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VARIÉTÉS SINOLOGIQU ES N°30.
HISTOIRE
DU
ROYAIME DE TSIN M
(1106-452)
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LE P. ALBERT TSCHEPE, S. J.
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CHANG-HAI.
IMPRIMERIE DE LA MISSION CATHOLIQUE
l L'oTîT-HtlINAT DK S'OTT-BB-WH
,1910.
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HISTOIRE
DU
ROYAUME DE TSIN
(1106-452)
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PAR
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CHANG-HAI.
IMPRIMERIE DE LA MISSION CATHOLIQUE
< l'orphelinat dk t'ou-sk-wb.
1910.
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PREFACE
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L'histoire du royaume de Tsin W, qui compre-
nait la grande province du Chan-si \h M actuel et
une bonne partie duHo-nan M fô et du Tçhe-li ÏÈ W,
est intéressante à plusieurs points de vue. Depuis le
grand roi Tsin Wen-kong f? 3C & 635-628, l'une des
figures les plus chevaleresques de la Chine, le roi de
Tsin est, pour ainsi dire, l'empereur de la Chine d'a-
lors; rien ne peut se faire que sur ses ordres ou du
moins avec sa permission. Et Tsin garde cette pré-
pondérance jusqu'au 34me prince, Ting-kong % ft,
511-475. Nous avons donc là un bon morceau de
/'histoire de Chine.
De plus, ce royaume comprenait plus d'éléments
de la race chinoise pure qu'aucun autre. Car il était
l'ancienne province impériale Ki-tcheou M fl\, où
pendant de longs siècles se trouvait la capitale de
l'empire, la meilleure partie de l'état, qui était sous
l'administration directe de l'empereur, Sous lao û,
23o6 avant N. S., la capitale était <) P' ing-yang fou
¥ % }ft,sous choen 'M 2255, à P'ou-lcheou fou ;iiî *H tff
et sous le Grand Vu ^ $>,à Ngan-i % iA,à 28 li Est de
Kiai-tcheou M fil. ("était doue laprovince privilégiée,
PREFACE.
la plus fidèle et lapins eh ère, le foyer de lumière qui
éclairait l'empire tout entier, le modèle proposé à
tous les fonctionnaires, à tout le peuple chinois. Na-
turellement cette race pure de chinois au Chan-si
s'est mélangé aussi avec des Tartares, puisque nous
voyons même la maison royale avoir des liens de
parenté avec les Tartares, mais ici beaucoup moins
qu'ailleurs. Car, dans la province impériale, Vêlement
Chinois prédominait de beaucoup. Ce n'est que sous
les T'ouo-pa-wei$6 Wl 11,386-550, dynastie Toungouse
d'une énergie sauvage, que cette pure race chinoise
du Chan-si a reçu de nombreux éléments étran-
gers. Sous les Mongols, 1274-1367, d'autres éléments
étrangers se sont encore surajoutés. Mais les qualités
maîtresses de la ruée chinoise, l'intelligence pratique
et l'activité infatigable, lui sont restées. L'esprit
guerrier n'était pas encore étouffé, comme il est
arrivé plus tard . La race chinoise a de la force, du
courage et de l 'intelligence ; elle peut donc produire
de bons soldats, comme du reste elle l'a prouvé pen-
dant de longs siècles. A cause de sa conformation
géographique et sapopulation supérieure, le Chan-si
a toujours joué un grand rôle dans l'histoire de la
Chine, et ce rôle ne fera que grandir, dès que la Chine
commencera à exploiter les trésors dont elle a de
pourvut'. Cette province du Chan-si est plus rie/n'en
charbon et en fer,que celle même du Se-tchfoan 23 JH.
Ses marchands sont très habiles; dans les manipu-
lations commerciales y personne au \<>r<i de la chine
ne surpasse les banquiers du chan-si.
PREFACE. III
Tant que le pays de Tsin fut gouverné par des
princes actifs et soigneux, les gro/nds seigneurs se con-
tentaient de leur rôle d'aides et de conseillers de la
couronne. Dès que les princes commencèrent à s'effé-
miner, ces grands seigneurs se laissèrent aller à des
rivalités, s' entretuèrent, jusqu'à ce qu'enfin, en ko2,
les trois seigneurs les plus puissants, Tchao 1Ê, Han %%
et Wei %k se partagèrent le royaume et fondèrent
trois états, qui dans l'histoire portent leurs noms.
Pour le lecteur qui veut parcourir rapidement
le contenu de ce livre, j'ai fait une table desmatières
très détaillée qui le renseignera. Quant à la table
alphabétique, je n'y ai mis que peu de noms propres,
ceux qui étaient vraiment indispensables. Car les
noms chinois sont aussi désagréables pour V oreille
européenne , que les noms européens pour V oreille
chinoise.
Au temps oùj'éc» ivais cette histoire, je n'avais
pas encore la certitude que le Grand Yu avait déjà
établi ou rétabli l'ancien canal impérial M %fk M. Si
j'écrivais maintenant cette histoire, je l'y mention-
nerais à divers endroits.
Je réserre donc ces détails historiques du plus
haut intérêt pour le travail du Yu-kong & M qui est
un document historique d'une valeur inappréciable.
Chang-hai2\ Janvier 1910.
A. Tschepe S.J.
ROTAUME DE TSIN W
TABLE DES MATIERES.
Géographie des Tsin.
Les défilés les plus importants p. 2. — les autres montagnes
p. 4. — les défilés spécialements dangereux p. 6. — les fleuves de
Tsin p. 8. — les salines p. 11.
Premiers temps du royaume de Tsiu.
T'ang-chou ^ ${ le fondateur de la dynastie feudataire en
1106 p. 14. — son 6"le successeur Tsing-heou $fj fê 858-841 p. 15.
— le 9'm' successeur Mou-heou |J| {£ 811-785 prince remarquable
p. 16. — le 12""' prince Tchao Hg 745-739 a la faiblesse de confier
à son puissant oncle le fief de K'iu-wo p. 17. — d'où naissent des
troubles dans lesquels Tchao-heou est tué. Les chefs des grandes
maisons Han lf%. et Loan H§ commencent à jouer un grand rôle
pendant ces troubles p. 19. — l'empereur «le fils du ciel» est sans
autorité à cette époque p. 21.
Temps vraiment historiques.
19me prince Hit'ii-kon:: J$ fe 676-652.
11 visite l'empereur et l'engage à se marier, contrairement
aux rites, pendant le deuil officiel. — en 672 il fait la guerre au
T.s'in |j| qui est l'un de ses rivaux. — il a aussi des difficultés avec
les Tartares et les grands seigneurs p. 24. — comment le sage lettré
Che-wei affaiblit les grandes familles p. 25. — comment il conseille
son prince, qui n'était pas un modèle de vertu. — Hien-kong prend
pour femmes deux princesses tartares, dont l'une, Li-ki, sera cause
de grands troubles p. 26. — il établit un second corps d'armée,
contrairement aux Rites p. 27. — il donne des fiefs aux chefs des
familles Tchao %Q et Wei §| qui seront cause de grands troubles
— intrigues de cour p. 28. — le grand devin Yen ft% p. 2:». —
doctrine d'un sage lettré. — l'office du prince-héritier d'après un
sage lettré p. 30. — Chen-cheng le fils modèle p. 31. — intrigues
de cour p. 31-32. — sagesse lettrée. — pourquoi Confucius mention-
ne le Tsin si tard c.-à.-d. en 658 p. 33. — diplomatie lettrée p. 34.
VI ROYAUME DE TSIN.
— prophétie du devin Yen. — l'intrigante Li-ki est déclarée lère
épouse p. 35. — ses intrigues p. 36. — le prince Tchong-eul jg 3£
s'enfuit prudemment, au lieu de se pendre comme son frère aîné ;
sagesse lettrée. — l'eunuque P'i attaque Tchong-eul qui s'enfuit
chez les Tartares p. 37. — diplomatie fourbe de Hien-kong. —
sagesse lettrée p. 38. — prophétie du devin Yen. — bassesse de
Hien-kong p. 39. — son 3"'"h tils I-oit jH ^ s'enfuit au Tx'in |jf.
— guerre avec les Tartares p. 40. — grande réunion des princes
féodaux: Hoan-hong |g Tfe (384-643, le fameux marquis de Ts'i H,
est reconnu chef suprême. — le seigneur Siun ^f contribue aux
intrigues de la cour p. 41. — l'intrigante Li-ki est fouettée à
mort p. 42. — sur le conseil d'un sage lettré, Tchong-eul n'accepte
pas encore le trône p. 43. — sur le conseil d'un vertueux lettré
Ts'ing-mou-kong §§£ f |i fe 659-621 établit I-ou sur le trône de
Tsin ^ p. 44.
22me prince Hoei-kong |ï & 650-637.
11 condamne à mort son trop fidèle coopérateur l'intrigant Li-
ko H. j£ p. 46. — il se montre déloyal envers le Ts'in |^. —
diplomatie lettrée p. 47. — Chen-cheng apparaît à son fidèle ami.
— prophétie lettrée. — l'empereur fait remettre à Hoei-kong la
tablette de jade et le reconnaît ainsi officiellement p. 48. — pro-
phétie lettrée. — troubles à la cour impériale. — l'humble lettré
et fin politique Koan-tchong 'g* jrji p. 49. — famine au Tsin ^f .
— le sage lettré Pé-li-k'i £j ~ J£ |j|. — le devin Yen explique une
chute de montagne p. 50. — Hoei-kong se montre ingrat et per-
vers. — Ts'in Mou-kong, avant de lui déclarer la guerre, consulte
l'oracle p. 51. — Hoei-kong méconnaissant les avis de sages let-
trés, est battu p. 52. — et fait prisonnier p. 53. — ruse diplo-
matique d'une femme p. 54. — Ts'in Mou-kong se contente du
prince héritier donné en otage et relâche Hoei-kong p. 55. — les
Tartares attaquent le faible Hoei-kong en 644 et en 638 p. 57. —
prophétie lettrée. — Hoei-kong meurt. — le prince héritier en otage
au Ts'in §j|, s'enfuit et monte sur le trône ; un sage et vertueux lettré
lui fait une remontrance et est mis à mort p. 58. — prophétie du
devin Yen p. 59.
Vie et pérégrinations de Tchong-enl ig If, le 1111111' Wen-
kong # & 635-62S.
Les futurs grands seigneurs qui l'accompagnent chez les
Tartares, p. 59. — où il se marie avec une princesse et y reste 19
ans. En 644 il se rend au Ts'i >jfô où le grand Hoan-kong le
reçoit honorablement p. 60. — sa caractéristique p. 61. — Tchong-
eul se rend au Song p. 62. — En 037 il se rend à la cour de
Tch'ov, j$> où il se montre homme supérieur. — il se rend à la
cour de Ts'in |j| p. 63. — où Mou-kong lui donne jusqu'à 70
femmes. — toast et cérémonies lettrés à un dîner de gala, p. 64.
TABLE DES MATIÈRES. VII
23me prince Hoai-kong if fè 636, fils de Hoei-kong |c £.
Ts'in Mou-kong m'et Tchong-eul sur le trône de Tsin ^. — lettré
vertueux p. 66. — Tchong-eul se présente au temple des ancêtres
comme leur successeur légitime. — complot contre Tchong-eul que
l'eunuque Pi dévoile p. 67. — remontrance d'un sage et vertueux
lettré p. 68 sq.
Le 24",e prince Wen-koii£ % fè 635-628, apogée de Tsin |f.
Le galant roi va chercher lui-même ses femmes et ses concu-
bines p. 70. — sa prudence et sa générosité. — les 11 grands sei-
gneurs, ses amis. — en son humilité il demande à l'empereur
l'investiture officielle. — les Tartares cherchent son amitié. — la
fille de Wen-kong, femme module p. 71. — serviteur fidèle géné-
reusement récompensé par Wen-kong p. 72. — autre trait de
générosité envers un sage lettré p. 73. — Wen-kong rétablit l'or-
dre à la cour impériale et devient chef des princes féodaux p. 74. —
malgré son humilité au dîner impérial, Wen-kong demande à
l'empereur une galerie couverte pour les tombeaux de ses ancê-
tres. — lequel privilège impérial lui est pourtant refusé p. 76. —
Wen-kong, l'homme lovai. — le chef de la famille Tchao ^ est
en grande faveur auprès de Wen-kong p. 77. — le prince de Song
çjç se met sous la tutelle de Wen-kong et son pays reste intime-
ment attaché au Tsin ^ p. 78. — Ki-hou £!Vf£ est choisi comme
généralissime, pareeque poète et musicien. — humilité parmi les
grands seigneurs de cette époque. — Wen-kong instruit et forme
le peuple p. 79. — le rend capable de grandes entreprises. — en
632, il commence ses campagnes contre le Ts'ao ^ et le Wei fëf
p. 80. — gagne l'amitié de Ts'i ^. — son manifeste vertueux p.
81. — diplomatie lettrée p. 83. — conseil de guerre de sages let-
trés p. 84. — bataille et victoire à Tcheng-p'ou ;J$}fj|. — mauvais
rêve finement expliqué p. 85. — ultimatum lettré de l'époque. —
détails de la bataille p. 86. — Wen-kong visite l'empereur p. 87. —
et lui fait de splendides cadeaux. Il est décoré des plus hauts insi-
gnes p. 88. — il observe humblement tous les Rites. \— mbléc
des vassaux p. 89. — Wen-kong rétablit la paix au Wei ■ffj p.
90. — convention avec le peuple, triste malentendu à la rentrée du
prince. — Wen-kong est strict quant à la discipline militaire p.
91. — prisonniers de guerre offerts aux ancêtres. — ■ assemblée de
vassaux p. 92. — à laquelle l'empereur assiste sur l'invitation de
Wen-kong. Ce que les lettrés et Confucius pensent d'une telle
invitation qui semble contraire aux Rites. — les cadeaux illumi-
nent les yeux du devin de Wen-kong p. 93. — Wen-kong établit
3 corps d'armée, ce qui était contraire aux Rites. — autre oubli
des Rites p. 94. — le marquis de Lou obtient par des cadeaux
l'élargissement du prince de Wei : crimes que ce dernier com-
met. — tour diplomatique joué par un sage lettre p. 9.~>. — le
VIII ROYAUME DE TSIN.
marquis de Lou ami et favori de Wen-kong. — grandes manœu-
vres p. 96. — le roi de Tcli'ou 5q| fait un traité de paix avec
Wen-kong. — mort de Wen-kong ; merveille lettrée expliquée par
le devin Yen p. 97. — parallèle entre Wen-kong et Ts'i-hoan-
kong H $b ^ p. 98.
Le 25me prince Siaiiic-koii^ j| fè 627-621.
Tours de fine diplomatie malgré les Rites p. 99. — la victoire
la plus célèbre de Tsin. — diplomatie féminine. — autre tour de
lettré finement joué p. 100. — Tartares tantôt amis tantôt enne-
mis des Chinois. — dévouement du premier ministre p. 101. —
trait de générosité exercée par Wen-kong et sagesse lettrée p.
102. sq. — Siang-kong l'imite p. 1(J3. — diplomatie lettrée p.
104. — Siang-kong visite l'empereur. — attaque "SYei ; tour de
diplomatie p. 105. — qui fut conforme aux Rites. Philosophie
chinoise p 106. — grande victoire sur le Ts'in ^j*. — prédiction
d'un sage lettré. — le marquis de Lou n'ayant pas offert les ca-
deaux usuels est mal vu p. 107- — démonstration militaire contre
le Ts'in |j| p. 108. — Ts'in Mou-kong répond par une autre
démonstration ; mais il n'y a pas de bataille. — antagonisme de
Tch'ou H? p. 109. — Le marquis de Lou est célébré par un toast
à la cour de Siang-kong; on y observe strictement les Rites. —
Les princes féodaux se plaignent des contributions trop fortes que
le Tsin |f exige p. 110. — prophétie lettrée. — Grandes manœu-
vres de Tsin et promotion de grands seigneurs p. 111. — le grand
seigneur Tchao-siuen-tse J§ W -p 621-589, célébrité de Tsin —
Siang-kong meurt p. 112. — rivalités entre les grands seigneurs,
indices de la ruine future de Tsin p. 113. — le poignard éloigne les
adversaires. — sagesse lettrée p. 114.
Le 26me prince Ling-kong f| & 620-607.
Malgré toutes les prévisions, le jeune fils de Siang-kong est
mis sur le trône p. 116. — complications politiques. — victoire
sur l'armée de Ts'in fj| p. 117. — rivalités parmi les grands
seigneurs. — sagesse lettrée 1 18 sq. — Tchao-siuen-tse se montre
prudent ministre p. 119. — le marquis de Lou est rappelé à l'or-
dre. — rivalités parmi les grands seigneurs p. 120. — le ministre
à Tchou, le grand antagoniste. — il tient une assemblée
de princes p. 121. — guerre avec le Ts'in p. 122. — péripéties
ridicules de la campagne. — prévoyance du ministre prudent
\>. l2.'i. — chinoiserie curieuse p. 12 Y — le prudent ministre gagne
les feudataires p. 125. — le marquis de Lou demande du secours
contre le Tsi ^ p. 12»',. — assemblée des feudataires. — 1
deaux sauvent et le prince malhonnête de Tsi et l'usurpateur de
Song %. — nouvelle assemblée des princes p. 127. — célèbre
lettre diplomatique p. 128. — échange d'otages avec le Tcheng
f£]$. — grand seigneur de Tsin est exilé. — assemblée de princes
TABLE DES MATIERES. IX
p. 129. — Ling-kong n'est pas à la hauteur de son office. — diffi-
cultés avec le Ts'in et le Tch'ou p. 130 sq. — extravagances de
Ling-konii p. 131. — remontrance lettrée. — tyrannie de Ling-
kong. — vertu lettrée p. 132. — Ling-kong est assassiné. — Tchao
Siuen-tse est accusé par l'historiographe comme coupable de cet
assassinat, p. 133. — on choisit un fils de AYen-kong pour suc-
cesseur; pourquoi il se trouvait en exil p. 134.
Le 27,no prince Tch'eng-kong ]£ ^ 606-600.
Le Tch'ou reste l'antagoniste de Tsin p. 136. — Tch'eng-kong
fait la paix avec l'état de Tcheng f|$. — il tient une assemblée de
princes. — Confucius cache les hontes de sa patrie p. 137. — Les
Tartares deviennent les alliés de Tsin. — rivalités entre les grands
seigneurs. — Après une nouvelle assemblée de princes, Tch'eng-
kong meurt p. 138.
Le 28me prince king-kong ^ fè 599-581.
Félonie de Tcheng HJ$. — guerres avec le Tch'ou ^ p. 140. —
qui reste l'antagoniste le plus puissant. Les Tartares se déclarent
les alliés de Tsin. — nouvelle guerre avec Tch'ou p. 111. — sa-
gesse lettrée p. 142. — discorde entre les grands seigneurs de
Tsin p. 143. — stratégie lettrée p. 145. — ultimatum lettré du
roi de Tch'ou. — réponse lettrée p. 146. — bravades de guerriers
de Tch'ou p. 147. — confusion parmi les grands seigneurs de
Tsin p. 148. — bravades de guerriers de Tsin p. 149. — détails
de la débâcle de Tsin p. 150. — à ceux qui veulent élever un tro-
phée des cadavres de Tsin, le roi de Tch'ou répond en savant lettré.
— sacrifice au Fleuve Jaune p. 151. — autres détails de la
bataille p. 152. — échange des prisonniers. — le généralissime
n'est pas puni p. 153. — pourquoi? par suite de ce désastre, les
princes amis de Tsin sont harcelés par leurs voisins p. 154. — le
seigneur Sien-hou yc ^ est exterminé avec sa parenté à la tin de
596. — le ministre de Wei se pend pour sauver son prince. — la
sagesse lettrée empêche King-kong de secourir son allié de Song
5^ contre le Tch'ou %£ p. 155. — un seigneur loyal et courageux
p. 156. — King-kong bat les Tartares. — Ts'i lloan-kong est ja-
loux de ces succès p. 157. — philosophie chinoise. — démonstra-
tion militaire de Tsin p. 15S. — sagesse lettrée. — King-kong
flatte l'empereur p. 159. — et récompense les généraux victorieux,
sagesse lettrée. — les saints Rites sont expliqués. — Ki-k'o, le
grand seigneur boiteux, excite l'hilarité des dames de la cour de
Ts'i ^| p. 160. — il jure de se venger. — Assemblée de princes
p. 161. — on essaye d'intimider le lier prince de Ts'i. — les prin-
ces feudataires se tournent plutôt vers le Tch'ou p. 162. — un
sage ministre à son fils. — K'i-k'o se venge de Ts'i p. 163. —
l'empereur est attaqué par les Tartans et secouru par King-kong
II
X ROYAUME DE TSIN.
p. 164. — K'i-k'o fait la guerre au roi de Ts'i ^ p. 165. — cu-
rieuse bravade p. 166. — détails de cette bataille p. 167. — fin
tour joué au seigneur Han-kiué |f fft p. 168. — fuite du roi de
Ts'i p. 169. — il demande la paix. K'i-k'o demande réparation écla-
tante.— le prince de Lou récompense les généraux vainqueurs. —
Comment on pleure un prince défunt p. 170. — exemple d'humilité
lettrée p. 171. — King-kong llatte l'empereur. — discours vertueux
de ce dernier p. 171 sq. — assemblée des princes p. 172. — échange
d'otages avec le Tch'ou. — expédition contre les tartares. — King-
kong établit 6 corps d'armée. — le roi de Ts'i visite King-kong
p. 173. — Han-kiué reçoit une grande lace. — à la \isite du mar-
quis de Lou. King-kong" n'observe pas bien les Rites; prophétie
lettrée p. 174. — antagonisme avec le Tch'ou. — scandale dans
la grande famille Tchao jjfj qui causera des malheurs p. 175. —
écroulement de montagne met tout le pays en émoi p. 176. —
assemblée de princes. — négligence des saints Rites p. 177. —
prophétie lettrée; armée de Tsin qui va punir le Song ç£, est sur
le point de piller une ville de Wei, qui n'avait pas de garnison
p. 178. — translation de la capitale de Tsin. — antagonisme avec
le Tch'ou p. 179. — assemblée de princes. — le royaume de Ou ^j.
entre en scène et fera une grande guerre au Tch'ou p. 180. —
King-kong n'a pas honte de recevoir un traître. — il malmène le
Lou ||.. — la sagesse lettrée réussit toujours à merveille p. 181. —
trait de brigand. — intrigues féminines mettent la famille Tchao
en danger; Han-kiué la sauve p. 182. — King-kong est jaloux de
la puissance de Ou J^. p. 183. — assemblée de princes p. 184. —
à laquelle le roi de Ou ne peut pas assister. King-kong découvre
un sage caché p. 185. — assemblée de princes p. 186. — qui met
la paix au Tchemj |f[). King-kong tombe malade: ce qu'en disent
le devin et le médecin. — autre songe merveilleux p. 187. — King-
kong meurt. — une famille anéantie p. 188.
Le 29,ue prince Li-koug ^ & 580-573.
Il fait amitié avec le Lou. Le grand seigneur K'i de Tsin est
en litige avec l'empereur lui-même p. 189. — l'arrogant seigneur
ne cède qu'avec peine à la justice. — Les princes de Tsin f| et de
Ts'in ^ ont une entrevue à distance p. 190. — traité de paix
entre le Tsin et le Tch'ou. — mauvais présage p. 191. — le sei-
gneur K'i, ambassadeur au Lou, n'est pas humble; prophétie
lettrée. — mémorandum diplomatique, chef-d'œuvre littéraire
p. 192. — l'année de Tsin ouvre de suite la guerre contre le Ts'in
fg p. 196. — résultai nul; autre prophétie lettrée à propos de la
famille K'i. — assemblée de princes p. 197. — rivalités entre les
grandes familles p. 198. — ambassade solennelle au roi de Ou
^. — guerre avec le Tch'ou p. 199. — détails de la campagne
p. 2D0 sq. — et de la bataille p. 2<>'i sq. — victoire sans mérite. —
assemblée de princes. — le pauvre marquis de I .ou est mis en réclusion
TABLE DES MATIERES. . XI
p. 207. — 11' seigneur K'i, ambassadeur auprès de l'empereur, se
montre vantard ; prophétie à ce sujet p. 2<>S. — antagonisme avec
le Tch'ou p. 209, — prophéties sur les malheurs qui menacent le
Tsin -|j-. intrigues à la cour de Li-kong p. 210. — rivalités des
grandes familles p. 211. - — la famille K'i est anéantie p. 212. —
détails de ce drame p. 213. — Li-kong lui aussi est tué par les
grands seigneurs p. 215 sq.
Le 30me prince Tao-koug fê & 572-558.
Les nouveaux ministres et les chefs des familles seigneuriales
p. 217. — le précepteur du prince héritier p. 218. — et autres
hauts dignitaires de la cour p.2 18 sq. — Tao-kong relevé le pres-
tige de la couronne. — antagonisme avec le Tch'ou p. 220 sq. —
assemblée de princes et diverses expéditions militaires p. 22 1. —
La mort de l'empereur passe inaperçue. — Tao-kong ne respecte
pas le deuil national de Tcheng ^ p. 222. — assemblée de prin-
ces. — le nouveau marquis de Lou, enfant de 0 ans, gagne le
cœur de Tao-kong. — Tao-kong invite le prince de Ts'i ^ a l'as-
semblée des princes p. 223. — grand seigneur loyal p. 22'». —
Le grand ministre de l'empereur préside l'assemblée des prin-
ces. — parade militaire en leur honneur p. 225. — Tao-kong est
capable de reconnaître sa faute et de la réparer p. 22b. — anta-
gonisme avec le Tch'ou. — Le Lou ^ se montre en possession
de la tine Heur lettrée p. 227. — Tao-kong consent à faire un traité
d'alliance avec les Tartares après que le grand seigneur Wei-kiang
lui a exposé l'histoire des Tartares p. 228 sq. — l'ambassadeur de
Ou ^|. réjouit Tao-kong p. 230. — grande assemblée de princes. —
antagonisme avec le Tch'ou p. 231. — le rils de Han-kiué. un sage
lettré, refuse la dignité de ministre et pourquoi p. 232. — assem-
blée de princes. — Les grands seigneurs de Tsin sont trop avides
de cadeaux : le marquis de Lou veut régler le question des obliga-
tions des princes vassaux. — le fameux lettré Tse-tch'an ^ j||
entre en scène p. 233. — assemblée de princes. — toast de l'am-
bassadeur de Tsin à la cour de Lou p. 234. — le prestige de Tsin
^ est remonté p. 235. — assemblée de princes. — bienveillance
de Tao-kong envers le jeune marquis de Lou p. 236 sq. — bonté
de Tao-kong envers son peuple. — assemblée de princes p. 237. —
attaque traîtresse de Pi-yang, malgré le premier ministre. — ce
dernier se fâche lorsque les deux généraux se découragent p. 238. —
la ville prise est donnée au Song Çjç. — ce prince célèbre Tao-kong
en faisant de la musique Ing %fc p. 239. — l'esprit de cette musi-
que apparaît à Tao-kong. — curieuse comédie religieuse p. 240. —
antagonisme avec le Tch'ou. — l'armée de Tsin recule devant
l'armée de Tch'ou p. 241. — diplomatie bien chinoise p. 242. —
antagonisme avec le Tch'ou. — assemblée de princes. — le prince de
Tc/iem/Hl^donneà Tao-kon,u de magnifiques cadeaux en témoignage
de son inaltérable fidélité p. 243. — grand seigneur humble p. 2'»'». — •
XII ROYAUME DE TSIN.
le Tch'ou ^§ et le Ts'in §j| se liguent contre le Tsin ff. — le
marquis de Lou |§- demande à Tao-kong aide contre ses grands
seigneurs. — les grands seigneurs de Tsin donnent l'exemple de
l'humilité lettrée p. 245. — longue tirade sur les saints Rites, qui
recommandent l'humilité. — le roi de Ou ^L est lancé contre le
Tch'ou p. 247. — guerre contre le Ts'in; l'armée de Tsin refuse
finalement d'avancer ; enfin les soldats de Lou avancent courageu-
sement.— querelles parmi les grands seigneurs de Tsin p. 248. —
qui deviennent la cause de mortelles inimitiés p. 249. — prophétie
lettrée. — Tao-kong licencie les 3 nouveaux corps d'armée ; pour-
quoi ? p. 250. — il reçoit une fameuse leçon du maître de musique
p. 251. — les grands seigneurs de Wei chassent leur prince, sans
que Tao-kong s'en préoccupe. — les ambassadeurs des princes
feudataires reconnaissent aussi le fait accompli p. 252. — tour
joué au roi de Ts'i. — mort de Tao-kong p. 253.
Le 31me prince P'ing-kong ^ fè 557-532.
Enterrement hâtif. — le sage lettré Clwu-hiang ,j>3( |fij est mis
en lumière p. 25 4. — assemblée de princes. — le toast de Ts'i
trahit de mauvaises intentions. — P'ing-kong patiente p. 255. —
guerre contre le Tch'ou p. 256. — malgré les prières les plus pres-
santes de Lou, P'ing-kong n'attaque pas le Ts'i p. 257. — enfin
la guerre est décidée ; songe mystérieux du généralissime ; son sa-
crifice à l'esprit du Fleuve Jaune p. 258. — le roi de Ts'i se laisse
effrayer p. 259. — eunuque courageux et intelligent p. 260. —
détails de l'expédition p. 261. — le prince héritier empêche le roi
de Ts'i de s'enluir. — assemblée de princes p. 262. — plein de
reconnaissance, le marquis de Lou récompense royalement les
grands seigneurs de Tsin. — merveille lettrée p. 263. — toast à
l'ambassadeur de Lou, grands Rites p. 264. — nouvelle armée
contre le Ts'i; elle rentre dès qu'elle apprend la mort du roi de Ts'i.
— cette observation stricte des Rites gagne le nouveau roi. —
assemblée de princes p. 265. — anéantissement de la grande fa-
mille Loan p. 266. sq. — le sage Chou-hiang en prison; vertu
lettrée p. 267-269. — assemblée de princes p. 270. — fameuse note
diplomatique de Tse-tchran -J- j§^p.27l. — naissance de Confucius.
— vilain tour du roi de Ts'i p. 272. — dernier acte de la tragédie
Loan p. 273. — belle chinoiserie p. 274. — combat acharné p. 275.
— invasion d'une armée de Ts'i au Tsin jjj- p. 276. — un sage
lettré explique le terme survivre» p. 277. — fameuse leçon de la
part de Tse-tch'an p. 278. — antagonisme avec le Tch'ou p. 279.
mœurs de grands seigneurs p. 280. — prophétie lettrée. — assem-
blée de princes. — esclaves et musiciennes envoyés en cadeaux
p. 281. — assemblée de princes p. 282. — Note diplomatique du
laineux Tse-tch'an p. 2S3. — le sage Chou-hiang traite de la paix
avec 1<' Ts'in H p. 284. — P'ing-kong reçoit un gouverneur félon
de Wei — assemblée de princes p. 285. — toast de P'ing-kong.
TABLE DES MATIERES. XIII
— entretien des 2 fameux lettrés Yen-tse ^ -^ et Chou-hiang
p. 286. — déférence envers l'empereur p. 287. — gentil tour diplo-
matique. — utopie d'un désarmement général, d'une paix univer-
selle p. 288 sqq. ' — négociations ad hoc p. 289. — déloyauté de
Tch'ou. — remarques du sage Chou-hiang p. 291. — l'ambassadeur
de Tch'ou le premier se frotte les lèvres avec le sang des victimes
p. 292. — l'étiquette envers un hôte. — le dualisme dans l'empire
est reconnu p. 293. — le sage Chou-hiang remporte de nouveaux
triomphes p. 294. — toast des seigneurs de Tclieng fl[$ parmi les-
quels le sage Tse-tch'an p. 295. — prophétie lettrée. — l'am-
bassadeur de Tch'ou à la cour de Tsin est reçu avec beaucoup de
distinction p. 296. — piété filiale de P'ing-kong p. 297. — pro-
phétie lettrée p. 298. — honneurs rendus à un vertueux vieillard
p. 299. — éloge des ministres si vertueux de Tsin p. 300. — as-
semblée inutile d'ambassadeurs à propos des malheurs de Song 5£.
— prophétie lettrée p. 301. — tour diplomatique du fameux Tse-
tch'an p. 302 sq. — remarques du sage Chou-hiang. — assemblée
de princes. — un sage lettrée fait un discours diplomatique au 1er
ministre de Tsin p. 30 ï sq. — toast du 1er ministre de Tch'ou. —
prophétie du sage lettré Chou-hiang. — toast chanté par le pre-
mier ministre de Tsin à l'assemblée des princes p. 306. — humilité de
ce ministre p. 307. — elle est célébrée par tous les ambassadeurs,
même par l'empereur p. 309. — le frère du roi de Ts'in ^ cherche
un refuge au Tsin -fj. — prophétie lettrée p. 310. — guerre contre
les Tartares p. 311. — entrevue des 2 fameux lettrés Tse-tch'an
et Chou-hiang p. 312. — morale lettrée p. 313. — leçon d'un fa-
meux médecin à l'adresse du concubinaire P'ing-kong p. 314 sq.
— morale lettrée. — entretien du 1er ministre et du sage Chou-
hiang p. 316. — sacrifices aux ancêtres. — mort du Ie' ministre
p. 317. — Han-k'i ?$: /£ devient lor ministre; il visite les princes
feudataires p. 318 sq. — nouvelle concubine de P'ing-kong p. 320.
— réception solennelle de l'ambassadeur de Lou qui édifie par la
stricte observation des Rites. — la mort de la concubine rend P'ing-
kong malade de douleur p. 321. — détails de son enterrement. —
une nouvelle concubine arrive accompagnée du sage lettré Yen-tse
f§| -J-. — entretien de ce dernier avec le sage Chou-hiang p. '.',2'-'>.
— visite princière pour féliciter P'ing-kong de sa nouvelle acqui-
sition p. 324. — jeu diplomatique de Han-k'i p. 325. — qui va lui-
même chercher la nouvelle concubine. — elle est échangée p. 326.
— Le roi de Tch'ou veut supplanter P'ing-kong comme roi suprê-
me p. 327. — il demande une princesse de Tsin pour épouse. Les
feudataires offrent à P'ing-kong leurs félicitations ; le marquis de
Lou brille par l'exacte observance des saints Rites p. 328. — Han-
k'i et Chou-hiang conduisent la fille de P'ing-kong chez le roi de
Tch'ou. — ce dernier pose des questions épineuses au sage Chou-
hiang et est émerveillé de ses réponses p. 329. — un gouverneur
félon est reçu très gracieusement à la cour de Lou p. 330. —
XIV ROYAUME DE TSIN.
humilité lettrée. — Chou-hiang se montre conciliant sur les lois
de l'étiquette p. 331. — Le sage Tse-tch'an rédige un code pénal,
qui est réprouvé par les lettrés p. 332. sq. — les sages lettrés ex-
pliquent une éclipse de soleil p. 334. — les esprits des montagnes
ne savent pas guérir la maladie de P'ing-kong ; Tse-tch'an indique
un bon moyen p. 335. — les diplomates font leur jeu p. 336. — les
6 facteurs nécessaires pour qu'une prophétie lettrée s'accomplisse.
— un sage lettré explique comment une pierre peut parler p. 337.
— le maitre de musique donne une leçon à P'ing-kong, à la
grande joie de Chou-hiang. — de grands seigneurs lancent les
Tartares sur la capitale de l'empereur p. 338. — Son message à
P'ing-kong p. 339 sq. — remarques du sage Chou-hiang au 1er
ministre p. 341. — P'ing-kong n'observe pas les saints Rites. —
leçon du maitre cuisinier p. 342. — A la vue d'une étoile étrange,
un sage lettré fait une prophétie. — P'ing-kong meurt p. 343. — il
est enterré solennellement. — Tse-tch'an le sage diplomate p. 344.
Le 32 prince Tchao-kong Hg fc 531-526.
Han-k'i préside une réunion de princes p. 345. — Chou-hiang
fait une prophétie lettrée. — jeux à la cour de Tsin p. 346. — traî-
trises p. 34 7. — Chou-hiang recommande à Tchao-kong de montrer
aux princes ses forces militaires. — assemblée de princes. — Tchao-
kong exige trop de cadeaux p. 348. — plaintes des feudataires
p. 349. — le sage Chou-hiang fait un savant discours au roi de
Ts'i ^ p. 350. — mais la peur d'une invasion produit plus d'ef-
fets sur lui. — grandes manœuvres. — Chou-hiang prend la dé-
fense de Tchao-kong p. 351. — Tse-tch'an fait diminuer les taxes
exorbitantes. — dernière assemblée des princes présidée par le roi
de Tsin. — humiliation de Lou p. 352. — bon tour diplomatique
p. 353. — autre tour p. 354. — Chou-hiang, l'homme droit, ne
regarde pas la dignité des coupables p. 355. — Un lettré scrupu-
leux, disciple de Chou-hiang p. 356. — Le marquis de Lou visite
la cour de Tsin p. 357. — un diplomate mis dans le sac p. 358. —
Chou-hiang s'en console en lettré vertueux p. 359. — le fameux
Tse-tch'an donne à Han-k'i une verte leçon. — grands toasts chantés
à Han-k'i p. 360. ce dernier remercie encore Tse-tch'an. — pro-
phétie néfaste sur le Tsin p. 361. — mort de Tchao-kong p. 362.
Le 33,ne prince K'ing-koiig tjj fè 525-512.
Ruse pieuse bien devinée p. 363. — l'armée de l'empereur prend
part au pillage. — le sage lettré Tse-tch'an toujours victorieux
p. 364 sq. — mort de Tse-tch'an; Confucius le pleure p. 365. — le
marquis de Lou offre à l'ambassadeur de Tsin 7t4 bœufs, 7 + 4
brebis \>. 366. — le saint général" p. 367. — - troubles à la cour
impériale p. 368. — victoire d'un sage lettré p. 369. — il devine
toutes les ruses p. 37it. — il joue de jolis tours. — il sort de pri-
i chargé de cadeaux p. 371. — troubles à La cour impériale
TABLE DES MATIERES. XV
p. 3*2. — assemblée de 10 ambassadeurs de princes. — les feuda-
taires refusent de secourir l'empereur p. 373. — l'ordre est réta-
bli à la cour impériale. — le fameux Ou Ki-tse ^L f-: :f à la cour
de Tsin p. '.'>~\. — Le marquis de Lou chassé de son pays, est
abandonné de tous. — les grands seigneurs de Tsin causent des
troubles dans l'état p. 37"». — prophétie et fameux discours de la
mère de Chou-hiang p. 377. — les grands seigneurs de Tsin sont
très riches et très puissants p. 378. — ils visent encore plus haut
p. 379. — historiettes pratiques p. 380. — Confucius exalte le
nouveau ministre de Tsin p. 381. — apologue pratique p. 382. —
un dragon apparaît; dissertation lettrée sur les dragons p. 383. —
code pénal réprouvé par Confucius p. 384. — prophétie lettrée. —
mort et enterrement hâtif de K"ing-kong. — un ambassadeur à
bonne langue p. 385 sq.
Le 34mB prince Tiiig-kong % £ 511-475.
Il voudrait aider le malheureux marquis de Lou, mais il est
trompé par son ministre p. 387. — hyprocrisie du grand ministre
de Lou. — manière peu diplomatique du prince de Lou p. 388. —
l'empereur ne peut pas vivre en paix à sa capitale: sa supplique
aux feudataires p. 389. sq. — à l'assemblée des ambassadeurs, le
ministre de Tsin manque aux saints Rites p. 391. — il meurt. —
querelles entre les feudataires p. 392. — prophétie solennelle d'un
sage lettré p. 394. — faute diplomatique de Tsin. — grandissime
assemblée de princes. — les grands seigneurs de Tsin sont la ruine
de l'état p. 395. — le roi de Tch'ou devient l'arbitre de la Chine
p. 396. — l'empereur se sert d'un assassin pour se délivrer de son
frère; mais les troubles continuent p. 397. — révolte dans l'état
de Lou sans que le chef suprême s'en occupe p. 398. — avarice des
grands seigneurs de Tsin p. 399. — l'empereur remercie ses ancêtres
d'avoir rétabli la paix. — traîtrise envers leducdeSong $£ p. 400. —
le Tsin aide le Lou contre le Ts'i. — traîtrise envers le marquis
de Wei Hj. — sacrifice solennel p. 401. — difficultés a\ec le Tcheng
H|$ p. 402. — le marquis de Wei rompt avec le Tsin ; il corrompt
le grand seigneur Tchao en lui promettant 500 familles p. 403. —
détails de l'expédition. Chinoiseries de Ting-kong p. 'ii>4. — traîtri-
ses des grands officiers de Ts'i jlf. — complications à propos de
ces 500 familles p. 405. — il en résulte des complications politi-
ques p. 406. — drame redoutable. — une loi jurée par tous les
grands seigneurs et déposée dans le Heine Jaune devenait sacro-
saintep. 407. — les deux seigneurs Siun ^7 et Che ^t succombent
p. 408. — il en résulte une grande guerre p. 409. diverses péripé-
ties de cette guerre. — les sorts disent ce que l'on veut p. 411. —
proclamation des récompenses pour encourager les guerriers. —
détails de la bataille p. 412-413. — prière payenne d'un poltron
p. 413. — officiers glorieux et vantards p. \ 1 '1 . — singulière con-
duite de l'empereur p. 4 15. — Plus le Tsin baisse, plus le Tch'ou
XVI ROYAUME DE TSIN.
monte p. 416. — vertus lettrées p. 417. — curieux horoscope. —
le Tsin attaque le Ts'i ^ p. 418. — la fameuse assemblée des
princes à Hoang-tché ^r *$H,\e fier roi de Ou ^ réclame et obtient la
préséance p. 419. — En 479 mort de Confucius p. 420. — la
guerre avec le Ts'i continue. — mort de Ting-kong et du fameux
Tchao Kien-tse |g f$j ^517-475, chef de la maison Tchao p. 421. —
Ce dernier avait fait un traité d'amitié avec le roi de Ou ^| p. 422.
Le 35me prince Tch'on-kong tB & 474-457.
Guerre avec le Ts'i p. 423. — sans résultat. Querelles entre
les grands seigneurs de Tsin. — ils anéantissent les maisons Tche
£P et Siun ^aj p. 426. — ils chassent le prince p. 427. —
Le 36me prince Ngai-kong 3& & 456-452.
Querelles des grands seigneurs p. 428 sq. — triumvirat des
seigneurs Tchao fg, Han || et Wei f| p. 430. — En 452, ils se
partagent le royaume de Tsin, sans cependant anéantir la famille
régnante p. 431. — Celle-ci continue à végéter jusqu'en 358, où
elle disparaît de l'histoire p. 434-437.
XVII
TABLE ALPHABETIQUE
-:-<■; SK-
Ambassadeur devait toujours
porter des cadeaux proportionnés
à la dignité de son maître et du
prince qu'il visitait p. 264, 277,
282 et passim...p.321,326,330.
Amnistie ou convention avec
le peuple pour lui garantir la
paix p. 90
Ancêtres : sont les dieux de la
famille ; sacrifices aux ancêtres
p. 91, 210, 240. 317 et passim.
L'installation du chef de famille
se fait au temple des ancêtres
p. 91, 105, le bonnet viril est
donné là p. 237.
Antagonisme entre le Tsin et
le Tch'ou p. 127, 130 sq, 136
sqq, 144, 161 sqq, 255, 280,
327, 352, 395 et passim. Ce sont
des rivaux; le Tch'ou l'emportera.
Année dans les anciens temps
est déterminée par l'empereur ;
les feudataires la changent arbi-
trairement p. 94, 311.
Assemblée de princes dans les
anciens temps rare pour délibé-
rer sur des questions majeures ;
plus tard très fréquentes, sou-
vent tous les ans pour extorquer
des cadeaux p. 222. on en trouve
presque à chaque page du livre.
La plus fameuse est celle de
Hoang-tche p. 419. La théorie
de ces assem blées p.. 328,345,348,
373, 391.
Astrologie p. 337, 343.
Avènement solennel d'un prin-
ce p. 67, 13'».
Bataille: grande à Tcheng-p'ou
p. 85, à Hiao p. 100,106, à Ling-
hou p. 117, bataille perdue à Pi
p. 14 4-151, et gagnée à Mi-ki
p. 165 sqq. à Ma-souei p. 196 ;
à Yen-ling p. 200 sq. àTsip.411.
à Li-kiou p. 424. de petites ba-
tailles, divers combats se trou-
vent presque à chaque page.
Bonnet vieil. ..p. 236 sq. Note.
Blltiu : une partie en devait
être offert à l'empereur p. 284
et passim.
o
Cadavres pris et déshonorés
p. 81. pris et échangés contre
des prisonniers p. 153. non en-
terrés rendent l'âme malheureuse
p. 284, 401.
Cadeaux sont tout puissants
p. 243, 281, 330, 395. demandes
écrasent les feudataires p. 302,
357, 395. diverses espèces de
p. 263. cadeaux princiers p. 33,
122. requis par les Rites 299.
règles dans la distribution de
p. 399.
Char de guerre p. 31, 86,145,
311.
Chasse est réprouvée. ..p. 229.
Chon-hiailg le fameux sage joue
un grand rôle p. 282, 289,291,
293, 304, 306, 421,329, 348,376.
III
XVIII
TABLE ALPHA BTIQUE.
Civilité chinoise p. 53, 64, 87, '
147.
Code pénal réprouvé par les
sages p. 332, 384.
Collation solennelle de titres
p. 88.
Combats homériques p. 20lsqq.
Concubines — jouent un grand
rôle p. 214, 286, 322, 355., une
substituée pour une autre p. 326.
Conflicius p. 39,134,138,156,
176, 188, 231, 255, 272, 289,
292, 330, 355, 375, 381, 399,
420. Son père fameux guerrier
p. 238.
Conjuration — curieux exem-
ple de' p. 273.
Corvées imposées aux feuda-
taires p. 297.
13
Décadence de Tsin p. 1 31 , 421 ,
sqq.
Défilés célèbres p. 2, 3. — dan-
gereux p. 6.
Devins célèbres p. 29, 39,
51, 55, 75, 93, 97, 187, 203,
280, 403, 411, 418, 421, 424.
Deuil national à la mort du
prince p. 344. — n'est pas res-
pecté p. 359, 419.
Dévouement héroïque d'un ser-
viteur p . 408 .
Dignitaire — nomination d'un
p. 23.
Diplomatie chinoise p. 33,78,
80, sqq, 100, 116, sq, 124, 159,
170, 183, 192 et passim, fameu-
ses lettres diplomatiques
p. 128. 193, 223, 242, 251.
Eclipses annoncent des mal-
heurs p- 344.
Education — principes d ' p . 2 1 7 .
Empereur 1/ — est presque dé-
pouillé de son territoire ; il a
encore un grand nom devant le
peuple. Les princes feudataires
n'ont de relation avec lui que
lorsqu'ils y trouvent leur avan-
tage p. 54,74,109,159 et passim.
Empereur est encore capable
de donner une verte leçon à un
seigneur lettré p. 357.
Enterrement de prince p. 254.
hâtif p. 385; on enterre vivant
p. 187.
Esclave p. 275,412.
Eunuque dévoué p. 67, 77. ven-
geance d'un eunuque p. 259.
Famille de haute noblesse au
Tsin p. 71.
Famine au Tsin p. 49.
Femmes vertueuses p. 71, 111,
113, 116.
— curieuses p. 160.
— intelligente... p. 197,377.
— endiablée p. 266.
Feudataires défendent leurs
droits p. 392.
Fils — les — du Précédent sou-
verain sont exilés pour le bien
de la paix p. 134.
Fleuves — les — du Tsin p. 8.
Lesfleuves ont des esprits ou sont
des esprits, surtout le Fleuve
Jaune p. 252, 393.
Géant, un — p. 158.
Générosité, traits de — p. 4 17.
(ïéograpkie de Tsin p. 1.
(iiatitude, bel exemple de
p. 133.
TABLE ALPHABETIQUE.
XIX
GuerM — un ministre de la
guerre et ses subalternes p. 21 8 sq
Haine et vengeance p. 266.
HégélllOU ou chef des feudataires
p. 74. il fait la guerre à la place
de l'empereur p. 127. 136. il ré-
unit les princes feudataires p.
127, 137 sqq. il y a 2 hégémons
.p. 293.
Histoire bien documentée de
Tsin p. 23.
Historien Y — officiel ou le
grand archiviste avec ses subal-
ternes est une vieille institution
chinoise p. 133, 278, 418. — est
loué par Confucius p. 383.
Historiques : détails — fournis
par un message impérial p. 339.
Humilité lettrée est un thème
souvent m entionné p. 79, 110, 150,
171, 206, 223, 232, 235,239, 244,
246,294,307,317,319,338,361.
Hypocrisie lettrée p...210 sqq. :
I
Installation officielle d*un prin
ce p. 48 sq. 215
Jade très estimé p. 95, sert de
sacrifice p . 2 5 S .
Lettrés sont à la solde des
grands seigneurs ; ils ont cons-
cience de leur valeur p. 266 et
passim. et aussi humilité lettrée,
sagesse lettrée.
Loan H§, grande famille de
Tsin p. 19, 65, 85, 99. anéantie
p. 266. son chef proscrit par un
curieux stratagème p. 272 sqq.
elle disparait de l'histoire.
Loil '"§!•, la patrie de Confucius,
est mentionné bien des fois.
D'après les lettrés c'est l'état de
la vertu, de la bonne doctrine,
l'état modèle. Ainsi dans les
livres théoriques des lettrés. Pra-
tiquement son gouvernement, ses
grands, étaient aussi diplomati-
ques et hypocrites que ceux des
autres états p. 299.
LOU, le prince de — récompen-
se d'une manière modèle les offi-
ciers de Tsin p. 263 sqq.
JVC
Manœuvres militaires p. 80, 96,
111, 127, 155, 158, 225, 246,
348, 351.
Médecin — curieuse consulta-
tion de — p. 314.
.Merveilles lettrées p. 158, 160,
167, 176, 240, 258, 337, 383.
.Ministres fidèles et dévoués
p. 131 sq.
Montagne s'écroule ; quels Ri-
tes à accomplir p. 176.
Mort — la — d'un prince est
regardé comme un deuil national,
que tous les états doivent res-
pecter d'après les Rites p. 222.
265.
Morts - — les — comprennent
encore les hommes p. 263.
.Musique — la — et son direc-
teur en grand honneur p. 239 et
Note p.2'i3, 251,
255, 284, 299, 315, 337, 342.
Musiciennes depuis l'antiquité
regardées comme de mauvaises
femmes p. 331.
NT
Noblesse — la haute — de Tsin
p. 71 ; les femmes.
XX
ROYAUME DE TSIX.
1) Tchao H p. 17,"). amie des
Han p 273, 282, 423.
2 Wei §| p. 204, 216, 244.
amie des Loan p. 273, 31 1, 378.
3) Han £| p 220, 232,
287, 301, 318, 331, 336, 341.
4) Hou %.
5) Siu ^ p. 210, note.
6) Sien %.
7) K'i ffi ennemie des Siu.
p. 212. 218. Note. p. 203, sq. 198.
8) Loan f|, très fier p 203,
215. Notes 250, 266.
9) Fan fjj ou Che -^ amie des
Loan.
10 Tc//e£pi . . .
a*\ o- it , du même clan
1 1 Siun %j j
p. 223. Note, p. 219 213.
Les seigneurs se querellent sur
le champ de bataille p 249.
Ils sont insatiables p. 301.424.
Ils réclament pour eux tou-
jours de nouveaux privilèges, de
nouveaux fiefs p. 325,
336, sqq.. 352,355,361.369,396.
Ils sont impudents envers les
autres feudataires p. 328, 402.
Ils causent de graves troubles
p. 407 sqq.. 4 15.
Les seigneurs Loan anéantis
en 552 p. 266.
Les seigneurs Fan f(j et Siun
^jj anéantis en 490 p. 407. 126.
En 453 les seigneurs Tchao, Han
et Wei se partagent les autres
fiefs; en 452 ils partagent entre
eux l'état de Tsin : en 403 ils
sont officiellement reconnus par
l'empereur comme princes légi-
times de leur fiefs et le Tsin a
d'exister p. 'i35.
Oreilles coupées par les vain-
queurs p. 92.
Otages échangés p. 55, 129,
155, 163, 186, 209.
On 1% royaume de — p. 180, 1 99.
223, 225, 230, 247, 304, 348,396.
Patriotisme chinois ...p. 100.
Pieds coupés à un coupable
p. 92.
Politesse chinoise p. 100.
Politique tortueuse p. 25, 28,
33, 47 et passim.
Présages malheureux p. 3 46,
378.
Prière payenne p.413.
Prisonniers de guerre p. 260.
Prophéties lettrées à la Virgi-
le très fréquentes p. 48 sqq. 17 4
sqq. et passim. Presque chaque
événement tant soit peu impor-
tant aurait été prévu par un sage
lettré.
Provocations et Bravades mili-
taires très fréquentes p. 147 sqq.
166, 261, 280, 404, 421, 425.
R
Réception solennelle par l'em-
pereur p. 188.
— princière p........ 286, 289.
Rêve : mauvais — expliqué par
un lettré p. 85.
Rhinocéros — coupe en corne
de — , sa signification p. 308 et
Note p. 369.
Rites — les saints — bien obser-
vés sauvent les peuples p. 89, 271
281, 286, 307 et note 317, 343.
Rites sont expliqués p. 93,373.
— sont négligés p. 272, 326,
3'i2, 404, provoquent une verte
leçon p. 359, 385, 391 sq.
Sacrifices se font en l'honneur
du ciel et de terre, des fictives
TABLE ALPHABETIQUE.
p. 151, 363, et des montagnes,
des ancêtres p. 256, 401, en si-
gne déloyauté aux traités p. 177
p. 105, 177.
Sacrifices humains encore en
usage p. 158, 240, 364.
Sagesse lettrée et philosophie
se trouvent presque à chaque
page ; elle est basée sur les an-
ciens classiques et développée par
les seigneurs lettrés, qui natu-
rellement prétendent être infail-
libles p. 17, 19, 68, 72, 77, 84,
99, 102, 152, 170, 246 et passim.
Serments et traitées furent très
solennellement jurés, mais peu
observés : «tant que le propre
avantage le commandait» : ils
sont très fréquents p. 66,89,94,
177, 190, 208, 241 sqq. 252, 254,
258, 265, 292, 305 et passim.
Serinent au soleil p. 275.
Serviteur fidèle p. 72,90,352,
389..
$°ng t£ — état de — , position
importante; est souvent attaqué.
Songes mystérieux p. 85,204,
304.
Stratagèmes Lettrés — ce sont
quelquefois de fins tours, quel-
fois des traîtrises, mais toujours
joués avec esprit p. 95,288,302,
328, 347, 353, 357, 369 sq. 376,
382, 387 sqq. 411,430 et passim.
Stratégie lettrée p. 142, 145,
201, 259, 311. ordre de se pré-
parer à l'attaque p. 202. règle-
ments militaires p. 225.
Signes d'une victoire certaine
p. 201.
«Survivre» — ce que c'est —
expliqué p. 277.
Tambour frappé par le général
est le signe de l'attaque, l'ordre
d'avancer p. 166, 206.
Tartares se rencontrent fré-
quemment. Ils sont tantôt amis
tantôt ennemis des Chinois p. 24,
95, 101 et Note, 136, 141, 156,
201, 339, 363 et passim.
Tcheng J|j$ — état de — sou-
vent attaqué par les autres états,
pareequ'il était le maître de Ho-
ing fpj p|j et de Cheu-men-kiu
7ï f1] ^' c_à-d. maître de la
communication entre le Fleuve
Jaune et le canal impérial ; donc
d'une importance majeure. Ce
n'est que grâce aux jalousies des
autres princes que le Tcheng
garde son indépendance jusqu'en
375 avant N.S.
Telroil <§| — état de — est le
grand rival de Tsin ^ et se ren-
contre bien des fois.
Tombeaux — vénération poul-
ies — p. 81.
Transport de la capitale p. 178.
— de familles p. 405.
Ts'ao ^ — état de — maître
de la communication entre la
Tsi \$ et de la Seu ffa c.-à-d.
entre le bassin du Hoang-ho,
Fleuve Jaune, et la Houai f{£ ;
donc position presque aussi im-
portante que les états de Song
5J£ et de Tcheng 1$.
Tse-tclrail ^ /|r le fameux
lettré et ministre de Tcheng ||j$
p. 271, 275, 283,
295, 302, 307, 312, 328, 335,
344, 348, 352, 360, 364 sq.
XXII
ROYAUME DE TSIN.
Tsi 3J| — état de — très puis-
sant ; rival de Tsin |J.
Ts'ill fj| — état de — très
puissant ; grand rival de Tsin |f
et de Tch'ou $£. C'est le Ts'in
^ qui l'emportera sur tous.
XJ
Utopie du désarmement géné-
ral et de la paix éternelle p. 288 sq.
v
Vengeance diabolique p. 213,
266, 271.
Vertu lettrée souvent prônée
,. 89, 90, 267, 336 et passim.
Vieillard fêté p. 300.
Visite des ministres pour se
présenter aux autres cours ; celle
de Han-k'i $^ ^B est la plus cé-
lèbre p. 318.
Yeng-tse
^f- le fameux phi-
losophe p. 272, visite Chou-hiang
p. 223, 286, 320. fameux entre-
tien.
INTRODUCTION
GÉOGRAPHIE DU ROYAUME DE TSIN #
L'ancien royaume de Tsin comprenait à peu près la province
actuelle du Chan-si \[\ "gf , dont la position naturelle était et est
encore la plus forte, après celle du Chensi |i$\ "g; c'est un vrai
rempart pour la Chine.
A l'est, elle est gardée par la grande chaîne de montagnes
appelée T'ai-hang -fa jjf ; à l'ouest, elle est bordée par le fleuve
Jaune [Hoang-ho |f fi]] ; au nord, elle est protégée par les chaînes
de montagnes Ta-mou -fc ^ et In-chan |2| fjj, où se trouvent
les défilés Keou-tchou fij £Jt et Yen-men || P^ ; au sud, elle est
doublement défendue par les montagnes Cheou-yang "|f ^, Ti-
tchou /g ^, Si-tch'eng fflf ££. Wang-ou ï| et par le Fleuve
Jaune, où se trouve le fameux gué de Mong-tsin jg j|h, avec le
non moins fameux défilé Tong-koan fê §|, qui est la porte méri-
dionale de la province.
On comprend sans peine que tous ceux qui, dans le cours des
siècles, se disputèrent l'empire, ne se considéraient pas comme
vainqueurs et maîtres, tant qu'ils ne s'étaient pas emparés de cette
région, si riche en ressources et en moyens de défense.
La grande chaîne de montagnes T'ai-hang, dont nous venons
de parler, est encore appelée Ou-hang-chan 3l 'ff lll» Wang-mou-
chan 3E # lil î ou encore Niu-koa-chan -far ^ jjj, du nom de la
sœur de Fou-hi ffi |!|. Elle commence à 20 li au nord de Hoai-
k'ing fou ff| Jg fô dans la province du Ho-nan fpj ^, se rend
dans le Chan-si, passe au sud de Tché-tcheou fou ^ j<\\ JjSf, revient
au Ho-nan dans la préfecture de Tchang-tè fou i$£ |§! jjrf, rentre
au Chan-si \[\ "Ff dans la préfecture de Lou-ngan fou •$$ ^ /fjf.
puis s'en va vers le nord-est jusqu'à Choen-t'ien fou jljfj ^jfô, c'est-
à-dire Pé-king fc /£, dans la province du Tche-li jj§[ ^. Dans son
parcours de plusieurs milliers de li, elle traverse treize préfectu-
res, où elle porte différents noms.
Elle a une centaine de hauts pics; c'est pourquoi on l'a ap-
pelée l'épine dorsale de la Chine. Elle sert de frontière aux trois
provinces du Tche-li, du Ho-nan et du Chan-si; le nom de cette
dernière l'indique assez clairement ; il signifie région à l'ouest de
la montagne, c'est-à-dire de la chaîne T'ai-hang. (Petite géogr.,
vol. 12, pp. 21, 26, 27;.
i
2 INTRODUCTION.
Ènumérer tous ses défilés serait trop long; indiquons seule-
ment les principaux :
Dans le Chan-si :
1° Yang-tchang-tao îfc Jfâ 7*f, ou Yang-lchang-fan ■£ % i%
ou encore Yang-tchang-koan ^ #§ Ui ; trois noms qui signifient
chemin, chaussée, barrière, ressemblant à un boyau de bique;
tellement ce défilé est long, étroit, et contourné!
Il y a encore d'autres défilés du même nom ; mais celui-ci est
le plus fameux; il est à 45 li au sud de Tché-tcheou fou ^^JrlJfr,
et coupe la montagne à l'endroit où elle est le plus élevée. On
raconte que Confucius, voulant se rendre au pays de Tsin ^,
vint jusqu'à l'entrée de cette gorge ; mais il n'osa pas y pénétrer ;
il avait trop peur d'y exposet sa précieuse personne ; il rebroussa
chemin.
Ce défilé est encore appelé T'ien-t&ing-koan ^v $r §| ; parce
qu'il s'y trouve trois (puits ou) sources [tsing $\-\ aussi profondes
que le ciel [t'ien ^^. ou creusées par le ciel: on dit qu'elles sont
insondables.
Naturellement, on s'est livré bien des batailles, pour s'emparer
de ce chemin nécessaire entre le Chan-si et le Ho-nan. Elles sont
énumérées, avec tous les détails géographiques désirables, dans
la Grande géographie, vol. 39, p. 24 (1)
L'entrée méridionale de ce défilé est à 90 li au sud de Tché-
tcheou ^ j\\: elle s'appelle Wan-tse-tch'eng-koan gjjf ^ ££ §| ou
barrière de la forteresse (située au fond) du vase ; parce que celle-
ci a été construite entre deux rochers à pic très élevés, et se trouve
comme au fond d'une tasse. Sous la dynastie des Ming PTJ, on a
t'ait sauter des rochers, pour rendre ce chemin praticable aux
chars. (Grande géogr., vol. 43. p. 3).
Dans le Ho-nan :
2° Tche-koan |JJ §g, à 15 H nord-ouest de Ts'i-yuen hien
$J jjfc !£, qui est à 70 li à l'ouest de sa préfecture Ho&i-k'ing fou fê
jg jjlf. (Petite géogr., vol. 12, pp. 21. 26, 27)
3° T'ai-hang-king -fc ^f [ÎJf. à 30 li nord ouest do Hoai-
k'ing fou
V Pé-hing JÉJ f§?, 50 li à l'ouest de Hoei hien f.j( «g£, qui
est à 60 li à l'ouest de sa préfecture \V<>i-hoei fou f|f ${{ $f .
5° Fou k'eou-hing J§S H {§?, à 20 li sud-est de Ou-ngan hien
ïr£ # M- 9U* est à '^20 li au nord de sa préfecture Teliang-té fou
f$ îê M- ^a rivière Fou-yang j& ^ a sa source à l'ouest do
Tte-tùhtov $fc $\, dans la préfecture de Koang-p'ing fou Jf£ ^ f£f .
'1) Pour plus de facilité, nous appelons l'etite géographie l'ouvrage intitulé
h'uug-i/u-ki-uuo ~fj ^ !ffi ïx ; et Orande géographie l'ouvrage semblable et plus
complet intitulé Tou-che Fang-yu-ki-yao ff[ ifc ~)j #1 IE 5e> — Nous y avon- recours
-t ! ■.- ci ton « continuellement
(iEOGRAPHIK HO ROYAUME OK TSIK . 3
Tche-li. La montagne Fou-chan [|§ |JL| , où se trouve le défilé
susdit, est très haute et très dangereuse ; cette gorge est le seu
chemin qui va de Tchang-té fou vers l'ouest. Au nord et au sud,
à une distance de 150 pieds, il y a deux montagnes symétriques,
en forme de tambours; c'est pourquoi en les appelle Kou-chan
]|k Uj ; le proverbe dit que ces deux tambours commençant à
résonner, il y a guerre. (Petite gèogr., vol. 12, p. 15) (Grande,
vol. 49, p. 45).
Dans le Tche-li:
6° Tsing-hing jfc |§I, 10 li à l'ouest de Houo-lou hien $|
jgj, H|, qui est à 50 li sud-ouest de sa préfecture Tcheng-ting fou
JE 5É M Ce défilé est encore appelé Tsing-hing-k'eou ^ |§? p,
ou T'ou-men-koart j^ j1^ [$jj, ou encore Che-yen-hoan ^ frjf ffi :
il est à 90 li à l'est de P'ing-ting Icheou ^p fé >)\] du Chan-si.
On le compte parmi les neuf plus dangereux de toute la Chine;
c'était le passage si disputé entre les deux royaumes de Yen $u
et de Tchao ^jjf ; c'était aussi l'une des trois routes qui condui-
saient à la province de Chang-tang _£. M ; il y a tout juste assez
d'espace pour un char. Dans les environs, il y a encore vingt-
trois autres défilés, énumérés dans la description de la sous-
préfecture Tsing-hing hien jfâ- j§[ Jg£ ; la chaîne de montagnes
T'ai-hang y porte le nom de Hingchan |§? |Jj - C'est par le défilé
dont nous parlons, que l'on ramena le cadavre de Ts'in Che-hoang-ti
IfÉ "§d Je 0> pour le conduire à Kieou-yuen j^ ^, comme nous
l'avons raconté dans notre histoire du royaume de Ts'in ^ft.
(Petite gèogr., vol, 1, p. 4; vol 2, pp. 39, 40) — (Grande,
vol. 10, p. 21; vol. 14, p. 8)
7° Fei-hou-hing j\$ $£ (g? conduit à la place forte Koang-
tch'ang hien Jf J| J||, qui est à 180 li à l'ouest de sa préfecture
I (cheov ^j >)\\. C'est le chemin ordinaire et très fréquenté par
les caravanes, entre Siuen-hoa fou Jf {fc $f du Tche-li, et Ta-
t'ong fou ^C |^1 /j^ du Chan-si: on dirait plus exactement un
sentier, serpentant pendant plus de cent li, au milieu de monta-
gnes hautes et abruptes. Sous la dynastie Ming PJ£J, on y veillait
avec grand soin, pour arrêter les invasions des Tartares. La
forteresse, située auprès de la Grande Muraille, a une circonfé-
rence de trois li ; elle était entretenue avec une grande vigilance.
Malgré cela, c'est la dynastie tartare Ts'ing fff qui règne mainte-
nant à Pé-king ! Que de batailles on s'est livré, dans le cours de*>
siècles, pour avoir ce chemin si important!
(Petite gèogr., vol. 2, p. 65. — vol. 7 p. 7) — (Grande, vol.
39, p. 26 — vol. 44, p. 48)
8° P'ou-in-hing jf |S^ |§?, ou Tse-king-hoan jfë #J $1, 80 li
à l'ouest de / tcheou J^ $j\, et 100 li nord-est de Koang-tch'ang
hien ^ J| J|£. Ce n'est, pour ainsi dire, que la continuation du
précédent défilé, sous d'autres noms. (Petite gèogr., vol. 1, p. 6
— vol 2, p. 64 — vol. 11, p. 3).
4 INTRODUCTION .
9° Kiun-tou-hing % %$ {§?, ou Kin-yong fê jjf , à 20 li
nord-ouest de Tch'ang-p'ing-tcheou || ^ >)\\. 90 li au nord de
Pé-king (ou Choen-t'ieii fou jljfï ^ ffî), 50 li sud-est de Yen-h'ing-
tcheou |jE JS ^H ; ce défilé est aussi compté parmi les 9 plus
dangereux de toute la Chine ; il a une étendue de 40 li ; le voya-
geur a sur sa tête de hautes montagnes : à ses pieds un torrent
impétueux, aux abîmes profonds. A Test, ce chemin communique
avec les montagnes Liu-long /j jjj| et Kié-che $| ^fj ; à l'ouest,
avec la chaîne principale de T'ai-hang-chan ^ ^f |Xj et avec
Tchang-chan ^ |_|j . — (Petite gèogr., vol, 1, p. 6, — vol. 2, p. 6")
— (Grande, vol. 10. p. 25).
l'arnii les nuire* montagnes du ( han-si. voici le* prin-
cipales :
1° Lei-cheou ^ "|f, ou Tçhong-teiao-chan 41 fê£ tll- c'est-à-
dire V arête centrale; ainsi nommée, parcequ'elle a des chaînes
latérales moins élevées. Elle se trouve au sud-est des préfectures
P'ing-yang fou *$ |5§ JjSf et P'ou-tcheou fou fâ >)>[] /fr ; dans le
I >ivre des Annales [Chou-king ^ |K], elle est mentionnée sous le
nom de Lei-cheou, tête du tonnerre, tête fulgurante : elle est
célèbre depuis les temps les plus reculés: on la rencontre à chaque
page de l'histoire. Ses pics atteignent une hauteur de 2300 mètres.
Située au nord du Fleuve .laune, elle s'étend de P'ou-tcheou fou
vers Test, jusqu'à la grande chaîne T'ai-hang-chan, à travers les
sous-préfectures Joei-tch'eng fâ £$, P'ing-lou^p- $£, Ngun-i % ^
et Hia hien J[ J|£. Parcourant ainsi plusieurs centaines de li, elle
porte différents noms: tels que Cheou-yang^ $§, Eul-chan |$iTj Jj .
Ti-tchou fj£ fâ, Wang-ou 3E || cic- ctc- (Grande gèogr., vol.
il, p. 36)
C'est au pied de cette montagne que le fameux Tch'eng-t'ang
jj£ ^ vainquit le tyrannique empereur Kiê êjjjjt, en l'année 1767
avant Jésus-Christ. C'est encore au pied de cette montagne que péri-
rent de faim les deux sages Pè-i fg ]fè et Chou-ts'i $£ ^, deux
patriotes qui refusèrent de manger le riz de la dynastie Tcheou ^§,
après l'extinction de la dynastie Chang "j*j.
Il y a trois défilés principaux : celui de Fen-yun-ling 7fr $k $g.
c est-à-dire dont les pics divisent les nues ; celui de T'ien-lchou-
fong 5^tÈ^£, dont les pics sont les colonnes du ciel; celui de
Pé-hing-ling Q $L $j, qui conduit au fameux gué du Fleuve .Jaune
appelé Ta-yang-tsin j^ p§ %$, à 3 li nord-ouest de Chen tcheou
,$* Jfl, dans le IJo-nan jpj "$). (Petite gèogr,, vol. 12 p. 6'i)
Il v a aussi des cavernes célèbres, comme celle de Tao-
hoa $b }£, ce,,c de Yuen-niU j£ £ et d'autres. (Grande gèogr..
"Ol. 41, /). 20); des sources remarquables, telle que Kou-heou
fè D et Te'ang-long $ lli il ',r> '' sud-est de P'ou-tcheou fou :
des cascades splendides, comme celle de Tao-pou-choei jfèfc, rfj tJc.
qui vient dn pic T'ien-tchou-IVmg, forme une chute de cent pieds
GEOGRAPHIE M» ROYAUME DE TSIN. 5
puis s'en va dans la vallée de Wang-kong-kou ]£ ^ ^, à 70 li
sud-est de Lin-tain hien $* ^ jg£. un des endroits les plus
beaux du pays, (ibid, p. 23).
Nous avons dit plus haut que cette chaîne s appelle encore
Ti-tchou J|£ ;££, colonne de l'abîme, ou San-men-chan .-• P^ ||[.
montagne des trois portes ; c'est qu'à 50 li sud-est de T'ing-lou hien
3* 1^ JH< 'e Fleuve .Jaune la traverse par trois brèches, pratiquées,
dit-on, par le grand empereur Yu ^ 4£, ; c'est pourquoi cet en-
droit est réputé sacro-saint par les lettrés chinois, (ibid vol. 39,
p. 7 — vol. 46, p. 15).
2° Heng-chan ^ (Jj ou Tchang-chan ^ Jj, la montagne é-
ternelle, se trouve à vingt li au sud de Hoen-yuen-tcheou $4 \W
^r],qui est à 130 li sud-est de sa préfecture Ta-Vong fou Ji\p\fâ :
elle s'étend à l'est jusqu'au nord-ouest de Ting tcheou fé fi\ dans
le Tche-li. sur une longueur de 450 li. C'était une des cinq
montagnes sacrées de la Chine, sur lesquelles l'empereur seul
pouvait offrir des sacrifices, par lui-même, ou par ses délégués
sans doute, car elles étaient aux quatre points cardinaux et au
centre de tout l'empire. Celle-ci, située au nord, s'appelait pour
cela Pé-yo 4b $r '■> e^e ^ut visitée par le « saint» empereur Chuen
££, dans son inspection générale de toutes les provinces. (Grande
géogr., vol. 10, p. 7. — vol. 39, p. 1).
Son pic le plus haut s'appelle T'ien-fong-ling ^^^, cime
du ciel; on dit qu'il a trente neuf mille pieds, et qu'au sommet
il y a un plateau de trois mille li en carré; ceux qui l'affirment
ne sont pas allés y voir, sans doute! On ajoute une source sans
pareille, appelée Ta-yuen-ts'iueu ^C tc ^. En tout cas. au pied
de ce pic se trouve la pagode qui lui est consacrée, et qui s'ap-
pelle Pé-yo-koan fc g- ffg. Devant elle il y a une grande ouver-
ture, par laquelle s'échappe un courant d'air, avec des sons ter-
ribles, comme le rugissement du tigre: ce qui lui a valu le nom
de Hou-fong-k'eou.
Cette montagne porte encore d'antres noms, d'après
ses pics les plus remarquables :
;i — Lan-tai-fou f |||. résidence ou plateau des orchidées.
b = Liè-niu-kong ^lj -fc 'gf . palais des femmes vertueuses.
<• — Hoa-yâng-tai |j| (^ g, terrasse fleurie.
d = Tse-xvei-kong $? ^ 72,'. palais des plantes tse-wei (plantes
fameuses), palais du conseil royal.
*" = T'ai-i-kong ^ £ ^. palais de la grande unité.
f = T'ai-meou-chan ^C ^ [i|. montagne ombreuse.
£= Ou-siu-tai lfl£ fa 3g. terrasse du sage Ou-siu, ancêtre des
rois de Tchao j|g. Ce grand ministre, appelé encore Siang-tse }g
^f, aimait à se reposer sur ce pic. d'où il apercevait le pays de
7"ai f\£ et la mer orientale, dit-on. Se-ma Ts'ien îs} B§ }|§ racon-
te la légende suivante : Tchao Kien-tw @ ^ -? annonça un jour
6 INTRODUCTION.
à ses fils qu'il avait caché un trésor une tablette précieuse?) sur
la montagne Tchang-chan : tous se mirent à sa recherche, mais
en vain: seul, Ou-siu se vanta de l'avoir trouvé; son père lui de-
manda de le lui montrer; il répondit : de Tchang-chan, le chemin
conduit vers le nord, au pays de Tai.qui par là est facile à prendre!
De tous temps on a attaché une grande importance à cette
montagne; on a livré bien des batailles à ses pieds; elle est éga-
lement célèbre pour ses beautés naturelles. A l'est, par la monta-
gne de Lang-chan Jfj| [[}, elle se rattache à la grande chaîne T'ai-
hang.
Un de ses plus fameux défilés esi celui que l'on appelle Fet-
hou-k'eou ^ .$& D» bouche du renard volant; c'est celui-là qui
conduisait au pays de Tai fÇ. Quant à celui de Tao-ma-hoan f£j
M| Hi' ou Tcié~men ^ f*^ 'porte de fer ou T'ien-men ^ P^ porte
du ciel), il se trouve dans la province du Tche-li.
:j° Houu-chan 'fë \\\, ou T'ai-yo -^ fâ, ou Houo-fai-chan
fË ~fc lil> est à 3® 1' sud-est de Houo tcheou ;g j$\, à Test du
fleuve Fen :$f; on dit qu'elle renferme dans son sein des pierres
précieuses et du jade; elle est mentionnée dans les plus anciens
livres de la Chine. Fei-lien 5j§ ^{j, ministre du mauvais empereur
Tcheou ^J" était absent, quand ce tyran fut détrôné; il était en
ambassade auprès des princes septentrionaux ; quand il revint, il
n'avait plus à qui rendre compte de sa mission; il s'en alla sur
cette montagne, y éleva un tertre en forme d'autel, et y offrit des
sacrifices, pour annoncer son retour aux mânes de l'empereur.
Le pic le plus élevé se trouve à l'est de Houo tcheou, et s'ap-
pelle Koan-toei |Ê| jjê, on dit qu'il a un li de haut, et dix li de
circonférence. C'est là que Tchao-siang-tse Jff ij| -p (Ou-siu\
dont nous venons de parler, offrit des sacrifices, avant d'entre-
prendre l'anéantissement de la grande famille Tche ^. On s'est
aussi beaucoup battu au pied de cette montagne ; car les chemins
y sont difficiles, les ravins nombreux; montagnes et fleuves con-
courent à fortifier cette région si importante.
Dix li à l'est de Houo tcheou, se trouve un passage très
célèbre, appelé Ts'ien-li-hing =p jg_ @, sentier de mille li, qui,
vers le nord, conduit à Fen-lcheou fou $• j§ ]fô et à T'ai-yuen fou
3&J^ M • ^ cette montagne, se rattache celle de Mien-chan $fa ^ et
celle de Kiai-chan ft \[\ ; formant ainsi une chaîne continue jus-
qu'à T'ai-yuen fou. A trente li au nord-est de Houo tcheou, se
trouve le haut plateau Ki-si-yuen ^ fjflj J^, où l'on s'est livré
fréquemment des batailles, dans les nombreuses révolutions de la
Chine.
Parmi les défilés, les plus dangereux sont les suivants:
1° Kao-pi-ling fâ g| $J. à 25 li sud-est dé Ling-che hien îjg
Ifo $£, qui est à 100 li au nord de Houo tcheou.
2° Ts'in-yxang-ling §|é ]£ |g, ou colline du roi de Ts'in ; il est
un peu plus au sud-est que le précédent.
GEOGRAPHIE DV ROYAUME DE TSIN. 7
3° In-li-koan fë iÊ BU à 120 li sud-ouest de Ling-che hien.
4° Nan-pé-koan fô ;|fc §fjj barrière du nord au sud, est à 80 li
à Test de la même ville Ling-che.
5° Fen-choei-koan ft 7j< §}§, barrière de la rivière Fen, est
au sud-ouest de la même ville.
Cette chaîne de montagnes atteint 2100 à 2400 mètres (Petite
gêogr., vol. 8, p. 40) — (Grande, vol. 39, p. 8. — vol. 41 p. 47)
4° Keou-tchou £j ^J, ou Si-hing-chan Hf JJ?£, ou Fen-meu
Ffjï |Jlj, est à 35 li nord-ouest de Tai tcheou \^ >}\\, pays célèbre
depuis les temps reculés pour ses chevaux, réputés les meilleurs
de toute la Chine ; pays montagneux plein de gorges dangereuses;
où les diverses chaînes s'entrecrochent, d'où le nom Keou fi) ;
où les torrents se déversent de tous côtés, d'où le nom Keou-
tchou £J •££. —
La ville de Tai tcheou f\£ ^"J n'aurait pas besoin de murail-
les, elle est assez bien fortifiée sans cela: la montagne Keou-tchou
est à 35 li nord-ouest ; celle de Yeri-men est à 35 li au nord :
celle de Kia-ou-chan ]p[ jg. \\\ ^1) est à 30 li nord-est; c'est au
nord de cette montagne que Tehao-siang-lse Jff Jgç ^f iOu-siu
^ffi'tÉJ dans un guet-à-pens, massacra le prince de Tai {!£, et s'em-
para de son pays; enfin, celle de Fong-hoang-chan J^ jfi), Jj est
à 30 li au sud, remarquable par sa hauteur, sa beauté. ses cavernes,
ses ravins.
Cette chaîne est appelée vulgairement Man-t'eou-chan §i§ JJÎf
iJj, parce qu'elle ressemble vaguement à un pain; on la nomme
encore la montagne septentrionale des boisseaux, Pé-teou-chan
4fc -r* lil" parce qu'il y a sept pics principaux ressemblant an
peu à des boisseaux; au pied, se trouve le lac Pé-long-lch 'e ÉJ ||
fjjj on du dragon blanc.
Les principaux défilés sont: Yen-men-hoan Jjj^ \n] [pj, à 15
li au nord de Tai tcheou, et T'ai-houo-ling -Jfc vffl Ht' à 25 li
nord-ouest de la même ville ; une garnison garde ce passage si
important. (Petite géogr., roi. 8, p. 37) — (Grande, roi. 39, p.
9, — vol. 40 p. 41). '
5° Ou-tai-chan 3£ ^ llL au sud-est de Tai tcheou, se dirige
vers le nord, où, après un parcours de 500 li, elle se rattache aux
montagnes de Wei-lcheo u Jjjf j]]. Elle a 5 pics extrêmement raides.
et dépassant les nues ; il n'y a point d'arbres, mais des amas de
rochers, ressemblant à des terrasses, des estrades, des autels: d'où
le nom de montagne aux cinq terrasses.
Le pic du milieu a, dit-on, 40 li de haut; son sommet est
un plateau de 6 li de circonférence ; au nord-ouest se trouve le
lac T'ai-hoa-tch'e -jfc, i§t }&•
Le pic oriental a 28 li de haut ; son sommet, 3 li de circon-
férence ; à l'est, se trouve une caverne célèbre; de tous côtés il y
a des lacs.
(1) On écrit au>>i ^ ^ il], 1» prononciation ?st la même
8 INTRODUCTION.
Le pic occidental a 35 li de haut; son sommet, deux li de
tour; de plusieurs côtés il y a aussi des lacs.
Le pic méridional a 30 li de haut ; deux li de tour à son
sommet; à 15 li au nord-ouest, se trouve la gorge Ts'ing-liang-
ling fpf jljf ^ avec une belle source du même nom ; il y a aussi un
kiosque appelé Siné-lang-ling Ç jj| |||, ou aux ondes glaciales;
il est plus vulgairement nommé Ts'i-li-t'ing ^^^i, c'est-à-dire
situé à 7 li du pic. Le défilé est à 100 li nord-est de la ville
Ou-tai hien 3l ill JH : P^us loin encore, vers Test, se trouve le
défilé Tchou-lin-ling Yî $fc Ht- à ^a forêt de bambous; plus loin
enfin, vers le sud-est, se trouve le défilé Nan-tai-ling ^ j| ||f.
Le pic septentrional a 30 li de haut et 3 li de tour au sommet ;
il se nomme encore I-teou-fong fâ i|* ^; il a de nombreux lacs,
qui. pour la plupart, déversent leurs eaux dans la rivière Hou-t'ouo
W {£• — (Petite géogr., vol. S, p. 38J — {Grande, vol. 39. p. 12
— vol. 40, p. 43;.
Quant à ces hauteurs, inconnues des géographes européens,
elles ne doivent pas s'entendre d'une mesure en ligne verticale,
mais d'un chemin à détours et circuits, allant jusqu'au sommet.
Il y aurait encore bien d'autres montagnes, lacs, défilés,
cavernes, etc. à signaler au lecteur: mais, cela nous entraînerait
trop loin.
Fleuves du < haï 1 -si :
1° Le fleuve Fen-choei ffî y}( a sa source dans la montagne
Koan-tch'en-chan ^ pjl jjj 1), à 140 li au nord de Tsing-lo hien
]H ^| |g, qui est à 180 li à l'ouest de sa préfecture Hing teheou fjp
fl\, à 220 li nord-ouest de la capitale Teai-yuen fou -fc fâ ffô ;
cette source est célèbre; elle s'appelle Long-yen-ts'iuen f| |jj£ ^.
c'est-à-dire aux yeux de dragon; non loin de là, Mir le même
versant septentrional, se trouve le lac T'ien-tch'e ^ ^{j ; il a en-
viron un li de large ; il est situé sur un plateau ; il est toujours
plein, et son eau est extrêmement limpide; les gens du pays l'ap-
pellent encore K'i-lien-pè jjjfj ^ }Q remplaçant le mot t'ien J^ par
l'expression K'i-lien fft 3^. qui, pour eux. a le même sens. A l'est
de ce lac, il y en a un autre plus petit, dont l'eau est aussi pure
que du cristal; on dit d'ailleurs qu'ils communiquent entre eu\ :
un prétend même que le T'ien-tch'e communique sous terre avec
le fleuve Sang-kien .JJ* ££. dont il serait la source supérieure.
Dans ce pays, si beau, si pittoresque, de tous temps on est
allé faire des excursions, chasser, jouir de la vie solitaire. De
fameux lettrés s'y sont retirés, pour vaquer à leurs études; entre
autres, le célèbre Lieou-yuen $\\ ffl. Bien des batailles ont eu-
livrées dans ces lieux pleins de ravins et faciles à défendre.
(1) Cette montagne, dont le centre seul esl très élevé, s'appelle aussi Yen-
king-chnn jft Ja il] et Lin-ki-chmi #t g? |Jj ,
GÉOGRAPHIE DU ROYAUME DE TSIN. 9
La direction générale du fleuve est du nord au sud et sud-
ouest; son parcours n'atteint pas moins de 1340 li avant de se
joindre au Fleuve .Jaune (ou Hoang-ho H jpj) ; de nombreuses et gran-
des villes se sont établies sur les bords de cette artère vivifiante
de la province. (Petite géogr. vol. 7, p. 4 — vol. 39, p. 14 — vol.
8, p. SI) — (Grande, vol. 40, p. 2b).
2° Le fleuve Ts'in fâ est un torrent furibond; en hiver, il a
à peine un pied d'eau ; mais dès que les pluies commencent, il
prend des proportions gigantesques, déborde de tous côtés, renverse-
tout sur son passage, et cause des ravages épouvantables; tous les
moyens imaginés pour l'endiguer ont échoué dans la partie mon-
tagneuse de son cours; on a été plus heureux dans les plaines
du Ho-nan fpj p^j, qu'il traverse, après s'être ouvert un passage
dans la grande chaîne T'ai-hang-chan -fc ^f [Jj. C'est cet affluent
qui contribue le plus à ensabler le lit du Fleuve Jaune. Il a deux
sources principales : l'une sort de la vallée Tong-kou Jjji^j', à l'est
de la montagne Mien-chan ^ \{\ (ou Kiai-chan fr [jj), située à
100 li au nord de Ts'in-yuen kien f,[\ jjfc j|£, l'autre vient de la
montagne K'in-ts'iuen-chan ^^. li|, 60 li à l'est de la même
ville. La direction générale du torrent est vers le sud et sud-est.
Ts'in-yuen est sur sa rive occidentale, tandis que Ts'in tcheou j,|\
j\\ est sur la rive orientale du fleuve Tchang $f£, dont nous allons
parler; il ne faut pas oublier ce détail (1).
Non loin des sources du torrent, c'est-à-dire à 80 li à l'ouest
de Ts'in-yuen, se trouve une gorge dangereuse, nommée Mien-
chanq-hoan £$ _fc gj§. (Petite géogr., vol. 8, p. 32) — (Grande, vol.
39, p. 15 — roi. 43, p. M).
3° Le fleuve Tchang-ho ^ fpT , dont le cours inférieur se
trouve dans la province duTche-li, a ses sources supérieures dans le
Chan-si; il a deux branches principales:
a = La rivière Tchouo-tchang $g £ft, c'est-à-dire la Tchang à
eau trouble; elle a sa source dans la montagne Fa-kieou-chan |*
#J| lij : celle-ci est située à 50 li au sud de Tchang-lse liien ^
~F" il?., tj^i i est ;i .">() li sud-ouest de sa prélecture Lou-ngan fou
î!$ %C Hf- Cette rivière passe à 5 li au sud de Tchang-tse bien,
se dirige vers le nord, passe au sud de Siang-yuen liien ^ligli,
tourne au sud-est, par le territoire de Li-tch'eng hien §g ^ Jggi
va dans la province du Ho-nan se joindre à l'autre branche, à
l'ouest de Lin-lchang hien p^ïfÊ J$jj, dans la préfecture de Tchang-
tè fou ^ ^| /f?f. (Grande géogr., vol. 12, p. 10 — vol. 10, p. \7).
b = La rivière Ts'ing-tchang ffi f^, la Tchang à eau pure,
vient de la montagne Tien-ling ^ ^|, à 20 li sud-ouest de
P'ing-ting tcheou 2p. ^ ^,qui est à 280 li à l'est de la capitale
T'ai-yuen fou z&Z ffî. fâ- Cette montagne fait partie de la chaîne
1) Le fleuve Ts'in a, pour le moins, H70 li de loncr.
10 INTRODUCTION.
appelée Chao-chan '\? \\\ ou Tien-chan $j \\} , ou encore Lou-
hou-ehan Jg ^ lil , qui a, dit-on. huit mille pieds de haut (1).
La rivière sort de la vallée Ta-koei-kou ^ f| ^, se dirige vers
le sud, puis va au sud-est de Liao tcheou }g jfi, se rend dans le
territoire de Li-tch'eng hien ^ jfâ j|£, de là passe au sud de Che
h*en ffi Ji£ dans la préfecture de Tchang-té fou i|£ |§ Jft, province
du Ho-nan ; elle entre ensuite dans la province du Tche-li, passe
à '20 li au sud de Tse-tcheou (j$, $\. dans la préfecture de Koang-
p'ing fou J| ^ j£f. rentre dans le Ho-nan où elle se réunit à l'autre
branche, à l'ouest de Lin-tchang- hien, comme il est dit plus haut
(Petite gèogr., vol. 8. pp. 15 et 35) — (Grande, vol. 40, p. 34).
Le cours inférieur, dans le Tche-li. est très-capricieux, et
change même souvent de lit, comme de nom; il traverse le terri-
toire de P'ing-hiang hien ^ Jj£p j§£, dans la préfecture de Choen-
té fou JH ^ /jrf. va au nord-ouest de Ki tcheou H ]ft\, continue
vers le nord-est, par la préfecture de Ho-kien fou fàj f$ $f, se
réunit au fleuve Hou-t'ouo fM •<£, au sud de Kiao-ho hien ?£ }pT ^ ;
dès lors on l'appelle Heng fëj, ou Kou-hiang jfâ }<& ou Hou-lou
V$- M. ou encore Tchang-lou -F| ||. (Petite gèogr., vol. 2, p. 51 —
roi. 12 p. 18;.
4° Le fleuve Hou-t'ouo \[$. f£ a ses trois sources dans la mon-
tagne T'ai-hi-chan -fc j^ [Ij, située à 120 H nord-est de Fan-ehe
hien % (^ $£. qui est à 70 li à l'est de Taî /cheou f£ >}\\. Cette
montagne s'appelle encore Ou- fou- c h an ]j£ ^ |Xf , C/ie-/bu-chan J£
3£ y^, Chou-fou-chan fâ *£ |Jj, enfin Siao-kou-chan >J> $& jjj, par
opposition à une autre, nommée Ta-kou-chan ^ç JR llj . située à
ôO li nord-ouest de Fan-che hien.
Après un cours de trois li, d'autres sources et rivières assez
nombreuses lui apportent le tribut de leurs eaux, et forment une
masse considérable. Celle-ci passe au sud-est de Tai-tcheou, puis
au sud-est de Kouo hien Jjjf; !§£. où, avec les montagnes, elle forme
un défilé dangereux ; ensuite elle passe à 50 li au nord de
//m tcheo>i fjf- >)\]. à .°>5 li sud-ouest de Ou-tai hien 31 8b §£. ;i
"0 li au nord de Yu hien j^Hf-, puis traverse la grande muraille,
entre dans la province du Tche-li, se réunit au fleuve Wei $j -
forme avec lui le Canal Impérial, enfin se rend à la Mer Jaune
par T'ien-tsin fou ^ %$ }{$.
Son parcours n'a pas moins de 1370 li ; il est déjà mention-
né dans les anciens livres chinois, et se retrouve souvent dans
l'histoire des révolutions, à cause des batailles qui ont été livrées
sur ses bords. (Petite gèogr., vol. 1, p. 3 — vol. 2, p. 33 — col.
8, pp. 35 et 38; — (Grande, vol. 10, p. 13 — vol. 10, p. i.">j.
■")" Le fleuve Snng-kien ^| |£ a ses sources dans la montagne
Hong-tao-ehan $ù ^ ^\ ou Lei-terou-chan ïH'jjjf \\], située à 50
1 Elle se rattache à la grande chaîne Heng-chan fg flj
2) A 50 li à l'est de Kiao-ho hien #* ffl gf .
LES SALINES DU CHAN-SI.
11
li à l'ouest de Cho-tcheou jj$j >}ft, qui est à 240 li au sud de sa
préfecture Cho-p'ing fou fj\ 3p Jff, au nord du Chan-si. Dans ces
parages montagneux, de nombreuses rivières se joignent à lui, et
forment un grand fleuve. 11 se dirige vers le nord-est, passe au
nord de Hoen-yuen ^ $&, puis au nord de Wei-tcheou £$ j\\,
dans la province du Tche-li, après avoir reçu le fleuve Yaiïig "^ fpf;
depuis la préfecture de Pao-ngan fou fâ $£ fô. son cours se diri-
ge vers le sud-est, passe au sud-ouest de Pé-king ^ M< Pu^s à
T'ien-tsinfou 3<i'fftffô et va à la mer. Son parcours n'a pas moins
de 1100 li. (Petite géogr., vol. 1, p. 2 — vol. 2, p. ol ) — (Grande,
vol. 10, pp. 11, 12).
G0 Le Fleuve Jaune ou Hoang-ho jiï ;pj demanderait une mo-
nographie à part, vu son importance; mais elle ne peut trouver
sa place ici, où nous ne donnons que des indications sommaires,
pour l'intelligence de cette histoire. D'ailleurs, ce fleuve est connu
de tout le monde; qui n'a entendu raconter les inondations, par-
fois épouvantables, qu'il renouvelle presque chaque année? qui ne
sait qu'autrefois il se jetait à la mer, au nord de la province du
Kiang-sou f£ ^ ; et maintenant au nord du Ckan-long |Jj M^ V1*-
donc, au premier coup d'œil jeté sur la carte, n'a pas admiré les
étonnants changements de direction de son parcours?
Les salines du Chan-si . |lj Hf II! ï8ï
1° A 3 li à l'est de Hiai tcheou ffî. ^>n, et 20 li au sud-ouest
de Ngan-i ^ g|, se trouve une saline considérable; des auteurs
la divisent en deux, appelant l'une orientale et l'autre occidentale;
peu importe. Elles ont été exploitées depuis les temps les plus
reculés, car les ((Saints empereurs» Yaoî& et Choen ^. avaient leur
capitale à Ngan-i; et l'histoire raconte que Mou-ti %^'fÇî (1001-947),
de la dynastie Tcheou ^J , les visita en personne. En l'année 584,
on en parle encore, et on les compte parmi les trésors du pays.
De l'est à l'ouest, elles ont une longueur de 70 li ; du nord
au sud, une largeur de 7 li; leur circonférence est de 114 li.
L'eau n'a pas de courant ; sa couleur est d'un rouge foncé [violet
même, dit le texte, qui emploie le caractère tse ^ : l'évaporation
se fait d'elle-même, et forme des couches de sel ; on n'a que la
peine de les recueillir; si le matin on a tout ramassé, le soir il
y en a une nouvelle provision. Il en est ainsi, depuis des siècles
nombreux, sans qu'on voie jamais quelque diminution. (Petite
géogr., vol. 7, p. 5 — vol. 8, p. 4 \) — (Grande, vol. 39, ]). 1Q).
Une petite pluie ne fait que bonifier le sel; de grandes pluies
font sortir le lac de ses limites ordinaires, et la salure est notable-
ment diminuée pour quelque temps. C'est pourquoi les magistrats
12 INTRODUCTION.
et le peuple font tous leurs efforts pour empêcher l'eau des mon-
tagnes de se déverser dans ce lac. Celui-ci a varié et varie encore
en étendue et en profondeur. Les auteurs disent, et c'est assez
probable que ces salines sont une ancienne mer desséchée.
Celui qui désirerait plus de détails, les trouverait dans la Gran-
de géographie, vol. 39, p. 20; on y donne aussi le titre d'une
monographie sur ces salines; c'est l'ouvrage Yen-tch'e lou-chouo
M ttii Hl Wt '■ mais Je ri" ai pu encore me le procurer.
2° A 15 li nord-ouest de Hiai tcheou, se trouve un autre lac
salé, appelé Niu Yen-tch'e -£ç i|| fijj. saline de la vierge"? . ou
simplement Siao-tch'e ifâ •ftjj efflorescence saline . A vrai dire,
cest plutôt une réunion de six lagunes, dont la salure n'est pas la
même pour toutes, et est, en général, inférieure à celle des salines
précédentes. De l'est à l'ouest, ce lac a une longueur de 25 li ;
du nord au sud. une largeur de 20 li : au sud-ouest, il en sort la
petite rivière appelée Tsing-lin f$ ^ et quelques ruisseaux.
Un ancien auteur décrit ainsi le travail des riverains : A la
2ème lune, les paysans labourent égalisent? les terres voisines, et
v introduisent l'eau: à la 4;""r\ on l'en fait sortir; à la S-me, on
recueille le sel qui est resté déposé ; il y en a souvent plus de cent
millions de livres. Le peuple a des noms spéciaux pour chaque
espèce de sel. marquant ainsi sa provenance' et sa qualité; il sait
aussi qu'en temps sec, le sel se cristallise vite, et en grande quan-
tité ; en temps pluvieux, la récolte est maigre, et de qualité infé-
rieure.
Cette eau salée vient du sud-est, et sort de la montagne Po-
chan ytf il], dans la chaîne Tchong-tHao-chan î\* fi£ jjj. dont nous
avons parlé précédemment ; elle coule ensuite au nord de la mon-
tagne Ou-hien-chan M Â ÛS ^ • Par la vallée Ou-hien-kou 2Ê
Jj^^J: elle se dirige ensuite vers le nord-ouest: passe au sud de
l'ancienne capitale Ngan-i, à 2 li à l'ouest de la ville actuelle: se
détourne enfin vers l'ouest, et se verse dans le lac. (Petite gèogr.,
vol. 8, p. Il; — (Grande, vol. 41. p. 3IJ.
3° A 20 li nord-est de Ngan-i. se trouve la saline appelée
Kou-tch'e -Jj -ftjj. ainsi nommée parce que le sel est amer, et de
mauvaise qualité.
i" A 20 li au sud de la même ville, est le lac Long-tch'e ||
Ytjj, ou du drag<m, dont le sel est meilleur; on en attribue la cause
a deux sources situées dans les environs; l'une, appelée Tan-
Is'iuen |^ )j£. est à 18 li sud-ouest de Ngan-i; l'autre, nommée
Yong-kin-ts'iuen $| ^ Jfc, en est seulement éloignée de 15 li : on
dit que cette eau bonifie le sel, et le fait cristalliser plu> vite.
(Grande gèogr., roi. 41, p. 31^.
1 Ou /u'c», fameux ministre de l'empereur Tch*eng-tlang JjJJ $ 1"
s'était retiré dans ce pu} s, c'est l'origine de ce nom
LES SALINES DU CHAN-SI. . 13
La rivière qui, par ses débordements, cause le plus de rava-
ges parmi les salines, est la Sou-choei ^ 7j(, qui coule au nord
de Ngan-i; elle vient du nord-est; elle a ses sources à la caverne
Kan-tong ^ -}[p], dans la montagne Hoang-ling-chan ^ ^ IJJ , à
40 li au sud de Kiang liien fêfc ^ ; elle coule sous terre environ
cinquante li ; elle en sort au sud de Wen-hi hien ^ |a Jgji, à 70 li
au sud de Kiang tcheou fâ j\].
Note. La régie du sel existe au moins depuis l'empereur Ou-
'* ffÇ ^ (140-87) de la dynastie Han ^; celle du fer, établie en
même temps, a cessé depuis des siècles.
14
PREMIERS TEMPS
DU ROYAUME DE TS1N
-H-H-
Les princes do Tsin |f étaient de la famille impériale Tcheou
rf| ct du clan Ki tfjfr. Le premier d'entre eux. connu dans l'histoi-
re, est appel.' T'ang-chou )§*$&■■ son père Ou- Wang jj£ ]£ 1122-
1116 leva, dit-on. que le ciel lui donnait l'avis suivant: il va
vous naître un fils; vous l'appellerez Fu J£, et vous lui attribuerez
le fief de T'ang jjlj. On ajoute que l'enfant, en naissant, avait le
caractère Yu JH imprimé dans le creux de la main, nouvelle preuve
de la volonté céleste: il n'y avait plus lieu d'hésiter: le jeune prince
fut appelé Yu ||L avec le surnom honorifique Tse-yu ^ ^f. et
plus tard celui de Chou-yu fâ JÇ.
Quant à la collation du fief, voici ce qu'on en raconte : En
1116, à la mort de Ou-wang, le pays de T'ang Jf (1) s'insurgea ;
là régnaient les descendants du «saint» empereur Yao f=§ ; ceux-ci
regrettaient la dynastie éteinte Chang |§£, et n'étaient pas encore
soumis de cœur à celle de Tcheou f£\ , qui devait pourtant être si
glorieuse dans la suite; voyant le nouvel empereur Tcli'eng J$£
âgé seulement de treize ans, ils espéraient recouvrer leur indépen-
dance ; mais Tcheou-hong J§J Q, frère de Ou-wang, les mit à la
raison, leur enleva leur principauté, l'annexa à l'empire, et leur
en donna une autre, à savoir celle de Tou >j£ 2 .
A quelque temps de là, le jeune empereur jouait avec son
frère cadet Yu ; ayant découpé en forme de tablette une feuille
d'élœococca long-chou j^ ||| , il la lui remit en disant: voilà! je
vous fais prince ! Le grand-archiviste / ^, qui se trouvait pré-
sent, demanda quel jour devait avoir lieu la collation officielle du
fief ainsi accordé? Le jeune empereur répondit: c'était une plaisan-
terie ! Mais le grand-archiviste lui dit gravement : l'empereur ne
doit pas plaisanter; chacune de ses paroles est consignée dans les
archives, et devient une règle pour les âges futurs; le grand-maître
de la musique les inscrit dans son répertoire pour les chanter.
(1) T'ang, sa capitale, était à 1 H au nord do l'ancienne ville T'ui-yuen
-fc Jj£, un peu au nord de la sous-préfecture actuelle T'ai-yuen hien >(c fê. ty$. C'est
le grand Yao ££ lui-même qui l'avait bâtie. (Petite géogr., ï~ol. S, p. s-> — (Grande,
vol. i. p. ç).
_ Ton, sa capitale, était à 15 li sud-est de Si-ngan fou |Mj -£• Iff, Clicn-si
fek S- 'Petite gCogr., vol. 14, p. 4).
DO ROYAUME DE TSIN. 1j
Le jeune empereur, pour faire honneur à sa parole, accorda
à son frère la principauté de T'ang ^Éf, récemment annexée, d'une
étendue de cent li.cn carré, située à l'est du Fleuve Jaune Ho
ho tË; fpj et du fleuve Fen-ho ffi fpT. La collation officielle eut lieu
en 1007; depuis lors. Vu fut appelé T'artg Chou-yu J^ ^ ||C.
c'est-à-dire Chou-yu. prince de T'ang.
Il est bien probable que c'est une historiette brodée sur un
fait réel beaucoup plus simple. En tout cas, le pays de T'ang fut
vraiment le noyau autour duquel se forma le royaume de Tsin -ff.
L'n peu au sud-ouest de la capitale se trouvait la rivière Tsin f|.
venant de la montagne Hiuen-yong M Sifl. c'est elle qui donna
son nom à tout le pays. Cette appellation commença sous Sié-fou
*jj| 3£. (ils et successeur de Chou-yu I ; car il est connu dans
l'histoire sous le nom de Tsin-heou ^ f^|. c'est-à-dire marquis
de Tsin 2 .
Après celui-ci. régna son fils et successeur Ning-tsou S|£ ^.
qui est plus connu sous le nom de Ou-heou j|£ $|. — Ses succes-
seurs furent, de père en fils :
Fou-jen fl|| J^, ou Tch'eng-heou fâ ^.
Fou jjig, ou Li-heou ^ f^-.
I-k'ieou 5Ë E3> ou Tsing-heou jîjjr $|. Celui-ci commença son
règne vers l'an SÔ9 avant J.-C: désormais la chronologie est
exacte; nous n'avons qu'à la suivre.
En 842, l'empereur Li-wang JH ^E -se conduisant très-mal.
fut cause d'un soulèvement général: il s'enfuit, et se retira à Tche
$fe (3). C'est le fameux interrègne, pendant lequel les deux illus-
tres Ministre.- Tchao-konj Hg -$* et Tcheou-kong )l\ fè eurent toute
la charge de l'administration, de l'année 841 à l'année 828 où
mourut Li-wang.
En 840. Se-t'ou i] f,f . ou Li-heou |§ f|| i), succéda à son
père I-k'ieou. Son nom signifie directeur des multitudes, chef de
l'administration intérieure: cette appellation ayant été une fois
donnée à un prince régnant, jamais plus elle ne put être employée
I l tombeau do Chou-yu est à 15 li sud-ouest de T'oi-yucn hien jk M SI-
sur la montagne Ma-ngnn JT) f ."" : à 10 ti sud-ouest de la même ville, se trou
temple appelé Tsin- ■ ff ■'[. sur la montagne Hiven-i _ \ G ogr., impër
- p. 2 Grand Annales du Cliansi |Ii ffi 'è
;!ii ÏÈ '"'■ 5°, ï>
Le tombeau do Sié-fou est au sud-est do r'ai-juen hien. (Géogr., impér.,
loco citato . Quant à la rivière Tsin. on trouve tous les d.-tails désirables dans la
,Jriite géogr . vol. s. p. 3, et dans la grande, vol. i0. p. 11.
Tche était au nord-est de Liu-tch'eng S t£, 3 li à l'ouest do Houa
teheou îfK ffl- Chan-si. Grande géogr., roi. 41. p. j:
, so-ma Ts'ien l'appella Li : d'autres auteurs l'appellent Hi-heom jg fè.
16 PREMIERS TEMPS.
poui lésigner un ministre de Tsin (1) ; on se servit des expressions
Chang-k'ing _fc J^l, grand-ministre, ou tchong-kiun r\* 1fï, général
de l'armée du centre. Le nom se-t'ou était devenu sacré: il ne de-
vait pas être profané par des bouches impures et par un usage
vulgaire.
En 822, régnait Tsi f|, ou Hien-heou Jj§| $|, fils du précédent.
En 811, c'était Fei-cheng f| ^, ou Mou-heou $| $|, fils du
précédent; celui-ci transféra sa capitale à Kiang $j£ (2), ville bien
modeste, n'ayant que deux li de circonférence; ou l'appela l'an-
cienne Kiang [Kou-hiang fr&Hï'. pour la distinguer d'une autre,
dont nous aurons à parler.
En 808, il épousa une princesse de Ts'i >£f, dont la famille
descend du fameux héros Kiang -V ai- kong fg -fcQ.
En 805, il fit la guerre à la petite principauté de T'iao |$| (3) ;
un fils lui étant né à cette époque, il l'appela Tcli'eou ^, ennemi,
en souvenir de cette circonstance.
En 80?, il fit la guerre au pays de Ts'ien-meou ^f* $$[. et
remporta une victoire complète (4); un second fils lui étant né
pendant ce temps, dans la joie du succès, il l'appela Tch'eng-che
J& 6P» qui signifie: deviendra maître, croîtra en une grande mul-
titude.
Au sujet de ces deux noms, le grand seigneur Che-fou $j|î )}J|
fit l'observation suivante: Bien curieuse est la manière dont notre
prince appelle ses fils ! un nom procédant du libre choix des hom-
mes, doit être convenable; car ce qui se fait d'après les convenan-
ces est ainsi durable, et peut servir de règle; or c'est la règle
qui gouverne le peuple, et produit une bonne administration ; alors
on obéit volontiers; une conduite contraire suscitera des troubles.
(1) Pour la même raison, au pays de Song ^, le ministre des travaux publics
s'appela Se-tch'eng al t^> ministre des fortifications, non pas Se-kong fï] 5)?, par.
e que ce nom fut porto par le prince Ou-kong 5^ Q (Tsouo tchocm 'fc \Q, vol. 3,
l>. 18L
(2) Kiang était à 1 ~> li sud-est de l-tch'eng hien M ifà $• qui est à 130 li
sud-est de sa préfecture P'ing-yang foi* :'f;- K H'-j ■ Chan-si, (Petite géogr., vol. S,
p. 1 o) — (Grande, vol. 1. p. o — vol. 41. p. 12.).
(3i T'iao. C'e>t le territoire de Ngcm hien £ f£. dépendant de Iliai tcheov
$? ^H , Chan-si; à 30 li au sud de Ngan hien, se trouve la montagne Tchong-t'iao-
chan '{' fij» fi|, que nous avons décrite; à 30 li au nord de la même ville, est la
montagne plus petite appelée Ming-t'iao-kang n^ fifc }fâ. (Grande géogr., roi. 41 . p..îoJ .
(4) Ts'ien-meou. Ce pays était au sud de Kiui-hieou hien -fr fa || 70 1'
sud-est de Fen-tchenu fou ffî 'lii %f , Chan-si. (Grande géogr., vol. 42. p. Si —
D'autres auteurs disent que ce pays étail à 90 li nord-est de Yo~yang hien 0} PU !?4; .
qui est à 110 li nord-est de sa prélecture P'ing-yang fou '}'■ \% J$F, Chan-si. 1 Petite
oâogr., vol. .//. p. 10).
DU ROYAUME DE TSIN. 17
Deux personnes qui s'entendent forment un couple ; si elles ne
s'entendent pas, elles forment deux adversaires; ainsi nous ensei-
gne le proverbe. «Maintenant, notre prince appelle son fils aîné
ennemi, et son fils cadet maître; cela présage des malheurs! les
noms sont en contradiction avec le rang ! Le second présageant
les succès, conviendrait à l'aîné, non au cadet, qui, de droit, ne
sera jamais qu'un sujet. L'aîné sera-t-il donc supplanté?
Naturellement, cette prophétie de lettré s'accomplira, puis-
qu'elle a été faite après les événements. Le lecteur doit savoir,
une fois pour toutes, que ces soi-disant prophéties sont un arti-
fice littéraire tout à fait familier aux historiens; on le retrouve à
chaque instant; pour lui donner plus de poids, on lui accole un
nom célèbre parmi les lettrés, et l'on prouve ainsi que les («sages»
lisent dans l'avenir comme dans leurs livres.
En 785, Mou-heou étant mort, son frère Chang-chou f% fy
usurpa le trône; Tcli'eou fa, le prince héritier s'enfuit; mais, en
781, il revint avec une armée, surprit son oncle, le massacra, et
monta sur le trône; il est connu sous le nom de Wen-heou ^C0i-
En 770, l'empereur PHng-v?ang ^ 3E lui fit plusieurs recom-
mandations, en lui conférant officiellement la dignité de marquis.
(Zottoli, III, p. 513;.
En 745, son tils Pé f^ lui succédait, sous le nom de Tchao-
heou Hg {£• Dès la lère année de son règne, celui-ci eut la faibles-
se de confier à son oncle Tch'eng-che /j£ $jjj le fief de K'iu-wo dj]
ffî; ce fut l'origine de grands troubles. 11 voulait se concilier cet
homme puissant, dont le concours lui semblait indispensable 1 .
K'iu-wo était une ville plus considérable que / J| capitale
de'J'sin; la rivalité était inévitable. Tch'eng-che était alors âgé de
58 ans; il passait pour un homme éminent, pratiquant la vertu,
et chéri du peuple; il prit le nom de Hoan-chou ;jg ^ sous lequel
il est plus connu; son aide principal dans l'administration fut
Loan Pin É|§ ^, petit-fils du marquis Tsing-heou ifjf $j, et an-
cêtre de la puissante famille seigneuriale Loan dont nous aurons
souvent à parler: il était très nabile. et très expérimente.
A propos de cette collation, le sage Che-fou frfj ffli lit encore
ses réflexions : Quand le tronc est fort et les branches faibles, un
arbre est solide: ainsi en est-il d'un Etat, voilà pourquoi l'em-
pereur seul pouvait constituer quelqu'un prince feudataire, avec
l'obligation d'aider l'empire; les vassaux ne peuvent conférer que
la dignité de ministre ou de grand officier; les ministres d'Etat
peuvent seulement se choisir des aides ou des successeurs, parmi
leurs fils; les grands officiers peuvent librement prendre pour aides
leur fils cadets ; les employés subalternes ont la pleine disposition
de leurs fils, frères, ou serviteurs; les paysans, les artisans, les
(1) K'iu-wo était à l'est de Wen-hi hien fêjHïlSf:» "û h au SUCI d° Fen-tchoou
fou. ( Petite géogr.. vol. S, p. 44) — (Grande, vol. 41, p. 32).
6
18 , PREMIERS TEMPS.
marchands, se font aider par leurs parents plus ou moins rappro-
chés. Il y a donc une hiérarchie à laquelle on ne peut rien changer;
l'ordre étant parfaitement gardé, le peuple obéit avec bonne volon-
té; content de son sort, l'inférieur ne cherche pas à supplanter
son supérieur. Notre prince n'ayant qu'un domaine particulier
reçu de l'empereur, n'est qu'un simple vassal: comment s'arroge-
t-il le pouvoir de créer un nouvel Etat? lui si faible, s'affaiblit
encore! comment pourrait-il durer longtemps?
En 739. le grand officier P' an-fou îfêj 5^ tuait ïchao-heou.
et se rendait à K'iu-wo pour inviter Hoang chou à monter sur
le trône; mais quand celui-ci se présenta devant la capitale de
iMU, le peuple prit les armes et le repoussa: il fut oblige de s'en
retourner d'où il était venu: la lutte allait s'accentuer entre les
deux branches de la même famille.
P'ing ^, ou Hiao-heou. ^ $|, ayant succédé à son père
Tchao-heou, fit mettre à mort le traître P'au-fou.
En 731, Hoan-chou étant mort, son fils Chan t|| lui succéda
à K'iu-wo; il est plus connu sous le nom de Tchoang-pé $£ f£ .
En 724, il massacra Hiao-heou. et voulut prendre sa place: mais
le peuple le repoussa jusqu'à K'iu-wo. et plaça sur le troue le
prince K'i .£ji,ou Ngo-heou ^ {?£, fils de Hiao-heou.
En 718. Tchoang-pé revenait à la charge: aidé des troupes
de Tcheng ||j> et de Hingjfô 1 il attaqua la capitale / p|. L'empereur
lui-même, oublieux des services de Wen-heou *£ §|. non seulement
ne vint pas au secours des assiégés, mais encore envoya les sei-
gneurs In 3^ et Ou fâ aider le prétendant contre son suzerain
légitime. Ngo-heou s'enfuit au pays de Soei [§§ 2 .
En 717. Tchoang-pé s'étant montré récalcitrant envers l'em-
pereur, celui-ci changea de politique ; en automne, il envoya
Kouo-kong %j& Q yi , son grand-ministre, avec une armée, com-
battre son protégé de la veille. Tchoang-pé se retira à K'iu-wo.
(1) Tcheng était un peu au nord-ouesl de Sin-tcheng hien $\ gj $£, qui ost
à 220 li sud-esl de sa préfecture K'ai-fong fou |P} £f <{f, Mo-nan. Petite géogr.,
vol. 12, p. 5 .
Hing, sa capitale, appelée Siang-kouo-tch'eng j| ^S fefi était un peu au sud-
ouosi de Hing-t'ai hièn jflî •','.:• 3^ dans la préfecture mémo de Choen-té fou (g C^. JflF-
Tche-li. Petite géogr., vol. 2, p. îî1 — Grande, vol. 1 ."> p. :;
Soei était à l'est de Kiai-hicou hien, ci-dessus. Petite géogr.. vol. 8. p.
{< Grande, vol. 52. p. T
(3) Kouo. 11 j cul trois pays do ce nom : l'un au sud-est do Chev teheou fft
m. Ho-nan : l'autre, dans le territoire do Fan~choei hien jg zfc f| dont la préfec-
K'ai-fong fou: lo •.ifia<'< ;, :',;, |j nu sud do H'ong-nang fou \$ft fô. Chen-si.
Duquel dos trois s'ni.'it-il \ç\ ? les auteurs discutent encore sur cette question.
'Grande géogr., vol. I. p. 14
DU KOYAU.UK DE TSi.X» \'.<
tandis que le prince Koafïg -fâ. ou Xijai-lwoa jgî (£.. montait sur
le trône à la place de son père Ngo-heou ff[$ fj|.
Ce denier n'était pourtant pas mort; il était tbuiôurs à Soei;
mais comment revenir dans sa capitale? puisque l'empereur lui-
même lui avait donné un successeur! On trouva un moyen-terme,
pour arranger les deux partis, à la manière chinoise: Les neuf
grandes familles Honi fig, venues autrefois avec le fondateur de
Tsin, envoyèrent des députés à Soei, exprimer combien elles re-
grettaient d'avoir perdu un si bon prince; les 5 grands chefs héré
ditàires des magistrats se joignirent à cette députation, ainsi que
le grand officier Kia-fou -|£ ;$£. fils de K'ing-fou fc^f 3£- Ouartd
les condoléances furent finies, on conduisit solennellement l'exilé
à Ngo ^P l : c'est ce nouveau séjour qui lui valu! le nom de mar-
quis de Ngo.
En 710, Ngai-heou envahissait subitement le territoire de
Hing-t'ing |§/ j£ 2 : il s'attira ainsi une revanche. En 709, Uu-
hmvj jê£ ^, successeur de Tchoang-pé, lit cause commune avec
les gens de Hing-t'ing, et vint à leur secours avec une armée.
Son char de guerre était conduit par son oncle, le seigneur Han
Wan 1$: fâ: son lancier était le seigneur Liang Hong ijt ~>jl .
Pendant le combat, Ngai-heou fut poussé dans des bas-fonds du
fleuve Fen $r 7JC el- '' ^ut ^a^ prisonnier.
Loan Pin §ç§ ^, son Ministre, avait passe a l'ennemi ; sou
lils Kong-chou it jj$, au contraire, était resté fidèle à son maître;
c'était un homme éminent; il continua de combattre pour son
prince. Ou-kong jj£ ^ aurait voulu le gagner a son parti: il lui
lit dire : ne cherchez pas la mort! si vous consentez à vivre, je
vous fais mon premier ministre, avec l'agrément de l'empereur, et
vous gouvernerez tout le pays de Tsin.
Loan-kong-chou répondit : l'homme doit sa naissance et sa
vie à trois principes; mais il leur prouve sa reconnaissance d'une
seule manière. Les parents le mettent au monde: les maîtres
l'instruisent; les princes le nourrissent. Sans les parents, personne
ne naît ; sans nourriture personne ne croît ; sans instruction, l'homme
n'est qu'une brute. Tous les trois sont également les principes de
notre vie ; il faut donc les servir tous trois de la même manière : pour
eux il faut que chacun, selon son rang, sacrifie ses forces et sa vie.
Voilà la vraie doctrine! Pourrais-je, pour mon avantage personnel,
négliger de tels enseignements? Vous-même, pouvez-vons m'engager
(1) Ngo c'est l'ancienne ville T'ai-yuen-kou-tch'vng Jç Jgï $% j$, qui eut
sis noms différents: elle était un peu au nord-est de T*ai-yuen hien %. W- Sfi qui
est à 45 li sud-ouest de T'ai-yuen fou sa préfecture. Petite géogr., vol. s. ]>■ 3)—
(Grande, vol. 40, p. 8).
(2) Hing-ting s'appelait encore Hing-tch'eng l»«i $' et Yong-ting $$gg. Petite
géogr., vol. 8. p. 0). — (Grande, vol- 41, p. 11). Elle était à 1^0 li au sud de
P'ing-yang fou. -p $ f , t l'est de K"iu-wo hien & R %, Chan-si.
20 fREMIEKS TEMPS.
à une pareille action? Vous savez d'ailleurs à qui je me suis attaché :
jamais mon cœur ne s'est tourné vers K'iu-wo! Si je désertais
mon maître et seigneur, quelle confiance pourriez- vous avoir en moi?
Ayant ainsi parlé, Kong-chou recommença la lutte, et mourut
en héros. Pendant ce temps, le peuple de Tsin plaçait sur le trône
le prince Siao-t$e >K ^f-, pu Siao-tse-heou >]> ^ |§j|. à la place de
son père captif.
En 708, Ou-kong jÇ ^ envoya le grand seigneur Han Won
fjf; |^ massacrer N.gai-heou Jfc fé dans sa prison. La principauté
de K'iu-wo devenait donc de jour en jour plus forte: celle de Tsin
allait s'affaiblissant, gouvernée par des hommes sans valeur et
de courte durée. Les rôles étaient renversés: le vassal devenait le
maître de son suzerain.
En 705, vers le mois d'octobre, Ou-kong poursuivant ses
projets ambitieux, faisait assassiner Siao-tse-heou: puis, au prin-
temps de 7o'). il s'emparait définitivement de la capitale I ^ 1 :
désormais les deux principautés se trouvèrent reunies sous sa main :
l'autorité était passée de la branche aînée à la branche cadette de
la famille régnante. C'est ce qu'avait soi-disant prédit plus haut
notre sage lettré Che-fou fliji flg..
L'empereur n'était pourtant pas content de ce coup de force,
qui d'ailleurs attentait à sa propre autorité; c'est pourquoi, vers
la fin de cette même année 704. son premier ministre Kouo-tchong
H ftjj alla, de sa part, établir comme marquis de Tsin le prince
Min ^.L§, frère de Xgai-heou.
En juin-juillet 703, le même ministre conduisait une armée
entre Ou-kong, qui voulait expulser son nouveau rival; avec les
troupes impériales, se trouvaient celles des comtes de Joei fë,Liang
i^:. Siun % et Kia jf (2); sans doute la tranquillité fut rétablie,
mais ce fut pour un temps.
1 Le tombeau de Siao-tse-heou se trouve à 15 li à l'est de I-tch'eng bien
?? r i*X f? : il est haut de trente pieds, avec une circonférence de cent pas: on l'ap-
pelle vulgairement Siao-toang wen /)■« 3î *%■( Géogr.. impér.-, vol. çç. p. 8) — I J|
est un autre nom de la même capitale Kiang fê. l'ancienne.
(2) Joei, l'ancienne capitale, était à oO li à l'ouest de Joei-tch'cng hien pïj J$ f|
li sud-ouest de Hiai tcheou $?#|, Chan-si. Originairement, cette petite
principauté était à T'ong-tcheou fou |p] -'il .'H . Chen-si. (Petite géogr., vol. 8, p. t>
— (Grande, vol. /■ )>■ ij — vol. 41, p.
Lia ng, son ancienne capitale, était à 22 li au sud d'' Han-tch'eng hien $£i)itf£
qui est à 220 li nord-est de T'ong-tcheou, Chen-si. Petitt géogr.. vol. //. p. iq
inde, vol. .-/• /'• 241.
Siun, — on l'écrit aussi jjflS, — son ancienne capitale était à 1 5 li nord-est de Lin-
tain bien ES^f SI- clu' c'*1 ■ "^ '■ nord-est de sa préfecture P'ou-tcheov fov Çfem ^
Chan-si. (Petite géogr.. vol. 8. j>- 30) — 'Grande, vol. 41. p.i 2).
Kia, son ancienne capitale, était a 1 >s li sud-ouest de P'ou-tch'cng hien r$jjifàM
DU ROYAUME DE TSIN'. 21
En 679, Ou-kong attaquait de nouveau le pays de ïsin. et
tuait le prince Min ; mais, cette fois, il fut plus avisé ; il offrit
la plus belle part du butin à l'empereur Li-wang ^ 3E ; celui-ci
pardonna tout, confirma officiellement à Ou-kong le titre de prin-
ce de Tsin. et l'admit entre les vassaux directs (tchou-heou |§ fô
de l'empire,
Précédemment, on ne sait en quelle année, Ou-kong avait
fait la guerre au pays de / ^J (1), et avait emmené captif I-koei-
tchou i^| f|| |^, seigneur impérial, possesseur de ce petit fief;
sur l'intercession de WpI-!ïouo ^ H|, autre seigneur impérial, il
lui avait rendu la liberté: mais celui-ci oublia de remercier son
bienfaiteur. Wei-kouo furieux invita Ou-kong à l'aider à punir
cet ingrat, lui abandonnant d'avance le territoire de / "^". Ainsi
le malheureux 1-koei-tchou fut pris de nouveau, et massacré par
Wei-kouo lui-même. A la nouvelle de cet acte de barbarie, le
grand seigneur impérial Tcheou-kong-hi-fou Jg] ^ fê 3£ fut si
effrayé qu'il s'enfuit de la cour, et ne revint qu'en H76, à l'avè-
nement de l'empereur Hoei-wang M 3£,
Ou-kong mourut en (177, après avoir régné deux ans seule-
ment, dans la capitale / ^., sur les deux principautés réunies.
Avec lui, finissent les premiers l>jmp.< du royaume de Tsin; avec
son successeur, commencent les temps vraiment historiques, puis-
que ce pays a pris rang parmi les grands états [ta-houo ^ |i£] .
Dès cette époque, l'autorité de l'empereur était souvent mé-
connue ; comme preuve de cette assertion, les lettrés apportent les
faits qui s'étaient passés au pays de Tsin:
1° Tchao-heou fj^ {^ donne le fief de K'iu-wo [11} ^ à son
oncle, sans que l'empereur réclame contre cette violation de son
privilège.
2° P'an-fou ^|§ 3£ assassine Tchao-heou Bg f^|, renverse une
famille régnante établie par l'empereur; celui-ci n'en a cure.
3e Tchoang-pé U fâ massacre de même Hiao-heou j§ê f||,
l'empereur n'en a cure, comme pour le précédent; bien mieux, il
aide l'usurpateur !
4° Ou-kong ffî fè accomplit enfin les projets ambitieux de
qui est à 80 li à l'ouest de Pong tcheou fou, Chen-si. Petiti géogr., col. 14, p. .-♦
— (Grande, vol. 54. p. S).
(1) I. Où était ce petit pays? Voici la réponse: / ~4± signifie en
étranger, barbare, sauvage, toute nation non chinoise enfin. Or les Tartarcs,
cédant la place aux Chinois proprement dits], s'étaient réfugiés sur les monta-
gnes; donc, dans le cas présent, il s'agit de ceux qui étaient dans la grande chaîne
T'ai-hang-chan j\Çf\l\- dans leChan-si. Ce seigneur emmené captif est sans doute
un de leurs chefs, auquel l'empereur aurait accordé gracieusement un fief et un
titre.
22 PREMIERS fEHPS.
son père: la guerre, les meurtres, tout lui est un bon moyen pour
arriver à son but : tout lui est pardonné moyennant cadeaux : il
gagne la bienveillance et les faveurs impériales. Une seule petite
punition lui est infligée officiellement, à savoir: qu'il n'aura
qu'un corps 'l'année (i-kiun •— jp[ . c'est-à-dire douze mille cinq
cents hommes. Mais, de fait, poiivait-il lever une armée beaucoup
plus considérable, à cette époque? 1
On voit donc que si l'autorité de l'empereur était souvent
négligée, elle était parfois en des mains incapables, et peu dignes
de cet honneur.
1 \ quelle date les princes de Tsin prirent-ils le titre de rois? Il est difficile de
répondre. Officiellement, il n'y avait et ne pouvait > avoir en Chine qu'un seul roi:
clui que les Européens ont appelé empereur, pour !<■ distinguer des vassaux,
c'est-à-dire de tous 1rs autres princes, sur lesquels il avait ou était censé a\oir juri-
diction.
D'après cela, les princes de Tsin ne lurent officiellement que des marquis-:
mais depuis Wen-kong 3*C K 635-628 . ils eurent la prépondérance, même om-
cielle, sur les autres états chinois, ils turent chefs des vassaux, titre très disputé.
comme ■ n le verra dan- nos histoires de ces anciens royaumes. Dés lors donc, tes
- d< t -in furent, en réalité, non seulement rois, mais même empereurs, sans
le titre.
23
TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
DU ROYAUME DE TSIX
HIEN-KONG (676-652)
£
-rçr tH-
Le nouveau prince de Tsin, lils de Ou-kong ]jÇ Tfe. fut dans
la suite appelé Hien-kong : ce nom signifie : sagace, dune intel-
ligence qui pénètre toutes choses 1 .
En 676, au début de l'année, Hien-kong allait, en compagnie
du duc de Si-kouo ff ||&, présenter ses hommages à l'empereur
Hoei-wang Jg 3E- C'était la règle, mais on était loin de l'observer
toujours! L'empereur, enchanté de leur déférence, leur fit un ^rand
festin, et leur offrit des cadeaux: à chacun il donna cinq pierres
de jade et trois chevaux, chose qui était contraire aux rites, re-
marque l'historien; car le duc avait un degré de plus en dignité
que Hien-kong: l'empereur Lui-même ne pouvait offrir aux deux
princes des présents égaux; fait semblable renversait l'ordre établi
par les anciens <■ sabres», pour les entrevues et les réceptions offi-
cielles (2).
(1) Texte chinois de cette interprétation : !I* Bfi ?/* f?f 0 Ht Voir le recueil:
Che-ki Souo-ing i£ 3'E %{ f^. roi. /. p. 6).
[2] Lu dignitaire recevait successivement : sa nomination, son costume, son
char, sa tablette, etc. etc. c'étaient comme autant d'invitations a entrer en charge
ming ■& .l'our le chef des états feudataires, il 3 avait ainsi neuf invitations
mins AA.; pour les grands ministres d'Etat, 4 invitations se ming E9 ffr : puur
les autres ministres, seulement 3 >an ming H ^ ; pour les grands officiers, 2
invitations eu! ming Z. ifa : pour les officiers inférieurs, une seule i ming — ifr .
D'ailleurs, il y avait trois classes de ministre-: chang-k'ing _fc M- hia^k'ing "[• M
et siao-Jioua-tche-k'ùig /]■» H<] £ 9$ '■ " ï avait deux classes de tar-fou ^C 7C. UU
grands officiers. De plus, la valeur de ce> dignités variait avec l'importance de la
principauté ou du royaume où elles étaient conférées. Bref, les détails de I étiquette
,-taient assez compliqués. (JA-ki jjl§ fj£. rot. i. p. i o — (U mime, édition impér.,
pol. ii. /.. t8) (ZottoH, Uf. p. 634, ",ll<: ?) - {Tcheou-U ffl |g. col. 5, pp«
12 et 35)-
24 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Hien-kong et son compagnon, ainsi que le comte de Tcheng
SK. engagèrent l'empereur à prendre pour épouse une princesse
de Tch'en ^; celui-ci accéda à leur désir; ils envoyèrent donc
le seigneur Yuen Tchoang-kong J£ $£ & faire la proposition, et
conduire la fiancée à la cour impériale. L'ambassade réussit à
souhait: le mariage se fit aussitôt, contrairement aux rites; car
le deuil traditionnel de trois ans n'était pas encore fini. Plus tard,
cette impératrice, nommée Hoei-heou Jg §|. lut cause de grands
troublés à la cour, par ses préférences pour son fils cadet. (La
seigneurie de Yuen fâ était à 15 li nord-ouest de Ts'i-yuen hien
Bl îH. M' 1ui est a ~Ô H -''( Vouest de sa préfecture Hoai-k'ing fou
ffi H M Ho-nan — Grande gèogr., vol. 49, p. G).
En 672. au début de l'année. Hien-kong faisait la guerre au
pays de Ts'in ^=: c'est la première fois que nous voyons ces deux
états en querelle ; cette histoire nous les montrera ennemis achar-
nes: longtemps le sort sera incertain: mais, finalement, c'est Ts'in
^ qui triomphera de son rival. Dans cette présente expédition.
c'est déjà lui qui remporte la victoire; la bataille eut lieu à Ho-.
yang fpf (5§ (1).
Vers la même époque. Hien-kong faisait la guerre aux Tar-
tares appelés Li-jong %~% j£ 2 . qui se trouvaient enclavés parmi
les états chinois, et dont le prince était du clan impérial A';' #j£.
tout aussi bien que Hien-kong. Quelle fut la raison ou le prétexte
de cette expédition? l'historien ne le dit pas. Le prince tartare fut
tué: Hien-kong reçut du successeur une princesse nommée Li-ki
pi #[£, dont il fit son épouse, et qu'il aima éperdûment: c'est cette
femme qui va causer de grands troubles dans le pays de Tsin, et
le mettre à deux doigts de sa perte: avec elle. Hien-kong recul
encore sa sœur.
En 671, les descendants de Hoan-chou H^ et de Tchoang-
pê jj£ {£, très nombreux, très riches, et très puissants, cher-
chaient querelle à Hien-kong, et lui suscitaient bien des ennuis :
il ne savait comment se tirer d'embarras. S'en étant ouvert au
grand officier Che-vcei -j^ ^. celui-ci lui répondit: abattez d'abord
les chefs de famille: ensuite vous serez facilement maître du
reste! — Hé bien, repartit Hien-kong, essayez! faites comme
vous l'entendrez '.
1 Ho-yang, était à :î0 li sud-ouest d. Mon g hien §?£ Sf . qui esl à 60 li sud-
ouest de sa préfecture Hoai-k'ing fou {g J§f Jjîf, Ho-nan. Petite géogr., vol. 12. p.
20).
(2) Li-jong, ce petit état Tartare était à 30 li à l'est de Lin-tong hien 6& ®î
!£, qui est à 70 li 0 I 'esl de Si-ngan fou f§ £- Jft . Chen-si. (Petite géogr., vol. 14.
¥• 10) — (Grande, ool. ■ .-. ,.. 43). ll> gardèrent ce nom du à la montasrne Li jj|f .
raémf après leur dispersion.
DU ROYAUME DE TSIN. HIEN-KONG. 25
Sur ce, Che-wei commença par brouiller entre elles les deux
familles, répandant force calomnies contre les hommes les plus
influents, qui, naturellement, avaient des jaloux : ces derniers se
portaient garants de toutes les fausses accusations, et trompaient
ainsi le peuple. Bientôt les plus riches individus furent chassés du
pays ; peu à peu, les autres prirent aussi le chemin de l'exil ; c'é-
tait la juste punition des crimes de cette branche cadette, contre
son aînée autrefois régnante.
En 670, l'hypocrite Che-wei s'étant de nouveau abouché avec
divers membres des autres familles princières, fit massacrer les
deux fils de la famille Yeou $£ ; après quoi, il dit a Hien-kong:
attendez encore un an, et le reste sera anéanti !
En 669, vers le mois de juin, Che-wei manœuvra si bien que
tous les princes, d'un commun accord, extirpèrent complètement
la famille Yeou. Alors, l'hypocrite fit semblant de leur être très-
reconnaissant pour ce service ; il leur accorda une ville pour leur
résidence commune; il y fit même bâtir des fortifications. C'était
un piège habilement tendu. Quand cette ville de Tsiu Jfe (1) fut
terminée, une armée de Tsin vint l'assiéger, la prit, et massacra
les princes jusqu'au dernier. On était alors vers la fin de l'an-
née (2).
Che-wei méritait une grand récompense pour de tels services ;
il fut élevé à la dignité de ^e-k'ong fï\ 5jÇ, c'est-à-dire ministre
des travaux publics. En cette qualité, il agrandit la capitale /
jgl (appelée aussi Kiang $j?) (3), il en renouvela les fortifications,
ainsi que le palais seigneurial ; il en fit quasi une nouvelle ville.
En 668. vers le mois de juin, le prince de Kouo $£ faisait
invasion dans le pays de Tsin ; ayant sans doute remporté quelque
butin, il fut enhardi par ce succès ; il revint à la charge, vers la
fin de cette même année. Il était poussé à ces deux expéditions
par quelques princes fuyards de Tsin, réfugiés chez lui, qui vou-
laient la mort de Hien-kong et de son complice Che-wei. Il s'agit
de l'Etat de Kouo occidental ^si-Kouo "jjlj $£ • ; car l'oriental [tong-
Kouo T|j Éfg avait été annexé en 772 par le prince de Teheng M,.
(1) Tsiu était à 10 li sud-est de Kiang hien |.'£ gg, qui est à 100 li sud-est
de Kiang tcheou $$ JH, Chan-si. Plus tard, cette ville s'appela Kiu-siang-tch'eng
$ fâ itf;, c'est-à-dire caisse de voiture, parcequ'clle s'étendait en long de l'est à
l'ouest. (Géogr., impér.. vol. 118, p. 4) — (Grande géogr., vol. 41, p. 41).
(2) «Tous les princes, jusqu'au dernier», c'est-à-dire tous ceux qui se trou-
vaient dans la ville; car. un peu plus loin, on parle de quelques-uns. échappés au
massacre par la fuite.
(3) I ou Kiang .Nous avons déjà donné son identification ; elle était à 15 li
sud-est de I-tch'eng hien §f j$ Jgg[, qui est à 130 li sud-est de sa préfecture P'ing-
yang fou 2p P§ #f. Chan-si. , Grande géogr., vol. 41, p. 12)
26 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
En 667, Hien-kong voulait se venger; Che-wei l'en dissuada:
laissons, dit-il, ce prince orgueilleux s'enfler de ses quelques suc-
cès sur nous :il n'en deviendra que plus fier; dans son arrogance
il s'aliénera le peuple, déjà mécontent de lui ; ce sera le moment de
l'attaquer ; alors il voudra se défendre, et ne trouvera personne
pour l'aider. Quiconque veut conduire son peuple en guerre, doit
auparavant faire régner les rites, qui dirigent les hommes ; la mu-
sique, qui procure la paix ; la sollicitude des parents envers les
enfants, l'affection des enfants pour leurs parents. Ce sont ces
quatre principes qui préparent une nation à accomplir de beaux
exploits. Or le prince de Kouo ne s'en soucie guère ; il ne songe
qu'à batailler, sans s'apercevoir qu'il retire de leurs champs les
vigoureux cultivateurs ; la famine ne tardera pas.
Hien-kong lui-même n'était pas un modèle de vertu ; il bra-
vait l'opinion publique, en violant les usages les plus respectés et
les plus respectables de la Chine ; il ne suivait que ses caprices ;
il se laissait mener par des femmelettes, et par d'indignes favoris.
D'abord marié à une princesse de Kia j|(, du même clan que
lui, ce qui était sévèrement prohibé, il n'en avait point eu d'en-
fants ; il vivait en incestueux avec la femme de son propre père,
la princesse Ts'i Kiang ^ ||-, fille du fameux Ts'i Hoan-hong
^§^; il en eut une fille, mariée plus tard à Mou-kong ^ £V,
roi de Ts'in §(§, et un fils, le prince héritier Chen-cheng ^ ££.
Il prit encore pour femmes deux princesses tartares : l'une,
nommée Hou-ki ^ £gi, était du même clan et de la même famille,
puisqu'elle descendait aussi de T'ang Chou-yu ^ fâ |jj; elle ap-
partenait aux grands Tartares LTa Jong j\, j$C 3 î e^e donna le jour
au prince Tchong-eul if; Jf , qui deviendra le plus célèbre parmi
les rois de Ts'in, et peut-être de toute la Chine. L'autre princes-
se,du clan Yun -fc, venait des petits Tartares [ Siao Jong >]•» ;F£ ;
c'est elle qui donna naissance au prince I-ou 5^ ^ (1).
Nous avons vu plus haut, qu'à la suite de la guerre avec les
Tartares Li Jong Hf 3$t, il avait emmené deux princesses; l'aînée,
la favorite entre toutes, donna le jour au prince Hi-tsi J| 5§ ; la
cadette, au prince Tcho-tse j^ ^f-.
En 666, cette favorite, nommée Li-ki P|f j||g, commença l'exé-
cution du plan qu'elle avait formé, pour évincer le prince héritier.
et lui substituer son propre fils lli-tsi J| >0-. D'abord, à prix
d'argent, elle gagna le ministre de l'intérieur Liang-ou $£ 3£ et
(1) TaJong, ils étaient au nord-ouest de Kiao-tch'eng 7iiV/i?£ ',:.{ jjg.. qui est
à 120 li sud-ouest de sa préfecture T'ai-yuen fou jfc ^ fff , Chnn-si. Il y a encore
un ancien temple, bâti en l'honneur de Ilou-fou $& $s, père de cette princesse
Hou-ki, donc grand-père de Tchong-eul. La montagne a reçu son nom de lui: Hou-
t'uu-thun $& 'fë. Ul- — (Grande géogr., vol. 40, p. 18).
Siao Jong, ils étaient un peu plus à l'ouest.
DU ROYAUME DE TSIN. HIEN-KONG. 27
le grand officier Ou 31 > tous deux en faveur auprès de Hien-kong ;
ceux-ci devaient lui faire les remarques suivantes :
«Le pays de %'iu-wo rJJ) ^ possède le temple de vos ancêtres;
les pays de P'ou f|§ et de KHué Jj* (1) sont deux endroits des
plus forts et des plus importants ; ces trois régions ne peuvent
rester sans avoir un gouverneur spécial, avec une autorité plus
grande que les autres; et cela, pour ôter aux princes voisins la
pensée de s'en emparer, et pour obtenir du peuple une obéissance
plus facile et plus prompte. Si vous mettiez le prince héritier
Chen-cheng à K'iu-wo, le prince Tchong-eul à P'ou, et le prince
1-ou à K'iué, vous pourriez vous reposer en paix sur la fidélité de
tels gouverneurs. Voilà des mesures qui vous rendraient à jamais
illustre !»
Hien-kong ne fut pas persuadé du premier coup; nos deux
conseillers revinrent à la charge : «la partie septentrionale hors
notre pays de Tsin, disaient-ils, est en grande partie occupée par
les Tartares Ti ^ ; si vous établissiez comme des succursales de
votre capitale, gouvernées par vos fils, vous pourriez facilement
agrandir vos états de ce côté ! »
Cette fois, Hien-kong tomba dans le piège; il envoya Chen-
cheng ^1 ^ à K'iu-wo {Uj ^, puis Tchong-eul f |! à P'ou ffâ,
et I-ou i^| t§- à K'iuè /Q, comme on le désirait; les autres princes
furent aussi relégués à la frontière, sous l'honorable prétexte de
se former à l'administration, et de rendre service à la patrie. A la
cour, il n'y avait plus que Hi-tsi J| 3^, fils de la favorite, et
Tcho-lse ^ ^p, fils de sa sœur.
Ce premier point étant gagné, l'intrigante Li-ki §jf $jË poussa
plus avant ses machinations : elle fit répandre les plus vilaines
calomnies contre les princes qu'elle avait exilés ; mais le peuple
ne fut pas trompé; pai'tout on chantait : «ces deux gaillards Ou 3£
font un fameux couple ! ils vont perdre le pays ! »
En 661, Hien-kong n'avait eu jusque-là qu'un seul corps
d'armée, selon la restriction imposée à son père par l'empereur; en
droit, il pouvait en avoir trois, d'après les us et coutumes de la dynas-
tie Tcheou Jr] , puisque son pays était reconnu «grand vassal» [ta-
kouo -fc Hjj- Hien-kong pensa que la pénitence avait duré assez
longtemps, et ne demanda même pas à en être relevé; il consti-
tua un second corps d'armée, dont il donna le commandement
au prince héritier Chen-Chcng ^ ^: lui-même se mit à la tête
du premier, et l'on partit en campagne contre les pavs Keng Jfc,
(1) P'ou, c'est Hien-tcheou ^ #|, 550 li sud-ouest de T'ai-yuen fou. (Petite
géogr., vol. S, p, 46) — (Grande, vol. 41. p. 32).
K'iué, était à 21 li nord-est de Ki-tcheou § <H>|, Qui «st a 270 li à l'ouest de
P'ing-yang fou "FUfltf, Chan-si. (Petite géogr., vol. 8, p. 10)— (Grande, vol. 41.
P» 49)-
28 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
de Houo ^| et de Wei §| (*) '> ces *r°is principautés furent bien-
tôt écrasées, et annexées au pays de Tsin, quoiqu'elles fussent
du clan Ki #g».
Rentré victorieux dans sa capitale, Hien-kong, content du
prince héritier, le récompensa par de nouvelles forfifications à sa
résidence de K'iu-wo $| jfc. Le seigneur Tchao-sou jtfè ffa, con-
ducteur du char de Hien-kong, s'était aussi distingué dans cette
expédition ; il reçut en fief le pays de Keng. Le seigneur Pi-wan
M M, lancier du prince sur le même char, avait des mérites éga
lement ; il reçut le fief de Wei.
Hien-kong ne s'imaginait guère qu'il venait de poser la cause
du démembrement de tout le pays de Tsin et de sa ruine totale.
Ces deux seigneurs feront souche; leurs familles deviendront puis-
santes, et réclameront leur indépendance ; et cet avenir n'est pas
très éloigné. Aussi les commentateurs le blâment de bon cœur; ils
disent que le ciel l'avait aveuglé.
Notre fameux hypocrite Che-wei -^ y£ apparaît de nouveaux
sur la scène ; il disait au prince héritier Chen-cheng : Vous ne
réussirez pas à monter sur le trône ; car vous avez déjà reçu une
principauté à K'iu-wo |JJj ^; vous avez reçu la plus haute di-
gnité à la cour, celle de Chang-k'ing _t Hp, grand ministre d'État,
et généralissime d'armée; vous êtes arrivé au sommet, comment
pourriez-vous monter plus haut? il n'y a plus pour vous qu'à des-
cendre ! C'est un principe des anciens sages que les choses arri-
vées à leur apogée, commencent à décliner. Le mieux pour vous,
serait de vous enfuir, pour éviter les malheurs qui vous menacent !
Che-wei apporta un [exemple: T'ai-jié -fcfâ, fondateur du
royaume de Ou )$., voyant que l'empereur son père avait une
prédilection pour son frère cadet, s'enfuit en exil, et épargna un
crime à son père. Par là il s'est rendu immortel, et a sauvé son
pays d'un grand nombre de troubles intérieurs. Le proverbe nous
dit : si la conscience est sans reproche, peu importe qu'on soit exi-
lé de la maison paternelle; et encore: si le ciel veut bénir le prin-
ce, ne peut-il pas lui accorder une autre patrie?
En faisant de si vertueuses remontrances, Che-wei parlait-il
de son propre mouvement? remplissait-il un rôle confié par l'in-
trigante Li-ki §|f $£? Quoi qu'il en soit, le prince héritier ne se
laissa pas persuader.
(1) Keng, sa capitale, était à douze li au sud de Ho-tsing hien f5f ^f£, qui est
à 200 li au sud de sa préfecture Kiang tcheou t$ +H, Chan-si. (Grande géogr., vol.
41. p. 26).
Houo étaii à 1 b li à louest de Houo tcheou g ;>H, Chan-si. 'Petite géogr.,
vol. 8, p. 40) — jGrande, vol. 41, p. 45).
Wei. sa capitale .était à 7 li nord-est de Joei-tcheng hien p§ #$, qui est à 90
li eud-ouest de Hiai tcheou %$. tft, Chan-si. (Petite géogr . vol. S, p. 41)— (Grande,
Vil. -il p. 36)
DU ROYAUME DE TSIN. HIEN-KONG. 29
Le grand devin Yen (g tira aussi l'horoscope du seigneur
Pi-wan J|i H, et lui prédit un avenir brillant, d'après son propre
nom: Wan signifie dix-mille, c'est le nombre plein, puisque par-
tant de un on monte à cent, à mille, et l'on s'arrête à dix mille. De
plus. Wei §| signifie haut comme une montagne. Ayant reçu une
telle récompense, le ciel présage à cette famille un avenir glorieux.
L'empereur parlant de ses sujets dit: mes millions de peuples ; les
vassaux: mes myriades de peuples (1). Or, dans son nom. ce
seigneur ayant le caractère Wan, ce chiffre si haut, c'est un pré-
sage qu'il gouvernera des multitudes. D'ailleurs, avant de se mettre
au service de son prince, le seigneur Pi-wan avait consulté les
sorts; comme réponse, il avait reçu l'hexagramme tchoen ==, c'est-
à-dire plante naissante, chose qui commence; puis, par quelques
manipulations, l'hexagramme pi ff\ qui signifie s' associer, s'entr'-
aider. Le devin avait donné l'interprétation suivante : le 1er hexa-
gramme iudique la force qui se fait jour, comme une plante nais-
sante perce la terre: le second indique L'adhésion, l'entrée. Que
peut-il y avoir de plus favorable? vous serez populeux et florissant!
tchen ££, partie inférieure du Ier hexagramme. devient Koen ~,
partie inférieure du second; c'est-à-dire : 1° des chars et des che-
vaux se suivent. 2° il peut se tenir solidement sur ses pieds. 3° il
aura le lot du frère aine. i° il aura la protection de sa mère. 5a
les multitudes s'attacheront à lui. La ligne la plus inférieure, et
non brisée du diagramme Ichoen §i se changeant ainsi, a toutes
ces significations d'immutabilité: associées entre elles, ces lignes
indiquent la solidité; en repos, elles représentent la puissance du
tonnerre, et sa majesté: le sort indique donc que ce seigneur sera
duc ou marquis, lui-même descendant d'un duc: et sa postérité
redeviendra ce qu'étaient ses ancêtres. Ainsi parla le devin Sin-
liao 3f£ )% (2).
Le lecteur a-t-il compris'? C'est peu probable! Mais qu'il ne
s'en chagrine pas! Il n'y a rien à comprendre: ce sont
pures charlataneries. à l'usage des tireurs de cartes, et des diseurs
de bonne aventure: ce sont des sottises dont le diable se sert pour
berner les hommes qui n'ont pas la foi; ceux-ci y croient plus
fermement qu'à leur propre existence : même ces fiers lettrés n'ose-
raient entreprendre aucune chose importante, sans consulter ces
six lignes continues ou brisées; ils sont bien persuadés que leur
sort y est attaché! Parlez-leur ensuite du Dieu créateur de toutes
choses, et de sa providence: vous verrez quel sourire de dédain
vous obtiendrez!
(i) Tchcio ming ^ R. Won ming ~fâ jjj.
>2 Le tombeau de Pi-wan. se trouve à 13 li nord-est de Joei-tcheng hien
fâ tS? f?< qui esl à $0 li sud-ouest de Hicti tcheou $$ H\, Chan-si. Chan-si t*ong-
tche |X| S il! Jfc, vol. 56, p. 96).
30 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
En 660, le prince de Kouo $| faisait la guerre aux Tartares
de l'ouest [si-jong "gj 5^], appelés aussi les Tartares-chiens [K'iuen
Jong ^v ^c'; il remporta une grande victoire sur eux, à l'endroit
où la rivière Wei ^ff se jette dans le fleuve Jaune (1). Pareil
succès effraya le grand officier Tcheou-tche-kiao -fo £ fë, qui
était un sage lettré : un homme sans vertu, dit-il, recevant une
telle faveur, est averti que le ciel Ta rejeté, et que les malheurs
vont fondre sur lui! Sur ce, notre lettré s'enfuit au pays de Tsin.
qui n'avait donc pas si mauvaise réputation au dehors.
Vers la fin de cette année, Hien-kong envoyait le prince
héritier Chen-cheng ^ ^ faire la guerre aux Tartares rouges
"Tch'e-ti ^f ^C , appelés aussi tribu de Kao-lou "Kao-lou-che ^
$£ JÇ ' l11^ demeuraient au pays de Tong-chan )|f \[\ . ou monta-
gne orientale (2).
A ce propos, le grand officier Li-k'o j|[ ^£ fit à Hien-kong
les remontrances suivantes : L'office du prince-héritier est d'aider
le roi dans l'offrande des sacrifices solennels pour le salut du pays ;
à lui de présenter le millet très pur dans un vase choisi, en l'hon-
neur des Esprits tutélaires ; à lui encore de surveiller et de dé-
guster, matin et soir, les mets préparés pour ses augustes parents;
c'est pourquoi il s'appelle tchong-tse |ft ^p, c'est-à-dire monticule,
grand, qui dépasse ses frères comme une montagne dépasse les
collines voisines. En l'absence du roi, c'est le prince héritier qui
garde la capitale; sinon, il accompagne son père. Gardant la ca-
pitale, on lui donne le titre de Kien-kouo |£ |j|}, surveillant du
royaume; s'il suit son père à la guerre, il est nommé Fou-kiun
$fe jft, aide-de-camp du roi, celui qui l'aide dans l'administration
de l'armée.
Voilà les règlements établis par les anciens <• sages ■> . Car celui
qui commande une armée doit tenir des conseils de guerre,
prendre des déterminations, donner des ordres, publier des pro-
clamations, toutes choses qui sont d'ordinaire réservées au roi
et à son premier ministre. Un généralissime agit directement,
sans recourir au roi ; sinon il n'a plus d'autorité sur ses
'I | Les Si Jong ou K'iuen Jong se trouvaient au nord de Fong-siang fou I1J,
Ijfllfif, Chen-si; mais plusieurs de leurs tribus habitaient dans les montagnes appe
lées Lei-chctn f$ |Jj , ou du tonnerre, dans la préfecture de P'ou-tcheou fou ffê JH #f,
Chan-si ; c'est d'elles qu'il s'agit ici. (Grande géogr., vol. 1, p. 10) — (Hoang-
tsing King-kiai || jf $J fj|, vol. 8 — 94, p. 3).
(2) Les Tch'e-ti. La montagne qu'ils habitaient s'appelle encore maintenant
Kao-lou-chan i& f% [Xi ; elle se trouve à 70 li à l'est de P'ing-ting tcheou ^f /g jlfl ,
qui est à 280 li à l'est de T'ai-yuen fou >k j|î tff ; ces Tartares habitaient donc
sur les chaînes de montagnes T'ai-hang-chan ?k ff UT (Petite géogr., vol. S,
p. 35) — (Grande, vol. 40, p. 34).
DU ROYAUME DR TSIN» HIEN-KONG. 31
soldats. Si le prince héritier agit indépendamment de son père,
il ne se montre plus fils soumis, comme il le doit; s'il demande
les ordres de son père, il devient généralissime inutile. Voilà pour-
quoi un prince héritier ne peut ni ne doit recevoir ce poste; il ne
peut qu'y perdre, ou son influence, ou sa piété filiale. De plus,
j'ai ouï dire que les Tartares ne se laisseront pas effrayer ; ils
livreront bataille; épargnez au prince héritier le péril d'une défaite!
Hien-kong se contenta de répondre: j'ai neuf fils et je ne
sais pas encore quel est celui qui sera le prince héritier. Li-k'o
interdit par cette parole, n'osa pas faire instance; il s'en alla ra-
conter à Chen-cheng ^ ^ ce qui venait de se passer.
Celui-ci s'écria: quoi donc! serai-je écarté? Li-k'o le rassura
en lui disant: Vous n'êtes pas en disgrâce, puisqu'on vous confie
le commandement des troupes; ne craignez donc rien, sinon de
ne pas vous appliquer tout entier à votre office ; pourquoi seriez-
vous écarté? un fils ne doit craindre qu'une chose, c'est de n'être
pas assez soumis, non pas d'être évincé dans ses droits; appliquez-
vous à la perfection de votre personne, et ne vous plaignez pas
des autres ; alors vous ne redouterez aucun malheur.
Quand Chen-cheng tfî ^ partit de la cour, pour se mettre à
la tête des troupes, son père lui fit cadeau d'un vêtement {§ ^
qui n'était pas d'une seule couleur, comme il aurait dû l'être, et
dont la moitié seulement était de couleur royale ; c'était donc un
habit dérisoire. De plus, il lui avait remis un Kiué jjpi en or,
sorte de pendeloque en demi-cercle, qui se suspendait à la cein-
ture, et qui était un signe de disgrâce ou de démission.
Sur son char de guerre, Chen-cheng avait pour conducteur le
grand seigneur Hou-t 'ou $R ^ ; et pour lancier le seigneur Sien-
yeou $ç fê. Han-i S? ^, général du second corps d'armée, avait
pour conducteur Yu-tse-yang $fc -f* ^ç du pays de Liang i|£,
pour lancier, Sien tan-mou -ffc ft fc. Dans, cette expédition, le
grand officier Yang-ché ^ -g- avait la charge de Wei ^J", qui
répondait probablement à celle de grand-juge criminel, ou prési-
dent du conseil de guerre; car les commentateurs, pas plus que
les dictionnaires, ne savent au juste quelle était cette dignité.
Le seigneur Sien-yeou dit à Chen-cheng: Ne voyez pas de mal
dans les deux cadeaux que vous avez reçus; vous avez l'autorité en
main, vous pouvez ainsi écarter tout malheur; ne considérez
que la faveur qui vous a été accordée ; et ne songez qu'à vous
distinguer dans cette expédition qui vous est confiée ; pourquoi
vous chagriner inutilement?
Le grand seigneur Hou-t'ou poussa un soupir, en entendant
ces paroles : Ce sont les circonstances qui trahissent l'intention
du prince, en faisant ces cadeaux; le vêtement distingue le noble du
roturier ; l'ornement de la ceinture manifeste l'affection de celui
qui en fait présent. Si le prince voulait véritablement honorer
son fils, par ces distinctions, il deA'ait choisir le moment propice.
32 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
le printemps ou l'été, où toutes choses croissent et arrivent à leur
perfection, non l'hiver, où tout dépérit et meurt; il devait offrir
un vêtement de couleur unique et royale, non un habit bariolé,
ridicule ; il devait donner un Kiuè Jfe en jade et non en or ; corn1
plet, non en demi-cercle. Ainsi le voulaient les usages anciens. Au-
jourd'hui la mission subite et hors de saison fait voir que le prin-
ce met obstacle au succès. L'habit bariolé montre que le prince
n'aime pas son fils ; l'or, métal dur et froid, indique un cœur
glacé ; le demi-cercle indique la rupture entre lui et son fils. C'est
vouer le prince héritier au dépérissement et à la mort ; quelle con-
fiance peut avoir celui-ci? Même s'il s'applique de toutes ses for-
ces à exécuter l'ordre qu'il a reçu, pourra-t-il y parvenir? pour-
rons-nous exterminer les Tartares, jusqu'au dernier?
Le grand officier Liang Yu-tse-yang observa à son tour :
C'est dans le temple des ancêtres que le généralissime est investi de
sa charge ; alors il offre de la viande crue aux Esprits de la terre ;
alors il porte son uniforme de généralissime. Chen-cheng ayant reçu
ce vêtement bigarré, n'a pas besoin de demander d'explication; il
va mourir, et i! aura encore la réputation de fils ingrat ! Ne
ferait-il pas mieux de s'enfuir au plus tôt?
Le général Han-i dit également: Un vêtement bigarré est
chose inouïe! le demi-cercle en or indique un cœur dur et froid,
qui a brisé à tout jamais ! Même si le prince héritier rentre victorieux .
à quoi cela lui servira-t-il ? la résolution de son père est arrêtée!
Sien-tan-mou enfin dit son sentiment : Même un fou concevrait
des doutes, en recevant un tel habit ! et le prince a ajouté: «quand
vous aurez exterminé tous ces Tartares, rentrez!» Qui donc peut
accomplir cet ordre, à la lettre? Et même, si le généralissime y
parvient, est-ce qu'à la cour les calomniateurs seront tous exter-
minés? Le mieux serait donc d'éviter tout malheur par une prom-
pte fuite.
Le grand seigneur Hou-t'ou (1) voulait lui-même s'enfuir
avec Chen-cheng; mais le grand officier Yang-ché observa: Il n'est
pas permis de se soustraire à son office, h moins d'être un félon !
Quoique vous connaissiez les sentiments de froideur et d'aversion
du prince envers son fils, il faut obéir aux ordres qu'il a donnés.
Ce fut ce dernier conseil qui prévalut. On se mit donc en
marche. Le grand seigneur Li-k'o Jï }fo, en homme prudent,
(1) Le tombeau de Hou-t'ou est sur la montagne Ma-ngan Bj $£, appelée
aussi Hou-t'ou-chan -SU ^ UJ ; elle se trouve à 50 li nord-ouest de Kiao-tch'cny
hien 5£ tyl $£, qui est à 120 li sud-ouest de sa préfecture T'ai-yuen fou jfc. $• ffi>
Chan-si. Les tombeaux de ses fils Mao ^ et Yen flg sont %u même endroit. [Petite
géogr., vol. S. p. 5.) — (Chan-si tong-tche [lj H ÎS âv. vol. 56. p. 27)
Le tombeau de Yang-ché est à 2 li à l'ouest do Kiang tcheou $£ M, Chan-si.
(Chan-si tong-tche, ibxd.J.
DU ROYAUME DE TSTN .HIEN-KONG. 33
prétexta une maladie, pour ne pas s'exposer dans cette expédition.
Ou and Chen-cheng voulut livrer bataille. Hou-t'ou l'en dissuada
en lui disant : Autrefois Sin-pé ^ fâ blâma en ces termes l'em-
pereur Tcheou Hoan-vtang Jn) H 3E 719-697 : "les concubines fa-
vorites mises au même rang que l'impératrice, les officiers favoris
mis sur le même rang que les ministres, les fils favoris mis sur
Le mémo rang que le prince héritier, le fief confié au fils mis au
même rang que la capitale; voilà autant de semences de discordes
et de révolutions!- L'empereur n'ayant pas tenu compte de cette
remontrance, l'empire fut bientôt bouleversé. Actuellement, nous
avons les mêmes désordres chez nous; qui pourrait vous garantir
la succession au trône? Ce que vous avez de mieux à faire, c'est
de vous ménager, et de ménager aussi le peuple qui vous a été
confié. Pesez ces raisons, et nous verrez qu'il ne faut pas livrer
bataille: un succès éclatanl dans cette guerre, où sous risquez
votre vie. ne ferait que vous compromettre davantage, et hâterai i
les malheurs qui vous menacent.
Chen-cheng suivit sans doute ce conseil: il trouva moyen
d obtenir la soumission des peuplades Tartares, et rentra dans son
pays vans avoir exterminé personne; car les historiens sont muets
sur la suite de cette expédition. Hien-kong n'en fut sans doute
pas mécontent: car il n'est pas question de réprimandes faites
ce sujet, au prince héritier.
En bôs. le pays de Tsin est mentionné, pour la 1 fois, par
Confucius dans sa chronique intitulée Tch'oen-ts'ieou ^ ïj^. Pour-
quoi ce long silence? les commentaires en donnent une raison
généralement admise par les sinologues: c'est que Confucius s est
contenté de copier et de publier les annales de Lou -g. telles qu el
les existaient dans les archives. Or jusque-là le pays de Tsin n a
vaut rien notifié officiellement à celui de Lou, rien ne s'y trouvait
inscrit. Confucius dit donc brièvement: une armée de Yu Jf| ^1
et de Tsin détruit et soumet la ville de Hia-yang "T* [^ 2). Les
détails nous sont donnes par Tsouo-k'ieou-ming & ffi |1J] dans
son fameux commentaire, connu sous le nom de Tsouo-tchoan
/£ -j^, vol. 9, p. 'i : les voici:
Le grand officier Siun-si ^fj Jj,. autrement nommé Siun-
■ '"'" 'Kj <f5 ■ proposa à Hien-kong d'offrir au prince de Yu !j$|
quatre magnifiques chevaux du pays de K'iuè j»jj, et une tablet-
te de jade du pays de Tehoei-ki §|| jjjj|[, et de lui demander passage
libre sur son territoire, pour une expédition contre la principauté
il) Vu. sa capitale était à îô li nord-est de P'ing-lov hien T |£5| ??. qui est
0 li sud-est de Iflai tcheou 0}? 'W- Chan-si. Petite géogr., col. y. v. 12
(2) Hia-yang était à :î0 li nord-est de l'ancienne ville T'ai-yang ^k PB
eeile-ci se trouvait à 50 li à t'est do P'ing-ïou hien Petitt géogr., vol. - .
Grande, vol, 41 . p. 34).
34 TF.AIHS VRA1MKNI HISTORIQUES
de Kouo |^. Hien-kong n'était pas disposé à faire ce cadeau ;
r officier lui dit : si nous obtenons passage, ces objets ne sont pas per-
dus; ils sont seulement déposés; nous les reprendrons bientôt 1 .
Hien-kong répliqua : le prince de Yu a pour conseiller le
sage Kong-lse-k'i ^g* ^f- -^f ; celui-ci devinera facilement notre
piège. — Si ce conseiller est sage, repartit Siun-si. il est aussi faible
de caractère: il ne saura pas faire prévaloir son avis: dailleurs,
le prince et lui sont trop familiers: ils ont été élevés et ont tou-
jours vécu ensemble: le prince ne fera aucun cas de ses remon-
trances.
Siun-si partit donc, et demanda passage en ces termes : Le
prince de Ki Ja 2 . homme sans foi* ni loi, vous rit la guerre, il
y a peu de temps: passant par le défilé Tien-ling ^ [ f.ft '.', . il
parvint sous les murs de Minq 'fJ) \ , dont il assiégea trois portes
a la lois: vous avez su le repousser et le rendre bien faible: vous
ayez montré ce dont vous êtes capable, quand vous voulez prendre
une revanche! Maintenant, à notre tour, nous sommes harcelés
par le prince de Kouo, qui ramasse un tas de brigands et les lance
sur notre pays. Ainsi j'ose vous prier de nous accorder passage sui
votre territoire; car nous voulons enfin punir ces insolentes in-
cursions '> .
Le prince de Vu fël. gagné par ces paroles Batteuses et par
ce riche cadeau, accorda volontiers la permission demandée: bien
mieux, il s'offrit lui-même à faire partie de l'expédition, et à
I k'hié. la source et la rivière de ce nom se trouvent à 4 li sud-est de Che-
hou hien ~fâ ^§g ff[, dans la préfecture de Fen-tcheou fou j^ M\ fâ. Cette région,
ainsi que tout le nord du Chan-si, était renommée pour ses chevaux; plus spéciale-
ment encore, la région de Pé-k'iué ;Jt J§J, qui est actuellement le territoire de Ki-
icheou "jjf îHh 270 li à l'ouest de sa préfecture P'ing-yang fou, (Grande géoyr., ro/.
4», p. io) — (Chan-si tong-tche, vol. 53- p- 7 ■
Tchoei-ki était à 20 li sud-est de K'iu-wo fjjj ffî. (Chan-si tong-tche, ibid).
(2) Ki, sa capitale, était à l'est de Ho-tsin hien jBT ^ îPf, qui est à 200 li à
l'ouest de Kiang tcheou |^F. M, Chan-si. (Petite géogr., vol. S, p. 44 — Grande, vol.
41. p. 2-1 — Un autre Ki [Ki-joei ^| \k\[ était à 30 li à l'ouest de Ts'in-ehoei hien
ïli 7jc $f , qui est a 120 li à l'ouest de Tch'e-tcheov fou $1 M] fff . Chan-si. Annales
de Tch'e-tcheou fou, vol. //.. p. j
(3) Tien-ling, défilé à 70 li nord-est de P'ing-lou hien -'p |?£ g£, qui est à 90 li
sud-est de Hiai tcheou f$ ffl. Petite géogr., vol. 41, p. 33).
(4) Min g, était à 20 li nord-est de P'ing-lou hien, Chan-si. 1 Petite géogr.,
vol. 8, p. 42) — (Grande, vol. 41, p. 34).
(5) Le chemin en question est près de la montagne Yu-chan {${ |1|, à 50 li
nord-est de P'ing-lou hien, défilé de 20 li de long, et dangereux, dans la chaîne
Tchong-t'iao-chan ty f& fjj. ''Géogr.. impér., vol. 117, p. 2) — (Annales de Tch'e
tcheou, vol. si p. 5).
DU ROYAUME DE TSIN. HIEN-KONG. 35
commencer le premier les hostilités. Kong-tse-kH ^ ^ ^, son
fidèle conseiller, le blâma de cette double résolution; ce fut en
vain; le prince leva immédiatement une armée.
En été de cette même année 658, le grand seigneur Li-h'o
]§[ 3£ et Siun-si ^f Jg, conduisaient une armée contre le pays de
Kouo ï§fc; leurs troupes, unies à celles de Yu, prirent la ville de
Hia.-ya.ng "F (^, qui fut annexée au pays de Tsin.
Malgré cette défaite, le prince de Kouo entreprenait bientôt
une guerre contre les Tartares (Jong ~$Q, et remportait la victoire
à Sang-Vien J| ffl (1). Sur ce. Yen fg, fameux devin de Tsin.
fit la prophétie suivante : le prince de Kouo, après avoir perdu
une ville, reste aussi orgueilleux qu'auparavant; le ciel vient de
lui accorder une faveur, c'est pour le rendre encore plus insolent,
et le perdre plus sûrement.
En 656, en octobre-novembre, le prince héritier Chen-cheng
^ ^£, une des figures les plus légendaires en Chine, se pendait
par excès de piété filiale, comme on le chante partout. Voici com-
ment les historiens racontent cette fin tragique.
Hien-kong ayant pris pour femme la fameuse princesse Tar-
tare Li-ki fff JE», voulut lui donner le rang de première épouse;
il consulta les sorts, par le moyen de la tortue divinatoire; la
réponse tut négative; il consulta de nouveau les sorts, par le moyen
de l'achillée divinatoire "ou sternutatoire] (che-tche 3j* ;£) ; la ré-
ponse fut favorable, comme on pouvait s'y attendre. Hien-kong
dit: je m'en tiens à cet oracle. Mais le devin de la tortue fit cette
remarque : la tortue étant le palladium du pays, ses réponses ont
une autre valeur que celles de l'achillée; on ne peut les mépriser
impunément. De plus, l'oracle [tcheou %$] vous donnait cet avis ;
la passion qui trouble votre cœur tournera bientôt à la honte de
votre seigneurie. Mettez ensemble des plantes d'agréable odeur,
et d'autres puantes; après des années, le parfum aura disparu,
la puanteur persistera. La vertu s'oublie! A aucun prix, vous ne
devez donner suite à votre projet (2).
Hien-kong n'écouta pas ce bon conseil ; il donna le rang de
]èiti épouse (femme légitime) à cette concubine, et en eut le prin-
ce Hi-tsi J^| 5^f, comme il a été raconté plus haut: cette intri-
gante remua ciel et terre pour placer enfin son fils sur le trône.
Ij Sang-t'ien, chemin très fréquenté, avec des relais de poste1, est à 30 li a
l'est de Ming-hiang hien \!i] i$ %% qui est à 130 H à L'ouest do Chen-tcheou |ij)« #),
Ho-nan. (Petite géugr., col. 12. p. 66) — (Grande, vol. 4S . p. jç).
(2) Les sorts disent ce que l'on veut; oui ou non, selon les besoins de la cau-
se. Far simple bon sens, ou par équité naturelle, le devin de la tortue pouvait don-
ner cette réponse et ces conseils: il pouvait aussi avoir été gagné à pris d'aï
tout aussi bien que son compère de l'achillée. N'est-il pas dit quelque pari que,
chez les Romains, deux aruspices ne pouvaient se regarder sans rire?
36 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Dans son fol amour pour cette femme, Hien-kong lui disait:
je vais écarter Chen-cheng ^ ££, et donner sa place à Hi-tsi. A
ces mots, l'hypocrite versait des larmes : le prince héritier, di-
sait-elle, est déjà établi ; tous les vassaux en ont été avertis offi-
ciellement ; plusieurs fois il a commandé l'armée ; le peuple l'aime ;
impossible de l'écarter! si vous persistiez dans ce dessein, votre
humble servante n'aurait plus qu'à se pendre !
En public, cette femme exaltait les qualités, le vertus du
prince héritier; en secret, elle prenait mille moyens de le calom-
nier; on va voir jusqu'où elle poussa la fourberie pour le perdre.
En attendant, Hien-kong gagnait à son projet les seigneurs
les plus influents,' Quant au rusé Li-h'o J| T^f, il se contenta de
répondre : je ne me mêle pas de cette affaire ! je ne prends parti
ni pour l'un ni pour l'autre de deux princes; ;iinsi j'espère éviter
tout malheur! — La suite des événements nous montrera la valeur
de ces paroles; lui aussi avait ses projets.
(Jn jour dune, l'intrigante Li-ki dit au prince héritier: Votre
père a vu en songe votre mère (la princesse défunte Ts'i-kiang
"f £• (1 '• hâtez-vous d'offrir à celle-ci un sacrifice solennel!
Chen-cheng tfi /£ se rendit à K'iu-VfO $\ ^, sa résidence,
v offrit les sacrifices, et rapporta à la cour' une partie des mets
ainsi consacrés, comme le voulaient les rites. Hien-kong était
alors à la chasse ; il ne revint qu'au bout de six jours. Pendant
ce temps, la scélérate Li-ki introduisait du poison dans les mets.
A son retour, Hien-kong, dont on avait eu soin d'éveiller les
soupçons, fit répandre de ce vin sur la terre, il se mit à bouillon-
ner ; il fit donner de cette viande à des chiens, ils crevèrent aus-
sitôt; on en donna également à des eunuques esclaves, ils mouru-
rent de suite.
Quel brigand horrible que ce prince héritier! s'écriait la
misérable Li-ki, en versant un torrent de larmes; n'a-t-il pas
voulu empoisonner son père? — Chen-cheng s'enfuit dans sa ville
de K'iu-wo ; mais son ministre et conseiller intime, le grand sei-
gneur Tou-yuen-kan %t J^\ |J^, fut pris et mis à mort.
On conseillait à Chen-cheng d'aller se disculper. — Non, c' ;
inutile; il faut cette femme à mon père; sinon, il ne pourra ni
manger, ni dormir! connaissant avec certitude son forfait, il devrait
la faire mourir; il est déjà vieux, il n'aurait plus ni joie ni repos;
et cela, à cause de moi; ce n'est pas possible!
i i i tombeau de la princessi IVi-kiang est à 1 li au sud de Kicmg tckeou
1 . . impér. , ool. tjS, j
Les annales du Chan-si, vol, 56, p. 26, disent que c'est à 9 li au sud de la
mémt \ ill( .
Les mêmes Vnnales placent i I i la fameu i Li-ki a B li au ud
1 1 1 • • .
DU ROYAUME DE TSIN. HIEN-KONG. 37
On conseillait encore à Chen-cheng de s'enfuir. — Non. ré-
pondait-il ; mon père n'ayant pas examiné le fait, les soupçons
pèsent sur moi; qui donc voudrait me donner asile"? Sur ce, il
finit par se pendre, le 23 octobre de cette année 656, dan son pa-
lais de K'iu-wo |$J fô.
La triste Li-ki, débarrassée du prince héritier, tit calomnier
également ses deux frères, comme complices de l'attentat. Tchong-
eul If; J$. s'enfuit à sa résidence de P'on fjfj, I-ou ^ ^ de mè-
me à celle de ICiué J^.
Précédemment, nous avons dit que Hien-kong avait ordonné
au ministre des travaux publics, Clie-wei -j^ JM11 ^e fortifier ces
deux villes pour les deux princes. De propos délibéré, il avait
mal exécuté ce travail ; pour désagréger le mur fait de terre jaune,
il y avait fait mettre des brindilles de bois. I-ou en avertit son père,
qui blâma Che-wei. Celui-ci répondit en se prosternant à terre: j'ai
ouï dire par Les anciens: «.quiconque a du chagrin, sana >jtr>> <jn
deuils sera bientôt dévoré de soucis; quiconque fortifie des villes,
sans être en guerre, aura bientôt des difficultés sûr les brus».
Si l'ennemi doit occuper ces deux villes, pourquoi en faire
les murs si solides? J'ai agi en bon ministre; j'ai eu eu vue le
bien de l'Etat, mais j'ai désobéi à la lettre de l'ordre reçu, et par
là je me suis montré peu respectueux. Bâtissant des murs solides.
j'aurais fortifié les défenses qu'occuperait l'ennemi : j'aurais donc nui
à mon souverain ; il me fallait manquer au respect ou au dévoue-
ment envers mon prince: quelle alternative choisir? Le livre des
Vers (1) nous dit: «.l'amour de U\ vertu assure la tranquillité; les
princes du sang sont le rempart du souverain». Que votre Majes-
té s'applique donc à la vertu ; ainsi elle aura solidement établi ses
fils; qu'est-il besoin de fortifications? dans trois ans, vous aurez
à guerroyer là. pourquoi y bâtir des murs si solides?
En sortant de l'audience, le ministre murmurait dans =a
barbe: les couleurs des fourrures s'entrecroisent pêle-mêle; troi>
souverains dans un pays! auquel des trois obéir?
Eu 655, Hieh-kong envoyait l'eunuque P'o-ti ùf)} îjjjfc ou P'i
4$. attaquer la ville de P'on fjff. Tchong-eut j§* Jf dit à son en-
tourage: nous ne pouvons lutter contre mon père. Sur ce, il fit
publier l'avis suivant: quiconque résiste au souverain est mon
ennemi !
Cependant, l'eunuque était arrive dans la ville, et avait in-
timé à Tchong-eul l'ordre de se donner la mort: celui-ci. pour
toute réponse, s'était élance pour s'enfuir; l'eunuque l'avait ^aisi
par son habit, pour le retenir : le vêtement s'était déchiré, le prin-
ce avait sauté par-dessus les fortifications, avait gagné le large,
enfin s'était réfugié chez les Tartares Ti ^| (2).
'' Ta-ya ~X S- (Zattoli, I[l> l>- 260 oera 7eme) — (Couvreur, p. 31
2i Ti. Ces Tartares habitaient le nord des deux provinces Chan-si et Chen-si.
38 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Hien-kong envoya encore des troupes attaquer la ville de
K 'iuè Jfg ; mais les habitants se défendirent si bien qu'on ne put
s'en emparer.
Vers le mois de mai de cette même année, Hien-kong demandait
de nouveau au prince de Yu ^ la permission de passer par son
territoire, pour faire la guerre au pays de Kouo ^. Le fidèle Kong-
tse-k'i ^ ;£ •tîf lui fit encore des remontrances: La principauté
de Kouo, disait-il, nous sert de rempart; celui-ci renversé, notre
pavs aura bientôt le même sort ; il ne faut pas de familiarité avec
les gens de Tsin, car ils sont insatiables; vous leur avez déjà
accordé le passage, c'était trop; il ne faut pas recommencer. "Les
os malaires et les maxillaires se portent un mutuel appui ; si les
lèvres se perdent, les dents ont froid- ; ce proverbe s'applique
bien à notre cas.
Le prince de Yu répliqua: Hien-kong descend du même an-
cêtre que nous; comment pourrait-il nous vouloir du mal?
Le conseiller repartit : T'ai-pé -Jfc, f^ et Yu-tchong J| frji
étaient les fils de T'ai-wang -fc ^f . ; le premier n'ayant pas voulu
se rendre à l'avis de son père, s'enfuit au pays de Ou J^, et n'est
pas resté dans la lignée impériale Tcheou Jj§} (Voir notre histoire
du royaume de Ou). Kouo-tchong '$£ ftji et Kouo-chou |^;^( étaient
les fils de Wang-ki 3Î Bp, et propres frères de Wen-vcang 5C 3E. •
ils devinrent les ministres de ce grand empereur; leurs mérites
sont consignés dans les archives. Le prince de Tsin étant décidé
à abattre le pays de Kouo yfâ, quel scrupule aura-t-il d'anéantir
aussi le notre? votre famille est-elle plus proche parente que celles
de Hoan-chou ^j| 7$ et Tchoang-pé »{£ f£ ? pourquoi Hien-kong
vous aimerait-il davantage? Quel crime avaient donc commis les
descendants de ces deux derniers princes, pour être ainsi massa-
crés? S'appuyant sur leur parenté avec la maison régnante actuel-
le ,ils montrèrent seulement quelque impudence ; ils furent extirpés.
Serons-nous épargnés, nous dont le beau pays excite la convoitise
de Hien-kong?
Le prince de Yu répondait à cela : Je fais régulièrement et
-• •néreusement les sacrifices; bien sûr, les Esprits me protégeront,
et m'accorderont la paix.
Le tidèle conseiller répliqua : Les anciens nous ont enseigné
que les Esprits ne considèrent pas la face des hommes, mais uni-
quement leur vertu; c'est pourquoi dans les annales de Tcheou Ipj
il est écrit : V auguste ciel n'a pas de parents; il ne récompense
que la vertu; et ailleurs : ce n'est }>as le rnillet, mais la vertu qui
est goûtée du 1 iel; ailleurs encore : les offrandes peuvent être les
mêmes; c'esl la vertu qui leur donne une valeur différente. Ainsi
donc, si le prince ne pratique pas la vertu, les Esprits n'agréeront
1 .rande géographie, vol. 57, p. 1, dit qu'ils occupaient les territoires actuel- l
Ye.i-nyan SiE H (Chen-sn et de Fen-tcheou fou ffi jW #)'• (Chan-si).
DD ROYAUME DE TSIN. HIEN-KONG. 39
pas ses sacrifices: et le peuple n'aura pas la paix. Si, après s'être
empare de notre pays, Hien-kong pratique la vertu, ses sacrifices
exhaleront un parfum excellent.
Le prince du Vu ne tint pas compte de ces uvis réitérés; il
accorda libre passage aux troupes de Tsin. Sur ce. le sage con-
seiller s'enfuit avec toute sa parenté, pour ne pas être englobé
dans les malheurs qui allaient fondre sur le pays. Notre princi-
pauté, disait-il, périra avant la 12'nit' lune de cette année; c'est
maintenant que son sort va se décider; Hien-kong n'enverra pas
une autre armée contre nous; c'est celle-ci qui, au retour de Kouo.
nous anéantira.
A la 8 me lune.au jour appelé Kia-ou ^ ^-. le 6 juin , l'armée
de Tsin assiégeait Chang-yang _t 8§ < 1 , la capitale de Kouo $£
Auparavant. Hien-kong avait consulté Yen f[f son devin : mon
entreprise réussira-t-elle? — Oui, vous remporterez la victoire. —
Quand? — A la 12:"" lune, au jour ping-tse pfcj Zf-; car j'ai en-
tendu un jeune enfant chanter les paroles suivantes, véritable avis
du ciel : au matin du jour ping-tse, de la (2ème lunejes armures
de nos officier* brillent d'un même peint: le* drapeaux de Kovu
sont enlevé*! 2
Naturellement, la prophétie s'accomplit à la lettre, puisqu'elle
a été faite après les événements. La capitale fut prise, et le pays
annexé ati pays de Tsin: le prince, nomme Tch'eou j!j#. s'enfuit à
la cour de l'empereur .'! .
L'armée de Hien-kong devait traverser de nouveau le territoire
de Yu J^. pour s'en retourner: sous prétexte de prendre logement,
elle s'empara de la capitale, et annexa encore ce pays. Le prince
fut emmené captif , avec son grand officier Tsing-pé fJffÉJ. Celui-ci
est surtout connu sous le nom de Pè-li-hi "Èf H ^ : c'est un sage.
un saint- dont Mong-lse jfc ^f- fait l'éloge. Pour faire -perdre la
face- à ce fameux personnage, Hien-kong l'envoya comme domesti-
que à sa fille, mariée au roi Mou-kong ^| ^ de Ts'in |f|.
