Skip to main content

Full text of "Variétés sinologiques"

See other formats


iLir 


Heixty^y  Scott,  Jr.  Fund 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/varitssinolo30chan 


VARIÉTÉS  SINOLOGIQU  ES  N°30. 


HISTOIRE 


DU 


ROYAIME  DE  TSIN  M 

(1106-452) 


PAB 


LE  P.  ALBERT   TSCHEPE,  S.  J. 
.  $     £     ft 


CHANG-HAI. 

IMPRIMERIE  DE  LA  MISSION  CATHOLIQUE 

l   L'oTîT-HtlINAT   DK    S'OTT-BB-WH 

,1910. 


VA  Ri  ÉTÉS  SIN0L0GIQUESN"30 


HISTOIRE 


DU 


ROYAUME  DE  TSIN 

(1106-452) 


**** 
e 


PAR 

IB  P.  ALBERT   TSCHEPE,  S.  J 
%     E     fô 

£IB£|g£|g£l8£IB 

CHANG-HAI. 

IMPRIMERIE  DE  LA  MISSION  CATHOLIQUE 
<  l'orphelinat  dk  t'ou-sk-wb. 

1910. 


i^J^JL^ 


dL  V* 


o? 


os 


G47493 


PREFACE 


?XKc 


L'histoire  du  royaume  de  Tsin  W,  qui  compre- 
nait la  grande  province  du  Chan-si  \h  M  actuel  et 
une  bonne  partie  duHo-nan  M  fô  et  du  Tçhe-li  ÏÈ  W, 
est  intéressante  à  plusieurs  points  de  vue.  Depuis  le 
grand  roi  Tsin  Wen-kong  f?  3C  &  635-628,  l'une  des 
figures  les  plus  chevaleresques  de  la  Chine,  le  roi  de 
Tsin  est,  pour  ainsi  dire,  l'empereur  de  la  Chine  d'a- 
lors; rien  ne  peut  se  faire  que  sur  ses  ordres  ou  du 
moins  avec  sa  permission.  Et  Tsin  garde  cette  pré- 
pondérance jusqu'au  34me  prince,  Ting-kong  %  ft, 
511-475.  Nous  avons  donc  là  un  bon  morceau  de 
/'histoire  de  Chine. 

De  plus, ce  royaume  comprenait  plus  d'éléments 
de  la  race  chinoise  pure  qu'aucun  autre.  Car  il  était 
l'ancienne  province  impériale  Ki-tcheou  M  fl\,  où 
pendant  de  longs  siècles  se  trouvait  la  capitale  de 
l'empire,  la  meilleure  partie  de  l'état,  qui  était  sous 
l'administration  directe  de  l'empereur,  Sous  lao  û, 
23o6  avant  N.  S.,  la  capitale  était  <)  P'  ing-yang  fou 
¥  %  }ft,sous  choen  'M  2255,  à  P'ou-lcheou  fou  ;iiî  *H  tff 
et  sous  le  Grand  Vu  ^  $>,à  Ngan-i  %  iA,à  28  li  Est  de 
Kiai-tcheou  M  fil. ("était  doue  laprovince  privilégiée, 


PREFACE. 


la  plus  fidèle  et  lapins  eh  ère,  le  foyer  de  lumière  qui 
éclairait  l'empire  tout  entier,  le  modèle  proposé  à 
tous  les  fonctionnaires,  à  tout  le  peuple  chinois.  Na- 
turellement cette  race  pure  de  chinois  au  Chan-si 
s'est  mélangé  aussi  avec  des  Tartares,  puisque  nous 
voyons  même  la  maison  royale  avoir  des  liens  de 
parenté  avec  les  Tartares,  mais  ici  beaucoup  moins 
qu'ailleurs.  Car,  dans  la  province  impériale,  Vêlement 
Chinois  prédominait  de  beaucoup.  Ce  n'est  que  sous 
les  T'ouo-pa-wei$6  Wl  11,386-550, dynastie  Toungouse 
d'une  énergie  sauvage,  que  cette  pure  race  chinoise 
du  Chan-si  a  reçu  de  nombreux   éléments   étran- 
gers. Sous  les  Mongols,  1274-1367,  d'autres  éléments 
étrangers  se  sont  encore  surajoutés.  Mais  les  qualités 
maîtresses  de  la  ruée  chinoise,  l'intelligence  pratique 
et  l'activité  infatigable,  lui  sont  restées.   L'esprit 
guerrier  n'était  pas   encore  étouffé,  comme  il  est 
arrivé  plus  tard .    La  race  chinoise  a  de  la  force, du 
courage  et  de  l 'intelligence ;  elle  peut  donc  produire 
de  bons  soldats,  comme  du  reste  elle  l'a  prouvé  pen- 
dant de  longs  siècles.  A  cause  de  sa  conformation 
géographique  et  sapopulation  supérieure,  le  Chan-si 
a  toujours  joué  un  grand  rôle  dans  l'histoire  de  la 
Chine, et  ce  rôle  ne  fera  que  grandir, dès  que  la  Chine 
commencera  à  exploiter  les  trésors  dont  elle  a  de 
pourvut'.  Cette  province  du  Chan-si  est  plus  rie/n'en 
charbon  et  en  fer,que  celle  même  du  Se-tchfoan  23 JH. 
Ses  marchands  sont  très  habiles;  dans  les  manipu- 
lations commerciales y  personne  au  \<>r<i  de  la  chine 
ne  surpasse  les  banquiers  du  chan-si. 


PREFACE.  III 


Tant  que  le  pays  de  Tsin  fut  gouverné  par  des 

princes  actifs  et  soigneux, les  gro/nds  seigneurs  se  con- 
tentaient de  leur  rôle  d'aides  et  de  conseillers  de  la 
couronne.  Dès  que  les  princes  commencèrent  à  s'effé- 
miner,  ces  grands  seigneurs  se  laissèrent  aller  à  des 
rivalités,  s' entretuèrent,  jusqu'à  ce  qu'enfin,  en  ko2, 
les  trois  seigneurs  les  plus  puissants,  Tchao  1Ê,  Han  %% 
et  Wei  %k  se  partagèrent  le  royaume  et  fondèrent 
trois  états,  qui  dans  l'histoire  portent  leurs  noms. 

Pour  le  lecteur  qui  veut  parcourir  rapidement 
le  contenu  de  ce  livre,  j'ai  fait  une  table  desmatières 
très  détaillée  qui  le  renseignera.  Quant  à  la  table 
alphabétique,  je  n'y  ai  mis  que  peu  de  noms  propres, 
ceux  qui  étaient  vraiment  indispensables.  Car  les 
noms  chinois  sont  aussi  désagréables  pour  V oreille 
européenne ,  que  les  noms  européens  pour  V oreille 
chinoise. 

Au  temps  oùj'éc»  ivais  cette  histoire,  je  n'avais 
pas  encore  la  certitude  que  le  Grand  Yu  avait  déjà 
établi  ou  rétabli  l'ancien  canal  impérial  M  %fk  M.  Si 
j'écrivais  maintenant  cette  histoire,  je  l'y  mention- 
nerais à  divers  endroits. 

Je  réserre  donc  ces  détails  historiques  du  plus 
haut  intérêt  pour  le  travail  du  Yu-kong  &  M  qui  est 
un  document  historique  d'une  valeur  inappréciable. 

Chang-hai2\  Janvier  1910. 

A.    Tschepe   S.J. 


ROTAUME  DE  TSIN  W 


TABLE    DES    MATIERES. 


Géographie  des  Tsin. 

Les  défilés  les  plus  importants  p.  2.  —  les  autres  montagnes 
p.  4.  —  les  défilés  spécialements  dangereux  p.  6.  —  les  fleuves  de 
Tsin  p.  8.  —  les  salines  p.   11. 

Premiers  temps  du  royaume  de  Tsiu. 

T'ang-chou  ^  ${  le  fondateur  de  la  dynastie  feudataire  en 
1106  p.  14. —  son  6"le  successeur  Tsing-heou  $fj  fê  858-841  p. 15. 

—  le  9'm'  successeur  Mou-heou  |J|  {£  811-785  prince  remarquable 
p.  16.  — le  12""'  prince  Tchao  Hg  745-739  a  la  faiblesse  de  confier 
à  son  puissant  oncle  le  fief  de  K'iu-wo  p.  17.  —  d'où  naissent  des 
troubles  dans  lesquels  Tchao-heou  est  tué.  Les  chefs  des  grandes 
maisons  Han  lf%.  et  Loan  H§  commencent  à  jouer  un  grand  rôle 
pendant  ces  troubles  p.  19.  —  l'empereur  «le  fils  du  ciel»  est  sans 
autorité  à  cette  époque  p.  21. 

Temps  vraiment  historiques. 

19me  prince  Hit'ii-kon::  J$  fe  676-652. 

11  visite  l'empereur  et  l'engage  à  se  marier,  contrairement 
aux  rites,  pendant  le  deuil  officiel.  —  en  672  il  fait  la  guerre  au 
T.s'in  |j|  qui  est  l'un  de  ses  rivaux.  — il  a  aussi  des  difficultés  avec 
les  Tartares  et  les  grands  seigneurs  p.  24. — comment  le  sage  lettré 
Che-wei  affaiblit  les  grandes  familles  p.  25. — comment  il  conseille 
son  prince,  qui  n'était  pas  un  modèle  de  vertu. — Hien-kong  prend 
pour  femmes  deux  princesses  tartares,  dont  l'une, Li-ki,  sera  cause 
de  grands  troubles  p.  26.  —  il  établit  un  second  corps  d'armée, 
contrairement  aux  Rites  p.  27.  —  il  donne  des  fiefs  aux  chefs  des 
familles   Tchao  %Q  et  Wei  §|  qui  seront  cause  de  grands  troubles 

—  intrigues  de  cour  p.  28.  —  le  grand  devin  Yen  ft%  p.  2:».  — 
doctrine  d'un  sage  lettré.  —  l'office  du  prince-héritier  d'après  un 
sage  lettré  p.  30.  —  Chen-cheng  le  fils  modèle  p.  31.  —  intrigues 
de  cour  p.  31-32. —  sagesse  lettrée. —  pourquoi  Confucius  mention- 
ne le  Tsin  si  tard  c.-à.-d.  en  658  p.  33.  —  diplomatie  lettrée  p.  34. 


VI  ROYAUME   DE   TSIN. 

—  prophétie  du  devin  Yen.  —  l'intrigante  Li-ki  est  déclarée  lère 
épouse  p.  35. —  ses  intrigues  p.  36.  —  le  prince  Tchong-eul  jg  3£ 
s'enfuit  prudemment, au  lieu  de  se  pendre  comme  son  frère  aîné  ; 
sagesse  lettrée.  —  l'eunuque  P'i  attaque  Tchong-eul  qui  s'enfuit 
chez  les  Tartares  p.  37.  —  diplomatie  fourbe  de  Hien-kong.  — 
sagesse  lettrée  p.  38.  —  prophétie  du  devin  Yen.  —  bassesse  de 
Hien-kong  p.  39.  —  son  3"'"h   tils  I-oit  jH  ^  s'enfuit  au  Tx'in  |jf. 

—  guerre  avec  les  Tartares  p.  40.  —  grande  réunion  des  princes 
féodaux:  Hoan-hong  |g  Tfe  (384-643, le  fameux  marquis  de  Ts'i  H, 
est  reconnu  chef  suprême.  —  le  seigneur  Siun  ^f  contribue  aux 
intrigues  de  la  cour  p.  41.  —  l'intrigante  Li-ki  est  fouettée  à 
mort  p.  42. —  sur  le  conseil  d'un  sage  lettré,  Tchong-eul  n'accepte 
pas  encore  le  trône  p.  43.  —  sur  le  conseil  d'un  vertueux  lettré 
Ts'ing-mou-kong  §§£  f |i  fe  659-621  établit  I-ou  sur  le  trône  de 
Tsin  ^  p.  44. 

22me  prince  Hoei-kong  |ï  &  650-637. 

11  condamne  à  mort  son  trop  fidèle  coopérateur  l'intrigant  Li- 
ko  H.  j£  p.  46.  —  il  se  montre  déloyal  envers  le  Ts'in  |^.  — 
diplomatie  lettrée  p.  47.  —  Chen-cheng  apparaît  à  son  fidèle  ami. 

—  prophétie  lettrée.  —  l'empereur  fait  remettre  à  Hoei-kong  la 
tablette  de  jade  et  le  reconnaît  ainsi  officiellement  p.  48.  —  pro- 
phétie lettrée.  —  troubles  à  la  cour  impériale.  —  l'humble  lettré 
et  fin  politique  Koan-tchong  'g*  jrji  p.  49.  —  famine    au   Tsin  ^f . 

—  le  sage  lettré  Pé-li-k'i  £j ~  J£  |j|.  —  le  devin  Yen  explique  une 
chute  de  montagne  p.  50.  —  Hoei-kong  se  montre  ingrat  et  per- 
vers. —  Ts'in  Mou-kong, avant  de  lui  déclarer  la  guerre,  consulte 
l'oracle  p.  51.  —  Hoei-kong  méconnaissant  les  avis  de  sages  let- 
trés, est  battu  p.  52.  —  et  fait  prisonnier  p.  53.  —  ruse  diplo- 
matique d'une  femme  p.  54.  —  Ts'in  Mou-kong  se  contente  du 
prince  héritier  donné  en  otage  et  relâche  Hoei-kong  p.  55.  —  les 
Tartares  attaquent  le  faible  Hoei-kong  en  644  et  en  638  p.  57. — 
prophétie  lettrée. — Hoei-kong  meurt. — le  prince  héritier  en  otage 
au  Ts'in  §j|,  s'enfuit  et  monte  sur  le  trône  ;  un  sage  et  vertueux  lettré 
lui  fait  une  remontrance  et  est  mis  à  mort  p.  58.  —  prophétie  du 
devin  Yen  p.  59. 

Vie  et  pérégrinations  de  Tchong-enl  ig  If,   le  1111111'  Wen- 

kong  #   &  635-62S. 

Les  futurs  grands  seigneurs  qui  l'accompagnent  chez  les 
Tartares,  p.  59. — où  il  se  marie  avec  une  princesse  et  y  reste  19 
ans.  En  644  il  se  rend  au  Ts'i  >jfô  où  le  grand  Hoan-kong  le 
reçoit  honorablement  p.  60.  —  sa  caractéristique  p.  61.  —  Tchong- 
eul  se  rend  au  Song  p.  62.  —  En  037  il  se  rend  à  la  cour  de 
Tch'ov,  j$>  où  il  se  montre  homme  supérieur.  —  il  se  rend  à  la 
cour  de  Ts'in  |j|  p.  63.  —  où  Mou-kong  lui  donne  jusqu'à  70 
femmes.   —  toast  et  cérémonies   lettrés  à  un  dîner  de  gala,  p.  64. 


TABLE  DES   MATIÈRES.  VII 

23me  prince  Hoai-kong  if  fè  636,  fils  de  Hoei-kong  |c  £. 

Ts'in  Mou-kong  m'et  Tchong-eul  sur  le  trône  de  Tsin  ^.  —  lettré 
vertueux  p.  66.  —  Tchong-eul  se  présente  au  temple  des  ancêtres 
comme  leur  successeur  légitime.  —  complot  contre  Tchong-eul  que 
l'eunuque  Pi  dévoile  p.  67.  —  remontrance  d'un  sage  et  vertueux 
lettré  p.   68  sq. 

Le  24",e  prince  Wen-koii£  %  fè  635-628,  apogée  de  Tsin  |f. 

Le  galant  roi  va  chercher  lui-même  ses  femmes  et  ses  concu- 
bines p.  70. —  sa  prudence  et  sa  générosité.  —  les  11  grands  sei- 
gneurs, ses  amis.  —  en  son  humilité  il  demande  à  l'empereur 
l'investiture  officielle.  —  les  Tartares  cherchent  son  amitié.  —  la 
fille  de  Wen-kong,  femme  module  p.  71.  —  serviteur  fidèle  géné- 
reusement récompensé  par  Wen-kong  p.  72.  —  autre  trait  de 
générosité  envers  un  sage  lettré  p.  73.  —  Wen-kong  rétablit  l'or- 
dre à  la  cour  impériale  et  devient  chef  des  princes  féodaux  p.  74. — 
malgré  son  humilité  au  dîner  impérial,  Wen-kong  demande  à 
l'empereur  une  galerie  couverte  pour  les  tombeaux  de  ses  ancê- 
tres. —  lequel  privilège  impérial  lui  est  pourtant  refusé  p.  76.  — 
Wen-kong,  l'homme  lovai.  —  le  chef  de  la  famille  Tchao  ^  est 
en  grande  faveur  auprès  de  Wen-kong  p.  77.  —  le  prince  de  Song 
çjç  se  met  sous  la  tutelle  de  Wen-kong  et  son  pays  reste  intime- 
ment attaché  au  Tsin  ^  p.  78.  —  Ki-hou  £!Vf£  est  choisi  comme 
généralissime,  pareeque  poète  et  musicien.  —  humilité  parmi  les 
grands  seigneurs  de  cette  époque.  —  Wen-kong  instruit  et  forme 
le  peuple  p.  79.  —  le  rend  capable  de  grandes  entreprises.  —  en 
632,  il  commence  ses  campagnes  contre  le  Ts'ao  ^  et  le  Wei  fëf 
p.  80.  —  gagne  l'amitié  de  Ts'i  ^.  —  son  manifeste  vertueux  p. 
81.  —  diplomatie  lettrée  p.  83.  —  conseil  de  guerre  de  sages  let- 
trés p.  84.  —  bataille  et  victoire  à  Tcheng-p'ou  ;J$}fj|.  — mauvais 
rêve  finement  expliqué  p.  85.  —  ultimatum  lettré  de  l'époque.  — 
détails  de  la  bataille  p. 86.  —  Wen-kong  visite  l'empereur  p.  87. — 
et  lui  fait  de  splendides  cadeaux.  Il  est  décoré  des  plus  hauts  insi- 
gnes p.  88.  —  il  observe  humblement  tous  les  Rites.  \—  mbléc 
des  vassaux    p.   89.  —  Wen-kong   rétablit   la    paix   au    Wei  ■ffj  p. 

90.  —  convention  avec  le  peuple,  triste  malentendu  à  la  rentrée  du 
prince.  —  Wen-kong   est   strict   quant   à  la  discipline  militaire  p. 

91.  —  prisonniers  de  guerre  offerts  aux  ancêtres.  — ■  assemblée  de 
vassaux  p.  92.  —  à  laquelle  l'empereur  assiste  sur  l'invitation  de 
Wen-kong.  Ce  que  les  lettrés  et  Confucius  pensent  d'une  telle 
invitation  qui  semble  contraire  aux  Rites.  —  les  cadeaux  illumi- 
nent les  yeux  du  devin  de  Wen-kong  p.  93.  —  Wen-kong  établit 
3  corps  d'armée,  ce  qui  était  contraire  aux  Rites.  —  autre  oubli 
des  Rites  p.  94.  —  le  marquis  de  Lou  obtient  par  des  cadeaux 
l'élargissement  du  prince  de  Wei  :  crimes  que  ce  dernier  com- 
met. —  tour    diplomatique  joué    par    un    sage    lettre    p.    9.~>.  —  le 


VIII  ROYAUME   DE   TSIN. 

marquis  de  Lou  ami  et  favori  de  Wen-kong.  —  grandes  manœu- 
vres p.  96.  —  le  roi  de  Tcli'ou  5q|  fait  un  traité  de  paix  avec 
Wen-kong.  —  mort  de  Wen-kong  ;  merveille  lettrée  expliquée  par 
le  devin  Yen  p.  97.  —  parallèle  entre  Wen-kong  et  Ts'i-hoan- 
kong  H  $b  ^  p.  98. 

Le  25me  prince  Siaiiic-koii^  j|  fè  627-621. 

Tours  de  fine  diplomatie  malgré  les  Rites  p.  99.  —  la  victoire 
la  plus  célèbre  de  Tsin.  —  diplomatie  féminine.  —  autre  tour  de 
lettré  finement  joué  p.  100.  —  Tartares  tantôt  amis  tantôt  enne- 
mis des  Chinois.  —  dévouement  du  premier  ministre  p.  101.  — 
trait  de  générosité  exercée  par  Wen-kong  et  sagesse  lettrée  p. 
102.  sq.  —  Siang-kong  l'imite  p.  1(J3.  —  diplomatie  lettrée  p. 
104.  —  Siang-kong  visite  l'empereur.  —  attaque  "SYei  ;  tour  de 
diplomatie  p.  105.  —  qui  fut  conforme  aux  Rites.  Philosophie 
chinoise  p  106.  —  grande  victoire  sur  le  Ts'in  ^j*.  —  prédiction 
d'un  sage  lettré.  —  le  marquis  de  Lou  n'ayant  pas  offert  les  ca- 
deaux usuels  est  mal  vu  p.  107-  —  démonstration  militaire  contre 
le  Ts'in  |j|  p.  108.  —  Ts'in  Mou-kong  répond  par  une  autre 
démonstration  ;  mais  il  n'y  a  pas  de  bataille.  —  antagonisme  de 
Tch'ou  H?  p.  109.  —  Le  marquis  de  Lou  est  célébré  par  un  toast 
à  la  cour  de  Siang-kong;  on  y  observe  strictement  les  Rites.  — 
Les  princes  féodaux  se  plaignent  des  contributions  trop  fortes  que 
le  Tsin  |f  exige  p.  110.  —  prophétie  lettrée.  — Grandes  manœu- 
vres de  Tsin  et  promotion  de  grands  seigneurs  p.  111.  —  le  grand 
seigneur  Tchao-siuen-tse  J§  W  -p  621-589,  célébrité  de  Tsin  — 
Siang-kong  meurt  p.  112.  —  rivalités  entre  les  grands  seigneurs, 
indices  de  la  ruine  future  de  Tsin  p.  113. — le  poignard  éloigne  les 
adversaires.  —  sagesse  lettrée  p.   114. 

Le  26me  prince  Ling-kong  f|  &  620-607. 

Malgré  toutes  les  prévisions,  le  jeune  fils  de  Siang-kong  est 
mis  sur  le  trône  p.  116.  —  complications  politiques.  —  victoire 
sur  l'armée  de  Ts'in  fj|  p.  117.  —  rivalités  parmi  les  grands 
seigneurs.  —  sagesse  lettrée  1  18  sq.  —  Tchao-siuen-tse  se  montre 
prudent  ministre  p.  119.  —  le  marquis  de  Lou  est  rappelé  à  l'or- 
dre. —  rivalités  parmi  les  grands  seigneurs  p.  120.  —  le  ministre 
à  Tchou,  le  grand  antagoniste.  —  il  tient  une  assemblée 
de  princes  p.  121.  —  guerre  avec  le  Ts'in  p.  122.  —  péripéties 
ridicules  de  la  campagne.  —  prévoyance  du  ministre  prudent 
\>.  l2.'i. —  chinoiserie  curieuse  p.  12  Y —  le  prudent  ministre  gagne 
les  feudataires  p.  125.  —  le  marquis  de  Lou  demande  du  secours 
contre  le  Tsi  ^  p.  12»',.  —  assemblée  des  feudataires.  —  1 
deaux  sauvent  et  le  prince  malhonnête  de  Tsi  et  l'usurpateur  de 
Song  %.  —  nouvelle  assemblée  des  princes  p.  127.  —  célèbre 
lettre  diplomatique  p.  128.  —  échange  d'otages  avec  le  Tcheng 
f£]$.  —  grand  seigneur  de  Tsin  est  exilé.  —  assemblée  de   princes 


TABLE   DES    MATIERES.  IX 

p.  129.  —  Ling-kong  n'est  pas  à  la  hauteur  de  son  office.  —  diffi- 
cultés avec  le  Ts'in  et  le  Tch'ou  p.  130  sq.  —  extravagances  de 
Ling-konii  p.  131.  —  remontrance  lettrée.  —  tyrannie  de  Ling- 
kong.  —  vertu  lettrée  p.  132.  —  Ling-kong  est  assassiné. — Tchao 
Siuen-tse  est  accusé  par  l'historiographe  comme  coupable  de  cet 
assassinat,  p.  133.  —  on  choisit  un  fils  de  AYen-kong  pour  suc- 
cesseur; pourquoi  il  se  trouvait  en  exil  p.   134. 

Le  27,no  prince  Tch'eng-kong  ]£  ^  606-600. 

Le  Tch'ou  reste  l'antagoniste  de  Tsin  p.  136. —  Tch'eng-kong 
fait  la  paix  avec  l'état  de  Tcheng  f|$.  —  il  tient  une  assemblée  de 
princes.  —  Confucius  cache  les  hontes  de  sa  patrie  p.  137.  —  Les 
Tartares  deviennent  les  alliés  de  Tsin.  —  rivalités  entre  les  grands 
seigneurs.  —  Après  une  nouvelle  assemblée  de  princes,  Tch'eng- 
kong  meurt  p.  138. 

Le  28me  prince  king-kong  ^  fè  599-581. 

Félonie  de  Tcheng  HJ$. — guerres  avec  le  Tch'ou  ^  p.  140. — 
qui  reste  l'antagoniste  le  plus  puissant.  Les  Tartares  se  déclarent 
les  alliés  de  Tsin.  —  nouvelle  guerre  avec  Tch'ou  p.  111.  —  sa- 
gesse lettrée  p.  142.  —  discorde  entre  les  grands  seigneurs  de 
Tsin  p.  143.  —  stratégie  lettrée  p.  145.  —  ultimatum  lettré  du 
roi  de  Tch'ou.  —  réponse  lettrée  p.  146.  —  bravades  de  guerriers 
de  Tch'ou  p.  147.  —  confusion  parmi  les  grands  seigneurs  de 
Tsin  p.  148.  —  bravades  de  guerriers  de  Tsin  p.  149.  —  détails 
de  la  débâcle  de  Tsin  p.  150.  —  à  ceux  qui  veulent  élever  un  tro- 
phée des  cadavres  de  Tsin,  le  roi  de  Tch'ou  répond  en  savant  lettré. 
—  sacrifice  au  Fleuve  Jaune  p.  151.  —  autres  détails  de  la 
bataille  p.  152.  —  échange  des  prisonniers.  —  le  généralissime 
n'est  pas  puni  p.  153.  —  pourquoi?  par  suite  de  ce  désastre,  les 
princes  amis  de  Tsin  sont  harcelés  par  leurs  voisins  p.  154.  —  le 
seigneur  Sien-hou  yc  ^  est  exterminé  avec  sa  parenté  à  la  tin  de 
596.  —  le  ministre  de  Wei  se  pend  pour  sauver  son  prince.  —  la 
sagesse  lettrée  empêche  King-kong  de  secourir  son  allié  de  Song 
5^  contre  le  Tch'ou  %£  p.  155.  —  un  seigneur  loyal  et  courageux 
p.  156.  —  King-kong  bat  les  Tartares.  —  Ts'i  lloan-kong  est  ja- 
loux de  ces  succès  p.  157.  —  philosophie  chinoise.  —  démonstra- 
tion militaire  de  Tsin  p.  15S.  —  sagesse  lettrée.  —  King-kong 
flatte  l'empereur  p.  159. — et  récompense  les  généraux  victorieux, 
sagesse  lettrée.  —  les  saints  Rites  sont  expliqués.  —  Ki-k'o,  le 
grand  seigneur  boiteux,  excite  l'hilarité  des  dames  de  la  cour  de 
Ts'i  ^|  p.  160.  —  il  jure  de  se  venger.  —  Assemblée  de  princes 
p.  161.  —  on  essaye  d'intimider  le  lier  prince  de  Ts'i.  —  les  prin- 
ces feudataires  se  tournent  plutôt  vers  le  Tch'ou  p.  162.  —  un 
sage  ministre  à  son  fils.  —  K'i-k'o  se  venge  de  Ts'i  p.  163.  — 
l'empereur  est  attaqué  par  les  Tartans  et   secouru   par    King-kong 

II 


X  ROYAUME   DE   TSIN. 

p.  164.  —  K'i-k'o  fait  la  guerre  au  roi  de  Ts'i  ^  p.  165.  —  cu- 
rieuse bravade  p.  166.  —  détails  de  cette  bataille  p.  167.  —  fin 
tour  joué  au  seigneur  Han-kiué  |f  fft  p.  168.  —  fuite  du  roi  de 
Ts'i  p.  169. — il  demande  la  paix.  K'i-k'o  demande  réparation  écla- 
tante.—  le  prince  de  Lou  récompense  les  généraux  vainqueurs. — 
Comment  on  pleure  un  prince  défunt  p.  170.  —  exemple  d'humilité 
lettrée  p.  171.  —  King-kong  llatte  l'empereur.  —  discours  vertueux 
de  ce  dernier  p.  171  sq. —  assemblée  des  princes  p.  172.  —  échange 
d'otages  avec  le  Tch'ou.  —  expédition  contre  les  tartares.  —  King- 
kong  établit  6  corps  d'armée.  —  le  roi  de  Ts'i  visite  King-kong 
p.  173.  —  Han-kiué  reçoit  une  grande  lace.  —  à  la  \isite  du  mar- 
quis de  Lou.  King-kong"  n'observe  pas  bien  les  Rites;  prophétie 
lettrée  p.  174.  —  antagonisme  avec  le  Tch'ou.  —  scandale  dans 
la  grande  famille  Tchao  jjfj  qui  causera  des  malheurs  p.  175.  — 
écroulement  de  montagne  met  tout  le  pays  en  émoi  p.  176.  — 
assemblée  de  princes.  —  négligence  des  saints  Rites  p.  177.  — 
prophétie  lettrée;  armée  de  Tsin  qui  va  punir  le  Song  ç£,  est  sur 
le  point  de  piller  une  ville  de  Wei,  qui  n'avait  pas  de  garnison 
p.  178.  —  translation  de  la  capitale  de  Tsin.  —  antagonisme  avec 
le  Tch'ou  p.  179.  —  assemblée  de  princes.  —  le  royaume  de  Ou  ^j. 
entre  en  scène  et  fera  une  grande  guerre  au  Tch'ou  p.  180.  — 
King-kong  n'a  pas  honte  de  recevoir  un  traître.  —  il  malmène  le 
Lou  ||..  —  la  sagesse  lettrée  réussit  toujours  à  merveille  p.  181. — 
trait  de  brigand.  —  intrigues  féminines  mettent  la  famille  Tchao 
en  danger;  Han-kiué  la  sauve  p.  182.  —  King-kong  est  jaloux  de 
la  puissance  de  Ou  J^.  p.  183.  —  assemblée  de  princes  p.  184.  — 
à  laquelle  le  roi  de  Ou  ne  peut  pas  assister.  King-kong  découvre 
un  sage  caché  p.  185.  —  assemblée  de  princes  p.  186.  —  qui  met 
la  paix  au  Tchemj  |f[).  King-kong  tombe  malade:  ce  qu'en  disent 
le  devin  et  le  médecin.  —  autre  songe  merveilleux  p.  187.  —  King- 
kong  meurt.  —  une  famille  anéantie  p.   188. 

Le  29,ue  prince  Li-koug  ^  &  580-573. 

Il  fait  amitié  avec  le  Lou.  Le  grand  seigneur  K'i  de  Tsin  est 
en  litige  avec  l'empereur  lui-même  p.  189.  —  l'arrogant  seigneur 
ne  cède  qu'avec  peine  à  la  justice.  —  Les  princes  de  Tsin  f|  et  de 
Ts'in  ^  ont  une  entrevue  à  distance  p.  190.  —  traité  de  paix 
entre  le  Tsin  et  le  Tch'ou.  —  mauvais  présage  p.  191.  —  le  sei- 
gneur K'i,  ambassadeur  au  Lou,  n'est  pas  humble;  prophétie 
lettrée.  —  mémorandum  diplomatique,  chef-d'œuvre  littéraire 
p. 192. —  l'année  de  Tsin  ouvre  de  suite  la  guerre  contre  le  Ts'in 
fg  p.  196.  —  résultai  nul;  autre  prophétie  lettrée  à  propos  de  la 
famille  K'i.  —  assemblée  de  princes  p.  197.  —  rivalités  entre  les 
grandes  familles  p.  198.  —  ambassade  solennelle  au  roi  de  Ou 
^.  —  guerre  avec  le  Tch'ou  p.  199.  —  détails  de  la  campagne 
p.  2D0  sq.  —  et  de  la  bataille  p.  2<>'i  sq.  —  victoire  sans  mérite. — 
assemblée  de  princes.  —  le  pauvre  marquis  de  I  .ou  est  mis  en  réclusion 


TABLE   DES    MATIERES.    .  XI 

p.  207.  —  11'  seigneur  K'i,  ambassadeur  auprès  de  l'empereur,  se 
montre  vantard  ;  prophétie  à  ce  sujet  p.  2<>S.  —  antagonisme  avec 
le  Tch'ou  p.  209,  —  prophéties  sur  les  malheurs  qui  menacent  le 
Tsin  -|j-.  intrigues  à  la  cour  de  Li-kong  p.  210.  —  rivalités  des 
grandes  familles  p.  211.  - —  la  famille  K'i  est  anéantie  p.  212.  — 
détails  de  ce  drame  p.  213.  —  Li-kong  lui  aussi  est  tué  par  les 
grands  seigneurs  p.   215  sq. 

Le  30me  prince  Tao-koug  fê  &  572-558. 

Les  nouveaux  ministres  et  les  chefs  des  familles  seigneuriales 
p.  217.  —  le  précepteur  du  prince  héritier  p.  218.  —  et  autres 
hauts  dignitaires  de  la  cour  p.2  18  sq.  —  Tao-kong  relevé  le  pres- 
tige de  la  couronne.  —  antagonisme  avec  le  Tch'ou  p.  220  sq.  — 
assemblée  de  princes  et  diverses  expéditions  militaires  p.  22  1.  — 
La  mort  de  l'empereur  passe  inaperçue.  —  Tao-kong  ne  respecte 
pas  le  deuil  national  de  Tcheng  ^  p.  222.  —  assemblée  de  prin- 
ces. —  le  nouveau  marquis  de  Lou,  enfant  de  0  ans,  gagne  le 
cœur  de  Tao-kong.  —  Tao-kong  invite  le  prince  de  Ts'i  ^  a  l'as- 
semblée des  princes  p.  223.  —  grand  seigneur  loyal  p.  22'».  — 
Le  grand  ministre  de  l'empereur  préside  l'assemblée  des  prin- 
ces. —  parade  militaire  en  leur  honneur  p.  225.  —  Tao-kong  est 
capable  de  reconnaître  sa  faute  et  de  la  réparer  p.  22b.  —  anta- 
gonisme avec  le  Tch'ou.  —  Le  Lou  ^  se  montre  en  possession 
de  la  tine  Heur  lettrée  p.  227.  —  Tao-kong  consent  à  faire  un  traité 
d'alliance  avec  les  Tartares  après  que  le  grand  seigneur  Wei-kiang 
lui  a  exposé  l'histoire  des  Tartares  p.  228  sq.  —  l'ambassadeur  de 
Ou  ^|.  réjouit  Tao-kong  p.  230. —  grande  assemblée  de  princes. — 
antagonisme  avec  le  Tch'ou  p.  231.  —  le  rils  de  Han-kiué.  un  sage 
lettré,  refuse  la  dignité  de  ministre  et  pourquoi  p.  232.  —  assem- 
blée de  princes.  —  Les  grands  seigneurs  de  Tsin  sont  trop  avides 
de  cadeaux  :  le  marquis  de  Lou  veut  régler  le  question  des  obliga- 
tions des  princes  vassaux.  —  le  fameux  lettré  Tse-tch'an  ^  j|| 
entre  en  scène  p.  233.  —  assemblée  de  princes.  —  toast  de  l'am- 
bassadeur de  Tsin  à  la  cour  de  Lou  p.  234.  —  le  prestige  de  Tsin 
^  est  remonté  p.  235.  —  assemblée  de  princes.  —  bienveillance 
de  Tao-kong  envers  le  jeune  marquis  de  Lou  p.  236  sq.  —  bonté 
de  Tao-kong  envers  son  peuple. —  assemblée  de  princes  p.  237. — 
attaque  traîtresse  de  Pi-yang,  malgré  le  premier  ministre.  —  ce 
dernier  se  fâche  lorsque  les  deux  généraux  se  découragent  p.  238. — 
la  ville  prise  est  donnée  au  Song  Çjç. —  ce  prince  célèbre  Tao-kong 
en  faisant  de  la  musique  Ing  %fc  p.  239.  —  l'esprit  de  cette  musi- 
que apparaît  à  Tao-kong.  —  curieuse  comédie  religieuse  p.  240. — 
antagonisme  avec  le  Tch'ou.  —  l'armée  de  Tsin  recule  devant 
l'armée  de  Tch'ou  p.  241.  —  diplomatie  bien  chinoise  p.  242.  — 
antagonisme  avec  le  Tch'ou.  —  assemblée  de  princes. —  le  prince  de 
Tc/iem/Hl^donneà  Tao-kon,u  de  magnifiques  cadeaux  en  témoignage 
de  son  inaltérable  fidélité  p.  243. —  grand  seigneur  humble  p.  2'»'». — • 


XII  ROYAUME  DE   TSIN. 

le  Tch'ou  ^§  et  le  Ts'in  §j|  se  liguent  contre  le  Tsin  ff.  —  le 
marquis  de  Lou  |§-  demande  à  Tao-kong  aide  contre  ses  grands 
seigneurs.  —  les  grands  seigneurs  de  Tsin  donnent  l'exemple  de 
l'humilité  lettrée  p.  245. —  longue  tirade  sur  les  saints  Rites,  qui 
recommandent  l'humilité.  —  le  roi  de  Ou  ^L  est  lancé  contre  le 
Tch'ou  p.  247.  —  guerre  contre  le  Ts'in;  l'armée  de  Tsin  refuse 
finalement  d'avancer  ;  enfin  les  soldats  de  Lou  avancent  courageu- 
sement.—  querelles  parmi  les  grands  seigneurs  de  Tsin  p.  248. — 
qui  deviennent  la  cause  de  mortelles  inimitiés  p.  249.  —  prophétie 
lettrée.  —  Tao-kong  licencie  les  3  nouveaux  corps  d'armée  ;  pour- 
quoi ?  p.  250.  —  il  reçoit  une  fameuse  leçon  du  maître  de  musique 
p.  251. — les  grands  seigneurs  de  Wei  chassent  leur  prince,  sans 
que  Tao-kong  s'en  préoccupe.  —  les  ambassadeurs  des  princes 
feudataires  reconnaissent  aussi  le  fait  accompli  p.  252.  —  tour 
joué  au  roi  de  Ts'i.  —  mort  de  Tao-kong  p.  253. 

Le  31me  prince  P'ing-kong  ^  fè  557-532. 

Enterrement  hâtif.  —  le  sage  lettré  Clwu-hiang  ,j>3(  |fij  est  mis 
en  lumière  p.  25  4.  —  assemblée  de  princes.  —  le  toast  de  Ts'i 
trahit  de  mauvaises  intentions.  —  P'ing-kong  patiente  p.  255. — 
guerre  contre  le  Tch'ou  p. 256. —  malgré  les  prières  les  plus  pres- 
santes de  Lou,  P'ing-kong  n'attaque  pas  le  Ts'i  p.  257.  —  enfin 
la  guerre  est  décidée  ;  songe  mystérieux  du  généralissime  ;  son  sa- 
crifice à  l'esprit  du  Fleuve  Jaune  p. 258.  —  le  roi  de  Ts'i  se  laisse 
effrayer  p.  259.  —  eunuque  courageux  et  intelligent  p.  260.  — 
détails  de  l'expédition  p.  261.  —  le  prince  héritier  empêche  le  roi 
de  Ts'i  de  s'enluir.  —  assemblée  de  princes  p.  262.  —  plein  de 
reconnaissance,  le  marquis  de  Lou  récompense  royalement  les 
grands  seigneurs  de  Tsin.  —  merveille  lettrée  p.  263.  —  toast  à 
l'ambassadeur  de  Lou,  grands  Rites  p.  264.  —  nouvelle  armée 
contre  le  Ts'i;  elle  rentre  dès  qu'elle  apprend  la  mort  du  roi  de  Ts'i. 

—  cette  observation  stricte  des  Rites  gagne  le  nouveau  roi.  — 
assemblée  de  princes  p.  265.  —  anéantissement  de  la  grande  fa- 
mille Loan  p.  266.  sq.  —  le  sage  Chou-hiang  en  prison;  vertu 
lettrée  p. 267-269.  —  assemblée  de  princes  p. 270.  —  fameuse  note 
diplomatique  de  Tse-tchran  -J-  j§^p.27l. —  naissance  de  Confucius. 

—  vilain  tour  du  roi  de  Ts'i  p. 272.  —  dernier  acte  de  la  tragédie 
Loan  p. 273. —  belle  chinoiserie  p.  274. —  combat  acharné  p. 275. 

—  invasion  d'une  armée  de  Ts'i  au  Tsin  jjj-  p.  276.  —  un  sage 
lettré  explique  le  terme  survivre»  p.  277.  —  fameuse  leçon  de  la 
part  de  Tse-tch'an  p.  278.  —  antagonisme  avec  le  Tch'ou  p.  279. 
mœurs  de  grands  seigneurs  p.  280.  —  prophétie  lettrée. —  assem- 
blée de  princes.  —  esclaves  et  musiciennes  envoyés  en  cadeaux 
p.  281.  —  assemblée  de  princes  p.  282.  —  Note  diplomatique  du 
laineux  Tse-tch'an  p.  2S3. — le  sage  Chou-hiang  traite  de  la  paix 
avec  1<'  Ts'in  H  p. 284.  — P'ing-kong  reçoit  un  gouverneur  félon 
de  Wei  —  assemblée  de    princes  p.  285.  — toast   de   P'ing-kong. 


TABLE   DES    MATIERES.  XIII 

—  entretien  des  2  fameux  lettrés  Yen-tse  ^  -^  et  Chou-hiang 
p.  286. —  déférence  envers  l'empereur  p.  287. —  gentil  tour  diplo- 
matique. —  utopie  d'un  désarmement  général,  d'une  paix  univer- 
selle p.  288  sqq.  ' —  négociations  ad  hoc  p.  289.  —  déloyauté  de 
Tch'ou. —  remarques  du  sage  Chou-hiang  p. 291.  —  l'ambassadeur 
de  Tch'ou  le  premier  se  frotte  les  lèvres  avec  le  sang  des  victimes 
p.  292.  —  l'étiquette  envers  un  hôte. —  le  dualisme  dans  l'empire 
est  reconnu  p.  293.  —  le  sage  Chou-hiang  remporte  de  nouveaux 
triomphes  p.  294.  —  toast  des  seigneurs  de  Tclieng  fl[$  parmi  les- 
quels le  sage  Tse-tch'an  p.  295.  —  prophétie  lettrée.  —  l'am- 
bassadeur de  Tch'ou  à  la  cour  de  Tsin  est  reçu  avec  beaucoup  de 
distinction  p.  296.  —  piété  filiale  de  P'ing-kong  p.  297.  —  pro- 
phétie lettrée  p.  298.  —  honneurs  rendus  à  un  vertueux  vieillard 
p.  299.  —  éloge  des  ministres  si  vertueux  de  Tsin  p.  300.  —  as- 
semblée inutile  d'ambassadeurs  à  propos  des  malheurs  de  Song  5£. 

—  prophétie  lettrée  p.  301.  —  tour  diplomatique  du  fameux  Tse- 
tch'an  p.  302  sq.  —  remarques  du  sage  Chou-hiang.  —  assemblée 
de  princes.  —  un  sage  lettrée  fait  un  discours  diplomatique  au  1er 
ministre  de  Tsin  p.  30  ï  sq.  —  toast  du  1er  ministre  de  Tch'ou. — 
prophétie  du  sage  lettré  Chou-hiang.  —  toast  chanté  par  le  pre- 
mier ministre  de  Tsin  à  l'assemblée  des  princes  p.  306. — humilité  de 
ce  ministre  p.  307.  —  elle  est  célébrée  par  tous  les  ambassadeurs, 
même  par  l'empereur  p.  309. —  le  frère  du  roi  de  Ts'in  ^  cherche 
un  refuge  au  Tsin  -fj.  —  prophétie  lettrée  p.  310. —  guerre  contre 
les  Tartares  p.  311.  —  entrevue  des  2  fameux  lettrés  Tse-tch'an 
et  Chou-hiang  p.  312.  — morale  lettrée  p.  313.  — leçon  d'un  fa- 
meux médecin  à  l'adresse  du  concubinaire    P'ing-kong   p.   314   sq. 

—  morale  lettrée.  —  entretien  du  1er  ministre  et  du  sage  Chou- 
hiang  p.  316.  —  sacrifices  aux  ancêtres.  —  mort  du  Ie'  ministre 
p. 317.  — Han-k'i  ?$:  /£  devient  lor  ministre;  il  visite  les  princes 
feudataires  p.  318  sq.  —  nouvelle  concubine  de  P'ing-kong  p.  320. 

—  réception  solennelle  de  l'ambassadeur  de  Lou  qui  édifie  par  la 
stricte  observation  des  Rites. —  la  mort  de  la  concubine  rend  P'ing- 
kong  malade  de  douleur  p.  321.  —  détails  de  son  enterrement.  — 
une  nouvelle  concubine  arrive  accompagnée  du  sage  lettré  Yen-tse 
f§|  -J-.  —  entretien  de  ce  dernier  avec  le  sage  Chou-hiang  p.  '.',2'-'>. 

—  visite  princière  pour  féliciter  P'ing-kong  de  sa  nouvelle  acqui- 
sition p.  324. —  jeu  diplomatique  de  Han-k'i  p.  325.  —  qui  va  lui- 
même  chercher  la  nouvelle  concubine.   —  elle  est  échangée  p.  326. 

—  Le  roi  de  Tch'ou  veut  supplanter  P'ing-kong  comme  roi  suprê- 
me p.  327.  —  il  demande  une  princesse  de  Tsin  pour  épouse.  Les 
feudataires  offrent  à  P'ing-kong  leurs  félicitations  ;  le  marquis  de 
Lou  brille  par  l'exacte  observance  des  saints  Rites  p.  328.  —  Han- 
k'i  et  Chou-hiang  conduisent  la  fille  de  P'ing-kong  chez  le  roi  de 
Tch'ou.  —  ce  dernier  pose  des  questions  épineuses  au  sage  Chou- 
hiang  et  est  émerveillé  de  ses  réponses  p.  329.  —  un  gouverneur 
félon   est   reçu  très   gracieusement   à    la   cour    de   Lou  p.  330.  — 


XIV  ROYAUME   DE   TSIN. 

humilité  lettrée.  —  Chou-hiang  se  montre  conciliant  sur  les  lois 
de  l'étiquette  p.  331.  —  Le  sage  Tse-tch'an  rédige  un  code  pénal, 
qui  est  réprouvé  par  les  lettrés  p.  332.  sq.  —  les  sages  lettrés  ex- 
pliquent une  éclipse  de  soleil  p.  334. —  les  esprits  des  montagnes 
ne  savent  pas  guérir  la  maladie  de  P'ing-kong  ;  Tse-tch'an  indique 
un  bon  moyen  p.  335.  — les  diplomates  font  leur  jeu  p. 336. —  les 
6  facteurs  nécessaires  pour  qu'une  prophétie  lettrée  s'accomplisse. 

—  un  sage  lettré  explique  comment  une  pierre  peut  parler  p. 337. 

—  le  maitre  de  musique  donne  une  leçon  à  P'ing-kong,  à  la 
grande  joie  de  Chou-hiang.  —  de  grands  seigneurs  lancent  les 
Tartares  sur  la  capitale  de  l'empereur  p.  338.  —  Son  message  à 
P'ing-kong  p.  339  sq.  —  remarques  du  sage  Chou-hiang  au  1er 
ministre  p.  341.  —  P'ing-kong  n'observe  pas  les  saints  Rites.  — 
leçon  du  maitre  cuisinier  p.  342. —  A  la  vue  d'une  étoile  étrange, 
un  sage  lettré  fait  une  prophétie.  —  P'ing-kong  meurt  p. 343. — il 
est  enterré  solennellement.  —  Tse-tch'an  le  sage  diplomate  p. 344. 

Le  32 prince  Tchao-kong  Hg  fc  531-526. 

Han-k'i  préside  une  réunion  de  princes  p.  345. — Chou-hiang 
fait  une  prophétie  lettrée.  — jeux  à  la  cour  de  Tsin  p.  346.  — traî- 
trises p.  34 7. — Chou-hiang  recommande  à  Tchao-kong  de  montrer 
aux  princes  ses  forces  militaires. — assemblée  de  princes. — Tchao- 
kong  exige  trop  de  cadeaux  p.  348.  —  plaintes  des  feudataires 
p.  349.  —  le  sage  Chou-hiang  fait  un  savant  discours  au  roi  de 
Ts'i  ^  p.  350.  —  mais  la  peur  d'une  invasion  produit  plus  d'ef- 
fets sur  lui.  —  grandes  manœuvres.  —  Chou-hiang  prend  la  dé- 
fense de  Tchao-kong  p.  351.  — Tse-tch'an  fait  diminuer  les  taxes 
exorbitantes.  —  dernière  assemblée  des  princes  présidée  par  le  roi 
de  Tsin.  —  humiliation  de  Lou  p.  352.  —  bon  tour  diplomatique 
p.  353.  —  autre  tour  p.  354.  —  Chou-hiang,  l'homme  droit,  ne 
regarde  pas  la  dignité  des  coupables  p.  355.  —  Un  lettré  scrupu- 
leux, disciple  de  Chou-hiang  p.  356.  —  Le  marquis  de  Lou  visite 
la  cour  de  Tsin  p.  357. — un  diplomate  mis  dans  le  sac  p.  358. — 
Chou-hiang  s'en  console  en  lettré  vertueux  p.  359.  —  le  fameux 
Tse-tch'an  donne  à  Han-k'i  une  verte  leçon.  —  grands  toasts  chantés 
à  Han-k'i  p.  360.  ce  dernier  remercie  encore  Tse-tch'an.  —  pro- 
phétie néfaste  sur  le  Tsin  p.  361.  —  mort  de  Tchao-kong  p.  362. 

Le  33,ne  prince  K'ing-koiig  tjj  fè  525-512. 

Ruse  pieuse  bien  devinée  p.  363.  —  l'armée  de  l'empereur  prend 
part  au  pillage.  —  le  sage  lettré  Tse-tch'an  toujours  victorieux 
p. 364  sq. —  mort  de  Tse-tch'an;  Confucius  le  pleure  p.  365.  —  le 
marquis  de  Lou  offre  à  l'ambassadeur  de  Tsin  7t4  bœufs,  7  +  4 
brebis  \>.  366.  —  le  saint  général"  p.  367.  — -  troubles  à  la  cour 
impériale  p.  368.  —  victoire  d'un  sage  lettré  p.  369.  —  il  devine 
toutes  les  ruses  p.  37it.  —  il  joue  de  jolis  tours.  —  il  sort  de  pri- 
i    chargé   de   cadeaux    p.  371.  —   troubles    à    La    cour   impériale 


TABLE   DES   MATIERES.  XV 

p.  3*2.  —  assemblée  de  10  ambassadeurs  de  princes.  —  les  feuda- 
taires  refusent  de  secourir  l'empereur  p.  373.  —  l'ordre  est  réta- 
bli à  la  cour  impériale. — le  fameux  Ou  Ki-tse  ^L  f-:  :f  à  la  cour 
de  Tsin  p.  '.'>~\.  —  Le  marquis  de  Lou  chassé  de  son  pays,  est 
abandonné  de  tous.  —  les  grands  seigneurs  de  Tsin  causent  des 
troubles  dans  l'état  p. 37"».  —  prophétie  et  fameux  discours  de  la 
mère  de  Chou-hiang  p.  377. —  les  grands  seigneurs  de  Tsin  sont 
très  riches  et  très  puissants  p.  378.  —  ils  visent  encore  plus  haut 
p.  379.  —  historiettes  pratiques  p.  380.  —  Confucius  exalte  le 
nouveau  ministre  de  Tsin  p.  381. — apologue  pratique  p.  382.  — 
un  dragon  apparaît;  dissertation  lettrée  sur  les  dragons  p.  383. — 
code  pénal  réprouvé  par  Confucius  p.  384.  —  prophétie  lettrée. — 
mort  et  enterrement  hâtif  de  K"ing-kong.  —  un  ambassadeur  à 
bonne  langue  p.  385  sq. 

Le  34mB  prince  Tiiig-kong  %  £  511-475. 

Il  voudrait  aider  le  malheureux  marquis  de  Lou,  mais  il  est 
trompé  par  son  ministre  p.  387.  —  hyprocrisie  du  grand  ministre 
de  Lou. — manière  peu  diplomatique  du  prince  de  Lou  p.  388. — 
l'empereur  ne  peut  pas  vivre  en  paix  à  sa  capitale:  sa  supplique 
aux  feudataires  p.  389.  sq.  —  à  l'assemblée  des  ambassadeurs,  le 
ministre  de  Tsin  manque  aux  saints  Rites  p.  391.  —  il  meurt. — 
querelles  entre  les  feudataires  p.  392.  —  prophétie  solennelle  d'un 
sage  lettré  p.  394.  —  faute  diplomatique  de  Tsin.  —  grandissime 
assemblée  de  princes. — les  grands  seigneurs  de  Tsin  sont  la  ruine 
de  l'état  p.  395.  —  le  roi  de  Tch'ou  devient  l'arbitre  de  la  Chine 
p.  396.  —  l'empereur  se  sert  d'un  assassin  pour  se  délivrer  de  son 
frère;  mais  les  troubles  continuent  p.  397.  —  révolte  dans  l'état 
de  Lou  sans  que  le  chef  suprême  s'en  occupe  p.  398.  —  avarice  des 
grands  seigneurs  de  Tsin  p. 399. — l'empereur  remercie  ses  ancêtres 
d'avoir  rétabli  la  paix. — traîtrise  envers  leducdeSong  $£  p. 400. — 
le  Tsin  aide  le  Lou  contre  le  Ts'i.  —  traîtrise  envers  le  marquis 
de  Wei  Hj.  —  sacrifice  solennel  p. 401. —  difficultés  a\ec  le  Tcheng 
H|$  p.  402.  —  le  marquis  de  Wei  rompt  avec  le  Tsin  ;  il  corrompt 
le  grand  seigneur  Tchao  en  lui  promettant  500  familles  p.  403. — 
détails  de  l'expédition.  Chinoiseries  de  Ting-kong  p.  'ii>4. — traîtri- 
ses des  grands  officiers  de  Ts'i  jlf.  —  complications  à  propos  de 
ces  500  familles  p.  405.  —  il  en  résulte  des  complications  politi- 
ques p.  406.  —  drame  redoutable.  —  une  loi  jurée  par  tous  les 
grands  seigneurs  et  déposée  dans  le  Heine  Jaune  devenait  sacro- 
saintep.  407. —  les  deux  seigneurs  Siun  ^7  et  Che  ^t  succombent 
p.  408.  — il  en  résulte  une  grande  guerre  p.  409.  diverses  péripé- 
ties de  cette  guerre.  —  les  sorts  disent  ce  que  l'on  veut  p.  411. — 
proclamation  des  récompenses  pour  encourager  les  guerriers.  — 
détails  de  la  bataille  p.  412-413.  —  prière  payenne  d'un  poltron 
p.  413. — officiers  glorieux  et  vantards  p.  \  1  '1 .  —  singulière  con- 
duite  de  l'empereur  p.   4  15.  —  Plus  le  Tsin  baisse,  plus  le  Tch'ou 


XVI  ROYAUME   DE   TSIN. 

monte  p.  416.  —  vertus  lettrées  p.  417.  —  curieux  horoscope. — 
le  Tsin  attaque  le  Ts'i  ^  p.  418.  —  la  fameuse  assemblée  des 
princes  à  Hoang-tché  ^r  *$H,\e  fier  roi  de  Ou  ^  réclame  et  obtient  la 
préséance  p.  419.  —  En  479  mort  de  Confucius  p.  420.  —  la 
guerre  avec  le  Ts'i  continue.  —  mort  de  Ting-kong  et  du  fameux 
Tchao  Kien-tse  |g  f$j  ^517-475,  chef  de  la  maison  Tchao  p.  421. — 
Ce  dernier  avait  fait  un  traité  d'amitié  avec  le  roi  de  Ou  ^|  p.  422. 

Le  35me  prince  Tch'on-kong  tB  &  474-457. 

Guerre  avec  le  Ts'i  p.  423.  —  sans  résultat.  Querelles  entre 
les  grands  seigneurs  de  Tsin.  —  ils  anéantissent  les  maisons  Tche 
£P  et  Siun  ^aj  p.  426.  —  ils  chassent  le  prince  p.  427.  — 

Le  36me  prince  Ngai-kong  3&  &  456-452. 

Querelles  des  grands  seigneurs  p.  428  sq.  —  triumvirat  des 
seigneurs  Tchao  fg,  Han  ||  et  Wei  f|  p.  430.  —  En  452,  ils  se 
partagent  le  royaume  de  Tsin,  sans  cependant  anéantir  la  famille 
régnante  p.  431.  —  Celle-ci  continue  à  végéter  jusqu'en  358,  où 
elle  disparaît  de  l'histoire  p.  434-437. 


XVII 


TABLE   ALPHABETIQUE 


-:-<■;  SK- 


Ambassadeur  devait  toujours 
porter  des  cadeaux  proportionnés 
à  la  dignité  de  son  maître  et  du 
prince  qu'il  visitait  p.  264,  277, 
282  et  passim...p.321,326,330. 

Amnistie  ou  convention  avec 
le  peuple  pour  lui  garantir  la 
paix p.  90 

Ancêtres  :  sont  les  dieux  de  la 
famille  ;  sacrifices  aux  ancêtres 
p.  91,  210,  240.  317  et  passim. 
L'installation  du  chef  de  famille 
se  fait  au  temple  des  ancêtres 
p.  91,  105,  le  bonnet  viril  est 
donné  là p.  237. 

Antagonisme  entre  le  Tsin  et 
le  Tch'ou  p.  127,  130  sq,  136 
sqq,  144,  161  sqq,  255,  280, 
327,  352,  395  et  passim.  Ce  sont 
des  rivaux;  le  Tch'ou  l'emportera. 

Année  dans  les  anciens  temps 
est  déterminée  par  l'empereur  ; 
les  feudataires  la  changent  arbi- 
trairement  p.  94,  311. 

Assemblée  de  princes  dans  les 
anciens  temps  rare  pour  délibé- 
rer sur  des  questions  majeures  ; 
plus  tard  très  fréquentes,  sou- 
vent tous  les  ans  pour  extorquer 
des  cadeaux  p. 222.  on  en  trouve 
presque  à  chaque  page  du  livre. 
La  plus  fameuse  est  celle  de 
Hoang-tche  p.  419.  La  théorie 
de  ces  assem  blées  p.. 328,345,348, 
373,  391. 

Astrologie p.  337,  343. 


Avènement  solennel  d'un  prin- 
ce  p. 67,  13'». 


Bataille:  grande  à  Tcheng-p'ou 
p.  85,  à  Hiao  p.  100,106,  à  Ling- 
hou  p.  117,  bataille  perdue  à  Pi 
p.  14  4-151,  et  gagnée  à  Mi-ki 
p.  165  sqq.  à  Ma-souei  p.  196  ; 
à  Yen-ling  p.  200  sq.  àTsip.411. 
à  Li-kiou  p.  424.  de  petites  ba- 
tailles, divers  combats  se  trou- 
vent presque  à  chaque  page. 

Bonnet  vieil. ..p.  236  sq.  Note. 

Blltiu  :  une  partie  en  devait 
être  offert  à  l'empereur  p.  284 
et  passim. 

o 

Cadavres  pris  et  déshonorés 
p.  81.  pris  et  échangés  contre 
des  prisonniers  p.  153.  non  en- 
terrés rendent  l'âme  malheureuse 
p.  284,  401. 

Cadeaux  sont  tout  puissants 
p.  243,  281,  330,  395.  demandes 
écrasent  les  feudataires  p.  302, 
357,  395.  diverses  espèces  de 
p.  263.  cadeaux  princiers  p.  33, 
122.  requis  par  les  Rites  299. 
règles  dans  la  distribution  de 
p.  399. 

Char  de  guerre  p. 31,  86,145, 

311. 

Chasse  est  réprouvée. ..p.   229. 

Chon-hiailg  le  fameux  sage  joue 
un  grand  rôle  p.  282,  289,291, 

293,  304, 306, 421,329, 348,376. 

III 


XVIII 


TABLE   ALPHA BTIQUE. 


Civilité  chinoise  p.  53,  64,  87,  ' 
147. 

Code  pénal  réprouvé  par  les 
sages p.  332,  384. 

Collation  solennelle  de  titres 
p.  88. 

Combats  homériques  p.  20lsqq. 

Concubines — jouent  un  grand 
rôle  p.  214,  286,  322,  355.,  une 
substituée  pour  une  autre  p. 326. 

Conflicius  p.  39,134,138,156, 
176,  188,  231,  255,  272,  289, 
292,  330,  355,  375,  381,  399, 
420.  Son  père  fameux  guerrier 
p.  238. 

Conjuration  —  curieux  exem- 
ple de' p.  273. 

Corvées  imposées  aux  feuda- 
taires p.  297. 

13 

Décadence  de  Tsin  p.  1 31 , 421 , 

sqq. 

Défilés  célèbres  p.  2,  3. — dan- 
gereux  p.  6. 

Devins  célèbres p.  29,  39, 

51,  55,  75,  93,  97,  187,  203, 
280,  403,  411,  418,  421,  424. 
Deuil  national  à  la  mort  du 
prince  p.  344.  —  n'est  pas  res- 
pecté  p.  359,  419. 

Dévouement  héroïque  d'un  ser- 
viteur  p . 408 . 

Dignitaire  —  nomination  d'un 

p.  23. 

Diplomatie  chinoise  p.  33,78, 
80,  sqq,  100,  116,  sq,  124,  159, 
170,  183,  192  et  passim,  fameu- 
ses lettres  diplomatiques 

p.  128.  193,  223,  242,  251. 


Eclipses    annoncent    des    mal- 
heurs  p-  344. 


Education — principes  d  '  p .  2 1 7 . 

Empereur  1/ — est  presque  dé- 
pouillé de  son  territoire  ;  il  a 
encore  un  grand  nom  devant  le 
peuple.  Les  princes  feudataires 
n'ont  de  relation  avec  lui  que 
lorsqu'ils  y  trouvent  leur  avan- 
tage p.  54,74,109,159  et  passim. 

Empereur  est  encore  capable 
de  donner  une  verte  leçon  à  un 
seigneur  lettré p.  357. 

Enterrement  de  prince  p.  254. 
hâtif  p.  385;  on  enterre  vivant 
p. 187. 

Esclave p.  275,412. 

Eunuque  dévoué  p.  67,  77.  ven- 
geance d'un  eunuque p.  259. 


Famille  de  haute  noblesse  au 
Tsin p.   71. 

Famine  au  Tsin p.  49. 

Femmes  vertueuses  p.  71, 111, 
113,  116. 

—  curieuses p.  160. 

—  intelligente...  p.  197,377. 

—  endiablée p.  266. 

Feudataires    défendent    leurs 

droits p.  392. 

Fils — les — du  Précédent  sou- 
verain sont  exilés  pour  le  bien 
de  la  paix p.  134. 

Fleuves  —  les  —  du  Tsin  p. 8. 
Lesfleuves  ont  des  esprits  ou  sont 
des  esprits,  surtout  le  Fleuve 
Jaune p.  252,  393. 

Géant,  un — p.  158. 

Générosité,  traits  de —  p. 4 17. 

(ïéograpkie  de  Tsin p.  1. 

(iiatitude,  bel  exemple  de 
p. 133. 


TABLE   ALPHABETIQUE. 


XIX 


GuerM  —  un   ministre   de   la 
guerre  et  ses  subalternes  p.  21 8  sq 


Haine    et    vengeance    p.    266. 

HégélllOU  ou  chef  des  feudataires 
p.  74.  il  fait  la  guerre  à  la  place 
de  l'empereur  p.  127.  136.  il  ré- 
unit les  princes  feudataires  p. 
127,  137  sqq.  il  y  a  2  hégémons 
.p. 293. 

Histoire  bien  documentée  de 
Tsin p.  23. 

Historien  Y  —  officiel  ou  le 
grand  archiviste  avec  ses  subal- 
ternes est  une  vieille  institution 
chinoise  p.  133,  278,  418.  —  est 
loué  par   Confucius p.  383. 

Historiques  :  détails  —  fournis 
par  un  message  impérial  p.  339. 

Humilité  lettrée  est  un  thème 
souvent  m  entionné  p. 79, 110, 150, 
171, 206, 223, 232, 235,239,  244, 
246,294,307,317,319,338,361. 

Hypocrisie  lettrée  p...210  sqq.  : 

I 
Installation  officielle  d*un  prin 
ce p.  48  sq.    215 


Jade  très  estimé  p.  95,  sert  de 
sacrifice p .  2  5  S . 


Lettrés  sont  à  la  solde  des 
grands  seigneurs  ;  ils  ont  cons- 
cience de  leur  valeur  p.  266  et 
passim.  et  aussi  humilité  lettrée, 
sagesse  lettrée. 

Loan  H§,  grande  famille  de 
Tsin  p.  19,  65,  85,  99.  anéantie 
p.  266.  son  chef  proscrit  par  un 
curieux  stratagème  p.  272  sqq. 
elle  disparait  de  l'histoire. 


Loil  '"§!•,  la  patrie  de  Confucius, 
est  mentionné  bien  des  fois. 
D'après  les  lettrés  c'est  l'état  de 
la  vertu,  de  la  bonne  doctrine, 
l'état  modèle.  Ainsi  dans  les 
livres  théoriques  des  lettrés.  Pra- 
tiquement son  gouvernement,  ses 
grands,  étaient  aussi  diplomati- 
ques et  hypocrites  que  ceux  des 
autres  états p. 299. 

LOU,  le  prince  de — récompen- 
se d'une  manière  modèle  les  offi- 
ciers de  Tsin p.  263  sqq. 

JVC 

Manœuvres  militaires  p. 80, 96, 
111,  127,  155,  158,  225,  246, 
348,  351. 

Médecin  —  curieuse  consulta- 
tion de  — p.  314. 

.Merveilles  lettrées  p.  158, 160, 
167,    176,    240,    258,  337,  383. 

.Ministres  fidèles  et  dévoués 
p. 131  sq. 

Montagne  s'écroule  ;  quels  Ri- 
tes à   accomplir p.  176. 

Mort  —  la  —  d'un  prince  est 
regardé  comme  un  deuil  national, 
que  tous  les  états  doivent  res- 
pecter d'après  les  Rites  p.  222. 
265. 

Morts  - —  les  —  comprennent 
encore  les  hommes p.  263. 

.Musique  —  la  —  et  son  direc- 
teur en  grand  honneur  p.  239  et 

Note p.2'i3,    251, 

255,    284,    299,  315,    337,  342. 

Musiciennes  depuis  l'antiquité 
regardées  comme  de  mauvaises 
femmes p.  331. 

NT 

Noblesse  —  la  haute  —  de  Tsin 
p.  71  ;  les  femmes. 


XX 


ROYAUME   DE   TSIX. 


1)  Tchao  H  p.  17,").  amie  des 
Han   p 273,   282,  423. 

2  Wei  §|  p.  204,  216,  244. 
amie  des  Loan  p.  273,  31 1,  378. 

3)  Han  £|  p 220,  232, 

287,   301,   318,   331,   336,  341. 

4)  Hou  %. 

5)  Siu  ^  p.  210,  note. 

6)  Sien  %. 

7)  K'i  ffi  ennemie  des  Siu. 
p.  212.  218.  Note.  p.  203,  sq.  198. 

8)  Loan  f|,  très  fier  p  203, 
215.  Notes  250,  266. 

9)  Fan  fjj  ou  Che  -^  amie  des 
Loan. 

10  Tc//e£pi     .  .  . 
a*\   o-        it  ,    du    même    clan 

1 1  Siun  %j  j 

p. 223.  Note,  p.  219  213. 

Les  seigneurs  se  querellent  sur 
le  champ  de  bataille  p 249. 

Ils  sont  insatiables  p.  301.424. 

Ils  réclament  pour  eux  tou- 
jours de  nouveaux  privilèges,  de 

nouveaux  fiefs  p.  325, 

336,  sqq..  352,355,361.369,396. 

Ils  sont  impudents  envers  les 
autres    feudataires    p.  328,  402. 

Ils  causent  de  graves  troubles 
p.    407  sqq..   4  15. 

Les  seigneurs  Loan  anéantis 
en  552  p. 266. 

Les  seigneurs  Fan  f(j  et  Siun 
^jj  anéantis  en  490  p.  407.  126. 
En  453  les  seigneurs  Tchao,  Han 
et  Wei  se  partagent  les  autres 
fiefs;  en  452  ils  partagent  entre 
eux  l'état  de  Tsin  :  en  403  ils 
sont  officiellement  reconnus  par 
l'empereur  comme  princes  légi- 
times de  leur  fiefs  et  le  Tsin  a 
d'exister  p.  'i35. 


Oreilles  coupées  par  les  vain- 
queurs   p. 92. 

Otages  échangés  p.  55,  129, 
155,   163,   186,  209. 


On  1%  royaume  de — p.  180, 1 99. 
223,  225,  230,  247,  304,  348,396. 


Patriotisme  chinois  ...p.  100. 

Pieds    coupés    à    un     coupable 

p.  92. 

Politesse  chinoise  p.  100. 

Politique  tortueuse  p.  25,  28, 
33,  47  et  passim. 

Présages  malheureux  p.  3  46, 
378. 

Prière  payenne  p.413. 

Prisonniers  de  guerre   p.  260. 

Prophéties  lettrées  à  la  Virgi- 
le très  fréquentes  p.  48  sqq.  17  4 
sqq.  et  passim.  Presque  chaque 
événement  tant  soit  peu  impor- 
tant aurait  été  prévu  par  un  sage 
lettré. 

Provocations  et  Bravades  mili- 
taires très  fréquentes  p. 147  sqq. 
166,  261,  280,  404,  421,  425. 

R 

Réception  solennelle  par  l'em- 
pereur    p.  188. 

—  princière  p........  286,  289. 

Rêve  :  mauvais  — expliqué  par 

un  lettré    p.  85. 

Rhinocéros  —  coupe  en  corne 
de — ,  sa  signification  p.  308  et 
Note  p. 369. 

Rites — les  saints — bien  obser- 
vés sauvent  les  peuples  p. 89, 271 
281,  286,  307  et  note  317,  343. 

Rites  sont  expliqués  p.  93,373. 

—  sont  négligés  p.  272,  326, 
3'i2,  404,  provoquent  une  verte 
leçon p.  359,  385,  391  sq. 


Sacrifices  se  font  en  l'honneur 
du   ciel   et   de   terre,    des  fictives 


TABLE   ALPHABETIQUE. 


p.  151,  363,  et  des  montagnes, 
des  ancêtres  p.  256,  401, en  si- 
gne déloyauté  aux  traités  p. 177 
p.  105,  177. 

