Skip to main content

Full text of "Œuvres de Monsieur de Montesquieu"

See other formats


Google 



This is a digital copy of a book that was preserved for generations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 
to male the world's books discoverable online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 
to copyright or whose legal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country (o counlry. Public domain books 
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover. 

Marks, notations and other maiginalia present in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journey from the 
publisher to a library and finally to you. 



Usage guidelines 



Wc also ask that you: 



y accessible. Public domain books belong 【( 
g technical restrictions on automated querying. 



- Make non -commercial use of the files Wc designed Google Book Search for use by individuals, and we request (hat you use these files for 
personal, non-commercial purposes. 

- Refrain from automated querying Do not send automated queries of any sort to Google's system: If you arc conducting research on machine 
translation, optical character recognition or other areas where access to a laigc amount of text is helpful, please contact us. Wc encourage the 



- Maintain attribution The Google "watermark" you & 



- Keep it legal Whatever your use, remember that you are responsible for ensuring that what you arc doing is legal. Do not assume that just 
because wc believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countries. Whether a book is sUll in copyright varies from country to country, and we can't offer guidance on whether any specific use of 
any specific book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe. 



About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi o「 ihis book on the web 

ai| ht tp : / /books . google . com/| 



Google 



A propos de ce livre 

Ccci est Line copic numdrique d'un ouvrage conserve depuis des generations dans les rayonnages d'unc bibliothi^uc avant d'fitrc numdrisd avcc 
precaution par Google dans le cadre d'un projet visant h permettre aux intemautes de d&ouvrir 1' ensemble du patrimoinc littdrairc mondial cn 
lignc. 

Ce livre ^tant relativement ancien, il n'est plus prot^g^ par la loi sur les droits d'auteur et appartient h present au domains public. L' express ion 
"appartenir au domains public" signifle que le livre en question n'a jamais 化 soumis aux droits d'auteur ou que ses droits l^gaux sont arrivds ii 
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domains public peuvent varier d'un pays h F autre. Les livres libres de droit sont 
autant de liens avec le pass6. lis sont les t^moins de la riches sc dc notrc histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine ct soni 
trap sou vent difficilement accessibles au public. 

Les notes de has de page et autres annotations en maige du texte pr^sentes dans le volume original sonf reprises dans ce flchier, comme un souvenir 
du long chcmin parcouru par I'ouvrage depuis la maison d'Mition en passant par la bibliothi^uc pour fmalcmcnt se retrouver entre vos mains. 

Consignes d 'utilisation 

Google est fler de travail Icr cn partcnariat avcc dcs bibliothtqucs ii la numdrisation dcs ouv rages appartcnant au domainc public ct dc les rcndrc 
ainsi accessibles h tons. Ces livres sont en effet la propria de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
D s'agit toutefois d'un projet coflteux. Par cons6^uent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources in^pui sables, nous avons pris les 
dispositions n&essaires afin de pr^venir les dvcntucls abus auxqucls pourraicnt sc livrcr dcs sites march and s tiers, notammcnt cn instaurant dcs 
contraintes techniques relatives aux icqufitcs automatisdcs. 
Nous vous demandons ^galement de: 



- Ne pas utilise r lesfichiers & des fins commerciales Nous avons congu le programme Google Recherche de Livres h F usage des particulicrs. 
Nous vous demandons done d'utiliser uniquement ces flchiers h des fins personnelles. lis ne sauraient en effet Stre employes dans un 
quelconque but commercial. 

u syst^me Google. Si vous effect ucz 
s ou (out autre domainc ndccssitant dc disposer 
d'importantes quantity s de texte, n'h^sitez pas h nous contacter. Nous encourageons pour la realisation dc cc type dc travau\ F utilisation dcs 
ouvrages et documents appartenant au domains public et serious heureux de vous Stre utile. 



- Ne pas supprimer rattributionhe ^iigra 



former les intemautes dc notrc projet 
igrammc Google Recherche de Livres. Ne le supprimcz cn 



aucun cas. 



- Rester dans la Ugalit^ Quelle que soil F utilisation que vous comptez faire des flchiers, n'oubliez pas qu'il est de voire rcsponsabilitd dc 
veiller h respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domains public am^ricain, n'en dMuisez pas pour autant qu'il cn va dc m£mc dans 



les autres pays. 

les ouvrages dont F utilisation est autori 
Recherche de Livres signifle que celui-i 
vous c\poscricz cn cas 



Nous ne sommes done pas en mcsurc dc rdpcrtoricr 
is& et ceux dont elle ne I'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afflcher un livre sur Google 
peut Stre u(ilis6 de quelque fa§on que ce soil dans le monde en tier. La condamnation h laquelle vous 



A propos du service Google Recherche de Livres 

En ravorisant la recherche et Facets h un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont Ic franQais' Google souhaitc 
contribuer h promo u voir la diversity culturel le gr§ce h Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche dc Livres pcrmct 
au\ intemautes de d&ouvrir le patrimoine litt^raire mondial, tout en aidant les auteurs e( les 6di(eiirs h 61argir Icur public. Vous pou vcz cr「oc【ucr 
dcs rccherches en ligne dans le texte integral de cet ouvrage h radressefhttp : / /books .google . com| 




7" ITT' A 





.f、 ^9", T、" 




i 

I 



/ 



01 



tr - , >. 



(E U VR E S 

COMPLETES 

D £ 

M. DE MONTESQUIEU 

TOM. III. 

fontenam la fuiH dc CEfprit dt$ Lois^ 



E L'ESP RIT 

D E $ 

L O I 



D E 



1/ E S P R I T 

D E S LOIS. 

NOUVELLE EDITION, 

Revue ^ corrigic , & confiderabUmcnt 
augmentic par tAutmu 



TOME T R O I S I E M E. 



• • * • ProUm Jini matrt crpatam 

Ovid, 





*餘 ; 3^* 



AUX DEUX. FONTS, 
Chez Sanson et Compagni*, 



、 



V 



6^ 



3 f JUL 



'〕, 



Oh u 入 r 



XXXXXXXXXXHXXXXX 

DBS 

LIVRES ET CHAPITRES 

Contenus dans ce Ille.* Volume, 



LI VRE XIX. 

Pes his , dans U rapport qi!dU$ ont aved 
ks pnncipts qui formmt tefprit gini- 

, red J Us maurs & Us mamms aun6 
nation. 

Chapitrx L 
Ch. IL 

Ch. m. 

Ch.IV, 
Ch.V. 

Ch: VI. 
Ch. Vn. 



D u fujct de C€ Uvre. Pag, Jf 
Combien , pour Us meiUturts lo'u , 
il €ft neteffaiji que ks efpria 
foitnt priparis, 4 
De la tyrannit. J 
p ^ui c、Ji que tefptit gen^^ 

Combien d fam itrt attennf d nc 
point changer tefprit general (Tunc 
nauan. 7 
Quii ne fam fas coniger tout, 9 
D" AtkinUns dts Lacidemo^ 
nuns, ♦ 

4 



»、 



? ill, 

L--. IX. 



Ch. X. 

Ch. XL 
Ch. XIL 

Ch. XIIL 
Ch. XIV. 



Ch. XV. 
Ch. XVI. 

Ch. XVIL 
Ch. XVIII. 



Ch, XX. 
Ch. XXL 



Ch. XXn. 
Cd XX 



Ch. XXIV. 
Ch. XXV. 
jCH. XXVL. 



T A B L t 

Eff"s dc Vhumur Jociatfe, f 
De td ' yaniti & it rorgueil des 

nations, * lO 
i>u caraSiere des Efpagnols & de 

cetui des Chinois, 1 2 

Reflexion. i} 
Des manures' & des mceurs dans 

Vitat defpotiqiu. ibid* 
D" manieres che;^ Us Chinois, 1 5 
QueU fontles moyens naturds d 參 

changer les momrs & ks mani 《- 

res d'une natWn, ibid; 
Influence du gouvemement domcf^ 

dque fiir U politiaue. 17 
Comment quelques lepjlareurs ont 

coflfondu les. principes qui gouver- 

nent les hommes. 18 
Propriite parncn^rt du gouverne^ 

ment dt la Chin" 20 
€onfequenc€ du ehapitrc precidenK 

21 

Comment s*efi faktt cent union de 
la rcUpon , des his , <ks maurs 
des mameres cbcij^ les Chinois, 

ExpBcation (Fun puradoxe fur les: 
Chinois. • 2 5 

Common ks lois doivent itre re- 
lauves mix ntoeurs & aux manii^ 
res. 26 

Continuation dk memc fufeu 27 

Comment Us lois fidvent Us maurs* 

ibid 

Continuation du mime fujet, 28 
Continuation du mime fujet, 29 
Continuathn du mcme Jujet, 3a 



DES CHAPItRES. "1 

Ch. XXVII. Comment Us lots peuvcnt contti - 

buet a former Us momrs , les ma* 
nitres & U caraHere d unc nation* 



L I V R E X X. 



Des lots , dans Ic rapport qu tilts ont 
avu It Commerce , conjidiri dans fa 
nature 6* fes dijlinclions. 



CfiAPITRE I, 

Ch. III. 
Ch. 111. 
Ch. IV. 

Ch. V. 

Ch. VI. 

Ch. VII. 

Ch. VIII. 

Ch. IX. 

Ch. X, 

Ch. XI. 
Ch. XII. 
Ch XIII. 
Ch. XIV. 



Du commerce, 44 
De tcfprit du commerce. 45 
De la pauvreti des ptuples, 47 
Du commerce dans Us divers gou* 
vememens. ibid. 
D" peuples qui out fait le com- 
merce aeconome. 50 
Quelqius effets (Tune grande na- 
vigation, 5 1 
Efprit de VAng^Utcrrc fur U com- 
merce, • 5 a 
Comment on 4 g(ni qudquefois 
le commerce iiconomie. " 
Dtf I txclufion en fait de commerce. 

54 

EtabUJfement propre au commerce 
{Teccmomie. 5 j 

Continuation du mime fujct, 56 
De la hbeerti de commerce* ibid. 
Ce qui detruit cettc liberU, .^7 
Des lois du commerce qui empor- 
tent la confifcation des marc haw 
difes, 58 

a iv 



Ch. XL 

Ch. xn. 

Ch. XIIL 
Ch. XIV. 



- in, Bffm dc fhumtur fotnahfe. , 
'X. Dt U vaniri & de f orgutil dtt , 

nations. ' to 

X. Du caraStre dta EJp<^nols Sf dc 

cetid desChinois. ix 
Xifitxion.^ tj 
Des immiires- &• dij maxrs dans 
Vital dtffotique, ibid 
Dm mamtTts chti^ Us Ckinois. i ; 
QutU fiat Us maytns rmmnls dt 
_t '-, maurs & Us munit- 
nation. 




Ch. XX. -、 fxpfi 

Ch. XXL , Cmm 
lath 

res. 

Cr XXn. Conm 
CmL XXin. Comm 

Ch. XXIV. Comb 

Ch. XXV. 

px. XXVI, Coma 



Cm. 
Ch. 
Ch. 
Ch. 

Ch. 

Ch. 

Ch. 

Ch. 

Ch 
Ch. 



X 



XII. 
XIIL 

XIV. 

XV. 

XVI. 

XVIL 

xvm. 

XIX. 



Ch. XX. 

Cb. XXI. 

Ch. XXIL 
Ch. XXia 



DES CHAPITRES. 

Du tour dc I'Afrique. j 
Carthage & MarjciUe, ic 
Isli dc Dilos. Mitkriddtc, ic 
Du genie dts Romains pour 

marine. i 】 

Du gdnie des Romains pour Ic 
commerce, iiz 
Commerce des Romains avec kr 
Barbares, - 1 14 

Dir cemmfcc des Romains avec 
t Arabic 6» Us Indcs. 115 
Du commerce aprcs la deftruiBon 
des Romains en Occident. 121 
RigUmmt paruculier. "» 
Du commerce dcpuis V affoiblijft" 
rtHMt des RomMns- en Orient. 12} 
Comment Ic commerce fs fit jour em 
Europe d travcrs la barbaric^ 

ibid. 

Dkouvern des deux noayeaux 
mondes, Eut de CJ&urope a cet 
egard, 1 27 

Des richeff" qut lEjpagne tim 
dt I Ameriqut, 1^% 
ProbUmi. 、 13S 



令 



L I V R E 



Dts Ibis , doMS k rapport tpltUts 0ni 
av0C tufagc dc Id monmne. 

Chapitre I. Mai/on de tufage dc la monnoie^ 

• ' .139 

Ch. IL Dt la mmt it U mamau* i^a 



9^ 



ch, in. 

Ch. IV 

Ch. V. 
Ch. VI, 



Ch. VII. 



Ch. VIH. 
Ch. IX. 

Ch. X. 
Ch. XI. 

Ch. XII. 



Ch. XIII. 

Ch. XIV. 

Ch. XV. 

Ch. XVI. 

Ch. XVII. 
Ch. XVIII. 

Ch. XIX. 
Ch. XX. 
Ch XXL 

Ca XXII. 



f ABLE 

Des monnoies ideaUs, l-^^f 
De la quandtt dt I* or 6» dc Var^ 

gen 卩 ^ 
Continuation du meme fajet. ibid. 
Par quelle raifon le prix de /*//— 

fure dimhma de la moitii , Ion' 

de la dicouverte des Indes, 14S 
Comment le prix des chofes fsf 

fixe dans la variation des ri- 

chejfes dc Jigne. 147 
Continuation du meme fujet, 149 
Dt la rarcU relative tor & dd 

t argent, - 150 
Du change, 151 
D" operations que Us Romainjf 

firent far /" monnoies. 164 
Circonftances dans lefquelUs /" 

Remains firent leurs operations 

fur la monnoie, 166 
Operations fur les monnoies du 

temps des Empereurs. 168 
Comment le change gene les itats 
defpotlques. ' 170 

Ufage de quelques pays dltaUc. 

Du ficours que Vitat "pent tirer 
des banquiers, ibid. 
Des denes puhliques. \j% 
Du payenunt des dettes publiquesm 

, , • ,、 174 
Des prets a mteret. ijS 

Des ufures niaritimes, 177 

Du pret par contrat , & de Vufure 

eke 爻 Us Romains. 1 7 S 

Continuation du mime fujet, 179 



DES CHAPTTRES, 



L I V R E XX I 



3» 



Dcs lois , dans k rapport qiidUs oni 
avcc U nombn des habitans. 



Chapitrs I. 

Ch. II. 
Ch. III. 
Ch. IV. 
Ch. V. 

Ch. VI. 

Ch. VII. 

Ch. VIII. 
Ch. IX. 
Ch. X. 
Ch. XI. 
Ch. XII. 

Ch, XIII. 
Ch. XIV. 

Ch. XV. 
Ch. XVI. 
Ch. XVn. : 



D" homms 6f des ammaux , par 
rapport d la multipUcatton dt 
Uur cfpece, 187 
"Des manages. 188 
Di la condition des tnfans. 1 89 
D" families, 190 
DCS divers ordres des fcmmes li- 
jndmes. 191 
uts bdtards dans Us divers gou" 

vernemens. 
Du confentement dcs peres au ma^ 
riag€. ^ 194 

Continuation du mime fujet, 195 
D" fiUes. 196 
Ce qui diterndne au mariagc, ibid. 
Di la dureti du gouvcmement, 1 97 
Du nombre des filles & dcs gar" 
fons dans differcns pays, 198 
Des . ports de mtr. 199. 
Des produQions de la terre qui 
demandent plus ou mows d, horn - 
mes, 200 
Du nombre des habitant par rap- 
port aux arts, 201 
Ues vues du lepflateur fur la 
' propagatil>n dc I'ejpece. 10 2 
De. la Grece & du nombn ie fes 
habitans. aoi 



直, J 

Ch. xvm. 

Ch. xdl 

Ch. XX. 



Ch. XXL 

Ch. XXn. 
Ch. XXIIL 

Ch. XXIV. 



Cp. XXV. 
Ch. XXVI. 
Ch XXVin. 



Ch.. XXVin. 
Ch. XXIX. 



TABLE 

De Vitat dcs peapUs avam lei 
Romaitu. xo6 

Depofndadan de f wavers, ibid. 

Qiir Its Romains fureni dans Urn- 
necejjiti de fairc des his pour Ax 

propagation dc Vefptce, ao^ 

tjts lois dts Romains fur la pro^- 
pagation de tefftcc. 20 S 

D« texpofition des cnfans. 223 

De tetatdc rmmvcrs aprks la dif^ 
truBlon dts Romains. 

Changtmens arrives at Europ 
par rafport au nombrc dcs ka* 
bitans. 126 

Continuation dm mime fujiU 127 

Confcqucnces, aaS 

De la hi fain ea France , pour 
cncouragcr la propagauan dt 
Vefpece, ibid. 

Comment on pcut rcmeditr d la 
dipopulatioTU 229 

D" Bopitaux. 230 



L I V R E XXIV. 

Des Lois , dans U rapport quelUs ont avee 
la religion ctablic dans chaquc pays , 
confidiru dans fcs pratiques & tn clle^ 
mime. 



Chapitre L 
Ch* II. 
Ch. III. 



De/ nlipans jn eincroL 13 ) 
Paradoxe de Bayic. 134 
Que Ic gmvtrtumtnt modiri a» 囀 



Ch. IV. 



Ch. V. 



Ch. VI. 

Ch. VIL , 

QisL VIU. 

Ch. IX. 
Ch. X. 
Chu XI. 
Ch. XII. 
Ch. XUL 
Ch. XIV. 



Ch. XVL 



Ch. XVn. 
Ch. XVUL 

Ch. XIX. 



DES CHAPITRES. xilf 

vUni niuux a la religion chH- 
tknnc ; & U gouvernement dtf- 
podquc , A ia mahomitane. 236 
Cbnfiquences du cara(Ure dc la 
Upon chriuenne , & dc ctlui dt 
la reiipon mahomctane. 23^ 
Que la religion cath^U^ con^ 
vlent micux i um monarchic , & 
que la vroteflante s*accommodc 
fffuux aunt rifuhlique. 259 
Autre paradoxc de Baylt, 240 
D" his de ptrfeBwn dans la 
relipon. 141 
Dt t accord des lots dc la morale 
av€C "lbs di la nUffon. ^4% 
Des Ejfiens, 
De la fiBe Stpique. 
Dtf U contemplation. 
Des penitences, 
D« ennus inexpiahUs* 
Commeiu la force dt la religion 
s'appliquc d ccUc d" his civiUs* 

Comment Us lots civiks corrig€n$ 
quclquefois Us faujf" religions^ 

Comment Us bis de la nUpm 
corrigent Us inconvenUns de I4 
conf^tuuan politique, , • 251 
Continuation du mime fujet» 25 % 
Qmuntnt Us his de la rekpon on$ 
teffet des lots civUes, 25 5 
Que c,efl mains U vcriti, ou U 
faujfeti fun dogme qui le rend 
uttk ou pcmicitux aux hommts. 



M3 
ibid 

ibid. 



、 



ChXX. 
Ch. XXL 
Ch. XXIL 



Ch. XXIII. 
Ch. XX[V. 
Ch. XXV. 



Ch. XXVL 



TABLE 

dans Vitat civil, aue tufagt 
tabus que ton en fait. 254. 
Continuation du mime fujet. 256 
De Id mctempfycoft, 457 
Combien il efi dangereux que la 
religion infpire de I、 korrmr pour 
dcs chafes indiffcrtntes, ii^id* 
Des feus, 158 
Des lots de religion locaks, 260 
Inconvenient du tranfport (Tunc 
religion dun fays dans m autrf. 

♦ x6i 
Conttnuation du mime fujet* 262 



LI V R E XXV, 



Des his , dans h mpport qiidles ont 
avu retablijfement de la religion dc cka - 
que pays , &fa police extirUure. 

Du fentiment pour la retiglom 164 
Du motif lattachement pour Us 
diycrfcs religions, i ibjcL 
Des Temples. 267 
D" Miniftres de la religion. 270 
JD" bor/ies que ks Ivis doivtnt 
mettre aux ric^effis du clerge, 27 冬 
Des monajleres. 274 
pu luxe de la. fupeiptlpn. ibid. 
Da Pontifical ' 276 

P, la toUranot cn fait relipon, 

^17 



Chapitre I. 
Ch. II. 

Ch. III. 
Ch. IV. 
Ch. V, 

Ch. VI. 
Ch. VII. 
Ch. VIII, 
Ch. IX. 



Ch. 

Ch. 
Ch. 



Ch. 
Ch. 



XIII. 



XIV. 
XV. 



DES CH-APITRES; 

Continmtion du mime fujet. ibid, 
"tf chanpment de rclip^. 278 
DCS lois pcnaUs. 279 
Trcf humble remontrance aux In- 
quifiteurs iTEfpagne & de Por- 

ft^d/' , 280 
Pourquoi la religion chriuenne eft 

fi odieufe au Japon, 284 
vc la propagation dc la religio/u 

2$; 



L I V R E XXVL 

Lois , dans Ic rapport qu, tiles do" 
vent avoir avec tordrc dts chofcs fur Uf* 
qudUsdUs Jlatucnt. , 



Chapitre L 
Ch. IL 

Ch. IIL 

Ch. IV. 
Ch. V. 



Ch. VL 



Ch. VIL 



Idee de u Livre. 287 
Des lois divines & dcs lois hu- 
makes* 288 
Des lois civiUs qui font contra" 
res d la hi naturtlU, 289 
Continuation du mime fujet, 291 
Casoh ton pcut jugcr par Us prin; 
cipes du droit civile en modifi- 
4mt ks principes du droit na- 
tural. 29} 
Que tordre des fucctJIlons dipend 
des principes^ du droit politique 
ou civil J 6» non pas des principes 
du droit natureL 294 
Qu"il nc faut point decider par Ur 
prectpus de la relip^^ hrfyu'U 



Ch. VIIL 



Ch. IX. 



Ch. XL 



Ch. Xn. 
Ch. XilL 



Ch. XIV. 



Ch. XV. 



Ch. XVL 



Ch. XVn. 
Ch. XVQI. 



TABLE 

s'agit de la loi naturetk. 297 

Quil tic faut pas regier par Us 
principes du droit apptUi canoni- 
que , Us chef" replies per Us 
frinctpes du droit civil. 298 

Q^c Us chofes fjii doivent itr《 
regUes par Us principes^ du droit 
civil y peuvent rarimtnt titre par 
Us principes it la religion. 290 

Dans quel cos il faut fidvre ut 
loi civile qui permet, & non Ui 
hide la r/Ugion qui defend. ^0% 

Qtiil nt faut point rcgUr Us tribu, 
naux bwnains par Us maximes 
des tribunaux qui regardent t au- 
trc vie, ibicL 

Condmaaon du aim fujtu 303 

Dans quel cas il faut juivre, A 
"fcgard des mariages , us his dt 
Ia religion ; fy dans quel cas U 
faut fitivre les his civiles, ibicL 

Dans fuel cas , dans les maria- 
ges tntre pawns , il faut fe re- 
gler par its bis de la nature ; 
dans ^uels cas an doit fe regUr 
par les his civiles. 3 10 

Quil nt fim point rigUr par les 
frincipes du droit politique , U$ 
chofts ^ui depending des prin- 
cipes du droit civil, 311 

Quil nt faut pom$ didder par Us 
r^Us du droit civil , quand il 
s apt 4k decider par cellos du 
droit politique. .315 

Contmuation du mime fujet, 315 

Quil faut tpcaminfr fi les bis qui 



DBS 



Cu. XIX. 



Ch, XX. 



Chl XXL 

Cu. XXIL 
Gh. XXIIL 



Ck. XXV. 



CHAPITRES. xvif 

paroijftnt fe cantrecUre, fa/u du 
mhu drdre, )i6 
Qu*il nc fata pas didder par Us' 
lois chiles Ut chofcs qui doi 考 
vent I'Stre par Us his domefiique" 

Qu'il ne faut pas decider par Us 
princifts dts lois civiUs , les 
chojes qui apparttimunt du droit 
des gefu, 5*8 

Quil ne faut pas dicid^ far let 
lois poGnquts , ks ckofis qui ap" 

fardcnnent au droit des gats. 3 19 
Jualheureux fort it VYnc^ 

^u€ lorfytu 9 par quelque 
€onftan€€ 、 la lei poEtique ditm^ 
titat , U faui didder par la log 
poUtijue qui k confirv 幾 , /ji^' 
devUnt ^uttqtufnt un droit dei^ 

j^ens, • 3ai 

Qu£ Us ri^mens die poUcc joni 
<run autre ardrc que Us autrcs 
his civiUsk 3 巧 

i^'d ne four pas fiuvri Us dif* 
poJUions ginifaUs du droit civile 
lotJqiiUsajpt dt chofei fttidoi 舊 
vent tire joumifes d des regli^' 
fardculierts Uri^s de Icur frcptrt^ 
nature.. 、 yii^ 



ZVIX) 



TABLE 



LIVRE XXVIL 

Cs. WIQUE. Dc For^tti & des rivolutiom 

its his dis Romains fur lei 
/ucceffions* 325 



LIVRE XXVIIL 

Dt forhgine' & its: rholutions i^s Lois 
ciyilts cke^ Ics Ftangois^ 



Chapitre L 
Ch. IL 
Ch. IIL - 

Ctt IV. 



Ch. V,' 
C», VL 



Ch. VIL 

C». VIH 



Du different caraBert dcs lois d'es 
veuples Gcrmains. 349. 

Qu6 Us his its barhm'ts furent 
、 toutes perfonnelles, 346 

Difference capitaie entrt Us lois 
jfaliqties & Us lois des Wijigoths 
& Bourguiptons 348- 

Comment k droit Romain ft j>er^ • 
Jit dans k pays du dbmaine des 
Francs , 6* fi conferva dans /r 
• f^ys du dortiaine des Gcths. 6* 
des Sotirguignons. 350? 

Continuation du mane fuj<t, 35.5 

Comment k dYoit Romain fe con^ 

ferva dans U domainc des^ Lony^ 
hards, ibicL 

Comr^nt^ te droit Ramam fe per 一 
du tn Efpagne. 3^7 

Faux capituiairt'*^ 35^ 

QmmmtUs €odtsiks lois <ks Bop-: 



Ch 
Ch. 



X. 
XI. 



Cm. m 



Cm. Xm. 



Ch. 

Ch. 
Ch. 



XVI. 



Ch. XVII. 
Ch. 
Ch. 



xvm 



Ch. 
Ch. 



XIX. 



XX. 
XXI. 

XXII. 



Ch. 

Ch. XXIV. 
Ch. 
Ch. 



XXV. 



XXVI 



DES CHAPITR£1 xU 

bares & 'des capitulaires ft per- 
dirent. ibid. 
Continuation du meme fujet 361 
jiutrts caufes la chute des codes 
des lots ides Bar hares , du droit 
Romain & des capittilaires * 363 
D" coututnes locales ; revolution 
des lois des piupks barbares , & 
du droit Romain. 264 
D '^f ence de la loi Salique ou d" 
francs Saliens , cfavec celle des 
Francs Ripuaires & des autres 
peupUs Barbares. 3^7 
Autre difference. 369 
Hfiflexion, 370 
Dc la preuve par Veau houitlante , 
itablie par la loi fulique. 371 
Manure de penfer de nos per"* 

37Z 

Comment la preuve par U combat 
s'etendit ' 376 

NouvelU rdifofl de. TouhU des 
lois Saliques , des lots Romaines 
& d《s Capitulaires, 381 
Origins du point- d*honnettr, 385 
NouvelU reflexion fur le point- 
d'honneuT che^ Us Germams. 387. 
D" moeurs relatives aux combats* 

388 

De la jurifprudence du combat 
judiciaire. 3^6 
Regies etabUes dans U combat /«- 
diciaire, 391 
Des bornes que ton mettoit a ? 
fa^e du combat judiciaire. ' 393 
t)» combat judiciaire entre unc 



Ch. XXVIl 



Ch. XXVIB. 
Ch. XXIX. 
Ch. XXX, 
Ch. XXXI. 
Ch. XXXII. 
Ch. XXXm. 
Ch. XXXIV. 

C XXXV. 

c xxxvt 
c xxxvn. 

c. xxxvni. 

C, xxxix*. 
CJ. xit, 

C. axi.. 



C XLIII. 
C, XLIV. 



TABLE 

da parties & un dei timoins. 39$ 
Du Combat judicutire entrt une 
partic & un dts pairs du fi" 
gneur. Appel dc faux jfigcment. 

399 

De Vappd da defauu de droit. 406 
Epoque du nme de S. Louis^J^y 
Nervation Jut ks appds. 41^ 
Cont'umatUm du mime fujcu ibicL 
Continuation du mime fujtt 41, 
Continuation du menu JujtL 420 
Comnunt la proceJurt devint /i- 

cretti, 421 
depens. - 423 

tXe la pardi puhltque. 4 巧 
Comment ks Etablijfhmtns. da 5L 

Lends tombcrent dans rouhU. 419 
Contmrntian dw minu.fujtt. 43 a. 
Cantinuadon du mime fujcu 4 j 5. 
Comment on prit Us formes jt^ 

ikciaires dcs dicritaUs. 437 
Flux & reflux de la juridi^SM 

ecclifiaffique & de la, juridi^om 

Renijfance du droit Sdmain & cr 
€n refidta : ckangemini^ dan*, 
us trivunaux, 441 
Continuation du mimt fiijtL 445 
Dela pjcuve par timoins, ^^fy 
Dts coutumc^. dt, Ffancu 44^, 



fill dela Table du. tr«ifieine Vbhune*. 



D E L,E S P R I T 

D E S 

LOIS. 



Tom. IIL 



A 



D E 



r ESP R I T 

JO je: s . 3: o X s. 

L I V R E XIX. 

Dcs lots , dans Ic rapport qiidUs ent avcc 
Us principcs ^ui fofmcnt fefprit gene- 
ral y les m<zuTS & Us manures tCunc 
natioru 



CHAPITRE PREMIER,. 

Dir fnjtt de cc Uvre, 

\^ETTE tnatiere eft d'unc grande itenJue. 
Dans cettQi foule d'id^s qui fe prefentent a 
moil efpm , je ferai pin's attentif a i'ordre des 
chofes qu'aux choles memes. II faut que j*ecarfe 
a droite & a gauche , que je perce 、 & que |c 
me fafTe jour* 

A 2 



4 De l'Esprit des Lois 



C H A P I T R E II. 

Combicn , pour les^eiUcures lois , // eft neceffairt 
que Us efprits fo'unt prepares,, 

JRiEN ne parut plus infupportable aux Ger- 
mains {a) que !e tribunal de Varus. Celui que 
Juftuiien ^rigea [bi] chez les Laziens , pour faire 
le proc^ au meurtrier de leur Roi leur parut 
une chofe horrible & barbare. Mithridate [c\ 
haranguant centre \H Romains , leur reproche 
furtout les formalites {d) de lenr juftice. Les 
Parthes ne parent fupporter ce Roi , qui ayant 
^te ^leve a Rome, fe rendlt affable \e\ & ac — 
ceflible a tout le monde. La liberty meme a 
paru infupportable a des peuples qui n^etoient 
pas accoutumes a en }ouir. Ceft ainfi qu'un 
air pur eft quelquefois nuifibie a ceux. qai ont 
v^cu dans des pays mar^cageux. 

Un Venitien nomme Balbi , etant au (/) 
Pegu , fdt introduit chez le RoL Quand celui- 
ci apprit qu,il n*y avoit point de R^i a Ve, 



{a^ 11$ coupoient la langue aux aTOcats & difoi«nt : 

Vipcn , ccjfc de fi^er. Tacitc. , , 

{b) Agathias , liv. IV. 
(0 Jaftin , liv. XXXVIII. 
{d) Calumnias litium , ibul. 

(«) ? rompti aditus , m}v4 comuas , ignotu FArthis viu 
$u:cs ftiova vitia, Tacite. 

(/) n en a fait la defcnption en Recueil des 

Voyages qui ont fervi A Ittab^iffemem <U £4 con^a«ii§ 
des Indes, torn, III. part, I. pag 33, 



Liv. XIX. Chap. IL f 

nlfe , il fit un fi grand ^clat de rire , qu'une 
toux le prit, Sc qu'il eut beaucoup de peine a 
parler a fes courtifans. Quel eft le l^gislateur 
qui pourroit propofer le eouvernement popu 攀 
laire a des peuples pareilsr 

警 I 
C H A P I T R E III. 

De la tyrannic. 

Il y a deux fortes de tyrannie ; une rielle ,' 
qui confifte dans la viplence du gouvernement ; 
& une d'opinion , qui fe fait fentir lorfque ceux 
qui gouvernent ^tabliiTent des chofes qui cho* 
quent la maniere de penfer d'une nation. 

Dion dit qu'Augiifte voulut fe faire appeller 
Romulus ; mais qu'ayant appris que le peuple 
craignoit qu'il ne vGulut fe (aire Roi , il chan - 
sea de denein. Les premiers Romains ne vou- 
loient point de Roi, parce qu'ils n'en pou- 
voient loufFrir la puiflance : les Romains d,alors 
ne vouloient >point de Roi; pour n'en point 
fouffrir les tnanieres. Car , queique C^far , les 
Triumvirs , Augufte , fuflent de v^ritables Rois , 
lis a voient gard6 tout rextiricur de I'^galit^ , 
& leur vie privee contenoit une efpece d'op- 
pofition avec le fafte des Rois aalors : & 
auand ils ne vouloient point de Roi , cela figni- 
fioit qu'ils vouloient garder leurs tnanieres , 
& ne pas prendre celles des peuples d*Afrique 
& d'Orient. 

Dion [a"] nous dit que le peuple Romain 




(a) Liv. LIV. pag. 53*' 

A 3 



6 Dc lTsput Dis Lmi 

etok uxSgDe coctre Ai^^uile , a cwfe cer- 
taiges loxs trop dkires qu^ avoit iaitcs : mais 
me fi-tot qoli cot £ut rerefiir )e Comedien 
Pylade que ks lEzdions avvieiit cfaaffiE de la 
Ti'le, k mecootentement cefia. Un pea{de pa- 
reil (entoh plus ▼Wrroeot la tyrannie lorfqu*oa 
cfeafibit an baladm , qoe ]oxiqu*Qa fan otoiK 
foutes «es k>is» 



CHAPITRE IV. 

Ce qitt ct^ que TcfpTiz ghUrjL 

3Plusieurs chofes goirrerneiit les hommes : 
le ciiioat , la religion , les lois , les maximes 
dn gpuvernement , les exempks des chofes 
paflees , les mceurs, les manieres; d'ott il 
ibrme un efpiit general qm en rti'ulte. 

A mefuie que dans chaque nation une de 
ces causes agit avec plus de force , les autres 
lui cedent d'auunt. La nature & le clknat do- 
sninent prefque feuis fur les Sauvages ; les ma- 
nieres goavernent les Qiinois ; les lois tyran- 
nlfent le Japon ; les moeurs donnoient autrefois 
le toil dans Lacedemone; les maximes du gou- 
Ternement & fes m«urs aaciennes le donnoient 
lians Romcr 



攀 



Li V. XDE Cmap. V: f 



C H A P I T R E V* 

Combicn U faiu ctre atttntif a ne point changer 
. tefprit general d^une n^tioru 

S'lL y avoit dans k moflde uile nation qui 
eiit une humeur fociable , une ouvertute de 
coeur , une joie dans la vie , un gout , une fa- 
cility a communiquer fcs penfees ; qui fut vive , 
dgreable , enjouee , quelquefbis imprudente f 
louvent indifcrete ; & qui eCtt avec cela du 
courage , de la g^n^rofite , de la franchi(c , un 
certain point d'honneur ; il ne faudroit point 
chercher a gener par des lois fes manieres , 
pour ne point gener fes vertns. Si en general 
ie cara6^ere eft bon, qu'importe de quelques 
defauts qui s*y trouvem ? 

On y pburroit contenir 巧 es femmes , ifair^ 
dei lois pour corriger les moeurs & borner 
leur luxe : mais qui fait 6 on xx'y pcrdroit pas 
on certain gofit , qui feroit la foiirce des rW 
chefles, de la nation , & /une politefle qui at<* 
tire chez elle les Strangers ? ' 

C'eft au I^glslateur a fuivre l'efpr;t de la na« 
tion, lorfqu'il n'eft pas cofltraire aux pnncipes 
du gouventement ; car nous ne faifons rien de 
mieux que ce que nous faifons Iibrement>& en 
fuivant notre genie Daturel. 、 

Qu'on doftne un, efprit de pidanterie it un6 
nation xiaturellement gaie, l*Etat n'y gagnera 
rien , ni pour le dedans V ni pour le dehors. 
Laiflez- lui faire les chofes frivcJcs ferieufement , 
& gaiement les chofes f^&rieufes. 

A4 



C H A P I T R E . VI. 

Qtf'i/ /:c t pas tout conigen 

C^u*ON Aous la'iflfe comme nous, fo mmes, 
difoit un Gentilhomme d'une nation qui 
fcffemble beaucoup a . celle dont nous venons 
de donner line idee. La nature repare tout. 
Elle nous a donne une vivacit^ capable d*of- 
fenfo , & propre a nous faire manouer a tous 
les ^gards ; cette mictne vivacite . eft corrigee 
par la politefle quelle nous procure , en nous 
mfptiint iu gout pour le monde , & furtout 
pour le commerce des femmes. , 

Qu'on nous laiffe tels que nous fommes, 
Nos qualit^s indifcretes , jointes \ notre peu 
de malice , font que les Ipis qui generoient l,hu- 
tneur fociable parmi nous, ne feroient point 
convenables. 



C H API T R E VII, 

Des Athiniens & des Lacidimomens. 

Les Athenlens , continuolt ce Gentilhomme » 
ctoient un people qui avoit quelque- rapport 
avec le notre. Il mettoit de la gaiete dans les 
affaires ; tr^iit^de raillerie lui plaifoit fur U 
tribune comme fur le theatre, Cette vivaciti 
bu'il mettoit dans les conieils , il la portoit 
cans Fexecution. Le cara£lere des Laeedemo*- 



Effets de Vhumeur fociabk* 

IPlus les jpeuples fe communiquent , plus Us 
cjiangent aifement de manieres, parce que cha- 
can eft plus un fpedacle pour un autre ; on 
voit mieux les Gngularites des individus. 
cKmat ■ qui fait qu'ime nation aime a fe com- 
muniquer , fait aufli qu'elle aime a changer ; Si 
ce qui fait qu'une nation aime a changer, fait 
auffi qu'elle fe forme le gout. 

La fociet^ des femmes gite les moeurs , & 
forme le eoiit : Fenvie de plaire plus que les 
autres , ^taolit les parures ; & I'envie de plaire 
plus que foi-meme ^etablit les modes. Les modes 
font un objet important : a force de fe rendre 
fefprit ffivole , on augmente fans cefle les braii^ 
ches de fon commerce (d). 



(a) Voycz U fable des abeiUes* 



L-《v. XD{, Chap. VI. .9 

mens 4toit grave, ferieux, fee , taciturne. On 
Q'aaroit pas plus tire parti d*un Ath^nien en 
Vennuyant , que d'un Lac^demonien en le di 翁 
vertiilant. ' 




E 

R 

T 

p 

A 

H 

c 



on A P I T R E IX. 

/>< la vanite & de Forpuil des [nations* 



JLj a vanit^ eft un aufli bon reitort pour on 
gouvernement , que Forgueil en eft un dange- 
reux. II n'y a pour cela qu'a fe reprdfenter , d'un 
cot^ , les biens fans nombre qui refultent de la 
vanite ^ de M le luxe , Vinduftrie , les arts , les 
Anodes , la politefle , le gout : & d'un autre cote , 
ks maux infinis qui nallient de rorgueil cer- 
taines nations ; la parefTe , la pauvrete , l,aban- 
don de tout , la deftruflion dcs nations que le 
hafard a fait tomber entre kurs mains , & de la 
leur m^me. La parcflc [a] eft l,effet de rorgueil; 
le travail eft une fuite de la vaniti^ : L'oreueil d'ud 
Efpa^nol le portera k ne pas ttavailler; la vanit^ 
d'un Francois le portera k favoir travailler mieux 
i}ae les autres. 

Toute nation parefleufe eft grave ; car ceax <pn 
tie travaillent pas , fe regardent cojnme fouverains 
(de C€ux qui travaill^t. 

Examinez toutes les nations ; & vous verrez 



(4) Les jpeuples qui fuivent le Kan de Malacambsr $ 
ceux de Carnataca & de Coromandel , font des peu* 
pies orgueilleux & pareiTcux ; confomment pen , 
parce qu'tls font miC^rables ! au lieu aue les Mogols 
& les peuplei de llndoftan s'occupent 01 iouiifent des 

Sommodit^s de la vie , comme les Europ^ens. Rccucil 
ts voyages qui ont fttvi h. l^dtablijj'mcnt di la tomgOr 
gnU da ittdc*. Tom. L pag. ' 



1,1V. XIX. Chap. IX. if 

qne , clans la plupart , la gravite , Forgueil & la 
pareiTe marchent du meme pas. 

Les peuples d'Achim {b) font fiers & pareiTeux: 
ceux qui n'ont point cl'efclaves en louent un , ne 
fut-ce que pour faire cent pas , & porter deiur 
pintes de riz ; ils fe croiroient d^shonoris s'ils les 
portoieot eux-mSmes. 

II y a plufieurs endroits de la terrfe ou Ion fe 
lailEe croitrc les ongles , pour inarqaer que Von ne 
travaille point* 

Les iemmes des Indes (c) croient qu'il eft 
honteux pour elles d'apprendre a lire : c'eft 
f a£faire , difent- elles, des efclaves qai chantent 
des cantiques dans les pagodes. Dans une cafte , 
elles ne filent point ; dans une autre , elies ne 
font que des pankrs & des nattes , elles ne doi- 
vent pas m^rae piler le riz ; dans d'antres , U ne 
faut pas qu'elles aillent qnerir de I'eau. L'orgueil 
y a etabli fes regies il les fait fi»vre. II n'eft 
pas n^ceflaire de dire que les qualit^s morales 
>ont des effets differens , felon qu'elles font 
unies a d*autres : ainfi I'orgueil , joint a une 
Tafte ambition , a !a grandeur des td^es , &c 
produifit chez les Ronukis les effets qpe ron 
lait. 



H) Voyez Dsimpierre', t6in. III. 

(e) Lettres e4if. <iottzieiiie cccucil » p. ^ 



n .De E'EsmrT des Lois ; 



C H A P I T R E X. 
Dtf carafe des EfpagnoU & dt celui des Chinoism 

es divers cara£leres des nations font tneMs 
de vertus & de vices , de bonnes & de mauvaifes 
qualites. Les heureux melanges font ceux dont il 
r^fulte de grands biens , & fouvent on ne les 
foup^onneroit pas ; il y en a dont il refulte de 
grands maux , & qu'on ne foup90imeroit pas 
non plus. 

La bonne foi des Efpagnols a iti fameufe dans 
tous les temps. JuJUn {a) nous parle de leur 
fid^Ute a garder les depots ; ils ont fouvent fou&- 
fert la mort pour le$ ^enir fecrets. Cette fid^liti 
qu'ils avoient autrefois , ils ront . encore aujour- 
ahui. Tcqtes les pations qui commercent a Ca-- 
dix , confient leur fortune aixx £fpaghols ^ elles 
ne s'en font jamais repenties. Mais cette qua* 
lite admiraj>le , Jointe a leur parefle , forme un 
melange dont il refulte des effets qui leur font 
pernicieux : les peuples de PEurope font fous 
leurs yeux tout le commerce de leur tnonar- 
chie. 

Le caradere des Chinois forme un autre 
iDelange , qui eft en contrafte avec le caradere 
des Elpagnols. Leur vie precaire (f) fait qu*iis 
ont une aftivit6 prodigieufe ,& un defir fi ex- 



(a) Liv. XUl}. , 

(h) Par h natuie du clunat 8c du terreini 



Liv. XIX. Chap. X. 13 

eeffif dii eain , (^u*aiKune nation cotntner^nte 
ne peut le fier a eux [c]. Cette infidelk^ ' re* 
co^nue leur a conferv6 le commerce du Japon ; 
aucun n^gociant d*Europe n'a ofe entreprendre 
de le faire fous. leur nom , quelque facility qu*il 
y eut eu a rentreprendre par leurs provinces 
maritimes du nord. 



CHAP I T R E XL 

Reflexion. 

y £ n*ai point dit ceci pour diminuer rien de la 
diftance infinie qu*il y a entre les vices & les 
vcitus : a Dieu ne plaife I J'ai feulement voulu 
faire compre*ndre que tous les vices politiques 
ne font pas des vices moraux , & que tous les 
vices moraux ne font pas des vices politiques ; 
& c'eft ce que ne doivent point i^norer ceux 
qui font des lois. qui choquent I'efpm general. 

c== . ' 颺 ai 

C H A P I T R E XII. 

Des manlcres & des mmrs dans Titat ^efpotlquc* 

C'est line maxime capitate , qu'il ne (aut )a« 
roais changer les moeurs & les manieres dans 
V6tat defpotique ; rien ne feroit plus prompte- 

義 ■ f I I n 

10 Lc ?. du Halde, tom/IL 



14 De L*EsMliT DCS Lois ; 
snest fiBvi d'une revolution. Ccft que dans cet 
ctats U n'y a point de lois , pour ainfi dire ; 
il n*y a que des moeurs & des manieres : & fi 
vous renverfez cda , vous reaverfez tout. 

Les lois font ^tablies, Ics moeurs font infpi<* 
lies ; ceUes-ci tiennent plus a refprit general , 
celles-la tiennent plus a une inftitution particu- 
liere : or il eft auiu dangerenx, & plus, de ren - 
Tcrfcr I'cfprit g^niral , que de chaoger une infti - 
tution parucuUere. 

Oa fe communique moins dans les pays oik 
cbaom, & comme fuperieur & comme infe- 
rieur , exerce •& fouffire un pouvoir arbitraire , 
que-cbns ceux ou la liberte regne dans toutes les 
conditions. On y change done moins de ma- 
nieres & de moeurs ; les manieres plus fixes 
approchent plus des lois ; ainfi il (aut qu'un 
Prince ou un legiflateur y cheque moins les 
fnoeur$ & les manieres qye dans aucun pay$ du 
fnonde. 

Les femmes y font ordlnairement enfertnees , 
& n'ont point de ton a donner. Dans les autres 
pays oil eUss vivent avec les hommes , I'envie 
qu^Ues ont de pla'ire ,& le defir que l,on a de 
)eur plair^ au0i , fpnf que Ton change continuel- 
lement de maniefes. Les deux fexes fe eatent , 
ils perdent ruo & Fautre leur qualit^ diuin^ye 
& eiTentielle ; il fe met un arbitraire dans ee qui 
etoit abiblu, & les manieres chaogent tous le$ 
|Ours* 、 



t IV. XIX. Chap. Xffl 



C H A P I T R E XML 
Dcs manures che^ Its Chinou. 

JLiyL Ais c*cft a la Chine que les^mameres font 
indeftru^tibles. Outre que les femmes y font ab« 
folument (epardes- des hommes , on enfeigne 
dans les e coles les manieres comme les moeurs. 
On connoit un l^ttr^ (a) a la fa^on aifte dont 
il fait la reverence. Ces cho fes une fois donnees 
en pr^ceptes & par de graves dodeurs , s'y 
fixent comme des prinQpe$ de morale • & ne 
changent plus. 



CH AP IT R E XIV. 

Quds font Us moyens naturals de changer kf 
maurs Us mapun^ £mt natioru 

ous avons dit que les lois itoient des inf - 
titudons particuUeres & pr^cifes du l^giflateur » 
& ies mosurs & les manieres des inflitucions de 
la nation en gi^n^raK De )a il fuit que , lorf- 
que Von veut changer les moeurs' & les manie 一 
res » il he faut pasj^tiiu^hanger par les lois ; 
cela paroitroit trop tyrannique ; il vaut mieux 
les changer par d'autres ipoeur$ & d'autres tnn, 
nieres, ' , 



(4)<Ut lc P. du mdt. 



v6 De l'Esprit des Lois , 

' Ainfi , lorfqu'ttA Prince vm. iaice^de flcaocb 
changemens dans fa nation , il faut qu'il relorme 
par les lob ce ()ui eft '^t^li ptr fes iois , & qu'il 
change par les manieres ce qui eft ^tabli par les 
manieres : & c'eft une tr^s mauvaife politique , de 
changer par les IcAjs ce qui doit etre change par 
les manieres. 

La loi qui oUigeoit les Moicovites a fe faire 
couper la barbe & l^s habits , &, la. violence -de 
Pierre I, qui faifoit tailler pCqu'awx. genpux los 
iongues rob^s de ceux qvi. »entroient xlans. les 
villes , etoient tyranniques. D y ^ des moyens 
pour empScher les crimes , ce font les peines : U 
y en a pour (aire changer les manieres , ce font 
Us cxemples. 

La facility & la promptitude avec labuelle 
Cftte nation ' . p ol kfe , ^ l^ieo. montre .gue 
ce Prince avoit trop mauvaife opinion d'eile ; 
& que ces peuples n*eibieiit {>asdfi$l>£tes, comme 
il ie difoit. Les moyens violens qu,il employa 
Etoient inutiles ; il feroit arrir^ tout de tneine i 
fon but par la douceur. 

II iprouva lui-meme la facility de ces chan- 
gemens. Les femmes etpient renferm^es ^ &c en 
quelque fa^on efdaves ; il les app^Ha a la cour ;, 
il les fit habiller a rAllemahde , il leur envoyoit 
des ecoffes. Ce fexe eouta d'abord une fagod 
de yivre qui flattoit fi tort fon gout , fa yanite &- 
fes pafSons , & la fit Eouier aux homines. 

(Je qui rendit le"'cnangenknt plus aifS , 'c*eft 
que les moeurs a*aIors itoient etrangeres au cli 一 
mat ^ & y avoient ^te apporiees par le melange 
des nations & par les conquetes. Pierre I.' don- 
nant les masurs &ies manieres tie •I'F.ni opc. a 
une nation d'Europe , trouva des faciiites qu'il 
n'attendoit pas lui-mlmi* L'emptre da cfimat 



Li V, XIX. Chap, XIV. 17 

eft le premier de tous le^ empires. II nlavoit 
done pashefoin de lois pour changer les moeun 
& les manieres de fa nation ; il lui eut fuffi d'inf- 
pirer d'autres moeurs & d*autres manieres. 

En general , les peuples font' tres attaches a 
leurs coutumes ; les leur oter violemtnent , c,eft 
les rendre malheureux : il ne faut done psls les 
changer, mais les engager a les changer eux- 
memes. 

Toute peine qui ne derive pas de la neceilit^ 
eft tyrannique. La loi n'eft pas un pur ade de 
puiflance ; les chofes indifTerentes par leur nature 
ne font pas de fon reffort. 



CHAPITRE XV. 

Influence du gouvemement domefiique fur U 
、 politique, 

(> t chaneement des moeurs des fetnmes in* 
fluera fans ooute beaucoup dans le gouverne- 
ment de Mbfcovie. Tout eft cxtrlmement li6 : 
le defpotifme du Prince s'umt natureUement 
avec la fervitude des femmes ; la Hberti det 
femmes avec refprit de kt snonarchie. 



B 



t& De l'Estrit des Lois; 

t 



C H A P I T R E XVI. 

Comment quctques UpJtAteurs ont conf&ndu ksfrm^ 
cipcs qui gouvcraent Us hwmcs. 

£s moeurs & les manieres fentdes u^es que 
ks lots n'ont poii^t itiablis , ou n*oat pas pa , ou 
n'ontpas-TOUui ^tablir* ' 

II y a cette (Hfference entre les lois & les 
moeurs , qas ks lois regient plus les»a^ons du- 
dtoyen , & que hs moeurs reeWnt plu» le» actions 
de lliomme. U y a cette difference entfe les 
moeurs & ie& manieres , aueles pcemieres regar— 
dent plus la condsite interieure » les antces Fex— 
tirfeurev 

Que]que(bis , dans un> tt^ , ces chofes (a) fe 
confondent. Lycurgue fit un meme code pour 
les leis , les imeuts & les manieres ;. 6c les le* 
giflateurs de h Chine en firent de. meme. 

II- ne iaotpaS' etre ^nn^ fi les- legj^ateurs de 
Lac^d^tnone & de la Chine confbndirent les lois , 
les morurs & les manieres r c'eft gue les moeurs 
r^prefenteatles lok , & les manieres regrefemeiu 
les moeurs. 

Les l^iitateurs de la Ch^ne avoient pour 
principal objet de faire vivre kur peuple traiv* 
quille. Us youlurent que fes homines fe refpee" 

tt ' ' ' ■ I II, II ■ 固 ■ i| a 

(4) Mo'ife ftx tm m^me corfe pour fes Xoh & la jw^^ 
trgion. Les premiers Rom^ins CQDibAdirest les €oaiy^ 



Liv. XIX. Cha,.XVL If 

鳙 (Tent bcaucoup ; que chacun fentit a torn let 
itiftans qu'ii devoit beaiicoup aux autres , qu'il 
n*y avoit point de citoyen qui ne dependit 
quelqu'egard d'un autre citoyen : lis donnerent 
done aux regies de la civUit^ la plus grasde 
Vendue. 

Aind , chez les peoples Gunois , on vit k 霧 
gens {h) de viUage obfervcr entr'eux des ciri" 
monies <otnme les gens d*une condition rele- 
vee : moyen tris propre a infpirer la douceur ^ 
a nudntenir parmi le peuple la p«x & le bon 
ordre, & a oter tous les vices qui viennent d'un 
elprit dur. En effet , s'atfranchir des regln^de la 
civxHe^ , n'eft-Ce pas chercher le moyen de met- 
tre fes d^faats plus i F^fe ) 

La civilite vaut mieui a cet ^ard que la po* 
fiteffe. La politefTe flatte les vices des autres , & 
la civilit^ nous empeche de mettre les notres aa 
joiir : c'eft line barricre que ks- homines met* 
lent entr'eux pour s'empecher de fe corronipre. 

Lycurgue , dont les iimitutions ito'ient dures » 
n'eut point la civiliti pour objet lorfmi'il forma 
les man'ieres ; il eut en vue cet efprit belliqueux 
qu'il vouloit donner a fon peuple. Des gens tou- 
}ours corrigeans , ou toujours coniges , qui iirf* 
truifoient toujours , & itoient toujours inAruits , 
^aleiaent fioiples & rigidcs , exer9dieiit plu- 
t6t ehtr'eux des vertus quUs n'avoient des 
(igards. 

(h) Voyei le Pere Hald«. . . 



' De l'Esprit DCS Lois 



CHAP I THE XV IL 

Propriiti particuUcrc du gouvemement dt Lt Chine; 

ES ligiflateurs de fa Chine fireiit phis (tf) : 
kls confondirent la religion , ks lois , les tnoeurs 
& les manieres ; tout tela fat k morak , tout cela 
fut la vertu. Les preceptes qui regardoient ce* 
quatre points , (brent ce que ron appella les 
rites Ce fut dans robfcrvation exa£^e de ces rites , 
que le gouvernement Chinois triompha. On 
pafTa toute fa jeunefle a ks apprendre , toute fa 
vie a les pratiquer. Les letups les enfeignerent , 
les magiurats les precherent. £t comme ils 
enveloppoient toutes les petltes actions de ]a 
vie , lonqu'on trouva k mojen de les falre 
cbferver exatlement , la Chine fiit bien gou- 
vernee. 

Deux chofes ont pu aifcmem graver tes rites 
dans le coeur & I'efprit des Chinois; I'une , leur 
mani^re d'^crire extremement eompofte , qui a 
fait que , pendant une tres grande partie de la vie , 
Fefpm a iti imiquement (I) occupe de ces rites , 
parce qu*il a fallu apprendre a fire dans les livr^s 
& pour les livres qui les contenoient; Tautre , que 
les pr^ceptes des rites n*aya]it rien de fpirttuel , 
mais fimplement des regies d*une pratique com 一 



(tf) Voyez les livres clafBques dont le P. da Hald, 
nous a donn^ de (i beaux morceaax, 

(b) Ceft ce qua a ^ttbli K^mulation , Ift fuite de V» 
f vet 豸 , & Veftune pour te (avotr» 



Liv. XIX; Chap. XVII, ai 

nt me , U eft dIus aii<^ d'en convaincrc & d'eoi 
frapper les eiprits , que d'une chofe ihteUec 翁 
tuelle. , '、 

Les Princes qui , au lieu de gouverner par le» 
rites , gouvernerent par la force des fupplices » 
voulurent faire faire aux fuppfices ce qui n'efk 
pas dans leur pouvoir , qui eft de donner des 
inoeurs. Les fupplices retrancheront bien de la 
fociet^ un citoyen qui , ay ant. perdu fes mceurs , 
viole les lois : mats tout le monde a perdu fes 
inoenrs , les r^tabliront-ils } Les &pplices arrete-' 
rent bien plufieurs confequence$ dn ma] general , 
matsils ne corrigeront pas ce mal. Auffi quand on 
abandonna les principes da gouvernement Chi - 
nois , quand • 】a morale y fut perdue , r^at 
tomba-t-il dans ranarchie ,& oa vit des revo- 
lutions. 



C H A P I T R E XVIIl. 

• Confiquencc du chofitrt frccidtnu 

3[ L r^fulte de la qiie la Chine ne perd poi»t 
fes ibis par la conqu^te. Les manieres , fes 
mceurs , l^s lois, la religion y 6tant la meme 
chofe , on ne peut changer toirt cela a la fpis^ 
Et comme il faut que le vainqueur ou ie vaihcu 
changent , il a toujours falhi a la Chine que ce fut 
le vamqueur ; car fes moeurs n'etant point fes 
manieres , fes manieres fes lob , fes lois fa reK- 
gion, il a kxk plus aifeii^u'il fe pHat peu a peu 
au peuple vaincu , que le peuple vaincu a^lui. 

II fuit encore de-la une chofs bien trifte : 
c'eft qu*il n'eft prefque pas poilible que le Chrif- 



0% De l*Esfrit dis Lois; 

1\zmftn€ s*^abli(re jamais k b CMne {a\ Let 
▼ceux de vtrginitifc , les aiTembl^ des fetnnies 
dans les £^li(es , leur communication n^cefTaire 
avec les miniftres de la religon , leur participation 
aux facremens , la confeUioii auriculaire , l,ex - 
trimei-on&ion , le manage d'une feule femine ; 
tout cela reaverfe les moeurs & les manieres da 
pays , & frappe encore du mime coup fur la reli- 
gion & fur les lois. 

La religion chr^tienne, par I'^tabHflement de 
h charitiy par un cidte public , |>ar la participation 
aux mimes facremens, femble demander que 
tout s'uniiTe : les rites des Ghinois femblentordon* 
' ner que tout fe ftpare. 、 、 

£t cotnme on *a vu que cette ftparation (0 
tient en ginitsl k refprit du defpotifme , on 
trouvera dans ceci une des raifons qui font que 
k gouverncment monarchique & tout eouverne- 
fUent modire s'allient mieux [c] avec fa religion 
chr^denne. 



(tf) Voyez les raifons donn^es par Tes niagiftrats 
Chinois* dans les <i^rets par lefquels ils profcrivcne 
!• religion chr^tienne. Ltttris idif, dix-ftp$ieme ncutil^ 

{h) Voyez le liv. IV. chap ui \ 8c le Uv. XIX. ^ 
cliap. XII 

if) Voyw ci-apris le liv* XXIV. ch. in. 



Liv. XIX. Chap, XVm. 2| 



,C H A P I T R E XIX. 

Comment s'eft faiti cette wuon dt la reRgion , dijf , - 
Icisg its maun & d" mamcns cht^ ks 

L IS lej^ifiateors de k Chine etirent pear prln 二 
cipal ob)et du gouvernement la tranoiiHIit^ de 
FEmpire. La fuborctinatk>n leur parut W moyen 
k plos propre k la matntenir. Dans cette id^e , 
lis crurent devoir tnfptrer le refpel^ pour les 
peres , & ils raffemblerent touces leurs forces pouc 
cela. Us itablirent ime infinh^ rrtes & de 
ceremonies , pour les honorer pendant leur vie 
& aprb kor nort. II iton isipoflible de tant 
honarer ks peres snorts , fans etre portd a les 
honorer vivans. Les t^rimonies pour les peres 
mom avoiem plus de rapport a la telijgion ; 
ceUes pour les peres virans avoient pms da 
fapport aux lob , aux moeurs & aux manieres j 
snais ce n'ctoit que ks parties d*un xneme code, 
& ce code etoit tres ^cen&. 

Le refpcd pour- les peres etoit n^ceffairement 
Be avec tout ce qui teprtfentoit les peres, les 
vieilkrrd* , les. maitres > ks magifirats , rEmpe- 
leur. Ce refpeS pour les peres fuppofoit uit 
yetour d'atnour pour les enfans ; & par confe- 
i]iient le metne retour des vieilhirds aux j;eunes 
geJiS y des magiftrats a ceux qui kuf ^toient fou- 
wks , de rcmpereur a fes fu^ets. Tout cela for 一 
moit fes rites ^ & ces rites fefptit g^niral dc k» 



%4 De t'EspftiT Dss Lois- ' 

On va fentir le rapport que peuv'ent avoir ^ 
arec la conilitmion fandatnemale de la Chine, 
les chofes qui paroiflent ies plus indifferentes» 
Cet Empire eu form^ fur Ka6e du gouverne- 
ment d'une famille. Si vous dimihuez Fautoriti 
paternelle , ou m^nie fi vous retranchez les cere- 
monies qui exprimenl le refpeft qne Fon a pour 
elle , vbas aflFoiblifTez le refpe^l pour les magif- 
trats qu'on regards comme des peres ; les magif- 
trats n'auront plus le meme foin pour les peu- 
pks qu'ils doivent confiderer comme des enfans ; 
. ce rapporf d'amour qui eft entre le Prmce &L 
les fujets, fe perdra aufli peu a peu. Retranchex 
une de ces pratiques , & vous ebranlez l*^tat. 
II eft fort indifferent en fai , que tons les ma- 
tins une belle- fille fe leve pour aller resdre tels & 
teis devoirs a fa belle-mere : mass fi I'on lait atten, 
tion que ces pratiques extdrieurcs rappelknt 
fans ceiFe a -un fentiment qu*i} eft neceffaire 
d'imprinier dans tous les coeurs , & qui va de 
tous les coeurs former refprit qui gourerne 
FEmpire , Von verra qu'ii eft n6ceffaire qu'une 
telle ou une telle adion particuliei-e fe fafe. 




Chap. 



Liv. XVI. Chaf. xn, M 



C H A P I T R E XX、 

E^xpUcadon d*un paradoxe fur Us Chinois. 

C £ qu*il y a de fingalier , c'eft aue les Chinois ; 
* -dont la vie eft end^rement dirkee par les ri|e$ , 
font neaninoinsle peupl$ le plas fourbe &t la 
terre. Cela paroit furtout dans le commerce , 
•qui n,a jamais pu leur infpirer la bonne foi qui 
lui eft naturelle. Celui qui achete doit por^r (a) 
fa propre balance ; chaque marchand en ayant 
trois , one forte pour acheter , une 16gere pour 
.vendre , & une jufte pour ceux qui font fur leurs 
gardes. Je <:rois pouvoii; expliquer cette contra- 
ci^on. ' • rr. 

: Les l^giflateiffs de la Chine ont^eu deux bb- 
|ets: lis ant voulu que le peuple f&t founits- & tran- 
iquille ; & qu'il £at laboFieux .6c induftrkux. Par la 
nature du climat & du terreln , ii a une vie pre- 
calre ; on ri*y eft affund de £a vie'qu'a force d'in- 
^uftrie & de travail. 

Qc^and tout le monde ob£it^ & que tout le 
monpde travaille , I'^tat eft dans une heureufe 
£tuation. Cell la neceflit^ , & peut-etre la na- 
ture du dimat , qui.ont donn^ a tousles Chinois 
aine avidite inconcevabk pour le gain ; & les 
iois .n'ont pas fong^ a rarreter. Tout a ^tc d6- 
£sndu , quand il a iti queftion d'^qu^rir par 
violence ; tout a " permis , quand il s'eft agi 



{a) Journal de Lange en 1721 & lyii ; torn. VUI*^ 
lies Voyages du nord » pag. 365, 

Tome III. C 



^6 D£ l'EsPRIT DBS LoiS ; ^ 

dTobtenir par artifice ou par induftrie/ Ne com* 

Sarons done pas la morale des Chinois avec celle 
e TEurope, Qucun a la Chine a du etre atten — 
ftfa ce qui lid 6toit ptile: ft fripon a veilli 
a fes interets , ceiui aui e{l dupe devoit pen — 
fer ^WL fienSp A Lgced^mone , il ^toit per- 
mis de vol 伊 ; a U Chine , il eft permis 4e 
tipmper. - 



CHAPITRE XXI. 

Comment Us kis doivM"trf nlativcs aux mcturs 

&. jOUX mamcreu 

Jl n*y « cpie des institutions fingnlieres aui 
confondent ainfi des chofes natureUement fe- 
par^es, les tois , les moeurs & ies manieres ; 
miis quoiqtt'elles foient £^paries , elles ne hdf; 
(tnt pas d'avoir entr*elles de grands rappprts. 

On demanda a Solon, fi les lpi$ qu'il avoit 
donnees aux Ath^niens ^toient les meilleures^ 
« Je leur ai donn£ , r4pondit-il , l^s meiUeures d« 
» celled qu*tls pouvoient fouffrir.» : belle parole , 

Jul devroit etre entendue 4c tons \t% l^eiuateurs. 
^uand la fag^flfe diyis^e dit peupie iuif : a 
n vous ai dpnn^ 4^$ jpr^ceptes qqi ne font pas 
,, bons ,, , c^la ifgniQe qu'ils n'avoient qu*une 
boiite relatiye;^ ce qui e(l Feponge de touted 
les difficult" c|M<sT0ii peut iaire fur U$ \w ds 



^ I.V. XiX. C H A,. XXfl. %g 



、 CHAPITRE XXIL- 
Cmunuauan du menu fujtu 

^^ •UAND tin people a de bonnes tnceurr, \m 
lois devieiment iiinples. PLu&n \a\ dtt que Ra - 
diamante ^ qui gouvcrnoit un people extn^me- 
ment religicux , expediott tous les proems av€c 
ciXknxi^ aeferant feuleoient Ift fermeot fur cha- 
que chef. Mais, dit le tneme Plaion (i) , 平 and 
tin peuple n'eft pas religieux , on ne peut {aire 
tifage du ferment que dans les occafions ce* 
lui qui jure eft fans int6f£t, comme un |uge & de$ 
timoins. 



CHAPITRE XXIIL 
Comment les lois fidvtiu les mmurs* 

3D ANS le temps que les tmeun de$ Romaiits 
^toient pures , ii n'y avoit point de loi particu-* 
liere centre ie p^culat. Quand ce crime com* 
men^a a paroltre , il fut trouv^ iafame , que 
d'etre condamn^ 1 reftituer {a) ce qu*on a^oit 
pris, £it regard^ comme une grande peine; te- 
fnoiA le jugement de L Scipuon [A〗《 



a) Des lots , IW. XIL 
h) Ibid. 
a) In.fimplum, 



L 



De l'Esprit des Lois J 

€ H A P I T R E XXIV. 

CojiHrmation du meme fujet. 



E s lob qui donnent la" tutelle k la mere; 
ont plus d'attention a la confervation de la per- 
fonne du pupille ; celles qui la donnent au plus 
proche h^ritier ont plus a'attention a la confer- 
•vation des bien# Chez les peuples dont les 
moeurs font corrompues , U vaut mieux don- 
ner la tutelle a la mere. Chez ceux ou les lois 
doivent avoir de la confiance dans les moeurs 
des cltoyens , on docne la tutelle a I'h^ritier 
des biens , ou a la mere, & quelqu^fois a tons 
les deux. 

Si ron r^flechit fur les lois Romaines , oh 
trouvera que leur efpnt eft conforme k ce que 
je dis. Dans le temps ou I'on fit la loi des douze 
tables , les moeurs a Rome etoiefit admlrables. 
On defira la tutelle au plus proche parent da 
pupille , penfant que celui-la devoit avoir la 
charge de la tutelle , qui pouvoit avoir ravan- 
tage de la fucceffion. On ne crut point la vie 
du pupille en danger , quoiqu'elle fut mife entre 
les mains de celui a qui fa mort devoit etre utile. 
Mais lorfque les moeurs changerent a Rome , on 
vit les Ugiflateurs changer auffi de fa^on de 
penfer. Si dans la fubflitution pupillaire, difent 
Caius [a] & Jujlinien (b) , le teuateur craint que 

(a) Inft. liv. II. tit. 6. §. 2 ; la compilation d'Ozel, 
k Leyde , 1658. % 

(b) Inftitut. Uy. II. de pupil, /uhJUt, §. 5. 



L I V. XVII. Chap. X X.V. 19 

le fubftitu^ ne . drefle des ecnbuches .au pupille, 
il peut laiiler a decouvert la fubflitudon vul- 
gaire (c) , & mettre la pupillaire' dans une par- 
tie du teflament qu,on ne (Sourra ouvrir qu'a- 
pres un certain temps. Voila des craintes & 
des precautions inconnues aux premiers Ro, 
mains. 

• 

• 'II - m I 

C H A P I T R E XXV. 

ft 

Continuation -du meme fujtu 

T 》 , 

JLja loi ^Roxnaine donnoit la liberte de fe 
faire des dons ayant le manage ; apres le ixia* 
nags elk ne le permettoit plus, Cela etoit 
fondi fur 】es moeurs des Romains , qui n'^toient 
port^s au mariage que par la frugalite , la fim- 
plicite & la modeme ; mais qui pouvoient fe 
kiiTer feduire par les foins^ domeftiques ^ les 
complaifances & le bonheur de toute une ' vie. 

La loi des Wifigoths vouloit que repeux 
ne put donner a celle qu il devoit (^poufer , au- 
dela du dixie me de fes biens , & qu'il ne put 
lui rien donner la premiere annee de fon ma- 
nage. Cela venoit encore des moeurs du pays, 
Les legislateurs vouloient arreter cette jadance 
Efpagnole , uniquement port^e a faire des li- 
beralites exceflives dans une attion d'eclat. 



{c) La fub^litution vulgaire eft : Si un tel ne prend 
- pas I'Mc^ditd , je lui fubftitue , &c. La pupillaire : 
,2»i untel meurt avant fa pubert^ , je lui fub(Utu€,&c- 
(«) Liv.Ili, tit.i.g.y. 

C 3 



30 De L,£sraiT Dis Lois; 

Les Romans , par kurs lots, arreterent quel- 
ifues incony^niens de Vtmpnt du tnonde le 
f^us durable 9 em eft relui de la vcrtu t les Ef- 
pagnob , par les leurs , YOuMent empecher les 
snauvais eSets de h tyrannie du monde piufr 
fragile, qui eft cette de la beauti. 



C H A P I T R E XXVL 

totUMuathn du mime Cu'jtu : 

La loi \d\ de Thiodofe & Vakntlnien tim 
)es caufes de repudiation des anclennes meBurs (巧 
& des manieres des Romains. Elle mit au^nom- 
lire de ces cau(e$ I'aflion d'un niari (c) qui 
chatieroit fa femme ^*une maniere indlgnt 
d'tme perfonne ingenue. Cette caufe fat omife 
dans les lois fuivantes \d\ : c'cft que les tnoeun 
aToient change \ #et egard ; les uiases d'Orient 
avdient pris la place de ceux oEurope. Le 
prem'er eunuque de rimperatrice , femme 
Jiiftinien II. , la mena^a , dit rhiftoire , de ce 
chatiment dont on punit les enfans dans les 
^coles. II n*y a que des moeurs Stabiles ou des 
moeurs qui cherchent a $, 荟 tablir, qui puiffent 
fxire imaginer une pareiBe chofe. 



Et de U lot des douze tables , Voyex Gc^on^ 
fiK'onde Phi'ippique. 
(c) Si vcrherihis, ftic iugcauis atUM4 Jknt $ afiut/C 
m prohaimrii. 

Djuh U aovelte ",, ch, kcr» 



Liv. XIX. Chap. JOCVI. ji 

Noils avons Ytt comment les lois Advent le» 
inoeurs : yoyons k pf6fent comment les moeurs 
fiulreiit fti iois. 

C H A P I f R E XXVIl 

Comment Us his peuveat eanmbua a fotmir Us 
mceufs , Us manittts if U utraStn £uRi 

Lrs coufnmes d'un peuofe efclave font ime 

{^artte de fa fervftude : celles d^utt people Ubr« 
bnt une panie de fa liberty. 
Jfai park au livre XL [a] dWpei^le fibre \ 

voyont les elFets qui ont d& frnvre, ie carac^ 
tere qui a pu itxi former, & bs manieres 9pk 
en rifidtent. 

Je ne <£s point oo^ k cfimat n*»t prodfti 
en grande partie les lois » les moeurs & les ma- 
nieres dans ceite nation ; oiais jc dts que kf 
moeurs & 4es manieres de cette nation de- 
vrolent aroir im grand rapport fe$ lois. 

Comme il jr auroit dans cet Etat deux pou- 
voirs vifibles , la pu'iflance legislative & Pexir 
cutrice ; & ql&e tout citoyen y auroit fa vo- 
lont^ propre , & feroit raloir \ fon gri fon 
ind^ndance ; la plupart des ^ns auroient plus 
dTaffedtion pour une ae ces pmflances que pour 
rautre, k grand nombre n*ayaiit |>as ordmai* 



W Cbapkrt VI, ^ 

C 4 



32 De l'Esprit d£s tots, 

rement affez d'equite ni de fens pour les af- - 
feftionner egalement toutes les d^ux. , 

£t comme la puiflance executrtce , difpofant 
de tous les emplois , pourroit donner de gran- 
des efperances &i jamais des craintes •' tous 
ceux qui obti^ndroient (Telle feroient port 纟 s a 
f^Kxapfitr de fon coti , & felle pourroit etre atta- 
qu^e par tous ceux qui n'en efp^reroient rien* 
Touteis les paiSohs y. ^tant liores , la haine , 
Fenvie , la jaloufi^ , I'ardeur de s*eririchir & de 
fe diftinguer , paroitroient <}ans touts leur ^ten- 
due ; & fi cela etoit autrement , I'Etat feroit 
comme un homme abattu par la maladie , qui 
n'a point de paffions , parce qu'il n'a point de 
forces. , 

La haine qui fer— entre' les d^iix pan is du- 
moit, paFte qu'elle feroit toujours impuiflante* 
Ces partis etaht compof^s d'hommes ' libres , 
• fi Fun prenoit trop le deffus , Feffet de la li- 
berte feroit quef celui - ci feroit abaiiTe , tandls 
que les citoyens , comme les mains qui fecou- 
rent le corps, viendroient relerer l*aiitre. 

Comme chaque particulier toujours indep^n- 
, dant fuivroit beau coup fes caprices & fes fan-* 
taifles , on changeroit fouvent de parti; an ^ii 
abandonneroit un oil I'on laifferoit tous fes 
amis , pour fe Her k un autre dans lequel on 
trouveroit tous fes ennemis ; & fouvent , dans 
^ette nation , on pourroit oubKer les lots de 
ramitie & celles de la haine. 
^ Le Monarque ferOit dans le cas des particu- 
liers ; & centre les maximes ordinaires de ti 
prudence, i\ feroit fouvent oblige de donner fa 
confiance a ceux qui rauroient le ^lus choqu6 » 
& de difgracier ceux qui rauroient le mieux 



Liv. XIX.. Chap. XXVII. 33 

fervi, faifant par n^ceffit^ ce que les autres 
Princes font par choix. 

On craint de voir ^chapper un bicn que 
ron fent , que I'on ne connoit guere , & qu*on 
peut nous d^guifer ; & la crainte groffit tou- 
jours les objets. Le peuple feroit inquiet fur 
iituation , & croiroit etre en clanger dans les . 
snoitiens niSme les plus sflrs. 

D*autant mieux que ceux qui s'oppoferoient 
le plus viyement ^ la puHTance e'xecutrice , ne 
pouvant avouer les motife int^refRs de leur 
opposition , lis augmenteroient les terreurs dii 
peuple , qui ne fauroit jamais au jufte s'll feroit 
en. dango/r ou non. Mais cela mende contribue- 
roit a lui faire' 6viter les vrais perils il 
pourroit dans la fuite ^tre expofd. 

Mais le corps l^gislatif ayant la confiance du . 
peuple , & etant plus dclaire que lui ; il pour- , 
roit Je faire revenir des mauvaifes impreflions 
qu'op, lui auroit (^nnees ^ & calmer ces mou 一 
vemens. . - 

•C,eft le grand avantagc qu'auroit ce gouver- 
nement fur les democraties anciennes , dans 
lefquelles le peuple avoit une piriffance Imme- 
diate; car lorfque des Orateurs ragitoient , ces 
citations avoient toujours leur effet. 

Ainfi quand les terreurs imprimees ii*auroient 
point d*objet certain , elles ne produiroient que 
ae vaines clameurs & des injures : 6c elles au- 
roient meme ce bon effet, qu'elles tendroient 
tous les reffgrts du gouvernement , 6c ren- 
droient tous les citoyens attenttfs. Mais fi elles 
nailToient a roccaiion du renverfem'ent des 
lois fondamentales, elles feroient fourdes , funef- 
tes , atroces , & produiroient des c?itaftrophes. , 

Bientot. oer verroit un calme affreux , pen-. 



34 t>E L*EsPltIT DIS tOlS; 

diant lequel tout fe r^uniroit contre la pwflilnce 
violatrice des lois. 

Si , dans le cas oil les inquietudes n'ont pas 
d'objet certain , quelque puillance itrangiere me- 
iia9oit l'£tat» & le mettoit en danger de fa 
fortune ou de fa gloirc ; pour - k>rs , les petlts 
uit^rets c^dant aux plus erail'ds, tout fc r€im?=' 
loit en faveur de la puifUnce ex^cutrice. 

Que fi les (Hfputes etoient form^es a I'occa- 
fion de la violation des lois fondamen tales , & 
々u,une piniTance ^trangere parut ; il y auroit 
tine revolution qui nc changeroit pas la forpic 
du gouvernement ni fa coniHtution car fes 
revolutions que forme la Hberti ne font qu'une 
confirmation de la liberty. 

Une nation libre peut avoir un lib^ateur; 
line nation fubjuguie ne peut avoii' qu'un aiK 
tre oppreffeun 

Car tout homtne aui a aflez de force poor 
chafTer celrn qui eft ai)a le maitre abfolu daos 
1IR Etat , en a aHez pour le ^venir )ui-ineme» 
. Comme , pour jouir de la fibert6 , il faut que 
chacun jwiite dire -ce qu'il pcnfe; & que , pour 
la conferver, il faut encore que chacun pu^ 
&re ce qu'il penfe ; un citoyen ,dans cet Etat, 
dtifoit & ecrirott tout ce que les lob ne lui onf , 
、 pas d^fendu expreflement <te dire ou d'ecrire. 

Cette nation , toujours ichzuSie , pourroit 
plus &(%ment £tre coaduite par fes paflions que 
par la raifon , qm ne produit jamais de grands 
effets fur Fefprit des homines ; & il feroit facile 

ceux qui la goi^yerneroient » de lui faire , 
iaire des entreprifes contre fes veritables interets, 

Cette nation almeroit prodigieufement fa li- 
berty , parce que cette liberte fcroit vrafe - & 
|1 pourroit Vriver que , pour la dikndxt f xXte 



1 1 V, XIX. Chap. XXVn. jtj 

fccrifieroh fon bien , fon aifance , fes int^rCts ; 
i|u'elle fe chareeroit des impots les plus dun , 
& tels' qne le Prince ]ej>lus abfolu n*ofer<nt les 
£dre fiipporter 5 fes fujets, 

Mais comme elk auroit une connoifTance 
certaine de la n^ce/Sti de s'y foumettre , ou'elle 
payeroit dans Pefp^ance bien fondle de ne 
payer plas ; les cmrgts y feroient plus pefan - 
tes que le fentiment de ces charges : aa lieu 
qu^ y a des Etats oil le fentiment infini-' 
jnent au- deiTus diT mal. 

£lle auroit un credit sdr , parce qu^elle eim . 
prunteroit 1^ elle - mSme & fe payeroit ellc- 
snepie. II pourroit arriver cm'elle entreprendroit 
aiindeflus de fes forces' natffelles , & feroit va- 
loir contre fes ennemis des immenfes richefTes 
de fiftion , que la con&mce & la nature 4c 
' fon gouvernement rendroient r 荟 dies. 

Poor conferver fa liberty , c!le emprunteroit 
de , fes Aijets ; & fes fujets , qui verroient ane 
fon credit feroit perdu fi die ^toit conquiie , 
auroient un nou^cau mocif de &ire des efforts 
potir d^fendre fa Hbsrt^. ' 

Si cette nation habitoh une isle , elle ne fc- 
fbit point conqu^rant^ , parce que des conqui 禱 
tes fejpar^es I'affoibliroient Si le terreio de cette 
isle ^toit bon , elle le feroit encore mobs , parce 
jau'dle n*auroit pas befoin ie h guerre pour 
renrichir. Et comme aucun citoyen ne d^pen- 
droh d'un autre citoyen, chacnn feroit plus dc 
• cas de fa hberti , que de la gbire de quelqiies 
citoyens ou d'un feul. 

La on regarderoit Us homines de guerre 
comme des gens (Tun metier qui peut £tre vtil^ 
& fouvent dangereux , coname des gens dont 
Im kiyic9$ foot bboiUvx pew 1» nation mcno ; 



56 De l'Esprit des Lois , 

it les qualitis civiles y feroient plus confidM^§* 

Cette nation , que la paix & la liberte ren- 
droient aifi^e , affranchie des prejug^s deftruc- . 
teurs , feroit portee a devenir comxner9ante. Si 
clle avoit quelqu'une de ces marchandifes pri- 
mitives qui fervent a faire de ces chofes aux- 
quelles la inaln de . I'ouvrier donne un grand 
prix, elle pourroit faire des ^tabliiTemens pro - 
pres ^ fe procurer la jouiHance de ce don du 
Ciel dans toute fon ^tcndue. 

Si cette nation itolt fitu^e vers le Nord, & 
qu'elle ettt un grand nombre de denr^es fuper- 
flues; comme elle manqueroit auffi d'un grand 
nombre de marchandifes que fon dimat lui.re, 
fuferoit , elle feroi 做 un commerce neceflaire , 
mais grand , avec les peuples du Midi : & chol- ' 
fiffant les Etats qu'efle tavoriferoit d'un com- 
merce avantageux , elle feroit des traites r^ci- 
proquement utiles .avec la nation qu*elle auroit 
choifie, 

Dans un Etat oil d'un cote ropulence feroit 
extreme ,& de I'autre les imp&ts excefTifs , on 
ne pourroit guere vivre fans induftiie avec une 
fortune bornee. Bien des gens , fous pr^texte de 
voyages ou de fanti,- s'exileroient de chez eux, 
& iroient chercher Vabondance dans les pays 
de la fervitude meme. 

Une nation commer^ante a uh nombre pro- 
digleux de petits inter^ts particuliers ;. elle peut 
done choquer & etre choquee d*une infinite de 
manieres. Celle - ci deviendroit fbuverainement 
jaloufe , & elle s'affligeroit plus de la profpirit^ 
des autres qu'eile ne jouiroit de la fienne. 

£t fes lois , d'ailleurs douces & faciles , pour 二 
roient etre fi rigides a regard du commerce Sc 
d( la navigation qu*on feroit chez elle , qu*eU^ 



厂 



Liv. XIX. Chap. XXVIL 37 

femblerblt ne negoc'ier qu'avec des ennemU. 

Si cette nation ehvoyoit au loin des colo- 
nies , elle le feroit plus pour etendre fon com- 
merce que fa domination. 

Comme on aime a ^tablir ailleurs ce qu'on 
trouve ^etabli chez foi , elle donneroit aux peu - 
pies de fes colonies la forme de fon gouverne- 
ment propre : e gouvernement portant avec 
lui la proip^rit^ ^mi verroit fe former de grands 
peupies dans les forets memes qu'elle en verroit 
habiter. 

II pourroit etre qu*elle auroit autrefois (tibju* 
gue une nation voifipe, qui , par fa fituation , 
. Iz bont^ de fes ports, la nature de fes richeffes , 、 
lui donneroit de la jaloufie : ainfi , quoiqu'elle 
lai eut donn^ fes propres lois , elle la tiendroit 
dans une grande dependance , de fa^on que les 
citdyens y feroienj libres , & que I'Etat l^i- 
mSme feroit efclave. 

L'Etat conquis auroit uh tres bon gouverne- 
tnent civil; mais il feroit accabM par le droit 
des gens : & on lui impoferoit des lois de na« 
tion a nation , qui feroient telles que fa prof- 
p^rite ne feroit que precaire & feulement ea 
a6p6t pour un maitre. 

La nation dominante habitant une grande 
isle, & ^tant en poffefSon d*un grand com- 
merce , auroit tautes fortcrs de facilit^s pour 
avoir des forces de mer : & comme la confer- 
vadon de fa liberte demanderoit qu'elle rt'eut ni 
places, ni fortereffes, ni artnees* de terre , elle 
euroit befoin d'une arm^e de mer qui la garan* 
tit des invafions ; & ia marine feroit fup^rieiue 
a celle de toutes les autres puilTances , qui , 
ayant befoin d'employer leurs finances pour la 



|S De l'Esprit dis Loisi; 

guerre de terre , fi'en auroient plus aiTez pout Ig 

guerre de mer. • 

L'empire de la mer a toujours donne aux peo- 
ples qm ront pofled^ une nert^ naturelle ; parce 
que , fe fentant capables d'infulter par - tout , ils 
croienc que ieur pouvoir n'a pas plus de bornes 
que rOciaa. 、 

. Cette nation pourroit avoir une grande in- 
fiuence dans les afBures de ; voifins. Car, 
comme elle n'emploiroit pas fa puiiTance a con* 
quirir , on rechercheroit plus fon amitie , & I'on 
cradndroit plus fa haine,*que I'inconflance de 
fon gouvernement & fon agitation int^rieur^ nc 
. fembleroit le promettre. 

Ainfi ce feroit le dedin de la puIfTatice exi^ 
cutrice d'etre prefque toujours inquietie au de-* 
rians & refpeaee au dehors. 

S*il arrivoit que cette nation devint en quel* 
ques occafions le centre des negociations de 
rEurope , elle y porteroit un peu plus de pro« 
biti & de bonne -foi que les autres ; parce que 
fes Miniftres itant fouvent obliges de juflifoer 
leur condutte devant un Confeil populaire, leurs 
nigoclations ne pourroient etre lecretes ,& ils 
. feroient forces a'itre a cet igard un peu plus 
honnetes gens. 

De plus , (omme ils feroient en quelque fa^ 
^on g^rans des 6v6nemens qu'une conduhe de« 
toumee pourroit faire naitre, le plus sur pour 
eux feroit de prendre le plus droit chemin. 

Si les Nobles avoient eu dans de certain- 
temps un pouvoir immodere dans h ngtion , S( 
^ue Te Monarque eut trouv^ le mp^en de le$ 
abaifler en ^levant le peuple ; le point de Fex- 
treme fervitude auroit it6 entre le moment de 



Liv. XIX. Chap. XXVII. 39^ 

Va1>aifleinent des Grands & celiii oil le peuple 
aiKoh commence a fenttr fon pouvoir. 

II pourroit ctre que cette nation ayant kxk au« 
trefois foumife a uiu pouvoir arbitraire » en 】u- 
roit en plufteurs occauons confervi le ftyle ; de 
maniere que, fur le fonds d'un 'gouvemement li- 
bre , on verroit fouvent la forme d*un gouver- 
fietnent abfolu. 

A i'egard de la religion , comme dans cet Etat 
chaque citoyen auroit fa Tolonri propre , & fe- 
roit par conf(iqueiit conduit par les propres lu- 
fnieres ou fes fantaifies ; il arriveroit » ou que 
chacun auroit beaucoup d'indifFiirence pour rou- 
tes fortes de religions dequelque efpece qu'ellec 
fuffent , moyennant quoi tout le monde feroic 
porti a embrafler la religion dominante ; o« 
que I'on feroit liak pour lar religion en gen^« 
ral , moyennant quel les feAes fe multipfierdienr. 

U ne feroit pas impoffible qtt*tl y eftt dans 
cette nation des gens qut n'auroient point dc 
relieiofi ,. & oui o< Youdroient pas cependatic 
ibuftnr qu,on les obligeit a changer celie qu'Us 
auroient s*ils en avoient une : car ils fentiroienc 
d*abord que la vie & les biens ne font pas 
plus a em que-leur msiniere de penfcr ; & que 
qui peui ravif fun , peut encore mieux 6ter . 
rautre^ 

$1 parmi les differentesj'eligions il y en avok 
one a r^abliiTement de laqueUe on euc tente de 
parvenir par la voie de refdavage , elJe y fe-; 
roit odieufe; parce que , comme nous jugeons 
des chofes par les Itaifons 6c les accciToires que 
nous y mettons, <eile-ei ne fe pr^fenteroit 
laais a rcfprit avec I'idie de liberty. 

Les lois cpntre ceux qui profeiTeroient cette 
religion, ne feroient point fanguinairef ; car ― 



40 t) EL*EsPRiT MS Lois; 

liberti n*iinagine point ces fortes de peines : 
mais elles feroient fi reprimantes , qu'elles fe- 
roient tout le mal qui peut fe faire de fang— 

froid. • 

II pourroit arrlver de mille manieres que 
Clerge auroit ii peu de credit , que les autres 
citoyens en auroient davaptage. Ainfi , au lieu 
de le feparer , il aimeroit mieux fupporter les 
memes charges que les La'iques , & ne £aire a 
C€t egard qu'un meme corps : mais comme il 
chei'cneroit toujours a s'attirer le refped du peu- 
ple , il fe diltingueroit par une vie plus retiree , 
une condiiite plus refervee & des moeurs plus 
pulres. 

Ce Clerge ne pouvant proteger la religion 
tii etre protege par elle , fans force pour con-, 
traihdre , cliercheroit a perfuader : on *verroit 
fortir de fa plume <]e tr^s bons puvrages , pour 
'prouver la revelatiion>& la proyidence du grand 
ttre. • 

,11 pourroit arriver qu'on ^Iqderoit fes affem- 
blees , & qu'on ne voudroit pas lui permettre 
'de corriger fes abus memes ; & que , par un 
~delire de la liberty , on aimieroit mieux lai0er 
fa refprme imparfaite que de foufFrir qi;,il fut 
r^formateur. 

Les dignit^s faifant partie de la conOitudon 
fondamentale , feroient plus fixes qu'ailleurs : 
mais d'un autre cote , les Grands , dans ce pays 
liberte , s'approcherpient plus du peuple ; les 
tangs feroient done plus repan6s & ks perfonnes 
' plus confondues. 

Ceux qpi gouyernent ayant une puiiTance qui 
. fe remonte , pour, ainfi Are, & fe refait tous 
les J ours, aiiroient plus d*egarcls pour ceux qui 
' IcuEifont utiles que pour ceux qui les divertif- 

fent : 



L I V. XIX. Cha p. XXVII. 41 

fefit ; ainfi on y verroit pen de courtifans , de 
flatteurs , de complaifans , enfin de toutes ces 
fortes de gens qui font payer aux Ct^nds le 
vide mSme de leur ^fprit : 

On n'y eftimeroit euere les hommes par des 
talens ou des attributs trivoles , mals par des qua-* • 
lit^sjeelles; & de ce genre il n'y en a que #ux, 
les. richeffes & le merite perfonncl. 

II y auroit un luxe folide , fond^, non pas fur le / 
rafin^ment de la vanit6 , tpais fur celui.des be- 
foins r^els ; & Von ne chercheroit guere dans 
les cbofes que les plaifirs que la nature y a mis« 
Oft y jouiroit d'un grand fuperfiu , & cepen- 
dant les chofes frivoles y feroient profcrites : 
ainfi plufieurs ayant plus de bien <^ue d'occafions 
de depenCe , 1 emploieroient d'une maniere bi- 
zarre :& dans cette nation , il y auroit plus 
d*e(prit que de gout. >. 

Comme on i^eroU toujouh occup6 de fes in- 
t^rets , on n'auroit point cette politeffe qui eft 
fondle fur I'oifivete ; 6c reellement on n,en au- 
roit pas le temps. 

Ulpoque de la politeffe des Romams eft h 
fneme que oelle de retabliflemeni du pouvoir ar- 
bitraire. Le gouveroenient ablplu prodiiit roifi^ 
reU , & I'oiSvet 连 fait naitre la politeffe. 

Plus il y a de ,gens dans une nation qui 01^ 
befoin d'avoir des tn^nagemens entr'eux & de 
ne pas diplaire , plus il y a de politeffe. Mais 
c'cft plus la politefle des tnoeurs que .celie des 
manieres , qui doit nous diftinguer des peuples 
barbares. 

Dans une nation oi!i tout .hotnme a ^ ma* 
niere prendroit part a i'adminiflratioji >de l*£ut, 
les femnies ne devfoient guere vivre avec les 
hommes. Eiles feioieiu dpAC mod«ftes , c'e£l-ir? 

D 



4^ D£ l'Esprit des 1/>is ; 

dire, titnides : cette timidite feroSt leur vctju ; 
tandis que ks hoirtmes fans galanterie fe jetc- 
xoient dans une d^bauche qui feur kifleroit toute 
leur liberti & leur loifir. 

Les lois n*y itant pas faites pour nn parti* 
• culier plus que pour un autre , chacun fe reear- 
deroit cotnvie Mdnarque; & ks homtnes , oans 
cette nation ,& rokat phitot d<M QonSkiixkis que 
des concitoyeti»» 

Sik cHznac avoit dorni^ Ikbiesicles gcfu cm cf- 
prit isquiei dc des vims itendues , dans un pays 
. oil k constitution donneroit 4 tout le monde 
ifie part au gouvernement & de» mtirets poli- 
toques , on parleroit beaucoup de poHtique ; oi? 
,€rroit des g^ens qui pafferoient leur ric a cal- 
culer des ivinemehs, qur, yu la nature des cho - 
fes & le caprice -db U fortune ^ c'cft - a- dire , 
iles homines, ne tjnt guerc foumJs au calculi 

Danr «ne nation l£rie , H eft tr^s fouvent 
indifF^ent que les particuliers rasfonaent bieir 
<nr mal;: il: fuHk qu*ils ntifonnent : de -la fort 
k tibert^ ^ui earanth des tffets de cts monies 
taifontiemens. 

De mSme*, dans mr gouvernemnt deipoti^ 
ouCy. il eft ^galement -pernicieux qu'on ra> 
K>nne bien ou msd ; il; luffit qu'on raifonnev 
l^our que le principe du、 goavetnieinent fote 
ehoquc. 

Bien des e^s qui ne fe foucierDi«flf dt 
pkise a per^nne , s'abandonneroient a leur 
humeur ^ la plupatt,. ame; de I'efgTif, feroient 
tourmentes par leur efprit mime : dans le di^ 
bale oegottt de toutes chofes:, Hs feroient 
malheureux avec txnt de iujets de ne I'ctre 
pas. 

Aatm ckoyen ne eraigAant mean clfiojF^m, 



Liv. XIX. C H A f. XXVn. 43 
•tDette fiatioii fennt fiere; car la fieiti des Roit 
aTeft fondle que fur leur indipendance. 

Let nations libres font fuperbes, les aiitxtt 
penvent plus ^fement £tre vaineft« 

Mais ces hoi^es fi fiers vivaht beaucoup 
ayec eux • mimes , fe trouveroient fonvent au 
Inilieu de gens kiconnus ; ils feroiem dimdes , 
& Foil verroit en eu^ la jplupsut ia temps un 
jiiekuige Uiarte de mwvaile bonte & dc ner^» 

Le caradere de la nation paroitroit furtout 
dans leurs ouvn^es d'^efprit , dans lefquels on 
ifcrroit des gens recueiUis ,& qi^ ' auroient 
peaft tout feiris. 

hsL fociitt nous apprend II fentir les ridicules } 
la retraite noos rend plus proprcs a fentir le» 
▼ices. Leurs Merits fat yriqipes feroient fanglam ; 
& Y&ti verroit b'len des Jur^naU chez eux, 
avant davoir irouvi im Horace. 

Dans ks tnonarcluet e"r£mexnent abfolues , 
ks Hi^oriens traTiiflent la v 丟 ritf ', patce qu'ib 
n'ont 'pas la liberty de 、Ia dire : dans les Etats 
extr^mement libres, ils trablfient h vititi a 
caufe de leur liberty in 条 me , ^ui prodidfant 
tou)Oiifs des divifions , chacun devient auffi ef- 
' daye des preji^es de fa faction , qu,d le feroit 
dTun defpote. 

Leurs Poetes auroient plus fouvent cette rd» 
deffe ominale de rinvention , qu*ime certaine 
delicateile que donne le gofit j on y trouvefoit 

aaelque cbofe qui approchcroit plus de-la force 
5 Mi'cbd - Ange que de la grace <k Raphael 



0^ 



' • -' 、〜二 -" n 



44 De L*E$PAir Diks Lots ^ 

2 ' • , 一 i 

L I V R E X X. 

Des tois , dans Ic fapport quclUs onp 
avec k Commerce y confidiri dans Jk 
nature & fis diJlin3ions, 、 

Docuit quae maximus Atliis*. 
Virgil. jEneid, 

CHAPITRE PRjEMIE^l. 

Du commerce. 、 

• Lis matieres qui fuivent demanderoient (Wjtre 
trait^es avec pi as d'^tendue ; mais la nature de 

• cet ouvrage ne le' permet pas. Je voudrois cou- -- 
ler fur une riviere tranquille ; je Aus entraine 
par un torrent. 

Le commerce, gu^rit des prejuges deflruc- 
teurs : & c,eft pr^lque une regie eenerale , que 
par - tout oil il y a des mceun Jouces , il y a 
du commerce ; Sc que par - tout oil il y a da 
commerce , il y' a des tnoeurs donees, • 

Qu*on ne s'etonne ^onc point fi nos moeurs 
font moins feroces ^*elles ne retoient autre- 
fois. Le commerce a fait que la connoiiTance 
des mceurs de tomes les nations a pen^tr^ par- 



Liv. X^. Chap. I. 4f 

tout . : on les a compar^es entrelles,. & II en a 
refult^ de grands biens. 

On peut dire que les lois du commerce per- 
feftionnent les moeurs ; par la meme raifon que 
ces mimes lois perdent les moeurs. Le com- 
merce corrompt les moeurs pnres (*) ; c'ctoit 
le fujet des plaintes de Platon : il polit Sc 
adoucit les moeurs barbar^ , comme nous le. 
voyons tous les jours. 



CHAPITRE IL 

Dc refprit du commerce. 

I-#'effet nature! du commerce eft de porter 
a la paix. Deux nations qui negocient enfemble , 
fe rendent r^ciproquetnent d^p^ndantes ; 6 
rune a interet aacheter , I'autre a interet de 
vendre ; &• foutgs les unions font fondees fur 
d€s befoini mutuels. ' , 

Mais , fi refprit de commerce unit, les na- 
tions , il n'uhit pas de meme les particulicrs. 
Nous voyons que dans ks pays [a] oil i,on 
n'eil ^Sdili que de refprit de commerce , on 
trafique de toutes les alliens huxnaines Sc de 
toutes ks vertus morales : les plus petites cbo-* 



(*) C^far dit <fes Gaulais , cfiie le voiflnage & I* 
commerce <\e Marfejile les avpieftt^at^9,tle fa^on qu'cux, 
qui autrefois avoi^nt toujours vaincii les Qermains, 
leur etoicnt devenus ii^f^rieurs* Guern des Gaule^ , 
Kv. VI. ' 

W La HoUaode, 



fes I cdles que I'humaniti demande^ s'y (bnf 
ou 《y (ionnent pouf de Pat^gent. , 

L efprit de commerce produtt dans les hoiiH 
mes un certain fentimenc de juftice exa^^ 
bppoft d'un c6f6 au brigandage ,& dt Fautre 、 
\ ces vertus morales qui font qu'on ne difcute 
pas toujours fes int^rets avec tigidh^, & qu'on 
peut les ne^liger pour ceux des autres. 

La privation totale du commerce prodiut ac; 
€ontraire le brigandage ., qu'Ariilote met aii 
aombre des manieres d'acquirir. L*efprit n'en 
eft point op(K>f(& \ de certaines vertus motates : 
par c .temple , rhofp'italiti , tres rare dans lea 
pays de commerce , fe trouve adimrablement 
parmi.les peuples brigands. 