Cependant. Hien-kong n'était pas tout à fait rassuré du côté
des Esprits tutélaires du pays de V" ^ : il leur offrit des sacrifi-
ces, comme si rien n'eût été changé. Il eut encore la prudence
d'offrir le butin à l'empereur; ainsi le gagna-t-il à sa cause, et se
lit-il pardonner cette double annexion.
(1) Chang-xang. était au sud-est de Chen tcheou $$ ■'11, llo-nan. (Petite géogr.,
vol. il. p. 64) — (Grande, vol. 48, p. ji).
(2) Je fais grâce au lecteur du reste de la soi-disant chanson" de l'enfant;
car elle renferme une demi-page très savante sur les points de jonction et de cul-
mination de plusieurs étoiles.
3 Le tombeau de ce prince Tch'eou, est au sud-ouest de M'en hien ,J^ Pf. dans
la préfecture de Hoai-k'ing fou gj §| ^f, Ho-nan. Petite géogr.. vol. n, p. .>?
— (Grande, vol. 4c p. 16) — (Géogr., impér., vol. 161, p. 1).
40 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Tous les commentaires, à l'exemple de Confucius, disent-ils,
jettent la pierre an prince de Yu ; partout, c'est le vaincu qui a
tort. Ouant au fameux seigneur Siun-si ^f Jj, L, auteur de toutes
ces fourberies, il ramena, selon sa promesse, les quatre magnifi-
ques chevaux donnés autrefois en cadeau : Ce sont bien les mêmes,
en effet, dit Hien-kong en souriant: ils sont seulement un peu
plus vieux qu'en partant.
En tîô4, une armée de Tsin allait de nouveau attaquer la
ville de K'iuè J^ (2). Cette fois, le prince I-on ^ 3j- ne se crut
pas de force à lutter victorieusement contre son père: il fit donc
une convention solennelle avec son peuple, qui lui jura fidélité ;
puis il s'enfuit. D'abord il pensait se retirer aussi chez les Tarta-
res Ti tyfc ; son grand officier K'i-joei $|î $j' l"en dissuada: si vous
allez près de votre frère Tchong-eul jf" If, vous paraîtrez avoir
fait ensemble une conjuration ; ce serait encore attirer la vengeance
de votre père sur le prince des Tartares. Allez plutôt à la coui de
Linng ^ (3), voisine et amie du royaume de Ts'in ^; là, von-,
pourrez vous mettre en relation avec le roi Mou-hong ^j| ^, et,
par son entremise, rentrer dans votre pays, à la mort de votre
père. I-oU suivit ce conseil, et se rendit à la cour de Liang.
En 652, Hien-kong envoyait, en effet, une armée punir les
Tartares Ti |||, de l'asile donné par eux au prince Tchong-eni
T|r ïf. Le généralissime était Li-k'o j|[ j£, déjà connu du lecteur ;
Liang-yeou-mi ^ |£j pétait son conducteur de char; et Kouo-ché
f£ fy\ son lancier. On remporta une belle victoire à Ts'pJ-saVii
£R Jjji> fameux gué du Fleuve Jaune (4). Liang-yeou-mi voulait
poursuivre les Tartares, qui avaient pris la fuite. Non, répondit
Li-k'o, contentons-nous d'avoir effrayé ces peuplades, ne les pous-
sons pas à bout, de peur qu'elles ne se soulèvent en masse contre
nous. Kouo-ché pressait aussi de continuer la campagne si bien
commencée: les Tartares, disait-il, nous croiront impuissants .-1
les dompter; avant un an, ils viendront chez nous prendre une
revanche. Il ne se trompait pas; avant la 6 "ie lune de cette même
année, les Tartares faisaient irruption clans le pays de Tsin. Mais
(1) Le tombeau de Siun-si est à I ti li nord-esl de Hiang-ning hien %$ ^ ff
à l'ouest de la montagne Pé-chan ^ Uj : or Hiang-ning esi a * > t • h -.ud-pst de Kt~
tïhemt iV ;HI, (han-si. (Chansi tong-tche, rai. jô, p. 27).
(2) Cette armée était conduite par le i^rand officier (ta-fou fc ^ç) nomme
Kia-hao J^ ./|$j.
(3) Liang, sa capitale, était à 22 li au sud do ITan-teh' eng bien fâ i$ !??. qui
est à 220 li nord-est de sa préfecture T'ong-tcheou fou Jîî) H] ffî, Chen-si. >P<'tire
féogr., ool. 14, p. jç) — (Grande, rai. 54. p. 241.
(4) Ts'ai-sang. Se-ma Ts'ien écrit Gniésang |§if î^, est h 70 li à l'ouest de
Kî-tcheov li ffl, qui est à 270 li à l'ouest de sa préfecture P'ing-3'ang fou (Petite
gàogr., vol. 8. p. 11) — (Gronde, vol. 41. p. 50)-
DU ROYAUME PF. TSIN. HIEN-KONG. 41
Li-k'o avait d'autres projets, comme nous le verrons bientôt, il
ramena donc l'armée dans ses foyers.
A cette époque, le pays de Tsin était devenu considérable :
au nord, il s'étendait jusqu'aux Tartares Ti ^: à l'est, jusqu'à
la grande chaîne de montagnes T'aî-hang -fc %f : au sud, il étail
voisin de l'empereur; à l'ouest, il dépassait le fleuve Jaune Hoang-
ho ^ fpj .
En 651, vers mai-juin, à Koei-k'iou %i fi\] 1). grande réunion
des vassaux, sous la direction du fameux Hoan-kong jjfiiîfè, prince
de TsH ^ (684-643 , qui fut ainsi reconnu officiellement comme
chef de tous les états féodaux, le maître effectif de la Chine.
En juillet-août, on y lit un traite de paix et d'union, signé
par huit princes. Cette convention est une des plus célèbres de la
Chine: elle Ne composait d'un article unique, mais d'une grande
portée, comme dune grande élasticité : on s'engagea par serment
à l'observer. Il y était dit: nous tous, signataires de ce traité,
serons désormais uniquement appliqués à faire régner entre nous
la paix et l'amitié .
Le grand ministre tsai ^? Tcheou-kong }y] Q, avait daigné
présider cette réunion, au nom de l'empereur. Porteur d'un si
grand titre, il se hâta de partir le premier. En chemin, il ren-
contra Hien-kong, qui, malade et déjà vieux, s'était mi-, trop tard
en route: Nous pouvez vous dispenser de ce voyage, lui dit-il;
Hoan-kong ne pratique pas la vertu; dans son orgueil, il nourrit
de hautes visées, et fait la guerre aux quatre points cardinaux.
Quant à vous-même, évitez de troubler votre pays pour la succes-
sion aux trône: car si vous avez des révolutions, ce n'est pas
Hoan-kong qui viendra les apaiser! — Hien-kong rebroussa che
min, et ne signa pas ce traité.
A la o'mi. ]Une de cette même année 651, il se trouva plus
malade, et commença à craindre la mort: il manda son fidèle
Siun-SÎ 'ffj Jj,, le précepteur du prince Hi-tsi ^ ^ : ce jeune en-
fant, lui dit-il. va bientôt être orphelin; parmi les grands digni-
taire.-, il y en a bon nombre qui ne sont pas contents de le voir
I Koei-k'iou, était à l'est <i K'o-tch'eng hien 3* jjj£ (22 i(iii es1 à 120 !.
st d sa ; Wei-hoei fou fljj js&. ff] Ho n
/<. 22 — Grande, ool //. /i
i !s annales du Chan-si, vol 53, p. 9, disent que Koei-k'iou était à lo li au
nord de Yong-ho hien 5§ fnj* $£ qui est à 120 li au nord de sa préfecture P'ou-
tcheou {'mi jtjf fH ]fâ . Chan-si. Car. comme il s'agissait de se faire honorer par le-?
divers Etats, il fallait bien tenu- la réunion dan-; son propre pays, près de -a capi-
tale. Cette raison semble plausible.
Pourtant, les annales -tcheou fou, vol. 51, p. 6, donnent ii
indication; cette ville aurait été un peu au sud de rcA'e-fcfieou fou \f; H] Tff même
Qui doue a raison ?
42 TEMPS VKA4MENT HISTORIQUES
prince héritier; après ma mort, que pense faire voire seigneurie?
vil v a révolution, vous sentez-vous capable de la dompter?
Je serai fidèle au prince Hi-tsi, répondit Siun-si; et je le
soutiendrai avec toute l'énergie dont je suis capable; si mes efforts
sont couronnés de succès, ce sera grâce aux mérites de votre
Majesté; si nous ne réussissons pas, nous mourrons ensemble.
Hien-kong pouvait compter sur cette parole; c'est pourquoi
il nomma Siun-si ministre et grand administrateur de l'Etat.
Lui-même s'éteignit au jour Kia-tse ^3 ~f- de cette même lune 1 »
Août . A peine avait-il fermé les yeux que les meurtres commen-
cèrent dans son propre palais, autour de sa couche funèbre.
Nous avons vu plus haut le grand seigneur Li-k'o ffl, sfc se
déclarer neutre" entre les prétendants à la couronne; c'était re-
fuser son approbation, et se réserver pour l'avenir; nous allons
le suivre à l'œuvre: Tout d'abord, il alla trouver Siun-si: la haine
longtemps comprimée va éclater, lui dit-il; les partisans de
Tchong-eul jg !T£ et de I-ou >/i ^j- vont prendre leur revanche:
que pensez-vous faire? le pays tout entier et le royaume de Tx'iv
|H seront contre vous !
Je soutiendrai Hi-tsi jusqu'à la mort! — C'est absolument
inutile! — J'ai donné ma parole au prince défunt, rien ne pour-
ra me faire changer de résolution ; vous autres, vous voulez faire
prévaloir les droits de vos maîtres ; mettez-y toutes vos forces ;
car je me sacrifierai pour faire prévaloir ceux du mien.
A la 10ème lune (août-septembre), Li-k'o massacrait Hi-tsi,
dans la salle de parade même, où se trouvait le cercueil de Hien-
kong. Confucius en exprime son horreur par ces brièves paroles:
tant que l'ancien roi n'était pas enterré, le successeur n'était pas
censé monté sur le trône. Et les commentaires ajoutent: avoir été
désigné pour la succession, n'était pas la faute de Hi-tsi ; on a
pitié de sa jeunesse et de son innocence!
Li-k'o voulait immédiatement se suicider ; ses amis l'en empê-
chèrent : il vaut mieux mettre sur le trône le prince Tcho-tse s$.
^p, lui dirent-ils; après quoi, on pourra procéder à l'enterrement
de Hien-kong. Ainsi fut fait 1 .
Li-k'o, cependant, n'étaM pas content de cette conclusiou.
A la M'"" lune | septembre-octobre . il massacrait Tcho-tse dans
son propre palais; il faisait fouetter à mort l'intrigante I.i-hi $fë
HJJ, première cause de tant de malheurs. Quant à Siun-si i\) fj%.
I i >■ tombeau de Hien kong esl au village actuel appelé Hocti-ts'iuen-tcheng
1 ,fit à l'esl d» Kù ng-hien si. Géogr. impér., ml. im, p. o
DU ROYAUME DE TSIN. HIEN-KONG. 43
il no voulut pas survivre à son pupille: il se suicida (1). Les com-
mentaires n'ont qu'une moitié d'éloge pour lui : dans la personne
de ce seigneur, dîsent-ils, s'accomplit la parole du livre des Vei ->
«fa tache d'une tablette de jade peut, bien s'enlever pur le polis-
sage; le.< écarts de la langue »<' peuvent se réparer» 2 : en hom-
me constant, il a tenu sa promesse; il eut le tort de promettre
son concours aux désirs déréglés d'un prince sénile.
Hoan-kong Jfn ^. roi de Ts'i îjtf. apprenant ces troubles,
voulut y mettre fin; il envo}'a une armée, composée des troupes
de la ligne: celle-ci s'avança jusqu'à Kao-liang jffj ^ 3 .
Pendant ce temps. Li-k'o et son complice Pei-tcheng 25
députaient le grand officier Tou-ngan-i )V- l\i j^f, an pays d ■
Tartares Ti ^?. inviter le prince Tchong~eul If _i£ à venir à la
capitale, occuper le tronc qui l'attendait. Celui-ci demanda con-
seil à son oncle, le grand seigneur Ilou-yen %]& ;:>; . autrement
nom m é Ts t '-fi m - fc ^{J .
N'y allez pas, lui dit cet homme prudent; car si 1 on plante
un arbre sans en assurer la racine, il se dessèche el périt. Le
deuil pour les parents est le plus grand, et le plus stricl à obser-
ver; vous n'avez pas assisté à l'enterrement de vire père: vous
êtes encore soupçonné d'avoir, avec n<<s frères, fomenté des troubles
dans votre pays; de fait, des troubles existent: ii serait donc bien
chanceux de rentrer à un pareil moment.
Tchong-eul sortri pour donner sa réponse » ! envoyé : Lorsque
m<m père vivait, dit-il, je n'ai pas su lui préparer el lui apporter
-es repas, ni balayer ni aérer sa chambre; à sa mort, je n'ai pas
su m 'occuper de son enterrement: voilà deux fautes que j'ai sur
la conscience ! Veuillez donc, mes honorés seigneurs, m'excuser.
si je refuse l'honneur que vous m'offrez. Pour qu'un Etat soit
solide, il faut que le souverain soil aimé de son peuple, et agréable
aux princes voisins; si vous avez un homme qui ait ces deux
avantages, invitez-le; soyez sûrs que je ne rn'\ opposerai pas.
Etait-ce politique? était-ce sincèn .' Toujours est-il que Tchong
eu! est grandement exalté des lettrés pour cette réponse. lÂ-k'o
jg_ j£ lit inviter le prince l-ou >)± ■>{■. Celui-ci voulail aussitôl
partir pour la capitale; mais ses fidèles compagnons Liu-chen
|5J ï|} et K'i-joei $\\ ~fâ l'en dissuadèrent: ils lui conseillèrent
I i ., sféographii imj érial ol. 99, p. 8 m le îs si à 10
[j .ni nord di K'iu-wo àij ïfc- Chan-si ; nous uvons vu précédemment u
dication donnée par les annales du Chan-si, et par la petite grëojrraphie vol. 8, p. 11
— Qui a raison ?
(2) Tu-ya -fc îfjf. Zottoli, III. p. 265) (Couvreur, p. 380), Les traductions
varient, comme les commentaires!
(3) Kao-liang, était à 37 li nord-est de Pling-yany fov
(Petite géogr.j vol. £, p. 7) — {Grande, vol. 41, p- .
44 II \il'S VRAIMENT HISTORIQUES
d'offrir des cadeaux, des territoires même, au roi de Ts'in .^.
afin d'obtenir d'être enduit par lui à la capitale, et placé par Lui
sur le trône; il serait ainsi engagé d'honneur à prêter son con-
cours, s'il surgissail plus tard de nouvelles difficultés, de nouvel-
les révolution-. (Le tombeau de K'i-joei esl à 3 II à Vouest de
Joei-tch'eng hien fâ }$ M- Chan-si; ville qui a reçu de lui
,on nom. — Petite géogr., roi. 8, p. i? — Annales du Chan-si,
vol. 56,. p. 26^.
I-on suivit ce conseil; il envoya K'i-joei à la cour de Ts'in
i|, offrir à Mou-kong %% fè de riches cadeaux, lui proposer un
traité d'amitié, lui promettre la cession du territoire de cinq villes
situées à l'ouest du Qeuve Jaune, s'il voulait s'engager à conduire
le prince à sa capitale. e1 le placer sur le trône.
\\.mi' de prendre une détermination si importante, Mou-kong
inten ' prince a-t-il un parti sur lequel il puisse
• puyer? — -l'ai ouï dire par les anciens, répondit K'i-joei, qu'un
exilé n ins ; ou s'il en a. il aura aussi des adver-
saires; dans sa jeunesse, mon maître ne tut jamais querelleur;
doué de courage, il ne poussait jamais cependant les choses à
l'excès; devenu grand, il n'a pas changé de caractère: voilà tout
ce ri 1 1 e je puis dire de lui.
Mou-kong demanda encore conseil à son grand officier Kong-
suen-tche Q •££ jfc: si nous ..lions placer le prince I-ou ^ ^ sur
le trône, pensez-vous qu'il puisse s'y maintenir? — Les ancien-,
répondit l'officier, uous ont enseigné que c'est l'observation des
!■ ;- qui rend un Etat solide. Le livre des Vers f^p ^ nous donne
; avis '■ -que savons-nous? le seul nécessaire est de se conformer
aux lois du ciel; ce fut la sagesse de Wen-wang ^C]£» : et encore:
ue soyez pas exagéré, ne nuisez à personne, et vous -ère/ un
pour les autres hommes; n'ayez ni affection ni haine pré-
. ainsi vous ne serez pas tenté d'opprimer personne, pour
régner seul' 1 . Or, j'ai ouï dire que le prince [-ou est soupçon-
ueux e1 dominateur; il aura donc des difficultés.
"-•'il en est ainsi, repartit Mou-kong, le prince aura beaucoup
d'ennemis; comment pourrait-il se maintenir sur le trône? mais
si lui seul qui en recevra du dommage; nous, nous n'avons
qu'à y gagner.
Mou-kong savail bien que le prince Tchong-eul !§; JÉf était
un toul autre nomme que son ambitieux compétiteur; il eût pré-
féré •: dévouer pour le plus digne; il hésitait donc à donner sa
n ponse définitive. Son propre frère survint alors et lui dit : - il
s'agissail d< consolider vraiment le pays de Tsin, oui, vous dev-
riez placer Tchong-eul sur le trône; mais un tel voisin serait pour
1 1 ■/''. ///. p, . n. 7 ,,. a66, n. 8.) — Coi
p. ...... <.. ; il j6;. n. ' nte)
DU ROYAUME DE ÏSIN. Il I I.N-KU.NG. » r>
nous un danger dans la suite: contentons-nous de rendre la paix
à cet Etat, sans le fortifier; nous aurons la gloire, et nous resterons
encore maîtres de 'la situation: nous pourrons, dans la suite,
intervenir quand notre avantage nous le conseillera 1 .
Messieurs les lettrés sont bien embarrassés pour appeler cela
de la vertu! ils font des amplifications, pour montrer que la poli-
tique du moment réclamait cette conduite: maintenant encore on
agit de même; sous des dehors d'humanité, d'amitié, etc. on fait
des chinoiseries: mais on cherche avani tout et par-dessus tout
son propre avantage. Quant au pays de Ts'in, il va encore subir
quinze année de troubles; et ne sera enfin pacifié qu'à l'avènement
de Tchong-eul.
Le prince l-ou ^ •§■ reçut la promesse qu'il désirait. Pour
se préparer les voies, il écrivil une lettre an puissant et audacieux
Li-k'o Jî ij£ : si je réussis à monter sur le trône, je \<>us donne
en fief la ville et le territoire de Fen-yang ffi$$j '2 . D'autres
seigneurs influents furent alléchés par de semblables promesses;
il n'y avait plus qu'à se mettre en route pour la capitale.
Mou-kon^ envoya une armée: Hoan-kong |g Q de Tsei ^
joignit ses troupes, commandées par le seigneur Hien-p'ong |$A J]fj ;
l'empereur lui-même délégua son grand ministre Tcheou kong-ki-
fou ^J £J> jgi 3£ avec le seigneur Wang-tse-tang 3E T* M' •' i;'
j.ème lune de cette année 650.
Ainsi soutenu, le prince l-ou ^ ^y monta sur le tronc, où
nous allons le retrouver sous le nom de Hoei-kong )& ^.
(1) Le frère de Mou-Long ^e nommait Kong-tse-tche 'J£ -?• %%.
(2) Fen-yang, c'est Fen-tcheou l'un fft ,•)+( #f. Chan-si.
46
TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
DU ROYAUME DE TSES
HOEI-KONG (650-637)
Le nouveau prince de Tsin était à peine installé, qu il faisait
mettre à mort son aide et protecteur Li-k'u jfl ^£ ; une telle re-
compense, après avoir promis un si beau fief, montre du coup la
valeur morale du souverain : il payait un traitre de la monnaie
des traîtres. On dit qu'il voulait ainsi écarter de soi le soupçon de
connivence dans tous les meurtres commis par ce seigneur; soil !
la fin ne légitime pas les moyens !
Avant de l'exécuter. Hoei-kong lui envoya le message suivant;
sans le concours de votre seigneurie, jamais je ne serais parvenu
au trône: mais vous devez avoir conscience d'avoir massacré les
deux prince- Hi-tsi j£| ^ et Tcho-tse jp[ ^p, et d'avoir causé la
mort de Siun-si ^j ,|j, : il serait bien dangereux d'aveir à la cour
un sujet comme vous.
Li-k'o lui rit répondre: si je n'avais pas fait le vide sur le
trône, il n'y aurait pas eu place pour vous: maintenant, vous
voulez vous défaire de moi. les prétextes ne manqueront pas: je
connais vos ordres, vous serez obéi! Sur ce. il se coupa la gorg<
(2).
Ce fait est resté légendaire dans l'histoire de la Chine, et les
lettre- ont versé des flots d'encre sur cette question; voudraient-
ils y voir encore un acte de vertu? c'est difficile! En tout cas,
ils ajoutent une raison ù celle que Hoei-k'm^ avait mise en avant:
Li-k'r. était trop attaché au prince Tchong-eul j|f If: puissant et
audacieux comme il l'était, il pouvait, un jour ou l'autre, le ra-
mener de l'exil et le placer sur le trône : la position de Hoei-kong
était donc bien précaire.
Le seigneur Pei-tcheng rp jgp ne fut pas alors enveloppe
dan- U malheur; à ce moment été de 650), il était en ambassade
I H- »igi condescendant, aimant eon peuple cotnmi un père, ri lui
faisant de grandet ' g 'j£ ^ g- g t§Ç g. jg $J || g |J
tombeau de Li-k'o est à 5 li au »ud de K'iu-ico |8j jfo Chan-si
( Lréoyruphie impér., vut. oç, p. S) — (Annales du Clia.x-si. vol. j>, p. 17)
DU ROYAUME DE TSIN. HOET-KONG. 'l7
à la cour de T&'in Jj| ; il avait pour mission, d'abord de remercier
Mou-hong ^ Q : puis de lui annoncer poliment qu'il ne recevrait
pas les cinq villes promises; car les grands seigneurs s'opposaient
à cette cession: ils disaient, qu'étant encore en exil, le prince
n'avait pas l'autorité en main, son engagement éta:t nul : il ne
pouvait aliéner un territoire qui ne lui appartenait pas. J'ai fait
tous mes efforts, pour persuader ces seigneurs, je n'ai rien obte-
nu, disait Hoei-kong ; je prie donc votre Majesté de m'excuser!
— Bref, il pavait les service- de Mou-kong comme ceux de Li
k'o.
Cependant, Pei-tchen:: avant appris la mort de son compère,
s'imagina aisément qu'une semblable récompense lui était réser-
vée à sou retour; il songea aux moyens de l'éviter: Les vrai-
instigateurs de ce refus, dit-il à Mou-kong, sont les seigneurs
Liu-chen g 5$}, K'i-tcheng ffi |g et Ki-joei ^ jgj; envoyez-leur
donc de riches cadeaux, pour les inviter à venir à votre cour:
ensuite vous verrez ce qu'il y aura à faire. Moi, de mon côté, je
tacherai de révolutionner le peuple: nous chasserons Hoei-kong,
et nous ferons venir Tchong-eul ]g JÇ; ainsi vous recevrez les cinq
villes, et je serai sauvé; noire entreprise est assurée du succès.
Vers le mois d'octobre de cette année bôft. Mou-hong ^% £\.
suivant ce conseil, envoyait le dignitaire Ling-tche ^ ^. avec do
riches présents, saluer les trois seigneurs sus-dits, et les inviter
à venir à la cour de Ts'in ^. Mais Ki-joei ^ ~ffî flaira la ruse :
les cadeaux sont magnifiques, dit-il. et les paroles doucereuse^ ;
certainement c'est un piège! Aussitôt on massacra Pei-tcheng ^
fÉJS, Ki-hiu jjjft Ijfl et sept autres grands dignitaires, tous anciens
amis du prince-héritier défunt Chen-cheng rfl ^. et partisans de
Li-k'o ££.
Pei-pao 2» |^J. Bis de Pei-tcheng, put échapper à la mort, et
s'enfuit à la cour de Ts'in f|§; il devint célèbre dans la suite:
pour le moment, il excitait Mou-kong à punir l'ingratitude de
Hoei-kong : Celui-ci. disait-il. s'est montré traître envers votre
Majesté: puis, sur de légers miels, il a massacré tant d'innocents;
le peuple ne l'aime pas; si vous lui faisiez ia guerre, vous n'auriez
pas grand'peine à le chasser.
Mou-kong répliquait : s'il a contre soi tout le peuple, s'il ^i
si détesté, comment a-t-il pu impunément mettre à mort tant
d'innocents? puisque vos partisans ont pris la fuite comme vous.
qui donc maintenant, dans le pays, pense à chasser Hoei-kong?
Comme on le voit, les conseils du père ayant si mal réussi, ceux
du fils ne recevaient pas un bon accueil.
Quant au nouveau souverain, il était occupé à changer de
place le tombeau du prince Chen-cheng rfl Q. disant qu'on ne
l'avait pas enterré selon les rites 1 ; il lui donna pour nom
i [ .■ tombeau de Çhen-çhen, fui alors place à l'intérieur de la porti
48 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
posthume et honorifique : Kong-V ai-tse :±t -^ ^, c'est-à-dire fils
respectueux et obéissant; de fait, en Chine, on le regarde comme
modèle de la piété filiale (1).
A son sujet, voici ce que l'on raconte : H ou- 1' ou $& =$£, l'ami
intime de Chen-cheng, le conducteur de son char, se rendait à
K'iu-wo jjjj ^, l'ancienne résidence du prince. On était au mois
de juillet ; sur le chemin, Chen-cheng apparut au seigneur, et monta
sur son char, comme autrefois; tout en continuant la route, il
lui dit : I-OU fë -f§- n'observe pas les rites, puisqu'il trouble la
paix de mon tombeau; de plus, il vit en commerce incestueux avec
la princesse Kia |f, femme de son père; pour punition, j'ai obtenu
du ciel que le pays passât aux mains du roi de Ts'in f|l ; c'est
lui qui m'offrira des sacrifices agréables.
Hou-t'ou lui observa : les anciens nous ont enseigné que les
Esprits ne goûtent pas les sacrifices présentés par les étrangers;
et que le peuple ne les offre qu'à ses ancêtres; ainsi, finalement,
vous seriez privé des honneurs accoutumés. De plus, le peuple de
Tsin est-il donc coupable des crimes de son souverain, pour en
recevoir un tel châtiment? Ne serait-ce pas punir un innocent?
Je vous prie de prendre cela en considération.
Touché de cette requête, Chen-cheng, répondit : hé bien, oui.
je m'adresserai de nouveau au maître du ciel! attendez sept jours;
alors, à l'ouest de la ville de K'iu-wo $[] ^, j'apparaîtrai U un
devin [un sorcier, Ou /fc 1 .
Hou-t'ou promit de se trouver au rendez-vous, et Chen-cheng
disparut. Au jour fixé, le seigneur revit le prince : le ciel, dit
celui-ci, m'a permis de ne punir que les coupables; 1-ou sera battu
et fait prisonnier à Han $%. (2), par le roi de Ts'in i|s.
Cette prophétie doit se réaliser, puisqu'elle a été faite par un
lettré, au fond de son cabinet, longtemps après les événements;
nous verrons cela, en 6i.j, à la 1 l^me iune. Pour donner encore
plus d'autorité à sa fable, L'écrivain ajoute qu'un jeune enfant
sans malice se trouva inspiré, et chanta ce refrain : «le tombeau
Kong Jt a donc été changé? dans 14 ans, le souverain de Tsin
sera aussi délogé; sou frère aîné sauvera le pays du danger- !
En 649, au début de l'année, l'empereur Siang J(- députa
s<. h grand ministre Tchao-ou-kong -g ~jfc 7f\ et le grand officier
(nei-che f^ jjbj Kouo j^, pour reconnaître officiellement le non
veau souverain de Tsin, et lui remettre la tablette de jade (choei
ïjfi}), par laquelle il était déclaré vassal direct de l'empire.
dentale de K'iu-ioo \]\\ }^: il y avait là autrefois un petit sanctuaire, où on lui of-
frait îles sacrifices. (Géogr., imper., vol. ço. ]>■
(1) Texte chinoiR de l interprétation : ïft M '|i- £ E3 =iÇ.
2) Han, était a 18 li au sud de la ville actuelle Han-tch'eng $$. lh[ qui est
220 li nord est de T'ong-tcheon fnj -H'I . Chen-si. (Petite géogr . vol. z4, p. iç) —
(Grande, vol. $4. p. ■/<
DU ROYAUME DE TSIN. HOEI-KONG. 49
A cette cérémonie solennelle, Hoei-kong ne se montra pas assez
humble, ni assez respectueux ; aussi l'officier Kouo ^ dit à l'em-
pereur, à son retour : le prince de Tsin ne transmettra pas le
trône à ses descendants ; son orgueil l'a rendu indigne de la di-
gnité qui lui a été conférée ; il s'est réprouvé lui-même ; comment
pourrait-il avoir de la succession, puisqu'il en a rompu lui-mê-
me le lien? Les rites sont le principal appui d'un Etat; les ma-
nières humbles et respectueuses sont le seul moyen de les observer;
plus de rites, plus d'ordre hiérarchique entre le supérieur et l'in-
férieur : alors, quelle durée peut-on se promettre?
Vers le mois d'avril, les Tartares des villes de Yang-kiu ^ -j"J5
et de Ts'iuen-kao }% 4|k. avec ceux qui demeuraient entre les ri-
vières / ffi et Lo :fâ 1 . se liguèrent pour attaquer l'empereur.
Chose curieuse, assurément, mais facile à expliquer: Wang-tse-
tei 3E T* ^- frère de l'empereur, voulait le détrôner, et régner à
sa place: c'est lui qui appelait ces Tartares, pour l'aider dans ce
beau dessein. Ceux-ci, de fait, prirent la capitale, et en brûlèrent
la porte de l'est; mais ils furent chassés de là par les armées de
Ts'in |é| et de Tsin ^ : puis, en automne. Hoei-kong réussit a
rétablir la paix entre les deux partis.
En 648, vers le mois d'octobre. Hoan-hong {ff ^. roi de
Ts'i r^, intervenait à son tour; car les Tartares voulaient recom-
mencer la guerre contre l'empereur et contre Hoei-kong lui-mê-
me. Le grand ministre Koan-i-ou ^ ^ 2f-. autrement nomme
Koan-tchong ^ -ftfi. était chargé de cette mission pacifique; mais
le général Hien-p'ong ;!.Ç?^ /]fj l'accompagnait avec une armée,
pour faire une salutaire impression sur les Tartares.
L'empereur reçut le grand ministre de la manière la plu-;
solennelle: mais celui-ci, aussi sage lettré que fin politique, se
montra confondu de tels honneurs; il semblait vouloir rentrer
sous terre: pour le coup, on dut être content de son humilité!
La paix fut conclue, et le prince Wang-tse-tai 3î -? Tr?- frère de
l'empereur, s'enfuit au pays de Ts i.
En 647, grande famine au pays de Tsin : car les deux prin-
I Yang-kiu était dan- le Ho-nan, à j s à 100 de Yen-che
hien fj£ ê? H qui est à l'est d< sa préfecture Ho-nan fou.
Ts'iuen-kao ou Ts'ien-tch'eng Fjlj ':■[ était à 50 li sud-ouest de Ho-nan fou
fSf" f^ ijfr Ho-nan Petite géogr., ool. 12, p, s ■' — Grande, vol. 48, p. iz).
La rivière I esl à 16 li sud-est de Ho-nan fou, alors capitale de l'empereur.
La rivière Lo est à \~> li au -ud de la même ville. Ces Tartares habitaient
les montagnes, entre les sources de ces deux rivières : leur capitale était à Sin
tch'eng ^f }$, à 75 li au sud de Ho-nan fou. Petite géogr.. ml. 1?. p. 32
Grande, vol. 48. p // .
50 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
cipales récoltes, celle du blé et celle du riz, avaient été tout à fait
malheureuses. Hoei-kong envoya des députés à la cour de Ts'in
f||, demander des vivres.
Mou-kong f|| ^ interrogea son grand officier Kong-suen-tche
5* ïfc $t> ou Tse-sang ^ ^, sur la conduite à tenir. Celui-ci
répondit : si vous rendez service, et si l'on vous en remercie di-
gnement, ce sera parfait ; si Hoei-kong se montre ingrat, il per-
dra l'affection de son peuple ; vous pourrez lui faire la guerre, per-
sonne n'ira le secourir.
Mou-kong interrogea encore le sage Pé-li Hi "g" Jg J|, ce
captif dont nous avons parlé à la fin de l'année 655. Celui-ci ré-
pondit à la façon des lettrés : les calamités publiques font le tour
du monde ; et chaque pays a son heure marquée ; montrer de la
compassion à ses voisins dans ces circonstances, est conforme à
la vraie doctrine ; et cela porte bonheur.
Pao %fi, fils de P'ei Tcheng 7f£ J||$, réfugié à la cour; comme
nous l'avons dit plus haut, pressait au contraire de refuser des
vivres, et de profiter de cette conjoncture pour faire la guerre au
pavs de Tsin. Son conseil était inspiré par la haine et le désir de
vengeance ; il ne fut pas pris en considération. Mou-kong disait : le
souverain est mauvais, mais quel crime a commis le peuple, pour
lui refuser les vivres? comment profiterais-je de sa détresse pour
lui faire une guerre injuste ?
Mou-kong envoya les secours demandés ; et en telle quantité,
que c'était une file ininterrompue de barques, d'une capitale à l'au-
tre 1) ; c'est pourquoi le peuple nomma cette année Vannée des
barques.
En 646, à la 8ème lune, au jour appelé Sin-mao *fc JJP (16
juin), grand éboulement dans la montagne Cha-lou fy Jg§ (2). Le
devin Yen flg. consulté sur ce présage, fit la réponse suivante :
avant la fin de cette année, une grande calamité mettra le pays
à deux doigts de sa perte. Cela ne peut manquer d'arriver: mais
voyons ce qui en fut la cause:
A la fin de cette même année, la famine régnait au pays de
Ts'in §j|. Mou-kong, qui venait de se montrer si généreux, ne
douta pas que Hoei-kong ne s'empressât de rendre bienfait pour
bienfait; il se trompait, ce qui prouve encore la valeur morale de
ce prince : il n'en obtint rien du tout.
Hoei-kong avait demandé conseil au grand seigneur K'ing
Tcheng J| |f]$ : Vous avez déjà manqué à votre parole à propos des
cinq villes, dit celui-ci ; pourriez-vous encore vous montrer inhu-
I i lTong tf£ capitale de Ts'in M était à 7 li nu sud do Fo7ig-siang fou %,
ty\ fff. i ■ a Petite géogr., vol. > /■ i<-
(2) Cha-lou. Cette montagne es( à 15 li à l'es( de Ta-ming t'<>n ;Ac 45 '(f ■ rche-
Petit géogi , uol • p ;2 Grande, vol. 16, p. s).
TEMPS VRAI. Ml M ttlSTÔRIQUÉS M
main? vous exciteriez la haine des pays voisins, et vos jours
seraient comptés ! n'ayant pas le sentiment du juste et du conve-
nable, comment pourriez-vous conserver votre couronne"?
Kouo [ $}£ %ft. oncle maternel de Hoei-kong, opinait en
sens contraire: Vous avez refusé la peau, disait-il. quel scrupule
auriez- vous de lui refuser les poils? — Non, répliquait K'ing
Tcheng. il ne peut pas en être ainsi ! manquer à la parole, être
ingrat après de tels bienfaits, c'est s'attirer le mépris des. autres
Etats ; dans le malheur, personne ne voudra venir à votre se-
cours ; un prince sans appui est destiné à périr !
Kouo I ripostait ; impossible d'apaiser la haine de Mou-
kong ^| £V. envers nous; même si nous lui accordons des vivres;
donc ce bienfait serait inutile; il nous serait nuisible, car il forti-
fierait un ennemi déjà trop puissant.
Une telle conduite envers des amis sérail odieuse, insistait
K'in.L: Tcheng ; envers un ennemi, c'est une provocation: vous
vous en repentirez quand il sera trop tard ! — Ce grand seigneur
voyant son avis rejeté, sortit de la salle indigné.
En 645, nous voici à l'année fatidique; voyons 1 enchaîne-
ment des faits. Précédemment, c'est-à-dire quand on reconduisait
Hoei-kong à sa capitale, sa sœur, épouse [ou concubine) de Mou-
kong ^ Q, lui avait vivement recommandé deux choses: prendre
grand soin de la princesse Kia jjj[, concubine de Hien-kumj |pç fè,
et rappeler de l'exil tous les princes du sang qui avaient fui sous
le règne précédent.
Monté sur le trône, Hoei-kong vécut en inceste avec la prin-
cesse Kia. ne rappela aucun prince de l'exil, refusa les cinq villes
promises, massacra les seigneurs qui lui avaient prêté secours ;
enfin il refusa des vivres à son grand bienfaiteur Mou-kong 1 ;
aussi la princesse était-elle furieuse contre son frère.
De son côté, Mou-kong voulait punir une telle déloyauté ;
mais il ne pouvait rien entreprendre avant d'avoir consulté les
sorts. Ceux-ci furent favorables : passez le fleuve, avait répondu
le devin par l'achillée, T'ou-fou '(&%. et les chars de Tsin z§
seront mis en déroute. C'était vague ; Mou-kong demanda quel-
que explication : le sort est des plus heureux,, ajouta le devin ;
(1) Le territoire des cinq villes allait: à l'est jusqu'au pays de Kou-i:
&; au sud, jusqu'à Hoa-chon ^à lh : dans le pays de Fsin, jusqu'à Hiai-liang %
^. — Kouo-lio était à l'ouest de Sony hien ^ gg. qui est a 100 li au sud de sa
préfecture Ho-nan fou fnÇ r?j tff- Ho-nan. — La montagne Hoa-chan est à 10 li au
sud de Hoa-ing hien êfë fê !£• qui est à lOu li au sud de T'ong-tcheoufou ^ #1 Ffr,
Chen-si. — Hiai-liang, était à 18 li sud-est de Lin-tsin hien gg ^ %. qui est à
70 li au nord de P'ou-tcheou fou $i W A\F- sa préfecture, Chan-si, Hoang-ts'ing
long-Mai £ fë @ «? vol. 8-gs, p. 4) — (Petite géogr., ool n - ool,
8, p. 30).
52 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
vous vaincrez trois fois le prince, et vous le ferez prisonnier. Le
sort, en effet, vous a donné l'hexagramme Kou s=, qui signifie
désordre provenant d'une longue paix, mal qui provient de l'inac-
tion, comme les vers naissent dans une eau croupissante. La par-
tie supérieure ~, Suen jjê signifie s'humilier, céder: la partie
inférieure «, Keng jj^ signifie s'opiniâtrer, résister; voici l'expli-
cation: l'opiniâtre monte, et l'humble se soumet; d'où résulte le
désordre ; les mille chars sont mis en fuite trois fois ; enfin on
prend le renard, c'est-à-dire le prince de Tsin ; le symbole Suen Je
indique la vertu, votre Majesté ; le symbole Keng J| indique la
montagne, Hoei-kong ; sur la montagne, il y a des arbres fruitiers
sur lesquels le vent souffle ; on est en automne ; on recueille ce qui
est tombé, et ce qui est encore sur les arbres ; ceux-ci se trouvent
dépouillés de tout. Si ce n'est pas l'annonce d'une victoire com-
plète, que serait-ce donc? (Comme on le voit, ce sont paroles des
tireuses de carte*, d& vraies farces).
En effet, les troupes de Hoei-kong furent battues trois fois ;
l'armée de Mou-kong s'avança jusqu'à la ville de H an £•£. Alors
le seigneur K'ing Tcheng J| |fj$ se trouvait près de Hoei-kong ;
celui-ci l'interpella : les brigands ont pénétré bien avant dans
notre pays; que faut-il faire maintenant? C'est votre Majesté
qui les a fait venir; peut-elle demander à d'autres ce qu'il y a à
faire ?
Hoei-kong comprit, et fut fort mécontent ; aussi, le sort ayant
désigné ce même seigneur, comme lancier du char royal, Hoei-kong
le refusa; il donna ce poste à l'officier Kia Pou-fou |§c /f|| ^ ; le
seigneur Pou Yang -j£- !% fut le conducteur: les quatre petits che-
vaux de l'attelage étaient un cadeau du prince de Tcheng fift.
K'ing Tcheng, ainsi écarté, se présenta cependant encore une
fois, pour donner un avis bien nécessaire: jusqu'à ce jour, disait-
il, dans les moments critiques comme celui-ci, on se servait de
chevaux de son pays; habitués aux lieux, au climat, aux hommes,
aux harnais, à l'attelage, ils sont plus dociles et plus maniables ;
ceux-ci vont s'effrayer, s'emporter ; le conducteur n'en sera pas
maître ; leurs veines se gonfleront de sang ; ils paraîtront vigou-
reux, et seront sans force ; après une course désordonnée, ils s'ar-
rêteront, ne sachant ni avancer ni reculer ; votre Majesté sera en
grand danger. Ce conseil si prudent fut encore dédaigné.
A la 9n" lune (août-septembre), Hoei-kong s'avançait lui-
même à la rencontre de l'armée de Ts'in Jj| ; il envoya le grand
officier Han Kien p£ ^ examiner l'état des troupes ennemies; de
retour, celui-ci lui dit: leurs hommes sont moins nombreux que
les nôtres ; mais leur ardeur guerrière est bien le double de la nôtre.
Hoei-kong en demanda la cause : Quand vous fuyiez au pays
de Liang |J£, vous vous appuyiez sur le roi de Ts'tn §jf ; c'est lui
qui vous a placé sur le trône; c'est encore lui qui vous a sauvé
de la famine ; trois fois vous avez montré une noire ingratitude ;
DU ROYAUME DE TSIN . HOEI-KONG. 53
furieux, les gens de Ts'in viennent nous en demander raison ; et nous,
sans vouloir reconnaître nos torts, nous avançons, les armes à la
main ; la justice d^ leur cause double leur courage ; la conscience
de nos fautes paralyse le nôtre.
Nous retirer maintenant sans combattre, répliqua Hoei-kong.
ce serait nous rendre ridicules ; un simple particulier ne suppor-
terait pas une telle honte; à plus forte raison, un Etat comme h
nôtre ne peut reculer. Sur ce, il envoya Han Kien porter à Mou-
kong le message suivant : moi, homme de peu de valeur, j'ai bien
conscience de mon incapacité; mais, ayant réuni cette armée
nombreuse, je ne puis la licencier; si votre Majesté ne se retire
pas de mon territoire, il me faut bien recevoir ses ordres, et ac-
cepter le combat.
Mou-kong envoya le prince Kong-suen-lche ^^ fâ, porter la
réponse : Tant que votre Majesté fut en exil, j'étais plein de solli-
citude; rentrée dans sa patrie, sans y être solidement établie, elle me
causait encore de l'inquiétude; maintenant, elle est affermie sur
son trône: puis-je me soustraire à ses ordres, et désobéir en face?
Voilà de la politesse avant de s'entre-tuer ! C'étaient les for-
mules en usage; il fallait s'y conformer. Le général Han Kien
s'écria : si, à cette bataille, nous sommes seulement faits prison-
niers, nous aurons de la chance !
A la llènif iUne, au jour appelé jea-siu f£ fc \\ septembre),
on engageait le combat dans la plaine de Han ^ : les chevaux de
de Hoei-kong s'engagèrent dans des bas-fonds, sans pouvoir en
sortir; il appela K'ing Tcheng J| ||[$ à son aide; celui-ci lui cria :
yous ave/ agi contre les sorts, et vous n'avez pas voulu m'écouter;
vous vous êtes obstiné à subir une défaite, quel moyen d'y échap
per maintenant? Ayant dit ces mots, il s'en alla, laissant le chai
dans le bourbier.
Cependant, le général Han Kien .$■£ ^fj, ayant pour conducteur
Liang-yeou-mi ^ ^ J^f, et pour lancier Kouo I tyfc J}^, poussait
de près le char de Mou-kong ^% £V; il allait le faire prisonnier,
quand K'ing-tcheng vint lui annoncer le danger où se trouvait
Hoei-kong; le brave général accourut, mais ne put le délivrer; il
était trop tard !
Hoei-kong fut emmené au pays de Ts'in ^: dans leur dou-
leur, ses grands officiers, la chevelure en désordre, arrachaient
leurs tentes pour le suivre. Mou-kong leur lit dire : Messieurs,
pourquoi ètes-vous si désolés? moi, homme de peu de valeur, je
ne fais qu'accompagner votre souverain, qui s'en va vers l'ouest;
oserais-je pousser les choses à l'extrême, et mettre à mort votre
prince? je ne suis pas si cruel! A ces mots, les officiers se pros-
ternèrent trois fois, et frappèrent neuf fois la terre de leurs fronts.
en disant : la terre que vous foulez, et le ciel qui est sur votre
tête, ont entendu votre promesse ; elle nous a consolés comme une
brise rafraîchissante !
54 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Quand la nouvelle fut apportée à l'empereur, il envoya Tordre
de rendre la liberté à Hoei-kong; car, disait-il. c'est un membre
de la famille impériale. Mais Mou-kong n'était pas homme à lâcher
si facilement sa proie.
Quant à sa concubine, la sœur de Hoei-kong, elle craignit
pour la vie de son frère ; elle voulut détourner de lui ce malheur :
prenant son fils, le prince héritier Yong £&. puis un autre fils . le
prince Hong ^l, et une fille, la princesse Kien-pi ^f) J§|, elle
monta sur la tour réservée aux femmes : elle la fit remplir de fa-
gots ; puis elle envoya ce message à Mou-kong : il nous est arrivé
une grande calamité: vos deux Majestés se sont rencontrées, non
en amies, mais les armes à la main; si mon frère est amené pri-
sonnier dans ce palais, votre humble servante avec ses enfants se
donnera la mort !
Mou-kong- conduisit son captif dans la fameuse tour Ling-tlai
»| jf. et l'y retint dans le plus grand isolement. Les officiers
auraient voulu le conduire à la capitale, comme un glorieux tro-
phée de leur victoire: mais Mou-kong leur répondait : je ne puis
cependant, pour cette satisfaction, exposer mes enfants à la mort !
et vous-mêmes, qu'y gagneriez- vous? D'ailleurs, j'ai donné ma
parole; je ne puis me parjurer à la face du ciel et de la terre! le
chagrin des officiers m'a vivement impressionné: je ne veux pas
pousser le peuple à bout: ainsi le mieux est de lui rendre son
prince ! I
Le grand officier Kong-tse-lche fè -^ ^ insistait pour qu'on
mit a mort Hoei-kong; sinon, disait-il. ce sera le fortifier, et lui
permettre d'employer toutes ses ressources contre nous. Mais le
seigneur Tse-sang ^f Hji ou Kong-suen-tche fè J£ ^ donna un
meilleur conseil : rendez le prisonnier, mais exigez en otage le prince
héritier: ainsi vous gagnerez le cœur de Hoei-kong. et vous assurerez
une paix stable. Le pays de Tsin n'est pas encore sur le point de
sa ruine, pour pouvoir être soumis; en tuant son souverain, vous
auriez seulement commis un crime, qui vous vouerait à l'opprobre
des autres nations. L'historien du temps de Tcheou Ou-wang Jq)
lï ï, le fameux / $j. nous avertit par ces paroles : ne semez pas
l ! i fameuse tour Ling-t'ai, bâtie par Icheou Wen-wang, était au nord-e=t
di Vi< hien US J~. qui est à 70 li sud-ouest de Si-ngcm fou |§ i£ tff- Chen-si.
Mong-tse en parle avec enthousias P i- ï>- 12 — Grande.
col. 53, p '/.■ ttoli III
iMi' la princesse sur sa tour, le lecteur ne
doit pas s'en étonner; c'est une chinoiserie; pour lu face, comme ou dit ici, la sœur
devait agir ainsi, surtout api - ixcité elle-même à punir son frère; Mou-kong,
très content de lâcher son prisonnier, pourra dire qu'il \ a été contraint par le
désespoir de sa lemme. Tout le monde a lo face ci tout le monde est content de
la soluuui.
DU ROYAUME DE TSIN. HOEI-KONG. 55
de calamités; ne tirez pas profit du malheur d' autrui; ri excitez
pas la rage des gens contre vous, ce serait vous vouer à votre perte.
Mou-kong consentit à faire un traité de paix. Hoei-kong
envoya le grand officier K'i-k'i $|J ^ chercher le ministre Liu
Cheng §iit}(l), autrement nommé Tse-kin ^ <§fe, pour se concer-
ter avec lui : Faites appeler tout le peuple à la cour, conseilla
celui-ci ; faites répandre de grandes largesses ; puis faites dire en
votre nom : moi, homme de peu de valeur, même si je rentrais
dans mon pays, je serais toujours sous l'opprobre de l'avoir dés-
honoré; consultez donc les sorts, pour voir s'il ne serait pas
mieux de placer le prince héritier sur le trône.
Ainsi fut fait. Quand le peuple entendit ces paroles, il fut
touché jusqu'aux larmes ; alors le rusé ministre d'ajouter : notre
prince n'est chagriné ni de son exil ni de sa prison ; il ne pense
qu'à nous, à nos malheurs; c'est le comble de l'affection! Une
pouvons-nous faire pour un si bon souverain? — Proposez-nous
un plan, s'écria le peuple, et nous l'accomplirons!
Réunissons l'argent nécessaire, préparons nos armes, pour
soutenir le prince héritier, répondit le ministre; les autres Etats
vont apprendre que nous avons un nouveau souverain, à la place
de son père ; que nous sommes tous d'accord, mieux disposés que
jamais à la guerre; nos amis nous en féliciteront, et nos ennemis
en prendront peur. N'est-ce pas le meilleur stratagème? — Le
peuple applaudit, et dans toutes les villes on se mit à préparer
l'expédition.
Ici, l'historien place encore une consultation des sorts, par
l'achillée; puis l'interprétation donnée parle devin: nous en faisons
grâce au lecteur; on a vu plus haut le genre de ces fadaises; cela
suffit; nous n'y reviendrons plus.
A la ÎCK1"^ lune (septembre-octobre . le ministre Liu Cheng
Q $5} eut une entrevue avec Mou-kong ^ fè. et l'on fit le traite
de paix à Wang-tchfeng 3E M - • Interrogé si le pays de Tsin
était en paix, le rusé ministre répondit: non. l'accord n'existe
pas chez nous; le peuple déplore la captivité de son souverain et la
perte de tant d'hommes sur le champ de bataille; on ne fait pas
de difficulté de lever des contributions et de préparer les armes,
I) Liu-chen, nom abrégé de Hiai-liu-ing-cheng f« 3 £/; £Ç. ainsi appelé,
parce qu'il avait les trois fiefs de ce nom: Liu, était à 3 li à l'ouesl de Houo tcheov
Vu 'H'I • Chan-si. — Imr, n'était pas loin de là. — Niai, était au sud-csl de TAng
tsin hien 8^ Tg l|f . qui est à 90 li nord-est do sa préfecture P'ou-tcheoxi fou ?&) Mi
ff. Chan-si. Hoang-tsing-king-kiai, vol. ç ■■ i /. p. sa . Petite géogr., vol. S. p.
..'<?) — (Grande, vol. y/, p. zi).
- Wang-tch'eng était à :S0 pas à l'esl de Tch'ao-i hien $)J i-\ %, qui
à :u\ li à l'es! de sa préfecture T'ong-tckeou fou ^J 41 '/•F Chen-si. Grande giogr.t
56 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
pour mettre le prince héritier à la place de son père sur le trône ;
on veut une revanche, et l'on préfère se soumettre aux Tartares
plutôt qu'à votre Majesté.
Les grands du royaume aiment bien leur souverain, tout en
reconnaissant ses torts ; eux-mêmes recueillent des contributions
nécessaires pour les armements, tout en attendant vos ordres au
sujet du prince captif; chacun s'écrie: il faut absolument nous
montrer reconnaissants de tant de bienfaits reçus, dussions-nous
en mourir ! Voilà, ajoutait le ministre, pourquoi nous n'avons pas
l'accord chez nous.
Mou-kong demanda encore: que pense-t-on du sort réservé
au prince? — Le petit peuple, répondit le ministre, croit le captif
destiné à la mort; les hommes sages, estimant votre Majesté si
prudente, sont persuadés que le prisonnier recevra la liberté; le
peuple s'écrie: je déteste le roi de T-<ein §|§ : car jamais il ne
voudra relâcher notre prince ! les sages répondent : nous recon-
naissons nos torts, certainement notre souverain nous sera rendu !
Abattre le déloyal, mais pardonner à l'humble, c'est le comble
de la vertu et de la sagesse; c'est la meilleure punition; l'humble
qui se soumet, reconnaîtra le grand bienfait reçu ; le déloyal re-
doutera la répression. Par ce seul fait, votre Majesté s'élèvera si
haut dans l'estime publique qu'elle pourra devenir le chef des
vassaux. D'ailleurs, ne pas établir solidement notre prince, après,
l'avoir placé sur le trône ; le rejeter, après l'avoir choisi ; ne s'at-
tirer que la haine, après un tel bienfait ; votre Majesté est inca-
pable d'une telle conduite !
Adouci par ces flatteries. Mou-kong ^ 7fe reprit: Hé bien
oui ! vous avez bien deviné les sentiments de mon cœur ! Et de
suite il fit transférer le prisonnier dans une demeure plus confor-
table, et lui lit cadeau de 7 bœufs. 7 moutons et 7 porcs. On
-•attendait à chaque instant au retour de Hoei-kong à sa capitale.
Un grand dignitaire, nommé Ngou-si <f$5 $f , demanda au seigneur
K'ing Tcheng J| f$ : n'allez-vous pas vous enfuir? — Non, répon-
dit-il : j ai causé le malheur du prince et dans la défaite générale,
jt. n'ai pas su mourir: si maintenant je me soustrayais à la puni-
tion, je serais un félon; où trouverais-je un refuge?
A la 11"' lune, après trois mois seulement de captivité,
Hoei-kong était mis en liberté: il fit mettre à mort Kinu-tcheng
avant même de rentrer à la capitale. Comme il y avait encore
grande famine dans le pays. Mou-kong ^ ^ envoya tous les vi-
n"es nécessaires: je déteste le souverain, disait-il, mais j'ai pitié du
peuple ; je connais la prophétie faite par Ki-tse rf£ ^£-, à l'avène-
ment de Tr&ng-chou fê* ^ «sa descendance sera illustre» ; ainsi
il ne faut pas songer maintenant à annexer' ce pays; songeons
d al.'>rd à pratiquer la vertu: attendons que cet Etat soit devenu
florissant ; il ne pourra être annexé que plus tard,
Pour obtenir la paix. Hoei-kong avait dû céder enfin les
DU ROYAUME DE TSIN. HOEI-KONG. 57
cinq villes qu'il avait autrefois promises puis refusées ; Mou-kong
en prit aussitôt possession, et y organisa une administration
régulière
En 644, en automne, les Tartares Ti ^ envahissaient le
pays de Tsin, et lui enlevaient les deux villes de Hou-tck'ou $& ]§$
et de Cheou-touo "yt ^ (1); passant ensuite le fleuve Fen ^, ils
prenaient encore celle de K'oen-lou j.jl %$ (2 ; ils profitaient donc
de l'embarras et de la faiblesse où se trouvait Hoei-konL:.
En 643, en été, le prince héritier Yu g se rendait comme
otage, à la cour de Ts'in ■£ ; alors Mou-kong ^j| Q remit les cinq
villes qu'on lui avait livrées. Pour montrer encore plus de généro-
sité, il donna pour épouse à Yu une princesse de sa maison, rece-
vant par contre la sœur du jeune captif comme concubine. On
voit que Mou-kong tâchait de resserrer les deux pays par les
liens de la parenté, dans l'espoir de les réunir un jour sous le
même sceptre.
Comme de juste, ces événements avaient été prédits. Hoei-
kong étant encore en exil à la cour de Liang |^, avait reçu pour
épouse la princesse Ing ,||f, ; celle-ci, ayant conçu, avait dépassé
le 10èllle mois de sa grossesse, sans accoucher; on avait consulté
les sorts; les devins Tchao-fou Jg ^£ et son fils en avaient donné
l'interprétation suivante : la princesse mettra au monde un garçon
et une fille, avait dit le fils ; la fille sera concubine, et le frère
sera son sujet, avait ajouté le père. En conséquence, le nouveau-
né avait été appelé Yu [^, qui signifie sujet, palefrenier: sa sœur
s'appelait Tsié §£S, c'est-à-dire concubine, épouse secondaire. Mes-
sieurs les lettrés ne sont-ils pas ingénieux dans leurs explications!
En 638, Hoei-kong, qui s'était tenu tranquille depuis son
retour de captivité, commença à faire de nouveaux projets : les
Tartares Jong ^ s'étaient établis au pays de Lou-hoen |^f jtjî; ils
les transféra dans celui de I-tch'oan fjr )\\ (3). Et c'était encore
l'accomplissement d'une prophétie! La voici :
Autrefois, les Tartares Chiens [K'iuen-jong ^ 3% avaient
détruit la capitale de l'empereur Ycou ^j ; son successeur P'ing-
wang «^p 3£ l'avait transférée à l'est, dans la contrée appelée I-
tch'oan ffi J||, en l'année 770. Dans la suite, le grand dignitaire
Sin-yeou ^ fâ avait rencontré sur les bords de la rivière / {p-, en
(1) Hou-tchou était au nord-ouest de P'ing-yang fou '\ [!g tff. au nord du
fleuve Fen, Chan-si. Cheou-touo était prés de là Grande ;/'";/'• . vol. 41, p. / .
(2) K'oen-tou, était au sud de P'ing-yang fou 'Y- P) f-f, Chan-si. (Grande
géogr., vol. 41. p. j).
(3) I-tch'oan, c'est l-yang hien ffi JIjJ $f,à 50 li à L'ouest de .Uni tchcou ffi 4).
llo-nan. 'Petite ycogr.. vol. 12. p. 63).
I.ou-hoen, était à 30 li au nord de Song hien %& !?'. qui est a IHO li au sud
de Ho-nan fou Jfif f£] f{-f , llo-nan. (Petite géogr.,v'ol.ie,p.jç) — Grande, vol. 48, p.fj ■
-
58 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
un lieu désert, un sauvage, les cheveux en désordre, offrant un
sacrifice.
Aussitôt le sage lettré s'était écrié : il ne se passera pas un
siècle, avant que les Tartares occupent ce pays : car c'est ici que
les rites propres aux sacrifices ont été d'abord perdus (1). Le
commentaire observe que le prophète ne s'était pas trompé sur le
fait mais sur la date: car il y avait plus d'un siècle d'écoulé. Rare-
ment un lettré se trouve en défaut comme dans le cas présent !
Cette même année 638, Hoei-kong tombait malade. Le prince
héritier Yu §§ dit à son épouse : Je suis ici en captivité ; dans ma
patrie, je n'ai personne pour soutenir mes droits à la couronne:
si mon père mourait de cette maladie, les grands dignitaires, pleins
de mépris pour moi, seraient capables de mettre un autre prince
sur le trône: nous ferions mieux de nous enfuir. La princesse lui
répondit : Vous êtes l'espoir de votre patrie, vous devez y retour-
ner; ma condition n'est pas la même : le roi m'a placée près de
vous, pour vous essuyer les mains, vous peigner les cheveux, com-
me votre humble servante : mon office est de vous consoler, de
vous soutenir dans l'exil: fuyez: je ne vous accompagnerai pas,
mais je ne vous trahirai pas non plus; en vous suivant, je man-
querais à l'ordre formel du roi: en vous trahissant, je violerais
mes devoirs d'épouse. Sur ce, le prince partit aussitôt.
En 637, Hoei-kong mourait, à la 9 '""' lune juillet-août .
et était enterré à la 11 '"'"'". Le prince héritier lui succéda sans
qu'il se produisit aucun trouble. Il fit publier un édit ordonnant
à tous ceux qui avaient suivi Tch'ong-eul If" Jf dans l'exil, de
rentrer chez eux : fixant une limite, passé laquelle, les récalci-
trants seraient poursuivis et punis, ainsi que leurs familles.
Or, le vieux seigneur Hou Tou ^ ^, que nous connaissons
depuis longtemps, avait deux de ses fils près de Tch'ong-eul : à
savoir, les seigneurs Mao ^ et Yen ff§ (ou Tse-fan ^ fâ : ceux-
ci ne revenaient pas à la capitale, et leur père refusait de les
rappeler ; c'était donc une désobéissance formelle.
En hiver, c'est-à-dire à la fin de cette année, le vieux sei-
gneur fut arrête : le prince lui dit carrément : Je vous ferai grâce,
à condition que vus fils rentrent chez eux. Hou Tou répondit : Les
anciens avaient pour axiome: «si le fils est capable de rendre ser-
vice, le père doit l'engager à se montrer fidèle serviteur» : d'après
l'usage, le nom du nouveau serviteur était inscrit sur un registre
des officiers; lui-même offrait un cadeau, comme gage de sa fidé-
lité, se déclarant prêl à subir la mort, s'il venait à oublier ses
engagements, [.es noms de mes lils sont inscrits sur le registre
de Tch'ong-eul : si je les rappelais, ce serait leur faire commettre
une félonie; après cela, de quel front prétendrais-je être votre
I Les rites voulaient qu'en offrant les sacrifices, on portât des habits et un
chapeau; le sauvage ignorait ces détails, sans doute.
DU ROYAUME DE TSIN. HOEI-KONG. 59
fidèle sujet? Je désire votre prospérité; mais je vous prie de ne
pas exagérer les châtiments, de ne pas punir des innocents; si-
non, vos regrets tardifs ne sauveront pas votre couronne.
Le prince héritier eut le triste courage de mettre à mort ce
loyal seigneur et vénérable vieillard, son proche parent. Yen ([}£,
grand devin de la cour, n'aimait pas le nouveau souverain; pour
cela, il prétextait une maladie, pour ne pas être obligé de sortir de sa
maison; ayant appris la mort de llouï'ou, il s'écria: le livre des
Annales [chou-king Jf $$> a une parole qui convient bien à notre
ca.s:«celui qui, dans les punitions, montre un grand discernement,
f/ar/ne l'affection de son peuple». Or, notre souverain fait mettre
à mort n'importe qui, sans aucune raison; l'arbitraire est sa rè-
gle ; comment pourrait-il se maintenir sur le trône? Le peuple ne lui
connaît aucune vertu, n'entend parler que de ses exécutions ; un
tel prince pourrait-il avoir de la descendance sur le trône de Tsin?
Voilà la première antienne, par laquelle nos auteurs annon-
cent les malheurs, qui ne tarderont pas à fondre sur le nouveau
souverain. Mais avant d'en faire le récit, nous devons revenir un
peu sur nos pas, examiner ce qu'était devenu le prince Tch'ong-
eul ]g J£ ; car son histoire va se mêler à celle de son rival.
Vie el pérégrinations de Tch'ong-eul Je, -R*
Dès sa jeunesse, il avait donné les plus belles espérances ;
dès lors, des seigneurs éminents s'attachèrent à lui, sans vouloir
le quitter, même pendant ses longues années d'exil.
Nous avons précédemment raconté, comment il fut écarté de
la cour, envoyé gouverner le territoire de P'ou, en 666 ; comment
Hien-kong j^( ^, son père, envoya une armée l'attaquer dans cette
résidence ; comment ce prince, par piété filiale, défendit à son
peuple de résister; comment il se réfugia chez les Tartares Ti ^,
en 655. Il se trouvait donc dans le pays de sa mère, comme nous
l'avons dit plus haut; il avait alors 43 ans, et devait rester en
exil 19 ans.
Parmi son entourage se trouvaient les deux seigneurs Mao
^ et Yen [g, dont nous venons de parler, et dont le second, un
vrai génie, deviendra illustre, sous le nom de Tse-fan ^-fâ; il
sera plus tard le plus ferme soutien de son pays. Il y avait en-
core le seigneur Tchao Tck'oei $ Q, frère du fameux Tchao Sou
,{ff j^,; puis les seigneurs Tien-kiè |fi g( et Wei Tch'eou f| ||Ë,
célèbres par leur force herculéenne; et encore le seigneur Siu
Tch'en 'pf fTi, ou Kieou-ki [H ^p, que nous retrouverons, plus tard,
comme ministre des travaux publics. Ce sont les principaux, ou
les plus connus; car les autres compagnons, de talents plus ordi-
naires, étaient assez nombreux,
60 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Juste au moment où Tch'ong-eul arriva chez les Tartares Ti
ffi, ceux-ci étaient en guerre avec leurs rivaux, les Tsiang-kao-jou
US 45* $11 1 - une des branches de la grande tribu des Tartares
rouges Ltch'e-ti ff%k- Ayant contribué glorieusement à la victoire,
Tch'ong-eul reçut en récompense deux princesses, faites prisonniè-
res ; l'une s'appelait Chou-koei Jpl [>)|, l'autre Ki-hoei Éip $%L ; il en
prit une pour épouse, mais on ne sait pas laquelle; il en eut deux
fils, I'é-tiao \fa fjS et Chou-lieou ,|^ |?ij ; il céda l'autre au seigneur
Tchao Tch'oei ,!£{ ifif ; celle-ci donna le jour au seigneur Toen }lf,
qui fut plus tard glorieux premier ministre, sous le nom de Tchao
Siuen-tse $$ 'Jf ^f-,
Tch'ong-eul resta douze ans chez ces Tartares Ti tfc. Quand
il se décida ensuite, en 544, à se rendre au pays de Ts'i ^|, il
dit à son épouse : attendez-moi pendant vingt-cinq ans ; si alors
je ne suis pas de retour, vous serez libre de vous remarier. Alors,
répondit-elle, j'aurai cinquante ans, bonne seulement à être mise
au cercueil : permettez-moi de vous attendre, sans penser à me
remarier.
Sur son chemin, Tch'ong-eul passa par le pays de Wei fëj :
le prince Wen-kong $C 5» [659-635] l'y reçut fort mal ; à tel point
qu'en quittant le territoire de Ou-lou jg. )§i (2), le pauvre exilé
fut obligé de mendier des vivres chez un paysan; celui-ci, par
dérision, lui présenta une motte de terre: Tch'ong-eul indigné
voulait faire fouetter ce grossier individu; mais le sage T se- fan
•^ $\l calma sa colère, en lui disant : c'est un cadeau de bon au-
gure; le ciel vous annonce qu'un jour vous serez le maître de ce
pays. Là-dessus, Tch'ong-eul se prosterna, reçut en cette posture
la motte de terre, et la garda précieusement sur son char.
Arrivé à la cour de Ts'i ^. Hoan-kong |a îi , le plus fameux
des rois de ce pays, le traita de la manière la plus honorable; il
lui donna une princesse de sa propre famille Kiang ^ ft] j ^
lui donna vingt chars et quatre-vingts chevaux, pour lui et pour
sa suite (3). Aussi Tch'ong-eul se trouvait si bien qu'il pensait
rester là, et ne désirait pas pousser plus loin ses pérégrinations.
(1) Les Tartares rsiang-kao-jou, habitaient le territoire actuel de T'ai-yuen
fou jk -0F. rfi . Chan-si. Les rartares Kao-lou $k £'£, dont nous avons parlé plus
haut. étaient aussi de cette tribu des Tartares rouges [tch'e-ti Ifo 1j\ . Grande,
géogr., ml. i. !>. ici. — Le recueil intitulé Kicmg-yu-piao f|| kj£ g|. roi. '-. p.
22. énumère encore les mitres Tartar
(2) Ou-lou. était à 45 li à l'es! de Ta-^ming fou X %* f=f. Tche-li; c'était une
ville de Wei, sur la frontière de rs'i. Petite géogr., roi. 2, p. .--.? — Grande, vol.
16. j.
(3) Ts'i. Sa capitale était un peu au nord de TÂng-tche bien flœ ijii §£, qui est
à :tù li nord-ouest de Ts' ing-tcheou fou # tt) fî sa préfecture, Chan-tong llj îfî
(Petite géogr., vol. 10, p. 24 — Grande, vol 3S, p. s)-
DU ROYAUME DE TSIN. HOEI-KONG. 61
Son entourage craignit qu'une vie si douce n'amollit son ca-
ractère, et ne le rendît incapable de grandes entreprises ; on prévoyait
d'ailleurs que le filg de Hoan-kong ne serait pas de taille à l'aider
efficacement à monter sur le trône, quand l'heure en serait venue (1).
On tint conseil pour trouver un moyen de le faire sortir malgré
lui de ce pays. On se réunit donc sous un mûrier, pour faire cet
innocent complot; une domestique de la maison de Tch'ong-eul
était justement perchée sur cet arbre, occupée à en recueillir les
feuilles pour élever des vers-à-soie ; elle se garda bien de remuer
tant que dura la conversation ; elle raconta ensuite à sa maîtresse
tout ce qu'elle avait entendu; celle-ci, qui était persuadée de la
bonne intention des conjurés, et était tout à fait de leur avis, se
hâta de mettre à mort cette femme, de peur qu'elle ne trahit le
secret; puis elle s'entendit avec Tap-fan ^ %\l, pour exécuter ce
qu'on avait résolu.
Un beau jour donc, on enivra Tch'ong-eul, on le plaça sur
son char, et l'on partit. Quand celui-ci se réveilla, il entra en
fureur, il saisit une lance, et voulait en percer Tse-fan; on finit
par l'apaiser, et lui faire entendre raison: puis on continua le
voyage. Tch'ong-eul était resté cinq ans à la cour de T*'i ^;
il se rendit de ce pas au pays de Tx'uo igf, dont le prince s'appe-
lait Kong-hong fit ^ (2), et régna de (552 à 618. Celui-ci le reçut
peu civilement; il avait entendu dire que Tch'ong-eul avait les côtes
soudées deux à deux; pour s'en assurer, il l'invita à prendre un
bain, et s'approcha tout près, afin de l'examiner à son aise.
La femme du grand officier Hi Fou-ki {& j*\ |j| fit cette re-
marque à son mari : quand on observe les gens qui suivent
Tch'ong-eul, on s'aperçoit bien vite que ce sont des hommes de
premier calibre; s'appuyant sur eux, il rentrera certainement dans
sa patrie, montera sur le trône, et deviendra même le chef des
vassaux ; alors il punira ceux qui auront mal agi à son égard,
et notre prince sera an des premiers; pourquoi n'allez-vous pas
lui prouver que vous êtes animé de bien autres sentiments envers
lui"? L'officier fit préparer un splendide dîner, et l'envoya au prin-
ce ; dans le plus beau plat, il avait caché une précieuse tablette
de jade; c'était le seul moyen qu'il eût de lui offrir un cadeau:
car, en sa qualité d'officier de T.s'ao '^, il ne pouvait entrer en
relations directes avec un prince étranger; il ne voulait pas être
trahi par ses gens de service.
Tch'ong-eul reçut le dîner, et trouva la tablette de jade : il
fut touché du procédé délicat de cet officier; mais en homme ver-
tueux, il lui renvoya le précieux cadeau : nous verrons plus tard
comment il montra sa gratitude.
(1) l.c (ils de Hoan-kong, dont il s'agit, est Hiao-kong ■% fi : il régna de
t)42 à 633.
(2) Ts'ao, sa capitale, est la ville actuelle Ts'aa-tcheou fou ^ •+) I^F, Chan-
tong, (Petite géogr., vol. 10. p. 16) — (Grande, vol, t. p. io — roi. ?s- p- -V
g2 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Tch'ong-eul se rendit à la cour de Son;/ 5^ (1) ; le roi Siang-
kong M ^ (650-637) le reçut très honorablement, et lui fit pré-
sent de quatre-vingts chevaux. De là, Tch'ong-eul passait à la
cour de Tcheng % (2) ; mais le prince, nommé Wen-kong %. fè
(672-628), le reçut d'une façon peu civile. Celui-ci en fut blâmé
parle seigneur Chou-tchan .$ )W : les anciens sages, lui dit-il,
nous ont enseigné qu'on ne saurait trop honorer celui que le ciel
prépare à de grandes destinées ; or, trois circonstances me font
croire que Tch'ong-eul sera reconduit clans sa patrie, et placé sur
le trône ; il convient donc de le traiter avec honneur, pour vous
en faire un ami : D'ordinaire, une famille dont le père et la mère
portent le même nom, n'est pas bénie en enfants; du moins en
enfants sains et vigoureux: pour Tch'ong-eul, le ciel a fait une
exception. Dans les troubles excités par la fameuse Li-hi || #{!£,
le prince s'est exilé pour ne pas être une des causes de la révolu-
tion : le ciel n'a pas encore accordé la paix au pays de Tsin ; ce
qui me fait croire qu'il veut la lui rendre par l'intermédiaire de
Tch'ong-eul. Enfin, le ciel a placé près de ce prince trois hommes
de génie, Hou Yen #& f[| Tclum Tch'oei ^g ^ etKia T'ouo '£ f£,
et ces seigneurs se font gloire de le servir dans son exil. Oserais-
je ajouter une autre considération : la famille régnante de Tsin
est parente de la notre ; chacun de ses princes en voyage devrait
être honorablement traité par nous; à plus forte raison, celui que
le ciel semble destiner à de grandes choses!
Wen-kong £ £* ne fut Pas touché par ces raisons; il per-
sista dans sa Ligne de conduite. Tch'ong-eul se rendit à la cour
de Tch'ou $?, en 637. Le roi Tch'eng-"wang $ -f. (671-626) le
reçut de la manière la plus distinguée; on dit même qu'il lui
rendit les honneurs prescrits par le (• rituel» de la dynastie Tcheou
jh] dans la réception des plus grands princes (3).
Dans un grand festin, le roi lui demanda sans détours : Si
un jour votre seigneurie peut rentrer dans sa patrie, et monter
sur le trône, quelle récompense me donnera-t-elle pour ma bien-
veillance? La question était délicate!
Tch'ong-eul répondit ; de belles concubines, du jade précieux,
des soieries, de l'ivoire, des plumes d'oiseaux magnifiques, des
(1) Song. Sa capitale était la ville actuelle Koei-té fou M fe£ ftf. Ho-nan iPotitr
géogr., vol. 12. \>. 11) - (Grande, ml. 1. i>. 10).
(2) Tcheng. Sa capitale était un peu au nord-ouest de Sin-tcheng hien Jjf fj?|ï
M ; qui es! a 220 li sud-ouest de sa préfecture K'aî-fong fou \») ï\ #, Ho-nan
( Petite géogr., ml . i j . p. 5)
(3) Le recueil intitulé Kouo-yu \<M^f> prétend que la réception s'esl faite ainsi:
mais se- amplifications littéraires paraissent avoir été surajoutées dans la suite.
Tch'ong-eul esl un des héros leî plus c\al(cs par les lettrés, malgré les réserves
laites SUT lui par Mninj fsfi ,!{. -J-.
DU ROYAUME DE TSIN. HOEI-KONG. 63
queues de vaches pour les drapeaux, des cuirs solides pour les
armes et les cuirasses; tout cela, votre Majesté l'a en abondance
dans son royaume; ce sont vos déchets que l'on importe chez
nous; que pourrais-je donc offrir de convenable?
Cela est peut-être vrai, reprit le roi; il faut pourtant trouver
quelque chose à me donner, en guise de reconnaissance.
Alors Tch'ong-eul fit la réponse chevaleresque suivante, très
célèbre dans les annales de la Chine : Si par la puissante inter-
vention de votre Majesté je suis placé sur le trône, et si plus tard
nos deux pays ont une guerre ensemble, rencontrant votre Majesté
sur un champ de bataille, je reculerai à trois journées de distance;
si, malgré cette déférence, vos troupes persistent à m'attaquer,
je saisirai de la main gauche mon fouet et mon arc : de la droite,
je suspendrai à mon épaule mon carquois et le fourreau de mon
arc; puis je me battrai de toutes mes forces avec vos gens.
A ces paroles, le premier ministre Tse-yu -^ 3E indigné par-
lait de mettre à mort un tel audacieux; mais Tcll'eng-wang $£ -{-'
le calma en ces termes : Tch'ong-eul est d'un caractère généreux,
mais plein de modération; il n'est point ambitieux; il est aimable
et poli dans ses relations; ses compagnons sont tous des hommes
graves, respectueux, magnanimes, prêts à sacrifier leur vie pour
lui. Le prince régnant, au contraire, n'est aime de personne; au
dehors, il est cordialement détesté de tout le monde. Les sorts ont
prédit que le pays de T'ang-chou )^ ${ subsisterait bien plus
longtemps que d'autres du même clan Ki #Ri ; c'est sans doute sons
le règne de Tch'ong-eul que l'état de Tsin va se relever et Qeurir;
qui donc oserait l'attaquer, si le ciel lui-même le protège? ce
serait s'attirer des calamités!
Tch'eng-wang continua de traiter- Tch'ong-eul avec les plus
grands égards, pendant plusieurs mois, et le lit conduire solennel-
lement à la cour de Ts'in i|§; c'était tout juste peu de temps après
l'évasion du prince héritier Yu {^ , comme nous l'avons raconté
plus haut. Le roi Mou-kong ^ £V ayant su la présence de Tch'ong-
eul à la cour de Tch'ou %'~ , lui avait envoyé un message, l'invi-
tant à venir; il voulait se servir de lui pour la vengeance qu'il
méditait contre le fuyard.
Tch'eng-wang lui-même engageait Tch'ong-eul à se rendre à
cette invitation : notre pays de Tch'ou,lui disait-il, est loin de votre
patrie; pour y parvenir, il faut traverser plusieurs principautés;
tandis que celui de Ts'in^ est votre voisin : Mou-kong est un sage;
il pourra vous être d'un grand secours dans l'avenir. Tch'eng-wang
appuya ses exhortations par de riches cadeaux.
Tch'ong-eul fut donc reçu avec grand honneur à la cour de
Ts'in JH ; Mou-kong lui donna cinq femmes, parmi lesquelles
se trouvait la princesse Hoai-ing 'j^| fofo: c'est-à-dire celle qui axait
été mariée au prince héritier ) " ||, et avait refusé de l'accompa-
gner dans sa lui te.
64 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Tout d'abord, Tch'ong-eul avait pensé la refuser; mais le sei-
gneur Siu-tch'en ^ p. (ou Kieou-ki pi ^) lui persuada de l'ac-
cepter : vous voulez prendre le royaume, lui disait-il, et vous
auriez scrupule de prendre la femme! recevez-la, vous ferez plaisir
au roi; il n'en sera que plus disposé à vous aider; vous avez scru-
pule d'une bagatelle, et vous oubliez les grandes injures qu'on
vous a faites !
Tch'ong-eul accepta donc cette femme. Un jour, celle-ci lui
apporta une cuvette d'eau, pour se laver les mains; par mégarde,
il lïclaboussa un peu; indignée, elle s'écria : nos deux pays vont
de pair; pourquoi donc me traiter en esclave? Tch'ong-eul ôta ses
vêtements, se mit devant elle dans la posture d'un prisonnier, pour
lui demander pardon (1). A diverses reprises, le roi finit par lui
donner soixante-dix femmes, avec des toilettes magnifiques.
Mou-kong prépara, un jour, un grand festin en l'honneur de
Tch'ong-eul. Tse-fan lui dit : je ne suis pas si fort sur les rites
solennels ni si habile parleur que le seigneur Tchao Tch'oei £fi ^ ;
prenez-le donc comme compagnon, pour ce repas. En guise de
toast, Tch'ong-eul chanta l'ode Ho-choei jpj tK (2), dont le sens
est à peu près celui-ci : les cours d'eau savent trouver la mer, le
lieu de leur repos; moi, je suis venu près de vous, mon refuge.
C'était un tin compliment à l'adresse de Mou-kong ; celui-ci chan-
ta, comme réponse l'ode Lou-yuè -^ f\ ; dont voici le sens : à la
gème lune, il y eut grand empressement h préparer Ve.xpédilion
guei rière (3) : c'est-à-dire : le roi promet officiellement son concours
au prince, pour rentrer dans sa patrie, et monter sur le trône.
Le seigneur Tchao Tch'oei commanda : Tch'ong-eul à genoux !
(4) Celui-ci descend aussitôt, se prosterne, et frappe la terre de
son front. Le roi descend aussi d'un degré, se déclarant indigne
d'une telle marque de respect; mais le seigneur Tchao Tch'oei
insiste en disant : Votre Majesté vient de chanter que Tch'ong-eul
est destiné à maintenir l'ordre et la paix dans l'empire, à protéger
l'autorité du "fils du ciel», deux choses qui sont le propre des rois
vassaux; il ne peut faire moins, pour se montrer reconnaissant
de votre promesse (5).
(1) Le recueil Hoctng-ts'ing King-kiai jfl ffi ^g 5j?. vol. 9-14, p. 57. raconte
un peu autrement cette historiette: Indignée de ce qu'on lui avait demandé un service
réservé aux esclaves, la princesse aurait jeté l'eau de la cuvette au nez du prince.
Ii' commentaire dit que cette ode a été perdue; il y en a une semblable.
Voir Zottoli, III. //. tS4) (Couvreur, p. ->is- chant çeme).
(3) (Zottoli, III. ii 144- n. 2s' (Couvreur, p. 200).
i Le seigneur appelle le prince par son nom: comme s'il était son père, ou
^on supérieur; car devanl le roi il ne peut y avoii que des sujets ou des esclaves:
toute marque d'honneur <l"it s'adresser au roi, si grand, si illustre.
(5) D'après Sc-um Ts'ien ai .§5 j§. le seigneur Tchao Tch'oei chanta aussi
DU ROYAUME DE TSIN. HOEI-KONG. 6.r)
A la 12""H' lune (octobre-novembre) de l'année 637, après la
mort de Hoei-kong ï§i ^ , les seigneurs Loan H§ et K'i $|], avec
leurs amis, envoyèrent un message à Tch'ong-eul, qu'ils savaient
à la cour de Tsrin ^. le pressant de revenir au plus vite : vos
partisans, disaient-ils, sont nombreux, et vous attendent avec
impatience !
Cette circonstance engagea Mou-kong f^ 5V à presser les pré-
paratifs de la campagne qu'il avait promise. Nous allons le suivre.
en racontant les premiers et derniers événements du règne éphé-
mère de Hoai-kong '[^ £ .
une ode, intitulée Chou-miao ^ 'j|f, qui célèbre les expéditions et travaux de Chao
Mou-kong ff @ ^ ; le roi aurait alors répondu: Je comprends que \ous désiriez
rentrer dans votre patrie! Tch'ong-eul et son compagnon se seraient mis à genoux
pour le remercier, et lui auraient dit : .Nous, vos humbles serviteurs, nous attendons
le secours de votre Majesté comme les plantes attendent la pluie en temps de séche-
resse. (Pour l'ode Chou-miao, voir: Zuttoli, III. ]> ziç. n. ~j — Couvreur. \i.
398, n. 3).
66
HOAI-KONG (636)
£
Le prince Yu || a reçu le nom historique Hoai 'I'jï, qui si-
gnifie humain, bienfaisant, mais mort jeune (1). En effet, il n'at-
teignit pas même trente ans. Quant à sa vertu d'humanité, de
bonté, nous savons ce qu'il faut en penser ; l'exécution du véné-
rable et loyal Hou Tou ^ ^ nous a amplement renseignés.
A la 1'' lune de 636, (novembre , l'armée de Ts'in frétait
en marche, conduisant Tch'ong-eul à sa capitale. Ici les historiens
placent un trait typique, vrai ou faux, pour montrer à quel degré
de vertu étaient parvenus les lettrés, compagnons du prince. On
était donc arrivé sur la rive du Feuve Jaune; le seigneur Tse-fan
~~P ^E prit sa tablette de jade, et la tendit à Tch'ong-eul, en di-
sant : moi, votre humble serviteur, j'ai été enchaîné à votre sort,
pendant vos pérégrinations ; j'en ai conscience, et votre Majesté
encore davantage : maintenant que tout est en bonne voie, permet-
tez-moi de me retirer.
Tch'ong-eul attendri par une telle humilité, répondit: Mon
oncle maternel, je vous jure que je serai toujours avec vous un
seul cœur et une seule àme ; s'il en était jamais autrement, que
l'Esprit protecteur de ce fleuve me punisse ! En même temps, il
jetait la tablette dans l'eau, en guise d'offrande.
Après avoir traversé le fleuve, on prit, sans grands efforts,
les villes de Ling-hou fo $&• Sang-ts'iuen ^ ?& et Kieou-tch'oei
fjj \X. - • clui s'empressèrent de se rendre. A la nouvelle de ces
défections, le jeune prince ne se crut plus en sûreté dans sa ca-
pitale : il s'enfuit à Kao-liang fâ |J£ (3): tandis que les seigneurs
Liu-cheng g $|j et K'iJoei Je |%, ses partisans, conduisaient une
armée à la rencontre de l'ennemi; le 6-me jour de la 2*L,:- lune
(1) Texte de l'interprétation § t 1 if S 1 (Souo-ing 'M !>1 vol. i. p. 8).
2 Ling-hou était à 15 li a l'ouest de I-che hien $§ Jï; I? qui est à 120 li
nord-est de sa préfecture P'ou-tcheou fou 'Xi M AÎ- Chan-si. 'Petite géogr., vol.
S. p. ji — (Grande, vol. ji. t,.
Sang :.nt a 1 :î li nord-est de Lin-tsin hien ë£ |~? tî- qui est a 90
li nord-est de la même- préfecture. (Grande géogr., vol. 41 p. 21.1.
Kieou-ts'oei était au nord-ouest de /liai tcheou ~'l -}\\. Chan-si. L'était le fief
gneur Kieou-ki ['-; ^. Petite géogr., vol 8. p, 41} — (Grande, vol. .;/. p. 28).
Kao-liang c'est P'ing-yang fou T- I'" l$f, Chan-si. comme nous l'avons
déjà dit: c'est-à-dire à 37 li nord-est de cette préfecture (année B51
DO ROYAUME DE TSIN. HOÀI-KONG. o7
28 \'"'c; elle campait à Liu-lieou hjf ty\\ 1 : mais elle ne désirait
guère en venir aux mains ; car elle-même souhaitait l'avènement
de Tch'ong-eul.
Informé de ces dispositions. Mou-kong %•%. 7fc envoya le sei-
gneur Kong-t<e-tche fè -^ f$ parlementer avec les officiers; ceux-ci
furent bientôt persuadés: l'armée se retira donc, et alla camper
à Siuu f)p 2 , en signe qu'elle reconnaissait Tch'ong-eul comme
son souverain.
Le 13 ' jour de la 2::'"' lune, le seigneur Hou Yen |5\ [g avec
les officiers de Ts'in ^ et ceux de T<in ^. faisaient un traité de
paix solennel, à Si Lin.
Le 14ème jour de la même lune, Tch'ong-eul se rendait au
même lieu, pour recevoir les hommages de l'armée de Tsin ff.
Le 16 '"'•'' jour, Mou-kong fê 2) reprenait le chemin de sa
capitale; puisque son rôle était suffisamment rempli.
Le IX " jour, Tch'oag-eul se présentait au temple de ses
ancêtres, à K'iu-ou hi'y ^ et, le lendemain, dans le temple de
Ou-kong ït£ ;-','• i' recevait les hommages de tous les grands digni-
taires et seigneurs (3).
Le 20'M"' jour, il faisait mettre à mort Hoai-kong f§| &,et se
trouvait ainsi seul maître du pouvoir. Il avait alors soixante-deux
ans, et avait subi dix-neuf années d'exil.
Les seigneurs Liu Cheng ^ £J) et K'iJoei /jjp jSj, ministres
de Hoai-kong, craignaient des représailles, de la part de Tch'ong-
eul, qu'ils savaient intelligent et énergique: ils résolurent de met-
tre le feu au palais, et de massacrer le prince pendant l'incendie.
L'eunuque Pi |f£ avant eu connaissance du complot, demanda
une audience à Tch'ong-eul, pour le lui révéler. Celui-ci la lui
refusa: il lui fit dire : avez- vous oublié ce que vous avez tenté-
contre moi, à P'ou fff "? vous étiez si pressé de me massacrer, que
vous devanciez d'un jour mon exécution ! Ensuite, quand j'étais
chez les Tartares Ti %fc, à la chasse sur les bords de la rivière
Wei \f] \ , vous avez renouvelé votre attentat, et vous devanciez
(1) Liu-licou était au nord-ouest de l-che hien 3nS J-n !?.f- dit le commentaire
impérial.
2 Siun était à 1 •"> li nord-est de Lin-tsin hien. Petite géogr., vol. S, p.
— Grande, vol. 41. }>.ii. .
(3) Ces deux temples se trouvaient dans la ville actuelle de Wen-hi hien (?"|
M &£• q111 esl à 70 li au sud de Kiang tcheou £"£ >W. Chan-si. (Chan-ai tong-tche
Ul ffi M &, vol. SS P, s)-
1 \'ous connaissons le fameux fleuve Wei ffî. dans le Chensi [Î4J jv. Petite
géogr., vol. 13 p. g). Est-ce de lui qu'il s'agit ' \1 . -. 1 1rs, - rartares Ti \h
n'habitaient pas le sud de cette province : Tch'ong-eul était peut-être, à ce moment,
en visite à la cour de Ts'in ^. suivant quelque chasse, donnée en l'honneur d'un
illusd _<■ Serait-ce une autre rivière du même nom .'
68 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
encore d'un jour mon exécution. Si vous vous croyiez obligé d'obéir
aux ordres de mon père, était-il nécessaire d'y mettre un tel a-
charnement? J'ai un souvenir de votre tidélité sur la manche de
mon vêtement; je ne l'oublierai pas de si tôt! Allez-vous-en; et
n'espérez pas une audience de moi !
L'eunuque répondit : Je croyais que sur le trône le prince
oublierait les injures reçues dans la vie privée ; s'il agit autrement,
il lui arrivera malheur. Dans ce qu'il me reproche, j'ai suivi le prin-
cipe «n'attends pas que le roi commande deux fois». Je voulais,
à tout prix, détourner la révolution qui menaçait notre pays;
peu m'importait, de qui ou de quoi il était question ; j'agis de
même aujourd'hui envers le prince. Croit-il que sur le trône il
n'aura plus de dangers? Hoan-hong |b 5^, roi de Ts'i j§, n'a-t-il
pas dû soutenir une guerre contre Koan Tchong jÊr frfi ? n'a-t-il
pas été frappé par lui, d'une flèche, à l'agrafe de sa ceinture?
Malgré cela, il prit pour premier ministre cet ennemi acharné ; et
il n'eut pas à s'en repentir. Si Tch'ong-eul veut agir autrement,
il n'était pas nécessaire de m'envoyer un ordre de partir ; je sor-
tirais moi-même du pays; et je serais en bonne compagnie; et
beaucoup de gens feraient de même. Je ne suis qu'un avorton ;
pourtant, j'étais venu pour une affaire de grande importance; si
le prince ne veut pas m'entendre, il s'en repentira trop tard.
Tch'ong-eul fut étonné de cette insistance; il soupçonna quel-
que complot, et finit par accorder l'audience demandée; mis au
courant de la conspiration, il s'enfuit secrètement, et alla rejoindre
Mou-kong ^ 5V à Wang-tch'eng 5 A$ (!)•
Dans la nuit du dernier jour de la 2euie lune, le feu était mis au
palais: les conjurés n'y trouvant pas le prince, prirent la fuite, et
parvinrent jusqu'au bord du Fleuve Jaune. Mou-kong n'était pas
loin de là; il sut si bien les amadouer, qu'ils se rendirent auprès de
lui ; il les fit aussitôt mettre à mort.
Voici encore un trait qui a rapport à cette même époque :
Lorsque Tch'ong-eul prenait la fuite, son trésorier, nommé T'eou-siu
yjf ;ff, ne l'avait pas accompagné; plus tard, il crut devoir s'enfuir
aussi avec le trésor, dans la crainte que Hoei-hong A ^V ne s'en
emparât ; en serviteur tidèle, il l'employa tout entier à acheter
des amis à son maître exilé, à préparer son retour.
Quand Tch'ong-eul rut sur le trône, le trésorier demanda une
audience, pour rendre ses comptes; le prince lui fit répondre qu'il
se lavait la chevelure et ne pouvait le recevoir. — Celui qui lave
sa chevelure, repartit T'eou-siu, a le cœur retourné, et penché vers
la terre pour cette besogne; un cœur ainsi renversé n'est capable
ni d'idées, ni de plans quelconques; vraiment, oui, l'excuse est
(1) Wang-tch'eng étai( a :tu pas de Tchao-i hien $J & $Pi M11' ('*l ;i 30 li à
l'est de T' ong-tcheou fou pj ■)]] >ft', sa préfecture, Chen si. (Grande <jr<>tjr., vol. 54,
p. 21) —(Voyez ù lu fin l'année 645).
DU ROYAUME DE TSIN. HOAI-KONG. 69
bonne ! Ceux qui sont restés, ont pris soin de la patrie ; ceux qui ont
suivi le prince, on±# eu soin de lui et de ses chevaux, dans ses pé-
régrinations; tous ont également bien mérité de lui; comment
peut-on mépriser ou déprécier ceux qui sont restés au pavs ? Si,
sur le trône, le prince cherche querelle à un particulier comme
moi, bien des gens auront peur de sa tyrannie.
Ces paroles ayant été rapportées à Tch'ong-eul, il se hâta
d'accorder l'audience demandée (1).
Ces faits sont racontés, pour prouver que Tch'ong-eul avait
un cœur large et généreux ; qu'il oubliait les offenses reçues étant
simple particulier; qu'ainsi il sut se concilier tout le monde, mê-
me les partisans convaincus de l'ancien régime (2).
(1) Ce trésorier est aussi appelé /.;' Fou-siu M '•£ M- On raconte encore nue
historiette à ce sujet; nous la plaçons sous les veux du lecteur: Tch'onç-eul, ainsi
privé de son trésor, se trouvait dans h- pays de Ts'ao @, comme nous l'avons dit ; là.
manquant de vivres, il fut réduit à une telle faiblesse, qu'il ne pouvait continue]- le
voyage. Alors un de ses compagnons montra envers lui le dévouement héroïque
d'un (ils pieux envers un père tendrement aimé ; il se coupa un morceau de la cuis-
se, le Ht rôtir, et t'offrit au prince, qui fut aussitôt réconforté et sauvé. C'est en
effet, un mets délicat et un remède souverain !
Vous trouverez ce trait de vertu héroïque, à tout bout de chemin, dans la
littérature chinoise ; car on y est persuadé de l'efficacité de la chair humaine, pour
nourrir les vieux parents, et guérir leurs maladies; effet obtenu surtout par la
consolation du cœur, en voyant le dévouement d'un fils ou d'une fille, poussé jus
qu'à ce degré.
Tout cela est bien beau, dans les livres; la pratique a dû et doit encore en
être forte rare! .Ne jurons cependant pas que jamais aucun fou n'aura été tenté de
réaliser cet idéal de vertu, tant prôné par les lettrés.
(2) Avant de raconter le règne de Tch'ong-eul, remarquons une incohérence
bien grave dans sa conduite. .Nous l'avons vu renoncer au trône quand on le lui
offrait, après la mort de son père et le suicide de son frère Chen-cheng ; après
l'assassinat de son autre frère lli-tsi, forfait auquel il n'avait aucune part, Avant
bénévolement laissé la couronne à son frère I-ou (Hoei-kong), le voici maintenant
qui revendique, à main armée, des droits auxquels il avait renoncé; el qui assas-
sine son neveu (Hoai-kong) après l'après l'avoir détrôné. Sa gloire ultérieure ne
lavera jamais cette tache de sang.
70
W EN -KONG a.36-628>
Wen-hong <•>' ^ est le nom historique donné à Tch'ong-eul
jg ;jf ; il signifié compatissant, bienfaisant, vrai père du peuple.
Tout les historiens du pays en font un prince modèle : ils le pla-
cent parmi les plus grands rois de la Chine ; il vit encore parmi
les légendes les plus populaires de nos jours (1).
Quant à la chronologie, elle laisse bien à désirer; nous sui-
vrons les auteurs les mieux informés et les plus autorisés.
Observons d'abord que Wen-kong commença à gouverner
dès la 2èn,p Inné de 636 : son règne est cependant daté de 635.
Car, selon l'usage, l'année est nommée d'après celui qui occupe le
trône à la lère lune.
En 636, Wen-kong se voyant solidement établi sur son trône,
alla lui-même chercher son épouse, la princesse Ing Jp[, fille du roi
Mou-konq 7$- Q de Ts'in || ; avec elle, il ramenait quatre femmes
principales, de la même cour, et soixante-dix concubines ou fem-
mes secondaires.
Pour plus de sûreté, Mou-kong lui donna une garde person-
nelle de trois mille hommes ; l'incendie du palais faisait craindre
qu'il n'y eût encore, parmi les seigneurs, des germes de révolu-
tion.
Dés le début de son règne, 'Wen-kong s'appliqua de toutes
ses forces à rétablir l'ordre, du haut en bas de l'administration ;
en homme expérimenté, qui avait vu tant d'affaires, il sut trouver
une solution plausible à tous les cas.
Il donna les emplois, à chacun, selon ses talents et ses mé-
rites ; il fit cesse]' les justes réclamations, présentées en vain à ses
prédécesseurs; il allégea les impôts et les corvées; accorda des
amnisties, e1 lit de larges distributions au peuple; secourut efli-
cacemenl les malheureux sans appui ; chercha les génies cachés,
parmi les pauvres lettrés, et leur donna des dignités proportionnées
à leurs hauts talents; diminua les droits de douane afin qu'hom-
mes et marchandises pussent plus facilement arriver au pays de
Tsin ; lit bonne police sur les chemins, pour la sécurité des voya-
geurs el des marchands.
Bref, il poussa tout le monde a une grande activité, chacun
dans sa sphère: il savait que l'activité et l'économie sont deux
sources inépuisables de la richesse d'un peuple. S'il voulait que
i i i, , hinois de l'interprétation JSIf R II £
DU ROYAUME DE TSIN. WEN-KONG. 71
chacun eût de bons instruments pour son travail, il voulait aussi
que chacun donnât de bons exemples de vertu dans son office.
Bientôt le niveau moral dti peuple parvint à un degré inconnu
jusqu'alors.
Parmi les familles nobles, il en choisit onze, des plus consi-
dérables et des mieux méritantes: il les fit venir à la cour, pour
l'aider dans l'administration du pays. Ce sont les familles Siu ;pj,
Tsi ff , Hou jflft, Ki &, Loan £f£, K'i §p. Pé #j. Sien ^. Yang-ché
^ ~Ë,T'owj H et H an $$..
Les membres de sa famille Ki #[£ ne furent pas oubliés dans
cette distribution de dignités; pourvu qu'ils eussent les talents et
la vertu nécessaires: il leur assigna surtout des emplois dans l'in-
térieur du palais; pour les charges en dehors de la cour, il préféra
des gens des autres familles. 11 fixa d'une manière équitable les
revenus de chaque dignitaire, pour empêcher les exactions si fré-
quentes auparavant.
Enfin, pour tout dire en un mot. c'était l'âge d'or revenu sur
terre; les lettrés en ont fait les amplifications les plus onctueuses;
le recueil intitulé Kouo-yu m f^ en a plusieurs spécimen-, au
volume dixième.
Wen-kong eut encore la prudence d'envoyer une ambassade
solennelle à l'empereur, lui demander l'investiture officielle, abso-
lument selon les anciens usages. Touché de cette déférence, l'em-
pereur députa les grands ministres Hou f& et Hing SQ.; ceux-ci
furent comblés d'honneurs et de cadeaux: on fit de grandes ré-
jouissances, ou chacun rivalisait de zèle et d'humilité: plusieurs
prophètes annoncèrent les gloires futures réservées par le ciel au
souverain son protégé. C'était le triomphe de la vertu et de la
littérature, deux choses qui font les grands rois et les peuples
heureux, comme on peut le voir dans le Kouo-yu.
Le chef des Tartares Ti î'/(, voyant que Wen-kong était soli-
dement établi sur le trône, lui envoya sa femme Ki-koei 3g [>$} :
celle à qui Tch'opg-eul avait dit de l'attendre vingt-cinq ans. avant
de se remarier: en même temps, le chef demandait ce qu'il fallait
faire des deux fils, Pé-tiao \fa ji|| et Chou-lieou ,J^ %\\ que cette
princesse avait mis au monde, avant le départ de Tch'ong-eul;
évidemment, ils vinrent rejoindre leur mère.
Nous n'avons pas encore dit que Wen-kong avait marié une
de ses propres filles à son compagnon et ami. le seigneur Tchao
Tch'oei |g ^; cette princesse Tchao Ki t[j[j§| lui avait donne trois
fils, T'ong [ri] seigneur de Yuen ^. Kouo Ifê seigneur de Ping
fff . et Ing H seigneur de Leou $>..
Cette princesse, modèle d'abnégation, sachant que son mari
avait eu pour femme la princesse tartare Chou-hoei fy fîfr i
celui-ci d'aller lui-même la chercher, et d'amener en même temps
son fils Toen /§". Le seigneur ne s'en souciait guère, et remettait
toujours à plus tard. La vertueuse princesse insistait : si dans
72 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
votre fortune actuelle, lui disait-elle, vous oubliez les amis qui
vous ont secouru dans la détresse, comment aurez-vous ensuite des
serviteurs et des amis fidèles?
Vaincu par de si sages conseils. Tchao Tch'oei finit par s'exé-
cuter. La vertueuse princesse poussa l'humilité jusqu'à céder son
titre d'épouse légitime, en faveur de laTartare; et se contenta du
titre du rang secondaire: de plus. remarquant les belles qualités du
jeune seigneur Toen /jf". elle pria Wen-kong de le déclarer fils
héritier et chef de la famille Tchao gf; laissant ainsi ses propres
enfants au second rang. Bel exemple d'une épouse, qui veut avant
tout le bien commun de la famille, non son avantage personnel !
Tout cela est aussi raconté à l'honneur de "Wen-kong, qui
sut inspirer à ses enfants l'amour de la vertu: comme lui. ils
furent sans orgueil, sans jalousie, ni aucun autre vice.
Voici encore un trait rapporté avec plaisir par le historiens :
Kiai-tse Tch'oei j\- £. fffi est 1° nom de ce dévoué serviteur, qui
avait sacrifié un morceau de sa cuisse, pour réconforter Tch'ong-
eul, comme nous l'avons dit plus haut. Arrivé au pouvoir. "Wen-
kong avait oublié ce fidèle compagnon: il ne lui avait donné au-
cune dignité: et celui-ci ne s'en était point irrité; il n'avait pas
fait valoir ses anciens services, et vivait ignoré de la cour.
11 s'était fait les réflexions philosophiques suivantes : Hien-
hong JHfc fè a eu neuf fils ; tous sont morts, excepté Tch'ong-eul :
les deux derniers princes Hoei ^ et Hoai '"' n'ont su s'attacher
personne : ni les voisins ne les aimaient: cependant le ciel ne semble
pas encore avoir rejeté le pays de Tsin ; certainement il a choisi
Tch'ong-eul pour continuer les sacrifices aux ancêtres: sinon, quel
autre prince meilleur aurait-il? Que veulent donc tous ces mes-
sieurs, qui prétendent que Tch'ong-eul doit le trône à leur sages-
se et à leur dévouement"? (juelle folie ! Qui s'arroge le bien d'autrui
est un voleur: à plus forte raison. celui qui s'arroge les bienfaits du
ciel ! ces messieurs colorent leur crime, et le prince récompense
un tel forfait; ils sont aveuglés de part et d'autre. Non, je ne
puis vivre avec de pareilles gens!
Sa mère lui disait : Pourquoi n'allez-vous pas faire valoir vos an-
ciens services? De qui vous plaindre. si vous mourez dans l'obscurité?
Il lui répondait: moi qui proclame la faute des autres, j'en
commettrais une plus grande, si j'allais les imiter: j'ai déjà ma-
nifesté mon indignation contre eux, et j'irais encore manger leur
riz ! jamais '.
La mère insistait: du moins, laites en sorte que le prince
soit averti de son oubli! Qu'en pensez-vous?
F, es paroles, répliquait-il, sont l'ornement de la personne :
or, au moment <>i\ je vais cacher mon existence dans la plus pro-
fonde retraite, j'irais faire parade de vertu et quêter des applau-
dissements ?
La mère vaincue et atendrie s'écria : puisque vous êtes élevé
DU ROYAUME DE TSIN. WEN-KONG. 73
à un tel degré de sagesse, permettez-moi de m'cnsevelir avec
vous, dans le plus grand oubli de ce monde! C'est ainsi qu'ils
moururent tous deux dans une profonde solitude.
Mais comment accepter que Wen-kong eût complètement
oublié un tel serviteur? lui le prince modèle! Aussi, dit-on qu'il
se rappela dans la suite ce dévouement si généreux ; il fit recher-
cher Kiai-tse Tch'oei fr £ ^ pour le récompenser dignement;
c'était trop tard, ce sage était mort. Wen-kong lui fit élever un
temple, à Mien-chang jjjjfî J^ (.1) lieu de sa retraite solitaire; il
ordonna d'employer les revenus de ce territoire pour les sacrifices
perpétuels dûs à ce «saint». Ainsi, ajoutait Wen-kong, je rappelle
ma négligence aux âges futurs, et j'immortalise le souvenir d'un
homme probe.
Se-ma Ts'ien ffj ,|| j|| trouva que ce récit n'était pas encore assez
littéraire; il y ajouta un coup de pinceau : Kiai-tse Tch'oei, dit-il,
avait dans sa retraite un domestique vertueux; celui-ci gémissait
de voir un si bon maître ainsi abandonné; il attacha à la porte
du palais de Wen-kong l'affiche suivante : "Le dragon voulant
monter au -ciel, employa le secours de cinq serpents; maintenant
le dragon est arrivé jusqu'aux nues; quatre serpents ont aussi
trouvé leur demeure; le cinquième, hélas, gît dans la solitude;
lui seul n'a pas encore trouvé sa place!» Wen-kong ayant lu cette
affiche, s'écria: c'est de Kiai-tse Tch'oei qu'il s'agit! hélas, j'étais
si préoccupé des troubles de la cour impériale, que j'ai oublié ce
fidèle compagnon! Sur ce, il se mit à sa recherche, comme nous
venons de le raconter.
Les Romains eurent leurs «Stoïques», mourant fièrement
dans les plis de leur toge; ici, le genre est un peu différent; mais
c'est toujours de la vertu "païenne"; cette abnégation frôle de près
le mépris des autres hommes, et l'indignation de s'en voir mécon-
nu. Mais ne demandons pas à ces pauvres païens plus qu'ils ne
peuvent.
Voici encore un autre trait, raconté par ce même Se-ma Ts'ien :
Un petit officier, nommé Hou Chou f§ 7$, avait accompagné
Tch'ong-eul, et lui avait rendu bien des services dans ses pérégri-
nations; lui aussi avait été -oublié dans la distribution des récom-
penses; il en fit la remarque à Wen-kong: Votre Majesté a déjà
fait trois distributions, et je n'ai encore rien reçu; m'est-il permis
d'en demander la raison?
Le prince répondit en sage et en lettré, ce qui est toul un :
Quiconque me dirige dans la pratique de la justice et de l'huma-
(1) Mien-chang. Cette montagne est à 25 li sud-est de Kicti-hieuu hien :fr(fc!£,
qui est a 70 li sud-est de Fen-tcheou fou f,) H\ K' ■ sa préfecture, Chan-si. La
montagne et la ville ont reçu le nom du personnage. (Petite géogr., vol. 8, p. 10
— Grande, cul. 42. \>. 71 — (han-si tong-tche. ool. 56, i>. a? ■
1 I
74 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
nité ; quiconque veille à ma vertu, à l'affection que je dois à mon
peuple, celui-là reçoit la plus grande récompense. — Qniconque
m'a suivi dans l'exil, et m'a aidé à monter sur le trône, vient en
second lieu. — Quiconque, dans la bataille, s'est exposé pour moi
aux llèches et aux pierres, a sué comme un cheval, vient en troi-
sième lieu. — Car celui qui n'a dépensé pour moi que des forces
corporelles, sans m'accorder le bienfait de la correction fraternelle,
celui-là n'a droit qu'à une récompense inférieure. — Après ces
trois classes, viendra votre tour.
Quand cette réponse fut connue dans le pays, elle fit l'admira-
tion et la joie du peuple tout entier. S1 Augustin a raison de dire :
grandiloqua verbâ paganorum ! A ces sentences vertueuses, le petit
officier eût sans doute préféré la gratification d'un poste un peu
plus élevé que le sien !
Nous avons déjà entendu un mot des troubles qui existaient
à la cour impériale; voyons donc ce qu'il en était. Le désordre
avait commencé à la mort de l'empereur Hoei M, en 652, et par
la faute de l'impératrice elle-même. Celle-ci n'avait pu empêcher
son fils aîné, Siang-wang || 3i (651-619), de monter sur le trône;
mais elle aurait voulu y mettre son fils cadet, son favori, le prince
Tai Jfâ; celui-ci échoua dans une première tentative de révolution,
et fut chassé en exil; rappelé en 637, il pervertit l'impératrice, sa
belle-sœur, la princesse Tartare Koei |$|. Siang-wang déclara
cette épouse infidèle déchue de sa dignité. Son amant invita les
Tartares Ti fyi a venger leur princesse; l'empereur s'enfuit au
pays de Tcheng |f|$, et séjourna dans la ville de Fan y (2, (1); le
prince Tai, avec sa concubine, habitait la ville de Wen ^ (2), où
il se déclara empereur.
Dans sa détresse, Siang-wang fit appel aux vassaux ; d'abord
à la cour de Lou ^, qui était censée avoir le monopole de la
doctrine des anciens « saints» ; puis à la cour de Tsin ^ et à celle
de Ts'in Ifî, qui avaient la plus grande force matérielle à leur
service.
Wen-kong s'empressa de répondre à cet appel. Son sage mi-
nistre Hou Yen ^ fg lui dit : Les troupes de Ts'in ^ sont déjà
sur les bords du Fleuve Jaune; si vous désirez devenir le chef des
vassaux, hâtez- vous de secourir l'empereur; vous accomplirez ainsi
un grand acte de justice, à la face de toute la Chine, et vous re-
nouvellerez la belle conduite de votre ancêtre Won-heou ^ (^
(1) Fan était un peu sud de Siang-tch'eng hien (| t$ ||f qui est à 90 ti sud-
ouest de lliu tcheou gf- ^| Ho-nan; la ville actuelle porte le nom de cet empereur.
(Petite géogr., vol. 12. ». jç) — (Grande, vol. 47. p. 45).
2) Wen était à -i0 li au sud de Wen hien }\ ty£, qui est 50 li sud-est de sa
préfecture Hoai-k'ing fuit tS® tfiï. Ho-nan. Petite géogr., vol. iz^p -><j — (Grande,
Vol. 4c. p. Tj).
DU ROYAUME DE TSIN. WEN-KONG. 75
(780-7/it) envers l'empereur P'ing 2p. Ne laissez pas perdre cette
bonne occasion !
Wen-kong trouvait L'entreprise bien risquée; déplus, com-
ment combattre ces Tartares Ti ffi, auxquels il devait tant de
reconnaissance? Il ordonna donc au grand devin Yen fg de con-
sulter les sorts par la tortue. Celui-ci répondit : l'oracle est tout
à fait favorable: c'est le même qu'a obtenu le «saint empereur»
Hoang-ti ji ^J-, à la bataille de Fan-tsriuen êj£ $fc 1 .
C'est trop beau pour moi. répliqua Wen-kong. — Nullement,
repartit le devin; car l'oracle est donné en considération de l'em-
pereur, dont la dynastie, quoique déchue de son antique splendeur.
n'est pas encore rejetée par le ciel.
Consultez les sorts par l'achillée, dit Wen-kong; nous verrons
alors ce qu'il faudra décider. La réponse fut l'hexagramme ta Yeou
^ fâ ou II (2 : le devin l'expliqua ainsi : l'oracle est très favo-
rable; un prince présente ses dons au «fils du ciel»; nous avons
une bataille, une victoire, et l'empereur qui reçoit vos dons: pouvez-
vous demander une réponse plus claire?
Cette fois, Wen-kong fut persuadé ; il se crut même si sûr
du succès, qu'il envoya un message au général de Ts'in ^, lui
conseillant de s'en retourner, vu que lui seul suffirait à réduire
les révoltés.
En 635, à la 3 l:K lune, au jour nommé Kia-tch'en m ^ 2
Janvier;, Wen-kong. qui campait à Yang-fan j§j JJ| 3), envoya
son corps d'armée de droite assiéger la ville de Wen j^, où se
trouvait le frère rebelle; en même temps, il dépêchait le corps de
gauche, au-devant de l'empereur, à Fan \[l.
A la 4èn,e lune, au jour ting-se "J" P^ 15 janvier , l'empereur
était reconduit triomphalement à sa capitale; son frère fait pri-
sonnier était exécuté à Hien-tch'eng (ij| ££ \ .
Le lendemain, Wen-kong avait une entrevue solennelle avec
l'empereur: puis il assistait à un grand festin donné en son hon-
(1) Fan-ts'iuen Cette rivière étail à 1 li à l'est 'I'- l'ancienne ville Tchouo-lou
ffî 8£. or celle-ci se trouvait au sud-ouest de Pao-ngan tcheou fljé ix. ¥à. qui esl a
60 li sud-est de Siuen-hoa fou |[ -ffc JflF, Tche-li. Cette bataille eut lieu avant les
temps historiques; c'est la tradition qui en a conservé le souvenir. Petite géogr.,
vol. 2. p. 6 2 — Grande, vol 77, pp. 23 et 25).
(2) (Zottoli, Ilf. p. SSO
(3) Yang-fan, .'tait a 1 ."> li sud-oues( de Tsi-yuen hien $f $£ M- qui Psl à
To H à l'ouest de sa préfecture Hoai-k'ing fou \%fê.ift. Ho-nan. Cette ville s'appela
plus tard Yang-tch'eng ['■) i$ et encore iCiu-yang [H] FS- Petit,- géogr., vol. u.
p. 2~- — (Grande, vol. 4g. p. 6.
1 Hien-tch'eng, appelée plus tard KH-tch'eng $$}$.■ ''ait a 30 li à l'ouest
de Hoai-k'ing fou. (Géogr., géogr.. vol. ju. p. s ■
76 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
neur, où il y eut des vins doux et force cadeaux, pour augmenter
la joie des convives.
Wen-kong crut l'occasion magnifique, pour demander une fa-
veur ; il désirait avoir un Soei j^, ou galerie couverte, devant son
tombeau. L'empereur refusa, en disant : cet honneur est réservé à
l'empereur, et ne peut être accordé aux vassaux ; l'éclat de notre
dynastie est bien amoindri, sans doute; elle n'est pourtant pas
encore déchue de sa haute dignité. Il ne saurait y avoir deux
empereurs, comme votre Majesté, mon oncle, le sait très bien.
Pour adoucir ce refus, l'empereur, déjà si pauvre et si faible,
se dépouilla des quatre villes Yang-fan \^ |g|, Wen j^, Yuan Jj^
et Ts'oan-mao ^ff ^ (t), et les donna à Wen-kong. C'est depuis
cette acquisition, que l'état de Tsin eut des territoires au sud de
la chaîne de montagnes T'ai-hang-chan fc'ff [\] .C'est aussi l'origine
de la province de Nari-yang ['j (^ (2), dont le nom signifie pays
situé au sud de la montagne et au nord du fleuve.
Malheureusement, les habitants de Yang-fan ne voulaient pas
de leur nouveau maître. Wen-kong dut s'en emparer de vive force.
Il se proposait de mettre à mort les chefs des rebelles; il en fut
dissuadé par la remarque d'un certain habitant nommé Ts'ang-ko
j$l Jj| : «pour soumettre un pays chinois,' dit-il fièrement, il faut
venir avec l'éclat de la vertu; si vous n'avez que les armes, vous
pourrez dompter des sauvages, mais pas nous; quel est celui d'en-
tre nous qui n'est pas parent de l'empereur? et vous voudriez faire
de nous des esclaves?.)
Frappé de ces paroles, Wen-kong désespéra de réduire ces
orgueilleux; il leur permit de se retirer où ils voudraient: pour
lui, il se contenta d'avoir la ville et le territoire; il ne manquerait
pas d'émigrants à y envoyer.
Vers le mois de juin de cette même année 635. les deux ar-
mées de Ts'in ^ et de Tsin faisaient ensemble la guerre à la
petite principauté de Jo %$ (3), qui s'appelait encore Chang-mi
(1) Nous avons indique les deux premières.
Yuen. était à 15 li nord-ouest de Tsi-yuen hien. (Grande géogr., vol. 4c. p.
0 — Chan-si tong-tche, vol. /_?. pp. 1- et 2ji.
rs'oan-mao, était à 27 li nord-ouest de Sieou-ou hien fëgÇff, qui est à 120
li a l'est de sa préfecture Hoai-k'ing fou. (Grande géogr., vol. 4g. pp. 10 et ii>.
(2) Nan-yang. La ville de ce nom était un peu au nord de Sieou-ou hien. Voici
le texte de l'explication du nom Nan-yang : [lj 3L î?| i"! i Jt .
3) Jo. Sa capitale était à 120 li sud-ouest de Nei-hiang hien ptj ^5 f£, qui
est à 19U li nord-ouest de sa prélecture Nan-yang fou'lfâ |«§ ffî, Ho-nan. — Ce
pays s'appela encore Chang-mi [l\i '£. — La riviîre Tan-choei jfy Jlfc est tout près;
d'où cette ville s'appela aussi Tan-choei tch'eng jf ?K i$- — Les habitants émigrè-
rent en plusi 1rs endroits; d'où plusieurs villes reçurent le nom île Jo; l'une d'elles
DU ROYAUME DE TSIN. WEN-KONG. 77
($j $£. Le général de Ts'in |j| joua affreusement les généraux de
Tch'ou j§£. venus au secours de la principauté; il les rit même
prisonniers, comm'e nous l'avons raconté dans l'histoire de ces
deux royaumes. L'armée de Tsin n'eut qu'une faible part à cette
expédition; car l'historien n'en parle plus; quoique les troupes
fussent parties ensemble.
Ves la fin de cette même année, Wen-kong dut assiéger la
ville de Yxœn ffi, une de celles que lui avait cédées l'empereur;
car les habitants ne voulaient pas non plus de leur nouveau maître.
Wen-kong avait ordonné à ses troupes de prendre des vivres pour
trois jours seulement : si la ville ne se rend pas. avait-il ajouté.
nous reviendrons à nos foyers.
Passé les trois jours, on n'avait rien obtenu : les espions af-
firmaient qu'avec un peu de patience on aurait la ville; les chefs
demandaient donc à rester encore quelque temps; mais "Wen-kong
répondit en lettré, à cheval sur les principes : la loyauté est le
bien le plus précieux d'un royaume, l'appui le plus sûr d'un peu-
ple; si en manquant à ma parole j'obtenais la ville, ce serait un
petit gain et une grande perte; qui donc ensuite aurait confiance
en moi ?
Ayant ainsi parlé, il ramena ses troupes à une journée de
distance de la ville. A ce trait, les habitants ayant reconnu un
sage, "qui venait à eux avec l'éclat de la vertu, se rendirent de
bon gré. Voilà du moins ce que dit l'historien. Wen-kong ne se
fiait qu'à moitié à cette bonne volonté de ses nouveaux sujets; il
envoya le gouverneur impérial Pé-koan f£| j£ dans la ville de Ki
^g" ; et le remplaça par son fidèle ami Tchao Te h 'oei ,1jj jf* . De même.
il donna le gouvernement de Wen \^ au seigneur Hou Tcheu ^
;'^§. fils de Hou Mao % ^.
Avant de donner ce poste à Tchao Tch'oei, Wen-kong avait
demandé conseil à son eunuque dévoué Pi fâ son ancien ennemi :
celui-ci avait répondu : quand autrefois vous preniez la fuite, ce
seigneur allait se mettre à table; pour vous suivre aussitôt, il
abandonna son repas, emportant seulement quelque nourriture
liquide dans un vase; c'est donc un homme sobre, et plein d'hu-
manité; sans aucun doute il administrera bien ce pays. Ainsi ce
fidèle seigneur fut établi gouverneur de Yuen.
Nous avons raconté plus haut comment Wen-kong alors
Tch'ong-eul), dans ses pérégrinations, avait été très honorablement
reçu à la cour de Song 9jç ; monté sur le troue, un tel homme ne
pouvait oublier cette marque d'amitié: nous allons voir qu'il vou-
lut se montrer reconnaissant : Siang-hong H £ . prince de S
est à 90 li sud-est de I-tch'en<j hien Swwt dans la préfecture ci S ing /'»«
S !ï» W. Hou-pé. Petite géogr., vol. 12. p. 4.5- coi 21 p.
SI, p. 2 1— vol . I . ]). ici.
78 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
ayant eu des difficultés avec le roi de Tch'ou 5§|, nommé Tch'eng-
wang /$, 3Î (671-626), avait subi une grave défaite à la bataille
de Hong \ijl, en 638, à la lième lune; beaucoup de seigneurs a-
vaient été tués; le prince, blessé à la cuisse, était mort l'année
suivante; son fils et successeur avait signé un traité de paix, ruais
l'animosité régnait entre les deux pays; elle devait éclater un jour
ou l'autre.
Le nouveau prince de Song, voyant son ami Wen-kong de-
venu puissant, se mit sous sa tutelle, et rompit avec le roi de
Tch'ou. C'était en 636. Deux ans plus tard, Tse-yu °f- 3l> premier
ministre de Tch'ou, aidé par Tse-si ^ "g ministre de la guerre,
venait venger cette défection, et mettait le siège devant la ville de
Min %& l, ; on ne dit pas s'il parvint à la prendre.
En 633, vers les mois d'aoùt-septembre, l'armée de Tch'ou
revenait à la charge; cette fois, elle était soutenue parles troupes
de Tch'en ^, de Ts'zi ^, de Tcheng gfl et de Hiu =^ ; elle
assiégeait la capitale même. Dans cette détresse, le prince Kou [g ;
de la famille régnante, fut député à la cour de Tsin, demander du
secours.
Le seigneur Sien Tchen $q %%, homme de confiance de Wen-
kong, fut d'un avis favorable à cette expédition : vous ferez acte
de reconnaissance, dit-il; vous secourrez des amis en danger; vous
augmenterez en renommée; vous disposerez les vassaux à vous
accepter comme leur chef; n'est-ce pas une belle occasion'.'
Le seigneur Hou Yen $& (g, fin diplomate, poussait aussi
à porter secours, mais d'une autre manière : c'est tout récem-
ment, dit-il, que le roi de Tch'ou @ a pris à sa remorque le
pays de Ts'ao igj, et qu'il a fait un mariage à la cour de Wei ffj ;
si donc nous attaquions ces deux principautés, il accourrait cer-
tainement à leur secours; il abandonnerait le siège de Song; et
même il quitterait la ville de Kou Hc (2), dans le royaume de Ts'i
^; ne serait-ce pas un bon stratagème?
D'après ces conseils, Wen-kong fit exécuter des manœuvres
et des exercices militaires, au printemps suivant, dans la plaine
de Pi-liu f£ J|£ (3) ; car, dans le pays de Tsin, c'est au printemps
qu'on réglait tout; on publiait les lois et décrets; on nommait le
généralissime, etc ; on tenait à bien commencer l'année. A cette
occasion, Wen-kong inaugura un troisième corps d'armée; mais
il ne paraît pas en avoir demandé l'autorisation à l'empereur.
(1) Min était à 20 li nord-est de Kin-hiany hien ^ H? %. qui est à 90 li
sud-csi 'I'' Tsi-ning tcheou ffî ^ ;!'. Chan-tong. 'Petite géogr., vol. 10. p. 38).
1 Kou, 3l Tong-ngo hien M M M- à 210 li nord-ouest di ecture
T'ai-ngan fou ^ '/<;- tff . dans le Chan-tong, Petite géogr., vol. 10. p. 38 . Depuis
deux ans cette ville était au pouvoir de Tch'ou.
3 Pi-liu, dans le pa3rs de Tsin. mais on ignore à quel endroit.
DU ROYAUME DE TSIN. WEX-KOWG. 79
Dans le conseil tenu pour choisir le généralissime, Tchao
Tch'oei £jï J»? dit à Wen-kong : il faut nommer K'illou '$] |fr ;
car votre serviteur l'a souvent entendu développer ses principes;
c'est un homme qui met sa joie dans les rites et la musique; il
possède à fond le livre des Vers [Che-kiDg f,^ f$ et celui des An-
nales Chou-king "j* jfgf ; or, dans ces deux classiques, se trouve le
dépôt sacré des principes de justice; les rites et la musique nous
donnent les exemples et les règles de la vertu; la justice et la vertu
constituent le fondement de tous les avantages qu'on peut et veut
remporter. Les annales de la dynastie Hia J| nous disent : -les
paroles d'un individu manifestent les intentions de son cœur; pour
connaître sa valeur, examinez ses actions". Que votre Majesté
veuille donc essayer cet homme ! (1)
K'iHou £[$ |£ avait sans doute, pour ce poste, d'autres qua-
lités plus guerrières que celles dont lui fait honneur ce lettré; il
fut ainsi établi généralissime, avec K'i Tchen ffi :,|| pour second.
Wen-kong voulait nommer Hou Yen $& flg général du 2ème corps
d'armée; celui-ci refusa, par humilité, et proposa son frère aîné
Hou Mao ^ ^ comme plus capable, et se contenta d'être son
second. 'Wen-kong voulait encore nommer Tchao Tch'oei )'ff 5p£
comme général du 3ime corps; celui-ci refusa de môme, par humi-
lité, et proposa les seigneurs LoanTche |f§ |£ et SienTchen ^ ijijï,
comme plus capables; celui-là fut donc déclaré général, celui-ci
son second. Comme tous ces combats d'humilité sont glorieux,
s'ils sont vrais! En tout cas, c'est le seigneur Si un Lin-fou j^j \J[\
4£ qui fut conducteur du char royal, et Wei Tch'eou |!| *$t le
lancier.
Avant de nous raconter la campagne, les lettrés-historiens
nous montrent avec quelle haute sagesse le prince y avait préparé
ses gens; ce qui précède nous en donne déjà une idée: Quand
donc Wen-kong fut monté sur le trône, il instruisit son peuple
pendant deux années; après quoi, il pensait l'emmener en guerre.
Notre philosophe Hou Yen jfjft f[f (ou Tse-fan -^ fâ lui ht obser-
ver : le peuple n'entend encore rien en fait de justice; il n'csi donc
pas disposé à se sacrifier pour elle; en paix, il ne se tiendra pas
tranquille; dans la bataille, il prendra facilement la fuite.
Persuadé par ces paroles, Wen-kong se contenta de conduire
son armée rétablir l'ordre à la cour impériale, en 635, chose plus
légère, plus facile à accomplir. Ensuite il s'appliqua à procurer le
bien-être de son peuple, afin qu'il s'attachât à la vie, et se réjouit
dans l'abondance.
(I) La Chine ''il est encore là' l n vrai homme de eruerre est tnépi -
supérieurs et ses collègues, s'il ne sait pas ta poésie; on le tiendra dans un rang
inférieur. On enverra comme inspecteur impérial (des forts, des arméi -
dres), un globule routre ou bleu qui ne connaît que son pinc
80 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Ce résultat obtenu, Wen-kong se disposait à entreprendre
quelque grande campagne. Hou Yen l'arrêta encore, en disant :
tant que le peuple n*entend rien en fait de loyauté, et n'a pas une
confiance absolue en son souverain, il n'est pas mûr pour de telles
expéditions.
Sur cette remarque, Wen-kong envoya son armée parader
devant la ville de Yuen J^, pendant trois jours, comme nous l'a-
vons raconté; et lui montra ce fameux exemple de fidélité à sa
parole. Aussi, le peuple fut-il radicalement converti ; à tel point
que, dans ses relations commerciales, il ne cherchait plus de gains
excessifs, et n'avait qu'un prix, qu'une parole.
"Wen-kong dit alors à Hou Yen : maintenant, puis-je me ser-
vir du peuple? — Pas encore, répondit celui-ci; n'entendant rien
aux rites, il n'aura pas la soumission ni le respect nécessaires
envers ses supérieurs. Sur ce, Wen-kong fit de grandes manœu-
vres militaires, pour inculquer à son peuple les rites et l'obéissan-
ce ; il établit dans toute la hiérarchie civile et militaire des chefs
auxquels tout le monde se soumit avec plaisir et promptitude (1).
Après ces longs préparatifs, Wen-kong put conduire ses gens
où il voulait: le succès était infaillible, selon ses conseillers; quel-
ques mois suffiraient pour vaincre les ennemis, délivrer les amis,
et devenir le chef des vassaux.
Dès le début de 632, Wen-kong commença donc la campa-
gne, selon le plan _ de Hou Yen. Pour attaquer la principauté de
TVao i|f, il fallait passer par le territoire de Wei fëj ; la permis-
sion fut relusée, comme on s'y attendait. Wen-kong rebroussa
chemin, se tourna vers le sud, traversa le Fleuve Jaune, au gué
Ki-tsin |$ ^ (2), tomba comme la foudre sur le pays de Ts'uo
î||\ qui n'y songeait nullement: puis se jeta sur celui de "Wei. au
son des cloches et des tambours.
Au 6 l;"' jour de la ll!v lune (16 décembre , on s'emparait de
Ou-lou 3£ JfjËjï (3), cette ville où un grossier paysan avait offert à
Tch'ong-eul une motte de terre en guise de pain ; la prédiction de
Hou Yen se trouvait donc réalisée: le prince de Wei $j devait
commencer à regretter sa double offense envers Wen-kong; il
était trop tard.
1 Voilà de la rhétorique de lettrés: Voila cette sublime doctrine, imiorée du
entier, cachée comme un trésor clans le ventre de ces Messieurs : on rensei-
gne encore de nos jours, comme la source de tous les biens, le remède à tous les
maux.
-' Ki-tsin. I e gué est .m -ml de Wei-hoei fou fëj jÊ| <ft. Ilo-nan. 'Petite
■ vol. 12. p. 22i Grande, vol. ./<;, p. 211.
I Ou-lou, du pays de Wei, 'tait au sud-est de Ta-ming fou jç %, !fâ\ Tche-
li. (Petite géogr., ml. 2. p. j2).
DU ROYAUME DL: TSIN. WEN-KONG. 81
A la 2 ,m lune, mourait KH Hou $J$ ffi , le généralissime dont
nous avons cité l'éfbge un peu plus haut: SienTchen {fc ^ s'était
sans doute révélé maître dans ce peu de temps; car c'est lui qui
reçut le commandement en chef de toute l'armée: SiuTch'en ^ \[\
le remplaça comme aide du général du troisième corps.
Le roi de Ts'i ^f fut si content de Wen-kong, qu'il vint le
remercier à Lien-yu jjj$[ ^ 1), et lui offrir un traité d'alliance et
d'amitié. Le prince de Wei \!t] voulait en faire autant: mais il fut
éconduit, et dut se tourner vers le roi de Tch'ou ^ : mal lui en
prit: désapprouvé par son peuple, et chassé de sa capitale, il se
retira à Siang-nieou 1]£ £]'■ 21: pour comble d'infortune, l'armée
de Tch'OU %&, accourue à son secours, fut mise en pleine déroute.
Le duc de Lou, ^-, ami et protégé de Tch'ou, avait aussi
envoyé des troupes auxiliaires, sous les ordres du seigneur Kong-
tscMai Tfc ^f- jjf , autrement nommé Tse-ts'ong ^ ^ : voyant l'ex-
pédition tourner si mal, ce prince, modèle de la vertu antique,
trouva un bon moyen pour se tirer d'embarras : il mit à mort le
seigneur Kong-tse Mai ; puis il envoya dire à la cour de Tch'ou :
«je l'ai puni pour n'avoir pas secouru efficacement le prince de
Wei $j, et avoir pris la fuite" ; à Wen-kong : "je l'ai puni pour
m'avoir désobéi, et avoir porté secours au pays de Wei». Comme
on le voit, un vrai lettré a toujours quelque ressource vertueuse.
Mais revenons à notre expédition. Au siège de T-<r;m i("/
Wen-kong perdait beaucoup de monde: les habitants prenaient
les cadavres de ses soldats, les coupaient en morceaux, et les ex-
posaient sur les murs de la ville; le prince craignait que son armée
ne fût trop impressionnée par cette vue; mais il fut rassuré quand
il entendit ses soldats s'écrier: allons aux tombeaux! déterrons
les cadavres des ^ens de Ts'ao, et vengeons nos compagnons!
Wen-kong permit ces représailles: quand les habitants virent les
troupes se rendre aux cimetières, ils poussèrent des clameurs, des
cris d'angoisse; ils mirent. dans des cercueils les cadavres de Ts'in,
et les envoyèrent hors des murs, à la portée des assiégeants. Ceux-
ci profitèrent de cette panique, pour donner un assaut plus vigou-
reux; à la 3àme lune, au jour appelé ping-ou \K\ ^f- 17 février
la ville tombait en leur pouvoir.
Wen-kong, énumérant les fautes du prince de Ts'ao, dans
son administration, lui reprochait, entre autres choses, de n'avoir
pas employé Hi Fou-ki \w. i\ $$, un homme de si grand mérite;
li Lien-yUj n'est plus qu'un bourg, nu sud es( il'' K'ai Icheou pf] 'HJ . dans
la même préfecture il" Ta-ming fou. Petite gréoj/r., vol. .», p.'SJ — Grande, ■■ ■ /
16. p. 40).
i'l) Siang-nieou. Nous n'en connaissons pas l'endroit exact. Quelques auteurs
disent que c'est Soei tcheou .'. '!■'. ,1 170 h .1 l'ouest 'I" Koei t fou ":■'; fj£ rPr. Ho-
naii. Grande géogr., vul. jo, p. J S'-
il
82 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
tandis qu'il avait autour de soi plus de trois cents officiers, sans
valeur ni vertu: quant à ceux-ci. Wen-kong leur ordonna de lui
montrer leurs états de service, afin de voir comment ils avaient
obtenu leurs dignités.
Entrant en conquérant dans la ville, Wen-kong avait donné
ordre de respecter lli Fou-ki, sa maison, sa famille, et toute sa
parenté 1 : voulant ainsi montrer sa reconnaissance envers ce
sage ignoré.
Deux officiers, nommés WeiTch'eou ^$L j^ et Tien Kiè jjjfi pj(,
étaient furieux de tant de bienveillance : notre prince, disaient-ils.
néglige nos services, et se montre si généreux envers un inconnu,
auquel il ne doit rien! Sur ce. ils mirent le feu à la maison de
Hi Fou-ki: mais, dans cette besogne, WeiTch'eou reçut une grave
blessure à la poitrine '2 .
Wen-kong était si fâché, qu'il voulait aussitôt mettre à mort
ces deux récalcitrants: toutefois, réfléchissant que WeiTch'eou
pouvait encore lui rendre de grands services, vu ses forces hercu-
léennes, il envoya un officier lui faire de vives réprimandes, et exa-
miner sa blessure: si celle-ci était sans espoir, il fallait le tuer,
en punition de sa désobéissance : si elle pouvait guérir, il devait
le laisser vivre. Wei Tch'eou se présenta, un bandage sur la poi-
trine, et dit à l'envoyé : grâce à la bonté de notre souverain, je ne
puis prétexter mon indisposition, pour me reposer! en même
temps, il sauta trois fois par-dessus un mur. et y ajouta encore
trois grandes gambades; il avait dû se faire violence -, pour exécuter
ces tours de force, malgré sa blessure: mais il avait persuade
l'officier qu'elle n'était pas mortelle, et il avait sauvé sa vie: on
lui retira cependant son poste de lancier sur le char de Wen-kong;
et il fut donne à Tcheou Tche-k'iao ffi £ f|j- officier de Kouo $f
réfugié à la cour de Tsin.
Quant à Tien Kiè fiff ^. il fut mis à mort; et son cadavre
fut suspendu au milieu du camp, pour donner une leçon salutaire
à tous les soldats.
Sur ces entrelaites. Pan ■$£. grand officier de Song -jfc. ve-
nait avertir Wen-kong, que les troupes de Tch'ou ££ n'abandon-
naient point le siège de la capitale: qu'elles s'acharnaient au con-
traire à leur entreprise: et qu'ainsi la position du prince devenait
critique.
Wen-kong reunit son conseil et dit : Si nous abandonnons
le prince de Song, il rompra avec nous, à tout jamais: si nous
I C'est ecl officier qui avait offert à rch'ong eul un magnifique dîner, et une
précieuse tablette <.\r jadi
L'es deux officiers avaient suivi reh'ong cul dans ses pérégrinations; nous
h WeiTch'eou se plaindre de n'avoir pas été récompensé; Wen-kong l'avait
ensuite pris pour lancier, sur son propre char.
DO ROYAUME DE TSIN. WEN-KONG.
exhortons le roi de Tch'ou £ê, il ne retirera pas ses troupi
nous marchons au combat, les gens de Ts'in ^£ et de Ts'i >fâ ne
nous suivront pas. Que faire?
Sien Tchen fa >j'J>. le généralissime, proposa le stratagème
suivant: Que les gens de Song aillent, avec de riches cadeaux,
prier les généraux de Ts'in -^ et de Ts'i >0 de venir à leur se-
cours: ceux-ci. engagés d'honneur, presseront le roi de Tch'ou
de retirer ses troupes: s'il ne le fait pas, ils seront contents de
venir avec nous l'attaquer. De notre coté, saisissons le prince de
rs'ao ^f : donnons son territoire et celui de Wci j£j au pays de
Song. Le roi de Tch'ou en sera furieux: il nous livrera bataille;
c'est ce que nous voulons.
Wen-kong suivit ce conseil, de point en point ; mais les
événements prirent une autre tournure: le roi de Tch'ou ne crut
pas prudent d'engager le combat; il se retira à Chen \\i 1 , ville
de son royaume; de là. il envoya à Chen Chou FJ3 fy l'ordre de
quitter la ville de Kou ^J\ dans le pays de Ts'i 'fè : et à Tsc-yu
~\~ "U- son premier ministre, l'ordre de lever le siège de Song.
Aux objections qu'on lui faisait, il répondit : Wen-kong,
après 19 ans d'exil, a pu monter sur le trône: c'est un homme
rompu à tous les dangers, à toutes les fatigues: rien ne l'arrête
dans la poursuite de son but: il a une telle expérience des hom-
mes, qu'il reconnaît parfaitement les sentiments vrais ou faux de
-><n peuple; le ciel lui a accordé de survivre à ses huit frères; il
lui a aplani toutes les difficultés, l'a placé sur le trône, et l'y
maintient. Il y a des principes militaires qui nous disent: conten-
tïZ-vous d'un moindre succès, sans vouloir pousser les ch tses a
l'extrême: quand la difficulté est trop grande, retirez-vous ;
n'entreprenez pas la lutte avec un homme vertueux, spécialement
protégé du ciel. Ces trois règles conviennent à notre cas.
Le roi de Tch'ou avertissait donc son généralissime et premier
ministre: ne vous obstine/ pas à lutter contre Tsin. Mais Tse-yu
~f- p£ lui envoya le grand seigneur /''; Fen \(\ $]:. avec la réponse
suivante: ce n'est pas que j'ose assurer la victoire: mais je veux
fermer la bouche à mes détracteurs, qui m'accusent de ne pas
savoir conduire une grande armée; que votre Majesté veuille donc
m'envoyer du renfort, et me permettre de livrer bataille.
Le roi était fort mécontent; mais, ne pouvant faire autre-
ment, il lui envoya quelques troupes auxiliaires, à savoir: les
régiments appelés Si Koang jftj }$. les gardes du prince héritier,
et tous les soldats de Jo Ngao 5ft: )//. c'est-à-dire de la famille
I ("h.'ii était à 20 li au nord de Xan-yang fou JrJ F3 fff- Ho-nan ; s.ui terri-
toire avoisinait celui de la forteresse imprenable de Wnng-tch' ci\g ')} 1^: celle-ci
était à 120 li nord-est de la même préfecture Xan-yang fou. Petite géogr.,vol. /.?.
p. 40 et p. 4- .
84 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
même du ministre . qui montaient an chiffre de six cents hom-
mes.
Tsé-yu ^ 3î dépêcha le grand seigneur Yuen Tch'oen '/}ù ^
auprès de Wen-kong, porter le message suivant: Restituez son
pays au prince de Wei f£j, replacez le prince de Ts'ao ~>|/ sur son
trône; alors votre serviteur lèvera le siège des Song ^. C'était
comme un ultimatum.
Wen-kong réunit son conseil. Hou Yen flft j]g ou Tse-fan)
indigné s'écria: Tse-yu est un impudent, qui ne connaît pas les
rites! il veut que votre Majesté se contente d'un seul avantage,
tandis qu'il en remportera deux; profitons de son arrogance pour
lui donner une bonne leçon sur le champ de bataille!
Sien Tchen ^fc %& 'e généralissime, l'apaisa un peu en di-
sant: Ne rejetez pas sa proposition: elle peut procurer la paix à
trois principautés, chose très conforme aux rites ; si nous entrete-
nons le trouble dans ces trois pays, nous serons coupables : de
quel front irons-nous sur les champs de bataille"? Nous préten-
dons sauver le prince de Song. et nous l'aurons perdu. Quelle
honte pour nous devant les vassaux ! Nous aurons ajouté trois
ennemis de plus à ceux que nous avons déjà. Au lieu de forcer
ces trois Etats à se jeter dans les bras de Tch'ou 3^, tachons de
les attacher à notre sort. Le mieux serait donc de replacer les
princes de Ts'ao ^ et de Wei f£f sur leur trône, à condition de
rompre complètement avec le roi de Tch'on : puis, pour pousser
Tse-yu \- J- à quelque manœuvre imprudente, exécutée dans la
colère, retenons chez nous son messager; nous attendrons ensuite
le sort de la bataille pour prendre de nouvelles décisions.
Wen-kong fut enchanté de ce conseil, et l'exécuta aussitôt.
Les princes de Ts'ao et de Wei avant annoncé à Tse-yu qu'ils
rompaient avec lui. il se mit à la poursuite de l'armée de Tsin.
Celle-ci se retira devant lui, selon la promesse faite autrefois par
Tch'ong-eul, alors en exil à la cour de Tch'ou.
Les officiers s'écriaient : c'est une honte! votre Majesté recule
devant un simple particulier! les troupes de Tch'ou, depuis si long-
temps en campagne, sonl épuisées: pourquoi reculer?
Hou Yen #R ffï ou Tse-fan ^f- %\l leur répondit en sage
lettré: ceux qui défendent une cause juste sont forts; ceux qui
défendent une cause injuste sont faibles: peu importe depuis com-
bien de temps ils sont en campagne. < >r, sans le secours du roi
de Tch'ou, notre souverain ne serait jamais monté sur le trône;
c'est en reconnaissance de ce bienfait que nous reculons trois fois,
pour décliner la bataille; autrement, nous donnerions un juste
prétexte de nous attaquer. Si l'armée de Tch'ou se retire, tout est
fini; c'est pour cela que nous étions venus; si elle persiste à nous
poursuivre, et nous force à en venir aux mains, le tort sera de
son coté.
Dt ROYAUME r>K TSIN. WKN-KONG. 85
De fait. les soldats de Tch'ou demandaient à s'en retourner;
Tse-yu -J*- 31 sv refusa: il voulait à tout prix livrer combat.
Ainsi donc, eû*632, à la 4e1'"' lune, au jour appelé Ou-tch'en
/£ J!rt ' 1 Mars . les troupes de Tsin et de Song, les troupes de
Ts'i fs\ commandées par Kouo Koei-fou \^J\ jfjp ^C et Ts'oei Yao
V\\ ~fc, les troupes de Ts'in %g commandées par Siao-tse-ning /}\
^p &*, fils du roi Mou-hong ^ £ . étaient campées à Tch'eng-
p'ou jjfc -Jpvt t . attendant la bataille: l'armée de Tch'ou était ados-
sée à la colline Ili '■'/, 2 . ce qui lui donnait un avantage consi-
dérable sur ses adversaires.
Wen-kong avait remarqué ce détail: il en était fort inquiet
pour ses troupes : mais il fut rassuré quand il les entendit chanter
le refrain suivant : le plateau est un verdoyant pâturage; oublions
le passé; ne pensons qu'aux avantages présents!
Quel en était le sens? Wen-kong ne le saisissait pas. Hou
Yen le lui expliqua, en disant : Si nous sommes vainqueurs, les
vassaux sont à nous: vaincus, nous n'avons rien à craindre, notre
pays étant comme un plateau, protégé par des fleuves et des mon-
tagnes.
Cependant, disait Wen-kong, le roi de Tch'ou est mon bien-
faiteur! puis-je l'oublier? comment livrer bataille à sou armée?
Le seigneur Loan Tche ^ ;££ ou Loan Tclien^-tse r£é \J{ ^f-
lui répondit : Ne savez-vous pas que le roi de Tch'ou a anéanti
toutes les principautés de votre famille Ki #|i;î. situées au nord du
fleuve //■•"' '!•'£'.' vous gardez souvenir d'un mince bienfait, et vous
oubliez une grande injure. N'hésitons pas: engageons le combat!
Wen-kong restait perplexe; il avait fait un mauvais rêve : en
songe, il avait lutté avec le roi de Tch'ou ; celui-ci l'avait renversé
à terre, et lui mangeait la cervelle: n'était-ce pas wn mauvais
augure?
Nullement! répondit Hou Yen; c'est au contraire un heureux
présage. Vous aviez la face tournée vers le ciel: le roi. vers la
terre : et il était à genoux, comme pour demander pardon, et re-
connaître son tort. 11 vous rongeait la cervelle: cela indique clai-
rement qu'il abuse de votre bonté; il faut donc en finir avec lui!
(1) P'ou,Tch'cng-p'ou, Lin P'ow ffë. /!?• lllllt ce'a Pst 'a mémo ville; elle
à 70 li nu sud de P'ow tcheou jfî? fl-(. qui esl à I-'1 li au nord il'' sa préfi /
tcheou fou \'V -Hl fff. Chan-tong. Sou nom lui vient de la rivière P'om ffî, qui coule
à 70 li au sud-ouest 'I.' la sous-préfecture. (Petite géogr., roi. ro.p i . — Grande,
vol. ?■/■ }>■ ri
(2) Ili. Il y a encore nu bourg appelé Ili-hia-tsi de la
colline Ili. an sud de Tong-ngo hien }\i l'«J ff. dans la préfecture de 7
ifc. :sc 1?. Chan-tong. La ville de ICau -£?. auparavanl
Tch'ou. n'était pa> loin de cet endroit, D'ailleurs, il j a des incertitudes sur ces
identifications. (Grande rjéotjr.. vol. jj. j). 20
86 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
D'ailleurs, le combat était inévitable; Tsc-yu ~f JE envoya le
grand seigneur Trou-p'a \n] ty, porter un carte] lu règle: "Allons.
mes seigneurs, efficiers de sa Majesté de Tsin, joutons ensemble!
sa Majesté, appuyée sur la planchette de son char, contemplera la
lutte: moi. de mon coté, j'y fixerai les yeux".
Wen-kong députa le seigneur Loan Tchc Êjfê jfo porter la ré-
ponse : «Moi, hemme de peu de valeur, j'ai entendu vos ordres;
nullement oublieux des bienfaits, j'ai reculé trois jours de suite,
voulant éviter une lutte contre votre illustre roi ; mais, puisque je
n'ai pu trouver grâce devant votre seigneurie, veuillez porter ma
réponse à la connaissance de vos compagnons d'armes : préparez
vos chars, appliquez-vous de toutes vos forces au service de votre
illustre roi: demain matin, nous allons nous rencontrer sur le
champ de bataille».
Wen-kong- avait sept cents chars de guerre: donc cinquante-
deux mille cinq cents hommes: et tout était si bien ordonné qu'il
ne manquait pas une courroie, pas une ficelle. Monté sur la colline
Ycou-sin ;ff ^ 1), il inspecta le défilé de son armée : grands et
petits, s'écria-t-il joyeusement, s'avancent d'après les rites; on
peut attendre quelque chose de pareils soldats! Il avait ordonné à
chacun de se couper une branche d'arbre, pour s'en servir à un
signal convenu.
Le lendemain. 12 Mars, AYen-kong rangeait ses gens en ba-
taille, au nord de cette colline; SiuTcli'en ^ []\, aide du 3ème
corps, devait attaquer les troupes de Tch'en ffi et de Ts'ai f}(, qui
renforçaient l'aile droite de Tch'ou; ce serait le signal du combat.
Tse-yu -]'- 3E< au centre de ses troupes, entouré des gens de
Jo~ngao z^j |j£, ses parents, s'écria triomphalement : Aujourd'hui,
c'est le dernier jour de Tsin! Le seigneur Tse-si ^f- "jïïij comman-
dait l'aile gauche, et Teou-p'o \1^ ïjjj l'aile droite.
Siu Tch'en avait affublé de peaux de tigres les chevaux de ses
chars, pour effrayer ceux de Tch'ou: le stratagème réussit à mer-
veille: il s'ensuivit un grand désarroi chez les gens de Tch'en [^
et de Ts'ai f£ : attaqués vigoureusement, ils s'enfuirent à la dé-
bandade, et jetèrent un grand désordre dans l'aile droite de
Tch'ou .
Hou Mao % ^. général du 2'1|U' corps, avait une autre
ruse: il avait tait confectionner deux grands drapeaux de généralis-
sime; pendant la bataille, il commanda une reculade simulée
De son coté, Loan Tche ^ fâ. général du :>'''■" corps, faisait de
même, traînant dans la poussière les branches d'arbre, pour faire
croire que toute l'armée de Tsin était en fuite.
I Veou-sin. Cette colline se trouve a ls li pu nord Ts'ao hien ÇJj ' |Ji, qui est
a Un li sud esl de T8lao-tcheou fou ^ ''il tff. Chan-tong, Petite ge"ogr., vol. i«.
}>. i ;• ' — (Grande, vol. 33. ;>. ?q).
DU ROYAUME DE TSIN. WEN-KONG. 8 7
Les troupes de Tch'ou tombèrent dans le piège; elles se
ruèrent en désordre, à la poursuite des faux fuyards. Le généra-
lissime Sien Tchen ^j \\\'>, et son aide Ki Tch'oen §p :Jfc, n'atten-
daient que ce moment pour foncer sur elles, l'un à droite l'autre
à gauche, et les prendre en liane.
Pendant ce temps, Hou Mao et Loan Tche faisaient volte-face
et se ruaient à leur tour sur leurs imprudents poursuivants; les
deux ailes de Tch'ou, attaquées de deux côtés à la lois, furent
anéanties.
Le centre fut retenu à temps par Tse-yu ; autrement, il se
fût aussi précipité sur les faux fuyards de Tsin, et eut été écharpé :
c'est tout ce qui restait de l'armée de Tch'ou ! le pauvre généra-
lissime n'osa pas reparaître devant son roi ; nous le verrons bien-
tôt se suicider de honte et de désespoir.
En attendant, les troupes victorieuses faisaient un immense
butin; ce furent trois jours de bombance, avec les vivres trouvés
au camp ennemi; après quoi, on reprit le chemin de la patrie.
Le 6 avril, on était parvenu à Heng-yong'$Lj |[£ t .
L'empereur Siang-wang !£$. ]J£, ayant appris cette grande
victoire, voulut venir lui-même en féliciter Wen-kong ; celui-ci
s empressa de bâtir, à la hâte, un palais de réception, à Tsien-
t'OU fëj* Jl (- : dès lors cette ville abandonna son ancien nom, et
prit celui de Wang-kong-tch'eng ^E '/-Y M- ^i"1-' au palais impé-
rial: ainsi se perpétua le souvenir de cette visite extraordinaire.
Trois mois avant cette victoire, le comte de Tcheng @|$ s'était
rendu à la cour de Tch'ou ^£, s'était mis SOUS la tutéle du roi
Tch'eng-wang jj£ ^£, et lui avait fourni son contingent de troupes,
comme nous l'avons vu; naintenant, il en avait grand regret; il
craignait aussi de justes représailles, de la part de Wen-kong.
Il envoya donc le grand officier Tse-jen-kieou -f- /^ \ offrir un
traité d'alliance et d'amitié. Le seigneur Loa?i Tche §§§ |J£ se ren-
dit à la cour de Tcheng, pour fixer les termes de cette convention :
enfin, le 18 avril, le comte la signait lui-même à Heng-yong.
Le lendemain, Wen-kong offrait à l'empereur une partie du
butin ; entre autres choses, il y avait mille fantassins laits pri-
sonniers, cent chais de guerre ayant chacun quatre chevaux cui-
rassés. A cette séance solennelle, le comte de Tcheng ^|J faisail
(I) Heng-yong était à 5 li nord-ouest de Yuen-ou hien /if. fF Vj %f. qui est ;>
180 li l'est de sa préfecture Ho-nan fou pf frî tf-ï . Ho-nan. Petite gêogr., vol. 12.
p. 2ç) — (Grande, vol. -/-. ;<. 26 .
(2) Tsien-t'ou était à 15 li nord-ouest de Yong-tcM hien v> \f: i|£. qui est à
1 10 li nord-ouesl de sa préfecture K'ai-fong fou [III $\ /fl". Ho-nan. Dans l'angle
nord-est de l'ancienne ville Wang-kong-tch'eng A: 'f', iM. . il \ n encore une tour,
nommée Tsien-t1 ou-tai JJS J; |j, dernier vestige des anciennes gloires Petite
géogr., vol. iz, p. 8) — (Grande, vol. 47, p. jSj.
88 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
l'office «d'assistant au trône : car l'empereur, en cette occasion,
avait tenu à employer les "rites- pompeux, dont on avait fait
envers Wen-heou *£ f^.. ancêtre de Wen-kong, en 770, lors
visite d'hommage à l'empereur P'ing-wang *$ 3-* •
Le 21 avril, grand festin offert par l'empereur à Wen-kong,
où il y eut force vins doux, pour augmenter la joie commune: le
prince lion d\ accompagné du ministre In ^ et du grand
archiviste Chou Iling-fou ^ jHi-5^- apporta le rescrit qui établis-
sait officiellement Wen-kong chef des vassaux, avec les insignes
de cette dignité 1 .
L'empereur Ht à l'heureux vainqueur des cadeaux extraordinai-
r - : un char doré, pour les sacrifices solennels; un bonnet de
cérémonie; une robe Ornée de broderies représentant des faisans:
un char de guerre, avec un casque et une cuirasse; un arc rouge
avec cent flèches rouges: un arc noir avec mille flèches noires:
un vase de vin de millet noir aromatisé; enfin trois cents braves
de la garde impériale, pour sa garde personnelle (2 .
; I nomination du chef des vassaux était très solennelle; il y a\ait neuf
mandats, neuf collations :
1. — pïî <5£ l|jjj l'élu recevait la nomination à cette dignité.
-■ iH- pÎÎ 5' Ji3 'es vêtements qui! porterait en l'exerçant.
3. H jfr 5£ Û ~ insignes?]
4. VU pp S S lcs vases pour les sacrifices qui étaient réservés à cette charge .
•î. 3L pÏÎ J1S ÏW les - d'une bonne administration.
/; fffr dg '\\ le pouvoir d'instituer des ofliciers.
'■ -fc u!î 115J ! -i l'administration d'un Etat ou royaume).
8. A piï iH '■& le pouvoir de déclarer et de faire la guerre.
9. ,JL ù it: fil 'e pouvoir de régir et punir 11 importe quel prince, dans tout
l'empire.
A cha [uc mandat repondait un insigne particulier, plus ou moins précieux,
une autant d'invitations a entrer en charge. Tcfteou~£i J'J |§,
VOl. _-. p. .
1 N'oyez Zottoli. III. y. .-'//• chaj). 28 du Chou-king; d'où 1! semble que
ient les plu? grands cr.deaus que l'empereur pouvait accorder.
I 1 garde impériale portait le nom de Hou-pen ))i R, légion des
force et cl- ne invincibli - de - s soldats; elle comprenait :
_> hia-ta-fou ']■ ~)\ ^, grands seconde e
2 /..■ tff i, aides eu suppléants de- précédents '.'
Il' tchong-che 'I1 ■£. officiers supérieurs,
s e-', ^j (• - rieurs, chargés des registres, des écritures.
u-che et emploi -
, ,lie )}'i fc - - vrais braves, les tigres enfin :
DU ROYAUME DE TSIN. WEN-KONG. 89
Le rescrit disait : l'empereur recommande à son cher "oncle»,
le prince de Tsin, d'accomplir religieusement ses ordres; faites en
sorte que la paix régne partout; éloignez toute espèce de malheurs
de la famille impériale.
Wen-kong se déclara par trois fois indigne d'un tel honneur ;
enfin il accepta le rescrit, en disant : moi, Tch'ong-eul, j'ose ac-
cepter cet honneur insigne; permettez que je vous remercie hum-
blement, en frappant la terre de mon front; je m'empresserai de
publier les ordres si importants, si illustres, si excellents, de votre
Majesté; et je veillerai à leur exécution.
Wen-kong eut trois audiences solennelles de l'empereur; après
quoi, celui-ci s'en retourna dans sa capitale; il laissa son premier
ministre, le prince Hou )&, présider en son nom la réunion des
vassaux qui allait avoir lieu.
Le prince de Wei $j, voyant l'éclatante défaite infligée à
l'armée de Tch'ou, s'imagina sans doute que Wen-kong ne lui
avait rendu son territoire que pour la forme; et qu'il reviendrait
bientôt le lui reprendre: c'est pourquoi il résolut de s'enfuir, et
de se réfugier à la cour de Tch'ou. Arrivé à la capitale de Tch'en
Pj|f (1), il changea d'avis; restant où il était, il députa son propre
frère Ghou-ou fâ jfc, avec le grand seigneur Yu.en Hiuen yç pj[,
auprès de Wen-kong, lui offrir un traité d'alliance et d'amitié.
qui fut accepté.
Le 5 mai, assemblée solennelle des vassaux, à Tsien-i'ou J£J£
J , clans le palais élevé pour l'empereur; ils étaient huit, tous
amis de Wen-kong', tous plus ou moins ses voisins; le roi de
Ts'i ^ lui-même s'y trouvait; car il avait besoin de Wen-kong
pour résister aux entreprises de Tch'ou contre son propre pays.
Le roi de Ts'in -|; et celui de Tch'ou se gardèrent bien d'aller
à cette réunion; ils se souciaient fort peu du diplôme impérial, et
ne demandaient pas les bonnes grâces de Wen-kong. dont ils
n'avaient que faire.
Les congressistes rédigèrent une convention ainsi conçue :
-tous les princes vont, d'un commun accord, aider et soutenir la
dynastie impériale; ils ne se chercheront pas querelle entre eux.
Quiconque n'observera pas cette convention. que les illustres Esprits
l'en punissent! que ses troupes dépérissent, et soient anéanties:
que sa famille soit éteinte, ainsi que son royaume; que cette ma-
lédiction atteigne sa parenté la plus reculée, petits et grands!
Le commentaire ajoute sa remarque : tout homme sage, dit-il,
observera que cette convention était sincère: pareeque Wen-kong
avait obtenu la victoire par la pratique de la vertu, et l'instruction
de son peuple.
'1) rch'en, sa capitale, est la préfecture actuelle Tch'en-tcheou l'un ^ •'!! Kï .
Ho-nan. Petite géogr., roi. /_>. yi. 54).
12
90 TEMPS YRAIM1 NT HISTORIQ1 CS
Tch'eng-'wang J$| 3E, roi de Tch'ou, avait le droit d'être fu-
rieux contre son premier ministre et généralissime Tse-yu ^f- 3[
celui-ci avait donné raison à ceux que le jugeaient "incapable de
conduire une grande armée» ; il ne l'avait que trop prouvé ; il n'avait
plus la "face» de reparaître à la cour : il se donna donc la mort,
à Lien-kou ^ ^. non loin de la fameuse forteresse de Fang-
tch'eng if j$.
Quand Wen-kong apprit cette nouvelle, il en manifesta publi-
quement sa joie : maintenant, s'écria-t-il, personne ne me cher-
chera querelle! son successeur Wei Liu-lch'en "^^ g s'occupera
surtout de ses intérêts privés, et peu du bien public !
Nous avons vu naguère le prince Chou-ou -££ ^ et le sei-
gneur Yuen Hiuen j£ JJJF, de Wei, conclure un traité de paix et
d'amitié avec Wen-kong, et sauver ainsi l'indépendance de leur
pays. Des jaloux calomnièrent le seigneur Yuen Hiuen, l'accusant
de vouloir mettre sur le trùne ce même prince Chou-ou : rien
n'était plus faux : mais le marquis de Wei, nommé Tch'eng-konij
E£ £* 634-600), qui se trouvait encore dans la capitale de Tch'en
|fjf}, se laissa circonvenir par les mauvaises langues, et mit à mort
Kio fâ, fils de ce seigneur, lequel était aussi à Tch'en. L'infor-
tuné Yuen Hiuen eut le courage et la loyauté de rester à son pos-
te, et d'aider le prince Chou-ou dans l'administration, comme
auparavant.
A la 6''mc' lune de cette même année 632, Wen-kong réta-
blissait le marquis sur son trùne : voici comment le fait est raconté :
Pour ramener la confiance mutuelle entre le prince et son peuple,
le grand seigneur Ning Ou-tse % ^ ^f ou Ning Yu ^ |^' .
homme d'une probité remarquable, et loué comme tel par Con-
fucius, fit, au nom du marquis, un traité de paix avec le peuple, à
Yuen-p'ou fë j$| l . On y disait : le ciel a puni l'Etat de Wei, en
y permettant la discorde, la guerre, la révolution ; maintenant, ce
même ciel a touché nos cœurs, nous a inspiré des sentiments
d'humilité et de soumission; ainsi, on ne se vantera plus; on ne
se querellera plus; si personne n'était resté à la maison, qui donc
aurait gardé le pays? si personne n'avait suivi le prince dans
l'exil, qui donc aurait pris soin de ses bœufs et de ses chevaux?
car tel est le sujet des récriminations mutuelles. Désormais donc,
ceux qui ont suivi le prince n'exalteront pas leurs mérites dans
son rétablissement; ceux qui sont restés au pays n'en rougiront
pas comme d'une tante. Si. malgré la présente convention, quel-
qu'un cherchait dispute à autrui, que les illustres Esprits et les
mânes des ancêtres le jugent et l'exterminent! 12
(1) Yuen-p'ou était un peu au nord de Tch'ang Yuen hien Jt Jg $£ qui est à
250 li sud-ouest de sa préfecture Ta-ming fou K %\ tff- Cche li. Petite géogr.,
vol. 2, p. js).
Zottoli, IV, y. 38. II. 1 ■
DU ROYAUME DE TSIN. WEN-KONG. 91
Comme on le voit, de la part du marquis, c'était une amnis-
tie pour tous ceux dont il aurait eu à se plaindre; c'est surtout
cela que l'on désirait : pour le reste, il n'y avait plus de difficultés
à craindre de la part du peuple. Confucius dit qu'à ce moment le
marquis était auprès du roi de Tch'ou.
Le jour de la rentrée solennelle était fixé: le marquis crai-
gnant, sans raison, quelque piège dressé par son frère Choû-OU
il îrvï- voulut devancer ce jour et rentrer à l'improviste. Le grand
seigneur Ning Ou-tse, vivement affligé de ce contre-temps, partit
à l'avance, pour en prévenir le mauvais effet ; le grand officier
Tchang-tsang ^ %%. gardien de la capitale, le voyant arriver à
toute vitesse, crut qu'il apportait un message; il monta sur --un
char, et l'accompagna jusqu'au palais.
De son côté, le marquis avait communiqué à deux grands
officiers. Tch'oen K'iuen -■ '•; -j^ et Hoa Tchong |pj fi|i, les soup-
çons qu'il avait sur son frère, et les avait envoyés comme éclai-
reurs, pour parer à toute éventualité.
Le prince Chou-ou ^ Jv! se lavait la chevelure, quand on
lui annonça l'arrivée du marquis : dans sa joie, il sortit aussitôt,
tenant ses cheveux dans sa main, et courut au devant de lui. Les
deux éelaireurs ne comprenant pas la cause de son désordre, lui
décochèrent leurs flèches, et le tuèrent net.
Le marquis apprit bientôt que son frère était absolument
innocent: il prit alors le cadavre, l'appuya sur sa cuisse, et
déplora amèrement ce malheur. L'officier Tch'oen K'iuen avait
pris la fuite; le marquis le fit chercher et le mit à mort: Yueii
Hiuen fut plus heureux: il parvint à se réfugier à la cour de Tsin,
où il annonça ce tragique événement.
L'historien rapporte ici deux actes de sévérité assez curieux :
Pendant la bataille de Tch'eng-p'OU jf$ $| les bœufs et les chevaux
de l'armée du centre de Tsin s'étaient élancés dans une course
folle, et s'étaient embourbés dans des bas-fonds; on avait alors
perdu la bordure gauche du grand drapeau : ces deux accidents
retombaient sur l'officier K'i Man fjj 11$ : Wen-kong le lit mettre
à mort, et porter son cadavre devant les princes vassaux, reunis
à Tsien-teou jfj| J^, pour inspirer à tous les soldats une crainte
salutaire: l'office de K'i Man fut donné au seigneur Mao-fei ^ fë.
Y"ici l'autre exemple: quand l'armée de Tsin eut traversé le
Fleuve Jaune 2'* mai . pour retourner dan- - - rs, Tcheou
Tche-k'iao -$- j£ gy, le lancier de Wen-kong sur son char, pressé
de revoir plus tôt sa famille, était parti à l'avance: il fut d'abord
privé de son office, et remplace par Che Hoei -^ ||" . petit-fils du
grand seigneur Che Koei i~||; mais la punition ne devait pas
s'arrêter là.
A la 7èm« lune, au jour ping-chen p^ ^ 7 Juin . l'armée
faisait son entrée triomphale dans la capitale de Tsin : dans le
temple des ancêtres on offrit les prisonniers, en reconnaissance de
92 TEMPS VRAIMENT HISf OIUQUF.S
la victoire ; ou entassa aussi les oreilles coupées sur le champ de
bataille, comme un sacrifice d'agréable odeur ; on but le vin de la
réjouissance : puis on fit une large distribution de récompenses à
ceux qui s'étaient le plus distingués. Enfin, l'on mit à mort
Tcheou Tche-k'iao -fy j£ ^. pour bien montrer que. sans égard
pour personne, quiconque enfreindrait la discipline militaire, serait
puni.
Le commentaire observe qu'après les trois exécutions de Tien
Kiè H gg, de K'i Man ff7) |gg et de Tcheou Tche-k'iao ■jfr£.fâ. le
peuple montra une entière soumission ; Wen-kong avait su appli-
quer les châtiments avec sagesse et opportunité. C'est, dit-il, ce
que nous enseigne le livre des Vers Che-king %^ |^> par ces mots:
faites du bien à cette capitale, et vous procurerez la paix à tout
V empire; ne laissez pas toute liberté aux flatteurs astucieux (\).
Pendant l'hiver de cette même année 632 mi-août à mi-
novembre), Wen-kong tenait une nouvelle assemblée de vassaux,
dans cette ville de Wen ^ que nous connaissons; il s'agissait de
juger la singulière conduite du marquis de Wel fëj.
L'accusateur était l'officier Yuen Hiuen 7c |g, réfugié à la
cour de Tsin, comme nous l'avons dit plus haut; le marquis ne
pouvant comparaître en personne, vu qu'il était d'une condition
bien supérieure à celle du dénonciateur, envoya trois représentants
plaider sa cause; c'étaient Che Yong + |j|, ministre de la justice,
puis les grands seigneurs K'ien Tchoang-tse f$ $£ ^ et Ning Ou-
tse mn*.
Dix princes furent présents à ce procès; l'empereur lui-même
y fut invité, et s'y rendit; chose grandement extraordinaire, qui
prouve l'ascendant conquis par Wen-kong.
La conduite du marquis fut jugée inexcusable: ses représen-
tants ne purent en rendre raison. Le ministre de la justice fut
mis à mort: K'ien Tchoang-tse eut les pieds coupés: Ning Ou-tse
fut acquitté, comme n'ayant eu aucune part aux forfaits, lui.
l'homme probe par excellence, absolument hors de tout soupçon.
11 lestait à punir le premier coupable, le marquis lui-même.
Wen-kong n'avait pas le pouvoir de le mettre à mort: il ne pou-
vait que s'emparer de sa personne, et le remettre à l'empereur,
qui seul pouvait le juger en dernier ressort; c'est ce qui arriva.
Le marquis fut jeté dans la prison la plus profonde, complètement
isolé de toute relation avec l'extérieur; NingOu-tse eut seul l'au-
torisation de lui fournir quelques vêtements, et nne nourriture
misérable.
L'officier Yuen Hiueu 7c pjï avant gagné son procès, retourna
au pays de Wei fvj. et mit sur le trône le prince Uiui J|$, le pro-
pre fils du marquis prisonnier.
(1) Zottoli, III, t>. ajç, "tir io, ». />. — (Couvreur, p. 368. n. 1).
DU ROYAUME DE TSIN. Wl X-KOXG. 93
Wen-kong, dans cette affaire, s'était arrogé d'inviter l'empe-
reur, comme s'il eût, été le maître effectif et légal de toute la Chine :
pour voiler la chose, il rendait à l'empereur toutes sortes de res-
pects; il conduisait tous les vassaux présents lui rendre hommage;
lui faisait examiner l'administration de chacun d'eux, selon les
usages antiques; en un mot, il exerçait sa fonction de chef des
vassaux; il allait même un peu au-delà.
Ce fait a singulièrement tracassé messieurs les lettres, et
Confucius lui-même. Qu'un sujet invite l'empereur à une assem-
blée, et que celui-ci daigne s'y rendre; voilà qui est contraire à
la saine et antique doctrine! Confucius s'en tire, en disant que
l'empereur fit un tour d'inspection à Ho-yang pj f^j 1 ; mais il
fausse la vérité; il débite une formule de convention, au lieu d'écrire
l'histoire.
A cette assemblée, le prince de Hiu ff ne s'était pas présen-
té; on résolut de l'en punir; les congressistes envoyèrent une
armée assiéger sa capitale ; le commandement des troupes revenait
de droit à Wen-kong; mais, se trouvant alors malade, il en laissa
la direction au nouveau prince de Wei Hj, qui était le plus voisin :
celui-ci fournissait sans doute aussi le plus fort contingent, heureux
de prouver son dévouement à la cause commune; c'était à la 10',1U'
lune (septembre) de cette même année 6.T2.
La maladie de Wen-kong" donna lieu à la chinoiserie suivan-
te : Kong-kong rfb fè, prince de TVao ^', était toujours prisonnier
de Tsin; un de ses fidèles serviteurs, nommé Heou Neou f^ jjjg,
fit de riches cadeaux au chef des devins de Wen-kong, afin qu'il
persuadât celui-ci que sa maladie avait pour cause le tort fait au
prince de Ts'ao.
En effet, le devin consulté par Wen-kong lui répondit grave-
ment : quand Hoan-kong |j| fe. roi de Ps'i ^, était chef des
vassaux, il tenait des réunions pour régler les affaires en toute
justice; il établissait des princes, qui n'étaient même pas de son
clan; votre Majesté, au contraire, dans ses assemblées, détrône
des princes de son propre clan. Tchën-Louo fâ §p, le fondateur des
comtes de Ts'ao, était fils de l'empereur Wen-wang ^£ ^J£ ; T'ang
Chou fë- j|J3, votre ancêtre, était fils de l'empereur Ou-wang jÈ^îE :
vos deux familles sont donc du même clan. Or, précédemment, vous
aviez vous-même publié que vous rétabliriez sur son trône le comte
de Ts'ao, vous ne l'avez pas encore fait; le marquis de Wei [y/, qui
avait commis la même faute que le comte, a été replacé sur son
trône, et le comte laissé en prison; c'est une injustice manifeste.
En suivant la bonne foi, on observe les rites: en exécutant avec
(I) Ho yang était à 30 li sud-ouest de Mong hien j£ gf, qui est à 60 li sud-
ouest de sa préfecture Hocti-k'ing fou f§j ^ Jft\ Ho-nan. Petite gèogr., vol. /.7. p.
29) — (Grande, vol. 4c. p. 13).
94 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
droiture les lois pénales. on redresse les torts: si votre Majesté ne
tient pas compte de ces principes, comment peut-elle gouverner?
Wen-kong fut enchanté de l'admonestation; il s'empressa de
délivrer son prisonnier, et de le remettre sur son trône: après quoi
il alla lui-même, vers la I2~me lune octobre), prendre le comman-
dement du sièg
En 631, à la deuxième lune vers janvier . le prince de Hiu
ffr faisait sa soumission, et signait un traité de paix: les vassaux
retournaient chacun dans son pays.
Vers cette époque, Wen-kong se constituait trois nouveaux
corps d'armée, pour repousser plus facilement les incursions des
Tartares Ti %fc: Siun Lin-fou |q fâ ^£ commandait le premier.
Tu" Ki ffî Ipt le second, et Sien Miè ^ Jj£ le troisième.
A cela, il y avait une grave difficulté ; l'empereur seul pou-
vait avoir six corps d'armée (lou-hiun ^ j|l : Wen-kong se tira
d'affaire en changeant un peu le nom de ces nouvelles troupes : il
les appela compagnie (hang ^f . comme si elles fussent seule-
ment des «auxiliaires» : pour généraux, il ne leur donna pas des
ministres, mais seulement de grands officiers, du rang de Ta-fou
3fc ^ : ainsi il avait la chose, sans en avoir le nom : il y ajouta
encore une différence : c'est que chacun de ces généraux n'avait
pas d'aide ou remplaçant comme dans les corps réguliers.
Wen-kong augmentait ses troupes, afin de se faire obéir des
vassaux, et de veiller à la sûreté de ses frontières : il faisait en
cela preuve d'intelligence et d'énergie; ses voisins, les rois de
Tsrin ^ et de Tch'ou ^ augmentaient leurs corps d'armée, sans
se soucier des privilèges impériaux : Wen-kong devait se préparer
à leur faire face, tout en respectant autant que possible ces mê-
mes privilèges,
A la i:i : lune avril-mai de cette même année 031. le duc
de hou <!§• 1 . puis le prince Hou £&. grand ministre de l'empe-
reur, et le.; ministres des vassaux, tenaient une assemblée à Ti-
Is'iuen H ^ 2 . On y renouvela la convention signée à Tsien-
''"" "H ih- l'année précédente; puis on résolut de punir le prin-
ce de Tcheng j|J$, qui persistait à reconnaître le roi de Tch'ou fê
pour son suzerain.
Les commentaires blâment cette réunion: pareeque le minis-
tre de l'empereur et le duc de Lou y traitent d'égal à égal avec les
ministres des vassaux. D'après les rites, ils ne pouvaient agir
ainsi : les ministres des grands vassaux étaient inférieurs aux
I Les prina - I taient des marquis, en principe: mais, dans la pra-
tique, ils se conduisaient en ducs.
isiuen lut li I'1 noyau de Lo-yany fà FU capitale de l'empereur:
celle-ci était alors ;> -!" li au nord de Ho-ncin fou \»\ |!j '['f. Ho-nan. 'Petit,' géogr.,
vol. /.'. y.. 3j) - Grande vol. ./ • . /.. 10).
DU ROYAUME DE TSIN. WEN-KONG. 95
ducs et aux marquis; ils étaient censés égaux aux comtes (pé fjfj ,
vicomtes (tse ^p) et barons (nan jÇ .
En 630, vers la cinquième lune (mars-avril), les troupes de
Tsin envahissaient le territoire de Tcheng ftp*, surtout pour exa-
miner si l'on pouvait marcher sur la capitale : ce n'était donc pas
l'expédition en règle, mais seulement les premières hostilités.
Les Tartares Ti fyfc, voyant Wen-kong occupé à cette guerre.
firent irruption dans le royaume de Ts'i >)?§ , et y opérèrent des
razzias.
Nous n'avons pas oublié l'ancien marquis de Wei $j ; il
était toujours dans la prison impériale: Wen-kong n'osait pres-
ser son exécution ; il tenta de le faire empoisonner, par le moyen
du médecin Yen fff : mais le fidèle Ning Ou-lse ^ jÇ f- était !à.
il connut bientôt le complot : il offrit de riches cadeaux à l'empoi-
sonneur, afin qu'il donnât une dose moins forte, et sauvât la vie
du prisonnier, tout en obéissant aux ordres reçus.
Le duc de Lou -J|. se présenta enfin comme intercesseur; il
offrit à l'empereur et à Wen-kong dix paires de perles précieu-
ses, et obtint l'élargissement du marquis, en automne de cette
même année. Rentré chez lui, celui-ci lit assassiner son fils et
successeur Hiai 泥, avec le ministre Yuen Hiuen 7c pg. son an-
cien accusateur; puis il remonta sur le trône.
A la 9 'mr lune, au jour Kia-OU ^ ^p 25 juillet), les armées
de Tsin ^f et de Ts'in ^ assiégeaient la capitale de Tcheng ï$>:
la Lére campait au pied de la colline Han-ling \-f' ||| ; la seconde,
au sud de la rivière Fan ^* 1).
Le grand officier / Tche-ou jfc £. JB conseilla au marquis, son
maître, d'envoyer le sage lettré Tchou Tche-ou '{$jj ;£ jjÇ. propo-
ser au roi de Ts'in fj| un traité de paix et de soumission, et de le
séparer ainsi des autres ligueurs; le député était habile; il réus-
sit pleinement dans sa mission.
Le seigneur Tse-fan ^f ^[J (ou Hou Yen ^ f|| fut indigné de
cette mauvaise foi : il pressait Wen-kong de tourner ses armes
contre le roi de Ts'in J|§, et de venger une telle trahison. Wen-
kong n'y voulut consentir à aucun prix : sans le secours efficace
de Mou-kong ^% ^V. lui dit-il, jamais je ne serais parvenu au
trône; oublier un tel bienfait, serait n'avoir point d'humanité;
rompre avec un allié, dans cette expédition, serait un manque de
prudence; après avoir été amis intimes, en venir à une guerre
mutuelle, serait un manque de prévoyance militaire: il vaut mieux
nous en retourner chez nous. Ayant ainsi parlé, il ramena son
armée.
(1) La colline llan est à 13 li au nord do Sin-tchen hien ^ itt SI- clu' C>1
l'ancienne capitale de la prini gr . vol. /-■ p. - ■ La rivière
i in coule au sud de Tchong-meou hien rp ^r $,?■ (tlu est à "î i l'ouest de K'ai-
fong fou H] %\ tff , Ho-nan. Petite géogr., vol. is. p. ./
96 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
A la fin de cette même année 630, le duc de Lou ^ envoyait,
pour la première fois, un ambassadeur à la cour de Tsin ; Wen-
kong dut en être flatté : car ce duché passait pour le pays classi-
que des rites et de la vraie doctrine des anciens sages : mais ce
voyage n'était pas inspiré uniquement par l'urbanité; il avait
encore un autre motif: il s'agissait de prendre possession d'un
territoire concédé par Wen-kong, et d'en fixer les limites.
On se souvient qu'en 632 Wen-kong, s'étant emparé des
états de Ts'ao "^ et de Wei Hj. s'en était servi pour faire des
largesses : dans la suite, il avait replacé les deux princes sur leur
tronc: mais une partie du pays de Ts'ao devait être abandonnée
au duc : c'est ce territoire dont il -est question.
Divers auteurs, tels que Kong-yang Q =fc,Hou Ngan-houo #j
4% [^ et autres, persuadés qu'un prince modèle, comme celui de
Lou. n'aurait jamais voulu s'enrichir des dépouilles d'autrui. sup-
posent que cette contrée avait autrefois appartenu au duc. et avait
été injustement ravie par le prince de Ts'ao ; mais c'est une affir-
mation dénuée de preuves historiques.
L'ambassadeur de Lou était le seigneur Tsang Wen-tchùng
i^ % fcfi : sur son chemin, il passa une nuit à Tchong-koan jf?
§£ 1 : les habitants de cette ville lui dirent: Wen-kong vient
d'être établi chef des vassaux : il se montrera certainement plus
généreux envers ceux qui seront les plus empressés à lui rendre
hommage: si vous ne vous hâtez pas, vous arriverez trop tard, et
vous n'aurez rien. Sur ce conseil, il fit grande diligence, arriva à
point, et conclut heureusement ses négociations. Il reçut de Wen-
kong tout le territoire qui s'étendait de Tîzo $|; jusqu'à la rivière
Ts'i ffî 2 .
Le duc de Lou fut si content qu'il députa un nouvel ambas-
sadeur, le grand seigneur Siang-tchong §^ fifi , rendre grâces à
Wen-kong : mais avant d'aller à la cour de Tsin, l'envoyé voulut
d'abord saluer l'empereur; c'est pourquoi, parti à la fin de l'année
630, il n'arriva à la capitale de Tsin qu'au printemps de 629.
En automne de cette même année 629, Wen-kong fit une
grande revue de ses troupes, à Ts'ing-yuen fjif ^ (3). Nous avons
] rchong-koan, ou TcJiong-hiang Ui ffî. était à 1 1 li nord-ouest de Yu-tai
hien '.¥. -? ?f. qui est à 150 li sud-ouest de Ts'i-ning tcheou ^f^ttl. Chan-tong.
,/-.. vol. /
lit à -"i0 li sud-c u-tclieou j$| 'i'. qui est à \20 li au nord
Fs' ao-tcheau fou ^ W, ',': . Chan-tong. 11 y a aussi la rivière lïao
(Petite géogr., vol. io, />. 31). — Grande, vol. sj- p- iç ■
La rivière iVi voir Petite géogr., col. ç. p. 3 — vol. /•-. p. 1- . — (Grande.
■ 31 > est à .'{h li au nord de Ts'ao hien ® 5f. qui '-si à l_'o li sud-est
de sa préfecture IVao-tcheou fou.
■ ■■il. la plaine est ,1 20 li nord-ouestde Kiang-tchi 1 "han-
G '".. vol. 41. 11. -4 . — Grande géogr., imper., vol. 1
DU ROYAUME DE TSI.V. WEN-KONG. 97
dit précédemment comment il s"était formé trois corps d"armée,
appelés auxiliaires ; n'en ayant pas relire tout l'avantage désirable
il changea de système, et divisa toutes ses troupes en cinq corps
réguliers: c'est Tch'ao Tch'oei {fr ^ qui fut général en chef des
deux nouveaux corps, dont l'objectif était surtout de s'opposer aux
incursions des Tartares Ti ^.