Sacrifices  humains  encore  en 
usage p. 158,  240,  364. 

Sagesse  lettrée  et  philosophie 
se  trouvent  presque  à  chaque 
page  ;  elle  est  basée  sur  les  an- 
ciens classiques  et  développée  par 
les  seigneurs  lettrés,  qui  natu- 
rellement prétendent  être  infail- 
libles p.  17,  19,  68,  72,  77,  84, 
99, 102,  152,  170,  246  et  passim. 

Serments  et  traitées  furent  très 
solennellement  jurés,  mais  peu 
observés  :  «tant  que  le  propre 
avantage  le  commandait»  :  ils 
sont  très  fréquents  p.  66,89,94, 
177,  190,  208,  241 sqq. 252, 254, 
258,  265,  292,    305    et   passim. 

Serinent  au  soleil  p.  275. 

Serviteur  fidèle  p.  72,90,352, 

389.. 

$°ng  t£  —  état  de — ,  position 
importante;  est  souvent  attaqué. 

Songes  mystérieux  p.  85,204, 
304. 

Stratagèmes  Lettrés  —  ce  sont 
quelquefois  de  fins  tours,  quel- 
fois  des  traîtrises,  mais  toujours 
joués  avec  esprit  p.  95,288,302, 
328,  347,  353,  357,  369  sq. 376, 
382, 387  sqq.  411,430  et  passim. 

Stratégie  lettrée  p.  142,  145, 
201,  259,  311.  ordre  de  se  pré- 
parer à  l'attaque  p.  202.  règle- 
ments militaires  p. 225. 

Signes  d'une  victoire  certaine 
p. 201. 

«Survivre»  —  ce  que  c'est  — 
expliqué    p.  277. 


Tambour  frappé  par  le  général 
est  le  signe  de  l'attaque,  l'ordre 
d'avancer   p.  166,  206. 

Tartares  se  rencontrent  fré- 
quemment. Ils  sont  tantôt  amis 
tantôt  ennemis  des  Chinois  p. 24, 
95,  101  et  Note,  136,  141,  156, 
201,  339,  363  et  passim. 

Tcheng  J|j$  —  état  de  —  sou- 
vent attaqué  par  les  autres  états, 
pareequ'il  était  le  maître  de  Ho- 
ing  fpj  p|j  et  de  Cheu-men-kiu 
7ï  f1]  ^'  c_à-d.  maître  de  la 
communication  entre  le  Fleuve 
Jaune  et  le  canal  impérial  ;  donc 
d'une  importance  majeure.  Ce 
n'est  que  grâce  aux  jalousies  des 
autres  princes  que  le  Tcheng 
garde  son  indépendance  jusqu'en 
375  avant  N.S. 

Telroil  <§|  —  état  de  —  est  le 
grand  rival  de  Tsin  ^  et  se  ren- 
contre bien  des  fois. 

Tombeaux  —  vénération  poul- 
ies — p.  81. 

Transport  de  la  capitale  p.  178. 
—  de  familles  p.   405. 

Ts'ao  ^  —  état  de  —  maître 
de  la  communication  entre  la 
Tsi  \$  et  de  la  Seu  ffa  c.-à-d. 
entre  le  bassin  du  Hoang-ho, 
Fleuve  Jaune,  et  la  Houai  f{£  ; 
donc  position  presque  aussi  im- 
portante que  les  états  de  Song 
5J£  et  de  Tcheng  1$. 

Tse-tclrail  ^  /|r  le  fameux 
lettré  et  ministre   de   Tcheng  ||j$ 

p.  271,  275,  283, 

295,  302,  307,  312,  328,  335, 
344,    348,    352,    360,     364  sq. 


XXII 


ROYAUME   DE   TSIN. 


Tsi  3J|  —  état  de  —  très  puis- 
sant ;  rival  de  Tsin  |J. 

Ts'ill  fj|  —  état  de  —  très 
puissant  ;  grand  rival  de  Tsin  |f 
et  de  Tch'ou  $£.  C'est  le  Ts'in 
^  qui  l'emportera  sur  tous. 

XJ 

Utopie  du  désarmement  géné- 
ral et  de  la  paix  éternelle  p. 288  sq. 

v 

Vengeance  diabolique  p.  213, 
266,  271. 


Vertu  lettrée   souvent   prônée 
,.  89,  90,  267,  336  et  passim. 
Vieillard  fêté p.  300. 

Visite  des  ministres  pour  se 
présenter  aux  autres  cours  ;  celle 
de  Han-k'i  $^  ^B  est  la  plus  cé- 
lèbre  p.  318. 


Yeng-tse 


^f-  le  fameux  phi- 
losophe p. 272,  visite  Chou-hiang 
p.  223,  286,  320.  fameux  entre- 
tien. 


INTRODUCTION 
GÉOGRAPHIE  DU  ROYAUME  DE  TSIN  # 


L'ancien  royaume  de  Tsin  comprenait  à  peu  près  la  province 
actuelle  du  Chan-si  \[\  "gf ,  dont  la  position  naturelle  était  et  est 
encore  la  plus  forte,  après  celle  du  Chensi  |i$\  "g;  c'est  un  vrai 
rempart  pour  la  Chine. 

A  l'est,  elle  est  gardée  par  la  grande  chaîne  de  montagnes 
appelée  T'ai-hang  -fa  jjf  ;  à  l'ouest,  elle  est  bordée  par  le  fleuve 
Jaune  [Hoang-ho  |f  fi]]  ;  au  nord,  elle  est  protégée  par  les  chaînes 
de  montagnes  Ta-mou  -fc  ^  et  In-chan  |2|  fjj,  où  se  trouvent 
les  défilés  Keou-tchou  fij  £Jt  et  Yen-men  ||  P^  ;  au  sud,  elle  est 
doublement  défendue  par  les  montagnes  Cheou-yang  "|f  ^,  Ti- 
tchou  /g  ^,  Si-tch'eng  fflf  ££.  Wang-ou  ï|  et  par  le  Fleuve 
Jaune,  où  se  trouve  le  fameux  gué  de  Mong-tsin  jg  j|h,  avec  le 
non  moins  fameux  défilé  Tong-koan  fê  §|,  qui  est  la  porte  méri- 
dionale de  la  province. 

On  comprend  sans  peine  que  tous  ceux  qui,  dans  le  cours  des 
siècles,  se  disputèrent  l'empire,  ne  se  considéraient  pas  comme 
vainqueurs  et  maîtres,  tant  qu'ils  ne  s'étaient  pas  emparés  de  cette 
région,  si  riche  en  ressources  et  en  moyens  de  défense. 

La  grande  chaîne  de  montagnes  T'ai-hang,  dont  nous  venons 
de  parler,  est  encore  appelée  Ou-hang-chan  3l  'ff  lll»  Wang-mou- 
chan  3E  #  lil  î  ou  encore  Niu-koa-chan  -far  ^  jjj,  du  nom  de  la 
sœur  de  Fou-hi  ffi  |!|.  Elle  commence  à  20  li  au  nord  de  Hoai- 
k'ing  fou  ff|  Jg  fô  dans  la  province  du  Ho-nan  fpj  ^,  se  rend 
dans  le  Chan-si, passe  au  sud  de  Tché-tcheou  fou  ^  j<\\  JjSf,  revient 
au  Ho-nan  dans  la  préfecture  de  Tchang-tè  fou  i$£  |§!  jjrf,  rentre 
au  Chan-si  \[\  "Ff  dans  la  préfecture  de  Lou-ngan  fou  •$$  ^  /fjf. 
puis  s'en  va  vers  le  nord-est  jusqu'à  Choen-t'ien  fou  jljfj  ^jfô,  c'est- 
à-dire  Pé-king  fc  /£,  dans  la  province  du  Tche-li  jj§[  ^.  Dans  son 
parcours  de  plusieurs  milliers  de  li,  elle  traverse  treize  préfectu- 
res, où  elle  porte  différents  noms. 

Elle  a  une  centaine  de  hauts  pics;  c'est  pourquoi  on  l'a  ap- 
pelée l'épine  dorsale  de  la  Chine.  Elle  sert  de  frontière  aux  trois 
provinces  du  Tche-li,  du  Ho-nan  et  du  Chan-si;  le  nom  de  cette 
dernière  l'indique  assez  clairement  ;  il  signifie  région  à  l'ouest  de 
la  montagne,  c'est-à-dire  de  la  chaîne  T'ai-hang.  (Petite  géogr., 
vol.  12,  pp.  21,  26,  27;. 

i 


2  INTRODUCTION. 

Ènumérer  tous  ses  défilés  serait  trop  long;   indiquons   seule- 
ment les  principaux  : 
Dans  le  Chan-si  : 

1°  Yang-tchang-tao  îfc  Jfâ  7*f,  ou  Yang-lchang-fan  ■£  %  i% 
ou  encore  Yang-tchang-koan  ^  #§  Ui  ;  trois  noms  qui  signifient 
chemin,  chaussée,  barrière,  ressemblant  à  un  boyau  de  bique; 
tellement  ce  défilé  est  long,  étroit,  et  contourné! 

Il  y  a  encore  d'autres  défilés  du  même  nom  ;  mais  celui-ci  est 
le  plus  fameux;  il  est  à  45  li  au  sud  de  Tché-tcheou  fou  ^^JrlJfr, 
et  coupe  la  montagne  à  l'endroit  où  elle  est  le  plus  élevée.  On 
raconte  que  Confucius,  voulant  se  rendre  au  pays  de  Tsin  ^, 
vint  jusqu'à  l'entrée  de  cette  gorge  ;  mais  il  n'osa  pas  y  pénétrer  ; 
il  avait  trop  peur  d'y  exposet  sa  précieuse  personne  ;  il  rebroussa 
chemin. 

Ce  défilé  est  encore  appelé  T'ien-t&ing-koan  ^v  $r  §|  ;  parce 
qu'il  s'y  trouve  trois  (puits  ou)  sources  [tsing  $\-\  aussi  profondes 
que  le  ciel  [t'ien  ^^.  ou  creusées  par  le  ciel:  on  dit  qu'elles  sont 
insondables. 

Naturellement,  on  s'est  livré  bien  des  batailles,  pour  s'emparer 
de  ce  chemin  nécessaire  entre  le  Chan-si  et  le  Ho-nan.  Elles  sont 
énumérées,  avec  tous  les  détails  géographiques  désirables,  dans 
la  Grande  géographie,  vol.  39,  p.  24  (1) 

L'entrée  méridionale  de  ce  défilé  est  à  90  li  au  sud  de  Tché- 
tcheou  ^  j\\:  elle  s'appelle  Wan-tse-tch'eng-koan  gjjf  ^  ££  §|  ou 
barrière  de  la  forteresse  (située  au  fond)  du  vase  ;  parce  que  celle- 
ci  a  été  construite  entre  deux  rochers  à  pic  très  élevés,  et  se  trouve 
comme  au  fond  d'une  tasse.  Sous  la  dynastie  des  Ming  PTJ,  on  a 
t'ait  sauter  des  rochers,  pour  rendre  ce  chemin  praticable  aux 
chars.  (Grande  géogr.,  vol.   43.  p.  3). 

Dans  le  Ho-nan  : 

2°  Tche-koan  |JJ  §g,  à  15  H  nord-ouest  de  Ts'i-yuen  hien 
$J  jjfc  !£,  qui  est  à  70  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  Ho&i-k'ing  fou  fê 
jg  jjlf.  (Petite  géogr.,  vol.  12,  pp.  21.  26,  27) 

3°  T'ai-hang-king  -fc  ^f  [ÎJf.  à  30  li  nord  ouest  do  Hoai- 
k'ing  fou 

V  Pé-hing  JÉJ  f§?,  50  li  à  l'ouest  de  Hoei  hien  f.j(  «g£,  qui 
est  à  60  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  \V<>i-hoei  fou  f|f  ${{  $f . 

5°  Fou  k'eou-hing  J§S  H  {§?,  à  20  li  sud-est  de  Ou-ngan  hien 
ïr£  #  M-  9U*  est  à  '^20  li  au  nord  de  sa  préfecture  Teliang-té  fou 
f$  îê  M-  ^a  rivière  Fou-yang  j&  ^  a  sa  source  à  l'ouest  do 
Tte-tùhtov  $fc  $\,  dans  la  préfecture  de  Koang-p'ing  fou  Jf£  ^  f£f . 

'1)  Pour  plus  de  facilité,  nous  appelons  l'etite  géographie  l'ouvrage  intitulé 
h'uug-i/u-ki-uuo  ~fj  ^  !ffi  ïx  ;  et  Orande  géographie  l'ouvrage  semblable  et  plus 
complet  intitulé  Tou-che  Fang-yu-ki-yao  ff[  ifc  ~)j  #1  IE  5e>  —  Nous  y  avon-  recours 
-t  !  ■.-  ci  ton  «  continuellement 


(iEOGRAPHIK    HO    ROYAUME    OK   TSIK  .  3 

Tche-li.  La  montagne  Fou-chan  [|§  |JL| ,  où  se  trouve  le  défilé 
susdit,  est  très  haute  et  très  dangereuse  ;  cette  gorge  est  le  seu 
chemin  qui  va  de  Tchang-té  fou  vers  l'ouest.  Au  nord  et  au  sud, 
à  une  distance  de  150  pieds,  il  y  a  deux  montagnes  symétriques, 
en  forme  de  tambours;  c'est  pourquoi  en  les  appelle  Kou-chan 
]|k  Uj  ;  le  proverbe  dit  que  ces  deux  tambours  commençant  à 
résonner,  il  y  a  guerre.  (Petite  gèogr.,  vol.  12,  p.  15)  (Grande, 
vol.  49,  p.  45). 

Dans  le  Tche-li: 

6°  Tsing-hing  jfc  |§I,  10  li  à  l'ouest  de  Houo-lou  hien  $| 
jgj,  H|,  qui  est  à  50  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  Tcheng-ting  fou 
JE  5É  M  Ce  défilé  est  encore  appelé  Tsing-hing-k'eou  ^  |§?  p, 
ou  T'ou-men-koart  j^  j1^  [$jj,  ou  encore  Che-yen-hoan  ^  frjf  ffi  : 
il  est  à  90  li  à  l'est  de  P'ing-ting  Icheou  ^p  fé  >)\]  du  Chan-si. 
On  le  compte  parmi  les  neuf  plus  dangereux  de  toute  la  Chine; 
c'était  le  passage  si  disputé  entre  les  deux  royaumes  de  Yen  $u 
et  de  Tchao  ^jjf  ;  c'était  aussi  l'une  des  trois  routes  qui  condui- 
saient à  la  province  de  Chang-tang  _£.  M  ;  il  y  a  tout  juste  assez 
d'espace  pour  un  char.  Dans  les  environs,  il  y  a  encore  vingt- 
trois  autres  défilés,  énumérés  dans  la  description  de  la  sous- 
préfecture  Tsing-hing  hien  jfâ-  j§[  Jg£  ;  la  chaîne  de  montagnes 
T'ai-hang  y  porte  le  nom  de  Hingchan  |§?  |Jj -  C'est  par  le  défilé 
dont  nous  parlons, que  l'on  ramena  le  cadavre  de  Ts'in  Che-hoang-ti 
IfÉ  "§d  Je  0>  pour  le  conduire  à  Kieou-yuen  j^  ^,  comme  nous 
l'avons  raconté  dans  notre  histoire  du  royaume  de  Ts'in  ^ft. 
(Petite  gèogr.,  vol,  1,  p.  4;  vol  2,  pp.  39,  40)  —  (Grande, 
vol.  10,  p.  21;  vol.   14,  p.  8) 

7°  Fei-hou-hing  j\$  $£  (g?  conduit  à  la  place  forte  Koang- 
tch'ang  hien  Jf  J|  J||,  qui  est  à  180  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture 
I  (cheov  ^j  >)\\.  C'est  le  chemin  ordinaire  et  très  fréquenté  par 
les  caravanes,  entre  Siuen-hoa  fou  Jf  {fc  $f  du  Tche-li,  et  Ta- 
t'ong  fou  ^C  |^1  /j^  du  Chan-si:  on  dirait  plus  exactement  un 
sentier,  serpentant  pendant  plus  de  cent  li,  au  milieu  de  monta- 
gnes hautes  et  abruptes.  Sous  la  dynastie  Ming  PJ£J,  on  y  veillait 
avec  grand  soin,  pour  arrêter  les  invasions  des  Tartares.  La 
forteresse,  située  auprès  de  la  Grande  Muraille,  a  une  circonfé- 
rence de  trois  li  ;  elle  était  entretenue  avec  une  grande  vigilance. 
Malgré  cela,  c'est  la  dynastie  tartare  Ts'ing  fff  qui  règne  mainte- 
nant à  Pé-king  !  Que  de  batailles  on  s'est  livré,  dans  le  cours  de*> 
siècles,  pour  avoir  ce  chemin  si  important! 

(Petite  gèogr.,  vol.  2,  p.  65.  —  vol.  7  p.  7)  —  (Grande,  vol. 
39,  p.  26  —  vol.  44,  p.  48) 

8°  P'ou-in-hing  jf  |S^  |§?,  ou  Tse-king-hoan  jfë  #J  $1,  80  li 
à  l'ouest  de  /  tcheou  J^  $j\,  et  100  li  nord-est  de  Koang-tch'ang 
hien  ^  J|  J|£.  Ce  n'est,  pour  ainsi  dire,  que  la  continuation  du 
précédent  défilé,  sous  d'autres  noms.  (Petite  gèogr.,  vol.  1,  p.  6 
—  vol  2,  p.  64  —  vol.  11,  p.  3). 


4  INTRODUCTION . 

9°  Kiun-tou-hing  %  %$  {§?,  ou  Kin-yong  fê  jjf ,  à  20  li 
nord-ouest  de  Tch'ang-p'ing-tcheou  ||  ^  >)\\.  90  li  au  nord  de 
Pé-king  (ou  Choen-t'ieii  fou  jljfï  ^  ffî),  50  li  sud-est  de  Yen-h'ing- 
tcheou  |jE  JS  ^H  ;  ce  défilé  est  aussi  compté  parmi  les  9  plus 
dangereux  de  toute  la  Chine  ;  il  a  une  étendue  de  40  li  ;  le  voya- 
geur a  sur  sa  tête  de  hautes  montagnes  :  à  ses  pieds  un  torrent 
impétueux,  aux  abîmes  profonds.  A  Test,  ce  chemin  communique 
avec  les  montagnes  Liu-long  /j  jjj|  et  Kié-che  $|  ^fj  ;  à  l'ouest, 
avec  la  chaîne  principale  de  T'ai-hang-chan  ^  ^f  |Xj  et  avec 
Tchang-chan  ^  |_|j .  —  (Petite  gèogr.,  vol,  1,  p.  6,  —  vol.  2,  p.  6") 
—  (Grande,  vol.  10.  p.  25). 

l'arnii  les  nuire*  montagnes  du  (  han-si.  voici  le*  prin- 
cipales : 

1°  Lei-cheou  ^  "|f,  ou  Tçhong-teiao-chan  41  fê£  tll-  c'est-à- 
dire  V arête  centrale;  ainsi  nommée,  parcequ'elle  a  des  chaînes 
latérales  moins  élevées.  Elle  se  trouve  au  sud-est  des  préfectures 
P'ing-yang  fou  *$  |5§  JjSf  et  P'ou-tcheou  fou  fâ  >)>[]  /fr  ;  dans  le 
I  >ivre  des  Annales  [Chou-king  ^  |K],  elle  est  mentionnée  sous  le 
nom  de  Lei-cheou,  tête  du  tonnerre,  tête  fulgurante  :  elle  est 
célèbre  depuis  les  temps  les  plus  reculés:  on  la  rencontre  à  chaque 
page  de  l'histoire.  Ses  pics  atteignent  une  hauteur  de  2300  mètres. 
Située  au  nord  du  Fleuve  .laune,  elle  s'étend  de  P'ou-tcheou  fou 
vers  Test,  jusqu'à  la  grande  chaîne  T'ai-hang-chan,  à  travers  les 
sous-préfectures  Joei-tch'eng  fâ  £$,  P'ing-lou^p-  $£,  Ngun-i  %  ^ 
et  Hia  hien  J[  J|£.  Parcourant  ainsi  plusieurs  centaines  de  li,  elle 
porte  différents  noms:  tels  que  Cheou-yang^  $§,  Eul-chan  |$iTj  Jj . 
Ti-tchou  fj£  fâ,  Wang-ou  3E  ||  cic-  ctc-  (Grande  gèogr.,  vol. 
il,  p.  36) 

C'est  au  pied  de  cette  montagne  que  le  fameux  Tch'eng-t'ang 
jj£  ^  vainquit  le  tyrannique  empereur  Kiê  êjjjjt,  en  l'année  1767 
avant  Jésus-Christ.  C'est  encore  au  pied  de  cette  montagne  que  péri- 
rent de  faim  les  deux  sages  Pè-i  fg  ]fè  et  Chou-ts'i  $£  ^,  deux 
patriotes  qui  refusèrent  de  manger  le  riz  de  la  dynastie  Tcheou  ^§, 
après  l'extinction  de  la  dynastie  Chang  "j*j. 

Il  y  a  trois  défilés  principaux  :  celui  de  Fen-yun-ling  7fr  $k  $g. 
c  est-à-dire  dont  les  pics  divisent  les  nues  ;  celui  de  T'ien-lchou- 
fong  5^tÈ^£,  dont  les  pics  sont  les  colonnes  du  ciel;  celui  de 
Pé-hing-ling  Q  $L  $j,  qui  conduit  au  fameux  gué  du  Fleuve  .Jaune 
appelé  Ta-yang-tsin  j^  p§  %$,  à  3  li  nord-ouest  de  Chen  tcheou 
,$*  Jfl,  dans  le  IJo-nan  jpj  "$).  (Petite  gèogr,,  vol.  12  p.  6'i) 

Il  v  a  aussi  des  cavernes  célèbres,  comme  celle  de  Tao- 
hoa  $b  }£,  ce,,c  de  Yuen-niU  j£  £  et  d'autres.  (Grande  gèogr.. 
"Ol.  41,  /).  20);  des  sources  remarquables,  telle  que  Kou-heou 
fè  D  et  Te'ang-long  $  lli  il  ',r>  ''  sud-est  de  P'ou-tcheou  fou  : 
des  cascades  splendides,  comme  celle  de  Tao-pou-choei  jfèfc,  rfj  tJc. 
qui    vient  dn   pic  T'ien-tchou-IVmg,   forme  une  chute  de  cent     pieds 


GEOGRAPHIE   M»    ROYAUME   DE   TSIN.  5 

puis  s'en  va  dans  la  vallée  de  Wang-kong-kou  ]£  ^  ^,  à  70  li 
sud-est  de  Lin-tain  hien  $*  ^  jg£.  un  des  endroits  les  plus 
beaux  du  pays,  (ibid,  p.  23). 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  cette  chaîne  s  appelle  encore 
Ti-tchou  J|£  ;££,  colonne  de  l'abîme,  ou  San-men-chan  .-•  P^  ||[. 
montagne  des  trois  portes  ;  c'est  qu'à  50  li  sud-est  de  T'ing-lou  hien 
3*  1^  JH<  'e  Fleuve  .Jaune  la  traverse  par  trois  brèches,  pratiquées, 
dit-on,  par  le  grand  empereur  Yu  ^  4£,  ;  c'est  pourquoi  cet  en- 
droit est  réputé  sacro-saint  par  les  lettrés  chinois,  (ibid  vol.  39, 
p.  7  —  vol.  46,  p.  15). 

2°  Heng-chan  ^  (Jj  ou  Tchang-chan  ^  Jj,  la  montagne  é- 
ternelle,  se  trouve  à  vingt  li  au  sud  de  Hoen-yuen-tcheou  $4  \W 
^r],qui  est  à  130  li  sud-est  de  sa  préfecture  Ta-Vong  fou  Ji\p\fâ  : 
elle  s'étend  à  l'est  jusqu'au  nord-ouest  de  Ting  tcheou  fé  fi\  dans 
le  Tche-li.  sur  une  longueur  de  450  li.  C'était  une  des  cinq 
montagnes  sacrées  de  la  Chine,  sur  lesquelles  l'empereur  seul 
pouvait  offrir  des  sacrifices,  par  lui-même,  ou  par  ses  délégués 
sans  doute,  car  elles  étaient  aux  quatre  points  cardinaux  et  au 
centre  de  tout  l'empire.  Celle-ci,  située  au  nord,  s'appelait  pour 
cela  Pé-yo  4b  $r  '■>  e^e  ^ut  visitée  par  le  «  saint»  empereur  Chuen 
££,  dans  son  inspection  générale  de  toutes  les  provinces.  (Grande 
géogr.,  vol.  10,  p.  7.  —  vol.  39,  p.  1). 

Son  pic  le  plus  haut  s'appelle  T'ien-fong-ling  ^^^,  cime 
du  ciel;  on  dit  qu'il  a  trente  neuf  mille  pieds,  et  qu'au  sommet 
il  y  a  un  plateau  de  trois  mille  li  en  carré;  ceux  qui  l'affirment 
ne  sont  pas  allés  y  voir,  sans  doute!  On  ajoute  une  source  sans 
pareille,  appelée  Ta-yuen-ts'iueu  ^C  tc  ^.  En  tout  cas.  au  pied 
de  ce  pic  se  trouve  la  pagode  qui  lui  est  consacrée,  et  qui  s'ap- 
pelle Pé-yo-koan  fc  g-  ffg.  Devant  elle  il  y  a  une  grande  ouver- 
ture, par  laquelle  s'échappe  un  courant  d'air,  avec  des  sons  ter- 
ribles, comme  le  rugissement  du  tigre:  ce  qui  lui  a  valu  le  nom 
de  Hou-fong-k'eou. 

Cette  montagne  porte  encore  d'antres  noms,  d'après 
ses  pics  les  plus  remarquables  : 

;i  —  Lan-tai-fou  f  |||.    résidence  ou  plateau  des  orchidées. 

b  =  Liè-niu-kong  ^lj  -fc  'gf .  palais  des  femmes  vertueuses. 

<•  —  Hoa-yâng-tai  |j|  (^  g,  terrasse  fleurie. 

d  =  Tse-xvei-kong  $?  ^  72,'.  palais  des  plantes  tse-wei  (plantes 
fameuses),  palais  du  conseil  royal. 

*"  =  T'ai-i-kong  ^  £  ^.  palais  de  la  grande  unité. 

f  =  T'ai-meou-chan   ^C  ^  [i|.  montagne  ombreuse. 

£=  Ou-siu-tai  lfl£  fa  3g.  terrasse  du  sage  Ou-siu,  ancêtre  des 
rois  de  Tchao  j|g.  Ce  grand  ministre,  appelé  encore  Siang-tse  }g 
^f,  aimait  à  se  reposer  sur  ce  pic.  d'où  il  apercevait  le  pays  de 
7"ai  f\£  et  la  mer  orientale,  dit-on.  Se-ma  Ts'ien  îs}  B§  }|§  racon- 
te la  légende  suivante  :   Tchao  Kien-tw  @  ^  -?  annonça  un  jour 


6  INTRODUCTION. 

à  ses  fils  qu'il  avait  caché  un  trésor  une  tablette  précieuse?)  sur 
la  montagne  Tchang-chan  :  tous  se  mirent  à  sa  recherche,  mais 
en  vain:  seul,  Ou-siu  se  vanta  de  l'avoir  trouvé;  son  père  lui  de- 
manda de  le  lui  montrer;  il  répondit  :  de  Tchang-chan,  le  chemin 
conduit  vers  le  nord, au  pays  de  Tai.qui  par  là  est  facile  à  prendre! 

De  tous  temps  on  a  attaché  une  grande  importance  à  cette 
montagne;  on  a  livré  bien  des  batailles  à  ses  pieds;  elle  est  éga- 
lement célèbre  pour  ses  beautés  naturelles.  A  l'est,  par  la  monta- 
gne de  Lang-chan  Jfj|  [[},  elle  se  rattache  à  la  grande  chaîne  T'ai- 
hang. 

Un  de  ses  plus  fameux  défilés  esi  celui  que  l'on  appelle  Fet- 
hou-k'eou  ^  .$&  D»  bouche  du  renard  volant;  c'est  celui-là  qui 
conduisait  au  pays  de  Tai  fÇ.  Quant  à  celui  de  Tao-ma-hoan  f£j 
M|  Hi'  ou  Tcié~men  ^  f*^  'porte  de  fer  ou  T'ien-men  ^  P^  porte 
du  ciel),  il  se  trouve  dans  la  province  du  Tche-li. 

:j°  Houu-chan  'fë  \\\,  ou  T'ai-yo  -^  fâ,  ou  Houo-fai-chan 
fË  ~fc  lil>  est  à  3®  1'  sud-est  de  Houo  tcheou  ;g  j$\,  à  Test  du 
fleuve  Fen  :$f;  on  dit  qu'elle  renferme  dans  son  sein  des  pierres 
précieuses  et  du  jade;  elle  est  mentionnée  dans  les  plus  anciens 
livres  de  la  Chine.  Fei-lien  5j§  ^{j,  ministre  du  mauvais  empereur 
Tcheou  ^J"  était  absent,  quand  ce  tyran  fut  détrôné;  il  était  en 
ambassade  auprès  des  princes  septentrionaux  ;  quand  il  revint,  il 
n'avait  plus  à  qui  rendre  compte  de  sa  mission;  il  s'en  alla  sur 
cette  montagne,  y  éleva  un  tertre  en  forme  d'autel,  et  y  offrit  des 
sacrifices,  pour  annoncer  son  retour  aux  mânes  de  l'empereur. 

Le  pic  le  plus  élevé  se  trouve  à  l'est  de  Houo  tcheou,  et  s'ap- 
pelle Koan-toei  |Ê|  jjê,  on  dit  qu'il  a  un  li  de  haut,  et  dix  li  de 
circonférence.  C'est  là  que  Tchao-siang-tse  Jff  ij|  -p  (Ou-siu\ 
dont  nous  venons  de  parler,  offrit  des  sacrifices,  avant  d'entre- 
prendre l'anéantissement  de  la  grande  famille  Tche  ^.  On  s'est 
aussi  beaucoup  battu  au  pied  de  cette  montagne  ;  car  les  chemins 
y  sont  difficiles,  les  ravins  nombreux;  montagnes  et  fleuves  con- 
courent à  fortifier  cette  région  si  importante. 

Dix  li  à  l'est  de  Houo  tcheou,  se  trouve  un  passage  très 
célèbre,  appelé  Ts'ien-li-hing  =p  jg_  @,  sentier  de  mille  li,  qui, 
vers  le  nord,  conduit  à  Fen-lcheou  fou  $•  j§  ]fô  et  à  T'ai-yuen  fou 
3&J^  M •  ^  cette  montagne,  se  rattache  celle  de  Mien-chan  $fa  ^  et 
celle  de  Kiai-chan  ft  \[\  ;  formant  ainsi  une  chaîne  continue  jus- 
qu'à T'ai-yuen  fou.  A  trente  li  au  nord-est  de  Houo  tcheou,  se 
trouve  le  haut  plateau  Ki-si-yuen  ^  fjflj  J^,  où  l'on  s'est  livré 
fréquemment  des  batailles,  dans  les  nombreuses  révolutions  de  la 
Chine. 

Parmi  les  défilés,  les  plus  dangereux  sont  les  suivants: 
1°  Kao-pi-ling   fâ  g|  $J.  à   25   li    sud-est    dé  Ling-che  hien  îjg 
Ifo  $£,  qui  est  à  100  li  au  nord  de  Houo  tcheou. 

2°    Ts'in-yxang-ling  §|é  ]£  |g,  ou  colline  du  roi   de   Ts'in  ;  il  est 
un  peu  plus  au  sud-est  que  le  précédent. 


GEOGRAPHIE   DV    ROYAUME  DE   TSIN.  7 

3°  In-li-koan  fë  iÊ  BU  à  120  li  sud-ouest  de  Ling-che  hien. 

4°  Nan-pé-koan  fô  ;|fc  §fjj  barrière  du  nord  au  sud,    est  à  80   li 
à  Test  de  la  même  ville  Ling-che. 

5°  Fen-choei-koan    ft   7j<   §}§,    barrière   de   la   rivière    Fen,    est 
au  sud-ouest  de  la  même  ville. 

Cette  chaîne  de  montagnes  atteint  2100  à  2400  mètres  (Petite 
gêogr.,  vol.  8,  p.  40)  —  (Grande,  vol.  39,  p.  8.  —  vol.  41  p.  47) 
4°  Keou-tchou  £j  ^J,  ou  Si-hing-chan  Hf  JJ?£,  ou  Fen-meu 
Ffjï  |Jlj,  est  à  35  li  nord-ouest  de  Tai  tcheou  \^  >}\\,  pays  célèbre 
depuis  les  temps  reculés  pour  ses  chevaux,  réputés  les  meilleurs 
de  toute  la  Chine  ;  pays  montagneux  plein  de  gorges  dangereuses; 
où  les  diverses  chaînes  s'entrecrochent,  d'où  le  nom  Keou  fi)  ; 
où  les  torrents  se  déversent  de  tous  côtés,  d'où  le  nom  Keou- 
tchou  £J  •££.  — 

La  ville  de  Tai  tcheou  f\£  ^"J  n'aurait  pas  besoin  de  murail- 
les, elle  est  assez  bien  fortifiée  sans  cela:  la  montagne  Keou-tchou 
est  à  35  li  nord-ouest  ;  celle  de  Yeri-men  est  à  35  li  au  nord  : 
celle  de  Kia-ou-chan  ]p[  jg.  \\\  ^1)  est  à  30  li  nord-est;  c'est  au 
nord  de  cette  montagne  que  Tehao-siang-lse  Jff  Jgç  ^f  iOu-siu 
^ffi'tÉJ  dans  un  guet-à-pens,  massacra  le  prince  de  Tai  {!£,  et  s'em- 
para de  son  pays;  enfin,  celle  de  Fong-hoang-chan  J^  jfi),  Jj  est 
à  30  li  au  sud,  remarquable  par  sa  hauteur,  sa  beauté. ses  cavernes, 
ses  ravins. 

Cette  chaîne  est  appelée  vulgairement  Man-t'eou-chan  §i§  JJÎf 
iJj,  parce  qu'elle  ressemble  vaguement  à  un  pain;  on  la  nomme 
encore  la  montagne  septentrionale  des  boisseaux,  Pé-teou-chan 
4fc  -r*  lil"  parce  qu'il  y  a  sept  pics  principaux  ressemblant  an 
peu  à  des  boisseaux;  au  pied,  se  trouve  le  lac Pé-long-lch 'e  ÉJ  || 
fjjj  on  du  dragon  blanc. 

Les  principaux  défilés  sont:  Yen-men-hoan  Jjj^  \n]  [pj,  à  15 
li  au  nord  de  Tai  tcheou,  et  T'ai-houo-ling  -Jfc  vffl  Ht'  à  25  li 
nord-ouest  de  la  même  ville  ;  une  garnison  garde  ce  passage  si 
important.  (Petite  géogr.,  roi.  8,  p.  37)  —  (Grande,  roi.  39,  p. 
9,  —  vol.  40  p.  41).  ' 

5°  Ou-tai-chan  3£  ^  llL  au  sud-est  de  Tai  tcheou,  se  dirige 
vers  le  nord,  où,  après  un  parcours  de  500  li,  elle  se  rattache  aux 
montagnes  de  Wei-lcheo u  Jjjf  j]].  Elle  a  5  pics  extrêmement  raides. 
et  dépassant  les  nues  ;  il  n'y  a  point  d'arbres,  mais  des  amas  de 
rochers,  ressemblant  à  des  terrasses,  des  estrades, des  autels:  d'où 
le  nom  de  montagne  aux  cinq  terrasses. 

Le  pic  du  milieu  a,  dit-on,  40  li  de  haut;  son  sommet  est 
un  plateau  de  6  li  de  circonférence  ;  au  nord-ouest  se  trouve  le 
lac  T'ai-hoa-tch'e  -jfc,  i§t  }&• 

Le  pic  oriental  a  28  li  de  haut  ;  son  sommet,  3  li  de  circon- 
férence ;  à  l'est,  se  trouve  une  caverne  célèbre;  de  tous  côtés  il  y 
a  des  lacs. 

(1)   On  écrit  au>>i  ^  ^  il],  1»  prononciation  ?st  la  même 


8  INTRODUCTION. 

Le  pic  occidental  a  35  li  de  haut;  son  sommet,  deux  li  de 
tour;  de  plusieurs  côtés  il  y  a  aussi  des  lacs. 

Le  pic  méridional  a  30  li  de  haut  ;  deux  li  de  tour  à  son 
sommet;  à  15  li  au  nord-ouest,  se  trouve  la  gorge  Ts'ing-liang- 
ling  fpf  jljf  ^  avec  une  belle  source  du  même  nom  ;  il  y  a  aussi  un 
kiosque  appelé  Siné-lang-ling  Ç  jj|  |||,  ou  aux  ondes  glaciales; 
il  est  plus  vulgairement  nommé  Ts'i-li-t'ing  ^^^i,  c'est-à-dire 
situé  à  7  li  du  pic.  Le  défilé  est  à  100  li  nord-est  de  la  ville 
Ou-tai  hien  3l  ill  JH  :  P^us  loin  encore,  vers  Test,  se  trouve  le 
défilé  Tchou-lin-ling  Yî  $fc  Ht-  à  ^a  forêt  de  bambous;  plus  loin 
enfin,  vers  le  sud-est,  se  trouve  le  défilé  Nan-tai-ling  ^  j|  ||f. 

Le  pic  septentrional  a  30  li  de  haut  et  3  li  de  tour  au  sommet  ; 
il  se  nomme  encore  I-teou-fong  fâ  i|*  ^;  il  a  de  nombreux  lacs, 
qui.  pour  la  plupart,  déversent  leurs  eaux  dans  la  rivière  Hou-t'ouo 
W  {£•  —  (Petite  géogr.,  vol.  S,  p.  38J  —  {Grande,  vol.  39.  p.  12 
—  vol.  40,  p.  43;. 

Quant  à  ces  hauteurs,  inconnues  des  géographes  européens, 
elles  ne  doivent  pas  s'entendre  d'une  mesure  en  ligne  verticale, 
mais  d'un  chemin  à  détours  et  circuits,  allant  jusqu'au  sommet. 

Il  y  aurait  encore  bien  d'autres  montagnes,  lacs,  défilés, 
cavernes,  etc.  à  signaler  au  lecteur:  mais,  cela  nous  entraînerait 
trop  loin. 

Fleuves  du  <  haï  1 -si  : 

1°  Le  fleuve  Fen-choei  ffî  y}(  a  sa  source  dans  la  montagne 
Koan-tch'en-chan  ^  pjl  jjj  1),  à  140  li  au  nord  de  Tsing-lo  hien 
]H  ^|  |g,  qui  est  à  180  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  Hing  teheou  fjp 
fl\,  à  220  li  nord-ouest  de  la  capitale  Teai-yuen  fou  -fc  fâ  ffô  ; 
cette  source  est  célèbre;  elle  s'appelle  Long-yen-ts'iuen  f|  |jj£  ^. 
c'est-à-dire  aux  yeux  de  dragon;  non  loin  de  là,  Mir  le  même 
versant  septentrional,  se  trouve  le  lac  T'ien-tch'e  ^  ^{j  ;  il  a  en- 
viron un  li  de  large  ;  il  est  situé  sur  un  plateau  ;  il  est  toujours 
plein,  et  son  eau  est  extrêmement  limpide;  les  gens  du  pays  l'ap- 
pellent encore  K'i-lien-pè  jjjfj  ^  }Q  remplaçant  le  mot  t'ien  J^  par 
l'expression  K'i-lien  fft  3^.  qui,  pour  eux.  a  le  même  sens.  A  l'est 
de  ce  lac,  il  y  en  a  un  autre  plus  petit,  dont  l'eau  est  aussi  pure 
que  du  cristal;  on  dit  d'ailleurs  qu'ils  communiquent  entre  eu\  : 
un  prétend  même  que  le  T'ien-tch'e  communique  sous  terre  avec 
le  fleuve  Sang-kien  .JJ*  ££.  dont  il  serait  la  source  supérieure. 

Dans  ce  pays,  si  beau,  si  pittoresque,  de  tous  temps  on  est 
allé  faire  des  excursions,  chasser,  jouir  de  la  vie  solitaire.  De 
fameux  lettrés  s'y  sont  retirés,  pour  vaquer  à  leurs  études;  entre 
autres,  le  célèbre  Lieou-yuen  $\\  ffl.  Bien  des  batailles  ont  eu- 
livrées  dans  ces  lieux  pleins  de  ravins  et  faciles  à  défendre. 


(1)   Cette  montagne,  dont  le  centre  seul  esl  très  élevé,    s'appelle    aussi    Yen- 
king-chnn  jft  Ja   il]  et  Lin-ki-chmi  #t  g?  |Jj , 


GÉOGRAPHIE  DU   ROYAUME   DE  TSIN.  9 

La  direction  générale  du  fleuve  est  du  nord  au  sud  et  sud- 
ouest;  son  parcours  n'atteint  pas  moins  de  1340  li  avant  de  se 
joindre  au  Fleuve  .Jaune  (ou  Hoang-ho  H  jpj)  ;  de  nombreuses  et  gran- 
des villes  se  sont  établies  sur  les  bords  de  cette  artère  vivifiante 
de  la  province.  (Petite  géogr.  vol.  7,  p.  4 —  vol.  39,  p.  14 — vol. 
8,  p.  SI)  —  (Grande,  vol.  40,  p.  2b). 

2°  Le  fleuve  Ts'in  fâ  est  un  torrent  furibond;  en  hiver,  il  a 
à  peine  un  pied  d'eau  ;  mais  dès  que  les  pluies  commencent,  il 
prend  des  proportions  gigantesques,  déborde  de  tous  côtés,  renverse- 
tout  sur  son  passage,  et  cause  des  ravages  épouvantables;  tous  les 
moyens  imaginés  pour  l'endiguer  ont  échoué  dans  la  partie  mon- 
tagneuse de  son  cours;  on  a  été  plus  heureux  dans  les  plaines 
du  Ho-nan  fpj  p^j,  qu'il  traverse,  après  s'être  ouvert  un  passage 
dans  la  grande  chaîne  T'ai-hang-chan  -fc  ^f  [Jj.  C'est  cet  affluent 
qui  contribue  le  plus  à  ensabler  le  lit  du  Fleuve  Jaune.  Il  a  deux 
sources  principales  :  l'une  sort  de  la  vallée  Tong-kou  Jjji^j',  à  l'est 
de  la  montagne  Mien-chan  ^  \{\  (ou  Kiai-chan  fr  [jj),  située  à 
100  li  au  nord  de  Ts'in-yuen  kien  f,[\  jjfc  j|£,  l'autre  vient  de  la 
montagne  K'in-ts'iuen-chan  ^^.  li|,  60  li  à  l'est  de  la  même 
ville.  La  direction  générale  du  torrent  est  vers  le  sud  et  sud-est. 
Ts'in-yuen  est  sur  sa  rive  occidentale,  tandis  que  Ts'in  tcheou  j,|\ 
j\\  est  sur  la  rive  orientale  du  fleuve  Tchang  $f£,  dont  nous  allons 
parler;  il  ne  faut  pas  oublier  ce  détail  (1). 

Non  loin  des  sources  du  torrent,  c'est-à-dire  à  80  li  à  l'ouest 
de  Ts'in-yuen,  se  trouve  une  gorge  dangereuse,  nommée  Mien- 
chanq-hoan  £$  _fc  gj§.  (Petite  géogr.,  vol.  8,  p.  32) —  (Grande,  vol. 
39,  p.  15  — roi.  43,  p.  M). 

3°  Le  fleuve  Tchang-ho  ^  fpT ,  dont  le  cours  inférieur  se 
trouve  dans  la  province  duTche-li,  a  ses  sources  supérieures  dans  le 
Chan-si;  il  a  deux  branches  principales: 

a  =  La  rivière  Tchouo-tchang  $g  £ft,  c'est-à-dire  la  Tchang  à 
eau  trouble;  elle  a  sa  source  dans  la  montagne  Fa-kieou-chan  |* 
#J|  lij  :  celle-ci  est  située  à  50  li  au  sud  de  Tchang-lse  liien  ^ 
~F"  il?.,  tj^i i  est  ;i  .">()  li  sud-ouest  de  sa  prélecture  Lou-ngan  fou 
î!$  %C  Hf-  Cette  rivière  passe  à  5  li  au  sud  de  Tchang-tse  bien, 
se  dirige  vers  le  nord,  passe  au  sud  de  Siang-yuen  liien  ^ligli, 
tourne  au  sud-est,  par  le  territoire  de  Li-tch'eng  hien  §g  ^  Jggi 
va  dans  la  province  du  Ho-nan  se  joindre  à  l'autre  branche,  à 
l'ouest  de  Lin-lchang  hien  p^ïfÊ  J$jj,  dans  la  préfecture  de  Tchang- 
tè  fou  ^  ^|  /f?f.  (Grande  géogr.,  vol.  12,  p.  10 — vol.  10,  p.  \7). 

b  =  La  rivière  Ts'ing-tchang  ffi  f^,  la  Tchang  à  eau  pure, 
vient  de  la  montagne  Tien-ling  ^  ^|,  à  20  li  sud-ouest  de 
P'ing-ting  tcheou  2p.  ^  ^,qui  est  à  280  li  à  l'est  de  la  capitale 
T'ai-yuen  fou  z&Z  ffî.  fâ-  Cette   montagne  fait  partie   de  la  chaîne 


1)   Le  fleuve  Ts'in  a,  pour  le  moins,  H70  li  de  loncr. 


10  INTRODUCTION. 

appelée  Chao-chan  '\?  \\\  ou  Tien-chan  $j  \\} ,  ou  encore  Lou- 
hou-ehan  Jg  ^  lil ,  qui  a,  dit-on.  huit  mille  pieds  de  haut  (1). 
La  rivière  sort  de  la  vallée  Ta-koei-kou  ^  f|  ^,  se  dirige  vers 
le  sud,  puis  va  au  sud-est  de  Liao  tcheou  }g  jfi,  se  rend  dans  le 
territoire  de  Li-tch'eng  hien  ^  jfâ  j|£,  de  là  passe  au  sud  de  Che 
h*en  ffi  Ji£  dans  la  préfecture  de  Tchang-té  fou  i|£  |§  Jft,  province 
du  Ho-nan  ;  elle  entre  ensuite  dans  la  province  du  Tche-li,  passe 
à  '20  li  au  sud  de  Tse-tcheou  (j$,  $\.  dans  la  préfecture  de  Koang- 
p'ing  fou  J|  ^  j£f.  rentre  dans  le  Ho-nan  où  elle  se  réunit  à  l'autre 
branche,  à  l'ouest  de  Lin-tchang-  hien,  comme  il  est  dit  plus  haut 
(Petite  gèogr., vol.  8.  pp.  15  et  35)  —  (Grande,  vol.  40,  p.  34). 

Le  cours  inférieur,  dans  le  Tche-li.  est  très-capricieux,  et 
change  même  souvent  de  lit,  comme  de  nom;  il  traverse  le  terri- 
toire de  P'ing-hiang  hien  ^  Jj£p  j§£,  dans  la  préfecture  de  Choen- 
té  fou  JH  ^  /jrf.  va  au  nord-ouest  de  Ki  tcheou  H  ]ft\,  continue 
vers  le  nord-est,  par  la  préfecture  de  Ho-kien  fou  fàj  f$  $f,  se 
réunit  au  fleuve  Hou-t'ouo  fM  •<£,  au  sud  de  Kiao-ho  hien  ?£  }pT  ^  ; 
dès  lors  on  l'appelle  Heng  fëj,  ou  Kou-hiang  jfâ  }<&  ou  Hou-lou 
V$- M.  ou  encore  Tchang-lou  -F|  ||.  (Petite  gèogr.,  vol.  2,  p.  51  — 
roi.  12  p.   18;. 

4°  Le  fleuve  Hou-t'ouo  \[$.  f£  a  ses  trois  sources  dans  la  mon- 
tagne T'ai-hi-chan  -fc  j^  [Ij,  située  à  120  H  nord-est  de  Fan-ehe 
hien  %  (^  $£.  qui  est  à  70  li  à  l'est  de  Taî  /cheou  f£  >}\\.  Cette 
montagne  s'appelle  encore  Ou- fou- c h  an  ]j£  ^  |Xf ,  C/ie-/bu-chan  J£ 
3£  y^,  Chou-fou-chan  fâ  *£  |Jj,  enfin  Siao-kou-chan  >J>  $&  jjj,  par 
opposition  à  une  autre,  nommée  Ta-kou-chan  ^ç  JR  llj .  située  à 
ôO  li  nord-ouest  de  Fan-che  hien. 

Après  un  cours  de  trois  li,  d'autres  sources  et  rivières  assez 
nombreuses  lui  apportent  le  tribut  de  leurs  eaux,  et  forment  une 
masse  considérable.  Celle-ci  passe  au  sud-est  de  Tai-tcheou,  puis 
au  sud-est  de  Kouo  hien  Jjjf;  !§£.  où,  avec  les  montagnes,  elle  forme 
un  défilé  dangereux  ;  ensuite  elle  passe  à  50  li  au  nord  de 
//m  tcheo>i  fjf-  >)\].  à  .°>5  li  sud-ouest  de  Ou-tai  hien  31  8b  §£.  ;i 
"0  li  au  nord  de  Yu  hien  j^Hf-,  puis  traverse  la  grande  muraille, 
entre  dans  la  province  du  Tche-li,  se  réunit  au  fleuve  Wei  $j  - 
forme  avec  lui  le  Canal  Impérial,  enfin  se  rend  à  la  Mer  Jaune 
par  T'ien-tsin  fou  ^  %$  }{$. 

Son  parcours  n'a  pas  moins  de  1370  li  ;  il  est  déjà  mention- 
né dans  les  anciens  livres  chinois,  et  se  retrouve  souvent  dans 
l'histoire  des  révolutions,  à  cause  des  batailles  qui  ont  été  livrées 
sur  ses  bords.  (Petite  gèogr.,  vol.  1,  p.  3  — vol.  2,  p.  33  —  col. 
8,  pp.  35  et  38;  —  (Grande,  vol.    10,  p.    13  —  vol.    10,  p.    i.">j. 

■")"  Le  fleuve  Snng-kien  ^|  |£  a  ses  sources  dans  la  montagne 
Hong-tao-ehan  $ù  ^  ^\   ou  Lei-terou-chan  ïH'jjjf  \\],    située  à  50 

1      Elle  se  rattache  à  la  grande  chaîne  Heng-chan  fg  flj 
2)  A  50  li  à  l'est  de  Kiao-ho  hien  #*  ffl  gf . 


LES   SALINES   DU    CHAN-SI. 


11 


li  à  l'ouest  de  Cho-tcheou  jj$j  >}ft,  qui  est  à  240  li  au  sud  de  sa 
préfecture  Cho-p'ing  fou  fj\  3p  Jff,  au  nord  du  Chan-si.  Dans  ces 
parages  montagneux,  de  nombreuses  rivières  se  joignent  à  lui,  et 
forment  un  grand  fleuve.  11  se  dirige  vers  le  nord-est,  passe  au 
nord  de  Hoen-yuen  ^  $&,  puis  au  nord  de  Wei-tcheou  £$  j\\, 
dans  la  province  du  Tche-li,  après  avoir  reçu  le  fleuve  Yaiïig  "^  fpf; 
depuis  la  préfecture  de  Pao-ngan  fou  fâ  $£  fô.  son  cours  se  diri- 
ge vers  le  sud-est,  passe  au  sud-ouest  de  Pé-king  ^  M<  Pu^s  à 
T'ien-tsinfou  3<i'fftffô  et  va  à  la  mer.  Son  parcours  n'a  pas  moins 
de  1100  li.  (Petite  géogr.,  vol.  1,  p.  2  —  vol.  2,  p.  ol ) — (Grande, 
vol.  10,  pp.  11,  12). 

G0  Le  Fleuve  Jaune  ou  Hoang-ho  jiï  ;pj  demanderait  une  mo- 
nographie à  part,  vu  son  importance;  mais  elle  ne  peut  trouver 
sa  place  ici,  où  nous  ne  donnons  que  des  indications  sommaires, 
pour  l'intelligence  de  cette  histoire.  D'ailleurs, ce  fleuve  est  connu 
de  tout  le  monde;  qui  n'a  entendu  raconter  les  inondations,  par- 
fois épouvantables,  qu'il  renouvelle  presque  chaque  année?  qui  ne 
sait  qu'autrefois  il  se  jetait  à  la  mer,  au  nord  de  la  province  du 
Kiang-sou  f£  ^  ;  et  maintenant  au  nord  du  Ckan-long  |Jj  M^  V1*- 
donc,  au  premier  coup  d'œil  jeté  sur  la  carte,  n'a  pas  admiré  les 
étonnants  changements  de  direction  de  son  parcours? 


Les  salines  du  Chan-si  .  |lj  Hf  II!  ï8ï 

1°  A  3  li  à  l'est  de  Hiai  tcheou  ffî.  ^>n,  et  20  li  au  sud-ouest 
de  Ngan-i  ^  g|,  se  trouve  une  saline  considérable;  des  auteurs 
la  divisent  en  deux,  appelant  l'une  orientale  et  l'autre  occidentale; 
peu  importe.  Elles  ont  été  exploitées  depuis  les  temps  les  plus 
reculés,  car  les  ((Saints  empereurs»  Yaoî&  et  Choen  ^.  avaient  leur 
capitale  à  Ngan-i;  et  l'histoire  raconte  que Mou-ti  %^'fÇî  (1001-947), 
de  la  dynastie  Tcheou  ^J ,  les  visita  en  personne.  En  l'année  584, 
on  en  parle  encore,  et  on  les  compte  parmi  les  trésors  du  pays. 

De  l'est  à  l'ouest,  elles  ont  une  longueur  de  70  li  ;  du  nord 
au  sud,  une  largeur  de  7  li;  leur  circonférence  est  de  114  li. 
L'eau  n'a  pas  de  courant  ;  sa  couleur  est  d'un  rouge  foncé  [violet 
même,  dit  le  texte,  qui  emploie  le  caractère  tse  ^  :  l'évaporation 
se  fait  d'elle-même,  et  forme  des  couches  de  sel  ;  on  n'a  que  la 
peine  de  les  recueillir;  si  le  matin  on  a  tout  ramassé,  le  soir  il 
y  en  a  une  nouvelle  provision.  Il  en  est  ainsi,  depuis  des  siècles 
nombreux,  sans  qu'on  voie  jamais  quelque  diminution.  (Petite 
géogr.,  vol.  7,  p.  5 — vol.  8,  p.  4 \)  —  (Grande,  vol.  39,  ]).  1Q). 

Une  petite  pluie  ne  fait  que  bonifier  le  sel;  de  grandes  pluies 
font  sortir  le  lac  de  ses  limites  ordinaires,  et  la  salure  est  notable- 
ment diminuée  pour  quelque  temps.   C'est  pourquoi  les  magistrats 


12  INTRODUCTION. 

et  le  peuple  font  tous  leurs  efforts  pour  empêcher  l'eau  des  mon- 
tagnes de  se  déverser  dans  ce  lac.  Celui-ci  a  varié  et  varie  encore 
en  étendue  et  en  profondeur.  Les  auteurs  disent,  et  c'est  assez 
probable  que  ces  salines  sont  une  ancienne  mer  desséchée. 

Celui  qui  désirerait  plus  de  détails, les  trouverait  dans  la  Gran- 
de géographie,  vol.  39,  p.  20;  on  y  donne  aussi  le  titre  d'une 
monographie  sur  ces  salines;  c'est  l'ouvrage  Yen-tch'e  lou-chouo 
M  ttii  Hl  Wt  '■  mais  Je  ri" ai  pu  encore  me  le  procurer. 

2°  A  15  li  nord-ouest  de  Hiai  tcheou,  se  trouve  un  autre  lac 
salé,  appelé  Niu  Yen-tch'e  -£ç  i||  fijj.  saline  de  la  vierge"?  .  ou 
simplement  Siao-tch'e  ifâ  •ftjj  efflorescence  saline  .  A  vrai  dire, 
cest  plutôt  une  réunion  de  six  lagunes,  dont  la  salure  n'est  pas  la 
même  pour  toutes,  et  est,  en  général,  inférieure  à  celle  des  salines 
précédentes.  De  l'est  à  l'ouest,  ce  lac  a  une  longueur  de  25  li  ; 
du  nord  au  sud.  une  largeur  de  20  li  :  au  sud-ouest,  il  en  sort  la 
petite  rivière  appelée  Tsing-lin  f$  ^  et  quelques   ruisseaux. 

Un  ancien  auteur  décrit  ainsi  le  travail  des  riverains  :  A  la 
2ème  lune,  les  paysans  labourent  égalisent?  les  terres  voisines,  et 
v  introduisent  l'eau:  à  la  4;""r\  on  l'en  fait  sortir;  à  la  S-me,  on 
recueille  le  sel  qui  est  resté  déposé  ;  il  y  en  a  souvent  plus  de  cent 
millions  de  livres.  Le  peuple  a  des  noms  spéciaux  pour  chaque 
espèce  de  sel.  marquant  ainsi  sa  provenance' et  sa  qualité;  il  sait 
aussi  qu'en  temps  sec,  le  sel  se  cristallise  vite,  et  en  grande  quan- 
tité ;  en  temps  pluvieux,  la  récolte  est  maigre,  et  de  qualité  infé- 
rieure. 

Cette  eau  salée  vient  du  sud-est,  et  sort  de  la  montagne  Po- 
chan  ytf  il],  dans  la  chaîne  Tchong-tHao-chan  î\*  fi£  jjj.  dont  nous 
avons  parlé  précédemment  ;  elle  coule  ensuite  au  nord  de  la  mon- 
tagne Ou-hien-chan  M  Â  ÛS  ^  •  Par  la  vallée  Ou-hien-kou  2Ê 
Jj^^J:  elle  se  dirige  ensuite  vers  le  nord-ouest:  passe  au  sud  de 
l'ancienne  capitale  Ngan-i,  à  2  li  à  l'ouest  de  la  ville  actuelle:  se 
détourne  enfin  vers  l'ouest,  et  se  verse  dans  le  lac.  (Petite  gèogr., 
vol.  8,  p.  Il;  —  (Grande,  vol.  41.  p.  3IJ. 

3°  A  20  li  nord-est  de  Ngan-i.  se  trouve  la  saline  appelée 
Kou-tch'e  -Jj  -ftjj.  ainsi  nommée  parce  que  le  sel  est  amer,  et  de 
mauvaise  qualité. 

i"  A  20  li  au  sud  de  la  même  ville,  est  le  lac  Long-tch'e  || 
Ytjj,  ou  du  drag<m,  dont  le  sel  est  meilleur;  on  en  attribue  la  cause 
a  deux  sources  situées  dans  les  environs;  l'une,  appelée  Tan- 
Is'iuen  |^  )j£.  est  à  18  li  sud-ouest  de  Ngan-i;  l'autre,  nommée 
Yong-kin-ts'iuen  $|  ^  Jfc,  en  est  seulement  éloignée  de  15  li  :  on 
dit  que  cette  eau  bonifie  le  sel,  et  le  fait  cristalliser  plu>  vite. 
(Grande  gèogr.,  roi.  41,  p.  31^. 


1     Ou  /u'c»,  fameux  ministre  de  l'empereur  Tch*eng-tlang  JjJJ  $    1" 
s'était  retiré  dans  ce  pu}  s,  c'est  l'origine  de  ce  nom 


LES    SALINES    DU   CHAN-SI.  .  13 

La  rivière  qui,  par  ses  débordements,  cause  le  plus  de  rava- 
ges parmi  les  salines,  est  la  Sou-choei  ^  7j(,  qui  coule  au  nord 
de  Ngan-i;  elle  vient  du  nord-est;  elle  a  ses  sources  à  la  caverne 
Kan-tong  ^  -}[p],  dans  la  montagne  Hoang-ling-chan  ^  ^  IJJ ,  à 
40  li  au  sud  de  Kiang  liien  fêfc  ^  ;  elle  coule  sous  terre  environ 
cinquante  li  ;  elle  en  sort  au  sud  de  Wen-hi  hien  ^  |a  Jgji,  à  70  li 
au  sud  de  Kiang  tcheou  fâ  j\]. 

Note.  La  régie  du  sel  existe  au  moins  depuis  l'empereur  Ou- 
'*  ffÇ  ^  (140-87)  de  la  dynastie  Han  ^;  celle  du  fer,  établie  en 
même  temps,  a  cessé  depuis  des  siècles. 


14 


PREMIERS    TEMPS 
DU  ROYAUME  DE  TS1N 


-H-H- 


Les  princes  do  Tsin  |f  étaient  de  la  famille  impériale  Tcheou 
rf|  ct  du  clan  Ki  tfjfr.  Le  premier  d'entre  eux.  connu  dans  l'histoi- 
re, est  appel.'  T'ang-chou  )§*$&■■  son  père  Ou- Wang  jj£  ]£  1122- 
1116  leva,  dit-on.  que  le  ciel  lui  donnait  l'avis  suivant:  il  va 
vous  naître  un  fils;  vous  l'appellerez  Fu  J£,  et  vous  lui  attribuerez 
le  fief  de  T'ang  jjlj.  On  ajoute  que  l'enfant,  en  naissant,  avait  le 
caractère  Yu  JH  imprimé  dans  le  creux  de  la  main, nouvelle  preuve 
de  la  volonté  céleste:  il  n'y  avait  plus  lieu  d'hésiter:  le  jeune  prince 
fut  appelé  Yu  ||L  avec  le  surnom  honorifique  Tse-yu  ^  ^f.  et 
plus  tard  celui  de  Chou-yu  fâ  JÇ. 

Quant  à  la  collation  du  fief,  voici  ce  qu'on  en  raconte  :  En 
1116,  à  la  mort  de  Ou-wang,  le  pays  de  T'ang  Jf  (1)  s'insurgea  ; 
là  régnaient  les  descendants  du  «saint»  empereur  Yao  f=§  ;  ceux-ci 
regrettaient  la  dynastie  éteinte  Chang  |§£,  et  n'étaient  pas  encore 
soumis  de  cœur  à  celle  de  Tcheou  f£\ ,  qui  devait  pourtant  être  si 
glorieuse  dans  la  suite;  voyant  le  nouvel  empereur  Tcli'eng  J$£ 
âgé  seulement  de  treize  ans,  ils  espéraient  recouvrer  leur  indépen- 
dance ;  mais  Tcheou-hong  J§J  Q,  frère  de  Ou-wang,  les  mit  à  la 
raison,  leur  enleva  leur  principauté,  l'annexa  à  l'empire,  et  leur 
en  donna  une  autre,  à  savoir  celle  de  Tou  >j£    2  . 

A  quelque  temps  de  là,  le  jeune  empereur  jouait  avec  son 
frère  cadet  Yu  ;  ayant  découpé  en  forme  de  tablette  une  feuille 
d'élœococca  long-chou  j^  |||  ,  il  la  lui  remit  en  disant:  voilà!  je 
vous  fais  prince  !  Le  grand-archiviste  /  ^,  qui  se  trouvait  pré- 
sent, demanda  quel  jour  devait  avoir  lieu  la  collation  officielle  du 
fief  ainsi  accordé?  Le  jeune  empereur  répondit:  c'était  une  plaisan- 
terie !  Mais  le  grand-archiviste  lui  dit  gravement  :  l'empereur  ne 
doit  pas  plaisanter;  chacune  de  ses  paroles  est  consignée  dans  les 
archives, et  devient  une  règle  pour  les  âges  futurs;  le  grand-maître 
de  la  musique  les  inscrit  dans  son  répertoire  pour  les  chanter. 

(1)  T'ang,  sa  capitale,  était  à  1  H  au  nord  do  l'ancienne  ville  T'ui-yuen 
-fc  Jj£,  un  peu  au  nord  de  la  sous-préfecture  actuelle  T'ai-yuen  hien  >(c  fê.  ty$.  C'est 
le  grand  Yao  ££  lui-même  qui  l'avait  bâtie.  (Petite  géogr.,  ï~ol.  S, p.  s-> —  (Grande, 
vol.  i.  p.  ç). 

_     Ton,   sa   capitale,   était  à    15  li  sud-est  de  Si-ngan  fou  |Mj  -£•  Iff,  Clicn-si 
fek  S-    'Petite  gCogr.,  vol.  14,  p.  4). 


DO    ROYAUME   DE   TSIN.  1j 

Le  jeune  empereur,  pour  faire  honneur  à  sa  parole,  accorda 
à  son  frère  la  principauté  de  T'ang  ^Éf,  récemment  annexée,  d'une 
étendue  de  cent  li.cn  carré,  située  à  l'est  du  Fleuve  Jaune  Ho 
ho  tË;  fpj  et  du  fleuve  Fen-ho  ffi  fpT.  La  collation  officielle  eut  lieu 
en  1007;  depuis  lors.  Vu  fut  appelé  T'artg  Chou-yu  J^  ^  ||C. 
c'est-à-dire  Chou-yu.   prince  de  T'ang. 

Il  est  bien  probable  que  c'est  une  historiette  brodée  sur  un 
fait  réel  beaucoup  plus  simple.  En  tout  cas,  le  pays  de  T'ang  fut 
vraiment  le  noyau  autour  duquel  se  forma  le  royaume  de  Tsin  -ff. 
L'n  peu  au  sud-ouest  de  la  capitale  se  trouvait  la  rivière  Tsin  f|. 
venant  de  la  montagne  Hiuen-yong  M  Sifl.  c'est  elle  qui  donna 
son  nom  à  tout  le  pays.  Cette  appellation  commença  sous  Sié-fou 
*jj|  3£.  (ils  et  successeur  de  Chou-yu  I  ;  car  il  est  connu  dans 
l'histoire  sous  le  nom  de  Tsin-heou  ^  f^|.  c'est-à-dire  marquis 
de  Tsin    2  . 

Après  celui-ci.  régna  son  fils  et  successeur  Ning-tsou  S|£  ^. 
qui  est  plus  connu  sous  le  nom  de  Ou-heou  j|£  $|.  —  Ses  succes- 
seurs furent,  de  père  en  fils  : 

Fou-jen  fl||  J^,  ou  Tch'eng-heou  fâ  ^. 
Fou  jjig,  ou  Li-heou  ^  f^-. 

I-k'ieou  5Ë  E3>  ou  Tsing-heou  jîjjr  $|.  Celui-ci  commença  son 
règne  vers  l'an  SÔ9  avant  J.-C:  désormais  la  chronologie  est 
exacte;  nous  n'avons  qu'à  la  suivre. 

En  842,  l'empereur  Li-wang  JH  ^E  -se  conduisant  très-mal. 
fut  cause  d'un  soulèvement  général:  il  s'enfuit,  et  se  retira  à  Tche 
$fe  (3).  C'est  le  fameux  interrègne,  pendant  lequel  les  deux  illus- 
tres Ministre.-  Tchao-konj  Hg  -$*  et  Tcheou-kong  )l\  fè  eurent  toute 
la  charge  de  l'administration,  de  l'année  841  à  l'année  828  où 
mourut  Li-wang. 

En  840.  Se-t'ou  i]  f,f .  ou  Li-heou  |§  f||  i),  succéda  à  son 
père  I-k'ieou.  Son  nom  signifie  directeur  des  multitudes,  chef  de 
l'administration  intérieure:  cette  appellation  ayant  été  une  fois 
donnée  à  un  prince  régnant,   jamais  plus  elle  ne  put  être  employée 


I     l      tombeau  do  Chou-yu  est  à   15  li  sud-ouest  de  T'oi-yucn  hien  jk  M  SI- 
sur  la  montagne  Ma-ngnn  JT)  f .""  :  à   10  ti  sud-ouest  de  la  même  ville,  se  trou 
temple  appelé  Tsin-  ■    ff    ■'[.    sur  la  montagne  Hiven-i  _    \         G  ogr.,    impër 

-    p.   2  Grand  Annales  du  Cliansi  |Ii  ffi 'è 

;!ii  ÏÈ   '"'■   5°,  ï> 

Le  tombeau  do  Sié-fou  est  au  sud-est  do  r'ai-juen  hien.  (Géogr.,  impér., 
loco  citato  .  Quant  à  la  rivière  Tsin.  on  trouve  tous  les  d.-tails  désirables  dans  la 
,Jriite  géogr  .  vol.  s.  p.  3,  et  dans  la  grande,  vol.   i0.  p.   11. 

Tche  était  au  nord-est  de  Liu-tch'eng  S  t£,  3  li  à  l'ouest  do  Houa 
teheou  îfK  ffl-  Chan-si.     Grande  géogr.,  roi.  41.  p.  j: 

,     so-ma  Ts'ien  l'appella  Li  :  d'autres  auteurs  l'appellent  Hi-heom  jg  fè. 


16  PREMIERS   TEMPS. 

poui  lésigner  un  ministre  de  Tsin  (1)  ;  on  se  servit  des  expressions 
Chang-k'ing  _fc  J^l,  grand-ministre, ou  tchong-kiun  r\*  1fï,  général 
de  l'armée  du  centre.  Le  nom  se-t'ou  était  devenu  sacré:  il  ne  de- 
vait pas  être  profané  par  des  bouches  impures  et  par  un  usage 
vulgaire. 

En  822,  régnait  Tsi  f|,  ou  Hien-heou  Jj§|  $|,  fils  du  précédent. 

En  811,  c'était  Fei-cheng  f|  ^,  ou  Mou-heou  $|  $|,  fils  du 
précédent;  celui-ci  transféra  sa  capitale  à  Kiang  $j£  (2),  ville  bien 
modeste,  n'ayant  que  deux  li  de  circonférence;  ou  l'appela  l'an- 
cienne Kiang  [Kou-hiang  fr&Hï'.  pour  la  distinguer  d'une  autre, 
dont  nous  aurons  à  parler. 

En  808,  il  épousa  une  princesse  de  Ts'i  >£f,  dont  la  famille 
descend  du  fameux  héros  Kiang -V ai- kong  fg  -fcQ. 

En  805, il  fit  la  guerre  à  la  petite  principauté  de  T'iao  |$|  (3)  ; 
un  fils  lui  étant  né  à  cette  époque,  il  l'appela  Tcli'eou  ^,  ennemi, 
en  souvenir  de  cette  circonstance. 

En  80?,  il  fit  la  guerre  au  pays  de  Ts'ien-meou  ^f*  $$[.  et 
remporta  une  victoire  complète  (4);  un  second  fils  lui  étant  né 
pendant  ce  temps,  dans  la  joie  du  succès,  il  l'appela  Tch'eng-che 
J&  6P»  qui  signifie:  deviendra  maître,  croîtra  en  une  grande  mul- 
titude. 