Cell un facrilege chez les Gentudfis ^ cEf 
Tiuiti , de feriner fa maifon k ^ueloulioinfne 
qpe ce (bit , connti on inconnu. Ceiui qui a 
€xerce (Jf) rhofpitaltti envers .un ^tcanger^ va 
ku montrer une autre msufon oii on I'exerce 
encore, & il y eft re^x avcc la mime huna- 
nixi. Mais lonque les Germatns eurent fondi 
des roy^umes , 1 hofpitalit^ leur devtnt a charge. 
Cela paroit par deux lob du Code (c) des 
Bourguignons , dont rune infli^e une peine ^ 
tout oarbare qin iroit montrer a un danger I, 
siaifon d'un Romain ; & l,autre regk que celui 
qui recevra un Granger , fera dMommag^ par 
les habitans , chacun pour fa ^quote-part. 



{h) Et fui modo Ao/pes futrst , monflrdtov ho/jniih 
D« morib. Germ. V©yex ai2£ Ciin^ Gmtm dU Gm« 
• Ms , Hv. VL • 



Ltv. XIX. Chav. VSL 



C H A P I T R E 



la fouvrtte its ptupUsn 

HEl V a deux fortes de peoples paimet : cew 
que la durcte du gouTernemeiit a rend us tels; 
& ces gens*la font incapablet dc prefque aucune 
▼eitii, parce que leur pauvreti' fait une partie 
de kur fervitude : les autres ne font pauvret 
que parce qu'il» ont deda'igni » ou parce qu'ils 
n'ont pas cornm les conmodit^s de la y\t ; & 
ceitt-ci peuvent faire de giyndes chofes , parce 
que cette paoTiet^ bix une partie de Imr Uberti» 



* C H A P I T R E IV. 

Du 49mmerc€ dasu Us divers gouvemtmtn^ 

Le commerce a da rapp^ 9vec h coniKtifs^ 
tiom Dans le gouvernement d'lm feul , U eft 
ordmatrement ibndi fur le tuie; & q^uoiqu'il k 
fok auffi far ks befouisj'^lt, fon ob)«t princi* 
pal eft de procurer h la nation qui le fait, tout 
ce qui peut ferrir i fon orgueU , a fcf d^licei 
& a fes fantaifies. Dansie gouvememept de plu- 
iieurs, il efl plus fouvent fond^ Cir 1 economie* 
Les negocians ayant VctU fur toiates let nadoot 
de la terre , portent 4 Fune ce qu'ils tirent de 
famre* Ceft aiofi que les ripubliques deTyt, 



48 Dfi L*EsPiiiT DEs Lois , 

de Carthage , d'Athenes , de Marfeille , die F!<j 一 
rgnce, de Venife. & de HoUande ont fait fe 
commerce. 

Cette efpece de trafic regarde le gouvernc- 
ment de plufieurs par fa nature, & le mona 卜 
chique par occafion. Car , comme il n'eft fondS 
que fur la pratique de gagner peu , & m^me de 
gagner ^ moins qu'aucune autre nation , & de ne 
le dedommager qu'en gagnant continuellement , 
il neft guere poflible qu'il puifle etre fait par 
un feul peuple , chez qui le luxe eft etabli , qui 
d^penfa beaucoup , & qui ne voit que de grands 
objets. 

Ceft dans ces idies que Cxceron (a) difoit ft 
bien: » Je naime point qu'un me me peuple foic 
,, en meme temps le dominateur & le fa£leur de 
» runivers «. En efFet^ il fau droit fuppo(er que 
chaque particulier dans cet etat, & tout i'^tat 
tneme^, euflent tou'iours la tete pleine de grand^ 
projets, & cette meme tete remplie de petits : ce 
qui efl contradi6loire. * 

Ce n'eft us que , dans ces ^tats qui fubfiftent 
par le commerce d'^conomie , on ne faiTe auffi 
les plus grandes entreprifes , & que I'on n'y 
ait une hardiefle qui ne fe trouve pas dans les 
monarchies : en void la raifoa. 

Un commerce mene a Kautre , le petit au 
mediocre , le mediocre au grand ; 8c celui qui a 
eu tant d'envie de gagner peu , fe met dans 
tine fituation oh il nen a pas moins de gagner 
beaucoup. 

De plus , les grandes entreprifes des nigodaas 



(a) Nolo eumdcm poj^ulunt 、 impcratorem & pertitonm 
ijjfc urrdrufn , - 

" font 



Liv. XX. Chap. IV; 49 

font tou]ours n^ceflairement melees avec les af« 
faires publkjues. Mais dans les monarchies, les 
affaires publiques font la plupart du temps aufli 
iufpeSes aux marchands quelles leur paroiflent 
sures dans ies 6tats r^publicains. Les grandes en« 
treprifes de commerce ne font done pas pour 
les monarchies , mais pour le gouvernement de 
plufieurs. 

£n un mot, une plus grande certitude de fa 
profperite , que l,on croit avoir dans ces etats , 
fait tout entreprendre ; &, parce qu'on croit 
ctre sdr de ce que I'on a acquis , on ofe I'expofer 
pour acquirir davantage ; on ne court de rifque 
que fur les moyens d'acquerir: or les hommes 
efperent beaucoup de leur fortune. 

Je ne veux pas dire qu'il y ait aucune monar- 
clue qui foit totalement exdue commerce 
d'economie ; mais elle y eil moins portee par 
fa nature. Je ne veux pas dire que les republi- 
ques que nous connoiflbns foient entiiremeht 
privies du commerce de luxe ; mais il a moins 
de rapport a1eur conilltution. 

Quant a F^tat defpotique, il eft inutile d'en 
parler. Regie genirale : dans une nation qui eft 
dans la fervitude , on travaille plus a conferver ― 
qu'a acqu^rir : dans une nation libre , on travaille 
plus a acqu^rir qu'a conferver* 




Tome III 



E 



59 De 1,'Esprit 1P^$ Lois ; 



C H A P I T R E v. 

P« peupUs qui ofit faip le (ommrcf d*ic<monw* 

, retraite n^ceflaire au milieu d'unt 
fi^^r orageufe ; Marfeilte , ce li^u oil tous les 
Tents » les bancs de la fner , la difpofition des 
(cdte$ ordonnent de toucher , fut f^i^quentee p^r 
}es gens de mer. La flerilite \a\ de fon territoire 
determina fe$ citoyens au commerce d'econo* 
ft^ie. J I fall|i( qu,ils fufient laborieux pour fup, 
pieer a la nature qui fe refufoit ; qu'iis fuflenf 
juAes, ppur yivre parmi ]es nations barbares qui 
devoient fair^ leur profp^rite ; qu'iis fuiTent mo , 
dires , pour que l^ur gouvernem^nt fut toujours 
tr^nquil)e \ enfin qp*il$ euil^nf (des poeurs fru<« 
gales, pour qu,i}s puffent tpujpurs vivre (Tun 
cpmmerce qu'iis conferveroient ph}s sjarement 
Jorfqu'il feroit inoins ayantdgeu^f. 

On g vu par-tout I4 violence & 1^ vexation 
dpnn^r naiflance au cpmnierce , lorf, 

que le$ hotnmes fpnt contraints fe r^fugier 
4^n$ les marais , dan$ les ijles , les bas fonds de 
}a mer & fes ^ci^eils mpmes. C*e(l ainfi que Tyr, 
Venife & les yilles de (lollande furent fondees , 
les fugitifs y trpuverent leur sdrete. II fallut fub* 
fifter; ils ^irerejit l^ur futiiftance de tout I'ur 



{fi) Jaflifi , liv' Xmi. chap. x\u 



Liv. XX. Chap. VI. %i 



CH A PIT RE VL 

Quelques effets (Tunc jgrandt navigdtioiu 

arrive quelquefois qn'une nation q. • ^ait Ic 
commerce d'econGinie, ayantbefoin d*une itiar- 
chandife d'un pays qui lui ferve de fends pour 
、 fe procurer les marchandifes d'un autre j fe con- 
tente de gagner trhs peu , & quelquefois rlen , fuc 
les unes , dans refp6rance ou la certitude de ga- 
gner beaucoup fur les »utres. Ain£ , lorfque U 
Hollande faifoit prefque leule le commerce du 
mldi 2u nord <ie 1,. Europe, les vios de France , 
qu'elle portoit au nord , ne lui fervoient en quel- 
que maniere que de fonds pour faire fon com 一 
jnerce dans le nodi. 

, On fait que fouvent en HoUamde, de cfirtaias 

fenres de marchandife venue de loin ne Vjr ven- 
ent pas plus cher qu*ils n'ont cout6 fur les iieux 
ciemes. Void la raifon qu*o« en donne : uk car 
.pitaine , qui a be (bin de lefter fon vailleau , pren- 
dra du marbre; il a befoin de bois four rarri- 
mage, il en achetera ; 6c pourvu <^uil n*y per- 
xien , 11 ^roira avoir Jbeaucoup iEait. Cefl: 
ainil que laHoUande a ain& (ss carrieres & fes 

Non-feulement un cotxunerce <^ui ne donne riea 
pent etre utile ; un commerce m^me defavanta* 
geux peut I'etre. Tai oui dire en Hollande, que 
la peche de la baleine , en gSniral , ne Tend pref- 
que jamais ce qu'elle CQUte : mais ceux qui ont 
ett eisploy^s a la ^gnftru^on du vaifleau , ceHX 

£ z 



5& De l'Esprit oes Lois; 

qui ont fourni les agr^s, les apparaux, les vi- 
vres, font auffi ceux qui prennent le principal 
intiret k cette pSche. Perdiffent-ils fur la peche , 
ils ont gagn6 fur les fournitures. Ce commerce 
eft une efpece de loterie , & chacun eft feduit 
par refperance d'un billet noir. Tout le monde 
aime a joaer; & les gens les plus fages jouept 
volontiers , lorfqu'ils ne volent point les appa* 
rences du jeu, fes ^garemens , fes violences , fes 
diffipations , la perte du temps, & xneme de toute 
la vie. 



C H A P I T R E VII. 

Efprlt de rAngkurre fur le commerce. 

X /angleterre n'a guere de tarif r6gl6 avec 
les autres nations ; fon tarif change , pour ainfi 
dire , a chaque Parlement , par les droits parti- 
culiers qu'elle ote, ou qu'elle impofe. Elle a 
voulu encore conferver fur cela ion indepen- 
dance. Souverainement jaloufe du commerce 
quon fait chez elle , elle le lie peu par des trai-r 
t^s , & ne depend que de fes lois. 

D'aiitres nations ont fait c^der des int^rSts da 
commerce a des int^ts politiques : celle-ci a 
toujours fait cider fes int6rets politiques aux in - 
t^r^ts de fon commerce. 

Ceft le peuple du monde qui a le mieux fa 
fe pr^valoir a la fois de ces trois grandes cho-» 
fes, la religion, le commerce & la liberte. 



、 



Liv. XX. CHAPrVm. S5 

C H A P I T R E VIIL 

Comment on a gene quel^uefois U commerce 

(Teconomie. 

o N a fait dans certaines monarchies des lois 
trks propres a abaifler les ^tats qui font le com - , 
merce d*economie. On leur a difendii d'appor- 
ter d'autres marchandifes , que celles du cru de 
leur pays: on ne leur a per mis de venirtrafiquer, 
qu'avec des navires de la fabrique du pays ou 
ils viennent. 

U faut que I'^tat qui impofe ces lois puifTe ai- 
{kvcitnx. faire lui-meme. le commerce : uns cela , 
il fe fera pour le moins un tort ^gal. II vaut 
mieiix avoir affaire a une nation qui exige peu,' 
& qu« les befoins du commerce rendent en quel 藝 
que fa^on d^pendante ; a une nation qui , par 
retendue de fes vues ou de fes affaires , fait ou 
placer toutes les marchandifes fuperflues; qui eft 
riche , & peut ife charger de beaucoup de den- 
rees; qui les payera promptement ; qui a , pour 
ainfi dire , des neceffit^s d'etre fidelle ; qui eft pa- 
cifique par principe ; qui cherche a gagner , & 
non pas a conquerir : il vaut mieux , dis-je , 
avoir affaire a cette nation , qu'a d'autres , tou- 
jours rivales , & qui ne donneroient pas tous ces 
a vantages. 、 




E3 



54 De t'EspRiT DCS Leis ; 



―、 CHAP I T R E IX. 

Df f exchj^tt en fan di commtrcr* 

L A vr«5c maxune eft de n^exclure aocune n^-^ 
tion die fon commerce fans de grandes raifons 奢 
Les Japonois ne commercent qu*avec deux na - 
lions , la Chinoife & la Holiaodoife. Les Chi- 
nois [tf ] gagnent mille pour cent fur le fucrev 
tl quelquefois autant fur les retours. Les Hol?- 
landois font des (>rofks a-peu-pres^ pareils. Toute 
nation qui fe conduira fur les nlaximes Japonnoi- 
ies y fcra fi^cefFatrement trompee. Ceft la con- 
currence qui met un prix jdiAe aux marchandr- 
fes, & qui etablit ks vrais rapports entr'elles. 

Encore moins un etat doit-il s'afTuiettir a ne 
vendi e fes marchandifes qu'a une feule nation > 
ions pretexte qu'elle les prendra toutes a un cer- 
tain prix. Les Polonois ont fait pour leur bled 
ce march^ arec la vilk de Dantzik ; plu%urs 
Rois ties Ijides ont de pareils contrats pour le^ 
epiceries avec les ( ^ ) Hollandois. Ces coaven- 
tions ne fonl propres qu'i une nation pauvre » 
qui veut bten perxke refp^rance de s,enridiir, 
po\irvu qu*elle ait une fubnftance affur^e , ou a 
des nations , dont la fervitude confifle ^ renoa- 
cer h Fufage des chofes que la nature leur avoit 
donnees , ou a faire fur ces chofes un commerce 
d^favantageux^ -. 



(a) Le pcre du Halde , torn. It. pag. 170. 
(A) Cela flit premierement ^tsbli par les Portug.aii^ 
Voyt^ts de Fran£oif Pjfrard, ch, xv. part.. IL 



Liv. 3CS:/CrtAP. IXl. " 



CHAPITRE X. 

Etabliffimmt propr€ au commra iconomU' 

I3ans les etats qui font k commerce tfeco^ 
nomie , on a heureufement etabli des banques ^ 
qui , par leur credit , ont formi de nouveaux fi, 
gnes des valeurs. Mais on auroit tort de les 
tranfporter dans les ^tats qui font le commerce 
de luxe. Les mettre dans des pays gouvernis 
par un feul , c'eft fuppofe? Fargent d'ua cot^ ,' 
' 6l de laptre la putiTanee i c'efl-3i-AfC § d'un c6t^ , 
la facult^ de tout avoir fans aucun pouvoir , & 
de Fautre , pouvoir avcc la faculte de rien du^ 
tout. Dans un gouvernement pareil^ il n'y i ja- 
mais eu que le Prince qui ait en, on ((ai ait pu 
avoir un tr^for ; & par-tout oil U y en a ur>f 
d^s qu'il eft exceifif , il devient d'abord la tr" 
/or du Prince. 

Par la m^me rai(bn , (es compagntes cfe n^goM 
cians qui s'aflbcient pour un certain commerce , 
conviennent raren^ent au gouyernement d^unfeul. 
La nature de ces compagnies eft (fe donner aux 
richefTes particulieres la force des richiefies pti- 
b)iques« Mais dans ces itats, cette force ne peut 
fe trouver que dans les mains du Prince. Je dis 
plus : elles ne conviennent pas toujours dans les 
^tats oil 1*011 fait le cothmerce d'^conomie ; & 
fi les afBiires ne font fi grandes qu'elles foient 
au-defTus de la port6e xies particuHers» on fera 
encore mieux de ne point gSner par des privilige^ 
cxclufifs la liberce da commerce. 

E 4 



56 . De l*Esprit des Lois; 
m 、 ,1 '義 - 

CHAPITREXI. 

Continuation dtt menu fuj", 

ANS les £tats qui font le commerce d*&ono- 
mie , on peut ^tablir un port franc. L'economie 
de r^tat , qui fuit toujoars la frugality des par- 
ticuliers, donne, pour ainfi dire. Tame a fon 
commerce d'^conomie* Ce qu'il perd de tributt 
par r^tablifTement dont nous parlons , eft com- 
penf6 par ce qu'il peut tirer de la richeffe induf* 
trieufe de la republique. Mais dans le gouver, 
nement monarchique , de parells ^tabliiTemens fe-^ 
roient cpntre la raifon ; iU n'auroient d*autre ef- 
.fet que de foulager le luxe du poids des im- 

1>dts. On fe priveroit de I'anique bien que ce 
uxe peut procurer ,& du feul frein que dans une 
conftitution pareille il puiiTe rccevoir. 



C H A P I T R E XII. 
Dtf la liUni de commerce. 

Xja liberty du , commerce n'eft pas me faculty 
accordee aux n^gocians de faire ce qu'ils veu- 
lent ; ce ferpit bien plutotia fervttude. Ce qui 
g^ne le commer9ai)t , ne gSne pas pour cela le 
commerce. C'eft dans les pays de la liber" que 
le n^eociant trouve des contradidions fans nom- 
bre; &il n*eft jamais moins croift par les lois» 
que dans ks pays de 】a fervitude. 
L'Angleterre defend de fairs fortir fes laines ; 



Liv. XX. Chap. XII. 57 

elle vetit que le charbon foit tranfporti par mer 
dans la capitale ; elle m permet point la fortie 
fes chevaux , sik he font coupes; les vaif- 
feaux (if ) de fes colonies qui commercent en 
Europe , doivent mouiller en Angleterre* Elle 
gene le n^goclant ; mais c'eft en fareur du conv* 
merce. 

til II ^ , 

C H A P I T R E XIII. 

Ce qui ditruip cette liberti. 

X^A oil il y a du commerce , il y a des doua- 
nes. L*objec du commerce eft I'exportation & 
rimportation des ixvarchaQdifes en faveur de Fe- 
iat ; & robjet des douanes eft ua certain droit 
fur cette meme exportation & importation , auffi 、 
en faveur de Fetat. 11 faut done que Petat foit 
neutre enu-e fa douane & fon commerce , 6c 
qu'il faflfe enforte que ces deux chofes ne^ fe 
croifent point ; & alors on y jouit de la liberty 
du commerce. 

La finance detrult 】e commerce par fes injuf- 
tkes , par fes vexations , par I'exces de ce qu'elle 
impofe : mais elle le detruit encore independam- 
snent de cela , par les difficult^ qu'elle fait naitre , 
& les formalites qu'elle exige. En Aijgleterre , oil 
les douanes font en r^gie , il y a une facility de 



(a) AAe de -navigation de 1660. Ce n'a — qu'en 
temps de guerre que ceux de Bofton & de Philadel- 
phie ont cnvoye ieurs vaiffeaux en droiture jufques 
dans la M^dicerran^e porter Ieurs denrits. 



De l'Esprit d£s Lois; 

negocier fmguliers : un mot d*ecriture fait les plirs- 
grandes affaires ; ii ne faut point que 1e marchatid 
petde un temps infini , & qu'il ait des commis 
expr^s t pdur faife cefler toutes les difficult 在 s des 
fermiers , ou pour s'y foUmettre. 



舞 ' ' ' ' " f t ■ . - ■ 

C H A P I T R E XIV. 

D^s lots du commerce qui tmportent la confifcation 

des marchandifes, 

X^A grande chartre der Anglois defend de f»- 
iir & confifquer , en cas de guerre , les mar- 
, chandifes des n^goc'ians etrangers , a moins que 
ce ne foit par re pre failles. 11 beau que la na- 
tion Angloife ait fait de cela un des articles de fa 
liberty. 

Dans la guerre que rEipagne eut^ centre les 
、 Arv^Iois en 174O, elle fit une ^ « ) ^oi qui pu- 
nifioit de tnort ceuz qui introdtiiroient dans les 
itats d'Efpagne des marchandifes d'Angleterre ; 
elle infJigeoit la m^me peine a ceux qui porte- 
roient dans les ^tats d'Angleterre des marchan - 
difes d*£rpagne, Une ordonnance pareille ne pent, 
je crois, trouver de modele que dans les lois du 
Japon. Elle choque fios moeurs , I'efprit du com- 
merce , & rharraonie qui doit ^tre dans la pro- 
portion des peines ; elle confond toutes les id^es , 
laifant un crime d*etat de ce qui n'eft qu'une vio- 
lation de police. 



謹". 'I ' ―— 
{4) Public© k Cadix au tnois de Mars 



Li V. XX. Chap. XV; 



C H A P I T R E XV. 

Dt la contraiatc par corps* 

Solon ) ordonna a Athenes qu'on n'obli- 

feroit plus le corps pour dettes dviles. II tira 
h ) cette loi d'Egypte ; Boccoris I'avoit faite^ 
& Sifofins I'avok renouvellle. 

Cette 】oi eft tths bonne pour les affaires ( 
CIV lies ordinaires ; mais nous avons raifon de ne 
point robferver dans celles du commerce. Car 
les n^gocUns £tatA obliges de confer de grandes 
fomnes pour des temps fouvent fort courts, de 
les donner 6c'de les reprendre , il &ut que le de* 
biteur rempliffe tou)ours au temps 6xi fes en- 
gagemens ; ce qui fuppofe la contrainte par 
corps, 

Dans les affaires qui derivent des contrats ci- 
rils ordinaires » ta loi n£ doit point donner la 
contrainte par corps , parce qu'efic fait phis de 
cas de la liberty aun citoyen , que de faifance - 
tfun autre. Mais dans les conventions qui den- 
vent du commerce, la loi doit faire phis de cas 
de Faifance publique , que de la liberti d*un c" 



(tf) Platarque , au trakf : qu,it ne faut point cm» 
ptunter a ufurc, 

(h) Diodore , liv. 1. part. II. , III. 

(c) Les Ugiflateurs Grec« ^totent blamables , <{ui 
avolent d^fendu de prendre en gage les armes & la 
charrue d'un homme , & pcrmettoient de .prendre I'Eionk** 
鎮 c in^me. Diodon, liv. 1. par" II. chap. 1U» 



6o De l*Esprit d£s Lois; 

ioyen ; ce qui n*emp^che pas les reftrlftions Sc 
es limitations que peuvent demander rhumanic^ 
& la bonne police. 



e H A P I T R E XVI. - 
BdU loi. 

'SLmA loi de Genive qui exclut des maglftratu* 
res, & mime de rentrie dans le grand-confeil , 
les enfans de ceux qui ont v6cu ou qui font morts 
infolvables , a moins qu'ils i^acquittent les det* 
tes de leur pere , eft txhi bonne. £lle a cet ef- 
fet, qu'elle donne de la confiance pour les n6- 
gocians ; die en donne pour les inagiftrats ; elle 
en donne pour la cit^ meme. La foi particuliere 
y a encore la force de la foi publique. 



C H A P I T R E XVII. 
Loi de Rhodes, 

r 

Slavs Rhodiens allerent plus loin. Sextos Em- 
piricus [tf ] dlt que chez eux un fils ne pou- 
voit fe difpenfer de payer les dettes de fon pere , 
en renon^ant a fa fuccedion. La loi de Rhodes 
^toit donnee a une r£publique fondee fur le com- 
merce : or , je crois que la raifon du commerce 
mSme y devoit mettre cette limitation , que les 



{a) Hippotipofes, liv. I. chap, xiv. 



L I V. XVIII. C H A P. XVII. 6t 

• dettes contraries par le pere depuis que le fils 
avoit commence ii'faire le commerce , n'afFefte- 
roient point les biens acquis par celui-ci. Un n6 赠 
gociant doit tou)ours connoitre fes obligations , 
& fe conduire a chaque inftant fuivant Tetat de 
fa fortune. 



C H A P I T R E XVIII. 
Des Juges pour U commerce, 

^Jf^ENOPHON , au livre dcs revmus , voudroit 
qu'on donn^t des r^compenfes a ceux des pr6fets 
du commerce qui expedient le plus vite les pro- 
ces. II fentoit le befoin de notre jurifdidion con - 
fulaire. 

Les affaires du commerce font trb peu fuf- 
ceptibles de formaiites. 、 Ce font des anions de 
chaque jour, que d'autres de meme nature do" 
vent fuivre chaque jour. II faut done qu'elles 
^iffent etre decid^es chaque jour. II en eft au- 
~ trement des aftions de la vie qui influent beau- 
'coup fur Tavcnir , mals qui arrivent rarement. On 
ne fe marie guere qu'une fois ; on ne fait pas tous 
les ipurs des donations ou des tefiamens ; on n'eft 
txnqeur qu'une fois. -- " 

Platon (tf ) dit que dans une ville oii il, n y a 
point de commerce maritime, il faiit la moiti6 
moins de lois civiles ; & cela eft tr^s vrai. Le 
commerce introduit dans le m^me pays diff" 

{a) Des lots , liv. VIII. 



6± De l'Esprit des Lois; 

rentes fortes de peuples , un grand nombre de 

conventions, d'efpeces debiens, & de maoieres 

d'acquerir. 

Ainfi dans tine viUe commer^ante , il y amoiiis 
de juges, &c plus de lois. 

— - 

CHAPITRE XIX, 
Que le princt nc dolt point fairt le commerce. 

Ti^HEOPHiLE [tf 1 voyant un yaifleau oil il y - 
avoit des marchandifes pour fa femme Theodora , 
le fit bruler. " Je fuis Empereur, lui dit-il, Sc- 
99 vous me faites patron de galere. £n quoi ies 
If pauvres gens pourront-il gagner leur vie , fi 
f» nous faifons encore leur metier ? " II auroic 
pu ajouter. : qui pourra nous reprimer , fi npus 
faifons des monopoles ? Qui nous obligera de 
remplir nos engagemens ? Ce commerce que nous 
faifons , le$ courtifans voudront le fair$; ils fe- 
ront plus avides & plus injufles que nous. Le 
peuple a de la confiance en notre juftice ; il n,eA 
a point en notre opulence : tant d*iinp5ts qui 
font fa mifere, font des preuves certaines da 
k ndtre. . 、、 



Zonarc* 





liv. XX. Chap. XX. 6j 



C H A P I T R E XX. 

Continuation du mime fujeu 

A^ORsQU£ les Portugais & les Caftillans dam!- 
fioient dans les Indes orientales , le commerce 
avoit des branches fi riches , que leurs Princes ne 
manquerent pas de s'en faifir, Ceia ruina leurt 
d^tabliifeffiens dans ces parties- }i. 

Le vke'Roi de Goa accordoit a des particuliers 
igs privileges exdufifs. On n*a point de confiance 
de pareiiles gens; le commerce eft difcontinui 
par le changement perp^tiiel de ceux » qui on le 
confie ; perfonne ne menage ce commerce , & 
oe fe &u^ie de le laiiTer perdu a fon fuccefleur ; 
le profit rcfte dans des sn^ins particulieres , &ne 
s*etend pas alTez. 



CHAP IT RE XXI. 

Du commrce de la nobUJfe dans la moruirchU. 

Il eft cofitre I'efprk du commerce , que la nd«. 
blefle le fafie dans la monarchie. Cela feroit 
ft pemicieux aux villes , difent [ " ] les^Empersurs 
n HonQrius ^ TWodofe, & 6teroit entre les 

釁' iv I ■ eaaagaesag i ' 圍 i' r aaaaaaesai 

(a) Leg. nohiUorcs « cod» d€ cmmr, & leg, nZt. dt 
nfcind* vcHdif* 



64 De l'Esprit des Lois; 

, marchaods & les plebiens la facility d^acheter 

99 & de vendre. u 

/II eft contrel'efprk de la nKHiarchie que la no- 
blefTe y faile le commerce. L'ufage qui a pennis 
en Angleterre le commerce a la noblefle , eft une 
des chofes qui ont le plus contribue a y affoiblir 
le gouvernement monarchique. 



C H A P I T R E XXII. 

Riflkxion particulltre, 

Des gens frapp 在 s de ce qui fe pratique dans 
quelques 6tats, penfent qu'il faudroit qu'en France 
il y eut des lois qui edgageailent les nobles a 
faire le commerce. Ce feroit le moyen dy d^- 
truire la noblefTe , fans aucune utilite pour le com- 
merce. La pratique de ce pays eft tres (age ; 】es 
n^gocians n'y font pas nobles ; mais ils peuvent 
le devenir ; ils ont4'efp^rance d'obtenir la noblefle , 
fans en avoir rinconv^nient aduel ; ils n'ont pas 
de moyen plus sur de fortir de leur profeffion que 
de la bien faire , ou de 】i faire avec honneur , 
chofe qui efl ordinairement attachee a la fuf- 
fifance. 

Les lois qui ordonnent que chacun refte dans 
fa profeffion ,& la faffe pafler a fes enfans , ne 
font & ne peuvent ^tre utiles que dans les 纟 tats 
[tf] defpotiques , oii perfonne ne peut , ni ne doit 
avoir d'^mulation. - 

Qu'on ne dife pas que chacun fera mleux fa 



{a) EfFeftivcment, cela y eft rouvent ainfi ^tabli. ' 

profeffion 



Liv. XX. Chap. XXII. 6{ 
profeffion lorfqu'on ne pourra pas la quitter pour 
line autre. Je dis qu'on (era mieux fa profeffion , 
lorfqueceux qui y auront excelle efpireront de par- 
▼enir a une autre. 

L'acquifition qu'on peut falre de la nobleile k 
prix d'argent, encourage beaucoup ^es n^gocians 
a fe mettre en 豸 tat d*y parvenir. Je n'examine 
pas fi Yon fait bien de donner ainfi aux richefles 
fe prix de la ycfrtu : il y a tel gouvernement ou 
cela peut itre trbs utile* 

En France , cet ^tat de la robe qui fe trouve 
cntre la grande noblefle & le peuple ; qui , fans 
avoir le brillant de celle-la, en a tous les privi- 
leges ; cet ^tat , qui laifle les particuHers dans la 
m^diocriti , tandis que le corps depofitaire des 
lois eft dans la gloire ; cet etat encore dans le- 
quel on n,a de mojen de fe diAinguer que par 
Ja fuiEfance & par la vertu ; profeiiion honora- 
ble, mais qui en laiiTe t6ujours voir une plus 
diilinguee : cette noblefle toute guerriere , qui 
penfe qu'en quelque degr^ de richefTes que I'on 
fbit , il faut faire fa fortune ; mais qu,il eft hon- 
teux d'augmenter fon bien , fi on .ne commence 
par le difliper ; cette partie de la nation , qui fert 
tou jours avec le capital de fon bien; qu" quand 
elle eA ruin^e , donne fa place a une autre , qi|i 
fer vira avec fon capital encore; qui va a la guerre 
pour que perfonne n'ofe dire aa'elle ny a pas 
ii6 ; qui, quand elle ne peut efperer les richeiTes, 
efpere les honneurs ; & lorfqu'elle ne les ob- 
tient pas , fe confole , parce qu'elle a acquis de 
、 I'honnetlir ; toutes ces chofes ont n^ceflairement 
contribu6 a la grandeur de ce • royauine. £t (i 
depuis deux ou trois fiecles , il a augmente fans 
cefle i*a puiiTance , il faut attribuer cela. a la bQnt6 



6^ . De l'Esprit des Lois, 

de its lo'is , non pas ^< la fortune , qui n'a pas ce» 
fortes de conilance- 



« e H AP IT HE XXIII. 

'A qUiUeS' muons' U ejt difavantagtux dc fain Ir 

commerce^ 

Jj ts ricfifeffes confident eir fbnds & terre , ou? 
•n efFets mobiliers : les fonds de terre de chaque 
pays font ardinairement pofKdea par fes habi- 
tans. La* pfupart des etats ont des lois qui de- 
goutent les (Strangers de I'iacquifition de leun^ 
terres ; il n'y a meme que la prifence dit, 
maitre qia les* fkffe yaloir : ce genre dc richeffes- 
appartient don€ a chaque 纟 tat en particuHer*- 
Mais les efEets mobiliers , cdmiiie Fargent, les 
billets , les lettres de change , les a£hons fur 
les compagnies , les vaifTeaux , toutes les mar*- 
chandifes^ appartiennent au monde entier , qub 
dans ce rapport ne compofe qu'an feul &at" 
dont toutes les foci6t《, font les membres : le 
peuple qui poffede le plus' de ces effiets mobiliers' 
de runivers*, eft le pl^s riche. Quelques- 叾 tats en 
ont une immenffe quantitd : ils les acquierent 
chacan^par leurs denrees , par k travail de leur»、 
- ouwiers , par leur induftrie , par leurs d6cou* 
V€rtes> par le haTard* meme. I2'avarice des na* 
tiony fe difpute lea» meubles de tout Fumvers. 11、 
peut fe trouvcr un etat fi malheureux , q«'il fera- 
priv6 des effete des anties pays , & mime encore 
de prefque tous les fiens : les propri^taires des 
奢 ^ fonds de terre n'y feront que les. colons des itran^ 
gers. Cet etat xnanquera de tout ne pourrs 



Liv. XIX. Chap. XXIII. 67 

ntn acquenr ; il vaudroit bten mieux qu'il n'eAt 
de commerce avec aucune nation du monde : 
c,eft ie commerce qui, dans les circonftances oil 
il fe trouvoit , I'a conduit a la pauvretc. 

Un pays qui envoie toujours moms de mar— 
chandius ou de denr^es qu'il n,en re^oit , k 
met iui-meme en equilibre en s'appauvriffanr : 
il recevra toujours moins , jufqu'a ce que , 
dans une pauvreti extreme , il ne re^oive plus 
lien. 

Dans Ie» pays Jk commerce , Sargent qui 
9,eft tout* a- coup ifvanoui revient , parce que 
le9 浍 tats qui font re^u le doivent : dans les 
^tats dont nous parlons , Fargent ne revient 
jamais , parce que ceux quU.ont pris ne doivent 
vien. 

La Polognc fervira ici d'exemple. EBfe n*a 
prefqu'aucane des chofes que nous appellons les 
cffets tnobiiiers de runivers , ce n'eft le bled de 
fes terres. Quelques feigneurs poffedent des pr<f> - 
yinces cnderes ; ils preffent.le hboureur pour" 
avoir une plus grande quantite de bled <ju'ib 
puiiTent ef^yoyer aux Grangers , & fe procurer 
les chofes que demaiMle leur luxe. Si h P'ologife' 
ne commer^oit avec jmctine nation , fes pcuples' 
feroient plus heureux. Ses- grands qui n'auroient 
que leur bled , le donneroient a leurs payfarfs 
pour vivre ; trop grands domaines leur fe 一 
foient a charge , ils ks partageroient a leurs* 
f^yjhitis ; tout le monde , trouvant des peaux 
©u aes bines dans fes trl)upeaux ^ il ny auroit- 
bIus- une depenfe imnienfe a £aire pour les ha*-- 
bits ; les grands qui aiment toujours le luxe, & 
q^ii ne le pourroieflt trouver que dans leur pays ,• 
encburageroient les pauvres au travail. Je dis que 
cette ndXiM kxoit plus floxiiTan te , a moins qu'ell^ 

F 



68 De l'Esprit des Lots; 

ne devint barbare ; chofe que les lois pourroient 
prevenir. 

Confiderons a prtfent le Japon. La quantity 
exceflive de ce qu*U peut recevoir , prodult la 
quandte exceffive de ce qu^ pern envoyer : les 
chofes feront en ^quilibre , comme fi I'impor- 
tatiott & ["exportation 荟 toient mod^rees ; & 
d'ailleurs cette efpece d*enflure produira a I'etat 
snille avantages : il y aura plus de confommar 
tion , phis de chofes fur lefquelles les arts peu- 
vent s'exercer , plus (Thoimnes employes , plus 
de moyens d'acqu^rir de la pdifTance r il peut 
arriver des cas oil I'on ait befoin d'un fecours 
prompt , quun ^tat fi plein peut donner plutdt 
qu'un autre. II eft difficile qu'un pays n'ait des 
chofes fuperflues ; mais c*eft la nature du com- 
merce de rendre les chofes fuperfiues utiles , & 
• les utiles n^ceiTaires. L'etat pourra done donner 
les chofes neceiTaues a un plus grand nombre de 
fujets. 

Difons done que ce ne font pomt tes nations 
qui n'ont befoin de rien , qui perdent a faire le 
commerce ; ce font celles qui bnt befoin de tout. 
Ce ne font point 】es penples qui fe fu£fent a 
eux-memesy mais ceux qui n'ont rien chez eux , 
qui trouvent de ravantage a ne trafiquer ayec 
perfonne* 



Liv. XXI. Chap. I 



. \^ \^ \^ \^ \^ \^ \^ \^ \^ w \^ \^ \^ 
^\ ^\ ^\ f\ ^ ^\ f\. /*\ W\ 

L I V R E XXL 

Des lots , dans U rapport qiitlUs ont avu 
le commerce , conjideri dans Us revolu" 
iions qu il a cues dans le monde. 



CHAPITRE PREMIER. 

Quehptes confidirations giniralcj. 

uoi Q UE le commerce foit fujet a cTe 
grandes revolutions , il peut amver que de cer- 
tatnes caufes phyiiques , la qumit^ du terrein oit 
du climat , fixent ponr jamais fa nature. 

Nous ne faifons au)ourd*hui le" commerce deft 
Indes , que par rargent que nous y enyOyons* 
Les Romains [a\ y portoient tomes les ann^es>' 
environ cmquante millions de fefterces. Cet 
ai^ent , comme le notre aujourdliui , ^toit con- 
vert! en marchandifes quails rapportoient eii 
Occident. Tous les peoples qui ont negoci^ aux 
Indes, y ont toujburs port^ qqs metaux, & en ont 
rapport^ des marchafidifes. 

Oeft la nature meme qui produh cet effet- 
Les Indians ont leurs ^rts , qui font adaptes a 
leur maniere de vivre. Notre luxe ne lauroit 



(«) Pline > livre Vl> chap, xxiii* 



7# Di lTEsPrit 0IS Lofs ; 

ctrc le leur, ni nos befoins etre leurs befouuC 
Lew climat lie leur demande ni ne leur permet 
prefque nen <k ce cnn vient chez nous. lis vont 
en grande par tie nuds ; !es y^ecncns qu'ils ont , 
le pays les leur fournit convenables ; & leur 
religion, qui a fur eux tant d'empire , leur donne 
de la repugnance (four les chofes qui nous fes- 
veirt de nourriture. lis n'ont done befoin que 
de nos m^taux qui font les (ignes des valeurs , 8c 
pour lefquels ils donnent des marchandifes , que 
leur frugalh^ & la nature de leur pays leur pro- 
cure en grande aboindance, Les autenrs anciens 
qtd nous ont parle des Indes- , nous les depei- 
gnent (h) telles que nous les voyons aujourd'noi , 
quant a la police , aux manieres & aux moeurs^ 
Les Indes ont et^ , les Indes feront ce qu'elles* 
font a pr^fent ; & dans tons les temps , ceux qui: 
negocieront aux Indes , y porteront de Fargent ^ 
& n'en rapportvbnt pa». 



C H A P I T R E IL 



Des feupUs d, Afriqiu; 

a plupart dies p^npTes dies c&tes de PAfrique* 
font fauvages ou bar bares. Je crois que cela 
rient beaucoup de ce que des ' . pays- prefquMiv- 
habitablcs fepareiit de petits pays qui peuvenf 
Itre habit^Sr^ Ils font Kins induftrie j. ils nont 



tiv. XXI. Chaf. H. " 

point d*arts ; ih ont en abondance des tn^taux 
precieux qu'ils tiennent imm^iatement de$inain» 
de la nature. Tous ks peuples polices (dni done 
en ^tat de negocier avec eux avec arantaee ;. 
ns peuvenf leur faire eflimer beaucpup des cho- 
、 fes de nulie valeur ,& ea receToir ua tres grancf 
prix. 



CHAP IT RE nr. 

Que ks hefoins des peuples du midi font diffirtns 
de. cmx des peupUs du nordL 

X L J a dans I'Europe une efpece de balance - 
ment entre les nations du midi & celles du norcL 
Les premieres ont toutes fortes de commodites 

four la vie , & peu de befoms ; les fecondes ont 
eaucoup de befoins , & pea de commodity 
pour la vie. Aux lines , la nature a dbnn^ beau- 
coup , & elle» ne lui demandent que peu ; aux 
autres , la nature dbnne peu , & elUs lui deman-^ 
dent beaucoup. L'^quilibre fe maintient par Isu 
parefTe qu*elle a donn^e aux nations du midi , 
& par rinduftri'e & radtivite qu'elle a donn^es 
a. celles du nord Ces dernierfis font obligees dd 
travailler beaucoup*, fans quoi ellbs manque- 
foient de tout & deviendroient barbares. C'efP 
ce qui a. naturalife la fervitude chez les peuple» 
du midi : comme ils peuvent aifement fe paf- 
fer de- richefTes , ils peuvent encore mieux fe 
paffer de liBerte. Mais les peuples dii nord ont 
befoin de la liberty , qui leur procure plus de 
moyens de fatisfaire tous les befoins que la na-^ 
lure leur a dbnnes. L^s peugles du nordibnt done 



, 



71 De l'Esfrit des Lois,' 

dans un 6tat fore 丟 , s'ils ne font libres ou bar- 
bares : prefque tous les peuples du midi font en 
quelque fa^on dbuis un €tat violent , s^ils ne foat 
efclaves. 

y , 11 
C H A P I T R E IV. 



Prihcipale difference du commerce des ancicns. 
d*avec cilui £aujourct kui. 



L 



E monde fe met de temps en temps dans des 
iituations qui changent le commerce. Aiijour- 
cHiui le commerce de ITEurope fe fait principa- 
lement du nord au midi. Pour lors ia difFerence 
des cHmats fait que les peuples ont an grand 
befoin des marchandifes les uns des autres. Par 
exemple , les boiflbns du midi portees au nord , 
forment une efpece de commerce que les ancien) 
n'avoient guere. Auffi la capacite des vaifTeaux, 
«ui fc mefuroit autrefois par muids de bled , 
mefure-t-elle au)ourd*hui par tonneaux de 
liqueurs. 

' Le commerce ancien que nous connoiffons » 
fe faifant d,un port de la Medkerran^e a I'autre , 
^toit prefqne tout dans le midi. Or les peuples du 
meme dimat ayant chez eux a peu pres ks 
memes chofes , n'ont pas tant de befoin de 
commercer entr*eux , que ceux d'un climat 
different. Le commerce en Europe etoit done 
autrefois moins etendu qu^il ne I'eft a pri- 
fent ? 

_ Ceci n'eft point contradiftolre avec ce que 
)*ai dit de notre commerce de& Indes : la diffe- 
一、 • • rence 



.1 



r 



Liv* XXI. Chap. IV. 75 
itnce exceffive du dtmat fait que les befoins 
telatifs font nul^ 



C H A P I T R K V. 

Autres differences. 

c commerce , tantot detruit par les con; 
querans , tantot g^n6 par les monarques , par* 
court la terre , (bit d'oh il eft opprime , fe re* 
pofe oil on le laiiTe refpirer : il regne aujourd'hui 
oil Xofi ne voyoit que des deferts , des mers 
& des rochers ; la oil il regnoit , il n'y a que des 
deferts. 

A voir atqourd*huI la Colchide , qui n'eft 
plus qu'une vafte foret , ou le peuple , qui dimi- 
nue tous les jours, ne defend (a libert6 que' 
pour fe vendre en detail aux Turcs & aux Per- 
fans ; on ne diroit jamais que cette contr^e edt 
et6 du temps des Romains pleine de villes, o\i le 
commerce appelloit toutes les nations du monde. 
On n'en trouve aucun monument dans le pays ; 
il nV en a de traces que dans PUne {a) & Stra 一 
hon \b\ 

Uhiftoire du commerce eft celle de la cpinmu- 
fiication des peuples. Leurs deftrudtions diverfes , 
&c de certains flux & reflux de populations & 
de d^vailations , en forment les plus grands ^v6- 
aemens. , ^ 



U) Uy. VI. 
ih) Liv. II. 

Tome III. 




74 De l'Esprit des Lois 



(a) DiodoH f liv. II, 
{h) Ibid. 

(c) Voyei Pline , liv. VI. chap, xyi. s 6c Stral>on • 

Uv. XI. '- -- 

{d) Strabon , Uv. XI, 、 



CHAPITRE VI. 

Du CQmmerce des ancicns. 

Sli e s trifors immenfes {a) de Semiramis , qui 
ne pouvoient avoir et^ acquis en un jour , nous 
font penfer que les Aflyriens avoient eux-memes 
pill^ d'autres nations riches , comme les amres na- 
tions les pillerent apr^s. 

L'effet du commerce font les richeffes ; la 
fuite des richeffes le luxe ; celle du Lixe 'la per- 
fedlion des am. Les arts portes au point oil 
on les trouve du temps de Semiramis ] , 
nous marquent un grand commerce d^ja ^tabli. 

II y avoit un erand commerce de luxe dans 
les Empires d'Ane. feroit une belle partie 
de rhiftoire uu commerce qiie rhiftoire du luxe : 
le luxe des Pgrfes ptoit celui des Medes , coipme 
celni des Medes etoit celui des Affyriens, 

II eft grriv6 de er^nds ch^ingemen? en Afie. 
La partie de I4 Perfe qyi eft au nord-eft , I'Hyr- 

ane, &c. etoient 
autrefois pleines^ de villes floriflantes*(c) qui ne 
font plus ; & le nord {d) de cet Empire , c*eft-a- 
dire , rifthme qui fepare I4 mer Cafpienne 4u 
pont-Eu^n , ^toit couvertde villes & de nations » 
qui ne font plus encore, 



• 1 

a 

B 



n 

a 



.1 

M 



c 



L I V. Chap. VI. 7J 

"Eratojlhene & Ariftohuk tenoient de Pa- 
trocle (/) , que les marchandiles des Indes pal- 
foient par rOxws dans la mer du Pont* Mare 
Varwn (g) nous dit que 1*0 n apprit , du temp6 
4e Pompie dans ia guerre centre Mitiiridate , que 
Von alloit en fept jours de rinde dans le pays deii 
Ba^biens , & au fleuve Icarus qui fe jette dans 
rOxus ; que par-la lei marchandiCes de rijide 
pouvoient travetfer ,la mer Cafpienne , entrer 
de-la dans rembouchure du Cjrus^ que de ce 
fleuve il ne faMoit qu'un tra^et par terre de cinq 
jours pour aller au Phafe qui conduifoit 4a ns 
le Pont- Euxin. C'eft fans dome p^r les nations 
qui peuploient ces divers pays , que les grands 
Empires des Affyriens , des Medes ; & des 
Perfes , avoient une communication avec les 
parties de i'orient 6c de roccideiK les plus re- 
culees. • 

Cette communication n'eft plus. Tons cos 
pays ont ete devaftes par les Tartares [k\ , & 
cette nation deftrudrice les habite encore po«r 
les infefter. L'Oxus ne va plus a la mer Caf- 
pienne ; ks Tartares I'ont d^tourne pour des 



(0 Ihii. 

If) L'autorit^ Patrode eft confid 豸 rable , comme 
il paroit par no recit de Strabon , liv, II. 

{ g) Dans Pline , liv. VL chap, xvii, Voyez aufli 
Strabon , liv. XI. fur le trajet des marchandifes cfu 
Ph^fe au Cyrus. . 

(h) 11 faut que depuis" le temjps de Ptolomee, qui 
nous decrit tant de rivieres qui le jettcnt dans la par- 
tie orientale de la mer Cafpienne » il y ak eti de grands 
changemens dans ce pays. ^ La carte du czar ne met de 
ce cot^-1a que U riviere tfAftrabat & ceUe de M. 
Sathalfi , rien da tout. 



76 De l'EsPRIT D£S lois ; 

raifons particulieres (/) ; il fe perd dans des fa* 
bles arides. 

Le Jaxarte , qiu formoit autrefois une bar— 
ilere entre les nations policees & les nations 
barbares , a et^ tout de meme detourne [kj 
par Its Tartares , & ne va plus jufqu'a la 
m^r ? , • 

SiUiLCus Nicator forma le projet [/] de join- 
^re le Pont-Euxin a la mer Cafpienne. Ce def- 
fein qui eut donn6 bien des facilit^s au com- 
merce qui fe faifoit dans ce temps-la , s'^vanouit 
a fa (m) mort. On ne fait s'il auroit pu Fexc- 
cuter dans Fifthme qui fepare les deux mers. Ce 
l^ays eft aujourd'hui tfSs peu connu ; il eft 
d^peuple & plein de forets ; les eaux n'y man- 
quent pas , car une infinite de rivieres y def, 
cendent du Mont-Caucafe ; mais ce Caucafe , 
qui forme le nord de rifthme ,& qui 6tena 
Aes cfpec^ de bras (") au midi , auroit ^t6 
un grand obftacle , furtout dans ce temps-Ik , 
oil Von n'avoit point Fart de faire des eclufes. 

On pourroit croire que $elcucus vouloit faire 
la jon£tion des deux mers dans le lieu meme oil 
]e czar Pierre I. I'a faite depuis , c'eft-a-dire , 
dans cette langue de terre oil le Tanais s'ap- 
proche du Volga : mais le nord de la mer Cai« 
pienne h'^toit pas encore decouvert. 

Pendant que dans les Empires d'Afie il y avoit 

W 華 ■ =31 

(i) Voyez la relation de GenHnfon , dans le recue) 
tts voyages du nord , torn. IV. 

(k) Je crob que de-Ii j'eft form^ le lac Aral. 
u) Claude-Cefar, dans Pline , liv. VI. chap, ii. j 
(jw) II fut tue par Piolomee Ceranus. 
(«) Voycz Strabgn liv. XL 



Liv. XXI. Chap. VI. 




im commerce de luxe, les Tyriens faifoient f>ar 
toute la terre un commerce d*^conomle. Bo^ 
chard a employ^ le premier livre de fon Cha - 
naan a faire r^num^ration des colonies quails en- 
voyerent dans tous les pays qui font pr^s de la 
mer ; ils paiTerent les colonnes d'Hercule , & 
firent des ^tabliiTemens [o] fur les cotes de 
l*ocean. 

Dans ces temps- la , les navigateurs ^toient 
x>b]ig^s de fuivre les c6tes, qui etoient,pour ainii 
dire , leur boufTole. Les voyages ^toient longs 
6c p^nibles. Les travaux dela navigation d'UIyU« 
ont ix^ un fujet fertile pour le plus beau poeme 
monde , apvis celui qui eft le premier de 
- tous. 

Le peu de tonnolflknce q^ue la plupart des 
pefiples avoient de ceux qui ^toient eloigner 
€l*eux , favorifoit les nations qui faifoient le com- 
merce d'economie. EUes mettoient dans leur 
negoce les obfcurites qu*elles vouloient : elles 
avoient tous les a vantages que les nations in- 
telligentes prennent fur les peuples ignorans. 

L'Egypte eloign^e , par la religion & par 
.les mcjeurs , de toute communication avec les 
Strangers , ne faifoit guere de comtnerce au 
dehors : elle jomfToit d'un terrein fertile & d'une 
extreme abondanc^. C*6toit le Japon de ces 
temps-la : elle fe fuiEfoit a eile-meme. 

Les Egypticns furent fi peu jaloux du com- 
merce du dehors , qu'ils laiiTerent celui de la 
mer rouge a toutes les pctites nations qui y 
eurent quelque port. Ils foufFrirent que les Ida- 
meens , les Juiis & les Syriens y euiTent des 



{fi) Ils fonderent Tartefe„ & s'^tablirent a CadU 

G } 



78 De ttsPRlT D£S Lews; 

£ottes. Salomon (/^) employa a cette navi—' 
gation des Tyriens qui connoi^Toient ces mers. 

Jofephe [ f ] iit que fa nation , uniqiaement 
occup6e de ragriculture , connoiffoit peu la 
mer : auffi ne fut-ce que par occafion que les 
}uifs negocierent dans k mer rouge. Us con- 
quirent fui les Idum^ens Elath & Afk)ngaber , 
qui leur donnerent ce commerce : ils perdi - 
lent ces deux villes , & perdirent te commerce 

U n*en fut pas de mime des Phiniciens : ils- 
ne faifoient pas un commerce de luxe ; ils ne 
negocioient point par la conqiiete ; leur frugalite , 
kur habile te , leur induftrU , leurs perils , leurs 
fafigues , les rendoient necefTaires a toutes les 
mations tiu monde. ♦ 

Les nations vol ikies de la mer rouge ne n^go- 
cioient que dans cette mer & celle d'Afrique, 
L'etonnement de Funivers a la decouverte de la 
xner des Indes , faite fous Alexandre , le prouve 
afTez. Nous avons (r) dit qu'on porte toujour- 
aux Indes des metaux precieux , & que Ton n'^n* 
fapporte [ point : les flottes Jiiives qui rap - 
portoient par la mer rouge de For & de l,ar- 
gent , revenoient d'Afnqne , & mm pas de» 
Indes. 

Je dis plus r cette navigation fe faifoit fur ia 



0>) Livre HI des Rob » cha 卜 IX. Paralip , liv. IL 
chap. VIII-. 

(a) Contra Appion. 

fr) Au chap. I de ce Hrre* 

(s) La proportion ^tablie en Europe entre l^ar & 
Pargent , peuC quelquefois faire trouver dii. profit 4 
prendre dans les Indes de I'or pour de I'arg^nt ; mais 
c*eQi peu de chofe*. 、 



i 



Liv. XXI. Chap. VI. 79 

tote orientals de rAfrique ; & Fetat ou ^toit la 
marine pour lors , prouve aflez qu'on n'alioit pas 
dans des lieux bien recules. 

Je fais que les flottes de Salomon & de Jo- 
xaphat ne revenoient que la troiHeme an nee ; 
mais je ne vois pas que la longueur 4u voyage 
prouve la grandeur de reloignement. 

Pline & Strabon nous difent que le chemin 
qu'un navire des Indes & de la mer rouge , fa- 
brique de joncs , faifoit en vingt jours , un na- 
vire Grec ou Romain , le faiibtt en fept (/). 
Dans cette proportion , un voyage d'un an pour 
les flottes Grecques & Romaines ^ etoit a pea 
pres de trois pour celles de Salomon. 

Oeux navires d'une viteffe in-egale ne font pas 
leur voyage dans un temps proportionni a leur 
viteffe : la lenteur prodult fouvent une plu, 
grande lenteur. Quand il s'agit . de fuivre le» 
cotes J & qu'on i,e trouve fans cefle dans une 
difFerente pofition ; qu'il faut attendre un bon 
vent pour fortir d*uri golfe , en avoir un autre 
pour aller en avant , un navire bon voilier pro* 
nte de tous, les temps favorables , tandts que 
I'autre reftep dans tin endroit difficile , 6c attend 
plufieurs jours un autre changement. 

Cette lenteur des navires des Inde» qui dans 
un temps egal ne pouvoient fairg que le tiers 
du chemin que faifoient les vaiiT^aux Grecs & 
Ro mains , peut s'expUquei' par ce que nous 
voyons aujourd'hui dans notre marine. Les 
navires des Indes qui ^toient de jonc , tiroient 
mo ins d'eau que les yaifleaux Grecs & Ro- 



(t) V<jyci Pline , Uv, VI. chap, la; & StrabOn 
Uv. XV. 

一 .0 4 



r 



8a De l'Esprit des Lois ; 

mains qui etoi«nt de bois , & joints avec du fer* 
On peut comparer ccs navires des Indes h 
ceux de quelques nations d'au)ourd'hui dont les 
ports on peu de fond : tels font ceux -de Venife , 
& meme en g^n^ral de tltaUe (ju) , de la mer 
Baltique & de la province de Hollande (at), 
Leurs navires qui doivent en fortir & y ren— 
trer, font d'une fabrique ronde & large de fond ; 
au lieu que les navires d*autfes nations qui ont de 
bons ports , font par le bas d*une forme qui 】es 
fait cntrer profondetnent ^aas Feau. Cette m^- 
canique fait que ces demiers navires naviguent 
plus pres du vent, & aue les premiers ne navi- 
guent prefque que quand ils ont le vent en poupe. 
Vn navire qui entre beaucoup dans leau , na- 
vigue vers le meme cote a prefque tous les vents ; 
ce qui vient de la r^fiflance que trouve dans 
I'eau le vaifleau pouiR par le vent , qui fait un 
point d'appui , & de la forme longue du vaifTeaii 
qui eft pr^fente au vent par fon c6t6 , pendant 
que par FefFet de la figure du gouvernail on tourne 
la proue vers le cote que Fon Ce propofe ; en* 
forte qu'on peut aller tres pres du vent , c*eft- 
a-dire , tres pr^s du cote d*ou vieitt le vent, 
Mais, quand le navire eft d'une figure ronde Sc 
Jarge de fond , & que par conf^quent il enfonce 
peu dans I'eau , il n*y a plus de point d'appui; le 
vent chafle le vaifleau , qui ne peut refiftef , ni 
guere aller que du c&t^ oppoft au vent. D^oii il 
luit que les vaifTeaux d'une conftru6lion ronde de 



(a) £Ue n'a prefque i{iie des rades ; mais la Sicile a 6% 
tres bons port" 

(x) Je dis c!e la province de Hollande j car Us potts 
4e celle de Zelande font aiTez profonds. 



liy. XXL Chap. VI. 8i 

fond, (bnt plus lents dans leurs v%^es : lO.Us 
perdent beaucoup de temps a atteridre le vent , 
iurtout s'ils font obliges de changer fouvent de 
diredxon : a^. ils vont plus lentement ; parce 
que n'ayant pas de point d*appui , ils ne fau« 
roient porter iantant de voiles que les autres. Que 
£ dans un temps oil la marine »'eft fi fort per 一 
fe£tion^e ; dans un temps oh les arts fe com - 
muniquent ; dans un temps oil I'on corrige 
par Fart & ies difauts de la nature & les d^fauts 
de Fart metne ; on fent ces differences , que de<* 
▼oit-cc Stre dans U marine des anciens ? 

Je ne faurob quitter ce fujet. Les navires des 
Indes Roient petits , & ceux des Gr«cs & des 
Romains , fi l,on en excepte ces machines que 
I'oftentation fit faire , ^toient moins grands que 
les notres. Or, plus un navire eft petit , plus il 
eft en danger dans les gros temps. Telle tern-* 
pete fubmerge un navire , qui ne feroit que le 
tourtnenter s'il ^toit plus grand. Plus un corps 
en furpafle un autre en grandeur , plus fa furface 
eft relativement petite ; d'oii il futt que dans un 
petit navire il 'y a une moindre raifon , c'eft-a- 
dire , tme plus grsinde difference la furface da 
navire au poids ou a la charge qu'il peut porter , 
que dans un grand. On fait que , par une pra- 
tique a peu pres eenetale , on mgt dans un. na- 
vire une charge aun poids £gal a celui de la 
moidi de I'cau qu'il pourroit contenir. Suppo- 
fons qu,un navire tint huit cent tonneaux d*eau ; 
fa charge feroit de quatre cent tonneaux ; celle 
tfun navire qui n« tiendroit que quatre cent ton- 
neaux d*eau , feroit de deux cents tonneaux, 
Ainfi la grandeur du premier navire feroit , 
au poids qu'il porteroit , comme 8 eft k 4 ^ 6c 
ceile da fecond, comme 4 eft a 2. Suppofons 



82 De l*E sprit DCS Lois; 

que la furfac9 du grand (bit, a la furface du 
petit , comme'8 eft a 6 ; la furface (y) de celui- 
ci fera , a fon poids , comme 6 eft a deux ; 
fandis que la fur face de celui-la ne fera , k 
fon poids , que comme 8 eft a 4 ; & les vents & 
ks flots n'agiffant que fur la furface , k grand 
valHeau refiuera plus par fon poids a leur irape- 
tuofit^ , que le petit. 

C H A P I T R E VII. 

Du commerce d" G"cs, 

£ s premiers Grecs etoient tons pirates. Mi- 
nos , qui avoit eu rEmpire de la mer , n'avoit eu 
peut-etre que de plus grands fucces dans les 
brigandages : fon Empire etoit borne aux en, 
virons de fon ile. Mais lorfque les Grecs devin- 
rent un grand peuple , les Atheniens obtinrcnt 
le viiTtaSie Empire de la mer , parce que cette 
Ration commer^ante & vidlorieufe donna la.loi 
au Monarque (a) le plus puiiTant d*alors , & 
abattit les forces maritimes de k Syrie , de I'ile de 
Chypre & de la Phenicie. 

II faut que je parle tie cet Empire de la mer 
qu'eut Athenes. " Athenes , clit Aenophon (^) , 
,, a rEmpire de la mer : tnais comme 1, Attique 
,, tient a la terre , les ennemis la ravagent , 



(y) C'eft-a-dire , pour comparer les grandeurs <le 
fneme genre : I'ailion ou la prite du flatde fur le na - 
vire , lera , a la r^(ii)ance du meme navire , comme , 8cc« 
(a) Le roi de Perfe. 

- {b) Dc repuhlm Athcn, 



Liv. XXI. Chap. VH. 8j 

» tandis qu'elle fait fes expeditions au loin.Xes 
Vpnncipaux laiffent detruire leurs terres , & 
3, mettent leurs biens en surete dans quelqu'ile : 
3> la populace qui n'a point de terres , vit fans 
" aucune inquietude. Mais fi les Atheniens ha- 
3, bitoient une ile , & avoient outre cela FEm- 
7) pire dela taev , ils auroient le pouvoir de nuire 
» aux autres (ans qu'on put leur nuire , tandis 
,, qu'ils feroient les maitres de la mer "• Vous 
diriez que Xeno^ion a voulu parler de FAn- 
gleterre. 

Athenes remplie d« projets de gloire ; Athenes 
qui augtnentoit la jaloufie , ^ lieu d'augmenter 
rinfiuence ; plus attentive. a etendre fon Empire 
maritime , qu'a en jouir ; avec un tel gouverne- 
ment politique , que Je bas peuple fe diftribuoit 
les revenus publics , tandis que les riches ^toient 
dans roppreflion ; ne fit point ce grand -com- 
merce que lui promettoient le travail de fes mines, 
la multitude de fes efclaves , le nombre de fes 
gens de mer , fon autorite fur les villes Gr^c- 
ques , &, plus que tout cela, les belles inflitutions 
de Solon. Son negpce fut prefque born^ a la 
Grece & au Pont-£uxiri , d*ou elle tira fa fub- 
ilflance. • 

Corintfee &t admlrablement bien fituee : elle 
fepara deux mers , ouvnt & ferma le Pelopo- 
nefe, & ouvrit & ferma la Grece. Elle fut une 
ville de la plus grande imjportance , dans un 
temps oil le peupk Grec etoit un monde , & 
les villes Grecques des nations : elle fit un plus 
grand commerce qtf Athenes. Elle avoit un port 
pour reccvoir les marchandifes d'Afie ; elle en 
avoit un autre pour recevoir celles dltalie : car , 
comme il y avoit de grandes difficultes a toui> 



>4 De l*Esprit MS Lois; 

ner le promontoire Malie , oii des vents [^X 
oppofts fe rencontrent & caufent des naufragA? 
on aimoit mieux aller a Corinthe, & ronpou— - 
voit meme faire pafler par terre les vaiileaujc 
tfune mer a I'autre. Dans aucune ville on 
porta fi loin les ouvrages de I'art La religion 
acheva de corrompre ce que fon opulence lui 
avoit laifEi de tnoeurs. Elle ^rigea un temple a 
V^nus , oil plus de mille courtifanes furentcon* 
facrees. Celt de ce ft&minaire que fortirent la 
plupart de ces beautes ctiebres , dont Athenit 
a oft icrire rhiftoire. * 

II paroit que, <ki temps d*Homere , ropulencc 
de la Grece itoit k Rhodes , a Corintne & a 
Orcomene. cc Jupiter, dit - sdtna les Rho- 
« diens , & leur donna de grandes richefTes 
U donne k Corinthe (e) r^pithete de riche. De 
meme, quand il veut parler des villes qui ont 
beaucoup d'or , il cite Orcomene [/] , qu'il joint 
a Thebes d'Egypte. Rhodes & Corinthe con — 
ferverent leur puifTance, & Orcomene ]a perdit. 
La pofmon d'Orcomene, pr^s de l*Hellefpont , 
de la Propontide & du Pont-Euxin , fait natu- 
rellement penfer qu'elle tiroit fes richeffes d'un 
commerce fur les cotes de xes mers , qui avoit 
donnd lieu a la fable de la toifon d,or : Et effec- 
tivement , le horn de Miniarese^ donne a Orco- 
mene (g) & encore aux Argonautes. Mais commt 



(c) Voy€z Strabon, liv. VIII. 
(4 IHade , liv. IL 
U) Ibid. 、 
(/) Ibid, liv. I.v. 381. Voyez Strabon , Uy. pC> 
pag. 414 , edition de 1610. ' 
(^) Strabon » Ur. IX.pag. 414. 



Liv. XVI. Chap. XVI. «{: 

idans la faite ces mers devinrent plus connues ; que 
les Grecs y ^tablirent un tr^s grand nombre de 
colonies ; cnie ces colonies n^gocierent avec les 
petiples barbares ; qu'elles communiquerent avec 
ieur m^tropole ; Orcomene commen^a a d 圣- 
cHeoir , & elle rentra dans la foule des autres 
villes Grecques. 

Les Grecs , avant Homere , n*ayoient guert 
negoci^ qu'entr'eux , & chez quelque peuple bar- 
bare ; mais ils 6tendirent • leur domination , a 
mefure qu'ils formerent de nouveaux peuples. La 
Grece ^oit une grando p^ninfule , done les caps 
femblolent avoir fait reculer les mers, & les 
golfes s'ouvrir de tous cotes , comme pour les 
recevoir encore. Si I'on jette les yeux fur la 
Grece , on verra , dans un pays aUiez refferre * 
une vafte ^tendue de c&tes. Ses colonies in- 
nombrables faifoient une immenfe drconference 
autour (Telle ; & elle y voyoit , pour ainfi dire , 
tout le monde qui n'etoit pas barbare. P^n^tra- 
t-elle en Sicile & en Ital^? elle jr forma des 
nations. Navigua-t-elle vers les mers du Pont, 
vers les cotes de l,Afie mineure , vers celles d'A- 
f rique ? elle en fit de m^me. Ses villes acqui - 
rent de la profperit6, a mefure qu'elles fe trou- 
verent pres de nouveaux peuples. £t ce nu'ily 
avoit <f admirable , des iles fans nombre , ntu^es 
comme en premiere ligne , I'entouroient encore. 

Quelles caufes de profp^rite pour la Grece , 
que des jeux qu'elle donnoit , pour ainfi dire , a 
Funivers; des temples , oii tous les rois en- 
voyoient des ofFrandes ; des fetes , oh Yon s'af«* 
fembloit de tomes parts ; des oracles , qui fai- 
foient Fattention de toute la curiofit^ humaine ; 
enfin , le gout & les arts port 纟 s a un point , 
que de croire les furpafler, fera toujours na les 
pas connoitre i 



96 De L*EsPiiiT bEs Lois; 



C H A P I T R E VIII. 

Yy Alexandre. Sa conquiu. 

^^UATRE evinemens arrives fous Alexandre; 
firent dans le commerce une grande revolution ; 
ia prife de Tyr , la conquete de FEgypte , celle 
<ks Indes , & k decouverte de la mer qui eft au 
midi de ce pays. 

Uempire des Pejfes s'^tendoit jufqu'a rinclus(/2). 
Long -temps avant Alexandre , Darius ( ^ ) avoit 
envoye des navigateurs qui defcendirent ce fleuve> 
& allerent jufqq'a la mer rouge. Cttmnient done 
les Grecs furent- ils les premiers qui firent par le 
midi 】e commerce des Indes ? Comment les 
Perfes ne ravoient-ils pas fait auparavant ? Que 
leur fervoient des mers qui etoient fi proches 
d*eux , des mers quibai^noient leur empire ? II 
eft vrai qu' Alexandre conquit les Indes : mais 
faut-il conquerir un pays pour y Ji^gocier ? 
J*examinerai ceci. 

L'Ariane _( O , qi" s'etendoit depuis le golfe 
Perfique jufqu'a I'lndus , & de la mer du midi 
jufquaux montagnes des Paropamifades , dep en- 
doit bien quelque fkson de Fempire des 
Perfes : mais dans fa partie m^ridionale elle 
^toit aride , bruise , inculte & barbare. La tra- 



(fl) StraboB,liv.XV. 

{h) H^rodote, in Melpomtn^ 

{c) Strabon« Uv. XV. 



Liv. XXL Chap. VIII. 

^ttiois [</] portoit que les armees de Simiramis 
& de Cyrus avoient peri dans' ces deferts \ 6c 
Alexandre , qui fe fit fuivre par fa flotte , ne 
lai^Ta pas dV perdre une grande partie de fon 
arm6e. Les rerfes laifibient toute la core au pou- 
voir des Ifthyophages \e ) , des Orittes & autres 
peupies barbares. D'ailleurs, les Perles (/) n'e- 
toient pas navigateurs , & leur religion meme 
leur otoit toute idee de commerce maritime. 
L*a navigation que Darius fit faire fur I'lndus 6c 
la mer des Indes , fut plntot* une fantaifie d,un 
prince qui vent montrer fa puifTance , que le 

Bojet r^gli d*un monarqiie qui veut reirployer. 
le n'eut de fuite , ni pour le commerce , ni 
pour la marine ; & fi I'on forth de ignorance , 
ce (ut paur y retomber. 

II y a fffus : il ^toit regu [ ^ avant I'expe- 
didon 6i Alexandre , que la partie meridionale 
des Indes 6toit inhabitable ( A ) : ce qui fuivoit 
de la tradition que Simiramis ( i) n'en avoit 
ratnen^ que vingt hommes , & Cyrus que fept. 

Alexandre entra par le nord. Son deffein etoit de 
marcher vers l,oriem : mais ayant trouve la paf, 
tie du siidi pleine de grandes nations , de villes 



\e) Pline, Hr. VI. chap, xxiii. Strabon , liv. XV, 
(/) Pour^nc point fouiller lei ^l^meRs , its ne na- 
viguoient pas fur les flfuves. M, Hidde , religion des 
Per/cs. Encore aujourd'hui ils n'ont point de commer- 
ce maritime » & ils traitent d'ath^es ceux qui vont Ctir 
mer. 

(g) Strabon , liv. XV. 

(A) H^rodote , in Melpomene , dit que Darius coq- 
i|uit les Indes. CeU ne peut 6tre entendu que de I'A' 
riane :、 encore ne fat-ce qu*un« cooquSte en td^e. 

(i) Sttabon , liy. XV. 



$9 De LTtsPRIT DES loiS ; 

& de rivieres , il en.tenta la conquete , &la fir. 

Pour lors, il forma le defiein d'unir les in— 
des avec I'occident par un commerce maritime , 
comme il les avoit unies par les colonies qu'iX 
avoit ^tablies dans les terres. 

II fit conftruire une flotte fur I'Hydafpe , def- 
cendit cette riviere , entra dans llndus , & na- 
vigua jufqu'a fon embouchure. II laifla fon ar- 
m^e oL fa flotte a Patale , alia lui-tnSme avec 
quelques vaiiTeaux reconnoitre la mer, marqua 
les liepx ou il voulut que Von conftruisit des ports, 
des havres , des arfenaux. De retour a Patale , 
il fe fepara de fa flotte , & prit la route de terre , 
pour lui donner du fecours , & en recevoir. La 
flotte fuivit la cote depuis I'embouchure de lln- 
dus, le long du rivage des pays des Orittes, 
des Idhyopnages , de la Caramanie & de U 
Perfe. II fit creofer des puits , b^tir des villes; 
il defendit aux I6Uiyopnages (A) de vivre de 
poifTon ; il vouloit que 】es bords de cette mer 
• tuiTent habites par des nations civilifiies. Niar- 
que & Oneficrite ont fait le journal de cette 
navigation , qui fut de dix mois. Us arriverent 
a Sale ; ils y trouverent Alexandre , qui don- 
noit des fetes a fon ann6e. 



(k) Ceci ne fauroit s'cntendre de tous les ifthio- 
phages qui babitoient unt cote de dix mille ftades. 
Comment Alexandre auroit-il pu leur donner la fub- 
(iftance ? comment fc feroit-il fait l>b4ir } II ne peut 
etre tci queftion que de quelques peuples particuUers. 
N barque , dans le lirre rcrum Jndicamm , dit qu'i I'ex- 
tremit^ de cette cote , du c6c^ de la Perfe , il avoit 
trouv^ les peuples moins if^iophages. Je croirois que 
I'ordre d* Alexandre regardoit cette contrde , ou quel - 
qu'^autre encore plus voUiac de la Perfe, 

Ce 



、一 



Li V. XXI. Chap. Vffl. S, 

Cc conquirant avoit fonde Alexandrie , dans 
la vue de s'aflurer de I'Egypte ; c'^toit une clef 
pour l,ouVfir, dans le lieu meme [/] oil les 
rois fes pr^deceffeurs avoient une clef pour la fer- 

Sjer; & il ne fongeoit point a un comtnefce 
ont \a decouverte de la mcr des Indes pou- 
voit feule lui faire naitre la penfee* 

II parolt mfime qu'apr^s cette decouverte 
n*eut aucime vue nouvelle fur Alexandrie. It 
avoit bien , en c^n^ral , le projet d'^tablir uit 
commerce entfe les Indes & les parties occiden- 
tales de fon empire t mais, pour le projet de 
fiiire ce commerce par FEgypte , il lui manquoit 
trop de connoiflances pour pouvoif le former* 
Il av^oit vu rindus , il avoit va le Nil ; tnais il 
lie connoiffoit point les mers de 1' Arable , qiu 
font entre deux. A peine fut-il arrive des Indes , 
<pi*U fit conftruife de nouvelles Aottes ,& na« 
vigua (m) fur l,Eul6us, le Tigre , ITuphrate 8t 
la mer : il ota lei cataradies que les Perfes avoient 
mifes fur ces fleuves : il d^couvrit que le fein 
Perfique itoit un golfe de Yocim* Comme U 
alia t^connokre [n] cette mer ^ ainfl qu'il avoit 
recotinu celie des indes ; conime il fit conftruire 
im port a Babylone pour mille vaifleaux , 8c 
、des arfenaux ; comme il envoya cinq cent ta- 
lens en Phinick & en Syrie , pour en faire ve- 



(/) Alexandrie Cut fondle dans une plage appclM# 
RacotiJ, Les anciens Rois y tenofent une garni fon , 
four d^fendfe rcntfee dii pays aux ^tfangers , & fuf- 
tout aax Grecs qui ^toient , comme on fait , de grands 

Straws. Voycz ? litit , liv. VI. chap x ; 8c $tf abort , 
V. xvni. 

im) Arricn , expedite AUxanifi , lib* Vlh 



90 Cte l'Esprit des Lois; 

nir des 'nautoniers , qu'il vouloit ^acer Anns les 
colonies quH F^andoit fur les cotes ; comine 
enfin il fit des travaux immenfes fur FEuphrate 
& les autres fleuves de I'Aflyrie , on ne peut 
douter que fon deffein ne fut de fake le com-* 
laerce des. Indes par Babylone &L le golfe Per*' 
fiqiie. 

Quelqnes gens , Caas -prftexte qu'Alexandre 
TOuloit conqu^rir TArabie (。)', ont dk qu*il aroit 
fDrme le deuein d'y meure le fiege de ion em- 
pire : nuris comment auroit-il choifi un lieu qu'ifr 
ne connoifTeit pas [p]^ D'aillcurs ^ c*6toit le 
pays du monde le plus incommode : il fe feroifr 
fipare de fon empire. Les califes , qui conqui- 
rent au loin , quitterent d*abord FArabie , pour 
sTetablir ailleurs^ 



mm 



€ H A P I T R E IX. 

Du commerce dts Rois Grtcs aprcs- Akxandre-^ 

S^ORSQu' Alexandre conquit I'Egypte , on 
connoiff 心 it tr^s peir la mer rouge , & riei> de 
cette partie de Toe 纟 an , qui'fe joint a cette mer , 
& qui biigne d'un cote la cote d*Afrique , &: 
de I'autre celle de KArabie : on crut meme depuis 
qu*il etoit impoffible de faire Fe tour cfe la pref- 
qp'ile de L'Arabie. Csux. qui I'avoiem tent 纟 de 



(p) Strabon , lir. XVI. i la fip. . 
"(p) Voyant la Babyloni'e inonde^ , if regardoit FA— 
rabie , qui en eft. proche , comme une iHe*. Ariftobule>. 
^ns. Strabon. V ILv. XVI; 



Ltv. XXI. Chap. XI. 91 

diaque cote , avoient abandonn6 hut entrcprife. 
On difoit [a] : a Comment feroit-il poflible de' 
» naviguer au midi des c6tes de I'Arabie , puif- 
» que rarmee de Cambyfe , qui la traverla du 
» cote du nord, perit prefque • to6te ; & que 
» celle que Ptolomee , fils de Lagus , envoya au 
" (ecours de Seleucus Nicator , a Baby lone , 
» foufFrit des maux incroyables ,& i caufe de 
s» la chaleur , ne put marcher que la nnit » 

Les Perfes n'avoient aucune forte de naviga* 
tion. Quand ils conquirent I'Egyptc , ils y ap- 
porterent le me me efprit qu'ik avoient eu cher 
eux ; & 】^^n6gligence fiit fi extraordinaire , que 
les rois Grecs trouverent que nott^feukment les 
navigations des Tyriens , des Idumeens & des 
Juife dans rocean , ^toient ignorees ; mais que 
celles memes de la mer rouge I'^toient. Je croi» 
que la deftrudion de la premiere Tyr par Nabiy- 
chodonofor , & celle de plufieurs petites 'nations 
& villes voifines de la mer rouge , firent perdre 
les connoiffances que l,ofi avoit aequifes* 

L'Egypte , *da temps des Perfes , ne confi - 
fioit point a lamer rouge : elle^ne contenoit [if] 
que cette Hfiere de terre longue & ^troite que le 
Nil couvre par fes inondatiens , & qui eft refler- 
tie des deux cot^s par des chaines de moma - 
gncs. U faljut done d^couvrir la mer rouge une 
ieconde fois , & rocean une feconde ibis ; & 
cette 'd^couverte appartmt a fa curiofite des roIs 
Grecs. 

On remoma le Nil , on fit la chaffe des ele- 
phans dans les pays qui font entre le Nil & la' 



00 Voyez le livre rerum Indicarum, 
ih Stwlwm , liv. XYU 

H X. 




De l*Esprit des Lois 



xner; on decouyrit les bords de ccttc flier par 
les tcrres : & conune cette decouverte fe Ht fbus 
ks Grecs , les noms en font Grecs , & les tem- 
ples font confacr^s (c) a des divinites Grecques. 

Les Grecs d*Egypte purent faire un com- 
merce tres ^ndu : ils etoient maitres des ports 
de la mer rouge ; Tyr , male de toute nation 
conunersante , n'^tait plus; ils n'ctoient point 
gen^s paries anclennes (d) fuperftitions du pays ; 
irpte ^oit devenue le centre de I'univers. 

Les rois de Syrie laifTerent a ceux d^Egypte le 
commerce meridional des Indes , & ne s*atta- 
cherent qu*a ce commerce feptentrional qui fe 
faifok par ; Oxus & la mer Cafpienne. On 
croyoit dans ce temps-la que cette mer etoit 
line partie de roc^an feptentrional : & Ale- 
xandre, qudque temps avant fa mort, avort 
fait conftruire (/)une flotte , pour decouvrir & 
elle eommuniquoit a Focean par le Pont-Euxin , 
on par que}qu*autre. mer orientale vers les Li- 
cks. Apr^s fui, S^eucus & Antiochus eurent 
une attention particuliere a la reconnoitre : ils 
- y entretinrent (g) des flottes. jCe que Seleucusr 
reconaut fut appell^ mer Seleucide : ce qu'An- 
tiochus decotivrit fut appell^ mer Aflthi'ochide. 
Attentifs aux projets qu'ils pouyoient avoir de ce 
Ate-la , ils n^ligerent les mers du mkli; foit 



(c) Uid. , 

{^QElles leur donn&icnt de fhorreur poor te»^rai»- 

XII. Strabon , lir, XL Arrien , de Pexped. 4'Alex« 
liv* IH. pag. 74, & liv. V. pag. 104. 

(/) Arrica , de Pexped. d*AIex. Uv, Ylk 

(g) Pliac^liy. ch. XLiv* 



Liv. XXt. Chap. IX. 95 

que les Ptolom^e , par leurs flottes fur fa mer 
rouge, s*en RifTent deja pracur^ FEmpire ; foit 
cp:i,^ euflent d^couvert dans Fes Perfes un ^loi- 
gnement invincible pour la marine. La c&te du 
midi de la Perfe ne fourniiToit point de mate- 
lots ; on n*y en avoit vu que dans les derniers 
momens de la vie d'Alexandre. Mais les Rois 
d ,! ^ypte , maitres del'ile de Chypre , de la Phe- 
nicie, & d'un grand nombre de places fur les 
cotes de I'Afie mineure, avoient toutes fortes 
^ moyens pour ialre des entreprife* de mer. 
Us n'avoient point a contraindre le g^nie de leurs 
iujets ; ils n'avoient qu,a le fuivre. 

On a de la peine a comprendre robftinariofi 
des anciens a croire que la mer Cafpienne ^toit 
nne partie de roc^nn. Les expeditions d'Alexan- 
dre , des Rois de Syrie , des Parthes & des Ro- 
mains , ne purent leur faire changer de penfie ; 
c'eft qu*on revknt de fes etreurs le plus tard 
eu'on pern. EXabord on ne connut que le midi 
oe la mer Cafpienne, on la prit pour Foc^ah ; 
a mefure que I'on avan^a le long de fes bords 
du cote du nord , on crut encore que c'^toit 
foc^an qui entroit dans les terrcs : En fuivant les 
cotes , on n'avoit reconntt cot6 de l,eft que 
jufqu'au Jaxarte , & du coti de I'oueft que juf"- 
ou'aux extr^init^s de rAlbanie. JLa mer , du cot& 
sa nord, £toit vafeufe (A) , & par confluent 
tr^ peu propre a la navigation. Tout cela fit que 
f on ne vit jamais que rocean. 

L'arm^e Alexandre n*avoit iti , du c8ti de 
f orient , que )ufqu'a FHypanis., qui eft la der- 



(A) Voyex U carte da czaf» 



94 De l'Esprit des Lois; 
niere des rivieres qui fe jettent dans I'lndus. Ain/i 
le premier commerce que les Grecs eurent aux 
Indes fe fit dans une tr^s petite partie du pays. 
Seleucus Nicator p^netra }ufqu*au Gange [i} : & 
par- la on d^couvrit la mer ou ce fleuve fe jette , 
c,eft-a-dire , le^golfe de Eengale. Aujourd*bui i'on 
decouvre les terres par les voyages de mer; autre- 
fois on decouvroit les mers par la conqulte des 
terres. 

Strabon (^) , malgri le moignagc d * Appal- 
lodore , paroit douter que les Rois 《/) Grecs de 
Baftriane foient alles plus loin que Seleucus 6 & 
Alexandre. Quand il leroit vrai qu'ils n'auroient 
pas iti plus loin vers I'orient que Seleucus , lis 
ailerent plus loin vers le midi : ils decouvrirent [mj 
Siger & des ports dans le Malabar , qui don- 
nerent lieu a la navigation dont je vais parleiv 

Pline (") nous apprend qu'on prit fucceffive- 
tnent trois routes pour faire la navigation des 
Indes. D'abord , on alia du promontoire de Siagre 
a rile de Patalene , ^ui eft a I'embouchure de lln- 
chis : on voit que c'etoit la route qu'avoit tenue la 
flotte d' Alexandre, On prit enfuite un chemin 
plus court [ci] & plus sur ; & on alia du meme 
promontoire a Siger. Siger ne peut etre que 
le Royaume de S^er dont parle Strabon [p]^ 



(i) Pline, Ut. VI. chap xvn. 

h) Liv. XV. 
I (/) Les Macedonien* de la BaAnane , des Indes & 
<3« I'Ariane , $'eta«t r^^par^s< du royaume de Syrie , fop»- 
mcrent un grand 豸 tat, 

(«) ApoUonius Adramittin , dans Strabon , liv, Xk - 

(«} LiV. VI. ch. xxirr. 

Co) Pline , liv. VI. ch. xxiii, 

(f) Liv. XI* Sigertidis ngnum^ 



Ltv. XXI. Cha?. IX. 9f 

«ie les Rois Grecs d6 Ba&riane d^courrifent^ 
-line ne peut dire que ce chemin iat plus court, 
parce qu*on le faifoit en moins de temps; 
osLT Siger devoit etre plus recule que llndus ^ 
pvifque les Rois de Baariane le d^couvrirent. II 
nlloit done que l,on 6vitit pac-la le detour de 
certaines' c6tes , & que l,on pro&at de certauns- 
vents. Enfiiv, ks snarchands prirent une troifieme 
route : il&fe readolent a Canes ou a Ocelis , ports 
iitues a rembouchure de la mer rouee, cToii, par 
un vent d'oueft , on arrivoit a Muziris , pre- 
miere itape des Indes , & de-1^ a d'autres ports. 
On voit qu'au lieu (Taller de rembouchure de la 
mer rouge jufqtt'a Siagre en remontant la cote de 
CArabie-4ieureufe au nord-eft , oti alia, direde* 
laent de I'oueft a I'eft , d*ua c6ti a rsuitre , {iar 
le moyen des mou^ons , dont on decouvrit les 
changemens en naviguant dans ces parages. Les 
. anciens ne qakterent les cotes , que quand il& 
k fervirent des mou^ons [s] & cUs vent&ali- 
£is , qui etoient une efpece de bouiTolIe pouir 



Pline (rV (fit , qu'bn partoit pour les Indes^ 
au milieu oe l*ete , & qu'on en revenoit vers Ian 
fin de Decembre & au commencement de Janr 
vier. Ceci eft enti^rement confbrme aux jour - 
naux de nos navig^teurs* Dans cettepartie de 
mer des Indes qui ieft entre la prelqulle d*A^ 
fi-ique & celle de de^a le Gange y a deux mou- 
sons ; la premiere , pendant laquelfe les vents* 



(q) Les mou^pns foulffent une par tie de I'ann^e d'unt 
^ot^ , & ]une partie de I'ann^e de I'autre ; & les vent» 
aUr^s foufflent du iti^mc coti toate Itann^e*- 

(r) liv. VL ch^xxur- 



9<$ De l'Esprit Drs Lois 9 

vont de I'oueft a l,eft , commence au mcnt 
d'Aout & de Septempre ; la deuxieme pendant 
laquelie les vents vont de l,eft a Foueft , com- 
mence en Janvier. Ainfi nous partons d'Afrique 
pour le Malabar dans le temps que partoient les 
flottes de Ptolomee , & nous en revenons dans le 
m^me temps. 

La flotte d* Alexandre nut fept moU pour aller 
de Patale a Suze. EHe partit dans le mois de Juil- 
let , c*eft-a-dire , dans un temps 011 au)ourd*hui 
aucun navire n'ofe fe mettre en mer pour revenir 
des Indes. Entre 1' 義 ne & 1, autre mougon , il y a 
un intervalle de temps pendant lequel les vent* 
varient ;& ou un vent de nord fe melant avec 
les vents ordinaires , caufe , furtout aupr^s des 
c6tes , d*horribles tempetes. Cela dure les moi* 
de Juin, de Juillet & d'Aoftt. La flotte d' Alexan- 
dre partant de Patale au mois de Juillet , ef- 
fuya bien des tempetes ,& le voyage fttt long , 
parce qu'elle navigua dans une mou^on ccm- 
traire. 

Pline dit qu*on partolt pour les Indes a ta fin de 
Yiti : ainfLon employ oit le temps de la variation 
de la mou9on ^ {aire W trajet oAlexandrie a la 
mer rouge* 

Voyez, je voiis prie , comment on fe perfec- 
tionna p^u a peu dans la navigation. Celle que 
Darius fit faire , pour defceiktre llndus & aller 
a la mer rouge , fm de deux ans & demi (sj* 
La flotte d' Alexandre (r) defc^ndant llndus,, 
arriva a Suze dix mois apres , ayarit navigu^ 
trois mois fur FIndus & fept fur la mer des 



(s) H^rodote , in Melpomme, 



Liv. XXI. Chap. DC. 97 

Indes : dans lafuite , le trajet de la cote de Ma- 
labar a la mer rouge fe fit en quarante jours (u). 

Strabon, qui rend, raifon Fignorance 011 
ron ^toit des pays qui font entre iHypanis &r 
le Gange , 4it que parmi ies navigateurs qui vont 
de I'^ypte aux Indes , il yen a*peu qui aillent 
jafqu'au Gange. Effedivement , on voh que les 
flottes ny aMoient pas; elles alloient par les mou- 
^ons de I'oueft a l,eft , de rembouchure de la 
mer rouge a la cote de Malabar. EUes s*arretoient 
dans les Stapes qui y ^toient , & n'alloient point 
faire le tour de la prefqu*iie de^a le Gange par 
le cap de Comorin & la cote de Coromanclel : 
le plan de la navigation des Rots d'Egypte & 
des Romuns , etoit de revenir la meme an- 
jiee (v). 

Ainfi il s*eii faut Uen que le commerce des 
Grecs & des Ronudns auxlstdef ait ^t^ auffi ^ten- 
du que le notre ; nous qui coiinoiflbns des pays 
Immenfes qu'ils ne fonnoiiToient pas ; nous qui 
fiufons notre commerce avec toutes les nations 
Indiennes , & qui comfiier^ons m^me pour elles 
-& naviguons pour ^Ues. • 

Mais ils failoient ce commerce avec plus de 
facility que nous : & l,on ne n^gocioit aujoar« 
d'hui que fur la cdte da Guzarat Si da Malabar; 
&que fans aller chercher les iles du midi, on 
fe comemsLt des marchandifes que les infii- 
laires yiendroient apporter , il faudroit pr^- 
£erer la route de FEgypte a celle du cap de 
Bonne - Efp^rance. Strabon [*] dit que l,on 



9$ Df l'Esprjt des Lois,' 

nigodolt ainfi avec ies peuples de la Tapr(H> 
bane. 



C H A P I T R E X. 
Du tour dt tAfriqut. 

O H trouve dans Fhiftoire , qu'avant la d^cou* 
verte de la bouiTole on tenta quatre fois de faire 
le tour de rAfrique. Des Ph^niciens envoy es 
par Necho (4》 & Eudoxe (厶 ) , foyan 言 la colere 
de Ptolom^e-Lature , panire/it de la mer rougs 
& riM0irent. Satafpe [i] fous Xerc^s , & Han« 
nbn qui fiit envoy 豸 par les Carthaginois , for- 
tirent des colonnes d'Hercule, & ne reuffirent 
pas. 

Le point capital pour £ure le touf & I'AiHqiie 
細 U .cfe d^coQvnr & de dpuMer le cap de 
fionne* Efp^rance. Mais fi I'on partoit de la mer 
rouge, ou trouvoit cc cap de la mpiti^ du che- 
fiuo plus pr(b$ qu*en partailt de ja mediterran^e* 
cpte qbi va de la mer rouge au cap eft plu$ 
faine'que ceUe qui va du cap aux colonnes 
d*Mi^cuk. Pour que ceux aui partoient des co- 
lonnes dliorciile ayent pu ckcouvrir le cap , il a 
rinvention de la bouiTole , qui a fak que 
Ton a quitt^ la c6te d'Afrique & qu'on a imvi 一 



!a\ H^odote , liv. IV. II rouloit conqu^rir. 
h) Plinc , liv. 11. chap. (.xvii. Pgrnponius MtU^ 
Hr. IH. chap/ i*. ― : " 

!c) H^tOQOte » in Melpomene, 
d) Joignez 4 ceci cc que Je dis au chap, XI de ct 
慕 , Cur U naTigatioR d'Haonon, . 



Lxv. XXL Chap. X. 99 

mi dans 】e vafte ocdan (-) pour aHer vers 
rile de Sainte-H^ene ou vers ia cote du Bre- 
fil. II ^toit done tres pof&ble qu'on (ut alii 
de la mer rouge dans la medlterran^e , fans 
qu'on iut revenu de k snedkerranee a la mer 
rouge. 

AinCi fans iaire ce gmndoraxt, apr^ lequdi 
on ne pouvoit plus revenir , il etoit plus nature! 
de faire le commerce de rAfrique orientale par 
la mer rouge , .& celui de la cote ocddentale par 
les colonnes d'Hercule. 

Les Rois Grecs d'Egypte dScouvrirent d'a- 
bord , dans la mer rouge , 1^ parde de la cote 
d'Afrique qui va depuisTe fonci du eolfe oil eft la 
cit6 d'Heroum , juiqu'a Dira, c'elt-a-dire, juf- 

S'au detroit appelle aujourd'hui de Sahelmandet 
2-la jufqu'au promontoire.des Aromates fitu6 
k I'entree de la mer rouge (/) , la cdte a'avoit 
.point iti reconnue par les nayigat^urs : & ceU 
^ft . clair psu: ce que nous xlit Art^midore (g)^ 
que I'on connoiiioit les lieux de cette cote, 
'mais qu'on en ignoroit les diftances ; ce qui 
veneit d« ce qifon avolt fuccdfirement conna 
ces ports par les terres , & ians aller de run a 
rautre. 



(tf) On trouve dans I'Oc^an Atlantique , aux inois 
d^O&obre , Novembre , D^embre & Janvier , un vent 
de nord-eft. On palfe la ligne ; &. pour ^luder le vent 
g^n^ral cfeily ott ! dtrige fa route vers Ic fud ; ou bien 
on entre dans la zone torride , dans les Ueux ou le 
vent fouffle jde I'oueft a Veft. , , 

(/) Ce golfe ,' auquel nous donnoiis aujoiird'hui ce 
nom , ^toit app«Ue par les anciens U fein ArMqw : ils 
appelloknt Mer R^uge , la partie de Voc^a roifine 
4e ce eolfe. 

Cg) Strabon , Mr. XVI. 

I 1 



loo De L*EsPRiT D£s Lois; 

Att'dela de ce pfomontoire ou commence lo; 
cbte de I'oc^an , on ne connoiflbit rien , commc 
nous (h) I'apprenons d*Eratoilhene & d*Art6- 
inidore. 

Telles ^toient les connoifTances que Pon avoit 
des c&tes d'Afrioue du temps de Strabon , c*eft-i- 
dire du temps o'Augufte. Mais , depuis Augufte , 
lesRomains d^cotiyrirent le promontoire Raptum 
& le promontoire Praffitm , dont Strabon ne 
parle pas , parce qu'ils n'etoient pas encore 
connus. On voit que ces deux noms font Ro- 
mains. 

Ptolomie le geographe vivoit fens' Adrien 
& Antonin Pie ; & I'auteur du Periple de la mer 
Erythrie , quel qu'il foit , v6cut peu de temps 
apr^. Cependant le premier borne rAfrique (i) 
connue au promontoire Praffitm, qui eft environ 
au quatomeme degri de latitude iud : & I'auteur 
dn Piriple {k) au promontoire Raptum , qui eft a 
peu prei au dixieme dcgr6 de cette latitude. II y 
a apparence que celui-ci prenoit pour limfte un 
lieu oil l,on alloit, & Ptolomee un Heu oil fon 
n'alloit plus. 

Cc qui me confinne|dans cette id^e^c'eft que 
les peuples amour da'PraJJiim ^toient antropo^ 
phages (/). Ptolomee , qui [m] nous parle dun 
grand nombre de lieux entre le port des Aroma* 
tes & le promontoire Raptum , laifle un vuide 



(A) Ibid, Artemidore kornoit la cdte connue au Heti 
'a^^elle Aufiricomu ; & Eratofthene mL CinnamonUfiram* 
(i) Liv. I. ch. VII. lir. IV. chap. IX. table IV. d« 

SOn a attribu^ ce P^ripIe i Arrien, 
Ptolomee , liv. IV. chap. IX. 
(«) Liv. IV. chap VII & VIIL 



Lxv. XXI. Chap. X. loi 

total depuls le Raptum jufqu'au Prajfum. Le^ 
grands profits de la navigation des Indes duren^ 
laire ifegliger cells d'AfriquCi Enfin les Romajns 
n'eurent jamais fur cette cote de navigation re- 
glee : ils avoient d^couvert ces po《ts par les ter' 
res , 6c par des navires jet^s par la tempete^ Et 
comme aujourd'hui on connoit aflez bien les 
cotes de rAfrique , & tr^s mal rmtirieur (") , les 
anciens connoifToient affez bien rinterieur, & tres 
xnal les cotesl 

J'ai dit erne des Phenlciens , envoy^s par 
Necho & Eudoxe fous Ptolom^e Lature , 
avoient fait le tour de rAfrique : il faut bien 
que, du temps de Ptolomee le G^ographe , ces 
deux navigations fuffent regarddes comme fa- 
buleufes , puifqu'il place (o) , depub le Jignus 
magmis , qui eft , je crois , le golfe de Siam , 
une terre inconnue , qui va d'Afie en Afrique , 
aboutit au promontoire Praffum ; de forte que 
la mer des Indes n*atiroit iti qu'un lac. Les 
anciens , qui reconnurent les Indes paf le 
Nord , s*^tant avanc^s vers rOrient , placerent 
vers le Midi cette terre inconnue. 



(«) Voyez avec quelle exa^litucle Strabon & Pto* 
lom^e nous d^crivent les direrfes parties de TAfrique. 
Cei connoiffiinces venoient des diverfes guerres que 
les deux plus puiiTantes nations 6u monde , les Car- 
thaginots 8c I^s Romains , avoient eves av«c les pen* 
plet d'Afrique , des alliances au'iU avoient cootra£l^€s , 
cu commerce qu'ils avoient Uit dans les tefres. 

(") LiV. VII. cb. in. ' 



De l*Esprxt jdis Lois^ 

C H A P I T R E 
、 Carthage & MarftiUc. 



ARTHAGE avoit ufl fingulier droit — » 
gens ; ellc faifoit noyer {a) tous les Strangers 
qui trafiquoient en dardaigne & vers les Co- 
k»nnes d'Hercule : fon droit politiquie n'etoit 
pas rooin^ extraordinaire ; elle defendit aux 
Sardes de cultiver la terre, fous peine de la 
y'le, Elle accrut fa piiiflance par fes richefTes^ 
& enfuite fes rickelTes par fa puiflance. Mai - 
treffe des cotes dlAfrique que baigne la Medi- 
terran^e , die s*etendit le long de celles de 
rOcean. Harmon, par crire du S^nat de Car- 
thage , pandit trente mills Carthaginois de- 
puis les Colonnes d*Hercule jufqu'a Cerne. II 
ait que ce lieu ed auffi- ^loigne des Colonne& 
d'Hercule que les Colonnes d*Hercule le font 
de Carthage. Cette pofition eft trfes remarqua- 
ble ; elle uax voir c^vkHannon borna fes ^tablif- 
iemens au vingt - cinquieme degre de latitude 
nord , c*e{l - a - dire , deux ou trois degris au- 
dda des isles Canaries , vers le Sud. 

Hannon etant a Cerne , fit luie autre navi- 
gation , dont robjet ^toit de faire des dicouver- 
tes ph)6 avant vers k Midi. II ne prit prefqiie 
aucune connoiflance du Continent. L'etendue 
de& c6tes qii*il fuivit, flit de vingt - fix jours. 



[a) £rsto^oe» dans Strabo" Uf» XVU, p<. 8o2» 



Liv. XXI. Chap. XI, lO) 

^ navigation, & il fut oblig^ de revehir 
faate de vivres. II par6k que les Caithaginois 
sie firent aucun ufage de cette entreprife d'/fj« - 
nan, Scylax (b) dit qu'au - dela de C6rn6 , la 
mer n'efi pas navigable [弓 , pal-ce qu'eUe y 
eft baiTe , pleine de limon & d*herbes marines : 
e£Fedivement ii y en a beaUcoup dans ces pa- 
rages (</). Les M'archands Carthaginols dont 
l^arle Scylax , ponvbient trouver des obAacles 
rj^Harmon , qui kvoit foixante na vires de cin- 
quante rames chacun', avoit Vaindus. Les difS- 
cult 荟 s font relatives ; & de pltis , on ne doit 
pas confondre une entrsprife qui a la hardiefTe 
& la tem^rit6 pour ob}et , avec ce qui eft 
fefFet d'une conduke ordinaire. 

C'eft un beau morceaa de i'anti(^H^ que la 
relation A、 Harmon : le itidme homme qui a ex" 
cut 圣 , a ^crit : 'il nc ^njet aucune dueiltation< 
d^ns fes re cits. Les grands Capitaihes Scrivent 
leurs adions avec fiiiipliciti , parce <^'ils font 
plus glorieux de ce qu'ils ont fait que de ce 
qu'ils ont dit. 

Les chofes font 'comtne le ftyie. 'II ne donne 
|k>int ds^rs le merveiHeux .* tout ce qu'il dit du 
dimat', du terrem , des moeurs 9 des inanferes 
des habkans , fe rapporte a ce 'qu*on Voit au- 



(h) Voyez fon P^rtple , article de Carthase. 

(c) Voyez H^rodote , in Melpomene , fur Yes obfta- 
es que Satafpe trouva. 