En 628, au printemps, le roi de Tch'ou ^ envoyait le grand
seigneur Teou-tchavg |^| ^, proposer à Wen-kong uu traité de
paix ; car depuis la bataille de Tcfl'eng-p'ou ;J$$f, les deux royau-
mes n'avaient plus eu de relations. Wen-kong agréa cette propo-
sition ; il envoya le seigneur Yang Tch'ou-fou $%$&'£. rendre la
visite, et régler cette affaire.
A la 12ème lune de cette même année, mourait Wen-kong,
après un règne glorieux de huit ans: sou lils. nommé Ilonn J|gf,
né de la princesse I'i-hi ftf, ^, lui succédait sur le trône, sans
aucun trouble ni révolution.
Après les cérémonies d'usage, on se préparait à conduire le
cercueil au temple de K'iu-VJO [Uj ffi, (1) où se trouvait la nécro-
pole des ancêtres ; mais quand on eut quitté la capitale Kiang $j^,
il sortit du cercueil un bruit semblable au mugissement d'un bœuf.
Le grand devin Yen fpj commanda d'arrêter le convoi : a genoux !
dit-il, adorons le défunt! il nous annonce qu'un événement se
prépare à l'occident: une guerre y est imminente; si nous fondons
sur l'ennemi, nous aurons une victoire éclatante.
< m enterra Wen-kong à l'endroit même où Ton s'était arrèté(2).
Cette fois, le commentaire est raisonnable : selon lui, le devin
joua la comédie; il savait que le puissant royaume de Ts'in .^s se
disposait à une expédition contre le pays de Tcheng f$, et qu'il
était nécessaire de s'y opposer; mais il fallait préparer aussi le
peuple de Tsin à engager une lutte redoutable: le devin fut sans
doute payé pour entendre ce mugissement et l'expliquer dans le
sens voulu : car on sait comment se rendent les oracles. Ce fut
donc une simple comédie.
Quant à Wen-kong, il ne restait plus qu'à envoyer une dépu-
tation, offrir des sacrifices solennels au temple des ancêtres, et
leur annoncer que leur illustre descendant s'était choisi une
sépulture à part.
Les historiens aiment à faire un parallèle entre Wen-kong et
Hoan-kong |â ^V roi de Ts'i ^ ; car ils furent tous deux chefs
(1) l.o temple de K'iu-wo, non la ville, était dans la ~"u~ préfecture de W
hi pif] 3S{-, qui est à 70 li au sud (le Kiang irlimu fà H\. Chan-si. (Annales du Chan-
si, vol. ss . p. .- .
(2) L.c tombeau de Wen-kong esl a 20 li sud-ouest de Kiang hien $£ |f. qui
est elle-même a 100 li sud-est de Kiang tcheou. Petite géogr., vol. S ■ p. ■
Géogr., impér., ool, 11S. p. 6 . — Annales du Chan-si. vol. 56, )>
98 TEMPS VU AIMENT HISTORIQUES
des vassaux, et tous deux eurent une grande renommée ; on don-
ne généralement la palme à Hoan-kong, comme plus accompli,
plus généreux, aux entreprises plus vastes. On oublie qu'il régna
quarante-deux ans '684-642 . tandis que Wen-kong fut seulement
huit ans sur le trùne : celui-ci. à son avènement, trouva son pays
en proie aux révolutions ; dans l'espace de trois ans, il remettait
tout en ordre, et se plaçait à la tête des vassaux, malgré la riva-
lité de ses puissants voisins, les rois de TsHn Jj| et de Tch'ou ^ :
à quel degré de gloire fût-il arrivé, s'il avait eu un régne aussi
long que celui de Hoan-kong? Pendant des générations, ses suc-
cesseurs demeurèrent chefs des vassaux ; au contraire, après la
mort de Hoan-kong. ses cinq fils se disputèrent la couronne, exci-
tèrent les guerres civiles, et perdirent la prééminence conquise
par leur père.
99
SIANG-KONG (627-621)
->£*H-
Lc nom historique du nouveau prince signifie : par la prati-
que de la vertu il agrandit ses étal*; ou encore : il a toujours porté
le casque et la cuirasse, et ainsi accumula de grands mérites mi-
litaires (1).
Nous venons de voir que Mou-kong ^ £V , ™i de Ts'in U§,
méditait une expédition contre la principauté de Tcheng $j|$, dont
il voulait s'emparer; entreprise odieuse, puisque c'était un pays
ami, et qu'il n'y avait aucun prétexte à cette agression; mais le
prince avait commis une grande imprudence; il avait confié la
garde de sa capitale à trois grands officiers de Ts'in J^, véritables
traîtres qui se préparaient à la livrer à leur maître.
Mou-kong avait envoyé une armée, sous la conduite de ses
trois meilleurs généraux. Sur ce, le premier ministre Sien Tclien
jfc ^ dit à Siang-kong : le roi de Ts'in |§ê n'a pas écouté les avis
de son bon conseiller Kien-chou ïfjï îj5 ; insatiable de conquêtes,
il écrase son peuple; il sera pris dans son propre piège; c'est le
ciel qui nous fournit cette occasion, ne la laissons pas échapper;
sinon il nous arrivera malheur.
Le seigneur Loan Tche ff§ ££ répliqua : nous n'avons pas
encore montré de reconnaissance envers Mou-kong, et nous irions
l'attaquer! Serait-ce parce que notre défunt souverain, qui a reçu
ses bienfaits, n'est plus là pour protester contre nous?
Sien Tchen reprit: Mou-kong se moque des «rites»; sans
égard pour notre deuil national, il attaque un prince de notre clan
Ki $£ : et nous songerions à lui faire du bien! les anciens nous
ont enseigné que quiconque laisse échapper un ennemi, subira des
calamités pendant des générations; si nous entreprenons cette
guerre, c'est en vue de nos fils et de nos petits-fils; nullement
par oubli des bienfaits reçus.
L'avis du premier ministre prévalut, et la campagne fut dé-
cidée; bientôt l'armée était en marche; Siang-kong voulait se
mettre à la tête de ses troupes; il ne le pouvait avec des vêtements
de deuil; c'eût été de mauvais présage; il les fit teindre en noir,
et tout fut sauvé. C'est depuis cet événement que la couleur noire
passa en usage pour le deuil dans le pays de Tsin 2 . Sur son
char, Siang-kong avait pour conducteur le seigneur Liang-liong
||£ g£; pour lancier, le seigneur Lai Kiu ^ jpij.
(1) Texte des deux explications : J^ Jfi fi g|| B M
(2) La matière des vêtements resta la même: robe, ceinture, bonnet, tout était
en chanvre grossier.
1 00 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
En été. à la 4ême lune, au jour nommé sin-se ^ g,, on
battit l'armée de Ts'in |J$ dans le défilé de Fliao fj£ 1 ; ce fut
une vraie boucherie: personne ne put échapper: les trois généraux
furent faits prisonniers: c'étaient Mong-ming Clie jg HJ] fiM- ^s
du fameux sage Pè-liHi UiJIJ^- Pu's Si-k'i Chou ïfë^ffîh enfin
Pê-i Ping ÉI £< f^j : ils furent conduits en trophée à la capitale.
Les vêtements noirs de deuil ayant porté si bonne chance,
Siang-kong les garda pour l'enterrement de Wen-kong 3$C £*,
qu'il accomplit aussitôt après l'expédition.
Cependant, Wen-ing 5t jffji. veuve de Wen-kong ^ ^, et
fille de Mou-kong, réclama pour elle les trois prisonniers: ces
trois hommes, disait-elle, ont été la cause de cette guerre : si mon
humble père pouvait les avoir entre les mains, il les mangerait
vivants, sans pouvoir apaiser sa colère : que votre Majesté me
permette de les lui envoyer, afin qu'il ait le plaisir de les exter-
miner : je demande cette grâce en son nom.
Siang-kong accéda volontiers au désir de la princesse. Le
lendemain matin, le premier ministre Sien Tchen ^ jj£ s'étant
rendu à la cour, apprit cette nouvelle et en fut furieux. Nous
autres, dit-il à Siang-kong, nous avons exposé nos vies pour cap-
turer ces trois généraux : et voilà qu'une femmelette les renvoie
dans leur pays ! c'est donc en vain que nous avons perdu nos
soldats et nos armes? nous n'avons tant lutté que pour fortifier
un rival, un ennemi? notre perte n'est pas éloignée!
En parlant ainsi, le ministre n'avait pas même daigné jeter
les yeux sur le prince; il expectora un gros crachat le
lança à terre et se retira.
Siang-kong sentit vivement cette injure, mais il n'en tira pas
vengeance ; il comprit sa faute et envoya de suite son conseiller, le
sage Yang Tch'ou-fou $fe J[|| 3C - -à la poursuite des prisonniers.
Arrivé au bord du Fleuve Jaune, celui-ci les aperçut dans une
barque, déjà assez éloignée du rivage ; il s'empressa de dételer
son cheval de gauche, et de crier à Mong-ming Clie jf£ \\)\ |^ qu'il
venait le lui offrir, de la part de son maître.
Ee général comprit son intention, et se garda bien de reve-
nir; de sa barque, il fit les prostrations d'usage, pour remercier
d'un cadeau, puis il s'écria: bien grand est le bienfait de votre
(1) Les deux montagnes Iliao écrites aussi 3j| . qui forment ce défilé, sont à
bO li de Yong-ning hien %x. ^ |£, dans la préfecture de Ho-nan f<nt jëf Ïf] rf'f. Ilo-
nan. Le torrent II .; - tussi par ce défilé, <pii était autrefois bien plus
étroit; on l'a élargi. f Petite géogr., ml. //. p. j — col. 12, i>. .-,- Grande ;/nif/i-..
vol. 48, p. 3ç).
(2) Le tombeau de Yang rch'ou-fou est un peu au nord-ouest de Houo-choen
fou fU i,u |£, .1 90 li au nord de Liao tcheou ï& JW. Chan-si. (Géogr., impér., vol
121. }i. s)- Le tombeau de Sien Tchen est à 2 li au sud de Liao tcheou. ibid .
DU ROYAUME DE TSLW StANG-KONG. 101
illustre souverain; il aurait dû me tuer, employer mon sang pour
en frotter ses tambours de guerre; il m'envoie mourir dans ma
patrie; si notre humble roi juge à propos de me tuer, même en
mourant, je serai reconnaissant de votre bonté; si sa générosité
égale celle de votre prince, et daigne me pardonner, dans trois ans
je reviendrai vous apporter mes remercîments 1 .
Mou-kong avait perdu son armée, il ne voulut pas perdre
encore ses trois généraux ; loin de les mettre à mort, il leur lit
une réception solennelle; il reconnut ses torts, et lit amende
honorable à Kien-chou $£ ;^, dont il avait méprisé les conseils.
Désormais, entre les deux pays de Ts'in g|s- et de Tsin ^
l'inimitié devint incurable; ce fut une haine nationale; il s'en-
suivit une série de guerres pendant soixante-douze ans, comme
nous aurons à le raconter; le premier en sera agrandi et fortifié,
le second affaibli.
Pour cette expédition, Siang-kong avait appelé comme auxi-
liaires les Tartares Kiang Jong ^ fj£, qui lui furent d'un grand
secours. Les Tartares Ti J/ç, ou Pé Ti [^j /';, c'est-à-dire les Tar-
tares blancs, profitèrent de la circonstance, pour attaquer les pays
de Tsin ^ et de Ts'i ^ ; leur armée s'avança jusqu'à la ville de
Ki ^ (2), ce fut pour son malheur.
Siang-kong vint à la tète de ses troupes, et livra bataille ;
c'était à la S'111' lune, au jour nommé ou-lse rj£ ^f- Le premier
ministre Sien Tchen ^ jjȣ se souvenant de l'injure qu'il avait
faite à son maître, s'écria : Mon souverain m'a pardonné mon
offense; mais moi, je veux aujourd'hui le venger! Sur ce, il ôta
son casque, se jeta oii la mêlée était la plus ardente, et y périt en
héros; les Tartares complètement battus s'enfuirent en désordre.
emportant sa tète, comme un magnifique trophée •'■'> .
(1) La réponse du fuyard est un chef-d'œuvre de fine malice; elle esl
nue de tous les lettrés, qui la récitent par cœur; elle est traduite par Zottoli. vol.
IV, p. 39.
(2) Ki i£. <;tait a 35 li a l'est de T'ai^kou hien js. ^f If, qui est à 120 H
sud-est de sa préfecture T'ai-yuen fou jk /f? Jf-f. Chan-si. (Petite géogr., vol. 8.
p. 4) — {Grande, roi. 40. j). 14 .
(3) Les Tartares Kiang Jong ^fe -fc on écrit an^si fè l'i. ■ Leurs princes
étaient les descendants du marnais officier Kong-kong ^ T., exilé par l'empereur
Clinon $$ dans le nord-ouest de la province du Chen-si % lÎ! . région qui es( actuel-
lement dans la province du Kan-sou 11" jjjilf. Ces peuplades occupèrent d'abord le
pays appelé autrefois Koa-tcheou Ht 'H', célèbre pour ses produits cucurbitacës ;
c'est maintenant le territoire de Toen-hoang hien ?t $?. $£. dans la pr
de Ngan-si tcheoit '-te. i'_y 'M- Elles furent très puissantes, au huitième
avant J.-C. ; car. en 789, elles battirent les troupes de L'empereur Siuen V? à Tslien-
meou -f~ jS$. envahirent les régions chinoises, et vinrent s'établir non loin de la ca-
pitale impériale Hao £ft, qui était à l'ouest de Si-ngan fou fl 5t f, au sud-ouest
)02 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Cependant, leur propre chef était au pouvoir de Siang-kong ;
c'est K'i K'iuè £1$ $&, fils du seigneur K'i Joei, qui avait eu l'in-
signe honneur de faire cette capture. Le lecteur n'a pas oublié les
faits et gestes de ce seigneur K'i Joei £|$ p£j ; comment il s'était
opposé à l'avènement de Wen-kong "£ & 5 comment, n'ayant pu
l'empêcher de monter sur le trône, il avait essayé de le brùler
dans le palais ; comment son complot avait échoué ; comment il
avait été mis à mort par Mou-kong ^% fe roi de Ts'in Jfc sur les
bords du Fleuve Jaune. A la bataille de Ki, son fils était un des
officiers supérieurs du troisième corps d'armée; voici ce que l'his-
torien raconte à son sujet.
En punition des forfaits de K'i Joei, "Wen-kong s'était anne-
xé son fief Ki H (1), et avait ainsi réduit tous les membres de la
famille à l'état de simples particuliers. K'i K'iué se mit à cultiver
la terre, comme un humble paysan. Un jour, le seigneur Siu-tch'on
^ [£, possesseur du fief K'ieou £}> ce même personnage qui en-
gagea la grande bataille de Tch'eng-pou jfâ jff|, passa, au retour
d'une ambassade, par le territoire de Ki ^S ; là, il aperçut K'i
K'iué, en train de sarcler ses champs, et sa femme qui lui appor-
tait son modeste repas ; il fut profondément touché du respect
mutuel des deux époux, se traitant comme des hôtes; il emmena
de la province du Chen-si. Ne pouvant se débarrasser de ces voisins mal commodes,
on fit la paix avec eux, et on leur donna la mission de protéger la frontière de ce
côté. Tant que l'empereur l'ut capable de les tenir en respect, ces tribus demeurè-
rent assez tranquilles; le voyant s'affaiblir de jour en jour, elles se répandirent en
plusieurs directions, à travers les états chinois. L'empereur P'ing -^ pria le roi de
Ts'in §{| de le délivrer de ces envahisseurs; et pour récompense, il lui donna le fief
de Ki-si JË£ îîî, c'est-à-dire le sud même de la province du Chen-si. C'était en 770.
Les Kiang Jong furent donc refoulés jusque dans leur ancien territoire de Kouo-
tcheou. C'est Hoei-kong î$& &. prince de Tsin f=f (050-637), qui leur permit de
venir s'établir au sud de son pavs ; ils s'y étendirent peu à peu jusqu'à l'ouest; et
cela, sans inconvénient, car ils demeuraient fidèles, et ne cherchaient pas la protec-
tion d'un autre prince. Nous venons de les voir se conduire en utiles auxiliaires.
Outre les Kiang Jong, le pays de Tsin f? était en relations, et quelquefois
en guerre, avec d'autres Tartares ; à savoir : à l'ouest, mais dans le Chen-si, donc
en dehors de ses frontières, les Li Jnng Wr-fà — a l'est, les Ts'ao tchony tche Jong
j£ 't1 %. z5, ou habitants des broussailles — au nord, les Ou tchony $$ Vî appelés
aussi Chan Jong [\\ ^, peuplade assez puissante, dont le chef était un vicomte
tse -f -, ; ils habitaient les montagnes. (Petite géogr., vol. 15. p. 41^ — (Grande.
vol. 64. p. 22) — (Hoang-ts'ing King-kiai j|: jfif $1 M vol. 9-22. p, 64).
(1) L'ancienne ville de Ki M< était à l'est de Ilo-tsin hien fiT î1* If, qui est
à 200 li à l'ouest de Kiang tchcou fâ '}\] , Chan-si. [Petite géogr., vol. S, p. 44) —
(Grande, vol. 41, p. 27).
DU ROYAUME DE TSIN. SIANG-KONG. 103
K'i K'iué à la capitale, et raconta à Wen-kong la scène dont il
avait été témoin :
Le respect, dit-il. est le principe de toutes les vertus : quicon-
que l'observe à un tel degré, est capable de gouverner le peuple; je
vous demande un office pour cet homme, il en est digne. — Mais,
répondit le prince, oubliez- vous quels crimes a commis son père?
Je le sais, répliqua le seigneur; mais je sais aussi que le
"saint empereur'^ Choen j££, après avoir mis à mort A'oen $P£, à
cause de ses forfaits, s'aperçut que son fils Yu ^ était un hom-
me de mérite; il l'éleva jusqu'à en faire son successeur. Koan
Tchong ^ ftj». sur le champ de bataille, n'avait-il pas blessé
Honn-kong ;jg ^ roi de TsH ^ ? il fut cependant élevé par lui à
la dignité de premier ministre, et rendit d'insignes services à ce
royaume. Le livre des Annales nous donne cet avis 1 : Si un
père n'a pas d'amour pour ses enfants, si le fils n'a pas de piété
envers ses parents, si le frère aîné n'a pas d'humanité envers son
cadet, si celui-ci n'a pas de respect pour son aîné, chacun portera
le châtiment de sa faute, mais elle ne pourra être imputée qu'à
lui, non à un autre. Le livre des Vers nous dit: On ne rejette
pas un navet, ou un radis, parce que la tige est gâtée (2). — Que
votre Majesté ait égard aux éminentes qualités du fils, sans tenir
compte du père.
Persuadé par ce bon conseil, Wen-kong avait accepté Ki
K'iué. et l'avait établi irrand officier dans son troisième corps
d'armée. Après sa rentrée triomphale, Siang-kong voulut le ré-
compenser, pour la capture du chef tartare ; il lui rendit le fief
paternel de Ki ^ ; de plus il l'éleva à la dignité de ministre
[King $|~, sans lui en donner cependant la charge, ni les vête-
ments, ni le char, c'était réservé pour de nouveaux mérites.
Le seigneur Siu-tch'en ^ [5 fut aussi récompensé, pour avoir
su discerner et proposer un homme de telle valeur; il reçut le fief
devenu libre par la mort du seigneur Sien-mao 5fe ^ • mais il ne
reçut que les vêtements de sa nouvelle dignité, sans le char ni
l'office; le reste devait lui être accordé après de nouveaux services,
selon l'usage des promotions.
Siang-kong ne pouvait oublier la belle conduite, et la mort
héroïque de son premier ministre Sien Tchen $ç $£ ; il donna le
commandement du premier corps d'armée à son fils Sien Tsiu-kiu
En hiver, c'est-à-dire vers la fin de cette même année 627,
Siang-kong, aidé des princes de Tch'en ^ et de Tcheng ffl$,
attaquait le pays de Hiu pf-. qui méconnaissait son autorité, et
(1) Chou-kinir, K'cmrj-kao ^ fft. Voyez Zottoli. III. j, ;}i . — Couvreur.
p. 240, n° 16). La citation n'est pas littorale : il n'y a que If ~en> en résumé.
(2) (Zottoli. III, p. 2ço, ode jjeme. n° r). — Couvreur, y,. 40. n" 1 .
104 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
s'obstinait à la remorque du roi de Tcli'ou ^. Celui-ci, pour
dégager son protégé, envoya son premier ministre Teou-pouo ffîêf))
ou Tse-chang ^ _h . envahir les états de Tch'en f^î et de Ts'ai
^: lesquels s empressèrent de signer un traité de paix et d"alliance.
Après ce premier et facile succès. Teou-pouo passa au pays de
Tchcng fjft; il voulait détrôner le prince Mou-kong @ fè . et met-
tre à sa place le prince Hiai îg : malheureusement, pendant un
combat, livré à la porte méridionale Ki-tche men j^f !>\- P1] de la
capitale, le char du prétendant se renversa, et tomba dans la mare
de la famille Tcheou fê] : un esclave ou servant inférieur à tète
rasée . nommé T'oen u*f. l'aperçut, le tua. lui coupa la tète, et
l'apporta à son maître (1). Wen-fou-jen ^C ^c A . princesse dou-
airière, veuve du souverain précédent, et mère de Hiai. recueillit
le cadavre et l'ensevelit honorablement. Quant à Teou-pouo, ayant
perdu son protégé, il n'avait plus qu'à reprendre le chemin de
Tch'ou; c'est ce qu'il fit. Mou-kong resta paisible possesseur de
son trône, sous la suzeraineté de Siang-kong ; car nous allons
bientôt le retrouver à ses côtés, dans les guerres suivantes, comme
le prince de Tch'en ^.
Avant tout autre. Siang-kong voulut punir le prince de Ts'ai
àg d'avoir si facilement fait défection; Yang Tch'ou-fou [ÎJ| jH 3Ê
conduisit une armée contre lui : mais Teou-pouo p^ ^J [ou Tse-chang
■^ J^ en amena une autre à son secours. Les deux généraux
campèrent chacun d'un côté de la rivière Tche ;'r]£ ou Ti 2 .
sans oser la traverser, ni l'un ni l'autre. Ennuyé de cette situation
ridicule. Yang Tch'ou-fou, le fin lettré, prit son pinceau et écrivit
à Teou-pouo le message suivant :
Un homme d'honneur ne manque pas à sa parole: un hom-
me de cœur ne fuit pas devant l'ennemi, Ceci posé, si votre sei-
gneurie veut livrer bataille, je me retirerai à une journée de dis-
tance, pour vous laisser passer la rivière et ranger vos gens, un
peu plus tôt, un peu plus tard, comme il vous plaira. Si vous le
préférez, laissez-nous passer de l'autre côté ; nos troupes ne peuvent
se morfondre ici, avec de grandes dépenses, et sans résultat."
Yang Tch'ou-fou ayant envoyé ce cartel fit atteler son char, et
«se rendit au bord de la rivière pour attendre la réponse.
i lU-pouo, piqué d'honneur, voulait traverser la rivière, le
seigneur Ta-suen-pé ~fc ?■£ f r-1 l'en dissuada: les gens de Tsin.
dit-il, n'ont ni foi ni loi ; quand la moitié de notre armée sera
rendue à l'autre bord, ils se jetteront sur elle; laissons- les venir
ici, c'est plu- sur.
1 Le prince de Tchena: ; celui-ci était le frère, ou tout au moins le demi-frère
du prince Hiai.
rche, qu'on écrit aussi i!]fj. Cette rivière est à un li au nord de Che hien f$J
H. qui est à 120 li au n préfecture Nan-yang fou [f] r"; rff. Ho-nan.
géogr., vol. 12. p. 48 — Grande, vol. 51, p.
DU ROYAUME DE TSIN. SIANG-KONG. 105
L'armée de Tch'ou se retira donc à une journée de distance.
A cette vue, Yang Tch'ou-fou, l'invincible lettré, se trouva pris
dans son propre piège ; il s'écria : ô les lâches ! ils sont partis !
Là-dessus, il ramena ses troupes dans leurs foyers ; et Teou-pouo
en fit autant ; l'expédition avait tourné en comédie.
La dernière année de Wen-kong % ^, tous les princes vas-
saux étaient venus le saluer, excepté le marquis de Wei fëj, Tch'eng-
hong Jjj£ ^ (634-600) ; il avait même envoyé le grand officier
K'ong-ta ^rL jÉ envahir le pays de Tcheng f$; son armée avait
attaqué les deux villes de Mien-tse !^ # et de K'oang |£ (1).
Siang-kong était trop occupé ailleurs, pour penser à venger
cette injure. Mais en 626, après avoir offert un sacrifice solennel
aux mânes de son père, il convoqua les vassaux ses amis pour
une expédition contre le pays de Wei. Déjà son armée était par-
venue à Na.n-ya.ng ~\fâ |^, quand le généralissime Sien Tsiu-kiu
fâ Q ^jy lui fit la remontrance suivante : Vous voulez punir le
marquis de Wei, parce qu'il a manqué d'égards envers votre père;
et vous-même, vous commettez pareille faute envers l'empereur;
allez donc de ce pas le saluer, pendant que nous poursuivrons la
campagne. Siang-kong partit sur-le-champ, et alla offrir ses hom-
mages à l'empereur, dans la ville de Wen jjj^ (2).
Sien Tsiu-kiu et son collègue Siu-tch 'en fë g arrivaient bien-
tôt devant la ville de Ts'i j$ (3); le 1er jour de la 5ème lune, ils
en commençaient le siège; à la 6ème lune, au jour meou-siu rj£ Jf£,
ils en étaient maîtres, et faisaient prisonnier le grand officier
Suen Tchao-tse fâ |jg ^F-
Le marquis de Wei envoya, en toute hâte, un message au
prince de Tch'en ffi, lui demandant du secours. Celui-ci lui ré-
pondit : jetez-vous sur le pays de Tsin ^; alors je pourrai m'in-
terposer pour obtenir un traité de paix. Le marquis envoya aussi-
tôt le grand officier K'ong-ta ^L jÊji envahir le pays de Tsin ; après
quoi, le prince de Tch'en, nommé Kong :ffc, offrit sa médiation.
Mais les pourparlers durèrent assez longtemps ; dans l'intervalle,
Siang-kong faisait fixer les limites du territoire de Ts'i qui devait
rester en son pouvoir; on lui livra encore le grand officier K'ong-
(1) K'oanjr, était au nord-est de Wei-tch1, oan hien ïff Jl| !Ç.f • qui est à 50 li
sud-ouest de sa préfecture K'ai-fong /'ou lffi\ %j #f, Ho-nan. {Petite yéogr., vol. iz.
p. 4) — (Grande, vol. 47. p. 22).
Mien-tse On ignore où était cette ville ; elle ne devait pas être bien loin de
K'oanpr.
(2) Wen était à 30 li sud-ouest de Wen hieri iU. SI. 9ui est à 50 li sud-est
de sa préfecture Hoai-h'ing fou 1$ S fêf Ho-nan. (Petite géogr., vol. 12 p. 2çï —
(Grande yéogr., vol. 4g p. 15).
(3) Ts'i était à 7 li au nord de K'ai-tcheou F»3 #!. Iehe-li. Petite géogr.,
vol. 2, p, J4) — (Grande, vol. 16, p. 36.)
14
106 TEMPS VKAIMIKT HISTORIQUES
ta, comme s'il eût été le seul auteur de toute cette querelle; enfin.
Tannée suivante seulement, on signait la paix.
L'historien nous fait remarquer que le conseil du prince de
Tch'en |5ff[ avait été conforme aux rites; les anciens, dit-il, pas-
saient sur le territoire ennemi, pour pouvoir traiter honorablement
de la paix. C'était parfait, sans doute, mais souvent impossible.
Avant de raconter la campagne qui va suivre, revenons un
instant sur nos pas. A la victoire de Hiao $£, le char de Siang-kong
était conduit par le seigneur Liang-hong |j£ |//..et son lancier était
le seigneur Lai Kiu ^ ,!§{}, comme nous lavons dit. Le lendemain
de la bataille, Siang-kong ayant fait lier un prisonnier, ordonna à
Lai Kiu de le percer de sa lance; mais le malheureux captif avait
poussé de tels cris que Lai Kiu avait, de frayeur, laissé tomber son
arme à terre. Le seigneur Lang-chên $| 0jf, qui était présent.
l'avait ramassée vivement, avait transpercé le prisonnier, lui avait
de plus coupé l'oreille gauche, et, en récompense de sa prouesse,
avait été nommé lancier du prince, à la place de Lai Kiu.
A son tour, Lang-chen. à la bataille de Ki 46, avait été dégradé
par le généralissime Sien Tclien jfc jf£. et remplacé par Souo
Kien-pè $|f ^f) f^. Lang-chen était furieux de ce déshonneur; un
ami lui demanda : X'allez-vous pas vous suicider"? — .le n"ai pas
encore trouvé le moment favorable pour mourir. — Alors, allons
ensemble exécuter un grand coup assassiner le généralissime . —
Jamais! Les annales de la dynastie Tcheou J§) nous donnent cet
avis : un sicaire qui s'attaque à ses supérieurs, n'aura pas place
dans le temple des ancêtres où l'on inscrit les hauts faits des
membres de la famille) ; car quiconque meurt en perpétrant un
crime, n'est pas un vrai brave; celui qui meurt pour le bien public,
voilà le vrai brave! C'est pour un acte de courage que j'avais reçu
le poste de lancier du prince ; c'est pour avoir manqué de bravoure
que je l'ai perdu; si j'accusais mes supérieurs d'avoir méconnu
ma valeur, tout en perpétrant un forfait digne de dégradation, je
prouverais qu'ils ne me connaissaient que trop bien. Ayons donc
un peu de patience, cher ami !
Venons maintenant à la bataille annoncée. En 625, Mtmg-
ming Che jg fîfl ^. généralissime de Ts'in |j|, amenait une armée
venger le désastre de Hiao ffi, comme il l'avait annoncé dans sa
réponse à Yang Tch'ou-fou j§j Jift %£. Les troupes de T*in f|
allèrent à sa rencontre; le généralissime était SienTsiu-hiu $ç J=L
fê, avec Tchao Tch'oei ^g ^ pour adjudant: sur son char.il avait
Wang Koan-ou ~£ fê M pour conducteur, et Hou Kiuo-kiu $&
^J JiÊ pour lancier.
A la 2ème lune, au jour hia-l<e t$ ^, les deux armées étaient
rangées en bataille à P'ong-ya 0 ^j 1 ; c'est alors que notre
(1) I>-on2-va, était à tiO li nord-est de Pé-choei hien Ô ?K M- qui est à 120 li
nord-ouest de sa préfecture T'ony-tcheou fou |pj M\ M. Chen-si. Petite géogr.,vol.
14, p. 20) — 'Grande, vol 54, p. 27).
DU ROYAUME DE TSIX. SIANG-KONG. 107
Lang-chen !fj| §j| exécuta son projet: quand le combat fut engagé,
il se jeta comme un lion sur les ennemis, et y trouva une mort
glorieuse; ses gens lavaient suivi, et. dans leur élan, avaient
entraîné le reste de l'armée; la victoire fut éclatante; les troupes
de Mong-mingChe reprirent à la débandade le chemin de leur pays.
Cette bataille fut appelée la journée des remercîments 'le 7ViY/3|§.
Sur quoi l'historien fait les réflexions suivantes: tout sage
lettré remarquera que ce Lang-chen §g §f[ fut un homme supérieur;
car le livre des Vers nous dit : l'homme éminent fait éclater sa co-
lère, et les troubles sont bientôt comprimés; ailleurs il dit encore :
l'empereur Wen Wang 3ÔC rE> dans son courroux plein de majesté,
rassembla ses légions pour arrêter la marche de l'ennemi (1).
Lang-chen, dans sa colère, ne suscita pas de troubles, mais il se
livra tout entier, jusqu'à la mort, pour le service de son pays:
voilà pourquoi il mérite d'être appelé un homme supérieur.
Malgré sa nouvelle défaite. Moag-rning Che jg HT] ijij£ fut con-
servé à son poste de premier ministre : il s'appliqua de toutes ses
forces à améliorer l'administration, et Ht de grandes largesses au
peuple ; car, d'après la formule des lettrés, dès qu'on fait du bien
au peuple, il est prêt à passer par l'eau et par le feu pour son
bienfaiteur; personne ne peut résister à un tel élan, et l'on est
nécessairement vainqueur, si l'on entreprend alors quelque cam-
pagne. Nous avons vu cependant.au début du règne de Wen-hong
3£ ^ que ces bons médecins ajoutent à ce traitement quelques pi-
lules infaillibles, telles que l'enseignement de la justice, des rites,
de la musique, etc, etc.
Quoi qu'il en soit, Tchao Tch'oei j|§ ^. autrement nommé
Tchao Teh'eng-lse |g j$; ^ , dans une réunion d'officiers, rit la
remarque suivante: Bientôt une armée de Ts'in ff| se jettera de
nouveau sur nous ; il faudra éviter une bataille ; car quiconque se
méfie de soi-même et pratique la vertu, celui-là est invincible. Le
livre des Vers nous dit: pensez à oolre aïeul, et pratique: la vertu
(2). Voilà ce que fait Mong-ming Che : il s'y applique avec con-
stance, il finira par devenir invincible. Ces observations présa-
geaient la continuation de la guerre ; pour cela, il n'était pas
nécessaire d'être prophète !
A l'avènement de Siang-kong. le duc de Lou |§- n'était pas
venu lui faire visite et rendre hommage ; une armée fut envoyée
lui rappeler ce devoir de civilité: aussitôt le nouveau duc. nommé
Wen-hong ^ 2> (626-609;, s'empressa de se rendre à l'invitation.
A la 4e?" lune.au jour ki-se B £< Yan0 Tch'ou-fou % $£ 3£ fut
député pour signer avec lui un traité de paix et d'amitié : mais il
n'eut pas l'honneur de voir Siang-kong.
(1) (Zottoli. Che-king f$ M •"*■ UI, p. i8t. ode 44, v. 2 - p. 238. n° s)
'Couvreur. Che-king. p. 252 — p. 338. n° j).
(2) (Zottoli. Che-king vol. III. p 22c. ode 1, rerx 6) — 'Couvreur, p. 3*2>
vers 6).
108 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
C'était une grande humiliation ; mais c'était aussi la punition
de son peu d'empressement à venir saluer son suzerain ; s'il était
la fine fleur des princes chinois, il n'avait pas des ressources égales
à sa fierté ; on le traita donc comme un petit roitelet. Confucius
ne parle pas de ce voyage ; on ne l'avait pas inséré dans les archi-
ves, ou bien il sut ne pas l'y trouver.
Pendant que le duc rentrait piteusement chez lui, un de ses
seigneurs, nommé Mou Pé ^ fQ, assistait, de sa part, à une
assemblée des princes vassaux, tenue à Tchoci-long fg $j| (1);
il s'agissait d'une campagne à entreprendre contre le pays de Wei
fëj. Le ministre des travaux, <~'he Houo -j^ fg£, fils de Che Wei
■j^î^, se fit remarquer par son habileté, dans le cours des délibé-
rations, et l'expédition fut décidée ; c'est pourquoi ce ministre est
spécialement nommé, dit le commentaire. A cette nouvelle, le
marquis de Wei s'empressa d'offrir sa soumission (2).
A la fin de cette même année 625, le généralissime Sien
Tsiu-kiu -jfc jj. JE conduisait une armée contre le royaume de
Ts'in H§, pour le punir de sa dernière agression ; sans doute on
trouvait insuffisante la victoire de P'ong-ya $£ $j. Trois états
fournirent les troupes auxiliaires ; celles de Song, commandées
par le seigneur Kong Tse-tch'eng £V. ■? J$C ; celles de Tch'en (^,
commandées par Yuen Ts'ien ^ ^ ; celles de Tcheng ffj$, com-
mandées par Kong-tse Koei-cheng 7fe -f- ^ £fc.
En réalité, ce fut moins une expédition qu'une démonstra-
tion militaire ; on se contenta de prendre les villes de Wang ££
et de P'ong-ya g£ |gj (3), puis on rentra chacun chez soi. Pour
expliquer cette singulière conduite, le commentaire dit qu'on
respecta la grande vertu et la haute sagesse du roi Mou-kong
En 624, au printemps, le seigneur Tchoang Chou $£ $L appelé
aussi Chou-suen-tê-tch'en $1 M H 15^ de Lou H"» se joignait aux
officiers de Tsin |f, de Song yfc de Tch'en |fi|, de Wei ||j, et de
Tcheng f$, pour aller ensemble faire la guerre à la petite princi-
pauté de C'hen ^ (4) ; parce qu'elle s'était mise sous la suzerai-
neté de Tch'ou jfë, au lieu de se ranger sous celle de Siang-kong.
Cette campagne n'eut pas de résultat ; à l'arrivée des troupes, les
habitants se dispersèrent aux quatre vents du ciel.
(1) Tchoei-long, était à l'est de Yong-yang bien $5 Pg §f, qui est à 200 li
à l'ouest de sa préfecture K'ai-fong /'m< PU H fl\f, Ho-nart. 1 Petite géogr. > i*ol. 12,
p. S). — (Grande, vol. 47, p. 36).
(2) C'est alors qu'on livra à Siang-kong le grand olficicr K'ong Ta ^L »Ê-
comme nous l'avons dit.
i3) Wang était près de P'ong-ya; mais on en ignore l'emplacement exact.
(Grande géogr., vol. 3 4. p. 271.
(4) Chen, sa capitale, était au sud-est de Jou-ning fou fjc $ Jffi uu su<i du
fleuve Jou,llo-nan. Petite géogr.. vol. 12 jj, 4c 1 — (Grande, vol. 30, p. 18).
DU ROYAUME DE TSIN. SIANG-KONG. 109
En été, Mou-kong venait à son tour venger ses dernières défai-
tes ; ayant passé le Fleuve Jaune, il fit brûler ses barques, pour
montrer qu'il était , décidé à vaincre ou à mourir; aussitôt après, il
prit les villes de Wang-koan 3: H* et de Kiao jj$ (1). Mais les
troupes de Siang-kong ne paraissant point, Mou-kong repassa le
fleuve, au gué de Mao-tsin ~j£> ^ (2), enterra honorablement les os
de ses soldats, morts, en 627, sur le champ de bataille de Hiao
i§5» puis reprit le chemin de sa capitale. On ajoute que cette seu-
le campagne, ou plutôt cette promenade militaire, suffit pour le
replacer au sommet de la gloire, et le faire reconnaître comme
chef des Tartares Si Jong ]Rj J%.
En automne, le roi de Tch'ou j§| venait aussi venger l'expé-
dition tentée contre la principauté de Chen \%, et mettait le siège
devant Kiang £Q (3). Pour faire diversion, et forcer l'armée as-
siégeante à quitter la place, Siang-kong résolut de porter la guerre
sur le pays de Tch'ou ; mais auparavant il déféra sa cause à l'em-
pereur, afin de s'appuyer sur son autorité morale, et mettre les
vassaux de son côté.
Il en arriva ainsi. L'empereur envoya son grand ministre Wang
Chou Hoan-kong 3l ^ tM. £* accompagner l'armée, commandée
par Yang Tch'ou-fou $$ $£ $£, et Ton alla assiéger la fameuse for-
teresse de Fang-tch'eng ~)j jfà (4). Sur le chemin, on rencontra
Tse-tchon ^f- ^, Gouverneur de Si JU, (5), généralissime de Tch'ou ;
on entra en pourparlers, et il fut convenu que chacune des deux
armées rentrerait dans ses foyers. De cette manière l'incident
était clos.
(1) Wang-koan était le sud de Yu-hiang hien |j| j|p §|, qui est à 60 H
sud-est de P'ou-tcheou fou /,{j- #| Jjîf, Chan-si. (Petite géogr., vol. 8 30).
Kiao, n'était pas loin de là : le commentaire la place entre Lin-tain Ëîn r? et
Ngan-i ^ç Q (ihid).
(2) Mao-tsin se trouvait à 3 li nord-ouest de Chen tcheou |% j\\ , llo-nan.
(Petite géogr., vol. 12 p. 64).
(3) Kiang, sa capitale, était au sud-est de Tcheng-yang hien jE |^ J$j;, qui
est à 80 li au sud de sa préfecture Jou-ning l'on. (Petite géogr., vol. 12, p. 50).
(4) Fang-tch'eng. Cette forteresse, réputée imprenable., se trouvait sur la
montagne Fang, à 40 li nord-est de Yu-tcheou f£ II! , qui est à 120 li nord-est de
sa préfecture Nan-yang fou J?) [^ Ift. llo-nan. (Petite géogr., vol. 12. p. 47) —
(Grande vol. ji. p. 2ç).
(5) Si était 3 li au nord de Si hien gg |f, qui est à 90 li nord-ouest de
Koang tcheou $t #li Ho-nan. C'était autrefois la capitale d'une petite principauté,
annexée en 680 au royaume de Tch'ou ; ses roitelets étaient du clan impérial
Ki j|g. Petite géogr., vol. 12. p. 68) — (Grande vol. jo p. 44' - (Kiang-yu-
piao, vol. _t, p, 16)
110 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Siang-kong avait cependant scrupule d'avoir traité si cavaliè-
rement le duc de Lou îf|. ; il l'invita donc à revenir faire un nou-
veau traité de paix et d'amitié ; cette fois, il le traita royalement,
et donna en son honneur un grand festin.
Pendant le repas, en guise de toast, Siang-kong chanta le
texte suivant du livre des Vers : l'armoise croit admirablement
sur cette colline; en royanlce *age mon cœur est rempli de joie (1) ;
c'était un compliment délicat à l'adresse du duc ; le seigneur Tchoang-
chou $£ ;£j et son maître descendirent aussitôt quelques degrés de
l'estrade, en signe d'humilité et de reconnaissance; le seigneur
s'écria : Notre petit état eut l'honneur de recevoir votre bienveillante
invitation; oserions-nous être négligents dans l'accomplissement
de notre devoir? Votre Majesté nous a fait une insigne faveur,
notre joie est inexprimable ; ce bonheur de notre petit état est le
bienfait de votre grand et illustre royaume.
A son tour, Siang-kong descendit quelques degrés, pour re-
mercier du compliment ; puis on remonta ensemble, on se fit les
saluts d'usage, et le duc chanta le texte suivant du même livre: le
prince est admirable et aimable ; sa vertu brille d'un grand éclat (2).
Siang-kong se plaisait sans doute dans la compagnie de son
hôte, la fine Heur des princes chinois, le chef du pays classique
de la doctrine des anciens sages, car il ne le laisa partir qu'au
printemps de l'année suivante.
En 623, dans les premiers mois de l'année, Siang-kong ren-
dit la liberté au seigneur K'ong-ta ^L ?É de ^ei" Hf> qu'on lui
avait livré comme nous l'avons dit; c'était un homme distingué
et digne de tous égards ; son retour était une bonne fortune pour
son pays. Aussi, le marquis son maître s'empressa-t-il de venir
lui-même remercier Siang-kong de sa générosité, et l'assurer de
sa fidélité à son service.
En été, le prince de Ts'ao ~^Èj venait .aussi à la cour, fixer le
chiffre des contributions qu'il devait payer chaque année. Les
petits états, plus malheureux que les grands, avaient deux maîtres
à contenter, l'empereur et le chef des vassaux ; le second, ayant le
pouvoir de se faire obéir, était d'ordinaire plus exigeant que le
premier.
En automne, Siang-kong prenait sa revanche contre Mou-
kong ^| ^, roi de Ts'in fjf, en assiégeant la ville de Yun-sin-
tch'eng 7p|J $? j$ (3); à cette époque aussi, le roi de Tch'OU 2Ë
(1) Che-king jft fâ(Zottoli, III. p. 145, ode 22^ — (Couvreur, p. 199. chant 2.)
(2) Item (Zottoli. III. p. 251, ode 15) — (('ouvreur, p. 359- chant s).
i'3) Yun-sin-tch'eng, d'après le commentaire, se trouvait entre K'i-yang hien
& fê M <"' Teng-tch'eng hien Jg Jg $£. an nord de .T'ong-tcheou fou |bjJ #| fft.
Chen-si. La petite géographie, vol. li, p. 20. dit qu'il s'agit de Yun-sin-tth'eng
rttf © Wl qui était à 20 li au nord-est de Tcng-tch'cny hien. l.a grande' geogr., vol.
54, p. 26, dit expressément que c'est cette ville qui l'ut assiégée.
DU ROYAUME DE TSIN'. SIANG-KONG. 1 1 1
s'annexait définitivement la petite principauté de Kiang £j\ On ne
voit pas que Siang-kong ait rien tenté, cette fois, pour la sauver ;
lui qui, auparavant', avait recouru pour elle jusqu'à l'empereur!
Quant à Mou-kong, il se montra inconsolable de la perte de ce
petit pays, comme nous l'avons raconté dans l'histoire de Ts'in |f§.
En 622, vers la fin de l'année, Yang Teh'ou-fou flf| /g ^Ê 0tait
envoyé à la cour de Wei fâ. rendre la visite du marquis. A son
retour, il passa par la ville de Ning j§£ l ; là. le grand officier
Ing jgjl se joignit à sa suite, l'accompagna jusqu'à Wen ]fj^, puis
rentra chez soi, au lieu de le reconduire jusqu'à la capitale.
La femme de cet officier lui demanda la raison d'un si prompt
retour: c'est, répondit-il, que le seigneur Yang Tch'ou-fou est un
homme inflexible, et mal commode à servir. Le livre des Annales
(2) nous donne cet avis: il faut gouverner avec rigueur ceux qui
croupissent dans l'indolence ; mais il faut traiter arec douceur
ceux qui se distinguent par leurs talents et leur lionne volonté.
Ce seigneur ne connaît qu'une seule chose, la sévérité ; aussi je
doute qu'il meure de sa belle mort. Le ciel lui-même est parfois
sévère, mais il n'est pas inflexible jusqu'à troubler les saisons ; le
froid et la chaleur bien tempérés donnent une belle année : s'il n'y
a que des Heurs sans fruits, tout le monde est mécontent. Si l'on
choque par ses procédés austères, on ne peut éviter des malheurs.
Je craignais de ne pouvoir satisfaire ce seigneur, et d'être encore
impliqué dans l'infortune qui le menace : aussi je l'ai quitté au
plus tôt.
< »n sait que. dans la bouche des lettrés, semblables paroles
sont toujours la première antienne qui présage un désastre plus
ou moins prochain: bientôt, en effet, nous allons raconter l'assas-
sinat de ce seigneur Yang Tch'ou-fou; ce sera une perte sensible
pour le pays de Tsin.
Siang-kong venait déjà de déplorer, dans le cours de Tannée.
la mort de plusieurs hommes éminents : d'abord Tchao Teli'oei
jgg 3j£, autrement nommé Tchao Tch'eng-tse jffj $ If-. général en
chef des corps d'armée nouvellement constitués; puis Loan Tche
l$£ ^ ou Loan Tcheng-tse m j=| *f . général du 3ème corps régu-
lier; puis Sien Tsiu-kiu ^^^, le généralissime; enfin Stw-
tch'en ^ g ou Kifou-ki fâ ^, général adjudant du '.ï'mr corps
susdit.
Des changements, des promotions étaient donc nécessaires.
En 621. au printemps. Siang-kong passait en revue toutes ses
troupes, et leur faisait exécuter de grandes manœuvres devant la
(1) Nin<r était à l'est de Sieou-ou hien fè ifc M qui est a 12Ù li à l'est de sa
préfecture Hoai-k'ing fou ® §} 1Ï- Jlo-nan. 'Petite géogr.. vol. 12. p. t£
Grande vol. 4c . p. 1
(2) Chou-king 1H |>i {Couvreur, p. 202. n° 16 .
112 TEMPS Vil AIMENT HISTORIQUES
ville de I ^ (1); c'était un bon moyen pour juger chacun de ses
grands officiers. En conséquence, il licencia les deux nouveaux
corps, et remit son armée en son premier état ; il nomma le grand
seigneur Hou-i-hou % %\ £& général du centre, généralissime, et
premier ministre; Tchao Toen £g jjf". fils de Tchao Tch'oei défunt,
fut son adjudant
Cependant. Yang Tch'ou-fou % $& 3Ê était de retour; il dés-
approuva ces promotions, et demanda une nouvelle revue dans la
plaine de Tong ||. au bord du lac (2). Ayant été longtemps au
service de Tchao Tch'oei, il avait pu apprécier les grandes qualités
de son fils Toen; il en fit un magnifique éloge, et lui gagna l'opi-
nion publique; il parvint ainsi à le faire nommer à la place de
Hou-i-kou.
On ne pouvait faire un changement plus heureux ; Toen de-
vint célèbre, sous le nom de Tchao Siuen-tse |§ 3§[ ^p. et fut peut-
être le plus grand ministre que le royaume de Tsin ait jamais eu.
A peine en charge, il fit décréter les principaux règlements de
l'administration générale; il fixa les lois pénales, déterminant la
plus ou moins grande culpabilité des délinquants ; il résolut les
doutes ou les difficultés, inévitables dans l'application de ces mê-
mes lois ; il ordonna la recherche et la poursuite de ceux qui, par
la fuite, espéraient échapper à un juste châtiment; il prescrivit
l'emploi de contrats écrits et signés, pour les achats et les em-
prunts ; il remit en vigueur les anciens règlements, relatifs à la
distinction des différentes classes de la hiérarchie sociale; il mit fin
à des litiges épineux et invétérés ; il rendit aux offices et aux di-
gnités leur caractère primitif, et y éleva des hommes de mérite
jusque là délaissés.
Quand ce grand travail fut accompli, Toen en fit composer
un code, qu'il remit au grand-maître Yang Tch'ou-fou et au grand-
précepteur Kia T'ouo jÇ f£, avec ordre d'en urger l'exécution par
tout le royaume, comme une charte perpétuelle.
Siang-kong ne jouit pas longtemps de ces réformes si utiles
et si sages ; il mourait à la 8ème lune, au jour i-hai £ j£. lais-
sant pour héritier un fils encore en bas âge. Le peuple craignant
des révolutions, si l'on constituait un conseil de régence, désirait
qu'on plaçât de suite sur le trône, un prince capable de gouverner
(1) 1 était dans le Chan-si. probablement à l'est de P'ing-yang fou 'FPê'ff:
c'est tout ce qu'on en sait.
i2) Le lac Tong, est à 35 li nord-est de Wcn-hi hien $$ |J $.f . qui est à 70 li au
sud de Kiang tcheou £$#), Chan-si. (Petite rjéogr.. vul. S, p. 44.) — Les annales du
< 'hmi si lil E5 îii jfe, vol 53, p. 19, disent que ce champ de manœuvres était sur le
T'ai-p'ing hien >k ^P !Pf. clans la préfecture de P'ing-yang /'ou -TP Wi fâ ■ il en
reste encore un kiosque, près de l'ancienne ville de Lin-fen Ë» fft. à 25 li au nord
de T'ai-p'ing hien.
DU ROYAUME DE TSIN. SIANG-KON'G. 113
par lui-même ; c'est justement ce qui cause les troubles qu'on
voulait éviter.
Tchao Mong %j\ jfc_ (autre nom du lvV ministre) proposa le
prince Yong |ff, frère cadet de Siang-kong, fils de Wen-kong ^£
^ et delà princesse Tou K'i ;£]; fj[). C'est, disait-il, un homme d'un
âge mûr, et d'une grande probité ; de plus, son père l'estimait et
l'aimait particulièrement; il est tout près de nous, à la cour de
TVm ?J| qui le chérit; c'est donc lui qui peut le mieux être obéi,
rendre stable son trône, assurer l'amitié de nos voisins; ainsi nous
ferons preuve de piété filiale envers notre défunt souverain, et nous
éviterons des révolutions.
Mais Tchao Mong avait un rival et un ennemi, dans la person-
ne du grand seigneur Hou-i-kon /j)K ;tt #& , nommé aussi KinKiJ=(
Ép ; celui-ci ne pouvait lui pardonner de l'avoir supplanté ; il trouvait
une bonne occasion de lui faire échec ; il proposa donc, de son cô-
té, le prince Lo *§|, fils de Wen-kong et de la princesse Tch'en-
tn9 M M > e^ il ajoutait : Sa mère a été la favorite de nos deux
derniers souverains ; le peuple sera content de notre choix, et se
tiendra en paix.
Tchao Mong n'eut pas de peine à lui répliquer : Cette concubine
est de basse extraction, lui dit-il; elle n'avait que le g'^me rang parmi
les femmes secondaires ; ayant vécu en inceste avec le père et le
fils, elle s'est encore avilie davantage; quelle autorité pourrait
avoir le fils d'une telle femme? Né de notre souverain, le prince
Lo n'a pu cependant trouver un emploi dans aucun grand royau-
me ; il a dû se contenter de prendre service dans le petit état de
Tch'en ^, si éloigné de nous; bref, il est méprisé!
Au contraire, la mère du prince Yong a donné un rare exem-
ple de déférence : en considération de notre souverain ^Ven-kong,
elle céda la place à la princesse Pi Ki fg Ifâ, mère de Siang-kong ;
en considération des bienfaits reçus par ^Ven-kong chez les Tar-
tares Ti ^, elle céda encore la place à la princesse Ki Koei ^pE |ïj| ;
ainsi, du second rang elle descendit elle-même au 4-me ; c'est pour
cela que Wen-kong chérissait le fils qu'elle lui avait donné ; il l'en-
voya exprès à la cour de T*'in J|s, où, grâce à son talent, il est
devenu ministre de second degré; là on sera flatté de notre choix,
on le soutiendra s'il est nécessaire, et nos deux pays seront liés
d'amitié; comment notre peuple pourrait-il nous désapprouver?
Sur ce, Tchao Mong députa les deux seigneurs Sien Miè ^fc
}§£ et Che Hoei -j^ -§}" inviter le prince Yong Jfê à venir au plus
vite monter sur le trône. De son côté, Kiv Ki I( ^ envoyait une
députation inviter le prince Lo |§| ; mais quand celui-ci fut arrivé
à Pi §.\\ (1), il y fut assassiné par des émissaires du premier
ministre.
(1) Pi, nommée aussi Tchao-ting ?ï|> sf, était à 90 li à l'est de Yuen-h'iu
hien *M []{] %, qui est à 230 li sud-est de Kiang tçhcou {$ W, Chan-.-i 'Petite
11
114 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Kia Ki se voyait donc encore un fois frustré dans ses espé-
rances ; ne pouvant se venger sur le premier ministre, il tourna
sa rage contre Yang Tch'ou-fou (5^ ^ 3£ : à la 9"u'lune, il envoya
un des membres de sa famille Hou $^, nommé Siu KiU-kiu ${
ft] ^§, l'assassiner.
Que dire maintenant du texte de Confucius? On y lit: «le
royaume de Tsin § met à mort le grand officier Yang Tch'ou-fou» ;
ce qui signifie: le gouvernement, comme tel, fait périr un de ses
hommes les plus éminents ; tandis qu'il s'agit d'un crime perpétré
par un particulier.
A la 10-melune,on procédait à l'enterrement solennel de Siang-
kong ; naturellement, tous les vassaux envoyèrent des délégués,
les représenter dans cette cérémonie ; le seigneur Siang-lchong
M. ($< ^e Lou, est spécialement nommé par l'historien (1).
A la 12ème lune, au jour ping-ing j^J J|, le premier ministre
faisait mettre à mort l'assassin Siu Kiu-kiu H( ||J fâ ; son patron
Kia Ki jÇ 2pE comprit la leçon, et s'enfuit chez les Tartares Ti fyfc
auxquels il était allié (2).
Tchao Mong jugea que son rival se punissait suffisamment
par cet exil ; il lui fit conduire, par l'officier Yu-pien Ej| J|)f , sa
femme, ses enfants, toute sa famille enfin. Cette modération du
premier ministre est grandement louée par les lettrés, et elle le
mérite. D'autres hommes, à sa place, auraient trouvé bien des
motifs plausibles, pour se défaire d'un tel compétiteur,
Tel maître, tel serviteur! Cet adage n'est pas toujours vrai;
cette fois il se trouva réalisé. Au printemps de cette même année,
à la revue de / ^, cet officier, Yu-pien Ql $M, avait été dégradé
par Kia Ki jl[ ip, à peine nommé généralissime; il avait donc
entre les mains une belle occasion de se venger ; ses amis l'en
pressaient : Jamais! leur répondit-il; j'ai lu dans les vieux livres
que ni un bienfait ni une injure ne doivent être imputés à la
descendance; voilà le principe d'un homme loyal! Mon maître, le
premier ministre, se montre généreux envers Kia Ki ; moi, je pro-
fiterais d'une mission de confiance qu'il me donne, pour venger
une offense personnelle; c'est impossible; ce serait une lâcheté!
géogr., vol. S. p. 4s). — (Gronde géogr., vol. 41. p. 42.) — (Annales dn Chan-si,
col. 53, p. '9- '
(1) l.c tombeau de Siang-kong est à 15 li au sud de Siang-ling hien $£ fê f£,
qui est elle-même à 30 li sud-ouest de sa préfecture PHng-yang fou -^FfêlTf. Chan-
si. (Petite géogr.. vol. S, p. S.) — (Annales du Chan-si. vol. 36. p. 26).
(2) Siu était une petite principauté très antique: car Siu-ya $$' Jf, un de ses
titulaires, fut l'un des sept amis de l'empereur Choen f$. Kiu-kiu s'appela aussi
Kien-pé j;Jj \Q ; il était descendant de Va, et possesseur du fief. (Annales de Tch'e-
tcheou fou j*^ iH'l Jft ,£-;, vol. 31, p. sJ — !■<■' /'''/' était sur le territoire de cette pré-
fecture, dans le Chan-si).
DU ROYAUME DE TSIN. SIANG-KONG. 115
Ayant ainsi parlé, il conduisit personnellement et sous bonne
garde, jusqu'à la frontière, la famille de KiaKi et tous ses trésors.
Avant de passer au règne suivant, le lecteur doit être averti
qu'une déception l'y attend ; ce n'est point le prince Yong |j£ qu'il
va trouver sur le trône, mais l-ka.0 Jl^ ^, ce jeune fils de Siang-
kong que tout le monde voulait écarter; c'est lui que nous allons
étudier, sous son nom historique Ling-kong jg| £^.
116
LIN G- KONG (620-607)
&
-H + H-
Le nom du nouveau prince n'est pas élogieux ; il signifie peu
intelligent, mauvais..; il faut qu'il ait grandement irrité son
peuple, pour en avoir reçu un tel nom posthume ; car l'usage
voulait que des morts on ne dît que du bien.
En 620, au printemps, le duc de Lou ||, profitant des trou-
bles du royaume de Tsin, attaquait la petite principauté de Tchou
ffi (1) ; ainsi les malheurs de l'un tournaient au profit de l'autre,
en Chine comme ailleurs.
En été, K'ang-hong j§| fc 620-609), le nouveau roi de Ts'in
|j§, se mettait lui-même à la tête d'une armée, pour conduire le
prince Yong ^ à sa capitale, et l'installer sur le trône : Wen-kong
<£ 7fe, disait-il. n'aurait pas été exposé à la conjuration des sei-
gneurs Liu Cheng g $$ et K'i Joei $> j%j, s'il eût été accompagné
de la force armée; je ne veux pas commettre la même faute.
K"ang-kong ne savait pas que l'état des choses était bien
changé; au lieu d'être acclamé sur son chemin, comme un ami
et un libérateur, il fut reçu comme un ennemi. Comment ce
revirement s'était-il donc opéré? En voici l'explication :
La princesse Mou-ing ^ $K, veuve de Siang-kong, venait
chaque jour à la cour, portant dans ses bras son fils aîné I-kao
i£| ^ : là, elle se mettait à pleurer et à jeter les hauts cris: quel
crime a donc commis le prince défunt? quel crime a donc commis
cet enfant, son héritier légitime, pour qu'on aille chercher un
autre souverain? Que va-t-on faire de ce jeune prince?
Ayant ainsi ému le cœur du peuple par ses lamentations, la
princesse douairière se rendait de ce pas au palais du premier
ministre; de son front, elle frappait la terre en s'écriant : Notre
défunt souverain confia cet enfant à votre sollicitude, en disant :
s'il réussit à devenir un bon prince, ce sera le plus grand bienfait
que j'aie reçu de votre seigneurie ; s'il ne réussit pas, j'aurai lieu
de vous en vouloir, même après ma mort! Notre souverain n'est
plus ; mais ses paroles retentissent encore à vos oreilles ; comment
votre seigneurie peut-elle mépriser une telle recommandation, et
abandonner cet orphelin?
(1) Tchou. Sa capitale était à 26 li sud-est de Tchcou hien Jfft ^.qu'est à 50
li sud-est de sa préfecture Yen-tchenu fou Jj ^| tff, Chan-tonsr. 'Petite géogr., vol.
to, p. 8).
DU ROYAUME DE TSIX. LIXG-KOXG. 117
Tchao Siuen-lse |jj j|f -Ç- ou Tchao Mong et les autres
grands dignitaires se voyaient dans l'embarras, par cette conduite
de la douairière : maintenant, le peuple était pour elle ; d'autre
part, le prince Yong 3fé était en route. Que décider ?
On fit volte-face complète : on désavoua les deux messagers
qu'on avait envoyés à la cour de Ts'in f^f, et l'on plaça sur le
trône le jeune prince I-kao ^ Q ; mais cette partie de la tâche
était la plus facile ; comment accomplir l'autre, et se défaire du
prince Yong ^|? les troupes de Ts'in ^ étaient là pour le sou-
tenir, on organisa bien vite une armée pour les repousser.
Tchao Siuen-tse, étant premier ministre et régent du royaume,
était de droit généralissime; pour adjudant, il prit Sien K'o ^£ }£.
fils de Sien Tsiu-kiu 5fc _H )i'j défunt; pour conducteur de son
char, il eut le seigneur Pou-tchao ■$? Jg . et pour lancier le sei-
gneur Jong-tsin -fc fê. Nous avons dit que Sien Miè *fc ^ avait
été député à la cour de Ts'in §|§, inviter le prince Yong; il était
déjà revenu; c'est lui qui fut général de l'aile gauche de l'armée,
avec Sien Tou -*fc ^ pour adjudant; le seigneur Siun Lin-fou ^f
t^ 3£ f11* général de l'aile droite, à la place du seigneur Ki-tcheng
jfÇ Hft chargé de défendre la capitale.
On se mit en marche, et l'on parvint bientôt à King-in ^3
[^ (1); là, dans un conseil des officiers, Tchao Siuen-tse parla
ainsi : A tout prix il faut empêcher les troupes de Ts'in J^- de
pénétrer sur notre territoire; sinon, elles nous dénigreront auprès
du peuple, lui montrant l'incohérence de notre conduite; lançons-
nous sur elles comme sur des fuyards; c'est le moyen le plus sûr;
car, d'ordinaire, celui qui attaque le premier est vainqueur.
Ordre fut donc donné aux soldats de bien aiguiser leurs épées,
de nourrir copieusement les chevaux, de prendre leur repas sur
leur lit; enfin, de marcher en grand silence, pendant la nuit, afin
de surprendre l'ennemi au point du jour.
Tout fut ponctuellement exécuté; on tomba à l'improviste sur
l'armée de Ts'in |j|, à Ling-hou /fr JJJ, non loin de la frontière;
on la mit en déroute, et on la poursuivit jusqu'à la rivière K'ou-
cheou <fi] "|f 2), sur son propre territoire.
(1) King-in était une ville de T&in ^ : mais on en ignore l'endroit. II y a
le défilé fn-ti fè if. à 120 li sud-ouest de Ling-che hien f£!î $£ ■ q»'" est à 100 li
au nord de Houo tcheov St^H< Chan-si; mais il n'est pas probable qu'il s'ayi^--' de
cet endroit. (Petite géogr., vol. S. p. 41).
(2) Lin2>hou était à 15 li à l'ouest de 1-che hien fâ J'< |f. qui est a 120 li
nord-est de P'ou-tcheou fou j§} ■J'H Jft Chan-si. Petite géogr., vol. S, p. 31) —
(Grande, roi. 41. p. 25).
K'ou-cheou. Cette rivière est au sud-est de Ho-yang hien V.î [!JJ fjjf, qui est à
120 li nord-est de sa préfecture T'ong-tcheou fou |^J 41 JflP. Chen-si. (Petite géogr.,
vol. 14. p. iç) — (Grande, roi. 54. p. 24 .
118 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Cependant Sien Mié $q Jji était honteux du rôle qu'on lui
avait fait jouer; bientôt il s'enfuit au royaume de Ts'in ^ avec
Che Iloei -j^ ^, son compagnon d'ambassade. L'historien nous
raconte, à ce propos, les faits suivants : Quand Sien Mié avait
reçu mission d'aller inviter le prince Yong Iftfc, son ami Siun Lin-
fou ^j fâ 3C m' avait dit : La princesse douairière est ici, avec son
fils, le légitime héritier; aller ailleurs chercher un souverain n'est
pas possible! prétextez une maladie, et déclinez cet office: autre-
ment, il vous arrivera malheur; je vous donne ce conseil en qua-
lité de bon collègue et de bon camarade.
Sien Mié persistant à partir, Siun Lin-fou lui chanta avec
tinesse le passage suivant du livre des A'ers (1) : Prenez conseil,
même des villageois qui ramassent le foin ou le boi* mort; Sien
Mié comprit bien la leçon, mais ne voulut pas se laisser persuader.
Maintenant qu'il était en fuite, son ami lui envoya sa femme, ses
enfants, ses meubles, son trésor, et lui ht encore dire les mêmes
paroles; c'est à titre de bon collègue, de bon camarade, que je vous
rends ce service !
Voici un trait d'un autre genre, au sujet de Che Hoei -^ lit '•
celui-ci était déjà depuis trois ans dans le pays de Ts'in |j|, et il
n'avait pas encore fait visite à Sien Mié ; quelqu'un lui en marqua
de l'étonnement : Si j'ai commis la même faute que lui, répondit-
il, ce n'est ni par vertu, ni par affection pour lui; pourquoi donc
irais-je le visiter? Ainsi, jusqu'en 614, époque de son retour, il
n'eut pas de rapports avec lui. Ce fait, avec la réponse, est resté
célèbre dans les annales de la Chine, et les lettrés en sont fiers.
A la 8eme lune de cette même année 620, le premier ministre
Siuen-tse avait une entrevue, à Hou j~, (2), avec les princes de
Ts'i fâ,de Song 5JÇ,de Wei fjjj, de Tch'enfjfc, de Hiu ^, de Ts'ao
^ et de Tcheng |f]$, sur le territoire de ce dernier. On y fit un
traité de paix et d'amitié, à l'occasion de l'avènement au trône du
jeune Ling-kong. Le duc de Lou |§. vint en retard; ainsi pou-
vait-il s'excuser des deux côtés; à la cour de Tsin, il montrait
obéissance ; à la cour de Tch'ou ^, qui lui reprochait ce voyage,
il prouvait l'avoir fait à contre-cœur. O la fine fleur des princes
distingués et vertueux!
Le seigneur Ki K'iuè £[> ||i,nous dit l'historien, lit de sages
remontrances au premier ministre: «En 626, dit-il, le marquis de
Wei $£j s'étant montré revèche, nous lui avons pris du territoire ;
maintenant qu'il nous est très soumis, pourquoi ne le lui ren-
drions-nous pas? Ne pas abattre un état rebelle, serait ruiner
(1) (Zottoli, Chc-kiiuj §# fêg III, p. 2ôi. >in s) —JCQMWeur, p. Sïo. n° s>-
(2) Hou, dont il reste un kiosque en souvenir, était nu nord-ouest de Yuen-
"ii hien KÀ iïK. M qui est à l.xo li à l'est de sa préfecture Ho-nan J'nu fnf fjj î(-f. llo-
nan. (Petite géogr., vol. 12. p. 29) — (Grande, vol. .■}■;, p. 27).
DU ROYAUME DE TSIN. LIXG-KONG. 119
notre autorité; traiter sévèrement un état soumis, serait inhumain;
dans les deux cas nous ferions preuve de peu de vertu ; comment
alors pourrions-nous, rester à la tète des vassaux? Votre seigneurie
est actuellement premier ministre et président des divers princes ;
si elle ne s'applique sérieusement à la vertu, que de malheurs
sont à craindre !
Le livre des Annales (1) nous dit: prévenez la négligence par
des récompenses décernées au mérite; corrigez-la par des châti-
ments; excitez l'ardeur pur tes chant* sur les neuf sortes de
labeurs, afin que votre œuvre n'éprouve pas de déclin. Les mérites
montrés dans les neuf sortes de travaux, sont dignes d'être chantés;
voilà ce qu'on appelle les neuf chants. Il y a six trésors: l'eau,
le feu, les métaux, le bois, la terre, et les grains; il y a trois
occupations : la réforme des mœurs, l'acquisition des objets néces-
saires, et la recherche des commodités de la vie: voilà où se
montrent les neuf sortes de mérite !
Quiconque accomplit fidèlement cette tâche, montre de la
vertu, et possède les rites ; quiconque ignore les «rites» ne peut
réjouir le cœur du peuple, et doit nécessairement causer des révol-
tes ; si votre seigneurie n'a pas de mérites qu'on puisse chanter,
comment pourra-t- elle s'attacher les peuples ? Pourquoi ne fait-elle
pas en sorte que les états soumis célèbrent, par des chants joyeux,
la grandeur de ses bienfaits?»
Pauvre lecteur! vous ne comprenez guère, sans doute, cette
exhortation saugrenue? vous êtes un profane, résignez-vous à res-
ter un ignorant. Mais les lettrés se comprennent entre eux, cela
suffit. L'historien nous assure que le premier ministre fut très-
content de cette remontrance, et la mit à exécution dès l'année
suivante ; peut-être avait-il aussi d'autres motifs, que l'historien
ne connaissait pas. et qu'il a remplacés par son élucubration ver-
tueuse et verbeuse.
En 619 donc, au printemps, Siuen-tse députa le grand officier
Hiai Yamj jj$ [5J|. pour rendre au marquis de Wei (ft les territoi-
res de K'oang [|| et de Ts'i J[}£, qu'on avait donnés au prince de
Tcheng 1fj$ ; on rendit encore au même marquis le pays situé entre
Chen ^ et Hou-lao }& 2jï (2), que Wen-komj ~*£ Q avait octroyé
à son gendre Tche fâ. Si ces restitutions ne prouvent pas la
vertu du premier ministre, elles montrent son habile prudence et
son autorité; il sut ainsi, sans employer de violents moyens, con-
server à son jeune souverain la prééminence sur les vassaux.
(1) Chou-king ïii $J Ta Yu-mou ^ ^ ,:?. (Couvreur, p. jj, n'
(2) Chen était à 20 li au nord de Nan-yang fou |fj F§ Iftf. Ho-nan. Petit*
géogr., vol. 12, p. 40) — (Grande, vol. 51, p. / .
Hou-lao était un peu à l'ouest de Fan-choci hien îQ 7.K If q"i est à 250 li à
l'ouest de sa prélecture K'av-fong fou $) i\ $'. Ho-nan. (Petite géogr., vol. ij- p. io>.
120 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Cependant, la cour de Ts'in ^ ne pouvait pardonner le tour
indigne qu'on lui avait joué ; elle envoya une armée prendre la
ville de Ou-tch'eng fà jfà (1).
Nous avons vu plus haut que le duc de Lou ^ était venu
trop tard à rassemblée des vassaux, à Hou Jg ; en été, une armée
fut envovée, lui demander raison de sa négligence ; aussitôt le
duc promit tout ce qu'on lui dicta ; en hiver, il députa le seigneur
Siang-tchong || fi|>, pour signer un nouveau traité de paix et
d'amitié ; l'entrevue avec le premier ministre Siuen-tse eut lieu à
Heng-yong %] $£ (2), sur le territoire de Tcheng J$. Le duc se
déclarait le vassal le plus humble, le plus fidèle, le plus obéissant
de tous; c'était la formule d'usage, mais ni lui ni les autres ne se
croyaient engagés par ces serments ; on les tenait tant que Tin-
térêt ou la nécessité y contraignait.
L'historien donne ici l'origine des troubles qui eurent lieu
l'année suivante ; voici ce qu'il raconte : A la grande revue de /
1=1!, en 621, Siang-kong j|| fè voulait nommer le seigneur A'i-
tcheng-fou ^ ff[$ 5c général de l'aile droite, avec le seigneur
Sien Tou fc $|> comme second ou adjudant ; il voulait aussi élever
le ministre des travaux publics, Che Houo ^f Wîi à la dignité de
premier ministre, et en faire son généralissime, avec le seigneur
Liang-i-eul |f£ ^ If comme adjudant.
Mais le seigneur Sien K'o jfc]& fils de l'ancien généralissime
Sien Tsiu-hiu ^j ^^, fit remarquer qu'on ne devait pas oublier
les grands services rendus par les grands dignitaires Mon Yen $R ([g
et Tchao Tch'oei jfë ^ ; le prince avait suivi ce conseil, et nommé
Hou-i-kou /($ HJ jil\ généralissime, avec Tchao Toen jjg /§ comme
adjudant; le lecteur s'en souvient.
Les officiers évincés étaient furieux contre Sien-k'o; celui-ci
enleva encore au seigneur K'oai-té jjîjlj ^ le fief qu'il avait reçu
à King-in j§; [^, en 620 ; ce fut un mécontent de plus, il s'unit
avec les autres; ensemble ils formèrent une conjuration.
En 618, au début de l'année, au jour nommé K>-yeon g, j?f,
ils envoyèrent un assassin tuer Sien-k'o. Le premier ministre voulut
venger son adjudant ; au jour nommé i-tcheou £ jj, il fit mettre
à mort Sien Tou %, ^ et Liang-i-eul ^ ^ ^; puis, cà la 3èim>
1) Ou-tch'eng\ Il y a plusieurs villes de ce nom; celle-ci était à 1 3 li nord-est
de Ilon-tcheou ^Hl'l, qui est à 180 li sud-ouest de sa préfecture T'oiig-tchcou fou
\p\ Ml K , Chen-si. L'endroit exact se nomme Tcheng-tch'eng t$ \h\ ; ;c 'était la capitale
du fief accordé, en 806, au fondateur de la maison princière de Tcheng |!jfi. (Petite
géogr., vol. 14, p. 21) — (Grande, vol. 54, p. 2).
(2) Heng-yong, nommée aussi Yuen-yong f$f $ff\ était à 5 li nord-ouest de
Yuen-ou bien JiK ift $£. qui est à 180 li à l'est de sa préfecture llo-nun fou inj f$J
/flf, Ho-nan. (Petite géogr., vol., 12 p. zg).
DU ROYAUME DE TSIN. SIANG-KO.NG. 121
lune, au jour kia-siu ^ ^, ce fut le tour de Che Houo -j^ f$,
Ki-tcheng-fou 38: gj$ ^ et Kfoai-té #j|J ^% ; la révolte fut éteinte
dans le sang des conjurés.
La cour de Tch'ou *£ pensait profiter de la jeunesse de
Ling-kong, pour étendre au nord son autorité sur les états vrai-
ment chinois : une armée envahit le pays de Tcheng |iji, et força le
prince à signer un traité de soumission. Le premier ministre Siuen-
tse accourut avec ses troupes, auxquelles s'étaient jointes celles de
Song '-£, de Wei ffj et d'autres encore: mais il n'y eut point de
bataille, on arriva sans doute trop tard.
En été, l'armée de Tch'ou s'attaquait au pays de Tch'en fjja.
et remportait les mêmes avantages ; bien plus, ces deux princes
furent encore contraints, l'année suivante, à signer un nouveau
traité d'alliance, et à rompre définitivement avec Ling-kong; c'est
l'origine des guerres que nous aurons bientôt à raconter.
En 617, le premier ministre enlevait au roi de Ts'in ^ la
ville de Cha.o-lia.ng 'p ^ : celui-ci prenait celle de Pê-tcheng Jfc
En 6 16,en été, un seigneur deLou||,nomméG7iou-£c/io?î(7-p'ong-
cheng .jç£ |ï)> y'5 4fe- s'abouchait à Tcheng-k'oang 7R [x (2 . avec
K'i K'iuè 'ffi '$k- grand seigneur que nous connaissons; c'est le
premier ministre lui-même qui avait demandé cette entrevue ; ou-
tre les deux princes de Tcheng |$ et de Tch'en [î^, celui de Song
5|£ venait aussi de se langer sous la suzeraineté de Tch'ou : il
importait d'arrêter ce mouvement de désertion : pour cela, l'aide
du duc de Lou ne semblait pas à dédaigner.
En 615, le roi de Ts'in |jê, voulant encore pousser sa ven-
geance, préparait une nouvelle expédition ; il espéra v engager le
duc de Lou |j|-, et lui envoya un ambassadeur: mais celui-ci ne
rapporta que de bonnes paroles, et rien autre chose: K'ang-kong
JH 7fe résolut alors d'agir tout seul. A la fin de l'année, ses trou-
pes enlevaient à Ling-kong la ville de Ki-ma '"■[ B| .'J .
Le premier ministre Siuen-tse conduisit une armée contre
lui: son adjudant était Siun Lin-fou "Mj | ;> 3c : '° conducteur de
(1) l'hao-lianur était à Ti li au sud de Han-tch'eng hien $£ & $£ qui est à
— — ' ' li nord-est de sa préfecture T'ohg-tcheou fou |ii] #| Jff. Chen-si Petite géogr.,
vol. 14. p. iç — Grande, vol. 54, p. 24 .
Pé-tcheng était a 22 li au sud de Teng-tch'eng hien ;^ fc£ $£, qui est .1 120
li au nord de ["ong-tcheou fou. {Petit,- géogr., vol. 14. )>. 20 — Grande, vol. -v-
p. 26).
(2) Tchenic-k'oang était à .30 li à l'ouest rie Soei-tcheou '':'; ft\. qui 1 -
l'ouest de sa préfecture Koei-té fou Jê^ft Ho-nan. C'était sur le territoire de Song
^. Petite géogr., vol. 12. p. 14 . — (Grande, vol. jo. jj. 13
3 Ki-ma était a 36 li au si.d de P'ou-tcheou fou };|f 41 ff . Chan-si. Petite
ijeoçjr., roi. 8. p. 30 — (Grande, vol. 41 v.
I i
122 TEMi'S VR.U.M1 .<T HISTORIQUES
son char, le seigneur Fan Ou-hiué fa fjff'IÉ '■ K'i K'iuê §ft Hjk
commandait l'aile droite, avec Yu Pion E}3 $$ pour second; Lonn
T'ufn §H Jg~ commandait l'aile gauche, avec Siu Kia Iff ^ pour
second ; tout était disposé pour une campagne sérieuse.
On suivit les troupes de Ts'in |£ jusqu'à Ho-k'iu fpj llj] l ■
Là, dans le conseil des officiers, Yu Pien fit la remarque suivante :
l'armée ennemie ne peut pas rester longtemps ici : creusons un
fossé profond, élevons un mur en terre haut et solide, puis atten-
dons tranquillement dans notre camp retranché. L'avis fut de
suite exécuté.
Les troupes de Ts'in f|f. en effet, demandaient à livrer ba-
taille : K'ang-kong avait auprès de soi le fuyard Che llnei ^f; ^ :
il l'interrogea sur le moyen de forcer Siuen-tse à combattre :
Cette fois, répondit le transfuge, le premier ministre a emmené Yu
Pien ; certainement c'est lui qui a suggéré le plan de défense ; il
veut lasser notre armée, il n'y parviendra pas ; voici pourquoi :
Auprès du premier ministre, il y a son cousin Tchao Tch'oan
ffi ïgf. gendre du défunt souverain, et l'un des favoris de la cour;
c'est un homme nul, sans aucune expérience de la guerre, un
étourdi qui se targue de bravoure, et de plus un ennemi de Yu
Pien ; envoyez des troupes légères le provoquer, le harceler ; sûre-
ment il sortira du camp, et forcera ainsi l'armée à le suivre.
K'ang-kong offrit une précieuse tablette de jade en sacrifice
à l'Esprit protecteur du Fleuve Jaune, pour se le rendre favorable;
puis, à la 12 "' lune, nu jour meou-ou r^ ^f. il fit attaquer l'aile
droite de l'armée ennemie. Tchao Tch'oan fit une sortie sur les
assaillants, qui, naturellement prirent la fuite pour l'attirer: il les
poursuivit sans pouvoir les atteindre.
Rentré au camp, il s'écria en fureur: Ayant une si grande
abondance de vivres, nous nous morfondons ici ! l'ennemi vient
nous attaquer, personne ne bouge! qu'attendons-nous donc? Des
officiers lui répondirent qu'on attendait une bonne occasion, pour
frapper un grand coup : il riposta avec la même fureur : Je ne
comprends rien à vos stratagèmes! moi, je vais me lancer seul sur
l'ennemi! Avant ainsi parlé, il sortit du camp avec ses hommes.
Siuen-tse était vivement contrarié de cette conduite ; cepen-
dant il dit à ses généraux: K'ang-kong Jfâ Q va faire prisonnier
ce téméraire, et il s'en retournera chez lui tout glorieux ; si je
laisse prendre ce ministre d'Etat, de quel front reparaitrai-je à la
cour? Sur ce. il fit sortir toute son année: il y eut un combat,
mais on ne sut qui était vainqueur.
Pendant la nuit, un officier de T.<cin §|§ apporta au camp le
message suivant : Nos deux armées ne sont pas contentes de cette
I Ho-k'iu, aussi nommée P'ou-pan-tch' eng ;jjj -S %• ^'tait a 5 •' >ud s
P'ou-tcheou fou. Petite géogr., vol. S. p. 30) — (Grande, vol. 41. p. •
DU ROYAUME DE TSIN. LING-KONG. 123
bataille insignifiante; demain matin, recommençons s'il vous plaît
le combat.
Yu Pien dit àrtix autres officiers : Les yeux du messager étaient
hagards, sa voix tremblait : les gens de Ts'in %\ ont peur de nous,
ils sont capables de s'enfuir cette nuit ; attaquons-les, au moment
où ils traverseront le Fleuve Jaune, nous sommes sûrs d'une belle
victoire.
Mais Siu Kia jif 1{1 et Tchao Tch'oan ^ ^ se tenaient sur
la porte du camp, et criaient : Nos morts et nos blessés ne sont
pas encore ramassés ; les laisser là serait inhumain ! sans avoir
indiqué l'heure et le lieu du combat, se jeter à l'improviste sur
quelqu'un, alors qu'il est dans l'embarras, serait une lâcheté!
La désunion était donc parmi les officiers, grâce à l'écervelé
Tchao Tch'oan; ainsi l'on resta tranquille, quand il était le plus
à propos d'agir vigoureusement. Ue fait, cette nuit même, l'armée
de Ts'in ^ se retira; elle revint bientôt, enleva la ville de Hiai
 1; qu'elle abandonna peu après.
En 614, Siuen-tse, craignant un retour offensif contre cette
même ville, y envoya le grand officier Tclien Kia f^ê ^ comme
gouverneur, avec des troupes suffisantes, pour protéger le territoi-
re et le défilé de T'ao-lin $[> \\\ 2), point stratégique de la plus
haute importance.
Le peuple de Tsin regrettait vivement de voir un homme
aussi éminent que Che Hoei -^ /§f . au service de l'ennemi; en
conséquence, Siuen-tse réunit en conseil tous les ministres ses
collègues, dans la ville de Tclwu-feou }fé %$ (3), et il parla ainsi :
Depuis que Che Hoei, l'ancien gouverneur de Soei |^ (4 , s'est
enfui au royaume de Ts'in ^, et Kia Ki jÇ 2p chez les Tartares
Ti £J£, les malheurs n'ont cessé de fondre sur nous; que faire
pour remédier à cette situation?
(1) Iliai, sur la rivière Tsiao $k. doit son nom l'siao-hiai. était a 2 li au sud
le Clu-n-tclieuu |$î :W . Ilo-naii 'l'rtitc grogr.. roi- ; 2 . p. 64) - (Grande, ool 48,
p. Si). D'autres auteurs la placent à 5 li sud-est de Hiai-tcheou 3? M . Chan-si.
(2) T'ao-lin. Ce pays s'étendait depuis le défilé Tong-koan ffi jlj jusqu'à celui
de Han-kou-koan §j tir '&', donc tout le territoire de Chcn-teheou et de Hoa-tcheou
^H m ; c'est le passage entre la province du llo-nan et celle du Chen-si. Grande
grogr.. vol. 4S. p. 51). Le roi de Tsin avait pris le pays de Kouo $£, pour i'assu-
rer ce passage.
(3) l'chou-l'eou. On en ignore l'identification. Serait-ce Feou-chan hien ,f |l|
|f. qui est à 90 li à l'est de sa préfecture P'ing-yang fou 'I' PU tff ■ Chan-si ' (Petite
géogr., vol. S, p. S) — (Grande, vol. 41. p. 7 .
(4) Soei était un peu à l'est de Kiai-hieou hien ft #C M • dans la préfecture
de Fen-1 heau fou $) :W tfF- Chan-si. (Petite géogr.. val. S. p. 16) — 'Grandi-, vol.
42, p. y) — (Annales du Chan-si. roi. ji. p. 41 .
124 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Siun Lin-fou ^j JJ=£ '£ répondit : Allons inviter le seigneur
Kia Ki à rentrer dans sa patrie ; puis nous le chargerons d'entre-
tenir de bonnes relations avec les Tartares : ce sera déjà un grand
avantage pour nous : d'ailleurs son père Hou Yen $J£ f|g_ a bien
mérité de notre famille régnante.
Le seigneur K'i K'iuè £J$ $fe répliqua : Kia Ki est un révo-
lutionnaire ; il ne vaut pas Che Hoei : celui-ci a su montrer.
même dans une position inférieure, une grande dignité et une
conduite irréprochable: il n'a pas de crimes à sou compte, et il
en est incapable: il est soumis, et il peut remplir les postes les
plus importants: c'est lui qu'il faut rappeler.
On résolut donc de l'envoyer chercher : mais comme il n'était
pas facile d'arriver jusqu'à lui sans exciter de soupçons, Siuen-tse
proposa une chinoiserie assez curieuse : Cheou Yu ^ fȣ, gouver-
neur de Wei §j| 1 .fut chargé de simuler une rébellion, et d'aller
offrir cette ville au roi de Ts'in H ; il devait alors s'aboucher
avec Che Hoei, et s'entendre avec lui pour favoriser son évasion.
Cheou Y u partit en toute hâte; on saisit sa femme et ses
enfants, et l'on proclama bien haut la soi-disant trahison ; la
rumeur en parvint bientôt au pays de Ts'in J| : quand le député
fut arrivé à la cour, il trouva les esprits tout disposés en sa faveur;
K'ang-kong j^ 7fe accepta volontiers la ville qu'on lui offrait. Cheou
Yu rencontra bien Che Hoei, mais il ne pouvait lui parler en pu-
blic : sans en avoir l'air, il lui pressa le pied, et lui fit signe de
s'enfuir avec lui; le petit stratagème fut parfaitement compris de
Che Hoei. il ne restait qu'à l'accomplir.
K'ang-kong envoya un armée prendre possession de la ville :
elle . e tenait sur la rive occidentale du Fleuve Jaune, les habitants
de Wei, sur la rive orientale: Cheou Yu dit au roi : Donnez-moi
un homme qui sache notre langue, afin qu'il puisse parler aux
officiers et magistrats de la ville.
K'ang-kong désigna Che Hoei. Celui-ci se récria: Les gens
de Tsin sont des loups et des tigres : quand j'arriverai, ils auront
peut-être changé d'avis : ils me massacreront : vous tuerez ma
femme et mes enfants: ainsi tous les malheurs seront pour moi,
sans aucun profit pour vous : les regrets seront inutiles.
K'ang-kong ne se doutait de rien: Partez sans crainte, dit-
il : si le gens de Tsin ne tiennent pas leur promesse, et vous font
pris mnier, je vous enverrai votre femme et vos enfants: je le ju-
re par ce lleuve qui coule devant vous! Sur ce, les deux seigneurs
passèrent le Meuve Jaune.
Au moment où Che-hoei montait en barque, un grand sei-
gneur nommé Chao-lchao %& $j] lui fit présent d'un fouet, en lui
1 Wei, annexée en 661, était au nord-est de Joei-tch'eng ]ïj |,$ sur la rive
septentrionale du fleuve Jaune, fchan-si. Petite géogr., vol. 8, )>. 41 - Grande.
vol 1 . p. // — pol. 41 . p.
DU ROYAUME DE TSIX. LING-KONG. 125
disant: Ne croyez pas que personne n'ait deviné votre jeu; vous
réussissez parce que mes conseils n'ont pas été écoutés!
Quand les deux* seigneurs furent sur l'autre rive, les gens
de Wei f|Ç poussèrent de grandes clameurs, en signe de joie;
puis ils s'en retournèrent chez eux, sans dire un mot au sujet
de la ville. K'ang-kong s'aperçut alors qu'il avait été berné : mais
il était trop tard; il tint cependant sa promesse, et il envoya à
Che Hoei sa femme et ses enfants. Quelques membres de cette
famille préférèrent demeurer dans le pays de Ts'in ^ : ils y
reprirent leur ancien nom Lieou |?lj, de leur ancêtre l.ieou-lei §lj
||, descendant de l'illustre empereur Yao ôjè.
A la lin de cette même année 614, Wen-kong /£ JV duc de
Lou fê-, se rendait à la cour du jeune Ling-kong, pour le saluer,
et renouveler l'ancien traité d'amitié signé en 619 à Heng-yong
Hj 3fè. Le duc eut aussi une entrevue à Ta 7^ avec le comte de
Tcheng fi^ : et une autre à Fei 1(5 (1), avec le marquis de Wei
H) ; ces deux princes avaient reconnu que la suzeraineté de Tch'OU
2îË ne leur avait guère procuré que des déboires : ils avaient re-
gret de leur défection, et priaient le duc de leur en obtenir le par-
don ; ce ne fut pas difficile ; on était trop content de leur conver-
sion, pour leur imposer une dure pénitence.
En 613, le premier ministre Tchao Siuen-tse présidait, à
Sin-tch'eng %f\ j)fc (2), une réunion de sept vassaux; outre les
deux princes que nous venons de nommer, celui de Song 'fc de-
mandait aussi sa réconciliation ; c'était un vrai triomphe pacifi-
que pour le premier ministre ; puisqu'on préférait son autorité à
celle d'un puissant rival. L'état de Tch'en ftjfl étant déjà revenu
à résipiscence, les amis d'autrefois se retrouvaient au complet. A
la 6'""' lune, au jour koei-yecu %fc "jpç, on renouvela les anciens
traites d'alliance; puis on tint conseil, au sujet de la principauté
de Tchou ^|$, dont la sucession nécessitait une guerre : l'accord
fut prompt, et bientôt une armée de huit cents chars, c'est-à-dire
soixante mille hommes, était en marche sous la conduite du pre-
mier ministre.
La cause de cette "guerre de succession" est bien simple :
A la mort de Wen-kong ~% £ 3), prince de Tchou £f, son fils
(1) Ta est inconnue, disent les commentaires. Il \ a une ville Ta-che tch'eng
ff JS; feL au sud-est de Kin-tcheou-ivei £ #l ffî Chan-tong. Serait-ce celle-là?
(Grande géogr., roi. 3-. p. 18
Fei était probablement au sud-est de l'antique ville de Lin-hiang M JjJ,
laquelle se trouvait à 25 li à l'esl de Sin-tch'eng hîen îff i$ !?.{?. dans la préfecture
de K'ai-fong fou [îf] M 'ff. Ho-nan. (Grande géogr., col. 4-. p. 32 .
(2) Sin-tch'eng, était au sud de l'antique ville Hoang-tch'eng Ift M*, laquelle
est au sud-ouest de K'oei-té fou $$ ®, fï Ho-nan. Grande géogr.. vnl jo, p
(3) Tchou. Voyez l'identification, au début de ce présent règne, année I -
126 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
aine monta sur le trône, sans aucune injustice; son frère cadet,
nommé Kien-tse tyk ~$, était fils de la seconde épouse, une
princesse de Tsin : il prétendait à la couronne, et s'était réfugié
auprès de Ling-kong, pour y faire valoir ses droits.
A l'arrivée des troupes confédérées, les habitants de Tchou
ne se laissèrent pas intimider; ils envoyèrent une députation
avec le message suivant: Notre humble souverain, fils de la pre-
mière épouse, une princesse de Ts'i ^, est l'aîné de la famille;
selon le droit antique, il est le successeur légitime, et ne fait tort
à personne; c'est donc lui qui doit régner.
Ces paroles si justes, si pleines de modération, firent une
profonde impression sur le premier ministre: Si j'agissais, dit-il,
contre une cause si évidente, je craindrais d'attirer sur moi la co-
lère du ciel. Ayant dit ces mots, il ramena son armée, et laissa
les gens de Tchou tranquilles. Avant de commencer l'expédition,
il eût mieux fait de considère)" les droits réciproques des deux
prétendants.
En 612, au printemps, un seigneur de Lou $}, nommé Ki
Wen-tse-jou 2p ^C ~ï $11- était envoyé vers Ling-kong, pour de-
mander secours contre le pays de Ts'i ^ . où une princesse de
Lou avait subi une grande injure. On no peut savoir au juste de
quoi il s'agissait; les historiens ont voilé la chose; c'était une
affaire de mœurs, où la princesse n'avait pas eu un beau rôle ; on
ne voit pas d'autre raison à cette querelle.
A la 6 ,:"' lune, le grand seigneur K'i K'iuè £[> ^ conduisait
une armée contre le petit état de Ts'ai ^, dont le prince n'avait
pas daigné venir à la réunion de Sin-tcheeng %$\ ij^ : on voulait
lui donner une leçon d'obéissance. L'armée n'avait que les deux
corps de droite et de gauche : celui du centre ne prit pas part à
l'expédition.
Le général enflamma ses troupes en disant : Notre souverain
est encore jeune; il faut lui montrer un dévouement d'autant plus
empressé ! La capitale fut prise, au jour ou-chen /J£ ^ ; le prince
eut la honte de signer un traité de soumission au pied des murs
de sa ville, et l'armée s'en retourna triomphante.
En automne, le seigneur de Lou, Ki Wen-tse-jou, revenait à
la charge auprès de Ling-kong; il voulait à tout prix faire punir
le roi de Ts'i $f, ou obtenir une réparation satisfaisante. A la
11"" lnne, dit sèchement Confucius, les princes féodaux tiennent
une assemblée à Hou j^ (1)»; le saint homme! il se garde bien
de dire pourquoi !
(I) Hou étail au nord-ouesl cl<> Yuen-ou Iticn /K jv. !|£, qui est à 120 li nord-
Duesl de sa préfecture K'ai-fong /'«m Rf] }\ Ijîf, 4o-nan; coi souvenir, il y a en--
core un kiosque appelé Hou-t'ing Jjï 2^£. Grande géogr., vol. 47. p. •?,"• — (voir
année 620*.
DU ROYAUME DE TSIN. LING-KONG. 127
La réunion fut pourtant brillante : huit princes étaient grou-
pés autour de Ling-kong; ils renouvelèrent le traité d'amitié
à Sin-lch'en§ jpj J$ ; puis ils délibérèrent sur le cas du roi de
Ts'i. On lui trouva plusieurs méfaits : il avait enchaîné l'ambas-
sadeur impérial: il avait vexé et injurié le duc de Lou, etc. etc :
bref, il méritait punition. Ce qu*on ne disait pas, c'est qui! se
souciait peu de Ling-kong et de sa cour: il ne désirait point son
alliance, et penchait plutôt du coté de Tch'ou ^j|.
On délibéra donc, on menaça même: pour se délivrer d'en-
nui, le roi de Ts'i envoya de riches cadeaux à Ling-kong et à son
premier ministre, et tout fut fini: la guerre n'eut pas lieu. Pour
ne pas paraître accuser officiellement le roi de Ts'i, le duc de Lou
n'avait pas assisté à l'assemblée : il dut refouler son chagrin au
fond de son cœur, et recevoir la princesse Tse-chou-ki ^ .\'l $£
chassée ignominieusement de la cour. Les querelles entre les deux
états durèrent encore des années: mais le duc n'était pas de
taille à se mesurer avec un tel adversaire.
En 611. il n'y a rien dans les historiens.
En 610, au printemps. Siun Lin-fou ^j \\K ^£ conduisait
une armée contre le pays de Song 5f;. où l'on avait tué le roi, et
mis à sa place un autre prince, nommé Wen-komj ~*£ fè ; les
états de Wei fêj . de Tch'en |S|f et de Tcheng ^ fournirent leur
contingent de troupes auxiliaires: il n'y eut pas de batailles; on ne
punit point l'usurpateur, en dépit des lois sévères édictées autrefois
par les anciens empereurs: on laissa les choses dans le statu
quo». Le nouveau souverain avait sans doute grassement pavé
l'expédition, promis fidélité inviolable à son suzerain. Les com-
mentaires ergotent longuement sur les quelques paroles de Confu-
cius ; ils n'empêcheront pas la réalité de la chose; on s'en tint au
•fait accompli" 1 .
En été. Ling-kong présidait de grandes manœuvres militaires,
à Hoang-fou jlf 3Ê - : Pll's ^ ^ilU une nouvelle assemblée des
vassaux, à Hou J^. au sujet du pays de Song. Le duc de Lou ne
vint pas à cette réunion: il avait sur le cœur son échec avec le
roi de Ts'i; le prince de Tcheng ftp s'y présenta, mais n'y fut pas
admis: on lui reprochait son amitié secrète avec le roi de Tch'ou
^£ : sur ce. le grand seigneur T-<e-kia -~p 'fâ. prit son pinceau, et
écrivit au premier ministre Siuen-tse une lettre restée célèbre : La
voici :
(1) C'est la veuve de Siang-kong J| •£■. de Tsin, qui avait envoyé AVei-,
H assassiner le roi Tchao-kong BS S- 620-611 et nu-un- sur le uY>ne le propre
frère de ce dernier.
2 Hoang-fou, aussi nommée II- Jang JpL igj. et aussi Ou-ling ,f.^ $f. Cette
ville, avec son défilé, se trouvait à 40 li nord-ouest de Ts'in-choei hien îfc Tjv. 3f .
qui est à 200 li à l'ouest de sa préfecture Tch'e-tcheou /'nu }^l H\ Jfi . Chan-si Petiti
géogr... vol. S. p. 28) — Grande, vol. jj. t
128 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
A peine sur le trône depuis trois ans, notre humble souve-
rain engagea le prince de Ts'ai |g à se rendre avec lui à votre
cour, saluer votre illustre roi: à la 9ème lune de Tannée 626, le
prince de Ts'ai était chez nous, prêt à partir; malheureusement,
nous avions la révolution causée par Ileou Siuen-touo {% rt± ^ ,
il fallut d'abord la réprimer; à la 1 1 "; ' lune, notre humble sou-
verain rejoignait le prince de Ts'ai. se rendait avec lui à votre
cour, et traitait les affaires officielles avec votre premier ministre.
En 616, à la 6"J"K' lune, j'accompagnais le prince héritier I ^
au royaume de Tch'ou $£, pour exhorter le prince de Tch'en f^,
et ramener à se remettre sous votre obédience. En 614, à la 7ème
lune, notre humble souverain était à votre cour, pour intercéder
en faveur de ce même prince; en 613, à la 5èl,le lune, celui-ci vous
faisait hommage en personne; enfin, Tan dernier, Tcliuu. Tche-ou
'JH i. 5v- à la lère lune, accompagnait notre prince héritier / ^
pour une visite amicale à votre cour.
Les pays de Tch'en ^ et de T.s'aï $g sont voisins de Tch'ou
3J|? ; s*ils ne sont plus ses alliés, c'est grâce aux bons offices de
notre humble souverain. Après des services semblables, que peut
donc lui reprocher votre illustre maître? il a fait visite et homma-
ge à votre défunt roi Siang-kong î|| ^ ; deux fois déjà il est allé
saluer votre souverain actuel Ling-kongi le prince héritier et plu-
sieurs grands seigneurs se sont rendus à votre capitale (1).
Nous sommes un pays sans importance; mais qui donc a
montré plus de zèle que nous, envers votre illustre royaume? Main-
tenant votre cour n'est pas encore satisfaite de nos services ! Que
devons-nous, et que pouvons-nous faire de plus? il ne nous reste
que la ruine à attendre de votre main !
Les anciens avaient ce proverbe : si la tète et la queue sont
en danger, que reste-t-il en sûreté? Et encore celui-ci : un cerf
réduit aux abois ne craint plus rien; il se jette tète baissée sur le
ehasseur. Si donc un grand royaume se montre bienveillant et
généreux, les petits états consentent volontiers à le servir: au cas
contraire, poussés dans une impasse, ils imitent le cerf, ils se
précipitent sans raisonner là où les pousse leur fureur.
\'<>s exigences sont outrées; vous voulez notre ruine: il ne
nous reste plus qu'à réunir nos quelques troupes, à Yeou {•§: (2),
sur notre frontière, el à attendre les ordres de vos seigneuries.
Autrefois, notre défunt souverain Wen-kong ^ 7fe, la 2 l! année
de son règne, s'était rendu à la cour de Tx'i j§ : voyant ensuite
ce roi envahir le pays de Ts'ai ffc, il craignit pour sa propre
(I) La capitale Kiang, après plusieurs changements, occupa enfin le territoire
actuel de Kiang-tcheou i£ -J}|, 150 li au sud de PHng-yang /'(»« -Zp FH 'fT- Chan-si.
ride géogr., vol. .//. pp, 12 cl 37.
Yeou était à l'ouest de K'air-fong fou [ïf] £\ H-;. Ho-nan; niais l'endroit
exact est inconnu.
DU ROYAUME DE TSIN. LING-KONG. 129
indépendance, et se jeta dans les bras de Tch'ou *j| ; nous autres,
petits états, nous trouvant entourés de grands royaumes, et nous
voyant poussés à bout, nous nous cramponnons à la dernière
planche de salut, sans qu'on puisse nous en faire un crime; si
vous autres, grands états, ne prenez pas cela en considération, la
faute en retombe sur vous, qui nous poussez à cette extrémité.»
Avant reçu cette lettre, le premier ministre députa le seigneur
Kong Chou fp; ^, pour arranger amicalement cette querelle.
Ling-kong envoya les deux dignitaires Tchao Tch'oan $$ 2*f et
Kong-siu-tch'e fè J^f ftf} comme otages à la cour de Tcheng fj{$ ;
de son côté, le prince de Tcheng envoya près de Ling-kong, aussi
comme otages, son fils héritier 7 ^ et le grand officier Chf-tch'ou
f\ &£. Malgré ces précautions, la foi jurée ne dura pas longtemps ;
le lecteur pourra alors juger de la valeur de la fameuse lettre qu'il
vient d'admirer ; il se convaincra que messieurs les lettrés ont un
art particulier pour duper le.-> gens et de plus, prouver que tout
le tort vient de leurs victimes; la politique actuelle n'a pas en-
core changé.
En 609, rien dans l'histoire.
En 608, en été, Ling-kong exerça un acte de sévérité sur
SiuKia-fou ^ Fp 5£, général- adjudant du 3ème corps d'armée ; voici
le fait: En 615, à la bataille de Ho-k'iu fuj (i]j , ce grand officier
avait refusé d'attaquer une position retranchée de l'ennemi; il
avait ensuite, probalement, commis quelqu" autre faute ; cette an-
née donc on le condamna à mort ; mais on usa de grâce, et sa
peine fut réduite à l'exil perpétuel ; sa haute dignité ne fut pas
non plus retirée de la famille; son tils K'o t£ fut nommé au mê-
me poste. Siu Kia-fou se rendit à la cour de Wei $j ; son officier
SienSin ft ^ s'enfuit à celle de Ts'i ^; Tchao Tch'oan fg ^
aussi coupable que les deux autres, ne fut point puni : c'était le
cousin du premier ministre, comment y toucher?
Nous avons vu comme Siuen-tse et ses généraux pardonnè-
rent l'assassinat du prince de Sony $£ ; comment le roi de Ts'i
|j^ se tira d'affaire, en dépit de deux assemblées de vassaux ; les
cadeaux avaient gagné les cœurs et les consciences. Le prince de
Tcheng f$ en prit prétexte pour rompre avec Ling-kong, et se re-
placer sous l'obédience de Tch'ou -fê ; ce qu'il méditait depuis
longtemps.
Déjà parjure pour ce fait, ce prince voulut ravir à Ling-kong
les états de Tch'en [5jf et de Song ^ ; en automne, il aidait une
armée de Tch'ou f§ à envahir ces deux pays. Le premier ministre
Siuen-tse réunit en conseil les princes de Sony $£, de Tch'en ffi.
de Wei ^ et de Ts'a.0 l|f , à Foi-lin )}\ fa (1) ; on y résolut la
punition du traître.
(1) Fei, ou Fei-lin. Voyez à la fin de l'année 614.
17
130 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Mais Koei-kia jÊ$ H, général de Tch'ou accourut au secours
de son allié ; il rencontra l'armée du premier ministre, non loin
de Pé-lin ^fc ^ (1), et fit prisonnier un de ses grands officiers;
sur quoi, Siuen-tse reprit le chemin de sa capitale.
Ling-kong désirait se remettre en bons termes avec le puis-
sant roi de Ts'in Jjf , ce n'était pas chose facile, après la trahison
que nous avons racontée au début de ce règne ; Tchao Tch'oan
J§ ^, l'écervelé que nous connaissons, crut avoir trouvé un moyen
infaillible d'arriver au but: je vais, dit-il. attaquer le fief Tsong
&: (2) ; l'armée de Ts'in accourra au secours, alors je proposerai
un traité de paix. Mais K'ang-kong |§f ^V devina la ruse, et
refusa le traité espéré.
A la fin de cette même année 608, Ling-kong, aidé des trou-
pes de Song 5$c, faisait attaquer le prince félon de Tcheng §§fl ;
mais l'expédition traîna en longueur, sans remporter grand avan-
tage. Le jeune Ling-kong, orgueilleux, plein de lui-même, n'écou-
tait pas les avis de son premier ministre ; celui-ci perdant son
influence, le pays baissait, tandis que celui de Tch'ou ^ montait
à une grande puissance, grâce à une bonne administration et à
une ferme discipline.
En 607, au printemps, K'ang-kong Jj| fè mettait le siège
devant T*iao j£ (3), pour venger l'invasion du fief Tsong. Le
premier ministre Siuen-tse accourut et fit lever le siège ; de là,
passant par le territoire appelé In-ti ^ Jjjl (4), et rejoint parles
troupes auxiliaires des vassaux, il se jeta sur le pays de Tcheng
f|j$. Outre les griefs précédents, on voulait encore venger une
défaite ignominieuse infligée par ce prince à l'armée de Song <%,
à Ta Ki * $£ (5).
Teou Tsiao f^j ^ seigneur de la famille princière Jo Ngao fë
ffi de Tch'ou ^, vint au secours de Tcheng fij$ ; il campa sous les
murs mêmes de la capitale, et y attendit le premier ministre:
(1) Pé-lin était un peu au sud-ouest de Tchong-meou hien ij) ^|, qui
est à 70 li à l'ouest de sa préfecture K'ai-fong fou [If] Jt'fr, Ilo-nan. (Petite géogr.,
vol. 12. p. 14) — (Grande, vol. 47, p, 24).
(2) Tsong. Sa capitale était à 5 li à l'est de Yu hien ïft $£ , qui est à 70 li
sud-ouest de sa préfecture Si-ngan fou [g ^ç tff, Chen-si. Petite géogr., vol. 14
p. 12) — (Grande. vol. SS> P- 5" — vol. I, p. 16).
(3) Tsiao, (il y a aussi une rivière de ce nom). Cette ville était à 2 li au sud
de Chen tcheou |JJ» 'H1! Ho-nnn. (Grande géogr.. vol. 48. p. si).
(4) In-ti. I.a ville était un peu au nord-est de Liu-che hien fi|[ ft; f£, qui est
à 340 li sud-ouest de sa préfecture Ilo-nan fou ]"')' JmT ïft. Il y a le défilé In-ti-
koan fè iflj |#J, ;'i 120 li sud-ouest de Ling-che hien §f "fi f£, qui est elle-même à
100 li de Ho tcheou fê 'H], Chan-si. 'Grande géogr.. vol. 41 -p. 47 — vol. 48, p. 48*1.
(5) Ta-ki était à 70 li sud-ouest de Ning-ling hien ^ |E§ $f , qui est à 60 li
à l'ouest de sa préfecture Koei-té fou fë$ f§ $f- Ho-nan. (Grande géogr.. vol. 50. p. 7).
DU ROYAUME DE TSIN". LING-KONG. 131
nous voulons nous mettre à la tête des vassaux, disait-il, quelle
difficulté peut nous arrêter ?
Le premier mjnistre connaissait son homme ; il rebroussa
chemin, et ramena son armée sans avoir combattu. La famille Jo
Ngao, disait-il, se croit déjà au-dessus de son roi ; laissons-la
s'enorgueillir encore de notre apparente défaite ; bientôt elle sera
anéantie.
Dans l'histoire de Tch'ou nous avons parlé de cette fière fa-
mille, ou plutôt de ce clan, descendant du roi Jo Ngao ; elle avait
le quasi-privilège de fournir au royaume le premier ministre. La
prophétie de Tchao Siuen-tse n'est qu'un artifice littéraire de
l'historien, pour nous annoncer la ruine prochaine de cette puis-
sante famille; elle a lieu en 605.
Expliquons maintenant les raisons qui amenaient la décaden-
ce, au moins momentanée, de notre royaume de Tsin. Depuis quel-
ques années, malgré les éminentes qualités du premier ministre,
nous voyons les choses tourner mal ; il y avait un motif, le voici :
Ling-kong, comme du reste son nom posthume l'indique,
avait une conduite indigne d'un prince; il imposait de lourdes
contributions, et il les gaspillait en constructions insensées ; du
haut de la fameuse tour appelée Ling-kong-t'ai g fè jff (1), qu'il
avait bâtie, il s'amusait à tirer de Tare et de l'arbalète sur les
passants, se réjouissant de voir comment ceux-ci évitaient ses
coups. Ce seul fait en dit déjà long sur la valeur d'un tel souve-
rain. Poursuivons :
Son maitre-cuisinier devait un jour lui servir des pattes
d'ours ; elles ne furent pas préparées à point ; le malheureux fut
mis à mort. Craignant cependant que cet acte de tyrannie ne fut
connu du public, le prince fit mettre le cadavre dans un panier.
et chargea une femme de l'emporter dehors. Le premier ministre
et Che Hoei -j^ 'ff se trouvaient tout juste sur le chemin de cette
femme ; ayant aperçu une main mal couverte, ils interrogèrent la
porteuse.
Ecœurés de son récit, les deux seigneurs voulaient aller de
suite faire des remontrances au jeune fou; mais Che Hoei (ou
Che Ki ^fr 3p) se ravisa: si nous entrons ensemble, dit-il, et s'il
ne veut pas nous écouter, tout sera fini ; laissez-moi aller le pre-
mier ; si je suis écarté par lui, vous vous présenterez, et lui direz
son fait.
Che Hoei entra donc jusqu'à trois fois, et s'avança dans la
salle du milieu ; Ling-kong voyait bien qu'il voulait lui parler, et
(1) La tour Ling-kong-t'ai. Les restes se trouvent à 31 li nord-ouest de Kiung
tcheou fê ^H, à l'endroit de l'ancienne ville Tchang-sieou J| %■ 'Annales du Châti-
ai, vol. 55, p. r ■
La narration de ces laits est un chef-d'œuvre littéraire. 'Voyez.. Zottoli: 1\ ■
p. 45 et suiv.j.
132 DU ROYAUME DE TSIN. LING-KONG.
se doutait bien aussi de quoi il serait question; à la fin, s'adres-
sant à lui: Je reconnais ma faute, dit-il, je vais m'en corriger!
Che Hoei se prosterna ; de son front il frappa la terre en di-
sant : Qui donc, parmi nous autres hommes pécheurs, est sans
faute"? Pourvu que votre Majesté se corrige, tout est pour le mieux !
Le livre des Vers (1) nous dit: beaucoup de gens commencent, peu
mènent leur entreprise à bonne fin; et encore: si l'empereur com-
met des fautes, il n'y a qu'un homme comme Tchong Chan-fou ftji
\\} "f|" à pouvoir le redresser. Ainsi peu de gens parviennent à
s'amender efficacement; mais si votre Majesté se corrige vraiment,
ce sera le salut du pays : non seulement nous autres officiers nous
en réjouirons, mais tout le peuple avec nous ; il y a donc encore
bon espoir de réparer le mal.
Malgré sa promesse, Ling-kong ne se corrigeait pas; par ses
admonestations le premier ministre lui devenait odieux ; un jour,
il ordonna même à un forban nommé Tch''OU Mi £(^ J[|r de l'assassi-
ner. De grand matin, celui-ci se rendit au palais du ministre; la
porte de sa chambre était entr'ouverte, Siuen-tse, en habits de
cour, était étendu sur son lit, attendant l'heure fixée pour se ren-
dre à son office.
A cette vue, l'assassin se retira en s'écriant : Un ministre qui
a son emploi à cœur jusqu'à ce point, est le vrai protecteur du
peuple; tuer un tel homme serait un crime impardonnable! Mais
désobéir au souverain est déloyal! Réduit à cette impasse, il vaut
mieux me donner la mort! Ayant ainsi parlé, il se jeta la tête
contre un acacia, et mourut dans la cour de Ling-kong.
La première tentative avait échoué ; le jeune tyran avisa un
autre moyen : en automne, cà la 9ème lune, il prépara un grand
festin en l'honneur du premier ministre, et aposta des soldats
couverts de leur cuirasse, pour le massacrer pendant le repas. Mais
T'i-mi Ming $§ ^ fj$, son lancier du char de guerre, eut vent de
ce guet-à-pens ; il se hâta de monter à la salle du festin, et s'écria :
Quand un sujet dine avec son souverain, il ne doit pas boire plus
de trois coupes; aussitôt il enleva Siuen-tse, sans même lui laisser
mettre ses sandales.
Ling-kong voyant sa victime lui échapper, lança un gros
chien sauvage sur les fuyards, mais T'i-mi Ming s'étant retourné
le tua net : Au lieu de favoriser les hommes de lettres, vous nour-
rissez des chiens, cria le ministre au tyran; mais fussent-ils des
plus féroces, ils ne vous serviront de rien contre moi!
Cependant, les satellites étaient sortis de leur embuscade; ils
se précipitèrent sur leur proie; Siuen-tse se défendait tout en se
retirant, et parvint à la porte du palais, il était sauvé; mais son
lancier, qui lui faisait un rempart de son corps,-fut tué dans la mêlée.
(1) Chou-kinu ,'!• ijjij?, Zottoli, III. p. 263. ode 21, v. 1. — p. 279- ode 26,
V. 6) — (Couvreur, p. JJJ, v. 1 — p. 402, v. 0 ,
DU ROYAUME DE TSIN. LING-KONG. 133
A ce sujet, l'historien rapporte le trait suivant : Précédemment
le premier ministre était à la chasse sur la montagne Cheou-chan
"ff" |Jj (1); là, se reposant à l'ombre d'un mûrier, il aperçut un de
ses hommes, nommé Ling-tche fH' $j£, qui semblait souffrir; il lui
en demanda la cause : — Je ne suis pas malade, répondit celui-ci ;
mais depuis trois jours je n'ai pas encore mangé. — Siuen-tse lui
fit aussitôt apporter un bon repas; l'homme n'en prit que la moi-
tié; Siuen-tse lui en demanda encoi'e le motif: — Depuis trois
ans, dit Ling-tche, je suis au service du roi, et n'ai pas revu ma
mère; je ne sais si elle est morte ou en vie; étant maintenant si
près d'elle, je voulais vous demander la permission de lui porter
ces restes. — Mange tout, repartit Siuen-tse; je vais faire apporter
d'autres provisions pour ta mère.
Or, parmi les soldats en embuscade, dont nous venons de
parler, se trouvait Ling-tche ; non seulement il ne porta pas la
main sur le premier ministre, mais au contraire, il le défendit de
toutes ses forces; mettant sa lance en travers, il barrait le chemin
à ses compagnons; et c'est en grande partie ce qui sauva la vie
de Siuen-tse. Celui-ci lui demanda ensuite pourquoi il l'avait ainsi
protégé : Je suis cet affamé à qui vous avez donné à manger,
repondit le soldat. — Siuen-tse voulait savoir son nom, sa demeu-
re; mais l'autre s'en alla sans dire un mot de plus.
Voilà encore un «saint» caché, comme les lettrés en mention-
nent tant dans leurs livres, sans se soucier de les imiter. En tout
cas, si le fait est vrai, il prouve une fois de plus qu'un bienfait
n'est jamais perdu.
Quant au premier ministre, sa tète n'était plus en sûreté ; il
s'empressa de fuir en exil. L'écervelé Tchao Tch'oan j|§ j£, son
cousin, imagina un moyen à sa façon, pour se mettre hors de
danger; à la 9ème lune, au jour appelé i-tcheou £ jj, il massacra
Ling-kong.
Siuen-tse n'avait pas encore passé la frontière, quand cette
nouvelle lui fut annoncée; aussitôt il rebroussa chemin, et rentra
dans la capitale. Dans la suite, il apprit que l'historien officiel
de la cour l'accusait de ce régicide; il protesta: Votre seigneurie,
répliqua l'archiviste, était et est encore premier ministre ; vous
n'étiez pas encore hors des frontières du royaume ; vous étiez
donc responsable de ce qui s'y faisait; rentré à la capitale, vous
n'avez pas puni l'assassin ; quel autre en est donc responsable ?
Siuen-tse s'écria : Hélas ! c'est pour avoir voulu sauver ma
patrie que je suis revenu ici ; et voilà que vous m'imputez un
crime dont la mémoire souillera mon nom dans la postérité !
(I) Cheou-chan, s'appelle maintenant Tchong-t'iao chan '|' fi|» jjj ,ei es( à 15 li
sud-est de P'ou-tcheou fou ${j j\\ /fôf, Chan-si. (Petite géogr., vol. S. p. 30 —
(Grande, vol. 61, p. iç1.
134 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Confucius discute le fait, et dit: Tong Hou jg ^ est le mo-
dèle des historiens ; il écrivit ce qui se passait, sans respect
humain, sans cacher la vérité; Siuen-tse était le modèle des
ministres ; s'il lui impute ce régicide, c'est que la vérité historique
veut qu'on écrive tout ; hélas ! s'il eût été de l'autre côté de la
frontière, sa réputation serait intacte!» Le lecteur barbare aura
peut-être quelque peine à admettre cette façon d'écrire l'histoire ;
mais la Chine, c'est la Chine ; et Confucius est son prophète !
Reprenons la suite des événements :
Le premier ministre députa l'assassin, son cousin, à la cour
impériale, où se trouvait le prince Hé-t'oen M ip^, oncle de
Ling-kong, donc frère de Siang-kong H ^ , et fils de Wen-kong
^C fè ; c'est lui que l'on voulait mettre sur le trône, et que nous
allons bientôt retrouver sous le nom de Tch'eng-kong fâ fè. A
la 10ème lune, au jour appelé jen-chen f£ r^, celui-ci se présen-
tait officiellement au temple des ancêtres [Ou-kong fâ ^1, et par
le fait même prenait possession de la couronne.
Précédemment, c'est-à-dire en 656, à cause des révolutions
causées par l'intrigante Li-ki JjjH j([5, on avait édicté une mesure
radicale, pour empêcher à l'avenir semblables désordres: on avait
fait jurer à tout le monde, que jamais plus on ne supporterait à
l'intérieur du royaume, un des fils du précédent souverain. Cela
explique la présence du prince Hé-t'oen à la cour de l'empereur.
Dès son avènement, le nouveau souverain fit abroger cette
loi, dont il avait souffert. Il donna les plus hautes dignités aux
fils-aînés des ministres et des familles seigneuriales ; il leur assi-
gna aussi des fiefs en conséquence ; ils furent donc considérés
comme membres de la maison régnante ; aux fils cadets, il distri-
bua des dignités moins élevées ; et les titulaires portaient le
qualificatif Yu-tse f^ Hp, second, cadet, puîné. Quant aux princes,
nés des concubines du souverain, ils reçurent des dignités mili-
taires, avec le qualificatif Kong-hang fè ^f.
Il ne faut pas oublier que nous sommes en Chine. Or,
depuis les temps les plus reculés, l'élément militaire y a toujours
été considéré comme inférieur à l'élément lettré, ou civil ; car
l'antique principe était celui-ci : quiconque travaille de l'esprit
domine celui qui ne travaille que du corps.
Désormais donc, dans le pays de Tsin, les trois degrés de la
hiérarchie furent ainsi déterminés : 1° les princes du sang, appelés
Kong-tsou fè ~Jjfc. 2° les cadets, ou Yu-tse f£ ^. 3° les grands-
officiers, ou Kong-hang fè ^f. Nous verrons si ce fut une
réforme salutaire.
Le premier ministre demanda au nouveau souverain une fa-
veur pour son propre frère, nommé Kouo fê, ou encore Ping Ki
)$■ Ép ; Siuen-tse désirait le faire admettre parmi les princes du
sang, les Kong-tsou fè ^. Ce seigneur n'était que le demi-frère
du premier ministre; il était fils de la princesse Tchao Ki %Q #&,
DU ROYAUME DE TSIN. LING-KO.NG. 135
cette fille de Wen-kong ^ ^ mariée au grand seigneur Tchao
Tch'oei j|f[ ^, comme nous l'avons raconté à l'année 635.
Le lecteur n'a pas oublié le bel exemple d'abnégation donné
par cette princesse; elle descendit au second rang avec ses enfants,
pour faire passer au 1er l'épouse tartare et son fils Toen /§", le
premier ministre actuel.
Celui-ci disait donc au nouveau souverain : Kouo Jfj était le
chéri de sa mère ; moi je dois montrer de la reconnaissance envers
cette princesse; car, sans son intercession si humble, si bienveil-
lante, je n'aurais jamais eu le bonheur d'être Chinois; j'aurais
été un Tartare Ti ^.
Le nouveau souverain accorda la faveur demandée; en réalité,
c'était plutôt une juste restitution, inspirée par la reconnaissance.
Siuen-tse céda aussi sa dignité à son frère Kouo |§, qui devint
ainsi le chef des princes du sang; quant à lui, il se contenta du
titre de chef des officiers; il descendait donc au troisième rang(l).
(1) Le tombeau de Tchao Siuen-tse, est à 18 li sud-ouest de T'ai-p'iny hien
;& ?p ty$ laquelle est à 90 li sud-ouest de sa préfecture P'ing-yang fuu ^ [^ }(] ,
Chan-si. (Annales du Chan-si, vol. j6, p. 27).
D'après le texte, Tchao Kouo l'ut chef des "princes du sang (Kong-tsou) • mais
non premier ministre ; son frère n'avait pas été autorisé à lui céder cette autre
disjnité.
136
TCH'ENG-KONG (606-600)
-H + H-
Le nom posthume du nouveau souverain est très élogieux,
tout-à-fait en opposition avec celui de son prédécesseur ; il signifie :
prince qui assura la sécurité de son peuple, et le gouverna arec
justice et bonté 1).
Tch'eng-kong était déjà vieux ; il ne pouvait espérer jouir
longtemps de la couronne. Dès la l""p année de son règne, il
envoya une armée contre le pays de Tcheng ft$ ; celle-ci pénétra
jusqu'à Yen 7,i\l 2^: aussitôt le prince vint offrir sa soumission;
mais le généralissime Che Hoei -j^ 'gf ne se contenta pas à si bon
marché ; il entra dans la ville, ce qui était regardé comme une
grande humiliation, et exigea un traité solennellement juré.
En été, une armée de Tch'ou *§ tombait à l'improviste sur
le môme pays de Tcheng, pour le punir à son tour de ce traité
d'alliance ; mais cette fois, ce fut sans résultat : l'année suivante
605), en hiver, les gens de Tch'ou revinrent à la charge, sans
plus de profit; en 604, encore en hiver, ils se présentèrent de
nouveau: mais Tch'eng-kong envoya une armée de secours, sous
les ordres du général Siun Lin-fou ^ fa ;$£, et leur campagne
n'eut pas de suites.
Pendant ce temps, le prince de Tch'en ^, craignant une
invasion des troupes de Tch'ou, sur son propre territoire, leur
offrit, de soi-même, un traité d'alliance et d'amitié. C'est pour-
quoi le fameux premier ministre et généralissime Tchao Siuen-tse
W. M "? conduisait une armée contre lui, en 603, au printemps ;
comme auxiliaires, il avait les troupes de Wei fâ. commandées
par le général Suen Mien ffî fy.
En automne, les Tartares rouges TclVe Ti ff %fc s'insur-
geaient contre Tch'eng-kong, lui prenaient la ville de Hoai -[ff, et
pénétraient jusqu'à celle de Hing K'ieou Jfl) ]$ 3). Le prince
voulait envoyer une armée chasser ces impudents envahisseurs ;
1 Texte de l'interprétation : t£ |£ ji. j$ E3 ^
yen était à l'est de Tcheng tcheou f|l$ ■';'. Ho-nan, près de l'ancienne ville
de Pi-tch'eng £R j$. qui se trouvait à 6 li à l'est de Tchens: tcheou. Petite géogr.,
vul. /.', p. -' — (Grande, vol. 47. p. ss)-
(3) Hoai, ville inconnue.
Mine K'ieou ou P'ing-kao-tcheng ^ %<ifà- était à 70 li sud-est de Hoai-k'ing
fou 0| S fff' ilo-nan. Petite géogr., col. 12, p. 26) — (Grande, vol. 4c, p.
DU ROYAUME DE TSIN. TCh'eNG-KONG. 137
Siun Lin-fou, autrement nommé Heng-tse j'Êf :f. l*en dissuada
en homme expérimenté : Laissons ces chefs de brigands se rendre
odieux à leurs propves peuplades ; laissons-les combler la mesure
de leurs forfaits ; alors il nous sera facile de les exterminer. C"est
le conseil qui nous est donné par le livre des Annales (1) en ces
termes: il faut anéantir la dynastie Ing |£ ; ce principe convient
parfaitement à notre cas. Cette prophétie s'accomplira en 594.
A la fin de cette même année 603, une armée de Tch'ou
revenait encore une 4ème fois à la charge contre le prince de
Tchey-ig fj$ ; celui-ci finit par signer un traité de soumission, aussi
inviolable, aussi éternel que les précédents, et il durera autant
qu'eux. Les petits états en étaient réduits à ce jeu de bascule
perpétuel; placés entre plusieurs grands royaumes rivaux, ils se
donnaient à l'un ou à l'autre, à chaque fois qu'il se présentait
une armée.
En 602, en automne, les Tartares rouges faisaient une nouvelle
incursion sur le territoire de Tsin ; ils coupèrent le riz du pays de
Hiang-in [p] [^ (2) ; ce qui ne put être emporté, fut foulé sous les
pieds des chevaux ; après avoir opéré cette razzia, ils se retirèrent.
Vers la même époque, le prince de Tcheng f$ offrait à Tch'eng-
kong un traité d'alliance et d'amitié. A ce propos, voici ce que
dit l'historien : le prince Kong-tse-song 7fe ^ ^ était un de ceux
qui avaient assassiné le précédent souverain de Tcheng flft, nom-
mé Ling-hong f| ^ ; pour se faire pardonner, il employait tout
son pouvoir à ramener la concorde entre le nouveau prince et
Tch'eng-kong.
C'est vers septembre-octobre que le traité fut signé, et juré
solennellement ; la réunion se tenait à Hé-jang M j|| f3) ; elle était
présidée par le grand ministre impérial \\rang-chou Hoan-kong
^ft|^; celui-ci travailla de son mieux à obtenir l'entente
finale; mais sans jurer lui-même cette convention.
Cette affaire étant finie, Tch'eng-kong présida une assemblée
de vassaux, dans cette même ville; étaient présents les princes de
Song %, de Wei ftf, de Tcheng §[$ et de Ts'ao Iffi ; ils offrirent
leurs hommages au nouveau suzerain, et renouvelèrent les traités
d'alliance et d'amitié faits avec son prédécesseur. Le duc de Lou s'y
était aussi rendu, dit brièvement Confucius ; mais il cache que
ce prince, la fine fleur des Chinois, fut saisi et mis en réclusion.
(1) Chou-king x§- $« (Zottoli, III. p. 4?-. chap. g). Le lecteur a sans dout«'
remarqué depuis Ion-temps cette manie des lettrés, d'appuyer leurs paroles par
quelque citation de leurs livres classiques , ; si du moins elle venait toujours à propos :
(2) Hiang-in ou Hiang-tch'eng ]îi] tif . était au sud-ouest de Ts'i-yuen bien
$? M H, qui est à 70 li à l'ouest de sa préfecture Hoai-k'ing fou t?3 © Jfr'Jlo-nan.
I Petite géogr., roi. 12. p. 27). — (Grande, roi. 40. p. 6 .
(3) Hé-jang, coi/er à l'année 610.
li
138 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Quelle honte ! On lui reprochait de n'être pas venu saluer le nou-
veau suzerain à son avènement au trône ; de n'avoir pas même
envoyé un député, avec les présents d'usage en semblable circons-
tance. Le duc se fit mettre en liberté par le moyen ordinaire et
infaillible, l'argent. L'historien a la naïveté, cette fois, de nous
avertir que Confucius ne rapporte pas les faits peu honorables
pour son duc ; le lecteur le sait depuis longtemps, par ce qu'il a
vu dans nos histoires précédentes de Ou ^|, de Ts'in ^ et de
Tch'ou ^.
En 601, au printemps, les Tartares blancs ^Pé Ti £j ^\
mentionnés pour la lère fois par Confucius, concluaient un traité
d'alliance avec Tch'eng-kong, et lui servaient d'auxiliaires dans
une campagne contre le royaume de Ts'in ^è. On ne dit pas ce
que devint cette expédition, ni quel en était le motif; on remplace
tout cela par ce conte: Une espion de Ts'in Jj| fut pris par les
soldats de Tch'eng-kong, et tué sur la place publique de la ca-
pitale Kiang $$ ; mais six jours plus tard il était ressuscité.
Ici l'on place un fait qui est l'origine des grands malheurs
de l'illustre famille K'i ffi; le voici: Un certain Siu K'o jf Jjïjf,
membre de la noble famille Siu, était général-adjudant du 3è,"e
corps d'armée; c'était un écervelé ; le seigneur K'i Kiué £ft $£>
qui remplaçait par intérim le premier ministre Tchao Siuen-tse
$j| W -f-, profita de cette circonstance, pour dégrader cet inca-
pable, et donner sa place à Tchao Cho |g j$J, fils du premier
ministre, et homme d'avenir. L'écervelé en conçut une haine
implacable, et résolut d'anéantir la famille K'i. Cela se passait
en automne.
A la fin de cette même année, le prince de Tch'en |^, qui
s'était mis à la remorque de Tch'ou *§, en 604, se donnait de
lui-même à Tch'eng-kong, par un traité de soumission et d'ami-
tié ; aussitôt une armée venait le rappeler à l'ordre, et il s'em-
pressait de retourner à son maître. Toujours le même système.
En 600, à la 9-mn lune, Tch'eng-kong présidait encore une
assemblée de vassaux ; comme à la précédente, étaient présents les
princes de Song 5J5, de Wei fëj,de Ts'ao "H et de Tcheng fift ; la
réunion avait lieu à Hou jg (l),sur le territoire de ce dernier. On
s'y consulta sur une guerre contre le pays de Ts'i ^ et de Tch'en
|5jjî, qui n'avaient pas paru à cette assemblée. La conclusion fut
que le général Siun Lin-fou ^f ^ *£ conduirait une armée con-
tre ce dernier prince ; et que les vassaux fourniraient les troupes
auxiliaires.
L'expédition était à peine commencée que Tch'eng-kong mou-
rait subitement ; le général s'empressa de ramener son armée à la
capitale.
(1) Mou, voyez aux années 620 et 612,
DU ROYAUME DE TSIN. TCH'eNG-KONG. 139
Le roi de Tch'ou ^ profita de la circonstance pour attaquer
le pays de Tcheng |§J$ ; mais K'i K'iué £|] ^ accourut, et eut le
bonheur de mettre farinée en déroute complète, à Lieou-fen $$ ^f.
(1), comme nous l'avons longuement raconté dans l'histoire de
Tch'ou ; le fruit de cette victoire ne dura pas longtemps, comme
nous allons le voir.
(1) Lieou-fen, ville de l'état de Tcheng; mais dont on ignore l'emplacement.
140
KING-KONG (599-581)
M <à
-*£■**{-
Le nouveau souverain, fils du précédent, monta sur le trône
sans qu'il en résultât aucun trouble ; il s'appelait Kiu ^ ; il reçut
le nom posthume King ^p;, qui signifie: prince aimant la justice,
et heureux dans ses entreprises.
Au lieu de venir le saluer, le remercier, lui apporter les
cadeaux de joyeux avènement, le prince de Tcheng |U$ renonçait à
son obédience, et se donnait au roi de Tch'ou jfe que l'on avait
vaincu : c'était une impudente félonie. La même armée qui venait
de le protéger, revint pour le punir; elle était fortifiée par les
troupes de Song 5Jç, de Wei $j et de Ts'ao ^ .
Le prince fit la courbette, présenta un traité de soumission
inaltérable, et l'armée s'en retourna triomphante. Aussitôt arri-
vaient les gens de Tch'ou zjjg. pour reprendre leur proie; mais ils
furent repoussés par le fameux seigneur et général Che Hoei
"i Ht- pendant que les auxiliaires gardaient la capitale de Tcheng
fi[$, où il y avait des troubles. Les gens de Tch'ou furent refoulés
jusqu'à Ing-in jjj|| [^ (1).
L'année suivante, 598, ils revenaient à la charge, pénétraient
jusqu'à Li ^ 2), et ramenaient le prince de Tcheyig f|j$ sous leur
suzeraineté. Voici les paroles que le lettré-historien lui met à la
bouche : Machiavel ne les aurait pas dédaignées pour son propre
usage : les deux rois rivaux n'ont ni foi ni loi ; ils ne pratiquent
pas la vertu, et s'appuient uniquement sur la force de leurs
armes; pourquoi leur serions-nous fidèles? donnons-nous à la
première armée qui se présentera en nombre respectable.
Le prince de Tch'en [Sij|, à la même époque, se mettait aussi
sous l'obédience de Tch'ou. Voyant son rival s'attacher ainsi, de
gré ou de force, les états chinois, King-kong se tourna du côté
des Tartares. K'i K'iuê #[> $£. autrement nommé K'i Tch'eng $>
/ÎX. se rendit chez eux pour leur proposer un traité d'alliance.
Juste à cette époque, plusieurs de ces peuplades étaient mé-
contentes de la tribu des Tartares rouges, dont le chef prenait des
airs de roi, et faisait peser sur elles un joug très lourd; pour lui
(1) Ing-in est a 10 li sud-est de Yu-tcheou A #) . Ilo-nan ; elle est au nord
de la rivière Tng ( îî : do là son nom. Petite géogr.. roZ, /.'. p. 61 — (Grande, vol.
46. p. 2ç — vol. 4-. p. // .
(2) Li. nomn. ■ aussi Yang-ti-tch' eng ^fSfe<. c'est Vu-tcheou même. (Petite
géogr.. vol. 12, p. 6) — (Grande, vol. 47. p. jo).
DU ROYAUME DE TSIN. KING-KONG. 141
faire pièce, ces peuplades se montrèrent disposées à se ranger sous
la tutelle de King-kong ; en conséquence, en automne, elles se
réunirent en assemblée générale à Ts'oan-han 1), et se
déclarèrent ses alliées.
King-kong voulut aller lui-même recevoir leur soumission ;
les seigneurs de sa cour l'en dissuadèrent, lui suggérant de faire
venir plutôt les chefs de ces peuplades à la capitale, et d'y recevoir
leur traité d'alliance. K'i K'iué leur répondit en fin lettré: J'ai
ouï dire que si l'on manque de vertu, il faut s'appliquer à être
diligent; sinon, comment pourrait-on s'attacher les hommes? la
diligence assure le succès.
King-kong se rendit donc au pays des Tartares, et conclut
avec eux un traité d'amitié. Sur quoi, l'historien ajoute que le
conseil de K'i K"iué était tout à fait sage, vu qu'il était tiré du
livre des Vers (2); là il est dit: Wen-wang déploya la plu* grande
diligence : donc, si un prince éminent dut lui-même s'appliquer à
être diligent, combien plus cela sera nécessaire aux princes d'une
moindre valeur !
A la fin de cette même année 598, le prince de Tcheng $,
quittait le roi de Tch'ou ^, pour se remettre sous la suzeraineté
de King-kong; cette fois, disait-il, c'est définitif: car c'est le seul
moyen d'assurer la tranquillité et le bonheur de mon peuple.
En 597, une armée de Tch'ou venait punir cette désertion ;
elle assiégea la capitale pendant trois mois, et finit par la pren-
dre ; les habitants montrèrent un grand courage et une grande
constance ; néanmoins, leur souverain fut forcé de se soumettre
de nouveau.
En été, à la 6"""' lune, King-kong envoyait une armée de
secours; il était bien temps! Siun Lin-fou ^j \{\ 'i£ était le géné-
ralissime et commandait le corps du centre, avec Sien Hou ffc ] ;.
pour adjudant. À l'aile droite était Che Hoei j; -ff ; son adjudant
était K'i Keo ffi j£, fils de K'i K'iué: à l'aile gauche était Tchao
Cho j|ft if$, avec son aide Loan Chou ||§ ^.
Le chef des Kong-tsou Q ^, Tchno Kouo $) fg, était au
centre avec son frère Tchao Ing-ts'i %$ ■§£ ff-, parmi les grands
officiers; mais il ne commandait pas en chef; de même, à l'aile
droite, se trouvaient les seigneurs Kong-cho f|; jjfijj et Ilan Tch'oan
$£ ^; à l'aile gauche, les seigneurs Siun Cheou '^j "ff" . frère du
généralissime, et Tchao T'ong $j| [fs] frère aîné de Ing-ts'i. Le
ministre de la guerre était le seigneur Ilan K'iué §:!f. Jjjfc.
(Juand on fut arrivé au Fleuve Jaune, on apprit la défaite et
la soumission du prince de Tcheng ; Siun Lin-fou voulait de
(1) Ts'oan-han. ville inconnue; les commentaires disent seulement que c'était
au pays tartare.
(2) Che-king |$ M- (Zottoli, III, p. 30g, ode soemc) — (Couvreur, p. 444-
ode /oeme.. vers j).
142 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
suite ramener son armée, pour revenir après le départ des gens
de Tch'ou.
Che Hoei. grand lettré, fit un discours solennel aux officiers,
pour soutenir l'avis du généralissime: On m'a enseigné, dit-il.
qu'en stratégie il faut profiter de l'occasion favorable pour frapper
un grand coup ; si la vertu, la vigueur des lois, la bonne admini-
stration, la justice, les règlements et ordonnances, si, dis-je, ces six
choses sont en parfait état dans un pays, personne ne prévaudra
contre lui.
Or, c'est le cas de Tch'ou: l'an dernier il punissait le déloyal
prince de Tch'en [&| ; cette année, il punit de même le prince de
Tcheng §f); après la sévérité il montre la clémence, en acceptant
la soumission 'des deux délinquants : la vertu, la vigueur des lois,
la bonne administration sont donc en parfait état chez lui, et son
peuple est content.
Quand il appelle ses troupes sous les armes, il suit les règles
établies par son ancêtre, le roi Ou j£ 740-690); les agriculteurs,
les artisans, les marchands ambulants ou stables, tout ce monde
vaque à ses travaux comme à l'ordinaire; en campagne, l'infante-
rie et la cavalerie agissent d'un commun accord, sans querelle
avec personne; la justice règne donc parmi les diverses catégories
de la population.
Quand le seigneur Wei Ngao yJ^ §£ devint premier ministre,
il choisit les meilleurs règlements édictés avant lui, les réunit en
un seul code, pour être exactement observés. En campagne, l'in-
fanterie entoure les chars, et se tient sur le "qui vive! », prête à
repousser toute attaque; pendant ce temps, la cavalerie vaque au
fourrage et aux provisions.
En marche, devant l'armée sont les espions et les éclaireurs;
au moyen de différents drapeaux, ils indiquent si le pays est libre
ou non ; si ce sont des cavaliers ou des fantassins qui l'occupent.
L'office principal du généralissime est la stratégie et la conduite de
l'armée entière : le général de l'arrière-garde est là pour protéger
les troupes; chacun des officiers connaît son devoir, et l'exécute
d'après des signaux convenus, sans que le généralissime ait à dépê-
cher des estafettes. Donc les règlements sont en parfait exercice.
Le roi élève aux dignités les membres de sa famille et ceux
des maisons nobles; mais il veut pour cela qu'ils aient du talent.
Quiconque est vertueux est sûr d'avancer ; quiconque a des méri-
tes est sûr d'être récompensé : les vieillards sont l'objet de soins
extraordinaires, les étrangers eux-mêmes sont secourus, et jouis-
sent de plusieurs privilèges : les dignitaires, les nobles, les rotu-
riers ont leurs vêtements distinctifs ; les offices ont leurs règles
stables, et les titulaires ne peuvent être bouleversés arbitrairement;
les classes inférieures ont leurs occupations et leurs usages fixes.
En un mot, les rites, les ordonnances, tout marche à souhait ; qui
donc peut attaquer un royaume si bien organisé?
DU ROYAUME DE TSI>\ KIXG-KONG. 143
C"est une règle en stratégie d'attaquer si l'on espère le succès,
de reculer si l'on prévoit un échec ; c'est encore une règle de
fondre sur un pays affaibli et mal administré ; ainsi ont fait
tous les grands généraux. Tenons notre armée en parfait état ;
mettons en pratique les bons exemples donnés par nos rivaux ; il
y aura assez de pays mal gouvernés sur lesquels nous pourrons
nous jeter ; pourquoi nous attaquer à un royaume comme celui
de Tch'ou ?
Le livre des Annales (1) nous donne ce même conseil, par
la bouche de Tchong-hoei ftji J^, fameux ministre de l'empereur
T'ang }H ; rendez-vous maître des états affaiblis, emparez-vous de
ceux qui sont en révolution, occupez ceux qui tombent en ruine.
Le livre des Vers (2) n'a-t-il pas les paroles suivantes: Oh !
que les légions de V empereur Ou-wang ]jfÇ 3E étaient belles! Con-
sultant les circonstances, il les formait arec soin; il les tenait
dans l'inaction jusqu'au moment propice; et ailleurs: la force
d'âme de Ou-wang fut constante ; ses belles actions sont incom-
parables! N'est-ce pas le même enseignement: s'attaquer aux
pays affaiblis, mal administrés? Voilà ce que nous devons faire'?'
Le seigneur Sien Hou -fa ^, mommé aussi Tche-tse ^ ^f-,
avait eu sans doute beaucoup de peine à écouter jusqu'au bout
ce long sermon: à la fin, lui, l'aide du généralissime, riposta vi-
vement : Nous sommes à la tête de vassaux parce que notre armée
est valeureuse, nos officiers vigoureux et actifs : si nous reculions
parce que nous sommes en face d'un rival sérieux, nous ne serions
pas des hommes ! nous sommes à la tète des troupes pour leur
donner l'exemple de la bravoure, et nous reculerions comme des
lâches? qu'un autre se couvre de cette honte; moi, jamais!
Ayant ainsi parlé, il prit ses hommes, et traversa le Fleuve
Jaune; c'était une première et grave infraction à la discipline,
un funeste exemple donné par un des plus hauts dignitaires.
Siun Cheou ^j "ff* aussi nommé Tche-tchoang fy§ j££ , frère du
généralissime, fit la remarque suivante: Cette campagne s'engage
sous de funestes auspices ! et il prouva son dire par des citations
du livre des mutations [I-king ^ ^ dont nous faisons ^ràce au
lecteur;, puis il ajouta: Si nous rencontrons l'ennemi, nous som-
mes sûrs d'être vaincus ; et c'est le seigneur Sien Hou qui sera
cause de ce malheur; s'il échappe vivant du champ de bataille, il
payera cher sa rébellion, une fois rentré dans la capitale !
Le ministre de la guerre, Han K'iuè ^' J^ aussi nommé
Han Hien-tse f ç J^ ^ dit au généralissime : Votre adjudant se
(1) Chou-kinrj fg ;£«. (Zottoli, III. p. S7S — Couvreur, p. ;
(2) Che-king f£ $g. {Zottoli. III. p. 306) — Couvreur, p. 42=. ode 9cmc
p. 443)-
144 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
trouve maintenant en péril, avec une partie de l'armée, de l'autre
coté du fleuve : cette faute retombera sur vous, qui ne savez pas
vous faire obéir ; par vos retards vous avez déjà causé la perte du
prince de Tcheng ft{5 ; si vous laissez encore périr une partie de l'ar-
mée, votre crime sera trop lourd à porter. Xe vaut-il pas mieux
alors faire avancer toutes les troupes? Si nous sommes vaincus, la
honte retombera sur nous tous, non sur vous seul! Sur ce, l'ar-
mée entière passa le Fleuve Jaune.
Le roi de Tch'ou campait à Yen JŒ|{ il) : il était monté vers
le nord uniquement pour avoir le plaisir d'abreuver ses chevaux
dans les ondes dorées du grand fleuve: c'était une fantaisie et une
bravade : apprenant le passage des troupes, il renonça à cette idée,
et voulait s'en retourner dans son pays ; son favori Ou-san fj ^
le pressait, au contraire, de livrer bataille.
Le premier ministre Suen Chou-ngao fâ ;j^ ;§£ fit l'observation
suivante : L'an dernier nous avions l'expédition de Tch'en ^ ; cette
année, nous avons celle de Tcheng fÈJ$ ; nous harassons notre peu-
ple par nos guerres continuelles ; si cette fois nous sommes vain-
cus, suffira-t-il. pour effacer notre honte, de manger la chair de
Ou-san ?
Et si nous sommes vainqueurs, 'riposta celui-ci, tout le
monde saura que le premier ministre est un incapable ; si nous
sommes vaincus, les gens de Tsin mangeront ma chair; vous
n'en aurez pas un morceau.
Le premier ministre fit tourner les chars vers le sud. indi-
quant ainsi que dès le lendemain on reprendrait le chemin du
retour. Ou-san insista de nouveau: le généralissime de Tsin,
disait-il au roi. ne sait pas se faire obéir; son adjudant. Sien
Hou ^fc fx- est un homme violent et entêté ; aucun des généraux
n'est capable de parler en maître: chacun veut agir à sa guise, et
les officiers ne savent que faire? à qui obéir? une telle armée est
perdue si nous livrons bataille ! De plus, votre Majesté ne peut
reculer devant un simple ministre !
Le roi fut ébranlé ; il ordonna au premier ministre de tourner
de nouveau les chars vers le nord, et de conduire les troupes à
Koan *f£ (2), pour y attendre l'ennemi. Malgré ses répugnances,
Suen Chou-ngao obéit aussitôt.
L'armée de Tsin était campée entre les montagnes Ngao $£ et
(1) Yen, près de Pi #fî. qui était à 6 li à l'est de Tcheng tcheou gR ft\ , \\o-
nan. (Petite géogr., vol. 12. p. - — Grande, vol. 47- p.
[2 Koan, plus tard détruite, était dans 1rs murs "actuels de Tcheng tcheou, qui
pour cela, est quelquefois appelée aussi Koan. — L'ancienne capitale de la princi-
pauté r>i Sin-tcheng liien ffi §|J $£. — 11 ne faut pas oublier ce détail géographique
important- 'Petite géogr., vol. 12. p. y) — (Grande, vol. 47. p. 54
DU ROYAUME DE TING. KING-KONG. 145
K'ao |$ (1). Hoang Siu ^ /$, seigneur de Tcheng ft^, vint en
ambassadeur auprès du généralissime, avec le message suivant :
Notre prince a signé un traité de soumission, contraint par les
circonstances; mais notre cœur est avec vous; l'armée de Tch'ou
J£ est harassée ; pleine de confiance en elle-même, à cause de ses
victoires précédentes, elle néglige les précautions nécessaires ;
attaquez-la! nous vous soutiendrons, et la victoire est assurée!
Sien Hou -fc %j£ jubilait de voir son avis si bien corroboré :
c'est évident, disait-il, cette fois nous pouvons abattre le pays de
Tch'ou, et ramener le prince de Tcheng fjft sous notre suzeraineté!
Le général-adjudant Loan Chou §j§ ||£ 'nommé aussi Loan
Ou-tse Ifl jfÇ -'(■ supposait à la bataille, et il en donnait les motifs
suivants: Depuis sa grande victoire, en 611, sur le prince de
Yong }ffî (2), le roi de Tch'ou n'a laissé passer aucun jour sans
instruire et exhorter son peuple, répétant sans cesse: il n'est pas
facile d'assuré)' le .s'a/"/ public; les malheurs arrivent à l'impro-
oiste; ainsi donc, attention' pas de nonchalance ! Dans les camps,
il visite chaque jour les chars ; il exhorte ses soldats en leur disant:
personne nest assuré de la victoire! autrefois, l'empereur Tcheou
$i\ (1154-1123) fut vainqueur en cent batailles; une seule défaite,
infligée par Ou-wang j^ 3E.i 'e priva île Ions les avantages précé-
dents, el même du trône. T.e roi de Tch'ou l'appelle sans cesse
les exemples de ses ancêtres Jo-ngao fë )fc et Fen-mao ffi pf, qui
défrichaient les forêts, n'avaient que des chars rustiques et des
vêtements grossiers, et cependant amenaient leur peuple à la civi-
lisation ; il rappelle sans cesse les paroles employées par eux pour
aiguillonner leurs gens : le salut d'un peuple dépend de l'appli-
cation a son devoir; là où elle règne, règne aussi l'abondance!
Cela étant ainsi, comment prétendre que l'armée de Tch'ou
est orgueilleuse et confiante en elle-même'.' Un de nos meilleurs
généraux, Tse-fan ~(- fx, disait autrefois: L'armée qui combat
pour la justice est forte ; celle qui lutte pour une mauvaise cause
est faible ; or c'est nous qui avons tort ; nous qui harcelons sans
trêve le royaume de Tch'ou ; comment dire que ses troupes sont
harassées '?
La garde du roi est composée de deux compagnies liang-
koang Zl J^ '■ chacune a quinze chais de guerre, et chacun
d'eux est entouré de cent fantassins à solide cuirasse ; la compa-
gnie de droite est de garde depuis l'aurore jusqu'à midi : celle de
(1) La montagne NTgao est à 20 li à l'ouest de Yong-tche hien *jfi '(% 'If. qui
est à 1 10 li nord-ouest de sa préfecture K'ai-fong fou f'fl t-.J 'f'r. Ho nan. Petite
géogr., ool. /-'. i>. g) — {Grande., ool. ./-. }>. $9 ■
(2) Yong. S;i capitale était è 10 Li à l'est de Tchou-chan hien >ft \\\ f£, qui
csi à 380 li sud-ouest de sa préfecture Yun-yang fou [$ F-} Iff, Hou-pé. Petite
géogr., vol. 21, p. 33) — (Grande., vol jç, j>. ?■,).
19
146 DU ROYAUME DE ISTX. LING-KOXG.
guuche la relève jusqu'à la fin du jour: les officiers se succèdent
à tour de rôle, pour parer à toute éventualité. Comment dire que
cette armée ne prend pas les précautions nécessaires ?
Enfin, Tse-liang ^f- ^ est un des seigneurs les plus émi-
nents de Tcheng |§j$ : il est en otage à la cour de Tch'ou, comme
garantie du traité d'alliance; et c'est P'an Hoei :fâ T(± aussi
nommé Che Chou 0[]j fâ • un des plus grands dignitaires de ce
royaume, qui a signé ce traité. Les deux pays sont donc liés entre
eux. de coeur, et non pas seulement pour la forme. Si aujourd'hui
un officier de Tcheng vient nous pousser au combat, cela veut
dire que si nous sommes victorieux, son prince reviendra vers
nous: si nous sommes vaincus, il restera sous la suzeraineté de
Tch'ou. D'après mon humble avis, nous ne devons pas nous fier
à ses paroles.
A ce discours les deux officiers Tchao Kouo jfï fê et Tchno
T'ong %fà |p] répondirent : Nous avons conduit notre armée ici pour
chercher l'ennemi : si nous sommes victorieux, nous reprendrons
le pays de Tcheng qui nous a été enlevé ; qu'attendons-nous enco-
re ? il faut suivre l'avis de Sien Hou fc 5$ !
Ces deux individus lui sont donc vendus? s'écria avec colère
Siun Cheou ^ "g", le frère du généralissime. Tchao Cho $fr jfij]
ajouta : Le conseil du seigneur Loan Chou fff ^ est excellent ; s'il
peut l'exécuter, il finira par être premier ministre!
Ainsi la confusion était grande au camp de Tsin ; elle allait
encore augmenter d'une manière incroyable, et amener un désas-
tre. Un haut dignitaire de Tch'ou §g apporta le message suivant:
Notre humble roi a passé sa jeunesse au milieu des troubles, et
n'a pu cultiver les lettres ; il a cependant appris que ses deux
prédécesseurs Tch'eng ffc 671-626) et Mou f| (625-614\ à diver-
ses reprises, sont venus dans ce pays de Tcheng flft, mais unique-
ment pour exhorter le peuple à la vertu, y faire régner le bon
ordre, sans vouloir aucunement offenser votre illustre maître ;
ainsi, mes seigneurs, ne vous attardez pas ici plus longtemps,
après cette pacifique explication. C'était dire, en termes mielleux:
sortez d'ici ! vous n'avez aucun droit sur ce pays : il est à nous !
Che Hoei ^f- ^. le fin lettré, répondit sur le même ton :
Autrefois, l'empereur P'ing-wang ^ ï 770-720 donna à notre
souverain Wen-heou # fê 780-746, l'ordre suivant (1): avec le
prince de Tcheng §J5, soye2 un rempart protecteur de la dynastie
régnanb': ^ri-nez garde d'oublier les paroles de votre empereur!
Le prince de Tcheng ne tenant pas compte de ce mandat, notre
humble souverain nous a envoyés lui en demander raison : com-
(1) Le texte fait allusion au livre des Annales [Ghou-king § $|. Wen-heou-
tetae-ming ;£ fjç 21 ^ il faut y prendre sarde, car plusieurs historiens
trompée: ce n'esl pas Wen-kong £ 5J qui reçut le mandat, mai» Wen-heou Kieou
3t fë iK (Zottoli. III. p. s*3 — 'Che-ki-tche-i £. f£ jjg U vol, 21. v. i7).
DU ROYAUME DE TSIN'. KING-KONG. 147
ment oserions-nous chercher querelle à votre illustre roi? Ainsi nous
vous remercions très humblement du conseil de nous en retourner.
C'était comme 'dit le proverbe «à bon chat bon rat». Mais
Sien Hou ^fc %% trouva cette réponse humiliante, et trop flatteuse
envers un ennemi ; il dépêcha Tchao Kouo |K }§ rejoindre le mes-
sager, et lui dire : notre interprète n'a pas rendu exactement les
paroles de notre roi; les voici: Aile:! empêchez les gens de Tch'ou
de jamais remettre les pieds au pays de Tcheng; ne reculez devant
personne ! Ainsi nous ne pouvons désobéir à un ordre si formel.
Malgré cette impudente provocation, le roi de Tch'ou envoya
un nouvel ambassadeur, proposer un traité, dans lequel on fixerait
amicalement la sphère d'influence de chacun des deux rivaux. Le
généralissime Siun Lin-fou $j H 3£ accepta ce moyen de concor-
de, et indiqua le jour où l'on entrerait en pourparlers.
Au camp de Tch'ou *jj|, cependant, l'opinion publique était
pour la bataille, et le roi allait se voir débordé, tout aussi bien
que Siun Lin-fou ; le combat sera engagé, en dépit des deux com-
mandants en chef; désordre périlleux pour les deux armées; fu-
neste surtout pour celle de Tsin, déjà si divisée par les jalousies.
Un grand officier de Tch'ou, nomé Yo-\>è ^| f £| , avait pour
conducteur de char l'officier Hiu-pé ^f- f£j ; pour lancier, Che-
chou JH jjijj. Tous trois résolurent d'aller insulter les troupes de
Tsin, et de les braver jusque dans leur camp. Le conducteur di-
sait : Quand on va provoquer l'ennemi, le char doit être lancé
avec une telle rapidité, que l'étendard se replie jusqu'à terre sous
la résistance de l'air; on va ainsi jusqu'à la porte du camp, et
l'on rebrousse chemin. — Non pas! disait Yo-pé : à la porte du
camp, le maître du char décoche une bonne flèche, prend les
rênes en main, le conducteur descend, met en ordre les sous-
ventrières des chevaux, remonte tranquillement, et l'on s'en re-
tourne. — Ce n'est pas encore cela! disait le troisième compère:
le lancier doit entrer dans le camp, couper l'oreille gauche à un
soldat, en prendre un autre au collet, l'amener sur le char ; après
quoi l'on s'en revient.
Oui plus est, les trois vantards exécutèrent à la lettre ce
qu'ils avaient dit! Du camp de Tsin, on s'élança de deux cotés à la
fois à leur poursuite, espérant les cerner à quelque distance :
mais Yo-pé avait bandé son arc : à droite du char, il visait les
hommes, à gauche les chevaux, et il ne manquait jamais son
but. Il ne lui restait plus qu'une flèche, quand il aperçut à l'avant
du char un magnifique cerf qui fuyait, effrayé par le tumulte ;
il le visa et lui perça le dos ; se tournant ensuite vers les gens de
Tsin, il reconnut le seigneur PaoKoei $|) ?& qui le suivait de
près; il ordonna à son lancier d'aller lui offrit ce cerf, et de lui
dire: Ce n'est pas précisément l'époque où l'on s'envoie de la ve-
naison; je vous présente tout de même cette pièce de gibier,
pour en régaler votre suite ! Pao Koei fit arrêter ses gens en leur
148 TEMPS VRAIMENT HTSTOUIÇUKS
criant : Yo-pé est un maître à tirer de l'arc ; son lancier, un
maître dans l'art de bien dire ; ce sont deux hommes éininents :
laissons-les s'en retourner tranquillement à leur camp.
Auprès du généralissime Siun Lin-fou était un certain sei-
gneur, nommé Wei I fj| §£, fils de ce Wei Tch'eou fjj| ^? dont
nous avons parlé à l'année 633-632 ; il avait demandé à être ad-
mis parmi les membres de la famille régnante les Kong-tsou fè
~jjfc, la lème classe des nobles; on lui avait refusé cette faveur, il
demanda permission d'aller provoquer les gens de Tch'ou, on le
lui refusa encore ; il demanda enfin d'être envoyé traiter de la
paix, Siun-lin fou eut l'imprudence de le lui accorder ; on voulait
lui donner un collègue et des instructions ; mais il monta aussitôt
sur son char et partit à toute vitesse.
Auprès du même généralissime était un autre écervelé, Tchao
Tchen |fr {/>[-, digne fils de son père Tchao Tch'oan J?j ^ ; il avait
brigué la dignité de ministre, on la lui avait à bon droit refusée ;
il cherchait donc une action d'éclat, pour montrer son génie.
Voyant qu'on avait laissé échapper Yo-pé, il demanda la permis-
sion d'aller venger l'honneur de Tsin, en provoquant de même
le camp de Tch'ou ; on la lui refusa ; il insista pour être du moins
chargé de négocier la paix ; Siun-lin fou le lui accorda, et com-
me l'autre il partit au plus vite.
Le seigneur K'i /v'o $|] T/£ dit alors au généralissime: Ces
deux enragés vont accomplir une ambassade à leur façon ! nous
ferions bien de nous tenir sous les armes, pour ne pas être supris
à l'improviste !
Mais l'entêté général Sien Hou ^fc ':'< répliqua: Les gens de
Tcheng HP nous poussaient au combat, nous n'avons pas su sui-
vre leur conseil ; les gens de Tch'ou nous proposent la paix, nous
ne savons pas la conclure ! l'armée n'a pas de tête ; à quoi bon
les précautions ?
Che Hoei ~i? ^ insista en disant: 11 est -toujours bon d'être
sur ses gardes! Si les deux députés froissent les gens de Tch'ou,
ceux-ci se rueront sur nous à l'improviste, et nous serons perdus:
préparons-nous à toute éventualité! Si les gens de Tch'ou n'en-
treprennent rien contre nous, nos précautions auront été dans
l'ordre, car dans les réunions où les vassaux veulent conclure un
traité, chacun a ses gardes sous les armes, afin d'être respecté
et honoré selon son rang.
Sien Hou persista à ne rien faire. Che Hoei s'en alla: il char-
gea les seigneurs KongCho -tfï. i'fjlj et Han Tch'oan $£ ^ de placer
des soldats en embuscade, en sept endroits différents, au pied de
la montagne Ngao §£ ; c'est ce qui sauva son corps d'armée.
A l'insu de Sien Hou, le seigneur Tcl'iBO Tng-tsri ,[£f ^ ^
chargea plusieurs officiers de préparer des barques sur la rive du
fleuve .Jaune; plus tard, voyant la bataille perdue, ses hommes
sautèrent les premiers clans ces barques, et échappèrent au massacre.
DU ROYAUME DE TSIX. KTXG-KONG. 1 \ 9
Pendant ces préparatifs, que devenaient nos deux ambassa-
deurs? Arrivé au camp de Tch'ou, Wei If mit à faire le
fanfaron ; il criait a tue-tête qu'on se dépêchât de suite à venir
sur le champ de bataille: et il remonta en char. Indigné d'une
telle outrecuidance, le seigneur P'an-tang fâ &. lui donna la chasse
jusqu'à un étang nommé Yong-tché ^ |f| (1). Là. \.Yei I aperçut
six cerfs, qui paissaient dans les lagunes: il en tua un. et cria à
P'an-tang : Votre seigneurie n'a sans doute pas eu le loisir de se
procurer du gibier; je lui offre cette pièce, ponr régaler sa suite'
Notre homme était heureux de rendre aux gens de Tch'ou bravade
pour bravade. Pan-tang aussi cessa de le poursuivre.
Pendant ce temps. Tchao Tchen jjQ jjft était arrivé à son tour
au camp ennemi, ignorant ce qui s'était passé. En brave qui ne
craint rien, il avait étendu sa natte de lit devant la porte du camp,
et il avait envoyé ses gens à l'intérieur porter le défi. Nous avons
dit plus haut que la garde personnelle du roi était composée de
deux compagnies: dans chacune d'elles il avait un char de guerre
qu'il montait à tour de rôle. On était dans l'après-midi du 'l'A
avril ; c'était donc la compagnie ou régiment'; de gauche qui était
de garde; le roi monta sur son char pour donner lui-même
la chasse à ce second impudent 2 .
Celui-ci fuyait à toute bride: mais se voyant pressé de trop
près, il sauta de son char, et s'enfuit dans la forêt, le lancier
K'iué-t'ang Jgî f|| l'y poursuivit encore; le pauvre fanfaron dut
quitter ses armes et ses vêtements, pour courir plus vite, et finit
par lui échapper.
Les gens de Tsin étaient anxieux sur le sort de leurs deux
écervelés, qu'on ne voyait point revenir: par prudence, on avait
envoyé un char à leur rencontre; celui-ci, dans sa course rapide
soulevait un tourbillon de poussière. P'an-tang y fut trompé: vite
il dépêcha un exprès au camp, avec ces mots : les gens de I-
arrivent sur nous !
De leur côté, les officiers de Tch'ou craignant que leur roi
ne s'avançât trop loin dans sa poursuite, et ne fût entoure par
par quelque embuscade, avaient déjà mis leurs hommes sous les
armes, et étaient prêts à partir.
(1J Le lac ou étang de Yong-tché, est au sud de Yong-tché hien %& jâp Sfj, qui
est a 1 iu li nord-ouest de sa prélecture K'ai-fong fou [*j Jt Hf, llo-nan. Ces lagu-
nes ont été depuis longtemps drainées, rendues cultivables <'t habitables
géogr., ool. jj- p, S) —(Grande, vol. 4-. p. / .
Dans le régiment de droite, sur le char n>\al. le seigneur lliu Yen f£ flî
était conducteur, le seigneur Yang Yeou-I.i j| [il it lancier; sur celui de .
le conducteur étail ir P'ong-ming t& % ■ le lancier lf seigneur K'iu
J3$ ifèj. — Le généralissime était le gouverneur de Chen Çfaen-Ing tfc y*., a\>c Tse-
tchnng y S pour conducteur, et Tse-fan y ^ pour lancier.
150 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Le premier ministre Suen Chou-ngao fâ fy f}% fit sortir toute
l'armée et cria : En avant! mieux vaut surprendre l'ennemi que
d'en être surpris! la chance est pour celui qui attaque le premier!
Chars de guerre et fantassins s'élancèrent à l'assaut du camp de
Tsin.
Siun Lin-fou ne savait pas ce qui s'était passé ; voyant l'ar-
mée de Tch'ou accourir, il perdit la tète; il fit battre les tambours
et cria: sauve qui peut! le premier qui aura repassé le Fleuve
Jaune sera récompense !
Les soldats du centre et de l'aile gauche se précipitèrent sur
les barques; ceux qui n'avaient pu y prendre place, les retenaient
en s'y cramponnant: on leur coupait les doigts à coups de hache;
c'était une confusion indescriptible !
Pendant que ces deux corps d'armée étaient ainsi en déroute
complète, Che Iloei j; -ff avec ;es hommes restait inébranlable à
son poste; son courage et son sang-froid furent le salut d'une
partie des troupes de Tsin. Tout l'effort de la lutte se concentra sur
lui; T<'i fâ, ministre des travaux publics de Tch'ou, lança contre
lui l'aile droite de son armée sans pouvoir l'entamer. Le prince
de T'ang )^. nommé Hoei-heou ïg {% était là. à titre d'auxiliaire;
le roi députa P'an-tang avec quarante chars l'inviter à attaquer
aussi Che Hoei : quoique ce fût le souverain d'une principauté
minuscule, le message était extrêmement poli; le roi y disait :
Moi, qui n'ai ni vertu ni valeur, j'ai cependant eu l'audace de me
mesurer avec un grand royaume: j'avoue humblement ma faute;
mais si je suis vaincu, votre seigneurie en sera aussi couverte de
honte: ainsi je compte sur votre puissant secours pour m'aider à
remporter une pleine victoire. Les seigneurs T'ang Kiao J|f fê
et Ts'ai Kieou-kiu ^ )^ M accompagnaient P'an-tang 1 .
Le seigneur KH K'o ffi j£ nommé aussi Kiu-pé ,|È) f£| de-
manda à Che Hoei s'il ne convenait pas de prendre l'offensive, et
de se jeter sur les assaillants. Nullement! répondit le prudent
général : les troupes de Tch'ou sont dans l'enivrement de la victoi-
re, elles sont capables de tout culbuter; il vaut mieux masser nos
hommes, nous retirer tout en combattant, faire l'office d'arrière
garde, et protéger ainsi ceux de nos frères d'armes qui sont en
fuite devant nous. < >n se mit donc en maiche ; et grâce à cette retraite
régulière et en bon ordre, malgré les assauts réitérés de l'ennemi,
la défaite ne fut pas une extermination.
A la nuit tombante, l'armée de Tch'ou établit son camp à
Pi #|J i 2 ; celle de Tsin continua toute la nuit à passer le fleuve,
I r'ang. Sa capitale est T'ang hien fë 1£. à 120 li sud-est de sa préfec-
ture Nan-yang fou ffi VJk Jfr. Ho-nan. Petite géogr., vol. 12. p. 41) — Grande.
1 ol. 51, p. 9).
- r ou Pi-tch-enyt&tâ, était à 6 li à l'est de Tch'eng-tcheou lit. fâl.Ilo-nan.
' Voyez à l'année 606 .
DU ROYAUME DE TSIN. KING-KONG. 151
sous la protection de Che Hoei. Le lendemain, le roi faisait ame-
ner ses lourds charriots de provisions, puis, quelques jours plus
tard il transférait son camp à Heng-yong $j jpff; l); l'expédition
était finie.
Avant de prendre le chemin du retour, P'an-tang proposa de
réunir en un même tas tous les cadavres des soldats de Tsin, et
d'élever sur eux un monticule, au bord du fleuve; ce serait un
mémorial de cette grande victoire; j'ai ouï dire, ajoutait-il, que
les anciens donnaient le conseil suivant : quand on a vaincu un
ennemi, il faut en transmettre le souvenir glorieux à ses descen-
dants, afin qu'ils n'oublient pas les hauts faits militaires.
Le roi répondit : Vous parlez d'une chose que vous ne com-
prenez pas. Quand on écrit le caractère Ou ^Ç, qui signifie vaillant,
on trace d'abord la partie tche _||- cesser, puis la partie i -^ tir à
l'arc, dont il se compose; ainsi, par l'écriture même, on vous
enseigne qu'un véritable vaillant est celui qui fait cesser les guer-
res. Le livre des Vers (2) raconte que Ou-wang fâ ^f , après avoir
abattu la dynastie Chang ]gf, dit aux princes réunis : j'ai fait rap-
porter les boucliers et les lances, remettre dans leurs carquois les
arcs et les flèches; je vais cultiver la vertu, et la répandre partout;
ainsi je mériterai de conserver le pouvoir impérial. Ailleurs, dans
le même livre, le fameux Tcheou-kong |j§] Q célébrant encore les
hauts faits de Ou-wang, lui donne cet éloge : vainqueur des Ing
]fl> ''ous ave: mis fin aux massacres. Ailleurs encore il est dit :
nous devons nous rappeler .sans cesse les exemples de Ou-wang,
et nous travaillerons uniquement à affermir la tranquillité de
l'empire. Ailleurs enfin, le même livre célébrant les faveurs ac-
cordées par le ciel à la vertu de Ou-wang, a cette belle parole :
tous les peuples jouissent de la paix; souvent les récoltes sont
magnifiques.
Ainsi, la vraie valeur militaire se manifeste dans la répression
de la tyrannie, l'empressement à remettre les armes au dépôt, la
conservation de son autorité, l'affermissement de la paix, le bonheur
du peuple, la concorde avec les états voisins. De cette manière, la
postérité se souvient longtemps des exploits de ses ancêtres.
Le roi continua son discours onctueux sur le même ton; nous
l'abrégeons par égard pour le lecteur. Ce prince vertueux offrit
un sacrifice à l'Esprit protecteur du Fleuve Jaune, qui lui avait
été si favorable; il bâtit une pagode à ses ancêtres, pour leur an-
noncer sa victoire, puis il retourna triomphalement dans son pays.
Naturellement, les troubles continuèrent dans la principauté de
(1) Heng-yong ou Yuen-yong tch'eng )îï $fè i$_. était à 5 li nord-oues
Yuen-ou hien ^ j^; $£, qui est à 180 li à l'est de sa préfecture Ho-ncrn fou i"I |Tj
Jfr, llo-nan. (Petite géogr., ool, 12 p. 2çi. — (Grande, ool. 47. p. z6.
(2) Cke-king ff $jj (Zottoli, 111. p. 294, ode 8em*. vers jeme) — (Couvreur,
.pp 424, 43S, 444. ode ioQmc).
152 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Tchenq §J>, le roi de Tch'ou n*en était point fâché, cela lui four-
nissait l'occasion d'intervenir; il y gagnait toujours quelque chose.
Voici maintenant quelques détails relatifs à cette sigulière
bataille: Pendant le combat, le roi de Tch'ou voyant arriver son
régiment de droite, voulait monter sur le char de cette compagnie,
comme étant la plus honorable; son lancier K'iuè-t'ang Jïjï f^
l'en dissuada en disant : Votre Majesté a commencé la bataille sur
le char de gauche, elle doit y rester jusqu'à la tin. Il craignait
que ce changement n'impressionnât les troupes, et ne fût consi-
dère comme un mauvais présage. Depuis lors, ce fut la compagnie
ou régiment de gauche qui eut la préséance dans la garde royale.
Autre fait: l'n char de Tsin était embourbé dans un bas-
fond : des soldats de Tch'ou, au lieu d'en profiter pour massacrer
ceux qui le montaient, leur crièrent d'enlever la barre transver-
sale où se trouvaient suspendues plusieurs armes ; le char ainsi
allégé put faire quelques pas, mais s'arrêta de nouveau: Enlevez
le grand drapeau, crièrent les gens de Tch'ou; couchez-le en tra-
vers, il ne donnera pas prise au vent! Le char étant sorti d'em-
barras, le conducteur, pour remercîment. dit aux gens de Tch'ou,
comme un fin lettré: Nous autres, nous n'avons ni l'expérience
ni l'habitude de la fuite comme votre ilustre royaume ! sur ce, il
lança ses chevaux au grand galop.
Encore un trait curieux : L'un des auteurs du désastre,
l'écervelé Tchao Tchen @ Jpf- pendant la bataille avait cédé ses
bons chevaux à son frère aine et à son oncle, qui purent ainsi
échapper à l'ennemi ; c'était héroïque de sa part : lui, avec leurs
mauvais chevaux, ne tarda pas à être rejoint pas les gens de Tch'ou,
il sauta de son char, et s'enfuit dans une forêt voisine. Bientôt
après, passait près de là le grand officiel- Fong 3'^ avec ses deux
fils : celui-ci dit aux deux jeunes gens : Pressez la course des
chevaux en avant, sans regarder à droite ou à gauche! Il avait
bien aperçu le pauvre fuyard, mais il voulait l'abandonner à son sort
si mérité. Mais les jeunes gens regardaient quand même de tous
côtés : ayant vu le fugitif, ils crièrent à leur père : Voilà le seigneur
Tchao Tchen abandonné derrière nous! Fong indigné leur ordonna
de descendre: leur montrant un arbre, il leur dit: Mourez là!
puis il tendit à Tchao Tchen la courroie de cuir qui servait à
monter en char, il le reçut à leur place et lui sauva la vie. Le
lendemain, il revint au même endroit, il y trouva ses deux fils,
tues par les gens de Tch'ou.
Dernier incident: Hiong Fou-ki tË J| |i§, grand seigneur de
Tch'ou. avait fait prisonnier le jeune Inij *;';• 1 • fils de Siun
l 1 1 1 ■_ lui gouverneur de Tche fâ. Cette ville était un peu à L'ouest de Yu-
hicmg hien (& rjip lilf. qui esl .1 60 li sud-est de sa préfecture P'ou-tcheou fou j'ijj ■'il
':''! . Chan -i. Petite </.:. tgr., col. s. p. 30 — Grande, vol. 41. p. 21 .
DU ROYAUME DE TSIN. KING-KONG. 153
Cheou |jj "pf", et neveu du généralissime. Ayant appris cette nou-
velle, le malheureux père prit les troupes de son clan, et retourna
sur le lieu du combat, suivi par un bon nombre de soldats du
;;èine Corps l'aile gauche), dont il était un des grands officiers.
Le conducteur de son char était le seigneur Wei l 0ji £* 1 . Le
pauvre père lançait ses flèches à droite et à gauche; mais quand
il lui en tombait sous la main une excellente, il la mettait en ré-
serve dans le carquois de son conducteur. A la fin, celui-ci lui
cria: ne voulez-vous donc pas délivrer votre fils? pourquoi épar-
gner les llèches? sur le bord du lac de Tong-tché jft \^ 2:, il y
a de quoi en faire d'autres! Siun-cheou lui répondit: Si je ne fais
prisonnier un fils de grande famille, pour l'échanger contre le
mien, je combats en vain: je ne veux pas lancer au hasard mes
bonnes llèches! Enfin, il finit par tuer le grand officier Siang-
la.0 j|§ ^, dont il prit le cadavre sur son char; bientôt après,
il blessait et emmenait prisonnier le prince Kou-tch'en ^ g:
.Maintenant, dit-il, retournons; j'ai de quoi faire l'échange!
Vers le mois de juin, l'armée de Tsin rentrait piteusement à
la capitale. Siun Lin-fou ^j ^ *£ demanda d'être mis à mort,
pour s'être ainsi laissé battre par le roi de Tch'ou. King-kong
était sur le point de lui accorder cette faveur peu désirable, quand
Che Tchcng-tse -j^ ^ ^p, aussi nommé Ou-tchouo ^g $§, du grand
clan Che -fc, l'en dissuada par le discours suivant : Autrefois en
632], après la grande victoire de Tcheeng-pou jj$ $|, nos troupes
se régalèrent pendant trois jours, des provisions trouvées au camp
de Tch'ou ;g| ; toutefois, votre ancêtre Wen-hong j$r £* ne prenait
pas part à la joie commune; on lui demanda la cause de sa tris-
tesse: il répondit : tant que Tse-yu ^f- 3E vivra, je ne puis me
réjouir; les fauves même, poussés à l'extrémité, deviennent terri-
bles; combien plus dois-je redouter un tel ministre d'un tel ro-
yaume! Quelque temps après, ayant appris la mort de Tse-yu,
YVen-kong en manifesta publiquement sa joie : maintenant, disait-
il, je n'ai plus rien à craindre! Il considérait cet événement com-
me une nouvelle victoire de Tsin. et une nouvelle défaite de Tch'ou :
ce dériver royaume en lut affaibli, en effet, pour deux générations:
et c'est seulement grâce à nos dissensions qu'il vient de se relever.
A notre tour, le ciel vient de nous donner une forte leçon, pour
nous corriger; si nous mêlions à mort Siun Lin-fou "fîj ^ te-
nons ajouterons un désastre à celui que nous avons subi; nous en
serons pour longtemps affaiblis. En charge, ce général ne pense
■ 1 Wei I es( ri1 même seigneur qui provoqua l'armée de rch'ou, <i lui un
des fauteurs de In débâcle.
.' Tong-tché. Ce lac esl .'> '■>■* li nord csl de Wen-7ii hien flj| y, |£, qui
70 li au sud de Kiang tcheov ';"f 41. Chan si. Petite géogr., vol. • . p. // . -•
< Grande, vol / 1 . p. ss ■
15'* TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
qu'à se dévouer pour son prince; rendu à la liberté, il ne cherche
qu'à corriger ses fautes ou ses erreurs ; en un mot, c'est une des
colonnes de l'Etat; comment pourrait-on faire mourir un tel hom-
me? Sa défaite a été une éclipse: mais le soleil et la lune ont les
leurs, et leur éclat n'en est pas perdu pour cela.
Kingr-kong; fut touché de cette sage remontrance, et il rendit
au généralissime son ancienne dignité: ce qui prouve que ce prince
n'était pas un homme à courte vue : aussi, malgré se.-> revers, il
demeura le chef des vassaux.
A la fin de cette même année 597, des députés de Tsin |^,
de Song ^. de Wei $j et de 7Vao ^ tenaient une assemblée à
Ts'ing-k'ieou fy\ jjfj 1 . pour y renouveler les anciens traités d'al-
liance et d'amitié : Nous allons, disait le texte de la convention,
secourir ceux qui sont dans la détresse, et punir les traîtres: mais
ce fut lettre morte.
Le prince de Song; attaqua celui de Tch'en [îjfï. qui s'était
déclaré partisan de Tch'ou *£ : le marquis de "Wei le défendit,
lui, signataire du traité: pour excuse, K'ong-ta JL j=?, son premier
ministre répondit : Antérieurement à votre réunion nous avions
un pacte d'amitié avec ce prince: quani à King-kong, s'il est mé-
content de moi, je suis prêt à mourir! Première antienne pour
nous annoncer sa fin tragique: nous la verrons arriver en effet
dans deux ans.
King-kong lui-même ne se préoccupait guère de son traite :
le prince de Song $£ étant attaqué par l'armée de Tch'ou, il le
laissa dans l'embarras sans lui porter secours.
En 596, le roi de l's'i ^:\ profitant du désastre de Tsin, fai-
sait la guerre à la petite principauté de Kiu ~'À\' 2 : celle-ci se
confiait sur son alliance avec King-kong-: elle se vit de même
abandonnée à son malheureux sort: c'était au printemps.
En automne, les Tartarcs rouges Tclve-ti ff. ffi attaquaient
eux-mêmes le pays de Tsin, selon le proverbe «un malheur ne
rient jamais seul»; c'est le traître Sien II ou -fc ^ qui avait appelé
en secret ces barbares; furieux de n'avoir pu se venger suffisam-
ment dans le désastre de Pi JîJJ, il avait eu recours à cet autre
moven. LesTartares opérèrent des razzias jusqu'à la ville de Ts'ing
ffi 3 . et se retirèrent à l'arrivée des troupes.
1 Ts'ing-k'ieou, était à 70 li sud-est do K'ai-tcheou $\ ft\. Tche-li. i Petite
géogr., vol. 2. p. 55] — 'Grande, vol. 16. p.
(2) Kiu, sa capitale, détruite plus tard, était sur l'emplacement actuel de
Kiu-tchenu ~*£ #| . à 90 li nord-est d I-tcheou fou xTf #| ''T sa préfecture. 'Petite
yêngr.. vol. 10. p. sr1 — 'Grande, vol. SS- P- 2~
is'ing, appelée plus tard Yu-pi tch'eng £ !g >•'•!.. était a 1:! li sud-ouest
de Tsi-chan hien f£ li| ff\ qui est à 55 li a l'ouest de Kiang tcheov ££ •■']■!, Chan-si.
(Petite géogr., vol. S. p. 41t. — Grande, vol. 41. p. 401.
DU ROYAUME DE ISIX. KING-KONG. 155
A la fin de l'année, King-kong se débarrassa de Sien Hou;
avec lui fut exterminée toute sa parenté. Un sage lettré fit la re-
marque philosophique suivante : Quand on subit des malheurs,
c'est qu'on se les est attirés soi-même. Ce n'est peut-être pas tou-
jours vrai; mais c'était bien exact en cette occasion; Sien Hou
jalousait son généralissime; il eût voulu le supplanter, en pleine
expédition , ce fut le malheur de l'armée, et la première cause du
désastre de Pi.
Après cette rigoureuse punition, King-kong se prépara à
châtier un autre traître, le marquis de Wei $Ç : il lui envoya un
ambassadeur, lui demander pourquoi il avait protégé le prince de
Tch'en [^, contrairement au traité. A la cour, tout le monde s'ex-
cusa. S'il n'y a point de coupable, dit alors L'envoyé, une armée va
venir vous demander raison de cette félonie! Le premier ministre
K'ong-la iJL j% lui répondit: S'il y a faute, elle retombe sur moi;
c'est moi qui ai voulu cette expédition : si ma mort peut terminer
la querelle, je suis prêt! De fait, au printemps suivant, K'ong-ta
se pendit : le marquis désavoua son ministre, déclara qu'il s'était
justement puni, et le différend fut apaisé. Tels étaient les usages
de ce temps-là.
En 595, en été, King-kong envoyait ses troupes exécuter de
grandes manœuvres, sur le territoire de Tcheng l|j$, témoin de
leur dernière défaite ; et il en avait donne avis à tous les vassaux
amis, comme s'il eût médité une revanche. C'est le généralissime
Siun Lin-fou ^jj fyl 3C clui avait suggéré cette démonstration mi-
litaire, dans le but d'effrayer le prince, et de l'amener ainsi à se
remettre sous la suzeraineté de Tsin.
