^est pas temps. (1784^
8. E avait été ratifié le i5 décembre 1678.
9. ymr. Tel qu'il est. (1749)
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 299
des Hollandois et des Espagnols? Il croit d'abord, en
traînant la négociation, rendre son traité plus avanta-
geux; mais à mesure qu'il retarde, le Roi lui fait de
nouvelles demandes. II se hâte donc de conclure, et sans
s'arrêter ^ aux vaines protestations de ses alliés qui dif-
féroient de souscrire la paix aux conditions qu'on lui
avoit présentées*.
Ainsi le Roi, qui avoit vu tous les princes de l'Europe
se déclarer l'un après l'autre ', voit les mêmes princes^
l'un après Tautre' rechercher son amitié, recevoir en
quelque sorte la loi de lui, et signe' une paix qui laisse
à douter s'il a plus glorieusement fait la guerre, ou s'il l'a
terminée avec plus d'éclat'^.
Voilà, en abrégé, une partie des actions d'un prince
que la fortune a pris, ce semble, plaisir d'élever^ au plus
haut degré de la gloire où puissent monter les hommes,
si toutefois on peut dire que la fortune ait eu quelque
part dans ces succès*, qui n*ont été que la suite infaillible
d'une conduite toute merveilleuse. En effet, jamais capi-
taine n'a été plus caché dans ses desseins, ni plus clair-
voyant dans ceux de ses ennemis. Il a toujours vu en
toute chose ce qu'il falloit voir^^, toujours fait ce qu'il
I. far. Et il le fait sans s'arrêter. (1749.)
a. y or. Et sans s'arrêter aux. vaines protestations de ceux de ses
alliés qui difTéroient de souscrire, il accepte la paix aux conditions
qa^on lui avoit prescrites. (1784-)
3. Ftw. Contre lui l'un après l'autre. (1749.)— L'un après l'autre
contre lui. (1784.)
4. yar. Ces mêmes princes. (1749 ^t 1784*)
5. « L'un après l'autre » manque ici dans l'ëdition de 1784-
6. ^tfr. Et signer. (1749 et 1784.)
7. Le Dixième et dernier livre de l'Histoire de Louis XIV (1749)* qui
contient ce Précis des campagnes de 167a à 1678, s'arrête ici. Voyez
ci-dessus, p. a36.
8. Var, A élever. (1784.) — 9. Var. Dans ses succès. (1784.)
xo. L'édition de 1780 ne donne point les mots : « toujours vu
3oo PRÉCIS HISTORIQUE
(ieilloît faire. Avant que la ^erre fût commencée, il avoit
aguerri ses troupes dès longtemps par de continuels
exercices, par l'exacte discipline qu^il leur faisoit obser-
ver. Il a toujours prévenu ses ennemis par la promp-
titude de ses exploits. Dans le temps qu^ils faisoient des
préparatifs pour l'attaquer ^, il les a souvent réduits à U
nécessité de se défendre, et leur a quelquefois enlevé
trois villes pendant qu'ils délibéroient d'en assiéger
une. Il ne s'est point trompé dans ses mesures, et
quand * il entra dans la Franche-Comté, il avoit pris ses
précautions si justes du côté de rAUemagne, qu'en une
province ouverte de toutes parts, les ennemis ne purent,
dans une occasion si pressante, se faire un passage pour
y jeter le moindre secours. D n'a point fait de conquêtes
qu'il n'ait méditées longtemps auparavant, et où il ne se
soit acheminé comme par degrés. En prenant Condé et
Bouchain, il se mit en état d'assiéger Valenciennes et
Cambray ; par la prise d'Aire, ils ouvrit le chemin à Saint-
Omer' ; et c'est en partie à la conquête de Saint-Ghislain
qu'il doit celle * de Gand et d'Ypres.
Jamais prince n'observa si religieusement' sa parole;
il l'a toujours exactement tenue* à ses ennemis mêmes;
et dans la paix d'Aix-la-Chapelle, il aima mieux, en ren-
en toute chose ce qaUl falloît voir, » qui ne paraissent pas cependant
pouvoir être une interpolation de Pëdition de 1784-
I. LVdition de 1780 met une rirgule ayant les mots: « Dam le
temps ; » point et virgule après ceux-ci : « pour Fattaquer. » U
ponctuation de 1784 semble préférable.
a. Au lieu de et quand^Védiûon de 1784 donne simplement fiwA'^.
et fait précéder d^un point cette conjonction.
3. LVdition de 1780 n*a pas ce membre de phrase : c par la
prise d^Aire, il s^ouvrit le chemin à Saint-Omer. »
4. Far. Qu^il doit la conquête. (1784.)
5. Far. Si régulièrement. (1784.)
6. Far. Il Ta toujours tenue. (1784.)
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 3oi
dantia Franche-Comté, renoncer à la plus glorieuse et à
k plus utile de ses conquêtes, que de manquer à la pa-
role qu^il avoit donnée de la rendre. Ce n'est pas une
chose concevable que la fidélité qu'il a gardée à ses al-
liés: il a toujours ^ eu plus de soin de leur intérêt* que des
siens propres. Dans le projet de paix qu'il envoya à Ni-
mègue, il y avoit pour premier article, qu'avant toutes
choses on restitueroit aux Suédois ce qui avoit été pris'
sur eux; et quoiqu'il vît toute l'Europe en armes contre
lui, ce ne fut qu'à l'instante prière des mêmes Suédois ^
qu'il souffrit que la paix se fît avec la Hollande avant la
restitution. Jamais un mouvement de colère ne lui a fait
faire une fausse démarche. Quand l'Angleterre, qui s'é-
toit liée avec lui, se détache* tout à coup de ses intérêts,
il ne s'emporte ni en plaintes ni en reproches; il n'en té-
moigne au roi d'Angleterre aucune froideur; et en lui
montrant au contraire qu'il étoit toujours persuadé de
son amitié, il l'engage à demeurer* son ami. Il a toujours
appelé aux emplois'' de la guerre les hommes qui en
étoient les plus dignes, et n'a jamais laissé une belle ac-
tion sans récompense : aussi jamais prince ne fut servi
avec tant d'ardeur par ses soldats. Cette ardeur a passé
à de tels excès, qu'il a eu besoin de toute son autorité
pour la réprimer. Quand il a pu voir une chose par ses
yeux, il ne s'est point fié aux yeux d'autrui. U a toujours
I. Var. Que dans la fidélité qu'il a gardée a ses alliés, il a tou-
jours.... (1784.)
s. yar. De leurs intérêts. (1784.)
3. yar. Tout ce qui avoit été pris. (1784O
4. f^or. Des Suédois. (1784.)
5. Far, Se déucha. (1784.) La même édition met également au
prétérit les autres rerbes de cette phrase.
6. Var. A demeurer toujours. (1784-)
7. L'édition de ijSo, au lieu d^empitfis donne exploits. C*est évi-
demment une faute.
3o2 PRÉCIS HISTORIQUE
reconnu lui-même les places qu'il a voulu attaquer; et en
cette noble fonction de capitaine, il a eu plusieurs fois
des hommes tués et blessés auprès de lui^ Judicieux
dans toutes ses entreprises, intrépide dans le péril, infa-
tigable dans le travail, on ne sauroit rien lui reprocher
que d'avoir souvent exposé sa personne avec trop peu de
précaution.
Cependant il est merveilleux que parmi les soins d'une
guerre qui a dû, ce semble, l'occuper tout entier, ce
prince soit encore entré dans le détail du gouvernement
de son Etat, et qu'on l'ait vu aussi appliqué aux be-
soins particuliers' de ses sujets, que si toutes ses pensées
a voient été renfermées au dedans de son royaume.
De là vient que dans un temps que toute l'Europe étoit
en feu, la France ne laissoit pas de jouir de toute la tran-
quillité et de tous les avantages d'une paix profonde.
Jamais elle ne fut si florissante, jamais la justice ne fut
exercée avec tant d'exactitude, jamais les sciences, ja-
mais les beaux-arts n'y ont été cultivés avec tant de soin.
Il a lui seul plus fait bâtir de somptueux édifices, qae
tous les rois qui l'ont précédé. Il n'est pas croyable com-
bien de citadelles il a fait construire, combien il en a re-
paré, de combien de nouveaux bastions il a fortifié se9
places.
Les François', il y a quinze ans, passoient pour n'avoir
aucune connoissance de la navigation : ils pouvoient à
peine mettre en mer six vaisseaux de guerre, et qaztre
galères. Maintenant la France compte dans ses ports
vingt-six galères, et cent vingt gros vaisseaux, et on
nombre prodigieux d'autres bâtiments : elle s'est rendue
1. rar. A côté de lui. (1784.)
2. f^ar. Au besoin particulier. (1784-)
3. Tout ce passage, depuis : « Les François » jusqu'à « et de»
matelots, n ne se trouve pas dans IVditîon de 1780.
DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV. 3o3
si savante dans la marine, qu'elle donne aujourd'hui aux
étrangers et des pilotes et des matelots. Il n'y a point de
génie un peu élevé au-dessus des autres, dans quelque
profession que ce soit, que le Roi, par ses largesses, n'ait
excité à travailler. Aussi la France, sous son règne, ne se
ressentit * en rien ni de Tair grossier de nos pères, ni de
la rudesse qu'une longue guerre apporte d'ordinaire avec
soi : on y voit briller une politesse que les nations étran-
gères prennent pour modèle et s'efforcent d'imiter. Mais
ce ne sont pas les seuls bienfaits du Roi qui ont produit
tant de miracles, et qui ont porté toutes choses à ce de-
gré de perfection : la finesse de son discernement y a
plas contribué que ses libéralités ; les plus grands génies,
les plus savants ouvriers' ont remarqué que pour trou-
ver le plus haut point de leur art, il leur suffisoit d'étu-
dier le goût de ce prince. La plupart des chefs-d'œuvre
qu'on admire dans ses palais doivent leur naissance aux
idées qu'il en a fournies. Toutes ces grâces, toute cette
disposition si merveilleuse, qui surprend, qui enchante
dans ses magnifiques jardins, n'est bien souvent que l'ef-
fet de quelque ordre qu'il a donné en les visitant.
Il est donc juste que les sciences et les arts' s'emploient
à éterniser la mémoire d'un prince à qui ils sont rede-
vables. Il est juste que les écrivains les plus illustres le
prennent pour l'objet de toutes leurs veilles^; que les
pemtres, que les sculpteurs* s'exercent sur un si noble
sujet. Mais tandis qu'ils travaillent à remplir les places et
les édifices publics d'excellents ouvrages où ses actions*
I. yar. Ne se ressent. (1784.)
a. ^ar. Les plus sarants artistes. (i784')
3. f^ar. Que les sciences, que les beaux-arts. (1784.)
4- Comparez les rers xgS-saa du chant IV de V Art poétique de
Boileau.
5. y». Que les peintres et les sculpteurs. (1784.)
6. Var, Ou ses Tictoires. (1784.)
3o4 PRECIS HISTORIQUE, ETC.
sont représentées, quelques personnes zélées plus parti-
culièrement pour sa gloire ont voulu avoir dans leur ca-
binet un abrégé en tableaux .des plus grandes actions de
ce prince ; c'est ce qui a donné occasion à ce petit ou-
vrage, qui renferme tant de merveilles en très-peu d'es-
pace, pour leur mettre à tout moment^ devant les yeux
ce qui fait la plus chère occupation de leurs pensées.
I . Var^ C'est ce qui a donné occasion à ce volume. EJles ont
choisi un pinceau délicat, qui pât renfermer tant de merveilles
en trè»-peu d^espace, et leur mettre à tous moments.... (1784-)
FIN DU PBÉGIS HISTORIQUE.
RELATION
DX GX QUI s'XfT PAfSB
AU SIEGE DE NAMUR
NOTICE.
Louis Racins a donne place à cette Relation parmi les Ou-
vrages attribués à Jean Racine c[u'il a publies en 174? axas
l'appendice qui fait suite à ses Mémoires. Voici \ Avertissement
dont il l'a fait précéder : « La relation suivante, imprimée m-
folio, par ordre du Roi, chez Thierry, en 169a, est attribuée à
feu M. Racine par c[uelc[ues personnes qui prétendent que le
pablic, trompé par un style qu'il n'attendoit pas d'une plume
poétique, n'en soupçonna pas l'auteur, et parut même goûter
davantage l'histoire du même événement faite dans un style
très-dififérent par M. de Visé. Quoi qu'il en soit, on a cru de-
voir imprimer ici cette Relation^ parce qu'elle est devenue fort
rare, et qu'elle a rapport à plusieurs choses qui se trouvent
dans les lettres écrites du camp devant Namur par M. Ra-
cine à Boileau. » On pourrait souhaiter que ce témoignage, le
seul que nous ayons, fût plus aflirmatif. Toutefois, recueillie
par un fils de Racine, une tradition, même trop timidement
attestée, a sa valeur. La présomption qu'elle fournit nous pa-
raît confirmée par les indices d'authenticité qu'à notre senti-
ment l'opuscule porte en lui-même.
J. RAcnn. T 90
3o6 RELATION DU SIEGE DE NAMUR.
Le style en est toujours élégant ; mais cp'on fasse particu-
lièrement attention au début de l'historien^ aux réflexions par
lesquelles il conclut sa Beiation^ à tous les passages qui ne
sont pas purement techniques : c'est là surtout qu'on trouvera
la même noblesse sans enflure, la même marche ferme et ra-
pide des périodes, parfois ce même souffle oratoire, c[ui se mo-
dère autant qu'il faut dans un écrit de ce genre, en un mot
les mêmes caractères que d'autres avant nous avaient remar-
qués dans le Précis des campagnes de 167a à 1678'. 11 semble
bien que les deux ouvrages doivent être de la même plume.
Ceux qui le remarqueront comme nous ne mettront pas beau-
coup plus facilement en doute l'authenticité de la Rdation
que celle du Précis.
La Relation du siège de Namur a été attribuée à Louis XIV
lui-même par le général de Grimoard, et par suite insérée au
tome IV, p. 341 et suivantes, de son édition des Œuvres de
Louis XIK*^ parmi les Mémoires et pièces militaires, G>mme
Y AvertissemeiU dont il l'a fait précéder (p. 338) contredit
l'opinion qui est à nos yeux la plus vraisemblable , nous de-
vons le citer ici : « Lorsque Louis XVI me remit les Mémoires
de Louis XIV, il y ajouta quelques pièces, soit manuscrites,
soit imprimées, relatives au même sujet, et parmi ces der-
nières un volume très-rare (contenant seulement 44 pages pe-
tit in-folio, ou grand in-4**, ou plutôt d'un format bâtard), io-
titulé : Relation ile ce qui iest passé au siège de Namur, Avec
les plans des attaques^ de la disposition des lignes et des moâr
vements des armées^ imprimée à Paris par Denis Thierry, en
169a, avec tout le luxe typographique en usage alors, un
plan et une carte, siu* lesquels on a eu soin de ne pas omettre
qu'ils étaient gravés par ordre du Roi, dont on voit le chîfire
et les armes sur les vignettes placées au frontispice et à la
première page de ce volume. L'examen attentif que j'en fis
me persuada que Louis XIV en était l'auteur. On y recomiaft
presque à chaque phrase son ton, ses locutions ; et si l'on sub-
stitue le moi habituel à Louis, quand il parlait de lui-même,
I. Voyez dans l'édition de 1784 de ce Précis la page vm de VJ-
vertissemeni,
3. Six volumes in-S», à Paris, chez Treuttel et Wârtz, 1806.
NOTICE. 3o7
aux qualifications le Roi ou Sa Majesté, on croira lire ses Rc'^
lotions de 1678 et de 1678, qui sont ce qu'il a composé de
plus étendu et de plus suivi dans ce genre. On remarque seu-
lement que le style de cette pièce historique est un [)eu moins
négligé, parce qu'on y fit quelques légères corrections avant
de la mettre sous presse : mesure qui eut lieu immédiatement
après le retour du Roi de l'armée, et par le motif évident de
blâmer la conduite du prince d'Orange, qui n'avait rien tenté
pour secourir Namur. L'opuscule dont il s'agit contient même
sur son compte des réflexions et des traits que Louis seul au-
rait osé se permettre ; et quand même il n'aurait pas eu pour
principal objet de décrier son ennemi, la conquête de Namur
était pour lui une entreprise et un succès de prédilection,
dont il est assez naturel qu'il ait rédigé et fait publier sans
délai le résultat. Louis XVI partagea mon opinion, et la for-
tifia en m'apprenant qu'il avait trouvé la campagne de Na-»
mur dans les armoires de Louis XV, où il en existait deux
exemplaires. Il m'en montra un très-bien conservé, avec une
ancienne reliure fort dorée, et ajouta que l'état de dégrada-
tion de celui qu'il m'avait remis paraissait indiquer qu'il
avait pu servir à l'éducation de Louis XV pendant son en-
fance. Je crois que Pellisson, rédacteur ordinaire de Louis XIV,
et qui ne mourut que le 7 février 1693, corrigea la Relation
de 1692. Il est cependant possible que c'ait été Racine. L'é-
diteur de ses Œuvres a placé, page 298 du troisième volume,
sous la dénomination ^Ouvrages attribués à M. Racine, pré-
cisément le même écrit, avec le titre de Relation de ce qui
icst passé au siège de Namur, Mais Racine n'en peut être
Fauteur; car, outre qu'il eût certainement employé une dic-
tion plus pure et plus élégante, il n'entendait pas assez les
détails d'un siège et des mouvements d'armée pour les rendre
avec autant de clarté, smtout d'exactitude, et dans les termes
techniques. Il rassemblait des matériaux authentiques pour
\Eistoire de Louis XIV , qui lui en fournissait lui-même; il
peut donc lui avoir donné une copie de cette Relation, qui
aura été trouvée parmi ses papiers, et que l'éditeur de ses
Œuvres a supposé mal à propos être son ouvrage. »
Personne ne croira que la Relation du siège de Namur ait
été écrite par Louis XIV, ni qu'on y reconnaisse « presque à
/
3o8 RELATION DU SIEGE DE NAMUR.
chaque phrase, son ton, ses locutions. » Qu'il ait fourni les
matériaux du travail, il est permis de le supposer ; mais il ne
l'eût pas ainsi rédigé lui-même, avec tout l'art d'un littérateur
de profession. On peut voir dans les Mémoires de Louis XIV
publiés par M. Charles Dreyss (a volumes in-8", Paris, 1860),
tome II, p. 5o8-5ii, à quoi se réduisent ces Relations de
1673 et de 1678 qu'allègue le général de Grimoard. L'édi-
teur des Œuvres de Louis XIV reconnaît d'ailleurs que la
Relation du siège de Namur a dû, avant l'impression, être cr»^
rigée par quelque écrivain auquel le Roi aura confié ce soio.
Il voudrait seulement que les corrections fussent regardées
comme légères. Mais quel a été le correcteur ? PellissoD,
comme il le croit probable ? Les objections qu'on a opposées
à ceux qui ont attribué à Pellisson le Précis des rampagnft
de 1671 à 1678, nous paraîtraient avoir plus de force contre
la conjecture du général de Grimoard. Il est encore moins
vraisemblable que Pellisson ait été choisi de préférence à Ra-
cine en 169a, qu'à l'époque de la piiix de Nimègue. On ne
reconnaît pas plus le style de Pellisson dans la Relation ài
siège de Namur que dans l'autre opuscule historique : c'est
plutôt, dans l'une comme dans l'autre, celui de Racine, suivant
l'idée que peut nous en donner l'éloge de la politique de
Louis XIV dans le discours prononcé à la réception de Tho-
mas Corneille. M. de Grimoard accorde qu'il est possible que
Racine ait corrigé la Relation écrite par le Roi. Cela nous suf-
firait; car ici, entre avoir corrigé et avoir rédigé, la diffé-
rence ne saurait être grande. Cependant M. de Grimoard ne
l'entend pas ainsi. Il ne juge pas le style de la Relation assez
pur, assez élégant pour l'attribuer à Racine; nous ne pen-
sons pas que tout le monde ait la même impression. U
croit que Racine ne pouvait pas raconter un siège avec
cette exactitude et dans cette langue souvent technique. Mais
un écrivain teJ que Racine, ayant sous les yeux les docu-
ments qu'avaient fournis les hommes du métier, savait com-
prendre et parler leur langue. Il avait d'ailleurs assisté à ce
siège de Namur, avec le devoir de s'y rendre compte de tout,
et les lettres qu'il a écrites alors à Boileau attestent assez que
les détails techniques ne lui échappaient point. Du reste, avec
cet argument de l'incomi^étence dans les choses militaires.
NOTICE. 3o9
on écarterait également, ou l'on pourrait tout au plus recon-
naître pour auteurs de quelques retouches de style, Pellisson
ou Boileau ; si même Ton songeait à Valincour, nous doutons
qu'il fût beaucoup plus homme de guerre que les autres his-
toriographes. Les noms de Boileau et de Valincour sont les
seub qui se soient présentés à notre idée avec ceux de Ra-
due et de Pellisson. Au commencement de la lettre que Ra-
cioe écrivait à Boileau, Au camp près de Namur^ le il^ juin
(1692), il lui annonçait que Valincour allait lui écrire une
relatioD de la prise du fort Guillaume. Vahncour était donc
là près du comte de Toulouse. Témoin oculaire, comme Ra-
cine, des hauts faits du siège, il aurait pu à la rigueur être
cbargë d'en écrire l'histoire. Il ne faut pas oublier ce|)endant
qu'il ne fut désigné pour continuer les travaux de Boileau et
de Racine qu'après la mort de celui-ci ; et il est difficile d'ad-
mettre qu'en 169a Louis XIV se soit adressé plutôt à lui
qu'à l'un de ses historiographes en titre. Quant à Boileau,
qui n'était pas à Namur, comme son collaborateur, il y a peu
de vraisemblance qu'on ait fait choix de lui; il se contenta
sans doute de composer son Ode sur le fameux siège. Enfin
il Êiut toujours, en l'absence de toute preuve positive, en re-
venir au style de la Relation : la plume de Valincour ou de
Boileau lui-même s'y reconnaît-elle plus que celle de Pel-
lisson?
Dans le court Avertissement de Louis Racine que nous
avons cité, il est dit que le public parut goûter, plus que la
Relation attribuée à Racine, celle que de Visé fit « dans un
style très-différent. » Cest ce qu'on a de la peine à s'expli-
quer. Sans doute les informations qui avaient été données au
Mercure galant étaient exactes aussi; et poUr une partie des
événements il a pu citer textuellement un Journal envoyé de
l'armée au duc de Bourgogne. Ce document avait son prix.
Mais combien d'ailleurs le récit de de Visé, indigeste dans
son ensemble, méritait peu la préférence qui lui fut, dit-on,
donnée! Louis Racine a bien raison de parler de la grande
différence du style. Une singidarité à noter, c'est que dans
la Relation attribuée à Racine, on ne trouve rien qui rap-
pelle particulièrement ce qu'il a écrit à Boileau du camp de-
vant Namur, tandis que de Visé, qui avait eu évidemment
3io RELATION DU SIÈGE DE NÀMUR.
Gommunicatioii des lettres de Racine, a raconta, avec des dé-
tails tout semblables à ceux qui s'y trouvent, plusieurs épi-
sodes du siëge, l'histoire du grenadier Sans^Raison^ le mot du
maréchal de Luxembourg à un ofBcier espagnol fait prison-
nier, celui d'un déserteur de notre armée au prince d'Orange,
l'anecdote du soldat qui eut le bras fracassé en posant un ga-
bion. Mais il ne faudrait pas que cette remarque rendît dou-
teuse l'attribution à Racine d'une relation où il aurait moins
fait d'emprunts que de Visé, dans la sienne, à sa propre
correspondance. Son bon goût a pu l'avertir que dans le ré-
cit simple et sévère, publié comme celui même qu'adoptait
l'État (nous dirions aujourd'hui ilans le récit officiel)^ certains
détails, quelc[ue piquants qu'ils fussent, ne devaient pas trou-
ver place.
La Relation de de Visé a été publiée en deux parties. L'une
et l'autre servent de suppléments au Mercure galant de juin
169a. La première a pour titre : Siège de Namur^ avec unjtmt'
nal des mouvemens faits peiidant ce siège par (armée du M^
commandée par M. le maréchal duc de Luxembourg^ et par celle
des alliés y commandée par M, le prince et Orange (i volume
in-i2, à Paris, chez Michel Rrunet, M.DC.XCII). En tête do
volume est une épître A Son Mtesse Sérénissime Monseigneur
le Duc^ signée Devise. La seconde est intitulée : Histoire du
siège du chasteau de N€unur (i volume in-ia, à Paris, chei
Michel Rrunet, M.DC.XCII). Il y a également une épître en
tète de ce volume ; elle est adressée A Monseigneur le comte
de Toulouze^ tuniral de France^ et signée aussi Devise.
Le texte c[ue nous donnons, et que Louis Racine avait déjà
suivi avec une exactitude à peu près irréprochable, est celui
de la première édition, dont le titre est tel que dans XAver-
tissement du général de Grimoard ci-dessus cité. Avant le
titre il y a dans la première édition un Plan de la ville et chai'
teau de Namur; à la fin du volume une Oirte particulière des
mouvements faits et des postes occupez par les armées de France
et celles des confederez pendant le siège de Namur , et un Plan
des lignes de t armée du Roi devant la ville et château de
Namur, Nous reproduisons dans \ Album qui accompagne notre
édition cette carte et ces deux plans.
Dans l'édition de Luneau de Boisjermain (1768), la Ke*
NOTICE. 3ii
Uuion de ce qui s'est passé au siège de Namur a été placée
parmi les Ouvrages attribués à M. Racine. Les éditions de la
Harpe (1807), de Geofiroy (1808) et de M. Âimé-Martîn
font donnée sans la distinguer des œuvres authentiques.
RELATION
DK GB QUI b'iST PASSÉ
AU SIÈGE DE NAMUR
Il y avoit près de quatre ans* que la France soutenoit
^la guerre contre toutes les puissances, pour ainsi dire,
deTEurope, avec un succès bien différent de celai dont
ses ennemis s'étoient flattés. Elle avoit non-seulement
renversé tous les projets de la fameuse Ligue d^Aogs^
bourg, mais même, par la sagesse de sa conduite et par
la vigueur de sa résistance, elle avoit réduit les confédérés,
d^agresseurs qu'ils étoient, à la honteuse nécessité de se
défendre. Tout le monde voy oit avec étonnementqu*une
nation attaquée par tant de peuples conjurés contre elle,
et dont ils avoient par avance partagé la dépouiUe, eût si
heureusement fait retomber sur eux les malheurs qu'ils
lui préparoient; qu'elle eût vaincu dans tous les lieux où
ils Tavoient obligée de porter ses armes; et qu'enfin,
tant de puissances réunies pour Taccabler n'eussent bit
que fournir partout de la matière à ses conquêtes et à ses
triomphes.
En effet, depuis cette dernière guerre, sans parler
des célèbres journées de Fleuru*, de Staffarde et de
I . La guerre de la Ligue d^Augsboarg avait commencé le jour où
Louis XIV publia le manifeste qui précéda le siège de Philisboar;,
c'est-à-dire le s4 septembre 1688.
9. L'édition de 1699 a partout Fleuru^ et non Fleurus. Nous con-
servons pour les noms propres l'orthographe de cette édition.
RELATION DU SIÈGE DE NAMUR. 3i3
Leoze\ où ils avoient perdu leurs meilleures troupes,
sans compter aussi {>lasieurs de leurs places prises et
rasées, ils avoient vu passer sous la domination de la
France Philisbourg en Allemagne , Nice et Monmélian
en Savoie, et enfin Mons dans les Pays-Bas*.
Mais, malgré les avantages continuels que le Roi rem-
portoit sur eux, ils se flattoient tous les ans de quelque
révolution en leur faveur ; ils croyoient que la fortune se
lasseroit de suivre toujours le même parti, et qu*enfin la
France seroit contrainte de succomber et à la force ou-
verte qu'ils lui opposoient au dehors, et aux atteintes se-
crètes qu'ils tàchoient de lui porter au dedans.
La principale espérance de leur Ligue étoit fondée sur
la haute opinion que tous ceux qui la composent avoient
du grand génie du prince d'Orange, qui en est comme le
chef et le premier mobile ; et lui-même ne manquoit pas
de les flatter par toutes les illusions dont il les croyoit
capables de se laisser prévenir. Il leur avoit fait espérer
d'abord que le premier effet de son établissement sur le
trône d'Angleterre seroit l'abaissement de la France. Il
s'étoit depuis excusé du peu de secours qu'ib avoient reçu
de lui, sur la nécessité où il s'étoit vu d'employer à la
réduction de l'Irlande la meilleure partie de ses forces.
Hais enfin, se voyant paisible possesseur des trois royau-
mes, et en état de se donner tout entier à la cause com-
mune, il avoit marqué l'année 169a comme l'année fatale
à la France, et où les révolutions si longtemps attendues
I . Le marëchal de Luxembourg avait été vainqueur dans la pre-
mière de ces journées (i*' juillet 1690); Catinat, dans la seconde
(18 août 1690); le marëchal de Luxembourg, dans la troisième
(19 septembre 1691).
a. Philisbourg avait capitule le 19 octobre 1688; Nice, le a6 mars
1691 ; et la citadelle de Nice, le a avril suivant;, Montmélian, le
31 d<k:embre 1691 ; Mons, le 8 avril de la même annëe.
3i4 RELATION
dévoient arriver. Pour joindre rezécation aux promesses,
il employoit aux grands apprêts de la campagne prochaine
les sonunes excessives qu*il tiroit des Anglois et des Hol-
landois; et à son exemple ses alliés faisoient aussi tous les
efforts possibles pour profiter d'une si favorable conjonc-
ture.
Le Roi, vers la fin de l'année 1691, instruit de leurs
préparatifs, jugea qu'il falloit non-seulement opposer It
force à la force, pour parer les coups dont ils le mena-
çoient, mais qu'il falloit même leur en porter auxquels
ils ne s'attendissent pas, et les forcer' par quelque entre-
prise éclatante ou à faire la paix, ou à ne pouvoir faire la
guerre qu'avec d'extrêmes difficultés. Il étoit exactement
informé de l'état de leurs forces tant de terre que de mer.
Il n'ignoroit pas que le prince d'Orange, dans les Pays-
Bas, pouvoit, avec ses troupes et avec celles de ses alliés,
mettre ensemble jusqu'à six-vingt mille bonunes; mais,
connoissant ses propres forces, il crut que ce nombre,
quelque grand qu'il f&t, ne seroit pas capable d'arrêter
ses progrès; et résolu d'ailleurs de combattre ses enne-
mis s'il s'en présentoit, il ne douta point de les vaincre.
n ne crut pas même devoir se borner à une médiocre
conquête ; et Namur étant la plus importante place qui
leur restât, et celle dont la prise pouvoit le plus contri-
buer à les affoiblir et à rehausser la réputation de ses
armes, il résolut d'en former le siège.
Namur, capitale de l'une des dix^sept provinces des
Pays-Bas, à laquelle elle a donné le nom, avoit été re-
gardée de tout temps par nos ennemis comme le plus fort
rempart, non-seulement du Brabant, mais encore da
pays de Liège, des Provinces Unies, et d'une partie de la
basse Allemagne. En effet, outre qu'elle assuroit la com-
munication de toutes ces provinces, on peut dire que, par
sa situation au confluent de la Sambre et de la Meuse,
DU SIÈGE DE NAMUR. 3i5
qai la rend maîtresse de ces deux rivières, elle étoit éga-
lement bien placée, et pour arrêter les entreprises que la
France pourroit faire contre les pays que je viens de
nommer, et pour faciliter celles qu'on pourroit faire con-
tre la France même. Ajoutez à ces avantages l'assiette
merveilleuse de son château, escarpé et fortifié de toutes
parts, et estimé imprenable ; mais surtout la disposition
du pays, aussi inaccessible à ceux qui voudroient attaquer
la place, que favorable pour les secours; et enfin le
grand nombre de toutes sortes de provisions que les con-
fédérés y avoient jetées, et qu'ils avoient dessein d'y jeter
encore pour la subsistance de leurs armées.
Le Roi, après avoir examiné toutes les difficultés qui
se présentoient dans cette entreprise, donna ses ordres,
tant pour établir de grands magasins de vivres et de mu-
nitions le long de la Meuse et dans ses places firontières
des Pays-Bas, que pour faire hiverner commodément
dans les provinces voisines de grands corps de troupes,
sous prétexte d'observer celles des ennemis, qui y gros-
sissoient continuellement. Il fit aussi des augmentations
considérables de cavalerie et d^infanterie, et disposa enfin
toutes choses avec sa prévoyance ordinaire.
Mais en même temps il préparoit une puissante diver-
sion du côté de l'Angleterre, où il prenoit des mesures
pour y rétablir sur le trône le légitime souverain.
Les alliés, de leur côté, ne formoient pas, comme j'ai
dit, de petits projets. Le prince d'Orange, en passant la
mer, Tavoit aussi fait repasser à ses meilleures troupes,
et en assembloit de toutes parts un grand nombre d'au-
tres, qu'il établissoit dans toutes les places de son parti
les plus proches de celles de France. Il avoit soin surtout
d'en remplir les places des Espagnols, desquelles par ce
moyen il se proposoit de se rendre insensiblement *le
maître.
3i6 RELATION
Il se tenoit de continuelles conférences à la Haye, en-
tre lui et les autres confédérés, sur Temploi qu'ils dé-
voient faire de leurs forces, ne se promettant pas moins
que de faire une irruption en France au commencement
du printemps. Dans cette vue ils faisoient travailler à un
prodigieux amas de tout ce qui est nécessaire pour une
grande expédition, et se tenoient tellement sûrs du suc-
cès , qu'ils ne daignoient pas même cacher les délibéra-
tions qui se prenoient dans leurs assemblées.
Ces conférences finies, le prince d'Orange s'étoit retiré
à Lo6, maison de plaisance qu'il a dans le pays de Guel-
dres, lieu solitaire et conforme à son humeur sombre et
mélancolique, où d'ailleurs il trouvoit le plus de iaciiité
pour entretenir ses correspondances secrètes. Le déplaisir
qu'il avoit eu Tannée précédente de voir prendre Mons
en sa présence, sans avoir pu rien faire pour le secourir,
donnoit lieu de croire qu'il prendroit des mesures pour
se mettre hors d'état de recevoir un pareil aifront. Et en
effet, il prétendoit avoir si bien disposé toutes choses,
qu'il pouvoit assembler en peu de jours toutes les forces
de son parti, ou pour tomber sur les places dont il juge-
roi t à propos de faire le siège, ou pour courir au secours
de celles que la France entreprendroit d'attaquer.
Ainsi, en attendant la saison propre pour agir, il affec-
toit de mener à Loô une vie fort tranquille, y prenant
presque tous les jours le divertissement de la chasse, et
paroissant aussi peu ému de tous les avis qu'il recevoit
des grands préparatifs dé la France sur mer et sur terre,
que si elle eût été hors d'état de rien entreprendre, ou
qu'il eût été le maître des événements. Cette tranquilliti*
apparente, à la veille d'une campagne si importante pour
les deux partis, étoit fort vantée par ses admirateurs, qui
l'attribuoient à une grandeur d'àme extraordinaire; et
ses alliés la croyant un effet de sa pénétration et de la
DU SIEGE DE NAMUR. 3i7
justesse des mesures qu'il avoit prises pour assurer ]e suc-
cès de ses desseins, se moquoient eux-mêmes de toutes
les ifaquiétudes qu'on leur vouloit donner, et demeuroient
dans une pleine confiance qu'il ne leur pouvoit arriver
aucun mal.
Au commencement du mois de mai, ils apprirent que
le Roi, suivi de toute sa cour, étoit arrivé auprès de Mons,
où étoit le rendez-vous de ses armées de Flandres^. £n
même temps ils surent qu'une autre armée étoit sur les
côtes de Normandie, prête à passer la mer avec le roi
d'Angleterre; qu'un grand nombre de bâtiments de
charge étoient à la Hogue, avec toutes les provisions né-
cessaires pour faire une descente dans ce royaume; et
qu'enfin une flotte de soixante gros vaisseaux, destinée
pour appuyer le passage et le débarquement des troupes,
n'attendoit à Brest, et dans les autres ports, qu'un vent
favorable pour entrer dans la Manche.
Le prince d'Orange commença alors à se repentir de
sa fausse confiance. D'un côté, il prévit l'orage qui alloit
fondre dans les Pays-Bas, et jugea dès lors qu'il lui seroit
fort difficile de l'empêcher; de l'autre, il n'ignoroit pas
que tous les ports d'Angleterre étoient ouverts, qu'il
n'avoit encore ni flottes pour couvrir les côtes du
royaume, ni armée pour combattre les François à la
descente; qu'il leur seroit aisé d'aller jusqu'à Londres,
où ils trouveroient la plupart des seigneurs mécontents
de lui, et les peuples fatigués des grandes sommes qu'il
exigeoit d'eux. En un mot, il appréhendoit que le roi son
beau-père ne trouvât autant de facilité à se rétablir sur
le trône, qu'il lui avoit été facile de l'en chasser. Dans
cet embarras, il feignit pourtant de ne songer qu'à sau-
I. Le Roi était parti de Versailles le lo mai 169a ; il arriva le
17 mai au camp de Gevries, près de Mons.
3i8 RELATION
ver la Flandre, et assembla en diligence, et avec grand
bruit, un corps de troupes sous Bruxelles. Mais en même
temps il dépécha le lord Pordand à Londres, pour con-
certer avec la princesse d'Orange et avec son conseil les
moyens de garantir TAngleterre de Finvasion des Fran-
çois. Il donna ordre qu'on armât toutes les milices du
royaume, et qu'on y fit repasser les troupes restées en
Ecosse et en Irlande; qu'on arrêtât toutes les personnes
soupçonnées d^intelligence avec les ennemis ; et qu'enfin
on assemblât la plus nombreuse armée qu^on pourroit,
tant pour contenir le dedans du royaume, que pour
border les côtes où l'on soupconnoit que les François
voudroient tenter la descente. Surtout il pressa Tanne-
ment de ses flottes, et voulut qu'on y travaillât nuit et
jour, n'épargnant pour cela ni l'aident des Anglois et des
HoUandois, ni celui de tous ses alliés. Non content de
ces précautions, il fit remarcher à Willemstat, entre
l'embouchure de l'Escaut et de la Meuse, une partie des
régiments qu'il avoit amenés d'Angleterre , pour être en
état d'y repasser au premier ordre, et commanda qu on
lui tînt un vaisseau tout prêt pour y repasser lui-même.
Toutes ces précautions étoient un peu tardives, et cou-
roient risque de lui être absolument inutiles, si les vents
eussent été alors aussi favorables aux François qu'ils leur
étoient contraires.
Sur ces entrefaites, le Roi, durant cinq jours, ayant
assemblé ses armées dans les plaines de Gevries , entre
les rivières de Haisne et de Trouille, il en fit, le vingt-
unième de mais la revue générale. Il les trouva oom-
1 . Racine, dans sa Lettre à Boileau datëe f Au camp de Gerries,
le 91* mai, » écrit : t Le Roi fit hier la revue de son armée et de
celle de M. de Luxembourg. » Cette revue générale eut donc lien
le 30, et non le ai. U est vrai que dans la Gazette du 8 juillet 1693
(Journal du siège de Namur, p. 395) on lit : « Le ai, il fit la reme
DU SIÈGE DE MAMUR. Big
plètes, et dans le meilleur état qu'il pouvoit souhaiter. Il
trouva aussi que, conformément à ses ordres, on avoit
chargé à Mons de munitions de guerre et de bouche plus
de six mille chariots tirés des pays conquis : tellement
qii*il se vit en état de se mettre en marche deux jours
après cette revue.
L'armée destinée pour faire le siège de Namur, et qu'il
avoît résolu de commander en personne, étoit de qua-
rante bataillons et de quatre-vingt-dix escadrons. L'autre
année, commandée par le maréchal duc de Luxembourg,
composée de soixante-six bataillons et de deux cent neuf
escadrons % devoit tenir la campagne et observer les en-
nemis, qui à cause de cela Font depuis appelée Tannée
d'observation.
Les lieutenants généraux de l'armée du Roi étoient le
duc de Bourbon, le comte d'Auvergne, le duc deVilleroy,
le prince de Soubize, les marquis de Tilladet et de Bouf-
flers et le sieur de Rubentel. Le marquis de Boufflers
étoit nommé aussi pour commander une autre armée que
dans ce temps-là même il assembloit dans le Condroz^.
des troupes. » Mais dans celle du a4 mai 169a, p. aSa, les informa-
tions sont d'accord avec celles de la Lettre de Racine : « Le ao, il
fit la revue des deux armées. 1 Le Mercure galant {Siège de Namur^
p. 39) donne à la revue la date du az.
I. « Son armée [celle de Luxembourg) est de soixante-six batail-
lons et de deux cent neuf escadrons. » (Lettre de Racine à Boileau,
31 mai 1693.) — « L'armëe de Sa Majesté, qui est de quarante ba-
taillons et de quatre-vingt-dix escadrons, sVtendoit sur la gauche de
Saint-Sjrmphorien ; celle que commande le maréchal de Luxembourg
tenoit depuis Auray jusqu'aux hautes Ëstines. . . . Elle est de soixante-
six bataillons et de cent quatre-vingt-onze escadrons. » {Gazette du
34 mai 1693.) — On voit qu'il y a une différence, mais peu considé-
rable, entre les chiffres des diverses relations.
3. La Gazette du 8 juillet 1693, p. 336, nomme aussi le Condros^ à
Toccasion de l'investissement de Namur : « Le marquis de Boufflers,
qui étoit dans le Condros ayec son armée, l'investit en même temps. >
Autrefois les Gcndmses, peuples de la Gaule Belgique, voisins de
3ao RELATION
Les maréchaux de camp étoient le duc de Roquelaure, le
marquis de Montrevel, le sieur de Gongis, les comtes de
Montchevreuil, de Gassé et de Guiscar, et le baron de
Bresse. Au reste, le dauphin de France, le duc d'Orléans,
le prince de Condé et le maréchal de Humières avoient le
principal commandement sous le Roi. Le sieur de Vau-
ban, lieutenant général, étoit chargé de la direction des
attaques.
Le maréchal de Luxembourg avoit pour lieutenants
généraux le prince de Conti, le duc du Maine, le duc de
Yandosme, le duc de Choiseûil, le comte du Montai, et
le comte de Roses, mestre de camp de la cayalerie lé>
gère ; et pour maréchaux de camp, le chevalier de Yan-
dosme, grand prieur de France, les marquis de la Va-
lette et de Çoigny , les sieurs de Vatteville et de Polastron.
Le baron de Busca, aussi maréchal de camp, commandoit
particulièrement la maison du Roi. Le corps de réserve
étoit commandé par le duc de Chartres.
Ces deux armées partirent donc le vingt-troisième de
mai. Celle du maréchal, qui étoit campée le long du mis-
seau des Estines, alla passer la Haisne entre Marlanwelz
sous Mariraont et Mouraige, et campa le soir à Feluy et
à Arquennes, proche de Nivelle. Celle du Roi traversa
les plaines de Binche, et ayant passé la Haisne à Car-
nières, alla camper à Capelle d'Herlaimont, le longda
ruisseau de Piéton. Le Roi raenoit avec lui une partie de
son artillerie et de ses munitions; l'autre partie, accom-
pagnée d'une grosse escorte, alla passer la Sambre à la
Bussière, pour marcher à Philippeville, et de là au siège
qui de voit être formé.
la forêt des Ardennes, habitaient, sar les bords de TOurthe, uo petit
pays qui, dans la basse latinité, s^est appelé Condrustum^ et qui an
dix-septième siècle faisait partie de Tévêché de Liège, sous le nom
à'^archidiaeoné de Condros,
DU SIEGE DR NAMUR. Su
Le lendemain vingt-quatrième, le maréchal alla cam-
per entre Tabbaye de Villers^ et Marbais, proche de la
grande chaussée; et le Roi, dans la plaine de Saint-
Amand, entre Ligny et Fleuru.
La nuit suivante, il détacha le prince de Condé avec
six mille chevaux et quinze cents hommes de pied, pour
aller investir Namur entre le ruisseau de Risnes et la
Meuse, du côté de la Hesbaye. Le sieur Quadt, avec sa
brigade de cavalerie, Tinvestit depuis ce ruisseau jusqu'à
la Sambre. Le marquis de BouiQers, avec quatorze batail-
lons et quarante-huit escadrons, faisant partie de Tarmée
qu'il assembloit, parut en même temps devant la place,
de Vautre côté de la Meuse ; et enfin le sieur de Ximenes,
avec les troupes qu'il venoit de tirer de Philippeville et
de Dinant, auxquelles le marquis de Boufflers ajouta en-
core douze escadrons, investit la place du côté du châ-
teau, occupant tout le terrain qui est entre Sambre et
Meuse, en telle sorte que Namur se trouva en même
temps entouré de tous côtés.
Le vingt-cinquième, Tarmée du maréchal de Luxem-
bourg alla camper sur le ruisseau d'Aurenault, dans la
plaine de Gemblours; et celle du Roi, auprès de Milmont
et de Golzenne, au delà des Mazis, d'où il envoya ordre
au maréchal de détacher le comte du Montai avec quatre
mille chevaux, pour aller se poster à Longchamp et à
Gennevoux, proche des sources de la Mehaigne; et le
comte de Coigny, avec un pareil détachement, pour aller
I. Dans l'exemplaire de IVdition de 169a qae nous avons eu sons
les yeux, une correction à la main a 'change le nom de f^'UUrt en
celui de yiUej. On trouve en effet sur la Carte particulière des mou-
Hments faits et des postes occupés...^ qui est jointe à cette édition,
rUUj-tAhhaye^ non loin de Filiey^-la-f^Uie. Cependant la Gaiette du
8 juillet 169s {Journal du siège de Piamur^ p. 3a6) et le Mercure ga^
laiu (Siège de Namur, p. 3a), nomment V abbaye de f^iUers.
J. RAcms. ▼ at
3aa RELATION
se poster à Chasselet, près de Çharleroy. Le premier de-
voit couvrir le camp du Roi du côté du Brabant, et l*aa-
tre favoriser les convois de Maubeuge, de Philipperille
et de Dinant, et tenir en bride la garnison de Charleroy
et les corps de troupes que les ennemis y pourroieot en-
voyer.
Le vingt-sixième, le Roi arriva sur les six heures du
matin devant Namur. Il reconnut d'abord les environs
de la place depuis la Sambre jusqu*au ruisseau de We-
drin, examina la disposition du pays, les hauteurs qu'Q
falloit occuper, et les endroits par où il falloit faire passer
les lignes. Il donna ses ordres pour la construction des
ponts de bateaux sur la Sambre et smr la Meuse, et régla
enfin tout ce qui concemoit rétablissement et la $ùreté
des quartiers. Il choisit le sien entre le village de Flawine
et unç métairie appelée la Rouge-Cense, un peu au-des-
sus de l'abbaye de Salzenne. Ensuite il s'avança sur la
hauteur de cette abbaye, pour considérer la situation de
la placç et les çuvrages qui la couvroient de ce côté-là.
En reconnoissant tous ces endrpits, il admira sa bonne
fortune et le peu de prévoyance des ennemis, et confessa
lui-même qu'en postant seulement de bonne heure quinze
mille hommes, ou sur les hauteurs du château, ou sur
celles du ruisseau de Wedrin, ils auroient pu faire avor-
ter tous ses desseins, et mettre Namur hors d'état d^étie
attaqué. Il ordonna au comte d'Auvergne de se saisir de
l'abbaye de Salzenne, et des moulins qui en sont proche :
ce qui fut aussitôt exécuté. Le marquis de Tilladet eut
aussi ordre de visiter tous les gués qu'il pouvoit y avoir
dans la Sambre, depuis le quartier du Roi jusqu'à la
place ; et le marquis d'AIegre, avec un corps, de dragons,
fut envoyé pour se saisir du passage de Gerbizé, poste
important sur le chemin de Huy et de liége du côté de
la Hesbaye.
DU SIÈGE DE NAMUR. 3!t3
Cependant Falamie étoit parmi les ennemis. Comme
ils ignoroient encore où aboutiroit la marche du Roi, ils
se hàtoient de renforcer les garnisons de tontes leurs
places. Ils craignoient surtout pour Charleroy, pour Ath,
pour Liège, et pour Bruxelles même. Mais à l'égard de
Namur, Télecteur de Bavière, se confiant à la bonté de la
place et à la grosse garnison qui étoit dedans, souhaitoit
qu'il prît envie au Roi de l'assiéger. Le rendez-vous de
leur armée étoit aux environs de Bruxelles, et il y arrivoit
tous les jours un fort grand nombre de troupes de toute
sorte de nations. Elles faisoient déjà près de cent mille
hommes, dont le principal commandement et la direction
presque absolue étoient entre les mains du prince d'O-
range, l'électeur de Bavière ^ n'ayant dans cette armée
qu'une autorité comme subalterne. On peut juger com-
bien des forces si prodigieuses enfloient le cœur des con-
fédérés. Us demandoient qu^on les fît marcher au plus
^te, et se tenoient sûrs de rechasser le Roi jusque dans
le cœur de son royaume. Il étoit d'heure en heure exac-
tement informé et de leur marche et de leur nombre, et
se mettoit de son côté en état de les bien recevoir.
L'armée devant Namur étoit séparée par les deux ri-
vières en trois principaux quartiers, dont le premier,
c'est à savoir celui du Roi, ocoupoit tout le côté du Bra-
bant, depuis la Sambre jusqu'à la Meuse ; le second, qui
étoitcehu du marquis de Boufflers, s'étendoit dans le Con-
droz, depuis la Meuse au-dessous de Namur, jusqu'à cette
même rivière au-dessus; et le troisième, sous le sieur de
Ximenes, tenoit le pays d'entre Sambre et Meuse. Au
reste, le quartier du Roi étoit divisé en plusieurs autres
quartiers; car outre le Dauphin et le duc d'Orléans, qui
I. Maximilten-Emiiumuel, duc et électeur de BATière, av^it été
nonuodë gouverneur des Paya-Bas esp^gnp^s, en 169^, apr^s la
mort du marquis de Castanaga.
324 RELATION
campoient tout auprès de sa personne, il a voit aussi dans
son quartier le prince de Gondé, le maréchal de Hu-
mières, et tous les lieutenants généraux , à la réserve du
marquis de Boufflers; et ils y avoient chacun leur poste
ou leur quartier, le long des lignes de circonvallation.
Le Roi , dès le premier jour, donna ses ordres pour
faire tracer ces lignes sur un circuit au moins de cinq
lieues. Elles commençoient à la Sambre, du côté du Bra-
bant, un peu au-dessus du village de Flawine; et traver-
sant un fort grand nombre de bois, de villages et de ruis-
seaux, en deçà et au delà de la Meuse, passoient dans
la forêt de Marlagne, et revenoient finir à la Sambre,
entre Tabbaye de Malogne et une espèce de petit château
qu^on appeloit la Blcinche-Maison,
Le vingt-septième, c'est-à-dire le lendemain deTar-
rivée du Roi devant la place, il alla visiter le quartier
du prince de Gondé, entre le ruisseau de Wedrin et h
Meuse, et y vit les parcs d'artillerie et de munitions. De
là s'étant avancé avec le sieur de Vauban sur la hauteur
du Quesne de Bouge, qui commande d'assez près la
ville, entre la porte de Fer et celle de Saint-Nicolas, la
résolution fut prise d'attaquer cette dernière porte. Ce
même jour les ponts de bateaux furent partout achevés,
et la communication des quartiers entièrement établie.
Il restoit encore les quartiers de Bou£3ers et de Xi-
menes à visiter. Le Roi s'y transporta donc le vingt-hoi-
tième, et ayant passé la Sambre à la Blanche-Maison, et
la Meuse au-dessous du village de Huepion, reconnut
tout le côté de la place qui regarde le Condroz, reconnut
aussi le faubourg de Jambe , où les ennemis s'étoient re-
tranchés au bout du pont de pierre qu'ils y avoient sur
la Meuse; et ayant remarqué le long de cette rivière une
petite hauteur d'où on voyoit à revers les ouvrages de la
porte de Saint-Nicolas qui est de l'autre côté, il oom-
DU SIEGE DE NAMUR. ':)a5
manda qu'on y élevât des batteries. Ces derniers jours
et les suivants, les convois d'artillerie et de toute sorte
de munitions arrivèrent de Philippeville par terre, et de
Dmant par la Meuse ; et on commença à cuire le pain
dans le camp pour la subsistance des deux armées ^
Ce fut vers ce temps-là que plusieurs dames de qua-
lité' de la province, qui s'étoient réfugiées dans Namur,
et plusieurs des dames mêmes de la ville firent demander
par un trompette la permission d^en sortir, ce qu'on ne
jugea pas à propos de leur accorder. Mais ces pauvres
dames se confiant à la générosité du Roi, et la peur des
bombes l'emportant en elles sur toute autre considéra-
tion, elles sortirent à pied par la porte du château, sui-
TOs seulement de quelques-unes de leurs femmes, qui
portoient leurs bardes et leurs enfants, et se présen-
tèrent à la garde prochaine. Les soldats les menèrent
d*abord à la Hanche-Maison, près des ponts qu^on
avoit faits sur la Sambre, d'où le Roi, qui eut pitié
d^elles, et qui les fit traiter favorablement, les fit con-
duire le lendemain à l'abbaye de Malogne , et de là à
Philippeville.
Vingt mille pionniers , commandés dans les provinces
conquises, étant arrivés alors à l'armée, ils furent aussi-
tôt employés aux lignes de circonvallation, aux abatis de
bois et aux réparations de chemins.
Les assiégés avoien^ encore quelque infanterie dans les
bois au-dessus des moulins à papier de Saint-Servais;
I . c Les fours étant achèves de bâtir au yillage de Flavines, près
de la Sambre, on commença à y cuire du pain pour l^armëe du
Roi et pour celle de M. de Luxembourg. » {Mercure galant^ Siégt de
Namur^ p. 71.)
a. Elles étaient au nombre de trente ou quarante, d'après le Mer~
cure galamt, qui conte cet épisode avec plus de détails, dans le Siège
Je Namur^ p. $9-65.
3a6 RELATION
mais le Roi ayant ordonné cju'on Fen chassât, elle ne tint
point, et se renferma fort vite dans la ville.
La garnison étoit de neuf mille deux cent quatre-
vingts hommes, en dix-sept régiments d'infanterie de
plusieurs nations, savoir cinq allemands des troupes de
Brandebourg et de Lunebourg, cinq hoUandois, trois
espagnols, quatre wallons, et en un régiment de cava-
lerie et quelques compagnies franches. Le prince de Bar-
bançon, gouverneur de la province, Fétoit aussi de la
ville et du château , et toutes ces troupes avoient ordre
de lui obéir. On ne doutoit pas qu'étant pourvues de
toutes les choses nécessaires pour soutenir un long siège,
et ayant à défendre une place de cette réputation, égale-
ment bien fortifiée et par Fart et par la nature, une gar-
nison si nombreuse ne se signalât par une vigoureuse
résistance, d'autant plus qu'elle n'ignorait pas les grands
apprêts qui se faisoient pour la secourir.
Le Roi, pour ne point accabler ses troupes de trop de
travail, n^attaqua d'abord que la ville seule. On y fit
deux attaques différentes; mais il y en avoit une qui
n'étoit proprement qu'une fausse attaque, et c'étoit celle
qui étoit de delà la Meuse. La véritable étoit en deçà.
Il fut résolu d'y ouvrir trois tranchées , qui se rejoin-
droient ensuite par des lignes parallèles : la première, le
long du bord de la Meuse; la seconde, à mi-côte de la
hauteur de Bouge ; et la troisième, par un grand fond qm
aboutissoit à la place du côté de la porte de Fer.
Toutes choses étant donc préparées, la tranchée (bt
ouverte la nuit du vingt-neuvième au trentième mai.
Trois bataillons avec un lieutenant général et un briga-
dier montèrent à la véritable attaque, et deux à la fansse
avec un maréchal de camp : ce qui fut continué jusqu'à
la prise de la ville. Le comte d'Auvergne, comme le plus
ancien lieutenant général, monta la première garde. Dès
DU SIÈGE DE NAMUR. 3^7
cette nuit on avança le travail jusqu'à quatre-vingts toises
près * du glacis; on travailla en même temps avec tant de
diligence aux batteries, tant sur la hauteur de Bouge que
de Tautre côté de la Meuse, que les unes et les autres se
trouvèrent bientôt en état de tirer, et de prendre la su-
périorité sur le canon de la place.
La nuit suivante, le travail qu'on avoit fait fut perfec-
tionné.
La nuit du trente-unième mai, on travailla à s'étendre
du côté de la Meuse, pour resserrer d'autant plus les as-
siégés, et les empêcher de (aire des sorties.
Le premier de juin, on continua les travaux à la sape,
l'artillerie ruinant cependant les défenses des assiégés^
qui étant vus de front et à revers de plusieurs endroits,
n'osoient déjà plus parottre dans leurs ouvrages.
La nuit du premier au deuxième juin, on se logea sur
un avant-chemin couvert, en deçà de Favant-fossé que
formoient les eaux des ruisseaux de Wedrin et de Risnes.
On tira ensuite une ligne parallèle pour faire la commu-
nication de toutes les attaques, et on éleva de l'autre
côté de la Meuse» sur le bord de l'eau, deux batteries, qui
commencèrent à tirer, dès la pointe du jour, contre la
branche du demi-bastion et contre la muraille qui régnent
le long de cette rivière. Ce même jour, sur les huit heured
du matin, le marquis de Boufflers fit attaquer le fatkbourg
de JaUibe, que les ennemis occùpoient encore, et s'en
rendit maître. Sur le midi, l'avant-fossé de la porte de
Saint-Nicolas se trouvant comblé^ et toutes choses dispo-
sées pour attaquer la contrescarpe, les gardes suisses et
le régiment de Stoppa*, de la même nation, qui étoient
I. Louis Racine a supprima le mot près.
9. D est dit dans le Mercure (Siège de Namur^ p. i3o) : « deux
{baiatUoni) du vieux Stoupe, » On trouve dans les diverses relations
ce nom écrit Stoppa^ Stt^pa, Stouppa^ Stoupe. — Pierre Stoppa,
3a8 RELATION
de tranchée sous le marquis de Tilladet, lieutenant gé-
néral de jour, y marchèrent Fépée à la main, et rempor-
tèrent. Ils prirent aussi une petite lunette revêtue, qui
défendoit la contrescarpe, et se logèrent en très-peu de
temps sur ces dehors, sans que les ennemis, qui (ai-
soient de leurs autres ouvrages un fort grand feu , osas-
sent faire aucune tentative pour s'y rétablir. On leur
tua beaucoup de monde en cette action.
Le soir du deuxième juin, le marquis de Boufflers étant
de garde à la tranchée, on s'aperçut que les assiégés
avoient aussi abandonné une demi-lune de terre qui coa-
vroit la porte de Saint-Nicolas. G>mme le fossé n'en
étoit pas fort profond , il {ut bientôt comblé , et quoique
la demi-lune fût fort exposée, et que les ennemis ûrassent
sans discontinuer de dessus le rempart, on se logea en-
core dans cette demi-lune sans beaucoup de perte.
Les batteries basses de la Meuse continuoient cepen-
dant à battre en ruine la branche du demi-bastion et la
muraille, qui étoient, comme j'ai dit, le long de cette
rivière. Gomme ses eaux étoient alors assez basses, on
s'étoit flatté de pouvoir conduire une tranchée le long
d'une langue de terre qu'elle laissoit à découvert au pied
Gflîson d'origine, et qui deyint en 1678 lieatenant génénl des ar-
mées du Roi, avait été chargé en 1671 de négocier en Saisie la le-
vée de plusieurs régiments pour le service de la France. Par 00m-
mission du 17 février 167a, il en eut un qui porta son nom. En
1677, son frère cadet, Jean-Baptiste Stoppa, fîit colonel d'un aatre
régiment suisse, composé de compagnies franches, et qu'on distin-
gua, par le nom déjeune Stoppa, du viemx Stoppa qui était celui de
Pierre Stoppa. Le régiment du vieux Stoppa faisait partie, au siëge
de Namur, de la hrigade de Polier. Après la reddition de la ville, il r
fut mis en garnison. Voyez la Chronologie lùstorl^ue-mUitaire,.,. pir
M. Pinard (8 volumes in-4«, Paris, 1760-1778), tome IV, p. 3o5;
et V Histoire militaire des Suisses au service de la France.... par M. le
baron de Zur-Lauben (8 volumes in-is, Paris, 1751-1753), tomel,
p. 149 et 143, et tome III, p. 148, 17$ et a3s.
DU SIÈGE DE NAMUR. Bug
du rempart, et on auroit ainsi attaché bientôt le mineur
au corps de la place. Mais la Meuse s^étant enflée tout
à coup par les grandes pluies qui survinrent, et qui ne
discontinuèrent presque plus jusqu'à la fin du siège, on
fut obligé d'abandonner ce dessein, et de s'attacher uni-
quement aux ouvrages que Ton avoit devant soi.
L'artillerie ne cessa , pendant le troisième et le qua-*
trième juin, de battre en brèche la face et la branche du
demi-bastion de la Meuse, et y fit enfin une ouverture
considérable. Les assiégés témoignoient à leur air beau-
coup de résolution, et travailloient même à se retrancher
en dedans. Mais on les voyoit qui , dans la crainte vrai-
semblablement d'un assaut , transportoient dans le chft-
teau leurs Punitions et leurs meilleurs effets. A la fin,
comme ils virent qu'on étoit déjà logé sur la pointe du
demi-bastion , le cinquième de juin au matin , le duc de
Bourbon étant de jour, ils battirent tout à coup la cha-
made, et demandèrent à capituler. Après quelques pro-
positions qui furent rejetées par le Roi, on convint, entre
autres articles : Que les soldats de la garnison entreroient
dans le château avec leurs familles et leurs effets; qu'il
7 auroit pour cela une trêve de deux jours, et que pen-
dant tout le reste du siège on ne tireroit point ni de la
ville sur le château, ni du château sur la ville, avec liberté
aux deux partis de rompre ce dernier article lorsqu*ils
le jugeroient à propos, en avertissant néanmoins qu'ils
ne le vouloient plus tenir.
La capitulation signée, le régiment des gardes prit
aussitôt possession de la porte de Saint-Nicolas. Ainsi la
(ameuse ville de Namur, défendue par neuf mille hommes
de garnison, fut, en six jours d'attaque, rendue à trois ou
quatre bataillons de tranchée, ou, pour mieux dire, à un
seul bataillon, puisqu'il n'y en eut jamais plus d'un à la
tranchée le long de la Meuse, qui fut celle par où la place
33o RELATI019
fat emportée. On peut même remarquer qu on n'eut pas
le temps de perfectionner les lignes de circottvallation,
et qu'à peine on achevoit d'y mettre la dernière main,
que y la ville étant prise, Ton fut obligé de les raser pour
transporter les troupes de l'autre côté de la Sambre.
Pendant que la ville capituloit, on eut nouvelles qu'en-
fin les alliés s'avançoient tout de bon pour faire lever le
siège. Au premier bruit que le ftoi étoit devant Namnr,
ils s'étoient hâtés d'unir ensemble toutes leurs forces. Ils
avoient dépéché aux généraux Flemming et Serclaës,
dont le premier assembloit les troupes de Brandeboui]^
aux environs d'Aix-la-Chapelle, et l'autre celles de Liège
dans le voisinage de cette ville, avec ordre de les venir
joindre; et le prince d'Orange avec 1 électeur de Bavière,
à la tête de l'armée confédérée , a jant passé le canal de
Bruxelles, étoit venu camper à Dighom, puis à Lefdaël et
à Wossem, de là à l'abbaye du Parc et au château d'He^
verle, près de Louvain. Il séjourna quelque temps dans
ce dernier camp^ ou pour donner le temps à toutes ses
forces de le joindre, ou n'osant s'engager trop avant dans
le pays, ni s'éloigner de la mer, dans l'inquiétude où il
étoit de la descente dont l'Angleterre étoit menacée. Il
apprit enfin que sa flotte, jointe à celle de Hollande, fai-
sant ensemble quatre-vingt-dix vaisseaux de guerre, étoit
à la mer avec un vent favorable; et qu'au contraire le
comte de Tourville, n'ayant pu être joint par les escadres
du comte d'Estrée, du comte de Châteauregnaut, et du
marquis de la Porte , n'avoit que quarante-quatre vais-
seaux, avec lesquels il s'efforcoit d'entrer dans la Manche.
Alors, voyant ses afiaires vraisemblablement en sûreté
de ce côté-là, il feignit die n'y plus songer, et ne parla
plus que d'aller secourir Namur.
Il partit des environs de Louvain* lé cinquième juin»
et vint camper à Meldert et à Bauechem. Il campa le len*
DU SIÈGE DE NAMUR. 33 1
demain sixième auprès de Hongaerde et de Tirlemont;
le septième, entre Orp et Montenackem, au delà de la
rivière de Ghete; et enfin le huitième, sur la grande
chaussée entre Thinnes et Breff, à la vue du maréchal de
Luxembourg. La prise de la ville ayant mis le Roi en état
de faire des détachements de son armée , il avoit envoyé
à ce maréchal le comte d'Auvergne et le duc de Villeroy ,
lieutenants généraux, avec une partie des troupes qui se
trouvoient campées du côté du Brabant.
Pour lui, la trêve qu'il avoit accordée aux assiégés
étant expirée, il avoit passé de l'autre côté de la Sambre»
avec ce qui lui étoit resté de troupes au delà de cette ri-
vière. C'étoit le septième de juin qu il quitta son premier
camp pour en venir prendre un autre entre Sambre et
Meuse, dans la forêt de Marlagne. Voici de quelle ma-
nière ce nouveau camp étoit disposé. Le quartier du Roi
étoit auprès d'un couvent de carmes, qu'on appeloit le
Désert. Il y avoit une ligne de troupes qui s'étendoit de-
puis Tabbaye de Malogne sur la Sambre, jusques au pont
construit sur la Meuse à Huepion. Une autre ligne de
dix bataillons , qui composoient la brigade du régiment
du Roi, eut son camp marqué sur les hauteurs du châ-
teau, pour en occuper tout le front, qui est fort resserré
par les deux rivières, et pour rejeter ainsi les ennemis
dans leurs ouvrages. Mais il n'étoit pas facile de les dé-
poster de ces hauteurs , et moins encore des retranche-
ments qu'ils y avoient faits à la faveur de quelques mai-
sons, et entre autres d'un hermitage qu'ils avoient for-
tifié en forme de redoute. Néanmoins la brigade du Roi
eut ordre de les aller attaquer.
Les troupes, qui avoient cru ce jour-là n'avoir autre
chose à (aire qu'à s'établir paisiblement dans leur nou-
veau camp, et qui, dans ce moment-là, portoient leurs
tentes et leurs autres bardes sur leurs épaules , jetèrent
33a RELATIOxX
aussitôt à terre tout ce qui les embarrassott, pour ne gar-
der que leurs armes, et grimpant en bon ordre et sur un
même front, malgré l'extrême roideur d'un terrain rabo-
teux et inégal, arrivèrent sur la crête de la montagne, au
travers d'une grêle de coups de mousquet, que les enne-
mis leur tiroient avec tout l'avantage qu'on peut s'ima-
giner. Le soldat, quoique tout hors d'haleine, renversa
leurs postes avancés, et les poursuivit jusques à une se-
conde hauteur, non moins escarpée que la première, où
leurs babillons étoient rangés en bon ordre pour les sou-
tenir. Mais rien ne put arrêter la furie des François. Les
bataillons furent aussi chassés de ce second poste, et
menés battant, l'épée dans les reins, jusques à leurs re-
tranchements, qui même couroient risque d être forcés,
si le prince de Soubize, lieutenant général de jour, elle
sieur de Vauban, rappelant les troupes, ne les eussent
obligées de se contenter du poste qu'elles avoient occupé.
Cette action, qui fut fort vive et fort brillante dans toutes
ses circonstances, coûta à la brigade du Roi douze ou
quinze officiers, et quelque* cent ou six-vingts soldats,
ou tués ou blessés.
Aussitôt on travailla à se bien établir sur cette hau-
teur, et on y ouvrit une tranchée , laquelle fut tous les
jours relevée par sept bataillons. Il ne fut pas possible
les jours suivants d'avancer beaucoup le travail, tant à
cause du terrain pierreux et difficile qu'on rencontra en
plusieurs endroits, que des orages eflfroyahles et des
pluies continuelles qui rompirent tous les chemins, et
les mirent presque hors d'état d'y pouvoir conduire le
canon. On ne put aussi achever les batteries qu'avec
1 . Dans rëdition de 1693, quelque, dans ce sens, est mis ordi-
nairement au pluriel (ici et p. 344i ligne 5, et p. 347i ligi>^ 4)« "
est cependant imprime sans /, conformément à Pusage actuel, dan*
une phrase qui se trouve à la page 333 de notre édition (ligne >5).
DU SIEGE DE NAMUR. 333
d extrêmes difficultés. Cependant les assiégés profitèrent
peu de tous ces obstacles, et firent seulement quelques
sorties sans aucun effet.
Enfin , le treizième juin, les travaux ayant été poussés
josqu^aux retranchements, il fut résolu de les attaquer.
La contenance fière des ennemis, qu'on voyoit en bataille
en plusieurs endroits derrière ces retranchements, et qui
avoient tout Pair de se préparer à une résistance vigou-
reuse, obligea le Roi de leur opposer ses meillem^es trou-
pes, et de se transporter lui-même sur la hauteur, pour
régler Tordre de Tattaque.
Le signal donné sur le midi, deux cents mousquetaires
du Roi a la droite, les grenadiers à cheval à la gauche, et
huit compagnies de grenadiers d'infanterie au milieu,
marchèrent aux ennemis Tépée à la main, soutenus des
sept bataillons de tranchée et des dix de la brigade du
Roi, qu'il avoit fait mettre en bataille sur la hauteur, à
la tète de leur camp. Les assiégés, jusqu'alors si fiers,
s'effrayèrent bientôt. Us firent seulement leur décharge,
et abandonnant la redoute et les retranchements, se reti-
rèrent en désordre dans les chemins couverts des ou-
vrages qu'ils avoient derrière eux. Ils perdirent plus de
quatre cents hommes', la plupart tués de coups de main,
et entre autres plusieurs officiers et plusieurs gens de
distinction. Les François eurent quelque cent trente
hommes, et quarante tant officiers que mousquetaires
tués ou blessés.
Le comte de Toulouze, amiral de France, jeune prince
I. La Gazette du 9 juillet 169a {Suite du journal du sié^e de Na-
Mut^ p. 340) dit « plus de cinq cents hommes. » Elle compte parmi
les ennemis qui furent tues dans cette affaire du i3 juin don
Francisco Carlos de Castro, fils du comte de Lemos, grand d^Es-
pagne, et le colonel RocafuU. Voyez la Lettre de Racine à Boileau,
Au camp près de Namur^ le iS juin (169a).
334 RELATION
ftgé de quatorze ans, reçut une contusion au bras, a côté
du Roi, et plusieurs personnes de la cour furent aassi
blessées autour de lui. Le duc de Bourbon, qui étoit lieu-
tenant général de jour, donna ses ordres avec non moins
de sagesse que de valeur. Les troupes, animées par la
présence du Roi, se signalèrent à l'envi Tune de Tautre;
et les moindres grenadiers de Tarmée disputèrent d'au-
dace avec les mousquetaires, de Taveu des mousquetaires
mêmes. On accorda aux assiégés une suspension pour
venir retirer leurs morts; mais on ne laissa pas, pendant
cette trêve , d'assurer le logement et dans la redoute et
dans tous les retranchements qu^on venoit d'emporter.
Entre ces retranchements et la première enveloppe
du château, nommée parles Espagnols Terra^Nova^ on
trouvoit, sur le côté de la montagne qui descend vers la
Sambre, un ouvrage irrégulier que le prince d'Orange
avoitfait construire Tannée précédente, et qu'on appeloit,
à cause de cela , le Fort-Neuf^ ou le Fort-Guillaume.
n étoit situé de telle façon que , bien qu'il parût moins
élevé que les hauteurs qu'on avoit gagnées, il n'en étoit
pourtant point commandé ; et il sembloit se dérober et
an canon et à la vue des assiégeants, à mesure qu'ils s'en
approchoient. Ce fut, de toutes les fortifications de la
place , celle dont la prise coûta le plus de temps et de
peine , à cause de la grande quantité de travaux qu'3
fallut faire pour Tembrasser.
La nuit qui suivit Tattaque dont nous venons de parler,
le travail fut avancé plus de cinq cents pas vers la gorge
de ce fort. Le quatorzième, on s'étendit sur la droite, et
l'on y dressa deux batteries, tant cojitre le Fort-Neuf que
contre le vieux château. Ce mênae jour^ les assiégés aban-
donnèrent une maison retranchée, qui leur restoit encore
sur la montagne; et ainsi on n'eut plus rien devant soi
que les ouvrages que je viens de dire.
DU SIEGE DE NAMUR. 335
Le quinzième, les nouvelles batteries démontèrent
presque entièrement le canon des assiégés; mais elles ne
firent que très-peu d'effet contre le Fort-Neuf.
La nuit suivante, on ouvrit au-dessus de l'abbaye de
Saizenne une nouvelle tranchée pour embrasser ce fort
par la gauche, et le travail fîit poussé environ quatre
cents pas.
Pendant qu*on pressoit avec cette vigueur le château
de Namur, le prince d'Orange étoit, comme j'ai dit, ar-^
rivé sur la Mehaigne. D donna d'abord toutes les marques
d'un homme qui vouloit passer cette rivière et attaquer
Tannée du maréchal de Luxembourg, pour s'ouvrir un
chemin à Namur. Plusieurs raisons ne laissoient pas lieu
de douter qu'il n'eût ce dessein : son intérêt et celui de
ses alliés, l'état de ses forces, sa réputation, à laquelle la
prise de Mons avoit déjà donné quelque atteinte; en un
mot, les vœux unanimes de son parti, et surtout les pres-
santes sollicitations de Télecteur de Bavière, qui ne pou-
voit digérer l'affront de se voir, à son arrivée dans les
Pays-Bas, enlever la plus forte place du gouvernement
qu'il venoit d'accepter.
Ajoutez à toutes ces raisons les bonnes nouvelles que
les alliés avoient reçues de la bataille qui s' étoit donnée
sur mer ^. Car bien que le combat n'eût pas été fort glo-
rieux pour les Hollandois et pour les Anglois, mais sur-
tout pour ces derniers, et qu'il fût jusqu'alors inou!
qu'une armée de quatre-vingt-dix vaisseaux, attaquée
par une autre de quarante-quatre, n'eût fait, pour ainsi
dire, que soutenir le choc, sans pouvoir, pendant douze
heures, remporter aucun avantage, néanmoins, comme
le vent, en séparant la flotte de France, leur avoît en
quelque sorte livré quinze de ses vaisseaux, qui avoient
I. Le combat de la Hogae, lÎTrë le ag mai 1691.
336 RELATION
été obligés de se faire échouer, et où ils avoient mis le
feu, il y avoit toute sorte d'apparence que le pnnoe
d'Orange saisiroit le moment favorable où il sembloit
que la fortune commençât à se déclarer contre les Fran-
çois. 11 reconnut donc, en arrivant, tous les environs
de la Mehaigne, fit sonder les gués, posta son infante-
rie dans les villages et dans tous les endroits qui pou-
voient favoriser son passage, et enfin fit jeter une infi-
nité de ponts sur cette rivière. On remarqua pourtant
avec surprise que dans le temps qu*il faisoit con-
struire cette grande quantité de ponts de bois, il faisoit
démolir tous les ponts de pierre qui se trouvoient sur U
Mehaigne.
Une autre circonstance fit encore mieux voir qn il
n'avoit pas grande envie de combattre. Le Roi, qui ne
vouloit point qu'on engageât, d'un bord de rivière à
l'autre, un combat où sa cavalerie n'auroit point eu de
part, manda au duc de Luxembourg de se retirer un peu
en arrière , et de laisser le passage libre aux ennemis; et
la chose fut ainsi exécutée. C'étoit en quelque sorte les
défier, et leur ouvrir le champ pour donner bataille s'ils
vouloient. Mais le prince d'Orange demeura toujoui^
dans son premier poste, tantôt s'excusant sur les pluies
qui firent déborder la Mehaigne pendant deux jouis,
tantôt publiant qu'il feroit périr l'armée du maréchal sans
la combattre, ou du moins qu'il la réduiroit à décamper,
faute de subsistance.
Il forma néanmoins un projet qui auroit été de quelque
éclat s'il eût réussi. Il détacha le comte Serclaés de Tilly,
avec cinq ou six mille chevaux , du côté de Huy . Ce gé-
néral, ayant pris encore dans cette place un détachement
considérable de l'infonterie de la garnison , passa la
Meuse, qu'il fit remonter à son infanterie, dans le des-
sein de couper le pont de I^ateaux qui étoit sous Namur,
DU SIEGE DE NAMTJR. 337
et qui faisoit la commnnication de nos deux armées. Lui
cependant marcha avec sa cavalerie pour attaquer le
quartier du marquis de Boufflers, et brûler le pont de
hante Meuse, avec toutes les munitions qui se trouve-
roîent sur le port, et qu'on a voit fa^ descendre par cette
rivière. Le Roi eut bientôt avis de ce dessein : il fit forti-
fier la garde des ponts et le quartier de Boufflers ; et ayant
rappelé un corps de cavalerie de Tarmée du maréchal, il
fit sortir ses troupes hors des lignes, et les rangea lui-
même en bataille. Mais Serclaës, qui en eut le vent, re-
tourna fort vite passer la Meuse, et alla rejoindre Tannée
confédérée.
Le prince d'Orange, après avoir demeuré inutilement
quelques jours sur la Mehaigne, en décampa tout à
coap, et remontant le long de cette rivière jusque vers
sa source, vint camper, sa droite à la censé de Glinne,
près du village d' Asche , et sa gauche au-dessus de celui
de Branchon.
Le maréchal de Luxembourg, qui observoit tous les
mouvements des ennemis pour régler les siens, ne les vit
pas plus tôt en marche, que de son côté il remonta aussi
la rivière, en telle sorte que ces deux grandes armées, sé-
parées seulement par un médiocre ruisseau, marchoient
à la vue Tune de Tautre, éloignées seulement d'une demi-
portée de canon. Celle de France campa, la droite à
Haurech, la gauche à Temploux, ayant à peu près dans
son centre le village de Saint-Denys.
Le prince d'Orange fit encore en cet endroit des dé-
monstrations de vouloir décider du sort de Namur par
une bataille. Il fit élargir les chemins qui étoient entre
les deux armées, et envoya l'électeur de Bavière pour
reconnottre lui-même le camp des François. L'électeur
passa la rivière à l'abbaye de BonefTe, et se mit en devoir
d'observer l'armée du maréchal; mais on ne lui laissa
J. Racutb. V 9 a
338 RELATION
pas le temps de satisfaire sa curiosité, et il fut obligé de
repasser fort brusquement la Mebaigne à Fapproche de
quelques troupes de carabiniers, qu^on avoit détachées
pour l'éloigner de la vue des lignes.
A dire vrai, le maréchal ne fut pas fôché d'ôter aux
ennemis la connoissance de la disposition de son camp,
coupé de plusieurs ruisseaux et de petits marais, qui ren-
doient la communication de ses deux ailes fort difficile,
et d'ailleurs commandé de la hauteur de Saint-Denys,
d*où les ennemis auroient pu incommoder de leur canon
le centre de son armée , et engager enfin , dans un pays
serré et embarrassé de bois, un combat particulier d'in-
fanterie, où ils auroient eu tout Tavantage du lieu. Le
Roi, qui sut Tinquiétude où il étoit, lui envoya proposer
un autre poste, que le maréchal alla reconnoître; et il le
trouva si avantageux, que sans attendre de nouveaux
ordres, il fit aussitôt marcher son armée; il n'attendit
pas même son artillerie , dont les chevaux se trouvoient
alors au fourrage , et se contenta de laisser une partie de
son infanterie pour la garder. Il plaça sa gauche au clià-
teau de Milmont, la couvrant du ruisseau d'AurenauIt,
et étendit sa droite par Temploux et par le château de la
Falize, jusques auprès du ruisseau de Wedrin, au delà
duquel il jeta son corps de réserve : de sorte qu'il se trou-
voit tout proche de l'armée du Roi, et tout proche aussi
de la Sambre et de la Meuse, d'où il tiroit la subsistance
de sa cavalerie, couvroit entièrement la place , et rédui-
soit les ennemis à venir l'attaquer dans son front par
des plaines ouvertes et propres à faire mouvoir sa cava-
lerie, qui étoit supérieure en toutes choses à celle des
ennemis.
Il fit en plein jour cette marche, sans qu'ils se missent
en devoir de l'inquiéter, et sans qu'ils se présentassent
seulement pour charger son arrière-garde. Le prince d'O*
DU SIEGE DE NAMUR. 3^9
range décampa quelques jours après. Il passa, le vingt-
deuxième de juin, le bois des Cinq-Étoiles, et ayant fait
faire à ses troupes une extrême diligence, alla se poster,
la droite à Sombreff, et la gauche proche de Marbais, sur
la grande chaussée.
Cette démarche, qui le mettoit en état de passer en
an jour la Sambre pour tomber sur le camp du Roi, au-
roit pu donner de Tinquiétude à un général moins vigilant
et moins expérimenté. Mais comme il avoit pensé de
bonne heure à tous les mouvements que les ennemis
pourroient faire pour Finquiéter, il ne les vit pas plus tôt
la tête tournée vers Sombreff, qu*il envoya le marquis de
Boufflers avec un corps de troupes dans le pays d^entre
Sambre et Meuse; et après avoir fait reconnoître les
plaines de Saint-Gérard et de Fosse, qui étoient les seuls
chemins par où ils auroient pu venir à lui, il ordonna à
ce marquis de se saisir du poste d'Auveloy, sur la Sam-
bre. Il fit en même temps jeter un pont sur cette rivière,
entre Tabbaye de Floreff et Jemeppe, vers l'embouchure
du ruisseau d^Aurenault, où la gauche du maréchal de
Luxembourg étoit appuyée. Par ce moyen, il mettoit ce
général en état de passer aisément la Sambre, dès que
les ennemis voudroient entreprendre la même chose du
côté de Charleroy et de Farsiennes. La seule chose qui
étoit à craindre, c'est que le corps de troupes qu'il avoit
donné au marquis de Boufflers ne fût pas suffisant pour
disputer aux ennemis le passage de la Sambre, et que
s*ils le tentoient si près de lui, on n'eût pas le temps de
faire passer d'autres troupes pour le soutenir.