(d) Voy«z les cartes & les relations , le premier rpK 
des voyages qui ont ferW 1 I^itabtilTement de la com* 
pagnte des Indes , part. I. p. xoi. Cettc herbe courre 
tellenient la furface de la mer , qu'on a <!e la peine k 
▼pir I'eau ; & le, yaifleaux Ae peuvent paiTer au tra* 
YM i{ue par ua vent frais. , 



104 De l'Esprit d£$ Lais, 

jourd'hui dans cette cote d'Afrique ; 3 femhle 
que c,€fl le Journal d'un de nt>s navigateurs. 

Harmon remarqua (e) fur fa flotte , que le 
Jour il regnoit dans le Continent un vafte ' 
filence ; que la nuit on entendoit les fons de 
divers inflrumens de mufique ; & qu'on voyoit^ 
par - tout des feux, les uns plus grands , les. 
autres moindres. Nos relations connrment ceci : 
on y trouve que le jour ces Sauvages , pour, 
^viter rardeur du foleil , fe retirent dans les 
forets ; que la nuit ils font de grands feux 
pour ^carter les betes feroces; & qu'ils aiment 
pafHonn^ment la danfe & les inurumens de 
mufique. 

Hannon nous d^crit un. vol can avec tous lesj 
phenomenes que fait voir aujourd'hui le Vd- 
luve ; & le recit qu'il fait de ces deuxr femmes^ 
velues , qui fe laifferent plutot tuer que de fui 垂. 
Vre les Carthaginois , & dont, il fit porter les . 
peaux a Carthage, n'eft pas , comme on. Fa 
dit , hors de vraifemblance. 

Cette relation eft dautant plus precieufe,; 
qu'clle eft un monument Punique ; & c'eft 
parce qu'elle eft un monument Punique , qa'elle- 
a itt regardee comm fabuleufe. Car les Ro- 
mains conferverent leur haine centre les Car- 
thaginois , meme apres les avoir ddtriiits. Mais 
ce ne fut que la vidoire qui d^cida s'il falloit 
dire , la foi Punique , ou la foi Romaine. 

Des modernes (/) ont fuivi ce prejiig^. Que- 



(e) Pllne nous dit I2 m^me chofe en parlant du mont 
Atlas : NoHibus micarf cnbris ignibus , tihiarum cantu , 
timpanorumque fonitu fircptrc , neminem interdiit cemL 

(f) M. Dodwel ; voyez fa difTertation fur le Peri- 
pie d'Hannon. 



Li V. XXI. Chap. XL lOf 

ibut devenues , difent • lis , les villes qu*Hanaon . 
nous decrit , & dont , meme du temps de Pline » 
il ne reftoit pas le • moindre Teftige ? Le mer- 
veilleux kxoit qu*il en fut refte. Etoit -ce Co-, 
rinthe ou Athen^^qu'jET^/m (? /i alloit batir fur ces 
cotes ? II laiflbit; dans les endroits propres au. 
commerce, des families Carthaginoiks ; la 
bate , il les mettoit en $uret^ centre les hom- 
ines fauvages & les betes iixoces. Les calami- 
tes des Carthaginois firent ceffer k navigation. 
d'Afrique ; il fallut bien que ces families pirif- 
fent ou deyinflent fauvages. Je dis plus : quand 
les ruines de ces villes fubfifterpient encore , 
qui eft - ce qui auroit ^te en faire la dicou- 
verte dans les bois & dans les tnarais ? On 
trouve pourtant dans Scylax & dans Polyhc , 
cue le^ Carthaginois avoient de grands 6tablif-. 
xemens fur ces c6tes. Voila les veftiges des^ 
"villes 《 Harmon ; il n'y cn a point d'autres,, 
parce qu'a peine y en a - t-il d*autres de Car, 
thage meme. 

Les Carthaginois 豸 toient fur le chemin des 
richefTes : & s'ils avoient ete jufqu'au quatneme 
degri de latitude nord au quinzieme de lon- 
gitude , ils auroient decouvert la cote d,Or &. 
les cotes voifmes. Us y auroient fait un com- 
merce de toute autre importance que celui 
qu'oii- y. fait aujoard'hui, que FAm^nque fem, 
ble avoir avili les richeiTes de tous les autres. 
pays : ils y auroient trouve des tr^fors qui ne 
pouvoient etre enlev^s par les Romains. 

On a dit des chofes bien furprenantes des. 
richefTes de. FEfpagne. Si Fon en croit Arif" 
tou (g) , les Pheniciens* qui %borderent a Tap* 



{g) Def chofes merveiUeuCef* 



io8 De l'Esprit d£s Lois , . 

jour le lever & le coucher du foleil ; il eft clalr* 
qu'il auroit pu fe conduire comme on hit au— 
jourd'hui par la bouflble : ixials ce feroif un cas 
fortuit & non pas une navigation regime. 

Oh yoit, dans le trait 圣 qui finit la premiere 
guerre Puniqiie , que Carthage fut principale— 
ment attentive a fe conferver rempire de la 
met, & Rome a garder celui de la terre. Ma/i" 
non (/?) , dans la negociatioflf avec hs Romains , 
declara qu'il ne fouftiriroit pas feulemcnt qu*ils 
fe lavaflent les mains dans les mers de Sidle ; il 
tie leur fut pas permis de naviguer au - dela' 
du beau Promontoire ; il leur fut defendu (^) 
de trafiquer en 5icUe (r), en Sardaigne, en 
Afrkpie , except^ a Carthage ; exception qui 
fait voir qu,on ne leur y preparoit pas un 
commerce arantageux. 

II y cut dans les premiers temps de grandes 
guerres entre Carthage & Marfeille (s) au fu- 
jet de la peche. Apres la paix, ils firent con- 
curremment le commerce d'6conomie. Mar- 
feille fut d'autant plus jaloufe , qu'egalant fa ri- 
vals en induftrie, elle lui etoit devenue inft- 
rieiire en puiffance : voila la raifon de cette 
grande fidelite pour les Romains. La guerre 
que ceux- ci firent co litre fes Carthaginois en 
Eipagne , fut une fource de richeffes pour Mar-, 
feille qui fervoit d'entrepot. La mine de Car- 



(p) Tite-Live , fuppUment de Freashemius , feconde 
Aic^de , Uv, VI. 
(f) Polybe , liv. III. 

(r) Dans la partie fujette aux Carthaginois* . 
is) Juftin , liv. XUU. chap. V. 



^ L I V. XXI. Chap. XI. 109 

^ge &deCorinthe^agmenta encore la gloire de 
Marfeillle , & fans les guerres civiles oil il fallcHt 



heureufe fous la prote&ion des Romains , qui 
ii'ayoient aucune jaloufie de fon commerce. 



C H A P I T R E XII. 



V-^ORiNTHE ayant eti detruite par les Ro« 
mains, les Marchands fe redrerent a. D^los • 
la reUelon & - la veneration des peuples faifoit 
tegarc^r cette ifle comme un lieu de suret^ (a),i 
de plus, elle ^toit tthi bien fituee pour le com 寿 
merce de Ultalie & de l,AAe, qui , depuis 
raniantifTement de FAfrique & I'affoiUUTemgQt 
de la Grece , itoit devenu plus important. 



rent , comme nous, avons dit , des colonies fur 
la Propondde & le Pont-Euxin : elles confer- 
verent , fous les Perfes , leurs iois & leur Ij- 
bert^. Alexandre , qui n'itoit parti que contre 
les Barbares , ne les attaqua pas (i), II ne pa- 



ia) Voyei Strabon , \W. X. 
b) II confirma la liberty de la ville d'Amife. , colo* 
nie Ath^ienne » qui avoit joui de I'^tat populaire, 
. fous les rois de Perfe. LucuUus , quf prit Si* 
nope 8c Amife, leur rendit la Uberte , & rsppella 1m 
habitans, ({ui Veioient enfuis fur Uurs vai^^ayx* 




Isle de Dclos. Mithridatc. 






110 De l*E$prxt dis Lois, 
cccuperent pluiteurs , leur euiTent [c] oti leur 
gouvernement politique^ , 

La puiflance [J] ^de ces Roh augmenta , fi-tdt 
qu'ils ies eucent ioumifes^ Mithridate fe trouva 
en etat d'acheter pat -. tout ides tvpupes ; de r6— 
parer [«] continuelkment fes pertes ; d'avoir 
des ouvriers , des vaiiTeaux, des machines de 
guerre ^ de fe procurer des allies ; de corrom- 
pre ceux des Romains & Ies Romains memes 
de foudoyer (/) les barbares de I'Afie & de 
I'Europe ; de faire la guerre long - temps , 6c 
par confequent de difcipliner fes troupes ; il 
put les armer , & les inflruire dans I'art tnifi- 
tair% {g) des Romains ', & former des corps 
confid^rables de leurs transftiges : enfin , ii put 
faire de erat^ des perte* , & ? ouffrir de grands 
tehees , fans p^fir ; & il n'aurok point peri » 
ii , dans 1^ .profperh^s , le Roi voluptueux & 
bar bare n*«vok pas detniit * ce -que, dans la 
fnauvatTe fortufie $ avoit fak At grand Prince. 

C*eft ainfi qae^ dans le temps- que les Ro- 
J inains -^toient- au cofiible de la grandeur, & 
qu,ils fembloient n'aiyoir a craindre qu,eux- 

< 

(«) Voyei " q^'4fcnt App'ifn fur \ti Phanagor^ens, 
Ies Ainiiienii , les SynopMits , dans fon litre la guerr« 
centre Mithridate. 

(d) Voycr Apj^en , fur les, tr^fors imtneafes que 
Mithridate cmploya dans fes guertes , ceux qu'il ayoit 
caches , ceux qu'il perdit fi fouvent par U trahifon des 
iens» ceux .((u on trouva -apres* fa mort. 

(e) 11 penht une fois- 170000 homnies ; & noa« 
irdles ann^«s- reparurent d'abord. 

(/) Voytz Appicn , la guerre contre Mithd*. 
4at«. 

te) 脚 • 

Z 



4r 



Liv. XXI. Chap. XH. iit 

tnSmes^ Mithridbite 'rerait en qu^ion ce que 
la prife de. Cartl^ge , le$ de&ites de PhiUppe « 
d'Anuochus &c de Perfte, ayoient d^cidi.. Ja« 
mass guerre ne fut. plus funejl^ ; & les deux 
partis ayant un« grande puiiTance & des ava»- 
tages mutuels , les peuples de la Grec^ & de 
YA&e furent detruits , ou cpmme amis d$ Mi- 
thridate , ou comme fes ennemis. Delos fut -en* 
Telopp^e dans le malheur commun* Le com« 
merce tomba de tomes part^ ; il falloit biea 
qu*il fut d6truit , les peuples memes I'itoient. 

Les Romains , fuivant m (y&ime dont 'fu 
par]£ ailleurs [A【 , deflrudeurs pour ne pas pa« 
roitre conqu^rans , ruinerent CsMthage & <Jo- 
•rinthe : & , par une telle pradque , ils fe fe- 
coient pQut - etre perdus , s'ils n'avoicnt pas 
conquis toute la terre. Quand le$ Roi^ de 
Pont fe rendirent maitres des colonies Grec- 

3ues du Pont - Eiixin , ils n'eurent garde de 
^truire ce cpi devoit etre la caufe de leur 
grandeur. 



C H A P I T R E XIIL 

Du ginie des Romains pour la marme. 

XjCS Romsuns ne faifoient cas aue des trou- 
pes de terre, dont I'efprit 6toit ae refter to 霍- 
jours ferine.9 de.comfeiijttrje au.meme Jieu & d'y 
mourir. Us ne pouvoient eftioier la pratique 



(A) Dans les con<i4^raUo«s, (uc. let ctHfes dt Im 
grandeur des Romaiul. 



Ill De l'Esprit des Lois; 

des gens de tner qui fe pf^fentent au combat ; 
fuient , reviennent , ivitent toujours le cUnger , 
emploient la rufe , ratement la force. Tout cela 
n'6toit point du ginie des Grecs {a) , & ^toit 
encore moins de celui des Romains. 

lis ne deftinoient done a la marine que ceux 
qui n'^toieat pas des citoyens affez confid^ra- 
bles (0 pour avoir place dans les l^giohs : les 

fens de met 6toieht ordinairetnent des af- 
ranchis. 

Nous n*avons aujourdliui ni la tneme eft; me 
pour les troupes de terre , ni le mSme m^pris 
pour celles de mer. Chez les premieres (c) I'art 
eft diminu^ ; chez les fecondes [</] il eft aug« 
ment^ : or on eftime les chofes a proportion 
du degri de fuffifance qui eft requis pour le 
bieii raire. 



C H A P I T R E XIV. 

Du gcfde des Romains pour U commerce^ 

On n'a jamais retnarqu^ aux Romains de ja- 
louiie fur le commerce. Ce fiit comme nation 
rivale , & non comme nation commer^ante , 
qu*ils attaquerent Carthage. lis favoriferent les 
villes qui faifoient le commerce, quoiqu'eIle$ 



(a) Comme l*a remarqu^ Platon , Ur. IV des loif. 
{h) Polybe , liv. V. 

(c) Voyez les coniid^rattoas fur les caufei de la 
crandeur des Romains > &c. 
li) Ibid. - 

- oe 



Liv. XXI. Ckap. XIII. 113 

Be fuffent pas fujettes ; ainfi ils augmenterent 
par la ceilion de plufieurs pays la puifTance de 
Marfeille. Ils craignoient tout ties barbares & 
Tien d'un peuple n^gociant. D'ailleurs leur g^- 
nie , leur eloire , leur Education militaire , la 
forme de leur gouv^mement , les eiloignoient 
du commerce. 

Dans la ville, on n'itoit occupy que de 
||uerre$ , <r61e£Uons , de brigues - & de- proces ; 
a la campagne , que d'agriculture ; & dans les 
provinces un gouyernenient dur & tyranniqut 
etoit incompatible avec le commerce. 

Que a leur conftitution politique y ^toit op- 
pofee , -leur droit des gens n'y r^puenoit pas 
moifis* ic Les peuples , dit le Jurifconfulte Pom- 
» ponius avec lefquels nous n'avpns ni 

y>' amitie , ni hofpitalite , ni alliance , ne font 

point, hos ^nnetnis •• cependant , fi une chofe 
w qm lioiis appartient , tbmbe entre leurs' mains ^ 
3f its en font proprletaires : les hoititnes libres 
,, deviennent leurs efclayes ; & ils font dans les 
" monies termes a notre egard ,,• 

Leur droit civil li'etoit pas moins accablant. 
La loi de Confiantin , apres avoir, declare 
tards 1" enfans des perlonn^^viles qui fe font 
marines avec celles d'une condition relevee , 
confond. les femmes qui pnt une boutique [i] 
de marchandife, avec les efclaves , les cabare- 
tieces , les femmes de tH^atte , les filles ' d,un 
homme qui tient un lieu de proftitution , ou qui 
a 6t6 conclamn6 a combattre fur Patene : ceci 



(a) Leg; V. §. 1. ff, d€ capiivis; 
Xi) Qua mercimoniis publicc prcefuU, Leg. I. cod. d9 
natural, Hhcris, 

K 



defceiidbit des anci«nne» inftitutions^ des Ro 一 
mainsv 

Je fais i(hn' que des gens ptems de xes deux 
ide€s; rune , que le commerce^ eft la chofe dur 
flionde la plus、 utile a un Etat ; & rautre , que 
h$ Romains avolent la meilleure policg^jdu^ 
monde , ont cru qp'ils avoient beaucoup encou* 
tSLgi & honori le commerce : mais la y^iti eft 
fu'ik y ont mement penf(6; 



C H A P I T R E XVL 
Commerce des Romains Us Marfapesi 

X^£S Romains avoient hit de I'Ei*dpe , 
FAfie 8c dfe rAfiique , un vafte Empire :- Isf 
foiblefCe des peuples & la tyrannie du com-, 
mandement unirent toutes les parties de ce 
corps immenfe. Pour-lors la politique Ro- 
maine fbt de fe ftparer de- toutes les nations 
qui n^avoient pas et6 aflujetties ; U crainte de 
Jeur porter I'art de vaincre , fit n^gllgef* l,art de- 
s*enrichir. Us firenf *Qes lois pour empech'er tbirt 
commerce avec les barl^ares. « Que perfonne -. 
9f difent (a) Valens & Gratieh , h*ejivo5e da- 
" vin , de I'huile ou d*autre$ liqueurs auit bar- 
,, bares , mime pour en goflter ; qu'bn tie kur 
porte point de rbr [Jj' , ajoutent Graden , 



(a) Leg. ad Barbaricum , CQd, qu^t ns, catpQrtari noa 
(h) Leg. II. cod, dc eemmrc, & mcrcat/OTt 



C H A P i T R E; XVI. 

一 A 

J}a comnurcc dcs Romams avec tAratU & Us 

Indts, 



rE nigoce de FArabie - heureufe & celui des 
Indes furent les deux branches , & prefque les 
feules , du commerce exterieur. Les Arabics 
avoient de granges richeflea •• ils les tirot^nt de 
ieurs mers & de leurs forets ; & comme ib 



Leg. n. a«ic ui exportari non itbtani\ & , PV" 
cope , guerre oes Pierfcs , liv. L 

Voyei les confid^rations fur les csiuf^f rte U 
^andeur <les lUmaiiis » & 43 Uix2 ^^^^dei^ce , Paris ^ 

,7J5' 

、 



Liv. XXI. CitAK XV. iif 

V Valentinien & Theodofe » & que mime ce 
" qu'ib en ont , on le leur dte avec finefle "• 
Le tranfport du fer fut d^fendir fous peine de la 
Tie. . 

Domitien , Prince timide, fit arracher les vi- 
gnes [c] dans la Gaule , de ( • ' , 
que cettc liqueur n'y attir - 
comme die les avoit autrefois attires en Italie* 
Probus & Jullen , qui ne les reHouterent ja 着、 
mais , en r^tablirent la plantation. 

Je fais bien que dans M foiblefTe de rEmpire , 
les barbares oblteerent les Romains d*^tablir 
des Stapes {i) & de commercer avec eux. 
Mais cela m^^e prouve que refprit des Ro- 
oiains etoit de he pas commercer. 



o n 



5 X 



1 



! 9 



S 1 



xi6 De i.*EsPRiT D£s Lois ; 

achetoient peu & vendoient beaucoup , ils at-, 
tiroient [a\ a eux l,or & I'argent de leurs voi- 
fins. Augufte [^] con nut leur opulence , & il. 
r^folut de les avoir pour amis ou pour ennemiSir 
11 fit pafler £liu5 Gallus d'Egypte en Arabic. 
Celuirci trouva des peuples oihfs , tranquilles. 
& peu aguerris. II donna des 4>atailles , fit des 
fieges , & ne perdit que fept foldats ; mais la. 
perfidie de fer guides , les inarches , le climat , 
la faim, la foif , les ^laladies', des mefures mal 
prifes , lui firent perdre fon aim^e. 

II fallut done le contenter de n^gocier avec 
les Arabes comme les autres peuples avoient 
fait , c'eft- a - dire , de leur porter de l,of & de 
Fargent pour leurs marchandifes. On commerce 
encore avec eux de la meme tnaniere ; la cara- 
vase d'Alep & le vaiiTe^u royal de Suez y 
portent des fommes immehfes [c]. 

La nature avoit deflin^ les Arabes au com- 
merce ; e\\e ne ks avoit pas deftines k la guerre : 
xnais lorfque ces pauples tranquilles fe trouve- 
rent fur les frontieres ; des Parthes & des Ro- 
mains , ils devinrent auxiS aires des uns & des 
autres. Elius Gallus les avolt trouvis cominer- 
§ans; Mahomet, les trouva guerriers : tl leur 
donn^ de i*enthoufiafme , & le, voUa con* 

Le commerce 4es Romams aux Indes itoit 



(a) Pfin-, Ky. yih chftp. XXVIII i & Smbon, lir, 
XVI, 

. . . . 

(r) Les carayanes d'Alep ,8c de Suez y portent deux 
milHoiu aotre monopie , '& il en paiw autant en 
fraudc; k ^ifeitt rgysd dc S\i9Z y .pprU auifi deux 



Xiv. XXI. Chap. XVI. 117 

' confkldrable. Strabon {d) xvoit appris en Egypt* 
qu'ils y employoient cent, vingt navires : ce. 
Gonunerce ne foutenoit encore que .par leur 
argent. lis y envoyoient tous les ans cinquante 
millions de feilerces. Pliae [e] dit que les mar-, 
chandifes qu'on en rapportpit , fe vendoient a 、 
Rome le centuple. Je crois qu'il parle trop 
neralement : ce profit f*ait une fois, tout le 
monde aura voulu le faire ; & d^s ce^ mo- 
ment perfonne ne I'aura fait. 
On peut mettre en queilion s'il' fut avanta-. 

feux $aix Romains £ure le commerce de 
Arable & des In<ks. 11 falloit qu*ils y envoyaf- - 
fent leur argent ; & il$ n'awient pas, comme 
nous , la reSburce de rAmirique , qui fuppUe 
a ce que nous envoyons. Je iuis perfuad6 
qu'une des raifonsi qui fit augmentjer chex eux 
la valeur numeraire des monnoies , c'eft-a- 
dire, 6tablir le billon, fut la rarete de Fargent » 
cauf^e par le tranfport continue! qui s*en fai- 
foit aux Indes. Que fi les marchandifes de ce 
pays fe vendoient a Rome le centuple , pro- 
fit des Romains fe faifoit fur les Romains me- 
mes , & n'enrichiflbit pqmt VEmpire. 

On pourra dire, d,un autre c6t6 , qtie ce 
commerce procuroit aux Romains une grande 
navigation 9 c*eft - a - dire , une erande puif- 
fance; que des marchandifes nouvelles airmen-, 
toient le commerce int^rieur , fayorifoient les, 
arts, entretenoient i'induftrie ; que le nombre 
des citoyens fc multiplioit a proportion des 
muveaux inoyens qu'on avoit - de vim; que 



(<f) Liv. II. pag, 81. 
\e) liv, VI, chap, xxm. 



cc nouveau moyen produifoit le luxe que noa# 
avons prouve etre aufK favorable au gouver-* 
nement d'un feul que fatal a celui de pkifieurs ^ 
^ue cet ^tabliiFement iut de mSme date que la 
diute de leur r^publique ; que le luxe a Kome* 
^toit n^flaire : & qu^U fatioit bien qu*une 
ville qui attiroit a elle toutes tes richeiies de 
runivers , les rendit par fon luxe. 

Strabon (/) dit que le commerce des Ro- 
mains aux Indes 纟 toit beaucoup plus confid^r^* 
ble que celui des Rois d'Egypte : & H eft fin- 

!; ulier (|ue les Romain^ , qui conncnflbient pea 
e commerce , aieht eu pour celui des Indes 
plus d'attention que n'en eurent les Roi» 
d'Egypte , qui ravoient , pour ainfi dire, fous 
les yeux. II faut expliquer ceci. 

Apr^s la tnort d' Alexandra', ksRbis d'Egypfe 
^tabhrerit aux Indes un commerce marititne ; & 
les Rois de Syrie , qui eurent fes provinces les 
plus orientale^ de rEmpire , & pai^ coiifiiqaent 
ks Indes, maintinrent'-ce cpmnierce dont nous 
avons pari 圣 au Chipitre VI , fe faifoit par 
tes terres & par les fleuves 、& qui avoit i-egu' 
de nouvelUs facilitis par r^tabliffcmertt des co- 
lonies Macedoniennes : de forte que rEurope 
communiquoit avec Its Indes , & par TEgypte , 
& par le royaume de Syrie. Le demembTemeni 
cjui fe fit ^du royanme de Syrie , d'ou fe fornut^ 
celui de Badriane , ne fit aueun tort a ce com-V 
inerce. Marin , Tyri^n , ciii par Ptolomee \g\ , 



(/) 11 dk , au Kv. XII quete» Roniainf y employoient 
cent vmgt na vires ; & au liv» XVIl » CffLt l«s Roii 
Grecs y en envoyoient k p^uie vingu 

(g) Lit* «luip« n. 



Liv. XXI. C H A F. XVI. 1 19 

JNEffe des dccouvertes faites aux indes par 1® 
moyen quelques Marchancb Macedonieii»> 
• CeUes que ks expeditions des Rois n'ayoteot 
pas faites, k» Marchands les firent. Nous xoyoM 
dans Ptolotn^e [h] , qu,il» aUereat depuis h tour 
― Pierre [ij juUm'k Sera : & U d^couverte 
par les Marctands d'une ^tape £ reculee , 
fitu6e dans la partie orientale & feptentrionale 
la Chine, wt ime efpece de prodige, Ainfi , 
- fous les Rois de Syrie & de Ba£hiane, les roar* 
cbandifes <fa Midi de llnde paflbient , par llix- 
dus ,.FOxus & 】a mer Cafpiepne,en Occident ; 
& cdles des contr^es plus orientale» & plus ftp- 
tentrionaiies ^toient porti6es depuis Sera , la tour 
Pierre & autres "apes, jafqu'k I'Euphrate* 
' Ces Marcfarands faifoient leur route , tenant , a-» 
peu-pres, k quaramieinedegre de latitude nord , 
par des pays qui font au couchant de la Chine , 
I>'uy>oliccs qu'ife ire font au》ourd*hui, parce que 
' les Taruttes neks a-voiart. ehco!re infeitei. 
Or , pendant que l,€mpire de Syrie ^tendoit 
£ fort fon commerce du cdti des terres , I'Egypte 
ii'augmenta pas beaucoup fon cptamerce ma" 
ritime. 

Les Parthes parafcn" & fonderem leur Em- 
pire : & k)f fque J'Egypte toinba bus Ut puifTance 
«ies Romakis, cet EinpSre itoit dans fa force, St 
avok re^u (on extedibn. ; 

Les Romains & ks Parthes furene deux puif - 
fences fi vales , qui combattirent , noa p" pour 




(f) Liv, VI. chap. xin. 

0) mtrilleures cartes pJkcent fa tour de Pierre 
111 centieme degr^ dt l«Rgitud«^ & tnyiron le qua* 
fantienc de latitudCr 



110 t)E l'Esprit des Low, 
favoir qui devoit r6gner , mais exifter. Entre !«• 
deux empires , il fe forma des d^ferts ; entre le*. 
deux empires, on fut toujours fous les armes; 
bien loin qu'il y eut de commerce, il n'y eut 
pas jneme de communication. L'ambicion , la 
falovfie , la religion, la haine, lesmoeurs, f6- 
parerent tout. Ainfi le commerce entre I'occi- 
dent & I'orient , qui avoit eu plufieurs routes , 
n,en eut plus qu'une ; & Alexandrie^auit deve- 
nue la feule ^tape , cetce etape groi&t. 

Je ne dirai (ju'un mot du commerce intirienr* 
Sa branch^ principle fut celle des bles qu'on 
faifoit venir pour la fubfiftance du peuple de 
Rome : ce qui £toit une matiere de police, pin- 
t6t qu'un objet de. commerce. A cette occauon , 
les nautoniers re9urent quelques privileges (A:) , 
parce que le falut de Tempire dipendoit de leur 
vigilance. 



. (k) Sueton in Claudia. Leg. VU, cod. Thcodof. de 



《》 



、 



Chap. 



1.1 V. XXI. GiiAF. xvn. Ill 



CHAPITRE XVIL 

JDu commerce apris la 4ip7i&Qn des Romains ift 

Ocoident, ' 

Xj'empire Romain fiit envahi ;<& fun des effets 
de la calamity £^h£rale , (iit la defirudion du 
commerce. Les barbares ne le regarderent d'a- 
bord que comme uo objet de leurs brigandages; 
& quand ils (urent ^tablis , ils ne rhonorerent 
pas plus <{ue ragricalmre & 4es^ autres ptx)feffions 
cujpeupie yainctt 

bient6t il rly eut pr^fque plus-de commerce 
en Europe; la noblefle qui regnoit par'tout, oe 
s、en mettoic point en pdtre. 

La \o\{a) des Wifigoths permettbk aux par^. 
ticuliers d'occuper la moiti^ du lit des grand, 
^euv€s , pottryu que I'autre refiat libre pour les 
(ilets & pour tes bateaux ^ H falioit qu'il y eftt 
|>ien pea de commerce dans 4es pays qu*ils avoient 
^onquis. 

Dans c€ tdmps-U^ s^^takfireRt les droits in 嗎 
fenfes d'siubaine oc de naufrage: les homines peih> 
ferent.que les itrangecs ne leur 6tant unis par 
aucune communication du droit civil , ils ne leur 
devoient d'cm c&tc aucnne forte de juflice , & 

I'smtre at^cutie Corte de piti6. 

Dans les bornes ^trqites ou fe trouyoient les^ 
peuples du nord, xaxxt leur *^toit Granger : dans 



I M Lir VIII. tit, 4, €. 9 
Tome nU 



f If, D« l'Esfrit d(s Lots ; 

leur pauvret^ , tout ^toit pour eux un objet de 
rkheUes. Etablis avant leurs conqu^tes far les 
c6tes d'une mer refferr^e & pleine d'^cueils , ils 
avoient tire-paiti de ces ^cueik inemes« 

Mais les Komains qui faifqient des lois pour 
,Out runivers » ea avoient £ait tris homaines 
(b) fur les nauiVages ; il$ rif^imerent k cet egard 
les brigandages de ceux qui habitoient les cotes^ 
& ce qi^i ^toit plus encore , b capacity de ieur 
fife ). 

If,,, 、 " ,' ■ ■ , ... I g 

C H A P I T R E XVIII. 
RigUmtnt patdculUr. 



A loi des Wifigfi^ {a) pourtant uoe dif- 
p<^fkion favorabk an commerce ; elle ordonna 
qu^ les fxi^rchaods qui vc^oieot 4e dela la mer , 
leroAent }ug^$, 1^ ^iff^r^dji qui naiiS>ieiift 
^n|r-eiix,par "s Ipin ^ par .des. ^uges de leur na, 
tion. CcQi 6tqit ibod^ (iir PuGige et^hJi chez tony 
ces peuple; inelis , que ^haque homme v^cut fou$ 
fa proper chow 'je parl^a^ bsaucoup 



【年] Totp tjt^ulf^ » fiL 4$ in<en4, ruin, naufi^g. 6c co4« 
y< tiaifra^U ; &leg* lU. fF. de leg. Corbel, (fe faarii^ 



[c] ]Leg. I. cod. naufragUs^ 
V,' ,一' ' " 



[#3 Urn X}. til. J, 乡, 



Liv. XXL Chak XIX. 憲 3LJ 



CHAPITRE £IX. 

Du ammcru depuis T^oihlijfcmcnt dcj Ramams 

4tt Or'uttt. 

A^s MskoiDiitan* pamrent, conqwrent, & fe 

^viferent. L'Egypte eut fea fouverains particu* 
liers. £Ile connnua de faice le- commerce dei 
|ndes. Maitreffe des marchandifes de ce p4ys« 
eli«^ttira iesTichefles de tous les autres. Ses k>u- 
dans furent les plus puiilans princes de ces temps- 
la: on peut voir dans I'hiftoire commeot, ave^ 
line ; force conilante & hiien menagee. Us arr 启, 
terent i'ardeur , la fougue & riinp«tuofiti des 



CHAPITRE XX, 

Comment U commerce ft fit pur en Europe a ir** 

vers harhorie^ 

ILja phHofoplne ^Arifiott ayant it6 porrfe e 戴 
Occident, eUe plut beaucoup aux efprhs fubtils, 
qui dans les temps d'ignorance font les beaax 
efprits. Des fcholafliques s'en infatuerent , & 
-prirent de ce philofophe (力 bicn des exp^icai 
tions fur le pcet k iiuenSt, au lieu que la fource 

(tf) Yoycz Ariftote » polit* Iir» L chap, tx x« 

L 2 



124 Di l'Esprit x5es Lois; 
en €toJt naturelle dans I'^vangile ; ik le con4 
damnerent indiflindement & dans tous les cas» 
Par-la le commerce , qui n'etoit que la profeffioQ 
des gens vils , dfevint encore celle des maIhonne-> 
tes gens: car tomes les fois que Ton defend une 
choie naturellement permife ou n^ceffaire ^ on 
lie fait que rendre malhonnStes gens ceux qui 
la font. 

Le commerce pafla a me nation pour lors 
couverte d'infamie ; & bient&t il ne fut plus dif* 
tingu6 des ufures les plus afFreufes , des mono- 
poles , de la levee des fubfides , & de tous les 
moyens malhonnStes d'acqu^rir de I'argent. 

Les Juifs (b) , enrickis par *leurs exa£lions ,' 
^toient pill 豸 s par \e% princes avec la mime ty- 
rannic ; chofe qui confoloit les peuples , & ae 
les foulageoit pas. 

Ce qui fe paiTa en Angleterre donnera une 
idee de ce qu'oir fit dans les autres pays. Le Roi 
Jean (c) ayatit fak emprifonner les Juifs pour 
avoir leur bien , il y «n eut peu ^fui n'euflent au 
moins quelquoeil creve : ce roi faifoit ainfi fa 
chambre de juftice. Un d'euz , a qui on arracha 
fypt dents 9 une chaque jour , donna dix tnille 
marcs d'argent a.la huitieme. Henri i//tirad*>4ii- 
ron , Juif d, York , quatorze mille marcs d'argent, 
& dix mille pour la Reine. Dans ces teotps-I^ 
on faifoit violemment ce qu'on fait aujourd'hui 
en Pologne avec quelque mefure* Les Rois ne 



(b) Voyez dans Marca Hifpanica. , les conftttutioits 
4*Arragon des anodes iiiS & 123 1 ; & dans Bruffel , 
I'accord de I'ann^e 1206, paff<6 entre le Roi , la Com* 
teife de Champagne & Gui de Dampierre. 

(c) Slowe^ in kis furrcy af London ^\iy. III. p« 54* 



Liv. XXI. CttAP. XX, lit 
pouvant fouiller dans la bourfe de leurs^ fujets » 
a caafe de tears privileges, mettoient i la torture' 
les Juifs, qa'on ne regardoit pas comtne ci- 
toyens. 

Enfin il s*introduifit une coutume , qui confif^ 
qua tous les biens des 7uifs qui embraflbient le 
chridianifme. Cette coutuoie (i bizarre j nous la 
favons par la loi (d) qui I'abroge.On en a dohn^ 
des raiions bien vaines ) on a dit qu'on vouloit 
les ^prouver, & faire en forte quil ne reAit rien 
de Vefclavage du demon* Mais il efi vifible que 
cette confiscation etoit une efpece de droit (^) 
d^amortiflement pour le prince ou pour les id- 
gneurSy des taxes qu'ils levoient fiir les laifs, & 
dont lis etoient fruftres lorfque ceux-ci embraf* 
foient le chriftianifme. Dans ces temps-la on re-» 
gardoit les hommes com me des terres. Et je re" 
marquerai , en pafTant , co mbien on s'eft jou6 
da cette nation d,un fiecle a I'autre. On confif-* 
quoit leurs biens iorfqu'ils vouloient etre chre« 
tiens ; & bientot apr^s on les fit bi filer Iorfqu'ils 
ne voulurent pas I'etre. 

Cependant on vit le commerce fortir du fein 
de la vexation & du difefpoir. Les Juifs, prof- 
ctits tour-a-tour de chaque pays , trouvcrent le 
moyen de fauver leurs effets. Par- la ils rendi- 
rent pour jamais leurs retraites fixes ; car tel 
prince qui voudroit bien fe defaire d,eux, ne 



(d) Edit donn^ k Baville , le 4 Avril 1591. 

(e) En France , les Juifs' Etoient ferfs , main-moN 
tables ; & les feignears leur fucc^doient. M. BruiTcl 
rapporte un accord de Tan 1206, entre le Roi & Thi- 
haut , comte de Champagne , par lequel il ^toit con« 
venu que les Juifs de l*un ne pr^teroient point dans 
Us terres d«s aatres, 

- L 3 



ia5 De lTsphit des Lois ; 

feroh pas pour tela d'hameur a fe d^fai're de teur 
argent. 

lis inventerent les tettres (/) de change ; 6c 
par ce moyen , k commerce put ^luder la vio- 
lence & fe mainteftir par-tout ; k negpciant le 
plus riche n'ayant que des biem inviwles , qm 
pouToientitre cnvoyfo par-tout ^ & he laiflbient 
de trace nulk part. 

Les tb6ologien$ furent obligiis de re^reindre 
feurs principes ; & le commerce qu'on avoit 
Tiolemment avec la mauvaife foi , rentra pour 
a'mfi dire dans le fern die la probit^. 

Ainii nous elevens aux fp&ulations des fcho- 
]aftique» tous lei malheurs (g) qui ont accoin - 
pagn^ la deflrufiion du commerce ; & a Fava- 
rice des princes r^tabliflement d*une chofe qui 
le met en quelque fa^on hors de leur pouvoir. 

II a fallu depuK ce t€snps que ks princes fe 
gouvemafTent avec plus de fagefle quils n'au, 
foient eux-m^mes peni% : car, par rev6nemcnt, 
les grands coups d'autorit^ fe {ont troaves fi 
mal-adroits , aue c'eft une experience reconpue , 
qu'il n'y a puis que la bont6 du gouvernement 
qui donne de la profpdrit^. 、 

On a commence k fe guenr du Machiavt- 



(/) On fait que fous Philippe- Augiifte & (bus Phr- 
-fippe-le-long , les Jutfs , chaff6s de France, fe r^fii* 
gierent en Lombardie ; & que \k ils donnerent' aux 
B^ocians Strangers & aux voyageurs , des lettres fe- / 
crettes fur c€i»x k qui ils ^ivoient confix leurs efFets 
•n France » qui fiireat acqurtt^es. ^ 

(g) Voyet , dans le corps du droit » la quatre- 
vingt troikeme Novelle de L^on , aui revoque la lot 
豸 e 6a file Con pere. Cette loi de Bahfte eft dans Her- 
meoopule , fous le nom de L6oa, liv. Ul. tit»7» 27* 



liv. XXI. Chap, XX. 117 

%{tM , & 00 s'on "^6rira tous ks jours. II faut 
plus de moderation dans les con&ils^ Ce qu'on 
appeiloit autrefois de$ coups d'etat , ne leroh 
aujourd'hui , ind^pendamment de lliorreur ^ que 
des imprudences. 

El il eft heureux poar les hontmes d'etre dans 
line iituation , oil pendant que. Icurs paffiohs 
leur in.rpirent ia penfee d'etre mecham , ils onf 
pourtant inter^ de ne pas i'ltre. 

xxxxxxxxxxxxxxxx 

C H A P I T R E XXI. 

Dicouverte des dtux nouveaux mondes. Etat di 
- - ItEurope d at igard. 

La bouffole ouvrit pour ainfi dire fanivert^ 
On trouva PAfie & I'Afrique ionx on tk^ con- 
neiiloit que quelques bords , & rAm^rique dont 
on m connoinbit riesi du tour. 

Les Poftugais naviguant fur I'ociati Atlanti- 
que, d^couvrirent )a point 教 la plus m^ridionale 
rAfrique ; ils vircnt une vafte met ; elle les 
porta atn^ Indes orientates. Leurs perils fur cette 
nicr, & la decouyerte de Mozahibique ^ de M^* 
Knde & de Calicut, ont M chant 浍 s par k Ca« 
moens , dont le poeme fait fentir quelque chofe 
des chafmes de I'Odyrfte & de la magnificence 
de rEn<^ide. 

Lc$ Venitiens avoient fait jufques Ik le com- 
merce des Indes par les pays des Turcs , 3t 
ravoient pourfuivi au miiieti des avanies & cfe$ 
outrages. Par la dicouverte du Cap de Bonne-* 
Efp^rancc , & celles quon fit quelque tempt, 

L 4 



ii8 De L'EsraiT OES TUm; 

- apris, ritalie ne fut plus au centre da monde 
commer^ant ; elle fut , pour ainfi 4ire , dans un 
coin de runivers , & elle y eft encore. Le com- 
merce meme du Levant dependant aujourd'hut 
de celui que le$ grandes nations font aux deux 
Indes, ricalie ne le fait plus qu'accefibirement. 

Les Portugais trafiquerent aux Indes en con- 
qii^rans. Les lois genantes \a\ que les HoUan - 
dois impofent aujourd^hui aux petiu princes In- 
diens fur le commerce , les Portugais les avoient 
Stabiles avant eux. 

La fortune de la maifon d'Autriche fut pro- 
digieufe. Charles - Quint recueillit la fucceffion de 
Bourgogne , de Caftllle & d'Arragon ; il parvint 
a rempire ; & pour lui procurer un nouveau 
genre de grandeur , i'univers s'^endit , & I'oii 
vit paroitre ui> monde nouveau fons fon ob^if- 
fance. 

Chriftophe Colotnb decouvrit FAmirique; & 
quoique I'Efpagne n'y envoyat point^e forces 
qu'itn petit Prince de rEurope n'eut pu y envoyer 
tout de meme , elle founiit 'deux grands empi- 
res & d'autres grands ecats. 

Pendant que les Efpagnols d^couvroient & 
conqueroient du cote ae iOccident , les Portu- 
gais pouffoient leurs conquete$ & leurs d^cou- 
vertes du cote de rOrient : ces deux nations fe 
rencontrerent ; elles eurent recours au Pape Ale- 
xandre VI , qui fit la celebre ligne de demar- 
quation , & jugea un grand proems* 

Mais les autres nations de rEurope ne les 
laifferent pas jouir tranqmllement de leur par- 



• {cl) Voyez la relation de Francois Pyrard , deuiio* 
flie partie » chap. xy» - ^ 



Liv. XXI. Chap. XXI. i%p 

tage ; les Hollandois chafTerent les Portugais de 
prefque toutes les Indes orientales ; & diverfes 
nations firent eh Am^rique des ^tablifTetnens. 

Les Efpagnols regardererrt d'abord les terre* 
decouvertes com me des objets de conquete • 
des peuples plus raffin^s qu'eux tfouverent au*el- 
les etoient aes objets de commerce ; & c,eu 14- 
deflbs qu'ils dirieerent leurs vues. Plufieurs peu - 
pies fe font condaits avec tant de TageiTe, qu'ils 
ont donn^ rempire a des compagnies de N6 — 
godans , qui , gouvernant ces etats iloignis 
uniauement pour le negoce , ont fait une grande 
puiUance acceffoire , fans embarrafler I'etat prin- 
cipal. 

Les colonies qu'on y a fornixes , font fou* 
un genre de dependance dont on ne trouve gue 
peu d'exemples dans les colonies anciennes , ioit 
que celles d'aiijourd*hui relevent de l,6tat mime , 
ou de quelque compagnie commer^ante ^tablie 
dans cet etat. * 

Uobjet de ces colonies eft de faire le com- 
merce a de meilleures 'conditions qu*on ne le 
fait avec les peuples voifins , avec lefquels tous 
les avantages font reciproques. On a ^tabli que 
la Metropole feule pourroit n^eocier dans \^ co^ 
lonie ; & cela avec grande raiion , parce que le 
but de retabliffement a ete rextenfion du com- 
merce , non la fondation d*ane ville ou d'un nou, 
vel empire. 

Ainfi c'eft eftcore une loi fondamentale de 
VEurope , que tout commerce avec une colonie 
itraneere eft reearde comme un pur monopole 
puniflabie par Tes lois du pays ; 6c 11 ne faut^ 
pds juger de cela par les lois & ks- exemplea 



tjo De l'Esprit 0£s Lois ; 

des anclenS'peuples (^) qui n'y font guere ap^ 
pUcables. ' 

II eft encore reqa que le commerce etabli en— 
tre fes M^tro poles n'entrame point une permip- 
fion pour les colonies, qui reilent toujours en 
itat de prohibition, 

Le d^rarantage des colonies qui perdent la 
libert^ du commerce , eft vifiblcment coinpenf<& 
par la protection d6 la M^tropole (c) , qui la 
offend par fes armes ou la maintient par fes 
lois. 

De-la firit une troifieme loi de PEurope , que 
quand le commerce Stranger eft defendu avec 
la colonie , on ne peut naviguer dans fes mers 
que dans les cas ^tablis par les trait^s. 

Les nations qui font \ I'igard de tout I'uni- 
vers ce que les particuliers ibnt dans un etat, 
fe gouvernent comme eux par le droit naturel 
tc par les lois qu'elles fe font faites. Un peupie 
peut c^der ^ un autre la mer, comme il peut 
ceder la terre. Les Carthaginois exigerent {J) des 
Romains qu,ils ne navigueroient pas au-dela de 
ceKtaines litnites , comtne lesGrecs avoient exigi 
du Roi de Perfe qu'il fe tiendroit toujours cioi- ' 
gn^ des cotes de la mer (e) de la carriere d*un 
cheval. ' 

L'extreme tioignement de nos colonies n'eft 



(^) Except^ les Carthaginois , comme on voit par 
!• trait^- qui tcrmina la premiere guerre Punique. 

(c) M^tropole eft , dans le langage des aociens » 
I'^tat qui a fond^ la colonie. 

W) Polybe, liv. III. 

\^ Le coi dc Perfe s'obUgca, on trait^ » de ne 



Liv. XXI. Chap. XXL ", 

point nn inconvenient pour Jeur sureti ; car A 
la Metropole eft ^loignde^pour les defendre , les 
nations ri vales de la Metropole ne font p^s 
moins ^lo'ignies pour les conqu^iir. • 

De plus , cet eloignement fait que ceux qui 
Yont s'y etablir ne peu,ent prendre la maniere 
de vivre d'un cUmat fi different ; ils font obli- 
ges de tirer toutes les commodit^s de b vie du 
pays d*oii ils font venus. Les Carthaginois (/} , 

Eur rendre les Sardes & les Corfes pius d^pen- 
ns , leur avoient defendu , fous peine de la vie, 
de planter, dt femer & de faire rien de fembla* 
ble ; ils leur envoyoient d'Afrique des vivres. 
Nous fonunes parvenus au me me point , fans 
£iire des lois ii dares. Nos colonies ae& isles An- 
^es font admirables ; elles out des objets de 
commerce que nous n'avons ni ne pouvons 
avoir ; elles manquent de ce qui fait lobjet du 
n6tre. 

L'effet de la dicouyerte de I'Am^rique iut de 
lier a r Europe FAfie & I'Afrique ; rAm^rique 
fournit a I'Europe la tnatiere de fon commerce, 
avec cette vafte partie de I'Afie , qu^on appg^e 
les Indes Ortentales: L' argent , ce m^tal fi utile 
au commerce comme (igne , fut encore la bafe 
du plus grand commerce de I'umvers, comme 
marchanaife. Enfin la navigation d'Afrique de - 
Tint niceffsdte ; elle foutniflbit des homines pour 



nariguer tree aucon vfttiTeau d« ^uevre au-deU des 
roches Scyan^es & des ifics Ch^lidoniennei , Tlutdrqut » 
▼ie de Cimoiu 

(/*) Ariftote , des ekoja mervcUicufts. Tite- Life 
Bt. Yii* 4e U fecoodft "ca 化 



iji De l*Esprit des Lots; 

le travail des mines & des terres de VAmi^ 

rique. 

L'Elurope eft parveniie a un _fi haut degre de. 
puiflance •, que rhifioire n*a rien a comparer la- 
oeflus ; ft I'on confidere rimmenfite des depen- 
fes , la grandeur des engagemens , le nombre- 
des troupes & la continuity de leur entretien , 
meme lorfqu'elles font le plus inutiles, & qu'on 
ne les a que pour I'oflentation. 

Le P. ou mlde (/) dit que le commerce 
int^rieur de la Chine eA plus grand que ceiui 
- de toute l,£urope. Cela pourroit Stre, fi notre 
commerce ext^rieur n'augmeAtoit pas l,int£rieur» 
L*£urope fait le commerce & la navigation des 
trois autres partis du monde ; comme la France , 
I'Angleterre & la Hollande font a-peu-prfe la 
navigation & le commerce de rEurope. 



C H A P I T R E XXII. 
Des ncheffis que lEfpapie tird de tAmirique, 

Si rEurope (a) a trouv6 tant d'avantiges dans 
le commerce de rAmerique , il feroit nature! de 
croire que I'Erpagne en auroit regu de pluc 
grands. Elle tira du monde nouvellement dd- 
couK^ line quantite d'or & d'argent ft prodi- 



fe) Tom. II. pag 170. 

(^) Ceci paruc, il y a plus de vingt ans » dans un 
petit ouvrage mahiifcrit . de I'auteur » qui a. prefc^ue 
tout foodu dans celui-ci. 



V 



Liv. XXI, Chap. XXI. 




"gieuf e , que ce que fon en avoit eu jufqu'alors 
ne pouvoit y etre compare. 

Mais ( ce qu'on n*auro it Jamais foup^onni ) 
la mifere la fit ^chouer ptefque par - tout. Phi- 
lippe II. , qui fucc^da a Charles - Quint , fut 
obiig^ de faire la celebrc banqueroute que tout 
le monde fait ; & il nV a guere jamais eu de 
Prince qui ait plus fouflert que lui des murmu - 
res , de Finfolence & de la r6yolte de fes trou, 
pes toujours mal payees. 

Depuis ce temps, lajnonarchie d'Efpagne d^-^ 
clina ians ceffe. C*eA qu'il y avoit un vice hit" 
rieur & phyfique dans la nature de ces richeiTes 
qui les rendoit vaines ; & ce vice augmenta tons 
les jours. 

L,or & rargent font une richeffe de fi^on 
ou de &ne. ties fignes font trh$ durables & 
fe d^truiient peu , comme il conyient a leur 
nature. Plus ils fe multiplient , plus ils perdcnc 
de leur prix , parce qa'ils repr4fentent moins 
de chofes. 

Lors de la conqu^te du Mexique & du P" 
Tou , les Efpagnols abandonnerent les richefles 
naturelles pour avoir des richeffes de fignes qui 
s'aviliflbient par elies - memes. L,or & rargent 
^toient tr^s rares en Europe ; & FEfpagne ma" 
trefle tout - a -coup d'une trhs grande quandti 
de mdtaux , con^it des efperances qu'elle n'avoit 
jamais eues. Les richeffes que l,on trouva dans 
les pays conquis , n'6toient pourtant pas pro- 
portionoees k celles de leurs mines. Les In 一 
diens en coherent une partie ; & de plus , ces 
peu pies , qui ne faifoient fervir l,or & rargent 
ou'i la magnificence des Temples des Dieux 
oc des Palais des Rois, ne les chercholent pas 
avec la - mSme avarice que nous : eniin ils 



134 l'Esprit des Lois ; 

fi^avoiem pas \t fecret de tirer les tn^atix de 
toutes les mines ; mais feulement de celles dans 
lefquelies la f<^paration fe fait par le feu , ne 
connoidant pas la maniere d'employer le mer- 
cure, ni peut- itre le inercure meme. 

Cependant I'argent ne laiiTa pas de doubter 
bientot Europe qui parut en ce que le 
grix de tout ce qui s'acheta fiit environ da 
double. 、 

Les Efpagnols fouUlerent les mines , cieuier 
rent les tnontagnes, inventerent des macbines 
pour tirer les eaux , brifer^le mineral & le ft- 
par^r: & comtne ils fe Jouoient de la vie des 
Indiens, ils les firent travailler fans menage- 
ment. 亡, argent doubla bient6t en Europe , & 
}e profit diminua toujours de moiti^ pour FEf- 
pagne , qui n'avoit chaque ann^e que la meme 
quafitite d*un metal qui 6toit devenu la moitii 
tnoins pr^cieux. 

Dans le double da temps , I'argent doubla 
encore , & le profit diminua encore de la moitie* 

U diminua meme de plus de la moitii : void 
comment. 

Pour tirer Vor des mines , pour lui ^lonner 
les pi^epafations requifes & le transporter e» 
Europe , il falloit tine depenle ffluelconque ; je 
fuppofe qu,eUe fut comme i eft a 64 : quand 
Fargent fiit double une fois & par confiquent 
la moiti6 molns pr^cieux, la dipenfe fut corame 
a font k 64. Ainfi les flottes qui porterent en 
Efpagne la m€me quantite d'ox, porterent une 
chofe qui rkltement valoit la moitii ip^ids , & 
^outoic la nioiti6 plus. 

Si ron fuit la chofe- de doublement en dou- 
blementy on trouvera la progreffion de la caufe. 

rimimiffuice des nchdfes de I'Efpagne. 



Liv. XXI. Chap. XXII. 

II y a environ deux cens ans que I'on tra« 
vaille les mines des Indes. Je fuppofe que la 
quantite d'argent qui eft a prefent dans le motide 
€\u\ comm^ce , foit a celle qui itoit avant la 
d^couverte , comme 31 eft a 1 , c'cft-a-dire , 
qu*elle ait double cinq fois : dalis deux cens ans 
encore la m^me quantiti fera a ceUe qui ^toic 
avant la decouverte, comme 64 eft a i , c'eft- 
a-dire , qu'elle doublera encore. Or a prefent 
^nquante \_h\ quintaox de tnin^rai pour l,or 
donnent quatre, dnq & fix onces d'or; & 
quand il n'y en a aue deux , le mineur ne re- 
tire que fes frais. Dans deux cens ans ^ lorf- 
qa'il n'y en aura que quatre , le mineur ne ti- 
rera auffi que fes frais. II y aura done peu de 

FTofit a titer fur You Meme raifonnetnent 4ur 
argent , except^ que le travail des mines d*ar- 
gent eft un peu plus avantageux que celui des 
ixunes d'or. 

• Que il I'on d^couvre des mines fi abondan- 
tes qu'elles donnent plus de profit ; plus elles fe- 
tont abondantes , plut6t le profit finira. 

Les Portueais ont troavi tant d'or [c] dans 
le Br^fil , qu'u faudra n^cefTairemeat que le pro- 
fit des Efpaenols diminue bientot confiderable* 
jnent & le Teur auffi. 
,J*ai oui plufieurs fois diplorer rayeiiglement 



(h) yoycz les voyages Frezier. 



Suivant' milord Anfon , f Europe re^oit du Bri* 
§1 , tous les ans , pour <)«ux miUionf fterling en or » 
que I'on trou^ dsns le fable an pitd des monta^oes , 
ou dans le lit des rivieres. Lorfque j[e h$ le ^tit ou« 
vtage dont j*ai parl^ dans la premiere note, de ce cha 一 
pitre , il s *n falloit bien que les retours du Br^fit 
fttflfi^ un obj«t aulfi iftiportapt qu'tt4'eft att)oard'hiu» 



"6 De l'Esprit des Lots ; 

du confeii de Fcan^ois I. qui rebuta Chnftophe 
Colomb , qui lui propofoit les Indes. En ve- 
rity , on nt peut - etre par imprudence une 
chofe bien fage. L'Efpagne a fait comme ce 
Roi infenf (& qui demanda que tout ce qu'il ton- 
cheroit fe convertit eri or, & qui ht oblig^ de 
revemr aux Dieux pour les prier de finir fa 
mifere. 、 

L 终 cotnpagnies & les banques que plufieurs 
nations ^tablirent , acheverent d'avilir I'or 6l 
rargent dans leur quality de fiene •• car , par 
de nouvelles fi^ons , ils multipTierent tellement 
les fignes des denr^es , que l,or & rargent ne 
firent plus cet office qu'en partie , & en de - 
vinrent moins pr^cieux. 

^infi le credit public" leur tint li^ de miftes , 
& diminua encore le profit que les Efpagnols 
tiroient des leurs. -. 

II eft vrai que, par le commerce que les 
Hollandois firent dans les Indes Orientales , ils 
donnecent quelque prix a la marchandife des 
Efpagnols ; car comme ils porterent de I'argent 
pour troquer contre les marchandifes de FOrient, 
lis foulagerent en Europe les Efpagnols d'une 
partie de leur》 denr^es qui y abondoient trop. 

£t ce commerce , qui ne femhie regarder 
.qu*indire6lement FEfpapne , lui eft avantageux 
comme aux nations memes qui le fonf. 

Par tout ce qui vient d,gtre dit, on peut juger 
des Ordonhances du Confeii d,E(*pagne, qui dd- 
fendent d'employer Yor & I'argent en dorures 
& autr^ fuperfluitis : Dicret pareil a celui que 
feroient les Etats de Hollande , s*ik d^fehdoient 
la confommation de la canelle. 

Mon raifonnement ne porte pas fur toutes les 
tmnes ; cellos d,AUemagne & de H^ngrie , d'oti 

Ton 



Liv. XXt. Chap. XXIt. 137 

I'on ne retire que peu de chofe au- dela des frais , 
font trhs utiles. Elles fe trouvent dans I'etat prin- 
cipal; elles y occupent plufieurs milliers dnom- 
mes aui y con fume nt les denrees furabpndantes; 
elles lont proprement une manufadure du pay& 

Les mines d'AUemagne & de Hon^ie font 
valoir la culture* des terres ; & le travairde celle» 
du Mexique & du Perou la detruin 

Les Indes & FErpagne font deint puifTanceS 
fous un me me maitre ; mais les Indes font ler 
principal , I'Efpagne n,eft qiie I'acceffoire. C'eft 
en vain que b politique veut ramener le princi 一 
pal a racceffoire ; ks Indes attkent toujours l,EiP* 
pagne a elles. 

.D'eiiviron cinquatnte millions <le fliafrefiandife^ 
qui vont. toutes les ann^es aux IiKle»,rEfpagne 
ne fournh que deux millions & demi : les Indes 
fom done un commerce de cmquante imllions^ 
& rEfjpagne de deux miUions & demu 

C,eft une mauvaife efpece de richefle qu'utf 
ftribut d'accident & qui ne depend pas de I'lnduf- 
trie 一 de la nation , du notnbfe de fcs habitans , n< 
de la culture de fes terres. Le Roi dTEfpagnre, qui 
revolt de grandes fommes de fa doaane de Ca- 
ibc, n,€ft a cet egard qu'un particulier tres rkhe 
dans un etat tr^ pauvr«. Tout fe paffe des ^ran* 
gers a lui , fans que fes fujets y pfennent prefqu^J 
de part : ce commerce eft ind^pendant de 
bonne & de la mauvaife fortune de (on royaume; 

Si quetques provinces dans la Caftilfe ki don- 
moient une fomme pareille a celk de douane 
de Cadix , fa puiilance feroit bien plus grande i 
fts fich^iTes ne pourroient etre que I'efiet de cel- 
les du pays ; ces provinces animeroient toutes 
amresy & eUes^ ieroi^At toutes enfemWe plu$>e0' 



S3S De l'Esprit des Lois 9 

圣 tat de fbutenir les charges refpeftives ; ay liet^ 

d*un grand tr^for on auroit un grand peuple. 



C H A P I T R E XXIIL 

, 一 ■ 、 、 s 

C^E n'efl point a moi i prononccr fiir la qnef- 
tion , fi rEipagne ne pouvant faire !fi» commerce 
des Indes par elle - meme , il ne vaudroit pas 
snieux qu'ielle le rendk libre aux etrang^rs. Je 
dirai feulement qull lui convient de tnettre a ce 
commerce le molns cfobfbcle que fa politique 
pourra lut permettre. Quand les marchandifea 
que les diverfes nations portent aiix Indes y 
font chores les Indes donnent beaucoup de 
hur marchandife , qui eft Yot & Kaxgent,. pour 
peu de marchandiTes ^trangeres :.le contraire ar 一 
five lorfque cellfes — ci font a vil pfix. II feroit 
peut-etre utile <pie ces nations fe nuififTent les* 
unes aux autires , a£n que les niarchandifes. qu'el- 
te 攀 poFtent aux. Indes y fuflent toujours a boa 
marche. VoUa des princip^s qu,9 faut examiner , 
fans les f^parer pourtant des autres. confideja- 
ttons ;: la suretd des Indes ; Futilite d'une douane 
unique ; les d^ngera d'un grand changement^; fes> 
lncon,£iiiens. qu*6n prevoit , & qui fouvent font 
moins dangi^seux que cemt qu on ne peut pa*- 



r 



Liv. XXII. Chap. I. 139 

L I V R E XXII. 



Des lols , dans U rapport qt! tiles out 
avcc tufagc dc la monnoie. 



CHAPITRE PREMIER. 

Raifon de fufage dc U monnoi" 



L 



£S peuples qui ont peu de marchanAfes pour 
le commerce , cooime les fauvages, & les peuple» 
polices qui n*en oft t que de deux ou trois eipe- 
ces , n^gocient par ^change. Ainfi les caravan'^ 
n€s de Maure$ qui vont a lomboudou, dans le 
fond de rAfrfque , troquer du fel contre de I'ot*, 
n'ont pas befoin de lAonnoie. Le Maure m<it fon 
fel daQS un monceau ; le Ncgre , fa peudre dan^ 
nn autre : s,il n*y a pas auez d'or , le Maure 
fetranche de fon fel , ou le Negre ajoute de 
fon" or , )ufqif4 ce que les parties convien- 
sent. 

Mats lorfqu^an peupte tratfique fur un trh 
grand nombre de mardiandifes , il faut n^ceiTai^ 
rement un« monnoie , parce qu'un metal facile 
a transporter ^pargne men des h^is , que I'o^ 
feroit oblig^ de £ureiiron procMoit toujours par 
'<ichangc' 

Toutes les nations ayant de» befoins ricipro- 
,es,il amve fwvent q^ue ITuae veut avoir 



140 De t'EsPRiT DEs Lois ; 

tr^s grand nombre de marchandiCes de rautrei 
& cellc-ci treS peu des ilennes ; tandis qu'a Ft- 
gard d'une autre nation , elle eft dans un cas. 
contraire. Mais lorfque les nations out ime mon- 
noie , & qu^elles procedent par vente & par 
achat , celles qui prennent plus de marchandtfes 
fe foldent ou payent Fexc^ent avec de rairgent: 
& il y a cette diiFerence , que dans le cas de 、 
Fachat , te commerce fe fast a proportion des 
befoins de la nation qui demande le plus; & 
que dans I'^change , le commerce fe fait feu*- 
tement dans I'dtendue des befoins de la naJtioa 
qui' demande le moins ; fans quoi cette dtgr- 
niere feroit. dans. ruhpoiBbilite de folder foa 
compte. 



C H A P I T R E IL 

De la nadurt de Ia rMrmoUi. 

La monnoie eft un figne qui repr^fente Ik 
iraleur de tomes les marchandifes. On prend 
quelque m^tal pour que k figne foil durable (a)^, 
Qu'il fe confomme peu par I'ufage; & que, fans, 
fe d^ttuire , il foit capable de beaucoup de divi- 
fions. On choiflt un metal pt^cieux , pour que le 
figne puiffe aifement fe tranfpoiter. Un m^taleft 
tres propre a etre une mefure commune, pares 
qu'on peut aiftment le r^duire au m^me titre^ 
Chaque 4tat y met foa empreinte , afin que la. 



[4] te fcl , dont on fe f?rt en Abyffinie y^ ce d^-- 



Li V. XXIL Chap. IL 941 
{fftme r^ponde du titre & du poids , & que 
l,on connoifTe Fun & rautre par la feule mfpecr 
tion. 

Les AtWniens n'ayant point Pbfage des tn6- 
taox , fe fervirent de boeufs f^] ; & JLes Romains 
de brebis : xnais un bceuf neft pas la meme chofe 
qu*un autre boeuf , comme une piece de tn^tal 
peut^tre la meme qu'une autre. 

Comme t'acgent e£t le'figne des yaleurs de» 
marchandifes , le papier eft* un figne dela valeur 
de raiment j & lorfqu'tl eft boo, u le reprefente 
tellemem , que, qaant a I'effet , il n*y a point d» 

De meme que Pargent efi un ikne d'une chofe^ 
& la reprefente ; chaque chofe eu un figne de l,ac» 
gent ,& le reprtfente : & r^tat eft dans la^rof- 
p^rite , felon que d'un coti Pargent reprefente 
hien toutes chofes > & que d'un autre , toute* 
chofes repr^fentent bien rjareent ^ & qu'ils font 
£gnes les uns des auttes c'efra-dire, que, dans 
kur valeur relative , on peut avoir l,un fitot que 
ron a I'autre. Cela n'arrive jamais, que dans un 
gouvernement mod^re,, mais n'krrire pas tou- 
jours dans un gouvernementinod^re : parexeih- 
ple , fi les lois fayorifent un d6biteuc injufte , le» 
chofes qui LoL appartiennent n€ rept^fentent 

f oint Targenty & n'en font point un figne. A 
igard du eouvernement defpotique , ce feroit un 
prodige files chofesAy reprlfentoient leutfigne t 



【&】 H^rodote , in Clio , nous dit que les^ Lydiens- 
trouverent I'art battre la monnoie ; I« Grecs le- 
prirent d'eux ; les monnoies d'Athenes eurent pour 
•mpreintes leur ancieh boeuf. J,ai vu une de ces motb- 
Boies dans le cabiofil 4u cont» p€mbfocke«. . 



141 De lTsfrit des Lox$r 

la tyrannic & la m^nce font que tout le fnOn<fe 
y enterre [c] fon argent : les chofes n'jr reprifen- 
tent done point rareent. 

Quelquefois les llgifiateurs ont employ^ un 
fel art , que non-feulement les chafes reprefen- 
toient i'argent • par leur nature , mais qu'elles 
devenoient monnoie comme I'argent meme. Ce- 
far (d) di^lateur , permit aux • debiteurs de Con- 
ner en payement a leurs cr6anciers de$ fonds de 
terre au prix qu'ils valoient avant la guert^ ci- 
vile. Tibere [e] ordonna que ceux qui voudroieot 
de rargent , en auroi^nt du trefor public , en 
oblieeant des fonds pour k double. Sous C^far 
les tonds de terre furent la monnoie qui paya 
tomes les、 dettes ; fom Tibere , dix miile fef- 
terces en fonds devinrent une monnoie com* 
mune Comme cinq mi]!^ fefterccs en argent. 

La grande chartre d'Angleterre defend de fa" 
fir les terres ou les revenus d'un d^biteur , lorf- 
que fes biens mobiliers ou personnels fuffifent 
pour le payement , & qu'il ofFre de les dcmner- 
pour lors tous les biens d'un Anglois veprifen- 
toient de rargent. 

Les k>is des Germains appricierent etr argent 
les fatisfa^Hons pout les torts que Fon avok uuts , 
& pour les peines des crimes. Mais comme il y 
avoit trhs peu d'argent dans le pays , eHes r^- 
appr^cierent Fargent en denries ou en b^taiL 
Cieci fe trotnre fixi dans la loi des Suons, avec 



【f] C*«ft un ancien uiagc 4 Alger , qat cbamie 
pere d^faarlle ait an trefor enterre. Zogier de Tajft», 
hsftoire «lu royaume d* Alger. 

J if] Voyez "far, de la gucm civile , Ur, III*. 
t} Tacitc , U¥. VJU 



Liv. XXI. Chaf. 11. i4f 

de certames difGSrences fuivant raifance & la 
commodity des divers p^ples. D'abord (/) la lot 
declare la valeur du fousn betaii : le fou dedeux 
tremKTes le rapportoit a un boeufde douze mois , 
oua une brebts avec fon agneau; celur de troiS' 
tr^mifles valoit uiv beeuf ae feize tnois. Chez, 
ces peuples h monnoie devenoit hitaW , mar- 
chandife , ou denr^e ; & ces chofes devenoient 
monnoie. * 

Non-feulement Fargent eft un (igne des cho- 
fes ; il eft encore un ngne de I'argent & fcpre- 
fente l,argent, conune nous k verrons au cha^? 
pitre du chang.e. 



、、 C H A P I T R E IIL 

Des monnoiis idiale" 

Ull y a des monnoies rielles & des monnoie, 
ideales. Les peupjes polkas , ^ fe fervent pre" 
sue tous de mocinoies ^ideal'es y ne le font que 
parce qu'ils ont convert! kurs monnoies r^elles* 
en id^alcs* D'abord leurs monnoies r^elles fontr 
舊 n certain poids & un certain titre de quelque 
metal r mais biemdt \st maavaife for ou le befoia 
font ^u'on retranche une partie du mitaX de cha* 
,ue piece ^ monnoie , a laqueik on laifle le 
mcme noiti i par exemple , d,une piece dm 
poids (Tune Uvre (Tkrgent, on retranche la moi- 
ti^ de Fargent , & on continue de I'appeUer 
Rvre ; la piece qui itoiv une vingtieme partie 



(/) Lol dc» Saxons , dv xyu& 



144 De l'Esfiut D£s Lotf, 

de la Kvr^ d'argent on continue de Fappelkr fou^ 
quoiqu'elle be foil plus la vingtieme partie de - 
cette livre. Pour k>rs , la livre eiiune livre ideale , 
& le fou un fou id^al ; atnfi des autres fub- 
divifions : & cek peut aller au point que ce 
qu*on appeUera livre ne fera plu» qu'une tres 
petite portion de la livre , ce qui la rendra encore 
plus ideale. II p€ut trie me arriver que Ton ne 
iera plus de piece de monnoie qui vaille pr《ci 一 
ftment une Kvre, & qu'on nefera pas non plus 
de piece qui vaille un fou : pour lars la livre & 
k fou fcront des monnoies pufement ideales. On 
donnera a chaque pi^ce de monnoie la denomi- 
nation d'autant de livres & d'amant de fous que 
I'oh voudra ; la variation pourra ^tre continuelle , 
parce qiTil eft auifi de donner un autre nom 
a une diofe qu*il eft difficile de changer la chofe 
sneme. 

Pour oter la (burce des abus ,. ce fera une trk» 
bdnne loi dahs to as les pays ou l,on voudra faire 
jfleurir le commerce , que cells, qui ordonnera^ 
cju,on etnpk>iera des monnoies . l】es ; & que 
ton ne fera point d'operation qpt puifTe les r€n- 
dre id^aks. 

Rien ne doit Stre 6 exempt de variation , que 
ce qui eft la mefure commune de tout. 

te n^^oce par lui-meine eft tr^s iticertan ; dc 
c'eft un grand mal d'ajouter une nouvelle incer- 
titude a ceile q^ui eft fondee fur la nature de la 
cbofe» 

令 



Li V. XXII. Chap. IV. mt 



C H A P I T R E IV, 

Dc la ^udntue de Vor dc Vargera* 

XjoRSQUE« les nations policies font ks mat- 
trefTes du mande , l,or & rargent augmentent tous 
ks|ours, foit qu'elks le tirent de cnez~ elles , loit 
qu'dles i'ailleiu cherch^ la oil il eft. II diminue 
au contraire , lorfque ks nations barbares pren- 
hent le deHlis. On fait quelle fut la raret^ de ces 
fnetaux , lorfque les Goths & les Vandales d,un 
cote , les Sarrafins & les Tartares de I'autre , 
eurent tout envahi* 



C H A P I T R E V* 

Condmiation du mmcfujtu 

L 'ARGENT tir6 des mines de rAm^nque , tf an" 
porte en Europe , de-la encore envoy 6 en Orient , 
a favorifd la navigation de FEurope ; c'eft une 
marchandife de plus que I'Europe re^oit en troc 
de rAmerique , & qu'elle cnvoie en troc aux 
Indes. Une plus grande quantity d'or & d'argent 
eft done favorable , lorfqu'on regarde ces metaux 
comme marchandife ; <tUe ne l,efE point lorfqu'oa 
les regards comme figne, parce que leur abon- 
dance cheque leur qualite de figne qui eft beau— 
(oup fondle fur la raret^. 
Avant la premise guerre Punique , le cuivre 
Tom III. N 



146 De l'Esprit DCS Lois; 

etoit a rargent comme (*) 960 eft a i ; il eft 
aujourd'hui a peu pres comme 73 j eft a i (f ). 
Quand la. proportion feroit comme elle etoit au- 
trefois, Fargent n'en feroit que mieux fa fondion 
de figne. 



CHAPITRE VI. 

Par quelle raifon U prix de Vufure diminiia de 
moitii 9 lors dc la dicouveru dcs Indes. 

L ,YNCA Carcilaffh {a) dit qu*en Efpagne , apris 
la conquete des Indes , les rentes qui ^toient au 
denier iix tombereot au denier vingt. Cela devoit 
ctre ainfi. Une grande quantity d'argent fut tout- 
a-coup port^e £urpp^ ; bier.tpt moins de per- 
fonnes eurent befoin a argent ; le prix de tou-> 
tes chofes augtnenta , & celui de rargent dimi' 
nua : la proportion fut done rompue , toutes les 
ancieimes dettes furent eteintes. On peut fe rap- 
peller le temps du fyfteme {h) ou toutes les 
chofes avoient une grande valeur , except^ rar- 
gent. Apres la conquete des Indes , ceux qui 
avoient de T^rgent furent obliges de diminuer lo 

鼴- ■ _ . ■ . ' '"J ' I II I II 謹嚷 

*) Voycz ci-Heifous le chap. xii. 
t) En fuppofant rargent k 49 Uv. le marc , & le 
cuivre ^ 10 fols la livre. 

(a) Hiftoire des guerres civHes det ECpagaoU dans 
Us Indes. 

{b) On appelloh ainfi 1« prpjct d« M. Law ea 
France. 



Liv. XXI. Chap, IT. 147 

fxix ott le louage de leur marchandife , c'eft-a- 
olire rintdret. 

Depms <:e temps , le pret n*a pu Tevenir a Pan- 
den taux , parce que la quantity de Vargent a 
augment^ toutes les ann^es en Europe. D*ailleurs , 
Us fonds publics de quelques 6tats , fondes fur 
les richefles que le commerce leur a procurees , 
donnant un int^ret tr^s modique , il a fallu aue 
les contrats des particuliers fe r^glaflent la-deUus« 
Enfin le change ayant donne aux hommes unt 
facilite fmguliere de tranfporter I'argent d*un pays 
a un autre , Fargent n'a pu etre rare dans un lieu , 
qu'il n'en vint de tous cotes de cetix oil il €toit 
commun. 

f . '■■ . -'" 

一 C H A P I T R E VII. 

Comment h prlx dcs cbofes fe fixe dans la ya^ 
riation des richejfes dcjigne, 

TT 

Suk 'argent eft le prix des marchandifes ou 
denrees.'Mais , comment fe fixera ce prix ? c'eft- 
a - dire , par quelle portion d'argent chaque chofe 
fera-t-dfe reprifeiKee ? 

Si I'on compare la maiTe de For & de I'argent 
.qui eft dans le monde , ayec la fomme des • 
marchandifes qui y font , il eft certain que 
chaque denrce ou marchandife en particulier 
pourra Itre compar^e a une certaine portion 
la raaffe entiere de for & de rargent. Comme 
le total de I'une eft au total de I'autre , la partie 
de Fune fera a la partie de I'autre. Suppofons qu'il 
rCy ait quTune feule denrce ou marchandife dans 
le monde , ou qu'il n*y en ait qu'une feule qiu. 



1 4' 



De l*Esprit des Lois. 



s'achete, & qu'elle fe divife comme I'argent; cettd 
partie de cette marchandife r^pondra a une partie 
de la maflfe de rargent ; la moiti^ du total de 
rune a la moitie du total de i'autre ; la dixieme , 
la centieme , la millieme de I'une , k la dixieme , 
a la centieme , a la millieine de I'autre. Mais 



homines, n*eft pas tout a la fois dans le com- 
merce , & que les m^taux ou les monnoies , qui 
en font les fignes, nV font pas aufli dans le 
itieme temps ; les prix (e fixeront en raifon com - 
pofee du total des chofes avec le total des fignes , 
6l de celle du total des chofes qui font dans le 
commerce avec le total des fignes qui y font 
auffi : & cotnme les chofes qui ne font pas dans 
le commerce aujourd'hui peuvent y itre decnain , 
& que les fignes qui n*y font point aujourd*hui 
peuvent y rentrer tout de meme , r^tabliOtetnent 
du prix a€s chofes depend toujours fondamen- 
talement de la raifon du total des chofes au total 
des fignes. 

* Ainfi le Prince ou le tnaglfirat ne peuvent pas 
plus taxer la valeur des marchandifes , qu*^tablir 
par une ordonnance que le rapport d'un a dix eft 
egal a celui d,un a vingt. Julien (a) ayant baiffi 
les denr^es k Antioche , y caufa une af&eufe 
famine* 



(a) Hiftoire de i'Eglife , par Socrate , lir. ii« 




Liv. XXn. Chap. VII. 



C H A P I T R E VIII. 

Continuation du menu fujet, 

£S Nbirs de la c6te d'Afrique ont un figne dies 
valeurs fans monnoie ; c*eft un figne puremen 書 
ideal , fondi fur le degre d'eftime qa'ils mettent 
dans leur efprit a chaque marchandife , a pro- 
portion du befoin qu'ils en ont. Une certaine den* 
r^e 4>u marchandife vaut trois macutes ; une 
autre , fix macutes ; une autre , dix macutes : c'eft 
comme s'ils difoient fimplement trois , fix , dix. 
Le prix fe forme par la compafaifon qu'ils font 
de tomes les marchandifes entr*elles ; pour lors 
il n*y a point tie monnoie particuliere , mais 
chaque portion de marchandiie eft monnoie de 
rautre. 

Tranfportons pour un moment parmi nous 
cette maniere d'evaluer les chofes , & joignons>la 
avec la notre. Toutes les marchandifes & den- 
rees du monde, ou bien toutes les marchandifes 
ou denrees d'un etat en particulier confider^ 
cornme ftpare de tous les aiitres , vaudront un 
certain nombre de macutes ; 6c divifant I'argent 
de cet <^tat en aurant de parties qu,il y a de ma- 
cutes, une partie divifee de cet argent fera le 
figne d*une macute. 

Si ron fuppofe que la quantity de I'argem d'un 
^tat double , il faudra pour une macute le double 
de rargent ; mab fi en doublant Targent , vous 
doubles^ auf& les macutes , la proportion reftera 

N 3 



i^o De x-TsPRiT DEsr LoiBi . - 

telle qu'elle 荟 toit avant l,un & Fautre doul^le^ 
ment. 

Si depuis la dicouverte des Indes ^ For & 】,ar- 
gent ont augment^ en Europe «i raifoii cTun 4 
"vingt, le prix des denrees 6c marchdndifes auroit 
du monter en raifon d*un k vingt : mais fi d'un 
aurre cot^ , k nombre des fnarcnancKfes a aug- 
inent6 comme un a deux , il faudra que le prix 
de ces marchandifes & denries ait* hauiTe d'un 
cot^ en raifon d'un a vingt , & qu'ii ait baifie en 
raifon d'un a .deux , & qu'il ne foit par confi^uent 
qu'en raifon d'un a dU. 

La quantite des marchandifes & denrees crolt 
par une augmentation de. commerce ; I'aug- 
snentation de commerce , par une augmentation 
d*argent qui arrive fuccellivement , & par 
nbuveiks communications avec de nouvelles 
teries & de nouvelles mers , qui nous donnent 
de nouvelles denrees & de nouvelles marchan-. 
difes. 



C H A P I T R E IX. 

De la rarett relative d《 tor £* dc targent. 

o UTRE l-abondance & la rarett pofitivc de 
I'or & de rargcnt , il y a encore une abondance 
& une rarete relative d'un de ces metaux 4 
Fautre. 

L'avarice garde I'or & I'argent , psirce que, 
coitime elle ne veut pas confommer , elle aime 
des fignes qui ne fe detruifent point. Elle aime 
tnieux garder I'or que I'argent , parce qu'elle- 
craint toujours de perdre , & quelle peut mieiui 



Liv, XXII. Chap. IX. 151 
eacher ce qui eft en plus petit volume. L'or dif- 
paroit done quand rargent eft commun , parce 
que chacun en a pour le cachet; il reparoit quand 
rargent eft rare, parce qu'on eft oblige de ]g 
"retirer de fes retraites. , 
C'eft done une regie : l'or eft commun quand 
I'argent eft rare ,& 1 or eft rare quand I'argent 
eft commun. Cela fait fentir la clifF(irence <k I'a- 
bondance & de la raret6 relative , d'avec Fabon- 
dance & la raret^ r^elle ; chofe dont je vais beau- 
coup parler. 



c 



CHAPITRE X. 



'est rabondance & la raretd relative des 
monnoies des clivers pays , qui forment ce qu*on' 
appelle le change. 

Le change eft une fixation de la valeur aftuelle 
& momentan^e des monnoies. 
• L'argent , comtne m^ta) , a une valeut comme 
toutes les autres marchandifes ; & il a encore une 
valeur qui vient de ce qu,il eft capable de deve- 
tiir le figne des autres marchandifes : & s'il 
n'^toit qu*une fimple marchandife , il ne faut 
pas douter qu'il ne perdit beaucoup de fon 

P 卞; ♦ , 

L argent , comme monnoie , a une valeur que 

le Prince peut fixer dans quelqiies rapports , & 

qu*i] ne fauroit fixer dans d'autres. 

1。. Le Prince etablit une proportion entre une 

quantite d 'argent comme mdtal ,& la mime 

quantity comme monnoie. »。• II fixe ctUe qui 

N 4 - 



15a De l'Esprit dis Lois ; 
•ft cntre divers m^taiix employes a la monnote. 



de monnoie. Enhn il donne a chaque piece cette 
\^ki]r id^ale dont j'ai paile. J^appellerai la va- 
leur de la monnoie dans ce$ • quatre rapports' 
卞 aleur pofidve , parce qi^elk peut etre fixee par 
une lot. 

Les monnoles de chaque etat ont de plus une 
,akur relative , dans le fens qu'on les compare 
avec les, monnoies des autres pays : c,efl cette 
-valeur relative tjue le change 化 Wit. EUe depend 
beaocoup de la valeur pofitive. Elle eft iix^e par 
rcftimela plus g^nerale des negocians , & na peut 
F^tre par lordon nance du Prince , parce qu'elle 
varie fans cefle , &. depend de miUe circonf- 
tances. 

Pour fixer la valeur relative , les direrfes na* 
tions fe r^eleront beaucoup fur celle qui a le plus 
d'argent. Si elle a autant d'argent que toutes les 
autres enferoble , il faudra bien que chacune aille 
fe mefurer avec elle ; ce qui fera qu'ielles fe re- 
gleront a peu pr^s entrelks comme dies fe font 
iTiefiirtes avec la nation principale. 

Dans I'etat aftuel de hinivers , c'cft la Hal- 
lande {a) qui eft cette nation dont nous parlons* 
Examinons le change par rapport a elle 

II y a en Hollande une monnoie qu'oa ap^ 
peUe un Horin : le florin vaut vingt fous , ou 
quarante detni fous , ou gros. Pour Hmplifier les 
id^es, imag'mons quTil n'y a point de norms en 
Hollande , & qu'il n'y ait que des gros : u» 



(*) les Hollandots reglent le change de prefqu' 



. U,eux > felon cju'if cohvient a Icurs hit 爸 cits* 





Liv. XXIL "Chap, X. 153 

homme qui aura mille florins , aura quarante 
mille gros , ainfi du refte. Or ie change avec la 
Hollande , confide a favoir combien vaudra <te 
gros chaque piece de monnoie dcs autres pays;. 
& cotnme I'oii cotnpte ordinairement en France 
par 6cu de trois livres , le change demandera 
combien un ^cu de trois livres vaudra de gros* 
Si le change eft a cinquante-quatre , I'^cu de 
trois livres vaudra cinquante-quatre gros ; s'il eft 
a foixante , il vaudra foixante gros ; fi I'argent 
eft rare en France , recu de trois livres vaudra 
plus d« gros ; s'U eft en aboildance , il vaudra 
moins de gros. 

Cette rarete ou cette abondance d'oii r^fulte 
la mutation du change , n*eft pas la rarete ou 
rabondance reelle ; c'eft une raret^ ou une abon* 
dance relative : par exemple , qnand la France ai 
plu^ befoin d'avoir des fonds en Hollande , que 
les HoUandois n'ont befoin d'en avoir en France » 
rareent eft appelle commun en France , & rare 
•n Hollande , & vice versa, 

Suppofons que le change avec la Hollande 
foit a cinquante-quatre. Si la France & la Hol- 
lande ne compofoient qu'une ville , on feroit 
comme Yon fait quand on donne la monnoie' 
d*un ecu: le Francois tireroit de fa poche trois 
livres , & le HoUandois tireroit de la fienne cin- 
quante-quatre gros. Mais comme il y a de la 
cUilance entre Paris & Amfterdam , il faut qut 
celui qui me donne pour mon ecu de trois livres 
• cinquante-quatre gros qu,il a en Hollande , me 
donne une lettre de change de cinquante-quatre 
gros fur la Hollande. II n,eft plus id quefti6n de 
cinquante-quatre gros , vcidis d'une kttre de cia- 



X54 13e l*Esprit DBS Lois ; 

quante-quatre gros. Ainfi pour juger (b) de la ra- 
rete ou de rabondance de Fargent , il taut favoir 
s,il y a en France plus de lettres de cinquante* 

Juatre gros deftin^es pour la France , qu'il n'y a 
*icus deilin^s pour la Hollande. S'il y a beau- 
coup de lettres ofFertes par les Hollandois & 
peu d*6cijs ofFerts par 】esFran;ois, I'argent eft 
rare en France & commun en Hollande ; & il 
faut que le change haufTe , & que pour mon ^cu 
on me donne plus de cinquame - quatre gros ; 
autrement je ne le donnerois pas ^ & vice 
versa. • 

On volt que les diverfes operations du change 
forment un compte de recette & de d^penfe qu il 
faut toujours folder ; & qu'un etat qui doit , ne 
s'acquitte pas plus avec les autres par le change , 
qu'un particulier ne paye une dette tn changeant 
de rangent. 

Je ffippofe qu'il ny ait que tro'is f tats dans le 
monde , la France , VEfpagne & la Hollande ; 
que divers particuliers d'Efpagne dufienten France 
la valeur de cent mHle marcs d'argent , & que 
divers. particuliers de France duiTent en Efpagne 
cent dix mille marcs ; & que quelque circonf- 
tance fit que chacun , en Efpagne & en France, 
Toulut tout-a-coup retirer fon argent : que fe- 
roient les operations du change ? Elles acquitte- 
roient riciproquement ces deux nations de 】a 
fomme de cent mille marcs : mais la France de- 
vroit toujours dix mille marcs en Efpagne , & 
les Efpagnois auroient toujours des lettres fur la 



參 



(b) II y .a beaucoup d'argent dans une place , lorf- 
€ju*il y a plus d'argent que de papier ; il y en apcu, 
lorfqu'il y a plus de papier que d'argent. 



、 Liv. XXII. Chap. X. 




France pour dix milk marcs ; & la France n,ea 
auroit point du tout. 

Quefi la Hollands ^toit dans un cas contraire 
avec la France , & que pour folde elle lui ddt 
dix mille marcs , la France pourroit payer l,Ef- 
paene de deux manieres , ou en donnant a fes 
creanciers en Efpagne des lettres fur (es debiteurs - 
de Hollande pour dix mille marcs , ou bien en 
envoy ant dix mille marcs d'argent ! en efpeces en 
Efpagne. 

II Tuit de-13l , que quand un £tat a befoin de 
remettre une fomme d*argent dans un autre^pays , 
il eft indifferent par lia nature de la chofe que I'on 
y voiture de Fargent « ou que l,on prenne des 
lettres de change. L'avantage de ces deux ma 一 
nieres de payer , depend uniquement des circonf- 
tances aduelles; il faudra voir ce qui , dans ce 
jnoment , donnera plus de gros en Hollande, ou 
rargent port 纟 en efpece [c] , ou une lettre fur 
-Ja Hollande de pareille (omme. 

Lorfque m^me titre & mSme poids d'argent 
en France me rendent mdme poids & mSme ti- 
tre d'argent en Hollande, on dit que le change 
efl au pair. Dans I'etat a£^uel des monnoies[</|, 
le pair eft a-peu-pres a cinquante-quatre gros par 
^cus : lorfque le change fera au-deflus de cin- 
quante- quatre gros , on dira quil eft haut; lorf- 
qu'il fera au-deiTous, on dira qu'il eft bas. 

Pour favoir , dans une certaine fituation du 
change , letat gagne ou perd ; il faut le confidi< - 
rer comme dibiteur , comme creancter , comme 
Vendeur , cotnme acheteur. Lorfque le change 
eft plus bas que le pair , il- perd comme debi^ 

(e) Les frais dela voiti^rt; & de raflfurance deduiCs. 
(<0 En 1744. 



i5< De l'Esprit d£S Lois , 

teur, il gagne comme creancier; il perd tomme 
acheteur , ii gagne comme vendeur. On fent bien 

? u'U perd comme debiteur : par exemple , Ja 
ranee devant k la Hollands un certain nombre 
de gros , moins fon ^cu yaudra de gros , plus il 
lui faudra d*^cus pour payer : au contraire , 
fi la France eft creanciere aun certain nom- 
bre de gro$ , moins chaque ica vaudra de 
gros , plus elle recevra d*^cus. L'^tat perd en- 
core comme acheteur ; car il faut tou jours le 
meme nombre de gros pour acheter la mSme 
quantity de marchandifes ; & lorfque le change 
l>aiile , chaque ^cu de France donoe moins de 
gros. Par la mSme raifon , r^tat gagne comme 
▼endear: je vends ma marchandiTe en HoUande 
le mime nombre de gros que je la Vendob ; j*aii- 
ra done plus d*£cus 6n France, lorf(Ju*avec cin- 
quante gros je me procurerai iin ecu , que lorf* 
qu'il men faudra cinquante-quatre pour avoir 
cc m&me €cu : le contraire de tout ceci arrivera 
a I'autre ^tat. Si la Hotlande doit an certain nom- 
bre d*^cus , die gagoera; & (i on hs lui doit » 
elle perdra ; fi elle vend , elle perdra ; ft eUe 
achete, elle gagnera. * 

11 faut pourtant fuivre ced : lorfque le change 
eft au-deubus du pair, par exemple , s'il eft at 
cinquante au lieu d'etre a cinquante - quatre , 
ii devroit arriver que la France envoyant par le 
, change cinquante - quatre tnille ^us en Ho! - 
lande , n'acheteroit de marchandifes gue pour 
cinquante mille ; & que d*un autre cote la Hol- 
lande envoyant Fa valeur de cinquante mille 
^cus en France , en acheteroit pour cinquante^ 
quatre mtlle ; ce qui feroit une difKrence de bftt 
cinquante- quatriemes , c'eft-a-dire, de plus d'un 
feptieme de perte pour la France \ de forte qu'il 



Liv. XXII. Chap. X. 157 

fimdroU cnvoyer en Hollands un feptieme de 
plus en argent ou en marchandifes , qu'on ne 
faifoit lorfque le change ^toit au pair : & ]e ma 
augmentant toujours, parce qu'une pareiUe dettl 
feroit encore diminuer le change , 】a France fe- 
roit a la fin ruin^e. 11 fembk , dis-je , que cela 
devroit etre ; & cela n*eft pas j k caufe du prin* 
cipe que j'ai d^ja ^tabli ailleurs ( - ) , qui eft 
que les 豸 tats tendent tou jours a fe mettre dans 
la balance , & a fe procurer leur liberation ; ainfi 
lis n'einpruntent qu,a proportion de ce qu'ils peu 一 
vent payer , & n'achetcnt qu'a mefure qu'ils ven- 
dent. Et en prenant rexemple ci- deuus^ fi le 
change tombe en France de cinquante-quatce k 
cinquante , le Hollandois qui achetoit des mar« 
chandifes de France pour mille 6cus, & qui let 
payoit cinquante*quatre mille gios, ne les paye- 
roit plus qaie cjinquante mille, fi le Francois j 
vouloit confentir : mais la marchandife de France 
hauflera infenfiblement, le profit fe partagera en* 
tre le Frangois & le Hollandois ; car , lorfqu'un 
nigociant peut gagner ,• il partage aifi^ment fon 
profit : il fe fera done une cotntnunication de 
profit entre le Francois & le Hollandois. De la 
fieme cnaniere ,le Francois qui achetoit des mar- 
chandifes de HoUande pour cinquante - quatre 
mille gros , & qui les payoit avec mille icus 
lorfque ie change ^toit a cinquante-quatre , fe« 
roit oblige d'ajouter quatre cinquante- quatriemes 
de plus en ecus de France , pour acheter les me* 
mes marchandifes ; mais le inarchand Francois 
qui (entira la pcrte qu'il feroit , voudra donner 
molns de la marchandife de Hollande ; il fe fera 
done une communication de perte entre le mar 一 



(f) \ojet It livre XX、 chap, xxi 



l^S De lTsprit DCS Lois; 

chand Francois & le marchand HoUandoSs, 1*^—" 
tat fe mettra infenfiblement dans la balance, & 
rabaiflecnent du change n'aura pas tous les ia-*^ 
conveniens qu'on d-.voit craindre. 

Lorfque le change efl. plus bas que le pair,' 
un n^goctant peut, Tans diminuer fa fortune , re— 
mettre fes fonds dans les pays Strangers ; parce 
qu'en les faifant revenir, i] regagne ce qu'il a 
|>erdu : mats un Prince qui n'envoie dans les pays 
etrangers qu'un argent qui ne doit jamais reve— 
nir, perd toujours. 

Lorfque les negocians font beaucoup d'affai- 
res dans un pays , le change y haufTe infaiUible — 
ment. Cela vient de ce qu'on y prend beaucoup 
d'engagemens , & qu*on y achete beaucoup de 
marchandifes ; & Ion tire fur le pays Stranger 
pour les payer. • 

Si un Prince fait un grand amas d*argent dans 
ion 6tat , rargent y pourra etre rare reellement, 
& commun relativement ; par exemple , fi dans 
le meme temps cei etat avoit a payer beaucoup 
de marchandifes dans le ^ays Stranger » le change 
baifleroit, quoique Targent fut rare. 

Le change de toutes les places tend toujours a 
fe mettre a une certaine proportion , & cela e 秦 
dans la nature de la chote meme. Si le change 
de rirlande 4 I'Angleterre eft plus bas que le 
pair , & que celui de rAngleterre a la Hollande 
loit auffi plus bas que le pair, celui de llrlande 
a la Hollands fera encore plus -bas, c'eft-a-di- 
re, en raifon compof^e de celui d'irlande a i,An, 
gleterre , & de celui de rAngleterre a la Hollan, 
de : car un Uollahdois qui peut faire venir fes 
fonds indiredement d'irlande par I'Angleterre , 
ne voudra pas payer plus cher pour les Taire ve, 
rir diredement. h dis que cela devroit ^treainii : 



Liv. XXn. Chap. X. 

mats cela n'eft pourtant pas exaftement ainfi; il 
y a toujours des circonftances aui font varicr ces 
chofes ; &' la diii^rence du pront qu'il y a ^ ti* 
rer par une place ou a tirer par une autre, fait 
Fart & rhabilet^ particulier^ des banquiers , dont 
il n'eft point queftion ici. 

Lor(qu'un itSLt hauiTe fa monnoSe ; par exem 赠 
pie , lorfqu'il appelle fix livres ou deux ^cus, ce 
qu'il n'appelloit qiie trois livres ou un ica , cette 
denomination nouvelle, quin'ajoute rien de r^el 
^Pecu , ne doit pas procurer un feul gros de plus 
par le change. On ne devroit avoir pour les deux 
^cus nouveaux , que la m^me quantity de gros 
que i'on recevoit pour I'anden ; & ii cela n'eft 
pas , ce n'eft point I'effet de la fixation en elle- 
meme , mais de celui qu'elle produit comtne nou« 
velle , & de celui qu'elle a comtne fubite. Le 
change tient a des affaires commenc6es , & ne 
fe met en regie qu'apr&s uir certain temps. 

Lorfqu'un 6tat , au lieu de haufTer {Implement 
fa monnoie par uneloi , fait une nou velle refonte, 
afin de fairc d'une monnoie forte une monnoie 
plus foible, il arrive que , pendant le temps de 
Fop^ration, il y a deux fortes de monnoie , la 
forte qui eft la vieille , & la foible qui eft la 
nouvelle ; 5c comme la forte eft decri^e & ne fe 
revolt qu'a la monnoie , & que par conf^quent 
les lettres de change doivent fe payer en efpe- 
cds ^ouvelles , il (emble que le change devroit 
fe r^gler fur refpece nouvelle. Si, par exemple, 
rafFoibliflement en France ^toit 4e moid 在 , 6c que 
rancien icu de trois livres donnat Toixante g os 
en Hollande, le nouvel ecu ne devroit dohner 
que trente gros; d*un autre c6t^, il femble que 
U change devroit fe r^gler fur la valeur de I'ef; 



i6o Ds l'Esprit des Lois; 

pece vielUe, parce que !e banquier qui a de Pai^ 
gent & qui prend des lettres , eft obiig^ d'alJer 
porter a la monnoie des efpeces vieilles .pour en 
avoir de nouvelles fur lefquelles il perd: le change 
fe mettra done entre la valeur de Fefpece nou - 
velle &L celie de I'efpece vieille ; la valeur de I'ef — 
pece vieille tombe , pour ainfi dire, & parce 
qu'il y ad^ja dans le coinmerce de I'efpece nou - 
velle , & parce que le banquier ne peut pas te- 
nir rigueur , ayant int^r^t de faire fortir promp* 
tement I'argeot vieux de fa caifTe pour le fauie 
travailler , & y 叔 ant m^me fore 在 pour fairerrs 
pay e mens : d*un autre cbti , la valeur de I'efpece 
nouVelle s'eleve , pour ainfi dire, paice que le 
banquier avec de I'efpece nou velle fe trouve dans 
une circondance oil nous alions faire voir qu'il 
peut avec un grand avantage s,en procurer de ia 
vieille : le change fe mettra done , comme j'ai dit , 
entre I'efpece nou velle & refpece vieille. Pour 
lors ies banquiers ont du profit k faire fortir I'ef- 
pece vieille de r^tat, parce qu'ils fe procurent 
par la le meme avantage que donneroit un change 
rkg\i fur refpece vieille , c'eft-i-dire , beaucoup 
de gros en Hollande, & qu'ils ont un retour ea 
change r^gle. entre refpece nouvelle & I'efpece 
vieille » c'eft-a-direplu$ bas; ce qui procure beau* 
coup d'6cus en France. 

Je fuppofe que troLs livres d'efpece- vieille ren- 
dent par le change aduel quarante-cinq gros, 
& qu*en tranfportant ce meme ^cu en Hollands , 
on en ait foiiante ; tnais avec une lettre de qua* 
rante-cinq gro$» on fe procurera un icu de trois 
Evres en France , lequel tranfport^ en efpeces 
vieilles en Hollande , donnera encore foixante 
gros: touts refpece vieille fortira done de I'etac 



V 

\ Liv* XXn. Chap. X. i6t 

qui fait la refonte, & le profit en fera pour let 
banquiers« 

、 ' Pour rem^dier a cela , on (era forci 4^faire 
tine operation nouvelle. L'^tat qui fait la retontef 
enverra lui-meme une grande quantite d'efpeces 
vie i lies chez la nation qui regie le change ; & s'y 
procurant un credit , 11 fera mooter le change 
aa point , qu'on aura , a pea de choie pris, au- 
tant de gros par le change d'an ecu de trois li- 
' vres , qu'on en auroit en faifant forth- ui> ^cu de 
trois livrcs en efpeces Tieilles hors du pays« Jei 
dis a pea de chofe pris, parce que, lorfque le 
profit fera modique , on tie fera point tent^ der 
taire fortir Fefpece « a caufe des rrais de kk voi- 
ture, & des rifques de la coniifcatioiT. 

li eft bon de donner une idde bieil cklre de 
ceci. Le fieur Bernard , on tout autre banquier 
que r^tat vaudra employer, propate fes lettrei 
fur la Hollande , & les donne a im, deux , trait 
gros plus h^ut que le change afiuel ; il a fait une 
proyifion dans le» pays Grangers , par le moyeii 
des efpeces vieilles qu'il a fait contlnuellemenf 
voiturer : il a done hit haufTer le change au 
point que nous veneris d« dire i cependant , k 
lorcc de donner de fes tettres , il le faiftt de 
toutes les efpeces noovelles , & force les autre* 
, banquters aui ont des payeinen» a faire , a pot- 
ter Jeurs efpeces vieilles a )a monnoie" & d0 
phis , comrneH a eu infenfiblemene tout I'argemr 一 
tl contraint a letir tour les autres bscnqurers a \vi 
donner des lettres ^ uif change tr^ & haut } fe 

C'ofit de la fin rindemnife en grande partie d9 
perte du comrnencemenn 
On fent qf»e , pendant toute cette oplratroni^ 
r^tat doit fouffrir une violente crVfe. U'arg^nt y 
deviendra trc& rare^ i^, parce (ja'il fWut «i> d4« 



i6i De l'Esprit d£s Lois, 

i:rier la plus grande partie ; a^. parce qu*J! <etf 
faudra tranfporter une partie dans les pays etran— 
gers ; parce que tout Ic monde le rcflerrera , 
perfonne ne vouiant laifler au Prince un profit 

Suon efpere avoir foi-meme. 11 eft dangereux 
e la faire avec lenteur; il eft dangereux de la 
faire avec promptitude. Si le gain qu'on fup- 
pofe eft immoder^f le» inconveniens augtnen- 
. tent a tnefure. 一 

On a vu ci-deflus que , quand le change 6toit 
plus bas que i'efpece , il y avoit du profit a faire 
fortir I'argent: par la in^me raifon, ]orfqu*il eft plus 
haut que I'efpece,]! y ado profit a le faire revenir. 