La chose n'alla pas si bien qu'on l'espérait : le prince fit d'a-
bord revenir Tse-liang ^p- J|, qui était toujours en otage au pays
de Tch'ou ^| ; c'était un homme de grand conseil, ses avis sem-
blaient nécessaires dans cette conjoncture ; le prince n'en fut ce-
pendant pas rassuré : il se rendit lui-même à la cour, demander
la conduite à tenir; ce voyage suffit à faire rentrer les troupes de
Tsin dans leurs foyers.
En 594, le prince de Song, assiégé depuis la 9'nu' lune de
l'an dernier, dans sa capitale, par une armée de Tch'ou, demandait
à cor et à cris des renforts suffisants ; King-kong était disposé
enfin à les lui envoyer; le grand officier Pé-tsong fâ ^ l'en dis-
suada en ces termes : Les anciens sages avaient ce proverbe "le
fouet le plus long ne doit pas atteindre le rentre du choral»; le
ciel favorise le roi de Tch'ou, nous ne pouvons lui chercher que-
relle, si forts et si puissants que nous soyions. D'autres proverbes
nous disent : oiser haut, viser bas, dépend de notre volonté; —
tes fleuves et les étangs s'envasent peu à peu; — les montagnes,
les forêts, recèlent toujours des fauves nuisibles; — les meilleurs
jades ont aussi quelques tacites. C'est l'ordre voulu par le ciel, que
les meilleures choses aient leurs défauts, sans que pour cela leurs
156 temps Vraiment historiques
bonnes qualités en souffrent; ainsi, cotte petite honte que vous
aurez de ne pas secourir le prince de Song ne vous nuira pas;
attendons un moment plus propice.
• »n voit comment ces messieurs les lettrés savent toujours -
tirer d'affaire; ils onl un fonds inépuisable de sentences vertueuses
à leur usage. Persuadé par cette remontrance philosophique. King
kong laissa son allié dans l'embarras; il lui envoya seulement le
seigneur Hiai Yang fi$. fâ l'encourager à tenir bon. car une armée
allait venir le délivrer. C'était un pur mensonge.
Les gens de Tcheng Jfft eurent la bonne fortune de capturer
ce seigneur; ils l'envoyèrent au roi de Tch'ou; celui-ci lui offrit
de riches cadeaux, s'il voitlait dire aux assiégés juste le contraire
de ce qu'il devait annoncer. L'envoyé refusa: vaincu enfin par les
instances, il promit de s'exécuter; on le conduisit donc sur une
tour mobile, prés des remparts: là. le seigneur cria exactement
les paroles de King-kong.
Le roi de Tch'ou furieux voulait le mettre à mort sur-le-
champ: pourquoi cette trahison? lui demanda-t-il ; doutiez-vous
que je ne vous remisse pas les cadeaux? vite, hâtez-vous de vous
donner la mort, si vous ne voulez pas qu'on vous tue !
Le seigneur n'était pas si pressé: il répondit tranquillement:
j'ai fait semblant d'acquiescer à vos désirs, afin de pouvoir
arriver jusqu'aux gens de Song. et accomplir mon mandat; que
m'importent les riches cadeaux ! Quand le prince donne un ordre
légitime, le serviteur qui l'exécute est un loyal sujet: il travaille
pour le bien de son pays, se montre véritable ami de son peuple,
devient ainsi une des colonnes de l'Etat. Je ne pouvais recevoir deux
ordres contradictoires, j'ai exécuté le seul qui fût légitime, celui
de mon souverain : maintenant ma vie est entre vos mains, frappez-
moi ; je mourrai content de mon sort, et mon prince saura qu'il
a encore de fidèles serviteurs.
Le roi de Tch'ou admira ce courageux député, et lui fit grâce
de la vie. Mais, à la 5ème lune, le prince de Song fut contraint
de se rendre: malgré sa grande répugnance, il vint faire sa sou-
mission. Le vertueux lettré de Tsin ne s'en applaudit pas moins
sans cloute de son bon conseil.
\ la [;'•!". lune, King-kong s'annexait la tribu tartarc appelée
/ ou-che ^ J£ : voici les détails que l'historien ajoute aux brièves
paroles de Confucius: Tng-eul ^ j^. chef de cette peuplade, avait
le titre de vicomte Tse ^f- 1) : son épouse était la sœur aînée de
King-kong : son premier minisire, nommé Fong Chou ^:j £f. ayant
usurpé l'autorité, avait massacré cette princesse, et blessé à l'œil
le vicomte lui-même.
I Le tombeau de (ng-eul est à ."m H nord-est de Lou-1ch'eng hien it£tiv. |f
qui est i> iO li nord-est de -.* préfecture Loti h;/"// fou $Ç %ç Ji^f. Chan-si. Annales
(tu ClutH-fi [1| [3j 3ffj jf. V"l. ."(•>. p. >ç .
DU ROYAUME I)i-: TSI.N. KING-KONG. 1Ô7
A cette nouvelle, King-kong voulait immédiatement conduire
une année contre ce rebelle; mais les grands seigneurs de la cour
le retenaient en disant : ce ministre a trois qualités qui le mettent
au-dessus des communs mortels ; attendons une occasion plus fa-
vorable .
Le sage I'(}-t*un>) -fjQ £j£, que nous connaissons, poussait au
contraire à la guerre: Si le ministre, disait-il, a trois grandes
qualités, il a aussi cinq grands vices qui méritent châtiment;
c'est un impie, qui n'offre pas de sacrifices; il est ivrogne; il a
écarté le sage Tchoiuj-lclLuiLg fit» Jj£, et s'est empare injustement
du petit état de I.i "^ (1) ; il a massacré la sœur de notre souve-
rain, et blessé son propre prince. Il compte sur ses talents pour
se dispenser de la vertu, ce qui le rend encore plus coupable ; pour-
quoi remettre In punition h plus lard? Si son successeur pratique
la justice, la vertu, révère les Esprits, honore les gens de bien,
irons-nous alors châtier un tel ministre pour les forfaits de son
prédécesseur? Quiconque se rie sur ses talents, et sur le nombre
de ses alliés, celui-là est sur le chemin de sa ruine, comme le
tyrannique empereur Tcheou ^J* : si les saisons sont renversées,
viennent la famine et la peste : si les productions de la terre sont
renversées, il se produit des monstruosités ; si le peuple renverse
les principes de la vertu, surgissent les révolutions ; voici le
caractère Icheny j£. qui signifie droit, régulier; dérangez-le un
peu; vous avez fa £, vide, pauvre, fatigué; tout cela est appli-
cable à notre cas.
King-kong avait-il un faible pour ce lettre? toujours est-il
que son avis prévalut sur celui des dignitaires opposants, et la
guerre fut résolue. A la6-me lune, au jour appelé hoei-mao ^ 1JJ].
le généralissime Siun Lin- fou ^ $C 3C battait les Tartares à
K'iu-liang tjj] -Jjfe (2), au jour sin-hai 9j£ ]j£ leur petit état était
déclaré annexé au royaume de Tsin. Fong Chou "§|> ffi, le ministre
rebelle, s'était enfui au pays de Wei |ff ; là on eut peur: on se
hâta de le livrer à King-kong, qui le lit mettre à mort.
Hoan-kong ^jf. fè roi de Ts'in £* (604-577 , était jaloux de
ce succès; il chercha le moyen de ravir quelque territoire proche
de sa frontière, pendant que King-kong était occupé avec les Tar-
tares ; mais le général Wei K*ouo §| Jj£î s'opposa courageusement
I, l.i. Su capitale était à ls H nord-est de Li-tch'eng hien ^Si qui est
.i I 10 li nord-est de sa prélecture Lou-ngan fou. [Petite géogr., vol. S. p. i /
(Grande, vol. i, p. iô — vol. ./_>. p. 2j).
(2) K'iu-liang était un peu au nord-est de Yong-nien hien fc i\i %%■ dans lu
prélecture même de Koang-p'ing fou )$( -'P }(t ■ l'che-li. [Petite géogr., coi. .•■ p.
jS) — (Grande,, vol. ij: p. /;,'. Le recueil Hoang-tsing King-kiai, année 594, dil
que la bataille eut lieu à environ 10 li à l'ouest de Lou-tch'eng $£ JflÇ pré? de la
capitale des Tartares
158 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
à cette invasion, et remporta une belle victoire à Fou-che ïjijjj fÇ 1 .
où l'armée de Hoan-kong- avait établi son camp; il fit prisonnier
un géant, véritable hercule, nommé Tou-lwei ^ [g], dont la capture
est restée célèbre; on la chante encore maintenant dans les échopes
où les paysans vont boire le thé. Voici ce qu'on raconte:
Wei Ou-lse fj|î jÇ -^ avait une concubine qu'il chérissait,
mais qui ne lui avait pas donné d'enfants ; étant tombé malade,
ce seigneur dit à son fils Wei K'ouo : quand je ne serai plus, vous
remarierez cette concubine: plus tard, avant de mourir. Ou-tse
changea d'idée: quand on m'enterrera, dit-il à ce même fils, je veux
qu'on mette cette personne vivante dans mon tombeau, Wei K'o:io
se garda bien d'exécuter un ordre si barbare, et il remaria la
concubine: lors de sa première recommandation, disait-il. mon
père avait la plénitude de ses facultés: à la seconde, il avait l'es-
prit troublé.
Or, pendant la bataille de Fou-che, il aperçut un vieillard qui
nouait de grandes herbes, en forme de pièges; et c'est précisément
à cet endroit que le géant fut capturé; il s'était embarrassé dans
les hautes herbes, et était tombé. La nuit suivante, ce même
vieillard apparut en songe à Wei K'ouo. et lui dit : Je suis le père
de la concubine que vous avez remariée; vous avez bien fait d'exé-
cuter la première volonté de votre père, et je suis venu vous en
récompenser. Si c*est un conte, il est du moins bien imaginé.
Au jour ning-ou f£ <^p de la 7ème lune, King-kong faisait une
démonstration militaire, au pied de la montagne Tsi ffi (2 , sur
le territoire tartare nouvellement conquis: il voulait par un grand
déploiement de tioupes. des exercices, des manœuvres, faire une
salutaire impression sur l'esprit de ces sauvages, et leur enlever
l'idée de se révolter; il rétablit le prince de Li 15$. qu'ils avaient
détrôné, puis il reprit le chemin de sa capitale: il était arrivé au
bord de la rivière Lo jj£ (3 quand il apprit l'invasion du roi de
Ts'in 0f§, et la victoire de Wei K'ouo: il dut grandement s'en
réjouir.
King-kong était content de son expédition chez les Tartares :
pour récompense, il donna au généralissime Siun Lin-fou ^g $\
(1) Fou-che, était à 13 li nord-ouest de Tch'ao-i hien fi'J Q, !££. qui esi
li à l'est de sa préfecture T'ong-tcheou fou |n) H] Jff. Chen-si. Petite géogr., vol.
14 p. 18) — (Grande, vol. 54, p. 21 . les annales du Chan-si, vol. 53, p. 2 1 , la
mettent à l'ouest de Yong-ho liicn %& ;*5[ §f, dans la prélecture de P'ou-tehcou fou
M #1 /fr, Chan-si.
(2) La montagne Tsi est à ."»0 li au sud de Kiang teheou ££ ■'■]■, Chan-si; il
y a encore un kiosque commémoratif. (Petite géogr., vol. S. p. 44) — (Grande,
vol. 41. p. 3q).
(3) La rivière Lo, est au sud de Tch'ao-i hien [ci-dessus . Petite géogr., vol.
14, p. jçy — {Grande, vol. $4, p. 22).
DU ROYAUME DE TSIN. KING-KONG. 159
'£ le fief de mille familles, possédé auparavant par le ministre
rebelle Ton;/ Chou ffji $f. Quant au seigneur Che-pé -j^ f^L il lui
fit cadeau de Koa-yen )fx i(f l), en lui disant : c'est grâce à
votre intercession que Siun Lin-fou est encore en vie, et qu'il
vient de nous conquérir ce territoire: il est juste que je vous en
sois reconnaissant.
Sur quoi le sage lettré Yang Ché-lche ^L -g- JJf|, père du fa-
meux Yang Chou-hiang ^ ;jc£ [îâj, se félicitait de voir le mérite
recompensé, et la vertu honorée : ici. disait-il, s'est accomplie la
parole du livre des Annales •■Il employait les hommes qu'il conve-
nait d'employer; il honorait ceux qu'il convenait d'honorer».
Wen-wang % 3E qui fonda l'illustre dynastie Tcheou JS], n'a pas
montré une intelligence supérieure à celle-ci. Le livre des "sers
nous dit: «Ze ciel étend ses bienfaits sur la famille Tcheou» 2 :
c'est ainsi qu'elle a pu se perpétuer: quiconque met en pratique
les mêmes principes, ne rencontrera rien d'impossible.
Pour faire plasir à l'empereur, et se prévaloir de son autorité.
King-kong lui envoya une partie du butin et des prisonniers.
L'ambassadeur était le seigneur Tchao T'ong -Jrf fp] , un des demi-
frères de l'ancien premier ministre Siuen-lse 'ff -^ : ayant con-
science que sa mission était un simple jeu de politique, il ne se
conduisit pas assez humblement à la cour impériale; scandale des
vertueux lettrés à cheval sur les rites, qui lui prophétisèrent ses
malheurs : Avant dix ans, s'écria Licou K'ang-hong §?ij j^£ Q , le
grand ministre, les calamités fondront sur Yuen Chou jf^ fâ autre
nom de l'ambassadeur : aujourd'hui le ciel lui retire déjà le bon
sens.
En 593, à la 1èr lune, une armée de Tsin, sous les ordres de
Che Hoei -J; ^ . attaquait différentes peuplades des Tartares rou-
ges: il soumit les Kia che ï\l j£, les Lieou-hiu £{{ l'f- et h s Tao-
tch'en fj| Jg , dont les territoires furent annexés définitivement.
A la 3 l,,J lune, le général offrait les prisonniers à l'empereur.
King-kong voulait récompenser ce dignitaire éminent, qui lui
avait rendu de nombreux et signalés services: il pria l'empereur
de lui accorder un bonnet de cérémonie, un costume jubilaire sur
lequel étaient brodes en noir et en bleu ou vert des haches et le
caractèi e ya ;: : c'était sans doute une faveur des plus recherchées à
cette époque. Xon content de cela, King-kong nomma Che Hoei
généralissime, et de plus t'ai-fou -j£\$ c'est-à-dire grand précepteur
du prince-héritier: c'était le comble de la gloire et des honneurs.
(1) Koa-vcn était à 10 H au nord de Hiao-i hien j*f: ffê tf, qui est à :<•"> li
au sud de -a préfecture Fen-tcheou fou fi!) tf\ H ' . Chan-si. Petite géogr., vol. S.
p. 16). — (Grande, roi. 42. p. 4). — (Hoang-tsing King-kiai, roi. S-oj. p. / .
(2) Chou-king t'j Sfig, K'ang-kao [!| .;,','■ (Couvreur, p. 234, n° 4). — Che-king
W vS.- (Couvreur, p. 320, vers 2cme).
lfiO TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Quand cette nouvelle fut connue, la grande merveille de l'an-
tiquité reparut sur la terre : c'est-à-dire que tous les brigands et
vauriens déguerpirent au plus vite, et se réfugièrent dans les pays
voisins. Yan g Ché-tche disait encore à ce propos: J'ai oui dire
que quand le grand empereur Yu {£) avait choisi ses fameux mi-
nistres, les gens incorrigibles prirent la fuite; c'est ce qui Aient
d'arriver sous nos yeux. Le livre des Vers nous donne le conseil
suivant: «soyons attentifs comme si nous marchions au bord d'un
précipice; tremblons de craintc} comme si nous marchions siti
une glace très mince». Cela se voit quand ce sont des " saint-
qui occupent les hautes charges d'un royaume; alors ce n'est
plus le caprice qui distribue les récompenses et les punitions,
mais la justice et la vertu en personne 1 .
A cette époque, il y avait des troubles à la cour impériale ;
c'est pourquoi le grand seigneur Wang-suen-sou 3£ #» $fc s'était
réfugié à la cour de Tsin ; King-kong chargea Che Hoei d'aller le
reconduire, et de remettre l'ordre et la paix dans la capitale. On
était alors en hiver: l'empereur donna un grand festin, en l'hon-
neur de son hôte, et le seigneur Yuen Siang-hong fâ || ^ fut le
maître de cérémonie. Sur la table, on servit des victimes et des
viandes, sans les désosser : Che Hoei étonné en demanda secrètement
la raison: l'empereur l'appela en audience, et lui dit: In homme
comme vous ignore les rites! Recevant un souverain, l'empereur
t'ait couper les viandes par le milieu seulement, afin de pratiquer
et de recommander l'économie ; recevant un ministre ou un autre
grand dignitaire, il fait découper entièrement les viandes, selon
toutes les articulations, afin de montrer sa bienveillance; voilà
les rites authentiques de la cour impériale!
Rentré che/ lui. Che Hoei examina soigneusement ce qui se
pratiquait à la cour de Tsin : il le corrigea ou le compléta, d'apiv-
ce qu'il avait vu chez l'empereur; ce qui prouve quelle diligence
apportait ce dignitaire en toutes ses fonctions.
En 592, au printemps, King-kong envoyait le seigneur K'i
K'o '0 \j£ inviter le roi de Ts'i ^ à une réunion solennelle (fis
vassaux: nous avons déjà dit que ce prince tenait fort peu aux
bonnes grâces du roi de Tsin; et que s il eut dû choisir un suze
rain, il se serait tourné du coté de Tch'ou $£ ; il se nommait
K'ing-kong bU $». et régna de 398 à 082.
A la réception solennelle de l'ambassadeur, la mère du roi et
le^ dames de sa suite étaient placées derrière un rideau, pour assis-
ter en cachette à la cérémonie : cela se pratique encore de nos
jours, aux visites d'étrangers curieux à voir. K'i K'o était boiteux :
I Che-king £ fëj. (Couvreur, p. 348, vers 6em*J — (Zpttoli, III, p. 177-
ode j2tme, vers 6rrao..
DU ROYAUME DE TSI.W KING-KONG. 161
en montant l'escalier, il fit des mouvements grotesques ; ces da-
mes éclatèrent de rire, et le lui firent bien entendre (1).
Furieux de sa mésaventure. K'i K'o jura de venger cette
insulte, ou de ne plus jamais traverser le Fleuve Jaune, et il s"en
retourna. Mais avant de quitter le pays de Ts'i, il y laissa un
espion, le seigneur Loan King f|è ,7, avec ordre d'v bâtir une
maison, de s'y tenir au courant de toutes les nouvelles, et de com-
muniquer celles qui pourraient servir de prétexte à une guerre.
Rentré à la cour de Tsin, K'i K'o demanda un armée, pour
aller punir ce roi de Ts'i de son peu de respect; on la lui refusa;
il demanda du moins la permission de faire la guerre, à son pro-
pre compte, avec les seuls soldats fournis par son clan ; nouveau
refus ; il fallut se résigner à attendre quelqne occasion favorable.
Cependant, le roi de Ts'i ne daigna pas se rendre en person-
ne à l'assemblée des vassaux : il y envoya les quatre seigneurs
Kao-hov jj|j {§, Yen-jo ^ ||, Ts'ad Tch'ao ^ 1$ et Xan Kouo-yen
rft % ff? : mais arrivé à Lien-yu $fc ^g;. 2), Kao-kou le chef de
l'ambassade, craignant pour sa vie, rebroussa chemin et rentra
chez soi : les autre seigneurs continuèrent leur route, et se rendi-
rent à Toan-tao $ft jtî. lieu fixé pour la réunion.
A la 6ème lune, au jour appelé ki-wei £ ^ (31 Mai), les
princes et les ambassadeurs, assemblés à K'iuen-tchlOU fê 5§?,
endroit de la ville susdite 3 . signèrent un traité d'alliance et
d'amitié, par lequel on s'engageait de nouveau à punir les traîtres;
c'est-à-dire ceux qui n'observaient pas les précédentes conventions,
ou mieux encore, ceux qui avaient abandonné Tsin pour se sou-
mettre à Tch'ou 3q| ; car c'est toujours le même et unique sujet
de ces congrès quasi annuels, et le plus souvent inutiles.
On voulait le roi de Ts'i ^ en personne; ses députés ne furent
pas admis à la réunion des vassaux; bien plus, on les saisit et on
les relégua en divers endroits: Yen-jo ^£ ffa à Yé-wang §jf ]£,
T<'ai Tch'ao ^ !|)| à Yuen J^. et Xan Kouo-yen ~fâ tj$ f[g à Wen
M (4).
(1) D*après le recueil Che-ki-tche-i £. IE *S £!'• vol. 21, p. 22, dans ces cir-
constances, les dames étaient placées ou sur une tour, ou sur un balcon, ou sur une
estrade cachée par un rideau. Pour rendre la scène en question encore plus ridicule,
les anciens historiens ou plutôt conteurs) disent qu'il y avait en même temps l'am-
bassadeur de Lou. absolument chauve.- celui de Wei. borgne ; celui de Ts'ao bossu:
c'est bon pour les tréteaux :
(2) Lien-yu était un peu au sud-est de K'ai tcheou pf) #). Tehe-li. Petite
géogr., vol. 2, j). jj) — (Grande, vol. 16, p. 40 '
(3) Toan-tao ou Toan-liang tch'eng ffi ^ ■ , était un peu au nord-est de
7Vùi tcheou JlQ> ->H , qui est au nord-ouest de Lou-ngan fou <ï£ '<c tff. Chan-si.
Petite géogr., vol. S, p. 32 — Grande, vol. 43. p. /
4 Yé-wang. C'est Ho-nei hien f"T ft ï£> dans la préfecture Hoai-k'ing fou
|2S fô. Ho-nan.
•21
162 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Alors, c'était la guerre entre les deux pays? — Nullement!
c'était une chinoiserie pour essayer d'intimider le roi de Ts'i; nous
allons assister à la comédie : On envoya près de Yen-jo un sage
lettré, fugitif de Tch'ou, nommé Fen-hoang ^ jf§, seigneur de
Miao "g" (1), et fils de Teou-tsiao |I3J $% connu du lecteur (année
632). Ce lettré fut sans doute touché des vertus de l'ambassadeur
prisonnier; il se rendit auprès de King-kong, et lui fit la remon-
trance suivante :
Quel crime a donc commis Yen-jo? pourquoi est-il en prison?
Autrefois, les vassaux tenaient à honneur de servir vos prédéces-
seurs; maintenant, tout le monde se plaint de la duplicité de vos
dignitaires, et les princes féodaux vous abandonnent. Le roi de
Ts'i a eu peur d'être mal reçu par vos ministres ; il a envoyé
quatre seigneurs à sa place; les courtisans prévoyaient ce qui est
arrivé, l'emprisonnement des députés; c'est pourquoi le chef de
l'ambassade s'enfuit et retourna chez lui. Plus courageux, les
les autres se disaient : si nous n'allons à l'assemblée, les relations
vont cesser entre nos deux pays, ce sera la guerre; mieux vaut
exposer notre liberté, notre vie même, pour le bien commun de
nos deux états.
Ces trois seigneurs ont fait preuve de fidélité et de bravoure;
si nous les traitions courtoisement, nous encouragerions les digni-
taires des autres nations à venir chez nous ; nous les emprison-
nons, c'est donner raison à l'entourage du roi de Ts'i. N'avons-
nous pas commis assez de fautes? ne voulons-nous donc jamais
nous corriger? à qui nous en prendre, si désormais les vassaux
n'osent plus paraître à nos assemblées? quel est enfin le but de
notre conduite?
Après cette verte admonition, dit l'historien, King-kong mit
en liberté Yen-jo ^ Jfë, qui s'empressa de retourner dans son
pays; ses deux compagnons furent retenus, en quelque sorte com-
me otages, et pour un temps indéterminé.
Les princes de Lou |j§., de Wei $j, de TVao lj|' et de Tchou
7$$ furent les seuls signataires du traité ; malgré un appareil
militaire inaccoutumé, l'assemblée n'avait pas eu grand succès ;
le désastre de Pi $.$ était présent à la mémoire, le prestige de
Tsin était bien diminué, la peur même poussait les petits états
vers le roi de Tch'ou J|; King-kong sentit mieux que personne,
Yuen était à 15 li nord-ouest de Ts'i-yuen hien ffi ($ Hf, clans la même pré-
fecture Hoai-k'ing fou.
Wcn était à 30 li sud-ouest de Wen iiicn jg| §£, qui est à 50 H sud-est de sa
préfecture Hoai k'ing fou. (Petite géogr., vol. ta. pp. 26. 29J — (Grande, vol.
49, PP- S- 6, /.t).
(I) Miao était un peu à l'ouest de Ts'i-yuen hien (ci-dessus), qui est à 70 li
à l'ouest de Hoai-k'ing fou. Petite géogr., vol. 12. p. 27) — (Grande, vol. 4c, p. 10).
DU ROYAUME DE TSIN. KINC-KONG. 163
la nécessité d'une vigoureuse réaction, pour ressaisir l'influence
perdue. En automne, il rentra dans sa capitale, avec l'armée qui
l'avait accompagné à cette réunion.
Le premier ministre Che Hoei -j^ -^ était âgé; il eut le bon
sens de comprendre que son office était désormais au-dessus de ses
forces ; il eut aussi la prudence de ne pas donner cette charge à
son fils Sié *Jj£ ; voici le petit discours qu'il lui fit, pour lui expli-
quer cette conduite si sage : Les anciens nous enseignent que
l'amour et la haine gardent difficilement la juste mesure ; dans ce
même sens, le livre des Vers (1) nous dit: «si l'empereur punissait
les calomniateurs, s'il voulait écouler de bons avis, probablement
les troubles seraient bientôt comprimés». Ainsi le sage est capable
de mettre fin aux désordres; s'il ne le fait pas, il les augmentera.
Peut-être K'i K'o £[> j^f a-t-il l'intention de faire cesser les trou-
bles qu'il cause par sa haine contre Ts'i ^ ; en tout cas, la res-
ponsabilité du pouvoir le rendra plus circonspect ; je vais donc
prétexter ma vieillesse, pour donner ma démission, et céder à
K'i K'o la charge de premier ministre, qu'il convoite depuis
longtemps. Quant à vous, mon fils, à l'exemple des autres digni-
taires, veillez avec un soin extrême à vos paroles et à vos actes,
afin qu'il n'y ait jamais rien de répréhensible. Che Hoei fit comme
il avait dit, et K'i K'o devint premier ministre.
En 591, au printemps, King-kong, stimulé par son nouveau
ministre, et secondé par Tsang $$£ prince héritier de Wei fêj, con-
duisait une armée contre le pays de Tsli ^ ; quand elle fut par-
venue à Yang-kou ^ Jff£ 2 , le roi se rendit auprès de King-kong,
régla avec lui les clauses d'un traité de paix, qu'on signa bientôt
à Tseng '$*• (3), accorda son fils Kiang $!§, comme otage, délivra
ainsi ses deux ambassadeurs prisonniers, King-kong remmena son
armée, tout le monde était content, la comédie était jouée.
[/historien fait observer que le traité fut conclu et signé loin
de la capitale, par respect pour le roi de Ts'i, dont on avait en-
vahi le territoire; ce détail était regardé comme un point d'impor-
tance dans l'étiquette de ces temps-là.
Le duc de Lou $} voyant son puissant voisin du nord en si
bons termes avec King-kong, commença à craindre pour l'intégrité
de son propre territoire; il envoya secrètement des députés au roi
de Tch'ou *£, le priant d'organiser une expédition contre le pays
(1) Che-king W $2 (Couvreur, p. 2j2, ode 4*mc, vers zeme).
(2) Yang-kou était à 50 li au nord de Yang-kou hien HUi5, qui est à 300
li nord-ouest de sa prélecture Yen-tcheou fou $£ -Hi tëF, Chan-tong. Petite géogr.,
vol, io. p. ç). — (Grande, vol. ss, P- 2I ■
(3) Tseng était au sud-est de Soei-tcheou BÈ ^H, qui esl à 170 li à l'ouest de
Koei-té fou Se fi- 'rf- Ho-nan. (Petite géogr.. vol. /-'■ p. /; — Grande^ vol. jo,
p. 14).
164 DU ROYAUME DE ISIN. LING-KÛNG.
de Ts'i, et promettant, comme de juste, son contingent de troupes
auxiliaires. Tchoang-wang h± 3E. (613-591 n'eut pas le temps
d'exécuter ce projet, la mort l'en empêcha peu de temps après.
Ce même duc avait d'ailleurs chez lui une grande cause de
chagrin ; trois puissantes familles seigneuriales se disputaient le
pouvoir, tenant ainsi leur souverain en échec, pour ne pas dire
esclavage; celui-ci voulait enfin sortir de cette triste situation, et
redevenir maître chez soi ; il fit appel à King-kong, pour l'aider
dans cette entreprise; mais la mort le délivra d'embarras avant
la fin de l'année.
En 590, King-kong députait Kia ^. gouverneur de Hiai ïg£
(1), pour servir d'intermédiaire entre l'empereur et les Tartares
Jong 5$£ qui s'"étaient révoltés. Pour la deuxième fois en peu de
temps, nous voyons le personnage poétique de Lo-yang £j* |i|f, le
seul et unique roi de la Chine entière, avoir besoin d'un bras
étranger pour mettre un peu d'ordre à ses affaires ; cela montre
l'état précaire où il se trouvait, tandis que plusieurs de ses vas-
saux étaient devenus redoutables.
L'empereur fut si content du service rendu par King-kong,
qu'il envoya son grand ministre Chan Siang-kong jp. ijl Q remer-
cier la cour de Tsin. Pendant ce temps, Lieou K'ang-kong fflj J^£^,
prince écervelé de la famille impériale, s'imagina de conquérir des
lauriers immortels, en se jetant tout à coup sur les Mao Jong jf-
3% qui venaient de faire la paix loyalement. Le dignitaire Chou-
fou -fy jjj| s'efforça d'arrêter cet insensé dan sson entreprise : Vous
courez, lui disait-il, à une défaite humiliante et certaine; sans
motif vous rompez la paix jurée, vous insultez le roi de Tsin, l'en-
tremetteur de cette paix; le ciel même sera contre vous. Ce sin-
gulier personnage persista dans son idée: il se mit en campagne
contre les Siv Ou-che fâ 3£. j^ autre nom des mêmes Tartares
Mao Jong), mais, à la 3ème lune, au jour hoei-\^ei ^ ?fc, il fut
affreusement battu par eux.
Le roi de Ts'i ^ était pourtant humilié du traité qu'il avait
conclu sans bataille avec King-kong; il s'en vengea en offrant, de
soi-même, sans y être invité ni force, un pacte semblable avec le
roi de Tch'ou ^ ; la comédie va se changer en drame.
La cour de Lou, qui se croyait en danger permanent du côté
de Ts'i se vit obligée de recourir à King-kong pour se faire pro-
téger ; le nouveau duc envoya une ambassade offrir un traité d'al-
liance; avec un premier ministre comme K'i K'o £|J j£, ce n'était
pas lettre morte.
En 589, le duc de Lou .f§. et le marquis de Wei fëj battus
par le roi de Ts'i dans une escarmouche, et pour d'anciennes
(1) Hiai-tch'en;.' était au sud est d<: Lin-tsin hien (&" ^ £f[, qui est à 7o li
nord-est de sa préfecture P'ou-tcheou fou jiS -'il Iff. Chan-si. (Grande géogr., ool,
41. 23. si).
DU ROYAUME DE TSIN. KING-KONG. 165
querelles, s'empressèrent d'avertir King-kong. Le député du duc
était le seigneur Tsang Siuen-chou $$ j|f £? ; celui du marquis,
le seigneur Suen Hoan-tse ffi |g -^ ; tous deux s'adressèrent avec
confiance à K'i K'o, connaissant la haine dont il était animé con-
tre la cour de Ts'i. Sur sa recommandation, la guerre fut en effet
décidée ; le chiffre de sept cents chars de guerre, c'est-à-dire cin-
quante-deux mille cinq cents hommes, parut très suffisant pour
cette expédition ; les deux états intéressés devaient fournir leur
contingent de troupes auxiliaires.
K'i K'o insista cependant pour avoir huit cents chars, donc
soixante mille hommes ; et il en donnait la raison : sept cents
chars ont suffi pour remporter la grande victoire de Tch'eng-p'ou
j$ }|| (en 632) ; mais le génie de Wen-kong a£ fè votre illustre
ancêtre, et la valeur de ses officiers, suppléaient au nombre des
soldats; aujourd'hui, les circonstances ne sont plus les mêmes -
je n'ose me promettre semblable avantage.
King-kong accorda ce qui était demandé, et l'armée fut
bientôt en marche. K'i K'o était généralissime et commandait le
corps du centre, qui était le premier; Siun K'ang |fj j^j condui-
sait l'aile droite, et LoanChou tijt ^ l'aile gauche; Ilan Kiué $%
$S£ était encore le ministre de la guerre; Tsang Siuen-chou $$. 'M
;j^ servait de guide à toute l'armée, et Ki Wen-tse ^Ë ~$£ ^P com-
mandait les troupes auxiliaires envoyées par le duc.
Quand on fut parvenu sur le territoire du marquis de Wei
f|j, il se passa un incident assez curieux : Han Kiué avait ordon-
né de couper la tête à un soldat, pour quelque crime, ou pour
une grave infraction à la discipline. A cette nouvelle, K'i K'o
monta sur son char et accourut pour sauver le condamné ; mais
il arriva trop tard, l'exécution était faite; il fit porter la tête à
travers le camp, pour inspirer une crainte salutaire à tout le mon-
de ; et il ajoutait: j'agis ainsi pour partager la responsabilité de
ce châtiment rigoureux, et maintenir la discipline parmi nos
troupes.
A la 6 ll,< lune, aujour appelé jen-chen ^£ ^, l'armée se
trouvait au pied de la montagne Mi-ki J$! ^p (!) ; le roi de Ts'i
^ n'était pas loin; il envoya le cartel suivant: Votre seigneurie
a daigné venir jusqu'à mon pays, avec l'armée de son roi ; demain,
avec mes faibles troupes, j'espère vous rencontrer sur le champ
de bataille.
(1) La montagne Mi-ki ou Li-chan M Ul est à 5 li au sud de Ts'ir-nan fou
$1 $ï 1-fj Chan-tong. C'est là, dit-on, que le «saint» empereur Choen '£j: labourait
la terre. Cependant, le recueil Hoang-tsing King-kiai place cette montagne
sud-ouest de la même préfecture. (Petite géogr., vol. zo. p. 2) — (Grande, vol.
Si. p. 3).
J 66 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
K'i K'o lui répondit: Notre souverain, le duc de Lou, le mar-
quis de Wei, sont tous trois du clan impérial Ki $E» ; ce sont
donc trois frères, prêts à s'entr'aider mutuellement; le dnc et le
marquis sont venus se plaindre de ce que vous les persécutez sans
relâche et de toutes manières ; notre humble souverain ne peut
supporter plus longtemps une telle conduite, et il nous envoie
vous en demander raison ; faites donc en sorte que nous ne res-
tions pas trop longtemps sur votre territoire ; hâtons le combat ;
car nous sommes décidés à avancer toujours; à ne reculer jamais ;
même sans votre invitation nous aurions engagé la bataille !
Le roi fit dire à l'envoyé : Le désir de vos seigneuries est con-
forme au mien; aussi, même sans votre permission nous voulions
vous présenter le combat.
Le grand seigneur Kao-kou ]gj [gj, qui n'avait pas osé se
rendre en ambassade, à la réunion de Toan-tao ||f }f£, voulut
prouver qu'il avait pourtant du courage; il s'en alla narguer l'ar-
mée de Tsin d'une façon comique : il entra dans le camp, portant
une lourde pierre sur l'épaule; il la lança sur un soldat, le fit
prisonnier, échangea son char contre celui du captif, arracha un
mûrier qu'il emporta comme un trophée sur ce même char. Grisé
de son succès, il parcourut le camp deTs'i en criant : Ecoutez,
messieurs! si quelqu'un a besoin de courage, qu'il vienne ici, j'en
ai à revendre !
Le lendemain donc (30 mars) les deux armées étaient en pré-
sence : sur le char du roi de Ts'i, le seigneur Pliig-hia î§\\ J[
était conducteur, le seigneur Foncj Tch'eou-fou }J| -JJ- 3C lancier;
sur le char de K'i K'o, le seigneur Hia.i-tcha.ng j$| 5^ était con-
ducteur, le seigneur Tcheng K'ieou-yucn fi() ]$ $| lancier; on se
trouvait sur le territoire de Ngnn |$r appelée aussi Li-hia~tch'eng
m Ti 1 •
Allons jeter ces gens-là dehors! s'écria le roi de Ts'i; ensuite
nous déjeunerons ! Ayant ainsi parlé, il lança son char en avant,
sans même avoir fait couvrir ses chevaux de leur cuirasse d'usage.
K'i K'o venait d'être blessé d'une flèche; le sang ruisselait
jusqu'à emplir ses souliers; mais, malgré la douleur, il continuait
à battre le tambour, signal convenu qui signifiait «avancez tou-
jours»; enfin il s'écria: je n'en puis plus; je souffre trop! — Sei-
gneur, un peu de patience ! lui répliqua son conducteur; une flèche
m'a percé la main, une autre le coude, je les ai retirées sans cesser
de diriger le char; la roue de gauche est teinte de mon sang. —
Le lancier ajouta : notre char était embourbé, je suis descendu,
l'ai retiré d'embarras, votre seigneurie ne s'en est même pas aper-
çue, à cause de sa souffrance.
(l ) Ngan était un peu à l'ouest de Ts'i-ngan l'ou. (Petite ycogr., vol. 10. p. 1)
(Grande, vol. 31, p. 2).
DU ROYAUME DE TSIN. KING-KONG. 167
Le conducteur reprit : Tous les yeux sont fixés sur notre dra-
peau ; toutes les oreilles écoutent notre tambour; il dépend de
nous que Tannée avance ou recule: tant que l'un de nous sera
vivant, il faut qu"il continue à diriger la manœuvre, et la victoire
sera pour nous; penser à ses souffrances à un pareil moment, c'est
tout perdre !
Ayant ainsi parlé, de la main gauche il tenait les rênes du
char, de la droite il frappait du tambour avec une grande ardeur:
une blessure n'est pas la mort, criait-il ; d'ailleurs on entre en
campagne pour mourir!
Pendant ce temps, les chevaux dévoraient l'espace; les fan-
tassins étaient emportés par cet élan irrésistible; ce fut une mêlée
terrible; l'armée de Ts'i ne pouvant soutenir un tel choc, com-
mença à s'enfuir, entraînant le roi dans une course folle. Han
Kiué, le ministre de la guerre, le serrait de très près, espérant le
faire prisonnier.
Dans cette poursuite vertigineuse, on avait déjà fait trois fois
le tour de la montagne Hoa-pou-tchou ^ ^ ££ 2 : tout en fu-
yant, le lancier du roi se retournait, et décochait ses flèches sur
le char de Han Kiué : Visez celui qui est au milieu, c'est un
homme distingué! criait le conducteur du char royal. — Non!
répondait le roi; tirer sur un sage un homme éminent serait
violer les rites! visez celui de gauche! celui-ci tué raide tombait à
bas du char. Visez celui de droite! cria encore le roi; et celui-là
tombait sans vie sur le char même.
Or celui du milieu que l'on épargnait ainsi, était Han Kiué
lui-même, le ministre de la guerre. La veille du combat, son père
lui était apparu en songe, et lui avait dit : Demain, pendant la
bataille, gardez-vous bien de vous tenir à droite ou à gauche de
votre char, mais restez au milieu jusqu'à la fin ; c'est pourquoi
Han Kiué avait pris la place de son conducteur.
Le grand officier Ki Ou-tchang ^ fitf. <J|f avait eu son char
brisé pendant la bataille: Han Kiué l'aperçut, le fit monter der-
rière soi, l'empêchant de se mettre à droite ou à gauche >an.^
avoir le temps de lui en expliquer la raison : en même temps, il
se baissa, pour mettre le cadavre de son lancier en position plus
sûre.
Cette manœuvre s'était opérée en un clin d'oeil : elle avait
cependant suffi pour sauver le roi de Ts'i 0 ; voici comment: Le
lancier Fong Tch'eou-fou 5§r ;Jr 5£ observait les mouvements de
Han Kiué ; le voyant baissé, il profita de l'instant pour changer
de place avec le roi.
Bientôt après, non loin de la source Hoa, un des chevaux
du roi s'empêtra, et retarda la course: le lancier sauta à bas.
(1) Cette montagne Hoa-pnu-tchou ^ (. Q est > 15 li nord-est de Ts'i-nan
fou Chan-tong. (Petite géogr.. vol. io, p, z) — Grande, boï, si. p. 4).
168 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
pour remettre le char en ordre; mais, ayant été mordu peu de
jours auparavant par un serpent (1), sa blessure le gênait beau-
coup : il perdit du temps et se vit bientôt rejoint par Han Kiué.
Celui-ci saisit d'abord les rênes du char royal ; puis, se je-
tant à genoux deux fois, devant le prétendu roi, il lui offrit une
coupe de vin et une précieuse tablette de jade: Notre humble
prince, lui dit-il, nous a envoyés intercéder auprès de votre illus-
tre Majesté, en faveur des états de Lou .Jf- et de Wei ffj ; il nous
avait recommandé de ne pas conduire la masse de nos troupes
sur le territoire de Ts'i ; malheureusement, malgré notre bonne
volonté, nous avons été entraînés jusqu'ici par vos innombrables
chars de guerre ; je n'osais m'enfuir ; c'eût été désobéir à mon
souverain ; c'eût été aussi me défier des sentiments de votre Ma-
jesté ; soldat, et chef de soldats, j'avoue mon incapacité; mais
permettez-moi de prendre l'office de conducteur du char royal, jus-
qu'auprès de notre généralissime, qui attend avec impatience
votre Majesté.
Pouvait-on montrer une plus grande obséquiosité, dans une
telle circonstance"? ces formules de respect sont le triomphe des
lettrés. Quoi qu'il en soit, le rusé Fong Tcheou-fou joua bien son
rôle; il ordonna au vrai roi de descendre; et d'aller se désaltérer
à la souixe voisine ; celui-ci obéit ; puis, sans être remarqué, mon-
ta sur un autre char, dont le seigneur Tcheng Tcheou-fou ffj$ fâ
-*£ était le conducteur, et le seigneur Yuen-fei fâ ~fë le lancier.
Han Kiué triomphant introduisit son prisonnier devant le
généralissime, qui découvrit aussitôt l'erreur; il en fut si furieux
qu'il voulait sur-le-champ faire massacrer le faux roi ; mais celui-ci
lui dit avec un grand calme : Vous voulez me mettre à mort à cause
de mon dévouement ; quel sujet voudra ensuite se sacrifier pour
son prince en danger?
Le généralissime K'i K'o £|$ )£ fut touché de cette parole; il
rit retenir le prisonnier, mais lui fit grâce de la vie. De son côté,
le roi de Ts'i ^ voulait lui sauver la liberté; trois fois il se lan-
ça au milieu des troupes de Tsin, sans pouvoir rompre leurs li-
gnes ; trois fois il revint sain et sauf, ayant du moins protégé la
retraite d'un bon nombre de ses soldats ; mais il dut renoncer à
reprendre le captif son sauveur,
Finalement, il se retira parmi les Tartares Ti £Jlç, qui étaient
là comme auxiliaires de Tsin ; ces barbares touchés de son coura-
ge et de son malheur, lui tirent un rempart de leurs lances et de
leurs boucliers ; c'est ainsi qu'il put se réfugier au milieu des gens
(1) Pour mettre encore plus en lumière cet ensemble de circonstances « pro-
digieuses» qui concouraient à la perte du roi, le narrateur dit que ce serpent s'était
introduit entre les fentes du char de voyage de ce lancier : celui-ci qui se reposait
voulut l'écraser du coude, et en fut mordu.
DU ROYAUME DE TSIN. KING-KO.XG. 169
de Wei fëj, également auxiliaires de Tsin ; ceux-ci. en prévision
d'un revirement de fortune, facilitèrent son évasion : deux fois
donc, il dut la vie a ses ennemis.
Dans sa fuite, le roi passa par le défilé de Siu fâ 1 ; par-
tout sur son chemin il encourageait les villes et les garnisons, à
tenir ferme contre l'envahisseur, en dépit de cette première défaite.
Un jour qu'il suivait une grande route, avec peu de compagnons,
il traversa un village où une femme ne daignait pas se déranger
pour le laisser passer; on cria: faites place au roi ! A ces mots, la
femme demanda: le roi est-il sauf? — Oui ! — Le chef des archers
est-il sauf aussi? — Oui ! — Alors il n'y a pas grand dommage!
s'écria la femme, en se rangeant de côté. Le roi étonné désira sa-
voir qui était cette personne : il apprit que son père était le chef
des archers, son mari l'intendant des retranchements du camp ;
aussitôt il nomma ce dernier gouverneur de la forteresse Che-you
2 •
Cependant. K'i K'o poursuivait l'armée dispersée de Ts'i -^ ;
après avoir franchi le défilé de K'iou-yu jî^ JE. il envahit la vallée
de Ma-hing ^ [£•; (3). Dans cette extrémité, le roi dépêcha le sei-
gneur Ping-mei-jen ^ $" JK auprès du généralissime, implorer
la paix : il lui offrait pour cela tous les trésors enlevés à la petite
principauté de Ki |j^ \ parmi lesquels se trouvait un instrument
de musique en jade, et un vase de même matière, employé pour
cuire certains mets à la vapeur ; il lui offrait encore les territoires
enlevés aux princes de Lou et de AVei ; et si c'était insuffisant, il
acceptait d'avance les autres conditions exigées par le vainqueur
K'i K'o voulait une réparation éclatante des risées dont il
avait été l'objet, lors de son ambassade; cette injure lui tenait à
cœur plus que tout le reste; il demandait qu'on lui livrât la
reine-douairière, pour être conduite au pays de Tsin.
(1) Siu, ce défilé est à l'ouest de Tche-tchounrj hien \ )i> '. qui est à 230
li à l'est de sa préfecture T&'i-nan fou $f J?j IjÇf, Chan-tong. (Petite géogr... vol.
io, p. 3) — vol. 31, p. n).
(2) Che-you, aussi nommée Tchang-tsing J| f~f. était à 30 li sud-est de
Tchang-tsing hien ^ :* §?. qui >'st à 7u li sud-ouest de sa préfecture Ts'i-nctn
fou, iî¥ rfl Ifr. Chan-tong. 'Petite géogr., vol. 10, p.
La Grande géogr., vol. 31, p. 1T. dit que l'on doit prononcer Che-you, non
pas Che-Uiao, ou Che-leao, ou Che-yao.
(3) K'iou-yu, était u l'ouest d<- Ma-hing. Or cette vallée, aussi appelée Ycn-
tchnng-yu ^£ qb %t.. est au sud-ouest de Ling-tche hien ^s. •$ g£. qui est à 30 li
nord-ouest de Tsin-tcheou fou p m u'r ■ sa préfecture, Chan-tong. Petite géogr..
vol. ID. p. 24 — Grande, ool. SS> P- P- 2 et &)•
(4) Ki, sa capitale était à 30 li sud-est de Cheou-koang hieti H'^'îif, qui est
à 70 li nord-est de sa préfecture rsing-tcheou fou. Grande géogr., vol. t. p. 13
— vol. 35, p. rj
2.'
170 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
C'était vouloir l'impossible ; le roi ne pouvait livrer sa propre
mère en otage ; il fit une réponse célèbre, connue de tous les let-
trés, matière à amplifications littéraires pour les examens, jus-
qu'à la fin du monde (1) ; les princes de Lou et de Wei intercé-
dèrent eux-mêmes auprès du généralissime, et l'amenèrent enfin
à pardonner cette offense personnelle, pour ne s'occuper que du
bien public.
A la 7ème lune, la paix fut signée (5 Mai), à Yuen-leou g£
Ijf (2) ; le roi de Ts'i restitua leurs territoires aux princes de
Lou et de Wei ; ce dernier ne jouit pas longtemps de son tri-
omphe, car il mourut à la 9''nu' lune de cette même année ; le duc
se rendit en personne à l'armée, qui campait à Chang-ming J^
25 (3) pour remercier les généraux de Tsin ; ayant recouvré l'im-
portante région de Wen-yang f£ |î|§ (4), il n'avait pas de peine
à se montrer généreux.
A chacun des commandants de corps d'armée, il offrit un
char de luxe, semblable à celui qu'ils avaient autrefois reçu de
l'empereur (5) ; puis un vêtement de gala, comme en portaient
les plus hauts dignitaire de la cour ; enfin un drapeau correspon-
dant à leur dignité.
Les grands officiers reçurent un costume de cérémonie, de
lèer classe; parmi ces dignitaires, il y avait avant tous autres, le
se-ma ïïj J^ préposé aux armements, et même quelquefois mi-
nistre de la guerre; le se-kfong t^ JÇ:, préposé aux camps, aux
fortifications, et même quelquefois ministre des travaux publics ;
le Yu-che |& g]]), préposé aux chars de guerre; le heou-tcheng
\$c JE' chef des éclaireurs et des espions.
L'armée de Tsin, en retournant à ses foyers, traversa le pays
de Wei fêj ; les trois généraux se rendirent à la cour, pleurer la
mort du marquis Mou-kong $| ^ ; mais comme ils agissaient
pour leur propre compte, sans en avoir reçu le mandat de leur
souverain, ils pleurèrent en dehors de la grande porte du palais ;
(1) Voyez : (Zottoli. IV. p. ji, où ce chef — d'œuvre est traduit).
(2) Yuen-leou. Cet ancien château est à 50 li à l'ouest de Ling-tehe hien ;
mais les auteurs ne sont pas d'accord sur cette identification. [Grande géogr., vol.
35, V- 6)-
(3) Chan^-minu , emplacement inconnu.
(4) Wen-yang. était à i0 li nord-est de Kiu-feou hien |J|j Jp- |£, qui est à 30
li à l'est de Ven-tcheou /'ou *$£ ')\\ <|') , Chan-tong. (Grande géogr., vol. 32, p. 6).
(5) Les chars de lu\c sien-lou jfe $J jetaient de deux sortes; 1rs uns, à capote
de cuir, servaient à la guerre; les autres couverts en bois, servaient pour la
chasse; ceux que l'empereur avai! donnés étant détériorés, il fallait une permission
de sa MajeMé, pour les l'aire ré- parer; le duc en donne alors de nouveaux et
semblables.
U<3 ROYAUME DE TSIN. KING-KONG. 171
c'est là qu'on leur rit les salutations d'usage, à leur arrivée et à
leur départ ; et depuis lors on conserva cette coutume au pays de
Wei fêj. Quant aux dames, elles pleurèrent à l'intérieur de cette
même porte, au lieu d'être admises dans le grand salon comme le
prescrivait l'étiquette.
Quand l'armée de Tsin rentrait à la capitale, Che Sié -j^ ^
fils du sage Che Hoei -^ ^*, était dans les derniers rangs de l'ar-
rière garde ; son père lui dit : ne saviez-vous pas de quel désir je
brûlais de vous revoir; pourquoi donc avez-vous tant tardé? Che
sié répondit : les troupes faisant leur entrée triomphale, chacun
accourt les acclamer; ce sont les premiers qui attirent les yeux de
la foule, et reçoivent les ovations; je voulais laisser cette gloire
au généralissime. Che Hoei enchanté de cette réponse s'écria:
mon fils étant si humble, ne s'attirera aucun malheur!
K'i K'o £J$ j^f, le généralissime, alla saluer King-kong ; celui-
ci le félicita en ces termes : c'est grâce à votre habileté que nous
avons remporté cette victoire. — Non pas! répondit le ministre;
nous la devons à la direction de votre Majesté, au dévouement des
grands officiers; moi, je n'y suis pour rien.
Che Sié ^t ^ al'a aussi faire visite à King-kong, qui le féli-
cita de même; le général répondit modestement: nous autres,
nous n'avons fait qu'exécuter les ordres de notre généralissime
Siun K'ang ^jj j^ ; son remplaçant, le seigneur K'i K'o, a montré
de l'habileté, dans la conduite de l'armée; moi, homme si inca-
pable, je n'y suis pour rien.
Loan Chou ff§ |J, général du 3*-'im' corps, dans une semblable
visite, reçut aussi son compliment; il le renvoya de même à son
collègue : si j'ai fait quelque chose de bien, dit-il, c'est grâce aux
conseils du seigneur Che Sié; puis, tout mon monde a parfaite-
ment exécuté les ordres du généralissime; vraiment je ne suis
pour rien dans le succès de cette campagne.
L'historien relate avec une complaisance marquée, ces phrases
de politesse et d'urbanité; il y voit la « vertu des anciens temps »
fidèlement pratiquée; si cette vertu consistait en belles paroles, il
a raison.
King-kong députa le grand officier Kong Cho ^j)^. offrir
à l'empereur une partie du butin et des prisonniers; celui-ci
refusa de l'admettre en audience; il lui fit dire par le prince Chen
Siang-hong |p. D§ fe : quand les sauvages Afan g£, / ^4, long 3%
ou Ti ^ résistent aux ordres de l'empereur, se livrent à une
débauche effrénée, se moquent des anciens règlements, le chef
des vassaux reçoit l'avis d'aller réprimer ces barbares : après la
campagne, le vainqueur peut alors offrir butin et prisonniers;
l'empereur en personne vient les recevoir, et féliciter les troupes
victorieuses; ainsi sont réprimés les revêches, et récompensés les
fidèles. Mais quand il s'agit de frères du même clan, ou de cou-
sins de clans différents, s'ils se montrent rebelles, l'empereur
172 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
ordonne de les châtier; mais le vainqueur doit seulement avertir
que la chose est finie, sans envoyer ni butin ni prisonniers; ainsi
Ton garde la déférence envers les parents, tout en réprimant leurs
désordres.
Or, mon vénérable oncle le prince de Tsin a remporté une
grande victoire sur le prince de Ts'i ffî de notre clan; cependant,
il n'a envoyé aucun des ministres à qui j'avais confié le soin de la
maison impériale; celui qu'il me députe en ce moment n'est qu'un
grand officier, sans office ni accès à notre cour; ce qui est contraire
aux anciens règlements: l'admettre en audience serait une nouvelle
infraction à ces mêmes ordonnances; au lieu d'honorer mon véné-
rable oncle, ce serait lui faire injure. Le prince de Ts'i, notre
parent, est descendant de l'illustre Kiang T'ai-kong ^ -fc 5*<
autrefois ministre de notre maison impériale; s'il a été insolent,
ne suffisait-il pas de l'admonester vertement, pour le corriger?
Kong Cho ne sut pas répliquer ; ce qui est considéré comme
un affront pour son maître ; car un vrai lettré ne peut jamais être
pris au dépourvu : il a réponse à tout, et dans les termes les plus
irréprochables; autrement, c'est un homme nul, sur la valeur du-
quel son maître s'est trompé. Ainsi le pauvre Kong Cho était juge !
L'empereur communiqua officiellement à ses trois ministres
les précieux enseignements qu'il venait de donner à l'ambassadeur ;
on devait les consigner avec soin dans les archives, pour la pos-
térité. Après quoi, sa Majesté suprême condescendit à recevoir
Kong Cho en audience, comme représentant de chef des vassaux,
annonçant une victoire ; on fit les choses un peu moins solennel-
lement qu'envers un ambassadeur grand ministre ; il y eut mê-
me un festin en secret, non en public, ni officiellement; le grand
maître des cérémonies lui fit observer qu'en cela encore, l'empe-
reur avait dérogé aux rites, mais ne pourrait recommencer à
l'avenir.
En 588, à la l1, lune, King-kong avait une assemblée pour
préparer une guerre contre le pays de Tcheng J^, et venger le
désastre de Pi #|$ (597) ; à cette réunion étaient présents les prin-
ces de Lou ;f|, de Song 5j^, de Wei f^j et de Ts'ao |f ; la campa-
gne fut décrétée et commencée de plein accord.
Les troupes fédérées attaquèrent de suite la frontière orienta-
le de Tcheng : elles s'avancèrent comme en triomphe et en désordre ;
le prince Kong-tse-yen /fe ^ f[',J envoyé contre elles, s'aperçut de
cette incurie et en tira profit; en plusieurs endroits du territoire
de Mnn !\\] il plaça des embuscades, y fit tomber les envahisseurs,
et les mit en complète déroute à K'iou-yu ££ JE. (t) ; quant au
butin, il en lit cadeau à son protecteur le roi de Tchou $£. —
(1) .M.in. emplaci n'enl inconnu.
lv'iou-\u, voyez un peu |)lu> haut (année précédente).
DU ROYAUME DE TSIN. KING-KONG. 173
En été, King-kong renvoyait à ce même roi le prince Kou-
Lchen ^ [[\, toujours prisonnier depuis 597, et le cadavre de l'of-
ficier Siang-lao ]§f- ;^|£ ; il demandait en échange la liberté de
Tche-yu £p 4e-. fils du seigneur Siun-cheou ^ "f|\ retenu aussi
captif depuis la môme époque.
Le roi de Tch'ou ayant appris que Siun-cheou était devenu
le lieutenant du généralissime, s'empressa de lui renvoyer son
fils, comme on le lui demandait. Avant de lui donner congé, il
lui dit: votre seigneurie gardera-t-elle du ressentiment contre
moi? Le noble captif renouvela en cette circonstance la fière ré-
ponse de Tchong-eul 1g; 3if [Wen-kong <£ ^] à Mou-kong ||J fè
l'ancêtre de ce même roi de Tch'ou ; inutile de la transcrire enco-
re une fois.
Naturellement, l'historien nous assure que ce fier langage
effraya quelque peu le royal interlocuteur: Nous ne pouvons,
dit-il, rivaliser avec un pays qui produit de tels hommes? C'est
la formule, connue du lecteur, pour montrer quels succès peut
remporter un vrai lettré chinois; avec trois pouces de langue il
triomphe des roi et des armées; pour lui, c'est un jeu !
En automne, le généralissime K'i K'o £|$ 5^ conduisait une
armée contre la tribu Tsiang-kao-jou |^ fë $[l, la seule peut-être
qui fût encore libre, parmi les Tartares rouges; le seigneur Suen-
liang-fou ffi }\ -^ de Wei $j commandait les troupes auxiliaires
fournies par le marquis. L'expédition fut sans résultat ; cette
peuplade se dispersa aux quatre vents du ciel, pour se reformer
comme auparavant, après le départ de l'armée. L'historien croit
y voir un manque d'affection du peuple envers son chef; il n'est
pas nécessaire de recourir à cette explication ; c'était sans doute
une tactique familière aux tribus nomades ; elle existe encore de
nos jours, en bien des endroits.
A la Hème ]une, Kingvkong députait Siun-k'ang ^ J^, fils
du fameux Sinn-ling-fou ^j fâ ^£, renouveler avec le duc de Lou
^L le traité d'alliance et d'amitié signé deux ans auparavant ; on
ne voit pas le motif de cette précaution.
A la 12ème lune, au jour Kia-siu fp r^, King-kong revenait
au système de six corps d'armée, dont chacun comprenait douze
mille cinq cents hommes. H;ui Kiuè %%. [ffi fut général du centre
des trois nouveaux corps, son adjudant était le seigneur Tchao-
kovo |fi ;jfj ; Kong-cho §|; \ft}\ fut général de l'aile droite, et //,/;/-
tch'oan ffi ^ son adjudant; Sïun-tchoei ^j ffe était à L'aile gau-
che, avec Tchao-tchen tJV£ jfiy pour adjudant. Tous ces seigneurs
s'étaient distingués à la bataille de Ngan j/$ : ils reçurent tous la
dignité de ministres [king |Q]], sans en avoir tous L'office.
Vers cette époque, le roi de Ts'i '0 venait à la cour de Tsin
faire une visite de politesse et d'amitié; au moment où il se dis-
posait à présenter à King-kong de riches cadeaux en jade, K fi Kl0
$5 jtL> Ie premier ministre, se précipita vers lui en disant : cette
174 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
visite est la réparation des moqueries que m*a infligées votre mère ;
maintenant l'honneur est satisfait; notre humble souverain ne
peut accepter ces cadeaux.
Pendant le festin donné en son honneur, le roi de Ts'i fixa
les regards sur H an K'iuê $$[ j^ le ministre de la guerre, qui
avait été sur le point de le faire prisonnier à la bataille de Nga.ii
|£: ce seigneur lui demanda: votre Magesté me reconnaît-elle? —
Votre vêtement n'est plus le même, répondit le roi, mais je vous
reconnais bien !
Aussitôt Han K'iué monta vers le roi, lui présenta une coupe
de vin, en disant : si j'ai risqué ma vie sur le champ de bataille,
le désir intime de mon cœur était de voir vos deux Majestés réu-
nies ici en alliés et en amis! Voilà une parole de gentilhomme.
L'historien va nous en rapporter une autre, qui n'est pas
moins belle, mais plus sincère : Quand le seigneur Tche Ing ^p^H
ou Siun Ing j^j :^ était captif à la cour de Tch'ou *£, il avait
fait le complot de s'évader, dans un sac de marchand d'habits du
pays de Tcheng j|[$; mais avant l'exécution de ce projet, le seigneur
était libéré. Le marchand vint, cette année même, à la capitale de
Tsin ; le seigneur le fit appeler, le traita avec honneur, et lui offrit
des cadeaux pour le remercier de sa bonne volonté. Mais le mar-
chand s'enfuit en disant : je n'ai rendu aucun service, comment
pourrais-je recevoir des présents? un roturier comme moi. j'irais
tromper ies gens, leur laissant croire que j'ai aidé à la délivrance
de ce seigneur; c'est impossible! Ayant ainsi parlé, notre homme
s'en alla au pays de Ts'i 3§.
En 587, en été mars-avril), le duc de Lou ^ était aussi en
visite amicale à la cour de Tsin; on ne sait comment ni pourquoi,
King-kong lui manqua gravement d'égards; son compagnon, le
seigneur Ki Wen-tse 5p ^ -^ , éructa aussitôt une prophétie : le
roi de Tsin, dit-il, ne mourra pas de sa belle mort; car le livre
des Vers 1 nous avertit en ces termes prenez garde! prenez
garde! prenez garde! l'action du ciel est manifeste! le pouvoir
souverain n'est pas facile à conserver! c'est par la faveur du ciel,
que King-kong est le chef des vassaux: comment pourrait-il ne
pas être plein de soins et de respect envers ses subordonner ?
Ainsi voilà le prince dûment averti des malheurs qui planent sur
sa tête; pour nous, attendons jusqu'en 581, où nous aurons à les
raconter.
Revenu chez lui, après une absence de trois mois, le duc était
encore si fâché, qu'il voulait incontinent renoncer à l'alliance de
Tsin. et se mettre sous la suzeraineté de Tch'ou ^; son prophète
Ki Wen~tse Ép $£ -^ l'en dissuada en ces termes : Quoique le
prince vous ait offensé, vous ne pouvez rompre avec le pays de
Tsin; il est notre voisin; tous ks grands seigneurs n'y ont qu'un
(1) Che-king W M (Couvreur, p, 437, ode jemej.
DU ROYAUME DE TSIN. KING-KONG. 175
cœur et qu'une âme; et ils sont tous gagnés à notre cause. De
plus, ce serait rompre, avec les autres états féodaux, ses alliés, pour
nous jeter à la merci du seul royaume de Tch'ou; ce n'est pas
prudent. L'antique historien / jfc a écrit cette sentence : ucelui-là
ne nous est pas attaché de cœur, qui n'est ni de notre famille, ni
même de notre clan»; le royaume de Tch'ou est puissant, c'est
vrai; mais sa famille régnante n'est pas de notre clan; elle ne
nous sera jamais affectionnée sincèrement. Persuadé par ce sage
conseil, le duc renonça de fait à son projet.
Vers la fin de cette même année, une armée de Tsin allait au
secours de la principauté de Hiu jf^" . attaquée par celle de Tcheng
fij^; le généralissime K'i K'o £[> j£ n'était pas de l'expédition: il
était remplacé par le seigneur Loan-chou Ê%% ^, dont l'adjudant
était Siun f'heou ^j "|f* ; le général de droite Siun K'ang ^j }jî
n'était pas non plus à cette campagne ; il était remplacé par son
adjudant Che Sié*-± %.
Pour forcer l'armée de Tcheng à se retirer, on porta la guerre
sur son propre territoire, mais on ne put y faire de grandes opé-
rations ; comme on devait s'y attendre, on se vit barrer le chemin
par les troupes de Tch'ou *£ ; on prit seulement les villes de Fan
yjV et de Ts'ai ^ (1), puis on rentra chez soi, sans même garder
cette maigre conquête; les guerres interminables vont reprendre
entre les deux pays rivaux, toujours à propos de quelque petit
était voisin que l'on s'arrache.
Ici, l'historien relate un méfait, qui causera de grands mal-
heurs à la noble famille Tchao |§ ; le voici en deux mots: Le
seigneur Tchao Ing |§ ^, frère du fameux premier ministre Siun-
tse j|r ^f-, avait des relations illicites avec la femme de son propre
neveu Tchao Cho ^ ifi)], fils de ce ministre: or cette dame, nom-
mée Tchao Tchoang-ki |g |j£ j$ , était la tille de Tctileng-kong
liSt. ^, et propre sœur de King-kong ; le scandale n'était donc pas
petit; mais comment y remédier?
En 586, au printemps, les seigneurs Tchao T'oug jj§j[ [fî] ou
Yuen-t'ong fâ \p\) et Tchao Kouo ^g fg- ou Ping-ki }tf. 2JË , frères
aines du coupable, s'étant concertés sur le châtiment à lui infliger,
l'envoyèrent en exil au pays de Ts'i T$.
(1) Fan. Il y a plusieurs villes de ce nom: et l'on ne peut savoir avec certi-
tude quelle est celle dont il s'agit: communément, on dit qui - i-chouei liien
TÛ 7JC '&? clui est à 250 li * l'ouest de sa préfecture K'ai-fong fou PU it fï- Ho-nan.
Petite géogr., vol. 12, p. 10) — (Grande, roi. j-. pp. 55 <'t 62 .
Ts'ai était à 15 li nord-est de Tcheng-tchcou v"> -il. a Vaut - I K'ai-fong fou.
Ainsi le veut la Grande géogr., vol. 47, p. 55: là on dit que Fan était au sud de
Tchong-meou hien fy ^ %, qui est à 70 li nord-ouest de K'ai-fong l'ou,
176 DU ROYAUME DE [SIX. KING-RONG.
Tchao Ing |§ ^ se défendait en disant : tant que je serai ici,
je saurai bien empêcher la famille Lonn fp§ d'obtenir la prépondé-
rance; après mon départ, vous serez dans l'embarras; chacun a
ses défauts et ses qualités ; si j'ai une mauvaise conduite, je suis
pourtant capable de soutenir le rang- de notre famille; si vous me
pardonnez, quel mal vous en arrivera-t-il ?
Mais ses frères se montrèrent inflexibles; Tchao Ing" dut
partir pour l'exil : et il paraît que c'était aussi l'accomplissement
d'une prophétie. Tchao Ing avait eu un soDge assez curieux : le
ciel lui avait envoyé ce message «vous m'are~ offrit des sacrifices,
je vous bénirai»; n'en comprenant pas le sens, Tchao Ing dépêcha
une personne consulter le sage Che Tcheng-'pé -^ j=| f£ ; celui-ci
fit répondre: moi non plus je ne comprends pas! puis, après le
départ du commissionnaire, il donna l'explication à son entourage;
la voici: Le ciel bénit les gens vertueux, et punit les pervers; si
un homme débauché n'est pas anéanti, c'est déjà une grâce du
ciel: avant offert des sacrifices, peut-être que ce seigneur sera
seulement exilé? En effet, c'est juste le lendemain de ses sacrifi-
ces, que Tchao Ing dut prendre la route de Ts'i ^.
Confucius a jugé digne de l'histoire le petit fait suivant : le
seigneur Siun Cheou ^ "ff* de Tsin, se rendant au pays de Ts'i,
pour se marier, passa par la ville de Kou ^ (1); le seigneur de
Lou ||, Chou-suenn Kiao-jou $( fâ fgj- ■$$, alla le saluer et lui
offrir un festin ; cet acte de politesse était surtout adressé au sou-
verain : ce qui montre que le duc avait su dominer son ressenti-
ment, dans son propre intérêt.
En été, la montagne Liang-chan ^ ]\\ s'écroulait, causant
un grand émoi parmi le peuple et parmi la cour ; Confuchis relate
ce fait, comme étant d'une extrême importance; il faut l'en croire
sur parole. King-kong ayant appris la nouvelle, envoya sa voiture
la plus rapide, chercher le sage Pè-tsong fQ ^ pour savoir de lui ce
qu'il v avait à faire en cette grave occurrence; Sur le chemin, on
rencontra un lourd chariot; holà! cria le sage, faites moi place!
— Vous aurez bien plus vite fait de passer à côté, répondit tran-
quillement le conducteur. — D'où êtes-vous donc? demanda le sage.
— De la capitale même. — Qu'y a-t-il de nouveau? — Une partie
de la montagne Leang s'est éboulée; on va consulter Pé-tsong
pour savoir ce qu'il faut faire. — Et vous, brave homme, qu'en
pensez-vous? pourquoi cette chute de montagne? — La couche de
terre qui recouvrait les rochers s'est désagrégée, a produit une
avalanche: y a-t-il en cela rien d'extraordinaire?
Emerveillé du bon sens de ce charretier, le sage voulait rem-
mener avec soi à la capitale: mais il refusa absolument: chaque
(l) Kou, c'est Tong-ngo hien ij; PSJ f? à 210 li nord-ouest de T'ai-ngon fou
jk ''h tfr, Chan-tonir. Petite géogr., vol. io, p. 14) — Grande, vol. 33, p. 17).
DU ROYAUME DE TSIN. KING-KONG. 177
souverain, disait-il, a l'office de sacrifier aux génies des montagnes
et des fleuves de son territoire; si une montagne s'éboule, si un
fleuve se dessèche, le' prince jeûne, s'abstient des plaisirs de la
table, n'use pas de voiture de luxe, ne se livre ni à la musique,
ni à aucune réjouissance de ce genre; il vit en ermite, loin des
femmes ; il fait offrir des sacrifices pour obtenir sa propre purifi-
cation ; l'historiographe rédige une formule de confession publique
par laquelle le prince reconnaît et avoue ses fautes; enfin, ainsi
préparé, le prince offre les sacrifices solennels aux fleuves. Voilà
l'usage ancien; si Pé-tsong lui-même se rend à la cour, que
pourra-t-il ordonner de plus (1)?
Le sage ne s'était pas fait connaître, pour mieux avoir le
sentiment de ce brave homme ; il en fit son profit, et ne conseilla
pas autre chose à King-kong; c'est encore ce qui est censé se pra-
tiquer de nos jours, lors d'une calamité publique, pour rassurer,
ou plutôt berner le peuple.
En été, le prince de Tcheng i|J$, fâché de n'avoir pas été
mieux soutenu contre la principauté de Iliu §£, rompait avec le
roi de Tch'ou jg, et se donnait pour toujours à King-kong; nous
connaissons la valeur de tous ces traités d'alliance et d'amitié ;
«autant en emportait le vent» !
A la 12ème lune, au jour ki-tcheou g, jj (26 Novembre), dans
la ville de Tchong-lao J| 2|î (2), King-kong présidait une grande
assemblée de vassaux; étaient présents, les princes de hou »f§., de
Ts'i ^, de .<uit(j 5j^, de Wei ffg., de Ts'ao ^ , de Tchou %$, de
Ki $1 et de Tcheng ff$ ; il s'agissait surtout de recevoir ce dernier
au nombre des heureux subordonnés de Tsin.
Environ un mois plus tôt (17 Octobre), l'empereur était mort;
et pas un des congressistes ne s'en était préoccupé; on était ce-
pendant bien près de la capitale de l'empire! le lecteur peut juger
de «l'influence morale» de cette pauvre Majesté qui trônait à Lo-
yang m H-
En 585, au printemps, le prince de Tcheng §J5 se rendait à
la cour de Tsin, remercier King-kong de l'avoir admis à son
alliance ; il avait comme compagnon le seigneur Tse-you ^ ffi.
On raconte qu'il commit une maladresse, pendant la réception
officielle : au lieu de se tenir entre les deux colonnes de la grande
salle, pour offrir ses présents, il s'était trouvé un peu en dehors
de la colonne de l'est; tellement il s'était empressé de quitter sa
place, à l'arrivée de King-kong.
(1) La montagne Lianir. il y en a beaucoup de ce nom, il s'agit de celle qui
est à 19 li au sud de Han-tch'eng hien ffi lhri |£, laquelle esi à 220 li nord-est de
T'ong-tcheou }'<>u fn] m Jfôf, Chen-si. (Petite géogr., vol. 14, p. 19).
(2) Tchong-lao ou Tong-lao fâ $. était à 2 li au nord de Fong-k'iou hien
lt SU |f, qui est à 50 li au nord de sa préfecture Wei-hoei fou Wi ï# fô\ llo-nan.
(Petite (jéogr., vol, 12, p. zi) — (Grande, vol. 47, p. zSà ■
23
1 78 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Sur ce, le sage Che Tcheng-pé -^ jj| f^ éructa une prophé-
tie : ce prince, dit-il, ne vivra pas long-temps; il s'est perdu lui-
même ! ses yeux roulaient inquiets dans leurs orbites ; son pas
était précipité ; il n'a pas eu la patience de rester à sa place jus-
qu'au moment voulu ; ainsi il est condamné à mourir bientôt ! De
fait, le prince de Tcheng ne vit pas la fin de l'été.
A la 3^me lune, King-kong envoyait une armée, punir le
prince de Song ^c, qui avait négligé de se rendre à une assemblée
de vassaux. Les troupes de Tsin étaient conduites par les seigneurs
Pé Tsong fâ ^ et Hia Yang-yué 15 |^| f£ : celles de Wei fëj étaient
commandées par les seigneurs Suen Liang-fou ffî f^ ^ et Ning-
siang jêf. jfâ : il y avait encore le contingent du prince de Tcheng
Hjj; enfin le contiugent des Tartares / -Jp-, Lo $j§, Lou-hoen (^ fjg
et Man ||.
Les gens de Tsin devaient d'abord traverser le pays de Wei
Iffl ; parvenus à la ville de Kien ^ (1), ils s'aperçurent qu'elle
n'avait pas de garnison : jetons-nous à l'improviste sur cette ville,
dit Hia Yang-yué ; quand même nous ne réussirions pas à y en-
trer, nous y ferions du moins un bon butin ; si plus tard notre
souverain nous punit, cela n'ira pas jusqu'à nous couper la tête !
Pé-tsong f£j Sri était plus probe: chose pareille, répondit-il,
est impossible ! le prince de Wei fêj étant notre ami, n'a pas
songé à se protéger contre nous, ni à la frontière, ni ailleurs ; si
nous profitions de sa sécurité pour lui faire du tort, nous com-
mettrions une infamie ; nous prouverions que les gens de Tsin
n'ont ni foi ni loi ; même un grand butin ne pourrait compenser
la perte de notre bonne renommée.
Ainsi l'on s'abstint de ce mauvais coup; mais le marquis de
Wei $j eut vent du danger qu'il avait couru sans s'en douter;
au retour des troupes, on trouva des gardes à la frontière; la le-
çon avait produit du moins ce bon résultat.
Dans les premiers mois de cette même année 585, il y eut
une grande consultation à la cour de Tsin ; il s'agissait de savoir
si l'on transférerait la capitale, et en même temps de déterminer
le nouvel emplacement (2).
Tous les grands officiers furent d'avis d'émigrer à Siun Hisd
|ïj Jg 3) : Là, disaient-ils, les terres sont de première qualité, et
(1) Kien. Les commentaires du recueil Iloang-tsing King-kiai ^ S II ©
disent que c'est la ville appelée Hien jft£. qui se trouvait à 00 li sud-est de A"r<j
tcheou PfJ )\\, Tche-li. (Petite géogr., vol. 2, p. 34) — (Grande, vol. 16. p. s? ■
(2) L'ancienne capitale Kiang i*. était à 15 li sud-est de I-tch'eng hien J|
Jj$ H, qui est à 130 li sud-est de sa préfecture P' ing'-yang fou 2p R§ f^F. Chan-si.
Petite géogr.. vol. S. p. 10) — (Grande, vol 41, p. 12 . Cette ancienne Kiang
s'appela aussi / §£.
(3) Siun Iliai, capitale de l'antique principauté de Siun, était à 15 li nord-est
DU ROYAUME DE TSIN. KING-KONG. 179
les salines sont peu éloignées ; ce sont deux grandes sources de
revenus, très-avantageuses pour une capitale; il ne faut pas nég-
liger un tel endroit. .
Han Kiué, ce général et ministre dont nous avons tant de
fois parlé, était en grande considération à la cour ; King-kong
voulait avoir, à part, son sentiment sur la question ; il lui fit signe
de le suivre dans ses appartements : que pensez-vous de ce trans-
fert? lui demanda-t-il. — A Siun-hiai, répondit le chambellan, les
terres sont légères, les eaux peu profondes, les marais nombreux,
les miasmes continuels, les fièvres endémiques, le sang du peuple
appauvri ; c'est pourquoi, parmi d'autres maladies, il y en a une
plus fréquente, à savoir le gonflement des pieds et des jambes,
presque toujours suivi de la mort. La position de Sin-tien j$\ g]
(1) me semble bien préférable; la couche de terre y est épaisse,
les eaux profondes, les fièvres rares ; les deux rivières F en -}fy et
Koei \va , par leur rapide courant, dispersent tous les miasmes;
la population est docile et simple; en vérité, il y a là une bonne
fortune pour dix générations de suite. Quant aux montagnes, aux
forêts, aux étangs, aux salines, tout cela est précieux, je raccor-
de ; mais dès qu'un pays est dans l'abondance, il devint orgueil-
leux ; dans son oisiveté, il se livre à toutes sortes de vices, et la
famille régnante y est toujours en péril.
King-kong fut persuadé par ce discours, et il ordonna de
transporter la capitale à Sin-tien ^\ 5J ; ce qui fut accompli vers
le milieu de mars, au jour nommé ting-tcheou ~f jj.
A cette époque aussi, King-kong ordonnait au duc de Lou
'|j|- de faire la guerre au prince de Song $fc ; pour le punir de ses
relations avec le roi de Tch'ou $£. Le pauvre duc s'exécuta, mais
le moins possible, à contre-cœur, et pour la forme ; car le prince
de Song et lui étaient deux amis; cette expédition, ou plutôt cette
promenade militaire eut lieu vers le mois de Juin.
Alors encore, on recommença la lutte pour le pays de Tcheng
fU$. Nous venons de voir son prince faire un traité d'amitié avec
King-kong; une armée de Tch'ou ^ se présenta bientôt, pour
reprendre le fugitif; mais elle se retira devant les troupes de Tsin,
commandées par Loan-chou H§ ^jf ; il n'y eut pas de bataille, au
grand dépit des généraux de Tsin. (Nous avons rapporté les dé*
tails dans Vhistoire du royaume de Tch'ou).
de Ling-tsin hien Ëij, ^y $£ qui est à 90 li nord-est de P'ou-tclieou fou fjjf )W fît,
Chan-si. (Petite yéorjr., vol. 8, p. 30) — (Grande, vol. 41, p. 21).
La ville de Iliai, était au sud-est de cette même ville Ling-tsin hien. (Grande
géogr., ibid, ligne 8eme).
D'abord c'étaient deux villes distinctes,;! 20 li environ l'une de l'autre ; on les
réunit en une seule, et les deux noms n'en formèrent qu'un seul.
(1) Sin-tien, c'est Kiang hien %%■ S£, à 120 li sud-est de Kiang tcheou fâ ^H,
Chan-si. (Petite géogr., vol. 8. p. 45) — (Grande, vol. 41. p. 41).
180 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Vers le mois d'août, le duc de Lou i|sj. envoyait une ambas-
sade, féliciter King-kong de l'émigration heureusement opérée.
En 584, au début de Tannée (c'est-à-dire octobre-novembre),
Tch'eng-kong fâ fè, prince de Tcheng f|j>, venait remercier King-
kong de lui avoir envoyé précédement une armée de secours. Au
mois de mai suivant, les troupes de Tch'ou ^ revenaient à la
charge contre ce même prince ; ses gens luttèrent avec courage et
succès ; ils eurent même la joie de faire prisonnier le grand officier
Tchong-i @ -fH, gouverneur de Yun jï^ (1), qui fut aussitôt livré
à King-kong comme un trophée.
A la 8èmi' lune, donc vers le mois de Juin, grande réunion des
vassaux à Ma-ling fé, |§| 2); étaient présents les princes de Ts'i
^, de Song $*, de Wei %, de Ts'ao ff , de Tchou %$, de Ki 7fà
et de Kiu 'J|* ; ce dernier, dépendant directement de Ts'i, deman-
dait, à l'exemple de son suzerain, à faire partie de la ligue, et
l'on s'empressait naturellement de le recevoir; c'était le motif de
cette réunion, où l'on renouvela le traité d'alliance de 586, signé
à Tchong-lao j|g i^. Au retour de cette assemblée, King-kong em-
mena son prisonnier Tchong-i $$j. Hfè, et l'interna à l'arsenal.
A cette même époque, se levait un redoutable ennemi de
Tch'ou 2(g ; à savoir, Cheou-mong fj| ^ roi de Ou -^| ; c'était une
bonne fortune pour le pays de Tsin ; son rival acharné se trouvait
ainsi attaqué, mis en extrême danger, par le nouvel ennemi; il n'y
avait qu'à profiter de circonstances si favorables.
Nous avons raconté comment le fameux seigneur Ou-tchen
3? Ei fuyard de Tch'ou, ennemi juré des ministres de sa patrie,
s'était réfugié au pays de Ou ^1, y avait formé l'armée à la tacti-
que chinoise, et par le moyen de son fils Hou-yong $£ /^j\ ministre
des relations étrangères, procuré des alliances à cette cour encore
à demi sauvage.
Au moment où les vassaux tenaient leur assemblée à Ma-ling,
les troupes de Ou s'emparaient de Tcheou-lai j\\ ?jç (3) ; les
ministres de Tch'ou, accouius sept fois de suite, et à différents
endroits, au secours de leurs frontières, n'avaient plus le temps ni
de manger ni de dormir. C'est ce que leur avait annoncé Ou-tchen,
en leur jurant vengeance. (Voir les détails de ces événements,
dans notre histoire de Ou et dans celle de Tch'ou).
Vers le mois de septembre, Suen Ling-fou ffî fâ $£, grand
seigneur de Wei fëj, se révoltait contre son souverain ; il s'enfuyait
(1) Yun, capitale d'une ancienne principauté de ce nom. C'est Té-ngcin fou §|
-/£ Hi, Ilou-pé. (Petite géogr.. vol. ai, p. 16) — (Grande, vol. y-, p. 26).
(2) Ma-ling au pays de Wei, était au sud-est de Ta-ming fou jï. % Hf,
Tche-li. (Petite géogr.. vol. 2. p. J2) — (Grande, vol. j6, p. j).
(3) Tcheou-lai, aussi appelée Uia-ts'ai tch'eng ">' §| £$, était à 30 li au nord
de Cheou-tcheou cf jV , qui est à 180 li à l'ouest de sa préfecture Fong-yang fou
A 1^ #ft Nhan-hoei. (Petite géogr., vol. 6, p. 24) — (Grande, vol. 21, p. 21).
DU ROYAUME DE TSIN. KING-KONG. 181
auprès de King-kong, et lui offrait la ville de Ts'i ffâ (1) dont il
était gouverneur, et qu'il possédait en fief. D'après les usages
reçus à cette époque, King-kong accepta cette ville ; mais le mar-
quis étant venu à la cour de Tsin, y plaida si bien sa cause, que
le fief lui fut rendu; c'était généreux de la part du suzerain.
King-kong se montra moins juste dans le cas suivant : En
583, au début de l'année, donc vers Novembre, il députait le
grand seigneur Han Tcli'oan fs£ ^ à la cour de Lou ||, enjoindre
au duc de restituer au roi de Ts'i ^ le territoire de Wen-yang
$C [Il (2). Le premier ministre Ki Wen-tse 5p $£ "T"i chargé de
recevoir l'ambassadeur, lui rendit tous les honneurs désirables; il
plaida la cause de son souverain, dont le droit sur ce territoire
avait été reconnu par King-kong lui-même, six ans auparavant,
après la victoire de Ngan .$£; mais la justice, l'éloquence, tout fut
inutile devant la volonté formelle de King-kong, qui tenait plus à
l'amitié du roi de Ts'i qu'à celle du duc.
Vers la même époque, une armée de Tsin, commandée par
le grand seigneur Loan-chou §^. ff, envahissait d'abord le pays
de Ts'ai |e|, puis celui de Tch'ou ^; elle faisait prisonnier le
grand officier Li |§|, gouverneur de Cketi fia ; elle entrait dans la
principauté de Chen % (3), en faisait captif le seigneur / |ij; :
puis rentrait triomphalement à la capitale.
Cette expédition avait été entreprise et conduite d'après les
conseils des trois grands seigneurs Tche j§, Fan f^ et Han ^ ;
l'armée de Tch'ou y avait fait triste figure; elle avait évité tout
combat, et s'était retirée honteusement devant les troupes de
Tsin. L'historien fait à ce propos sa remarque philosophique :
Si l'on suit les conseils d'un sage [d'un lettré], les affaires s'ar-
rangent à merveille ; c'est comme une barque suivant le cours de
l'eau. C'est dans ce sens que le livre des Vers (4) nous dit: «notre
(1) Ts'i était à 7 li au nord de K'ui-tuheou p^^H, Tche-li. (Petite géogr., vol.
2, p. 34) — (Grande, vol. 16, p. 36).
{2) YYen-yang était à 40 li nord-est de K'iu-feou hien j|[j JjL Jjj£, qui est à :i(J
li à l'est de sa prélecture Yen-tcheou fou 3£ H] Iff , Chan-tong. (Grande géogr., <"/
32, p. 6).
(3) Ts'ai, sa capitale à était à 10 li sud-ouest de Ghana Tb'oà hien j". SI Sf 1
qui est à 75 li au nord de sa préfecture Jou-ning fou ïk j}* 'lT, Ho-nan. | Petite
géogr., vol. 12, p. 50) — (Grande, vol. 30, p. 23).
Chen l|l, cette ville était à 20 li au nord de X«n-yang fou ]?j F# Iflf, Ho-nan.
(Petite géogr., vol. 12, p, 40) — (Grande, vol. 31, p. 3).
Chen 'tfc, sa capitale était la ville actuelle de Chen-k'iou hien ,l Irl» %f, qui
est à 110 li sud-est de sa préfecture Tch'cng-tcheou fou §jî -Mi JfiF, Ho-nan. Petite
géogr., vol. 12. p. 37) — (Grande, vol. 47, p. 40).
(4) Che-king f$ g?, (Couvreur, p. 332, ode ^emc, vers 3emeJ-
182 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
prince est gracieux et affable, comment n'attirerait-il pas les hom-
mes à sa suite?» En effet, l'empereur Wen Wang ~% 3l choisis-
sait des hommes capables ; il pouvait donc exécuter de grandes
choses.
Pendant cette même campagne, le prince de Tcheng ff[$ allant
rejoindre les troupes de Tsin, trouva la capitale de II iu fjf (1)
dépourvue de garnison ; il y tenta un coup de main à la porte orien-
tale, et fit un grand butin. Voilà comme on se traitait entre amis.
Les lecteur n'a pas oublié que le seigneur Tchao-yng jjg ^
avait été chassé en exil, par ses deux frères aînés ; la vilaine prin-
cesse Tchao-tchoang-ki |g Jf£ M cherchait le moyen de se venger;
elle finit par persuader son frère King-kong, que les deux princes
méditaient un complot contre lui : les deux ministres Loan-chou
H§ ^ et K'i K'o $[5 j£ sont instruits de ce projet, disait-elle, et
peuvent vous en fournir les preuves.
Sur ce, à la 6ème lune [avril-mai], King-kong fit mettre à
mort les deux seigneurs Tchao-t'ong ^g \p\ et Tchao-houo |fr fâ ;
il fit en même temps revenir cette vilaine princesse à la cour où
elle demeura avec son fils Tchao-ou j$| j^, séparée d'avec son
mari ; les terres de la famille Tchao furent attribuées au seigneur
K'i-hi us f|.
Han K'iué ^" ^ eut le courage d'admonester King-kong sur
cette conduite si injuste: Tchao-ts'oei ^^, lui dit-il, le fonda-
teur de la famille Tchao, a suivi votre illustre ancêtre Wen-kong
a£ 7fe dans son exil, et l'a grandement aidé à monter sur le trô-
ne : votre maison lui doit beaucoup. Son fils Siuen-tse 'Jf :J-, ré-
minent premier-ministre de vos prédécesseurs Ling-kong JU fe
et Tch'eng-kong ffc R , les servit fidèlement, et rendit leur règne
glorieux. Ces deux seigneurs n'auront plus de descendants, qui
portent leur nom et leur offrent des sacrifices ; désormais, qui
donc voudra se dévouer pour votre famille"? Les trois anciennes
dynasties impériales ont gardé le pouvoir pendant des siècles, ce
fut une faveur du ciel ; parmi les empereurs, il y en eut de mauvais ;
mais, grâce aux mérites de leurs ancêtres, ils n'ont pas été privés
de, postérité. Le livre des annales (2) nous donne un grave ensei-
gnement par ces paroles: V empereur Wen Wang ne 'permettait
pas de vexer les oeufs ou les veuves; il employait les hommes
qu'il convenait d'employer; il respectait ceux qu'il convenait de
respecter; c'est ainsi qu'il fit briller sa grande vertu.
King-kong. nous l'avons dit, estimait particulièrement Han
Kiué ; sur son conseil, il rendit au prince Tchao-ou %& j£ les ter-
res et les dignités de sa famille; plus tard, nous le verrons pre-
mier-ministre.
(1) Hiu : sa capitale était à 30 li à l'est de Hiu-tcheou ff1 ^H, lio-nan. (Petite
géogr., vol. 12. p. jS) — (Grande, vol. 47, p. 42).
(2) Chou-king ^ %§, (Couvreur, }>■ 233, n° 4).
DU ROYAUME DE TSIN. KIXG-KONG. 183
Un peu plus haut, nous avons dit que la petite principauté
de Kiué g avait été admise dans la ligue présidée par King-
kong ; au sujet de cet état minuscule, l'historien rapporte le fait
suivant: Le fameux seigneur Ou-tchen J$ [g, dont il vient d'être
question, se rendant au royaume de Ou lj|, avait demandé et
obtenu passage à travers le territoire de K'iu; se trouvant donc
avec le prince K'iou-kong Jjft ^ 586—577 l; en promenade sur
les remparts de la capitale, il fit la remarque: vos murs sont en
bien mauvais état! — Notre pauvre pays, répondit le prince, est
perdu parmi les sauvages (J ijlf], qui donc songera jamais à nous
surprendre ici? — Partout, répliqua le seigneur, il y a des gens
rusés, qui ne cherchent qu'à agrandir leurs territoires; c'est ainsi
que se sont formés les grands royaumes ; celui qui fortifie ses fron-
tières est prudent ; celui qui les néglige s*en repentira un jour ;
même l'homme le plus vigoureux ferme sa porte la nuit ; à plus forte
raison un état doit-il toujours être sur ses gardes ! Ou-tchen parlait-
il simplement le langage de l'expérience et du bon sens? savait-il
ce qui se tramait au pays de Tch'ou fg contre cette principauté?
nous ne pouvons affirmer la seconde hypothèse ; toujours est-il que
l'année suivante une armée se présentait devant cette capitale aux
murs délabrés; il était trop tard pour les réparer. Nous laissons
le reste de cet incident, on peut le voir à Tannée 582, dans notre
histoire de Tch'ou).
A la 10ème lune (vers le mois d'août . le seigneur Che-sié -^
t~£ ifils.de Che-hoei -^ -ff" était envoyé à la cour de Lou .Jf., in-
viter le duc à fournir un contingent de troupes auxiliaires, pour
une expédition contre le prince de Tau ;j;[) 2 , qui venait de se
ranger sous la suzeraineté du roi de Ou ^. Le duc aurait bien
voulu éviter cette corvée ; il offrit de grands et nombreux cadeaux à
l'ambassadeur, pour obtenir qu'on renonçât à cette entreprise, ou
du moins qu'on la différât quelque temps.
Mais Che-sié se montra inflexible: notre souverain a parlé,
disait-il, vous ne pouvez tergiverser; si j'étais infidèle à mon
mandat, pourrais-je ensuite rester à mon poste? vous-même ne
devez pas essayer de me détourner de mon office ; puisque les dé-
sirs de mon souverain et les vôtres sont si divergents, il m'est
impossible de satisfaire les deux partis ; sachez que si votre sei-
gneurie se montre si peu empressée à servir mon maître, à son
tour il ne s'occupera plus de vos intérêts.
(1) Une ville de cette petite principauté s'appelait K'iu-k'iou U4 Irft, et se
trouvait à 20 li sud-ouest de Ngan-k'iou fou $ $\] gg, qui est à 160 li sud-< -
sa préfecture Tsing-tcheou fou ^ ■!{] !?£, Chan-tong. Petite géogr., vol. 10, p. 26
— (Grande, vol. 35, p. 21).
(2) Tan, sa capitale était à 100 li sud-ouest de Tan-tch'eng hien £[{ i$ %.
qui est à 120 li sud-ouest de sa préfecture I-tchleoit fou f)t ^H f?- Chan-tong.
(Petite géogr., vol. 10, p. 30) — (Grande, vol. 33, p. 37/-
184 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Quand Che-sié était sur le point de partir, avec une réponse
négative, le ministre Ki-suen Ép ^ eut peur des conséquences,
et il conseilla au duc de s'exécuter ; en fin de compte, les troupes
furent envoyées se joindre à celles de Tsin,de Ts'i ^, et de Tchou
Sfcjï, dont Che-sié lui-même fut nommé le généralissime.
C'était d'ailleurs une expédition assez ridicule : Quand l'armée
de Ou !£. s'était présentée, King-kong n'avait rien fait pour sau-
ver son allié, le prince de Tan *£p ; celui-ci n'ayant pu résister,
avait dû faire sa soumission ; et maintenant on venait l'en punir !
Au fond, il s'agissait plutôt d'extorquer de grands cadeaux, et
d'obtenir un traité qui annulât celui qui avait été conclu avec le
roi de Ou ; le prince de Tan s'empressa d'accorder ce que l'on
demandait; ce fut fini.
En 682, au début de l'année (donc vers novembre), il y eut
une assemblée de huit vassaux, dans la ville de P'ou f|f (1), sur
le territoire de Wei f|j ; le motif de cette réunion est assez cu-
rieux ; il s'agissait de restituer au duc de Lou ||» la région de
Wen-yang $£ $ff qu'on lui avait enlevée, juste une année aupara-
vant, pour en faire cadeau au roi de Ts'i fi|. King-kong s'était
aperçu que cet acte arbitraire et injuste avait froissé presque tous
ses subordonnés, chacun redoutant pour, soi un semblable mal-
heur ; il voulait réparer sa faute, et remettre les choses en leur
ancien état.
/v/'-\ve?i-/.se ^ ^ ^ [on Ki-suen Êfs ^], premier-ministre
de Lou, ne put s'empêcher de faire remarquer une conduite si
incohérente, à laquelle il s'était opposé en vain ; il dit donc à
Che-sié -j^ ^ : votre vertu n'est pas sincère ; à quoi bon faire de
nouveaux traités d'alliance et d'amitié (2)"?
Che-sié lui répondit comme il put, par des sentences généra-
les sur la vertu ; il n'était pas facile d'excuser le fait, il se rejetait
sans doute sur la bonne intention de son maître : s'appliquer avec
diligence, disait-il, à la bonne admistration des états, les traiter
avec une généreuse amitié, se montrer ferme à abattre les ennemis,
(i) P'ou, c'est Tchang-yuen hien J| JS §|, à 250 li sud-ouest de sa préfecture
Ta-m/ing fou i\ % /fl\ Tche-li. (Petite géogr., vol. 2, p. 35). — (Grande, vol. 16,
p. 41)-
(2) Che-sié était de la Camille Fan ^£, une des plus anciennes de la Chine ;
elle régnait sur la principauté de T'ang /jlf ; celle-ci fut annexée par l'empereur,
vers l'an 1115 avant Jésus-Christ; la famille Fan émigra dés lors au pays de Tsin,
où elle reçut le fief Fan ^L, d'où lui est venu son nouvoau nom. Che-sié, avec son
fils Che-kai -i t], fameux premier ministre dont nous aurons à parler, sont les
deux plus illustres membres de cette famille, qui occupa toujours de hautes dignités.
(Annales du Chan-si, vol. S, p. 24).
DU ROYAUME DE TSIN*. KING-KONG. 185
servir fidèlement les Esprits tutélaires, être bon envers les hum-
bles, sévère à l'égard des fourbes; c'est encore de la vertu, quoique
d'un degré inférieur. »
Pauvre réponse! comme on le voit; mais il n'y en avait pas
d'autre, à moins de reconnaître purement et simplement la faute
de son souverain. Quoi qu'il en soit, les princes réunis en assem-
blée renouvelèrent et jurèrent le traité de Mailing j^ [ë|,puis s'en
retournèrent chacun chez soi ; mais la restitution fut ajournée.
On avait espéré en vain l'arrivée des représentants de Ou £Ç,
qui s'étaient fait annoncer; une grande inondation leur avait, paraît-
il, barré le chemin. La princesse Pé-ki f^ $£ de Lou ^ venait
d'être mariée au prince de Sori'j ^ : pour faire plaisir aux cours,
King-kong, suivant l'usage de cette époque, envoya quelques prin-
cesses de sa famille, comme dames d'honneur de la jeune mariée.
Le prince de Tclieng ||[$ venait une fois de plus, de changer
de maître, en se donnant derechef au roi de Tch'ou ^jj|; King-
kong envoya Loan-chou fpè |fr avec une armée, lui demander rai-
son de cette félonie ; le général fut assez heureux pour faire pri-
sonnier le prince lui-même. Sur ce, le seigneur Pé-kiuen f£j |§§
se présenta pour traiter de la paix ; mais il fut mis à mort par
les gens de Tsin. Ce fait, justement réprouvé par l'historien, se
passait en automne.
Vers cette époque, King-kong visitait sou arsenal; il aperçut
un homme enchaîné, dont le chapeau était semblable à ceux des gens
du sud; il demanda quel était ce prisonnier; on lui répondit :
c'est ce captif que vous a livré le prince de Tcheng §5, il y a deux
ans; il est originaire de Tch'ou ^, se nomme Tchong-i @ -f|.
un homme distingué, un vrai génie. Che-sié conseilla de le ren-
voyer dans sa patrie, et de s'en servir comme entremetteur pour
obtenir de son roi une paix durable. King-kong suivit ce conseil,
et rendit la liberté à Tchong-i.
Sur la fin de l'année (septembre), une armée de TsHn §jf et
des Tartares blancs PéTi [ÉJ $C envahissait le territoire de Tsin ;
on savait que les vassaux étaient mécontents de King-kong, com-
me nous l'avons dit plus haut; mais on ignorait l'accord survenu
depuis; on pensait donc que personne ne viendrait au secours de
ce prince ; on était dans l'erreur.
Un peu plus tard septembre-octobre , le roi de Tch'ou ^,
touché de ce qu'on lui avait renvoyé Tchong-i, envoyait un am-
bassadeur, remercier de ce bienfait, et demander un plénipoten-
tiaire pour traiter de la paix entre les deux royaumes.
En 581, au début de l'année fin d'octobre], King-kong dépu-
tait à son tour le grand officier Tiao-fei ^ ^\ remercier le roi
de Tch'ou d'avoir envoyé comme ambassadeur un homme si dis-
tingué, c'est-à-dire le grand dignitaire Tse-chang ^f [§j. Quant
aux pourparlers relatifs à la paix, ils ne se tirent pas si rapidement;
ils durèrent environ deux ans.
21
186 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Vers le mois de Janvier, King-kong tenait conseil, pour savoir
ce qu'il fallait faire du prince de Tcheng f|J$, toujours prisonnier :
si on le gardait plus longtemps, n'était-il pas à craindre que le
peuple ne mît un autre prince à sa place sur le trône ? Ne valait-il
pas mieux le rendre à la liberté, s'en faire ainsi un ami pour
toujours?
King-kong inclinait pour le parti de la clémence; mais le pays
de Tcheng ffjS était alors en pleine révolution ; il fallait donc aviser
d'abord au moyen d'}7 rétablir l'ordre et la paix, avant de lui ren-
dre son souverain.
Mais King-kong lui-même était depuis quelque temps malade;
il sentait la mort approcher ; incapable de terminer cette affaire,
il voulut la confier à son fils, le prince-héritier Tcheou-p'ou ffl ffâ,
en lui cédant le trône et la couronne. On convoqua les vassaux,
à la 5èmp lune (février-mars), dans la capitale de Tsin ; mais tous
ne se rendirent pas à cette assemblée ; il n'y eut que les princes
de Ts'i ^, de Song '-£ , de Wei fëj, de Ts'ao ff et de Lou sg.;
ils furent présidés par le prince-héritier lui-même, avec l'autorité
de souverain, et la guerre fut décidée.
A cette nouvelle, on commença à trembler, au pa}'s de Tcheng
ft|$ ; les troubles cessèrent, la paix fut signée à Siou Tehe fê "^ (1) ;
le prince Tse-se ^ fp| fils de Mou-kong fèfè( 62 7-606) fut envoyé
en otage à la cour de Tsin; après quoi, Tch'eng-kong /& ^ fut
rendu à la liberté, et reconduit à sa capitale. En signe de recon-
naissance, il offrit à King-kong la fameuse cloche du temple de
Siang-kong |g fc (604-587) (2).
Sur la maladie de King-kong, l'historien rapporte les détails
suivants : En songe, il vit un des Esprits appelés H f^ (c'est-à-dire
les mânes qui n'ont point de descendants) ; celui-ci paraissait un
géant ; ses cheveux épars traînaient jusqu'à terre ; il frappait sur la
poitrine du prince, en lui criant : vous avez injustement massacré
ma postérité; je me suis adressé au grand maître du ciel, pour
obtenir vengeance! Après quoi, ce démon se mit à détruire la grande
porte du palais, se dirigea vers la chambre à coucher, où il péné-
tra; le prince s'enfuit dans une autre partie reculée du palais, le
démon l'y suivit et détruisit encore la porte intérieure ; c'est alors
(1) Siou-tche, d'après divers auteurs, était au nord de Yuen-ou hien ^ jï^; $%
qui est à 180 li à l'est de sa préfecture Ho-nctn fou ;nj]?j rf'f, Ho-nan. (Petite géogr.,
VOl. 12, p. 2ç).
(2) l*n souverain qui cède le trône à son fils, est une chose si rare en Chine,
que divers auteurs nient le l'ait que nous racontons ici ; entre autres, les commen-
taires de l'édition impériale du Tsouo-tchoctn ^c IW- ~^ Mais il n'v a vraiment rien
In d'impossible; c'était même une saarc précaut'Oî), pour éviter des désordres après
la mort de King-kong, qui, on va le voir clairement lors de son enterrement, avait
perdu l'affection de ses subordonnés.
DU ROYAUME DE TSIX. KIXG-KOXG. 187
seulement que le prince se réveilla de ce cauchemar (1).
King-kong fit appeler un fameux devin, originaire de Sang-
t'ien ijfL 0j (2] ; celui-ci était si habile qu'il put raconter au prince
le songe en question, sans en avoir entendu parler; King-kong lui
demanda quelle en serait l'issue? — Votre Majesté, répondit le devin, ne
mangera pas le froment nouveau, c'est-à-dire celui qu'on allait récolter.
King-kong tomba bientôt malade ; la prophétie commençait
donc à s'accomplir; il fallait à tout prix la faire mentir; il fit de-
mander à la cour de T&'in ^ un médecin capable de le guérir;
on lui envoya un homme célèbre nommé Hoan %£.
Avant l'arrivée de celui-ci, King-kong eut un autre songe,
aussi embarrassant que le premier : 11 lui sembla que son mal se
changeait en deux enfants, qui se parlaient entre eux ; l'un dit :
voici venir un grand médecin qui va nous tourmenter; où faut-il
nous réfugier? — Mets-toi au-dessus du diaphragme; je me placerai
au-dessous du cœur; alors personne ne pourra nous déloger, ré-
pondit l'autre.
Quand le médecin fut arrivé, il déclara le mal incurable: une
maladie dont le centre est entre le diaphragme et le cœur, résiste
à tous les efforts de l'art; ni le feu. ni l'acuponcture, ni aucune
drogue ne peut y pénétrer; il n'y a rien à faire. — C'est vraiment
un habile médecin! dit le prince; et il lui fit de grands cadeaux,
lui fit rendre beaucoup d'honneurs par les dignitaires, enfin le
congédia.
A la 6èuic lune, au jour nommé ping-ou pjjj Af- (21 mars),
King-kong voulut manger du froment nouveau, et chargea l'in-
tendant des champs royaux de lui en apporter. Pendant qu'on le
préparait à la cuisine, on appela le devin, pour le faire mourir,
comme faux-prophète; mais, au moment de se mettre à table,
King-kong sentit son ventre se gonfler ; il se rendit aux latrines ,
il y perdit sans doute connaissance, car il tomba dans la fosse et
s'y noya.
Le matin même, avant son réveil, un petit officier avait eu
aussi un songe, où il lui semblait porter le prince au ciel ; or
c'est justement lui qui aperçut et retira King-kong de la fosse
d'aissances ; pour accomplir intégralement son songe, on enterra
vivant cet officiel; dans le tombeau de King-kong ; il ne s'attendait
pas, sans doute, à ce genre de récompense!
(1) Quelle importance attachent les païens aux songes les plus phantastiques;
ce qu'ils imaginent pour les faire accomplir, s'ils sont favorables; ou mentir, s'ils
sont défavorables ; nous le voyons, nous qui vivons parmi eux ! Le démon, ce singe
de Dieu, veut avoir aussi ses prophètes: il sait prendre les moyens de faire aboutir
les songes qu'il a mis dans l'imagination de ses adeptes: il les révèle à d'autres.
(2) Sang-tien ou Tch' eousang-i ÏSJ f& §f était à 30 li à l'est de Ming-hiung
hienffîMM, qui est à 130 li à l'ouest de Chen-tcheou fàW, Ho-nan. (Petite géogr.,
vol. 12, p. 66) — ('Grande, vol. 48, p, jç).
188 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Vers le mois de mai de cette même année 581, le duc de Lou
^ s'était rendu à la cour de Tsin ; on l'y retint, pour le forcer à
assister à l'enterrement de King-kong ; il y avait encore un autre
motif à cette quasi-réclusion : le bruit courait que le duc s'était
donné au roi de Tch'ou <gj ; on voulait attendre le retour de l'am-
bassadeur Tiao-fei ||| ^, pour savoir la vérité.
Vers le mois de septembre, on enterra King-kong, et le duc
de Lou assista seul à cette cérémonie solennelle ; aucun des autres
vassaux ne daigna s'y rendre ; ce fut une grande honte pour le
duc ; aussi Confucius, rédigeant son bulletin historique longtemps
après les événements, eut-il soin de taire cet épisode peu glorieux
pour son maître; c'est le commentaire lui-même qui fait cette re-
marque. Seulement à la l^11' lune de l'année suivante, «le saint»
écrit : «notre duc revient du pays de Tsin.» — Donc il s'y était
rendu? — Evidemment! — Et pourquoi? et comment y resta-t-il
si longtemps? — silence!
Avant de passer au règne suivant, notons que le grand sei-
gneur Tch'eng Ing f" |§ attaqua la famille de Toit Ngan-kia J||
j^. jl(,et l'anéantit tout entière; ensuite il ramena Tchao Ou f§5^
[nommé aussi Tchao Wen-tse jt® ?S£ ~?.1j puis il se suicida; son
tombeau est à 21 li au sud de T'ai-p'iny hien -jj^ 2p J|£, dans la
préfecture de Pling-yang fou ^ [^ Jfô, Chan-si. — (Annales du
Chan-si, vol. 56, p. 21).
Se-ma Ts'ien ïî\ M} $&, chap. 43, p. 3, a des détails sur ce
seigneur Tou Ngan-kia, l'ancien favori de Ling-hong fj| fè (620-
607), et sur son ennemi Tch'eng Ing.
189
LI-KONG (580-573)
&
->*:-K-
Le nom posthume, ou historique, du nouveau prince n'est
pas flatteur; il signifie tyran, qui met à mort des innocents;
qu'a-t-il donc fait pour mériter un blâme pareil? nous allons en
juger par nous-mêmes (1).
Le duc de Lou ^ s'étant déclaré prêt à jurer foi et fidélité
au roi de Tsin, avait été relâché, comme nous l'avons vu plus
haut. Bientôt le grand seigneur K'i-tch'eou ffi |/Ë, cousin du
premier-ministre K'i Kro £|$ jfc, se rendait à la cour de Lou, pour
y signer et jurer solennellement un pacte d'alliance et d'amitié avec
le duc (2); la cérémonie eut lieu à la 3èrne lune, au jour ki-tcheou
EL 3t (27 févier). L'étiquette voulait qu'on envoyât ensuite un
ambassadeur à la cour de Tsin remercier de cette faveur ; c'est le
premier-ministre Ki-wen-tse ?p ^t -J* qui fut chargé de cette
mission.
Chez l'empereur, il y avait des troubles, suscités par les gran-
des familles jalouses les unes des autres ; en été, le prince Tchou
^ vint se réfugier à la cour de Tsin, demandant secours contre
ses adversaires ; la querelle fut apaisée, le prince retourna chez soi,
mais la concorde n'était que factice et ne dura pas longtemps.
Par ailleurs, le grand seigneur K'i tche $|$ 3* de Tsin était
en litige avec l'empereur lui-même, à propos des territoires de
Heou-tien $| EB (3) ; les deux princes et ministres Liou-k'ang-
kong fflj ^ ^ et Chen-siang-kong |fL |i| ^ vinrent auprès de Li-
kong, pour terminer ce différend.
K'i-tche affirmait: le pays de Wen $g. (4) est l'ancien patri-
moine de notre fammille ; je ne puis y renoncer. Les deux minis-
tres répliquaient : s'il s'agit d'ancienneté, notre dynastie Tcheou
jj§] a occupé ce territoire, après avoir vaincu la dynastie Chang
(1) Texte de l'interprétation : $5 W> SU $ H fëè
(2) (Pour les détails de cette cérémonie, voyez Couvreur. Li-ki ijjf ffj, vol. g,
p. çz).
(3) Heou-t'ien, il en reste un Kiosque commemoratif, au sud-ouest de Ou-tche
hien ^ $<Jj $£, qui est à 1 Q0 li à l'est de sa préfecture Hoai-k'ing fou fcîj }§£ ''•[,
Ilo-nan. (Petite géogr., vol. 12 p. 28) — (Grande^ vol. 4c. p. 13).
(4) Wen était à 50 li sud-est de Hoai-k'ing fou ; il s'agissait donc de tout le
territoire situé à l'est de cette préfecture. (Petite géogr., vol. 12, p. 2ç).
190 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
"^j, en 1122; car, après avoir distribué les fiefs aux princes féo-
daux, l'empereur s'est réservé celui de Wen, et chargea le sei-
gneur Sou-fen-chen || fè ^£ de l'administrer, en qualité de mi-
nistre de la justice. Quant à celui-ci, son fief était dans la région
appellée Ho-nei pj j^J, ainsi que celui du seigneur Tan-pé-ta ft£
yfi 5^. Plus tard, un descendant de Sou s'enfuit chez les Tartares
Ti $X' Puis au Pavs de Wei ^ ' c est alors ^ue lemPereur Siang-
kong j§| 5^ (651-619), pour faire plaisir à votre illustre souverain
Wen-kong j$C fë (635-628), lui fit cadeau de ce territoire. Les
grandes familles Hou |& et Yang |^ l'ont occupé et en ont joui
bien avant la famille K'i. Si l'on interroge l'histoire, on voit que
ce paj-s a toujours été administré par un officier de l'empereur,
pour le compte de l'empereur; comment donc la famille K'i peut-
elle le revendiquer?
Li-kong ordonna, en conséquence, à la famille K'i de renoncer
à ce litige, et de laisser l'empereur disposer de ce territoire, selon
son bon plaisir ; le nouveau souverain tenait à gagner les bonnes
grâces de l'empereur, et se concilier les vassaux. Le commentai-
re observe que cette famille K'i était vraiment trop avare et trop
prétentieuse; c'est ce qui va bientôt causer sa perte, comme nous
le verrons en 574.
Vers les mois de septembre de cette même année 580, les rois
de Tsin et de Ts'in §j§, après de longues années d'inimitié, vou-
lurent enfin faire la paix; dans ce but, ils convinrent d'avoir une
entrevue à Ling-hou fy %}% i Xi-kong étant arrivé le premier
au rendez-vous, le roi de 1 - |§ redouta un guet-à-pens de sa
part, et refusa de passer le fleuve Jaune; il s'arrêta donc à Wang-
tch'eng ]j£ jfà (2), et députa le seigneur Che-hou {£ igp{, pour trai-
ter avec Li-kong, à l'est du fleuve; celui-ci, de son côté, envoya
le seigneur K'i-tck'eou $|$ IjË, s'entendre avec le roi de Ts'in ^
à l'ouest du même fleuve (3).
Ce fut donc une entrevue à distance. Le grand seigneur Che-
sié Jt: ^ [aussi nommé Fan-wen-tse frl ~$£ ^f] s'écria: quelle uti-
lité peut avoir un tel traité? si les cœurs sont unis, on peut signer
une convention ; elle suppose la confiance mutuelle ; se recontrer
à un endroit déterminé est le premier indice de cette confiance ;
quand il n'y a pas de base, comment élever un édifice?
(1) Ling-hou était à 15 li à l'ouest de I-che hien $§■ J£ §£, qui est à 120 li
nord-est de sa préfecture P'ou-tcheou fou M 'H'\ M, Chan-si. (Petite géogr.,vol. S.
p. si) — (Grande, vol. 41, p. 21).
(2) Wang-tch'eng était un peu à l'est de Tchao-i hien fjJJ g, §£, qui est à 30
li à L'est de sa préfecture T'ong-tcheou fou HO M tff, Chen-si.
(3) Ho-tong V'J J.|(, (est du Meuve), c'était le territoire actuel de P'ou-tcheou
fou. — Ho-ai 'irïT ®, (ouest du lleuvc), la ville de ce nom était à 40 li à L'est de
Hé-yang hien (i']U!JJ Hf , 4ui c'st a '-° '' nord-est de T'ong-tcheou fou. (Petite géogr.,
vol. 8, p. 2ç — vol. 14, p. iç).
DU ROYAUME DE TSIN. LI-RONG. 191
Il arriva ce qui était facile à prévoir dans de telles circons-
tances ; à peine le roi de Ts'in J|§ était-il rentré chez lui, qu'il
rompit la foi jurée, comme nous allons le voir bientôt.
En 579, le seigneeur Hoa-yuen lj| 7c de Song ^ réussit à
mettre d'accord les deux cours de Tsin et de Tch'ou ^§, après de
laborieux efforts. A la 5ème lune (février-mars), le grand seigneur
Che-sié Jt *M, délégué de Li-kong, eut une entrevue, à la porte
occidentale de la capitale de Song, avec les délégués de Tch'ou,
les seigneurs Kong-tse-pi fè ^ jjp| et Hiu-yen f^ \[% ; au jour Koei-
hai ?£ ^ (26 mars) on jura solennellement le traité suivant ^«Dé-
sormais, les états de Tsin et de Tch'ou ne se livreront plus la
guerre; les cœurs seront unis dans une inaltérable amitié; en-
semble ils exerceront la miséricorde envers ceux qui seront dans
le malheur, et ils porteront secours à ceux qui seront en danger ;
si quelqu'un trouble le roi de Tch'ou, celui de Tsin se hâtera de
châtier et d'abattre l'audacieux ; si quelqu'un vexe le roi de Tsin,
celui de Tch'ou viendra de même à son secours ; on se fera mutuel-
lement des cadeaux d'amitié ; les chemins seront largement ouverts
pour les relations réciproques des deux pays ; on prendra des me-
sures contre les perturbateurs ; on punira ceux des vassaux qui
refuseront de faire visite à leur suzerain. Quiconque ne gardera
pas fidèlement la foi jurée par ce traité, que les sublimes Esprits
l'exterminent, anéantissent ses armées, ne laissent pas sa posté-
rité sur le trône ! »
Après cette convention, le prince de Tcheng ff[$ se rendit à la
cour de Tsin, se déclarant prêt à obéir à Li-kong ; le duc de Lou ^
et le marquis de Wei fêj vinrent lui faire la même déclaration à
Souo-tche Jj| ffi: (1) ; c'était se conformer à la lettre et à l'esprit
du traité de paix.
Pendant que la cour de Tsin était occupée à ces négociations,
les Tartares Ti %fc en profitaient pour tenter quelque bonne raz-
zia ; mais, au mois de Juin, ils subirent une grande défaite à
Kiao-kang <£ pijlj (2).
Le traité de paix ayant été accepté de part et d'autre, comme
nous venons de le dire, Li-kong envoya le grand seigneur K'i-tche
ffî> ÎÊ remercier le roi de Tch'ou ^. Nous avons raconté dans
l'histoire de ce royaume, comment l'embassadeur fut terrifié du
vacarme musical qu'on lui servit à son entrée dans la salle de
(1) Souo-tche: il n'en reste qu'un souvenir, un Kiosque appelé Souo-heou-tiny
ïf{ |''4 ^, à l'ouest de l'ancienne sous-prélecture Yuen-ling ~$i (î§, qui est à 38 li
nord-est de la sous-préfecture actuelle Sin-tcheng hien %\ f.:r !?£ dans la préfecture K'ai-
fong fou [ifj ^t Ifif, Ho-nan. (Petite géogr., vol. 12. p. 0 — (Grande, ool. jt-P-JS ■
(2) Kiao-kang. Le recueil Hoang-tsing King-Mai J| fn $1 8? place cette ville
à l'est de Yen-ngan fou ^^iiJtf, à l'est du neuve Jaune. Chan-si; les ouvrages
géographiques n'en parlent pas.
192 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
réception; comment cette frayeur fut l'objet d'un fameux entretien,
que nous avons rapporté au long.
Les gens perspicaces prévoyaient que la paix ne serait pas
durable, et ils ne se trompaient pas; quatre ans seront à peine
écoulés qu'on reprendra les armes ; en attendant, les deux cours
rivales signaient définitivement ce traité, si laborieusement prépa-
ré, entouré de tant de précautions; la séance finale eut lieu à
Tche-hi ^ $$ (1), à la 12ème lune (septembre).
En 578, au début de l'année (octobre-novembre), Li-kong dé-
putait le seigneur K'i-i ffi fâ'i ^s du premier ministre K'i K'o
'$> t£, demander au duc de Lou des troupes auxiliaires, pour
une guerre contre le pays de Ts'in |j| ; car le roi Hoan-kong
M -S" venaif d'exciter les Tartares blancs pé Ti £] ^ et même
les gens de Tch'ou *£, à une invasion simultanée sur le territoire
de Tsin. Cette agression était si déloyale, que tous les vassaux
accordèrent volontiers leur contingent de troupes pour la punir(2).
Mais il parait que l'ambassadeur oublia qu'il parlait devant
la fine Heur des princes et des lettrés chinois; il ne se montra pas
assez humble; aussi le sage Mong-hien-tse jg J|| ^- lui fit-il sa
prophétie: ce seigneur K'i, dit-il, périra sous peu; car les rites
sont la base de la vie humaine, et le respect est la base des rites ;
or l'ambassadeur se montre orgueilleux, parcequ'il est membre de
la famille régnante ^un des ts'ou-jen ~fjfc A], et qu'il possède ses
dignités à titre d'héritage; il est venu demander des troupes auxi-
liaires ; l'armée est l'appui et le rempart d'un état ; il s'agit donc
d'une chose extrêmement importante; comment ce seigneur peut-il
accomplir sa mission avec négligence"? certainement il périra bien-
tôt ! — Pauvre ambassadeur, le voilà bien averti ; il en a pour
quatre ans !
A la 4'llr lune, au jour meou-ou /j£ £ç* (18 mars), Li-kong
députait au pays de Ts'in $$, Liu-siang g ,^jg, fils du grand
seigneur Wei-i ^ §£, annoncer au roi qu'il rompait absolument
avec lui; voici le "mémorandum» qu'il lui faisait présenter; le
lecteur pourra remarquer la tournure que les Chinois savent donner
aux événements les plus manifestes, pour mettre le tort du côté
de leurs adversaires; aujourd'hui c'est encore le même genre et le
même style; ce sont les ministres qui écrivent aux ministres :
(1) Tche-ki, on en ignore l'emplacement.
(2) l.a famille K'i §15. une des plus puissantes du royaume, était une des
branches de la maison régnante; elle était devenue quasi intraitable, paç son orgueil.
Ses membres les plus fameux furent K'i K'iué Çg $t ou K'i Tch'eng-tse §(5 Jfô J-.
son fils l\> K'o ''}\\ >Ji ou K'i-hier^-tse fr|S fëfc •?-, le premier ministre actuel, puis in i
§B Uj son lils. qui va aussi se distinguer dans les plus hautes dignités. (Armalea du
Chctn-si Uj H jig ■{•. vol. S, p. 23 et suiv.).
DU ROYAUME DE TSIN. LI-KONG. 193
«Autrefois, jusqu'au temps de notre souverain Hien-kong |f/(
fè (676-652), et de votre illustre ancêtre Mou-kong Ifèfe (659-621),
nos deux royaumes a*vaient toujours été amis; unis de corps et de
cœur, nous gardions fidèlement nos traités de paix ; nous les con-
solidions encore par des mariages réciproques. Mais le ciel punit
notre pays; notre prince Wen-hong ^T £V s'enfuit à la cour de
Ts'i 5*|, le prince Hoei ih s'enfuit chez vous.»
«A la mort de notre souverain Hien-kong-, votre roi Mou-kong
n'oublia pas les anciens bienfaits; il agit si bien que le prince Hoei,
s'appuyant sur lui, put monter sur le trône, et continuer les
sacrifices à ses ancêtres; malheureusement, il ne sut pas gouver-
ner en paix, et entreprit la campagne de Han $•£ (645 où il fut
fait prisonnier; votre roi en eut grande peine, et usa de tout son
pouvoir pour nous donner notre souverain Wen-kong.» 636)
«■Celui-ci, portant le casque et la cuirasse, parcourant le pays
à travers les fleuves et les montagnes, ne reculant devant aucun
danger, soumit à son autorité tous les vassaux qui sont à l'orient,
descendants des dynasties Yu ],#, [lia g, Chang ($j et Tcheou fë\ ;
il les conduisit tous rendre hommage à votre roi, et montra ainsi
sa gratitude envers vous.»
"Le prince de Tcheng ff[$ eut avec vous des querelles de fron-
tières, notre souverain Wen-kong, prenant ses troupes et celles
des vassaux, les unit à votre armée, avec elle assiégea la capitale
de Tcheng. Vos ministres, sans nous en avoir prévenus, firent en
secret la paix avec le prince de Tcheng, et abandonnèrent leurs
compagnons d'armes; les vassaux furieux voulaient venger cette
injure; notre souverain, craignant le reproche d'ingratitude, apaisa
leur juste ressentiment, et votre armée put retourner saine et sauve
dans ses foyers.»
«Malgré ce signalé bienfait, à la mort de \A'en-kong (628),
votre roi Mou-kong ne daigna même pas prendre part à notre
deuil national: il montra aussi peu d'estime envers le successeur
Siang-kong |jf- ^, nous fit la guerre à Hiao ^ (627), et rompit
l'ancienne amitié qui unissait nos deux pays ; il attaqua notre
ville de Pao-tch'emj f£ JiJ> (1), détruisit et s'annexa la principauté
de Fei-houa f§ 'ffî (2) notre alliée 626 ; non content de cela, il
aurait voulu anéantir notre maison régnante.»
«Notre souverain Siang-kong n'avait point oublié vos bien-
faits, quand il conduisit son armée à Hiao; il y était contraint,
pour empêcher la ruine de notre pays. Malgré notre éclatante
(1) Pao-tch'eng inconnue des commentateurs.
(2) Pei-houa. furieux nom de l't'i, capitale du minuscule état de Houa. < >n
l'appela aussi Heou-che-tch' eng %\\ J£ fcR; elle était à 20 li au sud de Ycn-chc hien
flî frfî If, qui est à Tu li sud-est de sa préfecture Ho-ncm fou jSf fj-j iff. llo-nan.
(Petite géogr., vol. 12, p. 34). — Grande, vol. 48, p. 26).
23
194 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
victoire, nous consentions encore à demander pardon à votre roi
Mou-kong; mais lui, dans sa haine, ne voulut rien entendre; il
s'adressa au roi de Tcli'ou §g. notre ennemi, pour comploter
notre perte; heureusement le ciel vint à notre secours; Tch'eng-
kong b}l 5^ fut inopinément assassiné (626), ses projets ne pu-
rent être exécutés.»
Notre souverain Siang-kong ne lui survécut pas longtemps.
Chez vous K'ang-kong Jj| fè. chez nous Ling-kong Jg Q montè-
rent sur le trône: étant oncle et neveu, on pouvait espérer qu'ils
vivraient en paix : il n'en fut rien ; votre roi voulut anéantir la
famille de sa mère, livrer nos frontières aux incursions des bri-
gands de la pire espèce ; aussi en sommes-nous venus aux mains
à Ling-hou Sfr ^ 620); votre roi n'en devint pas plus sage; il
envahit notre territoire de HoK'iu jpj $j. puis celui de Sou-tchonn
l'î£ J||, puis celui de Wang-koan ]f ^. puis celui de Ki-ma f^ J^
(1) ; voilà pourquoi nous fûmes encore obligés de nous battre à
Ho K'iu (615); le chemin vers l'orient vous fut fermé, grâce aux
intrigues de votre roi: et il en fut ainsi jusqu'à maintenant.')
"Notre souverain défunt, King-kong j^ ^, tournait en vain
les yeux vers votre pays, en s'écriant : enfin, sans doute, le roi de
Ts'in Jjl voudra renouer l'amitié d'autrefois avec nous! Il n'en
fut rien; on envahit notre territoire de Ho K'iu >pj jj{j , on brûla
les villes de Ki ^ et de Kao §fl (2), on dévasta les récoltes, on
massacra les habitants de la frontière : voilà pourquoi nous nous
étions massés à Fou-che f|[ J^ 3] (594).»
(1) Ho-k'iu, aussi nomméeP'on-jj«)i ifft^S, était à 5 li sud-est de P'ou-tcheou
fou fâ M M, Chan-si.
Sou-tchoan ou Sou-chouei-tck' eng $[ 7jcJK- était à 26 li nord-est de la même
préfecture.
Wang-koan était uu peu au sud de Yu-hiung hien £$| $fi !|f , qui est à 60 li
au sud de la même préfecture.
Ki-ma était à 35 li sud-est de la même préfecture, i Petite rjèorjr., vol. 8, p.
Soi — Grande, vol. 41. pp. 18 et 22 .
l'an ou l'an ici-dessusl s'écrit de trois façons ifc ou $£ ou '5: il signifie versan*
de colline. (Couvreur, dictionnaire, p. 62).
(2) Ki était à 35 li à l'est de T'ai-kou hien jk £? g£, qui est à 120 li sud-est
de sa préfecture T'ai-yuen fou jfc !M ffi-
Kao était à 7 li sud-est de K'i hien |(J |f, qui est à 150 li au sud de la
même prélecture, Chan-si. Petite géogr., vol. S. p. 4 — Grande, vol. 40. pp.
14 et 15).
(3) l'ou-chc était à 13 li nord-ouest de Tch'ao-i hien '." g, !?£, qui est
li à l'est de sa préfecture T'ong-tehcou /'on fp) #| '('.'. t'hen-si. 1 Petite géogr.. vol.
14, p, 18) — (Grande, vol. J4, p. 21) — ( Voyez la note a son sujet, année S94J-
DU ROYAUME DE l'SIN . LI-KONG. 195
"Votre roi fiait cependant par regretter tant de calamités, il
désira renouer l'amitié qui existait entre nos deux pays, au temps
de Hién-kong et dà* Mou-kong ; il députa pour cela son fils, le
prince Pé-kiu f£| î|i, avec le message suivant: je veux faire avec
vous un traité de paix, enlever tout sujet de plainte, rétablir les
relations amicales d'autrefois, et marcher sur les traces de nos
ancêtres, qui se rendaient de mutuels services.»
«'Hélas! avant la conclusion de ce traité, notre souverain
n'était plus ! Son successeur, notre humble prince tint une
assemblée à Ling-hou (580), pour examiner les conditions propo-
sées ; peine inutile, votre roi avait déjà changé d'idée ! »
"Les Tartares blancs [pé Ti £j %fc], et vous autres, gens de
Tx'in §||, vous habitez le pays de Yong-tcheou H? j\\ (1); les Tar-
tares Ti £f(, dont vous avez juré la perte, sont nos alliés, nos
amis ; votre roi lloan-hong |g fè nous intima l'ordre suivant :
allons ensemble faire la guerre aux Tartares Ti ffc. Notre humble
prince, par déférence pour lui, se préparait à obéir, malgré sa
répugnance; mais lui, en véritable traître, envoya aux Tartares le
message suivant : le roi de Tsin va venir vous faire la guerre.
Ceux-ci vous répondirent amicalement; au fond, ils vous détestent,
vous et vos paroles doucereuses ; c'est pourquoi ils vinrent nous
raconter vos agissements.»
«Bien plus! le roi de Tch'ou ^, indigné de votre déloyauté,
nous adressa cet avis : le roi de Ts'in ,^ë, parjure du traité de
Ling-hou, est venu nous offrir un traité d'alliance et d'amitié ; il
jure par l'auguste ciel, par ses trois ancêtres Mou ^J|, K'ang Jj£
et Kong Jh, par les trois nôtres Tch'eng /$, Mou $| et Tchoang
f\£; il dit: nous autres, gens de Ts'in jjf, malgré nos relations
intimes (de parenté) avec la cour de Tsin, nous regardons où est
notre avantage, pour faire des traités. Notre humble souverain,
détestant une si noire félonie, vous donne connaissance de cette
proposition, afin que vous la punissiez.»
«Les vassaux réunis en assemblée, à savoir les princes de
Lou S§|, de Ts'i $, de Song sfc, de Wei %, de Tcheng %, de
T.s'ao ï|ï, de Tchou '-.ji et de Teng $jf, furent malades d'indigna-
tion, à la lecture de ce message; et ils pressèrent la vengeance de
cette duplicité.»
«Voici donc les paroles de notre humble souverain: je vais
conduire tous ces vassaux, demander vos ordres; nous désirons la
paix; si votre roi, par égard pour ces princes, daigne nous l'accor-
der, la querelle sera finie; je calmerai le ressentiment des vassaux,
et nous rentrerons chez nous; comment oserais-je vous créer des
ennuis? si vous nous refusez ce bienfait, je ne suis pas capable
d'arrêter le courroux si légitime de tous ces princes.
(1) Yong-tcheou, c'est T'ong-tcheou fou ]p] ')\\ ÏÏ\ , Chen-si,
196 TEMPS VP.ATMEN1 HISTORIQUES
«Voilà l'exposé succinct que j'envoie à vos seigneuries, afin
que vous examiniez ensemble ce qu'il convient de décider.»
Pour les Chinois, ce factum est un chef-d'œuvre de littérature
et de politique; tous nos lecteurs ne seront pas aptes à juger la
lère partie de cette appréciation; quant à la seconde, elle est évi-
dente: l'histoire, en effet, y est contournée et falsifiée à plaisir,
sous ces phrases obséquieuses. On dit vouloir la paix, on la
désire peut-être ; mais c'est une véritable déclaration de guerre, et
l'armée entre en campagne, avec la haute approbation de l'empe-
reur Kien-wang fjjj ]£.
Le grand seigneur Loan-chou fff flf est le généralissime, et
commande le cprps du centre; son aide est le seigneur Siun-keng
^j fé : le conducteur du char est le seigneur K'i-y £[> f£ ; le lan-
cier, le seigneur Loan-tcheng fp§ |@(.
Che-sié -^ 'H; commande l'aile droite, avec K'i-i £[> J^ pour
adjudant; Han-k'iuê ^ J^ commande l'aile gauche, avec Siun-
yong ^f -fe- pour adjudant. Quant aux nouveaux corps d'armée,
c'est Tchao-tchen ^ Jpf qui en est le général, et K'i-tc\te ffi t£
son aide.
Les vassaux ont envoyé leurs contingents respectifs de troupes
auxiliaires; tout est si bien ordonné, que le sage Mong Hien-tse
jS îtK "F de Lou ffî en est dans l'admiration : tous nos généraux,
dit-il, n'ont qu'un cœur et qu'une âme; certainement nous aurons
la victoire.
De fait, à la 5èim' lune, au jour ting-hai ~J* ^ (16 Avril),
l'armée fédérée remporta un plein triomphe à Ma-soùei Jj| \ij&\
elle fit prisonniers le grand seigneur Tchreng-tsre fâ ^ et l'officier
Jou-fou ~£r ^; puis elle passa la rivière King ^, et s'avança
jusqu'à la ville de Heou-li fé §jj, d'où elle reprit le chemin du
retour; mais avant de rentrer à la capitale, elle alla saluer Li-kong
JH ^ à Sin-tchcou $f 3Ë (1). Le prince de TVao ^jf mourut pen-
dant le cours de cette expédition.
En 577, au début de l'année (vers novembre', le marquis de
Wei fëj se rendait à la cour de Tsin ; là se trouvait, depuis sept
ans, le seigneur Suen Ling-fou fâ %)$. ;$£, qni s'y était réfugié
après sa rébellion; Li-kong pria le marquis de pardonner cette
faute, mais celui-ci refusa absolument.
(1) Ma-souei était au sud-ouest de King-yotng hien < î! l'ë -ir- qui est à 70 H au
nord de sa préfecture Si-ngan fou PS ^< lîlf, Chen-si. ( Petite géogr-, vol. 14. ;>. 8)
— (Grande, vol. 53, p. sç).
La rivière King est à 7 li au sud de King-yang hien. (Grande géogr., ool. 53,
P- 3~)-
Heou-li n'étail pas loin de là.
Sin-tch'ou était sur la frontière, entre Si-ngan /'oi< et T'ong-tcheou fou lu] -Hl
fff, Chcn-si ; mais on en ignore l'emplacement exact.
DU ROYAUME DE TSIN. I/I-KONG. 197
Au mois de mars suivant, Li-kong envoya le grand dignitaire
Kli-tch'eou ffi V/l conduire Suen Ling-fou à la cour de Wei, avec
la mission d"obtenir -à tout prix la grâce de ce seigneur; le mar-
quis se montra inexorable. Alors la marquise elle-même, nommée
Ting-hiang fé H, intercéda auprès de son mari en ces termes :
vous ne pouvez plus refuser; il s'agit du fils du premier ministre
de votre prédécesseur, et c'est un roi puissant, le chef des vassaux,
qui vous presse de faire grâce ; résister plus longtemps est dan-
gereux pour vous ; si vous avez raison de détester ce traitre, vous
ne devez pourtant pas, à cause de lui, exposer votre pays à une
ruine totale ; dévorez votre chagrin, soyez patient, exercez un
grand acte de générosité envers un de vos grands dignitaires, et
conservez la paix à votre peuple ; n'est-ce pas le parti le plus
avantageux pour vous ?
Le marquis de Wei f^j accorda enfin la grâce du rebelle ; il
lui rendit même ses anciennes dignités ; il donna un festin solen-
nel, en l'honneur de cette réconciliation. K'i-tcJveou £|] jffl
(nommé aussi K'i-tch'eng-chou £j|l jfc ;};£) (1), se montra, paraît-
il, très-arrogant dans cette circonstance, comme tous ceux de sa
famille ; Ning-hoeî-tse ^? ^ ^p, le maître des cérémonies, lui lit
aussitôt sa prophétie : La maison du seigneur K'i-tch'eou, dit-il,
ne peut tarder à périr ; les anciens sages ont établi la coutume
des festins solennels, pour étudier la conduite des convives, et
deviner la bonne ou la mauvaise fortune qui leur est réservée.
Le livre des Vers [¥) nous en avertit par cette sentence : les prin-
ces assis à ce banquet ne sont point arrogants entre eux ; toutes
les faveurs du ciel seront pour eux. Aujourd'hui, le seigneur
K'i se montre si orgueilleux, il marche de lui-même au-devant du
malheur qui l'attend !
Nous avons déjà entendu semblable jérémiade, fulminée con-
tre K'i~h'e ffi jfc le premier-ministre lui-même, à la cour de Lou
'J§- ; les calamités approchent ; encore deux ans, et nous les ver-
rons fondre sur cette puissante et orgueilleuse famille.
En 576, à la 2èîïie lune, au jour Koei-tcheou ^f J[ (1er Jan-
vier), Li-kong réunissait les vassaux à Ts'i /,$ (3\ pour les con-
sulter sur les troubles survenus au pays de Ts'ao ^f ; là, en
effet, Tch'eng-hong J$ Q avait tué son frère et usurpé le trône
(1) K'i-tch'eou était gouverneur de K'ou ,;. Cette ville était à 20 li non
de Ngan-i hien :é: S If, qui est à 50 li à l'est de sa préfecture Kiai-tcheou §5? ': .
Chan-si; il ne reste qu'un lac de ce nom. (Petite géogr., vol. S, p. 42) — (Grande,
vol. 41. p. 31)-
(2) Che-king gf $f, (Couvreur, p. e?o, ode /ei'e, vers /'"'"■.
(3) Ts'i était à 7 li au nord de K'ai-tcheov [»] ffl, Tche-li : c'était la ville de
Wei jff que le rebelle Suen-ling-fou ffi ifr ^ç avait offerte au roi de Tsin, et que
celui-ci avait gracieusement rendue, en 584.
198 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
(578) ; il s'agissait de le punir, et de mettre un autre prince à sa
place. En conséquence, une armée assiégea sa capitale ; on réussit
à s'emparer de sa personne, et on le livra à l'empereur.
Quand on voulut mettre sur le trône le prince Tse-sang -{- Jjj$.
celui-ci refusa en disant : dans les anciens livres il est écrit qu'un
«saint» est à la hauteur de n'importe quel poste; un homme de
second ordre n'est de taille que pour son office particulier; un
homme de troisième ordre est au-dessous de n'importe quelle
fonction, et ne fait que des sottises ; je me sens incapable de gou-
verner un état; n'étant pas un saint, je ne veux pas non plus
être au-dessous de ma tâche! Sur ce, il s'enfuit au pays de Sony
5J5, et le fratricide fut replacé sur son trône ensanglanté, comme
nous le raconterons un peu plus loin.
Vers le mois de mars, le roi de Tch'ou ^ tournait encore
une fois ses regards vers les pays chinois du nord; il se disposait
à envahir les états de Tcheng f||$ et de Wei %. Dans le conseil
qu'il tint à ce sujet, son grand ministre Tse-nang ^ j|| chercha
de tout son pouvoir à l'en dissuader : nous venons de conclure un
traité de paix avec le roi de Tsin, disait-il, nous est-il permis de
le rompre, et si tôt, et sans raison? — Oui, répondit le seigneur
Tse-fan ^f Jx , si nous y trouvons notre avantage ! Et l'expédition
fut entreprise.
Le grand seigneur Loan-chou ff§ ^ voulait aussitôt se met-
tre en campagne, pour repousser les envahisseurs; le sage Han-
k'iuè %% )'$i l'en dissuada en ces termes: n'allons pas en guerre;
laissons le roi de Tch'ou combler la mesure de ses forfaits; alors
son peuple se séparera de lui, et ce sera le moment de l'attaquer.
Les trois puissants seigneurs K'i-i ffi §f , K'i-tche $|$ 3? et
K'i-tch'eou Q5 f^, par leurs calomnies, avaient enfin réussi à
causer la ruine et la mort du sage Pè-tsong f£) ^ ; ils avaient en-
suite harcelé, de la même manière, le seigneur Loan-fou-hi fp§ tffr
jgl, et venaient d'achever sa perte; Pé-tcheou-li f£ j)\ ^, fils de
Pé-tsong, ne se croyant plus en sûreté dans son propre pays,
s'enfuit à la cour de Tch'ou; nous allons bientôt l'y retrouver.
L'épouse de Pé-tsong, raconte l'historien, l'avait en vain aver-
ti du danger qui le menaçait; quand il se rendait à la cour, elle
lui avait dit bien des fois : les voleurs n'aiment pas ceux qui ont
du bien; le peuple n'aime pas ceux qui le réglementent; les four-
bes n'aiment pas ceux qui leur disent la vérité; or, vous êtes trop
droit pour vivre à la cour; vous aimez à dire le vérité toute fran-
che; certainement il vous en arrivera malheur! Le commentaire
ajoute : quelquefois, les paroles d'une femme sont à prendre en
considération ; dans le cas présent, ce seigneur eut tort de négligcr
les avis de son épouse; il aurait évité une 'mort violente (1).
(1) La famille IV' '•(ait une branche de la maison régnante; Pc-k' i fù £ti son
fondateur, était le fils d'une concubine de T'cuuj-clwu fâ ,j& (1100), et reçut son
DU ROYAUME DE TSIN. LI-KONG. 199
A la H^me iUne de cette même année 576 (septembre-octo-
bre), le grand seigneur Che Sié -J7 i§j£, avec les ambassadeurs de
Ts'i ^,de Song 5j?,<*e Wei f^, de Tcheng % et de Tel, ou %$, se
rendait auprès du roi de Ou $. à Tchong-li $|l ^| (1); de cette
manière, ce souverain à demi sauvage pouvait enfin avoir l'hon-
neur et le bonheur d'assister à une réunion de princes chinois,
c'est-à-dire de gens civilisés ; bien plus, eux-mêmes venaient chez
lui, comme chez un suzerain; pouvait-il n'être pas comblé de joie?
Pourtant, il devait y avoir un motif, et il était bien simple:
on voulait arrêter les progrès du roi de Tch'ou ^, l'empêcher de
s'étendre au nord, aux dépens des pays chinois; on choyait le roi
de Ou, son voisin, son rival, afin que celui-ci le harcelât sans
cesse au sud ; on voulait donc se servir du roi de Ou, sans pour cela
lui permettre de faire lui-même des excursions dans ces régions
septentrionales.
En 575, le prince de Tcheng ^ recommençait son jeu de
bascule, et quittait Li-kong pour se donner au roi de Tch'ou %£;
pour le punir, on ordonna tout d'abord au marquis de Wei ^j de
l'attaquer, en attendant que l'on ait mobilisé l'armée de Tsin.
Au conseil tenu par Li-kong, pour organiser la guerre, Che
Sié -jç ^ [nommé aussi Fan Wen-tse ^ï ~$£ =f-] opina comme il
suit: je serais vraiment content, si tous les vassaux nous quit-
taient en masse; alors notre souverain se mettrait à pratiquer la
vertu, ce qui serait le salut de l'état; s'il n'y a qu'une seule prin-
cipauté à se séparer de nous, elle sera bientôt abattue, et notre
amour-propre en sera encore augmenté.
En tout cas, répliqua le ministre Loan Chou fp§ |&. tant que
je serai chargé de l'administration, je ne laisserai par impunie
semblable défection ! Aussitôt l'armée fut convoquée et mise en
campagne.
Loan Chou était le généralissime, et commandait le corps du
centre; Che Sié -fc $S£ était son adjudant; Kei-i $[> if'f conduisait
l'aile droite, et son aide était Siun Yen ^ |[f fils de Si un Keng
^j J|£ ; Han K'iuê ff; ^ était à l'aile gauche.
K'i-tche ^|$ ;§? commandait les nouveaux corps d'armée; Siun
Yong ^j -|| commandait les troupes de réserve, chargées de garder
le royaume; K'i-tcli'eou J5J] 3p était envoyé à la cour de Ts'i 'fë
nom du fief Pc f£j, qui lui avait été attribué. Le seigneur Pé-tsong f|'i ^ était d'une
droiture et d'une probité remarquables: son fils Pé-tcheou-li fâ r! ^ est célèbre
par sa fuite au pays de Tch'ou 2g; il en reçut le fief de Tchong-li fifc (';;i . dont sa
famille porta désormais le nom. I.cs membres qui restèrent au pays de Tsin, s'j
tinrent cachés sous les noms de Pé $\ (au lieu de l'é fê) ct de Tsong >/;'. D'ailleurs
cette famille disparut vite de l'histoire. (Annales du Çhan-si vol. S. p. 20 i.
(1) Tchong-li était à 4 li à l'est de Fong-yang fou l§. I '" Y.1 , Nu. m
(Petite géogr., vol. 6, p. 20) — (Grande, vol. 21. p. 5).
200 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
demander un contingent de troupes auxiliaires : car on allait avoir
le roi de Tch'ou pour adversaire.
Loan-ien §|f J§|. fils du généralissime, était envoyé dans le
même but à la cour de Lou ïfi). ; il s'y montra d'une urbanité par-
faite ; aussitôt le sage Mong Hien-tse ^ |p; -^ éructa la prophétie
suivante : certainement l'année de Tsin remportera la victoire ; car
son ambassadeur est humble et exact observateur des rites.
Au jour nommé Oa-Yng ^ ji| (22 mars) on se mettait en
marchera cette nouvelle, le prince de Tcheng ||[) dépêcha un ex-
près avertir son protecteur, le roi de Tch'ou *&, qui envoya im-
médiatement ses troupes. Tse-fan ^f- J%, ministre de la guerre,
était le généralissime, et commandait le corps du centre ; Tse-
tchong ^ lg), premier ministre, conduisait l'aile gauche ; le sei-
gneur Tse-sin ^p ^ conduisait l'aile droite, qui, au royaume de
Tch'ou, cédait le pas à la gauche.
L'armée passant par le territoire de Chen ^, le généralissime
v visita un lettré en grande réputation du sagesse ; il en reçut de
salutaires avis, et même l'annonce de la défaite et de la mort qui
l'attendaient dans cette expédition. Les lettrés savent tous ces
secrets de l'avenir, par l'étude de leurs vieux livres.
A la 5èni lune mars-avril), les gens de Tsin passaient le
fleuve Jaune, et apprenaient que l'armée de Tch'ou n'était pas
bien loin : Che-sié -j^ #|£ proposa de se retirer: simulons une fuite,
disait-il, et nous diminuerons d'autant le fardeau de notre chagrin;
nous sommes incapables de retenir les vassaux sous notre dépen-
dance ; attendons qu'un autre état, meilleur que nous, se constitue
leur chef !
Che-sié était un homme éminent ; pourquoi donc paraît-il si
découragé"? la réponse est facile: cet homme de bien voyait son
pays miné par les rivalités des puissantes familles seigneuriales ;
à ce mal quasi-incurable, il ne voyait qu'un remède, les guerres,
les défaites, les calamités, qui forceraient tout le monde à laisser
de côté ses querelles particulières, pour ne plus penser qu'au salut
de la patrie; pour lui, la paix semblait un fléau; car elle permet-
tait aux différents partis de se déchirer entre eux.
Loan-chou ff§ *, le généralissime, se rendait bien compte
aussi de la situation ; il estimait son adjudant ; mais il n'entendait
pas reculer devant l'ennemi : aussi, à la 6ème lune (avril-mai), les
deux armées se trouvèrent en présence à Yen-ling j^J 1^ (!)•
Che-sié insistant de nouveau, pour qu'on se retirât sans com-
battre. KH-tche §fS ië mi nt une assez vive remontrance: A la
bataille de Ilan ^ Q'i~> , dit-il, notre prince Hoei iS n'avait pas
bien disposé son armée, et il fut fait prisonnier; à la bataille de
(1) Yen-ling était à 50 li sud-ouest de Ycn-ling hien '"! fê !|f. qui est à 160
li au sud de sa préfecture IC a v-fong fou [53 j£f rrf. Ho-nan. I Petite géogr., vol. 12.
p. 4) — (Grande, vol. 47. p. 22).
DU ROYAUME DE TSIN. LI-KONG. 201
Ki îr. (627) le généralissime Sien-tchen ffc j|£ fut tué par les
Tartares, et ne put rendre compte de sa mission ; à la bataille de
Pi #|S 597), le génécalissime Siun-ling-fou %j $v 3£ ramena en
piteux état les restes de ses troupes débandées ; voilà des hontes
infligées à notre pays ; vous connaissez l'histoire aussi bien que
moi ; voudriez-vous donc, par une fuite indigne, nous rendre la
risée des autres nations?
Che-sié répliqua : nos anciens rois avaient bien des raisons
pour livrer tant de combats ; leurs voisins les Tartares, puis les
princes de Ts'in fff.de Ts'i ^ et de Tch'ou J|, étant si puissants,
il fallait les abattre, sous peine d'être accablé par eux ; les choses
sont bien changées: trois de ces états maintenant ne sont plus à
craindre pour nous : il ne reste que celui de Tch'ou ; mais au lieu
de nous faire du tort, il nous procure de grands biens ; il nous
tient en haleine par ses attaques réitérées, et nous empêche de
nous livrer des guerres intestines. Les « saints » sont seuls
capables de gouverner un pays, sans ennemis au dehors, sans
troubles à l'intérieur; quant aux autres princes, s'ils n'ont pas de
Lcuerres avec leurs voisins, ils ont des révolutions dans leur
propre pays.
A la 6'" lune, au jour appelé Kia-ou Ep 4"" (~ avril), dès le
matin, l'armée de Tch'ou s'avançait en rangs serrés; celle de Tsin
fut un moment déconcertée par ce mouvement hardi ; Che-kai -j^
£j, fils de Che-sié. accourut alors et se mit à commander, comme
un généralissime : vite, remplissez les puits que vous aviez creusés;
détruisez les fourneaux ; rangez-vous au milieu du camp ; dans le
rempart devant vous, ouvrez une brèche, par où vous vous lance-
rez sur l'ennemi ; c'est le ciel qui va décider du sort des combat-
tants : pourquoi ètes-vous perplexes"?
Che-sié indigné de l'audace de son fils, prit une lance et le
chassa en disant: la ruine ou le salut d'un pays dépend du ciel;
un marmot comme toi peut-il y comprendre quelquechose ? pour
nous aujourd'hui, une victoire serait la perte de notre pays!
Le généralissime Loan-chou dit aux autres généraux, ses col-
lègues : l'armée de Tch'ou agit avec précipitation : attendons-la de
pied ferme; gardons bien nos retranchements; dans trois jours,
elle se retirera, de fatigue ou d'ennui ; alors nous nous jetterons
sur elle, et nous la mettrons en pièces.
Le seigneur K'i-tche -gJS ^. général des nouveaux corps
d'armée, fit aussi cette remarque : l'ennemi a six défauts dont
nous devons profiter : les deux grands chefs Tsp-tchong ^ jg et
Tse-fan ^f- JJF se jalousent, — les soldats sont fatigués du voyage,
— les auxiliaires de Tcheng fift sont rangés en mauvais ordre, —
les auxiliaires sauvages (Man || sont encore pire, — on présente
le combat sans penser que c'est un jour néfaste, le dernier du
mois, où la lune disparait. — au lieu de se ranger en bataille en
silence, les gens de Tch'ou font vacarme, et chacun regarde der-
202 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
rière soi, cherchant sans doute le chemin par où il s'enfuira.
Donc tenons ferme, et la victoire est à nous !
Cependant, le roi de Tch'ou ^ était monté sur une tour
mobile, pour observer les mouvements des gens de Tsin ; le
premier-ministre Tse-tchong ^ ^ lui envoya le grand dignitaire
Pé-tcheou-li f£j ft\ 3^, pour lui donner tous les renseignements
désirables. Le lecteur se souvient que cet homme éminent a fui
sa patrie, pour ne pas subir le même sort que son père Pé-tsong
iÙ t£ '• Ie vouà maintenant au service de l'ennemi : c'est là un
des résultats des discordes civiles.
Pourquoi court-on de tous cotés, avec tant d'empressement ?
demanda le roi. — On appelle les principaux chefs autour du
généralissime, répondit Pé-tcheou-li.
Pourquoi ce grand rassemblement au corps du centre ? —
C'est le conseil de guerre.
Pourquoi dresse-t-on une tente? — On va avec grande dévo-
tion, consulter les Esprits.
Pourquoi enlever la tente? — On va publier les ordres du
roi, présent à l'armée.
Pourquoi ces clameurs, ces nuages de poussière? — On comble
les puits, on détruit les fourneaux, afin de se ranger en ordre de
bataille.
Pourquoi ceux qui étaient sur leurs chars en sont-ils descen-
dus, les armes en main? — Ils vont écouter les ordres du géné-
ralissime.
Ya-t-on livrer bataille? — Ce n'est pas encore certain.
Etant remontés sur leurs chars, pourquoi ces hommes en re-
descendent-ils de nouveau? — Ils vont faire une prière aux Esprits,
demander la victoire.
Pendant que le transfuge de Tsin renseignait ainsi le roi de
Tch'ou, de même un autre homme, nommé Miao-pen-hoang la lit
jfl 'fils de Teou-tsiao |^J ;fcjj , transfuge de Tch'ou depuis l'année
605, renseignait Li-kong sur la conduite à tenir; c'est lui qui va
donner le meilleur moyen de vaincre l'armée de son pays.
Maintenant que le combat était quasi inévitable, on était de
nouveau perplexe au camp de Tsin ; fallait-il se lancer sur l'ennemi.
dans une sortie vigoureuse? Valait-il mieux se laisser assiéger, et
lasser, décourager les gens de Tch'ou, en restant sur la défensive?
les deux tactiques avaient leurs partisans, leurs avantages et leurs
périls.
Miao-pen-hoang intervint et dit: les meilleurs soldats sont
au centre, autour du roi ; ce sont tous des hommes de sa famille,
de son clan : choisissez donc des soldats d'élite, formez-en deux
corps, chargés d'enfoncer l'aile gauche et l'aile droite de Tch'ou.
ce qui ne sera pas d'une trop grande difficulté; cela étant accompli,
que le gros de votre année se jette en masse compacte, et avec
vigueur, sur le corps du centre; vous serez sûrs de la victoire.
DU ROYAUME DE TSIN. LI-KONG. 203
On consulta encore les sorts, par le moyen de l'achillée ; la
réponse étant favorable, il n'y avait plus lieu d'hésiter; il n'y
avait qu'à exécuter le .plan si simple, si raisonnable, donné par
le transfuge ; on se mit à l'œuvre.
Kong-hong 3t £*, le roi de Tch'ou, avait pour conducteur de
son char le seigneur P'ong-ming t^ ig ; pour lancier, le seigneur
P'an-tang fâ |g. Sur le char du prince de Tcheng JU$, le seigneur
Che-cheou >fâ "ff' était le conducteur; et le seigneur T'.nig-heou
)^ ^' Ie lancier.
Sur le char de Li-kong, le conducteur était le seigneur K'i-y
£|$ ^ aussi nommé Pou-y ^ ;§£) ; je lancier, le seigneur Loan-
hien |ff f$. Les deux clans Loart §j| et Fan fa ayant les meilleurs
soldats, étaient au centre autour du roi, et en quelque sorte sa
garde personnelle.
Devant le camp de Tsin se trouvait un bas-fond, précieux
pour la défense, maintenant défavorable pour l'attaque ; il fallait
le contourner, soit à droite, soit à gauche. Le char de Li-kong
s'y trouva embourbé, au moment décisif, c'est-à-dire quand on se
lança sur le centre de Tch'ou.
Le généralissime accourut aussitôt, priant Li-kong de monter
auprès de lui : mais son propre fils Loan-kien, le lancier, lui cria
avec indignation: vous, Chou ^, allez-vous-en donc! vous, géné-
ralissime, vous voulez encore faire le conducteur de char; n'est-ce
pas indigne? Ayant ainsi apostrophé son père, il descendit, et tira
le char de ce mauvais pas (1).
A propos de ce combat, l'historien rapporte plusieurs épiso-
des intéressants, surtout parce qu'ils montrent bien le genre des
chinois dans leurs narrations; bien rarement ils font une vraie
description de bataille; même quand il s'agit d'un fait d'armes
très-considérable et très-célèbre; ils accumulent des noms de per-
sonnages, racontent prolixement les détails de la préparation, puis
ils mettent une des armées en fuite, et tout est fini; c'est au
lecteur à imaginer le reste; il faut bien nous contenter de ce qu'ils
ont érit :
La veille même du combat, au jour Koei-<e Z£ g, 6 avril),
les seigneurs P'an-tang $§ j|é[ et Yang-yeou-ki |£ ^ ^ de Tch'ou.
voulant faire parade d'adresse et de force, avaient placé sur un
tertre une rangée de cuirasses, appuyées l'une contre l'autre, puis
ils s'étaient amusés à tirer dessus, comme sur une cible; or, d'une
flèche, ils arrivaient à en transpercer jusqu'à sept. Les spectateurs
émerveillés avaient rapporté ce fait en présence du roi, et le féli-
citaient en disant : avec de pareils archers, votre .Majesté pourrait-
elle hésiter à livrer bataille? — Voilà des gens sans intelligence,
(1) Cette apostrophe du lils à son père est un trait de mœurs; plus il est
violent et grossier dans ses paroles, plus il se montre respectueux envers le roi,
dont il défend ou est censé défendre l'intérêt.
2Ô4 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
avait répondu le roi, ils n'estiment que la force; c'est une honte
pour notre royaume! Et au lieu de féliciter les archers, il leur
avait dit : demain, votre si grande adresse sera la cause de votre
mort (1)! Parole dite pour mettre à sa place la force corporelle,
qui voulait prévaloir sur la force intellectuelle.
Le seigneur Wei-i f!| f|f [aussi nommé Liu-i g £$f\ était un
archer fameux au pays de Tsin; quelque temps avant la bataille,
il avait en songe tiré sur la lune, l'avait atteinte, puis était lui-
même tombé dans un bourbier; intrigué de ce songe, il en avait
demandé l'explication à un devin, et celui-ci lui avait répondu
comme il suit : La famille impériale, du nom de Ki $Jg, est repré-
sentée par le soleil ; les autres familles princières sont représentées
par la lune; votre songe signifie, sans aucun doute, que vous
blesserez le roi de Tch'ou ; mais ensuite vous tomberez dana un
bourbier où vous serez tué. Encore une prophétie bien précise;
nous allons la voir s'accomplir (2) :
Pendant la bataille, Wei-i visait surtout les grands person-
nages; de fait, il blessa le roi de Tch'ou à l'œil; celui-ci appela
Yang-yeou-ki ^ j£j ^, lui donna deux flèches, en disant : tuez-
moi cet homme! Du premier coup, Wei-i fut frappé à la nuque,
tomba à la renverse, et roula jusqu'à, terre ; Yang-yeou-ki rendit
l'autre flèche au roi en disant : votre Majesté est vengée.
K'i-tche £5 ?£ , général des nouveaux corps d'armée, rencon-
tra le char royal de Tch'ou jusqu'à trois fois pendant la bataille;
trois fois il descendit de char, enleva son casque en signe de res-
pect pour le roi, puis partit comme le vent dans une autre direction.
Nous avons déjà vu ailleurs semblable marque de vénération envers
la Majesté royale; celle-ci ne nous surprend plus si fort; la suite
est encore plus curieuse :
(1) Les cuirasses n'étaient point celles de nos chevaliers du moyen-âge; c'était
plutôt une cotte de mailles, ou bien une sorte de plastron en bois, en cuir, ou en
ouate recouverte à l'extérieur d'une toile huilée ou vernie : rarement peut-être en
tôle ou en fer — Le nom de Yang-yeou-ki, lui venait du lieu de sa naissance, sur
les bords de la rivière Yang-chouei §| fc. au sud-ouest de Kia-kien $$ $£ , ville
située à 90 li sud-est de Jou-tcheou \k ')'\'\, llo-nan. (Grande gèogr., vol. 31.11. 41).
P'an-tang, dont nous avons déjà vu le nom autrefois, était lils du seigneur
P'an-wang ni? jg.
(2) La famille Wei §!>, une des plus puissantes de Tsin, lirait son nom du
fief Wei, qui était à 7 li nord-est de Joei-tch'eng hien ..(] i$ |p. cette dernière ville
esta 90 li sud-ouest de Kiai-tcheou ffi H'. Chan-sT. Nous verrons cette famille.,
d'accord avec celles de Tchao û et de /fan $#, diviser le pays de Tsin en trois paris.
et ériger la sienne en royaume. (Petite géogr., ool. 8, p. 42) — (Grande, roi. 41.
p. sa) — (Annules du Chcm-si, ool. 8, p, 21).
DC ROYAUME DE TSIN. LI-K0NG. 205
Le roi de Tch'ou. flatté de ces marques de respect, envoya le
dignitaire Siang jj|. directeur des travaux publics K'ong-yng X
)t . remettre à K'i-tche un arc d'honneur, et il ajouta ces paroles
élogieuses : ce seigneur aux guêtres de cuir rouge, qui, au fort de
la mêlée, s'expose ainsi pour observer les rites et saluer un roi, est
sans doute un sage ; vraiment je serais désolé s'il venait à être
blessé !
K'i-tche voyant arriver le dignitaire, descendit de char, enle-
va son casque, écouta le message, et répondit: veuillez m'excuser.
si moi, ministre d'un roi étranger, suivant mon maître au combat.
et gêné par mon armure, je ne me prosterne pas à terre pour re-
cevoir humblement vos ordres. Ayant ainsi parlé, il joignit les
mains, et les inclina autant que possible jusqu'à terre-, puis il
repartit au combat.
Encore une prouesse dans le même genre: Han-k'iuè $j£ j^
ayant rencontré le char du prince de Tcheng g£. son conducteur
nommé Tou-hoen-louo ^£ j[f} J§: lui disait: hâtons-nous de le
poursuivre ; son conducteur regarde toujours par derrière, et ne
fait pas attention à ses chevaux; certainement nous l'atteindrons.
— Non, répondit Han-k'iué ; à la bataille de Ngan j^. j'ai déjà eu
tort de poursuivre un prince; je ne veux pas renouveler ce crime!
Encore: le seigneur K'i-tche £[) ^E. à son tour, remeontra le
prince de Tcheng ; Fei-han-hou ^ ^ j^j lui dit : envoyez quelques
troupes légères lui barrer le chemin ; je pourrai alors monter sur
son char, et le faire prisonnier. — Non, répondit K'i-tche; car qui-
conque fait du mal à un souverain, en sera châtié par le ciel! Et
lui aussi cessa toute poursuite.
Le seigneur Che-cheou ^ ~|f", conducteur du prince de Tcheng,
dit à son souverain: en 660, le marquis de Wei '$] fut vaincu,
pour n'avoir pas assez tôt replié son drapeau ; de suite il ramassa
le sien, et le remit dans sa gaine. Sur ce, le seigneur T'ang-keou
JH^, le lancier, dit à Che-cheou : nous sommes en grand danger;
si l'on s'emparait de notre prince, le désastre serait encore plus
lamentable ; fuyez, mettez en sûreté la personne de notre souverain;
moi je vais rester ici, arrêter quelque temps la poursuite de l'en-
nemi. Ayant ainsi parlé, il descendit de char, supporta vaillam-
ment le choc des gens de Tsin, et ne succomba que quand son
maître était hors de danger.
L'armée de Tch'ou, pendant ce temps, avait été poussée dans
une impasse. Alors le seigneur Chou-chan-jan ^ [Jj }ij dit à
Yang-yeou-hi ^ j|j ^, le fameux archer: maigre les graves paro-
les de notre roi, il faut cependant, vu l'extrémité où nous sommes
réduits, faire usage de votre talent; il s'agit du salut commun.
Yang-yeou-ki se mit à l'œuvre; chaque flèche abattait un homme.
De son côté, Chou-chan-jan ayant saisi un soldat de Tsin. à bout
de bras, le lança sur un char ennemi, avec une telle force, que la
traverse fixée à l'avant du char en fut rompue.
206 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
A la vue de ces coups d'adresse et de force, l'armée de Tsin
resta interdite ; elle cessa la poursuite des fuyards ; elle se contenta
d'avoir fait prisonnier le prince Fei ^ propre fils du roi de
Tch'ou. Un avait commencé la bataille dès le matin ; la nuit était
venue, les étoiles brillaient, et Ton se battait encore.
Voici un dernier épisode de ce combat homérique: Sur le
char de Li-kong, le lancier était Loan-kien f|£ f$, fils du généra-
lissime, comme nous l'avons dit ; ce seigneur apercevant, à quel-
que distance, le guidon du premier ministre de Tch'ou @, dit à
Li-kong: quand j'étais ambassadeur dans ce royaume, Tse-tchong
~f jff me demanda en quoi nous mettions le point d'honneur ; je
lui dis que c'était dans l'ordre parfait de l'armée; il me demanda
si c'était tout ; je répondis qu'il fallait de plus montrer le sang-
froid le plus tranquille, au plus fort de la mêlée. Que votre Ma-
jesté veuille donc me permettre d'envoyer à Tse-tchong un verre
de vin, pour faire honneur à ma parole, et lui montrer que je n'ai
point oublié notre entretien. Li-kong le lui permit.
Loan-kien dépêcha un de ses hommes, avec le message suivant:
mon humble prince, m'ayant, faute de mieux, placé à ses côtés
sur son char, je ne puis aller en personne saluer votre seigneurie ;
c'est pourquoi j'envoie un de mes compagnons d'armes vous offrir
ce raffraichissement.
Tse-tchong répondit : je vois que votre maitre a gardé souve-
nir de notre conversation à la cour; je l'en félicite! Il but le vin,
remercia le messager, puis se remit à battre le tambour, ce qui
alors équivalait à sonner la charge.
Le lecteur n'est pas obligé de faire un acte de foi, devant ces
prouesses de galanterie, qui dépassent de bien loin celles de nos
preux chevaliers d'autrefois; si elles sont véridiques, elles prou-
vent que la mêlée de ces temps-là ne ressemblait pas non plus à
celle où nos héros bardés de fer, frappant d'estoc et de taille, cou-
raient sus aux Sarrazins.
Quoi qu'il en soit, Tse-fan J- ^,le généralissime de Tch'ou,
en ralliant ses troupes débandées, avait donné ordre de remplir
les cadres, de réparer les chars et les armes, de prendre la nour-
riture avant le lever du jour, et de se tenir prêt à tout le lende-
main.
Cette nouvelle découragea l'armée de Tsin, qui se croyait
victorieuse; fallait-il donc recommencer de nouveau le combat,
comme si rien n'eût été tait! Miao-pen-hoang fë ^ |g., le trans-
fuge de Tch'ou, sauva encore la situation; il dit au généralissime :
proclamez un ordre du jour semblable à celui de Tch'ou ; puis
lâchez quelques prisonniers, qui ne manqueront pas de rapporter
à leurs camarades et à leurs chefs, que vous -préparez toutes cho-
ses (joui- le combat de demain; vous verrez quelle panique va se
produire Là-bas !
On suivit ce conseil. Le roi de Tch'ou fut bientôt averti de
DU ROYAUME DE TSIN. LI-KONG. 207
ce que racontaient les prisonniers libérés, il en fut effrayé; blessé
comme il l'était, il redoutait une seconde défaite plus grande que
la première ; il fit ap'peler le généralissime Tse-fan ^ Jjf, pour le
consulter sur le parti à prendre ; mais celui-ci étant ivre ne put
se présenter : C*est le ciel qui veut Dotre perte, s*écria le roi , il
ne faut pas rester plus longtemps ici ! et il donna ordre de se
retirer cette nuit-là même.
Les gens de Tsin étaient en grande liesse, le lendemain: ils
trouvèrent dans le camps abandonné, de quoi faire bombance pen-
dant trois jours. Leur victoire n'était cependant pas très-brillante ;
ils la devaient en bonne partie au découragement du roi deTch'ou:
les officiers le comprirent ainsi ; c'est pourquoi Che-sie -_f; fifk disait
en public à Li-kong : votre Majesté est bien jeune, et nous autres,
ministres et généraux, nous sommes bien incapables; comment
avons-nous la victoire? que votre Majesté ne s'en orgueillisse pas!
Le livre des annales 1) nous donne ce grave avertissement : le
mandat du ciel rie^t pas irrévocable; il faut donc s'appliquer à la
vertu pour affermir son trône.
A la 7ème lune de cette même année 575 (mai-juin), Li-kong
réunissait quelques vassaux en conseil, à Cha--<0"ri f>p g|| 2 .
sur le territoire de Song 5^ ; il s'agissait toujours de punir le
prince de Tcheng ftj$, cause de la guerre, ou plutôt de l'unique
bataille qui venait d'avoir lieu. A cette assemblée, se trouvaient
présents les princes de Ts'i ^|, de Wei Hj. de Tchou Jj$, avec
l'ambassadeur de Song.
Le duc de Lou Hf» s'y présenta; au lieu d'y être admis, il fut
encore une fois mis en réclusion ; fait que Confuciùs se garde
bien d'inscrire dans sa chronique. Mais quelle était la raison de
ces rigueurs envers ce prince, la fine fleur des souverains chinois"?
la voici : Sa propre mère, nommée Mou-kiang ¥£■ H?-, vivait en
désordre avec un certain seigneur nommé Siuen-pè i( fg ou K'iao-
jou fH %[] : celui-ci, à ses autres crimes, ajouta celui de calomnia-
teur ; il dit au seigneur K'i-tch'eou ffi *p : notre duc n'a pas pris
part à la bataille de Yen-ling i|[) §j| : il s'est tenu à Hoai-toue,i j$
PU (3), attendant qui des deux rois serait vainqueur. Or K'i-
tch'eou était général des nouveaux corps d'armée, il était le chef
des branches latérales de la famille régnante, il était encore le
président des vassaux situés à l'est de Tsin : c'était donc un per-
sonnage puissant, sa parole devait faire autorité ; le calomniateur
le savait bien; aussi il envoya force cadeaux pour faire accepter
(1) Chou-king "3j; £2, [Zottoli, III. p. 443) — (Couvreur, p. 244, »'
(2) Cha-souei était à 6 li nord-ouest dr Ning-ling hien 3§! fë !$f;, qui est
li à l'ouest de sa préfecture Koei-té fou %% fê, /?T. Ho-nan. l'élite géogr., vol. ri,
p. 121 — Grande, vol. jo, p. -
■ (3) Hoai-touei, son emplacement est inconnu.
208 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
sa délation. Le grand seigneur n'eut pas honte de se laisser
corrompre, et de se faire le porte-voix de ce vilain sire. Toutefois,
le duc finit par se disculper, et fut mis en liberté (1).
Sur ces entrefaites, les gens de Ts'ao ^ priaient Li-kong de
leur rendre leur prince Tch'eng-kong jfc fè, ce fratricide que l'on
avait saisi et confié à l'empereur. On trouva encore moyen d'ar-
ranger cette affaire, sans léser la vertu évidemment ; et l'on plaça
officiellement sur le trône, celui qu'on en avait arraché comme
un infâme usurpateur.
La conclusion de l'assemblée des vassaux avait été l'envoi
d'une armée contre le prince de Tcheng f|f$ ; cette fois le duc de
Lou v était, avec son contingent de troupes auxiliaires ; mais on
s'en retourna sans avoir rien fait ; on s'en vengea en mettant en
prison à T'iao-h'iou ^ Jrj) (2) le seigneur de Lou, Ki-suen-hang-
fou $^, fî 3^' toujours à cause des délations du calomniateur
Siuen-pé jjf f£j. Les troubles n'étaient pas petits auparavant,
dans ce duché modèle ; ce fut bien pis après cette arrestation ; en
vérité, le prince n'était pas à son aise !
A la 12èine lune, ce même seigneur Ki-suen-hang-fou et le
seigneur K'i-tch'eou, chacun pour le compte de son maître,
signaient un traité d'alliance et d'amitié, aussi sincère, aussi
éternel que tous les précédents ; c'était une comédie à l'usage des
princes de cette époque.
A la fin de cette même lune (octobre-novembre), Li-kong
députait le seigneur K'i-tche $fr tg offrir à l'empereur le butin
fait à la bataille de Yen-ling f$ §|. Il paraît que dans ses con-
versations avec le grand ministre Chen-siang-kong ïp. || ^, ce
seigneur ne cessa de vanter ses hauts faits ; le ministre l'écouta
sans doute avec patience ; mais ensuite il dit à son entourage : le
seigneur K'i-tche ffi jf> finira mal, et très-prochainement. Parmi
les généraux, il n'a que le huitième rang (3), et il prétend effacer
tous ceux qui sont au-dessus de lui en grade et en mérite ; ignore-
t-il que les ressentiments accumulés contre quelqu'un, finissent
par causer sa perte? son orgueil lui suscite partout des ennemis;
comment pourrait-il rester encore longtemps à un poste élevé?
Le livre des annales (4) nous donne cet avertissement: n'attende:
(1) La capitale du fief de ce grand seigneur K'i-tch'eou était à l'endroit où se
trouve maintenant Ling-fen hien !..',' & ?| dans la préfecture de P'ing-yong fou -f-
|!|, fff. Chan-si; on y a élevé un Kiosque commemoratif, appelé Tch' eou-cke-ting
W i-r< "',''■ ( Voyez le recueil intitule Lou-che £§ $£., vol. 2, p. 21).
(2) T'iao-k'iou, emplacement inconnu.
(3) Le général «les nouveaux corps d'armée (Sm-kiun ffH 1^), était inférieur
aux généraux des trois corps anciens, et même à leurs adjudants: il avait donc le
7eme rang ; son aide avait le 8eme, et son titre était tsouosiiv-kiun fe 5$r !Ç.
(4) Chou-king S $§. (Couvreur, p. çs- n° s)-
DU ROYAUME DE TSIN. LI-KONG. 209
pas que les plaintes éclatent au grand jour, et précipitent les
événements ; veillez à ce qu'elles n'aient pas lieu de se produire.
Ainsi nous devons pr-endre garde aux germes de ressentiments,
encore imperceptibles; et les colères contre cet homme éclatent au
grand jour; comment échapperait-il à son mauvais sort? — Der-
nière Jérémiade à l'adresse de fa famille K'i ^|$, dont les malheurs
sont imminents. —
En 574, au début de l'année (vers Novembre), Pé-kong-kouo
4b c!T W seigneur de Wei fëj, conduisait des troupes contre l'ar-
mée de Tcheng ff^, qui avait osé envahir le pays de Tsin, et
s'était avancée jusqu'aux villes de Hiu ^ et de Houa $f* (1).
Mollement attaqué par l'armée fédérée, le prince de Tcheng s'était
imaginé qu'on avait eu peur de lui, et s'était lancé lui-même sur
le pays de Tsin ; le marquis de Wei $j, pour rendre service à son
suzerain, avait envoyé des troupes barrer le passage aux envahis-
seurs, et celles-ci s'étaient avancées jusqu'à la ville de Kao-che
m & (2)-
Le prince de Tcheng ||j$ envoya son fils le prince héritier,
avec un autre grand seigneur, comme otages à la cour de Tch'ou
*g, pour en obtenir de nouveaux secours. Il n'attendit pas long-
temps, car le roi de Tch'ou dépêcha deux de ses fils, avec des
troupes, garder la capitale même de Tcheng.
L'armée de Tsin n'était pas encore convoquée. Vers le mois
d'avril, Li-kong réunissait encore une fois les vassaux, pour le
même sujet, la punition de ce prince de Tcheng qui parvenait
toujours à échapper. A cette assemblée, présidée par les deux-
ministres impériaux Yng-ou-Uong ffr ^ Q et Chen-siang-kong
Jp. ;j| /gv, étaient présents les princes de Ts'i ^, de Lou ^, de
Song 3c, de Wei Hj.de T>;'ao ^ et de Tchou %$ ; le congrès avait
lieu à Ko-ling 1$ |S£ (3).
A la *r "" lune, au jour i-you £, |f (23 mai), on jura solen-
nellement un traité d'alliance et d'amitié ; l'armée fédérée fut
bientôt en marche, s'avançant par le territoire de Hi-tong J§£ j||
jusqu'à K'iu-wei fjjj jfê (4) ; mais elle revint sur ses pas sans
achever la campagne, on ne dit pas la raison de cette retraite ;
(1) lliu était près de Iloua; mais on en ignore l'emplacement exact.
Houa ou fleou-efte-teft'eng f;f£lv.ft? était à 20 li au sud de \rcn-che hien
qui est à 70 li à l'est de sa préfecture Ho-nan fou v"F]%'SF, Ho-nan. (Petite géogr..
vol. 12, p. 34) — (Grande, vol. 48, p, 26).
(2) Kao-che était au sud-ouest de l'ancienne ville Yang-tt Hflf?, actuellement
Yu-tcheou T$- :H'I, qui est à 320 li sud-ouest de sa préfecture K'ai-fong fou [!fl ït fl-F ■
Ho-nan. (Grande géogr., vol. 47. p. si).
(3) Ko-lina:, on en ignore l'implacement exact; on sait seulement qu'elle était
à l'ouest du pays de Tcheng '%. Ainsi l'édition impériale (ajino 57 i
(4) lli-tong. Ce territoire était situé autour de la montairne Feou-hi-chan Y}
27
210 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
n'était-ce pas la présence des troupes de Tch'ou? Cela est proba-
ble ; mais le prince de Tcheng avait aussi fait un semblant de
soumission, et avait berné les alliés.
Ici, l'historien rapporte qu'après la victoire de Yen-ling ^
H|, le sage Che-sié -j^ ^ ordonna au préposé du temple de ses
ancêtres d'offrir des sacrifices, afin d'obtenir pour lui une prompte
mort : Notre souverain, ajoutait-il, était déjà par nature assez
hautain et extravagant ; après cette victoire, sa tête paraît
encore plus déséquilibrée ; bientôt de lamentables calamités vont
fondre sur notre pays ; si quelqu'un m'aime, qu'il prie le ciel de
m'épargner la vue de ces malheurs ; ce sera pour moi un grand
bienfait.
Encore un peu, et nous allons voir en quel triste état se
trouvait le pays de Tsin, sous un tel souverain; nous ne serons
plus étonnés du dégoût, du découragement exprimé par cet hom-
me de bien. De fait, à la 6ème lune, au jour ou-chen jrj£ fë (6
mai), ce grand seigneur avait cessé de vivre. Quelques rares au-
teurs, comme les commentaires de Tou-linç] i^ ^, prétendent
qu'il s'était suicidé; mais il n'y a aucune preuve à cette assertion;
il n'y a même aucune probabilité, vu la longue et honorable car-
rière fournie par ce haut dignitaire ; aussi cette opinion a trouvé
peu d'adhérents.
A la 10ème lune (août-septembre), l'armée fédérée reprenait
les hostilités contre le pays de Tcheng fîj) , au jour appelé heng-ou
$î £f- (5 septembre) elle commençait le siège de la capitale, mais
voyant les gens de Tch'ou 5§§ arriver au secours, elle se retira
sans avoir obtenu aucun résultat.
Nous voici arrivés au moment prédit par nos lettrés-prophè-
tes ; c'est maintenant que les calamités vont assaillir le pays de
Tsin. Li-kong était un prince extravagant et dissolu ; il n'aimait
autour de soi que les frères et cousins de ses concubines, c'étaient
ses favoris et ses intimes. Après la victoire de Yen-ling jjfft |§t, il
se crut assez fort pour éloigner de la cour les grandes familles
seigneuriales, et les remplacer par ses créatures.
L'un de ses préférés était le seigneur Siu-tong ^ f§| ; son
père Siu-kco ^ j£ avait été évincé par K'i-k'iué $|] jîj&, en 601,
comme nous l'avons alors raconté ; la haine contre la famille K'i
'$$ n'était pas éteinte, loin de là! on se la transmettait de père en
fils, comme un héritage ; aussi Siu-tong. se voyant en faveur, va-
t-il chercher et trouver l'occasion pour une vengeance éclatante (1).
JgJ llj- dans la sous-préfecture actuelle de Fan-chouei JE 7.R. qui est à 120 li ù
l'ouest de sa préfecture K'ai-fong fou ^ JJ îf.f. Ho-nan. Petite géogr., vol. 12 p.
10) — [Grande, vol. 47. p. 63).
K'iu-wci. r'est Weir-tchoan hien f^Jljlff, à 150 li sud-ouest de K'ai-fong fou.
[Petite géogr., vol. /_'. p. 4) — Grande, vol. 47. p. 22).
(1) On se souvient que le seigneur Sut — tchen 'jÇ f§ avait accompagné en exil
DU ROYAUME DE TSIN. LI-RONG. 211
Y-yang-ou ^ ^ {£ était aussi un des favoris de Li-kong;
lui aussi détestait la famille K'i parceque le seigneur Kci-i ffi |^
lui avait arraché des 'terres.
Un troisième ennemi était Tcha.ng-iu-kia.0 -J^ fâ jfâ, autre
intime de Li-kong; le seigneur K'i-tch'eou £[> J|Ë lui avait aussi
arraché des terres ; et même il l'avait fait lier, avec son père, sa
mère et ses enfants, au timon de sa voiture (1); cette conduite
l'avait rendu extrêmement odieux au peuple ; l'affaire avait été ar-
rangée, mais la haine était aussi vive qu'aux premiers jours.
Le plus redoutable adversaire était le premier ministre Loan-
chou ff£ f!j lui-même; il détestait le seigneur K'i-tche §|$ ^, par-
ce que celui-ci, à la bataille de Yen-ling ,||J [^, avait contrecarré
ses plans, avait entraîné l'armée au combat, au lieu de rester
dans le camp, et d'y lasser les troupes de Tch'ou $£; la victoire
avait semblé donner raison au général récalcitrant ; le premier
ministre voulait à tout prix le faire dégrader ; il eut recours à une
infâme calomnie :
On se souvient qu'à cette bataille, le prince Féi ^1, fils du
roi de Tch'ou, avait été fait prisonnier et conduit à la cour de
Tsin ; le premier ministre suborna ce captif, et lui dicta l'accusa-
tion suivante pour Li-kong: «c'est K'i-tche qui a engagé mon
père à livrer combat, avant l'arrivée des troupes de Ts'i^,de hou
^ et de Wei $j, avant même que votre armée ne fût prête; nous
serons vaincus, disait-il à mon père, c'est ce que je veux ; alors
je pourrai faire venir le prince Suen-tcheou fâ fë\, qui est près de
l'empereur, je le placerai sur le trône, et nous nous rangerons
sous votre suzeraineté.'»