Au  sujet  de  ces  deux  noms,  le  grand  seigneur  Che-fou  $j|î  )}J| 
fit  l'observation  suivante:  Bien  curieuse  est  la  manière  dont  notre 
prince  appelle  ses  fils  !  un  nom  procédant  du  libre  choix  des  hom- 
mes, doit  être  convenable;  car  ce  qui  se  fait  d'après  les  convenan- 
ces est  ainsi  durable,  et  peut  servir  de  règle;  or  c'est  la  règle 
qui  gouverne  le  peuple,  et  produit  une  bonne  administration  ;  alors 
on  obéit  volontiers;  une  conduite  contraire  suscitera  des  troubles. 


(1)  Pour  la  même  raison, au  pays  de  Song  ^,  le  ministre  des  travaux  publics 
s'appela  Se-tch'eng   al  t^>  ministre  des  fortifications,  non  pas   Se-kong    fï]  5)?,    par. 

e  que  ce  nom  fut  porto  par  le  prince  Ou-kong  5^  Q    (Tsouo  tchocm  'fc  \Q,  vol.  3, 
l>.    18L 

(2)  Kiang  était  à  1  ~>  li  sud-est  de  l-tch'eng  hien  M  ifà  $•  qui  est  à  130  li 
sud-est  de  sa  préfecture  P'ing-yang  foi*  :'f;-  K  H'-j  ■  Chan-si,  (Petite  géogr.,  vol.  S, 
p.    1  o)  —  (Grande,   vol.    1.  p.   o   —    vol.   41.  p.    12.). 

(3i  T'iao.  C'e>t  le  territoire  de  Ngcm  hien  £  f£.  dépendant  de  Iliai  tcheov 
$?  ^H ,  Chan-si;  à  30  li  au  sud  de  Ngan  hien,  se  trouve  la  montagne  Tchong-t'iao- 
chan  '{'  fij»  fi|,  que  nous  avons  décrite;  à  30  li  au  nord  de  la  même  ville,  est  la 
montagne  plus  petite  appelée  Ming-t'iao-kang  n^  fifc  }fâ.  (Grande  géogr.,  roi.  41 .  p..îoJ . 
(4)  Ts'ien-meou.  Ce  pays  était  au  sud  de  Kiui-hieou  hien  -fr  fa  ||  70  1' 
sud-est  de  Fen-tchenu  fou  ffî  'lii  %f ,  Chan-si.  (Grande  géogr.,  vol.  42.  p.  Si  — 
D'autres  auteurs  disent  que  ce  pays  étail  à  90  li  nord-est  de  Yo~yang  hien  0}  PU  !?4; . 
qui  est  à  110  li  nord-est  de  sa  prélecture  P'ing-yang  fou  '}'■  \%  J$F,  Chan-si.  1  Petite 
oâogr.,  vol.  .//.  p.   10). 


DU    ROYAUME   DE  TSIN.  17 

Deux  personnes  qui  s'entendent  forment  un  couple  ;  si  elles  ne 
s'entendent  pas,  elles  forment  deux  adversaires;  ainsi  nous  ensei- 
gne le  proverbe.  «Maintenant,  notre  prince  appelle  son  fils  aîné 
ennemi,  et  son  fils  cadet  maître;  cela  présage  des  malheurs!  les 
noms  sont  en  contradiction  avec  le  rang  !  Le  second  présageant 
les  succès,  conviendrait  à  l'aîné,  non  au  cadet,  qui,  de  droit,  ne 
sera  jamais  qu'un  sujet.   L'aîné  sera-t-il  donc  supplanté? 

Naturellement,  cette  prophétie  de  lettré  s'accomplira,  puis- 
qu'elle a  été  faite  après  les  événements.  Le  lecteur  doit  savoir, 
une  fois  pour  toutes,  que  ces  soi-disant  prophéties  sont  un  arti- 
fice littéraire  tout  à  fait  familier  aux  historiens;  on  le  retrouve  à 
chaque  instant;  pour  lui  donner  plus  de  poids,  on  lui  accole  un 
nom  célèbre  parmi  les  lettrés,  et  l'on  prouve  ainsi  que  les  («sages» 
lisent  dans  l'avenir  comme  dans  leurs  livres. 

En  785,  Mou-heou  étant  mort,  son  frère  Chang-chou  f%  fy 
usurpa  le  trône;  Tcli'eou  fa,  le  prince  héritier  s'enfuit;  mais,  en 
781,  il  revint  avec  une  armée,  surprit  son  oncle,  le  massacra,  et 
monta  sur  le  trône;  il  est  connu  sous  le  nom  de  Wen-heou  ^C0i- 

En  770,  l'empereur  PHng-v?ang  ^  3E  lui  fit  plusieurs  recom- 
mandations, en  lui  conférant  officiellement  la  dignité  de  marquis. 
(Zottoli,  III,  p.  513;. 

En  745,  son  tils  Pé  f^  lui  succédait,  sous  le  nom  de  Tchao- 
heou  Hg  {£•  Dès  la  lère  année  de  son  règne,  celui-ci  eut  la  faibles- 
se de  confier  à  son  oncle  Tch'eng-che  /j£  $jjj  le  fief  de  K'iu-wo  dj] 
ffî;  ce  fut  l'origine  de  grands  troubles.  11  voulait  se  concilier  cet 
homme  puissant,  dont  le  concours  lui  semblait   indispensable     1    . 

K'iu-wo  était  une  ville  plus  considérable  que  /  J|  capitale 
de'J'sin;  la  rivalité  était  inévitable.  Tch'eng-che  était  alors  âgé  de 
58  ans;  il  passait  pour  un  homme  éminent,  pratiquant  la  vertu, 
et  chéri  du  peuple;  il  prit  le  nom  de  Hoan-chou  ;jg  ^  sous  lequel 
il  est  plus  connu;  son  aide  principal  dans  l'administration  fut 
Loan  Pin  É|§  ^,  petit-fils  du  marquis  Tsing-heou  ifjf  $j,  et  an- 
cêtre de  la  puissante  famille  seigneuriale  Loan  dont  nous  aurons 
souvent  à  parler:   il  était  très  nabile.  et  très  expérimente. 

A  propos  de  cette  collation,  le  sage  Che-fou  frfj  ffli  lit  encore 
ses  réflexions  :  Quand  le  tronc  est  fort  et  les  branches  faibles,  un 
arbre  est  solide:  ainsi  en  est-il  d'un  Etat,  voilà  pourquoi  l'em- 
pereur seul  pouvait  constituer  quelqu'un  prince  feudataire,  avec 
l'obligation  d'aider  l'empire;  les  vassaux  ne  peuvent  conférer  que 
la  dignité  de  ministre  ou  de  grand  officier;  les  ministres  d'Etat 
peuvent  seulement  se  choisir  des  aides  ou  des  successeurs,  parmi 
leurs  fils;  les  grands  officiers  peuvent  librement  prendre  pour  aides 
leur  fils  cadets  ;  les  employés  subalternes  ont  la  pleine  disposition 
de  leurs  fils,   frères,    ou   serviteurs;   les   paysans,   les  artisans,   les 

(1)  K'iu-wo  était  à  l'est  de  Wen-hi  hien  fêjHïlSf:»  "û  h  au  SUCI  d°  Fen-tchoou 
fou.  ( Petite  géogr..   vol.  S,  p.   44)   —   (Grande,  vol.  41,  p.  32). 

6 


18  ,    PREMIERS  TEMPS. 

marchands,  se  font  aider  par  leurs  parents  plus  ou  moins  rappro- 
chés. Il  y  a  donc  une  hiérarchie  à  laquelle  on  ne  peut  rien  changer; 
l'ordre  étant  parfaitement  gardé,  le  peuple  obéit  avec  bonne  volon- 
té;  content  de  son  sort,  l'inférieur  ne  cherche  pas  à  supplanter 
son  supérieur.  Notre  prince  n'ayant  qu'un  domaine  particulier 
reçu  de  l'empereur,  n'est  qu'un  simple  vassal:  comment  s'arroge- 
t-il  le  pouvoir  de  créer  un  nouvel  Etat?  lui  si  faible,  s'affaiblit 
encore!  comment  pourrait-il  durer  longtemps? 

En  739.  le  grand  officier  P' an-fou  îfêj  5^  tuait  ïchao-heou. 
et  se  rendait  à  K'iu-wo  pour  inviter  Hoang  chou  à  monter  sur 
le  trône;  mais  quand  celui-ci  se  présenta  devant  la  capitale  de 
iMU,  le  peuple  prit  les  armes  et  le  repoussa:  il  fut  oblige  de  s'en 
retourner  d'où  il  était  venu:  la  lutte  allait  s'accentuer  entre  les 
deux  branches  de  la  même  famille. 

P'ing  ^,  ou  Hiao-heou.  ^  $|,  ayant  succédé  à  son  père 
Tchao-heou,  fit  mettre  à  mort  le  traître  P'au-fou. 

En  731,  Hoan-chou  étant  mort,  son  fils  Chan  t||  lui  succéda 
à  K'iu-wo;  il  est  plus  connu  sous  le  nom  de  Tchoang-pé  $£  f£ . 
En  724,  il  massacra  Hiao-heou.  et  voulut  prendre  sa  place:  mais 
le  peuple  le  repoussa  jusqu'à  K'iu-wo.  et  plaça  sur  le  troue  le 
prince  K'i  .£ji,ou  Ngo-heou  ^  {?£,  fils  de  Hiao-heou. 

En  718.  Tchoang-pé  revenait  à  la  charge:  aidé  des  troupes 
de  Tcheng  ||j>  et  de  Hingjfô  1  il  attaqua  la  capitale  /  p|.  L'empereur 
lui-même,  oublieux  des  services  de  Wen-heou  *£  §|.  non  seulement 
ne  vint  pas  au  secours  des  assiégés,  mais  encore  envoya  les  sei- 
gneurs In  3^  et  Ou  fâ  aider  le  prétendant  contre  son  suzerain 
légitime.  Ngo-heou  s'enfuit  au  pays  de  Soei  [§§    2  . 

En  717.  Tchoang-pé  s'étant  montré  récalcitrant  envers  l'em- 
pereur, celui-ci  changea  de  politique  ;  en  automne,  il  envoya 
Kouo-kong  %j&  Q  yi  ,  son  grand-ministre,  avec  une  armée,  com- 
battre son  protégé  de   la    veille.    Tchoang-pé   se   retira  à   K'iu-wo. 


(1)  Tcheng  était  un  peu  au  nord-ouesl  de  Sin-tcheng  hien  $\  gj  $£,  qui  ost 
à  220  li  sud-esl  de  sa  préfecture  K'ai-fong  fou  |P}  £f  <{f,  Mo-nan.  Petite  géogr., 
vol.   12,  p.  5  . 

Hing,  sa  capitale,  appelée  Siang-kouo-tch'eng  j|  ^S  fefi  était  un  peu  au  sud- 
ouosi  de  Hing-t'ai  hièn  jflî  •','.:•  3^  dans  la  préfecture  mémo  de  Choen-té  fou  (g  C^.  JflF- 
Tche-li.     Petite  géogr.,  vol.  2,  p.    îî1  —    Grande,  vol.   1  .">  p.  :; 

Soei  était  à  l'est  de  Kiai-hicou  hien,    ci-dessus.     Petite  géogr..    vol.    8.   p. 
{<  Grande,  vol.   52.  p.  T 

(3)    Kouo.   11  j    cul  trois  pays  do  ce   nom  :    l'un  au  sud-est    do    Chev    teheou    fft 

m.  Ho-nan  :  l'autre,  dans  le   territoire  do    Fan~choei  hien  jg  zfc  f|  dont  la  préfec- 

K'ai-fong  fou:  lo  •.ifia<'<  ;,  :',;,  |j  nu  sud  do  H'ong-nang  fou    \$ft  fô.  Chen-si. 

Duquel  dos  trois   s'ni.'it-il    \ç\ ?   les    auteurs    discutent    encore    sur    cette    question. 

'Grande  géogr.,  vol.    I.  p.    14 


DU     KOYAU.UK    DE    TSi.X»  \'.< 

tandis  que  le  prince  Koafïg   -fâ.    ou    Xijai-lwoa   jgî  (£..   montait  sur 
le  trône  à  la  place  de  son  père  Ngo-heou  ff[$  fj|. 

Ce  denier  n'était  pourtant  pas  mort;  il  était  tbuiôurs  à  Soei; 
mais  comment  revenir  dans  sa  capitale?  puisque  l'empereur  lui- 
même  lui  avait  donné  un  successeur!  On  trouva  un  moyen-terme, 
pour  arranger  les  deux  partis,  à  la  manière  chinoise:  Les  neuf 
grandes  familles  Honi  fig,  venues  autrefois  avec  le  fondateur  de 
Tsin,  envoyèrent  des  députés  à  Soei,  exprimer  combien  elles  re- 
grettaient d'avoir  perdu  un  si  bon  prince;  les  5  grands  chefs  héré 
ditàires  des  magistrats  se  joignirent  à  cette  députation,  ainsi  que 
le  grand  officier  Kia-fou  -|£  ;$£.  fils  de  K'ing-fou  fc^f  3£-  Ouartd 
les  condoléances  furent  finies,  on  conduisit  solennellement  l'exilé 
à  Ngo  ^P  l  :  c'est  ce  nouveau  séjour  qui  lui  valu!  le  nom  de  mar- 
quis de  Ngo. 

En  710,  Ngai-heou  envahissait  subitement  le  territoire  de 
Hing-t'ing  |§/  j£  2  :  il  s'attira  ainsi  une  revanche.  En  709,  Uu- 
hmvj  jê£  ^,  successeur  de  Tchoang-pé,  lit  cause  commune  avec 
les  gens  de  Hing-t'ing,  et  vint  à  leur  secours  avec  une  armée. 
Son  char  de  guerre  était  conduit  par  son  oncle,  le  seigneur  Han 
Wan  1$:  fâ:  son  lancier  était  le  seigneur  Liang  Hong  ijt  ~>jl  . 
Pendant  le  combat,  Ngai-heou  fut  poussé  dans  des  bas-fonds  du 
fleuve  Fen  $r  7JC  el-  ''  ^ut  ^a^  prisonnier. 

Loan  Pin  §ç§  ^,  son  Ministre,  avait  passe  a  l'ennemi  ;  sou 
lils  Kong-chou  it  jj$,  au  contraire,  était  resté  fidèle  à  son  maître; 
c'était  un  homme  éminent;  il  continua  de  combattre  pour  son 
prince.  Ou-kong  jj£  ^  aurait  voulu  le  gagner  a  son  parti:  il  lui 
lit  dire  :  ne  cherchez  pas  la  mort!  si  vous  consentez  à  vivre,  je 
vous  fais  mon  premier  ministre,  avec  l'agrément  de  l'empereur,  et 
vous  gouvernerez  tout  le  pays  de  Tsin. 

Loan-kong-chou  répondit  :  l'homme  doit  sa  naissance  et  sa 
vie  à  trois  principes;  mais  il  leur  prouve  sa  reconnaissance  d'une 
seule  manière.  Les  parents  le  mettent  au  monde:  les  maîtres 
l'instruisent;  les  princes  le  nourrissent.  Sans  les  parents, personne 
ne  naît  ;  sans  nourriture  personne  ne  croît  ;  sans  instruction, l'homme 
n'est  qu'une  brute.  Tous  les  trois  sont  également  les  principes  de 
notre  vie  ;  il  faut  donc  les  servir  tous  trois  de  la  même  manière  :  pour 
eux  il  faut  que  chacun,  selon  son  rang,  sacrifie  ses  forces  et  sa  vie. 
Voilà  la  vraie  doctrine!  Pourrais-je,  pour  mon  avantage  personnel, 
négliger  de  tels  enseignements?  Vous-même,  pouvez-vons  m'engager 


(1)  Ngo  c'est  l'ancienne  ville  T'ai-yuen-kou-tch'vng  Jç  Jgï  $%  j$,  qui  eut 
sis  noms  différents:  elle  était  un  peu  au  nord-est  de  T*ai-yuen  hien  %.  W-  Sfi  qui 
est  à  45  li  sud-ouest  de  T'ai-yuen  fou  sa  préfecture.  Petite  géogr.,  vol.  s.  ]>■  3)— 
(Grande,  vol.  40,  p.  8). 

(2)  Hing-ting  s'appelait  encore  Hing-tch'eng  l»«i  $'  et  Yong-ting  $$gg.  Petite 
géogr.,  vol.  8.  p.  0).  —  (Grande,  vol-  41,  p.  11).  Elle  était  à  1^0  li  au  sud  de 
P'ing-yang  fou.  -p  $  f ,  t  l'est  de  K"iu-wo  hien  &  R  %,  Chan-si. 


20  fREMIEKS  TEMPS. 

à  une  pareille  action?  Vous  savez  d'ailleurs  à  qui  je  me  suis  attaché  : 
jamais  mon  cœur  ne  s'est  tourné  vers  K'iu-wo!  Si  je  désertais 
mon  maître  et  seigneur,  quelle  confiance  pourriez- vous  avoir  en  moi? 

Ayant  ainsi  parlé,  Kong-chou  recommença  la  lutte,  et  mourut 
en  héros.  Pendant  ce  temps,  le  peuple  de  Tsin  plaçait  sur  le  trône 
le  prince  Siao-t$e  >K  ^f-,  pu  Siao-tse-heou  >]>  ^  |§j|.  à  la  place  de 
son  père  captif. 

En  708,  Ou-kong  jÇ  ^  envoya  le  grand  seigneur  Han  Won 
fjf;  |^  massacrer  N.gai-heou  Jfc  fé  dans  sa  prison.  La  principauté 
de  K'iu-wo  devenait  donc  de  jour  en  jour  plus  forte:  celle  de  Tsin 
allait  s'affaiblissant,  gouvernée  par  des  hommes  sans  valeur  et 
de  courte  durée.  Les  rôles  étaient  renversés:  le  vassal  devenait  le 
maître  de  son  suzerain. 

En  705,  vers  le  mois  d'octobre,  Ou-kong  poursuivant  ses 
projets  ambitieux,  faisait  assassiner  Siao-tse-heou:  puis,  au  prin- 
temps de  7o').  il  s'emparait  définitivement  de  la  capitale  I  ^  1  : 
désormais  les  deux  principautés  se  trouvèrent  reunies  sous  sa  main  : 
l'autorité  était  passée  de  la  branche  aînée  à  la  branche  cadette  de 
la  famille  régnante.  C'est  ce  qu'avait  soi-disant  prédit  plus  haut 
notre  sage  lettré  Che-fou  fliji  flg.. 

L'empereur  n'était  pourtant  pas  content  de  ce  coup  de  force, 
qui  d'ailleurs  attentait  à  sa  propre  autorité;  c'est  pourquoi,  vers 
la  fin  de  cette  même  année  704. son  premier  ministre  Kouo-tchong 
H  ftjj  alla,  de  sa  part,  établir  comme  marquis  de  Tsin  le  prince 
Min  ^.L§,    frère  de  Xgai-heou. 

En  juin-juillet  703,  le  même  ministre  conduisait  une  armée 
entre  Ou-kong,  qui  voulait  expulser  son  nouveau  rival;  avec  les 
troupes  impériales,  se  trouvaient  celles  des  comtes  de  Joei  fë,Liang 
i^:.  Siun  %  et  Kia  jf  (2);  sans  doute  la  tranquillité  fut  rétablie, 
mais  ce  fut  pour  un  temps. 

1  Le  tombeau  de  Siao-tse-heou  se  trouve  à  15  li  à  l'est  de  I-tch'eng  bien 
?? r  i*X  f?  :  il  est  haut  de  trente  pieds,  avec  une  circonférence  de  cent  pas:  on  l'ap- 
pelle vulgairement  Siao-toang  wen  /)■«  3î  *%■(  Géogr..  impér.-,  vol.  çç.  p.  8)  —  I  J| 
est  un  autre  nom  de  la  même  capitale     Kiang  fê.  l'ancienne. 

(2)   Joei, l'ancienne  capitale,  était  à  oO  li  à  l'ouest  de  Joei-tch'cng  hien   pïj  J$  f| 
li  sud-ouest  de  Hiai  tcheou  $?#|,  Chan-si.  Originairement,  cette  petite 
principauté  était  à   T'ong-tcheou  fou  |p]  -'il  .'H  .  Chen-si.  (Petite  géogr.,  vol.  8,  p.    t> 
—  (Grande,  vol.   /■  )>■  ij  —  vol.  41,  p. 

Lia ng, son  ancienne  capitale, était  à  22  li  au  sud  d''  Han-tch'eng  hien  $£i)itf£ 
qui    est    à    220   li  nord-est  de  T'ong-tcheou,  Chen-si.     Petitt   géogr..  vol.    //.  p.   iq 
inde,   vol.  .-/•  /'•   241. 

Siun,  — on  l'écrit  aussi  jjflS, — son  ancienne  capitale  était  à  1 5  li  nord-est  de  Lin- 
tain  bien  ES^f  SI-  clu'  c'*1  ■  "^  '■  nord-est  de  sa  préfecture  P'ou-tcheov  fov  Çfem  ^ 
Chan-si.  (Petite  géogr..  vol.  8.  j>-  30)  —  'Grande,  vol.   41.  p.i  2). 

Kia,  son  ancienne  capitale,  était  a   1  >s  li  sud-ouest  de  P'ou-tch'cng  hien  r$jjifàM 


DU   ROYAUME  DE  TSIN'.  21 

En  679,  Ou-kong  attaquait  de  nouveau  le  pays  de  ïsin.  et 
tuait  le  prince  Min  ;  mais,  cette  fois,  il  fut  plus  avisé  ;  il  offrit 
la  plus  belle  part  du  butin  à  l'empereur  Li-wang  ^  3E  ;  celui-ci 
pardonna  tout,  confirma  officiellement  à  Ou-kong  le  titre  de  prin- 
ce de  Tsin.  et  l'admit  entre  les  vassaux  directs  (tchou-heou  |§  fô 
de  l'empire, 

Précédemment,  on  ne  sait  en  quelle  année,  Ou-kong  avait 
fait  la  guerre  au  pays  de  /  ^J  (1),  et  avait  emmené  captif  I-koei- 
tchou  i^|  f||  |^,  seigneur  impérial,  possesseur  de  ce  petit  fief; 
sur  l'intercession  de  WpI-!ïouo  ^  H|,  autre  seigneur  impérial,  il 
lui  avait  rendu  la  liberté:  mais  celui-ci  oublia  de  remercier  son 
bienfaiteur.  Wei-kouo  furieux  invita  Ou-kong  à  l'aider  à  punir 
cet  ingrat,  lui  abandonnant  d'avance  le  territoire  de  /  "^".  Ainsi 
le  malheureux  1-koei-tchou  fut  pris  de  nouveau,  et  massacré  par 
Wei-kouo  lui-même.  A  la  nouvelle  de  cet  acte  de  barbarie,  le 
grand  seigneur  impérial  Tcheou-kong-hi-fou  Jg]  ^  fê  3£  fut  si 
effrayé  qu'il  s'enfuit  de  la  cour,  et  ne  revint  qu'en  H76,  à  l'avè- 
nement de  l'empereur  Hoei-wang  M  3£, 

Ou-kong  mourut  en  (177,  après  avoir  régné  deux  ans  seule- 
ment, dans  la  capitale  /  ^.,  sur  les  deux  principautés  réunies. 
Avec  lui,  finissent  les  premiers  l>jmp.<  du  royaume  de  Tsin;  avec 
son  successeur,  commencent  les  temps  vraiment  historiques,  puis- 
que  ce   pays  a   pris  rang  parmi  les  grands  états  [ta-houo  ^  |i£]  . 

Dès  cette  époque,  l'autorité  de  l'empereur  était  souvent  mé- 
connue ;  comme  preuve  de  cette  assertion,  les  lettrés  apportent  les 
faits  qui  s'étaient  passés  au  pays  de  Tsin: 

1°  Tchao-heou  fj^  {^  donne  le  fief  de  K'iu-wo  [11}  ^  à  son 
oncle,  sans  que  l'empereur  réclame  contre  cette  violation  de  son 
privilège. 

2°  P'an-fou  ^|§  3£  assassine  Tchao-heou  Bg  f^|,  renverse  une 
famille  régnante  établie  par  l'empereur;  celui-ci  n'en  a  cure. 

3e  Tchoang-pé  U  fâ  massacre  de  même  Hiao-heou  j§ê  f||, 
l'empereur  n'en  a  cure,  comme  pour  le  précédent;  bien  mieux,  il 
aide  l'usurpateur  ! 

4°   Ou-kong  ffî  fè   accomplit    enfin    les    projets    ambitieux    de 


qui  est  à  80  li  à  l'ouest  de   Pong  tcheou  fou,  Chen-si.     Petiti   géogr.,  col.   14, p.  .-♦ 
— (Grande,  vol.  54.  p.  S). 

(1)  I.  Où  était  ce  petit  pays?  Voici  la  réponse:  /  ~4±  signifie  en 
étranger,  barbare,  sauvage,  toute  nation  non  chinoise  enfin.  Or  les  Tartarcs, 
cédant  la  place  aux  Chinois  proprement  dits],  s'étaient  réfugiés  sur  les  monta- 
gnes; donc,  dans  le  cas  présent,  il  s'agit  de  ceux  qui  étaient  dans  la  grande  chaîne 
T'ai-hang-chan  j\Çf\l\-  dans  leChan-si.  Ce  seigneur  emmené  captif  est  sans  doute 
un  de  leurs  chefs,  auquel  l'empereur  aurait  accordé  gracieusement  un  fief  et  un 
titre. 


22  PREMIERS  fEHPS. 

son  père:  la  guerre,  les  meurtres,  tout  lui  est  un  bon  moyen  pour 
arriver  à  son  but  :  tout  lui  est  pardonné  moyennant  cadeaux  :  il 
gagne  la  bienveillance  et  les  faveurs  impériales.  Une  seule  petite 
punition  lui  est  infligée  officiellement,  à  savoir:  qu'il  n'aura 
qu'un  corps  'l'année  (i-kiun  •—  jp[  .  c'est-à-dire  douze  mille  cinq 
cents  hommes.  Mais,  de  fait,  poiivait-il  lever  une  armée  beaucoup 
plus  considérable,  à  cette  époque?     1 

On  voit  donc  que  si  l'autorité  de  l'empereur  était  souvent 
négligée,  elle  était  parfois  en  des  mains  incapables,  et  peu  dignes 
de  cet  honneur. 

1  \  quelle  date  les  princes  de  Tsin  prirent-ils  le  titre  de  rois?  Il  est  difficile  de 
répondre.  Officiellement,  il  n'y  avait  et  ne  pouvait   >   avoir   en  Chine  qu'un  seul  roi: 

clui  que  les  Européens  ont  appelé  empereur,  pour  !<■  distinguer  des  vassaux, 
c'est-à-dire  de  tous  1rs  autres  princes,  sur  lesquels  il  avait  ou  était  censé  a\oir  juri- 
diction. 

D'après  cela,  les  princes  de  Tsin  ne  lurent  officiellement  que  des  marquis-: 
mais  depuis  Wen-kong  3*C  K  635-628  .  ils  eurent  la  prépondérance,  même  om- 
cielle,  sur  les  autres  états  chinois,  ils  turent  chefs  des  vassaux,  titre  très  disputé. 
comme  ■  n   le  verra  dan-  nos  histoires   de  ces  anciens    royaumes.     Dés  lors  donc,   tes 

-  d<  t -in  furent,  en  réalité,  non  seulement  rois,  mais  même  empereurs,  sans 
le  titre. 


23 

TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 
DU  ROYAUME  DE  TSIX 


HIEN-KONG   (676-652) 


£ 


-rçr    tH- 


Le  nouveau  prince  de  Tsin,  lils  de  Ou-kong  ]jÇ  Tfe.  fut  dans 
la  suite  appelé  Hien-kong  :  ce  nom  signifie  :  sagace,  dune  intel- 
ligence qui  pénètre  toutes  choses    1  . 

En  676,  au  début  de  l'année,  Hien-kong  allait,  en  compagnie 
du  duc  de  Si-kouo  ff  ||&,  présenter  ses  hommages  à  l'empereur 
Hoei-wang  Jg  3E-  C'était  la  règle,  mais  on  était  loin  de  l'observer 
toujours!  L'empereur,  enchanté  de  leur  déférence,  leur  fit  un  ^rand 
festin,  et  leur  offrit  des  cadeaux:  à  chacun  il  donna  cinq  pierres 
de  jade  et  trois  chevaux,  chose  qui  était  contraire  aux  rites,  re- 
marque l'historien;  car  le  duc  avait  un  degré  de  plus  en  dignité 
que  Hien-kong:  l'empereur  Lui-même  ne  pouvait  offrir  aux  deux 
princes  des  présents  égaux;  fait  semblable  renversait  l'ordre  établi 
par  les  anciens  <■  sabres»,  pour  les  entrevues  et  les  réceptions  offi- 
cielles (2). 


(1)  Texte  chinois  de  cette  interprétation  :  !I*  Bfi  ?/*  f?f  0  Ht     Voir  le  recueil: 
Che-ki  Souo-ing  i£  3'E  %{  f^.   roi.   /.  p.  6). 

[2]  Lu  dignitaire  recevait  successivement  :  sa  nomination,  son  costume,  son 
char,  sa  tablette,  etc.  etc.  c'étaient  comme  autant  d'invitations  a  entrer  en  charge 
ming  ■&  .l'our  le  chef  des  états  feudataires,  il  3  avait  ainsi  neuf  invitations 
mins  AA.;  pour  les  grands  ministres  d'Etat,  4  invitations  se  ming  E9  ffr  :  puur 
les  autres  ministres,  seulement  3  >an  ming  H  ^  ;  pour  les  grands  officiers,  2 
invitations  eu!  ming  Z.  ifa  :  pour  les  officiers  inférieurs,  une  seule  i  ming  —  ifr  . 
D'ailleurs,  il  y  avait  trois  classes  de  ministre-:  chang-k'ing  _fc  M-  hia^k'ing  "[•  M 
et  siao-Jioua-tche-k'ùig  /]■»  H<]  £  9$  '■  "  ï  avait  deux  classes  de  tar-fou  ^C  7C.  UU 
grands  officiers.  De  plus,  la  valeur  de  ce>  dignités  variait  avec  l'importance  de  la 
principauté  ou  du  royaume  où  elles  étaient  conférées.  Bref,  les  détails  de  I  étiquette 
,-taient  assez  compliqués.  (JA-ki  jjl§  fj£.  rot.  i.  p.  i o  —  (U  mime,  édition  impér., 
pol.  ii.  /..  t8)  (ZottoH,  Uf.  p.  634,  ",ll<:  ?)  -  {Tcheou-U  ffl  |g.  col.  5,  pp« 
12  et  35)- 


24  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

Hien-kong  et  son  compagnon,  ainsi  que  le  comte  de  Tcheng 
SK.  engagèrent  l'empereur  à  prendre  pour  épouse  une  princesse 
de  Tch'en  ^;  celui-ci  accéda  à  leur  désir;  ils  envoyèrent  donc 
le  seigneur  Yuen  Tchoang-kong  J£  $£  &  faire  la  proposition,  et 
conduire  la  fiancée  à  la  cour  impériale.  L'ambassade  réussit  à 
souhait:  le  mariage  se  fit  aussitôt,  contrairement  aux  rites;  car 
le  deuil  traditionnel  de  trois  ans  n'était  pas  encore  fini.  Plus  tard, 
cette  impératrice,  nommée  Hoei-heou  Jg  §|.  lut  cause  de  grands 
troublés  à  la  cour,  par  ses  préférences  pour  son  fils  cadet.  (La 
seigneurie  de  Yuen  fâ  était  à  15  li  nord-ouest  de  Ts'i-yuen  hien 
Bl  îH.  M'  1ui  est  a  ~Ô  H  -''(  Vouest  de  sa  préfecture  Hoai-k'ing  fou 
ffi  H  M  Ho-nan  —  Grande  gèogr.,  vol.  49,  p.  G). 

En  672.  au  début  de  l'année.  Hien-kong  faisait  la  guerre  au 
pays  de  Ts'in  ^=:  c'est  la  première  fois  que  nous  voyons  ces  deux 
états  en  querelle  ;  cette  histoire  nous  les  montrera  ennemis  achar- 
nes: longtemps  le  sort  sera  incertain:  mais,  finalement,  c'est  Ts'in 
^  qui  triomphera  de  son  rival.  Dans  cette  présente  expédition. 
c'est  déjà  lui  qui  remporte  la  victoire;  la  bataille  eut  lieu  à  Ho-. 
yang  fpf  (5§  (1). 

Vers  la  même  époque.  Hien-kong  faisait  la  guerre  aux  Tar- 
tares  appelés  Li-jong  %~%  j£  2  .  qui  se  trouvaient  enclavés  parmi 
les  états  chinois,  et  dont  le  prince  était  du  clan  impérial  A';'  #j£. 
tout  aussi  bien  que  Hien-kong.  Quelle  fut  la  raison  ou  le  prétexte 
de  cette  expédition?  l'historien  ne  le  dit  pas.  Le  prince  tartare  fut 
tué:  Hien-kong  reçut  du  successeur  une  princesse  nommée  Li-ki 
pi  #[£,  dont  il  fit  son  épouse,  et  qu'il  aima  éperdûment:  c'est  cette 
femme  qui  va  causer  de  grands  troubles  dans  le  pays  de  Tsin,  et 
le  mettre  à  deux  doigts  de  sa  perte:  avec  elle.  Hien-kong  recul 
encore  sa  sœur. 

En  671,  les  descendants  de  Hoan-chou  H^  et  de  Tchoang- 
pê  jj£  {£,  très  nombreux,  très  riches,  et  très  puissants,  cher- 
chaient querelle  à  Hien-kong,  et  lui  suscitaient  bien  des  ennuis  : 
il  ne  savait  comment  se  tirer  d'embarras.  S'en  étant  ouvert  au 
grand  officier  Che-vcei  -j^  ^.  celui-ci  lui  répondit:  abattez  d'abord 
les  chefs  de  famille:  ensuite  vous  serez  facilement  maître  du 
reste!  —  Hé  bien,  repartit  Hien-kong,  essayez!  faites  comme 
vous  l'entendrez  '. 


1  Ho-yang,  était  à  :î0  li  sud-ouest  d.  Mon  g  hien  §?£  Sf .  qui  esl  à  60  li  sud- 
ouest  de  sa  préfecture  Hoai-k'ing  fou  {g  J§f  Jjîf,  Ho-nan.  Petite  géogr.,  vol.  12.  p. 
20). 

(2)  Li-jong,  ce  petit  état  Tartare  était  à  30  li  à  l'est  de  Lin-tong  hien  6&  ®î 
!£,  qui  est  à  70  li  0  I 'esl  de  Si-ngan  fou  f§  £-  Jft .  Chen-si.  (Petite  géogr.,  vol.  14. 
¥•  10) — (Grande,  ool.  ■  .-.  ,..  43).  ll>  gardèrent  ce  nom  du  à  la  montasrne  Li  jj|f  . 
raémf  après  leur  dispersion. 


DU   ROYAUME  DE  TSIN.   HIEN-KONG.  25 

Sur  ce,  Che-wei  commença  par  brouiller  entre  elles  les  deux 
familles,  répandant  force  calomnies  contre  les  hommes  les  plus 
influents,  qui,  naturellement,  avaient  des  jaloux  :  ces  derniers  se 
portaient  garants  de  toutes  les  fausses  accusations,  et  trompaient 
ainsi  le  peuple.  Bientôt  les  plus  riches  individus  furent  chassés  du 
pays  ;  peu  à  peu,  les  autres  prirent  aussi  le  chemin  de  l'exil  ;  c'é- 
tait la  juste  punition  des  crimes  de  cette  branche  cadette,  contre 
son  aînée  autrefois  régnante. 

En  670,  l'hypocrite  Che-wei  s'étant  de  nouveau  abouché  avec 
divers  membres  des  autres  familles  princières,  fit  massacrer  les 
deux  fils  de  la  famille  Yeou  $£  ;  après  quoi,  il  dit  a  Hien-kong: 
attendez  encore  un  an,  et  le  reste  sera  anéanti  ! 

En  669,  vers  le  mois  de  juin,  Che-wei  manœuvra  si  bien  que 
tous  les  princes,  d'un  commun  accord,  extirpèrent  complètement 
la  famille  Yeou.  Alors,  l'hypocrite  fit  semblant  de  leur  être  très- 
reconnaissant  pour  ce  service  ;  il  leur  accorda  une  ville  pour  leur 
résidence  commune;  il  y  fit  même  bâtir  des  fortifications.  C'était 
un  piège  habilement  tendu.  Quand  cette  ville  de  Tsiu  Jfe  (1)  fut 
terminée,  une  armée  de  Tsin  vint  l'assiéger,  la  prit,  et  massacra 
les  princes  jusqu'au  dernier.  On  était  alors  vers  la  fin  de  l'an- 
née (2). 

Che-wei  méritait  une  grand  récompense  pour  de  tels  services  ; 
il  fut  élevé  à  la  dignité  de  ^e-k'ong  fï\  5jÇ,  c'est-à-dire  ministre 
des  travaux  publics.  En  cette  qualité,  il  agrandit  la  capitale  / 
jgl  (appelée  aussi  Kiang  $j?)  (3),  il  en  renouvela  les  fortifications, 
ainsi  que  le  palais  seigneurial  ;  il  en  fit  quasi  une  nouvelle  ville. 

En  668.  vers  le  mois  de  juin,  le  prince  de  Kouo  $£  faisait 
invasion  dans  le  pays  de  Tsin  ;  ayant  sans  doute  remporté  quelque 
butin,  il  fut  enhardi  par  ce  succès  ;  il  revint  à  la  charge,  vers  la 
fin  de  cette  même  année.  Il  était  poussé  à  ces  deux  expéditions 
par  quelques  princes  fuyards  de  Tsin,  réfugiés  chez  lui,  qui  vou- 
laient la  mort  de  Hien-kong  et  de  son  complice  Che-wei.  Il  s'agit 
de  l'Etat  de  Kouo  occidental  ^si-Kouo  "jjlj  $£  •  ;  car  l'oriental  [tong- 
Kouo  T|j  Éfg    avait  été  annexé  en  772  par  le  prince  de  Teheng  M,. 


(1)  Tsiu  était  à  10  li  sud-est  de  Kiang  hien  |.'£  gg,  qui  est  à  100  li  sud-est 
de  Kiang  tcheou  $$  JH,  Chan-si.  Plus  tard,  cette  ville  s'appela  Kiu-siang-tch'eng 
$  fâ  itf;,  c'est-à-dire  caisse  de  voiture,  parcequ'clle  s'étendait  en  long  de  l'est  à 
l'ouest.  (Géogr.,  impér..  vol.  118,  p.  4)  —  (Grande  géogr.,  vol.  41,  p.  41). 

(2)  «Tous  les  princes,  jusqu'au  dernier»,  c'est-à-dire  tous  ceux  qui  se  trou- 
vaient dans  la  ville;  car.  un  peu  plus  loin,  on  parle  de  quelques-uns.  échappés  au 
massacre  par  la  fuite. 

(3)  I  ou  Kiang  .Nous  avons  déjà  donné  son  identification  ;  elle  était  à  15  li 
sud-est  de  I-tch'eng  hien  §f  j$  Jgg[,  qui  est  à  130  li  sud-est  de  sa  préfecture  P'ing- 
yang  fou  2p  P§  #f.  Chan-si.  ,  Grande  géogr.,  vol.  41,  p.   12) 


26  TEMPS  VRAIMENT   HISTORIQUES 

En  667,  Hien-kong  voulait  se  venger;  Che-wei  l'en  dissuada: 
laissons,  dit-il,  ce  prince  orgueilleux  s'enfler  de  ses  quelques  suc- 
cès sur  nous  :il  n'en  deviendra  que  plus  fier;  dans  son  arrogance 
il  s'aliénera  le  peuple,  déjà  mécontent  de  lui  ;  ce  sera  le  moment  de 
l'attaquer  ;  alors  il  voudra  se  défendre,  et  ne  trouvera  personne 
pour  l'aider.  Quiconque  veut  conduire  son  peuple  en  guerre,  doit 
auparavant  faire  régner  les  rites,  qui  dirigent  les  hommes  ;  la  mu- 
sique, qui  procure  la  paix  ;  la  sollicitude  des  parents  envers  les 
enfants,  l'affection  des  enfants  pour  leurs  parents.  Ce  sont  ces 
quatre  principes  qui  préparent  une  nation  à  accomplir  de  beaux 
exploits.  Or  le  prince  de  Kouo  ne  s'en  soucie  guère  ;  il  ne  songe 
qu'à  batailler, sans  s'apercevoir  qu'il  retire  de  leurs  champs  les 
vigoureux  cultivateurs  ;  la  famine  ne  tardera  pas. 

Hien-kong  lui-même  n'était  pas  un  modèle  de  vertu  ;  il  bra- 
vait l'opinion  publique,  en  violant  les  usages  les  plus  respectés  et 
les  plus  respectables  de  la  Chine  ;  il  ne  suivait  que  ses  caprices  ; 
il  se  laissait  mener  par  des  femmelettes,  et  par  d'indignes  favoris. 

D'abord  marié  à  une  princesse  de  Kia  j|(,  du  même  clan  que 
lui,  ce  qui  était  sévèrement  prohibé,  il  n'en  avait  point  eu  d'en- 
fants ;  il  vivait  en  incestueux  avec  la  femme  de  son  propre  père, 
la  princesse  Ts'i  Kiang  ^  ||-,  fille  du  fameux  Ts'i  Hoan-hong 
^§^;  il  en  eut  une  fille,  mariée  plus  tard  à  Mou-kong  ^  £V, 
roi  de  Ts'in  §(§,  et  un  fils,  le  prince  héritier  Chen-cheng  ^  ££. 

Il  prit  encore  pour  femmes  deux  princesses  tartares  :  l'une, 
nommée  Hou-ki  ^  £gi,  était  du  même  clan  et  de  la  même  famille, 
puisqu'elle  descendait  aussi  de  T'ang  Chou-yu  ^  fâ  |jj;  elle  ap- 
partenait aux  grands  Tartares  LTa  Jong  j\,  j$C  3  î  e^e  donna  le  jour 
au  prince  Tchong-eul  if;  Jf ,  qui  deviendra  le  plus  célèbre  parmi 
les  rois  de  Ts'in,  et  peut-être  de  toute  la  Chine.  L'autre  princes- 
se,du  clan  Yun  -fc,  venait  des  petits  Tartares  [  Siao  Jong  >]•»  ;F£  ; 
c'est  elle  qui  donna  naissance  au  prince  I-ou  5^  ^  (1). 

Nous  avons  vu  plus  haut,  qu'à  la  suite  de  la  guerre  avec  les 
Tartares  Li  Jong  Hf  3$t,  il  avait  emmené  deux  princesses;  l'aînée, 
la  favorite  entre  toutes,  donna  le  jour  au  prince  Hi-tsi  J|  5§  ;  la 
cadette,  au  prince  Tcho-tse  j^  ^f-. 

En  666,  cette  favorite,  nommée  Li-ki  P|f  j||g,  commença  l'exé- 
cution du  plan  qu'elle  avait  formé,  pour  évincer  le  prince  héritier. 
et  lui  substituer  son  propre  fils  lli-tsi  J|  >0-.  D'abord,  à  prix 
d'argent,    elle   gagna  le  ministre  de  l'intérieur  Liang-ou  $£  3£  et 

(1)  TaJong,  ils  étaient  au  nord-ouest  de  Kiao-tch'eng  7iiV/i?£  ',:.{  jjg..  qui  est 
à  120  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  T'ai-yuen  fou  jfc  ^  fff ,  Chnn-si.  Il  y  a  encore 
un  ancien  temple,  bâti  en  l'honneur  de  Ilou-fou  $&  $s,  père  de  cette  princesse 
Hou-ki,  donc  grand-père  de  Tchong-eul.  La  montagne  a  reçu  son  nom  de  lui:  Hou- 
t'uu-thun  $&  'fë.  Ul-  —  (Grande  géogr.,  vol.  40,  p.  18). 
Siao  Jong,  ils  étaient  un  peu  plus  à  l'ouest. 


DU   ROYAUME  DE  TSIN.    HIEN-KONG.  27 

le  grand  officier  Ou  31  >  tous  deux  en  faveur  auprès  de  Hien-kong  ; 
ceux-ci  devaient  lui  faire  les  remarques  suivantes  : 

«Le  pays  de  %'iu-wo  rJJ)  ^  possède  le  temple  de  vos  ancêtres; 
les  pays  de  P'ou  f|§  et  de  KHué  Jj*  (1)  sont  deux  endroits  des 
plus  forts  et  des  plus  importants  ;  ces  trois  régions  ne  peuvent 
rester  sans  avoir  un  gouverneur  spécial,  avec  une  autorité  plus 
grande  que  les  autres;  et  cela,  pour  ôter  aux  princes  voisins  la 
pensée  de  s'en  emparer,  et  pour  obtenir  du  peuple  une  obéissance 
plus  facile  et  plus  prompte.  Si  vous  mettiez  le  prince  héritier 
Chen-cheng  à  K'iu-wo,  le  prince  Tchong-eul  à  P'ou,  et  le  prince 
1-ou  à  K'iué,  vous  pourriez  vous  reposer  en  paix  sur  la  fidélité  de 
tels  gouverneurs.  Voilà  des  mesures  qui  vous  rendraient  à  jamais 
illustre  !» 

Hien-kong  ne  fut  pas  persuadé  du  premier  coup;  nos  deux 
conseillers  revinrent  à  la  charge  :  «la  partie  septentrionale  hors 
notre  pays  de  Tsin,  disaient-ils,  est  en  grande  partie  occupée  par 
les  Tartares  Ti  ^  ;  si  vous  établissiez  comme  des  succursales  de 
votre  capitale,  gouvernées  par  vos  fils,  vous  pourriez  facilement 
agrandir  vos  états  de  ce  côté  !  » 

Cette  fois,  Hien-kong  tomba  dans  le  piège;  il  envoya  Chen- 
cheng  ^1  ^  à  K'iu-wo  {Uj  ^,  puis  Tchong-eul  f  |!  à  P'ou  ffâ, 
et  I-ou  i^|  t§-  à  K'iuè  /Q,  comme  on  le  désirait;  les  autres  princes 
furent  aussi  relégués  à  la  frontière,  sous  l'honorable  prétexte  de 
se  former  à  l'administration,  et  de  rendre  service  à  la  patrie.  A  la 
cour,  il  n'y  avait  plus  que  Hi-tsi  J|  3^,  fils  de  la  favorite,  et 
Tcho-lse  ^  ^p,  fils  de  sa  sœur. 

Ce  premier  point  étant  gagné,  l'intrigante  Li-ki  §jf  $jË  poussa 
plus  avant  ses  machinations  :  elle  fit  répandre  les  plus  vilaines 
calomnies  contre  les  princes  qu'elle  avait  exilés  ;  mais  le  peuple 
ne  fut  pas  trompé;  pai'tout  on  chantait  :  «ces  deux  gaillards  Ou  3£ 
font  un  fameux  couple  !  ils  vont  perdre  le  pays  !  » 

En  661,  Hien-kong  n'avait  eu  jusque-là  qu'un  seul  corps 
d'armée,  selon  la  restriction  imposée  à  son  père  par  l'empereur;  en 
droit, il  pouvait  en  avoir  trois, d'après  les  us  et  coutumes  de  la  dynas- 
tie Tcheou  Jr]  ,  puisque  son  pays  était  reconnu  «grand  vassal»  [ta- 
kouo  -fc  Hjj-  Hien-kong  pensa  que  la  pénitence  avait  duré  assez 
longtemps,  et  ne  demanda  même  pas  à  en  être  relevé;  il  consti- 
tua un  second  corps  d'armée,  dont  il  donna  le  commandement 
au  prince  héritier  Chen-Chcng  ^  ^:  lui-même  se  mit  à  la  tête 
du  premier,  et  l'on  partit  en  campagne  contre  les    pavs  Keng  Jfc, 

(1)  P'ou,  c'est  Hien-tcheou  ^  #|,  550  li  sud-ouest  de  T'ai-yuen  fou.  (Petite 
géogr.,  vol.  S,  p,  46)  —  (Grande,  vol.  41.  p.  32). 

K'iué,  était  à  21  li  nord-est  de  Ki-tcheou  §  <H>|,  Qui  «st  a  270  li  à  l'ouest  de 
P'ing-yang  fou  "FUfltf,  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  8,  p.  10)— (Grande,  vol.  41. 
P»  49)- 


28  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

de  Houo  ^|  et  de  Wei  §|  (*)  '>  ces  *r°is  principautés  furent  bien- 
tôt écrasées,  et  annexées  au  pays  de  Tsin,  quoiqu'elles  fussent 
du  clan  Ki  #g». 

Rentré  victorieux  dans  sa  capitale,  Hien-kong,  content  du 
prince  héritier,  le  récompensa  par  de  nouvelles  forfifications  à  sa 
résidence  de  K'iu-wo  $|  jfc.  Le  seigneur  Tchao-sou  jtfè  ffa,  con- 
ducteur du  char  de  Hien-kong,  s'était  aussi  distingué  dans  cette 
expédition  ;  il  reçut  en  fief  le  pays  de  Keng.  Le  seigneur  Pi-wan 
M  M,  lancier  du  prince  sur  le  même  char,  avait  des  mérites  éga 
lement  ;  il  reçut  le  fief  de  Wei. 

Hien-kong  ne  s'imaginait  guère  qu'il  venait  de  poser  la  cause 
du  démembrement  de  tout  le  pays  de  Tsin  et  de  sa  ruine  totale. 
Ces  deux  seigneurs  feront  souche;  leurs  familles  deviendront  puis- 
santes, et  réclameront  leur  indépendance  ;  et  cet  avenir  n'est  pas 
très  éloigné.  Aussi  les  commentateurs  le  blâment  de  bon  cœur;  ils 
disent  que  le  ciel  l'avait  aveuglé. 

Notre  fameux  hypocrite  Che-wei  -^  y£  apparaît  de  nouveaux 
sur  la  scène  ;  il  disait  au  prince  héritier  Chen-cheng  :  Vous  ne 
réussirez  pas  à  monter  sur  le  trône  ;  car  vous  avez  déjà  reçu  une 
principauté  à  K'iu-wo  |JJj  ^;  vous  avez  reçu  la  plus  haute  di- 
gnité à  la  cour,  celle  de  Chang-k'ing  _t  Hp,  grand  ministre  d'État, 
et  généralissime  d'armée;  vous  êtes  arrivé  au  sommet,  comment 
pourriez-vous  monter  plus  haut?  il  n'y  a  plus  pour  vous  qu'à  des- 
cendre !  C'est  un  principe  des  anciens  sages  que  les  choses  arri- 
vées à  leur  apogée,  commencent  à  décliner.  Le  mieux  pour  vous, 
serait  de  vous  enfuir,  pour  éviter  les  malheurs  qui  vous  menacent  ! 

Che-wei  apporta  un  [exemple:  T'ai-jié  -fcfâ,  fondateur  du 
royaume  de  Ou  )$.,  voyant  que  l'empereur  son  père  avait  une 
prédilection  pour  son  frère  cadet,  s'enfuit  en  exil,  et  épargna  un 
crime  à  son  père.  Par  là  il  s'est  rendu  immortel,  et  a  sauvé  son 
pays  d'un  grand  nombre  de  troubles  intérieurs.  Le  proverbe  nous 
dit  :  si  la  conscience  est  sans  reproche,  peu  importe  qu'on  soit  exi- 
lé de  la  maison  paternelle;  et  encore:  si  le  ciel  veut  bénir  le  prin- 
ce, ne  peut-il  pas  lui  accorder  une  autre  patrie? 

En  faisant  de  si  vertueuses  remontrances,  Che-wei  parlait-il 
de  son  propre  mouvement?  remplissait-il  un  rôle  confié  par  l'in- 
trigante Li-ki  §|f  $£?  Quoi  qu'il  en  soit,  le  prince  héritier  ne  se 
laissa  pas  persuader. 

(1)  Keng,  sa  capitale,  était  à  douze  li  au  sud  de  Ho-tsing  hien  f5f  ^f£,  qui  est 
à  200  li  au  sud  de  sa  préfecture  Kiang  tcheou  t$  +H,  Chan-si.  (Grande  géogr.,  vol. 
41.  p.  26). 

Houo  étaii  à  1  b  li  à  louest  de  Houo  tcheou  g  ;>H,  Chan-si.  'Petite  géogr., 
vol.  8,  p.  40)   —  jGrande,  vol.  41,  p.  45). 

Wei.  sa  capitale  .était  à  7  li  nord-est  de  Joei-tcheng  hien  p§  #$,  qui  est  à  90 
li  eud-ouest  de  Hiai  tcheou  %$.  tft,  Chan-si.  (Petite  géogr  .  vol.  S,  p.  41)— (Grande, 
Vil.  -il  p.  36) 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    HIEN-KONG.  29 

Le  grand  devin  Yen  (g  tira  aussi  l'horoscope  du  seigneur 
Pi-wan  J|i  H,  et  lui  prédit  un  avenir  brillant,  d'après  son  propre 
nom:  Wan  signifie  dix-mille,  c'est  le  nombre  plein,  puisque  par- 
tant de  un  on  monte  à  cent,  à  mille,  et  l'on  s'arrête  à  dix  mille.  De 
plus.  Wei  §|  signifie  haut  comme  une  montagne.  Ayant  reçu  une 
telle  récompense,  le  ciel  présage  à  cette  famille  un  avenir  glorieux. 
L'empereur  parlant  de  ses  sujets  dit:  mes  millions  de  peuples  ;  les 
vassaux:  mes  myriades  de  peuples  (1).  Or,  dans  son  nom.  ce 
seigneur  ayant  le  caractère  Wan,  ce  chiffre  si  haut,  c'est  un  pré- 
sage qu'il  gouvernera  des  multitudes.  D'ailleurs,  avant  de  se  mettre 
au  service  de  son  prince,  le  seigneur  Pi-wan  avait  consulté  les 
sorts;  comme  réponse,  il  avait  reçu  l'hexagramme  tchoen  ==,  c'est- 
à-dire  plante  naissante, chose  qui  commence;  puis,  par  quelques 
manipulations,  l'hexagramme  pi  ff\  qui  signifie  s' associer,  s'entr'- 
aider.  Le  devin  avait  donné  l'interprétation  suivante  :  le  1er  hexa- 
gramme  iudique  la  force  qui  se  fait  jour,  comme  une  plante  nais- 
sante perce  la  terre:  le  second  indique  L'adhésion,  l'entrée.  Que 
peut-il  y  avoir  de  plus  favorable?  vous  serez  populeux  et  florissant! 
tchen  ££,  partie  inférieure  du  Ier  hexagramme.  devient  Koen  ~, 
partie  inférieure  du  second;  c'est-à-dire  :  1°  des  chars  et  des  che- 
vaux se  suivent.  2°  il  peut  se  tenir  solidement  sur  ses  pieds.  3°  il 
aura  le  lot  du  frère  aine.  i°  il  aura  la  protection  de  sa  mère.  5a 
les  multitudes  s'attacheront  à  lui.  La  ligne  la  plus  inférieure,  et 
non  brisée  du  diagramme  Ichoen  §i  se  changeant  ainsi,  a  toutes 
ces  significations  d'immutabilité:  associées  entre  elles,  ces  lignes 
indiquent  la  solidité;  en  repos,  elles  représentent  la  puissance  du 
tonnerre,  et  sa  majesté:  le  sort  indique  donc  que  ce  seigneur  sera 
duc  ou  marquis,  lui-même  descendant  d'un  duc:  et  sa  postérité 
redeviendra  ce  qu'étaient  ses  ancêtres.  Ainsi  parla  le  devin  Sin- 
liao  3f£  )%  (2). 

Le  lecteur  a-t-il  compris'?  C'est  peu  probable!  Mais  qu'il  ne 
s'en  chagrine  pas!  Il  n'y  a  rien  à  comprendre:  ce  sont 
pures  charlataneries.  à  l'usage  des  tireurs  de  cartes,  et  des  diseurs 
de  bonne  aventure:  ce  sont  des  sottises  dont  le  diable  se  sert  pour 
berner  les  hommes  qui  n'ont  pas  la  foi;  ceux-ci  y  croient  plus 
fermement  qu'à  leur  propre  existence  :  même  ces  fiers  lettrés  n'ose- 
raient entreprendre  aucune  chose  importante,  sans  consulter  ces 
six  lignes  continues  ou  brisées;  ils  sont  bien  persuadés  que  leur 
sort  y  est  attaché!  Parlez-leur  ensuite  du  Dieu  créateur  de  toutes 
choses,  et  de  sa  providence:  vous  verrez  quel  sourire  de  dédain 
vous  obtiendrez! 


(i)    Tchcio  ming  ^  R.    Won  ming  ~fâ  jjj. 

>2  Le  tombeau  de  Pi-wan.  se  trouve  à  13  li  nord-est  de  Joei-tcheng  hien 
fâ  tS?  f?<  qui  esl  à  $0  li  sud-ouest  de  Hicti  tcheou  $$  H\,  Chan-si.  Chan-si  t*ong- 
tche  |X|  S  il!  Jfc,  vol.  56,  p.   96). 


30  TEMPS   VRAIMENT  HISTORIQUES 

En  660,  le  prince  de  Kouo  $|  faisait  la  guerre  aux  Tartares 
de  l'ouest  [si-jong  "gj  5^],  appelés  aussi  les  Tartares-chiens  [K'iuen 
Jong  ^v  ^c';  il  remporta  une  grande  victoire  sur  eux,  à  l'endroit 
où  la  rivière  Wei  ^ff  se  jette  dans  le  fleuve  Jaune  (1).  Pareil 
succès  effraya  le  grand  officier  Tcheou-tche-kiao  -fo  £  fë,  qui 
était  un  sage  lettré  :  un  homme  sans  vertu,  dit-il,  recevant  une 
telle  faveur,  est  averti  que  le  ciel  Ta  rejeté,  et  que  les  malheurs 
vont  fondre  sur  lui!  Sur  ce,  notre  lettré  s'enfuit  au  pays  de  Tsin. 
qui  n'avait    donc  pas  si  mauvaise  réputation  au  dehors. 

Vers  la  fin  de  cette  année,  Hien-kong  envoyait  le  prince 
héritier  Chen-cheng  ^  ^  faire  la  guerre  aux  Tartares  rouges 
"Tch'e-ti  ^f  ^C  ,  appelés  aussi  tribu  de  Kao-lou  "Kao-lou-che  ^ 
$£  JÇ  '  l11^  demeuraient  au  pays  de  Tong-chan  )|f  \[\ .  ou  monta- 
gne orientale  (2). 

A  ce  propos,  le  grand  officier  Li-k'o  j|[  ^£  fit  à  Hien-kong 
les  remontrances  suivantes  :  L'office  du  prince-héritier  est  d'aider 
le  roi  dans  l'offrande  des  sacrifices  solennels  pour  le  salut  du  pays  ; 
à  lui  de  présenter  le  millet  très  pur  dans  un  vase  choisi,  en  l'hon- 
neur des  Esprits  tutélaires  ;  à  lui  encore  de  surveiller  et  de  dé- 
guster, matin  et  soir,  les  mets  préparés  pour  ses  augustes  parents; 
c'est  pourquoi  il  s'appelle  tchong-tse  |ft  ^p,  c'est-à-dire  monticule, 
grand,  qui  dépasse  ses  frères  comme  une  montagne  dépasse  les 
collines  voisines.  En  l'absence  du  roi,  c'est  le  prince  héritier  qui 
garde  la  capitale;  sinon,  il  accompagne  son  père.  Gardant  la  ca- 
pitale, on  lui  donne  le  titre  de  Kien-kouo  |£  |j|},  surveillant  du 
royaume;  s'il  suit  son  père  à  la  guerre,  il  est  nommé  Fou-kiun 
$fe  jft,  aide-de-camp  du  roi,  celui  qui  l'aide  dans  l'administration 
de  l'armée. 

Voilà  les  règlements  établis  par  les  anciens  <•  sages  ■> .  Car  celui 
qui  commande  une  armée  doit  tenir  des  conseils  de  guerre, 
prendre  des  déterminations,  donner  des  ordres,  publier  des  pro- 
clamations, toutes  choses  qui  sont  d'ordinaire  réservées  au  roi 
et  à  son  premier  ministre.  Un  généralissime  agit  directement, 
sans    recourir    au    roi  ;     sinon    il     n'a    plus     d'autorité    sur   ses 


'I  |  Les  Si  Jong  ou  K'iuen  Jong  se  trouvaient  au  nord  de  Fong-siang  fou  I1J, 
Ijfllfif,  Chen-si;  mais  plusieurs  de  leurs  tribus  habitaient  dans  les  montagnes  appe 
lées  Lei-chctn  f$  |Jj ,  ou  du  tonnerre,  dans  la  préfecture  de  P'ou-tcheou  fou  ffê  JH  #f, 
Chan-si  ;  c'est  d'elles  qu'il  s'agit  ici.  (Grande  géogr.,  vol.  1,  p.  10)  —  (Hoang- 
tsing  King-kiai  ||  jf  $J  fj|,  vol.  8  —  94,  p.  3). 

(2)  Les  Tch'e-ti.  La  montagne  qu'ils  habitaient  s'appelle  encore  maintenant 
Kao-lou-chan  i&  f%  [Xi  ;  elle  se  trouve  à  70  li  à  l'est  de  P'ing-ting  tcheou  ^f  /g  jlfl , 
qui  est  à  280  li  à  l'est  de  T'ai-yuen  fou  >k  j|î  tff  ;  ces  Tartares  habitaient  donc 
sur  les  chaînes  de  montagnes  T'ai-hang-chan  ?k  ff  UT  (Petite  géogr.,  vol.  S, 
p.  35)  —  (Grande,  vol.  40,  p.  34). 


DU   ROYAUME  DR  TSIN»    HIEN-KONG.  31 

soldats.  Si  le  prince  héritier  agit  indépendamment  de  son  père, 
il  ne  se  montre  plus  fils  soumis,  comme  il  le  doit;  s'il  demande 
les  ordres  de  son  père,  il  devient  généralissime  inutile.  Voilà  pour- 
quoi un  prince  héritier  ne  peut  ni  ne  doit  recevoir  ce  poste;  il  ne 
peut  qu'y  perdre,  ou  son  influence,  ou  sa  piété  filiale.  De  plus, 
j'ai  ouï  dire  que  les  Tartares  ne  se  laisseront  pas  effrayer  ;  ils 
livreront  bataille;  épargnez  au  prince  héritier  le  péril  d'une  défaite! 

Hien-kong  se  contenta  de  répondre:  j'ai  neuf  fils  et  je  ne 
sais  pas  encore  quel  est  celui  qui  sera  le  prince  héritier.  Li-k'o 
interdit  par  cette  parole,  n'osa  pas  faire  instance;  il  s'en  alla  ra- 
conter à  Chen-cheng  ^  ^  ce  qui  venait  de  se  passer. 

Celui-ci  s'écria:  quoi  donc!  serai-je  écarté?  Li-k'o  le  rassura 
en  lui  disant:  Vous  n'êtes  pas  en  disgrâce,  puisqu'on  vous  confie 
le  commandement  des  troupes;  ne  craignez  donc  rien,  sinon  de 
ne  pas  vous  appliquer  tout  entier  à  votre  office  ;  pourquoi  seriez- 
vous  écarté?  un  fils  ne  doit  craindre  qu'une  chose,  c'est  de  n'être 
pas  assez  soumis,  non  pas  d'être  évincé  dans  ses  droits;  appliquez- 
vous  à  la  perfection  de  votre  personne,  et  ne  vous  plaignez  pas 
des  autres  ;  alors  vous  ne  redouterez  aucun  malheur. 

Quand  Chen-cheng  tfî  ^  partit  de  la  cour,  pour  se  mettre  à 
la  tête  des  troupes,  son  père  lui  fit  cadeau  d'un  vêtement  {§  ^ 
qui  n'était  pas  d'une  seule  couleur,  comme  il  aurait  dû  l'être,  et 
dont  la  moitié  seulement  était  de  couleur  royale  ;  c'était  donc  un 
habit  dérisoire.  De  plus,  il  lui  avait  remis  un  Kiué  jjpi  en  or, 
sorte  de  pendeloque  en  demi-cercle,  qui  se  suspendait  à  la  cein- 
ture, et  qui  était  un  signe  de  disgrâce  ou  de  démission. 

Sur  son  char  de  guerre,  Chen-cheng  avait  pour  conducteur  le 
grand  seigneur  Hou-t  'ou  $R  ^  ;  et  pour  lancier  le  seigneur  Sien- 
yeou  $ç  fê.  Han-i  S?  ^,  général  du  second  corps  d'armée,  avait 
pour  conducteur  Yu-tse-yang  $fc  -f*  ^ç  du  pays  de  Liang  i|£, 
pour  lancier,  Sien  tan-mou  -ffc  ft  fc.  Dans,  cette  expédition,  le 
grand  officier  Yang-ché  ^  -g-  avait  la  charge  de  Wei  ^J",  qui 
répondait  probablement  à  celle  de  grand-juge  criminel,  ou  prési- 
dent du  conseil  de  guerre;  car  les  commentateurs,  pas  plus  que 
les  dictionnaires,  ne  savent  au  juste  quelle  était  cette  dignité. 

Le  seigneur  Sien-yeou  dit  à  Chen-cheng:  Ne  voyez  pas  de  mal 
dans  les  deux  cadeaux  que  vous  avez  reçus;  vous  avez  l'autorité  en 
main,  vous  pouvez  ainsi  écarter  tout  malheur;  ne  considérez 
que  la  faveur  qui  vous  a  été  accordée  ;  et  ne  songez  qu'à  vous 
distinguer  dans  cette  expédition  qui  vous  est  confiée  ;  pourquoi 
vous  chagriner  inutilement? 

Le  grand  seigneur  Hou-t'ou  poussa  un  soupir,  en  entendant 
ces  paroles  :  Ce  sont  les  circonstances  qui  trahissent  l'intention 
du  prince,  en  faisant  ces  cadeaux;  le  vêtement  distingue  le  noble  du 
roturier  ;  l'ornement  de  la  ceinture  manifeste  l'affection  de  celui 
qui  en  fait  présent.  Si  le  prince  voulait  véritablement  honorer 
son  fils,  par  ces  distinctions,  il  deA'ait  choisir  le  moment  propice. 


32  TEMPS   VRAIMENT  HISTORIQUES 

le  printemps  ou  l'été,  où  toutes  choses  croissent  et  arrivent  à  leur 
perfection,  non  l'hiver,  où  tout  dépérit  et  meurt;  il  devait  offrir 
un  vêtement  de  couleur  unique  et  royale,  non  un  habit  bariolé, 
ridicule  ;  il  devait  donner  un  Kiuè  Jfe  en  jade  et  non  en  or  ;  corn1 
plet,  non  en  demi-cercle.  Ainsi  le  voulaient  les  usages  anciens.  Au- 
jourd'hui la  mission  subite  et  hors  de  saison  fait  voir  que  le  prin- 
ce met  obstacle  au  succès.  L'habit  bariolé  montre  que  le  prince 
n'aime  pas  son  fils  ;  l'or,  métal  dur  et  froid,  indique  un  cœur 
glacé  ;  le  demi-cercle  indique  la  rupture  entre  lui  et  son  fils.  C'est 
vouer  le  prince  héritier  au  dépérissement  et  à  la  mort  ;  quelle  con- 
fiance peut  avoir  celui-ci?  Même  s'il  s'applique  de  toutes  ses  for- 
ces à  exécuter  l'ordre  qu'il  a  reçu,  pourra-t-il  y  parvenir?  pour- 
rons-nous exterminer  les  Tartares,  jusqu'au  dernier? 

Le  grand  officier  Liang  Yu-tse-yang  observa  à  son  tour  : 
C'est  dans  le  temple  des  ancêtres  que  le  généralissime  est  investi  de 
sa  charge  ;  alors  il  offre  de  la  viande  crue  aux  Esprits  de  la  terre  ; 
alors  il  porte  son  uniforme  de  généralissime.  Chen-cheng  ayant  reçu 
ce  vêtement  bigarré,  n'a  pas  besoin  de  demander  d'explication;  il 
va  mourir,  et  i!  aura  encore  la  réputation  de  fils  ingrat  !  Ne 
ferait-il  pas  mieux  de  s'enfuir  au  plus  tôt? 

Le  général  Han-i  dit  également:  Un  vêtement  bigarré  est 
chose  inouïe!  le  demi-cercle  en  or  indique  un  cœur  dur  et  froid, 
qui  a  brisé  à  tout  jamais  !  Même  si  le  prince  héritier  rentre  victorieux . 
à  quoi  cela  lui  servira-t-il ?  la  résolution  de  son  père  est  arrêtée! 

Sien-tan-mou  enfin  dit  son  sentiment  :  Même  un  fou  concevrait 
des  doutes,  en  recevant  un  tel  habit  !  et  le  prince  a  ajouté:  «quand 
vous  aurez  exterminé  tous  ces  Tartares,  rentrez!»  Qui  donc  peut 
accomplir  cet  ordre,  à  la  lettre?  Et  même,  si  le  généralissime  y 
parvient,  est-ce  qu'à  la  cour  les  calomniateurs  seront  tous  exter- 
minés? Le  mieux  serait  donc  d'éviter  tout  malheur  par  une  prom- 
pte fuite. 

Le  grand  seigneur  Hou-t'ou  (1)  voulait  lui-même  s'enfuir 
avec  Chen-cheng;  mais  le  grand  officier  Yang-ché  observa:  Il  n'est 
pas  permis  de  se  soustraire  à  son  office,  h  moins  d'être  un  félon  ! 
Quoique  vous  connaissiez  les  sentiments  de  froideur  et  d'aversion 
du  prince  envers  son  fils,  il  faut  obéir  aux  ordres  qu'il  a   donnés. 

Ce  fut  ce  dernier  conseil  qui  prévalut.  On  se  mit  donc  en 
marche.    Le   grand   seigneur  Li-k'o    Jï  }fo,    en    homme    prudent, 

(1)  Le  tombeau  de  Hou-t'ou  est  sur  la  montagne  Ma-ngan  Bj  $£,  appelée 
aussi  Hou-t'ou-chan  -SU  ^  UJ  ;  elle  se  trouve  à  50  li  nord-ouest  de  Kiao-tch'cny 
hien  5£  tyl  $£,  qui  est  à  120  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  T'ai-yuen  fou  jfc.  $•  ffi> 
Chan-si.  Les  tombeaux  de  ses  fils  Mao  ^  et  Yen  flg  sont  %u  même  endroit.  [Petite 
géogr.,  vol.   S.  p.  5.)  —  (Chan-si  tong-tche  [lj   H  ÎS  âv.  vol.  56.  p.  27) 

Le  tombeau  de  Yang-ché  est  à  2  li  à  l'ouest  do  Kiang  tcheou  $£  M,  Chan-si. 
(Chan-si  tong-tche,  ibxd.J. 