Mais il y a un cas oh on trouve du profit a 
faire fortir Fefpece , quoique le change foit an 
pair : c'eft lorfqu'on I'envoie ds^ns ks pays ^tran* 
gersypour la faire remarquer ou refondre, Quand 
tl]e eft revenue, on fait, foit qu'on remploie 
dans le pays, (bit qu'on prenne dies lettres pour 
fetr anger , le profit de la monnoie. * 

S'il anivoit que 'dan$ un etat on fit une com* 
pagnie qui eut un nombre tr^s confiderable d 'ac- 
tions , & qu'on eut fait dans quelques mois de 
temps hauUer ces adions vingt ou vingt-cinq 
ibis au-dela de la valeur du premier achat, & 
que ce m^me etat eut 6tabli une banque dont 
les billets duiTent faire la fon^ion de monnoie, 
& que la valeur numeraire de ces billets (dt pro- 
^gieufe pour ripondre a la prodigieufti raleur 
numeraire des anions ( c'eft le fyit^me de M. 
Law ), il fuivroit de la nature de la chofe que 
ces attions & billets s'an^antiroient de la m&me 
- inaniere quils fe feroient ^tablis. On n*auroit 
pu faire monter tout-a-coup les adions vingt 
ou vingt-cinq fois plus haut que feur premiere 
vs4eur, fans donner a beauccup de gens U moyen 



Liv. XXII. Chap. XI. 163 

Ae (e procurer d'immenfes richeffes en papier : 
<^acun chercHeroita aflurer fa fortune; & comme 
le change donne la voie la plus facile pour la cU- 
naturer , ou pour la transporter ou 】'<m veut , 
on remettroit fans ceffe une partie de fes efFets 
. ckez la nation qui regie le jch^nge. Un projet 
con timid de remettre dans les pays Strangers , 
feroit baifler le change. Suppofols que , du temps 
du fyfteme , dans le rapport du titre & du poids 
de la monnoie d*argent , le taux du change fut 
de quarante gros par ^cu; lorfqu'un papier in- 
nombrabie fut devenu monnoie > on n'aura plus 
voulu donner que trente-neuf jgros par ^cu , en- 
fuite que trente-huit , trente-fcpt , &c, Cela alia 
fi loin, que l,on ne donna plus que huit gros, 
& au'enfin il n'y eut plus de change. 

Cetoit le change qui devoit en ce cas regler 
en France la proportion de I'argent avec le pa- 
pier. }e fuppofe que , par le poids & le titre de 
I'argent , recu de trois livres d'argent valdt qua - 
rante eros, & que le change fe faifant en pa- 
pier, l^cu de trois livres en papier ne valih 
que huit sros , la difference ktoit de quatre cin- 
quiexnes. X'icu de trois livres en papier valoit 
done quatre cinquiemes de moins que I'icu 
trois livres en argent. 、 



O a 



164 De l'Esprit des Lois 



C H A P 1 T R E XL 

Des opiramns que ks Romams firent fur Us 

monnoies^ 

u^LQirrs 90ups d'autorite que Von act faits 
de nos ^ours en France fur les monnoies , dans 
deux mimfteres confecutifs , les Romatns en fi— 
rent de plus grands , non pas dans le temps de 
cette republiqtie corrompue, ni dans cdui de 
cette republique c|ui n*^toit q^uVne anarchte ; mais 
torfque, dans la. force de fcm inftitution , par Gk 
fagefle comme par fon courage , apr^s avoir 
vaincu les villes dltalie, elle difputok r^empire 
aux Carthaginois^ 

£t je fuis bien aife d^apprelic»idn' un peu cette 
matiere, zftn qu'on ne fafle pas un exemple de 
ce qui n'eia eft point un* 

Chins k prenviere guerre Puniqiie (<t) Pas , qui 
devoit fere de douze onces de cui vre, n*en pe& 
plus que deux ;. & dans la feconde , il ne Cut 
plus que d\me* Ce retranchem^nt r 各 pond a ce 
que nous appellons aujourdliui augmeiitatioa des 
iponnotes r btex d,un ecu de fix livres la moiti^ 
de l*argent pour*en faire deux, on k fau-e va- 
loir douze livres , c'eft preciliiment la m^me 

II nenous refte point de- montitnent la nut* 
aieredontlei Remains firent teur operatiron dans 



W Plke^ nal. Ur» XXXUL art. i> 



Liv. Chap. XL i6f 
la premiere guerre Punique : mais ce qn'ils 6- 
rent dans la leconde , nous marque une fageiTe 
admirable. La r^publique ne (e trouvoit point 
en ^tat d'acquiter fes dettes; t'as pefoit deux on- 
ces de cmvre ; & le denier valant dtx as, va- 
loit vingt onces de cuivre. La r^pubHcjue fit cle» 
as ( d'une once de cuivre^ elle gaena la moi* 
tl^ fur fes cr 圣 Anders , elle paya un denier avec 
ces dtx onces de cuivre. Cette operation donna 
une grande fecoufFe a . I'^at ; tl falloit la donner 
la moindrequM ^toh pofltble : eUe contenoit une 
Wjuftice , tl falloit qu'elle fik la moindre quit 
ctoit pofiible : elle avott poar objet la Hb^a* 
tion de la r^publique enrtm fes dtoyens; il ne - 
falloit done pas qu'eMe eut celui de la Ub^ation 
des citoyens entr*eux. Cela faire une (econde 
operation; & If on ordotina que le denier qui 
n'aroit et^ jufques-^ que de dn as, en con - 
tiendroit feize; il rtfulta de cette double op&3« 
tion , que , pendant que les creanrciers de fa 1*6^ 
pubHque perdoi^t k fnoiti6 ( c) ; ceux des par- 
ticulters ne perdoiem c|u*un ctnquleme (d } : les 
iQarchaadiie& n,augmentokm que cfun einquieme , 
k chang^ent r^I dans la monnoie n'i^toit 
que d,un cinquieine : on voit ks autres- con(3&- 
quences. 

Les Romaiiis fe conduifirent done mieux c{ue 
1IOU9, qui dans nes operations , avons envebppi 
& k» fortunes publiques & les fortunes parti* 
cu£ere&. Ce n*eft pas tout : on va voir qu*i^» 
les firent dans des circonftances plus- faYoraUes 
que J10U5. 、 



(h) Rid. • ^ 

{c) Us recevoieirt (Ifx onces tfe cufvre pour vingt* 
\d\ Us receyoitni feizc onces de cume poor ving;* 



1 66 De l'Esprit d£s Lois 



C H A P I T R E XI 1. 

Grconftances dans lefqucUes les Romains firent 
• leurs operations fur la monnoie, 

3[l y avoit anclennement tres peu d'or & d'ar- 
gent en Italie; ce pays a peu ou point de mi- 
nes d'or & d,argem:for{"que Rome fut prife par 
les Gaulois , il ne sy trouva que mille Jivres 
d'or (a), Cependant les Romains avoient fac- 
cage plufieurs villes puiiTantes, & ils en avoient 
tranfporte les richeifes chez eux. Ils ne fe fervi- 
rent long-temps que*de monnoie de cuivre : ce 
ne fut qu*apres ia paix de Pyrrhus , qu'ils eurent 
affez d'argent pour en faire de la monnoie (b) : 
ils firent des deniers de ce m^tal , qui valoient dix 

(c)y o\x dix livres de cuivre : pour lors la 
|>ropordon de I'argent au cuivre ^toit comme i 
a 960 ; car le denier Romain valant dix as oa 
dix livres de cuivre , il valoit cent vingt onces 
de cuivre ; & le meme denier valant un huitieme 
(d) d*once d*argent , cela faifoit la propoitioa 
que nous venous de dire. 

Rome devenue maitrefle de cette partic de 1*1- 
talie , la plus voiiine de 4a Grece & de la Skile, 
fe trouva peu- a- peu entre deux peu pies riches , 
les Grecs & les Carthaginois; ra-^gent augmenta 



Ja) Pline, liv. XXXIII. art. 5. 
(h) Fntinshemius , liv. V. de la feconde decade. 

(c) Ibid , loco citato : ils frapperent au(fi , dit le 

Sie auteur , des cleinis , appell^s quinaires , & <Ie$ quarts 
appelles ftfUrcts, 

(d) Un huitieme , felon Budee , un feptieme* feU>ii 
d'autces auteurs. 



Li V. XXII. Chap. XIL 167 

cHex cUe ; & la proportion de i ^ 960 entre 
rargexit & le cuivre ne pouvant plus fe foute- 
nir 9 elle fit >diverfes operations fur les mon- 
noies , que nous ne connoifTons pas. Nous fa* 
vons feulement qu'au commencement de la fe- 
comJe guetre Punique , le denier (e) Romain ne 
valoit plus que vingt onces de cuivre; 6c.quVin(i 
la proportion fentre Kargent & le cuivre n'etoit 
plus que comme i eft a 160 ; la redudion etoit 
bien confiderable , puifque la republique gagna 
cinq fixiemes fur toute la monnoie de cuivre ; 
snais on ne fit que ce que demandoit la nature 
des chofes , & retablir la proportion entre les 
xnetaux qui fervoicnt de monnoie. 

La paix qui termina la premiere guerre Pu- 
nique , avoit laifT^ les Romains maitres de la 
Sidle. Bientot ils entrerent en Sardaigne , ils 
commencerent a connoitre I'Efpagne : la mafle 
de I'argent augmenta encore a Rome ; on y fit 
I'operation qui r^duifit (f) le denisr d'argent 
de vingt onces a feize ; & elle eut cet efFet , qu'elle 
remit en proportion I'argent & le cuivre ; cette 
proportion etoit comme i eft a 160, elle fut 
comme i efta 128. 

Examinez les Romains , vous ne les trouverex 
jamais (i fup^rieurs , que dans le choix des cir- 
conflances dans lefquelles ils firent jes biens & 
les maux. 



(0 Pline , hift. nat. liv. XXXIII. art. 



板 



i65 De l'Esfrit dm Lot* 



C H A P I T R E XIII. 

Opirations fur tes monnoies du temps des 

Empcreun, 

ANS les opirations que l,on fit fur les monn 
noies du temps de la republique , on proceda par 
voie de retranchement : I'etat confiok au peu 一 
pie fes befoins ,& ne pr6tendoit pas le feduire* 
Sous les Emnereurs , on proceda par vpi« d'al- 
liage : ces Princes reduits au defetpon- par leurs 
liberal ites mime , fe virent obliges d'alterer les 
tnonnoies ; voie indirefte , qui diminaoit le mal , 
& (embloit ne k pas toucher : on retiroit une 
par tie du don ,& on cacho4t la main \ & fans 
parser de dimmution de b paye ou des largefles ^ 
elles fe trouvoient di minuses* 

On voit encore dians les cabinets (a) des> 
mMailles qu*on appelle fourr^es^ qui nVm qu'une 
lame d'argent qui couvre !e cuivre* U eft pail^r 
de cette iTionnoie dans un fragment du Livre 77 
de Dion \h\ 

Didius Jutien commen^a rafFoiblMFement 0» 
trouve que la monnoie (c) Caracalla avoit 
phis de hi rnotiii d'alliag^ , celle d'Alexandre 



(a) Voyez la fcience des m^tfaHfes du P, Joubert, 
edition de Paris , ij^o , pag^ 5,. 

(i) Ext rait des vertus & des vicef. 

(c) Voyez Savotte , part. a. chap, xtl ; & !e Jour- 
ml OSS lagans du aS- juillet r Hue d^€Ott« 

YCJtc df 50000 med^Ues, 

i Sivere 



Liv. XXL Chap. XIII. 169 

Severe ( d) les . deux tiers : raffoibliflement con- 
tinua ; & Ibus Galien (^), on ne voyoit plus 
que du cuivre argent^. 

On fent que ces operations violentes ne (au- 
roient avoir lieu dans ces temps- ci ; un Prince 
fe tromperoit iui'meme-, & ne tiomperoit per - 
fonne. Le change a appris au banquier a com- 
parer toutes les monnoies du monde ,& a les 
mettre a leur Jufte valeur ; le titre des monnoies 
fie peut plus 8tre un fecret. Si un Prince com- 
mence le billon , tout le monde continue , & le 
fait pour 】ui ; les efpeces fortes for tent d'abord , 
& on les lul renvois foibles. Si , comme ies £m- 
pereurs Romains , \\ affoibl'tdbit Fargent fans af- 
foibltr For, il verroit tout-a-toup difparoitre 
I'or, & il (*2rott r^duit a fon mauvais argent, 
Le change , comme j'ai dit au Livre precedent 
(f), a ote les grands coups . d'autorite ou dii 
moios le fucces des grands coups (fautorite. 



(if) Voyez Savotte , ihttL 
[() Idem , ibid, _ 
Ij) dapitre xvi, ' 




Tm. Ul 



P 



I7P De l'Esprit oes Lois ; 

一 

I 義. .1 . , ' , . ' -a 

C H A P I T R E X IV. 

Comment le change gene Us itats defponques, 

A Mofcovie voudroit defcendre de fon de" 
potifme , & ne le peut. L'^tabliflement du com, 
inerce demande celui du change ; & les op&a, 
tions du change contredifent tputes fes lois. 

En 1745 , la Czarine fit upe ordonnance pour 
chafTer les Juifs, pares qu*ils avoient remis dans 
les pays Strangers I'argent de ceux qui etoient 
relegues en Sib^ri^ , S( celui des Strangers qui 
etoient au fervice* Tou$ l^s fpjet$ <k rempire; , 
COnime des ^fcUves , n'en peuvent fortir , ni fair^ 
fortir leuri biens fans permiflionf Le change qui 
donne le moyen tranfpprter rargent d*un pays 
a un autre , eft done contradi6loire aux lois de 

Le commerce meme contredit fes lois. Le 
peuple n'eft compofe qu^ d'efclaves attaches aux 
terres , & d*ef(plaves quon appelle ecclefiaftiqu^ 
ou gentilshommes , parce qu'ils font les feigneurs 
de ces efclaves : il ne refte done guere perionne 
pour le tiers-^tat, qui dpit former fes ouvri^n 




Li V. XXII. Chap. XIV. 171 
C H A P I T a E XV, 、 

l/fage de qudqu" pays d'ltalie. - 

33ans quelques pajrs d'ltalie on a fait des lots 
pour empecher ]es fujets de v^ndrc des fonds de 
terre pour tranfporter leur argent dans les pays 
etrangers. (:es lois pouvoient ^tre bonnes , lorf- 
que les rtcheffes de chaque ^tat etoient tdlemenC 
a lui, qu'il y avoit beaucoup de dlfficulte a les 
faire paHer. a un auffe. Mais depuis que, par 
I'ufage du change,, les richefles ne font en quet- 
que £39011. a aucun etat en particulier , & qu'il 
Y a tant de facilite a les tranfporter d'un pays 
a un autre , c'eft une mauvaite loi que celiq qui 
ne pertnet pas de difpofer pour (es affaires de 
fes fonds de terre , lojfqu'on pent difpofer cLe 
fan argent. Cette loi eft mauvaife , parce qu'elle 
donne de rayantage aux effets mobiliers fur les 
fonds de terre 9 parce qu'elle degoute les Stran- 
gers de vemr s'etablir dans le pays, & enfin 
parce qu,on peut Teluden 

U 撃、 > 

CHAP IT RE XVI. 

- Du fecours que l*4tat peut dr^r des banquiers, 

'Les Banquiers font faits pour changer de I'ar- 
^ent & non pas pour en prater. Si le Prince ne 
s*en fert qufe pour changer fon argent; comme 
il ne fait que de groffes affaires 9 le moindre pro- 

P 2 



. 172 De l'Esprit D£s Lois, 

fit • qu*il leur dcmne pour leurs remi fes dev;ent 
un objet confiderable ; & fi on lui demande de 
gros profits , il pent etre sur que c'eft un de- 
iaut de radtniniuration. Quand au contraire ils 
, font employes a faire des avances , leur art con- 
fifle a fe procurer de gros profits de leur ar- 
gent , fans qu'on puiiTe les accufer d'ufure. 



CHAPITRE XVII. 

D" denes publiques. 

C^UELQUES gens ont cru qu*il etAt ton qu'un 
^tat d^t a lui - me me •• ils ont penfe que cela 
multiplioit les richefles, en augmentant la cir- 
cuUiion. 

Je crois qu'on a confondu un papier circu' 
lant qui repr^fente la monnoie , ou un papier 
circulant mii eft le figne des profits qu,une com- 
pagnie a iaits ou fera fur le commerce, avec 
un papier qui reprefente une dette. Les deux 
premiers font trSs avantageux a I'^tat •• le der- 
nier ne peut Fetre ; & tout ce qu'on peut en 
attendr" c'eft qu'il foit un bon gage pour les 
particuliers de Ja dette de la natioir, c'eft- a- 
dire, qu'il en procure le payement. Mais voici 
les incohveniens qui en refultent. 

iQ. Si les Strangers poiTedent beaucoup de 
papiers qui repr^fentent une dette, ils tirent 
tous les ans de la nation une fomme confide** 
rable pour les interets, 

Dans une nation ainfi p^rp^tuellemeAt 
d^bitrice , le change doit etre tres bas. 



L I V. XXII. Chap. Xtn. 17) 

3^, L'impot levi pour le payement des in- 
terets la dette fait tort aux manufatlures , en 
rendant la main de I'ouvrier plqs chere. 

4^. On ote les revenus viritables de I'etat a 
、ceux qui ont de raftivit^ & de Tinduftne pour 
les transporter aux gens oififs ; c'eft -a- dire , 
quon donne des commodit^s pour travailler at 
ceux qui ne travaillent point , & des diiHcultes 
pour travailler a ceux qui travaillent., 

Voila les inconV^niens ; je n'en connois point 
les a vantages. I^ix jperfoones ont chacune miHe 
teas de revenu en tends de terre ou en induf- 
trie ; cela fait pour la nation , a cinq pour 
cent , un capital de deux cent ihiile. ^cus. Si 
ces dix perfonnes emploient )a moiti^ de leur 
revenu , c'eft- a-dire , cinq mille 豸 cus, pour 
payer les interets de cent mllle ^cus qu'elles ont 
empruntis a d'autres, cela ne fait enCore pour 
I'etat que deux cent mille ^cus : c'eft, dans le 
langage desAlg^briftes ? lodooo ^cus 一 looooo 
^cus T 100000 icus ― 200000 ecus. 

Ce qui peut jeter dans l,erreur , c'eft qu'un 
papier qui rcprefente la dette d,u,ie nation, eft 
un figne de ricKefle ; car il n*y a qu'un ^tat 
riche qui puiffe foutenir un tel papier (ans tom- 
ber dans la decadence : que s'il n'y tombe pas , 
il faut qne Fitat ait de grandes richefTes aail- 
leurs. On dit qu'il n'y a point de mal , parce 
qu'il y a des reflburces contre ce tnal ; & <jn 
dlt que le mal eft un bien , parce que ks ref- 
fources furpaflent le mal. ' 



174 De l*Esprit des Lois , 



C H A P I T R E XVIIL 
Du payment dcs dtttts publiques. 

Jl faut au'il y ait une proportion entre I'^tat 
cr^ancier &. r^tat debiteur L'etat peut etre cr^an- 
cier a I'infini , mais il ne peut fitre debiteur qu'a 
un certain deer^ ; & quand on eft parvenu a 
pafler ce degre , le titre de cr^ancier s'^vanouiU 

Si cet etat a encore un credit qui n'ait point 
re^u d'atteinte , il pourra faire-ce qu*bn a pra- 
tiqu6 fi heureufement dans un etat {a) d'Europe ; 
c'eft de fe procurer une grande quantitd d'efpe- 
ces , & d'ofFrir a tous les particulars leur rem- 
bourfement , a moins qu'ils ne veuillent reduire 
rinter^t. En effet, comme, lorfque Tetat errv- 
prunte , ce font les particuliers qui fixent fe 
taux de Uinterit j lorfque I'^tat veut payer > 
c'eft a Im a le fixer. 

U ne fuffit pas de r^dirire Vxtiiktki : il faut 
aue le b^ifice de k redudion forme un fonds 
aamortifl^aient pour payer chaque aiin^e une 
partie des capttaux ; operation cTautant plus 
heureufe , que le facets en augtnente tous les 
, jours^ 

Lorfque le credit de retat n'cft entier , 
c'eft ane nouvelk raifon pour chercher a for- 
mer un fonds d'amortiiTement ; parce que tt 
fonds line fois ^tabli rend bientot la confiance. 

1。. Si r^tat eft une repubiique , dont le gou- 



[a] UAng]et€trc, 



. tiir. 3tXn. Chap. XVtiL if^ 

verneitient comporte par fa nature que l,on y 
£sSe des prajets pour long - temps , le capital 
fonds d*amortiflement peut etre peu confi- 
durable ; il faut , dans une itionarChi^, que ce 
capital foit plus grand. 

2^. Les reglemens doiyent fitre tels que tous 
• les citoyens de I'etat portent le poids de I'eta- 
blifTement de ce fonds , pares qu'ils ont tous Je 
poids de r^tablifTement de la dette ; le creancier 
3e r^tat , par les fommes qu'il contribue , payant 
lui - me me a lui * itierae. 

3^. II y a quatre ch{k$ de gens qui parjrent 
les dettes de I'itat : les propri^taires de^ fonds 
de terre , ceux qui exercent kur induftrie par 
le n^goce^ les laboureurs & artifans , eniin les 
xentiers de Fetat ou A^s partlculiers. De ces 
quatre claiTes , la ^rniere , (ians un eas de n4- 
ceffite , fembleroit devoir itre la moins mena^ 

! parce que c'eft une clafle entierement paf- 
ive jclans I'^tat ^ tandis que ce m^me ^tat eft 
foutenu par la force adive des trois autres. Mai,, 
comme on' ne peut la charger plus , fans 
tniire la confiance publique , dont I'etat en 
neral & ces trois claiTes en particulier pnt un 
fouverain befoin ; comme b foi publique ne 
peut manquer a un cectaili nombre de ci- 
toyens ^ fans paroitre manquer. a tous; comme 
la claffe des cr^anciers eft toujours la plus ex* 
pdfte aux projets^des Miniftres , & qu'elle eft 
toujours fous les yeux & (bus la main ; il faut 
que I'etat lui accorde une finguliere prot^diofl , 
& que la partie debitrice n'ait jamais le moin- 
dre avantage fur celle qui eft creanciere. 



P4 



f 



C H A P I T R E XIX. 

Des pms d intirit. 

L,ARGEWT efl le figne des yaleurs. II eft clair 
que celui qui a befoin de ce figne , doit le louer , 
comme il fait toutes les chofes dont il peut avoir 
befoin. Toute la difference eft que les autres cho- 
fes peuvent, oufe louer, ou s'acheter ; au lieu que 
rargent , qui eft le prix des chofes, fe loue &L 
ne s'achete pas (a).' 

C,eft bien une a£Hon xxhs bonne de-preter a 
ttn autre fon argent fans inter^t •• mais on fent 
que ce ne peut Stre qu'un conieil de religion, 
& non une loi civile. 

Pour que le commerce puifle (e bien faire , il 
faut que rargent ait un prix , mais que~ee prix" 
foit peu confiderable. S'il eft trop haut^ le N6- 
gociant, qui voit qu'il lui en couterpit plus efi 
int^rets qu'il ne pourroit gagner dans fon com- 
merce, n'entreprend rien ; fi rargent n,a point 
de prix , perfonne n'en prete , & le N^gociant 
n'entreprend rien non plus. 

Je me trompe , quand )e dis que perfonne 
n'en prete. II faut toujours que 4es aftaires de 
la fociite aillent ; Fufure s'^tablit , mais a:ec les 
defordres que I'on a eprouv^s dans tOiis les 
temps. 



(^) On n« parle point des cas ou I'or 8c I'argent 
font confidcres comme nurclumdife" 



L I V. XXII. Chap. XIX. 177 

La ! oi de Mahomet confon'd Fufure avec le 
pret a interet. L'ufure augmente <kns ks pays 
Mahom^t^ns a proportion de la ftv^rite de l<i 
defenfe : le pr6teur s'indemnife du peril de la 
comravention. * ^ 

Dans ces paysd'Orient, la plupart des hom- 
ines n'ont rlen d'aHiir^ ; il n*y a prefque point 
rapport entre la poffeflion aftuelle d'une 
fomme , & refperance de la r'avoir apres l,avoir 
pret^e ; Pufpre y augmente dene a proportion 
du penl de riniolvabilite. 



C H A P I T R E XX. 

D" Ufiim maridms* 

La grandeur de I'ufure maritime eft fondee fur 
deux chofes •• le p6ril de la mer , qui fait qu'on 
ne s'expofe a preter fon argent que pour en 
avoir beaucoup davantage, & ia facilite que le 
commerce donne a I'emprunteur, de faire promp- 
tement cle grandes affaires & en grand n ombre ; 
au Ueu que les ufures de terre ji'etant fondees 
fur aucune de ces deux raifons, font ou prof- 
crites par les l^^iflateurs , ou, ce qui eft plus 
imli , reduites a de juftes bornes. 



178 D£ l'Esprit dis Lois 



C H A P I T R E XXL 

Du pret par contrat , &de Tufun che:^ Us Romains^ 

Outre le pret fait potir le commerce , il y 
a €ncote une efpeee de pr^t fait par un contrat 
civil 9 cl'ou refulte un int^ret ou ufure. 

Le peuple, chez les Romains , augmentant 
tous les Jours fa puiffance , les Magiftrats cher- 
cherent a le flatter , & a lui faire faire les lois 
qui lui 6toient les plus a^reables. II retrancha les 
capitaux ; il diminua les irtterlts ; il defendit d*ea 
prendre ; il ota les confiraintes par corps •• enfia 
rabolitipn des d、 ttes fut mife en queftion toutes 
les fois qu'un Tribun voulut fe rQjndre popu- 
}a re. 

Ces continnels changemens , folt par des tois, 
(bit par des plebifcites , naturaliferent a Rome 
Fufure ; car les cr^anciers voyant le peuple leur 
debiteur , leur legislateur & leur juge , n'eurent 
plus de confiance dans les contrats. Le peuple , 
comme un debiteur decr^dite , ne tentoit a iui 
preter que par de gros profits ; d'autant plus que, 
fi les loisne venotent que de temps en temps, les 
p'aintes du peuple ^toient continueliesr & inti - 
midoient toufours les creanci«rs. Cela fit cfure 
tous les moyens honnetes de preter & d'em- 
punter furenc abolis a Rome , & qu'une ufure 
afFreufe, toujours foudroyee {a) & toujours re- 



(a) Tacite * annal^ Uv. \U 




Liv. XXJI. Chap. XXI. 179 

^aHTante , s'y ^tablit* Le mal venoit de ce que 
les chofes n'avpient pas ^te menag^es. Les lob 
extremes dans lebien font naitre le mal extreme : 
il iailut payer pour le pret de Fargent & pour 
le danger des peines de la loi. 



C H A P I T R E XXII. 

Continuation du mime fujeu 

T-i£S premiers Remains n'eurent point de lols 
pour regler le taux de (<j)Tufure.- Dans les de- 
mel^s qui fe formerent la - deffus entre les Ple- 
bekns & les Patriciens, dans la ftdition (^) 
meme du Mont - Sacr^, on n'allegua d*im cote 
que la foi , & de Fautre que ta duret^ des 
contrats. 

On fiiivoit done les convi6Hons particulieres ; 
& je crois, que les plus ordin aires ^toient cle 
douze pour cent par an. Ma raifon eft que dans 
le langage (c》 ancien chez les Romains , l,in- 
tkx^i a Sx pour cent etoit appell^ la moitie de 
Fufure , rintiret i trois pour cent le quart de 
Fufure : Fufure totale etoit done fint6rS 家 a 
douze pour cent. 



(a) Ufure & iiU&gt (ignifioient la m^me chofe chei 
les Romains. 、 

(b) Voycz Dcnys 'd*Hafic. Pa fi bien <I^crite. 
(r) Ufwit fimijfes , tricntes , quadrantts, Voyez ,i- 

deffus les djvers trait 豸 s du digelie & dit code de ufif 
ris ; & futtoat la loi XTU , avcc (a note » au ff, 




i9o 、 De l'Esprit DCS Lois; 

Que fi ron demande conrment de fi groffrt* 
ufures avoient pu s'^tablir chez nn peuple qui 
itoit prefque fans commerce, je dirai que ce 
peuple, tres - fouvent oblige d*aller fans folds 
a la guerre , avolt tr^s - fouvent beToin d*em- 
prunter ; & que faifant fans'ceffe des expedi- 
tions heureufes , il avoit tres - fouvent la faci- 
lite de payer. Et cela fe fent bien danr le re- 
cit des d^m^l^s qui s'eleverent k cet ^gard : on 
n'y difconvient point de Favarice de ceux qui 
pretoient ; mais on dit que ceux qui fe plai- 
gnoient, auroient pu payer $,ils avoient cu une 
conduite r^gl6e (d), \ 

On faifoit done des lois qui n^nfluoierft que 
* fur la fituation aftuelle : otT ordonnoit , par 
exemple , que ceux qui s'cnroleroient pour la 
guerre que I'on avoit k foutenir , ne leroient 
point pourfuivts par leurs cr^anciets ; que ceux 
qui eto»€nt dans les fers feroient d^livres ; que 
les plus indigens feroient tnenes dans les colo-^ 
nies ; quelquefois on ouvroitle tr^for public. 
Le peuple s'appaifoit par le foulagement des 
ihaux pr^fens ; oc comme il ne detnandoit nen 
pour la fuite , le S^nat n'avoit garde de le pre- 
venir. 

Dans M temps que le Senat defendoh avec 
tant de conAance la caufe des ufures, Vamour 
de la pauvreti , de la frug^lite , de la medio- 
crity , 6toit extreme chez les Romains : maris 
telle ^toit la conftitution , que les principaux ci- 
toyens portoient toutes les charges de I'etat , 
& que le bas peuple ne payoit rien. Quel 



(d) Voyez le difcours .d'Appius U-deiTos » dans De» 
oys d'Halicarnaflfe. 



- Liv. XXIL Chap. XXII. i8i 

tnoyen de priver ceux - la du droit de poiir- 
fuivre leurs debiteurs , de leur deniander d'ac- 
quitter leurs charges , & de fubvenir aux be - 
foins preitans de la republique ? 

Tacite (e) dit que la loi des douze tables fix a 
Finteret a un pour cent par an. II eft vifible 
qu'il s'eft trompe , & qu'il a pris pour la loi des 
douze tables une autre loi dont je vais parler. 
Si la loi des douze tables avoit regl6 cela , com- 
• tnent , dans les difputes qui s'eleverent depuis 
encre les crianciers & les debiteurs , ne fe fe- 
TOit-on pas fervi de fon autorite ? On ne trouve 
aucun veftige de cette loi fur le pret a int^ret : 
& pour peu qu'on foit verft dans rhiftoire de 
Rome , on verra qu'une loi pareille ne devoit 
point etre IVjuvrage des Decemvi<"s. 

La loi Licinienne (/) faite quatre- vingt- cinq 
ans apr^s la loi des douze tables , fut une de ces 
lois pafTageres dont nous avons parle. £lle or- 
donha qu'on retrancheroit du capital ce qui avoit 
^te paye pour ks interets , & que le refte fe- 
roit acquitt^ en trois payemens egaux. 

L'an 398 de Rolhe , les Tribuns Duellius & 
Menenius firent pafTer une loi gui reduifoit les 
interets k un (2) pour cent par an. C'eft cette 
loi que Tacite (A) confond avec la loi des douze 
tables , & c'eft la premiere qui ait et6 faite cher 
les Romains pour fixer le taux de Fint^r^. Dix 
ans apr^s (i) , cette ufure fut reduite a la moi. 



(c) Anna1es,Ur. VI. 

(/) L'an de Rome "8 Tite-Live , liv. VI. 
(g) UfLciaria ufurU , Tite-Live , liv. VIL Voycz fai 
diUnCe d.e I'efprit des loi$,' art. ufure, - 
(k) Annal , Uv. vi. 

(i) SfQUi k confulat de L* Manlius Torqu«ta$ , 



乂 



r 



I 



iSi De l'Esprit oes Lois; 

tie 、k) ; dans la fiiite on Fota toiit-a-&it 
& fi nous en croyons quelques auteurs qu^avoit 
vus Tite - Uve , ce fut (bus le confulat (m) de 
C. Martius Rudlius & de Q. ServiHus , I'aa 
413 de Rome. f 

Xl en fut de cette loi comme de toutes celles 
oil le legislateur a port 纟 les chofes a I'exc^s z 
on troiiva un moyen de I'eluder. II en faliuc 
faire beaucoup d'autres pour 】a confirmer , cor- 
riger , temp^rer. Tant&t on quitta les lois pour 
fuivre les ufages ("), tant6t on quitta les ulages 
pour fuivre les lois ; mais dans ce cas Yu^ag^ 
devoit jiif^ment prevaloir. Quand un homme 
emprunte , il trouve un obftade dans la lot 
meme qui eft fake en fa faveur : cette loi a 
contr'elle , & celui "qu'elle fecourt , & celui 
qu'elle condamne* Le rreteur Sempronius Afel- 
lus ayant permis {o) aux d^biteurs d'agir en 
conf(^quence des lois , fut tui par les cr^an- 
ciers [pi , pour avoir voulu rappeller la me- 
jnoirt aune rigidit^ qu*on ne pouvoit plus 
foutenir. 

Je quitte la ville , pour jeter an peu les yeux 
fur les province. 



C. Plautius, felon Titc^Live , liv. VII i & c*eft Ui loi 
dont parle Tacjte • 9nnal. liv, VL 

(k) SUmiuntiaria ufura, 

m Comme dit Tacitc , annaU Wr, VI. 

(m) La Ibi en fut faite i la pourfuite de M. Genu- 
ciiis , tribun du peuple ; Tite- Live, liv. VII * "a fin. 

(n) Vcttri jam more fs^nus receptum erat, Appien , dc 
la euerrf c;vile , \vr* I. 

\o) Permifit cos Uphuf agtre. Appien , de la guerrt 
civile, liv. I ; & I'^pitome de Tite- Uve t Uv. LXlV. 

(p) Vm de Rpme 663, 



L I V, XXII. Chap. XXII. 183 

J*ai dit ailkurs jqr , que les provinces Ro- 
malnes etoient defol^es par un gouvernement 
defpotique & diir. Ce n'eft pas tout : elles 
r^toient encore par des ufures affreufes. 

Ciceron dit • [r] que ceux de Salamine vou- 
loient emprunter de l-argent a Rome, & qu*ils 
lie le pouvoient pas a caufe de la loi Gab" 
nienne. II faut que je cherche ce que c'^toit 
que cette loi. 

Lorfque les prSts a int^rSt eurent iti defen- 
du$ a Rome , on iinadna (s) toutes fortes de 
moyens pour eluder la loi_; 6c comme les al- 
lies (t) & ceux de la nation Latine n'^toient 
point affujettis aux lois civiles des Romains , 
on fe fervit d'un Latin, ou d'un allie , qui prS- 
toit fon nom , & paroifToit etre le cr^ancier. 
La loi n'avoit done fait que foumettre les cr^an- 
clers a une formality , oc le peuple n'^toit pas 
foulag^. 

Le peuple fe plaignit de cette fraude ; & Ma" 
xus Sempronius , Tribun du peuple , par Fau- 
tomk du S^nat , fit faire un pl^bifcite tut qui 
portoit , qu'en fait de prSts, les lois qui d^fen- 
doient les prSts a ufure entre un citoyen Ro« 
main & un autre citoyen Romain , auroient 
^alement lieu entre un citoyen & un allie ou 
un Latin. ~ 

Dans ces temps - la , on appelloit allies les 
peuples de VltaUe proprement dite » qui s'eten- 



(》Liir, XI. chap. XIX. 

(n Lettres k Atticus , liv. V, lett. 》i, 

{s) Tite*Live. 

(t) Ibid. ' 

(0) L'anx|56o de Rome, yoycz Tice-Uve. 



l84 L,EsPRiT DEs Lois « 

doit jufqu'a I'Arno & le Rubicon , & qui n'etoit 

point gouvern^e en provinces Romaines. 

Tacite (x) dit qu'on failoit tou jours de nou- 
velles fraudes aux lob taites pour arreter les 
ufures. Quand pn ne put plus preter ni em- 
priinter fous le nom aun allii , tl fut aife de 
laire paroitre an homme des provinces , qui 
pretoit fon nom. 

II falloit une nouvelle loi contre cet abus : & 
Gabinius (y) faifant la loi fameufe qui avoit pour 
objet d'arreter la corruption dans les fufFrages , 
dut natiirellement penfer que le meilleur moyen 
pour y parvenir , ^toit de decourager les em- 
p runts : ces deux chofes ^toient naturellement 
liees ; car les ufures augmentoient ({) toujours 
au temps des eledions , parce qu'on avoit be- 
foin d'argent pour gagner des voix. On voif 
hien que la loi Gabinienne avoit ^tendu le Se- 
natus - Confulte Sexnpronien aux Provinciaiix, 
puifqne les Salaminiens ne pouvoient einprun, 
ter de I'argent a Rome a caufe de cette loi. 
Brutus, fous des noms empruntes , 】eur en 
preta (^I'^a quatre pour cent par mois [^], & 
obtint pour cela deux Senatus- Confultes , dans 
le premier defquels il ^toit dit que ce pret ne 



(x) Annal. Mr. VI. 

(y) Van 615 de Rome. 

ll) Voyez les lettres de Cic^ron i Atticus liv. IV. 
let. 15 & i6. 

(a) Cic^ren k Atticus , liV. VI, let. i, 

(p) Pompee , oui avoit pr^te au roi Ariobarfane iix 
tens talensf fe taifoit payer trente-trois talens Atti- 
ques tous les trente jours, Ck^roo a Acucus , liv. Ill , 
l«tt. 21 , liv. VI. let" X. 

feroit 



Liv. XXII. C^AP, XXIL iS{ 

ferolt pas regarde comme une fraude (c) faite 
a la loi, & que le Gouverneur de StUcie ju- 
geroit en conformite des conventions portees 
par le " billet des Salaminiens. 

Le pret a interet etant interdit par la lot 
Gabinienne entre les gens des provinces & les 
citoyens Remains, & ceux - ci ayant pour- 
iors tout Fargent de I'univers ,entre leurs mains , 
il fallut les tenter par de eroffes ufures , qui 
fiHedt difparoitre aux yeux de I'avarice le dan- 
ger de psrdre la dette. Et com me il y avoit a 
NRome des gens puifTans , qui intimidoient les 
Magifttats , &L faifoient taire les lois , ils furent 
plus hardis a preter & plus hardis a exiger de 
- grofles ufures. Cela fit que les provinces furent 
tour- a- tour ravagees par tous ceux qui avoient 
<lu credit a Rome : & comme chaque Gou- 
verneur faifoit fon Edit [d] en entrant dans fa 
province , dans lequel il mettoit a rufure le 
taux qu'il lui plaifoit , KaVarice pretoit la nuin 
a la legislation & la. legislation a I'avance. 

II faut que les affaires aillent ; & un etat eft 
perdu , fi tout y eft dans Finaftion. II y avoit 
des occafions ,oU il faltoit que les villes » les 
corps , les foci^s des villes , les ^particuliers 
mprun"ffem •• & on n'avoit que trop befoiri 



(e) Ut ntqut Salaminis , ncfuc cm tis dciijfet , fraudi 
•ffu , ibid. 

^{d) L'edit de Ciceron la fixoit a un pour cent par 
moU, avec I'lifure de rufure 911 bout oe I'an. Quant 
aux fermiers de la r^publique , il les enzageoit a don- 
•oer un d^ai k leurs debiteurs : (i ceux-cL ne pajoient 
as au temps fixe , il adjugeoit Vufure portee par le 
iliet, Ciceron a Atticiis , liv. VI» let. 1、 



i86 De l'Esprit D£s Lois, 

d'emprunter , ne fut - ce que pour fubvenir aux 
ravages des armies , aux rapines des Magi^ 
trats , aux concuffions des gens d'affaires & auic 
mauvais ufages qui s'i^tabliUotent tous les jours j. 
car on ne fut jamais fi riche ni fi pauvre. Le Se- 
nat , crui avoit h puiflance ex^cutrice , donnoit , 
par niccffiti , fouvent par faveur , h pertni(Goi» 
(Pemprunter. des citoyens Romains , & £aifoit 
la-defTus des S6natus - Confultes. Mais ces.Se- 
natus - Confultes memes ^toient decr^dit^s par 
)a loi : ces Status - Confultes {je) pouvoient 
donner occafion au peuple de demahder de noo- 
velles tables ^ ce qui , augmemant le danger de 
la perte du capital , auementoit encore rufure. 
Je le dirai toujours ; c eA la moderation qui. 
gouverne les hommes, & non pas les exces. 

Celur-l^a paye moin», dit Ulpien, ^/): , qui' 
paye plus tard. Ceft ce principe qui conduifit: 
les Wgislateurs apr^s 2a defirufiioi^ de la rigvH 
blique Romaioe. 



(t) Voyez ce que dltLucc^tus , let. 21 . k Attkiis 
Hv. V. ll y eut mime un fenatus-confulte giniral 
pour fixer Sufage it un pot cent par inois» Vo3?«z U 
mime lettre. 

if) Leg, XJL ffi dc ytr^or, fiffiifi" 



Liv. XXIIL Chap. L 187 

L I V R E XX VIIL 



Dts lots , dans Ic \rapport qj!dUs <mt 
avcc U nombrc dcs habitans. 



CHAPITRE PREMIER. 

攀 

Dts homms & des animaux , par rapport a la 
multiplication dt Uur cfptcu 

O V^nus ! 6 mere de I'Amour \ 

Des le premier beau four que ton aftre ramene , 
Les z^phirs font feotir leur amoureure haleine ; 
La terrc orne fon fein de brillantcs couleurs ; 
Et J'air eft parfum^ du 4oux efpnt des fUurs'' 
On entend les o;feaut,—frapp& de ta puitTanc^ , 
Par mille fons lafcifs cAi^bter ta pr 豸 fence : 
Pour la belle g^niiTe » on voit les fiers taureaux, , 
Ou bofidir dans la plaine , ou traverfer les eaux. 
Enfin , les habitant d«s bois & des niO0tagnes , 
Des ileuves & des oners, & des vertes campagnes , 
BrAlant a tpn afped d'amour 6c de defir » 
S'cnga]gent i peupler par fattrait du ptaHir, , 
Tanr on aime it te uiivre ,&" cnarmant empire 
Que donne la beaut^ fur tout ce qui refpire - 

£S fetnelles des animaux ont a-peu-pres une 
fecondit^ conftante. Mais dans I'efp^ce humaine , 



(tf) TraduAion du commenctmenf de Lucrece , par 

Q * 



i88 De l'Esfrit des Lois, 

】a manierg de penfer , le caraftere , les paflions , 
les fantaifies , les caprices , I'idee de conferv^r 
fa beaute , I'embarras de la grpffeffe , celui d*une 
fatnille trop nombreufe , troublent la propaga- 
tion de miUe manieres* 



C H A P I T R E IL 

JO", mariages, 

L, 、 
OBLiGATfl^N naturelle qu'a le pere de nour- 

rir fes enfans , a fait ^tabiir le manage, qui de- 
clare celui qui doit remplir' cette obligation. Les 
peupies [a] dont parle Pomponius Mela [b'\ ne 
le nxoient que par la reffemblance. 

Chez les peuptes bien polices , le pere (c) 
eft celui que les lois, par la ceretnonie du ma — 
riage , ont declare devoir etre td , parce qu'elies 
trouvent en lui la perfonne qu'eBes cherchetit, 

Cette obligation , chez les animaux, eft telle 
que la mere peut ordinairement y fuffire/ Elle 
a beaucoup plus d'etendue chez les homines : 
leurs enfans ont de la raifdn ; mais elle ne leur 
vient que par degres : rl ne fufHt pas de' tes 
nourrir , il faut encore les' conduire : deja ik 
pwrroient vivre ,& ils ae peoyeat pas fe gou- 
vemer. 

Les conjonfKons illicites contribufent peu a 
la propagation de Fe^ece. Le pere , qui a l,obii- 



{a) Les Garamantes, 

{h) Liv. I. ch. III. 

{c) ^ater eft.quem nuptia demon Jfrant 



! 



r 



Liv. XXItl. Chap. II. 189 

Ration naiurelk de nourrir & d*clever les en- 
tans, n'y eft point fijcc ; & la mere, a qui 
robligation refte , trOuve miile obftacles , par la 
home , les remords , la gene de fon fexe , la 
rigueur des lois : U plupart du temps elle man- 
que de moyens. 

Les femmes qui fe font foumifes a une pros- 
titution publique , ne peuvent avoir la commo- 
dite d'elever leurs enfans. Les peines de cette 
education font meme incompatibles avec leur 
condition : & elles font fi corrojnpues, qu'elles 
ne fauroient avoir la q>nfiance de la loi. 

II fuit de tout ceci , que la continence publi- 
•que eft naturellement jointe a la propagation de 
Tefpece, 



C H A P I T R E III. 



DC la condition des enfans. 



*EST la raifon qui difte que , quand il y a 
un manage 9 les enfans fuivent la condition du 
pere ; & que , quand il n,y en a point , lis ne 
peuvent concerner que h mere (j). 



{a) C'cft pour cela que chez les nations qui ont des 
efclaves , 1 'enfant fuit prefque toujours la condition 
de la mere. 



、飞 
I 

1 



二 



190 De l*EsPrit DBS Lois, 
t 

C H A P I T R E IV. 

DCS familUs. 

Il eft prefque re^u par - tout que la femme 
paiTe dans la maifon du mari. Le contraire eft, 
ians aucun inconvenient , ^tabli a Formofe {^a\ 
oil le mari va former - celle la fern me. 

Cette loi , qui fixe la famille dans une fuite 
de perfonnes du meme fexe , contribue beau- 
coup, md^pendamment des premiers motifs^ a 
la propagation de refpece humaine. La famille 
eft une forte de propri^t6 : un homme qui a 
des enfans da fexe qui ne la perpetue pas , n'eft 
jamais content qu'il n'en ait de celui qui la per- 
petue. 

Les noms qui donnent aux homines Pidfe 
d'une chofe qui femble n€ devoir pas p^rir , 
font tres prop res k infpircr a chaque famiile 
le defir d'etendre, fa duiie. II y a des peuples 
chez lefquels les noms diflinguent les famtlles : 
11 y en a oU ils ne diflinguent que les perfoflh 
fies ; ce qui n'eft pas fi bien* 



00 Le pere du Halde » torn. I. p«g,< i$6 

4 



Liv. XXm. Ch a». v. 19 直 



CHAPltRE V, 

DCS divers ordrtt d" femms Uptimes. 



^UELQUEFOis Ics lois & la fefigfoii ont itar- 
bli plufieurs fortes de conjondtons civiles ; & 
cela eft ainfi chez les Mahometans , oil il y a 
divers ordrcs die femmes , dont les enfans fe 
reconnoiffent par la naifTance dans h maifon , ou 
par des contrats civils » ou m^me par refclavage 
ce la mere , & la reconnoUTance' fubfi^c^uente 
As pere. , ' 

II feroit centre la raifbn,, que, la. loi flitrft 
dans les enfans ce qu'elle a approuvi dans le pere r 
tOQs ces enfans y doivent done fucc^der , a moins 
que quelque raifon particuliere ne s'y oppofe , 
comme au Japon , oil il n'y a que les enfans de 
la femme donnee par rempereur qui fuccedent. 
La po}it]<j[ue y exige que les biens que rempe- 
reur donne , tie foient pas trop partages , p2lYce 
qu'ils font foumis a un fefvioe , comme ^toient 
autrefois nos 6efs. 

H y a des pays oil une femme l^gmme pult 
dans la marfon , a pen pr^ , des honneurs qu'a 
dans nos clhnats une femme unique : la , les en-' 
fans des concubines font cenfi^ appartenir a la 

£remiere femme. Cela efl ainfi ^tabli a la Chine;. 
£ refped filial (^), la cdremonie d-un deuil r" 



[*} Le ^er« du- Halde 參 torn. II; pag. loj^ 



De l*Esprit oes Lois; , 

goureux ne font point dus it la mere naturelle ; 
mais a cette mere qui donne la lol. 

A i'aid^ d'une telle fi£liofi {fj) , il n'y a plus 
d*'enfans batards : & dans les pays oti cette fic- 
tion n*a pas lieu , on voit bien que la loi qui le- 
gitime les enfans des concubines , eft une lot 
t'orcee ; car ce feroit le gros de la nation qui fe- 
roit fl^tri par la loi. Il n'eft pas queftion non plus 
dans ces pays d'enfans adulterins. Les feparktions 
des femmes, la cl6ture , les eunuques , les ver- 
roux , rendent la chofe fi difficile , que la loi la 
}uge impoffible. D'ailleurs , le meme glaive ex- 
termineroit la mere & I'enfant. 



C H A P I T R E VI. 

DCS batards dans Us divers gouvernemens, 

o K ne connoit done guere ks batards dans 
les pays oii la polygamie eft permife ; on les 
connoit dans ceux oil la loi d,une feuie femme 
eft eublie. Il a fallu , dans ces pays, fletrir le 
cone binage ; il a done fallu fletiir les enfans qui 
en 6toient nes. 

、 Dans les republiqaes ou .il eft neceffaire que 
les moeurs foient pures , les batards doivent eue 
encore plus odieux que dans les monarchies. 

[h] On didingue les femmes en grandes & petit^s , 
c' eft- a- dire , en legitimes ou non ; mais il n^y a point 
une pareille diflin^ion entre les enfans. C'eft la gran- 
ge do£lrine de I'empire , eft-il dit dans un ouvrage 
Chinois fur \^ ^morale i mduil pat le sicme l^ere , 
pag. 140. 、 、 , _ 

On 



• Liv. XXin. Chap. VI. 

On fit peut-etre a Rome des difpofitionstrop 
dares contr'eux. Mais les inftitutions anciennes 
mettaiu tous les citoyens dans la neceilite de 
fe marier , les manages itaiit d*ailleurs adoucis 
par la permiilion de repudier ou de faire divorce , 
u n*y avoit qu*une trhs grande corruption de 
moeurs qui ptit porter 屋 u concubinage. 

1} £uit remarquer que la quaHti de citoyen £tant 
conficlerable dans les democraties oU elle em- 
portoit avec elfe la fouveraine puiflance , ii s'y 
faifoit fouvent des lois fur I'^tat des batards^ qui 
avoient moins de rapport a la jchofe m6me & k 
rhonnStete du manage , qu'a la confiitadoa par- 
ticuliere de la repuolique. Ainfi, le peup'e a 
quelquefois re^u pour citoyens {a) les batards , 
aifin d'augmenter fa puiflance contre ks grands, 
Ainfi , a Athenes le peuple tetrancha les bitards 
du nombre des citoyens , pour avoic une plus 
grande portion du ol^ que lui avoit «nvoyc le 
roi d'Egypte. Enfin , Arijhte (>) nous apprend 
que , dans plufieurs vllles, lorfqu'il n'y avoit pas 
aflez de citoyens , les Mtards fuccidoient, & que 
c[uand il y en avoit affez, ils ne fuccedoient 
pas. • 



(tf) Voyez Ariftote , politique , liv* VI« ch. ly, 
(*) Ihid. Mr. m. chap, au ' 



禱 

<^ — 
公 



Tome IIU 



194 De i/Espiut d£s Lois 



C H A P I T R E VIL 



Du confenununt des pcrcs au manage. 



X^E confentement des peres eft fond£ fur leur 
puifTance , c'eft-a-dire , fur leur droit de pro - 
pri6te ; il eft encore fondi fur leur amour , fur 
leur raifon , 6c fur I'mcertitude de ceile de leurs 
enfans , que Fage tlent dans I'^tat d'ignorance , 
& les pamons dans Fitat d'ivreffe. 

Dans les petites republiques ou inftltutions 
fmgulieres dont nous avons parle, il peut y 
avoir des lois qui donnent aux magiftrats une 
infped^ion fur les manages des enfans des ci- 
toyens , que la nature avoit d^ja donnee aux 
peres. L'amour du bien public y peut etre tel , 
qu'il £gale ou furpaffe tout autre amour. Ainfi , 
Piaton vouloit que les magiftrats r^glaffent les 
mariages : ainfi les magiftrats Lacedemoniens les 
tlirigeoient-ils. ' 

Mais , dans les inflitutlons ordinaires , c'eft 
aux peres a marier leurs enfans ; leur prudence 
a cet 6gard fer^ tou jours au-defTus de toute autre 
prudence. La nature donne aux peres un defir 
de procurer a leurs enfans des fucceffeurs , quails 
fentent a peine pour, eux-memes : dans les di» 
vefs degrls de prog^niture , ils fe voient avan- 
cer infendblement vers i*avenir. Mais que feroit- 

Se , fi la vexation & I'avarice alloient au point 
'ufurpfr ra^torite des peres ? £coutons Thqma^ 



L I V. XXIIU Ch ap. Vfl. 195 

Gage (a) fur la conduite des Efpagnols dansles 
Indes. 

<c Pour augmenter le nombre des gens qui 
,, payent le tribut , il faut que tous les Indiens 
,, qui ont quinze ans fe tnarient ; & me me on 

a r^gU le temps dts manage des Indiens \ 
,, quatorze ans pour les males , & a treize pour 
,, les filles. On fe fon^e fur untranon , qui dit, 
3, que la malice peut fupplder a Page. ,, 11 vit faire 
un de ces denombremens : c'itoit , dit-il , une 
chofe honteufe. Ainfi, dans raSion du monde 
qui doit etre la plus iibre , les Indiens font en- 
core efclaves. * 



C H A P I T R E VIIL 

Cohtimuuion du mime fujeu 

N Angleterre, les filles abufent fcmvent de 
la do" pour fe marier a leur fantaifie, fans con 一 
fulter leurs parens. Je ne fais pas (i cet ufage 
ne pourroic pas y etre plus toler^ qu'ailleurs , 
par la raifon que les lois n'y ayant point etabli 
un c^libat monaftlque , les filles n'y ont d'etat 
a prendre qpe celui du manage , & ne peuvent 
s'y refufer. En France, au contraire , ou le mo- 
nachifme eft etabli , les filles ont tou jours la 
reffource du celibat ; & la loi qui leur ordonne 
dattendre le confentertient des peres , y pour- 
roit etre plus convenable. Dans cette idSe ; Fu- 



乂 



I<i】 lUlatkm de XJiomas Gage » pag. 171, 

_ R % 



196 De L'EsPRit^toES Lois, 

{agt d'ltalie & d'Efpagne fement le moins rai- 
fonnabl^ : le monachiune y eft ^tabli , & I'oa 
pent s'y marier fans le confentement de$ peres. 



C H A P I T R E JX. • 

Dcs filks. 

Lis fiUes, que I'on ne conduit que par le 
manage aux plaiiii^ Sc a la 置 ibeiti , qui ont un 
efprit qui n'ofe penfer , un cceur qui n'ofe fen- 
tir , des yeux qui n'ofent voir , des oreilles qui 
n'ofent entendre , qui ne fe prefentent que pour 
fe montrer ftupides , condamnies fans reliche 
i des bagatelles & a des pr6cepte&, font affex. 
port^es au nuriage ; ce font les gardens qu'il faut 
encourager. 



C H A P I T R E X. 

CV j"i determine du manage. 

JPahtout oU il fe trouvc tme place o\x deint 

S^erfonnes peuvent vivre cominod 圣 ment, il fe 
i»it un manage. La nature y porte aflez, lorf, 
Gu'elle n,eA point arr^t^e par la difficult; de ia 
iubiiftance. , 

Les peuples naifTans fe multiplient & croiflent 
beaucoup. Ce feroit chez eux une grande in- 
de vivre dans le c^at ; ce n'en tft 



Liv. XXHL Chap. XL 197 

point line d'avoir beaucoup d'enfans. Le con* 
traire arrive, lorfque la nation eft fonnee. 

C )H A P I T R E XL 

Dt ta durtti dt^gouvtmmcnt. 

Les gens qui n'om abfolument rien , comme 
ks mencKans , ont beaucoup xl'enfans. C*eft qu'ils 
font dans ie cas des peuples naiiTans : il n'en 
coftte rien au pere , pour donner fon art k fes 
cnfaiiSy qui vsAmt font en naifTam des inftru - 
mens de cet art. Ces eens , dans un pays riche 
ou fuperftitieux , fe muitiplient , parce qu'ils nont 
pas les charges de la foci^te , mais font eux* 
m^mes les charges de la foci^t^. Mak les gens 
qui ne font pauvres qi^e parce qu'ils vivent dans 
un goovernement dur, qui regardent leur champ 
moins comme k fondement de leur fubftftance 
que comme un-pr^texte a la vexation ; ces gens** 
la , dis-je , font peu d'enfans •• Us n*ont pas mime 
leur nourritare; comment powrroient-ils fong^r 
a )a partager ? Us ne pAivcnt fe fo^ner dans 
leurs maladies \ comment pourroient-ils Clever 
des creatures , qui font dans une maladie con 一 
tinuelie , qui eft renfance i 

Ceft la facility de parler, & rimpuiiTance 
d'examiner , qui ont fait dire que plus les fujets 
6toient pauvres » plus les families ^toienMjom* 
breufes ; que plus on ixott chargi d^impdts , plus 
on fe ftiettoit en 圣 tat de les payer : deux fophiP 
ines qui ont toujours perdu , & qui perdront 
a jamius les monarchies. 



198 De lTsprit des L019; 

La duret^ du gouvernement peut aller Juffqu' 
d^truire les fentimens naturels , par les fentr- 
mens naturek memes. Les femmes de rAmeri- 
C}ue (*) ne fe feifoient-elies pas avorter , poor 
que leurs enfans n'euffent pas des maitres auffi 
cruels ? 



C H A Pi T R E Xri. 

Du nombn des filUs & dejTgargons danr 
diffirens pays, 

d^)a dit {a) qu'en Europe il nait un pen 
plus de gar^ons. que de filles. On a remarquA 
qu'au Japon {b) , W naiiToit un peu plus de fiUes 
que de gar^ons : toutes chofes 6galss , ily aura 
plus 'de Temmes f(^condes au Japon qu*en Eii- 
rope , & par confSouent plus de peupte. 

I>es relations [cj dif^nt qu'a Bantam , il y 
a dix filles' pour un gar 9011 1 une difproportion 
pareiile , qui feroit que le nombre des families 
y feroit au nombre de celles des autres climats 
comme un eft a cinq & demiy feroit exceffive. 
Les fiimilks y pourroient 4tre plus grandes ^ la 
verit6 : mais il y a peu d« gens affez a'.fts pour 
pottvoir entretenir une fi grande famille. 



i*] Relation <Jc Thomas Gag« , pag. ^8. 
d\ Au IWre XVI. chap- iv. • 
{h) Voycz Kcmpfer * qui rapportc un deaombrc-r 
merit de M^aco. 

(c) Recueil des voyages qui ont fervi a I'^tabliiTe- 
jnent de U Compagnle des Indesj torn. I. pag. 347^ 



Liv. XXIII. Chap. XIII. 199 

C H A P I T R E XIII. 

D" ports de met. 

ANS les ports de mer , oii les hommes s'ex- 
' pofent ii mille dangers , & vont motif ir ou vivre 
<lans des climats recul^s , ily a meins dliommes 
que de femmes ; cependant ony voit plus d'ejti- 
fans qa'ailleurs : cela vient de la facility de la 
fubfiftance: Peut-etre meme que les parties hui- 
leufes du poiflbn font plus jpropres a fournir cette 
matiere qui fert a la generation. Ce feroit une 
des caufes de ce nombre infini de peuple qui eft 
au Japon [4] & a la Chine [A〗i^ oil Fon ne 
vit prefque que de poiflbn [c]. Si tela itoit , 
de certaines regies monaftiques , qui obligent de 
vivre de poiiTon , feroient contraires a refprit 
du leg'ilateur m^me« 



{a) L« Japon eft compoft^ d'iiles ; il y a beaucoup 
de rivages > & la mer y eft tres poiftbnneufe. 

SLA Chine eil pleine de ruKTeaux. 
Vgycz'le per€ du Halde , torn, II, pag. 13 夕, 
142 6c fuiyant«s« 




R4 



100 De l'Espwt D£s Lois, 



C H A P I T R E XIV. 

Dts frodu&ons it la terre f demandent plus 

QU moins d'honmus^ 

Les pays de pltura^es font peu peuplfe^ 
parce aue peu de gens y trouvent de l,occupa 一 
tion ;: les terres a bl^ occupent plus cThomroes, 
& les vignobles infihiment davantage. 

£fi Anglcterre (/^ on s*eft fouvent plaint que 
^'augmentation des piturages diminuoit les'hab" 
tans ; & on obferve en France , que 】a grande 
quantite de vignobles y eft une des grandes caufes 
de ]a multitude des hommes. 

Les pays oIl des mines de charbon foumiiTent 
des m^res propres a bruler, ant cet avan- 
tage fur les autfes , qu'il n'y faut point de fo- 
rets , 6c que tomes les terres peuvent etre cul* 
tivees. 、 

Dans le$ tieux oil croit le nz , 11 faut de grands 
travaux pour manager les eaux : beaucoup de 
gens y peuvent done ktxt occupes. II y a plus : 
il y uut moins de terre pour lournir a la fub- 



(«) La pkipart des propri^takes des &>nds. de terres , 
4lt Burnet » trourant plus de profit en^la vente de 
leur lainc que de Icur bled , enfertnercnt leurs poiTef- 
(ions ; les cominunM , <{ui mouraient de £aim le fou« 
tererent : on propofa une loi a^raire \. le jeuae Roi 
^crivit m^e U-delfus : on fit des - proclamations con^ 
tre ceux qui avoient renferm^ leurs terres, AhtigL ik 
Vhifioire dc la rejofw » pa[^» 44 & 



Li V. XXIIL Chap. XIV. 201 

fiftance d'une (amille , que dans ceux qui pro - 
duifent (fautres grains : enfin la terrc qui eft em- 
ployee ailleurs k la nourriture des animaux , y 
fert immediatement a la fubfiftance d^Jiommes; 
le travail que font aiileur- les animaSx , eft fait 
la par les nomxnes ; & la culture des terres de- 
vient pour les homines une immenfe manu", 
ia£hire. 



C H A P I T R E XV. 
Du nombre des habitans par rapport aux arts* 

LoRSQu'iL y a tme loi aeraire , & que les 
terres font 化 alement partagees , le pays peut 
£tre tr^s peup!6, quoiqu^l y ait peu d'arts , 
parce que chaque citoy«n trouve dans le travail 
oe fa terre precif(6ment de quoi fe nourrir , & 
que tous les citoyens enfeitible^ confomment tous 
les fruits du pays ; cela etoit ainfi dans quelques 
anciennes republiques. 

Mais 4ans nos ^tats d*aQ}ourd*hui , les fonds ' 
de terre font in^galement diftriba^s ; ils pro - 
duifent plus de fruits que ceux cui les cultivent 
fi'en peuvent confomtner; & li l,on y neglige 
les arts, & qu,on ne s*attache qu*a ragticulture, 
le pays ne peut kttt peupU. Cciux qui cultivent 
ou font cultiver , ayant des fruits de refte , rien 
ne les engage ^ travailler f ann^e d^enfute: les 
fruits ne leroient point confoipmis par fes gens 
oififs , car les gens oififi n*auroient pas de quoi 
】es acheter. II faut done que les arts s'etabliffent , 
pour que les fruits fotent confomm^s par les 
iaboureurs & les axtifans. £0 m met « ces cuts 



102 DE l/EsPRIT DES Lof S ; 

dnt befoin que beaucoup de eens cultivcnf au« 
dela de ce qui leur eft n^ceuaire : pour cela , 
il faut leur donner envie d'avoLr le fuperflu ; mais 
il n'y a les artifans qui le donnent. 

Ces machines , dont I'objet eft d'abreger I'art , 
ne font pas tdujours utiles. Si un ouvrage eft k 
un prIx mediocre ,. & qui convienne ^galement 
a celui qui rachete & a I'ouvrier qui I'a fait , 
les machines qui en fimplifieroient la manufac- 
ture, c*eft-a-dire, qui diminuerolent le nombre 
des ouvriers , feroient pemicieufes ; & fi les 
moulins a eau n'etoient pas par-tout etablis , 
je ne les croirois pas aum utiles qu*on le dit , 
parce qu'ils ont fait repofer une infinite de bras , 
qu*ils ont priv6 bien des gens de^ Tufage des 
caux , & ont fait perdre la fecondit6 k beau- 
coup de terres. 



CHAPITRE Xyi. 

Des vues du leg'tftateur fur la propagation de 

. I'efpece. 

X^ES riglemens fur le nombre des dtoyens de- 
pendent beaucoup des circonilances. II y a des 
pays ou la nature a tout fait ; le l^giflateur n'y 
a done rien a faire. A quoi bon engager par 
des lois a la propagation > lorfque la feconditi 
climat donne afiez de peuple ? Quelquefois 
le climat eft plus favorable que le terrein 2 le 
peuple s'y multiplie , & les famines le d^truifent : 
c'eft k cas ou le trouve la Chine ; aufli un pere 
y vend-il fes fiUes & expofe fe$ enfaos. Le$ 



L I r. XXin. Chap. XVI. 105 

mdfXi^s caufes operent au Tonquin ] les mSmes 
ciFets ; & il ne faut pas , comme les voyageurs 
Arabes dont Renaudot nous a 6onnt la rela- 
tion , aller chercher ropinion (JH) de la mitemp- 
(ycofe pour ce】a, 、 

Les memes raifons font que , dans Hie For- 
mofe (c) , la religion ne permet pas aux femmes 
de mettre des enfans au monde qu*elles n'aient 
trente-cinq ans : avant cet , la prStrefle leur 
foule le ventre , & les fait ayorter. 



C H A? I T R E XVII. 
Dc la Grece , & du nombrt de fts habium" 

C^ET effct qui tient a des caufes phyfiques dans 
de certains pays d'Orient , la nature du gouver- 
nement le produifit dans la Grece. Les Grecs 
itoient une grande nation , compofee de villes 
qui ayoient chacune leur gouvernement & leurs 
lois. EUes n'etoient pas plus conqu^rantes que 
celle* de Su fTe, de Hollande & d*Allemagne ne 
le font aujourd'hui : dans chaque republique , le 
l^giilateur avolt eu pour objet le bonheur des 
citoyens au dedans , & une puifTance au dehors 
qui ne fSk pas inf^rieure a celie des villes voift- 



(a) Voyages de Dampierre , torn. 11. p. 41 • 
f^^ Pag. 167. 

\cS Voycz le recueil des voyages qui ont fervr k 
r^tablliTement de la compagnie des Indes* torn* V » partie 
U pag. 182 & iSS. 



%04 De l*Esprit des Lois ; 
nes (tf ). Avec un petit territoire & unegrande 
fi^licit^ , il etoit facile que le noxnbre des citoyens 
augmentat , & leur devint a charge : auffi firent- 
ils fans ceffe des colonies (h) ; iis fe vendirent 
pour la guerre , comme les Suiffes font aujour- 
d'hui : rien ne fut n^dig^ de ce qui pouvoit em - 
pecher la trop granae multiplication des enfans. 

II Y avoit chez eux dies republiques dont la 
confhttttion ^toit fmguliere. Des peuples foumis 
^toient obHgis de fournir la fubfiilance aux ci- 
toyens : les Lacid^mooiens 6toient nourris par 
les Ilotes ; les Critois , par les Pirieciens ; les 
Thefialiens , par les PAieftes. II ne deyoit y 
avoir qu^un certain nombre d'honimes libres , 
pour que les efdaves iuflent en ^tat de leur four- 
nir la fubfiftance. Nous difons au)Ourd'hui qu'il 
faut borner le notnbre des troupes riglees; or, 
Lacedemone ^toit uae annee entretenue par des 
pay fans , il falloit done borner cette armee ; fans 
cela, les hommes libres , qui avoient tous Ie$ 
dvantages de la focieti , fe feroient multiplies 
fans nombre , & les laboureurs auroient 爸 t 在 
accabUs. 

Les politiques Grecs s'attacherent done patw 
ticuli^rement a r^gler le nombre des citoyens. 
Platan (c) le fixe a cinq mille quarante ; & il 
vent que ron arrete , ou que i'on encourage la 
propagation , felon le befoin , par les honneurs , 
par la honte & par les avortiiletnens des vieil- 



(tf) Par U valeur , la difcipUne & les exercices mi* 
litaires* 

(b) Les Gaulois , qui ^toieat dans le meme cis 
£rent de m^me. 
【f】 Dans (ts loss, Uy, V. 



Liv. XXIII. Chap. XVlf. lof 

lards; il veut meme (jd) que Ton regie le nom- 
bre des manages , de maniere oue le peuple fe 
T^pare fans que la republique loit furchare^e. 

Si la loi du pays, dit Artftotc {e) , detend 
f expofir les «n&ns , il faudfa borner le nom* 
bre de ceux que chacun doit engendrer. Si Foil 
a des enfans au-dela du nombre d^fini par la 
loi , il confeille de faire (/) avorter la iemme 
avakt que le foetus ait vie. 

Le tnoyen infime qu'employo'ient les Cii 一 
to'is pour privenir le trop grand nombre rfen- 
fans , eft rapporte par Ariuote ; & )*ai fenti la 
pudeur effrayee , quand voulu le rappocter* 
II y a des lieux , dit encore Ariftote (g) , oil 
la loi fait citoyens "s Strangers ^ ou ies bitards, 
ou ceux qui ^ont feulement d'une mere cU 
toyenne : mais d^s qu'ils ont alTez de peuple • 
Us ne le font plus. Les fauvages du Canada font 
bruler leurs prifonniers : mais iorfqu*ils ont des 
cabanes vides a leur donner , ils les reconnoif* 
fent de leur nation. 

Le chevalier Feuy a fuppofi, dans fes cal - 
culs,qu'un homrae en Angleterre Taut ce qu*oii 
le vendroit i Alger. (Ji) Cela ne peut ctre bo*/ 
que pour rAngkterre : il y a des pays oii un 
hofxune ne vaut rien; il y en a oil if yaut motns 
que rien* 、 



R^publique , B,, V.* 
Politique » Uy. VII. chip, xvx* 

})md. 

『) Politique , liv* IIL cbap, m» 
\) Soixantc tivrcs ftcrltogf 



ao6 De l'Esprit Dni Lois 



C H A P I T R E XVIII. 
Dt Vitat dts peupks avant Us RomainSm 

L'lTALiE, la Sidle , I'Afie mineure , rEfpagne, 
la Gaule, la German ie, etoient a peu pres comme 
la Grece , pleines de petits peoples, & regor- 
geoient d'habitans : on n'y avoit pas befoin de 
lois pour en augmenter le nombre. 



C H A P I T R E XIX. 

、 Depopulation de Vurdvcrs. 

f ouTES ces petltes republiques furent englou- 
ties dans une grande , & Ton vit infenfiblement 
runivers fc d^peupler : il n'y a qu'a yoirce 
toient ritalie & la Grece , avant & apres les vic- 
toires des Romains. 

" On me demandera , dit Tite-Live (a) ,oii 
les Voifques ont pu trouver affez de foldats pour 
faire la guerre , apr^s avoir et6 fi fouvent vain- 
cus. II falloit qu*il y eut iin peuple infini dans 
ces contr^es , qui ne feiroient aujourd'hui qu'un 
defert , fans quelques foldats & quelques ef-. 
daves Romains. 



i) Liv. VI 



Li v. XXIIL Chap. XIX. 107 

tt Les oracles ont ceff6, dit Plutarque (h) 

farce que' les lieux oil ils parloient font d^truits ; 
peine trouveroit-on aujourd'hui dans la Grece 
trois mille homines de guerre. 

,, Je ne decrirai point , dit Strabon (c) , I'E- 
pire & les Ueux circonvoifins , parce que ces pays 
font enti^rement diferts. Cette depopulation , qui 
a commence depuis long- temps, continue tous 
les jours; de fort- que les foldats Romains ont 
leur camp dans les maifons abandonnees ,,. 

II trouve la caufe de ceci dans Poly be, qui dit 
que Paul-Emile, apres fa vidoire , detfuifit foi- 
Xante & dix villes de I'Epire , & en emmenz 
cent dnquante mille efclaves. 



C H A P I T R E XX. 

Que les Romains fiirent dans la niceJJUi de fain 
des lots pour la propagation de Vefpecc. 

Sutis Romains ) en detrulfant tous les peuples i 
fe d^tTuifoient eux-^memes : fans ceffe dans Pac- 
tion , refFort & la. violence , ils s'ufoient , comme 
wne arme dont on fe fert tou jours. 

Je pe parlerai poiot ici de I'attentioH qu'ils eu- 
rent a fe donner des citoyens a mefure qu'ils en 
perdoient (a), des aflbciations qu'ils firent, des 



[i) (Euyres morales : des oracles qui ont cefle, 
[c) Livre VII. pag. 496. 

\a) J'ai traite ceci dans les Confid^ratioo; fur ]esi 
caufes de la grandeur des Romains » &c, 



doS De l*Esprit D£s Lois ; 

droits de cit^ qu'ils doimerent ,& de cettc p£p!- 
niere imipenfe de citoyens qu'ils trouverent dans 
lean efclaves. Je dirai ce qu'ils firent , non pas 
pour r^parer la perte des citoyens, fnais celle 
des hommes ; & comme ce nit fe peuple du 
monde qui fut le mieux accorder fes lots avec 
. fes projets , if n'efi point indiff^reni d'examiner - 
ce quil fit a cet 6gard 

•C H A P I T Jl E XXL 



Dts lois des Remains fur la propagation de 

Cefpece. • 

'i^is anciennes lois de Rome- chercherent beaiK 
coup \ d^erminer les citoyens au manage. Le 
f^nat & le peuple firent fouvent des r^g&meas 
. l"deffus, comme le dit Aueufte dans fa haran - 
gue rapport^e par Dioti ( a). 

Denys d'Halicarnaile (^)ne peut croire , qua- 
pris la mort des trois cent cinq Fabiens , exter 一 
min^s par les V^iens , il ne f&t refte de cette race 
qu'un leul enfant ; parce que la loi aiicienne , qui 
ordonnoit i chaque citoyen de fe marier & d'c- 
lever tous fes enfans, etoit encore dan$ fa vi- • 
gueur (r). 

Ind^pendamment des lois, ks cenfeurs eurent 
foeil fur ks mariages; & felon les ))efoin$ de U 



(a) Li,. LVL 
(M Livre II. 

ripublique 



Liv. XXdL Chap. XXI. .209 

ff^tibKque , ils y ei^gerent (d) & par b home 
& par les pdnes. , 
Les moeurs , qui commencermt a (ecorrom- 
pre , contribuereat beaucoup k qegouter les ci- 
toyens du manage, qui n'a que des panes pour 
ceux qui nont plus de (pn pour les .plaifirs de 
^innocence. Cell Fcfprit de cette {c) harangue 
que Metellus Numi<&cus fit au peuple dans (a 
cenfare. " Sil ^ott poffible de n avoir point de 
» femme , nous nous dilivrerions de ce mal ; 
» mais comme la nature a tzMi que l,on ne 
» peut guere virre heureux avec elles, ni fub- 
» lifter fans eUes, il faut avoir plus d*igards ^ 
» notre confervation , qu*^ des fatkfa&ons paf 崎 
9f fageres 

La corruption des moeurs d£trai(ft la cenfure^ 
jtablie elie-meme pour ditruirela corruption dss 
moeurs : mais lorfque cette corruption devient 
gen^rale , fa cenfore n,a plut de fore 癸 【/]• 

Les difcardes miles , les triumvirats , Jesprof* 
criptions,' affoiblirent plus Rome qu'aucune guerre 
quelle eAt encore faite : il refla peu de choyens 
& la plupart n^oienc pas mariis. Pour rem" 
dier it ce dernier mal, Cifar & Augufte r6ta- 
Uirent la cenfure , & votdurem (^)、 HdSoie Site 




Live 

€h. 19. - 
(e) Elle efl ^ans Auluj^elle , Mr. I. cliap vT, 
\f) Voyei ce <{u« j'sii dit au livrt V, chap^ j^OV 
(g) Cidr , apTcs la gnerre cWUe , a^ant fait fairer 

le cens , il ne $'y trouva que cent cinquante mille 

cliefs de famine* Epitome de ; Floras (at Tite - Livr , 

^ouzieme decade. 

(i) Voycx DtOAr Uvr XLIQ. & Jtiphil. in Augufi. 



a 10 De lTsprit i>es Low J 

cen&urs. lis firent divers regleniens : C 仏 r ( / ) 
donna des ricompenfes a ceux qui avoient beau- 
coup d'enfans ; il defendit (A), aux femmes quJ 
svoient moins de quarante cinq ans & qui n'a- 
Toient ni marts ni enfans , de porter des pierre- 
ries ,& de fe fervir de li tie res r raethode excel — 
krite d'attaquer le celibat par la vanit^. Les loii 
d'Augufte (/) furent plus preffantes impofa (my 
des peines nouveHes a ceux qui n'^toient point 
maries , & augmenta le» recompenfes de ceux 
qu» r^toient , 6( de ceux qui avoient des enfans*. 
Tacite appelle ces- lois Juliennes ( " ) ; il y a ap- 
parence qu*bn y avok fbndu les anciens regie - 
mens faits par le fen at , le peupte & les cenfeurs. 

La loi d'Augufle trouva mille obftacles ; & 
trente-quatre ans [o] apres qu'elle eut ^t^ faite > 
les chevaliers Romains lui en demanderent la re- 
vocation. II fit mettre d'un c6t4 ceux qui &oient 
maries ^& I'autre ceux qui ne fetoient pas : 
ces derniers parurent en ^lus grand n ombre ; ce 
qui ^tonna hs citoyens & les confondiL Au- 
gufte , avec la gravite des anciens cenfeurs , I'eur 
parla ainfi (f). 

" Pendant que les matadies & tes guerres nous 
enlevent tant de citoyens , que deviendra la 



(i) Dion , Hv. XLUI ; Su^tone, vie de C^far chap. 
XX ; Appien , liv. II. de la guerre cirile. 

(k) Eulebe dars la chronique, 

(l) Dion , liv. LIV. 

(m) L'an 736 de Rome, 

In) Julius rogationzs , annal, Itr. iir. 

\o) L'an 762 dc Rome , Dion , liv. LVT. 

{p) J'ai abr^g^ cette harangue , qui eft <l*iine Ton* 
gueur acchhlanu •• eUe ed ~ranpOrti^e dans Otion , li -, 
vre LVI, 



Liv. XXIIL Chap. XXI. %ii 

ViHe , fi on ne contrade plas de marines } La 
€it& lie confiAe point dans les maifons , les por- 
tiques , les places pub^iques : ce font les homines 
qui font la cit6, vous ne verrez point., comme 
dans les fables , fortir des hommes de deflbus la 
terre , pour prendre foin de vos affaires, Ce il*eft 
point pour vivre feul*, que vous reftex dans le 
cell bat : chacun de vous a des compagnes de fa 
table & de fon lit , dc vous ne chercnez que la 

F'aix dans vos deriglemens. Citerez-vous id 
exemple des vierges Vofcks ? Done fi vous 
ne gatdiez pas les lois de la pudicit^ , il fau^roit 
vous punir comme elles.< Vous etes egalement 
snauvais citoyens , fok que tout le monde imite . 
votre exemple , foit que perfonne fie le fmve. 
Mon unique objet eft la perp^tuitc de la r^pu- 
blique. J,ai augmente les peines de ceux qui n'ont 
point obei ; & a Pegard des r^compenfes , elles 
font telles que je ne fache pas que k vertu en ait 
encore eu de plus grandes : il y en a de mom- 
dres , qui portent mille gens a expofer leur vie;' 
& celles-ci ne vous engageroient pas a prendre 
une femme , & a^nanrrir des enfans "i 

II donna la loi qlr'on nomtna de* £on nom 
Julia , & Poppia Pappsea du nom des cafifols (力 
d'une partie de cette annie-la. La grandeur du 
mal paroiffoit dans leur 在 le£Hon iiiefne;Dion (r) 
nous dit qu'ils n'^toient point mari^s, 6c qu'ils 
n'avoient p<Mnt cTenfans, 

Cette loi d'Augufte fut proptemehf uti code 
de lois. &un corps fyflematique , de tou$.le» 



(f) Marcus l^appius Mutilus , 6» (^. Poppaus S、ah" 
nus. Dion Hv. LVl. : 
{r) Dion, Uv. LVh . -- 

s % 



"2 Ds L*EsPRIT DE$ LoiS, 

riglemens qu*on pouvoit fairs fur ce fu|et. On 
y refondit les lois Juliennes (s) ,& on leur don- 
na plus de force : elles ont tant de vucs , dies 
influent fur tant de chofes , qu'elles forment 
h plus belle parde des lois civiles des Roinains» 

On en trouve (t) les morceaux difperfes dans 
les pr^cieux fragmens dUlpien, dans ks lots dvt 
digefte tir^s des auteurs qui out ictk for les 
lois Papplennes ; dans les hiftoriens & ks autres 
auteurs qui les ont cities ; dans le cade Theodo- 
fien qui les a abrog4ls ; dans les Peres qui les 
ont cenfur^es » fans doute avec un zele lovable 
pour ks chofes de f autre vie , mais avec tres 
peu de connoliTance des affaires de cdle ci. 

Ces lois aroient plufieurs chefs , & Yon ett 
connott trente-ctnq (y), Mais alUnt a mon fil- 
let le plus direAement qu'il me fera poi&ble , je 
commencerai par k chef qu^Aulugelk [jp] nous 
dit £tre k fepdeme, & qui regarde ks hon- 
neurs & tes ricompenfes accorcks par eeue 
foi? , 

Les Romains , fortk pout k pliipart de% 
villes Ladnes , qui etoient. des colonies Laced«-> 
ttioniennes [y] ^ Sl qui avoient inline ttr4 de* 
ces vilks 【3 une par tie de ku» lois, enrent^ 



(i) Le titre 14 des fragment d'Ulpien 湖 ingsieTarft 
bien U l。i Jutiennc dr la Fappiennc. 

it) Jacques GbHcffoid «n a fait une compilktion. 
y) Le trentc^cifK{uicine eft: cit^ dans. U loi 
ic ritu nuptidrum, 
(«) Liv. U: cln xir. 
(y) Denyfr cl'ifaUcariiafle*. 

ft) Le* d^put^ <te Rome qui furent enf oy& pouf 
chercher des leii Grtcqaes } alletcoti Mhenes danik 
ks vUles ilulic 



3 



tiv. XXIII. Chap. XXt. itj 
comme les Lacid^moniens , ponr la Yieillefle* 
ce refpefi qui donne tons les honneurs & ton - 
tes les prifeances. Lorfque la ripublique man- 
qua de citoyens , on accorda au tnaris^e & au 
notnbre des enfans les prerogatives que I'oii 
avoit d(>nnees a r^ge (a) ; on _en attacha quel* 
qoes-unes au mariage feul , ind^pendamment des 
enfans qui en pourrotent naitre r cela s^appeDoit 
le droit des maris. On en donna d,autres a ceox 
qui avoient des enfans , de plus grandes k ceux 
ui avoient trois enfans. U ne £iut pas confon- 
re ces trois chofes. B y avoit de ces privi- 
leges dont ks gens mmis jouifToient toi^ours, 
comme , par exemple , une place particuHere aa 
thesltre (t) ; il y en avoit dont ils ne jouiffoient 
que iorique des gens qui avoient des enfans » 
ou qui en avoient plus qu,eux, ne ks lent 
otoient pais. 

Ces privileges Aoient tris itendiis. Les geni 
tnaries qui ayoient le plus g^and nombre (Ten - 
&ns, ^oient toujours^f^feris (c) , foit dans 1* 
pourfuke des honneurs , foit dans rexercice de 
ces honneurs monies. Le conful cpu aroit le plus 
d'enfans , prenoit le premier les (aifceaux [d] ; il 
avok k cnoix des provinces (f》 ; le (^nateur qui 
avoit pkisdlenfans , etoit icnt k premier dans 
le catalogue dies finateun ; il difok au fenat fon 
avis k premier (/). I/bn pouvott paryenif avant 



(tf) AulugelleJiv.IK ch. xv. 

(Fi SuetoM , in Augufio , ch. XLfV, 

(c) Tacit e, fiv. U. Ut numcrus libtrarum hi canSda^ 
ds prapolUret y quod, le^ jubehat, 

(d) Au1ugel]ie».liY. H. chap. xv. 
U) Tactte , annal, Mr, Xy. 

If) Voyetla loiVLS^, 5. C dc duuriom^ 



ft 14 De l'Esprit D£s Low, 

I'ige aux maglflratures , parce que chaque enfaiit 
donnoit difpenfe d*im an [g], bi Von avoit ttor» 
cnfans a Rome , on etoit exempt de toutes char- 
ges perfonnelles (A). Les fennnes ingenires qitt 
avoient trois enfans , & les affranch IS qui en 
avoient quatre , fortoient (r) de cette perpe*^ 
tuelk tutelle , ou les retenoient (k) les anciennes 
lois de Rome. 

Que s'il y avoit des r^compenfes , fl y ffvoit 
aufli des peines (/). Ceux qui irttoient point 
roaries , ne pouvoient rien recevoir par le tefta- 
ment des [rri] Strangers ; & ceux qui , 6tant 
mari^s , n'avoient pas d'enfans , n*en rccevoient 
que la moitie Les Romains , dit Plutaiv 
que (a) , fe mafioient pour ^re heritiers , & non 
pour av<ni^ des heritiers. 

Les a vantages qu'un mart & une femtne pou- 
Toient fe faire par teftament , ^toient limites 
par la k)i. lis pouvoient fe donner le toot [p] , 
avoient des enfans run de rautre ; s'ils n'eii 
avoient point , Us pouvoient recevoir I2 dixieme 



fj) Voyez la Toi H. flp. it mirtorih. 

rt) Loi I & 11 , fF. <fe vacatione , & exeufat» mmer, 

CO FragiTU d'Ulpien , tit. 29. §. j. 

(k) PlutarqiM , vie de Numa. 

(/) Voyc^ Us fragmens d'Ulpitn- , aux fit. 14, Tf,' 
16, 17 & i8 , qui font un des beaux morceaux de I'aft* 
crenne Jtrrifprudence Romatne. 

(m) SozoiDr liv. I chap IX. On recevoit de fes pa»- 
fens ; &agnK d*UIpien ; tft. r6. §. r. 

(") Sozom , Kv. I. chap. IX , & leg^. unic codTheodr 
de infirm, ^panis catih, & orbit at, 

(0; (Euvrcs morales , de I'amcmr des peres envers> 
feurs enfans. 

* {p) Voyez un pTas long (?^ tail de ceci dani Us 
gm^ns d'Ulpicn , tit.- 15- &. 



L I V. XXIII. ChA7. Xltt. 2Tf 

partle de la fuccefHon , a caufe du marlage ; Sc 
s'il avoient des enfans d'un autre manage , ils 
pouvpient fe doanec autant de dixiemes qu'ils 
avotent (fenfans. 

Si un m^r s'labfentoit [-] d'auprSs de fa 
femme y^our autre caufe que pour Ics affaires 
de^hi^republique , il ne pouvoit en itre l,h£- 
litier. 

La lordonnoit a un mari ou a une femme qui 
furvivoit , deux ans [rj pour fe remarier : & un 
an & deiTii dans le eas du divorce. Les peres qui 
ne vouloient pas marier leurs enians , ou donner 
de dot a leurs filles , y ^toient contrcunts par les 
magiftrats [s]. 

On ne poavoit fake de fian^ailles lorfque le 
mar i age devoit itre differ^ de plus de deux 
ans [rj ; •& comme on ire pouvoit ^poufer une 
qu'a douze aas , on ne pouvoit la fiancer 
qu^a dix. La loi ne vouloit pas que Von put jouir 
inutilement [v] , & foi】s pretexte de iian^ailles y 
des privikgfs des gens mari^s* 



Cg) Fragm. d*Ulpien , tit. t6. §, 

(r) Fragm. d'Ulpien , tk. 14. II paroit que Tes pre- 
mieres low Juliennes (! bnnerent trois ans. Harangue 
fi'Aug..fte dans Dion , liv. LVf : Suetone * vie d'Au- 
Cuftfi, chap. XXXIV. D'aatres lois Jaliemies n,accot> 
derent ou'un an : en fin , la loi Pappienne en donna 
deux, fragm. d'Ulpien , tit. 14. Ces lois n'^oient 
point agr^ables au peuple ; 8c Augude les temp^roit 
ou les roidtffoit,. felon qufon ^oit plus ou motiis dif- 
pof^ a lies fouffrir. 

• C^toit le trente-cinqmeme cheP de Ik loi- Piap* 
pieniie /tg. /<>. ff, p'ta nuptiarum, 

(t) Voyez Dion , liv. LIV , anno 7J6 Suetone , in 
OSavio , chjp. XXXIV. - 
, (V) Voyez Dion , liv. LIV; & dan9 le mime Dio9.^ 
h harangue d'Augufte , liv, LVI; 



Uf t*EsPRiT DE$ Lois; 

II etoH d^fendull un hotnme qui avoit foi^ante 
ans [x] d'dpQufer une femme qui en avoit cin - 
quante. Comme on avoit donne de grands pri- 
vileges aax gens maries , la loi ne vouloit point 
cu'il y eut des manages inutiles. Par la meme rat- 
ion , le ftinatus - confulte Calvifien declaroit 
in6gal [y] le manage d,une femme qui avoir 
plus de cinquante ans , avec un homme mii ea 
avoit fnoins de foixante : de forte qu'une lemme 
qui avoit cinquante ans ne pouvoit fe marier , 
fans encourir les peines de ces lois, Tibere 
ajouta (^J a la rigueur de la loi Pappienne , & 
defendit a un homme de foixante ans d'ipoufer 
une femme qui en avoit moxns de cinquante ; 
de forte qu*un homme de foixante ans ne pouvoit 
fe marier dans aucun cas , fans encourhr la pme : 
mais Claude {a) abrogea ce qui avoit iti bat fou& 
Tibere a cet egard 

Tomes ces difpofitions ^oient plus confonnes 
au climat dltalie qu,a cehii du nord , on un 
homme de foixante ans a encore de la force, dc 
oil les femmes de cinquante ans ne font pas 
giniraiement ft^nles. 

Pour aue ron ne fit pa» inotilement borne 
dans k choix que t'on pouvok faire , Aucufte 
permit a tous les ineenus qui n'l&toient pa» lena- 
teurs {if) d*i6poufer oes affranchies (c). m loi (々 

(x) Ffagm. d'UIpien , tit. i^; & U lor XXVil p cod, 
auptiis. 

(y) Fragm. dUlpkn , ti" i6. §, 5. , 

(1) Voyez Suetone , is Claudia , dw xmi. 

(«) Voycr Su^one , vie de Claude , ch. xxxn ; 9i 
ks fragm. d'UIpien > tit, 16. §. p 

《-》 DU>h, liv. LIV J fragm. d'l/lpien, tft. IT. 

(f) Harangue d'Augufte , danf Dion , liv. LVl. 

(rf) Fragm. d'UIpien , ch. & U bi XLlV , au 
ft, iU ritu nupumm ^41a &u 

Pappienne 



Li V. XXIII. Chap. XXI. 117 

I^ppienne interdifoit aux fenateurs le mafiage 
avec les femm^s qui avoient it& aiFranchles , oil 
qui s'etoient produites fur le theatre ; & du temps 
总, Ulpien (e) , il etoit defendu aux ing^nus d'e- 
pouler des femmes qui avoient mene une mau- 
vaHe vie, qui ^toient mont^es fur le theatre , 
ou qui avoient ete condamn^es par un jugement 
public. II falloit que ce fut quelque ftnatus-con- 
? bite qui eut etabli cela. Du temps de la r6publi- 
<jue , on n*avoit, guere fait de ces fortes de lois , 
paree que les cenfeyrs corrigeoient a cet ^gard 
leS defordres qui naiiToient , ou les ^mpechoient 
de naltre. ' 

Conftantin i^f) ayant fait une loi , par laquelle 
II comprenoit dans la defenfe de la loi Pap- 
pienne non feulement ies fenateurs , mats, encore 
ceux qui avoient un rang confiderable dans Fe- 
tat , fans parler de ceux qui etoient d*une condi- 
tion inferieure; cela forma le droit de ce temps- 
la : il n'y eut plus que les ingenus , compris dans 
la loi de Conftantia , a qui de tels mari^iges 
fuflent defendus. ^uftinien {£) abrogea encore 
la loi de Conftantin , & permit a toutes fortes 
de perfonnes de oontrafter ces manages :. c'eft 
par - la que nous avons acquis une liberte fi 
trifle. 

II eft clair que les peines porties centre ceux 
^ui fe marioient contre la defenfe de la loi, 
etoient les m ernes que celles port^es contre 
ceux qui ne fe marioient point du tout. Ces ma - 



' {«) Voycz les fragmens d'Ulpieo , tit. 13 &. i5. 
(/) Voyez la loM , au cod. it not, lih, 
W Novel. 117. 
Tome III. T 



ii8 De l'Esprit D£s Lolif 

riages ne 4eur donnoient aucun avantage 
civil •• la dot (i) ^toit caduque (k^ apres la mort 
de la femme. 

Augufte ayant adjug^ au trefor [/] public les 
fucceflions 6c les Jegs de ceux que ces lois en 
d^claroient incapables , ces lois parurent plutot 
fifcales que politique^ 6i civiles. Le 'degout que 
Yon avokd^ja pour une chofe qui paroilloit acca^ 
blante , fut augment^ par celui de fe voir con- 
tinuellement en proie a ravidite du fife. Cela fit 
<jue , fous Tibere , on Ait obligi de modi- 
fier ini) ces lots ,,qiie Ncron diminua les recom- 
penfes des 、"、 delateurs au fife , que Trajan (o) 
arreta Icurs brigandages , que Severe (p) mo, 
difia ces lois , & que les iurilconfultes les regar- 
derent comme odieufes, 6t dansleurs deciiions en- 
abandonnerent larigueur. 

D'aiUeurs ' les Empereurs inerverent ces 
• lois , par les privilejges qu*ils donnerent des 



(A) Loi xxxvii , S.7.ff, dt operib. libertorum , frag, 
d Vipien , tit. i6. §. 2. 
(i) Fragm. Ibid, 

Ik) Voyei ci deiTous le ch. xiii du lir. XXVI. 

(/) Except^ dans de certains cas. Voyez les fragm: 
d'Ulpien, tic. iS^; 6; la loi unique , au^ cod. dc caducm 
iolUnd, , 

(jn) Relatum ic moderandd Pappia Poppad « Tacite , 
annai, I'fv. iii. p, 117. 

(n) II les reduiBt a 】a qaatrieme partie. Su^tone > 
in Niront , chap. X. 

(oj Voyez pan^gyriqiie de Pline. * 
一 ip) Severe recula jufqu'a 25 ans pour Ie$ males > & 
ao pour les filles , le temps At% diipofitions de la loi 
Pappienne , comme on le voit en cofif^rjint le fragm* 
d'Ulpien , tit iCt avec ce que dit TertuUien , apolo- 
g^t. ch. IV. 

(力 P, Scipion » cenfeur » dans fa harangue au peu- 



L IV. XXHI. Chap. XXI. 1x9 

droits de maris , cTenfans , & de trois enfans. lis 
firent plus ; ils difpenCerent les particuliers {r) des 
peines de ces lois. Mais des regies etaUies pour 
rutilite publique , fembloient ne devoir point ad- , 
mettre ae difpenfe. , 

li avoit ^te raifonnaWe d'accorcler le droit 
d'enfkns aux Veftales i^s) , qufe la religion retc- 
noit dans une virginite n^ceflaire : on donna £f] 
de mcmele privilege des maris aux foldats^parce 
qu'ib ne pouvoient pas fc marier. C6toit la cou- 
tume d'exempter les Etnpereurs de ia gene de 
certain es lois tiviles. Ainfi Augufte fut exempt 士 
de ia gene de la loi qui- limitoit la faculti (v、 
d'affranchir , & de celle qui bornoit la faculte {x^ 
leguer. Tout cela ii*etoit que des cas panic u- 
Hers : mais dans Isuiuite les difpenfes furent don- 
nees fans management, & la regie ne fut plus 
qu'une. exception. 

X>es leftes de plilofophie avoient deja introduit 
d^ns rempite un efprit d'eloignement pour les 
affaires, qui n'auroit pu gaener a ce point dans 
le temps ae la republique (y) , oil tout le monde 



pk fur les moeurs , fe plaint d« Vabus ^ut dcja s'etoit 
uitroduit * aue le fils adopttf donnoit le m^me privi- 
lege que le his nature). Auiug. Hv. V. ch. xzx. 

(r) Voyet la loi XXXI. ft. de ritu nupt. 

\s) Aii^'ufte , par la loi Pappienne , leur donna ! e 
tneme pmiUge qu*aux meces ; voyci Dion , Uv. LVI. 
Numa teur avoit donne I'ancien privilege des femmes 
qui avoient trois enfans , qui efl de n'avoir point de 
curateur ; Plutarque dans la vie de Numa. 

(r) Claude le leur accorda , Dion , liv. LX. 

(v) Leg. Apud cum , . if. dc mamufnijjionib. i. 

(x) Dion , liv. LV. 、 

ly) Voyez dans les offices de Cic^ron « ces idees 
fur cet efprit de fp^culation, 

Ta 



220 l*Esprit des Lois ; 

ctoit occupi de& arts de la guerre & de la paix* 
De-la une idee de perfeftion attache e a tout ce 
qui mene a une vie fpeculative : de-rla r^loi- 
gnement pour les foins & les embarras d'une 
famille. La religion chretienne -venant apres la 
philofophie , fixa , pour ainfi dire , des idees que 
celle-ci n'avoit fait que preparer. 

Le chriftianifme donna fon cara6iere a la 
jurifprudence ; car I'empire a toujours du rap- 
port avec le facerdoce. On pent voir le code 
Theodofien , qui n'eft qu'une compilation des 
ordonnances des Empereurs chretiens. ^ 

Un panegyrifte (i\ de Confiantin dit a cet 
Empereur : " Vos lets n'ont ete faites que 
,, pour corriger les vices , & regie r les moeurs ; 
,, vous avez 6te I'anifice des anciennes lois , qui 
,, fembloient n'avoir d,autres vues que de tendre 
V des pieges a la fimplicite "• _ 

II eu certain que les changemens de Coqf- 
tantin furent fkits, ou fur des iddes qui fe rap - 
portoient a r^tablifTement du chriflianifitie , ou 
fur des iddes prifes de fa perfedlion. De ce pre* 
ipier objet ^ vinrent ces lois qui donnerent une 
telle autorite aux ev^ues , qu'elles ont ete le 
fondement de la jurifdidion ecclefiaftlque : de- 
la ces lois qui afFoiblirent rautprit6 pater — 
nelle (a) , en 6tant au pere la propriete des 
biens de fes enfans. Pour ^tendre une religion 
nouvelle , il faut oter rextreme depenc'»ance des 
enfans , qui tiennent toujours moins a ce qui eft 



(l) Nazaire, In panygtrico Canftantini. , anno 521. 

{a) Voyez laloi i , 11 & ill , au cod Thdod. d& butm 
nis maumis , maternique generis, &' c. & la loi unique da 
code de bonis qua filiis family acquiruntur* 



Liv. XXin. Chap; XXI. 

Les lois faites dans rob jet de la perfeftion 
chv^tienne , furent furtoiit celles par lefquclles 
il dta les peines des lois Pappiennes (Jf) , & en 
exempta , tant ceux qui n'etoient point maries , 
que ceux qui , £tant maries , n'avoient pas 
aenfans. 

Ces lois avoi^nt M Stabiles , dit un hiflo- 
,, rien (^c) eccl^fiaftique , comme fi la miiltipli- 
,> cation de l,efpece humaine pouvoit etre un 
» effet de nos loins ; au lieu de volt que ce 
» nombre croit &c decroit felon I'ordre de la 
,, providence ,,, 

Les principes de la religion ont extremement 
influe fur la propagation de I'efpece humaine : 
tantot -lis l,ont encouragee , comme chez les 
Juifs , les Mahometans- , les Guebres , les Chi- 
nois : tantot lis Font choqu^e , comme ils firent 
chez les Romains devenus chretien^.' 

On ne cefia de pr^cher par-tout Ja continence , 
c'eft-a-dire , cette yertu qui' eft plus parfaite , 
parce que par fa nature elle doit etre pratiqaee 
par tres peu de gerS. 

Conftantin n'avoit point ote les lois deci- 
tnaires , qui donnoient une plus gfande extan- 
fion aux dons que le mari & la femme pou- 
voient fe faire a proportion du nombre de leurs 
enfans : Th^odofe le jeune abrogea /tf) encore 
ces lois. 、厂 

Juftinien declara valables (e^ tousles manages 



(b) Leg unic, cod Th^od. de infirm, pan, calib, & 
orhie. 