Cette délation, venant d'une telle bouche, fit grande impres-
sion sur Li-kong ; avant de rien décider, il voulut avoir l'avis du
premier ministre ; le piège réussissait donc à souhait: Croyez-vous,
demanda Li-kong, à la vérité de cette accusation? — Assurément!
le prince Tchong-eul 1|| Jf- devenu plus tard le roi Wen-kony 3>C 5V : cette famille
l'ut donc une des principales du pays; ses membres eurent toujours de hautes digni-
tés, sans arriver à celle de premier ministre. Siu-kia ffî ^, fils du précédent, fut
l'aide du général du 3cme corps d'armée; Siu-k'o 'jpjj'- ]£, son fils, devint ministre
d'Etat (K'ing JjjJ) ; Siu-tftng est auprès du souverain, comme un grand personnage;
nous allons voir sa fin tragique. Les Siu sont encore longtemps mentionnés dans les
annales de Tsin. (Annales du Chan-si, vol. S. p. 22).
(1) Le caractère Yitcn WL signifie bien timon (ou limon) de voiture; mais,
devant le palais des grands seigneurs il y avait alors, comme maintenant, deux
mâts qui peuvent avoir ce nom ; il semble plus naturel que cette famille ait été
enchaînée à l'un de ces arbres, à la façon de ceux qui portent la cangue et un écri-
teau à la porte des tribunaux; c'était déjà assez infamant pour de telles gensl —
Il faut aussi noter ce qui suit : plus tard, les seigneurs ayant perdu le privilège du
char, donnaient à ces mats la forme d'un timon, pour en rappeler le souvenir.
212 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
répondit Loan-chou ; s'il n'avait pas agi de cette sorte, K'i-tche
serait mort sur le champ de bataille, ou il aurait été fait prison-
nier, quand il fut entouré par les gens de Tch'ou ; au contraire, il
en a reçu un arc d'honneur. Du reste, votre Majesté peut se pro-
curer une preuve, en députant K'i-tche à la cour impériale, et en
s'assurant s'il y est en relations avec le prince Suen-tcheou.
Li-kong n'avait aucune raison de se défier du premier minis-
tre ; il ne pouvait soupçonner qu'un exprès allait partir à l'avance,
inviter ce même prince Suen-tcheou à se rendre chez K'i-tche,
quand il arriverait à la cour. Li-kong députa donc K'i-tche auprès
de l'empereur, et le fit surveiller par un espion ; celui-ci n'eut pas
de peine à constater les allées et venues du prince, et ses rapports
avec l'ambassadeur. Li-kong fut persuadé de la trahison, et réso-
lut de la punir, mais il dissmula pour quelque temps.
Un jour, le même K'i-tche se rendait au palais, offrir à Li-
kong un beau sanglier ; l'eunuque Mong-tchang jg ïjj| le lui
enleva en chemin ; furieux de cette impudence, le seigneur déco-
cha une flèche, et tua le ravisseur. Li-kong feignit de croire que
K'i-tche avait été l'agresseur, et s'écria d'un ton sévère devant son
entourage : cet homme vient donc m'insulter dans mon palais ?
Le pauvre dignitaire aurait dû s'apercevoir qu'il était mal en
cour, et s'en éloigner à temps.
Quand Li-kong voulut commencer la guerre aux grandes
familles, Siu-tong lui donna le conseil suivant : commencez donc
par celles des K'i $|$ ; elles sont puissantes, il est vrai, mais elles
sont détestées ; personne ne les soutiendra, et tout le monde vous
approuvera. Cet avis plut à Li-kong, et il se prépara de suite à
l'exécuter.
Mais les K'i en eurent bientôt connaissance ; ils réunirent
un conseil de famille, pour examiner les moyens de conjurer le
péril. K'i-i ffi §£j proposa d'aller attaquer Li-kong dans son
palais : peut-être sera-ce ma mort, ajoutait-il, du moins je me
serai vengé.
K'i-tche ffi g? répondit en philosophe : ce qui recommande
un homme, c'est la loyauté, la sagesse, le courage. Un homme
loyal ne se révolte pas contre son souverain ; un homme sage ne
nuit pas au peuple ; un homme courageux n'excite pas de trou-
bles ; si notre famille perd ces trois vertus, qui donc sera pour
nous ? si par cet acte de violence nous augmentons le nombre de
nos ennemis, quel profit en aurons-nous ? Quand un prince met à
mort un officier, celui-ci n'a qu'à se taire ; de quoi se plaindrait-
il ? Si nous sommes coupables, la punition nous atteint bien
tard ; si nous sommes innocents, c'est la ruine du roi ; il perdra
l'affection de son peuple, et n'aura plus de repus sur son trône.
Attendons notre sort, c'est ce qu'il y a de mieux à faire. Nous
avons longtemps joui des faveurs de notre prince ; grâce à ses
bienfaits, notre lamille est devenue illustre, et nous avons un
DU ROYAUME DE TSIN. LI-KONG. 213
parti puissant pour nous ; mais soulever une rébellion pour sau-
ver notre vie, ce serait le plus grand crime ! La famille se
langea à cet avis., et attendit les événements.
Au jour appelé jen-ou -ff ^p (16 novembre), les deux favoris
Siu-tong et Y-yang-ou conduisaient huit cents hommes, couverts
de cuirasses, à l'attaque de la famille K'i £|$. Le favori Tchang-
yu-kiao -g f§ $p| conseillait d'emmener moins de monde, pour ne
pas attirer l'attention. Li-kong lui-même envoya un quatrième
favori les aider dans leur besogne ; celui-ci se nommait Tsing-
fei-foei gf ffî $|.
Tous ces hommes, retroussant leurs habits et prenant leurs
lances, simulèrent une rixe, et entrèrent ainsi en tumulte dans le
palais de la famille K'i, laquelle n'avait pas compris la ruse ; ils
trouvèrent les trois seigneurs K'i-i $[$ f^, K'i-tch'eou ffi ^L et
K'i-tche £1$ ]g réunis en délibération dans la salle des armes.
A coups de lance, Tchang-yu-kiao tua les deux premiers ; le
gème s'écria ; vous ne montrez pas l'ordre du roi, avant de nous
massacrer ! fuyons ces assassins, et cachons-nous ! Mais Tchang-
yu-kiao le poursuivit, l'atteignit, et le tua au moment où il mon-
tait sur son char ; les trois cadavres furent apportés en triomphe,
et exposés dans la cour de Li-kong, pour terrifier ceux qui ose-
raient prendre parti pour les victimes.
On ne s'arrêta pas en si beau chemin ; Siu-tong et ses sbires
s'emparèrent du premier-ministre Loan-chou fHf!^, et du seigneur
Siun-hien-t*e 1=5 S "?> dans le palais même de Li-kong.
Tchang-yu-kiao voulait aussitôt les massacrer : si nous ne
tuons encore ces deux-là, disait-il, notre prince en aura malheur !
Li-kong s'y opposa en disant : nous avons déjà exterminé trois
ministres en une seule journée ; il me répugne d'en ajouter
encore deux.
Tchang-yu-kiao insistait : il ne leur répugnera pas de \ous
tuer vous-même ! disait-il ; les anciens nous ont enseigne qu'aux
hostilités du dehors, il faut opposer la vertu : aux trahisons du
dedans, il faut opposer la sévérité ; en massacrant les trois autres,
vous n'avez pas encore montré de la vertu ; en épargnant ceux-
ci, vous ne montrez pas de sévérité ; bientôt tous vos ennemis du
dehors et tous les traîtres de l'intérieur vont fondre ensemble sur
vous ; ainsi je ne veux pas rester plus longtemps ici ! Ayant
ainsi parlé, il se retira chez les Tartares Ti Jft. —
Li-kong fit relâcher les deux ministres, en leur faisant dire :
sa Majesté ne voulait punir que la famille K'i $} : vos seigneuries
n'ont rien à craindre, et n'ont qu'à continuer à gérer leur office.
A ces paroles, les deux ministres se prosternèrent, frappant
deux fois la terre de leur front, et s'écrièrent : sa Majesté a puni
des coupables, et a bien voulu nous épargner ; c'est une grâce
insigne qu'elle nous accorde ; pourrions-nous jamais l'oublier !
sur ce, ils retournèrent à leurs palais, la rancune dans le cœur.
214 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Après cette exécution, Siu-tong ^ î§| fut nommé grand
ministre d'Etat. Peu après cet événement, Li-kong se trouvait
en promenade chez un de ses favoris, nommé Tsiang-li g j^jj,
dans la ville de I f| (1) ; il ne s'imaginait pas quelle rage le
danger couru avait excitée chez les deux ministres libérés.
Loan-chou f|§ If et Siun-hien-tse ^ Jjjfc ^ profitant de cette
sécurité, s'emparèrent de Li-kong et le tinrent en prison. Ils
invitèrent le seigneur Che-hai J^ t^ à lui donner le coup de la
mort ; celui-ci refusa : ils invitèrent pareillement le seigneur
Han-h'iuè $L Jijfc qui leur répondit : j'ai été élevé dans la famille
Tchao ^ ; malgré la reconnaissance que je lui dois, je n'ai pas
voulu tirer l'épée contre notre souverain, quand on mit à mort les
deux seigneurs Tchao-l'ong %$ |p] et Tchao-kouo jH Ifê (583 1.
Un ancien proverbe dit «personne n'aime à tuer un vieux bœuf»,
à plus forte raison s'il s'agit d'assassiner un roi ! Vos seigneu-
ries n'ont pas su servir à souhait leur monarque ; à cette heure,
que voulez-vous de moi ?
A la lune intercalaire, au jour appelé i-mao £ l)\l (19
décembre), Loan-chou et son collègue massacraient Siu-tong ^
J|, celui-là même qui les avait arrêtés, quelques jours auparavant.
En 573, 5 jours après le nouvel an (24 décembre), les deux
ministres envoyaient enfin le grand officier Tcheng-houa jg rjf
tuer Li-kong, et l'enterrer en dehors de la porte orientale de la
môme ville de / J|, où il avait été pris. L'historien ajoute que
l'enterrement ne fut pas briil i:it ; on le conçoit ! il n'y eut
qu'une seule voiture, au lieu 1: sept que l'étiquette voulait pour
les rois (2).
Parmi les extravagances imputées à Li-kong, le même histo-
rien note celle-ci : Quand il était à la chasse, il emmenait avec
lui ses concubines ; et après avoir lui-même tiré sur le gibier que
les batteurs amenaient à portée de sa flèche, il passait l'arc à ces
dames, au lieu de le tendre à ses grands dignitaires. De même,
au festin de réjouissance, après avoir bu lui-même, il passait
(1)1 était à 15 li sud-est de I-tch'eng hien M. ^ !gg qui est à 130 li sud-est
de sa préfecture P'ing-yang fou ^f- [?§ f(f, Chan-si. (Petite géogr., vol. S, p. 10) —
/Grande, vol. 41. p. 12:. C'est aussi le nom de l'ancienne capitale Kiang.
(2) Le recueil Ta-tsing i-tong tche ^ ïn — #C Sa, vol. 99, p. S, dit que le
tombeau de Li-kong est à 16 li sud-est de I-tch'eng hien; il n'avait que 16 pieds de
haut, comme celui d'un manant : parce que ce prince avait mal régné. Le tombeau
du glorieua Wen-hong 3t ÎJ, son ancêtre, avait cent pieds de haut. (Annales du
Chan-si. vol. jo. p. 26).
Le tombeau de K'i-k'iué §ft S0t (ou K'i-tch'eng-fse §B j£ J-) dont nous avons
tant parlé, sous les ans Hoei-kong $S Â (650-o37) et Siang-kong S "5J (627-621 li
est g 70 li à l'est de Ngo-yang hien Uj |:" SI qui est à 110 li nord-est de sa pré-
fecture P'ing-yang fou. (Mêmes annales, même volume, p. 27).
DU ROYAUME DE TSIN. LI-KO>iG. 215
encore la coupe à ces dames, et brûlait la politesse à ses minis-
tres, en dépit de l'étiquette de ces temps-là. S'il n'eût commis
que des crimes de ce genre, il est probable qu'il fût mort d'une
façon moins tragique !
Après s'être débarrassés de Li-kong-, les deux ministres
envoyèrent en toute hâte les grands officiers Siun-yong ^ 4H et
Che-fang i %h à la cour impériale, inviter le prince Suen-tcheou
à venir monter sur le trône, et le conduire à la capitale. Celui-
ci, âgé seulement de 14 ans. se trouvait alors à Tsinrj-yuen ffê
Jjijf (1) ; c'est là que les ambassadeurs allèrent lui présenter leurs
hommages.
Malgré sa jeunesse, il leur répondit comme un sage : en véri-
té, je n'ai jamais aspiré à cette dignité; maintenant que j'y suis
appelé, n'est-ce pas le ciel qui m'y place? Lorsque les hommes
demandent un roi, ils veulent un homme qui sache donner des
ordres, et gouverner le pays ; si l'on n'obéit pas au souverain, à
quoi bon le mettre sur le trône? Si vos seigneuries veulent ou ne
veulent pas m'obéir, qu'elles le disent dès maintenant! Si elles
me défèrent vraiment honneur et obéissance, alors les Esprits
nous combleront de leurs faveurs.
Les députés répondirent : tous les dignitaires vous attendent
avec impatience : comment oserions-nous ne pas obéir au moindre
signe? Ainsi, au jour Keng-ou Jî ^p 2 janvier , on fit un traité,
on jura solennellement les clauses de l'élection ; après quoi, le
prince prit le chemin de la capitale de Tsin ; à son arrivée il
descendit au palais d'un grand officier nommé Pè-tse-t'on<j-chp
Au jour sin-se ^ 2, (14 janvier), il se rendit solennellement
au temple < m-hong ^ *§?. se présenter à ses ancêtres, et recevoir
l'hommage des grands dignitaires. Au jour i-you £_. "g" 18 jan-
vier), il montait sur le trône, où nous allons le retrouver sous le
nom de Tao-kong fâ fc. — (2) (3).
(1) Tsing-vuen était à 20 li nord-ouest de Kiang-tcheou £|#|. Chan-si. 'Petite
rjéorjr.. vol. S, p. 44) — (Grande, vol. 41. p. 40).
(2) La famille Loan, comme on a pu s'en rendre compte, n'était pas une des
moindres du royaume de Tsin : elle était une des branches de la maison régnante.
et devait sans doute son nom au fief qu'elle avait reçu. Il y a encore une sous-
préfecture appelée Loan-tch'eng hien §* */<< f£ à HO li au sud de sa préfecture
Tcheng-ting fou jE /Ë ^F. Tche-li. (Petite géogr., vol. 2, p. 42).
Le fondateur de cette famille, le seigneur Tse-loan J- ff?f. était un des fils du
roi Tsing-heou i'jÇ 0| (858-844 ses descendants occupèrent toujours de hautes
charges. Loan-tcheny-tse ?J3 M. "F* (°u Tche |£) était, en 633, général du 3eme corps
d'armée, donc le 5eme parmi les grands dignitaires. Son fils Loan-toneti *S W, en
615, avait la mémo charge. Le (ils de ce dernier. Loan-chou (aussi nommé Loan-
ou-tse SI ïï\. J")i est celui que nous venons de voir à l'œuvre, d'abord général du
216 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
3cme COI-pS en 607, puis généralissime et premier ministre en 5S6, donc te premier
homme de l'Etat après le roi, et quelquefois plus puissant que lui, comme il vient
de le prouver. Son fils, Loan-hoan-tse ^ M "î" ou Yen JR, occupa aussi de hautes
charges, mais ne parvint pas à la première. Le frère de ce dernier, grand dignitaire
aussi, mourra en 559, d'une façon tragique peu honorable, dans une bravade oii il
harcèlera l'armée de Ts'in fj| ; il se nommait Loan-kicn §1 fjj. — Loan-ing |ç*î§.
fils de Yen W, sera général du 3eme corps en 554 : mais nous le verrons perdu par
son onicuil indomptable. (Voir, sur cette famille, les annales du Chansi, vol. 8,
pp. 17 et suiv. )
(3) La famille Wei §fo, dont nous avons déjà dit un mot, ne le cédait nulle-
ment à la famille Loan : elle deviendra même bien plus puissante qu'elle, puisque
nous la verrons prendre une part du pays révolutionné, et l'ériger en royaume de
Wei. Ses membres les plus fameux sont :
1) Wei-ou-tse |fë jft -J- (ou Wei-tch'eou f| §1), compagnon d'exil de Tchomj-cul
If % (plus tard YVen-kong % &).
2) Weîr-tao-tse f$ 'fë -J-, son fils.
3) Wei-tchoancj-tse Ut Jt ^ (ou Wei-kiang f$ $f) le plus célèbre de tous, com-
me nous le verrons.
Celui-ci eut un cousin, nommé Liu-siang j§ fg, ainsi appelé du fief Lin &
donné à son père.
4) Wei-hien-tse ^ Jgt if (ou YYei-chou Hff), petit-fils de Weï-kiang, deviendra
premier ministre. (Voir: Annales du Chan-si, vol. S. p. 21).
217
TAO-
-KONG
(572-558)
*
w
^
■*fr*
■H-
Le nouveau souverain était arrière-petit-fils du roi Siang-
konrj %£ fe ( 627-621) ; son nom historique signifie mourant trop
tôt, a peine à l'âge d'homme (1).
Il commença par distribuer les charges aux divers officiers;
et il fit ces promotions avec une grande sagesse, comme nous
allons le voir dans un instant. Il répandit autour de lui de nom-
breux bienfaits, diminua les corvées, remit des redevances, prit
soin des veufs et des veuves sans appui, replaça en charge les
officiers méconnus ou injustement dégradés, secourut les malheu-
reux dans leur misère, ceux surtout qui étaient frappés par des
calamités publiques, proscrivit les mœurs dissolues et toute espèce
de vice, diminua les impôts, accorda des amnisties, établit l'éco-
nomie dans les dépenses, ne demanda les corvées qu'aux moments
oii les travaux des champs laissaient du loisir, et prohiba de les
exiger en d'autres temps. Bref, il établit une administration digne
des anciens » saints".
L'historien remarque avec raison, qu'il ne fit que peu à peu les
changements nécessaires, afin de ne pas mettre tout en désordre.
Parmi ses ministres, il plaça les seigneurs suivants : Wei-
siang $|4B,fils de Wei-i fjgfô — Che-fang +8$, fils de Che-hoei
'J* é — Wei-hiè H ufl, fils de Wei-h'ouo ^ ffi — Tchao-ou $}
tf\ , fils de Tchao-cho ,-frj jjjfj — tous hommes dont les ancêtres
avaient bien mérité du pays. Quant à Loan-chou, et son compère
Siun-hien-tse, on n'en parle pas ; après leur méfait, ils se tinrent
sans doute à l'écart.
Comme chefs et présidents des branches collatérales de la
famille régnante, il établit les seigneurs suivants: Siun-kia ^ 9|c,
éminent en sagesse et en vertu, — Siun-hoei ^ -ff, lettré de
grand conseil. — Loan-yen ff§ %$, fils de Loan-chou f^é =§", hom-
me courageux et déterminé, — Han-ou-ki .■{$: Ijif. ^, fils de Han-
h'iuè $% J^j, homme d'ordre et de paix.
Ces seigneurs étaient les gouverneurs et censeurs des plus
nobles familles ; ils devaient instruire les fils des ministres et des
hauts dignitaires, veiller à ce qu'ils fussent respectueux, souples,
obéissants, économes, en toutes leurs relations extérieures. Car,
d'après les idées et les usages des Chinois, les parents ne doivent
;i) Texte de l'interprétation : 'f *P ¥■ ^ H 'K'-
28
218 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
se montrer que bons envers leurs enfants ; c'est aux amis ou aux
maîtres à les instruire, les blâmer, les punir.
Comme grand précepteur du prince-héritier et de la cour ro-
yale, il nomma le seigneur Che-io-tchouo -je j|§ $jg ou Che-tcheng-
tse i" j=| "Fi lettré des plus fameux, grand bienfaiteur du peuple,
homme aux idées larges. Il reçut l'ordre de réviser et perfection-
ner les règlements établis par son frère Che-hoei -^ -^f , aussi
nommé Fan-ou-tse |jt ^ ^f .
Le seigneur You-hang-sin ^J %j ^ (1) fut ministre des tra-
vaux publics ; à lui incombait le soin de fortifier les villes, bâtir
les camps et les retranchements, élever les palais, canaliser le
pays, bâtir les ponts, tracer les chemins, etc, etc.
Le seigneur Loan-hiou |f§ $|-, gouverneur de Pien ^f , fut
nommé couducteur du char royal ; il fut en même temps chef de
l'administration des écuries et des haras du roi ; c'était un hom-
me capable de tenir en respect tout le personnel militaire employé
dans cette branche de l'administration, gens ordinairement iras-
cibles et grossiers. C'était encore à lui de veiller à la bonne forma-
tion de tous les conducteurs des chars de guerre ; car souvent
dépendait d'eux le sort d'une bataille, selon qu'ils lançaient bien
ou mal leur char sur l'ennemi, de manière que l'archer pût bien
ou mal décocher ses flèches, le lancier brandir bien ou mal sa
lance. Il arrivait que, par vengeance contre leurs maîtres, les
conducteurs les jetaient à contre-temps au milieu de l'ennemi,
causaient leur mort, et quelquefois tout un désastre. Ce seigneur
devait leur inculquer les principes de justice et de loyauté.
Le seigneur Siun-ping ^ ^ fut nommé lancier du char
royal, et chef de tous les lanciers des chars de guerre; il était
d'une force herculéenne ; il devait veiller au choix et à la forma-
tion de tout ce personnel, en faire des hommes habiles, robustes,
capables d'atteindre au loin l'ennemi visé, et surtout obéissants
aux ordres de leur chef.
Les ministres étant en même temps généraux, n'eurent plus
de conducteurs affectés exclusivement à eux, en temps de paix; en
campagne, des officiers étaient nommés à cet office ; il y avait en
cela un premier changement à l'ordre ancien.
Le seigneur K'i-hi fi[$ ^\ (2), homme ferme et incorruptible,
fut nommé grand juge des affaires litigieuses, dans l'armée du
centre ; on lui donna pour assesseur un seigneur intelligent, ins-
truit, et dirigeable; il se nommait Yang-ché-tche i£ -g- JfgÇ.
(1) Voilà un exemple où le nom d'une famille est dérivé de l'office glorieuse-
ment géré par un de ses membres : ce seigneur, nommé d'abord Kia-sin Yî =£.
avait été un éminent officier de la garde royale de droite (You-hang /£f \j .
(2) La famille K'i était une branche de la maison royale de Tsin : son fonda-
teur K'ir-ing |ft #t était le petit-fils de Hien-kong J$î & 076-652): la capitale de
DU ROYAUME DE TSIN. TAO-KONG. 219
Dans le même corps d'armée, l'intendant du matériel de
guerre fut le seigneur Wei-kiang |j| |^, petit-fils de Wei-lch'eou
fîj| Ifl ; il avait le tito; de Se-ma jTj £§ ; c'était à lui de procurer
et distribuer les armes de toute espèce, de former à la stratégie
cavaliers et fantassins.
Le seigneur Tchang-mong ']£ ;j£, nommé aussi Tchang-lao
jjjt ^ (le vieux) (1), était le chef des éclaireurs et des espions;
c'était un homme très-fin, et cependant sincère à l'égard de ses
supérieurs.
Dans l'armée de droite, le grand juge des affaires litigieuses
fut To-ngo-heou j^ j§j fê, seigneur sans peur et sans reproche.
L'intendant du matériel de guerre était le seigneur Tsi-yen ^ f[g
(ou Tsi-you Çfâijfr), fils de Tsi-ki |§ 2p, homme grave et sérieux,
tout dévoué à son office (2). — Quant à l'armée de gauche (aile
gauche), les historié as sont muets.
Le seigneur Tch'eng-tcheng fâ j|£ (3), d'un caractère droit,
franc, ferme, fut nommé intendant des chars du roi ; c'était à lui
de former de bons palefreniers, de polir leurs mœurs grossières,
et de leur donner une tenue digne de la cour royale.
Tous les dignitaires dont nous venons de parler, étaient uni-
versellement estimés pour leurs ém inentes qualités ; et tous firent
son fief était à 7 li sud-est de K'i-hien j\\f> ff, qui est à 120 li au sud de sa préfec-
ture T'ai-yuen fou >fe W-. ffî, Chan-si. (Grande géogr., vol. 40, p. 15).
Cette famille était fière et intraitable, de même que la famille Yang-ché ^ff :
comme elle aussi, elle avait abattu d'autres maisons princières, et s'était arrogé
leurs biens, en dépit de toute justice; comme elle encore elle sera exterminée en
514, sous le roi King-kong ... 3$ (525-512); son fiel' compte aujourd'hui sept sous-
préfectures, ce qui prouve combien elle était puissante. De tous ses membres, celui
qui passe pour avoir été le plus vertueux, est précisément celui qui nous occupe, et
qui se nomma aussi K'i-hoang-yang $R 15 -^-- Annales du Chan-si, vol. 8, }>. 18).
(1) La famille Tchang, commeuça dés l'année S2T à devenir fameuse; c'était
donc une des plus anciennes: plus tard elle sera parmi les partisans des grands sei-
gneurs Han s'$, contre le roi.
(2) La famille Tsi était aussi une branche de la maison régnante; puisque
Yang-choit r§ $J. son fondateur, était le frère de Wen-heou % fjç (780-746). Le
nom de Tsi JJjf lui vint de son office ; car ce caractère signifie registre, archives,
annales; ses premiers membres Furent grands archivistes du royaume. Les plus
remarquables lurent Tsi-ien, dont il est question ici. puis Tsi-tan f& ~Jl son fils, et
Tsi-ts'in $§ M& son petit-fils, qui occupèrent de hautes charges. Deux cents ans
avant Jésus-Christ, cette famille disparait de l'histoire. (Annales du Chan-si, vol.
8. p. iç).
(3) Ce seigneur était du même clan que les familes de Siun ^ et de Tche fa.
'Annales du Chan-si, vol. 8. p. 26).
220 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
honneur à leur office ; aussi leur choix fut-il applaudi par le peu-
ple. D'ailleurs, en toutes choses, le nouveau souverain savait
tenir le juste milieu ; distribuant les offices d'après les capacités
de chacun, sans jamais les confier par faveur à des hommes sans
talents, sans mérites.
A l'armée, les officiers n'usurpaient pas l'autorité de leurs
généraux ; leurs subalternes, à leur tour, se montraient soumis
et obéissants. Parmi le peuple, il n'y avait pas un mot de répro-
bation sur la conduite de la cour ; le nouveau souverain se mon-
trant si sage, éleva le prestige de son royaume, et conser^va la
suprématie sur les vassaux Dans l'armée, les officiers du titre
che ffi conduisaient un régiment, ou 2,500 hommes, et quelque-
fois empiétaient sur les prérogatives de leurs généraux. Les offi-
ciers subalternes du titre liu %{ avaient seulement 500 hommes.
En 573, vers le mois de février, le duc de Lou || venait
présenter ses hommages à Tao-kong ; à peine était-il de retour,
vers le mois d'avril, qu'un seigneur de Tsin, nommé Che-kai J-
4EJ ou Fan-xiuen-tse fÊ '/T -T, venait lui rendre sa visite, de la
part de Tao-kong ; ce que l'historien approuve grandement, com-
me tout-à-fait conforme aux rites, c'est-à-dire à l'étiquette de ces
temps-là.
Vers le mois de juin, le prince de K'i fâ (1) étant venu
saluer le duc de Lou, celui-ci lui fit l'éloge de Tao-kong ; le
prince voulut le voir, et se rendit à la cour ; il fut si charmé du
jeune souverain, qu'il lui fiança de suite une de ses filles.
A la lième lune (septembre-octobre), le roi de Tch'ou ^
recommençait à attaquer le pays de Song 5J5, qui envoya aussitôt
un messager demander du secours. Han-hien-tse f£ |pf ^f , alors
premier-ministre, dit à Tao-kong : si nous voulons garder la
suzeraineté sur les vassaux, commençons comme votre illustre
ancêtre Wen-kong "^ ^ (632) ; allons soutenir le prince de Song.
Ce conseil fut agréé ; le jeune souverain se mit à la tète de
ses troupes, et s'avança jusqu'à Tai-kou •£} fè> ; bientôt il ren-
contra l'armée ennemie, dans la vallée de Mi-kio f0 % (2), mais
il n'y eut point de bataille ; les gens de Tch'ou ayant cru plus
prudent de se retirer devant des forces si considérables.
A propos de cette expédition, l'on raconte l'incident suivant :
Che-fang ^ %jj avait été envoyé auprès du duc de Lou '$ , lui
demander son contingent de troupes auxiliaires. Ki-v?en-tse *£.
jfc ^, 1or ministre, était perplexe au sujet du nombre des hom-
mes à fournir ; il interrogea Tsang-ou-tchong ^ jtti fr1 ! celui-ci
(1) K'i: sa capitale c'est K*ir-hien MM, à 100 li fi l'est de sa préfecture ICai-
fancj fou Pf] :£.]- Jflf, Ilo-nan. (Grande géogr., vol. ss- P-, '71- D'ailleurs, ces princes
ont plusieurs fois changé de résidence.
(2) Ces deux vallées étaient dans le pays de Song, mais on ne sait à quel
endroit.
DU ROYAUME DE TSIN. TAO-KONG. 221
lui répondit : quand il s'agissait de combattre le prince de Tcheng
§§, ce fut l'aide du général du 3 '"" corps (aile gauche qui vint
requérir notre contingent ; aujourd'hui le député de Tsin a le
même rang, fournissons le môme nombre d'hommes. Car en
servant un grand royaume, il faut tenir compte de la dignité de
ses ambassadeurs, et agir en conséquence : une telle conduite est
conforme aux rites. On suivit ce conseil.
A la 12::;;< lune (octobre-novembre', Mong-hîen-tse ;g£ {|£ ^p,
député du duc de Lou, se rendait à Hiu-ting J^fjf ^T (1), se concer-
ter avec les autres vassaux sur les moyens de reprendre la ville
importante de P'ong-ich'eng l:\ jfâ (2), que le roi de Tch'ou
venait d'enlever au pays de Song. La réunion était présidée par
Tao-kong-
En 572, à la 1 n lune (vers décembre), en exécution de ce
qui avait été décidé en assemblée, les troupes de Tsin &,Song 7} ; .
Lou .fj., Wei fâ, Ts'ao ff, Km g, Tchou %$, Teng $j| et Si (ft
mettaient le siège devant P'ong-tch'eng. Cette ville s'étant ren-
due au généralissime de Tsin, le seigneur Loan-yen |j| |g, celui-
ci prit cinq officiers révolutionnaires, les emmena dans son pavs.
où ils furent internés à Hou-k'iou f/ft ffi (3).
Le prince de Ts'i ^ n'avait pas pris part à rassemblée, ni à
l'expédition ; Tao-kong envoya une armée lui en demander rai-
son ; le prince fit ses excuses, et consentit à donner son fils-
héritier comme otage à la cour de Tsin.
A la 5 i:: lune (avril-mai), les troupes fédérées repartaient en
campagne ; mais cette fois, contre le prince de Tcheng 1|J$. Le
généralissime était le premier-ministre Han-k'iué %% )tjfc ou Han-
hien-tse lUfo -f ; il pénétra jusqu'aux faubourgs de la capitale, et
battit sur les bords de la rivière Wei fâ les fantassins de Tcheng;
ce qui signifie un combat de second ordre, où il n'v avait point
de chars de guerre.
Pendant ce temps, les troupes de Ts'i j>$ , Lou ^., Ts'axj ^,
Tchou Ç\:\] et K't ^E étaient restées stationnaires à Tseng ':'* (4) ;
le généralissime vint les y rejoindre, et partit avec elles, envahir
(1) Hiu-ting était un peu à l'est de Soei-tcheou §f| )ft , qui est a 17u li à loues,
de sa préfecture Koei-té fou £U fë Jff-, Ho-nan. Ainsi disent les commentaires d<
l'édition impériale.
(2) P'ong-tch'eng, c'est Siu-tcheou fou ^ ->H /fr, ICiang-sou fl / '.'■ . Petite
géogr., vol. 4. p. 27) — (Grande, vol. 2ç, p. 4).
(3) Hou-k'iou, qui s'écrit aussi îjg Jrf>, s'appelait aussi Yang-hou-tch'eng flg
91 était a 20 li sud-est de Yuen-k'iu hien ijj jij] gjf, qui est à 230 li sud-est de
Kiang-tcheou I^^H, Chan-si. (Petite géogr.. vol. 8, p. 45) —(Grande, vol. 41, p. 43).
(4) Tseng était au sud-est de Souei-tchcou UfË M, Ho-nan. (Petite géogr. .vol.
12, p. 14) — (Grande, vol. jo, p. 14).
222 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
les territoires de Tsiao |j| et de / ^, dans le pays de Tch'ou ^§ ;
après quoi il les conduisit contre l'état de Tch'en [5j^.
Tao-kong était resté à Ts'i jg£, avec le prince de Wei $j,
prêt à porter secours, s'il en eût été besoin ; mais cela ne fut
point nécessaire ; l'armée de Tch'ou faisait la morte, attendant le
départ des troupes triomphantes, pour reprendre tout ce qu'on
venait de lui enlever. Nous connaissons depuis longtemps ce jeu
de cache-cache (1).
A la 9 ':i' lune, au jour nommé sin-vou ^ j§ (16 août),
l'empereur mourait dans sa capitale. Tao-kong' dut sans doute
prendre plus de part que personne au deuil général, puisque le
défunt l'avait hébergé si longtemps, avant son accession inespérée
au trùne de Tsin ; l'historien ne nous donne aucun détail.
A la 10-!"e lune (septembre-octobre), le grand seigneur Tche-
yong -X\] ^ allait saluer le nouveau duc de Lou ||-. Ces visites
amicales, dit l'auteur, étaient conformes aux rites, entretenaient
les bonnes relations, resserraient l'affection mutuelle, permettaient
de se consulter réciproquement sur l'administration générale des
divers Etats. Cela ne fut pas toujours ainsi ; finalement ce
n'étaient plus que des visites de simple politesse ; les affaires
sérieuses se traitaient en d'autres circonstances.
En 571, à la 5èmc lune (avril-mai), profitant de la mort du
prince de Tcheng fift, une armée de Tsin, avec un fort contingent
des troupes de Song ^ et de Wei f|j, se mettait en campagne,
pour envahir le pays, en dépit du deuil national ; chose qu'on re-
prochait si fort aux autres. c,i;and ils se la permettaient. Les
ministres de Tcheng pris au dépourvu, pensaient faire leur sou-
mission, comme à l'ordinaire, pour se débarrasser des envahisseurs ;
mais le seigneur Tse-se -^ ,l!jjijj les en dissuada en disant : nous
autres, officiers, nous sommes liés par les ordres de notre défunt
souverain; nous ne pouvons pas accepter la suzeraineté de Tsin.
A la 6èm< lune, (mai-juin), Tao-kong réunit les vassaux, dans
la ville de Ts'i J$(,, pour les consulter sur ce qu'il y avait à faire.
Etaient présents les députés de Lou %,Song 5fç,Weï ^j,T.^rao ^
et Tchou $fl. Celui de Lou .ff- proposa de fortifier Hou-lao )$? 2|£ (2);
assurant que c'était le meilleur moyen d'avoir raison de Tcheng.
Tsiao appelée aussi Ling-meir-tch' eng EJâ $1 $$ était à 91 li sud-ouest de Sou-
tdicnu îfg ri1, qui est à 233 li nord-ouest de sa préfecture Fong-yang fou JU, f% /fr\
Ngan-hoei -/{- &. (Petite géogr.. vol. 6, p. si) — (Grande, vol. 21, p. 61).
I appelée aussi TcK eng-fou-tdï eng ':l'Kf£ffî, était à 70 li sud-est de Po-tcheov
^ #1, qui est à 320 li au nord de sa prélecture Ing-tcheou fou lit 'H 1?. Ngan-hoei.
(Petite géogr., vol. 6, p, 31) — [Grande, vol. 21, p. 61).
(1) Ts'i était à 7 li nord de K' ai-tcheou $]M], Tche-li. (Petite géogr., vol. 2, p. 5 4).
2) Hou-lao était un peu à l'ouest de Fan-chouei bien }E 7k il, qui est à 250
li à L'ouest de sa préfecture K'ai-fong foù |!f| j£f 1<J\ Ho-nan. (Petite géogr., vol, 12.
p. 10) — (Grande, vol. 47, p. 62).
DU ROYAUME DE TSIN. TAO-KONG. 223
Le président Siun-yong ^ î|| (on Tche-yong) approuva : c'est
un bon conseil, ajouta-t-il ; l'an dernier, vous avez entendu, et
vous m'avez rapporté*, les paroles arrogantes de l'ambassadeur du
prince de Ts'i ^, à la réunion de Tseng ®|$; aujourd'hui il n'est
venu personne de ce pays ; grâce à son abstention, les princes des
Teng $£, Si ^ et Siao Tchou »]* -ffi ont cru pouvoir aussi se dis-
penser d'envoyer leurs représentants. Ainsi le chagrin de notre
souverain ne se borne pas à la défection de Tcheng ; je vais
d'abord lui communiquer votre proposition ; ensuite j'inviterai le
prince de Ts'i ^ à prendre part à la fortification de Hou-lao; s'il
accepte, je n'aurai qu'à me féciliter avec vos seigneuries; sinon,
nous commencerons par l'attaquer, avant toute autre entreprise.
Hou-lao étant fortifiée, ce sera vraiment la fin de tant de guerres
continuelles ; ce sera un grand avantage pour tout le monde, et
notre humble souverain ne sera pas le seul à vous en remercier.
Ces paroles produisirent l'effet désiré. En hiver, on se réunit
encore une fois à Ts'i Jj£ ; les ambassadeurs de Ts'i ^, Teng J}£<,
Si ^ê et Siao Tchou ,K ffi eurent garde d'y manquer; on se hâta
de fortifier Hou-lao ; cela fait, les gens de Tcheng J§^ vinrent se
soumettre au roi de Tsin.
En 570, au printemps, le nouveau duc de Lou @ , enfant de
six ans, était conduit à la cour de Tao-kong, pour lui faire hom-
mage, comme à son suzerain. A la 4ème lune, au jour appelé
jen-siu •£ ffc (8 février), on fit un traité d'alliance et d'amitié à
Tchang-tch'ou -f| ^ (1), château situé en dehors de la capitale
Kiang $£.
Le seigneur Mong-hien-tse jg ||£ -^ était le compagnon, ou
plutôt le tuteur du jeune duc ; il lui fit faire neuf prostrations, le
front jusqu'à terre, devant Tao-kong. Le seigneur Siun-yong
^ ^ lui observa que cela était réservé pour l'empereur. Le sage
mentor lui répondit : notre petit Etat se trouve bien loin de vous,
entouré d'ennemis puissants ; nous n'avons qu'un protecteur sur
lequel nous puissions compter ; c'est votre illustre souverain ; voi-
là pourquoi notre prince lui fait une si humble révérence.
Tao-kong voyant le prince de Tcheng ff]$ ramené à l'obéissance,
voulut aussi nouer des relations amicales avec le roi de On 1)! ,
dont le concours eût été si précieux contre les entreprises du roi
de Tch'ou ^. Le meilleur moyen d'arriver au but, était de con-
voquer tous les vassaux en assemblée, et d'y inviter courtoisement
le roi de Ou ; c'est le plan auquel s'arrêta Tao-kong ; mais il vou-
lut s'assurer d'abord que tous les vassaux seraient présents. Il
avait lieu de se défier du prince de Ts'i *$, le plus puissant et le
plus revêche d'entre eux; il lui envoya donc le seigneur Che-kai
(1) C'est toujours en dehors des villes qu'on signait et jurait les traités d'al-
liance et d'amitié, afin de paraître contracter d'égal à égal, même quand il s'agissait
du suzerain et du vassal.
224 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
-Jr 4?J. ayec le message suivant: Notre humble souverain, voyant
les récoltes insuffisantes, et impuissant à prévenir des malheurs
imprévus, désire réunir ses frères, les divers princes, afin de les
consulter sur les mesures à prendre, envers les Etats qui ne sont
pas d'accord avec nous ; que votre Majesté veuille donc bien venir
à cette assemblée. De plus, il m'a envoyé vous prier de faire un
traité avec moi.
Le roi de Tsei ^ comprit parfaitement l'intention de Tao-
kong ; il aurait bien voulu décliner -cette double invitation : mais
c'eût été se ranger parmi ceux qui n'étaient pas d'accord avec son
suzerain ; c'était périlleux ! il fit donc le traité demandé, et le
signa sur l'autre rive de la source Eul if^ (1) ; il promit aussi de
se trouver à l'assemblée projetée.
Avant de nous narrer ce qui se passa, lors de cette réunion,
l'historien nous raconte un fait d'un autre genre : Le seigneur
K'i-hi ff) |j|, que nous avons vu établi grand juge des affaires
litigieuses dans l'armée du centre, demanda d'être relevé de sa
charge, vu son grand âge. Tao-kong qui l'estimait, et avec raison,
l'interrogea sur celui qu'il cro}rait le plus digne de lui succéder ;
il désigna le seigneur Hiai-hou f$ SfjjÇ, son ennemi personnel ;
mais celui-ci mourut avant d'entrer en fonctions. Tao-kong le
pria de lui indiquer un autre homme ; K'i-hi proposa alors son
propre fils, nommé Ou ^. Son assesseur Yang-ché-tche ^L -g" ]jf$
mourut aussi vers cette époque; K'i-hi, de nouveau consulté, ré-
pondit avec sincérité: le seigneur Tche ^ est un homme de grand
savoir; il remplirait bien le poste de son père (2). Tao-kong sui-
vit les indications de K'i-hi et n'eut qu'à s'en applaudir.
L'auteur ajoute la réflexion suivante: ce seigneur montra une
égale impartialité, en désignant son fils et son ennemi ; car il ne
s'inquiétait que du mérite, et non de la personne qu'il recomman-
dait. Le livre des annales (3) exalte de tels hommes, quand il
nous dit: rien d'incliné; point de parti pris; la voie de l'empe-
reur est large et conduit loin! Ces paroles conviennent au
(1) La source Eul, qui forme la rivière Che i! . Celle-ci coule à 25 li sud-ouest
de Ling-tche hien $H ;'{} f£, qui est à 30 li nord-ouest de sa prélecture Tsing-tcheou
fou ^f 'JW '■;' . Chan-tonir. Nouvel exemple de traité siirné hors des villes: car Ling-
tche était alors la capitale du royaume de Ts'i ^. (Petite géogr., vol. 10, p. 24).
— Grande, vol. 33, p. ç).
- Le tombeau de K'i-hi est au sud de K'i hien iji[ï!J|§?,qui est à 150 li au sud
de sa préfecture T'ai-yuen fou >tc ^ Ij-p, Chan-si : le tombeau de son fils Ou est un
peu à l'ouest. Petite géogr., ool. S, p. 41 — (Grande géogr., imper., vol. 97, j>. a).
Yang-ché-tche, ainsi que son fils Tchc (nommé aussi Pé-hoa \(\ é$à), et son
autre (ils Chou-hicmg ]% fp] (00 Yang-ché-hi ^ f§" Ift) ont leurs tombeaux a 60 li
nu sud de 7V in-tcheou JC* ^H , Chan-si. (Annale* du Chan-si, vol. j6. p. 2-1.
(3) Chou-king î*î %£ (Couvreur, p. 211. paragr. 13 .
DU ROYAUME DE TSIN. TAO-KONG. 225
seigneur K'i-hi: en se montrant impartial, il accomplit trois belles
actions ; lui-même étant éminent, il sut choisir des hommes émi-
nents. Le livre des Vers (l) nous donne le même enseignement
en ces termes: ces seigneurs sont réellement capables; et ils le
prouvent en choisissant des hommes qui leur ressemblent; cela
s"est vérifie' ici.
A la 6"im' lune, les vassaux se réunirent en assemblée, à K'i-
1<'1><J $fc ï^: (2). Pour ilatter l'empereur, Tao-kong- lui avait deman-
dé son grand ministre Chen-king-kong "jî. tf\ Q, pour en être le
président; les princes de Lou }f) , Song ^, Wei f$j, Tcheng ||ft,
Kiu ~>l\ et Tchou -$fi y étaient présents, avec l'ambassadeur de
Ts'i >0 ; le seigneur Siun-hoei \\) ^ avait été envoyé jusque sur
les bords de la rivière Iloai \({i '■'> , audevant du roi de Ou $\ ;
mais c lui-ci, retenu par la longueur du chemin, et par la multi-
plicité de ses occupations, ne s'était pas présenté: il ne s'était
même pas l'ait représenter : cet échec dut être sensible pour Tuu-
kong : il fallut pourtant s'y résigner.
Au jour nommé hi-vrci 2, fc (<> avril), un signait et jurait
le traité délibéré en commun. Quelques jovrs plus tard, arrivait
l'ambassadeur de Tcll'en |5jî. pour déclarer, au nom de son maî-
tre, sa soumission au roi de '1 si n , et son adhésion au traité. Pour
ne pas recommencer la cérémonie du serment, Tao-kong régla que
les officiers des divers princes, avec l'ambassadeur, la renouvelle-
raient au nom de leurs maîtres: c'est ce qui arriva au jour appelé
Ou-yng J% % 2b avril .
11 parait que pendant une parade militaire, en l'honneur des
vassaux, à K'iu-leang \\[\ ^ (4), tout près du lieu de réunion,
Yang-kan ty ■zf-, frère de Tao-kong\ avait mis le désordre dans
les rangs des soldats, par quelque fausse manœuvre. Wei-hiang
Ul $£. l'intendant du matériel de guerre, dans le corps du centre,
ordonna de mettre à mort le conducteur du char du prince. Tao-
kong, furieux de cette exécution, s'en plaignit au nouveau grand-
juge de l'armée du centre, Yang-ché-tche ^L -g- ifp. : Etant si près
de moi, dit-il, comment ce seigneur a-t-il pu, sans m'en parler,
(1) Che-king f$ ^™, (Couvreur, p. s&ç, ode io, vers 4 .
(2) K'i-tche : le lac de ce nom est à l'ouest de Koang-p1 ing fou jft^F/flF, Tche-li :
fî'i-tclie hien j$ j^ ^ est à 60 li au nord-est de cotte mémo préfecture; le traité
fut signé au bord du lac. (Grande géogr., col. ij, p. iç).
(3) La rivière Iloai dans le nord du Kiang-sou j'X $.?• (Grande géogr., vol.
iç. p. 1- •.
(1) K'iu-liang au nord-est de Koang-p' ing fou. Petite géogr., vol. .'. p
— Grande, vol, /,-. p. 1- .
Tao-kong avait un frère aine quasi idiot, -i bouché qu'il ne distinguait pas
entre des fèves et du blé; C'est pour cela qu'il avait été écarté du trône; est-ce lui
dont il est ici question ?
20
220 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
tuer un officier de mon frère ? c'est une honte extrême ! ne lais-
sez pas échapper cet insolent "\Yei-kiang, et punissez-le de mort !
Le grand-juge répondit avec beaucoup de calme et de respect:
Wei-kiang est un homme droit et franc, sans arrière-pensée :
dans le service du roi, il ne fuit pas les difficultés ; s'il a commis
une faute, il n'en récusera pas le châtiment : laissons-le venir
lui-même exposer le cas ; il n'est pas nécessaiie de le prendre.
Ils venaient à peine de dire ces paroles, que \A~ei-kiang arri-
vait, remettait une lettre au conducteur du char royal, et de ce
pas s'en allait se suicider. Mais les seigneurs Che-fang -^ §fj et
Tchang-lao jf)f ^ l'arrêtèrent.
La lettre était ainsi conçue : Dernièrement, votre Majesté ne
trouvant pas d'homme capable, m'établit intendant du centre [se-
ma ^| JH . Or, on m'a enseigné que la soumission, l'obéissance,
est la première qualité du soldat : que si la discipline exige la
mort d'un homme, on doit l'exécuter aussitôt, sans aucun égard ;
c'est le devoir des officiers, qui ont juré fidélité à leur souverain.
Votre Majesté venait de réunir les princes : comment, devant eux,
aurais-je pu trahir mon ofliee ? Si les soldats n'ont pas de subor-
dination, les officiers pas de fidélité, c'est le plus grand malheur
pour votre Majesté ? Si j'avais laissé un désordre impuni, j'eusse
été coupable moi-même : et mon châtiment aurait peut-être atteint
le seigneur Yang-kan. Je n'ai pas su l'instruire à temps, et pré-
venir ainsi une exécution devenue nécessaire: ma faute estgrande :
je n'en récuse pas la peine : ce serait un nouveau chagrin pour le
cœur de votre Majesté: permettez-moi donc de me rendre auprès
du ministre de la justice, pour y subir mou châtiment.
Tao-kong avant lu cette lettre, fut pleinement renseigné sur
l'état de la question : il sortit si subitement de sa chambre, qu'il
oublia de mettre ses chaussures : Mes paroles, cria-t-il. n'étaient
que le signe de mon affection pour mon frère : je sais maintenant
que votre seigneurie n'a fait que son devoir, en appliquant le code
militaire : c'est moi qui ai tort : je n'ai pas su instruire mon
frère, et prévenir cet accident : j'en ai bien regret : mais n'aug-
mentez pas men chagrin par votre mort, je vous en supplie !
Par ce fait, Tao-kong comprit que \Vei-kiang était un hom-
me capable d'appliquer à temps une peine méritée, et d'aider au
bon gouvernement du pays. Rentré à la capitale, il donna un
grand festin en son honneur, et le nomma aide du général des
nouveaux corps d'armée. Le seigneur Tchang-lao j/M ^ lui suc-
céda au poste de se-ma W] fify du centre : et Che-fou -fc gf (qui
n'était pas de la famille Che-hoei ^fc"§f ) prit la place de Tchang-lao.
A la fin de l'année. Tao-kong envoya une armée, sous les
ordres du seigneur Siun-yong f'j >§=: (Tche-yong %\] fj§s), faire la
guerre au baron de II ht fr, qui prétendait rester sous la suzerai-
neté de Tclt'ou ££•, et n'était pas venu à la dernière réunion.
DU ROYAUME DE TSIN. T.VO-KONG. 227
En 569, au début de l'année (vers Novembre), une armée de
Tch'ou était à la frontière, s'apprêtant à punir le prince de Tch'en
ffi, de ce qu'il s'était soumis au roi de Tsin, comme nous venons
de le raconter.
Le premier-ministre Hnn-k'iuê ?$. J^ ou Han-hien-lse ^ fijfc
^f) dissuada Tao-kong de faire la guerre : le «saiatw empereur
Wen-wâng "^ 3E, dit-il. connaissait la perversité de son prédé-
cesseur, le tyran Tcheou %-\ ; il lui réconcilia pourtant les états
révoltés ; c'est qu'il savait distinguer les temps et les circonstan-
ces, et s'y conformait dans ses actions. Hélas, nous ne compre-
nons rien à ce système : au lieu de chercher l'amitié de Tch'ou,
nous voudrions le combattre !
A la 3ème lune (vers février) Chou-suen-pao fâ $\ ffi ambas-
sadeur de Lou H, venait à la cour de Tsin. rendre la visite offi-
cielle faite au duc, en 572, par le seigneur Siun-yong ^J if,';:.
Les commentaires n'acceptent pas celte explication, et prétendent
qu'il y avait vin autre motif : en tout cas, l'historien a une ma-
gnifique page de prose, où l'ambassadeur brille dans tout l'éclat
du fin lettré, instruit dans les rites et les cérémonies : trésor-.
inconnus à tant d'autres cours, ou mal compris par elles : même
par celle de Tsin, alors si puissante en armes, mais bien moins
en vertu et en littérature.
Vers le mois de septembre, le petit duc, âgé de sept ans, reve-
nait auprès de Tao-kong, pour régler le chiffre des contributions
que son pays aurait à payer : cette préc nition était b;en nécessaire:
car les collecteurs se montraient inseti ibles.et ne gariaient aucune
mesure: les ministres de Lou désiraient avoir \\n chiffre fixe au-
quel ils pussent s'en tenir.
Tao-kong donna un grand festin, en l'honneur de son jeune
hôte; mais quand on lui demanda que la petite principauté de
Tseng <£\\ \) fût reconnue tributaire du duché de Lou, il refusa
d'abord. Sur ce, Mong-hien-tse jjj£ Jf^ L{-, le tuteur du petit prin-
ce, et le vrai négociateur de cette affaire, prit la parole en ces
termes: notre faible pays se trouve environné par de puissants
ennemis, tels que Tsi ^0- et Tch'ou *£ : ce qui cause de conti-
nuelles guerres, et d'énormes dépenses ; malgré cela, nous vou-
drions toujours servir votre Mejesté, sans jamais négliger le-,
ordres qui nous sont transmis par vos ministres; or la princi-
1) Tseng: la capitale de cette petite principauté était à 80 li à l'est de l~
liicn |k|S $£ qui est à 200 ly sud-est de sa prélecture Ien-tcheou fou 35 ft\ Hf . Chan-
tons. Ses princes étaient vicomtes (tse -p), et descendaient de grand empereur Yu
H . il étaient du clan Se £&. En Ô07, nous verrons ce pays pris par le prince de
Kiu.1%; puis, en 33S enlevé par le duc de Lou. qui en restera le suzerain immédiat.
(Petite géogr., vol. 10, p. o) — (Grande, vol. 3», p, 19) — (Kùmg-yu-piao §£ b%
^ vol. _fc, p, a).
228 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
paiitc de Tseng ne contribue en rien aux frais de guerre : tandis-
que nous sommes lourdement imposés ; nous ne voulons pas
manquer à notre devoir ; nous demandons seulement à être un
peu aidés dans son accomplissement par la principauté de Tseng.
Ayant entendu cette explication, Tao-kong accorda ce qu'on lui
proposait.
Kia-fou ^ j£. vicomte des Tartares Ou-tchong |[TE $£. avait
envoyé l'ambassadeur Mong-io ^ |§| à la cour de Tsin : celui-ci,
par l'entremise du seigneur Wei-kiang f$|£ f£. avait offert de belles
fourrures de tigres et de léopards ; en même temps il avait deman-
dé, de la part de son maître, à faire un traité d'alliance et d'ami-
tié, pour tous les Tartares des montagnes. Tao-kong avait tout
d'abord refusé en dissant: ces barbares Jony ^ et Ti ij/Ç sont
incapables d'affection : ils ne songent qu'à opérer des razzias chez
leurs voisins : il vaut beaucoup mieux leur faire la guerre. 1
Wei-kiang répliqua en ces termes : les vassaux viennent à
peine de reconnaître votre autorité ; le prince de Tch'en ffi vient
de vous demander paix et amitié; tous ont les veux fixés sur
vous ; si vous pratiquez l'humanité, la vertu, ils vous resteront
fidèles : sinon ils s'empresseront de vous quitter. Si nous entre-
prenons une guerre contre les Tartares, nos troupes harassées ne
pourront secourir le pays de Tch'en fjfc attaqué par celui de Tch'ou,
les autres vassaux nous tourneront le dos. Les Tartares ne sont
que des brutes, et pour eux nous perdrions les états Chinois? le
livres des annales 2 nous donne fort à propos l'exemple de / ^fi.
prince de K'iong $?}.
Une dit donc ce livre? demanda Tao-kong. — Le voici, ré-
pondit Wei-kiang : A l'époque de la décadence de la dynastie
H ta ]J, le prince / ^ émigra du pays du Tch'ou fj_[ dans celui
ds K'iong-che 2j§ ^ 3); puis, profitant du mécontentement uni-
versel, il se déclara roi. Plein de confiance dans son habileté à
tirer de l'arc, il négligea les affaires de son peuple, et ne songea
qu'à la chasse aux bètes fauves : il écarta les sages ministres Ou-
louo jjÇ |§L Pè-ijng fy [TçJ. Uiong-h'ouen hé ^, et Mang-vtei ')\^
[$] ; il ne se servait que de Han-tchouo ^ j£, langue de vipère,
(1) Les Tartares Ou-tchong, branche des Chan-jong \\\ g^. ou Tartares des
ifionlagacs, habitaient le territoire actuel de Ki-tchcou ffi\ ;H1 , au nord du Tche-li.
Petite géogr., vol. 2 p. io) — (Grande, vol. iz, p. 50). — Leurs princes étaient
vicomte;-. (Kiang-yu-piao §§ fa£ §i, vol. (;. p. 21).
(2) Chou-hing §1} £5. Hia-hiun J£ p|, (Couvreur, p, ç2, paragr., 2).
i'.i) Tch'ou. était à 15 1: a L'est de Houa-hien rf $f, qui est à 90 li nord-est
do sa prélecture Wei-hoei fou ftr î$ Jff Ho-nan. [Petite yéogr.. vol. 12, p. 24)' —
Grande, vol. 16. p. 2ç).
K'iong-che, était dans les confins de Yng-chan hien 5£ |Jj %f. . qui est à 400 li
sud-ouest de Lou-ngan teheou A 6& ^H, Xgan-hoci (Edition imper., vol. 2j-p- ijj-
DU ROYAUME DE TS1N. TAO-KONG. 220
traître chassé de son pays par son propre frère, le fameux prince
Pê-ming f£ $] (1).
Le fourbe Han-tchouo encouragea les passions de son maître,
flatta les gens du palais, gagna les gens du dehors par des
cadeaux, et s'empara du gouvernement. Un jour, le prince ren-
trant de chasse, fut massacré et rôti par les gens du palais ; ses
fils ayant refusé de manger sa chair, furent aussi massacrés à la
porte de la capitale. Le ministre Mi 0, qui revenait alors de la
cour de Hia j£. s'enfuit à la petite principauté de Ko J^ (2).
Han-tchouo prit le palais et les femmes de son maître ; il
envoya son fils Kiao ^ avec une armée, soumettre les états de
Tchenn-koan g [ff et Tchenn-sin |$ W$. (3) : après quoi, il l'éta-
blit prince de Kouo $| : son autre fils, nommé II i fù, fut prince
de Kouo 3t (^)-
Le ministre Mi reunit les restes des deux états détruits, en
composa une armée, avec laquelle il vainquit le traître, et replaça
sur le trône le prince légitime Chao-h'ang A? 0, fils de Hia ]^ ;
celui-ci, aidé de son fils Heou-chou fë ffî. enleva leurs principau-
tés aux deux intrus Kiao et Hi. Ainsi périt l'état de K'iong ;
uniquement pareeque son souverain avait perdu l'affection de son
peuple.
A l'époque de la dynastie Tcheou Jfs\. le grand historiographe
Sin-kia -J^ fp avait ordonné aux officiers de consigner, par écrit,
les défauts qu'ils auraient remarqués dans la personne de l'empe-
reur ; le grand intendant de la vénerie inscrivit ce qui suit : Au
long et au large, le grand empereur Yu -,[0, a parcouru la Chine,
a délimité les neuf régions, a ouvert les neuf routes ; gi^àce à lui,
le peuple eut des temples et des maisons : les animaux domesti-
ques eux-mêmes eurent leur nourriture ; chaque être vivant trouva
(1) llan : su capitale était à 30 li nord-est de Wei hien jf$ $£, qui dépend dz
Ping-tou tcheou ^ |j£ )\\, dans le Chan-tong. (Grande géogr.. vol. jô p. -
(2) Ko: sa capitale était à 10 li à l'est de Te-p'ing hien Ç& ^ §?, qui i
160 li à l'est de Te-tclicou Wt ''II, dan- la préfecture de Tsi-nan fou [ff ffî fl-F, Chan-
tong (Grande géogr., vol. 31, p. 31)..
(3) Tchenn-koan : sa capitale était a S0 li nord-est de Cheou-hoang hit
yt Ht qui est ù 70 li nord-est de sa prélecture Tsing-tcheou l'on. f| ^H M ■ Chan-
tong Grande géogr., vol. 33, P- 15)-
Tchenn-sin: sa capitale était à 50 li sud-ouest de Wei hien ;$ S£, qui e-t ■(
180 li à l'ouest de P'ing-tou tcheou ^ [§ Chan-tong. (Grande géogr., col.
P- 7)-
(4) ATouo ïj§. : sa capitale était au nord de Lai-tchcou fou M #1 #F, Chan-
tong. (Grande géogr.,. vol. 36, p. 3).
Kouo Jq: sa capitale était entre le? états de *ong 5fc et de Tcheng J5?, du le
commentaire; mais je n'ai pu la trouver dans les géographies.
230 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
son repos ; aussi la vertu llorissait de toutes parts : quand I-i
~M 3fl monta sur le trône, son unique plaisir fut la chasse aux
bètes fauves dans les immenses plaines ; il oublia d'exercer la
miséricorde envers son peuple ; il n'eut pas à cœur la formation
de l'armée : toutes ses préoccupations étaient à courir le cerf : il
avait hérité le trône de Hia. il ne sxit pas le conserver. Moi,
humble intendant de la vénerie, j'ose consigner ces choses, pour
les fidèles serviteurs de l'empereur.
Tao-kong 'était alors passionné pour la chasse : il comprit
très-bien pourquoi Wei-kiang |J{J $£ avait choisi cet exemple : il
lui demanda : d'après vous, le mieux serait donc de faire la paix
avec les Tartares "? Assurément ! répondit le seigneur : et nous y
gagnerions cinq avantages : ces barbares menant une vie nomade,
n'estiment pas leurs terres, et les échangent volontiers pour des
objets de commerce ; il nous est facile d'acquérir leurs territoires:
— avant la paix aux frontières, le peuple pourra tranquillement
cultiver ses champs, sur de recueillir ses moissons ; — les bar-
bares nous étant soumis, nos voisins trembleront de crainte, les
vassaux voyant notre puissance auront grand zèle à nous servir :
— les barbares nous étant conciliés par des procédés amicaux,
nos troupes ne seront pas fatiguées, nos armes ne seront pas
endommagées ; — profitant de la leçon que nous donne le prince
/ ^, nous nous appliquerons à la vertu, au bon gouvernement ;
nous attirerons les étrangers, nous conserverons la paix à notre
peuple. Que votre Majesté médite ces cinq avantages I
Tao-kong fut enchanté de ces paroles ; il chargea Wei-kiang
lui-même de conclure un traité d'amitié avec tous les Tartares
Jong J%, s'occupa des affaires, et n'alla plus à la chasse qu'en
temps opportun, c'est-à-dire quand elle ne pouvait endommager
les récoltes : il fit preuve d'intelligence, de bonté, et de fermeté.
En 508, au début de l'année (novembre-décembre), le petit
duc de Lou $} retournait enfin chez lui : il était resté si longtemps
au pays de Tsin, pour gagner les seigneurs à sa cause, relative-
ment à la principauté de Tseng §|{, et il avait enfin réussi.
Vers le mois de Janvier, Tch'en-chen ffi £{£, oncle et minis-
tre de l'empereur, venait à son tour à la cour de Tsin, se plaindre
des vexations des Tartares Jon<j j£ : pour toute réponse, Tao-kong
le ht saisir, et avertit l'empereur que ce traître jouait double jeu
envers les barbares.
Vers le mois de mars, on régla officiellement que la princi-
pauté de Tseng ||J serait tributaire du duc de Lou ^ : et lui sol-
derait chaque année une somme déterminée.
Sers le mois d'avril, arrivait enfin un ambassadeur du roi du
Ou $1 : il se nommait Cheou-uw- |j| ^| ; il expliqua comment son
maître n'avait pu se rendre à l'assemblée de K'i-tche $fë ^ ni
même y envoyer des représentants ; il demanda de plus, pour son
pays, à être reçu dans l'alliance et l'amitié de tous les princes
DU ROYAUME DE TSIN. TAO-KONG. 231
féodaux. Tao-kong était si content, qu'il voulut convoquer de nou-
veau tous les vassaux à une réunion solennelle ; en même temps
il chargea le duc de 'Lou -|§- et le marquis de Wei fâj, les plus
proches voisins, d'aller trouver le roi de Ou à Chan-lao ^ jj| (1),
et de servir de guides, à lui ou à ses ambassadeurs.
Au mois de juillet, à TsH jj£, avait lieu la plus brillante
réunion peut-être, qu'ait jamais présidée le roi de Tsin ; étaient
présents les princes de Lou 0. Sonq 5j?, Tch'en [î^f, Wei ffj,
Tehetig p, Ts*ao f , Kiu g", Tcltou ||J, Teng Jjf et Si g£, avec
les représentants de Ts'i ^, Ou J}^ et Tseng ||j ; au jour appelé
ping-où jfy 41 (le 11 de ce mois), on jurait solennellement un
traité d'amitié, puis on décidait de garder en commun la capitale
de Tch 'en ^, pour la protéger contre les entreprises du roi de
Tch 'ou *£.
Confucius trouva sans doute que son maître avait été par
trop humilié dans cette circonstance ; avoir été en quelque sorte
l'acolythe de sauvages, comme les gens de Ou, avoir même traité
d'égal à égal avec eux, dans une réunion de princes chinois : voilà
une honte qu'il fallait cacher aux générations futures; s'il parle
de l'assemblée, il garde un vertueux silence au sujet du traité
d'alliance qu'on y signa: heureusement d'autres auteurs furent
moins prudes.
On sera peut-être étonné de voir paraître les ambassadeurs de
Tseng $ j ; c'est que le duc de Lou avait changé d'idées; ne trou-
vant aucun avantage avec cette principauté récalcitrante; ne se
sentant pas la force de couper court aux difficultés quille avail
sans cesse avec ses voisins, surtout avec l'état de Kiu ,•",', le duc
lui avait rendu la liberté, et l'avait invitée à régler ses querelles
en pleine assemblée; il ne voulait plus en être responsable.
Quant à la résolution de garder en commun la capitale de
Tcli'en [Sj|, elle fut bientôt jugée impraticable. Le seigneur Che-
hûi -fc £.j dit à Tao-kong: nous allons bientôt perdre cette prin-
cipauté; le roi de Tch'ou, sachant pourquoi elle l'a quitté, vient
de changer son premier ministre, et a nommé rse-nang ^f j|| à
sa place; celui-ci changera de politique, et tombera à l'improviste
sur la capitale; dans leur détresse, les habitants feront aussitôt
leur soumission ; ce pays est trop loin de nous, trop pioche de
Tch'ou; nous n'y avons aucun avantage, et beaucoup d'inconvé-
nients ; il vaudrait mieux l'abandonner.
De fait, vers le mois de septembre, malgré la présence des
troupes fédérées, le nouveau ministre de Tch'ou envahissait la
principauté; sur ce, les vassaux se réunirent à Tchreng-ti J$ {,}£
(2), sur le territoire de Tcheng f,%, pour aviser aux moyens de
(1) Chan-tao, c'est Yu-i hien B? |h M, à 7 li au sud de Se tcheou ïH !'.' ■
Ngan-hoei. (Petite géogr., vol. 6, p. 41) — (Grande, vol. 21, p. 40).
(2) Tch'eng-ti, comprenant 2 villes, celle du nord et celle du sud, était h ht li
232 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
repousser l'armée ennemie; c'était à la llemelune, au jour Kia-ou
^p £f- 1 27 octobre) ; il y eut de part et d'autre des marches et
contre-marches, sans aucune action décisive ; des deux côtés on
ne crut pas prudent de tenter une bataille.
En r>()7 , le prince de Kiu ';"«" vainquait et se soumettait la
principauté de Tseng ffi ; celle-ci avait cru pouvoir compter sur
l'appui du duc de Lou, mais celui-ci ne s'en était pas soucié, pour
les raisons rappelées ci-dessus. Pour la forme, Tao-kong" l'en
blâma vertement ; mais ayant reçu des excuses et des cadeaux
des deux partis, il laissa les choses dans le statu-quo.
En 5G6, à la l0-me lune (août-septembre), le premier-ministre
Han-k'iuê <?$_ ^ ou Han-hien-tse §•% |p£ ^-, voulait résigner sa
charge en faveur de son fils aine Ou-ki M j^ ; mais celui-ci, qui
était maladif, répondit à son vénérable pure en citant un texte du
livre des Vers (1) : pourquoi refusê-je de sortir au point du jour?
c'est que sur les chemins la rosée est trop abondante ! et ailleurs:
vous ne faites rien vous-même, vous ne traitez pas les affaires
vous-même : le peuple na pas confiance en vous ! Il ajouta :
étant presque toujours malade, je suis incapable de porter une
telle charge ; permettez que je l'offre à mon frère K'i ^S ; il est
l'ami intime du sage Tien-sou [£] j|£ ; or celui-ci, qui le connaît
bien, assure qu'il aime vraiment la vertu. Le livre des Vers (2)
nous donne les conseils suivants : «vous, grands dignitaires, rem-
plissez avec calme les devoirs cle votre charge : aimez les hommes
probes et sincères ; les Esprits secondèrent vos efforts, et vous
accorderont libéralement les faveurs les plus précieuses... Oui-
conque remplit bien son office et aime le peuple, celui-là est bon ;
quiconque est probe et sincère, a le cœur droit : quiconque rectifie
et- qui n'est pas juste, est vraiment correct ; celui qui a ces trois
qualités, est un homme accompli, et pratique l'humanité ; il sera
grandement béni des Esprits ; c'est lui qui doit succéder à mon
père (3).
Au jour appelé heng-sin Jj> /•£ (3 septembre), Han-k'iuê ^£
Jïfifc se rendait à la cour, pour y résigner officiellement ses dignités,
et offrir son second fils comme successeur. Tao-kong accepta
cette démission, rendue nécessaire par le grand âge du vénérable
seigneur ; il louangea publiquement son fils aîné, pour le désin-
téressement dont il faisait preuve ; en récompense, il le nomma
chef et président de tous les nobles, apparentés à la famille
régnante. Quant au second fils, il se réserva cle lui confier plus
au nord de Ycmg-ou hien p§ j?^ $,£, qui osi à 00 li nord-ouest de >a préfecture Iloai-
k'ing fou j^fj |ï£ Iflp, Elo-nan. (Grande géogr,, vol. 4.7, \i. 20K
(1) (2) Che-king jft jljf, Couvreur, p. 21. ode o — p. _>_>;-. < de -. vers 4 —
p. 274. ode 3, vers j).
(3) Le tombeau de Han-k'iuê, cs( a 1 ■"> li au sud de llin-lchcmt |'r #1, Chan-
si. (Géoijr., impér,, vol. iij, p. 3).
DU ROYAUME DE TSIN. TAO-KONG. 233
tard la dignité de premier-ministre ; pour le moment il la conféra
au seigneur Siun-yong ^ % (ou Tche-yong £rj |g:) (1).
A la 12 '•■"•• lune- (octobre-novembre , les vassaux tenaient une
nouvelle assemblée, à Wei f|J5 2), sur le territoire de Tclieng |$,
pour examiner les moyens de secourir l'état de Tch'en pjjî. attaqué
derechef par le roi de Tch'ou : à cette réunion se trouvaient les
princes de Lou ;fj., Song 54?. Wei $j, Ts'ao ^", Kiu ^\ Tcliou
%\] et Tcli'en f^(. Ce dernier, dont le sort était en jeu, s'aperçut
que l'on délibérait mollement, et quasi pour la forme : il sentit
qu'on ne tenait guère à lui : d'autre part, il craignait la ven-
geance de Tch'ou ; il résolut donc d'aller immédiatement lui offrir
sa soumission, et s'enfuit de l'assemblée ; le congrès n'ayant plus
raison d'être, chacun retourna chez soi.
En 565, à la lère lune (novembre), le petit duc de Lou était
de nouveau à la cour de Tsin ; cette fois, il demanda quand les
vassaux devaient venir en personne ; quand ils devaient envoyer
des ambassadeurs avec des présents, saluer leur suzerain. Autre-
fois, il avait été réglé que tous les cinq ans les princes viendraient
en personne (tchao 1$\), et tous les trois ans ils enverraient un
ambassadeur (ping Jfë) ; peu à peu, des abus s'étaient introduits :
la cour de Tsin et ses grands dignitaires aimaient à recevoir de
riches cadeaux ; on forçait les petits états à se présenter souvent:
tandisque les grands, comme celui de Ts'i y?§ , s'en dispensaient
complètement. Tao-kong se sentit assez fort pour obliger tout le
monde à observer l'ancien règlement, établi par son glorieux
ancêtre Wen-kong ~$£ fè.
Cette même année, le prince de Tclieng i|j). pour complaire à
Tao-kong, s'en allait en guerre contre le petit état de 7Vai ^, et
remportait la victoire; au milieu de la joie commune, le sage
Tse-lch'an ^ jH seul se montra triste, et prédit des malheurs
qui ne devaient pas tarder.
(1) La famille Te lie &!, branche de la famille Siun'fâ. était comme clic de vieille
noblesse : puisque Che-ngao i£f %% était leur ancêtre commun. Précédemment nous
avons souvent parlé du grand seigneur Siun-ling-fou ># ffc £ et de son frère
Siun-cheou /£ tî'. Celui-ci, aussi nommé Tchoang-tse-cheou j^rF-lt. était un hom-
me éminent et un bon guerrier; c'est lui qui fonda la famille Tche j$, qui tira son
nom de son fief, dont la capitale était à l'ouest de Ling-tsin hien f& ia' |B| à 70 li
nord-est de P'ou-tcheou fou jfô- AI Hf . Chan-si. (Grande 0I.41, p. 22
&\s, Tche-yong $fl **. aujourd'hui nommé premier minis it-étre l'homme le
plus remarquable de cette grande famille; il s'appela aussi Ou-tseRJ- et Tche-pé
'■-:; fê. s"'> petit-fils Tche-yng fàffl occupera aussi une grande ] lace dan- le
me. Cette famille fera plus tard eau-- commui roi, avec
Ilan !#. Tchao g et Wei H, qui se partageront le trône et le pays; ainsi elle
persistera longtemps .encore dans l'histoire, sans occuper les plus hauti - - -
Wei, on en ignore l'emplacement exact.
2 34 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
A la 5ème lune, au jour Kia-lchen tp Jg ;24 avril}, les vas-
saux envoyaient leurs resprésentants à la réunion de Hing-h'iou
?fô fn 1) : le but de cette assemblée était de promulguer les an-
ciens règlements, relatifs aux visites régulières à la cour du suze-
rain. En cela, Tao-kong" se montrait digne de sa charge, exigeant
que chacun remplit ses obligations, et coupant court aux abus
dont nous avons parlé plus haut. Le prince de Tcheng Hf$ était
présent à cette réunion, présidée par Tao-kong lui-même; le roi
de Ts'i y!$ et quatre autres princes y avaient envoyé leurs députés;
tous promirent d'observer fidèlement à l'avenir les dits règlements.
Vers le mois de septembre, le prince de Tcliong ftp, par son
étourderie, s'était attiré une invasion de Tch'ou ^ ; Tao-kong ne
vint point à son secours ; après des délibérations de haute sagesse,
le pauvre prince alla prosaïquement faire sa soumission à l'enva-
hisseur ; c'était toujours le même système de bascule.
A la fin de l'année (vers octobre), le grand seigneur Che-kai
-^ 4E] était envoyé à la cour de Lou $, pour remercier le petit
duc de ses nombreuses visites ; il devait aussi annoncer que Tao-
kong aurait bientôt besoin de troupes auxiliaires contre le prince
de Tcheng fi[). Le duc donna un grand festin, en l'honneur de
Che-kai; celui-ci, en guise de toast, chanta l'ode «les fruits tom-
bent du prunier» [2), pour indiquer aimablement qu'on ne fit pas
attendre trop longtemps les troupes demandées. Le fameux pre-
mier ministre répondit qu'on obéirait avec empressement; car,
ajouta-t-il finement, si votre illustre souverain est le prunier,
notre humble prince, malgré sa dignité, n'en est que le parfum :
c'est un bonheur pour nous de nous montrer obéissants à vos or-
dres, n'importe à quel temps vous daigniez nous les communiquer.
Ki Ou-lse Ëfs jÇ ^, car c'était lui, chanta ensuite l'ode «l'arc
bien travaillé» (3), qui célèbre l'union entre les frères; puis cette
autre «l'arc rouge est débandé», où il est dit que l'empereur fait
présent d'un arc rouge; c'était un fin compliment; le ministre
espérait que le roi de Tsin serait gratifié de cette récompense, com-
me son ancêtre Wen-kong.
Che-kai répondit humblement : quand notre illustre souverain
Wen-kong se rendit à Heng-yong $f ffc, rendre hommage à la
majesté impériale, il reçut en effet un arc d'honneur, en récom-
pense de ses services ; moi, rejeton d'un de ses serviteurs présents
à la bataille de Tcheeng-pou j)fc )fjï. pourrais-je oublier ces faits
mémorables"? pourrais-je ne pas nourrir les mêmes sentiments
que mes ancêtres?
(1) Hing-k'iou, appelée ;ius>i P'ing-koo tcheng -'p zf£ jsf, était à Tû li sid-est
do Hoai-kling fou 1$ JQ H], Ho-nan. (Petite çéogr., vol. 12, p. 26) — {Gronde,
ml. 4g, p. s).
(2) (3) Che-king g$ £2 (Couvreur, p. 24. ode o. vers 1 — p. 302. ode çt
1 -. ■/■- / — p. içS, ode 1
DU ROYAUME DE TSTN. TAO-KONG. 235
Dans celte circonstance, le seigneur Che-kai se montra par-
fait connaisseur des rites ; il sut lutter honorablement avec les
fins lettrés de Lou ; c'était un mérite signalé, et des plus rares.
En 564, vers le mois de mars, Ki Ou-tse lui-même se rendait
à la cour de Tsin, rendre cette visite du seigneur Che-kai ; c'était
vraiment assaut de politesses.
De son côté, cette même année, le roi de Ts'in Jfë, qui depuis
longtemps ne faisait plus parler de soi, envoyait un ambassadeur
à la cour de Tch'ou ^, demander des troupes, en vue d'une
guerre contre Tao-kong ; c'était une proposition trop agréable pour
être refusée ; le roi y donna de suite son assentiment ; mais le
premier ministre Tse-nang ^*- ^ y opposa des difficultés.
Actuellement, disait-il, nous ne sommes pas de taille à lutter
avec le pays de Tsin ; car son roi emploie chacun de ses officiers
selon ses talents ; il élève aux hautes charges des hommes capa-
bles, choisis avec soin ; ceux qui remplissent bien leur poste ne
sont pas facilement changés ; les ministres sont d'une telle humi-
lité qu'ils cèdent leur place à d'autres plus capables ; les grands
oilicicrs remplissent leur office avec zèle, et leurs subordonnés
sont obéissants ; le peuple est soigneux clans l'agriculture ; les
marchands, les artisans, les employés des tribunaux, tous sont
diligents à leur travail.
Le premier-ministre Han-k'iué ?$. ^ a résigné sa charge, à
cause de son grand âge ; mais son successeur Tche-yong -%\\ •;£ le
consulte, en tout ce qui concerne l'administration ; Che-kai -^ 4l]
est plus jeune que Siun-yen ^ [[!£ ; malgré cela, ce dernier lui a
cédé sa place d'adjudant du généralissime, la seconde dans toute
l'armée. Han-k'i §•!$. ^fji est plus jeune que Loan-yen â$| 'ÏÇ? :
malgré cela, celui-ci et le seigneur Clie-fang -}' %}) l'ont tait placer
au-dessus d'eux, comme adjudant du général de droite, le 4èmo
personnage de toute l'armée. Wei-hiang ffy $$, cet homme émi-
nent, a estimé Tchao-OU ^ p^ plus capable que lui-même, et
s'est contenté d'être son adjudant, à la tète des nouveaux corps
de troupes, acceptant la huitième et dernière place parmi les
généraux.
Ainsi, le roi est sage, les ministres fidèles, les grands digni-
taires humbles, les inférieurs obéissants ; pour le moment, c'est
un pays inattaquable ; attendons un temps plus propice pour
tomber sur lui. Que votre .Majesté y réfléchisse !
Le roi répliqua : j'ai donné ma parole, il faut que l'armée se
mette en marche ; mais il n'est pas nécessaire qu'elle envahisse
le pays de Tsin. C'est ce que l'on fit. Vers le mois de juin, les
troupes s'avancèrent jusqu'à Ou-lch'eng #£ Jj$ I) ; celles du roi
(I) Ou-teh'cng : il y a bien des villes de ce nom : celle-ci, qui s'appelait enco-
re Ou-yen-tch'eng jft "££ M et Si-tch'cny (5j £$, était au oord de Ncm-yang fou f?J
FU 'l'f, Ho-nan. (Petite géogr.,V9l. 12, p. 40) -— (Grande, vol. ji- p. 6).
230 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
de Ts'in |jï, après avoir envahi le territoire de Tao-kong, s'aper-
çurent bientôt qu'on les aidait seulement pour la forme ; elles
perdirent leur première audace ; une grande famine qui régnait
clans le pa}Ts, pouvait les seconder ; malgré cela, elles se contentè-
rent de quelques avantages, et se retirèrent sans avancer plus loin.
A la ÎO'31110 lune, au jour keng-ou J^f ^f- (12 septembre), plus
de douze vassaux étaient réunis autour de Tao-kong, pour se con-
certer sur la guerre à entreprendre contre le prince de Tcheng Jff$.
On se mit aussitôt en campagne ; on arriva sous les murs de la
capitale ; ne voyant point paraître les gens de Tch'ou &£, ses
soit-disant protecteurs, le prince vint humblement offrir sa sou-
mission, au jour Kia-siu Ep )$ (16 septembre) ; on fit des dis-
cours onctueux sur la vertu ; finalement on se contenta de
renouveler tous ensemble les anciens traités d'alliance et d'amitié,
puis ce fut fini. Quelques généraux, cependant, honteux d'une
pareille expédition, voulaient tomber à l'improviste sur la capitale,
et s'en emparer ; mais les vassaux étaient pressés de s'en retour-
ner chez eux, ils ne consentirent pas à laisser accomplir cet acte
de violence inutile. Au jour ki-hai g J^ de la 1 lèmc lune (11
octobre), à Ili §\ (1), ville de Tcheng, ils jurèrent solennellement
le traité de paix, et partirent.
Cette campagne grotesque faillit avoir une tout autre issue :
Un des généraux de Tcheng, homme de peu de conscience, voyant
l'armée fédérée s'en retourner sans discipline, sans précautions,
proposa à ses collègues de se jeter sur elle, se faisant fort de l'a-
néantir. Un de ceux-ci s'opposa fortement à une trahison si
lâche, au lendemain d'un traité si solennel. Ainsi, sans s'en
douter, les troupes fédérées échappèrent à un désastre.
Le jeune duc de Lou accompagnait Tao-kong sur le chemin
du retour ; festoyant un beau jour, sur les bords du fleuve jaune,
le roi demanda quel âge avait le prince ; Ki Ou-tse ;p ^ ^p
répondit : c'est en l'année de la réunion des vassaux à Cha-soei
'<')/ PJË (,!J"0) (-) q110 mon maître est né. — Ainsi, continua Tao-
kong, votre duc a déjà douze ans ; c'est juste le nombre d'années
d'une révolution de la planète Jupiter ; à quinze ans, un prince
peut se marier ; mais il doit auparavant recevoir le bonnet viril,
comme le prescrivent les rites; votre duc a l'âge requis; pourquoi
vus seigneuries ne procèdent-elles pas à cette cérémonie?
(1) Ili, ville de Tcheng, était près de la montagne de ce nom, appelée aussi
Fang-chctn ~/j |1|, à 40 li au sud de Fan-chouei hien îll 7.K Sf, dans la préfecture
de K'ai-fong fou Df] }]' Jff, Ilo-nan. (Petite géogr., vol. 12, p. 10) — (Grande, vol.
47, p. 63).
(2) Cha-soei, était à 6 li nord-ouest de Ning-ling hien '■><£ £î| !| qui est à
GO li à l'ouest de sa precture Koei-tc fou $$ {$, ]\$, Ilo-nan. (Petite géogr., vol. jj,
p. 12) — (Grande, vol. jo, p. ?).
La planète Jupiter, en chinois souei-sin gfè M-
£)U ROYAUME DE l SIX. TA0-K0XG. 237
Ki Ou-tse répondit: d'après les rites, il faut offrir aux ancê-
tres des sacrifices et tics libations de vin aromatisé, au son des
cloches et des pierres musicales (K'ing jg< , qui indiquent Tordre
et la modération dans tous les actes du jeune prince; il faut que
cette solennité s'accomplisse dans le temple du premier ancêtre ;
or, nous sommes en voyage, il est difficile de préparer tout le
nécessaire ; que votre Majesté veuille donc attendre que nous arri-
vions sur un territoire dont le souverain soit du même clan que
mon maître ; là, nous pourrons emprunter tout ce qu'il nous faut.
Tao-kong approuva ce projet. La cérémonie se fit au pays de
Wei -ffj, dans le temple de Tch'eng-kong $ ^ (634-600). Nous
savons qu'un lettré comme Ki Ou-tse a toujours une réponse à
tout; il est probable que pour plaire au roi, on s'arrêta dans
n'importe quel temple, et qu'on y lit la cérémonie, en jurant que
tous les points du cérémonial étaient en régie. C'est pourquoi
certains disent que ce fut un simple amusement accordé à Tao-
kong ; et qu'ensuite, à la cour de Lou, on refit la cérémonie, ou
tout au moins on la suppléa, au temple des ancêtres.
Rentré chez roi, Tao-kong demanda à ses ministres ce qu'il
fallait faire pour que le peuple put se rétablir dans la prospérité
et le repos. Wei-kiang 3$1 $£ recommanda de répandre des lar-
gesses, et de faire grâce des corvées.
Aussitôt, ordre fut donné de vider absolument tous les dépots,
publics et privés, à commencer par ceux du roi ; ordre de cesser
tout monopole ; défense d'exiger aucune corvée ; défense d'employer
des victimes pour les sacrifices; on devait y suppléer par des soie-
ries ; dans les repas de visite, défense d'avoir plus d'un plat de
viande ; en fait de voilures et de vêtements, ordre de se contenter
du nécessaire ; défense de construire de nouveaux vaisseaux, et
autres défenses de ce genre. Ainsi personne n'eut plus à souffrir
de la misère, dans toute l'étendue du pays; le peuple devint éco-
nome et sans passions ; c'était vraiment l'âge d'or, l'état d'inno-
cence revenu sur la terre. Aussi, dans trois expéditions succes-
sives, le roi de Tch'ou ^ n'osa attaquer un peuple gouverne
d'une telle manière.
Voilà un tableau dressé par le pinceau d'un lettré : ces mes-
sieurs, qui ont pâli sur leurs livres, croient vraiment que cela est
arrivé ; ils n'ont pas l'air de se douter que la vie et les passions de
l'homme sont tout autres dans le pratique ; la Chine surtout a beau-
coup de bonnes lois ; elles dorment profondément ensevelies dans
leur code. Un roi intelligent et ferme a pu en presser l'exécution
pendant un an ou deux, et produire ainsi un moment de prospé-
rité : mais de là à ce que nous venons de lire, il y a loin !
En 563, à la 4èmB lune, au jour appelé ou-ou jr£ 4f- (27 fév-
rier), Tao-kong présidait une assemblée de vassaux à Tcha |[[ 1 .
(1) Tcha : cette rivière coulait à l'ouest de Pi-yang tch'eng fc'J RJJ^. capitale
238 TEMPS VRAIMENT HISTOniQUKS
(sur les bords de la rivière de ce nom) ; étaient présents les prin-
ces des Lou 1§, Song %, Wei $j, Ts'ao ^, Kiu g", Tchou #jS,
Teng JJi{f, Si (j^, Ki fâ et Siao-lclwu >J> $;-|(, avec l'ambassadeur
de Ts'i f^, et surtout Cheou-mong j| ^, représentant de Ou §\.
Le but de la réunion était naturellement d'exhorter ce dernier
roi, afin qu'il harcelât le pays de Tclt'ou ^, et qu'il délivrât ainsi
les chinois du nord.
Le chemin entre leurs états et celui de Ou, passait par la
petite principauté de Pi-yang ffVJ PJj (1) ; on jugea donc opportun
de s'emparer de cette ville; Siun-yen ^fj fg et Che-kai -j^ £] pro-
posèrent de l'attaquer immédiatement, et de la donner au sage
Hiang-chou [p] J-%, en reconnaissance des fidèles services rendus
par le prince de Song ^. Mais Tche-yong £fl if^, premier minis-
tre et généralissime, n'était pas de cet avis: cette ville est petite,
disait-il, mais elle est très-bien fortifiée; si nous la prenons, il
n'y aura pas beaucoup de gloire; si nous échouons, ce sera ridi-
cule. Les deux seigneurs insistant, il les laissa faire.
Au jour ping-ing pTj jf£ (7 mars), on cerna la ville; pendant
25 jours on fit des prouesses de valeur et de force ; le père de
Confucius, présent à l'armée, s'y distingua parmi tous les autres;
tout fut inutile. En désespoir de cause, les deux seigneurs vinrent
trouver le généralissime, et lui dirent : l'époque des pluies d'été
approche; si nous restons plus longtemps ici, les chemins seront
défoncés; nous ne pourrons plus ramener notre armée; il vaudrait
mieux partir tout de suite.
Tche-yong furieux saisit un escabeau, qui se trouvait près de
lui, et le lança sur les deux seigneurs, sans les attrapper : c'est
vous, leur cria-t-il, qui avez mis eu avant cette entreprise; après
avoir tout combiné, vous n'avez fait que m'avertir; pour sauver
votre face, je vous ai laissé agir; c'est vous qui avez mis enjeu
l'honneur de notre souverain, mis en mouvement toutes les trou-
pes des vassaux, forcé un vieillard comme moi à venir jusqu'ici ; et
tout cela sans aucun résultat. Maintenant, vous voudriez rejeter
l'odieux de cette sottise sur moi, qui n'y suis pour rien; vous diriez
à notre prince : si le généralissime n'avait pas commandé la retraite,
de cette petite principauté ; Cette ville était à 50 li au sud de / hien $$ |f , qui est
à 260 li sud-est de sa préfecture Yen-tcheou fou Jj '){\ H] Chan-tong (Grande géogr.,
vol. i . p. 13. — vol, 32. p. 20) — [Petite, vol. 10, p. g).
D'autres auteurs placent cette ville, tantôt ici tantôt là.
Quant à l'imposition du bonnet viril, elle n'existe plus en Chine. Autrefois, le
jeune homme le recevait à vingt ans, il était alors déclaré majeur: comme on le
voit, on devançait cet âge en faveur des princes. D'après les anciens rites, l'homme
recevait le bonnet viril à 50 ans, et se mariait à 30 ; la femme, à 20 : on donne
de tout cela des raisons profondes peu intéressantes , Voir Couvreur. Li-ki |§ SU,
vol, 2, p. 636), (1) Voir la note précédente.
DU ROYAUME DE TSIN. TAO-KONG. 239
nous aurions pris la ville Ifaible et usé comme je suis,puis-je prendre
sur moi une pareille responsabilité? si dans sept jours la ville n'est
pas en votre pouvoir, je saurai bien vous prendre, moi, et vous
faire payer cette honte !
Au jour Keng-ing Jj* jîj, les deux généraux conduisirent de
nouveau leurs troupes à l'attaque, 31 mars); eux-mêmes étaient
au plus fort de la mêlée, recevant pierres et flèches sur la tête ; il
fallait vaincre ou mourir.
Au jour Kîa-ou Ffi ^ (4 avril , après des combats désespérés,
de part et d'autre, la ville tomba enfin au pouvoir des assiégeants.
On l'offrit alors au seigneur Hiang-chou [£] fâ ; mais celui-ci la
refusa avec grande humilité; on la donna donc à son maître, le
roi de Song ^.
Ce dernier voulant montrer sa gratitude, donna un festin
solennel à Tao-kong, dans la ville de Tch'ou-li'iou $£ Jrft (1) ;
dans cette circonstance, il demanda permission de se servir de la
musique appelée Sang-ling ^ ~\-\\ (2), c'est-à-dire de la musique
impériale de la dynastie Ing j|j£.
Le premier ministre Tche-yong jf$ *£ était d'avis de refuser
cette permission ; les deux seigneurs Siun-yen ^j ([§ et Che-kai
-^ 4bj désiraient qu'on l'accordât: et ils en donnaient la raison
suivante : le roi de Song, descendant de la dynastie Ing, et le duc
de Lou ig-, descendant de Tcheou-kong J$ /£*. voilà les deux seuls
princes qui puissent nous faire voir les cérémonies des anciens
empereurs; le duc se sert bien de la musique impériale, au grand
sacrifice triennal, et aux réceptions solennelles des princes; pour-
quoi le roi de Song n'en ferait-il pas autant pour la réception de
notre souverain?
La permission fut accordée. Mais voilà qu'au moment où le
grand maître des pantomimes impériales apparut avec l'immense
étendard de l'antique dynastie Hia J£, pour indiquer le rang des
places à chacun des hôtes, Tao-kong fut si effrayé qu'il s'enfuit
(1) Tch'ou-k'ieou, était à 10 li sud-est de ZVao hien f| f£, qui est à 120 li
sud-est de sa préfecture Ts'ao-tcheou fou ','? M 'flF. Chan-tong. (Petite géogr., vol.
io. p. ly) — (Grande, vol. 33, j). zS).
(2) La musique Sang-ling. Les annal.- de Tche-tchcou fou ffî )\\ fff . Chan-si,
vol. 5!, p. 21, disent que Sang-ling *^ fâ est le nom d'un lac et d'une forêt, qui
se trouvent à 30 li à l'ouest de Yang-tch'eng liicn W. fe? M ■ or, cette ville esl
li à l'ouest de sa préfecture Tche-tcheou fou; le lac s'appelle maintenant llouo-tche
ï* f^P C'est là que le fameux empereur T'ang jj} [1766-1754 av. J-C . lors d'une
grande sécheresse, vint faire ses prières, et obtint la pluie : on y bâtit plus tard un
grand temple. La musique employée en cette circonstance. et qui avait été si efficace,
porta désormais le nom de ce lieu : elle le irarda tant que dura la dynastie Yng fj£,
qui descendait de ce prince: elle s'appela aussi ta-houo ii ;'§;. comme ce même
endroit.
240 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
dans le vestiaire, et ne reparut que quand on eut emporté cet
étendard.
Autre merveille : sur le chemin du retour, étant parvenu à
Tchou-yong ^ ^jf (1), Tao-kong tomba gravement malade; on
consulta la tortue divinatoire, et l'Esprit de la musique Sang-ling
£< \\{ fit apparition; les deux seigneurs Siun-yen et Che-kai,
grandement inquiets, voulaient qu'on retournât au pays de Song,
pour y offrir des sacrifices expiatoires. Le premier ministre s'y
opposa encore : moi, dit-il, je ne voulais pas de ces cérémonies ;
si l'Esprit de cette musique est mécontent, qu'il se venge sur eux :
Finalement, l'ao-kong se trouva mieux, et put partir de là.
Il emmenait captif le prince de Pi-yang \ft f^§ ; il le présenta
au temple de Qu-kong ]j£ £j, en disant à son ancêtre : c'est un
barbare ! et il l'avait affublé d'habits de sauvage ; car il n'était
pas permis de présenter au temple un prisonnier chinois. Com-
me on le voit, les ancêtres savaient fermer les yeux sur les pieuses
fraudes de leurs vertueux descendants.
Cependant, tout n'était pas fini par cette comédie religieuse ;
il fallait prévenir la colère et la vengeance des ancêtres du captif ;
il fallait encore une autre ruse filiale : Ce prince était du clan de
Yun fer, et descendait de Tchou-yong fj£ grfi : Tao-kong chargea
le grand archiviste de la cour impériale, de choisir et de nommer
officiellement un homme éminent et sage de ce clan, à l'effet de
continuer ^les sacrifices aux ancêtres, à la place du captif. Et
c'était conforme aux rites, ajoute l'historien. Quant à la justice,
il n'en était pas même question. Les sacrifices en question de-
vaient désormais se célébrer à Ho-tch'eng ]pj ££ (ou Ho-jenn),
ancienne capitale d'une principauté annexée au royaume de Tsin,
en 661 ; cette ville était à 16 ly à l'ouest de Ho-tcheou fpT ]]].
qui est à 460 ly au sud de sa préfecture T'ai-yuen fou ^ )& jft-
Chan-si. (Grande géogr., vol. 41, p. 45). Ho-tch'eng était devenu
fief de la famille K'i £[>. Les annales du Chan-si, vol. 53, p. 22.
la mettent à Fan-che-hien fg JX; $£, 70 ly à l'est de Tai-tcheou
^ fl\, au nord de la province.
Vers le mois de mai, le généralissime Tche-yong %\\ îgp con-
duisait une armée ravager le pays de Ts'in |f|, pour le punir de
l'invasion de l'année précédente ; mais l'historien ne relate aucun
fait particulier.
En l'année 5*7 1 , nous avons vu les troupes fédérées travailler
de concert à la fortification de Hou-lao ; ce qui avait amené la
soumission du prince de Tclteng |||$ : on s'était vainement flatté
qu'à l'avenir les guerres seraient finies avec le roi de Tch'ou, à
propos de cette principauté : on voulut dans le même but fortifier
encore deux autres villes voisines, Ou jfê et Tchc -fjjij (2), après
l ["chou 'i- inconnue des g - tphes.
[2) Ou: d'après le recueil Hoang Tsing king-kiai H frf $2 l?', cette forteresse
DU ROYAUME DE TSIN. TAO-KONG. 241
avoir réparé les murs de Hou-lao, qui s'étaient déjà dégradés.
Ces grands travaux turent exécutés par les seules troupes de Tsin,
commandées par les seigneurs Che-fang -Jj aj] et Wei-kiang |$|
|i|. Aussitôt, le prince de Tcheng ft]) revint faire sa soumission.
A la llème lUne septembre-octobre), une armée de Tch'ou^
venait le punir. Les troupes de Tsin et des vassaux, évitant la
capitale, firent un grand détour, dans le dessein sans doute de
prendre l'ennemi par derrière, et de lui couper la retraite ; elles
arrivèrent à Yang-ling f^ [§| (1), et trouvèrent l'armée de Tch'ou
en bon ordre, et prête à les recevoir.
Tche-yong fâ] @, le généralissime, déçu dans son espoir,
proposa de rebrousser chemin : si nous nous retirons aujourd'hui,
disait-il, les gens de Tch'ou vont s'enorgueillir, négliger les me-
sures de prudence ; alors nous pourrons tomber sur eux. — Fuir
devant l'armée de Tch'ou serait une honte, s'écria le général
Loun-yen |jj| -S? : s'infliger un pareil déshonneur devant les trou-
pes des vassaux serait encore plus humiliant ; mieux vaut mou-
rir ; je vais m'avancer seul avec mon corps d'armée !
Au jour appelé ki-hai g, ~}£ (6 octobre), il se trouvait d'un
coté de la rivière Yng pj (2J : les gens de Tch'ou, de l'autre ; et
l'on paraissait également vouloir en venir aux mains ; il s'agissait
de savoir qui passerait à l'autre rive.
Tse-kiao ^- $g, premier-ministre de Tcheng gf$, dit alors à
son maître : les troupes fédérées n'ont pas envie de se battre, et
celles de Tsin ne pensent qu'à se retirer : si nous faisons notre
soumission au roi de Tch'ou, nous éviterons sa vengeance ; si
nous persistons à rester avec le roi de Tsin, nous en serons cer-
tainement abandonnés. .Ayant ainsi parlé, il attendit la nuit,
passa la rivière, et fit un traité d'alliance et d'amitié avec les gens
de Tch'ou.
Le général Loan-3-en était si furieux qu'il voulait se précipiter
sur les troupes du traître; mais le généralissime ne le lui permit
pas: nous ne pouvons pas tenir tète à l'armée de Tch'ou, lui
disait-il ; comment trouver mal que le prince de Tcheng cherche
ailleurs aide et protection ? Si nous nous lançons sur son armée,
était dans le défilé de Hou-tong f§ fl.?. sur le territoire actuel de Yong-yang hien
tAWi% ■■ celle-ci est à 200 li à l'ouest de sa prélecture K'ai-fong fou Pf] jÉf fêf, Ho-nan.
Tche, appelée plus tard Tch'eng-kao-tch'eng $i V; M- était au nord-ouest
de Fan-chouei hien \Q /j\ |f, qui est à 250 li à l'ouest de sa préfecture K'ai-fong
fou. (Petite géogr., vol. 12, p. 10). — Grande, vol. 41, p.
(i) Yang-ling, était au nord-oue>t de Hiu tcheou If H], Ho-nan. (Petite géogr.,
DOl, 12. p. 5T).
(2) Yng, cette rivière est au nord-est de Siang-tch'eng hien J| £$ §| : celle-
1 90 li sud-ouest de Hiu- tcheou. (Petit.- géogr , vol. 12, p. S9) — Grande
vol. 46, pp. 2ç et sitiv..
31
242 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
les gens de Tch'ou viendront à son secours ; nous serons pris de
deux côtés; qui peut assurer le succès d'une telle bataille? le
mieux est de nous retirer.
Au jour ting-wei ~J" ?fc (14 octobre), on reprenait piteusement
le chemin du retour; en route, on se vengea un peu de cet échec
humiliant; on dévasta la frontière orientale de Tcheng J|f5 ; de
son côté, l'armée de Tch'ou s'en retourna chez elle, ayant obtenu
ce qu'elle voulait. Quelques commentaires prétendent que Tao-kong
«ne perdit pas la face» en cette circonstance; c'est vraiment trop
de bonne volonté.
11 se consola du moins en faisant une bonne œuvre : il y
avait, paraît-il, cette année-là, des troubles à la cour impériale ; il
envoya le seigneur Che-kai "JT 4EJ y remettre la paix; c'était son
devoir ; car le premier office du chef des vassaux était de protéger
l'empereur.
En 562, la cour de Tcheng |f[$, fatiguée enfin de son jeu de
bascule, voulut y renoncer une bonne fois, et s'attacher éternelle-
ment au roi de Tsin ; elle ne trouvait pas son avantage à être sous
la domination de Tch'ou $£. Mais comment entrer en pourparlers
avec Tsin, après la dernière trahison? Le premier ministre pro-
posa un bon stratagème: attaquons le pays de Song 5jç, dit-il;
l'armée des vassaux et celle de Tao-kong viendront à son secours;
quand nous serons en présence, nous ferons un traité d'alliance
définitif. Ainsi arriva-t-il.
Tao-kong apprenant cette invasion, convoqua les vassaux,
pour aviser aux moyens de l'arrêter, et d'en tirer vengeance ;
douze princes ou leurs députés furent présents à cette assemblée;
on décida de porter la guerre au cœur du pays, et de forcer ainsi
son armée à sortir du territoire de Song.
A la 4ème lune, au jour ki-hai g, ^ (3 février), les troupes
fédérées étaient sous les murs de la capitale, et en pressaient
activement le siège ; à la 6ème lune, le prince faisait sa soumission ;
à la 7ème, au jour hi-wei g, jfc (24 avril), au nord de la ville de
Po-tch'eng dg^ jfâ (1), il signait et jurait solennellement avec les
autres vassaux le traité d'alliance et d'amité qu'il venait de conclure
avec Tao-kong.
Che-kai i 4t] fit alors l'observation suivante : si nous n'y
prenons garde, nous allons perdre notre suprématie ; ces voyages
continuels que nous imposons aux princes féodaux, les harassent,
et souvent sans résultat ; comment ne nous quitteraient-ils pas ?
Le texte du traité disait: Nous tous, cosignataires de cette
convention, nous promettons de faire part aux autres de l'excédent
de nos récoltes, dans les années d'abondance; de ne pas revendi-
(1) Po-tch'eng, était à I i li à l'ouest de Yen-che kien M ê>P !£> qu' cst à 70
H .1 L'est de sa préfecture Ho-nan fou i"I î$] H)', Ho-nan. (Petite géogr.j vol. 12, p,
34) — (Grande, vol. 48, p. 36).
DU ROYAUME DE TSIN. TAO-KONG.
Z -4 . »
quer seulement les avantages des montagnes et des fleuves, pour
soi, et d'en laisser les inconvénients aux autres ; de ne pas proté-
ger les traîtres ; de chasser au plus tôt les malfaiteurs ; de nous
entr'aider dans les calamités publiques ; de nous montrer miséri-
cordieux envers ceux de nous qui subiraient des fléaux ou des
révolutions ; de nourrir entre nous les mêmes affections et les
mêmes haines ; d'aider et soutenir loyalement la maison impériale.
— Si quelqu'un n'observe pas ces articles, que les Esprits protec-
teurs des traitées, les Esprits des montagnes et des fleuves, tous
les Esprits auxquels on sacrifie, les Esprits de nos anciens empe-
reurs et de nos ancêtres, de nos sept clans et de nos treize royau-
mes, enfin tous les Esprits intelligents ensemble le détruisent et
l'écrasent ; que son peuple le quitte ; qu'il perde son mandat reçu
du ciel; que sa famille soit exterminée; que son état enfin soit
renversé et anéanti.
Naturellement, une armée de Tch'ou ^ se présenta bientôt,
et le prince de Tcheng lui offrit sa soumission ; naturellement en-
core, une nouvelle armée des princes fédérés revint à la charge,
et à la 9ème lune, au jour kia-siu Ep J^ (8 juillet', le même prince
courbait la tête.
A la l0-me lune, au jour Ting-hai ~T ~£ 21 Juillet- son
ambassadeur se rendait auprès de Tao-kong, en dehors de la porte
orientale, ratifier le traité conclu avec son député. A la 12"" lune,
au jour ou-ing rj£ H (10 Septembre), les treize princes étaient
réunis, à Siao-yu |jf ^ (1), pour y publier et jurer ensemble ce
même traité. Deux jours plus tard Tao-kong rendait la liberté aux
prisonniers, et priait les vassaux de pardonner tout le passé ; vu
que le prince de Tcheng ^ était désormais rivé au royaume de Tsin.
De fait, cette fois, vingt-quatre années se passeront, sans qu'il
fasse défection ; chose inouie jusqu'alors.
En preuve de sa sincérité, le prince de Tcheng f||$ offrit à
Tao-kong les cadeaux suivants : a) les trois fameux directeurs de
musique K'ouei ff!. Tch'ou $$| et K'iuen g§ : — b] quinze beaux
chars de guerre à forme large, et autant à forme moins large;
tous complètement équipés de cuirasses et d'armes nécessaires;
puis soixante-dix chars ordinaires ; — c deux rangées de cloches
de différentes dimensions, sans doute pour la musique des réce-
ption solennelles ; chaque rangée avait trente-deux cloches de ce
genre; — d) une autre grosse cloche, pour le seivice du temple
des ancêtres ou pour celui du palais; avec elle, un assortiment de
pierres musicales; — e deux bandes de musiciennes, de huit
chanteuses chacune (2).
(1) Siao-yu ou Siou-yu fê &, ville de Tcheng, c'est Mu tcheou jfjf W. Ho-
nan : car celle-ci a eu différents noms au cours des siècles. Grande geogr., vol. 47,
p. 42).
(2) La principauté de Tcheng était mal famée, pour sa musique lascive et ses
244 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Tao-kong offrit à Wei-kiang %$L jfs£ Tune de ces deux bandes,
en lui disant : c'est votre seigneurie qui m'a conseillé de faire la
paix avec les Tartares Jong j£ et Ti ffi, afin de nous assurer la
fidélité des vassaux ; or, en huit ans, nous les avons réunis neuf
fois; et tous sont en parfaite harmonie avec nous, comme les di-
vers instrument d'une musique; je désire donc partager ces ca-
deaux avec vous.
Wei-kiang répondit humblement : que les Tartares aient vécu
en paix, c'est un heureux sort pour notre pays; qu'en huit ans les
vassaux aient été réunis neuf fois, sans qu'aucun se fût montré
revèche, c'est e.ffct de la bonne administration de votre Majesté, et
du concours si dévoué des ministres; je désire de tout cœur que
votre Majesté se délecte grandement à cette musique ; mais aussi
qu'elle pense toujours à l'avenir! Le livre des Vers nous dit (1) :
ces princes sont aimables; ils défendent les états du fils du ciel; ces
princes sont aimables; ils sont comblés de tous les biens; des hom-
mes d'une tenue irréprochable les suivent et les accompagnent. Car
la musique met la vertu en repos ; la justice la met à sa juste place;
les rites la font pratiquer avec convenance ; la bonne foi la garde ;
l'humanité lui fait exercer partout son influence salutaire. Avec des
qualités semblables, un prince peut vraiment consolider son trône,
rendre le bonheur universel, et attirer dans ses états des étrangers
distingués. Voilà les effets merveilleux d'une bonne musique! Dans
les anciens livres il est dit : quand vous êtes en sécurité, neîî.sec: à
prévenir les malheurs. Quiconque est prudent et prévoyant, se
préparc à n'importe quelle surprise. Votre Majesté ne m'en voudra
pas de lui avoir rappelé ces grands principes d'administration.
Tao-kong répondit : comment n'aurais-je pas soin de me con-
former à vos si sages conseils? c'est grâce à vos avis que j'ai pu
traiter les affaires des Tartares avec la prudence convenable; sans
cela, nous n'aurions jamais été en mesure de passer le fleuve
jaune, et de nous mêler à la politique des états méridionaux. C'est
une règle antique dans l'administration, de récompenser digne-
ment ceux qui ont bien mérité au service de leur pays ; elle est
consignée dans les archives, et doit absolument s'observer. Ainsi,
que votre seigneurie accepte ce cadeau.
Depuis cette époque, la maison de Wei-kiang ||| $fc eut le
privilège de posséder des cloches et des pierres musicales ; et de
s'en servir dans les fêtes qu'elle donnait. Voilà des circonstances
où tout se passait d'après les rites anciens.
musiciennes; comme on le sait par le livre des Vers.- (cf. Couvreur, pp. Sj, et
suiv.,). ("est peut-être pour cela que le sage conseiller parlait de l'avenir. — Enco-
re maintenant on l'ait aux grands dignitaires des cadeaux de musiciennes, femmes
nux mœurs t celui qui les reçoit peut en passer à ses amis,
(t) Che-king jj^p ft§. (Couvreur, p. 302, ode 8, vere 4).
DU ROYAUME DE TSI\. TAO-KONG. 2 \ 5
Pendant que Tao-kong était occupé au pays de Tcheng fffl,
le roi de Tch'ou-^: pour l'en faire sortir, conseillait au roi de
Ts'in |?§ d'envahir ses propres états ; et celui-ci n'avait pas de-
mandé mieux ; son général Pno $|J était entré le premier sur le
territoire de Tao-kong- : le général Che-fang -^ &fj, qui avait reçu
ordre de repousser l'ennemi, eut le tort de mépriser cette armée,
et ne prit pas les précautions voulues ; aussi, au jour ning-ou f£
^P (14 septembre), le g-énéral Ou jjÇ passant à son tour le fleuve
Jaune, au gué de Fou-chc fjf fÇ (1), se réunit à son collègue
Pao ; tous deux allèrent présenter la bataille aux troupes de Che-
fang, et les mirent en pleine déroute à Ly ^ 2), au jour ki-
tcheou 2, ^ (21 septembre).
En 561, vers le mois de mars, ce même seigneur Che-fang -^
&jj était envoyé à la cour de Lo>>. %}. remercier le duc de ses loyaux
services, principalement dans les expéditions contre le prince de
Tcheng ff[> : il devait lui offrir de riches cadeaux en récompense.
En août-septembre, Tse-nang -Ç- §|§, premier ministre de
Tch'ou 2g. avec Ou-ti M ii|J, grand officier de Ts'in |f|, conduisait
une armée contre le royaume de Song 5{ç, et s'avançait jusqu'à
Yang-leang ^ ^ (3), pour se venger d'avoir perdu la principauté
de Tclicng Jf|$ ; mais l'expédition n'eut pas grand résultat ; ce fut
plutôt une razzia destinée à harceler Tao-kong et ses subordonnés.
A la fin de l'année, le duc de Lou ^ était en personne à la
cour de Tsin ; l'historien dit que c'était pour remercier de l'am-
bassade du seigneur Che-fang ; il ne se trompe point ; mais il ne
donne pas une autre raison plus sérieuse ; c'est que le duc. voyant
son autorité lui échapper, et passer aux mains des puissantes
familles seigneuriales, multipliait ses visites auprès de Too-kong.
pour se faire aider contre elles ; celui-ci n'était pas trop mécontent
de cet état de choses, qui lui permettait d'être plus facilement
maître du duché.
En 560, vers le mois d'avril, mouraient Tche-yong ~f$ ^ ou
Siun-rjong ^fj j§| , premier-ministre et généralissime, puis <'lt<'-
(1) Fou-che : auprès de ce gué, il y avait des fortifications, pour le garder:
Car c'était un point stratégique très-important; l'endroit est à 13 li nord-ouest de
Tchao-i hien $1 e S?, qui est à 30 li à Test de sa préfecture Tono tcheou fou ^
M fft. Chen-si. (Petite géogr., vol. 14, p. 18) — (Grande, vol. 54. p. 21).
(2) Ly : la grande géogr., à l'endroit ci-dessus, marque cette ville au nord de
Pou tcheou îiîî#l, Chan-si ; c'est plausible: mais le même ouvrage ne l'indique plus,
quand il décrit cette préfecture, vol. 41, p. p. 15 et suiv., c'est qu'en effet il y a
des doutes. L'édition impériale, vol. 20, p. li, place cette ville à 30 li au nord de
ZÂng-tong hien 5.~Éa !£> dans la préfecture de Si-ngan fou JS ^ ffi, Chan-si ; c'est
trop loin de l'endroit où étaient les armées.
(3) Yang-liang, était à 30 li sud-est de ICoei-tc fou §$ fg tff, Ho-nan. Petite
géogr., vol. 12, p. 12) — (Grande, vol. jo, p. 6 .
246 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
fang -j; ' $%, adjudant du 3hmc corps d'armée (1); pour choisir
leurs successeurs, Tao-kong ordonna de grandes manœuvres à
Mien-chang j^ _£ (2), afin d'examiner les qualités de chacun des
grands officiers.
En conséquence, il choisit Che-kai -J^ 45] comme premier-
ministre et généralissime ; mais celui-ci refusa humblement cet
honneur en disant : Siun-yen ^j fg est mon ancien, et je suis
loin de le valoir, quoique j'aie été longtemps l'adjudant du géné-
ralissime ; ainsi veuillez lui donner la préférence ; je serai trop
heureux d'être son aide. Tao-kong suivit ce conseil. Siun-yen
s'appelait aussi Siun-hien-t-<e 1$ Jffc ^ .
Ayant nommé Han-h'i %% $L général du 2"3ine corps (aile
droite), celui-ci refusa de même, et proposa Tchao-ou j$i$,, com-
me plus capable ; Tao-kong ne l'accepta pas, parce que ce seigneur
était alors à un poste trop inférieur ; il le réserva pour plus tard,
et nomma Loan-ycn fj| j^. Ce dernier, malgré sa nature si
orgueilleuse, voyant ces grands dignitaires si humbles, ne put
s'empêcher d'en faire autant ; il dit donc à Tao-kong : je ne vaux
pas Han-k'i ; puisque lui-même propose Tchao-ou comme plus
capable, je vous prie de donner ce poste à ce seigneur si éminent;
c'est ce qui arriva ; Han-k'i fut l'adjudant de son protégé ; Loan-
yen lut général du 3ème corps (aile gauche), avec Wei-hiang §|
fë pour adjudant.
Quant aux nouveaux corps d'armée, on ne leur assigna pour
lors ni général ni aide ; ils devaient être, en attendant, sous les
ordres du chef de l'aile gauche Loan-yen, et de son adjudant.
Tao-kong, difficile dans le choix de ses dignitaires, n'avait pas
encore trouvé les deux hommes qu'il souhaitait.
L'historien approuve cette conduite comme conforme aux
rites; il ajoute que les exemples d'humilité, qu'il vient de raconter,
eurent une grande influence sur le peuple, où régna l'union la
plus parfaite ; sur le vassaux eux-mêmes, où régna la plus grande
harmonie, la plus entière soumission envers le suzerain.
(3) «Un homme sage, dit-il, remarquera que la déférence est
(1) La famille Siun, porta aussi le nom de Tchong-hang 41 fj ; parce que
Siun-ling-fou $ ^ ^£ avait été le général des nouveaux corps d'armée, appelés seu-
lement hang f/, il y en avait trois, le centre + et les deux ailes; mais il n'y avait
qu'un général et son aide.
(2) Mien-chang, ou Siao-micn-chan /K ^ il], montagne à 15 li nord-ouest de
I-tch'eng hien M^M- celle-ci est à 130 li sud-est de sa préfecture P'ing-yang fou
'f-FU'fiF. Chan-si ; sur cette montagne se trouve le temple bàli par Wen-kong ïXÎ^,
en l'honneur de son compagnon oublié Kia-tse-tch'ouci ft £ î§.. Petite géogr., vol.
S. p. 10) — (Grande, vol. 41, p. 13)-
(3) Voici, paraît-il, un chef-d'ieuvre de littérature et de philosophie ; en réa-
lité, c'est un lieu commun sur le bon exemple ; il s'en trouve partout dans les au-
teurs chinois : mais, dit-on, il n'est nulle part ailleurs énoncé avec une telle élégan-
ce classique.
DU ROYAUME DE TSIN. TAO-KONG. 247
le point capital des rites bien entendus : le grand seigneur Che-
kai -j^ <£} ayant le premier donné l'exemple, tous les autres l'imi-
tèrent ; même le fier Loan-yen |f§ J|| fut entraîné ; ainsi le royau-
me de Tsin eut la paix et l'union la plus parfaites ; et l'effet en
dura pendant plusieurs générations. Voilà ce que peut le bon
exemple ! un seul homme entraîne tout le peuple, et assure la
sécurité du pays; ne faut-il pas y réfléchir sérieusement? Le livre
des annales (1) nous dit: si quelqu'un pratique parfaitement les
trois vertus d'un bon juge, le souverain sera heureux: le peuple
aura confiance, et la tranquillité sera de longue durée. Cette
parole n'est-elle pas vérifiée dans notre cas ? Parlant de la pros-
périté de la dynastie Tcheou J$, le livre des Vers 2) nous dit:
imitez Wen-wang ]£ 3£, tous les peuples se lèveront, et vous
donneront leur confiance; voilà l'effet des bons exemples; parlant
de la décadence de cette dynastie, le même livre nous dit : les
ministres ne sont pas justes; ils m'obligent à faire seul tout le
service; comme si j'avais seul la sagesse nécessaire! Voilà les
paroles d'un homme peu humble. En temps de bonne adminis-
tration, dès que les dignitaires s'aperçoivent que d'autres sont
plus capables qu'eux-mêmes, ils leur cèdent la place ; le peuple
s'applique alors avec ardeur à la culture de ses champs, pour le
service de ses supérieurs ; en haut, en bas, on observe ainsi les
rites ; les calomniateurs et autres malfaiteurs décampent au plus
vite ; aucune querelle, aucune rivalité ; c'est ce que l'on appelle
l'âge d'or de la pure vertu. En temps de mauvaise administration
et de trouble, c'est tout autre chose: les dignitaires vantent leurs
hauts faits, pour en imposer à leurs inférieurs ; ceux-ci se préva-
lent de leur habileté, pour se moquer de leurs supérieurs ; des
deux côtés on ne sait pas pratiquer les rites; de là des rivalités,
des querelles ; chacun veut surpasser l'autre ; c'est l'âge de la vertu
délaissée ; si les étages de la société tombent en décadence et en
ruine, la cause en est dans cet esprit d'orgueil et de rivalité. »
En 559, le roi de Ou Jj|, poussé par Tao-kong, avait fait une
expédition contre le pays de Tch'ou *g ; mais il y avait été affreu-
sement battu ; il envoya un ambassadeur annoncer cet échec, et
demander secours pour s'en venger. Ce député étant parvenu à
Hiang [fï] (3), Tao-kong ordonna aux vassaux de s'y rendre, ou
d'y envoyer leurs représentants; aucune prince n'y alla en person-
ne; il n'y eut que leurs délégués, présidés par le seigneur Che-
hai ^fc^j; c'était à la l'1'1' lune 'novembre).
(1) Chou-king 'M $J[. (Couvreur, p. 383, paragr., 13).
(2) Che-ki>uj £§ %2- (Couvreur, p. 323, ode 1. oers 7 — p. 26c, ode z. di r
(3) Hian^, était à iô li nord-:r-i de Hoaù-yuen hien t8 iÉ 1^ l11' cst ■ 70 •'
nord-ouest de sa préfecture Fong-yang fou J1J, IS Ir'f . Ngan-hoei. (Petite géogr.,
vol. 6. p. 22) — (Grande vol. 21. p. 1
248 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Celui-ci traita de haut les gens de Ou ; les blâma de ne rien
entendre à la vertu ni aux rites, puisqu'ils avaient osé attaquer
un pays plongé dans le deuil national ; il les chassa de rassemblée,
et déclara qu'il ne voulait plus avoir de rapports avec eux.
Dans sa mauvaise humeur, le président fit saisir Ou-leou $}
lît, prince de Kiu g;', comme accusé de relations traîtresses avec
le roi de Tch'ou *£ ; il allait encore faire saisir comme traître le
chef des tartares Jong fâ ; mais celui-ci lui fit un discours, resté
célèbre dans les annales de la Chine (voir votre histoire du royau-
me de Ou); il lava si bien la tète au fier seigneur-président, qu'il
le ramena à des sentiments d'humanité.
Che-kai éfait assez intelligent pour reconnaître ses torts ; il
s'excusa, et répara grandement sa faute ; les contributions impo-
sées au duché de Lou -ff- ayant été reconnues trop lourdes, furent
abaissées à une somme raisonnable ; dès lors, les relations entre
les députés furent des plus cordiales, jusqu'à la clôture de la
réunion,
Le résultat de cette assemblée, fut une déclaration de guerre
au roi de Ts'in |jf. A la 4ème lune vers mars), les officiers de
douze vassaux, avec leurs troupes, rejoignaient celles de Tao-kong,
et l'on allait prendre la revanche de l'invasion précédente (562).
Tao-kong demeura pour garder la frontière ; il envoya ses six
généraux en avant, sur le territoire de Ts'in J| : mais arrivée à
la rivière King ^ (1), l'armée refusa de la traverser ; le seigneur
Chou-hiang ;j>£ [fi], de la famille Yang cité ^L "g-, étant allé visiter
Chou-suen-mou-ise ;M#.^|-?*' celui-ci lui chanta l'ode «/a courge
conserve encore se* feuille* arriéres; quand le fleuve (le gué) est
profond, pour passer, on relève ses vêtements jusqu'au-dessus de
la ceinture ; quand il ne l'est pas, on le* relève jusqu'aux genoux
seulement (2)» ; c'était annoncer qu'il passerait la rivière malgré
tous les obstacles ; sur ce, Chou-hiang partit préparer des bar-
ques ; ce furent les soldats de Lou et de Kiu g" qui traversèrent
les premiers.
Tse-h'iao ^ ^, grand seigneur de Tcheng ||f$, étant aussi
allé visiter Pé-hong-i-tse 4fc 'g* f$ ^ , lui dit : quand on part en
campagne avec des troupes qui n'ont pas le cœur solide, le résultat
ne peut être que très-mauvais ; qu'y gagnera la chose publique ?
I-t<e sfe^ se réjouit de ces paroles, et tous deux allèrent exhorter
l'armée, qui finit par se laisser persuader, et passa la rivière.
(I) La rivière King es( un affluent du fleuve Wei ffj, dans le Chen-si ; l'année
la traversa au i me Souei-tch' eng f'ou H[f; i\ Èj£, à 20 li sud-ouest de King-
yinj hien jfë \ty g|, qui est à Tu li au nord de sa pn f< ture Si-ngan fou M 5£ 'ï''-
Chfu m (G >gr . vol. js, />. 27 et p. 28 vol. 53, p. jj).
king ,*£ ve Couvreur, p. 3S, ode ç. vers 1).
DU ROYAUME DE TSIN. TAO-KONG. 249
Elle campa sur l'autre rive ; mais les gens du pays empoi-
sonnèrent l'eau, et iî mourut beaucoup de monde ; alors Tse-k'iao,
le premier, prit ses soldats de Tcheng, et marcha de l'avant, pour
s'éloigner d'un lieu si funeste ; toute l'armée le suivit, et parvint
à Yu-ling ^ {vfv (1). Mais le roi de Ts'in ^ ne montra aucune
crainte, et ne lit aucune proposition de paix, contrairement à ce
qu'on avait espéré ; il attendait qu'on se rangeât en bataille, pour
en faire autant.
Alors le généralissime Siun-yen ^j ([§ publia l'ordre du joui-
suivant : demain, au premier chant du coq, préparez les chevaux,
comblez les puits, détruisez les fourneaux ; puis regardez la tête
de mon cheval, pour me suivre partout où j'irai.
Le fier Lonn-yen |p jjf, général du 3ème corps, indigné de ce
que le généralissime n'avait point consulté ses collègues, et pré-
tendait commander tout seul, s'écria publiquement : un tel ordre
du jour est inouï dans notre royaume ; puisque c'est la tête du
cheval qui sert de signal, celle du mien se tourne vers l'est ! Et
il reprit le chemin de la maison,
L'officier du grade tsouo-che ^ di demanda à Wêi-kiang §|
#£ : on n'obéit donc pas au généralissime ? Celui-ci répondit :
il est commandé de suivre son chef ; Loan-yen est mon supérieur,
je dois le suivre ; et c'est encore exécuter l'ordre du jour.
Siun-yen voyant cette débâcle, en fut bien mortifié : mon
ordre du jour, dit-il, est vraiment peu convenable, c'est vrai ;
m'en repentir maintenant est trop tard ; avec une telle désunion
nous risquerions de nous faire prendre un grand nombre d'hom-
mes. Et il commanda la retraite. Désormais on appela cette
expédition la reculade, ou la campagne aux longues hésitations.
Cependant, Loan-hien f|§ fj|, frère de l'orgueilleux Loan-yen,
supportait avec peine la honte d'une telle retraite ; avant de se
mettre en route comme tout le monde, il voulut faire un coup de
sa façon ; s'adressant à Che-yang J; |^, fils du ministre Che-kai,
il lui dit : nous étions venus pour prendre une revanche, et nous
fuyons sans combat ; quelle honte pour notre pays ! nous sommes
deux de notre famille parmi les hauts dignitaires ; c'est encore
plus déshonorant pour elle ; allons ensemble braver l'armée de
Ts'in !
Les deux seigneurs partirent ensemble ; mais Che-yang seul
revint [vivant. Loan-yen, furieux de la mort de son frère, alla
trouver Che feaî ■j^' fë\ : c'est votre fils, dit-il, qui a entraîné mon
frère dans cette sottise ; s'il revient seul, c'est qu'il a massacré
son compagnon ; éloignez-le du pays, sinon je le tue ! (2)
(1) Yu-ling, appelée aussi Tcheng-tch'eng £jlî ijfi, était un peu au nord do
Iloa tcheou 'Jfê ')]] , qui es< à 180 li sud-ouesl de sa préfecture T'ong-tcheou fou \a\
'){] OT', Chen-si. (Kûxng-yu-piao ^ bJÊ Vi, vol. |;. i>. 37).
(2) Journellement pareille chinoiserie se renouvelle; on accuse un voisin;
32
250 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Che-yang j^ |$. s'enfuit à la cour de Ts'in f^f, à laquelle il
venait de faire la guerre ; il y fut reçu honorablement. Le roi
lui demanda un jour : parmi les grands officiers de votre pays,
quel sera, pensez-vous, le premier à tomber ? — Ne sera-ce pas la
famille Loan ? répondit le fugitif ; elle est orgueilleuse et tyranni-
que audelà de toute mesure ; Loan-yen pourra cependant échapper
au désastre ; parceque le peuple a encore souvenir des grands ser-
vices de Loan-chou |-f ^ son père. Au pays de Tcheou Jg] , dans
les anciens temps, le peuple se souvenant des services de Chao-
kong ^Q ^, épargnait l'arbre sous lequel cet homme éminent ren-
dait la justice ; aussi le livre des Vers (1) nous avertit en ces ter-
mes : n'abattez pas ce poirier sauvage, aux rameaux touffus, aux
fruits si doux ; le prince Chao fë s est abrité sous son feuillage ;
à plus forte raison le peuple de Tsin épargnera-t-il Loan-yen, à
cause de son père ; mais ce sera autre chose pour son fils Yng
•ffi,. Celui-ci n'aura pas eu le temps de se distinguer ; les services
de son grand-père seront oubliés ; on se souviendra seulement des
méfaits de son père ; il sera perdu !
Le roi de Ts'in ^ fut frappé de ce raisonnement ; il estima
ce jeune seigneur, prit sa cause à cœur, et la ménagea si bien
qu'il put retourner en paix dans son pays ; mais en 552 nous
verrons sa prophétie réalisée par la ruine de la famille Loan.
Après la malheureuse expédition que nous venons de raconter,
Tao-kong licencia ses trois nouveaux corps d'armée. L'historien
approuve, en disant que c'était conforme aux rites ; l'empereur
seul pouvait avoir six corps d'armée, c'était une loi fondamentale
de l'empire ; le roi de Tsin était donc en faute. Nous savons
tout cela ; et nous avons vu quelles précautions prit le prince
pour éluder la loi, tout en gardant ses soldats ; mais qui donc se
souciait de ces lois fondamentales ? qui donc se souciait de l'em-
pereur ? pauvre personnage poétique de Lo-yang :fô $%, qui serait
mort de faim s'il n'avait eu les contributions et les cadeaux des
autres princes !
La vraie raison a été déjà dite : Tao-kong n'avait pas d'hom-
mes à mettre à la tête de ces corps d'armée ; il les avait rattachés
à l'aile gauche ; et nous venons de voir Loan yen fjpè ^|| s'appuyer
sur eux pour faire échec à son généralissime ; pareil inconvénient
pouvait se renouveler ; le général du 3ème corps devenait trop
puissant, avait trop de monde sous ses ordres.
En mourant, l'ancien premier-ministre Tche-yong £fl ^ n'a-
vait laissé qu'un fils âgé de six ans ; l'aîné l'avait précédé dans la
tombe. Le seigneur Che-fang -^ §Jj n'avait aussi laissé qu'un
fils unique encore jeune, qui n'avait pu" succéder à son père.
mêmes arguments, mêmes preuves absurdes; n'importe: celui-ci prend peur, par-
lemente, i lemenl délie sn bourse; et le tour esl joué.
(1) Che-king i£ M- (Zottoli, 111, p. //. n. 16) — (Couvreur, p- 20, ode j).
DU ROYAUME DE TS1N. TÀO-KONG. 251
N'ayant pas de chefs, le prince licencia l'armée ; c'était sagesse
et économie.
Un jour, le grand maître de la musique, nommé Koang igj|, se
trouvait à coté de Tao-kong ; celui-ci l'interrogea en ces termes :
les gens de Wei Hj viennent de chasser leur marquis ; n'ont-ils
pas commis une grande faute ?
Le maître de musique profita de l'occasion, pour servir à son
souverain une bonne semonce, à la façon des vertueux lettrés : il
répondit donc: "c'est peut-être le prince qui a tort! Un bon sou-
verain récompense les bons serviteurs, et punit les mauvais ; il
traite le peuple comme un enfant chéri : à la manière du ciel, il
lui sert de voûte protectrice; il lui sert d'appui, comme la terre
qui s'étend au loin et au large ; alors le peuple le révère comme
son maître et seigneur, l'aime comme un tendre père ; plein de
confiance, il se tourne vers lui comme vers son soleil et sa lune,
il le vénère comme il vénère les Esprits ; il le craint, comme il
craint la foudre. Dans de telles dispositions, un peuple a-t-il
jamais chassé son souverain? Le prince est le maître des Esprits,
auxquels il peut accorder ou refuser des sacrifices ; il est l'espé-
rance du peuple, auquel il peut accorder ou refuser des bienfaits.
S'il tyrannise le peuple, néglige les sacrifices, il n'y a plus rien à
attendre de lui, l'état est sans chef: si on le tolère, à quoi sert-il?
c'est un nom ; ce n'est pas un homme !
Le ciel a créé le peuple, et lui a donné un maître pour le gou-
verner en bon pasteur ; de même il a placé auprès du souverain
des assistants, ses ministres, ses conseillers, afin de l'aider, le
diriger, lui faire éviter des excès. C'est ainsi que l'empereur a
auprès de lui ses ducs : les vassaux ont leurs ministres ; ceux-ci
ont les chefs des grandes familles: les officiers supérieurs ont
leurs adjudants, de la même famille ; les officiers inférieurs ont
leurs amis; les gens ordinaires, artisans, marchands, employés
de tribunaux, bergers, etc, ont leurs assistants dans la personne
de leurs parents ; ainsi on s'entr'aide mutuellement.
Si le chef agit bien, ses ministres l'approuvent et font son
éloge; s'il se trompe, ils le redressent; s'il est dans l'ambarras,
ils le secourent; s'il agit mal, ils le blâment. Depuis l'empereur
jusqu'au dernier du peuple, chacun à près de soi des témoins qui
le surveillent, suppléent à ce qui lui manque, et le corrigent s'il
commet une erreur.
Le grand archiviste consigne les actions de l'empereur; le
grand chef de musique compose des chants potir lui faire connaître
ses défauts; les musiciens inférieurs chantent leurs satyres, pour
faire savoir au prince ce que le peuple pense de lui ; les dignitai-
res lui font ouvertement leurs remarques ; les officiers inférieurs
lui transmettent leurs avis, par l'entremise de leurs chefs; les
gens ordinaires se contentent de le critiquer à bouche ouverte ; les
marchands eux-mêmes ont leur façon muette de faire leur critique,
252 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
en exposant les instruments de tyrannie dont il se sert de préfé-
rence; les artisans, dans leurs ouvrages, emploient une semblable
ruse, pour manifester leurs sentiments.
Voilà pourquoi, dans le livre des annales (1), il est dit: le
héraut impérial, prenant une clochette (a battant de bois), allait
par les chemins, reunissait le peuple, et proclamait: que les offi-
ciers, chargés de diriger et instruire le peuple, éclairent tous
l'administration impériale par leurs avis; que les artisans eux-
mêmes présentent des remontrances sur ce qui les concerne. Ainsi
faisait-on chaque année, au premier mois du printemps, comme
il est dit au même livre. On usait de ce système, de peur que
l'empereur ne s'écartât du droit chemin ; car c'est bien le peuple
que le ciel aime le plus; certes, il ne veut pas que le souverain
ne suive que ses caprices, et perde l'état qui lui a été confié ; ce
qui serait insupportable. (2).
Les grands seigneurs de Wei ^fj avaient donc chassé leur
marquis, et avaient mis un autre prince à sa place; Tao-kong
demanda à son premier ministre Siun-yen ^jj f[g s'il convenait de
faire la guerre, et de replacer le marquis sur son trône. Le minis-
tre répondit : le mieux est de reconnaître le fait accompli ; l'état de
AVei s'est donné un souverain ; si nous lui déclarons la guerre, il
n'est pas sûr que nous réussissions dans notre entreprise; nous
aurions en vain fatigué les vassaux. L'ancien historiographe / jfc
nous donne ce conseil: ce qui est trop lourd, n'essayez pas de le
remuer; depuis, Tchong-houei ftfi JJjtj ajoute cet autre avis: n'ayez
cure d'un état qui court à sa ruine; prenez celui qui est en révo-
lution; écartez ce qui est en voie de «e perdre; affermissez ce qui
est en voie de se consolider; voila la politique des anciens (3).
Pour le moment, votre Majesté n'a qu'à laisser les choses en leur
état; attendons qu'il y ait révolution pour faire la guerre.
Vers le mois d'octobre de cette même année 559, il y eut une
réunion de sept ambassadeurs des princes vassaux, à Ts'i J$,
pour se consulter sur les affaires de Wei ^ ; le président était
(1) Chou-kirig iB £§. (Couvreur, p. 97. paragr., s)-
(2) A propos des critiques muettes des marchands et artisans, voir le com-
mentaire Tsouo.-tiho«n /è ^, à l'année 539, où il est rapporté que les souliers
ordinaires se vendaient à bon marché ; les chaussures pour ceux à qui l'on avait
coupé le< pieds se vendaient cher; c'est encore une formule des lettrés!
Ce long discours est fameux ; sous Kang-hi Ifè J3J, empereur autocrate, les
lettrés courtisans condamnèrent cette doctrine ; mais l'histoire est là : elle prouve
que ces rois de Tsin et les autres n'avaient pas un pouvoir si absolu ; ils étaient
liés par ces fameux rites, sorte de grande charte de liberté, qu'on leur opposait à
tout propos.
(3) Chou-kiny tir $J- (Couvreur, p, 707, paragr., 7; le texte est un peu di~
fférent).
DU ROYAUME DE rSTX. TAO-KONG. 253
encore le grand seigneur Che-kai ^t ^ (1). C'est probablement à
cette occasion que le dit seigneur emprunta au roi de Ts'i ^ un
grand guidon fait de plumes fendues. C'était le privilège de l'em-
perur d'avoir un tel étendard arboré sur sa voiture de gala et de
chasse ; le roi de Ts'i s'en était arrogé un semblable ; on l'emprun-
ta, mais on se garda bien de le rendre; car on voulait le soutirer
à son propriétaire.
Le résultat de la conférence fut de reconnaître le fait accompli
au pays de Wei $j ; des deux cotés il y avait des torts ; la paix
s'était faite après la révolution : le nouveau marquis, agréable au
peuple, se nommait Chang £§§ (558-544); il était l'oncle du prince
détrôné ; on décida de le laisser tranquille.
En 558, vers le mois de mai, le roi de Ts'i ^, mécontent du
tour qu'on lui avait joué, mettait le siège devant la ville de Tch'eng
fâ (2), qui appartenait au duc de Lou |§. ; il se vengeait indirec-
tement, en attaquant un des amis de Tao-kong ; il se contenta
sans doute de faire du butin, car la ville resta au duc; celui-ci
ne voulut pas être surpris une seconde fois, il la fit fortifier.
Vers le mois de juin, une armée de la principauté Tchou '-$,$
osait attaquer aussi la frontière méridionale du duché ; et celui-ci
n'avait pas la force ou le courage de se défendre tout seul ; il en-
voyait en toute hâte demander du secours auprès de Tao-kong.
Celui-ci indiqua une assemblée de vassaux, pour régler cette
affaire; mais elle ne put avoir lieu; car étant tombé malade, Tao-
kong mourut à la Hème lune, au jour nommé koei-hai 2£ ]% \
octobre).
(1) Ts'i, sur le territoire de Wei, était à 7 li nu nord de K'cti-tcheou pf) ffl ,
Tche-li, comme nous l'avons déjà dit.
(2) Tch'eng-, appelée plus tard K'iu-p'ing tch'eng $> ^ feÇ, était à !»0 li nord-
est de Ning-yang h<en 'Sp- l-jj |f, qui est à 50 li au nord de sa préfecture Yen-
tcheou fou ^S M] îff. Chantons:. (Grande géoyr., vol. 32, j). S).
254
P'ING-KONG (557-532) (i)
¥
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-+Ï
Le nouveau souverain, fils du précédent, se nommait Piou §£
(petit tigre, raies ou taches de la peau du tigre) ; son nom pos-
thume ou historique P'ing signifie : pacifique, prince qui dans
V administration s'applique à son devoir, et observe les règles
établies (2).
Ordinairement, on attendait cinq mois, avant d'enterrer les
princes ; sans doute pour permettre aux courriers d'avertir les
diverses cours ; et laisser à leurs députés le temps de se rendre à
la cérémonie. Jusque là, le nouveau prince ne pouvait s'occuper
d'administration : son devoir étant de pleurer le défunt. La céré-
monie funèbre achevée, il déposait les vêtements de deuil, se ren-
dait au temple des ancêtres, pour leur offrir un sacrifice solennel,
et leur annoncer son avènement ; après quoi il montait sur le trône.
Cette fois, on dérogea à cette règle, et Tao-kong fut enterré
dès la lère lune de l'année 657 novembre). L'historien donne
pour raison, que le jeune souverain tenait à réunir les vassaux le
plus tôt possible, afin de mettre ordre au duché de Lou ^.
A peine monté sur le trône, P"ing-kong établit pour son con-
seiller intime, pour son précepteur dans la vraie doctrine, |_le sage
Chou-hiang fâ [îi]. appelé aussi Yang-ché-hi i£ -§ ;$ ; Tchang-
kiun-tchen ;j]| ;§" [5, fils de Tchang-lao <]j| ^?, fut nommé inten-
dant du matériel de guerre (se-ma fîjjffy , dans l'armée du centre;
comme chefs et présidents des branches collatérales de la famille
régnante, il nomma les seigneurs suivants : K'i-hi ^ ]jj[). II an-
siang |$ |g. (fils de Han-ou-hi fjfi 4[ff. ,§* , Loan-yng §é |£, et
Che-yang ^fc f& ; le seigneur Yu-kviou-cliou ||| fÊ. s& fut nommé
grand écuyer, et conducteur du char royal, â la place de Tclvcng-
tcheng fi %.
Après avoir pris les meilleures précautions pour la bonne
administration et la sécurité de l'état, P'ing-kong descendit le
(1) La recueil I-che $? $1, vol. 78, p. 14 donne quelques anecdotes surP'ing-
kong ; elles sont toutes dans le goût des lettrés ; c'est le grand maître de musique
Kocing ^ qui en fait les frais; inutile de les transcrire. Le tombeau de ce dignitaire
existe encore; il est au sud-est de Hong-tong hien $£ i|S] $£. qui est à 55 li au nord
de sa préfecture P'ing-yang fuit -l' FJ? M y Chan-si. 'Annales du Chansi, vol. $6,
p. 28).
(2) Texte de ïinteprétation f^, If? Tï M R 2p.
DU ROYAUME DE TSIN. P'iNG-KONG. 2ôô
fleuve Jaune, et se rendit â K'iou-leang }Q ^ (1), lieu fixé pour
la réunion des vassaux. C'était pour ceux-ci une bonne occasion
de présenter leurs hommages au nouveau suzerain ; onze d'entre
eux vinrent en personne à l'assemblée.
P'ing-kong ordonna de rendre au duc de Lou ^ les territoires
qu'on venait de lui enlever ; il fit saisir les princes de Tchou fâX
et de Kiu g|*, accusés de servir traîtreusement d'intermédiaires,
contre le suzerain, entre les rois de Ts'i ^| et de Tch'ou $£ ;
leurs états se trouvaient en effet sur le chemin entre les deux pays.
P'ing-kong donna un festin solennel, en l'honneur des vas-
saux ; leurs grands officiers furent priés d'y exécuter des pantomi-
mes accompagnées de chants (Ou fg|, ; mais le suzerain avait
expressément recommandé que tout fût adapté aux circonstances
où l'on se trouvait; c'est-à-dire respirât la gratitude, l'amitié en-
vers lui.
L'officier de Ts'i ^, nommé Kao-heou "jej ]![, ne tint pas
compte de cette recommandation ; son chant trahit les sentiments
de rébellion qu'on nourrissait dans son pays. Le premier minis-
tre en était furieux ; il conseilla à son maître d'exiger que tous
les grands officiers jurassent un pacte de fidélité ; Kao-beou surtout
devait être soumis à cette épreuve: nous irons tous ensemble,
disait le texte, châtier celui des princes qui ne se présenterait pas
à la cour du suzerain pour lui offrir ses hommages.
Kao-heou, se sachant soutenu par son maître et par d'autres
vassaux, s'enfuit de l'assemblée, sans avoir juré le pacte. Confu-
cius trouva la chose si forte, qu'il daigna la consigner dans sa
chronique, avec la date précise, au jour ou-yng rjj g de la 'S'U1V
lune (16 février).
P'ing-kong était bien mortifié ; mais il ne jugea pas à propos
de se venger tout de suite; il remit cela à plus tard. En atten-
dant, il emmenait captifs les deux princes de Tchou fâ\ et de Kiu
£*' , sans en demander permission à l'empereur, à qui il aurait dû
les confier ; c'était une grande faute contre les fameuses «lois fon-
damentales de rempire» dont on parlait naguère. Les deux prison-
niers, ayant bien payé, furent d'ailleurs promptement rendus à la
liberté.
Comme pour narguer encore mieux son suzerain, le roi de
Ts'i ^ attaqua la frontière septentrionale du duché de Lou .|§. :
et P'ing-kong apprit cette insolence juste en arrivent à sa capita-
le ; il fit encore taire son ressentiment.
(1) K'iou-lianfr, qui se lit aussi Ki-liang, c'est-à-dire barrage ou disruc de la
rivière K'iou : il y avait là sans doute des palais pour l'assemblée. Cette rivière,
appelée au>si P'é-kien-chouei Q j£j 7k, coule à l'ouest de Ts'i-yuen hien ff?
70 li à l'ouest do sa préfecture Hoai-k'ing fou Sî S Hf > llo-nan : près de Wen
hien îS. M- c'"c se jette dans le (louve Jaune. (Petite géogr., ool. 13. p. 2ç) —
(Grande, vol. 40. p. s).
256 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Sur ces entrefaites, le baron de Hiu frf, mécontent de Tch'ou
j*|? son suzerain, demandait l'autorisation de transporter sa capi-
tale sur le territoire de Tsin ; les vassaux étaient d'avis qu'on
s'occupât incontinent de cette émigration ; mais les grands sei-
gneurs de Hiu refusèrent leur consentement, disant qu'on venait
d'opérer semblable transfert au pays de Tch'ou ^, vingt ans
auparavant ; ils trouvaient cela insupportable, et ils avaient raison.
P'ing-kong voulut cependant leur forcer la main ; il renvoya
les vassaux, mais garda leurs troupes, et prépara une expédition
contre l'état de Hiu. Siun-yen ^j ffg était le généralissime ; à la
gème lune, il campait à Yu-ling jp£ $Ç, au jour keng-yng fè g
(28 avril), il faisait investir la capitale, et campait à Han-che
De là, il partit avec Loan-yen |p§ J|| contre le pays de Tch'ou
J|, pour le punir d'avoir envahi le territoire de Song $£, en 561.
L'armée ennemie était commandée par le prince Ko ^ ; elle fut
mise en déroute, sur les bords de la rivière Tchan •$£ (2) ; après
quoi, les troupes de Tsin allèrent ravager les travaux extérieurs
de la forteresse imprenable Fang-tcheng ~jj J$\
Au retour de cette promenade militaire, on harcela de nou-
veau la capitale de Hiu, qui ne consentit ni à se rendre, ni à
émigrer ; on finit par la laisser tranquille, et l'on s'en retourna
chez soi.
Vers le mois d'août, le seigneur Mou-chou ^ 5^, ordinaire-
ment nommé Chou-suen-pao ^ ffî %-}, venait à la cour de Tsin,
saluer le nouveau souverain, et se plaindre des vexations du roi
de Ts'i ï§^ contre le duché de Lou ^ ; mais on fit la sourde oreil-
le ; on s'excusa en disant : notre humble prince n'a pas encore
offert le sacrifice triennal, après le deuil de son père ; (3) après
(1) Yu-ling appartenait au pays de Hiu ; c'est tout ce qu'on en sait.
Han-che, item.
(2; Tchan, l'endroit de la bataille, au bord de cette rivière, est à .'iO li au
nord de Che liicn $f !£ ; cette est à 120 li au nord de sa préfecture Nan-yang fou
fêj PI Jfr, Ho-nan.
Fang-tch'eng, la montagne et la fameuse forteresse sont à 40 li nord-est de
Yu tcheou #5 'H'1, qui est à 120 li au nord de sa préfecture Nan-yang fou. (Petite
ijéorjr., vol. 12. p. j). 47, 4S) — (Grande, vol. ji, p. p. 29. 32) — (Voir notre
histoire du royaume de Tch'ou).
(3) Ce sacrifice triennal (ti /]i$) s'accomplissait après trois ans, ou tout au moins,
à dater du jour où le deuil avait cessé ; alors, on portait solennellement nu temple
des ancêtres la tablette du prince défunt; celle de son- grand-aïeul était en même
temps retirée, pour être placée en un lieu mois honorable, à l'intérieur du temple :
celle du fondateur de la famille n'était jamais retirée; pareequ'il était censé présider
toujours au 9ort de sa maison. Cf. (Zottoli, II, p. 36) — (Couvreur, g* diction,
chinoi français p. p. 339 et 831).
DU ROYAUME DE TSI.W PcING-KO\G. 257
l'expédition de II iu f£, il n'a pas encore accordé au peuple le
temps nécessaire de reprendre des forces ; autrement, nous serions
certes bien disposés à vous aider.
Mou-chou reprit: les gens de Ts'i ffi ne cessent, ni matin
ni soir, de décharger leur colère sur notre petit état ; nous sommes
dans une telle détresse, que le matin nous ne pouvons nous pro-
mettre le soir; nos visages sont tournés vers vous : <■ peut-être que
le roi de Tsin est déjà en marche vers nous», s'écrie le peuple,
«consolons-nous dans notre angoisse!»; s'il faut attendre que vos
seigneuries aient du loisir, il sera peut-être trop tard; ainsi, pre-
nez-nous en pitié !
Mou-chou alla visiter Siun-yen ^jj flg, le premier ministre,
et lui chanta l'ode Ki-fou \f\ '£ (1) "ministre de la guerre, nous
sommes les griffes et les dents de l'empereur ; pourquoi nous avez-
vous précipités dans le malheur, et réduits h n'avoir plus de de-
meure fixe?» Le ministre répondit: oui, je reconnais ma faute;
soyez sans inquiétude; je ferai mon possible pour vous obéir; je
vais montrer que j'ai pitié de votre situation.
Mou-chou alla encore visiter le grand-seigneur Che-kai -^ fE\;
il lui chanta de même l'ode Hong-ien £| jfj| (2) «les oies sauvages,
dans leur vol, crient d'une voix plaintive ngao ! ngao ! P#r P$( ;
lorsqu'ils entendro.it notre chant, les hommes sages auront com-
passion; ils nous diront que nous avons supporté de grandes souf-
frances; les insensés nous accuseront d'arrogance.» Che-kai fut
trés-flatté : tant que je vivrai, dit-il, pourrais-je tolérer que le
duché de Loti ne soit pas en paix ?
En dépit de ces belles promesses. P'ing-kong ne convoqua ni
les vassaux, ni les troupes ; l'année suivante encore, le roi de Ts'i
Hf put à son aise harceler le duc ; on faisait l'impossible, pour
ne pas rompre entièrement avec un vassal puissant, qu'on avait
eu tant de peine à gagner.
En 556, il n'y eut point d'expédition.
En 555, vers le mois d'avril, les gens de Tsin saisissaient le
seigneur Che-mai ~fc jp( à Tchang-tse ]^ -~p, puis le seigneur
Suen-hoai fâ M à Toen-liou |j{f |g (3) ; le premier était l'ambas-
sadeur de Wei fêj, hang-jen |f A l'envoyé]; l'autre était son
compagnon, sans doute. Mais pour quel motif opérer une telle
arrestation? C'est que, l'année précédente, le premier de ces deux
seigneurs avait conduit une armée contre l'état de Ts'ao W.
(1) (2) Che-king f$ £Jj. (Couvreur, p, 216, ode 1 — p. 212, ode -. r. .?
(3) Tchang-tse, était un peu au sud-ouest de Tchang-tse hien -|| ^ Sf , qui
est à 50 li sud-ou?st de sa prélecture Lou-ngan fou }$$ t£ Kf' . Chan-si.
Toen-liou, était à 10 lv sud-est de Toen-liou hien îjjjî eH $f, qui est à ôô li
nord-ouest dp la même préfecture. (Petite géogr., vol. S. p. ij — Grande, vol.
42 . p. p. iç, et 21.
33
258 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Vers le mois de juin, le roi de Ts'i ^ combla la mesure, en
attaquant de nouveau le duché de Lou ^ ; le généralissime Siun-
yen ^j |g se prépara enfin â lui déclarer la guerre. Mais voici
qu'un songe curieux faillit l'en dissuader : il s'était vu en face de
Li-kong f^} Q, le souverain tué par lui autrefois (573), celui-ci
avait saisi une lance, et ils s'étaient battus tous deux ; Siun-yen
avait été vaincu, sa tête avait roulé à terre, il s'était mis à genoux,
avait repris sa tête, l'avait remise à sa place, et la tenant entre
ses deux mains, il s'était enfui ; sur son chemin, il avait rencontré
le devin Kao J^ de Keng-yang fjljj^ (1) ; sur quoi il s'était réveillé.
Intrigué et inquiet, à cause de ce rêve, Siun-yen désirait con-
sulter ce devin, qui avait en effet de la célébrité ; quelques jours
plus tard, il le rencontra sur son chemin, et s'entretint avec lui ;
grande surprise, en apprenant que le compère avait eu la même
vision ! voici quelle fut sa réponse : cette fois-ci, votre seigneurie
va certainement mourir ; mais si elle va combattre le roi de Ts'i,
elle sera victorieuse. C'était tout-à-fait la pensée du ministre ; il
partit donc en guerre.
Quand les troupes de Tsin allaient traverser le fleuve Jaune,
Siun-yen ^fff, tenant en main une ficelle rouge, à laquelle étaient
suspendues deux paires de jade précieux, pria l'Esprit du fleuve
en ces termes : Hoan Jg, le roi de Ts'i ^ (le roi Ling g), plein
de confiance dans ses forteresses et ses défilés, fier de la multitude
de son peuple et de ses troupes, a rejeté notre amitié, et déchiré
les traités de paix conclus avec nous ; il vexe et tyrannise l'état
de Lou ; ainsi le dernier de vos serviteurs, notre prince Piou j^
va conduire l'armée des vassaux le punir de son insolence ; moi,
Yen, son ministre, je suis établi pour le seconder dans ce dessein;
si nous réussissons, vous, Esprit sublime, vous serez aussi honoré
de notre succès ; moi, Yen, je ne repasserai plus votre fleuve ;
daignez, Esprit vénéré, décider de notre sort ! Ayant ainsi parlé,
il laissa tomber les jades dans l'eau, et traversa le fleuve.
A la 10ème lune (août-septembre), P'ing-kong présidait, au
bord de la rivière Ts'i ijjj^ (2), dans le duché de Lou, une réunion
de onze princes, où la guerre fut approuvée à l'unanimité : le
pacte précédent, juré à K'iou-Jeang ^ ijj£ (557) ne disait-il pas :
nous irons ensemble punir celui des princes qui refusera de se
rendre à la cour du suzerain, lui offrir ses hommages ?
(1) Keng-yang, était au sud-do Siu-keou hien tfc si ?£, qui est à SO li au
sud de sa préfccluro T'ai-yuen fou jk $, flT'j Chan si. Petite géogr., vol. S, p*
j) — (Grande, vol. 40, j>, /,-■.
Siun-yen, s'appelait aussi Siun-hien-tse ilj ^ ^~. (Voyez à la /in de l'année
(2) l.a rivière l's'i. esl i\ l'est de Ts'ao-tcheou fou ^f -JH Jflf, Chan-tong.
Petite géogr., vol. 10 p. 16) — (Grande, vol. 30. p. }>■ 1 1 et sut». — vol. 33,
p- Si)
DU ROYAUME DE TSIX. p'iNG-KONG. 259
Le roi de Ts'L avait massé ses troupes à Pfing-yng ^ (^
d) ; il avait fait barrer tons les chemins qni donnaient accès à la
grande muraille [tchang-tch'emj L> ftJtli et gardait militairement
toute cette région, jusqu'à Koang-li ^ J^ (2 ; l'eunuque Sou-
cha-wei ffi j'J; f|j lui fit la remarque suivante : nous ne sommes
pas assez forts pour livrer une vraie bataille ; il serait mieux de
quitter cet endroit, et de nous retirer dans les défilés. Le roi
méprisa ce lâche conseil ; mais l'armée fédérée étant venue atta-
quer la grande muraille, il perdit un bon nombre de soldats.
Le seigneur Che-kai -j^ ^t\ disait alors à son ami Si-wen-tse
$f 3>C "F» de Ts'i : je vous communique franchement ma pensée ;
les princes de Lou et de Kiu '$ nous ont demandé de venir par
leur pays, et d'envahir votre territoire avec une armée de mille
chars (soixante-quinze mille hommes) ; la proposition a été accor-
dée ; si les troupes envahissent effectivement votre état, le roi
perdra sa couronne ; comment votre seigneurie ne pense-t-elle pas
à cette éventualité ?
Si-wen-tse se hâta de communiquer cette parole à son roi :
celui-ci en fut effrayé; aussi le sage Yen-yng 4j^ ^, avant appris
ces détails, faisait la remarque suivante: notre prince, vraiment,
n'est pas un homme de courage ; il se laisse effrayer par ces nou-
velles ; notre campagne sera bientôt finie !
Le roi de Tsei @, voulant se rendre compte des forces enne-
mies, était monté sur la montagne Ou-chan 3É |1] [3). Or, le
généralissime Siun-yen avait aussi chargé le ministre de la guerre
d'aller examiner les endroits dangereux, formés par les montagnes
et les étangs ; même si l'on ne pouvait les occuper, il devait y
planter des drapeaux, de distance en distance, pour faire croire
qu'on y arrivait en grand nombre : il avait aussi fait avancer
beaucoup de chars de guerre ; à la droite de ceux-ci étaient des
soldats, en chair et en os : à la gauche étaient des épouvantails,
des habits vides : devant ces mêmes chars, étaient plantés beau-
coup d'étendards ; enfin, les soldats ôllant et venant, traînaient des
(1) P'ing-yngj. était à 35 li nord-est de P'ing-yng hien ^F fe ty%< qui est à
190 li nord-ouest de sa préfecture T'ai-ngan fou ;fc £ fl-F, Chan-tonu'. 'Petite
géogr., vol. 10, p. 13) — 'Grande cul. 33. p. 21).
(2) Koang-li, était au nord de la grande muraille du Chan-tong : or celle-ci
(■tait à l'est de cette même prélecture T'ai-ngan l'on. Grande géogr.. vol. r/. p. 23
— vol. 33, p. 20).
(Voit aussi notre histoire du royau»ie de Ts'i, au sujet de cette muraille. —
introduction) .
(3) Ou-chan, cette montagne est à "ô li nord-ouest de Fei-tcli'eng hien fl£ }$
!£, qui est à 70 li à l'ouest de sa prélecture T'ai-ngan fou >k '£ tff> Chan-tong,
(Petite géogr., vol. 10, p. 12) — (Grande, vol. 31, p. 21).
260 temps Vraiment historiques
branches d'arbre par terre, faisaient voler la poussière, comme
sïl y avait eu une armée innombrable.
Le stratagème réussit si bien, que le roi de Ts'i ^f s'enfuit
à sa capitale, sans même avoir emporté son drapeau ; l'armée ne
tarda pas à suivre le même chemin ; au jour ping-yng p) ^ (21
7bre) ene s'enfuyait pendant la nuit.
Le lendemain matin, le grand maître de la musique, Koang
l§f|, disait à P'ing-kong: les corbeaux voltigent si joyeusement
sur le camp de Ts'i, bien sûr que les troupes n'y sont plus ! Le
grand officier Hing-pê }[[> f£| disait de même au généralissime: j'ai
entendu, cette nuit, les chevaux de Ts'i hennir, comme s'ils quit-
taient leurs compagnons ; certainement les troupes sont parties.
Le sage Chou-h.ia.ng fy |pj disait la même chose à P'ing-kong; la
présence des corbeaux sur les remparts, était un indice de la fuite
des gens de Ts'i. On s'avança donc, on entra dans la ville de
P'ing-yng ^ |ïf£, puis on se mit à la poursuite de l'armée (22 7blv).
L'eunuque Sou-cha-wei j^, y>p $j avait fait enchaîner ensem-
ble de grands chars de guerre, en guise de barricade, à l'entrée
du défilé, afin d'empêcher ou du moins de retarder la marche de
l'ennemi; puis il s'était mis bravement à l'arrière-garde, pour
soutenir le choc des gens de Tsin, et protéger ainsi la retraite
des troupes. Mais les deux officiers Tche-tch'o Jfe $$* et Kouo-
ts'ouei jpp Jj| l'envoyèrent à l'avant-garde, en lui disant: ce serait
une honte pour nous tous, si un homme comme vous se mêlait
de faire le protecteur de l'armée à l'arrière-garde !
L'eunuque mortifié se vengea: il fit tuer bon nombre de che-
vaux, fit empiler leurs cadavres, à un endroit des plus resserrés
du défilé, afin de retarder la marche des deux officiers, et de per-
mettre à l'armée fédérée de tomber sur eux. Il y réussit. Le digni-
taire Tcheou-lch'o >)\\ $ij£ les rejoignait bientôt, et deux de ses
flèches atteignaient Tche-tch'o de chaque côté de la nuque : rendez-
vous, lui criait-il, sinon je vous vise au cœur! Le blessé se
retourna et répondit: promettez-moi la vie sauve! — Oui, répliqua
le dignitaire, je vous le jure par ce soleil qui nous éclaire ! En
même temps, il débandait son arc, et liait les mains du captif
derrière le dos ; son lancier en faisait autant à l'autre officier
Kouo-ts'ouei ; on n'enleva pas la cuirasse aux deux prisonniers,
qui étaient de braves soldats ; on releva seulement leur visière, et
on les fit asseoir auprès du tambour, sur le char du généralissime.
Celui-ci voulait poursuivre l'armée de Ts'i ^jusqu'à la capi-
tale; mais le duc de Lou .f§> et le marquis de Wei fëj demandè-
rent qu'on s'emparât d'abord des forteresses et des défilés, ce qui
fut exécuté. Au jour ki-mao g, Jjf] (4 Octobre) Siun-ycn ^j fff
et Che-hai -^ tE], avec les troupes du centre, prenaient la forte-
resse King-ise jfc %£ (1); au jour i-you £, "jij (10 octobre), les
(1) La capitale de Ts'i (Ts'l-tch'eng 5^ feUi était un peu au nord de Ling-
DU ROYAUME DE TSIN. P'iNG-KON'G. 26 î
généraux Wei-kiang §& #| et Loan-yng f§§ ^£. à la tête du 3ème
corps, occupaient Ua montagne Che-chan ^J Jj ; les généraux
Tchno-ov. |g jÇ et Han-h'i %%. jQ, avec le deuxième corps, assié-
geaient la forteresse Ltu ||[ 1 , sans pouvoir s'en rendre maîtres.
A la 12-mo lune, au jour ou-slu }% }% (23 octobre,, tous étaient
réunis sous les murs de la capitale ; en manière de bravade, ils
allaient, en compagnie de Ts'in-tcheou ^ j$, grand officier de
Lou |§., couper de l'armoise, à la porte de l'ouest appelée Yonrj-
men |fj| |*J. —
Chacun s'évertuait à faire quelque prouesse de sa façon :
Pendant que le seigneur Che-yang :£§& donnait un assaut à cette
même porte, son conducteur de char, nommé Tsouei-hi fë. $,
pour montrer son sang-froid, tua d'un coup de lance un pauvre
chien qui s'était réfugié à cet endroit. Mong-tchoang-tse jg IlÊ
^, de Lou -!§•, s'y coupa une provision de sumac f^j ou ^î£
ich'oen), pour en fabriquer des instruments de musique.
Le lendemain 24 octobre', on mettait le feu à cette même
porte, à ses faubourgs, et à ceux du sud ; deux officiers de Tsin,
Liou-nan ||lj f| et CUe-jouo J; ||, conduisaient les troupes auxi-
liaires incendier les forêts de bambous, situées sur le bord de
l'étang Chen ^, au sud-ouest de la capitale.
Le 27 octobre, on brûlait les faubourgs de l'est et du nord :
le seigneur Che-yang J; ^ donnait l'assaut à la porte Yang-men
f£ P'j, au nord-ouest ; tandisque Tcheou-lch'o ft\ ££ attaquait
celle de Test. Ce dernier lut un moment en grand danger, par
son cheval supplémentaire de gauche, qui bondit en arrière et
troubla tout l'attelage, juste à l'entrée de cette porte, sous une
grêle de projectiles lancés par les assiégés ; ce seigneur fut si
calme dans cette bagarre, qu'il se mit à compter, du bout de son
fouet, les gros clous de la porte, en attendant que ses chevaux
fussent remis en bon ordre. Confucius lui-même estimait ce sei-
gneur comme un héros indomptable.
Le roi de Ts'i, harcelé de toutes parts, fit atteler son char,
pour s'enfuir à YouVang ^^ (2) ; mais le prince-héritier Koang
tche hien $% 'M Sf qui est à 30 li nord-ouest de sa préfecture Tsing-tcheou fou %'
ft\ fl=f, Chan-tong ; elle avait 50 li de pourtour, et 13 portes. (Grande géogr., vol.
3S, P- à).
King-tsc était au sud-est de P'ing-yng ^p fiï (supra) — (Grande géogr. . vol.
33, p- 2iJ-
(1) La montagne Che-chan, était à l'ouest de P'ing-vng. Grande géogr., ibid .
Liu-tch'eng, était à 25 li sud-ouest de Tchang-tsing hien -|| fj |£, qui est à
70 li sud-ouest de sa préfecture Ts'i-7ia7i fou jj| ÏfJ J{f, Chang-tontr. Petite géogr.,
vol. io, p. s) — (Grande, vol. 31 ,p xy).
(2) You-t'ang, nommé aussi T'ang-hiang "g: pjîp, probablement un château-
fort, était au nord-ouest de P'ing-tou tcheou T '-S W, qui est à 100 li au sud de
262 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Jfc et le seigneur Kouo-yong If|3 5^ le retenaient en disant : vous
voyez bien l'empressement inquiet de l'ennemi : c'est une razzia
qu'il veut opérer, non un véritable siège ; il va bientôt se retirer ;
qu'avez-vous à craindre ? vous, le chef de l'état, vous ne devez
pas vous troubler si facilement ; vous allez perdre aussi votre
peuple ! il faut absolument que votre Majesté reste ici !
Le roi persistant à partir, le prince-héritier tira son épée, et
coupa les courroies du char ; il força ainsi son père à rester. Au
jour Kia-tchen ^ ^ (29 octobre), l'armée de Tsin s'en alla vers
l'est, jusqu'au fleuve Wei $j| ; puis, tournant au sud, elle pénétra
jusqu'à / \Jf ( 1) ; enfin, chargée de butin, elle rentra dans ses
foyers ; mais pas tout de suite, comme nous allons le dire.
Cette année, le prince de Tcheng f||), ennuyé de son alliance
avec P'ing-kong, se donnait de nouveau au roi de Tch'ou g? ;
mais ce ne fut pas pour lengtemps.
En 554, au début de l'année, l'armée de Tsin, encore en che-
min, campait au bord de la rivière Se fjg (2) ; on en profita pour
régler exactement les frontières réciproques des princes de Lou |j§.
et de Tchou %\l ; tout le territoire, depuis la rivière Kouo \^, fut
attribué au duc ; après quoi, P'ing-kong partit pour sa capitale,
sans attendre ses troupes.
Encore en route, P'ing-kong réunit les vassaux en assemblée
générale à Tou-yang ^ $j (3); là, il fut convenu qu'aucun grand
état n'abuserait de sa force, pour en envahir un petit ; et, pour
punir le prince de Tchou '^\\ de ses incursions sur le duché de
Lou ||>, il fut saisi par les soldats de Tsin, et mis en prison; il
pava suffisamment et fut bientôt mis en liberté.
sa préfecture Lai-tcheou fou jjf£ ;H'I tff. Chan-tong. (Petite géogr., vol. 10, p. 36)
— (Grande, vol. 36, p. ç).
(1) Le (leuve YVei, coule à 50 li à l'est de Ngan-k'iou hien ^ £[$ |f, qui est à
160 li sud-est de sa préfecture Tsing-tcheou fou Ff H] fl^p, Chan-tong. (Petite géogr.,
vol. 10, p. 26) — (Grande, vol. 33, p. 22).
La rivière I, coule à l'est de I-tcheou fou $t ■){] ffi . endroit dont il est ques-
tion ici. (Petite géogr., vol. 10, p. 2ç) — (Grande, vol. 33, P- SS>-
(2) La rivière Se, coule à 8 li au nord de Se-chouei hien J0 7k SI, qui est à
l'est de sa préfecture Yen-tcheou fou ^ M l£f, Chan-tong. (Petite géogr., vol. 10,
p. S) — (Grande, vol. 32. p. 14).
La rivière Kouo, coule à 15 li au sud de Teng hien Jîj §|. qui est à 1 10 li
sud-est de la même prélecture. (Petite géogr., vol. 10. p. ç) — (Grande, vol. 32,
p. iS).
(3) Tou-j-ang, ou Tchou-ko ÏiB, t/ûf, ou Tehou-ngo Wl R, étai à 17 li sud-
ouest de Yu-tcheng hien $| £$ Hf qui est à 100 li nord-ouest de sa préfecture Ts'U
nan fou tfà f?î flïi Chan-tong. (Petite géogr., vol. 10, p. 4) — (Grande, vol. 31,
DO ROYAUME DE TSIN. P'iNG-KONG. 263
Le duc de Lou i||. se voyant si bien veng-é de ses ennemis,
devait une récompense à ses amis ; il donna un grand festin aux
ministres de Tsin, dans le parc appelé P'ou-pou fjfj pj 1 . situe-
en dehors de la porte orientale de sa capitale ; ce qui prouve qu'on
prenait son temps pour s'en retourner chez soi. Il leur offrit en
cadeau des vêtements superbes, réservés aux plus hauts dignitaires
"san ming- tche fou jEE -f^f £. EU • Quant aux grands juges des
affaires litigieuses de l'armée, au ministre de la guerre, à l'inten-
dant des fortifications, à l'intendant des chars, au chef des éclai-
reurs et des espions, ils reçurent des vêtements de degré inférieur
i ming tche fou — -fir £ Al* ■
Le généralissime et premier ministre Siun-yen ^ f[§ devait
avoir plus et mieux ; on lui donna, en outre, cinq rouleaux de
soieries de quarante pieds de long ; un char de guerre attelé de
quatre chevaux superbes : enfin un trépied fameux, offert au duc
par Cheou-mong || ^ roi de Ou ^ : le ministre était traité en
roi (2). '
Hélas ! il ne faut pas oublier le songe prophétique ! les plus
grands honneurs ne peuvent allonger d'une minute le sort d'un
homme : Siun-yen ^j f[£ fut pris de fièvres pernicieuses ; puis il
lui survint un abcès malin à la tète ; malgré tout, on croyait qu'il
pourrait encore repasser le fleuve Jaune; mais arrivé à Tchou-yong
îH1 ||ê 3), la douleur était si forte, que les yeux en sortaient de
leur orbite.
Les grands officiers, qui étaient déjà parvenus à la capitale
de Tsin. accoururent à cette nouvelle: j; uj, son fidèle adjudant,
lui fit demander une dernière entrevue, sans pouvoir l'obtenir; il
était déjà trop tard : il lui fit du moins demander quel serait son
successeur: mon fils Ou. ij j . né de la princesse Tcheng ff$. répon-
dit le moribond.
A la 2 m<' lune, au jour Kia-yng ^3 ^ 7 janvier), Siun-yen
avait cessé de vivre : mais, à la grande surprise de tous, il ne
fermait pas les yeux: ce qui. en Chine, indique un dernier désir
non réalisé. Che-kai s'approcha du défunt, le caressa, et lui dit :
soyez sans inquiétude ; je servirai votre fils avec le dévouement
que j'ai eu envers votre seigneurie 1
Le défunt ne fermait pourtant pas les yeux : sa dernière pensée
n'était donc pas comprise, et ses dents restaient fortement serrées.
Loan-yng |f§ ^f s'approcha à son tour, lui caressa le visage en
disant : c'est sans doute l'expédition de Ts'i ^jf qui vous reste à
cœur! par ce fleuve Jaune, je vous jure que nous l'achèverons !
(1) P'ou-pou, ce parc appartenait à la famille Ki ?p : le premier-ministre le
prêta pour la circonstance, (Grande géngr.. vol. 32. p. S .
(2) Sur les cadeaux, voir ce que nous en avons dit. à l'année 589. Cf. Couv-
reur, lù-ki fâ |E- vol. /. p. 2;\; .
(3) Tchou-yonar-, emplacement exact inconnu.
264 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Aussitôt les yeux se fermèrent, les dents s'entr'ouvrirent, on
put y déposer le jade traditionnel, destiné à solder le passage du
Styx chinois. Che-kai était humilié de n'avoir pas su comprendre
le désir de son chef: je suis vraiment un pauvre sot, disait-il; je
croyais qu'il pensait à son fils, tandis qu'il ne songeait qu'au bien
général du pays ! En conséquence de sa promesse, Loan-yng fit
une razzia, en été, avec le général de Wei ^j, sur le territoire de
Ts'i ; c'est ainsi que les païens bernent le plus souvent leurs Esprits,
en accomplissant une partie seulement de ce qu'ils ont voué; ils
promettent un temple, et bâtissent une cage à poule en forme de
pagode (1).
Le duc de Lou fêf venait de remercier les grands dignitaires
de Tsin, pour l'expédition qu'on avait accomplie, à sa prière;
d'après les rites, rendre grâces en chemin, eût été insuffisant; il
fallait une ambassade solennelle à la cour même du bienfaiteur.
Le duc n'oublia pas cette convenance obligatoire, et il envoya son
premier-ministre Ki Ou-tse ^ ^ -f- offrir ses remerciments à
P'ing-kong.
Celui-ci donna un grand festin, pendant lequel Che-kai j^tEJ
nommé aussi Fang-siuen-tse |j£ j|f ^f ), le nouveau premier minis-
tre, chanta l'ode (2) «Je millet à panicules croit avec vigueur,
fécondé par la pluie du ciel; de même, nous sommes allés fort
loin vers le midi, encouragés par le prince Chao-kong ^g ^, ait
secours de Lou.»
L'ambassadeur se leva de table, se jeta deux fois à genoux,
frappa deux fois la terre de son front, pour remercier le roi de sa
bienveillance: Oui, dit-il, nos petits états dépendent de votre
illustre royaume, comme les céréales dépendent de la pluie, qui
les fait naître et grandir; tant que nous jouirons de vos bienfaits,
non-seulement notre pays, mais toutes les nations de la Chine
seront dans la prospérité. Sur ce, il se mit à chanter l'ode (3)
«au 6-me mois de l'année», où sont célébrés les hauts faits de
Yng Ki-fou jft ^j "$f, que l'empereur Siuen-wang j|f 3: (827)
avait envoyé réprimer les barbares ; c'était donc une délicate com-
paraison, un compliment bien tourné.
Le nouveau premier ministre Che-kai -j^ 4?J se montra aima-
ble et intelligent dans son administration. A la 4ème lune, au jour
ting-wei ~J ^ l,r mars), le prince de Tcheng f$ étant mort,
(1) Croira qui voudra ce conte des yeux et d°s dents! Ce qui est vrai, c'est
l'embarras, l'inquiétude des païens, de nos jours comme autrefois, quand un de
leurs morts ne terme pas les yeux ; dans leur crainte, .ils font force superstitions,
pour tâcher de contenter L'Esprit du défunt, et obtenir que les yeux >e ferment; ils
ont peur que cet Esprit, voyant se derniers désirs non satisfaits, ne vienne se ven-
ger par des malheurs.
(2) (3) Cke-king ff fë?. (Couvreur p. 308, ode 3. — p. 200. ode 3).
DU ROYAUME DE TSIX. P'iNG-KONG. 265
Che-kai rappela à P'ing-kong qu'en 559, pendant la ridicule
expédition contre le pays de Ts'in |^, le défunt avait montré un
grand dévouement, e't avait donné le meilleur exemple à tous les
vassaux ; il convenait de faire quelque chose pour l'en remercier.
P'ing-kong demanda donc à l'empereur une distinction spéciale
en faveur du défunt ; un char magnifique fut accordé, afin que
l'enterrement fût des plus solennels. L'historien ajoute que c'était
conforme aux rites.
A la 7"11"' lune (mai-juin), Che-kai conduisait une nouvelle
armée contre le pays de Ts'i ^ ; mais arrivé à la ville de Kou ^
(1 . il apprit la mort du roi: il se hâta de retourner sur ses pas,
voulant observer les rites, qui prohibaient la guerre contre un
peuple plongé dans le deuil national.
A la fin de l'année, le nouveau roi de Ts'i, touché de cette
marque de déférence, signait un traité de paix à Ta-soei ^ [§§ 2 .
La cour de Lou ^ en prit peur; elle craignait de voir se renou-
veler les anciennes vexations: le duc envoya donc le seigneur Mou-
chou ||J ^ auprès de Che-kai, à Ko |p[ (3 . lui exprimer ses ap-
préhensions.
Le député fit aussi visite au sage Chou-hiang ;J^ rirj. compa-
gnon du ministre: il lui chanta l'ode \ «je traverse celle "plaine
on le blé est déjà grand; je coudrais gagner un prince puissant à
ma cause ; mais en qui mettre mon appui?». Le lettré éminent
comprit ce qu'on désirait de lui, et promit d'aider le duc de tout
sou pouvoir.
En 553, à la 6ème lune, au jour keng-chen j|î f|3 7 mai ,
P'ing-kong présidait à Chen-yuen -]J j)$ 5 |, une réunion solen-
nelle des vassaux : douze princes y étaient présents, et parmi eux,
le nouveau roi de Ts'i )$ ; on y publia sa réconciliation avec son
suzerain, et l'on renouvela les anciens traités d'alliance et d'amitié.
'!) Kou. c'est Tong-ngo hien îfc M %£■ qui est à 210 li nord-ouest de sa pré-
fecture T oi-ngon fou jfc £ Jfi . Chan-tong. Petite gêogr., vol. io. p. 14) — {Gran-
de vol. 33, p. 1 : .
(2) Ta-soei. antique ville disparue : elle était sur les limites de Kao-t'ang
tcheou iSj ^f fl\ : celle-ci est à 12U li nord-est de sa préfecture Tong-tcharig fou Jjî
|j n-f . Chan-tong; mais la géographie ne parle pas de l'antique ville. (Petite géogr.,
Vol. IO. p. 2 2 .
(3) Ko était un peu au nord-est de Nei hoang hien jJj ÂV ''/-'. qui esl à 110 lia
l'est de sa préfecture Tchang-te fou £; ÎJ. Jflp. Ho-nan. Petite géogr., vol. 12. p. iS)
— (Grande, vol. iô. p. j- .
(4) Che-king |$ g. 4eme strophe de l'ode tsai-tch'e fg£t- Couvreur, p. 61 .
(5) Chen-yuen. signifie grande plaine et étendue d'eau de Chen : le lac était
au pied de la montagne Wei-yang chan fèf BJ |||. à 5 li si:d-cst de K'ai tcheou fï]
Un, dans la préfecture de Ta-ming fou j\ £ fff. Tche-H ; actuellement il n'existe
plus : car, dans ce pays, les inondations changent souvent le cours des rivi. : -
:;i
260 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
En 552. c'est maintenant que va s'accomplir la prédiction
faite sur la famille Loan g| : Le seigneur Loan-yen |p§ Jf (aussi
nommé Loan-hoan-lse ff§ {y. ^ avait été marié avec une Mlle de
Che-kai ; il en avait eu un fils appelé Loan-yng ff§ £& ou Loan-
hoai-tse ^ '|"§î ^f-), que nous connaissons. En 559. Che-yang -^
M. fils de Che-kai, menacé de mort par Loan-yen. avait dû s'ex-
patrier, comme on s'en souvient (1) ; rentré dans sa famille, grâce
à l'entremise du roi de T<ein ^. comme nous l'avons raconté, ce
seigneur nourrissait une profonde rancune contre la maison des
Loan. En 557. il fut nommé parmi les chels et présidents des
branches collatérales de la famille régnante : dans l'accomplisse-
ment de ses fonctions, il ne pouvait jamais s'entendre avec son
collègue Loan-yng, son neveu.
Après la mort de Loan-yen. sa veuve, la princesse K'i fft
(2), vécut en commerce illicite avec un de ses intendants, nommé
Tcheou-ping j\\ §j|, homme qui conduisait rapidement la maison
à sa ruine. Loan-yng était grandement humilié du scandale don-
né par sa mère, et cherchait le moyen d'y remédier.
La triste veuve s'en doutait bien, elle prit les devants ; elle
n'eut pas honte de perdre son fils, plutôt que de congédier son
séducteur : elle alla donc trouver son père, le premier-ministre, et
lui dit : mon fils Yng est sur le point d'exciter une révolution,
parceque, depuis la mort de mon mari, la famille Fan f[t (ou Che
~\- s'est arrogé toute l'autorité dans le royaume ; il se plaint
qu'au lieu de punir votre fils, pour sa contravention aux règlements
militaires, vous l'avez rappelé d'exil et comblé d'honneurs ; vous
en avez fait son égal : il faut que cela change, dit-il ; je ne veux
pas être le serf de la famille Che ; s'il faut mourir, mourons !
Ainsi je crains bien qu'il ne vous cause de grands troubles : je ne
puis vous cacher mes appréhensions !
Avant ainsi parlé, la misérable invoqua le témoignage de son
frère Che-vang ; celui-ci avait une bonne occasion de perdre son
rival, il ne la laissa pas passer sans en profiter ; il appuya les
calomnies débitées par sa sœur.
Loan-yng était de sa nature magnifique, et faisait beaucoup
de largesses ; il avait à sa solde tout un troupeau de lettrés, gens
affamés qui lui étaient très-dévoués, et vivaient en relations inti-
mes avec lui ; le premier-ministre commença à craindre que son
déroutent la topographie. L'ancien nom l'ut d'abord conservé à cette partie du pays
de Wei ; plus tard, la ville reçut aussi celui de Tc-choi tch'eng (^ 8$ W?. (Gronde
géogr . < "/. là. p. p. iS. .?/. S7 ■
(1) 11 ne faut pas oublier que la famille Clic s'appelait aussi Fan /£. du nom
de son fief.
(2) l.a princesse était du clan K'i flifî. descendant du fameux empereur Yao
l£§ : de là son nom d'épouse.
DU ROYAUME DE TSIN. p'ïNG-K0N«3. 207
petit-fils ne s'appuyât sur ces hommes remuants, pour se créer un
grand parti dans le royaume ; étant l'aide du général du 3 '
corps, il avait le 6'mc rang parmi les plus hauts dignitaires ; il
lui serait donc facile de gagner une bonne partie de l'armée.
Ayant réfléchi à ces circonstances. Che-kai décida d'éloigner
Loan-yng de la cour : il lui donna ordre daller surveiller et diri-
ger les fortifications que l'on construisait à Tchou ^ (1 ; peu
après, il lui enjoignit de sortir du royaume ; l'exilé se retira au
pavs de Tch'ou $>, d'où" il espérait pouvoir se venger contre la
famille Chc fou Fan .
Che-kai ne ménagea pas les amis de son petit-fils ; parmi eux,
dix grands officiers furent mis à mort; d'autres furent seulement
incarcérés; le sage Chou-hiang ;];£ [fi] était parmi ces derniers.
Alors on se moquait de lui en disant : vous voilà aussi enveloppé-
dans le malheur! à quoi vous ont servi votre vertu, votre science?