DU    ROYAUME   DE   TSTN  .HIEN-KONG.  33 

prétexta  une  maladie,  pour  ne  pas  s'exposer  dans  cette  expédition. 
Ou  and  Chen-cheng  voulut  livrer  bataille.  Hou-t'ou  l'en  dissuada 
en  lui  disant  :  Autrefois  Sin-pé  ^  fâ  blâma  en  ces  termes  l'em- 
pereur Tcheou  Hoan-vtang  Jn)  H  3E  719-697  :  "les  concubines  fa- 
vorites mises  au  même  rang  que  l'impératrice,  les  officiers  favoris 
mis  sur  le  même  rang  que  les  ministres,  les  fils  favoris  mis  sur 
Le  mémo  rang  que  le  prince  héritier,  le  fief  confié  au  fils  mis  au 
même  rang  que  la  capitale;  voilà  autant  de  semences  de  discordes 
et  de  révolutions!-  L'empereur  n'ayant  pas  tenu  compte  de  cette 
remontrance,  l'empire  fut  bientôt  bouleversé.  Actuellement,  nous 
avons  les  mêmes  désordres  chez  nous;  qui  pourrait  vous  garantir 
la  succession  au  trône?  Ce  que  vous  avez  de  mieux  à  faire,  c'est 
de  vous  ménager,  et  de  ménager  aussi  le  peuple  qui  vous  a  été 
confié.  Pesez  ces  raisons,  et  nous  verrez  qu'il  ne  faut  pas  livrer 
bataille:  un  succès  éclatanl  dans  cette  guerre,  où  sous  risquez 
votre  vie.  ne  ferait  que  vous  compromettre  davantage,  et  hâterai i 
les   malheurs  qui  vous  menacent. 

Chen-cheng  suivit  sans  doute  ce  conseil:  il  trouva  moyen 
d  obtenir  la  soumission  des  peuplades  Tartares,  et  rentra  dans  son 
pays  vans  avoir  exterminé  personne;  car  les  historiens  sont  muets 
sur  la  suite  de  cette  expédition.  Hien-kong  n'en  fut  sans  doute 
pas  mécontent:  car  il  n'est  pas  question  de  réprimandes  faites 
ce  sujet,  au  prince  héritier. 

En  bôs.  le  pays  de  Tsin  est  mentionné,   pour  la  1       fois,  par 
Confucius  dans  sa  chronique  intitulée  Tch'oen-ts'ieou  ^  ïj^.  Pour- 
quoi ce   long   silence?   les    commentaires    en    donnent    une    raison 
généralement  admise   par  les  sinologues:  c'est  que  Confucius  s  est 
contenté  de  copier  et  de  publier  les  annales  de  Lou  -g.  telles  qu  el 
les  existaient  dans  les  archives.  Or  jusque-là  le  pays  de   Tsin  n  a 
vaut  rien  notifié  officiellement  à  celui  de  Lou,  rien  ne  s'y  trouvait 
inscrit.   Confucius    dit  donc  brièvement:  une  armée  de    Yu   Jf|    ^1 
et  de  Tsin  détruit  et  soumet  la  ville   de   Hia-yang  "T*  [^     2).    Les 
détails    nous    sont   donnes    par    Tsouo-k'ieou-ming    &  ffi  |1J]  dans 
son    fameux    commentaire,    connu    sous    le    nom    de    Tsouo-tchoan 
/£  -j^,  vol.  9,   p.    'i  :  les  voici: 

Le  grand  officier  Siun-si  ^fj  Jj,.  autrement  nommé  Siun- 
■ '"'"  'Kj  <f5  ■  proposa  à  Hien-kong  d'offrir  au  prince  de  Yu  !j$| 
quatre  magnifiques  chevaux  du  pays  de  K'iuè  j»jj,  et  une  tablet- 
te de  jade  du  pays  de  Tehoei-ki  §||  jjjj|[,  et  de  lui  demander  passage 
libre  sur  son  territoire,  pour  une  expédition  contre  la  principauté 


il)  Vu.  sa  capitale  était  à   îô  li  nord-est   de   P'ing-lov  hien    T  |£5|  ??.  qui  est 
0  li  sud-est  de  Iflai  tcheou  0}?  'W-  Chan-si.    Petite  géogr.,  col.  y.  v.    12 
(2)   Hia-yang  était  à  :î0  li  nord-est  de    l'ancienne    ville    T'ai-yang    ^k  PB 
eeile-ci  se  trouvait  à  50  li  à  t'est  do  P'ing-ïou  hien      Petitt   géogr.,  vol.   -     . 
Grande,  vol,  41 .  p.  34). 


34  TF.AIHS    VRA1MKNI     HISTORIQUES 

de  Kouo  |^.  Hien-kong  n'était  pas  disposé  à  faire  ce  cadeau  ; 
r officier  lui  dit  :  si  nous  obtenons  passage,  ces  objets  ne  sont  pas  per- 
dus; ils  sont  seulement  déposés;  nous  les  reprendrons  bientôt    1   . 

Hien-kong  répliqua  :  le  prince  de  Yu  a  pour  conseiller  le 
sage  Kong-lse-k'i  ^g*  ^f-  -^f  ;  celui-ci  devinera  facilement  notre 
piège. — Si  ce  conseiller  est  sage,  repartit  Siun-si.  il  est  aussi  faible 
de  caractère:  il  ne  saura  pas  faire  prévaloir  son  avis:  dailleurs, 
le  prince  et  lui  sont  trop  familiers:  ils  ont  été  élevés  et  ont  tou- 
jours vécu  ensemble:  le  prince  ne  fera  aucun  cas  de  ses  remon- 
trances. 

Siun-si  partit  donc,  et  demanda  passage  en  ces  termes  :  Le 
prince  de  Ki  Ja  2  .  homme  sans  foi* ni  loi,  vous  rit  la  guerre,  il 
y  a  peu  de  temps:  passant  par  le  défilé  Tien-ling  ^ [  f.ft  '.',  .  il 
parvint  sous  les  murs  de  Minq  'fJ)  \  ,  dont  il  assiégea  trois  portes 
a  la  lois:  vous  avez  su  le  repousser  et  le  rendre  bien  faible:  vous 
ayez  montré  ce  dont  vous  êtes  capable,  quand  vous  voulez  prendre 
une  revanche!  Maintenant,  à  notre  tour,  nous  sommes  harcelés 
par  le  prince  de  Kouo,  qui  ramasse  un  tas  de  brigands  et  les  lance 
sur  notre  pays.  Ainsi  j'ose  vous  prier  de  nous  accorder  passage  sui 
votre  territoire;  car  nous  voulons  enfin  punir  ces  insolentes  in- 
cursions '>  . 

Le  prince  de  Vu  fël.  gagné  par  ces  paroles  Batteuses  et  par 
ce  riche  cadeau,  accorda  volontiers  la  permission  demandée:  bien 
mieux,    il    s'offrit    lui-même    à    faire    partie    de    l'expédition,    et    à 


I  k'hié.  la  source  et  la  rivière  de  ce  nom  se  trouvent  à  4  li  sud-est  de  Che- 
hou  hien  ~fâ  ^§g  ff[,  dans  la  préfecture  de  Fen-tcheou  fou  j^  M\  fâ.  Cette  région, 
ainsi  que  tout  le  nord  du  Chan-si,  était  renommée  pour  ses  chevaux;  plus  spéciale- 
ment encore,  la  région  de  Pé-k'iué  ;Jt  J§J,  qui  est  actuellement  le  territoire  de  Ki- 
icheou  "jjf  îHh  270  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  P'ing-yang  fou,  (Grande  géoyr.,  ro/. 
4»,  p.   io)  —  (Chan-si  tong-tche,  vol.  53-  p-    7  ■ 

Tchoei-ki  était  à  20  li  sud-est  de  K'iu-wo  fjjj  ffî.  (Chan-si  tong-tche,  ibid). 

(2)  Ki,  sa  capitale,  était  à  l'est  de  Ho-tsin  hien  jBT  ^  îPf,  qui  est  à  200  li  à 
l'ouest  de  Kiang  tcheou  |^F.  M,  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  S,  p.  44  —  Grande,  vol. 
41.  p.  2-1  —  Un  autre  Ki  [Ki-joei  ^|  \k\[  était  à  30  li  à  l'ouest  de  Ts'in-ehoei  hien 
ïli  7jc  $f ,  qui  est  a  120  li  à  l'ouest  de  Tch'e-tcheov  fou  $1  M]  fff .  Chan-si.  Annales 
de  Tch'e-tcheou  fou,  vol.  //..  p.  j 

(3)  Tien-ling,  défilé  à  70  li  nord-est  de  P'ing-lou  hien  -'p  |?£  g£,  qui  est  à  90  li 
sud-est  de  Hiai  tcheou  f$  ffl.    Petite  géogr.,  vol.  41,  p.  33). 

(4)  Min  g,  était  à  20  li  nord-est  de  P'ing-lou  hien,  Chan-si.  1  Petite  géogr., 
vol.  8,  p.  42)  —  (Grande,  vol.  41,  p.  34). 

(5)  Le  chemin  en  question  est  près  de  la  montagne  Yu-chan  {${  |1|,  à  50  li 
nord-est  de  P'ing-lou  hien,  défilé  de  20  li  de  long,  et  dangereux,  dans  la  chaîne 
Tchong-t'iao-chan  ty  f&  fjj.  ''Géogr..  impér.,  vol.  117,  p.  2)  — (Annales  de  Tch'e 
tcheou,  vol.  si  p.  5). 


DU   ROYAUME  DE  TSIN.    HIEN-KONG.  35 

commencer  le  premier  les  hostilités.  Kong-tse-kH  ^  ^  ^,  son 
fidèle  conseiller,  le  blâma  de  cette  double  résolution;  ce  fut  en 
vain;  le  prince  leva  immédiatement  une  armée. 

En  été  de  cette  même  année  658,  le  grand  seigneur  Li-h'o 
]§[  3£  et  Siun-si  ^f  Jg,  conduisaient  une  armée  contre  le  pays  de 
Kouo  ï§fc;  leurs  troupes,  unies  à  celles  de  Yu,  prirent  la  ville  de 
Hia.-ya.ng   "F  (^,  qui  fut  annexée  au  pays  de  Tsin. 

Malgré  cette  défaite,  le  prince  de  Kouo  entreprenait  bientôt 
une  guerre  contre  les  Tartares  (Jong  ~$Q,  et  remportait  la  victoire 
à  Sang-Vien  J|  ffl  (1).  Sur  ce.  Yen  fg,  fameux  devin  de  Tsin. 
fit  la  prophétie  suivante  :  le  prince  de  Kouo,  après  avoir  perdu 
une  ville,  reste  aussi  orgueilleux  qu'auparavant;  le  ciel  vient  de 
lui  accorder  une  faveur,  c'est  pour  le  rendre  encore  plus  insolent, 
et  le  perdre  plus  sûrement. 

En  656,  en  octobre-novembre,  le  prince  héritier  Chen-cheng 
^  ^£,  une  des  figures  les  plus  légendaires  en  Chine,  se  pendait 
par  excès  de  piété  filiale,  comme  on  le  chante  partout.  Voici  com- 
ment les  historiens  racontent  cette  fin  tragique. 

Hien-kong  ayant  pris  pour  femme  la  fameuse  princesse  Tar- 
tare  Li-ki  fff  JE»,  voulut  lui  donner  le  rang  de  première  épouse; 
il  consulta  les  sorts,  par  le  moyen  de  la  tortue  divinatoire;  la 
réponse  tut  négative;  il  consulta  de  nouveau  les  sorts,  par  le  moyen 
de  l'achillée  divinatoire  "ou  sternutatoire]  (che-tche  3j*  ;£)  ;  la  ré- 
ponse fut  favorable,  comme  on  pouvait  s'y  attendre.  Hien-kong 
dit:  je  m'en  tiens  à  cet  oracle.  Mais  le  devin  de  la  tortue  fit  cette 
remarque  :  la  tortue  étant  le  palladium  du  pays,  ses  réponses  ont 
une  autre  valeur  que  celles  de  l'achillée;  on  ne  peut  les  mépriser 
impunément.  De  plus,  l'oracle  [tcheou  %$]  vous  donnait  cet  avis  ; 
la  passion  qui  trouble  votre  cœur  tournera  bientôt  à  la  honte  de 
votre  seigneurie.  Mettez  ensemble  des  plantes  d'agréable  odeur, 
et  d'autres  puantes;  après  des  années,  le  parfum  aura  disparu, 
la  puanteur  persistera.  La  vertu  s'oublie!  A  aucun  prix,  vous  ne 
devez  donner  suite  à  votre  projet  (2). 

Hien-kong  n'écouta  pas  ce  bon  conseil  ;  il  donna  le  rang  de 
]èiti  épouse  (femme  légitime)  à  cette  concubine,  et  en  eut  le  prin- 
ce Hi-tsi  J^|  5^f,  comme  il  a  été  raconté  plus  haut:  cette  intri- 
gante remua  ciel  et  terre  pour  placer  enfin  son  fils  sur  le  trône. 

Ij  Sang-t'ien,  chemin  très  fréquenté,  avec  des  relais  de  poste1,  est  à  30  li  a 
l'est  de  Ming-hiang  hien  \!i]  i$  %%  qui  est  à  130  H  à  L'ouest  do  Chen-tcheou  |ij)«  #), 
Ho-nan.  (Petite  géugr.,  col.   12. p.  66) — (Grande,  vol.  4S .  p.  jç). 

(2)  Les  sorts  disent  ce  que  l'on  veut;  oui  ou  non,  selon  les  besoins  de   la  cau- 
se. Far  simple  bon  sens,  ou  par  équité  naturelle,  le  devin  de  la  tortue  pouvait  don- 
ner cette  réponse  et  ces  conseils:  il  pouvait  aussi  avoir  été    gagné    à    pris    d'aï 
tout  aussi  bien  que  son  compère   de    l'achillée.    N'est-il    pas    dit    quelque    pari    que, 
chez  les  Romains,  deux  aruspices  ne  pouvaient  se  regarder  sans  rire? 


36  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Dans  son  fol  amour  pour  cette  femme,  Hien-kong  lui  disait: 
je  vais  écarter  Chen-cheng  ^  ££,  et  donner  sa  place  à  Hi-tsi.  A 
ces  mots,  l'hypocrite  versait  des  larmes  :  le  prince  héritier,  di- 
sait-elle, est  déjà  établi  ;  tous  les  vassaux  en  ont  été  avertis  offi- 
ciellement ;  plusieurs  fois  il  a  commandé  l'armée  ;  le  peuple  l'aime  ; 
impossible  de  l'écarter!  si  vous  persistiez  dans  ce  dessein,  votre 
humble  servante  n'aurait  plus  qu'à  se  pendre  ! 

En  public,  cette  femme  exaltait  les  qualités,  le  vertus  du 
prince  héritier;  en  secret,  elle  prenait  mille  moyens  de  le  calom- 
nier; on  va  voir  jusqu'où  elle  poussa  la  fourberie  pour  le  perdre. 

En  attendant,  Hien-kong  gagnait  à  son  projet  les  seigneurs 
les  plus  influents,'  Quant  au  rusé  Li-h'o  J|  T^f,  il  se  contenta  de 
répondre  :  je  ne  me  mêle  pas  de  cette  affaire  !  je  ne  prends  parti 
ni  pour  l'un  ni  pour  l'autre  de  deux  princes;  ;iinsi  j'espère  éviter 
tout  malheur!  — La  suite  des  événements  nous  montrera  la  valeur 
de  ces  paroles;  lui  aussi  avait  ses  projets. 

(Jn  jour  dune,  l'intrigante  Li-ki  dit  au  prince  héritier:  Votre 
père  a  vu  en  songe  votre  mère  (la  princesse  défunte  Ts'i-kiang 
"f   £•     (1    '•  hâtez-vous  d'offrir  à  celle-ci  un  sacrifice  solennel! 

Chen-cheng  tfi  /£  se  rendit  à  K'iu-VfO  $\  ^,  sa  résidence, 
v  offrit  les  sacrifices,  et  rapporta  à  la  cour'  une  partie  des  mets 
ainsi  consacrés,  comme  le  voulaient  les  rites.  Hien-kong  était 
alors  à  la  chasse  ;  il  ne  revint  qu'au  bout  de  six  jours.  Pendant 
ce  temps,  la  scélérate  Li-ki  introduisait  du  poison  dans  les  mets. 
A  son  retour,  Hien-kong,  dont  on  avait  eu  soin  d'éveiller  les 
soupçons,  fit  répandre  de  ce  vin  sur  la  terre,  il  se  mit  à  bouillon- 
ner ;  il  fit  donner  de  cette  viande  à  des  chiens,  ils  crevèrent  aus- 
sitôt; on  en  donna  également  à  des  eunuques  esclaves,  ils  mouru- 
rent de  suite. 

Quel  brigand  horrible  que  ce  prince  héritier!  s'écriait  la 
misérable  Li-ki,  en  versant  un  torrent  de  larmes;  n'a-t-il  pas 
voulu  empoisonner  son  père?  —  Chen-cheng  s'enfuit  dans  sa  ville 
de  K'iu-wo  ;  mais  son  ministre  et  conseiller  intime,  le  grand  sei- 
gneur Tou-yuen-kan  %t  J^\  |J^,  fut  pris  et  mis  à  mort. 

On  conseillait  à  Chen-cheng  d'aller  se  disculper.  — Non,  c'  ; 
inutile;  il  faut  cette  femme  à  mon  père;  sinon,  il  ne  pourra  ni 
manger,  ni  dormir!  connaissant  avec  certitude  son  forfait,  il  devrait 
la  faire  mourir;  il  est  déjà  vieux,  il  n'aurait  plus  ni  joie  ni  repos; 
et  cela,  à  cause  de  moi;  ce  n'est    pas  possible! 


i      i  i    tombeau  de  la   princessi    IVi-kiang  est  à    1  li  au  sud    de    Kicmg  tckeou 

1 . .   impér.  ,  ool.    tjS,  j 

Les    annales  du  Chan-si,  vol,   56,  p.   26,  disent  que  c'est  à  9   li  au    sud   de    la 
mémt  \  ill(  . 

Les  mêmes    Vnnales  placent   i I i     la    fameu  i     Li-ki     a    B    li    au      ud 

1 1 1  •  • . 


DU   ROYAUME  DE  TSIN.    HIEN-KONG.  37 

On  conseillait  encore  à  Chen-cheng  de  s'enfuir.  —  Non.  ré- 
pondait-il ;  mon  père  n'ayant  pas  examiné  le  fait,  les  soupçons 
pèsent  sur  moi;  qui  donc  voudrait  me  donner  asile"?  Sur  ce,  il 
finit  par  se  pendre,  le  23  octobre  de  cette  année  656,  dan  son  pa- 
lais de  K'iu-wo  |$J  fô. 

La  triste  Li-ki,  débarrassée  du  prince  héritier,  tit  calomnier 
également  ses  deux  frères,  comme  complices  de  l'attentat.  Tchong- 
eul  If;  J$.  s'enfuit  à  sa  résidence  de  P'on  fjfj,  I-ou  ^  ^  de  mè- 
me  à  celle  de  ICiué  J^. 

Précédemment,  nous  avons  dit  que  Hien-kong  avait  ordonné 
au  ministre  des  travaux  publics,  Clie-wei  -j^  JM11  ^e  fortifier  ces 
deux  villes  pour  les  deux  princes.  De  propos  délibéré,  il  avait 
mal  exécuté  ce  travail  ;  pour  désagréger  le  mur  fait  de  terre  jaune, 
il  y  avait  fait  mettre  des  brindilles  de  bois.  I-ou  en  avertit  son  père, 
qui  blâma  Che-wei.  Celui-ci  répondit  en  se  prosternant  à  terre:  j'ai 
ouï  dire  par  Les  anciens:  «.quiconque  a  du  chagrin,  sana  >jtr>>  <jn 
deuils  sera  bientôt  dévoré  de  soucis;  quiconque  fortifie  des  villes, 
sans  être  en  guerre,  aura  bientôt  des  difficultés  sûr  les  brus». 

Si  l'ennemi  doit  occuper  ces  deux  villes,  pourquoi  en  faire 
les  murs  si  solides?  J'ai  agi  en  bon  ministre;  j'ai  eu  eu  vue  le 
bien  de  l'Etat,  mais  j'ai  désobéi  à  la  lettre  de  l'ordre  reçu,  et  par 
là  je  me  suis  montré  peu  respectueux.  Bâtissant  des  murs  solides. 
j'aurais  fortifié  les  défenses  qu'occuperait  l'ennemi  :  j'aurais  donc  nui 
à  mon  souverain  ;  il  me  fallait  manquer  au  respect  ou  au  dévoue- 
ment envers  mon  prince:  quelle  alternative  choisir?  Le  livre  des 
Vers  (1)  nous  dit:  «.l'amour  de  U\  vertu  assure  la  tranquillité;  les 
princes  du  sang  sont  le  rempart  du  souverain».  Que  votre  Majes- 
té s'applique  donc  à  la  vertu  ;  ainsi  elle  aura  solidement  établi  ses 
fils;  qu'est-il  besoin  de  fortifications?  dans  trois  ans,  vous  aurez 
à  guerroyer  là.  pourquoi  y  bâtir  des  murs  si  solides? 

En  sortant  de  l'audience,  le  ministre  murmurait  dans  =a 
barbe:  les  couleurs  des  fourrures  s'entrecroisent  pêle-mêle;  troi> 
souverains  dans  un  pays!  auquel  des  trois  obéir? 

Eu  655,  Hieh-kong  envoyait  l'eunuque  P'o-ti  ùf)}  îjjjfc  ou  P'i 
4$.  attaquer  la  ville  de  P'on  fjff.  Tchong-eut  j§*  Jf  dit  à  son  en- 
tourage: nous  ne  pouvons  lutter  contre  mon  père.  Sur  ce,  il  fit 
publier  l'avis  suivant:  quiconque  résiste  au  souverain  est  mon 
ennemi  ! 

Cependant,  l'eunuque  était  arrive  dans  la  ville,  et  avait  in- 
timé à  Tchong-eul  l'ordre  de  se  donner  la  mort:  celui-ci.  pour 
toute  réponse,  s'était  élance  pour  s'enfuir;  l'eunuque  l'avait  ^aisi 
par  son  habit,  pour  le  retenir  :  le  vêtement  s'était  déchiré,  le  prin- 
ce avait  sauté  par-dessus  les  fortifications,  avait  gagné  le  large, 
enfin  s'était  réfugié  chez  les  Tartares  Ti  ^|  (2). 

''     Ta-ya  ~X  S-  (Zattoli,  I[l>  l>-  260  oera  7eme)  —  (Couvreur,  p.  31 

2i  Ti.  Ces  Tartares  habitaient  le  nord  des  deux  provinces  Chan-si  et  Chen-si. 


38  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

Hien-kong  envoya  encore  des  troupes  attaquer  la  ville  de 
K  'iuè  Jfg  ;  mais  les  habitants  se  défendirent  si  bien  qu'on  ne  put 
s'en  emparer. 

Vers  le  mois  de  mai  de  cette  même  année, Hien-kong  demandait 
de  nouveau  au  prince  de  Yu  ^  la  permission  de  passer  par  son 
territoire,  pour  faire  la  guerre  au  pays  de  Kouo  ^.  Le  fidèle  Kong- 
tse-k'i  ^  ;£  •tîf  lui  fit  encore  des  remontrances:  La  principauté 
de  Kouo,  disait-il,  nous  sert  de  rempart;  celui-ci  renversé,  notre 
pavs  aura  bientôt  le  même  sort  ;  il  ne  faut  pas  de  familiarité  avec 
les  gens  de  Tsin,  car  ils  sont  insatiables;  vous  leur  avez  déjà 
accordé  le  passage,  c'était  trop;  il  ne  faut  pas  recommencer.  "Les 
os  malaires  et  les  maxillaires  se  portent  un  mutuel  appui  ;  si  les 
lèvres  se  perdent,  les  dents  ont  froid-  ;  ce  proverbe  s'applique 
bien  à  notre  cas. 

Le  prince  de  Yu  répliqua:  Hien-kong  descend  du  même  an- 
cêtre que  nous;  comment  pourrait-il  nous  vouloir  du  mal? 

Le  conseiller  repartit  :  T'ai-pé  -Jfc,  f^  et  Yu-tchong  J|  frji 
étaient  les  fils  de  T'ai-wang  -fc  ^f .  ;  le  premier  n'ayant  pas  voulu 
se  rendre  à  l'avis  de  son  père,  s'enfuit  au  pays  de  Ou  J^,  et  n'est 
pas  resté  dans  la  lignée  impériale  Tcheou  Jj§}  (Voir  notre  histoire 
du  royaume  de  Ou).  Kouo-tchong  '$£  ftji  et  Kouo-chou  |^;^(  étaient 
les  fils  de  Wang-ki  3Î  Bp,  et  propres  frères  de  Wen-vcang  5C  3E.  • 
ils  devinrent  les  ministres  de  ce  grand  empereur;  leurs  mérites 
sont  consignés  dans  les  archives.  Le  prince  de  Tsin  étant  décidé 
à  abattre  le  pays  de  Kouo  yfâ,  quel  scrupule  aura-t-il  d'anéantir 
aussi  le  notre?  votre  famille  est-elle  plus  proche  parente  que  celles 
de  Hoan-chou  ^j|  7$  et  Tchoang-pé  »{£  f£  ?  pourquoi  Hien-kong 
vous  aimerait-il  davantage?  Quel  crime  avaient  donc  commis  les 
descendants  de  ces  deux  derniers  princes,  pour  être  ainsi  massa- 
crés? S'appuyant  sur  leur  parenté  avec  la  maison  régnante  actuel- 
le ,ils  montrèrent  seulement  quelque  impudence  ;  ils  furent  extirpés. 
Serons-nous  épargnés,  nous  dont  le  beau  pays  excite  la  convoitise 
de  Hien-kong? 

Le  prince  de  Yu  répondait  à  cela  :  Je  fais  régulièrement  et 
-•  •néreusement  les  sacrifices;  bien  sûr, les  Esprits  me  protégeront, 
et  m'accorderont  la  paix. 

Le  tidèle  conseiller  répliqua  :  Les  anciens  nous  ont  enseigné 
que  les  Esprits  ne  considèrent  pas  la  face  des  hommes,  mais  uni- 
quement leur  vertu;  c'est  pourquoi  dans  les  annales  de  Tcheou  Ipj 
il  est  écrit  :  V auguste  ciel  n'a  pas  de  parents;  il  ne  récompense 
que  la  vertu;  et  ailleurs  :  ce  n'est  }>as  le  rnillet,  mais  la  vertu  qui 
est  goûtée  du  1 iel;  ailleurs  encore  :  les  offrandes  peuvent  être  les 
mêmes;  c'esl  la  vertu  qui  leur  donne  une  valeur  différente.  Ainsi 
donc,  si  le  prince  ne  pratique  pas  la  vertu,  les  Esprits  n'agréeront 

1      .rande  géographie,  vol.  57,  p.  1,  dit  qu'ils  occupaient  les  territoires   actuel-     l 
Ye.i-nyan  SiE  H  (Chen-sn  et  de  Fen-tcheou  fou  ffi  jW   #)'•  (Chan-si). 


DD    ROYAUME   DE  TSIN.    HIEN-KONG.  39 

pas  ses  sacrifices:  et  le  peuple  n'aura  pas  la  paix.  Si,  après  s'être 
empare  de  notre  pays,  Hien-kong  pratique  la  vertu,  ses  sacrifices 
exhaleront  un  parfum  excellent. 

Le  prince  du  Vu  ne  tint  pas  compte  de  ces  uvis  réitérés;  il 
accorda  libre  passage  aux  troupes  de  Tsin.  Sur  ce.  le  sage  con- 
seiller s'enfuit  avec  toute  sa  parenté,  pour  ne  pas  être  englobé 
dans  les  malheurs  qui  allaient  fondre  sur  le  pays.  Notre  princi- 
pauté, disait-il,  périra  avant  la  12'nit'  lune  de  cette  année;  c'est 
maintenant  que  son  sort  va  se  décider;  Hien-kong  n'enverra  pas 
une  autre  armée  contre  nous;  c'est  celle-ci  qui,  au  retour  de  Kouo. 
nous  anéantira. 

A  la  8  me  lune.au  jour  appelé  Kia-ou  ^  ^-.  le  6  juin  ,  l'armée 
de  Tsin  assiégeait  Chang-yang  _t  8§  <  1  ,  la  capitale  de  Kouo  $£ 
Auparavant.  Hien-kong  avait  consulté  Yen  f[f  son  devin  :  mon 
entreprise  réussira-t-elle?  —  Oui,  vous  remporterez  la  victoire.  — 
Quand?  —  A  la  12:""  lune,  au  jour  ping-tse  pfcj  Zf-;  car  j'ai  en- 
tendu un  jeune  enfant  chanter  les  paroles  suivantes,  véritable  avis 
du  ciel  :  au  matin  du  jour  ping-tse,  de  la  (2ème  lunejes  armures 
de  nos  officier*  brillent  d'un  même  peint:  le*  drapeaux  de  Kovu 
sont  enlevé*!    2 

Naturellement,  la  prophétie  s'accomplit  à  la  lettre,  puisqu'elle 
a  été  faite  après  les  événements.  La  capitale  fut  prise,  et  le  pays 
annexé  ati  pays  de  Tsin:  le  prince,  nomme  Tch'eou  j!j#.  s'enfuit  à 
la  cour  de  l'empereur    .'!  . 

L'armée  de  Hien-kong  devait  traverser  de  nouveau  le  territoire 
de  Yu  J^.  pour  s'en  retourner:  sous  prétexte  de  prendre  logement, 
elle  s'empara  de  la  capitale,  et  annexa  encore  ce  pays.  Le  prince 
fut  emmené  captif ,  avec  son  grand  officier  Tsing-pé  fJffÉJ.  Celui-ci 
est  surtout  connu  sous  le  nom  de  Pè-li-hi  "Èf  H  ^  :  c'est  un  sage. 
un  saint-  dont  Mong-lse  jfc  ^f-  fait  l'éloge.  Pour  faire  -perdre  la 
face-  à  ce  fameux  personnage,  Hien-kong  l'envoya  comme  domesti- 
que à  sa  fille,  mariée  au  roi  Mou-kong  ^|  ^  de  Ts'in  |f|. 

Cependant.  Hien-kong  n'était  pas  tout  à  fait  rassuré  du  côté 
des  Esprits  tutélaires  du  pays  de  V"  ^  :  il  leur  offrit  des  sacrifi- 
ces, comme  si  rien  n'eût  été  changé.  Il  eut  encore  la  prudence 
d'offrir  le  butin  à  l'empereur;  ainsi  le  gagna-t-il  à  sa  cause,  et  se 
lit-il  pardonner  cette  double  annexion. 

(1)  Chang-xang.  était  au  sud-est  de  Chen  tcheou  $$  ■'11,  llo-nan.  (Petite  géogr., 

vol.   il.  p.  64)  —  (Grande,  vol.  48,  p.  ji). 

(2)  Je  fais  grâce  au  lecteur  du  reste  de  la  soi-disant  chanson"  de  l'enfant; 
car  elle  renferme  une  demi-page  très  savante  sur  les  points  de  jonction  et  de  cul- 
mination  de   plusieurs  étoiles. 

3     Le  tombeau  de  ce  prince  Tch'eou,  est  au  sud-ouest  de  M'en  hien  ,J^  Pf.  dans 
la  préfecture  de  Hoai-k'ing  fou  gj  §|  ^f,  Ho-nan.      Petite   géogr..    vol.    n,  p.   .>? 
—  (Grande,  vol.  4c  p.  16)  —  (Géogr.,  impér.,  vol.  161,  p.  1). 


40  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Tous  les  commentaires,  à  l'exemple  de  Confucius,  disent-ils, 
jettent  la  pierre  an  prince  de  Yu  ;  partout,  c'est  le  vaincu  qui  a 
tort.  Ouant  au  fameux  seigneur  Siun-si  ^f  Jj,  L,  auteur  de  toutes 
ces  fourberies,  il  ramena,  selon  sa  promesse,  les  quatre  magnifi- 
ques chevaux  donnés  autrefois  en  cadeau  :  Ce  sont  bien  les  mêmes, 
en  effet,  dit  Hien-kong  en  souriant:  ils  sont  seulement  un  peu 
plus  vieux  qu'en  partant. 

En  tîô4,  une  armée  de  Tsin  allait  de  nouveau  attaquer  la 
ville  de  K'iuè  J^  (2).  Cette  fois,  le  prince  I-on  ^  3j-  ne  se  crut 
pas  de  force  à  lutter  victorieusement  contre  son  père:  il  fit  donc 
une  convention  solennelle  avec  son  peuple,  qui  lui  jura  fidélité  ; 
puis  il  s'enfuit.  D'abord  il  pensait  se  retirer  aussi  chez  les  Tarta- 
res  Ti  tyfc  ;  son  grand  officier  K'i-joei  $|î  $j'  l"en  dissuada:  si  vous 
allez  près  de  votre  frère  Tchong-eul  jf"  If,  vous  paraîtrez  avoir 
fait  ensemble  une  conjuration  ;  ce  serait  encore  attirer  la  vengeance 
de  votre  père  sur  le  prince  des  Tartares.  Allez  plutôt  à  la  coui  de 
Linng  ^  (3),  voisine  et  amie  du  royaume  de  Ts'in  ^;  là,  von-, 
pourrez  vous  mettre  en  relation  avec  le  roi  Mou-hong  ^j|  ^,  et, 
par  son  entremise,  rentrer  dans  votre  pays,  à  la  mort  de  votre 
père.   I-oU  suivit  ce  conseil,  et  se  rendit  à  la  cour  de  Liang. 

En  652,  Hien-kong  envoyait,  en  effet,  une  armée  punir  les 
Tartares  Ti  |||,  de  l'asile  donné  par  eux  au  prince  Tchong-eni 
T|r  ïf.  Le  généralissime  était  Li-k'o  j|[  j£,  déjà  connu  du  lecteur  ; 
Liang-yeou-mi  ^  |£j  pétait  son  conducteur  de  char;  et  Kouo-ché 
f£  fy\  son  lancier.  On  remporta  une  belle  victoire  à  Ts'pJ-saVii 
£R  Jjji>  fameux  gué  du  Fleuve  Jaune  (4).  Liang-yeou-mi  voulait 
poursuivre  les  Tartares,  qui  avaient  pris  la  fuite.  Non,  répondit 
Li-k'o,  contentons-nous  d'avoir  effrayé  ces  peuplades,  ne  les  pous- 
sons pas  à  bout,  de  peur  qu'elles  ne  se  soulèvent  en  masse  contre 
nous.  Kouo-ché  pressait  aussi  de  continuer  la  campagne  si  bien 
commencée:  les  Tartares,  disait-il,  nous  croiront  impuissants  .-1 
les  dompter;  avant  un  an,  ils  viendront  chez  nous  prendre  une 
revanche.  Il  ne  se  trompait  pas;  avant  la  6  "ie  lune  de  cette  même 
année,  les  Tartares  faisaient  irruption  clans  le  pays  de  Tsin.  Mais 

(1)  Le  tombeau  de  Siun-si  est  à  I  ti  li  nord-esl  de  Hiang-ning  hien  %$  ^  ff 
à  l'ouest  de  la  montagne  Pé-chan  ^  Uj  :  or  Hiang-ning  esi  a  * > t •  h  -.ud-pst  de  Kt~ 
tïhemt   iV  ;HI,  (han-si.  (Chansi  tong-tche,  rai.  jô,  p.  27). 

(2)  Cette  armée  était  conduite  par  le  i^rand  officier  (ta-fou  fc  ^ç)  nomme 
Kia-hao  J^  ./|$j. 

(3)  Liang,  sa  capitale,  était  à  22  li  au  sud  do  ITan-teh' eng  bien  fâ  i$  !??.  qui 
est  à  220  li  nord-est  de  sa  préfecture  T'ong-tcheou  fou  Jîî)  H]  ffî,  Chen-si.  >P<'tire 
féogr.,  ool.  14,  p.  jç)  —  (Grande,  rai.  54.  p.  241. 

(4)  Ts'ai-sang.  Se-ma  Ts'ien  écrit  Gniésang  |§if  î^,  est  h  70  li  à  l'ouest  de 
Kî-tcheov  li  ffl,  qui  est  à  270  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  P'ing-3'ang  fou  (Petite 
gàogr.,  vol.  8.  p.   11)  —  (Gronde,  vol.  41.  p.  50)- 


DU    ROYAUME   PF.  TSIN.    HIEN-KONG.  41 

Li-k'o    avait   d'autres    projets,    comme    nous   le   verrons  bientôt,   il 
ramena  donc  l'armée  dans  ses  foyers. 

A  cette  époque,  le  pays  de  Tsin  était  devenu  considérable  : 
au  nord,  il  s'étendait  jusqu'aux  Tartares  Ti  ^:  à  l'est,  jusqu'à 
la  grande  chaîne  de  montagnes  T'aî-hang  -fc  %f  :  au  sud,  il  étail 
voisin  de  l'empereur;  à  l'ouest,  il  dépassait  le  fleuve  Jaune  Hoang- 
ho  ^  fpj  . 

En  651,  vers  mai-juin,  à  Koei-k'iou  %i  fi\]  1).  grande  réunion 
des  vassaux,  sous  la  direction  du  fameux  Hoan-kong  jjfiiîfè,  prince 
de  TsH  ^  (684-643  ,  qui  fut  ainsi  reconnu  officiellement  comme 
chef  de  tous  les  états  féodaux,  le  maître  effectif  de  la  Chine. 

En  juillet-août,  on  y  lit  un  traite  de  paix  et  d'union,  signé 
par  huit  princes.  Cette  convention  est  une  des  plus  célèbres  de  la 
Chine:  elle  Ne  composait  d'un  article  unique,  mais  d'une  grande 
portée,  comme  dune  grande  élasticité  :  on  s'engagea  par  serment 
à  l'observer.  Il  y  était  dit:  nous  tous,  signataires  de  ce  traité, 
serons  désormais  uniquement  appliqués  à  faire  régner  entre  nous 
la  paix  et  l'amitié    . 

Le  grand  ministre  tsai  ^?  Tcheou-kong  }y]  Q,  avait  daigné 
présider  cette  réunion,  au  nom  de  l'empereur.  Porteur  d'un  si 
grand  titre,  il  se  hâta  de  partir  le  premier.  En  chemin,  il  ren- 
contra Hien-kong,  qui,  malade  et  déjà  vieux,  s'était  mi-,  trop  tard 
en  route:  Nous  pouvez  vous  dispenser  de  ce  voyage,  lui  dit-il; 
Hoan-kong  ne  pratique  pas  la  vertu;  dans  son  orgueil,  il  nourrit 
de  hautes  visées,  et  fait  la  guerre  aux  quatre  points  cardinaux. 
Quant  à  vous-même,  évitez  de  troubler  votre  pays  pour  la  succes- 
sion aux  trône:  car  si  vous  avez  des  révolutions,  ce  n'est  pas 
Hoan-kong  qui  viendra  les  apaiser!  —  Hien-kong  rebroussa  che 
min,  et  ne  signa  pas  ce  traité. 

A  la  o'mi.  ]Une  de  cette  même  année  651,  il  se  trouva  plus 
malade,  et  commença  à  craindre  la  mort:  il  manda  son  fidèle 
Siun-SÎ  'ffj  Jj,,  le  précepteur  du  prince  Hi-tsi  ^  ^  :  ce  jeune  en- 
fant, lui  dit-il.  va  bientôt  être  orphelin;  parmi  les  grands  digni- 
taire.-,  il  y  en  a  bon   nombre  qui  ne  sont  pas  contents   de    le    voir 


I      Koei-k'iou,    était    à    l'est    <i      K'o-tch'eng    hien    3*  jjj£  (22  i(iii  es1  à    120  !. 
st  d     sa   ;  Wei-hoei  fou  fljj  js&.  ff]    Ho  n 

/<.   22  —   Grande,  ool   //.  /i 

i  !s  annales  du  Chan-si,  vol  53,  p.  9,  disent  que  Koei-k'iou  était  à  lo  li  au 
nord  de  Yong-ho  hien  5§  fnj*  $£  qui  est  à  120  li  au  nord  de  sa  préfecture  P'ou- 
tcheou  {'mi  jtjf  fH  ]fâ .  Chan-si.  Car.  comme  il  s'agissait  de  se  faire  honorer  par  le-? 
divers  Etats,  il  fallait  bien  tenu-  la  réunion  dan-;  son  propre  pays,  près  de  -a  capi- 
tale. Cette  raison  semble  plausible. 

Pourtant,    les    annales  -tcheou  fou,    vol.  51,  p.  6,  donnent  ii 

indication;  cette  ville  aurait  été  un   peu  au  sud  de  rcA'e-fcfieou  fou  \f;  H]  Tff  même 
Qui  doue  a  raison  ? 


42  TEMPS    VKA4MENT    HISTORIQUES 

prince  héritier;  après  ma  mort,  que  pense  faire  voire   seigneurie? 
vil    v    a    révolution,    vous    sentez-vous    capable  de  la  dompter? 

Je  serai  fidèle  au  prince  Hi-tsi,  répondit  Siun-si;  et  je  le 
soutiendrai  avec  toute  l'énergie  dont  je  suis  capable;  si  mes  efforts 
sont  couronnés  de  succès,  ce  sera  grâce  aux  mérites  de  votre 
Majesté;   si  nous  ne  réussissons  pas,   nous  mourrons  ensemble. 

Hien-kong  pouvait  compter  sur  cette  parole;  c'est  pourquoi 
il  nomma  Siun-si  ministre  et  grand  administrateur  de  l'Etat. 
Lui-même  s'éteignit  au  jour  Kia-tse  ^3  ~f-  de  cette  même  lune  1  » 
Août  .  A  peine  avait-il  fermé  les  yeux  que  les  meurtres  commen- 
cèrent dans  son  propre  palais,  autour  de  sa  couche  funèbre. 

Nous  avons  vu  plus  haut  le  grand  seigneur  Li-k'o  ffl,  sfc  se 
déclarer  neutre"  entre  les  prétendants  à  la  couronne;  c'était  re- 
fuser son  approbation,  et  se  réserver  pour  l'avenir;  nous  allons 
le  suivre  à  l'œuvre:  Tout  d'abord,  il  alla  trouver  Siun-si:  la  haine 
longtemps  comprimée  va  éclater,  lui  dit-il;  les  partisans  de 
Tchong-eul  jg  !T£  et  de  I-ou  >/i  ^j-  vont  prendre  leur  revanche: 
que  pensez-vous  faire?  le  pays  tout  entier  et  le  royaume  de  Tx'iv 
|H  seront  contre  vous  ! 

Je  soutiendrai  Hi-tsi  jusqu'à  la  mort!  —  C'est  absolument 
inutile!  —  J'ai  donné  ma  parole  au  prince  défunt,  rien  ne  pour- 
ra me  faire  changer  de  résolution  ;  vous  autres,  vous  voulez  faire 
prévaloir  les  droits  de  vos  maîtres  ;  mettez-y  toutes  vos  forces  ; 
car  je  me  sacrifierai  pour  faire  prévaloir  ceux  du  mien. 

A  la  10ème  lune  (août-septembre),  Li-k'o  massacrait  Hi-tsi, 
dans  la  salle  de  parade  même,  où  se  trouvait  le  cercueil  de  Hien- 
kong.  Confucius  en  exprime  son  horreur  par  ces  brièves  paroles: 
tant  que  l'ancien  roi  n'était  pas  enterré,  le  successeur  n'était  pas 
censé  monté  sur  le  trône.  Et  les  commentaires  ajoutent:  avoir  été 
désigné  pour  la  succession,  n'était  pas  la  faute  de  Hi-tsi  ;  on  a 
pitié  de  sa  jeunesse  et  de  son  innocence! 

Li-k'o  voulait  immédiatement  se  suicider  ;  ses  amis  l'en  empê- 
chèrent :  il  vaut  mieux  mettre  sur  le  trône  le  prince  Tcho-tse  s$. 
^p,  lui  dirent-ils;  après  quoi,  on  pourra  procéder  à  l'enterrement 
de  Hien-kong.   Ainsi  fut   fait      1    . 

Li-k'o,  cependant,  n'étaM  pas  content  de  cette  conclusiou. 
A  la  M'""  lune  |  septembre-octobre  .  il  massacrait  Tcho-tse  dans 
son  propre  palais;  il  faisait  fouetter  à  mort  l'intrigante  I.i-hi  $fë 
HJJ,  première  cause  de  tant  de  malheurs.  Quant  à   Siun-si    i\)  fj%. 


I     i  >■  tombeau  de  Hien  kong  esl  au  village  actuel  appelé  Hocti-ts'iuen-tcheng 
1  ,fit  à  l'esl  d»    Kù  ng-hien  si.     Géogr.  impér.,  ml.   im,  p.  o 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    HIEN-KONG.  43 

il  no  voulut  pas  survivre  à  son  pupille:  il  se  suicida  (1).  Les  com- 
mentaires n'ont  qu'une  moitié  d'éloge  pour  lui  :  dans  la  personne 
de  ce  seigneur,  dîsent-ils,  s'accomplit  la  parole  du  livre  des  Vei  -> 
«fa  tache  d'une  tablette  de  jade  peut,  bien  s'enlever  pur  le  polis- 
sage; le.<  écarts  de  la  langue  »<'  peuvent  se  réparer»  2  :  en  hom- 
me constant,  il  a  tenu  sa  promesse;  il  eut  le  tort  de  promettre 
son  concours  aux  désirs  déréglés  d'un   prince  sénile. 

Hoan-kong  Jfn  ^.  roi  de  Ts'i  îjtf.  apprenant  ces  troubles, 
voulut  y  mettre  fin;  il  envo}'a  une  armée,  composée  des  troupes 
de  la  ligne:  celle-ci  s'avança  jusqu'à  Kao-liang  jffj  ^    3  . 

Pendant  ce  temps.  Li-k'o  et  son  complice  Pei-tcheng  25 
députaient  le  grand  officier  Tou-ngan-i  )V-  l\i  j^f,  an  pays  d  ■ 
Tartares  Ti  ^?.  inviter  le  prince  Tchong~eul  If  _i£  à  venir  à  la 
capitale,  occuper  le  tronc  qui  l'attendait.  Celui-ci  demanda  con- 
seil à  son  oncle,  le  grand  seigneur  Ilou-yen  %]&  ;:>; .  autrement 
nom  m  é  Ts  t  '-fi  m  -  fc  ^{J . 

N'y  allez  pas,  lui  dit  cet  homme  prudent;  car  si  1  on  plante 
un  arbre  sans  en  assurer  la  racine,  il  se  dessèche  el  périt.  Le 
deuil  pour  les  parents  est  le  plus  grand,  et  le  plus  stricl  à  obser- 
ver; vous  n'avez  pas  assisté  à  l'enterrement  de  vire  père:  vous 
êtes  encore  soupçonné  d'avoir,  avec  n<<s  frères,  fomenté  des  troubles 
dans  votre  pays;  de  fait,  des  troubles  existent:  ii  serait  donc  bien 
chanceux  de  rentrer  à  un   pareil  moment. 

Tchong-eul  sortri  pour  donner  sa  réponse  »  !  envoyé  :  Lorsque 
m<m  père  vivait,  dit-il,  je  n'ai  pas  su  lui  préparer  el  lui  apporter 
-es  repas,  ni  balayer  ni  aérer  sa  chambre;  à  sa  mort,  je  n'ai  pas 
su  m 'occuper  de  son  enterrement:  voilà  deux  fautes  que  j'ai  sur 
la  conscience  !  Veuillez  donc,  mes  honorés  seigneurs,  m'excuser. 
si  je  refuse  l'honneur  que  vous  m'offrez.  Pour  qu'un  Etat  soit 
solide,  il  faut  que  le  souverain  soil  aimé  de  son  peuple,  et  agréable 
aux  princes  voisins;  si  vous  avez  un  homme  qui  ait  ces  deux 
avantages,  invitez-le;  soyez  sûrs  que  je  ne  rn'\   opposerai   pas. 

Etait-ce  politique?  était-ce  sincèn  .'  Toujours  est-il  que  Tchong 
eu!   est  grandement    exalté  des   lettrés  pour  cette  réponse.    lÂ-k'o 
jg_  j£    lit   inviter    le    prince   l-ou   >)±  ■>{■.    Celui-ci    voulail    aussitôl 
partir   pour   la    capitale;    mais    ses    fidèles   compagnons   Liu-chen 
|5J  ï|}    et    K'i-joei    $\\  ~fâ   l'en    dissuadèrent:    ils    lui    conseillèrent 


I      i  .,   sféographii    imj  érial        ol.  99,  p.  8  m  le  îs         si  à  10 

[j  .ni  nord  di    K'iu-wo  àij  ïfc-  Chan-si  ;   nous  uvons  vu   précédemment    u 
dication  donnée  par  les  annales  du  Chan-si,  et   par  la  petite  grëojrraphie  vol.   8,  p. 11 
—   Qui  a  raison  ? 

(2)  Tu-ya  -fc  îfjf.     Zottoli,   III.  p.   265)      (Couvreur,  p.  380),   Les  traductions 
varient,  comme  les  commentaires! 

(3)  Kao-liang,   était   à   37    li    nord-est   de  Pling-yany  fov 
(Petite  géogr.j  vol.  £,  p.   7)  —  {Grande,  vol.  41,  p-  . 


44  II  \il'S    VRAIMENT    HISTORIQUES 

d'offrir  des  cadeaux,  des  territoires  même,  au  roi  de  Ts'in  .^. 
afin  d'obtenir  d'être  enduit  par  lui  à  la  capitale,  et  placé  par  Lui 
sur  le  trône;  il  serait  ainsi  engagé  d'honneur  à  prêter  son  con- 
cours, s'il  surgissail  plus  tard  de  nouvelles  difficultés,  de  nouvel- 
les révolution-.  (Le  tombeau  de  K'i-joei  esl  à  3  II  à  Vouest  de 
Joei-tch'eng  hien  fâ  }$  M-  Chan-si;  ville  qui  a  reçu  de  lui 
,on  nom.  —  Petite  géogr.,  roi.  8,  p.  i?  —  Annales  du  Chan-si, 
vol.  56,.  p.  26^. 

I-on  suivit  ce  conseil;  il  envoya  K'i-joei  à  la  cour  de  Ts'in 
i|,  offrir  à  Mou-kong  %%  fè  de  riches  cadeaux,  lui  proposer  un 
traité  d'amitié,  lui  promettre  la  cession  du  territoire  de  cinq  villes 
situées  à  l'ouest  du  Qeuve  Jaune,  s'il  voulait  s'engager  à  conduire 
le  prince  à  sa  capitale.  e1   le  placer  sur  le  trône. 

\\.mi'  de  prendre  une  détermination  si  importante,  Mou-kong 
inten  '  prince  a-t-il  un  parti  sur  lequel  il  puisse 

•  puyer?  —  -l'ai  ouï  dire  par  les  anciens, répondit  K'i-joei, qu'un 
exilé    n  ins  ;  ou  s'il  en  a.   il  aura  aussi  des  adver- 

saires; dans  sa  jeunesse,  mon  maître  ne  tut  jamais  querelleur; 
doué  de  courage,  il  ne  poussait  jamais  cependant  les  choses  à 
l'excès;  devenu  grand,  il  n'a  pas  changé  de  caractère:  voilà  tout 
ce  ri 1 1 e  je  puis  dire  de  lui. 

Mou-kong  demanda  encore  conseil  à  son  grand  officier  Kong- 

suen-tche  Q  •££  jfc:  si  nous  ..lions  placer  le  prince  I-ou  ^  ^  sur 

le   trône,    pensez-vous  qu'il  puisse  s'y  maintenir?  —  Les  ancien-, 

répondit    l'officier,    uous   ont  enseigné   que   c'est   l'observation  des 

!■  ;-   qui   rend  un  Etat  solide.   Le  livre  des  Vers  f^p  ^  nous    donne 

;   avis  '■   -que  savons-nous?  le  seul  nécessaire  est  de  se  conformer 

aux  lois  du  ciel;  ce  fut  la  sagesse  de  Wen-wang  ^C]£»  :  et  encore: 

ue    soyez    pas    exagéré,    ne    nuisez    à    personne,    et  vous  -ère/  un 

pour  les  autres  hommes;   n'ayez  ni  affection  ni  haine  pré- 

.    ainsi    vous    ne   serez  pas  tenté  d'opprimer  personne,  pour 

régner  seul'      1  .    Or,  j'ai  ouï  dire  que  le  prince  [-ou  est  soupçon- 

ueux  e1  dominateur;  il  aura  donc  des  difficultés. 

"-•'il  en  est  ainsi,   repartit  Mou-kong,  le  prince  aura  beaucoup 
d'ennemis;    comment   pourrait-il    se    maintenir  sur  le  trône?  mais 
si    lui    seul    qui    en    recevra    du    dommage;  nous,  nous  n'avons 
qu'à  y  gagner. 

Mou-kong  savail  bien  que  le  prince  Tchong-eul  !§;  JÉf  était 
un  toul  autre  nomme  que  son  ambitieux  compétiteur;  il  eût  pré- 
féré •:  dévouer  pour  le  plus  digne;  il  hésitait  donc  à  donner  sa 
n  ponse  définitive.  Son  propre  frère  survint  alors  et  lui  dit  :  -  il 
s'agissail  d<  consolider  vraiment  le  pays  de  Tsin,  oui,  vous  dev- 
riez placer  Tchong-eul  sur  le  trône;  mais  un  tel  voisin  serait  pour 

1       1  ■/''.    ///.    p,  .    n.    7  ,,.    a66,    n.    8.)     —      Coi 

p.  ......     <..    ;  il  j6;.  n.  '  nte) 


DU    ROYAUME    DE    ÏSIN.    Il  I  I.N-KU.NG.  »  r> 

nous  un  danger  dans  la  suite:  contentons-nous  de  rendre  la  paix 
à  cet  Etat,  sans  le  fortifier;  nous  aurons  la  gloire,  et  nous  resterons 
encore  maîtres  de 'la  situation:  nous  pourrons,  dans  la  suite, 
intervenir  quand  notre  avantage  nous  le  conseillera     1    . 

Messieurs  les  lettrés  sont  bien  embarrassés  pour  appeler  cela 
de  la  vertu!  ils  font  des  amplifications,  pour  montrer  que  la  poli- 
tique du  moment  réclamait  cette  conduite:  maintenant  encore  on 
agit  de  même;  sous  des  dehors  d'humanité,  d'amitié,  etc.  on  fait 
des  chinoiseries:  mais  on  cherche  avani  tout  et  par-dessus  tout 
son  propre  avantage.  Quant  au  pays  de  Ts'in,  il  va  encore  subir 
quinze  année  de  troubles;  et  ne  sera  enfin  pacifié  qu'à  l'avènement 
de  Tchong-eul. 

Le  prince  l-ou  ^  •§■  reçut  la  promesse  qu'il  désirait.  Pour 
se  préparer  les  voies,  il  écrivil  une  lettre  an  puissant  et  audacieux 
Li-k'o  Jî  ij£  :  si  je  réussis  à  monter  sur  le  trône,  je  \<>us  donne 
en  fief  la  ville  et  le  territoire  de  Fen-yang  ffi$$j  '2  .  D'autres 
seigneurs  influents  furent  alléchés  par  de  semblables  promesses; 
il  n'y  avait  plus  qu'à   se  mettre  en    route  pour  la  capitale. 

Mou-kon^  envoya  une  armée:  Hoan-kong  |g  Q  de  Tsei  ^ 
joignit  ses  troupes,  commandées  par  le  seigneur  Hien-p'ong  |$A  J]fj  ; 
l'empereur  lui-même  délégua  son  grand  ministre  Tcheou  kong-ki- 
fou  ^J  £J>  jgi  3£  avec  le  seigneur  Wang-tse-tang  3E  T*  M'  •'  i;' 
j.ème  lune  de  cette  année  650. 

Ainsi  soutenu,  le  prince  l-ou  ^  ^y  monta  sur  le  tronc,  où 
nous  allons  le  retrouver  sous  le  nom  de  Hoei-kong  )&  ^. 


(1)  Le  frère  de  Mou-Long  ^e  nommait  Kong-tse-tche  'J£  -?•  %%. 

(2)  Fen-yang,  c'est  Fen-tcheou  l'un  fft  ,•)+(  #f.  Chan-si. 


46 

TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 
DU  ROYAUME  DE  TSES 


HOEI-KONG   (650-637) 


Le  nouveau  prince  de  Tsin  était  à  peine  installé,  qu  il  faisait 
mettre  à  mort  son  aide  et  protecteur  Li-k'u  jfl  ^£  ;  une  telle  re- 
compense, après  avoir  promis  un  si  beau  fief,  montre  du  coup  la 
valeur  morale  du  souverain  :  il  payait  un  traitre  de  la  monnaie 
des  traîtres.  On  dit  qu'il  voulait  ainsi  écarter  de  soi  le  soupçon  de 
connivence  dans  tous  les  meurtres  commis  par  ce  seigneur;  soil  ! 
la  fin  ne  légitime  pas  les  moyens  ! 

Avant  de  l'exécuter.  Hoei-kong  lui  envoya  le  message  suivant; 
sans  le  concours  de  votre  seigneurie,  jamais  je  ne  serais  parvenu 
au  trône:  mais  vous  devez  avoir  conscience  d'avoir  massacré  les 
deux  prince-  Hi-tsi  j£|  ^  et  Tcho-tse  jp[  ^p,  et  d'avoir  causé  la 
mort  de  Siun-si  ^j  ,|j,  :  il  serait  bien  dangereux  d'aveir  à  la  cour 
un  sujet  comme  vous. 

Li-k'o  lui  rit  répondre:  si  je  n'avais  pas  fait  le  vide  sur  le 
trône,  il  n'y  aurait  pas  eu  place  pour  vous:  maintenant,  vous 
voulez  vous  défaire  de  moi.  les  prétextes  ne  manqueront  pas:  je 
connais  vos  ordres,   vous  serez  obéi!  Sur  ce.  il  se   coupa  la   gorg< 

(2). 

Ce  fait  est  resté  légendaire  dans  l'histoire  de  la  Chine,  et  les 
lettre-  ont  versé  des  flots  d'encre  sur  cette  question;  voudraient- 
ils  y  voir  encore  un  acte  de  vertu?  c'est  difficile!  En  tout  cas, 
ils  ajoutent  une  raison  ù  celle  que  Hoei-k'm^  avait  mise  en  avant: 
Li-k'r.  était  trop  attaché  au  prince  Tchong-eul  j|f  If:  puissant  et 
audacieux  comme  il  l'était,  il  pouvait,  un  jour  ou  l'autre,  le  ra- 
mener de  l'exil  et  le  placer  sur  le  trône  :  la  position  de  Hoei-kong 
était  donc  bien  précaire. 

Le  seigneur  Pei-tcheng  rp  jgp  ne  fut  pas  alors  enveloppe 
dan-  U    malheur;  à  ce  moment    été  de  650),  il  était  en  ambassade 

I     H-       »igi         condescendant,  aimant   eon   peuple   cotnmi     un   père,    ri    lui 
faisant  de  grandet  '  g  'j£  ^  g-  g  t§Ç     g.  jg  $J  ||  g  |J 

tombeau   de    Li-k'o    est    à    5    li    au    »ud    de    K'iu-ico    |8j  jfo    Chan-si 
(  Lréoyruphie  impér.,  vut.  oç,  p.  S)  —  (Annales  du  Clia.x-si.  vol.  j>,  p.  17) 


DU    ROYAUME   DE  TSIN.    HOET-KONG.  'l7 

à  la  cour  de  T&'in  Jj|  ;  il  avait  pour  mission,  d'abord  de  remercier 
Mou-hong  ^  Q  :  puis  de  lui  annoncer  poliment  qu'il  ne  recevrait 
pas  les  cinq  villes  promises;  car  les  grands  seigneurs  s'opposaient 
à  cette  cession:  ils  disaient,  qu'étant  encore  en  exil,  le  prince 
n'avait  pas  l'autorité  en  main,  son  engagement  éta:t  nul  :  il  ne 
pouvait  aliéner  un  territoire  qui  ne  lui  appartenait  pas.  J'ai  fait 
tous  mes  efforts,  pour  persuader  ces  seigneurs,  je  n'ai  rien  obte- 
nu, disait  Hoei-kong  ;  je  prie  donc  votre  Majesté  de  m'excuser! 
—  Bref,  il  pavait  les  service-  de  Mou-kong  comme  ceux  de  Li 
k'o. 

Cependant,  Pei-tchen::  avant  appris  la  mort  de  son  compère, 
s'imagina  aisément  qu'une  semblable  récompense  lui  était  réser- 
vée à  sou  retour;  il  songea  aux  moyens  de  l'éviter:  Les  vrai- 
instigateurs  de  ce  refus,  dit-il  à  Mou-kong,  sont  les  seigneurs 
Liu-chen  g  5$},  K'i-tcheng  ffi  |g  et  Ki-joei  ^  jgj;  envoyez-leur 
donc  de  riches  cadeaux,  pour  les  inviter  à  venir  à  votre  cour: 
ensuite  vous  verrez  ce  qu'il  y  aura  à  faire.  Moi,  de  mon  côté,  je 
tacherai  de  révolutionner  le  peuple:  nous  chasserons  Hoei-kong, 
et  nous  ferons  venir  Tchong-eul  ]g  JÇ;  ainsi  vous  recevrez  les  cinq 
villes,  et  je  serai  sauvé;   noire  entreprise  est  assurée  du  succès. 

Vers  le  mois  d'octobre  de  cette  année  bôft.  Mou-hong  ^%  £\. 
suivant  ce  conseil,  envoyait  le  dignitaire  Ling-tche  ^  ^.  avec  do 
riches  présents,  saluer  les  trois  seigneurs  sus-dits,  et  les  inviter 
à  venir  à  la  cour  de  Ts'in  ^.  Mais  Ki-joei  ^  ~ffî  flaira  la  ruse  : 
les  cadeaux  sont  magnifiques,  dit-il.  et  les  paroles  doucereuse^  ; 
certainement  c'est  un  piège!  Aussitôt  on  massacra  Pei-tcheng  ^ 
fÉJS,  Ki-hiu  jjjft  Ijfl  et  sept  autres  grands  dignitaires,  tous  anciens 
amis  du  prince-héritier  défunt  Chen-cheng  rfl  ^.  et  partisans  de 
Li-k'o  ££. 

Pei-pao  2»  |^J.  Bis  de  Pei-tcheng,  put  échapper  à  la  mort,  et 
s'enfuit  à  la  cour  de  Ts'in  f|§;  il  devint  célèbre  dans  la  suite: 
pour  le  moment,  il  excitait  Mou-kong  à  punir  l'ingratitude  de 
Hoei-kong  :  Celui-ci.  disait-il.  s'est  montré  traître  envers  votre 
Majesté:  puis,  sur  de  légers  miels,  il  a  massacré  tant  d'innocents; 
le  peuple  ne  l'aime  pas;  si  vous  lui  faisiez  ia  guerre,  vous  n'auriez 
pas  grand'peine  à  le  chasser. 

Mou-kong  répliquait  :  s'il  a  contre  soi  tout  le  peuple,  s'il  ^i 
si  détesté,  comment  a-t-il  pu  impunément  mettre  à  mort  tant 
d'innocents?  puisque  vos  partisans  ont  pris  la  fuite  comme  vous. 
qui  donc  maintenant,  dans  le  pays,  pense  à  chasser  Hoei-kong? 
Comme  on  le  voit,  les  conseils  du  père  ayant  si  mal  réussi,  ceux 
du  fils  ne  recevaient  pas  un   bon  accueil. 

Quant  au  nouveau  souverain,  il  était  occupé  à  changer  de 
place  le  tombeau  du  prince  Chen-cheng  rfl  Q.  disant  qu'on  ne 
l'avait    pas    enterré    selon    les    rites     1    ;    il    lui    donna    pour    nom 


i     [  .■  tombeau    de    Çhen-çhen,    fui    alors  place  à  l'intérieur  de  la  porti 


48  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

posthume  et  honorifique  :  Kong-V ai-tse  :±t  -^  ^,  c'est-à-dire  fils 
respectueux  et  obéissant;  de  fait,  en  Chine,  on  le  regarde  comme 
modèle  de  la  piété  filiale  (1). 

A  son  sujet,  voici  ce  que  l'on  raconte  :  H  ou- 1' ou  $&  =$£,  l'ami 
intime  de  Chen-cheng,  le  conducteur  de  son  char,  se  rendait  à 
K'iu-wo  jjjj  ^,  l'ancienne  résidence  du  prince.  On  était  au  mois 
de  juillet  ;  sur  le  chemin,  Chen-cheng  apparut  au  seigneur,  et  monta 
sur  son  char,  comme  autrefois;  tout  en  continuant  la  route,  il 
lui  dit  :  I-OU  fë  -f§-  n'observe  pas  les  rites,  puisqu'il  trouble  la 
paix  de  mon  tombeau;  de  plus,  il  vit  en  commerce  incestueux  avec 
la  princesse  Kia  |f,  femme  de  son  père;  pour  punition,  j'ai  obtenu 
du  ciel  que  le  pays  passât  aux  mains  du  roi  de  Ts'in  f|l  ;  c'est 
lui  qui  m'offrira  des  sacrifices  agréables. 

Hou-t'ou  lui  observa  :  les  anciens  nous  ont  enseigné  que  les 
Esprits  ne  goûtent  pas  les  sacrifices  présentés  par  les  étrangers; 
et  que  le  peuple  ne  les  offre  qu'à  ses  ancêtres;  ainsi,  finalement, 
vous  seriez  privé  des  honneurs  accoutumés.  De  plus,  le  peuple  de 
Tsin  est-il  donc  coupable  des  crimes  de  son  souverain,  pour  en 
recevoir  un  tel  châtiment?  Ne  serait-ce  pas  punir  un  innocent? 
Je  vous  prie  de  prendre  cela  en  considération. 

Touché  de  cette  requête,  Chen-cheng,  répondit  :  hé  bien,  oui. 
je  m'adresserai  de  nouveau  au  maître  du  ciel!  attendez  sept  jours; 
alors,  à  l'ouest  de  la  ville  de  K'iu-wo  $[]  ^,  j'apparaîtrai  U  un 
devin  [un  sorcier,  Ou  /fc  1 . 

Hou-t'ou  promit  de  se  trouver  au  rendez-vous,  et  Chen-cheng 
disparut.  Au  jour  fixé,  le  seigneur  revit  le  prince  :  le  ciel,  dit 
celui-ci,  m'a  permis  de  ne  punir  que  les  coupables;  1-ou  sera  battu 
et  fait  prisonnier  à  Han  $%.  (2),  par  le  roi  de  Ts'in  i|s. 

Cette  prophétie  doit  se  réaliser,  puisqu'elle  a  été  faite  par  un 
lettré,  au  fond  de  son  cabinet,  longtemps  après  les  événements; 
nous  verrons  cela,  en  6i.j,  à  la  1  l^me  iune.  Pour  donner  encore 
plus  d'autorité  à  sa  fable,  L'écrivain  ajoute  qu'un  jeune  enfant 
sans  malice  se  trouva  inspiré,  et  chanta  ce  refrain  :  «le  tombeau 
Kong  Jt  a  donc  été  changé?  dans  14  ans,  le  souverain  de  Tsin 
sera  aussi  délogé;  sou  frère  aîné  sauvera  le  pays  du  danger-  ! 

En  649,  au   début    de    l'année,    l'empereur   Siang    J(-    députa 
s<. h  grand    ministre  Tchao-ou-kong    -g  ~jfc  7f\   et  le    grand    officier 
(nei-che  f^  jjbj  Kouo  j^,    pour   reconnaître    officiellement    le    non 
veau  souverain  de  Tsin,  et  lui  remettre  la  tablette   de  jade    (choei 
ïjfi}),  par  laquelle  il  était  déclaré  vassal  direct  de  l'empire. 

dentale  de  K'iu-ioo  \]\\  }^:  il  y  avait  là  autrefois  un  petit  sanctuaire,    où    on   lui  of- 
frait îles  sacrifices.  (Géogr.,  imper.,  vol.  ço.  ]>■ 

(1)    Texte  chinoiR  de  l  interprétation  :  ïft  M    '|i-    £  E3  =iÇ. 
2)  Han,  était  a   18  li  au  sud  de  la  ville  actuelle    Han-tch'eng  $$.  lh[  qui  est 
220  li  nord  est  de  T'ong-tcheon  fnj  -H'I .  Chen-si.    (Petite    géogr  .    vol.   z4,  p.   iç) — 
(Grande,  vol.  $4.  p.     ■/< 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    HOEI-KONG.  49 

A  cette  cérémonie  solennelle, Hoei-kong  ne  se  montra  pas  assez 
humble,  ni  assez  respectueux  ;  aussi  l'officier  Kouo  ^  dit  à  l'em- 
pereur, à  son  retour  :  le  prince  de  Tsin  ne  transmettra  pas  le 
trône  à  ses  descendants  ;  son  orgueil  l'a  rendu  indigne  de  la  di- 
gnité qui  lui  a  été  conférée  ;  il  s'est  réprouvé  lui-même  ;  comment 
pourrait-il  avoir  de  la  succession,  puisqu'il  en  a  rompu  lui-mê- 
me le  lien?  Les  rites  sont  le  principal  appui  d'un  Etat;  les  ma- 
nières humbles  et  respectueuses  sont  le  seul  moyen  de  les  observer; 
plus  de  rites,  plus  d'ordre  hiérarchique  entre  le  supérieur  et  l'in- 
férieur :  alors,  quelle  durée  peut-on  se  promettre? 

Vers  le  mois  d'avril, les  Tartares  des  villes  de  Yang-kiu  ^ -j"J5 
et  de  Ts'iuen-kao  }%  4|k.  avec  ceux  qui  demeuraient  entre  les  ri- 
vières /  ffi  et  Lo  :fâ  1  .  se  liguèrent  pour  attaquer  l'empereur. 
Chose  curieuse,  assurément,  mais  facile  à  expliquer:  Wang-tse- 
tei  3E  T*  ^-  frère  de  l'empereur,  voulait  le  détrôner,  et  régner  à 
sa  place:  c'est  lui  qui  appelait  ces  Tartares,  pour  l'aider  dans  ce 
beau  dessein.  Ceux-ci,  de  fait,  prirent  la  capitale,  et  en  brûlèrent 
la  porte  de  l'est;  mais  ils  furent  chassés  de  là  par  les  armées  de 
Ts'in  |é|  et  de  Tsin  ^  :  puis,  en  automne.  Hoei-kong  réussit  a 
rétablir  la  paix  entre  les  deux  partis. 

En  648,  vers  le  mois  d'octobre.  Hoan-hong  {ff  ^.  roi  de 
Ts'i  r^,  intervenait  à  son  tour;  car  les  Tartares  voulaient  recom- 
mencer la  guerre  contre  l'empereur  et  contre  Hoei-kong  lui-mê- 
me. Le  grand  ministre  Koan-i-ou  ^  ^  2f-.  autrement  nomme 
Koan-tchong  ^ -ftfi.  était  chargé  de  cette  mission  pacifique;  mais 
le  général  Hien-p'ong  ;!.Ç?^  /]fj  l'accompagnait  avec  une  armée, 
pour  faire  une  salutaire  impression  sur  les  Tartares. 