Pour obvier à cet inconvénient, le maréchal eut ordre
de lui envoyer son corps de réserve, qui fut suivi, peu
de temps après, des brigades d'infanterie de Champagne
et de Bourbonnois, et enfin de l'aile droite de sa seconde
ligne, commandée par le duc de Yandosme. Toutes ces
Ho RELATION
troupes furent postées sur le bord de la Sambre, proche
des ponts de bateaux, à portée, ou de passer en très-pea
de temps dans les plaines de Fosse et de Saint-Gérard,
ou de repasser à Tannée du maréchal, selon le parti que
prendroient les ennemis.
Pendant ces différents mouvements des armées, les at-
taques du château de Namur se continuoient avec toute
la diligence que les pluies pouvoient permettre, les troa-
pcs ne témoignant pas moins de patience que de valeur.
Depuis le seizième de juin, les assiégés se tronvoient ex-
trêmement resserrés dans le Fort-Neuf, où ib commen-
çoient même d'être enveloppés. Le matin du dix-sep-
tième, ils firent une sortie de quatre cents hommes de
troupes espagnoles et de firandebourg sur l'attaque gau-
che, et y causèrent quelque désordre. Mais les Suisses,
qui y étoient de garde, les repoussèrent aussitôt, et réta-
blirent en très-peu de temps le travail. Il y eut quarante
ou cinquante hommes tués de part et d*autre. Le dii-
huitième et le dix-neuvième, les communications du
Fort-Neuf avec le château furent presque entièrement
6tées aux assiégés, et leur artillerie rendue inutile; et
enfin le vingtième, toutes les communications des tran-
chées étant achevées, on se vit en état d'attaquer tout à
la fois et le fort et le château. Mais comme vraisembla-
blement on y auroit perdu beaucoup de monde, le Eoi
voulut que les choses se fissent plus sûrement. Ainsi on
employa toute la huit du vingtième, et le jour suivant, i
élargir et â perfectionner les travaux; et le soir du vingt-
unième, toutes choses étant prêtes pour Tattaque, on
résolut de la faire, mais seulement aux dehors^ de lou-
vrage neuf.
Huit compagnies de grenadiers, commandées avec les
I . Dans IVdition de Liouis Racine : « au-dehors. >•
DU SIÈGE DE NAMUR. 34i
sept des batafllons de la tranchée, commencèrent sur les
six heures à occuper tous les boyaux qui enveloppoient
les deux ouvrages. T^e duc de Bourbon se trouvoit encore
à cette attaque lieutenant général de jour, se croyant
fort obligé à la fortune de ce qu'en un même siège elle
lai donnoit tant d'occasions de s'exposer. Le signal donné
un peu avant la nuit, il fit avancer les détachements sou-
tenus des corps entiers. Ils marchèrent en même temps
au premier chemin couvert, et en ayant chassé les as-
siégés, les forcèrent encore dans le second, et le fossé
n'étant pas fort profond, les poursuivirent jusques au
corps de l'ouvrage, dans lequel même quelques soldats
étant montés par une fort petite brèche, les ennemis bat-
tirent à rinstant la chamade, et leurs otages furent en-
voyés au Roi. Mais pendant qu'ils faisoient leur capitu-
lation, on ne laissa pas de travailler dans les dehors de
l'ouvrage, et d'y commencer des logements contre le
château.
Le lendemain^, ils sortirent du fort au nombre de
quatre-vingts officiers et de quinze cent cinquante sol-
dats en cinq régiments, pour être conduits àGand. De ce
nombre étoit un ingénieur hoUandois nommé Cohome,
sur les desseins duquel le fort avoit été construit; et il en
sortit blessé d'un éclat de bombe. Quelques officiers des
ennemis demandèrent à entrer dans le vieux château,
pour y servir encore jusqu'à la fin du siège. Mais cette
permission ne fut accordée qu'au seul Wimberg, qui
commandoit les troupes hollandoises.
Le Fort-Guillaume pris, on donna un peu plus de ré-
lâche aux troupes, et la tranchée ne Ait plus relevée que
par quatre bataillons. Mais le château n'en fut pas moins
I. Suirant la Gazette du lo juillet 169a, p. 353, ce fut le 33, â
quatre heures après midi, que la garnison sortit.
342 RELATION
vivement pressé, et les attaques allèrent fort vite^n^étant
plas inquiétées par aucune diversion.
Dès le vingt-troisième, on éleva dans la gorge du Fort-
Neuf des batteries de bombes et de canon.
T^e vingt-quatrième et le vingt-cinquième, on embrassa
tout le front de Touvrage à cornes qui faisoit, comme j ai
dit, la première enveloppe du château ; et on acheva la
communication de la tranchée qu'on avoit conduite par
la droite sur la hauteur qui regarde la Meuse, avec la
tranchée qui regardoit ^ la gauche du côté de la Sambre.
Le Roi alla le vingt-cinquième visiter le Fort-Neuf et les
travaux. Comme il avoit remarqué que sa présence les
avançoit extrêmement, il fit la même chose presque tons
les jours suivants, malgré les incommodités du temps et
Textréme difficulté des chemins, s' exposant non-seule-
ment au mousquet des ennemis, mais encore aux éclats
de ses propres bombes, qui retomboient souvent de leurs
ouvrages avec violence, et qui tuèrent ou blessèrent plu-
sieurs personnes à ses côtés et derrière lui.
Le vingt-sixième, les sapes furent poussées jusqu'au
pied de la palissade du premier chemin couvert. A me-
sure qu*on s'approchoit, la tranchée devenoit plus dan-
gereuse à cause des bombes et des grenades que les
ennemis y faisoient rouler à toute heure, surtout du côté
du fond qui alloit tomber vers la Sambre et qui séparoit
les deux forts.
Le vingt-septième, les travaux furent perfectionnés.
On dressa deux nouvelles batteries pour achever de rui-
ner les défenses des assiégés, pendant que les autres bat-
toient çi^xuine les pointes et les faces des deux demi-
I. Le texte de IVdition de 169 a porte : regarde. Sur rexem-
plaire dont nous avons fait usage, une correction à la main a lul^
stitué regardoit à regarde. C'est évidemment avec raison.
DU SIÈGE DE NAMUR. 343
bastions de TouTrage; et on disposa enfin toutes choses
pour attaquera la fois tous leurs dehors. Tant d'attaques,
qui se snccédoient de si près, auroient dû, ce semble,
lasser la valeur des troupes; mais plus elles fatiguoient,
plus il sembloit qu'elles redoublassent de vigueur; et en
effetf cette dernière action ne fut pas la moins hardie ni
la moins éclatante de tout le siège. Le Roi voulut encore
j être présent, et se plaça entre les deux ouvrages. Ainsi,
le vingt-huitième, à midi, le signal donné par trois salves
de bombes, neuf compagnies de grenadiers commandées,
avec quatre des bataillons de la tranchée, marchèrent
avec leur bravoure ordinaire, Fépée à la main, aux che-
mins couverts des assiégés. Le premier de ces chemins
se trouvant presque abandonné, elles passèrent au second
sans s'arrêter, tuèrent tout ce qui osa les attendre, et
poursuivirent le reste jusqu'à un souterrain qui les déroba
à leur furie. Les ennemis ainsi chassés reparurent en
grand nombre sur les brèches, quelques-uns même avec
Fépée et le bouclier, et s'efforcèrent, à force de grenades
et de coups de mousquet, de prendre leur revanche sur
nos travaiUeurs. Cependant quelques gi*enadiers de la
compagnie de Saillant du régiment des gardes ayant
été commandés pour reconnoître la brèche qui étoit au
demi-bastion gauche, ils montèrent jusqu'en haut avec
beaucoup de résolution. Il y en eut un, entre autres, qui
y demeura fort longtemps, et y rechargea plusieurs fois
son fusil avec une intrépidité qui fut admirée de tout le
monde*. Mais la brèche se trouvant encore trop escar-
I . c Le sieur de Saillant, capitaine au rëgiment des gardes fran-
çoises, passa le fosse, et monta à la brèche avec huit grenadiers.
Cinq autres des mêmes gardes y montèrent le plus haut qu^il leur
fat possible, et tirèrent chacun leurs grenades sur les ennemis dans
le bastion. Un d*eux sVtant détache seul, monta par trois fois au
haut de la brèche, tirant toujours sur les ennemis. A la dernière
344. RELATION
pée, on se contenta de se loger dans les chemins cou-
verts, dans la contre-garde du demi-bastîon gauche, dans
une lunette qui étoit au milieu de la courtine, vis-à-vis
du chemin souterrain , et en un mot dans tous les de-
hors. La perte des assiégés monta à quelque trois cents
hommes, partie tués dans les dehors, partie accablés par
les bombes dans Fouvrage même. Les assiégeants n*eu-
rent guère moins de deux ou de trois cents tant officiera
que soldats tués ou blessés, la plupart après Faction, et
pendant qu'on travailloit à se loger.
Peu de temps après, les sapeurs firent la descente du
fossé; et dès le soir, les mineurs furent attachés en plu-
sieurs endroits, et on se mit en état de faire sauter tout à
la fois les deux demi-bastions, la courtine qui les joignoit,
et la branche qui regardoit le Fort-Neuf, et de donner un
assaut général.
Néanmoins, comme on se tenoit alors sûr d'emporter
la place, on résolut de ne faire jouer qu'à la dernière ex-
trémité les fourneaux, qui en ouvrant entièrement le rem-
part, auroient obligé à y faire de fort grandes réparations.
On espéra qu'il suffiroit que le canon élargit les brèches
qu'il avoit déjà faites aux deux faces et aux pointes des
demi-bastions; et c'est à quoi on travailla le vingt-neu-
vième.
La nuit du trentième, le sieur de Rubentel, lieutenant
général de jour, fit monter sans bruit au haut de la brèche
du demi-bastion gauche quelques grenadiers du régiment
Dauphin , pour épier la contenance des ennemis. Ces
soldats, ayant remarqué qu'ils n'étoient pas fort sur leurs
gardes, et qu'ils s'étoient même retirés au dedans de
l'ouvrage, appelèrent quelques autres de leurs camarades,
fois, il tua un officier espagnol qui, soutenu de plusieurs autreSt
venoit sur lui. » {Gatetie du lo juillet 169a, p. 356.)
DU SIEGE DE NâMUR. 345
qui étant aussitôt montés, ils chargèrent avec de grands
cris les assiégés, et s'emparèrent d*un retranchement
qu ils avoient commencé à la gorge du demi-bastion, où
ils commencèrent à se retrancher eux-mêmes. Ceux des
ennemis qui regardoient le demi-bastion de la droite,
voyant les François dans Touvrage, et craignant d'être
coupes, cherchèrent, comme les autres, leur salut dans
la Alite, et laissèrent les assiégeants entièrement maîtres
de cette première enveloppe. 11 restoit encore deux autres
ouvrages à peu près de même espèce, non moins difficiles
à attaquer que les premiers, et qui avoient de grands
fossés très-profonds et taillés dans le roc. Derrière tout
cela, on trouvoit le corps du château, capable lui seul
d'arrêter longtemps un ennemi, et de lui faire acheter
biea cher les derniers pas qui lui resteroient à faire.
Mais le gouverneur, qui vit sa garnison intimidée tant
par le feu continuel des bombes et du canon que par la
valeur infatigable des assiégeants, reconnoissant d'ailleurs
le peu de fonds qu'il y avoit à faire sur les vaines pro-
messes de secours dont le prince d'Orange Tentretenoit
depuis un mois, ne songea plus qu'à faire sa composition
à des conditions honorables, et demanda à capituler.
Le Roi accorda sans peine toutes les marques d'hon*
ueur qu'on lui demanda ; et dès ce jour, une porte fut
livrée à nés troupes. Le lendemain, premier jour de juillet,
la garnison sortit, partie parla brèche, qu'on accommoda
exprès pour leur en faciliter la descente, partie par la
porte vis-à-vis du Fort-Neuf. Elle étoit d'environ deux
mille cinq cents hommes, en douze régiments d'infante-
rie, un de cavalerie, et quelques compagnies franches de
dragons, lesquels, joints aux seize cents qui sortirent du
Fort-Neuf, faisoient le reste des neuf mille deux cents
hommes, qui, comme j'ai dit, se trouvoient dans la place
au commencement du siège. Ils prétendoient qu'ils en
34^ RELATION
avoient perdu huit ou neuf cents par la désertion; tout le
reste avoit péri dans TartQlerie ou dans les attaques.
Quelques jours avant que les assiégés battissent la
chamade, les confédérés étoient partis tout à coup de
Sombreff; et au lieu de faire un dernier effort, sinon pour
sauver la place, au moins pour sauver leur réputation, ils
avoient en quelque sorte tourné le dos à Namur, et étoient
allés camper dans la plaine de Brunehaut, la droite à
Fleuru, et la gauche du côté de Frasne et de Liberchies.
Pendant le séjour qu'ils y firent , le prince d'Orange ne
s'étoit appliqué qu'à ruiner les environs de Charleroy,
comme si dès lors il n*avoit plus pensé qu'à empêcher le
Roi de passer à de nouvelles conquêtes.
Enfin, le soir du dernier jour de juin, ils apprirent par
trois salves de Tarmée du maréchal de Luxembourg et de
celle du marquis de Boufflers , la triste nouvelle que Na-
mur étoit rendu. Ils en tombèrent dans une consternation
qui les rendit comme immobiles durant plusieurs jours,
jusque-là que le maréchal de Luxembourg s*étant mis
en devoir de repasser la Sambre, ils ne songèrent ni à le
troubler dans sa marche, ni à le charger dans sa retraite.
Il vint donc tranquillement se poster dans la plaine de
Saint-Gérard, tant pour favoriser les réparations les plus
pressantes de la place, et les remises d'artillerie, de mu-
nitions et de vivres qu'il y falloit jeter, que pour donner
aux troupes, fatiguées par des mouvements continueb,
par le mauvais temps, et par une assez longue disette de
toutes choses, les movens de se rétablir.
Le Roi employa les deux jours qui suivirent la reddition
du château à donner tous les ordres nécessaires pour la
sûreté d'une si importante conquête. Il en visita tous les
ouvrages et en ordonna les réparations. H alla trouver à
Floreff le maréchal de Luxembourg, qu'il laissoit avec
une puissante armée dans les Pays-Bas, et lui expliqua
DU SIÈGE DE NAMUR. 347
ses intentions pour le reste de la campagne. Il détacha
différents corps pour rAllemagne, et pour assurer ses
frontières de Flandres et de Luxembourg. Il avoit déjà
quelque quarante escadrons dans le pays de Cologne,
sous les ordres du marquis de Joyeuse, et il les y avoit
fait rester pendant tout le siège de Namur, tant pour
faire payer les restes des contributions qui étoient dues,
que pour obliger les souverains de ce pays-là à y laisser
aussi un corps de troupes considérable : ce qui diminuoit
d'autant Farmée du prince d'Orange.
Enfin, tous ses ordres étant donnés, il partit de son
camp le troisième de juillet, pour retourner, à petites
journées, à Versailles, d*autant plus satisfait de sa con-
quête que cette grande expédition étoit uniquement son
ouvrage; qu^il Tavoit entreprise sur ses seules lumières,
et exécutée, pour ainsi dire, par ses propres mains, à la
vue de toutes les forces de ses ennemis; que par l'éten-
due de sa prévoyance il avoit rompu tous leurs desseins,
et fait subsister ses armées; et qu'en un mot, malgré tous
les obstacles qu'on lui avoit opposés, malgré la bizarre-
rie d'une saison qui lui avoit été entièrement contraire,
il avoit emporté, en cinq semaines, une place que les plus
grands capitaines de TEurope avoient jugée imprenable,
triomphant ainsi, non-seulement de la force des rem-
parts, de la diflSculté des pays, et de la résistance des
hommes, mais encore des injures de Tair et de l'opiniâ-
treté, pour ainsi dire, des éléments.
On a parlé fort diversement dans l'Europe sur la con-
duite du prince d'Orange pendant ce siège ; et bien des
gens ont voulu pénétrer les raisons qui l'ont empêché de
donner bataille dans une occasion où il sembloit devoir
hasarder tout pour prévenir la prise d'une ville si impor-
tante, et dont la perte lui seroit à jamais reprochée. On
en a même allégué des motifs qui ne lui font pas bon-
348 RELATION DU S.IÉGE DE NAMUR.
neur. Mais à juger sans passion d*un prince en qui Ton
reconnott de la valear, on peut dire qu'il y a eu beau-
coup de sagesse dans le parti qu*ila pris. UexpérieDce do
passé lui ayant fait connottre combien il étoit inutile de
s^opposer à un dessein que le Roi conduisoit lui-même, il
a jugé Namur perdu dés qu'il a su qu'il Tassiégeoit en
personne. Et d'ailleurs, le voyant aux portes de Brnxdles
avec deux formidables années, il a cru qu'il ne devoit
point hasarder un combat dont la perte auroit enu^tné
la ruine des Pays-Bas, et peut-être sa propre ruine, par
la dissolution d'une ligue qui lui a tant coûté de peine à
former.
FIN DB LA BELATIOlf DU SIÈGE DB IfAMUB.
ÉPITRE
MADAME DE MONTESPAN
NOTICE.
VÈpàre qui suit se troure en tête des OEuvres disertes et un auteur
it ttpt Aiu, oe recueil de quelques lettres, réflexions morales, etc.,
da jeune duc du Maine, qui fut ofTert le i«' janvier 1679 à Mme de
Montespan, et dont nous avons dëjà parlé aux pages a37 et a38 de
notre tome IV. Là nous avons dit dVprès quels témoignages il n^
parait pas douteux que Racine ait , aussi bien que Boileau , prête
son concours à Mme de Maintenon lorsqu'elle prépara Pimpression
du petit livre. Nous avons cité le Uadrïgal que Ton regarde avec
tant de vraisemblance conune écrit par notre poète. A-t-on autant
de motifii de croire que Mme de Maintenon se soit également servie
de la plume de Racine, pour VÉpitre à Mme de MotfUespan?
C'est dans l'édition de Luneau de Boisjermain (tome VI, p. 4^7*
439) que cette Épure a été pour la première fois placée parmi les
Ouvrages attribué* à Racine, Au sujet de cette attribution, la Préface
des éditeurs^ qui est aux pages 369 et 370 du même tome, dit seule-
ment : M Nous avons placé après ces deux morceaux (la Harangue de
CMé Colbert et le Siège de Namur) une Épure dédieatoire faite par
Racine an nom de Mme de Maintenon, que quelques gens de let-
tres lui attribuent. »
35o ÉPlTRE A MADAME DE MONTESPAlf.
Les ëditeim de 1807 ne nous en apprennent pas beaucoup plus
dans leur Avertissement (royez les pages 35 et 36 de leur tome yil\
« Cette pièce, disent>ils, qui n^ëtait pas signée, fit bruit dans le
monde, et fut d*abord attribuée à Mme de Maintenon. Hais les gens
de goât ne tardèrent pas à penser que c*était FouTrage d^ane plame
encore plus habile et plus exercée que la sienne. Ils trouvèrent qoe
les louanges, qui n^ étaient pas ménagées, y étaient cependant pr^
sentées arec une délicatesse et relerées par une grâce d^expression
et une Tariété de tournure qui leur donnait tout le piquant de la
nouveauté. Ils en conclurent que Mme de Maintenon arait, dans cette
occasion, emprunté le secours de l'écrivain le plus distingué de iod
siècle, de celui qui avait le mieux étudié les finesses de la langae, et
qui en connaissait le mieux toutes les ressources. Cette pièce a néan-
moins été insérée dans le recueil des Lettres de Mme de Blaintenoo
donné en 1751 * (jfor la Beaumelle)\ mais l'éditeur des OEwrts com-
plètes de Raeiney publiées en 1768, n'a pas balancé à la comprendre
dans son édition, » Les auteiws de cet AvertUsetnent parient trèf-bicn,
ce nous semble, et avec beaucoup de justesse, des qualités littéraires de
cette Èpûrey qui disposent à la croire l'œuvre de Racine ; mais quant
aux témoignages positif, ils n'en allèguent aucun. Ils s'en rappor-
tent à Luneau de Boisjermain, et à des gens de goût y que d'ailleun
ils ne nonmient pas. Geollroy était plus disposé que les éditeurs de
1807 d'élever des doutes sur l'auteur de VÉpître à Mme de Monte*-
pan. « h''ÉpÙrey dit-il dans sa Préface (tome VII, p. 7), est an nom
de Mme de Maintenon : on y trouve beaucoup d'wprit, des éloges
du Roi tournés de la manière la plus fine ; mais il me semble qu'il
n'y a rien qui soit au-dessus de la portée de Mme de Maintenon :
une pareille fenmie n'avoit pas besoin de secrétaire. »
M. Aimé-Martin, au contraire, qui a reproduit dans son édition
V Avertissement de celle de la Harpe, en adopte l'opinion sor Fattn-
bution à Racine de VÉpitre dédïcatoire ; il est même plus afiBnnatif,
sans proposer toutefois de nouvelles preuves. Dans une note an bas
de la page 443 de son tome VI (édition de 1844) ^ dit : « Cette
Èpitre fut d'abord attribuée à Mme de Maintenon ; mais elle est
évidemment de Racine. » Nous ne saurions nous contenter d'une
décision dont les motifs ne sont pas donnés. Il faut sortir du vague
où sont restés les précédents éditeurs.
I . Il y a là une erreur de date. La première éditioii donnée par b Beia*
melle parut en I75a, à Nancy, eu deux vohunes ia-xa.
NOTICE. 35i
VÉpHre, quoique sans signature dans les Œuvres diverses tTun au-
teur de sept ans^ était ëcrite cependant comme au nom d'une femme,
qui n^aorait pu être que Mme de Maintenon. On crut même tout
d'abord qu'elle en ëtait Tauteur en effet. Au tome III des Nouvelles
de la république des lettres ^ imprimé à Amsterdam en i685, Tëcri-
vain (Bajle sans doute) qui rend compte, à la date de février i685,
article ix, p. igS et suirantes, des Œuvres diverses ttun auteur de
sept ans, s^exprime ainsi à la page 197 : «c [Ce livre] est dédié à
Mme de Montespan, et selon toutes les apparences c'est Mme de
Blaiiitenon qui a fait VÊpitre dedicatoire. Elle est tournée de la ma-
nière du monde la plus délicate. Il semble qu'on n'y touche pas,
00 qu'on ne veuille qu'effleurer. Cependant on loue jusqu'au vif,
et ou va loin en peu de paroles. » Les apparences ne trompèrent
pas longtemps les personnes bien informées. Dans une autre édi-
tion du même volume des Nouvelles de la république des lettres^
donnée également à Amsterdam , mais l'année suivante , cette note
sur le passage que nous venons de citer fut ajoutée au bas de la
page 207 : « On a su depuis qu'elle (yEpttre) a été composée par
M. Racine, mais c'est pour Mme de Maintenon. » Ce témoignage
est remarquable par sa date. Dès l'année 1686, on regardait Racine
comme le véritable auteur de VÉpitre dédicatoire.
L'autorité de Cizeron-Rival, qui a écrit beaucoup plus tard, n'a
pas, il s'en faut, le même poids. Cependant à l'occasion du Madrid
gai tiré des mêmes OBuvres diverses d'un auteur de sept ans, et inséré
dans notre tome lY, p. 288, nous avons dit que cette autorité n'était
pas sans quelque valeur, Cizeron ayant fait usage des notes recueil-
lies par Brossette, qu'avaient fournies à celui-ci ses entretiens avec
Boileau. Or voici comment Cizeron parle de VÉpitre à la page 181
de ses Récréations littéraires publiées en 1765: « Mme Scarron.... fit
imprimer ce petit recueil (les Œuvres diverses d^un auteur de sept ans),
et le dédia à Mme de Montespan. M. Racine en fit VÉpitre dédica^
foire, qui est fort belle, et que l'on sera d'autant moins fâché de
trouver ici qu'elle n'est pas imprimée dans les OEuvres de cet au-
teur. M Le texte qui est ensuite donné dans les Récréations litté'
reires diffère un peu de celui que nous avons dans les OEuvres
diverses d^un auteur de sept ans.
Sans tenir compte de l'affirmation très-expresse de l'auteur des
Nouvelles de la république des lettres, ni de celle de Cizeron-Rival,
M. le duc de Noailles, dans son Histoire de Mme de Maintenon (tome I,
352 ÉPlTRE A MADAME DE MONTESPAN.
à la note de la page 4779 édition de 1848)1 incline à rerendicpier
VÉpitrt pour IHllustre femme dont il raconte la vie. « M. Charles
Nodier, dit-il (voyez Mélanges tirés et une petite hiùliothè^ué)^ a cin
que cette Épttre dédicatoire avait éxé composée par Racine, et ce qoi
détermina son opinion, c'est que dans Texemplaire qui loi appar-
tenait (des OKuvres diverses ttun auteur de sept ans), le nom de Racine,
d*une écriture qui lui parut être de Racine lui-même, se tronvait ao
bas du deuxième madrigal, et que le nom de Mme de Maintenon se
trouvait de la même main au bas de V Épure; d'où il infère que Ra-
cine a marqué de cette manière les deux pièces qu'il avait composées,
tout en mettant le nom de Mme de Maintenon au bas de la lettre où
elle parle en son propre nom.... Ce raisonnement paraît peu con-
cluant, et le nom de Mme de Maintenon, même écrit par Racine,
pourrait prouver au contraire qu'il savait que la lettre était d'elle,
et qu'il levait ainsi sur cet exemplaire l'anonyme qu'elle avait gardé.
Rien ne nous démontre que Mme de Maintenon se soit crue obligée
d'emprunter la plume de Racine pour cette Épi'tre^ qu^elle étoit fort
en état de rédiger elle-même, et où l'on reconnaît en effet la grâce
ordinaire de son style et un ton que tout antre écrivain â sa place
aurait pris difficilement. » Nous avons déjà parlé (tome FV, p. s38)
de cet exemplaire de Charles Nodier. L*authenticité des signatoret
qu'il y avait trouvées, et qui lui semblaient être de la main de Ra-
cine, est difficile à admettre, puisque l'une d'elles, nous l'avons dit,
forcerait d'attribuer à Racine un madrigal qui est bien plus rm-
semblablement de Boileau. Il faut quelquefois se défier des autogra-
phes dont l'origine est sans preuves suffisantes. Mais quand récri-
ture de Racine ne laisserait pas de doute en cette occasion, nous
trouverions assez plausible l'explication que Charles Nodier donnait
du nom de Mme de Maintenon mis au bas de VÉpûre. H était na-
turel que Racine n'y écrivît pas le sien, et qu'il ne dépouillât pas de
l'honneur de ce petit ouvrage celle à qui il avait prêté sa plume. On
ne reprend pas ce qu'on a donné.
Mais tout raisonnement paraîtra superflu en présence d'un té-
moignage bien moins équivoque assurément que celui de l'exem-
plaire de Charles Nodier, et plus irrécusable encore que cew
dont nous avons jusqu'ici parlé. Ce témoignage, nous l'avons trooté
au tome II, p. a6, de la Correspondance générale de Mme de Mm-
tenon, publiée par M. La vallée, tome qui a paru en i865, et quepir
conséquent nous ne connaissions pas lorsque a été imprimée notrr
NOTICE. 353
Notkt biographique sur Jean Racine, Autrement noog n^j aurions pas,
à la page io8, parlé sous une forme aussi dubitative du T^ritable
auteur de VÈpùre dédieatoire. On sait (pie M. LaraUée a eu entre
les mains l'exemplaire des Lettres de Mme de Maintenons publiées par
la Beanmelle, qui a appartenu à Louis Racine, et sur lequel celui-
ci a écrit quelques remarques. Dans la JVote préliminaire que M. La-
vallée a mise en tête de VÉpitre dont nous nous occupons, il dit :
« Louis Racine écrit à la marge de son exemplaire des lettres pu-
bliées par la Beaumelle : Cette lettre a été faite par mon père. » Voilà
ce qui ne laisse plus guère d^incertitude. Nous devions toutefois
laiflser VÉpitre à Mme de Montespan parmi les Ouprages attribués^ avec
tous les écrits que Racine a destinés à paraître sous un autre nom
que le sien.
Le texte que nous donnons est conforme à celui du volume inp4®,
qui a pour titre : Œuvres diverses d'un auteur de sept ans^ ou : Meeueii
des ouvrages de M. le due du Majne^ qu^il a fait [sic) * pendant Vannée
1677 et dans le commencement de 1678. Le second de ces titres se
troore seulement an dixième feuillet. En tête de VÉpitre dédiea-
toire il n'j a que ces mots : A Madame de Montespan. Le mot Epistre
m en titre courant. Nous indiquerons dans les notes les variante*
tirées du texte de Cizeron-Rival ; parmi ces variantes, plusieurs tout
aa moins ne sauraient être attribuées a une transcription inexacte,
et elles ont quelque intérêt, parce que le texte de Cizeron doit venir
d'une ancienne copie, ou l'on peut conjecturer que se trouvait la
première rédaction de VÉpitre^ avant les corrections que l'auteur j
fît au moment de l'impression.
MADAME DE MONTESPAN
Madamk,
Voici le plus jeune des auteurs qui vient vous demander
^otre protection pour ses ouvrages. Il auroit bien voulu at-
J. RAcnn. V ^3
354 ÉPtTRE
tendre pour les mettre au jour* qu'il eût huit ans accomplie.
Mais il a eu peur qu'on ne le soupconn&t d'ingratitude s'il
étoit plas de sept ans au monde sans vous donner des marques
publiques de sa reconnoissance.
En effety Madame , il vous doit une bonne partie de tout ce
qu'il est. Quoiqu'il ait eu une naissance assez heureuse, et
qu'il y ait eu peu d'auteurs que le ciel ait r^ardés* aussi favo-
rablement que lui , il avoue que votre conversation a beau-
coup aidé à perfectionner en sa personne ce que la nature
avoit commencé. S'il pense avec quelque justesse, s'il s'ex-
prime avec quelque grâce, et s'il sait déjà faire un assez juste
discernement des hommes, ce sont autant de qualités qu'il i
tâché de vous dérober. Pour moi , Madame , qui conuois ses
plus secrètes pensées, je sais avec quelle admiration il \oa>
écoute ; et je puis vous assurer avec vérité qu*il vous étudie '
beaucoup plus volontiers que tous ses livres.
Vous trouverez, dans l'ouvrage que je vous présente, quel-
ques traits assez beaux de l'histoire ancienne ^. Mais il craint
que, dans la foule d'événements' merveilleux qui sont arrirés
de nos jours , vous ne soyez guère touchée de tout oe qu'il
pourra ' vous apprendre des siècles passés. Il craint cela avec
d'autant plus de raison , qu'il a éprouvé la même chose' es
lisant les livres. Il trouve quelquefois étrange que les homaie)
se soient fait une nécessité d'apprendre par cœur des aoteors
qui nous disent des choses si fort au-dessous ' de ce que nous
voyons. Comment pourroit-il être frappé des victoires des
Grecs et des Romains, et de tout ce que Florus et Justin lui
racontent*? Ses nourrices ^^, dès le berceau, ont accoatnoié
I . « Pour les mettre au jour » ma&nque dans Cizeron-Ri^-
1. Dans les Œuvres diverses eTun auteur de sept ans, il y a regarde,
Aans accord.
3. <c Et je vois avec plaisir qu'il vous étudie. » (CizeroihBiif^-)
4. « Ancienne » manque dans le texte de Cizeron-Rival.
5. t Des ëvënements. a (Cizeron-Âipai,)
6. « De ce quUl pourra, a (Ibidem,)
y. «( Qu'il a éprouvé qu'il penaoit de même. » (liidem.)
8. « D'apprendre par cœur des récita si fort au-dessous. » {Ih^-
9. « Noua racontent. » {ibidem.)
10. M Les nourrices. » (Jbidtm,)
A MADAME DE MONTESPAN. 355
ses oreilles à de plus grandes choses*. On lui parle, comme
d'un prodige , d'nne ^ille que les Grecs prirent en dix ans.
Il n'a que sept ans , et il a déjà vu chanter en France des Te
Dettm pour û prise de plus de cent villes.
Tout cela, MADAiOy le dégoûte un peu de l'antiquité. Il est
fier naturellement. Je vois bien qu'il se croit de bonne mai-
son. Et avec quelques éloges qu'on lui parle d'Alexandre et
de César *9 je ne sais s'il voudroit faire aucune comparaison
avec les enfants de ces grands hommes. Je m'assure que vous
ne désapprouverez pas en lui cette petite fierté , et que vous
trouverez qu'il ne se connoit pas mal en héros. Mais vous
m'avouerez aussi que je ne m'entends pas mal' à faire des pré«
sents, et que dans le dessein que j'avois de vous dédier un
livre, je ne pouvois choisir un auteur qui vous fût plus agréa-
ble, ni à qui vous prissiez plus d'intérêt qu'à celui-ci. Je suis,
Madàmb ,
Votre très-humble et très-obéissante servante,
I . « A de plus grandes actions, m {jCizeron-Rîpol,)
3. « On de César. » (Ihidem.)
3. Les éditions de Loneaa de Boisjermain (1768), de la Harpe,
de Geoffroy et d'Aimé-Martin ont: « qae je n'entends pas mal. »
4. « Votre très-humble servante , ScAaaov. » (CtMran-iliVa/.)
HARANGUE
FAITB AU BOI
PAR L'ABBÉ COLBERT
NOTICE.
Louis RAcnn a place cette harangae parmi les Ouvrages ottr^mt
à Jean Racine^ aux pages 81-89 du volume quUl a fait imprimer eo
1747 en appendice à ses Mémoires, U « n^a poblië le discount ^^
Geoffroy (tome VII, p. 6), que parce qu'il Ta tronyë dans la ma-
noscfits de son père. » L'assertion de cet éditeur n'est pas justifiée.
Nulle part Louis Racine ne dit rien de semblable. L'éditeur de 180;,
d'ordinaire plus exact que GeofTroj, ne l'a cependant pas ixi ttwt
à fait, ce nous semble, en cette occasion. « Les personnes les mieiu
informées, dit-il dans son jivertusement (tome Vil, p. 4)« ^'^
tamment Boileau, ont assuré que ce discours avait été composa par
Racine. C'est d'après ce témoignage que Louis Racine eo pv^^
dans ses Mémoires sur la vie et les ouvrages de son père, p. ioi->
Dans le passage que Ton cite de ses Mémoires^ et qu'on troaTera «
la page aSa de notre tome l, Louis Racine n'aUègue point le té-
moignage de Boileau : il y parle seulement de quelques perse»a
éciairées, que d'ailleurs il ne nomme pas. An dire de ces persoaoeSt
Racine était l'auteur de la Harangue au Boi qui « fut proooocre
par une autre bouche que la sienne en i685, et se trouTcdu^
les Mémoires du clergé, »
NOTICE. 357
L Membert, dans VÉio^e de Jacques-Nicolas Cothert (tome II de
* Histoire des membres de V Académie française) ^ dit à la page 876 : « On
usare quUl eut recours k Racine pour composer sa harangue. »
Mais, après Louis Racine, nous ne saurions Toir en d^Alembert un
témoin nouveau. Une note qu'il a mise au bas de la même page
donne k croire qu'il ne connaissait d'autre preure de cette attribu-
tion a Racine que le passage des Mémoires de son fils, et l'insertion
du diicours parmi les Ouvrages attribués que celui-ci avait fait im-
primer en 1747- C'est toujours à Louis Racine, et à lui seul, qu'il
en faut revenir; mais son autorité est ici d'un grand poids; et
quoiqu'il ne veuille rien affirmer, et nous laisse ignorer comment
son opinion sVtait formée , il est évident qu'il la croyait bien fon-
dée, tenant sans doute le fait de bonne source. Il 7 a d'ailleurs dans
la harangue un mérite littéraire qui est une preuve d'un autre
genre, et tout aussi forte. Sans faire tort à l'abbé Colbert, et sans
oublier qu4l était alors depuis sept ans déjà un des quarante de
l'Académie française, où il était entré à l'âge de vingt-quatre ans,
il est permis de douter qu'il eût un si remarquable talent d'écrivain.
Dans les diverses éditions des Œuvres de notre auteur on a donné
ce discours d'après le texte de Louis Racine. Dans ce texte cepen-
dant il sVtait glissé quelques inexactitudes. Celui que le lecteur
trouvera ici est conforme à l'édition originale, pièce in-4*' àe dix
pages, qui a pour titre : Harangue faite au Roy à P'ersaiUes le vingt et
unjuiilet M.DC.LXXXf^^ par Monseigneur miustrissime et reverendis-
iime Jacqubs-Nicoias Colbxbt, arehevesque et primat de Carthage,
eoadjuieMsr derarehêvciché de Rouen, Assisté de Messeigneurs les arche-
MsqueSf évesquês et autres députés de rassemblée générale tenOe à Saint-
Germain en Laye en ladite année mil six cens quatre" vingt-cinq. En pre-
»ant congé de Sa Majesté. A PariSf de timprimerie de Frédéric Léonard^
in^rumeur ordinaire du Roy...» M.DCLXXXF, Louis Racine renvoie
aux Mémoires du clergé. En effet, le discours de l'abbé Colbert se
trouve aussi à la page 798 du Recueil des Actes, Titres et Mémoires con^
cernant les affaires du Clergé de France^ à Paris y chez Pierre Simon,
M.DCC,XL. C'est de ce volume (in-folio) que Louis Racine a sans
doute fait usage ; mais sa transcription n'a pas été complètement
fidèle, puisque ce texte de 1740 est conforme à celui de i685. Un
troisième texte semblable existe aux pages ^49'%$^ du Procez'verbal
de Rassemblée générale du clergé de France, teniie à Saint-Germain en
Lt^e au Chasteauneuf, en Vannée mil six cens quatre-vingt-cinq. A Pa-
358 HARANGUE DE L'ABBÉ GOLBERT.
riSf chez Frederie Léonard».,, M,DC. IJCXXX^ un Tolmne m-folio.
La banngne y est précédée (p. 948) de ces quelques mots dVer-
tissement :
« Du mesme jour de reler^e (stmtedif vingt^unième jmilet), Va-
semblée s^estant rendue à Versailles dans la salle des ambasn-
deurs qui aroit este préparée pour la recevoir, et Messieon les
agens Payant avertie que le Royestoit prest à luy donner audience,
M. le marquis de Sei^elay, secrétaire d^Ëstat, est renu la prendre,
avec M. le marquis de Blainrille, grand maître des cérémonies;
on est allé à la chambre du Roy ; les gardes estoient en baye loos
les armes, et les officiers à leur teste. Les deux battants de porte
ouverts, et toutes choses disposées en la manière ordinaire, Mon-
seigneur le coadjuteur de Rouen a porté la parole et a dit. »
Ces anciennes éditions nous apprennent, comme on a pu le remar-
quer, que Tabbé Colbert prononça son discours le ii juillet 168S. Là
note suivante, qui a passé de Tédition de 1807 (tome VII, p. s4)
dans celle de M. Aimé-Martin, contient donc une évidente et gisTe
erreur: « Le principal objet de ce discours était de remercier
Louis XIV de Tédit du ii octobre i685, portant révocation de
celui de Nantes. » Comme nous Pavons déjà fait remarquer dans
VAvertiuement placé en tête de notre tome I, à la page xn,
M. Aimé-Martin a aggravé Terreur de cette note, en y ajontant
quelques lignes où il dit que le plus grand poète de la France n a
pu se rendre coupable d^une action déplorable, et qu^il vaut mieux
croire que Louis Racine a été mal informé. 0 faut avoir lu avec
distraction la harangue du coadjuteur de Rouen, pour n^en aroir
pas reçu une impression toute contraire. D^Alembert ne s'y est pas
trompé, n a été frappé des emue'ds de chariié évangélique qu'avait
f«iit entendre l'abbé Colbert dans son discours; il y a trouvé m« It-
çon importeutte et chrétienne donnée au Roi, une leçon 9reimeMt £^
du miniitre d'un Dieu de paix. Bien loin en effet d'encourager les vio-
lences de la persécution, l'orateur disait : « Qnelque intérêt qœ
nous ayons à l'extinction de l'hérésie, notre joie l'emporteroit peo
sur notre douleur, si pour surmonter cet hydre, une fâcheuse né-
cessité avoit forcé votre zèle à recourir au fer et au feu, comme 00
a été obligé de faire dans les règnes précédents.... Nous gémirions
en secret sur un triomphe qui, avec la défaite des ennemis de TE-
glise, envelopperoit la perte de nos frères. • Un pareil langage en
ce temps-là était assez significatif; il demandait un vrai coorafe.
NOTICE. 359
et fait honneur à Racine aussi bien qn^an prélat qui en prenait la
responsabilité. On a sourent dit qne tons les grands hommes du
dix-septième siècle araient approuré les rigueurs de Louis XIV
contre Vhéréaie ; il est bon de montrer que parmi ceux dVntre eux
qui aTaient le plus de religion, des exceptions doivent être notées.
Ni Fënelcm, ni Saint-Simon, ni Racine n'ont aimé les dragonnades.
Sue y
Le clergé de France , qui ne s'approchoit antrefois de ses
sooTerains qne ponr leur retracer de tristes images de la reli-
gion opprimée et gémissante, vient aujourd'hui, la reconnois-
sance et la joie dans le cœur , faire parottre à Votre Majesté
cette même religion toute couYerte de la gloire qu'elle tient
de Yotre piété.
Elle a parUy durant plus d'un siècle, sur le penchant de sa
ruine ; on l'a Yue déchirée par ses propres enfants, trahie par
ceux qui dévoient la soutenir et la défendre, en proie à ses
plus cruels ennemis. Enfin, après une longue et funeste op*
pression, elle respira peu de temps avant votre naissance heu.
reuse; avec vous elle commença de revivre, avec vous elle
monta sur le tr6ne. Nous comptons les années de son accrois-
sement par les années de votre règne , et c'est sous le plus
florissant empire du monde que nous la voyons aujourd'hui
plus florissante que jamais.
Si elle se souvient encore de ses troubles et de ses malheurs
passés, ce n'est plus que pour mieux goûter le parfait bon-
heur dont vous la faites jouir : elle est sans agitation et sans
crainte à l'ombre de votre autorité; elle est même, si j'ose
ainsi dire, sans désirs, puisque votre zèle ne lui laisse pas le
temps d'en former^ et que votre bonté va si souvent au delà de
ses souhaits.
Ce zèle ardent pour la foi, cette bonté paternelle dans tous
les besoins de T Église, qualités si rares dans les princes, font,
SiBE, le véritable sujet de nos éloges.
Nous laissons à vos autres* sujets assez d'autres vertus à
I. Dans le texte de Louis Racine, qui est aussi le texte des édi-
)6o HARANGUE DE UABBÉ GOLBERT.
admirer en tous. Les ans vous représenteront comnie on mo-
narque bienfaisant, libéral, magnifique, fidèle dans ses pro-
messes, ferme et inflexible contre toute sorte d'injustice, droit
et équitable jusques à prononcer contre ses propres intérêts,
véritablement maître de ses peuples, et plus maître encore de
lui-même.
Les autres tous respecteront ^ comme un roi toujours sage
et toujours yictorieux , dont les impénétrables desseins sont
plus tôt exécutés que connus; qui ne règne pas seulement sur
ses sujets par son autorité souveraine , mab sur son conseil
par la supériorité de son génie, mais sur les cours' de ses
voisins par la pénétration de son esprit et par la sagesse dont
U sait instruire ses ministres ; qui pouvant tout par lui-même,
sait se passer des plus grands hommes, et sans eux résoudre»
entreprendre, exécuter ; qui donne la loi sur la mer aussi faiea
que sur la terre ; qui lance, quand il lui plaît, la foudre jus-
que sur les bords de l'Afrique ; qui sait à son gré humilier les
nations superbes , et réduire des souverains à venir aux pieds
de son tr6ne, reconnoltre son pouvoir et implorer sa clé-
mence*.
Vos ennemis mêmes, Siab, ne peuvent s'empêcher de louer
vos actions héroïques; ils sont contraints d'avouer que rieo
n'est capable de vous résister, et le mérite du vainqueur adou-
cit en quelque sorte le malheur des vaincus.
Ce n'est pas à nous, Siax, à parler des progrès étonnants de
vos armes triomphantes : nous ne devons pas confondre l'éclat
d'une valeur qui n'est que l'objet de l'adnuraûon des hoaunes,
avec ces œuvres saintes qui sont en estime devant Dieu. Le
clergéy Siab, s'attachera surtout à louer en vous cette piété
tient de la Harpe, de Geoffiroy et d'Aimé-Martio, le mot maint
a été omis.
I . Quoique le texte de Louis Racine ait bien : « tous respecte-
ront, w on a imprimé par erreur dans Tédition de 1807 : « vous
représenteront. » M. Aimé-Martin a reproduit cette faute.
9. Au lieu de Us cours y il y a /«i cœurs dans le texte de Louis
Racine.
3. Allusion aux soumissions qu'au mois de mai de cette même
année le doge de Gènes étoit venu faire à Louis XIV. Vojex ci-
dessus, p. laS, note 3.
HARANGUE DE L'ABBÉ COLBERT. 36i
qui toujours attentive aux intérêts de la religion, n'omet rien
de ce qui peut être nécessaire pour la relever dans les lieux
où elle est abattue, pour l'étendre au delà des mers dans les
liens où elle est inconnue, pour la faire triompher dans Tun
et l'autre monde.
Mais, que dis-je, TÉglise ne doit-elle pas elle-même con-
sacrer des victoires que vous avez si heureusement fait servir à
la propagation de la foi et à l'extinction de l'hérésie ? Il sem-
ble que vous n'ayez combattu et triomphé cpie pour Dieu , et
le fruit que vous tirez * de la paix nous fait assez connoître
qael ctoit le principal but de vos victoires. C'est par ces vic-
toires que vous avez établi cette redoutable puissance qui, te-
nant désormais vos vobîns en bride, 6te aux hérétiques de
votre royaume, et Faudace de se révolter, et l'espoir de se
maintenir par de séditieux commerces avec les ennemis de
l'Eut.
Si c'eût été la seule ambition qui vous eût armé , jusqu'où
n'aoriez-vous point étendu votre empire ? Vous vous êtes hâté
de finir la guerre, lorsque vous en pouviez tirer de plus grands
avantages. Ne sait-on pas que ce n'a été que par l'empresse-
ment que vous aviez de donner tous vos soins au progrès de
la religion? La conversion de tant d'âmes engagées dans l'er-
reur vous a paru la plus belle de toutes les conquêtes, et le
triomphe le plus digne d'un roi très-chrétien.
Mais quelle que soit votre puissance , elle a voit encore be-
soin du secours de votre bonté. C'est en gagnant le cœur des
hérétiques que vous domptez l'obstination de leur esprit;
c'est par vos bienfaits que vous combattez leur endurcissement ;
et ils ne seroient peut-être jamais rentrés dans le sein de
l'Église par une autre voie que par le chemin semé de fleurs
que vous leur avez ouvert.
Aussi faut-il l'avouer, Sire, quelque intérêt que nous ayons
à Textinction de l'hérésie, notre joie l'emporteroit peu sur
notre douleur, si pour surmonter cet hydre ' , une fâcheuse
nécessité avoit forcé votre zélé à recourir au fer et au feu ,
I . Dans le texte de Louis Racine : « que tous avez tiré. »
9. Louis Racine a mis : « cette hydre. » Nous suivons le texte
des anciennes éditions, que justifie plus d^un exemple.
36a HARANGUE DE L'ABBÉ GOLBERT.
comme on a été obligé de faire dans les r^nes précédents.
MoQS prendrions part à une guerre qui seroit sainte, et nous
en aurions quelque horreur, parce qu'elle seroit sanglaDte;
nous ferions des vœux pour le succès de vos armes sacrées,
mais nous ne verrions qu'avec tremblement les terribles aé-
cutions dont le dieu des vengeances vous feroit rinstmment
redoutable ; en6n nous mêlerions nos voix aux acclaooadoQS
publiques sur vos victoires, et nous gémirions en secret sur on
triomphe qui, avec la défaite des ennemis de l'Église, enve-
lopperoit la perte de nos frères.
Aujourd'hui donc que vous ne combattez l'oi^eil de Thé-
résie que par la douceur et par la sagesse du gouvernement,
que vos lois, soutenues de vos bienfaits, sont vos seules armes,
et que les avantages que vous remportez ne sont dommagea-
bles qu'au démon de la révolte et du schisme , nous n'avons
que de pures actions de grÀces à rendre au ciel, qui a inspiré
à Votre Majesté ces doux et sages moyens de vaincre l'erreur,
et de pouvoir, en mêlant avec peu de sévérité beaucoup de
gr&ces et de faveurs, ramener à TÉglise ceux qui s'en trou-
voient malheureusement séparés.
Nous le confessons, Sibe, c'est à Votre Majesté seule qœ
nous devons * bientôt le rétablissement entier de la foi de nos
pères : aussi ne falloit-il pas que l'Ëtat vous devant déjà son
salut et sa gloire, l'Église dût à un autre qu'à vous sa victoire
et son triomphe; sans cela, votre règne, que le ciel a voulu
qu'il' fût un règne de merveilles, auroit manqué de son plus
bel ornement. On auroit bien dit un jour de Votre Majesté ce
que l'Écriture dit de plusieurs grands rois de Juda : < H a ter-
rassé ses ennemis, et relevé la monarchie ; il a autorisé et ré-
formé les lois; il a fait régner la justice; » mais on aurrat
ajouté ce que le saint Esprit reproche à ces princes : c II n'a
pas aboli les sacrifices qui se faisoient sur la montagne. »
I . Les plus récentes éditions ont suhstitaé « nous devroDS » à
« nous devons, » qui est le teTcte de Pédition originale aussi bieo
que de celle de Louis Racine.
». Les éditions de la Harpe, de Geoffroy et d'Aimë-Marttn rem-
placent « qu'il » par « qui. » On pourrait bien en effet regarder fir'i/
comme une faute d'impression.
HARANGUE DE L'ABBE COLBERT. 363
Qoe votre nom, Sisb, sera éloigné de ce reproche ! Ce qne
votre zèle a déjà fait, la postérité le regardera toujours comme
la source de vos prospérités et le comble de votre gloire.
Mais ce n'est pas an rétablissement des temples et des autels
que se borne votre zèle : vous avez entrepris de faire revivre
la piété et les bonnes mœurs, et c'est à quoi Votre Majesté tra-
vaille avec succès, autant par son exemple que par ses or-
dres. C'est un honneur maintenant de pratiquer la vertu, et si
le vice n'est pas tout à fait détroit, au moins est-il réduit à
se cacher, et les voiles dont il se couvre épargnent aux gens
de bien un fâcheux scandale, et sauvent les Ames foibles du
péril d'une contagion funeste.
Ne pensons plus à ces jours de ténèbres , où la plupart de
ceux qui étoient encore dans le sein de l'Église sembloîent n'y
être demeurés que pour l'outrager de plus près; où les blas-
phèmes et les railleries de ce qu'il y a de plus saint éclatoient
avec audace : ces monstres d'infidélité ont disparu sous votre
règne heureux ; et si les remontrances, tant de fob réitérées
snr ce sujet, ne nous donnoient connoissance de ce désordre,
nous l'ignorerions à jamais. *
Qu'est devenu cet autre monstre produit par l'esprit de
vengeance, toujours altéré du sang des hommes, mais plus en-
core de celui de la noblesse françoise? Nous n'avons qu'à le
laisser dans l'oubli étemel où, depuis tant de temps, voos
l'avez enseveli. Vous l'avez étouffé, tout indomptable qu'il pa-
roissoit ^. Votre Majesté a su renverser les fausses maximes de
Thonneur et de la honte ; et autant qu'une détestable erreur
avoit mis de fausse gloire à se venger, autant y auroit-il
d'ignominie à ne vous pas obéir : c'est ainsi que votre volonté
seule l'emporte sur la coutume invétérée du mal, et sur le
penchant criminel des hommes.
Le clergé ne se dispose plus qu*à être le spectateur de la
fin de toutes vos saintes entreprises, après en avoir admiré de
si heureux commencements; il cesse d'user de remontrances ;
s'il a encore quelques besoins, vous les connoissez : cela lui
suffit. Il vient encore de ressentir en cette assemblée d'insignes
I. La d<k}laration du mois d'aoât 1679 pour la répression des
daeb. (^Note de Sédition de 1807.)
364 HARANGUE DE L'ABBÉ COLBERT.
effets de votre protection royale , et persuadé que vous Im
avez destiné une longue suite de grâces dans d'autres temps,
et avec les circonstances dont vous seul les savez si bien ac-
compagner, il craindroit par ses demandes, ou de troubler
Tordre que votre sagesse y a établi , ou peut-être de mettre
des bornes où votre zèle n*en a point mis.
L'unique affaire qui nous occupe, c'est l'obligation de ren-
dre à Vptre Majesté de très-humbles actions de grâces. Après
un si juste devoir, assurés que nous sommes de votre pois-
sante protection , nous pouvons nous séparer sans inquiétade.
Nous allons dans les provinces de votre royaume faire retentir
les louanges que TÉglise doit à votre zèle. Chaque pasteor
aura la joie de retrouver, par vos soins, son troupeau plos
nombreux qu'il ne l'avoit laissé, et chacun de nous redoablen
ses vœux pour obtenir du ciel qu'il redouble ses bénédictions
en faveur d'un prince qui se les attire par des actions si glo-
rieuses, et si utiles à la religion.
FACTUMS
POUR LE MARÉCHAL DE LUXEBfBOURG.
NOTICE.
Qa peut s'étonner qne dans aucune des précédentes éditions de
Racine il n*ait été parlé des Faetums poor le maréchal de Luxem-
boorg. Assorément, par leur importance et par la valeur du témoi-
gnage sur lequel s'appuie l'opinion que Racine j a eu part, ils mé-
ritaient tout au moins une mention, et y avaient bien plus de droit
que le Chapelain décoiffé et V Arrêt burlesque^ nommés par les éditeurs
de 1768 (tome VI, p. 435 et 436) et par ceux de 1807 (tome VII,
p. 37 et 38) parmi les pièces qu'il fallait sinon donner, du moins in-
diquer, n est vrai qu'au temps de ces éditeurs les Mémoires de Saint-
Simon n'avaient été publiés que très-incomplétement , et n'étaient
pas lus comme ils le sont maintenant. Nous aurions aujourd'hui
été averti de toutes parts, si nous avions laissé passer, sans le re-
marquer, le passage suivant de ces Mémoires (tome I, p. i45) : « Le
célèbre Racine, si connu par ses pièces de théâtre et par la corn-
oûssion où il étoit employé lors pour écrire l'histoire du Roi, prêta
sa belle plume pour polir les Faetums de M. de Luxembourg, et en
réparer la sécheresse de la matière par un style agréable et orné,
pour les faire lire avec plaisir et avec partialité aux femmes et aux
courtisans. H avoit été attaché à M. de Seignelay, étoit ami intime
de Givoye, et tous deux l'avoient été de M. de Luxembourg, et
CsToye l'étoit encore. » Dans le même sens que cette dernière
pbrase de Saint-Simon, nous avons eu occasion (tome I, p. 11 5)
366 FACTUMS
de parler des liaisons de Racine avec le parti que le maréckal de
Luxembourg avait tu se former à la cour autour de lui.
Parmi les Faetums qui ont été composés pour M. de Luxembourg
dans son procès en préséance contre seize pairs de France, quels
sont ceux auxquels on peut croire que Racine a prêté le secours de
sa belle plume? Saint-Simon les a-t-il clairement désignés? Peut-on
les trouver encore aujourd'hui ?
Avant d'examiner ces questions, nous devons dire quelques mots
de ce procès de préséance , que les Mémoires de Saint-Simon ont
d'ailleurs sauvé de l'oubli, et qui, suivant une de ses expressions ',
« partialisa le monde avec de grands éclats. » On trouve l'exposé
du sujet et des diverses phases du débat dans plusieurs des Mémoires
et des Faetums publiés par les deux parties, et, avec plus de détails,
surtout sous une forme plus vive et plus piquante,dans les Mémairu
de Saint-Simon et dans une des notes qu'il avait écrites sur le
/our/ia/ de Dangeau (voyez ce Journal^ à la date du 3i janvier 1689,
tome II, p. 3 16-819). Saint-Simon étant dans toutes les mains, nom
aurons à lui emprunter seulement ce qui se rapporte à l'histoire des
Faetums et ne se trouve pas ailleurs ; quant aux origines de la con-
testation, il snflfira de les indiquer brièvement d'après une ancienne
pièce manuscrite que nous trouvons aux Archives de l'Empire, dans
le Recueil concernant Us dues et pairs ^ volume YIII, coté KK« $99.
Cette pièce est intitulée : Extrait des Mémoires faits pour et contre
Monsieur de Luxembourg. On j lit aux folios 489 et 490 cet exposé
des faits préliminaires de la cause :
c En 1576, au mois de septembre, le roi Henri III érigea le du-
ché de Piney pour François de Luxembourg^ ses successeurs et ûj-mts
causcy tant mdles que femelles, en quelque degré que ce soit, fils ou fUleSf
ou ceux qui viendront /Peux, mdles et femelles, ou ses autres hs'ritien os
ayants cause. Ces lettres furent registrées au Pariement le 19 dndit
mois et an.
« En 1 58 1, an mois d'octobre, le Roi accorda au même Françoîi
de Luxembourg, duc de Pinej, la pairie pour lui, ses hoirs et sne-
cesseurs i^ales ou femelles et ayants cause, ce qui fat registre an
Parlement le 3o décembre suivant.
« Ce François de Luxembourg ne laissa qu'un fib, Heniy de
Luxembourg, duc de Piney, pair de France ; et une fille, Margae-
1. Journal de Dangean, tome II, p. 319, à U note.
POUR LE MARECHAL DE LUXEMBOURG. 367
rite de Luxembourg, dont est descendu M. le duc de Gesvres. Henry
mourut en 1616 et ne laissa qu'une fille unique, Charlotte-Margue-
rite de Luxembourg, duchesse de Piney, princesse de Tingry.
c En i6so, elle fut mariëe, par contrat du 5 juillet, avec Mes-
sire Léon d'Albert, seigneur de Brantes, chevalier des ordres du
Roi, à cause d'elle duc de Piney, pair de France. Il fut dit par ce
contrat qu'il porteroit, et ses enfants, le nom et les armes de Luxem-
bourg, et que le fils aSné seroit après eux duc de Piney, pair de
France. U obtint des lettres patentes, le 10 juillet de la même an-
née, pour être reçu au Parlement, comme ayant cause de sa femme,
et fut effectivement reçu, le 8 février i6si, au rang de l'érection ci-
dessus rapportée. II paroit qu'au lit de justice du 3 avril de la même
année il eut séance après le duc d'Uzès ou de Retz ', et avant les
ducs de Montbazon, qui avoit rang de iSgS, et de Lesdiguières de
i6ao. U mourut en i63o. De son mariage sortit un fils interdit et
hors du monde, et une fille. Sa veuve se remaria, au mois de juin
i63i, avec Henry de Clermont, à cause d'elle duc de Piney, pair de
France, qui n'a point été reçu au Parlement. De ce second mariage
sortit, pour unique héritière, Magdelène-Charlotte-Bonne-Thérèse
de Clermont de Luxembourg, mariée en 1661 à François-Henry de
Montmorency, duc de Luxembourg et de Piney, pair de France, en
conséquence de son contrat de mariage, par lequel les père et mère
de sa femme se dévêtirent en leur faveur, du consentement du fils
du premier lit, et en présence de la fille, lors religieuse, chanoinesse
de Ponssay, à condition néanmoins que ladite Magdelène-Charlotte-
Bonne-Thérèse venant à décéder sans enfants, son mari resteroit, sa
vie durant, duc de Piney, pair de France, qu'ensuite ledit duché et
pairie retoumeroit aux père et mère de la dame sa femme, et pas-
seroit après à Henry-Léon d^Albert de Luxembourg, fils du pre-
mier lit de Charlotte-Marguerite de Luxembourg, puis iroit aux
héritiers de Marguerite de Luxembourg, mariée au marquis de
Gesvres.
c En 1661, au mois de mars, le Roi accorda à M. le duc de
Luxembourg des lettres patentes, scellées en cire verte, pour au-
I . On explique cUiu 1« grand Factum pour Monsieur de Luxembourg que
oe fut après le duc d'Usés, et non après le duc de Retz, que Léon d'Albert eut
aéaice, et l'on en donne d'irrécusables pveoTes. La confusion des noms était
vcnoe d'ane erreor dn commis dn greffe.
368 FACTUMS
toriser son mariage, porter le nom et les armes de Luxembourg
avec celles de Montmorency, jouir du duché de Piney et pairie de
France, ses hoirs maies et femelles, i
Le duc de Luxembourg ayant poursuivi Tenregistrement de ces
lettres patentes de 1 66 1, il y eut opposition formée par les ducs et
pairs, qui prétendaient quUl ne pouvait avoir rang ni séance en sa
qualité de duc et pair que du jour de sa réception. Un arrêt dn
ao mai i66a ordonna quUl serait incessamment procédé a la récep-
tion de M. de Luxembourg, sans préjudice des droits des ducs et
pairs dans la question de préséance, laquelle demeurait dans son
entier. U fut décidé que jusqu^à ce que Topposition des ducs et
pairs eût été jugée, M. de Luxembourg n*aurait rang et séance en
la cour en sa qualité de duc et pair que du jour de sa réception.
En exécution de cet arrêt du ao mai i66a, M. de Luxcmbooi^
prêta serment le a a du même mois ; mais, depuis ce temps, iléviu
de prendre séance en la cour.
Les ducs et pairs publiant partout que les lettres de 1661 conte-
naient une nouvelle érection de pairie, le duc de Luxembourg, qui
était alors maréchal, eut recours au Roi pour qu^il interprétât son
intention. Le Roi lui accorda, le 6 avril 1676, de nouvelles lettres
patentes, par lesquelles il déclara que sa volonté n'avait pas été de
faire une nouvelle érection du duché et de la pairie par les lettres
de 1661, mais seulement d'approuver le contrat de mariage du duc
de Luxembourg. Celui-ci attendit cependant jusqu'en 1689 pour
faire valoir de nouveau ses prétentions, qu'il réservait depuis
vtngt>sept ans. Le ao janvier de cette année 1689, il donna sa re-
quête, par laquelle il conclut à ce que les lettres de 1676 fîtssait
enregistrées, et à prendre rang et séance des 19 septembre 1576 et
3o décembre t58i, jours des enregistrements des lettres d'érection
accordées à François de Luxembourg. Les ducs et pairs déclarèrent
alors qu'ils s'opposaient à l'enregistrement des lettres de 1676. Le
duc de Luxembourg poursuivit l'audience ; mais ses adversaires re-
tardèrent le jugement par toutes sortes de formalités de procédure.
On arriva ainsi jusqu'au 19 mars 169a, jour où la cour rendit un
arrêt qui appointait en droit sur la demande du maréchal, et sur
les oppositions des ducs et pairs, et joignait le tout au premier ap-
pointement du ao mai i66a.
Le différend entre les parties portait principalement sur ces
questions, si la dignité de pair est masculine, et si les filles et le»
POUR LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG. 369
petitet-filles penrent la transmettre a lenrs maris et à leurs descen-
dants; si les lettres dans lesquelles le Roi approuvait un contrat de
mariage contenant une cession de droits ainsi transmis, étant oon-
çoes et expédiées dans les termes et la forme nécessaires pour une
nooTelle érection, faisaient rerivre Tancienne, ou ne devaient avoir
effet que du jour qu'elles avaient été enregistrées*. Les opposants
soutenaient que dans les duchés -pairies, même femelles, le titre de
leur dignité personnelle, la préférence du rang et de la séance en
la cour des pairs, au sacre et couronnement des rois, et autres fonc-
tions de pairs, ne peuvent passer à la fille d'un duc et pair ni à son
mari, pour avoir le rang et les prérogatives du jour de l'ancienne
érection; que la dignité de duc et pair dans les duchés-pairies,
m^e femelles, peut encore moins passer à la fille de la fille du duc
et pair, ou à son mari ; que la prétention d'étendre l'effet des du-
chés et pairies femelles au delà même du premier degré, et aux
descendants des filles, principalement aux filles des filles ou à leurs
maris, pour se conserver le rang et la séance et les fonctions de ducs
et pairs du jour de l'ancienne érection, est contre tontes les règles*.
Le maréchal de son côté prétendait établir ces propositions, que
la pairie est un office de la couronne et une dignité héréditaire,
patrimoniale et perpétuelle, comme sont les fiefs ; et par conséquent
qu'elle est transmissible à tous les héritiers et successeurs du duc et
pair en faveur de qui elle a été instituée ; que la duché-pairie de
Pinej (c'était celle qui lui avait été donnée par son contrat de ma-
riage) était féminine, ayant été accordée par les lettres d'érection
à tous les descendants de François de Luxembourg tant mâles que
femelles, en quelque degré qu'ils fussent, et a perpétuité; que le
Roi par ses lettres avait expressément joint et annexé la dignité de
pairie au duché et à la terre de Piney par un lien inséparable, pour
la rendre plus réelle ; que le rang que la pairie donne à celui qui la
possède, se réglant par le temps de l'érection de la terre, et étant
par conséquent réel, il passe à tous ceux qui jouissent de cette di-
gnité; que les femmes qui sont revêtues d'une duché-pairie fémi-
nine, la communiquant naturellement à leurs maris, qui ont l'ad-
ministration de leurs biens, leur transmettent en même temps tous
I. Plnidojer du cluiiieriier d'Agaessevu dmis ses Œuvres [hàxûon de 176a),
tome III, p. 643.
a. Mémoire sur la question de pritèanee pour Messieurs les Ducs et Pairs ^
d4D« \t Recueii de/actums publié à Toulouse en 1757, tome I, p. I73et 174.
J. Raciiik. V a4
3-0 FACTUMS
leg droit» et même les fonctions de la pairie, et par conséquent If
rang et la séance, fjni en font partie *.
Nous ayons dit que M. de Luxembourg avait sollicité rarrêt
d'appointement en droit qui fut rendu le 19 mars 169»; Saini-
Simon cependant fixe seulement après la victoire de Neerwinden
(19 juillet 1693) le moment où le maréchal, fier de cette vic-
toire, qu'avaient précédée celles de Leuze, de Fleuras et de Stein-
kerque, « secrat assez fort pour entreprendre tout de bon ce procrt
de préséance •.»—«« Jusqu'en 1693, dit-U aiUeurs », qui fut Ttii-
née qu'il {ie duc de Saimt^imon) perdit son père, cette affaire ne 61
que languir, mais elle devint alors fort échauffée par les procéda-
res, et plus encore par les procédés. >• Saint-Simon n'avait alon
que dix-huit ans ; U revenait de l'armée, où U avait servi loos k
maréchal de Luxembourg, et combattu à Neerwinden. Tout jeune
qu'il était, il porta dans cette contestation la smgulièrc ardeur dont
il donna depuis tant de preuves, surtout dans les affaires de cette
nature. Ce fat lui qui « en soutint les plus grands efforts*. » Les op-
posants les plus fermes étaient avec lui MM. de la Trémouille, df
Chaulnes, de RicheUeu,de la Rochefoucauld et de Rolian. Udirec-
tion du procès était, du côté des ducs et pairs, principalement tut
mains de Riparfonds, célèbre avocat consultant, et, après lui, de
Magneux et d'Aubry, intendants des ducs de la Trémouillc et de
la Rochefoucauld. Lorsqu'Us écrivirent leurs Mémoires et Faetums.
ils ne se passèrent assurément pas des conseils de Saint-Simon; »1
est difficile de croire qu'il n'ait pas fait lui-même beaucoup de*
recherches historiques qui y abondent, qu'U n'ait pas rédigé bi«
des passages de ces écrits souvent remarquables. Quelque différencr
d'âge, d'expérience littéraire et de qualités d'esprit qu'il j eut entre
l'auteur des lettres à Nicole et le jeune Saint-Simon, si, comiK il
y a toute vraisemblance, deux tels jouteurs ont été un moment
aux prises, la lutte était curieuse; malheureusement la part de cha-
cun ne peut se faire dans des écrits auxquels bien des personne»
travaillaient.
Au témoignage de Saint-Simon, un homme d'une grande science
et qui y joignait une réputation d'éloquence, Denis Takm, écriTiî
I . Faetum pour Messire FrùucoU-Etnry de Montmoreuejr^ due de Laxem-
bourg et de Pinejr, pair de France^ à la fin.
a. Mémoire* f tt»ine I, p. 1 38 et 139. ^^
1. Journal de Dangenu, à la note, tome II, p. 3i8. — 4« fuédem.
FOUR LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG. 871
pour M. de Luxembourg, dont sa mère, Françoise Doajat, se trouvait
être parente. Ce fut lui qui fouilla les bibliothèques, rassembla les ma'
tèriûux pour les factums, présida à tout ce qui se fit*. Dans les pre •
miers commencements de cet interminable litige, il avait cependant
conclu, comme avocat gënëral, contre les prétentions de M. de
Laxembouig. L^annëe même où il changea d*avis et prêta. son con-
cours à la cause qu^il avait autrefois combattue, il venait d'être
nomme pr^ident à mortier : citait en 1693. Nous admettrions mal-
aisément que Saint-Simon, dans une affaire dont il s'occupait si pas-
sionnément, et dont il voulait connaître tons les ressorts, ait pu être
mal informe, et qu'on ne doive pas s'en rapporter à lui lorsque
dans la même page, et dans le récit de la même phase du procès,
iJ représente le président Talon et Racine comme donnant leurs
soins, chacun à sa manière, et suivant son talent particulier, aux
factums de M. de Luxembourg.
Nous regrettons qu'il n'ait pas dit expressément quels sont ceux de
ces factums qu'il savait être l'œuvre de Talon et de Racine. Il est
clair toutefois qu'il s'agit de ceux qui furent faits au temps où le
procès fut sérieusement repris, c'est-à-dire en 1698 et au commen-
cement de 1694.
Lorsque étudiant attentivement son récit, on j voit M. de Luxem-
bourg se hâter de prendre les devants et de s'assurer des conclusions
du procureur général avant que les productions de ses adversaires
fussent faites, c'en est assez déjà pour croire qu'un des factums du ma-
réchal dut précéder celui que Saint-Simon appelle le premier factum
des ducs et pairs, ce factum qu'avec un compliment ironique le duc
de Chaulnes lui-même porta tout mouillé encore de l'impression
aa procureur général, trop pressé de rédiger ses conclusions*. Il est
à remarquer d'ailleurs que dans le passage déjà cité, Saint-Simon
s'exprime comme s'il j avait eu plusieurs factums préparés par Ta-
lon, poUs par Racine ; et plus loin, lorsque pour la première fois il
sort de ce vague pour dire en quelle circonstance un de ces fac-
tums fut écrit, il l'appelle un nouveau factum de M, de Ljuxembourg,
Quelque autre avait donc précédé celui-là.
Voici ce qu'il nous apprend de ce nouveau factum :
Le premier président de Harlay, partial pour le maréchal de
I. Mémoires t tome I, p. i45.
a. Mémoires de Saînt-Simon, totct 1, p. 146.
37a FACTUMS
Luxembourg, an lieu de faire juger raflaîre par TaMembl^ de
toutes les chambres, nomma de petits commissaires pour rexaminer
chez lui. Sur ces entrefaites, « nous fûmes avertis, dit Saint-Simon,
d'un nouveau factum de M. de Luxembourg, dont on avoit tiré tm-
secrètement peu d^exemplaires;... il se distribuoit sous le manteao
aux petits commissaires.... Ce factum, contre toutes règles, ne nous
fut point signifie.... Maunouny, Pun des petits commissaires, eut
horreur d'une supercherie qui n'alloit à rien moins qu^à nous faire
perdre notre procès. Il prêta ce factum si secret à Magneux, inten-
dant du duc de la Trëmoille, qui le fit copier en une nuit, et qui \f
lendemain.... fit assembler chez Riparfonds extraordinairement.
Là ce factum fut lu. On j trouva quantité de faits faux, plnsieon
tronques, et un éblouissant tissu de sophismes. La science deTak»
et Télégance et les grâces de Racine j ëtoient toutes déployées'. >
L'affaire devant être jugée quatre jours après la révélation que le»
ducs et pairs avaient eue du factum, ceux-ci voulurent réclamer on
court délai pour avoir le temps de faire leur réponse : ils ne paient
pénétrer jusqu*au premier président, et se virent réduits k à» ex-
pédients de chicane afin de traîner en longueur. Le duc de Riche-
lieu avait toutes ses causes commises au grand conseil ; od résolut
en conséquence qu'il formerait une requête pour y faire renTojer
celle-ci. Comme cependant le temps était trop court pour intro-
duire la requête, on s'avisa d'un moyen de gagner quelques jours
qui permettraient au duc de Richelieu de faire sa signification.
Saint-Simon avait des lettres d'état qu'il produisit, et qui aonient
suspendu le procès pour six mois, s'il n'avait été certain quVUes
seraient cassées au premier conseil des dépêches : elles le furent en
effet ; mais le duc de Richelieu avait eu le temps de prendre sn
mesures pour porter au conseil l'affaire en règlement de juges. U
il j eut, comme au Parlement, « force factums de part et d'aobv,
dit Saint-Simon, et force sollicitations*. » Le conseil reoTOja
l'affaire au Parlement ; mais le but que les ducs et pairs s'étaient
proposé n'en fut pas moins atteint. « Le procès se trouva hors dV-
tat d'être jugé de cette année *. n
Saint-Simon raconte que le maréchal de Luxembourg fut outrr
de dépit contre le duc de Richelieu, dont la chicane avait rompa
I. Mémoires, tt»me I, p. i53 et i54.
a. Ibidem, p. 161. — 3. Ihidem^ p. i6a.
POUR LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG. 3:3
tontes tes mesures. « Aussi, ajoote-t-il, nVpargiia-t-il ni sa per-
sonne ni sa conduite, ni le ministère du cardinal de Richelieu,
dans un de ses factums. M. de Richelieu, très-virement offense, fit
lur-le-champ une réponse, et tout de suite imprimer et distribuer,
par laquelle il attaqua la fidëlitë dont M. de Luxembourg avoit
Tante sa maison, par les complots du dernier duc de Montmorency,
pris en bataille dans son gouvernement contre le feu Roi à CasteU
naudary, et pour cela exécuté a Toulouse en i63s ; et la personne
de M. de Luxembourg, par sa conduite sous Monsieur le Prince, par
sa prison pour les poisons et les diableries.... Outre ces faits, forte-
ment articulés, le sel le plus acre j étoit répandu partout ' . » Cette
vengeance ne suffisait pas au duc de Richelieu. U fit dans la salle
des Gardes à Versailles une scène très-vive au maréchal, qui se crut
obligé d^apaiser sa colère, en lui déclarant c qu^il étoit très-fSché
de l'impertinence du factum publié contre lui;... qu^au reste il
n^avoit point du tout vu cette pièce, quUl châtieroit ses gens d^af-
faires...; qu^enfin il avoit donné ordre très-précis pour la faire
entièrement supprimer *. » Le duc de Richelieu promit de son côté
la suppression de sa réponse Les deux pièces furent en effet sup-
primées, mais après que le duc de Richelieu en eut donné à pleines
mains à tous ses amis '.
Le procès de préséance, renvoyé au Parlement, j recommença
avec vigueur *. Les ducs et pairs tentèrent une négociation avec le
premier président pour obtenir l'assemblée de toutes les chambres.
Harlay promit de leur donner satisfaction sur ce point, puis rétracta
sa promesse. Il fallut en revenir à la tactique dont on avait déjà
fait usage, et recourir encore aux chicanes pour traîner le procès
en longueur. On chercha tous les moyens de récuser le premier
président, et l'on finit par en trouver un qui fut reconnu valable.
L'affaire en resta là pour cette année*. La mort du duc de Sully,
l'un des opposants, une maladie de Portail, rapporteur du procès,
laissèrent tout en suspens jusqu'au moment où le duc de Luxem^
bourg mourut (4 janvier 1695).
Nous ne croyons pas qu'il y ait à chercher au delà de ce temps
la part qu'eut Racine aux factums pour la maison de Luxembourg.
Après la mort du maréchal, son fils aîné, Charles-François-Frédéric
I. HÊèmoiret^ tome T, p. i6a et i63. — a. Ibidem ^ p. i64'
3. Ibidem, p. i65. -— 4- Ibidem, p. 177. — 5. Ibidem^ p. 184*
•i74 FACTUMS
de Montmorency-Luxembourg, reprit le procès par un acte fait au
greffe, le 16 mars 169$. Un arrêt du i^'' février 1696 donna acte
de la reprise. Nous trouvons dans les Recueils plusieurs mémoires
de cette nouvelle époque du procès. Un d*eux a pour titre : Mé-
moire pour M. ie duc de luxembourg et de Piney^ pair de France^ con-
tre MJà, tes ducs et pairs (27 pages in-4**). H est de Tannée 1696 '.
Un autre, qui a pour titre : Mémoire pour M. de Luxembourg^ pmr de
France, touchant la question de l'extinction de la pairie prétendue pu
ilfjf. les ducs et pairs (28 pages in-4^), et qu^une note manuscrite dn
Recueil Thoisj attribue a M. Argoud^ advocatj fut également &it pour
le fils du maréchal, et est, à ce qu'il nous semble, de la même
année 1696, où fut aussi imprimé le Mémoire sur la question dePei"
tînction de la pairie de Pinejr^ pour Messieurs Us dues et pairs. Contre
Monsieur le duc de Montmorency (76 pages in-4**i ^ Paris, chez Ch.
Guillerj). Nous avons encore quelques écritures des ducs et pain
produites en janvier 1699, bien peu de temps avant la mort de
Racine. Ce qui se fit en cette année-là ne peut plus nous regarder.
n est fort douteux même qu'à la reprise du procès, en 1696, Racine
ait continué à prêter sa plume aux a'vocats chargés des intérêts de
la maison de Luxembourg. En tout cas, Saint-Simon, dont le té-
moignage est le seul sur lequel nous puissions nous appujer, ne
parle certainement que de la part que Racine prit en 1698 et 1694
aux factums du maréchal. Nous n'avons donc pas à nous occuper dei
mémoires pour le fils du maréchal qui viennent d'être mentionnés.
Bornons-nous à dire quelques mots de la fin de ce long procès,
pour ne pas laisser trop incomplet le récit que nous en avons fait
Les ducs et pairs avaient fait signifier au duc de Luxembourg
qu'il eât à opter entre les lettres d'érection de Piney de i58i, et
celles de 1663. L'abandon des premières faisait tomber le procès;
si le duc de Luxembourg renonçait aux dernières, il s'exposait,
dans le cas où il perdrait sa cause, à être entièrement déchu de la
dignité de pair de France. Un arrêt du i3 avril 1696 donna gain
de cause à IHiéritier du maréchal sur l'érection de 1663, et Tap-
pointa sur celle de i58i. L'affaire revenait ainsi au même eut ou
I . Ce mémoire se trouve dans le Recueil concernant tes ducs et pairs qae
noua avons cité à la page 366, et qui est aux Archives de rfimpire; 3 com-
mence au f^ 737. Au-deisns du titre on y a écrit à la main : « Par M. NivcOe,
advucat, 1696. m Ce même mémoire est aussi à la page a8S d*oa volante do
Recueil Thoisjr dont nous auront à parler ci -après.
POUR LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG. 37$
le marëchal TaTait laissée. Nous arons vu que le procès donna lien
à des Mémoires en 1699. Le duc de Luxembourg cependant laissa
longtemps dormir la contestation. H la fit revirre à IVpoque de
rafTaire de d^Antin, dont les prétentions ne pouvaient être accueil-
lies sans derenir pour lui un précédent farorable. Un édit, qui fut
enregistré au Parlement le 31 mai 171 1, mit fin a toutes les que-
relles de la pairie, qui depuis quelque temps s'étaient multipliées.
Par cet édit la prétention de Pancienne érection de Piney se trouva
écartée. Le duc de Luxembourg eut son rang de 1663, en vertu de
la réérection faite alors pour le maréchal son père.
Noos avons dâ chercher quels sont parmi les factums produits
dans ce procès ceux dont Racine passait pour avoir poli le stjle ;
et, comme Fa montré le précédent exposé des faits, nous n'avions
pas, dans notre recherche, à sortir des limites des années 1698 et
1694- A la Bibliothèque impériale nous avons trouvé les éditions
originales de plusieurs factums du procès de préséance ; outre ces
pièces détachées, un volume du Recueil Tlunsy (Matières historiques,
tome XXIX, in-4'*) où Ton a réuni ces mêmes factums et quelques
autres relatifs à la même affaire. Aux Archives de TEmpire, le Re-
cueil eoneernant les ducs et pairs, volume VDI, que nous avons eu oc-
casion de citer plus haut, nous a donné plusieurs des mêmes fac-
tums et quelques autres mémoires manuscrits. Il existe aussi un
Recueil de factums et mémoires sur les causes les plu* intéressantes et lês
plus célèbres (a volumes in-4S à Lyon, M.DCC.X, ou, même édition,
avec un changement de titre, à Toulouse, M.DCC.LVII), dans le
tome premier duquel on a réimprimé les plus importantes des
mêmes pièces, et de plus un grand factum pour les ducs et pairs
que nous n'avons pas rencontré ailleurs.
Parmi les pièces manuscrites du Recueil des Archives, il y a une
Supplique de M. de Luxembourg au Roi (folios 4^7 ^t 4^9)i dont
l'objet est de demander une interprétation des intentions du Roi
lorsqu'il avait donné les lettres patentes du mois de mars 1661, et
une Requête au Roi (folios 473 et 47^)1 également pour obtenir une
déclaration que par ces lettres de 1661 l'intention de Sa Majesté
n''a point été de rien changer ni innover au titre de la première
érection de la pairie du duché de Piney. Ces deux pièces sont an-
térieures aux lettres patentes du 16 avril 1676. Fussent-elles plus
importantes, nous serions dispensé par leur date de nous y arrêter.