(c) Spzom. p. 17. 

(d) Leg. II & III. cod Th^od. de jur, lib, 
Jml e ) Leg. Saneimus , cod,' dc nuptiis^ • 

攀- T 3 



aaa De l'Esprit de» Lois } 

que les lois Pappiennes avohnt defendus. Ce* 
lois vouloicnt qu'on fe remariat : Juflinien 
accorda des avantages a ceux qui ne fe remarie- 
roient pas. 

Par Us lois anciennes , la facult^ naturelle que 
chacun a de fe marier , & d*avoir cTes enfans , ne 
pouvoit etre ot^e : ainfl, quand on recevoit un 
legs (^') a condition de ne point fe marier, lorf- 
qu'un patron faifoit jurer (hy fon affranchi qu,il 
ne fe marieroit point , & qu,il n'auroit point 
cTenfans, la loi Pappienne annulloit (i) & cette 
condition & ce ferment. Les claufes , cn gar- 
dant viduiti^ Stabiles parmi nous , contredifent 
done le droit ancxen , & defcendent des conftitu- 
tions des Empereurs , iaites fur les idees de la 
perfe^^tion. 

II n*y a point de loi qui contienne une abro- 
gation expreffe des privileges .& des honneurs 
que les Romains pa'iens avoient accord^s aux 
mariages & ail nombre des enfans : mais la oil 
le celibat avoit la preeminence , il ne pouvoit 
plus y avoir d'honneur p«ur le manage ; & 
pui£[^ue l,on put obliger les traitans a renoncer 
a tant de profits par I'al^lition des peines., on 
font qu'il tut eacore plus aife d*6ter les ricom- 
penfes* 

La miaie ralfon de fpiritualiti qui avoit £ut 
permettre le cilibat , impofa bient&t la n6ceffite 
Gu cilibat meme. A Dieu ne plaife que }e parle 
ici contre le ceBbat qu'a adopts la religion : 



(7")Nov. ri7, di. ! II. Kov. i 8 ch, v. 
{e) Leg. LIV. ff. di condit. & dcmonjL 

in) Leg. V. $. 4. de jure patronat, 
Paul , daas Ces (jentences > liY«. III. tit» xi $• I 恭 



Liv. XXIII. Chap. XXI. aa) 
mais qui pourroit fe taire contre celui au'a for- 
me le libertinage ; cclui oil les c-jus iexes , fe 
corrompant par les fentimens naturels memes , 
fuyent une union qui doit 1* rendre meilleurs ^ 
pour vivr« dans celle qui les rend toujours 
pi res ? 

C'eft une regie tiree de la nature , . que plus 
on diminue le nombre des manages qui pour, 
.foient fe faire , plus on corrompt ceux qui 
font falts ; moins 11 y a de gens mari^s , moins 
il y a de fidelity dans les manages : comme 
lorfqu'il y a plus de voleurs , il y a plus de 
vok. 

CHAPITRE XXIL 




Xj£ s premiers Romalns eurent une aflez bonne 
polke fur I'expofition des enfans. Romulus , die 
Denys d'HaHcarnafTe [a] , impo(a a tousjes ci- 
toyens !a neceflit6 d'^lever tous les enfans males 
& ies aln^es des filles. Si les enfans etotent diffor - 
mes & monftrueux , i] permettpit de les expofer , 
fpT^s les avoir montres ik cinq des plus proches 
VoHins^ 

Romulus ne permit (h) de tuer aucun enfant 
qui eut moins de trois ans : par- la il condltoit U 
loi qui donnoit aux peres le droit de vie & de 



a) Antiquit^s Romaines , Iir. II. 

>) Ibid. O T 

T 4 



124 De l'Esprit D£s Lois; 

mort iviT leurs enfans , & celle qui defencbit Je 
les expofer. 

On trouve encore dans Denys d'Halicar- 
fiaiFe (c) , que la loilqui ordonnoit aux citoyens 
de fe marier & d'elever tous leurs enfans , etoit 
en vigueur l,an 277 deRome : on voit que Fufagc 
avoir rcftreint la loi de Romulus , qui permettoit 
rfexpofer les filles cadettes. 

Njous n'avpns de connoifTance de ce que la lot 
des iouie tables , donnie Fan de Rome 301 y 
flatua fur rexpofition des enfans, que par m 
paiTage de Ciceron [d] , qui , parlant du tribunat 
du peuple , dit que d'abord apres fa naifTance , 
tel que Fenfant monftnieux de la loi des douz^ 
tables , il fut ^toufFe : les enfans qui n*etoient paa- 
monflrueux etoient done conferves ,& la loi des 
douze tables ae changea rien aux inftitmions pre- 
cedentes. 

" Les Germalns, dit Tacite [^}, n'expofent 
" point leurs enfans ; 6c chez eux , les bonnes 
» moeurs out plus de force qiie n'ont ailleurs les 
" bonnes lois "• II y avoit done chez les Romains 
des lois centre cet ufagje ,& on tie les fuivoit 
plus. On ne trouve auciine loi (/) Romaine^ 
(tiii permette d'expofeir les enfans : ce fat fans 
<!oute un abiis introduit dans les derniers temps ^ 
lorfque le luxe ota I'aifance , lorfque ks richelTes 
partagees furent appellees pauvrete , lorfque 1$ 



(c) Liv. IX. 

(if) Liv. III. de U^h, 
(c) Dc morih, German. 

(/) 11 n'y a point de titfe U-deffiis dans le dig e fie t 
\t tit re du code n'en dit rien » non. plus i^uc ki 



Liv. xxin. ch AP. xxii. 2" 

p(»re crut avoir perdu ce qu'il donna a fa fa - 
mille , & qu'il diuingua cette famille de fa pro- 
priete. 



!! BBS 



C H A P I T R E XXIIJ. 

Di lUtat dc tunivers apres la deftru£&on dtM 

Romains. 

L Es* r^glcmens que firent, les Romain, pour 
augmenter le nombre de leurs cltoyens, ctjrent 
leur efFet pendant que leur r^publique , dans la 
force de (on inftitutron , n'eut a r^parer que les. 
penes qu*elle faiibit par fon courage , par fon 
audace , par fa fermet^ , par fon amour pour la 
gloire , & par fa vertu fneme. Mais bientot les 
lois les plus fages ne purent retablir ce qu'une 
republique mourante , ce qu'une anarchie g^ne- 
rale , ce qu*un gouvernement militaire , ce>qu'un 
empire dur , ce qu,im defpotifme fuperbe , ce 
qu'une monarchie foible , ce qu'une cour ftupide , 
idiote &L fuperftitieufe , avoient fucceflivement 
abattu : on e{k dit qu*ils n'avoient Conquis le 
monde que pour I'affoiblir , & le livrer fans 
fenfe aux barbares. Les nations Gothes , Ge- 
thiques , Sarrazines & Tartares , les accablerent 
tour- a- tour ; bientot les peuples barbares n'eurent 
a detruire que des peuples barbares. AinQ dans le 
temps des fables , apr^s les inondations & les de- 
luges , il fortit de la terre des homines armes qui 
s'exteiminerent. 



226 De L*EsprfiT o£s Lois; 



C H A P I T R E XXIV. 

疇 

Changemcns arrives ea Europe , par rapport au 
nombre dts habitans. 



D 



ANS I'etat o& ttoit I'Europe , on n'auroit 
^as cru qu*elle put fe r^tablir : furtout lorfque, 
bus Charlemagne , elle ne forma plus qu'un 
vafte empire, Mais par la nature du gouvcrne- 
ment d>alors , elle (e partagea en une infinite de 
pctites fouverainetis. Et comme un feigneur r" 
iidoit dans fon' village ou dans fa ville ; cfUril n*^- 
toit grand , riche 'puifTant, que dis-je ? qu*il n'i- 
toit en snret£ que par ie nombre de fes habitans ,- 
<;bacun s'attacha avec une attention finguliere a 
fake fieurir fon petit pays : ce qui reumt telte- 
ment , que , maleri les irr^ularitis du gouver- 
ment , le defaut des connoifiances qu'on a acqin- 
fe$ depurs fur le commerce , 】e grand noinore 
cie guerres & de querelle; qui &*elevercnt fans 
cefle , il y eut dans la plupart des contrees 
d*£urope plus de peuple^ qu'il n'y en a aujour- 
Jhui. 

Je n'ai pas le temps de trailer a fond cette 
matiere ; mais je citerai les prodigieufes ann^es 
des croifes , compofees de gens de toute ef- 
pece. M. Pufendorff dit (a) , que fous Char- 
les IX il y avoit vingt sultions d*hommes em 
France* 



W Hifi* dc rutir. ch« V. " U France 



秦 

L I V. XXin. Chap. XXIV. 117 

Ce font les perpetuelles reunions de plu- 
fietirs petits ctats , qui ont produit cette dimi- 
nution. Autrefois chaque village de France 6toi| 
une capitals ; il n'y en a aujoiird'hui qu'une 
grande : Chaque partie de I'etat etoit urt centre 
de puifTance ; aujourd'hqi tout fe rapportc a un 
centre ; & ce centre eft , pour ainfi dire, I'^tat 



I 



C H A P I T R E XXV. 

Continuation du mime fujet. 



L eft vrai que I'Europe a , depuis deux fiecles , 
beaucoup augmente fa navigation : cela lui a pro - 
cur 在 des habitant , 6c lui en a fait perdre. La 
Ho"*:nde ^nvoie tous les ans aux Indes un 
grand nombre de matelots , dont il revient 
«ue les deux tiers; le refte perit ou s'^tablit aux 
indes : meme chofe doit a peu pres arriver k 
toutes les autres nations qui font ce com- 
merce. • . 

II ne (aut point juger de rEurope comme 
d,un ^tat particu&er qui y feroit feui imegrande 
navigation. Cet ^tat augmenteroit de peuple , 
parce que toutes les nations voifmes viendroient 
prendre part a cette oavigation ; tl y arriveroit 
des matelots de tous cotes : FEurope ftpar^e 
du rede du monde par la religion [a\ , par de 
vaftes mers & par des d^ferts , ne fe r^pare 
pas aipfi. 



{a) Lcf pays Mah«»^faos rcntottrent prtfqiat par^^ 
tout. 



aiS De l'Esprit piEs Lois; 



C H A P I T R E XXVI. 

Confiquences, 



D E tout cec; I] faut condure que rEurope eft 
encore aujourd'hui* dans le cas d'avoir befoin de 
lois qui favorifent la propagation de refpece hu- 
maine : auffi comme les politique s Grecs nous 
parlent tou jours de ce grand nombre de citoyens 
cjui traviaillent la r^publique , les politiques d'au- 
^our*d*hui ne nous parlent que des moyens propres 
a raugmenter. 



C H A P I T R E XXVII. 

De la loi faite en France , pour encourager la 
propagation de I'efpece. 

X«i ouis XIV ordonna (a) de certainei pen- 
fions pour ceux qui ' auroient dix enfans , & de 
plus fortes pour ceux qui €n auroient dofize. 
Mais il n'etoit pas queflion de recompenfer des 
prodiges. Pour donner un certain efprit general 
qui portat a la propagation de refpece , il falloit 
etablir , commev les Romains , des recompenfes 
gen^ralss ou des peinfes gen^rales. 



* 



(a) Edit de 1666 , en faveur des mariages 



Liv. XXIII. Chap. XXVIH 



229 



C H A P I T R E XXVIII. 
Comment on peut nmidier a la dipopulatioru 

X^ORSQu'uN it2X fe trouve d^pci3pl6 par des 
accidens particuliers , des guerres, des peAes , des 
famines , il y a des reflburces. Les hommes qui 
redent peuvent conferver Fefprit de travail & 
d'induflrie ; ils peuvent chercher a repair leurs 
malheurs , & devenir plus induftrieirc par leur 
calamite memc. Le mal prefqu'incurable eft lorf- 
«|ue hi depopulation vient de longue main, par 
un vice interieur & un mauvais gouvernement. 
Les homines y ont p^ri par une maladie infen- 
fible & habituelle : tiks dans la langueur & dans 
]a mifere , dans la violence ou les pr^juges du 
gouvemement , ils fe font vus ditruire , fouvent 
lans fentir les caufes de leur deflrudion. Les pays 
defol6s par le defpotifme , ou par les avantages 
exceflifs du clerge fur les laiques , en font deux 
grands exem pies. 

Pour retablir un 6tat ainfi depeupI6 , on atten- 
droit en vain des fecours des enfans qui . pour- 
roient naitre. II n'cft plus temps ; les hommes 
dans leurs deferts font fans courage & fans in - 
duilrie. Avec des terres pour nourrir un peuple , 
on a a peine de quoi nourrir une famiile. Le 
bas peuple dans ces pays n'a pas meme de part • 
a leur mifere , c*eft-a-dire , aux friches dont ils 
font remplis. Le clerg6 , le prince , les villes , les 
grands, quelques citoyens principaux« font de - 
Ye 篇 us infenfiblement pioprietaires de toute la coo* 



%jo Di L*EsPRiT DEs Lois i 

trie : elle efl inculte ; mais les families detruites 
kor en ont laide les patures , & rhomme de tra- 
vail n'a rien. 

Dans cette fituation , il faudrbitfaire dans toute 
r^fendue de retnpire , ce que ]es Remains fai- 
ibient dans une paitie du leur : pratiquer, daos 
la difette de^ habitans, ce qu*ils obfervoient dans 
labondance ; diflribuer des terres a toutes les fa- 
fnilles qui n'ont rien ; leur procurer les moyens 
de les d^fricher & de les cultiver. Cette diftri - 
bution devroit fe faire a mefure qu'il y aurott 
un homtne pour la reccvoir ; de forte qu'il ny 
eut poiu de moment perdu pour le travaiL 

C H A P I T R E XXIX. 
ves Hopitaux, 

N homme n,eft pas pauvre parce qu'H n'a 
rien , mais parce qu'il ne travaille pas. Celui qui 
n'a aucun bien & qui travaille , eft auffi a fon 
aiie que celui qui a cent icus de revenu fans 
travailler. Celui qui n'a rien , & qui a un m^ier, 
n'eft pas plus pauvrc que celui qui a dix arpens 
de terreenpropre, & qui doit les travailler pour 
fubfifter. Uouvrier qui a donn^ a fes enfans fon . 
art pour heritage , leur a laifK un bien qui s'eft 
multiplii a proportion de leur nombre. IJ n'en 
eft pas de m^me de celui qui a dix arpens de 
fonds pour' vivre , & qui les partage a fes enfans. 

Dans les pays de commerce , ou beaucoup de 
gens n'ont que leur art , V^iat eft fouvent eblig^ 
de pourvoir aux befolns des Vieillards , des ma* 
kdes & <Ies orpkelins. Un ^ut bien polici tire 



、 



L I V. XXIIL Chap. XXIX. 13 1 

cette fubfidance du fonds .des arts m^oies ; il 
donne aiix uns les travaux dont ils font capables ; 
il enfeigne les autres k travailler , ce gui iaitdeja 
un travail 

Quelques autn&nes que l,on fait ii un homme 
nud dans les rues , ne rempliflcnt point les obli- 
gations de r^tat, qui doit a tous^les citoyens uiie 
lubfiftance aflur^e , la nourrtcure , tin vetetnent 
convenable, & un genre de vie qui ne foit poinc 
contraire a la fante. 

Aureng-Zebe (<f ) k qui on detnandoit pour* 
quoi il ne b^tiflbk point d*hdpitaux , dit : a Je 
» rendrai men empire fi riche, ciu*il n'aura pas 
,, befoin d'hopitaux "• II auroit fallu dire : Je com- 
tnencerai par rendre mon empire riche, & je 
batirai des hopitaux, 

Les richefles d'un itat fuppofent beaucoup d*in- 
duflrie. II n'cft pas poflible que dans un fi grand 
nombre' de branches de commerce , il n'y en ait 
toujours qnelqu'une qui fouffre, 6t dont par 
coniiiquent les ouvriers ne foient dans une n" 
tt&xi momentanee. 

Ceft pour lors que retat a befotn d'apportef 
un prompt fecours, foit pour empecher le peu- 
•ple de foufFrir , foit pour ^vtter qu'U ne fe r" 
\oke : c'eft dans ce cas qu'il faut des hdptuus , 
oil quelque r^glement equiyaidit , qui puifle pr4- 
yenir cette mifere. 

Mais quand la nation eft pauvre , la pauvret6 
particuliere derive de la mifere ^i^n^rale ; 6c elle 
cfl , pour ainfi dire , la mifere generate. Tous les 
hopitaux du monde ne fauroient guer'tr cette pau- 
vret^ paiticyliere; aa contraire, rcfprit de pa* 

(s) Yoyex Char din, voyage cU Pcrfe , toniu 



23^ t5H l'Esprit des Lois; 

reffe qu*ils infpirent , augmente la pauvreti gi« 

u^rale , & par conft^quent la particuliere. 

Henri VIII {b) voulant reformer reglife d'An- 
gleterre , ditruifit les moines , nation pare (Feu fe 
elle-ifieme, & qui entretenoit 】a parefle des au- 
tres , parce que pratiquant rhofpitalit^ , une in- 
iv^ite de gens oififs , gentilshommes & bourgeois , 
paffoient leur vie a courir de couvent en con - 
vent. II Ota encore les h6pitaux oil le bas peuple 
trouvoit £i fubnfUnce , com me les gentilshommes 
trouvoient la leur dans les monafleres. Depuis ce 
changement , Fefprit de commerce ^ d'induilrie 
s*etablit en Angleterre. 、 

A Rome , les hopitaux font que tqpt le monde 
eft a fon aife , except 纟 ceux qui travaillent , ex- 
cepte ceux qui ont de I'induftrie, excepte ceux 
qui cultivent les arts , excepte ceux qui ont des 
terres, except^ ceux qui font le commerce. 

J'ai dit que 】es nations riches avoient befoin 
d'hopitaux, parce que la fortune y etoit fujette a 
mille accidens : mais on fent que des (ecours paf- 
fagers vaudroient bien mieux que des ^tabliflfe- 
、! nens perpetuels. Le mal efl momentan^ : il faut 
done des fecours de meme nature , 6c qui foienc 
applicables a raccident particulier. 



{b) Voyei Vhiftoirc de la r^forme d'Angleterre , par 
M. 13urnet. 



LlVRE 



Liv. XXIV. Ghap. I 



^33 



LIV, RE XXIV. 

Dcs Lois , dans U rapport qi!clh% ont avcc 
la religion itabUc dans ckaquc pays , 
conjidcrie dans fc$ pratiques & m、lk* 
mcmt: 



C H A P I T R E PREMIER. 

DCS religions en gineraL 

^^OMME on peut juger parml les tinebres celles 
qui ibnt les mojns ^paifles , & «parini les abymes 
ceux qui font les moins profonds ; ainfi ron peut 
chercher enjre les religions faufles celles qui font 
ks plus coniortnes au bien de la fociete ; celles 
qui , quoiqu*elles n'aient pas Feffet de mener les 
homines aux f^licites de Fautre vie, peuvent le 
plus contribuer a leur bonheur dans celle-ci. 
' . Je n'examinerai done les diverfes religions da 
monde , que par rapport au bien que Yon en tire 
dans Petat civil ; foit que je parle c,e celle qui a 
fa raclne dans le del , ou bien de celles qui cnt 
la leur fiir la terre. 

Comme dans cet ouvrage je ne futs point theo- 
logien, mais ecrivain politique , il poiirroit y 
avoir des chofes qui iie feroient entieremeat vraies 
que dans une fa^on de penfer humaine , nayant 



&34 D.E l'Esfrit DCS Lat&, 

point iti c&nQAiries dans le rapport avec .des 
^irites plus fublimes. • 

A regard de la vraic religion , H ne faudra 
que tr^s. peu d*^uiti pour voir que )e n'su jamais 
pr^tendu faire ccder fes interets aux tnt^etspo-* 
iidques, mais les unir: or, pourles unir^il hut 
Us, connoitre. 

La reltfion Chritienne, qui ordonne aux hom-^ 
miss de salcner^ veut dins doute que chaque 
peuple ail les^ meilieures lois politiques & les^ 
tneilleures lois civiles ; parce qu'elles font apres- 
elles le plus grand bien que les honunes puiuent 
donner & recevoir.. , 

G H A.P1T ILE IL 



Paradoxc dt Bayle^ 

M,BA? 

lolt mieax etrc athee' qu'idolatre; c*eft-a-dirc^ 
en d'autres terines,^ qu'il eft moins dangereux de 
n'avoir poiiit du tout de religion , (gst d en avonr 
une mauvarfe. u J'aTaiemis mi^x , dltrit; que 
' » I'bii dit moi que je n%xjffe pas ^ qpe & 
» Fon dlfbit que fe iui& un niechant Bomme m 
Ce n'eft qu"un fophifme^ fonde fiir oe, qu*il n'eft 
d'aucune utility au getire hamain que ITon croU^ 
qu'un certain homme exifte> au Keu qu*il e(l 
tres utile que Fon croie que Dieu eff^ De ride'c 
Au,il n'efl pas » fuit Fid^ de notre independance 



(<) Peof^es fttf k comet,, 8(c» 



Liv. XXIV- Chap. II. aj? 

oa, fi nous ne ppuvons pas avoir cctte idie > 
celle de notre revoke. Dire que- la religion rfcft 
pas tin motif rdprimant , parce qu'elle ne repri- 
tne pas toujours , c'eft dire que les lois clviles ne 
font pas ua 'motif repritnant non plus. .C'cft inal 
ralfonner contre la religion « <k raflembler dans 
un grand ouvrage une longue Enumeration des 
•maux qu'elle a produits, fi I'on ne fait de mime 
celle des biens qu'elle a faits. Si je vouIoU ra - 
conter tous les maux qu*ontproduit dans le monde 
les lois civiies , la monarchie , le gouvernement 
republicain , je dirois des chofes efFroyables. 
Quand U feroit inutile que les fujets enflent une 
religion , il ne le feroit pas que les princes 
euuent , quails blanehlfieift d'6cume le leul frein 
que ceux qui ne cnugnent pas les lois hamaines 
puiflent avoir. 

Un prince qui aimela religion & aui la craint , 
cil un lion qui cede 4 la main (jui le flatte , ou 
3i la voix (jui rappaife : celui qui craint la refi- 
gion & qui la hait, eft comme les bites iauva- 
ges qui mordent la chaine qui les emp&he de<e 
J«icr fur ceux qui paiTent : celui qoi n,a point 
• du tout de religion » eH cet animal terrible , qui 
ne fent fa liberty que lorfqull dechire Sl qu*il 
devore. 

La quefh'on n'eft pas de favoir s*il vatt(!fx>it 
inleux qu*un certain hotnme ou qu'un certain 
peuple n*eut point de religion , que d'abufcr de 
celle qu'il a ; mais de favoir quel eft le moindre 
ma] , que I'on abufe quelquefois de la religion » 
on qu'il n,y en ait poip 食 du tout parmi les 
homines. 

Pour dimlnuer ITiorreur de I'atlielfme » on 
chaige trop ridolatrte. II n'eft pas vrai que , 
qnaod ks aniens ekvoient des scmels k querque 



53^ De L'EsPRtT D£S LoiS , 

vice, ce!a iignifi^t qu'ils almafTent ce vice: cela 
fignifioit au contraire qu,ils le ha'iiToient. Quand 
ks Lacedemoniens e tiger en t une chapelle a la 
Peur , cela ne fignifioit pas que -cette nation bel* 
licjueufe lui demsnd^t de s'emparer dans les com- 
bats des coeurs >des Lac6demoniens. II y avoit 
des divinites a qui on demandoit de ne pas inf- 
pirer le crime , & d'autres a qui or demandoit 
de le ditourner. 



CHAPITRE III. 

Que le gouvermment moderi convimt mieux a la 
religion chritienne ; & U gQUverncmtnt defpoti^ 
qut ,丄 la mahornctam* \ 

X^A religion Chritienne eft ^loignee du pur def- 
potifme : c'eft que la douceur etant recom man- 
dee dans r^vangile , elle* s'oppofe a la colere def- 
potique avec laquefle le prince fe fetoit juiUcs » 
& exerceroit fes cniautes* 
、 Cctte religion defendant la plurality des fem- 
mes, les princes y font moins rertferm^Sj.moinfr 
fipar^s de leurs fujets,' & par oonfi^quent plus 
hommes; ils font plus difpofes a fe faire des 
lois ^ & plus capables de fentir quals ne p^uvent 
pas tout. 

Pendant que les princes Mahometans donnent 
fans cefle la mort ou la re9oivent , la religion 
cfiez les Chr<stiens rend les princes mojns timides , 
& par conf^quent moins cruek. Le prince compte 
fur fes fujets , & les fujets fur le prince. Ch» fe 
admirable! la religion Chretienne ,、qui ne femble 



Liv. XXIV. Chap. III. 157 

avoir d 'oh jet que 】a felicit^ de I'autre vie , fait 
encore notre bonhcur dans celle-ci. 

C,eft la religion Chretrenne , qui, tndlgri la. 
grandeur de I'empire & le vice du cliinat , a 
empeche le defpotifme de s*^tablir en Ethio]^ » 
& a port6 au milreu de f Afrique les moeurs de 
rEurope '& fes lois. 

Le prince Writier d'Ethiopie Jouit dune prin- 
cipaute , & donne aux autres fujets I'ex^mple 
de Famour & de I'ob^iffance. Tout pr^s de ji , 
on voit le Mahometifme;, faire enfermer les en- 
fans du [a] roi de Sennar ; a fv. mort, ie confeS 
les envois egorger , en faveur de celui qui monte 
fur le trone. 

Que d,un cot6 Fon fe tnette devant k$ yeux 
les malTacres continuels des rois & des Chefs 
Grecs & Romains ^ & de I'autre la deflrud^lon 
des peuples & des villes par ces memes chefs ; 
TWmur & Gengiskan , qui ont devafl^ I'Afie ; 
& nous verrons que nqus devons au Chriftianif- 
me , & dans le gouvernement un certain droit 
politique , & dans la guerre un certain droit des 
gens, que la nature humaine ne fauroit afTezre - 
connoitre. 

C'eft ce droit des gens qus fait que , paripV 
nous , la vid^oire laiiTe aux peuples vainc^» ces 

trandes chofes , la vie, la liberte , les loHv 
iens , & toujours la religicm ^ lorfc^u'on ne s'a- 
veugle pas foi-meme. 

On pent dire q^e 】" peuples de rEurope ne 
font pas ai^ourd^hui plus d6fani» que ne retoient 
dans rempire Homain devenu defpotique & mi- 



(a) Refation d*Ethiopie , par le fieur Ponce , me^ 
~^e€in > au quatrkme cecueii oes Ifttre»n£difiaate$« 



De i*EsnuT ois Lois ; 

4haire , les peoples & ks mates, ou qae M 
Fetciait ks arm 仏 entr'elles ; d'un coti , les ar - 
mees fe fiufoient la guerre ; & de I'amre , oa 
lenr donnoit le pillage de» yilles, 6c le partage 
Oil ii confiscation des terresik 



C H A P I T R E IV.' 

ConfiqutMces du caraBere de la religion chridenne , 
& dc celui de la rdigioa mahomiuuu, 

SuR le caradere de la religion Chretienne 8c 
celui de la Mahom^tane, on doit , fans autre exa— 
men , embracer Fune & rejeter I'autre : car if 
nous eft bien phis Evident qu^une religion doit 
adoucir les tnoeurs des hommes , qu*if ne red 
^'une reli^on foit vraie.* 

Ceft un malheur pour la nature hutname , lorf- 
que la religion eft donn^e par un conqii^rant. La 
religion Mahometane , qui ne parte que de glaive » 
agit encore fur les hommes avec cet efprit def- 
trudeur qui I'a fondie. 

I^iiAoire de Sabbacon (tf), un des rois paA 
tcuri / eft admirable. Le Dieu de Thebes , 】ui 
apparm en fonge , & lui ordonna de faire mou- 
rir tons les pretres d'Egypte. U jugea que les 
dteui n'ayotent phis pour agr^able-qu'il regnat , 
puifqulls hii ordonnoiem des chofes fi contrai— 
res a leur volonti ordinaire ; & il fe retira eir 
Ethiopie. 



m 



L IV. XXIV. Cha^. IV. a,. 



CHAPITRE V. 

Qu€ Is reHgiofi cathoUqtu cmvient mtcux i im 
monarchic , & que la frotefiamc s'accommodc 
muux~ d'uae ripublique^ 

X^ORSQu*uK£ religion nalt & k fbrme dans un 
^rat , elle fuit ordinairement le plan du gouver- 
nement oii elie e(l etablie : car les homines qui 
la resolvent, & ceux qui la font recevoir, n,ont 
guere d*autre id^e de police que C2lle r^tat 
Sans leqtiel ils font 

Quand la reHglon Qir^tienne fouffnt , ii y a 
deux fiecles, cc malheuraix partagie- qui la divifa 
en . catholique & en proteftante, les peuples da 
nord embrafierent la proteftante , & ceux du 
tnidi garderent \t cathofique. 

Ceft que les peuples du nord ont & aoront 
toujours un efprit d*in4^pendance & de libertd 
qtie n,ont pas les peupies du xnidi ; & qu'une 
religion qiu n,a point ae chef vifible ^* convient 
mieux a Findependance du dimat , que celle qui 
en auo. 

Dans les pays memes ou ia refigion. protcf- 
tante s*^tab!it , les rivolufions fe firent (uf le' plaA 
de Fetat poRiique. Luthet^zyM pour lui de grands 
princes, n'auroit guere pu leur faiie gauter unef 
autorite ecd^fbfiLque qui n'auroit point eu de 
pre^miiience ext^ieure ; & Calvin ay ant pour lui 
oes peuples qui yivoient dans des r^publiques, on 
des bourgeois obfcurcis dans des monarchies ji, 
pouvQjt tort bien ne pas Etablie des preemrnexk* 



%40 De l'Eeprit du Cois; 

Chacune de ces deux religions pouvoit fe croire 
la plus parfaite^ la Calvinnte fe ]ugeant plus con- 
forme a ce que Jefus-Chrift avoit dit, & la Lmt 
therienne a ce que Its Ap6tre$ avoieht fait. 



C H A P I T R E V I. 、 ^ 

j4utre paradoxe de Baylc, 

M • Bayle, apr^s avoir infulte toutes Its re- 
ligions , fletrit la religion Chretienne : il ofe avan- 
cer que de veritables Chretiens ne formeroient 
pas un etat qui pfit fubfifter. Pourquoi non ? Ce 
leroient dcs cieoyens infiniment eclaires fur leurs 
devoirs , & qui auroient un tr^s grand zele pour 
les remplir ; lis fentiroient tres bien les droits de 
la d^fenfe naturelle ; plus ils croiroient devoir a 
]a religion , plus ilspenferoient devoir a la patrie* 
Les principes du (Jhriftianifme bien graves dans 
le coeur , feroient infiniment plus forts que ce faux 
hontieur des monarchies , res vertus humaines des 
r^puWique* , & cette crainte fervile des 6 tats 
defpotiqiies. 

11 eft etonnant qu'on pulfTe imputer a ce grand 
horn me d*avoif meconnu refprit de fa propre re- 
ligion ; qu*il n^ait pas fu didinguer les ordres pour 
rJtabliffement du Chriftistnifme , d*avec le Chrif- 
tianifme tneme , ni les pr^ceptes de revangile 
d,avec fes confeils. Lorfque le iegiilateur , au lieu 
de donner des lois , a donne des confeils , c'eft 
qu'il a vu que fes tonfeils , s*ils ^toient ordonnes 
comme des lois , feroiem coatraires a refprit de 
fes lois» 

Chaf. 



Li V. XXIV. C«AP. VIL 041 
C H A P I T R E VIL 



Dts lots ik perfeS&on dans la rd^pan. 

ICjhES lots humaines , faites pour parler \ Fefprit, 
doivent donner des priceptes & point de con - 
feils : la religion, £aite pour parler au coeur , doit 
donner beaucoup xle coafeils & peu de pr" 
ceptes. , * 

Quand, par exemple , efle donne des regies, 
non pas pour le bien , msus pour le meilkur ; 
non pas pour ce qui eft bon , mais pour ce qui 
"eft parfait ; il eft convenable que ce foient des 
confeils & non pas Ae% lob: carta per&ftion ne 
regards pas rumverfafit£ des hommes m des chofes. 

plus , fi ce font des lois , il en faudra une infi- 
nite d*autres pour £ure obferver les premieres* 
Le c^libat (at an confeil du ChriftiaQilme : lorf- 
qu'on en 6t uiie loi pour an certain ordre de gens 參 
il en fallut chique your de nouvelles (a) pour r6- 
duire les homines ^ robferratson ae celie-cL 
Le legiilateur fe fatigua, il fajigua la fociet^, 
pour ? aire cix^cuter aux hommes par pr^cepte , 
ce que ceux qui aiment la perfeaion auroient 
ex^cut6 comme confeil. 




Tom. III. 



14^ De L'EiPRiT DEs Lois 



C H A P I T R E VIII. 

De I, accord des his dt la morale avcc ceUes dc 

la reli^pn, 

3[3ans un pays ou l,on a le malheur d'avoir 
line religion que Dieu n'a pas donn6e , U、 eil 
fbu jours neceUaire qu'elle s'accorde avec la mo- 
fale ; pares que la religion , meme fauiTe , eft le 
tncilleur g^rant que les hommes pui0ent avoir de 
}a probity des homines, 

Les points principaux de la religion de ceux 
de P^gu (^a) font de ne point tuer » de ne point 
voler , d'^viter rimpudicite , de ne faite aucun 
deplaifir k (on prochain', de lui faire au con — 
traire tout le bien qu'on peut. Avec cela ils 
croient qu'on (e fauvera dans qitelque religion 
que ce foit ; ce qui fait que ces peuples , quoiw 
que fiers & pauvres ^ ont de la douceur & de 
la compadion pour les malheureuk. 




(a) Recueil des voyages qui ont fervl k I'^tabliiTe* 
went de la conpagnie des ^des , torn. III. p«t, I» 



m 



Liv. XXrV. Chap. X, 145 



CHAP IT RE IX. 

JDtis EJfiem. 

^^£S Efleens 《<z) faifotent voeu d'otferver la 
iuftice envecs les hommes, de ne faire de mal 
a per fo one, meme pour ob6ir, de haiir les in- 
luAes 9 de garder la foi a tout le monde, de 
commander avec modeftie , de prendre toujours 
le parti de la verite , de fuir tout gain ilUcite, 



CHAPITRE X. 
' Dc la fc^e Sidiqtu* 

3Li£s diverfes fe3e$ de philofophie chez ks an- 
ciens , pouvoient 8tre confidecees ,comme des 
e{peces de religion. II n'y en a jamais eu dont 
les principes fuiTent plus dignes de I'liomme , & 
plus propres a former des gens de bien, que 
4celle des Stoi.iens; & fi je pouvoisun moment, 
ceffer de penfer que je fuis Chretien ^ je ne pour* 
rois m^emplcher de mettre la deftru^ion de la 
feiSe de Zenon au nombre des malheurs du genre 
humain. 

Efle n'outrolt que les chofes dans lefquelles il 
y a de la grandeur : le m^pris des plaifirs & 
de la douleor. 



W Hifioire des latfsi par Prideaux. 

X 2 



244 De lTsprit des Lois 

EUe feult favoit faire les citoyens ; eDe feule 
faifoit les grands homines ; elle feule faifoit ks 
grands empereurs. , 

Faites pour un mometit abftradion des — 
tis r^velm ; cherchez dans toute 】a nature, 8c 
vous n'y trouverez pas de plus grand objet que 
les Antofuns, JuUen meme , Juliin , ( un fufFrage 
ainfi arrachi ne me rendra point complice de 
fon apoftafie ) non , il n'y a point eu apres lui 
de prince plus digne de gouveraer les hommes. 

Pendant que les Stoiciens regardoient comme 
line chofe vaine les richeffes , les grandeurs hu- 
maines , la doukur , les chagrins , les plaifirs » 
lis n'itoient occup^ qu'i.fravailler au bonheur 
des homines , ^ exercer les devoirs de la focieti : 
il (embloit qu'ils regardaflent cet efprit facr^ qu'ils 
croyoient etre en eux*inemes, comme une cf- 
pece de providence (avorabk qui veilloit fur le 
genre humain. 

N^s pour la (ocxhiy ils croyoient tous qu^ 
leur deftin ^toh de travailler pour elle: d'autant 
moins a charge , que leurs ricompenfes etoient 
toutes dans eux-^memes ; qu*heureux par leur 
philofophie feule, irfembloit que le feul bon' 
beur des goitres put augmenter £e leur. 



Liv. XXIV. Chap. XL 14; 



C H A P I T R E XI. 



lES hommes itant faits pour fe conferver, pour 



tions de la、 loci^t^ , la religion ne doit pas ieur 
donner une vie trop contemplative 

Les Mahometans deviennent fpiculatifs par 
habitude; ils prient cinq fob le jour, & chaque 



ce monde : car cela les forme k la fp^culatioiL 
A)outez a cela cette indifference poor toittes 
choices, que donne le dogme d'un deflin rigide. 

Sji d'aiil^urs cTautres caufes concourent 9i leur 
infpirer 】e d^tachement : comme , fi la durete da 

Souvernement , fi les lois concemant la propri^t^ 
es terres , donnent iin efprit pricaire ; tout eft 
perdu. 

La religion des Guebres rendit autrefois le 
toyaume de Perfc florifTant; elle corrigea les 
mauvais efTets du defpotifme : la religion M^- 
hom^tane d^truit aujourd'hui ce m&ne empire. 



(a) Ceft riiiconv^nient de la doctrine de Fo'i & dc 
Laockiam. 



Dc la contemplation* 






24^ De l'Esprit des LomJ 

C H A P I T R E XII. 

Dts pinkences, 

1l eft bon que les penitences (brent jomtes avec 
Yid^ de travail , non avec Fid^e d'oifivete ; avee 
fid^e da bien, non avec Hd^e de Fextraordi- 
naire ; avec I'idee de frugality , non a^ec Fidee 
d'ayarice» 



C H A P I T R E XIII. 

JDts crimes inexpiahks, 

paroit , par un paflage des Kvres des pon: 
tifes , rapport^ par Qciron (tf ) » qu*il y avoit 
chez le$ Remains des crimes {b) inexpiables ; 
& c'efl: la-defTus que Zo^yme fonde le recit fi 
propre a enyenimer les tnoHfs de la converfion - 
de Conjlantm , & fuRen cette raillerte amere qu*il 
£siit de cette meme converfion dans fes Ceiars. 

La religion paknne qui ne defendoit que que 卜 
ques crimes groffiers, qui arr droit la main & 
^andonnoh le coeur , pouvoit avoir des crimes 
inexpiables. Mais une religion qui enveloppe 
toutes les paflions ; qui n'elt pas plus ^aloufe ctes^ 



(a) Liv. II. des lois. • . • 

(b) Sacrum commijfum » quod neque expiari poteritp. 
hnpU commijfum efi ; quod expiari fourU,fuWUifaca> 
dotes cxpianta. 



L X V. XXIV. Chap. XIII. ^47 

ddions que des deflrs & des pen(*(&e$ ; qui ne 
noys tient point attaches par quelques chainei , 
trtais par un nombre innombrable de fils ; ^ui 
laiffe derriere elle la juflice humaine , & com- 
mence une autre juftrce ; qui eft faite pour mc* 
net fans cefle du repentir a l,anioi?r, & de l,a- 
tnouf aq repentir; qui met entre le juge & fe 
criminel tin grand mediateur , entre le jufte & 
le mediateur un grand juge ; une telle religion 
ne doit point avoir de crimes inexpiables. Mais 
qi^oiqu'eile donne des cralntes ik des efperancC'S 
a tous , elle £^it afTez fentir que , s*il n'y a point 
de crime qui par fa nature foit inexpiable , toute 
une vie peut I'etre ; qu'il feroit tres dangereux 
de tourmenter fans cefle la mifericorde par de 
nouveaux crimes & die nouvelles expiations ; 
qu'inquiets fur les anciennes dettes , jamais nnittes 
envers le Seigoeur , nous devqns cfaindre d'en 
contraSer de nouvelles, de combler la mefure , 
& d'ailer jufqu'au terme ob la bont^ paternelle 



C H A P I T R E* XV. 

Comment la ji^^odt la religion s, applique a "lit 

des his civiles^ 

CoMME la religion & les lois civiles doivent 
tendre principalement a rendre les hommes bon$ 
citoyens , on voit que , lorfqu'une des tleux s'e- 
cartera de ce but , I'autre y doit tendre davan- 
tage : moins la religion fera reprimante , plus 
les lois civiles doivent r^piimer. 
Ainii au Japon la religion dominante o'ayant 

X 4 



t'EsPRiT D£s Lois r 
prefquc poim de dogtiies , & ne propofant point 
oe paradis ni d'enfer , les lois, pour y fuppleer, 
ont iih fakes avec nne ftv6rite & executees avec 
une pondualite extraordmaire. 、 

Lorfque la religion ^ablit le dogme de la ne- 
ceflit^ des actions humaifies , les peines des lois 
doivent etre plus ftreres & la police plus vigi- 
lante , pour que les homines , qui fans cela s a- 
bandonneroient eux-m^mes , foient determines 
par ces motifs : mais fi la religion ^t^litle dogme 
de la libert^ , c*eft autre cnofe. 

De la pareffe de Fame , nait le dogme de hi 
predeftination Mahometane ; & du dogme de 
cette predefiination , nait la pareffe de Fame* 
On a dit : Cela eft dans les d^crets de Dieu; 
il faut done refter en repos. Dans un cas pareil , 
on doit exciter par les lois les hommes endoraiis 
dans la religion. 

Lorfque )a religion condamne des chofes 
les lois civiks doivent permettre , il eft dangp- 
reux que les lois civiles ne peitnettent de leur 
coi6 ce aue la religion doit condamner ; une de 
ces choies marquant toupurs un defaut d'barmo- 
nie & de juftefle dans ks idees , qm fe repand 
fur rautre. 

Ainfi les Tartares \a\ de Gengiskan , che, 
lefquels c'6toit un p^ch^ & mSme un crime ca^ 
pital , de mettre le couteau dans lefeu, de s'ap- 
puycr contre un foue^^, de battre un cheval 
avec fa bride , derompre un os avec un autre, 
ne croyoient pas qu'il y e&t de p^cb6 a violer 



{a) Voyez ts reIatioi> de here Jean DufTan Carpm^ 
envoy 4 cn Tartacie par le Pape Innocent iV» cnhik 
ttie 124^. 



Liv. XXIV. Chap. XIV. 249 

la foi , a ravir le bien d'autrui , a faire injure 4 
un homme , k le tuer. En un mot , les lois qui 
font regarder comtne n^ceflgire ce qui eft in- 
difF(^rent , ont cet inconvenient , qu'elles font 
conHderer comme indifferent ce qui eft n^cef- 
faire. 

Ceux de FormoCe (^) croient une efpece d'en- 
fer ; fnais c'eft pour punir ceux qui ont manqn^ 
d'aller nuds en certaines faifons^ qui ont mis 
des vetemer^s de toile & non pas de foie , qui 
ont et6 cheicher des huitres , qui ont agi fans 
confulter le chant des oifeaux : aufTi ne regar- 
dent-ils point comme p^ch^ rivrogncrie & le 
der^glement avec les fexntnes ; ils croient m^me 
que les debauches de leurs enfans font agr^ables 
a leurs dieux. 

Lorfque la religion )uftifie pour une chofe 
d*accident , elle perd inutilement le pins grand 
reflbrt qui foit parmi les homines. On croit , 
chez les Indiens^ que les eaux du Gargs ont une 
vertu fandifiante [c] ; ceux qui meurent Cur fe$ 
bords , font reputes exempts des peines de Faii- 
tre vie , & devoir habiter une region pleine de 
delices : on envoie des lieux les plus recules , des 
urncs pleines des cendres des morts , pour les 
jeter dans le Gange. Qu'importe qu*on vive ver- 
tueufement , ou non i on fe fera jeter dans le 
Gange. 

Uidee d'un lieu de ricompenfe , ^mporte - 
ceiTairement I'idee d'un fqour de peines ; & 



(h) Recueil det voyages qui ont fervi k r^tabli^Te- 
meot de U coropagnie des Indcs , torn. V. part* L 
pag. 191. 

(c) Lettres ^dif. c{^inzicme r«ciifil. 



De l'Esprit oes Lois; 

quand on efpere I'un fans craindre Fautre , les 
lois civiles n'ont plus tfe force. Des hommei^ 
qui croient cfes r^compenfes Aires dans I'autre 
vie , echapperont au legiilateur : ils auront trap 
de m^pris pour la mort. t^uel moyen de con— 
tenir par les lois un homme qui croit etre sur 
que la plus grande peine que les magltrats Jui. 
pourront infllger , ne finira dans u!i moment que 
pour commencer fon bonheur i 



C H A P I T R E XV. 

Comment les lois civiles corrigent quilqtufois Us 

faujfcs relipons, 

E refpeft pour les chofes anciennes , la 
fimplicite ou la fuperftition , ont quelquefbis 
^tabli de^ myfteres eu des ceremonies qui pou— 
voient choquer la pudeur ; & de (Tela les exem- 
ples n'ont pas ite rares dans le monde. Ari" 
tote [tf] dit que , dans ce cas , 】a loi permet que 
les peres de famille aillent au temple c^l^brer ces 
^ myfteres pour leurs femmes & pour leurs enfans. 
Loi civile admirable , qui conlerve les moeurs 
centre la religion ! 

Augufte [6] defendit aux jeunes gens de run 
& de 卩 autre lexe d'afllifter a aucune ceretnonie 
nocturne , s'ils n'etoient ^ accompagn^s d'un pa- 
rent plus age y & lorfqu'il retablit les fetes (c) lu- 




(a) Politique , liv. VII. chap, xviu- 
\c) Ibid, 



Li V. XXIV. Chap. XV. 

-percales , il ne voulut pas que les jeunes gens 
couruiTent nuds. 



C H A P I T R E XVI. 

Comment Its hh dt la religion corrigent hs in 一 
conveniens dt la conJHtution politique. 

,u N autre cot^ , la religion peut foutenir 
r^tat politique , lorfque les lois fe itrouvent dans 
nmpuifTance. - 

Ainfi , lorfque Fetat eft fouvent agite par de$ 
guerres ciyiles , la religion ("era beaucoup , fi elle 
etablit que quelque partie de cet itat refte tou- 
jours en paix. Chez les Grecs , les Ellens, com - 
sne pretres d'ApoUon , jouiflbient d'une parx 
iternelle. Au Japon (a) , on laifTe toujours en 
paix la ville de M^aco , cju\ eft une ville fainte : 
fa religion maintient ce reglement ; & cet em- 
pire , qui femble etre feul fur la terre , qui n*a 
& qui ne veut avoir aucune reffource de la part, 
des Strangers , a toujours dans fon fern un com- 
merce que la guerre ne rurne pas. 

Dans les etats ob les guerres ne fe font pas 
par une deliberation commune ,& oil les lois ne 
le font laifTe aucun moyen de les terminer ou, 
de les prevenir , la religion ^ablit des temps de 
paix ou de treve , pour que le peuple puHFe 



(a) Recueit des voyages qui ont fervi a r^tabUffe* 
ment de U compagnie dt$ kid«s > torn. 1V» put. 
137« Z 



De l'Esprit des Lois; 

fairs les chofes fans lefquelles I'^tat ne pourroi* 
fubfliler, comme les femailles & les travaux 
pareils. 

Chaque annie , pendant quatre mois , toute 
hoftilit^ ceflbit entre les tribus [h] Arabes : le 
ipoindre trouble eut 在 t6 une impi6t6. Quand 
chaque feigneur faifoit en France la guerre 
ou la paix , fa religion donna des treves , qui 
devoient avoir lieu dans de certaines faifons* 



C H A P I T R E XVIL 
Condnuation du mime fujet. 



L 



ORSQu'iL y a beaucoup de fujets de haine 
dans un etat , il faut que la religion donne beau- 
coup de moyens de reconciliation. Les Arabes , 
peuple brigand , fe faifoient fouvent des injures 
& des injufiices, Mahomet (a) fit cette loi : " Si 
y> qUelqu'un pardonne le fang de fon frere {b) , 
,, il pourra pourfuivre le malfaiteur pour at% 
" dommages & int^rets : mais celui qui fera 
" tort au mechant apr^s avoir re^u fatisfadtion 
" de lui , foufiVira au jour du )ugement cUs tour- 
" mens douloureux "• 

Chez les Germains , on Mritolt des halnes & 
des inimiti^s de fes proches : mais elles n'etoient 
pas ^ternelles. On expioit rhomicide , en don- 



9\ ^oyez Prideaux, vie de Mahomet , pae« Ca^ 
>?( pans I'Alcoran , liv. I. ch. de U vaciU.. 



Liv. XXIV. Chap. XVI. 153 

rant une certalne quantite de b 圣 tail , & tpute la 
famille recevoit la fatisfadion : chofe tr^s utile , 
Alt Tacite {a) , parce que les inimhi^s font fort 
daneereufes chez un peuple libre. Je crois bien 

3ue les miniftres de la religion , qui avoient tant 
e credit parmi eux , entroient dans des recon- 
ciliations. 

Chez les Mala'is [b] , ou la reconciliation n*eft 
pas etablie, celui qui a tu6 quelqu*un , sur d'etre 
afTafline par les parens ou les amis du mort, s*a- 
bandonne a fa mieur , blefle & tue tout ce qu'il 
rencontre. 

C H AP I T R E XVIII. 

Comment les lois de la rellpon ont Vefftt dcs 

his civiles. 

ES premiers Grecs ^Itoient de petits peuples 
fouvent difperfts , pirates fur la mer , injuftes 
fur la terre , fans police & fans lois. Les belles 
adions d'Hercule & de TWfee font voir F^tat 
oil fe trouvoit ce peuple naiflant. Que pouvoit 
faire la religion , que ce qu'elle fit pour donner 
de l*horreur du meurtre ? Elle etablit qu,un 
homme tue par violence {a) ^toh d'abord en 



I 

(c) De morih, German, 

(d) Recueil de$ voyages qui ont fcrvl i r^tablif* 
fetnent de la compagnie des Indes , torn. vii. p. %o^* 
Voyez auffi les m^moires du comte de Forbio » ecce 
311," dit fur les MacafTiirs. , 

(tf) PI 細, dcs loU , Uy fx. 



254 De l'Esprit oes Lois; 

colere contre le meutrier , qu'il lui infpirolt da 
trouble & de la terreur , & vouloit qu'il lui 
cedat les lieux qu'il avoit fr^quent^s ; on ne pou- 
voit toucher le criminel , ni converfer avec lui, 
fans etre fouille (^) ou inteilable ; la prefence du 
meurtrier devoit etre^pargnie a la ville, & il 
falloit I'expier (c). 

W W W W w w w w w w w %^ w w 

^\ ^\ ^\ ^\ /*S ^\ ^\ 

C H A FI T R E XIX. 

Que cejl mains la vcriti ou la fauffcte (fun dogrru 
qui U rend utile ou pemicieux aux hommes dans 
i, Stat civil , que fujage ou tabus que Ion ea 
fait. 

Xjes dogmes les plus vrais & les plus faints 
peuvcnt avoir de tres mauvaifes confequences , 
lorrqu'on ne les He pas avec 1^6 principes de la 
foci^te i & au contraire , les dogoies les plus 
faux en peuvent avoir d'admirables , lorf- 
qu'on fait qu'ils fe rappoitent aux memes prin- 
cipes. 

La religion Confucius \a\ nie rimmortaliti 



{h) Voycz la trag. d'CEdipe a Colonne. 

(c) Platon , des lois , liv. IX. 

{a) Un phitofophe Chinois areumente ainfi contre fi 
dlo^rine ae Foe ; » 11 eft dit oans un livre de cette 
», feAe, que notre corps eft notre domicile , &l'aine 
»» !' h6te(re immortelle qui y loge ; mais (i le corps de 
,, nos parens n'eft qu'un logement , il «ft naturel de ie 
n regarder avec le m^me m^pris qu'on a pour un tas 
,, de boue & de terre. N'eft-ce pas voiiloir arracher 
M du cttur la vcrtu de L'amour de- parens } C«la pm* 



Liv. XXIV. Chap. XIX. 155 

I'ame ; & la fe6le de Zenon ne la croyoit pas. 
<2ui le diroit ? ces deux fe^tes ont tir^ de leurs 
.vnauyais principes <les confequences , non pas 
^juftes , mais admirables pour 】a foci". La re- 
ligion des Tao & des Foe croit l,immortalit》 de' 
raiTie : mais de ce dogme fi faint , iis ont tire des 
confequences afFreuies. 

Prelque par tout le monde & dans tous les 
tetnps , ropinion de ritnmortalit^ de fame mal 
prife a engage les femmes , les efclaves, les fu- 
|ets, les amis , a fe tuer, pour aller fervir dans 
i'autre monde fobjet de leur refped ou de leur 
amour. Cela etoit ain(i dans les Indes Occident- 
tales ; cela ^tolt ainfi chez les Danois [b] ; & 
cela eft encore aujourd'hui au Japon (c) , a Ma- 
cafTar [d\ , & dans plufieurs autres endroits de la 
terre. " 

Ces coutumes ^manent moins dire£tement du 
fdogme de rimmortant^ de Fame , que de celui 
jAe la r^furredion des corps ; d'oii I'on a tiri cette 
fconf^quence , qu'aprb la tnort un m^me indi- 
vidu auroit les memes befoins , les mSmes fen- 
timens , les monies paffions. Dans ce point de 
vue , le dogme de rimmortalit^ de Fame affede 
prodigieufement les homines ; parce que Fi- 



,» de tn^me a n^gUger le foin du corps , & i lui refu- 
,, fer la compaflion & I'afTe&ion ft n^ceffaires pour fa 
»» confervation : ainii les difciples de Foe fe tuent a 
M milliers CWrage cl,un pliilofoph^ Chinois , lijinsl^ 
recueil du p»7du Halde , torn. III. p. 口. 

(h) Voycz Thomas Bartholin , antiquit^s Danoifes* 
( c ) Relation du Japon , dans le recueil des voya- 
ces qui ont fervi i I'^tabUiTeinent de la compagnie dey 
hides,' 

(d) M^noires de Forbin. 




De l*Esprit d£s Lois 



iTun fimple changement de dcmeure eft 
phis a ia portee de no【re efprit , & flatte plus 
notre coeur , que Hdee d'une modification nou - 
velle, 

,Ce n'eft pas aflez pour une religion d'etablir 
un dogme ; il faut encore qu'elle le dirige. C'eft 
ce qu'a fait admlrabiement bien la religion 
Chretienne a I'egard des dogmes dont nous par- 
loos : eile nous fait efperer un ^tat que nous 
croyons, non pas un 6tat que nous fentions ou 
• que nous connoiffions : tout , jufqu'a la refurrec- 
tion des corps , nous mene 4 des idees fpiri- 
tuelles. 



C H A P I T R E XX. 

Continuation du mem fujtu 

T 

JL^ H s fivres («) facris des anciens Perfes , di- 

foieiu : " Si vous voulez etre laint , inftruifez 

,, vos enfans , parcc, que toOtes les bonnes 

!j a^ons quails feront vous ferom imputeei 

lis confeilloient de fe marier de bonne heure ; 

parce que les en&ns feroient comme un pont 

jour du jugement , & que ceux qui n'auroient 

j^oint d enfans ne poMrroient pas pafler. Ces 

oogmes ^toient faux , mais ils 6toient tr^s 
utiles. 




W M. Hide. 



/5 



C H A P I T R E 

Dt la mitempfycoff. 



L 



E dogme de rimmortalite de Fame fe divife 
en trois branches : celui de rimmortaliti pure., 
celui du fimple changement de demeure , celui 
la metempfycofe ; c'eft-a-dire, le fyfteme 
des Chretiens , le fyftSme des Scythes , le fyf- 
teme des Indiens, Je viens de parler des deux 
premiers ; & je ydirai du troifieme , que , comme 
fl a hii bien & mal dirig^ , il a auxindes de bons 
& de mauvais effets : comme il donne 
mes une certaine horreur pour verfer le fang , il 
y a aux Indes tris pea ae meurtres ; & quoi- 
qu'on n'y puniflTe guere <Ie mort , u>ut le monde 
y eft tranquille. 

D'un autre cdt 在, les femmes s'y brulent \ la 
mort <k leurs maris: il n'y a que ks ianocens 
qui y fouffrenr une mort vioknte* 



CH A PIT RE XX I L 

ComBUn U efl dangenux que la ttUpon infpin ic 
' tkwrtwr pour des chofes indiffirmtes. 

N certain honneur que des-prijtigis de re- 
^tablifTent aux Indes , fait que les diverfes 
out borreur tines des aiKres. Cet bon- 

Y 




2^5 De L-'EsPaiT DEi Lois» 

nenr eft tmiquement fonde fur la religion ; #s 
diAindions de famiUe ne fbrment pas des diftinc- 
tions' civiles : il y a tel Indien qur fe croirolt 
d^shonore , s'il man^eoit avec fon roL 

Ces fbrfes de diuin&ions font liees a une 
certaine avetton pour les autres homines , 
bien dilFe rente des fentimens que doivent 
£ure naitre les differences des raiigs , qui par- 
mi nous , contiennent Famour pouf les infe.- 
sieurs. 

Les Bpis de h religioir ertteront dlnfpirer 
cTautres tnepris que celui du vice , & fuTtout d'e- 
loigner fes homines de KamouF 6c de la^pitie pour 
les hommes* 

La religion Mahom^tane , & la* region In*- 
cBenne ont dan» leur fein un nosnbre in&ii de 
pcuples^r les Indiens ha'fiTent les Mahometans> 
parce qu*il$ mangent de la vache ; hs Mahom6- 
tans deteflent les bidiens , parce qu'ik mangent 
du cochom 



G H A.P 1 T R.E XXIIL 
JDcs jfctes*. 

Q[ UAND. une religion. orJonne la ceflanon db 
travail , e\h doit avoir egard aux beifoins des 
hommes., plus qu'a. la grandeur de l,£tre qu'elle 
feonore. 

C'Stok a. Atlienes (a) un grand mcoirv^nient 
que le trop grand nombre de fetes. Chez ce 

W Xinophoft, de la i^puliljque d, Athene 桌 》 



Lxv. XXIV. Chap. XXIII. 1^9 

peuple dominateuf , devant qui toutes les villes 
de la Gr*ce venoient porter leurs difF^rends , o 纖 
ne pouYoit fuffire aux affaires. 

Lorfque Conflantin ^rablit que Yon chomerolt 
(e dimaache , il fit cette ordonnance pour les 
villes [^1 , & non pour les peuples de ia campa- 
gne : il lentoit que dans les villes etoient les tra- 
vaux utiles , & dans les campagnes les travaux 
neceffaires. 

Par la mime ralfon , dans les pays qui fe 
. maintiennent par le commerce , le nombre des 
fetes doit etre relatif a ce commerce rn^me. 
, Les pays proteftans & les pays catholiques f6nt 
lltues [c] de maniere que I on a plus befoin dc 
travail dans les premiers que dans les feconds : 
la fupprefiion des fStes convenoit done plus 
aux pays proteftans qu'aux pays catholiqaes. 

Dampierre [d] remarque que les divertiffe- 
mens des peuples varient beaucoup felon les 
climats. Comme les clhnats chauds prodaifent 
quantity dc fruits d^licats , les barbares , qui 
trouvent d'ajbord le n^ceffaire , emploient plus 
de temps a divertir : les Indiens des pays froids 
n*ont pas tarn de loifir , il faut qu'ils p^chent & 
chafTent continuellement ; il y a done chez eux 
tnoins de danfes , de muiique & de feftins ; & 
une religion qui s'etablirblt chez ces peuples , cie- 
vroit avoir ^ard a cela dans riiuUtution des 
fetes. 



Leg. 3. cod. de fonis,Cttte loi n'^toit faite 
fans doute que pour les paiens.. 

(0 Les catholiques font plus vers le midi , & lei 
proteflans vers le>nord. 

id) Noavcaux voyagts autoar da monde, tomw II.. 

Y % 



46o De l'£sprxt dis Lois 



CHAPITRE XXIV. 

Pes lots dc reUffon tocaks* 

L y a beaucoup de lois locales dans les diverfes 
religions. Et quand Mont^fuma s'obflinoit tant 
& dire que la religion des Efpaenols etoit bonne 
pour leur pays , & celle du Mexique pour 】e 
Sen , U ne difoit pas une abfurdite ; parce 

3u*en effet les l^giflateurs n'ont pu s*empecher 
'avoir ^ard a ce que la nature avoh ^tabU 
avaiu eux» 

Uopinioft d€ la m^empfycofe eft £ute pour 
le climat des Indes. L'exceflave chaleur brule \a\ 
tomes Its canmaenes ; oa n*y peut nourrir que 
tres peu de betaU ; on eft toujours en danger 
d,en manqnec pour k labour age ; les boeufs ne 
s*y inukipllent [^] que m^diocreinent , ils font 
fiijets a beaucoup de maladies:. une hoi de religion 
qui Jes coni^rye , eft done tr^s coaveoable a la 
police du pa^s. 

Pendant que let ptanies font bHU^, te riz 
& let H^gmnes y croiflent heureufement , par 
les eaux qu^on y peuti employer t une loi 4t 
religion qui ne permet que- cette nourrkufre , 
cfl done tres- utUe aux hommes dans ces cli« 
mats. ' 

(a) Voyage de Bcmier, torn. ir. pag; 157-^ 



Liv. XXIV. Chap. XXIV. t6^ 

La chair (c) des befiiaux n'y a p.as de gofit# 
& le hit & le beurre qu'ils en tircnt , font une 
partie de leur fubfiilance : la lot qm defend dc 
manner & de tuer des vaches , n'eft done pas 
d^raifonnable aux In des. 

Athenes avok dans fon fdn une multitude 
innombrabe de peuple ; fon territoire ^toit ft6* 
rile : ce fut une maxime religieufe , que ceux atii 
offroient aux dieux de certains petits pr^fens , les 
honotoient (</) plus que ceux qui immoloient des 
boeiifs. 

C H A P I T R E XXV. 

InconvinUnt du tranfport S une rtUffon cC un fdys 

a ua autre. 

2 L fuit de la , qu*il y a txhs fouvent beaucoup 
d*inconv^nieos a tranfporter une religion (4) d*un 
pays dans un autre. 

" Le cochon ; dit \b'\ M. de Boulainvilliers , 
» doit 6fre tr^s rare en Arabie , oil il n*y a 
» prefque point de bois , & prefque rien de 
" propre a la nourrhure de ces anixnaux ; d*atl- 
) leurs, la falure des eaux des sdimens , rend le 
" peuple trfes fufceptible des maladies de 



(r) Voyage de Bernier , torn. n. p. 137. 

Euripide , Anr Athtnic , \vr* ir. 尸 ag- 40, 
(itf) On ne parte point de la religion chrettenne , parce 
que, comm« on a Hit sOi lirre XXIV , chap, i, 4 it iia 
a reVigion chr^tienne eft le pf«mier bien» 
C^i Vie d« Mahomet r 口 



afia D 直 lTEsprit dcs Lois ; 

,, peau "• La loi locale qui le defend , ne fauroit 
^re bonne pour d'autres (c) pays ou le cochon 
eft une nourrUure prefqa'univerfelle ,& en quef- 
que fa^on neceflaire. 

Je ferai ici une reflexion. Sanfloriius a obfervi 
que la chair de cochon que Von mange , fe tranf- 
pire {d) peu ; & que mSme cette nourriture 
empeche beaucoup la tranfptration des aurres 
alimens ; il a trouve que la diminution alloit a 
un tiers ; Von &tt dVilkurs que. le dcfaut de 
tranfpiration forme on aigrit tes maladies de U 
peau : la nourriture du cochon doit done etre 
defendue dans les climats oil I'on eft fujet a 
ces maladies , comme celui de la Paleftine , de 
r Arable , de I'Egypte & de la Lybie, 



C H A P I T R E XXV I. 

、 Continuation du mime fujet^ 

M • Chardin [4] dit qu"il n'y a point 3e 
fleuve navigable en Perfe , fi ce n'eft le fleuve 
Kur, qm elt aax extremit^s de I'empire. L'an - 
cienne lai des Guebres qui dtfendoit de naviguer 
fur les fteuves , n'avoit done aucun inconve- 
nient dans kur pay* : mais elle sniroh ruin 豸 le 
commerce dans un autre. 

Les continuelles lotions font tv^ en ufage 
dans les climats chauds. Cela fait que la loi Mjt- 



! c) Comme k la Chine. \ 
d) M^dec-Statiq, (eft. ^. aplior. %p 
W Voyqgc de Perf« , tQm« Wr 



Liv. XXIV. Cha?. XXVI. t&f 

Itom^tane & la religion Indienne les ordon- 
nent. Ceft un ade tres m^rttoire aux Imle» 
cie prier 【多】 Dieu dans Peau courante ; msa 
comment ex6cuter ces chides dans d*autres cli- 
snats ? 

Lorfque fa reKigion fondfe fur le cHmat a trop 
choqu^ le dimat d*un autre pays, elle n'a pa 
9*y ^tabltr ; & quand on Fja mtroduite, elle en 
a ^t^ chafKe. U femble , numainenieBt parlant » 
que ce foit le dimat qui a preCcrit des oornes a 
ia religion Chretrenne & a kr religion Maho- 
m^tane. 

U fuit de-l^ , qn'il eft prefque tou)purs coa* 
venable qu\iiie relieion ait des dogmes parti- 
culiers & un cults gln6nd. Dans les lois qiu con- 
cement ks pratiques de culte , i! faut peu de de- 
tails ; par exemple , des mortifications , & non 
pas line certarine mortification. Le Chriftianifme 
eft plein de bon fens : rabfiineiice eft dis 
dfroit divin ; mab une abfltnence paiticuliere 
eft de droit de police ,& on pcut la changer; 



t*) Voyage de B«nu€r>. torn, lu 



De l'Esprit des Lois ; 




L I V R E XXV. . 

Dcs lots , dans U rapport qiidks out 
avtc titabliffcment de la religion de cha - 
que pays 3 &fa police cxtirieurc. 



3 



CHAPITR^ PREMIER, 

Du fmthnent pour la reUpon. 

L ,HOMME pieux & I'ath^e parlent toujours de 
religion ; l*un parle de ce qu'il aime , & I'autre de 
ce qu'il craint. ^ 

C H A P I T R E II; 

、 , 

Du mcftif i attachtment' pour les £verfcs rtBgions; 

L ES diverfes religions du monde ne donnenf 
pas a ceux qui les profeHent des motifs ^gaux 
d'attachement pour elles : cela depend beaucoup 
de la maniere dont elles fe concilient avec ist 
fa9on de penfer & de fentir des homines. 
Nous fomokes extr^mement portis a ridol4- 

ttie« 



Liv. XXV. Chap. IL 164 

trie, & cependant nous ne fommes pas fort 
attaches aux religions tdolatres ; nous ne fommes 
guere portes attx id^es fpirituelles , & cependant 
sous fommes tr^s attaches aux religions qui 
nous font adorer an etre fpiritueL Celt un feii« 
timent heweux , qui vient en parde de la fatis- 
ladion que nous trouvons en nous mimes , d:%« 
voir ^te aflez inteliigens pour avoir choHi une- 
religion qui tire la (Svinit^ de rhumiliation oil 
les autres ravoient mife. Nous regardons 1'" 
dolatrie comme la religion des peuples grof- • 
fiers ; & la religion qui a pour objet un £tre 
ipirituel , comme cdle des peuples 6clair^s. 

Quand, avec Y'ldie d'un Etre fpirituel fu- 
preme , qui forme le dogme , nous pouvons 
loindre encore des id^es fenfiUes qui entrent 
dans le cuke , cela nous donne un grand atta- 
chement pour la religion ; parce que 】es motifs 
iAont nous yenons de parler , fe trouvent joints a 
nptre penchant nature! pour les chofes fenfibles. 
Auffi les catholiques ,, qui ont plus de cette forte 
de cults que les proteftans , font - Us' plus iiivin- 
ciblemenc attaches a lear" religion que les pro- 
teilans ne le font a la leur, & plus z^l^s pour fft 
propagation, 

Lorique [a\ le peuple d'Ephefe eut apprls que 
les peres du concile avoient decide qu on pou- 
voit appeller ia Vierge mere de Diea , il fut tranf- 
port^ de )oie ; il baifoit les mains des ev^ques, 
il embraflfoit leurs genoux ; tout retentiffoit aac- 
clamations. 

Quand une religion intelle£faielle nous donne 



(«j Lettre de St. Cyrille, 
Tome Ul. 



%66 De lT sprit des Lois, 

encore V'ldie d'un choix fait par la Divinite , & 
d*une di{lin6Hon de ceux qui la profeffent d'a- 
vec ceux qui ne la profeffent pas ,、cela、 nous 
attache beaucoup a cette religion. Les Mahome- 
tans ne feroient pas fi bons Mufulmansyii d'un 
cot^ il n*y avoit pas de peuples idolatres , qui 
l^r font p3nfer qu*ils font les vengeurs de Funit^ 
de Dieu , & de Fautre des Chretiens , pour leuf 
faire croire qu'ils font l,objet de fes preferences. 

Uhe religion char^ee de beaucoup [/»] de pra- 
tiques , attache plus a elle qu'une autre qui I'eft 
moins : on tient beaucoup aux chofes dont on eft 
continuellement occupe ; temoin I'obflinatlon 
tenace des Mahometans (c) & des Juifs , & la 
facilite qu*ont de changer de religion les peuples 
barbares & fauvages , qui , uniquement occupes 
de la chaiTe-ou de la guerre, ne fe chargent guere 
de pratiques religieui'es. 

Les hommes lont extremement port 圣 s a ef- 
perer & a craindre ; & une religion qui n'aurolt 
ni enfer nj paradis , ne fauroit guere leur plaire. 
Cela fe prouve par la facilite qu'ont eue les 
religions etrangeres a s*etablir au Japon ,、 & 
le zek & ramour avec lefquels on les y a re- 
^ues (d). 



(b) Ceci n,eft point contradi^oire avec ch que ),ai 
dit au chapitre p^nultieme du Uvre precedent ; ici j€ 
parle des motifs d'attachement pour une religion ; Sc 
Ik , des moyens de la rendre plus g^n^rale. 

(c) Cela le remarque par touts h terrc. Voyez fur 
les Turcs les miHTions du levant ;; le recueil des voya- 
ges qui ont fervi a r^cablifTement de la compagnie aes 
Ipdes , torn. III. part. i. pag. aoi , fur les Maures de 
Batavia ; 6c le P. Labat , fur les negres Mahome- 
tans, &c. 

{4) La religion c]u^tieiv»e ^ U teligion des lades ; 



Liv, XXV. Cha?. It. 1)1 

- Ponr qu'une religion attache , il faut qu'elle ait 
tine morale pure. Les hommes , frippons en de- 
tail 9 font en gros de tr^s honnetes gens ; ils 
^iment la morale ; 6c ii ne trait ois pas ua 
£]jet ft grave ^ )e dirols que ceia fe vok admi*- 
rablement bien fur les theatres : on eft s?ur de 
plaice au peupleMr les fentimens que la morale 
avoue , & on eu sdr de h ckoquer par ceux 
qu'dle r^prouveJ 

- Loffque le cuks extecieu*' a vine grande ma- 
gnificence , cehf nous £atte & nous donne ]>eaii« 
<;oup cTattachement pour la religion. Les riche" 
fes des temples & cdles du clerg^ nous afFec- 
tent beaucoup. Ainfi la t^ifere meme des pen- 
pies eft im motif qui les attache a cette religion 
qui a ferva de pr6texte a ceux qui ont cauf^ leur 
inifere.. 



C H A P I T R E III. 



ves Temples, 

IPresque tous les peuples polices babkem <Ians 
des maifons. De - la eft venue naturellement 
I'id^e de batir a Dieu une maifon , ou ils puif^ 
fent r adorer & I'aller chercher dans leurs crain* 
tes ou leurs efperances. 

En effet , rien n'eft plus confoknt pour left 
hommes , qu'un lieu oil ils trouvent la Diviiihd 



cclles->ci ont un enfer & un paradis , au liou que It 
religion des Smtos n*en a point* 

Z 2 



i69 Ds L*EsPRit< i^Es Lofs ; 

plus prefente , Sc oh tous enfemble ils font par^ 
ler leur foibkiTe & leur tnifere. 

Mais cette idee fi naturelle ne vient qu'aux 
peuples qui cultivenr les terres; & on jie verm 
pas bsltir de temple chez ceux qui n'ont pas de 
fnaifohs eux - m^mes. 

C'eft ce qui fit que Gengis - kan marqua un fi 
grand mepris pour les mofquees (力. Ce Prince [^] 
interrogea les Mahometans ; il approuva tous 
leurs dogtnes , excepte cdui qui porte la necef- 
fite d'aller a la Mecque ; il ne pouvoit com - 

I)rendre qu'on ne put pas adorer Dieu par - tout r 
es Tartares n'habitoient point de maifons , ne 
connoiflbient point temples. 

Les peuples qui n*ont point de temples , ont 
peu d'attachement pour leur- religion : voila pour- 
quoi les Tartares ont ^ti de tout temps ii to- 
lerans [c] ; pourquoi les peuples barbares qui con- 
quirent rempire Romain ne balancerent pas uit 
moment a embraffer'le Chriftianifme ; pourquoi 
les Sauvages de I'Anigrique font fi peu attaches 
a leur propre religion ; 6c pourquoi , depuis que ' 
nos Miflionnaires leur ont fait batir au Paraguay 
d^s egliff^s , ils font fi fort zeles pour la notre. 

• Comme la divinit^ eft le refuge des malheu* 
reux, &-qu*il n'y a pas de gens plus malheu* 
reux que les dpimin^U , on a et^ naturellement 

i.. ― 「 =g '. ,' , , ga=g 

(4) .Entrant dans la mofqu^e de Bucbara , U enlevji 
Palcioran , 6c le jeta (bus les pieds de (es chevaux ) 
hiftoire des Tartarus , part. III. pag. 473, 
^(h) Ihhi, pag. 342. 

(c) Cette dilpoiition d'efprit a paiffi jufqu'attx Japo« 
nois:» -qui tirent leur origine des TAftac^ , comne H 
eft aifi^ de 1$ prouY 贫,' 



Liv. XXV. Chap. HI. 169 

porti k penfer que les temples ^toknt im afyk 
pour eux ; & cette id^e parut encore plus na- 
turelle chet ]gs Grecs , 0(2 les msurtriers ,. chaf- 
fis de leur ville.&.de la prefence des hosnines, 
fembloient n'avoir plus de maifons que les tem- 
ples ; ni d'autres prot^deurs que. ler dieux. 

Ceci ne regarda d'abord que les homicides in- 
volontaires : mais lorfqu'on y can^it les grands 
criminels , on tomba dans nne contradiAion grof- 
fiere : s'ils avoient oSenCi 】es^ homines , ils avoient 
a plus forte raifon offenft les dieux. 

Ces afyles fe multiplferent dans, la Grcce : 
l&s temples , dhfi/^ Tacite , 6t6ient remplis. ds 
dcbiteiirs infolvabies & d'efclaves m^chans ; le$ 
Magiftrats avoient de la peine a exercer la po- 
lice; le peuple proteseoit les crimes des horn** 
xnes , comme les ceremonies des dieux ; le S^- 
nat fut oblig^ d*en retrancher un grand nombre* 

Les lois de Mo'ife furent trks Tages. Les ho 一 
micides involontaires ^toient innocens , mais ils 
devoient Stre otes de devant les yeux des pa* 
rens du mort : il etablit done un afyle (e) pour 
cux. Les grands crimiiiels ne meritent point 
d'afyle , ils n,en eurent pas (/*) : les Jui& 
n'avoient qu'un tabernacle portatif, & qui chan- 
geoit xontinuellement de lieu;、cela excluoit I'id^e 
d'afyle: II eft vrai qu'ils devoient avoir un tem- 
ple : mais les criminels qui y feroient vetius dft 
tomes parts, auroient pu troubler le fervice di- 
vin. Si les Koniicides avoient ete chafies hors du 
pays , comme ils le fuV?nt chez l^s Grecs , il 

' " " " " ' ■ ■ ■ 議' I III ! • ' , II I - 議 》 峰 I' I. * *m 

. (d) Annal. liv. ii. 

1e\ Nomb. chap, xxxr* 

Z 3 



J 



ayo De l'Esprit des Lois; 
eut ith a craindre qu'ils n'adorafTent des Aenn 
Strangers. Toutes ces confiderations firent ^ta- 
blir des vtlUes d'afyle , ou l,on devoit refler juf- 
qu'a la mort du fouverain Pontife. 

CHAPITRE IV. 

, ves Minifires de Id religion. 

X^ES premiers hommes, dit Porphyre^ ne facti- 
iioieot que de ITierbe. Pour un culte fi fitnple , 
chacun pouvoit Stre Pontife dans fa famiUe. 

Le defir naturel de plaije a la Divinit^ mul- 
tiplia les cef^monies : ce qui fit que les horn* 
mes , occup^s a I'agriculture , devinrent incapa - 
bles de les executer toutes & d'en remplk le& 
details. 

On confacra aux dieux des lieux particulars ; 
W fallut qu'il y efit des Miniftres pour en pren- 
jdre foin , comme chaque citoyen prend foin de 
fa maifon & de fes affaires domcftiques. Aufli 
les peuples qui n*bnt point de Prettes , font«« 
ils ordinaireoient barbares, Tels etoient autre- 
fois les Pidaliens {a) , tds font encore fes Wot^ 
guski (Ji\. 、 A 

Des gens confacr^s a la Divkiite devoient efre 
honor" fur-toiu chez les peupks (jias*6toient 



ftf) lAlius GiraUus , pag.jltf. 
h) Peup(«s de la Sib^rie. Voyci la rtlarion de M- 
Everard Ishrands^ldts , dans le recucil <le& voyag<es 
tfu Nord ' torn, ymu 



Liv. XXV. Chap. IV. %yt 

formes une certaine id^e d*une puret 叾 corpo* 
telle , fiicdflaire pour approcher des lieux les 
plus agriables aux dieux , & dependante de cer- 
taioes pratiques. 

Le cuke d€s dieux demandant una attention 
cpntinuelle , la plupart des peuples furent por- 
tes a faire du derge i】n corps fepar^. Ainfi , chez 
les Egyptiens , les Juifs & les Perfes (c) , on 
cpnfacra a la divinite de ceriaines families , qui 
fe perp^tuoient & fdifoient le fervice. Il y eut 
m^me des religions oil l,on ne 'penfa pas feu- 
lement a Eloigner les Ecclefiadiques des affaires , 
tnais er.core a leur oter rembarras d'une famille ; 
& ceft la pratique de la principals branche de 
la lol Chmienne. 

Je ne parlerai point ici des conCequences de 
la loi du celibat : on fent qu'elle pourroit de- 
venir nuifible , k proportion que le corps du 
clerge feroit trop 6tendu, & que par confi- 
quent celui «des la'tques ne le feroit pas afTez. 

Par la nature de rentendement humain , nous 
aimons , en fait de religion , tout ce qui fup- 
pofe un effort ; comme , en ma tie re de morale , 
nous aimons fp^culatlvement ce qui porte le ca- 
radlere de la fev^rit^. Le celibat a ete plus ag,6a - 
ble^ aux peuples a qui il fembloit convenir le 
moins , & pour lefquels il pcvivoit avoir de plus 
facheufes fuites. Dans les pays du mid; de VEu-^ 
rope , oil , par la nature du dimdt , la loi du 
celibat eft plus difficile a obferver^ elle a iti 
retenue ; dans ceux du Nord, oil les paffion^ 
font moins vives , elle a eti profcritc. II y a 
plus : dans les pays ou il y a peu dliabitans , 



(c) Voyez M. Hyde 



Z 4 



die a M admife ; dans ceux oU U y en a beam^ 
coup , on ra rejet^e. On fent que toutes ces^ 
li^flexions ne portent que fur la trop grande ex* 
tenfion da celibat , 6c non fur le celibat inline* 

J— — — fpii— — — ■iP— — ft - 

C H A P I T R E V. 一 

JD€s homes, que Ics his dcHvent mttre au» 
richeffes du cUrge. 

X^£S families partlculieres peuvent perir : ainft 
Ics biens n*y ont point une deftination per- 
pituelle. te clerg^ eft une fatnille qui ne- peut 
pas pirir i les biens y font done attaches pour 
loujours , & n'en peuvent pas fortir. 

Les famtUes particulieres peuvent s-'augmen^ 
ter •• il {aut done que kurs, biens puiffent croir 
tre auili. Le clerg^ eft une faipille qut ne doit 
point s'auementer ; les biens dolvent done, y 
etre bornes. 

Nous avons retenu les dlfpofitlons du Levi- 
tique fur les biens du cler^, enxepte ceHes qm 
regardent les bornes de ces biens : efFedtive- 
xnent , on ignorera toujpurs parmi nous quel eft 
le terme apr^s leqiiel il n'eft plus permis a un, 
communaute religieufe d'acqu^rir, 

Ces acquifitions fans £n paroiflent 'aux peu- 
ples fi d^Aifonnables, que celui qui voudroit 
parler pouf elks , feroit tegard^ comme imbci- 
cille. 、 ' 

t^s, lois civile^ trouvent <|uelqUe£bis des obf- 
tacles a changer des abus etablis parce qu'ils 
font Wis a des chofes au'elks doivent rcfpec- 
ter : daiis ce cas ^uiie diipofuioa indirefle mar- 



( 



Liv. XXV. Cm A*. V. 175 

que plus le bon efprit du l^gislateuf , qu'une au- 
trc qui frapperoit fur la chofe mime. Au lieu 
de defendre les acquisitions du clerg^ , il faiit 
chercher ^ Ken d^gouter lui-meme ; laiffer le 
droit & oter le fait. 

Dans quelques pays de 1* Europe , la confi- 
guration des droits des Seigneurs a fait 6tablir 
en leur faveur nn droit dlndemnite fur les im- 
meubles acquis par les gens de main - morte. 
L'interet du Prince lui a fait cxiger un droit 
d'amortiffement dans le meme cas. En Caftille , 
ou il n'y a point de droit pareil, le clergi a 
tout envahi; en Arragon, oil il y a quelque 
droit d'amortiiTenient > il a acquis moins ; ea 
France , oii ce droit & celui d*indemnit£ font 
^tablis , il a moins acquis encore ; & l*on peut 
dire que la profp^rit6 de cet ^tat efl due en 
parde a rexercice de ces deux droits. Augmen- 
tez - les ces droits, & arretez la main - morte » 
s'il ^ polSble. 

Rendez facr6 & inviolable I'ancien & n^- 
ceffaire ^omaine du clerg^ ; cju'il (bit fixe & 
eternel comme lui : mais laiilez fortir de fes 
mains les nouveaux domaines. 

Permettez de violer la regie , lorfque la re- 
gie eft devenue un abus; foufiirez. I'abus , lorf- 
qu'il rentre dans la regie. 

On fe fouvient toujour- a Rome d*un 
moire qui y fut envoy^ a roccafion de quel** 
ques demel^s avec le clergi. On y avoit mis 
cette maxime : a Le ckrge doit contribuer aux 
» charges de I'^tat , quoi qu'en dife ranciea 
、 " Teftament On en c6nclut que rauteur du 
me moire entendoit mieux le langage de la malt*^ 
tote que celui de la religiauu 



'2-74 



De l'Es'prit des Lois ; 



C H A, P I T R E Vt- 

res monajie/es. 

T 

JLiE moindre bon fens fait roir que ces corps 
qui fe perpetaent fans fin, ne doivent pas ven- 
dre leurs fonds a vie, ni faire des em prun ts 
a vie, a moins qu'on ne veuille qu'ils fe ren- 
dent heritiers de tous ceux qui n'ont point 
parens ,& de tou6 ceux qui n'en veulent point 
avoir : ces gens jouent centre le peupie , mais 
ils tiennent la banque centre lui. * 



C H A P I T R E 



vu luxe de la fuperfitioru ' 

ic 0>EUX-LA font impies envers les dieux , 
,, dit Platon {a) , qui nient kur exlftence ; ou 
» qpi Faccordent , mais foutiennent qu'ils ne fe 
» melent point d'es chofes d,ici 一 bas ; ou enfin » 
» qui penfent qu'on les appaife aifement par 
» des lacrifices •• trois opinions egalement per* 
» nicieufe^ ,,. Platon dit la tout ce que la lu- 
miere naturelle a jamais dit de plus fenfe en 
matiere de religion. 
La magnificence du culte extirieur a beau- 



(a) Des lois,Uv. X* 



Liv. XXV. c^AP. vn. "5 

coup de rapport a la conflitution de r^tat, 
Da^s les bonnes r^publiques ^ on n'a pas feu- 
lement r^prime le luxe de la vanit^ , mais en- 
core celui de la fuperflition : on a fait dans Ja 
religion des lois d'6pargne. De ce nombre, 
font plufieurs lois de Solon , pJufteurs lois de 
Plato n fur les funi rallies , que Gc^ron a adop* 
t^es ; enfin , quelques lois de Numa [b] fur les 
facrifices. 

" Des oifeaux , dit Cic^ron , & des peiqtu- 
79 res faites en un Jour, font des dons tr^s di- 
n vins. Nous ofFrons des chofes communes , di- 
" foit un Spartiate, afin que nous ayions tous 
» les tours le moyen d'honorer les dleux "• 

Le loin que les hommes doivent avoir de rcn- 
dre un culte a la divinit6 , eft bien different de 
la、 magnificence de ce cuke. Ne lui offrons poins 
- nos. trefors , fi nous ne voulons lui faire voir 
Teftime que nous faifons des chofes quelle veut, 
que nous meprificns. 

« Que doivent penfer les dieux des dons des 
w impies , dlt admirable ment Plato n , puifqu'un 
,, homma de bien rougiroit de recevoir des pre- 
,, fens dun tnalhonnete homme ,,? 

II ne faut pas que la religion , fous pr^texte 
de dons , exige des peuples ce que les neceffit^s 
de I'etat kvr ont laifTe ; & , comme dit Pla- 
ton (c), des hommes chaAes & pieux doivent 
offrir des doss qui leur reffemblent. 

II ne faudroit pas non plus que la religion 
encouraged les -aepenfes des funerailles. Qu'y 



'h) Rogum vino ne rejper^to, Loi des douze tables*. 
[e) Des lois , Uv. Ul, 、 



"6 DE- l'Esprit des Lois , 

a-t-il de plus naturel , que d'oter la iiSirence 
des fortunes dans une chofe & dans les moro ns 
qui egalifent toutes les fortunes ? 

—————— ————— ——^■y 

C H A P I T R E VIII. 

Du Ponnftcat. 

XjORSQue la religion a beaucoup de miniflres, 
il eft naturel qu'ils ^ent un chef, & que le pon- 
tlficat y foit ^tabli. Dans la monarchie , oil l,on 
ne faurQit trop feparer les. ordrcs de I'etat , & 
oh Fon ne dqit point affembler fur une meme 
tete toutes les puiiTances , il eft bon que le pon- 
tificat foit fi^pare de 1 'empire. La meme l»ecef- 
{\ti ne fe rencontre pas dans le gouvernement 
defpotique , dont la nature fift de reunir fur une 
meme tete tous les ppuvoirs. Mais , dans ce cas , 
ii pourroit arriver que le prince regarderoit la 
religion comme fes lots memes & comme des 
effets" de fa volonte. Pour prevenir cet incon- 
venient , il put qu'il y ait des monumens dd 
la religion ; par exemple , des livres facres qui 
la fixent & qui retabliflent. Le roi de Perfe eft 
le chef de la religion ; mais I'akoran regie la 
religion : rempereur de la Chine eft le fouve- 
rain pantife ; mais-il y a des livres qui font 
entre les mains de tout le tnonde , auxqueis il 
doit lut-meme fe confer men En vain un em- 
pereur voulut-ll les abolir , il& triompherent de 
la tyraanie* 



Liv. XXV. Chap. VIII 



CHAPITRE IX. 

Dt U toUrancc en fait dc relipofu 

ous fommes id politlques , & non pas Ato^ 
logiens : & pour les th^ologiens monies, il y 
a men de la difCirence eotre tol^rer une reli* 
gion & rapprouver. 

Lorfque les lois d*un dtat ont cru devoir fouf* 
frir plufieurs religions , il faut qu*elles les obli- 
gent aufli-a fe tol^rer entrelles. Ceft un jprin- 
cipe , que toute religion qui eft r^prim^e , de- 
- vient eile-m^me reprimante : car fi-tot que , 
par quelque hafard , elle peut fortir de roppref- 
lion , elle ^ttaque la religion qui l*a r^prim^e » 
non pas comme ane religion , mais comme une 
tyrannie.' 

II eft done utile que les lois exigent de ces 
diverfes religions , non feulement -qu'elles ne 
troublent pas I'^at , mais auffi qu'elles ne fe 
troublent pas cntr'elles. Un citoyen ne fatisfait 
point aux lois, en fe contentant de ne pas agl- 
ter 1e corps de Wtat ; il faut encore qu'il ne 
trouble pas quelque citoyen que ce foit. 



CHAPITRE X. 

Continuation du mime fujtu 

0^OMM£ il n*y a guere que les fefigions m« 
toUr^ntes qui axent un grand zMe pour s'etablir 
«iUeurs, parce qu'une religion qui peut tolirer 




De l'Esprit des Lois ; 

les autres ne fonge guere a fa propagation ; cc 
iera une tres bonne loi civile , lorque 1, 圣 tat eft 
fatisfait de la religion de]a etablie , de ne point 
fouffrir r^iabliiTement (^) dune autre. 

Voici doi)c le principe fondamental des lois 
politiques en fait de religion. Quand on eft 
maitre de recevoir dans un ^tat une nouvellc 
religion , ou de ne la pas recevoir , il ne faut 
pas Yy itablir ; quand elle y eft Etablie , il faut 
la tolerer. 



C H A P I T R E XL 

Du changement de religion. 

XJn prince qui entreprend dans fon itat de 
d^truire ou de changer la religion dominante , 
- s*expofe beaucoup. Si fon gouvernement eft 
defpotique , il court plus de rifque de voir une 
revolution , que par quelque tyrannie que ce 
foit , qui n'eft jamais dans ces fortes d'etats une 
chofe nouvelle. La revolution vieYit de qu'un 
^tat ne change pas de religion , de niceurs & 
de tnanieres dans un inftant , & auffi vite que 
le prince publie l,ordonnance qui ^tablit une re- 
ligion nouvelle. 

De plus , la religion ancienne eft ii^e avec la 
conflitution de I'^tat , & la nouvelle n'y tient 



(a) Je ne parle point d«ns tout ce chapitre de U 
religion chr^tienne ; parce que , comme j'ai dit ail- 
leurs , la religion chr^tienne eft le premier bien« 
Voyez la fin du chapitre I. du livre precedent , & U 
d^fenfe de refprit des lois, feconde partic. 



Liv. XXV. Chap. XI. ^79 

point : celle-la s'accorde avec le climate & fou- 
vent U nouvelle s'y refufe. II y a plus : les ci- 
tojens fe degoutent de leurs lois ; ils prennent 
du m^pr'is pour le gouvernement deja etabli ; 
on fubilitue des foupsons contre les deux reli- 
gions , a une ferme croyance pour une ; en un 
mot , 1*0 n donne a I'^tat , au moins pour quel — 
que temps ,& de mauvais citoyens , & de 
snauvais fideles. 



C H A P I T R E XIL 

DCS lois pinales. 

Jl faut iviter les lois penales en fait de reli- 
gion. Elles impriment de la crainte, il eft vrai : 
mais comme la religion a fes lois p6nales auffi 
qui infpirent de la crainte , lune eu effacSe par 
I'autre. Entre ces deux craintes difFerentes , leis 
ames deviennent atroces. 

La religion a de fi grandes menaces , elle a 
de fi grandes promefTes , que lorfqu'elles font 
prefentes a notre efprit , quelque chofe que le 
magiflrat puifTe fairs pour nous contraindre a la 
quitter , il femble qu*on ne nous laifTe rien quand 
on nous 1*6 te , & qu'on ne,nous dte rien lorf- 
qu*on nous la laifTe. 

Ce n*€ft done pas en remplifTant Vame de 
ce grand objet , en I'approchant du moment oil 
il lui doit etre d'une plus grande importance , que 
I'ofi parvient a I'en detacher : il eft plus s^r 
d'attaquer une religion par I4 faveur , par les 
commodites de la vie, par refperance de la for. 



& to De l'EePRIT DCS Loi,, 

tune ; non pas par ce qui avertit , tnais par c6 

3ui fait que I'on oublie ; non pas par ce qui in- 
igne , mais par ce qui jette dans la tiedeur, 
lorfque cTautres pafHons agiiTent fur nos ames, 
& que celles que la religion infpire font dans 
le filence. Regie g^n^rale : en fait de change* 
ment de religioif , ies invitations font plus for- 
tes que les peines. 

Le cara6^ere l,efprit humain a paru dans 
Fordre me me des peines qu'on a employees. 
Que I'on fe rappelle les perf(£cutions du Ja 了 
pon (a); on fe revolta plus centre le> fuppli- 
ces cruels que contre les peines longues, qui 
lafTent plus qu*elles n*effarouchent, qui font plus 
difficiies a furmonter , parce qu'elles paroiuent 
moins difEciles. 

£n un mot , I'hiftoire nous apprend aiTez que 
les lois penales nont jamais eu d'effet que 
comme oeflrudion. 



C H A P I T R E XIIL 

Tris- humble remmtrance aux Inqvifiuurs / Ef" 
gagne & de Portugal, 

NE Juivc de dix-huit ans , bruWe a Lis- 
bonne au dernier auto-da* fe , donna occafion 
a ce petit ouvrage ; & je crois que c'eft le 
plus inutile qui ait jamais 6tc 6crit. Quand U 



(a) Voyez le recueil des voyages qui font fervi k 
f^tablKTement de U compagnie deslndes> tom.V. partie 
1. page i9» 



• Liv. XXV, Chap. 3^11. 281 

s*agit de pfouver des chofes il claires , on eft 
sur de ne pas convaincre. 
" Uauteur declare que, qumqull foh Juif , il 
tefpefte la religion Chr^tienne , & qu'il Taime 
affei , pour oter aux princes qui ne feront pa^ 
Chretiens un pretexte plaufible'pour la perft- 、 
cmer. 、 

u Vous rous plaignez, dit-il aux Inquifiteurs , 
ff de ce que l,einpereur du Japon fait brDlef a 
» petit feu tous les Chretiens qui font dans fe» 
» etats ; mais il vous r^pondra : Nous vou» 
" traitons , vous qui ne croyez pas comme 
" 'hous , comme vous traitez vous-mSmes ceux 
* qui ne croient pas comme vous : vous ne 
» pouvei vous plaindre que de vatrc foibleffe , 
» qui vous empSche de nous exterminer , & qui 
" (ait qtie nous vous exterminons. 
- -w Mais il faut avouer que vous Ites bieil 
ff plus cruels que cet empereur. Vou» nous fai- 
7f tes mouiir , nous qiu ne croyons que ce que 
» vous croyez, parce que nous ne croyons pas 
» tout cc que vous croyez. Nous fuivotis une 
" religion que vous favez vous-m^mes avoii* 
n iti au&efois cWrie* de Dieu : nous penfdns 
" que Dieu raime encore, & vous penfez quH 
" Tie raime plus ; & parce que vous jugez aitiil , 
» vous faites pafler par le fer & par k feu 
n ceux qui font dans cette erreur n pardon- 
J* nable, de croire que Dieu (ai) ahne encori; 
» ce qu'il a aim& 



[«】 C'eft la fource 6e I'aveuglement des 7uifs , <f« 
ne pas fentir que reconomie de revangile- eft dan*, 
rbrdre des deifeins de IMeu , $c qu'ainfi elle ua# 




' " Si VOU5. etes. cruels a notte ^gard, vous- 
» retes bi^n plus a I'egard de nos. enfans ;. you$ 
» les faites bruler> parce q)a,ik fuiveot les inf- 
n piraiions que leur ont donn^es ceux que la 
» loi iiaturelle & les lois de tous . les peupie& 
" leur apprennent a refpefier comme des dieux; 

» Vous Yons prirez de Favantage que wus 
n a donne fur les Mahometans la maniere dont 
jf leur religoh s'eft Stabile. Quand ils ft van- 
» tent dit nombre de leurs fideles , y.ous 】eus 
» dites que la force les leur a acquis , & qu'il& 
» ont etendu leur religioa par le fer ;; pourquoi 
» done €tabliflei- vous la voire par le feu ? 

" Quand vqus voulez nous faxre 'venir Sk 
» vous ^ nous vous. objefitons une fource dont 
j» vous Yous faites gloire. de defcendre. Vous 
• » nous ripondez que votre religion eft nou« 

V velle mais. qu'elle. eft divine ; & vous le' 
3» proiivez parce qu'elle s'eft accrue par la per* 
5> lecutlon des payens & par le fang, de yo& 
5f martyrs :. mais aujourd'hui vous preniez 1& 
" role des Dloclttiens & yous. nous • faites 

V prendre le votre,, 

,, Nous vous.conjurons?,. non pa, par le Dievn 
» puiflant que nous ffrvona vous & nous^ 
,, mais par le Chrift que vous nous dites avoic; 

V pris la condition hutnaine pour vous propo-- 
» fer des exemples que vous puifliez fuivre ^ 

、- V nous vous cQnjurons d*agir avec. nous comme. 
" il agiroit luf-meme s'il dtoit encore fur, h《 
n terre. Vous voulez que nous foyons Ghrd— 
» tiens ,. & yfim ne voukz pas i'feirer, 

" Mais fi vous ne voulez pas etre GJinStiens , 
,, foyez' au inbins des hommes :: traitez-nous. 
,, comme vous feriez , fi n*ayant que ces foi> 
» bles lueurs de juftice .que la nature ncjus donoe> 



Liv. XXV. Chap. XIH, 283 

ft vous n*aviez point line religion pour vous 
» condulre & une riv61ation pour vous iclairer. 
• w Si le ciei vous a aflez aim^s pour vous 
ft falre voir la veritc , U vous a fait une grands 
,, grace : mais eft-ce aux enfans qui ont I'he- 
» ritage de leur pere , de hair ceux qui, ne 
II I'ont pas eu ? 

,, Que {\ vous avez cette v^rit^ , ne nout 
» la cachez pas par la maniere dont vous nons 
,, la propofex. Le canidere de la \kt\tk , c'eft 
-n fon triomphe fur les coeurs & les efprits , & 
n non pas cette impuiflance que vous avoiicz , 
" lorfque vous voulez la faire recevoir par dei 
» fupplices. 

" Si vous Ites raironnables^ vous ne devez 
» pas nous faire mourir, parce que nous ne 
,, voulons pas vous troinper. Si votre ChriA 
,, eft le ills de Dieu , nous efpe^fOns qu'il nous 
» r^compenfcra de n'avoir pas voulu profaner 
" fes myftefes : & nous croyons* que le /Dieu 
» que nous fervons voUs . & ilous, ne nous pu- 
" nira pas de ce que nous avons foufFert 】3 
» mort pour une religion quil nous a autrefois 
», donn^e , parce que nous croyons*qu*il nous 
n I'a encore donnee. 

" Vous vivez dans un fiede o& ta lumiere 
r> natureile eft plus vive qu'elle n'a jamais ete, 
" oil la philofophie a eclair^ les efprits , oil U 
" morale de votre evangile a ^te plus connue, 
,, oil les droits refpe6Bfs des hommes les uns 
» fur les autres , rempife d'une conscience a 
,, fur une autre conscience , font mieyx ^tablis* 
" Si done vous ne revenez pas de vos anciens 
n pr^jug^s , qui , fi vous n'y prencz gardf , 
19 font 义 OS pafHons , il faut avouer que vous 
• " etes incorrigibles , incapables de toute lur 

A a X 



a84 L*EspmT D£s Loi^;^ 

" miere & de toute inftru6Hon ^ & une natiott: 
» eft bien maiheureufe, qui donne de l'autorit£^ 
» a des hommes tels que vous. 

,, Voulez-vous que nous vous difions nai- 
n vement notre pen fee ? * Vous nou» regarder- 
H plutot comme yos ennemis , que comme lesr 
n ennimis de votre religion : car fi vous ai— 
» miez votre rel'igion , yous ne la laifferiez pas» 
i> corrompre par une ignorance groffiere. 

" 11 faut que nous vous avertifficms d'une 
" chofe ; c'eft que , fi quelqn-un dans ia pofte- 

rit6 ofe jamais dire: que dans le fiecle oil 
" nous vivons , les peuples d'Europe 6toient 
,> polices , on vous citera pouc prouver qu'il* 
,, etoient barbares ; & I'idee que Von aura de 
w vous , fera telle , qu'elle fletriia votre ftccle , 
" & portera la liaine fur tous yos contem, 
» potains ,,• - 

C H A P I T R K XI Y, 、 

Pourquoi la nlipon chreacnnc eft Ji odimfc aa 

Japan. 