L'empereur  reçut  le  grand  ministre  de  la  manière  la  plu-; 
solennelle:  mais  celui-ci,  aussi  sage  lettré  que  fin  politique,  se 
montra  confondu  de  tels  honneurs;  il  semblait  vouloir  rentrer 
sous  terre:  pour  le  coup,  on  dut  être  content  de  son  humilité! 
La  paix  fut  conclue,  et  le  prince  Wang-tse-tai  3î  -?  Tr?-  frère  de 
l'empereur,  s'enfuit  au  pays  de  Ts  i. 

En  647,  grande  famine  au  pays  de  Tsin  :  car  les   deux    prin- 


I     Yang-kiu  était  dan-  le  Ho-nan,  à  j  s  à  100  de    Yen-che 

hien  fj£  ê?  H  qui  est  à  l'est  d<    sa  préfecture  Ho-nan  fou. 

Ts'iuen-kao  ou  Ts'ien-tch'eng  Fjlj   ':■[  était  à  50    li   sud-ouest   de   Ho-nan    fou 
fSf"  f^  ijfr  Ho-nan    Petite  géogr.,  ool.   12,  p,  s ■'    —    Grande,  vol.  48,  p.  iz). 

La  rivière  I  esl  à   16  li  sud-est  de  Ho-nan  fou,  alors  capitale  de  l'empereur. 
La  rivière  Lo  est  à   \~>  li  au   -ud   de   la    même    ville.    Ces    Tartares  habitaient 
les  montagnes,  entre  les  sources   de   ces    deux    rivières  :    leur    capitale    était   à    Sin 
tch'eng  ^f  }$,  à  75  li   au  sud  de  Ho-nan    fou.      Petite    géogr..    ml.     1?.    p.    32 
Grande,  vol.  48.  p     //  . 


50  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

cipales  récoltes,  celle  du  blé  et  celle  du  riz,  avaient  été  tout  à  fait 
malheureuses.  Hoei-kong  envoya  des  députés  à  la  cour  de  Ts'in 
f||,  demander  des  vivres. 

Mou-kong  f||  ^  interrogea  son  grand  officier  Kong-suen-tche 
5*  ïfc  $t>  ou  Tse-sang  ^  ^,  sur  la  conduite  à  tenir.  Celui-ci 
répondit  :  si  vous  rendez  service,  et  si  l'on  vous  en  remercie  di- 
gnement, ce  sera  parfait  ;  si  Hoei-kong  se  montre  ingrat,  il  per- 
dra l'affection  de  son  peuple  ;  vous  pourrez  lui  faire  la  guerre,  per- 
sonne n'ira  le  secourir. 

Mou-kong  interrogea  encore  le  sage  Pé-li  Hi  "g"  Jg  J|,  ce 
captif  dont  nous  avons  parlé  à  la  fin  de  l'année  655.  Celui-ci  ré- 
pondit à  la  façon  des  lettrés  :  les  calamités  publiques  font  le  tour 
du  monde  ;  et  chaque  pays  a  son  heure  marquée  ;  montrer  de  la 
compassion  à  ses  voisins  dans  ces  circonstances,  est  conforme  à 
la  vraie  doctrine  ;  et  cela  porte  bonheur. 

Pao  %fi,  fils  de  P'ei  Tcheng  7f£  J||$,  réfugié  à  la  cour;  comme 
nous  l'avons  dit  plus  haut,  pressait  au  contraire  de  refuser  des 
vivres,  et  de  profiter  de  cette  conjoncture  pour  faire  la  guerre  au 
pavs  de  Tsin.  Son  conseil  était  inspiré  par  la  haine  et  le  désir  de 
vengeance  ;  il  ne  fut  pas  pris  en  considération.  Mou-kong  disait  :  le 
souverain  est  mauvais,  mais  quel  crime  a  commis  le  peuple,  pour 
lui  refuser  les  vivres?  comment  profiterais-je  de  sa  détresse  pour 
lui  faire  une  guerre  injuste  ? 

Mou-kong  envoya  les  secours  demandés  ;  et  en  telle  quantité, 
que  c'était  une  file  ininterrompue  de  barques,  d'une  capitale  à  l'au- 
tre 1)  ;  c'est  pourquoi  le  peuple  nomma  cette  année  Vannée  des 
barques. 

En  646,  à  la  8ème  lune,  au  jour  appelé  Sin-mao  *fc  JJP  (16 
juin),  grand  éboulement  dans  la  montagne  Cha-lou  fy  Jg§  (2).  Le 
devin  Yen  flg.  consulté  sur  ce  présage,  fit  la  réponse  suivante  : 
avant  la  fin  de  cette  année,  une  grande  calamité  mettra  le  pays 
à  deux  doigts  de  sa  perte.  Cela  ne  peut  manquer  d'arriver:  mais 
voyons  ce  qui  en  fut  la  cause: 

A  la  fin  de  cette  même  année,  la  famine  régnait  au  pays  de 
Ts'in  §j|.  Mou-kong,  qui  venait  de  se  montrer  si  généreux,  ne 
douta  pas  que  Hoei-kong  ne  s'empressât  de  rendre  bienfait  pour 
bienfait;  il  se  trompait,  ce  qui  prouve  encore  la  valeur  morale  de 
ce  prince  :  il  n'en  obtint  rien  du  tout. 

Hoei-kong  avait  demandé  conseil  au  grand  seigneur  K'ing 
Tcheng  J|  |f]$  :  Vous  avez  déjà  manqué  à  votre  parole  à  propos  des 
cinq  villes,  dit  celui-ci  ;  pourriez-vous  encore  vous  montrer  inhu- 

I  i   lTong  tf£  capitale  de  Ts'in  M  était  à  7  li   nu   sud   do    Fo7ig-siang   fou    %, 
ty\  fff.  i    ■  a  Petite  géogr.,  vol.   >  /■  i<- 

(2)  Cha-lou. Cette  montagne  es(  à    15  li  à  l'es(  de  Ta-ming  t'<>n  ;Ac  45  '(f  ■  rche- 
Petit    géogi   ,  uol     •    p     ;2  Grande,  vol.  16,  p.  s). 


TEMPS   VRAI. Ml  M     ttlSTÔRIQUÉS  M 

main?  vous  exciteriez  la  haine  des  pays  voisins,  et  vos  jours 
seraient  comptés  !  n'ayant  pas  le  sentiment  du  juste  et  du  conve- 
nable, comment  pourriez-vous  conserver  votre  couronne"? 

Kouo  [  $}£  %ft.  oncle  maternel  de  Hoei-kong,  opinait  en 
sens  contraire:  Vous  avez  refusé  la  peau,  disait-il.  quel  scrupule 
auriez- vous  de  lui  refuser  les  poils?  —  Non,  répliquait  K'ing 
Tcheng.  il  ne  peut  pas  en  être  ainsi  !  manquer  à  la  parole,  être 
ingrat  après  de  tels  bienfaits,  c'est  s'attirer  le  mépris  des.  autres 
Etats  ;  dans  le  malheur,  personne  ne  voudra  venir  à  votre  se- 
cours ;  un  prince  sans  appui  est  destiné  à  périr  ! 

Kouo  I  ripostait  ;  impossible  d'apaiser  la  haine  de  Mou- 
kong  ^|  £V.  envers  nous;  même  si  nous  lui  accordons  des  vivres; 
donc  ce  bienfait  serait  inutile;  il  nous  serait  nuisible,  car  il  forti- 
fierait un  ennemi  déjà  trop  puissant. 

Une  telle  conduite  envers  des  amis  sérail  odieuse,  insistait 
K'in.L:  Tcheng  ;  envers  un  ennemi,  c'est  une  provocation:  vous 
vous  en  repentirez  quand  il  sera  trop  tard  !  —  Ce  grand  seigneur 
voyant  son  avis  rejeté,   sortit  de  la  salle  indigné. 

En  645,  nous  voici  à  l'année  fatidique;  voyons  1  enchaîne- 
ment des  faits.  Précédemment,  c'est-à-dire  quand  on  reconduisait 
Hoei-kong  à  sa  capitale,  sa  sœur,  épouse  [ou  concubine)  de  Mou- 
kong  ^  Q,  lui  avait  vivement  recommandé  deux  choses:  prendre 
grand  soin  de  la  princesse  Kia  jjj[,  concubine  de  Hien-kumj  |pç  fè, 
et  rappeler  de  l'exil  tous  les  princes  du  sang  qui  avaient  fui  sous 
le  règne  précédent. 

Monté  sur  le  trône,  Hoei-kong  vécut  en  inceste  avec  la  prin- 
cesse Kia.  ne  rappela  aucun  prince  de  l'exil,  refusa  les  cinq  villes 
promises,  massacra  les  seigneurs  qui  lui  avaient  prêté  secours  ; 
enfin  il  refusa  des  vivres  à  son  grand  bienfaiteur  Mou-kong  1  ; 
aussi  la  princesse  était-elle  furieuse  contre  son  frère. 

De  son  côté,  Mou-kong  voulait  punir  une  telle  déloyauté  ; 
mais  il  ne  pouvait  rien  entreprendre  avant  d'avoir  consulté  les 
sorts.  Ceux-ci  furent  favorables  :  passez  le  fleuve,  avait  répondu 
le  devin  par  l'achillée,  T'ou-fou  '(&%.  et  les  chars  de  Tsin  z§ 
seront  mis  en  déroute.  C'était  vague  ;  Mou-kong  demanda  quel- 
que explication  :  le   sort    est   des   plus    heureux,,    ajouta   le   devin  ; 

(1)  Le  territoire  des  cinq  villes  allait:  à  l'est  jusqu'au  pays  de  Kou-i: 
&;  au  sud,  jusqu'à  Hoa-chon  ^à  lh  :  dans  le  pays  de  Fsin,  jusqu'à  Hiai-liang  % 
^.  —  Kouo-lio  était  à  l'ouest  de  Sony  hien  ^  gg.  qui  est  a  100  li  au  sud  de  sa 
préfecture  Ho-nan  fou  fnÇ  r?j  tff-  Ho-nan.  —  La  montagne  Hoa-chan  est  à  10  li  au 
sud  de  Hoa-ing  hien  êfë  fê  !£•  qui  est  à  lOu  li  au  sud  de  T'ong-tcheoufou  ^  #1  Ffr, 
Chen-si.  —  Hiai-liang,  était  à  18  li  sud-est  de  Lin-tsin  hien  gg  ^  %.  qui  est  à 
70  li  au  nord  de  P'ou-tcheou  fou  $i  W  A\F-  sa  préfecture,  Chan-si,  Hoang-ts'ing 
long-Mai  £  fë  @  «?  vol.  8-gs,  p.  4)  —  (Petite  géogr.,  ool     n  -    ool, 

8,  p.  30). 


52  TEMPS  VRAIMENT   HISTORIQUES 

vous  vaincrez  trois  fois  le  prince,  et  vous  le  ferez  prisonnier.  Le 
sort,  en  effet,  vous  a  donné  l'hexagramme  Kou  s=,  qui  signifie 
désordre  provenant  d'une  longue  paix,  mal  qui  provient  de  l'inac- 
tion, comme  les  vers  naissent  dans  une  eau  croupissante.  La  par- 
tie supérieure  ~,  Suen  jjê  signifie  s'humilier,  céder:  la  partie 
inférieure  «,  Keng  jj^  signifie  s'opiniâtrer,  résister;  voici  l'expli- 
cation: l'opiniâtre  monte,  et  l'humble  se  soumet;  d'où  résulte  le 
désordre  ;  les  mille  chars  sont  mis  en  fuite  trois  fois  ;  enfin  on 
prend  le  renard,  c'est-à-dire  le  prince  de  Tsin  ;  le  symbole  Suen  Je 
indique  la  vertu,  votre  Majesté  ;  le  symbole  Keng  J|  indique  la 
montagne,  Hoei-kong  ;  sur  la  montagne,  il  y  a  des  arbres  fruitiers 
sur  lesquels  le  vent  souffle  ;  on  est  en  automne  ;  on  recueille  ce  qui 
est  tombé,  et  ce  qui  est  encore  sur  les  arbres  ;  ceux-ci  se  trouvent 
dépouillés  de  tout.  Si  ce  n'est  pas  l'annonce  d'une  victoire  com- 
plète, que  serait-ce  donc?  (Comme  on  le  voit,  ce  sont  paroles  des 
tireuses  de  carte*,  d&  vraies  farces). 

En  effet,  les  troupes  de  Hoei-kong  furent  battues  trois  fois  ; 
l'armée  de  Mou-kong  s'avança  jusqu'à  la  ville  de  H  an  £•£.  Alors 
le  seigneur  K'ing  Tcheng  J|  |fj$  se  trouvait  près  de  Hoei-kong  ; 
celui-ci    l'interpella  :      les    brigands    ont    pénétré    bien    avant    dans 

notre  pays;  que  faut-il   faire   maintenant? C'est   votre   Majesté 

qui  les  a  fait  venir;  peut-elle  demander  à  d'autres  ce   qu'il    y   a    à 
faire  ? 

Hoei-kong  comprit,  et  fut  fort  mécontent  ;  aussi,  le  sort  ayant 
désigné  ce  même  seigneur, comme  lancier  du  char  royal,  Hoei-kong 
le  refusa;  il  donna  ce  poste  à  l'officier  Kia  Pou-fou  |§c  /f||  ^  ;  le 
seigneur  Pou  Yang  -j£-  !%  fut  le  conducteur:  les  quatre  petits  che- 
vaux de  l'attelage  étaient  un  cadeau  du  prince  de  Tcheng  fift. 

K'ing  Tcheng,  ainsi  écarté,  se  présenta  cependant  encore  une 
fois,  pour  donner  un  avis  bien  nécessaire:  jusqu'à  ce  jour,  disait- 
il,  dans  les  moments  critiques  comme  celui-ci,  on  se  servait  de 
chevaux  de  son  pays;  habitués  aux  lieux,  au  climat,  aux  hommes, 
aux  harnais,  à  l'attelage,  ils  sont  plus  dociles  et  plus  maniables  ; 
ceux-ci  vont  s'effrayer,  s'emporter  ;  le  conducteur  n'en  sera  pas 
maître  ;  leurs  veines  se  gonfleront  de  sang  ;  ils  paraîtront  vigou- 
reux, et  seront  sans  force  ;  après  une  course  désordonnée,  ils  s'ar- 
rêteront, ne  sachant  ni  avancer  ni  reculer  ;  votre  Majesté  sera  en 
grand  danger.  Ce  conseil  si  prudent  fut  encore  dédaigné. 

A  la  9n"  lune  (août-septembre),  Hoei-kong  s'avançait  lui- 
même  à  la  rencontre  de  l'armée  de  Ts'in  Jj|  ;  il  envoya  le  grand 
officier  Han  Kien  p£  ^  examiner  l'état  des  troupes  ennemies;  de 
retour,  celui-ci  lui  dit:  leurs  hommes  sont  moins  nombreux  que 
les  nôtres  ;  mais  leur  ardeur  guerrière  est  bien  le  double  de  la  nôtre. 
Hoei-kong  en  demanda  la  cause  :  Quand  vous  fuyiez  au  pays 
de  Liang  |J£,  vous  vous  appuyiez  sur  le  roi  de  Ts'tn  §jf  ;  c'est  lui 
qui  vous  a  placé  sur  le  trône;  c'est  encore  lui  qui  vous  a  sauvé 
de  la  famine  ;  trois  fois  vous  avez  montré  une  noire  ingratitude  ; 


DU   ROYAUME   DE   TSIN  .    HOEI-KONG.  53 

furieux, les  gens  de  Ts'in  viennent  nous  en  demander  raison  ;  et  nous, 
sans  vouloir  reconnaître  nos  torts,  nous  avançons,  les  armes  à  la 
main  ;  la  justice  d^  leur  cause  double  leur  courage  ;  la  conscience 
de  nos  fautes  paralyse  le  nôtre. 

Nous  retirer  maintenant  sans  combattre,  répliqua  Hoei-kong. 
ce  serait  nous  rendre  ridicules  ;  un  simple  particulier  ne  suppor- 
terait pas  une  telle  honte;  à  plus  forte  raison,  un  Etat  comme  h 
nôtre  ne  peut  reculer.  Sur  ce,  il  envoya  Han  Kien  porter  à  Mou- 
kong  le  message  suivant  :  moi,  homme  de  peu  de  valeur,  j'ai  bien 
conscience  de  mon  incapacité;  mais,  ayant  réuni  cette  armée 
nombreuse,  je  ne  puis  la  licencier;  si  votre  Majesté  ne  se  retire 
pas  de  mon  territoire,  il  me  faut  bien  recevoir  ses  ordres,  et  ac- 
cepter le  combat. 

Mou-kong  envoya  le  prince  Kong-suen-lche  ^^  fâ,  porter  la 
réponse  :  Tant  que  votre  Majesté  fut  en  exil,  j'étais  plein  de  solli- 
citude; rentrée  dans  sa  patrie, sans  y  être  solidement  établie,  elle  me 
causait  encore  de  l'inquiétude;  maintenant,  elle  est  affermie  sur 
son  trône:  puis-je  me  soustraire  à  ses  ordres,  et  désobéir  en  face? 

Voilà  de  la  politesse  avant  de  s'entre-tuer  !  C'étaient  les  for- 
mules en  usage;  il  fallait  s'y  conformer.  Le  général  Han  Kien 
s'écria  :  si,  à  cette  bataille,  nous  sommes  seulement  faits  prison- 
niers,  nous  aurons  de  la  chance  ! 

A  la  llènif  iUne,  au  jour  appelé  jea-siu  f£  fc  \\  septembre), 
on  engageait  le  combat  dans  la  plaine  de  Han  ^  :  les  chevaux  de 
de  Hoei-kong  s'engagèrent  dans  des  bas-fonds,  sans  pouvoir  en 
sortir;  il  appela  K'ing  Tcheng  J|  ||[$  à  son  aide;  celui-ci  lui  cria  : 
yous  ave/  agi  contre  les  sorts,  et  vous  n'avez  pas  voulu  m'écouter; 
vous  vous  êtes  obstiné  à  subir  une  défaite,  quel  moyen  d'y  échap 
per  maintenant?  Ayant  dit  ces  mots,  il  s'en  alla,  laissant  le  chai 
dans  le  bourbier. 

Cependant,  le  général  Han  Kien  .$■£  ^fj,  ayant  pour  conducteur 
Liang-yeou-mi  ^  ^  J^f,  et  pour  lancier  Kouo  I  tyfc  J}^,  poussait 
de  près  le  char  de  Mou-kong  ^%  £V;  il  allait  le  faire  prisonnier, 
quand  K'ing-tcheng  vint  lui  annoncer  le  danger  où  se  trouvait 
Hoei-kong;  le  brave  général  accourut,  mais  ne  put  le  délivrer;  il 
était  trop  tard  ! 

Hoei-kong  fut  emmené  au  pays  de  Ts'in  ^:  dans  leur  dou- 
leur, ses  grands  officiers,  la  chevelure  en  désordre,  arrachaient 
leurs  tentes  pour  le  suivre.  Mou-kong  leur  lit  dire  :  Messieurs, 
pourquoi  ètes-vous  si  désolés?  moi,  homme  de  peu  de  valeur,  je 
ne  fais  qu'accompagner  votre  souverain,  qui  s'en  va  vers  l'ouest; 
oserais-je  pousser  les  choses  à  l'extrême,  et  mettre  à  mort  votre 
prince?  je  ne  suis  pas  si  cruel!  A  ces  mots,  les  officiers  se  pros- 
ternèrent trois  fois,  et  frappèrent  neuf  fois  la  terre  de  leurs  fronts. 
en  disant  :  la  terre  que  vous  foulez,  et  le  ciel  qui  est  sur  votre 
tête,  ont  entendu  votre  promesse  ;  elle  nous  a  consolés  comme  une 
brise  rafraîchissante  ! 


54  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

Quand  la  nouvelle  fut  apportée  à  l'empereur,  il  envoya  Tordre 
de  rendre  la  liberté  à  Hoei-kong;  car,  disait-il.  c'est  un  membre 
de  la  famille  impériale.  Mais  Mou-kong  n'était  pas  homme  à  lâcher 
si  facilement  sa  proie. 

Quant  à  sa  concubine,  la  sœur  de  Hoei-kong,  elle  craignit 
pour  la  vie  de  son  frère  ;  elle  voulut  détourner  de  lui  ce  malheur  : 
prenant  son  fils,  le  prince  héritier  Yong  £&.  puis  un  autre  fils .  le 
prince  Hong  ^l,  et  une  fille,  la  princesse  Kien-pi  ^f)  J§|,  elle 
monta  sur  la  tour  réservée  aux  femmes  :  elle  la  fit  remplir  de  fa- 
gots ;  puis  elle  envoya  ce  message  à  Mou-kong  :  il  nous  est  arrivé 
une  grande  calamité:  vos  deux  Majestés  se  sont  rencontrées,  non 
en  amies,  mais  les  armes  à  la  main;  si  mon  frère  est  amené  pri- 
sonnier dans  ce  palais,  votre  humble  servante  avec  ses  enfants  se 
donnera  la  mort  ! 

Mou-kong-  conduisit  son  captif  dans  la  fameuse  tour  Ling-tlai 
»|  jf.  et  l'y  retint  dans  le  plus  grand  isolement.  Les  officiers 
auraient  voulu  le  conduire  à  la  capitale,  comme  un  glorieux  tro- 
phée de  leur  victoire:  mais  Mou-kong  leur  répondait  :  je  ne  puis 
cependant,  pour  cette  satisfaction,  exposer  mes  enfants  à  la  mort  ! 
et  vous-mêmes,  qu'y  gagneriez- vous?  D'ailleurs,  j'ai  donné  ma 
parole;  je  ne  puis  me  parjurer  à  la  face  du  ciel  et  de  la  terre!  le 
chagrin  des  officiers  m'a  vivement  impressionné:  je  ne  veux  pas 
pousser  le  peuple  à  bout:  ainsi  le  mieux  est  de  lui  rendre  son 
prince  !     I 

Le  grand  officier  Kong-tse-lche  fè  -^  ^  insistait  pour  qu'on 
mit  a  mort  Hoei-kong;  sinon,  disait-il.  ce  sera  le  fortifier,  et  lui 
permettre  d'employer  toutes  ses  ressources  contre  nous.  Mais  le 
seigneur  Tse-sang  ^f  Hji  ou  Kong-suen-tche  fè  J£  ^  donna  un 
meilleur  conseil  :  rendez  le  prisonnier, mais  exigez  en  otage  le  prince 
héritier:  ainsi  vous  gagnerez  le  cœur  de  Hoei-kong. et  vous  assurerez 
une  paix  stable.  Le  pays  de  Tsin  n'est  pas  encore  sur  le  point  de 
sa  ruine,  pour  pouvoir  être  soumis;  en  tuant  son  souverain,  vous 
auriez  seulement  commis  un  crime,  qui  vous  vouerait  à  l'opprobre 
des  autres  nations.  L'historien  du  temps  de  Tcheou  Ou-wang  Jq) 
lï  ï,  le  fameux  /  $j.  nous  avertit  par  ces  paroles  :  ne  semez  pas 

l  !  i  fameuse  tour  Ling-t'ai,  bâtie  par  Icheou  Wen-wang,  était  au  nord-e=t 
di  Vi<  hien  US  J~.  qui  est  à  70  li  sud-ouest  de  Si-ngcm  fou  |§  i£  tff-  Chen-si. 
Mong-tse   en   parle  avec  enthousias  P  i-  ï>-   12    —    Grande. 

col.  53,  p  '/.■  ttoli     III 

iMi'  la  princesse  sur  sa  tour,  le  lecteur  ne 
doit  pas  s'en  étonner;  c'est  une  chinoiserie;  pour  lu  face,  comme  ou  dit  ici, la  sœur 
devait  agir  ainsi,  surtout  api    -  ixcité  elle-même  à  punir  son  frère;  Mou-kong, 

très  content  de  lâcher  son  prisonnier,  pourra  dire  qu'il  \  a  été  contraint  par  le 
désespoir  de  sa  lemme.  Tout  le  monde  a  lo  face  ci  tout  le  monde  est  content  de 
la  soluuui. 


DU   ROYAUME   DE  TSIN.    HOEI-KONG.  55 

de  calamités;  ne  tirez  pas  profit  du  malheur  d' autrui;  ri  excitez 
pas  la  rage  des  gens  contre  vous,  ce  serait  vous  vouer  à  votre  perte. 

Mou-kong  consentit  à  faire  un  traité  de  paix.  Hoei-kong 
envoya  le  grand  officier  K'i-k'i  $|J  ^  chercher  le  ministre  Liu 
Cheng  §iit}(l),  autrement  nommé  Tse-kin  ^  <§fe,  pour  se  concer- 
ter avec  lui  :  Faites  appeler  tout  le  peuple  à  la  cour,  conseilla 
celui-ci  ;  faites  répandre  de  grandes  largesses  ;  puis  faites  dire  en 
votre  nom  :  moi,  homme  de  peu  de  valeur,  même  si  je  rentrais 
dans  mon  pays,  je  serais  toujours  sous  l'opprobre  de  l'avoir  dés- 
honoré; consultez  donc  les  sorts,  pour  voir  s'il  ne  serait  pas 
mieux  de  placer  le  prince  héritier  sur  le  trône. 

Ainsi  fut  fait.  Quand  le  peuple  entendit  ces  paroles,  il  fut 
touché  jusqu'aux  larmes  ;  alors  le  rusé  ministre  d'ajouter  :  notre 
prince  n'est  chagriné  ni  de  son  exil  ni  de  sa  prison  ;  il  ne  pense 
qu'à  nous,  à  nos  malheurs;  c'est  le  comble  de  l'affection!  Une 
pouvons-nous  faire  pour  un  si  bon  souverain?  —  Proposez-nous 
un  plan,  s'écria  le  peuple,  et  nous  l'accomplirons! 

Réunissons  l'argent  nécessaire,  préparons  nos  armes,  pour 
soutenir  le  prince  héritier,  répondit  le  ministre;  les  autres  Etats 
vont  apprendre  que  nous  avons  un  nouveau  souverain,  à  la  place 
de  son  père  ;  que  nous  sommes  tous  d'accord,  mieux  disposés  que 
jamais  à  la  guerre;  nos  amis  nous  en  féliciteront,  et  nos  ennemis 
en  prendront  peur.  N'est-ce  pas  le  meilleur  stratagème?  —  Le 
peuple  applaudit,  et  dans  toutes  les  villes  on  se  mit  à  préparer 
l'expédition. 

Ici,  l'historien  place  encore  une  consultation  des  sorts,  par 
l'achillée;  puis  l'interprétation  donnée  parle  devin:  nous  en  faisons 
grâce  au  lecteur;  on  a  vu  plus  haut  le  genre  de  ces  fadaises;  cela 
suffit;  nous  n'y  reviendrons  plus. 

A  la  ÎCK1"^  lune  (septembre-octobre  .  le  ministre  Liu  Cheng 
Q  $5}  eut  une  entrevue  avec  Mou-kong  ^  fè.  et  l'on  fit  le  traite 
de  paix  à  Wang-tchfeng  3E  M  -  •  Interrogé  si  le  pays  de  Tsin 
était  en  paix,  le  rusé  ministre  répondit:  non.  l'accord  n'existe 
pas  chez  nous;  le  peuple  déplore  la  captivité  de  son  souverain  et  la 
perte  de  tant  d'hommes  sur  le  champ  de  bataille;  on  ne  fait  pas 
de  difficulté  de  lever  des   contributions   et   de  préparer   les  armes, 

I)  Liu-chen,  nom  abrégé  de  Hiai-liu-ing-cheng  f«  3  £/;  £Ç.  ainsi  appelé, 
parce  qu'il  avait  les  trois  fiefs  de  ce  nom:  Liu,  était  à  3  li  à  l'ouesl  de  Houo  tcheov 
Vu  'H'I •  Chan-si.  —  Imr,  n'était  pas  loin  de  là.  —  Niai,  était  au  sud-csl  de  TAng 
tsin  hien  8^  Tg  l|f .  qui  est  à  90  li  nord-est  do  sa  préfecture  P'ou-tcheoxi  fou  ?&)  Mi 
ff.  Chan-si.  Hoang-tsing-king-kiai,  vol.  ç  ■■  i  /.  p.  sa  .  Petite  géogr.,  vol.  S.  p. 
..'<?)  —  (Grande,  vol.  y/,  p.  zi). 

-     Wang-tch'eng  était  à  :S0  pas  à  l'esl    de    Tch'ao-i   hien    $)J  i-\  %,   qui 
à  :u\  li  à  l'es!  de  sa  préfecture  T'ong-tckeou  fou  ^J  41  '/•F  Chen-si.     Grande  giogr.t 


56  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

pour  mettre  le  prince  héritier  à  la  place  de  son  père  sur  le  trône  ; 
on  veut  une  revanche,  et  l'on  préfère  se  soumettre  aux  Tartares 
plutôt  qu'à  votre  Majesté. 

Les  grands  du  royaume  aiment  bien  leur  souverain,  tout  en 
reconnaissant  ses  torts  ;  eux-mêmes  recueillent  des  contributions 
nécessaires  pour  les  armements,  tout  en  attendant  vos  ordres  au 
sujet  du  prince  captif;  chacun  s'écrie:  il  faut  absolument  nous 
montrer  reconnaissants  de  tant  de  bienfaits  reçus,  dussions-nous 
en  mourir  !  Voilà,  ajoutait  le  ministre,  pourquoi  nous  n'avons  pas 
l'accord  chez  nous. 

Mou-kong  demanda  encore:  que  pense-t-on  du  sort  réservé 
au  prince?  —  Le  petit  peuple,  répondit  le  ministre,  croit  le  captif 
destiné  à  la  mort;  les  hommes  sages,  estimant  votre  Majesté  si 
prudente,  sont  persuadés  que  le  prisonnier  recevra  la  liberté;  le 
peuple  s'écrie:  je  déteste  le  roi  de  T-<ein  §|§  :  car  jamais  il  ne 
voudra  relâcher  notre  prince  !  les  sages  répondent  :  nous  recon- 
naissons nos  torts,  certainement  notre  souverain  nous  sera  rendu  ! 
Abattre  le  déloyal,  mais  pardonner  à  l'humble,  c'est  le  comble 
de  la  vertu  et  de  la  sagesse;  c'est  la  meilleure  punition;  l'humble 
qui  se  soumet,  reconnaîtra  le  grand  bienfait  reçu  ;  le  déloyal  re- 
doutera la  répression.  Par  ce  seul  fait,  votre  Majesté  s'élèvera  si 
haut  dans  l'estime  publique  qu'elle  pourra  devenir  le  chef  des 
vassaux.  D'ailleurs,  ne  pas  établir  solidement  notre  prince,  après, 
l'avoir  placé  sur  le  trône  ;  le  rejeter,  après  l'avoir  choisi  ;  ne  s'at- 
tirer que  la  haine,  après  un  tel  bienfait  ;  votre  Majesté  est  inca- 
pable d'une  telle  conduite  ! 

Adouci  par  ces  flatteries.  Mou-kong  ^  7fe  reprit:  Hé  bien 
oui  !  vous  avez  bien  deviné  les  sentiments  de  mon  cœur  !  Et  de 
suite  il  fit  transférer  le  prisonnier  dans  une  demeure  plus  confor- 
table, et  lui  lit  cadeau  de  7  bœufs.  7  moutons  et  7  porcs.  On 
-•attendait  à  chaque  instant  au  retour  de  Hoei-kong  à  sa  capitale. 
Un  grand  dignitaire,  nommé  Ngou-si  <f$5  $f ,  demanda  au  seigneur 
K'ing  Tcheng  J|  f$  :  n'allez-vous  pas  vous  enfuir?  —  Non,  répon- 
dit-il :  j  ai  causé  le  malheur  du  prince  et  dans  la  défaite  générale, 
jt.  n'ai  pas  su  mourir:  si  maintenant  je  me  soustrayais  à  la  puni- 
tion, je   serais   un    félon;  où  trouverais-je  un  refuge? 

A  la  11"'  lune,  après  trois  mois  seulement  de  captivité, 
Hoei-kong  était  mis  en  liberté:  il  fit  mettre  à  mort  Kinu-tcheng 
avant  même  de  rentrer  à  la  capitale.  Comme  il  y  avait  encore 
grande  famine  dans  le  pays.  Mou-kong  ^  ^  envoya  tous  les  vi- 
n"es  nécessaires:  je  déteste  le  souverain,  disait-il,  mais  j'ai  pitié  du 
peuple  ;  je  connais  la  prophétie  faite  par  Ki-tse  rf£  ^£-,  à  l'avène- 
ment de  Tr&ng-chou  fê*  ^  «sa  descendance  sera  illustre»  ;  ainsi 
il  ne  faut  pas  songer  maintenant  à  annexer' ce  pays;  songeons 
d  al.'>rd  à  pratiquer  la  vertu:  attendons  que  cet  Etat  soit  devenu 
florissant  ;  il  ne  pourra  être  annexé  que  plus  tard, 

Pour   obtenir  la    paix.    Hoei-kong    avait    dû    céder   enfin    les 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    HOEI-KONG.  57 

cinq  villes  qu'il  avait  autrefois  promises  puis  refusées  ;  Mou-kong 
en  prit  aussitôt  possession,  et  y  organisa  une  administration 
régulière 

En  644,  en  automne,  les  Tartares  Ti  ^  envahissaient  le 
pays  de  Tsin,  et  lui  enlevaient  les  deux  villes  de  Hou-tck'ou  $&  ]§$ 
et  de  Cheou-touo  "yt  ^  (1);  passant  ensuite  le  fleuve  Fen  ^,  ils 
prenaient  encore  celle  de  K'oen-lou  j.jl  %$  (2  ;  ils  profitaient  donc 
de  l'embarras  et  de  la  faiblesse  où  se  trouvait  Hoei-konL:. 

En  643,  en  été,  le  prince  héritier  Yu  g  se  rendait  comme 
otage,  à  la  cour  de  Ts'in  ■£  ;  alors  Mou-kong  ^j|  Q  remit  les  cinq 
villes  qu'on  lui  avait  livrées.  Pour  montrer  encore  plus  de  généro- 
sité, il  donna  pour  épouse  à  Yu  une  princesse  de  sa  maison,  rece- 
vant par  contre  la  sœur  du  jeune  captif  comme  concubine.  On 
voit  que  Mou-kong  tâchait  de  resserrer  les  deux  pays  par  les 
liens  de  la  parenté,  dans  l'espoir  de  les  réunir  un  jour  sous  le 
même  sceptre. 

Comme  de  juste,  ces  événements  avaient  été  prédits.  Hoei- 
kong  étant  encore  en  exil  à  la  cour  de  Liang  |^,  avait  reçu  pour 
épouse  la  princesse  Ing  ,||f,  ;  celle-ci,  ayant  conçu,  avait  dépassé 
le  10èllle  mois  de  sa  grossesse,  sans  accoucher;  on  avait  consulté 
les  sorts;  les  devins  Tchao-fou  Jg  ^£  et  son  fils  en  avaient  donné 
l'interprétation  suivante  :  la  princesse  mettra  au  monde  un  garçon 
et  une  fille,  avait  dit  le  fils  ;  la  fille  sera  concubine,  et  le  frère 
sera  son  sujet,  avait  ajouté  le  père.  En  conséquence,  le  nouveau- 
né  avait  été  appelé  Yu  [^,  qui  signifie  sujet,  palefrenier:  sa  sœur 
s'appelait  Tsié  §£S,  c'est-à-dire  concubine,  épouse  secondaire.  Mes- 
sieurs les  lettrés  ne  sont-ils  pas  ingénieux  dans  leurs  explications! 

En  638,  Hoei-kong,  qui  s'était  tenu  tranquille  depuis  son 
retour  de  captivité,  commença  à  faire  de  nouveaux  projets  :  les 
Tartares  Jong  ^  s'étaient  établis  au  pays  de  Lou-hoen  |^f  jtjî;  ils 
les  transféra  dans  celui  de  I-tch'oan  fjr  )\\  (3).  Et  c'était  encore 
l'accomplissement  d'une  prophétie!   La  voici  : 

Autrefois,  les  Tartares  Chiens  [K'iuen-jong  ^  3%  avaient 
détruit  la  capitale  de  l'empereur  Ycou  ^j  ;  son  successeur  P'ing- 
wang  «^p  3£  l'avait  transférée  à  l'est,  dans  la  contrée  appelée  I- 
tch'oan  ffi  J||,  en  l'année  770.  Dans  la  suite,  le  grand  dignitaire 
Sin-yeou  ^  fâ  avait  rencontré  sur  les  bords  de  la  rivière  /  {p-,  en 


(1)  Hou-tchou  était  au   nord-ouest   de    P'ing-yang    fou     '\     [!g   tff.    au    nord  du 
fleuve  Fen,  Chan-si.  Cheou-touo  était  prés  de  là     Grande  ;/'";/'•  .   vol.   41,  p.  /  . 

(2)  K'oen-tou,  était   au    sud    de    P'ing-yang  fou    'Y-  P)  f-f,  Chan-si.    (Grande 
géogr.,  vol.  41.  p.  j). 

(3)  I-tch'oan,  c'est  l-yang  hien  ffi  JIjJ  $f,à  50  li  à  L'ouest  de  .Uni  tchcou  ffi  4). 
llo-nan.   'Petite  ycogr..  vol.   12.  p.   63). 

I.ou-hoen,    était   à    30   li  au  nord  de  Song  hien  %&  !?'.  qui  est  a   IHO  li  au  sud 
de  Ho-nan  fou  Jfif  f£]  f{-f ,  llo-nan.  (Petite  géogr.,v'ol.ie,p.jç) —  Grande, vol. 48,  p.fj  ■ 

- 


58  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

un    lieu    désert,    un    sauvage,    les  cheveux  en  désordre,  offrant  un 
sacrifice. 

Aussitôt  le  sage  lettré  s'était  écrié  :  il  ne  se  passera  pas  un 
siècle,  avant  que  les  Tartares  occupent  ce  pays  :  car  c'est  ici  que 
les  rites  propres  aux  sacrifices  ont  été  d'abord  perdus  (1).  Le 
commentaire  observe  que  le  prophète  ne  s'était  pas  trompé  sur  le 
fait  mais  sur  la  date:  car  il  y  avait  plus  d'un  siècle  d'écoulé.  Rare- 
ment un  lettré  se  trouve  en  défaut  comme  dans  le  cas  présent  ! 

Cette  même  année  638,  Hoei-kong  tombait  malade.  Le  prince 
héritier  Yu  §§  dit  à  son  épouse  :  Je  suis  ici  en  captivité  ;  dans  ma 
patrie,  je  n'ai  personne  pour  soutenir  mes  droits  à  la  couronne: 
si  mon  père  mourait  de  cette  maladie,  les  grands  dignitaires, pleins 
de  mépris  pour  moi,  seraient  capables  de  mettre  un  autre  prince 
sur  le  trône:  nous  ferions  mieux  de  nous  enfuir.  La  princesse  lui 
répondit  :  Vous  êtes  l'espoir  de  votre  patrie,  vous  devez  y  retour- 
ner; ma  condition  n'est  pas  la  même  :  le  roi  m'a  placée  près  de 
vous,  pour  vous  essuyer  les  mains,  vous  peigner  les  cheveux, com- 
me votre  humble  servante  :  mon  office  est  de  vous  consoler,  de 
vous  soutenir  dans  l'exil:  fuyez:  je  ne  vous  accompagnerai  pas, 
mais  je  ne  vous  trahirai  pas  non  plus;  en  vous  suivant,  je  man- 
querais à  l'ordre  formel  du  roi:  en  vous  trahissant,  je  violerais 
mes  devoirs  d'épouse.    Sur  ce,  le  prince  partit  aussitôt. 

En  637,  Hoei-kong  mourait,  à  la  9  '""'  lune  juillet-août  . 
et  était  enterré  à  la  11 '"'"'".  Le  prince  héritier  lui  succéda  sans 
qu'il  se  produisit  aucun  trouble.  Il  fit  publier  un  édit  ordonnant 
à  tous  ceux  qui  avaient  suivi  Tch'ong-eul  If"  Jf  dans  l'exil,  de 
rentrer  chez  eux  :  fixant  une  limite,  passé  laquelle,  les  récalci- 
trants seraient  poursuivis  et  punis,  ainsi  que  leurs  familles. 

Or,  le  vieux  seigneur  Hou  Tou  ^  ^,  que  nous  connaissons 
depuis  longtemps,  avait  deux  de  ses  fils  près  de  Tch'ong-eul  :  à 
savoir,  les  seigneurs  Mao  ^  et  Yen  ff§  (ou  Tse-fan  ^  fâ  :  ceux- 
ci  ne  revenaient  pas  à  la  capitale,  et  leur  père  refusait  de  les 
rappeler  ;  c'était  donc  une  désobéissance  formelle. 

En  hiver,  c'est-à-dire  à  la  fin  de  cette  année,  le  vieux  sei- 
gneur fut  arrête  :  le  prince  lui  dit  carrément  :  Je  vous  ferai  grâce, 
à  condition  que  vus  fils  rentrent  chez  eux.  Hou  Tou  répondit  :  Les 
anciens  avaient  pour  axiome:  «si  le  fils  est  capable  de  rendre  ser- 
vice, le  père  doit  l'engager  à  se  montrer  fidèle  serviteur»  :  d'après 
l'usage,  le  nom  du  nouveau  serviteur  était  inscrit  sur  un  registre 
des  officiers;  lui-même  offrait  un  cadeau,  comme  gage  de  sa  fidé- 
lité, se  déclarant  prêl  à  subir  la  mort,  s'il  venait  à  oublier  ses 
engagements,  [.es  noms  de  mes  lils  sont  inscrits  sur  le  registre 
de  Tch'ong-eul  :  si  je  les  rappelais,  ce  serait  leur  faire  commettre 
une  félonie;    après   cela,    de    quel    front    prétendrais-je    être    votre 


I     Les  rites  voulaient  qu'en  offrant  les  sacrifices,  on  portât   des  habits  et  un 
chapeau;  le  sauvage  ignorait  ces  détails,  sans  doute. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    HOEI-KONG.  59 

fidèle  sujet?  Je  désire  votre  prospérité;  mais  je  vous  prie  de  ne 
pas  exagérer  les  châtiments,  de  ne  pas  punir  des  innocents;  si- 
non, vos  regrets  tardifs  ne  sauveront  pas  votre  couronne. 

Le  prince  héritier  eut  le  triste  courage  de  mettre  à  mort  ce 
loyal  seigneur  et  vénérable  vieillard,  son  proche  parent.  Yen  ([}£, 
grand  devin  de  la  cour,  n'aimait  pas  le  nouveau  souverain;  pour 
cela,  il  prétextait  une  maladie,  pour  ne  pas  être  obligé  de  sortir  de  sa 
maison;  ayant  appris  la  mort  de  llouï'ou,  il  s'écria:  le  livre  des 
Annales  [chou-king  Jf  $$>  a  une  parole  qui  convient  bien  à  notre 
ca.s:«celui  qui,  dans  les  punitions,  montre  un  grand  discernement, 
f/ar/ne  l'affection  de  son  peuple».  Or,  notre  souverain  fait  mettre 
à  mort  n'importe  qui,  sans  aucune  raison;  l'arbitraire  est  sa  rè- 
gle ;  comment  pourrait-il  se  maintenir  sur  le  trône?  Le  peuple  ne  lui 
connaît  aucune  vertu,  n'entend  parler  que  de  ses  exécutions  ;  un 
tel    prince  pourrait-il  avoir  de  la  descendance  sur  le  trône  de  Tsin? 

Voilà  la  première  antienne,  par  laquelle  nos  auteurs  annon- 
cent les  malheurs,  qui  ne  tarderont  pas  à  fondre  sur  le  nouveau 
souverain.  Mais  avant  d'en  faire  le  récit,  nous  devons  revenir  un 
peu  sur  nos  pas,  examiner  ce  qu'était  devenu  le  prince  Tch'ong- 
eul  ]g  J£  ;  car  son  histoire  va  se  mêler  à  celle  de  son  rival. 


Vie  el  pérégrinations  de  Tch'ong-eul   Je,   -R* 

Dès  sa  jeunesse,  il  avait  donné  les  plus  belles  espérances  ; 
dès  lors,  des  seigneurs  éminents  s'attachèrent  à  lui,  sans  vouloir 
le  quitter,   même  pendant  ses  longues  années  d'exil. 

Nous  avons  précédemment  raconté,  comment  il  fut  écarté  de 
la  cour,  envoyé  gouverner  le  territoire  de  P'ou,  en  666  ;  comment 
Hien-kong  j^(  ^,  son  père,  envoya  une  armée  l'attaquer  dans  cette 
résidence  ;  comment  ce  prince,  par  piété  filiale,  défendit  à  son 
peuple  de  résister;  comment  il  se  réfugia  chez  les  Tartares  Ti  ^, 
en  655.  Il  se  trouvait  donc  dans  le  pays  de  sa  mère,  comme  nous 
l'avons  dit  plus  haut;  il  avait  alors  43  ans,  et  devait  rester  en 
exil   19  ans. 

Parmi  son  entourage  se  trouvaient  les  deux  seigneurs  Mao 
^  et  Yen  [g,  dont  nous  venons  de  parler,  et  dont  le  second,  un 
vrai  génie,  deviendra  illustre,  sous  le  nom  de  Tse-fan  ^-fâ;  il 
sera  plus  tard  le  plus  ferme  soutien  de  son  pays.  Il  y  avait  en- 
core le  seigneur  Tchao  Tck'oei  $  Q,  frère  du  fameux  Tchao  Sou 
,{ff  j^,;  puis  les  seigneurs  Tien-kiè  |fi  g(  et  Wei  Tch'eou  f|  ||Ë, 
célèbres  par  leur  force  herculéenne;  et  encore  le  seigneur  Siu 
Tch'en  'pf  fTi,  ou  Kieou-ki  [H  ^p,  que  nous  retrouverons,  plus  tard, 
comme  ministre  des  travaux  publics.  Ce  sont  les  principaux,  ou 
les  plus  connus;  car  les  autres  compagnons,  de  talents  plus  ordi- 
naires, étaient  assez  nombreux, 


60  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

Juste  au  moment  où  Tch'ong-eul  arriva  chez  les  Tartares  Ti 
ffi,  ceux-ci  étaient  en  guerre  avec  leurs  rivaux,  les  Tsiang-kao-jou 
US  45*  $11  1  -  une  des  branches  de  la  grande  tribu  des  Tartares 
rouges  Ltch'e-ti  ff%k-  Ayant  contribué  glorieusement  à  la  victoire, 
Tch'ong-eul  reçut  en  récompense  deux  princesses,  faites  prisonniè- 
res ;  l'une  s'appelait  Chou-koei  Jpl  [>)|,  l'autre  Ki-hoei  Éip  $%L  ;  il  en 
prit  une  pour  épouse,  mais  on  ne  sait  pas  laquelle;  il  en  eut  deux 
fils,  I'é-tiao  \fa  fjS  et  Chou-lieou  ,|^  |?ij  ;  il  céda  l'autre  au  seigneur 
Tchao  Tch'oei  ,!£{  ifif  ;  celle-ci  donna  le  jour  au  seigneur  Toen  }lf, 
qui  fut  plus  tard  glorieux  premier  ministre,  sous  le  nom  de  Tchao 
Siuen-tse  $$  'Jf  ^f-, 

Tch'ong-eul  resta  douze  ans  chez  ces  Tartares  Ti  tfc.  Quand 
il  se  décida  ensuite,  en  544,  à  se  rendre  au  pays  de  Ts'i  ^|,  il 
dit  à  son  épouse  :  attendez-moi  pendant  vingt-cinq  ans  ;  si  alors 
je  ne  suis  pas  de  retour,  vous  serez  libre  de  vous  remarier.  Alors, 
répondit-elle,  j'aurai  cinquante  ans,  bonne  seulement  à  être  mise 
au  cercueil  :  permettez-moi  de  vous  attendre,  sans  penser  à  me 
remarier. 

Sur  son  chemin,  Tch'ong-eul  passa  par  le  pays  de  Wei  fëj  : 
le  prince  Wen-kong  $C  5»  [659-635]  l'y  reçut  fort  mal  ;  à  tel  point 
qu'en  quittant  le  territoire  de  Ou-lou  jg.  )§i  (2),  le  pauvre  exilé 
fut  obligé  de  mendier  des  vivres  chez  un  paysan;  celui-ci,  par 
dérision,  lui  présenta  une  motte  de  terre:  Tch'ong-eul  indigné 
voulait  faire  fouetter  ce  grossier  individu;  mais  le  sage  T se- fan 
•^  $\l  calma  sa  colère,  en  lui  disant  :  c'est  un  cadeau  de  bon  au- 
gure; le  ciel  vous  annonce  qu'un  jour  vous  serez  le  maître  de  ce 
pays.  Là-dessus,  Tch'ong-eul  se  prosterna,  reçut  en  cette  posture 
la  motte  de  terre,  et  la  garda  précieusement  sur  son  char. 

Arrivé  à  la  cour  de  Ts'i  ^.  Hoan-kong  |a  îi ,  le  plus  fameux 
des  rois  de  ce  pays,  le  traita  de  la  manière  la  plus  honorable;  il 
lui  donna  une  princesse  de  sa  propre  famille  Kiang  ^  ft]  j  ^ 
lui  donna  vingt  chars  et  quatre-vingts  chevaux,  pour  lui  et  pour 
sa  suite  (3).  Aussi  Tch'ong-eul  se  trouvait  si  bien  qu'il  pensait 
rester  là,  et  ne  désirait  pas  pousser  plus  loin  ses  pérégrinations. 

(1)  Les  Tartares  rsiang-kao-jou,  habitaient  le  territoire  actuel  de  T'ai-yuen 
fou  jk  -0F.  rfi .  Chan-si.  Les  rartares  Kao-lou  $k  £'£,  dont  nous  avons  parlé  plus 
haut.  étaient  aussi  de  cette  tribu  des  Tartares  rouges  [tch'e-ti  Ifo  1j\  .  Grande, 
géogr.,  ml.  i.  !>.  ici.  —  Le  recueil  intitulé  Kicmg-yu-piao  f||  kj£  g|.  roi.  '-.  p. 
22.  énumère  encore  les  mitres  Tartar 

(2)  Ou-lou.  était  à  45  li  à  l'es!  de  Ta-^ming  fou  X  %*  f=f.  Tche-li;  c'était  une 
ville  de  Wei,  sur  la  frontière  de  rs'i.  Petite  géogr.,  roi.  2,  p.  .--.?  —  Grande, vol. 
16.  j. 

(3)  Ts'i.  Sa  capitale  était  un  peu  au  nord  de  TÂng-tche  bien  flœ  ijii  §£,  qui  est 
à    :tù   li   nord-ouest  de  Ts' ing-tcheou  fou  #  tt)   fî   sa  préfecture,  Chan-tong  llj  îfî 
(Petite  géogr.,  vol.  10,  p.   24    —     Grande,  vol  3S,  p.  s)- 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    HOEI-KONG.  61 

Son  entourage  craignit  qu'une  vie  si  douce  n'amollit  son  ca- 
ractère, et  ne  le  rendît  incapable  de  grandes  entreprises  ;  on  prévoyait 
d'ailleurs  que  le  filg  de  Hoan-kong  ne  serait  pas  de  taille  à  l'aider 
efficacement  à  monter  sur  le  trône, quand  l'heure  en  serait  venue  (1). 
On  tint  conseil  pour  trouver  un  moyen  de  le  faire  sortir  malgré 
lui  de  ce  pays.  On  se  réunit  donc  sous  un  mûrier,  pour  faire  cet 
innocent  complot;  une  domestique  de  la  maison  de  Tch'ong-eul 
était  justement  perchée  sur  cet  arbre,  occupée  à  en  recueillir  les 
feuilles  pour  élever  des  vers-à-soie  ;  elle  se  garda  bien  de  remuer 
tant  que  dura  la  conversation  ;  elle  raconta  ensuite  à  sa  maîtresse 
tout  ce  qu'elle  avait  entendu;  celle-ci,  qui  était  persuadée  de  la 
bonne  intention  des  conjurés,  et  était  tout  à  fait  de  leur  avis,  se 
hâta  de  mettre  à  mort  cette  femme,  de  peur  qu'elle  ne  trahit  le 
secret;  puis  elle  s'entendit  avec  Tap-fan  ^  %\l,  pour  exécuter  ce 
qu'on  avait  résolu. 

Un  beau  jour  donc,  on  enivra  Tch'ong-eul,  on  le  plaça  sur 
son  char,  et  l'on  partit.  Quand  celui-ci  se  réveilla,  il  entra  en 
fureur,  il  saisit  une  lance,  et  voulait  en  percer  Tse-fan;  on  finit 
par  l'apaiser,  et  lui  faire  entendre  raison:  puis  on  continua  le 
voyage.  Tch'ong-eul  était  resté  cinq  ans  à  la  cour  de  T*'i  ^; 
il  se  rendit  de  ce  pas  au  pays  de  Tx'uo  igf,  dont  le  prince  s'appe- 
lait Kong-hong  fit  ^  (2),  et  régna  de  (552  à  618.  Celui-ci  le  reçut 
peu  civilement;  il  avait  entendu  dire  que  Tch'ong-eul  avait  les  côtes 
soudées  deux  à  deux;  pour  s'en  assurer,  il  l'invita  à  prendre  un 
bain,  et  s'approcha  tout  près,  afin  de  l'examiner  à  son  aise. 

La  femme  du  grand  officier  Hi  Fou-ki  {&  j*\  |j|  fit  cette  re- 
marque à  son  mari  :  quand  on  observe  les  gens  qui  suivent 
Tch'ong-eul,  on  s'aperçoit  bien  vite  que  ce  sont  des  hommes  de 
premier  calibre;  s'appuyant  sur  eux,  il  rentrera  certainement  dans 
sa  patrie,  montera  sur  le  trône,  et  deviendra  même  le  chef  des 
vassaux  ;  alors  il  punira  ceux  qui  auront  mal  agi  à  son  égard, 
et  notre  prince  sera  an  des  premiers;  pourquoi  n'allez-vous  pas 
lui  prouver  que  vous  êtes  animé  de  bien  autres  sentiments  envers 
lui"?  L'officier  fit  préparer  un  splendide  dîner,  et  l'envoya  au  prin- 
ce ;  dans  le  plus  beau  plat,  il  avait  caché  une  précieuse  tablette 
de  jade;  c'était  le  seul  moyen  qu'il  eût  de  lui  offrir  un  cadeau: 
car,  en  sa  qualité  d'officier  de  T.s'ao  '^,  il  ne  pouvait  entrer  en 
relations  directes  avec  un  prince  étranger;  il  ne  voulait  pas  être 
trahi  par  ses  gens  de  service. 

Tch'ong-eul  reçut  le  dîner,  et  trouva  la  tablette  de  jade  :  il 
fut  touché  du  procédé  délicat  de  cet  officier;  mais  en  homme  ver- 
tueux, il  lui  renvoya  le  précieux  cadeau  :  nous  verrons  plus  tard 
comment  il  montra  sa  gratitude. 

(1)  l.c  (ils  de  Hoan-kong,  dont  il  s'agit,  est  Hiao-kong  ■%  fi  :  il  régna  de 
t)42  à  633. 

(2)  Ts'ao,  sa  capitale,  est  la  ville  actuelle  Ts'aa-tcheou  fou  ^  •+)  I^F,  Chan- 
tong,    (Petite  géogr.,  vol.  10.  p.  16)  —  (Grande,  vol,  t.  p.   io   —    roi.    ?s-  p-   -V 


g2  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

Tch'ong-eul  se  rendit  à  la  cour  de  Son;/  5^  (1)  ;  le  roi  Siang- 
kong  M  ^  (650-637)  le  reçut  très  honorablement,  et  lui  fit  pré- 
sent de  quatre-vingts  chevaux.  De  là,  Tch'ong-eul  passait  à  la 
cour  de  Tcheng  %  (2)  ;  mais  le  prince,  nommé  Wen-kong  %.  fè 
(672-628),  le  reçut  d'une  façon  peu  civile.  Celui-ci  en  fut  blâmé 
parle  seigneur  Chou-tchan  .$  )W  :  les  anciens  sages,  lui  dit-il, 
nous  ont  enseigné  qu'on  ne  saurait  trop  honorer  celui  que  le  ciel 
prépare  à  de  grandes  destinées  ;  or,  trois  circonstances  me  font 
croire  que  Tch'ong-eul  sera  reconduit  clans  sa  patrie,  et  placé  sur 
le  trône  ;  il  convient  donc  de  le  traiter  avec  honneur,  pour  vous 
en  faire  un  ami  :  D'ordinaire,  une  famille  dont  le  père  et  la  mère 
portent  le  même  nom,  n'est  pas  bénie  en  enfants;  du  moins  en 
enfants  sains  et  vigoureux:  pour  Tch'ong-eul,  le  ciel  a  fait  une 
exception.  Dans  les  troubles  excités  par  la  fameuse  Li-hi  ||  #{!£, 
le  prince  s'est  exilé  pour  ne  pas  être  une  des  causes  de  la  révolu- 
tion :  le  ciel  n'a  pas  encore  accordé  la  paix  au  pays  de  Tsin  ;  ce 
qui  me  fait  croire  qu'il  veut  la  lui  rendre  par  l'intermédiaire  de 
Tch'ong-eul.  Enfin,  le  ciel  a  placé  près  de  ce  prince  trois  hommes 
de  génie,  Hou  Yen  #&  f[|  Tclum  Tch'oei  ^g  ^  etKia  T'ouo  '£  f£, 
et  ces  seigneurs  se  font  gloire  de  le  servir  dans  son  exil.  Oserais- 
je  ajouter  une  autre  considération  :  la  famille  régnante  de  Tsin 
est  parente  de  la  notre  ;  chacun  de  ses  princes  en  voyage  devrait 
être  honorablement  traité  par  nous;  à  plus  forte  raison,  celui  que 
le  ciel  semble  destiner  à  de  grandes  choses! 

Wen-kong  £  £*  ne  fut  Pas  touché  par  ces  raisons;  il  per- 
sista dans  sa  Ligne  de  conduite.  Tch'ong-eul  se  rendit  à  la  cour 
de  Tch'ou  $?,  en  637.  Le  roi  Tch'eng-"wang  $  -f.  (671-626)  le 
reçut  de  la  manière  la  plus  distinguée;  on  dit  même  qu'il  lui 
rendit  les  honneurs  prescrits  par  le  (•  rituel»  de  la  dynastie  Tcheou 
jh]  dans  la  réception  des  plus  grands  princes  (3). 

Dans  un  grand  festin,  le  roi  lui  demanda  sans  détours  :  Si 
un  jour  votre  seigneurie  peut  rentrer  dans  sa  patrie,  et  monter 
sur  le  trône,  quelle  récompense  me  donnera-t-elle  pour  ma  bien- 
veillance? La  question  était  délicate! 

Tch'ong-eul  répondit  ;  de  belles  concubines,  du  jade  précieux, 
des  soieries,  de  l'ivoire,    des    plumes    d'oiseaux    magnifiques,    des 

(1)  Song.  Sa  capitale  était  la  ville  actuelle  Koei-té  fou  M  fe£  ftf.  Ho-nan  iPotitr 
géogr.,  vol.   12.  \>.    11)     -   (Grande,  ml.    1.  i>.   10). 

(2)  Tcheng.  Sa  capitale  était  un  peu  au  nord-ouest  de  Sin-tcheng  hien  Jjf  fj?|ï 
M  ;  qui  es!  a  220  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  K'aî-fong  fou  \»)  ï\  #,  Ho-nan 
(  Petite  géogr.,  ml .   i  j  .  p.  5) 

(3)  Le  recueil  intitulé  Kouo-yu  \<M^f>  prétend  que  la  réception  s'esl  faite  ainsi: 
mais  se-  amplifications  littéraires  paraissent  avoir  été  surajoutées  dans  la  suite. 
Tch'ong-eul    esl  un    des    héros   leî  plus  c\al(cs  par  les  lettrés,    malgré    les  réserves 

laites   SUT   lui    par   Mninj   fsfi    ,!{.  -J-. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    HOEI-KONG.  63 

queues  de  vaches  pour  les  drapeaux,  des  cuirs  solides  pour  les 
armes  et  les  cuirasses;  tout  cela,  votre  Majesté  l'a  en  abondance 
dans  son  royaume;  ce  sont  vos  déchets  que  l'on  importe  chez 
nous;  que  pourrais-je  donc  offrir  de  convenable? 

Cela  est  peut-être  vrai,  reprit  le  roi;  il  faut  pourtant  trouver 
quelque  chose  à  me  donner,  en  guise  de  reconnaissance. 

Alors  Tch'ong-eul  fit  la  réponse  chevaleresque  suivante,  très 
célèbre  dans  les  annales  de  la  Chine  :  Si  par  la  puissante  inter- 
vention de  votre  Majesté  je  suis  placé  sur  le  trône,  et  si  plus  tard 
nos  deux  pays  ont  une  guerre  ensemble,  rencontrant  votre  Majesté 
sur  un  champ  de  bataille,  je  reculerai  à  trois  journées  de  distance; 
si,  malgré  cette  déférence,  vos  troupes  persistent  à  m'attaquer, 
je  saisirai  de  la  main  gauche  mon  fouet  et  mon  arc  :  de  la  droite, 
je  suspendrai  à  mon  épaule  mon  carquois  et  le  fourreau  de  mon 
arc;   puis  je  me  battrai  de  toutes  mes  forces  avec  vos  gens. 

A  ces  paroles,  le  premier  ministre  Tse-yu  -^  3E  indigné  par- 
lait de  mettre  à  mort  un  tel  audacieux;  mais  Tcll'eng-wang  $£  -{-' 
le  calma  en  ces  termes  :  Tch'ong-eul  est  d'un  caractère  généreux, 
mais  plein  de  modération;  il  n'est  point  ambitieux;  il  est  aimable 
et  poli  dans  ses  relations;  ses  compagnons  sont  tous  des  hommes 
graves,  respectueux,  magnanimes,  prêts  à  sacrifier  leur  vie  pour 
lui.  Le  prince  régnant,  au  contraire,  n'est  aime  de  personne;  au 
dehors,  il  est  cordialement  détesté  de  tout  le  monde.  Les  sorts  ont 
prédit  que  le  pays  de  T'ang-chou  )^  ${  subsisterait  bien  plus 
longtemps  que  d'autres  du  même  clan  Ki  #Ri  ;  c'est  sans  doute  sons 
le  règne  de  Tch'ong-eul  que  l'état  de  Tsin  va  se  relever  et  Qeurir; 
qui  donc  oserait  l'attaquer,  si  le  ciel  lui-même  le  protège?  ce 
serait  s'attirer  des  calamités! 

Tch'eng-wang  continua  de  traiter-  Tch'ong-eul  avec  les  plus 
grands  égards,  pendant  plusieurs  mois,  et  le  lit  conduire  solennel- 
lement à  la  cour  de  Ts'in  i|§;  c'était  tout  juste  peu  de  temps  après 
l'évasion  du  prince  héritier  Yu  {^ ,  comme  nous  l'avons  raconté 
plus  haut.  Le  roi  Mou-kong  ^  £V  ayant  su  la  présence  de  Tch'ong- 
eul  à  la  cour  de  Tch'ou  %'~ ,  lui  avait  envoyé  un  message,  l'invi- 
tant à  venir;  il  voulait  se  servir  de  lui  pour  la  vengeance  qu'il 
méditait  contre  le  fuyard. 

Tch'eng-wang  lui-même  engageait  Tch'ong-eul  à  se  rendre  à 
cette  invitation  :  notre  pays  de  Tch'ou,lui  disait-il,  est  loin  de  votre 
patrie;  pour  y  parvenir,  il  faut  traverser  plusieurs  principautés; 
tandis  que  celui  de  Ts'in^  est  votre  voisin  :  Mou-kong  est  un  sage; 
il  pourra  vous  être  d'un  grand  secours  dans  l'avenir.  Tch'eng-wang 
appuya  ses  exhortations  par  de  riches  cadeaux. 

Tch'ong-eul  fut  donc  reçu  avec  grand  honneur  à  la  cour  de 
Ts'in  JH  ;  Mou-kong  lui  donna  cinq  femmes,  parmi  lesquelles 
se  trouvait  la  princesse  Hoai-ing  'j^|  fofo:  c'est-à-dire  celle  qui  axait 
été  mariée  au  prince  héritier  )  "  ||,  et  avait  refusé  de  l'accompa- 
gner dans  sa  lui  te. 


64  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Tout  d'abord,  Tch'ong-eul  avait  pensé  la  refuser;  mais  le  sei- 
gneur Siu-tch'en  ^  p.  (ou  Kieou-ki  pi  ^)  lui  persuada  de  l'ac- 
cepter :  vous  voulez  prendre  le  royaume,  lui  disait-il,  et  vous 
auriez  scrupule  de  prendre  la  femme!  recevez-la,  vous  ferez  plaisir 
au  roi;  il  n'en  sera  que  plus  disposé  à  vous  aider;  vous  avez  scru- 
pule d'une  bagatelle,  et  vous  oubliez  les  grandes  injures  qu'on 
vous  a  faites  ! 

Tch'ong-eul  accepta  donc  cette  femme.  Un  jour,  celle-ci  lui 
apporta  une  cuvette  d'eau,  pour  se  laver  les  mains;  par  mégarde, 
il  lïclaboussa  un  peu;  indignée,  elle  s'écria  :  nos  deux  pays  vont 
de  pair;  pourquoi  donc  me  traiter  en  esclave?  Tch'ong-eul  ôta  ses 
vêtements,  se  mit  devant  elle  dans  la  posture  d'un  prisonnier,  pour 
lui  demander  pardon  (1).  A  diverses  reprises,  le  roi  finit  par  lui 
donner  soixante-dix  femmes,  avec  des  toilettes  magnifiques. 

Mou-kong  prépara,  un  jour,  un  grand  festin  en  l'honneur  de 
Tch'ong-eul.  Tse-fan  lui  dit  :  je  ne  suis  pas  si  fort  sur  les  rites 
solennels  ni  si  habile  parleur  que  le  seigneur  Tchao  Tch'oei  £fi  ^  ; 
prenez-le  donc  comme  compagnon,  pour  ce  repas.  En  guise  de 
toast,  Tch'ong-eul  chanta  l'ode  Ho-choei  jpj  tK  (2),  dont  le  sens 
est  à  peu  près  celui-ci  :  les  cours  d'eau  savent  trouver  la  mer,  le 
lieu  de  leur  repos;  moi,  je  suis  venu  près  de  vous,  mon  refuge. 
C'était  un  tin  compliment  à  l'adresse  de  Mou-kong  ;  celui-ci  chan- 
ta, comme  réponse  l'ode  Lou-yuè  -^  f\  ;  dont  voici  le  sens  :  à  la 
gème  lune,  il  y  eut  grand  empressement  h  préparer  Ve.xpédilion 
guei  rière  (3)  :  c'est-à-dire  :  le  roi  promet  officiellement  son  concours 
au  prince,  pour  rentrer  dans  sa  patrie,  et  monter  sur  le  trône. 

Le  seigneur  Tchao  Tch'oei  commanda  :  Tch'ong-eul  à  genoux  ! 
(4)  Celui-ci  descend  aussitôt,  se  prosterne,  et  frappe  la  terre  de 
son  front.  Le  roi  descend  aussi  d'un  degré,  se  déclarant  indigne 
d'une  telle  marque  de  respect;  mais  le  seigneur  Tchao  Tch'oei 
insiste  en  disant  :  Votre  Majesté  vient  de  chanter  que  Tch'ong-eul 
est  destiné  à  maintenir  l'ordre  et  la  paix  dans  l'empire,  à  protéger 
l'autorité  du  "fils  du  ciel»,  deux  choses  qui  sont  le  propre  des  rois 
vassaux;  il  ne  peut  faire  moins,  pour  se  montrer  reconnaissant 
de  votre  promesse  (5). 

(1)    Le  recueil  Hoctng-ts'ing   King-kiai  jfl  ffi  ^g  5j?.  vol.  9-14,  p.  57.  raconte 
un  peu  autrement  cette  historiette:  Indignée  de  ce  qu'on  lui  avait  demandé  un  service 
réservé  aux  esclaves,  la  princesse  aurait  jeté  l'eau  de  la  cuvette  au  nez  du  prince. 
Ii'  commentaire  dit  que  cette  ode  a  été  perdue;    il  y   en  a  une  semblable. 
Voir  Zottoli,   III.  //.    tS4)      (Couvreur,  p.  ->is-  chant  çeme). 
(3)  (Zottoli,   III.  ii    144-  n.  2s'         (Couvreur,  p.  200). 
i     Le  seigneur  appelle  le  prince  par  son  nom:  comme  s'il  était  son  père,    ou 
^on   supérieur;    car   devanl  le  roi  il  ne  peut  y  avoii  que  des  sujets  ou  des  esclaves: 
toute  marque  d'honneur  <l"it  s'adresser  au  roi,  si  grand,  si  illustre. 

(5)   D'après   Sc-um    Ts'ien    ai  .§5  j§.    le   seigneur  Tchao  Tch'oei  chanta  aussi 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    HOEI-KONG.  6.r) 

A  la  12""H'  lune  (octobre-novembre)  de  l'année  637,  après  la 
mort  de  Hoei-kong  ï§i  ^ ,  les  seigneurs  Loan  H§  et  K'i  $|],  avec 
leurs  amis,  envoyèrent  un  message  à  Tch'ong-eul,  qu'ils  savaient 
à  la  cour  de  Tsrin  ^.  le  pressant  de  revenir  au  plus  vite  :  vos 
partisans,  disaient-ils,  sont  nombreux,  et  vous  attendent  avec 
impatience  ! 

Cette  circonstance  engagea  Mou-kong  f^  5V  à  presser  les  pré- 
paratifs de  la  campagne  qu'il  avait  promise.  Nous  allons  le  suivre. 
en  racontant  les  premiers  et  derniers  événements  du  règne  éphé- 
mère de  Hoai-kong  '[^  £  . 

une  ode,  intitulée  Chou-miao  ^  'j|f,  qui  célèbre  les  expéditions  et  travaux  de  Chao 
Mou-kong  ff  @  ^  ;  le  roi  aurait  alors  répondu:  Je  comprends  que  \ous  désiriez 
rentrer  dans  votre  patrie!  Tch'ong-eul  et  son  compagnon  se  seraient  mis  à  genoux 
pour  le  remercier,  et  lui  auraient  dit  :  .Nous,  vos  humbles  serviteurs,  nous  attendons 
le  secours  de  votre  Majesté  comme  les  plantes  attendent  la  pluie  en  temps  de  séche- 
resse. (Pour  l'ode  Chou-miao,  voir:  Zuttoli,  III.  ]>  ziç.  n.  ~j  —  Couvreur.  \i. 
398,  n.  3). 