Un Mémoire sur les rangs de duc et pair que M. de Luxembourg de-
376 FACTUMS
momie des années 1577 et i58i, e/ sur Us rangs et prérogulivet dt
prince qu'il prétend pour ses enfants^ »e trotive, également manuscrit,
aux folios 187-195 du même Recueil. Au-dessus du titre on a écrit:
« Aoât 1693. Pour M. de Pontehartrain fils. » La première partie
seule de ce Mémoire traite de Taflfaire de préséance. Une autre pièce
manuscrite, qui doit être a peu près du même temps, et qui est
donnée aux folios 4>5-465, a pour titre : Mémoire pour servir de ré-
potue aux causes d'opposition de quelques-uns de Messieurs Us ducs tt
pairs à la réception de Monsieur U duc de Luxembourg en la dignité dt
due et pair à cause du duché et pairie de Pinejr, C'est, il nous semble,
comme une première ébauche, bien plutôt qu'un résumé, du grand
factum dont nous parlerons tout à Theure. Dans un passage dn
Mémoire manuscrit on s'exprime ainsi : « U y auroit de la témérité
d'avancer que le Roi n'eût pas eu le pouvoir de faire une érection
de pairie de cette qualité, et de prétendre de donner des bornes à
la puissance des rois dans la création des charges et des dignités.
Messieurs les ducs et pairs apparemment n'en formeront pas les dif-
ficultés. » La note suivante, d'une écriture différente, se lit à la fin
dn Mémoire : «c Quand il est dit à la fin de ces écritures qu'il n'y a
pas d'apparence que les ducs et pairs veulent entrer en contestation
avec le Roi pour savoir s'il a pu faire l'érection, il faadroit un stjle
un peu mordicant contre les ducs et pairs, dire qu'il est à croire
qu'ils se contenteront de l'imprudence qu'ils ont commise d'avancer
qu'ils s'estiment obligés par l'intérêt de l'ordre public et de leur
dignité d'empêcher que M. de Luxembourg ne fût reçu en vertu dei
lettres que le Roi lui a données ; puis que Sa Majesté sait pourvoir à
ce qui regarde le public et qu'il ne leur appartient pas de le faire, qne
leur dignité ne leur donne point ce droit- là, et que s*il j a quelqae
chose qui soit contraire à la dignité de duc et pair, ce n'est pas d'en
voir jouir un homme de la naissance de M. de Luxembooi^. » Cette
note pourrait bien avoir été dictée par le maréchal lui-même. Au-
cune recommandation semblable ne fîit sans doute nécessaire du
moment que Racine eut mis la main aux factums. On pouvait se re-
poser sur lui du soin de les assaisonner d'un sel assez mordicant^ et
de trouver des termes fiers à la fois et mesurés, pour rappeler aux
opposants la noblesse de la maison de Luxembourg. Nous ne sau-
rions chercher des traces de sa collaboration dans le dernier mé-
moire dont nous venons de parler, et qui, nous l'avons dit, n'est
a nos yeux qu'une première ébauche , ni dans celui qui avait été
POUR LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG. ^77
écnt pour M. de PoDtchaitrain : tous deux sont trop peu dévelop-
pa, et trop peu remarquables de toute façon.
Parmi les pièces rraiment importantes que nous trourons sur le
procès de préséance dans les années dont nous arons à nous occu-
per, celle qui nous parait la première en date est un factum pour les
ducs et pairs, qui a pour titre : Mémoire sur la question de préséance.
Pour Mât. Us dues et pairs de France^ contre M. le maréchal de
Luxembourg, Nous ne Tarons rencontré qiié dans le Recueil de fac-
tums et mémoires publié à Lyon et à Toulouse, et qui contient seu-
lement, comme nous Tarons dit, des réimpressions. Il y est donné
uns date; mais dans une note manuscrite du Recueil des Ârcbires
(folio 8a i), nous apprenons que ce Mémoire^ signé db Riparpons,
ûdvocat, fut publié en i6g3, chez L. Sevestre. C^est un factum fort
traraillé, fort sarant, fort habile, et dont les développements sont
très-longs. Il a, dans la réimpression de Lyon et de Toulouse,
108 pages in-4^, de la page 161 à la page 269. Un factum pour le
maréchal de Luxembourg, très- important aussi et très-étendu, Tarait
nécessairement précédé. Ce n*est pas là une simple conjecture. Il est
dit expressément dans le Mémoire pour les ducs et pairs que « Ton n*a
rien oublié de toutes les couleurs de Tart pour faire raloir une pré-
tention de préséance aussi extraordinaire que Test celle de M. le
duc de Luxembourg... ; on a recherché arec soin dans tous les mo-
naments publics et particuliers, dans tous les auteurs et dans les
bistoriens. . . . pour tacher d^ décourrir quelques exemples*. » A
toutes les pages du Mémoire on troure Texposition et la réfutation de
ces exemples allégués par les arocats de M. de Luxembourg et de
tous les arguments dont ils ont fait usage. Enfin on y roit que dans
le factum de M. de Luxembourg, auquel les ducs et pairs répon-
dent, il y avait un mojen qu*il arait «< roulu tirer de Télération des
maisons de Luxembourg et de Montmorency*. » — « Ce n'est pas,
dit à ce sujet le Mémoire^ ce qui fait la matière des contestations.
Messieurs les ducs et pairs en connoissent Téclat (des maisons de
Luxembourg" et de Montmorenef) \ mais Ton ne dcroit pas outrer Tin-
duction qu^on en a tirée : le nom de Montmorency, qui est à la tête
des qualités de M. de Luxembourg, faisoit assez remarquer les aran-
tages de sa naissance, sans pousser les choses plus loin.... On a cru
que Ton ne pouroit faire raloir les avantages de ces deux maisons,
1. Recueil de factum* et mémoires^ tome I, p. if)3. — a. Ibidem^ p. 167.
$78 FACTUMS
sans effacer le lustre de plusieurs autres, qui ont autant ou plus de
relief daus le royaume et dans les autres États de l'Europe, et dont
l'on ne devoit pas affecter de diminuer la splendeur.... U n'étoit
même pas nécessaire pour ses intérêts de parler des prérogatives
des deux maisons de Luxembourg et de Montmorency : le public les
connoit assez, et Messieurs les ducs et pairs n'auroient pas mancpié
eux-mêmes d'en relever tout l'éclat; ils sont d'un caractère trop
sincère pour leur dénier la justice qu'elles méritent, car ils pr«a-
ment que ce qu'on a dit à cet égard a été par un zèle officieux, et
contre l'aveu même de M. de Luxembourg, parce qu'il a parfaite
connoissance de la grandeur des autres maisons ' . » Un peu plus
bas, le Mémoire^ dans sa conclusion, finit par ces paroles piquantes :
« n ne suffit pas, pour avoir la gloire de précéder Messieurs les pairs,
d'aspirer à cet honneur. Quelque habitude qu'ait M. de Luxembourg
de vaincre partout, d'occuper les premiers rangs, et ne rien troo-
ver qui résiste à son bras, à sa valeur et à son courage, il sait lui-
même que quand il s'agit de régler les rangs entre les pairs, d'avoir
séance en la cour de France, d'entrer dans le sanctuaire de la justice,
d'avoir sa place dans le premier tribunal du monde, et de remplir
les autres fonctions éminentes de ces dignités, il y a des règles m-
périeures auxquelles on doit déférer. . . , et qu'enfin on ne peut dé-
placer Messieurs les pairs, troubler le rang de leurs séances, et in-
tervertir l'ordre public*. » Le factum si longuement et si viremeot
réfuté par les ducs et pairs, et qui devait mériter d'être ainsi com-
battu, ne pouvait être, suivant toutes les vraisemblances, qu^uu de
ceux dont le président Talon avait rassemblé les matériaux, et où Ra-
cine avait répandu les agréments de son style. Il s'est dérobé à nos
recherches. Le seul factum important que nous ayons pour le ma*
réchal est postérieur au Mémoire des ducs et pairs publié chez Se-
vestre. Si, pour le démontrer, nous nous contentions de dire que le
titre de celui-ci porte la date de 1698, et le titre de l'autre celle de
1694, ce genre de preuve pourrait donner lieu à quelque contesu-
tion ; mais il y en a de plus convaincantes. On chercherait en vab
dans le grand factum, imprimé en 16941 le moyen qui avait été tiré
de l'élévation des maisons de Luxembourg et de Montmorencj, et
ce passage où , suivant le Mémoire des ducs et pairs , les avocats du
I. Becueil defactums et mèmxnreey tome I, p. a68.
a. Ibidem, tome I, p. 269.
POUR LE MARÉCHAL DE LUXEMROURG. 879
maréchal ayaient tenté de rabaisser la grandeur des autres mai-
sons. Les exemples d'ailleurs et les arguments dont le Mémoire
essaye la réfutation ne sont pas précisément ceux que nous trou-
Tons dans le factum que nous avons eu sous les yeux ; enfin, et ceci
est entièrement décisif, ce qui est dit à la page 946 du Mémoire
des ducs et pairs, des arrêts de iSog et de i33i au sujet du comté
d'Artois, est cité avec les expressions textuelles à la page 5o' de notre
factum. On peut comparer les deux passages ; on verra que Tun ré-
pond à l'autre. Du reste, il n'est pas impossible de déterminer assez
exactement la date du grand factum de M. de Luxembourg, pour
tronver là une preuve de plus : c'est ce que nous ferons plus loin
quand nous aurons parlé des faits postérieurs, qui nous en fourni-
ront les moyens. Il est établi par ce que nous venons d'exposer
qa'il y eut avant le Mémoire de Riparfonds, publié en 1698 chez
GniUery, un factum très-important pour le duc de Luxembourg,
que ce n'est pas celui que nous avons, et que celui-ci, au contraire,
est la réponse au Mémoire. Souvenons-nous maintenant de ce que
nous avons trouvé dans le récit de Saint-Simon* : un premier factum
des ducs et pairs fut porté au procureur général LabrifTe ; il répon-
dait à un factum du maréchal qu'on s'était hâté de donner avant que
les productions de la partie adverse fussent faites. Il semble bien
qu'on doive reconnaître là, et le Mémoire de Riparfonds que nous
aTons déjà cité, et le factum de Luxembourg qui nous échappe au-
jourd'hui. Saint-Simon parle ensuite, on ne l'a pas non plus oublié,
d'un nouveau factum secrètement distribué aux petits commissaires,
et dans lequel étaient déployées c toute la science de Talon et les
grâces de Racine. » Ce doit être celui que nous avons sous ce titre :
factum pour Messire Fran^oiâ'Henry de Montmorency^ duc de Luxem^
bourg et de Piney, pair de France : demandeur en enregistrement de
lettres patentes des mois de mars 1661 et avril iSyS, et deffendeur.... A
Peris^ de timprimerie de Jean- Baptiste Coignard M.DC. hXXXXlF , Il
le trouve, soit comme pièce détachée, soit dans le Recueil de Lyon et
de Toulouse, dans le Recueil Thoisy, dans celui des Archives. L'édition
de 1694 a 144 pag^ in-4®. On pourrait s'étonner, après l'avoir lu,
qu'un si complet et si beau travail, qui semblerait avoir été fait pour
I. Dans le même Recueil de Tooloiue» d'après lequel nous Tenons de citer
aoui le Mémoire des ducs et pairs,
a. Yoyex d-dessos, p. 371 et 37a.
38o FACTUMS
une entière publicité, noiu paraisse le même que celui dont on too-
lut faire un usage presque clandestin, dont les planches furent rom-
pues, après qu^on en eut tire secrètement quelques exemplaires, et
qui d^abord se distribua seulement à un petit nombre de personnes;
mais ce que dit Saint-Simon de ce factum « ai secret •, de son im-
portance, de Térudition et du talent éblouissant avec lequel il avait
été composé et écrit, donne lieu exactement à la même difficulté, et
du reste s*applique très-bien à la pièce que nous venons de désigner.
Que cette dernière pièce soit bien celle dans laquelle Saint-Simon
signale plus particulièrement la collaboration de Racine, on en
doute encore moins lorsqu'on lit ces premières lignes d^une lettrf
écrite par Antoine Amauld à M. Dodart, le ao mai 1694' : « J^ai lu
une partie du factum de M. de Luxembourg. Qui que ce soit qui
Fait fait, il est fort beau. » Ces mots : qui que ce soit qui tait fmt^ ne
laissent pas d*étre significatifs sous la plume d'un ami de Racine,
écrivant à un autre ami du même Racine. Amauld avait évidemment
entendu dire à qui on attribuait le factum, ce qui devait Tavoir dis-
posé à le trouver beau, et en même temps nous explique Pintm-t
qu'il témoigne pour cet écrit dans la suite de sa lettre, où il donne
ses conseils sur plusieurs passages, ne se bornant pas à les critiquer,
mais exprimant le désir que pour Tun d'eux on Ht un carton. Or le
factum dont il s'occupe ainsi, et dont l'auteur présumé parait si
bien ne pas lui avoir été indifférent, est justement celui qui a rtr
imprimé chez Coignard en 1694. Les passages qu'il examine dans sa
lettre en sont tous tirés. On les trouve aux pages 33, 37, 5i et 89
de notre grand factum.
Tout en regrettant de n'avoir pu découvrir l'autre factum, de
date antérieure, auquel peut-être aussi Racine avait eu part, noo<
croyons que celui dont nous venons de parler est le principal tra-
vail qui ait été fait pour le maréchal de Luxembourg. C'est tou-
jours la pièce à laquelle on renvoie dans les divers mémoires des
deux parties que nous avons lus : par exemple, dans un àirmoire
de 97 pages, déjà cité, pour M. le duc de Luxembourg ^ fils du ma-
réchal; dans un ASémoire de 67 pages, écrit en janvier 1699, pour
les ducs et pairs, sur V extinction d* la pairie de Pinejr^ créée en i58i.
Il y a un passage de ce dernier écrit où l'on accuse le maréchal
d'avoir altéré les termes du dispositif de l'arrêt de 1663 « dans le<
I. Voyez le tome YII des Œuvres d* Amauld, p. 446, lettre dclxv.
• ^
POUR LE MARECHAL DE LUXEMBOURG. 38i
deux factums qui ont été distribués tous son nom. » Or quels sont
ces Jeux faetums , les seuls que Pauteur du Êiémoire semble croire
digne d*être rappelés ? Une note à la marge du même passage est
ainsi conçue : « Cette altération se trouve dans le grand factum de
M. de Luxembourg, p. i5, et dans Pabrégé, p. 4* * C'est dans
notre factum de 1694, à la page i5, désignée par Pavocat des ducs
et pairs, que se lit la pbrase dénoncée comme une altération dans
Tarrdt. Ellle est aussi à la page 4 d'une courte pièce de 94 P^R^i
intitulée : Factum pour M. le duc de Luxem^urg^ contre MM. les dues et
pairs. Sommaire du procès pour la préséance de la duehé'pairie de Pinejr,
Ce n'est autre chose, comme le dit le Mémoire des ducs et pairs, que
Tabrégé du factum de i44pAg^^s, qu'ils appellent eux-mêmes d'une
façon significative le grand Factum. De tout cela il résulte, nous le
répétons, que le factum le plus considérable, celui dont il est le
moins douteux que Racine ait poli et orné la rédaction, est le factum
imprime chez Coignard en 1694. C'est particulièrement cet écrit qui
mérite de ne pas être tout à fait absent des OEuvres de Racine.
Quant au Sommaire qu'on en a tiré, le travail de rédaction a bien pu
être fait sans l'aide de Racine ; et d'ailleurs nous pouvons en tout cas
le négliger : il offre peu d'intérêt à cÔté du factum qu'il abrège.
Nous avions à nous demander si. parmi les ouvrages attribués à
notre auteur, nous devions donner le grand Factum dans toute son
étendue, ou seulement en détacher, pour les mettre sous les jeux du
lecteur, quelques parties saillantes. Nous avons sans hésitation pré-
féré ce dernier parti. S'il parait incontestable que Racine a pris une
part plus ou moins grande à la rédaction de cet écrit, il est impos-
sible de déterminer cette part et celle qu'il faut laisser à Denis Talon
et aux avocats employés par le maréchal de Luxembourg. Dès lors
rien ne justifierait assez l'insertion dans les QEueres de Racine d'un
écrit d'une telle étendue, qui aurait rempli le quart à peu près d'un
volume, et qui, par l'intérêt trop peu général du sujet, aurait
peut-être paru d'une lecture fatigante à bien des lecteurs. Sans mé-
connaître ce qu'il y a de talent dans l'exposé de tant d'exemples
historiques, recueillis avec une science très-patiente, discutés en bon
langage, nous avons choisi de préférence quelques morceaux qui
appartiennent moins exclusivement à l'érudition, ceux qui nous ont
paru avoir dans leurs développements la forme la plus littéraire ; et
cela, non-seulement parce qu'ils peuvent plaire davantage, mais
surtout parce qu'on se sent plus porté à les attribuer à Racine.
38a FAGTUMS
Quelque peu de précision que Saint-Simoa ait mit dans la dési-
gnation des factums dont il attribue VéUgànee et les grâces à Racine,
nous n^avons guère risqué de nous tromper en regardant le factnn
imprimé chez Coignard en 1694 comme la principale pièce qu^il a eue
en Tue. Nous avons parlé d'un autre écrit pour M. de Luxembourg,
que Saint-Simon mentionne aussi sons le nom de faetum^ et auquel
nous serions tenté de croire que Racine n^est pas non plus demeuré
étranger, sans quUl j ait la toutefois, comme pour le grand factum.
une TTaisemblance presque équivalente â la certitude. C'est la Et'
qtiêtû au Roi^ en réponse à eelU du due de Rtckelieu^ pour Cévœaiion du
procès, Saint-Simon, dans ce qu'il dit de cette pièce, n'avertit poiot
spécialement que Racine y ait travaillé; mais comme il fait entendre
que sa coopération s'est étendue à tous les factums de cette époque,
il est permis de conjecturer que celui-ci n'a pas fait exception. Si
d'ailleurs, parmi les écritures de ce procès, il y en a une où semble
se trahir une plume exercée et redoutable par sa piquante finesie,
c'est, à notre avis, surtout celle-là. Une preuve de ce genre nW
peut-être pas la moins frappante de toutes; elle nous porte à croire
que derrière les gens d'affaires du maréchal, dont celui-ci, inti-
midé par sa partie adverse , promettait de châtier l'impertinence,
on aurait peut-être trouvé Racine. Nous donnons donc aussi quel-
ques passages de cette Requête au Roi : nous avons surtout choisi
ceux qui, par leur vivacité, avaient fait scandale, et avaient excité la
colère du duc de Richelieu. On trouve la Requête dans le volume
que nous avons déjà indiqué du Recueil Tftoisjr, folio 5i3. C'est noe
pièce de 3o pages, sans nom d'imprimeur et sans date. On sait
d'ailleurs qu'elle est du commencement de mars 1694. Le duc de
Richelieu avait fait signifier la cédule évocatoire le t*' février, et sa
requête au Roi le il^ au même mois. L'arrêt du conseil privé do
Roi, qui juge qu'on ne peut évoquer du parlement de Paris les
causes de pairie, est du 10 mars. Nous n'avons pas besoin de faire
remarquer que la Requête du maréchal de Luxemboui^ au ReitA
de date moins ancienne que son grand fiactum : cela résulte néces-
sairement de la succession des faits du procès, tels que Saint-Simon
nous les a fait connaître. Mais ces deux pièces parurent à bien
peu de temps de distance. C'est ici que nous devons fixer, comme
nous l'avons promis, l'époque précise où le grand factum fut pro-
duit. U suffit pour cela de faire attention à quelques dates fournies
par la Requête du maréchal de Luxemboui^, et de les rapprocher
POUR LE MARECHAL DE LUXEMBOURG. 383
des indications de Saint-Simon , qui rapporte les faits non pat, il
ett vrai, aux qnantièmes dn mois, mais aux jours de la semaine. « Ce
même jour (7S janvier 1694), dit la Requête^ le sieur duc de Saint-
Simon fit signifier des lettres d^ëtat, qui ayant été lerëes par arrêt de
Votre Majesté du 3o dudit mois, le !«>' février ensuivant M. de
Richelieu.... fit signifier la cédule évocatoire. » De son côté Saint-
Simon nous apprend que le grand factum pour M. de Luxembourg
fut communiqué un lundi aux ducs et pairs par un des petits com-
missaires ; que le lendemain mardi on s^assembla chez Riparfonds,
que TafTaire devait être jugée le vendredi suivant, et quUl fallut par
conséquent se hâter de faire avant ce jour usage des lettres d^état,
qui furent signifiées dès le jeudi. Ce jeudi était le 98 janvier ; ras-
semblée des ducs et pairs chez Riparfonds se tint donc le mardi 96
du même mois; et ce fut le lundi 9 5 janvier 1694 que le grand fac-
tum pour M. de Luxembourg fut pour la première fois révélé aux
ducs et pairs, qui le firent copier en une nuit. Son impression clan-
destine, et sa distribution aux petits commissaires étaient certaine-
ment très-récentes. LVdition que nous avons aujourd'hui {Coi-
fRarJ^ 1694) paraîtrait bien ne pouvoir être celle qui avait été tirée
à si peu d'exemplaires, mais plutôt une réimpression faite un peu
plus tard, lorsqu'on voulut avoir une publicité étendue. Mais il im-
porte assez peu : ce qu'il nous suffit d'avoir montré, c'est que les
deux pièces dont nous donnons ici les fragments furent l'une et
Tautre produites au commencement de l'année 1694^ à un mois à
peu près d'intervalle. En le remarquant, on pourra trouver plus pro-
bable que qui a prêté son concours à l'une ne Ta pas refusé à l'autre.
Le Recueil de Lyon et de Toulouse donne le grand Faetum de
1694 aux pages 19-96, et la Requête de la même année, adressée au
Boi par le maréchal de Luxembourg, aux pages 96-1 19. Nous croyons
utile d'indiquer à nos lecteurs cette réimpression, qui est correcte,
parce que s'ils désirent connaître entièrement les deux écrits dont
nous ne pouvons mettre ici sous leurs yeux qu'un petit nombre de
pages, ils les trouveront là plus aisément qu'en pièces détachées , et
que dans les volumes cités plus haut dn Recueil Thoisjr et du Recueil
des Archives de l'Empire, où ils auraient seulement l'avantage de
rencontrer, pour l'un comme pour l'antre, l'impression de 1694*
384 FACTUMS
FACTUM
Pour Messire François-Henrj de Montmorency y duc de
Luxembourg et de Pi nef y pair de France: demandeur en enre-
gistrement de lettres patentes des mois de mars 1661 et ami
1676, et défendt-ur.
Contre Messire Henry de Lorraine^ duc dElbeuf^ ayant re-
pris au lieu de Messire Charles de Lorraine^ son père. Messire
Charles de Rohan^ duc de Montbazon, Messire Chartes de Levi^
duc de Fentadour. Messire Charles duc de la Trimoùille et
Thoûars, Messire Maximilien- Pierre- François de Bethune^duc
de Sully, Messire Henry-Albert de Cosse ^ duc de Brissac, Met-
sire Char leS" Albert Dailly^ duc de C/uiunes, Messire Armand-
Jean du Plessis de Fignerod^ duc de Richelieu, Messire Louis
duc de Saint-Simon, ayant repris au lieu de Claude de Saint-
Simon. Messire François duc de la Hoche foucaut . Messire
Jacques de Nompar de Caumont^ duc de la Force. Messire de
Grimaldyj duc de Falentinois^ tous ducs et pairs de France^
tléfendeurs et demandeurs en requête et opposition à Venrega-
trement desdites lettres patentes^
La contestation qui est entre M. le duc de Luxembourg et
Messieurs les ducs et pairs est un point d'honneur, de rang
et de préséance pour la pairie de Pine y , et non pas une ques-
tion du titre, de la propriété, ou du domaine de cette terre.
M. de Luxembourg demande la séance en ce premier |)ar^
lement de France, qui est la cour des pairs , du temps que
ce duché a été érigé en pairie au profit de François de
Luxembourg et de ses successeurs. Revêtu de cet office
éminent de la couronne , et ayant succédé à ce duché par le
mariage de Mme de Luxembourg et par le titre de la dot
qu'elle lui en a constituée, il soutient être bien fondé de
prendre son rang de Tannée i58i que la pairie a été créée.
La décision de cette question ne dé{)end point de la puis^
sance ni de l'ancienneté des maisons des parties qui contes-
tent, mais du temps de l'érection de leurs pairies. Ainsi
POUR LE MARÉCHAL D£ LUXEMBOURG. 385
lorsque quelques-uns de MM. les ducs et pairs ont affecté
dëlever le lustre et la grandeur de leurs maisons, ils n'ont
fait en cela qu'anticiper ]e soin que M. de Luxembourg au-
rait pris avec plaisir, s'ils ne l'a voient point voulu prévenir.
De sa part il ne dira rien du nom glorieux de Montmorency,
de sa naissance ni de ses emplois, sinon qu'il croit être gentil-
homme, et qu'il souhaite que Messieurs du Parlement soient
persuadés qu'il n'est pas indigne d'avoir place dans cette il-
lustre Compagnie, qui est la première du royaume. On ne
peut pas lui ôter cette prééminence, que plusieurs de MM. les
ducs et pairs pensoient si peu à lui disputer au conunence-
ment et dans le temps qu'il poursuivoit en 1661 sa récep-
tion, qu'ils lui ûrent la grâce pendant son absence de sollici-
ter Messieurs de la grand'chambre , et de suppléer à ce de-
voir que l'extrémité de la maladie, où il étoit tombé, l'empê-
choit de leur rendre : l'on ne sait par quelle fatalité ils ont
changé de sentiment. 11 a cet avantage d'être fondé sur le
droit commun et sur l'usage ancien et non contesté du
royaume, qui règle l'ordre des séances des pairs du temps de
l'érection des pairies et de l'enregistrement de leurs lettres.
L'exemple domestique de Léon d'Albert, qui ayant épousé la
fille de Henry de Luxembourg, dernier mâle de cette glo-
rieuse famille, a conservé par son mariage cette même pré-
rogative, est un préjugé pour la petite-iille du même Henry,
qui a} ant reçu par les traces du sang et par le canal de la
succession* la propriété du duché, a pu légitimement trans-
mettre à M. de Luxembourg, son mari, le privilège de la
préséance de la pairie. Enfin il a pour lui la volonté formelle
et expresse du Roi, qui étant le souverain dispensateur de
ces dignités, lui a continué par ces lettres de 1661 le même
rang dont avoient joui François et Henry de Luxembourg, et
a déclaré par celles de 1676 qu'il n'avoit point entendu faire
I . y y a-t-il pas là des expressions qu'on aurait peine à croire de
Racine? En outre, dès ce début, la construction de quelques phrases
est assez embarrassée. Nous pensons donc que dans la rédaction des
morceaux mêmes les plus remarquables, il se peut bien que tout ne
soit pas de notre auteur, et qu'il se soit souvent contenté de quel-
ques retouches.
J. Racimx. s5
^$6 FA CTUMS
une nouvelle érection de pairie. C'est ce qui sera montré dans
la déduction du fait, en expliquant toutes les lettres que trob
rois ont accordées successivement pour la terre de Piney, doDt
les clauses doivent faire la décision de cette contestation, qu'oo
peut dire être autant et plus de fait que de droit*.
Pour le droit, il est constant que les duchés, qui sont
les grands fiefs de la couronne, sont héréditaires, et patri-
moniaux de même que les autres fiefs ordinaires; qu'ils peu-
vent être possédés par les femmes comme par les hommes,
pour les transmettre à leurs enfants et descendants à perpé-
tuité ; que la paine , qui est une dignité ajoutée et unie aoi
duchés, de même que les duchés le sont aux fiefs, est pa-
reillement héréditaire et patrimoniale, et que les femmes y
peuvent succéder au défaut des mâles quand l'érection en est
faite en faveur des mâles et des filles et de leurs descen-
dants; que si les filles qui ont recueilli le duché et la pairie,
peuvent les faire passer à leurs enfants et héritiers par voie
de succession, elles peuvent aussi les transmettre à leurs maris
par la force et l'efiet du contrat de mariage, pour en avoir
l'administration et en exercer les droits de même que de k
dot et des autres biens de la fenune ; qu'entre ces droits de
la pairie est celui d'assister aux sacres des rois, et d avoir
séance au Parlement, dont le mari aussi bien que les enfants
de la duchesse peut jouir pour en faire les fonctions; or
comme le rang, l'ordre et la séance dans Tune et l'autre cé-
rémonie sont réglés par l'ancienneté de l'érection suivant le
droit conmiun, aussi le mari, cpii représente la femme et qui
soutient son fief et la dignité qui y est attachée, est bien fonde
de prendre la même prééminence que les autres pairs'.
.... Toutes les cpiestions que MM. les ducs et pairs ont
agitées dans leur Mémoire^ s'évanouissent par une déclara-
tion si formelle. Les scrupules qu'on peut faire à caose de
redit de i566, qui réunit les duchés par. le défaut de miles,
les fictions de l'extinction de la pairie, les difficultés qn'on a
voulu former sur les érections féminines, pour dire que la
t. Pages 1-3 de Tédition de 1694.
a. Page 93 eu. (D j a, par une erreur de pagination, deux feol^
let$ marqués 93-94.)
POUR LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG. 38;
•
concession ne s'étend point au second degrë ni à la Glle d'une
fille d'un duc et pair qui n'est plus de la famille; celles qu'on
a faites sur la transmission de la femme à son mari qui est
un étranger, sont toutes décidées par les lettres de 1676, qui
doivent servir de loi. La volonté du Roi, qui est le dispensa-
teur des dignités de la couronne, qu'il crée et supprime quand
il veut, et qu'il peut faire revivre quand elles sont éteintes,
est la règle certaine et inviolable de toutes ces contestations.
Et ce seroit entreprendre sur l'autorité souveraine et contre-
venir à la volonté expresse du Roi, que de combattre les let-
tres de 1661 et de 1676 de nullité*.
Il faut retrancher tout ce qu'on a dit de la loi salique,
laquelle ne peut avoir aucune application à la succession des
duchés et des pairies ; car qu'entend-on par la loi salique ? Ou
c'est ce brocard rapporté dans une compilation barbare et
inintelligible qui porte le titre de cette loi : De terra salica
nuUa portio pertineat ad fœminam; ou c'est la loi ancienne
et fondamentale de l'état monarchique du royaume, qui n'ad-
met point les femmes à la succession de la couronne. Si l'on
entend la première, l'auteur du Mémoire n'y trouvera pas son-
compte, parce que dans cette même compilation il y a un au-
tre article, qui porte que cette exclusion des fenunes n'a lieu
qu'en cas qu'il y ait des mâles qui concourent avec elles :
Dum virilis sexus exstiterit^ fœmina in aviaticam terrtun non
succédât. Cette exception prouve que cette exclusion des fe-
melles n'est pas absolue, mais a lieu seulement en cas de con-
currence des mâles. Aussi tous nos savants historiens fran-
çois, et ceux mêmes dont l'auteur du Mémoire s'est servi,
ont évité cet endroit comme un écueil , et ont dit * que la loi
de la succession masculine du royaume de Frcmce vient plutôt
dune ancienne coutume que d aucune ordonnance ni établisse"
ment par écrit; que cette ancienneté est de plus grand poids que
la loi salique; et que son origine est dcuitant plus auguste et
vénérable que son observation immémoriale a été inviolablement
gardée pendant plusieurs siècles.
I. Pages 97 et 98.
a. Hotman in Franeogallia. Loisel, de la Loi souque. ^^ MM. Du*
pojs dans le Traité du droits du domaku, {Note du Factum.)
3»» FACTUMS
Si au contraire on entend par ia loi saiique cette loi origi-
nale du royaume qui s'est conservée en la mémoire de nos
|)ères, et qui a passé jusqu'à nous par une tradition inviola-
ble et perpétuelle, on se trompe de vouloir mettre en paral-
lèle la succession des pairies avec celle de la couronne. Cette
comparaison est odieuse, et blesse la souveraine puissance
des rois. On n a jamais douté qu'ils ne soient en droit de
rendre ces dignités féminines quand il leur platt, puisque les
grands seigneurs et les vassaux mêmes ont la faculté de faire
des fiefs et des arrière^fiefs masculins et féminins quand ils le
jugent à propos. Cette loi qui exclut les femmes de la cou-
ronne est une loi étemelle, immuable et indépendante des
rois ; mais celle des duchés et des pairies dépend de l'autorité
et de la volonté du Roi. Il peut, selon les nécessités de l'Etat
et la conjoncture des temps, ériger ces dignités pour des fe-
melles, comme pour des mâles, et pour les descendants des
uns et des autres.
.... La couronne est déférée aux mâles par le droit du
sang et de la loi de France, et non par le droit d'hérédité;
mais les duchés et les pairies sont déférés par la loi de l'in-
vestiture , telle qu'il a plu aux rois de l'accorder. Si c'est,
comme il arrive le plus souvent, aux hoirs mâles et femelles,
il ne suflit pas alors d'être du sang, mais il faut être héritier
de celui au profit de qui la \mvne a été donnée. Cest une dif-
férence qui a été marquée par du Molin*, pour montrer que
ces grands fiefs, quoique mouvants de la couronne, ne sout
pas cependant gouvernés par la loi de la masculinité ni par
celle de la souveraineté, mais par les conditions de l'investi-
ture, et par la loi de Finféodation, suivant la volonté du sou-
verain. L'auteur qui dans ce siècle a défendu avec autant de
suffisance que de solidité les droits de la couronne contre les
prétentions d'Espagne a reconnu ces vérités, quoique la cause
qu'il défendoit semblât l'engager dans un parti oontraireV
Mab conune il savoit que la succession de la couronne n'a
rien de conunun avec celle des pairies, il n'a pas fait difBcultf^
I. Sur la eouiume de Paris^ article 8, glose 3. {Noie du Factnm )
9. Anton. Dominioy contre Chiflet, et le Toameiir, conseillerai
parlement d'Aix. (Note du Factum.)
POUR LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG. ^89
d'avouer que les ducliés et les pairies n* étoient pas sujets à la
loi salique pour la condition de la masculinité ' .
.... Voilà quel ëtoit Tusage et le droit commun des apa-
nages, des pairies, des duchés et des comtés pendant trois siè-
cles. Mais pour les apanages les choses ont changé sous le roi
Charles V. Il est le premier qui a ordonné que la part ou la
dot des filles de France leur seroient données en deniers ou
en rentes, et que les apanages des fils de France seroient res-
treints aux descendants mâles, sans pouvoir passer aux filles.
Cet établissement plein de prudence et d'une bonne politique,
fait par un prince plus connu par le titre de sage que par sa
qualité de roi, a été inviolablement observé par ses succes-
seurs, et renouvelé par l'ordonnance de Charles IX. de i566.
Mais il n'y a \xnni eu de loi particulière, ni aucune ordon-
nance qui ait abrogé l'hérédité des duchés et pairies, et la fa-
culté de les donner aux femmes, qui n'ont point été excluses.
Les uns et les autres sont demeurés dans leur première na-
ture et dans le droit commun, pour être héréditaires, et su-
jets aux conditions des fiefs ordinaires, à l'efiet d'être concé-
dés aux filles, comme aux enfants mâles des ducs et pairs.
L'édit de i566, qui a été fait dans la fin du dernier siècle,
n'a rien statué de particulier sur l'incapacité des femmes, ni
sur leur exclusion absolue des duchés. Cette ordonnance n'a
été faite que pour retrancher la multiplicité de ces dignités,
que les rois avoient été comme forcés i)endant les guerres ci-
viles et étrangères d'accorder à Timportunité des courtisans,
et des officiers qui étoient dans le service. Pour mettre une
barrière et une digue à ces nouvelles créations, doQt le nom-
bre étoit excessif, on fut obligé d'ordonner la réunion des du-
chés et des comtés au domaine par le défaut des mâles, même
|X)ur les terres qui ne venoient point de la couronne. On crut
que cette extinction qui se faisoit de plein droit par le défaut
des mâles seroit un frein pour retenir les particuliers, qui ap-
préhendant la perte de leurs propres terres, ne voudroient pas
la risquer sur la tète et sur la vie de leurs enfants mâles, au
préjudice de leurs filles et de leurs autres parents. Mais cette
loi n a point donné de bornes à la souveraine puissance des
I. Page* 10^109.
Vjo FACTUMS
rois, et n'a pu les dépouiller du pouvoir qu'ils ont de distri-
buer ces dignités et ces offices à ceux qui ont bien mérité de
l'État : ce qui est le droit le plus essentiel et le plus éclatant
de la souveraineté. La dispensation de ces grands offices de la
couronne est dans la personne du Prince, comme les rayons
dans le soleil^. Il n'y a point de loi qui puisse retenir ces
épanchements de la royauté qui vont à récompenser la vertu
et le service de ses sujets. II s'est tant trouvé d'inconvénients
dans cet édit, que jusques à présent il a été impraticable. Il
réunit au domaine des terres qui n'en ont jamais fait partie,
et auxquelles le Roi n'a donné que titre de duché. Il prive
les seigneurs de qui ces terres érigées en duché ou comté re-
lèvent, de leur mouvance et de leur directe féodale. Il blesse
les substitutions dont ces terres sont chargées en faveur des
mâles et des femelles. Le remède pour ce mal dont l'ordon-
nance de Blois s'est voulu servir, en obligeant ceux qui ob-
tiennent de semblables érections à se purger par serment que
leurs terres ne sont sujettes à aucune substitution, est un re-
mède captieux, dit Coquille^, qui souvent est l'occasion d'an
parjure.
.... Depuis cet édit, qui ne parle point des pairies, mais
seulement des duchés et des comtés, il s'est fait autant d'érec-
tions de duchés et de pairies en faveur des femmes que dans
tous les temps qui ont précédé sa publication.
Ces premiers offices de la couronne sont plus aux rois
qu'aux personnes qui en sont revêtues. Leur être n'est rien
que sous le nom glorieux du Roi. Il dépend de lui de faire
une pairie personnelle et viagère, ou de la rendre héréditaire
et perpétuelle ; de la donner aux mâles et à leur postérité seu-
lement, ou de l'accorder aux fenmies et à leurs descendants;
de la restreindre à un premier degré, ou de l'étendre à tous
les degrés du sang. Sa puissance en cela est semblable à celle
de Dieu, qui a, selon l'Écriture, les hommes entre ses mains,
comme l'argile est entre celles du potier. Il a le pouvoir de
faire des vaisseaux d'un honneur éclatant, et d'autres d'un
I . j4 principe exeunt omnes dignitates ut a sole radu. Casaiodore.
{Note du Factum.)
9. Sur C ordonnance de Blois. {Note du Factum.)
POUR LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG. 891
usage commun*; les uns d'un plus grand et les autres d'un
moindre prix. L'argile peut-elle dire à l'artisan : Pourquoi
m'as-tu donné cette forme ? Nunquid dicit figmentum ei qui se
finxii: c Quidme fecisti sic* ? » Peut-elle demander que celui qui
l'emploie lui rende compte de son ouvrage? Y a-t-il un duc
et pair qui puisse se plaindre pourquoi le Roi a fait une pairie
féminine plutôt que masculine ? Un seigneur suzerain peut bien
de son domaine faire un fief féminin, et les pairies par les lois
de l'Etat étant héréditaires de même que les fiefs, qui empê-
che que le Roi, dans la concession qu'il en fait, les assujettisse
aux lob ordinaires des successions? La dignité de pair n'est
pas seulement distinguée des autres offices en ce qu'elle n'est
pas viagère et personnelle, mais encore en ce qu'elle est hé-
réditaire, réelle, féodale et seigneuriale. Cest à cause de cette
réalité de l'hérédité, et de l'union à un fief et à un duché,
qu'elle peut être possédée par des filles d'un duc et pair et
être transmise à leurs descendants.
Tout dépend donc de la volonté du Prince, des conditions
et des termes sous lesqueb chaque pairie est érigée*
AU ROI
ET A NOSSEIGNEURS DE SON CONSEIL.
Sl&B,
FiAwçou-ILnniY de MonTMoasMCY, duc de Luxembourg et
de Piney, pair de France, ExiioNTai très-humblement à Votbe
MajestA que M. le duc de Richelieu, dans une requête impri-
I . Jn mon habet potestatem figulut luti tx tadem nuusa faetrt aUud
guidon vas in honorem^ aiiitd vtro in contumeliam? Paul, ad Rom.
[chapitre ix, vertei ai]. {Note du Factum.)
s. Saint Paul, Êpùre aux Romains y chapitre ix, verset 30.
3. Pages i3o-i33.
39» FACTUMS
mèe et signifiëe le a 4 février dernier, contenant tous ses
moyens d'évocation, se plaint a tort de ce que le suppliant
publie dans le monde et répand dans la cour que la cédule
évocatoire a été obtenue par un esprit d'incident; car ce ne
sont point les manières du suppliant, qui a toujours traité
M. le duc de Richelieu et les autres ducs et pairs avec toute
l'honnêteté possible.... L'instance pendante au parlement de
Paris pour la préséance est commencée il y a plus de trente
ans; M. le duc de Richelieu a formé son opposition à Tenre-
gistrement des lettres de continuation de pairies données en
faveur du suppliant dès le la février i66a; il a toujours con-
testé, écrit et produit ; et dans le factum qu'il a donné con-
jointement avec les autres ducs et pairs, il a reconnu ce par-
lement, qui est la cour des pairs, comme le seul juge naturel
de ces contestations. Les parents du suppliant, du chef des-
quels il évoque aujourd'hui, étoient officiers titulaires dans
cette cour, de même qu'ils le sont à présent. Cependant,
après trente années de contestation volontaire au parlement de
Paris, il attend dans la dernière extrémité que le rapport est
commencé, i>our évoquer à un autre j^arlement; il se dégrade
lui-même, et avilit, ou plutôt veut anéantir, le plus beau pri-
vilège qu'il puisse avoir, d'être jugé dans cette cour*.
.... Les douze et treizième exemples qui regardent les con-
damnations rendues contre M. le duc de Rohan, par arrêt de
i6a8 au parlement de Toulouse, et contre M. le duc de
Montmorency en 16! a au même parlement, sont des exemples
singuliers qui ne violent point la règle ordinaire, et ne font
point brèche à la loi générale. Dans ces temps difficiles et fâ-
cheux des mouvements des huguenots au cœur du royaume,
il étoit de la prudence et de la souveraineté du Prince de ne
pas suivre cette ponctuelle et scrupuleuse justice de la forma-
lité des jugements; car il ne faut pas dans ces conjonctures
attendre que les rebelles aient ruiné i'Ëtat, afin d'agir contre
eux légitimement et les poursuivre devant leurs juges natu-
reb. Cette souveraine injustice est un souverain droit , dit un
excellent auteur de ce temps ; ce seroit pécher contre la rai-
son, de ne pas pécher en ceci contre les formes. Combien
I. Pages I et 3 de IVdition originale.
POUR LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG. 393
étoit-il périlleux de transférer les accuses de la province de
Languedoc, où le délit avoit été commis, et de faire venir les
témoins en la ville de Paris! D'ailleurs le premier de ces ac-
cusés, M. de Rohan, ne demande pas son renvoi, et le der-
nier voulut bien renoncer à son privilège : Quoique t^ous ne
sqjrez mes Juges nature is^ dit-il dans son interrogatoire, et que
je ne doive vous reconnottre^ vu ma qualité de duc et pair de
France^ néanmoins ^ puisqu il plntt au Roi que je réponde^ je le
ferai * . Ces exemples extraordinaires, qui arrivent rarement,
ne doivent pas être rap|M)rtés pour en faire l'application à une
contestation qui n'est qu'un point d'honneur, de préséance et
de rang, pour lequel le Roi s'en est rapporté au Parlement.
M. de Richelieu devoit se dispenser du dernier exemple de
M. le duc de la Valette, étant plutôt une preuve de grand
crédit de Monsieur le Cardinal dont il porte le nom, qu'un
véritable effet de la justice. Si son conseil n' avoit pas tronqué
les Mémoires' d'où il a tiré l'arrêt de 1639 qui condamna
M. de la Valette par des juges incompétents, et s'il eût fait
voir l'arrêt du 3i juillet i643', qui ayant cassé et annulé
tonte la procédure faite par les commissaires^ comme nulle^ dé^
chargea M, de la Falette de t accusation contre lui intentée^
sauf il se pourvoir pour ses dommages et intérêts , l'on ne croit
pis que M. le duc de Richelieu eût souffert dans cette requête
un exemple si extraordinaire et si injuste, qui n'est fondé que
sur le crédit et l'autorité d'un ministre puissant et favori*.
.... Enfin, pour détruire tous les faits de la requête de
M. le duc de Richelieu et effacer toutes les impressions qu'il
I. Mercure frati^ou, année i63s. (iVo/e Je la Requête.)
9. Mémoires Je Montresor. (Note de la Requête.)
3. Noas avons cm pouvoir ici faire un changement au texte de la
Requête^ qui porte : « Tarrét du 3 juillet 1^)48. » Ce ne peut être
qu'une faute d^împression. On lit dans la Gazette du 8 août i643 :
« Le duc de la Valette, à présent duc d^mpemon, après avoir été
déchargé par arrêt solennellement rendu /« 3i du passée toutes les
chambres assemblées, de Taccusation contre lui intentée dès le mois
d'octobre i638,... a été ensuite remis par Leurs Majestés en ses
charges de colonel général de l'infanterie françoise et de gouverneur
^ lieutenant général pour Leurs Majestés en Guyenne. »
4- Pages 37 et i8.
394 FACTUMS.
a voulu donner contre le privilège de la pairie, le suppliant
finira par les paroles mêmes qu'il a employées dans son Fae-
ium, signifie et imprime pour Tinstance du Parlement\ et
qu'on ne sauroit trop répéter : Le Roi a bien voulu renvoyer
la décision à son parlemeni de Paris ^ qui est par le titre au-
guste quil a toujours eu de la cour des pairs et de la cobt
de France^ dépositaire de cette puissance que nos rois lui ont
confiée de donner et Juger les rangs et les séances des pairs^
et (Tétrt!, par une prérogative dthonneur qui lui est réservée^
les seuls Juges de leurs pairies. Il reconnott lui-même que a
cour des pairs, la cour de France et la cour du Roi étoient
la seule cour de Parlement, et que les autres parlements
n'étoient point des émanations de cette cour de France ni de
la cour des pairs : qu'il accorde, s'il peut, ce quil dit dans
son Factum avec ce qu'il a écrit dans sa Requête du 24 fé-
vrier dernier*. . .*
X . Il s^agit du Mémoire sur la question de préséance pour Meuieurt
les dues et pairs ^ dont nous avons parlé ci-dessos, p. 377.
1. Pages 99 et 3o.
REPONSE
DE MONSEIGNEUR L'ARCHEVÊQUE DE PARIS
AUX QUATUt LITTRAfl DB MONUIGICKUR L*AACny|QnB DS CAMBRAI.
NOTICE.
Csm Réponse a été imprimée pour la première fois en un volume
in- Il de cent page*, sans lieu ni date; on sait d'ailleurs qu'elle est
de l'année 1698. Un exemplaire ({ue possède la Bibliothèque impé-
riale porte, au-dessous du faux titre, cette petite note, qui est de la
main du président Bouhier : jittriiuée communément à M. Jean Ra-
cine de r Académie Franf. Bouhier, dont la jeunesse avait été con-
temporaine des dernières années de Racine, avait pu recevoir cette
information au temps même ou la lettre fut publiée. Remarquons
surtout que, par ses liaisons avec les littérateurs les plus distingués
de son temps, par son goût éclairé pour les livres, par ses habitudes
d^esprit, cet homme d'une érudition solide et variée échappe plus
que beaucoup d'autres au soupçon d'avoir admis légèrement et
uns critique la tradition qu'il nous a conservée. Au tome IX de la
Correspondance de Fénelon (Paris, Ferra jeune et A. le Clere, 1817-
1899), P' '^^f nous trouvons aussi cette note, au sujet delà Réponse
aux quatre lettres de Parchevéque de Cambrai : « On attribue cette
Réponse à Racine; mais il n'a fait que prêter sa plume à M. de
Noailles, et mettre en œuvre les matériaux qu'on lui a fournis. »
Les éditeurs ne disent pas s'ils ont eu sous les yeux, dans l'exemplaire
dont nous venons déparier, la note manuscrite du président Bouhier,
et si elle leur a seule révélé le fait qu'ils ne paraissent pas révoquer
igS REPONSE DE L'ARCHEVÊQUE DE PARIS.
en doute. Il peut bien être venu de quelque autre côte i leur con-
naissance ; car en tout ce qui touche à Fënelon, les sources les plas
diverses dUnformation leur ont été ouvertes. Il ne serait donc psi
trop téméraire de croire que leur autorité ne fait pas double emploi
avec celle de Bouhier. Du reste, c'est principalement dans le carac-
tère, dans le style, dans les rares qualités de Fœuvre de polémique
attribuée à Racine que, pour notre compte, nous trouverions Ie«
meilleures preuves que cette attribution mérite confiance.
Le 27 octobre 1697, M. de Noailles, archevêque de Paris, publia
une Instruction pastorale sur la perfection chrétienne et sur la vie inti*
rieure ; contre les illusions des faux mystiques. Le dessein de cette In-
struction était principalement de réfuter le livre de VRxpltcatUm des
maximes des saints; et bien que Tarchevéque de Cambrai n*j fiit
pas expressément nommé, on y affectait de relever toutes les pro-
positions de son livre; et sa doctrine j était notée « parles pins
fortes qualifications, dit Tabbé Ledieu*, même en des termes durs,
qu^on pourroit dire injurieux. »Fénelon, très-blessé de cette hstr»-
tion, qui « paroit, écrivait-il *, douce et modeste, et. ... a plus de venin
que toute la véhémence de Monsieur de Meaux, » répondit par quatre
Lettres à Monseigneur C archevêque de Paris. Le cardinal de Bausset dit'
quUl ne les avait pas publiées en France, quUl sVtait borné à les
adresser aux examinateurs nommés par le Pape ; mais qu^à son in«i.
elles avaient été réimprimées en Italie, et bientôt reproduites par
les presses de Hollande. L'archevêque de Cambrai, écrivant le m fé-
vrier 1698 à Tabbé deChanterac, qui était alors à Rome, lui annon-
çait renvoi de ses trois premières lettres. Ce fut seulement le i5 mars
suivant que celui-ci répondit qu'il avait reçu les trois lettres, et les
avait portées le jour même au saint -office. Quant à la quatrième
lettre, qui fut écrite plus tard pour répondre à V Addition à t Instruction
pastorale^ Fénelon en parle pour la première fois dans sa lettre Ha
17 mars 1698 au Nonce, à qui il l'envoyait^. Il ne tarda sans doute
pas beaucoup, après ce temps, si « faire courir dans le monde • ses
lettres à l'archevêque de Paris, comme celui-ci le lui reproche dan<
I . Voyez les OEuvres de Péaeloa (édition de Lehel), tome Y, p. 199, note ^.
a. Dans une lettre à l'abbé de Chanterac , da 7 janvier 1698. Voyci k
tome YIII de la Correspondance de Fénefon, p. 3l8 et 3i9.
3. Histoire de Penefan^ tome II, p. io5.
4. VoyeK dana la Correspondance de Fenefon^ tome VIII, les lettr»
CCCXT.V111, CGC1.XVI et oocLxvii, p. 490, 499 et 49^*
NOTICE. 3y7
sa Rêporue. L'intention de M. de Noailles de préparer cette réponse
était dëja annoncée le 8 avril 1698 par Tabbé deCbanterac à Tabbé
de Langeron*. Si nous avons relevé ces dates, c'est qu'on en doit
coDclure que la Réponse aux quatre lettres fut faite en assez peu de
temps, en un mois, ou six semaines au plus. Fénelon dit qu'elle lui
fut envoyée manuscrite par M. de Noailles le i5 mai 1698, et que
trois jours après, le 98 du même mois, il la reçut imprimée, et
apprit qu'elle se vendait publiquement chez le libraire de l'arche-
Téque de Paris*.
U nous semble que parmi les écrits polémiques de cette époque
on en trouverait difficilement un où il y ait la même vivacité de
•tjrle, une ironie maniée avec autant de grâce et de finesse, une
telle adresse à décocher les traits les plus piquants. Nous voudrions
nous garder de toute prévention; mais nous nous imaginons recon-
naître là quelque chose de la manière de Racine, telle qu'elle nous
est connue par ses lettres à Nicole, et retrouver une malice, un art
à peu près du même caractère , avec les différences qu'on est en
droit d'attendre de l'âge beaucoup plus sérieux où Racine était
anivé, et de la nécessité où il était de faire parler un grave ar-
chevêque autrement qu'un jeune pofite raillant ses instituteurs.
Vlnttruetion pastorale de M. de Noailles, à laquelle Fénelon repro-
chait tant de venin, ne manque sans doute pas elle-même de
traits redoutables , et n'est pas non plus Pœuvre d'un écrivain sans
talent; mais on n'y trouve certainement ni le même ton, ni le
même style que dans la Réponse aux quatre lettres. A propos de cette
Instruction pastorale, Fénelon disait : « Monsieur de Paris s'est
livré à MM. Boileau (fabbé Boileau) et Duguet*. » Ne voulait-il pas
insinuer par là qu'ils avaient aidé le Cardinal à écrire son Instruc-
tion? S'il fallait croire que M. de Noailles leur eût en effet demandé
des inspirations, il deviendrait plus probable encore qu'il a de même
emprunté quelque secours pour écrire sa Réponse à l'archevêque
de Cambrai ; et l'on ne s'étonnerait pas qu'il eût de nouveau cher-
ché un auxiliaire du côté de Port-Royal. Seulement, cette fois,
pour un écrit qui n'était pas une lettre pastorale, il ne se serait
I. Correspondanee de Fénelc»t tome VIII, lettre occLXZvm, p. 549.
1. RespiMsw D, Arekiepiecopi eameraeensis md epistolam />. parisiensis
Jrekiepiseopi. OEmeres de Fénelon, tome V, p. 443.
3. Carreepondance de Fénelon, tumo TIII, p. 319.
/
igS RÉPONSE DE L'ARCHEVÊQUE DE PARIS.
pas fait scrapnle de recourir à une plume qu*il saTait plus rire et
plus acérée.
Les relations de Racine avec l'archeréque de Paris sont connan.
Dès les premiers temps de Tépiscopat de M. de Noailles, il aTait été
auprès de lui TaTocat et comme le charge d^afTaires des religiemet
de Port-Royal ' ; et à Tëpoque où fut écrite la Réponse ans quatre
lettres^ il n^avait pas cessé d^avoir besoin de Tappui de rarcheTéqne
de Paris pour une si chère maison : il devait donc être très^disposé
à le servir avec tèle. Quant à M. de Noailles, il avait eu sans nul
doute , dans ses fréquents entretiens avec Racine, bien des occa-
sions d^admirer comment il savait plaider les causes qu'il prenait eo
main. Nulle difficulté donc de ce côté à croire que le prélat et le
poète aient pu se concerter dans une œuvre commune. D 7 en a
un peu plus, nous Pavouons, quand on regarde du cdté de Fénelon,
et que Ton pense aux ménagements que Racine lui aurait dus. Noos
avons, il est vrai, prouvé que les deux lettres de 1697, citées par
Louis Racine dans ses Hémoirts^ ne sont pas de Fénelon, comme
longtemps on Pavait cru*; rien n'établit donc qu'il y ait eu entre
l'archevêque de Cambrai et notre poëte cette intime amitié qu'on
s'était plu à supposer. 0 reste cependant ceci, qu'au commencement
de l'année 1698, à peine trois mois avant le temps où Racine annit
mis la main à un écrit si dur pour Fénelon, celui-ci faisait le plus
gracieux accueil dans son palais de Cambrai à Jean-Baptiste Ra-
cine, dont le père avait écrit au prélat pour le remercier de tant
de bonté*. Nous venons de dire qu'il n'avait jamais existé d'intime
amitié entre Racine et Fénelon. Parlant toutefois des sentiments
que l'archevêque de Cambrai lui avait toujours témoignés. Racine
a prononcé lui-même ce mot d'amifiV, qui demeure significatif,
bien qu'il ne faille pas en exagérer ici le sens et la portée. Q écri-
vait à son fils Jean-Baptiste, le 5 avril 1697 : « L'amitié qu'avoit
pour moi Monsieur de Cambrai ne me permet pas d'être indiffé-
rent sur ce qui le regarde, et je souhaiterois de tout mon coar
qu'un prélat de cette vertu et de ce mérite n'eât point fait un livre
qui lui attire tant de chagrins. » L'occasion même dans laquelle
Racine parlait ainsi est digne de remarque. Celui en qui les doa-
leoTt infligées â Fénelon éveillaient de tels souvenirs de reconnais-
I. VoycE notre tome I» p. i36et 137.
a* Voyas ibidem^ p. 3 10, note 3.
3. Lettre de Bmeine à eonjilê, en date du a6 janvitr 169S.
NOTICE. 399
ttnce a^t-îl pa, si peu de temps après, trayailler lui-même i irriter
ces douleurs? Les puissants motifs que Racine avait de complaire à
TarcheTêque de Paris, les liens qui Tonissaient à nn parti où l'on se
prononçait d'autant plus Tirement contre les doctrines de Fënelon,
que ce prâat était ami des Jésuites, pourraient être regardés comme
des explications d'une pareille conduite; mais n'en seraient-ils pas
des excuses bien insuffisantes? Et fitut-il dès lors, sans preuves
positives, imputer à Racine une action qui le ferait à bon droit
taxer de peu de générosité, on tout au moins de grande faiblesse?
Nous laissons au lecteur le soin de décider si ces considérations
morales, qui paraîtront plus ou moins fortes, selon l'idée qu'on se
sera faite du caractère de Racine, doivent être d'un plus grand
poids que la tradition attestée par le président Bouhier, et que les
vraisemblances littéraires dont nous avons été frappé.
On nous accordera tout au moins que, parmi les ouvrages attri-
bués à Racine, il y avait lieu de ne pas entièrement passer sous si-
lence, comme les éditeurs précédents l'ont fait, la Réponst aux qua-
tre lettres Je Varchevéque de Cambrai. Nous n'en donnerons ici que
quelques fragments, nos misons pour ne pas la reproduire tout
entière étant à peu près celles que nous avons exprimées déjà au
sujet des Faetums pour M. de Luxembourg. Elle risquerait, il est
vrai, beaucoup moins que les Faetums^ de paraître trop longue, et,
dans quelques parties, trop aride; mais, d*un autre côté, il 7 a
moins d'inconvénient à renvoyer aux OEuvres de Fénelon*, acces-
sibles pour tous, qu'aux recueils de Faetums, difficiles à trouver,
ceux qui auront le désir de lire dans leur entier les écrits auxquels
Racine passe pour avoir eu quelque part.
I. La Réponse de Parekepiqué de Fans est imprimée aa tome V des
OEmsres de FémtUm^ p. 383-440. Noos suivons le texte de l'édition de 1698,
qm dn reste a été Sdèlement reproduit par celle de Lebel (Tenailles, i8ao)
Aoo REPONSE
REPOJSSE
DR MONSEIGNEUR L'ARCHEVEQUE DE PARIS
AUX QUATms ucrmu de MONintomnii i.'AiiauvâQui! dl cambeai.
MONSSIGNKUR,
Je ne doute point que vous n'avez senti quelque peine
en m'attaquant personnellement. Vous m'en assurez ; notre an-
cienne amitié et ma conduite à votre égard me le persua-
dent. Vos amis, qui m'ont fait des remerciements même depuis
mon Instruction pastorale^ ont paru étonnés du ton que vous
avez pris en écrivant contre moi. Je ne vous dirai pas eo
' quels termes des personnes habiles et sages ont parlé de vos
leUres. Je ne veux pas croire que ce soit le succès de Xlth-
struction qui vous ait mis en mauvaise humeur; mais il est
vrai que dans le temps qu'elle parut, vous y trouvâtes de la
modération. Vous croyez avoir droit présentement de me cen-
surer et de vous plaindre^ : c'est à vous à vous examiner de
votre côté, et à moi à vous satisfaire, si vos plaintes sont
justes.
Je ne vous reprocherai point, Monseigneur, la manière si
.peu usitée de faire courir longtemps dans le monde des let-
tres imprimées que vous marquiez m'avoir adressées, et que je
n'avois point vues. Vous savez pourtant combien saint Jérôme
trouvoit extraordinaire qu'une lettre que saint Augustin lai*
avoit écrite eût couru dans les provinces et à Rome, avant
que de lui être rendue à lui-même. Saint Augustin se disculpa
très-sérieusement d'une faute dont il n'étoit pas €x>upaUe.
Mais je n'y regarde pas de si près. Si vous avez raison dans
le fond, je ne vous ferai point de procès sur la forme.
Vos quatre lettres se réduisent à deux chefs : à n'atta-
quer sur mon procédé, et sur la doctrine de mon InstruaiM
pastoraie. D'autres soupçonneroient que vous usez de récri-
mination, pour embrouiller l'affaire, et pour faire diversion,
DE L'ARCHEVÊQUE DE PARIS. 401
s'il est possible. Quoi qu'il en soit, après avoir dit en géné-
ral que le procédé des prélats dont vous vous plaignez a été
tel que vous ne pourriez espérer d'être cru en le racontant,
vous m'accusez en particulier de foiblesse , de variation, d'in-
discrétion, de dureté; et vous le faites de cet air décisif dont
vous avez prononcé dans vos Maximes des saints. Que ne me
permettiez-vous au moins de me taire ? Je vous aurois volon-
tiers laissé triompher parmi le petit troupeau qui vous applau-
dit. Mais vous me sommez, Monseigneur, vous me forcez de
parler. Je souhaite de tout mon cœur qu'on ne vous impute
pas ce qu'on disoit sans fondement à saint Jérôme, au sujet
des lettres 'de saint Augustin : Suggerebani non simplici a
te animo factum , sed laudem aique rumuscalos et gloriolam
popuii requirente^ ut de nobis cresceres. Que n'avez-vous lu
de sang-froid les endroits de mon Infraction pastorale que
vous attaquez ? Que n'avez-vous rappelé dans votre esprit les
idées de mon procédé? Vous m'auriez épargné le déplaisir
de vous répondre.
J'ai appris de saint Grégoire à ne point mettre mon hon-
neur en ce qui peut blesser celui de mon frère ; et l'éclair-
cissement que vous eugez ne peut vous être avantageux. On
dit que Votre style a ébloui diverses personnes qui avouent
ne rien entendre au fond de la matière; mais l'éblouisse-
ment ne dure pas toujours : la vérité se manifeste tôt ou
tard ; on fait justice à ceux qui l'ont soutenue ; on est hon-
teux de s'être laissé éblouir; on se fâche quelquefois contre
l'auteur du prestige*.
.... Avant d'entrer dans le détail des faits, permettez-moi.
Monseigneur, d'établir deux ou trob principes , sur quoi l'on
doit juger de notre conduite. L'équité, l'amitié, la charité
nous obligent de bien penser d'un homme que nous estimons,
jusqu'à ce que nous soyons convaincus qu'il n'a pas de bons
sentiments. Après cette conviction, il faut employer les
moyens les plus propres à le désabuser : ces moyens sont,
pour l'ordinaire, la douceur et la patience. Mais si notre
ami s'opiniâtre, et que son autorité tourne au préjudice de
l'Église, alors il y a obligation de se déclarer hautement,
I. Pages 3-7 de l'édition originale.
J. RAcms. V ai
4oa RÉPONSE
surtout quand on est en place. Le ménagement serait piis,
selon la parole d'un saint pape , pour une espèce d'approba-
tion. Nous devons aimer Jësus-Christ et l'Église plus que rami
le plus t^idre.
On peut voir l'application de ces principes dans la con-
duite de saint Basile, de saint Grégoire de Nazianze, de
saint Augustin à l'égard d'Eustathe, de Maxime, de Pelage.
Je ne cite point ces exemples pour £ûre des ocxnparaisoDs
odieuses, mais pour autoriser la règle. Ne craignez pas. Mon-
seigneur, que je vous confonde avec deà hérétiques, après
les protestations que vous avez faites de vous soumettre au saint-
siège. Si je me suis écarté, à votre égard, des règles que je
viens d'établir, j'ai tort, vous avez eu raison de vous plaindre.
Sije les ai observées exactement, vos plaintes ne sont pas justes ^
.... Répandez donc encore, si bon vous semble, que j'ai
approuvé votre ouvrage : c'est là le fort de vos plaintes
contre moi. De ce que je vous ai donné quelques observadons,
après la simple lecture d'un livre que les plus habiles recon-
noisscnt ne pouvoir être entendu qu'à la troisième ou qua-
trième fois, vbus concluez que je suis responsable de tout le
reste. Vous établissez là une étrange maxime. Voudriez-vous
qu'on vous imputât d'avoir approuvé dans les écrits de
Mme Guyon, que vous avez lus et relus, toutes les erreurs
que vous n'y avez ni aperçues ni relevées? Voudriez-vousmême
que sur les écrits que vous avez faits pour la défendre y on
vous rendit garant de toutes ses visions ? Il y en auroit pour-
tant un peu plus de sujet que de me rendre garant de votre
livre. Les écrits de la dame sont tout autrement clairs que
les vôtres; ils avoient été condamnés; elle étoit violemment
suspecte de fanatisme. Et si vous prétendez que votre amitié
pour un tel auteur peut excuser le jugement trop favorable
que vous en avez porté, mon amitié pour vous méritoit, ce
me semble, que vous vous échauffassiez un peu moins ooatrt
moi, sur ce que je ne vous ai pas jugé d'abord avec assez de
rigueur. C'étoit à vous plus qu'à personne à couvrir cette
faute, si c'en étoit une : Ipse non grai>açi vos^ donate mihi hanc
injuriam^.
I. Pages 8 et 9. — a. Pages i8-ao.
DE L'ARCHEVÊQUE DE PARIS. 4o3
.... Les Pëlagîens avoient cela de commun avec les faux
mystiques, qu'ils tempëroient de telle sorte presque toutes
leurs expressions, qu'ils pouyoient les accommoder, selon les
occurrences, au sens catholique et a leurs erreurs. Ita sèment
tiam tempenuii^ disoit saint Augustin à Julien, ut et vestra et
nosi^ potset voce défende^. Ils ne fiiisoient nulle difficulté,
par exemple, d'employer le mot de grâce, et d en reconnot-
tre la nécessité. Mais il se trouvoit à la fin que , renversant
le langage ordinaire et les idées communes, ils n'entendoient
fnr le mot de grâce qu'une bonne inclination naturelle, ou
la loi écrite. Les fidèles les plus éclairés, comme les plus
simples, ne pouvoient manquer d'être d'abord trompés par
ca artifices. On ne suppose pas du premier coup qu'un
Komine nous parle en chifire; et plus on est droit et sin-
cère, plus on est porté à interpréter favorablement le langage
andâgu des personnes qu'on estime, et qui nous assurent
qu'elles pensent conune nous. Saint Augustin, avec toute sa
lumière et son zèle, avoue qu'il Ait surpris par les détours et
k$ équivoques de Pelage*.
.... En vérité. Monseigneur, plus je rappelle les idées de mon
procédé à votre égard, plus je suis étonné de vos plaintes.
Peut-on agir avec plus de cordialité ? Je parle avec confiance,
jtarce que j'ai cent témoins irréprochables de ma conduite.
Ma bonté n'étoit pas néanmoins si molle que vous l'avez
^oQJu faire entendre , et qu'on me l'a reproché dans le temps
que vous m'en faisiez des remerciements. Je vous ai aimé;
mais je ne vous ai pas flatté. Quelque porté que je fusse à
TOUS justifier, je ne vous ai rien dissimulé de ce qui pouvoit
vous faire condamner. Il est vrai que je ne vous ai pas parlé
avec empire, ni de»ré qu'on usât de voies dures pour arrê-
ter vos desseins. Mais un homme de votre pénétration avoit-
il besoin de paroles si fortes pour m'entendre? Un homme
de votre caractère doit-il être réprimé par l'autorité , avant
<pi'oQ ait mis tout en œuvre pour le ramener par la raison ?
Souvenez-vous, je vous suppÛe, de la manière dont je vous
parlai dès la première lecture que vous nous fîtes de votre
I. Lib. IV, eomtra Jui. 3 [n. 99, tome X, p. 600]. {Noté dt tautwr,)
a. Pages aa et i3.
4o4 REPONSE
manuscrit, à M. de Beaufort* et à moi. Nous vous dîmes que
vous entrepreniez là une chose bien hardie. Vous savez que
la politesse fait adoucir les expressions , quand on est obligé
de condamner un ami; mais si cet ami est homme d'esfirit,
on suppose qu'il suppléera par ses réflexions tout ce que
l'honnêteté a fait supprimer en lui parlant. Cest ainsi qu'on
ménage tout à la fois et la vérité , et la délicatesse des hom-
mes qui ont peine à la souffrir*.
.... Bien des gens jugèrent , en suivant votre livre pied à
pied, que c'étoit une apologie adroite de votre amie. De là sont
venues, à ce qu'on croit, les obscurités et les contradictions
de l'ouvrage. Vous vouliez soutenir une doctrine censurée,
sans combattre ouvertement la censure. L'entreprise étoh
embarrassante. Il falloit dire le oui ou le non sans qu'on s'en
aperçût ; mais on s'en est aperçu. Pour vous justifier, vous
dites que si un auteur avoit fait de telles contradictions, il
auroit été non-seulement dissimulé^ mais extravagant. Qu'est-
ce que cela conclut, Monseigneur, contre ceux qui montrent
ces contradictions en propres termes.' Le vrai dénouement,
disent les gens éclairés, c'est que l'auteur a voulu ju$ti6er
des écrits censurés, et n'a osé s'éloigner en tout du langage
des censures*.
.... La grande ressource de votre cause, dit-on, a t\s
d'introduire le jansénisme sur la scène. Il y a longtemps que
Mme Guyon et ses fauteurs ont fait jouer ce ressort pour
amuser le peuple, et pour la faire échapper à la censure.
Mais pourquoi imputer aux jansénistes un zèle dont les plas
déclarés contre. le jansénisme sont visiblemment aussi échauf-
fes que personne ? Qui l' auroit cru , il y a dix ans, disoit un
homme d'esprit, que l'abbé des Marais* passeroit |ioiir jans*^
niste, et qiie l'abbé de Fénelon deviendroit moliniste? On
augure toujours mal d'une cause qu'on défend par de man-
I. Joseph de Beaafort, grand Ticaire de M. de Noailles. D aviit
pris part à Texamen da lirre des Maximes de* saints. Voyn <•
tome VII de la Correspondance de Fénelon ^ les Uttns cxxxtoi rt
eue, p. 3o4 et 35o.
a. Pages i5-a7. — 3. Pages 3i et 3a.
4. C'est aujourd'hui Monsieur l'évéque de Chartres. {Hott i<
l'auteur^
DE L*ARCH£VËQIJE DE PARIS. 4oS
vais moyen». La vërité ne veut être soutenue que |>ar les
armes de la vërité.
Qui est-ce qui ne connoît, Monseigneur, ceux qui se sont
le plus déclarés contre Mme Guyon et son parti? Feu Mon-
sieur l'évêque de Genève , Monsieur l'évèque de Chartres , le
père général des Chartreux \ le P. Paulin, ex-provincial de son
ordre, feu Monsieur de Paris, mon prédécesseur. Quels jansé-
nistes ! Avant ce malheureux temps de division, auriez-vous cru
qu'on pût soupçonner seulement Monsieur de Meaux de favo-
riser Jansénius? Il auroit bien oublié les leçons de M. Cornet,
qui l'a élevé. Pour moi, vous n ignorez pas combien on me
reproche d'avoir trop retenu les instructions du P. Amelote.
Si vous aviez lu un livre' qui paroît depuis quelques mois
contre l'ordonnance que je fis pour censurer le livre de VEx^
position de la foi sur la prédestination et sur La grâce^^ vous
verriez comme je suis janséniste. Il est pourtant vrai que,
condanmant les sentiments outrés de ce livre , je me déclarai
sans biaiser pour la doctrine de saint Augustin , tant de fois
adoptée par le saint-siége. Je connus fort bien. Monseigneur,
que ma conduite ne plairoit pas à tout le monde; mais un
chrétien, un évêque ne doit consulter que la vérité et sa
conscience. Notre devoir est d'éprouver tout, d'approuver ce
qui est bon, de rejeter ce qui est mauvais. Nous devons re-
trancher, sans acception de personnes , tout excès en matière
de foi, de morale, de discipHne. J'espère que Dieu me fera la
miséricorde de m'inspirer le discernement, l'amour et la pra-
tique de ces règles. Vous êtes aussi capable que nul autre de
les goûter et de les pratiquer. On prétend cependant que ces
jansénistes, contre lesquels votre parti crie tant ici, vous ne
I. Q a écrit la vie de feu M. d^Aranthon, évêque de Genève.
Voyez liv. III, ch. rv. (IVote de Fautettr.)
3. Ce livre doit être le Problème ecclésiastique^ proposé à M, Boi^
leau Je Cjirchevéehé..., 1698 (in-ia). Il passe pour être d'un bénë-
dictin, dom Thierry de Viaixnes.
3. L'ordonnance de M. de Noailles est du so août 1696. L'ou-
vrage qu'elle censurait était de Martin de fiarcos, abbé de Saint-
Cyran, et avait pour titre : Exposition de la foi de C Église romaine^
touchant la grâce et la prédestination^ à Mons, chez Gaspard Migeot,
i(>96.
4o6 RÉPONSE
les trouvez pas ailleurs tout à fait si noirs : quod vohtnms
sanctum esi^,
.... Vous me faites néanmoins une étrange objection. Mon-
seigneur. « Si j'ai cru que vous êtes quiëtiste, dites-vous, et
que vous ayez voulu enseigner le désespoir sous le nom do
sacrifice de l'intérêt propre , il falloit dire ouvertement que
vous avez blasphémé, et que vous avez déguisé vos bla^hè-
mes. » Si, au contraire, j'ai cru a que vous avez entendu de
bonne foi par intérêt propre non le salut, mais une afiectioD
imparfaite sur le salut' ; si je pense que votre doctrine soit
saine, quoiqu'il me paroisse qu'il vous soit échappé des
termes qui l'expriment mal, j'aurois dû vous engager, avec
ma bonté ordinaire, à vous expliquer, et favoriser vos ex-
plications. 9 A cela vous savez mieux que personne comlneo
il m'est aisé de répondre. J'ai cru. Monseigneur, comme
toutes les personnes habiles le croient, que vous enseigniez
le sacrifice absolu du salut, et non d'une affection imparfaite
pour le salut*. J'ai vu, et je vous le démontrerai, si vous
voulez l'entendre, que je ne pouvois vous disculper de cette
erreur, dont vous pouviez n'avoir pas compris tout le venin,
qu'en supposant que vous étiez tombé dans une absurdité
dont vous ne seriez peut-être pas trop aise qu'on vous accu-
sât pour vous justifier. Vous savez que cette bonté, qu'on ma
tant reprochée , n'a pu tirer de vous une explication suffi-
sante, que je n'étois que trop porté, disoit-on, à favoriser. Je
ne jugeai point à propos de dire, comme vous soutenez .que
je le devois faire, que vous aviez blasphémé^ et que vous vou-
liez déguiser vos blasphèmes. Je n'ai point cru vous elevoir pleu-
rer encore sitôt comme mort^. Défiez-vous, Monseigneur, de
I. Pages 53-55.
\. Dans la Seconde lettre de rarcherêqae de Cambrai, p. 4 (^
Vidition de 1698), d'où cette citation est tirée, on lit aniêi : « une
affection imparfaite ivr le salut. » Mais ici nous trouverons sept ligs«
plus bas : « une affection imparfaite pour le salut, n
3. Itfor. des saints, art. X. (HFote de Pauteur,)
4. « n falloit pleurer sur moi comme sur un homme qui n'a
que le nom de rivant, et qui est mort. Il falloit dire ouTertencot
que j'ai blasphémé, et que j'ai voulu déguiser mes blasphèinet. •
(Seconde lettre de rarchevéque de Cambrai, p. 40
DE L'ARCHEVÊQUE DE PARIS. 407
la viyacit^ de votre imagination : elle vous emporte quelque-
fois au delà des bornes. Souvenez-vous que la charitë ne
pense point le mal; qu'elle soufire tout; qu'elle espère tout,
tandis qu'il y a la moindre apparence de regagner nos frères.
II y peut avoir d'abord plus d'éblouissement que de mau-
vaise foi dans les erreurs qu'on soutient. Je n'ai point dû
vous traiter comme un quiëtiste incorrigible, puisque vous
offifiez au chef de l'Église de vous corriger. Mais en vous
épargnant, par la bonne opinion que j'avois de vous, je ne
devois pas épargner le quiëtisme, que vous pouviez fort bien
favoriser sans y penser^
I. Pages 65-68.
CRITIQUE
DB L*BpItBB DioiGATOIBB
DE CHARLES PERRAULT.
NOTICE.
Lorsque l'Acadëmie eut achevé son Dictionnaire^ quVlle publia en
i694f elle chargea son secrétaire perpétuel, Pabhé Régnier De«u-
raîs, de composer la Préface et VÉpttre dèdicaicire an Roi. Cepeo-
dant Pabbé Régnier ayant été obligé de s'absenter, qnelqafHUS
de ses confrères usurpèrent la tâche que la Compagnie lui arait
confiée. Charpentier fit une préface et une épitre; Charles Per-
rault, de son côté, une autre épitre. L'abbé Régnier dit dim ki
Mémoires que l'Académie préféra à l'épitre qu'il arait préparée celle
dont Charpentier était l'auteur. Mais le projet de Charpentier, tel
que nous l'avons , diffère entièrement de VÈpitre dédieaioin qac
l'on trouve imprimée à la tête de l'édition de 1694; il est dooc
probable que l'Académie demanda à Charpentier une nouveUe ré-
daction, qui est celle que nous avons aujourd'hui, et dans b-
quelle plusieurs phrases du projet de Charles Pemult ont été con-
servées*.
L'abbé Régnier, piqué du dégoât qu'on lui avait donné, fit sur
le projet d'épitre de Charpentier des remarques critiques, que
d'Alembert avait vues écrites de sa main , et qu'il a publiées à
I. Vojex d'Alembert, Élo^e de Régnier Desmarais ^ dans VEistein des
membres de V Aatdémie Jrançwe, tome III, p. ai3, a 14 et «84.
NOTICE. 409
la ioite de l^éloge de cet acadëmicien * . c On ajoute, dit d*Alem-
bert*, qa'aidé de Racine, il (J*ahbé Régnier) en arait fait de sem-
blables sur VÊpHre de Charles Perrault. » Nous ne pensons pas que
d'Alembert, qui ne paraît nullement sûr du fait, ait connu, au su-
jet de ces remarques, pour lesquelles Racine aurait aide le secrétaire
peipëtuel, un autre témoignage que celui de l'abbë d'Oliret. Ce té-
moignage est, il faut le dire, donné en des termes assez Tagues. A
la suite de ses Remarques de grammaire sur Racine (Paris, X738),
d'Oliyet a fait imprimer (p. iai-i48)répitre de Perrault et la cri-
tique de cette épitre. Lorsque M. Perrault « fut content de son
ouTrage, dit-il', il en fit imprimer quarante copies, pour en distri-
buer à tous ses confrères, afin que chacun en son particulier se don-
nât la peine de Pexaminer. Une de ces copies est heureusement par-
Tenue jusqu'à moi, arec des remarques manuscrites, où je soupçonne
Pabbé Régnier, et Racine lui-même, d'avoir eu bonne part. » D*où
Tenait à d'Oliret ce soup^on^ en ce qui concerne Racine ? U ne le dit
pas. Sur la copie qu'il a eue entre les mains quelques-unes des re-
marques étaient-elles de l'écriture de Racine? Cette écriture n'est
pas difficile à reconnaître. Pourquoi donc l'abbé d'Oliret n'est-il
pas plus affirmatif, s'il a eu sous les yeux la plus simple et la plus
irrécusable de toutes les preures ? Et comment ne nous a-t-il pas mis
à même de distinguer les notes de Régnier de celles de Racine,
comme il a dû le faire lui-même d'après la différence des deux écri-
tures, si en effet il y en avait deux? Mais nous ne savons s'il est
très- vraisemblable que sur un même exemplaire de V Épure de Per-
rault, deux académiciens aient mêlé leurs remarques, lorsque chaque
membre de la Compagnie avait, suivant l'usage, reçu le sien pour y
consigner séparément ses observations. Les notes attribuées par
d'Olivet à l'abbé Régnier et à Racine sont quelquefois piquantes;
les intentions satiriques y abondent ; ce serait bien loin d'être une
raison de croire que Racine n'y a pas eu de part, si quelques traits de
cette ironie ne visaient bien haut pour laisser reconnaître une main
prudente, par exemple dans la remarque 16 sur l'expression ven-
geur des rois. Racine n'aurait-il pas hésité a mesurer avec tant de
rigueur et tant de malice le droit que Louis XIV pouvait avoir à
cette épithète? Dans plusieurs passages de cette Critique de C Épitre
I. Éloge de Régnier Desmarais, p. a8i-aS4.
a. Ibidem, p. 214. — 3. Page lai.
4io CRITIQUE DE L'ÉPtTRE DE PERRAULT.
on peut dire que la gloîie da Roî, telle an moins qne la compre-
nait la flatterie de ce siècle, est à peu près aussi chicanée qoe le
style de Perrault. H est permis d'hésiter arant d*attrihner à Racine
cette hardiesse, et on choix si extraordinaire da snjet de ses épi-
grammes, n n*a pas échappé à d'Alembert ^ a propos de la re-
marque 4« qu'il est difficile de la croire de notre poète, puisqu'il
aurait manqué de mémoire en critiquant une pensée qu^il avait liû-
même exprimée d'une manière analogue dans son disoonrs à la ré-
ception de l'abbé Colbert, et qui y était sujette aux mêmes objec-
tions. Plusieurs des reproches faits au style de Petraolt ont été
notés par d'Alembert, et, ce nous semble, avec raison, comme man-
quant de justesse dans leur sévérité : Racine avait d'ordinaire le
goût plus sâr. En résumé, il y a bien des raisons de douter qu'il ait
en quelque part i^ cette critique. Lnneau de Boisjermain (tome VI,
p. 436) s'est contenté de la signaler et de renvoyer au livre de
l'abbé d'Olivet, sans la reproduire dans son édition; Geoffit>y l'a
omise également. Peut^tre ont-ils bien fait. Mais les éditeurs de 1B07
l'ont insérée dans leur St^lémênt aux (Xuvms ém tUÊcine (tome VD,
p. 43-58); et M. Aimé-Bfartin a suivi leur exemple. Pour être plus
rigoureux qu'ils n'ont été, il nous eât fallu avoir plus qne des
doutes, cet écrit étant d'ailleurs asses court.