J'ai pztU (a), du caradere atroce des^ ames Jk- 
ponoiles. Les ms^iArats reearderent la fermett 
qu-infpire le ChriSianifme lorfqu'il s,agit^ de re 翁 
.noncer k la foi , comme tils dangereufe : on 
crut devoir augtnenter I'audace. loi du Ja- 
pon punit fihr^rement Ia moindre d^fob^iflance : 
oil ordonna de renoncer a Ik religion Chr6- 



[«] Liv. VI. ch, xxiY. 



、 Liv. XXV. Cha». XIV. 

iSenne : vCy pas.renoncer , c,6toit defobeir ; on 
chatia ce crime ,& la continuation de la de*- 
fob^ifTance parut m^riter un autre chitiment^ 
Les pumtions chez les Japonois font regar- 
dees comme la vengeance d*une infultc faitc 
au prince. Les chants d*'all6greffe de nos martyrs 
parurent etre un attentat centre lui r le titre de 
martyr intimida les maglArats ; dans leur ef- 
prit, il fignifioit rebelle*, iU fiient tout pour 
empScher qu'on ne I'obtint, Ce fut alors que 
fes ames s'effaroucherent , & que ron vit un 
combat horrible entre les tribunaux qui con— 
^amnerent &. les accufes qui fouftrirent, entre 
ks lois clviles & celles de ia religion^ 



C H A P I T R E XV. 

DC la prof ugation de la reli^on- 

T ouales peuples d'brient , except^ les Maho^ 
fli^tans , croient toutes les religions en dies — 
tneme» indifFentes^Ce n'eft que comme change*- 
tnent dans le gouvernement , qu'ils craignenf 
r^tabliffement d'une autre religion. Chez les» 
Japonois, ou ily a plufieurs fedles , & oil I'^tat » 
fi long- temps un chef eccl^fiafli^ue ^ on ne 
difpute la), jamais fur la religion. II en eft de 
meme chez les Siamois \h\ Les Calmouks [cj 
kat plus ; ils fe font une affaire de confcience 



[d] Voyez Kempfer. 
i] M^nioircs du comte de Fbrbin. 
f] Hiftoires des Tar tares , part.. V, 



a86 De l'Esprit des Lms ; 

de foufFrir toutes fortes de religions : A Calr-^ 
cut [d] , c'eft une maxime d'etat , que touts 
religion eft bonne. 

Mais il n'en refiilte pas qu'une religion appor- 
tie d'un pays tres eloigne , & totakment difFe- 
rente de climat , de lois, & de moeurs & de ma- 
nieres , ait tout le fucces que fa faintete devroic 
lui promettre. Cela eft furtout vrai dans les 

!; rands empires defpotiques : on tolere d,abord 
es etrangers , parce qu'on ne fatt point d'atten- 
lion a ce qui ne paroit pas, bleffer la puifTance 
du Prince ; ony eft dans une ienorance extreme 
de tout. Un Europeen peut le rendre agr^able 
par de certames connoiflances qu'il procure : 
cela eft bon pour les commencemens. Mais fitot 
que l,on a quelque fuccis , que quelqne difpure 
s'eleve , que les gens qui peuvent avoir quelque 
intdr^ font avertis ; comrae cet etat , par fa n»" 
ture , demande furtout la tranquiilite , & que le 
inoindre\ trouble peut le rcijverfer , on profcrit 
d*abord la religion nouvelle & ceux qui l,annon, 
cent; les difputes entre ceux qui prechent , ve«- 
r nam a eclater , on commence a fe degoater d-une 
religion , dont ceux qui la propofent , ne con - 
Tiennent pas« 、 



(d) Voyagjc (U Firansois Pyrard , ch. xxvu« 



Liv. XXVL Chap. L 

L I V R E XXVL 

Dts Lois , dans k rapport qucUes doivtnt avoir 
avtc Vordrt dts chofes fur lelqiullcs cUfj 
^tuent, 



CHAPITRE PREMIER 

Mic de ce Livre^ 

I^ES hommes font gouvernes par diverfe 
fortes de lois ; par le droit nature! ; par le droit 
divin , aui eft celur de la religion ; par le droit 
ecclefiaitique , autrement appefle canonique , qui 
eft cekii de la police de la religion ; par le droit 
des gens , qxCon peut confide rer com me le" droit 
civiL cte runiws , d^ns le fens qire chaque p3u- 
pie en eft ua citoyen ; par le droit politique ge- 
neral ^ qui a pour objet cett^ fegefle huhiaine 
qui a fonde tomes les fociet^s ; par le droit poli- 
ti<|ue particuHer , qui cDncerne chaque fociete 
par le diport de conqu^te , fonde fur ce qU'ua- 
peupte a vovtlu , a pii', ou a du faire. violence i 
im autre ; par le droit civil de chaque fociete 
pr lequel un citoyen peut defendre fes biens & 
fa vie centre tout autre eitoyen ; enfin par le 
droit domeftique , qui vient de ce qu'une Ibciitd 
eft divifSe en diverfes families , qui ont befoia 
cfun gouvernement particulier^ 



ftSS D£ lTsprit Dis Lob, 

D y a done dtfferens ordres de lois ; & la fch 
blimite de la raifoa humaine confifte a fa voir 
Inen aucpiel de ces ordfes fe rapportent prin- 
cipalement les choles fur Idquelles on doit fta- 
tuer, 6c a ne point mettre de confiifion dans 
les princlpes qia doivent gouverner les hom- 
ines. 



C H A P I T R E II. 

Z>es lois divines & dcs his kumaims, 

O N ne doit point ftatuer par les lois divines 
ce qui doit Tetre par les lois humaines, ni rigl^r 

|>ar les lois humaines ce qui doit I'etre par les 
ois divines. 

Ces deux fortes de lois different par leur ori- 
gVne , par leur objet , & par leur nature. 

Tout le monde convient bien que les k>ts> 
bumaines font d'urie autre nature que les lois de 
la religion , c'eft un erand principe : mais ce 
principe lui-meme eir foumls a d'autres , qu'i|、 
iaut chercher. 

I*'. La nature des lois humaines eft d'ltre ibu- 
imfe a tons les accidens qui arrivent , & de varier 
a mefure que les volontds des hommes chan- 
gent : au comraire , la nature des lois de la re- 
ligion eft de ne varier jamais. Les lois humaines 
flatuent fur le bien ; la religion fur le xneiUeur. 
Le bien peut avoir un autre objet , parce qu'il y 
a plufieurs biens ; mais le meilleur n*eft qu,un , it 
peut done pas changer. On peut bien chan- 
ger les lois , parce qu*elles ne font cenfees 
gu'Stre bonnes ; mais les inilitutions de la re- 
ligion 



L 1 V. XXVI. Chap. H. 2S9 

ligion font toujours fuppofees . ^tre les mail- 
leures. 

2^. U J a des ^tats ou les lois n€ font rien , 
cn ne font qu'ane volonte capricieufe & tranfi - 
foire du fouverain. Si , <lans ces eta^c , les lois de 
b religion ^oient de la nature des lois humaines , 
les lois de U religion ne feroient rien non plus ; 
il eft pourtant necefliure a la foci^t^ qu'il y ait 
quelque chofe de fixe ; & c*^ cette religion qui 
in quelque chofe de fixe. 

3^1 La force principale de la religion vient 
de c& qu*on la croit ; la force des lois humaines 
vient de ce qu*an les craint.L'antiquit^ convient 
Ik la religion , parce que fouvent nous croyons 

£lus, les chofes a mefure qu'elles font plus recu* 
ies : car nous n*avons pas dans la tSte des id^es 
acceflbires tiroes de ces temps>la , qui puifTent lee 
contredire. I^es lots humaines , au contraire , 
tir^nt avantage de leur nouveaut^ , qui annonce 
line attention particidiere & a&uelle du ligiila 一 
teur , pour les faire obferven 

t'l 囊' , I ggg 

C H A P I T R E III. 

Dts bis civilu qid font contraires d la ioi 

naturelU, 

S I un efclave , dlt Platon [<f] , fe defend &tue 
un homme libre , il doit etre trait 士 com me un 
parricide. Voila une loi civile qui punk la 轡 
ienfe naturelle. 



(a) Liv. IX. des loU 
Tome 111. 



Bb 



約 I De l'Esprit d£s Lois; 

yoit-il etre accufateur de fon pere i Pour yenecf 
une adlon criminelle , iL en ordonnoit une plus 
criininelle encore. 

La loi de [F\ Recefluinde permettoit aux en- 
fans de la femme adultere , ou a ceux de foii 
fnari , de I'accufer , & de mettre a la queftion 
les efclaves de la maifon. Loi inique , qui , pour 
conferver les moeurs , renverfoit la nature , d'ou 
tirent leur engine les moeurs. 

Nous voyons avec plaifir fur nos theatres un 
)eune h^ros montrer autant d'horreur pour de- 
couvrir ' Je crime de fa belle-mere , qu'il en 
9Yoit eu pour le crime ih^me ; il ofe a peine , 
dans fa furprife , accufe , jug^ , condamne , 
profcrit & couvert d'infiamie , faire quelques re- 
flexions fur le fang abominable dont Phedre eft 
fortie : il abandonne ce qull a 、de plus cher , & 
robjet le plus tendre , tout ce qui parle a fon 
coeur , tout ce qui peut Findignef , pour aUer fe 
livrer a la vengeance des dieux qu'il n*a point 
meritee. Ce font les accens de ]a nature qui 
caufent ce plaifir ; c*eft la plus douce de toutes 
les voix. 



Liv. XXVI. Chap. V. 193 



CHAPITRE V. 

Cds oii ton fcut juger par Us principes du droit 
civile en modifiam Us principes du droit na^. 
turd, 

N £ loi d'Athenes obligeolt [^1 les enfans 
de nourrir leurs peres tombes dans Pindig^nce ; 
«lle exceptoit ceux qui ^toient ixis [b"] d*une cour- 
tifane , ceux dojit le pere avoit expoii^ la pudi- 
cite par un trafic infame , ceux a qui [c] il 
n'avoit proint donne de metier pour gagner 
leur vie. » 

La loi conHd^roit que., dans le premier cas , 
le pere fe trouvant incertain , il avoit rendu 
pT^caire fon obligation naturelle : que , dans le 
fecond , il avoit fletri la vie qu,il avoit donn^e; 
& que le plus grand mal qu'il pfit faire a fes en»- 
fans , il ravoit fait , en les privant de leur carac- 
tere ; que , dans le troifipme , il leur avoit rendu 
infupportable une vie qu'ils tronvoient tant de 
difficult^ a foutenir. La loi n'envifageoit plus le 
pere & le fils que comme deux qtoyens , ne fta- 
tuoit plus< que fur des vues polkiques & civiles ; 
clle confideroit que , dans une bonne ripubii- 
que , il faut furtout des moeurs. Je crois bien que 
la loi de Solon 6toit bonne dans les deux pre- 

(<f) Sous peine d'infamie ; une autre fous peine de 
prifon. . , 

(b) Plutarque , vie <je Solon. 

(c) Plutarque , vie de Solon ; & Galliien , in exhart^ 
Md Ar" ch* viu* 

3 



、 &94 De l'Esprit MS Loi$ ; 
miers cas , (bit celui ob la nature laifle ignorCr 
«u fils quel eft fon pcre , foit celui oii elle fem- 
ble meme lui ordonner de ie m^connoitre : mais 
on nc fauroit I'approuver dans le troifieme » 
oil le pere n'avoit yi<M qu'un r^glement civil. 

1— I . I ' I'', 雪 

CHAPITRE VI. 

Que tordre dn fucceffions depend des principes 
du droit politique ou civil , & non pas dcs prut" 
cipes du droit natunL 

L A loi Voconiertht ne permettoit point d^nf- 
tituer une femme heritiere , pas meme fa fiUe 
unique. II n'y eut jamais , dit S. Auguflixi [a] 、 
une k>i plus injufte. Une formule de [h] Marculfe 
traite d*impie la coutume qui prive les filles de 
' la fucceflion de leurs peres. Juftinien (c) appellc 
barbare le droit de fucceder des males , «au 
prejudice des filles. Ces idees font venues de 
ce que Fon a regard^ le droit que les enfans 
ont de fucceder a leurs peres ; comme une 
confequence de la loi jaaturelle ; ce qui n'eA 
pas. 

La loi naturelle ordonne aux peres de nour- 
rir leurs enfans , iliais elle !!, oblige pas de leS 
fatre Writiers. Le partage des bicns , les lois fur 
' ce partage , les iucceuions apr^s la mort de 
celui qui a eu ce, partage ; tout cela ne peut avbir 



if) De civ'akte Dei , liv. Ill, 
{h) Liv. II. ch. XII. 



、 



Liv. XXVI. Chap. VI. 19, 

iti rigU que par la fociet^ , & par confiiquent 
par des lois politiques ou civiles. 

II eft vrai aue l*ordre politiaue ou civil demands 
. fouvent que ies enfans fuccedent aiu peres , mais 
il ne I'exige pas tou)ours. 

Les lois de nos fiefs ont pu avoir des raifons 
pour que rain 6 des males , ou les plus proches 
parens par males eufTent ' tout , & que les 
niles n'euffent rien : & les lois des Lombards {J) 
ont pu en avoir pour que les faeurs , les enfans 
naturels, ies autres parens , & a leur defaut le 
, fife , concouruiTent avec les filles. 

II fut r^gle dani quelqiles dynafties de la 
Chine , que les (teres de rEmperour lui fucc^* 
deroient , & que fes enfatis ne lui Aicccde- 
roient pas. Si roh vouloit que le Prince eAt 
une certaine experience, fi l,on craignoit les mi* 
norit^s , s'il falloit pr^venir que dc« eunuques ne 
pla^aflent fucceflivement des enfans fur le trone, 
on put tjhs bien 6tablir Un pareil ordre de fuc- 
' ceflion : Sl quand quelques (e) ecrivains ont traitc 
ces freres d'ufarpateurs , lis ont jug^ fur das id^es 
prifes des lois de ces pays-ci. 

Selon la coutume de Numidie (/") Delface 
frere da Gela , fucceda au royaume , non pas 
• Maffiniffe fon fils. Et eiKore aujourd'hui (g) , 
chez les Arabes de Barbarie, ou chaque village 
a un ' chef , on choifit , felon cette ancienne cou- 
tume , roncle ou quelqu*autre parent , pour fuc- 
c^dec 

II y a des monarchies purement eledlives ; & 

「 

(d) Liv. II. tit. 14. §. <S, 7 & S. 

(e) Le pere du Halde , fur la feconde dynaftie. 
ff) Titc Live, decade 3 , Wv IX. 

Ig) Yo/ez l(s roya|es 4e M.Schav , torn. i, ^,491$ 



996 De l'Esprit D£s Lois ; 

des qu'il eft clair que rordre des fucceffions ioit . 
de river des lois politiques on civiles , c'eft a elles 
a decider dans quels cas la raifon veut que cettc 
fucceilion foit dtferie aux enfans ^ & dans quels 
ca& il faut.Ia donner a d'autres. 

Dans les pays oil la polygamie eft ^tabtie , le 
Prince a beaucoup d'enfans ; le nombre en eft 
plus grand dans des pays que dans d'autres. U y 
a des etats (hi) oil l,entretien des enfans du Roi fe- 
roit impoilible au peuple ; on apu y ^tablir que 
les en£ins du Roi ne lui fuccideroxent pas , 
mais ceux de fa foeur. 

Un nombre proc^gieux d'tn&ns expoferoit I'i- 
tat a d'aflreufes guerres civiles. Uorare de fuc- 
ceilion qui doinne la couronne aux enfans de Ja 
foeur , dont le nombre n'eft pas plus grand que 
ne feroit celui des enfans d*un Prince qui n'au- 
Toit qu'une feule femme , previen't ces inconve* 
niens. ' 

II y a des nations chez lefqueHes des raifons 
d'etat ou quelque manime de religion ont de- 
znande qu'une certaine famille fut toujours r" - 
gnante : telle eft aux Indes (i) la jaloufie de fa 
cafke , & la crainte de n,en point defcendre : on y 
•a penf^ que , pour avoir toujours des Princes da 
,Sang Royal , il fdUoit prendre ks enfans de la 
•feur ainee du Roi. 

Maxime gen^fale : nourrir fes en&ns , eft une 



(AJ Voyel le Recueii des voyages qui ont fervi k 
rit^bliiTement de la Compagnie des Indes » torn. IV, 
part. I. pag. 1 14 ;. & M. Smith , voyage de Guin 豸 e, 
part. 2. pag. 1 10 , fur le royaume de Juiiia. - 

(i) Voyez Les lettres ^dif. quatorzieme recueii » & 
les voyages qui ont fervi k PetabUlTemcnt de la COA- 
pagnie del Indes , torn. III. part. 2, pag. 644* 



Liv. XXVI. Chap. VL 297 

obligation du droit naturel ; 'kur donner fa fuc- 
ceffion , eft une obligation du droit civil ou po- 
Btique. I)e-li d^rivent les difterentes difpofitions 
fur les batards dans let clifF<6rens pays du monde ; 
dies fuivent les lois ciyiles ou politiqaes de cha, 
que pays. 



C H A P I T R E VI L 

Quil ne faut point decider par les prictptes de Is 
relipon , lorfyu"il s'apt de la loi namrcUe, 

I^£S AbyiGns ont un caretne de dnquante 
jours tr^s^de , & qui les afFoiblit tellement, 
que de long-temps ils ne peuvent agir : Aes 
Turcs (a) ne manquent pas dt les atraquer apres 
leur careme. La religion devroit , en faveur de la 
defence naturelle , mettre des bornes a ces pra<* 
tiqii€S. 

Le fabbat fut ordoiin^ aux Juifs : maitl ce fut 
une (lupidite a cette nation de ne point fe dc- 
fendre {h) , iorfque fes ennemis cboifirent ce jour 
pour rattaquer. 

Cambyfe affiegeant Peluze , mit au premier 
rang un grand nombre d'animaux qiit les Egyp- 
• tiens tenoient pour facr^s : les faldats de la gar-' 
nifon n'oferent tirer. Qui ne voit que la defenft 
naturelle eA d'un ordte fup^rieur a tous les prc- 
ceptes ? 

i, i> ,11 • ,1 

(a) Recueil des voyages qui ont fervi i r^tabiiiTc- 
! ntent. de U compagnie des Indes , torn. IV. part. 1. 

(b) Comme i】s firent , Iorfque Pomp^e afil^eea It 
temple. yoy€2 Dioa , liv, XXXVU, 



2^9 De l*Esprit des Lois 



C H A P I T R E VIIL 

Qu'il nc faut pas teller par Us principes du droit 
appelli canonique , Us chofes rigUes per Us prirt" 
apes du droit civil. 

3Pa r le droit {a) civil des Romajns , celui qui 
enleve d'un lieu facr^ une chofe privee, n,eft puni 
aue du crime de vol : par le droit (b) canonique , 
il eft puni du crime de facrileee, Le droit cano- 
nique fait attention au lieu , le droit civil a la 
chofe. Mais n'avoir attention qu'au lieu, c'eft 
ne r6fl4chir , ni fur la nature & la definition du 
Tol , ni fur la nature & la definition du facri- 

Comme le man peut demander la fepararion 
a caufe de rinfidelite de fa femme , la femmie la 
demandoit autrefois (c) a caufe de rinfidelite du 
mari Get ufage , conttaire a la difpofition des 
lois {d) Romaihes > s*etoit introduit dans les 
cours [-] d'eglife , oil I'on ne voyoit que les 
maximes du droit canonique ; & efFeftivement,a 
ne regarder le mariage que dans ides idees purer 
ment fpirituelles & dans le rapport aux chofl^ 



* (tf) Leg. V. fF, ad leg. SuUam peculatus. 

{hy Cap. Quifquis xvii » quaeftione 4 ; Cujas , 0" 
fervat. liv. XUl. chap, xix , torn. HI. 

(c) Beaumanoir , ancienne cootume de BeauvoUU, 
ch. xvin. 

{d) Lep;. I , cod. Mi leg. Jul, dt adult. 

(«) Aujourd'hui , en France , «lles conaoiff«a| 
/ point de c«$ chofe— 



L rv. XXVI. G H A p. IX. if" 

de I'autre vie , la violation eft la mSme. Mais 
les lois politiques & civiles de prefque tous les 
peuples , ont avec raifon diilingue ces deux 
choi'es. £11 es ont demande des femmes un degri 
de retenue & de continence , qu'elles n'exigent 
point des hommes ; parce que la violation de la 
pudeur fuppofe dans les femmes un renoncement 
a toutes les vertus ; parce que la femme , en vio- 
lant les lois du mariage , fort de l*etat de fa de- 
pendance nature lie ; parce que la pature a mar- 
que rinfid^lite des femmes par des fignes cer' 
tains ; outre que les enfans aduit^rins de la 
femme font n^ceflairement au mari & a la charge 
du mari , au lieu que les enfans adult^rins du 
mari ne font pas a la femme, ni a la charge de U 
femme. 



纷 

CHAPITRE IX, 



Qtu les ehofes qui doivent ctre rcglees par Us 
principes du droit civil y peuveru rarement Fitn 
par Us principes de la religion. 

IL-i £S lois religieufes ont plus de fublimlt^ , les 
iois civiles ont plus d*etendue. 

Les lois de per fe£Hon tiroes de 】a religion ont 
.plus pour objet la bont^ de rhomme cjui'Ls 
obferve , que celle de la fociete dans laquelle 
clles font obferv^es : les lois civiles , au con- 
traire , ont plus pour objet la bont^ morale 
des hommes en g^n^ral, que celle des individus. 

Ainfi , quelque refped^ables que foient les 
idies qui naiUgnt utuaediatemeut de la 



r 



300 De L*EsPRiT DEs Lois i 

gion , dies ne doivent pas toujours fervir ds 
principe aux lois civiles ; parce que cftlles-ci 
en ont un autre, qui eft le bien general de la 

Les Romains firent des r 化 lemens pour con- 
ferver dans la r^puMique les moeurs des femmes ; 
c'^toient des inltitutions politiques. Lorfque la 
monarchie s'etablit , ils firent la-deffus des lois 
civiles , & ils les firent fur les principes du gou- 
y«rnement civil. Lorfque la religion Chretienne 
eut pns naifTance , les lois nou veUes que Von fit 
curent moins de rapport a la bont^ generale 
des.mc£urs , qu'a la laintet^ du mariage ; on con- 
fid^ra m^ins I'union des deux fexes dans Fetat ci- 
vil, que dans un etat fpirituel. 

D*abord , par la loi {a) Romaine , un maii 
qui ramenoit fa femme dans fa mai fon apres 】a 
condamnation d'adultere , tut puni comme com- 
plice de fes debauches. Juftinien \J>\ , dans un 
autre efprit , ordonna qu*il pourroit pendant 
deux ans Paller reprendre dans le mo naif ^e. 

Lorfqu'une femme qui avoit fon maii a 】a 
guerre , n'entendoit plus parler de lui ,elle pon- 
voit dans les premiers temps aiftment fe rema- 
rier , parce qu'elle avoit entre fe mains le pou- 
voir de faire divorce. La loi de Conftantin [c] 
voulut qu*elle attendic quatre ans , apres quoi eilc 
pouvoit envoyer le lib«lle de divorce au chef ; 
6i n fon mari revenoit , il ne pouvoit plus I'ac- 
cufer d*adu}tere. Mais Juftinien (</) etabiit que , 



(«) Leg. XI. $. ult. ff. ad Ug. Jul. dc adult, 
(h) Nov. 1^4 , coll. 9, ch. X. tit. 170. 
(c) Leg. VII , cod. dt repudiis & judicio de moriius 
fuhUto. 

{d) Auth« Hodie quanHfcurnqm 》 cod. dt repud^ 



Liv. XXIV. Chap. XI. 301 

rlque ten^ps qui fe fut ecoQT^ depuis 】e depart 
mari , elle ne pouvoit fe remarier , a moin« 
que, par la d^pofition & le ferment du chef, 
die ne prouvat la mort de fon mari •• Juilinien 
9voit en vue rindiffolubilite du niariage , mais on 
pent dire qu'il I'avoit trop en viie. 11 demandoit 
une prcuve pofitive , lorfqu'une preuve nega- 
tive fufEfoit ; il exigeoit une chofe trhs difficile ^ 
de rendre compte de la deftin^e d'un homme 
^k>ign^ & ekpott a tant d'accidens ; il prefumoit 
un crime , c*eft-a-dirc , la d^fertion du mari , 
lorfqu'il ^toit fi naturel pr^fumer fa mort. II' 
choquoit le hien public , en laiflant une femme 
iansjxiaria^e ; il choquoit I'inter^t particulier , em 
feacpofant a tnilte dangers. 

La loi de Juftinien (e) qui tnit parmi les cau* 
fes de divorce le confentetnent du mari & de la 
femme d'entrer dans le monaflere , s'eloignoit 
enti^rement des prindpes des lois civiles. II eft 
naturel que des caufes de divorce tirent leur 
origine de certams empechemens qu'on ne de- 
voit pas pr^voir avant le manage ; mais ce defir 
de garder la chaftete pouvoit etre pr^vu , puif-* 
quil efl en nous. Cette loi favorife rinconilance , 
cans un 圣 tat c^ui M fa nature eft perpctuel ; die 
cheque le priocipe fondamental ' du divorce , 

2ui ne founr e la diffolution d'un marl age que 
ans Fefp^rance d'un autre ; enfin , a fuivre 
me me les idees relieieufes , elle ne fait que don- 
sier des viftimes k Dieu fans facrifice. 



(«) Auth, Quod HodU , cod. dc repui. 



Di! L'EsraiT Dss Lois ; 



C H A P I T R E X. 

Dans quel cas il font fuivre la lot civile qui 
pernuty 6* nonla loi de la religion qui defend* 

L oRSQu'UNE religion qui defend la polyga- 
mic, s'introdiiit dans un pays oil elle eft per- 
inife , on ne croit pas , a ne parler que politi- 
quement , que la loi du pays doive foufFrrr qu'un 
homme qui .a plufieurs femmes embraffe cette 
religion ; a moins que le magiilrat ou le mari ne 
les dedomma^ent , en leur rendant de quelque 
maniere leur etat civil Sans cela leur condition 
ferok deplorable ; dies n'auroient fait qu'obetr 
aiix lois , & elles le troiiveroient privees des plus 
grands avantages 6» la fociet^. 



C H A P I T R E XI 

Quil nt fdut point re^Ur'Ies tribunaux bumains 
、 par Us maximes des tribunaux qui regardent 
^autn vU, 

Ih» fi tribunal de l,inquifition , forme par les 
inoines Chr(Stiens fur Videe du tribunal de la p" 
nitenc;^ contraire a toute bonne police* II a 
trouve partout un foulevement general ; & il au- 
loit cid€ aux conti-adiftions , ii c€ux qui' voii- 
loient retablir n'avoient tir6 avantage de ces coib* 
tradi<Stion$ m^mes. 、 



tiT. XXIV. CnkP. XI. 30,、 

Ce tribunal eft infupportable dans tous les 
gouvernemens. Dans la monarchie , il ne peut 
taire que des delateurs & des traitres ; dans let 
I'epubliques , il ne peut former que des malhon- 
netes gens ; dan$ I'^tat defpotique , il eft deftruc- 
teur coitime lui. 

C H A P I T-R E 



Conunuation du meme fujct. 

C 'est un des abus de ce tribunal , que de deux 
perfonnes qui y font accuf^es du meme crime , 
c^le qui nie eft comdamnee a la mort , & celle 
qui avoue jivite le fupplice. Ceci eft tir6: des id^es 
monadiques , ou celui qui nie paroit • ^tre dans 
Pimpenitence & damn6 , & celui qui avoue fem- 
ble ^tre dans le repentir & fauv^. Mais upe pa- 
reille difllndHon ne peut concerner les tribunaux 
humains : la juftice humalne , qui ne voit que 
les adlons , n*a qu'un pafte avec les homme», 
qui eft celui de I'mnocence ; la juftice divine , qui 
voit les penf(§es, en a deux, celui de I'innocence 
& celui du repentir. 

C H A P I T R E XI 1 1. 

Dans qutlcas il faut fuivrc , J tSgard d" maria- 
ges , Us his de la religion ; & dans quel cas il 
jaut fuivrc le- lo'is civUcs, 

L eft arriv^ , dans tous les pays & dans tou$ 
les temps , que U religion s'eft mel^e des nurisi, 



}04 Dr-L'EspRiT D£s Lpi$; 

§es. D^s que de certaines chofes ont etc xegar- 
ees conune impures ou illicites , & que cepenr 
dant elles ^toient niceflkires , il a bien faUu y 
appeller la religion, pour les legitimer dans un cas 
& les r^prouver dans ks autres. 

D*un autre cote , les manages etant , de toutes 
les a^lions humaines , celle qui int^reffe le plus la 
fi>Qiit^ , il a bien faUu qu'ils fiifTent regl4s par les 
k)is civiles. 

Tout ce qui regards le caraftere du manage, 
fa forme , la maniere de le contrader , la fecon- 
dit^ qu'il procure , qui a fait comprendre a tous 
les peuples qu'il ^toit I'objet d'une benedidlion 
particuliere , qui n'y £tant pas toujours attaches , 
dipendoit de certaines graces fuperieures ; tout ' 
ceU eft du reflbrt de la religion. 

Les confequences de cette union par rapport 
aux biens , les avantages r^ciproques , tout ce 
• oui a du rapport a la famille nouvelle , a celle 
dont elle ed fortie , a celle qui doit naitre ; tout 
cela regards les lob civiles. 

Comme un des grands objets dti mariage eft 
d'6ter toutes les incertitudes des conjonftions 
illegitimes , la religion y imprime fon cara^etje , 
6c Tes lois civiles y joignent le leur, afin qu'il 
ait toute rauthenticite poflible. Ainfi , outre les 
conditions que demande la religion , pour que le 
mariage foit valide , les lois ciyiles en peuvent en- 
core exiger d*autres. 

Ce qui fait que les lois civiles ont ce pouvoir , 
c^eft que ce font cks carafteres ajout^s , & noa 
pas des caraderes contradi^toires. La loi de la 
religion veut de certaines c^r^monies , & les 
lois civiles veulent le confentement des peres; 
elles demandent en cela quelque chole de 
plus , mais elles ne demandent rien qui foit con - 
traire. II 



L 1 V. XXVI. Chap. XllL 50; 

' II fuit de-la que c'eft a la loi de la religion a 
decider fi le lien fera indiiToluhle , ou non : car & 
les lois de la relldon avoient ^tabli le lien indif- 
foluble , & que \e$ civiles euflent rtel6 qu'il fe 
peut rompre , ce feroient deux choics contca" 
didoires. 

-Quelquefois les cara£leres imprimis an ma* 
riage par les lois civiles , ne font pas d'une ab- 
folue necefEte ; tels font ceux qui font ^tablis 
par le?1ois qui , au lieu de caffer le mariage , fe 
font content^es de punir ceux qui le comrac<* 
toient. 

Chez les Romains , les lois Pappiennes 
clarerent injuftes les manages qu*elles pfoh" 
boient , & les foutnirent feulement k des pei 一 
nes (力 ; *& le fi^natus-confulte rendu fur le dif* 
CQurs de rEmpereur Marc*Antonin , les dedara 
nuls ; il rfy cut plus (A) de mariage , d€ femme » 
de dot , de man. La loi civile fe determine felon 
les circonftances : quelauefois elle eft plus atten* 
tive a r^parer k mat , quelquefbis a le pr«« 
venir. 、 



(d) Vojn ce que j*ai dit ci*de0u9 au chap, xxt 
livTC des lois dans le rapport qu'«Hts ont avec 
le nombre des habttans* 

(h) Voyei la loi XVI , C de ritu Huptiamm ; & la 
loi lit, I , audi au digefte iU donationibus inur 




Cc 



}o6 De l'Esprit des LonJ 



CHAPITRfe XIV. 

Dans quel cas , dans Us manages cntre parens ; 
il faut fe regler par Us lots dc la nature ; dans 
quels cas on doit fe ngUr par Us loU civiUs. 

JEl N fait de prohibition de manage entre parens,' 
c'eft une chole tr^s delicate de bien pofer le point 
auquel ks lois de la nature s'arretent , & oil les 
lois civiles commencent. Pour cela , il faut eta- 
blir des principes. ' 

Le manage du fils avec la mere confond Fi- 
tat des chofes-; le fils doit un refpedl fans homes 
a fa mere , la femme doit un refpeft fans bornes 
a fon man ; le manage d'une mere avec fon fils 
renverferoit dans Fun & dans Fautre leur itat 
naturet 

II y a plus : la nature a avanc^ dans les feia* 
mes fe temps oii elles peuvent avoir des enfans \ 
(die l,a reculi dans les hommes ; & par k m^me 
raiCon , 】a femme ceffe plutot d 'avoir cette fa — 
cuk^ , & rhomme plus tard. Si le' marrage en*- 
tre lat mere & le fils itoit permis , D arpyerok 

Erefque toujours que ,- lorfque le n>ari feroit capa- 
le aentrer dans le%vues de la nature ^ la femme 
n'y feroit phis. 

Le manage entre le pere & la fille rdpugne a 
la nature , comme le precedent ; msds il r^ugne 
moins , parce qu'il n'a pas ces deux obftacles* 
Auf& les Tartares, qui peuvent — ufer leuss 



Liv. XXVI. Ghak XIV. j©7 

aWes ( ) , n'epoufent-ils jamais leurs meres » 
comme nous voyons dans les relations (^). 

II a tou jours iti natiirel aux peres de veiller 
fur la pudeur de leurs en fans. Charges du Com 
de les ^tablir , ils ont d{i leur conferver & le 
corps le plus parfait , & l,ame la tnoins corrom- 
pue, tout ce qui peut tnieiix inf]()irei\ des defirs , 
6c tout ce qui eft le plus propre a donner de la 
tendrefle. Des peres , tou jours occupis a confer- 
ver les inoeurs de leurs enfans , ont d 右 avoir un 
^loignement naturel pouf tout ce qui pourroit les 
corrompre. Le manage n*eft point une corrupt 
tion, dira-t*on : mais avant le mariage , il faut 
parlor , il faut fe fairc aimer , il faut fikluire ; 
c'cft cette fedu6tion qui a du faire horreur. 

II a done fallu une barriers infurmontdble entre 
ceux qui devoient donner reducation , & ceux 
qui dsvoient la recevoir ; & 6vker toufe forte 
de corruption , mime pour caufe legitime. Pour- 
quoi les peres privent-ils fi foigneufement ceux 
qui doivent epoufer leurs filles , de leur compa* 
gnie & de leur fartiiliarite? - 

L'horreur pour l,i!icefte da frere avec la foe or, 
a paftr as la m^me fource. It fuffit que les 
peres & les meres aycnt voulu conferver les 
jnosurs de leurs enfans & leurs maifons* pures , 
pour avoir infpire a leurs enfans de rhorreur pour 
tout ce qui pouvoit les porter a l,"nion des deux 
fexes. 



{a) Cette loi eft bien ancienne parmJ eux. AttHa f 
dit Prifcus dans fon ambafTade , s'arr^ta dan^ un cer- 
tain lieu pour Epoufer Efca fa fille ; choft permifi , dib» 
il , oar Us lois des Scythes , pag. 22. 

(i) liiftoire ― Tartivres , part. 5 , psg. 156, 

Cc a 



3o8 De l*Esprit des Lois 9 

La prohibition du manage entre coufins gtr- 
mains a la meme origine. Dans les premiers 
teaips , c*eft-a-clire dans les temps faints , dans 
ks ages ob le luxe n'etoit point connu , tous 
les (c^ enfans. reiloient dans la maifon , & s'y 
^tabliUoient ; c'eft qu'il ne falloit qu'une maifon 
tres petite pour une grande famille. Les en- 
fans (d) des deux freres , -ou les coiitins ger- 
mains , 在 toient regard^s & feregardoient entr*eux 
comme freres. L'eloignement qui ^toit emre les 
freres & les foeurs pour le manage , etoit done 
auffi (e) entre les cooiins eermains. 

Ces caufes font fi fortes oc fi naturelles , qu'el- 
, les ont agi prefque par tonte la terre ^ indepen- 
cUmment d*aucune communication. Ce ne font 
point les Romains qui ont appris aux habitans 
l<le Formofe (/), que le manage avec leurs pa- 
rens au quatrieme degr^ ^toit inceftueux ; 'ce ne 
font point les Romains qui I'ont dit aux Ara- 
bes ; ils ne I'ont point enfeign^ aux Maldi- 
ves (X). 

Que、 ft quelques peuples n*ont point rejet^ 
.ks manages entre les peres & les enfaii" les 

-, 

(c) Cda fut ainfi chez les premiers Romains* 
(a) En efFet , cher les Romains, ils avoient fe in^ 
sie nom ; tes coufins germains ^toient nomm^s freres. 
. (e) lis 1« furent a Rome dans les premiers temps, 
jufqu^i ce q\xe le peupit fit une loi pour Its p«rinet» 
tre ; i\ voulort favorifer un homme extrliscment po- 
pulaire , & qui $*etoit tnaric avec fa coufine germatt- 
fie, PIutar<{ue , au traitc des dcmandts i/e* chojes Ro» 
mairtes* ' 

if) Recueil des royages des Incfw , tom» V, pact*. 
I. re/atlon dt i'etat de IMsie de Form«fcr . 
(>) L'alcorafij chap, desphmcs,^ 



Li V. XXVI. Chap. 'XIV. 309 

foeurs & les freres , on a vu , dans le livre pre- 
- mier , que les etres intelligens ne fuivent pas 
- toujours leurs lois. Qui le diroit ! des idees re- 
Kgieufes ont fouvtnt fait tomber les hooifneft 
dans ces igaremen^. Si les AlTjrriens , fi les Per- 
fe^ ont ipouCk, kurs meres , fes premiers I'ont 
fait par an refpe6i religieux pour Semiramis ; 6c 
les feconds , parce que la religion' de Zoroafire 
donnoit la prlf(§rence (i) h. ces manages. Si les 
- Egyptiens ont epoud leurs foeurs, ce hit encore 
un delire de la religion Egyptienne , qui confa- 
cra ces* manages en I'honneur dliis. Comme l*ef- 
• prit de !a religion eft de nous porter a faire avec . 
effort des chofes grandes & difficiles , il ne faut 
pas Juger qu,une chofe foit natureUe , parce 
qu'une religion faufTe Va. conlacr^c. 

Le principe que les manages cntre les peres 
& les ehfans , les freres & les foeurs , font d 会 fen- 
dus pour la (;. onfervation de la pudeur natureUe 
dans la maifon , fervira k nous £ure decotivrir 
quels font les manages defendus par la loi na- 
tiirelle , & c^ux qui ne peuvent I'^tre que par Id 
ioi civile. 

Commfr les enfens habxtent , ou foftt *cenfes 
habiter dans la maifdn 8k leur pere , & par cop- 
ftquent le beau-fils avec la belle-mere , le bcau- 
pere avec ja belle- fille ou avec la fille de fa 
iemtne ; le manage entr'eux eft defendu par la 
loi de la natute. Dans ce cas , Timage a le.meme 
efFet que la reaUte , parce qu'il a la meme caufe ; 
k loi civile ne peut ni ne doit permettre ces 
manages. 



(i) lis ^toieht regardes comme plus bonorable^^ 
Voyez Philon , de /pecialibus legihus qua vertiHint ai 
fraceftt deca/ogc, Vitus j 164O, fag, 778, 



iio De l'Esprit des Lois,. 

II y a des peuples chsz lefquels , comme j*at 
dit , les coufins germains font regardes comme 
freres , parce qu ils habitent ordinaire me at dans 
la me me maifon ; il y en a oil on ne connoic 
guere cet ufage. Chez ces peuples , le ma - 
riage entre coufins eermalns doit etre regardf 
comme contraire a la nature ; chez les autres , 
non. 

Mais les lois de la nature ne peuvent etre 
des lois locales. Ainfi quand ces mariages font 
defendus ou permis , ils font , felon les cir- 
conftances , permis ou d^fendus par une loi 
civile. 

II n'eft point d*un ufage n^ceffaire que le 
beau-frere & la belle-foeur habitent dans la 
xneme maifon., Le marl age n'eft done pas de- 
fendu entr'eux pour conierver la pudicite dans 
la maifon ; & la loi qui le defend ou le permet , 
n'eft point la loi de la nature *, inais une loi ci- 
vile, aui fe regie fur les circonflances , & depend 
des uiaees de chaque pays > ce font des cas , 
ou les lois depsndent des moeurs & des ma- 
nieres. 

Ley lois civlles defendent les mariages , lorf- 
que , par les ufages re^ii dans un certain pays , 
ils fe trouvent etre dans les memes circonnances 
que ceux qui font defendus par les lois de la na - 
ture y & dies les permettent lorfque les manages 
ne fe trouvent point dans ce cas. La defenfe ae* 
lois de la nature eft invariable , parce quelle de- 
pend d*une chofe invariable ; le pere , la mere & 
les enfans habitant necefTairement dans la mai- 
fon. Mais les defenfes des lois civiles font ace" 
dentelles , parce ~ qifelles dependent d'une dr- 
conftance accidentelle ; les (; oufins germains 
& autres habitant accident^lknient cUns la 
; m^fon. 、 : > 



r 



Liv. XXVI. Chap. XIV. "( 

Cela explique comment les lois d« Mo;fe, 
celles des Egyptians [A] 6c de pluTieurs autres 
peuples , permettent le mariage entre le beau 一 
frere & la belle^foeur , pendant que ces monies 
manages font defendus chez d*autres nations. 

Aux Indes, on a une raifon bien. naturelle 
d*admettre ces fortes de marines. L'oncle y eft 
regard^ comme pere ,& il e(t oblige d'entre- 
tenir & d'etablir fes neveux , comme fi c'ctoient 
fes propres enfans : ceci vlent du caradere de 
ce peuple , qui eft bon & pleln dliumanite. 
Cette loi ou cet ufage en a produit un autre : 
fi un mari a perdu fa femme , il ne manque 
pas d'en ^pouler la foeur (/) : & cela ^ tres 
naturel ; car la nouvelle ^poufe devient la mere 
des enfans de fceur ,& U h'y a point d'lnjudc 
maratre. ' 



C H A P I T R E XV. 

•Quil ne faut point regkr var les principes du 
drok politique , les ckojes qui dependent des 
principes du droit civil. 

OM ME les hoflimes out renonc^' \ leur 
independance naturelle , - pour vivre fous de* 
]ois poHtiques , ils ow renonce a ki communaiit^ 
naturelle des biens' , pour vivre fous des lois 
civiles. 

Ces premieres lois leur acqulerent la Kbert^ J 



(Jt) Voycz la loi Vm , ail code dt incefies & inutt- 
Uhus nuptUs, 
(/) Lettres 磁, i4me» rccueil , pag. 403, 



3ii De l*Es?rit des Lois ; 

fes fecondes , la propriete. II ne faut pas flecictef 
par les lois de la liberty , qui , comme nous avons 
dit, n'eft<jue Tempire de la cite, ce qui ne doit 
6tre decide que par /les lois qui concernent la 

Eropri^te. C'eft un paralogifme de dire que le 
ien particulier dcMt ceder au bien public : cela 
n'a lieu que dans les cas ou il s*agit de l,empire 
de la cLti , c*eft-a-dire , de la liberty du citoven : 
cela n'a pas lieu dans ceux ou il eft aumion 
de la propriety des biens , parce Que le bien 
public eft toujours que ckacun conlerve inva- 
riabiement la proprilt^ que lui donnent Us \oi9 
civiles. 

Ck^ron foatenqit que les lois agraires itoienf 
funeftes , parce aue la cit^ n'ctoit itablie que pour 
que chacun conlerv^t fes biens. 

Pofons done pour maxim^ que lorfqu'il 
s*agit bien public , le bien public n'eft jamais 
que ron prive un particulier de (on bien , on 
fn^me qq*on lui en retranche la moindre partie 
par unc 】oi ou un r^glement politique. Dans ce 
cas , il faut fuivre a la rigueur la loi civile , qui 
eft le palladium de la propriete. 

Ainfi lorfque le public a befoih du fonds d,urt 
particulier, il ne &ut jamais agir par la rigueur 
de la loi politique : m^s c'efl la que doit^triom* 
pher la loi civile , qui , avec des yeux de mere , 
regards chaque particulier comme toute la cit6 
meme. 「-' 

Si le maglftrat politique vcut faire quelque 
Edifice public , quelque nouve^au cherain , il faut 
qu'il indemnife ; le public eftj a cet egard , 
CommQ un particulier qui traits avec un par- 
ticulier. C'eft bien aiTez qu'il ptilfTe contraindre 
tm citoyen de lui vendre Ion heritage , & qu'il 
lui ote ce grj^id privilege qifil tient de la loi ci- 

vik, 



Liv- XXVI. Cha,, XV. 




inle , 4e lie pouvoir &re forci d'aliener fon 
bien. 

Aptes. que les pei^les qm ditrvafaent k» 
Remains eurem abu£& de leurs conqultcs mhns , 
refprk de iibert^ les rappella a ceiot d'equite ; 
les droits les plus barlKo^es , ill les exercereot 
avec mod^ation ;& £1 i'on en doutoit , il n'y 
auroit qu'a Ike ra&nirabie ouvsage de B^au* 
in^noir , qui ecriToit fyr la jurifpnidence dans 
le douzieme Gecle. 

On racommodoit defbn temps les grands cfas* 
mins, comme I'on fak auiourcTiiui 11 dit que, 
quand ua grand chemin ne pouyoit etre retabli^ 
on en faifoit im autre le pltis pr^s de I'ancien 
qu'il itoit poffibfe ; mais qi*on d^dommageoh 
les |>ropri^taires [/z] aux frais de ceux cpsi ti^ 
roient quelque avautage du ckemin. On le de- 
terminoit pour lors par la- loi civile ; on s'eft d&» 
termini de nos jours par k loi politique. 

fl' 1 1 , ' ' '、• ■ ' Ji 

<: H A P I T R € XVI, ^ 

Quzl ne faut point decider par les regies du droit 
civile quand il s>agit de decider par celUs du 
droit politique. 

VCTf a- le fond de tomes les qiieftions , fi 
ron ccn4f<>Tid point les regies qui dcriveilt de 



(d) T,e l'dgn€uf nommoit des prud'hommes pour 
fatre la lev^ fur le pay fan; les gehriUhommes ^toient 
contratnts k la contribution par le comtc , I'hoimne 
d'«g'ife par PeY^uft. Beaumanoir , ch. xxiu 

Tome III. 、 D d 



314 Dc L*EsPRiT DEs Lois, 

la propriite de ia cite , avec celies qiii naifleat 
de la liberte de la cite. 

Lc domame d'un etat eft- il alienable , ou ne 
reft'il pas ? Cette queftion doit ^trc decidee par 
la ioi politique , & non pas par la loi civile. 
Eile ne doit pas etrc decidee par la 】oi civile , 
parce qu'il eft aufB neceffaire qu*il y ait un do* 
iiiaine pour faire fubftiler I'etat , qu'il eft nec€i- 
falre au'il y ait dans I'^tat de& lots civiles qui re- 
glent ia difpoficioh des bien$. 

-Si done on aliene 4e domalne , I'etat fera 
force de fsure un nouveau fond pour un autre 
domaine. Mais cet expedient renverfe encore le 
j^ouvernement politique , parce que, par la nature 
de la chofe , a chaque domaine qu'on etabiira , le 
fujet pay era toujours plus, & le fouverain reti- 
rara toujours itioins ; en un mot , le domaine eft 
necefTaire , 6t ralienation ne Feft pas. 

L'ordre de fucceffion eft fonde dans ks mo — 
n archies fur le bien de I'etat , qui demande que 
cet ordre foit fixe , pour ^viter les malheurs 
que j'ai dit devoir arriver dans le defpotifme , 
oil tout eft incertain , parce qu^ tout y feft arbir 
traire. 

Ce n'eft pas pour la famille rignante que For- 
drc dc Aicceffion eft etabli , mais parce qu'il efl 
de riater^t de I'etat au'il y aic une famille re- 
gnanfe. La loi qui re^e la fuccefSon des parti - 
cu'liers , eft une loi civile , qui a pour oinet riate- 
tet des particuliers ; celle qui regie la (uccefSon 
a la monarchie , eft une loi politique , aui a 
pour objet le bien & la confervackm de Petat. 

I J luit de-la que,lorfcjue la loi politique a ^ta — 
bU dans un ^tat un ordre de fucceffion , & que 
cet ordre vient a finir, il eft abAude de recJa- 
mer la fuccelfioh en vertu la loi civile quel- 



Li V. XXV. Chap. XVI. 315 

que peuple que ce fott Une (oditxi particu* 
lisie oe t'ait point de lots pour une autre UkittL 
Les k>is civilcs des Romakis ne font pas plus ajp 華 
pUcables que toutes autres lois civile, ; m ne fee 
ont point empioyees eux-memes , loHfqu^is ont 
jug^ les Rois : & les maximes par leiquelies ils ont, 
—!巴 I^ojs, (out fi abooiiubles, qu'd ae faut 
point ies taire revivrc 

II fuit encoce de-la que , lor(que la loi poli - 
"que a fait renoiKer quelque 'fanuUe a ia fuccel- 
fion , U eft abfurde voulotr employer les ref- 
titucions tirees de la \oi civile. Les reftuutiont font 
<LiRS la loi , & peiurem ctre bonnes contre ceux 
qui vivent dans lot : mak elles ne font pas 
bonnes pour <;eux qui ont cte etablis pour la iol, 
q«i vivent pour la loL 

U eft rtdicide c]e pr^tendre decider des droks 
des royaumes , des nations & de Funivcrs , par 
les memes maximes fur lefquelles an d^ide 
entire particuliers d'un droit pour une cou- 
lierl » pour me fcrvir de rexprdlion de Gtc- 
ron (ay 

C H A P IT R E XVII. 

Continuation dn mem fujcu 

X^i^oSTRACisME doitctrc examini par les regies 
la loi politique, &non par les regies de fak)i 
civile : & bten lorn que cet ufage pti'ifl^ fl^tfir k 
g(Svvernement populaire , il eft au contraire 
trcs propre a en prouver la douceur : & nous 



{a) Lit. I des lois 

一 



Dd a 



3i6 D£ l'Esprit des Lois, 

auriofls fenti cela , fi. I'exil pattni nous etant 
I toujours vote peine , nous avions pu feparer 
ridee de roftracifme d'avec celle de la puni 一 
tion. 

Ariftote (a) nous dit, qu*il -eft convenu de 
tout ie tnonde que cette pratique a quelque chofe 
d'hum^n & de popuiaire. Si- <ians les temps &c 
dans ld« 1;eux oil I'on exer^oit ce jugement, on 
lie le trouvoit point odiedx ; eft-ce a nous, qui 
voyons les. chofes de ii loin , de penfer autre - 
menc que ie& accufateuFS , les juges & Faccuf^ 
^neme ? 

£t ia I'on {ak attendon que ce jugement du 
peuple cosnbloit de gloire Celui contre qui tl 
.etoit rendu , que lorfqu'on en eiit abuf a Athe- 
nes contre un homme fans (^) merite , on cefla 
dans ce moment de (c) remployer ; on verra 
bien qu'on en a pris une fauiTe i^e, & que c*^- 
toit une loi admirable que celle qui pr^venoit 
les mauvais effets que pouvoit produire la gloire 
d*un citoyen , en le combiant d'une nouvell^ 
gloire. 

C H A P I T R E XVI I L 

Quil faut examiner (i Us lots qui paroifftm 
contrcdirt , font du rneme ordre, 

xV.^^OME il fut permls au . mari de prSter fa 
ienune k lia autre, Plutarque n<^ le {a) dit for- 



{a) R^publique , liv. Ill , ch xiii. 
lb) Hyperbolas . Voycz Plutarque, vie H'Actftide* 
(c). II fe trouva oppof^ a I'efprit du l^gislateur, 
(«) Plutarque, dans ia comparaifon oe Lycurgue 
&. de Numa. 



Liv. XXV. Chai». XVm. )i7 

tnellement : on fait que Caton pr^ta fa {h) femmtf 
& HorteniQus , & Caton n'etoit point homme k 
violer les lois de fon pays. 

D'un autre , an mari qui fouffroit les 
debauches de/a femme ^ qui ne la mettoit pas 
en jugement ou qui la rcprenok (e) aprhs U 
condamhation , ^toit puni. Ces paroifTent 
fe contredire ,& ne fe contredifent point. La loi 
qui permettoit k un Remain de prater fa femme , 
t& vifiblement une inftitution Lac^d^monienne , 
itablie pour donner h la r^pubiique <fes enfans 
d'une bonne efpece , fi )*ofe me fervir de ce 
terme: Kautre avoit pour objet de coftferver les 
mcxurs. La premiere ^toit une loi politit^ue , ia 
feconde une loi civile. 

G H A P I T R E XIX. 



Qu*il ne fiutt p4s decider par ks lois civiUs tes 
. chof" qui -dwiv.ent Vitre par Us lois domsfliqius* 

A loi des Wifigoths vouloit que les* efcla* 
ves U) fuflent obligfs de lier l*homme & la 
femme qu'ils furprenoient en adulters, & de fer 
prifenter au inari & aju juge •• loi terrible , qui 
mettoit entfe les mains' de ces'perfonnes viles h 
foin 'de la vengeahi^e publique ,' domeftiqiie & 
particulier^ ! 

. (B) p}ttleiTftt#, vie Oi«0D.Cefai fe faSi 49 K>tf« 
temps , dit J>traboD » Uy. XI. 
, Cf) Leg. Oa , §. ult; ff. ttd leg. Jul, it adult, . 
* («) Loi idki Wifigots, liy, iii. tit. 4. §. 6. 

Dd 3 



3i8 De l'Esprit DCS Lots, 

Cette lol ne feroit bonne que dans les ftrails 
d'orient , oil I'efclave, qui eft charge de la do- 、 
lure , a prevarique fitot qu'on prevarique. II 
arrete les criminels , moins pour les fsure ji^er , 
que potir fe faire )uger Ivri-memc , 6c obtenir 
cjue Pon cherche dans les circonftances de I'ac- 
書 ion , (i I'on peut perdre le foup9on de fa ncgU- 
gence. 

Mais dans les pays ou les iemmes ne font point 
gard^M, il «ft inienfe que la loi civile les foumet- 
te , elles qineouvernem ia maifon ,a rmc^uiittion 
de lenrs eicbves. 、 

Cette inquiiitioo poiirroit Stre , torn ao plus 
dans de certai&s cas , une loi particuliere dbnief- 
tique , & jamais une loi civile. * 



CHAPITRE XX. 

Quil ne faui pas decider par les principes dts 
lois civilis , Us cho/is qui apparucantnt au 
droit des gens. 

SL» A liberte confide princlpalement a ne pouvoir 
£tre force a faire une choik que la. loi n*ordonne 
pas 'y 6c on nafk dans cet itat que parce qifon eft 
eouverne par des lois civ3es: nous fommes dpac 
abres , parce que nous yivoii$ foos des lois ci- 
viles. 

11 fmt de-til aue les Princes qtn ne vivent point 
ehtr'eux lorn jon lois ciioUft , ne foot point 
libres •• ils font gouvernis par la force ; ils pcu- 
vent continoenement forcer ou im forces. De- 
la U fuit que les trattis qu'ib ont futs par force,, 
font auffi ebligatoires que ceuK qu*Us auroient 



— ^ 



Liv. XXVI. Chap. XXI. "9 

£kits de bon gre. Quand nous , qui vivons fons 
des lois civlies , fommes contraints a faire quel- 
que contrat que la loi n'exige pas , nous poi>- 
vons , a la faveur de la loi , revenir centre la 
violence ; mats un Prince , qui eft toupurs dans 
cet itat d ins lequel ii force ou il eft forci , tie 
peut pas fe plaindre d'un trait^ qu,on lui a fait 
faire par violence. C*eft comme s*il fe plaignoit 
de fon ^tat naturel ; c'eft comme s'il vouloit 
eire Prince a Vig^vd des autres Princes , tc que 
ks autres Princes fuflent citoyens a fon ^gard j 
^dioquer la nature des cbolcs. 



C H A P I T R E XXI, 



Quil m (out pas Hctdtr par les^iois poUriquo, 
ks chofts ^ui apparttinnint au droit dts gens. 

L cs lots politiques demandent que tout homme 
{o\x foumis aux tnbunaux crmnnels 6c c'lvils du 
pays oil il eft 9 & a rammadverTion du Sou* 
verain. 

Le droit des gens a voutu que les Princes sVn- 
voyaiC^iit des AmbafTadeurs ; & la raifon tiree 
dela lUkture de la chofe , n*a pas pcrmis que c«s 
AmbaHadeurs dependiilent du Souverain chez 
qm lis font envoy^s , ni de fes tribunaux. lis 
lont la parole du Prince qui les envoie , & cette 

f)arole aoit Itre Kbre : aucun obflacle ne doit 
es empecher d*aglr : ils peuvent fouvent d" 
plaire , parce qu*ils parlent pour un homme' in- 
dependant^on poiirroit leur imputer des cri- 
mes , s*ils pouvoient etre p«ims pour des crimes ; 
on pourroit leur fuppoCer des dettes , s'ils poti- 

. Dd 4 



32© De l'Estoit ms Lok*, 

voient etrc arretes pour des dettes r an Prince 
qui a une fiertd naturelle , parkroit par la bouche 
d,iin hemrne aul aurok tout, k craindre. li faut 
done fuivre , a I'egard des AmbaiTaMieurs , les 
raifons tiroes du droit des gens , & non pas ceN 
les qui d^rivent du droit politique. • Que s*i}s 
abufent dt kur Stre reprifematif , oo. le fait 
cefler, en ks rcnvoyant chez eux : on peut mime 
les accufer devant leur maitre , qui devieat par-Ik 
feur ^uge ou leur complice. 

Malhfvreupc fin . t Xnm 4 tMtt^LPA. 

£5 |>Fin4hpes que notis -vencjos d^ubfi,, 
furent ^yruelleniejQt vioW* [>«r Jes Efp#gi\pis. 
L'ynca (4 ) Athualpa ne pouvoit etre juge 
'.qufa par le adroit 'des 冬 ens '; .iug^r^oC par 
' lois polltiques &i《iYiT-#; i)&.i!aec»4erent d*aY<»r 
.fait mourir quetqpe^-iins de, fes .fuj^ts , d'avojr 
€u plufieurs femmes , &c. £t le combia de la 
fiupi^t^ fut i qu'ils ne le condamn^^fent pas 
par ks lois poKtiques & ctviles de fon pays » 
xnais par k» lois politiques & civiies du.feur. 



W Voyei fmca^ Garctiaffb de la Vega , >a^. iOJK. 



4 



Liv. XXVI. Chap. XXIIL 511 



C H A P I T R E XX I H. 

Qut hrfaue^ par qmlque circonftdnct , la hi poli- 
tique aetmit Ntat , il /out didder par la hi 
poUd^ qui U conftrvt , qui dtvUnt quelqut" 
fm un droit ties gens. 

C^u AN D la lot politique , c|m a itabli dftus 
'X^tAt tin cercaia ordre de facctfAoti , devieflt 
.'fleftrufirice du corps' politique pour kc^ucl dte 
a 圣 faite , ilne iaut pas douter qu'une autre loi 
-p^itique ne pniffe changer '4J€t -ordile j &、 Aien 
•loin que cette'in^me loi Toie oppofi^e ii- h pr^ 
.mofe^ elk y (era dans le Ibnd enti^em«nt cwi- 
, forme 9 puiicra'eUes d^peodront toutes deux de 
ce j>nii€ipe : tu -alut' qxi : peuple 2st ^Ji $u- 
^BlIme hOU 、' 

• J*ai<lk {a) 々iA»^nuu) devenu' acteflbtft 
d,un antro s'afibiyi(loit , & m^tfie afFoibKilbtt ft 
pnitci[iaL On fait que r^ut a intiret d*avoir foti 
chef chez.loL, que les reveiius* .{publics foient 
bien adminiftr^s ,que fa monnoie ne forte point 
pour enrichir un autre pays. II eft important que 
cditi iftu tluil {jpuvn'iwi tm 'felP'poiftt imbu de 
tnaximes ^trangeres ; ettes conviennent moins 
que celled lont eiaBlies :' d'ailleurs les 
hotnmes tiennent prodigteufement h. leurs lois 
& a leurs cauntmes; is font lnH^Ibs^it 卜 de cha- 

I ■ ■ —^― ― ― 

(a) Voyei ci deffus, Hv. V. , cbap. xiv ; Uv- VIII , 
c>iap. ^vi , XV", xvm XIX & 'XX ; liv: IX « cfau IY» 
ff » Yr, VII s &. liv. X A chap. \x & x» 



31ft Dt l'Esprxt DCS Lois ; 

que nation ; il eft rare qu'on ks change fans die 
{jrandes fecouflles & une erande enuii(^ de 
lang , comme les hiftoires ae tous les pays le 
font vdr. ' 

II fuit de-]^ que fi un grand ^tat a. pour M- 
riti^f le poffeffeur d'lm grand 在 tat, le premier 
peut fort bien I'exchire , parce qu'il eft utile a 
tous ies deux etats que l,ordre de la fucceifion 
Coit <hang^. Ainfi la lot de Ruflie faite au com- 
mencement du regne d*£lifabeth , exclut-elle 
irh prudemment tout h^htier qui pofKderoit 
une autre monarchie : ainfi la loi de Portugal 
f€iette*t-elle tout ^tran^er qui feroh appelle i 
la courpfine par le droit du fang. 
、 Que fi une nation peut exdore , elle a k plus 
forte raiibn le droit de £ure renoncer. Si elk 
cramt qu,un certiun aiariage n'ait des fuites qui 
puiflVnt iitt £ttre per4ire fen ind^peiulance ou la 
yepst -jdaM un panags , eOe pourrsi fort bSen 
hire renoncer les contraAans, & cefkx qui nrf- 
' front d,«ux, a tons les droits qu'ik auroieiii fur 
cUe ; Sl cehii qui renopce , & ceux contre qui 
on renonce , pourront d'autant moins fe plain- 
dre .qne Fetat auroh pu faire une loi pour les 
cxclure. 



CHAPITRE XXIV, 

Quit Us reg/mens de polkt font (Pm autre ordrt 
que Us autrts his civiles. 

Il y a des criminels que le tnaglftrat pwik, il 
y en a d*autre$ qu*i[ corrige ; les premiers font 
xoumis a la puiJTanc^ de la, Wi , ler autref a foo 



L I V, XXVI. Ch ap. XXIV. j i) 

auto rite : ceux-la font retranches de la foci^t^ ; 
on oblige ceux-ci de vivre felon les regies de 
la fociete. 

I>ans Fexercice de la police, c'eft plot6t le 
in^iflrat qui punit, que la loi ; dans les Juge- 
xnens^des crimes, c'eft plutot la loi qui punit, 
que le magiftrat. Les matteres de police font 
4es chofes de chaque inftant, & oti il ne s*agit 
ordinairement que de peu : it ne faut done guere 
de formalitis. Ias a^ons de la police font promp- 
tes , 6c elle s,«xerce for des chofes qui revien- 
nent tous les jours : les erandes punitions n'y 
font done pas*propres. Elie s'occupe perpetuel- 
lement de details : les grands examples ne font 
done pas iahs pour elfe. Elle a plutot des re - 
elemens que des Ioi&. Les gens qqi relevent d'ellc 
loiit fans cefle fous les yeux du magiflrat; c'efl 
done la faute du magiftrat slls tombent dans des 
exc^s. Aififi il ne £iut pas co.ifofidre les grandes 
、 TioUtions des lois avec la violation de la fimple 
police ; ces chpres font d*un ordre different. 

De-la il fuit qu^on tie s*eft point conforme 3l 
la nature des chofes de cette r^oublique d'lta- 
lie (if) 4 oil le port des armes a feu eft puni 
comme un crime capital , & oii 11 n'eft pas plus 
fatal d'en iaire iin mauvais ufage que de les 
porter. 

II fuit encore 如 e I'aSkm tant lou^e de cet 
empereur , qui fit etnpaler un bpulanger qu'il 
avoit furpris en fraude , eft one a^Hon de fultan , 
qui ne (ait Stre jaile qu'en outrant la juAice 

" ' ' . / I ago 

(tf) VcniCi, 



、 



De lT^spKit des Lois 



CH A P I T R E XXV. ' 

Qu'it ne faut pas fuivn Us difpojrtions glniraUs 
du droit civile lorJqu*il s*apt de chofes qui dot" 
vent itre foumifes a des regUs pardcuUeres ri- 
rees dt Uur propre nature* 

EsT-CE une tonne loi , que toutes les obliga- 
tions civiles pafTees dans le cours d'un voyage 
cntre les matelots dans un navire, foient nidles ? 
Francois Pyrard {a) nous (fit que de fon temps 
elle n'etoit point obTervee par les Portugais , 
mais qii'elle I'etoit par les rran^ois. Des gens 
qui ne font enfemtle que pour peii d§ temps » 
qui n'ont aiicuns befoins, puii^ue le prince y. 
pourVoit , qui ne peuvent avoir' qu'un objet qui 
eft celui de leur voyage , qui ne font plus dans 
la fociete , mats citoyens du nayire , ne doivent 
point contraSer d$ ces oUigatlons qui n'ont ere 
introduites que pour foutenir les charges de la 
fociete civile. 

C'eft dans ce meme efprit que la loi des Rho- 
diens , faite (5our un temps *bu ron fuivolt tou- 
jours les c6tes , voulc^t que ^eux qui , pendant 
!a tempete , refloient dans le y^fTeau , euffent le 
navire & la charge 二 & que c^x qui ravoient 
quitte , n,euffei;i't rieh. . . ' 



(«) Cbapitrc XIV, part. 12« 



Lit. XXVIt. 3" 




L I V RE XXVII. 



CHA P I TRE UNIQUE. 

I'origme & des revolutions dts lots Ses Ro* 
mains fur les Juccejfians, 

Cette tnatiete ttent a des itahJiiTemens d'ane 
amiquit^ txhs reculie ; & pouc la p&i^trer ^ fond , 
qu'il me foit permis cle c&rcher da«s les premie- 
res lois des Romas as oe (pie je ne fache pas que 
ron y ait vu jufqu'icL . 、 

On fait que. Romulus [tf] partagea fes terres de 
fon petit £tat a fes citoyens ; il me femble qae 
ceft de-la que dirivent les loi^ de Rome fup les 
fuccef&ons. 

La loi de la divifioo des .terres demanda que 
Itt btens d'une faimlle ne paiTaiTent pas dans uiie 
autre : de-la il fuivit qu'il n'y £ut que deujc or- 
dres (Th^ncters etablis par la loL(^); .les enfans 
& tous hs defcendans quhviv.orent foi^ :b puif- 
fance du perc , qtt*on appeUa heritiers^fiens ; & 
a leur d^fkut, les plus proches parens par males , 
• qu'on appeUa agnats* " 、 . ' 》 



(d) Denyj d'Hs^yc^rnaHj^ , liv. II. chap. 3. Plutar- 
que , dans fa comparaifon de Numa 8c Lycurgue. 

(b) Afl fi intcftaio nuritur , cui fuus hares nec txta" 
hit , agnatus ^oximiis faanitiam habuo* Fragtn, de la loi 
des douze ubies dans Ulpien , tit, ddrnicr. 




II fuivit encore que les parens par femmes i 
qu'on appella cognats , ne devoient point fucc^- 
der ; lis auroient tranfporti les biens dans tine 
、 autre famille ; & cela &t ; uriii etablL 

II fuivit encore de-la queies enfans tie devoient 
point fucceder a leur mere , ni la mere k fes en- 
fans ; cela auroit'poit^ les blens d'une famifle 
dans une autre. Auffi les voit-on exclus (c) dans 
la loi des douze tables ;elle n*appelIoit a la luccef- 
fion que les agnats y&le fils&la mere ne retoient 
pas.enCr'eux. 

Mais il etoit indifferent que rherltier-fienyOn, 
a fan difkut , le plus proche agnat , fut itiale lui- 
meme ou fenielle ; parce que les parens ducote 
inacernd ne focc^dant point , quoiquune femme 
4ieritiere ie mariat, les biens rentroient toujours 
dans ia iamille dont ils etoient fortis. C'eft poi:r 
cela que l,on ne diftinguoit point dans la loi dcs 
douze tables ^ fi la perfonne [</] qui fuccedoit 
etoit male ou femelle. 

Cela At que , quoique les petits-enfiins par le 
fib fucc^daiient au grand* pere , les petits-enfans 
par la iille ne lui fucc^dcrent point r car , pour que 
les biens ne paiTaiTent pas dans ime autri £inul1e , 
les agnats Wur ^tOient pr^f<^r^s. Ainfi )a £l)e fuc« 
ceda a fon pete , & non pas fes enfans 

Ainfi , chez les premiers Ro mains ks femmes 
fucceddient , iorfque cela s'accordoit avec la loi 
de la divifion des terres ; (k elles re fuccedoient 
point , Iorfque cela pouvoit la chocpier. ' 

W Voyei les fraem, d'UlpIefi , §. $ , tit InfUt. 
tit. 3 , in prccemio ad Sen, conf, Tcrtullianumt 
(d) Paul , tiv. IV de fent. iU.8, §, j. 
W Inftit. Uv. III. tit. 1 9 $• 1$. 



Liv. XXV IL 327" 
Tell^ furent tes lois dts ftieceffiom chez les 
premiers Remains ; & comme elks etoient une 
cUpendance naturelle de la coniHtution , & qu,el - 
les d-invoient du partage des terres,on voit bien, 
qu'elles n'eurent pas* une origine toangere, & ne 
furent point du notnbre de tulles qu^ rapp<me- 
rest ler diput^s que I'on envoya dans les villes 
Grecqiies. 

Denys d'Halicariiafle (/) nous dit aue Ser- 
vlus Tultius , trouvant les lois de Romulus & da 
Numa fur le partage des terres abolies, il les re- 
- tablit, & en fit de nouvelles pour doniicr aux an- 
ciennes un nouveau poids. Ainfi ofi ne psut dou - 
ter que les lo^s dont nom venons de parler , fai- 
tes en confequence de ce partage , ne fcMent I'ou- 
vrage de ces trois l^giilateurs de Rome. 

L'ordre de fucc^lhon ayaiit ete ^tabli en con- 
fe<|iience <fune toi politique , un citoyen ne de- 
voit pas le troubler par une volont6 particuliere ; 
c*eft-i-dire , que, dans ks premiers temps de 
Rome, ii ne devoit pas etre permis de faire un 
teftament. Cependant il eCkt ^te dur qu'on eut etd 
privc dans fe» demiers mo mens du commerce 
des bieniauti. 

On trottva un moyefi de condlier a cet eeard 
les lois avec la volonte des particuliers. II fut 
Dermis ds difpoier de fes biens dans une aflem- 
blee du peuple ; & chaque teAament fut en quel- 
qoe fa^osi un a^le de la pui^Tance l^gillative. 

La loi des douze tables permit a celui qui fa; 
fott ion teAament , de cboiiir poyr fon h^rltier le 
citoyen qui! vouloit. La ratio n qui. fit que les 
lois Romaines reftreignirent fi fort le nombre 

- ri l l 麵 ■ II II ■ g 

(/) Liv. IV. pag. 176, 



328 De l*£;^(t,i>is Lois , 

de ceox qm. pouvjOtent fucc^der ah inufUt、 (lit 
la loi du partage des terres ; & la raifon pour- 
quoi ell^s £ten£rent ii fort la faculte de tefter • 
fut que le pere pouvaat vendre fes enfaiis (-) , 
il pouvolt i plus {brte raifon les priver de its 
biens^.C'^toient don^ des effets diiiereiis , puif- 
qu'ils , couloient de piiadfes divers , & c'eft 
i*erprit des lois Romaines a cet egarcL 

Les anciennes lois^ d'Atheoes ne permirent 
point au citoyen de (aire de teftament. So- 
lon (A) le permit , excepte a ceiu qui avoient 
des euians : & les legislateurs d$ Rome,.p^n^ 
tres de Fidee de ,1a puiflance paternelle , per - 
mirent 4^ tefter au prejudice meme des enuns. 
U fapt avoper que les anciennes lois d'Athenes 
furent plus c^niequeot^ que les lois de Rome. 
La perminion indefinie de tefter, accerdee chez 
las komainsy ruina peu-a-peu k difpoikion po- 
litique Air le'parts^e des terres ; eUe introdui- 
fit , plus que toute autre chofe , k funefte dif- 
ference entre les richefles & la .pauvrete ; plu-» 
fieurs partages furent afTembUs (iir une txioae 
tete ; de^ citoye^s eureot.jtrop^ une infinite 
d'autres n'eurent rien. Auffi le peuple , coati - 
nuellement prive de fon partage, demanda-t-il 
fans cefle une nouvelle diftribution des terres. 
II la demanda dans le temps, ou la frugalite , la 
parcinionie & la pauvret^ , faifoient le carac- 
tere diftindif d.es Remains , camme. dans, let 
temps oil I^ur luxe, fuc porte a I'dKCcs. 



(g) penys d^Halicarnaflfe . prouve • par une loi de 
Nil ma ; q.ie la loi qui permettoit au pere venclrc 
fon fils trois fois • etoit une loi cje RoiDuliUL* non pas 
des decemvirs , hv. tl. -- 

(A) Voycz Plutarqiw , vie de Solon* 



Liv. XXVll. fif^ 

• Les fefiamens 4tant propetn«n< tfne toi faite 
dans raiTemblee du peupte - c«i>x qui itoient 爰 
V^rttiie fe trouvoi^nt priv" de la fecu?f^ do 
tefter. Le people ddnna afux foldats Je pou- 
voir (i) de fair* derant qttelques-uns de lew* 
comps^nons les difpoiitions (X) qu'ik aoroient 
fintes wrstm hu 

Les grandes affemW^es dif peupfe rie fe fai- 
foient que deux fois I'an ; d'ailleurs le pcftiple 
s'^oit augmeilt^ & hss affaires aufR i on jugea 
qufil conveiMMt de penmcttre a*tot» les citoyens 
ce faiw (/) leur teilament devant qoelques ci- 

rrens Remains puberefs , qui repf^fentaflPcnf 
corps du peupJtf 5; on pt'tt cifnq («) citoy ens g 
devant kfqoels ht^ritkr {fty acdetok du teftafetir 
fa families y C*eft-*a-idii«e , fon h^idit^; tut autre 
citoy^n portoit une balance poui* en pefer le 
prix ; car les Romains (a) nWoient point en- 
core de' monnoie^ 

tl y a apparency que ces cinq Cifoyerts repr^- 
fent^^tttn i« <inq dafTes du pen pie ; & quort 

1- • . - I , . , ' ^sa 

(*) C« feflaiif^t , 0ppe(l4 in proctnciu , ^tolt difT^- 
fcnt de t9lul que* t'ftn appella militaire , ne fuC 
toWi que par le« confUt— oaJ des ertvpereurs , leg 【- 
tf. it itu^tan ttfiamtnUi X cefut une de Uurs c-ajolerie» 
«nV$rs'1*f$ fofdats. 

(Jt> Ct tcilament n'^toit point 釭 fit , & ^oit fafW 
Ibriaaiil^ 《 fiat llbrd & tghutis , cemiAe dh Ckeron • 

I?) hl^u 11 V. II. tit. 1 , §: I V Auliigelle, liy. XV. 
ct£e*xxvfr. On a|>peHa eette lbri« de teftartent fcr' 

im) Ulpieir , ftt. to. j{. 1 一 
jiJ^.TWoiAit * inftiu Ut. ll. tit* lO* 
(o) tls n'cn eiirent qu'au tempt* de la gnefTe dtf 
Pyrrhu^ Tiie-Livc , parlanl du Tiege de Ve'ies , €lki 
Hi/ndum argentum JtgnMum trat, liv. IV. 

£ s 



}3o De L,E$PfUT DEs Lois , 
ne coinpt<HC pat h fixieme , compoiee de gens 
n*avoient rien. 
U ne faut pas dire , avec Juilinieii , que ces 
ventes ^toient imaginaires ; elles le devinrent; 
is au commencement elles ne I'etoient pas. 
plupart des lob qui r^erent dans la iuite 
les tefiamens , tlrent leur ortgiiie de la rdatite 
de ces ventes ; on en troure hien la preuve 
dans les fraginens d'Ulpien 【戶] • Le fourd, le 
fouety le prodigue , ne pouvoient fiiife de t«f 一 
tatnent ; le fodrd , parc« qu,il ne pouvott pas 
entendre les paroles de Facheteur de la iamiue ; 
le miKt , parce qu'il ne pouvott pas prononcer 
les cerraes de la nomination ; le prodigue , parce 
que route geftion d'affaires lui etant imerdite, 
il ne pouvoit pas vendre fa famtUe. Je pafle les 
autpes exesnples. 、 

Les teflamens ft faifant dans rafleinbl^ di> 
peuple , lis etoient plutot des ^^QS da droit 
polittque que du droit civil, du droit public plii* 
tdc que du droit priv^ : de-la il fuivk que k 
pere ne pouvoit permcttre a fon fils qui 去 toit 
dans (a puifTance , de faire iin teftament. 
- Chez la plupart des peuple»y les teftamens 
ne font pas foumb a de pfus giandes formal" 
tes que ie» contrats orcKnaifes , parce que les 
iins oc les autres ne font que des expreffions te 
h voU>m<^ c^itti qoi contract, qui appartien- 
fient igajkfneat au droit prive. Mais cfaes les 
Romaiiis , ^ii les tefiamens deiiVDient dcr droit 
public , Us eurent de plus ^zndks fi>nna&* 
th l^] que les autres afies ; & cela fiibCfte 



•/O Tiffe^ao, 5. 13、 、 

Inflit. Uv. IL tit. ro, !• 




― 一 



Liv. XXVII. 3>t 

Encore aujourd'hui dans l«s pays <k France qui 
£e regiffent par le droit Romain. , 

Les teflamens eunt , cooime je I'aL dit , une 
lot du peuple , ils devoient ctre faits avec la 
for" da commandement , & par des paroles 
Pon aftpella ^rtBes & impcratiyes. De*la il 
ie .forcita upe regk, que i*on ne pourroic don - 
oer nl traaTinettre fen h^redite que par det pa- 
roles de commniikneQt [,】 : cTou if fuivit que 
Von pouToU bkn, dans de certaios cas, faire 
une febfittudon 】 , & ordonner que XWixtdkk 
paf$sLt a un autre heritier : mais qu*on ne pou« 
voit januus faire de fideicommis ['】 , c,eft-" 
dire , charger queiquun , en forme de priere , 
de rcmettrc a autre lli^^di^^ • oa une partie 

Lorfque le n*if\iHtuok ni cxhirWoit fon 
£ls, le t^amene itott rgmpu; mais il itoit va- 
labk , quoiqyUl n'exher^it ni inflitusit fa fiUe. 
Pen vois la raifon. Quand H n'inftituoit ni ex- 
her^dott fan fib, il faifoit tort a fon petit- fils, 
^m auroit fucc^de 4i inttfiat a fon pere ; mats 
en n'mftituant oi €xh^recUnt fa fiUe, il ne fai- 
foit aucun tort aux en fans de fa fille, qui n*au- 
roient -foini fyccMi imftat ^ leur mere (V) , 
.farce qu'ils n'etoient heritie"' fiens ni acnats. 

L4I lbi$. des premiers Romains fur fes fuc- 



{rl Titiut» ToisfBon hirltier. 
\3] La vulgatre , U pupillaire , iVxemplalre. 
l«] Augpfte , par 4tf r^ifons particuliercs , ! comment 
ca i antorifer Ics fici^i^mmit. Inftit , livre II, tit. 

93. $. I. 一 、 

J>J Ad Rheros matris inttflata hitreditas , leg- XU 
tiS, non pcrunebat , ^uul. fmminm JSfO,. kotrcdts ncm ha^ 
Mf. Ulp. fra^. tit 16. 7. 

E e X 



坊 ffioss , n'ayjmt penfe qir'a fuivre refprit <dfci 
partage des tenres, ell^s ne refireignirent pas 
aflfez les richefFes des femmes , & elks laifierent 
par*la uce porte oliycrte au lux6, qui eft tou- 
|otirs utfifatMe de ces lichefies. Entre la fc- 
' condfe & U troi^emc guerre Psnkfue , on com* 
men^ 4 fcmit le mal^; oh 6t b lol Voeo- 
Qtenne {*) ; & comme de tr^ '^gpsakde^ cdn£* 
必 rations k fuent £aire-^ qull' Me nons en refie 
que pea de tnomnneAl;, &,) n*^n a juf- 
^u'ici parM c^e d'uac mai^ce ttks- co^Att ; Je 

Ciceron nous a- ceirfef^^ iifi fragment » qut 
defend d'inflituer utie feoinieMritieii'e (j^ , foil 
^'elle fut marine, fok ^)li:«il0«ne le fikt pas. 

L'epitome de The- Live, oil il- eft- parle de 
''c€tte loi, ii*eiv [^J pa»* d#^tag«. il parok 
par Ciceron [4} oaf Si 'AiigDfttii p^) , que la 
iille , & in^me W fiile untile , iDoient compli- 
es dans la prohlfcirion. 

Caton lancien (cjf costribua. Yills «toiit hn 
' pouvoir a feire r^cevoir/^cette loi/ Aulugcjie eke 
- wn fragment de"a>'htoiigU^'<|ti^,il lit dans* 

■ V'i'itl it mU\ V'4H ^\U d TT-TTli 

[jp] Quintus Voconius ^ "tfiBiin <^ii peuple lapTopo« - 

Dans }'<^pitome de Tite-Live |, Hv. XLI>, ii faut lire 
Voconius^ att nle 'IfftOumtu: '^- ― 一一 一 

(y) San%it . • •. • nc qu'is haredem virgiricm new 飾一 
Uertm fjtctrcti Ciceron*, fectfnde f»arangufe centra Ver*. 
Ties. ■ * ; • 

00 tuUt ,: %e ^qUU - Mi^dem wftilitHm ii^m- 

nt , Kv. XLI. ' ' ' , '' ' '、 

(4) Second 參 harangue contre Verris.. ! • 

{h) Liv. Ill de la >itH 一 《 Dfeiu, 、 ' • • 



IfV. XXV. 11. 5" 

cwte' octitkm: ' En etnfT^chi^nt ,4e^ feflMties tfe 
^cc^dep, ik voulut pi^veiHf les cAifes de laxe; 
cotnme y eti prenant la d^enfe de la loi Op- 
piennt, «! vouh^ ar/^tef'^ kixf mfme. 

Dans les inAkutcis de JuflkHen (e^ & de 
Th^bphae oti' park tre <te lat 

loi Vooo«ri2eiDne , quir feftf«i^#H Ht^ fatok^ 'rfe 

-qui se pin^ qne ' ce ch^itrritit -m potfr 4*9- 
ter xme li Tucceifio^ ^ne "ftt 'telfenrtnt' 6pm^ 
parties fees, que llKlHsiter t^lbslt ideT^ccept'er.. 
M«s ce iT^toit poiiir la ^fprit la Idi Vo- 
eomfiimr; Noiu yenotas die yok 'qu'dle arOit 
pour objet d'eMpjclier 'Kes femntfti de rccei^^>ir 

in«uoit deS' bonies i la mxXxt de ligirtrt ^rt- 
trok ddfis cet 6bje< t fi 6n- avtwt pu \k^tz 
autant c^e l,0n auroh 'Vpulu^ les fem^waii^ 
tot&A. pu rtc«vok comme legs ct qu'e&es fte 
• penvoi^t odbtemr coninrie fucceflian. 

La I^i 'Voconienne 化 t fehe pour pr^enlr 
trdp grandes richeffe^ des femmes. €> ftit 
done des fucceffions con£iMrabfes ditot il fallilt 
ks pnverv & n<w# pa$^e *feel!ei» 'qui,ne 扣 u- 
▼oiewt eiitretentr le luxe. La lor fooit unc €€^* 
Wit ibmme ; ^i*<fevoit donn^e arift feirt - 
flies qo^'dle ptivo'Jt <le 】a' fiirc6ffion: Gc 豸一 
ton ^ qui ift)iis appret)d ce ftiit, ne nov» 
dtt point quelle etoit cette fomme ; * maia 



C*j Ihftit. hV. if. ITf.. 化 、: ', p • I " 

f j) Ljv. II. tit ,f . * • . , ' f 、 ' • 

«OT» Ugt Voconiana ff^rvcnirt, '0e finibus boni fUUv 



.334 De l*EsHUt Off Lots; 

Dion (A) dii qu*eUe ^it de cent mHle fefteites; 

La loi Voconienae ^toit (kite pour regler les 
richefles , & non pds pour rigler la painrrete : 
auffi Gc^ron nous dinl (i) ^u'elle oe ftatuoit 
que fur ceux qui etoient infcnts dans le ceos. 

Ceci foucnit on —teste pour binder la loi. 
On fait que 1^ Ronuuns ^toient ei^dmement 
lormaliftef , & ifous «vons dit c^-dcflii$ que l,ef- 
•prit de h ripi9bli<|ue ^toit de foivre la lettre de 
la lof. II y eiit des per^ qm ne k firent point 
.infcrire oaas le ceos , potir powoir latfler leur 
iiicceifioa k leur fille : & ks pr^teurs jugerem 
qu'on ne violok point la loi Vocoaieniie, poif- 
qu*on n'en violoit ^point la lettre. 

Un certain jiams uiftlbts a^oit tnftitu^ fa 
一 £Ue, uiuque heridere. II k pouvoit , dit Gcf- 
roii (k) , ia loi .Voconienne ne rea{enipechoit 
pas, parce qu*il n'eioit point, dan^ le cens. 
Verrfcs , etant piiteur » avojt prive la file de 
k fucceflion : Cic6»on jfobtient <|iie Verr^ avoit 
^t^ corrompu , parce qu« , fans cela , il n'au- 
roit point interverti un ordre que Us aiities 
. preteurs avoient fuivi. 

Qu'etpient done ces citoyens qui n'etotent 
. point dans le cens qui comprenoit tous les 
. citoyens ? Mais ,- (elop 】,inftitution de Servtus 
"Tui^us, rapportee par Denys d'HalicarnafTe (i), 
teut citoyeo- qui ne fe ^ifoit pomt infciire dans 



Jh) Cum lege V ocon'mni muVurihus prohiherctur ne qute 
msjorm centum. mUlihus /lum^ni. handitdum poJ[ii 
mdin , li< LVI. 

(l) Qui€2nfus effa. Harangue feconde conUc Vtrrej^ 

!*) Ccnfus non crat , ihid* 
I) Livre %\, - 



Lrv. XXVIL 

le cens itolt bat efdaire •• Qc^ron iui'tntme (m) 
dit qu'un tel homme perdoit la Itbeiti i Zonare 
dtt la fn^me chofc. 11 falloit do 籠 c qeTil y cut 
de la difference 'etitre point dans te cekis 

felon reiprit de la loi Vocontennc , & n'ptrc 
pcSnt dans.ie cetis fekm fe%rit des inftkiitions 
de Servius TuUius. 

Ceux qui ne s'itoieni point Cut tnicrire duns 
ks cinq prmteres dafles*, bii I'on ^toit fhci 
felon ia proportion de fes Ineos , n'^toient point 
dans le cens (a) felon Pef|>rit de la loi -Voco- 
iiieiuie : ceux qui n'^toient point infcrits dans 
le nombre des fix daffes , ou qm n'^oient point 
par les cenfeiirs aa nombre de ceux c^e 
Yon appelloit -wrii, n'^tokm point dam. le oeos 
iuhrant les inftitatiotis de Servius Tiriliusw Tcll« 
^toit la force dela nature, qu^des percs ^ poor 
^luder la loi Voconienne , con 《? moiem a. iouf- 
firir la home d'etre conibndus dans la fixieme 
claffe ayec les prclitaiivs & ceux qai itoient 
tax^ pour leur t^te , ou peut-ctre ra^me a «tre 
renvoy^s dans les tables (o) des Orhes. 

Nous avons dit>qae la ]iimprtulence des Ro- 
mains n'admettort point les bdaceramk,, LTef 一 
perance d'l^kider la lot Voconienne ks intro^ 
duifit : on inftituoit un homier capable de le- 
ccvoir par b ioi ,& on Ic pnon de remettre 
la fucceilioii k une perfonne que la k>i en avoit 
exdue. Cette nomreUe manicre de Afpofet eut 

r 'I " I i', li r ■ ,! HUiii I ,''''' 'ii 

(m) In oratione pro Cacinna. 

{«) Ces cif>q premier" ctalTes ^oi«At ft coftfi^to- 
bles , que quel<|ue£ois les auteurs n'en rapportent 
que cinq. 

(o) In Carltum tabulas referrl > ttrarius fieri. . 



3J( De t*Bl*tt n£» tats , 

edbts bien dttitioens. i*es usis rendkent Thikf 
redite ; » & ra6tioa.de Septus Peduceus Ihf) fot 
remarauable.* Oii hii donna une grande luccef-* 
fion ; it fCj: aroit penfonne dons le monde que 
kii qui i&t .qull ^toit pri^ide ti remettre. U alia 
tronrcr la venve d^tdftatetir y tL Xvai donna touft 
k bien de fon mart. 、' 

Les. aurres gardcmie peur eux. k fiiecefEon ; 
& I'exempk *R ^extilins Kufbs fut celebri 
encore , par6e <pe Ckeroh (^)!i'enipioie dans 
fcs disputes centre ies Epicurieny. 'm Dans mai 
jeuneffe , dit-il , je ^ piie par SextiHus de 
raccompagner chez fe$ amis, pom* favoir d'eui^ 
s'ii devok remettre Theredite de Quuitus* Fa- 
dins Ca^ a Fadta fa fiile. U avoit a^&mblS 
pHifiteivs. ]|eunes gens; avec de ttes graYear'fp«- 
fonnages j, &* auctm ne fitt d^avis qu*il don- 
D&t' plus a Fa^^a que ee qu*ieile devdit .avoir 
par /k loi VocoAknne. Sextiilus eut !a une 
gvande fucceifion , dont il n'aui%>it pa» re term 
tin lefterce, »,U.«vok preiens ce qui etoit ^ifte 
& honndte a-ce qaif j^oat ntilOb, le-tpuis eroire , 
— <h)ta-t"" que tock auriesrredndu rher^dit^ ; je 
pQis - cxfjmt qu'Epicttre Vaoroit rendue t 

mmit vaai itaim^B pas iwvi .iTos prinopes Je 

-tiG'fle^- ua raafiKfir la eonditioti' bunurasey 
ks ii^iih 使 urs foient obliges de faire de» 
tfH pombattent les fentimcns tratuipels tn«« 
mes r telle fut la Foi Voconicrvne. Ceft que le^ 

le citayen , & fur le eitoyea que fur I'homme^ 




Liv-XXVIL 

Xa loi facrifioit & le citoycn & lliomfne , & 
tie penfoit qu*^ la ripublique. Un homme prioit 
{on ami de remettre la fucc^on k fa fiUe : U 
loi m^prifoit , dans le teftateur, les fendmens 
de la nature ; elle m^prifoit , dans la fille , la 

1>i^t^ filiaie ; elle n*avoit aucun ^gard pour ce- 
ui qui itoit chargi de remettre VhkriJ^tk , qui 
fe trouvoit dans de terribief ciroonftances. la 
i^emettoit il ? il itok up mauyais citoyen : la 
gardoit-il i U ^toit caaMionn^te homme. II 
n'y avoit que les eens <i*un bon nature! oui 
peniafTent a ^luder la loi; 11 n'y avott que les 
honnetes gens qu*ofi pdt choifir pour f^luder : 
car c'eft toujours un triomphe k remporter fur 
ravarice & yoluptis, '& il n'y a que les 
.honnetes eens qui obtiennent cet fortes 
trioinphes.reut-£tr& mfime y auroit-il de la ri- 
gueur a les regarder en cela comme de mau - 
vais cuoyens. II n'eft pas unpoifible que 1^ 16 - 
fislateur eut obtenu une grande partie de fon 
.objet , lorfque fa loi itoit .telle, qu'eUe ne for* 
^oit que les honn^te^ gen$ ^ I'^luder. 

Daas h temps que I'on fit la loi Voco- 
nieone , les mceurs avoieot confcrv6 quelque 
chofe de ieur ancienne puret^. On int^refla 

Suelquefols la conscience publlque en faveur 
e la loi, & i'on fit jurer {/) qu'on robferVe- 
roit : de forte que la probite faifoit, pour ainfi 
4lire、, la guerre a la probit^. Mais dans les der- 
mers temps, les moeurs fe corrompirent au , 
point , que les fid^icommis dureat avoir moins 




33^ De l'Esprit Dts Lois , 

de force pour ehider la loi Voconiennc , qu, 

cette loi ri'en avoit pour fe faire fuivre. 

Les gueri«es civiles firent perir un nombr- 
infini de citoyens. Rome , fous Augufte , fe 
trouva p'refque deferte ; il falloit k repeupler. 
On fit les lois Pappiennes , oil I'on n'omit 
rien. de ce qui pouvoit' encourager les ci- 
toyens a fe marier & a avoir des enians. Un 
des principaux moyens fut d'augmenter , poirr 
ceux qui fe pr^toient aux vues de la loi , les 
efperances de fucceder , & de les diihinuer 
pour ceux qui s'y refufoient, & comme la loi 
Voconienne avoit rendu les femmes incapables 
•de fucceder , la loi Pappienne fit dans de cer- 
tains cas ceffer cette prohibitioB. 

Les femmes [t] , Turtout ccUes qui avoient 
des ^nfans , fufetit rendues capable^ de rece- 
voir en vertu du teftament de leurs maris ; el- 
4es purent, quand elles avoient des enfans , re- 
cevoir en vertu du teftament des etrangers , 
tout cela centre la difpofition la loi Vo* 
conienhe : & il eft remafquable qu'on n'aban* 
donmi pas enti^rement I'efprit de cette loL Par 
exemple , la loi Pappienne M pennettoit a un 
homme qui avoit up enfant (a:/, ^ rccevoir 

(《) Vpyez ce ((ue J'en ai dit au Hv, XXIII. ch.2i« 
(t) Voyez fur cep les fra|mei\s d'Ulpieo , tit. 15 ^ 

§, 16. 

' (v) La tneme difference fe trouve dans plufieufs 
difpontions de la lot Pappieone. Voyex les tragmcns 
fi'Uipien , fj. 4 & 5 « tit. dernier ; & le mime au mt* 
ine titre , §. 6. 

(«) Quod tihi fUoIus , vtl filia , nafcimr t» pu. 
Jura paunus hdbcs i propter nu firibtris karcs, 

Jimnil,"" IX, 



Liv. XXVIL 

tome I^her^dit^ par le teftament d*un Stranger ; 
elle n'accordcit la mSme grace k femme , 
<jue lorfqtt'elle avoit tro'is (y) enfiins. 

II faut remarquer que la Toi Pappienne ne 
rendu femmes qui avoient trois enfans , ca- 
pables de fuccider , qu,en yertu du teftament 
des etrangers ; & qu'a i'egard de la fucceiTion 
des parens , elle lalfia les anciennes lois & U 
lot Voconienne (i) dans toute leur force. MaU 
cela ne fubfifta pas. 

Rome abym^e par les rldiefles de toutes les 
nations ; avoit changi de moeurs ; il ne fut plus 
quedion d'arreter le luxe des femmes. Auli^dile , 
qui vivoit fous Adrien {a) , nous dit que de ton 
temps la loi Voconienne ^toit prefque anian-* 
tie ; elle fut couverte par fopulence de la cit$, 
Auffi tronvons-nous dans les (entences de Paul (^) 
xflui vivoit fous Niger , & dans les fragmens 
oUlpien (c) qui itoit du temps (f Alexandre 
Severe, que les foeurs du c6c6 da pere pou- 
voient fucc6der , & qu'il n'y arolt que les pa- 
rens d'un degr^ plus ^loign^ , out lufTent cans 
le cas de la prohibition de la loi Vocoriienne. 

Les anciennes iols de Rome avoient coo>* 
fnenc£ a paroitre dures ; & les preteurs ne furent 
plus touches t}ue des raifons d'equiti , de mode- 
ration & de bietifeance. 

f ' ' ' ' ' 舊 

(y) Voycz la loi IX , cod. Th^od. de bonis profi 
€rhtorum ; & Dion , liv. LV ; voytz les fragmens 
d'Otpien , ttt. dernier , §. 6 ; 8c tit 29, $. 3. 

.(0 Fragm. d'Ulpien » ttt, 16 « §• i i SMOm* Uy.I^ 
cbap. XIX. 

(a) Liv. XX , ch. i. 

U) Liv. IV, tit. 6 , €. 9. 

(0 Tit: 26,5. 6. 

Ff % 



340 DjB l'Esprit des Loi$i 

Nous avons vu qde , par les anciennes iois <fe 
Rome , les meres n'avoient point de part a la 
fucceffion de leurs enfans. La loi Voconienne 
fut une nouvelle raifon pour les en exclure. MaU 
FEmpereur Claude donna a la mere la fucceffion 
de fes enfans , comme une confolation^ de leur 
perte ; le fi^natus-confulte Tertullien (ait (bus 
Adrien (</) la leur donna lorfqu'elies avoient 
trois enfans , fi elles ^toient ingenues ; ou quatre , 
fi elles ^toient afFranchies. II eft clair que ce fi- 
natus-confulte n'etoit qu'une extenfion de la loi 
Pappienne ; qui , dans le mime cas , avoit ac 一 
corde aiuc femmes les fucceflions qui leur ^toient 
diikries par les Strangers. Enfin Juftinien (e) 
tear accorda la fucceffion , ind^pendammem du 
sombre de leurs enfans. 

Les mdmes caufes qui firent reftreindre la loi 
tjfn empSchoit les femmes de iucc^der , firent 
renverfer peu4-peu celle qui avoit geni la fuc — 
ce/fioii des parens par femmes. Ces lois ^toient 
tres coufbrmes a I'efprit d'iine bonne r^publique , 
oil I'on doit faire en lorte que ce fexe ne puifle fe 
prevaloir pour le luxe , ni de fes richefTes , ni de 
refperance de fes richefTes. Au contraire , le luxe 
d,une monarchie rendant le mariage a charge 
& couteux , il faut y 6tre invit^ , & par les ri- 
cheffes que les femmes peuvent donner , & par 
refperance des fucceffions qu'elles peuvent pro- 
curer. Ainfi , lorfque la monarchie s*£tablit k 
Rome , tout le fyfteme fut chang6 fur les 

iftv . ■• 

r<ij C'eft-a-dire , l^mpereur Pie , qui prit le nom 
d'Aorien par adoption. 

, (<) Leg. 11. cod. dt jure Uberorum , inftit. lir. in > 
lit. 5. §. ^,de fcnatU4 confult. TcrtuL 



Liv. XXVIII. j4t 

focceffions. Les pr^teurs appellerent I^s parens 
par femmes au d^faut des parens par m^es : au 
lieu que , par, les anciennes lois , les parens pat 
'femmes n'etoient jamais appellis. Le finalus- 
confulte Orphitien appella les enfans ^ la fuc- 
ceflion de leur mere ; & les Efnpereurs Valenti- 
tiien (/) , Theodofe & Arcadius , appellerent les 
petits-enfkns par la fille a la fucceffion du grand- 、 
pere. Enfin FEmpereur Juftinien (g:) 6ta jufqu'au 
moindre veftige du droit ancien liir les fuccef- 
fions : il ^tablit trois ordres d'hWtiers , les def- 
cendans , les afcendans , les collat6raux , fans 
aucune ^in6Hon entre les miles & les femel- 
les , entre les parens par femmes & les parens 
par males ; & abrogea toutes celles qui refloient 
a cet ^gard. II crut fuivre la nature m^me , en 
Vecartant de ce qu*il appella les embarras de 
I'ancienne jurlfprudence. 



(/) Leg* IX » cod de fuU & UgUimis lihctis, 

(i) Ug. Xil i tod, ibid. & \u DoteUcs ii$ & ivj* 



341 De l*E$prit dis L0J9 ; 




De forigine & des rivolutlons its Lois 
civiks che[ Us Frangois. 

In nara fert animus mutatas dkere fortius 
Corpora. • , . 

OyiD. M/tam, 



CHAPITRE PREMIER. 

Vu dijfirent caradcrc its Wis des ptuptes Germains, 

L £S Francs £tant Xort'is de leur pays , ils firent 
T^diger (a) par les fages de leur aratibn les lois 
faUques. La tribu des Francs Ritraan-es s'^anc 
jotnte fous Qovis (^) a celle des Fxancs Saliens , 
elle conferva fes uiages ; & Th^odoric (c) Roi 
d'Auftrafie , les fit inettre par ecrit. Il recueil 一 



(a) Voycx le prologue de la !oi falique. M. de 
Leibnitz dit , dans fon trait 豸 de I'ortgme des Francs , 
que cette loi fut faite avant le regne de Clovif ; mais 
elle ne put Vktxt avant que les Franci fuflfent fortis 
de la Germanie : ils n'entendoient pas pour lors la 
langue latine. 