66 

HOAI-KONG    (636) 


£ 


Le  prince  Yu  ||  a  reçu  le  nom  historique  Hoai  'I'jï,  qui  si- 
gnifie humain,  bienfaisant,  mais  mort  jeune  (1).  En  effet,  il  n'at- 
teignit pas  même  trente  ans.  Quant  à  sa  vertu  d'humanité,  de 
bonté,  nous  savons  ce  qu'il  faut  en  penser  ;  l'exécution  du  véné- 
rable et  loyal  Hou  Tou  ^  ^  nous  a  amplement  renseignés. 

A  la  1''  lune  de  636,  (novembre  ,  l'armée  de  Ts'in  frétait 
en  marche,  conduisant  Tch'ong-eul  à  sa  capitale.  Ici  les  historiens 
placent  un  trait  typique,  vrai  ou  faux,  pour  montrer  à  quel  degré 
de  vertu  étaient  parvenus  les  lettrés,  compagnons  du  prince.  On 
était  donc  arrivé  sur  la  rive  du  Feuve  Jaune;  le  seigneur  Tse-fan 
~~P  ^E  prit  sa  tablette  de  jade,  et  la  tendit  à  Tch'ong-eul,  en  di- 
sant :  moi,  votre  humble  serviteur,  j'ai  été  enchaîné  à  votre  sort, 
pendant  vos  pérégrinations  ;  j'en  ai  conscience,  et  votre  Majesté 
encore  davantage  :  maintenant  que  tout  est  en  bonne  voie,  permet- 
tez-moi de  me  retirer. 

Tch'ong-eul  attendri  par  une  telle  humilité,  répondit:  Mon 
oncle  maternel,  je  vous  jure  que  je  serai  toujours  avec  vous  un 
seul  cœur  et  une  seule  àme  ;  s'il  en  était  jamais  autrement,  que 
l'Esprit  protecteur  de  ce  fleuve  me  punisse  !  En  même  temps,  il 
jetait  la  tablette  dans  l'eau,  en  guise  d'offrande. 

Après  avoir  traversé  le  fleuve,  on  prit,  sans  grands  efforts, 
les  villes  de  Ling-hou  fo  $&•  Sang-ts'iuen  ^  ?&  et  Kieou-tch'oei 
fjj  \X.  -  •  clui  s'empressèrent  de  se  rendre.  A  la  nouvelle  de  ces 
défections,  le  jeune  prince  ne  se  crut  plus  en  sûreté  dans  sa  ca- 
pitale :  il  s'enfuit  à  Kao-liang  fâ  |J£  (3):  tandis  que  les  seigneurs 
Liu-cheng  g  $|j  et  K'iJoei  Je  |%,  ses  partisans,  conduisaient  une 
armée  à  la  rencontre  de  l'ennemi;  le    6-me   jour    de    la    2*L,:-      lune 

(1)  Texte  de  l'interprétation  §  t  1  if  S  1   (Souo-ing  'M  !>1   vol.   i.  p.  8). 

2  Ling-hou  était  à  15  li  a  l'ouest  de  I-che  hien  $§  Jï;  I?  qui  est  à  120  li 
nord-est  de  sa  préfecture  P'ou-tcheou  fou  'Xi  M  AÎ-  Chan-si.  'Petite  géogr.,  vol. 
S.  p.  ji    —  (Grande,  vol.  ji.  t,. 

Sang  :.nt  a    1  :î    li    nord-est   de    Lin-tsin    hien  ë£    |~?  tî-  qui   est   a    90 

li  nord-est  de  la  même-  préfecture.  (Grande  géogr.,  vol.  41  p.  21.1. 

Kieou-ts'oei  était  au    nord-ouest  de  /liai  tcheou  ~'l  -}\\.   Chan-si.  L'était  le  fief 

gneur  Kieou-ki  ['-;  ^.  Petite  géogr.,  vol  8. p,  41} — (Grande, vol.  .;/.  p.  28). 
Kao-liang  c'est  P'ing-yang  fou  T-  I'"  l$f,  Chan-si.  comme  nous  l'avons 
déjà  dit:  c'est-à-dire  à  37  li  nord-est  de  cette  préfecture  (année  B51 


DO    ROYAUME   DE  TSIN.    HOÀI-KONG.  o7 

28  \'"'c;  elle  campait  à  Liu-lieou  hjf  ty\\  1  :  mais  elle  ne  désirait 
guère  en  venir  aux  mains  ;  car  elle-même  souhaitait  l'avènement 
de  Tch'ong-eul. 

Informé  de  ces  dispositions.  Mou-kong  %•%.  7fc  envoya  le  sei- 
gneur Kong-t<e-tche  fè  -^  f$  parlementer  avec  les  officiers;  ceux-ci 
furent  bientôt  persuadés:  l'armée  se  retira  donc,  et  alla  camper 
à  Siuu  f)p  2  ,  en  signe  qu'elle  reconnaissait  Tch'ong-eul  comme 
son  souverain. 

Le  13  '  jour  de  la  2::'"'  lune,  le  seigneur  Hou  Yen  |5\  [g  avec 
les  officiers  de  Ts'in  ^  et  ceux  de  T<in  ^.  faisaient  un  traité  de 
paix  solennel,  à  Si  Lin. 

Le  14ème  jour  de  la  même  lune,  Tch'ong-eul  se  rendait  au 
même  lieu,  pour  recevoir  les  hommages  de  l'armée  de  Tsin  ff. 

Le  16 '"'•''  jour,  Mou-kong  fê  2)  reprenait  le  chemin  de  sa 
capitale;  puisque  son  rôle  était  suffisamment  rempli. 

Le  IX  "  jour,  Tch'oag-eul  se  présentait  au  temple  de  ses 
ancêtres,  à  K'iu-ou  hi'y  ^  et,  le  lendemain,  dans  le  temple  de 
Ou-kong  ït£  ;-','•  i'  recevait  les  hommages  de  tous  les  grands  digni- 
taires et  seigneurs  (3). 

Le  20'M"'  jour,  il  faisait  mettre  à  mort  Hoai-kong  f§|  &,et  se 
trouvait  ainsi  seul  maître  du  pouvoir.  Il  avait  alors  soixante-deux 
ans,  et  avait  subi  dix-neuf  années  d'exil. 

Les  seigneurs  Liu  Cheng  ^  £J)  et  K'iJoei  /jjp  jSj,  ministres 
de  Hoai-kong,  craignaient  des  représailles,  de  la  part  de  Tch'ong- 
eul,  qu'ils  savaient  intelligent  et  énergique:  ils  résolurent  de  met- 
tre le  feu  au  palais,   et  de  massacrer  le  prince  pendant    l'incendie. 

L'eunuque  Pi  |f£  avant  eu  connaissance  du  complot,  demanda 
une  audience  à  Tch'ong-eul,  pour  le  lui  révéler.  Celui-ci  la  lui 
refusa:  il  lui  fit  dire  :  avez- vous  oublié  ce  que  vous  avez  tenté- 
contre  moi,  à  P'ou  fff  "?  vous  étiez  si  pressé  de  me  massacrer,  que 
vous  devanciez  d'un  jour  mon  exécution  !  Ensuite,  quand  j'étais 
chez  les  Tartares  Ti  %fc,  à  la  chasse  sur  les  bords  de  la  rivière 
Wei   \f]     \   ,   vous  avez  renouvelé  votre  attentat,  et  vous   devanciez 


(1)   Liu-licou  était  au  nord-ouest  de  l-che  hien    3nS  J-n  !?.f-    dit    le   commentaire 
impérial. 

2     Siun  était  à    1  •">    li    nord-est   de    Lin-tsin    hien.      Petite   géogr.,    vol.    S,  p. 
—     Grande,  vol.  41.  }>.ii.   . 
(3)  Ces  deux  temples  se  trouvaient  dans  la   ville   actuelle   de    Wen-hi  hien  (?"| 
M  &£•  q111  esl  à  70  li  au  sud  de  Kiang    tcheou    £"£  >W.    Chan-si.    (Chan-ai   tong-tche 
Ul  ffi  M  &,  vol.  SS  P,  s)- 

1  \'ous  connaissons  le  fameux  fleuve  Wei  ffî.  dans  le  Chensi  [Î4J  jv.  Petite 
géogr.,  vol.  13  p.  g).  Est-ce  de  lui  qu'il  s'agit  '  \1  .  -.  1  1rs,  -  rartares  Ti  \h 
n'habitaient  pas  le  sud  de  cette  province  :  Tch'ong-eul  était  peut-être,  à  ce  moment, 
en  visite  à  la  cour  de  Ts'in  ^.  suivant  quelque  chasse,  donnée  en  l'honneur  d'un 
illusd  _<■     Serait-ce  une  autre  rivière  du  même  nom  .' 


68  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

encore  d'un  jour  mon  exécution.  Si  vous  vous  croyiez  obligé  d'obéir 
aux  ordres  de  mon  père,  était-il  nécessaire  d'y  mettre  un  tel  a- 
charnement?  J'ai  un  souvenir  de  votre  tidélité  sur  la  manche  de 
mon  vêtement;  je  ne  l'oublierai  pas  de  si  tôt!  Allez-vous-en;  et 
n'espérez  pas  une  audience  de  moi  ! 

L'eunuque  répondit  :  Je  croyais  que  sur  le  trône  le  prince 
oublierait  les  injures  reçues  dans  la  vie  privée  ;  s'il  agit  autrement, 
il  lui  arrivera  malheur.  Dans  ce  qu'il  me  reproche,  j'ai  suivi  le  prin- 
cipe «n'attends  pas  que  le  roi  commande  deux  fois».  Je  voulais, 
à  tout  prix,  détourner  la  révolution  qui  menaçait  notre  pays; 
peu  m'importait,  de  qui  ou  de  quoi  il  était  question  ;  j'agis  de 
même  aujourd'hui  envers  le  prince.  Croit-il  que  sur  le  trône  il 
n'aura  plus  de  dangers?  Hoan-hong  |b  5^,  roi  de  Ts'i  j§,  n'a-t-il 
pas  dû  soutenir  une  guerre  contre  Koan  Tchong  jÊr  frfi  ?  n'a-t-il 
pas  été  frappé  par  lui,  d'une  flèche,  à  l'agrafe  de  sa  ceinture? 
Malgré  cela,  il  prit  pour  premier  ministre  cet  ennemi  acharné  ;  et 
il  n'eut  pas  à  s'en  repentir.  Si  Tch'ong-eul  veut  agir  autrement, 
il  n'était  pas  nécessaire  de  m'envoyer  un  ordre  de  partir  ;  je  sor- 
tirais moi-même  du  pays;  et  je  serais  en  bonne  compagnie;  et 
beaucoup  de  gens  feraient  de  même.  Je  ne  suis  qu'un  avorton  ; 
pourtant,  j'étais  venu  pour  une  affaire  de  grande  importance;  si 
le  prince  ne  veut  pas  m'entendre,  il  s'en  repentira  trop  tard. 

Tch'ong-eul  fut  étonné  de  cette  insistance;  il  soupçonna  quel- 
que complot,  et  finit  par  accorder  l'audience  demandée;  mis  au 
courant  de  la  conspiration,  il  s'enfuit  secrètement,  et  alla  rejoindre 
Mou-kong  ^  5V  à  Wang-tch'eng  5  A$  (!)• 

Dans  la  nuit  du  dernier  jour  de  la  2euie  lune,  le  feu  était  mis  au 
palais:  les  conjurés  n'y  trouvant  pas  le  prince,  prirent  la  fuite,  et 
parvinrent  jusqu'au  bord  du  Fleuve  Jaune.  Mou-kong  n'était  pas 
loin  de  là;  il  sut  si  bien  les  amadouer,  qu'ils  se  rendirent  auprès  de 
lui  ;  il  les  fit  aussitôt  mettre  à  mort. 

Voici  encore  un  trait  qui  a  rapport  à  cette  même  époque  : 
Lorsque  Tch'ong-eul  prenait  la  fuite, son  trésorier, nommé  T'eou-siu 
yjf  ;ff,  ne  l'avait  pas  accompagné;  plus  tard,  il  crut  devoir  s'enfuir 
aussi  avec  le  trésor,  dans  la  crainte  que  Hoei-hong  A  ^V  ne  s'en 
emparât  ;  en  serviteur  tidèle,  il  l'employa  tout  entier  à  acheter 
des  amis  à  son  maître  exilé,  à  préparer  son  retour. 

Quand  Tch'ong-eul  rut  sur  le  trône, le  trésorier  demanda  une 
audience,  pour  rendre  ses  comptes;  le  prince  lui  fit  répondre  qu'il 
se  lavait  la  chevelure  et  ne  pouvait  le  recevoir.  —  Celui  qui  lave 
sa  chevelure,  repartit  T'eou-siu,  a  le  cœur  retourné,  et  penché  vers 
la  terre  pour  cette  besogne;  un  cœur  ainsi  renversé  n'est  capable 
ni  d'idées,   ni  de  plans    quelconques;    vraiment,    oui,    l'excuse    est 

(1)  Wang-tch'eng  étai(  a  :tu  pas  de  Tchao-i  hien  $J  &  $Pi  M11'  ('*l  ;i  30  li  à 
l'est  de  T' ong-tcheou  fou  pj  ■)]]  >ft',  sa  préfecture,  Chen  si.  (Grande  <jr<>tjr.,  vol.  54, 
p.  21)  —(Voyez  ù  lu  fin  l'année  645). 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    HOAI-KONG.  69 

bonne  !  Ceux  qui  sont  restés, ont  pris  soin  de  la  patrie  ;  ceux  qui  ont 
suivi  le  prince,  on±#  eu  soin  de  lui  et  de  ses  chevaux,  dans  ses  pé- 
régrinations; tous  ont  également  bien  mérité  de  lui;  comment 
peut-on  mépriser  ou  déprécier  ceux  qui  sont  restés  au  pavs  ?  Si, 
sur  le  trône,  le  prince  cherche  querelle  à  un  particulier  comme 
moi,  bien  des  gens  auront  peur  de  sa  tyrannie. 

Ces  paroles  ayant  été  rapportées  à  Tch'ong-eul,  il  se  hâta 
d'accorder  l'audience  demandée  (1). 

Ces  faits  sont  racontés,  pour  prouver  que  Tch'ong-eul  avait 
un  cœur  large  et  généreux  ;  qu'il  oubliait  les  offenses  reçues  étant 
simple  particulier;  qu'ainsi  il  sut  se  concilier  tout  le  monde,  mê- 
me les  partisans  convaincus  de  l'ancien  régime  (2). 


(1)  Ce  trésorier  est  aussi  appelé  /.;'  Fou-siu  M  '•£  M-  On  raconte  encore  nue 
historiette  à  ce  sujet;  nous  la  plaçons  sous  les  veux  du  lecteur:  Tch'onç-eul,  ainsi 
privé  de  son  trésor,  se  trouvait  dans  h-  pays  de  Ts'ao  @,  comme  nous  l'avons  dit  ;  là. 
manquant  de  vivres,  il  fut  réduit  à  une  telle  faiblesse,  qu'il  ne  pouvait  continue]-  le 
voyage.  Alors  un  de  ses  compagnons  montra  envers  lui  le  dévouement  héroïque 
d'un  (ils  pieux  envers  un  père  tendrement  aimé  ;  il  se  coupa  un  morceau  de  la  cuis- 
se, le  Ht  rôtir,  et  t'offrit  au  prince,  qui  fut  aussitôt  réconforté  et  sauvé.  C'est  en 
effet,  un  mets  délicat  et  un  remède  souverain  ! 

Vous  trouverez  ce  trait  de  vertu  héroïque,    à    tout    bout    de    chemin,    dans    la 
littérature  chinoise  ;   car  on  y  est  persuadé  de  l'efficacité  de  la  chair   humaine,    pour 
nourrir  les  vieux  parents,  et   guérir    leurs    maladies;    effet    obtenu    surtout    par    la 
consolation  du  cœur,  en  voyant  le  dévouement  d'un  fils  ou    d'une    fille,    poussé    jus 
qu'à  ce  degré. 

Tout  cela  est  bien  beau,  dans  les  livres;  la  pratique  a  dû  et  doit  encore  en 
être  forte  rare!  .Ne  jurons  cependant  pas  que  jamais  aucun  fou  n'aura  été  tenté  de 
réaliser  cet  idéal  de  vertu,  tant  prôné  par  les  lettrés. 

(2)  Avant  de  raconter  le  règne  de  Tch'ong-eul,  remarquons  une  incohérence 
bien  grave  dans  sa  conduite.  .Nous  l'avons  vu  renoncer  au  trône  quand  on  le  lui 
offrait,  après  la  mort  de  son  père  et  le  suicide  de  son  frère  Chen-cheng  ;  après 
l'assassinat  de  son  autre  frère  lli-tsi,  forfait  auquel  il  n'avait  aucune  part,  Avant 
bénévolement  laissé  la  couronne  à  son  frère  I-ou  (Hoei-kong),  le  voici  maintenant 
qui  revendique,  à  main  armée,  des  droits  auxquels  il  avait  renoncé;  el  qui  assas- 
sine son  neveu  (Hoai-kong)  après  l'après  l'avoir  détrôné.  Sa  gloire  ultérieure  ne 
lavera  jamais  cette  tache  de  sang. 


70 

W  EN -KONG   a.36-628> 


Wen-hong  <•>'  ^  est  le  nom  historique  donné  à  Tch'ong-eul 
jg  ;jf  ;  il  signifié  compatissant,  bienfaisant,  vrai  père  du  peuple. 
Tout  les  historiens  du  pays  en  font  un  prince  modèle  :  ils  le  pla- 
cent parmi  les  plus  grands  rois  de  la  Chine  ;  il  vit  encore  parmi 
les  légendes  les  plus  populaires  de  nos  jours  (1). 

Quant  à  la  chronologie,  elle  laisse  bien  à  désirer;  nous  sui- 
vrons les  auteurs  les  mieux  informés  et  les  plus  autorisés. 

Observons  d'abord  que  Wen-kong  commença  à  gouverner 
dès  la  2èn,p  Inné  de  636  :  son  règne  est  cependant  daté  de  635. 
Car,  selon  l'usage,  l'année  est  nommée  d'après  celui  qui  occupe  le 
trône  à  la  lère  lune. 

En  636,  Wen-kong  se  voyant  solidement  établi  sur  son  trône, 
alla  lui-même  chercher  son  épouse, la  princesse  Ing  Jp[,  fille  du  roi 
Mou-konq  7$-  Q  de  Ts'in  ||  ;  avec  elle,  il  ramenait  quatre  femmes 
principales,  de  la  même  cour,  et  soixante-dix  concubines  ou  fem- 
mes secondaires. 

Pour  plus  de  sûreté,  Mou-kong  lui  donna  une  garde  person- 
nelle de  trois  mille  hommes  ;  l'incendie  du  palais  faisait  craindre 
qu'il  n'y  eût  encore,  parmi  les  seigneurs,  des  germes  de  révolu- 
tion. 

Dés  le  début  de  son  règne,  'Wen-kong  s'appliqua  de  toutes 
ses  forces  à  rétablir  l'ordre,  du  haut  en  bas  de  l'administration  ; 
en  homme  expérimenté,  qui  avait  vu  tant  d'affaires,  il  sut  trouver 
une  solution  plausible  à  tous  les  cas. 

Il  donna  les  emplois,  à  chacun,  selon  ses  talents  et  ses  mé- 
rites ;  il  fit  cesse]'  les  justes  réclamations,  présentées  en  vain  à  ses 
prédécesseurs;  il  allégea  les  impôts  et  les  corvées;  accorda  des 
amnisties,  e1  lit  de  larges  distributions  au  peuple;  secourut  efli- 
cacemenl  les  malheureux  sans  appui  ;  chercha  les  génies  cachés, 
parmi  les  pauvres  lettrés,  et  leur  donna  des  dignités  proportionnées 
à  leurs  hauts  talents;  diminua  les  droits  de  douane  afin  qu'hom- 
mes et  marchandises  pussent  plus  facilement  arriver  au  pays  de 
Tsin  ;  lit  bonne  police  sur  les  chemins,  pour  la  sécurité  des  voya- 
geurs el   des   marchands. 

Bref,  il  poussa  tout  le  monde  a  une  grande  activité,  chacun 
dans  sa  sphère:  il  savait  que  l'activité  et  l'économie  sont  deux 
sources   inépuisables  de  la  richesse  d'un     peuple.     S'il    voulait    que 


i      i     i,   ,  hinois  de  l'interprétation  JSIf  R  II  £ 


DU    ROYAUME    DE   TSIN.    WEN-KONG.  71 

chacun  eût  de  bons  instruments  pour  son  travail,  il  voulait  aussi 
que  chacun  donnât  de  bons  exemples  de  vertu  dans  son  office. 
Bientôt  le  niveau  moral  dti  peuple  parvint  à  un  degré  inconnu 
jusqu'alors. 

Parmi  les  familles  nobles,  il  en  choisit  onze,  des  plus  consi- 
dérables et  des  mieux  méritantes:  il  les  fit  venir  à  la  cour,  pour 
l'aider  dans  l'administration  du  pays.  Ce  sont  les  familles  Siu  ;pj, 
Tsi  ff ,  Hou  jflft,  Ki  &,  Loan  £f£,  K'i  §p.  Pé  #j.  Sien  ^.  Yang-ché 
^  ~Ë,T'owj  H  et  H  an  $$.. 

Les  membres  de  sa  famille  Ki  #[£  ne  furent  pas  oubliés  dans 
cette  distribution  de  dignités;  pourvu  qu'ils  eussent  les  talents  et 
la  vertu  nécessaires:  il  leur  assigna  surtout  des  emplois  dans  l'in- 
térieur du  palais;  pour  les  charges  en  dehors  de  la  cour,  il  préféra 
des  gens  des  autres  familles.  11  fixa  d'une  manière  équitable  les 
revenus  de  chaque  dignitaire,  pour  empêcher  les  exactions  si  fré- 
quentes auparavant. 

Enfin,  pour  tout  dire  en  un  mot.  c'était  l'âge  d'or  revenu  sur 
terre;  les  lettrés  en  ont  fait  les  amplifications  les  plus  onctueuses; 
le  recueil  intitulé  Kouo-yu  m  f^  en  a  plusieurs  spécimen-,  au 
volume  dixième. 

Wen-kong  eut  encore  la  prudence  d'envoyer  une  ambassade 
solennelle  à  l'empereur,  lui  demander  l'investiture  officielle,  abso- 
lument selon  les  anciens  usages.  Touché  de  cette  déférence,  l'em- 
pereur députa  les  grands  ministres  Hou  f&  et  Hing  SQ.;  ceux-ci 
furent  comblés  d'honneurs  et  de  cadeaux:  on  fit  de  grandes  ré- 
jouissances, ou  chacun  rivalisait  de  zèle  et  d'humilité:  plusieurs 
prophètes  annoncèrent  les  gloires  futures  réservées  par  le  ciel  au 
souverain  son  protégé.  C'était  le  triomphe  de  la  vertu  et  de  la 
littérature,  deux  choses  qui  font  les  grands  rois  et  les  peuples 
heureux,  comme  on  peut  le  voir  dans  le  Kouo-yu. 

Le  chef  des  Tartares  Ti  î'/(,  voyant  que  Wen-kong  était  soli- 
dement établi  sur  le  trône,  lui  envoya  sa  femme  Ki-koei  3g  [>$}  : 
celle  à  qui  Tch'opg-eul  avait  dit  de  l'attendre  vingt-cinq  ans.  avant 
de  se  remarier:  en  même  temps,  le  chef  demandait  ce  qu'il  fallait 
faire  des  deux  fils,  Pé-tiao  \fa  ji||  et  Chou-lieou  ,J^  %\\  que  cette 
princesse  avait  mis  au  monde,  avant  le  départ  de  Tch'ong-eul; 
évidemment,   ils  vinrent  rejoindre  leur  mère. 

Nous  n'avons  pas  encore  dit  que  Wen-kong  avait  marié  une 
de  ses  propres  filles  à  son  compagnon  et  ami.  le  seigneur  Tchao 
Tch'oei  |g  ^;  cette  princesse  Tchao  Ki  t[j[j§|  lui  avait  donne  trois 
fils,  T'ong  [ri]  seigneur  de  Yuen  ^.  Kouo  Ifê  seigneur  de  Ping 
fff .  et  Ing  H  seigneur  de  Leou  $>.. 

Cette    princesse,    modèle   d'abnégation,    sachant  que  son  mari 
avait  eu  pour  femme  la  princesse  tartare    Chou-hoei   fy  fîfr    i 
celui-ci  d'aller  lui-même  la  chercher,   et  d'amener  en   même  temps 
son  fils  Toen  /§".   Le   seigneur  ne  s'en  souciait  guère,    et  remettait 
toujours    à    plus    tard.    La   vertueuse    princesse    insistait  :   si  dans 


72  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

votre  fortune  actuelle,  lui  disait-elle,  vous  oubliez  les  amis  qui 
vous  ont  secouru  dans  la  détresse,  comment  aurez-vous  ensuite  des 
serviteurs  et  des  amis  fidèles? 

Vaincu  par  de  si  sages  conseils.  Tchao  Tch'oei  finit  par  s'exé- 
cuter. La  vertueuse  princesse  poussa  l'humilité  jusqu'à  céder  son 
titre  d'épouse  légitime,  en  faveur  de  laTartare;  et  se  contenta  du 
titre  du  rang  secondaire:  de  plus. remarquant  les  belles  qualités  du 
jeune  seigneur  Toen  /jf".  elle  pria  Wen-kong  de  le  déclarer  fils 
héritier  et  chef  de  la  famille  Tchao  gf;  laissant  ainsi  ses  propres 
enfants  au  second  rang.  Bel  exemple  d'une  épouse,  qui  veut  avant 
tout  le  bien  commun  de  la  famille,  non  son  avantage  personnel  ! 

Tout  cela  est  aussi  raconté  à  l'honneur  de  "Wen-kong,  qui 
sut  inspirer  à  ses  enfants  l'amour  de  la  vertu:  comme  lui.  ils 
furent  sans  orgueil,   sans  jalousie,  ni  aucun  autre  vice. 

Voici  encore  un  trait  rapporté  avec  plaisir  par  le  historiens  : 
Kiai-tse  Tch'oei  j\-  £.  fffi  est  1°  nom  de  ce  dévoué  serviteur,  qui 
avait  sacrifié  un  morceau  de  sa  cuisse,  pour  réconforter  Tch'ong- 
eul,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut.  Arrivé  au  pouvoir.  "Wen- 
kong  avait  oublié  ce  fidèle  compagnon:  il  ne  lui  avait  donné  au- 
cune dignité:  et  celui-ci  ne  s'en  était  point  irrité;  il  n'avait  pas 
fait  valoir  ses  anciens  services,  et  vivait  ignoré  de  la  cour. 

11  s'était  fait  les  réflexions  philosophiques  suivantes  :  Hien- 
hong  JHfc  fè  a  eu  neuf  fils  ;  tous  sont  morts,  excepté  Tch'ong-eul  : 
les  deux  derniers  princes  Hoei  ^  et  Hoai  '"'  n'ont  su  s'attacher 
personne  :  ni  les  voisins  ne  les  aimaient:  cependant  le  ciel  ne  semble 
pas  encore  avoir  rejeté  le  pays  de  Tsin  ;  certainement  il  a  choisi 
Tch'ong-eul  pour  continuer  les  sacrifices  aux  ancêtres:  sinon,  quel 
autre  prince  meilleur  aurait-il?  Que  veulent  donc  tous  ces  mes- 
sieurs, qui  prétendent  que  Tch'ong-eul  doit  le  trône  à  leur  sages- 
se et  à  leur  dévouement"?  (juelle  folie  !  Qui  s'arroge  le  bien  d'autrui 
est  un  voleur:  à  plus  forte  raison. celui  qui  s'arroge  les  bienfaits  du 
ciel  !  ces  messieurs  colorent  leur  crime,  et  le  prince  récompense 
un  tel  forfait;  ils  sont  aveuglés  de  part  et  d'autre.  Non,  je  ne 
puis  vivre  avec  de  pareilles  gens! 

Sa  mère  lui  disait  :  Pourquoi  n'allez-vous  pas  faire  valoir  vos  an- 
ciens services?  De  qui  vous  plaindre. si  vous  mourez  dans  l'obscurité? 
Il  lui  répondait:  moi  qui  proclame  la  faute  des  autres,  j'en 
commettrais  une  plus  grande,  si  j'allais  les  imiter:  j'ai  déjà  ma- 
nifesté mon  indignation  contre  eux,  et  j'irais  encore  manger  leur 
riz  !  jamais  '. 

La  mère  insistait:  du  moins,  laites  en  sorte  que  le  prince 
soit  averti  de  son  oubli!  Qu'en  pensez-vous? 

F, es  paroles,  répliquait-il,  sont  l'ornement  de  la  personne  : 
or,  au  moment  <>i\  je  vais  cacher  mon  existence  dans  la  plus  pro- 
fonde retraite,  j'irais  faire  parade  de  vertu  et  quêter  des  applau- 
dissements ? 

La  mère  vaincue  et  atendrie  s'écria  :  puisque  vous  êtes   élevé 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    WEN-KONG.  73 

à  un  tel  degré  de  sagesse,  permettez-moi  de  m'cnsevelir  avec 
vous,  dans  le  plus  grand  oubli  de  ce  monde!  C'est  ainsi  qu'ils 
moururent  tous  deux  dans  une  profonde  solitude. 

Mais  comment  accepter  que  Wen-kong  eût  complètement 
oublié  un  tel  serviteur?  lui  le  prince  modèle!  Aussi,  dit-on  qu'il 
se  rappela  dans  la  suite  ce  dévouement  si  généreux  ;  il  fit  recher- 
cher Kiai-tse  Tch'oei  fr  £  ^  pour  le  récompenser  dignement; 
c'était  trop  tard,  ce  sage  était  mort.  Wen-kong  lui  fit  élever  un 
temple,  à  Mien-chang  jjjjfî  J^  (.1)  lieu  de  sa  retraite  solitaire;  il 
ordonna  d'employer  les  revenus  de  ce  territoire  pour  les  sacrifices 
perpétuels  dûs  à  ce  «saint».  Ainsi,  ajoutait  Wen-kong,  je  rappelle 
ma  négligence  aux  âges  futurs,  et  j'immortalise  le  souvenir  d'un 
homme  probe. 

Se-ma  Ts'ien  ffj  ,||  j||  trouva  que  ce  récit  n'était  pas  encore  assez 
littéraire;  il  y  ajouta  un  coup  de  pinceau  :  Kiai-tse  Tch'oei,  dit-il, 
avait  dans  sa  retraite  un  domestique  vertueux;  celui-ci  gémissait 
de  voir  un  si  bon  maître  ainsi  abandonné;  il  attacha  à  la  porte 
du  palais  de  Wen-kong  l'affiche  suivante  :  "Le  dragon  voulant 
monter  au -ciel,  employa  le  secours  de  cinq  serpents;  maintenant 
le  dragon  est  arrivé  jusqu'aux  nues;  quatre  serpents  ont  aussi 
trouvé  leur  demeure;  le  cinquième,  hélas,  gît  dans  la  solitude; 
lui  seul  n'a  pas  encore  trouvé  sa  place!»  Wen-kong  ayant  lu  cette 
affiche,  s'écria:  c'est  de  Kiai-tse  Tch'oei  qu'il  s'agit!  hélas,  j'étais 
si  préoccupé  des  troubles  de  la  cour  impériale,  que  j'ai  oublié  ce 
fidèle  compagnon!  Sur  ce,  il  se  mit  à  sa  recherche,  comme  nous 
venons  de  le  raconter. 

Les  Romains  eurent  leurs  «Stoïques»,  mourant  fièrement 
dans  les  plis  de  leur  toge;  ici,  le  genre  est  un  peu  différent;  mais 
c'est  toujours  de  la  vertu  "païenne";  cette  abnégation  frôle  de  près 
le  mépris  des  autres  hommes,  et  l'indignation  de  s'en  voir  mécon- 
nu. Mais  ne  demandons  pas  à  ces  pauvres  païens  plus  qu'ils  ne 
peuvent. 

Voici  encore  un  autre  trait, raconté  par  ce  même  Se-ma  Ts'ien  : 
Un  petit  officier,  nommé  Hou  Chou  f§  7$,  avait  accompagné 
Tch'ong-eul,  et  lui  avait  rendu  bien  des  services  dans  ses  pérégri- 
nations; lui  aussi  avait  été -oublié  dans  la  distribution  des  récom- 
penses; il  en  fit  la  remarque  à  Wen-kong:  Votre  Majesté  a  déjà 
fait  trois  distributions,  et  je  n'ai  encore  rien  reçu;  m'est-il  permis 
d'en  demander  la  raison? 

Le  prince  répondit  en  sage  et  en  lettré,  ce  qui  est  toul  un  : 
Quiconque    me   dirige   dans  la  pratique  de  la  justice  et  de  l'huma- 


(1)  Mien-chang.  Cette  montagne  est  à  25  li  sud-est  de  Kicti-hieuu  hien  :fr(fc!£, 
qui  est  a  70  li  sud-est  de  Fen-tcheou  fou  f,)  H\  K'  ■  sa  préfecture,  Chan-si.  La 
montagne  et  la  ville  ont  reçu  le  nom  du  personnage.    (Petite  géogr.,    vol.  8,  p.   10 

—     Grande,   cul.   42.  \>.    71   —     (han-si  tong-tche.   ool.   56,  i>.   a?   ■ 

1  I 


74  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

nité  ;  quiconque  veille  à  ma  vertu,  à  l'affection  que  je  dois  à  mon 
peuple,  celui-là  reçoit  la  plus  grande  récompense.  —  Qniconque 
m'a  suivi  dans  l'exil,  et  m'a  aidé  à  monter  sur  le  trône,  vient  en 
second  lieu.  —  Quiconque,  dans  la  bataille,  s'est  exposé  pour  moi 
aux  llèches  et  aux  pierres,  a  sué  comme  un  cheval,  vient  en  troi- 
sième lieu.  —  Car  celui  qui  n'a  dépensé  pour  moi  que  des  forces 
corporelles,  sans  m'accorder  le  bienfait  de  la  correction  fraternelle, 
celui-là  n'a  droit  qu'à  une  récompense  inférieure.  —  Après  ces 
trois  classes,  viendra  votre  tour. 

Quand  cette  réponse  fut  connue  dans  le  pays, elle  fit  l'admira- 
tion et  la  joie  du  peuple  tout  entier.  S1  Augustin  a  raison  de  dire  : 
grandiloqua  verbâ  paganorum  !  A  ces  sentences  vertueuses,  le  petit 
officier  eût  sans  doute  préféré  la  gratification  d'un  poste  un  peu 
plus  élevé  que  le  sien  ! 

Nous  avons  déjà  entendu  un  mot  des  troubles  qui  existaient 
à  la  cour  impériale;  voyons  donc  ce  qu'il  en  était.  Le  désordre 
avait  commencé  à  la  mort  de  l'empereur  Hoei  M,  en  652,  et  par 
la  faute  de  l'impératrice  elle-même.  Celle-ci  n'avait  pu  empêcher 
son  fils  aîné, Siang-wang  ||  3i  (651-619),  de  monter  sur  le  trône; 
mais  elle  aurait  voulu  y  mettre  son  fils  cadet,  son  favori,  le  prince 
Tai  Jfâ;  celui-ci  échoua  dans  une  première  tentative  de  révolution, 
et  fut  chassé  en  exil;  rappelé  en  637,  il  pervertit  l'impératrice,  sa 
belle-sœur,  la  princesse  Tartare  Koei  |$|.  Siang-wang  déclara 
cette  épouse  infidèle  déchue  de  sa  dignité.  Son  amant  invita  les 
Tartares  Ti  fyi  a  venger  leur  princesse;  l'empereur  s'enfuit  au 
pays  de  Tcheng  |f|$,  et  séjourna  dans  la  ville  de  Fan  y (2,  (1);  le 
prince  Tai,  avec  sa  concubine,  habitait  la  ville  de  Wen  ^  (2),  où 
il  se  déclara  empereur. 

Dans  sa  détresse,  Siang-wang  fit  appel  aux  vassaux  ;  d'abord 
à  la  cour  de  Lou  ^,  qui  était  censée  avoir  le  monopole  de  la 
doctrine  des  anciens  «  saints»  ;  puis  à  la  cour  de  Tsin  ^  et  à  celle 
de  Ts'in  Ifî,  qui  avaient  la  plus  grande  force  matérielle  à  leur 
service. 

Wen-kong  s'empressa  de  répondre  à  cet  appel.  Son  sage  mi- 
nistre Hou  Yen  ^  fg  lui  dit  :  Les  troupes  de  Ts'in  ^  sont  déjà 
sur  les  bords  du  Fleuve  Jaune;  si  vous  désirez  devenir  le  chef  des 
vassaux,  hâtez- vous  de  secourir  l'empereur;  vous  accomplirez  ainsi 
un  grand  acte  de  justice,  à  la  face  de  toute  la  Chine,  et  vous  re- 
nouvellerez   la    belle    conduite    de    votre    ancêtre    Won-heou  ^  (^ 

(1)  Fan  était  un  peu  sud  de  Siang-tch'eng  hien  (|  t$  ||f  qui  est  à  90  ti  sud- 
ouest  de  lliu  tcheou  gf-  ^|  Ho-nan;  la  ville  actuelle  porte  le  nom  de  cet  empereur. 
(Petite  géogr.,  vol.   12.  ».  jç)   —  (Grande,  vol.  47.  p.  45). 

2)    Wen    était   à  -i0  li  au  sud  de   Wen  hien    }\  ty£,  qui  est  50  li  sud-est  de  sa 
préfecture  Hoai-k'ing  fuit  tS®  tfiï.  Ho-nan.     Petite  géogr.,  vol.  iz^p   -><j   — (Grande, 

Vol.  4c.  p.    Tj). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    WEN-KONG.  75 

(780-7/it)  envers  l'empereur  P'ing  2p.  Ne  laissez  pas  perdre  cette 
bonne  occasion  ! 

Wen-kong  trouvait  L'entreprise  bien  risquée;  déplus,  com- 
ment combattre  ces  Tartares  Ti  ffi,  auxquels  il  devait  tant  de 
reconnaissance?  Il  ordonna  donc  au  grand  devin  Yen  fg  de  con- 
sulter les  sorts  par  la  tortue.  Celui-ci  répondit  :  l'oracle  est  tout 
à  fait  favorable:  c'est  le  même  qu'a  obtenu  le  «saint  empereur» 
Hoang-ti  ji  ^J-,  à  la  bataille  de  Fan-tsriuen  êj£  $fc     1   . 

C'est  trop  beau  pour  moi.  répliqua  Wen-kong.  —  Nullement, 
repartit  le  devin;  car  l'oracle  est  donné  en  considération  de  l'em- 
pereur, dont  la  dynastie,  quoique  déchue  de  son  antique  splendeur. 
n'est  pas  encore  rejetée  par  le  ciel. 

Consultez  les  sorts  par  l'achillée,  dit  Wen-kong;  nous  verrons 
alors  ce  qu'il  faudra  décider.  La  réponse  fut  l'hexagramme  ta  Yeou 
^  fâ  ou  II  (2  :  le  devin  l'expliqua  ainsi  :  l'oracle  est  très  favo- 
rable; un  prince  présente  ses  dons  au  «fils  du  ciel»;  nous  avons 
une  bataille,  une  victoire,  et  l'empereur  qui  reçoit  vos  dons:  pouvez- 
vous  demander  une  réponse  plus  claire? 

Cette  fois,  Wen-kong  fut  persuadé  ;  il  se  crut  même  si  sûr 
du  succès,  qu'il  envoya  un  message  au  général  de  Ts'in  ^,  lui 
conseillant  de  s'en  retourner,  vu  que  lui  seul  suffirait  à  réduire 
les  révoltés. 

En  635,  à  la  3  l:K  lune,  au  jour  nommé  Kia-tch'en  m  ^  2 
Janvier;,  Wen-kong.  qui  campait  à  Yang-fan  j§j  JJ|  3),  envoya 
son  corps  d'armée  de  droite  assiéger  la  ville  de  Wen  j^,  où  se 
trouvait  le  frère  rebelle;  en  même  temps,  il  dépêchait  le  corps  de 
gauche,  au-devant  de  l'empereur,  à  Fan  \[l. 

A  la  4èn,e  lune,  au  jour  ting-se  "J"  P^  15  janvier  ,  l'empereur 
était  reconduit  triomphalement  à  sa  capitale;  son  frère  fait  pri- 
sonnier était  exécuté  à  Hien-tch'eng  (ij|  ££    \  . 

Le  lendemain,  Wen-kong  avait  une  entrevue  solennelle  avec 
l'empereur:  puis  il  assistait  à  un  grand  festin  donné  en  son  hon- 


(1)  Fan-ts'iuen  Cette  rivière  étail  à  1  li  à  l'est  'I'-  l'ancienne  ville  Tchouo-lou 
ffî  8£.  or  celle-ci  se  trouvait  au  sud-ouest  de  Pao-ngan  tcheou  fljé  ix.  ¥à.  qui  esl  a 
60  li  sud-est  de  Siuen-hoa  fou  |[  -ffc  JflF,  Tche-li.  Cette  bataille  eut  lieu  avant  les 
temps  historiques;  c'est  la  tradition  qui  en  a  conservé  le  souvenir.  Petite  géogr., 
vol.  2.  p.   6 2     —     Grande,   vol  77,  pp.   23  et  25). 

(2)  (Zottoli,   Ilf.  p.  SSO 

(3)  Yang-fan,  .'tait  a  1  .">  li  sud-oues(  de  Tsi-yuen  hien  $f  $£  M-  qui  Psl  à 
To  H  à  l'ouest  de  sa  préfecture  Hoai-k'ing  fou  \%fê.ift.  Ho-nan.  Cette  ville  s'appela 
plus  tard  Yang-tch'eng  ['■)  i$  et  encore  iCiu-yang  [H]  FS-  Petit,-  géogr.,  vol.  u. 
p.  2~-  —  (Grande,  vol.  4g.  p.  6. 

1     Hien-tch'eng,   appelée    plus   tard  KH-tch'eng  $$}$.■  ''ait  a  30  li  à  l'ouest 
de  Hoai-k'ing  fou.  (Géogr.,  géogr..  vol.  ju.  p.  s  ■ 


76  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

neur,  où  il  y  eut  des  vins  doux  et  force  cadeaux,  pour  augmenter 
la  joie  des  convives. 

Wen-kong  crut  l'occasion  magnifique,  pour  demander  une  fa- 
veur ;  il  désirait  avoir  un  Soei  j^,  ou  galerie  couverte,  devant  son 
tombeau.  L'empereur  refusa,  en  disant  :  cet  honneur  est  réservé  à 
l'empereur,  et  ne  peut  être  accordé  aux  vassaux  ;  l'éclat  de  notre 
dynastie  est  bien  amoindri,  sans  doute;  elle  n'est  pourtant  pas 
encore  déchue  de  sa  haute  dignité.  Il  ne  saurait  y  avoir  deux 
empereurs,  comme  votre  Majesté,  mon  oncle,  le  sait  très  bien. 

Pour  adoucir  ce  refus,  l'empereur,  déjà  si  pauvre  et  si  faible, 
se  dépouilla  des  quatre  villes  Yang-fan  \^  |g|,  Wen  j^,  Yuan  Jj^ 
et  Ts'oan-mao  ^ff  ^  (t),  et  les  donna  à  Wen-kong.  C'est  depuis 
cette  acquisition,  que  l'état  de  Tsin  eut  des  territoires  au  sud  de 
la  chaîne  de  montagnes  T'ai-hang-chan  fc'ff  [\]  .C'est  aussi  l'origine 
de  la  province  de  Nari-yang  ['j  (^  (2),  dont  le  nom  signifie  pays 
situé  au  sud  de  la  montagne  et  au  nord  du  fleuve. 

Malheureusement,  les  habitants  de  Yang-fan  ne  voulaient  pas 
de  leur  nouveau  maître.  Wen-kong  dut  s'en  emparer  de  vive  force. 
Il  se  proposait  de  mettre  à  mort  les  chefs  des  rebelles;  il  en  fut 
dissuadé  par  la  remarque  d'un  certain  habitant  nommé  Ts'ang-ko 
j$l  Jj|  :  «pour  soumettre  un  pays  chinois,' dit-il  fièrement,  il  faut 
venir  avec  l'éclat  de  la  vertu;  si  vous  n'avez  que  les  armes,  vous 
pourrez  dompter  des  sauvages,  mais  pas  nous;  quel  est  celui  d'en- 
tre nous  qui  n'est  pas  parent  de  l'empereur?  et  vous  voudriez  faire 
de  nous  des  esclaves?.) 

Frappé  de  ces  paroles,  Wen-kong  désespéra  de  réduire  ces 
orgueilleux;  il  leur  permit  de  se  retirer  où  ils  voudraient:  pour 
lui,  il  se  contenta  d'avoir  la  ville  et  le  territoire;  il  ne  manquerait 
pas  d'émigrants  à  y  envoyer. 

Vers  le  mois  de  juin  de  cette  même  année  635.  les  deux  ar- 
mées de  Ts'in  ^  et  de  Tsin  faisaient  ensemble  la  guerre  à  la 
petite   principauté   de  Jo  %$    (3),   qui   s'appelait   encore  Chang-mi 

(1)  Nous  avons  indique  les  deux   premières. 

Yuen.  était  à  15  li  nord-ouest  de  Tsi-yuen  hien.  (Grande  géogr.,  vol.  4c.  p. 
0      —    Chan-si  tong-tche,  vol.   /_?.  pp.   1-  et  2ji. 

rs'oan-mao,  était  à  27  li  nord-ouest  de  Sieou-ou  hien  fëgÇff,  qui  est  à  120 
li  a  l'est  de  sa  préfecture  Hoai-k'ing  fou.  (Grande  géogr.,  vol.  4g.  pp.   10  et  ii>. 

(2)  Nan-yang.  La  ville  de  ce  nom  était  un  peu  au  nord  de  Sieou-ou  hien. Voici 
le  texte  de  l'explication  du  nom  Nan-yang  :  [lj   3L  î?|  i"!  i  Jt . 

3)  Jo.  Sa  capitale  était  à  120  li  sud-ouest  de  Nei-hiang  hien  ptj  ^5  f£,  qui 
est  à  19U  li  nord-ouest  de  sa  prélecture  Nan-yang  fou'lfâ  |«§  ffî,  Ho-nan.  —  Ce 
pays  s'appela  encore  Chang-mi  [l\i  '£.  —  La  riviîre  Tan-choei  jfy  Jlfc  est  tout  près; 
d'où  cette  ville  s'appela  aussi  Tan-choei  tch'eng  jf  ?K  i$-  —  Les  habitants  émigrè- 
rent  en  plusi    1rs  endroits;  d'où  plusieurs  villes  reçurent  le  nom  île  Jo;  l'une  d'elles 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    WEN-KONG.  77 

($j  $£.  Le  général  de  Ts'in  |j|  joua  affreusement  les  généraux  de 
Tch'ou  j§£.  venus  au  secours  de  la  principauté;  il  les  rit  même 
prisonniers,  comm'e  nous  l'avons  raconté  dans  l'histoire  de  ces 
deux  royaumes.  L'armée  de  Tsin  n'eut  qu'une  faible  part  à  cette 
expédition;  car  l'historien  n'en  parle  plus;  quoique  les  troupes 
fussent  parties  ensemble. 

Ves  la  fin  de  cette  même  année,  Wen-kong  dut  assiéger  la 
ville  de  Yxœn  ffi,  une  de  celles  que  lui  avait  cédées  l'empereur; 
car  les  habitants  ne  voulaient  pas  non  plus  de  leur  nouveau  maître. 
Wen-kong  avait  ordonné  à  ses  troupes  de  prendre  des  vivres  pour 
trois  jours  seulement  :  si  la  ville  ne  se  rend  pas.  avait-il  ajouté. 
nous  reviendrons  à  nos  foyers. 

Passé  les  trois  jours,  on  n'avait  rien  obtenu  :  les  espions  af- 
firmaient qu'avec  un  peu  de  patience  on  aurait  la  ville;  les  chefs 
demandaient  donc  à  rester  encore  quelque  temps;  mais  "Wen-kong 
répondit  en  lettré,  à  cheval  sur  les  principes  :  la  loyauté  est  le 
bien  le  plus  précieux  d'un  royaume,  l'appui  le  plus  sûr  d'un  peu- 
ple; si  en  manquant  à  ma  parole  j'obtenais  la  ville,  ce  serait  un 
petit  gain  et  une  grande  perte;  qui  donc  ensuite  aurait  confiance 
en  moi  ? 

Ayant  ainsi  parlé,  il  ramena  ses  troupes  à  une  journée  de 
distance  de  la  ville.  A  ce  trait,  les  habitants  ayant  reconnu  un 
sage,  "qui  venait  à  eux  avec  l'éclat  de  la  vertu,  se  rendirent  de 
bon  gré.  Voilà  du  moins  ce  que  dit  l'historien.  Wen-kong  ne  se 
fiait  qu'à  moitié  à  cette  bonne  volonté  de  ses  nouveaux  sujets;  il 
envoya  le  gouverneur  impérial  Pé-koan  f£|  j£  dans  la  ville  de  Ki 
^g"  ;  et  le  remplaça  par  son  fidèle  ami  Tchao  Te  h  'oei  ,1jj  jf*  .  De  même. 
il  donna  le  gouvernement  de  Wen  \^  au  seigneur  Hou  Tcheu  ^ 
;'^§.  fils  de  Hou  Mao  %  ^. 

Avant  de  donner  ce  poste  à  Tchao  Tch'oei,  Wen-kong  avait 
demandé  conseil  à  son  eunuque  dévoué  Pi  fâ  son  ancien  ennemi  : 
celui-ci  avait  répondu  :  quand  autrefois  vous  preniez  la  fuite,  ce 
seigneur  allait  se  mettre  à  table;  pour  vous  suivre  aussitôt,  il 
abandonna  son  repas,  emportant  seulement  quelque  nourriture 
liquide  dans  un  vase;  c'est  donc  un  homme  sobre,  et  plein  d'hu- 
manité; sans  aucun  doute  il  administrera  bien  ce  pays.  Ainsi  ce 
fidèle  seigneur  fut  établi  gouverneur  de   Yuen. 

Nous  avons  raconté  plus  haut  comment  Wen-kong  alors 
Tch'ong-eul),  dans  ses  pérégrinations,  avait  été  très  honorablement 
reçu  à  la  cour  de  Song  9jç  ;  monté  sur  le  troue,  un  tel  homme  ne 
pouvait  oublier  cette  marque  d'amitié:  nous  allons  voir  qu'il  vou- 
lut se  montrer  reconnaissant  :  Siang-hong  H  £ .  prince  de  S 


est  à  90  li  sud-est  de  I-tch'en<j  hien  Swwt  dans  la  préfecture  ci      S  ing  /'»« 

S  !ï»  W.  Hou-pé.     Petite  géogr.,  vol.   12.  p.   4.5-    coi     21     p. 

SI,  p.    2  1—  vol .     I .    ]).    ici. 


78  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

ayant  eu  des  difficultés  avec  le  roi  de  Tch'ou  5§|,  nommé  Tch'eng- 
wang  /$,  3Î  (671-626),  avait  subi  une  grave  défaite  à  la  bataille 
de  Hong  \ijl,  en  638,  à  la  lième  lune;  beaucoup  de  seigneurs  a- 
vaient  été  tués;  le  prince,  blessé  à  la  cuisse,  était  mort  l'année 
suivante;  son  fils  et  successeur  avait  signé  un  traité  de  paix, ruais 
l'animosité  régnait  entre  les  deux  pays;  elle  devait  éclater  un  jour 
ou  l'autre. 

Le  nouveau  prince  de  Song,  voyant  son  ami  Wen-kong  de- 
venu puissant,  se  mit  sous  sa  tutelle,  et  rompit  avec  le  roi  de 
Tch'ou.  C'était  en  636.  Deux  ans  plus  tard,  Tse-yu  °f-  3l>  premier 
ministre  de  Tch'ou,  aidé  par  Tse-si  ^  "g  ministre  de  la  guerre, 
venait  venger  cette  défection,  et  mettait  le  siège  devant  la  ville  de 
Min  %&     l,  ;  on  ne  dit  pas  s'il  parvint  à  la  prendre. 

En  633,  vers  les  mois  d'aoùt-septembre,  l'armée  de  Tch'ou 
revenait  à  la  charge;  cette  fois,  elle  était  soutenue  parles  troupes 
de  Tch'en  ^,  de  Ts'zi  ^,  de  Tcheng  gfl  et  de  Hiu  =^  ;  elle 
assiégeait  la  capitale  même.  Dans  cette  détresse,  le  prince  Kou  [g  ; 
de  la  famille  régnante,  fut  député  à  la  cour  de  Tsin,  demander  du 
secours. 

Le  seigneur  Sien  Tchen  $q  %%,  homme  de  confiance  de  Wen- 
kong,  fut  d'un  avis  favorable  à  cette  expédition  :  vous  ferez  acte 
de  reconnaissance,  dit-il;  vous  secourrez  des  amis  en  danger;  vous 
augmenterez  en  renommée;  vous  disposerez  les  vassaux  à  vous 
accepter  comme  leur  chef;  n'est-ce  pas  une  belle  occasion'.' 

Le  seigneur  Hou  Yen  $&  (g,  fin  diplomate,  poussait  aussi 
à  porter  secours,  mais  d'une  autre  manière  :  c'est  tout  récem- 
ment, dit-il,  que  le  roi  de  Tch'ou  @  a  pris  à  sa  remorque  le 
pays  de  Ts'ao  igj,  et  qu'il  a  fait  un  mariage  à  la  cour  de  Wei  ffj  ; 
si  donc  nous  attaquions  ces  deux  principautés,  il  accourrait  cer- 
tainement à  leur  secours;  il  abandonnerait  le  siège  de  Song;  et 
même  il  quitterait  la  ville  de  Kou  Hc  (2),  dans  le  royaume  de  Ts'i 
^;  ne  serait-ce  pas  un  bon  stratagème? 

D'après  ces  conseils,  Wen-kong  fit  exécuter  des  manœuvres 
et  des  exercices  militaires,  au  printemps  suivant,  dans  la  plaine 
de  Pi-liu  f£  J|£  (3)  ;  car,  dans  le  pays  de  Tsin,  c'est  au  printemps 
qu'on  réglait  tout;  on  publiait  les  lois  et  décrets;  on  nommait  le 
généralissime,  etc  ;  on  tenait  à  bien  commencer  l'année.  A  cette 
occasion,  Wen-kong  inaugura  un  troisième  corps  d'armée;  mais 
il  ne  paraît  pas  en  avoir  demandé  l'autorisation  à  l'empereur. 

(1)  Min  était  à  20  li  nord-est  de  Kin-hiany  hien  ^  H?  %.  qui  est  à  90  li 
sud-csi   'I''    Tsi-ning  tcheou  ffî  ^   ;!'.  Chan-tong.  'Petite  géogr.,  vol.  10.  p.  38). 

1     Kou,        3l    Tong-ngo  hien  M  M  M-  à  210  li  nord-ouest   di  ecture 

T'ai-ngan  fou  ^  '/<;-  tff .  dans  le  Chan-tong,  Petite  géogr.,  vol.  10.  p.  38  .  Depuis 
deux  ans  cette  ville  était  au  pouvoir  de  Tch'ou. 

3     Pi-liu,  dans  le  pa3rs  de  Tsin.  mais  on  ignore  à  quel  endroit. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    WEX-KOWG.  79 

Dans  le  conseil  tenu  pour  choisir  le  généralissime,  Tchao 
Tch'oei  £jï  J»?  dit  à  Wen-kong  :  il  faut  nommer  K'illou  '$]  |fr  ; 
car  votre  serviteur  l'a  souvent  entendu  développer  ses  principes; 
c'est  un  homme  qui  met  sa  joie  dans  les  rites  et  la  musique;  il 
possède  à  fond  le  livre  des  Vers  [Che-kiDg  f,^  f$  et  celui  des  An- 
nales Chou-king  "j*  jfgf  ;  or,  dans  ces  deux  classiques,  se  trouve  le 
dépôt  sacré  des  principes  de  justice;  les  rites  et  la  musique  nous 
donnent  les  exemples  et  les  règles  de  la  vertu;  la  justice  et  la  vertu 
constituent  le  fondement  de  tous  les  avantages  qu'on  peut  et  veut 
remporter.  Les  annales  de  la  dynastie  Hia  J|  nous  disent  :  -les 
paroles  d'un  individu  manifestent  les  intentions  de  son  cœur;  pour 
connaître  sa  valeur,  examinez  ses  actions".  Que  votre  Majesté 
veuille  donc  essayer  cet  homme  !   (1) 

K'iHou  £[$  |£  avait  sans  doute,  pour  ce  poste,  d'autres  qua- 
lités plus  guerrières  que  celles  dont  lui  fait  honneur  ce  lettré;  il 
fut  ainsi  établi  généralissime,  avec  K'i  Tchen  ffi  :,||  pour  second. 
Wen-kong  voulait  nommer  Hou  Yen  $&  flg  général  du  2ème  corps 
d'armée;  celui-ci  refusa,  par  humilité,  et  proposa  son  frère  aîné 
Hou  Mao  ^  ^  comme  plus  capable,  et  se  contenta  d'être  son 
second.  'Wen-kong  voulait  encore  nommer  Tchao  Tch'oei  )'ff  5p£ 
comme  général  du  3ime  corps;  celui-ci  refusa  de  môme,  par  humi- 
lité, et  proposa  les  seigneurs  LoanTche  |f§  |£  et  SienTchen  ^  ijijï, 
comme  plus  capables;  celui-là  fut  donc  déclaré  général,  celui-ci 
son  second.  Comme  tous  ces  combats  d'humilité  sont  glorieux, 
s'ils  sont  vrais!  En  tout  cas,  c'est  le  seigneur  Si  un  Lin-fou  j^j  \J[\ 
4£  qui  fut  conducteur  du  char  royal,  et  Wei  Tch'eou  |!|  *$t  le 
lancier. 

Avant  de  nous  raconter  la  campagne,  les  lettrés-historiens 
nous  montrent  avec  quelle  haute  sagesse  le  prince  y  avait  préparé 
ses  gens;  ce  qui  précède  nous  en  donne  déjà  une  idée:  Quand 
donc  Wen-kong  fut  monté  sur  le  trône,  il  instruisit  son  peuple 
pendant  deux  années;  après  quoi,  il  pensait  l'emmener  en  guerre. 
Notre  philosophe  Hou  Yen  jfjft  f[f  (ou  Tse-fan  -^  fâ  lui  ht  obser- 
ver :  le  peuple  n'entend  encore  rien  en  fait  de  justice;  il  n'csi  donc 
pas  disposé  à  se  sacrifier  pour  elle;  en  paix,  il  ne  se  tiendra  pas 
tranquille;  dans  la  bataille,   il  prendra  facilement  la  fuite. 

Persuadé  par  ces  paroles,  Wen-kong  se  contenta  de  conduire 
son  armée  rétablir  l'ordre  à  la  cour  impériale,  en  635,  chose  plus 
légère,  plus  facile  à  accomplir.  Ensuite  il  s'appliqua  à  procurer  le 
bien-être  de  son  peuple,  afin  qu'il  s'attachât  à  la  vie,  et  se  réjouit 
dans  l'abondance. 


(I)   La    Chine   ''il   est   encore  là'    l  n  vrai  homme  de  eruerre  est  tnépi   - 
supérieurs   et   ses   collègues,    s'il    ne   sait  pas  ta  poésie;  on  le  tiendra  dans  un  rang 
inférieur.   On  enverra  comme  inspecteur  impérial  (des  forts,  des  arméi  - 

dres),  un  globule  routre  ou  bleu  qui  ne  connaît  que  son  pinc 


80  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

Ce  résultat  obtenu,  Wen-kong  se  disposait  à  entreprendre 
quelque  grande  campagne.  Hou  Yen  l'arrêta  encore,  en  disant  : 
tant  que  le  peuple  n*entend  rien  en  fait  de  loyauté,  et  n'a  pas  une 
confiance  absolue  en  son  souverain,  il  n'est  pas  mûr  pour  de  telles 
expéditions. 

Sur  cette  remarque,  Wen-kong  envoya  son  armée  parader 
devant  la  ville  de  Yuen  J^,  pendant  trois  jours,  comme  nous  l'a- 
vons raconté;  et  lui  montra  ce  fameux  exemple  de  fidélité  à  sa 
parole.  Aussi,  le  peuple  fut-il  radicalement  converti  ;  à  tel  point 
que,  dans  ses  relations  commerciales,  il  ne  cherchait  plus  de  gains 
excessifs,  et  n'avait  qu'un  prix,  qu'une  parole. 

"Wen-kong  dit  alors  à  Hou  Yen  :  maintenant,  puis-je  me  ser- 
vir du  peuple?  —  Pas  encore,  répondit  celui-ci;  n'entendant  rien 
aux  rites,  il  n'aura  pas  la  soumission  ni  le  respect  nécessaires 
envers  ses  supérieurs.  Sur  ce,  Wen-kong  fit  de  grandes  manœu- 
vres militaires,  pour  inculquer  à  son  peuple  les  rites  et  l'obéissan- 
ce ;  il  établit  dans  toute  la  hiérarchie  civile  et  militaire  des  chefs 
auxquels  tout  le  monde  se  soumit  avec  plaisir  et  promptitude  (1). 

Après  ces  longs  préparatifs,  Wen-kong  put  conduire  ses  gens 
où  il  voulait:  le  succès  était  infaillible,  selon  ses  conseillers;  quel- 
ques mois  suffiraient  pour  vaincre  les  ennemis,  délivrer  les  amis, 
et  devenir  le  chef  des  vassaux. 

Dès  le  début  de  632,  Wen-kong  commença  donc  la  campa- 
gne, selon  le  plan  _ de  Hou  Yen.  Pour  attaquer  la  principauté  de 
TVao  i|f,  il  fallait  passer  par  le  territoire  de  Wei  fëj  ;  la  permis- 
sion fut  relusée,  comme  on  s'y  attendait.  Wen-kong  rebroussa 
chemin,  se  tourna  vers  le  sud,  traversa  le  Fleuve  Jaune,  au  gué 
Ki-tsin  |$  ^  (2),  tomba  comme  la  foudre  sur  le  pays  de  Ts'uo 
î||\  qui  n'y  songeait  nullement:  puis  se  jeta  sur  celui  de  "Wei.  au 
son  des  cloches  et  des  tambours. 

Au  6  l;"'  jour  de  la  ll!v  lune  (16  décembre  ,  on  s'emparait  de 
Ou-lou  3£  JfjËjï  (3),  cette  ville  où  un  grossier  paysan  avait  offert  à 
Tch'ong-eul  une  motte  de  terre  en  guise  de  pain  ;  la  prédiction  de 
Hou  Yen  se  trouvait  donc  réalisée:  le  prince  de  Wei  $j  devait 
commencer  à  regretter  sa  double  offense  envers  Wen-kong;  il 
était  trop  tard. 


1      Voilà  de  la   rhétorique  de  lettrés:   Voila  cette  sublime  doctrine,  imiorée  du 

entier,  cachée  comme  un  trésor  clans  le  ventre  de  ces  Messieurs  :  on  rensei- 
gne encore  de  nos  jours,  comme  la  source  de  tous  les  biens,  le  remède  à  tous  les 
maux. 

-'     Ki-tsin.    I  e    gué    est    .m    -ml    de    Wei-hoei  fou  fëj  jÊ|  <ft.    Ilo-nan.    'Petite 

■  vol.   12.  p.   22i  Grande,  vol.  ./<;,  p.   211. 

I  Ou-lou,  du  pays  de  Wei,  'tait  au  sud-est  de  Ta-ming  fou  jç  %,  !fâ\  Tche- 
li.  (Petite géogr.,  ml.  2.  p.  j2). 


DU    ROYAUME   DL:   TSIN.    WEN-KONG.  81 

A  la  2  ,m  lune,  mourait  KH  Hou  $J$  ffi ,  le  généralissime  dont 
nous  avons  cité  l'éfbge  un  peu  plus  haut:  SienTchen  {fc  ^  s'était 
sans  doute  révélé  maître  dans  ce  peu  de  temps;  car  c'est  lui  qui 
reçut  le  commandement  en  chef  de  toute  l'armée:  SiuTch'en  ^  \[\ 
le  remplaça  comme  aide  du  général  du  troisième  corps. 

Le  roi  de  Ts'i  ^f  fut  si  content  de  Wen-kong,  qu'il  vint  le 
remercier  à  Lien-yu  jjj$[  ^  1),  et  lui  offrir  un  traité  d'alliance  et 
d'amitié.  Le  prince  de  Wei  \!t]  voulait  en  faire  autant:  mais  il  fut 
éconduit,  et  dut  se  tourner  vers  le  roi  de  Tch'ou  ^  :  mal  lui  en 
prit:  désapprouvé  par  son  peuple,  et  chassé  de  sa  capitale,  il  se 
retira  à  Siang-nieou  1]£  £]'■  21:  pour  comble  d'infortune,  l'armée 
de  Tch'OU  %&,  accourue  à  son  secours,   fut  mise  en  pleine  déroute. 

Le  duc  de  Lou,  ^-,  ami  et  protégé  de  Tch'ou,  avait  aussi 
envoyé  des  troupes  auxiliaires,  sous  les  ordres  du  seigneur  Kong- 
tscMai  Tfc  ^f-  jjf ,  autrement  nommé  Tse-ts'ong  ^  ^  :  voyant  l'ex- 
pédition tourner  si  mal,  ce  prince,  modèle  de  la  vertu  antique, 
trouva  un  bon  moyen  pour  se  tirer  d'embarras  :  il  mit  à  mort  le 
seigneur  Kong-tse  Mai  ;  puis  il  envoya  dire  à  la  cour  de  Tch'ou  : 
«je  l'ai  puni  pour  n'avoir  pas  secouru  efficacement  le  prince  de 
Wei  $j,  et  avoir  pris  la  fuite"  ;  à  Wen-kong  :  "je  l'ai  puni  pour 
m'avoir  désobéi,  et  avoir  porté  secours  au  pays  de  Wei».  Comme 
on  le  voit,  un   vrai  lettré  a  toujours  quelque  ressource  vertueuse. 

Mais  revenons  à  notre  expédition.  Au  siège  de  T-<r;m  i("/ 
Wen-kong  perdait  beaucoup  de  monde:  les  habitants  prenaient 
les  cadavres  de  ses  soldats,  les  coupaient  en  morceaux,  et  les  ex- 
posaient sur  les  murs  de  la  ville;  le  prince  craignait  que  son  armée 
ne  fût  trop  impressionnée  par  cette  vue;  mais  il  fut  rassuré  quand 
il  entendit  ses  soldats  s'écrier:  allons  aux  tombeaux!  déterrons 
les  cadavres  des  ^ens  de  Ts'ao,  et  vengeons  nos  compagnons! 
Wen-kong  permit  ces  représailles:  quand  les  habitants  virent  les 
troupes  se  rendre  aux  cimetières,  ils  poussèrent  des  clameurs,  des 
cris  d'angoisse;  ils  mirent. dans  des  cercueils  les  cadavres  de  Ts'in, 
et  les  envoyèrent  hors  des  murs,  à  la  portée  des  assiégeants.  Ceux- 
ci  profitèrent  de  cette  panique,  pour  donner  un  assaut  plus  vigou- 
reux; à  la  3àme  lune,  au  jour  appelé  ping-ou  \K\  ^f-  17  février 
la  ville  tombait  en  leur  pouvoir. 

Wen-kong,  énumérant  les  fautes  du  prince  de  Ts'ao,  dans 
son  administration,  lui  reprochait,  entre  autres  choses,  de  n'avoir 
pas   employé  Hi  Fou-ki  \w.  i\  $$,    un  homme  de  si  grand  mérite; 

li  Lien-yUj  n'est  plus  qu'un  bourg,  nu  sud  es(  il''  K'ai  Icheou  pf]  'HJ .  dans 
la  même  préfecture  il"  Ta-ming  fou.  Petite  gréoj/r.,  vol.  .»,  p.'SJ  —  Grande,  ■■  ■  / 
16.  p.  40). 

i'l)  Siang-nieou.    Nous    n'en   connaissons  pas  l'endroit  exact.  Quelques  auteurs 
disent   que   c'est   Soei  tcheou     .'.    '!■'.   ,1    170  h  .1  l'ouest  'I"  Koei  t     fou  ":■';  fj£  rPr.    Ho- 
naii.      Grande  géogr.,    vul.   jo,  p.    J S'- 
il 


82  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

tandis  qu'il  avait  autour  de  soi  plus  de  trois  cents  officiers,  sans 
valeur  ni  vertu:  quant  à  ceux-ci.  Wen-kong  leur  ordonna  de  lui 
montrer  leurs  états  de  service,  afin  de  voir  comment  ils  avaient 
obtenu  leurs  dignités. 

Entrant  en  conquérant  dans  la  ville,  Wen-kong  avait  donné 
ordre  de  respecter  lli  Fou-ki,  sa  maison,  sa  famille,  et  toute  sa 
parenté  1  :  voulant  ainsi  montrer  sa  reconnaissance  envers  ce 
sage  ignoré. 

Deux  officiers,  nommés  WeiTch'eou  ^$L  j^  et  Tien  Kiè  jjjfi  pj(, 
étaient  furieux  de  tant  de  bienveillance  :  notre  prince,  disaient-ils. 
néglige  nos  services,  et  se  montre  si  généreux  envers  un  inconnu, 
auquel  il  ne  doit  rien!  Sur  ce.  ils  mirent  le  feu  à  la  maison  de 
Hi  Fou-ki:  mais,  dans  cette  besogne,  WeiTch'eou  reçut  une  grave 
blessure  à  la  poitrine    '2  . 

Wen-kong  était  si  fâché,  qu'il  voulait  aussitôt  mettre  à  mort 
ces  deux  récalcitrants:  toutefois,  réfléchissant  que  WeiTch'eou 
pouvait  encore  lui  rendre  de  grands  services,  vu  ses  forces  hercu- 
léennes, il  envoya  un  officier  lui  faire  de  vives  réprimandes, et  exa- 
miner sa  blessure:  si  celle-ci  était  sans  espoir,  il  fallait  le  tuer, 
en  punition  de  sa  désobéissance  :  si  elle  pouvait  guérir,  il  devait 
le  laisser  vivre.  Wei  Tch'eou  se  présenta,  un  bandage  sur  la  poi- 
trine, et  dit  à  l'envoyé  :  grâce  à  la  bonté  de  notre  souverain,  je  ne 
puis  prétexter  mon  indisposition,  pour  me  reposer!  en  même 
temps,  il  sauta  trois  fois  par-dessus  un  mur.  et  y  ajouta  encore 
trois  grandes  gambades;  il  avait  dû  se  faire  violence  -,  pour  exécuter 
ces  tours  de  force,  malgré  sa  blessure:  mais  il  avait  persuade 
l'officier  qu'elle  n'était  pas  mortelle,  et  il  avait  sauvé  sa  vie:  on 
lui  retira  cependant  son  poste  de  lancier  sur  le  char  de  Wen-kong; 
et  il  fut  donne  à  Tcheou  Tche-k'iao  ffi  £  f|j-  officier  de  Kouo  $f 
réfugié  à  la  cour  de  Tsin. 