ÉPÎTRE AU ROI
voua irax vLàdm. as rta no nrorwiiftiaM nx Vàc/kaàmoL
PAR CHARLES PERRAULT*.
L« Dietûmm*ire de VAemiimie/rantoiêe parott «fia* sons les magipt» de
Yona MAJKSTfi*, «t bous avont oté mettre à la tète de notre oavnge le son
aagatte' da plus grand des rois. Quelques soins que nous ayons pris d*7 n»-
* Noos donnons cette Épttre et la CriHque d'après le texte de d*Oiivet Bf^
tionné dans la Notice, Les chtflres de renvoi plaeés dans VÉfftre cannpem*
dent aux chiffres des remarques dont se compose la Critàfme»
ÉPlTRE DE PERRAULT. 411
lenUcH tous let teraiea dont l'éloqnaiee^ et b poén« peaTent fonaer l'éloge
des phu grtndt héros, nous aTouons, Sui, qae voas noos an «Tei €ut sentir
pies d'nne fois et le défaut et la foibleaae*. Lorsque notre léle' on notre deroir
nous ont engagés à parler du seeret impénétrable* de tos desseins^ que la seule
eiécDtioo déeouTre aux yeux des hommes, et toujours dans les moments mar-
qués par Totre sagesse, les mots de prévoyance ^ de prudeitce et de gages*»
même ne répondoient pas à nos idées*, et nous aurions osé nous serrir de
eehi de pnmdence 1*, s'il pourott jamais être permis de donner aux hommes oe
qei n'appartient qu'à Dieu seul. Ce qui nous console*'. Sus, c'est que sur un
pareil sujet les autres langues n'auroient aucun aTantage sur la nAtre'^ : celle
des Grées et celle des Romains seroient dans la même indigence ; et tout ce
que nous Toyons de brillant et de sublime dans leurs plus bmeux panégy-
riques *' n'anroit ni asses de force ni asses d*écUt pour soutenir le simple récit
de Tos Tictoires. Que Ton remonte de siècle en siède jusqu'à l'antiquité la
plus reculée, qu'y trouvera-t-on de comparable au spectacle qui fait aujour-
d%ai l'attention de TuniTers : toute l'Europe armée contre tous, et tonte
TEurope trop foible?
Qull nous soit permis^ Sinx, de détourner un moment les yeux d'une gloire
si édatBnte*^, et d'oublier, s'il est possible, le Tainqueur des nations*^, le tcu-
genr des rois **, le défenseur des sutds, pour ne regarder que le protecteur de
l'Aesdémie firançoise. Nous sentons combien nous honore une protection si
glorieuse ''; mais qud bonheur pour nous de trouTcr en même temps le modèle
le plus parfait de l'éloquence ^1 Vous êtes, Sinx, naturellement et sans art, ce
qae nous tichons de derenir par le traTail et par l'étude'*; il règne dans tous
Tos discours'* une souveraine raison", toujours soutenue d'expressions fortes et
précises^ qui tous rendent maître de toute l'âme de ceux qui tous écoutent,
et ne leur laissent d'autre volonté que h T6tre*>. L'éloquence oà nous aspirons
par nos veilles , et qui est en vous un don du ciel , que ne doit-eOe point à
▼os aetions héroïques ^ ? Les grâces que tous verses sans cesse sur les gens de
lettres peuvent bien faire fleurir les arta et les sciences; mais ce sont les
grands événements qui font les poètes et les orateurs ^ : les merveilles de votre
lègue en anroient lait naître au milieu d'un pays barbare.
Tandis que noua nous appliquons'* à l'embeQissentent de notre langue, vos
armes victorieuses la font passer dies les étrangers : nous leur en facilitons
l'intelligence par notre travail, et vous la leur rendez nécessaire par tos con-
quêtes; et si elle va encore plus loin que nos conquêtes, si elle réduit toutes
les langues des pays où elle est connue à ne servir prcsqne plus qu'au eom^
mon du peuple, une si haute destinée vient moins de sa beauté naturelle et
des ornements que nous avons tâché d'y ajouter*, que de l'avantage d'être la
langée de la nation qui vods a pour monarque, et (nous ne craignons point
de le dire) que vous avec rendue la nation dominante. Yons répandez sur
nous" un édat qui aasiqettit les étrangers à nos coutumes dans tout ce que
lears lois peuvent leur avoir laissé de libre : ils se font honneur de parier
4, a CRITIQUE
eomme ee peuple à qm voiu «Tes apprit à snnnoater tout le» obttades, à ne
plu» truoTer de plaees imprenable», à forcer Ica retranchemeBU les plot io-
acMsaiblea. Quel empressements*, Sikb, la postérité n^aura-t-eUe point à re-
chercher, à recoeittir les mémoires de votre TÎe, les chanU de TÏctoire qn'oa
aura mêlés à tos triomphes? Cest ce qni noos répond du soccès* de notre
oaTmge; et s'il arrire, comme nous osons Tespérer, qu'il ait le ponvcnr de
fixer la langue pour toujours, ce ne sera pas tant par nos soins, que parce
que ■• les livres et les autres monuments qui parleront du règne de Vorti
Majbitk feront les déliées de tous les peuples, feront l*ctnde de tous lee
rois, et seront toujours regardés eomme faits dans le temps de la pureté dn
langage et dans le beau siècle de la France. Nous sommes S'. avec une profonae
Ténératiim, etc.
CRITIQUE DE L'ÉPÎTRE DE CHARLES PERRAULT.
I. Le Dictionnaire de t Académie fhinçoise parott e/ifi/i.
— Ce mot : enfin, ne peut ici être dit qu'en deux sens : ou
comme par un aveu de la lenteur de l'Académie à travailler,
ou comme par une espèce de vaine complaisance d'avoir pu
venir à bout d'un si grand ouvrage. Or, dans Tun comme
dans l'autre sens, il est mal, parce qu'il n'est ici question ni
de s'accuser, ni de se vanter.
a. Sous les auspices de Votre Majf.sté. — On dit bien :
agir sous les auspices , entreprendre^ achever quelque chose
sous 1rs aupices d'un grand prince, pour marquer que c'est
par ses ordres que tout s'est fait ; que c'est son génie, son
bonheur qui ont influé sur tout. Mais parott sous les auspices
ne se peut dire, à mon sens, que dans une occasion : ce sc-
roit si un auteur, n'ayant pas voulu, par modestie, mettre un
ouvrage au jour, venoit à y être excité, et comme forcé par
les instances d'un grand prince; car alors on pourroit dire,
avec fondement, que cet ouvrage parott au jour sous les aus-
pices du prince. Mais ici il n'y a rien de semblable.
3. Et nous ai>ons osé mettre à la tête de notre ouvrage le
nom auguste, — Cette phrase : mettre le nom tCun prince à in
tête d^un ouvrage^ pour dire : « lui dédier un ouvrage, » nie
DE L'ÉPlTRE DE PERRAULT. /,i3
semble impropre, en ce qu'elle ne signifie point en effet ce
qu'on veut lui faire signifier. I^ mot : oser^ me semble aussi
n'être pas à propos en cet endroit. Car, en général, bien loin
que ce soit une hardiesse à qui que ce soit de dédier un li-
vre à un grand prince, c'est au contraire une marque de
respect, un acte d'hommage; et pour l'Académie, à l'égard
du Roi qui en est le protecteur, c'est un devoir, c'est une
obligation indispensable.
4. Quelques soins que nous ayons pris d'y rassembler tous
les termes dont f éloquence et la poésie peuvent former l'éloge
des plus grands héros, — De la façon dont ceci est énoncé, on
peut croire que l'Académie, en faisant son Dictionnaire, n'a
eu d'autre chose en vue que de recueillir les mots dont on
|)eut se servir dans un (mnégyrique, dans une ode, dans un
|KYême épique, ou que du moins, en rassemblant aussi tous
les autres, elle ne l'a fait que par manière d'acquit; mais que
pour ceux qui peuvent entrer dans l'éloge d'un grand prince,
elle y a travaillé avec tout un autre soin. Car c'est là ce qui
résulte naturellement de la phrase dont il s'agit.
Que si on la veut prendre dans un sens plus étendu, et
comme faisant une figure qui, dans l'expression de la plus
noble partie, comprend le tout, il y aura un autre inconvé*
nient : c'est que tous les faiseurs de dictionnaires seront
aussi bien fondés que nous à dire qu'ils ont pris soin de ras-
sembler tous les termes dont on peut former Céloge des plus
^ands héros.
Il y a d'ailleurs une autre observation à faire là-dessus :
c'est que les mots de Jurer ^ blasphémer, voler ^ tuer, assassin ^
traître^ crime^ poison^ inceste, etc., ne sont pas moins dans
le Dictionnaire de P Académie, que ceux de régner, vaincre^
iriompfier^ libéral^ magnanime^ conquérant^ valeur^ gloire^ sa-^
gesse^ etc. ; qu'ainsi on peut dire, avec le même fondement,
que nous avons pris soin de rassembler tous les termes dont
on peut se servir pour faire les invectives les plus sanglantes
et pour décrire les actions les plus abominables.
5. Tous les termes dont l'éloquence, — Phrase louche par
elle-même , et qui laisse en doute d'abord si on ne veut point
dire : tous les termes, ^éloquence desquels,
6. Nous avouons^ Sire, que vous nous en avei fait sentir plus
4i4 CRITIQUE
d'une fois et le défaut et la faiblesse. — Ces mots-là, de la
manière dont ils sont rangés, font tout un autre sens que ce-
lui qu'on a voulu leur donner. On a voulu dire que le Roi
nous faisoit sentir la foiblesse et la pauvreté de la langue;
et cette phrase, tout au contraire, signifie qu'il nous a fait
sentir le défaut et la foiblesse des héros.
7. Lorsque notre zèle. — Quand on a avancé une proposi-
tion, il faut que la preUve qu'on en donne ensuite y ait un
parfait rapport. Ainsi, après a^oir dit que le Roi nous a fait
sentir plus d'une fois la foiblesse de la langue, il faudroit,
pour le bien prouver, faire une espèce d'énumération des di-
verses choses en quoi il nous l'a fait sentir. Mais ici on ne
parle que d'une seule ; et outre qu'en cela on manque à prou-
ver suffisamment ce qu'on avoit avancé, puisqu'une proposi-
tion générale ne sauroit être prouvée par un fait particulier,
on donne de plus lieu de croire que ce n'est qu'à l'égard de
ce fait particulier qu'on a trouvé la langue foible.
8. Parler du secret impénétrable. — Parler d'un secret,
c'est le révéler, le divulguer : de sorte qu'on pourroit dire
que, bien loin que le zèle et le devoir engagent à parler du
secret impénétrable des desseins d'un prince, ils obligent au
contraire à n'en dire mot.
9. Ne répondaient pas à nos idées» — Il faudroit, pour la
justesse de la construction : om mal répondu , puisque aupa-
ravant il y a : nous ont engagés; ou bien, ce qui seroît en-
core plus régulier : Toutes les fois que notre zèle ou notre
devoir nous ont engages...^ nous avons trouvé que les mots.,.,
ne répondaient pas à nos idées.
10. Providence. — Reconnoître que le terme de Providence
n'appartient qu'à Dieu seul, et qu'il ne peut jamais être per-
mis de donner aux hommes ce qui n'appartient qu'à Dieu,
mais cependant dire en même temps qu'on le donneroit s'il
étoit permis de le donner, il y a en cela une contradiction
d'idées, et cela se détruit de soi-même.
D'ailleurs, en disant : Et nous aurions osé ^ etc,^ sUl pomvoit
être permis^ etc.^ on marque une grande disposition à faire la
chose même que l'on reconnoît n'être pas permise. Je ne sais
si je me trompe, mais cet endroit, à ce qu'il me semble,
blesse la bienséance.
DE L'EPlTRE DE PERRAULT. iiS
11. Ce qui nous console. — Voilà encore un endroit où
l'expression fait tort au sens ; car si TAcadëmie est vraiment
touchée de ce qui regarde la gloire du Roi, ce ne doit pas
être un sujet de consolation peur elle de ce que les autres
langues ne sont pas plus capables que la nôtre de donner
une juste idée des actions d'un si grand prince. On ne peut
avoir raison de s'exprimer de la sorte que quand on veut
laisser voir qu'on n'agit que par émulation. Mais hors de là,
il est mal de dire qu'on se console de ne pouvoir pas bien
faire, parce que d'autres ne peuvent pas faire mieux.
13. C^est que sur un pareil sujet les autres langues nau-
roient aucun avantage sur la nôtre. — De ces deux sur^ le
premier est peut-être impropre ; car on ne dit pas avoir avan^
toge sur quelque un sur quelque chose ^ mais en quelque chose.
De plus, l'exactitude et la pureté du style ne soufifrent pas
qu'on mette dans un petit membre de période deux sur qui
dépendent tous deux d'un même régime.
i3. De brillant et de sublime dans leurs plus fameux pa^
négyriques, — A prendre le mot de panégyrique dans un sens
étroit, cela n'iroit pas loin. Ainsi je ne doute point que par
les plus fameux panégjTiques , on n'ait eu en vue tout ce
que les anciens, Grecs et Romains, peuvent avoir fait de plus
achevé, en matière de louanges, dans tous leurs ouvrages.
Biais en même temps aussi je crois que c'est une exagération,
et trop forte en elle-même, et vicieuse outre cela quant au
sens et à l'expression, que de dire que ce qu'il y a de plus
brillant et de plus sublime dans l'éloquence, ou grecque ou
romaine, ne puisse pas avoir assez de force et assez tf éclat
pour soutenir le simple récit des victoires du Roi. Le brillant,
le sublime et l'éclat ne sont point faits pour soutenir^ et un
simple récit ne doit point être soutenu. Gela implique contra-
diction.
14. Qtiil nous soit permis j Siae, de détourner les feux dune
gloire si éclatante, — Je ne blâme jK)int cette phrase ; mais
pourtant les yeux et une gloire peuvent trouver de mauvais
plaisants.
1 5. Le vainqueur des nations, — Pour pouvoir dire qu'un
prince est le vainqueur des nations^ il ne suffit pas qu'il ait été
toujours victorieux dans toutes les guerres qu'il a ou entre-
4i6 CRITIQUE
prises ou soutenues contre diverses nations : il faut qu'il ait
subjugué des nations entières. Or cela ne se peut pas dire du
Roi, quoique ses victoires et ses conquêtes soient plus gran-
des et plus glorieuses par elles-mêmes que celles des princes
qui ont subjugué plusieurs nations.
i6. Le vengeur des rois. — Cette épithète ne convient pas
non plus. 11 faudroit, pour la fonder, que le Roi eût effective-
ment rétabli le roi d'Angleterre sur le XrCme, Tant qu'il ne l'y ré-
tablit point, il est son protecteur, son appui, mais il n est point
son vengeur , le mot de vengeur supposant un homme qui non-
seulement a pris quelqu'un sous sa protection, mais qui Fa effec-
tivement vengé de ses ennemis et rétabli en son premier état.
17. Une protection si glorieuse, — - La construction souffre
ici ; car il ne suffit pas que, sous le terme de protecteur, celui
de protection soit enfermé, pour dire ensuite absolument : une
protection si glorieuse; mais il faut nécessairement que celui
même de protection ait été exprimé : ces mots : une si gioneuse,
étant ici de même nature que le pronom démonstratif rf,
qu'on ne peut jamais employer sans que le terme auquel il se
rapporte ait été employé peu de temps auparavant, ou sans
ajouter ensuite quelque chose qui marque précisément de quoi
il s'agit. Ainsi, après avoir parlé de la protection dont le Rot
honore l'Académie , on peut bien dire : une si haute protêt^
tion, SiBK. Que si on ne s'est point encore servi du mot de
protection, il faudra dire : une si haute protection que celle dont
vous nous honorez* , ou quelque autre chose de semblable ; car
si Ton n'ajoute rien après une si haute protection, dans un cas
où le même mot n'a pas précédé , encore une fois il n'y a
point de construction.
Si glorieuse. En parlant des grandes actions du Roi, c'est
fort bien dit : des actions si glorieuses , parce que c'est à lai
qu'elles apportent de la gloire ; mais en parlant de la protec-
tion que le Roi nous donne, comme ce n'est pas à lui, mais à
* La phrase proposée par Tabbé Régnier.... n^est point fran-
çaise; il faat dire : une aussi haute protection ^ue celle dont pous mw
honorez. {Note de d'Alembert.) — La remarque de d^Alembeit ^
juste. U est a noter quUl s'exprime ici comme sUl croyait n*aroir
aflaire qu'à Pabbé Régnier.
DE L'ÉPlTRE DE PERRAULT. 417
nous qu'eOe fait honneur, il faut le marquer, et dire : uneprt»^
tectioti qui nous est si glorieuse.
Ce qu'il y a encore de plus considérable à observer sur
cette phrase : combien nous honore une protection si glorieuse^
c'est qu'elle roule sur des termes qui ne disent à peu près
que la même chose, et qu'ainsi elle tombe dans le vice où
tomberoit celui qui diroit : c Je sens combien me fait de plaisir
une chose si agréable, » ou : c Je sens combien m'est utile
une chose si avantageuse ; » car l'honneur et la gloire ne sont
pas plus distincts entre eux que l'agrëment et le plaisir, que
l'avantage et l'utilitë.
18. Quel bonheur pour nous de trouver en même temps le
modèle le plus parfait de V éloquence! — De la façon dont
ceci est énoncé, on ne donne pas assez à entendre où l'on a
trouvé ce modèle; et puisque c'est du Roi qu'on veut parler,
il me semble qu'il auroit fallu dire : de trouver en vouSy ou
quelque chose d'équivalent. Mais sans m'arrèter à ce qui re-
garde ici l'expression, je passe à ce qui regarde le sens.
Le Roi parle sans doute très-purement; il s'exprime avec
une grande justesse , avec une grande précision , et il a l'es-
prit si excellent, il est si consonuné dans les affaires de son
État, que tout ce qu'il pense et tout ce qu'il dit dans ses con-
seils est toujours ce qu'il y a de mieux à dire et à penser.
Tout cela fait un très-grand prince, un très-grand génie, qu'on
peut proposer aux rois pour modèle ; mais fait-il un orateur
éloquent sur le modèle duquel ceux qui aspirent à l'élo-
quence doivent et puissent se former? De plus, quand le bon
sens , la pureté et la précision qui régnent dans tout ce que
le Roi dit dans ses conseils feroient cette véritable éloquence
que les académiciens doivent chercher, comment la pourroient-
ils imiter, puisque pour cela il faudroit être admis dans ses
conseils et pouvoir l'entendre parler sur les affaires de son
État ? Car s'ils n'ont l'honneur de le voir et de l'entendre que
comme la foule des courtisans, ils pourront bien apprendre
de lui à se posséder toujours, à ne dire jamais rien de dur,
rien d'inutile, rien que de précis et de sage; mais tout cela
regarde bien plus les mœurs que l'éloquence. Ainsi, plus j'ap-
profondis la louange qu'on a voulu donner en cela au Roi,
moins je la trouve convenable.
J. RAcnn. V 37
4i8 CRITIQUE
19. Vous éiesj SiBE, naturellement et sans art^ re que nous
tâchons de devenir par V étude, — Pour juger à cette propo-
sition renferme un sens juste , il faut examiner ce que le R(n
est naturellement, et ce que les académiciens doivent travail-
ler à devenir par Tëtude. Le Roi est naturellement, c est-à-
dire par sa naissance, et sans y avoir rien contribué de lui-
même, roi de France; il est naturellement très-bien fait; il
est naturellement d'une bonne et heureuse complexion; et si
Ton veut étendre encore davantage le sens de naturellement^
il a naturellement de Tesprit, de la pénétration, de la bonté,
de la douceur, de la fermeté, de la grandeur d'âme. Voilà à
peu près ce qu'on peut dire que le Roi est naturellement, et
qu'il a sans le secours de l'art. Mais est-ce là ce qu'un acadé-
micien doit se proposer de devenir et d'acquérir? Il me semble
que, comme académicien, ce qu'il doit se proposer, c'est de
devenir im excellent grammairien, un excellent critique en
matière de littérature, un excellent historien, un excellent
orateur, un excellent poète, enfin un excellent homme de let-
tres. Or le Roi n'est rien de tout cela naturellemant.
ao. // règne dans tous vos discours, ^ La chose est vraie
en soi, mais elle me parott mal énoncée ; car ces mots : dam
tous vos discours y ne conviennent nullement au Roi. Il faudrait
dire : Il règne dans tout ce que vous dites; ou bien \Fousnt
dites rien où il ne règne.
21. Une souveraine raison, — Cette souveraine raison doot
il est ici question , et qui fait les sages princes et les habiles
poUtiques, est-K:e la même que celle qui fait les orateurs et les
poètes ? Nullement : c'en est une d'une espèce toute différente,
et qui n'a rien de commun avec l'éloquence, si ce n'est parce
qu'il n'y a point de véritable éloquence que celle qui est foo-
dée sur la raison.
aa« Qui vous rendent mattre de toute Vâme de ceux qui 9oas
écoutent f et ne leur laissent d autre volonté que la vôtre. —
Tout cela se peut fort bien dire d'un grand prédicateur, d'an
grand orateur, d*un éloquent général d'armée, accoutumé à
haranguer ses soldats et à leur inspirer ce qu'il veut, wâi
non pas d'un roi qui donne ses ordres à ses ministres, et qui
leur prescrit ce qu'ils doivent faire. Voilà quant au sens de>
paroles ; je viens maintenant aux paroles mêmes.
DE L'ÉPlTRE DE PERRAULT. 419
Cest fort bien dit, en parlant d'an orateur : ceux qui técou^
teni. Mais en parlant d'un roi qui agite, qui discute avec ses
ministres les affaires de son État, il faut dire : ceux qui t enten-
dent parler. Et dire en cette occasion : ceux qui V écoutent y
c'est une phrase aussi impropre que si on disoit : ses auditeurs ^
pour dire : ses ministres,
11 y a, ce me semble, une autre faute de justesse dans ces
paroles : qui vous rendent et ne leur laissent; car ce ne sont
pas les expressions fortes et précises qui rendent un homme
maure, etc,^ c'est la souveraine raison, soutenue de ces ex-
pressions. Et par conséquent, au lieu que ces mots sont mLs
au pluriel et se rapportent à expressions^ ib doivent être mis
au singulier et se rapporter à souvereUne raison.
Je crois aussi qu'en cet endroit, expression forte n'est pas
bien dit, parce que, dans la bouche du maître, des expressions
fortes sont des expressions dures, et qui tiennent de l'empire
et de la menace.
Quant à cette autre façon de parler : maitre de toute l'dme^
il me semble qu'elle a quelque chose de poétique, et qu'elle est
ici mal appliquée ; car s'agit-il que le Roi, pour faire entrer ses
ministres dans son sentiment, se rende mattre de leur esprit
par la force de ses raisons et de ses paroles ?
23. V éloquence où nous aspirons par nos veilles^ et qui est
en vous un don du ciel^ que ne doit-elle point à vos actions
héroïques? — Si on s'étoit contenté de dire que l'éloquence
où l'Académie aspire doit beaucoup aux actions héroïques du
Roi, on auroit dit une chose qu'on pourroit trouver moyen de
soutenir. Mais de dire que l'clocpience, qui est en lui un don
du ciel y doit beaucoup à ses actions héroïques^ c'est une chose
qui ne se peut pas défendre; car c'est dire précisément que
le don du ciel, qui est en lui, doit beaucoup à ses actions.
24. Les grâces que vous versez sans cesse sur les gens de let-
très peuvent bien faire fleurir les arts et les sciences; mais ce
sont les grands événements qui font les poètes et les orateurs» —
Si les grâces répandues sur les gens de lettres font fleurir les
lettres, il s'ensuit nécessairement qu'elles font aussi des poètes
«*t des orateurs; car les lettres ne peuvent pas fleurir sans
1VkK|uence et la |>o<^sie. Ainsi le sens du second membre de
cette période étant déjà enfermé dans le premier, il n'y a pas
4ao CRITIQUE
lieu de renoncer ensuite dans le second membre comme par
une espèce d'opposition, et d'en former un axiome.
Mais quand il n'y auroit nulle difBculté en cela, je ne vois
pas sur quoi on fonde que ce sont les grands événements qui
font les poètes et les orateurs. Tout ce qu'ils font, c'est de
leur fournir des sujets propres à les exciter et à les soutenir.
Alexandre a été un des plus grands conquérants du monde, et
il n'y a peut-être jamais eu de plus grand événement dans l'u-
nivers que le renversement de l'empire des Perses, suivi de
l'établissement de celui des Grecs dans une partie considérable
de l'Europe, dans l'Egypte, et dans l'Asie jusqu'au Gange. Ce-
pendant les grandes choses qu'il a faites lui ont-eUes fait mi-
tre un excellent poète grec? Et le poète Chénlus, qui les a
vues, et qu'il combloit même de bienfaits, en a-t-il été moins
mauvais poète? Les victoires d'Annibal, grandes et signalées
en Espagne et en Italie , et celles mêmes de Jules César, ont-
elles fait naître des poètes et des orateurs ? En a-t-on vu de
bien fameux du temps de Charleraagne, si célèbre |)ar ses gran-
des actions, et par l'empire romain partagé avec les Grecs ? b
s'il étoit vrai que les mei*veilles du règne d'un prince en dus-
sent faire naître au milieu d'un pays beirbare^ pourquoi les pre-
miers Ottomans n'en ont-ils point eu dont le nom ait mérité de
parvenir jusques à nous ? Je sais bien que l'éloquence ne doit
pas être renfermée dans les bornes d'une vérité rigoureose;
mais il ne faut pas aussi, dans une épître, s'emporter comme
feroit un orateur dans la tribune, ou comme un poète dans m
ouvrage pindarique.
a5. Tandis que nous nous appliquons, — Voici une période
d'une extrême longueur, et qui n'a en cela nulle proportion
avec les autres, qui sont presque toutes coupées.
Il me semble, au reste , qu'il y a quelque chose qui blesse
la bienséance, de représenter dans un même tableau, d'un côté
l'Académie travaillant à la composition ou à la révision do
Dictionnaire, et de l'autre le Roi à la tête de ses armées.
Mais laissant cela à part, puisque c'est du Dictio/tnairr
qu'on parle, et du Dictionnaire achevé, il ne faut pas dire en le
présentant : Tandis que nous nous appliquons, . ., f^oj armées (ski
victorieuses Ut font passer; mais : Tandis que nous nous sommes
appliqués..,, vos armées victorieuses font fait ptuser^ etc.
DE L'ÉPlTRE DE PERRAULT. /«af
26. Des ornements que nous avons tâché tty ajouter. — Tra-
vailler au dictionnaire d'une langue, est-ce y ajouter des orne^
ments? Tous ceux qui font des dictionnaires ne sont que des
compilateurs plus ou moins exacts. On orne , on embellit une
langue par des ouvrages en prose ou en vers, écrits avec un
grand sens, un grand goût, une grande puretë, une grande
exactitude, un grand choix de pensées et d'expressions. Mais
on ne peut pas dire que ce soit y ajouter des ornements^ que
d'en recueillir, d'en définir les mots, et d'en fournir des exem-
ples tirés du bon usage.
27. f^ous répandez sur nous, — Ce nous^ si on en juge par
tous les autres qui sont dans XÈpttre^ et même par ceux qui
sont dans la période précédente, doit s'entendre des académi-
ciens : de sorte qu'à prendre droit par les termes, cela signifie
que les étrangers sont assujettis aux coutumes de l'Académie
dans tout ce que leurs lois leur ont pu laisser de libre. Mais
quand on ôteroit l'équivoque de nous^ qui est très-facile à
ôter, il ne seroit peut-être pas aisé de réduire cette pensée à
un sens juste et raisonnable ; car la langue d'un pays peut-elle
raisonnablement se mettre au rang des choses que les lois
laissent à la liberté des peuples de quitter comme il leur platt?
a8. Quel empressement. — Tout ceci, quant au sens, ne me
paroft pas assez lié, ni avec ce qui précède, ni avec ce qui suit.
ag. Cest ce qui nous répond du succès, — Qu'est-ce que le
succès d'un ouvrage? Est-ce simplement de durer longtemps,
et de passer à k postérité ? Si cela est, tous les mauvais ou-
vrages qui sont parvenus jusqu'à nous depuis deux mille ans,
plus ou moins, ont eu un grand succès. Et que promet-on au
Dictionnaire, quand on ne lui promet autre chose? Mais si,
par le succès d'un ouvrage, on entend , comme on le doit, le
jugement avantageux qu'en fait le public après l'avoir exa-
miné, comment peut-on dire que l'empressement que la pos-
térité aura à recueillir les mémoires de la vie du Roi, est ce
qui répond du succès du Dictionnaire?
3o. S^il arrive,,., qu'il ait le pouvoir de fixer la langue pour
toujours^ ce ne sera pas tant par nos soins ^ que parce que. —
Cest dire : « S'il arrive qu'il ait le pouvoir de fixer la langue,
ce ne sera pas lui qui la fixera. » La bonne logique auroit voulu
qu'on eût dit : « S'il arrive que la langue françoise, telle qu'elle
/,2î CRITIQUE DE L'ÉPÎTRE DE PERRAULT.
est aujourd'hui, vienne à être fixëe pour toujours, ce ne sera
pas tant par nos soins, que parce que, etc. »
3 1 . Nous sommes, — Lorsqu'un particulier ëcrit à un autre
particulier, il peut finir sa lettre partout où il veut. Il peut
couper tout d'un coup , et dire : Je suis, sans que cela ait
aucune liaison de sens avec ce qui a précédé. Peut-être mèine
que c*est mieux fait d'en user de la sorte, que de s'amuser
à prendre un tour pour finir une lettre comme en cadence.
Mais il n'en est pas de même, à mon avis, quand une Com-
pagnie écrit au Roi. Il faut que tout soit plus compassé, plos
mesuré, plus étudié, et que du moins les dernières choses
qu'on a dites aient quelque rapport de sens avec la protes-
tation par laquelle on finit ; car une fin brusque et qui n'est
liée à rien marque de la négligence ou de la lassitude; et
l'un et l'autre blessent le respect.
TRADUCTIONS
NOTICE.
Il convient de réunir dans une même notice tout ce que
nous avons à dire des diverses traductions que Racine a
écrites.
Elles avaient toutes été déjà publiées, et avaient pris place
dans ses Œuvres; mais le texte n'en avait pas ëtë donné
avec assez d'exactitude. Les éditeurs s'étaient plusieurs fois
trompés dans l'indication des auteurs traduits, et, pour quel-
ques-uns de ces opuscules, avaient admis trop légèrement
des erreurs accréditées par les ftils de Racine sur l'époque
probable où leur père y avait travaillé. Il était cependant de
quelque intérêt d'y regarder de plus près.
Le Banquet de Platon^ les Fragments de la Poétique dA»
nstote et les Extraits de Lucien et de Derrys d Halicamasse
sont les plus importants de ces écrits, parce qu'ils doivent
être rapportés à un temps où Racine était maître de son style ;
les autres sont des études de jeunesse, bien que Racine s'en
soit occupé un peu plus tard qu'on ne l'a dit. La valeur très-
inégale qu'ont ces écrits, et qui s'explique par la différence
de leur date, nous a engagé à en former comme deux divi-
sions distinctes, et à les faire imprimer en caractères différents.
Le petit texte nous a paru suffire pour la seconde division,
que nous donnons en appendice, à la fin du volume ; il n'au-
rait pas suffi pour la première, qui n'est pas seulement, comme
celle-là, un objet de curiosité biographique. Nous parlerons
d'abord des trois écrits qui composent cette première divi-
sion, et que nous avons tout à l'heure nommés.
De ces trois écrits, le seul qui puisse donner une juste
idée du talent de Racine dans la traduction, et, disons-le
même, le seul qui, à parler rigoureusement, soit une tra-
4a6 TRADUCTIONS.
duction véritable, est le Banquet, Racine n'avait pourtant tra-
duit que par complaisance, et comme à regret, ce dialogue
de Platon; mais il n'était pas dans ses habitudes de s'acquitter
avec négligence, même d'une tâche dont il ne se chargent
{)as sans quelque répugnance et quelques scrupules ; et d'ail-
leurs , quelque impatience que lui causât l'entreprise où on
l'engageait, une fois aux prises avec l'éloquence de liatoo,
comment ne l'eût-elle pas bien inspiré ? Il fit donc un travail
digne de sa plume si élégante ; mais il ne le livra pas à l'im-
pression ; et ce fut seulement trente-trois ans après sa mort
qu'une indiscrétion le révéla au public. En 173^, un volume
in-ia fut imprimé sous ce titre : Le Banquet de Platon. Tra-
duit un tiers par feu M. Racine^ de t Académie française^ et le
reste par Madame de ***. A Paris^ chez Pierre Gamiouin U-
braire^ Quay des Jugustins , à la Belle Image, Au commence-
ment du volume est une Épttre à Monsieur le marquis de
Graçe^ signée Bousquet ; il y est dit vers la fin : « Tels sont les
vœux.... que je me crois heureux de publier à la tète d'un
manuscrit qui me tomba, il y a plus de vingt ans, entre les
mains, parmi d'autres écrits d'une dame très-illustre, dont le
nom , si j'osois le déclarer, n'omeroit pas peu cet ouvrage. >
On sait que Bousquet^ l'éditeur pseudonyme, n'était autre que
l'abbé d'Olivet. Après ÏÉpitre vient un court Açertissemem ,
où cet éditeur s'exprime ainsi : c Pour mettre les lecteurs au
fait, je n'ai qu'à rapporter une lettre de M. Racine à M. Des-
préaux. Cette lettre est du 18 décembre; mais l'année n'y est
pas marquée. Il seroit aussi difficile d'en deviner la date pré-
cise, qu'inutile de la savoir au juste. » D'Olivet donne ensuite
le texte de la lettre , que l'on ti*ouvera plus loin , avant celui
du Banquet^ p. 4^i-'4^^*
Le même abbé d'Olivet avait déjà parlé de la traduction
du Banquet dans son Histoire de ^Académie française (voyez,
dans sa Notice sur Jean Racine^ sa Béponse à M, de FaliR'
cour) : « J'ai eu la curiosité , dit-il , de parcourir ce qui reste
de ses papiers {des papiers de Racine) dans sa famille. Il n'y a
rien qui puisse être publié. Ce sont des collections d'Homère
et de Sophocle , avec de petites notes à son usage. C*e^ une
traduction du Banquet de Platon; mais il en manque la moitié. >
Dans une petite note de l'édition de 1743, il ajouta : c On a
NOTICE. 4«7
imprime à Paris, en lySa, un petit volume intitule: le Banquet
de Platofty traduit un tiers par feu M. Racine et le reste pa '
Madame de ***, Cette dame est l'illustre Marie-Madeleine-
Gabri^lle de Rochechouart de Mortemart, abbesse de Fonte-
vrault, morte en 1704. » Les éditeurs de 1807 [Œuvres de
Racine^ avec le commentaire de la Harpe) ont recueilli dans
les papiers de Jean- Baptiste Racine des renseignements cu-
rieux, qui complètent F histoire de la publication de 173a, et
qui nous instruisent de ce que d'Olivet n'a pas dit. Voici
comme ils parlent (tome V, p. 369) dans leur Avertissement sur
le Banquet de Platon : « Cette traduction n'était pas destinée
à voir le jour, encore moins à paraître sous le nom de Ra-
cine. Elle s'était trouvée à sa mort parmi ses papiers, et était
restée entre les mains de ses enfants. Jean-Baptiste Racine
nous apprend comment elle en est sortie. Dans ses notes ma-
nuscrites sur la vie de son père, qui ont servi à Louis pour
rédiger les Mémoires publiés en 17471 il déclare qu'en 173a
l'abbé d'Olivet, étant un jour venu le trouver chez lui, mit la
main dans ses tiroirs , s'empara du manuscrit du Banquet de
Platon , et, sans son aveu , le porta aussitôt chez un libraire
du quai des Augustins pour le faire imprimer. A ce manu-
scrit était jointe la lettre à Boileau » Avant l'année 173a,
d'Olivet connaissait les papiers de Racine, et y avait remarqué
la traduction du Banquet; car la première édition de son Ris^
toire de t Académie^ où il en parle, est de 1729. Mais cela n'in-
firme aucunement le témoignage de Jean-Baptiste Racine, et
prouve seulement que lorsque d'Olivet fouilla dans les tiroirs,
il savait déjà (depuis plus de vingt ans, dit-il lui-même) ce
qu'il y trouverait, et avait, après réflexion, changé d'avis sur
le peu d'intérêt qu'il avait trouvé d'abord à publier le Banquet,
Ce qui est moins facile à expliquer, après la révélation que
les éditeurs de 1807 nous ont faite des notes manuscrites de
Jean-Baptiste Racine, c'est la manière dont son frère parle du
Banquet dans ses Mémoires, Il rapporte la traduction que Ra-
cine en fit au temps de son enfance, lorsqu'il étudiait à Port-
Royal (voyez notre tome I, p. 211). Puis, faisant probable-
ment réflexion que le style de ce morceau pourrait sembler
bien étonnant chez un écolier, même quand cet écolier était
Racine , il ajoute dans une note (ibidem , note 3) : c S'il n'a
4a8 TRADUCTIONS.
pas fait cette traduction à Port-Royal, il Ta faite à Uiès : c'est
un ouvrage de sa jeunesse. Quoique la traduction soit boime,
un fragment si peu considérable ne mëritoit peut-être pas
d'être imprimé; il le fut cependant chez Gandouin, en i']l%.
On a mis à la tête une lettre sans date d'année, qui m'est in-
connue, et ne se trouve point parmi les autres lettres, écrites
à Boileau, qui sont entre mes mains. » Il faut en e^ti^faaer
de reconnaître l'authenticité de la lettre , dès qu'o^. ut faire
passer la traduction du Banquet pour une œuvre de la pre-
mière jeunesse de Racine, c'est-à-dire d'un temps où ni Boi-
leau ni Racine n'allaient à la cour, où ils ne se connaissaient
même pas encore; il faut plus : il faut nier que le travail de
Racine ait eu rien de commun avec celui de Tabbesse de Fon-
tevrault, qui, née en 1645, ne traduisait apparemment point
Platon lorsque Racine était à Port-Royal ou en Languedoc
(de i655 à i663).
L'erreur que Louis Racine a commise dans ses Mémnires
est trop évidente pour donner lieu à une discussion sérieuse.
C'est à regret que nous ajouterons : le mot d'erreur convien-
drait difficilement ici. Tous les papiers de son père , et aussi
les notes de Jean-Baptiste Racine, avaient passé sous ses yeux
quand il écrivit ses Mémoires, Ce qui est probable, c'est que
jugeant l'abbé d'Olivet coupable d'un abus de confiance, il n'a
pas été fâché de contester tout ce qu'il a pu dans une publi-
cation faite contre les intentions de la famille. La traduction
d'ailleurs d'un ouvrage tel que le Banquet ne lui paraissait
sans doute très-séante ni à une abbesse, ni à un converti,
comme l'était Racine à l'époque où il s en chargea. Ne vou-
lant pas cependant aller jusqu'à nier l'authenticité de cette
traduction, l'auteur des Mémoires aura pensé que, pour se
tirer d'embarras, il fallait en faire un péché de jeunesse. En
cette circonstance , comme en plusieurs autres , par une exa-
gération de respect filial, il a manqué de sincérité, et, ce qui
est moins grave, en même temps d'adresse.
M. Aimé-Martin , dans une note sm* la Lettre où Racine
annonçait à Boileau l'envoi de la traduction du Banquet (ton>e V
de l'édition de 1844 « P* 97)1 dit que, selon toutes les vraisem-
blances. Racine écrivit cette lettre après qu'il eut renoncé au
théâtre , et avant la disgrâce de Mme de Montespan, c'est-à-
NOTICE. 429
dire de 1678 à 1686; il n'a fait qa'adopter sur ce point Topi*
nion de M. de Saint-Surin, éditeur des Œuvres de BoUeam,
(i8ai), opinion qu'il serait difficile de contredire; car on ne
voit pas quel autre temps assigner au travail que l'abbesse de
Fontevrault obtint de la complaisance de Racine.
Voici comment M. Cousin , dans ses Notes sur le Banquet
(tome VI de la traduction des Œuvres de Plaion^ p. 411
et 4 < a ) 1 parie de la traduction de Racine et de celle de
Mme de Rochechouart : « J'ai mis à profit ce morceau échappé
à la plume savante de l'un des écrivains les plus habiles de
la langue française. Il eût été ridicule de ne pas se servir
d'une traduction de Racine, et cepeudant même à Racine je
ne pouvais sacrifier Platon. De là les emprunts perpétuels que
j'ai faits à ce fragment, et les changements que je me suis
permis d'y introduire pour rétablir le sens et quelquefois la
couleur de l'original. Quant à la traduction de Mme de Ro-
chechouart , le style en est toujours bon , et il y a de loin en
loin des tournures et des expressions heureuses que j'ai re-
cueillies. D'ailleurs elle est d'une inexactitude qui ne permet-
tait pas de songer à s'en servir. L'auteur d'Esther^ dans la
partie du Banquet qu'il a traduite, affaiblit l'expression de
l'amour grec et substitue au langage naïf et direct de l'original
la phraséologie équivoque de la galanterie moderne. Mme de
Rochechouart dénature bien plus le texte, et le discours
d'Aristophane n'est plus reconnaissable dans la chaste traduc-
tion de la docte abbesse. £n effet , l'épreuve était aussi trop
forte , et on ne peut la blâmer de n'avoir pas osé traduire ce
qu'une femme lira même difficilement. On voit, au reste,
qu'elle a traduit sur le latin de Ficin et ne connaissait pas le
moins du monde l'original. »
En un point nous oserions ne pas nous soumettre entiè-
rement à l'autorité du maître que nous venons de citer. Il
nous parait bien sévère quand il reproche à quelques parties
de l'œuvre de Racine « la phraséologie équivoque de la
galanterie moderne. > L'expression de Ftimour grec est cer-
tainement affaiblie à dessein et adroitement voilée par notre
poète, comme l'heureuse différence de nos mœurs lui a paru
l'exiger; mais nous ne voyons pas qu'il y ait substitué nulle
])art l'expression de la galanterie française. On aurait tout
43o TRADUCTIONS.
au plus à remarquer, dans les passages où la difficulté est
ingénieusement éludée, une inexactitude historique, bien par-
donnable, nulle inexactitude littéraire, nulle fade altération de
la couleur du style. Quelques faux sens, mais peu nombreux
et de peu d'importance, pourraient être relevés; on noterait
quelques membres de phrase supprimés , d'autres ajoutés pour
éclaircir la pensée. Nous voulons aujourd'hui une litléralité
plus scrupuleuse : qui se flatterait néanmoins de conserver
aussi bien à la langue de Platon son élégance et son charme?
C'est là un genre d'exactitude qui en vaut bien un autre.
Le texte grec sur lequel Racine a travaillé est-il celui qu'a
donné Henri Estienne en 1578, avec la traduction latine de
Jean de Serres? M. Grille nous semble l'insinuer dans le pas-
sage de sa Lettre à M. le marquis de la Porte sur des livres^
des événements et des hommes de V ancien et du nouveau régime^
Paris, 1847, in-8® : c Je vous montrerai un bel exemplaire
de Platon, mis en latin par Serranus et imprimé par Henri
Estienne.... Il y a trois volumes, reliés en huit fascicules in-
folio. L'exemplaire porte les armes de Mme de Rochechouart
abbesse de Fontevrauk; il fut pris en 1792 par un moine de
cette maison, et vendu ensuite à un libraire de qui je l'ai der-
nièrement acheté. C'est ce livre qui servit à la savante abbesse
à traduire le Banquet en compagnie de Racine. > La décou-
verte bibliographique de M. Grille \yent faire regarder, non
comme certain, mais comme probable, que l'abbesse de Fon-
tevrault a fait sa traduction sur son exemplaire d'Henri Es-
tienne, et qu'elle s'est aidée de la version latine de Jean de
Serres plutôt que de celle de Ficin , à laquelle M. Cousin
avait pensé. Mais Racine n'a pas précisément travaillé en
compagnie de Mme de Rochechouart; et elle n'a sans doute
pas eu besoin de lui prêter son exemplaire, lorsqu'elle la
prié de revoir sa traduction. Les Œuvres de Platon ne man-
quaient pas à la bibliothèque de notre poète, et il nous
serait impossible de dire quel texte il a suivi. Nous avons
cherché si quelques-unes des inexactitudes de la traduction de
Racine pouvaient s'expliquer par des |)articularités du texte
de 1578 ou du latin de Jean de Serres; et notre recherche
ne nous a fait rien trouver de décisif sur ce point.
Dans la Copie exacte de tétai des livres que M, Racine a
NOTICE. 4iï
r0nis à la Bibliothèque du Roi (c'était en 1756), il est fait men-
tion, parmi les Manuscrits^ de la Traduction d'une partie du
Banquet de PUUon et de quelques morceaux de la République.
Si ce don précieux de Louis Racine se trouvait encore au-
jourd'hui à la Bibliothèque, où il avait été déposé, l'écriture
du manuscrit suffirait sans doute pour démontrer l'anachro-
nisme commis ])ar les Mémoires sur la vie de Jean Racine.
Mais comme des preuves d'autre nature surabondent, le ma-
nuscrit nous aurait surtout été utile pour établir le texte dans
toute sa pureté ; il nous aurait donné d'ailleurs, outre le Ban-
quet^ des fragments de la République^ qui nous sont inconnus,
et qui devaient avoir été traduits à une époque antérieure.
Mais il s'est égaré, et depuis longtemps. Au coounencement
de ce siècle, la disparition en était constatée par Mouchet,
premier employé aux manuscrits de la Bibliothèque. Nous
n'avions donc aucun moyen de contrôler l'exactitude de l'é-
dition de 1732; notre texte y est fidèlement conforme, ce
qu'on ne peut pas toujours dire de celui qu'ont donné les
précédentes éditions des Œuvres de Racine,
Luneau de Boisjermain est le premier qui ait joint aux
(ouvres de Racine la partie du Banquet que notre auteur a
traduite. £lle est aux pages 4i3 et suivantes dé son tome V.
Dans une courte préface, qui précède le Banquet^ l'éditeur
s'exprime ainsi : « Nous ne dirons rien de cette traduction ;
c'est un ouvrage de la jeunesse de Racine , auquel il travailla
sans goût et sans plaisir. » Luneau de Boisjermain avait trop
facilement accepté l'assertion de Louis Racine ; et la manière
dont il parle d'un travail très-remarquable par le style [)rouve
qu'il ne l'avait pas lu avec attention. Nous avons vu que les
éditeurs de 1807 avaient été mieux informés; en général leur
critique était plus attentive et plus sûre.
Geoffiroy (tome VI, p. 445 et suivantes) a donné, non-seu-
lement cette partie du Banquet qui a été traduite par Ra-
cine, mais celle qui, dans l'édition de i73a, appartient à
Mme de Rochechouart. Cela ne lui a pas encore semblé suf-
fisant. L'abbé d'OHvet avait jugé à [)ropos de supprimer, dans
la traduction de la docte abbesse, le discours d'Alcibiade,
pour se conformer à l'avis exprimé dans la lettre de Racine
à Boileau. Geoffroy a voulu combler cette lacune , et n'a pas
43a TRADUCTIONS.
craint de placer à côté de la traduction de Racine et de
Mme de Rochechouart la fin du dialogue traduite par lui-
même. Il avait certainement raison de ne pas jugei' imaile ce
discours d'Alcibiade, quoi qu'en eût dit Racine, à qui U aurait
dû suffire d'alléguer ce qu'il a pour nous de scandaleux. Tou-
tefois on n'a aucun besoin de trouver le dialogue complet dans
les Œuvres iieRarine; ni la traduction de Tabbessede Fonte-
vrault, ni celle de Geoffroy n'y sont à leur place, cellenû sur-
tout , puisque , pour l'y admettre , on n'a pas même , conmie
pour la première , ce prétexte que le souvenir en est insépa-
rable de celui de l'ouvrage de Racine. La témérité de Geoffroy
n'a |)as eu le succès pour excuse. Dans le voisinage redou-
table qu'il a affronté, son Discours djkihimie ne fait pas
une bonne figure. « Ce morceau, dit M. Cousin dans ses Woies
sur le Banquet (p. 412)1 est si inexact et fait si légèrement
qu*il nous a été impossible de l'employer. >
M. Aimé-Martin n'a pas fait difficulté de donner place dans
son édition à la traduction de Mme de Rochechouart et à celle
de Geoffroy. Nous avons pensé, pour nous, que le lecteur se
contenterait de trouver ici celle de Racine.
Après le Banquet nous avons placé les Fragments de Us Poé^
tique dAristote. Ils ont été publiés pour la première fois par
Geoffiroy dans son édition des Œuvres de Racine^ tome YI,
}). 549-563. Ils avaient été signalés par une lettre de Loms
Racine, écrite en 1756 à l'abbé Sallier, bibliothécaire du Rd,
que Geoffiroy a insérée dans sa Préface (p. 546 et 54 7)* cl
qui nous a été conservée au tome I, folio aSa, des manuscrits
de Racine.
Louis Racine, dans cette lettre, qui est datée simplement :
c Ce samedi, » disait : « Hier ^u soir, je retrouvai un livre
qui mci ite bien d'accompagner les autres. Cest Pétri F'ictorii
Commentarii in librum Aristotelis de Artepœtarum^ a* editio^
Fhrentim, in officina Juntarum^ i573, in-folio (/»• Racine a
écrit par erreur 1673) . A la marge de ce petit in-folio on trouve
plusieurs passages de la Poétique d'Aristote traduits par mon
])ère. Je vous prie d'ajouter ce livre à l'état que je vous ai
remis ; et je remettrai le tout lorsque vous l'enverrez cher-
cher, ou tout à l'heure, ou lundi à huit heures du matin. >
1^ Bibliothèque im|)ériale possède l'exemplaire du livre de
NOTICE. 4ri
Petnis Victorim (Pierre Vettori, savant philologue florentin du
seizième siècle) sur les marges duquel Racine a essaye de ren-
dre en français plusieurs passages de la Poétique, Il ne se
proposait évidemment pas de travailler pour le public, nuds
seulement de s'expliquer mieux à lui-même la pensée d'Aris-
tote, comme le prouveraient d'ailleurs assez les paraphrases et
commentaires çà et là mêlés à la traduction; et l'on voit
bien que son travail eût été tout différent, s'il avait pré-
tendu faire véritablement œuvre de traducteur. Nous avons
donc pu nous demander si ces fragments de la Poétique ne
devaient pas tout simplement être mis au nombre des anno-
tations que portent à la marge beaucoup de livres ayant ap-
partenu à Racine, et dont le lecteur trouvera dans le volume
suivant les plus intéressantes. Mais, toute réflexion faite,
nous avons cru qu'après avoir été au-devant de toute er-
reur sur le véritable caractère de ce travail , U n'y avait au-
cun inconvénient à lui dcmner place parmi les traductions de
notre auteur, ainsi que Geoffroy et Aimé-Martin l'avaient fait
avant nous, et même parmi celles de ces traductions qui se
recommandent plus particulièrement à l'attention. En effet ,
cette interprétation de la Poétique, quoique Racine ne la des-
tinât qu'à son propre usage, s'est trouvée par de très-solides
qualités digue d'échapper à l'oubli. Elle n'est certainement pas
une étude de la première jeunesse de Racine ; elle ne paratt
pas non plus avoir pu l'occuper après qu'il eut renoncé au
théâtre, mais, suivant toute vraisemblance, il l'a faite dans le
temps où il s'intéressait le plus aux règles de cet art tragique
qu'il pratiquait si glorieusement. On n'en peut guère douter,
lorsqu'on fait attention aux passages auxquels il s'est attaché
de préférence dans l'ouvrage d'Aristote : son choix a porté
sur ceux qui intéressent le poète dramatique.
Dans le texte donné par Geoffroy, reproduit par Aimé-
Biartin, nous n'avons eu à corriger, d'après les notes manu-
scrites de Racine, que de très-légères et très-peu nombreuses
inexactitudes.
Le titre de traduction pourrait être aussi contesté au petit
traité qui a pour titre : Comment il faut écrire f histoire; mab
ce serait par des raisons un peu différentes. Racine avait
voulu annoter et commenter Aristote plutôt que le traduire
J. Rauiiib. ▼ 98
434 TRADUCTIONS.
dans Tezacte acception du mot. li ne s'est nnllement pro-
posé d'éclaircir le texte de Lucien ni càxà de Denys d'Ha-
iicamasse, lorsqu'il leur a emprunté ce qu'ils avaient dit de
plus sage sur les devoirs de l'historien et sur les règles à
suivre dans la composition historique. Uniquement préoccupé
du fond des choses, il n'a cherché qu'à recueillir d'utiles le-
çons : aussi a-t-il abrégé ses auteurs, et un peu librem^it traité
leur texte, dont il a reproduit parfois la pensée plutôt que
la forme. Louis Racine paraît ne s'être pas trompé sur k
temps où son père s'est occupé de ce travail. U dit, dans
ses Mémoires (voyez notre tome I, p. 277), que ce fut
a l'époque où il se prépara à sa tâche d'historiographe :
« Mon père, pour se mettre ses devoirs devant les yeux, fit
une espèce d'extrait du traité de Lucien sur la manière d'é-
crire l'histoire. Il remarqua dans cet excellent traité des
traits qui avoient rapport à la circonstance dans laquelle il se
trouvoit.... » Si ce n'est qu'une conjecture, elle est du moins
extrêmement vraisemblable. Non-seulement le dessein que Ra-
cine pouvait avoir, en s'attachant plutôt au sens qu'à la forme
de ces anciens préceptes, est manifeste ; il faut ajouter que
l'élégance et la fermeté du style excluent tonte suppositioD
d'un travail de première jeunesse. Un écrivain exercé a seul
pu resserrer ainsi Lucien sans lui rien faire perdre. Il y a là
beaucoup plus et beaucoup mieux qu'une simple analyse. Ce
n'est pas tout à fait, je le répète, une traduction, au moins
une traduction fidèle ; Racine toutefois ne s'est pas tenu assez
loin des autein<s dont il voulait avoir sous les yeux les judi-
cieuses remarques, pour que nous ayons dû songer à plaça*
ailleurs qu'ici les extraits qu'il en a faits.
Louis Racine a donné en 1747 V Extrait da traité de Lacten
aux pages i3-i8 du volume qu'il publia alors comme un
appendice à ses Mémoires, Son texte est, cette fois encore,
inexact de parti pris, et il serait difficile de se rendre raison
des retranchements et des changements qu'il s'est pennb.
Nous ne saurions non plus deviner pourquoi il n'a pas joint à
ces pages celle que Racine a, sur le même sujet, tirée de De-
nys d'Halicamasse. Elle y est cependant mêlée aujourdlim,
parmi les papiers de son père qu'il a lui-même donnés à h
Bibfiothèque du Roi ; et elle ne peut lui avoir
NOTICE. 435
M. Âimë-Martin, qui a eu entre les mains le manuscrit de
notre auteur, Ta suivi plus fidèlement que n'avait fait Louis
Racine; il a cependant encore altéré quelques passages. Il
n'a pas omis le morceau emprunté à Denys d'Halicarnasse ; il
a bien reconnu qu'il était distinct de V Extrait de Lucie/t^
et l'a donné à part avant cet Extrait; mais il est clair qu'Û
n'a pas trouvé (s'il l'a cherché) de quel auteur Racine l'avait
tiré, et il l'a intitulé : Sur la manière décrire Fhistoirey par
Racimb. Voyez son édition de i844i tome Y, p. 307.
h* Extrait du traité de LueiOi est au tome II des manuscrits
de Racine, folios a 1-29. V Extrait de Dènys d'Halicarnasse y
a été joint, ou plutôt intercalé, et sépare l'alinéa qui finit par
ces mots : c pourvu qu'elles conviennent à celui qui parle, »
de celui qui commence ainsi : « Il faut être court et circon-
spect. » A la rigueur on pourrait croire que Racine, qui ne
prétendait pas faire une traduction, ne s'est pas fait scrupule
d'insérer parmi les emprunts qu'il a faits à Lucien quelques
préceptes analogues tirés d'un autre auteur. Mais il ne Teût pas
fait à une place où cette addition aurait coupé les idées dans
leur suite naturelle ; et il faut remarquer que le feuillet dou-
ble où est le passage de Denys d'Halicarnasse est distinct
des précédents, et que deux pages blanches suivent la der-
nière phrase de ce passage. Les pages des deux Extraits
ont, il est vrai, dans l'ordre où elles sont disposées aujour-
d'hui, une pagination qui se suit, de i à 17; mais ces chif-
fr'es ne doivent pas être de la main de Racine. Nous avons
donc, comme M. Aimé-Martin, séparé l'Extrait de Lucien et
celui de Denys d'Halicarnasse, qui ont sans doute été faits
dans le même dessein et dans le même temps, mais qui, em-
pruntés à des sources difierentes, seraient à tort confondus.
On comprend difficilement par quelle distraction M. Aimé-
Bfartin les a mêlés parmi les traductions qu'il donne conmae
des brouillons d'écolier, et qu'il a réunis sous le titre général
de Fragments de traductions par Jean Racine. Un Jpis de
téditeur qu'il a placé en tête de ces divers morceaux' les dé-
signe tous, sans faire d'exceptions, comme les premières étu^-
I. Voyez le tome V, p. soS et 906, des OBupres eomolètes de
/. Racme^ édition de i844-
4i6 TRADUCTIONS.
des dun enfant : c l'auteur avait alors quatorze ans, peut-
être seize. Il était à Port-Royal. > £t, dans cet Avis^ rien
n'avertit le lecteur que V Extrait du traité : Comment il faut
écrire f histoire^ doive être distingue de ce que 1 éditeur croyait
être des exercices de collège. Le témoignage de Louis Racine
n'a pu cependant, nous l'avons vu, tromper ici M. Aimé-
Martin, comme il l'a fait pour d'autres écrits; ce témoignage
au contraire aurait dû le garantir d'une si singulière erreur,
et Louis Racine Ta donné deux fois , d'abord dans ses ifê-
moires^ puis dans une petite nMe au bas de la première page
du Ttaité de Lucien,
Il nous reste à parler des traductions qui forment notre se-
conde division, et qui sont réellement les seules que Louis
Racine ait désignées comme des exercices scolaires. Ces tra-
ductions sont la F'ie de Diogène le cynique^ l'opuscale qui a
Dour titre : €les Esséniens; la Lettre de t Église de Smyme^ la
Vie de saint Polycarpe^ V Extrait dune lettre de saint Irénée à
Florin^ VEpttre de saint Polycarpe aux Philippiens^ et les
ragments intitulés : de Saint Denys^ tirchevéque dt Alexandrie^
et des Saints martyrs d Alexandrie,
Qu'on nous permette de donner quelques détaib minutieux
sur l'état où sont aujourd'hui, en ce qui regarde ces traduc-
tions, les manuscrits de Racine que possède la Bibliothèque
impériale. Sur le premier feuillet du tome II on lit cette indi-
cation écrite de la main de Louis Racine : « Brooilloos et
Extraits faits presque à la sortie du collège, i avec une note
de son frère Jean -Baptiste expliquant clairement que le col-
lège dont il s'agit est celui de Beauvais*. Aux feuillets sui-
vants (a- 19) on trouve la Fie de Diogène. Le feuillet 20 porte
I. Voici cette note: k Jean Racine sortit du collège de Beto-
vais, dirigé par quelques eocléslastiqaet de mérite et de savoir,
en 16 55, le i*' octobre, et fut mis à Port-Royal, ou il ne resta qae
trois ans, puisque, au mois d'octobre r658, il fnt envoya à Parii
pour faire sa philosophie, n'ayant encore que quatorze ans. Oo a
peine à comprendre comment en trois ans il a pu faire les progrès
qu'il fit i Port-Royal. Ses facultés, qui ètoient fort médiocres, ne
lui permettant pas d'acheter les belles éditions des anleors greo.
NOTICE; /,^7
écrit de la mam de Louis Racine : « Extrait fait par Jean
Racine du Ttaité de Lueien sur la manière décrire fhis'
toire, > Ce traité est écrit sur les feuillets ai-ag. Sur le
feuillet 3o Louis Racine a écrit de nouveau : « Brouillons et
Extraits faits par Jean Racine, presque à la sortie du collège; »
et il a ajouté : « On y trouve une traduction de la Fie de Dio~
gène te cynique par Diogène Laérce; > puis les titres sui-
vants : La Vie de saint Denys^ archevêque d Alexandrie* —
Des Esséniens. — Lettre de VÉglise de Smyrne, — Fie de
Diogène le cynique. A la suite de ce feuillet viennent, dans
Tordre où nous les avons nous-même rangées, les traductions
qui ont pour titre : des Esséniens (f. 3i-5a), Lettre de tÉ^
glise de Smyme (f. 53-6o), Fie de saint Polycarpe (f. 6i et 6a),
Extrait dune lettre de saint Irénée (f. 6a et 63), Épttre
il les Ufloit dans les éditions de Baie , où il n^ a pat de version
latine.
« Son fils aYoît hérité de Texemplaîre de Platon et de Plntarqiie,
dont les marges étoient chargées d'apostilles de sa main.
« Il traduisit le Bani/uet de Platon^ imprimé en I73a.
• Il fit des extraits, tout grecs, de quelques traités de saint Ba-
sile, et quelques remarques sur Homère et Pindare. t
Ainsi les Brouillons et Extraits que Louis Racine a voulu désigner
auraient été écrits k la sortie du collège de Beanvais, autrement dit
a Port-Royal, où Ton devrait croire également que Racine a an-
noté les œuvres de Platon et de Plutarque, fait des extraits de
saint Basile, des remarques sur Homère et sur Pindare, et même
(cela semble du moins résulter de la rédaction de la note) tra-
duit le Banquet de Platon. Nous remontons là à la source de plu-
sieurs erreurs qui depuis ont été reproduites. Il y en a d'éviden-
tes. Louis Racine, dans la première édition de ses Mémoires (voyez
notre tome I, p. 309, note i), a dit, d'après son firère, que Racine
fut envoyé au collège d'Harcourt « n'ayant encore que quatorze
ans. M Dans la seconde édition il a corrigé cette faute : Racine en
i658 avait dix-neuf ans. Faire remonter au temps de Port-Royal la
traduction du Banquet^ n'est pas, nous l'avons déjà dit, une moins
incontestable méprise. Une note écrite si légèrement ne mérite
donc confiance dans aucune de ses parties. Il se peut que Racine
n'ait eu à Port-Royal d'autres éditions des auteurs grecs que celles
de Bâle, ainsi que Louis Racine l'a répété dans ses Mémoiresi mais
alors ses traductions de Philon et d'Rusèbe sont d'une autre époque,
car il ne les a pas faites sur ces éditions.
438 TRADUCTIONS.
de saint Pofycttrpe (f. 63-67), ^^ Saint Denyt^ arekt9éq^
d Alexandrie^ et des SeUnts mar^rs d JUxandrie (f. 69-77).
Il suit incontestablement de là que Louis Racine regardait
toutes les traductions que l'on trouve aujourd'hui encore
parmi les manuscrits de son père, oonmie faites peu de temps
après sa sortie du collège de Beauvais, c'est-À-dire à Port-
Royal, à l'exception du Traité de Lucien^ qu évidemment
on n'a pas mis, en Tinsërant entre les feuillets 19 et 3o,
là où il devait être, où Louis Racine l'aurait mis. La liste
qu'il donne, au feuillet 3o comprend tout le reste; car
ceux des opuscules qu'il n'a pas nommes font évidemment
suite, les Saints martyrs d^ Alexandrie à Saint Denys^ évéque
tf Alexandrie ^ les autres à la Lettre de VÈf^ise de Smsfrne,
On ne peut séparer ce qui non-seulement est analogue par le
sujet, mais encore est d'une écriture tout à fait semblable,
et se continue sur un même feuillet, quelquefois sur une
même page.
La date marquée par Jean-Baptiste Racine sur quelques-uns
des feuillets du manuscrit s'accorde avec les notes de son finère.
Sur le feuillet x, il a mis : a de i655 à i658, » et il a répété
cette date en tète de l'opuscule des Esséniens (folio 3i), en
tète aussi du feuillet 68 qui précède Saint Denjs et les Sainu
martyrs dt Alexandrie^ et sur lequel Louis Racine a écrit Vies
des saints.
Les fils de Racine n'avaient certainement fait qu'une con-
jecture ; et ils auraient dû s'apercevoir que cette conjecture
souffrait de trop grandes difficultés. L'erreur en sera démon-
trée, nous le croyons, par l'examen que nous allons faire de
chacun des petits écrits auxquels ils ont assigné leur date
entre i655 et i658.
La Fie de Diogène le cymque aurait été singulièrement
choisie à Port-Royal pour un exercice d'écolier. Louis Racine
dit dans ses Mémoires (voyez notre tome I, p. a 10) que là
« on ne confioit pas à un jeune homme un livre tout grec sans
précaution ; » et, comme exemple de l'extrême attention qu'on
y avait pour la pureté des mœurs, il cite les ouvrages histori-
ques de Plutarque, dans lesquels les maîtres de Racine efifa-
çaieiit avec soin les passages c trop naïfs, » avant de lui faire
traduire cet auteur « d'ailleurs si grave. » Comment donc s*i-
NOTICE. 439
magmer que Diogène de Laèrte ait pu (échapper à une censure
si [uiidente ? Mieux eût valu ne pas retirer au jeune homme
l'innocent roman des Amours de Théa^ène et de Chanclécy et
ne pas lui laisser entre les mains un ouvrage moins attrayant
sans doutCf mais qui convenait bien moins encore à son âge.
Si Racine rencontre un passage scabreux du texte, il le tra-
duit avec une hardiesse de langage, et une science d'inter-
prétation, dont on s'étonnerait moins au temps ou il se fut
éloigné de ses maîtres vigilants, et où il écrivait des lettres
dans lesquelles il est quelquefois question de lectures assez
libres. Nous croirions donc volontiers que la traduction de la
Vie de Diogène ne fiit pas faite avant i658, mais plutôt un
peu après, et lorsque Racine venait d'achever ses études sca-
laires. Nous n'avons pas à alléguer, il est vrai, de preuves
absolues et décbives, mab seulement des vraisemblances mo-
rales. Si quelques personnes en étaient moins frappées que
nous, et s'il fallait leur accorder que Racine ait pu faire ce
travail étant encore dans les petites écoles de Port-Royal,
nous aurions des raisons d'une autre nature pour ne pas éten-
dre notre concession aux autres traductions. Celles-ci ne doi-
vent pas être de la même date que la traduction de la Fie de
DioQène, Non-seidement , dans cette dernière , l'écriture n'est
pas tout à fait la même; mais on y remarque de singuliers
archaïsmes , souvent répétés, dont Racine n'a pas fait usage
ailleurs. Entre des écrits différents par la langue, et dont en
même temps les derniers nous semblent supérieurs pour les
qualités du style , il faut mettre un certain intervalle. Si nous
ne pouvons déterminer cet intervalle avec certitude, nous don-
nerons du moins, pour quelques-uns des morceaux traduits
d'Eusèbe, des preuves irrécusables ^'ils ne sont pas du temps
des études de Port-Royal.
Lorsque Racine a traduit la Vie de Diogène^ il n'a eu sous les
yeux qu'une assez ancienne édition, on le reconnaît à quel-
I ques passages : }ieut-être une de ces éditions de Râle dont
parle Jean-Raptiste Racine, celle de i53i, ou celle de i533,
» l'une et l'autre ne donnant que le texte grec^ Ce qui est
1 . Le Diogène de Inerte publié à Baie en i5s4 n^est au contraire
I qn^une traduction Utine d'Ambroise le camaldnle. Nous ne savons
4^o TRADDCTIOWS.
tout à fait certain , c'est qu'il n'a pas alors ccmnu les notes
de Ménage {Mgidii Menagii Notm in Diogenis Laertii de Fitis
philosophùrum libros Xy Parisiis, M.DC.LXII, în-S«). U aurait
sans doute profité de ce savant travail, s'il avait fait sa tra-
duction après i66a.
« Si cette traduction n'est pas irréprochable, elle est loin ce-
pendant d'être sans mérite, surtout quand on n'ouhlie pas que
le jeune écrivain trouvait alors peu de secours pour l'intelli-
gence du texte. Racine y rencontre souvent l'expression qui
resterait aujourd'hui encore la plus nette et la plus vive. Un
peu plus tard que lui, Gilles Boileau a traduit en français
cette même Vie de Diogène^ dans le livre qui a pour titre:
Diogène Laërce^ de la Vie des Philosophes^ traduction mmvelk
par M. B***, à Paris ^ M.DC.LXVIII, a volumes in-ia. 11 a
beaucoup moins bien entendu le grec que Racine, et ne l'a
pas si heureusement rendu.
Le mot de brouillons^ que Louis Racine applique à toutes
ces traductions de la jeunesse de Racine, convient beaucoup
moins à celle-ci qu'aux autres, qui sont très-chargées de cor-
rections et de ratures, tandis qu'il y en a peu dans la Vie àt
Diogène^ écrite avec plus de soin.
Sous le titre : des Esséniens^ Racine a traduit ce qu'il a
trouvé dans Josèphe sur cette secte juive , et dans Philon sur
la même secte et sur les Thérapeutes. Il a lui-même pris
soin d'indiquer, dans de petites notes, quel auteur il a suivi;
et il a écrit sur des feuillets distincts ce qui n'a pas été pris à
la même source. M. Aimé-Martin n'aurait donc pas dû ajouter
ce sous-titre fort inexact : Fragments tradtùts de Philon^ étant
ainsi à Josèphe sa part, qui n'est pas beaucoup moindre, oi
présenter deux morceaux différents comme un seul ouvrage,
où l'on est alors étonné de trouver tantôt des redites, tantôt
des choses qui ne s'accordent pas tout à fait. Il est remar-
quable que dans les traductions que nous donnons après celle-
ci. Racine a également pris de différents côtés , pour les rap-
procher, des textes qui se rapportaient à un même sujet. On
si Racine a pu la consulter. Mais il ne s*est asaurânent pas con-
tenté de traduire sur le latin. Il indique quelque part, dans uot
note, une rariante pour le texte grec.
NOTICE. 44i
serait tenté de croire qu'il ne se proposait |ias seulement un
exercice d*interprëtati<Hi et de style, mais qu'il réunissait des
matériaux pour quelque travail sur l'histoire religieuse, ou tout
au moins qu'il voulait approfondir, pour sa propre instruc-
tion, l'étude de certaines parties de cette histoire. Ce dessein,
qui parait si vraisemblable, n'est guère celui d'un écolier.
S'il fallait toujours songer aux éditions de Bftle, Racine se
serait peut-être servi, pour l'historien Josèphe, de celle de
i544, in-folio. Quant à Philon, l'édition des œuvres de cet
auteur qu'à un certain moment il a eue entre les mains est,
comme nous le dirons bientôt, celle de Paris, 1640, in-folio.
Hais était-ce à ce même moment qu'il traduisait les fragments
sur les Esséniens ? Nous ne devons pas l'affirmer, parce qu'en-
tre cette traduction et les dernières de celles qui suivirent,
un intervalle de temps dont il vaudrait la peine de tenir
compte peut être supposé.
La Lettre de t Église de Smjrme^ la f7e €le saint Pofycarpe^ la
Lettre de saint Irënée^ et VÉpitre de saint Polrcarpe aux Phi"
lippiens ont été certainement traduites ensemble, et ne for-
ment qu'un seul travail. Tout le prouve : il s'agit toujours
de saint Polycarpe; l'écriture n'offire pas de différences; et
plusieurs de ces extraits commencent sur le même feuillet,
parfois sur la même page où finit le précédent.
M. Aimé-Martin au titre des deux premiers a ajouté ce sous-
titre : Fragments traduits dEusèlfe; il a eu tort, au moins
pour ce qui est de la Lettre de l'Église de Smjrme. Racine,
à la marge de différents passages de cette lettre, a lui-même
cité Eusèbe; mais il n'aurait pas ainsi répété cette indication,
s'il eût tout tiré du même auteur. Voici d'ailleurs ce qui ne
laisse aucun doute. Eusèbe, au livre iV, chapitre xv\ de son
Histoire ecclésiastique, n'a donné qu'en partie la Lettre de
P Église de Smjrrne. Racine, qui a comblé les lacunes, a donc
fiût sa traduction sur un autre texte. La Lettre^ que nous ne
connaîtrions pas tout entière si Eusèbe seul nous l'avait con-
servée, avait été trop répandue dans toutes les Églises d'O-
rient, auxquelles l'Église de Smyme l'avait envoyée, pour qu'on
I. Noos citonft d'après T^ition de if>$9, dont il sera parlé tout
à l'heure.
44a TRADUCTIONS.
ne Tait pas retrouvée aîlleara que dans la dtation inoonn
plète de Tëvèque de Gësarëe. U en existait plusieurs manu-
scrits. Ce fut Usserius (Jacques Usher, ëvèque d'Armagh) qm
le premier en fit imprimer le texte grec, en même temps
qu'une ancienne traduction latine, assez défectueuse. En 1647,
il publia à Londres un volume in-4** intitulé : Appemdix
Jgnatiana,... Ce volume renferme une seconde partie, dont
la pagination est distincte, et qui a son titre à part : Ignatii
Jntiocheni et Polycarpi Smyrneffsis episcopi martyria,,.. C'est
là (p. i3-3o) qu'Usserius a donné la Lettre de PÉglise de
Smyrne^ et c'est là que Racine a pris le texte qu'il a eu sous
les yeux en même temps que celui d'Eusèbe. Il nous apprend
lui-même que ce volume était entre ses mains, puisqu'il en
cite les pages 61 et 62 dans une note sur la F^ie de saint P<h
lycarpe. U aurait, il est vrai, à défaut du livre d'Usserius,
trouvé une partie des passages qui y complètent les fragments
donnés par Eusèbe, dans les notes* de l'édition de ce dernier
auteur publiée à Paris, chez Vitré, en 1659 (in-folio). Peut-
être sont-ce ces notes qui l'ont mis sur la voie de VJppendix
Ignatiana ; mais il est aisé de reconnaître, à quelques passages,
qu'il a eu recours au texte complet, tel qu'il est dans Usse-
rius. Toutefois il est certain qu'il s'est servi, et ce n'est pas
une remarque inutUe à faire, de l'édition d'Eusèbe que nous
venons de citer, tout au moins pour la traduction des Saints
martyrs d Alexandrie, Là, en effet, non-seulement il a cité
dans une note deux passages de la traduction latine d'Henri
de Valois, qui est celle qu'on trouve à côté du texte grec
dans l'édition de 1659, où elle pai-ut pour la première fois;
mais il renvoie, dans une autre note du même opuscule, à la
page i63 pour un passage d'Eusèbe ; et la citation de cette
page ne se rapporte qu'à cette même édition. Une petite dif-
ficulté se présente cependant pour ceux des fragments emprun-
tés à Eusèbe où il est question de saint Polycaipe. A U
marge de celui qui contient des renseignements donnés sur la
vie de ce saint par saint Irénée, au troisième livre des Eè^
restes^ Racine a écrit : Eusèbe^ livre ITy chapitre 1 3 ; et ao
I . Voyez la page 68 de la seconde partie de cette édition d'Ea-
sèbe {jinnotaltonet in librum IV).
NOTICE. 443
même endroit, dans une note, il cite Je même Eusèbe^ livre Jll^
chapitre 35. Au commencement de la Lettre de saint Irénée à
Ftorin^ il ëcrit à la marge : Eusèbe^ livre F^ chapitre 19.
Or, d'après l'ëdidon de 1669, il eût fallu dire : livre IF y
chapitre 14 ; livre JIIj chapitre 36; livre V^ chapitre ao. Si
c'est dans une édition du texte grec d'Eusèbe que Racine a
pris ces chiffi*es qu'il donne, ce ne peut être que dans celle
de Genève {Historié ecclesiastic» scriptores grxciy grxco^latine
nunc primum editiy ex interprétât ione Christophorsoni.,.. Colo^
ni» Àllobrogum , M.DC.XII). Il aurait suivi le texte grec, pour
la citation du livre III, chapitre 35; la traduction de Chris-
tophorson, dont les divisions sont différentes, pour la citation
du livre IV, chapitre i3,et du livre V, chapitre 19. On serait
donc en droit de conclure de là ou que Racine consultait dans
le même temps, pour son travail , deux éditions d'£usèbe dif-
férentes, ou qu'il n'a eu l'édition de 1659 que lorsqu'il s'est
occupé des Martyrs à! Alexandrie, Cette seconde supposition
n'a rien d'improbable , l'écriture des deux dernières traduc-
tions n'étant pas tout à fait la même que celle des précédentes,
et permettant de croire qu'elles ont été faites un peu plus tard.
Quoi qu'il en soit , il reste bien établi , au moins pour les
Martyrs d Alexandrie^ et pour le fragment sur Saint Denvs^
qui en est inséparable, que Racine n'a pas fait sa traduction
avant 1 659 ; et la date de Jean-Baptiste Racine est ici con-
vaincue d'erreur, aussi bien que la note de Louis Racine :
Brouillons faits presque à la sortie du collège^ entendue dans
ce sens que ces Brouillons sont du temps de Port-Royal.
Maintenant qu'on veuille bien se souvenir des raisons qui
nous ont porté à croire entreprise plus tard que ce même
temps de Port-Royal la traduction de la Fie de Diogène^ d'une
langue plus surannée ce|)endant que celles qui ont suivi; que
l'on fasse attention à l'érudition de quelques-unes des notes
du jeune traducteur, à ces indications chronologiques, dans
lesquelles il cite de gros in-folios, à la forme de ce travail, qui
suppose tout autant, et plutôt peut-être, des recherches his-
toriques que le désir de se fortifier dans les études grecques
et d'exercer sa plume ; à ces divers ouvrages qu'il devait avoir
à sa disposition , Josèphe, Philon, Eusèbe, Usserius, Baronius
et Petau, en outre Tertullien et saint Jérôme, si leur témoi-
444 TRADUCTIONS.
gnage, qu*il «llègue, n'a pas été cité de seconde main : on pen-
sera, ce nous semble, qu'un écoUer ne pouvait travailler de
cette manière, et que, parmi les traductions qui commencent
aux Exsénitns, celles mêmes pour lesquelles nous n'avons pas,
comme pour les autres, l'indication d'une date fournie par b
citation de YEusèbe de Vitré, ne doivent pas non plus cepen-
dant être antérieures à 1659.
Nous pouvons, croyons-nous, ne pas nous borner à mar-
quer cette limite, mais faire encore un pas de plus. Le seul
temps de la jeunesse de Racine où l'on s'explique sans pône
qu'il se soit essayé à un travail sérieux sur des sujets de l'his-
toire religieuse, et qu'il ait eu à sa disposition une bibliothèque
de théologien, nous paraît être celui qu'il passa en Langue-
doc, près de son oncle le vicaire général : arrivé à Uzès
dans les derniers mois de 1661, il y demeura probable-
ment toute l'année suivante, et même une partie de Tan-
née i663'. Par les lettres qu'il écrivit de cette ville nous
savons qu'il se plaignait que le nombre de ses livres y filt
« fort borné. 1» Mais il ajoutait que les livres qui lui man-
quaient étaient les livres français, particulièrement les c livres
à conter fleurette; » et que, d'ailleurs, « les sommes de théo-
logies latines » et les « Pères grecs » ne faisaient pas défaut'.
Il disait aussi : « Je fais force extraits de théologie'. • Les
travaux dont nous apprenons ainsi qu'il était occupé ne sont
pas, on le voit, sans analogie avec ceux dont nous parions
ici, et qu'on ne peut s'étonner de ne pas trouver expressé-
ment mentionnés dans ces mêmes lettres : il y glissait volon-
tiers, et avec une sorte d'affectation de légèreté, sur tout ce
qui aurait paru trop sérieux à ses frivoles correspondants;
mais nous ne doutons pas, el nous l'avons dit ailleurs S que
ce temps ait pu être un des plus studieux de sa vie; les Rt-
marques sur les Olympiques et sur t Odyssée nous en fourni-
ront, dans le volume suivant, des preuves assurées. Toutes
les vraisemblances nous paraissent donc favoriser cette con-
I. Voyez la Notice biographique^ p. 43* 47f ^^ ^^v note i.
a. Lettre à Vahbé le P'asseur^ du 4 juillet 1661.
3. Lettre au même, du 17 janyier 1^63.
4. Notice biographique , p. 5l.
NOTICE. 445
jecture que Racine aurait travaillé de 1661 à i663 aux tra-
ductions des fragments sur les Esséniens^ sur Saint Poty^'
carpe et sur les Martyrs d Alexandrie, Il semblerait seulement
que les derniers de ces fragments l'ont occupé un peu plus
tard que les autres. Nous devons dire ici qu'avant cet examen
approfondi, nous avons eu nous-mème trop de confiance dans
le témoignage des fils de Racine, et dans les indications des
éditeurs qui l'ont accepté, lorsque nous avons admis, dans
notre Notice biographique , p. ai, que les traductions de
Diogène de Laèrte, de Philon et d'Eusèbe avaient bien pu
être faites à Port-Royal.
La digression à laquelle nous avons été entraîné, et que
nous ne croyons pas inutile, sur la date probable de ces tra-
ductions, nous a interrompu lorsque nous les suivions une à
une et dans leur ordre. Les deux qui viennent immédiate-
ment après la Lettre de tÈ^ise de Smyrne^ et qui sont la
Vie de saint Poljcarpe^ et \ Extrait (tune lettre de saint 1 renée
à Florin^ ont été faites Tune et l'autre sur le texte d'Eusèbe.
Il n'en est pas de même de YÉpftre de saint Potycarpe aux
Philippiens; et M. Aimé-Martin aurait dû le faire remarquer.
Eusèbe parle de VÊpttre aux Philippiens ^ comme d'une lettre
excellente dans son livre IV, chapitre xiv (Racine a traduit
ce passage), mais il n'en rapporte pas le texte. Le Febvre
d'Etaples l'a publiée le premier en 149^1 tïïaàs seulement dans
une traduction latine. Le texte grec a été imprimé pour la
première fois par le P. Halloix, dans le livre qui a pour titre :
Illàstrium Ecclesim orientalis scriptorum qui primo Christi
sxculo floruerunt Fitœ et Documenta, Duaci, M.DC.XXXIII
(in-folio). Usserius l'a reproduit aux pages i3 et suivantes de
ses Lettres de saint Polyvewpe et de saint Ignace {Pofycarpi
et Ignatii Epistolm, Oxonia;, M.DC.XLVIIÏ, in-4») *. Ce livre
d'Usserius est probablement celui dont s'est servi Racine; il
devait l'avoir en même temps que XAppendix Jgnatiana^ qui
n'en est que le complément.