(h) Voyez Gr^goire de Tours. 

(0 Voyez le prologue de la 1m d4s BaTarols 9c 
celui de la loi falique. 



Liv. XXVin. Craf. I. )4} 

lit (d) de meme les ufages des Bavarois & des 
- Allemands qui dependoient de fon royaume. 
Car la Germanie etanr afFoiblie par lar fortie de 
fant de peuples , les Francs , apr^s avoir conquis 
devant eux , avoient fait un pas en arriere , & 
porte leur domination dans les forets de leurs 
peres. U y a apparence que le code [el des Thu- 
ringiens fut donn^ par le inline Theodoric , 
puiique les Thuringiens ^torbnt aufli fes Aijets. 
Les Frifons ay ant tii foumls par Charles- Martel 
& Pepin , leur [/*] loi n'eft pas anterieure a ces 
Princes. Charlemagne , qui le premier dompta 
les Saxons , leur donna la loi qu9 nous avons^ 
II n*y a quiii lire ces deux derniers codes , pour 
voir qu'ils fortent des m^ns des vatnoueurs* 
* Les Wifigoths , Les Bourguigjions , & les Lom- 
bards ayant fond£ des royaumes , firent icrire 
lews lois , non pas pour »ire fuivre leurs ufi^es 
aux peuples viuocus , mais pour ks fuivre eux 一 
snetnes. 

II y a dans les lois faliques & Ripaaires , dans 
celles des Alleitiands , des Bavarois , des Thu- 
ringiens & des Frifons , une fimplicite admirable : 
on y trouve une rudefle originale ^ un efprit 
qui n,avoit point kxk afFpibli par un autre efprit, 
£lles changerent pen , pares que ces peuples y fi 
on en excepte les Francs , refterent dans U 
Germanie. Les Francs m^me y fonderent une 
grande partie de leur empire : ainfi leurs lois 
lurent tomes Germaines. Il n'en fut pas de meme 
cks lois des Wifigaths , des Lombairds & des 



• (J) Ibid. 

(c) Lex Angliorum Werinorum , hoc eft, ThuringoruiUi 
(/) lU ne favoient pomt ^crire. 

Pf 4 



^44 De L^EsPwr DBS Lois, 

Bouijgu'ignons ; eUes perdirent beaucoup de fear 
caraaere , parce que ces peuples , qui fe fixe- 
rent dans kurs nouyeiks' demeures , perdirent 
beaucoup du leur, 

Le royaume des Bourgaignons ne fubfifta pas 
affex long- temps , pour que ler lois du peuple 
vainqueur puifent recevoir dt grands changc- 
mens. Gondebaud & Siglffnond , qui recueillirent 
leurs ufages , furent prefque les dernters de ieurs 
Rois. Les lois des Lombards re9urent plutot des 
additions que des changemens. Celies de Rotha- 
ris furent fuivies de ceiles de Grimoald , de Luit - 
prand , de RacUs , d'AiftuIphe ; mais elles ne 
prirent point de nouvelle forme. II n'cn fut pas de 
mime des lois des Wifigoths [g] ; leurs Rois 
les refondirent ,& ks nrent refondre par le 
clergL 

Les Rois de la premiere race dterent (A) bleu 
aux lois faliques & Ripuaires ce qui ne pou- 
voit abfolutnent s'accorder avec le Chriftia- 
nifme : mais ils en laiiTerent tout le fond. Ceft 
c€ qu'on ne peut pas dire des lois des Wifi- 
goths. 、 

Les lois des Bourguignons , & furtoyt ceiles 
des Wifigoths , admirent ks peines corporel- 
les. Les lois faliques & Ripuaires ne les re9u- 
rent (f) pas; elles conferverent mieux leur ca- 
radere. 

•■II : 

(g) Eur ic les donna • Leiivigilde les corngea. Voyex. 
la cnronique d'lficiore. Chaindafuinde Bl KecefTuinde 
les rfformerent. Egiga fit faire le code que nous avons, 
& en donna la^commiflion aux ^vegues : on confenr 裏 
pourtant les lois de Chaindafuinde oc de R^efliiinde , 
comme il paroit par le feizleme coacile tie Toledc. 

(h) Voyez le prologue de la loi des Bavarois. 

(i) On en troiive Ualement quelqaes«unes dans le 
d^cret de Childebert. 



L I V. XXVIIL C H A p. I. 

Les Bourguignons & les Wifigoths , dont les 
provinces ^toient tr^$ expoH^es , chercherent k 
ie concilier les anciens habitans , & a leur don- 
tier des lois civiles les plus impartiales (k) : mais 
jes Rots Francs , siks de leur puifladce , n'eu- 
rent (/) pas ces ^gards. 

Les Saxons , qui vivoicnt fous I'etnpire des 
Francs , eurent une humeur undomptable , & 
s^obftinerent h fe rivolter. Wn trouve dans 
leurs (m) lois des duret^s du vainqueur , qu'on ne 
voit point dans les autres codes des lois des bar- 
bares. 

On y voit I'efprk des lois des Germains datit 
les peines p^cuniaires , & cdui du vainqueur dans 
]es peines afflifBves. 

Les crimes au'ils fopt dans leur pays , font 
punis corpoVellement ; & on ne luit refpric 
des lois Germaniques* que dans la punitioa 
de c^ux qu*ib c.ommetteht hors de leur ter« 
ritoire. 

On. y declare que pour leurs crimes its n'au* 
rent jamais de paix , oL on leur refufe I'afile des 
^glifes memes. 

Les ey^ques eurent une autorit^ immenfe i bi 
cour des Rois Wifigoth$ ; les affaires .les plus 
importantes itoient decid^es dans les conciles. 
Nous devons au. code des Wifigoths toutes les 
maximes, tous les principes & toutes les vues 
de rinquifition d'aujourd'hui ; & les moines n,ont 

I ga 

(k) Voyez le prologue du code des Bourguignons 
& le code m&me, furtout le tit. ii. $. 5 ; & k tit, 
58. Voye* aufli Gr^goire de Tours , liv. II , chap« 
xxxiij ; &le code des Wifigoths. 

(/) Voyei ci-deiTous \t chap. 3. , 

(«) Voyez le eh. 11 , $. 8 & 9 i ac le ch, IV. $• ft 
U 7. 



346 ' l'Esprjt des Lois ; 

fait que copier contre les Juifs, des lois faites au: 
trefois par les cv^qucs. 

Du refte , les lois de GondeBaud pour les 
Bourguignons paroifTent adez judicieufss ; celles 
de Rotharis & des autres Princes Lombards le 
font encore plus. Mais les lois des Wifigoths , 
celles de ReceiTuinde , de Chaindafuinde & d'E- 
giga, font pueriles, gauches, idiotes ; elles n*at- 
teignent point IqJut : pleines de r^thorique, & 
-trides de fens , trivoles dans le fond, & gigan - 
tefques dans le ftyle. 

C H A P I T R E II. 

Que les lots des harhans fiirent touus, p€rf<mnelUs» 

C'est un caraScre*partic uHer de ces lois des 
bar bares , qu'eUes ne furent point attach 圣 es a un 
certain territoire : le Franc ^toit juge par la loi 
dies Francs , rAUemand par la loi des Allemands , 
le Bourguignon par la loi des Bourguignops , 
fe Romaiii par la loi Romaine : & bien loin 
qu*on fong€at dans ces temps-la a rendre unifor- 
ines les lois des peupks conqu&ans, on ne 
penfa pas mdme a fe faire l^giilateur du peuple 
▼aincu. 

Je trouve rorigine de cela dans les moeurs des 
peuples Germains. Ces nations ^toient parta- 
gees par des marais , dds lacs & des for^ts ; on 
voit mime dans Cefar [tf] qoelks aimoient \ fe 



Liv. XXVIII. CuA^. VL 347 

ftparcr. La frayeur qu*elles eurent des Remains , 
qu*elles fe r^unirent ; chaque homtne , dans 
ces nations melees , dut etre jiig6 par les ufages 
& les coutumes de fa propre nation. Tous ces 
peuples dans leur paniculier 6toient libres & in - 
dependans ; & quand ils furent melis , rindc- 
pendance refla encore : la patrie £toit com- 
mune , & la republique particuliere ; le territoire 
^toit le meme , & les nations diverfes. L'efprit 
des lois gerfonnelles ^toit done chez ces peuples 
avantquils partifTent de chez eux, & ils le pot- 
ter en t dans leurs conqu^tes. 

On trouve cet ufage 6tabli dans }e$ formih- 
les [h] de Marculfe , dans les codes des lois des 
barbares , iurtout dans la loi des Ripuaires [c] , 
dans les d^crets des Rois:<k la premiercrace , 
d'oii deriverent les capitulaires: que foQ fit la- 
delTus dans la feconde [t]. Les enfans ( f ) 
fuivoient la loi de kur pere, feinme» [g] celle 
de leur man, les veuves (A) revenoient 4 leur 
loi , les afFranchis (i) avoieiit celie de kur pa- 
tron. Ce n'eft pas tout : chacun pouvoit pren- 
dre la loi qu*il vouloit; la conflitution de Lo- 
thatre I. (A:) exigea <]ue ce choix &t rendu 
puUic. 

ft" ' " 

(b) Liv. L form. 8. 
(fj Chap. XXXL 

[/) Celui de Clotaire de fan 5^0, dant I*^ditlon 
des capitulaires de Saluze , torn. I. art. 4; ibid in fine* 

(e) Capitul. ajout^s a la ^oi des Lombards , liv. !• 
tit. 25. ch. Lxxi ; liv* U. tic. 41 , ch, vitj & tit. ^6$ 
ch. I. & ir. 

(/) Jhid, Urn, tit. 5* 

Ig) Ibid. Ihr. II, tit. 7 , chap. i. 

(A) Btd. chap. u. 

(i) Ibid, liv. II , tit. 35 » ch. H. « 
* (k) Daos U (oi des Lombards , Kr» xi 、 tU 57, 



D£ l'Esprit D£s Lois, 
C H A P I T R E 



Difference eapitale entr'e Us lots faliques & ks lots 
des IVifigoths 6» des Bourpdgnous 

J\i dit (tf) que la loi des Bourguigaons & 
celie des Wihgoths 6to>ent impartial es ; mats k 
loi falique ne le fut pas : elie ^tablit entre les 
Francs & les Romains les difiin£tions les plus 
affligeantes. Quand {b) on avoit tu6 un Franc, 
un barbare , ou un homme qui vivoit (bus la loi 
falique , on payoit a fes parens une cocnpofi* 
tion de . lOO ioh : on n'en payoit au*une de loo, 
lorfqu'on avoit tai un Romatn poflefleur (c\ ; & 
feulemeht une de 45 , quand on avoit tu6 un' 
Kotnain tributaire : la compofitipn pour le 
tneurtre d'un Franc vaflal {a) du Roi , ^toit 
de 600 fols ; & celle du meurtre d'un Romain 
convive {e) du Roi (/), n'etoit que de 30a 
Elle m^ttoit done une cruelle difCkence entre 
le feigneur Franc & le feigneur Romain , & entir 
le Franc & le Romain qui etoient d'une condi- 
tion mediocre. 



3- 



(a) Au chap. I de cc lir. 

ih) Loi Calique , tit 44. $. 直 

[cj Qui • res in pato uhi nmanet prop Has hahet^ 
Loi Ulique 、、 tit. 44 , |. 15 ; voyex aum le §. 7. 

{J\ Qui in truftc dominied tfi , ibid. tit. 44, 4. 

(«; Si Romanus homo conyiva reps juerii , ibid. §, 4, 

(f) Les principaux Romains s'attachoient ila cour, 
comme oiL^le voit par la vie de plufieurs ^rftques ^ui 
y furent elev^s ; il n'y avoit gucces que les Romaiai 
qui IttiTciit ,^"ir€" 



Liv. XXVin. Chap. IH. 、 349 

Ce n'eft pas tout : (i l,on aflembloit (g) da 
tnonde pour aflailtir un Franc dans fa maiibn » 
& qu'on le tuat , la \o\ falique ordonnoit une 
compoikion de 600 fols ; mais fi on avoit af- 
failli un Romain ou un af&anchi (h) , on ne 
payoit que la moitid de la compoution. Par la 
m^me loi (i) , fi un Romain enchaiHoit uit 
Franc , il devoit trente fols de compofition ; 
mais fi un Franc enchainoit un Romain, il n'en 
devoit qu'une de quinze. Un Franc d^pouilli 
par un Romain , avoit foixante-deux fob & 
demi de compofition ; &jun Romain d^pouilli 
par un Franc , n*en recevoit qu'une de trente. 
Tout cela devoit etre accablant pour les Ro« 
mains. 

- Cependant un auteur (A) rflebrc forme ua 
fyfteme de VitabUncment des Francs dans Us 
Gaules , fur la priiuppofition qu'iis ^ient les 
meilleurs amis des Romans. Les Francs ^toient 
done les meilleurs amis des Romains , eux qui 
leur firent , eux qui en re^urent (I) des Jmaux 
effroyables ? les Francs ^toient amis des Ro- 
mains 9 eux < qui , apr^s les avoir aiTujettis par 
les armes , les opptiiherent de fang troid par 
leurs lois i lis ^toient amis des Romains , comme 
les Tartares qui conquirent la Chine , ^toieiU amis 
des Chinois. 

Si quelques iveques catholiques ont voulu 



(g) Ihid. tit 4;. 

(A) Lidus • dont.Ia condition ^toit meilleure.quo 
cells <iu ferf , loi des Aliemands, ch xcv. 
« Tit. 35,i.3&4. 

\iyt6moin rexp^dttlon d'Arbogafte dans Gr^goire 
de Tourr, liift. liv. IL 



350 De l'Esprit des Lois,' 

fe fervir des Francs pour detruire des Rois 
Aniens , s*enfuit-il qu*ils ayent defiri de vivre 
ibus des peuples barbares ? £n peut-on condure 
que les Francs euiTent des egards particuliers 
pour les Romains ? J'en tirerois bien d'autres 
conftquences : plus les Francs furent surs des 
Romains , moins ils les> m^nagerent. 

Mais rabbit Dubos a pui^ dans de manvai- 
fes fources pour un hiftonen , les poetes & 
tes orateurs ; ce n*eft point fur des ouvrages 
d*oftentation qu*il faut fonder des fyftemes. 

G H A P I T R E IV. 

Comment U droit Romain fe perdit dans le pays 
du domaine des Francs y & fc conferva dans U 
pays du domaine des Goths & des Bifurffd^nons, 

L E s chofes que )'ai dltes donneront du jour 
i d'autres , qui ont ^te jufqu'ici pleines d'ob^ 
curit^s. 

Le pays qu'on appelle aujourdliui la France , 
fut gouverne dans la premiere race par la loi 
Romaine ou le code Theodoiien , & par ; les 
ciiverfes lois des barbares (^5 qui y habi- 
toient. 

- Dans le pays du domaine des Francs , b loi 
falique ^toit etablie pour les Franc? ,& le 
4Code {b) Th^odofien pour les Romains. Dans 



(a) Les Francs , les Wiiigoths & les Bourguignons, 
{h) II fut fini ran 43 巳 



Liv. XXVIII. Chap. IV. 




celul clu ddmaine des Wifigotlis , une compi- 
lation du code Theodofien , faite par rordre 
cTAlaric [c] , regia les clifFerens des Romains ; 
les coutufnes de la nation , quEuric [d] fit 
diger par ^crit , d^ciderent ceux des wif^otht , 
Mais pour^uoi les lois faliques acquirent-elles 
une autorite prelque g^nirale dans le pays des 
Francs ? Et pourquoi le droit Rpmain s*y per- 
dit-il peu-a-peu , pendant que, dans le dom^ne 
des wifigoths , le droit Romaia s,6tendk , & eut 
une autoriti g^n^rale ? , 

Je dis que le droit Romain perdit fon ufage 
chez les Francs , a caufe des grands avants^es 
qu'il y avoit a ^tre Franc \e] , barbare , oa 
homme vivant fouslaloi falique ; tout le monde 
fut port 6 a quitter le droit Romain , pour vivre 
fous la loi (alique. 11 fut feulement retenu par 
les eccUflaftlques (/) , parcequils n'eurent point - 
d'interet a changer. Les difierences des condi- 
tions & des rangs ne confiAoient que dans la 
Ijrandeur des compofitions , comme )e le feral 
voir ailleurs. Or, des lois (g) particulieres leur 



(fj La vingtieme ann^e du regne de ce prince , 8c 
publiee deux ans apres par Anian , comme ti paroit 
.par la preface de ce code. 

(d) L'an 504 de "re d'Efpagne , chronique d'Ifi<lore# 

(e) Francunt aui barharum , aut hominem qui fiiica 
iegt vhit , loi falique , tit 445 , i. 

(,) Selon la loi Romainc fouf laqucUt figUfi v:t, 
tft-il dit <Uns la loi des ripuaires , tit. 58 , §• i. Voytc 
aufTi les autorit^s fans nombre U <)e{fus , rapportees 
par M. Ducange, au mot Le^ Romana, 

(g) Voyez les capituUires ajout^s 4 Fa loi falique 
dans Lindembroc , i 1^ iin de cette loi ; 8c les divers 
codes des lois des Barbaras fur Icsprivilegei des cc- 
cKfiafiiqucs 毳 cct ^gtfd* Voyci aum U lettre Chacn 




Dc L*EsPRiT DEs Lois 



donnerent des compofidons auffi favorables 

Sue celles qu'avoient les Francs : Us garderent 
one le droit Romain. lis n,en recevoient au- 
cun prejudice ; & il leur convenoit d'ailleurs , 
parce qiTil £toit Fouvrage des Empereurs Chr^-* 
dens. 

、D'un autre c6t^ , dans le jpatrimoine des 
Wifigoths , la loi Wifigothe (h) ne donnant 
aucun avantage civil aux Wifigoths fur les 
Komains , les Rotnains n'eurent aucune raifon 
de cefler de vivre* fous leur loi pour vivre fous 
tine autre : ils garderent done leurs lois , & ne 
prirent point celles des Wifigoths. 

Ceci fe confirme a mefure qu'on va plus 
avant. La loi de Gondebaud flit tr^s impar - 
tiale , & ne fut pas plus favorable aux Bouigni - 
gnons qu'aux Komains. IL paroit , par le pro- 
logue de jcette loi , qu'elle (lit faite pour les 
Bourguignons , & qu'elle fut faite encore pour 
r^gler les affaires qui pourroient naitre entre les 
ftomains & les Bourguignons; & dans ce der- 
nier cas , le tribunal fut mi-pard. Cela ^toit 
ceflaire pour des raifons particulieres , tiroes de 
rarrangement ft) politique de ces temps-la. Le 
droit Komain fubfifla dans la Bourgogne , pour 
r^gler les difFiirends que les Remains pourroient 
avoir entr'eux. Ceux-ci n'eurent point de rai - 



Icmagne i Pepin fon fUs , roi d'ltalie » de Pan Soy , 
dans r Edition de Baluze, tome I , page 451', ou il eft 
dit qu'un eccl^iiaftique doit recevoir une compofition 
triple ; & le recueil des capitulaires » liv, V , art. 302 , 
tpme I , ^dit. de Baluze, • 
(A) Voyez c'etteloi. / 
(0 J'cn parlerai ailleurs, IW, XXX , chap, yi , vii. 
Tin dc IX* 

ion 



Liv, XXVIIL Chap. IV. ", 

fon pour quitter kur loi , comme ils en eurent 
dans le pays des Francs ; d'autant mieux que la 
loi falique n ^toit point ^tablie en B ourgoene , 
cotnme il paroit par la fameufe lettre qu' Ago« 
bard ^crivit a Louis le d^bonnaire. 

Agobard (k^ demandoit a ce Prince d'ita-' 
blir la loi falique dans la Bourgogne : elle n*y . 
6toit done pas Stabile. Ainfi le droit Remain 
fubfifla , & fubfifle encore dans tant de pro- 
vinces qui dependoient autrefois de ce royaume* 

Le droit Romain & la loi Gothe fe maintin* 
rent de mime dans le pays de r^t^bliflement 
des Goths •• la loi falique nV fut jamais re^ue. 
Quand Pepin & Charles-Ma rtel en chafTerent 
les Sarrafins , les villes & les provinces qui fe 
foumirent i. ces Princes (/) demanderent a con- • 
ferver kurs lois , & I'obtinrent : ce qui , malgri 
I'ufage de ces temps-li oil toutes les lois ^toient 
perfonnelles , fit bientdt regarder le droit Ro- 
main comme une loi xielle & territoriale dans 
ces pays. 

Cela fejprouve par Fedit de Charles le c^aave . 
donne a riftes Fan 864 , qui (m) diftingue les 



(k) Agoh, ^era, 

{1) Voycx Gervais Tilburi , dans le tecuefl ^ 
Duchefne'f tome 3 , patg. ^66 : Ftfdi pa^ionc tim 
Francis , ^uoi illic Gothi patrlis legibus , morihus pa* 
iernis vivant, Et fic Narhonenjis provintia Pippino juhm 
jititur, £t unc chronique de ran 759 , rapporr^^ par 
Catel » hift. da Languedoc. £t Vauteur incertain de U 
Vie de Louis le d^bonnatre , fur la dcmande faite pat 
les peuples de la Septimanie , da.'s raifembl^e in Ca* 
wifidcoj dans le'recueil d6 Duchefae , t6m» II . p. 

(m) In ilia urta in qua juSUia fteundhm h^cm Ro^ 
manam Urminantur , fecundum ipfam legem judicetar » & 
M iUd una in ^ui , ari* 16 i v, ftulfi I'art, lo, ' 



354 l'Esfrit tm Lou; 

Says dans lefquels on jugeoit parle droit Romain » 
'avec ceux oii I'on n'y jQgeoit pas. 
L'edit de Piftes prouve deux chofes ; I'une , 
qu'ii y avok des pays oil I'on jugeoit felon la 
loi Roiiiaine , & qu'il y en avoit oil I'on ne 
jugeoit point felon cette loi ; I'autre , que ces 
pays oil l,on |ugeoit par la loi Romaine , 6toient 
precifetnent {ji) ceux oil on la fuit encore au- 
jourdliui y comme il paroit par ce meme edit : 
ainfi la diflinSion des pays de la France cou- 
tumiere , & de la France regie par le droit 
icrit , itoir di\i ^tablie du temps de Fedit de 
Piftes. • 

J,ai dit que dans ks commencemens de la mo- 
liarchie , toutes les lois ^toient perfonnelles : 
ainfi , quand I'^dit de Piftes diflingue ks pays 
du droit Romain d'avee ceux qui ne Fetoient 
pas , ctlst figpifie que , dans les pays qui n'e- 
toient point pay&de droit Romain , tant de gens 
avoient choiii de vivre fous quelqifime des lois 
^es peuples barbares , qull n'y xvoit prefque 
plus perfonne dans ces contr^es qui choisk de 
yivre fous la loi Romaine ; & que , dans les pa" 
<ie la lo; Romaine , il y avoit peu de gens aui 
eufTent choid de vivre fous les lois des peuples 
barbares^ 

Je fais bien que je dis id des chofes nouvet- 
les r mais fi efles font vraies , elles font txH 
anciennes. Qiilmporte , apres tout , que ce foient 
moi, les Valois^ ou les Kgnons , qia les ayent 
dites ? 



. («) Voyez I'article ii & t6 de I'^dit d« PiiUs , in 



Lit, XXVni. Chap. V. 35^ 



CHAPITRE V. 

Conumiadan du mime fuje" 

X« A loi de Gondebaud fubfifta long-temps 
chez les Bourguignons , concurremment avec 
la Ipi Romaine : elle y etoit encore en ufage 
du temps de Louis le debonnaire ; la lettre d'Ago-* 
bard ne laiiTe aucun doute la-defTus. De rneme^ 

? uoique r^dit de Piftes appetle le pays qui avoit 
.t6 occupy par les Wiueoths , le pays 3e la 
loi Romaine , la loi des Wifigoths y fubfifloit 
toujours ; ce qui fe prouve par le fynode de 
Troyes , tenu (bus Louis le begue , I'an 878 , 
c'eft - a - dire , quatorze ans apres i'edit de 
Piftes. 

Dans la fuite , les lois Gothes & Bourgm- 

{roonnes p^rirent dans leur pays meme , par 
es caufes (a) gidirales qui nrent partout aif- 

Eroitre les lob perfonnelles des peuples bar- 
res. 

CHAPITRE VI. 

Comment k droit Romain fe conferva dans le do* 

maine des Lombards. 

Jt OUT fe plie a mes principes. La loi des: 
Lombards ^toit impartiale, & les Remains n,eu, 



{a) Voy€zci-deflbo$ Its chapltres , X & XL 



臂 



35^ De l'Esprit MS Lois , 

rent aucun int^ret a quitter la leur pour la pren- 
dre. Le motif qui engagea les Romains fous les 
Francs a choifir la loi faliqae , n'eut point de liea 
en Italie ; ledroiHlomain s*y maintint avec la loi 
des Lombards. 

li arriva metne que celle-ci c^da au droit 
Romain ; elle ceiTa d'etre la loi de la nation do- 
mlnante ; & quoiqu^elle continuit d'ltre celle de 
la principals nobleiTe , !a plupart des villes s*^-' 
rigerent erf r^publiques , & cette nobleffe tom- 
ba , ou fut (b) extermih^e. Les citoyens des noa- 
velles r^public^ues ne fiirent point port 纟 s a pren- 
dre une loi qui ^abiiiToit I'ufage du combat Judi- 
ciaire, & dont les inflitutions tenbient beau- 
coup aux coutumes & aux ufages de la chevalerie. 
Le clergi d^s-lors fi puiiTant en Italie , vivant 
prefque tout fous la loi Romaine , le nombre 
de cenx qui fuivoient 】a loi des Lombards dut 
touiours diminuer. 

U'ailleurs , la loi des Lombards n'avoit point 
cette majeil^ du droit Romain , qui rappelloill 
a ritalie I'ldee de fa domination fur toute la 
terre ; elle n,en avoit pas I'etendue. La loi des 
Lombards & Ta loi Romaine ne pouvoierit pins 
fervir qu'a fuppl^er aiix ftatuts des villes qui 
"toient ^rigies en r^publiques': or , qui pouvoit 
xnieux y Aippl 士 er、 ou la loi des Lombards qui 
ne ftatuoit que fur quelques cas , ou la loi Romaine 
qui les mbrafibit tons i 



• {h) Voyex ce que dit Machiavel , dc la dedruilioft 
rancienne nobkife d« Florence. 



Liv. XXVlft. Chap. VH. 



C H A P I T R E VII. 

Comment U droit Romaln fe perdit en Efpapit* 

X^ES chofes atterent autrement en Efpagne. 
La loi des Wifigoths. thompha , le drok no-, 
main sV perdit; ^haindafuinde \a\ & R^cef- 
fuinde (厶) profcrivirent les lob Romaines , & ne 
permirent.pas m£me de les citer dans les tribu 一 
iiaux. Riceflmnde fut encore Fauteur de la 
loi (c) , qui 6toit la prohibition des mariages 
entre les Goths & les.Romains. II eft dair que 
ces deux lois avoient le m^me efprit : ce Roi 
wuloit enlever les principalis caufes de f%para 一 
tiott qui ^toient entre les Goths & les Roinains. 
Or, on penfoit que rien ne les ftpaifoit plus que 
la d^iienie de contrader entr'eux des tnaria- 
ges , & la permiiSon de vivre fous des lois di - 
verfeSi 

Mais quoique les Rois des 'Wifigoths euflent 
profcrit le droit Roftain , ti fubfiila toujours dans 
les domaines qu'ils poiT^doient dans la Gaule 
sn6ridionale. Ces pays ^loignes du centre de la 
monarchie , yivoient dans une grande i|nd—nr 

f a) H comment k rcgner en 642. 
If) Nous ne voulons plus 6tre tourQient^s par fcs 
lois .^trangetes ., ni par les Romaines ; loi des Wifi- 
goths , liv. II, tit. 1 > $. 9 & 10. 

(c) Vt tarn Gotho Ramanam quAm Romano Gotham 
matrimonio Ucuu fociaii , loi dc9 V^ifigothf , lit. lU, 
tit. I, fh. u 



358 Dc L,EspRrr dss Lots; 

dance (d). On voit par l,hiftoire de Vamba ; 
qui monta fur le trone en 671 9 que les naturels 
oU pays avoient prts le deffus {e) : ainfi la lot 
Romaine y avoit plus d'autorite , & la Ipi Gothe 
y en avoit moins« Les lois Efpagnoles ne con 攀 
venolent ni a leurs manieres , ni a leur (ituation 
a£tuelle ; peut-ltre.meme que le peuple s'obf- 
tina a la loi Jlomaine , parce qu'il y attacha I'ldee 
de fa liber". 11 y a plus : les lois de Chainda- 
futnde & de R^ceiTuinde contenoient des difpo- 
litions efFroyables contre les Juifs: mais ces Juife 
^toient puillans dans la Gaule m^ridionalc. 
L'auteur de i'hiftoire du Roi Vamba appelle 
ces provinces le proiHbule des^ Juifs. Lorfquc 
les Sarrafms vinrent dans ces provinces , ils y 
avoient et^ appeil^s : or, qui pur les y avoir 
appell^s , que les Juiis ou les Romains ? Le» 
Goths ferent las premiers opprim^s , parcc 
qu'ils ^toient la nation dominante. On voit dans 
procope [/*] que dans leurs calamitds ils ft red - 
roient de la Gaule Narbonnoife en Efpagne. Sans 



(d) Voyez dans Cafltodore lef condefcendances que 
Th£odoric , roi, des Oftrogoths , prince le plus accrf^ 
i'it6 de fon temps , eut pour cUes , liv. IV » Utt. 19 

(k 26. 

(《) La r^volte <Ie ces provinces fut une d^fedioii 
generate , comme il parolt par le jugement qui eft a 
la futte I'hiiloire. Paulus & fes adherens 6to\tct 
Romains , ils furent mime favorif^s par les ^v^tfues. 
Vamba n'ofa pas faire mourir les feditieux qu'il av*it 
vaincus. L'auteur de rhiftoire appcfle la Gaule Nar- 
bonnoife, la notirrice de la peifidie, 

(/) Cc//tz qui cladifuperfutrant, cx GalUdcumuxo^ 
fibus Uherifqtu egreffi , in Hifpaniam ad Teudim jkm 
taUm tyrannum fi ""ptnmt } de b«Uo GotbWUft, 
Ihr. I. ch. x\iu 



^ 



L I V. xxvm, c H A T. m 359 

doute que , dans ce malheur-ci , Us fe refiigierent 
dans les contr^es de VECpagne qfii fe d^fcn- 
doient encore ; & le nambre de c^ux qui , dans 
la Gaule m6ridionale , vivoient fous la loi des 
WilGgoths , en fut beaucoup diminui. ♦ 

C H A P I T R E VIII. 



Faux capitulaire* 

C^E malheureux compilateur Benoit Livite , 
i'alla-t-il pas transformer cette loi Wifigothe , 
qui difendoit I'ufage du droit Romain , en un 
capitulaire [a\ quon attribua depuis a Charles 
fnagne ? II fit de cette lot pacticuliere une loi 
gendrale , comme sll avoit voulu extenniner le 
oroit Romain par tout runivers. 

CH APITRE IX. 

Comment Us codes d" his dts Barharts & des 
Capittdiurcs fe ptrdirtni. 

X^ES loU Sa^iques , Ripuaires , Bonrgn^ones 
& Wifieothes , ceiTerent peu i peu dwe en 
uf^^e cnez les Francois : voici cotninent: 

Les fiefs etam devenus h^r^dit^res , & les 
arrierc-fiefs s'etant ^tendus , il s*introduifit beau~ 



{a) Capitul. ^dit.de BalttZt 
fage J tome L 



560 De lTsprit des Lois, 

coup d'ufages aux^quels ces lois n*6to5enc phA 
applicables. On en rednt bien refprit , qui etoil 
de r^^cr la plupart des affaires par des amen^ 
des. Mais les v^ei^s ayant fans doute change, 
les amendes changerent auili ; & Von voit beau- 
coup de chartres (a) oil les feigneurs fixoient 
tes amendes qui devoient etre payes dans leurs 
petits tribunaux. Ainfi l:on fiiivit refprit de la 
loi , fans fuivre la lei meme. 
z £>,ailleurs, la France fe trouvant ^vlftc en 
une infinite de petites feigneuries , qui recon* 
noiifoient plut&t une d^pendance f(^odale qu'unc 
dependance politique , il ^toit bien difficile 
qu,une feule loi put Itre autorifee : en effet ^ 
on n'auroit pas pu la (aire obferver. L'ufage. 
n'^toit gueres plus qu'on cnvoyit des officiers 
(h) extraordinaires dans les provinces , qui euf- 
lent I'oeil fur radminifiradon de la juftice & fur 
les affaires politiques j il paroit meme par les 
chartres , que lorfque de nouveaux fieK s*6ta- 
bliiToient , les rois fe privoient du droit de les 
y envoy er. Ainfi , lorfque tout a-peu-pr^$ fut 
devenu fief , ces officiers ne purent plus itre 
employes ; il n'y eut plus de loi commune , 
parce que perfonne ne pouvoit faire obfcrvef 
la loi commune. 

Les lois Saliques , Bourguignones & Wifigo- 
thes furent done extremeihent n^lig^es a la fin 
de la feconde race ; & au commencement de la ' 
troifieme , on n,en entendit prefque plusjparler. 

Sous les deux premieres races , on auembla 



(a) M. it la Thaumafltere en a recueilli plufieurs* 
Vovez , par exemple , Us chapitrcs Lxi 考 Lxvi & autres* 

(p) MiJJi dominUi. 

fouveot 



Liv. XXVm. Chap. IX. 

.fouveiu la nation, c*eft-a-dire, les feigneurs 
les 豸 veques : il n'ctoit point encore qudftion de^ 
commtines. On ckercha dans ces afTemblees k 
regler le cl^rge , qui ^tioit aa corps qui fe for 攀 
«noit , pour ainfi dire , fous les conqu^rans , 8c 
^ui etaDlifToit fes prerogatives ; les lois faitos 
^ans ces affemblees , font ce que nous appd- 
Ions les caphulair^s. II arriva quatre chofes ; iec 
lois des fiefe s*etablirent , & une erande partie 
des biens de I'^glife fut gouvernee par les lois 
des fiefs ; les eccfefiaftiques fe feparerent davan- 
tage , & nigligerent ]c\ das lois de riforme ok 
lis n'avoient pas ete les feuls reformateurs ; on 
recueilUt [/] les canons des conciles & les de- 
cretales des papes ;& le clergi^ reigut ces lois , 
comme venant d'une (outCQ plus pure. De- 
puis rireflion des grands £e£s, les roi« n'eu- 
rent plus ^ comme j'ai dit , des envoyes dans 
les provinces , pour faire <>hferver des lois ema- 
nees d'euxc^nu fous la troUierae race , onn'en- 
tendit {dus parler de <capitulair^ 



(e) Que Ifis Eveques , dtt Charles-te-chanve , dans 
le capitutaire de I'an 844 , art. 8 , fous pr^xto qu*il$ 
ont I'autork^ de faire -Aes canons , ne $*oppofent pas 
di cette conftitution , m ne la negligent. 11 lembte qu'fl 
en pr^voyok deja la ch^e. 

(d) On mfera dans le recueil 6es canons un nom- 
^re iufim de d^r^ales des papes ; 11 j en avoit tres 
peu dans l,andenne cotle£lion. Deny$-le-pctit en mit 
peaucottp daas )a fienne : mais ce!le A'lMot , Mercator 
fut remplie de rraias & de fauces d^cr^uWs. L'an- 
cienne cplleftion fat en ufage en France julqu'ii Char- 
Wftiikgn^* C« princcT re^ut fics mains du pape Adrienl. 
la collection de Denys-le-petit » & la fit receroir. La 
coUe£l4on cfliidor Mercator parut en France vers le 
regne dt Charlemagne ; on s'cri entlta : enfuite vmt 
ce qu*on appelle /< 4orps de 4roU caaonique. 

Tome III. Hk 



36: 



De L*EspiiiT DEs Lois; 



CHAPITRE X. 

ContinuAtton du menu fujet* 

o N ajouta plufieurs capitulaires ii la loi des 
Lombards , aux lots faliques , ^ la loi des Ba« 
varois. On en a cherch^la raifon ; il faut la pren 一 
dre dans la chofe mdme. Les capitulaires ^toient 
de plufieurs efpeces. Les uns avoient du rapport 
au gouvernement politique ; d'autres , au gou- 
verneinent ^conomique ; la plupart , au gouver- 
nement ecd^aitique ; queiques-uns , au gou- 
yernement civil. Ceux cette derniere efpece 
fiirent ajoutis a la loi civile , c'eft - 4-dire , aux 
lois peribnnelles de chaque nation : c'eft pour 
ceia qu'il eft dit dans les capitulaires , qu,on n'y 
, lien ffipule {a) contre la loi Romaine. En eN 
fet , ceux qui reeardoient le gouvernement ico^ 
notniquc , eccU&flique ou politique , n'avoient 
point de rapport avec cette loi ; & ceux qui 
regardoient le gouvernement civil , n,en eurent 
qu'aux lois des peuples barbares , que I'on expli- 
quoit, corrigeoity augmentoit & diminuoit. Mais 
ces capitulaires ajoutes aux lois peribnnelles, 
firent , je crob , nej^liger le corps inSme des 
capitulaires : dans des temps d'ignorance , I'abii- 
gi d*un jouvtage £ut fouvent tomber Fouviage 
m^me. 



(4) Voyei V^dit 'de$ Piftes, art. 20< 



Liv. XXVra. Chap. XL 



C H A P I T R E XL 

'jtutr" caufts de la ch£u dts codes des lots dts Bar 一 
bdres , du droit j^unain & dcs capituUires. 

LoRsQuE les nations Germalnes conqiurent 
rempire Romain, eUes y trouverent lufage de 
Ficriture ; & k limitation des Romains , elles 
r^digerent leurs ufages [d] par fcrit , & en 
£vent des codes. Les regnes malheureux qui 
-Yiiivirent celui de Charlemagne , les invafions 
des Normands , les guerres 慕 ntei^ines, replon- 

f^ent les nations viftorieufes dans les t^ne- 
res dont elles ^toient forties ; on ne fut plus 
lire fii eciire, Cela fit oublier en France & en 
AUemagne les lois barbares 6crites, le droit 
Romain & les capitulaires. Uufage de I'^criture 
fe conferva mieiuc en Italie , oii rigno'unt les 
papes & les empereurs Grecs, 6c oii il 7 
avoit des villes florilTantes 6c prefque le feul 
commerce qui fe fit pour-lors. Ce voifinage 
de ritalie fit que le droit Romain fe conferva 
mieux dans les contries de la Gaule, autrefois 
foutnifes aux Goths & aux Bourguienons ; 
d*autant plus que ce droit y itoit une loi ter- 
ritoriale & une efpece de privilege. U y a ap-. 



(a) CeU eft marqu^ expreffilment dans quelques pro- 
logues ces codes. On roit m^me , dans les loU des 
Saxons Sc des Frifons , des dirpoiitions differeates , 
felon les clivers <<iftrifts. On ajouta a ces ufages quel- 
ques difpofitionf particulieres que les circonftances exi« 
gcrent. telles fureot les lois dures contre les Saxonf* 

Hh % 



364 De l*Esprit des Lois; 

parence que c'eft Hgnorance de recriture qu^ 
fit tomber en Efpagne les lois Wifieothes ; & - 
par la chute de tant de lois , il fe &rma par- 
tout des coutgme,. 

Les lois perfonnelles tomberent. L^s cbmpo- 
fitions & ce que l,on ^appelloit frcda [^] , fc、 
reglerent plus par la coutunu que par Je textc 
de ces lois. Ainfi , comme dans retoblinement 
de Ja monarchie on avoit paiTe des ufages des 
Germains ^ des lois Rentes , on revint , quel- 
ques (lecles apr^s , des lois ^crites a des ufa« 
ges non Merits, 



CH A PIT RE XII. 

D" coutumes locales; revolution des lois d" pat*. 
• pUs harbares ,6^du dtoit Romairu 

C^N voit, par plufieurs monumens , qu^I y 
avoit d^ja des coutumes locales dans la pre- 
miere & la feconde race. On y parle de la 
coutume du lieu [a] , de Fufage ancien (h) , 
de la coutume (r) , des lois (力 & de$ coutu- 
mes. Des auteurs ont cru que ce qu'on nom- 
moit des coutuipes ^toient les lois des peuples 
Barbares , & que ce qu'on ^ppelioit la loi , 
etolt le droit Romain, Je prouve que cela he 



(h) J 'en parlerai ailleurs. 

(a) Preface des formules de Marculfe. 

(h) Lot des Lombards , Uv. 11. tit. $8, §• 3, 

(c) Ibid, tit. 41 §• 6, 

(P) Vie dt Mger, 



Liv. xxvni. CttAi^. xii. 



3«5 



peut 6tre. Le roi Pepin (/) ordonna que par- 
tout oti il 11*7 auroit point de loi , on .foivroit 
la coutume ; mais que la coutume ne feroif pas 
pr^ftree a la loi. Or, dire que le droit Kd- 
main eih la pr^ftrence fur les codes des lois 
des Barbares , c'eft renverfer toas les monU* 
mens anciens , & furtout ces codes des lots 
des Barbares qui difent perp^tuellement le con- 
traire. 

Bien loin que les lois des peuples Barbares 
fiiflent ces coutuiHes , ce furent ces lois m^- 
mes , qni , comme lois peribnnelles , les intra* 
duifirent. La loi falique , par exemple , 4tQ\t une 
Joi perfonnelle ; mais dans des lieux g^n^rale- 
ment ou prefque g^n^ralement habitus par des 
Francs Saliens , 】a loi falique , toute perfon- 
nelle qu'elle "oit , devenoit , par rapport a ces 
Francs Saliens , une loi territoriale , & elle 
,'6toit perfonnelle que pour les Francs qui ha- 
bitoient ulleurs. Or , fi dans un lieu ou 】a loi 
lalique etoit territoriale , il etoit arriv6 que 
plufieurs Bourguignons, AQemands ou Romaiits 
meme » euffent eu fouvent des affi^res , elles 
auroient iii d^cid^es par les lois de ces peu- 
ples ; & un grand nombre de Jugemens con - 
ibrmes a quelques-unes de ces lois , auroient 
dfi introdulre dans ie pays de nouveaux ufa- 
ees. Et cela explique bien la conilitution de 




Loi des Lombards, IW* IL tit. 41, §. 6. 

" Hh 3 



^66 Ds L^EsFRXT DES Lois ; 

AL'fi il y avoit dans chaque lieu une loi 
dominante & des ufages re^u^ , qui feryoient 
ds fupplement a k loi dominante , lorfqu'ils ne 
b choquoient pas. 

II f.ouvbit m^me arriver qu'ils ferviflent de 
fupplement a une loi qui n'etoit point territo- 
riale ; & pour fuivre le meme ^xemple , dans 
un lieu cu la lot falique ^toit territoriale , van 
Bourguignon ^toit )uge par 】a loi des Bonrgui- 
gnons , & que le C9S ne fe trouv^t pas dans le 
texte de eette loi , ne hut pas douter que 
l,on ne jugeit fuivant la coutume du lieu. 

Du temps dn roi P^pin , les coutumes qur 
s*4toient formees, avoient moins de force que 
les lois ; mais bient6t les coutumes ^^truiiirent 
les lois : & com me les nouveaux reglemens 
font toujours des remedes qui indiquent un mal 
pr^fent, on peut croire que, du temps de Pi- 
ping on commen^oit deja a prefercr les cour 
tiinicj- at'.x lois, 

Ce que )*ai dit, expliqut coxnixient Je droit 
fioinain commen^a dhs les premiers temps a 
devenir une loi terntoriak , comme on le voit 
dans redit de Piftes ; & comment la loi Gothe 
n'y laifla pas d*y €tre encore en uTage, comme 
il paroit par le fynode de Troies {J\ dont j'ai 
parle. La loi Romaine 6toit devenue la loi per* 
lonnelle g^n^rale , & la loi Gothe la loi per- 
fonnelle particuliere ; & par confi^cjuent la lot 
Romaine ^foit la loi territoriale. Mais comment 
rignorance fit-elle tomber par'tom les lois per- 
fonnelles des peuples barbares , tandis que le 
droit Remain fubfifta > comme loi territoriale » 



tiv. XXVIII. Chap. MI. 367 
dbns les provinces Wifigothes & Boiuguignon - 
nes i Je riponds , que la loi Romaine meme eut 
i-peu-prw le m^me fort des autres lois perfon- 
nelles : fans cela nous aurions encore le code 
Tb^odofien dans les provinces oil la loi Ro- 
tnaine 6toit loi territorials, au lieu que nous y 
avons les lois de Juftinien. II ne refta prefque 
a ces provinces que le nom de pays de droit 
Romain ou de drpit 6crit, que cet amour que 
les peuples ont pour leur loi, fur-tout quand 
lis la regardent comme un privilege , & quel* 
ques dilpofitions du droit Romain retenues 
pour-lors dans la tn^moire des homines : tnais 
e'en fut afl*ez pour produire cet effet, que quand 
la compilation de Juftinien parut, elle fut re;u« 
dans les provinces du domaine des Goths & 
des Bourguignons comme loi ^crite ; au lieu 
que <ians r ancien domaine des Francs , elle ne 
le fut que comme raifon ^crite. 

CHAPITRE XIII. 

Dijftrtnce de la loi Salique ou des Francs S aliens ^ 
davec celle des Francs Ripuaires & des autrcs 
peuples Barbares. 

]LiiA loi faliq 菌 e n'admettoit point I'ufage des 
preuves negatives ;' c'eft - a - dire , que , par loi 
ialique, celui qui faifoit une detnande ou une 
accufation dcvoit la prouver , & qu'il ne fuf* 
fifoit pas a I'accuf^i de la nier : ce qui eft con — 
forme aux lois de .prefque toutes les nations du 

Hh 4 



568 Db lTsprit d%s Lois I 

La loL (ks Francs Ripuaires avoit tout uA 
autre efprlt (tf); ellt fe contentoit desi preuves 
negatives ; £c celui contre qui oa formoit une 
demande on un« stccufa^n , 下 ouvoit , dans la 
plupart des cas fc juilifiery en jurant avec Cer- 
tain nombre de temoins qu'il n'avoit point fait 
fe qu*on hii ixnputoit. Le nombre (h) des te- 
moins qui devoient Jurer , augmentoit (eloit 
^'importance de la chofe ; il alloit quelque- 
fois (c) a foixante-douze. Les lois des AUe- 
mands , des Bavarois^ des Thunngiens , celles 
<les Frifons , des Saxons, des Lombards & des 
JSourguignons , furent faites tui le mexne plsHi 
que celles des Ripuaires. 

J'ai dit que la loi fafique n'admettoit point 
les preuves negatives.. II y avoit pourtant un 
•cas (</) elle les admettoit mais dsuis ce cas 
«lle ne ks、 admettoit point -fewles & fans le 
concours des preuves pofitives» Le demandeur 
faiibit {e\ outr fcs t^motns pour ^tablir fa de- 
'tnande ; fe d^fendeur faifoit ouir les fiens pour 
fe juftifier ; & le juge cherchoit la vcrit^ dans 
ks uns & dans les autres (/) temoignages. 
Cene pratique etoit bien difF6rente de cetle des 

;■ , - 1 

(tf) Ceta fe rapporte 4 ce que dit Tactte , cjue Ics 
peuples Germainf avoient des ufages communs , & det 
ufaees parti cuUers, 

(?) Lois des Ripuaires, tit. d » 7» 8 & autrei. 

\e) Ihid, tit. II , n & 17. 

(d) C'tft ceUit oil un antrufiion , c*eft-i-dire , uit 
▼affal 4u roi , en qut on fuppofott un« vlus grange 
irancbiCe , ^toit accttf<£ : voye^ le tk 76 du pnclus. 

(«) Voyez le tit. y6 du Paclus UgU Salicte, 
[/J Comme U fe pratique tncore auiourd'hoi C4 
Angleterre 



Liv. XXVin. Chap. XIV. 369 

lois Ripuaires & des autres lois Barbares, oii 
IU1 accuf% fe juftifioit en jurant qull n'^toit 
point coupable, & An fa'ifant jurer fes pareni 
qu'iJ avoit dit la v^rit^. Ces lois ne pouvoient 
convenir qu'a un peuple qui avoit de la fim- 
pHcite & une cenaine candeur naturelle ; il 
£»llut ineme que les l^giflateurs en piivintfent 
fabus , comme on le va voir tout a rheurc. 



C H A P I T R E XIV. 
Autre difference. 

LiA.loi faliqae ne permettcnt point \z preuve 
par le combat fingulier ; la loi des Ripuaires (a) 
& prefque (Ji) toutes celles des paiples Barba- 
res, la recevoient. H me paroit que la loi du 
combat ^toit une fuite naturelle & le remede 
de la loi qui etablifloit les preuvei negatives. 
Quand on faifoit une dematide , & qifon 
voyoit qu*elle alloit ^tre injuilement ^lud^e par 
vn ferment , que reftoit-il a un guerrier 、c) qui 
fe voyoit far le point d'etre confondu , qu'a 
demander raifon du tort qu*on lui faifeit & de 
I'ofFre meme du parjure ? La loi falique , qui 
n'admettoit point 1 ufage des preuves negatives , 
si'avolt pas befoin de la preuve par le combat » 
& ne la recevoit pas; tnais la loi des Ripuai: 

{a) Tit. 51 ; tit. <7 . §• i > tit. 59 . 5- 4* 、 , 

{h) Voy«z ct-apres^ la note [c]. 

\c) Cet efpri^ paroit bien dans la loi des Ripuaires. 
tit. 59. §. 4 ; & tit. 67 , §. 5 ; & le capttulaire de 
I*ouis-le d^bonnaire , ajottte i U loi 4es Kipvuim» 
de* I'an 803 , art* %%. 



37© De l'Esprit DBS Loi% 

res (<A & cdle des autres peuples (,) barbaret 
GUI admettoient Fufage des preuves o^atives , 
iiuent {otcts dTetablir la i^euve par le combat. 

Je prie qu'on life les oeux fameufes difpoii- 
tions If) Gondeband , roi de Bourgogne, 
fur cette nutiere ; on vcrra qu'elles font tiroes 
de la nature de la chofe. II falloit , felon k lan- 
gage des lois des Barbares , 6ter Je ferment des 
fliains d'un homme qui en vouloit abufer. 

Chez les Lombards , la loi de Rhotaris admit 
its cas oil elle vouloit que celui qui v'etoit de- 
fendu par un ferment, ne put plus etre fatigue 
par un combat. Get uf^e s*^teiidit (g) : nous 
Terrons dans la fuite quels tnaUx il en refulta , 
& comment il faiiut revcair a ranciemie pra- 
tique. 

egggsss ■ , , 

C H AP I T R E XV. 
Rcfiixhn. 

«Fe ne dis pas que , daos les chaneemens qui 
furent £uts au code des lois des Barbares , dans 



(d) Voyex cette loi. 

(c) La loi des Frifons , des Lombards , des Bairi* 
rois, <!les Saxons, desThuringiens Bl des Bourguignons. 

{d) Dans la loi des Bourguignons * tit. 8 , i & 2, 
fur les affaires criminelles^ ; & le tit. 45, qui poite 
encore fur les affaires civiles. Voyei auui U loi 6%s 
Thuringiens , tit. i » C. 31 ; tit. 7, $. 6 ; & tit. S s 
^ la loi des Atlemanas* tit. 89 : la loi des Bavarois « 
tit. 8 , ch. ii , 6; 8c ch. iii , $. i ; & tit. 9, chap. 
IV > $. 4 : la lot des Frifons ytit. 11 , $• 3 ; & ttt, i4, 
$. 4 : U lot des L6fnbards»liy.i» tit $. 3 « & tit« 
55 • $• I ; & Uv. H , tit. 35 • $. a. 

(》 VoytZp ci-deiTouf , le chap, xvill 4 U iki* 



Liv. XXVn. Chap. XV. 371 
les d'lfpofitions qui y furent ajouties , fic dans 
le corps des capitulaifes , on ne pvtifte trouver 
quelque texte oil dans le fait la preuve du coih- 
Ibat ne hit pas une fuite de la preuve negative* 
Dei circoninuices particulieres ont pu, dans 
le cours de plufieurs fiecles , £aiire etablir de cer, 
taines lots particulieres. Je parle de Fefprit g^- 
ii6ral des lots des Germains , de leur nature & 
leur origine ; je parle des anciens ufages de 
ces peuples , indiqu^^ ou 6tablis par ces lois : 
& il n'eft ici queflion que de cela. 

■ —―^ 

CHAPITRE XVI. 

la preuve par T can houillante , itablU pdr la 

loi faiiqut. 

SLiA loi falique {a) admettoit Fufage de !• 
pretn'e par I'eau bouillaflt;; & coname cftte 
epreuve ^toit fort cruelle , la loi {b) prenoit uh 
temperament pour en adoucir la rigueur. Elle 
permettoit ^ celui qui avoit ^te ajourne pour 
venir faire W preuve par Peau bouillante , de 
racheter fa main du confentement de fa partie. 
L'accuiateur , moyennant une certaine fomme 
que la loi fixoit , pouvoit fe contenter du fer- 
ment de quelques temoins , qui declaroient que 
I'accufe n'avoit pas commis le crime : & c'etoit 
un cas particuiier .de la loi fall que , dans lequel 
elle admettoit la preuve negative. 

B ■ ' sap 

(il) Et quelques autres lois des Batbares auifi. 
(*) Ti" 46. 



De i*EspRiT Dis Lois; 

Cette preuve etoit une chofe de convention; 
que la loi fbuffroit, inais qu'elle n*ordonnoh 
pas. La loi donnoit un certain dedomtnage- 
ment a Faccufateur qui vouloit pernfettre que 
I'accufe fe defendit par une preuve negative : 
il etoit libre a Faccufateur de s'en rapporter 
au ferment de Kaccufe , comme il lui ^toit li- 
bre de remettre le tort ou rinjure. 

La loi [c] donnoit un temperament pour 
qu'avant le jugement , les parnes , Fune dans 
la crainte d'une ^preuve terrible , I'autre a la 
vue d,un petit dedominagement prefent , ter- 
tninafTent leurs difFerends & finiffent leurs hai- 
nes. On fent bkn que cette preuve n^ative 
une fois coirfomm6e, il n'en lalloit plus d*au- 
tre, & qu'ainii la pratique du combat ne pou- 
yoit etre une fuite de cette difpofition parti- 
culiere de la loi falique. 

C H A P I T R E XVIL 

Mamert de penfsr dt nos ptres. 

o N fera ^tonni de vo5r*que nos peres fif- 
fent ainfi d^pendre Fhonneur , la fortune & la 
vie des citoyens , de chofes aui ^toient moins 
du r effort <fe la raifon que au hafard ; qu'ils 
employ iflent fans ceffe des preuves qu'ils ne 
prouvoient point , & aui n*^toient liies ai 
avec riilnocence ni avec le crime. 



(0 IHd, tit« 5i 



L I V. XXVIII. Chap. XVIL 37) 

Les Germains qui n'ayoient jamais ^ti fab- 
lugu^s jouiflbient d'une independance ex 
treme. Les families fc faifolent la guerre (^) 
pour des meurtres , des vols , des injures. On 
tnodifia c^te coutume , en mettant ces guerres 
fous des regies ; elles fe firent par ordre & 
fous les yeux (c) du ma^ftrat ; ce qui itoit 
preferable a une licence generale de fe nuire. 

Comme au]our.d*hui les Turcs , dans leurs 
guerres civlles , regardent la premiere vidoire 
comme un jugement de Dieu qui decide ; ainfi 
les peuples oer mains , dans leurs affaires par* 
ticuUeres , prenoient r^venement du combat 
pour un arr^t de la providence toujours atten- 
tive a punir le criminel ou rufurpateur. 

Tacite dit que , chez les Germains, loif- 
qu*une nation vouloit entrer en guerre avec 
tine autre , elle cherchoit a faire quelque pii- 
fonnier qui put combactre avec un des fieas ; 
& qu'on jugeoit , par rev^nement de ce com- 
bat, du fucces de la guerre, D0 ppuples qui 
croyoient que le comoat iingulier rigleroU les 
affaires publlques , pouvoient bien penfer qu'U 
pourroit encore regler les di0erend$ des parti - 
culiers. 

Gondebaud [J] , roi de Bourgogne , (ut de 

i\ ■ ■ 画 ~*T71 

M Cela parolt par ce que Alt Tacite : omnibus idem 
Hahittts, 

(h) VclUUis Paurculus , lir. II , chap, cxviiii die 
mae les Germains d^cidoient toutc$ les ^affaires par 
combaf. 

(r) Voycz Its codes des lois dcsbarbarcs ; &poor let 
t«mp$ plus inoderne», Beaumanoir » far la coutume 
de H€aavot(is. 

{d) La loi des Bourguigaons , chap* xlt. 



374 De l'Esprit des Leis; 
tous les rob celui qui autorlfa le plus Vufage 
du combat. Ce prince rend rsufon de & loi 
dans fa loi mSme: a Ceft, dit-il , afin que 
M nos fujets ne faflent plus de ferment fur des 
» (aits obfcurs, & ne fe parjurent point fur 
i> des faits certains ». Ainfi ^ tandis que les ec- 
cldfiaitiques [-] d^daroient impie la loi qui per- 
mettoit le combat, 】e roi des Bourguienons 
regardoit comme facrSege celle qui etaUiflbit 
le ferment. 

La preuve par k combat fingulier arok 
quelque raifon fondle fur rexpirience. Dans 
line nation uniquement guerriere, la poltron- 
nerie fuppofe d'autres Wees : elle prouve qu'on 
a rtfifie a r^ducatioQ qu,on a re^ue , &l que 
fon a pas kxk fenfible \ I'honneur, ni conotdt 
par les principes qui ont gouvern^ les autres 
komtnes ; elle fkit voir qu,on ne craint point 
leur tn^pris , & qu'on ne fait point de cas de 
. leur eflime : ppur peu qu'on (oit bien n 圣, on 
n*y manquera pts ordinairement de radrefTe qui 
(doit s'allier avec la force , ni de la force qui 
doit concourir avec le courage ; parce que , fai- 
fant cas de l*honnear , on le (era touts' fa vie 
. exerc^ I des chofes fans lefquelles on ne peut. 
Fobtenir. De plus, dans une nation guerriere , 
ok la force , le courage & la proueflS font en 
honneur, les crimes veritaWement odieux font 
ceux aui naiiTent de la fourberie , de la fineffe 
& de la rufe , c'efl-a- dire , de la poltronnerie. 

Quant a 4a preuve par le feu, apr^s que 
faccu(*<6 avoit mis la main fur un fer chaud ou 
dans reau bouillante , on enveloppoit la main 



(<) Voyez les oeuvres d'Agobard 



Liv. XXVTIL Chap. XVI 575 

<J[ans un fac que I'on cachetolt : fi trois jours 
apr^ il ne paroiflbit pas de maroue de brii- 
lure, on itoit Atdzxi innocent. Qui ne voit 
que chez un peuple cxcrci k manier des armes^ 
- la peau rude & calleufe ne deroit pas recc- 
voir aiiez I'impreffion du £er chaud ou de I'eau 
bomllante,poar <ju*il y garftt trois ioiirs apris) 
Et $*U y paroiflbit, c*4toit une marque que ce- 
lui oui (aifoit l,6preuve k\o\t un enemin^ Not 
payfans avec leurs mains calleufes manient le 
fer chaud comme ils veulent; & quant aux fern 着 
mes , les mains de ceiles qui travailloient, pou« 
voient refifter au fer chaud. Les dames {f ) ne 
snanquoient point de champions pour les dd- 
fendre ; & dans une nation oil il n*y avoit 
point de hue, il n'y avoit guere d*^at moyea. 

Par la loi des Thuringiens (g) , une femme 
accuf^e d'adultere , n'^toit condamnte \ ripreuve 
par l,eau bouiUante, que lorfqu^il ne fe pr^fen- 
toit point de champion poor eile ; & la loi {h\ 
des Ripuaires n'admet cette ^preuve que lor{^ 
au*on ne trouve pas de t^moins pour fe jufti«< 
tier. Mais une femme qu'aucun de fes parens 
ne vouloit deC^ndre , un homtne qui ne pou- 
voit all^guer aucun timoi^nage de fa probitij 
itoient par cela mSme d^ja convaincus. 

Ja dis done que , dans les cirtonilances des 
temps oil la preuvc par le combat & la preave 
par le fer chaud 6c feau bouillante farent en 
ufage , il y .eui un tel accord de ces lois avec 



t/l Voyez Beaumanoir , coutume de Beauvoiiis; 
ch. LXi. Voyez 獵 uffi la loi des Angles , ch. xiv , ou 
U preuve par I'eau bouillante n'ed que Cubdduire, 

fe) Titre 14. 

W Cfiap. XXXI, S. j, 



9Z£ t I'EspRiT DEs Lois; 

les moeurs , que ccs lois produifirent moms d^iT« 

]ufiices qu'elles ne furent injuAes ; que ]es efTets 

lurent plus innocens que les caufes ; qu'elles cho- 

querent plus Fequite qu'elles n,en violerent les 

droits ; qu'elles furent plus d^raifonnables que 

tyraaniques. 

C H A P I T R E XVIIL 



Comment la preuvt par U combat s*iundit 

o N pourroit condure de la lettre d'Agob^rd 
a Louis le d^bonnaire , que la preuve par le com- 
bat n'^toit point en ufage chez les Francs, puiA- 
qu'apris avoir remontre a ce Prince les abus de 
la ]oi de Gondebaud ^il demande qu'on juge 
en Bourgogne les affaires par la loi des Francs. 
Mais comme on fait d'ailleurs que dans ce temps- 
la le combat judiciaire etoit en ufage en France , 
on a ete dans rembarras. Cela s'explique par ce 
que j'aidit^la loi des Francs Saliens n'admettoit 
point cette preuve , & celle des, Francs Ripuai* 
res [j)) la recevoit. 

Mais, malgre les clatneurs des ecdefiaftiques,' 
fufage du combat judiciaire s'itendit tous les 
)Oiirs en France ; & je vaisprouver tout-Jl-l,heure 
que ce furent eux-memej qui y donnerent lieu en 
^rande partie. 

Ceft la loi des Lombards qvi nous fournit 



(<t) 51 pUecrtt domino noftro ut tos trans ftrrtt ad 
k^em Francorum, 
(h) Voyex ce^e loi, ti" 59 , §• 4$ & tit. 67 , §. 

cette 



搴 



Liv. XXVni. Chap. XVIIL 377 

cette preuvc. " II s'^toit introduit depuis long 一 
n tetnps une d^teflable cootume ( eft«il dit dan' 
i» dans le priambule de la conftitution {a) d'O- 
n dion II ) ; c'eft que fi la chartre de quelque 
f> heritage ^toit attaqu^e de faux ; celui qui la 
n pr^fentoit, faifoit ferment fur les ^angiles 
» qu'elle ^toit vraie; &fans aucun jueement pr^a- 
" lable , il fe rendoit proprietaire oe I'h^ritage ; 
t> ainfi les parjures ^toknt surs d'acqu^rir ». 
Lorfque rEmpereur OtWon I. fe £t couronner 
^ Rome {t) , le Pape Jean "XII. tenant un con- 
cile, tous les feigneurs (c) dltalie s'ecrierent 
qu*il falloit que rEmpereur fit une lot pour cor - 
tiger cet indigne abus. Le Pape & rEmpereur ju- 
gerent qu'il falloit renvoyer I'afFaire au concile 
qui devoit fe tenir peu de tetnps (i) aprds it, 
Raveime. Lit les feigneurs firent les memes de- 
mandes , & redoublerent leurs cris; mais fou» 
pretexte de l*abfence de quelques perfonnes , oa 
renvoya encore une fois cette affaire, Lorf- 
<ju*Othon IL & Conrad (#) Roi de Bourgogne 
arriverent en ItaHe , ils eurent a Veronne un 【f》 
colloque {g) avec les feigneurs dltalie ; & fur 
kurs inftances r^tir^es , rEmpereur , du confen* 



(s\ Loi des Lombards > liy. II , tit. 55^ , ch. 54. 
\h) L'an 962. 

(c) Ah Italitt proeeribus eft proclamamm, ut impera<^ 
tor jancbis , mutatd lege , /acinus indignum dtfiruertc 
Loi des Lombards » liv, H, tit, 55 , ch. 34. 

{d) 11 fut tenu en ran 967 , en prefence du pape 
J«an Xlll & de rEtftpereur Othon I. 

(j) Oncle d'Othon II , iils de Rod^phe , & nn d« 
la Bourgogne Transjurane. 

r/] L'an 98^. ' 

Ig) Cum in hoc ah omnihus impirlaUs awns pulfarcn^ 
m.' Lot d€s Lombards » Uvt llr-Tit* 15 > ch. ? =4. 

li 



37^ De l*Esprit des Lois, 
tementde tous , fit une loi qui portoit que , cpiand 
il y auroitquelque conteflanon fur des heritages, 
.& qu'une des parties voudroit fe fervir aime 
chartre, & que I'autre foutiendroit qu*eUe 6toit 
faiifTe , I'affaire fe d^cideroit par le combat ; que 
la mdme regie s*ohferveroit lorfqull s'^iroit de 
.matieres de fief; que les ^glifes feroknt fujettes 
\ la mime loi , & qu*elles combattroient par leurs 
champions. On voit que la nobleffe demanda la 
• preuve par k combat , a caufe de rinconv^nient 
oe la preuve mtrodoite dans les egUfes ; que, 
-malgre les cris de cette noblefle., malpr^ faixis 
qui crioit tuirineme, & makri I'autorite d'Othon 
qui arnva en Italic pourparler & agir en makre, 
le clerg^. tint ferme dans deux conciks ; que le 
contours k noblefle & des Princes ayant forc4 
ies eccl^fiaftiques a c^der , fufage qu combat 
-judiciaire dut Itre regard^ comme un privilege 
de ]a noUeffe , comme on remptrt contre Kn- 
|uilke, & une afTurance de fa propriety ; & que, 
ce moment , cette pratique dut $'itendre» 
,£t cela fe fit dans ua temps o& ks Empereurs 
^otent^rands & lesPapes pettts; dans un tempi 
•ou les Othons vmrent rit4>^ €n Italie k dignit^ 
^ rempire. * 

"it &T4trune reflexion qui confirmeia ce que 
J^ai- dtt ci-deiTuSy que F^tabliilement des pneuves 
B^g^tives entratnoit apr^s }ui )a jurifprudience 
^ combat. Uabus dont on fe plaignoit devant 
les Othons, itoit ^'un homme a qur on ol>* 
jeAoit que fa chartre itok fauile , fe defendoit 

f ar une preuve negative , en didarant fiir ks 
vangiles qu'eUe ne ritoit pas. Que fk-on pour 
corner Fabus dTune loi qui ayoit kxk troiit{U^^ t 
retablk fufage du combat 
Je me fuis pr«£Gi de paikr de t| coiifikutio% 



L I V. XXVm. Chap. XVlH. 379 

d'Othon II , afin de donner une idie claire des 
dim&i% de ces temps- la entre ie derg^ & les 
b'icfuet. II y avoit eu auparavant une conftitu 垂 
don de (h) Lothaire I , qui , fur les m^mes 

Elaintes & les memes d^eks , voulant aflurer 
L propnet6 des biens , avoit ordonni aue le 
notaire jureroit que fa chartre n'^toit pas faulTe; 
•6l que , s'il ^toit mort, on feroit jurer 】e, t4- 
moias qai ravoient fignee : mais le mal reftok 
tou*|ours , il falloit en venir au remede dont je 
viens de parler. . 

Je trouve qu'avant ce temp-Ii , dans des 
aflembl^es g^n^ralet tenues par Charlemdgne , 
la nation lui repr^renta (i) que dans I'^tat des 
chofes. U itoit tres diincile que Faccufateur 
cu Yzccud ne fe par 加 urafTent , & qu'il valoit 
mieux ritablir le combat judiciaire ; ce qu,il fit. 

L'ufage da combat judiciaire s*etendit chez 
les Bourguignons 嗲 & celui du ferment y &t 
born^. '^^odoric, Roi d'ltalie , abolit le com- 
bat fingulier chez les Oftrc^oths (k): les lob 
«de chaindafiunde & de Riceffuinde femblent en 
avoir voulu oter jufqu'a Hd^. Mais ces \o\i 
flirent fi peu revues dans la Narbonnoife ,* que le 
combat y kioii regard^ comme une preroga- 
tive (/) des Goths. 

纏 ■' h ,1 ■ ■ ' I ' ■ .saai 

fA) Dans U loi des Lombards « 15 v. 11 , tit 5s , 
3).. Dans r<xcniplatrc done t'eft fervi M. Muratort p 
cUe eft attribute k Vempereur Gui. 

(i) Dans la lot dei Lombards , Uv. U , tk. ^5 1" 
(*) Voyet Cafliodore, Uv. Ill , lett. ij & ^4, 
ft) In palatio ^oque Bera eomes Sarcinonenfts • 
turn imptterctur i. quodam vocato Sunila , & infidclita* 
its ar^tttretur , cum eodem ftcunduM legem fropriam , 
mpjtf quia uttr^uc G^thus irat t^ttcfiri pralto ^ongnfm 

lift 



380 De l*Esprit des Lois, 

Les Lombards , qui conqidrent FltftUe aprH 
la deftruftion dts Ofirogotbs par les Grecs , j 
rapporterent I'ufage du combat : mais leurs pre- 
mieres lois le reftreignireot (ot). Charktna" 
gne {n) , Louis le debonnaire , les Othons, 
firent diverfes conftitutions geiierales , qa'on 
trouve infi^r^es dans ies lots && Lombards , fie 
ajoutees aux lois^faliques , qui (hendirent le duet^ 
d*abord dans les affaires crimkielks^ & enfuite 
dans les civiles. On ne favok comment £ure. La 
preuve negative par le ferment avok des incon* 
viniens ; celfe par le combat en avoit auffi •• ott 
changeoit , fuivant qii'on 6toit plus frapp 在 des. 
HAS ou des autres^ 

D'un c6t" les ecclffiaftTqnes fe pTalfbient a. 
voir , que dans tomes les a£fai£es £eculieres , oa 
fecourut aiix eglifes (^0) & aax autelk; & de 
I'autre , une noblefle £ere amiott i' (bmenir fes 
droits par ibn ^pee;. 

Je ne dis point que ce fiit'te cfergf qui eut 
introduit rufage dont la noblefle £e plaignoit;. 
Cette coutume dertvoit de Fe^rit des lois. des 



' 6ft6^ yieftts, L'imteu^ mcertam. de Ik vi« de Loutt; 
debonnaire. 

(m) Voyez dans la Ibl d«s Lombards le 1' , tit,. 
J & tit. ,', §、>3 j & Uv" U, tit. 3.5 , $». 4 St 5 I fit 
tit, 5 y , J. 1 , 2 8c 3 ; les reglemeos de Rothaiis j. 
«u 5- I 丄, cekii de Luitprand.. 

(n) Rid: liv^IL tit. 55 , §. ^ 
\x>) Le ferment Judiciaire fe faiibrt pour tbrs dans 
tes e^ViCes j. & il' y avok dans Ik premiere race, dans* 
Its pafais des Rois , une chapelle expres pour les af* 
£aires.qxa. s'y jugeoient, Voyez les formules d« Mar* 
culfe , liv. I, ch.. xxxviTi j. les lois de&Ripuaires, tit* 
,9 , §* 4 ; - tit. 65 , §. 5 ;, rhiftoire de Gr^goire de 
Toursi le capitulaire. ae Van 805 ajputi a> la. loi 




Liv. XXVra. Chap. XVm. )9i 

barbares , & de I'^tabliiTement des preuves ne- 
gatives. Mais one pratique qui pouvoit procu- 
rer rimpunit6' a tant de criminels , ayant fait 
penfcr qu'il falloit fe fervir de la faintet^ det 
^glifes pour 6tonner les coupables & faire palir 
les parjares , les eccUfiaftiques foutinrent cet 
«iage & 】a pratique a kquelle il 6toit joint ; car 
d'ailleurs Us ^oient oppofes aux preuves nega- 
tives. Nous voyons dans Beaumanoir (p) que 
ces preuves ne furent jamais adnrufes dans les 
tribunaux eccl^iiailiques ; ce qui contribua fans 
doute beaucoup a les faire tomber , & a affoi - 
blir la difpofition des codes des lots des barbares 
a cet 6gard. 

Ceci fera encore bien fentir la Haifon entre 
Fufage des preuves negatives & celiii du com- 
bat judiciaire dont j'ai tant parle. Les tribunaux 
laiques les admirem Vun & I'autre , & les uiba« 
naux clercs les rejetterent tons deux. 

Dans, k choix de la preuve par le combat, 
fa nation fuivoit fon genie guerrrer ; car pendant 
qu'on ^tabliffok fe combat comme un Juge- 
ment de Dieu , on aboIiiToit les preuves pat la 
croix , I'eau froide & I'eau bouillante , qu'on 
avoit regard^es au0i comme des pgemens de 
Dieu. 

Charlemagne ordonna que , sll furvenoit 
quelque diflSrent entre fes en&ns , il fut ter- 
firine par le Jugement de la croix. Louis (q) le • 
d^bonnaire borna ce jugement aux affaires ec- 
cUfia^iques :- fon Bis Lothair^ I'abolit dans tous 

— ■ 

(p) Chap-. xxxjTc^t pag. an. 、 
(f) On trouve fes conftitutions infdr^es dans U loi 
des Lomb^ds & i la fuiu des lois faliqjiesv 、 



,8i De t*EsPRrr des Loiji, 

les cas U abolit (,) de mSme la preuve par VeM 
iroide. 

Je ne dis pas , que dans un temps oil il y avoU 
fi peu d'ufages univerfellemeiit re^us , ces preu- 
ves n'ayent ^t^ I'eproduites dans quelques 堪" 
fes , d'autant plus qu'une chartre {s) de Philippe 
Augufie en fait mention : mais Je dis qu'eiles fu- 
rent de peu d'ufage. Beaumanoir (r) qui vivoit 
du temps de Saint Louis «m peu apres , faifant 
r^numeration des. differens genres de preuves , 
parle de celles du combat |u£ciaire » & point do 
tout de celles- Isu 

CH A P I T R E XIX. 

NouveUe raifon de VoubU its Ids i^alifues y du 
lois Romain^ & dis Capiadains, 

3F'a 1 d£|a dit les raifons qui avoient fak per<in& 
anx lois isdiques , aux lois Romaines, & auz 
capitula'ires , leur aatorit^ ; j'ajoutera ooe ht 
grande cxtenfion de la preure par le comoat en 
nit la principale caufe* 

Les lots (aliques , qui s^admettoient point cet 
ufage , devinrent en quelque fa^n kitniles, & 
tomberent : les lois Romaines , qui ne radmet* 
toient pas nan pins , perirent de mSme. On ne 
fongea plus qu*k former la loi du combat |ucli* 
ciaire ,& a en faire une boone )iurifpn]dence» 



(r) Dans fa conHitution inf^r^e dans la K>i dc9 
Lombariis , tir. II , tit« 55. §, 31. 

(s) De I'an noo. 
, W Coutume d« Beauvoifis , ch, XXXIXr 



Liv. XXVIIL Chap. XIX. 

Les Afpofitioos ies capitulaires ne devinrent pas 
moins inutiles. Ainfi tant de lois perdirent leur 
autorit" fans qu*on puiffe citer le moment oil 
elles rout perdue ; elks furent oubliees , fans 
qu'on en trouve d'autres qui ayent pris leur 
place. 

Une nation pareille n'avoit pas *befoin de lob 
^ elites , & fes lois Rentes pouvoient bien aif (&— 
•fxient tomber dans loubli. 

Y avoit-il quelque difcuffion entre deux par- 
ties i onordonnoit le combat. Pour ceh ilne 
loit pas beaucoup de fufEfance. 

Toutes les adions civiles & criminelles fe 
daifent en faits. Ceft fur ces faits qtiefon com* 
battoit ; & ce n'^toit pas fevdement le fond de 
I'affaire qui fe jugeoit par k combat , mais en- 
core les incidens & les interlocutoires , comme 
le dit Beaumanoir (4) , qui en donne de» 
exemples. 

' Je trouve cp'avi commencement de la troi- 
fieme race, )urifpruclence ^toh tome en proc^- 
; tQut fut gottvem^ par le point dlionneur* 
Si Von n'avoit pas obti au juge , il pourfutvoit 
fon ofFenie* A Bourges (^), fi le prevftt avoit 
mande quelqa'un , & qu*tl ne fi^t pas venu : u Je 
19 t'» envoy 在 chercher , £foit-ii , tu as d^dat^ 
•» ani de venir ; fais-mot raifoih de ce mipris ; » 
Ton combattoit Louis le gros rifbrma (c) 
cette coutume. 
. Le combat judiciaire ^toit en vfage (J) a Or- 



itf) Ch. Lxi , ^ges 509 &,, 。• 
h) Chartre de Louis le gros, de faiv » dans 
le irecueil des ordonnancef* 

(c) Bid. 

Chartre de Louis le ^et^DC^ dc 1 » "6《 》 dant 
k recueil des ocdoMuiiccs* 



584 De L,Espi^rr dcs Lois; 

Uans dans toutes demandes de dettes. Lome fe 
jeune d^clara que cette coutume n'auroit lieu que 
lorfque la demande excideroit cinq fb!s, Cette 
ordonnance etoit une loi locale ; car du temps 
de Saint Louis {e) , il fufSfoit que la valeur rat 
de plus de douze deniers. Beaiunanoir (/) avok 
oui dire I un feigneur de loi , qu'i) y avoit au- 
trefois en France cette mauvaife coutume, qu'oa 
pouvoit louer pendant un certain temps un cham- 
pion pour combattre dans fes affaires. II falloit 
que rufa^e du combat ^diciaire e&t pour lors 
une prodigieufe extenfioiu 




CHAP.ITRE XX. 

Origine du poiru-d' honncuf* 

o N trouve des ^nigmes dans les tod" des lois 
des barbares. La loi \^a) des Frifons ne donne 
qu'un demi fol de composition a celui qui a regir 
des coups de baton ; & il n*y a fi petite bleiTure 
pour laquelle elle n'en donne davantage. Par la 
loi falique , un ing^nu donnoit trois coups 
de baton a un ing^nu , il payoit trois fols ; s'il 
avoit fait couler*le fang , il ^toit puiu comme 
s'il avoit bleiK arvec le fer, & \\ payoit quinze 
fous; la peine fe mefuroit par la grandeur des 
bleiTures. La loi des Lombards (巧 ^tablit di^f^^ 

ft.. ■ ■ ' , , ' '— la 

(<) Voyez EeaumanoiT ph. ixin , pag. 
(/) Voyex Is coiitum«^ de Beauroifis , ch^ XXVliU 
page 103. • 
(a) Additio fapientium Wilkmari , tit* 5* 
(*} Uv. L tit. 6. 



c ti,. XXVIII. Ch A ». XX. *3»^ 

,ent€s cotnpofitions- pour uii coup , pour deux , 
pour trais , pour quatre. Aujourd hui un coup en 
vautcent tmlle. 

' Lai oenftittttion de Charlemagne Infirie dans 
la loi (c) des Lombards, Tcut que ceux a qui elle 
permetle duel, combattetit avec le bSLton. Peut - 
que ce fiit un management pour le. clergi.; 
peut-etre que , comme on ^tenaoit rufaee des 
cof^bats , on vouhit les rendre Ao'ms iangui- 
fiaires. Le capitulaire [d\ de Louis It <d^bon- 
naire donnele choix de combattre avec le biton 
oil avec les armes. Dans la fuite U n'y eut 
que les fer£s qui combatdiTent avec le bi- 
ton {e), 

Deja . je vois naitre & fe former les articles 
parttcUliers de notre point'dThooneur. L'accufsk - 
teut conin4^9oit par declarer devant le juge^ 
qu'iin tel avoitcominis une telle z€don ; & celid; 
ci r^potidcHt qu'il eti avoit metiti (/) ; fur cda le 
jfuge ordonnoit le duel. La maxime s'itablit que » 
iorfqu'on avoit re^u un dementi , il falloit (t 
battre. 

Quand un homme [g] avoit didare qu'il cotn- 
battroit , il ne pouvoit plus s'en d^partir ; & s'il 
le fai(bit , tl itoit condamn6 a une peine. De-la 
frnvit cette regie, que quand un homme s'etoit 
.engagi par fa parole , rhoiioeur ne lul permettoU 
plus le la r^tra&en 



hss getitilshoipfxies [A] fe battoient entr'eiXS 
^ chevaa & avec leun» armes , & les villains [A 
fe battoient a pied & avec le baton. De*la 2 
fuivit que le baton ^oit TinftFument des outra- 

fes (k\ parce qu'un homme qui en avoit it^ 
attu , avoit 6te traiti comme un villain. 
It ny avoit que ks villains qui combattifleiit 
a vifagc decouveit {J) ; ainfi il D*y avoit qu*eux 
qui puflent itceyoir des coups fur' la face. Uo 
ioufflet devint une injure , qui deroit iire lavee 
par kfafig, pafce qu'un homme qui I'avoit resu, 
avoit 豸 tltraiti comme un villain. 

Les peuples Germains n'etoient pas moins 
fenfibtes que nous au point-'d'honneur ; ib Vi^ 
toient m^me plus. Ainii les parens les plus floi* 
gnes prenoient une part tris vive aux injures, 
iSc tous leurs codes font fomdis la-^fTus. la loi 
des Lombards [m] veut que celui qui > accom - 
pagn^ de fes gens , va battre un Komme qm 
n'eu point fnr fes gardes , afin de le couvrir 
-de honte & 4e ridicule , paye la moiti^ de la 
compofition qu'il auroit due , s,il I'avoit tai 、 '6c 
que (n) fi, par le mSme motif, il le lie, il 
paye ies trois quarts de la meme compofi* 
tion. 



(&) Voyei , fur les armes des combattans , Bctuma*' 
1)0 ir , ch. LXi , pag. jo8 • & ch. hxiv , pag. «i8. 

(i) Ibid, ch« txiVf pag. 318 ; royet aulll Its chaf-r 
tres (He Saint»Aubta d'Anjou , rapport^s par GalUnct^ 
page i6j. • 

Jk) Cnez les Romains , les coups de baton n^^totenf 
po*^nt infamcs. Lege lAttS fuftium. Dt iU qui notanttac 
inptmid, > 

if) Us n'svoient que I'^cu & le batQo • Beaumanoir \ 
ch» Lxiv, page jiS. 

(m) Liv. I, tit. 6, S. I« 

(») Ibid, 5. ju 



LiY. XXVnL Ch\p. XX. 

Difens done que nos peres itoient extreme- 
Inent fenfibles aux affronts ; maisque les affronti 
d'une efpece pardculiere , de recevoir des coups 
d*uo certain inftrument fur une certaine partie du 
corps , & donnas d'ane certune maniere , ne leur 
Solent pas encore connus. Tout cela itoit com - 
pris dans raflfiront cPfitre battu ; & dans ce cas , 
fa grandeur des exchs faifoit la graftdedr des ou- 
trages. 



CH A P I T R E XXL 

NottPelfe Hf^xion fur U point • d^Awnuur ckti 

les Gtrmains. 

ft CI '4x0 IT cher les Gernudns, dit Ta- 
w cite [tf】, line graode inCsiinie d'avoir aban« 
d6nii6 fon bouctier dans le combat ; & plii* 
ft fieurs, apr^s ce malheur, s*itoient donn« la 
fy mort ,,• Auffi I'ancienne loi (在、 faliaue donne* 
C-elie truiiue fols de compofition a celui4 qui on 
avoit dit par injure qu'il avoit abandonne ifon 
]>oucfier. 

Oiarietnagne (c) corrigeant la loi f aKque ; 
n'itabUt dans ce cas quetrois fols de compodtion* 
On i^e peut pas foup^onner ce Prince d'avoir 
voultt aftoiblir la difapline militaire : il eft dair 
que ce changement vint de celui des artnes ; & 
c'eft a ce changement des artnes que Yon doit 
rorigine de bien des ufages« 



[aS 'Dt morih. GtmuM, 

Dans le p^Hus legis fiUicct. 
) Nous*arons rancienne loi , 6c celle qui fiit cof*. 
ffl^^e fMX cc prince. 



De I'EspRiT DCS Loii; 
C H A P I T R E XXII. . 

Des mcmrs reUuves mix combats, 

N 

OTRE llaufon avec les femmes eftfond^ fur 
le bonheur attache aux plaiiirs des fens, for " 
charme d'aimer & d'etre aim^ , & encore fur le 
defir de leur plaire , parce que ce font des juges 
tres ^claires fur une parde des chofes qui conf* 
t'ltuent le m^rite perlcmnel. Ce defir general de 
plaire, produit la galanterie , qui n'eft point Ta- 
mour , inais le d^licat , tnab le I6ger , maU le per* 
p6tuel menfonge de I'amour. 

Selon les circonftances diffirentes dans chaque 
nation & dans chaque fiecle , ramour fe porte 
plus verf une de ces trois chofes , que yers les 
deux autres. Or je disque , dans le temps de nos 
combats , ce fut refprit de galanterie qui dut 
prendre des forces. 

Je trouve dans la lot des Lombards » que (a) 
fi un des deux champions avoit fur lui des her — 
bes propres aux endbantemens , le )uge les lui 
faifoit oter , & le faifoit Jurer qu*il n*en avoit plus. 
Cette loi ne pouvoit tee fondle que fur l,opi, 
nion commune ; c'eft la peur , qu*on a dit avoir 
invent! tant de chofes , qui fit imaginet ces for, 
tes .de prefiiges. Comme dans les combats par — 
ticuliers les champions ^toient arm^ de toutes 
pieces , & qu'avec des armes pefantes, ofFen-* 
fi^eV& d^fenfives', celles tfune certaine trempe 
& d*une certaine force , donnoient des avantages 

■ ' ' ' 川 • ' '' ' ■ 警 ■ 一 - 

[a) LiY, II. tit. 8$.$. lu 



L I V. XXVIII. Chap. XML 3S9 



infinis ; I'opinion des armes enchant^es de queU 
ques combattans , dut touraer la tSte a bien des 



De-la naquitle fyflfime merveilleux de la che* 
Valerie. To us les efprits s'ouvrirent a ces id6e$. 
On vit dans les romans, des paladins , des n^gro- 
manSy des f^es , des cheyaux.ail^s ou intelligens^, 
des homines invifibles ou invuln^rables , des ma- 
giciens qui slntireflbient k ia naiflance ou a 1,^ 一 
ducation des grands perfonnages , des palais en- 
chames & d^fenchant^s ; dans notre monde uti 
xnonde nouveau , & le cours ordinaire de la 
nature hdSi feulement pour les hommu vul- 
gaires. 

Des Paladins tou jours arm^s dans une panie 
du monde pleine de chateaux , de forter«ffes & de 



]u{uce & k defendre ia foiblefle. De-li^ encore 
dans nos romans la galaaterie fondle fur Yidie de 
Famour , jointe a celle de force & de protecr 
tion. 

Ainfi naquit la galanterie , lorfqu'on imagina 
des hommes extraordinaires , qui , voyant la vertu 
}ointe a la beaute & 4 la Ibibleile , furent por 一 
tes a s'expofer pour elle dans les dangers » & 
a Ini plake daqs les aiik>ii5 ordanaires at U vie. 

Nos romans de chdyalerie ilatt-ereat ce de&r 
de plaire , & donnerent a une partk de I'Europe 
cet efpht de galanterie <{ue I'oa peut dire avoir 
ite peu connu par les ancieas. 

Le luxe prodigieux de cette immeafe vUle de 
Rome, flatta I'ldie des plaifirs des fens. Une 
certaine idit de tninquiffit^ ^ns les cafiDp^nes 
de la Grcce , fit d6crire (b) les fentimens de I'a- 



n peut voir les romans Gr«c$ du movcn age. 



gens. 




Kk 3 



390 De I'EsPRiT oEs Lois, 

mour^L'idie des Paladins, protedeurs de la Term 
& de la beauti des feuimes , conduifit a ceOe de ■ 
la ^lanterie. 

Cet efprit fe perpitua par Fufagc des tournois , 
qui unifTant enfemble droits de la valcur & de 
f amour , donnerent encore k la galanterk unc 
grande importance. 

gggggggg I ^ssasssssssofsm 

C H A P I T R E ,XXni. 

De la jurifprudence du combat jtuRciairt, 

o N aura peut-Stre <te la cariofit^ 4 voir cet 
ufage monilrueux du combat judiciaire ridmt en 
principe, & a trouvcr le corps d'une jurifpru- 
dence fi finguliere. Les hommes , dans le fond 
raifonnables , mettcnt fous des regies lews pr^ju- 
ges m^mes. Rien n'etoit plus contraire au bpn 
iens que le combat judiciaire : mais ce point une , 
fois poi*6 ,Tex£cmion s'en fit avec une certain^ 
prudence. 

Pour fc \ mettre bien au bit de k jurifprudence 
de ces temps-li , ii faut lire avec attention les 
Biglemens de S. Louis , qui fit de fi grands 
changemens dans . I'ordre judiciaire. D^fontaines 
^oit contemporain de ce Prince ; Beaumanoir 
^crivoit aprfes (a) lui ; les autres ont v^cu depuis 
lui. II faut done chercher I'ancienpe pradque aans 
les corredions qn'on en a faitesr ' 



(a) En I'an 1283 



Liv, XXVni. Chap. XltlV. f^i 



C H A P I T R E XXIV. 

jRjtglcs ctahVics dans U cambat judiciairt, 

Xj orsqv'il (4) y avoit plufieurs accufateucs , 
jl £illoit qu'ils s'accord^dTent^ pour que FaiFaire 
Qlx pourfuivie par un feul ; & s'ils 9s pouvoient 
convenir , celui devanc qui fe faifoit le plaid » 
siommoit un d'entr'eux qui pourfuiyoh la que- 
telle. 

Quand {b) un gentilhomme appeQoit un vU, 
lain , il devoit fe prefenter a pied , & avec 
& le baton : & s'il venoit a cheval & avec 
les armes d,un gentilhomme , on li4 dtoit fon 
cheval & fes armes ; il reftoit en chemife , & 
^iolt oblige' de combattre en cet ^tat contre le* 
villain. 

Avant le combat , la joftice (c) faifoit publier 
trois bans. Par l,un , il 6tok ordonn^ aux parens 
des paitLes de fe retirer ; par Fautre , on avertif- 
{pit le people de earder lenience; parle troifiei^e, 
il etoit detendu de donner du fecours a nne des 
parties fous de groflies pdnes , & m^me celle de 
snort, fi par ce fecours un des combattaas avoit 
ixi. vaincu. 

一 Les gens de juftice gardoient {/) le pare ; & 
dans le cas oil une des parties auroit parli de 
paix y ils aToient grande attention k F^tat afhiel 



fa) Beaun^anoir » ch. vi , pages 40 & 4i 
h) Ibidf ch* LXiv , pag« 32$* 

id) Ibid. 

Kk 4 




De lTEsprit pes Lois 



pix eUes fe trouyoient tontes les deux dans ce 
'moment, pour qv^elles fiiiTent remifes (<) dam 
la meme fituation , fi la paix ne fe faifoit pas. 二 
- Quand les gages ^tCHent regus pour crime ou 
pour faux jueement , lapaix ne pouvoit fe faire 
fans le conientement du feigneur ; & qaand 
une des parties avpit iii vaincue , il ne pouvoit 
plus y avoir de paix que de Faveu du comte (y) ; 

qui avoit du rapport a nos lettres de grace. 
* Mais fi le crime itoit ' capital , & que le fei- 
gneur corrompu par des prefens , confentit a la 
paix , il payoit une amende de foixante Hvres; 
& le droit (g-) qu*il avoit de faire punir le znalfki 一 
{eur, etoit d^volu au comte. 

II y avoit bien des gens qui n, 荟 toient en etat 
ni (Toffrir le combat nide le recevoihOn permet* 
toit , en ConhoifTance de caufe , de prendre m 
champion ; & pour qu'll eut'le plus grand int^ret 
i defendre fa partie, il avoit le poing coupe ,'s*il 
6toit vaincu (A.) 

Quand on a fait dans le fiede pafR des 
lois capitales contre ISs duels , petit- 纟 tre auroit- 
il fufR d'&ter a un euerrier fa quality de guer-' 
par la perte de la main , n*y ayant rien- 
ordinairement de plus trifte pour les hommes que 
de* furvivre a la perte de leur cara^re. 



W 脱 —— 

If) Les grands 丫 a (faux tv(^ent des droit* partial- 
Iters. - - 

(g) Beaumanotr , xh* ixiY • pag. 350 » dtt : 11 peew 
i)roit fa juftice. Ces paroles , dans les auteurs de ce 
tempswU , rfont pa$*-trae ii^iiicstion- g^^rale, mais 
reftreinte k I'afFaire dont il s*aeit i Defentaines , du . 
XXI. art. 19. 

(h) Cet ufage qu« Von trouve dans les capitulaires • 
fubtiftoit du temps de Beaumgooir ; voyex It chap« 
LXIipage 315, 



Liv. XXVn- Chap. XXIV. 

. Lorfque daas un crime capital le combat 
lb iaifoit par champions , on mettoh les parties 
dans un Reu d'oii elles ne pouvoient voir la ba- 
tsuUe : chacune d'elles itoit ceinte de la corde qui 
devoit fervir i fon fupplice ii fon champion itoit 
Vaincu. 

<■ Cekd qui iuccbmboit dans le combat, ne 
perdoit pas -toujours la chofe conteil^e ; fi 
par exemple f A") I'cm combattmt fur un in- 
terlocutoire , Von ne perdoit que I'interlocn - 
fdire. 

C H A P I T R E XXV. 

D4S hcrms qui ton mettoh i tufagt du ambdi 
4 • judkiaire. • 




^ u AND les gages de bataille avoient ixi 
jus fur unc" affaire civile de pen d,iinpor, 
tance , le feigneur obligeoit les parties a les 



Si un fiiit ttoit notolte ; par exemple , fi 
un homme ayoit ete aflaflin^ en pleih inarch^ , 
on n'ordonnoit nii la preuvc par t^moih ni la 
preuve par le combat ; le juge pronon^oit fur la 
publicite. 、, 

Quand 9 dans la cour du feigneur., on avoit 
ibuvenf jugi cte la meme mamere, & qu'aiaft 



(i) Beaumanoir , ch. LXIV , pag. 330. 
(i^) Ihli^ chap.LXI, pag. ^09. » 
(tf) Beaumanoir , chap. tXl / page 308. I&*i,chafi 
XLllI > pag, aj^. 



)94 Db l'Esprit im Lots ; 

I'ufa^e itoit connu {Ji) , le feigneur refofok Ut 
combat auk parties , a£n que les coutumes ne fu(^ 
ient pas chang^es par 】es divers iv^nemens dear 
Combats. 

On ne pouvok demander le combat que 
pour (c) foi , ou pour quelqu'un de fon ligns^e , 
ou pour fon feigneur^^lige. 

Quand un accufi avoit tti abfous (J), un 
autre parent ne pouvoit demander le combat ; 
autrement .les affaires n'auroient point eude fin. 

Si celui dont les parens voulbient venger la 
fnort , venoit ^ reparoitre , il n'itoit plus aueftion 
du combat : il en itoit de ixieme ,(-) £, par 
une abfence notoire ; le £ut fe ttouvoit iaopoi* 

me. . 

Si un homtne' [f] qui avoit M tui , aroit^ 
^vant de mourir , diiculpe cehii qui ^tott accuf , 
& qu'il dk nommi. un autre, on ne ];yocidoit 
point au combat ; mais n*avoit nommi per 一 
lonne , on tie re^ardoit fa declaration que comme 
un pardon de fa mort : on continuoit les pour- 
fuites ; & mime , entre gendishommes , on pou- 
voit faire la guerre. 

Quand il y avoit une guerre, & .qu'an des 

tiareiis donnoit ou recev oit les gages de bataille, 
e droit de la guerre cefToit ; on penfoit que 
ks parties vouloient fuiyre le cours ordin^re 
de la juftice ; & celle qui auroit continue la 



(h) Ibid, chap. LXI , pag. 314 ; royez auifi D«ti! 
fontaines » chap. XXII, art. 24. 
(0 Ibid , chap LXIII , pag 322. 
(d) Ibid, 

!t) Beaum. chap. 《3 , page 322* 
/) UU, page 



Liv. XXVm. Chap. XXV. 

guerre , auroit iti condamnie k r^parer les dom- 
mages. 暴 

Ainfi ta pratique du combat judiciaire avoit 
cet avantage , qu'elle pouvoit chaneer nne xjue- 
relle g^nirale en une querelle particmlere , rendrc 
la force aux tribtmam , & remettre dans Yitzt 
civil ceux qui n^^oient plus gouvernis que par le 
droit des gens. 

XJomme il va une infinite de chbfes fages qtu 
lent menses drune maniere tr^s folle , il y a aufli 
des fbnes qui font coiiduites d*une maniere triis 
fage. 

Quand (g) un homme appelli pour un crime , 
snontroit viublement que c*etoit I'appellant mime 
qui I'avoit commis , il ny avoit plus de eages de 
bataille ; car il n'y a point de coupaole qui 
^*eut prifiri un combat douteux k ufte punition 
certaine. 

II rCy avoir (A) point de combat datiB les 
affaires qui fe d^cidoient par des arbitres on par 
les cours ecdifiafiiques ; ii n'y en avoit pat 
fion plus , lorfqu'U s'agifToit du douaire des 
femmes. 

Femmf , ctit Beaumanoir , nt fe pent com* 
hattre. Si une femme appelloit quelqu*un fans 
nommer fon champion , on ne recevoit point 
ks gages de bataille. II falloit encore qu'une 
femme iut autorifiie par fon (i) baron , c*eft-a- 
dire, fon mari, pour appelkr; mais fans ^ette 
^utorit^ die pouvoit ^tre appetite. 

Si lappellant [A] ou Kappell^ avoient moins 



(f) Beaum. chap. 65 , page 514. 
(A) /AW, page 3a J. 
(i) Ibid. 

(k) Beaum. page 323, Voyei auHi ce ({ue j'ai dk 
la Uv. XYUL 



59^ De l'Esprit d£$ Lois, 
de quinze ans' , il n'y avoit point de combats 
On pouvoit pourtant i'ordonner dans les affaires 
de Duplies, lorfque le tuteur ou celui qui avoit U 
bailiie , vouloit courir les nfques de cette pro- 
cedure. 

II me femble que void les cas oil il ^toit pcr- 
mis au ferf de combatrre. II combattoit contre 
un autre ferf; il coitibattoit contre une perfonne 
franche , & m^me contre un gentilhomme , s'il 
4btoit appelle ; mais s'il rappeiloit (A , celai-d 
pouvoit rcfufer le combat ; & tn^me le feigneur 
<lu ferf itoit en droit de le retirer de la cour. Le 
ferf pouvoit , par une chartre du feigneur (m) , 
ou par ufage , combattre contre toutes perion- 
nes franches; & IVglife (n) pr^tendoit ce ro^me 
droit pour fes ferfs > comme une marque {o) de 
tefpea pour elle. 



C H A P I T R E XXV L 

Du combat judiciairi entre Wu des parties & un 

des temoms. 

5i EAUMANOIR {a) dit qu'un homme qui 
voyoit qu'un temoin alloit akpoCer contre lui, 
pouvoit eluder le fecond , en difant (h) aux juges 



(1) Ihid, chap. 43 , pag. 
(m) Desfontaines , ch. ^t , art. 7. 
- (n) Haheant htllandi & ttfli^MOkdi Uccntiam , char- 
tre de Louis le gros de ranjul. 
(o] Ibid. 

ia) Ch. LXI, pagQ 515. 
h) Leur doit-on demander , avant qu'ils faiTeol 



Liv. XXVni. Cha p. XXVI. 

mat fa parde produifoit un t^moin fiiux & ca«- 
lomniateur ; & fi le t^moin vouloit foutenir la 
quereUe » il donnoit les gages de bataille. II n'" 
toit plus queilion de PencjuSte ; car fi le "moin 
etoit vaincu , il ^toit dicidi que la partie avott 
produtt un faux timoiii , & elle perdoit foa 
proems. 

II ne (alloit pas lailTer )urer le fecond temom ; 
car il auroit prononc^ fon t^moignage, & raffaire 
auroit ^te finie par la dipofition de deux t6« 
moins. Mais en arr^tant le fecond , la dipoiitioa 
du premier devenoit inutile. , 

he (ecpnd temoin etant alnfi rejet^ , la partie 
ne pouvoit en faire ouir d'autres , & elle perdoit 
fon proces : mais , dans le cas ou il n'y aroit 
point de gages de bat^Ue [c] , on pouvoit pror 
Guire d'autres tiimoins. 