Quant  à  Tien  Kiè  fiff  ^.  il  fut  mis  à  mort;  et  son  cadavre 
fut  suspendu  au  milieu  du  camp,  pour  donner  une  leçon  salutaire 
à  tous  les   soldats. 

Sur  ces  entrelaites.  Pan  ■$£.  grand  officier  de  Song  -jfc.  ve- 
nait avertir  Wen-kong,  que  les  troupes  de  Tch'ou  ££  n'abandon- 
naient point  le  siège  de  la  capitale:  qu'elles  s'acharnaient  au  con- 
traire à  leur  entreprise:  et  qu'ainsi  la  position  du  prince  devenait 
critique. 

Wen-kong  reunit  son  conseil  et  dit  :  Si  nous  abandonnons 
le    prince    de    Song,    il    rompra    avec    nous,  à  tout  jamais:  si   nous 


I     C'est  ecl  officier  qui  avait  offert  à   rch'ong  eul  un  magnifique  dîner,  et  une 
précieuse  tablette  <.\r  jadi 

L'es  deux  officiers  avaient  suivi    reh'ong  cul  dans  ses  pérégrinations;   nous 

h  WeiTch'eou  se  plaindre  de  n'avoir  pas  été  récompensé;  Wen-kong  l'avait 
ensuite  pris  pour  lancier,  sur  son  propre  char. 


DO    ROYAUME   DE  TSIN.    WEN-KONG. 

exhortons   le   roi   de  Tch'ou  £ê,    il   ne  retirera  pas  ses  troupi 
nous  marchons  au  combat,  les  gens  de  Ts'in  ^£  et  de  Ts'i  >fâ  ne 

nous  suivront  pas.   Que  faire? 

Sien  Tchen  fa  >j'J>.    le    généralissime,    proposa  le   stratagème 

suivant:  Que  les  gens  de  Song  aillent,  avec  de  riches  cadeaux, 
prier  les  généraux  de  Ts'in  -^  et  de  Ts'i  >0  de  venir  à  leur  se- 
cours: ceux-ci.  engagés  d'honneur,  presseront  le  roi  de  Tch'ou 
de  retirer  ses  troupes:  s'il  ne  le  fait  pas,  ils  seront  contents  de 
venir  avec  nous  l'attaquer.  De  notre  coté,  saisissons  le  prince  de 
rs'ao  ^f  :  donnons  son  territoire  et  celui  de  Wci  j£j  au  pays  de 
Song.  Le  roi  de  Tch'ou  en  sera  furieux:  il  nous  livrera  bataille; 
c'est  ce  que  nous  voulons. 

Wen-kong  suivit  ce  conseil,  de  point  en  point  ;  mais  les 
événements  prirent  une  autre  tournure:  le  roi  de  Tch'ou  ne  crut 
pas  prudent  d'engager  le  combat;  il  se  retira  à  Chen  \\i  1  ,  ville 
de  son  royaume;  de  là.  il  envoya  à  Chen  Chou  FJ3  fy  l'ordre  de 
quitter  la  ville  de  Kou  ^J\  dans  le  pays  de  Ts'i  'fè  :  et  à  Tsc-yu 
~\~  "U-  son  premier  ministre,  l'ordre  de  lever  le  siège  de  Song. 

Aux  objections  qu'on  lui  faisait,  il  répondit  :  Wen-kong, 
après  19  ans  d'exil,  a  pu  monter  sur  le  trône:  c'est  un  homme 
rompu  à  tous  les  dangers,  à  toutes  les  fatigues:  rien  ne  l'arrête 
dans  la  poursuite  de  son  but:  il  a  une  telle  expérience  des  hom- 
mes, qu'il  reconnaît  parfaitement  les  sentiments  vrais  ou  faux  de 
-><n  peuple;  le  ciel  lui  a  accordé  de  survivre  à  ses  huit  frères;  il 
lui  a  aplani  toutes  les  difficultés,  l'a  placé  sur  le  trône,  et  l'y 
maintient.  Il  y  a  des  principes  militaires  qui  nous  disent:  conten- 
tïZ-vous  d'un  moindre  succès,  sans  vouloir  pousser  les  ch  tses  a 
l'extrême:  quand  la  difficulté  est  trop  grande,  retirez-vous  ; 
n'entreprenez  pas  la  lutte  avec  un  homme  vertueux,  spécialement 
protégé  du  ciel.  Ces  trois  règles  conviennent  à  notre  cas. 

Le  roi  de  Tch'ou  avertissait  donc  son  généralissime  et  premier 
ministre:  ne  vous  obstine/  pas  à  lutter  contre  Tsin.  Mais  Tse-yu 
~f-  p£  lui  envoya  le  grand  seigneur  /'';  Fen  \(\  $]:.  avec  la  réponse 
suivante:  ce  n'est  pas  que  j'ose  assurer  la  victoire:  mais  je  veux 
fermer  la  bouche  à  mes  détracteurs,  qui  m'accusent  de  ne  pas 
savoir  conduire  une  grande  armée;  que  votre  Majesté  veuille  donc 
m'envoyer  du  renfort,  et  me  permettre  de  livrer  bataille. 

Le  roi  était  fort  mécontent;  mais,  ne  pouvant  faire  autre- 
ment, il  lui  envoya  quelques  troupes  auxiliaires,  à  savoir:  les 
régiments  appelés  Si  Koang  jftj  }$.  les  gardes  du  prince  héritier, 
et  tous  les   soldats   de   Jo   Ngao  5ft:  )//.     c'est-à-dire   de    la    famille 


I  ("h.'ii  était  à  20  li  au  nord  de  Xan-yang  fou  JrJ  F3  fff-  Ho-nan  ;  s.ui  terri- 
toire avoisinait  celui  de  la  forteresse  imprenable  de  Wnng-tch' ci\g  ')}  1^:  celle-ci 
était  à  120  li  nord-est  de  la  même  préfecture  Xan-yang  fou.    Petite  géogr.,vol.  /.?. 

p.    40   et  p.    4-    . 


84  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

même  du  ministre  .  qui  montaient  an  chiffre  de  six  cents  hom- 
mes. 

Tsé-yu  ^  3î  dépêcha  le  grand  seigneur  Yuen  Tch'oen  '/}ù  ^ 
auprès  de  Wen-kong,  porter  le  message  suivant:  Restituez  son 
pays  au  prince  de  Wei  f£j,  replacez  le  prince  de  Ts'ao  ~>|/  sur  son 
trône;  alors  votre  serviteur  lèvera  le  siège  des  Song  ^.  C'était 
comme  un  ultimatum. 

Wen-kong  réunit  son  conseil.  Hou  Yen  flft  j]g  ou  Tse-fan) 
indigné  s'écria:  Tse-yu  est  un  impudent,  qui  ne  connaît  pas  les 
rites!  il  veut  que  votre  Majesté  se  contente  d'un  seul  avantage, 
tandis  qu'il  en  remportera  deux;  profitons  de  son  arrogance  pour 
lui  donner  une  bonne  leçon  sur  le  champ  de  bataille! 

Sien  Tchen  ^fc  %&  'e  généralissime,  l'apaisa  un  peu  en  di- 
sant: Ne  rejetez  pas  sa  proposition:  elle  peut  procurer  la  paix  à 
trois  principautés,  chose  très  conforme  aux  rites  ;  si  nous  entrete- 
nons le  trouble  dans  ces  trois  pays,  nous  serons  coupables  :  de 
quel  front  irons-nous  sur  les  champs  de  bataille"?  Nous  préten- 
dons sauver  le  prince  de  Song.  et  nous  l'aurons  perdu.  Quelle 
honte  pour  nous  devant  les  vassaux  !  Nous  aurons  ajouté  trois 
ennemis  de  plus  à  ceux  que  nous  avons  déjà.  Au  lieu  de  forcer 
ces  trois  Etats  à  se  jeter  dans  les  bras  de  Tch'ou  3^,  tachons  de 
les  attacher  à  notre  sort.  Le  mieux  serait  donc  de  replacer  les 
princes  de  Ts'ao  ^  et  de  Wei  f£f  sur  leur  trône,  à  condition  de 
rompre  complètement  avec  le  roi  de  Tch'on  :  puis,  pour  pousser 
Tse-yu  \-  J-  à  quelque  manœuvre  imprudente,  exécutée  dans  la 
colère,  retenons  chez  nous  son  messager;  nous  attendrons  ensuite 
le  sort  de  la  bataille  pour  prendre  de  nouvelles  décisions. 

Wen-kong  fut  enchanté  de  ce  conseil,  et  l'exécuta  aussitôt. 
Les  princes  de  Ts'ao  et  de  Wei  avant  annoncé  à  Tse-yu  qu'ils 
rompaient  avec  lui.  il  se  mit  à  la  poursuite  de  l'armée  de  Tsin. 
Celle-ci  se  retira  devant  lui,  selon  la  promesse  faite  autrefois  par 
Tch'ong-eul,  alors  en  exil  à  la  cour  de  Tch'ou. 

Les  officiers  s'écriaient  :  c'est  une  honte!  votre  Majesté  recule 
devant  un  simple  particulier!  les  troupes  de  Tch'ou,  depuis  si  long- 
temps en  campagne,  sonl  épuisées:  pourquoi  reculer? 

Hou  Yen  #R  ffï  ou  Tse-fan  ^f-  %\l  leur  répondit  en  sage 
lettré:  ceux  qui  défendent  une  cause  juste  sont  forts;  ceux  qui 
défendent  une  cause  injuste  sont  faibles:  peu  importe  depuis  com- 
bien de  temps  ils  sont  en  campagne.  <  >r,  sans  le  secours  du  roi 
de  Tch'ou,  notre  souverain  ne  serait  jamais  monté  sur  le  trône; 
c'est  en  reconnaissance  de  ce  bienfait  que  nous  reculons  trois  fois, 
pour  décliner  la  bataille;  autrement,  nous  donnerions  un  juste 
prétexte  de  nous  attaquer.  Si  l'armée  de  Tch'ou  se  retire, tout  est 
fini;  c'est  pour  cela  que  nous  étions  venus;  si  elle  persiste  à  nous 
poursuivre,  et  nous  force  à  en  venir  aux  mains,  le  tort  sera  de 
son  coté. 


Dt     ROYAUME    r>K   TSIN.    WKN-KONG.  85 

De  fait.  les  soldats  de  Tch'ou  demandaient  à  s'en  retourner; 
Tse-yu  -J*-  31  sv  refusa:   il  voulait  à  tout  prix  livrer  combat. 

Ainsi  donc,  eû*632,  à  la  4e1'"'  lune,  au  jour  appelé  Ou-tch'en 
/£  J!rt  '  1  Mars  .  les  troupes  de  Tsin  et  de  Song,  les  troupes  de 
Ts'i  fs\  commandées  par  Kouo  Koei-fou  \^J\  jfjp  ^C  et  Ts'oei  Yao 
V\\  ~fc,  les  troupes  de  Ts'in  %g  commandées  par  Siao-tse-ning  /}\ 
^p  &*,  fils  du  roi  Mou-hong  ^  £ .  étaient  campées  à  Tch'eng- 
p'ou  jjfc  -Jpvt  t  .  attendant  la  bataille:  l'armée  de  Tch'ou  était  ados- 
sée à  la  colline  Ili  '■'/,  2  .  ce  qui  lui  donnait  un  avantage  consi- 
dérable sur  ses  adversaires. 

Wen-kong  avait  remarqué  ce  détail:  il  en  était  fort  inquiet 
pour  ses  troupes  :  mais  il  fut  rassuré  quand  il  les  entendit  chanter 
le  refrain  suivant  :  le  plateau  est  un  verdoyant  pâturage;  oublions 
le  passé;  ne  pensons  qu'aux  avantages  présents! 

Quel  en  était  le  sens?  Wen-kong  ne  le  saisissait  pas.  Hou 
Yen  le  lui  expliqua,  en  disant  :  Si  nous  sommes  vainqueurs,  les 
vassaux  sont  à  nous:  vaincus,  nous  n'avons  rien  à  craindre,  notre 
pays  étant  comme  un  plateau,  protégé  par  des  fleuves  et  des  mon- 
tagnes. 

Cependant,  disait  Wen-kong,  le  roi  de  Tch'ou  est  mon  bien- 
faiteur!  puis-je  l'oublier?  comment  livrer  bataille  à  sou  armée? 

Le  seigneur  Loan  Tche  ^  ;££     ou  Loan  Tclien^-tse  r£é   \J{  ^f- 
lui    répondit  :    Ne    savez-vous    pas    que    le    roi    de  Tch'ou  a  anéanti 
toutes  les  principautés  de  votre  famille  Ki  #|i;î.  situées  au  nord  du 
fleuve  //■•"'  '!•'£'.'  vous  gardez  souvenir  d'un  mince  bienfait,  et  vous 
oubliez  une  grande  injure.  N'hésitons  pas:    engageons  le  combat! 

Wen-kong  restait  perplexe;  il  avait  fait  un  mauvais  rêve  :  en 
songe,  il  avait  lutté  avec  le  roi  de  Tch'ou  ;  celui-ci  l'avait  renversé 
à  terre,  et  lui  mangeait  la  cervelle:  n'était-ce  pas  wn  mauvais 
augure? 

Nullement!  répondit  Hou  Yen;  c'est  au  contraire  un  heureux 
présage.  Vous  aviez  la  face  tournée  vers  le  ciel:  le  roi.  vers  la 
terre  :  et  il  était  à  genoux,  comme  pour  demander  pardon,  et  re- 
connaître son  tort.  11  vous  rongeait  la  cervelle:  cela  indique  clai- 
rement qu'il  abuse  de  votre  bonté;    il    faut  donc  en   finir  avec  lui! 

(1)  P'ou,Tch'cng-p'ou,  Lin  P'ow  ffë.  /!?•  lllllt  ce'a  Pst  'a  mémo  ville;  elle 
à  70  li  nu  sud  de  P'ow  tcheou  jfî?  fl-(.  qui  esl  à    I-'1  li  au  nord  il''  sa   préfi  / 
tcheou  fou  \'V  -Hl   fff.  Chan-tong.    Sou  nom  lui  vient  de  la  rivière  P'om  ffî,  qui  coule 
à  70  li  au  sud-ouest  'I.'  la  sous-préfecture.  (Petite  géogr.,  roi.  ro.p    i     . —  Grande, 
vol.   ?■/■  }>■   ri 

(2)  Ili.  Il  y  a  encore  nu  bourg  appelé  Ili-hia-tsi  de  la 
colline  Ili.  an  sud  de  Tong-ngo  hien  }\i  l'«J  ff.  dans  la  préfecture  de  7 

ifc.  :sc  1?.    Chan-tong.    La    ville   de    ICau  -£?.    auparavanl 

Tch'ou.    n'était   pa>   loin   de  cet   endroit,    D'ailleurs,   il  j  a  des  incertitudes  sur  ces 

identifications.   (Grande  rjéotjr..  vol.  jj.  j).    20 


86  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

D'ailleurs,  le  combat  était  inévitable;  Tsc-yu  ~f  JE  envoya  le 
grand  seigneur  Trou-p'a  \n]  ty,  porter  un  carte]  lu  règle:  "Allons. 
mes  seigneurs,  efficiers  de  sa  Majesté  de  Tsin,  joutons  ensemble! 
sa  Majesté,  appuyée  sur  la  planchette  de  son  char,  contemplera  la 

lutte:  moi.  de  mon  coté,   j'y  fixerai  les  yeux". 

Wen-kong  députa  le  seigneur  Loan  Tchc  Êjfê  jfo  porter  la  ré- 
ponse :  «Moi,  hemme  de  peu  de  valeur,  j'ai  entendu  vos  ordres; 
nullement  oublieux  des  bienfaits,  j'ai  reculé  trois  jours  de  suite, 
voulant  éviter  une  lutte  contre  votre  illustre  roi  ;  mais,  puisque  je 
n'ai  pu  trouver  grâce  devant  votre  seigneurie,  veuillez  porter  ma 
réponse  à  la  connaissance  de  vos  compagnons  d'armes  :  préparez 
vos  chars,  appliquez-vous  de  toutes  vos  forces  au  service  de  votre 
illustre  roi:  demain  matin,  nous  allons  nous  rencontrer  sur  le 
champ  de  bataille». 

Wen-kong-  avait  sept  cents  chars  de  guerre:  donc  cinquante- 
deux  mille  cinq  cents  hommes:  et  tout  était  si  bien  ordonné  qu'il 
ne  manquait  pas  une  courroie,  pas  une  ficelle.  Monté  sur  la  colline 
Ycou-sin  ;ff  ^  1),  il  inspecta  le  défilé  de  son  armée  :  grands  et 
petits,  s'écria-t-il  joyeusement,  s'avancent  d'après  les  rites;  on 
peut  attendre  quelque  chose  de  pareils  soldats!  Il  avait  ordonné  à 
chacun  de  se  couper  une  branche  d'arbre,  pour  s'en  servir  à  un 
signal  convenu. 

Le  lendemain.  12  Mars,  AYen-kong  rangeait  ses  gens  en  ba- 
taille, au  nord  de  cette  colline;  SiuTcli'en  ^  []\,  aide  du  3ème 
corps,  devait  attaquer  les  troupes  de  Tch'en  ffi  et  de  Ts'ai  f}(,  qui 
renforçaient  l'aile  droite  de  Tch'ou;  ce  serait  le  signal  du  combat. 

Tse-yu  -]'-  3E<  au  centre  de  ses  troupes,  entouré  des  gens  de 
Jo~ngao  z^j  |j£,  ses  parents,  s'écria  triomphalement  :  Aujourd'hui, 
c'est  le  dernier  jour  de  Tsin!  Le  seigneur  Tse-si  ^f-  "jïïij  comman- 
dait l'aile  gauche,   et  Teou-p'o  \1^  ïjjj  l'aile  droite. 

Siu  Tch'en  avait  affublé  de  peaux  de  tigres  les  chevaux  de  ses 
chars,  pour  effrayer  ceux  de  Tch'ou:  le  stratagème  réussit  à  mer- 
veille: il  s'ensuivit  un  grand  désarroi  chez  les  gens  de  Tch'en  [^ 
et  de  Ts'ai  f£  :  attaqués  vigoureusement,  ils  s'enfuirent  à  la  dé- 
bandade, et  jetèrent  un  grand  désordre  dans  l'aile  droite  de 
Tch'ou . 

Hou  Mao  %  ^.  général  du  2'1|U'  corps,  avait  une  autre 
ruse:  il  avait  tait  confectionner  deux  grands  drapeaux  de  généralis- 
sime; pendant  la  bataille,  il  commanda  une  reculade  simulée 
De  son  coté,  Loan  Tche  ^  fâ.  général  du  :>'''■"  corps,  faisait  de 
même,  traînant  dans  la  poussière  les  branches  d'arbre,  pour  faire 
croire  que  toute  l'armée  de  Tsin  était  en  fuite. 


I      Veou-sin.  Cette  colline  se  trouve  a   ls  li  pu  nord  Ts'ao  hien  ÇJj '  |Ji,  qui  est 
a   Un  li  sud  esl  de  T8lao-tcheou  fou  ^  ''il  tff.  Chan-tong,     Petite    ge"ogr.,    vol.   i«. 

}>.   i  ;•  '  —  (Grande,  vol.  33.  ;>.   ?q). 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    WEN-KONG.  8  7 

Les  troupes  de  Tch'ou  tombèrent  dans  le  piège;  elles  se 
ruèrent  en  désordre,  à  la  poursuite  des  faux  fuyards.  Le  généra- 
lissime Sien  Tchen  ^j  \\\'>,  et  son  aide  Ki  Tch'oen  §p  :Jfc,  n'atten- 
daient que  ce  moment  pour  foncer  sur  elles,  l'un  à  droite  l'autre 
à  gauche,  et  les  prendre  en  liane. 

Pendant  ce  temps,  Hou  Mao  et  Loan  Tche  faisaient  volte-face 
et  se  ruaient  à  leur  tour  sur  leurs  imprudents  poursuivants;  les 
deux  ailes  de  Tch'ou,  attaquées  de  deux  côtés  à  la  lois,  furent 
anéanties. 

Le  centre  fut  retenu  à  temps  par  Tse-yu  ;  autrement,  il  se 
fût  aussi  précipité  sur  les  faux  fuyards  de  Tsin,  et  eut  été  écharpé  : 
c'est  tout  ce  qui  restait  de  l'armée  de  Tch'ou  !  le  pauvre  généra- 
lissime n'osa  pas  reparaître  devant  son  roi  ;  nous  le  verrons  bien- 
tôt se  suicider  de  honte  et  de  désespoir. 

En  attendant,  les  troupes  victorieuses  faisaient  un  immense 
butin;  ce  furent  trois  jours  de  bombance,  avec  les  vivres  trouvés 
au  camp  ennemi;  après  quoi,  on  reprit  le  chemin  de  la  patrie. 
Le  6  avril,  on  était  parvenu  à  Heng-yong'$Lj  |[£     t   . 

L'empereur  Siang-wang  !£$.  ]J£,  ayant  appris  cette  grande 
victoire,  voulut  venir  lui-même  en  féliciter  Wen-kong  ;  celui-ci 
s  empressa  de  bâtir,  à  la  hâte,  un  palais  de  réception,  à  Tsien- 
t'OU  fëj*  Jl  (-  :  dès  lors  cette  ville  abandonna  son  ancien  nom,  et 
prit  celui  de  Wang-kong-tch'eng  ^E  '/-Y  M-  ^i"1-'  au  palais  impé- 
rial: ainsi  se  perpétua  le  souvenir  de  cette  visite  extraordinaire. 

Trois  mois  avant  cette  victoire,  le  comte  de  Tcheng  @|$  s'était 
rendu  à  la  cour  de  Tch'ou  ^£,  s'était  mis  SOUS  la  tutéle  du  roi 
Tch'eng-wang  jj£  ^£,  et  lui  avait  fourni  son  contingent  de  troupes, 
comme  nous  l'avons  vu;  naintenant,  il  en  avait  grand  regret;  il 
craignait  aussi  de  justes  représailles,  de  la  part  de  Wen-kong. 
Il  envoya  donc  le  grand  officier  Tse-jen-kieou  -f-  /^  \  offrir  un 
traité  d'alliance  et  d'amitié.  Le  seigneur  Loa?i  Tche  §§§  |J£  se  ren- 
dit à  la  cour  de  Tcheng,  pour  fixer  les  termes  de  cette  convention  : 
enfin,  le   18  avril,   le  comte  la  signait  lui-même  à   Heng-yong. 

Le  lendemain,  Wen-kong  offrait  à  l'empereur  une  partie  du 
butin  ;  entre  autres  choses,  il  y  avait  mille  fantassins  laits  pri- 
sonniers, cent  chais  de  guerre  ayant  chacun  quatre  chevaux  cui- 
rassés.  A  cette  séance    solennelle,    le  comte    de    Tcheng    ^|J    faisail 


(I)  Heng-yong  était  à  5  li  nord-ouest  de  Yuen-ou  hien  /if.  fF Vj  %f.  qui  est  ;> 
180  li  l'est  de  sa  préfecture  Ho-nan  fou  pf  frî  tf-ï .  Ho-nan.  Petite  gêogr.,  vol.  12. 
p.    2ç)   —   (Grande,   vol.   -/-.  ;<.    26  . 

(2)  Tsien-t'ou  était  à  15  li  nord-ouest  de  Yong-tcM  hien  v>  \f:  i|£.  qui  est  à 
1  10  li  nord-ouesl  de  sa  préfecture  K'ai-fong  fou  [III  $\  /fl".  Ho-nan.  Dans  l'angle 
nord-est  de  l'ancienne  ville  Wang-kong-tch'eng  A:  'f',  iM.  .  il  \  n  encore  une  tour, 
nommée  Tsien-t1  ou-tai  JJS  J;  |j,  dernier  vestige  des  anciennes  gloires  Petite 
géogr.,    vol.    iz,  p.   8)   —  (Grande,   vol.   47,  p.  jSj. 


88  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

l'office  «d'assistant  au  trône  :  car  l'empereur,  en  cette  occasion, 
avait  tenu  à  employer  les  "rites-  pompeux,  dont  on  avait  fait 
envers  Wen-heou  *£  f^..  ancêtre  de  Wen-kong,  en  770,  lors 
visite  d'hommage  à  l'empereur  P'ing-wang  *$  3-*  • 

Le  21  avril,  grand  festin  offert  par  l'empereur  à  Wen-kong, 
où  il  y  eut  force  vins  doux,  pour  augmenter  la  joie  commune:  le 
prince  lion  d\  accompagné  du  ministre  In  ^  et  du  grand 
archiviste  Chou  Iling-fou  ^  jHi-5^-  apporta  le  rescrit  qui  établis- 
sait officiellement  Wen-kong  chef  des  vassaux,  avec  les  insignes 
de  cette  dignité     1    . 

L'empereur  Ht  à  l'heureux  vainqueur  des  cadeaux  extraordinai- 
r  -  :  un  char  doré,  pour  les  sacrifices  solennels;  un  bonnet  de 
cérémonie;  une  robe  Ornée  de  broderies  représentant  des  faisans: 
un  char  de  guerre,  avec  un  casque  et  une  cuirasse;  un  arc  rouge 
avec  cent  flèches  rouges:  un  arc  noir  avec  mille  flèches  noires: 
un  vase  de  vin  de  millet  noir  aromatisé;  enfin  trois  cents  braves 
de  la  garde  impériale,   pour  sa  garde  personnelle  (2  . 


;      I      nomination  du  chef  des  vassaux  était  très   solennelle;    il   y   a\ait   neuf 
mandats,  neuf  collations  : 

1.    —  pïî  <5£  l|jjj  l'élu  recevait  la  nomination  à  cette  dignité. 
-■    iH-   pÎÎ  5'  Ji3  'es  vêtements  qui!   porterait  en  l'exerçant. 

3.  H  jfr  5£  Û  ~  insignes?] 

4.  VU   pp   S  S  lcs  vases  pour  les  sacrifices  qui  étaient  réservés  à  cette  charge . 
•î.    3L   pÏÎ  J1S  ÏW  les       -         d'une  bonne  administration. 

/;  fffr  dg  '\\   le  pouvoir  d'instituer  des  ofliciers. 
'■    -fc   u!î  115J  ! -i  l'administration  d'un  Etat    ou  royaume). 

8.  A    piï  iH  '■&  le  pouvoir  de  déclarer  et  de  faire  la  guerre. 

9.  ,JL  ù  it:  fil  'e  pouvoir  de  régir  et  punir   11  importe   quel   prince,    dans   tout 
l'empire. 

A  cha  [uc  mandat  repondait   un    insigne    particulier,    plus    ou    moins    précieux, 
une  autant  d'invitations    a    entrer    en    charge.      Tcfteou~£i    J'J  |§, 

VOl.    _-.    p.     . 

1     N'oyez    Zottoli.    III.    y.     .-'//•  chaj).   28  du  Chou-king;  d'où   1!  semble  que 
ient  les  plu?  grands  cr.deaus  que  l'empereur  pouvait  accorder. 
I    1    garde    impériale    portait    le    nom    de    Hou-pen  ))i   R,    légion    des 

force  et  cl-  ne  invincibli  -  de  -   s  soldats;  elle  comprenait  : 

_>   hia-ta-fou   ']■  ~)\    ^,  grands  seconde  e 

2   /..■  tff  i,  aides  eu  suppléants    de-  précédents  '.' 

Il'   tchong-che        'I1  ■£.  officiers  supérieurs, 

s   e-',  ^j    (•  -  rieurs,  chargés  des  registres,  des  écritures. 

u-che  et  emploi    - 

,  ,lie  )}'i    fc  -  -  vrais  braves,  les  tigres  enfin  : 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    WEN-KONG.  89 

Le  rescrit  disait  :  l'empereur  recommande  à  son  cher  "oncle», 
le  prince  de  Tsin,  d'accomplir  religieusement  ses  ordres;  faites  en 
sorte  que  la  paix  régne  partout;  éloignez  toute  espèce  de  malheurs 
de  la  famille  impériale. 

Wen-kong  se  déclara  par  trois  fois  indigne  d'un  tel  honneur  ; 
enfin  il  accepta  le  rescrit,  en  disant  :  moi,  Tch'ong-eul,  j'ose  ac- 
cepter cet  honneur  insigne;  permettez  que  je  vous  remercie  hum- 
blement, en  frappant  la  terre  de  mon  front;  je  m'empresserai  de 
publier  les  ordres  si  importants,  si  illustres,  si  excellents,  de  votre 
Majesté;  et  je  veillerai  à  leur  exécution. 

Wen-kong  eut  trois  audiences  solennelles  de  l'empereur;  après 
quoi,  celui-ci  s'en  retourna  dans  sa  capitale;  il  laissa  son  premier 
ministre,  le  prince  Hou  )&,  présider  en  son  nom  la  réunion  des 
vassaux  qui  allait  avoir  lieu. 

Le  prince  de  Wei  $j,  voyant  l'éclatante  défaite  infligée  à 
l'armée  de  Tch'ou,  s'imagina  sans  doute  que  Wen-kong  ne  lui 
avait  rendu  son  territoire  que  pour  la  forme;  et  qu'il  reviendrait 
bientôt  le  lui  reprendre:  c'est  pourquoi  il  résolut  de  s'enfuir,  et 
de  se  réfugier  à  la  cour  de  Tch'ou.  Arrivé  à  la  capitale  de  Tch'en 
Pj|f  (1),  il  changea  d'avis;  restant  où  il  était,  il  députa  son  propre 
frère  Ghou-ou  fâ  jfc,  avec  le  grand  seigneur  Yu.en  Hiuen  yç  pj[, 
auprès  de  Wen-kong,  lui  offrir  un  traité  d'alliance  et  d'amitié. 
qui  fut  accepté. 

Le  5  mai,  assemblée  solennelle  des  vassaux,  à  Tsien-i'ou  J£J£ 
J  ,  clans  le  palais  élevé  pour  l'empereur;  ils  étaient  huit,  tous 
amis  de  Wen-kong',  tous  plus  ou  moins  ses  voisins;  le  roi  de 
Ts'i  ^  lui-même  s'y  trouvait;  car  il  avait  besoin  de  Wen-kong 
pour  résister  aux  entreprises  de  Tch'ou  contre  son  propre  pays. 

Le  roi  de  Ts'in  -|;  et  celui  de  Tch'ou  se  gardèrent  bien  d'aller 
à  cette  réunion;  ils  se  souciaient  fort  peu  du  diplôme  impérial,  et 
ne  demandaient  pas  les  bonnes  grâces  de  Wen-kong.  dont  ils 
n'avaient  que  faire. 

Les  congressistes  rédigèrent  une  convention  ainsi  conçue  : 
-tous  les  princes  vont,  d'un  commun  accord,  aider  et  soutenir  la 
dynastie  impériale;  ils  ne  se  chercheront  pas  querelle  entre  eux. 
Quiconque  n'observera  pas  cette  convention. que  les  illustres  Esprits 
l'en  punissent!  que  ses  troupes  dépérissent,  et  soient  anéanties: 
que  sa  famille  soit  éteinte,  ainsi  que  son  royaume;  que  cette  ma- 
lédiction atteigne  sa  parenté  la  plus  reculée,   petits  et  grands! 

Le  commentaire  ajoute  sa  remarque  :  tout  homme  sage,  dit-il, 
observera  que  cette  convention  était  sincère:  pareeque  Wen-kong 
avait  obtenu  la  victoire  par  la  pratique  de  la  vertu,  et  l'instruction 
de  son  peuple. 


'1)    rch'en,  sa  capitale,  est  la  préfecture  actuelle  Tch'en-tcheou  l'un  ^  •'!!  Kï . 
Ho-nan.     Petite  géogr.,  roi.   /_>.  yi.  54). 

12 


90  TEMPS   YRAIM1  NT    HISTORIQ1   CS 

Tch'eng-'wang  J$|  3E,  roi  de  Tch'ou,  avait  le  droit  d'être  fu- 
rieux contre  son  premier  ministre  et  généralissime  Tse-yu  ^f-  3[ 
celui-ci  avait  donné  raison  à  ceux  que  le  jugeaient  "incapable  de 
conduire  une  grande  armée»  ;  il  ne  l'avait  que  trop  prouvé  ;  il  n'avait 
plus  la  "face»  de  reparaître  à  la  cour  :  il  se  donna  donc  la  mort, 
à  Lien-kou  ^  ^.  non  loin  de  la  fameuse  forteresse  de  Fang- 
tch'eng  if  j$. 

Quand  Wen-kong  apprit  cette  nouvelle,  il  en  manifesta  publi- 
quement sa  joie  :  maintenant,  s'écria-t-il,  personne  ne  me  cher- 
chera querelle!  son  successeur  Wei  Liu-lch'en  "^^  g  s'occupera 
surtout  de  ses  intérêts  privés,  et  peu  du  bien  public  ! 

Nous  avons  vu  naguère  le  prince  Chou-ou  -££  ^  et  le  sei- 
gneur Yuen  Hiuen  j£  JJJF,  de  Wei,  conclure  un  traité  de  paix  et 
d'amitié  avec  Wen-kong,  et  sauver  ainsi  l'indépendance  de  leur 
pays.  Des  jaloux  calomnièrent  le  seigneur  Yuen  Hiuen,  l'accusant 
de  vouloir  mettre  sur  le  trùne  ce  même  prince  Chou-ou  :  rien 
n'était  plus  faux  :  mais  le  marquis  de  Wei,  nommé  Tch'eng-konij 
E£  £*  634-600),  qui  se  trouvait  encore  dans  la  capitale  de  Tch'en 
|fjf},  se  laissa  circonvenir  par  les  mauvaises  langues,  et  mit  à  mort 
Kio  fâ,  fils  de  ce  seigneur,  lequel  était  aussi  à  Tch'en.  L'infor- 
tuné Yuen  Hiuen  eut  le  courage  et  la  loyauté  de  rester  à  son  pos- 
te, et  d'aider  le  prince  Chou-ou  dans  l'administration,  comme 
auparavant. 

A  la  6''mc'  lune  de  cette  même  année  632,  Wen-kong  réta- 
blissait le  marquis  sur  son  trùne  :  voici  comment  le  fait  est  raconté  : 
Pour  ramener  la  confiance  mutuelle  entre  le  prince  et  son  peuple, 
le  grand  seigneur  Ning  Ou-tse  %  ^  ^f  ou  Ning  Yu  ^  |^' . 
homme  d'une  probité  remarquable,  et  loué  comme  tel  par  Con- 
fucius,  fit,  au  nom  du  marquis,  un  traité  de  paix  avec  le  peuple,  à 
Yuen-p'ou  fë  j$|  l  .  On  y  disait  :  le  ciel  a  puni  l'Etat  de  Wei, en 
y  permettant  la  discorde,  la  guerre,  la  révolution  ;  maintenant,  ce 
même  ciel  a  touché  nos  cœurs,  nous  a  inspiré  des  sentiments 
d'humilité  et  de  soumission;  ainsi,  on  ne  se  vantera  plus;  on  ne 
se  querellera  plus;  si  personne  n'était  resté  à  la  maison,  qui  donc 
aurait  gardé  le  pays?  si  personne  n'avait  suivi  le  prince  dans 
l'exil,  qui  donc  aurait  pris  soin  de  ses  bœufs  et  de  ses  chevaux? 
car  tel  est  le  sujet  des  récriminations  mutuelles.  Désormais  donc, 
ceux  qui  ont  suivi  le  prince  n'exalteront  pas  leurs  mérites  dans 
son  rétablissement;  ceux  qui  sont  restés  au  pays  n'en  rougiront 
pas  comme  d'une  tante.  Si.  malgré  la  présente  convention,  quel- 
qu'un cherchait  dispute  à  autrui,  que  les  illustres  Esprits  et  les 
mânes  des  ancêtres  le  jugent  et  l'exterminent!     12 

(1)  Yuen-p'ou  était  un  peu  au  nord  de  Tch'ang  Yuen  hien  Jt  Jg  $£  qui  est  à 
250  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  Ta-ming  fou  K  %\  tff-  Cche  li.  Petite  géogr., 
vol.  2,  p.  js). 

Zottoli,   IV,  y.    38.  II.    1  ■ 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    WEN-KONG.  91 

Comme  on  le  voit,  de  la  part  du  marquis,  c'était  une  amnis- 
tie pour  tous  ceux  dont  il  aurait  eu  à  se  plaindre;  c'est  surtout 
cela  que  l'on  désirait  :  pour  le  reste,  il  n'y  avait  plus  de  difficultés 
à  craindre  de  la  part  du  peuple.  Confucius  dit  qu'à  ce  moment  le 
marquis  était  auprès  du  roi  de  Tch'ou. 

Le  jour  de  la  rentrée  solennelle  était  fixé:  le  marquis  crai- 
gnant, sans  raison,  quelque  piège  dressé  par  son  frère  Choû-OU 
il  îrvï-  voulut  devancer  ce  jour  et  rentrer  à  l'improviste.  Le  grand 
seigneur  Ning  Ou-tse,  vivement  affligé  de  ce  contre-temps,  partit 
à  l'avance,  pour  en  prévenir  le  mauvais  effet  ;  le  grand  officier 
Tchang-tsang  ^  %%.  gardien  de  la  capitale,  le  voyant  arriver  à 
toute  vitesse,  crut  qu'il  apportait  un  message;  il  monta  sur  --un 
char,  et  l'accompagna  jusqu'au  palais. 

De  son  côté,  le  marquis  avait  communiqué  à  deux  grands 
officiers.  Tch'oen K'iuen  -■ '•;  -j^  et  Hoa  Tchong  |pj  fi|i,  les  soup- 
çons qu'il  avait  sur  son  frère,  et  les  avait  envoyés  comme  éclai- 
reurs,   pour  parer  à  toute  éventualité. 

Le  prince  Chou-ou  ^  Jv!  se  lavait  la  chevelure,  quand  on 
lui  annonça  l'arrivée  du  marquis  :  dans  sa  joie,  il  sortit  aussitôt, 
tenant  ses  cheveux  dans  sa  main,  et  courut  au  devant  de  lui.  Les 
deux  éelaireurs  ne  comprenant  pas  la  cause  de  son  désordre,  lui 
décochèrent  leurs  flèches,  et  le  tuèrent  net. 

Le  marquis  apprit  bientôt  que  son  frère  était  absolument 
innocent:  il  prit  alors  le  cadavre,  l'appuya  sur  sa  cuisse,  et 
déplora  amèrement  ce  malheur.  L'officier  Tch'oen  K'iuen  avait 
pris  la  fuite;  le  marquis  le  fit  chercher  et  le  mit  à  mort:  Yueii 
Hiuen  fut  plus  heureux:  il  parvint  à  se  réfugier  à  la  cour  de  Tsin, 
où  il  annonça  ce  tragique  événement. 

L'historien  rapporte  ici  deux  actes  de  sévérité  assez  curieux  : 
Pendant  la  bataille  de  Tch'eng-p'OU  jf$  $|  les  bœufs  et  les  chevaux 
de  l'armée  du  centre  de  Tsin  s'étaient  élancés  dans  une  course 
folle,  et  s'étaient  embourbés  dans  des  bas-fonds;  on  avait  alors 
perdu  la  bordure  gauche  du  grand  drapeau  :  ces  deux  accidents 
retombaient  sur  l'officier  K'i  Man  fjj  11$  :  Wen-kong  le  lit  mettre 
à  mort,  et  porter  son  cadavre  devant  les  princes  vassaux,  reunis 
à  Tsien-teou  jfj|  J^,  pour  inspirer  à  tous  les  soldats  une  crainte 
salutaire:  l'office  de  K'i  Man  fut  donné  au  seigneur  Mao-fei  ^  fë. 

Y"ici  l'autre  exemple:  quand  l'armée  de  Tsin  eut  traversé  le 
Fleuve  Jaune    2'*  mai  .    pour  retourner  dan-    -   -  rs,    Tcheou 

Tche-k'iao  -$-  j£  gy,  le  lancier  de  Wen-kong  sur  son  char, pressé 
de  revoir  plus  tôt  sa  famille,  était  parti  à  l'avance:  il  fut  d'abord 
privé  de  son  office,  et  remplace  par  Che  Hoei  -^  ||" .  petit-fils  du 
grand  seigneur  Che Koei  i~||;  mais  la  punition  ne  devait  pas 
s'arrêter  là. 

A  la  7èm«  lune,  au  jour  ping-chen  p^  ^  7  Juin  .  l'armée 
faisait  son  entrée  triomphale  dans  la  capitale  de  Tsin  :  dans  le 
temple  des  ancêtres  on  offrit  les  prisonniers,  en  reconnaissance  de 


92  TEMPS    VRAIMENT    HISf  OIUQUF.S 

la  victoire  ;  ou  entassa  aussi  les  oreilles  coupées  sur  le  champ  de 
bataille,  comme  un  sacrifice  d'agréable  odeur  ;  on  but  le  vin  de  la 
réjouissance  :  puis  on  fit  une  large  distribution  de  récompenses  à 
ceux  qui  s'étaient  le  plus  distingués.  Enfin,  l'on  mit  à  mort 
Tcheou  Tche-k'iao  -fy  j£  ^.  pour  bien  montrer  que.  sans  égard 
pour  personne,  quiconque  enfreindrait  la  discipline  militaire,  serait 
puni. 

Le  commentaire  observe  qu'après  les  trois  exécutions  de  Tien 
Kiè  H  gg,  de  K'i  Man  ff7)  |gg  et  de  Tcheou  Tche-k'iao  ■jfr£.fâ.  le 
peuple  montra  une  entière  soumission  ;  Wen-kong  avait  su  appli- 
quer les  châtiments  avec  sagesse  et  opportunité.  C'est,  dit-il,  ce 
que  nous  enseigne  le  livre  des  Vers  Che-king  %^  |^>  par  ces  mots: 
faites  du  bien  à  cette  capitale,  et  vous  procurerez  la  paix  à  tout 
V empire;  ne  laissez  pas  toute  liberté  aux  flatteurs  astucieux  (\). 

Pendant  l'hiver  de  cette  même  année  632  mi-août  à  mi- 
novembre),  Wen-kong  tenait  une  nouvelle  assemblée  de  vassaux, 
dans  cette  ville  de  Wen  ^  que  nous  connaissons;  il  s'agissait  de 
juger  la  singulière   conduite  du  marquis  de   Wel  fëj. 

L'accusateur  était  l'officier  Yuen  Hiuen  7c  |g,  réfugié  à  la 
cour  de  Tsin,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut;  le  marquis  ne 
pouvant  comparaître  en  personne,  vu  qu'il  était  d'une  condition 
bien  supérieure  à  celle  du  dénonciateur,  envoya  trois  représentants 
plaider  sa  cause;  c'étaient  Che  Yong  +  |j|,  ministre  de  la  justice, 
puis  les  grands  seigneurs  K'ien  Tchoang-tse  f$  $£  ^  et  Ning  Ou- 

tse  mn*. 

Dix  princes  furent  présents  à  ce  procès;  l'empereur  lui-même 
y  fut  invité,  et  s'y  rendit;  chose  grandement  extraordinaire,  qui 
prouve  l'ascendant  conquis  par  Wen-kong. 

La  conduite  du  marquis  fut  jugée  inexcusable:  ses  représen- 
tants ne  purent  en  rendre  raison.  Le  ministre  de  la  justice  fut 
mis  à  mort:  K'ien  Tchoang-tse  eut  les  pieds  coupés:  Ning  Ou-tse 
fut  acquitté,  comme  n'ayant  eu  aucune  part  aux  forfaits,  lui. 
l'homme  probe  par  excellence,    absolument  hors  de  tout  soupçon. 

11  lestait  à  punir  le  premier  coupable,  le  marquis  lui-même. 
Wen-kong  n'avait  pas  le  pouvoir  de  le  mettre  à  mort:  il  ne  pou- 
vait que  s'emparer  de  sa  personne,  et  le  remettre  à  l'empereur, 
qui  seul  pouvait  le  juger  en  dernier  ressort;  c'est  ce  qui  arriva. 
Le  marquis  fut  jeté  dans  la  prison  la  plus  profonde,  complètement 
isolé  de  toute  relation  avec  l'extérieur;  NingOu-tse  eut  seul  l'au- 
torisation de  lui  fournir  quelques  vêtements,  et  nne  nourriture 
misérable. 

L'officier  Yuen  Hiueu  7c  pjï  avant  gagné  son  procès,  retourna 
au  pays  de  Wei  fvj.  et  mit  sur  le  trône  le  prince  Uiui  J|$,  le  pro- 
pre fils  du  marquis  prisonnier. 


(1)  Zottoli,  III,  t>.  ajç,  "tir  io,  ».  />.   —  (Couvreur,  p.  368.  n.  1). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    Wl X-KOXG.  93 

Wen-kong,  dans  cette  affaire,  s'était  arrogé  d'inviter  l'empe- 
reur, comme  s'il  eût,  été  le  maître  effectif  et  légal  de  toute  la  Chine  : 
pour  voiler  la  chose,  il  rendait  à  l'empereur  toutes  sortes  de  res- 
pects; il  conduisait  tous  les  vassaux  présents  lui  rendre  hommage; 
lui  faisait  examiner  l'administration  de  chacun  d'eux,  selon  les 
usages  antiques;  en  un  mot,  il  exerçait  sa  fonction  de  chef  des 
vassaux;  il  allait  même  un  peu  au-delà. 

Ce  fait  a  singulièrement  tracassé  messieurs  les  lettres,  et 
Confucius  lui-même.  Qu'un  sujet  invite  l'empereur  à  une  assem- 
blée, et  que  celui-ci  daigne  s'y  rendre;  voilà  qui  est  contraire  à 
la  saine  et  antique  doctrine!  Confucius  s'en  tire,  en  disant  que 
l'empereur  fit  un  tour  d'inspection  à  Ho-yang  pj  f^j  1  ;  mais  il 
fausse  la  vérité;  il  débite  une  formule  de  convention, au  lieu  d'écrire 
l'histoire. 

A  cette  assemblée,  le  prince  de  Hiu  ff  ne  s'était  pas  présen- 
té; on  résolut  de  l'en  punir;  les  congressistes  envoyèrent  une 
armée  assiéger  sa  capitale  ;  le  commandement  des  troupes  revenait 
de  droit  à  Wen-kong;  mais,  se  trouvant  alors  malade,  il  en  laissa 
la  direction  au  nouveau  prince  de  Wei  Hj,  qui  était  le  plus  voisin  : 
celui-ci  fournissait  sans  doute  aussi  le  plus  fort  contingent,  heureux 
de  prouver  son  dévouement  à  la  cause  commune;  c'était  à  la  10',1U' 
lune  (septembre)  de  cette  même  année  6.T2. 

La  maladie  de  Wen-kong"  donna  lieu  à  la  chinoiserie  suivan- 
te :  Kong-kong  rfb  fè,  prince  de  TVao  ^',  était  toujours  prisonnier 
de  Tsin;  un  de  ses  fidèles  serviteurs,  nommé  Heou  Neou  f^  jjjg, 
fit  de  riches  cadeaux  au  chef  des  devins  de  Wen-kong,  afin  qu'il 
persuadât  celui-ci  que  sa  maladie  avait  pour  cause  le  tort  fait  au 
prince  de  Ts'ao. 

En  effet,  le  devin  consulté  par  Wen-kong  lui  répondit  grave- 
ment :  quand  Hoan-kong  |j|  fe.  roi  de  Ps'i  ^,  était  chef  des 
vassaux,  il  tenait  des  réunions  pour  régler  les  affaires  en  toute 
justice;  il  établissait  des  princes,  qui  n'étaient  même  pas  de  son 
clan;  votre  Majesté,  au  contraire,  dans  ses  assemblées,  détrône 
des  princes  de  son  propre  clan.  Tchën-Louo  fâ  §p,  le  fondateur  des 
comtes  de  Ts'ao,  était  fils  de  l'empereur  Wen-wang  ^£  ^J£  ;  T'ang 
Chou  fë-  j|J3,  votre  ancêtre,  était  fils  de  l'empereur  Ou-wang  jÈ^îE  : 
vos  deux  familles  sont  donc  du  même  clan.  Or,  précédemment,  vous 
aviez  vous-même  publié  que  vous  rétabliriez  sur  son  trône  le  comte 
de  Ts'ao,  vous  ne  l'avez  pas  encore  fait;  le  marquis  de  Wei  [y/,  qui 
avait  commis  la  même  faute  que  le  comte,  a  été  replacé  sur  son 
trône,  et  le  comte  laissé  en  prison;  c'est  une  injustice  manifeste. 
En  suivant  la    bonne   foi,    on    observe  les  rites:    en  exécutant   avec 


(I)  Ho  yang  était  à  30  li  sud-ouest  de  Mong  hien  j£  gf,  qui  est  à  60  li  sud- 
ouest  de  sa  préfecture  Hocti-k'ing  fou  f§j  ^  Jft\  Ho-nan.  Petite  gèogr.,  vol.  /.7.  p. 
29)   —   (Grande,   vol.  4c.  p.   13). 


94  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

droiture  les  lois  pénales. on  redresse  les  torts:  si  votre  Majesté  ne 
tient  pas  compte  de  ces  principes,  comment  peut-elle  gouverner? 

Wen-kong  fut  enchanté  de  l'admonestation;  il  s'empressa  de 
délivrer  son  prisonnier,  et  de  le  remettre  sur  son  trône:  après  quoi 
il  alla  lui-même,  vers  la  I2~me  lune  octobre),  prendre  le  comman- 
dement du  sièg 

En  631,  à  la  deuxième  lune  vers  janvier  .  le  prince  de  Hiu 
ffr  faisait  sa  soumission,  et  signait  un  traité  de  paix:  les  vassaux 
retournaient  chacun  dans  son  pays. 

Vers  cette  époque,  Wen-kong  se  constituait  trois  nouveaux 
corps  d'armée,  pour  repousser  plus  facilement  les  incursions  des 
Tartares  Ti  %fc:  Siun  Lin-fou  |q  fâ  ^£  commandait  le  premier. 
Tu"  Ki  ffî  Ipt  le  second,  et  Sien  Miè  ^  Jj£  le  troisième. 

A  cela,  il  y  avait  une  grave  difficulté  ;  l'empereur  seul  pou- 
vait avoir  six  corps  d'armée  (lou-hiun  ^  j|l  :  Wen-kong  se  tira 
d'affaire  en  changeant  un  peu  le  nom  de  ces  nouvelles  troupes  :  il 
les  appela  compagnie  (hang  ^f  .  comme  si  elles  fussent  seule- 
ment des  «auxiliaires»  :  pour  généraux,  il  ne  leur  donna  pas  des 
ministres,  mais  seulement  de  grands  officiers,  du  rang  de  Ta-fou 
3fc  ^  :  ainsi  il  avait  la  chose,  sans  en  avoir  le  nom  :  il  y  ajouta 
encore  une  différence  :  c'est  que  chacun  de  ces  généraux  n'avait 
pas  d'aide  ou  remplaçant  comme  dans  les  corps  réguliers. 

Wen-kong  augmentait  ses  troupes,  afin  de  se  faire  obéir  des 
vassaux,  et  de  veiller  à  la  sûreté  de  ses  frontières  :  il  faisait  en 
cela  preuve  d'intelligence  et  d'énergie;  ses  voisins,  les  rois  de 
Tsrin  ^  et  de  Tch'ou  ^  augmentaient  leurs  corps  d'armée,  sans 
se  soucier  des  privilèges  impériaux  :  Wen-kong  devait  se  préparer 
à  leur  faire  face,  tout  en  respectant  autant  que  possible  ces  mê- 
mes privilèges, 

A  la  i:i  :  lune  avril-mai  de  cette  même  année  031.  le  duc 
de  hou  <!§•  1  .  puis  le  prince  Hou  £&.  grand  ministre  de  l'empe- 
reur, et  le.;  ministres  des  vassaux,  tenaient  une  assemblée  à  Ti- 
Is'iuen  H  ^  2  .  On  y  renouvela  la  convention  signée  à  Tsien- 
''""  "H  ih-  l'année  précédente;  puis  on  résolut  de  punir  le  prin- 
ce de  Tcheng  j|J$,  qui  persistait  à  reconnaître  le  roi  de  Tch'ou  fê 
pour  son  suzerain. 

Les  commentaires  blâment  cette  réunion:  pareeque  le  minis- 
tre de  l'empereur  et  le  duc  de  Lou  y  traitent  d'égal  à  égal  avec  les 
ministres  des  vassaux.  D'après  les  rites,  ils  ne  pouvaient  agir 
ainsi  :    les    ministres    des    grands    vassaux    étaient    inférieurs    aux 


I      Les  prina  -         I  taient  des  marquis,  en  principe:  mais,  dans   la    pra- 

tique,  ils  se  conduisaient  en  ducs. 

isiuen  lut  li  I'1  noyau  de  Lo-yany  fà  FU  capitale  de  l'empereur: 
celle-ci  était  alors  ;>  -!"  li  au  nord  de  Ho-ncin  fou  \»\  |!j  '['f.  Ho-nan.  'Petit,'  géogr., 
vol.   /.'.  y..  3j)     -     Grande  vol.  ./ • .  /..   10). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    WEN-KONG.  95 

ducs  et  aux  marquis;  ils  étaient  censés  égaux  aux  comtes  (pé  fjfj  , 
vicomtes  (tse  ^p)  et  barons  (nan  jÇ  . 

En  630,  vers  la  cinquième  lune  (mars-avril),  les  troupes  de 
Tsin  envahissaient  le  territoire  de  Tcheng  ftp*,  surtout  pour  exa- 
miner si  l'on  pouvait  marcher  sur  la  capitale  :  ce  n'était  donc  pas 
l'expédition  en  règle,  mais  seulement  les  premières  hostilités. 

Les  Tartares  Ti  fyfc,  voyant  Wen-kong  occupé  à  cette  guerre. 
firent  irruption  dans  le  royaume  de  Ts'i  >)?§ ,  et  y  opérèrent  des 
razzias. 

Nous  n'avons  pas  oublié  l'ancien  marquis  de  Wei  $j  ;  il 
était  toujours  dans  la  prison  impériale:  Wen-kong  n'osait  pres- 
ser son  exécution  ;  il  tenta  de  le  faire  empoisonner,  par  le  moyen 
du  médecin  Yen  fff  :  mais  le  fidèle  Ning  Ou-lse  ^  jÇ  f-  était  !à. 
il  connut  bientôt  le  complot  :  il  offrit  de  riches  cadeaux  à  l'empoi- 
sonneur, afin  qu'il  donnât  une  dose  moins  forte,  et  sauvât  la  vie 
du  prisonnier,  tout  en  obéissant  aux  ordres  reçus. 

Le  duc  de  Lou  -J|.  se  présenta  enfin  comme  intercesseur;  il 
offrit  à  l'empereur  et  à  Wen-kong  dix  paires  de  perles  précieu- 
ses, et  obtint  l'élargissement  du  marquis,  en  automne  de  cette 
même  année.  Rentré  chez  lui,  celui-ci  lit  assassiner  son  fils  et 
successeur  Hiai  泥,  avec  le  ministre  Yuen  Hiuen  7c  pg.  son  an- 
cien accusateur;  puis  il  remonta  sur  le  trône. 

A  la  9 'mr  lune,  au  jour  Kia-OU  ^  ^p  25  juillet),  les  armées 
de  Tsin  ^f  et  de  Ts'in  ^  assiégeaient  la  capitale  de  Tcheng  ï$>: 
la  Lére  campait  au  pied  de  la  colline  Han-ling  \-f'  |||  ;  la  seconde, 
au  sud  de  la  rivière  Fan  ^*     1). 

Le  grand  officier  /  Tche-ou  jfc  £.  JB  conseilla  au  marquis,  son 
maître,  d'envoyer  le  sage  lettré  Tchou  Tche-ou  '{$jj  ;£  jjÇ.  propo- 
ser au  roi  de  Ts'in  fj|  un  traité  de  paix  et  de  soumission,  et  de  le 
séparer  ainsi  des  autres  ligueurs;  le  député  était  habile;  il  réus- 
sit pleinement  dans  sa  mission. 

Le  seigneur  Tse-fan  ^f  ^[J  (ou  Hou  Yen  ^  f||  fut  indigné  de 
cette  mauvaise  foi  :  il  pressait  Wen-kong  de  tourner  ses  armes 
contre  le  roi  de  Ts'in  J|§,  et  de  venger  une  telle  trahison.  Wen- 
kong  n'y  voulut  consentir  à  aucun  prix  :  sans  le  secours  efficace 
de  Mou-kong  ^%  ^V.  lui  dit-il,  jamais  je  ne  serais  parvenu  au 
trône;  oublier  un  tel  bienfait,  serait  n'avoir  point  d'humanité; 
rompre  avec  un  allié,  dans  cette  expédition,  serait  un  manque  de 
prudence;  après  avoir  été  amis  intimes,  en  venir  à  une  guerre 
mutuelle,  serait  un  manque  de  prévoyance  militaire:  il  vaut  mieux 
nous  en  retourner  chez  nous.  Ayant  ainsi  parlé,  il  ramena  son 
armée. 


(1)    La   colline    llan    est   à    13  li  au  nord  do  Sin-tchen  hien   ^  itt  SI-   clu'   C>1 
l'ancienne  capitale  de  la  prini  gr  .  vol.    /-■    p.      -   ■    La    rivière 

i   in  coule  au  sud  de  Tchong-meou  hien  rp  ^r  $,?■  (tlu  est  à  "î  i   l'ouest  de  K'ai- 

fong  fou  H]  %\  tff ,  Ho-nan.    Petite  géogr.,  vol.   is.  p.  ./ 


96  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

A  la  fin  de  cette  même  année  630,  le  duc  de  Lou  ^  envoyait, 
pour  la  première  fois,  un  ambassadeur  à  la  cour  de  Tsin  ;  Wen- 
kong  dut  en  être  flatté  :  car  ce  duché  passait  pour  le  pays  classi- 
que des  rites  et  de  la  vraie  doctrine  des  anciens  sages  :  mais  ce 
voyage  n'était  pas  inspiré  uniquement  par  l'urbanité;  il  avait 
encore  un  autre  motif:  il  s'agissait  de  prendre  possession  d'un 
territoire  concédé  par  Wen-kong,  et  d'en  fixer  les  limites. 

On  se  souvient  qu'en  632  Wen-kong,  s'étant  emparé  des 
états  de  Ts'ao  "^  et  de  Wei  Hj.  s'en  était  servi  pour  faire  des 
largesses  :  dans  la  suite,  il  avait  replacé  les  deux  princes  sur  leur 
tronc:  mais  une  partie  du  pays  de  Ts'ao  devait  être  abandonnée 
au  duc  :  c'est  ce  territoire  dont  il -est  question. 

Divers  auteurs,  tels  que  Kong-yang  Q  =fc,Hou  Ngan-houo  #j 
4%  [^  et  autres,  persuadés  qu'un  prince  modèle,  comme  celui  de 
Lou.  n'aurait  jamais  voulu  s'enrichir  des  dépouilles  d'autrui.  sup- 
posent que  cette  contrée  avait  autrefois  appartenu  au  duc.  et  avait 
été  injustement  ravie  par  le  prince  de  Ts'ao  ;  mais  c'est  une  affir- 
mation dénuée  de  preuves  historiques. 

L'ambassadeur  de  Lou  était  le  seigneur  Tsang  Wen-tchùng 
i^  %  fcfi  :  sur  son  chemin,  il  passa  une  nuit  à  Tchong-koan  jf? 
§£  1  :  les  habitants  de  cette  ville  lui  dirent:  Wen-kong  vient 
d'être  établi  chef  des  vassaux  :  il  se  montrera  certainement  plus 
généreux  envers  ceux  qui  seront  les  plus  empressés  à  lui  rendre 
hommage:  si  vous  ne  vous  hâtez  pas,  vous  arriverez  trop  tard,  et 
vous  n'aurez  rien.  Sur  ce  conseil,  il  fit  grande  diligence,  arriva  à 
point,  et  conclut  heureusement  ses  négociations.  Il  reçut  de  Wen- 
kong  tout  le  territoire  qui  s'étendait  de  Tîzo  $|;  jusqu'à  la  rivière 
Ts'i  ffî    2  . 

Le  duc  de  Lou  fut  si  content  qu'il  députa  un  nouvel  ambas- 
sadeur, le  grand  seigneur  Siang-tchong  §^  fifi ,  rendre  grâces  à 
Wen-kong  :  mais  avant  d'aller  à  la  cour  de  Tsin,  l'envoyé  voulut 
d'abord  saluer  l'empereur;  c'est  pourquoi,  parti  à  la  fin  de  l'année 
630,  il  n'arriva  à  la  capitale  de  Tsin  qu'au  printemps  de  629. 

En  automne  de  cette  même  année  629,  Wen-kong  fit  une 
grande  revue  de  ses  troupes,  à  Ts'ing-yuen  fjif  ^  (3).    Nous  avons 

]      rchong-koan,  ou    TcJiong-hiang  Ui  ffî.    était  à  1 1  li  nord-ouest  de   Yu-tai 
hien    '.¥.  -?  ?f.  qui  est  à    150  li   sud-ouest   de    Ts'i-ning  tcheou   ^f^ttl.    Chan-tong. 
,/-..  vol.   / 

lit  à  -"i0  li  sud-c  u-tclieou  j$|  'i'.  qui  est  à  \20  li  au  nord 

Fs' ao-tcheau  fou  ^  W,   ',':  .  Chan-tong.    11  y  a  aussi  la  rivière   lïao 
(Petite  géogr.,   vol.    io,  />.  31).  —    Grande,  vol.  sj-  p-    iç  ■ 

La  rivière    iVi     voir   Petite  géogr.,   col.  ç.  p.  3  — vol.   /•-.  p.   1-  . — (Grande. 
■    31  >  est  à  .'{h  li  au  nord  de   Ts'ao   hien  ®  5f.   qui   '-si  à    l_'o    li   sud-est 
de  sa  préfecture    IVao-tcheou  fou. 

■  ■■il. la  plaine  est  ,1  20  li  nord-ouestde  Kiang-tchi  1  "han- 

G  '"..  vol.  41.  11.  -4     .  —    Grande  géogr.,  imper.,  vol.   1 


DU   ROYAUME   DE   TSI.V.    WEN-KONG.  97 

dit  précédemment  comment  il  s"était  formé  trois  corps  d"armée, 
appelés  auxiliaires  ;  n'en  ayant  pas  relire  tout  l'avantage  désirable 
il  changea  de  système,  et  divisa  toutes  ses  troupes  en  cinq  corps 
réguliers:  c'est  Tch'ao  Tch'oei  {fr  ^  qui  fut  général  en  chef  des 
deux  nouveaux  corps,  dont  l'objectif  était  surtout  de  s'opposer  aux 
incursions  des  Tartares  Ti  ^. 

En  628,  au  printemps,  le  roi  de  Tch'ou  ^  envoyait  le  grand 
seigneur  Teou-tchavg  |^|  ^,  proposer  à  Wen-kong  uu  traité  de 
paix  ;  car  depuis  la  bataille  de  Tcfl'eng-p'ou  ;J$$f,  les  deux  royau- 
mes n'avaient  plus  eu  de  relations.  Wen-kong  agréa  cette  propo- 
sition ;  il  envoya  le  seigneur  Yang  Tch'ou-fou  $%$&'£.  rendre  la 
visite,  et  régler  cette  affaire. 

A  la  12ème  lune  de  cette  même  année,  mourait  Wen-kong, 
après  un  règne  glorieux  de  huit  ans:  sou  lils.  nommé  Ilonn  J|gf, 
né  de  la  princesse  I'i-hi  ftf,  ^,  lui  succédait  sur  le  trône,  sans 
aucun  trouble  ni  révolution. 

Après  les  cérémonies  d'usage,  on  se  préparait  à  conduire  le 
cercueil  au  temple  de  K'iu-VJO  [Uj  ffi,  (1)  où  se  trouvait  la  nécro- 
pole des  ancêtres  ;  mais  quand  on  eut  quitté  la  capitale  Kiang  $j^, 
il  sortit  du  cercueil  un  bruit  semblable  au  mugissement  d'un  bœuf. 
Le  grand  devin  Yen  fpj  commanda  d'arrêter  le  convoi  :  a  genoux  ! 
dit-il,  adorons  le  défunt!  il  nous  annonce  qu'un  événement  se 
prépare  à  l'occident:  une  guerre  y  est  imminente;  si  nous  fondons 
sur  l'ennemi,  nous  aurons  une  victoire  éclatante. 

<  m  enterra  Wen-kong  à  l'endroit  même  où  Ton  s'était  arrèté(2). 
Cette  fois,  le  commentaire  est  raisonnable  :  selon  lui,  le  devin 
joua  la  comédie;  il  savait  que  le  puissant  royaume  de  Ts'in  .^s  se 
disposait  à  une  expédition  contre  le  pays  de  Tcheng  f$,  et  qu'il 
était  nécessaire  de  s'y  opposer;  mais  il  fallait  préparer  aussi  le 
peuple  de  Tsin  à  engager  une  lutte  redoutable:  le  devin  fut  sans 
doute  payé  pour  entendre  ce  mugissement  et  l'expliquer  dans  le 
sens  voulu  :  car  on  sait  comment  se  rendent  les  oracles.  Ce  fut 
donc  une  simple  comédie. 

Quant  à  Wen-kong,  il  ne  restait  plus  qu'à  envoyer  une  dépu- 
tation,  offrir  des  sacrifices  solennels  au  temple  des  ancêtres,  et 
leur  annoncer  que  leur  illustre  descendant  s'était  choisi  une 
sépulture  à  part. 

Les  historiens  aiment  à  faire  un  parallèle  entre  Wen-kong  et 
Hoan-kong  |â  ^V  roi  de    Ts'i   ^  ;   car   ils    furent   tous   deux  chefs 


(1)  l.o  temple  de  K'iu-wo,  non  la  ville,  était  dans  la  ~"u~  préfecture  de  W 

hi  pif]  3S{-,  qui  est  à  70  li  au  sud  (le  Kiang  irlimu  fà  H\.  Chan-si.   (Annales  du  Chan- 
si,   vol.  ss .  p.   .-    . 

(2)  L.c  tombeau   de  Wen-kong  esl  a  20  li  sud-ouest   de   Kiang  hien  $£  |f.  qui 
est   elle-même  a   100  li  sud-est   de    Kiang  tcheou.      Petite  géogr.,  vol.  S  ■  p.    ■ 

Géogr.,  impér.,  ool,   11S.   p.   6  .    —     Annales  du  Chan-si.  vol.  56,  )> 


98  TEMPS    VU  AIMENT    HISTORIQUES 

des  vassaux,  et  tous  deux  eurent  une  grande  renommée  ;  on  don- 
ne généralement  la  palme  à  Hoan-kong,  comme  plus  accompli, 
plus  généreux,  aux  entreprises  plus  vastes.  On  oublie  qu'il  régna 
quarante-deux  ans  '684-642  .  tandis  que  Wen-kong  fut  seulement 
huit  ans  sur  le  trùne  :  celui-ci.  à  son  avènement,  trouva  son  pays 
en  proie  aux  révolutions  ;  dans  l'espace  de  trois  ans,  il  remettait 
tout  en  ordre,  et  se  plaçait  à  la  tête  des  vassaux,  malgré  la  riva- 
lité de  ses  puissants  voisins,  les  rois  de  TsHn  Jj|  et  de  Tch'ou  ^  : 
à  quel  degré  de  gloire  fût-il  arrivé,  s'il  avait  eu  un  régne  aussi 
long  que  celui  de  Hoan-kong?  Pendant  des  générations,  ses  suc- 
cesseurs demeurèrent  chefs  des  vassaux  ;  au  contraire,  après  la 
mort  de  Hoan-kong.  ses  cinq  fils  se  disputèrent  la  couronne,  exci- 
tèrent les  guerres  civiles,  et  perdirent  la  prééminence  conquise 
par  leur  père. 


99 

SIANG-KONG   (627-621) 

->£*H- 

Lc  nom  historique  du  nouveau  prince  signifie  :  par  la  prati- 
que de  la  vertu  il  agrandit  ses  étal*;  ou  encore  :  il  a  toujours  porté 
le  casque  et  la  cuirasse,  et  ainsi  accumula  de  grands  mérites  mi- 
litaires (1). 

Nous  venons  de  voir  que  Mou-kong  ^  £V ,  ™i  de  Ts'in  U§, 
méditait  une  expédition  contre  la  principauté  de  Tcheng  $j|$,  dont 
il  voulait  s'emparer;  entreprise  odieuse,  puisque  c'était  un  pays 
ami,  et  qu'il  n'y  avait  aucun  prétexte  à  cette  agression;  mais  le 
prince  avait  commis  une  grande  imprudence;  il  avait  confié  la 
garde  de  sa  capitale  à  trois  grands  officiers  de  Ts'in  J^,  véritables 
traîtres  qui  se  préparaient  à  la  livrer  à  leur  maître. 

Mou-kong  avait  envoyé  une  armée,  sous  la  conduite  de  ses 
trois  meilleurs  généraux.  Sur  ce,  le  premier  ministre  Sien  Tclien 
jfc  ^  dit  à  Siang-kong  :  le  roi  de  Ts'in  |§ê  n'a  pas  écouté  les  avis 
de  son  bon  conseiller  Kien-chou  ïfjï  îj5  ;  insatiable  de  conquêtes, 
il  écrase  son  peuple;  il  sera  pris  dans  son  propre  piège;  c'est  le 
ciel  qui  nous  fournit  cette  occasion,  ne  la  laissons  pas  échapper; 
sinon  il  nous  arrivera  malheur. 

Le  seigneur  Loan  Tche  ff§  ££  répliqua  :  nous  n'avons  pas 
encore  montré  de  reconnaissance  envers  Mou-kong,  et  nous  irions 
l'attaquer!  Serait-ce  parce  que  notre  défunt  souverain,  qui  a  reçu 
ses  bienfaits,  n'est  plus  là  pour  protester  contre  nous? 

Sien  Tchen  reprit:  Mou-kong  se  moque  des  «rites»;  sans 
égard  pour  notre  deuil  national,  il  attaque  un  prince  de  notre  clan 
Ki  $£  :  et  nous  songerions  à  lui  faire  du  bien!  les  anciens  nous 
ont  enseigné  que  quiconque  laisse  échapper  un  ennemi,  subira  des 
calamités  pendant  des  générations;  si  nous  entreprenons  cette 
guerre,  c'est  en  vue  de  nos  fils  et  de  nos  petits-fils;  nullement 
par  oubli  des  bienfaits  reçus. 

L'avis  du  premier  ministre  prévalut,  et  la  campagne  fut  dé- 
cidée; bientôt  l'armée  était  en  marche;  Siang-kong  voulait  se 
mettre  à  la  tête  de  ses  troupes;  il  ne  le  pouvait  avec  des  vêtements 
de  deuil;  c'eût  été  de  mauvais  présage;  il  les  fit  teindre  en  noir, 
et  tout  fut  sauvé.  C'est  depuis  cet  événement  que  la  couleur  noire 
passa  en  usage  pour  le  deuil  dans  le  pays  de  Tsin  2  .  Sur  son 
char,  Siang-kong  avait  pour  conducteur  le  seigneur  Liang-liong 
||£  g£;  pour  lancier,  le  seigneur  Lai  Kiu  ^  jpij. 