Mais lui n'était pas embarrassé pour répondre : d'autres ont été
tués, ou envoyés en exil; moi. je suis seulement en prison; de
quoi me plaindrais-je? le livre des Vers 2 nous dit «même en un
siècle de décadence, le sage garde toute sa joie, toute sa bonne
humeur, et finit sa vie seulement dans un âge avancé." Voilà la
vraie sagesse !
Le grand officier Yo-\vang-fou ^i 3£ Ôff, grand favori de P'ing-
kong, étant venu visiter l'illustre prisonnier, le consolait en lui
disant : je vais parler à sa Majesté en votre faveur. Mais le fier
lettré ne daigna pas lui répondre, ni même le saluer, quand il se
retira. Ses amis l'en blâmaient; mais lui, fort de sa haute sages-
se, leur répondit : ma délivrance ne sera opérée que par le seigneur
L'intendant de sa maison n y comprenait rien : Yo-wang-fou,
disait-il, est si bien dans les bonnes grâces du roi, qu'il obtient tout
ce qu'il demande ; il vous propose d'intercéder en votre faveur, et \ o is
ne daignez même pas l'écouter; K'i-hi n'a absolument aucune in-
fluence à la cour, et vous comptez sur lui? c'est une énigme!
Chou-hiang répondit par une de ces formules infaillibles, à
l'usage des lettres : Yo-wang-fou n'est qu'un flatteur, toujours de
l'avis du prince: quelle influence ptut-il avoir? K"i-hi est un tout
autre homme : il élève des inconnus à de hautes dignités, pourvu
qu'ils aient du talent: il ne rejette pas ses ennemis, s'ils sont
capables : il ne dédaigne pas ses parents, s'ils ont du mérite ; bien
sûr, il se souviendra de moi; le livre des Vers (3 nous dit «une.
relu sublime attire à elle ton* les peuples» ; or, le seigneur K'i-
hi a une telle vertu, cela suffit.
(1) Tchou, ville inconnue.
2 3 Che-king |$ £J. (Couvreur, p. 30a, ode S, vers j — p. 379, f de 2
eers 2). tout ce passage de notre histoire est un des fameux morceaux de littératu-
re chinoise ; les lettrés le savent par cœur ; il est traduit dans Zottoli.
268 temps vraiment historiques
Un jour, P'ing-kong demanda à son favori, à quel degré
Chou-hiang se trouvait mêlé à la prétendue conjuration. Le cour-
tisaa était persuadé de l'innocence du prisonnier; mais il était
froissé de la manière dont il en avait été éconduit ; il répondit
donc : Chou-hiang est trop attaché à sa famille ; ainsi il a dû
aider son frère Chou-fou fy $£, qui a été mis à mort comme cou-
pable 1 .
A cette époque, le vertueux K'i-hi avait déjà renoncé à toutes
ses dignités, à cause de son grand âge, et il vivait retiré dans la
solitude ; mais apprenant l'emprisonnement de Chou-hiang, il fit
atteler une voiture rapide, et se rendit auprès du premier-ministre
Che-kai -± €|\
Il lui cita le passage suivant du livre des Vers (2) : « les an-
ciens saints empereurs ayant montré ou peuple tant de bienveil-
lance, tant d'exemples de vertu, leurs descendants en seront ré-
compensés, et conserveront cette haute dignité » ; puis ce passage
du livre des annales (3) : « les anciens saints empereurs nous ont
laissé des enseignements qu'ils avaient longtemps médités ; nous
en avons manifestement éprouvé l'efficacité, pour affermir et con-
server l'empire ».
Chou-hiang, ajouta-t-il, est aussi un homme de haute sages-
se, qui rarement s'est trompé ; un homme infatigable, qui nous
(1) Chou-hian::. ou Yang-chê-hi ^ fx irr", était membre delà famille Yang-
ché ^ S", branche collatérale de la maison régnante, dont le nom venait sans dou-
te de son fief: elle occupait, naturellement, les hautes dignités du royaume, sans
v avoir cependant un rôle prépondérant. Vers 573, nous avons vu le seigneur
Yang-ché-tche ^ "j§" ÇSi grand juge à l'armée du centre. De ses quatre fils, c'est
Chou-hiang qui est le plus connu, celui qui répandit le plus d'éclat sur sa famille,
par sa haute sagesse. Yang $H. la capitale de son fief, était à 1 S li sud-est de Hong-
tong hien î& 'M 8? , qui est à 55 li au nord de sa préfecture P'ing-yang fou ^p PS
#f, Chan-si. 'Petite géogr., vol. S. p. 8) — (Grande, roi. 41, p. 6).
Impliquée dans la soit-disant conjuration de Loan-yng, cette famille reçut un
coup bien rude: ce n'était pourtant pas encore celui de la mort; nous serrons mê-
me le fils de Chou-hiang mentionné dans la suite de ces événements. C'est en 5 1 '1 ,
qu'elle sera ruinée et exterminée, avec la famille K'i flift-
On dit pourtant que les descendants de Chou-hiang réussirent à s'enfuire à
la montagne de TToa-chan Ijl llj, et s'établirent à Hoa-yng lj| fê, à 10 li au nord
de cette montagne, à 1»>0 li au sud de sa préfecture Tong-tcheou fou [3] j{\ JflT.
Chen-si Petite géogr.. vol. 14, p. 21) — 'Grande, vol. 34. p. 4). Mais ce ne sont
là, peut-être, que des imaginations de lettres ; car ces .messieurs prétendent qu'un
homme vertueux aura toujours de la descendance, des sacrifices à déguster, des
parfums à sentir. Principe plus que contestable !
(2) Che-king f$ $j|. (Couvreur p. 421, ode 4, vers t).
(3) Chou-king $ $J. (Couvreur p. 96, ?i° »).
DU ROYAUME DE ISIN. P'iNG-KONG. 2G9
a donné à tous des exemples de vertu ; c'est la colonne de notre
Etat ; par égard pour lui, pendant dix générations, il faudrait
pardonner les fautes de ses descendants, et uniquement poui ex-
horter les hommes à pratiquer la vertu comme lui. Maintenant,
votre Excellence le punit, pour les fautes de son frère ; n"est-ce
pas vouloir la ruine de notre pays ? n'est-ce pas une lourde faute"?
L'histoire nous enseigne, continua-t-il, que le misérable Koen
$£ fut mis à mort, mais que son fils, le grand Yu ^ , fut élevé
au trône impérial ; de même, le ministre Y-yng \}t -^ ayant en-
voyé en exil l'empereur T'al-kia -fc Ep, celui-ci, revenu à résipis-
cence, n'en garda pas rancune à ce lidèle serviteur ; les princes
Koan ^ et Ts'ui ^ furent mis à mort comme coupables, mais
leur frère Tcheou-kong /§J 7fe devint le bras droit de l'empereur.
Il conclut enfin par cette pressante admonition : à cause de
Chou-hou, qui fut coupable, vous allez perdre son frère innocent
Chou-hiang, et ruiner le bien public ? Que votre Excellence fasse
son devoir, et pratique la vertu, son exemple entraînera tout le
monde ; mais mettre à mort tant de personnes, quelle utilité peut
en revenir ?
Le premier-ministre fut enchanté de cette remontrance ; il
monta sur la voiture du seigneur K'i-hi, alla avec lui trouver
P'ing-kong, et en obtint la délivrance de l'illustre prisonnier.
Quant à K'i-hi, il ne voulut pas même voir Chou-hiang, au-
quel il avait fait rendre la liberté ; tellement il n'avait en pensée
que le bien public. De son côté, Chou-hiang n'alla même pas le
remercier ; il se contenta de reprendre ses fonctions à la cour,
comme si rien n'était arrivé. Il avait conscience que ce bienfait
s'adressait au pays tout entier, non à sa propre personne ; il ne
crovait donc pas devoir en remercier l'auteur.
Voilà de la vertu païenne, dans les livres ; la réalité est sou-
vent bien différente ! N'importe ; messieurs les lettrés font de
leurs ancêtres un tel idéal, que nos vrais saints du christianisme
n'oseraient y tendre ; ils outrepassent la nature, et même la grâce.
Chou-hiang avait été vertueux, dès sa plus tendre jeunesse.
On raconte que sa mère, jalouse de la beauté de la concubine,
mère de Chou-liou fy }&, ne permettait pas à celle-ci de se rendre
près de son mari ; elle en fut blâmée par le jeune Chou-hiang.
Elle lui répondit : ce sont les profondes vallées et les grands étangs
qui produisent les dragons ; cette concubine produira, je le crains,
un dragon qui fera le malheur de votre famille ; actuellement, il
y a tant de grands seigneurs dans le pays, si un mauvais homme
les excitait contre votre clan, vous auriez bien de la peine à vous
tirer d'affaire ; voilà uniquement ce que j'avais en vue ! (1)
(1) Voilà un genre de langue encore en pratique maintenant ; la mère y parle
à ses fils, comme si elle n'était pas de la maison ; comme si elle n'avait été envoyée
que pour engendrer des enfants à une autre famille ; et c'est la théorie paienne des
270 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Cependant, la mère acquiesça aux remontrances de son petit
sage, elle envoya la concubine à son mari; celle-ci mit au monde
un enfant remarquable de beauté, qui fut appelé Chou-hou ; devenu
grand, il fut aussi remarquable par sa force et son courage; il
devint le favori du seigneur Loan-yng |j| ^, et ainsi attira le
malheur sur toute sa famille, comme la mère de Chou-hiang l'avait
prédit.
Revenons maintenant à notre exilé : En se rendant au pays
de Tch'ou 3£;- Loan-yng passa par le territoire de l'empereur: à
la frontière occidentale, il y fut dépouillé par des brigands hélas!
même parmi les sujets du "fils du ciel», il se trouve parfois de ces
gens-là!); il en porta plainte au ministre des relations étrangères
hing-jen ^f A : Moi Yng. dit-il. petit serviteur du fils du ciel,
je suis tombé en disgrâce auprès du puissant ministre que sa
Majesté impériale a établi au royaume de Ts'in; me trouvant en
fuite, j'ai encouru un malheur bien plus grand, sur la frontière
impériale ; réduit b un tel état de misère, je ne puis plus me pré-
senter nulle part, même comme transfuge: il ne me reste plus
qu'à me donner la mort ici. .Mon grand-père Lonn-chou ff| j&,
votre humble serviteur, a eu l'occasion de déployer ses talents, au
service de la maison impériale: aussi sa Majesté lui a-t-elle accor-
dé des vêtements d'honneur de haut dignitaire. Mon père Loan-
yen |f§ )^f n'a pas eu l'occasion de rendre les mêmes services ; si
sa Majesté n'a pas oublie le zèle de mon grand-père, j'ai espérance
de trouver encore un refuge ; si elle l'a oublié, pour ne se souve-
nir que de la négligence Je mon père, je ne suis plus que le reste
d'un homme perdu: je vais me rendre à la capitale, me présenter
au juge, pour me faire exécuter !
L'empereur répondit à son ministre : le roi de Tsin a déjà
été d'une sévérité outrée, envers la famille Loan ; si nous l'imitions,
ce serait atroce. En conséquence, il ordonna à ce ministre d'aver-
tir le peuple : de prohiber tout acte de violence contre cette famille :
et de rendre à l'exilé tout ce qu'on lui avait pris ; de plus, il députa
l'introducteur officiel des visiteurs à la cour, pour l'escorter dans
le défilé dangereux et mal famé de Iloan-iuen ij| jpg (1).
Vers la fin de cette même année (552), P'ing-kong présidait
une assemblée de huit princes, à Chan-jenn j$j f£- 2 : il prohiba
officiellement de donner l'hospitalité à Loan-;/»;/ ||§ #>. Il parait
qu'à cette réunion le roi de Tsri ^ et le marquis de Wei $j ne se
Heureusement la nature est plus forte que les utopies de ces messieurs : et
la mère de famille intelligente, même païenne, prend bien sa place de mère au foyer
domestique, et j garde son influence légitime.
(1) Iloan-iuen : il se trouve à 70 li sud-ovest de Kong Ivcn #£ JS, qui est à
l.'SO li à l'est de -•> prefectun Ho-nan fou ^ )*) '(•'', llo-nan. (Petite géogr., vol.
12. p. 3s) — (Grande, vol. 48. p. 29).
(2) Chansf-jenn, emplacement inconnu.
DU ROYAUME DE TSIN. P'iXG-KONG. 271
conduisirent pas bien; ce qui donna lieu à Chou-hiang de leur
faire une prédiction- : bien sûr, dit-il, que ces deux princes ne
mourront pas de leur belle mort ! les assemblées solennelles, et les
visites officielles à la cour, sont de toute nécessité en fait de rites;
ces cérémonies, et les convenances de la vie publique, sont le vé-
hicule d'une bonne administration; celle-ci fait la prospérité du
pays; quiconque accomplit ces rites avec négligence, compromet
la bonne administration; celle-ci étant en danger, il n'y a plus ni
confiance ni sûreté; alors c'est la révolution. — Prophétie de lettré
est infaillible; nous verrons tuer le roi de Ts'i en 548,1e marquis
de AYei en 54 7.
Cette intrigue de cour, où la famille Loan fj| venait de sombrer,
n'était pas encore finie, malgré les nombreuses victimes qu'elle
avait faites; à la tin de l'année, quatre grands officiers s'enfuyaient
au royaume de Ts'i $■ ; c'étaient les seigneurs Tche-h'i £n £y,
Tchong-hang-hi rf» fô :g, Tcheou-tch'o j-\] $£ et Hing-koai jflîflj.
Sur ce, le favori Yo-wang-fou |g| 3£ §| demanda au premier
ministre : pourquoi ne rappelez- vous pas Tcheou-tch'o et Hing-
koai? ce sont deux guerriers si fameux! — Oui, répondit Che-kai,
mais ils sont vendus à la famille Loan; quelle utilité en retirer?
— Montrez-vous leur bienfaiteur, comme Loan-yng, répliqua le
favori, et ils mettront leur dévouement au service de votre cause!
L'historien fait observer que Che-kai avait été par trop dupé
par sa fille ; la punition de Loan-yng f| -g était excessive; de plus,
il n'était pas d'usage de fermer aux nobles exilés le refuge des
autres cours souveraines; au contraire, l'usage voulait que leur
prince les fit escorter jusqu'à la frontière, et les annonçât à la cour
où ils désiraient se rendre, comme remarque le grand lettré Sou-
tche H f$.
On vexait donc Loan-yng ; on provoquait au plus haut degré
sa vengeance, et l'on attirait les calamités sur tout le royaume.
D'une misérable intrigue de famille, le grand Che-kai fit une
question d'Etat ; chose qu'un premier-ministre, digne de ce nom,
ne doit jamais se permettre.
En 551, vers le mois d'avril, la cour de Tsin mandait au
prince de Tcheng §[$, qu'il eût à faire sa visite officielle, et à offrir
les cadeaux d'usage ; mais le lettré-politique Tse-tch'an -~p j§f,
qui devint peu-à-peu l'âme de ce pays, fit une réponse célébré
dans les annales de la Chine ; en termes polis, il dauba l'envoyé
de P'ing-kong, lui montrant que la cour du suzerain se moquait
de la vertu des anciens saints, et ne recherchait que L'argent. Ce
blâme, en partie mérité, tomba si à propos, qu'on n'insista plus
sur la visite en question. One n'obtient pas le génie d'un lettré!
En automne, Loan-yng î'y* g ne trouvant pas un terrain
favorable à ses plans au pays de Tch'ou ^, se rendait à celui de
Ts'i ffî ; le roi l'y reçut à bras ouverts, malgré les représentations
des seigneurs, qui craignaient des complications avec le suzerain.
272 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Vers le mois d'août-septembre. P'ing-kong présidait, en effet,
à Cha-soei fy ^ 1 . une réunion de onze vassaux, où il renou-
velait la défense d'héberger le fugitif. Le roi de Ts'i était pré-
sent, et ne se troubla pas pour cela : il continua de donner l'hos-
pitalité au proscrit. Le sage Yen-tse 4^ -^ (2 fit alors sa pro-
phétie : bientôt, dit-il. des malheurs vont fondre sur nous ; notre
pars aura la guerre avec celui de Tsin ; comment ne pas craindre
pour l'avenir ! — C'était facile à prévoir.
Ici, nous ne pouvons omettre le plus grand événement de la
Chine, c'est-à-dire la naissance de Confucius [K'ong-fou-tse ^L £:
^p], à la Hème lune, au jour heng-siu j^j fâ (14 octobre), dans
la ville de Tcheou ^Tj 3), dont son père était gouverneur.
En 550. au mois de mars, mourait le prince de K'i fâ (4) ;
la mère de P'ing-kong était la sœur du défunt, elle se mit aussitôt
en deuil : P'ing-kong aurait dû en faire autant ; lui qui, d'après
les rites, devait porter le deuil, et se priver du plaisir de la musi-
que psndant ses repas, à la mort de n'importe quel prince voisin.
Pourquoi donc, en cette circonstance, où il s'agissait de son oncle,
viola-t-il des usages si respectables ? l'historien ne le dit pas.
Est-ce parcequ'il était sur le point de marier sa fille au roi
de Ou ^. et ne pouvait omettre les réjouissances accoutumées en
semblable occasion ? Nous ne pouvons deviner aucune autre rai-
son plausible. Mais dans cette occurrence, il fut vraiment berne
par le roi de Ts'i ^| : celui-ci fit semblant de lui envoyer quelques
dames de sa cour, pour servir de compagnes à la nouvelle reine ;
en réalité, dans ces voitures couvertes, réservées aux femmes, et
auxquelles personne ne pouvait toucher, il cacha le seigneur
Loan-yng fp§ ^ et ses compagnons d'armes, qui purent ainsi
passer la frontière, et parvenir jusqu'à l'ancienne capitale K'iu wo
lll] :â\ 5 • ou Ie proscrit avait beaucoup de partisans.
(1) Cha-soei, dans le pays de Snng ^J, était à 6 li nord-ouest dcNing-ling hien
"àf- &. If i qu' es* à 60 li à l'ouest de sa préfecture Koei-te fou $$ £*; ffi , Ilo-nan.
Petite géogr., vol. 12. p. 12 — (Grande, vol. 50, p. 7).
(2) Yen-tse, fameux sase : quelques écrits portent son nom. mais sont proba-
blement apocryphes. Sa biographie est dans Se-ma Ts'ien, chap. 02, p. 3. (Nous
parlons assez longuement de ce sage, dans notre histoire du royaume de Ts'i).
(3) Tcheou. était à 2u ly sud-ouest de K'iu-feou hien [il] JjL fj£. qui est à 30
li .i l'est de s.-i préfecture Ten-tcheou fou J£ H\ fpi . Chan-tong. (Grande géogr., et.
32, p. 6). — (Pour 1rs détails, voir notre Vie de Confucil
(4) K'i, Voyez année 5-2. au début du règne de Tao-kong).
K'iu-wo, fief, et ancien apanage de la famille Loan. Edition impér.,
vol. 2~. p. g .
Quant aux suivantes yng |||f] de la nouvelle reine, deux princes voisins de-
vaient s'empresser d'en offrir chacun unis: 1 savoir: une de leurs propres filles,
née de la femme légitime ; une de ses cousines: une sœur née de concubine. La
DU ROYAUME DE TSIX. p'iXG-KOXG. 273
Pendant la nuit, Loan-yng alla visiter le gouverneur de cette
ville, le grand officier Siu-ou ff ^p, auquel il exposa son plan de
révolution ; celui-ci lui répondit : un homme abattu par le ciel, ne
pourra jamais se relever; ce n'est pas que j'aie peur de la mort;
mais je vois qu'il est impossible de réussir. — N'importe, répliqua
Loan-yng, prêtez-moi seulement votre concours ; dussé-je mourir à
l'entreprise, je ne le regretterai pas ! si vraiment le ciel ne bénit
pas mon projet, la faute certainement n'en retombera pas sur
vous. Le gouverneur promit alors son concours.
D'après les plans convenus, Siu-ou cacha les conjurés dans
son palais, et prépara un grand festin, auquel il invita les gens
les plus influents de K'iu-wo; quand on fit de la musique, et
quand les cœurs furent tous en joie, il se mit à dire: Eh bien,
messieurs, si maintenant le seigneur Loan-yng apparaissait parmi
vous? comment le recevriez-vous — Tous de s'écrier: si nous pou-
vions revoir notre maître, même la mort pour lui nous serait dou-
ce ! On se lamentait, on pleurait à chaudes larmes, au souvenir
du pauvre proscrit.
Quand les coupes de vin eurent de nouveau fait la ronde, le
gouverneur demanda encore : Si le seigneur Loan-yng arrivait en
ce moment, que feriez-vous ? — Donnez-nous seulement notre maî-
tre, répondit-on, et nous le soutiendrons ! — Alors le proscrit sortit
de sa cachette, se présenta aux convives, et les remercia chaude-
ment de leur dévouement.
A la 4ètne lune (février-mars), Loan-yng prit les meilleurs
cuirassiers qu'il avait choisis à K'iu-wo, et les conduisit à l'atta-
que de la capitale Kiang $£. Comme il avait été l'adjudant de
Wei-kiang f|| $£, au 3ème corps d'armée, leurs deux familles
étaient restées toujours amies jusque là. Wci-chou §| £J-, fils de
Wei-kiang, avait été averti du complot, et avait promis de l'aider
de tout son pouvoir. Grâce à lui, Loan-yn^ et ses gens purent en
plein jour pénétrer dans la ville, sans que personne se doutât de
rien ; plusieurs grands officiers du 3ème corps, heureux de recouvrer
leur chef, se joignirent aux ahidés.
La famille Tcliao Hf. redevenue amie avec celle de //an f^,
n'avait pas encore pardonné aux Loan l'exécution de Tchno-tong
H Jp] et de Tchao-kouo |fî fj§ '583) ; il ne fallait pas compter sur
ces deux puissantes maisons; au contraire!
La famille Tchong-hang r|i \\ ou Siun-yen ^j fly était in-
timement liée à celle du premier ministre : elle avait encore sur le
jeune reine partait au~>i avec une cousine et une sieur née cle ooncubine : le roi re-
cevait donc neuf femmes à la fois. Cela ne se pratiquait qu'entre princes du même
clan; il y avait quelquefois des exceptions on faveur d'autres prince-.. I.a reine de-
meurait dans le palais central : sa cousine, dans les appartements antérieurs de
l'ouest: sa sieur née de concubine, de meme, à l'est: les autres suivantes étaient
derrière son palais, //< )«»;/ Tsing King-kiai, ml. s. p. _\.-. et p- Sa ■
35
274 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
cœur l'affront infligé par Loan-yen, dans la ridicule expédition au
pavs de Ts'in ^ ,559 ; encore deux maisons ennemies et puissantes!
La famille Tche £P. branche de la famille Siun ^j, était dans
les mêmes dispositions ; son chef, nommé Siun-yng ^j <§> ou Tclie-
yng ^0 Jg» n'était qu'un jeune homme de dix-sept ans. Le seigneur
Tch'eng-tcheng fg fij), d'une autre branche du clan Siun, était en
grande faveur auprès de P'ing-kong, donc opposé à toute révolte.
Comme on le voit, la famille Wei f^ était la seule à soutenir
l'insurrection. Le favori Yo-wang-fou £& 3E %\] était auprès du
premier-ministre, quand on apporta la nouvelle : Loan-yng" et ses
partisans envahissent la capitale ! A ces mots, Che-kai -^ &\
interdit ne savait quoi faire, quoi commander ?
Yo-wang-fou plus calme lui dit: allez mettre le roi en sûreté,
dans le palais de Siang-kong i§{ ^ : ensuite, il n'y aura rien à
craindre ! la famille Loan étant si détestée, n'a pas beaucoup de
partisans : vous avez l'autorité en main ; Loan-yng attaque, vous
n'avez qu'à vous défendre ; l'avantage est donc de votre côté ; le
peuple est avec vous, c'est le plus important; la famille Wei ^
sera pour vous, si vous savez vous y prendre ; pour abattre une ré-
volte, il faut être rapide et énergique; en avant, et pas d'indécision!
Comme la cour était en deuil, à cause du prince de K'i /ftj,
Yo-wang-fou dit à Che-kai de se vêtir en deuil ; il le coiffa lui-
même du bonnet de chanvre, le fit monter dans une voiture fermée,
avec deux femmes, de peur qu'il ne fût arrêté par des traîtres à la
porte du palais. Grâce à ces précautions, Che-kai parvint sans
encombre jusque chez le roi, et le conduisit aussitôt dans le palais
fortifié appelé Kou-kong [g g\ — bâti par Siang-kong; il se
trouvait sur le territoire actuel de K'iu-wo hien [fjj ^ J|£, à 120
li au sud de P'ing-yang fou ^ ^ Jfô, Chan-si. — (Annales du
Chan-si, vol. 55, p. 6).
Pendant ce temps, son fils Che-yang -±; |&, payant d'audace,
allait au palais du conjuré Wei-chou §| ^f-, trouvait les soldats
sous les armes, et les chars prêts à partir ; allant droit à Wei-
chou, il lui disait : des brigands, sous la conduite de Loan-yng,
ont envahi la capitale : mon père et tous les grands seigneurs
sont rangés autour du roi : ils m'ont envoyé prier votre seigneurie
de les rejoindre ; permettez-moi donc de monter avec vous sur
votre char, et hâtons-nous ! En même temps, tirant son épée, il
sautait sur le char, saisissait la courroie d'appui, et commandait
de partir. Le conducteur demanda ou il fallait se rendre. — Au
palais du roi ! répondit Che-yang. — Quant à \Aei-chou, il n'a-
vait pas eu le temps de revenir de sa surprise : il s'était laissé
emmener sans faire de résistance.
A son arrivée au palais, Che-kai vint à sa rencontre, jusqu'au
bas de l'escalier, lui saisit amicalement la main, lui promit le fief
de K'iu-wo \\\] j£ cemi de la famille Loan , s'il voulait concourir
à la défence commune.
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 275
Le coup d "audace de Che-yang avait pleinement réussi : Loan-
yng était privé de son unique appui ; Wei-chou prisonnier allait
être massacré s'il essayait de reculer ; il prit le parti de suivre les
autres dignitaires à la défense du roi.
Che-kai avait un esclave, nommé Fei-pao ^ j^, qui, pour
un grand crime, avait été dégradé, et attaché pour la vie au ser-
vice des tribunaux ; comme infâme, il était inscrit sur le registre
rouge des gens de son espèce ; il était connu pour ses forces her-
culéennes.
De son côté, Loan-yng avait à son service un individu, nom-
mé Tou-jong ^ Jp£, qui, par son courage et sa force, était la ter-
reur du royaume. Fei-pao dit au premier-ministre ; bridez le
livre rouge, et je vais tuer Tou-jong ! — Accepté ! s'écria Che-
kai ; si tu réussis, je jure par ce soleil qui nous éclaire, j'obtien-
drai du roi de brûler le livre !
Sur ce, on ouvrit la porte du palais, pour laisser sortir Fei-
pao. Aussitôt Tou-jong se lança sur lui pour l'abattre ; mais
Fei-pao lui échappa en sautant pardessus uu petit mur ; Tou-jong
croyant qu'il fuyait, sauta à son tour pardessus le mur ; mais
alors le rusé Fei-pao lui asséna sur la tète un coup si violent
qu'il l'assomma.
Les troupes du premier-ministre étaient massées derrière la
tour du palais royal ; celles de Loan-yng attaquaient vivement la
porte de ce même palais. Che-kai dit à son fils : les flèches des
assaillants pénètrent jusqu'aux appartements de sa Majesté; allez!
repoussez ces gens-là ! dussiez-vous y mourir !
Che-yang commanda à ses hommes de tirer la courte épée, et
l'on s'élança avec fureur sur les assaillants ; le choc lut terrible ;
les gens de Loan-yng reculèrent quelque peu ; Che-yang sauta sur
le char de son père, et poussa la mêlée comme un lion ; aperce-
vant le seigneur Loan-lo |f§ |$| : traître ! lui cria-t-il, si je meurs,
je vous accuserai devant le maître du ciel !
Loan-lo, pour réponse, lui lança une flèche, sans l'atteindre;
pendant qu'il bandait de nouveau son arc, son char heurta un
accacia, et se renversa ; Loan-lo tombé à terre fut percé d'un tri-
dent, et expira sur-le-champ. Loan fung |J§ jjjji/j, fils de Loan-yng,
était déjà grièvement blessé ; les assaillants finirent par cesser uu
combat si meurtrier, et se retirèrent à K'iu-wo [[{] ^ ; l'armée
de Tsin les y suivit et les assiégea ; ce fut seulement vers août-
septembre qu'elle put enfin s'emparer de la ville, où Loan-yng et
ses partisans furent massacrés. Loan-fang put cependant échap-
per, et se réfugia au pays de Sowj $£.
C'est donc à grand' peine qu'on avait triomphé d'un ennemi
si brave et si intelligent, qui ne s'était retiré qu'après avoir mis
le feu à la capitale ; la capture de son principal aflidé Wei-chou.
était pour beaucoup dans son échec. Vraiment, le roi s'était
trouvé à deux doigts de sa perte.
276 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
• Le roi de Tsi ^, pendant ce temps, n'était pas resté inactif:
pour aider indirectement son protégé, vers mai-juin, il avait envahi
le pavs de VVeî ^j : puis il s'était jeté sur celui de Tsin. Divisant
ses troupes en deux corps d'armée, après avoir pris la ville de
Tchao-ho ^J] IJfc ' 1 . il était entré dans le dangereux défilé de
Mong-men ^ fJfJ, avait occupé la montagne T'aî-hang ■jfc.tff ,avait
établi un camp retranché à Yong-ting ^ Jjfê, avait placé des gar-
nisons dans les villes et défilés de Pi fy\] et de Chao $p\ avait
élevé une colline en guise de trophée au bord de la rivière C/ia-
chouei 'fy 7JC : enfin il s'était retiré, content d'avoir vengé l'inva-
sion de 555.
Le seigneur Tcliao-chen j$î j|$\ fils de Tchao-tchen |g jf#f,
s'était mis à la poursuite de l'armée triomphante, l'avait atteinte,
et avait réussi à lui prendre son grand officier Yen-lai Jç j|| ;
mais il n'avait pu pousser plus loin : il avait trop peu d'hommes ;
car il n'avait amené que les troupes de Tong-yang j^ |^| 2). À
la S'eme lune juin-juillet , l'armée du duc de Lou <|§. avait enfin
fini par se mettre en marche, pour apporter secours; mais elle
(1) Tchao-ko, était un peu au nord-est de Iv' i hien pt g?, qui est à 30 li au
nord de sa préfecture Wci-hoci fou %\ %<$ m, Ilo-nan. Petite géogr., vol. 12,
p. 20) — i Grande, vol. 4g, p. 23).
Mong-men : ce défilé appelé maintenant Pé-hing ÉI Pff : est à 50 li à l'ouest de
Houei hien t'y. Sjjj|, qui est à 00 li à l'ouest de la même préfecture. (Annales de Tche~
tcheou fou ;^ ^H .#. col. is- p. 2)-
La montagne T'ai-hang. Voyez à la géographie de cette présente histoire'.
Yong-ting, ou Hing-ting ££- J2, était un peu à l'est de K'iu-wo hien |!ll fjz
Sf, qui est à 1^0 li au sud de sa préfecture P'ing-yang fou -Zp pg 1^-, Chan-si.
'Petite géogr.. vol. S, p. g) — (Grande, vol. 41, p. 11 .
P'i, la ville et le défilé étaient à l'ouest de Chao ; mais on en ignore l'endroit
exact.
Chao : ce défilé, où se trouvait autrefois une ville, est à l'ouest de Ts'i-yuen
liicn 3^ fâ flf . qui est à 70 li à l'ouest de Hoai-k'ing fou fë §[ Kf , Ilo-nan. (Gran-
de géogr.. vol. 4g. p. g).
Cha-chouei : cette rivière n'est pas sûrement identifiée : pour les uns, c'est la
rivière Ts'in-chouei j-ù' ?fc- qui a sa source sur le territoire de Ts' in-chouei hien
ïH!' 2fc Sf • et coule à 50 li à l'est de cette ville, qui est à 120 li à l'ouest de sa préfec-
ture Tchc-tchcou fou $■'; 'l|-| Ht, Chen-si ; — pour d'autres, ce serait la rivière Kouei-
chouei rfâ 7j<. qui coule à 40 li sud-est de Kiang tcheou ££ #|. Chen-si; l'armée de
1 s'i eût été jusqu'auprès de la capitale de Tsin ; ce qur e-t invraisemblable ! {Petite
géogr., vol, S, p. p. 2S et 43) — (Grande, vol. 43. p. S — vol. 41, p. 3c).
rong-3'ang, c'est Ki tcheou $& #', Tche-li ; c'était la capitale de l'ancienne
petite principauté de Kou aM 'Petite géogr., vol. 2, p. 63) — (Grande, vol, 14,
V- 33)-
DO ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 277
s'était finalement cantonnée à Ywng-yu 3fâj fH (1 , pour attendre
les ordres de P'ingvkong, et n'avait rien fait.
En 5i9, le duc voulut dumoins féliciter son suzerain, d'avoir
heureusement étouffé la rébellion; pour cela, il choisit le seigneur
Mou-chou ^ ,j.)(, vulgairement appelé Chou-suen-pao jj;j{ ^ %^. Le
premier ministre lui rendit les plus grands honneurs ; il alla même
au devant de lui. Plus tard, dans un entretien amical, il lui posa
cette question : les anciens ont dit que tel et tel, morts depuis
longtemps, survivent encore; qu'est-ce que cela signifie?
Sans attendre la réponse, il continua ainsi : Mes ancêtres,
bien antérieurs au fameux Yu-choen H§! j£f:, étaient princes de
Tao-l'ang ffâ j|| ; sous la dynastie Hia J|, mon ancêtre Liou-lei
|fjj ^ avait la haute dignité de Yu-long ft]] jfjl (gouverneur du
dragon) (voyez année 513^; sous la dynastie Chang "[§}, mes an-
cêtres étaient seigneurs de Che-wei ^ ^L ; sous la dynastie Tcheou
/g], ils étaient seigneurs de T'ang J|f- et de Toit jjfc; depuis que
le roi de Tsin est le chef des vassaux, nous sommes connus sous
le nom de Fan fë, et nous occupons les plus hautes dignités. Ce
mot des anciens ne s'applique-t-il pas à une famille comme la
nôtre (2)?
Le bon ministre faisait la demande, et dictait la réponse qu'il
désirait; le fin lettré va joliment le détromper: votre famille, dit-
il, est une de celles qui ont des dignités héréditaires; mais cela
ne suffit pas pour mériter l'éloge des anciens, «qu'elle survit et
survivra toujours». Autrefois, au duché de Lou .^-, il y eut un
dignitaire fameux, Tsang wen-tchong $£ ^C il\* ■> dont beaucoup de
sages paroles ont été conservées jusqu'aujourd'hui ; voilà un hom-
me qui se survit. D'après les enseignements des anciens, «survi-
vent» les éminentes vertus, comme celles des grands «< saints •< Yao
(1) lYong-yu était à IS li sud-ouest de Siun hien j§ $£, qui est à 1 1 <> li
nord-est de sa préfecture Wei-houei fou. (Petite géogr., vol 12. p. 23) — Grande.
VOl. IÔ, p. 2l).
(2) La famille C'he (ou l'an ?Ë) prétendait descendre de l'illustre empereur
Yao il, qui avait sa capitale à T'cd-yuen fou ;fc fâ Jj!f, Chan-si. (Petite géogr.,
vol. S, p, 2) — (Grande, vol. 40, p. 7).
La capitale Wei, fondée par Che-wei, était à 50 li sud-est de Houa hien x\\
Stf, qui esta U0 li nord-est de sa préfecture Wei-houei fou. Petite géogr., ool.
12, p. 24) — (Grande, vol. 16, p. 2S).
T'ang était à 1 li au nord de T'ai-yuen fou. (Petite géogr., voL 8, p. 3) —
(Grande, vol. 40, p. g).
Tou était à 15 li sud-est de Si-ngan fou Bi "iè. )(f . Chen-si, Petite géogr.,
vol. 14. p. 4) — (Grande, ool. 53, p. 12).
l'an, d'où la famille tira son nom, était à 2ô li sud-est de Fan hien jfà JJf,
qui est à 100 li au nord de sa préfecture Ts'ao tcheou fou *$ ;H1 K>, Chan-tong,
(Petite géogr., ool. 10, p. iç) — [Gronde vol. 34, p. 22 .
2"/ 8. it.mps vraiment historiques
f=| et Clioen £$, qui ont posé les fondements de la société humai-
ne ; les mérites exceptionnels, comme ceux des illustres personna-
ges Yu ^ et Tsi ^ ; les paroles remplies de sagesse, comme
celles du fameux historien Che-i ^ f£ et du grand penseur Tcheou-
jenu J§\ fâ. Partout et toujours, il y a des familles qui subsistent
longtemps, fondent des branches collatérales, continuent les sacri-
fices aux ancêtres, dans leurs temples antiques ; mais ce n'est pas
là l'immortalité. Conserver les dignités dans une famille, n'est
pas ce qu'on appelle "se survivre .
Le puissant premier ministre recevait donc une bonne leçon,
d'un lettré du petit pays de Lou, siège de la vrai doctrine des
anciens- : quelle gloire pour Mou-chou! et combien ses congénè-
res modernes se délectent en récitant son chef-d'œuvre !
Autre chose est la puissance, autre chose est la vertu ; nous
allons encore voir cela mis en lumière par un autre lettré ; Sous
l'administration de Che-hai i ^ ou Fan-siuen-tse f\± jy ^f-), les
contributions imposées aux vassaux étaient de nouveau devenues trop
lourdes; car si ce seigneur gouvernait bien le pays, il ne s'oubliait
pas lui-même ; comme cela se voit aussi ailleurs qu'en Chine.
A la 2:'IKL' lune, le prince de Tcheng g[;, voulant obtenir une
diminution en sa faveur, se rendait à la cour de Tsin, accompagné
de son ministre Tse-si -J- "0| ; le fameux Tse-tch'an ^f- j§?, lettré-
politique déjà connu du lecteur, leur remit une lettre à l'adresse
de Che-kai : elle est célèbre dans les annales de la Chine ; la voici : (1)
Votre seigneurie gouverne maintenant le royaume de Tsin,
en qualité de premier ministre: les vassaux vos voisins n'ont pas
encore entendu raconter sur vous des faits éclatants de haute vertu;
ils ne voient qu'aggravation de contributions; les anciens disaient
qu'un ministre sage et vraiment supérieur, ne s'inquiète pes si
fort, s'il se voit à court d'argent ; mais tient bien plus à cœur de
laisser un nom glorieux. Si les trésors des vassaux s'entassent chez
leur suzerain, ceux-ci le prendront en haine, et se sépareront de
lui ; s'ils s'entassent dans le palais de votre seigneurie, c'est vous
qui deviendrez odieux à tout le royaume. Si les vassaux quittent
l'obédience de leur souverain, c'en est fait du pays de Tsin ; si le
peuple vous déteste, c'est votre maison qui marche à sa ruine,
grâce à votre insatiabilité. Pourquoi donc tenez-vous à tant de
richesses, à tant de cadeaux? Songez plutôt à acquérir une bonne
renommée: c'est le véhicule de la vertu! Or, la vertu seule est
le solide fondement d'un Etat; si la base est inébranlable, l'édifice
durera indéfiniment. Ainsi, n'est-il donc pas de toute nécessité
de s'appliquer à la vertu? elle fait la joie du cœur; elle fait le
bonheur du peuple; avec ces deux choses, un Etat est stable. Le
livre des Vers 2 nous dit: conviro.< aimable* et distingués, vous
(1) Ce chef-d'œuvre est traduit dans Zottoli, vol. IV, p. 63.
(2) Che-hing f$ $|. (Couvreur, p. ig4> ode 7, vers z—p. 3Sôx ode 2, vers 7).
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 279
êtes les soutiens de l'Etal! ce qui signifie qu'ils ont une vertu
remarquable et connue de tout le monde. Ailleurs, le même livre
a cette parole: le maître suprême est avec vous, efforcez-vous d'ac-
quérir une glorieuse renommée ! la droiture, l'amour du peuple
étant dans votre coeur, l'éclat de vulve vertu se répandra de toutes
parts; ceux qui sont loin, en seront attirés a vous; ceux qui sont
près, en jouiront et vous aimeront. N'cst-il pas mieux que les
hommes se disent traités par vous en fils bien-aimés, plutôt que
de les entendre crier que vous vous engraissez de leurs sueurs?
Les précieuses défenses de l'éléphant sont cause de sa mort : de
même quand on amasse des richesses!"
Comme on le voit, la semonce était assez verte. Pour ne pas
en être offensé, Che-kai devait grandement estimer l'auteur de la
lettre ; pour y obtempérer, il devait avoir une assez grande dose
de bonne volonté ; de fait, il abaissa aussitôt le chiffre des contri-
butions de tous les vassaux.
En faisant cette visite, le prince de Tcheng ff[$ avait encore
un autre but ; il venait prier instamment P'ing-kong de faire la
guerre au prince de Tch'en fifc. Aussi, le demandeur s'humilia-
t-il devant le premier-ministre, jusqu'à se mettre à genoux, à
frapper la terre de son front, malgré les protestations de Che-kai ;
il en aurait à peine fait davantage aux pieds de l'empereur. La
chose était donc bien pressante !
Tse-si en donna la raison : fort de l'appui du roi de Tch'ou
^ son voisin, le prince de Tch'en [5^ ose impudemment nous
attaquer, nous injurier d'une manière odieuse ; mon humble maî-
tre vous prie donc de vouloir nous défendre, et punir notre enne-
mi ; étant venu pour vous supplier, comment ne baisserait-il pas
la tête devant votre seigneurie ?
Comment résister à une requête présentée si humblement !
Che-kai promit de la présenter au roi, et de l'exhorter de tout son
pouvoir à y faire droit ; dans un an, nous verrons l'effet de cette
promesse. En attendant, il s'agissait de punir le roi de Tsi ^f,
pour avoir prêté la main à la rébellion de Loan-yng |§ ^. et
pour avoir lui-même envahi le territoire de Tsin.
Déjà, en été, P'ing-kong avait ordonné au duc de Lou fy de
harceler le pays de Ts'i, et de commneer ainsi les premières hos-
tilités. Bientôt, lui-même présidait à /-;' ^ \fë [\ | une réunion
de onze vassaux, pour régler tous les détails du plan de campa-
gne ; mais il survint une telle inondation qu'il fallut, pour le
moment, renoncer à ce projet.
Le roi de Ts'i, heureux de ce contre-temps, en profita pour
(1) I-i était à 1 iO li à l'ouest de Chouen-te fou M {'£ fff,Tche-li : | Petite géogr.,
vol. 2, p, 45) — ( Grande, vol. 15, ]>■ 4) elle étail sur le territoire du marquis de
wei m.
280 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
se rapprocher du roi de Tch'ou $£, et le prier de faire cause com-
mune avec lui. Celui-ci enchanté commença aussitôt à envahir
le pays de Tcheng %. Ainsi, pour une autre raison, P'ing-kong
se voyait forcé de courir au secours de ce prince plus tôt qu'il ne
l'avait pensé.
Pour provoquer les gens de Tch'ou ^ à la bataille, P'ing-
kong députa les deux grands officiers Tchang-ho jjj| ^§ et Fou-li
H\ && (^) ; ceux_ci demandèrent au prince de Tcheng un conduc-
teur de char, qui connût bien les chemins et le pays ; on consulta
les sorts, par le moyen de la grande tortue divinatoire ; la réponse
fut que le seigneur Yuen-ché-k'iuen $1 fy\ ^ était l'homme de la
circonstance.
Le ministre T-ai-chon -fc fâ lui donna quelques bons con-
seils, pour la conduite à tenir envers les deux officiers : vous avez,
lui disait-il, à traiter avec deux grands seigneurs d'un puissant
rovaume ; n'allez pas vous imaginer de vivre d'égal à égal avec
eux ! — Peu m'importe, répondit l'autre, qu'ils soient d'un grand
ou d'un petit royaume ; je ne m'occupe que de leur grade, et les
traiterai en conséquence ; voilà tout ! — Nous avez tort de parler
ainsi, répliquait le ministre ; ne savez-vous pas que sur les petites
collines ne poussent pas les grands sapins, ni les majestueux
cyprès ?
De leur côté, les deux seigneurs de Tsin traitaient leur hom-
me, comme un simple cocher : assis eux-mêmes sous leur tente,
ils lui disaient de se tenir dehors ; après avoir bien dîné, ils lui
passaient leurs restes ; quand ils se mirent en route, ils lui dirent
d'aller devant, sur son lourd char de guerre ; eux-mêmes le sui-
vaient sur une calèche légère et bien commode : c'est seulement
quand on approcha de l'ennemi, qu'ils montèrent auprès de lui ;
encore s'assirent-ils tranquillement, pour pincer de la guitare,
tellement ils avaient le cœur à l'aise.
Le conducteur furieux voulut se venger : sans les avertir
qu'on était arrivé, il lança le char sur le camp ennemi ; mais nos
deux héros tirèrent tranquillement leur casque de son enveloppe,
le mirent sur leur tète, passèrent le mur d'enceinte, saisirent cha-
cun un homme de Tch'ou, qu'ils jetèrent garotté sur le char,
comme un paquet, retournèrent en chercher chacun un autre,
qu'ils apportèrent sous le bras.
Le conducteur ne les attendit pas ; il fouetta ses chevaux, et
partit au grand galop; les seigneurs sautèrent dans leur calèche,
où ils se défendirent à coups de flèches, contre les gens de Tch'ou
qui les poursuivaient; ils finirent par échapper sains et saufs de
la bagarre.
(1) Tchang-ko était petit-fils du fameux Tchcmg-lao 3H fa année 572)
(Annales du Chan-si, vol. s. p. 26).
DU ROYAUME DE TSIN. p'iXG-KONG. 281
Ayant rejoint le conducteur, ils remontèrent sur son char, et
se remirent à pincer, de la guitare, bien contents de leur prouesse :
Seigneur Kong-suen, dirent-ils au conducteur, puisque nous som-
mes compagnons d'armes, pourquoi vous êtes- vous lancé sur l'en-
nemi sans ordre, et vous êtes-vous enfui de même? — C'est que,
répondit l'autre tout penaud, je ne pensais d'abord qu'à me jeter
sur les gens de Tch'ou ; ensuite la peur m'a saisi. — Vous êtes
bien impressionnable ! répliquèrent les deux seigneurs en riant de
lui.
Voilà une peinture des hauts faits de cette époque ; c'est ainsi
que les héros montraient leur bravoure et leur sang-froid. Reve-
nons mointenant à des récits plus prosaïques : P'ing-kong afffec-
tionnait le seigneur Tch'eng-tckcng fjg |fj$ ; il le nomma adjudant
du général du 3ème corps d'armée. Ce favori, assistant un jour à
la réception de l'ambassadeur de Tcheng f|[$, demanda : descendre
l'escalier pour recevoir un hôte, qu'est-ce que cela signifie?
L'ambassadeur ne sut pas répondre convenablement; mais il
rapporta l'interrogation au sage Jan-ming $k Wft, qui éructa aus-
sitôt une prophétie : Cet homme-là, dit-il, va bientôt périr; ou
bien il sera jeté en exil; car un grand dignitaire doit être craintif
et circonspect; quiconque est craintif, aime à s'abaisser, et montre
son humilité en descendant l'escalier, pour aller à la rencontre de
son hôte; c'est une marque de déférence; qu'v a-t-il donc d'éton-
nant? aimer à s'abaisser, quand on est parvenu à une haute di-
gnité, est la marque d'un homme sage ; mais ce seigneur n'est
pas capable de comprendre ce langage ; ce favori ne sera-t-il pas
chassé en exil, pour quelque méfait? ou bien, sa tète serait-elle
dérangée? ce serait l'indice d'une mort prochaine. — La prédiction
s'accomplit l'année suivante: mais l'historien relate seulement la
mort du seigneur Tch'eng-tchcng,sans en donner les circonstances.
En 548, au mois d'avril, P'ing-kong réunissait une seconde
fois les vassaux dans la même ville de I-i ]% $% ; pour s'y rendre,
il avait pris un autre chemin, et avait travervé la rivière Pan ffi
(1); onze princes furent présents à cette assemblée ; il s'agissait
toujours du même objet, punir le roi de Ts'i ^ de ses derniers
méfaits.
Pendant que l'on discutait les détails de la campagne qu'on
allait entreprendre, des députés de Ts'i vinrent annoncer que ce
prince avait été tué quelques jours auparavant, c'est-à-dire au jour
i-hni 2j !$ de la 5ème lune (26 avril) ; le défunt s'appelait Tchoang-
kong $£ ^ (553-548) ; les envoyés avaient ordre de signer un
traité de soumission et d'alliance.
Le nouveau roi de Ts'i, pour preuve de bonne volonté, envo-
yait une énorme quantité de cadeaux; c'était d'abord une troupe
de jeunes gens et de jeunes filles, de familles nobles et de familles
!1) l'an, rivière absolument inconnue des commentateurs.
36
282 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
plébéiennes; on devait les distribuer comme esclaves, serviteurs,
concubines, épouses, à tous les dignitaires selon leur degré hiérar-
chique ; ensuite, d'autres présents pour tous les généraux, prési-
dents, et ofhciers de l'armée. P'ing-kong reçut des vases précieux
et des instruments de musique, provenant du temple des ancêtres
de Ts'i.
P'ing-kong, délivré inopinément d"un grand souci, par cette
mort tragique, chargea le sage Chou-hiang ^ [p] d'annoncer aux
vassaux que le nouveau roi de Ts'i ayant fait sa soumission, l'affai-
re était finie. Le duc de Lou .Jff-, au nom de tous ses collègues,
députa le seigneur Mong-tsino jg; $%, pour remercier le suzerain
de cet agréable message : Votre illustre Majesté, disait-il, a daigné
pardonner la faute de Ts'i, pour nous procurer la paix, à nous,
petits états ; c'est un bienfait signalé ; nous vous remercions de
vos ordres.
Après cela, P'ing-kong s'occupa des affaires du pays de Wei
:f§f. En 559, le marquis Hien-kong J^ ^ avait dû s'enfuir à la
cour de Ts'i ^; et son trône avait été occupé par son oncle, le
prince Chang ^ ; revenir sur un fait accompli depuis onze ans,
parut impossible; P'ing-kong obligea l'usurpateur à laisser à l'an-
cien marquis au moins la ville de I-i ^ Hf, où l'on se trouvait:
le grand seigneur Wei-chou |^ $f , avec son compagnon Yuen-
mow fà $£, furent chargés d'aller chercher le marquis, et de le
conduire honorablement à sa nouvelle demeure ; mais quand l'exilé
fut sur le point de partir, il vit sa femme et ses enfants retenus
par Ts'ouei-tse ^ ^f-, ministre de TsH ^; pour leur accorder la
liberté, celui-ci exigea que l'usurpateur lui cédât la ville de Ou-lou
3l J5=l (1) j aujourd'hui on appellerait cela un coup de diplomate.
A la 7ème lune, au jour ki-se g, g, (19 juin), le nouveau roi
de Ts'i 3J| et tous les autres vassaux, réunis à Tchong-h'iou -g
J$ (2), sous la présidence de P'ing-kong, renouvelaient ensemble
les anciens traités de paix et d'amitié. Au mois de juillet, le pre-
mier-ministre Che-kai -^ 4EJ étant mort, ce fut le grand seigneur
Tchao-ou jHÈ fÇ qui lui succéda; il était fils de Tchao-cho |g $$,
et est aussi connu sous le nom de Wen-tse ^ ^ ; nous le verrons
fournir une brillante carrière. (3)
(1) Ou-lou, était un peu au sud-est de Ta-mîng fou ^ ^ ffî, Tchc-li. (Petite
géogr., vol. 3, p. 52) — (Grande, vol. i6,p. 5).
(2) Tchong-k'iou, était à 50 li sud-est de Tong-tch'ang fou Jfc H flrf, Chan-
tons:. (Petite géogr., vol. 10. p. 20) — (Grande, vol. 34, p. 3).
(3) La irrandissime famille Tchao descendait du. fameux sage Pé-i fâ jgj, que
le grand empereur Vu 3Ï (2200 ans avant Jésus-Ghrist) voulait avoir pour successeur,
mais qui refusa ; ses descendants eurent toujours des dignités à la cour impériale des
diverses dynasties. Elle était du clan Yng j&i- comme les princes de 7 Vin $$ç . leur
nom de Tchao leur vint du fief qu'ils occupaient ; car. vers l'an 1001 , l'empereur Mou-
DU ROYAUME DE TSIN. P'iNG-KONG. 283
Dès son début, il allégea encore les contributions imposées
aux vassaux, et se «montra d'une exquise amabilité envers eux.
Mou-chou ^ ;J$, le seigneur de Lou ^ que nous connaissons
depuis longtemps, étant allé le féliciter et le remercier, il lui dit:
désormais, j'espère que les expéditions militaires seront plus rares;
Ts'ouei fè et K'ing ||, les nouveaux ministres de Ts'i ^, ont à
coeur de garder la paix avec les princes féodaux ; je suis bon ami
avec Tse-mou -^ ^C, premier-ministre de Tvh'ou #£ ; ainsi je puis
espérer d'empêcher beaucoup de guerres.
Nous avons vu, précédemment, que le prince de Tcheng ff[$
avait prié, supplié, le premier-ministre Cke-hai -\- 4EJ de le secou-
rir contre le prince de Tch'en ^; il en avait obtenu la promesse;
puis, les événements ayant pris une autre tournure, on avait dû
d'abord le secourir contre le roi de Tch'ou Jfè qui avait envahi
son pays. Délivré de cette attaque plus dangereuse, il s'était vengé
tout seul de son ennemi ; mais il avait triomphé sans la permis-
sion de son suzerain, c'était une faute qu'il fallait maintenant se
faire pardonner.
C'est le lettré-politique Tse-tch'an ^f- j^ qui fut envoyé négo-
cier cette affaire délicate. Celui-ci se présenta à la cour de Tsin,
couvert de sa cuirasse, comme s'il revenait du champ de bataille,
et offrit à P'ing-kong le butin pris à l'ennemi. On lui demanda
avec mauvaise humeur: quel crime avait donc commis le prince
de Tch'en jSjjf, pour mériter la guerre?
L'intrépide ambassadeur fit une réponse bien digne d'un
lettré chinois ; il prouva que depuis deux mille deux cents ans
l'état de Tch'en ffi avait commis tant de crimes qu'on aurait dû
l'anéantir depuis longtemps; nous omettons ce discours onctueux,
qui est par trop long.
wang |â ZE avait donné au seigneur Tsao-fou )'u Q la ville de Tchao Jf?, qui se
trouvait à 35 li au sud de Tchao-tcli'cng hien fâ ^ f£, ville située à 50 li sud-ouest
de Ho tchcou "$_ -)\\, Chan-si. (Petite géogr., vol. S, p. 41) — (Grande, vol. 41. p. S).
Vers l'an 780, nous trouvons le seigneur Tchao-chou-tai j§ $3. $|r, au service du
prince Wei-heou 3C \% de Tsin; depuis lors, les membres de cette famille occupèrent
toujours de hautes dignités dans le royaume. Les plus célèbres furent Tchao-tch'oan
Mtf, tchao-tthen jg ïfâ et son fils Tchao-cheng fS g$, Tchao-ts'ouei j® M qui eut
4 fils illustres : Tehao-t'oen jjg /§ (ou Siuen-tse j|) J-) premier-ministre fameux,
Tchao-tong «2 fïij et Tchao-kono f⣠J,Ç deux grands guerriers tués ignominieusement
en 583, Tchao-yng j{§ §§ aussi bon guerrier; Tchao-cho i§$J, (ils de Siuen-tsc, fut
aussi un officier éminent. Son (ils est celui qui nous occupe en ce moment, et va
gouverner avec éclat. Cette famille, devenue trop puissante, divisera le pays en trois
parts, avec les seigneurs llan f.§L et Wci Dt, et fondera le royaume de Tchao. (An-
nales du Chan-si, vol. S. p. 20).
284 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Mais, lui répliqua-t-on, pourquoi vous être attaqués à un plus
faible que vous? n'est-ce pas une lâcheté? — Il fit une réponse
«ad hominem» à l'adresse de Tsin, qui en avait souvent fait tout
autant. — Pourquoi vous présenter en cuirasse à la cour de votre
suzerain? — Il apporta une ordonnance de Wen-kong "*£ fè, l'il-
lustre ancêtre du prince régnant.
Bref, il était victorieux sur toute la ligne ; il pulvérisait tou-
tes les objections de Che-jouo -j^ j§|j, le représentant du suzerain ;
ce dignitaire, ne sachant plus quoi dire, alla demander de nouvel-
les instructions au premier ministre. Tcliao-ou £# Jf£ lui dit : les
paroles de Tse-tch'an sont fondées ; il est malaisé de réfuter de si
bonnes raisons. Ainsi l'on finit par accepter le butin qu'on aurait
voulu refuser.
A la 5ème lune avril-mai) les deux Etats de Tsin ^f et de
Ts'în |j| finirent par se rapprocher, et voulurent faire un traité
d'amitié ; à cet effet, P"ing-kong députa le seigneur Han-k'i ^
jj|!, auprès du roi de Ts'in |(§ ; celui-ci envoya son frère, le prince
Kien |$ (ou Pé-kiu f£| ïja à la cour de Tsin ^ ; on arriva bien-
tôt à une conclusion ; mais ce ne fut qu'une paix boiteuse.
En 5i7, le prince Kien f$ se trouvait encore auprès de P'ing-
kong ; tant les pourparlers marchaient lentement. Le sage Chou-
hiang ffi \u] était chargé de négocier le traité avec lui ; celui-ci
employait comme entremetteur un certain Tse-yun -f- J| ; un
autre individu, nommé Tse-tchou ^ ^ en était furieux ; il se
présenta trois fois en s'écriant : c'est mon tour de remplir cet
office ! Chou-hiang ne lui répondit même pas.
Tse-tchou exaspéré lui cria de nouveau : je suis grand officier
aussi bien que Tse-yun ; et cette fois, c'est à moi de remplir l'of-
fice d'entremetteur ou rapporteur) ; pourquoi votre Excellence me
chasse-t-elle de la cour, en ne daignant pas même me répondre ?
Et il tira son épée.
Chou-hiang lui ait tranquillement : il y a trop longtemps
que la paix n'existe plus avec le pays de Ts'in fj| : il faut abso-
lument que les négociations aboutissent : or Tse-yun est fidèle, et
rapporte sincèrement les paroles des délégués des deux partis ;
vous, au contraire, vous les changez à votre guise ; vous ne servez
pas loyalement votre prince ; je ne puis supporter cela. Si la
paix ne se conclut pas, notre royaume y perdra de grands avanta-
ges : et les ossements de nos soldats blanchiront sur les anciens
champs de bataille sans pouvoir être enterrés. Ayant ainsi parlé,
il releva ses vêtements, pour se mettre en garde, et recevoir l'at-
taque de Tse-tchou ; mais on finit par faire sortir ce furieux.
P'ing-kong ayant appris cette scène, se réjouit grandement :
mon royaume est vraiment heureux, disait-il ; car mes officiers se
battent, non pas pour des querelles privées, mais pour le bien
public ! Koang l$f, le grand directeur de musique bien connu de
nous, voyait les choses d'un autre œil ; il fit à ce sujet la remar-
DU ROYAUME DE ÎSIX. p'iXG-KONG. 285
que suivante : notre maison régnante s'amoindrit ; les grands
dignitaires vident leurs querelles à coups d'épée, non à coups de
bonnes raisons ; ils ne s'appliquent pas à la vertu, et veulent
cependant paraître la pratiquer ; quand les passions en sont venues
à ce point, les hontes ne peuvent tarder longtemps.
Au printemps de cette même année 547, Suen-ling-fou fâ ^vjv
3£, grand seigneur de Wei |ff, s'était retiré dans son fief de T*ci
$H (1), et s'y était déclaré indépendant de son souverain ; puis,
pour se faire protéger dans sa révolte, il avait offert son territoire
à P'ing-kong ; celui-ci enchanté de cette bonne aubaine, s'était
empressé de l'accepter.
Le marquis de Wei protesta, et fit envahir la frontière orien-
tale du fief ; P'ing-kong envoya au secours de son protégé, et lit
occuper militairement la ville de Mao-che ^î J£ (2) ; l'armée de
Wei continua la campagne, prit cette ville, et massacra les trois
cents hommes de Tsin qui la gardaient.
P'ing-kong convoqua les vassaux, pour examiner cette affaire,
et préparer une expédition contre le marquis ; la réunion présidée
par le premier-ministre Tchao-ou, se tint à Chen-yuen ■}§[ ^ (3);
elle fut loin d'être brillante ; il n'y eut que le duc de Lou ^., avec
les délégués de Tcheng fïj$, Song % et TVao T|f ; on avait con-
science qu'il s'agissait d'une injustice ; on ne voulait pas s'en mê-
ler. Malgré cela, la cession de Ts'i J$ fut ratifiée ; soixante tsing
r}J: du territoire occidental de la ville de / f$ (4) furent encore
enlevés au marquis, et attribués au seigneur rebelle Suen-ling-
fou. C'était en février-mars de cette même année 547.
Le marquis lui-même était présent à cette assemblée ; c'était
aussi un révolutionnaire, comme nous l'avons vu précédemment ; il
s'était emparé du trône de son neveu Hien-kong J^ fè, et son
suzerain avait fini par l'en laisser paisible possesseur; aujourd'hui,
il lui imposait une petite pénitence ; des deux côtés on se valait.
L'affaire étant ainsi réglée, ce même marquis ne craignit pas
de se rendre à la cour de Tsin ; mais là il fut saisi et mis en pri-
son, sous la garde du seigneur Che-jouo -j^ M (&)■ A la 7ème lune
(1) Ts'i, était à 7 li au nord de IC«i-tcheou fJrj jW, Tche-li.
(2) .Mao-che, ainsi que Yu 141, étaient à l'est de la même ville de K'ai-
tcheou ; mais on ne sait au juste à quel endroit.
(3) Chen-vuen, voyez à l'année 553, était à 5 li sud-est de la même ville,
(4) I, était à 50 li nord-ouest de Ts'i. (Grande géogr., vol. 16. p. p. ss>
36, 31).
Un tsing ^\-, était un carré de neuf cents Meou h\ (arpents), divisés on for-
me du caractère tsing %-. — (Couvreur, grand dictionnaire, p. çôj) — (Zottoli, If,
P- ss).
(5) Che-jouo, était de la grande famille seigneuriale Cite J;, branche collaté-
rale de la famille Fan ^£ (ou Che) ; plus lard les descendants de ce haut dignitaire
286 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
mai-juin . le roi de Ts'i ^ et le prince de Tckeng ffj$ se rendi-
rent auprès de P'ing-kong, afin d'intercéder en faveur du captif.
On donna un grand festin en leur honneur ; P'ing-kong chanta
en guise de toast l'ode Kia-lo f\'} ^ "le prince est admirable et
aimable, e/c»; le compagnon du roi répondit par l"ode Lou-siao
~§£ Ifï «cette armoise est grande, e/c», comparaison pour célébrer
les mérites du suzerain; le compagnon du prince de Tclieng Jjtft
chanta l'ode Tche-i fgj ^ -le vêtement noir vous sied bien, e/c»
(1), pour témoigner la reconnaissance de son maître.
Chou-hiang ^ [p] avertit P'ing-kong de remercier ses hôtes,
en leur faisant une salutation des plus profondes ; en même temps,
il disait au roi de Ts'i : notre humble souverain vous rend grâces
de tout cœur, parceque votre illustre Majesté a procuré le repos
aux tablettes de ses ancêtres! oserais-je aussi, ajouta-t-il, remer-
cier le prince de Tcheng, pour ses loyaux services! Les deux
compliments étaient différents, parceque les deux odes chantées
étaient aussi très-différentes.
Le compagnon du roi de Ts'i envoya ensuite le sage Yen-
p'ing-tchong 5^^ ftfi . visiter en particulier Chou-hiang: Votre
illustre souverain, lui dit-il. fait éclater devant les vassaux les plus
beaux exemples de vertu ; il exerce miséricorde envers ceux qui
sont affligés par les calamités ; il répare les fautes de ceux qui les
ont commises ; il redresse ceux qui ont fait fausse route ; et pour
tout cela il n'épargne aucune fatigue ; voilà pourquoi il se main-
tient à la tète des vassaux ; comment donc a-t-il pu faire saisir le
prince de Wei f|j ?
Chou-hiang transmit ces paroles au premier ministre, qui les
rapporta à P'ing-kong ; celui-ci répondit: le marquis de Wei a
massacré mes trois cents hommes ; voilà pourquoi je le retiens ;
peu m'importe sa querelle avec Suen-ling-fou ! Et il ordonna à
Chou-hiang de communiquer cette réponse aux deux visiteurs,
qui, naturellement, durent s'en déclarer satisfaits.
Le prisonnier ne fut pourtant pas mis en liberté. Les gens
de Wei, connaissant le faible de P'ing-kong, lui envoyèrent une
belle princesse pour concubine: aussitôt le marquis fut délivré.
C'était une honte ; une femmelette obtenait ce que n'avaient pu
obtenir un roi et un prince, malgré leur intercession présentée en
personne. Aussi l'historien voit dans ce fait le principe de la
décadence des rois de Tsin (2).
prirent son nom comme celui qui leur était propre, et s'appelèrent "famille Che-jouo".
Annales du Chan-si vol. S, p. zà).
(1) Che-king W vl- ' Couvreur.}). 350, ode s, — p.- iço, ode ç, — p. Sj, ode 1 .
(2) Kn 5S4, nous avons vu ce même seignew Suen-ling-fou |£ $fc ££ se ré-
volter contre son souverain, offrir la même ville de Ts'i J$ à King-kong ^ & roi
de Tsin ; celui-ci l'accepta, puis la rendit au marquis. P'ing-kong fut moins gé-
néreux :
DU ROYAUME DE ISIN. p'iNG-RONG. 287
Quant au prince de Tcheng |||^, qui avait été ainsi éconduit.
à peine rentré dans .sa capitale, il eut la platitude d'envoyer une
ambassade à P'ing-kong, avec ce message : notre humble prince
est venu causer des ennuis à vos Excellences, messieurs les minis-
tres ; il craint d'avoir excité votre mécontentement; il m'a envoyé
vous en demander pordon.
L'historien, à cet endroit de son récit, a toute une longue
tirade sur la sagesse de la cour de Tsin, qui sut tirer bon parti
des autres pays. Nous avons indiqué ces émigrations, dans notre
histoire du royaume de Tch'ou ^ ; car, à cette époque, plusieurs
transfuges de ce pays lui firent bien du mal, en renseignant les
autres sur son administration, sur sa tactique militaire, etc.
Le grand seigneur Han-siun-tse $£ la ^ ou Han-k'i $$[^§),
haut dignitaire de Tsin, et futur successeur du premier ministre
Tchao-ou jfâ jÇ. se rendit à la cour impériale, offrir ses homma-
ges. L'empereur lui fit demander le motif de son voyage : Votre
humble serviteur, répondit-il, est uniquement venu pour présenter
ses respects aux illustres ministres de la maison impériale; il n'y
a pas d'autre raison.
L'empereur n'en pouvait croire ses oreilles : ce seigneur, dit-
il, va grandir, et dépasser peut-être la maison régnante de Tsin ;
voilà un homme dont les paroles ne s'écartent pas des bonnes
manières des anciens, à l'égard de la dynastie impériale, même
quand elle est en décadence; c'est un fait bien rare à notre époque.
— Prophétie d'empereur pourrait-elle être en défaut ! Nous la
verrons donc se réaliser en son temps.
Pendant cette année 5'i7, un seigneur audacieux de Ts'i 5^,
nommé Ou-yu J| f£, avait pris à son propre roi la ville de Ling-
k'iou j|l Jrft, l'avait offerte à P:ing-kong, en se déclarant son sujet;
ayant si bien réussi, ce même rebelle avait encore pris au marquis
de Wei $j la ville de Yang-kio i£ fi} (1), qu'il avait semblablc-
ment offerte; il avait de même enlevé la ville de Kno-yu ~0j ^ au
duc de Lou ;f| ; puis une autre au roi de Sony 5£.
A cette époque, le premier ministre Che-kai -^ ^\ était déjà
mort; aucun des vassaux n'avait eu la force ou le courage de
dompter cet heureux aventurier; le nouveau ministre Tchao-ou |g
§Ç fit à P'ing-kong la remarque suivante : Votre Majesté a été
établie à la tète des princes féodaux; si l'un d'eux envahit le ter-
ritoire d'un autre, c'est à elle d'y mettre ordre, en punissant le
(l) Ling-k'iou, était un peu au sud-c^t de Fan liicn -fÈ ff. qui est à I1" h
au nord de sa préfecture Ts'ao tcheou /'on @ *JH ff'f, Chang-tong. Petite géogr.,
vol. 10, p. jç) — (Grande, vol. 34. p 22).
Yang-kio, ne formait qu'une ville avec Ling-k'iou : tellement elle en était rap-
prochée.
Kao-yu, était è quelques li au nord-est. f-f* H vS. '""'• 37> V- -'-'•
288 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
coupable, et en le forçant à restituer ce qu'il a pris; les villes offer-
tes par Ou-vu sont dans ce cas : si nous les gardons, de quel front
irons-nous parler de justice devant les vassaux? le mieux serait
de les rendre à leurs légitimes possesseurs.
P'ing-kong répondit: c'est bien; rendons-les! mais qui char-
gerez-vous de cette mission? — Le seigneur Siu-liang-tai flf ^
1$ (l) fera très-bien notre affaire, dit le ministre; et pour cela il
n'aura pas besoin de troupes. — Alors, envoyez-le faire cette res-
titution, ajouta le roi.
En 546, ce seigneur partait dès le début de l'année (vers
novembre , pour accomplir sa commission ; voici quel fut son stra-
tagème : il manda secrètement aux princes de Ts'i H, >'onij $~ et
Lou |§- d'envoyer quelques troupes recevoir les villes, sans rien
laisser transpirer de cette restitution ; en même temps, il mandait
ostensiblement à l'aventurier Ou-yu de venir avec ses chars et ses
soldats, recevoir solennellement l'investiture de ses conquêtes.
Quand le rebelle fut arrivé avec tout son monde, les trois
princes commencèrent les cérémonies de la fausse investiture ; sur-
vint un compère, préparé par l'ambassadeur, suscitant une querelle
contre Ou-yu; sur quoi, l'on suspendit les cérémonies; l'aventu-
rier fut saisi avec tous ses gens, qui ne s'étaient pas méfiés du
piège ; et les villes furent rendues à leurs maîtres, aux applaudis-
sements de tous les vassaux.
C'est à cette époque, nous raconte l'historien, qu'on tenta de
réaliser une grande utopie, qui a été essayée de nos jours avec le
même insuccès ; il s'agissait de provoquer un désarmement géné-
ral, et d'établir une paix universelle, sur les seules bases d'une
concorde solennellement jurée.
C'est Hiang-siu (n) J^, seigneur de Song ^, qui fut le pro-
moteur de cette magnifique idée : Ami de Tchao-ou $$ j^ premier
ministre de Tsin, ami de Tse-mou ^ ^ premier ministre de
Tch'ou 3ê; notre lettré crut le moment venu de réaliser la géné-
reuse pensée conçue par sa bonne âme; du coup, il pensait acqué-
rir une gloire sans pareille.
Il se rendit d'abord à la cour de Tsin. Tchao-ou. mis au
courant de ce beau projet, réunit en conseil tous les grands digni-
taires présents à la capitale; on examina le pour et le contre:
naturellement, il y eut des opposants qui montrèrent clairement
que le candide seigneur poursuivait une chimère.
Han-siuen-tse ftè "M. "P l° soutint en ces termes : les guerres
sont une calamité pour le peuple, elles sont la ruine des finances;
elles sont le fléau des petits états plus encore que celui des grands
royaumes ; si quelqu'un vient nous proposer de les faire cesser.
quand même nous jugerions son projet irréalisable, nous devons
(1) Ce seigneur était de la même famile que le favori Siu-tong ff Iff mas-
sacré à la lin du règne de Li-kong /,(£ ■&. année 574.
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 289
cependant le prendre en considération, et tâcher d'en accomplir le
plus qu'il sera passible. Rejetons cette pensée généreuse; le roi
de Tch'ou la fera sienne, afin de tourner l'opinion publique en sa
faveur, et attirer à soi les vassaux, qui désirent si ardemment la
paix ; notre suprématie serait ainsi mise en danger, pour avoir
fait fi d'une proposition si humanitaire.
La cour de Tsin approuva ces paroles pleines de sagesse, et
se déclara prête à entrer en pourparlers sur cette question, avec
les représentants des divers pays. Sur ce, Hiàng-siu |îï] J^ partit
pour le royaume de Tch'ou; la cour, favorablement prévenue en
sa faveur par le premier ministre, lui fit bon accueil, et promit
d'envoyer ses députés au congrès général.
Hiang-siu se rendit au pays de Ts'i ^, où il trouva une
grande opposition ; mais le seigneur Tchen-wen-tse $f{ ^ -p vmt
à son aide en ces termes : les rois de Tsin et de Tch'ou ont donné
leur adhésion à ce généreux projet ; comment pourrions-nous le
repousser? ce serait nous aliéner le cœur de notre peuple, qui
soupire si lamentablement à chaque nouvelle guerre.
La cour de Ts'i finit par donner aussi sa promesse d'envoyer
ses députés au congrès. Hiang-siu arrivait bientôt au royaume
de Ts'in ^, alors réputé le 4ème parmi les grands états; il y
rec,ut bon accueil, et fa\orable promesse. Bref, il parcourut suc-
cessivement tous les pays, petits et grands, et obtint toutes les
adhésions qu'il souhaitait. Cet apôtre de la paix universelle croyait
déjà triompher; puisque l'accord semblait si unanime, sur une
question si avantageuse pour tout le monde ; d'ailleurs, comme on
le voit, il n'épargnait ni peines ni fatigues, pour arriver à une
heureuse conclusion. Une assemblée générale fut donc décidée;
elle devait avoir lieu dans la capitale de Song çjç ; puisque c'était
la patrie de l'apôtre.
A la 5ème lune, au jour hia-chen Lp ^ (16 mars), Tchao-ou
llï jï£ arrivait le 1er au rendez-vous ; deux jours plus tard, arrivait
le seigneur Liang-siao J\ tt député de Tchong ${$ ; dès le lende-
main, le prince de Song donnait un grand festin en l'honneur du
premier ministre de Tsin; à ce repas solennel, l'intendant du
service était le ministre de la guerre lui-même le se-ma pj Jtf|),
selon l'étiquette alors en usage.
Chou-hiavg -]:J( [^]. le sage mentor que nous connaissons, était
le compagnon du premier ministre; il ht observer à l'intendant
que, selon les rites, on devait servir la chair des victimes, préalable-
ment découpée sur la table du sacrifice. L'historien approuve ces
détails. Confucius lui-même consigna plus tard par écrit, les céré-
monies pratiquées en cette grande occasion, parcequ'elles lui four-
nissaient ample matière à des explications utiles.
Le lendemain. 20 mars, les ambassadeurs de Lou !§^, de Ts'i
5tf, de Tch'en [^ et de Wei fâ faisaient leur entrée à la capitale;
le 26 mars, arrivait Siuen-yng ^J ^. assesseur de Tchao-ou. qui
37
290 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
n'avait pu partir avec son premier ministre; le 28 arrivait le prince
du petit état de Tchou %.
Le 3 avril, arrivait Kong-tse-hé-kouen Tfe ^ M JJ£, grand
seigneur du rovaume de Tch'ou; son premier ministre, resté en
expectative dans la capitale de Tch'en ^, l'avait envoyé s'abou-
cher avec Tchao-ou, sur le sens et la portée de la convention en
projet ; il ne tenait pas à se montrer en spectacle dans une réunion
si solennelle, si l'on devait aboutir à un échec : il n'était venu ni
pour une parade, ni pour une comédie : il désirait même avoir un
exemplaire du texte qui serait proposé à la signature de tous les
congressistes. En cela, il faisait preuve de sagesse et d'habileté.
Hiang-siù \u] }fc se rendit auprès du ministre de Tch'ou, et
lui transmit le texte demandé ; Tse-mou ^^ proposa d'y ajouter
la convention suivante : << désormais, les alliés de Tsin se présen-
teront régulièrement à la cour de Tch'ou ; de même, les alliés de
Tch'ou feront leurs visites régulières à la cour de Tsin. »
Le lendemain, 9 avril, le prince de Teng jj§è arrivait à la
capitale de Song. Le 11, Hiang-siu, de retour, communiquait à
Tchao-ou le désir de Tse-mou. — Les quatre royaumes de Tsin
^, de Ts'i 3§, de Tch'ou ^ et de Ts'in |pf. répondit le premier-
ministre, sont à peu près d'égale force ; nous ne sommes pas de
taille à forcer le roi de Ts'i à se présenter à la cour de Tch'ou ;
si cependant le seigneur Tse-mou se sent capable d'obliger le roi
de Ts'in |j§ à nous faire visite, certainement notre humble maître
tentera l'impossible pour amener le roi de Ts'i à se rendre à la
cour de Tch'ou.
Deux jours plus tard. 13 avril, l'infatigable Hiang-siu rap-
portait ces paroles à Tse-mou ; celui-ci ne crut pas prudent d'en-
gager l'honneur de son maître sans l'avoir consulté ; il dépêcha
un courrier à toute vitesse à la cour de Tch'ou ; le roi répondit :
laissons les deux états de Ts'i et de Ts'in |(§ en dehors de cette
question ; il suffit que tous les autres vassaux fassent les visites
proposées.
A la 7ème lune, au jour ou-yng ^ ^, 19 avril, Hiang-siu
rapportait le dernier mot du roi de Tch'ou ; cette nuit même,
Tchao-ou et Kong-tse-kè-kouen Q ^ M JJ£ signaient ces prélimi-
naires du traité de paix universelle.
Le 21, Tse-mou arrivait enfin au rendez-vous, suivi des am-
bassadeurs de Tch'en |6fî. de Ts'ài #£, de T*'ao ~t$ et de Iliu f^.
Les congressistes étaient au complet ; chacun d'eux était avec ses
gens dans son campement particulier, entouré d'une simple haie
ou d'une palissade ; pour bien montrer la confiance réciproque, et
les intentions pacifiques de tout le monde-; Tchao-ou, venu du
nord, campait au nord de la capitale ; Tse-mou, venu du sud,
campait au sud ; et ainsi des autres.
Siun-yng ^fj ^, l'assesseur de Tchao-ou. lui tit la remarque
suivante : les gens de Tch'ou ont bien mauvaise mine ; n'y a-t-il
DU ROYAUME DE TSIN. p'iXG-KONG. 291
pas quelque complication à craindre ? — S'ils veulent nous jouer
quelque tour, répondit le ministre, nous n'aurons qu'à gagner la
porte orientale de la ville, et nous serons chez nous, à l'abri d'un
coup de main ; qu'y a-t-il à redouter ?
Au jour sin-se ^ g_, 22 avril, on se préparait à signer et à
jurer solennellement la convention, en dehors de la porte occiden-
tale ; quant aux gens de Tch'ou, ils endossèrent la cuirasse sous
leurs habits, dans le dessein de tomber à l'improviste sur les sol-
dats de Tsin.
Pé-lcheou-li fQ j\] 2j9, ce transfuge que nous connaissons,
voyant le piège que l'on allait tendre aux hommes de son pays,
s'en montra vivement ému : une telle perfidie est impossible !
s'écria-t-il ; nous sommes venus pour conclure la paix avec tous
les princes ; leurs députés sont réunis en toute confiance en notre
bonne foi ; et nous commettrions une telle déloyauté ! même les
vassaux qui nous étaient soumis jusqu'à ce jour, ne vont-ils pas
nous quitter avec horreur ?
Le bon seigneur insistait de toutes ses forces, pour faire reti-
rer les cuirasses. Tse-mou lui répondit brutalement : que parlez-
vous de bonne foi ? il y a longtemps que votre royaume et le nôtre
ne s'en soucient plus ; ils ne considèrent que leur avantage ;
pourvu que nous atteignions notre but, peu importe le reste !
Pé-tcheou-li sortit indigné et navré : cet homme, dit-il à son
entourage, n'en a pas pour trois ans ! il ne songe qu'à son but,
sans se préoccuper de la bonne foi ; comment pourrait-il subsister
longtemps ?
De son coté, Tchao-ou, malgré sa réponse précédente, n'était
pas sans quelque appréhension ; il consulta son mentor, le sage
Clwu-1iian<j %{ |mJ. Celui-ci lui répondit: Qu'avons-nous à craindre?
même un homme vulgaire qui n'a pas de bonne foi, ne peut sub-
sister ; il cause sa propre ruine; à plus forte raison, un prince qui
a réuni les ministres de tous les états, peut-il espérer la réussite
de ses desseins, s'il manque de loyauté? c'est la confiance qui a
rassemblé tant de députés ; les gens de Tch'ou se trompent, s'ils
croient arriver à leur but par la perfidie ; ils ne nuiront qu'à eux-
mêmes ; espèrent-ils gagner ainsi le cœur des vassaux, et les
attirer à leur parti? Oui donc voudrait s'attacher à eux, après
une si noire fourberie? Nous avons un appui, en cas de trahison;
nous n'avons qu'à nous retirer dans la ville, qui est à nous; avec
le secours de sa garnison, nous pourrions tenir en échec les gens
de Tch'ou, fussent-ils deux fois plus nombreux qu'il ne sont. Bien
plus! dussions-nous mourir dans un guet-à-pens ; puisque nous
sommes venus pour établir une paix universelle, toute la gloire et
tous les avantages seraient pour nous: les gens de Tch'ou, cou-
verts de honte, s'en retourneraient chez eux. avec la réprobation
de tous les Etats.
Un autre incident se produisit à ce même moment: Par
292 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
ordre du duc de Lou ;f|. le premier ministre Ki-ou-tse %£ ^ ^
avait mandé à son député, le seigneur Chou-suen-pao ^ fâ %} de
suivre la même ligne de conduite que les principautés de Tchou
ï\\ et de Teng Jfëg : parcequ'il avait peur de se voir imposer de trop
fortes contributions ;or il arriva que le roi de Ts'i ^ demanda et
obtint que le prince de Tcliou ^JS fût son tributaire ; de même l'état
de Song -J{i reçut la principauté de Teng I)&, sous sa dépendance
immédiate : en conséquence, les deux princes, présents à l'assem-
blée, devaient être exclus de la signature, réservée aux seuls états
indépendants. Le représentant du duc ne pouvait plus se confor-
mer à l'ordre reçu, sinon c'était la déchéance : il se résolut à
suivre la ligne de conduite de ses égaux, les pays de Song 5^ et
de Wei -f|rf : comme eux il fut admis à la signature du traité, et
au serment solennel.
Nous voici arrivés au moment critique : Les congressistes
sont réunis; qui d'entre eux va avoir la préséance? qui va signer
le premier"? qui va, le premier, se frotter les lèvres avec le sang
de la victime? les gens de Tch'ou ^ vont-ils susciter une querelle
à ce sujet, pour pouvoir fondre sur leurs rivaux de Tsin? les cœurs
devaient battre un peu fort à cet instant décisif!
Notre souverain, dirent les gens de Tsin, à été jusqu'ici le
chef des vassaux de l'empire, sans que jamais personne eût pré-
tendu avoir le pas sur lui. — 11 y a peu de jours, répliquèrent
leurs rivaux, vous nous avez mandé que les états de Tsin et de
Tch'ou vont d'égal à égal: comment aujourd'hui voulez-vous nous
mettre au second rang? Depuis longtemps d'ailleurs, nos deux
états ont eu alternativement la suprématie sur les princes féodaux:
comment prétendez-vous l'avoir exercée toujours et tout seuls ?
L'orage commençait à gronder : un des deux rivaux allait-il
sombrer? Le sage Chou-hiang $1 |fï] dit onctueusement à son pre-
mier ministre ; les divers princes se sont alliés à notre souverain,
non pas à cause de sa préséance dans les assemblées, mais à cause
de sa haute vertu : que votre seigneurie rivalise donc à l'emporter
en vertu, comme lui : non pas à se frotter les lèvres le premier,
avec le sang des victimes! D'ailleurs, dans les assemblées, il
s'agit d'arranger les affaires des petits états, co-signataires du
traité ; il faut bien que quelqu'un se charge de cette corvée ; si les
gens de Tch'ou veulent la prendre pour eux : tant mieux pour
nous! pouvons-nous en être mécontents?
Là-dessus, l'inflexible ministre de Tch'ou, le premier, se
frotta les lèvres avec le sang des victimes. Ce qui n'empêche pas
Confucius de donner la préséance à Tchao-ou ; pareeque, dit-il, le
royaume de Tsin était vertueux et loyal. N'est-ce pas une niaise-
rie? L'histoire doit avant tout dire la vérité. Les commentaires
ne sont pas plus intelligents dans leur explication ; pour eux, les
gens de Tch'ou étant des sauvages, ne pouvaient marcher de pair
avec les Chinois; encore moins passser avant eux. Belle raison !
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 293
Quatorze états étaient représentés à ce congrès ; Confucius
n'en mentionne que .neuf; on arrive à son chiffre de la manière
suivante: les rois de Ts'i 3ë| et de Ts'in |j| ne comptent pas,
comme dispensés des visites officielles ; les princes de Tcltou %\\
et de Teng Jjig ne comptent pas non plus, comme ayant été mé-
diatisés"; enrin, le prince de Sang $~, chez qui l'on se trouvait,
ne devait pas signer la convention, quoiqu'il y adhérât, et en fût
même considéré comme l'entremetteur; ainsi le voulait l'étiquette
en usage dans les traités ; c'était une exagération de déférance et
d'humilité envers les hôtes.
Ici, pour la première fois, parait officiellement, et dans un
acte sollennel, ce qui existait de fait depuis longtemps: à savoir,
le dualisme dans l'administration de l'empire : on y parle des
adhérents de Tsin et de Tch'ou ^, comme ayant les mêmes droits,
les mêmes privilèges; désormais, il y a deux chefs des vassaux;
celui du nord, le roi de Tsin; et celui du sud, le roi de Tch'ou;
chose inouie jusque là, on y reconnaît des sauvages les uens de
Tch'ou; comme les égaux des Chinois.
Les historiens et les commentaires en versent des larmes ; et
ils ajoutent que plus tard on descendra encore plus bas, en ad-
mettant les barbares de Ou J^. et de Yuè %& dans le concert des
nations civilisées, c'est-à-dire chinoises.
Quant à l'empereur, lils du ciel, maître unique du monde exis-
tant, il n'en est pas même fait mention ; son ministre, président
naturel d'une assemblée comme celle-là, ne paraît pas, n'a pas été
invité; on veut prouver efficacement que son maître ne compte plus.
Hiang-siu [p] Jj^, l'infatigable promoteur du congrès, s'imagina-
t-il avoir réussi"? crut-il que jamais plus on ne verrait de guerres
entre les divers princes? comprit-il, au contraire, qu'avec le systè-
me nouvellement inauguré, les choses ne marcheraient pas mieux
qu'auparavant? nous ne pouvons répondre à ces questions; peut-
être vécut-il assez longtemps pour voir les batailles recommencer
comme autrefois.
Nous-mêmes, en ces derniers temps, dans l'Europe supra-
civilisée, n'avons-nous pas vu un puissant empereur provoquer une
semblable assemblée, avec aussi peu de succès? n'avons-nous pas
vu les congressistes sortir de leur réunion, pour bourrer leur> ca-
nons, charger leurs vaisseaux ; qui pour l'Afrique, qui pour la
Chine? Paix universelle ! Belle pensée ; irréalisable dans les condi-
tions où l'on espère en vain la mener à bonne fin !
.Mais reprenons notre récit : Le 23 avril, au lendemain du
pacte solennel, le roi de Song $£ donnait un grand festin, en
l'honneur des deux premiers ministres de Tsin et de Tch'ou $£ ;
pour consoler Tchao-ou d'avoir été évincé la veille, on lui laissa
la préséance au banquet ; mais il parait qu'il ne sut pas répondre
convenablement, dans son entretien avec son rival Tse-mou; pour
éviter une nouvelle honte, il ordonna à Chou-hiang de se tenir à
294 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
ses cotes, et de prendre la parole à sa place; le lettré remporta
bientôt le triomphe sur toute la ligne.
Entre autres questions, Tse-mou fit la suivante: En quoi donc
la vertu de votre seigneur Fan-ou-t^e ffc jj^ -$• fut-elle si remarqua-
ble, pour avoir obtenu une si grande renommée fl)?
Le sage lettré répondit : c'était un homme modèle dans sa
famille, dont toutes les affaires étaient parfaitement réglées ; c'était
un modèle à la cour, où il parlait à son souverain avec la plus
franche sincérité : aussi les employés de son temple n'avaient rien
à cacher, rien à exagérer sur ses mérites, dan leurs suppliques
aux Esprits protecteurs de sa maison ; ils n'avaient qu'à invoquer
la simple vérité, pour les fléchir en sa faveur.
L'historien ajoute que Tse-mou, rentré dans sa patrie, rap-
porta cette réponse à son roi. et que celui-ci s'écria : ô l'homme
admirable, qui fut également agréé des hommes et des Esprits!
étant doué d'une telle vertu, il était bien juste qu'un tel homme
aidât, illustrât cinq souverains, et les fit parvenir à la dignité de
chefs des vassaux ! Tse-mou remarqua de même : il est bien na-
turel que le roi de Tsin conserve la suprématie sur les princes
féodaux ; car un sage comme Chou-hiang est le conseiller qui
inspire les ministres : notre pays n'a pas de dignitaire qui lui
soit comparable: ainsi nous ne pouvons guère lutter pour l'hégé-
monie, avec quelque espoir de succès.
Au jour i-you g, "g" (26 avril le roi de Song 5fç signait en
son particulier, en dehors de la parte Mong |jj| (2), le traité de
paix universelle: le faire avec tout le monde, aurait dénoté de
l'arrogance envers ses hôtes, dont il devait se considérer comme
le valet.
Tckao-ou ^§ ]j\;. en retournant dans son pays, passa par la
capitale de Tcheng §j> ; on lui fit fête à Tch'ouei-long gè ffl| (3) ;
le prince y était présent, avec les sept grands seigneurs Txe-tchen
ïr M> Pè-you f£ ^, Tsesi ^ ]f. Tse-iclvan ^ j^, T.<e-trai-
chou ^f- -Jk M et les deux Tse-che ^f- ^, dont l'un s'appelait
Yng-toan O] jU;, l'autre Kong-suen-loan Q fâ fj£.
Tchao-ou dit joyeusement au prince : votre Majesté me fait
vraiment trop d'honneurs ; mais puisqu'il en est ainsi, je serais
au comble du plaisir, si ces messieurs avaient la bonté de me
chanter chacun une ode, qui manifestât les sentiments de leur cœur.
(1) Fan-ou-tsc, c'est Che-lioci i fj" ou Che-ki i !p, aussi nommé Soei-hoei
El fr. Soei-];i £a ^ et Soei-ou-tse Eia jR ^ . du nom de son fiel Soei Kg.
(2) La porte Mong, était celle du nord-est : l'endroit précis, pour cette signa-
ture, fut, dit-on. ta 40 li au nord de la capitale. 'Petite geogr... vol. 12, p. 12) —
rlr. vol. SO, p.
(3) Tch'ouei-lonir, était un peu à lest de Yong-ijang hien ta 15» Sf 1 qui 0!it ;l
200 li à l'ouest de sa préfecture ICai-fnng fou Pf] Jt lîi. Ilo-nan. Petite giogr.,
vol. 12. p. S) — (Grande, vol. 4-. p.
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 295
Aussitôt, le premier, Tsc-tchen chanta l"ode « la sauterelle
dans les prés crie», mi la femme d'un grand officier appelle de ses
vœux le retour de son mari. Tchao-ou répondit avec humilité :
ce serait très-bien pour un souverain qui s'abaisse vers son peu-
ple ; mais moi, je ne suis qu'un petit ministre ; je ne puis accepter
ce compliment 1 ).
Pé-vou chanta l'ode « les cailles, les pieSj oonl deux à deux ;
et sont fidèles l'une à l'autre», qui célèbre la foi conjugale, et
réprouve les mœurs déréglées. Tchao-ou répondit : pareilles pa-
roles peuvent se dire au lit, mais ne doivent pas passer le seuil
de la porte ; à plus forte raison, ne doivent pas se faire entendre
en public ; moi, petit serviteur de mon souverain, je ne puis les
laisser achever (2).
Tse-si chanta la é*me strophe de l'ode Chou-miao ^ "jg. qui
dit nies travaux exécuté* à Sié ffâ ont une apparence sévère ; c'est
le prince Chao ^g qui en a tracé le pian» ; le dignitaire comparait
donc le premier-ministre à cet homme illustre. Tchao-ou protesta
modestement : pareil éloge, dit-il, pourrait convenir à mon sou-
verain ; moi, comment oserais-je l'accepter (3)"?
Tse-tch'an, le fameux lettré-diplomate que nous connaissons,
chanta l'ode ((dans un terrain bas et humide le mûrier devient
magnifique», où l'on célèbre l'estime et l'affection pour les sages ;
c'était exprimer sa joie de saluer un homme de ce genre, dans la
personne du ministre. Tchao-ou répondit : j'accepte la V'lm' stro-
phe, qui dit a déjà auparavant je l'aimais dams mon cœur (en se-
cret) : pourquoi ne le dirais-je pas ? je garde son souvenir au
fond de mon âme ; pourrais-je l'oublier jamais (4)?
Tse-t'ai-chou chanta l'ode « dans la plaine croît une plante
rampante ; elfe est couverte de ronéo » ; on y célèbre la rencontre
d'un sage. Tchao-ou dit : vous êtes vraiment bien aimable de
m'adresser un tel compliment 5 !
Yng-toan chanta l'ode «/e grillon est dans la chambre, et
l'année touche à sa fin » : on y célèbre le repos et la joie, dont il
faut user avec modération. Oui, c'est bien, dit Tchao-ou, il faut
de la modération ; c'est elle qui conserve la famille ; j'espère pou-
voir le faire (6).
Enfin, Kong-suen-toan chanta l'ode « le.< vevdiers du mûrier
voltigent ça et la ; leur plumage est varié» : c'est l'empereur qui.
dans sa joie, félicite les feudataires de leurs manières cordiales et
aisées. En réponse, Tchao-ou chanta lui-même la dernière strophe
de cette ode ; la voici : « celle corne de rhinocéros est recourbée :
elle contient un vin exquis et très-doux : les princes assis à ee
banquet ne sont point arrogants entre eux ; toute* les faveur* du
ciel seront pour eux » : il ajouta : si quelqu'un peut accomplir ce
(l) Che-king §^ |ig. (Couvreur, p, iS, ode 3 — (2) p. 56. ode j. —
30c, ode 3 — (4) p. jzo, ode 4 — (5) p. toi, ode 20 — (S) p- 120, ode 1 —
296 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
que dit cette ode, voulût-il fuir le bonheur et toutes sortes de
bénédictions, il n'y parviendrait pas ! (l)
Le festin fini, Tchao-ou dit à Chou-hiang : ce Pè-you jfa vff
mourra de mort violente, et dans peu d'années! par la poésie,
nous manifestons les désirs de notre cœur ; il a donc voulu calom-
nier son prince, compromettre son honneur devant tout le monde,
dans une réception solennelle d'un visiteur, alors qu'il était là
comme son compagnon ; comment pourrait-il durer longtemps ?
il aura de la chance, s'il est d'abord chassé en exil !
Chou-hiang répondit: oui, il est par trop impudent ; c'est un
de ceux desquels on dit «il ne mangera pas le blé de cinq récoltes. —
Le lecteur connaît ces prédictions faites après coup par l'historien;
elles sont donc infaillibles ; nous verrons celle-ci se réaliser en 543.
Tchao-ou continua ses appréciations et ses prophéties : Les
six autres seigneurs floriront pendant des générations; Tse-tchen,
plus longtemps que les autres ; car, dans une haute dignité, il
n'oublie pas de s'humilier ; Yng-toan le suit le plus près ; il se
réjouit, mais garde la modération, et sait être le consolateur du
peuple; envers lui, il évite toute tyrannie, toute surcharge; com-
ment ne durerait-il pas longtemps?
Le grand seigneur de Tch'ou, Wei-pi ^ Ifl, fut envoyé par
son roi à la cour de Tsin, rendre la visite de l'ambassadeur, et
ratifier le traité de paix universelle. P'ing-kong donna un grand
festin en son honneur. Tse-t'ang ^ $>. (autre nom de ce digni-
taire), sur le point de quitter la table, chanta l'ode «vous nous
avez servi le vin à pleines coupes, et nous avez comblés de bien-
faits; prince, que le ciel vous accorde dix mille ans de vie, et un
accroissement de prospérité!» (2)
Aussitôt le sage Chou-hiang se trouva inspiré: ce seigneur
Wei |||f, dit-il, aura de la descendance dans le royaume de Tch'ou
^ ; et c'est bien juste; chargé d'une mission par son souverain,
il y a montré de la diligence et de l'intelligence ; il sera bientôt
élevé à la tète du gouvernement, et saura bien soigner son peu-
ple ; à quel autre pourrait mieux convenir cette haute dignité?
En 545, vers le mois d'avril, arrivaient à la cour de Tsin les
princes de Tch'en ffi, de Ts'ai £|, de Hou ^ et de Chen fâ, tous
feudataires de Tch'ou ^| ; c'était l'exécution du traité de paix
universelle qui commençait. Apparurent ensuite le prince de Yen
djjt et le chef des Tartares blancs [pé Ti ^j |ft]. Le roi de Ts(i ^
se préparant à la même visite, le seigneur K'ing-fong J| ^ lui
remarqua: nous n'avons pas signé cette convention, pas plus que
le roi da Ts'in fj| ; nous avons été dispensés de ces visites : pour-
quoi les faire (3)?
(1) Che-king f$- ifjSJ. (Couvreur, p. s8ç, et sço, ode i).
Cl) Che-king $ ££. (Couvreur p. ,iss> '"'<' s)-
(H) Yen, sa capitale était STïeji tch'eng ffij w, : c'est-à-dire la partie orientale
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 297
Le grand seigneur Tch'en Wen-tse (^ ^C -^ répliqua: étant
vassal d'un grand royaume, il faut d'abord se conformer à son
administration; puis il faut lui offrir des cadeaux; c'est ce que
prescrivent les rites ; un petit état doit même prévenir la pensée
de son suzerain, sans attendre un ordre exprès; c'est encore une
prescription des rites ; nous n'avons pas signé le traité de Song
zfc, c'est vrai; mais pouvons-nous rejeter le vasselage de Tsin?
avez-vous oublié le traité de Tchong-h'iou jg Jjfl ? [548) vous
devriez, au contraire, engager notre souverain à partir au plus tôt!
Le duc de Lou |§., avant de se rendre à la cour de Tch'ou
&£, en donna avis à P'ing-kong, de crainte que cette démarche fût
mal interprétée ; tandisqu'il voulait simplement se conformer au
texte de la convention. En juillet-août (9'me lune), le prince de
Tcheng J|p prenait la même précaution, pour le même motif.
Vers la fin de l'année, Tse-mou ^f- t{c, le premier ministre
de Tch'ou, étant mort, Tchao-ou en porta le deuil ; ayant ensemble
signé le traité de paix, ils étaient censés devenus frères, d'après
les prescriptions des rites. Si cela avait pu continuer longtemps
de cette manière, on aurait pu croire à l'efficacité de la convention
de Song ; que de calamités évitées !
En 544, en mars-avril, P'ing-kong faisait construire les for-
tifications de la ville de K'i fâ ; pour augmenter l'honneur de sa
mère, princesse de ce pays. C'est le grand seigneur Siun-yng ^j
-%% qui était chargé de ces travaux ; celui-ci, appelé aussi Tche-
tao-tse £fj '|^r ^ (1), convoqua les grands officiers des divers prin-
ces féodaux, pour leur demander chacun leur contingent de tra-
vailleurs, et mener rondement cette entreprise.
T$e-teai-chou -^ ^ jfjj, grand dignitaire de Tcheng f|fl, dont
nous venons de parler, étant allé faire visite à T'ai-chou-wen-t<<j
~À\. ;fô Z5C -f de Wei jaj, ce dernier lui dit avec mauvaise humeur:
c'est pourtant trop fort, que nous soyions obligés de bâtir ces for-
tifications ! — C'est vrai, répondit Tse-t'ai-chou ; le roi de Tsin
n'a cure des états du clan impérial, qui sont en détresse ; il ré-
serve ses soins pour ce dernier reste de la dynastie éteinte Hia J[;
de Pé-king 4b JS '■ car cette dernière ville était alors bien loin de son amplitude
actuelle (Petite géogr., vol. i, p>- 2} — (Grande, vol. 1. p. 18 — vol. 11, p. 5).
Hou : sa capitale était à 2 li nord-ouest de Yng tcheou fou %\ ^f| f(f , Xgan-
hoei. (Petite géogr.. vol. 6, p. 30) — (Grande, vol. 1. j>, ly — vol. 21. p.
Chen : sa capitale, appelée plus tard P'ing-yu tch'eng 7P fî;I jjp, était au sud-
est de Jou-ning fou fa "ëp. Jfl\ Ilo-nan. (Petite géogr., roi. 12. p. 4c — Grande,
vol. so, p. iS).
(1) Ce seigneur, de la famille Siucn ~»\ij (branche Tche £j] '' , avait perdu son
père Tchc-cho ;fcfl $)] à l'âge de six ans ; puis bientôt son grand-père Tche-ou-tae jffl
ff^ -J- ; aussi avança-t il lentement dans la carrière des honneurs. Annales du Chan-
si, vol. 8, p. es).
38
298 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
n'est-ce pas une grande faute ? les anciens disaient : quiconque
délaisse sa propre famille, pour courir après une autre, a brisé
avec la vertu. Le livre des Vers (I) a la même sentence : v ce ne
sont que de vils flatteurs, (de vils favoris de l'empereur), ceux qui
ont des réunions avec leurs voisins, des relations fréquentes avec
leurs parents par alliance, et abandonnent leur propre famille ».
Si le roi de Tsin néglige ceux qui lui sont si étroitement unis
par le sang, qui donc recherchera encore son amitié?
Le grand seigneur A'ao Ise yong j^ -^ '^ de Ts'i ^ (nommé
aussi A'ao tche ^ j£), et Hoa-ting J|Ë ^ ministre de l'instruction
de Song 5|c, vinrent saluer Siun-yng ^j ^ occupé à ses fortifica-
tions ; après la visite, son compagnon, le seigneur Jou-ts'i ^ ^
(2) lui fit cette remarque : ces deux dignitaires n'échapperont pas
aux calamités qu'ils se préparent eux-mêmes : Kao-tche est un
inflexible arrogant ; Hoa-ting est un oigeuilleux et un prodigue :
des gens semblables sont la ruine de leur famille.
Siun-yng lui demanda quand le malheur fondrait sur eux ?
— Sur un tyran, répondit le prophète, les calamités arrivent au
galop ; sur un prodigue, elles viennent plus lentement ; celui-ci
meurt d'anémie ; l'autre est renversé par les hommes, qui se jet-
tent sur lui avec fureur. — L'automne de cette même année n'était
pas encore fini, quand le seigneur Kao-tche }§Ç j{^ s'enfuyait au
pavs de Yen çjpË (3) ; en 522, Hoa-ting |p| ^ s'enfuira au pavs
de" Te// 'en jJjg'.'"
Pour remercier le duc de Lou ^ de sa coopération aux tra-
vaux de K'i ^£, P'ing-kong députa le seigneur Che-yang -j^ ^,
que nous connaissons depuis longtemps. Peu après, il envoyait
Jou-ts'i -f£ 5§, prier le même duc de restituer à cette principauté
les territoires qu'il lui avait autrefois enlevés. On en rendit seu-
lement une partie.
Tao-fou-jen \i?. ^ A , c'est-à-dire la reine-douairière, la mère
de P'ing-kong, était furieuse : ce Jou-ts'i, s'écria-t-elle, a dû re-
cevoir des cadeaux, pour ne pas exiger la restitution complète ! si
le défunt roi, mon mari, peut avoir connaissance de cette trahison,
pourra-t-il la laisser impunie ?
P'ing-kong rapporta cette malédiction à Jou-ts'i; mais celui-
(1) Che-king '§$ Jjg. (Couvreur, p. 23s, ode 8, n. 12) — (Zottoli, III. 16S.
ode 38 n. 12).
(2) La familic Jou, dont le* présent seigneur Fut un des membres les plus cé-
lèbres, n'occupa jamais les plus hautes dignités du royaume de Tsin. (Annales du
Chan-si, vol. S. p. 26).
(3) Son fils Kao-chou ïgj §£ s'enfuit auprès de P'in-kong, qui fortifia et lui
donna la ville de Mien ,?•$ ; celle-ci était auprès de la montagne Mien-chang-chan
$$ I; lU, à 80 li au nord de T'sin-yuen hien y-C. îîK !f, qui est à 120 li à l'ouest de
T'sin-tcheou ,'j I!'1 , Chan-si. (Grande géogr., vol. 43. p. 11).
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 299
ci n"en fut point ému ; il répondit tranquillement : les petites
principautés de YuJjSft 655 . de Koao ^ 655), de Tsiao je, de
Houafft 627), de IIouo 'g 660., de Kangjg, de H an ^ et de Wei
ff| 660 . dont les souverains étaient tous du clan impérial Ki #(§
et de votre famille, ont été détruites et annexées à notre royaume;
c'est ainsi qu*il est devenu puissant, et a pu faire de nouvelles
conquêtes; votre ancêtre Hien-kong f^fc Q 672-652 , à lui seul a
annexé dix-sept petits états, en a soumis trente-huit autres à son
vasselage ; et ses successeurs ont continué le même système. Qui
donc aujourd'hui obtiendrait de nous la restitution de tant de
pays? La minuscule principauté de K'i fâ n'est qu'un faible reste
de la dynastie Hia J[ ; elle a perdu la chilisation chinoise, et est
devenue sauvage; tandisque le duc de Lou ^- , descendant de
Tcheou-kong J5] ^ , est notre ami dévoué. Lui remettre tout le
territoire de K'i ne serait que justice; et l'on ose lui en redeman-
der une partie? Il est extrêmement fidèle à payer ses contribu-
tions ; il nous envoie des cadeaux à chaque instant; lui, ses
ministres, ses grands officiers, ont avec nous les relations les plus
cordiales ; et nous irions l'appauvrir, pour agrandir l'insignifiant
état de K"i"? Si notre défunt souverain peut avoir connaissance
du dessein de la reine-douairière, assurément il le désavouera, et
approuvera ma conduite !
En 543, à la deuxième lune, au jour koei-wei J£ fc i décem-
bre . Tao-fou-jen cette même douairière, donnait un grand dîner
à tous ceux qui avaient pris part aux fortifications de K'i 4ti :
parmi eux, se trouva un vieillard, qui, n'ayant pas de fils, avait
dû lui-même fournir sa corvée. Un des servants lui demanda son
âge; il répondit: un homme vulgaire comme moi ne se préoccupe
guère du nombre de ses années ; depuis ma naissance, qui eut
lieu le 1er jour de la lère lune, au cycle kia~lse Ep ^ du calendrier
de la dynastie Hia J|, se sont écoulés 4 45 Itia-lsc r^ -^ ou cycles :
aujourd'hui commence le 3 ine tiers d'un autre kia-tse c'est-à-dire
qu'il faut ajouter 40 jours 1 .
Personne ne sachant calculer, d'après cela, le nombre des
anné.s, un des officiers présidents du festin jugera digne d'aller
consulter les mathématiciens de la cour. Koang 11^. le directeur
de la musique, répondit le premier: cet homme, dit-il, naquit en
l'année où le grand seigneur de Lou $} Chou-tclwng-hoei-pé ,ft
(i|i ig f£j eut une entrevue avec notre illustre K'i-tchreng-lse £[)
/& ^p ou K'i-k'iuè £|$ jî& , dans la ville de Tcheng-h'oang j^ g
(2) (donc en 616 . Cette même année, les Tartares Ti %fc envahi-
(1) In Kia-tse (ou cycle) comprenait 60 jours. Che-wen-pc aurait du compter
alors 26740 jours; se trompa-t-il donc?
(2) Tcheng-koang, était à 30 li à l'ouest de Souci tche jui est à
170 li à l'ouest de sa préfecture Koei-te fou fM {§ Hf , Mo-nan. Petite géogr., vol.
12, p. 14) — 'Grande, vol. je, ]). 13, .
300 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
rent le duché de Lou ; mais le seigneur Chou-suen-lchoa.ng-ch.ou
M.ffi.$: $£ les battit à Yen ^, prit les trois fameux géants K'iao-
jou ^ $n> Hoei J& et Pao %t], d'après lesquels il nomma ses fils.
Cet homme a donc soixante-treize ans. L'archiviste Tcliao j|j| ajou-
ta: le caractère liai jff (ou |[^, le ^ moderne) indique juste le
nombre de ses jours (1). Le seigneur Che-vtérï-pé î" ^C fê tira
la dernière conclusion : il a donc vécu 26,660 jours.
La chose parvint aux oreilles du premier ministre Tchao-ou ;
il demanda d'où était cet homme, de quel dignitaire il était le
sujet ; il s'apprêtait sans doute à donner à ce dernier une bonne
semonce, pour avoir exigé une telle corvée d'un tel vieillard. Il
se trouva que c'était justement un sujet du premier ministre lui-
même, et natif de la capitale.
Il appela donc ce vieillard, et lui demanda pardon: je suis
un homme incapable, lui dit-il ; chargé de l'administration du
royaume, et distrait par tant de détails, je n'ai pas su découvrir
un sage comme vous, et je vous ai laissé languir dans un coin ;
vraiment cette faute retombe sur moi ; pardonnez-la-moi, et ne
l'attribuez qu'à mon incapacité.
Tchao-ou éleva ce vieillard à un haut emploi dans l'adminis-
tration ; mais celui-ci n'accepta pas, vu son grand âge ; le premier
ministre lui donna une propriété, et lui attribua, comme sinécure
honorable, le titre de chef de la garde-robe royale; enfin, il l'éta-
blit parmi les conservateurs du cadastre de Kiang $| sa ville
natale. En outre, il cassa d'emploi le commissaire chargé des
constructions et des fortifications, pour avoir envoyé aux corvées
un homme si âgé.
A ce moment, se trouvait à la cour de Tsin l'ambassadeur
de Lou <"!§. ; il apprit les détails que nous venons de raconter; re-
venu chez lui, il les rapporta devant le duc ; Ki-ou-tse Épï fÇ ^
remarqua : on ne peut mépriser un pays comme celui-là; possédant
un premier-ministre comme Tchao-ou, avec un aide tel que Che-
wen-pé ; un archiviste comme Tchao, un directeur de musique
comme Koang, auxquels le ministre peut demander tous rensei-
gnements et conseils ; possédant encore des sages tels que Chou-
hiang et Jou-ts'i, grands précepteurs de la cour; quelles entre-
prises pourraient lui être impossibles? ce que nous avons à faire,
c'est de le servir de notre mieux.
A la 56me lune, au jour kia-ou Fp ^f (19 avril), la foudre
tombait sur le palais du prince de Song zfc, et l'incendiait avec
(1) Quelques auteurs rapportent que ce vieillard s'appelait Ilcii-tctng ~$£ fâ ;
son âge était donc indiqué par son nom, comme le remarqua spirituellement l'archi-
viste.
Le seigneur Che-\ven-pé était membre de la grande famille Che J; ou Fan
Jfë. (Annales du Chan-si, vol. S, j>. zô).
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 301
toute la capitale; la, reine-douairière elle-même périssait dans les
flammes. Pour délibérer sur les secours à apporter au prince, dans
un si grand malheur, les députés de tous les vassaux tinrent une
assemblée, à Chen-yuen ^g jjjjj (1), sous la présidence de Tchao-
ou. On fit beaucoup de discours, mais on ne se résolut à rien.
Confucius en a eu tellement honte, dit l'historien, qu'il passa
sous silence le nom des douze représentants, qui prirent part à
cette reunion; il n'a pas même dit si son duc y avait un ambas-
sadeur. On ajoute philosophiquement la remarque suivante :
Un homme sage dira qu'il faut avoir extrêmement à cœur de
se montrer loyal et de tenir la parole donnée. Ces grands seigneurs
et ministres n'ont pas été jugés dignes d'être mentionnés par Con-
fucius, parce qu'ils se sont montrés si peu soucieux de tenir leurs
promesses. Le livre des Vers (2) nous donne le même enseigne-
ment en ces termes : Wên-wàng *£ 3E monte et descend, toujours
à la droite ou à la gauche du maître du ciel; et cela, pareequ'il
est probe et consciencieux. Le même livre dit encore ailleurs :
faites grandement attention à votre conduite; gardez-vous bien
d'être faux et hypocrite.
En 542, à la lère lune (vers novembre), Chou-suen-pao fâ $•
^J, l'ambassadeur de Lou ^, revenait de cette grande assemblée,
où l'on avait tant délibéré pour ne rien faille ; il alla en rendre
compte au ministre Mong-hiao-pé jj£ ^ f^, et lui dit : Tchao-ou
va bientôt mourir ; car ses paroles étaient indignes d'un homme
de sa qualité ; paroles d'un indolent, radotage d'un vieillard de 80
à 90 ans ; il ne durera plus longtemps ; après lui, certainement,
les rênes du gouvernement seront confiées au seigneur llan-hi §îf.
jjjt!, dignitaire des plus distingués. Ne serait-il pas bon que votre
seigneurie délibérât avec le premier-ministre Ki-ou-tse Éfg fÊÇ, -f»
sur les moyens de gagner à l'avance l'amitié de cet homme d'ave-
nir. Bientôt l'influence du roi dans l'administration sera nulle,
usurpée qu'elle sera par les grandes familles ; si Han-k'i ne nous
protège pas, nous aurons à souffrir, à cause de l'insatiable avarice
de ces familles seigneuriales. Alors nous ne pourrons plus nous
tourner vers les cours de TsH ^ ou de Tch'ou ^, pour nous
soustraire aux contributions exorbitantes dont nous sommes
menacés.
Mong-hiao-pé dédaigna ce conseil : l'homme étant si borné,
dit-il, qui donc ne se trompe jamais ? le matin, on n'est pas sûr
du soir ; à quoi bon viser un si long avenir, et lier cette amitié ?
Chou-suen-pao sortit, scandalisé de cette réponse ; il dit à son
(1) Chen-yuen, (Voyez, années 347 et 553), était à 5 li sud-est de K'cà-tclienu
P3 H], dans la préfecture de Ta-mincj fou j\ % fff, Tche-li. (Grande gêogr., vol.
16, p. p. 18, 33, 37).
(2) Che-king jj# £|. (Couvreur, p, 31c, ode 1, n. 1),
302 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
entourage : cet homme mourra bientôt ; je lui parlais de l'indo-
lence de Tchao-ou ; mais lui est pire encore. Notre prophète
espéra trouver une oreille plus favorable chez le premier-ministre ;
mais Ki-ou-tse ne voulut rien entendre non plus.
Plus tard, les regrets furent inutiles : Tannée suivante, à la
mort de Tchao-ou, la maison régnante perdit son autorité ; les
familles seigneuriales usurpèrent l'administration ; ILin-k'i $f. j|B
devint premier-ministre ; mais il ne fut pas capable de maîtriser
les ambitieux, ni de retenir les vassaux sous la domination de
Tsin ; le duché de Lou .f| fut écrasé sous les contributions ; ce
fut une avalanche de délations et de calomnies ; on supporta long-
temps cet état de choses ; enfin, en 529, il y eut une réunion à
P'incj-k'iou 2fi Jrfj (1), pour tâcher d'y apporter remède ; Ki-ou-
tse y fut pris par les gens de Tsin, et paya ainsi son imprévoyanece.
A la 6-me lune (avril-mai), mourait le duc de Lou |j§. ; tan-
disque le prince de Telieng flft, accompagné du lettré-diplomate
Tse-tch'an ^p jH, se rendait à la cour de Tsin. P'ing-kong pré-
texta le deuil, pour ne pas les recevoir ; mais il ne connaissait
pas l'habileté ni l'audace du dignitaire qui lui demandait audience
pour son maître.
Tse-tch'an joua un tour resté célèbre : il fit totalement démo-
lir le mur qui entourait la résidence destinée aux vassaux visi-
teurs ; il y fit entrer ses chars ; puis il s'y installa avec le prince.
C/ie-wen-pé -^ $t fÔ» ^e conseiller intime du roi, vint se plaindre
d'une telle conduite : dans notre pauvre capitale, dit-il, l'adminis-
tration étant affaiblie, brigands et voleurs abondent ; en prévision
des visites, notre humble souverain ordonna à ses officiers de
réparer solidement les résidences des vassaux ; il a fait construire
un mur d'enceinte et de hautes portes, afin que les visiteurs
n'eussent rien à craindre. Or, votre seigneurie vient de détruire
ce mur ; peut-être que vous et votre suite, vous avez les moyens
de vous défendre ; d'autres ne le pourront pas; de plus, si tout le
monde fait comme vous, notre humble souverain sera incapable
de traiter honorablement ses nobles visiteurs ; c'est pourquoi il
m'a envoyé vous demander des explications.
(2) Tse-tch'an enchanté les lui donna : Notre petit état de
Tcheng f$, dit-il, n'est qu'un étroit lambeau de terre, jeté au mi-
lieu de puissants royaumes ; vos taxes et vos exactions n'ayant
rien de fixe, nous n'avons pas osé nous tenir tranquilles chez
nous ; nous avons recueilli tant bien que mal nos faibles contri-
butions, et nous sommes venus vous entretenir de nos affaires.
(1) P'ing-k'iou: était à 50 li sud- Tchang-iuen liien ^ JJ3 $£, qui est à 250
li sud-ouest de sa préfecture Tu-ming fou ^ % ffi, Tche-li (Petite géogr,, vol. 2.
2>> 55) — (Grande, vol. 16. p. 42).
(2) Voici encore un chef-d'œuvre de littérature ; il est traduit dans Zottoli,
IV, p. 09.
DU ROYAUME DE TSIN. P'iNG-KONG. 303
Malheureusement, leurs seigneuries les ministres, n'ont pas eu le
temps de nous recevoir ; ils n'ont même pas daigné nous commu-
niquer leurs ordres, et nous dire quand ils pourraient nous don-
ner audience.
Ainsi, nous n'avons pu offrir nos cadeaux ; nous ne pouvions
pas non plus les laisser dehors, exposés aux intempéries de la
saison ; si nous les offrons avant d'avoir reçu audience, ils seront
déposés dans votre trésor, deviendront votre propriété ; le roi ne
les aura pas même vus ; nous voulons au moins les lui montrer ;
s'ils se trouvent détériorés par le soleil, par la pluie, ils ne seront
plus présentables.
Les anciens nous ont raconté qu'au temps de votre illustre roi
Wen-konrj ^ -JV-il n'avait pour lui-même qu'un pauvre petit palais,
sans tours ni belvédères, ni terrasses plantées d'arbres ; mais il avait
bâti de hauts et magnifiques hôtels, pour la réception des vas-
saux ; résidences vraiment princières, pourvues de dépendances
pour y déposer les objets, pourvues de bonnes écuries pour les
chevaux, et de hangars pour les chars. Le ministre des travaux
publics faisait à temps exécuter les réparations, les blanchissages;
tout y était parfaitement entretenu ; et les chemins qui y condui-
saient, toujours en bon état, facilitaient les voyages aux visiteurs.
Quand les princes féodaux arrivaient, tout était préparé par
les officiers ; de nombreuses torches étaient allumées ; des domes-
tiques faisaient bonne garde pendant la nuit ; des palefreniers
rangeaient les chevaux, et les chars ; des hommes de service
graissaient les essieux des roues; tout un personnel de valets était
au service des visiteurs ; un grand nombre d'officiers étaient mis
à leur disposition.
De son côté, le roi ne détenait pas longtemps les vassaux, de
peur de nuire à la bonne administration de leurs états; leurs joies
et leurs soucis devenaient les siens, et réciproquement : il s'infor-
mait de leurs affaires ; il enseignait les ignorants ; suppléait là où
c'était nécessaire. Alors les princes féodaux venaient à la cour de
leur suzerain, comme à la maison paternelle, sans aucune préoc-
cupation de trouble ou d'ennui possible ; personne n'avait à craindre
ni brigands ni voleurs ; personne ne voyait ses objets endommages
par le soleil ou la pluie.
Maintenant, tout est changé: le palais royal tong-ti $ft ^ (1)
a une étendue de plusieurs ly ; tandisque les vassaux n'ont que
des chambrettes de domestiques ; les portes sont si petites que les
chars ne peuvent y passer; on ne peut cependant les introduire
pardessus le mur; partout on ne voit que brigands et voleurs, qui
sont comme chez eux ; personne n'a prévoyance pour les cas de
maladie, ou pour les changements si subits de la température: il
(1) Le palais Tong-ti, était à 10 li au sud de Ts'iri-tcheou JÛ ttl , Chan-si ;
actuellement, il n'en reste que des ruines. (Grande géogr., vol. 43. p. ç)\
304 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
n'y a aucun règlement fixe pour les audiences; bref: on ne sait à
qui s'adresser, à quoi s'en tenir.
Si donc je n'avais pas fait démolir le mur de notre auberge,
par où fallait-il introduire nos chars? nos cadeaux laissés dehors
eussent été détériorés: nous n'aurions pu ensuite les offrir à notre
illustre suzerain. Puis-je demander à leurs seigneuries les minis-
tres ce que nous devions faire? Le refus d'audience est motivé par
le deuil en l'honneur du duc de Lou ; mais notre cour a aussi pris
le deuil. Si vous nous faites la grâce d'accepter tout de suite nos
contributions, nous allons aussitôt rebâtir le mur, et nous hâter
de retourner chez nous. Voilà le seul bienfait que nous demandons
à sa Majesté ; oserions-nous refuser de remplir diligemment notre
office !
Che-wen-pé rapporta cette longue et verte semonce à Tchao-
ou, le premier ministre : Oui vraiment, dit celui-ci, Tse-lch'an ^p
j|| a raison; j'ai commis une grande faute, en attribuant aux
vassaux de si misérables logements; je vais y mettre bon ordre;
retournez auprès du prince, et priez-le de me pardonner.
P'ing-kong se hâta d'accorder l'audience demandée, traita le
prince de Tcheng f^ avec plus d'honneurs que jamais, lui donna
des preuves de sincère amitié, et lui permit de rentrer aussitôt
dans son pays : pour les vassaux il fit construire de vrais palais.
A ce propos, Chou-hiang $L (») fit la remarque suivante :
voyez combien le don de la parole est indispensable! Tse-tch'an
en est doué, et il en fait profiter tous les princes féodaux ; le
livre des Vers a raison de dire «si vos paroles sont conformes à la
droite raison, l'union se rétablira parmi le peuple; si vos paroles
sont pleines de douceur, le peuple redeviendra tranquille» (1).
Vers cette époque, le roi de Ou ^ députait le seigneur K'iue-
hou-yong j$, % J^ à la cour de Tsin, renouveler les bonnes rela-
tions entre les deux états ; nous en avons parlé dans notre histoire
de Ou; car c'est uniquement l'éloge du vertueux Ou-ki-tse, Jjl ^
^-. qui intéresse peu ici.
En 541, à la l'lv lune, au jour i-wei £ ^ (6 octobre . gran-
de réunion à Kouo $f 2 . pour renouveler le traité de paix uni-
verselle: les ambassadeurs de neuf souverains étaient là, présidés
par Tchao-ou et le premier ministre de Tch'ou $&.
K'i-ou f\\l <$>, fils de l'ancien sage K'i-hi ^ H dont nous
avons tant parlé autrefois, fit à Tchao-ou la remarque suivante :
A l'assemblée de Song fc 546 , les gens de Tch'ou nous ont évin-
cés, et se sont les premiers frotté les lèvres avec le sang des vic-
times; le premier ministre actuel est un fripon, comme tous les
(1) Che-king |£ M- (Couvreur, p. .?;/. ode 10, n° 2).
(2 I, -1 Fan-chouei hien ïE 2fc ff, à 250 li à l'ouest de sa préfecture
K'air-fong fou pf] || Jflf. Ho-nan, Petite géogr., vol. 12. p. 10) — (Grande, roi.
47, p. bz).
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 305
vassaux le savent; si votre seigneurie n'y prend garde, nous serons
dupés encore une fois. Tse-mou ^ ^, l'ancien ministre, était
estimé des divers princes, comme un homme de mérite ; il nous a
cependant jolie un vilain tour, et nous a infligé une honte ; que
ne fera pas son successeur? Si nous sommes bernés une seconde
fois, notre humiliation sera trop forte.
Depuis 7 ans vous êtes le président des princes qui ont signé
ce traité; deux fois, vous avez réuni les vassaux (548 et 547); trois
fois vous avez assemblé leurs représentants(546,543,et aujourd'hui);
vous avez réduit à l'obéissance le roi de Ts'i ^f et le chef des Tarta-
res Ti ^ ; vous avez pacifié tous les états chinois, à l'est de notre
royaume; vous avez réussi à conclure avec le pays de Ts'in ifs, un
traité de paix si longtemps désiré (547); vous avez fortifié (546) la
ville de Chouen-yu \_f. -^ (1), pour que le prince de /v'i^Ë pût y trans-
férer sa capitale; vous avez laissé nos troupes en repos; vous avez
épargné à notre pa}-s bien des taxes et contributions ; personne ne
se plaint de votre administration ; depuis que vous êtes à la tête du
gouvernement, il n'y a pas eu de calamité publique ; tous les vassaux
sont contents de vous ; voilà une longue série de mérites qui sont à
vous ; votre réputation s'est répandue dans tout l'empire ; n'allez pas
la compromettre aujourd'hui par quelque imprudenceje vous en prie!
Tchao-ou répondit : je vous remercie de vos bons avis. A l'as-
semblée de Song, le ministre de Tch'ou était décidé à nous faire
du tort; moi, je voulais la paix; voilà pourquoi je lui ai cédé le
pas ; son successeur est animé des mêmes intentions mauvaises ;
moi non plus, je ne changerai pas de conduite; la loyauté avant
tout! nous n'y perdrons rien. Un laboureur persiste à arracher les
mauvaises herbes ; s'il a ses années de disette, il a aussi ses années
d'abondance. Les anciens nous ont enseigné qu'un homme sincère
n'a jamais le dessous; le livre des Vers (2) nous dit aussi «me
commets aucune erreur, aucune injustice; alors il sera presque
impossible que le peuple ne te prenne pas jjour modèle»; c'est là
ma seule préoccupation ; je n'ai aucun souci des mauvais desseins
de Tch'ou.
Le vertueux ministre fut encore évincé cette fois : son rival
proposa de jurer le traité d'une manière moins solennelle ; on ré-
citerait le texte à haute voix; puis on le déposerait sur la victime,
sans se frotter les lèvres. Tchao-ou fut obligé d'accepter cette pro-
position, qui lui enlevait le moyen de prendre sa revanche. La
cérémonie eut lieu à la 3'',m" lune, au jour Kia-lchen ïp J^ (14
décembre).
(1) Chouen-yu, ancienne capitale d'une minuscule principauté, était à 30 li
nord-est de Ngcm-k'iou hien S£ £[$ %f, qui est à 160 li sud-est de sa préfecture
Tsing-tcheou fou & M\ fff, Chan-tong. (Petite géogr., vol. zo, p. 26) — (Grande,
vol. 35. p. 20).
(2) Che-king H $J. (Couvreur, p. sSa, n° S
31»
306 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Dans le temps même où se tenait cette assemblée, l'armée du
duc de Lou ^ envahissait la principauté de Kiu ~>l\ ; c'était en quel-
que sorte narguer les congressistes de la paix ; le ministre de
Tch'ou protesta, et réclama la punition d'un attentat si déloyal.
Tchao-ou plaida en faveur de son vassal ; on fit force discours
onctueux sur la vertu ; finalement on passa l'éponge sur ce forfait.
Au festin solennel qui précéda la séparation des congressistes,
le premier-ministre de Tch'ou ^g chanta, en l'honneur de Tchao-
ou, la lère strophe de l'ode ta.-m.ing ^ PJ], qui dit (.(lorsqu'une
vertu extraordinaire brille sur la terre, le ciel lui confie le gouver-
nement île l'empire, e/c...». En retour de ce compliment délicat,
Tchao-ou chanta la 2ème strophe de l'ode siao-iuen >J> ïfâ, ainsi
conçue (d'homme grave et sage, lorsqu'il boit le vin, se modère et
reste maître de lui-même, etc.. » ; en apparence, on se quittait
donc bons amis ; (1) en réalité, on restait rivaux, autant ou plus
qu'auparavant.
Après cette fête, Tchao-ou disait à Chou-hiang fâ fi] : le
ministre de Tch'ou se conduit en souverain ; pensez-vous qu'il
parvienne un jour au trône ? — Le roi est faible, répondit le sage
lettré ; le ministre est puissant ; il pourrait bien arriver à son
but ; mais dût-il réussir, il finira mal. - — Pourquoi cela ? — La
force qui opprime la faiblesse, et s'y complaît, finit par commettre
trop d'excès ; elle s'use et se détruit elle-même ; le livre des Vers
(2) nous donne ce même enseignement par ces paroles « la concu-
bine Pao-se Tj£$\ elle seule suffira à détruire la vénérable dynastie
Tcheou jj§]» ; voilà un exemple où les excès aboutirent à la ruine!
Si le ministre parvient au trône, il voudra que tous les vassaux
se rangent sous sa suzeraineté ; vu notre faiblesse actuelle, il peut
se faire qu'il réussisse ; alors sa tyrannie ne connaîtra plus de
bornes, et deviendra intolérable ; le succès lui fera croire qu'il est
dans la bonne voie ; il aboutira finalement à la luxure et a l'op-
pression ; système pareil ne peut durer longtemps.
Naturellement, cette prédiction du sage lettré doit s'accomplir;
en 530, ce ministre Wci ff], après avoir régné douze ans, finit
par être massacré, comme nous l'avons raconté dans l'histoire du
royaume de Tch'ou ^.
A la 4ème lune (janvier), Tchao-ou, accompagné du seigneur
Chou-suen-pao ^ ^ |^J de Lou ||, et des grands officiers de
Ts'ao Tj!f , se rendit à la capitale de Tcheng f|]$. Le prince voulant
donner un festin solennel en l'honneur de ses hôtes, députa le
seigneur Tse-p'i ^f- fe leur porter l'invitation ; en guise de ré-
ponse, Tchao-ou chanta l'ode Hou-ié ^ |j| dont voici quelques
paroles : (des feuille* de concombre tremblent sur leurs tiges ; on
les cueille, on les fait cuire, elc » ; le sens est celui-ci : le repas
(1) Che-kiny §£ £§. (Couvreur, p, 323, n° 1 — p. 247, n° 2).
(2) item, (p. 233, n° S).
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 307
le plus frugal est agréable aux invités, si les règles de l'urbanité y
sont parfaitement observées. Le ministre acceptait donc l'invita-
tion ; mais il demandait que le dîner fût des plus simples, non
pas un festin d'apparat (1).
Tse-p'i se rendit auprès de Chou-suen-pao, et lui dit ce que
le ministre venait de chanter ; le lettré comprit que Tchao-ou
désirait un repas où l'on offre le vin une seule fois (2) ; mais il
vit que le messager n'oserait rapporter à son maître une demande
si extraordinaire : faites comme il désire, dit-il â Tse-p'i ; car il
faut se conformer aux volontés de ces grands seigneurs ; par res-
pect cependant pour sa dignité, préparez quelque chose de plus.
Quand Tchao-ou arriva au lieu du festin, il vit qu'on avait
disposé, sous une tente, tout ce qu'il fallait pour une série de cinq
oblations de liqueurs ^ou-hien 3l H£j (3) ; c'est-à-dire tout ce que
l'on servait d'ordinaire, à la réception du premier-ministre d'un
grand royaume.
Tchao-ou n'étant pas en visite officielle, refusa absolument
des honneurs si solennels ; il remarqua en secret au fameux lettré-
diplomate Tse-lck'an ^ jjf| que, par son chant, il avait assez
(1) Che-kiiuj |$ ijtjj. (Couvreur p. 314, ode ycm,'J.
(2) Pour les fûtes solennelles, consulter le livre des Vers (che-king), Siao-ya
'h ïfÉ- (Zottoli, III, p. 2oç) — (Couvreur, p. 2çjL avec les commentaires chinois.
Quand un souverain voulait offrir un festin à un ministre étranger, il lui en-
voyait l'invitation, le jour même où devait avoir lieu le dîner. En d'autres circon-
stances, par exemple quand il s'agissait d'imposer le bonnet viril, l'invitation devait
être portée environ dix jours à l'avance, un peu plus un peu moins d'après la for-
mule : Siun-nci, Siun-wai {jj j3j -fjj ^J> . Car on consultait les sorts, pour choisir un
jour heureux; aussitôt on envoyait une lcru invitation; trois jours avant le festin,
on consultait de nouveau 1rs sorts, pour savoir qui serait le président du repas ; se-
conde invitation. Enfin, le jour même du diner, le maître de la maison, en personne.
allait faire la 3eme et dernière invitation. (Hoang-tsing King-kiai, R 1Z. ~~" P- ? —
3L ■£ A p. 15 - S. ■&_ n + • ■ p. 90).
(3) I-hien — ' J$fc (une seule offrande de vin), est expliqué clans le livre des
Rites (li-ki ~fl fË), où il est dit; quand le vin n'était présente qu'une fois, la céré-
monie (le repas) était simple ; quand il était présente trois fois, la cérémonie com-
mençait à être belle ; s'il était présenté cinq fois, elle était distinguée ; si l'on allait
jusqu'à sept fois, c'était le comble ; alors on témoignait un grand respect envers
les Esprits. (Couvreur, vol. 1, p. 567).
Les princes offraient la coupe autant de fois qu'ils avaient d'emblèmes sur
leurs vêtements de gala ; donc, les vicomtes et les barons ne pouvaient l'offrir que
cinq fois. (Couvreur, ibid.p. S47). C'était ordinairement le maître de la maison lui-
même qui présentait la coupe aux convives ; mais les princes pouvaient se faire
remplacer par leur chef de cuisine. (Couvreur, ibid, p. 25).
308 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
clairement manifesté son intention de n'accepter qu'un simple re-
pas. Comme il était l'hôte principal, on lui donna la première
place ; on lui servit des viandes toutes découpées, et une seule
coupe de vin.
Sur la tin du repas, Chou-suen-pao fâ ffi ffî chanta l'ode
ts'io-tch'ao §j| jj|, qui dit «.la pie a fait son nid, la tourterelle
l'occupe, etc..» ; c'était féliciter le roi de Tsin d'avoir un ministre
si distingué (1). Tchao-ou l'interrompit en disant : non, non, je
ne suis pas digne d'un tel compliment !
Alors Chou-suen-pao chanta l'ode suivante ,'du même livre
des Vers) ts'ai-fo.n jfc ^, où il est dit «/a princesse cueille V ar-
moise blanche au bord des bassins, et sur les îlots» ; le sens est
celui-ci : ne pouvant trouver mieux, la princesse va jusqu'à cueillir
les fleurs les plus vulgaires, pour en orner le temple des ancêtres;
car c'est l'affection qui donne du prix aux plus humbles offrandes.
(2) Le seigneur ajouta humblement : nos petits états sont comme
cette armoise blanche ; si votre illustre maître veut bien s'en ser-
vir, nous sommes prêts à tous ses désirs.
Tse-p'i ^f- fe chanta la dernière strophe de l'ode yé-you-se-
kiun §Ff /£§ ^£ |j, ainsi conçue : « doucement, doucement, jeune
homme ! ne te permets même pas de toucher ma serviette, ni de
faire aboyer mon chien» (3) ; il voulait par là exprimer le respect
avec lequel le premier-ministre traitait les vassaux, ne les vexant
ni par des expéditions militaires, ni par d'onéreuses contributions.
Pour réponse, Tchao-ou chanta l'ode tchang-ti %$& «la fleur
du prunier n est-elle pas la plus brillante ? de même les frères
sont préférables à tous les autres hommes qui sont au monde.» (4)
Il voulait ainsi marquer sa préférence pour les états dont les prin-
ces étaient du même clan que son maître ; il était si flatté du
compliment de Tse-p'i, qu'il ajouta : nous qui sommes des états
frères, soyons toujours unis dans une commune paix ; ainsi aucun
chien ne viendra nous mordre, ni même aboyer contre nous.
Sur ce, Chou-suen-pao, Tse-p'i, et le grand officier de Tsrao
^gf, se prosternant jusqu'à terre, le remercièrent de son affection
pour les princes parents du roi de Tsin ; puis, levant leur coupe,
faite d'une corne de rhinocéros (5), ils s'écrièrent : nous autres,
(1) (2) Che-king §£ %£. (Couvreur, p. 16, ode 1 — p. 17, ode 2).
(3) Pour inculquer le respect avec lequel on doit traiter les gens, cette ode ima-
gine un homme qui trouve le cadavre d'un daim, à la campagne; il l'enveloppe
d'herbe blanche pour l'emporter, évitant ainsi tout contact ; la dernière strophe est
l'interpellation d'une jeune personne à un jeune homme oublieux du respect (Couv-
reur, p. 27, ode 12, n° 3).
(4) (Couvreur, p. 178, ode 4).
(5) La corne du rhinocéros est terrible pour ses ennemis : voilà pourquoi les
anciens osaints empereurs' condamnant fin hojnm.e à vider une coupe, en guise de
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 309
petits états, nous nous appuyons sur vous, bien convaincus
qu'ainsi nous échapperons à toutes sortes de malheurs ?
On but donc le vin en parfaite cordialité. Tchao-ou disait,
au sortir de ce repas : jamais, sans doute, je ne pourrai plus
goûter une joie semblable à celle d'aujourd'hui !
L'empereur lui-même tenait à féliciter Tchao-ou ; il envoya le
grand seigneur Liou-ting-hong |flj %. Q le complimenter, l'accom-
pagner jusqu'à la grande courbe du fleuve Lo f,{{, où l'on avait
préparé sa demeure, enfin lui offrir un dîner solennel au bord de
la rivière Yng Hf (1)
Dans la conversation, ce seigneur-lettré disait: Oh que les
mérites du grand Yu J^ sont admirables ! sa vertu s'est perpétuée
jusqu'aux temps et aux pays les plus reculés ! s'il n'avait pas fait
écouler les eaux, nous ne pourrions vivre que comme des poissons;
s'il ne s'était pas dépensé pour le salut du peuple, ni votre Excel-
lence ni moi ne porterions le bonnet de dignitaires ; nous n'au-
rions pas de peuples à gouverner; comme lui, dans vos entreprises,
visez loin ; rendez service à l'empire tout entier !
Tchao-ou répondit humblement: je suis vieux et cassé; ma
seule préoccupation est de ne pas faire de sottises ; comment serais-
je capable de viser si loin? des gens comme moi ne sont plus bons
qu'à manger leur riz; le matin, nous ne pensons même pas au
soir; comment donc songer aux siècles futurs, comme le grand Yu?
Le seigneur-lettré prit cela pour du bon argent. Rendant
compte de sa mission à l'empereur, il lui dit: les anciens avaient
ce proverbe "l'homme est à peine devenu sage par l'expérience,
qu'il commence bientôt à radoter»; c'est bien le cas de Tchao-ou.
Lui, premier-ministre d'un si grand royaume; lui, chef des prin-
ces féodaux, se compare à un valet, qui le matin ne pmse même
pas au soir ; un tel homme n'a cure ni des Esprits ni du peuple ;
il ne verra pas l'année prochaine ! ses sacrifices n'étant plus agréés
des Esprits, le peuple l'adondonnant, il n'a plus raison de vivre. —
A la 12;'mo lune de cette même année nous verrons s'accomplir
cette prédiction.
punition, voulaient qu'elle fût en corne de rhinocéros. Ainsi parle l'ouvrage f/j ff.
Ici les trois seigneurs lèvent cette coupe, en signe d'imprécation, se vouant à toutes
sortes de malheurs, s'ils étaient jamais infidèles au roi de Tsin.
(1) Le fleuve Lo : coule à l'ouest de Kong Iiien j£ Sf, qui est à 130 li & l'est
de sa préfecture Ho-nan fou '««T $| #F, Ho-nan. L'est là qu'eut lieu la rencontre
avec Tchao-ou. (Petite géogr., vol. 12, p. }i. SJ- 38) — (Grande, vol. 4S, p. j-oi.
La rivière Yng: coule à 30 li à l'est de Ten-fong hien 5£ %\ !£f. qui est à 140
li sud-est de sa préfecture Ho-nan fou. La ville de Yng était à 40 li sud-est de la
sous-préfecture actuelle du même nom ; c'était alors le territoire impérial. (Grande
géogr., vol. 48. p. p. 44, 4s).
310 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
A la 5ème lune (février), le prince Kien f$, frère du roi de
Ts'in §j|, s'enfuyait auprès de P'ing-kong; pour traverser le
fleuve jaune, il avait fait établir un pont de bateaux ; pour sa
suite, il avait mille chariots ; deux cents raccompagnaient ; les
autres le suivaient, huit par huit, espacés de dix ly en dix ly, et
occupaient ainsi la distance de mille ly qui séparait les deux capi-
tales. A son arrivée, il prépara un dîner des plus solennels, en
l'honneur de P'ing-kong; c'est alors qu'il lui offrit la première
des neuf séries de cadeaux qu'il lui destinait, pour le remercier
de son hospitalité ; les huit autres arrivèrent peu-à-peu, et furent
présentées à tour de rôle.
Jou-ts'i -fc $|, conseiller intime de P'ing-kong, demanda au
prince: tous vos chars sont-ils ici? n'en avez-vous plus d'autres?
— Je pense que c'est déjà un nombre respectable, répondit le
transfuge ; si j'en avais eu moins, je ne serais pas venu ici ! c'est-
à-dire : si j'avais été pauvre, je n'aurais pas été obligé de fuir ma
patrie ; j'étais orgueilleux, je me confiais en mes richesses; de là
mon malheur.
Le conseiller rapporta ces paroles à P'ing-kong ; puis il ajou-
ta: Kien sera certainement rappelé dans son pays; caries anciens
disaient : si un prince reconnaît ses fautes, il prendra de bons
moyens pour s'en corriger, et il sera béni du ciel.
Le transfuge alla faire visite au premier ministre Tchao-ou ;
celui-ci lui demanda quand il espérait pourvoir retourner dans sa
patrie? — Je suis venu ici, répondit le prince, parceque je prévo-
yais que le roi, mon frère, me présenterait une longue liste de
méfaits par lesquels j'ai mérité bien des fois la mort; jattendrai
donc l'avènement de son successeur pour rentrer dans mon pays.
Le roi actuel est-il bon? demanda encore le ministre. — Non,
répondit le prince ; il n'a pas de principes. — Alors il périra, et
perdra son royaume? — Pas nécessairement! un état n'est pas
perdu à cause d'un seul mauvais roi ; fondé sur le ciel et la terre,
soutenu par beaucoup de monde, il ne périt que si la famille
régnante est mauvaise pendant plusieurs générations. — Est-ce
que le ciel s'en préoccupe? — Assurément! — Et cela, combien de
temps? — D'après les anciens, quand un royaume est gouverné
par un mauvais prince, et a cependant de bonnes récoltes, il le
doit à la bénédiction du ciel ; et cela dure au moins cinq ans.
Tchao-ou regardant l'ombre du soleil, répliqua : l'ombre du
matin est bien différente de celle du soir (c'est-à-dire : le matin,
nous ne sommes pas sûrs du soir) ! qui peut compter sur cinq ans?
Sorti de l'entrevue, le prince Kien dit à son entourage : le
ministre va bientôt mourir; lui, chef du peuple, se joue du temps
et des jours; cela ne peut durer longtemps. — Quant au trans-
fuge lui-même, l'histoire du royaume de Ta' in Jj| nous l'a montré
DU ROYAUME DE ISIN. P'iNG-KONG. 311
succédant à son frère, en 537, et régnant avec gloire jusqu"cn
501 (1).
Pendant l'été de cette même année 541, le grand seigneur
Siun-ou ^j l£L (2) remportait une éclatante victoire, près de T'ai-
yuen ^ jf^, sur les Tartares Ou-tchong 3HF. $?. et Ti $)^ ; voici en
quelles circonstances eut lieu ce combat remarquable :
Le seigneur Wei-chou fjj| %f 3) s'apercevant que l'ennemi
n'avait que des fantassins, dit au généralissime : dans ce pavs
montagneux, nos chars de guerre vont grandement nous embar-
rasser; nous ne pourrons manœuvrer; combattons tous à pied;
mettons dix hommes à la place de chaque char; je veux le premier
donner l'exemple, afin d'entraîner les autres officiers à faire de
même ; et il se mit aussitôt à l'œuvre; prenant les quinze hommes
qui montaient cinq chars, il en faisait trois rangées de cinq fan-
tassins. Un des officiers les plus en faveur auprès du généralissime,
refusant obstinément de combattre à pied, fut décapité sur-le-
champ, pour enlever à d'autres le désir de résister. On changea
de même la disposition ordinaire des troupes ; l'armée fut divisée
en cinq corps, assez rapprochés pour se soutenir mutuellement,
assez éloignés pour avoir la liberté de leurs mouvements : d'abord
l'avant-garde appelée pien ffj, puis le corps de front appelé liang
f$ ; derrière celui-ci, le gros (le centre) de l'armée appelé ou $L,
avec l'aile droite appelée tchoan ]£}. et l'aile gauche appelée Is'an
0 (4).
(1) Yoncj fff, l'ancienne capitale de Ts'in f$|. était un peu au sud de Fong-
siany fou jijj, ■$ tff, Chcn-si. (Petite gèogr., vol. 14, p. 24) — (Grande, vol. jj,
p. 3). Le pont de bateaux établi par le prince Kien, se trouvait au gu» de P'ou-
tsing-koan ffff ? '-£ Wi cn dehors de la porte occidentale de P'ou-tcheou fou j'jff )\\
fl!f, C'han-si. (Petite yéagr., vol. S, p, 30) — (Grande, vol. 39- P- 21 — vol. 41,
p. 20).
(2) Siun-ou appelé aussi Siun-mnu-tse H5 ^ -f" et Tchong-hang-pé '|' \j
-fÉJ, était fils de Siun-ycn ~4v) fig que nous connaissons depuis longtemps.
La capitale de ces Tartarec Ou-tchong Rappelés aussi Tartares des montagnes,
Chan-jong MJ fâ était un peu à l'ouest de Yu-t'ien hien 3£ 111 S£. qui est à 80
li sud-est de Siuen-hoa fou Hl -ffc Kf , Tche-li. Petite géogr., vol. 2, p. 63) — (Gran-
de, vol. 11. p. 50).
T'ai-vuen : l'ancienne ville était un peu au nord-est de T'ai-yuen hien jti ffî.
%%, qui est à 45 li sud-ouest de sa préfecture T'ai-yuen fou pk M tff • Chan-si.
(Petite géogr., vol. S, p. 2) — (Grande, vol. 40, p. 7).
(3) Wei-chou: appelé aussi Wci-hien-tsr i% f£ J- . fils de Wei~kiang ï$l "\
nous connaissons tous ces noms depuis longtemps.
(4) Le pien avait le contingent de 25 chars de guerre, donc 2500 hommes —
le liang, celui de 50 chars, ou 5,000 hommes — le ou, celui de 125 chars, donc
12,500 hommes — le tchoan, celui de 100 chars, ou 10,000 hommes — le ts'an,
312 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Les Tartarcs riaient de bon cœur en voyant un ordre de ba-
taille si singulier; mais ils ne rirent pas longtemps; avant qu'ils
fussent eux-mêmes rangés complètement, on se lança sur eux avec
fureur, et l'on en fit un grand carnage. Les commentaires, c'est-
à-dire les lettrés, attribuent cette victoire à la discipline de l'ar-
mée, à l'union des généraux, à la déférence que montra le géné-
ralissime lors du conseil de guerre, et quand on lui tua un de ses
favoris; ces messieurs disent vrai, mais ils ne disent pas tout; si
la tactique n'avait pas été changée pour cette occasion, au lieu
d'un triomphe, on eût eu sans doute une honteuse défaite à enre-
gistrer dans les annales.
Cependant, P'ing-kong était tombé malade ; le prince de Tcheng
HJ$ envoya son homme de confiance, le lettré-diplomate Tse-tch'an
■^ ^, exprimer ses condoléances, et demander des nouvelles de la
maladie. Le sage Chou-hiang jjjj [ÎT) lui répondit : nous avons con-
sulté les sorts ; il paraît que ce sont les Esprits mauvais Che-chen
3Ï tfc e* Tai-t'ai jf §£ qui sont la cause de tout le mal; mais
notre archiviste ne les connaît pas ; oserais-je vous demander qui
ils sont?
Tse-tcb'an montra qu'il était un puits de science, capable de
surpasser un homme comme Chou-hiang : Dans les temps les
plus reculés, dit-il, l'empereur Kao-sin fâ ^ (ou Ti-k'ou ffi §)
eut deux fils, dont l'aîné s'appelait Ngo-pé j||j f£j, le cadet Che-
chen H % ; ils demeuraient au pays (ignoré) de Koang-ling ^
^, mais ils ne pouvaient y vivre en paix ; c'étaient entre eux des
querelles et des batailles continuelles. L'empereur Heou-ti fè ^
(le fameux Yao 3%) voulut y mettre un terme ; il transféra Ngo-pé
dans le pays de Chang-k'iou ]0f Jjfl (1), pour y présider aux sacri-
fices offerts à la constellation tchen fë ; plus tard, le prince Siang-
t'ou jfâ J^, fondateur de la dynastie Chang ^j, reçut en fief ce
celui de 75 chars, ou 7,500 hommes — En tout, le contingent de 375 chars;
c'étaient donc bien les troupes de trois corps d'armée, dont chacun avait 12,500
hommes. Le contingent d'un char était de cent hommes. (Hoang-tsing King-kiai
jlt -\~ 21 ~i' A> P- S1)- En Chine, comm ailleurs (excepté chez le Romains), on
avait le préjugé que la cavalerie l'ait la l'orée de l'armée ; on négligeait l'infanterie ;
combattre en char était le privilège de la noblesse ; celle-ci s'armait à ses trais, et
en était fière.
(1) Le fameux lettré-diplomate va nous servir une page de haute philosophe;
elle ne sera pas, sans doute, du goût du lecteur; mais puisque nous étudions les
chinois, il faut bien connaître les absurdités débitées par ses plus fortes tètes.
D'ailleurs, la philosophie européenne, c'est-à-dire la fausse, n'a-t-ellc pas aussi ses
folies? Ayant rejeté la vérité, l'intelligence humaine n'est plus qu'un l'eu follet.
Chang-k'iou : c'est Koei-te fou $$ fi§ Jft . Ilo-nan, l'ancienne capitale de Song
'■^l. (Petite géogr., vol. 12. p. 12) — ; Grande, col. jo, p. 4)
DU ROYAUME DE TSI.W p'iNG-KONG. 313
même pays, et continua les mêmes sacrifices à cette constellation
protectrice de la contrée
Tche-chen avait été transféré, par le même empereur, dans le
pays de T'ai-Hia -}{ J[ (1), pour présider aux sacrifices offerts à
la constellation Chen ^: ; plus tard, les descendants de Heou-ti
habitèrent cette région, et s'y montrèrent les humbles serviteurs
des dynasties Hia j|f et Chang ]$j : là se trouvait la principauté
de Tanrj }£■ ; l'empereur Tch'en-'wang /& 2E la donna en fief à
son frère T'ai-chou -fc <]$, qui fut dès lors appelé Tarir) Chou-Yu
JM <K Wi. '• celui-ci continua les mêmes sacrifices, et devint le
fondateur de votre royaume de Tsin. Tche-chen est manifeste-
ment l'Esprit de cette constellation protectrice de votre pays.
Quant à Tai-l'ai jf §£, voici son origine : Dans les temps
les plus reculés encore, l'empereur Kin-tfien-che ^ ^ J^ (ou
Chao-hao /J? |j|) eut un descendant éloigné, nommé Mei >fc, chef
des officiers préposés aux rivières et aux canaux ; celui-ci eut deux
fils, Yunn-ko fâ fô et Tai-l'ai jf Bfë. Le second étant très-
intelligent, fut jugé digne de succéder à son père ; c'est lui qui
régla le cours des fleuves Fenn ^ et Tiao jfc (2) ; lui qui endigua
le lac, et rendit le pays habitable ; lui-même demeurait à T'ai-
yuen -fc )$. L'empereur Tchoan-hiu \$\ Jif, content de ses ser-
vices, lui donna en fief la principauté de Fenn-tchoan •$> )\\ ; ses
descendants furent les princes de Chen ffc, de Se ^, de Jou W£
et de Hoang JV ; le royaume de Tsin détruisit ces petits états, et
s'annexa le pays de Fenn Y/}- H ost manifeste que Tai-t'ai en est
l'Esprit tutélaire.
Mais ce ne sont pas ces deux Génies qui vexent votre illustre
souverain, et causent sa maladie ; car les Esprits des fleuves et
des montagnes président aux inondations, aux sécheresses, et aux
fièvres pestilentielles qui en résultent : les Esprits du soleil, de la
lune et des étoiles président au vent, à la pluie, à la neige, à la
(1) T'ai-hia : c'est T'ciUyuen fou 5k M. f\ Chan-si. (Petite géogr., vol. S>
p. 2) — (Grande, vol. 40. p. -j).
Pour ce qui concerne Chou-j'u (ou Tang Chou-yu), voir les «premiers temps
de cette présente histoire : le récit du lettré-diplomate est identique à ce «pie nous y
avons écrit: inutile de le transcrire de nouveau.
(2) Le Meuve Fenn : voir ce que nous en avons dit dans «l'introduction géogra-
phique' de cette présente histoire. Le (leuve riao : ou Sou-chouei ;■}{ ?J\. coule
au sud de Wen-hi hien r'-\ % |f, qui est à 70 li au sud de Kiang-tcheou -.£ jHi!,
Chan-si. Petite géogr., vol. 8, p. 44 — 'Grande, vol. 41. p. 33 ■
Le lac en question est à 7 li à l'est de K'i hien f" Sf, qui est à 150 li au
sud de sa préfecture T'ai-yuen fou. (Petite géogr., vol. 8, p t — Grande, vol.
40. p. 16). Les i principautés (Chen, Se. Jou, Hoang furent gouvernées par les
descendants de Tai-t'ai : c'était le territoire actuel de Uo-tcheou ft* ■'■','. Chan-si ; mais
on en ignore l'emplacement exact. Annales du Chan-si. vol. ./■ p
314 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
gelée blanche ; on leur offre des sacrifices quand les saisons pa-
raissent en désarroi (1). La maladie de votre illustre maître ne
peut provenir que de mauvaises digestions, de mauvaises selles,
d'excès de joie ou de chagrin : les Esprits des montagnes, des
fleuves, des étoiles n'ont rien à y voir ; leur office est tout autre.
J'ai ouï dire qu'un prince sage divise son temps en quatre
parts : le matin, il entend les rapports concernant l'administra-
tion ; vers le milieu du jour, il prend là-dessus des informations ;
dans la soirée, il met la main aux ordres à publier ; la nuit, il se
repose ; prr cette vie régulière, les mauvaises humeurs sont dissi-
pées, et ne peuvent causer de maladie ; si le prince ne se conduit
pas sagement, son administration en souffre ; l'intelligence s'obs-
curcit, les mesures qu'il prend n'ont plus de suite, le désordre
règne partout. Votre illustre souverain n'agrée pas un tel partage
de son temps ; il n'a qu'une seule occupation (Chou-hiang com-
prenait fort bien l'allusion) : c'est la cause de sa maladie.
En outre, les anciens nous ont enseigné qu'un homme ne
doit pas prendre, pour concubines, des femmes de sa propre famil-
le ; les enfants qui en naissent ne réussissent pas ; la passion pour
ces femmes s'étant épuisée dans les excès avec elles, finit par en-
gendrer de graves maladies ; voilà pourquoi les anciens sages
détestaient ces unions. Dans leurs livres il est écrit: «si l'on
achète une concubine dont on ignore le nom, il faut consulter les
sorts»; si donc la réponse est favorable, on peut présumer que
cette femme n'est pas de la même famille que l'acquéreur ; autre-
fois, ce règlement était observé avec grand soin, comme étant
d'une importance capitale.
Votre illustre souverain a présentement quatre concubines de
la famille Ki #[5, c'est-à-dire de la sienne propre; la cause de la
maladie ne serait-elle pas là"? s'il n'a pas commis d'excès avec ces
femmes, il y a peut-être un remède au mal ; dans le cas contraire,
il sera inguérissable.
Chou-hiaiir/ -fy (tï] était émerveillé de tant d'érudition: c'est
parfait, s'écria-t-il, je n'avais pas encore entendu pareille doctrine;
tout ce que vous dites est très-vrai ! P'ing-kong lui-même, ayant
appris la réponse de Tsc-tch'an, s'écria de même: vraiment c'est
un lettré d'un savoir immense' et il lui fit de riches cadeaux
Cependant, la maladie ne guérissait pas; on demanda au roi
de T&'in |f§ s'il aurait un médecin capable d'y trouver un remède;
celui-ci envoya un certain Houo ffi (ou ^|| , qui avait alors une
grande célébrité; voici quelle fut sa consultation; celle du fameux
Harpagon de Molière est à cent pieds au-dessous de celle-ci :
Ayant attentivement examiné le prince: cette maladie est
incurable, dit-il : elle vient de l'abus des femmes : le proverbe nous
(1) Yong gH : sacrifice déprécatoire, pour éloigner une calamité, et la faire
tomber sur un autre; on brùlail de la paille tendre sur un tertre.
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 315
enseigne que l'homme livré à ce genre d'excès, en devient comme
fasciné et empoisonaé ; il ne s'agit ni d'Esprits malfaisants ni
d'excès dans la nouriture. Avec le roi, son fidèle officier va aussi
mourir; le ciel ne veut pas l'épargner, puisqu'il n'a pas su mori-
géner son souverain.
Donc, on ne peut pas approcher d'une femme? demanda
P'ing-kong. — Assurément on le peut, répondit le médecin ; mais
il y faut de la modération ! Les anciens empereurs ont établi la
musique, avec sa mesure rigoureuse, pour régler toutes choses ;
avec ses cinq notes, ses cinq intervalles, son rythme tantôt lent
tantôt rapide, tout se tient, tout se correspond, pour former l'har-
monie ; chaque note doit être à sa place; les cinq tons musicaux
ayant été exécutés régulièrement, l'harmonie est obtenue, et l'on
cesse de jouer. Voilà pourquoi un homme sage ne veut ni musi-
que ni mimique licencieuse : car elle fascine l'oreille et trouble le
coeur, fait oublier l'harmonie raisonnable avec sa mesure rigou-
reuse. Ainsi en est-il en toutes choses ; arrivé à ce point, il faut
s'arrêter ; sinon il y aura désordre et maladie. L'homme sage
aime la guitare ec le luth, non pour réjouir son cœur, mais pour
régler ses désirs.
Outre cela, il faut encore tenir compte des six influences à
savoir: le principe mâle (Yang [^), le principe femelle (Yng |5£ ,
le vent, la pluie, l'obscurité, la lumière], qui, descendant du ciel,
forment les cinq saveurs [l'acre, l'aigre, la saline, l'amère, et la
douce], les cinq couleurs ! la bleue, la jaune, la rouge, la blanche,
la noire i; tout cela est régularisé par les cinq sons musicaux ; si
l'on y commet des excès, vient la maladie.
Ces six influences, bien séparées, forment les quatre saisons
de l'année ; de même, ces influences, bien coordonnées, forment
les cinq éléments les métaux, le bois, l'eau, le feu, et la terre :
s'il y a du désordre, viennent les calamités. L'excès du principe
femelle produit le froid; l'excès du principe mâle produit le chaud;
l'excès du vent se fait sentir aux extrémités du corps ; l'excès de
la pluie se fait sentir dans le ventre ; l'excès de l'obscurité produit
l'hallucination ; l'excès de lumière trouble le cœur et l'intelligence.
Trop désirer la femme, vient du principe mâle ; c'est dans l'obscu-
rité de la nuit que l'on satisfait à cet instinct ; l'excès produit une
grande chaleur et une fascination folle. Or, votre Majesté n'a pas
su se modérer, ni observer le temps voulu ; était-il donc possible
de ne pas en arriver à cette extrémité ?
On comprend pourquoi Tse-tch'an reprochait au roi de n'avoir
qu'une seule occupation : il était toujours sans doute avec ses
concubines. Quant à notre illustre Esculape, ayant ainsi terminé
son boniment, il alla saluer le premier ministre Tchao-ou j£ jjg ;
celui-ci lui demanda : qui aviez-vous en vue, quand vous avez
prononcé ces mots "l'officier tidèle va aussi mourir»?
C'est votre Excellence elle-même, répondit le médecin-prophète;
316 TEMPS VRAIMENT HISTOKIQUES
depuis huit ans, vous administrez le royaume, sans qu'il y ait
eu ni troubles ni révolutions; les vassaux ont été fidèles à remplir
leurs devoirs envers leur suzerain ; n'ètes-vous pas un serviteur
dévoué? Mais les anciens disaient: si un ministre se contente de
jouir de sa haute dignité et de ses riches émoluments ; s'il se
contente de remplir sa charge et de soutenir son autorité dans
l'administration; s'il ne sait pas détourner le cours des malheurs
et des calamités qui surgissent; ce ministre n'échappera pas au
blâme, ni aux funestes conséquences de sa conduite.
Or, votre souverain a commis des excès de femmes, jusqu'à
en devenir malade; bientôt il sera incapable de s'occuper de l'ad-
ministration du royaume; n'est-ce pas la plus grande calamité qui
pouvait lui arriver? Votre Excellence n'a pas su l'arrêter sur la
pente du mal; voilà pourquoi j'ai dit qu'elle serait enveloppée dans
le même malheur.
Tchao-ou continua : vous avez souvent employé l'expression
Kou ;§| (venin, venimeux, vermoulu); qu'entendez-vous par là?
— C'est l'état de marasme produit par les excès charnels, par les
imaginations lascives. Regardez attentivement le caractère Kou ;
il se compose de ming ]JT| (le vase), puis de Ichong §£ (les vers);
c'est la corruption des eaux stagnantes,' des substances croupis-
santes. Kou signifie encore l'enveloppe du grain, la balle que le
vent emporte à cause de sa légèreté. Dans le livre des Mutations
(1), son hexagramme s'écrit ainsi =^; la partie supérieure 5z» Keng
J|, c'est la perversité qui monte et domine ; la partie inférieure
~, Suen jH, c'est la soumission, la lâcheté qui supporte tout; la.
suite nécessaire en est le désordre, la perturbation, la révolution;
c'est-à-dire la femme fascine l'homme faible, le vent emporte l'arbre
déraciné de la montagne; tout cela signifie la même chose.
Tchao-ou émerveillé d'une telle science s'écria : vraiment voilà
un médecin éminent! il lui rendit les plus grands honneurs, et ne
le renvoya qu'après lui avoir fait de riches cadeaux (2).
A la fin de cette même année 541, Kong-tse-pi fè ^ J£,
prince de Tch'ou ^, venait aussi se réfugier auprès de P'ing-
kong ; mais pour tous ses bagages, il n'amenait que cinq chariots ;
le sage Chou-hiàng jj$ |fï], conseiller intime du roi, attribua au
nouveau-venu les mêmes appointements qu'au prince Kien §/$ de
Ts'in ^, c'est-à-dire des revenus capables d'entretenir une suite
de cent hommes.
Tchao-ou lui en exprima son étonnement; mais Chou-hiang
lui répondit: on assigne les appointements d'après la vertu; s'il
y a égalité de vertu, on tient compte de l'âge; s'il y a égalité
d'âge, on tient compte de la dignité ; s'il .s'agit de princes, on
(1) I-king ' ) H!- (Zottoli, III, p. 534).
(2) Le lecteur est maintenant édifié sur la médecine chinoise : elle en est en-
core là, de nos jours ! le principe mule, le principe femelle, etc, etc.
DU ROYAUME DE TSIX. p'iNG-KONG. 317
examine lequel des royaumes est le plus puissant: mais on ne
demande pas lequel» des exilés est le plus riche. Le prince Kien
étant déjà si opulent, il ne convient pas d'augmenter encore sa
puissance ; le livre des Vers (1) nous donne cet avis : n'opprimez pas
les faibles; ne .craignez pas de résister aux fort* et aux violents;
or les royaumes des deux exilés sont d'égale puissance.
Chou-hiang voulait donner la préséance au prince Kien, com-
me étant le plus âgé des deux : mais celui-ci déclina humblement
cet honneur : Moi, dissait-il, j'ai dû m'enfuir, pareeque je crai-
gnais la punition de mes nombreuses fautes; le prince de Tch'ou
n'a rien à se reprocher; il a quitté sa patrie à cause du manque
de sécurité; il est nouveau-venu, je dois lui céder la place: l'his-
torien I jfc a. cette parole : si vous n'honorez pas l'hôte qui vient
d'arriver, qui donc honorerez- vous ?
(2) A la Hème lune, après avoir assisté au sacrifice hivernal,
offert par P'ing-kong dans le temple des ancêtres, Tchao-ou se
rendit à Nan-yang \% ^ 3), pour présider à ceux qu'on y offrait
aux ancêtres de sa propre famille, surtout à Tchao-ts'oei ^g ^
celui qui commença à la rendre illustre. A la 12 ::1 lune selon
l'historien), au jour kia-tchen ^3 J| 15 Octobre), il était à Wen
îra.) tout occupé de ces cérémonies solennelles : au jour heng-siu
$1 $1 21 octobre) il avait cessé de vivre.
A cette nouvelle, le prince de Tcheng |f[) se mit en deuil, et
prit le chemin de Tsin, pour aller présenter see condoléances à la
famille du défunt; il était arrivé à la ville de Yomj |f| 4), quand
la parenté du ministre envoya un exprès s'excuser de ne pouvoir
accepter un tel honneur de la part d'un souverain. Le prince s'en
retourna donc chez soi. Ce fait prouve que le siège d'un premier
ministre de Tsin était plus élevé que le tronc d'un petit souverain,
quoique la théorie officielle fût contraire.
(1) Che-king j^p e2. (Couvreur, p, 401, ode 6. n
(2) Le roi olTrait les sacrifices d'usage, à la iere lune du trimestre (m
vue j£ fi); les grands officiers les oflraient la lune suivante (tchong-yué f1!' I
y a donc une erreur dans le texte ; elle vient, sans doute, do ce que l'historien aura
mal traduit le calendrier de la dynastie Hia J§\ f Hoang-tsing King-kiai, f[_ %. "t"
;S P- 32).
(3) Nan-yang, L'ancienne ville était un peu au nord de Siou-ou hien f> L» Sf.
qui est à 120 li à l'est de sa préfecture Hoai-k'ing fou ^ }Q Jff. Ho-nan.
Wen, l'ancienne ville, fiel" de la famille Tchao, était à 30 li sud-ouest de
Wen-hien i§, Sf, qui est à 50 li sud-est de la même préfecture Iloai-k'ing fou
(Petite géogr-3 ool, 12. p. p. 2S et 2çK
(4) Yong : capitale d'une ancienne petite principaux lit un peu
à l'ouest de Siou-ou hien. (Petite géogr., ml. 12. p. 2S) — (Grande, vol. 4c.
p. 10).
318 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
(1) En 540. Han-k'i §!f. fêl succédait à Tchao-ou ^j }jÇ, et,
dès la lère lune (novembre;, il entreprenait la visite des princes
féodaux. L'historien dit que c'était conforme à l'usage ; d'autres
auteurs le nient : selon eux, c'était, de la part du nouveau minis-
tre, un acte de courtoisie pour se concilier la bienveillance des
vassaux.
Tout d'abord, il se rendit à la cour de Lou ^ , saluer de duc
Tchao |lg, qui y régnait depuis deux ans à peine : il en profita
pour examiner sa célèbre bibliothèque, oii se trouvaient beaucoup
d'anciens ouvrages. Ayant aperçu le livre dee Mutations [Y-king
Jî, £?£ et les annales de Lou Lou-lch'oen-ts'iou .f§. § j§H( il s'é-
cria : les institutions de la maison impériale Tcheou JÏÏ\ sont toutes
ici ; je comprends enfin comment Tcheou-hong jg] ^ s'est élevé à
un si haut degré de vertu ; et comment la dynastie Tcheou a réussi
à occuper le troue impérial ! car ces deux livres sont de l'empereur
Wen-yçartg ^C 3î e^ de Tcheou-kong ; ils contiennent la profonde
sagesse des anciens 2 .
Le duc donna un grand festin, en l'honneur de son hôte
illustre ; le ministre Ki-ou-tse ^ jÇ ^jp, en guise de toast, chanta
la dernière strophe de l'ode Mien fâfc, qui dit : les princes de Yu
/jj| et de Joei ~fâ firent la paix entre eux, et Wen-xvang ~$£ 3£
augmenta rapidement sa puissance (3; ; c'était comparer délicate-
ment Han-k'i aux grands ministres qui aidèrent cet empereur à
(1) Han-k'i; ou Hansiuen-tSe $$ m. "Pi Bis de Han-h' iué $£ )$;, fut un des
membres les plus célèbres de la famille ; il est le fondateur de la branche collatérale
Han-yu-che $p ft£ fÇ.
Les autres ministres, ses collègues, étaient: Tchao-tch'eng Jfi fip, fils de
Tchao-ou, — Sîun-ou ,'j $£, fils de Siun-yeng 'jij f|£, — Wei-chou ffê £f. fils de Wei-
kiang $& "'. — Che-yang ± £:< (ou Fan-van- jft $*), (ils de Che-kai ± £?, — Tche-
ynU £fl S (°u Siun-yng '^j M.)- fils de Tche-cho ^fl j^ (ou Siun-cho). (Annales du
Clum-si. vol. S. p. 26) — (Tsouo-tchoan ^£ f^, vol. 36. p. 6J.
(2) Han-k'i trouva l'ancienne partie du livre appelé Y-king, à savoir: les
figures Koua 1|- , soit-disant révélées à Iroit-lii t\ ^ par un drasron sorti du fleuve
jaune: — les définitions (toan ~îfc) de ces mêmes figures, imaginées par Wen-wang ;
— les symboles (yao 5t) de ces mêmes figures, imaginés par Tcheou-kong. Ce
livre étaii censé renfermer les règles d'un bon gouvernement; on s'en servait aus-
si pour consulter les sorts. Il y avait probalcmcnt aussi le livre des annales (chou-
| f£ < qui, en grande partie composé par Tcheou-kong, renferme la haute sa-
gesse politique et sociale des anciens. Le Lou-tch'oeh-ts'iou est. sans doute, un livre
historique de l.ou, d'où fut extraite la chronique (tch'oen-ts'iou) de Confucius, que
nous possédons encore; ce livre renfermait les institutions et les lois immuables
conservées dans le recueil des Rites fii-fci f|j $^>.
(:i) Che-king p$ &. (Couvreur, p. 329. ode 3. >i° 9 — p. 302. ode 9 — p. 226,
ode 7, n° 10).
DU ROYAUME DE TSIN. p'iXG-KOXG. 319
devenir si fameux. Pour réponse, celui-ci chanta l'ode Kio-kong
^ pj, dont voici quelques paroles : un arc a été bien travaillé, ses
extrémités ont éié garnies de corne; quanti on le dé/end, il se
redresse; les frères, les parents par alliance, ne doivent point
s'éloigner les uns de* autres (1). Par cette allusion, Han-k'i
annonçait son désir de traiter toujours amicalement les princes
de la même famille que son maître.
Ki-ou-tse se hâta de se posterner à terre, en disant : puis-je
me permettre de vous remercier, et de vous exprimer notre grati-
tude, pour la bienveillance que vous témoignez envers notre petit
état? notre humble prince espère que vous voudrez bien nous
aider fraternellement. Ayant ainsi parlé, il se releva, et chanta
encore la dernière strophe de l'ode Tsié-nan-ckan ^j jfi \\j, qui
dit : vous pourrez rendre heureux tous les peuples : (2) c'était
indiquer tout ce que l'on espérait de la bonne administration du
ministre.
Après ce festin solennel, Han-k'i alla saluer le premier-mi-
nistre Ki-ou-tse dans son propre palais ; là se trouvait un arbre
magnifique, à l'ombre duquel il aimait à s'asseoir. Ki-ou-tse lui
dit : désormais je soignerai encore davantage ce bel arbre, pour
montrer que je n'oublie pas les promesses que votre Excellence
vient de nous faire. Et aussitôt lui-même se mit à chanter l'ode
Kan-t'ang "ft ^, qui dit : ne taille: pas, ne coupez pas ce poirier
sauvage, sous lequel le prince Chao ^ s'est assis .'! .
Han-k'i l'interrompit en s'écriant : je n'ose accepter un tel
compliment ! hélas, je suis bien loin de ressembler à cet illustre
prince !
Ayant achevé cette première visite, Han-k'i se rendit à la cour
de Ts'i ^ ; là il offrit les cadeaux de mariage que lui avait con-
fiés P'ing-kong ; car celui-ci, déjà ramolli par l'abus des femmes,
trouvait bon, pour se guérir, de prendre encore une concubine de
plus ; et il désirait une princesse de Ts'i ; voilà comme il tenait
compte de la double consultation que nous avons décrite un peu
plus haut.
Le grand seigneur Tse-ya ^f- !ff{: vint saluer Han-k'i, et lui
présenta son fils Tse-ki -f-ffi ; au lieu de compliment, le ministre
lui fit une leçon assez dure : ce n'est pas ce jeune homme, dit-il,
qui sera l'appui et le protecteur de sa famille : il est trop infatué
de sa personne, et trop arrogant !
Le grand seigneur Tse-wei ^ J| reçut pareille semonce, quand
il lui présenta son fils Kiang jf§|. Plusieurs dignitaires avaient
entendu ces remontrances ; ils en riaient, comme étant exagérées ;
(1) (2) Che-king f$ ^jg. (Couvreur, p, S2ç. ode s, n" ? — p. 302, ode o —
p. 226, ode y, n° jo).
(3) Che-king f$ fâ. (Couvreur p. 20, ode 5 — p. os- ode 1 j>- :.-
320 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
mais le sage Yen-lse || ^ leur dit : Han-k'i est un homme supé-
rieur qui pénètre l'avenir ; il faut le croire ; car toutes ses paroles
sont méditées et pesées à l'avance. Dix ans plus tard, les deux
jeunes hommes, devenus buveurs et querelleurs, durent s'enfuir
au royaume de Tsin.
Han-k'i se rendit à la cour de Wei % ; le prince donna éga-
lement un grand festin en son honneur ; le dignitaire Pé-kong-
■wen-lse 4b "Ê! %■ "F chanta l'ode Ki yo }lt f^l qui dit : voyez ce
méandre de la (rivière) Ki \lt ; les bambous verdoyants sont jeunes
et beaux (1) ; c'était comparer le ministre à Ou-kong jÇ Q , dont
il est question dans cet hymne, et dont la vertu avait atteint la
perfection.
Pour le remercier de ce compliment. Han-k'i chanta l'ode
ainsi conçue : à qui m'offre un coing, je donne une pierre pré-
cieuse (Kiu B/i) e/c... (2) ; c'était annoncer qu'il se montrerait
toujours généreux envers l'état de Wei.
A la 4::;ie lune de cette année 540 (février-mars), son propre
fils Han-siu $£ 2Jf était envoyé à la cour de Ts'i ^, pour en ra-
mener la nouvelle concubine, nommée Chao-kiang *Jj =£.. Le roi,
de son côté, députa le grand dignitaire de ière clause Tcli'en-ou-
\ju. Pjfi 5ïl£ "^, pour accompagner la princesse jusqu'à la capitale
de Tsin.
P'ing-kong s'éprit d'une folle passion pour elle ; il changea
son nom, et l'appela Chao-ts'i 'J?'$, la petite fleur, le petit trésor
de Ts'i ; pour la flatter, croit-on, il s'indigna qu'elle eût été ame-
née par un dignitaire, et non par le premier-ministre ; en consé-
quence, il fit saisir Tch'cn-ou-yu, qui s'en retournait à la cour de
Ts'i, et était déjà parvenu à Tchong-tou >{î ftf 3 .
La concubine croyait-elle à la sincérité de ce courroux ?
Peut-être ! En tout cas, son intercession, en faveur de son chef
d'escorte, fut une leçon pour P'ing-kong ; elle lui disait : la
crainte de déplaire h votre Majesté a troublé notre humble souve-
rain : c'est pourquoi il a délégué un messager d'un rang supérieur
à celui du vôtre, et a ainsi violé les rites (4). Malgré cette expli-
cation, l'envoyé fut maintenu en prison.
I [2) Che-king f$ £2- (Couvreur, p. 20. ode 5— p. 63. ode 1 — p. yj. ode 10).
(?,) Tchong-tou : était à 1-! li à l'ouest de P'ing-yao hien -7]"1 iS î?i qui cst à
80 li n l'est de sa préfecture Fen-tcheou fou f;) 'Jil IfîF. Chan-si. (Petite <7<:o<yr . vol.
8. p 16) — Grande, col. 42. p- à).
(',) 1 - rites (c'est-à-dire l'étiquette) l'ambassadeur qui venait cher-
cher, et celui qui conduisait l'épouse, devaient être du même rang : si P'ing-kong
avait 'l fsirc le premier-ministre de Ts'i, il devait envoyer le sien : s'il y avait lai
était donc chez lui : non chez le roi de IVi, qui avait l'ait plus qu'il ne devait.
Mais les premiers-ministres ne devaient s'envoyer que pour l'épouse légitime, min
pour les conçu bines '
DU ROYAUME DE TSIN. P'iNG-KONG. 321
A la 5 ème lune (avril), le seigneur Chou-kong ;j'^ p^, de Lou
iff., Venait remercier, P'ing-kong de la visite de son premier minis-
tre. D'après les rites, le roi députa un dignitaire pour aller au
devant de l'ambassadeur, lui souhaiter la bienvenue, lui offrir un
grand diner ; tout cela, en dehors de la capitale, dans un des fau-
bourgs (1). Chou-hong, le lettré habile, s'excusa en disant: notre
humble prince m'a envoyé uniquement pour resserrer l'amitié entre
nos deux états ; il m'a bien recommandé de ne pas me conduire
en ambassadeur officiel ; ainsi permettez-moi de ne pas accepter
l'honneur d'un diner d'apparat.
Comme on le conduisait à une grande hôtellerie, il s'excusa
de nouveau en disant: pourvu que je puisse seulement communiquer
mon message aux ministres, mon humble prince se considérera
comme très-honoré ; permettez-moi donc encore de ne pas accepter
une si belle résidence.
Le sage Chou-hiang 7]^ £] fit à ce sujet la remarque suivante :
voilà un homme versé dans les rites ! les anciens nous ont ensei-
gné que la loyauté est le revêtement extérieur des rites ; l'humilité
en est la base solide ; le seigneur Chou-kong, en déclinant les
honneurs, n'a pas oublié de penser d'abord à son prince ; voilà la
preuve de sa loyauté ; ce n'est qu'ensuite qu'il a pensé à sa person-
ne ; voilà la preuve de son humilité. Le livre des Vers nous dit :
ayez soin d'avoir un extérieur grave, et des manières bienséante*.
afin d'attirer les hommes vertueux (2). Ce seigneur est assuré-
ment un de ceux-là !
Vers la 9 l;:i' lune (août), mourait la nouvelle concubine.
P'ing-kong l'efféminé fut dans une désolation extrême ; il voulut
pour elle un enterrement réservé jusque-là aux reines seules.
Aussi, le duc de Lou ^ s'empressa-t-il de se mettre en route, pour
présenter ses condoléances, et assister à cet enterrement solennel. La
cour de Tsin trouva cependant que c'était trop fort; elle députa le
seigneur Che-wen-pé ih" ^C f ^ à la rencontre du duc, avec le message
suivant: ne daignez pas vous donner la peine de venir jusqu'ici;
la défunte n'était pas l'épouse légitime! Le duc fut rencontré sur
les bords du fleuve Jaune; de là il retourna chez lui, et envoya
(1) I.c livre des Rites (li-ki jji^j |£) nous renseigne ainsi sur l'étiquette des
visites : Arrivé à la frontière du pays où il se rendait, l'ambassadeur ou le messager
s'arrêtait, envoyait à la cour annoncer sa venue. Le prince députait un officier
chargé de ramener jusqu'à la capitale; il envoyait encore un grand dignitaire le
recevoir en dehors de la ville; le prince lui-même allait au-devant de lui, jusqu'à
la grande porte, à l'intérieur du palais; le conduisait nu temple (.\f< ancêtres;
puis, se tournant vers le nord, comme un sujel devant son souverain, il saluait, pour
remercier le prince étranger de lui avoir envoyé un n - Couvreur, vol. _'.
p. 6Sç).
(2) Che-king f£ $J (Couvreur, p. joç. «de ç. nn 3).
41
322 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
son ministre Ki-ou-tse ^^-^ à sa place, offrir de superbes
vêtements pour la défunte (1).
Cependant, Tclren-ou-yu (^ 4h£ ^p, ce grand dignitaire qui
avait escorté la princesse, était toujours en prison ; Chou-hiang eut
compassion de lui; il dit à P'ing-kong: Qnelle faute a donc
commise ce seigneur? il n'a fait qu'obéir à son roi! celui-ci a
montré sa bonne volonté en députant un dignitaire plus élevé que
le vôtre ; ce fut même un excès de déférence envers vous ; mais
s'il y a faute, elle est de votre côté. Dire que le roi de Ts'i ^
aurait dû envoyer son premier ministre, serait une prétention
exorbitante. Votre conduite sied-elle au chef des vassaux? La
princesse elle-même avait intercédé pour son chef d'escorte, inno-
cent de toute faute ; vous le retenez injustement en prison : n'est-
ce pas inexcusable ?
Sur cette sévère remontrance, P'ing-kong rendit la liberté à
son captif; et celui-ci s'empressa de retourner dans sa patrie.
Sans doute le grand âge et l'office de Chou-hiang lui donnaient
plus de liberté dans son langage; ses nombreux et importants
services, la droiture de son caractère, mettaient son dévouement à
l'abri de tout soupçon ; pourtant, cette fois, il semble bien avoir
été indigné des extravagances royales ; ' ses paroles le laissent
entendre assez clairement ; elles ont un ton inaccoutumé.
A la llème ]une septembre-octobre), le prince de Tcheng §{$,
qui avait tant de raisons pour cultiver l'amitié de P'ing-kong,
envoya un grand seigneur lui présenter ses condoléances : lui
aussi, par peur ou par flatterie, outrepassait les rites, qui pres-
crivaient une ambassade lors du décès de la seule épouse légitime.