Beaumanoir dit {d) que le timoin pouvoit 
dire a fa partie avant de dipofer : a Je ne me 
fi b6e pas a cotnbattre pour yotre querelle , ne a 
» cntrer en plet au mien ; mais & vous me 
» votflez d^fendre , volontiers dirai ma Yinti "• 
La partie fe trouvoit obligee a combattre pour 
le temoin ; & fi elle ^toit vaincue , elle ne per« 
doit point le corps mais le temoin etoit 
rejet6. ( 

Je jprois que ceci ^toit me tnodificatipn de 
rancienne coutume ; & ce qui me le fait penfer • 



nul ferment , pour qui ils 覃 eulent t^olgner : ctr 
Venques gift li point d'aus lever de faux t6noigaage« 
Beaumanoir » cnap. XXXIX , pag. ii8. 

Cc) Jhid, chap. LXI, pag. 316. 

(fl) Chap. VI , pages 39 8c 40. 

(e) Mais le combat fe fatfoit par champions % \% 
champion vaincu afolt le poiog coupe. 



外 8 De L*E$PiiiT DEs Lois; 

c,eft que cet ufage d'appeller les t^oins , fe 
Isouve ^abli dans la loi des Bavarois [f] , & 
dans celle des Bourguignons [g\ , fans aacune 

J'ai ddjk parli de la conilltution de Gond^« 
baud , contre iaquelle Agobard [A] & famt 
Avlt [i] fe r^crierent tant. u QuancT Paccufe , 
if dit ce Prince , prifente des t^moins pour 
9» )urer qu*il n*a pas commis le crime ^ Faccu- 
» fatettr pourra appeller au combat un des t" 
j» moins ; car il eft jufte que celui qui a ofkrt 
,, de jurer , & qui a declari qu'il favoit la 
7f riti , ne faffe point de climciilt6 de combat- 
91 tre pour la foutenir "• Ce Roi ne laifibit 
aux tanoins aucun fubter&ge pour iviter le 
combat 



C H A P I T R E XXVII. 

Vu combat judUiaire entre me par tie & un des 
' f4iirs du JUgncur" Appcl de faux jugemenU 

A nature de la dicifion par le combat, etant 
de ^terminer I'affaife pour toujours , & n'etant 
point compatible [a] avec un nouveau jugement 



{g) Tit. 45. • 

(A) Lettrc i Louis le d^bonnaite. 

U) Vie de St. Avit. , 

\a) yt Car en la cour ouTon Ta par la ralfon de 
M Vappel pour les gages maintenir , fe bataille eft 
H faite; la querelle eft venue i fin , que il n'y 霍 
metier de plus d'apUux Beauman, cb, 11, p. 2i« 



L IV. XXVni. Chap. XXVII. 

Be de nouveiles poarrmtes ; I'appel , tel qull eft 
^abU par les lois Romaines & par les lots cano* 
iiiques, c^cA —饭一 dire , 4 un tribunal fap^rieur 釁 
pour bart rtformerle jugement d*un autre , 6tott 
inconnu en France. 

Une nation guerriere , uniquement gouvernte 
par le polnt*d*honneur , ne connoiflbit pas cette 
tbrme de proc^der ; & fuivant toujours le mime 
efprit) elle prenoit contre les juges les voies [^J 
qu*elle auroit pu employer contre les pardes. 

L'appel , chez cette nadon , ^oit un 
a un combat par armes, qui'devoit fe termi* 
ner par le fane ; & non pas cem invitatioa 

a une querelle de plume quon ne comrat qu'a, 

pths. 

Auffi S. Louis dit ll, dans fes Etabfiflemeiu [rL 

Sue I'appei contient ftlonie & iniauiti, Aafli 
eaumafloir nous dit - U , oue fi m homme [cj 
vouloit fe plaindre de quelque attentat cotninis 
contre lui par fon feigneur , il devoit lui d 在 non- 
cer qu'il abahdonnoit ton fief ; apr^s quoi il I'ap 一. 
pelloit devant fon feigneur fuzerain , & offroit 
k$ ga^es de batailie. De mSme le feigneur renon* 
^oit a rhommage » s'il appelbic fon homme de« 
rant le comte. 

Appeller fon feigneur de faux jugeitnent , c*^to!c , 
dire que fon )agement avoit M fauflement 8c - 
m^chamment rendu : or , avanc6r de telles paroles 
contre fon feigneur • c'^it commettre une c& 
pece de crime de £&lonie« 

ih) IhU , chtxi,pag. %iti 8c ch. lxtii , p. jjf • 
LiY. II. ch. sr. 
勻 Beaum. ch, txi , pig. 3IQ & & chap; 

txni , pag. 337, 



Df x'EsPWT D8 Lou; 

Ainfi, au lieu d'appellei^pour faiu jugement 
le frigneur qui ^tablmoit & r^g}oit le trflbunal , 
on appeUoit les pairs qui formoient le tribunal 
inline : on evitoit par-li le crime de felonie; pa 
n'infultoit que ks pairs, a qui on pouvbit tou« 
jours faire laifon de rinfulte. 

On s*expofoit beaucoup [e] , en fauflant Je 
jugement des pairs. Si l,on attendoit que le jt^e- . 
ment f&t hit & prononc^ , on ^toit oblige de 
les conbattre tous [f] , lorfqu'ils oSroient de 
(aire le jugetnent bon. & Fon appeUoit avaot que 
•tous les juges eydent donn^ ieur avis , il hUoit 
combattre tous ceux qui 6toient convenus du 
meme avis (g). Pour ^viter ce danger , oa fup« 
plioit le feigncur (li) (Tordonner Ique chaqne pair 
dit tout haut fonavis ; & lorfque le premier avoic 
prononc^ , &L que le fecond alloit en faire de 
meme , on lui diioit qu'il "oit faux , m^chant 6c 
calomniateur ; & ce n'etoit plus que contre lui 
qu'on deroit fe battre. 

D^fontaines (i) vouloit qu'aVant de faufTer (k) 
on laifsat prononcer trois juges ; & i) ne dit point 
qu'il faliut k$' combattre tous trois , & encore , 
nloins qu'il y e{k des cas ou il fallut combanre 
tous ceux qui s*etoient declares pour leur avis. 
Ces differences viennfent de ce que dans ces 
temps-]a il n'y avoit guere. d'ufages qui fufleot 
pr^cif^ment les memes. Beaumanoir rendoit 



fe) BeauitK, ch. LXI, pag. 315. 

(g) Qui s'etoient accordcs au jugement* 

(h) Beaum. ch. LXI> pag. 314. 

(i) Chap. XXII, art, i , 10 & ii. 11 dit feulement 
qu'on. leur payoit a chacun une amende* 

{k) Appeller de faux jugement. 

* compt€ 



L 1 V. XXvm. C H A !». XXVIL 401 

tompte de ce aui fe paflbit dans h coint6 de 
Clermont , Defontaines de ce qui fe pratiquoit 
en Vermandois. 

Lorfqu'un [/] des pairs ou homme de iiefavoit 
d^dar^ qu'il (butiendroit le jugement , le )uge 
faifoit donner le? gages de bataille ,& de plus 

J>renoit suret^ de I'appellant qu'il foutienoroit 
on appel Mais -ie pair qui ^toit appell^ , ne don* 
noit point de s^retes , parce qu if etoit homme 
du feigneur , & devoit defendre I'appei , ou 
payer au feigneur uue amende de ibixante 
livres. 

Si celui (m) qui appelloit , ne prouvoh pas que 
le jugement nit mauvais , il payoit au feigneur 
une amende de foixante livres , la meme amen- 
de ("〉 au pair qu*il avoit appell^ , autant a clui 麵 
cun de ceux qui avoient ouvertcment confenti au 
jugement. 

Quand un homme violemment foupgonn^ d*un 
crime qui meritoit la mort , avoit et^ pris & 
condamn^ , 11 ne pQUvoit appeller (o) de faux 
jugement: car il auroit toujours appell^ , ou pour 
prolonger fa vie , ou pour faire la paix« 

Si quelqu*un (p) difoit que le jugement ^toit 
faux OL mauvais , & n'o£froitpas de le faire td, 
c*eit-a-dire , de combattre , U ^toit condamn^ a 
dix ibis d*amende s'il etoit gendlhomme , & k 
cinq foU s*il ^toit ferf, pour les yihdnes paroles 
qu*il avoit dU^s. 



(/J Beaum, ch* LXI , pag. ^14. 
(m) Beaum, Ibid. D^font* ch, xxtl , art* 9^ 
(h) Difont, ibid* 

(o) Beaumanoif , ch« txi , |>ag9 316} & OStotkit 
taines , cb. xxii » art. ii. 
(f) JBtaum^ €h^p« lxi , page' 514* 、 



402 Dc l'Esprit des Lois i 

Les juges [?] ou pairs qui avoient itt vain* 
cus , lie oevoient perdre ni la vie ni les membres; 
mais celui <\ui les appelloit, ^toit puni demon, 
lorfque Vaffalre ^toit capitals (r). 
【 Cette maniere d*appeller les hommes de fief 
pour faux jugemefnt, ^toit pour iviter d'appeller 
le feigneur meme. Mais [s\ fi le feigneur n'avoic 
point de pairs , ou n,en avoit pas afTez , il pou- 
voit i fes frais emprunter (f) des pairs de fon 
feigneur fuzerain : mais ces、 pairs n'etoient point 
obHg^s de juger s'ils ne le youloient ; ik pou- 
roient declarer au*ils n'etoient venus que pour 
donner leur conleil •• & dans ce cas particu* 
lier [v] , le feigneur jugeant & pronon^ant lui- 
meme le jugement , u on appelloit contre lui 

faux jugement, c'etoit Si lui a foutenir rap- 
pel. 

Si le feigneur (*) itoit fi pauvre qu*il ne 
ftt pas en 豸 tat de prendre des pairs de (on fei- 
gneur fuzerain ,.ou qui! n^ligeit de lui en de- 
inander , ou qne celoi-ci renisat de lui en don- 
ner , le feigneur ne pouvant pas juger feul , & 
perfonne ii'^tant ohhgi de plaider devant on ' 
tribunal oil I'on ne peut faire jugement , Ya£^, 



(q) D^font. chap, xxii, art. 7. 

(r) Voyez D^tbntainei , cb. XXI ; art* ti» t% Be 
fairans , qui diftingue les .cas ou le fauflfeur perdoit 
vi«, I 翁 chofe contcft^e, ou feulement I'mteriocutoire* 
(s) Scaum, ch. LXII, pag« 311. D^font. ch« XXII, 
art. 3. 

(t) Le comte n'^oit pat obIig4 d*en prater. Bdoum, 
ch. LXVII. pag. 337.. 

(r) Nttl ne peut faire Jugement en fa coiir 象 dit 
JBiOumanoir, ch. LXVII » pag^ 536 Q( 

(*} Ihid* €b. LXU, pag. 3^2. 



Liv. XXVm. Chap. XXVIL 40, 

laire £toit portie a la cour (bigneur fuze - 
rain. 

- Je crois que cecl fiit une des grandes caufes 
de la reparation de la }uftice d'avec le fief, doii 
s'eft form^e la regie des jurifconfultes Francois : 
Autrt chofe cd U fief , autre chofe eft la jujj&c€* 
Car y ayant une infinite d'hommes de net qui 
a'avoient point d*hommes fous eux , ils ne fu- 
rent point en hxax de tenir leur cour ; toutes les 
affaires furent portees a la cour de leur feigneur 
fuzerain ; ils perdirent le droit de juflioe , parce 
qu'iis n'eureot ni le pouvoir ni la volonti de le 
reclamer. 

Tous les )uges (y) qui avoient iih du juge- 
ment , devoient etre pr6fens quand on le ren- 
' doit , afin auils puflent enfiiivre & dire OH a ce* 
lui qui voulant faufler , leur demandoit s'ils 
fuivoient ; a car, dit Defontaines [《】 c'eft une 、 
n affaire de courtoifie & de loyaute ,& il n'y 
» a point la de fuite ni de remife. » Je crots que 
Vtjft de cette niatiiere de penfer qu*^ft veiiu I'u- 
fage que I'on fuit encore aujourd'hul en Angle- 
terre , que tous les jures foient de m^mie avis pour 
condamner i mort. * 

li falloit done fe declarer pour l,avi, de la 
plus^rande partie : & s'il y avoit partage , on 
pronon^oit , en cas de crime , pour l,acu(i6 ; en 
cas de dettes, pour le debiteur ; en cat dTieri* 
Mges , pour le di^feodeur. • 

Un pair, dit Defontf {a) , ne pouvoit 
pas dire qu'il ne jugeroii 'is s'ils n'^toient que 



(y) Defont. ch, XXI , art. ^^ & 2$. 
&) IhU, art. 28« , 

W Ch. XXI , art. 37* 

LI % 



404 De l'Esprit des Lors ,' 

quatre (b) , ou ils n*y ^oient tons , ou fi les 
plus fages n'y etoient ; c*eft comme s,U avoit dit,' 
dans la miSlee, qu^il ne fecourroit pas fon fei- 
gneur , parce qu'ii n'avoit au— s de lui qu'une 
partie de fes hommes. Mais c etoit au feignenr a 
taire honneur a fa cour ,& a prendre les plus 
vaillans homines & les plus faees. Je cite ceci 
pour faire fentir le jdevoir des vauaux , combattre 
& juger ; & ce devoir ^toit mem€ tel , qae juger 
c*etoit combattre. 

Un feigneur [c] qui plaidoit a fa cour €Ofi>^ 
tre fon vaHal, & qui y etoit condamn^ » pou* 
voitappeller un de (es hommes de faux jugement, 
Mais a caufe du refpeft que celui-ci devoit a foa 
feigneur pour la foi donn^e » & la bienvetUance 
que le feigneur devoit a fon vafTal pour }a for 
re^ue , on faifoit une diffin6)ion : ou le feigneur 
difoit en g^n^rat , que k jugement [d] itoit £au% 
& mauvais ; ou il imputoit a fon namme des 
prevarications [<] ptrfonnelk^ Dans le prenMer 
cas il ofTenfoit la propre ccmr , &l en qoelqtie 
fa^on lui-m^me , & il ae pouvoit y - avcrir de 
^fl^es de bataiUes.-^ il y en avoit dans le fecond, 
parce qu*il attaquoit lltonneur de fon va&i j 
& celui des d^ux qtit itok vainctt , peidoit 
la vie & les biens^ pour maintenic' la paijc po«. 

■II . ' I、 - ― 

(B) n falloit ce nombf* au moii^ » D^foatauKS ^ 
ch. XXI, utt.j6. 

Cc) Voyez Bcaumanoir , ch, ixxvli »pagc 4jj, 

{a) Chi ^ugemest eft ftux & maavats^ iBitr, cbap^ 
txyii , page $jj4 

(<) Vou$ avez "It ce lugement faux Sl minvaii » 
comme mauvajs qat vous it«s » ou par loviey p» 
jpramcffe* J^eumiuuioir, cli' wnrw » page 



L IV. XXVni. Chap. XXVII, 405 

Cette diftindHon, n^ceflaire dans ce cas par- 
culicr , fut 6tendue. Beaumanoir dit que, lortqiie 
celui qui appelloit de faux pigement, attaquoit 
un des homines par des imputations perfon* 
nelles , il y avoit batalUe ; mais que sll n'atta- 
quoit que le jugement, il ^toit libre (J) a celui 
des pairs qui hoit appell^ , de faire juger TafFaire 
par bataille ou par droit. Mais comme I'efprit 
qui r^gnoit du temps de Beaumanoir , itoit de 
wftreindre Fufage du combat judiclaire , & que 
<ette liberty donnee au pair appell^ , de a6- 
fendre.par le coiilbat le jugement , ou non , eft 
egalement contraire aux idles de Fhonneur ^ta- 
bii dans ces temps- la , & a rengagement oti 
Yon etoit envers fon feigneur de cftfendre fa 
cour , je crois que cette difiinAiorr de Beauma- 
noir etoit une jurifprudence nouvelle chez les 
Francois. 

Je ne dis pas que tous les appels de faux Juge* 
mem fe deqdaffent par bataille ; il en ^toit de 
cet appel comme de tous les autres. On fe 
fouvient des exceptions dont j'ai parl^ au cha- 
pitre j^JKXy . lei , c'^toit au tribunal fuzerain 
a voir s,il falloit 6ter , ou non , les gages de 
bataille, 、 " 

On ne pouroit point {auHer les Ji^emens rei*- 
dus dans h cour du Rpi ; car le^ Roi n'ayant 
perfonne qui iui (ut ^gal , il n'y avQi^ p^rfofiin^ 
qui put rappeller ; 6c le Roi n'ayaiit point de 
iupMeur n'y avoit perfonne qui put appeller 
de fa cour. - 

Cette loi fondamentale , niceflaire conim^ 
hi :S^iUi^^ y^dkninu^it encpre comme loi. 



(f)4hid* pages & jj?, 



^o6 De x*Esprit dss Lois i 

civile , ks abus de la pratique judiciaire de ces 
tcmps-la. Quand im feigneur craignoit (^、 qu*on 
ne faufsat fa cour , ou voyoit qu'on fe pr6fentoit 
pour la fauiTer ; s'il etoit du hkn de la JufUce 
qu*on ne la faufsat pas , il pouvoit demander. 
des hommes de la cour du Roi , dont on ne 
pouvoit faufier le iugement^& le Roi Philippe , 
dit Defontaines 、h、、 envoya tout fon confeil 
pour juger une anaire dans 】a courkle Fabb^ de 
Corbie. 

Mais fi le feigneur ne pouvoit avoir des juges 
du Roi , il ne pouvoit mettre fa cour dans celle 
du Roi, s'il relevoit nuement de kii ; & s'il y 
avoit des feigneurs intermediaires , il s'adrefl'oit a 
fon feigneur fuzerain , allant de feigneur en fei- 
gneur jufqu'au Roi. 

Ainli , quoiqu'on n'efet pas dans ces temps-li , 
la pratique ni Fid^e m^me des appels d*aujour- 
ti'hui , on avoit recours au Roi ,― qui ^toit toujour 
la fource d'oii tous les fleuves partoient , & la 
mer ou ils revenoient. 

C H A P I T R E XXVIII. 

, Dc tappd de difauU d< droit. 

\J H appelloit de difaute de droit , ^uandl; 
dans la cour d'un feigneur , on di^^roit , on 
evitoit, ou ron refufoit de rendr6 l«r jufiice aux 
parties. 、-、 -, 

if. I > . .11 - .' I 

Difcm" XXU, au, 14* 



L 1 V. XXVIII. Chap. XXVH. 407 

Dans la fecohde race , quoique le comte eflt 
plufieurs oiBciers fous lui , la perfonne de ceux- 
ci ^tpit iiibordonsi^e ; mais la juridi£lion ne 
i'^toit pas' Ces officier$ , dans leurs plaids , 
affifes ou Placites , jugeoient en dernier reflbrt 
c6inme le comte ineme ; toute la diiFerence 
^toit dans le partage de la juridi6Hon : par exem« 
pie , le comte (a) pouvoit condamner moit , 
}uger de h liberte 6c de la reflitution des biens , 
& le centenier ne le pouvoit pas. 

Par la meme raifon , il y avoit des caufes ma- 
jeures (b) qui ^toierit rifervies au Roi ; c'^toient 
celles qui int^reiToient diredemesit rordre* politi- 
que. Telles etoient les difcuflions qui itoient emre 
les ev^ques , les abbis , les comtes & autres 
grands, que les Rois jugeoient avec les grands 
vaflaiu {c), 

Ce qu'ont dit quelques auteurs , quon appel* 
loit du comte a renvoy^ du Roi, ou miffiis 
Jomimcus , n'eft pas fond(6. Le comte & le ndjfus 
avoient une jutifdidion ^gale & ind^pendante 
I'une I'autre 、d) : toute la difference (<) ^toit 
que 】e miffus tenoit fes placites quatre mois de 
Fannie, 6l le comte les huit autres. 



(a) Capitulaire III Van 812 , art. 3. ^dit. de 5^ 
iu[e , page 4^ , & de Chtrlc$-l«*chauve , ajout^ 4 
laloi des Lombards, Mr. II, art. j. 

r (b) Capitulaire III de Van Sii, art. 2» Edition' de 
^alu\e , page 497. 

(c) Cum fitUhus , capitulaire de. Loois le d^boa- 
g^aire , Edition dc Balu\e , page 66ij» 

(d) Voyez le capitulaire <te Charles It cluirr 鬱 • 
•jou" i h lot 6t% Lombards , lir, II, art. j« 

(<) Capitulaire UI (de I'an Si^ 9 ait. t. 



4o8 De l'Esprit des Lois , 

Si quelqu*uii {^f^ condannie dans une aifii* 
fe {g) , y demandoit qu*on le rejugeat, & fuc- 
comboit encore , il payoit une amende de quinze 
ibis , ou fecevoit quinze coups de la main des 
)uges qui avoient d^cid6 raffaire, 

Lorfque les comtes ou les envoyes du Roi ne 
fe fentoient pas affez de force pour r^duire les 
grands a la raifon , ils leur faifoient donner cau, 
tion {h^ qu,ils fe prefenteroient devaht le trir 
bunal du Roi : cetoit pour juger rafFaire , & 
non pour la rejuger. Je trouve dans le capitulaire. 
de Metz {J) Fappel de faux jugement a la cour 
-du Roi etabli , & toutes autres fortes .d*appeb 
profcrits & punis. 

Si Yon nacquief^oit pas (A) an jugement des 
ichevins (/) , & qu*on ne r^claniat pas on 
itolt mis en prifon ce qu'oti eut acqaiefce ; 

& il Ton r^clamoit , on ^oit conduit fous une 
siire garde devant k Ro" & VaSHre k difcutoif 
^ fa cour. 

II ne pouvoit guerc etre queftion de rappel 
de d^faute de droit. Car bien loin que dans ces 
temps-la on eut coutume de fe plaindre que let 

(f) Capitulaire ajoute i la Im. des Lombards , \W» 
II, tit. 59. 

(e) Placitum, ' .' 
(A) Cela paroic par les formules , Us cHartres & les 
capitulaires. 

(i) De I'an 757 , ^dit. tU Salute page 1^0, art* 9 
^ 10 ; 8c le fynodt apud Vtfnas de Van 755 , art. 19 , 
<dit. de Balux< page 175, Ces deux csphulaires fu- 
tftnx faits fous le roi Pepin. 

{h) Capitulaire XI it Charlemagne de Van ^05 • 
Edition de Sa!u\e , page 415 : & loi de Lothaire * 
dans la loi des Lomhsirds , liv. 11 , tit. 52 > atL 2,, 

{0 Officiers iout U coiAU , fiaiinii 

comtef 



liv. XXVHL Ch a p. XXVIIL 409 

COtntes & autres gens qui avoient droit de tenir 
aiBfes , ne fuffent pas exads a tenir ieur 
cour, on fe plaignoit (m) au contraire qa*ils 
f^toient trop ; & tout elt plein cTordonnances 
)qui d^fendent aux comtes 6l autres officiers dft 
|uftice auelconqoes, de tenir plus de uois affifes 
par an.li (alioit ir.olns corriger leur negligence ^ 
^'an^ter Ieur adiviti. 

• Mais , lorfqu'an nombre innombrable de pe- 
4tes fetgneuries fe formerent , que difFertns de- 
fjris vaffelage furent itablis, la n^ligence de 
certauasvaffaiut a tenir leur cour, donna naiflance 
4 ces fortes cTappeis (n) ; d*aucant plus qu'il en 
revenoit au feigneur iuzerain des amendes con- 
fidirables. 

L'ufage du combat )adiciaire "tendant de 
plus en plus , il y eut des lieux , des cas , des 
temps , oil il fut difficile d'aflembler ies pairs , 
& oU par conitquent on n^gligea de rendre la 
jtkUce. L'appel de d^fkute de droit s'lntroduiHt ; & 
ces fortes d'appeis ont it6 ibuvent des points 
retnarquables de notre hiftoire, parce que la 
plupart des guerres de ces temps- 14 avoient pour 
motif ia violation du droit politique , comine 
HQS guerres d'aujourd'hui ont ordinairement 
. pour caiife , ou pour pretexte,celle du droit des 
gens. 

Beaumafioir (o") dtt que , dans le cas de di- 
Caute de droit, il n'y avott jamais de bataille ; en 
void les raifons. Oh nc pouvoit pas appeller au 



(m) Voyez la lot des Lombards , liv. II, tit. 52, 
•ct. l^. 

(n) On Toit des appels <ie d^aute dc droit dhs It 
temps de Philippe - Augufte. 
(c) Chap. LX1» page 315. 
Tom. ///• 、 M m 



410 De I'EsPRiT DEs Low; , 

combat le feigneur lui-mSme, a caufe du rea- 
ped du a fa perfonne : on ne pouvoit pas ap- 
peller l^s pait$ du feigneur , parce que la choie 
etoit claire , & qu'il h'y avoit qu'a compter les 
)ours de& ajournemens ou des autres delais : \\ tCy 
avoit point de jugement , & on ne fau^oit que fur 
un jugemefit : ^nhn le delit des pairs offenfoit ]e 
feigneur comme la partie ; & il etoit contre Fordre 
Ijtfil yeut un (combat entre feigneur & fes pairs* 
MaU [p] , comme devant le trrbunal fuze- 
fain , on prouvoit la d^faute par t^moins , on 
pouvoit appellor au combat Jes timoins ; & 
par-la on n'oifenfpit ni le feigneur , ni fon tri* 

1^. Dans les cas oii la defaute venoit de la 
part des Jioname 多 pu p^irs du feigneur qui avoient 
diff^re de rendre h jwftice, ou evite de faire If 
jugetpent ^pr^s l^s delais pafFes, c*etoient les 
pairs du feigneur qu'on appeJloit de defiute lie 
droit devant le fqzerain ; &( s'ils fuccomboient , [^J 
ils paypi^nt qne ^mend^ a leur feigneur. CeJui-ci 

ppuypit porter aucun fecour$ a fes hommes ^ 
au contr^re il faififfoit lewr fief , jufqu'a ce qu'iU 
]ui euiTent pay 在 chai:un U9e amende 4e fpixante 
livres. 

212. ! (^rfque la d^fautp venoit de U part du 
feigneur , ce qui arrivoit lorfqu'il n'y avoit 
,affez d*honune;s h cour pour faire 】e jiigement, 
oil lorfqu'il n'avoit pas nfle^ible f^s hpmmes , 
ou mis quelqu'un 》 fa pl^i^e poiir les ^ifl^inbleF , 
on deipandoit la deflate d^v^nt le feigneur fu 孓 《- 
|:&in : mais ^ caiife r^rpe^l du au feigneur , 

v ., Y,' ' jS ;g=g^=== I " ' ' ' ' " 翔 

' (p) Bcaum, ii>id, 

iph^p, XXI ^ art, 24, 



L 1 V. XXVIII. Chap. XXVIII. 411 
•m iaifoit ajourner la partie (r) , •& non paste 

Le feigncur demandoit fa conr devant le tri- 
bunal fuzierain ; & s'il gagnoit la d^iaute , on lui 
renVoyoit raffaire , & on lui payoit une amende 
de foixantie livres M: mais fi la defaute itoit 
prouv^e , la peine [/] contre lui ^toit de per- 
dre le jugement de la chofe conteft^e, le fond 
4t0it iians le tribunal fuzeraiii ; en eiFet, onr 
n'avoit demande la defaute que pour cela. 
, 3^. Si I'on pkudoit [v] la cour de fon fei- 
gneur contre hii « ce qui n'avoit lieu que pour les 
affaires qui concernoicnt le fief ; apris avoir 
laiiTe paiier tous les d61ais , on fommoit te fei" 
gneur (x) mSme devant bonnes eens , & on U 
iaifoit loxnmer par ie foav«rain , dont on devoir 
avoir permiflion. On n'ajournoit point par pairs , 
car les pairs ne pouvoient ajourner leur feigneur; 
mais us pouvoient ajourner (y) pour leur fei- 
gneur. 

Quelquefois ({) i'appei de defaute de droit 
itoit fuivi d'un appel de faux jugeisent , lotfqiie 
le feigneur , malgre la deCiute , avoit £iit rendre 
le jugement. 

(r) Ibid, chap, xxi , art. 32. 
(/) Bcaum. chap, lxi , page 311. 
(t) Dtfont. ch. XKi , art. i , 19. 
fv) Sous le regne 6e Louis VllI , le fire de Nefe 
plaidoit contre Jeanne , comteflfe de Ftandr« ; ; 1 U 
fomma de le fairejuger dans guar ante )ours > & il I'ap- 
pclla cnftute d« defaute de droit i la cour du roi £lle 
x^pondit <ia'e)le le £eroit juger par fes pairs cn Flan-" 
dre. La cour du roi pronon^a qu'il n'y fcroit point 
renroy^ • & que la comteiTe feroit ajourn^e. 
(x) D4(opt, ch. XXI , art. 34. 

iy) Ibid. art. 9. 
JBeaum、 ch. LXI, p. 311. 

Mat z 



41 1 Dc t'EsPRIT DCS lOIf ; 

Le YalTai [^1 qui appeUoit k tort fon fdgfieiir 
de d^faute de droit , etoit condamni a lui payer 
une amende II volenti. 

Les Gantois [h] avoient appelli de defame 
de droit le comte de Flandre devant le Roi , fur 
ce qu,il avoit diSiri de leur £itre rendre juge* 
xnent en fa cour. II fc troura qu'il avoit pris 
epcore moins de d^lais que n'en donnoit la cou- 
tame du pays. Les Gantois lui fiirent rtnvQyis ; 
il fit faiur de leurs biens jufqu'a la vsileur de 
foixante mille Uvres. lis revinrent a la cour do 
Roi, pour que cette amende f&t mod^ree ; il fut 
dicidi que le comte pouvott prendre cette 
amende , & in2me'plus,s'Ui^)ulok. Beaumanobr 
lYoit afllile a ces jugemens. 

4O. Dans les affaires quele feigneur pouvoit 
avoir contre le vaiTal pour raifon du corps ou de 
rhonneur de celui-ci, ou des biens qui n*etoient 
pas du fief; il n'etoit point queftion d'appei de 
d^faute de droit ; puifqu'on ne jugeoit point a b, 
cour du feigneur , mals k ia cour de celji de 
qui il tenoit ; les homines , dit Defontaines (c) , 
n'ayant pas droit de faire jugement fur le corps 
de leur fe^neur. 

Pai travailie a donner une idee claire de ces 
chofes, qui , dans les auteurs de ce temps-la, 
font fi confufes & fi obfcures , qu'en verite les 、 
tirer du chaos oil elles font , ceft les decouvrir. 



(a) Ibid, 'pag. Mais celui <{ut n'auroi^ M 
Bomme nt tenant du feigneur » ne lui payoit qu'un^ 
mrnende de 60 liv. ihid, 

(b) Ibid, page 318. , 

(c) Chap. XXI » art 35* 



LiY. XXVm. Chap. XXDL 



41) 



C H A P I T R E XXIX. 
Epoqui du regne dc 5. Lomsm 



s 



AiNT Louis abollt le combat judiciaire dans 
les tribunaux de fes domain^s , comme il paroit 
ar rordonnance (a) qu'il fit Ui-deflus , oc par 
es EtaBiiffemens [^j, 

Mais iT ne I'dta point dans les cours de fes 
barons (c) , except^ dans le cas dappel de faux 
jugement. 

On ne pouvoit faufller [d] la courde fon fei-* 

f^neur, fans demander le combat judiciaire contre 
es juges qui avoient prononci le jugement. Mai 集 
S. Louis introduifit (f) I'ufage de faufler fans 
combattre ; changement qui flit une efpece de 
revolution. 

II d6clara (/) qu,on ne pourroit point faufTer 
les jugemens rendiis dans les feigneuries de 、{*e$ 
domames , parce que c'^toit un crime de felo- 
nie. Effeaiyement, fi c'^tolt une efpece de cri 崎 
me de ftionie contre le feigneur , a plus forte 
raifoa en itoit*ce un conn ie roi. Mais il vou- 



ia) En iido. 
bS Livre 1 , cbap. it & ; lir. II , chap, x & XU 
Art Comme il psiroit par*tout dtns les Etabliflemens ii 
、 & BeaumanoiTt ch. LXI • pag. ^o^. 

SCeft-Wire , appeller oe faux jugement. 
Etabliflemens , liv. I , chap, vi » & liv» II • 

p. XV. 

If] md, Itr. U I chap. xr. 

Mm 3 



4i< l'Esprit DEsLpis; 

lut que I'on put demander amendement (g:) 6es 
fugemens rendus dans fes cours ; non pas parce 
Gu'ils etoient faiiffement ou mechamment ren- 
ins , mais parce quails faifoient quelque preju- 
dice ( A ). Il voulut , au contraire , qu*on fut con - 
train t de fauffer ^i) les jugemcns des cours des 
barons , fi-Fon vouloit s'en plain dre. 

On ne pouyoit point , fuivant les Etablifle- 
meiis , fauHer tes c^urs des domatnes du roi , 
comme on vient de le dire. II falloit demander 
amendement devant le m^me tribunal ; & en 
cas que le baHli ne voulut pas faire ramende- 
ment requis , le roi psrmettoit de faire aopel (^) 
a fa cour ; ou plut6t en interpretant les Etablif- 
femens par eux- memes ,de lui prefenter [/] une 
feqiiete ou (bp plication, 

A regard des, cours des feigneurs , S. Louis , 
en permettan< de les fauffer , voulut que F af- 
faire fut portee (m) au tribunal du foi ou du fei- 
gneur fuzerain , non [n] pas pour y etre deci- 
dee par le combat , mais par tempins , fuivant 
une tormfe de proceder dont 11 donna des re - 
gles [oj. 、 

Ainu 9 fott qu^on put fauffer, commie dans 



(g) Ihid, Hv. I, chap, txxviii ; & liv. II, ch, xv« 
(A) Ibid , liv. 1 , ch. Lxxvlll. 
fis) Ibid , liy. 11 , ch. xv. 
Ik) Etabii (Tern ens , Hvw I , ch. Lxxvixi. 
[/) Ibidt liv. II , chap. XV. 

(m) Mais on ne fau{rok pas , & (|ii'on voulut ap- 
petler , on n'^toit point re^u. EtabliiTemens , liv. II , 
chap. XV. Li firt ea auroit U ncott d€ cour droit 
faifmnt, 

(/i) Ib'id ^ lir. I, ch. VI 8c txvit ; 6c ,Uv, II • chap, 
jtv i & Beaumanoir , ch. xf , pag. ^8. ' 
(。) £tabUiremeo&» Uv. I, cha^i» U $C llU 



Liv. XXVIII. Crap. XXIX 415 

ks cours des feigneurs ; foit qu'on ne le pfit pas , 
cpmme dans les cours de fes domaines ; il 6ta- 
blit qu*on pourroit appeller, fans courir le ha- 
fard d'un combat. 

Defomaihes (p) nous rapporte ks deux pre- 
miers exemples qu,il a vus , oh Von ah sdnfi 
procid^ fans combat judiciaire : Fun , dans une 
affaire jiigee a 】a cour de Samt-Quentin , qui 
dtott du domain e du roi ; & i'autre , dans . la 
cour de Ponthieir, oh le comte , qui ^toit pre- 
feot , oppofa rancienne jurisprudence : mais ces 
detix affaires furent Jugees par droit. 

On demandera peut-ctre pourquoi S. Louis 
ordonna pour les cours de fes barons une ma- 
liiere de proceder difEirente de celle qull eta- 
bliflbit dans les tribunaux de fes domaines : en 
,oici la raifon. S. Louis ftatuant pour 】es cours 
de fes domaines , ne tut poim gene dans fe» 
vues : mats il eut des m^nagemens a garder avec 
Ips feigneurs qui jouiiToient de cette anclenne 
prerogative , que les affaires n'etoient jamais 
tirees de leurs couts , a moins qu*on ne s'expo- 
sat aux dangers de les fauffer. Louis mam - 
lint cet ufage de fauiTer ; mais il voukt qu'on 
pftt fauiTer lan*$ combattre , c'eft-a»dire, que, 
pour que le changement fe fit moins fentir , il 
Ota la chofe , & laiffa fubMer les termes. 

Cd€i ne^(ut pas uivcrfellement re9u dans ks 
cours des feigneurs. Beaumanoir (^) dit que de 
fon temps il y avoit deux manieres de jug^er ^ 
l,une , fuivant f EtakliJjhnefU- k'roi ; & I'autre , 
fuivant la pratique ancienne : que tes fsignaurs 
avoient droit de fuivre I'lme ou I'autre de ces 



- fp\ Chap. XXXI, art. 8c 17. 

, M m 4 



'41 6 Di L*E$PRiT DBS Lois, 一 

pratiques ; msus que , qua^nd dans une affaire^ 
on en avoit choifi une , on ne pouvoit plus re» 
venir a i*autTe. II ajoute {(j) que le Comte de 
Clermont fuivoit la nouveJle pratique , tandis 
que fes vaflaui fe tenoient a 1 andenne : mais 
qui\ pourroit , quand il youdroit , retablir Fan-' 
cienne; fans quoi il auroit moins d*autorit^ qut 
fes vaiTaax. 

II faut favolr que ta France itoit pour* 
Ion (b) divif^e en pays du domaine du roi , & 
en ce que I*on appelloit pays des barons ou en 
baronnies; & pour me fervir des termes det 
Etabliffemens de S. Louis, en pays dc YobtiC^ 
fance-le'roi & en pays hors PobeiiTance- )e*ror« 
Quand les rois faiioient des ordonnances pour^ 
ks pays de leurs domames , ib n'einpk>yoieor 
aue I^ur feule autorit^ : mais quand ils en fai- 
ioient qui regardoient auffi les pays de leu s 
barons , eUes etoient faites (c) <le concert avec 
euxj ou fcelt^es ou foufcrhes d*eux : fan& ceia, 
les barons les recevoient ou ne les receyoient 
pas 9 fuivant quVUes leur paroiHoient^ convenir 
ou non au bien de kurs feigneuries. Les arriere* 
vafTaux Etoient dans Its memes termes avec let 
grands vaffaux. Or ks Etabliffemens ne furent 



8 Ibid. . 
Voyw Beanmanoir , Ddfontaines , & ks Et««' 
blifliemens , liv. U , ch. x , xi , iv & autres. 

(t) Voyez les ordonnances du coi|imencement de U - 
troitieme race , dans le recueil de Laurtere, furtout. 
cclle de Philippe- Augufte fur la |urtHi£Hon eccd^fiaf** 
lique , (k celle de Louis VIII fur les Juifs ; 6c les<:har<- 
tres rapport^es par M. BruiTel , ootamment celle 6m 
S. Lout*, fur le bail & le rachat des terres , & la flu« 
jorite f JO dale des filies , torn. II , \W, ill , page 55 《 
ibid, rocdoniiaAce dc Piulipp«-Augu£U » page '7、 



Liv. XXVin. CuAF. XXIX. 417 

pas donnas du confentement des feigneurs s 
qaolqu'ils ftatuaflent fur des chofes qui itoient 
DOur eux d'une grande importance : ainfl ils ne 
tiirent re^us que par ceux qui crurent qu'il leur 
诰 toit avantageux de ks recevoir. Robert , fils 
de S. Louis, les admit dans fa comt^ de Qer- 
mom ; & fes vafiavu ne crurent pas qull kur 
convkt de les faire pratiquer chez eox. 

CHAPITRE XXX. 
Obfcrvauon fur ks appelsm 

coiifok que des appels , qpi ^toient det 

5 provocations ^ un combat , devoient fe &ire 
ur )e champ, a S*il fe gart de courc fans ap« 
n pdler, dit Beaumanoir (4), il perd fon ap« 
91 pel, & tient le Tu^ement pour bon Ceci 
fubfifta, mime apres qu'on eut reftreint Fufagc 
du combat judiciaire (^)* 



CHAPITRE XX XI. 

Conamtatim du mm fujt" 

3LiZ ▼illain ne pouvoit pas faufler la cour de' 
(on feigneur : nous I'apprenons de O^fbnt^- 



《4》 Chap. Lxin , page 517 ; ihH ^ ch lxi* p. 3ii, 
\h) Vpyci les EtabTilTemens de S. Louis , tiv. U • 
ch« xvs i ordonnaACf d€ Charles YU4< 145 J* 



4i8 De L*tsPF!it' Ms Lois; 

nes (j]; & ciila eft confirm^ pjir fes Etd>K/l^- 
mens [^]. u Auffi, dit encore D^fontaihes [c] , 
" tCy a-t-il entre toi feigneur & ton Villaia 
" autre juge fors Dieu "• 

C^toit 1 ufage du combat ju^ciaire qiu avoit 
exclus les villains de pK)uv6ir fauffer la coiir de 
leur feigneur ; & cela eft vrai , que les vil- 
lains qui , par chartre [d] ou palf ufage , 
avQieJit droit de combattre , avoienf aufli droit 
de fauiTer la' cour, de leur feigneur , quand 
me me le$ homme> qui avoient auroient 
^t^ chevaliers [r] ; & Defontaines donne des 
exp^diens [/] pour que ce fcandale du villain, 
qui, en fauiUm le juge nierif , \o mbattroit con- 
tra un chevalier , n'arrivat pas; 

La pratique cles combat^' ; |uc|iciaires commen- 
^ant a s'abolir , & ruf age d^s notkveaux appeis 
a s'intrbduire , on penia qu'il etoil! rderaifonna* 
61e que les perfonmsr tranches euiT&nt iin te - 
tnede contre finjiiftlc^e de la cdur de ieurs /ei- 

eurs, & que ks viilatns ne FeufTent pas; . & 
e ' parlement re^ut leufs appels CQimne ceiix 
ctes perfonnes £anches. 



(tf) Chap. XXI, art. ii 8c 12" 
ih) Liv. I , chap, cxxxvi. 
Ic) Chap. II , ai|. 8/ .' • 

\d) Oefontaines , chap^. xxix , art. 7. Cet article & 
le* 21 da ch. xxii du mkmt auteur , ont ^t^ jufqu'ici 
好 es mal expUqu^s. P^fontaines ne met point en oppo- 
firion le jugement du feigneur avec celu! du cheva- 
lier , puifque c'etolt le m8me ; mats il oppofe le vi- 
lain ordinaire it celui qui avott Ic pririlege de com* 
battre. 

(e) Les chevaliers peuVent toujours Stre du nom* 
"krt des juges. D^fontaihes., chap, xxi t art* 48 
【 /J ChapittC jUUi r UU 14. 、 -, : 、 . 



Liv. XXVIIL Chap. XXXII. 419 



CHAPITRE XXXII. 

Continuadon du mem fujet. 

ILfORsQu'ON faufToit la cour de (oh feigneur, 
il venoit en perfonhe devant le fei^neur fuie- 
rain , pour dcfendre* le jugement de la cour. De 
sn^me (a), dans le cas d'appel de il^faute de 
droit , h partie ajourn6e devant le feigneur fu« 
zera'in nlfenoit fon feigneur avec die , afin que , 
fi la difaute n'itoit pas prouv^e , il put ravoir 
fa cour. 

Dans la Aiite , ce qui n'itok que deux cas 

|)articuliers ^tant devenu general pour tomes 
es affaires, par rintrodudion de tones forte^ 
d'appels, il parut extraordinaire que le reigneur 
Hit oblige de paffer fa vie dans d'autres tribu- 
naux que les fiens , & pour d'autres affaires 
que les fiennes, Philippe de Valois (P) ordonna 
que les bailHs feuls leroient djourn^s. Et quand 
Fufage des appels devint encore j>!us Waiient , 
ce rat aux parties ^ dcfendre a I'appel ; le 
fait (c) du juge devint le fait de la partie. 

J'ai dit {(f) que , dans I'appel de defaute (ie 
droit, le feigneur ne perdoit que le droit de 



(a) D 叾 font. ch. XXI , art. jj. 

(5) En 1332- 



{c) Yoycz quel ^toit I'4tat des chofes du temps (U 
BoutiiUer , qui vivoit en I'an i402« Somme rara!e • 

w 



liv. I, pages lo & 20. 

cUcffiu , cha^. XXX. 



410 De i/EsPRfr Dzs Lox«^ 
faire jnger l,affaire en fa cour. Mais fi le fi{«' 
gneur etoic anaaue lal-m£me comme par* 
tie {jt) , ce qui djvint trb frequent (/) , il 
payoit au roi , ou au feigneur fuzerain oevaint 
qui on avoit appell6 , one amende de foixantt 
livre" De-li vint cet ufage, lorfque les appels 
furent univerfellement re^us , de faire payer 
Famende au feigneur lonqu'on riformoit la 
fentence de fon juge : ufage qui fubfifta long- 
temps , qui fut confirmA par rordonnance de 
RouiEUon, & que fon abuirdiU a fait pirir. 




CH AP ITRE XXXIIL 

Continuation du meme fujet. 

'AMS la pratique du combat judiclaire , ie 
feur qui avoit appell^ un des -juges , pou- 
Toit perdre {a) par le combat fon proc 〜-& 
ne ppuvott pas le gagner. En effet , la partie 
qui avoit un )ugeinent pour elle , n'eh devoit 
pas etre. , privie par le fait d'atitrui* II falloit 
done que le iauueur qui avoit vaincu , com- 
battit epcore centre 】a partie , -non pas pour 
favoir fi le jueement ^toit bon ou tnauvais^ il 
ne s'agifToit plus de ce )ugemenc , "puifque le 
combat I'avoit an^nti; mais poifr decider ii 
la demande ktoxt legitime ou non; & c*eft fur 
ce nouveau point que I'on combattoit. De-ilk 



(t) Beaumanoir , chap Lxi , pages 3x2 & 3181 

in Ihid. 



Lit. XXVni CitAP.XXXIIL 41% 

iiott Ctre venue notre mantere de prononcer let 
arrlts : La caur met tappet au nUnt; la cour nut 
fappel & ce dont M apptlU au niant. En effet, 
quand celui qui avoit appell6 de faux juge- 
ment ^oit vaincu , I'appel ^coit an^anti ; quand 
il avoit vaincu , le ji^ement kioM an^and St 
fappel mime : il faUoic procider 3l un n6u, 
veau jugement. 

Ceci eft fi rrai , que lorfque I'affaire fe ju* 
geoit par enqu^tes , cette maniere de prononcer 
n*avoit pas lieu. M. de la Roche- FUvin nous 
dit (^) que la chambre des enquStes ne pou - 
voit ufcr de cette forme dans les premiers 
temps de fa creation* 



C H A P I T R E XXXIV. 

Comrfunt la pracUure devint ficrctu* 

Les duels avolent introduit une forme de 
procedure publique ; I'attaque & la d^fenfe 
etoient ^galemcnt connues* « Let timoins, dit 
舞 Beaiimanoir (力, doivent dire leur "moi 一 
ft gnage devant tous ,,• . 
、 Le comm«ntateur de BoutiUier dit avoir ap« 
pris d'anciens pratictens & de queiques vieux 
proems ecrits a la mam, f^^n cienije oient en 
France les procb criminels fe {ai(oient publi- 
quement , & en une forme non guere diffe- 
reate des jugemens ^publics des Romains. Ceci 



[^1 Des partemens 4e France , Uv. I> chap xvr, 
【- j Chapitre Lxi > page 315. 



4%t TH t'EsPRiT z»s Lois J 
itoit Hi avec rignorance de I'^criture » com* 
mune dans ces temps-la. L'ufage de I'^critiH-e 
arrete les id^es , & peut faire. etablir le fecret : 
mais quand on . n,a point cet ufage , j1 ny a 

2ue la publicite ds la procedure qui puifTe 
xer ces iplines idees. 
Et comme il , pouvoit y avoir de I'incertitude 
fur (^) ce qui avoit ^te juge par homines, ou 
plaide devant hommes , on pouvoit en rappel- 
ler la me moire toutes les fois qu'on, tenoit la 
cour , par ce qui s'appelloit la procedure par 
record (c); & d^ns ce cas, il n etoit pas per, 
mis d'appeller les t^moins combat ; car les 
affaires n'auroient jamais eu de fin. 

Dans la fuite , il s*introduifit une fortne de 
procMer fecrettt. Tout ^toit public : tout de- 
vint cach^ ; les intertogatoires , les inform a- 
cions, le r^collement , la confrontation , les 
cpnclufions de lai partie publique; & c'eft rufage 
dfaujourd'hui^ La premiere forme de proc^der 
converioit au gouvernem^nt d*alors , comme 
la nouvelle etoit propre au gouvernement qui 
&t dtabli depuis* 

Le comtnentateur de Boutillier fixe a J'or -. 
donnance de 1530 j'^poque de ce changemenu 
Je crois qu'il fe ht peu-a^peu , & quil pafTa de 
feigneurie en feigneurie , a mefure que les fei- 
gneurs renoncerent a randenne pratique de ja- 
ger , & que celle tirie des EtabliiTemens de 
§. Louis yint a fe perfedtionper. £n efFet, 



\h] Comme dit Beaumanoir , chap, xxxix , p. 209. 
(c) On prouvoit par oins ce qui S'^it 
fiiCi , dit, ou ordonn^ en )uftice» 




L I V, XXyiU. C H A », XXXIV. 

Befumanoi'r (<Q dit que ce n'itoit que dans !c 
cas ou Yon pouvoit donner des gages de ba; 
taille, qu'oh entendolt publiquement les 
moins : dans les autres , on les oyoit en (e* 
cret ,& on r^dlgeoit leurs depofitions par 
^crit. Les procedures devinrent done fecrettes^ 
lorfqu'il n'y eut plus de gages de batailie. 



C H A P I T R E XXXV, 

Dcs depens. 

NCIENNEMENT en France , it vlj arott point 
condamnation de d 圣 pens en cour laye (4). 
partie qui fuccomboit ^toit ^Hez punip par 
des condamnations d'amende envers le feigneur 
、& (es. pairs. La tnaniere de proceder par le 
combat judlciaire falfoit que , dans les crimes, 
la partie qui fuccomboit , & qui perdoit la vie 
& les biens , ^toit punie autar.t qu*eUe pouvoit 
I'etre : & dans les autres cas du combat judi- 
cjaire , U y avoit des amendes quelquefois fixes , 
quelquefois dependaotes de la volont^ du fei- 
gneur, qui faiioient afTez craindre les ^vene- 
mens des proems. II en itoxt de meme djins I^s 
^fFaireft qui ne fe decidoient que par le com 一 
bat.- Comme c'etoit le feigneur qui avoit les 
profits principaux , c'etoit . lui aum qui f^ifoit 



! Chapitre xxxix , page 218. 
a) D^fontaincs , dans fpn confeil , chap, xxii , art. 
t & ^ ; & Beavtmanoir » cb. xxxin ; £tabUi(rennitiks» 
uv.U ck«xc* 



'414 lTsprit mm Loit; 

• ks principales d^penfes , (bit pour afletnUef 
fes pairs , foit pour les mettre en £tat de pro- 
yi^der au jueemenn D'ailleurs , les affaires bnif- 
foient fur le lieu fn£me, & toujours prefque 
fur le champ , & fans ce nombre infini d'icri- 
lures qu'on vit depuis , i! n'etolt pas niceShxtc 
de donner des d^pens aux parties. 

Ccft Fufs^e des appels qui doit natnrdle^ 
ment introduire celui de donner des cipens* 
Auffi D^fontaines (Jb) dit-il que, lorfqu,on ap« 
pelloit par loi icrite ,~ c*eft-a-clirc , quand on 
fuiyoit les nouvelles lots de S. Louis, on don-, 
noit des d 圣 pens ; itiais que , dans Fu/age ordi- 
naire , ciui ne permcttoit point d'appelier faos 
faufTer , u n'y en avoir point ; on n'obtenoit* 
qu'une amende ,& la poifeffion d*an & jour 
de la chofe conteftie, fi I'affaire ^toit renvoyie 
au feigneur. 

Mais lorTque de nouvelles facility d'appeller 
atugmenterent le nombre des appels (c) ; que ,- 
par le frequent ufi^e de ces appels dun tribu- 
nal a un autre, les parties lurent fans cefTe 
tranfport^es hors du lieu de leur ftjour ; quand 
Fart nouveau de la procedure multiplia & ^ter- 
nifa les procis ; lorfque la fcknce d'^luder les 
demandes les plus juftes fe fut raffin^e; quand 
un plaideur fut fuir, uniquement pour fe faire 
fuivre; lorfque la demande fut ruineufe & ]a 
d^fenfe tranquille ; que les raifons fe perdirent 
dans des volumes de paroles & d'^crits ; que 



(b) Cbapitre xxii , art. 8, 

(c) A pr^fent qye I'on eft endm k appeller, dst 
Bouiillier , fomme ruriilc» liv. I, tit. 3 , pag. 16. 

tout 



L 1 V. XXvni. Chap. XXV. 415 

tout fut plein de fuppots de jikftice , qui 
devoient point rendre la juflice ; que la mau- 
vaife fol trouva des conieils , la oil elle ne 
trouva pas des appuis : il fallut bien arreter 
Jes plaideurs par la crainte des depens. Us du- 
fem les payer pour la decifion , & pour les 
moyens qu*ils avoient employes pour I'^luder. 
Charles-le-bel fit li-deffus une ordonnance g6- 
n 纟 rale (^d). 



C H A P I T R E XXXVl 

De la panic pubUqut. 

OMME , par les lois Satiques & Ripuaires , 
& par les autres lois des peuples barbares , les 
peines des crimes ^toient pecuniaires ; il n*y 
avoit point pour lors , comme aujourd'hui parmi 
nous , de partie publique qui fut charg^e de, la 
pourfuite des crimes. En eftet , tout fe reduifoit 
en reparations de dommages ; tome pourfuite 
txdit en quelque fa^on civile , & chaque |>arti- 
culier pouvoit la faire. D'un autre cote , le 
droit Romain avolt des formes populaires pour 
la pourfuite de$ crimes .» qui ne pouvoient s'ac- 
cprder avec le miniilere d'une partie publique* 
, L'ufage des combats judiciaires ne repugnoit 
pas moins a cette idee ; car, qui auroit voulu Stre 
fa parde publique » & fe iaire cWnpion dc 
,tous contre tous ? 

Jc trouve dans, un recueii de formules que 



W En 13", 



4^6 D& L*EsPRiT DEs Lois, 
M. 'Muratori a inf<^rees dans les lois des Lom- 
bards y qu*il y avoit dans la feconde race uir 
avoui (a) de la partie publlque. Msas fi on lit 
le recueil entxet oe ces formules > on veni qu'H 
y a une cfifKrence totale entre ces officiers & 
ce que nous appellons aupurdliui la partie pu- 
blique , nos procureurs g^n^raux , nos procu- 
reur- du roi ou des feigneurs. Les premiers 
£toient plutdt les agens da. |HibIic pour la ma- 
fiutention politique & domeftique que pour h 
toanutoition civile. En «fFet , on ne. voit point 會 
clans ces formules , quils fufTent charges de Iz 
pourfuke, des crimes 6c des affaires qui concer- 
noientles mtn^urs, les eglifes ou I'^tat des per* 
fonnes. 

que retabliflement d^une partie pu- 
blique repugnoit a I'ufagje du combat judiciaire. 
Je trouve pourtant y <hms une de ces formules, 
un avou^ de la partie pubKque qui a la libert^ 
de combattre. M. Muratori ra mife i la fuite 
do ia conflitmion (3) d'Henri I. pour laquefie 
elie a iti faite. II eft dit dans cette conftitu^ 
tion , que " fi que!qu'un toe fon pere,(bn frere, 
,, fon neveu ou quelqu*autrc de fes parens , 3 
» perdra leut fuceeffion , qui paffer^ aox autres 
,, parens ; & que h fienne propre aj^partiendra 
» att fife "• Or c>eft pour la pourfaite de cette 
fucceffion d^volue au fife, que Favoui de Ui 
partie pubHciue, qui en foutenoit fes droits', 
avoit la Ubert^ de combattre t ce csts rentroit: 
dans la regie genirale. 



f«) Advocatus de parte guhUcM, 
10 Vbvez cette co*>ftuwtiort 8c cette formuKe dam. 
ft fecond voUime des hiftoriens d'luUi^j^ page 17^ 



Liv. XXVIIL Chap、 XXXVI, 4^7 
Nous voyonS) dans ces fonnules , ravoni de 
la partie publique aglr contre celui (jc) qui avoit 
pris tm voleur, & ne I'avoit pas mtni au 
comte ; contre celui (d) qui avoit fait un foil - 
levement oa une aiTemblie contre le comte ^ 
contre celui (e) avoit fauve la vie k un 
homme que le comte lui avoit donn6 pour le 
faire mourir ; contre Favou^ des eglifes (/), a 
qui le comte avoit ordonn^ de hii pr^fenter un 
yoleur, & qui n'avoh point obii; centre ce- 
lui (g) qui avoit t^vili le fecret du roi aux 
etrangers ; contre celui {h) qui , a nudn .armie » 
avoit pourfuivi renvoy6 ; de rempereur ; contre 
celui (i) qui aroit meprif^ ks letcres de rem- 

fereur, & il ^toit pourfidvi par VsLvoui de 
enipereur ou par rempereur liu-mSme; contre 
celm (A) qui n'avoit pas voulu. reccvoir la mon- 
noie du prince : enfin » cet avou6 detnandoit 
ies chofes que la loi adjugeoit au fife (/). 

Mais dans la pourfuite des crimes , on ne 
voit point d'avoug -de la partie publimie ; meme 
quand on emploie les duels (m) ; meme quand 
il s'agit dlncendie (n) ; meme loTf(}^« le juge 
eft tu^ fur fon tribunal (o) ; meme loriqu'il 

(c) Recueil 6e Muraton , page 104, far U loi Si 
de Charleinaene , fiv. I r tit. 26, $. 7^'* 
《<Q Autre formule * ibid , page $7^ 
U) Ibid, page xo4» 

Ihid, page 
Jhid, page 9^. 
Jhid , page 
*)Formia^, page ifz;. 
W , page 157. , ' 
\m) Bid , i^age upf* , 【 



i«} Mi » psgf. 



4^8 De l'Esprit D£s Lois, 

s*agit de Vitzt des perfonnes (p) , de la Iibeft£ 
& de la fervitude 

Ce$ formules font faites , non feuletnent poor 
les lois des Lombards , mais pour les Capitu-' 
laires ajoutds ; ainfi il ne faut pas dbuter que, 
fur cette matiere, elles ne nous donnent ia pra- 
tique de la feconde race. " 

li eft clair que ces avoues de la partie ptH 
blique d&reat s'eteindre avec la feconde race , 
comme les envoy ^$ du roi dans ies provinces; 
par la raifon qu*il n*y eut plus de loi gen^rale* 
nl de fife general ; oc par la raifon qu'ii ny 
eut plus de comte dans les provinces , pour te- 
nir les plaids ; & par contequent plus de ces 
fortes Qofficiers dont Ja principafe fon3ion 
^oit de mainteoir Fautorite du comte, 

L'ufage des combats , deveiiu phis frequent 
dans h troifieme race, ne permit pas d'6tabHr 
line partie publiqae. Aufii BoutilUer , dans fa^ 
fomme rurale , parYant des officiers de krftice^ 
ne citc-t-il que }es baiUis, hommes f<^oaaux &' 
fergens. Voyez les EtabliiTemens (r) & Baumst*' 
noir (/) fur la maniere dont on faifoit les pour* 
fuite$ dans ces temps-la. 

Je trouve dans les lob (#) de Jacques roi 
de ^ajorque , une creation de renipioi de pr6* 
cureur da roi (u)^ arec les fonaions qa'oot. 



(p) , i>«g« m 

(9) 編 » p«K€ 107. 

ir) Li^. I , chap, x ; 8c Kr, H, chap* » & xnr; * 
s) CKap. I 8c chap. lxx. 

(0 Voyez ces lots dans ks tics -des Saiati 1114ft 
Juin , torn in , pag. 26. » 



Liv. XXVm. Chap. XXXVt 4^9 
aujbnrd'hui les ndtres. II eft vifible qu'ils ne 
vinrent qu'apr^s que la forme judiciaire eue 
chang^ parmi nous. 



CHAPITRE XXXVII. 、 

Comment ks EtahUJfcmtns de S、 Louis tomtcrcMi, 

dans Caubli, 

C^E f^ledeftin des Etablijfemns , quits n"' 

3uirent ^Ipieillirent , & moururent en tri$ peu、 
e temps. 

Je ferju la*de(rus quelques rifkxlons. Le code 
eue nous avons fous le nom d^EtabUiTeinens de 
o. Louis , n'a jamais 6ti fait pour fervir de loi 
3l togt le royautne, qud'ique cela foit dit dans 
la^r^face de ce code. Cette compilation eft un. 
c9ae g^niral, qui ilatae fur toutes. les affaires 
,civiles , les difpofitions des biens par teilament 
ou entre-vifc , ks dots & les avantages des fem- 
snes , les profits & les prerogatives des 6e& , les 
affaires de police , 8cc, Or, dans un temps oh 
chaque vUle^ bourg ou village , avoit fa cou-, 
fume, donner pa corps ginirsLl de lois civilej*, 
c^^oit youloir renverfer daos un moment toutes 
ks, lois particulieres , fous lefquelles oa vivoit 
dans chaque lieu du royaume. Faire une cou 一 
tume gin^rale de toutes les coutumes particu* 
lieres feroit une chofe inconfid^r^e , m^me. 
dans ce temps* c" oh les princes trouYcnt^ 



titatur , infitttatur qui fiSa & Sisuja$ in ipid atrid pr« 



4?6 Ds l'EsPRXT D7S Loi^i ^ 

par-tout que de Tob^iflance. Car, s'il eft vra* 
qii*i\ ne taut pas changer lorfque les inconv^- 
niens 化 alent les avantages encore ~ moins le 
faut-il lorfque les avantages foiit petits & les in- 
conveniens immeofes. Or , £ I'on fait attention k 
r^tat oil ^toit pour-lors le royaume , oil chacun 
s'enivrbit de Vidie de fa f6uverainet£ & de fa 
puiiTance , on voit bien qu*entreprendre de chain 
ger par-tout les lois & les ufages re^us/ c'etoit 
une chofe qui ne pouvoit veAir dans I'efprit de 
ceux qui gouvernoient. 

Ce que |e viens de dire prouye ^Mjpre que 
ce code des EtablKTemens ne fut paMonfirmS 
cn parlement par les barons & gens de loi du 
royaume , cotntne il eft dit dans un nianufcnt 
de rhotel-de-ville d* Amiens , citi par M. Du- 
cange (a). On voit , dans les autres' matiufcrits , 
que ce code fut donni par S. Louis en .42ftn- 
nee 1 270 , avant qii,il partit pour Tuti" : 讀 
iait n'eft pas plus vrai : car S. Louis eft para 
en 1269, coxnine I'a* remarqui M. Ducange ;' 
d*oii il conclut que ce code sluroit " public 
en fon abfence. Mais je dis que celane peat pas 
itre. Comment S. Louis auroit-il pris le temps 
de fon ^bfence,^pour faire une chofe qui auroit 
M une femence de troubles ,& qui eflt pu pro- 
.dui'.e , non pas des changemens , mais des re-, 
volutions ? Une pareille entrqjrife avoit befoin , 
plus qu'une autre , d'etre fiiivie de pr^s ; & n*etoit 
point rouvrage d'une r^gence fdible , & mdine 
compof^e de feieneurs qui ayoient int^r^t que 
a chofe ne reufsit pas. C'etoit Matthieu , abb^ 
lie S. Denys ; Simon de Clermont » comte de 



( Pt^face far l«f EtabliiTemens* 



Liv. XXVin. Chap. XXXVII. 4" 



Kelle ; & €n cas de mort, Philippe , iveque 
d'Evreux : & Jean ; comte de Ponthieu. On a 



vel ordte judiciaire. 

h dis en troifieiAe lieu , qu'il y a frande ap- 
parency que le code que nous avon$ , eft une 
chefe ditterente des EtablUTemens de S, Louis 
fur rordre judiciaire. Ce code cite les EtablifTe - 
mens ; il eft done un ouvrage fur les Etablifle- 
mens, &non pas les Etabliflemens^ De plus, 
Beaumanoir , qui parle fouvent desEtabliffemens 
de S. Louis , ne cite que des Etabiiffemens par- 
ticuliers de ce prince , & non pas cette com- 
pilation des Etabliflemens. Defontaines (c) , qui . 
^crivoit (bus ce prince , nous parle des deux 
premieres fois que I'on executa fes Etabliffe- 
mens fur rordre judidaire, comme d'une chofe 
reculee. Les Etablifiemens de S. Louis itoient 
done ant^eurs a la compila^on dont )e park , 
qui , a la rigueur , & en adoptant ks prologues 
etron^s nm par qudques ignorans a la tece de 
cet ouvrage , n'auroit、 paru que la derniere an- 
fi^e de la vk de S* Ix>uis ou lueme la 
moit de ce prince*^ 





4}% De L*EspiiiT DEs Lois,' 



G H A P I T R E XXXVIIL 

. Gmtinuadon du meme fuje" 

%J?u'e$t-ce done que cette compilation qiie 
nous arofis (bus le nom d'Etabliifemens de 
S* Louis ? Qu'eft ce que ce code obfcur , con 一 
fus & ambigu, oil l,on m^le fans cefle la ju- 
rifprudence Pran^oife avec la loi Romaine ; o2i 
I'on parle comme un legfflateur , & oil Von voic 
un junfconfulte ; oil I'on trouve un corps entier 
• de ]un(prudence fur tous les cas , fur tous les 
points du droit dvil ? U iaat fe tranfporte' dans 
ces temps^lL 

S, Louis , TOyant les abas de la jurisprudence 
it fon tetnps , chercha i en d^gomer les peu* 
pies : il fit plufieurs ridemens pour les tribcH 
naux de fes domaines & pour ceux de fes ba« 
rons; & il eut un tel fuccis, que Beauma* 
noir (a) , qui ^crivoit txks pea de temps apr^9 
la mort de ce prince, nous dit que la maniere 
de juger ^tablie par S. Louts , ^oit pratiqufe 
(jkn$ un grand nombre de cpurs des leigneurs. 

Ainfi ce prince remplit fon objet, quoique 
fes riglemens pour les tribuaaux aes feigneurs 
n'eufTent pas ttk faits pour fcre tine loi g^n^- 
rale du royaume , tnais comme un exemple que 
chacun pourroit fuivre & qite chacun mime 
auroit mttxkt de fuivre. 11 &ta le mal, en fid - 
fant fentir ie meilleur. Quand on v'lt dans fes 



W Chap. Lxi , page 50^* 

tribunaux 



Liv. XXVIIL Chap. XXXVHL 45, 

tribunanx , quand on vit dans ceux des reigneuft 
ttne maniere de proc^der plus natureUe, plus 
raifoniicJble , plus conforpie a la morale , a U 
te^gion, a la tranmiilUte publique , a la sureti 
de la perfonne & des biens, on la prit , & on 
abandonaa f autre. 

Inviter quand A ne fkut pas coatraindre, 
conduire quand il ne faut pas commander , c'eft 
rhabiiet^ uipreme. La raifon a un empire natu* 
rel ; eUe a meme im erafeire tyrannique ; pa 
lui r 纟 (HH, tnais*cette r^ftilance efi Con triom«> 
phe ; encore un peu de temps , & i'on - fera 

S. Louts , pour degouter de U juiifpradeAce 
Fran^oife , fit traduire les livres du droit 一 Ro- 
main , a£n qu'ils fuflent connus des hommes de 
loi de ces temps-la. Defontatnes , qui eft le pre- 
mier (^厶】 auteur de pratique que nous ayons 參 
fit un grand ufage de ces lois Rotnalnes : fon 
ouvrage eft en quelque fa^on un cefultat de I'aiv* 
cienne jurifprudence Fran^oife , des lois ou Eu- 
bliiTemens de S. Louis , & de la loi Romaine. 
Beaumanoir £t peu d'uf^e de la Joi Romaine ; 
jnais il concilia, Fancienne jurifprudence Fran- 
^oife avec les regleraens de S. Louis. 
• OeCt dans Pelprit de ces deux ouvnges , & 
furtout de celui de lO^fontaines 廖 que quelque 
l>aUU, je crois, fit rouvrage de lurifprudence 
que nous appellons les EtablK&mens. 11 eft dit , 
dans le titre de cet ouvrage , qu'il eft fait (elon 
Vufage de Paris & d'Orl^ans , 6c de cour de bsH 
ronnie ; & jdans le prologue , qu'il y eft traite 

t.' - " a 

(h) II dit lui-m^fne dans fon prologue : Nitf lay en* 
ptit oncques , mait "ut choft dottt /-》 

Tomt 111, O© 



434 De l*Ee,rit des ton, 
des ufages de tout le royaume & d'Anpu, Si 
de cour de baronnie. II eft vifible que cet ou 一 
TTage fut fait pour Paris , Orleans & Anjou p 
comme les ouvr^es de Beanmanoir & de D6- 
fontaines furent raits pour les comt^s de Cler— 
inont & 3e Vennandois : &, comme il parok, 
par Beaumanoir , que plufieurs lois de S. Louis 
avoient p^nitr^ dans les cours de baronnie , ie 
compilateur a eu quelqoe raifon de dire que 
(on ouvrage [c"] regardoit au^ les cours de 
baronnie. 

II eft clair que celai qui fit cet ouvrage com - 
pila les coutumes' du pays avec les lois & 】es 
etablifTemens de S. Louis. Cet ouvrage eft tres 
pr^cleux, parcel qu'il contient les anciennes cou- 
tumes d'Anjou, & les EtablifTemens de S. Louis , 
tels qu'ils etoient alors pratiques » & enfin ce 
qu'on y pratiquoit de I'ancienne jurifpradence 
rran9oife. - 

La difRrence <}e cet ouvrage d'avec cemc de 
D ^Fontaines & Beaumanoir , c'eft qu'on y 
parle en termes de commandeiiient, comme les 
l^gtslateurs ; ' 6c cela pouvoit ^tre ain/i , parce 
qu il ^toit line compilation de coutumes ecrites 
& de lois. - 

II y aVoit Ufi vice intirieur dans cette- com- 
pilation : elle formoit un code amphibie , oil 
Foil avoit mel^ la jurisprudence Fran^oife avec 
la loi: Romaine ; on rapprochoit des chofes qui 



(d) If n'y'a rien de vague que Ie titre & Ie pro- 
logue. D'abord ce font les ufages de Paris &. d'Or- 
l^ans , & de cour de baronnie ; enfuite ce font les 
ufages de toutes les cours Uyes du royaume , & de la 
pr^vot^ d,e France ; enfuite ce font les ufages de tout 
Ie ro/amne , ^.d'Anjou, & de cour de luronnie. 



Liv. XXVm. Chak XXXVIIL 4;^ 

ii*avx)ient jamais de rapport, & qui fouvcat 
itoient contradiSoires. 

Je fais bien que les tribuoaox Frafi9ols det 
homines ou des pairs, les lu^emens (ans appet 
^ un autre tribunal, la maniere de prononcer 
par ces mots , je condamne [d] ou yahfius、 
avoient de la conformity avec les jugemens po- 
pulaires des Romains. Mais on fit peu <ru4g« 
de cette ancieime jurisprudence; on fe fervk 
plutot de celfe qui tut introdnite depuis par les 
empereurs, qu'on exnpiojra par-tout daas cette 
CQinpilatic^ , pour r^gler , limiter , cardger 參 
etendre ia jurilprudence Fran^oife. 



C H A P I T R E XXXIX. 

CottUauatum du meme fiijet* 

JLats focfloes judicialres introduces par S. Louis 
cdTerent d*^^e en ufage. Ce prince avoit ea 
moms en vue la chofe rn^me, c'eft - i-dire, k 
oieiUeure tnaniere de juger, que la meilleure 
^naniere de fuppl^er a ranciemie pratiqne de 
jug^r. Le premier objet -^toit de degouter de 
i'ancienne lurifprudence, & le fecond d,en for - 
4iier une nouvelle; Mais les inconv^niens de 
celle-ci ayant paru, on en yit bient^t fucc^der 
tine autre. 

. Asnii les iois de S. Louis changerent moins 
la jurifprudence Fran^oife , qu'dles ne donne- 
tcnt moyens pour la changer ; elles ouyri- 



(i) EtAlUTemen ,倉 lir. U, chap. jht. 

Oo 



4}6 De l'Esprit des Lois; 

rent de nouveanx tribunaux ou pliit6t des Volet 
pour y arriver ; & quand on put parvenir ai- 
lement a celui qui avoit tine autorite generaie , 
les jugemens , qui auparavant ne faiioient que 
les uUges d'une feign eurie particutiere , forme- 
rent une jurifprudence univerfelle. On etoit 
parvenu , par la force des EtablifTemens , k avoir 
des decifions gcn^ales , qui manquolent entiere-* 
ment dans le royaume : quand le b^timent fut 
conflruit , on laiiTa tomber rechafaud. 

Ainfi les lois que fit Saint Louis eurent des 
effets qii,on n*auroit pas du attendre dn chef- 
d'oeuvre de la Ugiflation. II faut quelquefois bien 
des Cedes pour preparer les changemens ; les 
(v^netnens muriilient , & voilk les revolutions. 

Le parlement jugea en dernier reflbrt de 
prefque toutes les atfaires du royaume. Aupa- 
ravant il ne jugeoit que de celles (pi ^toient 
entre les dues [a] , cotntes, barons, ^vdquei , 
abb" , ou entre le Roi & fes vailaux [b] , plutdt 
dans le rapport qu*elles avoient avec I'ordre po- 
litique , qu'avec i'ordre civil. Datw la Ante , on 
(at oblige de le rendre fedentaxre , & de le tenir 
toujours affemble ; & enfin , on en cr6a plur 
fieurs , pour quails puflent fuffire a touted les af- 
£airesv 

A peine le parlement fut-il un corps fiie , qu'on 
tommen^a k compiler fes arrets. Jean de Moih> 
luc , £bus le regne de Philippe le bel, fit le re, 

(a) Voyex Dqtillet , fur la couf des pairs. Vpye^ 
.«n(It la Roche - Flavin , liv, I , chap. |ii ; Bad^e 8c • 
, Paiil-Emilc. 

Les autre! affatfes {tpieat d^cid^es par 1^ tri* 



Comment on prit Us formes judiciair^ def 

dicritaks* 

M A IS (Toil vient qu'en abandqiinant le, 
formes judictaires ^tablies , on pnt celles du droit 
canonique , plut6t que celles du droit Rotnaio ? 
Ceft qtfon avoit toiijours devant les yeux les 
tribunaux dercs , qui fuivoient les formes du 
droit canonique , & oue Xdn ne connoiflbit au- 
cun tribunal qui fmvit celles du droit Roma'uv 
De 'plus, les bornes de la )urifdi£iion eccU- 
iiaflique & de la f^culiere 6toient dans ces temps- 
la tres peu connues : il y avoit [a] des gens [^] 
qui {Maidoient indifC^remment dans les deux 
cours ; il y avoit des tnatieres pour lefquelles oa 
plaldoit de m^me. II femble [cj qiie Ij jurifdic- 
tion laye ne fe fut gardie, privativement a I'gutre^ 
que le jugement des matieres f^odalies , & de$ 
cfimes commis par ks k'ics dans lei cas qui ne 
choquoient {>as k religion [</]. Car fi , pour rai- 



(c) Voyez Vexcellent ouTrage de M. le pr^fident 
■Uenaut, fur fan 131J. 

(a)-Beaum. <hap. xx , pag. 5S. 

\h) Les femmes veuves , Tes croif^^s ; ceux ijui te 
roient les biens des ^glifes pour raifoa de ces biens 
Jhid. 

(f) Voyez tout le chap. XI. de Beaumanoir.- 
Id) Les tribunaux dercs, fous piit«xte du fermenf^ 

Oo } 



Liv. XXVIII. Cnxp. XL 43? 
eudil qu'on appelle aujourd'hui les regiftres 
Olim [c]. 



C HAPITRE Xl4 



翁 



鲁 



438 De t'EsPtif ms Lon; 

fon des conventions & des contrats , 3 f^bif 
aller a la juftice laye , les parties pouvoient vo- 
lontairement proc^der devant les tribunaox 
€krcs,qui, n*etant pas en droit d'aUiger lajtiA 
tice laye k faire executer la fentence , cantrai* 
gnoient d*y oWk par voie d*exc6minuiiica« 
tion [-] : £/ans ces circonflances « lorfque , dans^ 
les tribunaux laks » on voulut changer de pra« 
tique , on prit celJe des clercs , parce qu'on la 
favoit ; & on ne prit pas celFe du droit Romain , 
parce cp,<y ne La faToit poist : car , en fiut 
de pratique , on ne fait qne ce (jue Pon pratique* 



CHAPITRE XLt 

Flux & refiux de la juridi^an eeclefaJUfM & it 
二 la juridiBion layc* 

L A puiiTance civile £tant ehtre tes matni d*iine 
infinite de feigneurs , il avoit ixh a k yiri* 
didHon eccUliaftique de fe donner toiis les joiiri. 
plus (fitenduei: mais, comme la jjuiidi 战 oa ecd" 
fiaAi^ue inerva la juridi^oor des feigneurs » & 
contribua par*]a a aohner des forces a la juri- 
di^tion royale , la prididtion royate reftreigmt 
peu-4-peu la juri^iaioii eccl^fiaftique^ & ge^d 
recula devant la premiere. Le parkniefit , qui 
avoit pris dans fa forme de procider tout ct 



»,•!! Mimt mkm% fatfis , comme on le Toit par 
£Macnx concorikf faff- eirtre PbiKppe-Augtiftc , Its 
derc^ & les baron 霧 》 (foi f(e trouve daos les ocdoBi* 
vj^ancss Laurierc. 

(4) fi«aHmafiok» clu X, »p*gt6o» 



Liv. XXVIII. Chap. XU. 439 
y ayoit de bon & d'utile dans ccUe des tri- 
bunanx des clercs , ne vit bieotdt plus que fes abus ; 
6c la juridi6tion royale fe fortifiaat tou$ les 
jours, elle fut tott}our,jphu en iutde corriger 
ces m 細 es abus. £n tnet Us ^toient intol^ra- 
}iles; (k fans en iaurt refniMi^ration » je renver- 
rai a Beaumanoir [《, k BcmtUlter , aux ordoh* 
nances de no& Roia. Je ne parlcrai que de ceux 
qui im^FtiSbicot plus, dkedemfiot la fortune pu- 
bllque. Nous connoiflbfis ces abus par les arrets 
qui let riformereQt^ L'^paifle i^Qoranctf les avo}t 
mtroduits ; une efpece de darte parut, & ils n€ 
fiirent plus. Oa peut juger , par le filence da 
cl«rg^ y cpi'il aDa loi-meme ait'deraiit de la cor- 
Tft^on ; ce qui, la nature de Fefprit humain^ 
nitrite des louanges. Tout hofiune mn mouroit 
fans donner une partie de fes biens aVegUfe , ce 
u s'appeQoit mourir diconfis 、 Mix prir^ de 
conununion & de la fiipulture. Si I'on mouroit 
sfiurede teftament, il faUpit que les parens 
ttaffinK de I'^v^que <|a'il nommit, concur - 
remtacnt avec ewx , des arbitres , pour fixer ce 
oue fe difiiiitaiir<KtdA donoer^ en caa cpi'il efit 
nfe tm teflamem* O9 nc pooYoit pas cducher 
enfemble la precaiere nuit de$ n6ce$, ni tsAam 
ks deux fuivantes , fans en avoir achet^ U per- 
inilSoft I e^ikeitbieii ces trois mirts-)^ qu*il fiiUleit 
choifir ; car pour les aatres on o'auroit pas dpn - 
ni beaucoup d'argent. Le parlemeiit co^rigea tout 



(tf) Voyez Botttfllicr » fomme rurale , tit. 9 > quelle, 
perfonncs ne peuvent faire demande en cour lave ; 
oc Beaum. ch. xi , paee 56 ; 8c les r^glemens de Phi- 
Xppe«Augafte k ce iu)et ; & I'Etabliffement de Phi- 
]ippe*Au(ttftt fait entrc Us dercs , le roi & let barons* 

Po 4 



440 De t'EsPRiT Dis toif; 
cela : on trouve , dans le gloflaire [^] du drett 
Francois de Ragau , farrgt qu'il rendit (If) contre 
r^v^que d*Amiens. 

Je reviens au comtnencement de mon cha- 
pitrc. Lorfque , dans un fiede ou dans un gou- 
Ternement , on voit les divers corps de iAt9t 
chercher ^ augmenter leur autorite , 6c a prendre 
les tins fur les autres de cert^ns avantages, on k 
tromperoit fouvent fi l,on regardoit leurs entre- 
prifcs comtne une marque certaine de leur cor- 
ruption. Par un matheur ^ttach^ a la condition 
humaine , les grands hommes moder^ font rares ; 
& comme il eft toujours plus ai(*(^ de fuivre fa 
force que de FarrSter , peut-etre, dans la claik 
des gens fup^rieurs , tlt-il plus facile de trou- 
ver des gens extremetnent rertueux , que its 
homities extr^nement fages. 

L'ame goute tant de d^Hces a domxner Ie» 
autres atnes ; ceux tnSme qui alment le bien 
s'aiment il fort eux-memes , qu'il n'y a perfonne 
oui ne (bit aiTez malheureux pour avoir encore ^ 
fe d^fier de fes, bonnes intentions : & en v^rit^, 
nos actions tknnent k tant de chofes, qu'il eft 
ciille fois plus aife de bke k biea , que da le bien 
faire. 

f ■ I ■ 1 羅 i, ap 

Au mot txtcuteurs teftamntainu 
(c) Dtt 19 Mar, 140^* 



々 



L I V. XXVin. Chap. XLII. 441 



C H A P I T R E XLIL 



Rcnaijfancc du droit Romain & ce qui tn ri^ 
fulfil : €hangcmens dans Us trUmnaux. 

Xj( e digefte de Juftin'ien ayant kxh retrouv^ vers 
ran 1 1 37 , le droit Romain fembla prendre ime 
、 feconde naiiTance. On etablit des ^coles en Italle 
oil on renfeignoit : on avoit deja le code Juf- 
tmien & les novclks, J,ai di)a dit que ce droity 
prit une telle faveur » qu'il fit ^cHpfef la loi des 



Des dodteursltaliens portercnt le droit de Juf- 
tinien en France , ob I'oix n'avoit connu {a) que le 
code Th^odofine , parce que ce ne fut {b) qu*a- 
pres retabliffement des barbares dans les Gatt- 
tes , que les lois de Juflinten furect fattes. Ce droit 
re9ut quelques cppofitions ; mais il fe maintint 
malgr^ les excommunications des papes qui 
protegeoient kurs canons (c). Saint Louis cher- 
cha a I'accr 圣 diter , par les tradu^Hons qu'il iit 
£iire des ouyrages de Juftimen , que nous avons 



{a) On iuivolt ,n Italie le c<mJ«. de Juftinien : c^cft 
pour cela que le pape Jean VIIl , dans fa conftitiition 
donn" apres le Wnode de Troy", parte d«ce co<l«, 
tkO/i pas p.9rc'e qu il ^tott connu en France , mals parce 
qu'il It conooiiToit liiirm^nit ; & fa conftitution itoii 

(k) Le code ctt empereur fut public verc I'an 
530. 

(e) D^cr^eSf Ky« V, tit. de pnriUgUs , capitt Jk» 
ftr jptcuia, 、 




44^ 



De L'EtfRiT m» Lois; 



encore manufcrltes dans nos bibliotheques ; & fsi 
dejadit qu'on en fit un grand ufage dans les £ta- 
bliffemens. Philippe le bei [d] fit enfeiener les lois 
de Juflinien , feulement comme raSoa ^crite , 
dans les pays de la France qui fe gouvernpient 
par le- coututnes ; & elks fiirent adoptees 
comme loi , dans ks p^s oh ]t droif Romaia 
^toit la loi. 

J'ai dit ci-deflus que la mamefe de procider 
par le coipbat judiciaire demaikloit dans ceuz 
qui jugeoient tr^s peu de fuffifance ; on J^cidoit 
ks attaircs dans chaque lieu y felon I'ufage dc 
chaque lieu, & fuivant queiqiiies coutumes fim- 
plesy qm fe recevoient par traditioa. D y avoit, 
du temps de' Beautnanoir [e] , deux diff^^rentet 
manieres At rendfe la jufiicc : dans des lieux , on 
— geoit par jpairs (/) ; dans d'auires , ca jugeoa 
par baUlis : ^quand on fuivoit h presniere forme , 
tes. pairs iugieoUnt felon rufag« de leur jurl- 
didion [g\ ; daps la feconde , c'etoient des pru 零 
d'hommes ou vieillards qui indiqucMent au bailli 
k memQ uTage. Tout ceci he deniandbit aucun^ 
lettres , aucune capacite , aucune ^tude. Mais , 
k>rrque. Id code obicur des ^taUiffemMis SiS^JOr 



(dy Par une cfaartre de Fan , en fatrciir dt 
siver(it^ d'OrUans , r«pport^e par DutiHet. 

(e) Coutume <le BcauToKis , ck. I ' FoiRct des 



f/] Dons ! 8 commune, les boufgeoit ^toimt ju« 



htf$ fe }ug«oiciit cnCr^euz4 Toy«» ta T%aiimadi«r 誊釁 
chap, jtpc, ^ 

(g) Auffi tdut«t l«f rtqii^e* coimnen〜en ,一 
p^r ces mots': m Sire )uge , il eft d'ufa^e qu'en Yotrc 
n JurifeHA^dn , eomfiio " paroit par la formulc rap* 
port^c daiu.BouuUier , fomme rorale • Uy 山 titw 




urns. 




1 1 Y. XXVni. Chap. XLII. 243 

tres oima^es de jurifprudence parurcnt ; lorf- 
que le droit Romain nit traduit ; lorfqu'il com- 
tnen^a a enfeigni dans les ^coles ; lorf- 
qu'un certain art de la procedure , & qu'un cer 一 
tarn art de la jurifpradence commencerent h. fc 
former; lorfqu'on vit naitre des pratictens & des 
jurifconfultes , les pairs & les prudlioinmes ne 
fiirent plus en ^tat de juger ; les pairs coxnmen- 
cerenta fe retirer des triounaux du feigneur ; les 
feigneurs furent peq pot t6s 4 les aHemmer : d*au- 
tant mieux que ies jugemens , au Heu cTltre une 
a^Hbn 6clatante , agreable a la nobleffe , int^ 
reffante pour les gens de guerre , n'^toient plus 
qu,tme pratique qu ,! Is ne fevoient , ni ne vou* 
loient favoir. La pratique de juger parpairs de- 
Vint moim en ufage [fiij ; celle de juger par bailik 
s'^endit. Les baillis ne jugeoient pas (i) ; ils fai- 



(A) Le chaagemeht fut infcofible. On trouTe en* 
core les pairs employes du temps de Boutillter , qui 
▼ivoit en 1401 , date de Cod teftament , qui rapporte 
cette for mule au liv. I, tit. it : m Sire juge« en 
9»t juftice haut6 , moyenne & baife , que j'ai en tet lieu« 
n cour , plaids , baillis » hommes f<^odaux & fergQijs w* 
Mais il n'y^ a^it^phis que Its tnatieres f^odales qui f, 
jttgeaflcnt par pairs. Rid , liy. I » tit. I, page i《. 

(i) Comme il piroit par la fortnule des lettres ({u« 
le feigneur leur donnoit , rzppottie par Boutillier , 
{omme rurale, Hy.^I, tit 14^ Ce qui fe prouve eocor* 
par Beaiimanoir > coutume de Beauvoiils , chap.. I des 
oaillis. lis ne faifoient <{ue la procedure. » Le bailli eft 
M tenu en la pr 豸 fence des hommes i penre les paro* 
,, les de chaux qui plaident , & doic demaoder as 
,, parties fe ils veulent avoir droit felon les raifons 
M aue ils ont dites ; & fe ils difcnt , Sin oil , le baiUt 
H <loiC contraindre les hommes que ils faflfent le ju^e* 
M ment «<• Voyez audi les Etabtinemens de S. Louis » 
liv. I, ch, cv ; liv. II, ch, x? : n^Li juge » otdoH 
pas faice le jug«meAt» 



444 De lTsprit ds$ Lois; 

Ibient nnftni^Hon , & pronon^oient le fugeineAt 
des prud*hommes : Mais les prud'hoininas n,6 - 
tant plus en ^tat de juger , les bsuUis jugerent 
eux-m^mes. 

Cela fe fit d'iiutant plus aif^ment , qu*oii 
avoit devant les yeux la pratiaue des juges d'e- 
glife : le droit canoniqu€ & le nouveau droit 
civil concoururent igalement k aboUr les pairs. 

Ainfi fe perdit I'ufage conftamment obfervi 
dans la monarchic , qu*un juge ne jueeoit yat* 
tnais feul , comme on le voit par les lois fali- 
ques , les caphulaires , & par les preimers ^cri- 
vains [k\ de pratique de la troifieme race. L'a- 
bus contraire, qui n'a Hea que dans les )uftice$ 
locales , a itk mod^re , & en quelque fa^on cor- 
r'lg^ par rintrotiuftion en plufieurs lieux d'un 
lieutenant du juge , que celui-ci confulte , & qui 
teprifente les andens prud'hommes; par robliga* 
tion oil eft le )uge de prendre deux ^radu^, daas 
ks cas qui peuvcnt m^riter une peine affli^ve ; 
& en&i il eu devenu nul , par Pextrime faci£ti des 
appels. 



(k^ Beaumanoir* chap. Lxvil » page 336; & cbu 
txi , pages 315 & 5i6 » les Etabliffemcns , Uy. U, 
chap. XYk 



Liv. XXVIII. Chap. XLUL 44¥ 



CH A PIT RE XLIIL 

Continuation du mime fujtt. 

INS I ce lie fut point une lol qui d^fendtt 
aux feigneurs de tenif eux-m^mes leur coiir ; ce 
ne fut point une loi qui abolit les fonfiions que 
leurs pairs y avoient ; il n'y cut point de loi qui 
ordonnaLt de crier des baiillis ; ce ne fut point par 
une loi qu'lls eurent le droit de juger. Tout cela 
fe fit peU'i^-peu , & par la force de la chofe. La 
connoifTance du droit B^omain , des arrets des 
<ours , des corps de coutumes nouvellemenc 
Rentes , demandoient une itude , dont les no- 
bles & le peuple fans lettres n'etoient point ca 一 
pable$« 

La feule ordonnance que nous ayons furxette 
fnatiere M , eft celle qui obligea les feigneurs 
de' choifir leurs baillis dans Fordre des laiques. 

mal-i-propos qu'on I'a regard 各 e comme 
la lei de leur creation ; mais eile ne dit que ce 
qu*elle dit. De plus, elle fixe ce qu'elk prcfcrit 
par les raifons qu'cUe en donne : " Cell afin , 
" eft-il dit , que les baillis puifient ctre punis de 
9f leurs prevarications (h) , qu*il faut qu'ils 
,, foient pris dans I'ordre des la'iques ,,. On 
fait les privileges des^ ecclefiaftiques dans ces 
temps^la. 

I l I ' , '■ ' ■ '. ii 

(a) EHe eft de I'stn 1287. 
、 fiihi delinquent , Jupenons fui^ojpnt Mimudf 
itmn in to flan* 



44^ De iTwRiT Dis Lois; 

U ne fautpas croire que les droits dont les fri- 
^eurs jouiiloient autrefois, 6c dont ilsne jovaC^ 
lent plus aujourdliui , leur ayent ^t^ otes comme 
des usurpations : pkiiieurs de ces droits dnt M 
perdus par negligence ; & d'autres ont 6t6 aban- 
don n^s , parce que divers changemens s'^tant 
introduits dans le court de plufieurs fiecles , 
ils ne pouvoient fubfifter avec ces change* 
mens. 



C H A P I T R E LXIV. 

J?ela preuve par timoins. 

£ s )uges , qui n'ayoient d'autres regies 
、 que ' les ufages , s,en enqu^roient ordiDairement 
par t^moins , dans chaque quefUon qui fe pre- 
lentoit. 

Le combat judickire devenant moias en'ufage, 
on fit les enquetes par ^crit. Mais une preUve 
vocale mife par ^crit n'eft jamais qu'uhe preuve 
vocaie ; cela ae faifodt au'ai^msnter les uais de 
la procedure. On fit «[es reglemens qui ren- 
dirent la plupart de ces enquetes {a) imuiles ; oa 
^tablit des regiftres publics , dans lefquels la plu- 

i)art des iaits fe trouvoient prouv^s , la nobleHe^ 
age , la legitimit^ ^ le manage. L'ecnture eil iia 
timoin qui ^ difiicilement corrompu. On fit - 
diger par 6crit les coutumes. Tout cela itoit biea 
railbnnable : il eft plus aif6 d'aller chercher daas 



■ ' ' ' ' ' 't ' ■ 

(tf) Voyez comment on proiivoit I'lge & la pa* 
rente , EtabH^Cemens , liyre I , ch. lxxi oc lzxii. 



Liv. XXVin. Chap. XUV. 447 

|es reglftres de baptdme , ti Pierre eft fils de Paul, 

? ue d'aller prouver ce fait par une longue enquete. 
^uand , dans un pays , 11 y a un tr^s grand 
notnbre d'ufages, it eft plus aifi de les Retire tous 
dans un code, que d'obliger les particuliers k 
prouver chaque ufaee. Ennn , on fit la fameafe 
ordonnance qui dHendit de rccevoir la preuve 
par t^tnoins pous une dettc au-deflus de cent 
livres , a moins qu'il n'y eut un commencement 
de preuve par icxiu 

CHAPITRE XLV. 

D" coiuumes dc France* 

A France itoit rigie , comtne j'al dit, par 
des coutumes non Rentes ; & les ufages parti- 
culiers* de chaque feigneurie formoient le droit 
civil. Chaque leigneune avoit fon droit civil, 
comme le dit Beaumanoir & un droit 

jfi particulier , que cet auteur , qu'on doit re- 
garder comme la lumiere de ce temps-la, & une 
grande lumiere , dit quil ne croit pas que , dans 
tout le royaume , il y eut 4eux leigneuries qui 
fuflent gouvernees de tout point par la mSme I02. 

Cette prodigieafe direrute avoit une premiere 
origine , & elle en avoit une feconde. Pour la 
premiere , on peut fe fouvenir ile ce que j*ai dit 
ci-deffus [h] au chapitre des coutumes locales ; 
& quant a la feconde, on la trouve dans les <B- 
vers ^v^nemens des combats judiciaires ; des 



d) Prologue fur la coutume de Bealivi>iiis. 
b) Chap» XII. 



448 De L'EsPRrf DCS Lois , 

cas contlnuellement forttrits devant introdaire 
naturellement de nouveaux ufages. 

Ces coutumes-lk etoient confervies dans la 
me moire des vieillards ; mais il fe forma peu-a- 
peu des lois ou des coutumes ecrites. 
- X®. Dans le commencement [c] de la troi 一 
£eme race , les Rois donnerent des chartres par- 
ticulieres ,& en donnerent meme de generales, 
de la maniere dont je I'ai explique ci-defTus ; 
tels font les ctabliffemens de Philippe Augufle , 
& ceux que fit Saint Louis. De meme , les grands 
vafTaux de concert arec les feigneurs qui tenoient 
d*eux , donnerent , dans les amies de ieurs duch& 
ou comtes , de certaines chartres ou ^tabliiTe- 
mens , felon les circonflances.: telles furent I'al^ 
fife deGeofroi, comte de Bretagne 9 fur le par - 
cage des nobles ; les coutumes cfe Normandie , 
accord^es par le Due Raoul ; le$ coutumes 
Champajzn^, donn^es par le Roi Thibault ; le^ 
lols de Simon , comte de Montfort ; & autrei. 
Ceh produiAt quelques lob Rentes, & mSme plu$ 
ginerales que celles que I'on 9voit. 

1^. Dans le commencement de la troifiem^ 
irace , prefque tout le b 衫 peuple ^tojt ferf, pJu- 
fieurs raifons obligereot Us ftoi$ & les feigneur$ 
:(de les affranchir. 

Les feigneurs , en affranchifTant Ieurs ferfs , 
leur donnerent des biens ; il fallut leur donn^r 
des lois civilesjpour regkr ja difgofitipn de ces 
l>iens. Les feigneurs , en aiFrancbiiUnt leur ferfs , 
fe priverent de leur$ biens : il" fallut done regler 
jes droits que Ie$ feigneur$ fe referyoient pour 
r«quivalent de leur bien. L,une & I'autre de ces 

wm A ■ ■ I II II I I I I I II 龜 



(c) Voyez le recueil des oriionnances dt Lauriert. 

chofes 



(i) Celt fe fit amfi lors ie la r 仏 Aion ^es con 一 
tufnes d« Ecfti 8c de Paris. Voyez la Thaamaf&"€,, 



Liv. XXVin. Chap. XLV.、 444 
chofes furent t^gl^cs par les chartres d'affranchi" 
i^tnem ; ces chartres formerent une partie de noS 
coutumes, & cette partie fe trouva redig^e par 
ictit. 

• 3^. Sous te regne de Saint Louis & les fui- 
▼ans , des pratictens habiles , tels que Difoii<^ 
tatnes , Beaumanoir , & atstres , ridieerent par 
^crit les coutumes de leurs bailHdges. L^ur objei 
i^toit plutdt de donner une pratique judiciaire , 
que les ufaees de leur temps fur la difpofition' 
aes biens. Mais tout s'y trouve ; & quoique ces 
auteurs particuliers^ n'eufTent d'autoriti que par 
k yintk & la publicity des chofes qu,ils difoient ^ 
on ne ptut douter qu'elles n*ayent bea^coupr 
fcrvi a la renaiffance de notre droit Frangois. 
Tel etoit , dans ces temps-U , notre droit coih 
tumier 4crit. 

Void la grange ^poque. Charles VII & h% 
fuccefleurs nrent ridiger par icrit dans tout le 
royaume les diverfcs coutumes locales , & pref- 
chvirent des formalk^s qui dev'oient Itre obfef- 
vees a kar reda^on. Or , comme cette rWac- 
tion fe fit par provinces ; & aue , de chaque 
fe^neuriey on Tenoit d^pofer , dans raflembl^ 
g^nirale de la province , les 广 ' 
cciits de chaque lieu ; on c 
coutumes plus e^niraks , autant que cela fe put 
£utt fsns UeiSr les int^rSts des particuliers qui 
fiirent r^fcrvfa [</]. Ainfi nos coutumes prirenr 
troh cara^teres ; eUes fiirent icrites , elles furent 
plusg^n^ralesy eUe» re^urent le fceau de raato«r 
nt6 royale. 



c 、a 

s 3 



450 De t*Esr*iT Dts Lots; 

PUiiiettr^ de ces coutames ayant iti de notH 
TCau redtg^es , on y fit plufieurs changemens , 
foit en otant tout ce qui ne pouvoit comjpatir 
avec la jurifprudence a^bielle^ foit en ajou- 
taot pki&eurs chofes tir^es-«e cette jBrifpni- 
dence. ^ 

Qiioique le droit cocttumier Cok cegardi 
parmi nous comme contenaiit;Uoe efpece 3*op- 

Softtion avec le dcoit Romain , de forte que ct% 
eux droits divifent les territoires ; Ueft pourtant 
▼rai que plu(teur$ difpofitions da droit Romam 
font' entries dans nos coutiimes £urtout lort- 
qu*oj| en fit de nouvelles r^a^onS) dans de$ 
temps qui ne font pas fort eloign^ des ndtres , 
oil ce Sroit ixok fob^et cannoifiances de tons 
^etuc qui fe deflinoient aux emplois civils ; d^ns 
des temps oh Van ne faifoit pas gloire d'ignorer 
ce qtte Ton doit ikvokr, & de favoir ce que 
Von doitigno^r ; ou la (aciitte dfi r«fprit (ervoic 
plus a apprendre fa profeflion » qu'a ia f^ire^^ 
oil les amufemeiis continuels n'4coi<m pas m£ai9 

U auroit fallu qiie je m^^tendifl^ cbyaiiiag^ i 
la fin de ce Kvre j & qu'!$ntrant dans de plvi 
grinds ditails \ 'feuS^ fuivi toys k% ck»Qg«* 
foeiu iofenfibles , qui » depiiis rouvertupe des 、 
appel" ont fotmi k grand corp$ de notfe )uriP« 
prudence Frao^oife. mm fwfok im, nn gfaaj 
ouvrage dans un graod ouvr^e. ,鬱 (bis comM 
cet antiquaire (,》 qui partit de hn ^y$ » arrm 
€n Egypte , ystsk un coup d'^o^ (ur ks pyrmideSf 
& s'en retourna* 



mm 



W IHqs liB Spe^iteur Aagloiw 

Fin du traifiemc Kalumn^