I . La première édition publiée par UsMriiu de Polyearpl et Ignatd
Epistolm n'est pas celle dont nous donnons ici le titre, mais celle
qui parut en i644t comme le dit Ittig à la page 370 de la Biblio"
theea PtUrum aposlolicorum grmco-tatina^ Leipzig, 1699.
446 TRADUCTIONS.
Dans le texte donné par Halloix et par Usseiios, il y a quel-
ques lacunes, que ces éditeurs ont remplies à l'aide d'une
ancienne version latine. Racine n'a pas seulement traduit la
partie de VÉpttre qui existe en grec, mais aussi les passages
que le latin supplée. Il a d'ailleurs omis quelques phrases
qui n'avaient pu lui offrir de difficultés; et la même re-
marque s'appliquerait à plusieurs de ses traductions, même,
comme nous l'avons dit, à celle du Banquet^ où les omissions,
il est vrai, sont sans importance : il ne tenait pas à une mi-
nutieuse exactitude. Nous ne conclurons donc pas d'un petit
nombre d'omissions dans YÉptire de saùtg PÔfycarpe^ qu'il
ait fait usage d'un texte différent de celui dont nous avons
parlé.
Louis Racine a réservé le titre de Fies des sainis * pour
les deux derniers fragments que le traducteur a intitulés : de
Saint Derrys^ archevêque d Alexandrie^ et des Sainis martyrs
d Alexandrie, Mais pourquoi les fragments qui se rapportent
à la vie de saint Polycarpe n'auraient-ils pas été aussi bien
compris sous le même titre de Vies des saints? Si Loub Ra-
cine avait su que les deux dernières traductions de son |)ère,
et celles-là seulement, devaient faii*e partie d'un travail plus
étendu sur les Vies des saints^ il l'aurait sans doute dit plus
expressément. N'attachons pas trop d'importance à un titre
sur lequel il n'avait sans doute pas beaucoup médité. Noos
avons déjà fait remarquer (p. 44^) que l'écriture des deux
fragments sur Saim Denys et sur les Martyrs d Alexandrie^ un
peu différente de celle des fragments précédents, peut donner
à croire qu'ils ne sont pas tout à fait du même temps; maïs
le travail étant d'ailleurs du même genre, nous croirions diffi-
cilement que les uns aient été écrits longtemps après les autres.
Nous n'avons cependant pas voulu regarder conune certain
que Racine, lorsqu'il traduisait les Esséniens^ et tout ce qui
se rapporte à saint Polycarpe, eût déjà entre les mains les édi-
tions qu'il cite dans l'opuscule des Sainis martyrs d Alexandrie^
en indiquant les chifi&es des pages qu'il avait sous les yeux.
I . Sous ce tiu«, qu^on trouTC, comme il a été dit (p. 43^)i ^^
feuillet 68, il a écrit : neuf fûuUkts; c'est bien le nombre que nous
trouvons, en ne comptant que les deux derniers fragments.
NOTICE. 447
y
Ces ëditions, comme nous le montrerons ci-après dans nos
notes, sont, pomr les Œuvres de Phihn^ celle de Paris, 1640
(in-folio), et pour les Œuvres ctEusèbe^ celle qui nous a servi
plus haut à prouver Terreur des fils de Racine, Fëdition de
Paris, 1659 (in-folio).
Dans le manuscrit des traductions de Racine, à partir de
celle des Esséniensy les ratures et les corrections sont très-
nombreuses. Quelquefois elles peuvent laisser de l'incertitude
sui* l'expression, sur la phrase auxquelles le traducteur s'est
définitivement arrêté. En plusieurs endroits la première expres-
sion, et celle qu'une correction lui a substituée, sont Tune et
l'autre effacées, de sorte qu'une phrase entière ou une. partie
de phrase resterait incomplète si l'éditeur ne faisait un choix
sous les ratures. On est le plus souvent guidé dans ce choix
par une remarquable particularité du manuscrit : entre ces
variantes, également barrées, la plupart du temps on en trouve
une soulignée, ce qui semble bien indiquer qu'elle doit être
rétablie malgré la rature. M. Aimé-Martin en a jugé ainsi;
et nous ne pensons pas que ce soit lui, ou quelque autre lec-
teur du manuscrit qui ait souligné les expressions qu'il choi-
sissait. En général, M. Aimé-Martin s'est bien tiré de quelques
petites difficultés qu' offraient tant de ratures ; et sa lecture a
rendu la nôtre plus aisée ; mais dans quelques autres parties
de son travail nous avons rencontré bien des fautes. Des
erreurs, parfois très-singulières, qu'elles soient de son fait
ou de celui de son imprimeur, affectent en plusieurs passages
le sens des phrases , ou mettent à la charge de Racine des
locutions vicieuses; dans la Fie de Diogène surtout, il y en
a beaucoup de ce genre. M. Aignan, dans son édition (si elle
mérite ce nom), les a acceptées de confiance; et, comme il en
a cependant remarqué la bizarrerie, il en a fait l'objet de
notes, où il les fait ressortir, les blâme ou les explique. L'exa-
men du manuscrit lui eût épargné tout ce travail, qu'il est
permis de trouver un peu singulier.
Si nous n'avions pas eu affaire ici à des écrits de jeunesse,
dont il paraîtrait superflu de recueillir les innombrables va-
riantes, nous aurions indiqué, comme nous l'avons fait ailleurs,
toutes les leçons effacées, au lieu de nous borner, comme
nous le ferons, à noter les plus intéressantes, et nous aurions
44B TRADUCTIONS. — NOTICE.
rendu compte minutieiuemeiit de Y état da nunuacrit; en
outre, nous ne nous serions pas permis de compléter quelques
phrases, dont autrement le sens resterait interrompu, en pre-
nant sous les ratures ce qui a été effacé sans avoir ensuite été
soulig;né. Mais ici le scrupule eût été excessif, fatigant pour
le lecteur, et sans véritable utilité. Il a dû suffire de ne rien
ajouter au manuscrit, de n'en rien retrancher, et de ne réta-
blir, dans les passages qui se lisent sous les ratures, que ce
qui était nécessaire au sens, et ce que l'auteur n'avait pa^ eu
le temps de refaire.
LE
BANQUET DE PLATON
J. RAGIHm. ▼ 39
LE BANQUET DE PLATON.
LETTRE LE RACINE A DESPRÉAUX,
EN LUI ENVOYANT IX tAMQVST OB PLATOM.
i8 décembre.
«
Puisque vous allez demain à la cour, je vous prie,
Monsieur, d*]r porter les papiers ci-joints. Vous savez ce
que c est. J'avois eu dessein de faire, comme on me le de-
mandoit, des remarques sur les endroits qui me parot-
troient en avoir besoin; mais comme il falloît les rai-
sonner, ce qui auroit rendu Touvrage un peu long, je
n^ai pas eu la résolution d^achever ce que j 'a vois com-
mencé, et j'ai cru que j'aurois plus tôt fait d'entreprendre
une traduction nouvelle. J^ai traduit jusqu'au discours du
médecin, exclusivement. Il dit, à la vérité, de très-belles
choses, mais il ne les explique point assez; et notre
siècle, qui n'est pas si philosophe que celui de Platon,
demanderoit que Ton mit ces mêmes choses dans un plus
grand jour. Quoi qu'il en soit, mon essai suffira pour
montrer à Mme de*** que j'avois à cœur de lui obéir. Il
est vrai que le mois où nous sommes^ ' m'a fait souvenir
de l'ancienne fête des Saturnales, pendant laquelle les
serviteurs prenolent avec leurs maîtres des libertés qu'ils
n'auroient pas prises dans un autre temps. Ma conduite
ne ressenable pas trop mal à celle-là : je me mets sans
façon à côté de Mme de***; je prends des airs de maître;
I» On a TU que la lettre est datëe do mois de décembre.
45ji le banquet DE PLATON.
je m^accommode sans scmpule de ses termes et de ses
phrases; je les rejette quand bon me semble. Mais, Mon-
sieur, la fête ne durera pas toujours, les Saturnales pas-
seront, et rillustre Dame reprendra sur son serviteur
Tautorité qui lui est acquise. J'y aurai peu de mérite en
tout sens; car il faut convenir que son style est admira-
ble : il a une douceur que nous autres hommes nous
n'attrapons point; et si j'avois continué à refondre son
ouvrage, vraisemblablement je Taurois gâté. Elle a tra-
duit le discours d'AIcibiade, par où finit ie Banquet ie
Platon ; elle Ta rectifié, je Tavoue, par un choix d'exprès^
sions fines et délicates, qui sauvent en partie la gros-
sièreté des idées ; mais avec tout cela, je crois que le
mieux est de le supprimer*. Outre qu^il est scandaleux,
il est inutile; car ce sont les louanges, non de Tamour,
dont il s'agit dans ce dialogue, mais de Socrate, qui n y
est introduit que comme un des interlocuteurs. Voilà,
Monsieur, le canevas de ce que je vous supplie de vou-
loir dire pour moi à Mme de***. Assurez-la qu'enrhumé
au point que je le suis depuis trois semaines, je suis au
désespoir de ne point aller moi-même lui rendre ces
papiei*s; et si par hasard elle demande que j'achève de
traduire l'ouvrage, n'oubliez rien pour me déUvrer de
cette corvée. Adieu, bon voyage; et donnest-moi de vos
nouvelles, dès que vous serez de retour.
I . On l'a supprime dans oette édition ( /Vo/e Je V édition dt lySa). —
M. Cousin, dans ses Notes sur le Banquet (Couvres de Piatom, tome VI,
p. 4i I et 413), dit par deux fois que Mme de Rochechouart « t'sr-
réta devant le discours d'Alcibiade, » comme avait fait avant elle,
en 1559, Louis le Roi, professeur de langue grecque au CoU^ àe
France. Le témoignage de Racine nous avertit qu'il jr a là ooe
petite erreur; elle avait déjà été signalée à la page 9 de b bro-
chure de M. F. Grille, que nous avons citée ci-dessus, p. 43o.
LE BANQUET DE PLATON.
SUR L'AMOUR.
APOLLODORB.
Je crois que je n'aurai pas de peine à vous faire le ré*
cit que vous me demandez : car hier, comme je revenois
de ma maison de Phalère, un homme de ma connois-
sance, qui venoit derrière moi, m'aperçut, et m'appela
de loin. « Hé quoi? s'écria-t-il en badinant, ApoUodore
ne veut pas m'attendre? » Je m'arrêtai, et je l'attendis.
« Je vous ai cherché longtemps, me dit-il, pour vous de-
mander ce qui s'étoit passé chez Agathon^ le jour que
Socrate et Alcibiade y soupèrent. On dit que toute la
conversation roula sur l'Amour, et je mourois d'envie
d'entendre ce qui s'étoit dit de part et d'autre sur cette
matière. J'en ai bien su quelque chose par le moyen d'un
homme à qui Phénix a voit raconté une partie de leurs
discours ; mais cet homme ne me disoit rien de certain.
Il m'apprit seulement que vous saviez le détail de cet en-
tretien : contez-le-moi donc, je vous prie. Aussi bien, à
I . Racine a charge de notes latines et françaises les marges d'un
Platon .édition de Baie, in-folio, i534). Nous parlerons de ces no-
tes, quand nous nous occuperons des livres que notre poète a an-
notés ; mais ici même, il peut être à propos d'en citer quelques-
unes. Au bas de la première page du Banquet^ Racine a écrit :
« Cest cet Agathon qui est cité trois ou quatre fois dans la Poéti-
que d'Aristote (vojrez chapitres ix , xv et xviii} , et qu'Aristophane
raille plaisamment en le faisant venir habillé en femme dans le Ju"
gement des femmes contre Euripide (Racine désigne la comédie intitulée
dsojiofopidtouoat). Il fallott qu'il fiît beau par excellence. »
454 LR BANQUET
qui peut-on mieux s'adresser qu'à vous pour entendre
le discours de votre ami? Mais dites-moi , avant tome
chose , si vous étiez présent à cette conversation. — Il
paroit bien, lui répondis-je, que votre homme ne vous a
rien dit de certain, puisque vous parlez de cette conver-
sation comme d'une chose arrivée depuis peu, et comme
si j'avois pu y être présent. — Je le croyois, me dit-il.—
Comment, lui dis-je, Glaucon? ne savez- vous pas qai
y a plusieurs années qu'Agathon n'a mis le pied dans
Athènes? Pour moi, il n'y a pas encore trois ans que je
fréquente Socrate, et que je m'attache à étudier tontes
ses paroles, toutes ses actions. Avant ce temps-là j*er-
rois de côté et d'autre ; et croyant mener une vie raison-
nable, j'étois le plus malheureux de tous les hommes. Je
m'imaginois alors, comme vous faites maintenant, qu'on
honnête homme devoit songer à toute autre chose qu'à ce
qui s'appelle philosophie. — Ne m'insultez point, repli-
qua-t-il. Dites-moi plutôt quand se tint la conversation
dont il s'agit. — Nous étions bien jeunes vous et moi,
lui dis-je. Ce fut dans le temps qu'Agathon remporta le
prix de sa première tragédie ^ Tout se passa chez lui le
lendemain du sacrifice qu'il avoit fait avec ses acteurs
pour rendre grâce aux Dieux du prix qu'il avoit gagne.—
Vous parlez de loin, me dit-il; mais de qui savez-vousce
qui fut dit dans cette assemblée? Est-ce de Socrate? —
Non, lui dis-je : je tiens ce que j'en sais de celui-là même
qui l'a conté à Phénix, je veux dire d'Aristodème,da
bourg de Cydathène, ce petit homme qui va toujours nus
pieds. Il se trouva lui-même chez Agathon : c'étoit alors
un des hommes qui étoit le plus attaché à Socrate. J'ti
I . Dans ses notes sor le Platon de Bâle, Racine, en regard d« la
phrase : $ts 7f| rpcGiT) xparfco^fa lv(xv)aEV ^Xyi^top*^ a ^rit : c Agathoo
remporta le prix dès sa première tragédie. » Dès ne serait-il pai
également ici la Traie leçon, que d'OIivet aurait altérée?
DE PLATON, 4>'>
quelquefois interrogé Socrate sur des choses que cet Âris-
todème m'avoit récitées, et Socrate avouoit qu'il m'avoit
dit la vérité. — Que tardez-vous donc, me dit Glaucon,
que vous ne me fassiez ce récit ? Pouvons-nous mieux
employer le chemin qui nous reste d'ici à Athènes? » Je
le contentai, et nous discourûmes de ces choses le long
du chemin. C'est ce qui fait que, comme je vous disois
tout à l'heure, j'en ai encore la mémoire fraîche; et il ne
tiendra qu'à vous de les entendre. Aussi bien, outre le
profit que je trouve à parler ou à entendre parler de philo-
sophie, c'est qu'il n'y a rien au monde où je prenne tant
de plaisir. Tout au contraire des autres discours. Je me
meurs d'ennui quand je vous entends, vous autres riches,
parler de vos intérêts et de vos aflaires. Je déplore en moi*
même l'aveuglement où vous êtes. Vous croyez faire mer-
veilles, et vous ne faites rien d'utile. Peut-être vous, de
votre côté, vous me plaignez , et me regardez en pitié.
Peut-être mêmi? avez-vous raison de penser cela de moi.
Et moi, non-seulement je pense que vous êtes à plaindre,
mais je suis très-convaincu que j'ai raison de le penser.
l'ami d'apollodore.
Vous êtes toujours vous-même*, cher ApoUodore.
Vous ne cessez point de dire du mal de vous et de tous
les autres*. Vous êtes persuadé qu'à commencer par
vous, tous les hommes, excepté Socrate, sont des misé-
rables. Je ne sais pas pour quel sujet on vous a donné le
nom de furieux; mais je sais bien qu'il y a quelque chose
de cela dans tous vos discours. Vous êtes toujours en fu-
reur contre vous et contre tout le reste des hommes, ex-
cepté contre Socrate.
I . Dant rëdition de Geoffroy et dan» celle d'Aimë-Martin, on a
ainsi corrige cette phrase : « Vous ôtes toujours le même. »
a. Dans ses notet sur le Platon de Bâle, Racine traduit : « Vous
▼DUS condamnez toujours vous et les autres, n
456 LE BANQUET
APOIXODORB.
Il VOUS sembleMonc qu'il (kut être un fiirieux et on
insensé pou^ parler ainsi de moi et de tous tant que tous
êtes?
L^MI d'aPOLLODORK.
Une autre fois nous traiterons cette question. Soutc-
nez-vous maintenant de votre promesse, et redites-nous
les discours qui furent tenus chez Âgathon.
APOLLODORB.
Les voici; ou plutôt il vaut mieux vous faire cette nar-
ration de la même manière qu'Aristodème me Ta faite.
« Je rencontrai Socrate, me disoit-il, qui sortoit du
bain, et qui étoit chaussé plus proprement quà son ordi-
naire. Je lui demandai où il alloit si propre et si beau.—
Je vais souper chez Agathon, me répondit-il. J'évitai de
me trouver hier à la fête de son sacrifice, parce que je
craignois la foule; mais je lui promis en récompense qae
je.serois du lendemain, qui est aujourd'hui. Voilà ponr-
quoi vous me voyez si paré. Je me suis fait beau pour
aller chez un beau garçon. Mais vous, Aristodème, seiiez-
vous d'humeurà venir aussi, quoique vous ne soyez point
prié? — Je ferai, lui dis-je, ce que vous voudrez. — Ve-
nez, dit-il, et montrons, quoi qu'en dise le proverbe,
qu'un galant homme peut aller souper chez un galant
homme sans en être prié. J'accuserois volontiers Homère
d'avoir péché contre ce proverbe, lorsque après noos
avoir représenté Agamemnon comme un grand homme
de guerre, et Ménélas comme un médiocre guerrier, il
feint que Ménélas vient au festin d' Agamemnon sans être
invités c'est-à-dire qu'il fait venir un homme de peu de
valeur chez un brave homme qui ne l'attend pas. — J w
bien peur, dis-je à Socrate, que je ne sois le Ménélas du
I. lUade^ livre II, vers 408.
DE PLATON. 4^7
festin où vous allez. C'est à vous de voir comment vous
vous défendrez; car pour moi, je dirai franchement que
c'est vous qui m'avez prié. — Nous sommes deux, répon-
dit Socrate, et nous étudierons en chemin ce que nous
aurons à dire. Allons seulement. — Nous allâmes vers le
logis d'Agathon, en nous entretenant de la sorte. Mais à
peine eûmes-nous avancé quelques pas, que Socrate de-
vint tout pensif, et demeura en la même place sans bou-
ger. Je m'arrétois pour l'attendre ; mais il me dit d'aller
toujours devant, et qu'il me suivroit. Je trouvai la porte
ouverte ; et il m'arri va même une assez plaisante aventure .
Un esclave d'Agatlion me mena sur-le-champ dans la
salle où étoit la compagnie, qui étoit déjà à table, et qui
attendoit que Ton servit ^ . Agatbon s* écria en me voyant :
O Aristodème, soyez le bienvenu, si vous venez pour
souper. Que si c'est pour affaire, je vous prie, remettons
les affaires à un autre jour. Je vous cherchai hier partout
pour vous prier d'être des nôtres. Mais que fait Socrate?
— Alors je me retournai, croyant certainement que So-
crate me snivoit. Je fus bien surpris de ne voir personne.
Je dis que j'étois venu avec lui, et qu'il m'avoit même
invité. -* Vous avez bien fait de venir, reprit Agathon ;
mais où est-il ? — Il marchoit sur mes pas, lui répondis-
je; et je ne conçois point ce qu'il peut être devenu. —
Petit garçon, dit Agathon, courez vite voir où est Socrate ;
dites-lui que nous l'attendons. Et vous, Aristodème,
placez- vous à côté d'Éryximaque. — Un esclave eut or-
dre de me laver les pieds ; et cependant celui qui étoit
sorti revint annoncer qu'il avoit trouvé Socrate sur la
porte de la maison voisine, mais qu'il n'avoit point voulu
venir, quelque chose qu'on lui eût pu dire. — Vous me
1. En tête de la page où se trouve ce i^cit, dans le Platon de
Baie, Racine a t'crit : <« Entrée du festin contée agréablement. »
458 LE BANQUET
dites là nue chose étrange, dit Agatbon. Retournez, et
ne le quittez point qu il ne soit entré. — Non, non, dis-
je alors, ne le détournez point : il lui arrive assez souveut
de s'arrêter ainsi, en quelque endroit qu'il se trouve.
Vous le verrez bientôt, si je ne me trompe : il n*y a qu'à
le laisser faire. — Puisque c'est là votre avis, dit Aga-
thon, je m*y rends. Et vous, mes enfants, apportez-nous
donc à manger; donnez-nous ce que vous avez; on vous
abandonne l'ordonnance du repas : c'est un soin que je
n^ai jamais pris. Ne regardez ici votre maître que comme
s'il étoit du nombre des conviés^. Faites tout de votre
mieux; et tirez-vous-en a votre honneur. — On servit.
Nous commençâmes à souper, et Socratene venoit point.
Agathon perdoit patience, et vouloit à tout momeat
qu'on rappelât; mais j'empéchois toujours qn*on ne le
fît. Enfin il entra comme on avoit à moitié soupe. Aga-
tbon, qui étoit seul sur un lit au bout de la table, le pria
de se mettre auprès de lui. — Venez, dit-il, Socrate, ve-
nez, que je m'approche de vous le plus que je pourrai,
pour tâcher d'avoir ma part des sages pensées que vous
venez de trouver ici près; car je m'assure que vous avez
trouvé ce que vous cherchiez. Autrement vous y seriex
encore. — Quand Socrate se fut assis : Plût à Dieu, dit-
il, que la sagesse, bel Agathon, fût quelque chose qui se
pût verser d*un esprit dans un autre, comme l'eau se
verse d'un vaisseau plein dans un vaisseau vide ! Ce seroit
à moi de m'estimer heureux d'être auprès de vous, dans
Tespérance que je pourrois me remplir de Texcellente
sagesse dont vous êtes plein ; car pour la mienne, c'est
une espèce de sagesse bien obscure et bien douteuse; ce
n'est qu'un songe : la vôtre, au contraire, est une sagesse
I . Agathon dît à ses valets : « Imaginez-vous que vous nous aver
tous priés ù souper. » [Note de Racine^ dans le Platon de BdU.)
DE PLATON. 459
magnifique, et qui brille aux yeux de tout le inonde. Té-
moin la gloire que vous avez acquise à votre âge, et les
applaudissements de plus de trente mille Grecs, qui ont
été depuis peu les admirateurs de votre sagesse. — Vous
êtes toujours moqueur, reprit Agathon, et vous n'épar-
gnez point vos meilleurs amis. Nous examinerons tantôt
quelle est la meilleure de votre sagesse ou de la mienne;
et Bacchus sera notre juge. Présentement ne songez qu'à
souper. — Pendant que Socrate soupoit, les autres con-
viés achevèrent de manger. On en vint aux libations or-
dinaires; on chanta un hymne en Fhonneur du dieu Bac-
chus ; et après toutes ces petites cérémonies, on parla de
boire. Pausanias prit la parole : « Voyons, nous dit-il,
comment nous trouverons le secret de nous réjouir. Pour
moi, je déclare que je suis encore incommodé de la dé-
bauche d*hier; je voudrois bien qu'on m'épargnât aujour-
d'hui. Je ne doute pas que plusieurs de la compagnie,
Surtout ceux qui étoient du festin d'hier, ne demandent
grâce aussi bien que moi. Voyons de quelle manière pas-
ser gaiement la nuit. — Vous me faites plaisir, dit Aris-
tophane, de vouloir que nous nous ménagions; car je suis
un de ceux qui se sont le moins épargnés la nuit passée.
— Que je vous aime de cette humeur ! dit le médecin
Éryximaque. Il reste à savoir dans quelle intention se
trouve Agathon. — Tant mieux pour moi, dit Agathon*,
si vous autres braves vous êtes rendus ; tant mieux pour
Phèdre, et pour les autres petits buveurs, qui ne sont pas
plus vaillants que nous. Je ne parle pas de Socrate : il
est toujours prêt à faire ce qu'on veut. — Mais, reprit
I . Racine a mis dans la bouche d^Agathon ce que Platon fait dire
à Eryximaque. Ficin et de Serres, dans leurs traductions latines, ont
commis la même erreur; mais ils n*ont pas comme Racine supprimé
la phrase : O^sfibic o^"* oÛTb^ lppci>p.at, qui est dite par Agathon
arant la reprise d'Éryximaque : « Tant mieux pour moi, etc. »
46o LE BANQUET
Eryximaque% puisque vous êtes d'avis de ne point pous-
ser la débauche, j'en serai moins importun si je vous re-
montre le danger qull y a de s'enivrer. C'est un dogme
constant dans la médecine, que rien n'est plus pernicieux
à rhomme que l'excès du vin : je Téviterai toujours tant
que je pourrai, et jamais je ne le conseillerai aux autres,
surtout quand ils se sentiront encore la tète pesante da
jour de devant. — Vous savez, lui dit Phèdre en l'inter-
rompant, que je suis volontiers de votre avis, surtout
quand vous parlez médecine; mais vous voyez heureuse-
ment que tout le monde est raisonnable aujourd'hui. —
11 n'y eut personne qui ne fût de ce sentiment. On ré-
solut de ne point s'incommoder, et de ne boire que pour
son plaisir. — Puisque ainsi est, dit Eryximaque, qu'on
ne forcera personne, et que nous boirons à notre soif, je
suis d'avis premièrement que l'on renvoie cette joueuse
de flûte. Qu'elle s'en aille jouer là dehors tant qu'elle
voudra, si elle n'aime mieux entrer où sont les dames, et
leur donner cet amusement. Quant à nous, si vous m'en
croyez, nous lierons ensemble quelque agréable conver-
sation. Je vous en proposerai même la matière, si vous le
voulez. — Tout le monde ayant témoigné qu'il feroit
plaisir à la compagnie, Eryximaque continua ainsi : Je
commencerai par ce vers de la Ménalippe d'Euripide' :
Les paroles que vous entendez^ ce ne sont point les mien-
nes; ce sont celles de Phèdre'. Car Phèdre m'a souvent
dit avec une espèce d'indignation : O Eryximaque, n'est-
I . Les mots : « reprit Eryximaque, » sont une addition de Rs-
eine, rendue nécessaire par Terreur dont il est parU dans la not^
précédente.
a. Ménalippe ou Mélanippe^ tragédie d'Euripide perdue : Tojre/.
Aristophane, les Thesmophoriaziues^ vers 548. Le Yers 972 de la mhof
pièce esc, comme nous Papprend le scoliaste, tiré de Ménalippe,
3. Ce dernier membre de phrase est, comme ce qui prêche, fo
italique dans IVdition de 173a; mais c'est à tort.
DE PLATON. 461
ce pas une chose étrange que, de tant de poètes qui ont
fait des hymnes et des cantiques en l'honneur de la plu-
part des Dieux, aucun n'ait fait un vers à la louange de
r Amour, qui est pourtant un si grand dieu? Il n'y a pas
jusqu'aux sophistes qui composent tous les jours de
grands discours à la louange d'Hercule et des autres
demi-dieux. Passe pour cela. J*ai même vu un livre qui
portoit pour titi'e : P Eloge du Sel^ où le savant auteur
exagéroit les merveilleuses qualités du sel, et les grands
services qu'il rend à l'homme. En un mot, vous verreï
qu'il n'y a presque rien au monde qui n'ait eu son pané-
gyrique. Comment se peut-il donc faire que parmi cette
profusion d'éloges on ait oublié l'Amour, et que personne
n'ait entrepris de louer un dieu qui mérite tant d'être
loué ? Pour moi, continua Eryximaque, j'approuve l'indi-
gnation de Phèdre. Il ne tiendra pas à moi que l'Amour
n'ait son éloge comme les autres. Il me semble même
qu^il siéroit très-bien à une si agréable compagnie de ne
se point séparer sans avoir honoré l'Amour. Si cela vous
plait, il ne faut point chercher d'autre sujet de conver-
sation. Chacun prononcei*a son discours à la louange de
l'Amour. On fera le tour à commencer par la droite.
Ainsi Phèdre parlera le premier, puisque c'est son rang,
et puisque aussi bien il est le pi'emier auteur de la pensée
que je vous propose. — Je ne doute pas, dit Socrate, que
l'avis d'Eryximaque ne passe ici tout d'une voix. Je sais
bien au moins que je ne m'y opposerai pas, moi qui fais
profession de ne savoir que l'amour. Je m'assm*e qu'Aga-
thon ne s'y opposera pas non plus, ni Pausanias, ni en-
core moins Aristophane, lui qui est tout dévoué à Bac-
chus et à Vénus. Je puis également répondre du reste de
la compagnie, quoique, à dire vrai, la partie ne soit pas
égale pour nous autres qui sommes assis les derniers.
En tout cas, si ceux qui nous précèdent font bien leur de-
46a LE BANQUET
voir, et épuisent la matière^ nous en serons quittes pour
leur donner notre approbation. Que Phèdre conunence
donc y à la bonne heure , et qu'il loue rAmour. » Le
sentiment de Socrate fut généralement suivi. De vous
rendre ici mot à mot tous les discours que Ton prononça,
c'est ce que vous ne devez pas attendre de moi, Aristo-
dème, de qui je les tiens, n'ayant pu me les rapporter à
parfaitement, et moi-même ayant laissé échapper quelque
chose du récit qu'il m'en a fait; mais je vous redirai l'es-
sentiel. Voici donc à peu près, selon lui, quel fut le dis-
cours de Phèdre.
DISCOUBS DB PHÈDRE.
C'est un grand dieu que l'Amour, et véritablement
digne d'être honoré des Dieux et des hommes. U est ad-
mirable par beaucoup d'endroits, mais surtout à cause
de son ancienneté ; car il n'y a point de dieu plus anden
que lui. En voici la preuve. On ne sait point quel est son
père ni sa mère, ou plutôt il n'en a pomt. Jamais poète,
ni aucun autre homme ne les a nommés. Hésiode, après
avoir d'abord parlé du Chaos, ajoute^ :
La Terre au large sein, le fondement des cieux;
Après elle l'Amoar, le plus charmant des Dieux.
Hésiode par conséquent fait succéder au Chaos la Terre
et l'Amour. Parménide^ a écrit que l'Amour est sorti du
Chaos :
L'Amour fut le premier enfanté dans son sein.
Acusilas' a suivi le sentiment d'Hésiode. Ainsi, d'un
I. Théogonie^ vers Ii6, 117 et lao.
a. Parménide d*Elée, philosophe et poète.
3. Acusilas d'Argos, ancien historien, qui TiTmit un peu avant
rexpëdition de Darius en Grèce. Voyez Josèphe, Contre Jpf*o»^
livre I, chapitres 11 et m.
DE PLATON. 46)
commun consentement, il n y a point de dieu qui soit
plus ancien que l'Amour.
Mais c^est même de tous les Dieux celui qui fait le plus
de bien aux hommes; car quel plus grand avantage peut
airiver à une jeune personne* que d'être aimé* d'un
homme vertueux -, et à un homme vertueux que d'aimer
une jeune personne qui a de l'inclination pour la vertu?
Il n'y a ni naissance, ni honneurs, ni richesses qui
soient capables, comme un honnête amour, d'inspirer
à l'homme ce qui est le plus nécessaire pour la con-
duite de sa vie : je veux dire la honte du mal, et
une véritable émulation pour le bien. Sans ces deux
choses, il est impossible que ni un particulier, ni même
une ville, fasse jamais rien de beau ni de grand. J'ose
même dire que si un homme qui aime avoit ou commis
une mauvaise action, ou enduré un outrage sans le re-
pousser, il n'y auroit ni père, ni parent, ni personne au
monde devant qui il eût autant de honte de paroître que
devant ce qu'il aime. U en est de même de celui qui est
aimé. U n'est jamais si confus que lorsqu'il est surpris en
quelque faute par celui dont il est aimé. Disons donc
que, si par quelque enchantement une ville ou une ar-
mée pouvoit n'être composée que d'amants, il n'y auroit
point de féUcité pareille à celle d'un peuple qui auroit
tout ensemble et cette horreur pour le vice et cet amour
pour la vertu. Des hommes ainsi unis, quoique en petit
nombre, pourroient, s'il faut ainsi dire, vaincre le monde
I. Le texte grec est : véco dvri. Racine dit dans sa Lettre à Boileau
que Tabbesse de Fontevrault avait rectifié le discours d'Alcibiade. U
fait lui-même ici quelque chose de semblable. Voyez la note sui-
vante, et ci-dcasus la Notice^ p. 4^9 et 43o.
1. n y a ainsi aimé, au masculin, dans l'^Sdition de ijSi. Voyez
ci-après, p. 469, ligne 92. — Nous avons i peine besoin de faire
remarquer pourquoi Racine, dans ces deux passages^ laisse un sens
très-^tendu au mot personne.
464 LE BANQUET
entier; car il n^ a point d'honnête homme qui osât ja-
mais se montrer devant ce qu'il aime après avoir aban-
donné son rang ou jeté ses armes, et qui n'aimât mieu
mourir mille fois que de laisser ce qu'il aime dans le pé-
ril. Ou plutôt il n'y a point d'homme si timide qui ne
devînt alors comme le plus brave, et que l'Amour ne
transportât hors de lui-même. On lit dans Homère que
les Dieux inspiroient l'audace à quelques-uns de ses hé-
ros * : c'est ce qu'on peut dire de l'Amour plus justement
que d'aucun des Dieux. U n'y a que parmi les amants
que l'on sait mourir l'un pour l'autre. Non-seulement des
hommes, mais des femmes même ont donné leur vie
pour sauver ce qu'elles aimoient. La Grèce parlera éter-
nellement d'Alceste, fille de Pélie' : elle donna sa vie
pour son époux, qu'elle aimoit, et il ne se trouva qu'elle
qui osât mourir pour lui, quoiqu'il eût son père et sa
mère. L'amour de l'amante surpassa de si loin leur ami-
tié, qu'elle les déclara, pour ainsi dire, des étrangers à
l'égard de leur fils : il sembloit qu'ils ne lui fussent pro-
ches que de nom. Aussi, quoiqu'il se soit fait dans le
monde un grand nombre de belles actions, celle d'Al-
ceste a paru si belle aux Dieux et aux hommes, qu'elle a
mérité une récompense qui n'a été accordée qu'à un
très-petit nombre de personnes : les Dieux , charmés de
son courage, l'ont rappelée à la vie. Tant il est vrai qu'on
amour noble et généreux se fait estimer des Dieux
mêmes.
I. Voyez dan» Vldeuie le ven 48a du lirre X, et le vers 26) da
livre XV.
1. Pélio^ dans Tëdition de 173s. Les éditeurs des QEupres Je Ra-
cine, à Pexception de Luneau de Boisjermain, ont corrige Pélio m
Pêiias, L*erreur évidente de Tédition de 1781 vient sans doute de
ce que le manuscrit portait (peut-être avec un e mal formé) Pé&e, qui
traduit bien Pelias, comme Élu traduit Elias, tsaie Isaias, etc.
DE PLATON. 465
Us n^ont pas ainsi traité Orphée : ils Tont renvoyé des
enfers, sans lui accorder ce qu*il demandoit. Au lieu de
lui rendre sa femme, qu'il venoit chercher, ils ne lui en
ont montré que le fantôme ; car il manqua de courage,
conune un musicien qu'il étoit. Au lieu d'imiter Alceste,
et de mourir pour ce qu'il aimoit, il usa d'adresse, et
chercha l'invention de descendre vivant aux enfers. Les
Dieux, indignés de sa lâcheté, ont permis enfin qu'il pé-
rît par la main des femmes.
Combien , au contraire , ont-ils honoré le vaillant
Achille ! Thétis, sa mère, lui avoit prédit que s'il tuoit
Hector, il mourroit aussitôt après; mais que s'il vouloit
ne le point combattre, et s'en retourner dans la maison
de son père, il parviendroit à une longue vieillesse. Ce-
pendant Achille ne balança point : il préféra la ven-
geance de Patrocle à sa propre vie. Il voulut non-seule-
ment mourir pour son ami , mais même mourir sur le
corps de son ami. Aussi les Dieux Tont-ils honoré par-des-
sus tous les autres hommes, et lui ont su bon gré d'avoir
sacrifié sa vie pour celui dont il étoit aimé ; car Eschyle
se moque de nous quand il nous dit que c'étoit Patrocle
cpii étoit l'aimé. Achille étoit le plus beau des Grecs, et
par conséquent plus beau que Patrocle. U étoit tout
jeune, et plus jeune que Patrocle, conune dit Homère ^
Mais véritablement, si les Dieux approuvent ce que l'on
fait pour ce qu'on aime, ils estiment, ils admirent, ils ré-
compensent tout autrement ce que Ton fait pour la per-
sonne dont on est aimé. En effet celui qui aime est quel-
que chose de plus divin que celui qui est aimé; car il est
possédé d'un dieu. Et de là vient qu'Achille a été encore
mieux traité qu' Alceste, puisque les Dieux l'ont envoyé
après sa mort dans les lies des bienheureux. Je conclus
I. lUadty livre XI, vers 787.
J. Racixx. ▼ 3o
466 LE BANQUET
que de tous les Dieux FAmour est le plus ancien, le plus
auguste, et le plus capable de rendre Thomme vertueox
durant sa vie, et heureux après sa mort.
Phèdre finit de la sorte. Aristodème passa par-dessus
quelques autres, dont il avoit oublié les discours, et il
vint à Pausanias, qui parla ainsi.
DISCOUBS DE PAUSANIAS.
Je n'approuve point, à Phèdre, la simple proposition
qu'on a bâte de louer TAmour. Cela seroit bon s'il n y
avoit qu'un Amour. Mais, conmie il y en a plus d'an, je
voudrois qu'on eût marqué, avant toutes choses, quel
est celui que l'on doit louer. C'est ce que je vais essayer
de faire. Je dirai quel est cet Amour qui mérite qu'on le
loue, et je le louerai le plus dignement que je pourrai.
U est constant que Vénus ne va point sans l'Amour. S il
n'y avoit qu'une Vénus, il n'y auroit qu'un Amour; mais
puisqu'il y a deux Vénus, il faut nécessairement qu'A y
ait aussi deux Amours. Qui doute qu'il n'y ait deux Venus?
L'une ancienne, fille du Ciel, et qui n'a point de mère :
nous la nommons Fénus Urémie; l'autre plus moderne,
fille de Jupiter et de Dioné : nous l'appelons F^inus po-
pulaire. U s'ensuit que de deux Amours, qui sont les mi-
nistres de ces deux Vénus, il faut nommer l'un céleste^
et l'autre populaire. Qr tous les Dieux, à la vérité, sont
dignes d'être honorés ; mais distinguons bien les fonctions
de ces deux Amours.
Toute action est de soi indifférente, comme ce que
nous faisons présentement, boire, manger, disconrir.
Aucune de ces actions n'est ni bonne ni mauvaise par
elle-même ; mais elle peut devenir l'un ou l'autre par h
manière dont on la fait. Elle devient honnête, si on la
fait selon les règles de l'honnêteté; et vicieuse, si on U
DE PLATON. 467
fiut contre ces règles. Il en est de même d^aimer : tou
amoar en général n'est point louable ni vertueux, mais
seulement celui qui fait que nous aimons vertueusement.
L'Amour de la Venus populaire inspire des passions
basses et populaires. C'est proprement T Amour qui règne
parmi les gens du conmiun. Us aiment sans choix, plutôt
les femmes que les hommes, plutôt le corps que Tesprit.
Et même entre les esprits ils s'accommodent mieux des
moins raisonnables, car ils n'aspirent qu'à la jouissance :
pourvu qu'ils y parviennent, il ne leur importe par quels
moyens. De là vient qu'ils s'attachent à tout ce qui se
présente, bon ou mauvais; car ils suivent la Vénus po-
pulaire, qui, parce qu'elle est née du mâle et de la fe-
melle, joint aux bonnes qualités de l'un les imperfections
de l'antre.
Pour la Vénus Uranie, elle n'a point eu de mère, et
par conséquent il n'y a rien de foible en elle^ De plus,
eUe est ancienne, et n'a point l'insolence de la jeunesse.
Or l'Amour céleste est parfait conmie elle. Ceux qui
sont possédés de cet Amour ont les inclinations géné-
reuses : ils cherchent une autre volupté que celle des
sens; il faut une belle âme, un beau naturel pour leur
plaire et pour les toucher; on reconnoît dans leur choix
la noblesse de l'Amour qui les inspire. Us s'attachent,
non point à une trop grande jeunesse^ mais à des per-^
sonnes qui sont capables de se gouverner; car ils ne
s'engagent point dans la pensée de mettre à profit l'im-
prudence d'une personne qu'ils auront surprise dans
sa première innocence, pour la laisser aussitôt après, et
pour courir à quelque autre ; mais ils se lient dans le des-
sein de ne se plus séparer, et de passer toute leur vie
avec ce qu'ils aiment.
I. Liexâct, avec intention. Voyez ci-dessus, p. 4^3) note i.
468 LE BANQUET
Il seroit effectivement à souhaiter qa*il y e&t une loi
par laquelle il fût défendu d'aimer des personnes qui
n^ont pas encore toute leur raison, afin qu^on ne donnât
point son temps à nne chose si incertaine ; car qui sait
ce que deviendra un jour cette trop grande jeunesse?
quel pli prendront et le corps et Tesprit ? de quel côté
ils tourneront, vers le vice ou vers la vertu? Les gens
sages s*imposent eux-mêmes une loi si juste. Mais il fau-
droit la faire obsei*ver rigoureusement j>ar les amants po-
pulaires dont nous parlions, et leur défendre ces sortes
d^engagements, comme on leur défend Tadultère^ Ce
sont eux qui ont déshonoré Tamour : ils ont fait dire
qu^il étoit honteux de bien traiter un amant. Leur indis-
crétion et leur injustice ont seules donné heu à une sem-
blable opinion, qui, à la prendre en général, est très-
fausse, puisque rien de ce qui se fait par des principes
de sagesse et d*honneur ne sauroit être honteux.
Il n*est pas difficile de connoître Topinion que les
hommes ont de Tamour dans tous les pays de la terre ;
car la loi est claire et simple. Il n'y a que les seules villes
d'Athènes et de Lacédémone où la loi est difficile à en-
tendre, et où elle est sujette à explication. Dans TÉlide,
par exemple, et dans la Béotie, où les esprits sont pe-
sants, et où l'éloquence n'est pas ordinaire, il est dit
simplement qu'il est permis d'aimer qui nous aime. Per-
sonne ne va parmi eux à l'encontre de cette ordonnance,
ni jeunes ni vieux. Il faut croire qu'ils ont ainsi autorisé
Tamour pour en aplanir les difficultés, et afin qu'on n ait
pas besoin, pour se faire aimer, de recourir à des artifi-
ces que la nature leur a refusés. Les choses vont autre-
ment dans rionie, et dans tous les pays soumis à la do-
I . Le texte dit : « Comme on lear défend d^aimer les femmct dt
condition libre. »
DE PLATON. 469
mination des barbares; car là on déclare infime toute
personne qni souffre un amant. On traite sur un même
pied Famour, la philosophie, et tous les exercices dignes
d'un honnête homme ^ D'où vient cela? Cest que les
tyrans n^aiment point à voir qu*il s'élève de grands cou-
rages, ou qu*il se lie dans leurs Etats des amitiés violen-
tes : or c'est ce que Tamour sait faire parfaitement. Les
tyrans d'Athènes en firent autre fois l'expérience : l'amitié
violente d'Harmodins et d'Âristogiton renversa la tyrannie
dont Athènes étoit opprimée. Il est donc visible que dans
les États où il est honteux d'aimer qui nous aime, cette trop
grande sévérité vient de l'injustice de ceux qui gouver-
nent, et de la lâcheté de ceux qui sont gouvernés ; mais
que dans les pays au contraire où il est honnête de rendre
amour pour amour, cette indulgence est un effet de la
grossièreté des peuples qui ont craint les difficultés.
Tout cela est bien plus sagement ordonné parmi nous.
Mais, comme j'ai dit, il faut bien examiner l'ordonnance
pour la concevoir. Car d*un côté, on dit qu'il est plus hon-
nête d'aimer aux yeux de tout le monde que d'aimer en
cachette, surtout quand on aime des personnes qui ont
eux-mêmes^ de l'honneur et de la vertu, et encore plus
quand la beauté du corps ne se rencontre point dans ce
qu'on aime '. Tout le monde s'intéresse pour la prospérité
d an homme qui aime. On l'encourage : ce qu'on ne fe*
roit point si l'on croyoit qu'il ne fût pas honnête d'aimer.
On l'estime quand il a réussi dans son amour ; on le mé-
prise quand il n'a pas réussi. On permet à son amant de
se servir de mille moyens pour parvenir à son but ; et il
Q^y a pas un seul de ces moyens qui ne fi]lt capable de le
1 . 11 y a dans le texte : ^ 9iXoYU|AvaoT(oc, le goût de la gymnastique,
a. Voyez ci-desBtu, p. 4^3, note i.
3. Le sent exact serait : «c quand même ces personnes seraient
plus laides que d'autres. »
/i7o LE BANQUET
perdre dans Tesprit de tous les honnêtes gens, s'3 s'en
servoit pour toute autre chose que pour se faire aimer.
Car si un homme, dans le dessein de s'enrichir, ou d'ob-
tenir une charge, ou de se faire quelque autre établisse-
ment de cette nature, osoit avoir pour un grand seigneur'
la moindre des complaisances qu'un amant a pour ce
qu'il aime; s'il employoit les mêmes supplications, s'il
avoit la même assiduité, s'il faisoit les mêmes serments,
s'il couchoit à sa porte, s'il descendoit à mille bassesses
où un esclave auroit honte de descendre, il n'auroit ni
un ennemi ni un ami qui le laissât en repos. Les ans Ini
reprocheroient publiquement sa turpitude, ses bassesses;
les autres en rougiroient, et s'efiForceroient de l'en corri-
ger. Cependant tout cela sied merveilleusement à on
homme qui aime. Tout lui est permis. Non-seulement
ses bassesses ne le déshonorent pas, mais on l'en estime
comme un homme qui fait très-bien son devoir. Et ce qoi
est de plus merveilleux, c'est qu'on veut que les amants
soient les seuls parjures que les Dieux ne punissent point ;
car on dit que les serments n'engagent point en amour.
Tant il est vrai que les hommes et les Dieux donnent
tout pouvoir à un amant. Il n'y a donc personne qui là-
dessus ne demeure persuadé qu'il est très-louable en
cette ville, et d'aimer» et de vouloir du bien à ceux qoi
nous aiment.
Mais ne croira-t-on pas le contraire, si l'on regarde
d'un autre côté avec quel soin un père met auprès de
ses enfants une personne qui veille sur eux, et que le
plus grand soin de ces personnes est d'empêcher qu'ils
ne parlent à ceux qui les aiment? S'il arrive même
qu'on les voie entretenir de, pareils commerces , tons
leurs camarades les accablent de railleries ; et les gens
I. Rien dans le grec ne répond à cette expression.
DE PLATON. 471
pliu âgés ni ne s'opposent à ces railleries, ni ne querel-
lent ceux qui le^ font. Encore une fois, à examiner cet
usage de notre yille, ne croira-t-on pas que nous sommes
dans un pays où il y a de la honte i aimer et à se laisser
aimer?
Voici comme il faut accorder toutes ces contrariétës.
L'amour, comme je disois d'abord, n'est de soi-même
ni bon ni mauvais. Il est louable, si l'on aime avec hon-
neur ; il est condanmable, si l'on aime contre les règles
de l'honnêteté.
n y a de la honte i se laisser vaincre à l'amour d'un
malhonnête homme ; il y a de l'honneur à se rendre à
l'amitié d'un homme qui a de la vertu. J'appelle malhon-
nête homme cet amant populaire qui aime le corps plutôt
que l'esprit. Son amour ne sauroit être de durée, car il
aime une beauté qui ne dure point : dès que la fleur
de cette beauté est passée, vous le voyez qui s'envole
ailleurs, sans se souvenir de ses beaux discours et de
toutes ses belles promesses. Il n'en est pas ainsi de l'a-
mant honnête : comme il s'est épris d'une belle âme,
son amitié est immortelle, car ce qu'il aime est solide et
ne périt point.
Telle est donc l'intention de la loi qui est établie parmi
nous : elle veut qu'on examine avant que de s'engager, et
qu'on honore ceux qui aiment pour la vertu, tandis qu'on
aura en horreur ceux qui ne recherchent que la volupté ;
elle encourage les jeunes gens à se donner aux premiers
et à fuir les autres; elle examine quelle est l'intention de
celui qui aime, et quel est le motif de celui qui se laisse
aimer. Il s'ensuit de là qu'il y a de la honte à s'engager
légèrement; car il n'y a que le temps qui découvre le se-
I . D y a bien le dans IVdition originale. M. Aimé-Martin y a
substitué Us; mais ne peut-on faire rapporter le aux mots : « les
accablent de railleries m ?
472 LE BANQUET
cret descœura. U est encore honteux de céder à nn homme
riche, ou à un homme qui est dans une grande Tortone,
soit qu^on se rende par timidité, ou qu'on se hûsse éblouir
par l'argent, ou par Tespérance d'entrer dans les char-
ges; car outre que des raisons de cette nature ne peu-
vent jamais lier une amitié véritable et généreuse, elles
portent d'ailleurs sur des fondements trop peu durables.
Reste un seul motif pour lequel, selon Tesprit de notre
loi, on peut accorder son amitié à celui qui la demande;
car tout de même que les bassesses et la servitude volon-
taire d'un homme qui aspire * à se faire aimer ne sont
point odieuses et ne lui sont point reprochées, aussi y a-
t-il une espèce de servitude volontaire qui ne peut jamais
être blâmée : c'est celle où l'on s'engage pour la verto.
Tout le monde s'accorde en ce point, que si un homme
s'attache à en servir un autre, dans l'espérance de deve-
nir honnête homme par son moyen, d'acquérir la sagesse,
ou quelque autre partie de la vertu, cette servitude n'est
point honteuse, et ne s'appelle point une bassesse. H bot
que l'amour se traite comme la philosophie, et que les
lois de l'un soient les mêmes que les lois de l'autre, si
l'on veut qu'il soit honnête de favoriser celui qui nous
aime. Car si l'amant et l'aimé s'aiment tous deux à ces
conditions, savoir, que l'amant, en reconnoissance des
honnêtes faveurs de celui qu'il aime, sera prêt à lui ren-
dre tous les services qu'il pourra lui rendre avec honneur;
que l'aimé, de son côté, pour reconnottre le soin que son
amant aura pris de le rendre sage et vertueux, aura pour
lui toutes les complaisances que l'honneur lui permettra;
et si l'amant est véritablement capable d'inspirer la vertn
et la prudence à ce qu'il aime, et que l'aimé ait un véri-
I. Aspirent^ dans le texte de 1739; mais c^est sans doute une
faute d'impression.
DE PLATON. 473
able désir de se faire instruire : si, dis-je, toutes ces con-
ditions se rencontrent, c^est alors uniquement qu'il est
honnête d'aimer qui nous aime. L'amour ne peut point
être permis pour quelque autre raison que ce soit. Alors
il n'est point honteux d'être trompé. Partout ailleurs il y
a de la honte^soit qu'on soit trompé, soit qu'on ne le soit
point. Car si, dans l'espérance du gain, on s'abandonne
à un amant que Ton croyoit riche, et qu'on reconnoisse
que cet amant est pauvre en effet, et qu'il ne peut tenir
parole, la honte est égale de part et d'autre. On a dé-
couvert ce que l'on étoit, et on a montré que pom- le
gain on pouvoit tout faire pour tout le monde. Et qu'y
a-t-il de plus éloigné de la vertu que ce sentiment ? Au
contraire, si, après s'être confié à un amant que l'on au-
roit cru honnête homme, dans l'espérance d'acquérir la
vertu par le moyen de son amitié, on vient à reconnoître
que cet amant n'est point honnête homme, et qu'U est
lui-même sans vertu, il n'y a point de déshonneur à être
trompé de la sorte; car on a fait voir le fond de son
cœur : on a montré que pour la vertu et dans l'espé-
rance de parvenir à une plus grande perfection, on étoit
capable de tout entreprendre ; et il n'y avoit rien de plus
glorieux que d'avoir cette passion pour la vertu. D s'en-
suit donc qu'il est beau d'aimer pour la vertu. C'est cet
amour qui fait la Vénus céleste, et qui est céleste lui-
même, utile aux particuliers et aux républiques, et digne
de leur principale étude, qui oblige l'amant et l'aimé de
veiller sur eux-mêmes, et d'avoir soin de se rendre mu-
tuellement vertueux. Tous les autres amours appartien-
nent à la Vénus populaire. Voilà, ô Phèdre, tout ce que
j'avois à vous dire présentement sur l'amour.
Pausanias ayant fait ici une pause (car voilà de ces al-
lusions que nos sophistes enseignent), c'étoit à Aristo-
474 LE BANQUET DE PLATON.
phane à parler ; mais il en Ait empêché par nn hoqaet
qui lui étoit survenu, apparemment pour avoir trop
mangé. Il s'adressa donc à Eryximaque, médecin, auprès
de qui il étoit, et lui dit : « Il faut, ou que vous me déli-
vriez de ce hoquet, ou que vous parliez pour moi jus(|a*à
ce qu'il ait cessé. — Je ferai Tun etTautre, répondit E17-
ximaque; car je vais parler à votre place, et vous parie-
rez à la mienne quand votre incommodité sera finie. Elle
le sera bientôt, si vous voulez retenir votre haleine, et
vous gargariser la gorge avec de Teau. Il y a encore un
autre remède qui fait cesser infailliblement le hoquet,
quelque violent qu'A puisse être : c'est de se procurer
l'étemument en se frottant le nez une ou deux fois.
— J'aurai exécuté vos ordonnances, dit Aristophane,
avant que votre discours soit achevé. Commencez*. »
X. Ici finit la traduction de M. Racine : le reste est de Mme de***.
{Note de Pédition Je lySa, p. 48.) — Dans la même édition, le dis-
cours d^Eryximaqne est a la page 49 ; le discours d'Aristoplume,
à la page 61 ; le discours d'Agathon, à la page 78; le discours de
Socrate, à la page 99, jusqu^à la page i3a. Ces quatre derniers di»>
cours, comme Téditeur en ayertit, et comme l'atteste un passage de
la Lettre de Racine à Dêipréaux, n'appartiennent pas à la tradoctioD
de Racine, mais à celle de Tabbesse de Fontevrault.
FRAGMENTS
DE LA
POÉTIQUE D'ARISTOTE
FRAGMENTS
DB LA
POÉTIQUE DARISTOTE
Là^ tragédie est donc rimitation d'une action grave et
complète, et qui a sa juste grandeur. Cette imitation se
(ait par un discours, un style composé pour le plaisir, de
telle sorte que chacune des parties qui la composent sub-
siste et agisse séparément et distinctement. Elle ne se
fait point par un récit, mais par une représentation vive,
qui, excitant la pitié et la terreur, purge et tempère ces
sortes de passions. [C^est-à-dire quCen émouwant ces pas-
sions^ elle leur ôte ce qu elles ont éC excessif et de vicieux j
et les ramène à un état modéré et conforme à la raison* ."]
I. La traduction de Racine commence à la page 54 du livre de
Pierre Vettori, dont il a ëtë parle ci-dessus, p. 43^ et 433, dans la
Notice sur les Traductions. Jusque-là on ne trouTC, dans Texemplaire
de la Bibliothèque impériale que nous avons mentionne, que des pas-
sages marques de traits au crayon, et quelques petites notes, égale-
ment au crayon, qui indiquent par un ou deux mots ce dont il
s'agit, par exemple : Parodie, Dithyrambe^ etc. — Ce premier alinëa
est la traduction du passage de la Poétique^ qui commence aux
mots : 'Eoxtv olv ipayclidCoc, ei finit aux mots : xa\ icopà rauia oùSiv
(chapitre ti).
9. Cette dernière phrase n'est qu'une explication du texte, bien
que Racine ne Fait point distinguée de sa traduction, comme nous
le faisons ici en l'imprimant en italique et en la mettant entre des
478 FRAGMENTS
J'appelle discours composé pour le plaisir, un discours
qui marche avec cadence, harmonie et mesure. Et quand
je dis que chacune des parties doit agir séparément, je
veux dire qu'il y a des choses qui se représentent par
les vers tout seuls, et d'autres par le chant. Or, puisque
c'est en agissant que se fait Fimitation, il faut d'abord
poser qu'il y a une des parties de la tragédie qui n'est qae
pour les yeux [comme la décoration^ les habits j etcJ\\ en-
suite il y a le chant et la diction; car c'est avec ces cho-
ses qu'on imite. J'appelle diction la composition des vers;
et pour le chant, il s'entend assez sans qu'il soit besoin
de l'expliquer. La tragédie est l'imitation d*une action.
Or toute ^ action suppose des gens qui agissent, et les
gens qui agissent ont nécessairement un caractère [c'ef(-
à'dire des mœurs et des inclinations qui les font agir\\
car ce sont les mœurs et l'inclination [c'est-à-dire* la
disposition de Fesprit^^ qui rendent les actions telles on
telles ; et par conséquent les mœurs et le sentiment [ou
la disposition de Fesprit] sont les deux principes des ac-
tions. Ajoutez que c'est par ces deux choses' que tous les
honmies viennent^ ou ne viennent pas à bout de leun
desseins et de ce qu'ils souhaitent, La fable est propre-
ment l'imitation de l'action. J'entends par le mot defiible
le tissu ou le contexte des affaires. Les jnœurs [ou au-
trement le caractère]^ c'est ce qui rend un homme tel on
tel [c'est-à-dire bon ou méchant] ; et le sentimoit mar-
que la disposition de l'esprit, lorsqu'il se déclare par les
crochets. Dans la suite nous avons isole de même ce qui nous a
paru une simple glose.
I . Au lieu de toute^ Racine avait d'abord mis eeite,
■ a. Ici, comme en plusieurs antres passages de ces notes. Racine
s^est servi de l'abréviation i. (i^eif), au lieu de c^est^^dhre.
3. D y avait d'abord : par Iém actions »
4* U y avait d'abord : pairUnment,
DE LA POÉTIQUE D'ARISTOTE. 479
paroles, qui font connoître dans qael sentiment nons
sommes. II faut donc nécessairement qu*il y ait six par-
ties de la tragédie, lesquelles constituent sa nature et son
essence : la fable, les mœurs, la diction, le sentiment, la
décoration et tout ce qui est pour les yeux, et le chant;
car il y a deux choses par lesquelles on imite [qui sont
le chant et la diction]^ une manière d*imiter [qui est la
représentation du théâtre^ c^est-à-dire la décoration^ les
habits^ le geste^ etc] ; et il y a trois choses qu^on imite,
au delà desquelles il n'y a rien de plus [c^est^à-dire Fac^
tion^ les mœurs et les sentiments],
Un ^ tout est ce qui a un commencement, un milieu et
une fin. Le conmiencement est ce qui n'est point obligé
d'être après une autre chose, et après quoi il y a ou il y
doit avoir d'autres choses. La fin, au contraire, est ce
qui est nécessairement ou qui a de coutume d'être après
une autre chose, et après quoi il n'y a plus rien. Le mi-
lieu est ce qui est après une autre chose, et après quoi
il y a encore d'autres choses. Il faut qu'une fable bien
constituée ne conunence et ne finisse point au hasard ,
mais qu'elle soit selon les règles que nous en venons de
donner
Voilà* pourquoi la poésie est quelque chose de plus
philosophique et de plus parfait que l'histoire. La poésie
est occupée autour du général, et l'histoure ne regarde
que le détail. J'appelle le général ce qu'il est convenable
qu'un tel homme dise ou fasse vraisemblablement ou né-
I. ""OXovSé lait.... xatç 6?pi)(iivai( Uiaiç (chapitre yii).
a. Lih m\ 9iXoot>?(j^icpov.... ^ x( fffaOcv (chapitre ix).
48o FRAGMENTS
cessairement; et c'est là ce que traite la poésiCf jetant
son idée sur les noms qui lui plaisent [cesi-à-aire em-
pruntant les noms de tels ou de tels pour les faire agir ou,
parler selon son idée]. L'histoire, au contraire, ne traite
que ^ le détail ; par exemple, ce qu'a fait Alcibiade, ou ce
qui lui est arrivé
Le* prologue est toute cette partie' de la tragédie qui
précède Tentrée du chœur. L'épisode est toute cette par-
tie de la tragédie qui est entre deux cantiques du chcenr;
l'exodcy toute cette partie de la tragédie après laqueUe le
chœur ne chante plus. Les parties du chœur sont : i* l'en-
trée, 'KipoBoç [c^est'à'dire lorsque le chœur parle tout en-
tier la première fois] ; la seconde , le repos, ardatfMv,
c'est-à-dire ce chant du chœur qui est sans anapeste et
sans trochée [ei où le chœur demeure fixe en sa place'] ; et
enfin la lamentation, x^fAfxoç, ce chant lugubre du chœur
et des acteurs ensemble
Puis ^ donc qu'il faut que la constitution d'unp exed-
lente tragédie soit, non pas simple, mais composée, et
pour ainsi dire nouée, et qu'elle soit une imitation de
choses terribles et dignes de compassion (car c'est là le
propre de la tragédie), il est clair premièrement qu'il ne
îfaut point introduire des hommes vertueux qui tombent
du bonheur dans le malheur; car cela ne seroit ni terri-
I . Ce commencement de la phrase a été ajouté an texte, poor
l'expliquer.
9. '^on Bè icp^Xopc.... xa\ èssb oxi^vîSc (chapitre xii).
3. Il y avait d'ai>ord, ici et dans la phrase suivante : « cette
partie entière. »
4. Ï9m($>} oSv Set.... m^sî( dfvSpC{ (chapitre xui).
DE LA POETIQUE D*ARISTOTE. 481
ble ni digne de compassion, mais bien cela seroît détes-
table et digne d'indignation^. Il ne fant pas non pins
introduire nn méchant homme qui, de malheureux qu'il
étoit, devienne heureux : car il n^ ^ rien de plus opposé
au but de la tragédie, cela ne produisant aucun des effets
qu'elle doit produite; c'est-à-dire qu^il n'y a rien en cela
de naturel ou d'agréable à Thomme, rien qui excite la
terreur ni* qui émeuve la compassion. Il ne faut pas non
plus qu'un tré»-méchant homme tombe du bonheur dans
le malheur; car il y a bien [à] cela quelque chose de juste
et de naturel; mais cela ne peut exciter ni pitié ni crainte ;
I . Dans U Préface de Phèdre^ Racine fait allasion à ce paiêage de
la Poétique^ à propos du caractère d^HippoIyte dans Euripide. Voyez
notre tome III, p. 3oo et 3oi. A la note i de cette dernière page,
nous BTons dit qu'il nous avait été impossible de dëcouvrir où Ra-
cine avait « remarque dans les anciens qu'on reprochoit à Euripide
d'avoir représente Hippoljte comme un philosophe exempt de
toute imperfection : ce qui faisoit que la mort de ce jeune prince
causoit beaucoup plus d'indignation que de pitië; » et nous avons
ajoute qu'il pouvait bien avoir lu dans quelque commentateur ce
que , sur la foi d'un souvenir un peu vague, il a attribue aux on-
cUns. La lecture des Commentaires de Vettori nous fait maintenant
penser que la réminiscence de notre poète lui venait de ce livre,
dont il s'était servi quelques années sans doute avant la composi-
tion de Phèdre^ pour étudier la Poétique. Nous y lisons en effet, à
la page lao, le commentaire suivant de ce passage d*Aristote :
'Eicct^ otiv Set T^v oiSvOcatv, x. t. X. : IVon sine causa autem existimare
aUquis posset^ fretus hoc testimomo summi doctoris, peccasse Euripidem^
qui sumpsii personmn Hippolyti tanquam tragadûs' aptam^ misericor"
diseque movendm idoneam; easus namque UUus, ui docet hic auetor^ dirus
fuit ac uefariuSp non miserabilis; neque enim decebat tam integrum et
castum adolescentem in eam miseriam eadere^ etc. Nous avons, dans la
même note, parlé de la réponse que Schlegel a faite a cette critique
du personnage dllîppoljte. Vettori , au passage dont nous venons
de citer une partie, avait dit avant Schlegel : An purgmri potest poeta,
quia^ quamvis eximim prohitatis foret Hippoljrtus, tamen contempserat
Venerem ipsiusque digiùtatem lêuerat? Est vero erratum non parpum
graçeque erimen eammittere quiequam eonira Deum aUquem.
a. Au lieu de ni^ il y avait d'abord ou.
J. Racuib. t 3i
482 FRAGMENTS
car on n'a pitié que d'un malheureux qui ne mérite point
son malheur, et on ne craint que pour ses semblables.
Ainsi cet événement ne sera ni terrible ni digne de com-
passion • n faut donc que ce soit un homme qui soit
entre les deux, c'est-à-dire qui ne soit point extrême-
ment juste et vertueux, et qui ne mérite point aussi son
malheur par un excès de méchanceté et d'injustice. Mais
il faut que ce soit un homme qui, par sa faute , de-
vienne malheureux, et tombe d'une grande félicité et
d'un rang très-considérable dans une grande misère :
comme Œdipe, Thyeste, et d'autres personnages illus-
tres de ces sortes de familles
Puis* donc que c'est par l'imitation que le poète peut
produire en nous ce plaisir qui naît de la compassion et
de la terreur, il est visible que c'est de l'action et pour
ainsi dire du sein de la chose que doit naître ce plaisir.
Voyons maintenant quelles sortes d'événements peuvent
j»t>duire cette terreur et cette pitié. Il faut de nécessité
que ce soient des actions qui se passent entre amis ou
entre ennemis, ou entre des gens qui ne soient ni l'un ni
l'autre. Si un ennemi tue un ennemi, nous ne ressentons
aucune pitié ni à lui voir faire cette action, ni lorsqu'il se
prépare à la faire. II n'y a que le moment même où noos
lui voyons répandre du sang [ou nous pouffons renenUr
cette simple émotion que la nature ressent en ifoyant tuer
un homme']. Nous n'aurons point non plus une grande
pitié pour des gens indifférents qui voudront se tuer les
uns les autres. Il reste donc que ces événements se pas-
sent entre des personnes liées ensemble par les nœuds do
sang et de l'amitié : comme, par exemple, lorsqu'un firère
I. 'E9cc\ Bà 'djv èaài SXiou.... iX^'zvlx fxovfif (chapitre zir).
DE LA POÉTIQUE D'ARISTOTE. 4B3
ou tue ou est prêt de tuer son frère, un fils son père,
une mère son fils, ou un fils sa mère ; et ce sont de ces
événements que le poète doit chercher. On ne peut chan-
ger et démentir les fables qui sont reçues : on ne peut
point faire, par exemple, que Cljtemnestre ne soit point
tuée par Oreste; qu'Ériphile ne soit point tuée par AIc-
maeon. Il faut donc que le poëte ou invente lui-même un
sujet nouveau, ou qu'il songe à bien traiter ceux qui sont
déjà inventés. Expliquons ce que nous entendons par
bien traiter. On peut faire, comme faisoient les anciens,
que ceux qui agissent, agissent avec connoissance de
cause : comme Euripide fait que Médée tue ses enfants,
qu'elle connoît pour ses enfants; ou on peut faire en
sorte que ceux qui commettent une action de cette nature
la commettent à la vérité, mais sans savoir ce qu'ils font,
et qu'ils reconnoissent ensuite la personne contre qui ils
l'ont commise : par exemple, Œldipe dans Sophocle. U
est vrai que dans cette tragédie l'action s'est faite hors
de la tragédie [c'e^f-à-rfirc longtemps avant la recon-
naissance]'^ mais, dans la tragédie même, AIcmaeôn,
chez le poëte Astydamas, tue sa mère avant que de
la connoître; et Télégonus blesse son père avant que
de le connoître, dans la tragédie à^ Ulysse blessé. Il
y a encore une troisième manière, qui est de faire que
celui qui va commettre quelque action horrible par igno-
rance, reconnoisse, avant l'action même, l'horreur de
son action. Et il n'y a que ces trois manières; car il faut
de nécessité ou que Faction s'achève ou qu'elle ne s'a-
chève point; et que ceux qui agissent, ou connoissent ou
ignorent ce qu'ils veulent faire. La plus mauvaise de ces
trois manières, c'est lorsqu'un homme veut faire une
action horrible avec connoissance de cause, et qu'il ne
Tachève pourtant pas; car il n'y a rien en cela que de
scélérat, et il n'y a point de tragique, n'y ayant point de
484 FRAGMENTS
sang répandu. Aussi il arrive peu qu^on représente rien
de cette nature. On en peut voir un exemple dans VAfUir
gone^ où Hémon veut tuer son père Créon, et ne le tue
point. La seconde de ces trois manières [et qui est meil-
leure que r autre dont je uiens de parler']^ c'est lorsqu'on
homme [agit opec connaissance^ et fu'i/J achève Faction;
mais le meilleur de bien loin, c'est lorsqu'un homme
commet quelque action horrible sans savoir ce qu'il &it,
et qu'après l'action il vient à reconnottre ce qu'il a fiiit;
car il n'y a rien là de méchant et de scélérat, et cette re-
connoissance a quelque chose de terrible et qui fait fré-
mir. Cette dernière manière est infiniment la meilleure.
En voici des exemples : dans le Cresphonte^ Mérope,
mère de Cresphonte, le veut faire mourir, et ne le tue
point, parce qu'elle le reconnoît pour son fils. Dans Iplùr
génie y la sœur reconnoît son firère, et ne le tue point; et
dans Hellé^ le fils reconnoît sa mère au moment qu'il
Talloit livrer. C'est pour cela que l'on a souvent dit que
les tragédies ne mettent sur la scène qu'un petit nombre
de familles; car les poètes qui cherchoient à traiter des
actions de cette nature en sont redevables à la fortune,
et non pas à leui' invention. Ainsi ils sont contraints de
revenir à ces mêmes familles, où ces sortes d'événements
se sont passés. Voilà tout ce qu'on peut dire de la consti-
tution de l'action et de la fable, et de la nature dont les
fables doivent être.
Venons^ maintenant aux mœurs. Il y a quatre choses
qu'il faut y chercher. Premièrement, qu'elles soient bon-
nes. Un personnage a des mœurs lorsqu'on peut recon-
noître, ou par ses actions ou par ses discours, TinclinatioD
et l'habitude qu'il a au vice ou [à] la vertu. Ses mœurs
seront mauvaises si son inclination est mauvaise, et elles
I . Depl ^ idt {6?}. . . . h lot^ lx&eSo(iivoic X^yoi^ Ixavûç (chapitre xr).
DE LA POÉTIQUE D'ARISTOTE. 485
seront bonnes si cette inclination est bonne. Les mœurs,
on le caractère, se rencontrent en toutes sortes de con-
ditions ; car une femme peut être bonne, un esclave peut
l'être aussi, quoique d'ordinaire la femme soit d'une
moindre bonté que Thoname, et que Tesclave soit pres-
que absolument mauvais. La seconde qualité que doivent
avoir les mœurs, c'est d'être convenables; car la valeur
tient rang parmi les mœurs, mais elle ne convient pas
aux mœurs d'une femme, qui naturellement n'est point
brave et intrépide. Troisièmement, elles doivent être
semblables [cest-^-dire que les personnages qiCon imite
doiçeni apoir au théâtre les mêmes mœurs que Pon sait
quUls açoient durant leur W^]; et cette qualité de sem-
blables est différente des deux premières, qui sont d'être
bonnes et convenables. En quatrième lieu, il faut qu'elles
soient uniformes; car quoique le personnage qu'on re«
présente paroisse quelquefois changer de volonté et de
discours, il faut néanmoins [quil soit toujours le même
dans le fond^ que tout parte cTun même principe^ ei\ qu'il
soit inégalement égal et uniforme. On peut apporter pour
exemples de mauvaises mœurs qui le sont sans nécessité, le
Ménélas de VOreste; de mœurs messéantes, et qui ne con-
viennent pas au personnage, les lamentations d'Ulysse dans
hScjrllat et les discours philosophiques de Ménalippe; et
de mœurs inégales et qui se démentent, VIphigime en
Aulide; car Iphigénie timide, et qui a peur de mourir, ne
ressemble en rien à l'Iphigénie qui s'offire généreusement
à la mort, et qui veut mourir malgré tout le monde. Or
il faut toujours chercher dans les mœurs, aussi bien que
dans la constitution de la fable, ou le nécessaire, ou le
vraisemblable : c'est-à-dire qu'il faut que celui qui parle
ou qui agit fasse et dise tout nécessairement ou vraisem-
blablement ; qu'une chose n'arrive point après l'autre que
par nécessité, ou parce qu'il est vraisemblable qu'elle ar-
486 FRAGMENTS
rive ainsi. U est donc manifeste que le dénouement de
la fable doit être tiré de la (Me mémei et non point da
secours d'une machine, comme dans Midie et dans
Y Embarquement des Grecs après la prise de Troie. Le
secours d*une machine ne peut être bon que pour les cho-
ses qui sont hors de la fable, ou qui se sont passées devant
la fable (comme sont les choses qu*il est impossible que
rhomme sache sans le secours des EKenx), ou pour les
choses qui doivent arriver après la fied)le, et qu'on ne peat
savoir que par révélation ou par prophétie ; car nous ac-
cordons aux Dieux la connoissance de toutes choses. D
ne faut pas non plus qu'il y ait rien d'absurde et de peu
vraisemblable dans l'action ; cela ne se souffre que dans
les choses qui sont hors de la tragédie : ce qu*on peut
voir dans VOEdipe de Sophocle^. La tragédie étant une
imitation des mœurs et des personnes les plus excellen-
tes, il faut que nous fassions comme les bons peintres,
qui en gardant la ressemblance dans leurs portraits,
peignent en beau ceux qu'ils font ressembler. Ainsi le
poète, en représentant un homme colère ou un homme
patient*, ou de quelque autre caractère que ce puisse
être, doit non-seulement les représenter tels qu'ils étoient,
mais il les doit représenter dans un tel degré d'excel-
lence, qu'ils puissent servir de modèle ou de colère, oo
de douceur, ou d'autre chose. G^est ainsi qu'Agathon et
Homère ont su représenter Achille.
Le poète doit observer toutes ces choses, et prendre
garde surtout de ne rien faire qui choque les sens qui
jugent de la poésie [c'est-à-dire les oreilles et lesyeax];
1 . Peut-être il Teut dire qu'il n'ëtoit pas Traisemblable que Ton
n'eût point fait une recheithe plus exacte des meortrien de Lalus.
Cette absurdité se peut souffrir , selon Arislote , parce qu'elle «t
dans des choses qui procèdent la tragédie. {Note de Racme.)
2. n y avait d'abord ^t/x, au lieu de patUnim
DE LA POÉTIQUE D'ARISTOTE. 487
car fl y a ploneon manidres de les choquer : j*en al parlé
dans d'autres discours où je traite de cette matière.
Nous* avons dit ce que c'est que reconnoissance. Il y
en a de plusieurs sortes. La première, qui est la plus gros-
sière, et dont la plupart se servent faute d'invention, est
«selle qui se fait par les signes. De ces signes les uns sont
naturels et attachés dès la naissance à la personne,
comme cette lance dont les enfants de la terre sont mar»
qués le*étott une famille de Thèbes\ ou de petites étoi-
les, comme dans le Thyeste de Garcinus. Les autres sont
acquis et venus depuis; et de ceux«*là il y en [a] qui sont
encore attachés au corps de la personne, comme sont les
cicatrices; ou sont tout à fieût extérieurs, conmie les col-
liers, et ce petit berceau dans la Tjro. On peut faire
m Ae de bonnes ou de médiocres recotmoissances avec
ces sortes de signes. Ulysse, par exemple, à la faveur
de sa cicatrice, est reconnu d'une façon par sa nour-
rice, et d'une autre façon par les porchers. \Car il y a
moins (Tari dans cette dernière ^ où Ulysse découçre
exprès sa cicatrice pour se fnire reconnoitre et pour
vérifier son discours; au lieu que dans F autre ^ c^est Sa
nourrice qui le reconnoit d'elle-même en ifoyant cette ci-
catrice. Ainsi il fCy a point de dessein dans cette recon-
noissance; il y a, au contraire^ une surprise qui fait une
péripétie; et les reconnaissances de cette nature sont bien
meilleures que ces autres qui se font avec dessein^.']. .
Les secondes'
I. 'ÂvorpKfipiott Se.... (»nb t(5v ouSoit&v (chapitre xyî;.
9. Dans cette dernière phrase, depuis : « Ainsi il n^ a point, » on
retrouTe quelque chose de la phrase du texte : EM y^Ep al pièv
TcCoreoK...; mais c^est plutôt commenta que traduit.
3. Àt^TEpai Bà.... (chapitre xti). Racine n^a traduit que le pre>
mier mot de la phrase.
488 FRAGMEI9TS
La* plus belle des reconnoiasances est celle qni, étant
tirée du sein même de la chose, se forme peu à peu d^une
suite vraisemblable des affaires^ et excite la terreur et
radmiration : comme celle qui se fût dans YOEdipe de
Sopbode et dans VIphigénie; car qu*y a-t-il de plus yiai-
semblable à Iphigénie, que de vouloir Sûre tenir une let-
tre dans son pays? Ces reconnoissances ont cet avantage
par-dessus toutes les autres, qu*elles n^ont point besoin
de marques extérieures et inventées par le poète, de col-
liers et autres sortes de signes. Les meilleures, après cel-
les-ci, sont celles qui se font par raisonnement. . .
Homère* est admirable pour beaucoup de choses, mais
surtout en ce qu*il est le seul des poètes qui sait pafEu-
tement ce qui convient au poète ; car le poète doit rare-
ment parler comme poète; car il n'imite point Iorsqa*3
parle, mais lorsqu'il fait parler les autres. Tous les an-
tres poètes parlent partout et n'imitent presque jamais.
Homère, au contraire, dès qu'il a dit quelques pardes
pour préparer ses personnages, amène aussitôt ou un
homme, ou une femme, ou quelque autre personnage,
qui parlent chacun selon leurs mœurs et leur caractère;
car tout a son caractère chez lui, et il n'y a point de per-
sonnage sans caractère
On ' demandera peut-être laquelle imitation est la plus
parfaite, ou celle qui se fait par le poème épique, ou ceUe
qui se fait par la tragédie. \Ceux qui donnent F avantage
I. IIao£>v $è peXT(aTi).... ix ouXXoY(9(iou (chapitre xti).
9. 'Opjpoc Bi dfXXa Te sroXXà.... &X l-iw ^Ooç (chapitre sxnr).
3. ndttpov Si peXT^fiiv.... Ilptôtov uèv oov.... (chapitre xxti).
DE LA POÉTIQUE D'ARISTOTE. 489
au poème épique disent quê\ la meQIeure des imitations
est celle qui se fait avec le moins d^embarras, et qui ne
se propose que les honnêtes gens pour spectateurs. Ils
appellent une imitation qui se fait avec embarras^ celle
qui veut tout imiter, et qui craignant de n'être pas assez
entendue et de ne point faire son effet, s'efforce de s'im-
primer elle-même, s'agite, et emprunte le secours du geste
et du mouvement des acteurs*. Tels sont ces mauvais
joueurs de flûte, qui tournent autour d'eux-mêmes pour
mieux représenter un disque*, une pierre qui tourne \et
qui ne se fient pas à la cadence de leur chani\ ; et ceux
encore qui, pour exprimer l'action de ScjUa [f^ui attire à
elle les çaisseauai]j attirent à eux celui qui chante auprès
d'eux [, soit le maître de musique ou quelque autre]. La
tragédie [disent^ils] ressemble en cela aux acteurs mo-
dernes, et elle est, à l'égard du poëme épique, ce que
ces nouveaux acteurs sont à l'égard des anciens; car
Mynisque, ancien acteur, accusant Callipides de faire trop
de gestes, l'appeloit un singe; on disoit la même chose
du comédien Pindare : au lieu que le poëme épique,
n'ayant que les honnêtes gens pour spectateurs, n'a point
besoin de tous ces secours empruntés, dont la tragé-
die se sert pour feire son effet sur ses spectateurs, qui
sont d'ordinaire une vile populace ; et de là on conclut
qu'elle est la moindre imitation, puisqu'elle se fait avec
le plus d'embarras.
Je réponds à cela, premièrement
I . Le commentaire n'a rien entendu a ce passage. (Note de Ra»
eme^ à la éuite du commentaire.) — Geoflroj a fait remarquer juste*
ment que, si Racine a raison en faisant ce reproche au commen-
taire de Vettori, il ne s'est lui-même tire, comme il a pu, de ce
passage difficile qu'en le paraphrasant : en effet il n'a pas serre
de près le texte.
9. Racine a ëcrit dise.
EXTRAITS
DU TRAITÉ DE LUCIEN
COMMENT IL FJOT ÉCRIRE L'HISTOIRE
ET DB
LA UETTRB DE DEITTS D'HALICARNASSE A CNEÎUS POMPÉE
EXTRAIT
DU TRAITÉ DE LUCIEN
COMMBNT EL FAUT ÉCRIRE VÊUSTOtRB •.
«... L'klogs* etThistoire sont éloignés infiniment, et,
comme disent les musiciens, Aç lA icoduv' : c*est-à-dire
que ce sont les deux extrémités.
n^ n'y a guère moins de différence entre Thistoire et
la poésie. Le poëte a besoin de tous les Dieux quand il
veut peindre Âgamemnon. Il lui faut la tête et les yeux
de Jupiter, la poitrine de Neptune, le bouclier de Mars.
Mais rhistorien peint Philippe borgne, comme il étoit".
L'utilité' est le principal objet de Thistoire. Le plaisir
suit Futilité, comme la beauté suit d'ordinaire la santé.
L'historien^ a pour juges des lecteurs malins, qui ne
demandent pas mieux que de le reprendre, et qui Texa-
minent avec la même rigueur qu*un changeur examine la
monnoie.
I. Tel est le titre que Racine lui-même a mis en tête du ma-
nascrit de ce morceau. Voyez ci -dessus, p. 433-436.
a. Lucien, Comment il faut écrire Chutoire^ J 7 (édition Lehmann).