En 539, à la lère lune (vers novembre), ce même prince de
Tcheng ^ députait le seigneur Tse-t'ai-clwu -f ^ ^ à la cour de
Tsin, assister à l'enterrement. Les deux dignitaires Liang-ping
i^ pij et Tchang-ti i;Jf \]£ (2), conversant avec cet ambassadeur,
lui disaient : que votre seigneurie soit venue pour une telle cir-
constance, n'est-ce pas exagéré?
L'envoyé répondit: y avait-il moyen de nous en dispenser?
Autrefois, en effet, vos illustres rois Wen ~*£ (635 628) et Siang
^g. 627-621) avaient grand soin de ne pas vexer les princes féo-
daux : ceux-ci devaient tous les trois ans envoyer un ambassadeur;
(1) D'après le même livre des Rites, il y avait les présents funéraires destinés
au défunt [fong §g : d'autres destinés à sa famille fou §!$ : quand un prince en-
voyait cette sorte de présents, il n'offrail pas sa vniture de 1'"' classe, ni ses vê-
tements reçus de l'empereur ; mais sa voiture, son bonnet, i — vêtements, tout de
2'""' classe. (Couvreur, vol. 2, pjp. j — jjj — 147 ■
(2) Ce Liang-ping n'était ni de la grande noblesse, ni même d'une famille
avant rendu de grands services au pays. Tchang-ti était fils du seigneur Tchang-
lao, que le lecteur n'a pas oublié.
DU ROYAUME DE TSIN. P'iXG-KOXG. 323
tous les cinq ans venir eux-mêmes à la cour; ils n'étaient con-
voqués en assemblée qu'en cas de vraie nécessité : par exemple,
s'il y avait querelle ou guerre entre les vassaux; à la mort du su-
zerain, un grand officier allait présenter les condoléances ; le mi-
nistre assistait à l'enterrement; telle était la régie. De môme, à
la mort de la reine, un officier venait présenter les condoléances ;
un grand dignitaire assistait à l'enterrement. Cela suffisait pour
entretenir les relations d'amitié et de dépendance entre les vassaux
et leur suzerain ; les rites ne demandaient pas davantage, et ces
illustres princes s'en contentaient.
Les choses ont bien changé ! Aujourd'hui meurt une concu-
bine ; nous ne pouvons prétexter son rang inférieur, et lui rendre
moins d'honneurs qu'à la reine ; nous en serions blâmés : il faut
donc nous exécuter, quoiqu'il nous en coûte. La défunte était en
si grande faveur, que la cour de Ts'i ^ s'empressera d'envoyer
une autre princesse pour la remplacer; il nous faudra revenir en-
core une fois, offrir nos félicitations.
Bien parlé! répliqua Tchang-li fâ^W. ; mais moi je vous assure
que vous n'aurez plus de tels ennuis. Comme la planète hov.o j){,
notre royaume est à son point de culmi nation ; il y aura une
détente; nous perdrons notre suprématie; voulussions-nous alors
reunir les vassaux, nous n'en serons plus capables.
Après cet entretien. Tse-1'a.i-chou -fr ~Jk, %L dit à son entou-
rage : ce seigneur Tchang-ti est bien instruit; il semble un des
sages de l'antiquité.
Le roi de Ts'i ^ accorda, de fait, à P'ing-kong une nouvelle
petite fleur», un nouveau "petit trésor»; et c'est le sage Yen-tse
i^ ^ qui fut chargé d'en porter la promesse; pour le remercier
de ses soins, on lui rît les honneurs d'un grand festin: c'est alors
qu'il eut avec son collègue en sagesse, Chou-hiang. l'entretien
resté célèbre dans les annales de la Chine (1); il y gémit sur la
mauvaise administration de son pays : il prophétisa la déchéance de
la maison régnante, l'accession de la famille Tch'en ^ au tronc.
Chou-hiang fit chorus à cette jérémiade : Notre maison ré-
gnante, dit-il, est à sa dernière étape ; les chars de guerre sont
en mauvais état; n'ayant pas un homme capable, pour conduire
l'armée, les ministres se gardent bien d'entreprendre aucune ex-
pédition militaire: il n'y a plus de bons généraux: il n'y a même
pas un lancier pour le char royal; le peuple est épuisé par les
impots et les corvées; le palais royal, au contraire, regorge de
trésors: sur tous les chemins, on rencontre les cadavres de gens
morts de faim; tandisque les concubines royales et leurs ornements
augmentent de jour en jour ; aussi le peuple abhorre les ordres du
(1) Pour le discours de Yen-tse, voyez : Zottoli, IN", p. 77,
324 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
prince; il les considère comme les paroles d'un chef de brigands,
ou d'un ennemi: les familles seigneuriales Loan a|§, K'i ffi, Siu
^, Yuen Jfc, Hou #H, Chou i^, K'ing /J| et Pe f£, aussi ancien-
nes que la maison régnante, et descendant des mêmes ancêtres,
ont été réduites à l'état de porte-faix; l'administration du royaume,
abandonnée par le prince, est aux mains des dignitaires; le peuple
est à leur merci, et n'a personne pour appui : malgré de sérieuses
remontrances, le prince ne change pas de conduite; parmi les fêtes
bruyantes-, il oublie les devoirs de sa charge : la maison régnante
est tombée si bas, que cet état ne peut se prolonger longtemps.
Sur le trépied exhortateur sont gravées les paroles suivantes : dès
le point du jour, appliquez-vous à votre office ; même alors, il y
a encore pour vous danger de devenir làclie. Donc, à plus forte
raison, l'homme qui ne veut pas corriger ses défauts ne pourra-t-
il durer longtemps !
Que pense faire votre seigneurie? demanda Yen-tse. — Quand
les branches d'un arbre, répondit Chou-hiang. ont perdu leurs
feuilles et leur sève, le tronc dépérit et meurt: des onze familles
originaires de nos premiers ancêtres, il ne reste que la mienne
celle de Yang-ché i£ -g-) ; mon fils ne vaut pas grand'chose ; la
maison régnante n'a pas de tête raisonnable; j'aurai bien de la
chance, si je puis mourir tranquillement; je n'ose me flatter
d'avoir des descendants, qui m'offrent des sacrifices !
Naturellement, la prédiction d'un sage comme Chou-hiang est
infaillible; de fait, sous son petit-fils, en 514, sa famille sera ex-
terminée. Au pays de Tsin, comme à celui du grand-turc, les
saignées périodiques de la noblesse étaient passées en usage (1).
A la 4 1!"' lune (février-mars . le prince de Tclieng M{) venait
saluer P'ing-kong; pour compagnon, il avait amené le grand sei-
gneur Kong-suen-loan fe fâ j^, qui dirigea à ravir les cérémonies
de la visite. En récompense, le roi lui donna en fief la ville de
Tcheou ffl [2): votre père, Tse-fong ^ ^,lui dit-il, a bien mérité
de mon royaume ; pour montrer que je ne l'ai pas oublié, je vous
donne cette ville, afin que vous puissiez y offrir des sacrifices à ce
seigneur si éminent.
Kong-suen-toan se posterna deux fois jusqu'à terre, pour
rendre grâces de ce bienfait; il reçut le diplôme de cette investi-
ture, et se retira enchanté d'une telle bonne fortune. L'historien
fait sur cela une réflexion, à laquelle le lecteur ne s'attendait
guère: Voyez, dit-il, l'importance des rites ! Kong-suen-toan était,
(1) Nous avons déjà noie que les descendants de Chou-hiang se réfugièrent
dans la répion de Hoa-chan ?f§ [Ll - (Annales du Chan-si, vol. S, p. rç).
(2) Tcheou : était à 50 li sud-est de Hoai-k'ing fou fë !§ ft, Ho-nan. (Petite
giogr., vol. 12. y. 26) — Grande, vol. 4c, p. 4 .
DU ROYAUME DE [SIX. p'iNC-KONG. 325
au fond, extrêmement orgueilleux; sachant une seule fois se vain-
cre, et s'humilier devant le roi de Tsin, il y gagna une grande
fortune ; à plus forte raison aurez-vous de nombreux avantages, si
vous observez toujours et dans la perfection ces rites si nécessaires.
Le livre des Vers ne dit-il pas: l'homme qui n'observe pas les
rile.<, que ne meurt-il bien vile? (4)
Quant à cette ville de Tcheou j\\. elle appartenait autrefois
au seigneur Loan-pdo §f§ % -] : après l'extinction violente de cette
famille 550), les trois ministres successifs. Che-kai -^ ÇE},Tchao-
ou jfë jft; et Han-k'i $$ ^E, avaient en vain demandé pour eux ce
beau fief. Tchao-ou avait même prétendu que tout le pays de
Wen j|g_ dont Tcheou faisait partie; était depuis longtemps la
propriété de sa famille. Ses deux compétiteurs lui avaient répliqué
comme il suit: depuis K'i-tcheng ^ ^ 650 . cette région a été
le partage de trois familles 2 , comme du reste il est arrivé poin-
tant d'autres endroits de notre royaume : qui donc peut réclamer
pour lui seul telle ou telle ville ?
Tchao-ou, bien mortifié de cette leçon, avait renoncé à faire
valoir ses droits, vrais ou prétendus. Les deux autres seigneurs
firent de même, se contentant d'avoir lutté pour la justice. Quand
Tchao-ou fut devenu premier ministre, son fils Ilouotyfe voulait profiter
de l'occasion pour s'emparer du fief en litige : Tchao-ou s'y opposa
absolument: -mes deux compétiteurs, disait-il, m'ont évincé en
toute droiture: quiconque va contre la justice, s'attire des mal-
heurs; j'ai déjà assez de peine à gouverner mes fiefs légitimes ; je
ne veux pas m'attirer des calamités pour celui-là, dont la propriété
m'est avec raison disputée.
Bien malheureux, ajoute l'historien, est celui qui ne voit pas
de quel coté le menacent les calamités : plus malheureux encore,
celui qui le voit, et ne sait pas les détourner! Le pays de Tcheou
laissé ainsi en suspens, finit par être considéré comme néfaste,
et comme devant causer la mort de son propriétaire. Kong-suen-
toan savait-il cette renommée? elle ne l'empêcha pas de l'accepter.
C'est sur la recommandation de Han-k'i $"£ fêl que le roi
avait fait cette largesse ; en cela, il avait une arriére-pensée :
(1) Che-king jjjf %£. (Couvreur, p. S9> ode S, nn s Là il est dit: quiconque
n'observe pas les rites se met nu-dessous des plus vils animaux, n'est pas un hom-
me, ne devrait pas vivre. — On ne peut imaginer d'expressions plus fortes, pour
exprimer une idée si familière aux Chinois.
(2) Plusieurs familles seigneuriales étaient très-riches et très-puissantes : cel-
le de Hun $f, par exemple, avait sept fiefs, dont chacun fournissait cent chars de
guerre, équipés à ses frais ; on ne s'étonnera pas trop, quand on la verra s'emparer
du trône. Les familles Tcliao jj§. Wei Pi, Siun '^pj, ei Fan jfë lui étaient-elles beau-
coup inférieures? les deux premières - ront le royaume avec elle.
326 temps vraiment historiques
depuis longtemps, ces seigneurs Fong |§p, quand ils venaient à la
cour de Tsin, étaient les hôtes habituels de la famille H an i$i ; le
premier-ministre espérait finalement faire l'acquisition de ce fief,
quand il serait rendu au roi de Tsin ; il se montrait donc moins
désintéressé que son prédécesseur.
Vers la 5èrae lune (avril), Han-k'i lui-même était envoyé au
royaume de Ts'i |^?, chercher la nouvelle concubine ; cette fois,
P'ing-kong, malgré les fameux rites, se conduisait comme envers
une reine. Tse-wei ^p j^, le premier-ministre de Ts'i, lui joua
un tour assez singulier ; il lui envoya sa propre fille ; la jeune
princesse qui avait été promise, fut mariée à vin seigneur de Ts'i.
Quelqu'un avertit Han-k'i de cette substitution ; celui-ci répondit:
je veux avant tout conserver la bonne entente entre nos deux
royaumes ; si j'offensais Tse-wei, qui est ici tout-puissant, je
manquerais mon but. (1)
Vers la 7:'1!u-' lune (mai-juin), Tse-p'i ^ fc, ministre de
Tchenrj ff[$, venait offrir à P'ing-kong les congratulations officielles
de son maître, à l'occasion du «petit trésor» reçu de Ts'i. Au
milieu des fêtes solennelles de ce soit-disant mariage, l'ambassa-
deur n'oublia pas qu'il avait une autre commission à faire ; il dit
donc à Han-k'i : le roi de Tch'ou ^ rappelle à mon humble maî-
tre les conventions du traité de paix universelle, et le presse in-
stamment de venir à la cour faire sa visite de règle ; mon humble
souverain craint de vous déplaire en s'y rendant ; veuillez donc
lui donner une direction à suivre.
Han-k'i chargea Chou-hiang fy ffi] de donner la réponse ; la
voici : pourvu que voire prince nous reste uni de cœur, il n'a rien
â craindre, en accomplissant le traité de Song jfç, et en se rendant
à la cour de Tch'ou ; si, au contraire, il ne nous était pas soumis
de cœur, vous auriez beau rester ici nuit et jour, vous ne pourriez
dissiper nos soupçons ; votre prince demeurant loyalement notre
allié, notre ami, pouvait faire sa visite à la cour de Tch'ou, sans
même nous en donner avis.
Cependant, le seigneur Tchang-ti ïjjt îli£-> dont nons avons
parlé plus haut, était un peu désappointé de ce que cette ambas-
(1) Le lecteur ne doit pas juger ce fait d'après ses idées européens; pareille
substitution, en effet, serait impossible en Kurope ; ici, sans être fréquente, elle n'est
pas >i rare qu'on le penserait ; nous en avons vu plusieurs cas, non parmi les chré-
tiens, niais parmi les païens; quelquefois, les jeunes personnes ne s'en cloutent mê-
me pas; tout s'arrange entre les compères, entremetteurs du mariage; il faut natu-
rellement s'assurer la protection de quelque matador (ordinairement parmi les fripons
de l'endroit), pour le cas où il 3 aurait réclamation. N'oublions pas qu'ici, en prin-
cipe, el souvent en réalité, les deux fiancés ne se connaissent pas, ne se voient pas
avant le jour des noces. Exagération païenne de la pudeur, soit ! mais il n'est pas
rare que les parents mêmes des fiancés soient inconnus les uns aux autres !
DU ROYAUME DE TSIN. P'iNG-KONG. 327
sade n"eût pas été accomplie par son ami Tse-t'ai-chou ^ -fc ;J^ ;
il lui écrivit le billet suivant : depuis votre voyage, au printemps
dernier, j'ai fait réparer la pauvre demeure de mon père, espérant
vous y donner l'hospitalité ; mon attente a été trompée.
Tse-t'ai-chou lui répondit : cette fois, mon rang ne me per-
mettait pas d'être chargé de cette ambassade ; notre humble prin-
ce, craignant de déplaire à votre illustre roi, crut devoir envoyer
le ministre lui-même offrir ses félicitations ; d'ailleurs votre sei-
gneurie avait prédit que je n'aurais plus semblable mission à
remplir ; c'est donc votre parole qui s'accomplit.
Eu 538. dès le début de l'année 'octobre), le prince de Tcheng
Jfft se rendait à la cour de Tch'ou J£ ; il y fut bientôt rejoint par
le baron de Hiu ^ : le roi les amusa, les envoya faire des parties
de chasse sur les rives du Yang-tse-kiang f|L ^ £q : il voulait
ainsi les garder jusqu'à l'assemblée solennelle qu'il avait projetée.
Ce roi intelligent et énergique, nommé Ling-wang J|| rE (540-
529), voyant l'inertie de P'ing-kong, crut le moment venu de lui
soutirer sa suprématie sur les vassaux.
Prudent et habile, secondé par les circonstances, il ne voulait
rien brusquer, tout en marchant droit à son but ; il envoya le
grand officier Tsiao-kiu j-jjjf ^ à la cour de Tsin, demander hum-
blement la permission de réunir les princes féodaux.
P'ing-kong sentit bien l'arrogance de cette requête, et voulait
d'abord refuser son consentement : mais Jou-ls'i ^r >0 , son con-
seiller et son ministre de la guerre, lui persuada d'accorder la
permission demandée : il lui fit alors un discours célèbre, où il
exalta la haute sagesse des anciens «saints», et l'exhorta vivement
à suivre leurs traces. Nous avons donné ce chef-d'œuvre littéraire
dans notre histoire du royaume de Tch'ou ; inutile de le répéter
ici. (Zollolij IV, i>. 83. le ilonne en entier).
Ling-wang ayant obtenu l'autorisation qu'il souhaitait, réunit
en été, dans la ville de Che.n ^ (1), onze princes chinois, plus le
chef des sauvages I ])^ des bords de la rivière Hoai :{fo. La dé-
cadence du royaume de Tsin s'accentuait, l'axe du pouvoir pas>ait
peu à peu au pays de Tch'ou ~f£. Ling-wang faisait parade de
soumission et d'amitié; il avait même demandé pour épouse une
princesse de Tsin, et l'avait encore obtenue.
En 537, au printemps, il envoyait son premier ministre Tse-
tang ^Ç- $£ et le ministre KHu-chen J$, ^ (qui avait le titre de
mou-ngao ^L $jfc), c'est-à-dire ses deux plus hauts dignitaires,
chercher sa fiancée. P'ing-kong poussa l'amabilité jusqu'à conduire
sa fille jusqu'à la ville de Hing-k'ioU lf|) Jrp) 2 .
(1) Chen : était à 20 li nu nord de Nan-yang fou fà fë ft '■ Ho-nan. Petite
géogr., roi. jj. p. ./</ — Gronde, roi. / / . p. 5 .
(2) Hing-k'iou : était à 70 li sud-ost de Hoaï-k'in fou £& Ffe! ?[• Ho-nan Petite
géogr., roi. 12. p. 26) — (Grande, col. 4c. p. s).
328 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
C'est là que le prince de Tcheng ff^, accompagné du lettré-
diplomate Tse-tcli'an ^ ;lg, vint lui offrir ses hommages; sans
doute aussi il le félicita d "avoir marié sa fille à un si grand roi (1);
hélas! de telles congratulations eussent été agréables à P'ing-kong,
si celui-ci n'eût pas compris les desseins de son gendre!
A la 3 ,iie lune (vers janvier), le duc de Lou ?£• venait lui-
même à la cour de Tsin saluer son suzerain, son protecteur; il
observa si bien le cérémonial, que, depuis le diner de réception
dans un des faubourgs de la capitale, jusqu'à la remise finale des
cadeaux du départ, il ne commit pas la moindre inexactitude.
P'ing-kong émerveillé disait à Jou-ts'i -£ç yï§ : le duc de Lou
n'est-il pas magnifiquement observateur des rites? Le conseiller
profita de l'occasion, pour servir à son prince une bonne remon-
trance, sous des dehors innocents : Le duc, dit-il, n'a pas commis
la moindre erreur ; cela prouve qu'il est ferré sur le cérémonial,
mais non sur les rites ; car c'est par le moyen de ceux-ci qu'un
prince conserve l'autorité dans son état, se distingue par une par-
faite administration, s'attache intimement le cœur de son peuple.
Or, au duché de Lou, l'autorité est entre les mains des grandes
familles; le prince ne compte plus; c'est à tel point qu'il n'a pu
donner un office à T*e-hia-hi -^ ^ ||j ce sage si éminent; c'est
l'arbitraire qui règne du haut en bas; on ne tient aucun compte
des traités jurés; on foule aux pieds les petites principautés; on
se réjouit de l'embarras des autres, et l'on en tire profit, sans se
soucier des désordres qui pullulent chez soi ; du pays, on a fait
quatre parts, divisées entre les grandes familles; le duc est réduit
à la condition de simple particulier, ne vivant que par grâce; per-
sonne ne s'occupe de lui ; personne ne prend en main ses intérêts
présents ou futurs ; personne ne cherche un remède à un état de
choses si navrant; les malheurs vont fondre sur un tel prince, qui
ne sait pas tenir sa place. L'essentiel des rites consiste à bien
soigner son peuple; observer scrupuleusement le cérémonial, n'en
est que l'accessoire. Ainsi le duc est bien loin de l'idéal!
Sans en avoir l'air, cette longue tirade était à l'adresse de
P'ing-kong: son royaume était à peu près dans le même état que
(1) Sur les visites des vassaux, voir le li-ki ;.'. =£ (Couvreur. vol. i. p. p. 275,
2-ç — vol. 2. p. 6çi). La théorie en est fort belle: le suzerain devait, à la place de
l'empereur, examiner la manière Az gouverner du vassal, lui donner de bons con-
seils, le former enfin à L'art si difficile de L'administration. La pratique se réduisait
à de pures cérémonies, plus ou moins solennelle--: puis, et surtout, a l'offrande de
cadeaux le-- plus riches qu'il était possible: c'est '•■•■ qui ^'esi perpétué jusqu'à main-
tenant : le dévouement d'un employé quelconque, son hab*rleté dans sa charge, tout
cela se mesure a la quantité et à la qualité des présents qu'il apporte. De même, la
justice d'une cause à examiner, se mesure au nombre de dollars qu'on offre nu ma-
gistral et aux jeu-, de son tribunal : qui paye bien a finalement raison.
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 329
le duché du Lou : ne pouvant blâmer en face, le conseiller énumé-
rait en détail les désordres qui régnaient chez le voisin, pour attirer
l'attention de son maître sur ceux de son propre pavs.
Nous avons laissé en chemin la fille de P'ing-kong, se ren-
dant auprès de son royal époux; Han-k'i f^; |g et Chou-hiang fâ
|pj, les deux plus hauts dignitaires de Tsin, étaient chargés de
conduire la jeune princesse jusqu'à la capitale de Tch'ou fê.
A leur passage dans la ville de Souo $£ l , dans le pavs de
Tcheng f|$, les deux seigneurs Tée-pri -$■ J% et Tse-t'ai-chou ^
>[C ^ ^eur offrirent un grand diner. pour les réconforter de leurs
fatigues. Pendant la conversation, Tse-t'ai-chou disait à Chou-
hiang : le roi de Tch'ou est d'un orgueil et d'une arrogance in-
croyables ; vos seigneuries doivent bien se tenir sur leur garde !
Chou-hiang répondit en philosophe : ces excès retombent sur
l'orgueilleux même, et lui attirent les plus grands malheurs; ils
ne sauraient atteindre autrui. Si nous offrons respectueusement
les cadeaux : si nous nous montrons dignes, polis, loyaux : si nous
observons exactement les rites, sans que personne puisse rien nous
reprocher; si nous sommes humbles sans être rampants, respec-
tueux sans oublier notre dignité : si nous conformons nos paroles
aux enseignements des anciens sages; si nous suivons les règles
établies parles "saints empereurs"; si, de plus, nous avons les
égards dûs à nos deux royaumes : le roi de Tch'ou fût-il le plus
arrogant de l'univers, que peut-il nous faire ?
Les deux ambassadeurs ne connaissaient guère leur homme.
Quand ils furent arrivés, Ling-wang g 3E réunit son grand con-
seil, et fit la proposition suivante: je pense faire couper les pieds
à Han-k'i, et le mettre comme gardien à la porte de mon palais ;
puis, je ferai évirer Chou-hiang. pour le placer comme gardien de
mon harem ; et cela, pour humilier le plus possible la cour de Tsin.
Est-ce pratique? est-ce opportun?
Voilà quel était le gendre de P'ing-kong ; voilà quel était son
niveau moral ! Nous avons rapporté au long, dans l'histoire de
Tch'ou, cette singulière consultation, et la réponse négative du
conseil. En conséquence, ce roi sauvage rendit les plus grands
honneurs aux deux envoyés de son beau-père.
Ayant entendu vanter la sagesse de Chou-hiang, il voulut en
faire l'épreuve ; il lui fit les questions les plus épineuses, les plus
imprévues ; notre lettré donna réponse à tout ; il se montra vrai-
ment un puits de science. Ling-wang émerveillé lui Ht de riches
cadeaux (2).
(1) Souri: ou Tasouo -^< ^. était à 10 li ctlviroil au sûd-est de Fong-yatig
fctwi »3? Wj Sf- qui est à 200 li ;'i l'ouest de sa préfecture fc'tzi-fong /'<>x pfj £\ tff.
Ilo-nan. [Grande géogr., vol. 4-, p. ~o .
(2) Chou-hiang n'était pas ministre, mais chef et président des haut:- digni-
taires de la coin- : il était le conseiller intima et comme le grand maître du roi : il
42
330 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Les ambassadeurs, en repassant par les pays de Tcheng ffj$,
trouvèrent encore un dîner de gala préparé pour eux par Tordre
du prince, dans la ville de Yu g (1) ; mais ils refusèrent cet hon-
neur ; car, d'après les rites, l'envoyé ne devait se laisser attarder
par aucune invitation de ce genre, tant qu'il n'avait pas rendu
compte de sa mission.
Voici maintenant une tout autre affaire : Au pays de Kiu g",
un grand officier (ta- fou ^ 5^) s'était révolté contre son souverain,
s'était enfui à la cour de Lou i^., s'était déclaré vassal du duc, et
lui avait offert ses fiefs; Ki-ou-tse Êf; f^ ^f , le ministre tout-
puissant, s'était empressé d'accepter une si bonne aubaine. Le
prince de Kiu avait porté plainte ; P'ing-kong indigné voulait
immédiatement faire arrêter le duc, qui se trouvait encore à la
cour de Tsin. Mais le ministre Che-yang -J^ |& (ou Fan-gang fô
1|Jj.) calma son courroux, en lui disant: Saisir un prince venu pour
vous saluer, serait une trahison ; se jeter sur un état sans lui avoir
déclaré la guerre, serait une barbarie ; deux forfaits indignes du
chef des vassaux. Le mieux serait de laisser partir le duc, puis de
le punir à la première occasion; c'est ce que P'ing-kong trouva
finalement de plus raisonnable.
Le duc retourna donc tranquillement chez lui, et garda les
fiefs si mal acquis ; déjà régnait la loi des «laits accomplis».
Confucius approuve la conduite de son maître ; content de voir
son pays s'agrandir et se fortifier ; en d'autres occasions cepen-
dant, il se montre moins facile, moins égoïste, et plus juste.
En 536, vers la 5èrQe lune (mars-avril), Ki-ou-tse Ép fà ^ ,
le premier-ministre, le vrai maître de Lou, venait remercier P'ing-
kong d'avoir laissé au duc les trois villes en question ; il ne se
présentait pas les mains vides, naturellement ; ses cadeaux étaient
proportionnels à la nouvelle annexion, sa cause était gagnée.
Le suzerain fut si content, qu'il prépara un dîner de gala
plus solennel que l'étiquette ne le demandait pour une telle am-
bassade. L'humble ministre refusa cet honneur exagéré, s'éloigna
avait sous sa direction les principaux personnages suivants : K'i-ou $[$ *f (ils de
Kli-hi |5 *g, du clan royal ; — Tchang-ti '/£• fê fils de Tchang-lap fê i£, de famille
seigneuriale ; — Ts'v-fan $& jj;i£ fils de Ts'i-yen jff (S, du clan royal : — Jou-tsi fx
5^, de famille noble ; — Liang-ping %fc ffi, de famille inconnue ; — Tchang-koua 3j>|
{$, fils de Tchang-ti ; — l''ou-li iji^ j^, de famille inconnue -, —Miao-pcnn-hoang ^ El
J|l, fugitif de Tch'ou. (Tsouo-tchoan ^Èc. i$, vol. 36, p. à).
La réponse négative du conseil s'explique facilement : Quoique en décadence, le
royaume de Tsin pouvait mettre sur pied une armée formidable pour l'époque. L700
chars de guerre, ayant chacun cent fantassins : cette raison était la meilleure pour
un homme si grossier que Ling-Wang.
(1) Yu: (;iait à 50 li au sud de K'i hien \\[ $f, qui est à 100 li à l'est de sa
pri fe ture K.'ai-fong fou. (Petite géogr.., ml. >j. p. 3) — (Grande, ool. ./:■ p. 18),
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 33 1
de la salle, et envoya un message à Han-k'i $£ >Jû : notre petit
état, y disait-il, a une vraie joie d'être soumis à votre illustre
souverain ; s'il veut bien nous pardonner, ne pas nous punir,
c'est déjà une grande grâce ; mais je n'ose accepter les honneurs
extraordinaires que sa Majesté a préparés pour moi ; sur la table
du festin, il y a plus de plats que ne le comportent les rites ; si
j'acceptais un tel dîner, je serais coupable.
Han-k'i tacha de calmer un tel scrupule : c'est une exception,
disait-il : notre humble souverain veut, par ce moyen, prouver la
joie que lui procure votre visite. Mais l'obséquieux potentat, le
spoliateur de son maître (1), persista dans son refus : mon hum-
ble prince lui-même, ajoutait-il, n'oserait s'asseoir à cette table ;
moi, son petit serviteur, pourrais-je avoir cette audace ?
On fut donc obligé d'enlever les services qui étaient de trop :
alors le rusé politique consentit à rentrer dons la salle du festin.
Cette conduite émerveilla la cour de Tsin ; le fin lettré savait com-
ment prendre les gens et les berner : il fut traité avec de plus
grands égards, et reçut à son tour des présents plus distingués.
Vive donc la littérature !
Peu de temps après cet épisode, K'i-lsi |K- ^ . prince héritier
de Tch'ou ^ (2), venait remercier P'ing-kong de la princesse, et
de l'ambassade qui l'avait accompagnée. Selon les règlements, le
prince attendait à la frontière le grand oflicier qui devait l'y rece-
voir et l'amener à la capitale. Or, quand on avait conduit la
princesse, Ling-wang ™î jj£ avait omis ces détails de l'étiquette.
Han-Ji'i ^ ^U voulait lui rendre la pareille, et refusait d'envoyer
un dignitaire à la frontière.
Chou-hiang fâ |n] se montra plus conciliant et mieux avise :
la cour de Tch'ou. disait-il, a fait preuve de son peu d'urbanité :
ne faisons pas comme elle, ce serait imiter des sauvages : le livre
des Vers nous avertit en ces termes : oous donnez V exemple, vos
sujets le suivent (3) ; le livre des Annales a une parole semblable:
ce sont les «saints» qui font la loi : ainsi donc, n'allons pas imiter
les rustauds de Tch'ou ; donnons- leur plutôt une bonne leçon de
(1) Dans notre histoire du duché de Lou. nous avons raconté comment Ki-ou-
tse dépouilla son maître, et le réduisit à l'état de simple particulier; bientôt nous
le verrons forcer ce même prince à s'enfuir à la cour de Tsin. Ses humbles paroles
sont donc l'hypocrisie la plus révoltante : s'il n'était pas venu les mains pleines, P'ing-
kong l'aurait traité autrement : car ses agissements autocrates étaient connus.
(2) Cette ambassade du prince héritier, cette conduite incivile de Ling-wang
s. 'ii père, nous montrent que la fille de P'ing-kong ne devait être qu'une épouse se-
condaire, sinon une concubine.
(3) Che-king =$- £J (Couvreur, p. 303. »° 2) — Quand à la citation du Chou-
king annales), elle ne se trouve plus dans les éditions actuelles ; a-t-cl!c été perdue?
a-t-cllc été retranchée par Confucius?
332 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
civilité. P'ing-kong approuva ce conseil, et députa un grand
officier à la frontière.
Voici maintenant un autre épisode qui réjouira les légistes
d'Europe : Au début de cette même année, Tse-tch'an -^ j§| le
lettré-diplomate, le premier-ministre de Tcheng ^(;, a\a\t rédigé
uu code pénal ; et pour le faire passer plus sûrement à la posté-
rité, il l'avait fait fondre sut un grand trépied. Le sage Chou-
hiang fut scandalisé de cette conduite de son ami, et lui écrivit
cette singulière remontrance : <• Jusqu'ici je vous avais considéré
comme mon modèle ; je ne pensais qu'à vous imiter ; hélas,
maintenant c'en est fait ! Les anciens saints empereurs exami-
naient chaque cas en particulier, avant de fixer leur jugement sur
une action quelconque ; ils étaient bien éloignés de dresser un
code pénal ; de peur que le peuple ne devint trop audacieux, et
ne se mit à ergoter sur l'innocence ou la culpabilité du fait en
question.
Malgré cette précaution, ils ne parvenaient pas à empêcher
tous les crimes ; pour y mettre une barrière, ils inculquaient les
principes de justice et de convenance ; ils redressaient les torts,
en donnant l'exemple à leurs sujets ; ils enseignaient la politesse
et la déférence, en observant les rites ; ils montraient une probité
à toute épreuve, une humanité qui s'adressait à chacun selon son
degré.
Ils se contentèrent de fixer des dignités et des revenus à leurs
fidèles serviteurs : ainsi ils excitaient une noble rivalité à prati-
quer la vertu, à observer les règlements, à juger et punir sévère-
ment les malfaiteurs. Craignant cela insuffisant, ils faisaient au
peuple des instructions sur la probité, sur le dévouement : ils
l'excitaient à une bonne conduite ; ils lui indiquaient ce qu'il y
avait à faire ou à éviter de plus important ; ils lui imposaient des
corvées avec un esprit paternel ; ils le traitaient avec politesse et
révérence : ils affirmaient leur autorité avec vigueur, et rendaient
leurs jugements avec une grande précision.
En outre, ils cherchaient des hommes éminents en sagesse et
en vertu, pour en faire leurs ministres ; des hommes intelligents
et prudents, pour en faire leurs grands officiers ; des hommes
loyaux et fidèles, pour en faire les chefs des divers services ; des
hommes doux et instruits, pour en faire leurs maîtres d'école.
De cette manière, ils pouvaient gouverner le peuple, sans provo-
quer ni troubles ni révolutions.
Si le peuple a un cod: pénal, il ne craint plus ses préposés,
liés eux-mêmes par la loi ; il devient revèche ; il en appelle au
texte, pour discuter la sentence, et quelquefois il réussit à détour-
ner la punition. Voilà pourquoi un code pénal est inopportun.
l/histoirc nous enseigne la même doctrine : C'est à la fin de
la dynastie Hia J[, à l'époque déjà troublée, qu'apparut le code
pénal Yu fy ; de même, lors de la décadence de la dynastie Chang
DU ROYAUME DE TSIN. P'iXG-KONG. 333
$jj, et parmi les troubles, parut le code pénal de l'empereur T'ang
fë ; entin, la dynastie Tcheou ]§) elle-même commençant à déchoir,
et voyant le désordre régner partout, publia ses neuf châtiments.
Ces trois exemples sont assez évidents ; un code pénal prouve la
faiblesse d'un gouvernement.
Votre Excellence avait déjà introduit un nouveau système de
digues et de canaux, un nouveau système d'impôts ; voici un code
pénal, à l'instar des dynasties en décadence ; vous désirez tenir
votre peuple dans l'obéissance et la paix ; cela me semble bien
difficile par de tels moyens. Le livre des vers a cette parole :
j'observe avec soin les statuts de Wen-wang ; je maintiens ainsi
constamment la paix dans V empire ; et cette autre du même genre:
pour être sûr de vous conformer toujours à /a volonté du ciel,
copiez Wen-wang ^ 3^; tous les peuples se lèveront, et vous
donneront leur confiance (1). Alors, à quoi bon un code pénal?
Connaissant une fois le moyen de chicaner, le peuple va laisser de
coté les rites qui le gouvernaient jusqu'ici dans la paix ; il va
discuter les textes, ergoter sur la pointe d'une aiguille, sur le
tranchant d'un couteau, se prendre aux cheveux pour des riens ;
les querelles, les procès vont se multiplier à 1 infini ; la vénalité,
la corruption, tout ira en proportion. Votre Excellence une fois
disparue, l'état de Tcheng |||$ ne tiendra pas debout. Les anciens
disaient : c'est à la dernière étape, à la ruine imminente d'un
pays, que beaucoup de lois sont forgées ; votre Excellence ne
vient-elle pas de confirmer cette parole ?» (2)
A une si singulière doctrine, présentée par une pareille tète,
quelle réponse va donner le non moins célèbre lettré Tse-tch'an ?
la voici, elle a le mérite d'être courte ; "Quant à vos précieuses
instructions, je ne suis malheureusement pas capable de viser jus-
qu'aux avantages des générations futures ; heureux déjà, si je
puis sauver l'âge présent. Quoiqu'il me soit impossible d'exécuter
vos ordres si sages, je les considérerai toujours comme un bienfait
signalé de votre part. »
Scandalisé à son tour par une telle réponse, le sage lettré
Che-\ven-pë -j^ ^ f £| se mit à faire une prophétie sur les malheurs
qui allaient fondre sur le pays de Tcheng ff{$ ; prédiction infaillible,
comme toujours; mais, cette fois, fondée sur l'astronomie; nous
en faisons grâce au lecteur, qui connaît suffisamment ces sornettes.
(1) Che-king j^s ^f. (fourreur., p, 423, ode ;, »° 2 — p. j2j, ode j. n" 7 ).
(2) Un code de lois, c'est trop clair : cela gène considérablement l'arbitraire
des juges. Voilà ce que le grand sage Chou-hiang noie sous une avalanche de con-
sidérations. Il eût mieux raisonné s'il eût dit : votre code est bien inutile ; les juges ne
s'en soucieront pas ; c'est l'arbitraire, ou l'argent, qui réglera tous les jugements :
car depuis ce temps-là jusqu'à maintenant, c'est la pratique la plus ordinaire, du
haut en bas des tribunaux.
334 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
A la llème lune de cette même année 536 (septembre-octobre),
le roi de Ts'i ^ venait demander à P'ing-kong l'autorisation de
faire la guerre à l'état de Pé-yen ^b $ê ; le ministre Cke-yang J"
^, accompagné de Che-\ven-pé -^ *£ -f£j, alla jusqu'au bord du
ileuve jaune, recevoir le prince, et l'amener à la capitale. Bien
entendu, sa requête lui fut gracieusement accordée.
En 535, à la 4ème lune, au jour Kia-tchèn ^ H (18 mars) (1),
il y eut une éclipse de soleil; P'ing-kong demanda au prophète
Che-wen-pé : sur qui donc va tomber le malheur annoncé par cette
éclipse? Le lecteur fixe déjà sa pensée sur le pays de Tcheng fjf),
sans doute. Hé bien non ! C'est sur les états de Wei |fj et cle Lou
i^., répondit le lettré; le premier souffrira plus, le second moins,
ajouta-t-il.
Pourquoi cela? demanda encore P'ing-kong. — Parce que le
malheur s'appesantira tout d'abord sur le premier; ensuite seule-
ment il se rendra chez le second; le marquis de Wei $j sera frappé
de mort; puis le ministre de Lou.
La prédiction se réalisa à la 8"3me lune et à la Hè-me de cette
même année. En attendant, P'ing-kong demanda encore une expli-
cation : que signifient, dit-il, ces paroles du livre des Vers «quand
il y a éclipse de soleil, il faut se demander quel malheur est sur le
point d'arriver»! (2)
Le lettré fut enchanté de cette question, qui lui permettait de
donner au prince une bonne leçon ; voici sa réponse ; elle fera
sourire les astronomes européens, qui vont sur toutes les plages
du monde avec leurs instruments de précision, assister à toutes
les phases du phénomène ; les astronomes chinois voyaient les
choses bien plus simplement. Notre sage dit donc : «une éclipse
est la preuve évidente que l'administration d'un état est mal réglée;
dès qu'elle n'a plus d'hommes de mérite, elle tombe en désordre ;
les calamités fondent sur le pays, et elles sont présagées par
l'éclipsé. Ainsi un prince doit soigneusement s'appliquer au bon
gouvernement de son état; il doit surtout veiller aux trois points
suivants : choisir des hommes sages et éminents, procurer le bien
du peuple comme le sien propre, tenir compte des saisons et des
circonstances pour donner ses ordres.»
A la 3ème lune (vers janvier), le duc de Lou <|§- se rendait à
la cour de Tch'ou ^. P'ing-kong en fut fort mécontent; pour
l'en punir, il envoya un messager, lui ordonnant de restituer ce
(1) Lcgge donne pour date "le 11 Mars 534» ; donc l'année et le jour sont
bien afférents ; qui a raison? J'ai calcule d'après la formule Havret-Chambeatt.
{2) Che-king fj $J[. (Couvreur, p. 237, ode ç, n° 2) Les européens savent
assez quelles niaiseries débitent les païens chinois à propos de ces éclipses ; quel tin-
tamarre ils font pour effrayer le dragon, et l'empêcher d'avaler le soleil ; et cela, de
nos jours comme autrefois.
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KONG. 335
qui lui restait encore des terres de K'i ^g ; le pauvre duc dut
s'exécuter, et rendit la ville de Tch'eng jfc (1).
Tse-tch'an, le créateur du code pénal, était venu à la cour de
Tsin. P'ing-kong, alors malade, chargea Han-k'i $%. j^G de le rem-
placer, et de rendre à cet hôte illustre les honneurs dûs à son rang.
Pendant la conversation, le ministre se lamenta ainsi : notre humble
prince est alité depuis trois mois ; au lieu de diminuer, le mal
s'aggrave ; nous avons cependant couru toutes les montagnes offrir
des sacrifices ; une chose nous inquiète pardessus tout, c'est qu'en
songe, notre prince a vu un ours jaune entrer dans sa chambre à
coucher; quel mauvais démon cela peut-il être?
Un roi si sage que le votre, répondit le lettré, un ministre
aussi éminent que votre Excellence, peuvent-ils parler de mauvais
démon? Autrefois, l'empereur Choen $*£ mit à mort, au pied de
la montagne Yu ~%\ (2), le traître K'oen $£, dont l'Esprit, méta-
morphosé en ours jaune, s'enfonça dans le lac voisin. Depuis lors,
la dynastie Hia jÇ [descendant de l'empereur Yu fô) sacrifiait à
cet Esprit, ainsi qu'au ciel et à la terre ; les deux dynasties sui-
vantes Yng fifc et Tclieou /g] en firent autant. Votre souverain, le
chef des vassaux, le vrai maître de l'empire, n'a peut-être pas en-
core pensé à offrir des sacrifices à cet ours jaune?
A la suite de cette savante explication, Han-k'i se hâta de
réparer l'oubli de son maître ; ù merveille ! P'ing-kong aussitôt se
trouva un peu mieux (3 ; pour remercier le lettré, il lui fit un
cadeau royal ; il lui donna deux trépieds carrés reçus du prince
de Kiu jj*".
Tse-tch'an, pour montrer sa reconnaissance, rendit le fief de
Tcheou j||| . dont nous avons parlé ci-dessus (599): Précédemment,
dit-il à Han-k'i, votre illustre roi avait donné ce fief à Kong-suen-
toan Q fâ (|3;> en souvenir de son père Tse-fong -f ^ ; ce seigneur
(1) Tch'enir : ou Kiu-p'ing tch'eng £.[ï 2p |jj£, était à 00 li nord-est de Ning-
yang )iie>i "SjjL (^ [j!£, qui est à 50 li au nord de sa préfecture Yen-tcheou fou $jf M\
tfï , Chan-tong. (Grande géogr., vol. 32, p. 8).
(2) Yu : cette montagne est à 70 li à l'est de Tan-tch'eng hien $$ ifâ $F, q"j
est à 120 li sud-est de sa préfecture I-tdieou fou {Jt Hi tff, Chan-tong. Cette mon-
tagne va jusque sur le territoire de Hai-tcheou ïf£ #1. Kiang-sou. Le texte du Tsouo-
tchoan fa fèî est fautif; c'est, comme nous l'avons écrit, l'empereur Choen qui
mit à mort K'oen, le père du grand Yu ^. (Petite géogr.. vol. 4. p. 32 — vol. 10,
j). 30) — (Grande, vol. 22 p, 21, — vol. 33, p. 3-).
(3) Outre les maladies diaboliques bien caractérisées, il y en a d'autres où
le démon fait plus ou moins sentir son influence ; il peut les aggraver ou les dimi-
nuer, selon les sacrifices qu'on lui offre; c'est le meilleur moyen de retenir ses
esclaves sous son joug tyrannique. Dieu ne le laisse pas complètement libre, suis
doute; mais il tient -vi chaîne m >ins courte qu'envers les chrétiens.
336 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
vient de mourir : son fils n'a pas la prétention de garder ce terri-
toire ; moi, je n*ose le rendre à votre souverain, de peur de l'offen-
ser; ainsi je le remets «privatim» à votre Excellence, pour qu'elle
en dispose à son gré.
Han-k'i refusa tout d'abord. Tse-tch'an insista: il y a, dit-il.
un proverbe qui convient à notre cas: le père a fendu et préparé
le bois; mais le fils est incapable de l'emporter. Fong-che J| $j£,
le fils de Kong-suen-toan, ne se sent pas les épaules assez fortes,
pour remplir l'office dont son père était chargé; encore moins ose-
t-il prendre le gouvernement de ce fief; tant que votre Excellence
sera à la tête du royaume, il n'y a rien à craindre; plus tard,
notre petit état aura peut-être des querelles de frontières ; la
famille Fong redoute les complications possibles, au sujet de ce
fief; ainsi, en le recevant, votre Excellence rendra un vrai service
à cette famille et à notie pays; je vous prie donc de l'accepter.
Han-k'i était bien embarrassé; il convoitait ce fief, nous l'a-
vons vu ; mais il craignait le courroux de P'ing-kong; il craignait
les réclamations des compétiteurs Fan fr£ et Tchao j|§ ; il se tira
cependant d'affaire: il présenta la chose si adroitement, que P'ing-
kong l'autorisa à accepter ; puis il échangea ce fief contre celui de
Yuen Jf^, qui appartenait à Yao-ta-sin gfe •% 'fr, grand officier de
Song % (1).
A la 8ème lune, au jour ou-lchen jr£ J| (9 Août), Siang-kong
JE ^, marquis de \Yei étant mort, selon la prophétie, les grands
officiers de Tsin dirent au ministre Che-yang -^ 1|jji : l'état de Wei
fëj nous a toujours servis avec loyauté; nous, au contraire, nous
l'avons traité indignement ; nous avons soutenu ses rebelles ; nous
lui avons pris son territoire de / |^ (547), chose qui a dû indis-
poser tous les vassaux contre nous. Le livre des Vers a cette
parole: la bergeronnette s'agite dans la plaine ; de même les frères
sont parfois agités par le sort; et cette autre: parmi les terreurs
de la mort et des funérailles, les frères montrent leur affection
(2). Si nos cours, qui sont de la même famille, ne sont pas d'ac-
cord entre elles ; si nous ne présentons pas nos condoléances, à
l'occasion de ce décès ; que ferons-nous donc envers les princes qui
ne sont pas nos parents ? qui donc voudra encore s'attacher à
nous ? le successeur du défunt quittera notre vasselage ; et ce sera
le signal d'une désertion générale.
Che-yang (appelé aussi Fan-hien-tse ffc J|£ ^) communiqua
ces réflexions au premier ministre; Han-k'i les trouva fort sen-
sées; il envoya Che-yang lui-même à la cour de Wei, porter les
(1) Vuen : dtait à 1"> li nord-ouest de Ta'i-yuen hten ?? M Sf , qui f-s' à "0
li à l'ouest dé sa préfecture Hoai-k'ing fou £& §? JflF, Hd-nan. (Grande géogr..
vol. 49. p. 6).
(2) Che-king |£ $!!• (Couvreur, p. 170, ode 4. n° 3 et 9),
DU ROYAUME DE TSIN. p'iNG-KOIN'G. 337
condoléances d'usage; de plus, il restitua les terres dont on s'était
emparé précédemment.
A la 11'1"1 lune', au jour koei-wei •§& 7^: .23 octobre) mourait
Ki-ou-tse 5pf fj£ ^f-, le ministre tout-puissant de Lou i§|. P'ing-
kong dit au lettré prophète Clie-wen-pé -]■ % {£} : votre prédiction
s'est réalisée; ce que vous m'avez alors enseigné est-il infaillible?
Non, répondit l'astrologue ; car les six facteurs qui y concou-
rent ne sont pas toujours les mêmes; de plus, le cœur du peuple
change aussi ; le cours des choses change ; les officiers ne s'appli-
quent pas toujours à leurs fonctions avec le même zèle ; souvent le
début et la fin d'un gouvernement sont bien différents ; comment
la vérification serait-elle la même? Le livre des Vers nous dit:
parmi le peuple, il y a des gens en repos, el à leur aise; il y en
a qui se dépensent entièrement au sei^vice de l'état (l); ainsi, tout
dépend des circonstances.
P'ing-kong répliqua : quels sont les six facteurs dont vous
parlez? — Ce sont: l'année, les saisons, les lunes, les jours, les
étoiles, et le zodiaque. — Enseignez-moi plus amplement, dit le
roi ; car bien des gens m'ont expliqué le zodiaque ; mais ils
n'étaient pas d'accord ; les uns disaient que c'est la Grande Ourse ;
d'autres que c'est Mars; quel est votre sentiment? — Ce sont les
conjonctions du soleil et de la lune, qui forment les douze signes
du zodiaque ; voilà pourquoi l'on s'en sert pour déterminer les
jours et les heures (2), dit enfin l'astrologue.
En 534, au début de l'année (novembre), une merveille singu-
lière se produisait au pays de Tsin : une pierre s'était bel et bien
mise à parler, dans la ville de Wei-yu ^ |jjft ! (3) P'ing-kong de-
manda l'explication de ce phénomène au directeur de musique
Koang ^:.
Les pierres ne peuvent parler, répondit celui-ci, à moins
qu'elles ne soient possédées par un Esprit; en dehors de ce cas,
c'est une mystification, une absurde rumeur répandue parmi le
(1) Che-king f$ %!&. (Couvreur p. 26c. ode i, n° 4}. Finalement, on ne voit
pas trop ce que veut dire l'astrologue ; se comprenait-il lui-même ?
(2) L'astronomie européenne n'a guère à apprendre des Chinois. On saii que
zèle ont déployé les premiers missionnaires, pour tirer la Chine de sa routine sé-
culaire : il ont échoué devant l'orgueil et la jalousie des mandarins; leurs magni-
fiques instruments ont été délaissés: on a repris «l'ancien système».
(3) Wei-yu : était un peu au nord-ouest de Yn-tse /n'en fâ< *fc % , qui est à
60 li sud-est de sa prélecture Tlai~yuen fou ptc 5jl T-J'", Chan-si. (Petite géogr., vol.
S. p. s) -* (Grande, vol. 40, p. 12).
Héponce curieuse : les pierres ne peinent parler, excepte pour manifester les
murmures du peuple ; voilà au fond ce que dit ce sage. : Voir In pièce rions ZottaH,
IV, p. 8s).
4S
338 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
peuple. Cependant, les anciens disaient: quand les choses se font
hors de saison, les sentiments de haine surgissent dans le cœur
du peuple; alors, la nature étant bouleversée, des objets qui,
d'eux-mêmes et d'ordinaire, ne savent pas parler, font entendre
des avertissements. Or maintenant, votre Majesté bâtit des palais,
et des maisons considérables; le peuple est épuisé, au point d'être
dégoûté de la vie ; ses murmures éclatent en bien des façons ; qu'y
aurait-il d'étonnant, si une pierre venait à parler ?
A cette époque, P'ing-kong bâtissait le palais Se-k'i //^f|i(l);
le directeur de la musique profita de l'occasion pour lui servir
une bonne remontrance. Quand Chou-hiang ;J^ |p] apprit cette
admonition, il en fut enchanté: les paroles de Koang tyjj{, dit-il,
sont celles d'un sage ; les avertissements d'un homme éminent
sont sincères et loyaux ; ils ne causent pas de désagrément à celui
qui les profère; ceux d'un homme vulgaire sont exagérés, sans
évidence, et font détester leur auteur. Le livre des vers nous dit :
malheur aux avis sincères qu'il n'est pas permis de donner! non-
seulement ils sont inutiles, mais encore nuisibles à leur auteur;
heureux les avis qu'il est permis de faire entendre! un langage
adroit est comme un cours (Veau sans obstacle; il assure le bon-
heur à celui qui le profère (2). Quand ce palais sera fini, les vas-
saux vont nous abandonner ; c'est le roi qui en portera la peine ;
tout cela est bien connu du directeur de la musique. — Cette pré-
diction, le lecteur s'y attend, s'accomplira dans deux ans, par la
mort de P'ing-kong.
Vers la 4ème lune (mars), le seigneur Chou-hong ^ ^ de
Lou |§> venait à la cour de Tsin, féliciter le roi de sa nouvelle
construction, et assister aux fêtes données à cette occasion ; il y
était bientôt rejoint par le prince de Tcheng ff|$, accompagné de
Tse-t'ai-chou % d^M- En faisant visite à ce dernier, l'historio-
graphe Tchao |g lui dit: vraiment, vous nous jouez aujourd'hui
un tour cruel ; au lieu de félicitations, vous devriez nous apporter
des condoléances, pour les haines que nous nous attirons.
Nullement! répliqua le seigneur; tous les princes de l'empire
vont vous envoyer leurs congratulations ; tellement ils ont peur de
votre puissance.
En 533, Siang H commandant impérial de la ville de Kan
-y-, et Kia ^, officier de Tsin, commandant de la ville de Yen f|ff,
eurent ensemble une grave querelle, au sujet des terres de Yen
[?^ ; l'affaire s'envenima au point que les deux seigneurs Leang-
ping ^ p^ et Tchang-li jj|| $£ lancèrent, sur la ville impériale
(1) Le palais Se-k'i : était à 49 li sud-est de K'iu^voo hien [ifc jft Hi qui est à
120 li au sud de sa préfecture P'ing-yang fou j:- Il M Chan-si. (Petite géogr.,
vol. 8, p. ç) — (Grande, vol. 41, p. iz).
(2) Che-king Hf &§. (Couvreur, p. 242, ode 10, n° j).
DU ROYAUME DE TSI.V. P'iNG-KON'G. 339
Yng Jtjl, des bandes de Tartares Yng-jong flj 2%, de la tribu des
Lou-hoea [^ ^ l).
Cette impudente audace indigna l'empereur King-wang pfr 3£
[544-520] ; comme ses prédécesseurs, il n'avait plus aucune in-
fluence ; malgré sa faiblesse, il était pourtant, aux yeux du peuple,
la majesté sacrée, le représentant de l'autorité, de la justice, et du
droit : dans cette circonstance, il sut se relever à une hauteur
qu'on ne pouvait soupçonner. Il envoya le seigneur Tchen-hoan-
Vè llÊ M fÔ en ambassade à la cour de Tsin, blâmer P'ing-kong:
voici quel était son message :
" Notre maison impériale Tcheou jëj possède, depuis la dy-
nastie llia J[, comme récompense des grands services de Heou-isi
fâ f* notre ancêtre, les territoires de Wei §J|, T';n |q, Joei p£j,
K'i |I|£ et Pi J}1. qui sont notre frontière occidentale. Quand
l'empereur Ou-v?ang jfÇ J anéantit la dynastie Chang $J (1122),
les pays de P'ou-kou ffâ #/f et Chang-yen $j fé formaient notre
frontière orientale (2 .
(1) Kan: était à 25 li sud-ouest de Ilo-nan fou ;ÏÎ7 jrj T-F, Ho-nan. (Grande
géogr., vol. 4S. p. 12).
Yen : était non loin de l'ancienne ville Kan ; mais on ne sait pas l'endroit
exact.
Ynsr : était à 40 li sud-est de Teng-fong hien 2 *f" S?i qu' cst a ' '" '' sud-
est de Ilo-nan fou. (Petite géogr.. vol. 12. p. 38) — (Grande, vol. 48, p. 44).
(2) Wei : ce pays forma plus tard de territoire de Ho-pé tch'eng '$ Jfc t$, qui
était à 7 li nord-est de Joei-tchcng hien \% j$ H£, laquelle est à 90 li sud-ouest
de Kiai tcheou $,? $\\, Chen-si. (Petite géogr., vol. S, p. 42) — (Grande, vol. 41,
P- Sa).
T'ai : ce pays forma plus lard le territoire de Li jjfc, qui était à 22 li sud-
ouest de Ou-kong hien 5^" ïj] &Jf , laquell li sud-ouest de Kien tcheou ^ îHl,
Chen-si. {Petite géogr.. vol. 14, p. 60) — Grande, vol. 34, P- SS)-
Joei : avec sa ville, était à 30 li à l'ouest de Joei-tch'eng hien (ci-dessus).
Plus tard, ce fief, avec son nom, fut transféré au sud de Tong-tcheou fou \S\ H] !{f ,
Chen-si. (Petite géogr. . vol. 14. p. 17) — 'Grande, vol. 41. p. 36 — vol. 34,
p. 17).
Le pays de K'i: avait sa capitale un peu au nord-est de K'i-chan hien ftjj
fjj |f, qui est à 50 li L l'est d^ sa préfecture Fongsiang fou 03. )%\ tff , Chen-si.
(Petite géogr.. vol. 14. p 24) — (Grande, vol. 55, p. 6).
Le pays de Pi : avait sa capitale à 5 li au nord de Hien-yang hien )&, FS If.
qui est à 50 li nord-ouest de sa préfecture Si-ngan f<>u VS tSc 'ff, Chen-si, Petite
tj<'<Kir.. vol. 14. p. 7) — (Grande, vol. 33. p. 33 .
Le pays de P'ou-kou: eut sa capitale (appelée plus tard Po-kou \}) £A à 15
li nord-est de Pouo-hing hien 15 jU s?-f- qui est 120 li nord-ouest de sa préfecture
Tsing-tcheou fou n M Tï Chan-tong Petite géogr., vd. jo, p. 24, — (Grande,
t'°J- 3S> P- lt)>
340 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Les pays de Pa [n. Pou j|j|, Tch'ou ^j§ et Teng §\) étaient
notre frontière méridionale; les pays de Sou-chenn Jf| '{là, Yen $t
et Po ^ formaient notre frontière septentrionale (1).
Les limites de notre empire ne peuvent pas être faites plus
étroites; elles touchaient aux quatre mers (2). Quand les empe-
reurs Wen j£. Ou j^, Tch'eng Jï£, K'ang J|| assignèrent plus
tard des fiefs à leurs frères, c'était pour élever à la maison Tcheou
fë\ des remparts protecteurs, afin d'en empêcher la décadence.
Est-ce que ces grands empereurs auraient eu seulement l'intention
de distribuer à des enfants des bonnets qu'ils rejetteraient devenus
adolescents?
Les anciens empereurs placèrent T'ao-ou ^ >£j[ dans une des
quatre régions sauvages: pour en chasser les mauvais Esprits, et
les autres êtres malfaisants ; c'est ainsi que ces vilaines gens de
Yun -fc, ancêtres des Tartares Yng-jong fê fâ, vinrent s'établir
dans la contrée de Koua-lcheou jfj\ j\\ (3 .
Le pays de Chen-yen : avait sa capitale Yen-tch'eng ^ gR à 2 H à l'est de
K'iu-feou hien $& -^- Sf , qui est à 30 li à l'est de sa préfecture Yen-tcheou fou 52
#) /ftS Chan-tong. (Petite géogr., vol. 10, p. 7) — (Grande, vol. 32. p. 5
(1) Le pa\s de Pa avec sa capitale Kiang-tcheou )Z #1, forme le territoire
de Tchong-k'ing fou §1 § }(%, port ouvert au commerce européen, le plus à l'ouest,
sur le Yang-tse-kiang, Se-tchoan 0 )]\. (Petite géogr., vol. 24, p. 8) — (Grande,
vol. 6g, p. 23).
Le pays de Pou : était au sud de Kien-ning JE -ty-, près de Che-cheou hien
H ~W S£, qui se trouve à 180 li sud-est de sa préfecture King-tcheou fou $IJ ft\ fâ .
Hou-pé. [Grande géogr., vol. 78. p. ij).
Le pays de Tch'ou : avec sa capitale Yng s|5, était à 3 li nord-est de King-
tcheou fou. ( Petite gcogr., vol. 21, p. 20) — [Grande, vol. 78, p. 6).
Le pays de Teng : avec sa capitale, était à 20 li nord-est de Siang-yang fou
ï§ f'ê fà, Hou-pé. (Petite géogr., vol. 21, p. 28) — (Grande, vol. yç, p. 8).
Le pays de Sou-chenn : était dans la Mandehourie. au pays des sauvages du
nord Ipé-i 4fc %_, comme dit le commentaire.
Le pays de Yen : avec sa capitale Ki-tch'eng j$Jj fe£, est le territoire de Pé-
tàng ifc j|f (Choen-t'ien fou MF? 3*C Tf)- (Petite géogr., vol. 2. p. 2) — (Grande,
vol. 11. p. s).
Le pays de Po : était dans cette même région ; mais on ignore l'endroit exact.
(2) Les quatre mers, expression qui revient si souvent dans l'histoire. Les
anciens Chinois croyaient vraiment que leur pays était ainsi borné, aux quatre
points cardinaux ; ils n'y avaient pas été voir.
(3) Le pays de Koua-tchcou : était au nord de la province du Chen-si ; les
territoires de ces nomades sont naturellement difficiles à identifier. (Grande géogr..
vol. 64, p. 23 .
DU ROYAUME DE CSIN. P'ING-KONG. 34i
Lorsque notre vénérable oncle, le roi Hoei-kong ^ fè 650-
637), votre ancêtre, revint du pays de Ts'in ^ 6'».') . il engagea
les Tartares à émigfer vers l'est; d'accord avec le roi de Ts'iniÊê,
il transféra les Tartares Lou-hoen [^ ffî dans la contrée de }'-
tchoan <£jj- )\\ 638 . C'était pour vexer et harceler les pays de notre
clan Ki #EJ ; c'était pour envahir nos frontières : et vraiment ils
ont réussi; ils ont pris nos territoires. X'est-ce pas grâce à ces
deux princes que ces Tartares sauvages ont pris pied dans les pays
chinois? Si nous en souffrons, qui faut-il blâmer?
Notre vénérable ancêtre Heou-tsi fè f|£ avait assigné des bor-
nes fixes à chaque fief; il avait fait cadeau des cinq céréale-,, et
avait enseigné aux princes chinois la manière de les semer : main-
tenant, ce sont les sauvages Tartares qui en règlent en maîtres la
distribution; chose pareille n'est-elle pas difficile à supporter? Que
mon vénérable oncle veuille bien réfléchir à ces détails!
Malgré tout, je reste, vis-à-vis de votre seigneurie, ce que le
bonnet des cérémonies solennelles est à l'égard des vêtements : ce
que la racine est pour l'arbre; ce que la source est pour le fleuve:
le chef pour le peuple. Si vous, mon vénérable oncle, ne craignez
pas de déchirer le bonnet précieux surmonté d'un jade carré , de
briser la couronne impériale; si vous arrachez la racine de l'arbre.
obstruez la source du fleuve; si vous voulez être indépendant, et
ne reconnaître personne au-dessus de vous ; que puis-je attendre
des Tartares Jong 3% et Ti %fc ? ■
Ayant entendu ce message, Chou-hiang ;|J |î«] dit au premier
ministre Han-k'i {$. jgï: lorsque notre glorieux roi Wen $£ était
le chef des vassaux, malgré sa puissance, il n'osa toucher à l'au-
torité si vénérable de l'empereur; au contraire, il le soutint de
toutes ses forces, et lui montra encore plus de respect qu'aupara-
vant. Depuis lors, notre état est allé, baissant de génération en
génération ; si nous nous mettons à tyranniser la maison impé-
riale, et à la déprécier, nous montrerons un orgueil extravagant :
pourrons-nous être étonnés, si les vassaux nous quittent? Vrai-
ment, ce que l'empereur nous reproche est très-exact: que votre
Excellence veuille donc mûrement examiner le cas.
Han-k'i fut content de cet avis, et agit de suite en consé-
quence : sachant l'empereur en deuil, il envoya le seigneur Tcliao-
tcheng |j| fj£, aide-général du 2-nu' corps, lui offrir les condoléan-
ces, et porter le vêtement destiné au défunt ; il restitua les terres
de Yen [îfj, cause du litige ; enfin, il renvoya honorablement les
prisonniers faits à l'attaque de Yng |pî.
L'empereur, enchanté d'une telle déférence, ordonna à son
grand officier Ping-houa ^ ffî de prendre le commandant Siang
^, et de le livrer captif à la cour de Tsin, comme coupable, et
auteur de ce malentendu. Naturellement, le prisonnier fut traité
avec de grands égards, et rendu à son maître: l'incident était
clos, tout à l'honneur de la majesté impériale.
342 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Vers la 5ème lune de cette même année 533 (avril), le grand
seigneur Siun-yng |fj J§[, fils de Tcîie-cho £p j$j (ou Siun-cho),
s'était rendu à la cour de Ts'i ^|, pour y chercher sa femme; il
mourut à Hi-yang ;j$ ^ (1) pendant le voyage du retour; son
corps fut rapporté à la capitale de Tsin. Il n'était pas encore
enterré, lorsque P'ing-kong, en dépit de l'usage contraire, ordon-
na un festin à grand orchestre. Tou-h'ouai J^ j$pj, son chef de
cuisine (2), courut à la salle du festin, et demanda permission
d'aider réchanson, ce qui lui fut aussitôt accordé ; alors il versa
une coupe de vin, en punition, au directeur de la musique Koang
l||[, et lui dit: vous avez pour office de former l'oreille du roi, afin
qu'il entende juste ; les jours qui tombent au tse ^p et au mao #[]
sont néfastes; puisque l'empereur Tcheoufâ est mort au jour hia-
tsp. ^ If-, et l'empereur Kié #fe au jour i-mao £ £}}] ; en des jours
pareils, le roi doit s'abstenir de grands festins et de musique solen-
nelle ; et les élèves qui sont sous vos ordres, ne doivent pas faire
de répétitions : ces jours portent malheur. Or, les ministres et
les grands officiers de la cour sont les bras et les jambes du roi ;
si l'un de ces membres vient à manquer, le corps tout entier souf-
fre grièvement. Siun-yng, grand officier, n'est pas encore enterré;
vous n'avez donc pas entendu cette nouvelle? puisque vous faites
de la musique comme si rien n'était arrivé ; votre oreille est bien
mamaise !
Ayant ainsi parlé, il versa une autre coupe de vin, et la
présenta au favori Chou ;j5, grand officier de second rang,
chargé des affaires extérieures: Vous, lui dit-il, vous êtes l'oeil
du roi. chargé de l'éclairer dans sa conduite: au moyen des habits
brillants ou sombres, on distingue les jours heureux ou néfastes ;
par les solennités plus ou moins grandes, on voit quelle affaire se
traite ; dans les affaires même, il y a des degrés d'importance à
considérer ; bref, l'extérieur des cérémonies et des personnes doit
manifester de quoi il s'agit. Or, l'extérieur de notre roi ne corres-
pond pas au deuil où la cour est plongée, par la mort de Siun-
yng ; vous n'avez rien vu de tout cela ; votre oeil est donc bien
mauvais ; vous méritez d'en être puni.
Le chef de cuisine se servit aussi une coupe de pénitence, en
disant : la saveur des mets a pour but de nourrir l'homme et lui
I Hi-yang ; était un pou au nord de Njei-hoang hien [*J m ff. qui est à
110 li à l'est de sa préfecture Tckang-te fou '& i'z 'f')'. Ho-nan, (Petite géogr.,
vol. 12. p. iç) — (Grande, vol. 16. p. iy).
(2) Le livre des Rite6 [li-ki </■!; IE) donne le même fait, avec des détails dra-
matiques. (Couvreur, .vol. i, p. 221). Il ne faut pas oublier que le chef de cuisine
était le maître d'hôtel 1 intendant de bouche ' du prince : à la cour, c'était un
grand dignitaire* qui. dans certaines cérémonies, remplaçait son maître, (ibid,
p. 481).
DU ROYAUME DE TSIN. P'iNG-KONG. 343
donner de la vigueur ; afin qu'il ait de la fermeté et de la constance
dans l'esprit : alors il saura choisir les paroles convenables pour
communiquer les or*dres d'une bonne administration. Or, c'est
moi qui suis chargé d'assaisonner les mets dans de justes propor-
tions ; ces deux officiers ont manqué à leur devoir: le roi. cepen-
dant, ne les en a pas blâmés ; les mets ont donc été mal préparés,
puisqu'ils n'ont pas produit l'effet voulu : je suis donc moi-même
coupable.
P'ing-kong reçut de bonne grâce une si singulière remon-
trance, et fit de suite cesser le festin. Auparavant, il était décidé
à casser de son emploi le chef de la famille Tche £f] ; il voulait
passer ses fonctions à son favori Chou jjjjj : cette admonition lui
ouvrit les yeux, et il renonça à son projet ; puis, pour consoler
cette famille, il donna à Siun-li Sj^, fils de Siun-Yng, la charge
qu'occupait son père ; il le nomma donc adjudant du général du
3ème corps d'armée.
En 532, à la lèrc lune novembre une étoile étrange se mon-
tra dans la constellation Ou-niu 3j£ i£ le Verseau ; aussitôt, le
seigneur Pi-tsao |^i yjf, de Tcheng f§. dit au fameux ministre
TïP-lch'an ^ H| : à la 7 :n lune, au jour ou-tse /£ -f ( 1 4 juin),
le roi de ïsin va mourir. Car la planète souei-sin $i^? (Jupiter),
qui gouverne le ciel cette année, est dans le groupe Iliu ^g (situé
entre le verseau et le petit cheval; de la constellation Hiu-tchoen
ïj| [ISjfî. Ce sont les maisons Kiang ^ de Ts'i ^ et Jeu [£ de Si
§ë qui ont la garde des territoires correspondants à la constellation
Hîuen-hiao ^f^ (1) ; or, juste auprès de cette dernière, se trouve
cette étoile étrange ; elle annonce à la princesse Y-kiang g^ ^,
mère de T'ang-chou, les calamités qui vont fondre sur sa maison.
Les vingt-huit constellations zodiacales sont arrangées en ixT :
le jour ou-tse jj£ ^f- est mort le prince Fong-hong ^ fè : alors
aussi une singulière étoile apparaissait dans cette même constella-
tion Ou-niu. Voilà sur quoi je fonde ma prédiction.
Le lettré-diplomate Tse-tch'an devait être bien humilié de
n'avoir pas découvert cela le premier : lui. avoir ignoré des choses
si claires pour d'autres ! Naturellement, la prophétie s'accomplit
à la lettre, et P'ing-kong mourait au jour désigné. Mais l'histo-
rien ne donne pas d'autres détails sur cet événement.
A l'annonce de ce décès, le prince de Tcheng f$ se hâta de
partir pour la cour de Tsin, afin d'offrir ses condoléances ; arrive
au bord du fleuve Jaune, il rencontra un courrier de la cour, lui
rappelant que selon les rites, le prince ne devait pas \enir en
(1) Le groupe Iliu ^f ; s'appelle aussi Hiuen-hiao ^ $§•, et comprend le H
du verseau. (Couvreur, grand dictionnaire. }'■ p- I2Z, 136. 137 .
T'ang-chou fë ■$ : on se le rappelle, est le fondateur du royaume de IVin.
P'ong-konir. est un prince légendaire; sous la dynastie Yng f;\ il résidait au pays
de Ts'i.
344 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
personne : mais envoyer seulement un grand officier ; puis, le
premier-ministre, lors de l'enterrement.
A la 9 !:" lune i juillet-août), avait lieu l'enterrement solennel;
.les ministres de Lou ||. de Ts'i f§, de Song 5J?, de Wei ffr, de
Tcheng §j$, de Hiu ff, de Tsao ^ , de Kiu g", de Tcliou %, de
Teng jj§£, de Si jr£p, de K'i 7J£ et de Siao-tchou ,]-» $fl, étaient pré-
sents à la cérémonie : ce qui montre que si l'autorité de Tsin était
contrecarrée par le roi de Tch'ou ^, elle était encore assez grande.
Quand Tse-p'i -J- jx, ministre de Tcheng |$, allait partir
pour l'enterrement, il demanda des soieries et autres objets pré-
cieux, pour les offrir au nouveau roi, et, par cet empressement,
gagner ses bonnes grâces. Tse-tch'an ^- jf| lui objecta : qui donc
a jamais offert des soieries, à l'occasion des funérailles ? si vous
persistez cependant à faire des cadeaux au nouveau roi, il vous
faut au moins cent chariots, et mille hommes pour les escorter.
Parti avec une suite si nombreuse, vous allez bientôt vous con-
vaincre que le prince ne vous recevra pas ; alors, embarrassé de
tout cet attirail, vous allez dépenser ces présents, de quelque ma-
nière que ce .soit, et en pure perte. Combien de fois croyez-vous
qu'un petit état, comme le nôtre, puisse supporter de pareilles
dépenses ?
Tse-p'i ne voulut rien entendre, et partit comme il le désirait.
Après l'enterrement, les ministres des vassaux demandèrent une
audience au nouveau roi ; celui de Lou îffj., plus ferré que les
autres sur les rites, cherchait à leur éviter un refus humiliant :
pareille pétition, leur disait-il, est contraire à l'étiquette et aux
règlements.
Chou-hia.no ${ |p] fut chargé de communiquer la réponse du
roi ; elle était négative : Vos seigneuries, dit-il, sont venues pour
l'enterrement ; les cérémonies accomplies, votre mandat se trouve
rempli ; vous désirez cependant une audience ; mais notre prince
est en deuil : il porte les vêtements de deuil ; il pleure son père ;
se présenter ainsi devant vous, serait recevoir une seconde fois
vos condoléances ; prendre les vêtements ordinaires serait violer
les rites ; quel conseil lui donnent vos seigneuries ?
Les ministres n'avaient plus qu'à se retirer; c'est ce qu'ils
firent. (Juant à Tse-p'i -^ rj£, selon la prévision de Tse-tch'an, il
rentra les mains vides, ayant dépensé inutilement ses cadeaux. Il
reconnut sa faute, devant le seigneur Tse-yu ^ ï$, en disant: il
n'est pas si difficile de connaître son devoir que d'agir en consé-
quence ; notre vénérable maître Tse-tch'an savait bien que mon
projet était irréalisable; mais moi, je n'étais pas capable de suivre
son avis; le livre des annales indique très-justement mon cas par
ces paroles: j'ai satisfait mes passions, nu mépris des lois; j'ai
suivi mon caprice, en dépit des bienséances (1).
(1) Chou-king Wt fet'. (Couvreur, j>, 123, n° 3).
345
TCHAO-KONG (531-526)
Le nouveau roi. fils du précédent, s'appelait / ^| ; son nom
posthume ou historique, Tchao, signifie homme de grand mérite
et d'éminente vertu, ou encore prince d'une conduite respectueuse
et d'une tenue modeste. 1
Han-k'i i$i jj£ continua d'être premier ministre: Chou-h.ia.ng
^ (oj garda son office de conseiller intime et grand maître du
nouveau souverain.
A la 4ème lune (février-mars), le roi de Tch'ou jîg? ayant
attaqué et vaincu le petit état de Ts'ai ^, le ministre Siun-ou
^f ijl dit à Han-k'i: en 534, nous n'avons pas secouru le prince
de Tch'en [^ ; il a été battu par l'armée de Tch'ou; si nous agis-
sons de même envers celui de Ts'ai, personne ne voudra plus être
notre vassal : notre impuissance éclatera aux yeux de tout le mon-
de ; ne nous chagrinant guère de voir nos parents attaqués à
mort, â quoi nous sert le titre de chef des vassaux?
En conséquence de cette admonition. Han-k'i présida une
réunion de sept ambassadeurs, a K'iué-yng Jîjfc ^ (2), vers le
mois de juin, pour se consulter sur ce qu'il y avait à faire; on
croyait une guerre inévitable : c'est pourquoi, chacun des délégués
avait amené un contingent de troupes assez considérable ; mais,
après bien des délibérations, l'assemblée se contenta d'envoyer
une ambassade, prier la cour de Tch'ou de ne pas molester injus-
tement le prince de Ts'ai. Les commentaires mettent cette lâcheté
au compte de Han-k*i. l'accusant de s'occuper alors beaucoup plus
des avantages de sa maison que des intérêts du royaume.
Vers cette époque, le même ministre eut une entrevue, à Ts'i
}$L 3 , avec le grand seigneur Tch'enri jj£, gouveneur de Chen j|[.
et ministre de l'empereur: il parait que ce personnage fit piteuse
figure ; ses paroles étaient trop lentes, sa voix trop faible, à peine
un souffle: ses yeux étaient inquiets, craintifs, fixés trop bas.
(1) Textes de l'interprétation : Bg \§. fj #• S B3 g fô $ 31 El Bg
(2) K'iué-yn^: aucun commentaire n'en donne la moindre identification.
(2) Ts'i : déjà identifiée.
Chen: était un peu au sud-est de Mong-tsing liien 2» >£ S?- C1UI ' ?l ■ 50 li
nord-est de sa préfecture Ho-nan fou :,af ff] fff, Ho-nan. (Grande giogr., vol. i,
P- 15)-
N
346 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Chou-hiang, présent à la réception, dit ensuite à l'entourage:
ce seigneur me paraît devoir mourir bientôt; à la cour, les places
de chacun sont déterminées d'une manière fixe ; aux audiences
données hors de la capitale, les places sont indiquées par un dra-
peau ; les paroles doivent se faire entendre de tous les assistants ;
les regards ne doivent pas monter au-dessus du collet de l'interlo-
cuteur, ni descendre au-dessous de sa ceinture ; mais rester fixes
entre ces deux extrémités, afin de montrer une contenance digne
et respectueuse. Ce seigneur est le chef de tous les officiers de la
cour impériale ; c'est lui qui doit communiquer au conseil des
ministres les ordres de sa Majesté; ses regards, ses paroles, rien
ne cadre avec sa dignité : un tel homme ne peut vivre encore
longtemps. De fait, il mourut à la 12ème lune.
Quelque temps après cette prédiction, le même sage en faisait
une autre du même genre au duc de Lou ^. qui n'avait pas
montré assez de chagrin, à l'enterrement de sa mère ; il le rendait
encore, à cause de cela, responsable des calamités présentes et
futures de son duché.
En 530, vers le mois de mars, le duc de Lou || partait pour
la cour de Tsin, afin de présenter ses hommages à Tchao-kong ;
mais, arrivé au bord du fleuve Jaune, il dut rebrousser chemin :
un courrier avait été envoyé à sa rencontre, lui ordonnant de res-
tituer au prince de Kiu ^ le territoire de Keng ^ (1), qu'il lui
avait enlevé deux ans auparavant ; sinon, il ne serait pas reçu en
audience. Le pauvre duc retourna chez soi, tout penaud, et dé-
puta son frère Kong-tse-yng fè ^ %V) expliquer son cas devant
Tchao-kong. Le prince de Kiu avait porté plainte, aussitôt après
l'envahissement ; mais comme alors on était en deuil, on avait
remis son affaire à plus tard.
D'autres souverains se rendirent aussi à la cour de Tsin, pour
saluer le nouveau roi ; celui-ci donna un grand festin en leur
honneur. Tse-tch'an ^ j||, compagnon du prince de Tcheng j|[),
déclina l'invitation, an nom de son maître, parceque ce dernier
n'avait pas encore achevé le deuil de son prédécesseur Kien f|J
(565-530) ; la raison fut acceptée, comme conforme aux rites et à
la leçon infligée au ministre Tse-p'i ^ fe.
Tchao-kong était gaiement assis a table avec le roi de Ts'i
2§f, lorsque le ministre Siun-ou -lij ^ proposa, comme récréation,
un jeu d'habileté, qui consistait à jeter des flèches dans l'orifice
d'un vase ; c'était donc une sorte de tir à la cible. Avant que le
suzerain lançât la première flèche, Siun-ou s'écria : nous avons du
vin, à faire déborder le fleuve Hoai fâ ; de la viande, à en entas-
ser des montagnes ; si votre Majesté réussit son coup, elle sera le
chef des vassaux ! Tchao-kong réussit en effet.
(1) Keng : étail sur les bords de la rivière I-chouei (Jt 7fc. dans la préfecture
I-tcheou fou #f #| 'rf, Chan-tong, disent les commentaires.
DU ROYAUME DE TSIN. TCHAÛ-KONG. 347
Le roi de Ts'i dit à son tour : nous avons du vin, à faire
déborder la rivière Chen J|g (1) ; de la viande, à en entasser des
collines ; si je suis heureux dans mon coup, alors je changerai de
place avec votre Majesté. Sa llèche frappa droit au but ; ce qui
fut considéré comme un mauvais augure.
Le seigneur Che-vten-pè -J; ^r f£j gronda Siun-ou : vous êtes
vraiment imprudent dans vos paroles ; notre maitre n'est-il pas,
de droit et de fait, le chef des vassaux.? pourquoi donc se livrer à
ce jeu, pour en obtenir un heureux présage ? une llèche bien tirée
a-t-elle quelque chose de si merveilleux ? Le roi de Ts'i a traité
de pair avec notre souverain ; une fois rentré chez lui, bien sûr,
il ne mettra plus les pieds chez nous.
Siun-ou répondit fièrement : nos armées avec leurs généraux
sont assez fortes pour s'opposer à nos ennemis ; nos chars sont
solides ; nos fantassins aussi capables de grands exploits que dans
le passé ; que pourrait faire le roi de Ts'i ? s'il ne nous reste pas
attaché, à qui donc adhèrera-t-il ?
Juste à ce moment, Kong-suen-saou Q ffi \^, seigneur de
Ts'i, entra dans la salle en disant : le jour est sur son déclin,
notre souverain est fatigué, il est temps qu'il se retire. Et il se
hâta de l'entraîner ; preuve du sans-gène avec lequel maitre et
serviteur se conduisaient à la cour de Tsin ; Che-\ven-pé avait
raison de leur soupçonner des desseins d'indépendance.
Vers le mois d'avril, Siun-ou ^j J^, sous prétexte d'aller
réunir l'armée de Tsin à celle de Ts'i, pour une expédition com-
mune, avait demandé permission de traverser le pays de Siun-yu
$£ ||l ; l'ayant reçue, il en profita pour occuper traîtreusement la
ville de Si-yang ^ [S§ (2).
A la suite de ce beau fait d'armes, il en accomplit un autre
semblable: à la 8ème lune, au jour jen-ou ^r ^p (-8 juillet), il dé-
truisait la petite principauté de Fei ^g, (3), l'annexait au royaume
de Tsin, et emmenait captif la prince Mieu-Uao $£ ^.
(1) La rivière Chen: a sa source dans le lac Chen ^1, au sud-ouest de Ling-
Ichc hien E$j '$ if. qui est l'ancienne capitale de Ts'i, et se trouvait alors à 30 l1
nord-ouest de sa préfecture Tsing-tcheou fou ^ Hi /$F, Chan-tong. Après avoir
coule à l'ouest de Ling-tche, la rivière se jette plus au nord dans une autre appelée
C/ieli*. (pour le deux. Grande géogr., vol. 35. p. ç).
(2) Sien-yu : dont la capitale s'appela plus tard Sin-che tch'eng y(é( "jjj Jft, était
à 40 nord-ouest de Teheng-ting fou JE ^ fà Tche-li. Si-yang était un peu au
sud-est de 'r.s/11 tcheou W '-NL même préfecture. (Grande giogr., vol. i.f. p, p. 6,
IS> 4i)-
(3) Fei: appartenant aux Tartares blancs (pé-ti ÉJ ïA : sa capitale étail à ~
li sud-ouest de Kao-tch'eng hien if| £$ ff, qui est à 60 li sud-est de sa pr
Tcheng-ting fou. (Grande géogr.,. vol. 14. p. 16)»
318 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Si un autre état eût agi de la sorte, Tchao-kong eût protesté,
et crié à l'injustice ; mais comme la conquête était à son profit, et
accomplie par un de ses généraux, elle devenait la plus irrépro-
chable du monde. Bien mieux ! cette petite expédition ayant si
bien réussi, une autre armée fut envoyée attaquer le pays de Sien-
yu lui-même, vers la fin de Tannée. Et le traité de paix universelle,
qu'en faisait-on? Il semble déjà relégué parmi l'histoire ancienne.
En 529, voici un autre, genre d'exploits : Lorsqu'en 534, on
avait célébré l'heureux achèvement de palais Se-h'i J/]| f[$, les vas-
saux s'étaient rendus à cette solennité ; mais voyant la faiblesse
du gouvernement, les exigences et la vénalité des officiers, les
divers princes commencèrent à dédaigner leur suzerain, et à tour-
ner leurs regards ailleurs, sans beaucoup se soucier de lui.
Tchao-kong résolut de réagir contre ce mouvement de déser-
tion. Sous prétexte d'arranger l'affaire du duc de Lou |§., qui
s'était emparé du territoire de Keng £tji (532), il convoqua une
assemblée des vassaux, et y invita même le roi de Ou ^ ; la ville
de Leang j^ (1) étant la plus proche de ce dernier, fut indiquée
comme le lieu de la rencontre avec lui.
Sur ce, Chou-hiang fit à son maître la remarque suivante : il
serait bon de déployer aux yeux des princes des troupes considé-
rables, afin de leur inspirer une crainte salutaire. Tchao-kong
goûta ce sonseil, et conduisit une armée de quatre mille chars et
plus de trois cent mille hommes. Mais le roi de Ou ^| s'excusa
de ne pouvoir venir, à cause des inondations, qui rendaient les
chemins impraticables.
Tchao-kong était allé l'attendre à Leang ; il dut s'en retourner
bien chagriné de ce contre-temps ; il s'en alla au sud de la capitale
du petit état de Tchou %\\ (2), présider les manœuvres exécutées
par ses troupes, à cet endroit; c'était au jour ping-yng ^ ^ de
la 7ème lune (7 mai); le ministre de la guerre était pour lors le
seigneur Yang-ché-fou ^ |§" SjfJ, frère de Chou-hiang.
Cependant, les vassaux se rendaient à P'ing-k'iou ^ j£ (3),
pour l'assemblée. Les deux seigneurs Tse-tch'an ^ ^ et Tse-
V ai-chou -^ -Jfc $% accompagnaient leur maître, le prince de Tcheng
fU$ ; traversant l'état de Wei fâj , ils apprient que Yang-ché-fou
avait demandé au marquis de riches cadeaux, mais ne les avait
pas reçus ; en conséquence, il donnait à ses fourrageurs sinon
l'ordre, du moins la permission de le venger; ceux-ci dévastaient
(1) Liang: nu pays de Tchou f>|$, était à 60 li au nord do Pc tcheou îp M\ ,
qui est a 1 50 li nord-est de sa prélecture Siu-tclieou fou fô Ml Ifr. Kiang-sou
(Petite géogr., vol. 4. p 2ç) — (Grande, vol. 22, p. 28).
(2) Tchou: sa capitale était à 26 li sud-est de Tclieou hien $R5 8$, qui est à
50 li sud-est de sa prélecture Yen-tchcou fou & #| flr\ Chan-tong. (Petite géogr.,
vol. io, p. S) — (Grande, vol. 32, p. zi).
(3) P'ing-k'iou : voyez un peu plus loin l'identification.
DU ROYAUME DE TSIN. TCHAO-KONG. 349
le pays, sous prétexte de couper de l'herbe pour les chevaux et du
bois pour la cuisine des soldats.
Sur leur conseil, on chargea le seigneur Tou-pé j|| f£ d'aller
faire une visite à Chou-hiang, de lui offrir un service de bouillons
et une corbeille de soieries; puis de l'avertir de la conduite de son
frère: Les princes féodaux, dit le message, servent tous le roi de
Tsin, sans la moindre intention de l'abandonner ; à plus forte
raison, notre petit état de "Wei, si proche de vous, ne pense-t-il
qu'à vous prouver son dévouement et sa soumission, sans arriére-
pensée. Pourquoi donc les fourrageurs de votre armée se condui-
sent-ils envers nous si différemment des autres années? Oserais-je
vous prier de mettre un frein à leurs déprédations !
Chou-hiang accepta le service de bouillons, pour prouver sa
bienveillance; mais il refusa les soieries: Yang-ché-fou, dit-il, est
insatiable de cadeaux, ce qui tôt ou tard lui sera fatal: c'est lui
qui vous cause tant de dommages, pour se venger: offrez-lui cette
corbeille de soieries, au nom de votre marquis: aussitôt cesseront
les vexations et les ravages.
Le messager suivit ce bon conseil : chose merveilleuse ! il
n'était pas encore parti, que déjà l'ordre était donné aux fourra-
geurs d'arrêter leurs déprédations : tant le génie d'une lettré,
comme Chou-hiang, est puissant pour mettre fin à toutes sortes de
désordres !
Tchao-kong s'étant rendu à P'ing-k'iou Zp. JJ_ 1 , y trouva
réunis treize princes avec le ministre de l'empereur; c'était donc
une assemblée des plus solennelles : il désira que tous ensemble
renouvelassent les traités précédents : afin de prouver leur soumis-
sion envers leur nouveau suzerain. Le roi de Tsei ^ refusa
carrément ; il ne voulait plus se lier envers un prince qui lui
paraissait si affaibli.
Tchao-kong envoya Chou-hiang, avertir le ministre impérial
de cet incident, et lui demander la conduite à tenir. Celui-ci ré-
pondit : si votre souverain se montre loyal, aucun des vassaux ne
l'abandonnera; que craignez-vous? parlez-leur avec douceur, tout
en déployant des forces militaires considérables ; quand même le
roi de Ts'i s'obstinerait à refuser son adhésion aux anciens traités.
votre souverain y gagnera beaucoup; moi-même, si vous le per-
mettez, je vais conduire les voitures de l'impôt, escortées de dix
grands chars, et je vous servirai d'avant-garde.
Chou-hiang, ainsi instruit, se rendit auprès du roi de Ts'i :
les princes féodaux, lui dit-il, sont réunis ici pour un traité solen-
nel de paix et d'amitié avec notre souverain : votre Majesté seule
refuse de s'y associer ; oserais-je lui en demander la raison ?
(1) P'ing-k'iou: était à 50 li sud-ouest de Tchang-yuen hien :H iîl |f, qui
est à 250 li sud-ouest de sa préfecture Ta-ming fou ji & 'ff'. Tche-li. 'Petite
géogr.. vol. 2, p. sj) — (Grande, vol. 16. p. 4: .
350 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Le roi de Ts'i répondit finement: on propose de tels traités
à signer, quand il s'agit de connaître et de punir des traîtres ; ils
sont inutiles quand tous les princes se montrent très-soumis et
très-obéissants.
Chou-hiang répliqua par un discours magistral de la plus
haute philosophie chinoise ; le voici : Votre système, dit-il, .-.erait
la ruine des états : s'il y a des réunions de princes pour une
affaire urgente, mais point de contributions pour aider à la rég-
ler, on ne fait rien de durable ; car si la règle manque, le fonction-
nement régulier aussi fera défaut ; s'il y a des contributions, sans
la stricte observance des rites usuels, il pourra se trouver de la
régularité, mais sans ordre et sans suite dans le gouvernement ;
si l'on observe les rites usuels, sans l'autorité ni l'influence vou-
lues, il y aura de l'ordre, mais pas de respect; s'il y a l'autorité,
sans les sacrifices aux Esprits tutélaires, sans serments jurés
devant eux, il y aura le respect, mais non la publicité, la solen-
nité requise ; dès lors, le respect s'en ira bientôt, aucune affaire
ne sera traitée convenablement : la conséquence inévitable sera la
décadence et la ruine de l'état.
Voilà les graves raison qui ont déterminé les anciens et sages
empereurs à établir des règles fixes : les vassaux doivent, chaque
année, envoyer des ambassadeurs, pour montrer qu'ils savent leur
obligation de contribuer aux frais communs. Tous les trois ans, ils
ont à se présenter eux-mêmes, pour observer les rites devant leur
suzerain ; tous les six ans, ils doivent se réunir en assemblée
solennelle, pour reconnaître et proclamer ainsi la majesté du mê-
me suzerain ; tous les douze ans. on renouvelle les anciens traités
de paix et d'amitié communes, pour déployer la publicité nécessaire
devant les Esprits, témoins et garants de la sincérité réciproque.
Par le moyen des contributions, se conservent les relations
amicales entre les états; par le moyen des rites usuels, on conser-
ve les rangs de la hiérarchie : par le moyen de l'autorité et de la
puissance, on impose à la multitude ; par le moyen de la publicité,
on appelle la ratification et la sanction des Esprits.
Depuis l'antiquité la plus reculée, jusqu'à nos jours, on a
toujours tenu à ces règles, sans jamais y manquer; de leur stricte
observance, dépend la conservation ou la ruine des états, D'après
les anciens usages, le roi de Tsin est le chef des vassaux, pour
empêcher le relâchement de s'introduire dans l'administratien des
divers pays ; en ce moment, nous avons communiqué nos désirs
à tous les princes, les victimes des sacrifices sont prêtes, car nous
voulons une conclusion en règle ; votre Majesté seule reste en
dehors de l'assemblée, en disant : je ne m'en soucie point ; cela
ne me concerne en rien, ni de loin ni de près. Que votre Majesté
veille donc bien peser ce que je viens de lui exposer ; mon hum-
ble souverain attend ses ordres, pour agir en conséquence.
DU ROYAUME DE TSIN. TCHAO-KONG. 351
Ce discours n'aurait peut-être pas convaincu le roi de Ts'i ;
mais il y avait là trois cent mille soldats ; on pouvait, dès le len-
demain, les lancer stir son territoire ; quels ravages ne leraient-ils
pas dans un pays surpris à l'improviste ? il y avait matière à
réflexion ! Oui, répondit-il. mes paroles ont été inconsidérées :
c'est la cour de Tsin qui donne ses ordres à tous les vassaux :
comment nous seuls oserions-nous désobéir ? nous connaissons
maintenant vos désirs, nous les accomplirons avec respect : nous
sommes donc à votre disposition : veuillez l'annoncer à votre
illustre maître.
Chou-hiang était sans doute content de son succès : mais il
se rendait compte de la situation : il dit donc à Tchao-kong : les
princes féodaux n'ont plus d'attachement sincère envers nous ; il
faut leur inspirer une crainte salutaire par le nombre et les ma-
nœuvres de nos troupes.
Sur ce, au jour Sin-mei ^ ^ (12 mai . Tchao-kong; fit faire
de grands exercices militaires, mais sans déployer les drapeaux :
le lendemain, on recommença, enseignes au vent, comme si Ton
marchait à l'attaque de l'ennemi ; cette vue terrifia les vassaux.
Les princes de TcJiou ^|> et de Kiu ^ portèrent plainte contre
le duc de Loti ^ en termes véhéments : ni jour ni nuit, disaient-
ils, ses gens ne nous laissent en repos : ils nous harcèlent sans
cesse ; nous sommes complètement ruinés : c'est pourquoi nous
ne pouvons apporter nos contributions.
C'étaient de fortes exagérations, des calomnies même : mais
voyant Tchao-kong décidé à tomber sur quelqu'un pour faire une
leçon aux autres, ils profitèrent de l'occasion pour charger leurs
griefs. Le suzerain s'en doutait peut-être : il envoya cependant
Chou-hiang annoncer au duc qu'il ne serait pas admis en audien-
ce, et qu'il ne serait pas admis non plus à la réunion commune
des vassaux : Au jour kia-siu Fil /£ 15 mai . lui dit le messager,
tous les princes vont jurer le traité de paix et d'amitié : mais
notre humble souverain, se voyant incapable de servir votre illustre
seigneurie, vous prie de ne pas assister à la réunion.
Le duc comprit bien ce que signifiait cette formule si polie .
aussi le seigneur T^e-fou-lioei-p'' ^p $j! ri*, fê protesta avec indi-
gnation : Votre illustre roi. dit-il. a été trompé par les calomnies
de ces sauvages Man-i gf ])>, . au point de rejeter ses frères, les
descendants de Tcheou-kong ïo\ Q ; il faut bien nous conformer
à votre bon plaisir ; noire humble prince vous remercie de lui
avoir intimé vos ordres.
Chou-hiang répliqua : notre humble souverain a ici quatre
mille chars ; même s'il voulait abuser de sa puissance, il faudrait
encore le craindre : à plus forte raison, quand il ne veut que ce
qui est juste ! Oui oserait encore lui résister ? le bœuf le plus
maigre tombant sur un jeune pourceau ne l'écrasera-t-il pas du
coup .'
352 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Le duc ne voulait pas s'attirer une affaire ; il se soumit, et
n'insista plus pour être admis à l'assemblée. La veille du jour
fixé, l'habile Tse-tcli'an ^p jfr. compagnon du prince de Tcheng
HP, réclama de nouveau contre les taxes exorbitantes imposées à
son pays : depuis midi jusqu'au soir, il disputa avec les ministres
de Tsin. et il finit par triompher ; c'est qu'il savait bien ce qu'il
pouvait se permettre, et jusqu'à quel point il pouvait résister.
Au jour kia-siu, à midi, les princes étaient avec Tchao-kong,
à l'endroit désigné, pour le serment solennel, devant un tertre
élevé en forme d'autel, où l'on offrit les sacrifices en usage. Le
pauvre duc de Lou. la fine Heur des princes chinois, dut se mor-
fondre dans son hôtellerie, pendant que tous les autres juraient le
traité de paix et d'amitié ; il eut encore le chagrin de voir un de
ses compagnons, le seigneur Ki-p'ing-tse 5p *$. ^f- . arrêté et em-
mené captif au pays de Tsin : malheureux chez lui. il était encore
maltraité par son suzerain : il n'avait pas de chance !
Cette brillante assemblée que nous venons de raconter, est la
dernière présidée par le roi de Tsin : la gloire de la maison régnante
est finie. Nous avons vu P'ing-kong ^ sfe se ramollir avec les
femmes: le premier ministre Han-k'i fjfi $£ s'occupait de sa famille
beaucoup plus que de l'état; et les autres ministres en faisaient
tout autant ; c'était le commencement de la ruine : le prince lui-
même se montrant si négligent, pouvait-il demander aux autres le
dévouement à sa cause? C'est le roi de Tch'ou ^ qui va le sup-
planter comme chef des vassaux : c'est même déjà fait en grande
partie, comme nous l'avons vu.
Les gens de Sien-yu 0. |f| voyant toutes les troupes de Tsin
réunies à P'ing-k'iou, s'étaient imaginé n'avoir rien à craindre,
et avaient négligé la garde de leur frontière: Siv.n-ou ^j ^ s'a-
perçut de cette faute, et résolut d'en profiter. Prenant le 1er corpe
d'armée, campé à Tchou-yong ^ |ff -il 1° conduisit sur le territoire
de Sien-yu, jusqu'à Tchong-jen t|i A [11 : là, il se jeta à l'impro-
viste sur les gens du pays, leur prit un grand nombre d'hommes,
et fit un butin considérable : après quoi il rentra glorieusement
de sa facile campagne. Une telle razzia n'était pas faite pour
relever le moral de Tsin: le suzerain qui l'autorisait pouvait-il,
comme chef des vassaux, punir le duc de Lou -{§• pour en avoir fait
tout autant"?
Celui-ci voulait pourtant demander pardon, et rentrer dans
les bonnes grâces de Tchao-kong: pour cet effet, il se mit en mar-
che vers la capitale de Tsin ( septembre-octobre ï ; arrivé sur les
(1! Tchou-yong: emplacement ignoré.
Tchong-jen: était à 13 li nord-ouest de Vang hicn J|» $£, qui est à 120 l1
sud-ouest de sa préfecture Pao-ting fou fô fé #f. Tche-li. (Petite géogr., vol. 2,
2>. 23) — (Grande, vol. 12- //• 14 •
DU ROYAUME DE TSIN. TCHAO-KONG. 353
bords du fleuve Jaune, il envoya un exprès annoncer sa visite. A
cette nouvelle, Siun-ou dit au premier ministre Han-k'i : les vas-
saux viennent à la cour saluer notre roi, pour prouver leur amitié;
or, nous tenons en prison le ministre de Lou ; nous ne sommes
donc pas en paix avec le duc; comment donc recevoir sa visite?
le mieux serait de la refuser.
Han-k'i suivit ce conseil ; il envoya le seigneur Che-hing-pè
"d"^ fÔ' fi^s ^e Che-y/en-pé "JT ^C fÔ» porter une réponse négative;
le pauvre duc fut encore forcé de s'en retourner honteusement chez
lui; c'était comme un parti pris de l'humilier; nous allons voir
un de ses dignitaires le venger à sa manière; voici comment :
Quand le ministre Ki-p'ing-tse 5p ^£ -f- fut emmené captif,
le seigneur Tse-fou-hoei-pé -^ jjj£ '}& fâ l'avait suivi volontaire-
ment, pour lui rendre service. L'occasion s'en étant présentée, ce
compagnon parla ainsi à Siun-ou ^ ^i : en quoi donc notre état
a-t-il montré moins de dévouement et de fidélité que ces minuscu-
les principautés de sauvages (I JJ|)? notre maison est de la même
souche que la vôtre; notre pays est assez grand, et peut fournir
tel contingent de troupes qu'il vous plaira ; si vous nous repoussez
pour les beaux yeux de ces barbares, vous nous forcez à nous
mettre au service des rois de Ts'i J^ et de Tch' ou <§£ ; et quel
avantage y trouvez-vous?
Traiter amicalement ses parents, vivre en bonne harmonie
avec les états puissants, récompenser ceux qui vous sont dévoués,
punir ceux qui vous offensent ; voilà les moyens de conserver la
suprématie sur les vassaux. Que votre seigneurie veuille bien
peser ces paroles, et examiner notre cas. Le proverbe dit : un ser-
viteur a toujours deux maîtres prêts; vraiment, n'y a-t-il que le
roi de Tsin à qui nous puissions offrir nos services? n'y a-t-il pas
quelque autre grand royaume auquel nous puissions adhérer, et
nous délivrer des ennuis auxquels nous sommes exposés ici?
Siun-ou 10) ^1 rapporta ces fières paroles au premier ministre
Han-k'i jjt^ jJC ; puis il ajouta: le roi de Tch 'ou ^ s'est emparé
des états de Tch' en fjfc et de Ts'ai f£ ; nous n'avons pas été ca-
pables de les secourir; maintenant, pour faire plaisir aux sauvages
(I Jfë), nous retenons prisonnier le ministre du duc. à quoi chose
pareille aboutira-t-elle?
Han-k'i rendit la liberté à son prisonnier, et lui dit de s'en
retourner dans sa patrie; mais le rusé Tse-fou-hoei-pé voulait
mieux que cela; il s'aperçut très bien que les gens de Tsin redou-
taient les suites de leur sottise : Notre humble prince, dit-il, n'a
pas conscience de vous avoir manqué de soumission ; vous lui avez
pourtant infligé une grande honte, dans l'assemblée solennelle des
vassaux; si son ministre est coupable, dites en quoi, et mettez-le
à mort ici même; s'il est innocent, il ne suffit pas de le relâcher,
sans en avertir officiellement tous les princes; autrement, il sem-
blerait s'être évadé comme un voleur; vous l'avez saisi dans une
4:>
354 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
réunion des vassaux, veuillez donc proclamer son innocence dans
une semblable assemblée.
Le premier ministre était bien embarrassé; il s'adressa au
sage Chou-hiang pour se tirer d'affaire; celui-ci, qui n'était jamais
à bout de ressources, chargea son frère Chou- fou ;}5 fàft de faire
partir le prisonnier, sans tambour ni trompette ; c'était l'homme
qu'il fallait pour la circonstance.
Yang-ché-fou se rendit auprès de Ki-p'ing-tse ^ ^ -p,et lui
dit: quand en 552, j'encourus la disgrâce de notre roi, je me ré-
fugiai au pays de Lou ; là, votre illustre ministre (Ki-ou-t.se âft ^
^) et grand-père me traita avec la plus cordiale affection ; si je
suis encore en vie, je le dois à votre famille, et je lui en serai éter-
nellement reconnaissant; c'est pourquoi je viens vous avertir du
danger qui vous menace. Notre cour est furieuse de ce que vous
lui demandez réparation d'honneur; elle fait préparer pour vous
une affreuse prison, à l'ouest du fleuve Jaune; je le tiens de l'of-
ficier qui en est chargé; alors, qu'allez-vous devenir?
En achevant ces mots, le rusé versait un torrent de larmes.
Ki-p'ing-tse tenait plus à la liberté qu'à l'honneur; il se hâta de
partir. Son compagnon Tse-fou-hoei-pé continua encore quelques
jours sa comédie; il persistait à demander une réparation. Pro-
bablement, on finit par lui donner un dîner de gala, pour le dé-
dommager de ses peines; après quoi il s'en alla.
Le gouvernement de Tsin avait grandement «perdu la face» ;
il avait prouvé qu'il ne savait pas juger sainement la portée de
ses entreprises ; et qu'il n'avait pas à cœur la justice de ses subor-
donnés ; le duc de Lou s'était emparé, en pleine paix, d'une ville
d'un des alliés ; le coupable n'avait pas été puni ; on avait même
failli lui demander pardon ; le prestige du chef des vassaux se
trouva grandement affaibli ; juste punition de sa nonchalance et
de sa cupidité.
En 528, au début de l'année (vers décembre), le ministre de
Lou, Ki-p'ing-tse, rentrait enfin dans sa patrie; ce fut tout un
événement; la famille régnante jugea digne de l'annoncer à ses
ancêtres dans leur temple.
Voici maintenant un incident d'un autre genre : Le seigneur
de Hinrj }f[) (1) était le fils du prince Chen-kong-ou-tchen f\i ^
Âfc (g, qui, en 589, avait fui le royaume de Tclvou <Jg sa patrie,
et s'était réfugié à la cour de Tsin. Le seigneur de Yong $fë (2)
était aussi un transfuge du même pays. Ces deux personnages
étaient en dispute, à propos du territoire de Hiou f|,$ (3) ; ils y
mettaient un égal acharnement; ni l'un ni l'autre ne voulait céder;
(1) Iling: était un peu nu sud-ouest de Choen-te fou Ift î§ ffi'', Tchc-li. (Pe-
tite (jéorjr., viol. 2, p. 44) — (Grande, vol. 15, p. 3).
(2) Yonp; : était une ville de Tsin; on en ignore l'emplacement.
(3) Hiou : item.
DU ROYAUME DE TSIN. TCHAO-KONG. 355
impossible d'arranger cette affaire à l'amiable. Che-king-pè -j^ ^
-f£j, qui en avait été chargé, se trouvant alors en ambassade à la
cour de Tch'ou ^, t>n députa Y&ng-chè-fou jp: -g- Sfj-, le frère de
Chou-hiang, comme juge du procès, avec ordre d'en finir.
Celui-ci donna tort au seigneur de Yong ; ce dernier lui en-
voya aussitôt une de ses filles comme concubine; ce cadeau fut si
agréable au juge, qu'il revint sur sa sentence, et donna tort à
l'autre partie.
Le seigneur de Hing en devint si furieux qu'il massacra en
pleine cour et son rival et son juge. Le premier ministre s'adressa
encore à Chou-hiang, pour se tirer d'embarras. Celui-ci répondit :
tous trois sont coupables; vous devez mettre à mort celui qui reste,
et exposer publiquement son cadavre : vous devez aussi déshonorer
le cadavre des deux autres. Le seigneur de Yong savait avoir tort;
il a voulu acheter le droit à prix d'argent; Chou-fou a vendu la
justice; le seigneur de Hing a commis deux assassinats; les trois
crimes sont également grands et punissables. Celui qui a commis
un forfait, et cherche à s'en faire absoudre, est un criminel incor-
rigible; celui qui par convoitise oublie les devoirs de sa charge, est
une âme noire; celui qui, en dépit des lois, met quelqu'un à mort,
de sa propre autorité, est un vil brigand. Or, dans un ancien
livre, il est dit que le fameux Kao-yao C;!; \(% , ministre de la justice
de l'empereur Choen ^p, a déterminé la peine de mort, pour le
criminel incorrigible, pour l'âme noire, et pour le brigand; suivez
cette sentence de l'ancien sage. Han-k'i fit ce qui lui était conseillé.
Confucius (1) a écrit â ce propos : «Chou-hiang est vraiment
une relique des anciens temps ! dans l'administration de l'état, et
dans la sentence d'un criminel, il n'avait égard ni à la chair ni
au sang ; trois fois il a appuyé sur la faute de son frère, au lieu
de l'atténuer ; oui, c'était un homme d'une inflexible droiture !
A l'assemblée de P'ing-k'iou *$ jïf$, il avait déjà réprouvé la cupi-
dité de son frère ; il l'avait cependant laissée passer, pour délivrer
le pays de Wei f|j de ses vexations, et épargner au royaume de
Tsin un acte de cruauté. A l'occasion de Ki-p'irtg-tse ^ ffi ^,
il avoua franchement le cœur fourbe de ce même frère ; il le laissa
encore passer, pour rendre service à l'état de Lou «||., et épargner
â la cour de Tsln un acte de tyrannie. Enfin, dans ce dernier
procès, il a condamné solennellement la convoitise de ce frère, et
a tenu haut l'étendard de la justice, pour épargner â son pays la
flétrissure de la partialité. Par sa triple déclaration, il a délivré
(1) Note: Confucius vivait à cette époque; né en 551, il mourut en i'9 ; le
lecteur ne s'en doutait pas, probablement; c*est que, de son vivant, Tchong-
nt fj» /S (petit nom du grand homme) fit peu de bruit: car on ne se souciait p;uère
de lui ; ce sont les lettrés des siècles postérieurs qui l'ont canonisé. Il faut que
l'homme adore Dieu, ou une idole.
356 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
sa patrie de trois fléaux, la cruauté, la tyrannie et la partialité, et
lui a procuré les trois avantages contraires ; il a livré son frère à
la réprobation, à cause de ses crimes, et il s'est lui-même couvert
de gloire, par sa justice et son inflexible droiture.»
En 527, à la 8ème lune (vers juin), le ministre Siun-ou ^j
J^ conduisait une armée contre la principauté tartare Sien-yu %$■
Jjl, et assiégeait la ville de Kou g£ (1). Quelques habitants vou-
laient lui livrer cette place par trahison ; mais lui, dans sa délica-
tesse de conscience, relusa absolument. Son entourage étonné lui
disait : pourquoi ne pas accepter leur proposition ? vous auriez la
ville sans coup férir, sans fatiguer vos troupes !
Le général répondit en lettré scrupuleux : mon maître Chou-
hiang m'a enseigné que les supérieurs ne doivent s'écarter de la
droite ligne, ni dans leurs affections ni dans leurs aversions ; alors
le peuple sait à quoi s'en tenir, et toutes les entreprises réussis-
sent. Comment traiterions-nous celui qui livrerait une de nos
villes ? nous l'aurions en horreur, assurément. Alors pouvons-
nous récompenser ces traîtres-ci ? Accepter leur offre, sans les
récompenser, serait déloyal. Si nous voulons donner un bon
exemple, persistons dans ma ligne de conduite ; voici mon plan :
si je puis avancer, j'avance ; sinon je me retire ; avant tout, je
calcule mes forces ; je ne veux pas cette ville au point d'accepter
le concours de la trahison ; car dans ce cas, ma perte serait plus
grande que mon gain.
Sur ce, il avertit les habitants de massacrer les traîtres, et
de se préparer sérieusement à soutenir l'assaut qu'il allait leur
donner. Le siège durait depuis trois mois, quand les gens de la
ville résolurent de se rendre ; ils envo}'èrent donc des parlementai-
res ; mais le vertueux général leur répondit : vos figures ne sont
pas celles d'hommes qui meurent de faim ; allez réparer vos murs,
et défendez-vous jusqu'à la dernière extrémité.
Les officiers de Siun-ou n'en pouvaient croire leurs oreilles :
le peuple lui-même demande à se rendre, disaient-ils, et vous re-
fusez ! vous préférez l'accabler jusqu'à l'épuisement ! vous voulez
donc, en pure perte, harasser vos soldats ? Est-ce là du dévoue-
ment envers le roi ? Cette fois, ce ne sont plus des traîtres qui
veulent vous livrer la ville, mais ses propres habitants ; pourquoi
ne pas accepter ?
Oui, répliqua le vertueux général, ce que je fais, c'est par
dévouement envers notre roi ; recevoir cette ville, en ce moment,
serait induire ses habitants à la paresse ; triste profit pour nous !
funeste exemple donné à notre peuple ! En exhortant les assiégés
à faire leur devoir jusqu'au bout, j'enseigne par-là même à notre
peuple à être fidèle à son souverain. Si je tiens le droit chemin
(1) Kou: c'est Tsin tcheou ',} 'Ji|, '. »0 li à l'est de sa préfecture Tcheng-ting
fou JR xi! flï, Tche-li. (Petite yéogr., vol. 2, p. 43) — (Grande, vol. 14, p. 41).
DU ROYAUME DE TSIN. TCH.VO-KONG. '.\~>~
de la justice, n'inclinant ni à droite ni à gauche, je finirai par
prendre la ville ; et j'aurai donné à notre peuple une grande leçon;
désormais, il saura comment il doit se dévouer envers son prince,
jusqu'à la mort, sans jamais abandonner son service. X'est-il
pas désirable de monter jusqu'à cette hauteur de vertu .'
Quand enfin les gens de Kou j|£ vinrent annoncer qu'ils étaient
à bout de forces et de vivres, le général consentit à recevoir leur
soumission, et il emmena captif leur prince Yuen-ti ||£ $| : la
campagne était glorieusement achevée, sans avoir perdu un soldat.
Voilà des mérites qui dépassent, de bien loin, ceux d'un Saint
Louis ! quelle vertu, que celle de ces païens ! Le lecteur s'est vite
aperçu que ce tableau est sorti du pinceau d'un lettré : la réalité
fut sans doute bien différente ; ce que nous avons vu précédem-
ment, ne montrait pas un saint, dans la personne de Siun-ou ^
J% ; encore un peu de patience, et nous le verrons se conduire en
sauvage.
Vers le mois d'août, le duc de Lou |§. se rendait à la cour de
Tsin, pour y renouer les bonnes relations d'autrefois ; malgré les
menaces proférées par le seigneur Tse-fou-hoei-pé ^ i]g iH fÉJ. le
prince ne tenait pas à changer de suzerain ; traité si durement, il
revenait caresser son maître, comme un chien fouetté revient le
soir à la maison ; c'est donc qu'il n'espérait pas trouver avantage
au changement.
A la 12ême lune (octobre-novembre), le grand seigneur Siun-
li ^ Jjg, fils de Siun-yng ^j ^ (ou Tche-yng ^) â ■ se rendait
à la cour de l'empereur, dont la mère, Mou-heou ^ fÊ > venait de
mourir : pour compagnon, l'ambassadeur avait le seigneur Tsi-tan
£î| y^ ; tous deux devaient assister à l'enterrement.
Après la cérémonie, l'empereur déposa ses vêtements de deuil,
et invita Siun-li à un diner. où le vin fut servi dans une coupe
précieuse, autrefois offerte par le duc de Lou. Dans la conversa-
tion, sa Majesté dit à l'ambassadeur : tous les princes m'ont en-
voyé des cadeaux, pour me consoler dans ma douleur : seul mon
vénéré oncle de Tsin s'est abstenu de cette marque d'affection ;
pourriez-vous m'en indiquer le motif ?
Siun-li ne sachant que répondre, fit un salut à Sun compa-
gnon, pour le prier de prendre la parole à sa place. Tsi-tan dit
humblement : lorsque les princes féodaux reçoivent leur investiture,
sa Majesté impériale leur envoie en même temps des vases précieux
dont ils se serviront pour les sacrifices aux Esprits tutélaires :
ainsi, les princes peuvent, de leur côté, offrir de riches cadeaux à
sa Majesté.
11 en est bien autrement de notre humble souverain : rejeté
parmi les hautes montagnes, entouré des sauvages Ti tyi et Jong
3%, il est à une si grande distance que les bienfaits de sa Majesté
impériale ne peuvent parvenir jusqu'à lui : c'est à peine s'il a
pu dompter ces barbares, et les soumettre à l'empire : comment
358 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
aurait-il eu le temps de penser à envoyer des cadeaux à la cour de
sa Majesté ?
L'empereur répliqua : mon jeune seigneur, avez-vous la mé-
moire si courte ? mon illustre ancêtre Wen-wang ~-X 31 avalt fait
l'acquisition du fameux tambour et du char célèbre de Mi-siu <$£
2J| 1 : mon autre illustre ancêtre Ou-wang jéÇ 3f£ s'était emparé
d'une précieuse armure, à la conquête de K'iué-kong |p| ^jr (2),
et il s'en était revêtu â la bataille décisive contre le dernier empe-
reur de la dynastie Chang ($j. Xe savez- vous pas que ces objets
ont été donnés à T'ang-chou Jiî. ,-$, votre premier ancêtre royal,
quand il reçut l'investiture du pays qui correspond à la constella-
tion Chen £&, avec la mission de gouverner les sauvages Ti ffi et
Jong J% ?
Plus tard, mon autre ancêtre Siang-wang a;| 3: avait deux
chars précieux, l'un pour les sacrifices solennels, l'autre pour la
guerre ; une hache d'armes précieuse, pour le combat ; une autre
hache d'armes dorée ; des liqueurs aromatisées ; des arcs rouges :
une garde personnelle, choisie parmi les meilleurs soldats. Hé
bien, tout cela fut donné à votre souverain Wen'kong $C fc . avec
le pays de Nan-yang \fi$%. et la prééminence sur tous les vassaux
de Test. Xe sont-ce pas là des cadeaux ;?
Les services de Tsin n'ont pas été oubliés ; ils sont consignés
dans les archives ; de beaux fiefs, de splendides robes de gala, de
grands drapeaux, et beaucoup d'autres objets précieux, en ont été
la récompense : à qui donc la maison impériale en a-t-elle donné
autant ? à qui a-t-elle montré une si grande affection ?
Et votre propre ancêtre Suen-pé-yen fâ f£j JSr, mon jeune
seigneur, comment reçut-il le nom de Tsi |ff, qui s'est perpétué
dans votre famille ? Sin-you ^ ;£j\ un grand officier de la cour
impériale, eut deux fils, nommés Tony fg. qui se rendirent au
pays de Tsin: ils y furent chargés des archives tsi ^| : Suen-pé-
yen fut leur aide; et c'est ainsi qu'il fut appelé Tsi; il devint un
homme éminent, consulté dans tous les doutes au sujet de l'ad-
ministration du royaume. Vous, descendant d'un si remarquable
archiviste, comment avez-vous oublié tous ces détails historiques?
Le pauvre seigneur resta bouche close; il était interloqué; lui
qui avait pensé donner une leçon à l'empereur, ne s'attendait pas
à une telle mercuriale. Quand les deux hôtes furent sortis, sa
Majesté lit une prophétie, à l'adresse de celui qui avait été si mal
(!) Mi-siu : était à 50 li à l'ouest de Ling-tai hien ® 5| ff, qui est à 00 li au
sud de King tcheon i5î M , dans la province du Kansou '\\ ïfà- (Petite géogr., vol.
15- p- SS' — (Grande, vol. S&i 1>- - )■
(2) K'iuc-Uon? : capitale d'une antique petite principauté, c'est Kong hien %^
fi, a 130 li à l'est de sa préfecture llo-nan fou Vf fêjff, Ho-nan. 'Grande, géogr.,
vol. 48, p. zS .
DU ROYAUME DE TSIN. TCHAO-KONG. 359
avisé : je pense, dit l'empereur, que ce seigneur Tsi n'aura pas de
descendance: il a peut-être bien compulsé les archives; mais il n'a
pas su se rendre c<5mpte des détails historiques dont elles sont
composées.
Rentré à la cour de Tsin, le seigneur raconta sa mésaventure
à son chef, le sage Chou-hiang £7 |fï] ; celui-ci fut bien mortifié
par cette leçon impériale, qui visait toute la cour; il se consola
par une contre-prophétie : l'empereur, dit-il, ne fera pas une bonne
fin; car les anciens nous ont enseigné que (d'homme meurt de ce
qui fait ses délices». Or, l'empereur trouve encore des délice^, au
milieu du deuil de sa famille; s'il meurt pendant ce temps, on ne
pourra pas dire qu'il a fait une bonne fin.
Dans l'espace d'un an, il a perdu sa mère et son prince héri-
tier : chacune de ces morts demande trois années de deuil ; en
pareille occurrence, il a donné un dîner ù ses visiteurs ; et il a
réclamé des cadeaux : c'est le comble des délices au milieu du deuil!
c'est contraire à tous les rites ! Un empereur peut-il décemment
réclamer des présents? Les cadeaux s'envoient pour des mérites
exceptionnels ; mais jamais à l'occasion d'un enterrement. Un grand
deuil de trois ans doit se porter complètement : ainsi l'exigent les
rites : et cela chez l'empereur, comme chez les plus hauts dignitai-
res. Si cependant sa Majesté ne voulait pas aller rigoureusement
jusqu'au bout de ce temps, du moins il ne fallait pas donner de
festin ; car c'était violer deux fois les rites, ces règles établies par
les anciens sages, et qui sont sacrées et inviolables pour tout le
monde. L'empereur a montré pour elles peu de respect, peu de
délicatesse. Les archives nous transmettent les règlements antiques ;
exalter les archives et mépriser les rites est un non-sens.
A son tour, la Majesté impériale recevait une verte leçon ; en
termes voilés, c'était dire: l'empereur s'est conduit d'une manière
absurde; violer le deuil, demander des cadeaux, quel funeste exem-
ple! Le bon Chou-hiang oubliait que sa Majesté mourait de faim.
Quoi qu'il en soit, la prophétie doit évidemment se réaliser, puis-
qu'elle est faite après coup par l'historien. En 520. pendant le
deuil, l'empereur va rejoindre ses illustres ancêtres dans la tombe;
et l'année suivante, sa cour est en grande révolution.
En 526, le duc de Loti ^- était encore à la cour de Tsin: on
ne le laissait pas partir: était-ce par excès d'amitié? était-ce pour
extorquer plus de cadeaux? en tout cas, l'historien du duché n'en
est pas content, et Confucius passe le fait sous silence, comme
peu honorable pour son maître.
A Ja '.'>■■' lune vers janvier . le premier ministre Han-li'i
¥t- ;ty allait saluer le prince de Tclieng |jj) : celui-ci donna un grand
festin en son honneur, et chacun des servants ou officiers eut la
consigne de bien veiller aux rites: il arriva toutefois que l'un
d'eux prêta à rire, n'ayant pas su où se tenir.
360 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Mais, en revanche, Han-k'i lui-même reçut sa leçon de l'illus-
tre Tse-tch'an ^f- jf| : voici le fait en quelques mots : Un fameux
artiste avait ciselé une paire de bracelets en jade, et le travail en
était tout-à-fait merveilleux : l'un de ces bracelets était au bras de
Han-k'i; l'autre était chez un marchand de Tcheng. Le premier
ministre avait prié le prince de lui procurer le bracelet en question ;
il y tenait absolument.
Tse-tch'an. qui s'y opposait, fit un discours de quatre pages,
pour prouver qu'on ne pouvait se procurer ce précieux objet sans
mettre le pays en péril de ruine : nous faisons grâce au lecteur de
ce chef-d'œuvre littéraire : comme le bracelet, il est d'un travail
exquis : mais,, sous ces belles paroles, qui sont censées renfermer
la plus haute philosophie, et la plus fine politique, il n'y a qu'un
lieu-commun de sophiste ; c'est creux et ridicule.
Le plus merveilleux, s'il faut en croire l'historien, c'est que
Han-k'i fut converti, et renonça à son projet : Je suis un homme
bien borné, dit-il humblement: j'ai eu tort de convoiter ce brace-
let: par cette demande stupide. j'ai failli causer deux grands mal-
heurs, aliéner le cœur des vassaux, et ruiner l'état de Tcheng qui
nous est si dévoué.
A la 4ème lune seulement, Han-k'i songea au départ : les
ministres lui donnèrent encore un festin d'adieu, en dehors de la
capitale ; on y fit assaut de vertu et d'amabilité ; le voyageur était
si content qu'il pria ses hôtes de lui chanter quelques odes expri-
mant les sentiments de leur cœur.
T<et±ouo ^ ^f. fils de Tse-p'i -^ jr£, entonna aussitôt celle-
ci : dans la -plaine, croit une plante rampante, qui célèbre la ren-
contre fortuite d'un sage. Han-k'i fut ravi du compliment : oui,
très-bien, jeune seigneur, dit-il, mon désir est tout-à-fait récipro-
que (1).
Tse-tch'an chanta : sa tunique garnie (doublée) de peau d'a-
gneau paraît brillante : l'ode célèbre un grand dignitaire, dont les
qualités sont en rapport avec son splendide costume (2). Han-k'i
répondit modestement : je n'ose accepter un tel éloge pour mon
humble porsonne.
Tze-t'ai-chou ~f- -Jfc ^ chanta : si uous are: des sentiments
d'amitié pour moi, je relèverai mes vêlements jusqu'au genou;
l'ode demande un prince puissant, qui rétablisse l'ordre (3). Oui,
dit Han-k'i. tant que je vivrai, vous n'aurez pas besoin de cher-
cher ailleurs aide et secours : s'il en était autrement, notre vieille
amitié pourrait-elle subsister ? Le chanteur se jeta à genoux, pour
remercier d'une telle promesse.
Tse-gou ^f jfff. chanta : dans la voiture du prince, il y a une
femme, qui ressemble à la fleur du ciriez : l'ode célèbre une femme
1 - Che-king j^ %§. (Couvreur, p. toi, "<!<■ 20, — p. 91. ode o — p. çô.
ode ij — p. çS, ode 16 — p. çj, ode g — p. çj, ode 11 — p. 423, ode 7).
DU ROYAUME DE TSIxW TCHAÛ-KONG. 361
distinguée, et inclique la grande affection que l'on a pour le pre-
mier-ministre (1).
Tse-liou ^p $P'chanta : leuillcs flétries, feuilles desséchées :
ce sont les paroles des officiers sub-alternes, qui font appel au
dévouement de leurs supérieurs, pour remédier aux maux du
pays (2).
Han-k'i était ravi : oui vraiment, dit-il, votre état est pros-
père ; et il va fleurir encore plus brillamment ; vous, mes sei-
gneurs, vous avez répondu au désir de votre souverain, eu me fai-
sant cette fête : pour me chanter, vous n'avez pas eu besoin d'em-
prunter ailleurs vos hymnes : tout est de chez vous, et retrace
très-bien les sentiments de vos cœurs. Vous êtes les chefs des
familles qui gouvernent le peuple depuis longtemps ; soyez sans
crainte ; vous resterez encore à la tête de votre pays pendant des
générations.
Han-k'i donna à chacun d'eux de magnifiques chevaux ; puis
il chanta ainsi : f amène et j'offre une brebis et un bœuf ; le prin-
ce du ciel descendra, je Ve*pèie, à la droite de ces victimes (3) ;
l'ode exalte le ciel, qui récompense les bons, et apaise les troubles.
Tse-tch'an se jeta à genoux, et commanda aux autres minis-
tres d'en faire autant : Votre Excellence, dit-il, a bien voulu cal-
mer les troubles de notre pays, n'est-il pas juste que nous vous
rendions grâces pour ce grand bienfait ?
Han-k'i fit encore à Tse-tch'an une visite amicale, pendant
laquelle il lui offrit un jade précieux et de superbes chevaux : votre
seigneurie, lui dit-il, m'a fait renoncer au bracelet que je convoi-
tais, elle m'a sauvé la vie : je lui dois donc un présent spécial
pour un tel bienfait.
Le lecteur voit avec quelle complaisance l'historien nous mon-
tre Tse-tch'an à l'œuvre : Han-k'i n'est plus ici le personnage
principal, il n'a pour lui que la puissance ; l'autre a les rites, la
sagesse, la science, la politique, la vertu ; c'est le « lettré >• enfin,
qui mène tout le monde et toutes choses.
Vers le mois de mai, la cour de Tsin permettait enfin au duc
de Lou 'f§. de retourner dans son pa}s ; le seigneur T.<e fou-tchao-
Vè "? J3S. H3 fâ- son compagnon, disait à son premier-ministre
Ki-p'ing-lse âp 4- -p : la maison régnante de Tsin sera bientôt
affaiblie et réduite à rien ; le souverain est jeune, les six ministres
sont puissants et orgueilleux ; en ce moment, ils sont les maîtres ;
l'habitude une fois prise, deviendra la règle ; comment la maison
régnante ne tomberait-elle pas ? Ki-p'ing-tsc lui répondit : vous
êtes encore trop jeune pour porter un jugement sur le gouverne-
ment d'un état.
(1) (2) (3) Che-kin =$- ££. (Couvreur, p. lot, ode ao — p. 01. ode 6 — p.
ço. ode 7. jj — p, ç8, ode 16 — p. ç3, ode .y — /<. oj, ode 11 -p. ,.'->_.-. i
16
362 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
A la 8ème lune, au jour ki-hai g % (24 juillet), mourait
Tchao-kong. A la 10-me lune (août-septembre) Ki-p'ing-tse Ép 2p-
■^ se rendait ù l'enterrement; il eut alors l'occasion d'examiner
la cour de Tsin ; il fut étonné que le seigneur Tse-fou-tchao-pé
l'eût si justement jugée : je ne tenais pas compte de ses paroles,
disait-il ensuite; mais je constate qu'il ne s'est point trompé; la
famille Tse-fou possède en lui un homme remarquable (l).
(1) Ce jeune seigneur était le fils du fin politique Tse-fou Mong-tsicto ^
j£ ;|$ ; son nom ordinaire était Hoei M ; Tchao-pé son nom posthume.
363
K'ING-KONG (525-512)
-H-*-H-
Le nouveau roi, fils du précédent, se nommait K'iu-lsi -JK
•$£ ; son nom posthume ou historique signifie très-appliqué h se
montrer respectueux et circonspect. (1) Han-k'i $l£ |fi continua
d'être son premier-ministre, jusqu'en 514.
A peine sur le trône, K'ing-kong envoya demander à la cour
impériale permission d'offrir des sacrifices au ileuve Lo fè et à la
montagne San-t'ou 3 t£ (2)- Le député était le seigneur Tou-
hoai /g- ,:'jij, ce chef-cuisinier dont nous avons parlé naguère ; on
avait remarque sa sagesse, et on lui avait donné de l'avancement ;
le voilà ambassadeur à la cour impériale.
Le grand officier Tchang-hong j^ ijj_^ dit au ministre Liou-lse
||lj ^Ç- : ce monsieur-là m'a l'air bien décidé ; il ne semble guère
être venu pour une chose si pieuse que les sacrifices ; ne s'agit-il
pas plutôt d'une expédition contre les Tartares Lou-hoen ^ j^f
(3), qui sont si bien avec le roi de Tclvou *£ ? que votre Excel-
lence se tienne donc prête à tout événement ! Liou-tse approuva
ce conseil, et donna ses ordres au ministre de la guerre.
A la 9ème lune, en effet, au jour ting-mao ~J J/J] (15 août),
le général Svm-ou ^ ^ passait le fleuve Jaune, au gué de Ki-
tsing jjijjî $t (4), et envoyait de suite un de ses officiers, offrir des
sacrifices au fleuve Lo fê. Les Tartares de Lou-hoen ne se dé-
fiaient de rien, puisque personne ne leur avait déclaré la guerre ;
ils durent bien s'en repentir ! l'armée s'avança rapidement de leur
(1) Texte de l'interprétation : §£ VI €& tft B Sî
(2) Le fleuve Lo : coule à 25 li au sud de Ho-ncm fou fif |f] rf'f, Ho-nan.
(Grande, géogr.. vol. 46. p. 2.6 — vol. 48, p. ib).
l.a montagne San-t'ou : d'autres disent: les trois montagnes, est a 10 li sud-
ouest de Song hion ^ $|, qui est à 160 li au sud de sa préfecture Ho-nan lou.
'Petite géogr., vol. 12, p. jç) — (Grande, vol. 4S, p. 46).
(3) Lou-hoen : était à HO li au nord de Song-hien (ci-dessus) — (Grande geogr..
Vol 4S, p. 45)-
(4) Le gué Ki-tsing : est à l'est de Wei-hoei fou fjjf j® h] . Ho-nan : mais
c'est trop loin du lieu de l'expédition, et des chemins par où était venue l'armée;
les commentaires disent que c'est le gué Mong-taing SE \?. a ."> li au nord de la ville
du même nom, qui est à 50 li nord-est de sa préfecture Ho-nan fou Petite geogr.,
vol. 12, p. ss) — (Grande, vol. 4S, p. 33).
364 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
coté ; au jour keng-ou ^ ^ (18 août), elle tomba soudainement
sur la capitale ; c'est à peine si le prince eut le temps de s'enfuir
au pays de Tch'ou £ : le peuple se dispersa de tous côtés, puis
se reforma sur le territoire impérial de Kan-lou ■[£ J^ 1 Siun-
ou, ce saint général que l'historien nous montrait avec 'tant de
satisfaction, interrogé sur cette singulière agression, répondit tout
bonnement que ces Tartares étaient en trop bons termes avec le
roi de Tch'ou.
L'officier impérial ne s'était donc pas trompé ; mais que fai-
sait son ministre de la guerre, lui qui avait dû se préparer à tout
événement ? C est bien simple : voyant le pillage commencé, il
envoya son armée prendre sa part de butin : et elle ne fut pas
petite ; ainsi l'empereur eut du riz à manger. Voilà où en était
le « fils du ciel > qui trônait à Lo-vang !
Et l'historien raconte cela, sans un mot de blâme; tout ce
que fait 1 empereur est bien fait. Quant à Siun-ou, il avait été
charge de cette besogne, grâce à une intervention céleste, paraît-il :
Han-k'i $£ jg avait vu en songe l'ancien roi de Tsin, le glorieux
Wen-hong £j£, conduire ce général, et lui remettre le pays de
Lou-hoen [3£ ?f . En conséquence, les prisonniers faits à cette ex-
pédition furent présentés à ce grand roi. dans son temple; il y
eut probablement des sacrifices humains: car le caractère chinois
employé pour indiquer cette présentation est hien jg£ (offrir) ; quand
il s agissait de non-chinois, on ne se montrait pas si difficile.
En 524, de grands incendies dévastaient les capitales de Sonq
SR, de U ei $, de Tch'en fâ et de Tcheng f>. Juste au moment
ou cette dernière était en feu, une ambassade de Tsin se trouvait
en dehors de la porte orientale: le fameux ministre Tse-tch'an ^
M a* lu' permit pas d'entrer dans la ville: de plus, il fit sortir
tous les étrangers qui étaient à l'intérieur, et il organisa une
garde d hommes fidèles pour veiller aux remparts.
Le seigneur Tse-t'ai-chou ^ ± £ lui fit observer: la cour
de lsin ne sera-t-elle pas offensée de votre conduite? ne vous en
demandera-t-elle pas raison? — Les anciens sages, répliqua Tse-
tch an, nous ont enseigne qu'un petit état est perdu dès qu'il
néglige de prendre les précautions nécessaires; cela est encore plus
vrai quand i] saLrit dun pareil incendie; quand UQ ^ Q&t ^
a toute éventualité, on se garde bien de le mépriser.
Quelque temps plus tard, des officiers de Tsin, chargés des
frontières, vinrent en effet à la cour de Tcheng, demander des
explications: Lors de l'incendie, disaient-ils, notre roi et nos
grands dignitaires n'eurent point de repos, tellement ils étaient
1 territoire <;tait près de In montagne Lou-ti-chon M Bf tfj,
à 50 li sud-est de I-yang hier g ft g, qui cst à 70 li nord-ouest de sa préfecture
Ho-nan fou. (Petite géogr., vol. I3. p. j6) — {Grande, vol. 48. p. srJ.
DU ROYAUME DK TSIN. K'iNG-KONG. 365
émus de pitié à votre égard; ils consultèrent les sorts, par la
tortue et l'achillée; ijs coururent à toutes les montagnes, offrir des
sacrifices; ils s'inquiétèrent peu des grands frais, coûtés par les
jades et les victimes ; car votre calamité était un chagrin doulou-
reux pour notre souverain.
Vos ministres se sont montrés peu convenables envers notre
ambassade; ils avaient l'air farouche: ils distribuaient des armes
pour garder la ville, comme à l'approche de l'ennemi ; contre qui
sentaient-ils donc le besoin de se défendre? Nous avons été effrayés
de cette conduite, et nous venons vous en demander explication.
Tse-tch'an leur répondit : vos seigneuries viennent nous com-
muniquer le grand chagrin ressenti par votre illustre roi, à cause
de notre malheur; c'est le ciel qui punit les fautes de notre admi-
nistration ; au moment de l'incendie et du tumulte, je craignais
les brigands et les voleurs ; ce qui aurait augmenté nos calamités
et la peine de votre illustre souverain : quand nous serons sortis
d'embarras, nous rendrons facilement compte de notre conduite, et
des précautions que nous avons prises; nous avons des voisins, il
est vrai; mais nos espérances sont uniquement en vous; étant
soumis de tout cœur à votre illustre maître, comment songerions-
nous à l'abandonner'?
En 523, voici un nouvel incident, où Tse-tch'an sut encore
repousser les prétentions de Tsin : La fille d'un grand dignitaire
de ce pays était mariée à un grand seigneur de Tcheng ^J], et
avait perdu son mari: son fils étant tout jeune, on avait, à sa
place, établi un de ses oncles, comme chef de la famille. La cour
de Tsin, mise au courant de la question, avait envoyé une ambas-
sade demander encore des explications.
Tse-tch'an répondit : c'est une affaire privée, à laquelle notre
prince ne s'est pas mêlé, laissant à cette famille le soin de s'ad-
ministrer elle-même; s'il s'en était occupé, les gens ne l'auraient
pas écouté: la cour de Tsin a encore moins raison d'intervenir;
nous ne sommes pas réduits à l'état d'une sous-préfecture, dépen-
dante en tout de votre direction.
Le fier ministre n'admit même pas les ambassadeurs à une
audience de son souverain: il les renvoya comme ils étaient venus :
toutefois, il jugea prudent d'envoyer lui-même une députation.
pour expliquer sa conduite; et il eut le plaisir de voir ses raisons
admises par la cour de Tsin.
Si cet incident prouve que le roi de Tsin voulait être consulté
et obéi, il prouve aussi que les temps étaient changés: sa faiblesse
n'était plus un mystère pour personne, et son influence diminuait
de plus en plus.
En 522, à la fin de l'année, mort de ce fameux lettre Tse-tch
"? jË ! on dit que Confucius pleura à cette nouvelle. Sur le royau-
me de Tsin, il n'y a rien dans l'histoire.
366 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
En 521, vers le mois d'avril, le grand seigneur Che-yang -j;
^ était envoyé à la cour de Lou ^ ; le commentaire dit que c'é-
tait pour annoncer l'avènement de K'ing-kong ; or il était sur le
trône depuis cinq ans ; il était bien temps d'en donner connais-
sance officielle !
A cette époque, le premier-ministre de Lou était Chou-suen-
tchao-tse fâ ffi„ lig -^ ; . son prédécesseur voulant lui faire com-
mettre une sottise, suggérait aux dignitaires de recevoir l'ambas-
sadeur, comme on avait reçu celui de Ts'i ffî , nommé Pno-kouo
i<& ffl, en 528-
Che-yang furieux leur dit : sachez que la dignité de Pao-kouo
était bien inférieure à la mienne ; comme son royaume est bien
inférieur au nôtre ; si vous me faites cette injure, notre roi saura
bien vous en punir. La cour de Lou prit peur ; on avait d'abord
offert à l'ambassadeur, seulement 7 bœufs, 7 brebis et 7 porcs ;
on se hâta d'ajouter quatre animaux de chaque espèce ; ainsi le
grand seigneur se trouvait traité mieux qu'un duc, à qui l'on
offrait seulement neuf pièces de chaque espèce (1).
(1) En 488, le roi de Dit ^ venant au duché de L-ou ^, demandera, pour
sa réception solennelle, cent pièces de chacune de ces espèces de b'-tail.
Ces présents de bétail, qui rappellent le suovetaurigium des Romains, por-
taient le nom de lao ^£. et étaient de deux sortes : le t'ai-lao >k -£ (la grande
oll'rande) consistait en un bœuf, une brebis, et un porc; — le Siao-loo ^ tfZ (la
petite oil'randc) supprimait le bœuf. Dans la pratique, un seul bœuf, sans autre
chose, avait fini par être regardé comme la grande offrande : celle de l'empereur,
par exemple, à ses nobles visiteurs : on encore celle d'un sacrifice des plus solen-
nels.
Quant aux visites, le li-ki jjj§ s'Ë (Couvreur, ool. _>. p. 688) voulait que l'am-
bassadeur du plus haut prince n'eût que sept officiers pour compagnons: dans les
temps postérieurs, l'usage en avait ajouté deux.
Donc, en principe, les princes féodaux tchou-heou §§' j^èj se rendant à la
cour impériale, avaient une suite de sept officiers, et recevaient sept t'ai-lao ;fc ^ :
les grands dignitaires [ta-fou ^h ^x n'' pouvaient amener que cinq officiers, et re-
ce\ aient cinq t'ai-lao.
Dans le temps postérieurs:
L'n duc kong -5V eut une suite de neuf -rancis seigneurs, et reçut neuf t'ai-
lao, à la cour impériale.
I n marquis (hcou $|) et un comte (pé fâ) eurent sept seigneurs, et reçurent
sept t'ai-lao. à la même cour.
in vicomte (tse J") et un baron (nan ^) eurent cinq seigneurs et reçurent
cinp t'air-lao à la susdite cour.
Quand on offrait sept lao. on en cuisait un seul (un bœuf, une brebis, un
porc) ; on en tuait trois; les trois autres étaient présentés \i\ants, afin que le visi-
teur en disposât en toute liberté.
DU ROYAUME DE CSIN. k'iNG-EONG. 367
Les commentaires observent que cette ambassade est la der-
nière que le royaume de Tsin envoya à la cour de Loti : celle-ci
avait été différée cinq ans ; plus tard, on pensa qu'un état, comme
celui-là, ne méritait plus aucune considération ; alors, cependant,
il avait l'honneur et le bonheur de posséder Confucius. Mépriser
un pays où se trouve un tel « saint » '. C'est pourtant la réalité :
mais elle prouve aussi la décadence rapide de Tsin.
A la llème iune (septembre-octobre), des troupes de Tsin, de
Ts'i ^ et de Wei ||f, se rendaient au pays de Song %, pour
abattre la révolution qui y régnait depuis le printemps.
A la fin de l'année, le duc de Lou ,'g> se mettait en marche
pour aller saluer K'ing-kong ; mais, à peine arrivé au fleuve Jau-
ne, on l'avertit de ne pas continuer son voyage, vu que l'on avait
une guerre sur les bras, et qu'on ne pouvait penser à des récep-
tions princières.
Le pays de Kou g£, soumis en 527, venait de se révolter, et
de s'unir à celui de Sien-yu $fc f^L. On préparait, en effet, une
expédition ; mais cela n'aurait pas empêché de recevoir le duc. si
Ton avait encore eu quelque estime pour lui ; si l'on avait eu
quelque chose à craindre ou à espérer de lui.
Nous avons vu comment le « saint général •> Siun-ou ^ ^.
avait pris la ville de Kou ; son prince, fait prisonnier, avait été
présenté, comme un glorieux trophée, au temple des ancêtres ;
puis on lui avait rendu la liberté, à condition de rester fidèle vas-
sal de Tsin ; le prestige de son vertueux vainqueur ne dura pas
longtemps, comme sa révolte le prouve.
En ô2U, à la 6ème lune (avril-mai), le général Siun-ou %j ^
conduisait rapidement son armée à Tong-yanrj $}£ f(>| : de là. il
envoyait des soldats déguisés, entrer dans la ville de Kou g% :
ceux-ci avaient la cuirasse cachée sous leurs vêtements, et se te-
naient d'abord tranquillement assis à la porte de Si-yang -"*£ ^
(1), comme de paisibles marchands de riz. La ville de Kou fut
donc enlevée par surprise : le prince Yuen-ti ]Èfo $?§ fut conduit
captif à la capitale de Tsin. et son territoire annexé définitivement
au royaume. Cette fois, le <• saint général • n'employa plus les
moyens vertueux, mais la tactique la plus vulgaire. Le grand
officier Tche-t'ouo $£• fâ fut chargé d'administrer la nouvelle
conquête.
On faisait de même, proportions gardée, grand on offrait cinq lao : un cuit,
deux tués, deux vivants.
Mais tous ces règlements furent rarement exécutés ù la lettre Couvreur, ibid,
vol. 1. p. s 43).
(1) Tong-yang, Kou, Si-yang: étaient sur le territoire actuel de Tsin-tcheov
^f H\, qui esi à 'JO li à l'est de sa prélecture Tcheng-ting /'on JE /£ H-T ■ Tche-li.
(Petite géogr., vol. 2. p. 43) — (Grande, vol. 14. p. 41 I.
368 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Cette année, à la mort de l'empereur King-wang ^ J£, il y
eut de grands troubles à la cour, et le prince-héritier dut s'enfuir.
Les généraux Tsi-tan || ffc et Siun-li 3$ JH conduisant leurs
troupes stationnées sur le territoire de Lou-hoen (^ fj^, les uni-
rent à celles de Tsiao $L, HUti ïg, Wen j^ et Yuen fâ ; puis
ramenèrent le prince-héritier à sa résidence de Wang-tck'eng J£
J^ (l). et le placèrent sur le trône.
Cela se passait à la 10:'" lune (septembre) : malheureuse-
ment, le nouvel empereur mourait à la lune suivante, et les trou-
bles recommençaient de plus belle. K'ing-kong envoya encore une
fois ses troupes : Tsi-tan s'établit dans le camp fortifié de Yng
f% : Siun-li, dans celui de He ou jj^ ; le général Kin-sin ^ ^,
dans celui de Ki-ts'iuen ^ ^ ; enfin, le général Se-ma-toa u\ £f
^ dans celui de Che jfc (2) : les troupes impériales occupaient
trois autres camps fortifiés.
A la 12ème lune intercalaire, K'ing-kong envoyait encore trois
autres généraux, à savoir Ki-i 38* g£, Lo-tch'eng gf§ fëfc et You-
hang-kouei ^ %f ffg ; eeux-ci passèrent les fleuves F {p et Lo $£,
prirent la ville de Ts'ien-tch'eng "t%tj 3$ 3), puis vinrent se can-
tonner au sud-est de la place.
Malgré l'appareil imposant de ces armées, les rebelles ne se
soumettaient pas ; il fut nécessaire de leur livrer bataille. Leurs
forces principales étaient concentrées à Kiao xft ; les troupes réu-
nies marchèrent sur cette ville (4).
En 519, au 1er jour de la l"'e lune (décembre), on établissait
le siège devant cette place, et devant celle de Siun tp|J (5) ; au jour
hoei-mao Z£ % (17 décembre), elles étaient prises d'assaut ; qua-
tre jours plus tard, les armées stationnaient à Yng [^, et peu de
temps après reprenaient le chemin de Tsin ; la rébellion était
écrasée, la paix et la sécurité rendues au pays de l'empereur ; du
moins, le croyait-on.
(1) Wang-tch'eng : c'était l'ancienne ville de llo-nun, un peu au nord-ouest
de Ho-nan fou ;"T fô $F, Ho-nan. (Petite géogr., vol. 12. p. 31) — (Grande, vol.
48. p. 10) ■
(2) Yng: était un peu à l'est de Mong-tsing hien j£ ^ H, qui est à 50 li
nord-est de sa préfecture Ho-nan fou. (Petite géogr., vol. 12. p, sj> — (Grande,
roi. 48, p. 32).
Heou : ou Heou-che f:fé lr;. était à 20 li au sud d? Ycn-che hien f[| gjp $£,
qui est à 70 li de la même préfecture, à l'est. Ki-ts'iuen est ianorée. (Petite géogr..
vol. 12, p. 34) — (Grande vol. 48, p. 26).
(3) Ts'ien-tch'eng : était à 50 li sud-ouest de Ho-nan fou. (Petite géogr..
vol. 12, p. 31) — (Grande vol. 4S, p. 12 .
(4) Kiao: était tout prés de Siun.
(5) Siun : était à 58 li sud-ouest de Kong hien §j£ JÇ, qui est à 130 li de sa
préfecture Ho-nan fou, à l'est. (Petite géogr., roi. 12. p. 34) — (Grande vol. 4S.
p. 29).
DU ROYAUME DE TSIN. Iv'l.NG-KOXG. 369
K'ing-kong venait de se montrer deux fois digDe de son titre
de chef des vassaux ; nous allons maintenant voir ses ministres
se nover ridiculement dans une goutte d'eau ; voici I2 fait : Pen-
dant les événements que nous venons de raconter, le prince de
Tchou %]\] avait fait fortifier sa ville de Y J| 1 : ce travail ache-
vé, les officiers et leurs hommes s'en retournaient tranquillement
chez eux, quand ils furent pris dans un guet-à-pens par les gens
de Lou ^-. Le prince de Tchou porta plainte à la cour de Tsin.
Le duc envova le grand seigneur et ministre C hcm-ïven-lch' 0
~%l W- ftfcf donner des explications, et arranger l'affaire à l'amiable;
tout d'abord, celui-ci fut saisi et mis en prison, comme on avait
l'habitude de faire à l'égard des gens de Lou: puis, on lui signifia
qu'il serait amené, avec les officiers 'ta-fou -)^ :Jx de Tchou, à la
barre des juges chargés d'examiner sa cause.
La cour de Tsin ne connaissait pas son homme : D'après les
antiques règlements de la dynastie Tcheou fë\, dit-il. un ministre
'King j$] des grands vassaux li-kouo ^i] ^ est du même rang
que les souverains des petits états siao-kouo /j^ [§t] ':, de la dignité
de comtes pé fâ . vicomtes tse -^ , et barons nan j^} : vous
voulez me ravaler au rang des grands officiers de ce prince sauvage
(i 3^1) I Je ne puis accepter: tout ce que je puis concéder, c'est que
mon ta-fou. Tse-fou-tchao-pê ^p JjjJ PS fj^, discute avec les gens de
Tchou; à aucun prix je ne veux transgresser les règlements.
Quelle victoire déjà, pour ce fier lettré, sur les ministres de
Tsin, qui se montraient si ignorants des rites; et quelle humilia-
tion pour eux ! leur honte fut si grande, qu'on ne parla plus de
cette affaire; mais on garda l'entêté en prison, allant de sottise en
sottise; car il ne céda pas d'un pouce.
Han-k'i i*l 4I2 embarrassé imagina un stratagème; il conseil-
la aux gens de Tchou %$ d'aller, en nombre suffisant, enlever le
prisonnier, et de l'amener de force à la barre des juges. A cette
nouvelle, Chou-suen-tclro, laissant toute sa suite de seigneurs et
de soldats, se présenta seul à la cour, comme un homme résolu à
la mort.
A cette vue, le seigneur Che-king-pè -j^ ^ fQ dit au premier
ministre : votre Excellence n'a pas choisi le bon moyen de termi-
ner cette affaire; remettre Chou-suen-tch'o entre les mains de ses
ennemis, c'est le pousser à se donner la mort, plutôt que d'être
déshonoré: si cela arrive, le duc se jettera sur le pays de Tchou,
pour se venger: il l'annexera certainement à son propre territoire:
alors, que ferez- vous? vos regrets ne nous tireront pas d'embarras:
le prince de Tchou se réfugiera ici, et nous restera sur les bras;
(1)1: était un peu au sud de l'ancienne ville Our-tch'eng jÇ t$, laqur
à 90 li sud-ouest de Pi hien fi H : celle-ci est ;'i *.»0 li nord- I îcture
I-tch'eou fou ;7? W ffi, Chan-tong. Petite géogr., vol. 10. p. 30)—
p. 3g).
47
370 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
le chef des vassaux a pour office de punir les coupables : il ne peut
permettre à chacun de se faire justice soi-même.
Cet avit était très-juste; Han-k'i recula de nouveau, et retira
l'ordre ou plutôt le conseil qu'il avait donné aux gens de Tc/iou
'-;!') : il se contenta de séquestrer en deux endroits différents
l'ambassadeur et son compagnon Tse-fou-tchao-pé. pour les empê-
cher de se consulter. Le seigneur Che-king-pé se rendit confiden-
tiellement auprès de chacun d'eux, leur demander des explications,
espérant les trouver en désaccord ; peine inutile ; ni l'un ni l'autre
n'avoua le tort de Lou.
Han-k'i, de plus en plus vexé, commanda à Che-king-pé de
mettre l'entêté et toute sa suite dans des prisons véritables et
séparées. Ce seigneur exécuta aussitôt cet ordre absurde : pour
réjouir le cœur du prince de Tchou. et lui montrer le zèle de la
cour, il fit passer le cortège des prisonniers devant la porte de sa
résidence. Bientôt après, on permit au prince lui-même de s'en
retourner chez lui, vu que l'affaire était suffisamment éclaircie.
À quelque temps de là, Che-king-pé voulut encore tenter la
constance de son prisonnier : dans notre capitale, dit-il, nous ne
pouvons pas facilement nous procurer le bois pour votre cuisine,
et le fourrage pour vos chevaux : vous en souffrez, et toute votre
suite avec vous; nous pensons donc vous envoyer dans un endroit
plus propice.
L'ambassadeur comprit qu'on voulait l'effrayer, par la pers-
pective d'une réclusion perpétuelle: dès le lendemain, de grand
matin, il était sur pied, prêt à partir pour n'importe quel séjour
on voudrait bien lui assigner. On passa cette journée à examiner
ce qu'il fallait faire d'un tel individu; le lendemain, on lui signifia
qu'il serait interné à Ki ^ (1), et son compagnon dans une autre
ville; mais l'entêté ne montra aucun souci à cette nouvelle.
Au point où l'on se trouvait acculé, le seigneur Che-yang -j^
?|jji, que nous connaissons de longue date, se présenta devant l'am-
bassadeur, s'offrant comme entremetteur entre les deux partis, et
se faisant fort d'arranger l'affaire à l'amiable : pour récompense,
il demandait seulement un chapeau. Le fin lettré berna joliment
son homme ; il lui fit demander la mesure de sa tête, et lui envoya
deux chapeaux, au lieu d'un, s'excusant de n'en avoir pas davan-
tage ; comme on dut rire du grand seigneur, dont la cupidité se
trouvait si adroitement punie !
Cependant, le duc était moins constant que son ambassadeur;
pour le délivrer, il avait député le seigneur Chen-fong tfi ^ avec
de nombreux et riches cadeaux à la cour de Tsin ; mais le prison-
nier déjoua encore ce moyen ; il lit venir l'envoyé, comme pour se
(I) Ki : étuit à 35 li à l'es! de T"ot-fcow hien jz & ||, qui est à 120 li sud-est
de sa prélecture T'ai-yuen fou ^ ffi. Kî, Chan-si. (Petite f/cogr., vol. S, p. 4) —
(Grande, vol. 40. p. 14).
DU ROYAUME DE TSÎN. k'tNG-KONG. :!71
concerter avec lui, se lit remettre les précieux objets, sans vouloir
consentir à aucune distribution.
L'officier qui gardait la prison demandait, comme récompense
de ses bons offices, le beau chien de l'ambassadeur ; celui-ci refusa
de même cette concession ; plus tard, mis en liberté, il fit tuer ce
chien, et le fit porter à l'officier, pour qu'il s'en régalât tout son
saoul (1).
Pour vexer et lasser le reclus, on le faisait souvent changer
de prison ; mais lui, au départ, se montrait plein de joie, comme
s'il s'en fût retourné dans sa patrie ; arrivé dans sa nouvelle de-
meure, il s'empressait de la faire bien réparer, comme s'il fût
content d'y passer toute sa vie.
Bref, c'était une suite de triomphes remportés par le vertueux
lettré, une suite de déboires et d'humiliations pour les ministres
de Tsin : malgré toutes les fourberies employées, jamais on ne
put ébranler, même un instant, son imperturbable constance. Le
duc était fier de son ministre ; il se mit en chemin, pour aller
lui-même à la cour de Tsin le délivrer ; malheureusement, il tomba
malade en route, au bord du fleuve Jaune, et fut forcé de s'en
retourner ; c'était vers août-septembre.
En 518, les ministres de Tsin étaient contraints de s'avouer
vaincus ; mais quel moyen nouveau inventer pour se délivrer hon-
nêtement de cet individu, auquel on ne pouvait extorquer ni aveux,
ni cadeaux, ni promesses, et qui ne demandait pas mieux que de
mourir ? Le seigneur Che-king-pé se rendit encore une fois auprès
de lui ; celui-ci, persuadé qu'on venait l'assassiner en secret, réso-
lut de se détendre jusqu'au bout, et de vendre chèrement sa vie ;
il dit à Leang-ki-king ^ JilJ^, son fidèle serviteur : si je regarde
cà gauche en toussant, sautez sur le visiteur, et tuez-le ; si je re-
garde à droite en riant, restez tranquille.
Le pauvre prisonnier était dans une grande erreur ; Che-king-
pé venait lui rendre la liberté, et lui offrir des présents, de la part
du roi : notre prince, lui dit-il humblement, vous envoie quelques
petits cadeaux, indignes d'un homme tel que vous ; c'est pour les
distribuer aux gens de votre suite ; vous avez été retenu si long-
temps prisonnier, pareequ'il n'y avait pas moyen de faire autre-
ment ; notre souverain, étant le chef des vassaux, devait cette
satisfaction à l'opinion publique, à cause de votre manière d'agir
envers l'état de Tchou ; vous êtes homme à comprendre les com-
plications de la politique ; ainsi, recevez mes excuses.
(1) La viande do chien était autrefois et es1 encore maintenant, dans beaucoup
d'endroits en Chine, un régal très-honnête. Par le li-lù $1 fE, nous la voyons dans
les sacrifices ; on en faisait un bouillon offert aux mânes des ancêtres, et les
tants le dégustaient avec plaisir: cette viande, avec du gros millet, était un régal,
(Couvreur, vol. z, p. ioi).
372 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Chou-suen-tch'o se montra satisfait : il distribua les cadeaux,
et partit pour son pays : à la 2-me lune, il rentrait à la capitale,
où il fut reçu en triomphe ; son retour fut consigné clans les an-
nales, comme un événement de haute importance.
Le lecteur n'est pas obligé de faire un acte de foi, devant tous
les détails rapportés si amoureusement par le lettré-historien, qui
veut glorifier son illustre ancêtre en littérature ; ce qui est évident.
c"est la sottise de la cour de Tsin : pour avoir voulu, de parti pris,
humilier le duc de Lou. elle devint elle-même la risée de tout le
monde.
A la 3ème lune, au jour keng-siu j|| r-£ 23 février . Che-kïng-
pé était envoyé à la cour impériale, examiner les prétentions des
deux compétiteurs, qui se disputaient le trône.
Ce seigneur s'établit à la porte nord de la capitale (1), pour
interroger toutes sortes de gens sur ce litige ; puis, au nom de
son souverain, il rejeta les prétentions de Tse-tchao -^ j|fl, comme
illégitimes, et n'admit plus les députés de ce prince à ses audien-
ces. Malgré cette décision, les troubles ne furent pas apaisés : il
était nécessaire d'employer la force armée pour abattre l'usurpateur.
Vers le mois d'avril, le prince de Tclieng ftp se rendait à la
cour de Tsin : son compagnon et premier ministre. Tse-i'ai-chou
~f" >lv $>• cut uue entrevue avec le ministre Che-yang -j^ ^
(l'homme aux deux chapeaux : celui-ci lui demanda ce qu'il pen-
sait des troubles de la cour impériale. Le prudent compagnon
répondit: moi, pauvre vieux, je suis incapable de soigner comme
il faut mon propre pays : comment pourrais-je encore m'occuper
des affaires de la cour impériale ?
Seulement, il y a un proverbe qui dit: «une veuve n'a pas
peur que la trame de ton fil se rompe; mais elle se chagrine que la
cour impériale chancelé et menace ruine ; die tremble que sa chute
ne l'atteigne aussi elle- . Actuellement, la cour impériale
est ébranlée ; notre petit état en est effrayé : il craint des malheurs;
mais le soin d'apaiseï ces troubles incombe à votre illustre souve-
rain : comment pourrions-nous nous en occuper?
2 Vous connaissez la parole du livre des Vers : si la bouteille
est vide, c'est une honte pour l'amphore, qui ne lui fournit pa-<
de oin; si les parents sont dans l'abandon, c'est une honte pour
les enfants; ces troubles de la cour impériale tourneront au dés-
honneur de votre royaume.
Che-yang fut frappé de cette réponse: il s'empressa de la
communiquer au premier ministre; Han-k'i lut aussi ému que
(1) L'ancienne capitale impériale était un peu au rïord-ouest de Ho-ruxn fou
fnj f?j fl-F, llo-nan ; elle avait douze portes; celle du nord, dont il s'agit ici, s'appelait
Kofi ts'i ij£ *g. /Grande géogr., vol. 4S. p. 4).
(2) Chc-king |$ $J. (Couvreur, p. 262, ode S, n° s).
DU ROYAUME DE TSIN. k']NG-KONG. \'~,'.\
son collègue ; mais que faire? on avait échoue déjà trois fois! la
conclusion de l'entretien fut que l'on convoquerait une réunion
des vassaux.
En 517. vers avril-mai, cette assemblée avait lieu à Hoang-
fou ^ 5C (1), sous la présidence du ministre Tchao-yang |fr |^ :
aucun prince ne s'y présenta ; il y eut seulement dix ambassadeurs;
après bien des délibérations, le président proposa d'envoyer des
vivres à l'empereur, qui avait dû quitter la capitale: on enverrait
en même temps quelques troupes, pour sa garde personnelle, en
attendant qu'on eût prépare une expédition pour l'année suivante.
C'est-à-dire, on ne voulait rien faire, et l'on avait honte de
l'avouer : on prenait le facile système de temporise!'.
Dans une entrevue avec Tse-l'ai-chou ^ -fc >}?£, le président
lui demanda des renseignements et des explications sur les "rites»;
comme, par exemple, quand on salue quelqu'un, quand on lui cède
la préséance, et autres usages semblables, dans les relations sociales.
Le grand lettré fut stupéfait de cette question naïve: Mais,
dit-il, ce sont là des observances de civilité, de politesse, de bonne
éducation, voilà tout ! les rites sont des règles immuables, fondées
sur les lois éternelles du ciel, sur le cours régulier des astres, de
la terre, des saisons, sur les usages des hommes.
Suit un long développement, répétant les lieux-communs en
vogue parmi les lettrés ; nous en faisons grâce au lecteur : il en a
déjà dégusté assez de semblables ; même en chinois, le morceau
est ennuyeux, malgré l'art des antithèses manié si habilement
par le styliste.
Revenons à notre assemblée; on n'y avait presque rien décré-
té ; l'ambassadeur de Song 5^ trouva que c'était encore trop: notre
cour, dit-il, ne peut fournir des vivres ; car notre priucc, étant un
descendant de la dynastie Chang ]gj, n'est pas le parent, mais
seulement l'hôte de la maison impériale Tcheou |§) ; or les hôtes
ne contribuent pas à la nourriture de celui qui les héberge. C'était
dire en langage voilé : la famille Tcheou a supplanté notre dynas-
tie ; à son tour, elle s'effondre ; tant mieux donc !
Le seigneur Che-king-pé j; -jp; {£ de Tsin répliqua victorieu-
sement : votre roi n'a-t-il pas, avec tous les autres vassaux, juré
solennellement toutes les conventions communes, depuis celle de
Tsien-Vou jg| i (632) jusqu'à celle de notre dernière assemblée?
N'y est-il pas stipulé que tous les princes féodaux auront à cœur
d'aider et secourir la maison impériale? comment pourriez-vous
donc vous soustraire à cette obligation sacrée? Vous êtes ici. au
nom de votre souverain, pour coopérer au bien public: je ne vois
pas comment vous pourriez vous dérober au devoir commun.
(1) Hoang fou: appelée plus tard Ou-ting & p$i était à 50 li nord-oucsl de
Ts'in-chouei hien ;-t ^C f£, qui est à 120 li à l'ouest de sa préfecture P'ou-tcheou
fou "$f H\ ffi, Chan-si. (Petite géogr., vol. S. p. 2S) — ^Grande, vol. 43, p
37 4 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
L'ambassadeur de Song resta bouche close; il reçut la feuille
sur laquelle étaient inscrites les contributions à fournir par son
état, et s'en retourna chez lui. Che-king-pé, qui venait de le con-
fondre si bien, lui prédit encore sa fin prochaine, pour avoir
oublié les conventions et les traités; hélas! chacun en faisait
autant, et le royaume de Tsin tout le premier ; chaque cour savait
bien ce qu'on lui devait ; elle oubliait trop souvent ce qu'elle devait
aux autres et au bien public.
En 516. les deux compétiteurs du tronc impérial continuant
à se faire une guerre acharnée, K'ing-kong recevait supplique sur
supplique de son protégé en détresse ; il envoya enfin les généraux
Siun-li ^j jjr$| et Tchao-yang £fj 3|Jt avec une armée suffisante ; le
grand officier Jou-koan -/% ]|f fut chargé d'occuper les défilés K'iué-
sai |^ ,§§ 1), au sud-ouest de la capitale impériale; sans doute,
pour couper la route aux renforts qui venaient aux rebelles par ce
côté; c'était vers la 8 "" lune juin-juillet .
A la llème lune; au jour Sin-iou t^ jSj 21 octobre), l'armée
de Tsin, jointe à celle de son protégé, reprenait la ville de kong
jjp: (2); quelques jours plus tard, elle conduisait le nouvel empe-
reur en triomphe, dans sa capitale; lui laissait quelques troupes,
sous les ordres du grand officier P'an $%, pour assurer la tran-
quillité: puis reprenait le chemin de Tsin. Quant au compétiteur
Tse-tchao ^f- îjBj, il s'enfuit au royaume de Tch'ou 3§|, avec lcs
chefs de son parti; après bien des entreprises, il fut enfin mis à
mort en 505 (c'est-à-dire assassiné).
En 515, Ou-ki-tse }£. âp ^, le "grand saint» du royaume de
Ou §^. venait à la cour de Tsin, pour s'y instruire sur les mœurs
et les usages des états chinois; K'ing-kong dut être bien flatté,
vu la grande sagesse du prince visiteur.
Vers le mois de juin, le ministre Che-yang -j^ j$& présidait.
à Ou J§ (3). une réunion de cinq ambassadeurs; c'était une as-
semblée semi-officielle semi-privée; on y délibéra encore sur les
moyens de soutenir l'empereur, mal assuré sur son trône ; on y
traita la question du duc de Lou -^., mis en fuite par les trois
familles seigneuriales les plus puissantes ; il eût été facile de le
ramener chez lui ; mais Che-yang lui-même avait, en secret, reçu
(1) La montagne K'iué-sai-chan, est à 30 li sud-ouest de Ho-nan fou Jnf f?)
IjÇf, Ho-nan ; elle ;i reçu encore plusieurs noms: entre autres, celui de Ibng-men i"(?
|,,:j (porte du dragon). (Petite géoyr., vol. 12. p. 32) — (Grande vol. 48, p. 14).
(2) Kong : (voir à l'année Ô27), était à 30 li sud-ouest de Kong hien yc S£ .
qui esl à 130 li à l'est de sa préfecture Ho-nan Fou. (Petite géogr., vol. 12, p. 34).
I) Ou: dont il ne reste plus qu'un Kiosque, comme souvenir, était un peu
au nord-ouest de Yuen-ou hien IW. j^ Sf. qui est à 180 li à l'est de sa préfecture
Hoai-k'ing f'oxi tS ^ ^f ■ Ho-nan. (Petite géogr.. vol. 12, p. 2ç) — (Grande, vol.
■<:■ p. *i)>
DU ROYAUME DE TSIN. K'iNG-KONG. 375
de riches cadeaux de l'ancien premier ministre, Ki-p'ing-tse ^
^ ^f-, l'un des antagonistes du duc; ainsi l'assemblée perdit son
temps en délibérations stériles.
A la L2ème lune (octobre-novembre), le seigneur Tsi-t&'in ffij-
|f§, fils de ce Tsi-tan ff- fj^ autrefois semonce par le précédent
empereur, conduisait encore une fois une armée, pour garder la
capitale impériale: les divers princes féodaux avaient fourni leur
contingent, excepté celui de Lou ||., alors réfugié à la cour de
Ts'i ^. Confucius, alors dans la force de l'âge, s'était aussi retiré
dans le même pays; comme les autres, il s'orientait d'après lè-
vent, et personne ne s'occupait beaucoup de lui, ni de sa doctrine;
les lettrés postérieurs ont complètement oublié ces détails.
En 514, au début de l'année novembre , le pauvre duc, re-
buté des humiliations subies à la cour de Ts'i ^'. se tourna vers
celle deTsin, qui lui était cependant si inhospitalière: il se rendit
à Kan-heou Jp£ (3| 1 , et. de là envoya une supplique à K'ing-
kong, demandant permission d'aller à la cour exposer ses malheurs.
Son compagnon, le sage Tse-kia-tse -f" fOL -£ , lui conseillait de
ne pas entrer sur le territoire de Tsin, mais de se tenir en dehors
de la frontière, et d'y attendre la réponse du roi: quiconque envoie
une supplique, disait-il, doit faire anti-chambre avec humilité: il
ne doit pas se mettre à son aise dans un bon endroit: autrement,
personne ne voudra le secourir. Le duc ne sut pas comprendre cet
avis si sensé; il en fut bien puni.
K'ing-kong lui fit répondre durement : le ciel afflige le duché
de Lou par de grandes calamités : votre illustre seigneurie, chas-
sée de son pays, n'a pas senti le besoin de m'en avertir : elle s'est
adressée à son oncle maternel, le roi de Ts'i ^ : elle lui a de-
mandé secours : qu'elle veuille donc bien recourir encore à lui.
K'ing-kong ordonnait au malheureux exilé de sortir de Kan-
heou, et d'attendre qu'on ait statué sur son affaire. La leçon était
forte, mais méritée, dit le commentaire, puisque le prince avait
méprisé le conseil d'un sage compagnon.
Xous sommes arrivés à une époque ou le désordre va s'accen-
tuer de plus en plus, dans le royaume de Tsin : voici l'état des
choses : Dans la grande famille K'i f[), branche latérale de la
maison régnante, il y avait un scandale assez curieux : les deux
seigneurs Chenrj ftfè- et Ou-tsang j^|J #j$ avaient échange leur femme
entre eux. K'i-yng %\\ M' Ie cnef de la famille voulait tout d'a-
bord saisir les deux coupables ; cependant, il demanda conseil au
ministre de la guerre. Chou-you -£{ $f. fils de Jou-ts'i l£ ^
connu de nous depuis longtemps.
(1) Kan-heou: était à 13 li sud-esl de Teheng-ngan hien J# 3c f£, qui est à
60 li nu sud do >.i préfecture Koang-p'ing fou K l1 ^ rche-li. (Petite g
vol. 3, p 4ç) — (Grande, vol. 13. p. 23).
376 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Ce grand dignitaire lui répondit : un ancien livre, du nom
de Tcheng fl[$. a cette sentence: «nombreux sont les compères qui
détestent la vérité et la justice» ; nous vivons dans un siècle bien
pervers ; que votre seigneurie prenne donc garde à ne pas s'attirer
malheur. Le livre des Vers nous dit : les hommes ont beaucoup
de vices; n'allez pas vous compromettre, ni donner raison de vou<
saisir (1) ; ne serait-il pas plus sage de laisser cette affaire, sans
vous en occuper ?
K'i-yng répliqua : c'est une affaire privée, qui ne regarde que
ma famille : je veux punir les coupables, comme j'en ai l'autorité:
la cour n"a rien à y voir. De fait, il fit saisir les deux seigneurs:
mais K'i-cheng envoya de riches cadeaux au ministre Siun-li ^j
H|. pour demander son secours ; celui-ci parla au roi. et présenta
cette arrestation comme arbitraire et illégale : K'i-yng fut à son
tour mis en prison 2).
Un des officiers de sa maison s"écria alors : tous trois vont
certainement être mis à mort : je veux du moins que mon maître
ait la consolation de voir les deux autres punis avant lui ! Là-
dessus, il alla tuer les deux seigneurs.
A la 6ème lune vers avril . K'ing-kong croyant le meurtre
commandé par K'i-yng, le fit mettre à mort, avec Yang-che-ngou
j§ï j£ 3% son conseiller, fils de l'illustre Chou-hiang jj'jj (ff\ : l'in-
cident prit des proportions incroyables ; ce fut une lutte acharnée
entre les grandes familles seigneuriales du royaume : celles de
K'i ijj|) et de Yang-ché ^ -f£ furent exterminées.
Naturellement, il y avait eu des prophéties, annonçant ces
tragiques événements : quant à la famille Yang-ché, voici ce qu'en
rapporte l'historien : Autrefois, Chou-hiang avait pensé prendre,
pour épouse, une fille de la fameuse Hia-ki J| ?;[Ç , cette femme si
célèbre par sa beauté, plus encore par son inconduite, et qui eut
pour mari le grand seigneur de Tch'ou ^XJhen-kong-ou-tchen ^3
^ 3? Ê2- ^a rnère de Chou-hiang le détournait de ce mariage,
et lui conseillait de prendre plutôt une jeune personne de sa famille
maternelle ; à quoi le jeune sage répliqua : j'ai eu bien des mères,
mais peu de frères 'un aîné et deux cadets" ; ainsi je n'aime pas
du tout votre famille (3).
(1) Che-king i$ !§. (Couvreur, p. J7s- ode io, ?i° 6).
{2) Le chef de famille, en Chine, a en elfet une grande autorité, parcequ'il
est responsable des individus qui la composent : de nos jours encore, il n'est pas
rare de le voir tuer l'un d'eux, comme voleur incorrigible ; à tout le moins, le mu-
tiler, en lui crevant les yeux, ou en lui coupant les jarrets, etc. Le mandarin ne
dit rien, si personne ne porte plainte.
(3) Les enfants, par respect pour leur père, donnent le nom do mère à tou-
tes ses femmes, même aux concubine- La mère de Chou-hiang est célèbre aussi,
pour sa sagesse et sa vertu.
DU ROYAUME DE TSIN. k'iNG-KONG. 377
La mère lui fit alors un discours célèbre ; le voici : La prin-
cesse Hia-ki a causé la mort à trois de ses maris, puis à son fils
Hia-tchen-chou J[ % gf-, puis à Ling-kong f| fe '613-699) sou-
verain de Tch'en Pj|f : elle a perdu cet état et deux ministres (King
^1); ne faut-il pas craindre cette femme et sa descendance? Les
anciens disaient que l'extrême beauté est (souvent? jointe à l'ex-
trême méchanceté.
Cette princesse Hia-ki eut pour mère Yao-tse $fc ^ , concu-
bine de Mou-kong ^| 7fe (627-606) souverain de Tcheng f$; son
frère Tse-mou ^ f$, mort jeune encore, n'eut pas de postérité ;
c'est pourquoi le ciel accumula sur cette personne tous les trésors
de beauté ; on pouvait dès lors prévoir qu'elle deviendrait la cause
de grands malheurs, en se rappelant ce qui s'était passé ailleurs.
Dans les anciens temps, le prince de Jen tyj eut une fille
dont la chevelure, d'un noir d'ébène, était brillante comme un
miroir; on appela cette jeune personne Hiuen-tsi ~3f ^j|, la prin-
cesse aux cheveux noirs ; mariée au grand seigneur Kouei ïiffe,
directeur de musique de l'empereur Choen ^?, elle eut un fils
nommé Pé-fong fâ ^j\ une vraie brute ; voluptueux, cupide, que-
relleur, tyrannique, au delà de toute expression ; il finit par être
surnommé Fong-cho ^ ^ Fong-le-cochon. C'est / ^fl, prince de
Kiong ^ (1), qui extermina cet animal: et le vertueux seigneur
Kouei n'eut ni descendance ni sacrifices.
De nos trois grandes dynasties, celle de Hia JÇ fut ruinée
par la fameuse Mei-hi ^ J§i, celle de Yng Jj£, Par 1& fameuse
Tan-ki jf[[ $Ç ; celle de Tcheou ^J, par la fameuse Pao-se ]g? #£|.
Chez nous, le prince Chen-chen ^ ^ de si grande espérance, a
été victime de la fameuse Li-ki f-jËf §pî>.
Connaissant ces faits historiques, pourquoi donc, mon fils,
vouloir vous attirer semblable malheur? plus une femme est belle,
plus elle séduira l'homme, et l'entraînera hors du droit chemin ;
sans un grand et solide fond de vertu, vous ne ferez qu'attirer sur
vous et votre famille de terribles calamités.
Effrayé par ces graves paroles, Chou-hiang avait renoncé à
son projet; mais plus tard P'ing-kong l'obligea à y donner suite;
de cette princesse, il eut un fils, Yang-che-ngou $?. fr ^, qui
vient de périr, et de causer l'extermination de la famille: il s'ap-
pela aussi Pè-che fQ Ç.
(1) Jen : dont la prononciation ressemble bien à Jen Q'j. avait sa capitale à
Jen-tcheng ff; i' . qui forme actuellement la préfecture Ts'i-ning tcheou $f j£ -'H ,
Chan-tong. (Petite géoejr.. vol. 10, p. 38) — (Grande, vol. 33, jj. 2).
Kiong: Les commentaires de L'édition impériale placent cette principauté au
sud de Ycn-chc hien fi| fà$ $£. qui est à 70 li à l'es! de -.1 préfecture Ho-nan fou
Pi & #F- Ho-nan. — La grande géogr., vol. 21, p. 33, la place nu bord de la
rivière Kiong Jjf . appelée aussi Fong ^, qui se jette dans le neuve Kocm \1f .
de Yng-tcheou fort $i M\ fff, \tian-hoei.
1-
378 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Voici encore ce qu'on raconte à son sujet : Quand le petit
Pé-che vint au monde, sa tante (la femme du frère-ainé de Chou-
hiang) courut avertir la grand'mère ; celle-ci alla de suite pour le
voir; arrivée dans la cour, elle entendit les vagissements du nou-
veau-né : ce sont les cris d'un loup ! dit-elle ; un loup a le cœur
farouche ; c'est lui qui ruinera certainement notre maison ! Et elle
s'en retourna sans avoir vu l'enfant.
Reprenons la suite des événements : Vers le mois de mai de
cette même année 514, mourait le premier ministre Han-k'i %%.
tJ£ (1); son successeur, Wei-chou f$| $f-, petit-fils de Wei-kiang
fît $^, à peine au pouvoir, divisait les biens des deux familles
anéanties ; ceux de la maison K'i f\\l formèrent sept districts: ceux
de la maison Yang-ché i£. ^, trois ; tous furent confiés à de grands
officiers, qui en furent les gouverneurs, pour le compte du roi.
Se-ma Mi-meou jî\ || i^jf ?£. fut établi à Ou J|3 — Kia-sinjf[
^ à K'i ffl — Se-ma Ou p\ Jg§ J§ à P'ing-ling zjk §g (2).
Wei-meou |$| ;3ç, fils du premier ministre, mais né d'une
concubine, fut placé à Kenq-yang ||j ^ (3) — Tche-siu-ou j$fâ
(1) Le tombeau de Han-k'i : est à 15 H nord-est de Siang-yuen hien §§ i@
g|, qui est à 90 li au nord de sa préfecture Lou-ngan fou $? 3c Jft ■ Chan-si.
(Annales du Chan-si. vol. jô. p. 27).
(2) Ou: était à 27 li nord-est de Kiai-siou hien -fr fc %£, qui est à 70 li sud-
est de sa préfecture Fen-tcheou fou fft <)+) tf.f, Chan-si. (Petite géogr., vol. S,
p. 16) — (Grande, vol. 42, p. 7).
K'i; c'est A"'i hien %\', §£. à 150 li au sud de sa préfecture T'ai-yuen fou ^
/^ ^F, Chan-si. (Petite géogr.. vol. S. p. 4) — Grande, vol. 40. p. 15).
P'ing-ling: appelée plus tard Ta-ling j\ |^|. était à 21 li nord-est de Wen-
chouei hien yr ;flç. g| , qui est à 160 li sud-ouest de sa préfecture T'ai-yuen fou.
(Petite géogr.. vol. 8, p. 3) — (Grande, vol. 40. p. ici.
(3) Keng-yang : était un peu au sud de Siu-keou /u'e>i ^ jf| IJSjj, qui est à 80
li au sud de sa préfecture T'aïyuen fou 5&C M. tfï, Chan-si. (Petite géogr., vol. S.
p / — (Grande, vol. 40. p. i~ .
Tou-chouei : ou Tou-yang fè |3|. était 20 li au sud de Siu-keou hien (Gran-
de géogr., vol. 40, p. 17).
Ma-cheou : était à 15 sud-est de Cheou-yang hien jÇ FjJ $£, qui est à 1 00 li
à l'ouest de Ping-ting tcheou 2p JE flï- Chan-si. (Petite géogr., vol. 8, p. 33 —
(Grande, vol. 40, p. 21).
Yu : c'est Yu hien ^ % . à 100 li nord-ouest de P'ing-ting tcheou. (ibid).
Tong-ti : c'est T.s'm tcheou JCf #|, Chan-si. 'Petite géogr.. vol. S. p. 32) —
(Grande, vol. 43, p. ç).
P'ing-yang: c'est P'ing-yang fou -^ |?§ tff. Chan-si. Petite géogr., vol. 8,
p. 7) — (Grande, vol. 41, p. 3).
Yani;-tch'enu : était à 18 li sud-est de Hong-tong hien & ffî %%, qui est à
55 li au nord de sa préfecture P'ing-yang fou. (Petite géogr.. vol. S. p. S) — (Gran-
de, vol. 41 . ]). 61.
DU ROYAUME DE TSIN . K'ING-KONG. 379
3£, petit-fils de Siun-ijng ^j ^g>, à Tou-chouei %fe fo — Han-kou
If É- petit-fils de Han-k'i. à Ma-cheou J| ^ — Yu-ping j£ pj,
•i }"" ^ — Lo-siao m ^Ç, à Tong-ti ^ $§ — Tchao-tchao ^Bg,
à P'ing-yang ^ J$ — Leao-?vrya/( fg 5£, à Fang ^.
Voilà un nouvel exemple, qui prouve la richesse et la puis-
sance, dont jouissaient les grandes familles seigneuriales de Tsin :
leurs fiefs étaient de petits royaumes, administrés selon leur bon
plaisir. Le premier ministre dit aux deux seigneurs, Kia-sin et
Se-ma Ou, qu'ils devaient cette haute dignité au zèle qu'ils avaient
déployé pour le service de l'empereur en 520). Quant aux seigneurs
suivants. Wei-meou, Tche-siu-ou, Tchao-tchao, et Han-kou, cadets
nés de concubines, il leur recommanda d'être diligents dans leur
nouvel office, et de faire honneur à leurs familles.
Les quatre autres seigneurs, Se-ma Mi-meou, Yu-ping, Lo-
siao, et Leao-ngan, étaient des hommes éminents ; ils ne devaient
leur élévation ni à la faveur, ni à leur nom ; le premier ministre
n'avait donc qu'à les féliciter. et à les encourager à continuer leurs
loyaux services.
11 interrogea le grand officier Tcheng-tchoan fâ&M '■ m'accusera-
t-on de partialité, dit-il. pour avoir donné ce poste à mon fils
Meou fè? La question était délicate: voici la réponse de l'officier:
Comment pourrait-on porter pareil jugement? Tenu à distance.
Meou n'oublie cependant pas son souverain; comblé de faveurs, il
ne se permet ni libertés ni arrogances, envers les autres dignitai-
res: dans les occasions où il pourrait faire du profit, il a devant
les yeux la justice ; pressé par le besoin d'argent, il garde quand
même une probité pure et intègre; il sait dominer les passions'
du cœur humain, sans jamais leur lâcher la bride; ses mœurs
sont absolument irréprochables ; n'est-il donc pas juste que votre
Excellence lui donne ce gouvernement?
Dans l'antiquité, l'empereur Ou-wang jj£ ^£, ayant abattu la
dynastie Chang ^J, distribua de riches fiefs à quinze de ses frères,
et à quarante autres parents; dans son choix, cet illustre prince
n'eut souci que des mérites ou de la capacité des élus; aussi le
livre des Vers dit-il de lui : le roi du ciel donna à Wang-ki Jl ^
un jugement exquis; et, dans le silence, prit soin d'étendre la
renommée de sa sagesse; sa sagesse fut pénétrante : elle le rendit
capable de comprendre et discerner les choses, de former et il<'
gouverner les hommes; chargé de Vempire, il sut obtenir la sou-
mission et l'amour de ses sujets. Wen-waug «£ 3î>'j"* foi succéda,
n'eut jamais rien à se reprocher; il jouit des faveurs du ciel, et
les iransmit i>. ses descendants (1).
Avoir un jugement exquis, signifie que le cœur sait juger en
toute justice ; dans le silence, étendre la renommée de la sag
signifie que son cœur est orné de toutes les vertus, qui lui conci-
lient l'affection des hommes: .sa sagesse fut éclatante, signifie
(1) Che-kinij f$ $J. (Couvreur, p. 337, ode 7, n° 4 .
380 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
qu'elle brilla aux yeux de tous les pays; savoir discerner, signifie
s'appliquer avec soin à distribuer les bienfaits sans égoïsme ni
partialité; former les hommes, signifie les instruire, les corriger,
les perfectionner, sans jamais se lasser dans cette rude besogne :
gouverner les hommes, c'est distribuer les honneurs, les offices,
les récompenses, les punitions comme il convient; obtenir la sou-
mission, c'est faire en sorte que l'inférieur obéisse avec humilité
et dévouement, comme à un bon maître; obtenir l'affection, c'est
commander si bien, que le sujet accepte d'instinct et sans efforts
les ordres qui lui sont donnés.
Quand le ciel et la terre se combinent ensemble, comme la
chaîne et la trame d'une toile ; quand tout est disposé dans un
ordre accompli; c'est la perfection, comme elle se montra dans la
personne de Wen-wang.
Si ces neuf qualités se trouvent réunies dans un homme, il
n'a rien à se reprocher dans n'importe quelle entreprise ; voilà
pourquoi Wen-wang reçut la bénédiction du ciel (l'empire), et la
transmit à ses descendants, qui jouissent de ses mérites.
Dans cette promotion, votre Excellence a approché de la per-
fection de l'empereur Wen-wang ; elle a su choisir des hommes
distingués, parents ou étrangers; qui donc pourrait la critiquer?
Voilà un tonneau d'eau de rose, versé sur le nouveau premier
ministre ! Mais ce lieu-commun sur la perfection, incarnée dans
la personne de Wen-wang, est vraiment par trop fade ; personne
n'y croit ; le compliment fut sans doute beaucoup plus court, dans
la bouche de l'officier ; le lettré-historien y a ajouté ces belles
considérations qui font les délices des «connaisseurs» chinois.
Quand le seigneur Kia-sin jf|~ -^ allait se rendre à son nou-
veau poste, il fit une dernière visite au premier ministre ; celui-ci
était en veine ; il lui servit à son tour une curieuse instruction :
Approchez, seigneur Sin -ë^, lui dit-il, écoutez cette petite histoire:
Autrefois, Chou-hiang $[ fp] étant en ambassade au pays de Tcheng
Jff$, un homme d'une laideur repoussante voulait à tout prix le
voir; pour cela, il se tenait au bas de l'escalier, parmi les servants
de table ; inopinément, il proféra une sentence de haute sagesse.
Chou-hiang avait justement la coupe de vin sur les lèvres, quand
il entendit cette parole: cet homme, s'écria-t-il, ne peut être que
le sage Tsong-mi ^ j§£ ! Aussitôt il descendit, prit son homme
par le main, le conduisit dans la salle, et le présenta aux convives,
comme un génie supérieur; il ajouta le petit conte suivant: Au-
trefois, dans la principauté de Kia jf (1), un officier, d'une sin-
gulière laideur, avait pris pour épouse une femme d'une grande
(1) Kia: cette minuscule principauté avait sa capitale à 1S li sud-ouest de
P'ou-tch'eng hien fâ J$ ff, qui est à 80 li à l'ouest de sa prélecture Tong-tcheou
fou |rJ fl\ fff, Chen-si. (Petite géogr., vol. 14, p. 22) — (Grande, roi. 34, p. 8).
DU ROYAUME DE TSIN. k'iNG-KONG. 381
beauté ; pendant trois ans, celle-ci ne lui avait pas dit un seul
mot, pas même donné un sourire. Ce dignitaire partit un jour
pour la chasse, et conduisit sa femme sur son char; ayant visé
un faisan, sa flèche l'atteignit au vol ; l'épouse fut si contente,
qu'elle sourit, et commença des lors à parler à son mari : Quel
heureux coup! s'écria celui-ci; il m'a permis de montrer mon
talent, et de gagner le cœur de ma femme! Quant à vous, cher
monsieur, votre figure n'est pas très-attrayante : sans la sentence
que vous venez de proférer, je n'aurais jamais eu. sans doute, le
bonheur de faire votre connaissance ; voilà comme il est nécessaire
de s'exercer dans l'art de la parole !
Après ce petit conte, Wei-chou en lit l'application : Votre
seigneurie, dit-il, s'est distinguée de la manière la plus brillante,
au service de l'empereur; voilà pourquoi je vous ai donné ce gou-
vernement; allez, montrez-vous digne de ma confiance; continuez
à faire preuve du même dévouement dans votre nouvel office !
Toute cette tirade semble écrite afin de pouvoir mettre en
scène le pauvre Confucius, que les contemporains négligeaient si
obstinément. Notre lettré-historien, son admirateur, nous le pré-
sente, et nous rapporte une de ses graves sentences : Quand Con-
fucius, dit-il, eut appris la promotion faite par Wei-chou, il
s'écria: voilà un véritable ministre! il a su reconnaître le talent
parmi sa parenté, il a su aussi le reconnaître parmi les étrangers;
voilà un ministre modèle, qui n'est conduit que par la justice !
Le même historien revient à la charge avec son «saint»:
Quand Confucius eut ensuite appris les paroles de Wei-chou la
petite historiette et sa conclusion), il s'écria de nouveau: voilà un
ministre loyal et fidèle! le livre des Vers nous dit «con formez-vous
sans cesse aux ordres du ciel; vous recevrez de lui de nombreuses
faveurs» (1); voilà ce qu'obtient un homme loyal ! Dans la distri-
bution de ces hautes dignités, le ministre s'est montré animé
d'une grande justice ; dans la direction donné à ceux qui entraient
en charge, il s'est montré d'une loyauté admirable : bien sur, un
tel homme aura toujours de la descendance dans le royaume de
Tsin. — Le lettré-historien, dans son cœur, répond certainement:
ainsi soit-il !
Le père .étant si bien canonisé par le pontife de tous les siè-
cles, montrons qu'il avait le bonheur d'avoir un fils digne de lui.
presque meilleur que lui: Vers la fin de cette même année 514,
des gens de Keng-yang ^ |^ avaient porté au tribunal de Wei-
meou un procès d'une importance majeure ; celui-ci, n'osant le
décider de sa propre autorité, l'avait déféré au premier ministre,
son père. Le principal moteur de ce procès, voulut en assurer le
succès ; pour cela, il offrit à Wei-chou un groupe de jolies musi-
ciennes ; et celui-ci était sur le point de l'accepter.
(1) Che-kinrj Hf fëg. (Couvreur p. 322- ode /.. ?i° 6).
382 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
1 ) Wei-meou averti du fait, appela ses deux fidèles officiers
Yen-mou f||| $£ et Jou-koan -J£ ^ : son Excellence le premier-
ministre, dit-il, est connu dans tout l'empire, comme un homme
qui ne reçoit pas les cadeaux ; si cette fois il se laisse gagner, ce
sera une grande flétrissure pour sa réputation ; il faut à tout prix
l'avertir, et l'empêcher de commettre cette faute.
Les deux officiers s'étant concertés sur les moyens à prendre,
se rendirent à la capitale ; le premier-ministre était absent, quand
ils allèrent le visiter ; ils l'attendirent dans son antichambre. A
son retour, Wei-chou ^ $]"• les invita à dîner avec lui ; pendant
le repas, ils poussèrent de grands soupirs, à trois reprises diffé-
rentes ; le ministre en était tout étonné, mais pour lors ne leur
en demanda pas le motif.
Après le dîner, il les invita encore à passer ensemble un mo-
ment de récréation ; puis il leur dit : d'après le proverbe, pendant
le repas on oublie son chagrin ; pourquoi donc, à table, avez-vous
soupiré ? — Hier soir, répondirent les deux officiers, nous avons
bu le vin chez un ami, mais il ne pensa pas à nous donner à sou-
per ; quand donc on commençait à servir le diner, tout à l'heure,
nous craignions de ne pouvoir rassasier notre faim, et nous avons
soupiré ; au milien du repas, nous nous disions : nous avons eu
tort de supposer une pareille chose, à la table d'un premier-minis-
tre ; et nous avons soupiré de regret. Vers la fin, nous pensions:
puisse le cœur d'un homme sage, savoir se contenter de la juste
mesure, comme notre appétit a cessé, quand il fut rassasié ; nous
avons alors poussé le troisième soupir.
11 paraît que le premier-ministre comprit la leçon, et refusa
le cadeau des gens de Keng-yang. Les chinois aiment beaucoup
ces petits apologues, imaginés pour faire passer adroitement une
vérité ; mais les lettrés croient seuls être capables de les compren-
dre. Un maître m'expliquait un jour ce genre de littérature ; je
le laissais dire, sans me montrer émerveillé de cette finesse, par-
tout en usage ; le bonhomme crut que je ne saisissais pas ; il
revint à la charge, pour me bien expliquer ce genre de composition
chinoise ; peut-être qu'il soupira aussi de me voir si borné.
En 513, la cour de Tsin persistait à refuser au duc de Lou
<!!•; la permission de venir saluer le roi, et lui exposer ses ma-
rieurs ; l'exilé s'était donc une seconde fois retiré à la cour de
Ts'i >0, mais n'y avait reçu que de nouvelles humiliations ; il
prit enfin le parti de retourner encore à Kan-heou jfi£ fâ, et d'y
attendre des temps meilleurs. Etant sans ressources, il n'avait
rien à offrir ; tandisque ses ennemis envoyaient de riches cadeaux ;
c'est pourquoi ses suppliques demeuraient sans effet. Pour com-
ble d'infortune, Confucius n'était pas de son parti.
(1) Le tombeau du célèbre Yen-mou, est un peu au sud-ouest de Siu-keou
hien fô fë. SU, qui est à 80 li au sud de sa préfecture T'cd-yuen fou jfc W. tfF,
Chan-si. (Annales du Chan-si, vol. jô, p. 2S).
DU ROYAUME DE TSIN. k'iNG-RONG. 383
Vers le mois de juillet, un dragon se montra, paraît-il, en
dehors des faubourgs de la capitale de Tsin ; le premier-ministre
s'empressa d'inten'oger, sur cet événement, le grand archiviste
Ts'ai-me ^ |g : Les anciens, dit-il, affirment que le dragon est
le plus intelligent de tous les animaux, et que, pour cela, on ne
peut jamais le prendre vivant ; est-ce vrai ? (1)
C'est une double erreur, répondit le savant ; le dragon n'est
pas doué d'intelligence, et il peut être élevé comme les autres ani-
maux ; c'est pourquoi, autrefois, le pays de Tsin eut des hoan-
long-che |f| f| j£ et des Yu-long-che f^J f£ JÇ, c'est-à-dire des
éleveurs et des conducteurs de dragons ; de là, ces noms se con-
servèrent dans les familles qui avaient cet office.
En effet, reprit le ministre, j'avais entendu parler de ces deux
noms de famille ; mais je n'en connaissais pas l'origine ; pourriez-
vous m'en raconter l'histoire ?
Dans les anciens temps, dit l'archiviste, Chou-ngan fâ %,
prince de Leao }!}$ (2), eut un descendant éloigné, nommé Tong-
fou |g 5£> grand amateur de dragons ; il avait étudié leurs mœurs,
et avait découvert leur nourriture de préférence ; ainsi beaucoup
de ces animaux se rendaient d'eux-mêmes auprès de lui. Il en
éleva pour le compte de l'empereur Choen ^ (vers 2257 avant
Jésus-Christ); il put aussi établir une méthode raisonnée de les
nourrir et et de les élever ; c'est pourquoi cet empereur lui donna
le nom de Tong jj, qui signifie administrateur, gouverneur; il
reçut encore le nom de Hoan-long ^ f|, qui indiquait plus clai-
rement et plus vulgairement son office (qui nourrit les dragons).
Ce nom se perpétua dans sa famille ; celle-ci fut aussi appelée
Tsong-i ^ ^, à cause de ce fief qui lui fut attribué par ce même
empereur (3). Ainsi il conste qu'il y eut des éleveurs de dragons
à cette époque.
Le savant historiographe ne semble pas douter de ce qu'il
raconte ; son discours est tout au long dans notre auteur ; je n'ai
(1) La rivière Long-kou-chouei |g fè. j\ï., a reçu ce nom, de cette apparition
vraie ou fausse: elle coule à 1S li nord-est de l'endroit où étail la capitale Kiang $ :
c'est là, dit-on, que se montra ce dragon. (Petite géogr., vol. S, p. 44) — {Gran-
de, vol. 41, p. 401. Nier, à priori, l'existence de ces fameux dragons, serait aller
contre la médecine chinoise, qui en vend des ossements fossiles : ce serait ridiculiser
la société de savants allemands, qui, en ce moment est à la recherche de ces mêmes
ossements. Donc, ne préjudicions en rien a personne '
(2) Leao: sa capitale, appelée plus tard Hou-yang tch'eng #J] FS W- était
à 00 li au sud de T'ang kien fjj §f, qui est à 120 li sud-est de sa préfecture
Nan-yang fou p^ 1^ iff, Ilo-nan. (Petite géogr., roi. 12. p, n — Gronde, ool.
Si, i>. 10).
(3) Tsong-i: 11 y eut autrefois un (leuve rsong. mais on en ignore l'identi-
fication ; ainsi disent les commentaires.
384 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
pas le courage de traduire cette élucubration peu probante ; notre
savant oublie qu'on a imaginé bien des légendes phantastiques,
pour expliquer le nom d'une famille, d'une montagne, d'une
rivière, d'un pont, etc, etc.
Vers le mois de septembre de cette même année, Tchao-yang
^ ^ et Siun-yng ^j lif, tous deux petits-fils des anciens et illus-
tres premiers ministres Tchao-ou-tse ^g fÊÇ -?■ et Siun-yen ^ f[§,
conduisaient leurs troupes, bâtir une forteresse, au pays des Tar-
tares Lou-hoen |§| jljF, sur les bords du fleuve Jou *$r (1).
Aussitôt, Siun-yng imposa à son fief de K'iu-wo $fi ffî, une
contribution de quatre cent quatre-vingts livres de fer (2) ; il en
fondit un trépied, sur lequel il fit graver les lois pénales établies,
en 621, par Fan-siuen-tse ffa Jj| -^ (ou Che-kai -^ 4g) (3).
A cette nouvelle, Confucius éructa une menaçante prophétie,
dont les "considérants» semblent bien empruntés â ceux de Chou-
hiang ^ [p], en pareille circonstance: Le royaume de Tsin ne
va-t-il pas à sa ruine? dit-il; en publiant de lois pénales, il perd
les lois propres [tou J^] à la bonne administration; il devrait
plutôt garder les règlements, donnés par l'empereur au fondateur
de la maison régnante (Tang-chou ^ fâ).
Si les ministres et les grands dignitaires savent se tenir cha-
cun à son rang, le peuple saura, de son côté, estimer et vénérer
ses supérieurs ; ceux-ci, forts de cette soumission, sauront garder
leurs droits héréditaires; il n'y aura plus d'empiétements, ni d'une
part ni de l'autre; c'est-là ce qu'on appelle avoir des lois.
En 623, à l'occasion des manœuvres exécutées à Pi-lou |j£ |§[,
Wen-kong *£ Q établit une hiérarchie, parmi les officiers et les
autres fonctionnaires ; il publia des règlements invariables ; c'est
grâce à cette forte organisation, qu'il devint le chef des vassaux.
Maintenant, on rejette ces règlements ; on grave des lois
pénales sur des trépieds; le peuple va les lire; fort de ce texte,
il va discuter les décisions des ses supérieurs ; il perdra sa sou-
mission envers eux ; ceux-ci ne pourront plus garder intacts leurs
droits et privilèges héréditaires ; les rangs ne seront plus conser-
vés : l'état ne pourra plus subsister.
(1) Lou-hoen : voyez an début de ce règne (525).
Le fleuve Jou: coule au sud de Song hien {8J ff, qui est à 160 li au sud de
sa préfecture Ho-ncm fou fnf i^} Ifr, Ho-nan. (Petite géogr., vol. 12. j>. 3c) —
(Grande, vol. 4S, p. 45).
{'!) Le fer était alors rare et précieux. D'après le commentaire, voici les poids
alors en usage: an l\lim $f-, était trente livres: un Cite 2J, cent-vingt livres; un
Kou ai', quatre-cent-quatre-vingts livres. (Hoang-tsing Ktng-kiai Jï jff £«î fô, \ %
+ il,P- 48)-
(3) Voir à l'année indiquée, où le même historien dit que Tchao-toen $î Jjt
est l'auteur de ces mêmes lois.
DU
ROYAUME DE TSIN. k'iNG-KONG. 385
De plus, ces lois pénales de Fan-siuen-tse, établies lors des
manœuvres exécutées à / %, furent inventées pendant une époque
de troubles ; elles -furent bonnes, peut-être, pour ces temps-là ;
comment pourrait-on en faire des ordonnances durables ?
Ainsi, le lecteur le voit, ce « saint des saints lettrés » n'aime
pas non plus les lois claires et clairement promulguées ; elles en-
levaient aux hautes classes leur meilleur moyen d'opprimer le
peuple, en rendant l'arbitraire plus difficile. Il pouvait d'ailleurs
se rassurer ; gravées sur les trépieds, ou imprimées dans les codes,
ces lois devenaient bien vite lettre morte, comme cela se pratique
encore de nos jours ; l'arbitraire seul persiste.
Quoi qu'il en soit, Ts'ai-meh '?% H (l'historiographe des dra-
gons) poussa aussi sa jérémiade, au sujet du malencontreux trépied
de fer : Ces deux familles Fan fë et Siun ^j, dit-il, vont périr,
pour avoir promulgué ces lois pénales ; Siun-yng n'étant pas pre-
mier-ministre, ne pouvait s'arroger le pouvoir de les publier ; en-
core moins de les graver sur un trépied, comme lois du royaume;
elles étaient tombées en désuétude ; en les déterrant, il a fait en-
core plus de mal que Fan-siuen-tse lui-même ; il va donc subir
aussi un châtiment plus grave, et sera bientôt exterminé. Tchao-
yang a eu sa part, dans cette publication ; mais il ne pouvait faire
autrement : s'il se met à pratiquer la vertu, il pourra échapper
au sort de Siun-yng.
Tout cela est un pur artifice littéraire, employé à satiété par
notre auteur, pour nous annoncer la fin tragique de Siun-yng ;
nous verrons, en effet, celui-ci se révolter en 497, et entraîner
toute sa famille dans sa ruine.
En 512, à la 6^'ne lune, au jour keng-chen fê H (22 avril),
mourait K'ing-kong ; et deux mois plus tard il était enterré ; on
avait donc grand'hâte de se débarrasser de lui ; puisqu'on n'at-
tendait pas les six mois réglementaires.
Tse-t'ai-chou ^ -fc ;#, ministre de Tcheng f|$, était venu
présenter les condoléances de sa cour ; il resta là. pour assister à
l'enterrement, de la part de son maître ; c'était contraire aux usa-
ges. Wei-clwu ffé ?ï chargea le seigneur Che-king-pé ± ^ fÊ
de demander explication de cette conduite :
A la mort de notre roi Taokong -|f &. votre ministre Tse-si
^ "g vint nous offrir vos condoléances : et votre premier-ministre
Tse-tch'an =f- fè assista à l'enterrement ; cette fois-ci, votre sei-
gneurie seule est venue ; elle n'a même pas amené un compagnon,
pour la remplacer, en cas d'accident ou de maladie ; pourquoi
donc ce grand changement dans la circonstance actuelle ?
L'ambassadeur était un homme capable de répondre à son
interlocuteur, et de lui fermer la bouche sans l'offenser : La rai-
son, dit-il, pour laquelle tous les vassaux reconnaissent la supré-
matie de Tsin, est dans les rites, qui veulent qu'un petit état soit
sous la suzeraineté d'un grand. D'après eux. le petit doit se
386
TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
montrer soumis, obéissant, offrir les contributions et cadeaux d'u-
sage ; le grand doit lui prouver son affection en compatissant à
sa faiblesse, en lui prêtant secours et appui dans le besoin.
Nous sommes situés entre les deux royaumes de Tsin et de
Tch'ou @ ; nous avons le devoir de vous fournir les contributions;
il faut aussi nous tenir en garde contre des malheurs inattendus;
s'il nous arrive d'omettre quelque léger détail dans notre service,'
il n'en faut pas conclure que nous avons oublié nos obligations ;
c'est seulement que nous avons été empêchés par les circonstances!
D'après les anciens règlements, à la mort d'un roi, un officier
doit porter les condoléances ; un grand officier, assister à l'enter-
rement ; à l'occasion d'événements joyeux, comme un mariage ;
dans les visites officielles d'amitié ; dans les questions d'armée ou
de guerre ; en tous ces cas, et autres semblables, c'est un ministre
qui doit être envoyé.
Quand donc le royaume de Tsin eut un deuil national, notre
prince n"a pas manqué de remplir son devoir ; il est même venu
en personne, quand les circonstances le lui ont permis ; s'il en a
été empêché, si même il n'a pu députer un dignitaire, selon la
coutume, ne l'accusez pas de négligence ; croyez qu'il n'a pu faire
autrement.
Il est de votre générosité de nous louanger, quand nous faisons
plus que notre devoir ; d'autre part, il ne faut pas trop pointiller
sur des minuties qui nous ont été impossibles ; bref, vous devez
bien plus examiner les sentiments qui nous animent ; si vous
pouvez strictement vous contenter de ce qu'un petit état, comme le
nôtre, fait selon les circonstances, estimez qu'il a observé les rites.
Ainsi, à la mort de l'empereur Ling-wang igf 3£ (571-545),
notre souverain se trouvait à la cour de Tcheou**&, pour l'enter-
rement du roi K'ang-kong fê % ; nous fûmes réduits à envover
le grand officier Yng-toan gl g à la cour impériale, porter nos
doléances, et asssister à l'enterrement. Malgré sa jeunesse, notre
député fut bien reçu des dignitaires; personne ne nous chercha
querelle; on vit que nous avions agi de la sorte, à cause des cir-
constances.
Aujourd'hui, votre illustre cour montre moins de condescen-
dance; votre seigneurie demande pourquoi nous n'avons pas observé
les anciens règlements? mais ceux-ci ont eux-mêmes du plus et du
moins; faire plus, notre prince ne le pouvait; il est trop jeune
pour venir en personne; il a dû, à son regret, se contenter de
m'envoyer, moi, votre humble serviteur. Que votre seigneurie veuille
donc examiner si notre cour a fait son devoir.
A ce discours, si poli dans la forme, mais au fond si mordant,
le seigneur Che-king-pé n'eut rien à répondre; aussi, l'historien
ne le rapporte que pour montrer les exigences et les prétentions
de Tsin; ajoutons qu'il veut nous faire admirer un vrai lettré,
daubant finement son monde, en invoquant une impossibilité
imaginaire.
387
TING-KONG «511-475)
£ &
'r*-H-
Le nouveau roi, fils du précédent, s'appelait Ou ^p ; son nom
posthume ou historique, Ting, signifie prince qui eut grandement
à cœur de procurer la paix à .son peuple (1); il a encore trois autres
sens aussi louangeurs ; nous verrons si la postérité s'est trompée.
Nous avons dit que le duc de Lou ^ se tenait en exil, à Kan-
heou jjî£ {^, sur le territoire de Tsin : pendant ce temps, l'ancien
premier ministre Ki-p'ing-tse 3g Zp. ^jp ou Ki-suen-i-jou Êp fâ
M ^n s'était arrogé tout pouvoir. Confucius entretenait avec lui
des relations amicales ; tandisqu'il laissait de côté le malheureux
prince ; ne lui faisant pas même une visite, ne lui donnant pas
même un conseil : il y aurait eu sans doute quelque danger à se
déclarer, même si peu, partisan du maître légitime, et le - saint'
tenait à sa peau.
Ting-kong, cependant, eut honte de voir un prince de ses
alliés, de sa famille, exilé sur son propre territoire, abandonné à
son malheureux sort, sans pouvoir obtenir même une audience ; il
résolut donc de mettre un terme à cette humiliante situation, et
de replacer, à main armée, le duc sur son trône.
Le ministre Che-yang -j^ j|jji l'homme aux deux chapeaux
trouva le moyen de déjouer cette bonne intention de son maître,
tout en ayant l'air d'abonder dans son sens: Oui. dit-il, Ki-suen
Hp ■££ est peut-être un véritable rebelle ; que votre Majesté l'appelle
donc à son tribunal ; s'il refuse de venir, il sera convaincu d'usur-
pation ; il sera temps alors de prendre les armes pour le punir ;
voilà mon idée, sauf meilleur avis.
Ting-kong, qui ne se doutait de rien, tomba dans le piège: il
donna ordre à Ki-p'ing-tse de se présenter à la cour de Tsin : en
secret, le traître Che-yang l'avertissait de venir sans crainte ; il se
faisait fort de lui procurer la victoire sur le duc.
Ki-p'ing-tse se mit aussitôt en route, et eut une entrevue
avec le ministre Siun-li ^ ^ a Ti-li jj!| jg (2): Le roi mon maî-
tre, lui dit celui-ci, vous demande par ma bouche, pourquoi vous
(1) Texte de l'interprétation : ^ lg S? ft 0 ^
(2) Ti-li : inconnue aux commentateurs. Peut-être est-ce IJ-hiang H ^, qui
était à 25 li de Ning-tsin hien "Sji ff %, qui est à 45 li de Tchao-tcheou jfi M\, au
sud-est, Tche-li. ( Kiang-yu-ptio $fi tç£ vol. _fc, p. 50).
388 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
avez chassé votre souverain ; et pourquoi vous l'empêchez de ren-
trer? une loi de l'empire ordonne de punir quiconque refuse obéis-
sance à son prince; vous connaissez cette loi et son application.
Le comédien avait bien préparé son rôle ; vêtu en grand deuil,
et pieds nus, Ki-p'ing-tse se prosterna le front contre terre, et
parla ainsi : Obéir, et servir mon souverain, est mon plus grand
désir ; mais il refuse obstinément de rentrer à la capitale ; si je
suis coupable en quoi que ce soit, me voici ; je suis prêt à subir
ma peine; j'ai prié mon souverain de m'interner à Pi J| (1), en
attendant que mon procès fût jugé; après quoi, on fera de moi ce
que l'on voudra ; si mon souverain consent à exercer la miséricorde
envers mes ancêtres, et ne pas massacrer ma famille, je mourrai
content, sachant que les sacrifices pourront se continuer dans ma
descendance ; voilà pourquoi je suis venu avec ces vêtements de
deuil, tout disposé à mourir. Si mon maître a pitié de moi, et me
condamne seulement à l'exil, ce sera un bienfait dont je lui serai
reconnaissant toute ma vie. Mais s'il m'était permis d'accompa-
gner mon prince, et de le reconduire à la capitale, mon plus grand
bonheur serait de le servir avec le plus entier dévouement.
Siun-li fut leurré par cette comédie (2) ; à la 4ème lune (fé-
vrier-mars), il emmena Ki-p'ing-tse à Kart-heou ifc fj£, où se trou-
vait le duc, et où il espérait pouvoir opérer la réconciliation.
Le sage Tse-kia-tse -? |jc -^ exhortait le prince en ces termes:
consentez à rentrer avec cet impudent P'ing-tse ; c'est une honte,
je l'avoue ; mais elle n'est que passagère, et elle vous évitera celle
de rester en exil toute votre vie. Le duc était disposé à suivre ce
conseil, quand son entourage l'en dissuada: le roi de Tsin, lui
observait-on, est si bien disposé pour vous, que vous n'avez qu'un
mot à dire, et vous serez à jamais débarrassé de P'ing-tse.
Siun-li exprima ses doléances au duc ; puis il ajouta : le roi
mon maître a envoyé votre serviteur, punir Ki-suen-i-jou sfs fâ
^t ilïï : celui-ci est prêt à la mort, si vous le jugez coupable ; vous
pouvez donc rentrer dans votre capitale.
Le duc remercia chaudement: votre illustre roi, dit-il, a dai-
gné se souvenir de l'amitié de mes ancêtres, pour abaisser ses
regards sur moi ; grâce à sa puissante intervention, je pourrai
(1) Pi : capitale du fief de ce comédien, était à 70 li sud-ouest de Pi-hien
îî $f, qui est à 90 li nord-ouest de sa préfecture I-tcheou fou jjf ffl ffi. Chan-tong.
(Petite géoyr., vol. m. p. jo) — (Grande, vol. js- p. 3S).
(2) Comédie semblable se pratique journellement encore: a-t-on un procès, à
peu prés perdu, on fait avancer devant le mandarin une veuve en grand deuil, ou
Utl vieillard en guenilles ou coiffé du bonnet j;uine de la vieillesse (soit-disant accordé
par l'empereur) ; les nouveaux compères doivent savoir jouer de la langue, bien en-
tendu; tout le monde connaît le «fa-tse f£ "7 " (le truc) ; et pourtant, il fait toujours
impression; si le procès n'est pas ?agoc, il est perdu «avec honneur».
DU ROYAUME DE TSTN. TING-KONG.
rentrer dans ma patrie, et balayer le temple de mes ancêtres : en
reconnaissance, je veux le servir fidèlement toute ma vie. Quant
à cet abominable traître Ki-suen 2p •££, je ne consentirai jamais
à le voir; je le jure par l'Esprit de ce fleuve : si je change d'idée,
je me voue à sa plus terrible vengeance.
Siun-li n'en pouvait croire ses oreilles: Notre humble sou-
verain, s'écria-t-il, s'est donné tant de peine, pareequ'il craignait
d'être accusé d'indifférence à votre égard : mais puisque vous-même
ne voulez pas rentrer dans votre capitale, nous ne nous occuperons
plus de vos affaires; je vais dresser un rapport à ce sujet.
L'ambassadeur se retira: La colère de notre souverain, dit-il
à Ki-p'ing-tse â^^fi ^f-, est encore trop forte contre vous: retour-
nez à votre capitale : offrez les sacrifices solennels d'usage, à la
place de votre prince, et continuez l'administration de l'état.
Le sage Tse-kia-tse -f- ^ -J* conjurait le duc de sauver la
situation, pendant qu'il en était encore temps: laissez donc votre
suite ici, lui disait-il; montez sur votre char, et rendez-vous au
milieu de vos troupes : Ki-p'ing-tse ne fera pas difficulté de vous
suivre ; tout le monde verra que vous êtes disposé à pardonner le
passé; tout s'arrangera à l'amiable.
Le duc voulait encore suivre ce bon conseil, mais les seigneurs
de son entourage, craignant d'être abandonnés et sacrifiés, s'oppo-
sèrent à son départ, lui remontrant qu'il ne pouvait violer le ser-
ment solennel qu'il venait de faire à l'instant. Ainsi le duc resta
en exil jusqu'à sa mort: c'est-à-dire jusqu'à la 12ème lune de
l'année suivante.
En 510, vers mai-juin, l'empereur King-wang j^ 3E 519-
476) députait à la cour de Tsin les deux grands officiers Fou-sin
g" ^5 et Che-tchang ^ î;Jf ' demander que les vassaux voulussent
bien fortifier la ville de Tch'eng-lcheou ffc ^ l . où il désirait
transférer sa résidence.
Le pauvre « fils du ciel » ne pouvait vivre en paix dans sa
capitale Wang-tch'eng ^£ f& ou les partisans de son ancien com-
pétiteur Tse-tchao ^f- ^\ étaient encore nombreux. Voici la teneur
du message : Le ciel a fait une large part de calamités à notre
maison impériale Tcheou JjlJ ; même mes frères, et d'autres mem-
bres de ma famille, se sont révoltés contre moi ; ces troubles, je
le sais, mon vénéré oncle, causent bien du chagrin et des ennuis
à vous et à tous les vassaux nos alliés : après m'avoir aidé à abat-
tre les rebelles, vous tenez, depuis cinq ans. garnison dans ma
capitale, pour me protéger. Ces grands bienfaits sont si profon-
dément imprimés dans ma mémoire, que j'y pense journellement ;
(1) l'en 'eng- tcheou : si célèbre ensuite sous le nom de Lo-yuny ï# S», avait
déjà des murs; il s'agissait donc de l'agrandir et la fortifier davantage; afin d'en
faire un séjour assuré, digne de la majesté inpériale du «'fils de ciel » .(Petite géogr.,
vol. iz. }u 31) — (Grande, vol. 48, p
390
TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
comme le paysan, après une longue famine, espère ardemment
une bonne récolte ; avec la même anxiété désirai-je la fin des trou-
bles, et le retour d'une paix solide et durable. Si vous, mon
vénéré oncle, à l'exemple de vos illustres ancêtres Wen-heou %
fâ (780-746) et Wen-kong % & (635-628), qui furent la conso-
lation et l'appui de notre dynastie, si, dis-je, vous voulez bien me
rendre encore un service signalé, vous serez béni des « saints »
empereurs Weng % et Ou jï£ ; vous affermirez votre suprématie
sur les vassaux, et vous acquèrerez la gloire et la fortune que je
vous souhaite de tout cœur.
Autrefois, l'empereur Tch'eng-wang $5 (1115-1079) a déjà
réuni les princes féodaux, pour bâtir les fortifications de Tch'eng-
tcheou }fc J$, en vue d'en faire la capitale orientale de l'empire ;
c'était pour honorer la grande vertu de l'illustre Wen-wang 3t3£.
Maintenant, de mon côté, je désire m'assurer les bénédictions et
l'heureuse influence de ce même Tch'eng-wang, mon glorieux
ancêtre, en renouvelant et agrandissant celte ville, dont il fut le
fondateur.
Ce travail accompli, je n'aurai plus besoin de vos garnisons ;
je ne fatiguerai plus les princes féodaux ; car les traîtres, qui,
comme des vers nuisibles, rongent les fondements du trône impé-
rial, seront pour toujours chassés et éloignés. J'espère exécuter
ce projet, grâce à l'aide du royaume de Tsin ; c'est à vos bons
soins, que je confie et remets cette grande entreprise, mon vénéré
oncle. Veuillez la prendre en sérieuse considération ; et faire en
sorte que moi, le pauvre empereur, je ne m'attire pas le mécon-
tentement du peuple ; et que vous, de votre côté, vous vous cou-
vriez d'une gloire immortelle. Mes ancêtres vous en seront recon-
naissants, et vous en récompenseront.
A la lecture de ce message doucereux, le seigneur Che-yanq
•± |& dit au premier-ministre Wei-chou §| ^ : il est, en effet,
plus commode de fortifier Tch'eng-tcheou j$; jgj, que d'entretenir
des garnisons ; le «fils du ciel» a parfaitement raison ; faisons-lui
ce plaisir ; si ensuite il a encore des difficultés, notre royaume de
Tsin pourra s'en laver les mains, et ne s'en point occuper ; en
obéissant aujourd'hui aux ordres de l'empereur, nous déchargeons
les vassaux de l'obligation de fournir leur contingent de garnisons,
et nous nous délivrons de nombreux soucis ; manquer un coup
pareil serait impardonnable ; que pouvons-nous désirer de mieux?
Wei-chou fut aussi de cet avis : de suite il députa Han-pou-
sin %% T- fg, fils de Han-h'i $£ £g, transmettre la réponse sui-
vante : Dès que «le fils du ciel» nous intime ses ordres, comment
oserions-nous ne pas obéir promptement ? nous allons immédiate-
ment avertir les vassaux ; ensuite, quand et comment exécuter ces
travaux, cela sera absolument remis à la discrétion de la cour
impériale.
DU ROYAUME DE TSIN. T1NG-KONG. 391
A la llème }une (septembre-octobre), Wei-chou et Han-pou-
sin (nommé aussi Han-pé-yng $:£ f^ -^f) se rendaient ensemble à
la réunion des représentants des vassaux ; elle eut lieu à Ti-ts'iuen
%K îjç (^)» erjdroit qui devait faire partie de la nouvelle ville pro-
jetée ; on y renouvela d'abord le traité d'alliance et d'amitié conclu
en 529, à P'ing-h'iou *$ ]£ ; puis on régla les détails de l'entre-
prise, et la part qui incomberait à chacun des Etats.
Il paraît que Wei-chou, en exerçant sa présidence légitime, y
commit une faute impardonnable ; il s'arrogea la place du souve-
rain, et parla, le visage tourné vers le sud, privilège inaliénable du
roi son maître, pour ne pas dire du seul empereur.
Aussi, Piao-i fê£ fê£, grand-officier de Wei fëj, s'enipressa-t-
il d'annoncer le châtiment d'une telle usurpation : le seigneur
Wei-chou, dit-il, encourra certainement une grande calamité, pour
son intolérable arrogance; le livre des Vers (2) nous avertit en ces
termes : «craignez la colère du ciel ; ne vous abandonnez pas à la
dissipation ni à l'oisiveté; craignez les dispositions changeantes
du ciel; prenez garde de vous livrer au désordre» ; donc, à plus
forte raison, faut-il éviter d'usurper la place du souverain, et de
commander en maître l'exécution d'une œuvre si importante !
Au jour Ki-tcheou g jj (18 octobre), le seigneur Che-hing-
pé -j^ jp; fâ de Tsin remettait à Liou-tse |>|J ^f-, ministre de l'em-
pereur, le plan et le devis des fortifications projetées ; tout s'y
trouvait indiqué avec le soin le plus minutieux : longueur, hauteur,
largeur de ces murs en terre battue; qualité de cette terre, endroits
d'où elle devait être tirée; canaux et rigoles à creuser: nombre
d'hommes et de journées nécessaires ; provisions de bouche et ins-
truments des travailleurs ; endroit à construire par chacun des
états confédérés; chaque député reçut une feuille oii rien n'avait
été oublié, de ce qui le concernait (3).
En 509, à la l"'e lune, au jour sin-se ^ £ (,4 décembre),
Wei-chou réunissait les députés, pour fixer la date à laquelle on
(1) Ti-ts'iuen: est le nom d'une rivière qui coule au milieu de Lo-ycmg fô
Wj ; déjà, en 6:11, il \ avait eu réunion de souverains, au même endroit, dans les
palais bâtis au bord de cette rivière et de l'étang qu'elle alimente. Grande géogr.,
vol. 48. p. iq).
(2) Che-king g^f fâ. (Couvreur, p, 373. ode 10. n° S).
(li) Ces corvées publiques, comme creusement clr canaux, ou choses sembla-
bles, se l'ont encore aujourd'hui de la même manière; la plus grande équité semble
y présider: en réalité, ce n'est que fraude et vénalité: malheur à celui qui néglige
de faire des cadeaux en rapport avec sa fortune : on le lui l'ait bien expier autrement
11 y a toujours des querelles et des rixes, parmi ces nombreux el robustes travail
leurs ; il faut une grande autorité «m une main ferme, pour j maintenir une paix
quelconque; sinon l'entreprise reste inachevée.
392 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
commencerait les travaux : il se réservait en même temps la direc-
tion générale de toute l'entreprise, au grand scandale des ambas-
sadeurs: c'est pourquoi Piou-i j£$ §| le prophète de Wei fëj, ren-
chérit sur sa première prédiction : Il est contraire à tous les droits,
dit-il, de s'arroger une pareille autorité, quand il s'agit de la ca-
pitale du "fils du ciel"; elle appartient à ses ministres; une telle
usurpation provoque la colère du ciel: ou bien le roi de Tsin va
perdre sa suprématie sur les vassaux, ou bien \.Yei-chou va perdre
la vie.
N'en déplaise à notre lettré-prophète. Wei-chou avait raison,
quand il se réservait l'autorité suprême, en nommant surintendant
des travaux son compagnon Hain-pou-sin %% ^ f|f , aidé de Yuen-
cheou-kouo i^0j^. grand officier impérial. Au milieu d'une telle
agglomération de travailleurs d'une douzaine de nations, il fallait
une tête et une main plus fermes que celles des ministres de l'em-
pereur, pauvres gens incapables d'être maîtres chez eux.
Wei-chou ne voulait cependant pas s'astreindre à une sur-
veillance continuelle, ni s'imposer l'obligation de vider les querel-
les journalières de ces milliers de terrassiers : il y avait pourvu au
moven de ses deux remplaçants. Quant à lui, il s'en alla chasser
au pays de Ta-lou ^ (^ 1 : pour lui rendre cette partie de plaisir
plus fructueuse, on mit le feu aux herbes et aux arbres de la ré-
gion. C'est en revenant de cette chasse qu'il mourut à Ning ^t,
au grand contentement du prophète Piou-i, qui voyait sa prédiction
si tôt réalisée.
Che-yang -j^ i|jji fut nommé premier ministre; il commença
par refuser à son prédécesseur le cercueil extérieur en bois de
cyprès, qui était d'usage: il donna pour prétexte, que le défunt
n'avait pas rempli son mandat, étant mort avant d'avoir achevé
l'entreprise dont il avait été chargé, et n'ayant pu en rendre
compte à son maître: il lui reprochait surtout d'avoir été s'amu-
ser à la chasse, au lieu de vaquer à son office.
Au jour Keng-yng ^ ^ (13 décembre) on avait fini tous les
échafaudages en bois. Mong-i-tse jg; ^ "Pi grand officier de Lou
.|§.. était venu avec son contingent de travailleurs. Tchong-ki fih
^|, grand officier ambassadeur de Song '£ . refusait obstinément
de se mettre à l'œuvre : nos feudataires de Teng ^, de Si f^ et
de Ni £)|) (ou Siao-tchou ,\i ^|$), disait-il, sont ici pour accomplir
la tâche imposée à notre royaume.
Le ministre de Si protestait avec indignation : l'état de Song,
disait-il. agit contre toute justice, en nous refusant le droit d'avoir
des relations directes avec l'empereur, et de nous dévouer pour
1 l'a-lou : nomme plus tard Ou-tche-p'oua % ffl g$. ('tait à 1 0 li au nord
de Sinunu hien 0 g^ gg, qui est à 120 li à l'est de sa prélecture Hoai-k'ing fou
ISi JS W, llo-nan. Ning «'lait un peu à l'est de Siou-ou. Petite géogr., Bol. I-'.
L>. 28 -- Grande, vol. 4c. p. // •
I
DU ROYAUME DE TSIN. TING-KONG. 393
notre compte au bien commun; il nous considère comme une pen-
deloque inutile; c'est nous pousser à quitter les intérêts de la
Chine, pour nous attacher aux sauvages de Tch'ou ^. Jusqu'ici.
nous avons fidèlement suivi la direction de Song; mais dans le
traité de Tsien-iou {Jj| -£, conclu en G32. sous la présidence de
Wen-kong ^ ^, il est stipulé que chacun des états signataires
jouira, de nouveau, de ses anciens droits et privilèges.
Faut-il s'en tenir à ce texte? Alors nous sommes les égaux
de Song; nous traitons nos affaires directement avec l'empereur.
Ou bien, contrairement au traité, sommes-nous les feudataires de
Song? Que le roi de Tsin, chef des vassaux, décide la querelle ;
nous sommes prêts à lui obéir.
Très-bien ! répondait Tchong-ki, tenons-nous-en au traité ; il
ne fait que confirmer nos droits ; car vous avez toujours été feu-
dataires de Song !
Nullement! répliquait le ministre de Si: Hi-tchong ^. jrji .
fondateur de notre maison régnante, demeura d'abord au paya de
Si, et fut intendant en chef des chars impériaux, sous la dynastie
Hia ]|[ ; plus tard, il se transporta a Pei £[> (1); mais son descen-
dant Tchong-hoei ff(i J|&, fameux ministre de l'empereur T'nwj $
(1766-1754), retourna à Si. D'après nos anciens droits et privi-
lèges, notre famille est celle d'un ministre impérial ; pourquoi
faire de nous des feudataires d'un état vassal?
A quoi Tchong-ki répondait pertinemment: Depuis les trois
dvnasties, il y a en bien des changements; nous sommes actuelle-
ment sous celle de Tcheou jg), comment invoquer un ordre de
choses qui existait sous colle de Chang f^? Vous êtes les hommes
de Song; voilà vos droits et vos devoirs I
Le seigneur Che-king-pé ~f & f6 était bien embarrassé de
ce cas. débattu furieusement devant son tribunal: il cherchait
à gagner du temps, avant de répondre1, espérant que le débat
tomberait de soi-même : .Notre premier ministre, disait-il, vient
seulement d'entrer en charge ; ainsi, il ne peut pas donner tout
de suite une réponse définitive; en attendant, il convient que l'état
de Song accomplisse sa part des corvées, comme tous les autres :
dès que je serai rentré à la capitale, je consulterai les archives,
pour savoir ce qu'il en est de cette question.
Tchong-ki répliqua fièrement : peut-être que votre seigneurie
a oublié le droit public : mais les Esprits des montagnes et des
fleuves ne l'ont pas oublié: ils en vengeront la violation.
(1) Pei ; Ce pays devint pli.- tard Siu^tcheou fou \% ¥h %f ■ Kiatig-sou.
si : sa capitale étnil à 10 li au sud de Teng hien $$ (|.f. <)"' es* ;i ' ''-' '' -Ul'-
esl de sa préfecture Yen-tcheou fou $£ #| ffî. Charf-tong. (Petite géogr., eol. 10,
p, .■ — Grande, vol. ..'-'. p. Zj
fchong-hoei : Sur *•<• fameux homme, voir le livre des lynastic
Chang j§J, chap. -'. (Couvreur, /■. ^. 103, et suiv
50
394 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Che-king-pé, furieux de cette bravade, en parla de suite à
Han-pou-sin <j>j£ ^ fjf. le sous-intendant des travaux: l'ambassa-
deur de Si. dit-il. invoque le témoignage des hommes, qui peut
être vérifié : mais celui de Song. ne pouvant répondre aux argu-
ments, en appelle aux Esprits, pour nous effrayer et nous berner;
n'est-ce pas une impudence impardonnable? C'est bien le cas
d'appliquer la sentence du livre des annales 1 n'ayez pas de
favoris: vous vous attireriez le mépris de leur part; car la fami-
liarité engendre le mépris* . Il faut absolument couvrir de honte
cet insolent.
Sur ce. les gens de Tsin s'emparèrent de Tchong-ki. et le
livrèrent à l'empereur ; ils auraient bien voulu le conduire prison-
nier à leur capitale ; mais ils craignaient les conséquences d'un tel
abus de pouvoir, en présence de l'empereur lui-même.
Les fortifications furent terminées en trente jours; les soldats
des garnisons purent s'en retourner chez eux. Seuls, les gens de
Ts'i ^, qui n'avaient pas commencé leur tache au jour fixé,
durent encore rester quelques jours p:>ur l'accomplir: ils étaient
sous les ordres de leur ambassadeur Kao-lcliarnj ^ $i-
Le grand seigneur de Tsin. Jou-cltou-lioan fjr 7j^ ^f . se sentit
inspiré de faire une prophétie au sujet de ce retard et de ces forti-
fications : Tchang-hong |= g£, grand officier impérial, et Kao-tchang
l'ambassadeur de Ts'i, dit-il. n'échapperont pas au mauvais sort
qu'ils ont mérité: le premier a lutté contre le ciel: le second,
contre les hommes : le premier a voulu relever la maison impériale,
condamnée à l'humiliation par le ciel : le second ne s'est pas rendu
au jour fixé pour commencer les fortifications : le premier a oublié
que quiconque est abattu par le ciel, ne peut être relevé ; le second
a oublié qu'une entreprise commune doit s'exécuter en commun.
sans qu'on puisse tenter de s'y dérober.
Cette prédiction saugrenue du seigneur lettré, ou plutôt de
l'historien postérieur, est le procédé habituel pour nous dire qu'en
492 Tchang-hong ^^/- sera mis <l mort, et qu'en 489 Kao-tchang
}lJj jjH sera jeté en exil. Ces messieurs historiens ont l'agaçante
manie de montrer, à tout bout de champ, que le présent, le passé,
l'avenir, tout cela est livre ou\ert pour les lettrés.
En 50S, rien dans la chronique. En 507, vers le mois de
juin, une armée de Tsin se voyait honteusement battue, à P'ing-
tchong ^ r^i 2), sur son propre territoire, par les troupes de la
(1) Chou-kiny îij- jjjj Couvn 'r. p. zj6. n° g).
(2) Pinir-tchontr : n'est pas connue.
Sien-vu: sa capitale était près de Sin-lo hien $f >«* ff. C)Uj est à VU li nord-
est de sa préfecture Tcheng-ting fou JE M tff, Tche-li. Cette principauté, appelée
plus tard Tchong-clutn ^ |lj. ne subsista pas Ion-temps. (Grande géogr., roi. 14.
p. 24 .
DU ROYAUME DE TSIN. TING-KONG. 395
minuscule principauté de Sien-yu j|^J|; Koan-liou f|H J^,le chef
de cette expédition, était fait prisonnier; c'était la juste punition
de son incurie: il croyait faire une simple promenade militaire, et
avait négligé les précautions les plus usuelles.
En 506,1e royaume de Tsin.par une sottise incroyable, laisse
échapper l'occasion d'anéantir l'état de Tch'ou ^, et de relever
plus haut que jamais sa propre autorité. Voici les faits:
Xous avons vu que Tsc-tchao ^jf- jjïj), rival de l'empereur légi-
time, s'était réfugié auprès du roi de Tch'ou; celui-ci ne deman-
dait pas mieux que de l'aider à s'emparer du trône, espérant bien
le supplanter à son tour, quand le moment serait venu.
L'empereur et Ting-kong, également menacés par des projets
si ambitieux, convoquèrent les princes et les troupes de dix-huit
états; jamais on n'avait vu pareille assemblée, pareille armée.
Liou-tse ||lj ^f, ce fameux ministre impérial qui avait provoqué
l'agrandissement de la nouvelle capitale, était encore l'âme de cette
réunion pléniaire; il était secondé par le prince de Ts'ai |j|, qui.
harcelé par les gens de Tch'ou. effrayait tout le monde par ses
rapports exagérés.
A la 3ème lune (janvier-février), pendant cette extraordinaire
assemblée tenue à Chao-ling £J [^ (1), le grand seigneur de Tsin
bien connu de nous, Siun-yng ^j jj|, demanda des cadeaux au
prince de Ts'ai; celui-ci ne jugea pas à propos de les accorder; ce
fut la cause de la débâcle.
Mécontent de ce refus, Siun-yng s'adressa au premier ministre
Che-yanrj -^ .^, l'homme aux deux chapeaux, dont la cupidité
n'est pas oubliée du lecteur; il lui parla en ces termes: Notre
royaume se trouve présentement dans une situation critique; les
vassaux ne nous sont point affectionnés : ils se préparent à nous
abandonner: n'est-il pas dangereux de nous lancer sur un état
aussi puissant que celui de Tch'ou? Les grandes pluies du prin-
temps vont bientôt commencer, et défoncer tous les chemins ; nos
gens seront décimés par les fièvres ; la principauté de Sien-yu $,| ^
n'a pas encore été punie de l'affront qu'elle vient de nous infliger.
Xous irions provoquer la colère de Tch'ou, avec lequel nous som-
mes en paix! ne serait-ce pas violer la foi jurée? Quel serait le
résultat? Contre cet état, depuis notre inutile attaque de Fangf-
tch'eng ~fj ££ (557), nous n'avons jamais pu aboutir à rien; en
ce moment, nous n'aurons pas plus de chance: et nous aurons,
en pure perte, harassé notre armée. Le mieux serait de laisser le
prince de Ts'ai terminer son différend avec le roi de Tch'ou. sans
nous en mêler.
(1) Chao-ling: était à 45 li à l'est de Yeng-tch'eng /n'en [ÉJ5 #K $$. q"' ' -
120 li au sud de Hiu tcheou jrf )■[} , Ho-nan. 'Petite géogr., roi. 12. p. . —
(Grande, vol. ^7. p. 46).
396 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Ce stupicle conseil prévalut. Après bien des délibérations, bien
des querelles sur l'observance des "anciens rites», l'expédition fut
abandonnée: cette grand levée de boucliers s'évanouit comme une
fumée; la décadence, l'imbécilité de Tsin se montra dans tout son
jour.
L'édition impériale vol. 34. p. lia de longues citations de
divers auteurs, unanimes à déplorer l'aveuglement de la cour de
Tsin, qui perdait une occasion sans pareille ; il ne lui fallait qu'un
peu d'intelligence, un peu d'énergie : mais il n'y avait plus que
vénalité, coterie, égoïsme. dans ce royaume devenu la proie de
quelques familles puissantes.
Ting-kong semble d'une parfaite nullité ; présent à l'assemblé:
de Chao-ling, il ne fut pas mieux avisé que ses ministres. A la
5éme iune (mai-juin), il eut encore quelques délibérations avec les
vassaux, dans la ville de I\ao-you -^ !(jjjj (1 , mais sans aucun
résultat, sinon le suhant :
Le prince du petit état de Chen fâ (2) n'avait pas paru à ces
deux réunions ; Ting-kong. indigné de cette négligence, ordonna
au prince de Ts'ai 2g. son voisin, de l'en punir. Celui-ci, bien
content de cette commission lucrative, se jeta sur la pauvre petite
principauté, la vainquit sans peine, et massacra le souverain fait
prisonnier.
A cette nouvelle, le roi de Tch'ou $& vint mettre le siège de-
vant la capitale de Ts'ai ; le prince implora du secours auprès de
son suzerain, mais Ting-kong le laissa encore dans ce nouvel em-
barras. C'est alors que ce prince fit alliance avec le roi de Ou £{,
et commença, de concert avec lui. une lutte qui mit le pays de
Tch'ou à deux doigts de sa perte.
Xous avons raconté ces tragiques événements dans notre his-
toire de Ou, et dans celle de Tch'ou ; ce qui reste incompréhensi-
ble, c'est que Ting-kong, voyant son rival pressé au sud et à l'est,
ayant déjà perdu sa capitale et presque tout son pays, errant à
l'aventure parmi les roseaux, ne soit pas venu du nord lui donner
le coup de grâce.
Pendant ce temps, c'esi-à-dire vers le mois de juillet, le pre-
mier-ministre Che-ynng -± |& partait en guerre, contre la petite
principauté de Sien-yu f$. % : il n'eut pas honte de requérir au-
près du marquis de Wei $j des troupes auxiliaires, jugées sans
i K io-vou : était au sud-est de l'ancienne ville de Fcm-tcluoig 5gf H : celle-ci.
qui a aussi disparu, n'a plus que des vestiges, à 30 li nord-ouest de Ling-yng hien
ËSÏ S Sf. qui e-i .', 00 li de Hiu tcheou H= #). Hn-nan. (Grande géogr., vol.. 47,
p. 44).
- " : -a capitale est devenue la Mlle actuelle de Chen-k'iou fetes #fc tL
Sf, à 110 li sud-est de sn préfecture Tch-cncj-tchcov fou j$ #| /flf. Ho-nan. Petite
géogr., vol. 12. y, S7 — Grande, vol. 4-;. p.
DC aOTAÙME DE TSIN. TlNG-ftONG. 39*7
doute nécessaires pour assurer son succès. N'était-ce pas absurde?
Aussi l'historien se tait sur le résultat de cette expédition : les
commentaires en rient ; ils disent que si Che-yang ne remporta
point de gloire, il y gagna des pots-de-vin : c'est ainsi que les
gens de Sien-yu payèrent leur imprudente victoire.
Vers cette même époque, mourait Liou-tse §lj ^f-. ou Lh -
wen-kong §1] ^ 5», ce fameux ministre qui avait tente de relever
le prestige de la dynastie impériale, et n'avait réussi qn'à en ra-
lentir un peu l'irrémédiable décadence. Les commentaires disent
que depuis des siècles, l'empereur n'avait pas eu un homme égal
à celui-là ; sa mor1 fut annoncée officiellement aux vassaux : Con-
fucius lui-même la consigna dans ses annales : exception bien
honorable : car il n'y inscrivait que le décès des souverains. Cet
insigne ministre disparu, la cour impériale retomba dans le désar-
roi ; sa faiblesse augmenta de jour en jour : elle poux ait encore
moins donner quelque impulsion ou direction au royaume de Tsin,
pour le bien commun de tous les états.
En 505, au printemps, l'empereur profitant de l'embarras où
se trouvait le roi de Tch'ou ^, envoya des sicaires assassiner le
prince Tse-tcliao ^f ]$]. dont il craignait le retour. Exemple fu-
neste, de la part de celui qui devait punir, ou tout au moins faire
punir, quiconque aurait commis semblable forfait '.
Vers le mois de septembre. Che-yang retournait à la cha
contre le pays de Sien-yu : il en assiégea la capitale, sans pouvoir
s'en emparer : pour faire quelque butin, il fut réduit à dévaster
la campagne. Encore une honte de plus !
En 504, Tan-p'ien ^f gjj. partisan du prince Tse-tchao -^
^jjj, recommençait la lutte contre l'empereur: soutenu par le sou-
verain de Tcheng fi[$, il prenait d'abord la ville de Shi-mi ^ |$f
I : puis forçait ie pauvre fils du ciel- à s'enfuir au pays de
Tsin. dans la ville de Kou-you jjji ijg-.
Ting-kong ordonna au duc de Lou fy d'aller punir le prince
de Tcheng de cette insigne félonie : le duc obéit, et fut assez heureux
pour prendre la ville de K'oang [je 2 : mais Ting-kong la réclama
pour soi.
Vers le mois de février-mars, le grand seigneur Ki-hoan-tse
5p tM *?> fils de Ki-p'in<j-tse 5p *$■ -j*. se rendait dévotement à
la cour de Tsin, offrh les prisonniers capturés pendant cette expé-
dition. Ce ministre étant parti. Yang-hou [^ J& le trop fameux
(1) Siu-nii : était i'i 10 li sud-est de Yen-vhe hien jH fiifî H , qui e?t a 70 li à l'est
de sa préfecture Ho-nan fou f"f ^ $F, Ho-nan. Petite géogr., vol. 12. p<
■ trie,, vol. 48, p. 20 .
Kou-you : appartenait à l'empereur : c e-i tout ce qu'on en
(2) K'oang : était au nnrd-e?i de Woi-tchoan hien v/f Jl| K- qui est h 150 li
sud-ouest de sa prélecture K'ai-fong fnv [$ $j H-f. Ho-nan. <■•• toi. ts,
p. 4' — Gronde, vol. 4-. p. 22 .
398 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
et trop puissant intendant de la famille Ki ^, et pour lors le
vrai maître du pays, força Mong-i-tse ;jg Jg ^-. autre ministre,
à partir à son tour pour la cour de Tsin, sous prétexte de remer-
cier la reine, des cadeaux qu'elle avait envoyés.
C'était un abus d'autorité de cet impudent parvenu ; c'était
une basse flatterie de sa part : et Mong-i-fse sentait vivement la
honte de sa commission. De fait, Ting-kong ne donna qu'un seul
festin, en l'honneur de ces ambassadeurs: il traitait le second
comme simple assesseur du premier.
Mong-i-tse. se trouvant sur le pas de la porte du vestiaire, en
profita pour glisser un mot à l'oreille de Che-yang ^ji^: Si par
hasard, dit-il, Y.ang-hou ne pouvait plus rester dans son pays, et
venait ici chercher un refuge, votre seigneurie voudra bien lui
donner un office, qui ne soit pas inférieur à celui d'intendant
général de l'armée du centre (1); si vous le traitiez autrement, les
mânes de vos anciens rois vous en puniraient.
Le premier ministre comprit très-bien la chinoiserie cachée
sous cette recommandation : il répondit froidement : si notre hum-
ble souverain a une place vacante, il choisit lui-même un homme
capable de l'occuper: moi, je n'ai rien à y voir. Che-yang rapporta
cet incident au seigneur Ha n-po u-sin $p.-7£ \%, et ajouta: ces
messieurs de Lou ont peur de Yang-hou, et cherchent à s'en dé-
barrasser : Mong-i-tse sait bien que cet homme va tenter une
révolution, et finira sans doute par s'enfuir; c'est pourquoi il
s'interpose en sa faveur.
A la 8èl"( lune juin-juillet . Yo-h'i |j| ||), grand seigneur de
Song 5^, fit à son souverain la remarque suivante: De tous les
vassaux, il n'y a plus guère que nous à montrer du dévouement
à la cour de Tsin : si nous n'y envoyons pas d'ambassadeur, bien
sûr qu'elle sera mécontente.
Ce même seigneur fit part de cette remontrance à son inten-
dant Tch'en-yng ^ '^ ; celui-ci répondit: notre prince vous char-
gera certainement de cette ambassade dangereuse ; avant de partir,
établissez votre fils comme votre successeur et chef de votre famil-
le ; cette précaution est absolument nécessaire ; s'il vous arrive
malheur, votre maison ne sera pas compromise avec vous : notre
souverain saura aussi que vous connaissez la situation : et que
vous êtes prêt à le servir, en dépit du péril.
En effet, le prince de Song, quelques jours plus tard, appelait
(I) Cet intendant était le plus haut des dignitaires, nprès les ministres. Y : s
hou se rendait odieux pnr ses empiétements ; on pouvait prévoir le jour où il serait
c'est ce que dit Mong-i-tse à m<>t- couverts : il espérait peut-être que la
cour de Tsin inviterait ce personnage : ou que lui-même s'offrirait à cette cour,
dans l'espoir d'une si haute dignité ; bref, c'était une chinoiserie pour tâcher de se
débarrasser d'un tel individu : "ti simule de l'attachement pour lui.
DU ROYAUME DE l'SIN. TING-KONG. 399
Yo-k'i, et lui disait: l'observation que vous m'avez faite est très-
sage ; c'est votre seigneurie que je choisis pour cette ambassade.
Yo-k'i présenta son fils Houen j||J, pria le prince de lui donner
l'investiture de chef de famille, puis se mit en route pour le pavs
de Tsin.
Tchao-yang ^^. petit-fils du fameux premier ministre Tchao-
ou jjg 5^, vint à la rencontre de l'ambassadeur, et lui donna un
grand festin à Mien-chang $£ _fc, 1); ce seigneur fut si flatté do
cette réception, qu'il offrit à Tchao-yang un cadeau de soixante
boucliers précieux.
Son sage intendant. Tch'cn-yng gjjf J|, désapprouva cette lar-
gesse intempestive : autrefois, dit-il, les membres de votre maison
étaient les hôtes habituels de la famille Fan j*[5f celle du premier
ministre : aujourd'hui, vous passez à la famille Tchao.et vous lui
faites un si beau présent; Che-yang ^ ^ et toute sa parenté vont
être jaloux ; ils vous feront expier chèrement cette faute ; vous allez
voir quelles calamités vous auront attirées ces précieux boucliers !
Mais, dussiez-vous mourir au pays de Tsin, votre descendance
continuera d'être prospère dans votre patrie: pareeque vous avez
montré votre dévouement dans cette ambassade.
En effet. Che-yang s'adressant à Ting-kong lui dit : sur l'ordre
de son souverain, le seigneur Yo-k'i a passé la frontière pour venir
ici en ambassade : avant d'avoir salué votre Majesté et accompli
sa mission, il s'est laissé festoyer chez le seigneur Tchao |ft" ; une
telle conduite ne peut se tolérer; elle est une injure envers le
prince de Song et envers votre Majesté.
Confucius blâme cet ambassadeur dans les mêmes termes ;
cela, toutefois, n'excuse pas les actes de violence commis par Che-
yang, sur la personne de Yo-k'i, en dépit du droit des gens alors
en usage; tout d'abord, il fit saisir l'imprudent ambassadeur:
système tyranique assez habituel à cette cour en décadence. Si, du
moins, on s'était contenté de cette punition illégale ! mais non :
une sottise en amène une autre !
En 503, à la Hème lune, au jour meuu-uu. j% ^p 20 septem-
bre), l'empereur quittait enfin la ville de Kou-you jtfj fj§, pour
retourner dans sa capitale. Ting-kong le fit reconduire par le grand
seigneur T&i-ts'ing ^ ^. accompagné de deux ministres impériaux.
(1) Mien-chang: la montagne Mien est a 15 ii nord-oueM de l-tch'eng hien
M. itâ, %, qui est à 130 Ii sud-esi de sa préfecture P'ing-yang fou T1 fë #f . Chan-
m. Grande yéogr.. vol. 41. p. 13 .
Quant à ces précieux boucliers. le texte porte le caractère Yang $g : étaient-
Us en buis ? c'est peu probable ; en peuplier.' en saule.' .Mers ils étaient J
par leur ornementation, sculpture, vernis, dorure, argenterie, ■•)! antre chos
boucliers ordinaires étaient en cuir durci du moins pour la plupart , -i on
tinsrue des cuiras:
400 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
A la douzième lune, au jour ki-se g, g, (21 octobre, l'em-
pereur faisait son entrée dans sa ville de Wang-tch'eng 3£ ;£$,
prenait logement dans le palais de la grande famille Tang ^,puis
se rendait de suite au temple Tchoang-kong J£ fè, remercier ses
ancêtres de son heureux retour; les troubles étaient finis.
En 502, l'ambassadeur Yo-k'i *g| f\\] étant toujours prisonnier,
le grand seigneur Tchao-yang jjg |^, cause involontaire de son
arrestation, intercéda vivement en sa faveur, auprès de Ting-kong:
Il n'y a plus que le pays de Song $£, disait-il, à nous montrer de
l'amitié ; quand même nous porterions ses ambassadeurs dans nos
bras, ils auraient encore peine à venir chez nous; retenir le sei-
gneur Yo-k'i, c'est pousser tous les princes féodaux à fuir notre
vasselage ; le mieux serait de le renvoyer honorablement, et sans
délai.
Le premier ministre s'y opposa en disant : depuis trois ans
bientôt, cet ambassadeur est ici ; son prince n'a fait faire aucune
démarche, aucune intercession, pour le délivrer; si aujourd'hui, sans
raison, nous lui rendons la liberté, son souverain quittera certai-
nement notre vasselage.
Ayant ainsi parlé, Che-yang -^ ^ fit encore donner à Yo-k'i,
en secret, un perfide conseil : notre humble souverain, disait-il,
vous retient ici, pareequ'il n'a guère confiance en votre prince;
faites donc venir votre fils, à votre place; alors vous pourrez re-
tourner chez vous.
Yo-k'i communiqua cette proposition à son intendant; celui-
ci devina le piège: gardez-vous-en bien, répondit-il; ce serait per-
dre votre fils avec vous ; assurément notre pays va rompre avec
une cour pareille : il vaut mieux que votre seigneurie reste seule
ici, en attendant que l'affaire s'arrange.
Yo-k'i était vieux; il pouvait mourir un jour ou l'autre à la
cour de i'sin ; d'après les mœurs chinoises d'alors, comme d'au-
jourd'hui, c'eût été une complication très-fâcheuse; on se résigna
enfin à le laisser partir; mais le digne homme mourut en chemin.
Yo-k'i se trouvait parmi les montagnes qui forment la chaîne
Ta-han<j J^ fj (1), quand il rendit le dernier soupir ; son inten-
dant pensait pouvoir, sans nouvelles difficultés, conduire le cercueil
au pays de Sonij 5$J : il se trompait : Che-yang lui envoya l'ordre
de le laisser dans la ville de Tcheou >)\\ (2) : il en exposa le motif
(1) Ta-hang: nous avons déjà dii que cette chaîne de montagnes scrl de fron-
tière entre la province du Chan-si el celle du Ho nan.
(2) Tcheou: appelée plus tard Ou-te tch'eng fit $§>, M. était à 50 u" gud-esl
de Hoeti-k'ing fou fê! $£ fff. Uo-nan. (Petite g éogr., ml. u. p. zà) — (Grremde,
roi. fa, p. y1. Ces mœurs se conservenl encore maintenant; s'il j a des dettes à
paver, ou une affaire en litige, on ne permet pas d'emporter le mort, ni de l'enter-
rer j les mandarins sonl alors impuissants.
DU ROYAUME DE TSIN'. T1.NG-K0NG. 40l
à Ting-kong : Après ce qui est arrivé, dit-il, le prince va quitter
notre vasselage ; s'il veut reprendre le cadavre de son ambassa-
deur, forçons-le à nous jurer fidélité.
Ainsi fut fait ; au printemps do l'année suivante, le roi de
Song envoya un grand dignitaire h la cour de Tsin. jurer un traité
d'amitié, et ramener le cercueil.
Le puissant état, de T.<'i ^ s'était depuis longtemps débar-
rassé de la suzeraineté de Tsin : il cherchait même à lui enlever
des feudataires. et à se les attacher ; il s'attaquait pour lors au
duché de Lou ^. ; celui-ci demanda du secours à Ting-kong. qui
lui envoya une armée : les troupes de Ts'i s'empressèrent de s'en
retourner chez elles, remettant l'expédition à un moment plus
propice.
Le duc de Lou se hâta d'aller remercier ses libérateurs dans
leur camp, à Wa ~fa 1 : on dit que lors de cette visite, Che-yang
"!.*$& i Ie généralissime, tenant en main un agneau, l'offrit au duc,
en signe d'amitié mutuelle ; Tchao-yang ^^. le second général,
et Siun-yng ^fj 'pT le troisième, offrirent chacun une oie sauvage:
depuis cette époque, ce genre de présents fut adopté, et se perpétua
pendant de longues générations 2 . Mais voici une affaire d'une
tout autre gravité :
Wa se trouvait sur le territoire de Wei f.vj : Che-yang et ses
collègues profitèrent de leur présence à cet endroit, pour effrayer
le marquis, et le rattacher à l'obédience de Tsin : ils lui mandèrent
donc de venir à Trhoan-tche |ÙJ ffi 3 jurer ensemble un traité
d'alliance et d'amitié : ils se proposaient en même temps de lui
infliger une bonne humiliation. Tchao-yang demanda aux grands
officiers qui d'entre eux se sentait le courage de jurer ce traité avec
le marquis : ou plutôt, qui d'entre eux voulait se dévouer à jouer
cette comédie ? Tche-t'ouo ffi |)£ et Tch'eng'ho ^ jîîj s'offrirent
pour un si bel exploit.
Pour cette cérémonie solennelle, il fallait le sang d'une victi-
me, ordinairement d'un bœuf : on coupait l'oreille, et l'on en re-
cueillait le sang, pour écrire le traité et se frotter les lèvres ; le
moins digne parmi les contractants avait pour office de tenir cette
oreille. Le marquis invita donc un des deux officiers à remplir
ce rôle.
(1) Wa : cette montagne e-t à l'est de Houa hien fâ '$£. qui est à '.'Û li nord-
est de sa préfpcture Wei-hoei fou fëj fQ Jft. Ho-nan. Petite géogr., vol. /.'. ;<.
Grande, vol. 16. p. 30
(2) Le livre des rites (li-ki $f fC dit en effet: un ministre dotât offre un
agneau : un grand dignitaire offre une oie sauvage : un officier intérieur, un faisan :
un homme du peuple, un canard domestique : ces animaux dosaient être ornés d'une
banderolle d'étoffe fleurie. (Couvreur, vol. 1. p. 106).
(3) Tchoan-tche: ville de Wei . on eu ignore l'emplacement.
5
402 ■ TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Tch'eng-ho s'écria impudemment : votre état de Wei ne vaut
pas nos deux villes de Wen jj^ et de Yuen fâ (T. ; et vous voulez
trancher du grand vassal, vous mettre sur le môme rang que notre
royaume de Tsin ?
Quand le marquis se préparait à tremper son doigt dans le
sang, pour s'en frotter les lèvres, Tche-t;ouo lui poussa la main
dans le sang, jusqu'au poignet ; ce n'était pas seulement une
grossière injure, c'était un sacrilège. Le marquis s'aperçut trop
tard qu'on avait voulu se moquer de lui ; mais il se vengea en
quittant pour toujours le vasselage de Tsin : en vain la cour lui
fit-elle ensuite présenter ses regrets, ses excuses même: c'était fini!
Le généralissime, très-fier sans doute de ce singulier » traité
d'amitié » (2), eut ensuite, au mois de juin, une entrevue avec le
grand ministre de l'empereur : il s'agissait de punir le prince de
Tcheng |f}), qui, en 504, avait profité des troubles de la cour im-
périale, pour s'emparer des territoires situés près du défilé I-k'iuè
tà 1Ê 3; ; comme conclusion, l'armée de Tsin assiégea la ville de
Tchong-lao || ^ (4).
Le prince de Tcheng |$ donna satisfaction : car l'historien
se contente de dire que le premier ministre partit de là pour aller
réduire le marquis de Wei -ffj par les armes ; les choses ne mar-
chèrent pas si bien qu'il l'avait espéré : il fut obligé d'appeler les
troupes auxiliaires du duc de Lou i§. ; celles-ci arrivèrent à la
gème lune 'juillet-août) : mais, de son côté, le prince de "Wei im-
plora le secours du roi de Ts'i ^. qui fut enchanté de cette bonne
occasion de faire échec à son soit-disant suzerain.
En 501, vers le mois de juin, le roi de Ts'i, à la tète de ses
troupes, envahissait le territoire de Tsin. et prenait la forteresse
(1) Wen: était au sud-est de Ho«i-kinrj fou U g #f, Ho-nan.
yuen: était à 70 li à l'ouest do la mû me préfecture. (Petite géogr., vol. 12.
iijj. 27 et 2ç) — )Grande. vol. 4Q . p. 6).
(2) Dans un pacte solennel 'ming g[). on immolait une victime (un bivuf)
sur lo bord d'une fosse rectangulaire ; on lui coupait l'oreille gauche, que l'on dé-
posait sur un plat orné de perles : on recevait le sang dans un bassin incrusté de
pierres précieuses: avec ce sang, on écrivait les articles du traite, et l'on se frot-
tait les lèvres : on lisait ce traité: on le déposait sur la victime; puis on l'enterrait
avec elle dans la fosse. (Couvreur li-ki $j| fC l'ol. i. p. ç2
(3) I-k'iué : se trouve, avec la montagne K'iué-sai cluxn j$] Sr (il, à 30 li
sud-ouest do Ho-nan fou 'éT l'i fl=p. Ho-nan. Petite géogr., vol. i a . // 32) — (Gran-
di . roi . 4S. p. 14) .
hong-lao : ou encore Tong-luo fis] $. était à 2 li au nord de Wong-
k'iou hien Jf fc f?» qui est à 50 li au nord do >a préfecture Wei-hoei fou fâ\ JjSf
ff?p. Ho-nan; il 3 a un kiosque comme souvenir. Petite géogr.. vol. 12. /». 21 —
Grande, vol. t~. \>. 2s .
DU ROYAUME DK TSIN. TING-KONG. 403
de I-i ^ {$ 1 . Une armée de Tsin, forte de mille chars de
guerre, accourut pour reprendre cette ville : ainsi la comédie se
trouvait changée en un drame redoutable.
Le roi de Ts' i s'étant rendu à Ou-che 3£ ]fc (2), le marquis
voulait aller l'y rejoindre, avec ses troupes : mais, pour cela, il
lui fallait passer par Tchong-meou PJ4 fç. (3), où se trouvait alors
campée l'armée de Tsin ; avant de partir, le marquis ordonna de
consulter les sorts ; mais le devin maladroit grilla si bien la cara-
pace de la tortue divinatoire, qu'il fut impossible de rien lire parmi
les crevasses.
Les sorts sont favorables ! s'écria quand même le marquis ;
car, dans sa haine contre les gens de Tsin, il était résolu à livrer
bataille, coûte que coûte : je n'ai que cinq cents chars, ajouta-t-
il ; mais, à moi seul, j'en vaudrai cinq cents autres ; ainsi nous
sommes égaux !
Les généraux de Tsin se disposaient à marcher à sa rencontre
et à l'écraser ; un transfuge de Wei les en dissuada en ces termes:
notre état est petit, et son armée bien inférieure à la votre, c'est
vrai ; mais, dans sa fureur, le marquis luttera à mort, et la chan-
ce lui sera peut-être favorable : les troupes de 'IV i, au contraire,
sous les ordres d'un général inférieur, se reposent de leur victoire;
tombez plutôt sur elles, à l'improviste ; dans le désarroi d'une
telle attaque, elles ne feront qu'une faible résistance, et vous en
aurez facilement raison. Les généraux suivirent ce conseil, qui
eut un plein succès.
En 500, vers le mois d'avril, le grand seigneur Tchao-yang
^ §& allait assiéger la capitale de Wei fêj '■ H aurait peut-être
réussi à s'en emparer ; mais le marquis mieux avisé, lui ayant
promis cinq cents familles d'habitants en cadeau, ce digne général
se retira content de cette aubaine, et déclara la ville imprenable.
A propos de ce siège, l'historien relate les détails suivants :
L'année précédente, le marquis ayant rejoint le roi de Ts'i, envahit
le territoire de Han-tan ■jfôtj^ ; le gouverneur, nommé Ou àf., était
occupé à réparer les murs de la forteresse Han-che $£ ^ (4),
quand l'armée de Wei se présenta pour en faire le siège : le brave
(1) I-i : était a 12 li sud-ouest de Tong-tchang fou Ml Éi M. Chan-tong.
(Petite géogr., vol. zo, p. zo) - (Grande, vol. 34, p.
2) I >u-che : était un peu à L'ouest de Han-tan hien 1115 |1|> ^. qui es( à 55 li
sud-ouest de sa préfecture Kouna-pinv fou ffi ^f- Jft . IVhe-li. Petite géogr
2. p. jo1 — (Grande, vol. //. p. 26). — Ou-che s'appela aussi Han-che $$ rx;.
(3) Tchong-meou: •'•tait à 50 li à L'ouest de T'ang-yng hien ?$ Pê $£> qui est
a ',."> li au sud de sa préfecture Tchang-te fou & fê. fl?. Ho-na géogr.,
vol. 12, p. if) — Grande, ool. ./•>■ p.
i Han-tan : riait à 20 li Sud-OUest de llan-l.m hien
Han-che; c'est Ou-che ci-dessus).
404 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
officier continua son travail sans s'effrayer ; mais, pendant la nuit.
ses soldats l'abandonnèrent, et le marquis s'empara de la place
avec facilité.
Quand Tchao-yang assiégea la capitale de \Yei, le grand
officier Ou éf-, qui l'aidait, voulut réparer son honneur par un
coup d'éclat; prenant seulement avec soi soixante-dix hommes, il
s'en alla donner l'assaut à la porte occidentale de le ville ; les
habitants voyant une si faible troupe, ouvrirent la porte, espérant
s'emparer de ces fanfarons ; mais le grand officier se contenta de
tuer un ennemi, dans l'intérieur des murs ; puis il s'en retourna
en criant: pour aujourd'hui, c'est assez; je voulais seulement
venger l'affront que j'ai subi à Han-chc ^ J£ (1)!
L'insolent Tche-t'ouo ffi f£ que nous connaissons, le félicita
de cette bravade: vous avez montré du courage, lui dit-il; mais,
en ouvrant la porte, les assiégés ont prouvé qu'ils n'avaient pas
peur de vous ; je vais y retourner ; vous verrez qu'ils se garderont
bien d'ouvrir.
Ayant ainsi parlé, notre brave appela aussi soixante-dix
hommes ; en attendant qu'ils fussent arrivés, il alla se promener
tout seul, en long et en large, devant cette même porte ; ses sol-
dats étant réunis stationnèrent à cet endroit jusqu'à midi ; voyant
enfin qu'on ne voulait pas ouvrir, ils s'en retournèrent au camp.
Cependant, la cour de Tsin ne s'expliquait pas la défection
subite du marquis de Wei fëj ; encore moins la rage dont il
paraissait animé, après avoir juré un traité d'amitié; elle fit une
enquête, et apprit l'outrageante comédie de ce traité ; elle aurait
dû tout d'abord en punir le premier ministre et ses collègues ;
mais il ne fallait pas même y penser ; elle fit donc saisir l'insolent
Tche-tcouo ëJ?ft;; Puis e^e n* proposer au marquis de venir
renouveler honorablement amitié avec son suzerain, lui promet-
tant une ample satisfaction. Le marquis répondit qu'il ne voulait
plus avoir de rapports avec la cour de Tsin ; sur quoi, Ting-kong
fit massacrer Tche-t'ouo. A cette nouvelle, l'autre compère Tch'eng-
n0 JiJc fnj décampa au plus vite, et se réfugia au pays de Yen $t.
L'historien fait sur cela sa remarque de lettré : un homme-
sage, dit-il, verra ici l'accomplissement du proverbe «quiconque se
moque des rites, mérite une punition exemplaire»; le livre des
Vers a une parole équivalente «celui qui n'observe pas les conve-
nances de la vie sociale, que ne meurt-il bien vite!» (2)
En 499 et 498, il n'y a rien dans la chronique: il y a ample
compensation à l'année suivante.
En 497, au début de l'année (novembre-décembre), le roi de
(1) Han-chc: fei-dessusj. Han-tan, Han-chc, Qu-che, étaienl comme une seule
ville, n cause de leur proximité; de là, ce qui est de l'une s'applique parfois à l'autre.
(2) Che-Mng g$ ifif. (Couvreur, j), 6o, ode 8, tl° 3),
DU ROYAUME DE TSIX. TlNG-KONG. 405
Ts'i ^ et le marquis de Wei ^ campaient à Tch'ouei-kia SJt e|
(1); de lu, ils envoyèrent des troupes envahir le territoire de Tsin :
mais celles-ci, arrivées au bord du fleuve jaune, refusèrent de le
traverser ; leurs grands officiers eux-mêmes n'osaient les conduire
de l'autre côté, disant que cette expédition était trop aventureuse.
Seul, le grand dignitaire Ping-i-tse |Tjft ^ ££ soutenait qu'elle
était possible: envoyons, disait-il, l'élite de nos troupes envahir
la contrée de Ho-nei fpj |Aj (2); le courrier le plus rapide mettra
plusieurs jours avant de parvenir à la capitale, en donner la nou-
velle ; si le roi expédie tout de suite une armée contre nous, elle
ne sera pas arrivée avant trois mois : alors nous aurons ravage le
pays, et nous aurons repassé ce fleuve; qu'avons-nous à craindre?
Ce conseil fut enfin agréé, et mis à exécution : mais le roi de
Ts'i apprit avec indignation la Lâcheté de ses grands officiers :
pour les en punir, il retira à tous, excepté à Ping-i-tse. la voiture
à timon recourbé, dont ils avaient le privilège.
\<>us n'avons pas oublié le singulier cadeau fait par le mar-
quis de Wei ^ au général Tchao-yang |§ $& : *' ne *"aut Pas troP
s*en étonner; à cette époque, les familles de bourgeois et de pay-
sans étaient quasi-esclaves; on se les partageait en héritage, on
les échangeait, on les transportait ailleurs, à peu près comme du
bétail; nous avons même vu, quelquefois, la population entière
d'une ville transférée ailleurs, pour avoir opposé aux assiégeants
une résistance opiniâtre.
Dans le cas présent, Tchao-yang, pour ne pas se compromet-
tre, n'avait pas transplanté ces cinq cents familles dans son propre
fief ; il les avait établies sur le territoire de Han-tan. dont le grand
officier Ou éf était le gouverneur : ce fut l'origine d'événements
tragiques : les voici, dans leur curieux enchaînement :
Tchao-yang n'ayant sans doute plus rien à craindre, de la
part des envieux ou de la cour, manda au grand officier < >u, de
lui rendre ces cinq cents familles, mi qu'il voulait les placer dans
son fief de Tsin-yang |f % 3 : on était alors au printemps.
Le gouverneur était tout disposé à obéir : étant retourné dans
sa famille, il parla de cet ordre avec son père et son frère-aîné :
ceux-ci s'opposèrent absolument à cette reddition : le prince de
Wei $j, disaient-ils, se montre tout-à-fait bien envers le pays de
(1) Tch'ouei-kia: appelléc aussi Kicn-chc j$ ft (ou \}$lk- était au sud-ouest
de Kiu-yé hien $L ïf M, qui est à 110 li à l'est de sa préfecture Tch'ao-tcheou
fou W 'H tfï- Chan-tong. (Grande géogr., vol. 33, p. 1 .
(2) Ho-nei ; c'est le territoire actuel do Wei-hoei fou Wt *$ 1Ï- Ho-nan.
(Petite géogr., vol, 12, p. iq) —(Grande, vol. 49' P- '7>-
(3) Tsin-vang : était à 15 11 sud-ouest de T'ai-yuen fou $\ fâ. W% l'han-si,
Petite géogr., vol. S, p. 2) — (Grande) roi. 40. p. 7).
406 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Ha.n-ta.n $[) jpj 1 , à cause de ses anciens sujets ; les envoyer
ailleurs, serait rompre avec lui : si l'on ne peut éviter d'obéir, il
faudrait prendre un moyen-terme : il faudrait envahir le territoire
de Ts'i ^ ; le roi dépêcherait certainement une armée, pour se
venger : alors, sous prétexte de mettre ces familles en sécurité,
vous pourriez les transférer ailleurs, sans froisser le marquis.
Le gouverneur approuva ce conseil : il manda donc à Tchao-
yang, qu'il lui enverrait ses nouveaux sujets à Tsin-yang : mais
à un moment plus propice. Ayant reçu cette réponse dilatoire,
Tchao-yang entra dans une grande fureur ; il somma le gouverneur
de venir s'expliquer à Tsin-yang même ; là, il le mit en prison,
et défendit aux gens de sa suite d'entrer en armes dans la ville ;
ceux-ci préférèrent s'en retourner, voyant qu'ils ne pouvaient déli-
vrer leur maître.
Tchao-yang écrivit aux habitants de Han-tan le billet suivant:
pour des raisons privées, que je ne puis vous faire connaître, j'ai
gardé ici votre gouverneur : choisissez-vous donc un autre homme
capable, que vous mettrez à sa place. Après avoir envoyé cette
dépèche, Tchao-yang fit tuer son prisonnier.
A cette nouvelle, Tchao-tsi ^f^, fils du gouverneur, et TvUp-
ping ffi '<§[, un des chefs de l'escorte, expliquèrent aux habitants
de Han-tan les menées perfides de Tchao-yang, et les excitèrent à
se révolter ouvertement contre lui ; ainsi le transfert des cinq cents
familles était devenu impossible.
A la Gèmc lune (avril-mai;, le seigneur Tsi-ts'in f§ Jjjs-, grand
intendant de l'armée du centre, conduisait des troupes contre ces
rebelles ; ce qui causa une révolution dans tout le royaume : voici
comment : Le seigneur Siun-yng ^ j|[ (bien connu de nousï était
l'oncle maternel du gouverneur assassiné : de plus, le fils de ce
même défunt avait pour épouse la fille de Che-ki-chè jr cf §\,
Mis du premier ministre Che-yang J: 'Pt ; les deux familles Siun
et Che (ou Fan ffc) étaient donc étroitement unies d'honneur et
d'intérêt, pour venger la mort de leur parent.
Aussi, quand l'armée de Tsin se mit en marche pour l'expé-
dition de Han-tan, ces deux familles refusèrent leur contingent :
elles se préparaient, au contraire, à attaquer Tchao-yang dans son
propre palais. Celui-ci fut averti par un de ses officiers, nommé
Tong-ngan-yu 3£ 5c -J* : mais il se contenta de lui répondre :
nous avons une loi qui dit « celui qui, le premier, commence une
révolution, sera mis à mort » ; laissons-les donc venir ; ensuite,
I fchao yang avait place ses cinq cents ramilles sur le territoire de Tsin,
non loin de leur ancienne patrie.
La capitale de Weifgf, a cette époque, <;tait à Pou*ycmg i&t RS» : or celle-ci
(.■si la ville actuelle de K'ai tcheou P£) H], à 12" li au sud de sa préfecture Ta-ming
fou h 45 'ïT'i Tche-li. (Petite giSat/r.. vol j. [>. -v - Grande, vol. i6, p. 54).
DU ROYAUME DE TSIN. TINO-KONG. 107
nous verrons ce qu'il y aura à faire-. — Alors, répliqua l'officier,
au lieu de mettre en péril toute votre maison, attaquez vous-même
vos ennemis ; puis vous rejetterez la faute sur moi, comme si vous
n'aviez rien su. — Tchao-yang remercia ce serviteur de son dé-
vouement : mais il refusa de commencer les hostilités : il se retira
dans son fief de Tsin-vang. et se prépara aussitôt à la défense : à
la 7ème lune mai-juin), l'ennemi était sous ses im.
Voici maintenant les personnages qui vont soutenir la cause
de Tchao-yang : le lecteur ne s'attendait pas à y trouver de pareils
noms: c'est vraiment un drame redoutable auquel nous assistons:
1° F;in-kao-i fë ^ t^|, né d'une concubine, mal vu et mal-
traité par son frère Che-ki-ché -^ ^ £j\ voulait pour cela se sé-
parer avec éclat de sa famille, et de son père le premier ministre ;
il méditait une révolution.
2° Siun-li ^jj j$| ou Tche-wen-tse £p $r -"f . ministre, ennemi
de Siun-yng ^j j^.
3° Leang-yng-fou |J£ ^£ 3C- favori intime du précèdent, qui
voulait en faire un ministre.
4° Han-pou-sin f^ ^ f|f . ministre, ennemi de Siun-yng,
5° Weisiang-tse f$| || ■ =f-. petit-fils de l'ancien premier mi-
nistre Wei-chou f$l ^ : il s'appelait aussi Man-louo || ^ . et
détestait Che-ki-ché -± S %\.
Ces cinq grands seigneurs s'étant reunis en conciliabule, dé-
cidèrent d'expulser Siun-yng. et de le remplacer par Leang-yng-
fou; de chasser de même Che-ki-ché. dont Fan-kao-i prendrait la
place, comme chef de la famille.
En conséquence. Siun-li s'adressa à Ting-kong encestermes:
Pour maintenir la paix entre les grandes familles, nous avons une
loi qui dit ■celui qui excitera une révolution sera mis à mori :
cette loi a été jurée par tous les grands seigneurs : puis elle a été
déposée dans le fleuve jaune, sous la garde de l'Esprit protecteur
de ce fleuve. Or, des trois dignitaires qui ont excite la présente
révolution. Tchao-yang seul se trouve en exil: ainsi, les peines
infligées ne sont pas égales : nous prions donc votre Majesté d'ex-
pulser aussi les deux seigneurs Siun-yng et Che-ki-ché.
Le faible Ting-kong donna son consentement : à la I 1 '"" lune
septembre-octobre . une armée allait attaquer les deux familles
Fan et Siun-yng: elle était cammandée par Siun-li. Han-pou-sin.
et "\Yei-siang-tse. qui furent honteusement battus.
Fiers de leur victoire, et furieux de cette permission de Ting-
kong, les deux seigneurs Siun-yng et Che-ki-ché résolurent de
tourner leurs armes contre lui. l'n de leurs officiers, nomme
Kao-kiang ïfj 5§|, transfuge de Ts't >0 . et protégé de la famille
Fan f£ ou Che -|; . les en disMiadait de toir s ses ces vou>
connaissez, leur disait-il. ce proverbe /<■ médecin qui s'est trois
fois ca.?>é le bras finit par devenir habile* : profitez donc de mon
expérience! comme vous, je me suis attaqué à mon roi: t -
408 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
pourquoi je suis maintenant en exil. Les trois familles Tche £fj,
H an !J!j|l et Wei H, se jalousent entre elles ; vous avez toutes les
chances de les vaincre; alors le roi n'osera pas vous résister; si,
au contraire, vous tournez vos armes contre lui, ces trois familles
appelleront le peuple à son secours, et vous serez perdus.
Ce conseil était bien sage ; mais les deux vainqueurs n'étaient
plus capables de le goûter ; ils persistèrent à marcher contre leur
souverain, furent battus, et s'enfuirent à Tchao-ko ^^C (i) pour
recommencer la lutte.
Cependant, les deux ministres Hun £■'£ et Wei |j| prièrent
Ting-kong de rappeler Tchao-yang, vu que ce n'était pas lui qui
avait commencé la révolution. En conséquence, à la 12ème lune,
au jour sin-wei ^ ^ (20 novembre), ce seigneur rentrait triom-
phalement à la capitale, jurait soumission loyale à son souverain,
et en recevait amnistie complète.
Sur ces événements. Confucius écrit "Tchao-yang tient la ville
de Tsin-yang ^ $§ en révolte», puis «Tchao-yang est rappelé à
la capitale-: il était contemporain, et pouvait savoir la vérité;
pourquoi donc la falsifier? Les commentaires s'escriment à expli-
quer ce texte ; ce n'est pourtant pas si difficile ; dans un moment,
nous allons voir le duc de Lou <||. soutenir le parti des deux sei-
gneurs ; donc le tort devait être de l'autre côté, pour Confucius.
En 496, Leang-yng-fou ^ ^ $£, le nouveau ministre, détes-
tait Tong-ngan ■ yu j^ t§J -T-, de la famille de Tchao-yang; il en
parla à son puissant protecteur et ami Siun-li ^ {{^t : Si nous ne
tuons pas cet homme, dit-il ; si nous le laissons gérer les affaires
de la famille Tchao, celle-ci sera bientôt maîtresse de toute l'auto-
rité dans le royaume ; pourquoi ne l'accuseriez-vous pas d'avoir, le
premier, causé toute cette révolution? vous demanderiez, qu'à ce
titre, il soit mis à mort par la famille elle-même.
Siun-li (ou Tche-wen-tse £fj ~$£ ~F) envoya à Tchao-yang le
message suivant : Che-ki-ché et Siun-yng ont été dûment punis
pour leur révolution : mais le véritable instigateur, celui qui en a
eu la première idée, celui qui l'a provoquée, c'est votre intendant
Tong-ngan-yu ; vous ne l'ignorez pas ; oserais-je vous rappeler la
loi qui le condamne à mort?
Tchao-yang comprit ce qu'on voulait; mais comment se rési-
gner à sacrifier un serviteur si utile et si dévoué? Celui-ci le tira
d'embarras : si ma mort, dit-il, peut assurer la paix du royaume
et la sécurité de la famille Tchao, pourquoi tiendrais-jc à vivre?
un peu plus tôt. un peu plus tard, nous mourrons tous ! Ayant
ainsi parlé, il alla se pendre.
1 rchao-ko : appelée plus tard Wei-hien tch'eng \%\ fH M, était à 50 H à
l'ouest de Siun-hien }■§ ff;. qui est à 110 li nord-esl de sa préfecture Wei-hoei fini
'iéi 'M tff- Ho-nan. Petite géogr., vol. 12, p. 23) — Grande, roi. 16. p. 20).
DU ROYAUME I)E rsiX. TING-KONG. 109
Tchao-yang fit exposer le cadavre sur la rue: puis il écrivit, à
Siun-li : votre seigneurie a daigné me communiquer ses ordres ;
ils sont exécutés: lé* coupable n'existe plus: je vous en envoie l'an-
nonce officielle.
Tchao-yang venait de donner une grande marque de déféren-
ce: elle lui valut un traité d'alliance offensive et défensive avec
Siun-li et les autres familles seigneuriales. Pour prouver sa re-
connaissance envers son intendant, il lui donna mie place dans le
temple de ses ancêtres, et lui offrit des sacrifices comme protecteur
de sa famille.
Vers le mois d'avril, une armée de Tsin s'en allait mettre le
siège devant Tchao-ho 1$ ^f. où se trouvaient les deux seigneurs
rebelles Siun-yng fëj '£{ et Che-ki-chè b "pf Q\ : presque tous les
vassaux tirent cause commune avec eux, contre leur suzerain,
comme nous allons le voir.
Tout d'abord, le roi de Ts'i 5§, le marquis de Wei f-j-j et le
duc de Lou -"g- eurent une entrevue à P'i-chang-liang F$ _h ^ ' •
pour se concerter sur les moyens de secourir les assiégés: la con-
clusion fut que deux grands officiers du parti rebelle, nommés
Si-tch'eng-fou ty\- Jj^âffet Siao-wang-tao-kia j|>1:. $fc If reuniraient
une armée de Tartares Ti ££, et feraient invasion sur le territoire
de Tsin, afin de forcer les troupes assiégeantes à se retirer.
Ce conseil eut d'abord un plein succès: les Tartares parvinrent
jusque sous les murs de la capitale: mais là, ils lurent écrasés, et
leurs conducteurs s'enfuirent de nouveau à Tchao-ko.
Au mois de juin, le roi de Ts'i et celui de Song '-£ avaient
une entrevue à Tîao $fç 2 , pour aviser encore aux moyens de
sauver les rebelles: en conséquence, une armée des princes fédérés
marchait à la rencontre des troupes de Tsin; la bataille eut lieu a
Lou jjj£ 3), en octobre-novembre : elle fut malheureuse pour les
alliés; le grand seigneur Tsi-ts'ing ^ .^. que nous connaissons,
fut fait prisonnier et mis à mort: de même Kao-hiang '^'] jf{Tj. ce
transfuge de Ts'i, dont les deux seigneurs rebelles avaient autre-
fois méprisé le bon conseil.
Sur ces entrefaites, arrivaient les troupes du prince de Tch'en
|ftfî : elles ne purent se joindre à l'armée des princes fédérés; elles
(1) P'i-chang-lian» Kien 'f: par Confucius, était a 12 uest de
Nei-hoang hien j^j fç $f, qui est à 110 li à l'est de >.i préfecture Tchang-te fou
%& îê Ht- Ho-nan Grande géogr., vol 16, /.. / r .
(2) Tiao : était à 50 li sud-ouest de Pou tcheou f^ #f . Chan-1
géogr., ool. /■<■ p. iS — 'Grande, '"/. 34, j>.
C.S) Lou : .'tait à 10 li nord-est de Lou-tch'eng hien g'5 i'\ '.?£, qu
nord-est de sa préfecture Lou-ngan fou }j$ '/,;- !{-f, Chnn-si. ■:/'••■ vol. S .
)>. 14) — (Grande, ool. 42. p. 2?).
52
410 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
furent aussi vaincues à Pé-tsiuen "gf ^ (1), par les gens de Tsin.
Malgré ces échecs réitérés, le parti rebelle ne désarma point: il y
eut seulement une trêve; on s'acharnait vraiment à ruiner le roy-
aume de Tsin. Nous sommes bien loin de la grosse farce, que
l'on avait voulu jouer au marquis de Wei $j ! Qui donc aurait pu
lui prédire de telles suites?
En 495, rien dans la chronique.
En 494, à la 4ème lune (février-mars), Tchao-tsi ^ fg, fils
du gouverneur Ou -^p, et petit-neveu de Siun-yng |fj ^, était, on
le conçoit, un des plus ardents promoteurs de la révolution ; il
avait été le premier rebelle, et voulait venger chèrement l'assassinat
de son pure; il était pour lors assiégé dans la ville de Han-tan
"Jjji ]p3 : le roi de Tx'i ^ et le marquis de Wei ■j^f, voulant forcer
l'armée de Tsin à se retirer, allèrent eux-mêmes assiéger Ou-lou
31 j^ 2 ; Han-tan fut ainsi débloquée.
Vers le mois de juin, ces deux mêmes princes s'étant concer-
tés à Kan-heou ijfc $| (3), leurs troupes, unies à celles du duché
de Lou .f§. et à celles de la principauté de Sien-yu j$. J| (4),
s'emparèrent de la ville de Ki-p'ou jj^ fjf 5 .
A la 12ème lune octobre-novembre , Tchao-yang, le vrai au-
teur de toutes ces calamités, conduisait lui-même une armée à
Tchao-ho jji^ ^, contre ses deux ennemis personnels; il croyait
enfin en avoir raison; il fut honteusement battu, et dut se retirer.
En 493. à la 4ème lune, au jour pivg-tse j5ij -^ 9 mars),
mourait le marquis de Wei fëj, l'ennemi irréconciliable de Tsin.
Son fils, le prince héritier K'ouni-houei ijîpj B-j|, non-seulement
n'avait pas la haine de son père, il était encore l'ami de Ting-kong,
auprès duquel il s'était enfui. Tchao-yang voulut faire une action
éclatante, reconduire le jeune prince dans sa capitale, ramener le
pays à l'obéissance, et par là intimider les autres vassaux.
(1) Pé-ts'iuen : (les cent sources) cet endroit est dans la montagne Sou-men
-chun «{| f"j [i] à 7 li nord-ouest de Hoei bien ;5 !?f : celle-ci est à 60 li à l'ouest
de sa préfecture Wei-hoei fou |g %S. fâ, Ho-nan. Petite géexjr.. vol. 12. p. 21) —
ide.rol. 4Q. p. 25).
- Ou-lou: était un peu au sud-est de Ta-ming fou j<. % ffî ■ Iche-li.
Grande géogr., vol. 16, p. s).
(3) Kan-heou: était à 13 li sud-est de Tcheng-ngan bien j^ $ |£. qui est à
GO li au sud de sa préfecture Koang-p'ing fou %% 'r 'î-1 '• Tche-li. Petite géogr.,
vol. 2, p. 4q> — (Grande, vol. /.« . y». 23).
(4) Sien-yu: sa capitale, appelée plus tard Sin-che tch'eng $ft |ft jjf, était à
40 li au nord-ouest de Tckeng-ting fou ^f ^Jr flïf, Tche-îi. (Grande géogr., vol.
14. p. à).
(5) K.i-p'ou : c'est Tchao tcheou jf§ MK l'chc-li. Petite géogr., vol. j. p. 6j
— (Grande, vol. 14. p. 46).
DU ROYAUME DE TSIN. TIXG-KONG. 411
A la 6èn" lune, au jour i-you £, (ËJ (17 mai), l'armée était
en marche vers la ville de Ts'i j[j| (1), territoire de Wei : mais
on s'égara pendant la nuit ; heureusement on fut remis sur le bon
chemin, par un individu qui connaissait bien le pays. Cet homme,
c'est Yang-hou fâ f£\ le fameux intendant de la famille Ki 5p,
de Lou <!§•, dont il a été question en 504 ; à cause de son arro-
gance, il avait été chassé, et s'était retiré à la cour de Tsin. il
dit donc à Tchao-yang : nous avons traversé le fleuve jaune au
gué ordinaire: celui-ci est juste au nord de Ts'i; allons donc
droit vers le sud (2).
Bientôt, en effet, on se trouva en vue de la ville : mais com-
ment y entrer? Tchao-yang imagina un stratagème: l'armée resta
en arriére: le prince-héritier et huit seigneurs, tous en grand
deuil, se présentèrent à la porte, feignant d'être une députation
venue de la capitale, au devant du nouveau marquis : dans cet
accoutrement, ils ne cessaient de pleurer, et finirent par toucher
le cœur du gardien, qui consentit à les laisser entrer; ils restèrent
ainsi dans la ville, attendant le moment propice pour agir avec le
concours de l'armée de Tsin.
A la 8ème lune (juin-juillet), le roi de T.<ci y^ envoyait un
grand convoi de vivres et de munitions, pour ravitailler les deux
seigneurs en détresse à Tchao-ko î^J] |j$; : deux officiers de Tcheng
JU$, Tse-yao ïf- $fc et Tse-p'an ^ J|&, s'étaient chargés de conduire
et de remettre ce convoi composé de mille chariots. De son côte.
Che-ki-ché -^ ~n M< averti de son arrivée, s'était porté à sa ren-
contre avec une partie de ses troupes.
Quelle magnifique occasion pour Tchao-yang '. ce ravitaille-
ment devait passer non loin de la ville de Ts'i }$,; vite, il fallait
disposer ses hommes en rang de bataille, et compenser le nombre
par la ruse.
Yang-hou [5§ jj{ lui dit donc: nous avons peu de chars; il
faut mettre tous nos drapeaux sur le front de notre armée: trom-
pés par cette apparence, les officiers de Trheny fjifj seront saisis
de frayeur ; alors, avant qu'ils aient eu le temps de ranger leurs
troupes en ordre de bataille, fondons sur eux: nous sommes sûrs
de la victoire.
Ce plan fut adopté: mais quand on voulut consulter les sorts,
la carapace de la tortue divinatoire se trouva si grillée, qu'on ne
put y lire aucune indication. L'officier Yo-ting ^ ~J" sauva la
situation en s'écriant: le livre des Vers a cette parole (3) «/'<
reur Ou-wang tj£ 3E délibéra d'abord avec ses compagnons, puis
(1) rs'i: était ii 7 li au nord de K'ai tcheou he-li. (Petite géogr.,
vol. 2. p. j4> — 'Grande, vol. iô, p. 36).
(2) Les 'commentaires font remarquer que, d'apr cours du
Fleuve Jaune a bien changi .
(3) Che-king g$ fë. (Couvreur, p. 327, ode s, "
412 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
il consulta la tortue»; si les hommes ne peuvent s'entendre, alors
c'est le cas de consulter les sorts; ici, tous nos cœurs sont d'ac-
cord : de plus, avant de nous mettre en marche, pour placer le
marquis de "Wei sur son trône, les sorts furent favorables ; qu'est-
il besoin de les consulter encore ?
Tchao-yang fit une proclamation solennelle, qu'il jura d'ob-
server fidèlement : la voici : « Les chefs des familles Fan frf et
Siun-yng -pïjjî£ se sont révoltés contre les décrets évidents du ciel;
sans vergogne, ils ont sabré le pauvre peuple, comme on fauche
de l'herbe ; ils veulent accaparer toute autorité, et renverser la
maison régnante. Notre humble souverain avait autrefois pleine
confiance dans le prince de Tcheng @!> : maintenant, celui-ci a
délaissé le droit chemin ; après avoir quitté notre service, il sou-
tient encore les rebelles contre nous.
Vous, messieurs, suivez les ordres évidents du ciel, qui nous
prescrivent d'obéir à nos préposés, de pratiquer la justice et la
vertu. Aujourd'hui, il faut, à tout prix, éviter la honte d'une
défaite : :-i nous avons la victoire, je jure d'accorder les récom-
penses suivantes :
Les grands officiers recevront le gouvernement d'une contrée
hien Jg$] (1) ;
Ceux de second rang, le gouvernement d'un canton kiun fîp ;
Les officiers inférieurs, cent mille arpents meou $jfc de terre;
Les hommes du peuple, les artisans, les marchands, des offi-
ces et dignités selon leurs mérites :
Les gens asservis aux basses fonctions des tribunaux, ou à
la garde du bétail, seront relevés de leur servitude humiliante.
Pourvu que, par votre concours, je puisse remporter la vic-
toire, soyez sûrs que notre souverain accordera tout ce que je de-
manderai. Si moi je ne fais pas mon devoir, je consens à être
étranglé, à n'avoir qu'un cercueil en éléococca, et d'une épaisseur
de trois pouces seulement, sans aucune enveloppe protectrice ; un
char funèbre sans aucun ornement, traîné par des chevaux misé-
rables ; à n'avoir pas même d'enterrement : qu'on me traite enfin
comme un ministre dégradé et puni (2 .
Au jour kia-sin EJ3 Jk£ ô juillet;, se livra la bataille : sur le
char de Tchao-yang, le conducteur était You-OU-hiué ^ 4tt jj|.
(1) I n hirn !|p avait une étendue tic cent li en carré; — un Kiun £î> n'en
avait que cinquante; un Hien renfermait dune 1 Kiun. Cent mille arpents formaient
ndue de plus de dix li en carré, telle est la théorie, qui existe encore dans
les livres; en pratiqne, on se formait a la configuration du sol. (Note det
mentaires .
(2) Cette ■ - honneurs funèbres est Longuement
iteurs ; nous l'omettons: elle est par trop fastidieuse; ici Tchao-
accepte te cercueil d'un roturier .
DU ROYAUME DE TSIN. TING-KONG. Ï13
autrement nomme' Wang-leang 3E. j£ ; le lancier était le prince-
héritier de Wei fëj lui-même. Avant le combat, Tchao-yang se
lit mener sur la colline T'i $$ | 1 , pour examiner les troupes en-
nemies ; elles étaient si nombreuses, que le jeune marquis en eut
une attaque de frayeur, et tomba du char ; Wang-leang lui tendit
la courroie pour remonter, et lui dit en riant : vous êtes une fem-
melette !
Tchao-yang parcourut ensuite les rangs de ses soldats : Pi-
wan ^ $^, leur disait-il, n'était qu'un homme vulgaire; mais
dans sept batailles de suite, il ht chaque fois son prisonnier ; aussi
reçut-il de grandes récompenses ; c'est à tel point qu'il eut cent
chars, de quatre chevaux chacun ; et il mourut tranquillement
dans sa maison, à un âge très-avancé : voilà votre modèle ! D'ail-
leurs, ajoutait-il, c'est le ciel qui détermine qui sera tué par l'en-
nemi, qni reviendra sain et saut.
Le grand officier Tchao-louo ^fr || était un poltron d'une lâ-
cheté extrême ; pour l'empêcher de fuir, on l'avait attaché sur son
char ; un petit chef l'ayant aperçu en cet état, en demanda la rai-
son au conducteur Fan-yu ^ ïffl ; celui-ci répondit : c'est qu'il a
la fièvre ! Heureusement, il avait pour le protéger, pendant le
combat, son vaillant lancier Xong-ijong 5^ Ji.
Cependant, le jeune marquis de Wei fj£j- ne pouvait dominer
sa frayeur ; il se recommandait à tous les Esprits tutélaires, à tous
ses ancêtres ; surtout à l'empereur Wen-wang ^ J, à K'ang-
chou jjjfe fy le fondateur de sa famille (1115-1078), à son grand-
père Siang |f| 543-535) ; il n'osait invoquer son père, dont il
contredisait la politique : Votre humble descendant K'ouai-houei
jjljij Ujî;, disait-il, ose vous avertir de son danger ; Chen ]$, prince
de Tcheng f|j$, a quitté son suzerain pouJ se joindre aux rebelles ;
le roi de Tsin se trouve dans une grande calamité ; c'est lui qui a
chargé son général Tchao-yang d'abattre la révolution ; moi, votre
humble descendant, je n'ai pas osé m'abandonner à un repos hon-
teux ; j'ai saisi la lance à crochet, je suis parti en guerre avec lui :
veuillez nous protéger, afin que cette entreprise ait plein succès ;
qu'aucun de mes nerfs ne soit coupe par une lance ennemie;
qu'aucun de mes os ne soit brisé par une chute de char; que ma
ligure ne soit rendue difforme par aucune blessure. Si l'un de ces
malheurs m'arrivait, ce serait aussi pour vous une grande honte.
Quant à ma vie, je n'ose vous en parler; comme si j'y tenais pour
mon avantage privé; mais votre gloire est d'avoir de nombreux
descendants; je ne tiens pas non plus à ces jades précieux, sus-
pendus à ma ceinture; je vous les offre volontiers en sacrifice (2).
(1) La colline l"i: esl à 5 li .m nord de K'ai tcheou [If-] 'H\, Tche-li. Petite
géogr., vol. 2, p. 54) -- (Grande, ml. 1 c . p. 37).
(2) Vraie ou supposée, cette prière est t3-pique; elle montre ce que deman-
dent les païens, s'il leur arrive de prier; quelle autre chose pourraient-ils deman-
der? pour eux, cciic vie présente est toul :
'i 1 \ TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Les gens de Tcheng fï[j. pendant la bataille, blessèrent Tchao-
yang à l'épaule, le renversèrent sur son char, et lui prirent son
drapeau de généralissime fong-k'i 5s£ JK, ; 1° prin ce-héritier lui
sauva la vie par ses heureux coups de lance. Les gens de Tcheng
firent prisonnier le gouverneur de Wen j^_, Tchao-louo j^ H, ce
lâche poltron que l'on avait attaché sur son char: la victoire,
d'abord indécise, tourna finalement du coté de Tsin ; le prince-
hériter de Wei, enhardi par ses succès, se lança sur l'ennemi, lui
infligea une grande défaite, et s'empara du convoi de vivres et de
munitions.
Maintenant c'est bien ! séria Tchao-yang. félicitant le jeune
marquis de ses brillants exploits. Fou-seou \$j. /(&, un de ses offi-
ciers, lui remarqua cependant : vous avez vaincu les gens de Tclieur/
JU$, c'est vrai ; mais la famille Tche ^jp est encore debout, et vous
donnera bien du iil à retordre: vous n'êtes pas au bout de vos
peines !
Autre incident du combat : Autrefois, l'empereur avait donné-
un grand fief à la famille Fan ffo; Kong-suen-mang fe fâ Jfe,
l'intendant de cette propriété, avait été fait prisonnier par l'armée
de Tsin; on l'amena devant Tchao-yang pour le mettre à mort;
mais il s'y opposa en disant : quel crime a donc commis cet hom-
me"? il n'a fait que remplir fidèlement son devoir envers son maître!
Sur ce. il le délivra, lui fit cadeau du fief qu'il gérait si bien, et
l'attacha ainsi à son service.
Touché de cette générosité. Kong-suen-mang choisit cinq cents
hommes, se lança pendant la nuit sur les gens de Tcheng HJJ,
reprit le drapeau du généralissime, et le rapporta triomphalement
à Tchao-yang : j'ai voulu, dit-il. prouver ma reconnaissance à votre
seigneurie.
Le lendemain, on poursuivit encore les fuyards de Tcheng;
mais les généraux Tse-yao ^p $jç, Tse-p'an zf Jf£ et Kongsuen-
!tn'.l & ffi, 1;iv-se tenant à l'arrière-garde, tuèrent un grand nombre
des assaillants: Tchao-yang donna l'ordre du retour en s'écriant :
l'état de Tcheng est petit, mais il a de fameux archers !
Revenu dans son camp. Tchao-yang commença à se vanter :
tombé à la renverse sur le fourreau de mon arc, disait-il. le sang
me sortait par la bouche; malgré cela, je n'ai pas cessé de battre
le tambour, ordonnant d'avancer quand même; ainsi nous avons
remporté la victoire; dans cette glorieuse journée, ma part n'est
pas petite.
Le jeune marquis de Wei fêj ne voulant point passer inaperçu,
lui répondit : .sans moi, vous étiez perdu: mes bons coups de lance
vous ont sauvé la vie: parmi vos compagnons d'armes, qui donc
peut se flatter d'avoir mieux travaillé?
Wang-liang ~\[ £.l. le conducteur du char lui répliqua aussi-
tôt : le collier de deux chevaux était sur le point de se rompre;
j'ai réussi à prévenir ce malheur; sans mon adresse, nous étions
DU ROYAUME DE TSIX. TIXG-KONG. 'il")
tous perdus. Comme on ne semblait pas le croire, il fit atteler,
mit un simple morceau de bois sur le char, et fouetta les chevaux ;
du premier coup, les deux colliers se rompirent.
En 'i92,au début de l'année (novembre-décembre), les troupes
de Ts'i >0$- et de Wei ||j assiégeaient le jeune marquis dans la
ville de TVi $£, où il se tenait réfugié, en attendant qu'il pût se
rendre, de gré ou de force, dans sa capitale, et monter sur le trône.
Les Tartares de Sien-yu f{$. r,jv vinrent se joindre aux assiégeants;
la ville ne put cependant être prise, et l'on dut se retirer. Notons
ici que Confucius blâme ce jeune marquis; selon lui, il devait obéir
à son père, qui, avant de mourir, l'avait privé de son titre de
prince-héritier, et l'avait donné à un autre de ses fils l . On
comprend encore mieux pourquoi ce prince ne pouvait adresser sa
prière aux mânes de son père, dont il devait craindre la vengeance,
puisqu'il venait à main armée réclamer la couronne ; on comprend
encore pourquoi il ne fait allusion qu'aux troubles de Tsin; il ne
pouvait parler de sa propre révolte contre l'autorité paternelle;
supposait-il que ses ancêtres l'ignoraient? ou bien qu'ils lui don-
neraient raison contre son père, en dépit de la loi sacro-sainte de
la piété filiale? Mais il ne faut pas trop presser le lettré-historien
qui lui met cette prière sur les lèvres; la doctrine de ces messieurs
ne va pas si loin.
Voyons plutôt la conduite du «fils du ciel» au milieu de cette
guerre civile: Son premier ministre était partisan des rebelles; sa
famille, en effet, était unie à celle de Fan ~{\ï (ou Chc -j^) depuis
des générations, par une série de mariages réciproques; grâce à
lui, la cour impériale s'était rangée du même parti. Tchao-yang
s'en plaignit à l'empereur: celui-ci ne voulant pas déplaire à son
ancien libérateur, tit mettre â mort Tchang-hong jj| ££, grand
officier qui s'était trop compromis dans cette querelle ; c'était assez
avertir le premier ministre de n'avoir pas à s'en mêler. < >n était
alors en avril-mai (2).
Tchao-yang, â la 10ème lune (août-septembre), mettait encore
une fois le siège devant la ville de Tchao-ko t$ ;;}[* : les rebelles e1
leurs auxiliaires l'attaquèrent lui-même de deux cotés à la lois.
par la porte du nord et celle du sud, ne lui I, lissant pas le temps
d'investir la ville. Siun-yng -fîj jj| parvint ainsi à lui échapper :
le 7 octobre suivant, il était à Han-tan % jjn, protégé par les
troupes du gouverneur Tchao-tsi $f| ffî.
Tchao-yang furieux de ce nouvel échec, tit massacrer Fan-
kao-i frV JfLj^l, son propre partisan : et cela, uniquement par haine
(1) Luen-yv Jm îHî- (Zottoli, II, r ■ paragr., i .
2 On s'en souvient, une prophétii saugrenue avait annonce que l'chang-hong
serait puni pour avoir essaye de relever la dynastie impériale, condamnée à la
ruine par le ciel : le motif de sa mort n'apparaît guère se vérifier ici.
416 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
pour la famille Fan, dont celui-ci était un des membres; voilà
comment ce malheureux fut récompensé de sa révolte contre son
frère Che-ki-ché ± ^ $ft !
En 491, le roi de Tclr'ou ^ ayant fini par reprendre le
dessus, dans sa terrible guerre avec le roi de Ou J^.. se vengeait
de tous ceux qui lavaient délaissé dans sa détresse ; pour lors, il
assiégeait la capitale des Tartares Jong-man j% || (1); leur chef,
nommé Tche fp, lui échappa et s'enfuit au pays de Yng-ti |ïfï i{|l
(2), sur le territoire de Tsin ; là, il fut fait prisonnier, avec cinq
de ses compagnons, par le grand officier Che-mi -j^ |jj[, et conduit
devant Tchao-yang.
Notre royaume, dit celui-ci, est troublé par la guerre civile ;
n'allons pas irriter le roi de Tch'ou ; remettons-lui ces prisonniers,
puisqu'il les réclame! Confucius rapporte ce fait, et le blâme
comme il convient ; c'était une lâche trahison ; car ces malheureux
captifs avaient demandé et obtenu asile.
A la 71"1' lune juin . les troupes de Ts'i ^ et de Wei |$j
recommençaient la lutte contre les gens de Tsin ; les premières
étaient commandées par Tch'eng-kci |îjfî -^ et Hien-che jjÈ Ml '> les
secondes par Ning-k'ouei ^ $n : au jour keng-ou }£ ^f- (21 juin ,
elles assiégeaient de nouveau la ville de Ou-lou "fL J§È 3 •
A la ',) ''' ■'• lune (septembre . Tchao-yang, de son côté, inves-
tissait Ha.n-.tan $$ |pj, qui, cette fois, fut forcée de se rendre après
un mois de résistance; mais Siun-yng s'était enfui chez les Tar-
tares Sien-yu $£ |ft : Tchao-tsi s'était d'abord retiré à Ling £fr (4),
ville peu sûre pour lui : le général Hien-che vint l'y rejoindre avec
ses troupes, en détruisit les fortifications, et le conduisit ailleurs.
Pendant ce temps, Kouo-hia |]|| jf|, autre général de Ts'i ffî,
enlevait les huit villes suivantes : Hing j\\]. Jen ££, Louan H§,
Hao |p, Gni-lche ^ B#, Yng-jen \% J\, Yu }£ et Hou-h'eou |f
P (5) ; après quoi, unissant ses troupes à celles des Tartares de
(1) Les tartares Jong-man: leur capitale étail un peu au sud-ouest de Jou
tcheon \li 'H'|. Ho-nan (Petite géogr., vol. /.?, p 64) — (Grande, vol. 51, p. 36).
(2) Yng-ti : ('■tait un peu au nord-est de Liu-che hien ffjfâ_ fc. §£. qui est à 240
li sud-ouesj de sa préfecture Chen-tcheou |$£ M. Ilo-nan. (Grande géogr., vol. 48.
p: 48).
3 Ou-lou : Voyez à l'année 400 f.
('i) Ling : c'est Ling-tch'eng hien Kî ifâ $£. à 90 li sud-ouest de Tchao tcheou
|£î -)\\. rche-li. (Petite géogr., ool. 2. p. 6S) — Grande, vol. 41. p. jo).
5) Hing: était un peu au sud-ouest de Chouen-te fou fl[?( i§ tff. Tche-li.
Petite géogr., vol. 2, p- 44^ — (Grande, vol. / . ,
Jen : étail peu au sud-est de Jen hien f£ !(!,f . qui est à S0 li nord-est de
1 houen te fou, sa préfecture (Petite géogr., vol. 2. p. 46) — (Grande, vol. ij,
P- 7)-
DU ROYAUME DE TSIN. TING-KONG. 417
Sien-yu jffi. J||, il conduisait Siun-yng dans la ville de Pé-jen Jfâ
\, où se trouvait déjà Che-ki-ché.
En 490, au début de l'année (novembre), une armée de Tsin
venait les y assiéger, avec plus de fureur que jamais, car c'était
leur dernier retranchement ; si l'on réussissait à les y prendre, la
guerre était finie ; mais ils parvinrent tous deux à s'enfuir au
pays de Ts'i ^. C'est dans ce royaume que ces deux grandissi-
mes familles Fan fgT et Siun-yng ^jj J| vinrent s'échouer, pour
disparaître bientôt de l'histoire ; un orgueil indomptable fut la
principale cause de leur perte.
A propos de ce siège, l'historien raconte le beau trait suivant:
Wang-cheng ff ££, officier de la famille Fan, détestait un de ses
collègues, nommé Tchang-liou-cho 51^1^ ; il proposa cependant
à Che-ki-ché de le nommer gouverneur de la ville. — N'est-il pas
votre ennemi ? observa celui-ci. — Assurément ! répondit Wang-
cheng ; mais une querelle privée ne doit pas nous empêcher de
pourvoir au bien commun ; avoir l'œil ouvert sur les défauts d'un
ami, ne pas le fermer sur les qualités d'un ennemi, est une règle
de simple justice.
Tchang-liou-cho avait donc été fait gouverneur de Pé-jen.
Au départ des deux chefs de la rébellion, il dit à son fils : suivez
les deux seigneurs, et servez-les de tout votre dévouement ; moi,
je resterai ici pour soutenir les assauts de l'ennemi ; c'est ma
mort, je le sais ; mais je ne veux pas tromper les espérances que
l'on a eues en me confiant ce poste. Il périt en effet pendant le
siège.
Vers le mois d'avril, Tchao-yang, délivré d'un côté, se retour-
nait de l'autre ; il voulait maintenant abattre le pays de Wei ^j,
qui ne cessait point les hostilités, et qui ne voulait pas recevoir
son marquis ; l'armée de Tsin mit le siège devant Tchong-meou
Louan : était à 10 li nord-est de Pé-hiang hien ifg «jU f£, qui est à 70 li au
sud de Tchao tcheou j§ ffl, Tche-li. (Petite géogr., vol. 2, p. 67) — (Grande, vol.
14, p. 48).
Hao : était à 22 li au nord de Pé-hiang hien.
Gni-tche : était à 20 li sud-est de Wan-hien % fj-, qui est a 70 li à l'ouest de
sa préfecture Pao-ting fou fâ fë tff, Tche-li. (Petite géogr., vol. 2, p. 24)— (Gran-
de, vol. 12, p. ig).
Yng-jen : inconnue.
Yu : c'est Tu hien t'. ['!?. à 100 li nord-ouest de P'ing-ting tcheou ?fi 3: #),
Chan-si. (Petite géogr.. vol. S. p. ss) — (Grande, vol. 40. p. 22).
Hou-k'eou : cette forteresse et son défilé sont h 50 li sud-e*t de llou-koan
hien §g Wtî ($£, qui est à 250 li a l'est de sa préfecture Lou-ngan fou %& %c tfj",
Chan-si. (Petite géogr., vol. 8. p. 14) — (Gronde. 1)0 1. 42. p. 2
Pé-jen : était à 12 li à l'ouest de Chouen-te fou. igrr., vol. 2. p. 46) —
(Grande, vol. 15, p. g).
53
418 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
rf> ÉfL (1), sans pouvoir s'en emparer ; elle dut se retirer, après
avoir ravagé le pays, et fait un grand butin.
En 489, au début de l'année (novembre), Tchao-yang revenait
à la charge contre les Tartares Sien-yu |(£,[j, pour les punir d'a-
voir soutenu la cause de ses ennemis, et leur avoir donné asile ;
l'historien ne relate pas les détails de cette expédition ; elle con-
sista sans doute en razzias, comme la précédente.
En 488, le petit pays de Wei $j persistant dans son anitno-
sité, ne faisant pas la moindre proposition de paix, une armée de
Tsin, commandée par le grand seigneur Wei-man-touo gj| J| ^,
y opérait une nouvelle invasion sans plus de succès.
En 487, rien dans la chronique.
En 486, vers le mois d'avril, Tchao-yang consultait les sorts,
pour savoir s'il irait au secours de l'état de Tcheng §[5, alors atta-
qué par celui de Song $£ ; pour présage, il eut l'eau rencontrant
le feu. Il en demanda l'explication aux archivistes Tchao ^§, Me
JH, et Kouei ||. Ce dernier répondit: l'eau éteint le feu; ainsi
vous pouvez partir en guerre ; mais vous ne serez victorieux, que
si vous attaquez la maison Kiang =H, que règne au pays de Ts'i
jlf ; vous en prendre à la maison Tse ^p, qui descend des empe-
reurs Chang $§, et règne au pays de Sohg $z, serait malheureux
pour vous.
Me J|§ répondit: votre surnom Yng ££ (plein) est aussi un
nom donné à l'eau, qui veut toujours remplir les endroits vides
qu'elle rencontre. Tse ^jp est le nom de la maison régnante de
Song; dans les douze signes du zodiaque, ce caractère a sa place
au nord, où se trouve aussi celui de l'eau ; il y a donc antago-
nisme entre vous deux ; la guerre sera des plus violentes, sans
espoir pour vous de remporter la victoire.
Tchao-yang eut peur de ces oracles, vraies sornettes qui mon-
trent la bêtise humaine sous le joug tyrannique et moqueur du
démon. Cette consulte tient une page dans l'historien; tout y est
de cette force et de ce génie ; laissons les lettrés s'en délecter.
Remarquons cependant que l'archiviste Me j|| jouait un tour, ou
bien se trompait grossièrement : la famille Tchao ^g était du clan
Yng H|, comme les rois de Ts'in |j| ; l'archiviste prend un carac-
tère pour un autre, comme base de sa réponse.
En 485, vers le mois d'avril, Tchao-yang se lançait enfin
contre le royaume de Ts'i 3J|, dont il avait tant à se venger, et
qui abritait ses deux ennemis personnels. Avant de se mettre en
marche, ses officiers le priaient de consulter les sorts. — C'est déjà
fait, leur répondait- il, et les présages furent favorables ; il ne faut
pas consulter les sorts deux fois, sur le même objet; difficilement
(1) Tchong-meou: (Voyez à l'année soi)-
DU ROYAUME DE TStf», TIHG-KONG. 418
on obtient la même réponse, et l'on pourrait rarement commencer
aucune entreprise (1).'
L'armée s'empara des villes de Li %$? et de Yuen tfè, détruisit
les fortifications des faubourgs de Kao-t'ang ^ Jf\ fit une irrup-
tion sur le territoire de Lai jfc| (2), puis rebroussa chemin. Les
commentaires observent que Tchao-yang profita du deuil national
de Ts'i, pour conduire cette expédition; le roi venait de mourir;
mais leurs blâmes sévères pourraient s'appliquer à tous les états ;
quel est celui qui n'a pas commis la même faute, quand elle tour-
nait à son avantage, tout en la reprochant aux autres, quand elle
était à son détriment"?
En 484 et 483, rien. En 482, vers le mois d'avril, Ting-kong
avait une entrevue, à Hoang-tch'è || ftjj (3), avec Fou-tch'ai ^
JK, fameux roi de Ou -^L, en présence d'un ambassadeur impérial
accompagné du duc de Lou ;§f.. La cour de Tsin, malgré sa fai-
blesse, prétendait bien garder la préséance, dans les réunions des
princes féodaux ; mais la chose était plus compliquée dans le cas
présent; le roi de Ou, censé sauvage, n'était point un vassal de
l'empereur ; aussi réclamait-il les honneurs de la préséance.
On était resté ensemble jusqu'au 5 juin (jour sin-tcheou r*fc
2:); alors il s'agissait de jurer solennellement un traité d'alliance
et d'amitié ; qui des deux rois allait, le premier, se frotter les
lèvres avec le sang de la victime? Le roi de Ou disait: je suis le
descendant de T'ai-pé ^ fg, donc de la branche aînée de la mai-
son impériale Tcheou Jfj\ ; à moi la préséance. — Moi, répliquait
Ting-kong, je suis le chef de tous les états de la famille Ki $£ ; je
ne puis céder la place à personne.
Ainsi, l'on se querellait pendant une grande partie de la jour-
née. Tchao-yang fit venir l'intendant général de l'armée, nommé
Yng jg : le soleil commence à décliner, lut dit-il, et le traité n'est
(1) Tchao-yang le reconnaît, on ne peut se fier à la tortue divinatoire; elle
répond blanc et noir sur le même sujet ; employez des tables tournantes, des «mé-
dium» hypnotisés ou non, le diable ou ses compères se jouent de vous !
(2) Li: appelée plus tard T'a-yng $R ^, était à 10 li à l'ouest de Ling-{
hien 6g g, |£, qui est à 150 li au nord de sa préfecture Ts'i-nan fou ?9 $§ fl<r.
Chan-tong. (Grande géogr., vol. 31, p. 16).
Yuen: était un peu au nord-ouest de Yu-tch'eng hien (S, $ H, qui est à 100
li nord-ouest de Ts'i-nan fou. (Grande géogr., vol. 31, p. 15).
Kao-t'ang: était à 40 li à l'ouest de Yu-tch'eng hien. (Grande géogr., vol.
31, p. zj).
Lai: dont il ne reste qu'un Kiosque, était un peu à l'est de Ts'i-nan fou.
(Petite géogr., vol. 10, p. a) — (Grande, vol. 31, p. 6).
(3) Hoang-tch'é : était à 7 li sud-ouest de Fong-k'iou hien JJ Etf g£, qui est
à 50 li au nord de sa préfecture Wei-hoei fou ffi M fà- Ho-nan. (Petite géogr.,
vol. ta, p. ai) — (Grande, vol. 47, p. aS).
420 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
pas encore conclu ; la faute en est à nous deux ; battons le tam-
bour, rangeons nos gens en bataille, et en avant! alors on verra
qui est le plus fort, qui doit avoir la préséance !
Attendez un peu, s'il vous plaît, répondit l'intendant; je vais
d'abord 'examiner de près l'état des choses. De retour, il fit
cette remarque : ceux qui mangent de la viande, n'ont pas la
figure noirâtre comme celle du roi de Ou ; aurait-il reçu quelque
mauvais message? son pays serait-il envahi? son prince-héritier
serait-il mort? patientons encore un peu ; la constance des sau-
vages ne dure pas longtemps ; la chose s'arrangera d'elle-même.
Enfin, qui eut la préséance? question sans réponse décisive.
Tsouo K'iou-ming ^ ^ PJ et grand nombre de lettrés, la donnent
à Ting-kong ; sous prétexte qu'un sauvage ne pouvait avoir le pas
sur le chef des états chinois : ils oublient le traité solennel de
Song 5>f?, en 546, où le royaume de Tsing, alors puissant, fut bel
et bien évincé par les sauvages de Tch'ou ^. Ici, n'ayant plus
aucune autorité, pouvait-il résister au roi puissant et violent de
Ou ^? ces niaiseries, sur la couleur du visage de ce roi, sont des
formules de lettré.
Se-ma Ts'ien, dans les annales de Tsin, attribue la préséance
au roi de Ou? dans celles de ce dernier royaume, il la donne à
Tsin-kong ; il y a là contradiction ; donc nous ne décidons rien,
tout en estimant plus probable que le roi de Ou demeura vainqueur
dans ce différend.
Pendant ce temps, une armée sous les ordres du seigneur
Wei-man-touo fj| J| ^, envahissait le pays de Wei fëj ; elle se
contenta sans doute de le ravager : car on ne dit rien autre chose.
En 481, puis en 480, vers le mois de juin, Tchao-yang lui-
même y faisait une expédition de ce genre.
Vers la fin de cette dernière année, Tsin-kong en personne
conduisait une armée contre l'état de Tcheng f|j$.
En 479, mort de Confucius. Quels actes remarquables avons-
nous eu à signaler, depuis sa naissance? Le duché de Lou ||., son
pays, était dans une confusion inexprimable; quel remède y a donc
apporté cet homme, à qui les lettrés postérieurs ont dressé un
piédestal sans pareil ? pourquoi en ont-il fait, non-seulement le
«saint» par excellence, mais même un dieu? serait-ce du moins
pour sa doctrine? après avoir tiré au clair l'histoire de son pays,
nous tâcherons de mettre en pleine lumière cette vie et cette doc-
trine du «maître des maîtres» ; en attendant, constatons que les
autres pays ne se souciaient guère de lui.
En 478, le prince-héritier de Wei ff,f ayant fini par s'emparer
du trône, Tchao-yang lui envoya le message suivant : quand votre
Majesté se trouvait dans notre royaume, j'étais votre hôte, votre
ami, votre protecteur ; venez donc maintenant saluer notre souve-
rain, ou bien envoyez en ambassade votre prince-héritier; autre-
ment, notre cour m'accuserait de vous avoir conseillé cette absten-
tion regrettable.
DU ROYAUME DE TSIN. TING-KONG. 421
Koai-kouei j$j|J fjfj; s'excusa de ne pouvoir faire ce voyage en
personne, vu la multiplicité des affaires, et les embarras de sa
situation ; de son côté, son fils, ennemi de Tsin, au lieu de se
mettre en route, pour l'ambassade demandée, fit battre le mes-
sager ; c'était une grosse injure et une grosse faute.
Tchao-yang indigné conduisit une armée, assiéger la capitale
de Wei fêj ; c'était à la 6èmo lune (avril-mai). Le roi de Ts'i %
envoya ses troupes, sous les ordres des généraux Kouo-koan \$\ |0j,
et Tch'eng-koan ^ 3|f, au secours de ses anciens alliés.
Quelques braves de Tsin étant venus faire les fiers-à-bras, et
provoquer à une bataille, furent capturés et jetés en prison.
Tch'eng-koan les fit venir, leur rendit leur uniforme de soldats, et
leur dit ; actuellement, l'autorité est entre les mains du seigneur
Kouo-koan, qui m'a ordonné de livrer combat; je vais incessam-
ment le faire; qu'aviez-vous besoin de venir nous insulter?
Les captifs étant revenus au camp, rapportèrent cette parole
Tchao-yang repondit : j'avais consulté la tortue pour faire la guerre
au pays de Wei, non pas à celui de Ts'i ; et il s'en retourna
honteusement.
A la I0ème lune 'août-septembre), il revint se venger de cet
échec, et s'empara tout d'abord des faubourgs de la capitale ; au
lieu de pénétrer dans la ville, ce qui n'était plus une grande diffi-
culté, il se retira en disant ; notre sage Chou-hiang -fy fû] m'a
autrefois enseigné que quiconque profile des troubles d'un étal
pour l'abattre, n'aura pas de descendance.
L'historien ajoute que les habitants furent touchés de cette
conduite vertueuse, et chassèrent leur marquis Tchoang ]\±, c'est-
à-dire le prince Koai-koei jîtpj J}j(\ Tchao-yang fit avec eux un
traité d'amitié, plaça sur le trône Pan-che Jj£ Jïjjj, petit-fils du
marquis Siang H (543-535) ; puis s'en retourna au pays de Tsin.
En 477 et 476, rien. En 475, le roi de Ts'i ^ se tournait
d'un autre côté, pour reprendre la guerre ; il faisait alliance avec
le duc de Lou .|jj., sous prétexte de venger l'état de Tcheng f|]$, de
l'invasion qu'il avait subie en 480 ; mais finalement le prince de
ce pays refusa lui-même ces offres obligeantes ; il en donna pour
raison le deuil national de Tsin.
Ting-kong, en effet, venait de mourir ; et Tchao-yang ne
tarda pas à le suivre dans la tombe (1).
Avant de passer au règne suivant, racontons encore quelques
détails curieux : Nous avons narré précédemment l'entrevue de
(1) Tchao-yanp:, nommé aussi Tchao-hicn-tse tff fft J' . a son tombeau à MO
li nord-ouest de Cheou-yang hien Çj Fë M-, qui est à 100 li à l'ouest de P'ing-ting
tcheou ^ 5£ îM, Chan-si
Le tombeau de son fils Ousiu M tÉ (s % 1~) est à 5 li à l'est de
Tsing-sicmrj hien % Jj $% , qui est à 50 li à l'est de Hing tcheou fî 'M, Chan-si.
(Annales du Chan-si, vol. jô, p. 28).
422 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
Hoang-tchlé H["ftfi ; à cette occasion, le roi de Ou ^ avait fait un
traité d'amitié avec Tchao-yang. Cela se pratiquait alors ; les
princes se ménageaient ainsi des amis parmi les conseillers des
autres cours ; les grands seigneurs se préparaient un refuge et un
secours en cas d'infortune.
Tchao-yang étant mort, son fils Tchao-ou-siu |§ M ^ ou
Tchao-siang-tse j^jl-1?. apprit les malheurs du roi de Ou, alors
harcelé furieusement par le roi de Yué j|j| ; à cette nouvelle, ce
seigneur, qui portait déjà le deuil de son père, se vêtit et se nour-
rit encore plus misérablement, pour marquer le chagrin que lui
causaient les calamités de cet ami de sa famille.
Tch'ou-long ^§ |^, son intendant, lui en exprima son éton-
nement. — Le roi de Ou, répondit Ou-siu, est menacé de perdre
le trône et la vie ; je voudrais aller combattre son ennemi ; mais,
dans la situation où se trouve notre royaume, il ne faut pas y
songer ; c'est pourquoi, dans mon chagrin, j'ai augmenté mon
deuil et mes abstinences. — Ne serait-il pas opportun, reprit l'in-
tendant, de faire parvenir à la cour de Ou l'expression de votre
douleur et de vos condoléances ? — Assurément ; mais je n'en vois
pas la possibilité. — Confiez-moi ce message ; en dépit des diffi-
cultés, je tâcherai de parvenir jusqu'à votre royal ami, et je le lui
remettrai.
Tch'ou-long partit en effet ; pour arriver à son but, il usa du
stratagème suivant : il se rendit au camp de Yué, sous prétexte
de féliciter et d'encourager le roi : Fou-tch'ai ^ J|, disait-il,
nous a fait bien du mal, à nous autres Chinois ; c'est pourquoi,
ayant appris que votre Majesté en personne était venue le punir,
nous avons tressailli d'allégresse ; nous ne craignons qu'une chose>
c'est que vous n'alliez pas jusqu'au bout ; permettez-moi donc
d'entrer dans la ville, pour voir où en sont les choses.
Il paraît qne Keou-ts'ien $} Jgf , le terrible roi de Yué j&, fut
assez simple pour se laisser berner par de telles paroles. Tch'ou-
long parvint donc jusqu'à Fou-tch'ai : Ou-siu 4È 'fojfl. fils de votre
ami Tchao-yang, lui dit-il, m'a envoyé saluer votre Majesté, lui
témoigner sa sympathie, lui exprimer le chagrin que lui causent
vos malheurs ; il voudrait bien venir à votre secours ; mais l'état
présent de son pays ne le lui permet pas ; veuillez donc recevoir
ses excuses.
Fou-tch'ai fut touché de cette marque d'amitié ; il prit une
petite corbeille, la remplit de pierres précieuses, et la confia au
messager pour la remettre à Ou-siu 4& ^ (nommé aussi Tchao-
™ong f§ Je).
423
TCH'OU-KONG (474-457)
Le nouveau souverain, fils du précédent, s'appelait Ts'o §§•;
son nom posthume Tch'ou signifie détrôné, chassé; pour les deux
premières années de son règne, nous ne trouvons rien dans histoire.
En 472, à la 6èm,: lune (avril-mai), le grand seigneur Siun-
yao ^f J§ (nommé aussi Siun-siang-tse ^f || ^ et Tche-pé ^ {£)
(1), petit-fils de Siun-li ^ fêfc, conduisait une armée contre le
royaume de Ts'i ^ ; de son côté, le général Kao-ou-pei ]fj M 25
venait à sa rencontre, repousser l'invasion.
Siun-yao s'étant avancé pour examiner les forces ennemies,
ses chevaux s'effrayèrent ; au lieu de s'en retourner sur ses pas,
le général fouetta ses chevaux à coups redoublés, les lança en
avant, d'un galop forcené, jusqu'aux premiers retranchements de
Ts'i; après quoi il rebroussa tranquillement son chemin. Les gens
de Ts'i, disait-il ensuite, auraient pu s'imaginer que nous avons
peur d'eux; j'ai voulu leur prouver le contraire.
Sur le point de livrer bataille, le grand officier Tchang-ou-tse
J| iïÇ ^f. demandait qu'on consultât les sorts ; Siun-yao refusa en
disant: notre souverain a averti le <<fils du ciel» (l'empereur); de
plus, dans le temple de ses ancêtres, il a interrogé la tortue divi-
natoire, et la réponse a été favorable ; que voulons-nous de plus ?
(1) Siun-yao: ou Siun-siang-tse, avait pour père Siun-chen ~%j ffi ; celui-c;
n'a rien fait de remarquable, qui soit mentionné dans l'histoire ; il semble être
mort assez jeune ; sans cela, sen fils Yao n'apparaîtrait pas si tôt dans notre récit.
Siun-yao est encore nommé Tche-pé, parcequ'il était de la branche Tchc |J ;
l'autre s'appelait Tchong-hang, comme nous l'avons noté autrefois, à cause de son
fondateur Siun ling-fou ^?J ^JC lj?f, qui se distingua dans le commandement de l'ar-
mée (ou corps) du centre [tchong-hang 4* ffl-
Siun-yao (ou Tche-pé) joue un grand rôle dans ces derniers temps du royau-
me de Tsin ; habile dans les compositions littéraires, dans l'art de la parole, dans le
maniement des affaires ; d'une belle stature, d'une force corporelle peu ordinaire,
guerrier intrépide, bon lancier, bon archer, bon conducteur de char, il manqua
d'humanité ; son orgueil, sa violence, et même sa cruauté, en firent un tyran
détesté ; en cela encore, il surpassa tous ses contemporains. Quand, grâce à lui sur-
tout, la famille Tche fut anéantie, un de ses oncles, nommé Tchc-kouo £q ^ fui
épargné, et prit désormais le nom de Fou fcg. (Voir le recueil Kouo-yu H JÏ5
Wi. Ut p. g).
424 TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
D'ailleurs, c'est le roi de Ts'i qui a commencé la guerre le
premier, en nous enlevant la ville de Yng-k'iou 3^ ffi (1); notre
souverain nous envoie la reprendre ; cela suffit ; nous n'avons pas
à consulter les sorts, pour savoir s'il convient d'obéir ou non.
Nous avons, du premier coup, une idée du caractère de ce
nouveau général ; il n'était pas homme à se plier au sentiment
des autres; au jour jen-tch'en =£ fc (3 juin), il lierait bataille
sur le territoire de Li-k'iou 2pl ffi (2), mettait l'armée de Ts'i en
déroute, de ses propres mains capturait le grand officier Yen-
k'ang §J| |pf et le faisait passer au fil de l'épée.
En 471, à la 4ème lune (février-mars;, Tch'ou-kong voulant
lui-même se mettre en campagne contre le royaume de Ts'i \2f,
envoya un messager au duc de Lou %}, lui demander des troupes
auxiliaires: Autrefois, lui disait-il, le seigneur Ts'ang-\ven-tcho7ig
$§, $C Wi conduisant l'armée de Tch'ou £j|, prit au pays de Ts'i
la ville de Kou K£ (634) ; plus tard, le seigneur Ts'ang-siuen-chou
Wt. JL <^» avec ^es ëens de Tsin, s'empara de Wen-yang $fc ^
(589) (3) : moi, homme de peu de valeur, je voudrais de nouveau
punir ce même royaume ; pour cela je requiers la protection de
Tcheou-kong ^f) fè, votre illustre ancêtre; et j'espère que votre
Majesté m'accordera encore le secours de la noble famille Ts'ang.
Le seigneur Ts'ang-che ^ J£ fut envoyé avec une armée, et
eut la bonne fortune de prendre la ville de Ling-k'iou jj| $$ (4).
Après ce premier exploit, les officiers de Tsin donnaient à grands
cris l'ordre de tout préparer pour une prochaine attaque, contre
une autre ville; mais Lai-tchang ;$j£ Jp:, dignitaire de Ts'i, ne fut
pas dupe de ces fanfaronnades: l'an dernier, dit-il, les gens de Tsin
ont eu la victoire sur nous ; il viennent encore de triompher cette
fois; mais c'est fini; comment le ciel pourrait-il leur accorder de
nouvelles faveurs? leur prince n'est qu'un mannequin; leurs mi-
nistres sont des tyrans fieffés ; ils croient nous effrayer par leurs
clameurs; attendons un peu, nous allons les voir s'en retourner
chez eux.
(1) Yner-k'iou : inconnu.
(2) Li-k'iou : est la même ville que Li-k'iou ^{ irft, ou T'a-yng ffî fë, (voyez
année 485).
(3) Kou: c'est Tong-ngo hien Tjfî |îiïj Pf, à 210 li nord-ouest de sa préfecture
T'ai-ngan fou Sfji Hi i$f, Chan-tong. (Petite géogr., vol. 10, p. 14) — (Grande,
vol. 33, p- n)-
Wen-yang : au sud de la Wen, forme actuellement la souspréfecture Wen-
chang 0t _t« (Grande géogr.. vol. 33, p. 14).
(■i) Ling-k'iou: était un peu au sud-esl de Poen hien ïfë ff, qui est à 160 li
nu nord de sa préfecture Ts'ao-tcheou fou W ft\ flT', Chan-tong. (Petite géogr., vol.
10, p. iç) — (Grande, vol. 34, p. tz).
DU ROYAUME DE TSIN. TCH'OU-KONG. 425
C'est en effet ce qui arriva. Pour remercier le seigneur
Ts'ang-che #jj$ j^ 'de son concours si efficace, Tch'ou-kong députa
le grand historiographe du royaume, avec le message suivant :
notre humble prince étant en marche, ne peut en ce moment vous
faire un cadeau convenable ; il prie votre seigneurie d'accepter,
en attendant, ces quelques bœufs vivants qu'il vous envoie.
En 468, vers le mois d'avril, Siun-yao ^ J§j partait en guerre
contre le pays de Tcheng ff[$, et plaçait son camp près de Tong-
k'iou ijfâ {$ (1); mais le prince invoqua le secours de Ts'i J|,
dont l'armée se mit aussitôt en marche. A cette nouvelle, Siun-
yao replia ses tentes en disant : j'avais consulté la tortue contre
Tcheng, non contre Ts'i; vraie gasconnade qui signifiait; j'ai des
hommes pour un royaume, non pour deux.
Avant de se mettre en marche, il adressait à Tch'eng-heng
ffi '[g. vrai maître de Ts'i, l'injurieuse provocation suivante : vous
êtes un descendant de la maison régnante de Tch'eng ffi ; vos
ancêtres ont été anéantis par le prince de Tchaig ft$, en 478;
voilà pourquoi mon humble souverain m'avait envoyé punir cet
état, pensant que votre seigneurie aurait aussi pitié de vos illus-
tres aïeux ; si cependant vous voyez avec plaisir votre famille
extirpée jusqu'à la racine, je n'ai plus rien à dire (2).
D'après les mœurs chinoises, ce message était une impréca-
tion déguisée; aussi Tch'eng-heng fut outré de colère: ceux qui
profèrent des injures si grossières, s'écria-t-il, ne peuvent se tenir
longtemps dans les hautes dignités ; Siun-yao ferait-il exception,
par hasard ?
Siun-yng ^f jp(, le rebelle de Tsin, se trouvait dans l'armée
de Ts'i; sans le vouloir, il offensa aussi son généralissime; il
disait à celui-ci : on m'a averti que Tch'ou-kong va envoyer mille
chars -donc cent mille hommes), et qu'il veut anéantir vos trou-
pes. — Tch'eng-heng lui répondit fièrement: mon humble souve-
rain m'a ordonné de ne pas mépriser une petite armée, et de n'en
pas craindre une grande ; quand les mille chars de Tsin arriveront,
nous les recevrons comme il convient; quant à votre avis, je le
communiquerai à notre prince.
Siun-yj\g ^ J| se mordit la langue, pour avoir commis cette
indiscrétion : je comprends, dit-il, pourquoi je me trouve en exil,
et depuis si longtemps ; un homme sage qui délibère sur une
entreprise, en considère le commencement, le milieu et la fin ;
(1) Tong-k'iou : était un peu au nord-est de de //in tcheou f£ W , Ho-nan.
(Petite géogr., vol. iz. p. s&) — (Grande, vol. 47, p. 43)-
(2) C'est le royaume de Tch'ou fé qui s'annexa l'état de Tcheng tSft.rn 478;
donc Siun-yao mentait, pour exciter encore davantage- la colère de son rival. La
réponse de celui-ci est de nu-inc une imprécation déguisée ; incident tout-«-fait chi-
nois ; on appelle cela «se maudire mutuellement — Siang-ma ff} m — *•
426 TEMPS TR AIMENT HISTORIQUES
quand, tout bien examiné, il peut se promettre le succès, il met la
main à l'œuvre ; moi, malheureusement, je ne regarde aucun bout;
je vais de l'avant, comme un étourdi, et j'en porte la peine.
En 464, Siun-yao ^ J|| revenait à la charge, contre la capi-
tale de Tcheng |fj$ ; avant son arrivée, un seigneur, nommé Se-
hong J^ 5^, conseillait aux habitants de ne pas résister: le géné-
ralissime, disait-il, est un homme opiniâtre, qui veut absolument
l'emporter sur tous les autres ; soumettons-nous à lui, aussitôt
qu'il serai ici ; flatté de cette déférence, il s'en retournera bien
vite, et nous en serons délivrés.
Les gens de Tcheng $J$ voulurent cependant faire quelque
résistance, au moins «pour la face»; ils occupèrent militairement
les faubourgs, surtout ceux de la porte méridionale, et attendirent
l'ennemi. Siun-yao n'eut pas de peine à les en déloger; il y perdit
toutefois un de ses officiers nommé Hi-k'ouei-lei 1|5 $£}; jf| ; celui-
ci ayant été capturé pendant le combat, les gens de Tcheng, pour
le gagner à leur parti, lui firent les offres les plus séduisantes,
jusqu'à lui proposer la dignité de ministre ; mais il ne daigna pas
même ouvrir la bouche ; on finit par le mettre à mort.
Siun-yao ^ ^ dit alors à Tchao-ou-siu j|j| ÉE >\^, fils de
Tchao-yang ^ jgfc, d'attaquer la porte méridionale, de s'en empa-
rer, et de là, poursuivre intrépidement les habitants jusqu'à l'in-
térieur de la ville. — Pourquoi votre seigneurie ne se charge-t-elle
pas de ce soin? répondit ce seigneur, avec une certaine ironie. —
Vilain lâche! s'écria Siun-yao, comment a-t-on pu choisir un
homme pareil, pour chef de la famille Tchao ^j|? — C'est, repartit
l'autre, que je suis capable de supporter avec patience un tel affront;
il y a espoir que je ne causerai pas la ruine de ma maison (1).
Siun-j'ao ne changea pas de conduite, et n'essaya pas même
un rapprochement avec Tchao-ou-siu ; aussi, ce dernier nourrissait-
il contre lui une haine mortelle, et contribuera pour une bonne
part à l'anéantissement de la famille Tche £fl, comme nous allons
le voir bientôt.
En 458, les quatre grands seigneurs Tche-yao £p J§I, Tchao-
ou-siu j|§ M '^n, Han-hou §j| fâ, (nommé aussi Han-k'ang-tse $1|
Jj| ^),et Wei-hoan-tse §| || -^ (ou Wei-kiu §& 19)* se mettant
à la tête de tous les hommes de leur parenté, dont ils étaient les
chefs, attaquèrent les deux familles Fan $j (ou Che -j^) et Siun ^
(ou Tchong-hang t£ ^t)* s'emparèrent de tous leurs biens, et se
les partagèrent.
Ce Tche-yao n'est pas un autre personnage ; c'est Tche-pé
(1) Tchao-yang avait écarté son fils aîné Pa-lou fâ ^£, avait mis à sa place
Ou-siu, cadet, né d'une concubine tartare (Ti |§) ; parceque celui-ci avait une belle
prestance, et semblait annoncer un brillant capitaine. (Se-ma Te'ien, chapitre de
la famille Tchao).
DU ROYAUME DE TSIN. TCH'oU-KONG. 421
#P fg, c'est Siun-yao Jgj ^ lui-même, qui, pour s'enrichir, ané-
antit une branché de sa propre famille ; n'est-ce pas de la sauva-
gerie ? Mais patientons un peu ; nous allons le voir puni à son tour.
En attendant, quelle était la conduite du roi? Un officier de
T&'i % l'appelait naguère un mannequin ; ce mot pouvait paraître
un peu dur ; c'était parole d'ennemi ; c'était pourtant la vérité.
Les quatre seigneurs en question étant plus forts que lui, il se vit
réduit à les dénoncer au duc de Lou |§. et au roi de Ts'i ; lui, le
soit-disant chef des vassaux ! Où en était-il arrivé ?
Que pouvait faire le pauvre duc? lui qui n'était pas le maître
dans son propre palais! Le roi de Ts'i jubilait; n'avait-il pas
souvenir des guerres entreprises par son père, pour ruiner le pays
de Tsin? lui-même ne venait-il pas de soutenir l'état de Tcheng
JU$ contre son suzerain? il se garda bien d'arrêter une décadence
qui allait à si grands pas ; il voulait plutôt l'accélérer.
En 457, les quatre seigneurs sachant la démarche tentée con-
tre eux par Tchrou-hong fcB fè, se tournèrent contre lui, et le
forcèrent à prendre la fuite. Mais où se retirer? le pauvre détrôné
se dirigea vers le royaume de Ts'i, sans pouvoir y parvenir; il
mourut en chemin (1). C'est Siun-yao |jj jéji qui va se charger de
lui donner un successeur de sa façon.
(1) Quelques auteurs prétendent cependant qu'il vécut encore six années, en
exil au pays de Ts'i.
428
NGAI-KONG (456-439)
Le nouveau souverain s'appelait Kiao m ; son nom posthume
ou historique Ngai signifie orphelin dès le jeune âge, et mort de
trop bonne heure ; inexpérimenté dans le gouvernement ; une au-
tre interprétation dit un peu différemment : prince rempli de res-
pect et d'humanité ; mais mort jeune, sans avoir réalisé les espé-
rances que Von avait mises en lui (1).
"Voici comment il monta sur le trône : Siun-yao ^j 3§j (ou
Tche-yao, ou Tche-pé) pensait à s'emparer lui-même de la couron-
ne, mais il recula devant cette audace ; il craignait la jalousie de
ses trois collègues, qui n'auraient pas manqué d'ameuter le peuple
contre lui ; il chercha donc un prince, sous le nom duquel il pût
gouverner en réalité.
Il avait pour intime ami le prince Ki fe, petit-fils de Tchao-
kong flg g. (531-526) (2) ; il résolut de le placer sur le trône ;
mais celui-ci étant mort, juste à ce moment, c'est son fils Kiao
qui fut appelé à recevoir la couronne.
Bien entendu, le véritable roi fut Siun-yao ; lui seul était
craint et obéi ; ce fut son apogée, ce fut aussi sa perte ; orgueil-
leux à l'excès, il commandait comme un tyran, et suscitait des
querelles à ses collègues ; il se rendait insupportable.
Tout d'abord, il entreprit Tchao-ou-siu £g M fft ; lui repro-
chant, comme premier grief, de s'être arrogé une trop grande part
des biens des deux familles Fan jfë et Siun ^j ; il voulait le forcer
à en restituer quelque chose. Il lui reprochait encore de s'être an-
nexé la petite principauté tartare Tai fÇ (3), et d'avoir ainsi acquis
(1) Textes des interprétations: ^ Wi $& #f 0|
(2) Le père du prince Ki s'appelait Yong ';£, et aussi Tai-tse $& J~ : c*était
le plus jeune des fils de Tchao-kong.
(3) Le prince de Tai, de la tribu Ti ïfc, du clan royal Kiang -;£-, avait pour
épouse la propre sieur de Tchao-ou-siu ; celui-ci invita son beau-frère à une entrevue
solennelle, près du défilé de Keou tcheou 5} }£ ; pour le service de table, il y avait
une lourde cuillère en or, à long manche ; quand les tartares furent enivrés, Ou-siu
donna un signal convenu, le servant prit cette cuillère et en assomma le prince ; à
cette nouvelle, l'épouse de celui-ci se donna la mort, en se perçant d'une longue
épingle à cheveux. C'est ainsi que Ou-siu s'empara de la principauté. (Se-ma
Ts'ien, chap. 43, p. 10) — (Se-ma Koang, vol. /, p. 11) — (Annales du Chan-si,
vol. 8, p. 15). Le défilé de Keou-tchou s'appelle maintenant Yen-men-koan 0 ; j \h ;
il est à 15 li au nord de Tai tcheou \t #1. Chan-si. (Petite géogr., vol. 8, p. 37)—
(Grande, vol. 40, p. 42).
DU ROYAUME DE TSIN. NGAI-KONG. 429
une puissance exorbitante. Tchao-ou-siu ne voulut rien entendre,
et garda ce qu'il avait pris ; Siun-yao fit alors alliance avec les
deux autres compères Han-hou g fc et Wei-kiu £ $j. dans le
dessein de se débarrasser du quatrième larron ; mais les choses
prirent une tournure inattendue.
En 455 Tchao-ou-siu résolut de quitter la cour, où il ne se
trouvait plus en sûreté. Son intendant, Tchang-tan % gj, lui
donnait alors un conseil excellent : vos ancêtres, disait-il, ont
accumulé des trésors dans vos palais, tablettes de jade, cloches,
trépieds et mille autres objets précieux ; pourquoi ne vous en
servez-vous pas, pour vous faire des amis parmi les princes voi-
sins ' vous auriez ainsi refuge et secours en temps de troubles.
Tchao-ou-siu répondit : je n'ai personne à qui je puisse con-
fier cette mission. — Vous pouvez en charger votre officier Ii Jj£.
répliqua l'intendant. — Ayant tant de défauts, manquant totale-
ment de vertu, repartit Ou-siu, je ne puis viser à atteindre une
gloire semblable à celle de mes aïeux; j'en serais réduit à m ap-
puver uniquement sur les cadeaux, pour acheter des amis et du
sec'ours L'officier Ti ne mérite pas ma confiance ; il est un de ceux
qui servent mes passions au lieu de les combattre ; dans son de-
vouement, il cherche bien plus son avantage que le mien; si je
me fiais à lui, je périrais avec lui (1).
Cependant, la fuite devenait urgente ; Ou-sm demandait a ses
amis où il devait se retirer; les uns proposaient Tchang-tse &
qp (21 ville peu éloignée, d'un accès facile, et dont les murs
étaient épais et solides. - Malheureusement, réponda.t Ou-sm,
en construisant ces fortifications, j'ai épuisé les ressources des
habitants; qui donc voudrait, parmi eux, se sacrifier encore à ma
défense, dans le danger? ,
D'autres proposaient //an-fan % "M, où se trouvaient des
dépôts de provisions, et tout l'attirail nécessaire pour une longue
résistance — Oui, disait Ou-siu. il y a beaucoup de provisions;
mais son "gouverneur a été tué par mon père; depuis lors cette
ville a été hostile à notre famille; je n'y serais pas en surete. 1
vaut mieux me réfugier a Tsin-yang £ $ (S),où les revenus sont
moindres, mais la population nombreuse et dévouée à ma maison,
""(„ Tel que^T^^son^Tchao-ou-siu, Il est peu probable que ces ré-
fle^ons vertueuses soient de lui ; ce sont b,en plutôt des Qeux-communs sort*
pinceau du lettré-historien.
(•>) Tchan*-tse: était un peu au sud-ouest de Tchang-tse hien & + S*. q«
est à 50 li sud-ouest de sa préfecture Lo^ngan fou B * M . Chan-sUPe** ***r..
vol. S, p. 13) — (Grande, vol. 42. P- '?)■
(3) Tsin-yang: c'est T'ai-yuen Hien * M g. * 45 li sud-ouest de s- pré-
fecture T'ai-yuen fou * ffi ff. Chan-si. (PetiU géogr., ,ol. S. p. .) - f*—.
vol. 40, p. 7).
430
TEMPS VRAIMENT HISTORIQUES
à cause de la grande bienveillance que mon père lui a montrée,
et des largesses que son gouverneur Yng-to ^ f| a répandues en
temps opportun.
Tchao-ou-siu se retira donc dans son fief de Tsin-yang, et y
attendit ses ennemis. Ceux-ci ne tardèrent pas longtemps; une
armée imposante, commandée par Siun-yao ^îg, H an- hou $$: f&
et Wei-kiu §| £&} mit en vain le siège devant la forteresse ; elle
ne put s'en emparer: elle détourna même le cours de la rivière
Fen ffî. pour inonder la place; si bien que les grenouilles prirent
leurs ébats sur les fourneaux de cuisine ; le peuple ne broncha pas,
ne se plaignit pas et défendit son maitre avec une constance invin-
cible; les assiégeants durent enfin se retirer.
A ce propos, l'historien raconte la méthode emplovée par le
gouverneur Yng-to f* ^,pour obtenir un résultat si remarquable;
en entrant en charge, il avait demandé à Tchao-yang gjffc: faut-
il viser à vous enrichir? faut-il plutôt préparer une forteresse de
refuge, pour les moments de troubles ? — Préparez une forteresse,
avait répondu Tchao-yang.
Sur ce, Yng-to avait diminué de beaucoup les taxes et les
corvées, et avait ainsi attiré une nombreuse population; par son
gouvernement paternel, il l'avait invinciblement attachée à la fa-
mille Tchao; c'est ainsi que Siun-yng ^j jg etChe-ki-ché fj[ ^f %$
firent en vain les derniers efforts contre cette place ; en 497, ils
durent renoncer à la prendre.
Pour en faire le siège, ils l'avaient eux-mêmes entourée de
camps fortifiés, espérant intercepter tout secours extérieur. Après
cette période tourmentée, Tchao-yang avait ordonné d'abattre ces
ouvrages avancés ; Yng-to les avait au contraire fortifiés davanta-
ge, afin d'en faire un boulevard de la ville, et de la rendre vrai-
ment imprenable.
Tchao-yang étant un jour revenu visiter ce fief, et vovant ses
ordres méconnus, était entré en fureur, et avait commandé de
massacrer le gouverneur ; on avait eu grand'peine à obtenir son
pardon; et cependant il avait, au péril de sa vie, rendu le plus
signalé service à la famille Tchao. Maintenant le fils de Tchao-
yang le reconnaissait sans peine, après avoir échappé à ses enne-
mis, dans un danger si pressant.
En 453, Tchao-ou-siu sachant que Han-hou |$: jç| et Wei-
kiu Kg J6J détestaient cordialement leur tyrannique collègue Siun^
yao ^ %, envoya secrètement le seigneur Tchang-mang fâ jg
leur proposer de faire la paix ensemble, et de s'unir contre cet
insupportable orgueilleux. Le messager réussit à souhait; un vrai
triumvirat fut institué, en dehors, et peut-être à l'insu du roi, du
Han-tan : était à 20 li sud-ouest de Hcm-taix hien fflî ^ gZ, qui est à 55 li
sud-ouest de sa préfecture Koang-p'ing fou fc ^ M* Tche-li. (Petite géogr., vol.
'y P- S°) — (Grande, vol. ij, p. as)-
DU ROYAUME DE TSIN. NGAI-KONG. 431
moins au début ; une lutte à mort fut engagée ; Siun-yao fut
vaincu et tué par Ou-siu au pied de la fameuse tour T.so-taï
Haï (1) ; sa têfe fut coupée ; son crâne devint le vase de nuit
du vainquenr ; sa famille fut anéantie, et ses immenses possessions
partagées par les triumvirs.
Le florissant royaume de Tsin était donc devenu la proie de
ces derniers ; encore quelques années, et il aura cessé d'exister ;
les grandes familles seigneuriales s'étaient entre-dévorées ; il n'en
restait plus que trois ; celles-ci finiront par scinder le territoire, et
former trois royaumes ; tous les vassaux qui avaient longtemps
gémi sous la suzeraineté de Tsin applaudiront à sa ruine.
En 452, Tche-k'ai £0 ^, fils de Tche-pé £0 {g (ou Siun-yao),
s'enfuyait auprès du roi de Ts'in |^-, auquel il fit hommage de
son fief. Comment avait-il échappé au massacre de toute la fa-
mille? l'historien ne le dit pas; peut-être était-il alors hors du
royaume ?
En 448, Tche-koan ^Djf^, autre membre de la même famille,
s'enfuyait aussi auprès du roi de Ts'in ||§, et lui faisait également
hommage de son fief; on ne dit pas non plus comment ce sei-
gneur avait été épargné. Quoi qu'il en soit, la famille Tcho jf$\
n'apparaît plus désormais dans l'histoire.
(1) Tso-tai : cette tour était à 40 li au sud de Yu-ts'e hien f$) ^ $£, qui est
à 60 li sud-est de sa préfecture T'ai-yuen fou ;fc fâ Jfr, Chan-si. (Petite géogr.,
vol. 8, p. 4) — (Grande, vol. 40, p. 13).
Le tombeau de Siun-yao (ou Tche-pé) est à 30 li à l'est de Yu-ts'e hien; com-
me son cadavre n'avait plus de tête, on lui et mit une en bois, dans son cercueil;
sans quoi ses mânes n'auraient pu se présenter décemment devant ses ancêtres : dans
leur sottise, les païens sont encore ingénieux ! Quelques auteurs trouvèrent aussi par
trop ignominieux que son crâne fût devenu un vase de nuit ; ils ont écrit qu'on en
avait fait une coupe ; il suffit de s'entendre sur le nouveau sens de ce mot poéti-
que !
On raconte aussi comment Siun-yao (ou Tche-pé, ou Tche-yao) s'était trahi,
pendant le siège de Tsin-yang ^§ F§ : Comme il pataugeait dans l'eau, avec ses
collègues, poussant ses troupes à l'assaut, il se serait écrié : maintenant je vois
quel terrible engin de destruction l'on peut se procurer par le moyen de l'eau \
la rivière Fenn g) peut être dérivée contre Ngan 3c : la rivière Kiang ££, contre
P'ing-yang 2p [ÎÇ;. Or, Xgan était le fief de Wei-kiu ft i>] ; P'ing-yang, celui de
Han-hou &. fâ ; ces deux seigneurs se poussèrent du coude réciproquement, pour se
montrer qu'ils avaient compris l'idée de cet aimable collègue. Ils s'imaginèrent faci-
lement qu'un jour ou l'autre il la mettrait à exécution contre eux : c'est pourquoi
ils se montrèrent si disposés à faire la paix avec Tchao-ou-siu gï^M. pt à s'unir
avec lui contre un tel sauvage. (Voir les annales du Chan-si, vol. 56, p. 28) — (voir
encore Se-ma-koang, vol. 1, p. 7 et suiv...).
432
YOU-KONG (438-420)
&
Le lecteur a dû être frappé du silence de l'historien sur les
faits et gestes du roi précédent ; il n'a pas plus été question de
lui, que s'il n'eût pas existé ; on n'a pas même mentionné sa mort.
Le nouveau souverain, son fils, va être encore plus nul, si
c'est possible. Il s'appelait Liou $/|j ; son nom posthume ou histo-
rique signifie arrêté, contrarié en tout, n'a jamais pu rien faire;
il a encore deux autres sens, du même genre (1).
Il était absolument à la merci des trois grandes familles
Tchao |jif, Han jjij£, et Wei §| ; celles-ci possédaient tout le royau-
me, et ne lui laissaient que le territoire de la capitale Kiang $£ ;
auquel il faut ajouter celui de K'iu-wo \\[] ^, lieu originel de la
famille régnante, où se trouvait le temple des ancêtres avec un
bon nombre de leurs tombeaux
En 425, l'événement le plus singulier fut la mort successive
des trois grands seigneurs. Tchao-ou-siu |fr M '|]f[ décéda le pre-
mier ; il s'était réconcilié avec son frère aîné Pé-lou f^ .ff. ; il avait
donné à Tcheou J$, fils de celui-ci, la principauté de Tai f^ (2),
avec le titre de Tai-tch'eng-hiun f (J ^ fê ; il voulait même en
faire son héritier et successeur ; mais il en fut empêché par la
mort prématurée de ce seigneur ; il passa donc la succession à
Wan $c (ou Hiuen-tse J^ ^ ) petit-fils de Pé-lou.
Delà, des complications, des querelles de famille: Kia. |£,
frère cadet de Ou-siu, voulait pour soi-même ce magnifique héri-
tage ; il chassa son rival, mais il ne jouit pas longtemps du fruit
de cet acte de violence ; peu de mois après, il avait cessé de vivre,
et son fils était massacré par le peuple. Wan $£ put donc revenir
et rentrer paisiblement en possession de ses droits ; en prévision
de l'avenir, il fortifia sa ville de Hiuen-che f£ j£ (3).
(1) Texte de l'interprétation : H j'D xf jgj [-1 j$J
(2) Tai : sa capitale était à 20 li nord-est de Siuen-hoct fou yi fâ Hf , l'che-
li. (Petite géogr., vol. 2, p. jçl — (Grande, vol. 44, p. 45).
(JS) Hiuen-che : était à 10 li à l'est de Kao-p'ing hien ni] -1* $,£, qui est à 83
li au nord de sa préfecture Tche-tcheou fou T?l 'Hi H) , Chan-si ; la rivière Tan jf
coule à l'ouest de cette dernière ville. (Petite géogr., vol. S, p. 2j) — (Grande, vol.
43- p. 4)-
DU ROYAUME DF. TSIN. TOU-KONG, 'l33
Han-hou %'{. r>Ç laissa pour son successeur et chef de sa
famille, son tils Qu-tse jfÇ ^f. nommé aussi Ki-tchang jgfc $ :
celui-ci jugea prudent d'augmenter les fortifications de sa capitale
P'ing-yang ^ ^-, pour résister aux entreprises de ses collègues 1 .
Enfin, Wei-hïu $& ,|pj ou Wei Hoah-1 j'- eut pour
successeur et chef de famille, son tils Se &J(, plus connu dans
l'histoire sous le nom de Wei Wen-heou jfy ~% [fc Î23-387] ;
c'est lui qui est regardé comme le fondateur de la maison royale
de Wei fj|; il eut sa capitale à Ta-leang X %£ '1 .
Naturellement, les historiens (.m recherché quels prodiges
avaient pu signaler une année si remarquable : voici tout ce qu'ils
ont pu découvrir : il y eut une extrême sécheresse : la terre pro-
duisit du sel, chose peu mervei'leuse, vu les nombreuses salines
de la province ; enfin, la rivière Tan ^'J- fut trouble et colorée :
c'est l'année suivante seulement qu'elle redevint claire et limpide '.', .
En 't'20. You-kong, corrompu de mœurs, n'avait pas assez de
concubines dans son palais, il courait les femmes de ses seigneurs;
s'étant hasardé, une certaine nuit, hors de sa capitale,* pour une
de ces misérables intrigues, il fut assassiné ; les uns disent par
des brigands ; d'autres affirment par des sicaires, sur l'ordre de
son épouse, une princesse de Ts'ilï J^s.
Wei-se |j& $f ou VVei Wen-heou ^ £ (£ profila de cette
occasion pour se concilier l'opinion publique et la faveur du peu-
ple ; il rechercha les assassins, les punit, et rétablit l'ordre dans
la cour royale.
(1) P'ing-yang: c'est P'ing-yang fou ^ F"; ff-f , Chan-si. Petite géogr., vol.
t. p. 7) — Grande, vol. 41. p. 3).
.' Ta-loang: c'est K'air-fong fou gfl £} Jft. Ilo-nan.
(3) L.« rivière Tan : voyez ci-dessus
M
134
L1É-K0NG 419-393
Fils du précédent, le nouveau souverain s'appelait Trhe ]f^ :
son nom posthume et historique signifie prince de grand métite,
qui a su donner la paix au peuple (1) ; c'est dommage que ses
hauts faits aient été ensevelis dans le silence ; si tant est qu'il en
eut, ce qui est peu probable.
Quant aux autres événements de ce règne, nous n'avons qu'u-
ne sèche indication ; il semble que les historiens aient eu hâte d'en
finir avec ce royaume condamné à mort.
En 418, la famille Tchao |ff fortifie la ville de P'ing-i ^g (2).
En 4 13, une armée de Ts'i ^ prend et démolit la ville de
Hoang-tch'eng ^ J$, puis assiège celle de Yanj-hou j^ ^ ■,%).
Cette même année, les troupes de Tsin remportent une victoi-
re, à Tcheng $$ ,4 , sur l'armée de Ts'in ;';.
Cette même année encore, grand éboulement des rives du
Eleuve Jaune, depuis la gorge appelée Long-men §§ f,lJ, jusqu'aux
rochers appelés Ti-tchou Jft^È (ol : ^ '^ une immense inondation
dans les territoires environnants.
(1) Texte de l'interprétation : £f s}] 'V: £5 0 fil
(2) lJ'iny-i : <'tait à 7 li au nord de Xun-lo hien ]f] ]fè $£, dans la prélecture
Ta-ming fou ^ ^S #• Tche-li, (à 40 li sud-est de celte dernière ville). (Petite
géogr., vol. 2, p. 53) — (Grande, roi. 16. p. 12).
(3) Hoang-tch'eng: était un peu au sud de Kauei hien fâ $f. qui est à 100
li sud-ouest de sa prélecture Tong-tchang fou J\{ || Jff, Chan-tong. (Petite géogr.,
vol. 10. p. 21) — (Grande, col. 34, p. S).
Vang-hou : était à :*0 li nord-est de Ta-ming fou (Petite géogr., roi. 2.
p. 32) — (Grande, vol. 16. p. s).
i fcheng : c'est Hoa tcheou ~ifë )\\. à 180 li sud-oue>t de T'ongr-tc/ieou fou
Ip) ')W H-]'- Chen-si. Petite géogr., roi. 14. p. 21) — (Grande, roi. 54. p. »).
(5) Long-men: cette fameuse porte du Fleuve Jaune.est a 80 li nord-est de
tlan-tch'eng hien %\ M M- dans Id préfecture de ["ong-tcheou fou. (Petite géogr.,
roi. 14. p. 20) Grande, roi. .-/. p. _>..
l'i-tchou : ces rochers sont nu mileu du Pleuve Jaune, à 10 li à l'est de Chen
tcheou & H], Ho-naa. 'Petite géogr., ool. 12. p. 64) — [Gronde, roi. 48, p. j2 ■
DO ROYAUME DE TSIN. LIÉ-KONG. 435
En 412, Wei-vtenrheou %& % jifë envoie son fils, nommé Ki
^, assiéger la ville de Fan-p'ang % /,)(]. du royaume de Ts'in
fë ; celui-ci la prend, et en expulse la population (1 .
(2) En 411, la famille Tchao |g fortifie une autre ville du
nom de P'ing-i 2JS £â .
En 410, l'empereur lui-même ordonne aux deux seigneurs
Tc/iao jfj et Han f£, de passer la 14 randc muraille de Ts'i fê :; .
et d'attaquer ce royaume : on ne dit pas pour quel grief. Mais
l'expédition tourne mal; l'armée de Tsin est vaincue, le général
Han-kiu •% |f| est fait prisonnier, et la première ville de P'ing-i
41 î<â tombe au pouvoir nu roi de Ts'i.
(4) En i09, Wei-wen-heou |^ £ |i£ fait la guerre au pays
de Ts'in jtj^; il semble avoir été victorieux; car nous le voyons
ensuite fortifier les deux villes de Ling-tsin |?^ f^- et de Yuen-li
ît M-
En 408, Wei-wen-heou retourne en campagne contre le même
royaume; après quoi il fortifie la ville de Fenn-yng :fy [^ (5 .
En 503, l'empereur reconnaît officiellement les trois seigneurs
Tchao j{j|[, Han ^ et Wei |j|, comme princes de l'empire; donc
indépendants du soit-disant roi de Tsin; d'ailleurs cette nouvelle
situation ne va pas durer longtemps.
I) Fan-p'ang: était au sud-est ci'' tlan-tch'eng hien ci dessus), qui est à
220 li nord-est de Pong-tcheou fou. (Petite géogr.} vol. /./. p tç) — Grande,
vol. 34. p. sj).
;2i P'ing-i : cette seconde ville de ce nom étail au nord ouest de Ling-k'iou
hien §S f[5 l'ïr- qui est à 220 li sud est de sa préfecture Ta-t'ong fou 7c [fi] Kf .
Chan-si. (Petite géogr., vol. S, p. 32 — vol. //. p. 30 ■
3) La grande muraille de l's'i : Vous en avons d jà pari ni
Le fait rapporté ici, prouve que ces trois seigneurs et 1 di jà cons ratique-
naent comme princes féodaux; la reconnaissance officielle, en chine, ~,é faisait e(
se l'ail encore longtemps attendre.
(4 Ling tsin: était à 20 li sud-ouesl de 7'c/i'no i hien §H g M- qui est ■'
MO li ;'i l'est de sa préfecture T'ong-tcheou fou f^J ->H ' '■.' . I hen-si. 1 était autrefois
la capitale d'une minuscule principauté lartare appelée T'a li K ■)', i avnil
été annexée ensuite au royaume de TV in PU; donc VVei wen-heou vient de s'en
emparer puisqu'il la fortifie.
Yuen-li: était depuis longtemps une propriété de la famille Wei $§ ; elle était
à 2 li nord-est de fong-tcheou fou.
I «mit ce pays était et est encore très mportant. n cause du fameux dénie
P'ou-koan MM, actuellement nommé Ling-tsin-k
Ling-tsin hien ^ ^ M< dans la préfecture P'ou-tcheou fou \\\) M\ '':) . Chan-si.
(Petite géogr., vol. /./, p. iç — Grande, vol. 54, p.
(5) Fenn-yng: était à 9 li au nord de Vong ho I - à I2i>
li au nord de sa préfecture T'en tcheou fou. Petit S, p. 31 — Gran-
de, vol. 41, p. 23).
436
HIAO-KONG 392-378
# £
Ce roi est aussi inscrit sous le nom de Hoan-hong |b Q. par
quelques auteurs, qui prétendent que son nom de prince était Hiu
ïj|. Ainsi le veut, par exemple. Han-féi-tse f$i ~J\i ^f-, dont le
témoignage n'est pas à dédaigner.
Fils de Lié-kong, il s'appelait K'i IfS. selon les uns. K'ing f|£j
selon les autres : son nom posthume ou historique Hiao signifie
prince bien-aimét qui fit les délices de ses ancêtres, jusqu'il la
5ème génération 1 .
En 390, les trois grandes familles le forcent à quitter sa
capitale, et le relèguent à T'ouen-liou t£ |g (2); plus tard ils le
transfèrent encore ailleurs. C*est tout ce que l'histoire nous ap-
prend sur ce règne de quinze années.
1 l'cxte de l'interprétation : 3£ ?n ^c -J- E3 ^
2 r'ouen-liou : était à 10 li sud-ouest de T'ouen-liou liien rfi, a? %$> qu>
est à 55 li au nord-ouest de sa préfecture Lou-ngan fou ■■$ t£ fâ . Chau-si. Petite
géogr., vol. S. p. is — 'Grande, vol. 42. p. 21).
437
TSING-KONG (377- )
# &
- «• *•'-:-
Fils du précédent, le nouveau et dernier souverain s'appelait
KiujfL; son nom posthume et historique signifie prince pacifique,
aux douces vertus (1).
En 376, les trois familles spoliatrices lui interdisent d'offrir
les sacrifices solennels dans le temple de ses ancêtres; dés lors la
dynastie est considérée comme abolie.
Peu après, ces trois mêmes familles enlèvent à ce débris de
roi, le peu de territoire qu'il possédait encore: puis elles le déchi-
rent «homme privé» [Kia-jen ^ A)> c'est-à-dire simple particulier.
En 358, elles le transfèrent à Toan-che ~$j j£ '2 : désormais,
ce rejeton de tant de princes disparait de l'histoire.
Le royaume de Tsin a vécu.
Il nous reste à voir ce que vont devenir le trois grandes
familles spoliatrices Tchao jfè, Han |^ et Wei fj| : c'est l'histoire
de trois royaumes qui commence.
(1) Texte de l'interprétation : M î* £ %. 13 n?
(2) Toan-che: était à 90 li à l'est de T'sin-chouei hiev j-H- 7ji S£- qui es! à
120 li à l'ouest de s;i préfecture P'ou-tcheou /on $j 41 tff. Chan-si. (Petite giogr.,
vol. S, pi 28) — (Grande, vol. 43, p. S).
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Variétés sinologiques
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