3. « De deux octaTcs. » — 4* Lucien, ièUemf $ 8.
5. La pensée de cette dernière -phrase est empruntée a ime
phrase du S 38 : (dj (oXiicD a&tij^.... 4>{Xi9n6oc 2xxixo|Apivo( tbv
^fOoXpibfv M> 'Atfiépoc Tou ^kyjfimXlxw tou ToE6toi> Iv X)>îvO(|i, diXXà
loiouTOf oToc ^ 5ctx,0i{otTau c Que Philippe ait eu un csil crevé à
Oiynthe par Tarcher Aster d^Amphipolis, cela ne doit pas gêner
rhistorien : il le montrera tel quUl était. »
6. Lucien, ibidem^ $ 9. — 7. ibidem^ % 10.
494 EXTRAITS DE LUCIEN
Alexandre* jeta dans THydaspe l'histoire d*Aristobule,
qui lui faisoit faire des actions merveilleuses qu'il n'avoit
point faites, dans la bataille qu^il avoit gagnée contre
Porus, et lui dit qu*il lui faisoit grâce de ne Vy pas faire
jeter lui-même.
II' y a des historiens qui croient faire grand plaisir à
un prince, en ravalant le mérite de ses ennemis. Achille
seroit moins grand, s'il n'avoit défait que Thersite, aa
lieu d'Hector.
D'autres' invectivent contre le chef des ennemis,
comme s'ils vouloient le défaire la plume à la main.
U^ se moque d'un historien impertinent qui vooloit
muter, ou pour mieux dire copier Thucydide en toutes
choses, jusqu'à faire arriver une peste dans le camp des
ennemis, parce qu'il y a une peste dans Thucydide. 0
commençoit en déclinant son nom, et mettoit : « Crêpe-
rius a écrit, etc. » Il faisoit une oraison funèbre, à rimi-
tation de Périclès, et la faisoit réciter par un centurion.
Un' autre remplira son histoire de petits détails et de
mots de I*art, comme feroit un soldat ou un ouvrier qui
auroit travaillé dans le camp.
Un ' autre emploiera tout son temps à (aire d'ennuyea-
ses descriptions ou de l'habillement et des armes du gé-
néral, ou d'un bois, ou d'une caverne; et quand ils
viennent aux grandes affaires, ds y sont neufs, comme un
valet que son maître auroit fait son héritier, qui ne sait
t. Lucien, Comment il faut écrire rkisioirej J I9.
3. Ibidem, J^ x3 et 14.
3. ibidem^ § 14. — Noas renroyons à ce paragraphe, <]iM>iqii'ii
ne s'y tronye pas de phrase prëcisément semblable à celle-ci. Mais
Lttciea y parie d'un historien <pii, à la fin de son préambule, pro-
mettait c de faire essayer Ini-mtee, autant qu'il était en lui, une
défaite aux barbares. »
4. Ibidem^ § x5. — //« c'est-ànlire Lucien.
5. Ilndem, % 16. -- 6. iMem, Sg 19 et 20.
ET DE DENTS D'HALICARNASSE. 49S
comment mettre les habite de son maîtrci ni sur quelle
viande il doit se ruer, préférant quelque méchant haricot
aux perdrix et aux faisans.
Ils^ pensent attraper le merveilleux en écrivant des
choses contre le vraisemblable, des blessures prodigieu-
ses, des morts incroyables.
Un* autre faisoit des noms grecs de tous les noms la-
tins, appeloit Cronos^y Saturnin ; Frontin^ Fronton, etc.
Us^ se servent quelquefois de phrases magnifiques,
comme pourroit faire un poète, et tombent tout à coup
dans de basses expressions. C'est un homme qui a un pied
chaussé d'un brodequin, et une sandale à l'autre pied.
Il' y en a qui mettent de magnifiques prologues an
devant d'une histoire fort peu importante*. Le casque est
d*or et la cuirasse est de haillons ; et tout le monde s'é-
crie : « La montagne accouche. >»
Un** autre entrera d'abord en matière, et croira imiter
Xénophon, qui commence d'abord : « Darius et Parysatis
eurent deux fils. » Mais ils ne voient pas qu'il y a des
prologues qui sont imperceptibles, et qui sont pourtant
de véritables prologues.
Ils' confondent toute la géographie.
Us* décrivent curieusement et fort au long de petites
choses, et passent légèrement sur les grandes. Ils ont
grand soin de bien examiner le piédestal, et ne disent
presque rien de la statue.
1 . Lucien, Comment U faut écrire tfiistoire^ J *^'
9. ibidem^ § ai.
3. Ou plui6t Cronios, leçon subatituëe par Lehmann, diaprés plu*
sieon manuscrits, à Cronos que donnent presque toutes les ancien-
nes éditions.
4* Lucien, ibUlemy J >*• "~ 5* Ihidem^ § a3.
6. Première rédaction : « de l'histoire la moins importante. »
7. Lucien, ibidem^ § aS. — 8. Ibidem^ % 24. -^ g. ibidem^ % 97-
1
49^ EXTRAITS DE LUCIEN
Un^ qui n'avoit jamaitt sorti de Corintbe commeocoit
ainsi son histoire : « Les yeux sont de plus sûrs témoins
que les oreilles; » et après cela décrivoit la Perse et toot
ce qui s'y rencontroit d'extraordinaire.
Un* autre avoit fait un prologue prophétique, promet-
tant d'écrire le triomphe dans un temps où la guerre
n'étoit pas encore terminée.
Voilà * les principales fautes où peut tomber un histo-
rien ; voici les principales qualités qu'il doit avoir.
Les ^ deux les plus nécessaires, ce sont un bon sens
pour les choses du monde, et une agréable expression,
(TuvtffCv Tt itoXiTixV xal 8uva(itv lp{i.i)v6UTixi(v. La première est
un don du ciel; l'autre se peut acquérir par un grand
travail et une grande lecture des anciens.
Un* historien doit être capable d'agir lui-même et de
commander* en un besoin. Il faut qu'il ait vu l'armée,
des soldats rangés en bataille et faisant l'exercice, ce qae
c'est qu'une aile, qu'un front, des bataillons, des esca-
drons ; qu'il ait vu de près des machines de guerre, et
qu'il ne s'en rapporte pas aux yeux d'autrui.
Surtout'' il doit être libre, n'espérant ni ne craignant
rien, inaccessible aux présents et aux récompenses; zp'
pehint figucy une figue, etc. ; ne faisant grâce à personne,
et ne respectant' rien par mauvaise honte ; juge équitable
et indifférent, sans pays, sans maître, et sans dépen-
dance, dbcoXiç» aB&c<Svo{Aoc, àSaoikxuxoç ; qu'il dise les choses
comme elles sont, sans les farder ni les déguiser; car 3
n'est pas poète, il est narrateur, et par conséquent n'est
I. Lucien, Comment il faut écrire t histoire, § 39.
a. Ibidem, S ^'* — ^* ^^'^«^"ii S ^^•
4. Ibidem^ % 34. — 5. Ibidem, % 3;.
6. Racine avait mis d^abord : « gouverner. »
7. Lucien, ibidem, %% 38, 4i et 4a.
8. Respectant a été substitué à rougissant.
ET DE DENYS D'BALIGARNASSE. 497
point responsable de ce qu'il raconte. En un mot, il
faut qu*il sacrifie à la seule vérité, et qu il n*ait pas de-
vant les yeux des espérances aussi courtes que celles de
cette vie, mais Testime de toute la postérité.
Qu'il' imite cet architecte du phare d'Egypte, qui mit
sur du plâtre le nom du roi qui Temployoit, mais dessous
ce plâtre son propre nom , sachant bien que le plâtre
tomberoit après sa mort, mais qu'en récompense son
nom se verroit éternellement sur la pierre.
Alexandre* a dit plus d'une fois : « Oh! que ne puis-
je revenir dans trois ou quatre cents ans pour entendre
de quelle manière les honames parleront de nous ! »
II' ne faut point se mettre en tête d'avoir un style si
magnifique et si guindé : il faut s'y prendre plus famiUè-
rement. Que le sens, à la vérité, soit pressé, c'est-â-dire,
que ce ne soient point des paroles vagues, et qu'il y ait
du sens et des choses partout ; mais que l'expression soit
claire, et comme parlent les honnêtes gens. Car, comme
l'historien ne doit avoir dans l'esprit que la liberté et la
vérité, il faut aussi qu'on n'ait pour but dans le style que
la netteté, et de représenter les choses telles qu'elles
sont ; en un mot, que tout le monde l'entende, et que les
savants le louent : ce qui arrivera, si on se sert d'expres-
sions qui ne soient point trop recherchées, ni aussi trop
conmiunes.
n^ faut pourtant que l'historien ait quelque chose du
poëte dans les pensées, surtout quand il viendra à écrire*
une bataille, des armées qui se vont choquer, des vais-
X . Lucien, CommmU il faut écrire t histoire^ $ 61 . — 9 . ihitiem^ g 40.
3. Ihidem^ SS 4^ ^ 44* — ^^ alin^ commençak d^abord ainsi :
« Les pens^ doirent lire profondes, n phrase qne Racine a ef-
face.
4. Lucien, Comment U faut écrire thutoire^ § 45*
5. Dans le texte de Louis Racine : décrire^ an lieu d^éerire.
J. Racuts. ▼ 3i
498 EXTRAITS DE LUCIEN
seaux qui combattent les uns contre les antres. Cest alors
qn*on a besoin, pour ainsi dire, d^un vent poétique qni
enfle les voiles, qui fasse grossir la mer. Biais Q faut
pourtant que Texpression ne s^élève guère de terre, et
qu^elle ne se ressente en rien de la fureur des corybao-
tes; enfin il faut aller bride en main.
N'avoir^ point trop de soin de l'harmonie et du son,
mais aussi ne pas écorcher les oreilles.
n* faut bien prendre garde de qui on prend des mé-
moires, et ne consulter que des gens non suspects ou de
haine ou de complaisance, soit pour eux-mêmes, soit pour
les autres.
Quand' on a fait provision de bons mémoires, alors il
faut les coudre, et fciire comme une suite ou un corps
d^histoire, sec et décharné d^abord, pour 7 mettre ensuite
la chair et les couleurs.
IP faut, comme le Jupiter d'Homère, que lliistorien
porte les yeux de tous côtés, tantôt sur les Thraces, tan-
tôt sur les Mysiens' ; qu^il voie aussi bien ce qui se passe
dans le parti des ennemis comme dans l'autre parti, qn'il
mette tout dans une égale balance, qu'il se mêle, qa*il
combatte, qu'il fuie avec les fuyards, qu'il donne la chasse
avec les victorieux.
Son * esprit doit être' comme un miroir pur et sans ta-
ches, qui reçoit les objets tels qu'ils sont, ne mettant rien
du sien qu'une expression naïve, sans se mettre en peine
de quelle nature est ce qu'il dit, mais bien de quelle ma-
nière il le doit dire. C'est aux Athéniens à lui fournir For
I. Laden, Comment il faut écrira Phistoire^ g 46.
1. iB'uUm, S 47- — 3. IhUem, % 48. — 4. Ibidem, $ ig.
5. Voyez Ylliade, livre XHI, rers 4 et 5.
6. Lucien, Comment il faut écrire T histoire^ $ Su
7. Dans le texte de Louis Racine : « H doit être, n
ET DE DENTS D'HALICÀRNÀSSE. 499
et l'ivoire, et à lui de tailler l'un ou l'autre, et de le met-
tre en œuvre*,
II' faut que la narration ne soit point décousue. Non-
seulement les choses doivent se suivre, mais elles doivent
se tenir les unes aux autres.
n * faut savoir négliger les petites choses, et ne point
trop s'étendre dans les descriptions. Témoin Homère,
qai en a pu faire de si belles, et qui a si souvent passé
par-dessus courageusement. Ne croyez point que Thucy-
dide soit long dans la description de la peste; songez de
qaelle importance est tout ce qu'il dit : il fuit les choses,
mais les choses l'arrêtent malgré lui.
On* peut s'élever et être orateur dans les harangues,
pourvu qu'elles conviennent à celui qui parle.
Il* faut être court et circonspect dans les jugements que
l'on porte des uns et des autres, toujours être appuyé de
preuves, éviter d'être calomniateur, et ne les point faire
mal à propos. Songez surtout que vous n'êtes point de-
vant les juges, et qu'il ne s'agit point de faire le procès
à ceux dont vous parlez. Théopompe a passé en cela les
bornes, et semble plus un accusateur qu'un historien.
S'il* se présente des fables ou des choses peu vrai-
semblables à raconter, contez-les, mais non pas comme
les croyant et voulant forcer les autres à les croire; mais
donnez-les pour teUes qu'elles sont, sans les appuyer.
I. Lucien ne se contente pas de cette simple allusion métapho-
rique. 11 déreiofpe la comparaison, et nomme Phidias, Praxitèle,
Alcamine. ^
a. Lucien, CommetU il faid écrire rhûioire^ $ 55.
3. lèidem^ SS 56 et Sy.
4. Ihidem^% 58.
5. lèidem^ $ Sg. — 6. Ibidem, % 60.
5oo EXTRAITS DE LUCIEN
EXTRAIT
DE DENYS D'HALICARNASSE
SUE LA MAHliRE d'ÉCRIRE L*niSTOIRE * .
La première chose que doit faire celui qui veut écrire
rhîstoire, c'est de choisir un sujet qui soit beau et agréa-
ble aux lecteurs. C'est un avantage qu'Hérodote a par-
dessus Thucydide. Car Hérodote raconte la guerre que
les Grecs ont eue* contre les Barbares et les actions des
uns et des autres dignes de n^être jamais oubliées. Ad
lieu que Thucydide n'écrit qu'une seule guerre et encore
infortunée, qu'il seroit à souhaiter qui n'eût jamais été,
ou qui fôt ensevelie dans le silence. Car lui-même éloigne
son lecteur en lui disant qu'il va raconter des malbeors
horribles, des villes désertes ou renversées, des morts
sans nombre, des pestes, des tremblements de terre,
des éclipses plus fréquentes qu'elles n'ont jamais été.
La seconde chose que doit faire un historien, c'est de
bien considérer là où il commence et là où il finit. Héro-
dote a encore cet avantage sur Thucydide. Car le pre-
mier commence à la première injure que les Barbares
I. Ce titre n^est pas dans le manuscrit de Racine. H. Aiia^-
Martin sVst aperçu qu'ici il n^ a plus rien qui appartienne à La-
cien, mais il parait (tojcz ci-dessus la Notice^ p. 43S) aroir pris
pour une page originale de Racine ce qui n*est que la traduccioQ
un peu libre et abrëg^e de deux passages de la Leitre de Dmyi
tt Hnlicarniuse à Cneiiu Pompée (^ 3 et 4)- On trouTen ces pas-
sages aux pages ia8 et 139 du tome II des OSu^tm de Demfs dMe-
îicarnaste^ édition in-folio de Francfort (i586).
3.«I1 y a tftt, sans accord, dans le manuscrit de Racine.
ET DE DENYS D'HALICARXASSE. 5oi
firent aux Grecs et finit^ à la vengeance. Thucydide
commence au conttuire par dépeindre la Grèce heureuse
et florissante f et finit à la bataille que les Athéniens
perdirent contre ceux du Péloponèse.
I. Dans Fédition de M. Aimé-lfartin, par une erreur sans doute
de l'imprimeur, qu'aura trompe la répétition des mots et finii à
deux lignes de distance, on a omis cette partie du texte : m à
la vengeance. Thucjdide commence au contraire par dépeindre la
Grèce heureuse et florissante, et finit. » Non-seulement ainsi la
phrase est incomplète, mais Hérodote se trouve avoir poussé son
histoire jusqu'à la bataille perdue par les Athéniens contre ceux
du Péloponèse. Sans remarquer cette énormité, M. Aignan a copié
scrupuleusement le texte de son devancier.
APPENDICE
AUX TRADUCTIONS
LA VIE
DE DIOGÉNE LE CYNIQUE'
Diooiom, natif de Sinope, ëtoit fils d'un changeur nomme
Icësius. Dioclès rapporte qu'il fut obligé de s'enfuir de son
pays à cause que son père, qui tenoit la banque publique,
avoit fait de la fausse monnoie. Mais Eubulide^, dans le livre
qu'il a écrit de ce philosophe, assure que ce fut Diogène lui-
même qui iiit atteint de ce crime, et qu'il fiit banni pour cela
de Sinope avec son père; et en effet, il confesse ingénument
lui-même dans son Podaie* d'avoir fait de la fausse monnoie.
Quelques-uns disent qu'ayant été créé maître de la monnoie,
les ouvri«*s qui travailloient sous lui lui mirent en tête de la
falsifier, et que pour ce sujet il vint à Delphes et à Délos,
pays d'Apollon, pour savoir de ce dieu s'il feroit ce qu'on
lui conseilloit, et que l'oracle l'ayant encore confirmé dans
cette résolution^, il fit en effet de la fausse monnoie, ne pré-
voyant pas ce qui en pourroit arriver' : si bien que depuis,
I. Voyez la Notice, p. 436 et suiTantes.
1. MM. Ainié-Martin et Aignan ont imprimé EucUde, Cette faute
n'ett pat dans le mamucrit.
3. La plupart des anciens textes portaient : h 12^ IloSdXcfi; quel-
ques manuscrits : {v tÇ nopMX({> (leçon adoptée par Huebner,
Leipzig, i833). Ménage a conjecturé ingénieusement quMl faut lire
Ilap^Xti, Diogène de Laêrte nommant lui-même deux fois IldpSaXiv
{la Panthère) dans la liste qu'i| a donnée des ouvrages du Cynique.
4. Racine avait écrit d'abord : « ayant rendu là-dessus une ré-
ponse favorable. »
5. Racine n'a pas bien compris la phrase tb icoXiTtxbv v6(xio|fta o&
ouve(<, « n'ayant pas tu qu'il s'agissait de la coutume, de Topinion
publique. » L'oracle avait joué sur le mot v6|J.i9(ioi. Nous relevons
le contre-sens de Racine, parce qu'il rend ce passage de sa traduc-
5o6 LA VIE
la chose ëtant dëcouverte, il fut banni, ou, comme d'autres
veulent , il se retira de lui-même , pour la crainte qu'il avoit.
Jl y en a d'autres qui racontent qu'ayant reçu de son père^
l'intendance de la monnoie , il la falsifia , et que , pour ce
sujet , ce premier fut mis en prison, où il mourut, mais que
Diogène, heureusement pour lui, se sauva. Ces mêmes au-
teurs assurent qu'il vint , à la vëritë, à Delphes, toutefois qu'il
ne demanda pas à l'oracle s'il feroit de la fausse monnoie , mais
ce qu'il feroit pour se rendre illustre dans le monde ; et que
l'oracle là-dessus lui répondit d'en faire*.
Étant arrivé à Athènes, il alla aussitôt trouver Antisthène,
pour êtr^ reçu au nombre de ses disciples; et bien que ce
philosophe eût résolu de ne plus recevoir personne , et le ra-
brouât d'abord fort rudement, il le vainquit néanmoins par
son obstination; car comme Antisthène levât* un bâton pour
le frapper s'il ne se retiroit : « Frappe, lui dit Diogène, en loi
présentant la tête, mais sache que tant que tu parleras, il n'y
a point de bâton si dur qu'il me puisse chasser d'auprès de
toi. » Antisthène le reçut dès lors au nombre de ses disciples ;
X et depuis ce temps-là, il commença à vivre dans une sim-
plicité tout à fait grande, et telle qu'il convenoit à un misé-
rable banni, comme il étoit. Théophraste, dans son Méga-
rique *, dit de lui que voyant un jour courir un rat, il prit
don peu intelligible. H faut dire au reste qu'ici le grec est obscur:
Ménage le croit altéré, et propose de lire : tb IlùOtxbv v6|ito{ia où
ouvtCc, « ne comprenant pas dans quel sens Toracle prenait v6(xt8|iK. »
I . Racine avait écrit d'abord : « qn^ayant succédé à son père à
la charge; » et à la fin de la phrase : « s'enfuit, » au lien de : « se
saura. »
9. C'est la suite du contre-sens que nous avons fait remarquer
plus haut. E eut fallu dire : « et que l'oracle là-deasos lui fit la
réponse que nous avons rapportée. »
3. M. Aimé-Martin a corrigé lepdt en leva. Nous donnons la le*
çon du manuscrit. Ce latinisme, de Timparfait du subjonctif après
comme^ est le tour que Racine prend d'ordinaire dans cette traduc-
tion. On verra cependant aussi que çà et là il emploie l'imparfait
de l'indicatif après comme : voyez p. 5i6, 5 19, etc.
4. Diogène deLaêrte nomme cet ouvrage (Meyscpixâ^) parmi ceu\
qu'il attribue à Théophraste, dans sa Fie de ce philosophe.
E
I
!
l.
l
DE DIOGÈNE LE CYNIQUE. S07
de là un sujet de se consoler, considérant que ce petit animal
▼îvoit à son aise dans des trous obscurs , sans se soucier ni
de coucher dans un Ut, ni de manger des morceaux délicats.
n fut le premier, au rapport de quelques-uns, qui s'avisa de
faire doiÂIer son manteau, à cause du besoin qu'il en avoit,
parce qu'il avoit accoutume de s'entortiller dedans quand il
vouloit dormir. Il portoit aussi ordinairement une besace où
il mettoit ses provisions ; car il n'avoit point de lieu particu-
lier où se retirer quand il vouloit ou manger, ou dormir, ou
étudier S mais le premier endroit où il se trouvoit lui ëtoit
bon; et à propos de cela, il disoit que les Athéniens • lui
avoient bâti un palais magnifique pour prendre ses repas,
montrant le portique du temple de Jupiter. Il prit , au com-
mencement , un bâton par nécessité , à cause qu'il relevoit de
maladie; depuis, à la vérité, il ne le porta plus dans la ville;
mais toutes les fois qu'il alloit aux champs, il n'alloit point
sans sa besace et son bâton, comme rapportent Olympiodore,
Polyeucte et Lysanias. Ayant écrit à un de ses amis de lui
chercher quelque maisonnette pour se loger, et voyant que
cet homme ne s'empressoit pas trop de lui en trouver, il
s'alla loger dans un tonneau qui étoit dans la place de Mé-
troos^, ainsi qu'il le déclare lui-même dans ses lettres. Pour
s'endurcir au chaud et au froid , il avoit accoutumé ' , l'été ,
de se rouler sur du sable brûlant; et l'hiver^ il embrassoit des
statues couvertes de neige.
Cétoit un homme, au reste, d'un naturel extrêmement pi-
quant et railleur*.... Il disoit des combats qui se font en
l'honneur de Bacchus, que c'étoit de grandes merveilles pour
étonner les sots; et des orateurs de son temps, qu'ils étoient
les valets de la populace. Il disoit aussi que quand il consi-
déroit dans cette vie les magistrats, les médecins et les phi-
losophes, l'homme lui paroissoit l'animal du monde le plus
I. Première rédaction : « ou enseigner. »
a. Ou plutôt « du Métroon, » Le Mitroon était le temple de la
mère des Dieux à Athènes.
3. Racine avait écrit d'abord : « il prenoit plaisir. 1
4. Racine a supprimé une phrase du texte, sans doute parce
quHl a jugé que les jeux de mots en étaient intraduisibles. II a
marqué la lacune par deux astérisques.
5o8 LA VIE
sage et le plus raisonnable; mais que lorsqu'il venoit ensuite
a contempler les devins, les ambitieux, les avares, et toute
autre semblable manière de gens , il ne trouvoit rien de si
fou que l'homme. Il répétoit souvent cette parole , qu'un
homme devoit toujours faire provision ou de raison pour se
consoler dans les adversités de la vie, ou de corde pow se
pendre*. Voyant un jour Platon à un festin magnifique, qui
ne mangeoit que des olives : « D'où vient, lui dit-il , grand
philosophe , que vous , qui avez été autrefois tout exprès en
Sicile pour manger de bons morceaux, maintenant que vous
êtes à même, vous n'ea mangez point ? — J'atteste les Dieux,
répliqua Platon, que là, non plus qu'ici, je ne vivois que
d'olives et d'autres semblables fruits. — Qu'ëtoit-il donc néces-
saire que vous y allassiez ? interrompit brusquement Diogène.
Est-ce qu'il n'y avoit point d'olives en Attique dans ce temps-
là? » Phavorin, dans son histoire de toutes sortes^, attribue
ce mot à Aristippe. Une autre fois, comme il mangeoit des
figues, il rencontra Platon en son chemin, et d'abord il lui
demanda s'il en vouloit goûter; Platon en prit volontiers
quelques-unes, qu'il mangea : « Je vous avois dit, reprit tout
d'un coup Diogène, d'en goûter et non pas de les avaler, i Un
jour que Platon traitoit quelques amis de Denys le tyran,
Diogène se trouva chez lui, et voyant des tapis que ce phi-
losophe avoit fait étendre pour s'asseoir, il se mit à les fouler,
disant : « Je foule aux pieds la vanité de Platon. — Mab, lui
répliqua Platon, combien es-tti plus * vain et plus orgueilleux
que moi, de croire que tu peux faire cela sans orgueil! > Quel-
ques-uns rapportent la chose d'une autre manière, et racon-
tent que Diogène dit : « Je foule aux pieds l'orgueil de Maton; b
et que Platon lui répondit: «Mais avec un autre orgueil, i So-
I. Cette phrase est mieux comprise dans V Abrégé des Fies àet phi-
lotophes^ imprimé au tome XXII des Œuvres de Péneian (édition de
Lebel) : « U vaut beaucoup mieux, disoit-il, se consoler que èc
pendre (p. 17a). m — Cet abrégé, que nous aurons occasion de citer
çà et là, a été attribué à Tarchevéque de Cambrai; mais on le
croit du P. du Cerceau.
a. CVst-à-dire : « dans ses Histoires diverses, »
3. Racine a écrit à la marge cette note : « Lege in gr, (in grcco)
Siftf épcic pro Sia^afvci^. »
D£ DIOGÈNE LE CYNIQUE. 609
tion, dans son quatrième livre, rapporte encore un autre bon
mot que dit ce cynique à Platon. Il a voit prié ce philosophe
de lui donner un peu de vin et de figues ; Platon lui en en-
voya une grande cruche toute pleine. Diogène l'ayant ren-
contré à quelque temps de là : « Je pense , lui dit-il , que si
l'on s'enquéroit de vous combien font deux et deux, vous
répondriez vingts si vous ne répondez pas plus à propos de
ce qu'on vous interroge , que vous donnez à proportion de
ce qu'on vous demande , » voulant marquer par là le vice de
Platon qui étoit grand parleur de son naturel. On lui deman-
doit une fois en quel lieu de la Grèce il avoit vu des hommes
cpii fussent honnêtes gens : « Pour d'iionunes, répliqua-t-il, je
n'en vis jamais; mais j'ai vu des enfants à Lacédémone qui
l'étoient. » Un jour qu'il discouroit fort sérieusement , voyant
que personne ne le venoit entendre, il se mit à fredonner de
la voix comme une cigale, et ayant de cette sorte amassé
beaucoup de monde autour de soi , il commença à leur repro-
cher leur peu d'esprit , de courir, comme ils faisoient , pour
entendre des niaiseries , et de se presser si peu pour ouïr de
bonnes choses. Il se plaignoit que les hommes disputoient
tous les jours sur cent badineries, comme à qui escrimeroit
et à qui lutteroit le mieux , et que personne ne disputoit à
qui seroit le plus honnête homme. Il disoit qu'il s'étonnoit de
la folie des grammairiens de son temps, qui se tourmentoient
le corps et l'âme pour défricher^ les peines et les fatigues
d'Ulysse, et qui ne prenoient pas garde à celle qu'ils se
donnoient inutilement. Il se moquoit plaisamment des musi-
ciens qui trouvent bien le moyen, ajoutoit-il, de mettre
leurs lyres d'accord , et qui mènent une vie si déréglée. Il
n'étoit pas moins divertissant sur les astrologues qui s'amu-
sent, poursuivoit-il , toute leur vie, à contempler le soleil et
la lune, et qui ne voient pas le plus souvent ce qui se passe
à leurs pieds. Il disoit des orateurs qu'ils s'étudioient plutôt
I. MM. Aimé-Martin et Aignan ont remplacé ce mot par celui
de déchiffrer; c^est à tort . Racine a écrit et voulu écrire défricher^
dont on trouve des exemples dans ce sens. Ce verbe, d'après le
Dietiotmaire de C Académie de i694<, veut dire, au figuré : « éclaircir,
démêler une chose, embrouillée et épineuse. »
5io LA VIE
à dire de bonnes choses qu'à en faire. Il étoit ennemi mortel
des avares , qui ne haïssent rien tant, à les entendre pari^ ,
que Targent , et qui Tadorent dans l'âme. U ne pouvoit ncm
plus souffrir ces sortes de gens qui louent fort ceux qui ont
l'esprit au-dessus des richesses ' , et qui cependant n'estimait
d'heureux que ceux qui sont riches. Û blâmoit fort ces hypo-
crites qui faisoient des sacrifices aux Dieux pour leur santé, et
qui se soûloient au sacrifice jusqu'à se faire malades. Il disoit
qu'il ne pouvoit assez s'étonner de la sobriété des valets qui
ne déroboient rien de ce qu'on sèrvoit sur table, voyant leurs
maîtres avaler à leurs yeux de si bons morceaux. U lonoit
fort ceux qui pouvant se marier ne se marioient, ou qui pou-
vant aller sur mer n'y alloient point, et qui pouvant se mêler
d'affaires publiques ne s'en mèloient point , ou qui pouvant
mener une vie voluptueuse ne la menoient point , et enfin
ceux qui pouvant s'approcher des grands seigneurs ne se sou-
cioient point d'en approcher. Il disoit qu'il falloit toujours
avoir les mains ouvertes pour ses amis*. Ménippe*, dans ce
livre qu'il a écrit de la Fente de Diogène, raconte de lui,
qu'ayant été fait captif, comme on l'eût* mis en vente, celui
qui le vouloit acheter lui demanda ce qu'il savoit faire : « Coah
mander ' , » reprit Diogène ; puis s'adressant au sergent qui le
crioit : a Crie, lui dit-il: Qui peut acfteter son maître P » Durant
qu'il étoit ainsi exposé en vente , on ne lui vouloit pas per-
mettre de s'asseoir : « Hé quoi 1 dit-il , quand on achète des
t . Le manuscrit donne à choisir entre ce membre de phrase et
celui-Ksi : « qui méprisent les richesses. » Le premier, qni se r^
proche plus du grec : Sri ^f}p.dhiuv bcdvcD e?6V,est écrit en interligne,
sans que Tautre soit ef&cé.
9. Racine avait écrit d'abord : « qu'il falloit tendre les mains à
ses amis. »
3. Dans Pédition dont Racine a fait usage, on lisait Mivuaco(.
Mais quelques manuscriu ont *£p{ii)C7coc, et Ménage croit que c'est
la vraie leçon, Hennippe de Smyme ayant écrit des ^ies des philo»
sophes,
4. Il y a eust dans le manuscrit. Voyez ci-deasus,p. 5o6ynote 3;
mais aussi plus bas, p. 56o, note s.
5. Racine avait écrit d^abord : k commander aux hommes; •
mais il a ensuite effacé les mots : aux hommêt.
DE DIOGÈNE LE CYNIQUE. 5ii
poissons, regarde-t-on s'ils sont debout ou assis ^ ?» Il se plai-
gnoit que c'étoit une chose étrange que quand on achetoit
un plat ou une marmite on les manioit et Ton les examinoit
auparavant, et qu'on achetoit les hommes sur la simple vue.
Il disoit à Xëniade , celui qui Tavoit acheté, qu'encore qu'il
fût son esclave, il falloit qu'il se résolût à lui obéir, par la
raison qu'on obéit à un médecin et à un précepteur', tout
esclaves qu'ils sont. Eubule, dans le livre qui est intitulé ia
Fente de Diogène^ raconte qu'il éleva les enfants de Xéniade
de cette sorte : après qu'il les eut instruits dans tous les arts
libéraux, il voulut qu'ils apprissent à monter à cheval, à tirer
de l'arc , à manier la fronde et à lancer le javelot. Au reste
il ne souffrit point qu'ils allassent aux lieux publics pour
s'exercer à la manière des athlètes, chez les maîtres de ces
exercices ; mais il se donna la peine lui-même de les exercer,
afin de les rendre plus robustes et plus dispos. Il eut soin de
leur faire apprendre par coeur plusieurs passages, tant des
poètes que des orateurs, et même de ses écrits; et afin qu'ils
retinssent plus aisément ce qu'il leur enseignoit , il leur fit un
abrégé de tout ce qui étoit nécessaire pour avoir les principes
des sciences. Au reste il vouloit , quand ils étoient chez eux ,
qu'ils s'employassent aux offices de la maison, en se con-
tentant pour leur nourriture de quelques viandes légères,
et d'un peu d'eau pure. Pour ce qui est du corps, il ne
se soucioit point qu'ils fussent malpropres ni mal peignés ;
au contraire, il les laissoit aller dans les rues', le plus sou-
vent sans pourpoint et sans souliers, car il vouloit qu'ils mar-
chassent ainsi sans dire mot et sans regarder personne qu'eux-
mêmes, et les menpit quelquefois dans cet équipage à la chasse.
Mais ces jeunes gens, d'autre côté, avoient un soin particu-
I. Première rédaction : <c s'ils sont debout ou non. »
9. Dans le texte grec» xu6epvi{TY)(, « un pilote. »
3. Il 7 avait d'abord : « mais il les menoit ainsi avec* soi tout
salopes. »
* Riciiie, dans cm tnuliictîoiis de m jeunetse, écrit ordiourement «MOfac.
EUes offrent, en plus grand nombre que les maniucriti d*an temps poelériciir,
d*«ntret ardiaUnws d*ortbogr«phe, que noos mentionnerons à U fin deT/n/rtf-
dmetion grmmmatieaUf en tèle dn Lexi^me,
5i2 LA VIE
lier de lui , et faisoient tout ce qu'ils pouvoient pour le mettre
bien auprès de leur père et de leur mère. Eubule rapporte
encore qu'il acheva ses jours chez Xéniade, et que les enfants
de son maître l'enterrèrent.
Étant à l'article de la mort, Xéniade lui demanda de quelle
manière il vouloit être enterré : c Le visage dessous, reprit-il ;
car ceux qui sont dessous auront bientôt le dessus. » 11 disoit
cela à cause du progrès des Lacédémoniens, qui de petits
commencements s'étoient élevés à une grande puissance. Quel-
qu'un l'ayant mené chez lui, le pria de ne point cracher, de
peur de rien gâter dans sa maison, qui étoit merveilleusement
propre et bien parée; mais Diogène, sans «dire mot, tira un
gros crachat du fond de son estomac, et le lui jetant au nez:
« Excusez, lui dit-il, c'est que je n'ai trouvé que ce lieu-là ici
d'assez sale pour cracher. » Il y en a qui prétendent que ce
mot est d'AHstippe. Une fois, étant au milieu de la rue, il se
mit à crier : « Que tout ce qu'il y a d'hommes ici viennent à
moi! » En même temps, plusieurs s'amassèrent autour de hii;
mais Diogène les écartant avec son bâton : « Je d^nandois des
hommes, dit-il, et non pas des bêtes. » C'est Hécaton qui
rapporte cela dans son premier livre des Serttences. On ra-
conte d'Alexandre qu'il disoit de lui, que s'il n'eût été Alexan-
dre, il eût voulu être Diogène^....
Métrodès, dans ses Diu notaàles^ rapporte qu'un jour,
comme on lui faisoit le poil, il s'en alla, la barbe à dem
faite, à un festin que faisoient ensemble déjeunes gens, où il ftit
fort bien battu; mais que pour se revancher, il fit un grand
placard où il mit en écrit le nom de ceux qui lui avoient fait
cet outrage, et qu'il les suivoit partout avec cette affiche dans
les mains. Ainsi il se vengea de l'afiront qu'ils lui avoient fait,
en les faisant connottre, et attirant sur eux la haine et l'indi-
gnation de tout le monde. Il disoit qu'il étoit un bon diien
de chasse à l'égard des personnes louables, parce qu'il ne les
survoit pas avec moins d'ardeur qu'un chien fait un lièvre, et
que cependant personne de ceux qui font métier de louer les
I. Racine a omis ici une phrase do texte, dans laquelle il n^au-
fait pu traduire le jeu de mots de jnjpav, et d^divonfpou^. Il a encorv
cette fois marqué la lacune par des astérisques.
DE DIOGÈNË LE CYNIQUE. 5i3
gens ne I osoit mener ^ à la chasse'. Quelqu'un disoît une fois
devant lui, en se vantant' : « J'ai bien vaincu* des hommes
en ma vie aux jeux pythiens. — Des hommes? reprit Diogène;
c'est moi qui sais vaincre les hommes; mais toi, ce ne sont
que des faquins. » On lui représentoit un jour qu'il étoit vieux,
et qu'il devoit songer à se reposer : a Hé quoi? repartit-il, si
j'ëtois entré" en lice pour courir, songerois-je à m'arrêter
quand je serbis près du but; au contraire, ne tâcherois-je pas
à mieux courir que jamais ? » Quelqu'un l'ayant prié de souper,
il n'y voulut point aller, à cause que quelques jours aupara-
vant il y avoit été, et qu'on ne l'en avoit point remercié. L'hi-
ver, il aUoit les pieds nus dans la neige, et faisoit toutes les
autres choses que nous avons rapportées ci-devant. Il tâcha,
au commencement, de manger de la viande crue; mais n'en
pouvant venir à bout, il s'en désista. Il rencontra une fois
l'orateur Démosdiène dans un cabaret, qui dinoît : dès que
Démosthène le vit, il se voulut retirer; mais Diogène l'ayant
aperçu : « Tu n'as que faire de t'enfuir, lui dit-il ; tu n'en auras
pas été moins au cabaret pour cela*. » Quelques étrangers
souhaitants'' de voir cet orateur : « Le voilà, dit-il, en élevant sa
main et leur montrant le doigt du milieu, le flatteur des Athé-
niens. 9 Un jour, voyant un pauvre homme qui, ayant laissé
choir un morceau de pain, avoit honte de le ramasser, il le
voulut guérir de cette mauvaise honte-là; et attachant une
corde à l'embouchure de son tonneau, il se mit à le traîner
de cette sorte tout le long de la rue Céramique; et il disoit
I . Première rédaction : « ne Pavoit encçNre voulu mener. »
9. Cette phrâBe, dont le sens a échappé au jeune Racine, est bien
traduite à la page i8a de V Abrégé^ déjà cité, des Fies des phiiosophe* :
u II disoit.... qu^aucun de ceux qui le loaoient n'avoit assez de
courage pour venir à la chasse avec lui. »
3. Et non pas : « en se vautrant, » comme on Va imprimé dans
les éditions de MM. Aimé-Martin et Aîgnan.
4. Racine avait mis d*abord : surmonté,
5. Entré est en interligne et a été ajouté après coup.
6. L'auteur de V Abrégé des Vies des philosophes {^. 17$) est resté
plus près du texte : « Plus tn te caches dans le cabaret, et plus
tu t^y enfonces. »
7. Souhaitants est ainsi au pluriel dans le manuscrit.
J. RAGin. V 33
Si4 LA VIE
qu'il imitoit en cela les maîtres de musique qui dëtonneot
quelquefois dans un concert, afin de faire prendre le ton aux
autres. Il assuroit qu'on pouvoit être fou jusqu'au bout des
doigts S et qu'en effet, si l'on voyoit quelqu'un aller dans les
mes le doigt du milieu tendu, il n'y a personne qui ne le prit
pour un fou, au lieu qu'on ne trouvoit rien à dire quand il
tendoit celui qui est proche du pouce. Il disoit qu'on avoit à
bon marche les cho;»es qui valent beaucoup, et qu'an contraire
on vendoit bien cher celles qui ne valent rien, vu qu'on ne
pouvoit faire faire une statue à moins de trois mille oboles,
et qu'on avoit un boisseau de farine pour deux liards. Il di-
soit une fois à Xëniade, celui qui Tavoit acheté : c Prenet
garde à m'obéir de point en point, et à faire ce que je vous
ordonnerai. — Hë quoi? lui répliqua Xéniade,
Les fleuret rëroltés remontant à leurs souroes*!
— -Mab, lui répondit Diogène, si vous étiez malade, et que vous
eussiez acheté un médecin, au lieu de faire ce qu'il vous or-
donneroit vous amuseriez-vous à lui dire :
Les fleuves révoltés remontent à leurs sources?»
Il y eut une fois un homme qui le vint trouver à dessein de
se faire philosophe'. Diogène, pour réprouver, hn domu
d'abord un merlan, qu'il tei^it, à porter, et lui commanda de
le suivre; mais l'autre^ jeta là le merlan, tout honteux, et
s'en retourna comme il étoit venu. Diogène le rencontra i
quelques jours de là, et ne pouvant s'empêcher de rire en le
voyant : « Faut-il qu'un merlan, lui dit4l, ait rompu une amitié
conune la nôtre ? » Dioclès rapporte cela autrement, et racoote
qu'un homme ayant dit à Diogène : « Commandez, et nous tous
obéirons, » Diogène le prit à part, et lui donna un morceau de
firomage à porter; mais que l'autre ayant refusé de le faire :
I . Le sens est « que la folie tient souTent à «m doigt, à la dif-
férence d*nn doigt. »
a. Médée d^Euripide, vers 4ii«
3. n j avait d^abord : « pour apprendre de Ini la philosophie. •
4. Racine avait d*abord ajouté : m mais celoi-ci, pUnétmi f
m€êoutumé à ce métier» n
DE OIOGËNE LE CYNIQUE. SiS
« Hé qnoi?Iuirépliqua-t-il, voulez-vous rompre avec moi pour
un morceau de fromage ? » Voyant un jour un petit garçon qui
buvoit dans le creux de sa main, il tira son ëcuelle de sa be*
sace, et la jetant par terre : « Il a, dit-il, plus d'esprit que
moi. « Il jeta aussi sa cuillère * pour un même sujet, voyant
un autre jeune garçon qui mangeoit une soupe de lentilles
avec une croûte de pain qu'il avoit creusëe en guise de cuillère.
Voici à peu près sa manière de raisonner : « Toutes choses
appartiennent aux Dieux; les sages sont amis des Dieux : or
est-il que tous biens sont communs entre amis, et par consé-
quent toutes choses appartiennent aux sages. » Un jour, comme
rapporte ZoTle, voyant une femme qui se prostemoit devant
un autel, jusqu'à se mettre dans une posture indécente, Dio-
gène la voulut guérir de cette superstition-là ; et s'approchant
d'elle : « N'avez-vous point peur, lui dit-il, que Dieu, qui est
partout, ne voie derrière vous quelque chose qui ne soit pas
fort honnête? n II consacra un homme à Esculape, seulement
pour avoir soin d'aller battre ceux qui viendroient baiser la
terre dans le temple de ce dieu. II disoit que toutes les malé-
dictions tragiques étoient tombées sur lui; qu'il étoit sans
ville, sans maison, sans pays, gueux, vagabond, et vivant à la
journée; mais qu'il opposoitli la fortune la constance, aux lois
la nature, aux passions la raison. Une fois Alexandre le vint
voir, qu'il se reposoit au soleil dans la place de Granion*, et
s'arrètant devant lui : « Diogène, lui dit-il, demande-moi ce
que tu voudras. — Ce que je veux, reprit Diogène, c'est que
vous vous ôtiez un peu de mon soleil. » Quelqu'un ayant lu une
fois devant lui un ouvrage d'assez longue haleine, comme il
fut à la fin du livre, voyant qu'il n'y avoit plus' de feuillets
écrits, il se mit à crier, comme font les matelots sur mer t
« Terre ! terre ! prenons courage. » Un homme lui vouloit prou-
ver une fois, par un argument sophistique, qu'il avoit des
cornes; mais Diogène, pour toute réponse, passant sa main
t . Racine écrit cueilliere,
a. Le Cranion était on bois sacré, avec u^ gymnase, tout près
de Corinthe.
3. Au Heu de ces mots : « voyant quUl n^y avoit plus, » Racine
avait mb d*abord : « n'y ayant plus. »
5i6 LA VIE
sur son front : c Je ne les sens point, » dit-il. 11 lit environ U
même chose à un autre qui soutenoit qu'il n'y avoit point de
mouvemetat ; car il se leva tout d'un coup et se mit à se prr)-
mener. Un astrologue discouroit un jour devant lui des choses
célestes : « Depuis quand, mon ami, lui dit-il, êtes-vous revenu
du ciel ? » Un certain eunuque, perdu de débauche, avoit fait
mettre cette inscription sur la porte de son logis : Que rien
deméctuuu n* entre ici dedans. « Où est-ce donc, reprit Diogène,
que logera le maître de la maison ? » Ayant une ibis des huiles
de senteur, au lieu de s'en parfumer la tète , comme font les
autres, il s'en oignit les pieds; et la raison qu'il en rendit,
c'est que l'odeur des parfums de la tête s'exhaJe en l'air, an
lieu que celle des pieds monte droit au nez. Les Athéniens lui
conseilloient de se faire initier aux mystères de quelques dieux,
et lui disoient, pour l'y porter davantage, que ceux qui l'étoient
dans cette vie avoient les places honorables dans les enfers.
« Vraiment, répliqua-t-il, ce seroit une assez plaisante chose que
tandb qu'Agésilaus et Épaminondas seroient dans la fange,
une troupe de marauds initiés eût le haut bout dans les tles
des bienheureux. » Voyant des rats qui venoient ronger ks
miettes de sa table : v Comment? dit-il, Diogène a des para-
sites! »Un jour, Platon l'appelant chien : « Vous avez raison,
lui répliqua-t-il , car * j'ai été retrouver ceux qui m'ont ven-
du. » Une fois, comme il sortoit des bains, quelqu'un lai
demanda s'il y avoit bien des hommes au bain : « Il n'y en a
pas un, » repartit-il ; mais ensuite un autre l'ayant prié de \m
dire s'il y avoit bien du monde au bain : « Tout en est
plein, » ajouta-t-il. Un jour, Platon ayant défini l'homme :
Un animal sans plumes et qui n^a que deux pieds, cette dé-
finition plut extrêmement à tous ceux qui étoient présents;
mais Diogène, sans mot dire, prit un coq, qu'il se donna la
peine de plumer tout entier, et l'ayant porté chez Platon :
« Tenez, leur dit-il, voilà l'homme de Platon, » de sorte que
ce philosophe fut obligé d'ajouter à sa définition : c et qui a
les ongles larges. » On lui demandoit à quelle heure il fal-
loit dîner : a Si l'on est riche, reprit-il, quand on vent; si
l'on est pauvre, quand on peut. i> Ayant remarqué à Mégare
I . Au lieu de car, il y avail d^abord : « et cVst pour cela que. >
DE DIOGÈNE LE CYNIQUE. 517
que les moutons y étoient gras et couverts de bonne laine,
au lieu que les enfants y étoient presque tous nus : « J'aime-
rois mieux dit-il, être mouton que fils d'un Mégarien. » Un
homme, dans les rues, l'ayant heurté d'un ais qu'il portoit, se
mit ensuite à crier : « Gare ! gare ! — Est-ce, lui dit-il, que
tu as envie de me heurter encore une fois? » II appeloit les
orateurs* les valets de la populace ; et les couronnes qu'on leur
donnoit, des ampoules de gloire. Il alloit quelquefois en plein
jour, une lanterne allumée à la main, et comme on lui deman-
dât ' pcjur quelle raison il faisoit cela : « Je cherche, répon-
doit-il, un homme. » Un jour qu'il se reposoit* en pleine rue,
tout dégouttant de l'eau de la pluie qui étoit tombée sur lui,
cela amassa autour de lui plusieurs [)ersonnes que ce spectacle
avoit touchés* de pitié; mais Platon s'étant rencontré là par
hasard : « Hé I de grâce, leur dit-il, si vous avez pitié de cet
homme, laissez-le là, » voulant témoigner par ces paroles la
vanité de ce philosophe, comme ne faisant cela que par osten-
tation. Il y eut une fois un homme qui lui donna un soufflet :
« Vraiment, reprit-il, j'ai bien oublié de n'avoir pas mis ^ un
casque. » Un certain Midias, qui lui en vouloit, le rencontra un
jour, et l'ayant bien battu : a Ton argent est prêt, » ajou-
ta-t-il. Diogène ne répondit rien sur l'heure; mais le lende-
main il l'attendit avec des gantelets aux deux mains', et lui
assenant un coup de toute sa force : « Ton argent est prêt, »
lui dit-il. Lysias, un certain apothicaire, lui demandoit une
fois s'il croyoit qu'il y eût des dieux : « Il faut bien que je le
croie, lui répliqua-t-il , puisque je sais même qu'ils n'ont
point de plus grand ennemi que toi. » Quelques-uns assurent
que ce mot est de Théodore. Voyant un jour un homme qui
se lavoit dans l'eau pour se purifier : a Hé! pauvre misérn-
I. Première rédaction : « U disoit que les orateurs étoient. »
a. Voyez ci-dessus, p. 5o6, note 3.
3. Racine avait écrit d'abord : « Un jour on le trouva », dont
une première correction avait fait :.« Un jour qu'il étoit. »
4. Dans le manuscrit il y a bien « touchés, » et non « tou-
chées. » Voyez ci-dessus, p. 4^3, note a.
5 M. Aimé-Martin a ainsi corrigé cette phrase : m j^ai bien ou-
blié de mettre un casque. »
6. Première rédaction : « à la main. »
5i8 LA VIE
ble, lui dit-il, sache que cette eau n'est pas plus capable
d'efiacer les crimes que tu as^ commis pendant ta vie, que
des fautes de grammaire. » Il assuroit que les hommes se pUi-
gnoient à tort de la fortune, parce qu'ils demandoient aux
Dieux , non pas ce qui ëtoit bon véritablement , mais ce qui
leur paroissoit bon. Il disoit à ceux qui sont effirayés des
songes qu'ils font : « Vous vous embarrassez des choses cpie
vous faites en dormant , et vous n'avez pas la moindre in-
quiétude de celles que vous faites étant éveillés. » S'étant trouvé
aux jeux olympiques, comme le héraut, selon la coutume, se
fût mis à crier : « Dioxippe a vaincu tous les hommes qui ont
paru dans la lice, — C'est moi, dit-il, qui sab vaincre les
hommes; car pour lui ce ne sont que des esclaves. » Il éunt
fort aimé des Athéniens , jusque-là qu'ils condamnèrent au
fouet un jeune garçon pour avoir rompu son tonneau, et lui
en firent donner un autre. Denys le stolque rapporte> qu'après
la bataille de Chéronée, il fut pris prisonnier des Macédonieus,
et qu'étant mené à Philippe, ce roi lui demanda qui il étXHt :
« Un espion, reprit-il, de ton insatiable avidité. » Ce même
auteur assure que cette hardiesse donna de l'admiration à Phi-
lippe, qui donna ordre qu'on le délivrât sur l'heure. Alexan-
dre avoit envoyé des lettres à Athènes , adressantes à Anti-
patre, par un certain Athlie, qui veut dire en grec autant que
malheureux. Diogène s'y trouva présent quand il les reçut,
et faisant allusion à ce nom : « Athlie, dit-il, a envoyé ks
lettres d' Athlie à Athlie par Athlie. » Perdiccas^ l'ayant me-
nacé par lettres de le faire mourir s'il ne le venoit trouver :
« Il ne fera pas grand'chose, répliqua-t-il, puisqu'une mouche
et une araignée' en peuvent bien faire autant. Que ne me me-
nace-t-il plutôt , ajouta-t-il , que si je ne le vais trouver, il
trouvera bien le moyen de vivre heureux sans moi ?» 11 crioit
souvent que les Dieux ne donnoient que trop de moyens aux
hommes pour vivre à leur aise*, mais que ces moyens étoient
1 . « Tu as » a été substitué à « tu pourrois aToir. »
2. Dans rédition de M. Aimé<Martin on a imprimé Pttviec**,
M. Aignan a reproduit cette faute d^impression.
3. U y a « un araignée » dans le manuscrit.
4. Il y arait d^ahord : « pour vivre heureux. »
DE DIOGËNE LE CYNIQUE. $19
caches à ceux qui aimoient si fort les ragoûts, les parfums ^
et toutes ces vaines superfluitës. Voyant un jour un homme
qui se faisoit chausser par son valet : « Tu ne seras point en-
core parfaitement heureux, lui dit^-il, qu'on ne t'ait coupé les
deux mains, afin que tu te puisses honnêtement faire moucher
par lui. » Une autre fois, ayant aperçu des sergents* qui me-
noient en prison un coupeur de hourse qui avoit vole une
aiguière : « Voilà , dit-il , de grands voleurs qui en mènent
un petit en prison. » Voyant un jeune garçon qui ruoit des
pierres à une potence : « Ck>urage , lui dit-il , tu parviendras
au bot'. » Il se trouva une fois entouré d'une foule de petits
garçons qui crioient : « Gare ! gare ! qu'il ne nous morde. —
Ne craignez rien, leur dit-il : un chien ne mange point de ca-
rottes. » Voyant un homme qui prenoit plaisir à se couvrir de
la peau d'un hon : « Gesse, mon and, lui dit-il, de déshonorer
l'habit de la vertu. » On exaltoit un jour devant lui le bonheur
de Callisthène, d'être participant*, comme il étoit, de toute la
magnificence d'Alexandre : « Et moi, répliqua-t-il, je le trouve
bien malheureux de ne pouveir dîner ni souper que quand il
plaît à Alexandre. » Il disoit que quand il avoit affaire d'ar-
gent, et qu'il en prenoit de ses amis, c'étoit une dette dont
ils s'acquittoient , plutôt qu'un présent qu'ils lui fissent^. On
le trouva un jour en pleine rue qui faisoit quelque chose de
la main qui n'étoit pas fort honnête; mais lui, sans s'étonner :
« Plût aux Dieux , dit-U, que je pusse aussi bien apaiser la faun
de mon ventre en le grattant! n U se donna bien une fois la
peine de remener lui-même à la maison un jeune garçon qui
alloit faire la débauche avec des seigneurs de Perse, et avertit
ses parents d'avoir l'œil sur lui. U y eut un jour un jeune
homme fort bien paré qui le vint consulter sur certaine ma-
tière : « Je ne vous répondrai point , lui dit Diogène , que vous
ne m'ayez fait savoir auparavant si vous êtes homme ou femme. »
Une autre fois, comme il étoit au bain, il en vit un qui ver-
I. Racine arait ëcrit d'abord : « des archen. »
3. Première rédaction : « Voyant un petit garçon qui jetoit dei
pierrei.... à la fin tu y viendras. »
3. U y ayait d*abord : « de participer. »
4. M. Aimé-Martin a mu faisoUniy au lieu de fiuent.
5ao LA VIE
soît du vin d'un pot dans un autre, afin déjuger, par le bruit
que faisoit le vin en tombant', s'il réussiroit dans ses amours ;
et comme, à son avis, le |)ot eût rendu un bon son : « Il est
d'autant plus mauvais pour toi, lui dit Diogène, qu'il est fort
bon. 9 Quelques-uns, dans un festin*, lui jetoient de loin, par
dërision, des os comme à un chien; mais Diogène, se levant
de table, se mit à pisser contre eux comme un chien. Il disoit
des orateurs et de ceux qui mettent leur gloire à bien parler,
qu'ils ëtoient trois fois hommes, c'est-à-dire trois f<HS misé-
rables. Il appeloit un riche ignorant, un mouton qui avoit une
toison d'or*. Ayant vu sur la porte d'un fameux débaudië cet
écriteau: Maison à vendre: c Je me doutois bien, dit-il, que
cette maison boiroit tant et mangeroit tant qu'elle vomirott
enfin son maître. » Un jeime garçon se plaignoit une UÀ& à lui
de la multitude de ceux qui le vouloient corrompre : « Gesse, loi
répondit Diogène, de leur faire voir qu'on te peut corrompre. >
Étant un jour entré dans un bain fort sale : « Où est-ce, dit-il,
qu'on se va laver* à la sortie de ce bain-ci ?» Il entendent une
fois un joueur de luth qui en jouoit d'une manière fort gros-
sière, et comme tous les autres le traitassent* d'ignorant et de
ridicule, lui seul le louoit et le prisoit extrêmement. Quelques-
uns lui en demandèrent la raison : c Je l'admire, repnt-il, de
ce que jouant si mal, il s'amuse plutôt à cela qu'à tuer ou à
voler. » II y en avoit encore un autre qui faisoit fuir tout le
monde dès qu'il commençoit à jouer; un jour Diogène l'ayant
rencontré : « Bonjour, lui dit-il. Monsieur le Coq. — D'où vient
que vous m'appelez ainsi? lui fit l'autre. — Cest, répliqua-t-il,
que tu fais lever tout le monde dès que tu commences à
chanter. » Voyant plusieurs personnes qui avoient les yeux fi-
chés sur un jeune garçon, il se mit à ramasser du lupin qui
étoit à terre, à la vue de tout le monde, et en remplissoit à
mesure sa besace. Cette action fit tourner la tête à tous ceux
I . Voyez 1(» lexiques grecs aux mots KoTta66( et Komi6io|ji6ç.
3 . Après festin^ il y a ces mots, effacés : « pour se moquer. »
3. Racine avait mis dVbord : « une toison dorée. »
4. Dans l'édition de M. Aimé-Martin on a imprimé : « que Toii
fera laver. » M. Aignau, prenant ce non-sens pour le texte TÀita-
ble, en a fait Tobjet d^une observation grammaticale.
5. Voyez ci-dessus, p. 5o6, note 3.
DE DIOGEME LE CYNIQUE. Sîi
qui ëtoient là: « Hé quoi? leur dit-il, aimez- vous mieux me
voir que ce beau fils ? » Un homme extrêmement superstitieux
lui disoit une fois : « Ne me fâche pas; car d'un coup de poing
je te romprois la tête. — Et moi, reprit-il, je te ferois trembler
si je t'avois seulement regarde^ du côté gauche. » Un certain
Hégésias le prioit un jour de lui prêter quelques-uns de ses
ouvrages pour apprendre la philosophie : « Dites-moi un peu,
reprit Diogène, si vous vouliez manger des figues, voudriez-
vous qu'on vous donnât des figues en peinture, et n'en achè-
tenez-vous pas de véritables? Avouez donc que vous êtes fou,
puisque pouvant embrasser l'exercice véritable de la philoso-
phie, vous vous contentez de la voir par écrit. » Quelqu'un lui
>eprochoit qu'il s'étoit enfui de son pays : « Hé, misérable, lui
répliqua-t-il, n'y ai-je pas trop gagné, puisque c'est ce qui
m'a fait devenir philosophe ? » Et à un autre qui lui disoit :
« Ceux de Sinope t'ont banni de leur pays, — Et moi, re-
prit-il, je les condamne à n'en bouger. » Voyant un homme
qui avoit gagné le prix aux jeux olympiques, qui menoit
paître les brebis : « Pauvre homme , lui dit-il , à ce que je
vois, tu n'as quitté les jeux olympiques que pour venir aux
néçiéens^. » On lui demandoit une fois d'où venoit que les
athlètes ne sentoient point les coups qu'on leur donnoit :
c C'est, reprit-il, qu'ils ne sont faits que de chair de pour-
ceaux et de bœufs. » Il demandoit un jour l'aumône à une
statue, et la raison qu'il en donna : « Je m'apprends, dit-il,
à être refusé. » Il fut obligé au commencement de demander
l'aumône pour subsister. Un jour donc, comme il priât quel-
qu'un de la lui donner : « Si tu l'as jamais donnée à quelque
autre en ta vie, lui disoit-il, donne-la-moi ; si tu ne l'as point
donnée, conunence par moi. » Un tyran lui demandoit un
jour quel airain étoit le meilleur : « Celui, répliqua-t-il, dont
on fond les statues d'Harmodius et d'Aristogiton. » A propos
•
I . Le texte sur lequel Racine a traduit avait napcliv, au lieu de
Kiapc&y, éterauant, qui est la vraie leçon, celle que Ménage a réta-t
blie d*après un manuscrit.
9. Le jeu de mots était intraduisible et demandait une explica<-
tion : li:\ xdt véfAsa signifie «. aux jeux ném^ns » ou « aux pâtu-
rages. »
5a!i LA VIE
de Denys le tyran , il disoit qu'il traitoit ses amb comme des
sacs; <K car, ajoutoit-il, il les pend* quand ils sont pleins , et
les jette quand ils sont vides. » Un nouveau marie avoit fait
mettre cette inscription sur le seuil de sa porte : Hercule
Callinique^ fils de Jupiter^ loge céans ; que rien de méchant
n^ entre ici dedans ; mais Diogène, sans dire mot, écrivit ced
ensuite : Après la mort, le médecin*. Il vit une fois un homme,
qui s'ëtoit ruine en folles dépenses, qui faisoit son soupe de
quelques olives dans une gargoterie : c Misérable, lui dit-il, si
tu eusses dîné de la sorte, tu ne souperois' pas aujourd'hui
comme tu fais. 9 II disoit que les hommes vertueux étoient
les images des Dieux. Il appeloit l'amour l'occupation des
oisifs. Quelqu'un lui ayant demandé ce qu'il croyoit qu'il y
eût au monde de plus misérable, il répondit : c Un vieillard
pauvre ; » et à un autre qui s'enquéroit de lui quelle étoit la
bète la plus dangereuse : « Un médisant, répliqua-t-il, entre
les farouches; et un flatteur entre les privées. » Voyant un
tableau où il y avoit deux centaures fort mal peints : « Quel
est le Chiron^ des deux? 9 dit-il. Il appeloit les paroles de
flatterie des fllets de miel ; et le ventre, la Charylxle de la vie.
Ayant oui dire qu'un certain Didyme avoit été surpris en
adultère : c U est digne, dit-il, d'être pendu par son nom'. »
On lui demandoit un jour d'où venoit que l'or étoit pâle :
1. M. Aimé-Martin a lu : prend. Cette faute a été reprodnîte
dans Tédition de M. Aignan.
2. Il y a en grec un autre proverbe : « Après la guerre, l'ai-
lianoe. » — A la suite de ceci. Racine a omis une petite phrase da
texte, sans doute par distraction.
3. Il y a dans le manuscrit ioupertu^ au lieu de iouperoisf c'eit
éridemment un lapsus.
4. Ou : « Quel est le pire (yii^ùyi). » Ici encore le traducteur
aurait dû, ce semble, expliquer le jeu de mots.
5. On lit dans Pëdition de M. Aimé-Martin : « H est digne deox
foû, dit-il, d*étre pendu par son nom. » Deux fois n'est pas dans
le manuscrit, et n^est pas du tout le sens du jeu de mots (Ix xfiv
$t(6(M)v), que Racine n'a pas expliqué et qu'il ne pouvait d'ailleurs
pas expliquer décemment. Peut-être eût-il bien fait de suppri-
mer une phrase, devenue inintelligible dans la traduction fran-
çaise.
DE DIOGENE LE CYNIQUE. 5!i3
« C'est, rëpliqoa-t-il, que tout le inonde est aux aguets pour
l'attraper. » Voyant une femme dans une litière : « Ce n'est
pas là, dit-il, une cage pour une bète si farouche. » Il vit*
un jour un esclave fugitif qui ëtoit assis sur la margelle d'ua
puits : c Mon ami, lui fit-il, prends garde d'y tomber*. »
Une fois étant au bain, il aperçut un certain Cillius, qui
étoit un de ces voleurs qui viennent pour voler les habits de
ceux qui se baignent, et s'approchant de lui : « Est-ce pour
voler ou pour vous baigner*, lui dit-il, que vous êtes ici? »
Voyant un jour des femmes qu'on avoit pendues à des oliviers :
« Plût aux Dieux, s'écria-t-il, que tous les arbres portassent
de semblables fruits ! » Ayant rencontre un certain homme
qui ëtoit accuse de fouiller dans les sépulcres, il lui dit sur-
le-champ ces deux vers :
« Qui t^amène en ces lieux, honte de la nature?
Viens-tu fouiller les morts jusqu'en leur sépulture * ? »
On lui demandoit un jour s'il avoit un valet ou une ser-
vante ; il répondit que non. 4 Et qui est-ce donc, reprit celui
qui rinterrogeoit, qui prendra le soin de tes funérailles après
ta mort? — Celui, répliqua-t-il, qui voudra loger dans ma
maison. » Il aperçut un jour un beau garçon qui dormoit à
son aise, couché tout de son long : « Réveille-toi, lui dit Dio-
gène, n as-tu point de peur
Qu'une flèche, en dormant, te perce par derrière*? >•
I. Première rédaction : « Il aperçut. »
3. Voici encore un bon mot qui ne se comprend plus dans la
traduction. Ménage a bien fait remarquer que le mot grec 9p^ ne
signifiait pas seulement un puits, mais qu*il était de plus, à Athè-
nes, le nom d'un tribunal. Il croit même qu'il pouvait y avoir
aussi un jeu de mots sur ijucioTic ou IxKim^ç,
3. La plaisanterie de Diogène a plus de sel dans le texte grec :
*£n' àXti(i(jLdTiov f^ In^ dlXXo I|Aiiiov. C'est un nouvel exemple d'un
jeu de mots qu'on ne pouvait rendre.
4. Le second de ces vers traduit un vers grec qui revient deux
fois dans V Iliade d'Homère ; c'est le 343* et le 387* du livre X.
5. C'est, avec un l^er changement (cSSovii, « dormant, » pour
fEu^ovri, « fuyant »), le vers gS du livre VIII de V Iliade,
\
^
5a4 LA VIE
et a un autre qui aimoît extrêmement la bonne chère : « Si
tu n'y donnes ordre, lui dit-il,
Tel jûurft seront, mon fils, de fort courte durée '. »
Un jour, Platon discouroit de ses idées, assurant qu*une
table avoit sa tabléité, et un pot sa potéitë : « Pour moi, re-
prit Diogène , je vois bien un pot et une table ; mais je ne
vois ni potëité, ni tabléitë. — C'est, lui répliqua Platon, que
tu as des yeux pour voir la table et les pots; mais tu n'as
pas assez d'esprit pour' concevoir la tabléité et la potéîté. »
On lui demandoit une fois quel homme lui paroissoit Socrate :
« Un fou, » réj)liqua-t-il *. Un autre s'enquéroit de lui en
quel âge il se falloit marier : «c Quand on est jeune, dit-il, il
n'est pas temps; quand on est^ vieux, il n'est plus temps. »
Quelqu'un lui disoit un jour : c Que voudriez-vous qu'un
homme vous donnât pour recevoir un soufflet de lui ? « Un
casque, » reprit Diogène. Voyant un jeune homme qui se pa-
roit : « Si c'est aux hommes, lui dit-il, que tu veux disputer
le prix de la beauté, tu es bien misérable; si c'est aux fem-
mes, tu es bien injuste. » Gomme un jeune homme eût rougi
devant lui : a G)urage, lui dit Diogène, je vois la couleur de
la vertu. » Entendant un jour plaider deux avocats sur un
larcin dont l'un étoit accusé par l'autre, il les condamna tous
deux : a Car l'un, ajouta-t-il, a volé, et l'autre ne l'a point
été. 9 On lui demandoit un jour quel vin étoit le plus agréable
à boire : « Le vin d'autrui, » répondit-il. On lui disoit une
fois : « Tout le monde se rit de toi. — Je ne suis pas ridi-
cule pour cela, » reprit-il. Un autre soutenoit devant lui que
c'étoit une chose malheureuse que de vivre : « Dis de mal
I. Iliade f lÎTre XVIII, vers 95. Diogène substitue d^ppi^ciç, « tu
achètes, » au dernier mot d*Homère : iyopeSEtc, « tu dis. m
9. Ce passage, que Racine a trouTë dans l'édition dont il s'est
senri, n'est pas dans toutes les éditions ni dans tous les manuscrits.
Ménage a conjecturé avec rraisemblance qu'on avait à tort fait
entrer dans le texte une note dans laquelle un lecteur de Diogène
de Laér'te rappelait ici un mot de Platon : « On lui demandoit une
fois quel homme lui paroissoit Diogène : c Un Socrate fou, » répon-
dit-il. » Voyez dans le la Bruyère de M. Servois (tome II, p. $09-
5 II), la Ltttre de la Bruyère à Ménage.
DE DIOGÉNE LE CYJNIQUE. 5a5
vivre, inteiTompit Diogène, et non pas de vivre. » Quel-
ques-uns lui conseilloient de faire chercher un valet qu'il
a voit, et qui s'ëtoit enfui. « Non, non, reprit-il, ce seroit une
chose ridicule que Manès se pût passer de Diogène, et que
Diogène ne se pût passer de Manès. » Un jour, comme il
mangeoit des olives, un honune lui vint offirir des gâteaux;
mais il le renvoya avec ce vers :
M Fuyons, ami, fuyons ces infâmes tyrans*. »
On lui demandoit une fois de quelle espèce de chien il
ëtoit : « Quand j'ai faim, répliqua-t-il , je suis doux comme
un chien de Mëlite; mais quand je suis soûl, je suis afrdent
comme un chien de Molosse '. Enfin , ajouta-t-il , je suis de
cette espèce de chien qu'on prise extrêmement, mais que peu
de personnes veulent mener à la chasse, à cause de la fatigue
qu'il se faut donner. En effet, vous louez assez mon genre de
vie, mais il n'y en a pas un qui le veuille suivre à cause des
|>einc$ et des sueurs qu'il faut endurer. » On s'enquéroit une
fois de lui si les sages mangeoient des tartes et des gâteaux :
« Cela est étrange, répliqua-t-il , qu'ils en mangent tout de
même que d'autres hommes. » Quelqu'un se plaignoit à lui de
ce qu'on donnoit sou veut l'aumône à de gros gueux aveugles
et estropies, et qu'on ne donnoit rien aux philosophes : « C'est,
rëpliqua-t-il, que la plupart des hommes prévoient bien qu'ils
pourront devenir aveugles ou estropiés, mais pas un n'es|)ère
de devenir philosophe. » Il demandoit un jour l'aumône à un
homme fort avare, et comme celui-ci ne se pressoit pas trop
de la lui donner : a Je ne demande pas votre mort, lui dit-
il, je demande ma vie*. » Quelqu'un lui ayant reproché qu'il
avoit autrefois fait de la fausse monnoie : « Il est vrai, ré-
pondit-il, que j'ai été autrefois ce que vous êtes ; mais le mal
est que vous ne serez jamais ce que je suis. » Et à un autre
I . Euripide, Phênlriennes, vers 40.
a. Les chiens de Mélite (très-probablement Moite) étaient de pe-
tits chiens recherchés pour leur gentillesse; les molosses ou chiens
de Molossie (contrée de Tl^pire) étaient pleins d'ardeur â la chasse.
3. Racine n'a pas entendu cette phrase, qui signifie : n je te
demande pour ma nourriture, non pour ma sépulture. »
526 LA VIE
qui lui faisoit le même reproche : c Je pissois aussi, répli-
qua-t-il, plus roide en ce temps-là * que je ne fais à cette
heure. » Un jour, étant allë à Mynde, il prit garde en entrant
que les portes de la ville étoient fort grandes, bien que la
ville fût fort petite, et s'adressant à quelques Myndiens qui
étoient là: c Messieurs, leur dit-il, si vous m'en croyez, vous
fermerez les portes de votre ville, de peur qu'elle ne sorte. »
Voyant un homme qu'on avoit surpris volant de la pourpre,
qu'on menoit en pnson, il lui dit sur-le-champ ce vers :
« La mort sera bientôt de ton sang empourprée*. »
Cratère l'ayant fait prier de le venir trouver : « J'aime mieux,
répliqua-t-il, lécher du sel à Athènes, que de manger les
meilleurs morceaux du monde à la table de Cratère. » Il alla
voir une fois un certain orateur nommé Anaximène, qui étoit
fort gras : « Si vous faisiez bien, lui dit Diogène, vous nous
donneriez la moitié de votre ventre; car vous n'en seriez pas
plus mal , et nous nous en trouverions mieux. » Un jour,
comme ce même orateur haranguât publiquement, Diogène se
mit à montrer de loin un morceau de salé, et attira par cette
action tous les assistants auprès de soi; et comme Aiiaximène
s'en voulût fâcher : «c Vous voyez, leur dit Diogène , tous les
beaux discours de votre orateur ne valent pas un liard, car
mon salé ne m'a pas coûté davantage. » On lui reprochoit une
fois de ce qu'il mangeoiten plein marché : « C'est, répliqua-t-il,
que j'ai faim en plein marché. » II y en a quelques-uns qui
lui attribuent encore cet autre mot-ci. Platon le trouva un
jour qui lavoit des choux, et s' approchant de lui : c Si tu
eusses pu te résoudre, lui dit-il tout bas à l'oreille, à faire
la cour à Denys le tyran, tu ne serois pas réduit à laver toi-
même tes choux. » Mais Diogène s'approchant de lui tout de
même : « Si tu eusses pu te résoudre, lui repartit-il, à laver
toi-même tes choux, tu ne serois pas réduit à faire la cour à
Denys le tyran. » Quelqu'un lui disoit un jour : « Tu ne sau-
rois croire combien il y a de gens qui se moquent de toi. —
I. Racine a encore mal compris ce passage, qu^il aorait pa we
dispenser de traduire.
a. liiatley livre V, vers 83.
DE DIOGËNE LE CYNIQUE. $27
Peut-Stre, réplîqna-t-il, que les ânes se moquent d'eux aussi;
mais ils ne se soucient point pour cela des ânes, ni moi d'eux. »
Voyant un jeune homme qui raisonnoit de philosophie : « Cou-
rage ! lui dit-il , voilà le moyen de rendre les amants de ton
corps amoiureux de ton esprit. » Étant un jour entre dans
le temple de Samothrace, comme quelqu'un s'ëtonnât de la
multitude des offrandes qui y avoient été faites par ceux qui
avoient fait des vœux au milieu de la tempête, et qui ëtoient
échappés du naufrage : « Vous en verriez bien d'autres, re-
prit Diogène, si tous ceux qui n'en sont pas réchappes avoient
accompli les leurs. » Il y en a qui donnent ce mot à Diago-
ras. Il vit^ une fois un jeune homme qui alloit à un festin :
«c Mon ami, lui dit-il, tu en reviendras pire que tu n'es. »
Ce jeune homme le rencontra quelques jours après, et l'ayant
abordé : « Vous voyez, lui dit-il, j'ai été au festin, et si* je
n'en suis pas empiré pour cela. — Non, sans doute, reprit
Diogène, car tu en es plus gros et plus gras'. » Il deman-
doit un jour à quelqu'un une chose d'assez grande consé-
quence : « Si tu me peux persuader, lui dit l'autre , que je
te la dois donner, je te la donne. — Moi, répliqua Diogène,
si j'avois quelque chose à te persuader, je te persuaderois
de t'aller pendre. » Un jour, comme il retoumoit de Lacé-
démone à Athènes, on lui demanda d'où il venoit et où il
alloit : a Je viens de quitter des hommes, dit-il, pour voir
des femmes. » Une autre fois qu'il retournoit des jeux olym-
piques, on lui demanda s'il y avoit bien du monde : « Pour
du monde, répondit-il, il y en a assez ; mais d'honunes, fort
peu. » 11 comparoit les prodigues à ces figuiers qui naissent
dans des précy)ices, dont les fruits ne sont point mangés par
des honmies, mais par des corbeaux et par des vautours.
I. Première rédaction : « H rencontra. »
9. Racine emploie cette locution dans le sens de et pourtant.
C'est encore un de ces archaïsmes qui suffiraient, nous l'avons dit,
pour attester la date ancienne de ce travail.
3. Ce n*est nullement le sens de la phrase : Xslpiiiv |jLèv oÛ,
'Euputfaiv Si. Diogène joue encore sur le double sens de X'^P<^ •
voyez ci-dessus, p. Saa, note 4* Eiuytion était, comme Chiron,
un centaure ; il y a aussi un jeu de mots sur son nom y mais fondé
sur une allusion obscène, qui ne pouvait être traduite.
5a8 LA VIE
Phryné, cette fameuse courtisane, ayant offert à Delphes une
Vénus d or, il alla mettre cette inscription au-dessous : Cette
Fénus a été érigée des dépouilles de la lubricité des Grecs.
Un jour, comme Alexandre passoit devant lui : « Ne me con-
nois-tu pas? lui dit ce roi; je suis le grand Alexandre, — Et
moi, répliqua Diogène,.je suis Diogène le cynique. » On lui
demandoit une fois d'où venoit qu'on l'appeloit chien : « C'est,
répiiqua-t-il, que je caresse ceux qui me donnent, j'aboie après
ceux qui ne me donnent rien, et je mords les coquins. >
Comme il cueilloit des figues à un figuier, quelqu'un l'en
voulut empêcher, en lui disant que cet arbre étoit impur, et
qu'il n'y avoit rien* qu'un homme s'y étoit pendu : « Eh
bien, répondit-il, je le purifierai. » Voyant un athlète qui ve-
noit de remporter le prix aux jeux olympiques, et qui ne pou-
voit détourner ses yeux de dessus une courtisane : « Voyex,
dit-il, ce brave champion, qu'une jeune fille emmène par le
collet. » Il comparoit les belles courtisanes à du miel empoi-
sonné. Un jour, comme il mangeoit en plein marché, il y
eut plusieurs personnes qmi s'amassèrent autour de lui, et qui
se mirent à crier : « Au chien! au chien! » Mais Diogène,
sans s'émouvoir ; « C'est vous, leur répliqua-t-il , qui êtes
des chiens, de rôder comme vous faites à l'entour de moi
durant que je dîne. » Voyant deux jeunes débauchés qui se
ciichoient pour éviter sa rencontre : «c Ne craignez rien, leur
dit-il, un chien ne mange point de carottes'. > On lui deman-
doit un jour d'un jeune efféminé de quel pays il étoit : « Voilà
une belle demande, répondit-il, il est de Tégée*. » Il rencon-
tra une fois un certain homme qui avoit été autrefois fort
fameux pour être un méchant athlète^, et qui depuis s'étoît
fait médecin : a Vraiment, lui dit-il, vous avez trouvé un beau
secret pour mettre en terre ceux qui vous jetoient à terre
I. Dans rédition de M. Aimé-Martin : « qu^il y aToit peu de
temps. »
a. Voyez ci-dessus, p. 5 19.
3. La réponse de Diogène n^a pas de sens en français. Il y a
une équivoque sur le mot Teyedry);, le mot tffoç pouTant signifier
un lieu de prostitution.
4. M. Aimé-Martin a ainsi corrigé ce membre de phrase : « qui
avoit la réputation d'avcûr été autrefois un méchant athlète. »
DE DIOGÈNE LE CYNIQUE. Sag
auparavant. » Un jeune homme lui montroit un jour une
ëpée qu'un de ses amoureux lui avoit donnée : « Voilà une
belle épée, répondit-il, mais la garde ^ en est fort vilaine. >
Comme quelques-uns louassent fort un homme d'un présent
qu*il lui avoit fait : « Et moi, répliqua Diogène, vous ne me
louez point de l'avoir mérité? » Quelqu'un lui redemandoit
un manteau : « Si vous me l'avez donné, reprit-il, il est à
moi; si vous me l'avez prêté, je m'en sers. » Un autre* lui
disoit une fois : « Il a de l'or caché dans son manteau. —
Oui, sans doute, répliqua-t-il , et c'est pour cela que je
couche dessus. i> On lui demandoit une fois quel fruit il avoit
tire de la philosophie : « N'y ai-je pas trop gagné, répliqua-
t-il, quand je n'y aurois gagné que d'être prêt comme je suis
à tous les accidents qui peuvent m'arriver? » Quelqu'im le
prioit de lui dire de quel pays U étoit : « Du monde, » ré-
pondit-il. Comme quelques-uns sacrifiassent aux Dieux pour
avoir un fils : a Et vous ne sacrifiez point, leur dit-il, pour
avoir un fils honnête homme. » Celui qui avoit la charge de
lever les tailles la* lui vouloit faire payer, mais il le renvoya
avec ce vers :
Dépouillez les Troyens, mais épargnez Hector^.
Il disoit que les concubines étoient les reines des rois,
parce qu'eUes leur faisoient faire tout ce qu'elles vouloient.
Les Athéniens ayant résolu qu'on décemeroit à Alexandre les
I . Ménage fait remarquer que le même mot XaSHi signifie la garde
de Cépée et V occasion dans laquelle le présent a été reçu. Sans cette
explication le mot de Diogène ne s^entend pas assez.
3. Dans le texte grec il n^ a pas «r un autre, » mais « un bâ-
tard, un enfant supposé (0no6oXi(Aa(ou TtvtSç). «> Le Cynique dans sa
réponse fait allusion à la honteuse condition de cet homme, par le
mot ^o666Xi](Aivo<, dont il se sert. Il valait mieux cette fois encore
ne pas essayer de traduire que de remplacer le bon mot de Dio-
gène par une phrase qui n'a aucun sel.
3. Il y a bien la dans le manuscrit. M. Aimé-Martin a substitué
« la taille » à «c les tailles. »
4. Ce vers était sans doute tire de quelque poème homérique.
Ménage, qui le nomme, sans indiquer la source, ffomeri versum^ fait
remarquer que E' "DxTopo^ prête à un jeu de mots : S6cTopo( reut
dire « du mendiant. »
J. Racjub. V 34
53o LA VIE
mêmes homieurs qu'à Bacchus : « Faites-moi, leur dit-il, tout
d'un train* votre Sërapis. » Quelqu'un lui reprochoit qu'il
hantoit dans* des lieux infâmes : « Le soleil, répliqua-t-il, entre
bien dans des cloaques, et n'en est pas gâté pour cela. > Un
jour qu'il soupoit dans un temple, voyant des pains qu'on ?
avoit apposes *, qui ëtoient sales et gâtes, il les alla prendre
et les jeta dehors, disant que rien de sale ni d'impur ne de-
voit entrer dans le temple. Un homme lui disoit une fob qu'il
étoit un ignorant qui ne savoit rien et qui faisoit le philo-
sophe : a Quand je le contreferois, répondit-il, il faudroit tou-
jours que je le fusse beaucoup pour le contrefaire comme je
fais. » On lui amena un jour pour être son disciple un jeune
garçon qu'on lui disoit qui avoit un beau naturel et qui étoit
bien morigéné : a Qu'a-t-il donc affaire de moi? » repartit-il. Il
comparoit ceux qui parlent bien et qui font mal à des luths qui
rendent im beau son, mais qui n'ont aucun sentiment. Lors-
qu'il alloit au théâtre, il y entroit toujours quand les autres en
sortent; et comme on lui demandât pourquoi il faisoit cela:
« C'est, répondit-il, que je me suis étudié toute ma vie à faire
le contraire de ce que font les autres. » Il disoit une fois à un
jeune efféminé : ce N'as-tu point honte de te faire pire que la
nature ne t'a fait? car elle t'a fait homme, et tu t'efforces de
devenir femme. » Voyant im homme sans jugement qui accor-
doit un luth : ic Ne devrois-tu pas être honteux, Ini dit-il, de
savoir mettre un luth d'accord, et de ne pouvoir être d'accord
avec toi-même? » Quelqu'im disoit devant lui : a Pour moi,
je n'ai point d'inclination à la philosophie. — Pourquoi vis-tu
donc, lui répliqua- t-il, puisque tu ne te soucies point de biai
vivre? » Voyant un jeune honmie quiparloit de son père avec
mépris : « N'as-tu point de honte, lui dit-il , de mépriser avec
orgueil celui qui t'a donné de quoi être orgueilleux? ■ En-
tendant un beau garçon qui tenoit des discours sales : « Ne
devrois-tu pas rougir, lui dit-il, de tirer d'une gaine d'ivoire
une lame de plomb? » On lui reprochoit qu'il alloit boire au
n I . Et non « tout d'un trait, » conune on lit dans l'édition de
M. Âimé-Martin.
a. M. Âimé-Martin, et après lui M. Aignan, ont supprimé détM^
ce qui rajeunit le tour.
3. Les mêmes éditeurs donnent apportés ^ au lieu d^t^pasês.
. *
DE DIOGÈME LE CYNIQUE. 53i
cabaret : « Vous devriez ajouter, répliqua-t-il , que je me
fais faire la barbe chez nu barbier. » Comme quelqu'un l'ac-
cusât d'avoir reçu un manteau d'Antipatre, il lui dit ce vers :
Il ne faut point des Dieux rejeter les largesses*.
Un homme, sans y prendre garde, le heurta d'un grand ais
qu'il portoit, et se mit ensuite à crier : c Gare! gare! » Mais
Diogène, pour toute réponse, s'approcliant de lui, lui donna
un bon coup de bâton, et se mit à crier de même : « Gare !
gare! » Voyant un dëbauchë qui sollicitoit une femme de
mauvaise vie : c Misérable, lui dit-il, que cherches-tu en un
lieu où le meilleur pour toi c'est de ne rien obtenir? » Et à
un autre extrêmement poudré et parfumé : « Prends garde,
lui fit-il, que les parfums de ta tète ne te mettent en mau-
vaise odeur dans le monde. » Il disoit que les esclaves obéis-
sent à leurs maîtres, et les méchants à leurs passions. Quel-
qu'un lui demandoit d'où venoit qu'en grec on appelle les
esclaves andrapodas, « C'est, répliqua-t-il, qu'ils ont des pieds
d'homme et une âme comme la tienne*. »
1 . iliade, livre III, Ters 65 .
2. La Fie de Diofètte ne se termine pas ici; mais Racine n'a pas
été plof loin dans sa traduction.
DES ESSÉNIENS*.
Il ' y a parmi les Juifs ti*ois différentes sectes qui font pro-
fession de l'amour de la sa|[esse. La première est des Phari-
siens, la deuxième des Saducéens, et la troisième', qui parott
aussi la plus sainte et la plus austère, est de personnes que
l'on nomme Essëniens, qui sont bien Juifs de nation, mais qui
sont beaucoup plus étroitement liés ensemble par une affection
mutuelle que ne sont les autres.
Ils abhorrent toutes les voluptés et tous les plaisirs, comme
mauvais et illégitimes, et ils tiennent comme une souveraine
vertu parmi eux que de garder une exacte tempérance et de
ne se point laisser vaincre à leurs passions. C'est pourquoi
ils ont de l'aversion pour le mariage, et prennent seule-
ment auprès d'eux quelques enfants étrangers, lorsqu'ils sool
en un âge tendre et susceptible des impressions qu'on leur
veut donner; et les regardant comme leur propre sang, ils
I. Voyez CL-deasus la Notice, p. 44^ et 44i-
3. Ici Racine a écrit à la marge : « Joseph, Je Bello Jud.^ 1. »,
c. la. » Tout ce commencement est en effet emprunté à Thisto-
rien Josèphe. Dans le livre II de la Guerre de Judée ^ comme
dans le livre XV Ul des Antiquités judaïques, cité un peu plus bas
par Racine, quelques éditions ont des divisions de chapitres dilTé*
rentes de celies qu'il indique. Au nombre des éditions avec les-
quelles il est d'accord, il y a celle qui a été donnée par F^ben
à Baie (M.D.XLIV, in'>folio). Mais comme Racine cite les ti-
tres en latin, on peut douter qu'il ait fait usage de cette éditioo
où tout, jusqu'aux titres, est en grec. Le morceau sur Us Mttémiemê
est également au chapitre xn du livre II dans la traduction fran-
naise de Josèphe par Amauld d'Andilly, dont Ydchevé d^imprimer
est du a5 juin i668. U est au chapitre vni du même livre II
dans l'édition de Richter (Leipzig, 1837, 6 volumes in-ii).
3. L'autographe donne ainsi les noms de nombre, avec la dési-
nenae une seule fois écrite pour les trois : « la i., la 1., U 3*"*. »
DES ESSÉNIENS. TiH
les forment et les élèvent selon leurs mœurs et leur discipline.
Ainsi leur éloignement du mariage ne vient pas de ce qu'ils
voudroient abolir la succession des enfants aux pères, qu'il
entretient dans le monde ; mais c'est qu'ils croient se devoir
garantir de l'incontinence des femmes, qui, selon leur opinion,
ne gardent presque jamais^ à leurs maris la fidélité qu'elles
leur doivent.
Ils méprisent les richesses, et rien ne leur paroît plus excel-
lent et plus admirable qu'une communauté de tous biens.
Aussi l'on n'en voit point entre eux qui soient plus riches que
les autres, parce qu'ils ont établi conmie une loi inviolable à
tous ceux qui embrassent leur genre de vie, de distribuer en
commun tout ce qu'ils possèdent. De là vient que l'on ne voit
parmi eux ni le rabaissement de la pauvreté, ni l'élévation
des richesses, et que toutes leurs possessions étant mêlées
ensemble, ils n'ont tous qu'un seul patrimoine comme des
frères.
Ils tiennent comme une chose impure les eaux de senteur
et les huiles de parfum, et si par hasard et malgré eux, on
en a répandu quelque goutte sur leurs corps, se lavent et
se nettoient aussitôt. Ils croient qu'il n'y a rien pour eux qui
soit plus dans la bienséance que de fuir toutes les délicatesses,
et de ne porter que des habits blancs, qui sont les plus simples;
ils choisissent quelques-uns d'entre eux, à qui ils donnent le
soin de pourvoir aux besoins communs de tous.
Ils ne sont pas tous retirés dans une seule ville de la Judée ;
mais plusieurs d'entre eux habitent en diverses villes. Ceux
de leur compagnie qui viennent du dehors sont reçus par eux
comme en leur propre maison, et ils vivent avec ceux qu'ils
n'ont jamais vus comme avec leurs plus intimes amis. C'est
pourquoi ils font leurs voyages sans porter sur eux quoi que ce
soit, sinon quelques armes pour se défendre contre les voleurs.
Il y a dans chaque ville une personne qui a la charge de re-
cevoir les hôtes, et de les pourvoir d'habits et de toutes les
autres choses dont ils ont besoin.
On voit dans leurs vêtements, dans leur visage, et dans
I. Le texte dit ifu'^attcune femme {^yfit^loci) ne garde la fidélilé
envers un seul.
534 DES ESSÉNIENS.
tous leurs gestes, la même simplicité et la [même] modestie que
dans des enfants que Von élève sous une étroite discipline. Us
ne quittent jamais ni leurs habits, ni leurs souliers, qu'ils ne
soient ou entièrement déchirés, ou tout à fait usés par le
temps.
Ils ne vendent jamais rien , et n'achètent rien entre eux ;
mais chacun donnant aux autres ce dont ils ont besoin reçoit
aussi d'eux ce qui lui est nécessaire^, quoiqu'ils ne soient pas
obligés de donner toujours quelque chose en échange à ceux
dont ils reçoivent ce qu'ils leur ont demandé.
Ils ont une piété toute particulière envers Dieu; jamais ib
ne tiennent aucun discours profane avant le lever* du soleil,
mais ils passent tout ce temps en des vœux et en des prières
qu'ils ont reçues* de leurs ancêtres, comme s'ils demandoient
à Dieu qu'il fasse lever cet astre. En suite de quoi les direc-
teurs les envoient tous travailler aux métiers auxquels ils sont
propres; et après qu'ils ont travaillé avec une grande assi-
duité jusqu'à la cinquième heure (c'est-à-dire jusqu'à onze
heures*), ils s'assemblent encore tous en un même lieu, où se
ceignant d'une espèce de caleçon de toile, ils se lavent dans
de l'eau froide. Et s'étant ainsi purifiés, ils s'assemblent en un
autre lieu particulier, dont l'entrée est défendue à tous ceux
qui ne sont pas de leur profession.
Étant donc purs, ils entrent tous dans leur réfectoire avec
le même respect que l'on entreroit dans quelque temple sacré,
et s'y étant assis en silence et avec modestie, celui qui a
la charge de faire le pain leur en distribue à tous selon leur
I. Nous avons ici pris sous les ratures la seule phrase TTaiment
correcte et à peu près exacte qu'on puisse tirer du manuscrit. Si
Ton négligeait les mots effacés, pour ne transcrire que ceux qui
leur ont été substitués dans Tinterligne, on trouverait cette phrase :
« mais se donnant chacun Tun à l'autre ce dont il a besoin, reçoit
aussi Tun de Tautre ce qui lui est nécessaire. »
9 . Dans le manuscrit, Uver a été effacé, et remplacé par rttour^
qui ensuite a été effacé également.
3. Racine fait ainsi accorder le participe reçues avec le second
des deux substantifs auxquels il se rapporte.
4. Nous n'avons pas besoin d'avertir que c^est une explication
ajoutée par le traducteur.
DES RSSÉNIENS. 5^fi
rang, et le cuisinier leur sert aussi à chacun un petit plat où
il n'y a que d'une sorte de viande. Le prêtre fait une prière,
avant lacfuelle il n'est pas permis à aucun de rien manger;
aussitôt qu'ils ont achevé de dîner, le même prêtre fait encore
une prière; et ainsi, soit avant ou après leurs repas, ils rendent
toujours grâces à Dieu, comme à celui qui leur fournit leur
nourriture. Après cela, ils quittent ces vêtements qu'ils estiment
comme sacrés, et retournent à leur ouvrage jusques au soir,
qui est le temps où ils reviennent souper. S'il leur est venu
quelques étrangers , ils les font seoir à la même table qu'eux.
Jamais aucun cri ni aucun tumulte ne trouble la paix de
leur solitude, et chacun aime mieux laisser parler les autres
que de parler lui-même lorsque son rang vient de le faire : de
sorte que le grand silence qui règne au dedans de leurs mai-
sons est comme une espèce de mystère qui donne de l'éton-
nement et de la vénération à ceux qui sont de dehors. La
principale cause de ce grand silence est leur continuelle so-
briété, qui leur fait réduire leur boire et leur manger à une
très-petite mesure. Ils ne font jamais rien sans l'ordre de leurs
directeurs, excepté deux choses que l'on laisse en leur liberté,
qui sont d'avoir compassion des misérables et de les secourir ;
car il leur est permis de soulager les besoins de ceux qui sont
dignes de leur assistance, et de leur donner de quoi vivre
lorsqu'ils ^ en manquent. Mais quant à leurs propres parents,
ils ne peuvent jamais leur faire aucun don sans la permission
des supérieurs.
Ils sont de très-justes modérateurs de leur colère, et savent
tempérer leurs ressentiments. Us sont fidèles dans leurs pro-
messes et amateurs de l'union et de la paix.
La moindre parole qu'ils aient donnée leur est plus invio-
lable que ne sont aux autres tous les serments : c'est pour-
quoi ils ne jurent point afin qu'on les croie, estimant que les
jurements sont encore pires que les parjures; car ils disent
qu'un homme est déjà condanmé de mensonge et de perfidie
I. M. Aignan fait ici ane remarque sur Temploi à^ alors ^ut.
Mais il a encore prit cette fois une inexactitude de l'édition de
M. Aimé-Martin pour le texte m^me de Racine. Le manuscrit a
lorsque.
536 DES ESSÉNIENS.
dans l'esprit de ceux qui le connoîssent, lorsqu'on ne veut
point ajouter foi à ses paroles s'il ne prend Dieu à témoin
])our persuader qu'elles sont sincères.
Ils s'appliquent avec un soin particulier à la lecture des livres
des anciens, et recherchent principalement ceux qui sont utiles
et pour l'âme et pour le corps, et ceux dont ib peuvent tirer
la connoissance de quelques herbes salutaires, ou de la vertu
particulière de quelques pierres minérales, qui peuvent ser-
vir pour la guérison de toutes sortes de maux.
Lorsque quelqu'un se présente pour entrer dans leur so-
ciété, ils ne l'y admettent pas aussitôt, mais ib le font de-
meurer au dehors l'espace d'un an , et lui proposant le même
genre de vie que le leur, ils lui donnent une besoche* pour
travailler et cette sorte de caleçon dont nous avons parlé, et
lui font porter un habit blanc.
Après qu'il a donné durant tout ce temps des preuves de
sa tempérance, on lui accorde la même nourriture qu'aux au-
tres, et on lui permet de se servir des eaux les plus pures
pour se laver; ils ne l'admettent pas néanmoins encore à leur
société; car après que Ton a éprouvé sa tempérance durant
un an, on veut éprouver outre cela son esprit et son naturel,
l'espace de deux autres années, et si l'on reconnoît qu'il soit
digne d'être reçu, on le reçoit alors. Toutefois il ne participe
point à la table commune, qu'il n'ait promis par des ser-
ments solenneb et terribles, premièrement d'honorer la Divi-
nité d'un culte religieux; ensuite de rendre aux hommes ce
qui leur est dû selon la justice; de ne faire jamais tort à
personne, ni de son propre mouvement, ni quand on le lui
auroit commandé; d'abhorrer toujours les méchants, et de se-
courir et défendre les gens de bien; de garder la foi à tout le
monde, et principalement aux puissances supérieures, étant
persuadés qu'il n'y a point d'autorité et de domination dans
le monde qui ne soit établie de Dieu; et si lui-même vient
à être élevé en puissance, de n'en point abuser, en maltraî-
I. M. Aimé-Martin a corrigé hesoehe en bêche. Une betoche «t
une sorte de hoyau : c^est ainsi que le Dictionnaire de Nicot (1606)
traduit le mot. Racine avait d^abord mis « une scie. » Le mot grec
est dl^tydpiov, hachette.
DES ESSÉNIENS. SB;
tant ceux qui lui seront soumis, et de ne point affecter de se
distinguer d'eux* par la magnificence des habits et par tous
les autres ornements du luxe. Ils font vœu encore d'aimer
toujours la vérité, et de reprendre les menteurs, de ne souil-
ler leurs mains d'aucun larcin, et de garder leur âme pure
de tout gain injuste ; de ne rien cacher à ceux de leur pro-
fession, et de ne rien découvrir aux autres de leurs mystères,
quand on les y voudroit contraindre jusqu'à leur faire souf-
frir la mort même. Outre cela, ils font encore serment de
n'enseigner jamais d'autre doctrine que celle qu'ils ont reçue ,
de garder avec un très-grand soin les livres de leur secte et
les noms des anges. Voilà les serments par lesquels ils enga-
gent toutes les personnes qui embrassent leur profession.
Quant à ceux qui sont convaincus de quelques fautes con-
sidérables, ils les chassent de leur société; et pour l'ordi-
naire, celui qui a été ainsi excommunié, finit ses jours misé-
rablement; car étant comme lié à eux et par ses serments et
par la vie qu'il y a menée, on ne lui laisse recevoir aucune
nourriture de la main des autres. Et ainsi, ne se repaissant
que de quelques herbes, son corps se détruit peu à |)eu par
la faim, jusqu'à ce qu'il vienne à mourir. C'est pourquoi il y
en a plusieurs dont ils ont eu compassion, et qu'ils ont
oomme rappelés à la vie, lorsqu'ils rendoient leurs derniers
soupirs, jugeant que des tourments qui les avoient réduits à
une telle extrémité, étoient suffisants pour l'expiation de leurs
fautes.
Us sont fort exacts et fort équitables dans leurs jugements.
Ils s'assemblent pour le moins au nombre de cent, lorsqu'ils
veulent juger de quelque chose ; et ce qu'ils ont une fols arrêté
demeure ferme et immuable.
Après Dieu *, il n'y a point de nom qui parmi eux soit en
I . n y a ici une correction, d'une autre encre et d'une écriture
un peu différente, qui modifie ainsi la fin de la phrase, aux dépens
du sens, si Ton fait dépendre le que de persuadés^ ou tout au moins
de la clarté, si l'on veut le rattacher à promis, qui est neuf lignes
plus haut : « et que si lui-même, etc., il n'en abusera point..., et
n'affectera point de, etc. >»
a. Racine a écrit ici en marge : JV« {Nota). U marquait souvent
de ce Nota, sur ses livres, les passages qui le frappaient le plus.
538 DES ESSENIENS.
plus grande vénération que celui du lëgislateur Mùlse : jus-
que-là que quiconque d'entre eux a osé le blasphémer, est
aussitôt condamné à mort.
Ils font gloire d'avoir une grande déférence pour les an-
ciens, et de céder à ce que plusieurs ont déterminé.
Ils sont infiniment plus soigneux que tout le reste des Juifs
à s'abstenir de tout travail des mains les jours de sabbat ; car
non-seulement ils préparent leur nourriture dès le jour précé-
dent, pour ne point même allumer du feu en ce saint jour,
mais ils font encore scrupule d'y remuer le moindre instru-
ment et le moindre meuble'
Ils vivent pour l'ordinaire fort longtemps, et il y en a plu-
sieurs d'entre eux qui passent même au delà de cent ans : ce qui
provient, je crois, de la vie sobre et réglée qu'on leur voit mener.
Ils méprisent toutes les adversités, et il n'y a point de
douleur si grande, qu'elle ne cède à la grandeur de leur cou-
rage. Us font plus d'état d'une mort belle et glorieuse que
de l'immortalité même. La guerre des Romains a fourni des
preuves suffisantes de cette disposition de Jeur âme ; car au
milieu des supplices et des tortures, au milieu des feux et des
déboîtements de membres que l'on leur faisoit endurer, et de
tous les divers tourments par lesquels on les vouloit contrain-
dre ou de blasphémer le nom du législateur, ou de manger
des viandes qu'ils n'ont pas coutume de manger, non-seule-
ment ils ne condescendirent à aucune de ces choses, mais ils
ne daignoient pas même flatter leurs * bourreaux le moins du
monde, et répandre une seule larme.
Au contraire, riant parmi les douleurs, et se moquant de
ceux qui les appliquoient aux tortures les plus cruelles, ils
rendoient l'âme avec allégresse, et comme la devant bientôt
recouvrer. Car c'est une opinion qui s'est affermie parmi eux,
que les corps sont mortels et d'une matière qui n'a aucune
solidité, au lieu que les âmes sont immortelles ' et durent tou-
I . Racine a omis ici quelques phrases, dont les premières auraient
pu répugner à la délicatesse de notre langue.
a. Dans Tautographe, leur est sans i, d'après un ancien usage,
que Racine suit assez souvent dans ces traductions de sa jeunesse :
voyez le Lexique.
3. Ici encore Racine a écrit : N* {Nota),
DES ESSÉNIENS. 539
jours, et que sortant d'un air pur et subtil, elles entrent
clans le corps comme dans une étroite prison, par la force
de certains charmes naturels qui les y entraînent; mais
<|u'aassitôt qu'elles sont détachées des liens de cette chair, se
trouvant comme délivrées d'une longue servitude, elles se
réjouissent alors au milieu des airs. Ils soutiennent même (et
suivent en cela l'opinion commune des Grecs) qu'il y a au
delà de l'Océan une demeure destinée pour les âmes inno-
c^entes, c'est-à-dire un lieu qui n'est incommodé ni de la
pluie, ni de la neige, ni de la chaleur excessive, mais qui est
continuellement tempéré par le souffle agréable d'un doux
zéphyr qui s'y élève de l'Océan; et qu'au contraire, pour les
âmes criminelles, il y a des cachots qui sont également froids
et ténébreux, et où l'on ne trouve que des supplices qui durent
toujours^
Voilà quelle est la théologie des Esséniens touchant la na-
ture de l'âme ; et leur sagesse a je ne sais quels appas inévi-
tables qui gagnent le coeur de tous ceux qui l'ont une fois
goûtée.
Il y en a quelques-uns parmi eux qui se mêlent de prévoir
les choses futures, et qui en cherchent la connoissance par la
lecture des livres sacrés, par des purifications particulières,
et par les oracles des prophètes; et il arrive rarement qu'ils
se trompent dans leurs prédictions.
11 y a encore une autre sorte d'Esséniens, qui sont entière-
ment conformes aux premiers, quant à leur vivre, leurs cou-
tumes et leurs constitutions, mais qui n'ont pas du mariage
le même sentiment qu'eux. Car ils disent que ceux qui ne se
marient point retranchent une grande partie de la vie, qui est
la succession des enfants, ou plutôt que si tout le monde sui-
voit leur exemple, toute la race des honmies s'éteindroît
bientôt.
Au reste, ils éprouvent leurs femmes durant^ trois ans, et
après qu'ils ont reconnu, par des effets naturels, qu'elles pour-
I. Racine a passé ici deux phrases, où Josèphe rapproche de
cette croyance des Esséniens celle des Grecs sur les Oes des bien-
heureux et sur les supplices des enfers.
a. Durant est biffé, mais souligné.
54o DES ESSENIENS.
ront être fécondes, ils se marient enfin. Tout le temps qu'elles
sont grosses, ils ne les voient point, montrant bien par là
qu'ils se marient, non pas pour le plaisir, mais pour la seule
génération des enfants*
Les Esséniens' font profession de remettre entre les mains
de Dieu le gouvernement de toutes choses. Ils soutiennent
que les âmes sont immortelles, et croient que la justice doit
être le principal objet de nos désirs. Us envoient des offran-
des au temple, mais ils n'y sacrifient point, à cause de la dif-
férence des purifications dont ils se servent. Ce qui fait que
n'étant point admis comme les autres au temple public', ils
font leurs sacrifices en particulier.
Au reste, ce sont des hommes tout à fait honnêtes et ver-
tueux, et qui s'emploient tout entiers dans l'exercice de l'a-
griculture. Mais ce qui les élève au-dessus de tous ceux qui
suivent le chemin de la vertu, c'est leur admirable justice; et
on n'en trouvera aucuns, ni chez les Grecs, ni chez les Bar-
bares, qui en aient approché le moins du monde. Cest de
toute antiquité qu'ils l'ont embrassée, et jamais rien ne les »
détournés de la pratiquer.
Tous leurs biens sont en commun, et celui d'entre eux qui
étoit le plus riche ne jouit pas davantage des biens qu'il a ap-
portés en entrant chez eux, que celui qui ne possédoit rien
du tout; et pour comble d'étonnement, ils vivent ainsi étant
au nombre de plus de quatre mille.
Ils ne veulent prendre ni femmes ni esclaves, jugeant qu'en
prenant ceux-ci, l'on viole le droit de la nature, et qu'en pre-
nant celles-là, l'on s'expose à de continuelles dissensions. C'est
pourquoi, vivant seuls et en leur particulier, ils se serxcot
charitablement les uns les autres.
I . Il ne manque ici que deux petites phrases, qui terminent ce
qui, dans ce chapitre de Josèphe, concerne les Esséniens.
s. Il j a ici dans le manuscrit, à la marge : «c itiem^ Antuguit. JuJ.^
1. 1 8» 0. 9. 1 Ce morceau, qui, dans la traduction d'Amauld, est de
même au chapitre n, mais an chapitre i dans l'édition de Riehter,
commence sur un nouveau feuillet. Toutefois le mot Idem dont
Racine s'est servi dans la note montre que ce second extrait doit
être regardé comme faisant suite aux feuillets précédents.
3. Racine a de nouveau mis à la marge : A* (Ao/«).
DES ESSÉMIENS. 54i
Ils établissent des receveurs, c'est-à-dire quelques prêtres
reconnus pour gens de bien, qui doivent, en recevant leurs
revenus et tout ce que leurs terres leur rapportent, leur four-
nir leur pain et leur nourriture.
Après ^ avoir parlé des Esséniens' qui ont choisi et embrassé
la vie active et laborieuse, et qui excellent avec tant de per-
fection en toutes ses parties, ou au moins en la plupart, pour
me servir d'un terme moins fort et plus modeste, j'ai mainte-
nant, pour suivre l'ordre de mon dessein, à parler de ceux
qui se sont consacrés à la vie spirituelle et contemplative :
j'en dirai donc ce que j'en dois dire, sans ajouter aucune
chose du mien, pour embellir mon discours de ces ornements
empruntés qui sont si ordinaires aux poètes et à tous les au-
tres écrivains, à cause de l'indigence où ils sont des belles
matières*; et sans faire autre chose que de m'attacher simple-
ment à la vérité, qui peut seule épuiser l'esprit le plus riche
I. Ici commencent, sur un feuillet distinct des précédents, les
fragments tirés de Philon, dont le dernier est écrit sur un feuillet
double, où les deux premières pages seulement sont remplies. Ra-
cine a mis à la marge : « Phil. Jud. de Vita eontetnpL » (Philo Ju-
daeus, de Vita contemplativa) . — Ce premier morceau, bien que
Racine l*ait compris sous le titre : det Muénient, ne concerne pas
proprement les Esténieru^ mau les Thérapeutes* Voyez dans le Dic'
iionnaire de Trévoux,, à Tarticle Thérapeutes, une assez longue disser-
tation sur ces deux questions : !<> les Thérapeutes étaient-ils des
Juifs Esséniens? ^^ Étaient-ils même des Juifs? nVtaient-ce pas
plutôt des Chrétiens ?
1. Chez Philon, le traité d*oii est tiré le second fragment traduit
par Racine, sur les Trais Esséniens (yojez ci-après, p. 554), pi*é-
cède celui où se trouve ce premier fragment, sur les Thérapeutes :
de là les mots, par lesquels le traité commence : « Après avoir parlé
des Esséniens. >• Malgré ce début, nous laissons les morceaux dans
Tordre où Racine les a traduits. Dans le manuscrit, le second com-
mence à la même page où finit le premier , à savoir au verso du
feuillet 49*
3. M. Aimé-Martin a lu « de telles matières, n
54^1 DES ESSÉNIENS.
et le plus fécond ; ce qui ne m'empêchera pas Dëanmoins d'en-
trer dans la carrière, et de faire tous mes efforts poor nj
point demeurer vaincu; car il ne faut pas que l'extraordlîiiaire
vertu de ces grands hommes réduise au silence ceux qui se
croiroient criminels d'y avoir laissé aucune belle action ense-
velie.
Le nom de ces amateurs de la sagesse déclare quelle est
leur profession ; car ils en ont un qui signifie tout ensemble ei
médecins et adorateurs* : ce qui leur convient très-bicD , soit
à cause qu'ils font profession d'une médecine d'autant plus
élevée au-dessus de celle qui est en usage dans les viUes, que
celle-ci ne s'étend que sur les corps, et que celle-là s'exerce
sur les âmes mêmes, et en chasse des maladies très-fâcfaeoses
et très-opiniâtres qui ont leur source dans les plaisirs et dans
les cupidités, dans les afBictions et dans les craintes, dans
l'avarice et dans la folie, dans l'injustice, et dans une infinité
d'autres passions et d'autres vices ; soit parce qu'ils appren-
nent par la connoissance de la nature et des lois divines' à
adorer cette essence qui est infiniment meilleure que le bon.
et qui est plus simple et plus ancienne que l'unité mkne'. .
Au reste, ceux qui embrassent ce genre de vie n'y sont attirés
ni par coutume, ni par conseil; mais étant comme ravis hors
d'eux-mêmes par un amour tout céleste , ils ressoitent des
transports aussi violents que les bacchantes et les corybantes
des païens, jusqu'à ce qu'ils jouissent de la vue de l'objet
qu'ils aiment. Et ensuite l'ardent désir qu'ils ont de la vie
étemelle et bienheureuse leur faisant croire qu'ils sont déjà
morts à cette vie misérable et mortelle, ils abandonnent leurs
biens* entre les mains de leurs enfants ou de leurs autres pa-
t. Cest le nom de Thérapeutes. U y a dans le texte grec : 6ipa-
ic&noLi Y^p xa\ 0£pa}ceuTp($£ç li^futoç xoXoOyrat.
9. Dans rédition de M. Aimé-Martin et dans celle de M. Ai-
gnan : « des autres vices, » au lieu de : « des lois diiines. i»
3. Nous marquons les lacunes, parfois assez longues, de la In-
duction. Rien ne les indique dans le manuscrit.
4. Ici encore, il y a /eiir, sans s^ avec biens an pluriel : voyex ci-
dessus, p. 538, note a.
DES ESSËNIENS. 543
rents, les en instituant hëritiers par une résolution toute vo-
lontaire, ou s'ils n'ont point de parents, à leurs plus intimes
amis ; car il est bien raisonnable que ceux qui ont déjà acquis
des richesses que Ton peut dire être clairvoyantes, laissent
des richesses aveugles à ceux qui sont aveugles eux-mêmes. .
Ainsi se dépouillant de toutes leiu*s possessions, et ne se lais-
sant plus toucher d'aucun objet qui les trompe, ils fuient pour
ne regarder jamais derrière eux, et se séparent de leurs frè-
res, de leurs enfants, de leurs femmes, de leurs pères et de
leurs mères, de leurs nombreuses alliances, et de leurs plus
étroites amitiés, et enfin des lieux où ils sont nés et où ils ont
été élevés, sachant que Taccoutumance que Ton y prend a
un poids et un charme auquel il est très-difficile de résister.
Mais leur retraite du monde ne consiste pas à passer seule-
ment d'une ville en une autre ville, comme ces malheureux
et pauvres esclaves qui étant vendus par ceux k qui ils ap-
partenoient auparavant, ne font que changer de maître et ne
sont point délivrés de servitude.
Car il est certain que toutes les villes, et même les mieux
policées, sont toujours pleines d'une infinité de tumultes et de
troubles, qui ne peuvent être qu'insupportables à un esprit
uniquement adonné à l'étude de la sagesse. C'est pourquoi ils
ont leur demeure hors de l'enceinte des villes, c'est-à-dire
dans de grands jardins ou dans des campagnes désertes, dont
ils recherchent la solitude, non point par un esprit sauvage
et une aversion des hommes, mais parce qu'ils savent com-
bien la conversation de ceux dont la vie est si dissemblable à
la leur est importune et dangereuse.
Cette secte est répandue en plusieurs endroits de la terre :
aussi est-il bien juste et que les Grecs, et que les Barbares,
ne soient point privés de la vue d'une si extraordinaire vertu.
Mais il n'y a point de pays où ils soient en plus grand nom-
bre que dans toutes les provinces d'Egypte, et principalement
aux environs d'Alexandrie.
Ceux d'entre eux qui sont les plus éminents en sainteté
sont envoyés de toutes parts, ainsi qu'une espèce de colonies,
en un lieu qu'ils regardent comme leur véritable patrie, et
qui est tout à fait propre pour la vie qu'ils mènent. Il est si-
544 DES ESSËMENS.
tué «tu-^essus de l'étang Marie*, sur une colline assez plate et
assez étendue, et il ne peut être placé plus commodément, si
Ton regarde la sûreté du lieu et la bonté de Tair que Ton y
respire. Je dis que Ton y est en sûreté, à cause du grand
nombre des maisons et des bourgades dont il est environné;
et quant à la pureté de Tair, eUe provient des vapeurs con-
tinuelles qui s'élèvent de cet étang et de la mer qui en est
proche, et dans laquelle il se décharge ; car les vapeurs de la
mer étant aussi subtiles que celles de cet étang qui s'y dé-
charge sont épaisses, il s'en fait un mélange qui rend la tem-
pérature de cet air extrêmement saine.
Leurs logements sont fort simples, et ils ne leur servent
que pour deux choses dont ils ne peuvent se passer, c'est-à-
dire pour les défendre tant de la chaleur du soleil que de la
froidure de l'air. Ils ne sont pas fort proches les uns des au-
tres, comme dans les villes; car les voisinages sont toujours
importuns et désagréables à ceux qui aiment et recherchent
la solitude avec tant d'ardeur. Ils ne sont pas non plus fort
éloignés, parce qu'ils se plaisent à vivre en communauté, et
qu'ils veulent se pouvoir secourir les uns les autres, s'ils
étoient attaqués par des voleurs.
Ils ont chacun un lieu particulier et sacré , qu'ils appellent
un oratoire ou cabinet*, dans lequel ils se retirent pour s'in-
struire en secret dans les mystères de leur vie, toute d'orai-
son. Ils n'y portent ni boire ni manger , ni rien de tout ce
qui est nécessaire pour les besoins du corps; mais seulement
les lois et ies oracles qui sont sortis de la bouche des pro-
phètes, les hymnes et toutes les autres choses qui peuvent
servir à l'accroissement et à la perfection de leurs oonoois-
sances et de leur piété.
Le souvenir de Dieu est continuellement gravé dans leur
pensée, jusque-là qu'étant endormis ils ne s'entretiennent dans
leurs songes que de sa beauté et de sa grandeur, et qu'il y
en a même beaucoup qui en expliquant les choses qui se
I . En marge, d'une antre encre : * Mœris. » La note n'est pas
exacte : Mip£(a, Mapb, qu'on lit dans le texte grec, désigne un étaii|
ou lac (le Maréotide), voisin d'Alexandrie.
a. Dans le texte grec : OEpitov xa\ povaam|ptov.
DES ESSEJNIENS. 545
passent alors en leur imagination, font entendre des paroles
d'une philosophie très-sainte et très-exceilcnte.
Ils ont coutume de prier deuic fois le jour, au matin et au
soir, c'est-à-dire que quand le soleil se lève, ils demandent à
Dieu qu'il leur rende la journée vëritablement heureuse, et
qu'il remplisse leur esprit de sa divine lumière : de même que
lorsqu'il se couche^, ils demandent encore à Dieu que leur
âme étant déchargée du fardeau des sens et des choses sen-
suelles, elle puisse être renfermée en elle-même, afin que
jouissant d'un parfait repos, elle s'applique toute' entière à
la recherche de la vérité.
Tout le reste du temps qui est entre le matin et le soir est
consacré à la lecture et à la méditation; car ils lisent les
saintes Ecritures, et s'exercent dans l'étude des préceptes de
sagesse qu'ils ont reçus* de leurs pères, croyant que les se-
crets de la nature y sont cachés sous des paroles allégoriques
et mystérieuses dont leurs pères se sont servis pour en ensei-
gner la connoissance.
Ils ont des livres de leurs anciens , qui ayant été comme
les patriarches de leur secte, leur ont laissé plusieurs mé-
moires de la doctrine de ces allégories, qu'ils regardent com-
me des originaux* et des modèles, par l'imitation desquels ils
se conforment au véritable esprit de leur secte; car ils ne
se contentent pas de méditer seulement sur les ouvrages des
autres, mais ils composent eux-mêmes plusieurs hymnes et
plusieurs cantiques à la louange de Dieu, y faisant entrer
de toutes sortes de cadences et de mesures, et les embellis-
sant de rimes qui les font paroître beaucoup plus pompeux et
plus vénérables.
Les autres six jours de la semaine, ils demeurent chacun
en leur particulier, et étudient en ces petits cabinets dont
nou» avons parlé, sans sortir le moins du monde hors de la
porte, et sans regarder au dehors par quelque lieu que ce
puisse être. Mais le jour du sabbat, ils viennent tous ensemble
I. Dans Pëdition de M. Aim^Martin : «f lorsqu^iU se couchent. »
s. Ici, il y a bien toute ^ au féminin, dans Pautographe.
3. Le manuscrit porte reçu (rrc^ii), et, deux lignes plus bas, servi
servy)^ sans accord.
J. Ragiae* V 35
546 DES ESSENIENS.
comme en une commune assemblée, et s'assisent^, selon leur
âge, avec une honnête contenance, tenant leurs mains sous
leur manteau*. Lors celui d'entre eux qui est le plus ancien,
et qui a le plus de connoissance de leur doctrine, s'avance au
milieu de tous, et leur parle avec un visage et une voix grave,
ne disant rien qu'avec prudence et avec jugement, et ne s'ar-
rètant point à faire ostentation de son éloquence, comme ces
orateurs et ces sophistes que nous voyons aujourd'hui; mais
songeant seulement à bien expliquer et à bien faire comprendre
le vrai sens de ses pensées ; et ainsi ses paroles ne frappent
pas seulement les oreilles de ses auditeurs, mais elles y trouvent
un chemin par où elles passent jusques au fond de leur âme,
pour y demeurer éternellement gravées. Cependant tous les
autres l'écoutent en un profond silence, ne lui témoignant
leur approbation que par quelque petit chn d'œil ou par quel-
que mouvement de tête.
Cette salle publique, dans laquelle ils s'assemblent tous les»
jours du sabbat, est divisée en deux différents appartements,
l'un des hommes et l'autre des femmes ; car elles assistent aussi
de tout temps à leurs assemblées , et n'embrassent pas ce genre
de vie avec moins d'ardeur et de zèle que les honmies. La
muraille donc qui les sépare s'élève de terre environ trois ou
quatre coudées de haut, en forme d'une petite cloison, le reste
demeurant ouvert jusques aux voûtes, et cela pour deux rai-
sons : la première, pour conserver la pudeur naturelle que les
hommes doivent avoir à l'égard des femmes ; la seconde, afin
que les femmes elles-mêmes étant en un Ueu où la voix se
peut ouïr distinctement, elles écoutent sans peine celui qui
parle, et ne trouvent aucun obstacle qui les empêche de
l'entendre.
Ils embrassent la tempérance comme un fondement qu'ils
doivent jeter en leur âme pour y établir ensuite toutes le»
I . Tel est le texte du manuscrit, et non iassextnt^ qui est une
correction de M. Aimé-Martin.
1. Le texte ajoate : « Tf|V (xàv BeÇtàv (lsto^ oripvou xa\ ysmlov, tJ^
Bà £Ù(i>vu(uov OntaroiXfLivi|v Aapà Tf[ Xoydvt. » Racine a efiaoé ee qu'il
avait d'abord écrit pour traduire le commencement de ce meoibre
de phrase : « tenant leurs mains cachées au dedans de leur
teau, c'est-à-dire la droite entre le sein.... »
DES £SS£NI£]NS. 547
autres vertus. Jamais aucun d'eux ne boit ou ne mange le
moins du monde avant le soleil couche, parce qu'ils croient
que les exercices de la philosophie sont des ouvrages dignes
de la lumière, au lieu que les nécessités du corps doivent être
ensevelies dans les ténèbres : c'est pourquoi ils donnent à
ceux-là toute la journée, et n'accordent à celles-ci qu'une
petite partie de la nuit. Il y en a même quelques-uns qui, en
Tespace de trois jours, ne songent pas une seule fois à manger,
tant ils sont possédés de Tardent désir d'accroître leurs con-
noissanccs. Il y en a d'autres qui trouvent de telles délices et
un contentement si grand à se nourrir l'âme des viandes spi-
rituelles de la sagesse, qui leur déploie tous ses trésors et tous
ses secrets avec une libéralité qui est sans bornes, qu'ils de-
meurent à jeun une fois autant que les autres, et passent près
de six jours entiers sans rien manger , s'accoutumant à vivre
comme les cigales, qui, à ce qu'on dit, ne se nourrissent que
de l'air, parce qu elles trouvent dans leur chant , comme je
crois, un divertissement qui leur facilite cette abstinence.
Le sabbat est pour eux une fête toute sainte et toute auguste ,
et ils le célèbrent avec une extraordinaire vénération. C'est
en ce jour qu'après avoir pourvu aux nécessités de leur âme,
ils ont soin aussi de fortifier la foiblesse de leur corps, étant
certes bien juste qu'ils prennent quelque relâche après de si
longs travaux, puisque les bêtes mêmes n'en sont pas privées.
Mais il n'y a aucune magnificence dans leurs festins, et ils se
réduisent à manger un peu de pain qui est fort simple, en y
joignant aussi quelques grains* de sel pour tout assaisonne-
ment, ou un peu d'hysope, comme font ceux d'enb*e eux qui
sont les plus délicats ; leur breuvage est de l'eau courante ;
car ils regardent la faim et la soif comme deux fâcheuses maî-
tresses auxquelles la nature a soumis tout le genre humain,
et qui se doivent adoucir, non point par des choses qui les
flattent, mais par celles qui sont absolument nécessaires, et
sans lesquelles on ne sauroit vivre. C'est pourquoi ils mangent
pour n'avoir plus faim, et boivent pour n'avoir plus soif; et
ils abhorrent l'assouviisement comme l'ennemi et le destruc-
teur du corps et de l'âme.
I. « Quelque grain » , au singulier, dans le manuscrit.
j4B D£S ËSSËiMlEINS.
Or, comme il } a deux manières de se couvrir, dont l'une
est le vêtement et l'autre la maison', et comme les mai^m
de ces sages, ainsi que nous avons dit ci-dessus, sont dé|)our-
vues de magnificence et d'ornement, n'y a\ant rien que ce
qui y est entièrement nc'cessaire, il en est de même de leurs
habits, qui ne sont pas moins simples et moins modestes, et
qu'ils ne prennent que pour se garantir des incommodités da
froid et de la chaleur. En hiver, ils portent une robe épaisse
et pesante, au lieu de fourrure ; et en été, ils se contentent de
quelque robe de toile , ou de quelque autre linge dont ils se
couvrent; car, en un mot, la simplicité, la modc^stie leur est
particulièrement vénérable , sachant que le faste et l'orgueil
est le père de mensonge', au lieu que la modestie est la mère
de la vérité, et que le mensonge et la vérité sont comme deui
sources, dont la première répand dans le monde toute cette
multitude de maux dont il est rempli, au lieu que l'autre y
fait couler avec abondance toutes sortes de biens humains et
divins.
Je veux dire aussi quelque chose de la manière dont ils se
comportent dans leurs festins publics et solennels ' . . . .
Ils y viennent tous vêtus de blanc et avec un visage gai, mais
néanmoins extrêmement grave ; e^ aussitôt que le signal leur
a été donné par quelqu'un des semainiei^* (car c'est ainsi
qu'ils appellent ceux qui ont la charge du réfectoire), ils se
tiennent chacun debout, selon leur rang et avec une grande
modestie; et ainsi, avant que se mettre à table, ils élèvent les
yeux et les mains au ciel : les yeux, parce qu'ils ont appris à
attacher leur vue sur les objets qui méritent d'être regardés;
et les mains, parce qu'elles sont pures de toute avarice, et que
jamais elles ne se sont laissé souiller par aucun gain illiâte et
profane, pour quelque prétexte que ce fût. Us demandent donc
1. Nous n\oiis du ici encore rétablir en partie ce qnî a été ra-
turé, parc«» que des corrections qui se lisent dans les înteHignf*» on
ne pourrait tirer une phrase régulière ni complète.
2 . « De mensonge » a été substitué à « du mensonge. •»
3. Racine a passé ici plusieurs pages du texte grec.
4. Dans le texte : &R09y2(i.a(vovT6c ttvoc tGW 2^{upeutfir'.
DES essi!:nie\s. 549
à Dieu qu'il daigne leur être favorable, et qu'il n'y ait rien
en ce festin qui ne soit conforme à ses désirs.
Après que leurs prières sont achevées, les plus anciens
commencent à se mettre à table les uns après les autres, selon
le temps qu'ils sont entrés dans la compagnie ; car ils ne me-
surent pas l'antiquité par l'âge, ou par le nombre des années,
vu que ceux qui en ont le plus ne passent parmi eux que
comme des enfants et de jeunes gens, s'il n'y a que peu de
temps qu'ils ont embrassé leur genre de vie ; mais ils regardent
cooime véritablement anciens ceux qui ont passé leur enfance,
leur jeunesse, et toutes leurs années, dans l'étude sainte de
cette philosophie contemplative', qui est aussi la plus belle et
la plus divine.
Ils admettent à leur table des femmes, dont la plupart sont
fort âgées, et ont gardé leur virginité, l'ayant embrassée non
point par contrainte et malgré elles, comme quelques-unes de
celles qui exercent la prêtrise parmi les Grecs, dont la virgi-
nité est involontaire; mais elles n'y ont été |K>ussées que par
le seul amour de la sagesse, dans l'exercice de laquelle ayant
voulu passer toute leur vie, elles ont foulé aux pieds toutes
les voluptés du corps et des sens.
Toutefois leurs places sont séparées de celles des hommes,
ceux-ci étant assis au côté droit, et les femmes au côté
gauche.
Si quelqu'un pense que ces nobles et ces généreux ama-
teurs de la sagesse soient couchés à table sur des lits, qui,
quoiqu'ils ne soient pas richement parés, peuvent au moins
tenir quelque chose de la mollesse et de la délicatesse : qu'il
sache qu'ils ne se servent que de simples matelas, composés
de quelques herbes viles et communes en ce pays, où l'on en
fait d'ordinaire de la natte et du papier, se couchant dessus,
et les élevant tant soit peu vers les coudes, afin qu'ils s'y
puissent appuyer.
Au reste, ce ne sont point des esclaves qui les servent, et
ils croient que c'est entièrement agir contre Tordre de la na-
ture que de se faire servir par des valets; car les hommes.
I. M. Aimé-Martin a mit coniempiatrice. Cette forme n*es»t pas
dans le manuscrit.
55o DES ESSENIENS.
disent-ils, naissent tous également libres, n'étoit que l'injostice
et l'ambition de ceux qui ont voulu semer dans le monde
cette malheureuse inégalité qui est la source de tous les maux,
ont mis entre les mains des puissants la domination qu'ils ont
usurpée sur les foibles.
Ils ne possèdent donc point d'esclaves ni de valets, et ils ne
sont servis que par des personnes entièrement libres, qui leur
rendent ces devoirs ofBcieux sans qu'on les y oblige et sans
attendre qu'on le leur commande; mais au contraire, ils se
viennent présenter eux-mêmes avec joie et avec empresse-
ment, avant qu'on les y ait exhortés.
Et qu'on ne pense pas que l'on les admette tous îadifiEé-
remment en cet emploi, car on les examine auparavant avec
grand soin entre les plus jeunes et les meilleurs de la cobh
pagnie ; et ainsi l'on ne choisit que des personnes sages et
bien élevées, et en qui l'on voit un véritable et parfait amour
pour la vertu la plus sublime, aiin qu'ils puissent servir les
frères avec la même affection et la même ardeur que des en-
fants bien nés serviroient leurs pères et leurs mères, comme
en effet ils ne les regardent point autrement que leurs pères
communs, et ont pour eux plus de tendresse que pour œux
liâmes que le sang leur a donnés : tant il est vrai qu'il n'y a
point de nœud si puissant sur les âmes vertueuses que la vertu!
Ils ne ceignent point leur robe, et ils ne la retroussât
point à leur ceinture pour servir à table; mais ils la laissent
to^^ étendue', afin que l'on ne voie en ces festins aucune
marque de servitude, cette manière de servir étant particu-
lière aux esclaves. Je sais que quelques-uns, entendant ces
choses, s'en riront; mais je sais aussi que ceux-là seuls s'en
riront, dont les actions ne sont dignes que de gémissements
et de pleurs.
Le vin n'y entre point du tout; vojaâs ils boivent d'une
eau qui est fort claire et fort pure, avec cette seule distinc-
tion que le commua d'eqtre eux la prend toute froide, an
lieu que ceux des anciens qui sont d'une complexion plus foi-
hle, la font chauffer auparavant.
I . Éitndiu a éxé bi^é dans le manutcrît, mais ensuite loulii^' :
Yoye?. ci-dessuA, p. 447.
DES KSSÉNIENS. 55i
Leur table est pure de toutes viandes qui aient eu vie, et
Ton y voit seulement du pain pour toute nourriture, du sel
pour tout mets, et quelquefois un peu d'hysope que l'on
donne pour tout assaisonnement à ceux qui paroissent les
plus délicats. Car la même raison qui porte les prêtres à
ofTrir des sacrifices que Ton appelle sobres, parce que Ton
n'y boit point de yin, a porté aussi ces apiateurs de la sa-
gesse à n'en point boire, parce, disent-ils, que le vin est un
poison qui rend l'âme folle et insensée, et que les viandes si
bien apprêtées et si délicieuses ne servent qu'à irriter la con-
cupiscence, qui est la plus insatiable de toutes les bêtes.
Après qu'ils se sont assis à table, * le silence est en-
core plus profond qu'auparavant, et l'on n'en verroit pas un
qui osât dire le moindre mot ou respirer un peu fortement :
si ce n'est que quelqu'un d'eux propose quelque difficulté de
l'Ecriture sainte, ou qu'il explique celle qui aura é(é proposée
par un autre. Ce n'est pas qu'U se mette beaucoup en peine
d'en trouver l'explication; car son but n'est pas de tirer de 1^
gloire de sa subtilité et de sa science, mais seulement d'exa-
miner la vérité, et lorsqu'il l'a trouvée, de ne la point en-
vier à ceux qui, bien qu'ils n'aient pas une si grande viva-
cité que lui pour la chercher, ne desif*ent pas avec moins
d'ardeur d'en acquérir la com^oissance.
il leur parle donc, et les instruit avec loisir, pesant et in-
sistant sur ses paroles, et les répétant plusieurs fois, afin de
graver profondément dans leurs esprits les vérités qu'il leur
enseigne; car autrement, lorsque l'on parle avec trop peu
d'étendue ou avec trop de vitesse, et, comme l'on dit, sans
reprendre haleine, l'esprit des auditeurs ne pouvant suivre la
volubilité de la langue de celui qui parle, ils sont contraints
de demeurer beaucoup en arrière, et ne peuvent atteindre à
l'intelligence de ce qu'on leur dit.
Cependant les autres, ayant la vue continuellement atta-
chée sur lui, l'écoutent tous avec une même attention et une
même contenance ; et s'ils comprennent et entendent parfaite-
I . Eacine, en pmeUant ici quelque* lignes, a trouve moyen de
rendre ipsentible une lacune qui existe, en cet endroit, dans le
texte grec.
5S2 DES ESSÉMENS.
ment ce qu'il leur dit, ils le lui font voir par quelque incli-
nation de tète ou par quelque mouvement des yeux; s'ils le
trouvent digne de louanges, ils le lui témoignent par la joie
et par la sérénité qui se répand sur tout leur visage; et si,
au contraire, il leur vient en Tesprit quelque incertitude et
quelque doute, ils le lui font connoftre ou en branlant douce-
ment la tète, ou en remuant le bout d'un doigt de la main
droite.
Il en est de même de ceux qui ont servi à table ; car ils se
tiennent debout durant tout le temps qu'il parle, et ne Té-
coûtent pas avec moins d'attention que les autres. . . .
Lorsque ce docteur juge qu'il leur a suffisamment j>arlé, et
qu'il leur semble avoir tous satisfait* à l'obligation qu'ils
a voient, l'un d'enseigner à ses auditeurs une doctrine en-
tièrement conforme au véritable esprit de la secte, et les au-
tres de lui donner toute l'attention qu'il leur est possible, ils
frappent tous ensemble des mains pour témoigner leur satis-
faction et leur contentement.
En suite de quoi, le docteur se lève et cbante un h}Tnne à
la louange de Dieu, soit qu'il l'ait lui-même nouvellement
composé , ou qu'il vienne de quelqu'un de leurs anciens
poètes Et cependant tous les autres demeurent chacun en
leurs places avec modestie , et l'écoutent en un silence très-
profond, jusqu'à ce qu'il vienne à prononcer les dernières pa-
roles de son cantique; car alors tous les hommes et toutes
les femmes élèvent unanimement leurs voix pour lui répondre.
Le souper étant fini, ils célèbrent la veille qu'ils nomment
sacrée , c'est-à-dire que, se levant tous ensemble, ils se ran-
gent au milieu de la salle où ils ont soupe, et se divisent en
deux chœurs, l'un des hommes et l'autre des femmes. Cha-
I . U y a ici une correction d'une autre écriture. Une main, qui
parait être celle d*une personne piui âgée (à en juger par la forme
moins moderne des caractères), a substitué à ces mots ceux-ci :
« et qu'ils croient tous avoir satisfait. » — Un peu plus loin, Is
même main a remplacé le membre de phrase : « lui donner toute
l'attention qu'il leur est possible, » par : Véeouter. — Dans le pre-
mier de ces deux passages. Racine a fait la faute de mettre satisfùis,
au pluriel.
DES ESSÉNIENS. 55)
que chœur choisit pour chef et pour conducteur celui d'entre
tous qui est le plus vénérable, et le plus habile en l'art de
chanter; et ensuite ils chantent plusieurs cantiques compo-
sés en la louange de Dieu. Et après que chaque chœur s'est
comme rassasié du plaisir de chanter l'un après l'autre, ils
se joignent lors les uns aux autres, et ne font tous qu'un
même chœur, afin de goûter ainsi Siuis aucun mélange les
délices de l'amour divin.
En quoi ils imitent ce que firent autrefois nos pères sur la
mer Rouge , en considération des merveilles que Dieu y avoit
opérées pour eux Car les hommes
et les femmes, se trouvant également transportés d'étonne-
ment et de reconnoissance envers Celui qui leur avoit fait voir
et éprouver des choses qui étoient élevées au-dessus de toute
parole, de toute pensée* et de toute espérance, s'unirent en-
semble en un même chœur, et chantèrent des cantiques d'ac-
tions de grâces à Dieu : Moïse servant de chef et de conducteiu*
aux hommes, ainsi que la prophétesse Marie aux femmes.
C'est ainsi que les deux bandes de ces sages adorateurs et
adoratrices du vrai Dieu s'unissent ensemble; et par le mé-
lange de leurs voix toutes différentes et toutes contraires,
celle des hommes étant aussi basse que celle des femmes est
ëlevée, ils forment un concert véritablement agréable et har-
monieux. Leurs cantiques sont composés de pensées tout à
fait nobles, de paroles tout à fait belles, ainsi que les chœurs
de ceux qui les chantent sont composés de personnes tout à
fait saintes et religieuses.
Après donc qu'ils se sont enivrés jusques au matin de cette
ivresse toute sainte et toute divine, ils sont très-éloignés de se
sentir ou la tète pesante', ou les yeux chargés de sommeil ;
mais étant même plus rassis et plus éveillés que lorsqu'ils ont
commencé* à se mettre à table, ils tournent leur vue et tout
le reste du corps vers l'Orient; et dès que le soleil se mon-
tre, ils élèvent les mains au ciel et demandent à Dieu qu'il
leur rende cette journée heureuse, qu'il leur fasse connoître
I . Pensée a été effacé, puis souligné.
a. On peut ici choisir entre pesante et chargée de vin. L'une et
Tautre traduction est effacée, et rien nVst souligné.
3. Dans l'autographe : commencés.
554 DES ESSIÎNIEI^S.
la vérité, et qu'il rende leur esprit yif et pâiétnmt dans U
contemplation de ses mystères. Ea suite de quoi, ils se retirent
chacun en leurs petits oratoires*, pour s'appliquer, selon leur
coutume, à l'ëtude et à l'exercice de la philosophie. . . .
Les' mages sont en vogue parmi les Perses; et ce sont des
personnes qui, par la contemplation des ouvrages de la na-
ture, recherchent la connoissance de la vëritë, et qui s'in-
struisant à loisir dans la science mystérieuse des vertus di-
vines, en instruisent aussi les autres par des explications très-
claires et très-évidentes. Les Indes ont les gjnoinosophîstes
parmi eux, qui ajoutant l'étude de la morale à celle de la
philosophie naturelle, rendent toute leur vie comme un mo-
dèle parfait de toutes sortes de vertus.
La Palestine et la Syrie ne sont pas moins fertiles en ces
grands exemples de sainteté, étant l'une et l'autre très-peu-
plées par la nombreuse nation des Juifs, entre lesquels 0 y a
une sorte de personnes qui sont au nombre de plus de quatre
mille, ou peu s'en faut, comme je crois, et que les Grecs ap-
pellent Esséniens , c'est-à-dire saints , qui est un nom très-
conforme à leur sainteté ; car c'est en la parfaite adoration
du vrai Dieu qu'ils excellent principalement, non point par
l'immolation des bêtes et des victimes, mais par le grand soin
qu'ils ont de rendre leurs âmes toutes pures et toutes saintes.
I. Il y avait d'abord : « en son petit oratoire. « Racine a sub-
ttitaë leur^ sans «, à «on, et ajouté après coup deux « à « petits
oratoires. »
a. Ce qui suit est tire encore de Philon, mais non plui de sa ^'i*
conUmplative. Racine a donn^ en marge cette indication : « Idem
Phit. Quod omnit prohus liber. » C'est-à-dire qu'il traduit mainte-
nant quelques passages du traita de Philon qui a pour titre : Ilcfl
Tou Tzéprz% orouSarov sTvai IXEuOEpov. Dans l'édition de 1640 (ainsi que
dans celle de Leipzig, 1828) ce titre est d'abord traduit : Quod
liber tit quîsquis virtuti studet; mais, dans les deux éditions, le titre
courant est tel que Racine le donne. Sa traduction commence à la
fin du 3 II et finit a u^ commencement du J i3 de l^édition de 18)8*
— Voyez ci-dessus, p. 54 1, notes i et 7.
DES ESSÉNIENS. 555
En premier lieu, ils ont leur demeure dans la campagne*,
et s'éloignent des villes le plus qu'ils peuvent, à cause des
vices et des crimes qui y sont si ordinaires, sachant que la
vie impure de tous ceux qui y demeurent est comme un air
corrompu et pestiféré qui frappe Tâme de plaies mortelles et
incurables.
Ils s'exercent les uns dans l'agriculture, et les autres dans
quelques métiers qui s'accordent avec le repos de leur soli-
tude, travaillant ainsi pour leur propre utilité et pour celle
de leur prochain, sans amasser des trésors d'or et d'argent,
et sans posséder de grands fonds de terre pour en tirer des
revenus, mais se fournissant seulement des choses qui sont
nécessaires à la vie. Car ils sont peut-être les seuls entre
tous les hommes qui, demeurant pauvres et dénués de tout
bien, plutôt par un dépouillement volontaire que par une in-
digence forcée, s'estiment très-riches et très-abondants en
toute sorte de félicité, croyant, et certes avec grande raison,
que celui-là possède beaucoup de biens* qui se contente
de peu de choses.
L'on n'en verra aucun entre eux qui se mêle de travailler
ni en dards, ni en javelots, en épées ou en casques, en cui-
rasses ou en boucliers, en armes ou en machines, ni en quel-
ques instruments de guerre que ce puisse être, ni même en
aucunes choses qui, en temps de paix, pourroient servir d'oc-
casions de péché.
Pour ce qui est de faire trafic ou en marchandises, ou en
vin, ou sur la mer, ils n'y pensent pas seulement en songe ,
rejetant loiù d'eux tout ce qui est capable de les faire tomber
insensiblement dans l'avarice.
L'on ne voit pas un seul esclave paitni eux; mais étant
tous également libres, ils se servent les uns les autres, et
€M)ndamnent ceux qui possèdent des esclaves, non-seulement
comme injustes et ennemis de l'équité, mais même comme des
impies et des destructeurs de la loi de la nature, laquelle
ayant engendré et nourri' tous les hommes, ainsi que leur
I . Racine a substitue la a Us, tout en laissant le mot campagnes
au pluriel.
a. <« De biens » est biffé et souligna.
3. Dans le manuscrit : « engendrés e| nourris. »
556 DES ESSEIVIENS.
mère commune, les a rendus fi'ères et propres frères les uns
des autres, non point seulement de nom , mais en effet et en
vérité. H n'y a donc, disent-ils, que la violente passion de
dominer, qui n'ayant trouvé aucun obstacle à ses malheureux
desseins , a rompu les nœuds de cette alliance sacrée , vX a
fait succéder la discorde à l'union, et l'inimitié à l'amour.
Quant à la philosophie, ils en laissent la logique, comme
entièrement inutile pour l'acquisition de la vertu, à ceux qui
se plaisent à perdre le temps en paroles; et la physique,
comme une science tout à fait élevée au-dessus de la nature,
à ceux qui aiment à promener leur esprit au delà des nues,
pour parler ainsi, sinon en tant qu'elle traite de l'essence de
Dieu et de la création de l'univers; mais ils se réservent U
morale, et s'y exercent avec un soin tout particulier, prenant
pour guides et pour maîtresses les lois qu'ils ont reçues de
leurs pères, dont ils croient qu'il est impossible à l'esprit hu-
main de comprendre la sublimité, s'il n'est rempli d'une lu-
mière toute divine. Ils en enseignent donc l'explication géné-
ralement en tout temps, mais particulièrement les jours du
sabbat; car ils tiennent le sabbat pour un jour sacré, et ils
s'y abstiennent de tout autre ouvrage. Mais s'assemblant tous
en des lieux qu'ils estiment saints , et qu'ils appellent syna-
gogues, ils s'assisent * tous selon leur rang et selon leur
âge , c'est-à-dire les jeunes au-dessous des anciens , se tenant
tous en une contenance honnête, et avec toute l'attentioD
qu'ils doivent avoir. Lors il y a un d'entre eux qui prend les
saintes Ecritures et leur en lit quelque chose; et en même
temps un autre des plus doctes et des plus habiles, remar-
quant les passages les plus obscurs qui s'y rencontrent, leur
en donne aussitôt l'éclaircissement ; car toute leur philosophie
est cachée sous des figures et sous des allégories, à l'imitation
de celle des anciens philosophes.
Ils sont instruits dans la sainteté , dans la justice , dans la
science de bien gouverner les familles et les républiques, dans
la connoissance de ce qui est véritablement bon ou de ce qui
est véritablement mauvais, et de ce qui est indifférent, dans
la pratique des choses honnêtes, et dans la (iiite de celles qui
r. Voy(*7. ci-desAus, p. 546, note i.
D£S £SS£NIEÎNS. 667
leur sont coatraires, apprenant à se conduire sur trois prin-
cipes ou sur trois règles fondamentales : l'amour de Dieu,
l'amour de la vertu, et Tamour du prochain.
L*amour qu'ils ont pour Dieu paroît en une infinité de
choses : premièrement, (>ar la chasteté continuelle et invio-
lable qu'ils gardent toute leur vie ; ensuite par l'horreur qu'ils
ont de tout jurement et de tout mensonge ; et par la créance où
ils sont que Dieu est Fauteur de tous les biens, et qu'il ne le
peut être d'aucun mal.
L'amour qu'ils ont pour la vertu paroît en ce qu'ils n'aiment
ni les richesses, ni la gloire, ni les plaisirs; il paroît encore
par leur tempérance et leur patience, par leur frugalité, par
la simplicité de leur vie, par la facilité de leur humeur, par
leur modestie, par le respect qu'ils portent aux lois, par l'uni-
formité de leurs actions, et par toutes les autres choses sem-
blables.
Enfin ils font paroître l'amour qu'ils ont pour le prochain
par l'union et l'égalité parfaite et inexplicable dans laquelle
ils vivent les uns avec les autres, et par la communauté de
biens dont ils font profession, et dont je crois qu'il ne sera
pas mal à propos de dire ici quelque chose.
Premièrement, nui d'eux n'a aucun logement qui ne lui
soit commun avec tous les autres; car outre qu'ils vivent
plusieurs en une même communauté , ils y reçoivent aussi à
bras ouverts ceux de leur profession qui les viennent vi-
siter.
Ils n'ont qu'un même lieu où ils renferment tous les meubles
et toutes les autres choses qui leur sont nécessaires pour leur
ménage; leurs' dépenses sont communes aussi bien que leurs
vêtements et leur nourriture, mangeant tous en un même
réfectoire.
Je sais que l'on ne trouvera point, en quelque autre lieu
que ce soit, des personnes qui n'aient ainsi qu'une même
maison, qu'un même genre de vie, et qu'une même table.
Mais pour eux, u' ont-ils pas raison de le faire? puisque de
tout ce qu'ils reçoivent d'ordinaire à la fin de la journée pour
récompense de leurs travaux, ib ne s'en réservent aucune
I. Leuty »aii8 «, ei»l ajouté eu marge*, d'un* autre encre*
558 DES ESSÉNIENS.
chose ; mais ils apportent tout en commun pour en accommoder
ceux qui peuvent en avoir besoin.
Ils n'abandonilent point leurs malades comme des personnes
inutiles et qui ne peuvent gagner de quoi vivre, mais ils ont
toujours en réserve tout ce qui est nécessaire pour les mala-
dies , et n'épargnent rien qui puisse servir au soulagement de
leurs malades.
Ils honorent extrêmement les vieillards, et ils ont pour eux
le même respect et le même soin, que de généreux et chari*
tables enfants auroient pour leurs pères, leur donnant toute
sorte d'assistance corporelle et spirituelle.
Voilà quelle est Texcellence et la sainteté que ces généreux
athlètes de la vertu reçoivent de la véritable philosophie, qui.
sans leur donner tous ces titres vains et ambitieux que les
philosophes grecs s'attribuent, leur propose pour exercices
ces actions si saintes et si louables qui établissent Tâme en
tme parfaite liberté
LETTRE DE L'EGLISE DE SMYRNE,
TOUCHANT LE MÀETYBB DB SAINT FOLTCAEPB*.
L*ËGLiSE de Dieu qui est dans Smyrne, à TEglise de Dieu
qui est dans Philomélie*, et à toutes les autres Eglises de la
terre qui composent l'Église sainte et catholique :
Que Dieu le père et son fils, Notre Seigneur Jésus-Christ,
répande sur vous, avec plénitude, sa miséricorde, sa paix et
son amour.
Nos très-chcrs frères, nous vous envoyons le récit des com-
bats de quelques-uns de nos martyrs, et particulièrement du
bienheureux Poly carpe, qui a conm:ie scellé de son sang la
persécution que son martyre a terminée. Car il semble que
Dieu nous ait voulu proposer, dans le martyre de ce saint
homme, la manière dont nous devons combattre pour son
Évangile. Il a permis qu'il ait été livré aux méchants, conmie
le Seigneur Ta bien voulu être lui-même, afin que nous fus«
I. Sur le texte que Racine a traduit, voyez ci-dessus, p. 44 <
et 441.
a. Racine a écrit en marge : « Euseb. » U a eu en effet soui
les yeux Eusèbe *, comme le montre le nom de PhiloméUe (ville de
la grande Piu'ygie) que donne le texte de cet auteur^ tandis que
celui dTJsserius a Philadelphie (ville de Lydie), dans le grec, et Phi^
lomélie dans Tancienne version latine seulement qui est imprimée
en regard. Dans le manuscrit de Racine, il y avait d'abord Philw
delphie-y qui a été effacé. La lettre ^ qui était encyclique, portait en
cet endroit, tantôt un nom, tantôt un autre, suivant qu'elle était
envoyée à telle ou telle Église.
* Livra IV, chapitra xv, dans Téditioii de 1659, de même que dans ceUe de
Heinichcn, Leipsig, 1827.
56o LETTRE
sions ses imitateurs et que nous n'ayons pas soin seulement
de ce qui nous regarde, mais encore de ce qui regarde notre
prochain, vu que c'est un devoir du véritable et parfait amour
de ne désirer pas moins le salut de tous ses frères que le sien
propre.
Heureux donc et glorieux sont tous les martyi"es qu'on
souffre selon la volonté particulière de Dieu (car la piété
chrétienne nous oblige de reconnoître la souveraine puissance
de Dieu sur toutes les créatures); mais qui n'adnoirera le
grand courage, l'invincible patience, et l'ardente charité de
ces illustres martyrs, qui, bien qu'ils fussent tellement déchi-
rés à coups de fouets, que leurs veines mêmes et leurs artères
se montroient à découvert, et que l'on pouvoit discerner sans
peine toute la disposition intérieure de leur corps, et enfin
qu'ils fussent réduits en un état qui donnoit de la compassion
et causoit des larmes aux plus insensibles de leurs spectatenrs,
étoient^ néanmoins si constants et si généreux, qu'on n'en-
tendit' jamais aucun d'eux ni gémir ni soupirer?
En quoi ces martyrs de Jésus-Christ nous faisoient bien
voir que durant toutes ces tortures, ils étoient comme' ab-
sents de leur corps, ou plutôt que le Seigneur lui-même étoit
présent en eux et conversoit avec eux; et qu'étant tout rem-
plis de sa grâce, ils méprisoient ces peines passagères, qui,
par un moment de douleur, leur faisoient éviter une éternité
de peines.
Les flammes dont leurs bourreaux les environnoieat n'a-
voient point d'ardeur pour ceux qui avoient continuellemeot
gravés dans la pensée les feux qui ne s'éteignent jamais; et
qui étant déjà moins des hommes que des anges, élevoîent'
t. M. Aimé-Martin donne : « Us étoient. » M. Aignan a fait
sur cet ih une note, que Texamen du manuscrit lui eût épargnée.
a. Dans le manuscrit : « qu'on n'entendist. » Racine a-t-il
voulu, par un latinisme, comme nous en avons signalé phisienn
dans la rie de Diogène^ mettre l'imparfait du subjonctif? On en peut
douter : il écrit souvent avec $t le passé défini de IHndîcatif.
3. M. Aimé-Martin a omis comme.
4. Le correcteur dont non» avons déjà parlé plus haut ;p. SSï,
note I ) a ainsi modifié ce commencement de phrase, que, dans
DE L^EGLISE DE SMYKNE. 56i
sans cesse les yeux de leur âme, ou plutôt Dieu même tenoit
sans cesse leur âme élevée vers ces biens du ciel qui sont ré-
servés à ceux qui auront persévéré jusques à la fin : ces biens
que l'oreille n'a point entendus, que l'œil n'a point vus, et que
l'esprit de l'homme n'a jamais compris.
Us ne souflfroient pas avec moins de générosité la fureur
des bètes auxquelles on les exposoit, les pointes des pierres
aiguës, des écailles de poissons sur lesquelles on les couchoit*,
et les rigueurs d'une infinité d'autres tortures auxquelles le
tyran les appliquoit afin de leur faire abjurer la foi par ces
tourments si cruels.
Il n'y a point aussi d'artifice dont le diable ne se soit avisé
pour les surprendre ; mais grâces à Dieu, ils n'ont pas tous
succombé à ses efiorts, la constance de l'illustre Germanique ^
ayant servi beaucoup à fortifier la foiblesse de ses compa-
gnons. Car lorsqu'il eut' été exposé aux bètes farouches, il fut
si éloigné de s'arrêter aux vains discours du proconsul qui
l'exhortoit d'avoir compassion de son jeune âge, qu'il força
même la bête de se jeter sur lui, et de le dévorer : tant il
souhaitoit de se voir délivré^ d'une vie qui n'est que corrup-
tion et que péché'. Ce fut lors que le peuple, tout étonné du
courage inébranlable de ces saints disciples de Jésus-Christ,
notre texte, nous avons reproduit tel que Racine l'avait d'abord
écrit, bien qu'il soit effacé dans le manuscrit, et que le jeune tra-
ducteur ait probablement goûté et, non sans raison, adopté la cor-
rection : « Les flammes dont leurs bourreaux inhumains les enri-
ronnoient leur paroissoient froides parce qu'ils ne pensoient qu'à
se garantir de celles qui ne s'éteignent jamais, et qu'étant déjà
moins des anges que des hommes, ils élevoient, etc. »
I . Cette phrase a été traduite plutôt d'après le texte d'Eusèbe,
que d'après celui d'Usserius, un peu moins développé en cet en-
droit.
a. Martyr dont les martyrologes latins placent la fête au 19 jan-
vier.
3. Dans l'autographe : eust.
4- Délivré a été substitué à délivrer,
5. U y avait d'abord : « Comme s'il se fût hâté de se délivrer
de la compagnie criminelle de ces impies. » — En marge : « Eu-
seb. »
J. Racirb. y 3H
S6% LETTRE
commença à crier : « Perdez les impies; que l'on cherche
Polycarpe! »
Mais un Phrygien nomme Quintus, nouvellement venu de
Phrygie, ayant vu les bêtes auxquelles on le menaçoit de l'ex-
poser ^ se laissa aller à la crainte qu'elles lui donnèrent. Cet
homme s'ëtoit venu présenter de lui-même, et avoit persuade
à quelques autres de le suivre ; mais enfin le proconsul le ga-
gna si bien par ses conseils et par ses prières, qu'il le fit ré-
soudre à jurer par la fortune de César, et à sacrifier aux ido-
les. C'est pourquoi, nos très-chers frères, nous ne pouvons
approuver que Ton aille ainsi se présenter de soi-même,
comme en effet ce n'est point là ce que l'Évangile nous en-
seigne.
Quant à l'admirable Polycarpe, ayant su tout ce qui se pas-
soit, il en fut si peu troublé qu'il ne vouloit pas même sortir
de la ville; mais voyant que tout le monde le lui conseilloit,
il se retira dans une petite maison de campagne qui n'en étoit
pas fort éloignée, et il demeura là quelque temps, sans en
sortir ni jour ni nuit, et sans y avoir auctme autre occupa-
tion que de prier pour tout le monde, et pour la paix [de]
toutes les Églises de la terre, selon sa coutume. Il eut même,
en priant, ime* vision, trois jours avant que d'être pris, dans
laquelle il lui sembla voir le chevet de son lit tout en feu; et
s'étant tourné à l'heure même vers ceux qui étoient près de
lui, il leur dit, par un esprit de prophétie, qu'il devoit être
brûlé tout vif.
Cependant ceux qui le cherchoient n'épargnant aucune peine
pour le trouver, et étant déjà proches de ce lieu, il se retira
encore dans une autre petite maison de campagne; et aussitôt
ses persécuteiurs arrivèrent à celle dont il venoit de sortir.
Mais voyant bien qu'il n'y étoit pas, ils se saisirent de deux
I . Racine avait d'abord écrit : « auxquelles on le Tonloit antiî
exposer. » Dans le texte donné par Usserias, il y a simplement :
?Bâ>v tdt Oi]p(a ; mais dans celui d'Eusèbe : ÏZ&na toIk ^p«(, sc\ tiç
hci TO^TOiç dbcEiXd(. C'est donc encore ici Eusèbe que Racine a soi*
vi : aussi a-t-il de nouveau, en cet endroit , écrit à la mârfe :
« Euseb. »
a. En marge : Mus. (Eusèbe).
DE L'EGLISE DE SMTRNE. 563
jeunes garçons qui s'y trouvèrent, dont Tun, ne pouvant ré-
sister aux tourments, fut contraint de découvrir le lieu où le
saint vieillard s'en étoît allé. Aussi bien il ne lui étoit pas
possible de demeurer plus longtemps caché, vu que quelques-
uns même de ses domestiques le trahissoient. D'ailleurs, un
des intendants de la police, nommé Hérode, n'avoit rien tant
à cœur que de le produire dans l'amphithéâtre : ce qui devoit
faire entrer Polycarpe dans l'héritage* du ciel, et le rendre
participant de la gloire de Jésus-Christ, au lieu que ceux qui
le tralussoient se rendroient compagnons du supplice de Ju-
das.
Ainsi ses persécuteurs, ayant pris ce jeune garçon en leur
compagnie, partirent le même jour, qui étoit le vendredi,
vers l'heure du souper, et s'en allèrent armés et à cheval après
ce saint vieillard, conmie des archers après quelque insigne
voleur. Et étant arrivés la nuit à la maison où il étoit, ils le
trouvèrent couché dans une des chambres d'en haut ; et quoi-
qu'il lui fût assez facile de se retirer encore de' ce lieu en un
autre , il ne le voulut point entreprendre, disant : « Que la
volonté de Dieu soit faite. j> Ayant donc su que ces gens l'atten-
doient, il descendit en bas, où il leur tint quelques discours,
pendant* qu'ils s'étonnoient tous devoir, dans un âge si avancé,
une constance si admirable, et que quelques-uns même d'en-
tre eux disoient : « £toit-ce donc pour prendre ce vieillard
vénérable que nous nous sommes donné tant de peine? »
Polycarpe commanda que l'on leur apprêtât à manger à
l'heure même, autant qu'ils desireroient , et les supplia de
lui accorder seulement une heure, pour prier en liberté : ce
qu'ayant obtenu, il commença à prier debout et à haute voix ;
mais la grâce de Dieu dont il étoit rempli lui fit faire cette
prière avec tant de ferveur, qu'il fut même plus de deux
heures sans la pouvoir finir, et que tous ceux qui étoient pré-
t . Dans le texte gfec il y a un jeu de mot«, que Racine n'a pa
traduire, sur xXîJpoc (héritage) et )(Xi)pov6(MK, terme ici assez obscur
appliqaé à Hërode outre le titre de û^Houçt^.
3. 0 y a dans le manuscrit, devant « pendant, » e/, non effacé,
et cêy effacé. Au lieu de « pendant qu*ils s'étonnoient, t Racine
avait probablement d'abord voulu tourner ainsi : « et cependant
ils sVtonnoient. »
564 LETTRE
sents, admirant une si grande ferveur, ne pouvoient voir sans
quelque regret qu'un vieillard si sage et si vénérable dût être
livré à la mort.
Après qu'il eut achevé cette prière, dans laquelle il s étoit
souvenu de tous ceux qui ctoient jamais venus* à sa coonois-
sance, soit grands ou petits, illustres ou inconnus, et généra-
lement de toute l'Eglise catholique et universelle, Theore de
partir étant veuue, on le mit sur un âne, et on l'amena ainsi
vers la ville, le jour du grand samedi (c'est-à-dire le samedi
saint)*. Il eut à sa rencontre Hérode, ce magistrat dont nous
avons parlé, qui étoit avec son père Nicétès, dans un chariot,
où ayant fait monter le saint vieillard, ils employoient toutes
sortes de belles paroles pour le fléchir : « Car enfin, lui di-
soient-ils, quel mal trouvez-vous qu'il y ait à donner à César
le nom de Seigneur, à sacrifier, et à faire quelques autres
choses semblables pour vous garantir de la mort? » D'abord
Polycarpe ne leur voulut point répondre ; mais se voyant
pressé : c Je ne ferai rien, leur dit-il, de ce que vous me coq-
seillez. 9 Si bien que désespérant de le pouvoir vaincre, ils le
chargèrent de mille injures, et le poussèrent d'une telle vio-
lence hors du chariot, qu'il tomba à terre, et s'éoorcha, eo
tombant, tout l'os de la jambe. Mais sans s'étonner le mcûns
du monde, et comme s'il ne lui fût rien arrivé du tout, ii
poursuivit gaiement, et avec vitesse, tout le chemin qui re^
toit encore jusqu'à l'amphithéâtre où on le menoit, et où le
bruit et la confusion étoit lors si grande que personne ne s'y
pouvoit faire écouter.
A peine Polycarpe y eut mis le pied, que l'on entendit une
voix du ciel qui lui disoit : c Ayez bon courage, Polycarpe, et
armez-vous de constance. » Personne ne vit celui qui avoit
parlé; mais quant à la voix, elle fut entendue de tous ceai
t. Dans l'édition de M. Aimé-Martin on a imprimé : « De tout
ceux qui tiétolent jamais venus. » M. Aignan, croyant cette fois
encore commenter une phrase de Racine, dit : « D est difficile de
comprendre qu'on se souvienne de ceux qu*on ne connoit pas; fart
mention étoit peut-être le mot propre. »
a. Les mots que nous avons mis entre parenthèses sont ose
glose de Racine. Sur le sens des mots grecs 90(66^hou (iSY^Xmi, TDjn
ci -après, p. 571, note 1.
DE L'EGLISE DE SMYKNE. SCS
des nôtres qui étoient présents. Enlin Poly carpe étant entré, il
s'éleva aussitôt un grand bruit parmi le peuple, dès qu'il en-
tendit seulement que Poly carpe étoit pris. Le proconsul le fit
approcher, et lui demanda s'il étoit celui que l'on nommoit
Polycarpe : ce que le martyr ayant avoué, le proconsul essaya
par beaucoup de raisons à lui faire abjurer la foi, en lui di-
sant : « Ayez vous-même quelque respect pour votre âge, » et
toutes les autres choses qu'ils ont coutume de dire en ces ren-
contres. « Jurez, ajouta-t-il, par la fortune de César, repentez-
vous de votre erreur, et dites : Perdez les impies. »
Ce fut lors que Polycarpe ayant regardé d'un visage grave
et assuré toute la multitude de ses spectateurs , et leur ayant
imposé silence de la main , éleva ensuite les yeux au ciel , et
dit en gémissant : « Oui, mon Dieu, perdez les impies. » Le
proconsul, non content de cela, lui dit : « Jurez, et je vous
rends la liberté ; blasphémez Jésus-Christ. — Il y a quatre-
vingt-six ans que je le sers, répondit Polycarpe, et jamais il
ne m'a fait aucun mal. Comment pourrois-je blasphémer mon
roi et mon sauveur? »
Le proconsul persistant toujours à lui dire qu'il jurût par
la fortune de César : a Si vous prétendez encore, lui dit Poly-
carpe, de me faire jurer par la fortune de César, comme vous
dites, parce que vous ne savez pas qui je suis, je ne vous le
cèle point, je suis chrétien. Et si vous voulez savoir ce que
c'est que d'être chrétien, donnez*moi du temps , et je vous en
informerai. » Le proconsul lui dit : « Justifiez-vous devant le
peuple. — Pour ce qui est de vous, répondit Polycarpe, je ne
dédaignerai pas de vous parler sur ce sujet ; car les chrétiens
appreiment à rendre aux puissances et aux grandeurs établies
de Dieu l'honneur qu'on leur doit, lorsque cet honneur ne
blesse point leur religion; mais quant à cette populace, nous
ne croyons pas qu'elle mérite que nous défendions notre in-
nocence devant elle. »
Le proconsul lui dit : « J'ai des bêtes sauvages auxquelles je
vous ferai exposer si vous ne vous repentez de votre erreur. —
Faites-les venir, dit Polycarpe; car nous ne savons ce que
c'est que de nous repentir du bien pour suivre le mal, et il
n'y a que l'iniquité dont on se doive repentir, afin d'embrasser
la justice. » Le pi*oc()nsul lui dit : <i .Si vous ne vous repentez.
566 LETTRE
je vous ferai d<Svorer par les flammes, puisque les bètes ne
vous foDt point de peur. » Mais Polycarpe lui répondit :
« Vous me menacez d'un feu qui ne brûle que pour qd
temps, et qui s'éteint un moment après : c'est sans doute que
vous ne oonnoissez pas qu'il y a dans l'autre vie un feu qui
brûle toujours, et où les impies doivent être éternellement
punis. Mais que tardez-vous? Faites de moi ce que vous vou-
drez. »
Pendant qu'il disoit ces choses , et beaucoup d'autres sem-
blables, l'on voyoit naître en lui une force et une joie tonte
nouvelle, jusque-là que l'on remarqua même une grâce ex-
traordinaire sur son visage ; et il s'étonnoit si peu de tout ce
qu'on lui disoit, que le proconsul en étoit lui-même tout
épouvanté. Mais enfin il envoya un héraut pour crier trois
fois au milieu de l'amphithéâtre : c Polycarpe a confessé qa'3
est chrétien. » Aussitôt après ce cri, toute la multitude des
païens et des Juifs qui étoient datns Smyrne, étant comme
ransportée de fureur, commença à crier de toute sa force :
« C'est le docteur de l'impiété dans toute l'Asie ; c'est le père
des chrétiens; c'est le destructeur de nos dieux; c'est celui
qui enseigne à tout le monde de ne leur point sacrifier et
de ne les point adorer. » Et en même temps ib crierait à m
surintendant des jeux , nommé Philippe , qu'il lâchât un Ikn
sur* Polycarpe. Mais cet homme leur ayant dit qu'il ne k
pouvoit pas, parce que le temps de sa diarge étoit expiré, ib
crièrent tous unanimement que Polycarpe fût brûlé tout vif;
car il falloit que la vision qu'il avoit eue lorsqu'en priant 0
vit le chevet de son lit tout en feu fût accomplie , aussi bien
que les paroles qu'il avoit dites alors par esprit de prophétie',
en se retournant vers les fidèles qui étoient avec lui : « il
faut, leur dit-il, que je sois brûlé tout vif. »
Cette voix du peuple fut aussitôt suivie de l'effet : cette fb-
rieuse multitude ramassa promptement dans les boutiques et
dans les bains tout le bois qui étoit nécessaire pour le feu :
en quoi les Juifs signaloient leur ardeur par-dessus tous k$
autres, selon leur coutume.
Ainsi, le bûcher étant dressé, le saint martyr se dépouilla de
I . II y a prophéties^ au pluriel, dans rantographe.
DE L'ÉGLISE DE SMYRNE. ^G'j
ses vêtements, quitta sa robe , et commença à se déchausser,
ce que peut-être il n'avoit encore jamais fait, chaque fidèle
s'ëtant toujours empressé de lui rendre ce pieux office, afin de
trouver par là le moyen de baiser ses pieds sacrés : tant son
extraordinaire sainteté le rendoit vénérable à tout le monde
avant son martyre. L'on apprêta donc aussitôt tous les instru-
ments dont il étoit besoin ; mais comme il vit que Ton le vou-
loît clouer à un poteau : a Laissez-moi, dit-il, en cette posture.
Celui qui me donne le courage d'attendre le feu sans le craindre
me donnera aussi la force d'y demeurer ferme , sans que je
sois attaché avec des clous. j>
Ainsi, on ne le cloua point, et on se contenta de le lier
avec des cordes, après qu'il eut lui-même présenté ses mains
derrière le poteau afin d'y être attaché. Ce fut en cet état que,
comme un illustre agneau choisi du milieu du grand troupeau
de l'Église, et préparé pour être immolé en holocauste agréable
à Dieu, il éleva les yeux au ciel , et parla de cette manière :
« Seigneur, Dieu tout-puissant, père de Jésus-Christ, votre
cher fils, qui doit être béni de tous les hommes, et par qui
nous avons reçu la connoissance de votre nom; Dieu des
anges et des puissances, aussi bien que de toutes les créatures,
et particulièrement de tous les justes qui marchent en votre
présence, je vous bénis de ce que vous me faites la grftce ,
en ce jour et à cette heure, de me mettre au nombre de vos
martyrs, en me faisant boire le calice de Jésus-Christ, votre
fils, pour entrer, par l'incorruption de votre Esprit saint,
dans la résurrection et la vie étemelle de l'âme et du corps,
après que j'aurai été offert aujourd'hui devant vos yeux
comme un sacrifice agréable et parfait, selon que vous l'aviez
déjà ordonné, que vous me l'aviez montré par avance, et que
vous l'accompUssez présentement, ô Dieu qui êtes toujours
véritable et toujours fidèle. C'est pour cette grâce et pour
toutes les autres que je vous loue, que je vous bénis, et que
je vous glorifie, avec Jésus-Christ, votre cher fils, qui est
l'éternel dans le ciel, à qui, comme à vous et au Saint-Esprit,
gloire soit maintenant' et dans tous les siècles à venir. Amen. »
I . Racine avait d*abord ëcrit : « que je voua bënis, et que je
vous rends gloire, à vous, et à votre fils bien-aimé, Jésus-Christ,
568 LETTRE
Il n'eut |Mis plus tôt prtinoncé cette dernière parole que les
bourr^m mirent le feu au bûcher, qui ayant jeté, à riieure
même, une flamme éclatante, nous vîmes un miracle véritable-
ment grand; et Dieu a voulu que nous le vissions, afin que
nous publiassions ces merveilles à toute la terre ; car cette
flamme se courbant en forme d'arc, ou oonmie le vinle d'un
vaisseau enflé* par les vents, enveloppoit et environnoit de
toutes parts le saint martyr, dont le corps étoit au milieu des
feux, non point comme une chair qui griUoit, mais conmie un
pain qui cuisoit, ou comme de Tor et de l'argent qui se pu-
rifloit dans le fourneau; car nous sentîmes même une odeur
excellente qui en sortoit, comme si c'eût été de l'encens qu'on
eût brûlé, ou de quelque autre parfum précieux qu'on eût ré-
pandu.
Les idolâtres s'étant donc aperçus que le corps de Poly-
carpe ne pouvoit être consumé par les flammes, commandèrent
à un bourreau de s'approcher de lui, et de lui plonger un
poignard dans le sein. Il exécuta leur commandement, et
aussitôt il sortit de la plaie une colombe ^ qui fut suivie d'une
si grande abondance de sang que le feu en hit tout éteint: ce
qui fit admirer à tous les spectateurs l'extrême différence
qu'il y a entre les infidèles et les élus , du nombre desquels
étoit Poly carpe, cet admirable martyr, ce docteur vraiment
apostolique et prophétique de notre siècle , et enfin ce grand
évèque de l'Église catholique de Smyrne, qui n'a jamais pro-
noncé aucune parole qui n'ait été accomplie, ou qui ne doive
^'accomplir un jour.
Mais cet adversaire malicieux et jaloux du Ixmheur des
justes, considérant la gloire du martyre de ce saint et la con-
duite irréprochable de tout le reste de sa vie , et voyant bien
qu'il ne lui pouvoit ravir la couronne d'immortalité qu'il avoît
reçue, et le prix qu'il avoit si justement remporté par sa
course, fit tous ses efforts pour nous ravir au moins la pos-
rétemel et souverain prêtre, par qui gloire soit à tous, à lui, et a«
Saint-Esprit, maintenant.... »
t. Il j a bien dans le manuscrit : « le Toile enflé », et d<»
ia ¥oîU enflée.
9. Il n'est pas parlé de edomhe dans le texte d'Eus^be, mais seu-
lement dans celui d'Usserius. »
DK L'ÉGLISE DE SMYR>E. ^69
Âe&sion de ses reliques, lorsque plusieurs des nôtres se prépa-
roient à les recueillir, pour satisfaire à Tardent désir que nous
avions de voir un corps si saint au milieu de nous;
Il suggéfa donc à Nicëtès, père d'Hérode et frère d'une
femme nommée Alcès. d'aller trouver le proconsul pour le
prier de n'accorder point aux chrétiens le corps du martyr,
de peur, disoit-il, qu'ils ne commençassent à l'adorer, et
n'abandonnassent même leur Jësus crucifie : en quoi il étoit
secondé par les Juifs qui sollicitoient la même chose très-ar-
demment, nous ayant déjà empêchés de retirer ce saint corps
du milieu du feu. Ils ignoroient sans doute que les chrétiens
ne peuvent abandonner Jésus-Christ, qui est mort pour le
salut de tous ceux qui sont sauvés, et qu'ils n'en adoreront
jamais d'autres. Car, pour ce qui est de Jésus-Christ, nous
l'adorons comme fils de Dieu ; mais quant aux martyrs, nous
les honorons comme les vrais disciples et les imitateurs du
Seigneur, et nous les aimons autant que mérite l'amour ex-
trême qu'ils ont eu pour leur roi et pour leur maître, priant
Dieu qu'il nous fasse la grâce de les suivre dans la vertu,
et de les accompagner dans la gloire.
Lors un centenier, voyant le bruit que faisoient les Juifs
sur ce sujet, prit le corps du martyr, et le fit jeter au milieu
du feu pour être brûlé. Mais cela ne nous empêcha pas de
recueillir ensuite ses os et se^ cendres, qui étoient un trésor
pour nous plus estimable que l'or, et plus riche que les pierres
les plus précieuses , afin de les mettre dans quelque lieu vé-
nérable et digne de leur sainteté. Et c'est là que nous espé-
rons de Dieu la grâce de célébrer tous, avec allégresse et
avec joie, l'heureux jour de sa divine naissance , afin d'hono-
rer la mémoire de ces généreux athlètes de Jésus^hrist, et
de laisser à la po.stérité chrétienne l'exemple de leur zèle et
de leur ardeur, afin qu'elle s'efibrce de l'imiter.
Voilà, nos très-chers frères, tout ce qui s'est passé à
Smyme touchant le martyre que le bienheureux Poiycarpe y
a soufiert, avec douze autres disciples de Jésus-Christ, venus
de Philadelphie; mais sa gloire a tellement éclaté au-dessus
de tous les autres, que l'on n'entend que son nom dans la
bouche de tout le monde, jusque-là même que les païens ne
saurojent s'empAcher de publier ses louanges de toutes parts.
ri7o LETTRE
Il n'y a personne qui n'en parle, non-seulement comme d'un
des plus excellents maîtres de l'Église, mais comme d'un de
ses plus illustres martyrs, et qui ne désire très-ardemment
de pouvoir imiter un martyr si saint et si conforme à l'Évan-
gile de Jésus-Christ ; car ayant surmonté par sa constance la
cruauté d'un juge inhumain, et ayant reçu par ce moyen la
couronne de l'immortalité, il se réjouit maintenant en la com-
pagnie des apôtres et de tous les justes ; il glorifie Dieu le
père, et bénit son fils. Notre Seigneur, le sauveur de nos
âmes, le gardien de nos corps, et le souverain pasteur de
l'Église catholique répandue par toute la terre. Voilà les choses
dont vous nous aviez demandé un ample récit, mais dont nous
ne vous envoyons, pour le présent, par notre frère Marc,
qu'une courte relation. Au reste, nous vous prions que, quand
vous l'aurez lue, vous en fassiez^ part à tout le reste de nos
frères, afin qu'ils rendent aussi gloire à Dieu, qui sait si hmi
choisir ses fidèles serviteurs, et qui, en nous communiquant
sa grâce et ses dons, nous peut* faire tous entrer dans son
royaume étemel, par Jésus-Christ, son fils unique, à qui
soit gloire , honneur , force et grandeur dans tous les siècles.
Amen.
Saluez de notre part tous les saints. Nous vous saluons tous
aussi; et Évariste, qui a écrit la présente lettre, vous salue,
lui et toute sa maison.
Saint ' Polycarpe soufirit le martyre le a6. de mars ^, le
X. Racine a écrit : « tous en faisiez. »
9. Outre ce peui, II y en a un autre dans le manuscrit, après jm,
à la ligne précédente.
3. Dans ce dernier alinéa, traduit sur le texte d'Usserius, récri-
ture de Racine n'est pas tout à fait la même que dans les pages qui
précèdent; il parait avoir été ajouté un peu plus tard.
4. Racine a suivi Usserius, qui par les mots fjurjvbç ÇovOtxoO t&t-
xi^ entend le a6 mars. « A Smyme, dit-il, où Poiycaipe a souffert
le martyre, on commençait le mois appelé xantkique le aS mars. >•
Voyez son ouvrage : Ignatii....et Poljcarpi.... martjrria, k la page 69,
et aussi a la page 70, où il corrige la phrase : irpb brch. xaXovSûY
Maftov. Dans les Notes de Henri de Valois, dont Racine n*a pas tenu
compte ici, quoiqu'elles soient à la suite du texte d'Eusèhe dans
l'édition de 1659, il est dit (p. 70) qu'à Smyme le mois xan-
DE L*ÉGLISE DE SMTRNE. 571
jour du grand samedi *, à la huitième heure (c'est-à-dire à
deux heures après midi). It fîit pris par Hërode, intendant de
la police *, Philippe de Trallie' étant pontife (c'est-à-dire exer-
çant parmi les païens le sacerdoce auquel étoit attachée la
surintendance des jeux publics, que les païens estimoient sa-
crés parce qu'ils les faisoient à l'honneur des Dieux ^), Sta-
tius Quadratus étant proconsul, et Jésus-Christ régnant dans
tous les siècles, à qui soit gloire, honneur, majesté et empire
éternel, dans la suite de tous les âges. Amen. •
thique devait commencer le ta férrier, puisqu'il en était ainsi dans
le reste de l'Asie. Valois dit donc que saint Poljrcarpe souffrit le
martjrre le i3 février. Le a6 mars est la date donnée par la chro-
nique d'Alexandrie.
' I. La veille de Pâques, dit Halloix, suivant lequel, en Tan-
I née 169, Pâques tombait le 27 mars. Valois, à la page déjà citée
i de ses Notes ^ dit que les opinions des savants varient beaucoup sur
{ le grand sabbat. Suivant Gilles Boucher, c'éuit le sabbat où tom-
bait le premier jour des Azjmes; suivant d'autres, la fête du Purtm
ou des sorts.
9. Hérode n'est pas qualifié dans ce passage du texte grec; mais
Racine lui a donné le même titre que plus haut, p. 563.
3. Ou plutôt de Tralies ou Tntllis^ ville de Lydie.
4. Cette glose de Racine est à peu près la traduction de la note
i d'Usserius (p. 70) sur les mots : int d^py^iepiioc 4>iX(7»rou Cum
enim sacra haberentur ista eertamina^ et fest'ms diebus in Deorum ho»
norem exhiberi solîta , qui eis prsserant in saeerdotum ordinem prias
eooptabaniw.
LA VIE DE SAINT POLYCARPE.
Voici* comme Irénëe parle de saint Polycarpe dans son
troisième livre des Hérésies :
Polycarpe non-seulement a ëté instruit par les apôtres, et
a eu une étroite liaison avec un grand nombre de ceux qui
ont vu Jésus-Christ; mais même les apôtres l'ont ordonné
évèque de l'Église de Smyme en Asie. Nous l'avons vu nous-
même* dans nos premières années, car il a vécu fort long-
temps, et après être parvenu jusqu'à une extrême vieillesse,
il a enfin couronné sa vie par un très-illustre et très-glorieux
martyre.
I . Racine a écrit ici à la marge : « Siueh.^ livre 4* c. i3. ji (Voyez
la Nottctyi^. 44a et 443-) Au-dessus de cette indication et plus prèsdu
titre, il a encore écrit la note suivante : uPoljrcatp. terpire Chriito
capit un, Chr, 83. MpUe, crgat., au plus tard, en 98 de J. C, s'il
est vrai, comme dit Tertullien, </« Prmseripi,^ c. 3a, et Eus. 1. 3,
c. 35, et saint Jérôme, Je Scr. eceies., qu'il ait été sacré évéque de
Smyme par Tapôtre saint Jean. V. i/sser in Pot. aei.^ p. 61 ei 69.
Selon ce calcul, qui paroit indubitable, il a été plus de 70 |aos|
évéque. t — Usserius, en effet, à la page 61 du livre que nous
avons d<^jà cité (c'est dans la partie de ce livre qui a pour titre :
In acta martjrrii s. Poljcarpl^ ab Ecelesia êmyrnensi eonseripia), ren-
voie à sa Préface où il a dit : j4b tmno 'vulgaris epoekœ Cf.xix,
ad quem passionem Poljcarpi referimtUf snbduct'u 86, reiinquiiur ejus»
dem epochm annus Lxxxin, que non natum quidem illum, sed renatam
Chris to primum nomen dédisse dicamus necesse est, Usserius dit de
plus, à la page 6a : Constat,... ultra lxx annos episeopatum smjrmen»
sem obtinuisse Poljrcarpum, Les passages de Tertullien et de saint
Jérôme auxquels Racine renvoie sont également cités par Halloix,
qui en donne le texte, à la page 469 de ses lilustrittm orientalis
ecelesiss scriptorum qui primo Christi smeufo floruêrunt Fittt et Doctt-
menta (i633). Racine a-t-il eu ce livre aussi entre les mains? Noos
n'en trouvons aucun autre indice.
a. Il y a ici nous-mêmes ^ avec j, dans le manuscrit.
LA VIE DE SAINT POLYCARPE. 5;^
Il n'a jamais enseigne d'autre doctrine que celle qu'il avoit
reçue des apôtres, et que nous recevons de l'Eglise, comme
en effet il n'y a que celle-là seule qui soit vëritable. Aussi
toutes les Eglises d'Asie, et ceux qui jusques aujourd'hui ont
été assis dans la chaire de Polycarpe, témoignent assez par
leurs sentiments et par leur conduite, combien ce grand
homme a été un témoin plus vénérable et plus fidèle de la
vérité que Valentin, Marcion, et autres semblables prédica-
teurs du mensonge.
Ce fut lui qui étant venu à Rome sous le pontificat d'Ani-
cet, ramena à l'Église de Dieu plusieurs de ceux que ces mal-
heureux hérétiques avoient arrachés de son sein , publiant
partout qu'il n'avoit reçu des apôtres que la seule et unique
vérité qui étoit enseignée par l'Eglise.
Il y a encore aujourd'hui des personnes qui lui ont autrefois
entendu dire que Jean, le disciple du Seigneur, étant à Ephèse,
alloit un jour pour se laver, et qu'ayant trouvé Cerinthe dans
le bain, il en sortit aussitôt avant que s'être lavé, en disant :
« Hâtons-nous de nous retirer d'ici, de peur que le bain où
est Cerinthe, cet ennemi de la vérité, venant à tomber, nous
ne nous trouvions enveloppé dans ses ruines*. »
Aussi Polycarpe lui-même ayant rencontré un jour Mar-
cion, qui se présenta devant lui en lui disant : c Voilà Marcion
devant vous ; il faut qu'aujourd'hui vous le connoissiez. —
Je vous connois déjà bien, répondit-il ; je sais que vous êtes le
fils aîné du démon. » Tant les apôtres et leurs disciples ont
fait scrupule d'avoir le moindre commerce, non pas même
d'un simple entretien, avec les hérésiarques qui falsifioient et
corrompoient la vérité ecclésiastique*
Nous avons aussi une excellente lettre que Polycarpe écri-
vit aux Philippiens, et c'est là que tous ceux qui ont quelque
soin de leur salut peuvent apprendre, s'ils veulent, quelle a
1 . 0 semble que Racine se soit souvenu de ce passage, lorsqu'il
a mis dans la bouche de Joad des paroles qui rappellent celles de
saint Jean. Voyez les vers io9i-ioa4 d*jithaiiê,
a. Racine a effacé ici cette phrase, qu'il avait d'abord, comme
tout ie reste, traduite d'Eusèbe : « Et c'est ce que saint Paul nous
enseigne, lorsqu'il dit [ÉpHre à Tite^ ehapitr* in, vertet lo] : Fuyez
rhérëtiqne^ après que vous l'aurez averti une ou deux fois. «•
574 Là VIE
été la foi que ce grand saint a tenue, et la vérité qa'3 a en-
seignée.
Le bienheureux Polycarpe étant venu à Rome sous le pon-
tificat d'Anicet^ ils traitèrent ensemble de quelques petits
diBërends qui étoient entre eux, et ils les accordèrent aussi-
tôt, ne voulant pas même entrer dans une dispute contentieuse
touchant le jour de la célébration de la Pâque, qui étoit leur
principal différend ; car Anicet ne pouvoit pas persuader à Po-
lycarpe de ne point garder une coutume qu'il avoit toujours
pratiquée avec Jean, le disciple de Notre-Seigneur, et avec les
autres apôtres, en la compagnie desquels il avoit vécu, non
plus que Polycarpe ne pouvoit pas persuader à Anicet de ne
point garder une coutume qu'il disoit avoir été pratiquée par
tous les prêtres, c'est-à-dire par tous les prélats de son Église,
qui avoient été ses prédécesseurs.
I. Racine a écrit ici en marge : c Idem lrên,in epUt,adFîct.apmi
Mus, l, 5, c. a 4 ijdem Irenmus^ in epistola adVictorem apud Eusehîum^
etc.). > C'est rindication du passage d^Eusèbe dont la traduction
commence. — Au-dessus de cette note, entre la dernière ligne du
paragraphe précédent et la première de celui-ci, on lit cette autre
note : « An. 167 ex Baron, et Petav. 5. M. Anr. i. Anic. (Âtmo 167
ex Beromo et Petwioy ^uinto M. AureUiy primo Jnieeti,) 1 Baronins
en effet, au tome I, p. 348 de ses Annmles eeeUsuutiques (Paris,
M.DC.XVI), dit que -ce fut Tan de Jésus-Christ 167 quePoIjcaipc
vint à Rome; et, selon lui (p. 347), cette année était la cinquième
de Tempire de Marc-Aurèle, la première du pontificat d'Anicet. En
conséquence, il place le martyre de saint Polycarpe en Tannée 169
(p. 349)- Mais quant au P. Petau, Racine s'est trompé en citant
son témoignage. L'année que ce père compte comme la cinquième
de l'empire de Marc-Aurèle, et la première du pontificat d' Anicet,
est l'année i65, qui, selon lui, fut celle aussi où saint Polycarpe
▼int à Rome. Voyez le tome II de son livre de Doctrmm tempo-
rum (Paris, M.DC.XXVII), p. 689. A la page suivante, le P. Pe«
tau dit que saint Polycarpe souffrit le martyre en l'année 167;
les BoUandistes {Aeta Sanetorum^ janvier, tome II, p. 691) regar^
dent cette date comme la mieux établie. Halloix (p. $73) vent
que le saint soit venu à Rome l'an de Jésus-Christ 160 : « Baro-
nins, dit-il, a fait usage d'une chronique d'Eusèbe inooneote et
fautive. » Pour le martyre de saint Polyeaipe, Halloix admet
(p. 583) la date de 169. Henri de Valois, k la page 109 de set
^otesy conteste aussi les dates de Baronius*
DE SAINT POLYCAaPE. 575
Ils communiquèrent donc ensemble comme amis et comme
frères, et Anicet laissa célébrer dans l'Église à Polycarpe les
mystères de TEucharistie, pour le respect qu'il lui portoit.
Enfin ils se séparèrent en paix l'un de l'autre; et ainsi ceux
qui observoient la coutume de Rome, ou qui ne l'observoient
pas, demeurèrent dans l'union de l'Eglise universelle.
EXTRAIT
D'UNE LETTRE DE SAINT IRÉNÉE A FLORIN,
QUI irOIT TOMBÉ DANS l'hÉKKSIE DBS VALENTINIRNS.
Ce n'est pas làV <> Florin, la doctrine qui vous a été ensei-
gnée par les prêtres /'c'est-à-dire par les évèques') qui ont été
avant nous, et qui eux-mêmes avoient été instruits dans l'école
des apôtres. Car je me souviens qu'étant encore enfant , je
vous ai vu dans l'Asie Mineure, auprès de Poly carpe, lorsque
vous viviez à la cour de l'Empereur avec tant d'éclat, et que
vous faisiez tous vos efforts {jour vous insinuer dans les bonnes
grâces de ce saint homme. Je me souviens même beaucoup
plus des choses qui se sont poissées alors, que de celles qui
sont arrivées plus nouvellement, tant il est vrai que ce que
nous avons vu dans notre enfance croît en nous à mesure que
nous avançons en âge, et s'unit tellement avec notre âme
qu'il ne s'en peut plus séparer : de sorte que je pourrois dire
encore quel étoit le lieu où étoit assis le bienheureux Poly-
carpe, lorsqu'il nous instruisoit, quelles étoient ses démarches
et ses gestes, son genre de vie et la forme de son corps, quels
discours il tenoit au peuple, et la manière dont il racontoit les
entretiens qu'il avoit eus avec saint Jean et avec les autres
disciples qui avoient vu Jésus-Christ, les paroles qu'il avoit
entendues d'eux, et les choses qu'ils lui avoient dites touchant
le Seigneur, ses miracles et sa doctrine; ce que Polycarpe
ayant appris de ceux mêmes qui avoient été les témoins ocu-
laires de la vie du Verbe incamé, nous le racontoit aussi,
conformément à ce que nous voyons dans les saintes Ecritures.
I. Racint* a écrit m margi* : « Eus, f. 5. eap, 19. » Voyez ci-
deMus, la Nolict\ p. 44^*
9. Glose ajouté<> par Racine.
LETTRE DE SAINT IRÉNEE A FLORIN. 677
Dieu donc ayant eu tant de miséricorde pour moi, qu'il a
voulu que je fusse présent à tous les discours de ce grand
saint, je les écoutois attentivement, et je les gravois, non pas
sur du papier, mais dans le fond de mon cœur, où, par la grâce
de Dieu, je les conserve encore, et les repasse continuellement
dans mon esprit.
Aussi puis-je assurer devant Dieu que si ce bienheureux et
apostolique prêtre (c'est-à-dire prélat*) eût entendu une si
étrange doctrine, il se fût écrié aussitôt en se bouchant les
oreilles, et en disant selon sa coutume : « Ô bon Dieu, m'avez-
vous laissé dans le monde jusques à cette heure afin que j'eusse
la douleur d'entendre des dogmes si abominables ? ]» Je ne doute
pas même qu'à l'instant il ne s'en fût enfui du lieu où on lui
eût tenu de tels discours, en quelque état qu'il se fût trouvé,
et soit qu'il y eût été debout ou assis. C'est ce que l'on peut
reconnottre clairement par les lettres qu'il a écrites, «oit aux
églises voisines de la sienne, pour les confirmer dans la vé-
rité, soit à quelques-uns des frères, pour les avertir de leur
devoir et les exhorter à l'accomplir.
I . Glofe de Racine.
■^^
J. Racxvs. y 37
ÉPÎTRE DE SAINT POLYCARPE,
ivftQUB DB SMTKRB, BT 8AGBÉ MAKTTB DB JÉSUB-CHKIST,
AUX PHILIPPIENS ».
PoLTCABra et les prêtres qui sont avec lui, à l'Église de
Dieu qui est dans Philippes. Que le Dieu tout-puissant et le
Seigneur Jësus-Christ, Notre Sauveur, rëpande sur vous avec
plénitude sa miséricorde et sa paix.
Je me suis beaucoup réjoui en Jésus-Christ, Notre Seigneur,
de ce que vous avez dignement reçu chez vous des personnes
qui sont des modèles vivants de la parfaite charité, et que
vous avez ' accompagné, comme vous deviez, ceux qui étoient
chargés de ces chaînes honorables qui sont de précieuses
couronnes pour ceux* que Dieu et Notre Seigneur ont parti-
culièrement choisis pour rendre témoignage à la vérité.
Au reste ^, mes frères, ce n'est pas de mon propre mouve-
ment que je vous écris ici de ce qui regarde les devoirs de la
piété et de la justice; mais parce que c'est vous-mêmes qui
m'y avez engagé par vos prières ; car moi , ni tout autre qui
me ressemble , ne sommes point capables de suivre que de
I . Sur le texte grec et latin de cette Èpùrty rayez ci-dessus, la Ao-
tiee, p. 445 et 446.
a. Dans rédition de M. Aimé-Martin on a imprimé « que roiu
aviez. » M. Aignan relèye rincorrection de la phrase; mais cette
incorrection n'est pas du fait de Racine, qui a écrit : « que toiis
avez. »
3. Il entend S' Ignace, arch. d'Ant. {archevêque JPJmiioeke)^ lo-
zime et Rufe. {Note de Racine,)
4. Deux longs paragraphes du texte manquent ici dans la tra-
duction de Racine. Dans la suite il a également omis plnsieuit
passages. Il nous parait superflu dénoter ces omissions volontaires.
ISPlTRE DE SAINT POLYCARPE. $79
bien loin la sagesse de l'illustre et bienheureux Paul, qu
vous ayant autrefois honores de sa présence, vous a si par-
faitement instruits S et si puissamment affermis dans la parole
de la vérité, et qui même, lorsqu'il étoit absent et éloigné de
Philippes, a écrit des lettres si excellentes, que si vous les lisez
et les considérez avec soin, vous pourrez vous établir de plus
en plus dans la foi qui vous a été donnée de Dieu, laquelle
est la mère qui vous a tous enfantés, qui est suivie de l'espé-
rance, précédée et conduite par l'amour envers Dieu, Jésus-
Christ et le prochain ; car quiconque est animé de ces trois
vertus a accompli les préceptes de' la justice évangélique,
puisque celui qui est possédé de l'amour divin est éloigné de
tout péché.
Au contraire, l'avarice est la source de tous les maux. Sou-
venons-nous donc que nous n'avons rien apporté dans le
monde,- et que nous n'en emporterons rien aussi*. Armons-
nous des armes de la justice*. Apprenons premièrement à mar-
cher dans les commandements du Seigneur ; et après cela,
instruisez vos femmes à marcher aussi dans la foi qui leur a
été donnée de - Dieu , dans la charité et la pureté. Qu'elles
aient toujours un amour sincère et véritable pour leurs maris,
et une charité qui se répande également sur tous les autres,
et qui soit accompagnée d'une parfaite continence. Qu'elles
instruisent leurs enfants dans la connoîssance et dans la crainte
de Dieu.
Que les veuves se conservent chastes et modestes, marchent
pour honorer la foi du* Seigneur ; qu'elles prient continuellement
pour tout le monde ; qu'elles soient éloignées de toutes sortes
de calomnies, de médisances, de faux témoignages, d'avarice
et de péché; et qu'elles se représentent sans cesse qu'elles
sont les autels vivants de Dieu.
Considérons que l'on ne se moque point de Dieu', et me*
I . Racine a en entre écrit uuiruit, sans PefTacer, deyant si^ à la
ligne précédente.
s. P* épure de sùint Puul k Timothéej chapitre vi, rertet 7.
3. Comparez VÊpitre de saint Paul aux Éphésiens, chapitre ti,
verset 11.
4. Racine avait mis d*ahord : <« marchent dans la foi. »
5. Épitre de saint Paui aux Galates^ chapitre ti, verset 7.
58o ÉPlTRE DE SAINT POLYGAEPE
lums une vie qui soit conforme à ses commandements et qui
puisse servir à sa gloire.
Que les diacres se rendent toujours irréprâiensibles en la
présence de sa justice, et qu'ils vivent ccHume des ministres
de Dieu en Jésus-Christ, et non pas comme des ministres des
hommes.
Pour vous autres, mes frères, soyez soumis aux prâtrea et
aux diacres, comme à Dieu et à Jésus-Christ.
Et vous, vierges, que votre conduite soit irréprochable, et
que votre conscience soit toute chaste et toute pure*.
Que les prêtres soient pleins de charité, de tendresse^ et
de compassion envers tout le monde ; qu'ils ramènent dans le
chemin du salut ceux qui en sont égarés ; qu'ils visitent tous
les malades ; qu'ils ne négligent ni la veuve, ni l'orphdin , ni
le pauvre; mais qu'ils aient soin de faire toutes sortes de
bonnes œuvres devant Dieu et devant ]m hommes. Qu'ils
s'abstiennent de toute colère, de tout égard aux différentes
conditions des personnes, et de tout jugement injuste; qu'ils
soient éloignés de toute avarice ; qu'ils ne croient pas facile-
ment le mal que l'on dit contre quelqu'un; qu'ils ne soient
point précipités dans leur jugement; qu'ils ne dcmnent jamais
aucun sujet de scandale; qu'ils évitept les faux frères et ceux
qui se servent du nom du Seigneur pour couvrir leur hypo-
crisie, et tromper les simples.
Car quiconque ne confesse point que Jésus-Christ est venu
en une véritable chair, est un antechrist'; quiconque ne con-
fesse point le martyre [de la] croix, est enfant du diable; et
quiconque altère les paroles du Seigneur pour les accommoder
à ses propres passions en niant et la résurrection des morts
et le jugement à venir, est le fils afné de Satan.
Fuyons donc les vaines et fausses doctrines de ces ccNTvp-
teurs, et embrassons la vérité que nous avcms reçue par tradi-
t . Dans l'autographe : « tout pure. »
s. On lit dam Tédition de M. Aimé-Martin : « de tendrene
pure. » Dans le manuscrit, le mot purt est au-dessus de la ligne,
mais il appartient à la phrase précédente, qu'il termine, et où d*ail>
leurs M. Aimé-Martin l'arait déjà placé.
3. Z'* éfiire de saïmi Jêoa^ chapitre iv, verset 3.
AUX PHILIPPIENS. 58i
tioD dès le oommencement de rÉvangiie ; soyons vigilants dans
les prières et infatigables dans les jeûnes^
Je vous exliorte tous d'ëoouter avec une entière docilité la
parole' de la justice, et de faire tous vos efforts pour imiter
cette admirable patience que vous aves^ vu pratiquer de vos
propres yeux, non^seulement aul bienbeureux Ignace, Zoâme
et Rufe, mais à plusieurs autres de vos frères, au grand Paul
lui-même , et à tout le reste des apôtres : considérant que
tous ces saints n'ont pas couru en vain et sans récompense,
mais qu'étant parvenus jusques au bout de la carrière de la
foi et de la justice, ils y ont reçu le rang et la place qui leur
étoit due près du Seigneur qu'ils avoient suivi dans ses souf-
frances, n'ayant point ajaié le siècle présent, mais seulement Ce-
lui qui est mort pour nous, et que Dieu a ressuscité pour nous.
Je me suis beaucoup. a£Bigé pour Valens, qui a été autre-
fois ordonné prêtre parmi vous, lorsque j'ai su combien il
connolt peu la dignité à laquelle il a été élevé. Et c'est pour-
quoi je vous conjure d'être exempts de toute avarice, d'être
toujours cbastes et sincères, et de vous éloigner de tout pé-
ché; car comment celui qui ne sait pas se gouverner lui-
même pourra-t-il instruire lep autres'?
Quiconque se laisse corrompre par l'avarice, sera bientôt
souillé de l'idolâtrie, et réputé entre les païens. Y a-t-il per-
sonne d'entre vous qui ne sache point le jugement du Sei-
gneur? Ignorons-nous que les saints jugeront le monde ^, sel<»i
que Paul nous l'apprend? Pour moi, je n'ai jamab cru ni en-
tendu de vous aucune chose semblable. Aussi avez-vous été
I . Racine avait ainsi tradnît le reste de la phrase, mais il a en-
suite effacé cette fin : « demandant continuellement à Dieu, à qui
rien n'est caché, qu*il ne nous laisse point tomber dans la tentation,
le Seigneur ayant dit lui-même que l'esprit est vif, mais que la chair
est infirme. » Ces dernières paroles sont tirées de VÉpangUê de saint
Matthieu^ chapitre xxvi, verset 41 •
a. Il y a « les parole (sic) » dans le manuscrit. — A la ligne sui-
vante. Racine avait mis d'abord : « que vous avez vue, » puis il a
ajouté pratiquer dans Tinteriigne.
3. Comparez la F* épUra de saint Paul à Tlmothét^ chapitre m,
verset 5.
4. i^ épUr9 de saint Paul aux Corinthiens^ chapitre vi, verset a.
58a ÉPlTRE DE SAINT POLYGARPE
instruits par ce grand apôtre, et tous avez ëté les premiers
honorés de ses lettres. C'est de vous qu'il se glorifie à toutes
les Églises qui connoissoient Dieu, en un temps où nous au-
tres qui sommes à Smyme ne le connoissions pas encore.
Je ne puis donc, mes frères, ne point ressentir une ex-
trême douleur pour ce Valehs et pour sa femme, et je sou-
haite de tout mon cœur que Dieu leur donne la grâce d'une
véritable pénitence. Au reste, soyez doux et modérés envers
eux, et ne les regardez pas comme vos ennemis*, mais oHnme
des membres malades et blessés que vous devez tâcher de
guérir, afin que tout le corps de votre Église jouisse d'une
parfaite santé. Et c'est en agissant de la sorte que voas opé-
rerez vous-mêmes votre salut*....
Je prie Dieu, le père de Notre Seigneur Jésus-Christ, et
Jésus-Christ lui-même, qui est le fils de Dieu et le grand
prêtre étemel, de vous établir sur lé fondement inébranlable
de la vérité, de vous donner un esprit de douceur et exempt
de toute colère, de vous faire marcher devant lui avec tonte
sorte de patience, de modération, de persévérance et de pu-
reté, et enfin de vous faire part de la gloire de ses saints
aussi bien qu'à nous et à tous ceux qui vivent maintenant sur
la terre, et qui doivent croire un jour en Jésus-Christ, Notre
Seigneur, et en son Père qui l'a ressuscité d'entre les mcNrts.
Priez pour tous les saints; priez pour les rois , les puis-
sances et les princes, pour ceux qui vous persécutent et vous
haïssent, et pour les ennemis de la croix : afin que travaillant
pour le salut de tout lé monde, vous parveniez vous-mêmes,
par ce moyen, au comble de la perfection.
Vous m'avez écrit, vous et Ignace, que si quelqu'un va
d'ici en Syrie, nous y fassions' tenir vos lettres. Je ne man-
I. Comparez VÉpîire // aux l%es4aionieieHt, chapitre m, rer-
set i5.
a. Après cette phrase on lit sous les ratures cette traduction de
la suite de la Tersion latine; le grec de cette partie est perdu
« Car je ne doute pas que tous ne soyez beaucoup rersés dans la
lecture des livres saints et que tous n*ayez une entière connois-
sance de tout ce qu'ils contiennent. »
3. n y a faisions dans le manuscrit. Voyez ci-dessus, p. $70,
note I.
AUX PHILIPPIENS. 583
querai pas de le faire dès qu'il s'en présentera quelque oc-
casion favorable.
Nous vous envoyons, comme vous l'avez désiré, les lettres
d'Ignace, tant celles qu'il nous avoit adressées que toutes les
autres que nous avions entre nos mains. Nous les avons mises
à la suite de cette lettre, et vous en pourrez sans doute tirer
un très-grand profit. Car elles contiennent la véritable doc-
trine de la foi, de la patience, et de tout ce qui sert à l'édi-
fication de notre âme en Jésus-Christ, Notre Seigneur.
Je vous envoie cette lettre par Crescens, dont vous savez
que je vous ai toujours recommandé le mérite^, et que je vous
recommande encore particulièrement; car il a mené une vie
tout à fait irréprochable tant qu'il a été parmi nous, et je
crois qu'il ne vivra pas avec vous d'une autre sorte. Je vous
recommande aussi beaucoup sa sœur, lorsqu'elle sera arrivée
en vos quartiers. Je souhaite que vous soyez toujours fidèles
à Jésus-Christ, et que sa grâce vous remplisse tous. Amen.
I . « Le mérite » est écrit au-dessas de « la personne, » qui n*eftt
pas effacé.
DE SAINT DENYS,
▲ ECHBViQUB d'aLEXANDKIB*,
L'RMPBABua^ Philippe ëtoit sur la troisième année' de son
empire, lorsque Hëracle étant passé de cette vie en l'autre,
après seize ans d'épisoopat, Denys lui succéda dans le gouver-
nement des Églises d'Alexandrie.
Quant ^ aux choses qui lui arrivèrent, je rapporterai ici ce
qu'il en dit dans la lettre qu'il a écrite à Germain, où il parie
de lui-même en cette manière : « Pour ce qui est de moi, dit-
il, je parle en la présence de Dieu, et il sait que je ne mens
point et que je n'ai jamab pensé à me retirer de mon propre
mouvement, et sans m'y être vu. engagé par l'ordre de sa
Providence. Gela est si vrai que, lors même que l'édit de b
I. Voyes ci*deMut, la Notice^ p. 44 >« 44^ ^ 44^-
3. Racine a écrit k la marge : « Euseh, 1. 6, ch. 3S. » Ce
paragraphe forme à lui leol le chapitre xxxr da livre VI de VBU-
taire eeclésiastiqus d*£usèbe, aussi bien dans Tédition de 16S9 que
dans celle de i8a8.
3. A la marge, dans le manuscrit : •Armo Christ. 14^* ^^> 10. *
Dans les Annales seeiésiastiquês de Baronius, tome I, p. 444* *^ li^ •
« L*an de Jésus-Christ ^48, du pape Fabian 10, de l'empire de
Philippe 3, Denys fut fait éréque d'Alexandrie, après le trépas
d'Héraclas, qui Tavoit été dooie ans selon Ensèbe, ou qoatone à
qui y Tondra prendre garde de plus près. » Racine ne s'écarte de
Baronitts que pour le nombre d'années qu*il donne à i'épiseopat
d'Héracle. Ce nombre d'années diffère selon les éditions d'Eosèbe.
Dans celle de 1659, que Racine a suirie, il y a (de même que dam
celle de i8s8) : ixxa((txa. La traduction latine de Chriatophonon
(▼oyex l'édition de i58i) donne : wuUeim ùÊtnis,
4. A la marge dans le manuscrit : « là. ^mp, xx.. » Racine, dans
la divbion des ohapitreK. continue a suivre l'édition de 1659.
DE SAINT DfiNYS. 585
persecotion de Dèce^ fut publié, Sabin ayant envoyé auMitAt
Frumentaire pour me chercher, je demeurai quatre jours en-
tiers dans ma maison, attendant que cet homme m'y vtnt
trouver, lequel cependant paroouroit tout le pays pour ce su-
jet, visitant les chemins, les fleuves et les canq>agnes, et gé-
néralement tous les lieux qu'il croyoit me devoir servir ou
de retraite ou de passage. Il falloit sans doute qu'il fût frappé
de quelque aveuglement pour ne pcMnt trouver ma maison,
ou plutôt il ne pouvoit s'imaginer que je demeurasse chez moi
en un temps où l'on me recherchoit de toutes parts. Mais en-
fin, Dieu m'ayant commandé, quatre jours après, de me reti-
rer, et m'en ayant ouvert le chemin d'une manière toute
miraculeuse, je sortis, quoique avec peine, de ma maison, ac-
compagné de mes domestiques et de plusieurs de nos frères.
Et les choses qui sont arrivées depuis font bien voir que tout
ce qui s'est passé en cette occasion a été véritablement un
ouvrage de la providence de Dieu, puisque nous n'avons pas
peut-être été inutiles à quelques personnes. >
Et un peu après il rapporte ce qui suivit sa retraite, et
continue ainsi son discours :
« Etant tombés sur le soir entre les mains des soldats, moi
et tous ceux qui m'accompagnoient, nous fûmes amenés à Ta-
posiris*. Cependant Timothée, qui par la providence de Dieu
ne s'étoit pas trouvé avec nous, et n'avoit point été pris,
étant revenu ensuite à la maison, il la trouva toute déserte
et environnée de soldats qui la gardoient, et sut que nous
étions tous prisonniers. Ecoutez maintenant, poursuit-il, quelle
a été l'admirable conduite de la sagesse de Dieu; car je vous
dirai au vrai ce qui s'est passé. Timothée s'étant mis en fhile,
et étant tout rempli de trouble et de frayeur, eut à sa ren-
contre un paysan qui lui demanda la cause pour laquelle il
couroit avec tant de hâte. Timothée lui avoua sincèrement ce
qui se passoit : ce que cet homme ayant entendu, entra aus-
sitôt dans une maison où il alloit pour se trouver à quelques
noces qu'on y célébrait (car ces sortes de gens ont coutume
I. A la marge : « An, a53. •
3. Petite rille d'Egypte, entre Canope et Alexandrie. (Hotê de
Hacine.) — H y avait trois villes de ce nom en Egypte.
586 DE SAINT DENYS.
de passer les nuits entières en ces festins), et il mooiita U
chose à ceux qui y ëtoient assembles et qui s'<Stoient déjà mis
à table, lesquels s'ëtant levés à Theure même, et avec autant
de promptitude que s'ils en eussent reçu le signal, se mirei^
à courir de toute leur force, et se vinrent jeter avec de
grands cris dans le lieu où nous étions, lequel ayant été aus-
silèt abandonné des soldats qui nous gardoient, ces gens s'ap-
prochèrent de nous, et nous trouvèrent sur quelques coudbet-
tes, qui n'étoient couvertes de rien. Quant à moi. Dieu m'est
témoin que je les prenois d'abord pour des voleurs, qui n é-
toient venus que pour piller et que pour faire quelque butin;
et ainsi, sans bouger de dessus le lit où j'étois couché « je
commençai à me dépouiller, et n'ayant laissé sur moi qu'une
simple robe de lin, je leur présentois déjà le reste de mes vè-
tements. Mais ils me commandèrent de me lever et de me re-
tirer au plus tôt. Ce fut alors que m'apercevant du sujet
pour lequel ils étoient venus, je m'écriai en les suppliant avec
instance de se retirer eux-mêmes, et de nous laisser en ce
lieu; ou plutôt, s'ils nous voulment faire quelque faveur,
d'exécuter par avance le dessein de ceux qui nous avoient
amenés, et de me couper la tète. Pendant que je m'écriois de
la sorte, comme tous ceux qui m'ont suivi et accompagné
dans tous mes travaux le savent assez, ces gens me firent le-
ver par force. Mais m' étant ensuite jeté par terre, ils me pri-
rent par les mains et par les pieds, et m'enlevèrent hors de
ce lieu. Je fus aussitôt suivi de ceux de nos frères qui ont été
les témoins de tout ce que je viens de rapporter, savoir Gaje,
Fauste, Pierre et Paul, lesquels, m'ayant pris eux-mêmes en-
tre leurs bras, m'emportèrent hors de cette petite ville, et
m'ayant fait monter sur un âne qui n'étoit point sellé, me ra-
menèrent en cet état. » Ce sont là les choses que Denys écrit
de lui-même.
DES SAINTS MARTYRS D'ALEXANDRIE. 58;
DES
SAINTS MARTYRS D'ALEXANDRIE *•
Voici comme il' raconte, dans sa lettre à Fabius, évcque
d'Antioche, les combats de ceux qui souffrirent le martyre dans
Alexandrie, sous l'empereur Dèce : « Ce ne fut Tédit de TEm-
pereur qui alluma la persécution qui s'est ëlevée contre nous,
car elle a prévenu d'une annë» entière la publication de cet
cklit *. Ce fut donc un je ne sais quel faux prophète et magi-
cien qui , par la prédiction des maux dont il menaçoit la ville
d'Alexandrie, émut et excita contre nous toute la multitude
des païens, échauffant en eux cet esprit de superstition qui
I. Racine a écrit en marge : « ih. chap. ^i. » Au Heu de £m-
sèhe, livré VI, il a mis IbUiem, cette traduction faisant suite a la
précédente, ou il a cité les chapitres xxxt et xl du même livre VI.
Voyez ci-desêus, la Notice^ p. 449, 443 et 44^-
a. Saint Denyt.
3. ^«11. Christ, aSa. Philon, de l^gatione ad Cajum ^ p. 1009,
décrit une sédition qui s^étoit élevée dans Alexandrie contre les
Juifs, et tous les supplices qu^on leur faisoit endurer, le pillage de
leurs biens, et plusieurs autres traitements tous semblables à ceux
qu'ils faisoient souffrir aux chrétiens; et Ton j peut voir combien
ce peuple étoit sujet aux séditions, et combien étoit furieuse la
haine qu'il portoit de tout temps contre les Juifs, avec lesquels il
confondoit aisément les chrétiens. Il en parle encore fort ample-
ment dans le traité Contra FiaecwH. Il y décrit le naturel des
Alexandrins, et ce qu'il en dit est fort beau. U dit entre autres : t^
al'fwrnoxbv Sià Ppax,ui^w ontvOrjpoc tScoObç ixç uoav cxémç. Dion en
parie en mêmes termes. {Note de Racine,) — La page 1009 indiquée
dans cette note se rapporte à Tédition qui a pour titre : Philonis
Judmi omnia qum estant opéra. Ex accuratissima Sigismundi Gelenii et
aliorum interpretatione, Lutetim Parisiorumy M. DC.XL (in*folio).
Dans cette même édition , à la page 967 du traité In Flaceum^
est la phrase dont Racine cite le texte grec, et que l'interprète la-
tin traduit ainsi : .... JEgjptii e minima scintilla sueti,,,, sediiionês
aeeendere.
588 DES SAINTS MARTYRS D'ALEXANDRIE.
leur a toujours été si naturel : de sorte que ce peqple étant
irrité contre nous par ses artifices, et se voyant en mains une
puissance absolue pour commettre toutes sortes de cruautés,
commença à croire que toute sa piété et sa dévotion envers les
Dieux consistoit à r^)andre le sang des chrétiens.
« Premièrement donc, ils se saisirent d'un vieillard nommé
Mètre S et lui commandèrent da prononcer quelques paroles
impies et sacrilèges; mais voyant qu'il ne leur vouloit pas
obéir, ils le chargèrent de coups de bâtons, et après lui avcnr
piqué les yeux et tout le visage avec des roseaux durs et
pointus, ils le menèrent hors de la ville *, et le lapidèrent.
« Après cela, ils amenèrent dans le temple de leurs idoles une
femme chrétienne, nommée Quinte ', et la voulurent contraindre
de les adorer : ce qu'ayant refusé de faire avec horreur et
exécration, ils la lièrent par les pieds, et la traînèrent par
toute la ville, sur un pavé de pierres inégales et escarpées, la
déchirant d'un côté à coups de fouets, pendant qu'elle étoit
toute écorchée de l'autre par les pointes de ces carreaux,
jusqu'à ce qu'ils l'allèrent enfin lapider au même lieu que le
précédent. Ils se jetèrent tous ensuite d'une commune foreur
dans les maisons de tous les fidèles; et chacun d'eux allant
attaquer ceux de leurs voisins qu'ils reconnoissoient pour tds,
pillant et ravageant tout ce qui étoit dans leur maison, se
saisissant des plus précieux d'entre leurs meubles, et jetant çà
et là, ou mettant au feu ceux qui étoient plus vils ou qui
n'étoient que de simple bois, ils faisoient voir dans Alexandrie
l'image d'une ville prise d'assaut. Cependant nos frères se
sauvoient le mieux qu'ils pouvoient, et tâchoient de se retirer,
voyant avec joie leurs biens perdus et dissipés, à l'imitatioQ
de ceux à qui saint Paul a rendu cet honorable témoignage*;
et jusqu'à présent je ne sache qu'un seul entre eux qui, étant
tombé entre les mains des infidèles, a renié le Seigneur.
« La très-admirable ApoUonie', qui étoit une vierge déjà
I . A la marge du manuscrit : « Saint Mètre, i»
3. ibidem : « c?c tb 9cpoaatcî<yv » {dans le faubourg)^ texte d^EoiHie.
3. Ibidtm s « Sainte Quinte, m
4> Voyez V Épure aux Hibreuxy chapitre x, Terset 34*
5. A la marge du manuscrit : « Sainte Apollonie. n
DES SAINTS MARTTRS D'ALEXANDRIE. SSg
fort âgëe, ayant aussi été saisie par ces barbares, ils lui meur-
trirent le visage de tant de coups, qu'ils lui firent sortir toutes
les dents de la bouche ; en suite de quoi, ayant dressé un bû-
cher proche de la ville, ils la menaçoient de la brûler toute
vive, si elle ne *prononçoit avec eux les blasphèmes que leur
impiété lui proposoit. Mais cette courageuse vierge les ayant
un peu adoucis par quelques feintes prières S et s'étant ainsi
dégagée d'entre leurs mains, elle se jeta tout d'un coup au
mUieu du feu, où elle fut aussitôt réduite en cendres.
« Ils surprirent de même Sérapion' lorsqu'il étoit encore
chez lui, et après l'avoir appliqué aux plus cruelles tortures,
et l'avoir rendu perclus de tous ses membres, ils le précipitè-
rent du haut de sa maison.
« Au reste, il n'y avoit point de nie, point de grand che-
min, point de détours par où il nous fût libre de passer ; et
Ton ne voyoit partout que des gens qui crioient sans cesse
que l'on entraînât et que l'on brûlât à l'heure même tous
ceux qui refuseroient de blas[Aémer.
« Les choses demeurèrent longtemps en cet état, jusqu'à
ce qu'une sédition et une guerre civile s'étant allumée* entre
ces malheureux païens, leur fit tourner contre eux-mêmes
la cruauté qu'ils avotent exercée contre nous. Ainsi la fureur
dont ils étoient animés envers les chrétiens ne pouvant plus
avoir son cours ordinaire , nous eûmes quelque intervalle de
tranquillité et de relâche.
« Mais voilà que l'on nous annonce tout d'un coup le chan-
gement d'un règne qui nous étoit si favorable. Les menaces ter-
ribles que l'on nous fait renouvellent nos troubles et nos
firayeurs. Enfin l'édit de la persécution est publié^, et il s'en
élève une si efiroyable, qu'il sembloit que ce fût de celle-là
I. Racine a aussi écrit en interligne : « ayant fait quelque sem^
blant de leur Touloir obéir. » Comme il n'a effacé ni Tune ni l'au-
tre des deux phraies, on ne sait quelle est celle qu'il a préférée.
9. A la marge du manoscrit : « Saint Sërapion. »
3. Allumée est ainsi au singulier dans le manuscrit.
4. A la marge du manuscrit : n An, 953. » Racine a déjà
donné plus haut (Toyez p. 585, note i) cette date de la persécu-
tion de Dèce.
;>
Sgo DES SAINTS MARTYRS D'ALEXANDRIE.
que le Seigneur eût voulu parler, lorsqu'il a dit que les âus
mêmes, si cela ëtoit possible, seroient en danger de tomber*.
« Tout le monde aussitôt est saisi de crainte. Entre ceux qui
étoient les plus ëminents, ou par leur extraction, ou par leurs
richesses, les uns vont se présenter eui^mèmes avec crainte
pour sacrifier; les autres, et particulièrement ceux qui étoient
élevés aux charges publiques ', s'accommodent à la nécessité
de leurs afifaires ; d'autres se laissent entraîner par leurs amis,
et sitôt que l'on les appelle par leur nom à ces sacrifices im-
purs et profanes, ils s'en approchent à l'heure même : les
uns pâlissant et tremblant de crainte, comme s'ils aliment
moins pour sacrifier que pour être eux-mêmes immolés en
sacrifice, jusque-là qu'ils attiroient sur eux la risée de tous
ceux qui étoient présents , et qu'ils faisoient juger à tout le
monde que leur lâche timidité les rendoit également incapa-
bles et de sacrifier et de mourir. Il y en avoit d'autres an
rontraire qui, s'approchant des autels avec plus d'audace,
protestoient hardiment et effrontément qu'ils n'avoient jamais
été chrétiens en toute leur vie. C'est de ces sortes de per-
sonnes que le Seigneur a prédit qu'ils * seroient sauvés difii«
rilement, et cette prédiction est très-véritable.
« Quant au commun des chrétiens, les uns suivent l'exemple
de ces premiers; les autres se mettent en fuite, ou sont pris
par les infidèles; et de ceux-là il y en a eu qui étant de-
meurés^ fermes jusque dans les liens et dans la prison, et
quelques-'uns même durant plusieurs jours de captivité, ont
ensuite abjuré la foi avant que d'être amenés devant les juges.
Il y en a eu d'autres enfin qui, ayant souffert généreusement
quelques tortures, ont manqué de courage pour souffrir le
reste.
I. Saint Matthieu ^ chapitre xxir, verset i4; ^oÂnf Mare^ cha-
pitre xm, rerset ai.
a. Telle est la leçon très-lisible du manuscrit. M. Aimé->Martîn
a lu : (c Aux sublimes charges, » ce qui n*a pas de sens raisonnable
et aurait dâ paraître suspect à M. Aignan, qui a cm derotr aTertlr
le lecteur de l'impropriété de Pexpression.
3. Voyez ci-dessus, p. 617, note 4*
4. Demeuré^ sans accord, dans le manuscrit, ainsi que cAoûî, sin
lignes plus bas.
DES SAINTS MARTYRS D'ALEXANDRIE. 591
« Mais quant à ceux que le Seigneur avoit choisis pour être
les fermes et bienheureuses colonnes de son Eglise ^, comme
ils ëtoient soutenus par sa puissance, et qu'ils a voient reçu de
lui une force et un courage qui répondoit à la solidité de la
foi sur laquelle ils ëtoient établis, on les a vus* paroître ainsi
que les admirables confesseurs de son royaume.
« Le premier d'entre eux fut Julien*. C'étoît un homme
goutteux, qui ne pouvoît se tenir debout, ni moins encore
marcher.- Mais ' on le fit apporter devant les juges par deux
autres chrétiens, dont l'un renonça aussitôt à la foi, au lieu
que l'autre qui avoit nom Cronien , et qui étoit surnommé
Eunus^, ayant confessé le Seigneur aussi bien que le saint
vieillard Julien, on les mit tous deux sur des chameaux, et on
les mena par toute la ville d'Alexandrie, qui est très-grande,
comme vous savez, les fouettant le long du chemin en cette
posture : en suite de quoi, on les brûla dans de la chaux
vive •, en présence de tout le peuple.
I. A la marge du manuscrit : « Le saint fait allusion aux 99
et a3.«"»« verset du psaume 117. » —Voici le texte de ce» deux ver-
sets : Lapldtm^ quem reprohaverunt mcfificantes, hic facius est in eaput
anguli, — j4 Domino factum est istud; et êst admirabile in oculii nostris.
9. Vu {yeû)^ sans accord, dans Tautographe.
3. A la marge : « Saint Julien. »
4. Ibidem : « Saint Eunus. »
5. 'Ao€£aiii> icupC. L'interprète a mis en cet endroit ardentissimô
igné; et plus bas il a mis ealee viva. Mais le xa\ aÙTo\ qui est
au a. passage fait bien roir qu'ils n'ont tous deux qu'un même
sens. Outre que ces païens étoient trop cruels pour faire mourir
tout d'un coup, ardentissimô igné, ceux contre qui ils étoient si en-
ragés, o5x eOObç Ik\ t^c xupic&Tota (jiépT) thiç TcXi^yâcç Içepov, dit Philon,
Tva [xJi OatTov xsXstrn^cravtsç , Oofrcov xa\ tt|v twv dSuvTjpûîv ivT(X7i«I»iv
din66uivTai. Il dit même qu'ils ne brûloient les Juifs que dans de
fort petits feux, composés d'un peu de sarments, o^xTp^tepov xal
lm|jL7)xiatefOV SXeOpov SeiXafoiç xexviÇovTeç. {yote de Racine.) — Les
passages de PhUon cités par Racine sont le premier à la page 974,
le second à la page 97$ de l'édition de 1640, dans l'opuscule In
Fiaccum, L'un est traduit par l'interprète latin : Pfec statim plo"
gis Utatibus ùppetebantur^ ne accelerata morte cito eriperentur cruciati-
bus; et l'autre : Quo diutius morerentur et miser ius. Dans le passage
de la page 974, Racine a substitué fçepov à çipovtec; dans celui
591 DES SAINTS MARTYRS D'ALEXANDRIE.
c Pendant qu*on les menait au si;qpplice, il y eut un loldat
nommé BesasS qui étant indigne du traitement injurieux que
l'on leur faisoit souffrir, s'opposa courageusement à ceux qui
en ëtoîent les auteurs. Mais s'ëtant tous écriés contre lui, on
le mena aussitôt lui-même en jugement; et ce généreux sol-
dat de Jésus-Christ, ayant glorieusement combattu dans cette
illustre guerre de la foi, fut condamné à perdre la tète.
« Il y en avoit aussi un autre qui étoit Africain de nation,
et que l'on appeloit Macar', c'est-4-dire heureux, coune il
rétoit en effet par les bénédictions que Dieu avoit répandues
sur lui*. Ce Macar donc, n'ayant point voulu se rendre à
toutes les sollicitations que le juge lui faisoit pour le persua-
der d'abjurer la foi, fut brûlé tout vif.
« Après eux parurent Épimaque et Alexandre^, qui « outre
les incommodités de la prison où ils étoient détenus depuis
fort longtemps, ayant été découpés avec des rasoirs, décÛrés
à coups de fouets, et tourmentés par une infinité d'autres
su{4>lices, furent aussi consumés dans de la chaux vive.
« Us furent suivis de quatre femmes chrétiennes, dont la
première étoit Ammonarie*, cette sainte vierge qui irrita teUe-
ment le juge par la protestation qu'elle lui fit de ne jamais
prononcer aucun des blasphèmes qu'il vouloit qu'elle pronon-
çât, que cet homme, ayant entrepris de la vaincre à quelque
prix que ce fât, la fit appliquer durant un fort long temps aux
plus cruelles tortures. Mais elle accomplit fidèlement sa pro-
messe, et on la mena enfin au dernier suf^Uce. Les autre»
de la page 975, il a omis tom; devant SEOlafoic. Plus haut, dans la
note, il cite xa\ asMiy au lieu de xa\ oSxoi , et cmleê vipa^ au lieu de
pivm C4tlcis imeendiQ, Ces petites inexactitudes sont sans importance;
celles qui portent sur le texte grec et sur la traduction de Téditioa
d'Eusèbe publiée en 1659 ne doivent pas donner à croire que
Racine ait fait usage d^une autre édition. Les traductions antérieures
à celle de Henri de Valois ont tout autrement rendu le passage
qui est Tobjet de la note. Voyei d'ailleurs plus bas, p. $94 « note S.
I. A la marge du manuscrit : « Saint Besas. »
1. Ibidem : « Saint Macar. »
3. Voyez V Évangile Je taint Matthieu ^ chapitre r, rerset 10.
4. A la marge du manuscrit : « Epimaque et Alexandre. »
5. ibidem : « Sainte Ammonarie. »
DES SAINTS MARTYRS D'ALEXANDRIE. Sgi
étoient MercurieS que son grand âge et sa yerta rendoient
extrêmement Ténérâd>le' ; Denise', cette mère féconde en en-
fants, mais qui ne préféra pas l'amour de ses enfants à
l'amour qu'elle avoit pour Dieu; et une autre femme qu'on
nommoit encore Ammonarie*. Gomme le juge étoit tout hon-
teux d'avoir exercé en vain tant de cruautés, et qu'il rougis-
soit de se voir vaincu par des femmes, ces trois dernières ne
passèrent point par les tourments , mais il les fit tout d'un
coup mourir par le fer. Aussi leur illustre conductrice, la
généreuse Anûnonarie, sembloit* avoir été assez tourmentée
pour toutes les autres.
« Ensuite Héron, Ater et Isidore*, qui étoient tous trois
d'Egypte, furent livrés en jugement avec un jeune enfant de
quinze ans , nommé Dioscore ^. Le juge voidut commencer
par ce dernier ; et croyant qu'il se laisseroit facilement sur-
prendre ou intimider, il tenta d'abord de le persuader par
de beaux discours, et enfin de le forcer par les supplices;
mais Dioscore ne s^ laissa ni tromper ni vaincre. Quant aux
autres, après qu'il les eut fait mettre tout en sang, voyant
qu'ils demeuroient toujours fermes, il les fit aussi jeter au
feu. Mais pour revenir à Dioscore , s'étant fait admirer de
tout le monde, et ayant répondu avec une extraordinaire sa-
gesse à toutes les demandes qu'on lui faisoit, le juge, qui ne
pouvoit s'empêcher lui-même de l'admirer, le laissa aller, di-
sant qu'en considération de son âge, il lui vouloit encore
donner du temps pour se repentir. Et maintenant cet invin-
cible soldat de Jésus-Oirist est avec nous, ayant été réservé
pour soutenir un combat plus long, et pour remporter une
couronne plus sublime et plus glorieuse '.
t . A la marge du manutcrit : « Sainte Mercnrie. »
9. ibidem : « 2i{jkVORpt3CtaTdn) npio€8tcc. »
3. Ibidem: « Sainte Denise. »
4. Ibidem : « Autre sainte Ammonarie. m
5. Semblait est biffé dans le manuscrit, et cependant ovoir u*est
pas changé en aeoi/.
6. A la marge : « Antres martyrs. » — 7. Ibidem : « Dioscore. »
8. ibidem : « EU jm«P^«P«' C^^] *T^^« *«^ BiopxiarcfW .... tbv
lOXov. » — C'est le texte d'Eusèbe : « Pour un combat plus long
et une couronne plus durable. »
J. Bacihi. t 3S
594 DES SAINTS MARTYRS D'ALEXANDRIE.
c II y eut un autre chrëtien, qui ëtoit ausâ d'Egypte, et
qu'on nonunoit Nëmësien^, lequel fut faussement accusé comme
un compagnon de voleurs. Mais s'ëtant purgé, en présence de
son centenier ', d'une calomnie qui lui avoit été imposée avec
si peu de fondement, on le déféra ensuite comme chrétien, et
on l'amena lié et enchafné devant le proconsul*, qui, par mie
extrême injustice, l'ayant ùlt fouetter et tourmenter au douMe
de ce que les voleurs ont accoutumé de l'être, le fit brûler en
la compagnie de ces infâmes. Et ainsi ce bienheureux martyr
eut l'honneur d'être traité en sa mort comme on avoit traité
Jésus-Christ même.
« Au reste, il y aVoit devant la place où les juges étoient
assemblés une compagnie entière de soldats chrétiens *, qui
étoient Ammon, Zenon, Ptolémée et Ingène, et avec eux un
vieillard nommé Théophile. Il arriva qu'un chrétien ayant été
présenté en jugement, ces généreux soldats reconnurent qu'il
étoit prêt de succomber et de renoncer à la fm. Ce fut lors
qu'ils commencèrent tous à serrer les dents de dépit, à Im
faire signe du visage, à tendre les mains vers lui, et à s'agita
de tout le corps pour l'exhorter à demeurer ferme'. Tout le
monde se tourna aussitôt pour les regarder; mais avant que
personne mit la main sur eux , ils vinrent eux-mêmes se pré»
sentei* devant le tribunal du juge, en disant qu'ils étoient
chrétiens : de sorte que le proconsul et tous ceux de son con-
seil commencèrent à être saisis de crainte. Et pendant que les
coupables attendoient avec assurance les supplices auxquels
ils se voyoient prêts d'être condamnés, les luges au contraire
1. A la marge : « Saint Ném^ien. »
2. Ibidem : « Cela montre qu'il étoit encore un soldat. »
3. Ibidem : « ^yo6(&cvov. » — Les mots : ^Hxt Bco|u&n){ hà tb»
^youfuvov, sont ainsi traduits dans Tédition de lâSg : ad prmfedtam
viiictus addueiîur,
4. Les mots : « soldats chrétiens m sont répétés à la marge.
5. V[oyez] p. i63, touchant les martyrs de Lyon. D est [dit]
d*un chrétien, nommé Alexandre, qu*il paroissoit conune one feoune
en travail d'enfant, 6o3ctp d^Cvniv, par Tempressement avec lequel
il exhortoit les chrétiens derant les juges. {NoU de Maeiim.) — Cette
page i63 (livre Y, chapitre n) est oeUe de l'édition de 16S9.
Voyez ci-dessus, p. 449 et p. $91, note 5.
DES SAINTS MARTYRS D*ALEXANDRIE. SgS
trembloient de frayeur. Enfin ils sortirent de ce lieu (pour
être conduits à la mort *} avec la même allégresse que des
vainqueurs après leur victoire, étant tout joyeux d'avoir
rendu un si illustre témoignagne à la vérité , et de voir que
Dieu les faisoit trioni[Aer d'une manière si glorieuse.
« IP y en eut une infinité d'autres, soit dans les villes on
dans les bourgades, que les païens immolèrent à leur fureur.
J'en rapporterai ici un exemple. Il y avoit un chrétien, nommé
Ischyrion *, qui s'étoit mis au service d'un magistrat, et qui
ëtoit comme l'intendant de sa maison. Son maître lui com-
manda de sacrifier aux Dieux ; mais voyant qu'il refusoit de
lui obéir, il lui en fit de très-grands reproches; voyant en-
suite que cela ne l'ébranloit pas , il le chargea de mille in-
jures. Enfin, le voyant toujours- inflexible , il prit un grand
bâton ferré par le bout, et lui en ayant percé les entrailles de
part en part , il le tua.
« Que dirai-je du grand nombre de ceux qui s'étant réfu-
giés dans les déserts et sur les montagnes, y périrent tant par
la rigueur de la faim et de la soif, du froid et des maladies,
que par la cruauté des voleurs et des bêtes farouches ? Ceux
d'entre eux qui sont échappés de tous ces périls savent quels
ont été ceux que Dieu a choisis, et qui ont reçu de lui la ré-
compense de leurs travaux. Je ne vous en rapporterai qu'une
histoire, et je crois qu'elle suffira pour vous faire juger de ce
qui peut être arrivé aux autres.
c Chérémon, homme fort âgé, étoit évêque d'une ville qu'on
appelle Nil. Ce vieillard, s'en étant fui avec sa femme sur
une montagne de l'Arabie, n'est point revenu depuis. Et quel-
ques recherches que nos frères aient faites * de l'un et de
l'autre, ils n'en ont pu apprendre aucune nouvelle, et ne les
ont trouvés ni morts ni vifs. Il y en a eu plusieurs autres
qui s'étant retirés sur cette même montagne, furent pris par
les Sarrasins, et réduits en servitude par ces barbares, dont
les uns ont à peine été rachetés avec de très-grandes sommes
1 . Glose de Racine,
a. A la marge du manuscrit : « Id, cap, xui. »
3. Ibtdêm : « Saint Ischyrion. »
4. II y a /a//, sans accord, dans l'autographe.
S96 DES SAINTS MARTYRS D'ALEXANDRIE-
d'argent, et les autres ne l'ont pu être encore josquan-
joord'hui.
c Ce n'est pas sans sujet, mon très-cher firère, que je youa
ëcris ces choses; mais c'est afin que vous connoissiei combien
de maux et quelles misères nous avons ici endurées^, quoicfae
ceux qui y ont eu plus de part que moi peuvent aussi les
oonnottre plus parfaitement. »
Voici ce qu'il ajoute encore un peu après :
« Lors donc que ces saints martyrs , qui ëtant devenus les
héritiers du royaume de Jésus-Christ, sont maintenant assis
avec lui, et qui ayant été faits participants de la puissance
qu'il a de juger les hommes, les jugent en effet avec lui-
même : lors, dis-je, qu'ils ëtoient encore parmi nous, ils reçu-
rent à leur communion quelques-uns de nos frères qui ëtoient
tombes, et que l'on avoit convaincus du crime d'avw sa-
crifié aux idoles. Car, jugeant que les sentiments de regret et
de pénitence qu'ils voyoient en eux, pourroient être agréa-
bles à Celui qui aime beaucoup mieux la pénitence du pé-
cheur que sa mort, ils écoutèrent favorablement leurs prières,
ils se réconcilièrent avec eux, et donnèrent à l'Église des let-
tres de recommandation en leur faveur, les £usant participer
i leurs prières et à leur communion'..
« Que nous conseillerez-vous donc, mes firères, en cette
rencontre? Comment devons-nous nous gouverner? Souscri-
rons-nous et nous conformerons-nous à la sentence que ces
saints martyrs ont prononcée? Devons-nous autoriser leur ju-
gement par notre conduite, et faire grâce comme ils l'ont
faite? Traiterons-nous avec douceur ceux qu'ils ont traités'
avec compassion? ou, au contraire, devons-nous ONidamDer
leur jugement comme injuste et déraisonnable, et nous consti-
tuer, par ce moyen, les examinateurs et les juges de oe que
ces saints ont arrêté? Faut-il que nous oontristions leur bonté
I. Dans le mAHUserit, le participe s'accorde ainsi arec le second
substantif.
9. A la marge dn manuscrit : « *EoTttoi<. » Voici quel est, dans
Eiisèbe, le dernier membre de cette phrase : xal icpootux,&iv eâroTc
ita\ loTitfet«8V ixotvf&viioav.
3. Trotté^ sans accord, dans le manuscrit.
DBS SAINTS MARTYRS D'ALEXANDRIE. 597
par notre rigueur, et que nous renversions ce qui a été or-
donne par eux? »
Ce n'a pas ëtë sans raison que Denys a inséré ces choses
dans sa lettre, et qu'il a remué cette question touchant la
manière dont on devoit traiter ceux qui, durant la persécu*
tion, étoient tombés par infirmité.
Car' ce fut en ce temps que Novatien, prêtre de l'Église de
Rome, s'étant élevé contre eux par un esprit aveuglé d'or-
gueil, et soutenant qu'il ne leur pouvoit plus rester aucune
e^>érance de salut, quand même ils feroient tout leur possible
pour retourner à Dieu par une sincère conversion et une con-
fession pure de leurs péchés, il se fit l'auteur d'une secte par-
ticulière de gens qui, par un excès de vanité, se nommèrent
purs. Sur quoi, après que l'on eut assemblé à Rome un fort
grand concile, où se rendirent soixante évêques, outre les prê-
tres et les diacres, dont le nombre y étoit beaucoup plus
grand, et que l'on se fut informé du sentiment particulier de
tous les pasteurs des autres provinces, touchant ce qu'on de-
voit faire sur ce sujet, l'on déclara, par un décret qiii fut pu-
blié partout, que Novatien et tous les complices de son au-
dace, aussi bien que tous ceux qui adhéreroient à l'opinion
cruelle et impitoyable de ce faux docteur, dévoient être ré-
putés comme des membres retranchés du corps de l'Église;
et que pour ceux des frères qui étoient malheureusement
tombés durant la persécution, on devoit leur appliquer les
remèdes de la «pénitencci afin de leur procurer la santé.
On^ pourrait rapporta^ ici thistoire de Sérapion^ écrite par
saint DenxSf et qui est dans t Office du Saint-Sacrement^.
I. A la marge du manuscrit : « Id. c. 43. »
9. Ibidem : jr Id. chap. 44. » — Au chapitre xuv du livre VI
d*Eusèbe, que ces dernières lignes de Racine annoncent l'inten-
tion de tradoire, il est en effet parle de saint Sërapiom On lit
encore au-dessous des mêmes lignes, en marge : « id, chap. 4^* »
Dans ce chapitre xly se trouve Tépitre de saint Denys à Novatien,
qui devait, on le voit, être traduite aussi. Mais ce travail parait
n*avoir pas été continué.
3. VOffice du Samt'Sacrement,,,, apee trois cent douze noupeiles
eçons tirées des saints Pères et auteurs eccle'iiastiques des doute premiers
598 DES SAINTS MARTYRS D'ALSXANDRIE.
siècles. „^ fut publie, en lôSp» chez Pieirele Petit (i Toliime în-S).
La seconde partie du Tolume, qui a une pagination à part, a pour
titre : Tradiiio EcciesUs de sanctUsimo Eueharistim saerameiUo, On y
trouTe, à la page 97 (Officium sextum, — Ex sancto Dionjslo^ Alesem'
Jrino epueopo. — Leetio 4)1 l'histoire de saint Sâ*apion, aTec ren-
Toi au livre VI, chapitre xixv, d'Eusèbe. Nous ayons tu un antre
exemplaire de ce livre portant la date de 1661, et qui du reste â li
page 97 n'offine pas de diffërence avec TMition de 1659. Ne crojaot
pas que Racine ait pu désigner un autre livre que celui dont nous
venons de parler, nous trouvons là une nouvelle preuve qu'il n*t
pas écrit ces traductions avant Tannée tôSg, et qu'on les a rappor-
tées à tort au temps de ses études à Port-Royal.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE CINQUIÈME VOLUME.
EPITAPHES I
Notice 3
I. ÉpITAPBB DB g. F. DB BbBTAGITB, DIMOI8BX.LB DB VbE-
TUS 9
II. ÉpFTAPHB DB MlCHBL LB TblLIBH Il
in. Épitapbb DB BIadbxoisbllb DB Lamoiaiiov i3
EXPUCATIONS DE MÉDAILLES i5
Notice 17
I. La pbub DB Mabsal 47
II. La TIIXB d'EbFOBD BBBDDB a X.'ABCBBYiQUB PB
Matbhgb 5o
ni. DUVBBBQUB fobtipibb Sa
lY. WOEBDBir SBGOUBU 55
▼. La TAÉTB .... 58
FRAGMENTS ET NOTES HISTORIQUES 6i
Notice ^3
I ^ 71
n 73
m 74
6oo TABLE DES MATIËEES.
IT 7^
T 83.
▼I 88
▼n. CiBDDrAL MÀZÀsm 89
Tui 93
IX. M. DB Sghombeeg 94
X. . . w io3
XI 104
xn io5
XIII - 106
Xnr. MOAT DB M. GOIABET IIO
XT III
XTI III
xrn. i685 iis
xTiii. 1691 ,....-..^... ii3
XIX , 114
XX. 1693 iiS
XXI. 1693, 91 mai 118
xxn. 1694 119
xxm I30
XXIY • ^ isi
XIY. Bout MOTS DU Roi is3
PArnnrcB du Roi is5
xxTi. NomrBLLis is6
XXTII. STRASBOimO • is6
xxTiii. Allskaobb 1^9
XXIX. Ahglbxbrbb i3a
ESPAOKB. • • • • • . • i33
XXX. TUBCS. NsGOCIATIOBt DB NoAILIJ»^ BtAqCT D*Ax. l34
Vkhisb 1 36
XXXI. 137
XXXII. PoU}GBB l39
XXXIII ••.••• 14s
TABLE DES MATIÈRES. 6oi
xxxrr 145
xxxT. Vnm 147
XXXTI. HOLLASDB ^ I48
XXXTII. POBTUOAL l54
XXXTIU. PO&TOOAL ^ l6c
XXXIX. •••• » • 169
XL. 164
xu. Gabdivaux 167
XUI. ROMB 168
xLin 170
XUY 170
XLT 171
XLTI 171
XLTII 17s
XLTni 173
XUX. PiX&IB DE MaAGA 178
«• «78
u. i665 , 180
ui. 1679 189
jLiii. 1679 184
1680 186
1681 188
1689 189
UT. 189
LY. 190
NOTES SUR DES SUJETS RELIGIEUX 199
I. RinXXIOKS PIBO8X8 SUA quxlquss passaghs db *
L'ÉCUTD» UI>T. >0t
it. Rbxabqubs sûr ATBàUE 9o5
ni. POBT-AOTAL BT FlIXBS DB L*B]rFAHCX 919
lY. EXTBATT DB« 9">~ DimCULtis 9l6
Y. AcCUtATIOHft COBTBB LBS PP. BisioiGTDrft 9l9
6oi TABLE DES MATIERES.
Yi. Extrait des axcieniBi dd Parlsmkst »3i
Tii. Extrait dd iiyRs unrraiÀ concoudia râtioms et
FIDEI SEU ALNETAfiM ÇVJESTIOfiES . 337
OUVRAGES ATTRIBUÉS A RACINE a3i
PRÉCIS fflSTORIQUE DES CAMPAGNES DE LOUIS XIV
DEPUIS 167a JUSQU'EN 1678 a33
Notice. a33
Paicis HISTORIQUE «43
RELATION DE CE QUI S'EST PASSÉ AU SIÈGE DE
NAMUR 3o5
Notice 3o5
Rblatior 3i«
EPÎTRE A MADAME DE MONTESPAN 349
Notice 349
Épitrb 353
HARANGUE FAITE AU ROI PAR L'ABBÉ COLBERT. . 356
Notice 356
Harahgue 359
FACTUMS POUR LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG. 365
Notice 365
Fagtum 384
Au Roi bt a NossfiiGNEuits de son coaseil 391
RÉPONSE DE MONSEIGNEUR L'ARCHEVÊQUE DE
PARIS AUX QUATRE LETTRES DE MONSEI-
GNEUR L'ARCHEVÊQUE DE CAMBRAI 395
Notice 3<j5
RÉPOirgB Ds l'arghstAque ds Paris 400
TABLE DES MATIERES. 6o3
CRITIQUE DE L'ÉPÎTRE DÉDICATOIRE DE CHAR-
LES PERRAULT 408
Notice 408
Épîtbb db Chablbs Per&ault 410
CbITIQUB de L'sPiTBB DB ChABLBB PbBBAULT 4l 1
TRADUCTIONS 4a3
Notice 495
LE BANQUET DE PLATON 449
Lettre de Racine à Desprâiux en loi enroyant le Ban-
quet de Platon 4^1
Lb Bahqubt db Platoh 4^3
FRAGMENTS DE LA POÉTIQUE D'ARISTOTE 478
EXTRAITS DU TRAITÉ DE LUCIEN, COlfâfJffJVT IL
FAUT ÉCRIRE L'HISTOIRE^ ET DE LA LETTRE
DE DENYS D'HALICARNASSE A CNEIUS POMPÉE. 491
ExTBAIT DU TBAiri DB LuCIBV COMMENT. IL FAUT ÉCRIRE
L'HISTOIRE 493
EXTBAIT DB DbHTS d'HaLTGABHASSB 5oO
APPENDICE AUX TRADUCTIONS 5o3
La Yii dx Diooàiri lb çtriquk 5o5
Dii Essimxm. 539
LkTTBB DB X.'ÉgUSB DB SmTBIIX touchant lb MARTTBB DB SAINT
POLTCABPB • 559
La Yib db SAorr PoLTCABn 579
ECTBAIT O'ONB LBTTBB DB SAIBT iRBNiB A FlOBIN , QUI iruiT
TOMBÉ OARB l'hBBBSIB DU VALEimiflBirt $76
ÉptTBB SB SADIT POLTCABPB, ÉviQCB DB SnYRIfl, BT IACBÉ MAB-
TYB DM JÉSUI-ChBIST^ AUX PhIUPPIUTS 578
Dl lAOrr DbBTS, ABCBBTiQUB D'AraXAROBXB. • 584
Du sAum MABTTBs d'Albxaiidbib 587
PIB DB LA TABLK DBS MATlàHBS.
toooi. ^ IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE
Rne de Fleonii, 9, à Paris