(1)  Texte  des  deux  explications  :  J^  Jfi  fi  g||  B  M 

(2)  La  matière  des  vêtements  resta  la  même:  robe,  ceinture, bonnet,  tout  était 
en  chanvre  grossier. 


1  00  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

En  été.  à  la  4ême  lune,  au  jour  nommé  sin-se  ^  g,,  on 
battit  l'armée  de  Ts'in  |J$  dans  le  défilé  de  Fliao  fj£  1  ;  ce  fut 
une  vraie  boucherie:  personne  ne  put  échapper:  les  trois  généraux 
furent  faits  prisonniers:  c'étaient  Mong-ming  Clie  jg  HJ]  fiM-  ^s 
du  fameux  sage  Pè-liHi  UiJIJ^-  Pu's  Si-k'i  Chou  ïfë^ffîh  enfin 
Pê-i  Ping   ÉI  £<  f^j  :  ils  furent  conduits  en  trophée  à  la  capitale. 

Les  vêtements  noirs  de  deuil  ayant  porté  si  bonne  chance, 
Siang-kong  les  garda  pour  l'enterrement  de  Wen-kong  3$C  £*, 
qu'il  accomplit  aussitôt  après  l'expédition. 

Cependant,  Wen-ing  5t  jffji.  veuve  de  Wen-kong  ^  ^,  et 
fille  de  Mou-kong,  réclama  pour  elle  les  trois  prisonniers:  ces 
trois  hommes,  disait-elle,  ont  été  la  cause  de  cette  guerre  :  si  mon 
humble  père  pouvait  les  avoir  entre  les  mains,  il  les  mangerait 
vivants,  sans  pouvoir  apaiser  sa  colère  :  que  votre  Majesté  me 
permette  de  les  lui  envoyer,  afin  qu'il  ait  le  plaisir  de  les  exter- 
miner :  je  demande  cette  grâce  en  son  nom. 

Siang-kong  accéda  volontiers  au  désir  de  la  princesse.  Le 
lendemain  matin,  le  premier  ministre  Sien  Tchen  ^  jj£  s'étant 
rendu  à  la  cour,  apprit  cette  nouvelle  et  en  fut  furieux.  Nous 
autres,  dit-il  à  Siang-kong,  nous  avons  exposé  nos  vies  pour  cap- 
turer ces  trois  généraux  :  et  voilà  qu'une  femmelette  les  renvoie 
dans  leur  pays  !  c'est  donc  en  vain  que  nous  avons  perdu  nos 
soldats  et  nos  armes?  nous  n'avons  tant  lutté  que  pour  fortifier 
un  rival,  un  ennemi?  notre  perte  n'est  pas  éloignée! 

En    parlant   ainsi,  le  ministre  n'avait  pas  même   daigné  jeter 

les    yeux    sur    le    prince;    il    expectora     un     gros    crachat le 

lança  à  terre et  se  retira. 

Siang-kong  sentit  vivement  cette  injure,  mais  il  n'en  tira  pas 
vengeance  ;  il  comprit  sa  faute  et  envoya  de  suite  son  conseiller,  le 
sage  Yang  Tch'ou-fou   $fe  J[||  3C    -  -à  la  poursuite  des  prisonniers. 

Arrivé  au  bord  du  Fleuve  Jaune,  celui-ci  les  aperçut  dans  une 
barque,  déjà  assez  éloignée  du  rivage  ;  il  s'empressa  de  dételer 
son  cheval  de  gauche,  et  de  crier  à  Mong-ming  Clie  jf£  \\)\  |^  qu'il 
venait  le  lui  offrir,  de  la  part  de  son  maître. 

Ee  général  comprit  son  intention,  et  se  garda  bien  de  reve- 
nir; de  sa  barque,  il  fit  les  prostrations  d'usage,  pour  remercier 
d'un  cadeau,   puis  il  s'écria:    bien    grand   est   le    bienfait   de    votre 

(1)  Les  deux  montagnes  Iliao  écrites  aussi  3j|  .  qui  forment  ce  défilé,  sont  à 
bO  li  de  Yong-ning  hien  %x.  ^  |£,  dans  la  préfecture  de  Ho-nan  f<nt  jëf  Ïf]  rf'f.  Ilo- 
nan.  Le  torrent  II  .;  -  tussi  par  ce  défilé,  <pii  était  autrefois  bien  plus 
étroit;  on  l'a  élargi. f Petite  géogr.,  ml.  //.  p.  j — col.  12, i>.  .-,-  Grande  ;/nif/i-.. 
vol.   48,  p.  3ç). 

(2)  Le  tombeau  de  Yang  rch'ou-fou  est  un  peu  au  nord-ouest  de  Houo-choen 
fou  fU  i,u  |£,  .1  90  li  au  nord  de  Liao  tcheou  ï&  JW.  Chan-si.  (Géogr.,  impér.,  vol 
121.  }i.   s)-   Le  tombeau  de  Sien  Tchen  est  à  2  li  au  sud  de  Liao  tcheou.     ibid  . 


DU    ROYAUME  DE   TSLW    StANG-KONG.  101 

illustre  souverain;  il  aurait  dû  me  tuer,  employer  mon  sang  pour 
en  frotter  ses  tambours  de  guerre;  il  m'envoie  mourir  dans  ma 
patrie;  si  notre  humble  roi  juge  à  propos  de  me  tuer,  même  en 
mourant,  je  serai  reconnaissant  de  votre  bonté;  si  sa  générosité 
égale  celle  de  votre  prince,  et  daigne  me  pardonner,  dans  trois  ans 
je  reviendrai  vous  apporter  mes  remercîments     1  . 

Mou-kong  avait  perdu  son  armée,  il  ne  voulut  pas  perdre 
encore  ses  trois  généraux  ;  loin  de  les  mettre  à  mort,  il  leur  lit 
une  réception  solennelle;  il  reconnut  ses  torts,  et  lit  amende 
honorable  à   Kien-chou  $£  ;^,  dont  il  avait  méprisé  les   conseils. 

Désormais,  entre  les  deux  pays  de  Ts'in  g|s-  et  de  Tsin  ^ 
l'inimitié  devint  incurable;  ce  fut  une  haine  nationale;  il  s'en- 
suivit une  série  de  guerres  pendant  soixante-douze  ans,  comme 
nous  aurons  à  le  raconter;  le  premier  en  sera  agrandi  et  fortifié, 
le  second  affaibli. 

Pour  cette  expédition,  Siang-kong  avait  appelé  comme  auxi- 
liaires les  Tartares  Kiang  Jong  ^  fj£,  qui  lui  furent  d'un  grand 
secours.  Les  Tartares  Ti  J/ç,  ou  Pé  Ti  [^j  /';,  c'est-à-dire  les  Tar- 
tares blancs,  profitèrent  de  la  circonstance,  pour  attaquer  les  pays 
de  Tsin  ^  et  de  Ts'i  ^  ;  leur  armée  s'avança  jusqu'à  la  ville  de 
Ki  ^  (2),  ce  fut  pour  son  malheur. 

Siang-kong  vint  à  la  tète  de  ses  troupes,  et  livra  bataille  ; 
c'était  à  la  S'111'  lune,  au  jour  nommé  ou-lse  rj£  ^f-  Le  premier 
ministre  Sien  Tchen  ^  jjȣ  se  souvenant  de  l'injure  qu'il  avait 
faite  à  son  maître,  s'écria  :  Mon  souverain  m'a  pardonné  mon 
offense;  mais  moi,  je  veux  aujourd'hui  le  venger!  Sur  ce,  il  ôta 
son  casque,  se  jeta  oii  la  mêlée  était  la  plus  ardente,  et  y  périt  en 
héros;  les  Tartares  complètement  battus  s'enfuirent  en  désordre. 
emportant  sa  tète,  comme  un  magnifique  trophée  •'■'>  . 


(1)  La  réponse  du  fuyard  est  un    chef-d'œuvre  de   fine    malice;    elle    esl 

nue  de  tous  les  lettrés,  qui  la  récitent  par  cœur;  elle   est   traduite    par  Zottoli.    vol. 
IV,  p.  39. 

(2)  Ki  i£.  <;tait  a  35  li  a  l'est  de  T'ai^kou  hien  js.  ^f  If,  qui  est  à  120  H 
sud-est  de  sa  préfecture  T'ai-yuen  fou  jk  /f?  Jf-f.  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  8. 
p.   4)   —   {Grande,    roi.    40.  j).    14   . 

(3)  Les  Tartares  Kiang  Jong  ^fe -fc  on  écrit  an^si  fè  l'i.  ■  Leurs  princes 
étaient  les  descendants  du  marnais  officier  Kong-kong  ^  T.,  exilé  par  l'empereur 
Clinon  $$  dans  le  nord-ouest  de  la  province  du  Chen-si  %  lÎ! .  région  qui  es(  actuel- 
lement dans  la  province  du  Kan-sou  11"  jjjilf.  Ces  peuplades  occupèrent  d'abord  le 
pays  appelé  autrefois  Koa-tcheou  Ht  'H',  célèbre  pour  ses  produits  cucurbitacës  ; 
c'est    maintenant    le    territoire    de    Toen-hoang    hien    ?t  $?.  $£.    dans    la    pr 

de    Ngan-si    tcheoit     '-te.  i'_y  'M-     Elles    furent    très    puissantes,    au    huitième 
avant  J.-C.  ;  car.  en  789,  elles  battirent  les  troupes  de  L'empereur  Siuen  V?  à    Tslien- 
meou  -f~  jS$.  envahirent  les  régions  chinoises,   et  vinrent  s'établir  non  loin  de  la  ca- 
pitale  impériale    Hao  £ft,    qui  était  à  l'ouest  de  Si-ngan  fou  fl  5t  f,  au  sud-ouest 


)02  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

Cependant,  leur  propre  chef  était  au  pouvoir  de  Siang-kong  ; 
c'est  K'i  K'iuè  £1$  $&,  fils  du  seigneur  K'i  Joei,  qui  avait  eu  l'in- 
signe honneur  de  faire  cette  capture.  Le  lecteur  n'a  pas  oublié  les 
faits  et  gestes  de  ce  seigneur  K'i  Joei  £|$  p£j  ;  comment  il  s'était 
opposé  à  l'avènement  de  Wen-kong  "£  &  5  comment,  n'ayant  pu 
l'empêcher  de  monter  sur  le  trône,  il  avait  essayé  de  le  brùler 
dans  le  palais  ;  comment  son  complot  avait  échoué  ;  comment  il 
avait  été  mis  à  mort  par  Mou-kong  ^%  fe  roi  de  Ts'in  Jfc  sur  les 
bords  du  Fleuve  Jaune.  A  la  bataille  de  Ki,  son  fils  était  un  des 
officiers  supérieurs  du  troisième  corps  d'armée;  voici  ce  que  l'his- 
torien raconte  à   son  sujet. 

En  punition  des  forfaits  de  K'i  Joei,  "Wen-kong  s'était  anne- 
xé son  fief  Ki  H  (1),  et  avait  ainsi  réduit  tous  les  membres  de  la 
famille  à  l'état  de  simples  particuliers.  K'i  K'iué  se  mit  à  cultiver 
la  terre,  comme  un  humble  paysan.  Un  jour,  le  seigneur  Siu-tch'on 
^  [£,  possesseur  du  fief  K'ieou  £}>  ce  même  personnage  qui  en- 
gagea la  grande  bataille  de  Tch'eng-pou  jfâ  jff|,  passa,  au  retour 
d'une  ambassade,  par  le  territoire  de  Ki  ^S  ;  là,  il  aperçut  K'i 
K'iué,  en  train  de  sarcler  ses  champs,  et  sa  femme  qui  lui  appor- 
tait son  modeste  repas  ;  il  fut  profondément  touché  du  respect 
mutuel  des  deux  époux,  se  traitant  comme  des   hôtes;    il  emmena 


de  la  province  du  Chen-si.  Ne  pouvant  se  débarrasser  de  ces  voisins  mal  commodes, 
on  fit  la  paix  avec  eux,  et  on  leur  donna  la  mission  de  protéger  la  frontière  de  ce 
côté.  Tant  que  l'empereur  l'ut  capable  de  les  tenir  en  respect,  ces  tribus  demeurè- 
rent assez  tranquilles;  le  voyant  s'affaiblir  de  jour  en  jour,  elles  se  répandirent  en 
plusieurs  directions,  à  travers  les  états  chinois.  L'empereur  P'ing  -^  pria  le  roi  de 
Ts'in  §{|  de  le  délivrer  de  ces  envahisseurs;  et  pour  récompense,  il  lui  donna  le  fief 
de  Ki-si  JË£  îîî,  c'est-à-dire  le  sud  même  de  la  province  du  Chen-si.  C'était  en  770. 
Les  Kiang  Jong  furent  donc  refoulés  jusque  dans  leur  ancien  territoire  de  Kouo- 
tcheou.  C'est  Hoei-kong  î$&  &.  prince  de  Tsin  f=f  (050-637),  qui  leur  permit  de 
venir  s'établir  au  sud  de  son  pavs  ;  ils  s'y  étendirent  peu  à  peu  jusqu'à  l'ouest;  et 
cela,  sans  inconvénient,  car  ils  demeuraient  fidèles,  et  ne  cherchaient  pas  la  protec- 
tion d'un  autre  prince.    Nous  venons  de  les  voir  se  conduire  en  utiles  auxiliaires. 

Outre  les  Kiang  Jong,  le  pays  de  Tsin  f?  était  en  relations,  et  quelquefois 
en  guerre,  avec  d'autres  Tartares ;  à  savoir  :  à  l'ouest,  mais  dans  le  Chen-si,  donc 
en  dehors  de  ses  frontières,  les  Li  Jnng  Wr-fà  —  a  l'est,  les  Ts'ao  tchony  tche  Jong 
j£  't1  %.  z5,  ou  habitants  des  broussailles  —  au  nord,  les  Ou  tchony  $$  Vî  appelés 
aussi  Chan  Jong  [\\  ^,  peuplade  assez  puissante,  dont  le  chef  était  un  vicomte 
tse  -f -,  ;  ils  habitaient  les  montagnes.  (Petite  géogr.,  vol.  15.  p.  41^  —  (Grande. 
vol.  64.  p.  22)  —  (Hoang-ts'ing  King-kiai  j|:  jfif  $1  M  vol.  9-22.  p,  64). 

(1)  L'ancienne  ville  de  Ki  M<  était  à  l'est  de  Ilo-tsin  hien  fiT  î1*  If,  qui  est 
à  200  li  à  l'ouest  de  Kiang  tchcou  fâ  '}\] ,  Chan-si.  [Petite  géogr.,  vol.  S,  p.  44)  — 
(Grande,  vol.  41,  p.   27). 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    SIANG-KONG.  103 

K'i  K'iué  à  la  capitale,  et  raconta  à  Wen-kong  la  scène  dont  il 
avait  été  témoin  : 

Le  respect,  dit-il.  est  le  principe  de  toutes  les  vertus  :  quicon- 
que l'observe  à  un  tel  degré,  est  capable  de  gouverner  le  peuple;  je 
vous  demande  un  office  pour  cet  homme,  il  en  est  digne.  —  Mais, 
répondit  le  prince,  oubliez- vous  quels  crimes  a  commis  son  père? 

Je  le  sais,  répliqua  le  seigneur;  mais  je  sais  aussi  que  le 
"saint  empereur'^  Choen  j££,  après  avoir  mis  à  mort  A'oen  $P£,  à 
cause  de  ses  forfaits,  s'aperçut  que  son  fils  Yu  ^  était  un  hom- 
me de  mérite;  il  l'éleva  jusqu'à  en  faire  son  successeur.  Koan 
Tchong  ^  ftj».  sur  le  champ  de  bataille,  n'avait-il  pas  blessé 
Honn-kong  ;jg  ^  roi  de  TsH  ^  ?  il  fut  cependant  élevé  par  lui  à 
la  dignité  de  premier  ministre,  et  rendit  d'insignes  services  à  ce 
royaume.  Le  livre  des  Annales  nous  donne  cet  avis  1  :  Si  un 
père  n'a  pas  d'amour  pour  ses  enfants,  si  le  fils  n'a  pas  de  piété 
envers  ses  parents,  si  le  frère  aîné  n'a  pas  d'humanité  envers  son 
cadet,  si  celui-ci  n'a  pas  de  respect  pour  son  aîné,  chacun  portera 
le  châtiment  de  sa  faute,  mais  elle  ne  pourra  être  imputée  qu'à 
lui,  non  à  un  autre.  Le  livre  des  Vers  nous  dit:  On  ne  rejette 
pas  un  navet,  ou  un  radis,  parce  que  la  tige  est  gâtée  (2).  —  Que 
votre  Majesté  ait  égard  aux  éminentes  qualités  du  fils,  sans  tenir 
compte  du  père. 

Persuadé  par  ce  bon  conseil,  Wen-kong  avait  accepté  Ki 
K'iué.  et  l'avait  établi  irrand  officier  dans  son  troisième  corps 
d'armée.  Après  sa  rentrée  triomphale,  Siang-kong  voulut  le  ré- 
compenser, pour  la  capture  du  chef  tartare  ;  il  lui  rendit  le  fief 
paternel  de  Ki  ^  ;  de  plus  il  l'éleva  à  la  dignité  de  ministre 
[King  $|~,  sans  lui  en  donner  cependant  la  charge,  ni  les  vête- 
ments,  ni  le  char,  c'était  réservé  pour  de  nouveaux  mérites. 

Le  seigneur  Siu-tch'en  ^  [5  fut  aussi  récompensé,  pour  avoir 
su  discerner  et  proposer  un  homme  de  telle  valeur;  il  reçut  le  fief 
devenu  libre  par  la  mort  du  seigneur  Sien-mao  5fe  ^  •  mais  il  ne 
reçut  que  les  vêtements  de  sa  nouvelle  dignité,  sans  le  char  ni 
l'office;  le  reste  devait  lui  être  accordé  après  de  nouveaux  services, 
selon  l'usage  des  promotions. 

Siang-kong  ne  pouvait  oublier  la  belle  conduite,  et  la  mort 
héroïque  de  son  premier  ministre  Sien  Tchen  $ç  $£  ;  il  donna  le 
commandement  du  premier  corps  d'armée  à  son  fils  Sien  Tsiu-kiu 

En  hiver,  c'est-à-dire  vers  la  fin  de  cette  même  année  627, 
Siang-kong,  aidé  des  princes  de  Tch'en  ^  et  de  Tcheng  ffl$, 
attaquait   le   pays   de  Hiu  pf-.    qui   méconnaissait  son   autorité,    et 

(1)  Chou-kinir,  K'cmrj-kao  ^  fft.  Voyez  Zottoli.  III.  j,  ;}i  .  —  Couvreur. 
p.   240,  n°  16).    La  citation  n'est  pas  littorale  :    il  n'y  a  que  If  ~en>  en  résumé. 

(2)  (Zottoli.   III,  p.   2ço,  ode  jjeme.  n°   r).    —     Couvreur,  y,.   40.    n"   1   . 


104  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

s'obstinait    à   la   remorque    du   roi    de    Tcli'ou  ^.      Celui-ci,    pour 

dégager  son  protégé,  envoya  son  premier  ministre  Teou-pouo  ffîêf)) 

ou  Tse-chang  ^  _h  .  envahir  les  états  de    Tch'en   f^î  et   de  Ts'ai 

^:  lesquels  s  empressèrent  de  signer  un  traité  de  paix  et  d"alliance. 

Après  ce  premier  et  facile  succès.  Teou-pouo  passa  au  pays  de 
Tchcng  fjft;  il  voulait  détrôner  le  prince  Mou-kong  @  fè .  et  met- 
tre à  sa  place  le  prince  Hiai  îg  :  malheureusement,  pendant  un 
combat,  livré  à  la  porte  méridionale  Ki-tche  men  j^f  !>\-  P1]  de  la 
capitale,  le  char  du  prétendant  se  renversa,  et  tomba  dans  la  mare 
de  la  famille  Tcheou  fê]  :  un  esclave  ou  servant  inférieur  à  tète 
rasée  .  nommé  T'oen  u*f.  l'aperçut,  le  tua.  lui  coupa  la  tète,  et 
l'apporta  à  son  maître  (1).  Wen-fou-jen  ^C  ^c  A  .  princesse  dou- 
airière, veuve  du  souverain  précédent,  et  mère  de  Hiai.  recueillit 
le  cadavre  et  l'ensevelit  honorablement.  Quant  à  Teou-pouo,  ayant 
perdu  son  protégé,  il  n'avait  plus  qu'à  reprendre  le  chemin  de 
Tch'ou;  c'est  ce  qu'il  fit.  Mou-kong  resta  paisible  possesseur  de 
son  trône,  sous  la  suzeraineté  de  Siang-kong  ;  car  nous  allons 
bientôt  le  retrouver  à  ses  côtés,  dans  les  guerres  suivantes,  comme 
le  prince  de  Tch'en  ^. 

Avant  tout  autre.  Siang-kong  voulut  punir  le  prince  de  Ts'ai 
àg  d'avoir  si  facilement  fait  défection;  Yang  Tch'ou-fou  [ÎJ|  jH  3Ê 
conduisit  une  armée  contre  lui  :  mais  Teou-pouo  p^  ^J  [ou Tse-chang 
■^  J^  en  amena  une  autre  à  son  secours.  Les  deux  généraux 
campèrent  chacun  d'un  côté  de  la  rivière  Tche  ;'r]£  ou  Ti  2  . 
sans  oser  la  traverser,  ni  l'un  ni  l'autre.  Ennuyé  de  cette  situation 
ridicule.  Yang  Tch'ou-fou,  le  fin  lettré,  prit  son  pinceau  et  écrivit 
à  Teou-pouo  le  message  suivant  : 

Un  homme  d'honneur  ne  manque  pas  à  sa  parole:  un  hom- 
me de  cœur  ne  fuit  pas  devant  l'ennemi,  Ceci  posé,  si  votre  sei- 
gneurie veut  livrer  bataille,  je  me  retirerai  à  une  journée  de  dis- 
tance, pour  vous  laisser  passer  la  rivière  et  ranger  vos  gens,  un 
peu  plus  tôt,  un  peu  plus  tard,  comme  il  vous  plaira.  Si  vous  le 
préférez,  laissez-nous  passer  de  l'autre  côté  ;  nos  troupes  ne  peuvent 
se  morfondre  ici,  avec  de  grandes  dépenses,  et  sans  résultat." 

Yang  Tch'ou-fou  ayant  envoyé  ce  cartel  fit  atteler  son  char,  et 
«se  rendit  au  bord  de  la  rivière  pour  attendre  la  réponse. 

i  lU-pouo,  piqué  d'honneur,  voulait  traverser  la  rivière,  le 
seigneur  Ta-suen-pé  ~fc  ?■£  f r-1  l'en  dissuada:  les  gens  de  Tsin. 
dit-il,  n'ont  ni  foi  ni  loi  ;  quand  la  moitié  de  notre  armée  sera 
rendue  à  l'autre  bord,  ils  se  jetteront  sur  elle;  laissons- les  venir 
ici,  c'est  plu-  sur. 

1  Le  prince  de  Tchena:  ;  celui-ci  était  le  frère,  ou  tout  au  moins  le  demi-frère 
du  prince  Hiai. 

rche,  qu'on  écrit  aussi  i!]fj.  Cette  rivière  est  à  un  li  au  nord  de  Che  hien  f$J 
H.  qui  est  à    120    li    au   n  préfecture   Nan-yang    fou    [f]  r";  rff.    Ho-nan. 

géogr.,  vol.   12.   p.   48    —    Grande,  vol.  51,  p. 


DU   ROYAUME  DE  TSIN.    SIANG-KONG.  105 

L'armée  de  Tch'ou  se  retira  donc  à  une  journée  de  distance. 
A  cette  vue,  Yang  Tch'ou-fou,  l'invincible  lettré,  se  trouva  pris 
dans  son  propre  piège  ;  il  s'écria  :  ô  les  lâches  !  ils  sont  partis  ! 
Là-dessus,  il  ramena  ses  troupes  dans  leurs  foyers  ;  et  Teou-pouo 
en  fit  autant  ;  l'expédition  avait  tourné  en  comédie. 

La  dernière  année  de  Wen-kong  %  ^,  tous  les  princes  vas- 
saux étaient  venus  le  saluer, excepté  le  marquis  de  Wei  fëj,  Tch'eng- 
hong  Jjj£  ^  (634-600)  ;  il  avait  même  envoyé  le  grand  officier 
K'ong-ta  ^rL  jÉ  envahir  le  pays  de  Tcheng  f$;  son  armée  avait 
attaqué  les  deux  villes  de  Mien-tse  !^  #  et  de  K'oang  |£  (1). 

Siang-kong  était  trop  occupé  ailleurs,  pour  penser  à  venger 
cette  injure.  Mais  en  626,  après  avoir  offert  un  sacrifice  solennel 
aux  mânes  de  son  père,  il  convoqua  les  vassaux  ses  amis  pour 
une  expédition  contre  le  pays  de  Wei.  Déjà  son  armée  était  par- 
venue à  Na.n-ya.ng  ~\fâ  |^,  quand  le  généralissime  Sien  Tsiu-kiu 
fâ  Q  ^jy  lui  fit  la  remontrance  suivante  :  Vous  voulez  punir  le 
marquis  de  Wei,  parce  qu'il  a  manqué  d'égards  envers  votre  père; 
et  vous-même,  vous  commettez  pareille  faute  envers  l'empereur; 
allez  donc  de  ce  pas  le  saluer,  pendant  que  nous  poursuivrons  la 
campagne.  Siang-kong  partit  sur-le-champ,  et  alla  offrir  ses  hom- 
mages à  l'empereur,  dans  la  ville  de  Wen  jjj^  (2). 

Sien  Tsiu-kiu  et  son  collègue  Siu-tch  'en  fë  g  arrivaient  bien- 
tôt devant  la  ville  de  Ts'i  j$  (3);  le  1er  jour  de  la  5ème  lune,  ils 
en  commençaient  le  siège;  à  la  6ème  lune,  au  jour  meou-siu  rj£  Jf£, 
ils  en  étaient  maîtres,  et  faisaient  prisonnier  le  grand  officier 
Suen  Tchao-tse  fâ  |jg  ^F- 

Le  marquis  de  Wei  envoya,  en  toute  hâte,  un  message  au 
prince  de  Tch'en  ffi,  lui  demandant  du  secours.  Celui-ci  lui  ré- 
pondit :  jetez-vous  sur  le  pays  de  Tsin  ^;  alors  je  pourrai  m'in- 
terposer  pour  obtenir  un  traité  de  paix.  Le  marquis  envoya  aussi- 
tôt le  grand  officier  K'ong-ta  ^L  jÊji  envahir  le  pays  de  Tsin  ;  après 
quoi,  le  prince  de  Tch'en,  nommé  Kong  :ffc,  offrit  sa  médiation. 
Mais  les  pourparlers  durèrent  assez  longtemps  ;  dans  l'intervalle, 
Siang-kong  faisait  fixer  les  limites  du  territoire  de  Ts'i  qui  devait 
rester  en  son  pouvoir;  on  lui  livra  encore  le  grand  officier  K'ong- 

(1)  K'oanjr,  était  au  nord-est  de  Wei-tch1, oan  hien  ïff  Jl|  !Ç.f  •  qui  est  à  50  li 
sud-ouest  de  sa  préfecture  K'ai-fong  /'ou  lffi\  %j  #f,  Ho-nan.  {Petite  yéogr.,  vol.  iz. 
p.  4)   —   (Grande,   vol.  47.  p.   22). 

Mien-tse  On  ignore  où  était  cette  ville  ;  elle  ne  devait  pas  être  bien  loin  de 
K'oanpr. 

(2)  Wen  était  à  30  li  sud-ouest  de  Wen  hieri  iU.  SI.  9ui  est  à  50  li  sud-est 
de  sa  préfecture  Hoai-h'ing  fou  1$  S  fêf  Ho-nan.  (Petite  géogr.,  vol.  12  p.  2çï  — 
(Grande  yéogr.,   vol.  4g  p.   15). 

(3)  Ts'i    était  à    7  li  au    nord   de   K'ai-tcheou  F»3  #!.    Iehe-li.     Petite   géogr., 

vol.  2,  p,  J4)  —  (Grande,  vol.   16,  p.  36.) 

14 


106  TEMPS    VKAIMIKT   HISTORIQUES 

ta,  comme  s'il  eût  été  le  seul  auteur  de  toute  cette  querelle;   enfin. 
Tannée  suivante  seulement,  on  signait  la  paix. 

L'historien  nous  fait  remarquer  que  le  conseil  du  prince  de 
Tch'en  |5ff[  avait  été  conforme  aux  rites;  les  anciens,  dit-il,  pas- 
saient sur  le  territoire  ennemi,  pour  pouvoir  traiter  honorablement 
de  la  paix.  C'était  parfait,  sans  doute,  mais  souvent  impossible. 
Avant  de  raconter  la  campagne  qui  va  suivre,  revenons  un 
instant  sur  nos  pas.  A  la  victoire  de  Hiao  $£, le  char  de  Siang-kong 
était  conduit  par  le  seigneur  Liang-hong  |j£  |//..et  son  lancier  était 
le  seigneur  Lai  Kiu  ^  ,!§{},  comme  nous  lavons  dit.  Le  lendemain 
de  la  bataille,  Siang-kong  ayant  fait  lier  un  prisonnier,  ordonna  à 
Lai  Kiu  de  le  percer  de  sa  lance;  mais  le  malheureux  captif  avait 
poussé  de  tels  cris  que  Lai  Kiu  avait,  de  frayeur,  laissé  tomber  son 
arme  à  terre.  Le  seigneur  Lang-chên  $|  0jf,  qui  était  présent. 
l'avait  ramassée  vivement,  avait  transpercé  le  prisonnier,  lui  avait 
de  plus  coupé  l'oreille  gauche,  et,  en  récompense  de  sa  prouesse, 
avait  été  nommé  lancier  du  prince,  à  la  place  de  Lai  Kiu. 

A  son  tour,  Lang-chen.  à  la  bataille  de  Ki  46, avait  été  dégradé 
par  le  généralissime  Sien  Tclien  jfc  jf£.  et  remplacé  par  Souo 
Kien-pè  $|f  ^f)  f^.  Lang-chen  était  furieux  de  ce  déshonneur;  un 
ami  lui  demanda  :  X'allez-vous  pas  vous  suicider"?  —  .le  n"ai  pas 
encore  trouvé  le  moment  favorable  pour  mourir.  —  Alors,  allons 
ensemble  exécuter  un  grand  coup  assassiner  le  généralissime  .  — 
Jamais!  Les  annales  de  la  dynastie  Tcheou  J§)  nous  donnent  cet 
avis  :  un  sicaire  qui  s'attaque  à  ses  supérieurs,  n'aura  pas  place 
dans  le  temple  des  ancêtres  où  l'on  inscrit  les  hauts  faits  des 
membres  de  la  famille)  ;  car  quiconque  meurt  en  perpétrant  un 
crime,  n'est  pas  un  vrai  brave;  celui  qui  meurt  pour  le  bien  public, 
voilà  le  vrai  brave!  C'est  pour  un  acte  de  courage  que  j'avais  reçu 
le  poste  de  lancier  du  prince  ;  c'est  pour  avoir  manqué  de  bravoure 
que  je  l'ai  perdu;  si  j'accusais  mes  supérieurs  d'avoir  méconnu 
ma  valeur,  tout  en  perpétrant  un  forfait  digne  de  dégradation,  je 
prouverais  qu'ils  ne  me  connaissaient  que  trop  bien.  Ayons  donc 
un  peu  de  patience,  cher  ami  ! 

Venons  maintenant  à  la  bataille  annoncée.  En  625,  Mtmg- 
ming  Che  jg  fîfl  ^.  généralissime  de  Ts'in  |j|,  amenait  une  armée 
venger  le  désastre  de  Hiao  ffi,  comme  il  l'avait  annoncé  dans  sa 
réponse  à  Yang  Tch'ou-fou  j§j  Jift  %£.  Les  troupes  de  T*in  f| 
allèrent  à  sa  rencontre;  le  généralissime  était  SienTsiu-hiu  $ç  J=L 
fê,  avec  Tchao  Tch'oei  ^g  ^  pour  adjudant:  sur  son  char.il  avait 
Wang  Koan-ou  ~£  fê  M  pour  conducteur,  et  Hou  Kiuo-kiu  $& 
^J  JiÊ  pour  lancier. 

A  la  2ème  lune,  au  jour  hia-l<e  t$  ^,  les  deux  armées  étaient 
rangées    en    bataille    à   P'ong-ya  0  ^j    1   ;    c'est  alors   que  notre 

(1)  I>-on2-va,  était  à  tiO  li  nord-est  de  Pé-choei  hien  Ô  ?K  M-  qui  est  à  120  li 
nord-ouest  de  sa  préfecture  T'ony-tcheou  fou  |pj  M\  M.  Chen-si.  Petite  géogr.,vol. 
14,  p.   20)  —    'Grande,   vol  54,  p.   27). 


DU    ROYAUME   DE   TSIX.    SIANG-KONG.  107 

Lang-chen  !fj|  §j|  exécuta  son  projet:  quand  le  combat  fut  engagé, 
il  se  jeta  comme  un  lion  sur  les  ennemis,  et  y  trouva  une  mort 
glorieuse;  ses  gens  lavaient  suivi,  et.  dans  leur  élan,  avaient 
entraîné  le  reste  de  l'armée;  la  victoire  fut  éclatante;  les  troupes 
de  Mong-mingChe  reprirent  à  la  débandade  le  chemin  de  leur  pays. 
Cette  bataille  fut  appelée  la  journée  des  remercîments  'le  7ViY/3|§. 

Sur  quoi  l'historien  fait  les  réflexions  suivantes:  tout  sage 
lettré  remarquera  que  ce  Lang-chen  §g  §f[  fut  un  homme  supérieur; 
car  le  livre  des  Vers  nous  dit  :  l'homme  éminent  fait  éclater  sa  co- 
lère, et  les  troubles  sont  bientôt  comprimés;  ailleurs  il  dit  encore  : 
l'empereur  Wen  Wang  3ÔC  rE>  dans  son  courroux  plein  de  majesté, 
rassembla  ses  légions  pour  arrêter  la  marche  de  l'ennemi  (1). 
Lang-chen,  dans  sa  colère,  ne  suscita  pas  de  troubles,  mais  il  se 
livra  tout  entier,  jusqu'à  la  mort,  pour  le  service  de  son  pays: 
voilà  pourquoi  il  mérite  d'être  appelé  un  homme  supérieur. 

Malgré  sa  nouvelle  défaite.  Moag-rning  Che  jg  HT]  ijij£  fut  con- 
servé à  son  poste  de  premier  ministre  :  il  s'appliqua  de  toutes  ses 
forces  à  améliorer  l'administration,  et  Ht  de  grandes  largesses  au 
peuple  ;  car,  d'après  la  formule  des  lettrés,  dès  qu'on  fait  du  bien 
au  peuple,  il  est  prêt  à  passer  par  l'eau  et  par  le  feu  pour  son 
bienfaiteur;  personne  ne  peut  résister  à  un  tel  élan,  et  l'on  est 
nécessairement  vainqueur,  si  l'on  entreprend  alors  quelque  cam- 
pagne. Nous  avons  vu  cependant.au  début  du  règne  de  Wen-hong 
3£  ^  que  ces  bons  médecins  ajoutent  à  ce  traitement  quelques  pi- 
lules infaillibles,  telles  que  l'enseignement  de  la  justice,  des  rites, 
de  la  musique,  etc,  etc. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Tchao  Tch'oei  j|§  ^.  autrement  nommé 
Tchao  Teh'eng-lse  |g  j$;  ^ ,  dans  une  réunion  d'officiers,  rit  la 
remarque  suivante:  Bientôt  une  armée  de  Ts'in  ff|  se  jettera  de 
nouveau  sur  nous  ;  il  faudra  éviter  une  bataille  ;  car  quiconque  se 
méfie  de  soi-même  et  pratique  la  vertu,  celui-là  est  invincible.  Le 
livre  des  Vers  nous  dit:  pensez  à  oolre  aïeul,  et  pratique:  la  vertu 
(2).  Voilà  ce  que  fait  Mong-ming  Che  :  il  s'y  applique  avec  con- 
stance, il  finira  par  devenir  invincible.  Ces  observations  présa- 
geaient la  continuation  de  la  guerre  ;  pour  cela,  il  n'était  pas 
nécessaire  d'être  prophète  ! 

A  l'avènement  de  Siang-kong.  le  duc  de  Lou  |§-  n'était  pas 
venu  lui  faire  visite  et  rendre  hommage  ;  une  armée  fut  envoyée 
lui  rappeler  ce  devoir  de  civilité:  aussitôt  le  nouveau  duc.  nommé 
Wen-hong  ^  2>  (626-609;,  s'empressa  de  se  rendre  à  l'invitation. 
A  la  4e?"  lune.au  jour  ki-se  B  £<  Yan0  Tch'ou-fou  %  $£  3£  fut 
député  pour  signer  avec  lui  un  traité  de  paix  et  d'amitié  :  mais  il 
n'eut  pas  l'honneur  de  voir  Siang-kong. 


(1)  (Zottoli.  Che-king  f$  M  •"*■   UI,  p.  i8t.  ode  44,  v.  2   -  p.   238.  n°  s) 
'Couvreur.   Che-king.  p.   252    —  p.   338.  n°  j). 

(2)  (Zottoli.   Che-king  vol.   III.  p     22c.  ode  1,  rerx  6)   —   'Couvreur,  p.  3*2> 
vers  6). 


108  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

C'était  une  grande  humiliation  ;  mais  c'était  aussi  la  punition 
de  son  peu  d'empressement  à  venir  saluer  son  suzerain  ;  s'il  était 
la  fine  fleur  des  princes  chinois,  il  n'avait  pas  des  ressources  égales 
à  sa  fierté  ;  on  le  traita  donc  comme  un  petit  roitelet.  Confucius 
ne  parle  pas  de  ce  voyage  ;  on  ne  l'avait  pas  inséré  dans  les  archi- 
ves, ou  bien  il  sut  ne  pas  l'y  trouver. 

Pendant  que  le  duc  rentrait  piteusement  chez  lui,  un  de  ses 
seigneurs,  nommé  Mou  Pé  ^  fQ,  assistait,  de  sa  part,  à  une 
assemblée  des  princes  vassaux,  tenue  à  Tchoci-long  fg  $j|  (1); 
il  s'agissait  d'une  campagne  à  entreprendre  contre  le  pays  de  Wei 
fëj.  Le  ministre  des  travaux,  <~'he  Houo  -j^  fg£,  fils  de  Che  Wei 
■j^î^,  se  fit  remarquer  par  son  habileté,  dans  le  cours  des  délibé- 
rations, et  l'expédition  fut  décidée  ;  c'est  pourquoi  ce  ministre  est 
spécialement  nommé,  dit  le  commentaire.  A  cette  nouvelle,  le 
marquis  de  Wei  s'empressa  d'offrir  sa  soumission  (2). 

A  la  fin  de  cette  même  année  625,  le  généralissime  Sien 
Tsiu-kiu  -jfc  jj.  JE  conduisait  une  armée  contre  le  royaume  de 
Ts'in  H§,  pour  le  punir  de  sa  dernière  agression  ;  sans  doute  on 
trouvait  insuffisante  la  victoire  de  P'ong-ya  $£  $j.  Trois  états 
fournirent  les  troupes  auxiliaires  ;  celles  de  Song,  commandées 
par  le  seigneur  Kong  Tse-tch'eng  £V.  ■?  J$C  ;  celles  de  Tch'en  (^, 
commandées  par  Yuen  Ts'ien  ^  ^  ;  celles  de  Tcheng  ffj$,  com- 
mandées par  Kong-tse  Koei-cheng  7fe  -f-  ^  £fc. 

En  réalité,  ce  fut  moins  une  expédition  qu'une  démonstra- 
tion militaire  ;  on  se  contenta  de  prendre  les  villes  de  Wang  ££ 
et  de  P'ong-ya  g£  |gj  (3),  puis  on  rentra  chacun  chez  soi.  Pour 
expliquer  cette  singulière  conduite,  le  commentaire  dit  qu'on 
respecta   la  grande   vertu    et   la    haute   sagesse    du   roi    Mou-kong 

En  624,  au  printemps,  le  seigneur  Tchoang  Chou  $£  $L  appelé 
aussi  Chou-suen-tê-tch'en  $1  M  H  15^  de  Lou  H"»  se  joignait  aux 
officiers  de  Tsin  |f,  de  Song  yfc  de  Tch'en  |fi|,  de  Wei  ||j,  et  de 
Tcheng  f$,  pour  aller  ensemble  faire  la  guerre  à  la  petite  princi- 
pauté de  C'hen  ^  (4)  ;  parce  qu'elle  s'était  mise  sous  la  suzerai- 
neté de  Tch'ou  jfë,  au  lieu  de  se  ranger  sous  celle  de  Siang-kong. 
Cette  campagne  n'eut  pas  de  résultat  ;  à  l'arrivée  des  troupes,  les 
habitants  se  dispersèrent  aux  quatre  vents  du  ciel. 

(1)  Tchoei-long,  était  à  l'est  de  Yong-yang  bien  $5  Pg  §f,  qui  est  à  200  li 
à  l'ouest  de  sa  préfecture  K'ai-fong  /'m<  PU  H  fl\f,  Ho-nart.  1  Petite  géogr. >  i*ol.  12, 
p.  S).    —   (Grande,  vol.  47,  p.  36). 

(2)  C'est  alors  qu'on  livra  à  Siang-kong  le  grand  olficicr  K'ong  Ta  ^L  »Ê- 
comme  nous  l'avons  dit. 

i3)  Wang  était  près  de  P'ong-ya;  mais  on  en  ignore  l'emplacement  exact. 
(Grande  géogr.,  vol.  3 4.  p.  271. 

(4)  Chen,  sa  capitale,  était  au  sud-est  de  Jou-ning  fou  fjc  $  Jffi  uu  su<i  du 
fleuve  Jou,llo-nan.     Petite  géogr..   vol.   12  jj,  4c  1   —   (Grande,  vol.  30,  p.    18). 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    SIANG-KONG.  109 

En  été,  Mou-kong  venait  à  son  tour  venger  ses  dernières  défai- 
tes ;  ayant  passé  le  Fleuve  Jaune,  il  fit  brûler  ses  barques,  pour 
montrer  qu'il  était , décidé  à  vaincre  ou  à  mourir;  aussitôt  après, il 
prit  les  villes  de  Wang-koan  3:  H*  et  de  Kiao  jj$  (1).  Mais  les 
troupes  de  Siang-kong  ne  paraissant  point,  Mou-kong  repassa  le 
fleuve,  au  gué  de  Mao-tsin  ~j£>  ^  (2),  enterra  honorablement  les  os 
de  ses  soldats,  morts,  en  627,  sur  le  champ  de  bataille  de  Hiao 
i§5»  puis  reprit  le  chemin  de  sa  capitale.  On  ajoute  que  cette  seu- 
le campagne,  ou  plutôt  cette  promenade  militaire,  suffit  pour  le 
replacer  au  sommet  de  la  gloire,  et  le  faire  reconnaître  comme 
chef  des  Tartares  Si  Jong  ]Rj  J%. 

En  automne,  le  roi  de  Tch'ou  j§|  venait  aussi  venger  l'expé- 
dition tentée  contre  la  principauté  de  Chen  \%,  et  mettait  le  siège 
devant  Kiang  £Q  (3).  Pour  faire  diversion,  et  forcer  l'armée  as- 
siégeante à  quitter  la  place, Siang-kong  résolut  de  porter  la  guerre 
sur  le  pays  de  Tch'ou  ;  mais  auparavant  il  déféra  sa  cause  à  l'em- 
pereur, afin  de  s'appuyer  sur  son  autorité  morale,  et  mettre  les 
vassaux  de  son  côté. 

Il  en  arriva  ainsi.  L'empereur  envoya  son  grand  ministre  Wang 
Chou  Hoan-kong  3l  ^  tM.  £*  accompagner  l'armée,  commandée 
par  Yang  Tch'ou-fou  $$  $£  $£,  et  Ton  alla  assiéger  la  fameuse  for- 
teresse de  Fang-tch'eng  ~)j  jfà  (4).  Sur  le  chemin,  on  rencontra 
Tse-tchon  ^f-  ^,  Gouverneur  de  Si  JU,  (5),  généralissime  de  Tch'ou  ; 
on  entra  en  pourparlers,  et  il  fut  convenu  que  chacune  des  deux 
armées  rentrerait  dans  ses  foyers.  De  cette  manière  l'incident 
était  clos. 


(1)  Wang-koan  était  le  sud  de  Yu-hiang  hien  |j|  j|p  §|,  qui  est  à  60  H 
sud-est  de  P'ou-tcheou  fou  /,{j-  #|  Jjîf,  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  8  30). 

Kiao,  n'était  pas  loin  de  là  :  le  commentaire  la  place  entre  Lin-tain  Ëîn  r?  et 
Ngan-i  ^ç  Q  (ihid). 

(2)  Mao-tsin  se  trouvait  à  3  li  nord-ouest  de  Chen  tcheou  |%  j\\ ,  llo-nan. 
(Petite  géogr.,  vol.   12  p.   64). 

(3)  Kiang,  sa  capitale,  était  au  sud-est  de  Tcheng-yang  hien  jE  |^  J$j;,  qui 
est  à  80  li  au  sud  de  sa  préfecture  Jou-ning  l'on.  (Petite  géogr.,  vol.   12,  p.  50). 

(4)  Fang-tch'eng.  Cette  forteresse,  réputée  imprenable.,  se  trouvait  sur  la 
montagne  Fang,  à  40  li  nord-est  de  Yu-tcheou  f£  II! ,  qui  est  à  120  li  nord-est  de 
sa  préfecture  Nan-yang  fou  J?)  [^  Ift.  llo-nan.  (Petite  géogr.,  vol.  12.  p.  47)  — 
(Grande  vol.  ji.  p.   2ç). 

(5)  Si  était  3  li  au  nord  de  Si  hien  gg  |f,  qui  est  à  90  li  nord-ouest  de 
Koang  tcheou  $t  #li  Ho-nan.  C'était  autrefois  la  capitale  d'une  petite  principauté, 
annexée  en  680  au  royaume  de  Tch'ou  ;  ses  roitelets  étaient  du  clan  impérial 
Ki  j|g.  Petite  géogr.,  vol.  12.  p.  68)  —  (Grande  vol.  jo  p.  44'  -  (Kiang-yu- 
piao,  vol.  _t,  p,   16) 


110  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

Siang-kong  avait  cependant  scrupule  d'avoir  traité  si  cavaliè- 
rement le  duc  de  Lou  îf|.  ;  il  l'invita  donc  à  revenir  faire  un  nou- 
veau traité  de  paix  et  d'amitié  ;  cette  fois,  il  le  traita  royalement, 
et  donna  en  son  honneur  un  grand  festin. 

Pendant  le  repas,  en  guise  de  toast,  Siang-kong  chanta  le 
texte  suivant  du  livre  des  Vers  :  l'armoise  croit  admirablement 
sur  cette  colline;  en  royanlce  *age  mon  cœur  est  rempli  de  joie  (1)  ; 
c'était  un  compliment  délicat  à  l'adresse  du  duc  ;  le  seigneur  Tchoang- 
chou  $£  ;£j  et  son  maître  descendirent  aussitôt  quelques  degrés  de 
l'estrade,  en  signe  d'humilité  et  de  reconnaissance;  le  seigneur 
s'écria  :  Notre  petit  état  eut  l'honneur  de  recevoir  votre  bienveillante 
invitation;  oserions-nous  être  négligents  dans  l'accomplissement 
de  notre  devoir?  Votre  Majesté  nous  a  fait  une  insigne  faveur, 
notre  joie  est  inexprimable  ;  ce  bonheur  de  notre  petit  état  est  le 
bienfait  de  votre  grand  et  illustre  royaume. 

A  son  tour,  Siang-kong  descendit  quelques  degrés,  pour  re- 
mercier du  compliment  ;  puis  on  remonta  ensemble,  on  se  fit  les 
saluts  d'usage,  et  le  duc  chanta  le  texte  suivant  du  même  livre:  le 
prince  est  admirable  et  aimable  ;  sa  vertu  brille  d'un  grand  éclat  (2). 
Siang-kong  se  plaisait  sans  doute  dans  la  compagnie  de  son 
hôte,  la  fine  Heur  des  princes  chinois,  le  chef  du  pays  classique 
de  la  doctrine  des  anciens  sages,  car  il  ne  le  laisa  partir  qu'au 
printemps  de  l'année  suivante. 

En  623,  dans  les  premiers  mois  de  l'année,  Siang-kong  ren- 
dit la  liberté  au  seigneur  K'ong-ta  ^L  ?É  de  ^ei"  Hf>  qu'on  lui 
avait  livré  comme  nous  l'avons  dit;  c'était  un  homme  distingué 
et  digne  de  tous  égards  ;  son  retour  était  une  bonne  fortune  pour 
son  pays.  Aussi,  le  marquis  son  maître  s'empressa-t-il  de  venir 
lui-même  remercier  Siang-kong  de  sa  générosité,  et  l'assurer  de 
sa  fidélité  à  son  service. 

En  été,  le  prince  de  Ts'ao  ~^Èj  venait  .aussi  à  la  cour,  fixer  le 
chiffre  des  contributions  qu'il  devait  payer  chaque  année.  Les 
petits  états,  plus  malheureux  que  les  grands,  avaient  deux  maîtres 
à  contenter,  l'empereur  et  le  chef  des  vassaux  ;  le  second,  ayant  le 
pouvoir  de  se  faire  obéir,  était  d'ordinaire  plus  exigeant  que  le 
premier. 

En  automne,  Siang-kong  prenait  sa  revanche  contre  Mou- 
kong  ^|  ^,  roi  de  Ts'in  fjf,  en  assiégeant  la  ville  de  Yun-sin- 
tch'eng  7p|J  $?  j$  (3);  à   cette   époque    aussi,    le   roi  de   Tch'OU  2Ë 

(1)  Che-king  jft  fâ(Zottoli,  III.  p.  145,  ode  22^  —  (Couvreur,  p.  199.  chant  2.) 

(2)  Item  (Zottoli.    III.  p.    251,  ode   15)  —   (('ouvreur,  p.  359-  chant  s). 

i'3)  Yun-sin-tch'eng,  d'après  le  commentaire,  se  trouvait  entre  K'i-yang  hien 
&  fê  M  <"'  Teng-tch'eng  hien  Jg  Jg  $£.  an  nord  de .T'ong-tcheou  fou  |bjJ  #|  fft. 
Chen-si.  La  petite  géographie,  vol.  li,  p.  20.  dit  qu'il  s'agit  de  Yun-sin-tth'eng 
rttf  ©  Wl  qui  était  à  20  li  au  nord-est  de  Tcng-tch'cny  hien.  l.a  grande'  geogr.,  vol. 
54,  p.  26,  dit  expressément  que  c'est  cette  ville  qui  l'ut  assiégée. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN'.    SIANG-KONG.  1  1  1 

s'annexait  définitivement  la  petite  principauté  de  Kiang  £j\  On  ne 
voit  pas  que  Siang-kong  ait  rien  tenté,  cette  fois,  pour  la  sauver  ; 
lui  qui,  auparavant',  avait  recouru  pour  elle  jusqu'à  l'empereur! 
Quant  à  Mou-kong,  il  se  montra  inconsolable  de  la  perte  de  ce 
petit  pays,  comme  nous  l'avons  raconté  dans  l'histoire  de  Ts'in  |f§. 

En  622,  vers  la  fin  de  l'année,  Yang  Teh'ou-fou  flf|  /g  ^Ê  0tait 
envoyé  à  la  cour  de  Wei  fâ.  rendre  la  visite  du  marquis.  A  son 
retour,  il  passa  par  la  ville  de  Ning  j§£  l  ;  là.  le  grand  officier 
Ing  jgjl  se  joignit  à  sa  suite,  l'accompagna  jusqu'à  Wen  ]fj^,  puis 
rentra  chez  soi,  au  lieu  de  le  reconduire  jusqu'à  la  capitale. 

La  femme  de  cet  officier  lui  demanda  la  raison  d'un  si  prompt 
retour:  c'est,  répondit-il,  que  le  seigneur  Yang  Tch'ou-fou  est  un 
homme  inflexible,  et  mal  commode  à  servir.  Le  livre  des  Annales 
(2)  nous  donne  cet  avis:  il  faut  gouverner  avec  rigueur  ceux  qui 
croupissent  dans  l'indolence  ;  mais  il  faut  traiter  arec  douceur 
ceux  qui  se  distinguent  par  leurs  talents  et  leur  lionne  volonté. 
Ce  seigneur  ne  connaît  qu'une  seule  chose,  la  sévérité  ;  aussi  je 
doute  qu'il  meure  de  sa  belle  mort.  Le  ciel  lui-même  est  parfois 
sévère,  mais  il  n'est  pas  inflexible  jusqu'à  troubler  les  saisons  ;  le 
froid  et  la  chaleur  bien  tempérés  donnent  une  belle  année  :  s'il  n'y 
a  que  des  Heurs  sans  fruits,  tout  le  monde  est  mécontent.  Si  l'on 
choque  par  ses  procédés  austères,  on  ne  peut  éviter  des  malheurs. 
Je  craignais  de  ne  pouvoir  satisfaire  ce  seigneur,  et  d'être  encore 
impliqué  dans  l'infortune  qui  le  menace  :  aussi  je  l'ai  quitté  au 
plus  tôt. 

<  »n  sait  que.  dans  la  bouche  des  lettrés,  semblables  paroles 
sont  toujours  la  première  antienne  qui  présage  un  désastre  plus 
ou  moins  prochain:  bientôt,  en  effet,  nous  allons  raconter  l'assas- 
sinat de  ce  seigneur  Yang  Tch'ou-fou;  ce  sera  une  perte  sensible 
pour  le  pays  de  Tsin. 

Siang-kong  venait  déjà  de  déplorer,  dans  le  cours  de  Tannée. 
la  mort  de  plusieurs  hommes  éminents  :  d'abord  Tchao  Teli'oei 
jgg  3j£,  autrement  nommé  Tchao  Tch'eng-tse  jffj  $  If-.  général  en 
chef  des  corps  d'armée  nouvellement  constitués;  puis  Loan  Tche 
l$£  ^  ou  Loan  Tcheng-tse  m  j=|  *f .  général  du  3ème  corps  régu- 
lier; puis  Sien  Tsiu-kiu  ^^^,  le  généralissime;  enfin  Stw- 
tch'en  ^  g  ou  Kifou-ki  fâ  ^,  général  adjudant  du  '.ï'mr  corps 
susdit. 

Des  changements,  des  promotions  étaient  donc  nécessaires. 
En  621.  au  printemps.  Siang-kong  passait  en  revue  toutes  ses 
troupes,    et   leur   faisait  exécuter  de  grandes  manœuvres  devant  la 


(1)  Nin<r  était  à  l'est  de  Sieou-ou  hien  fè  ifc  M  qui  est   a  12Ù  li   à  l'est  de  sa 
préfecture   Hoai-k'ing    fou   ®  §}  1Ï-    Jlo-nan.    'Petite   géogr..    vol.    12.   p.     t£ 

Grande  vol.   4c .  p.    1 

(2)  Chou-king  1H  |>i  {Couvreur,  p.   202.  n°  16  . 


112  TEMPS    Vil  AIMENT    HISTORIQUES 

ville  de  I  ^  (1);  c'était  un  bon  moyen  pour  juger  chacun  de  ses 
grands  officiers.  En  conséquence,  il  licencia  les  deux  nouveaux 
corps,  et  remit  son  armée  en  son  premier  état  ;  il  nomma  le  grand 
seigneur  Hou-i-hou  %  %\  £&  général  du  centre,  généralissime,  et 
premier  ministre;  Tchao  Toen  £g  jjf".  fils  de  Tchao  Tch'oei  défunt, 
fut  son  adjudant 

Cependant.  Yang  Tch'ou-fou  %  $&  3Ê  était  de  retour;  il  dés- 
approuva ces  promotions,  et  demanda  une  nouvelle  revue  dans  la 
plaine  de  Tong  ||.  au  bord  du  lac  (2).  Ayant  été  longtemps  au 
service  de  Tchao  Tch'oei,  il  avait  pu  apprécier  les  grandes  qualités 
de  son  fils  Toen;  il  en  fit  un  magnifique  éloge,  et  lui  gagna  l'opi- 
nion publique;  il  parvint  ainsi  à  le  faire  nommer  à  la  place  de 
Hou-i-kou. 

On  ne  pouvait  faire  un  changement  plus  heureux  ;  Toen  de- 
vint célèbre, sous  le  nom  de  Tchao  Siuen-tse  |§  3§[  ^p.  et  fut  peut- 
être  le  plus  grand  ministre  que  le  royaume  de  Tsin  ait  jamais  eu. 
A  peine  en  charge,  il  fit  décréter  les  principaux  règlements  de 
l'administration  générale;  il  fixa  les  lois  pénales,  déterminant  la 
plus  ou  moins  grande  culpabilité  des  délinquants  ;  il  résolut  les 
doutes  ou  les  difficultés,  inévitables  dans  l'application  de  ces  mê- 
mes lois  ;  il  ordonna  la  recherche  et  la  poursuite  de  ceux  qui,  par 
la  fuite,  espéraient  échapper  à  un  juste  châtiment;  il  prescrivit 
l'emploi  de  contrats  écrits  et  signés,  pour  les  achats  et  les  em- 
prunts ;  il  remit  en  vigueur  les  anciens  règlements,  relatifs  à  la 
distinction  des  différentes  classes  de  la  hiérarchie  sociale;  il  mit  fin 
à  des  litiges  épineux  et  invétérés  ;  il  rendit  aux  offices  et  aux  di- 
gnités leur  caractère  primitif,  et  y  éleva  des  hommes  de  mérite 
jusque  là  délaissés. 

Quand  ce  grand  travail  fut  accompli,  Toen  en  fit  composer 
un  code,  qu'il  remit  au  grand-maître  Yang  Tch'ou-fou  et  au  grand- 
précepteur  Kia  T'ouo  jÇ  f£,  avec  ordre  d'en  urger  l'exécution  par 
tout  le  royaume,  comme  une  charte  perpétuelle. 

Siang-kong  ne  jouit  pas  longtemps  de  ces  réformes  si  utiles 
et  si  sages  ;  il  mourait  à  la  8ème  lune,  au  jour  i-hai  £  j£.  lais- 
sant pour  héritier  un  fils  encore  en  bas  âge.  Le  peuple  craignant 
des  révolutions,  si  l'on  constituait  un  conseil  de  régence,  désirait 
qu'on  plaçât  de  suite  sur  le  trône,  un  prince  capable  de  gouverner 


(1)  1  était  dans  le  Chan-si.  probablement  à  l'est  de  P'ing-yang  fou  'FPê'ff: 
c'est  tout  ce  qu'on  en  sait. 

i2)  Le  lac  Tong,  est  à  35  li  nord-est  de  Wcn-hi  hien  $$  |J  $.f .  qui  est  à  70  li  au 
sud  de  Kiang  tcheou  £$#),  Chan-si.  (Petite  rjéogr..  vul.  S,  p.  44.) — Les  annales  du 
<  'hmi  si  lil  E5  îii  jfe,  vol  53,  p.  19,  disent  que  ce  champ  de  manœuvres  était  sur  le 
T'ai-p'ing  hien  >k  ^P  !Pf.  clans  la  préfecture  de  P'ing-yang  /'ou  -TP  Wi  fâ  ■  il  en 
reste  encore  un  kiosque,  près  de  l'ancienne  ville  de  Lin-fen  Ë»  fft.  à  25  li  au  nord 
de  T'ai-p'ing  hien. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    SIANG-KON'G.  113 

par  lui-même  ;  c'est  justement  ce  qui  cause  les  troubles  qu'on 
voulait  éviter. 

Tchao  Mong  %j\  jfc_  (autre  nom  du  lvV  ministre)  proposa  le 
prince  Yong  |ff,  frère  cadet  de  Siang-kong,  fils  de  Wen-kong  ^£ 
^  et  delà  princesse  Tou  K'i  ;£];  fj[).  C'est,  disait-il,  un  homme  d'un 
âge  mûr,  et  d'une  grande  probité  ;  de  plus,  son  père  l'estimait  et 
l'aimait  particulièrement;  il  est  tout  près  de  nous,  à  la  cour  de 
TVm  ?J|  qui  le  chérit;  c'est  donc  lui  qui  peut  le  mieux  être  obéi, 
rendre  stable  son  trône,  assurer  l'amitié  de  nos  voisins;  ainsi  nous 
ferons  preuve  de  piété  filiale  envers  notre  défunt  souverain,  et  nous 
éviterons  des  révolutions. 

Mais  Tchao  Mong  avait  un  rival  et  un  ennemi,  dans  la  person- 
ne du  grand  seigneur  Hou-i-kon  /j)K  ;tt  #& ,  nommé  aussi  KinKiJ=( 
Ép  ;  celui-ci  ne  pouvait  lui  pardonner  de  l'avoir  supplanté  ;  il  trouvait 
une  bonne  occasion  de  lui  faire  échec  ;  il  proposa  donc,  de  son  cô- 
té, le  prince  Lo  *§|,  fils  de  Wen-kong  et  de  la  princesse  Tch'en- 
tn9  M  M  >  e^  il  ajoutait  :  Sa  mère  a  été  la  favorite  de  nos  deux 
derniers  souverains  ;  le  peuple  sera  content  de  notre  choix,  et  se 
tiendra  en  paix. 

Tchao  Mong  n'eut  pas  de  peine  à  lui  répliquer  :  Cette  concubine 
est  de  basse  extraction,  lui  dit-il;  elle  n'avait  que  le  g'^me  rang  parmi 
les  femmes  secondaires  ;  ayant  vécu  en  inceste  avec  le  père  et  le 
fils,  elle  s'est  encore  avilie  davantage;  quelle  autorité  pourrait 
avoir  le  fils  d'une  telle  femme?  Né  de  notre  souverain,  le  prince 
Lo  n'a  pu  cependant  trouver  un  emploi  dans  aucun  grand  royau- 
me ;  il  a  dû  se  contenter  de  prendre  service  dans  le  petit  état  de 
Tch'en  ^,  si  éloigné  de  nous;  bref,  il  est  méprisé! 

Au  contraire,  la  mère  du  prince  Yong  a  donné  un  rare  exem- 
ple de  déférence  :  en  considération  de  notre  souverain  ^Ven-kong, 
elle  céda  la  place  à  la  princesse  Pi  Ki  fg  Ifâ,  mère  de  Siang-kong  ; 
en  considération  des  bienfaits  reçus  par  ^Ven-kong  chez  les  Tar- 
tares  Ti  ^,  elle  céda  encore  la  place  à  la  princesse  Ki  Koei  ^pE  |ïj|  ; 
ainsi, du  second  rang  elle  descendit  elle-même  au  4-me  ;  c'est  pour 
cela  que  Wen-kong  chérissait  le  fils  qu'elle  lui  avait  donné  ;  il  l'en- 
voya exprès  à  la  cour  de  T*'in  J|s,  où,  grâce  à  son  talent,  il  est 
devenu  ministre  de  second  degré;  là  on  sera  flatté  de  notre  choix, 
on  le  soutiendra  s'il  est  nécessaire,  et  nos  deux  pays  seront  liés 
d'amitié;  comment  notre  peuple  pourrait-il  nous  désapprouver? 

Sur  ce,  Tchao  Mong  députa  les  deux  seigneurs  Sien  Miè  ^fc 
}§£  et  Che  Hoei  -j^  -§}"  inviter  le  prince  Yong  Jfê  à  venir  au  plus 
vite  monter  sur  le  trône.  De  son  côté,  Kiv  Ki  I(  ^  envoyait  une 
députation  inviter  le  prince  Lo  |§|  ;  mais  quand  celui-ci  fut  arrivé 
à  Pi  §.\\  (1),  il  y  fut  assassiné  par  des  émissaires  du  premier 
ministre. 

(1)  Pi,  nommée  aussi  Tchao-ting  ?ï|>  sf,  était  à  90  li  à  l'est  de  Yuen-h'iu 
hien  *M  []{]  %,    qui    est    à    230    li    sud-est    de    Kiang    tçhcou  {$  W,  Chan-.-i  'Petite 

11 


114  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

Kia  Ki  se  voyait  donc  encore  un  fois  frustré  dans  ses  espé- 
rances ;  ne  pouvant  se  venger  sur  le  premier  ministre,  il  tourna 
sa  rage  contre  Yang  Tch'ou-fou  (5^  ^  3£  :  à  la  9"u'lune,  il  envoya 
un  des  membres  de  sa  famille  Hou  $^,  nommé  Siu  KiU-kiu  ${ 
ft]  ^§,  l'assassiner. 

Que  dire  maintenant  du  texte  de  Confucius?  On  y  lit:  «le 
royaume  de  Tsin  §  met  à  mort  le  grand  officier  Yang  Tch'ou-fou»  ; 
ce  qui  signifie:  le  gouvernement,  comme  tel,  fait  périr  un  de  ses 
hommes  les  plus  éminents  ;  tandis  qu'il  s'agit  d'un  crime  perpétré 
par  un  particulier. 

A  la  10-melune,on  procédait  à  l'enterrement  solennel  de  Siang- 
kong  ;  naturellement,  tous  les  vassaux  envoyèrent  des  délégués, 
les  représenter  dans  cette  cérémonie  ;  le  seigneur  Siang-lchong 
M.  ($<  ^e  Lou,  est  spécialement  nommé  par  l'historien   (1). 

A  la  12ème  lune,  au  jour  ping-ing  j^J  J|,  le  premier  ministre 
faisait  mettre  à  mort  l'assassin  Siu  Kiu-kiu  H(  ||J  fâ  ;  son  patron 
Kia  Ki  jÇ  2pE  comprit  la  leçon,  et  s'enfuit  chez  les  Tartares  Ti  fyfc 
auxquels  il  était  allié  (2). 

Tchao  Mong  jugea  que  son  rival  se  punissait  suffisamment 
par  cet  exil  ;  il  lui  fit  conduire,  par  l'officier  Yu-pien  Ej|  J|)f ,  sa 
femme,  ses  enfants,  toute  sa  famille  enfin.  Cette  modération  du 
premier  ministre  est  grandement  louée  par  les  lettrés,  et  elle  le 
mérite.  D'autres  hommes,  à  sa  place,  auraient  trouvé  bien  des 
motifs  plausibles,  pour  se  défaire  d'un  tel  compétiteur, 

Tel  maître,  tel  serviteur!  Cet  adage  n'est  pas  toujours  vrai; 
cette  fois  il  se  trouva  réalisé.  Au  printemps  de  cette  même  année, 
à  la  revue  de  /  ^,  cet  officier,  Yu-pien  Ql  $M,  avait  été  dégradé 
par  Kia  Ki  jl[  ip,  à  peine  nommé  généralissime;  il  avait  donc 
entre  les  mains  une  belle  occasion  de  se  venger  ;  ses  amis  l'en 
pressaient  :  Jamais!  leur  répondit-il;  j'ai  lu  dans  les  vieux  livres 
que  ni  un  bienfait  ni  une  injure  ne  doivent  être  imputés  à  la 
descendance;  voilà  le  principe  d'un  homme  loyal!  Mon  maître,  le 
premier  ministre,  se  montre  généreux  envers  Kia  Ki  ;  moi,  je  pro- 
fiterais d'une  mission  de  confiance  qu'il  me  donne,  pour  venger 
une  offense  personnelle;  c'est  impossible;  ce  serait  une  lâcheté! 


géogr.,  vol.  S.  p.  4s).  —  (Gronde  géogr.,  vol.  41.  p.  42.)  —  (Annales  dn  Chan-si, 
col.  53,  p.   '9-  ' 

(1)  l.c  tombeau  de  Siang-kong  est  à  15  li  au  sud  de  Siang-ling  hien  $£  fê  f£, 
qui  est  elle-même  à  30  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  PHng-yang  fou  -^FfêlTf.  Chan- 
si.  (Petite  géogr..   vol.  S,  p.  S.)  —  (Annales  du  Chan-si.   vol.  36.  p.   26). 

(2)  Siu  était  une  petite  principauté  très  antique:  car  Siu-ya  $$'  Jf,  un  de  ses 
titulaires,  fut  l'un  des  sept  amis  de  l'empereur  Choen  f$.  Kiu-kiu  s'appela  aussi 
Kien-pé  j;Jj  \Q  ;  il  était  descendant  de  Va,  et  possesseur  du  fief.  (Annales  de  Tch'e- 
tcheou  fou  j*^  iH'l  Jft  ,£-;,  vol.  31,  p.  sJ —  !■<■'  /'''/'  était  sur  le  territoire  de  cette  pré- 
fecture, dans  le  Chan-si). 


DU    ROYAUME    DE   TSIN.    SIANG-KONG.  115 

Ayant  ainsi  parlé,  il  conduisit  personnellement  et  sous  bonne 
garde,  jusqu'à  la  frontière,  la  famille  de  KiaKi  et  tous  ses  trésors. 

Avant  de  passer  au  règne  suivant,  le  lecteur  doit  être  averti 
qu'une  déception  l'y  attend  ;  ce  n'est  point  le  prince  Yong  |j£  qu'il 
va  trouver  sur  le  trône,  mais  l-ka.0  Jl^  ^,  ce  jeune  fils  de  Siang- 
kong  que  tout  le  monde  voulait  écarter;  c'est  lui  que  nous  allons 
étudier,  sous  son  nom  historique  Ling-kong  jg|  £^. 


116 

LIN  G- KONG   (620-607) 


& 


-H  +  H- 


Le  nom  du  nouveau  prince  n'est  pas  élogieux  ;  il  signifie  peu 
intelligent,  mauvais..;  il  faut  qu'il  ait  grandement  irrité  son 
peuple,  pour  en  avoir  reçu  un  tel  nom  posthume  ;  car  l'usage 
voulait  que  des  morts  on  ne  dît  que  du  bien. 

En  620,  au  printemps,  le  duc  de  Lou  ||,  profitant  des  trou- 
bles du  royaume  de  Tsin,  attaquait  la  petite  principauté  de  Tchou 
ffi  (1)  ;  ainsi  les  malheurs  de  l'un  tournaient  au  profit  de  l'autre, 
en  Chine  comme  ailleurs. 

En  été,  K'ang-hong  j§|  fc  620-609),  le  nouveau  roi  de  Ts'in 
|j§,  se  mettait  lui-même  à  la  tête  d'une  armée,  pour  conduire  le 
prince  Yong  ^  à  sa  capitale,  et  l'installer  sur  le  trône  :  Wen-kong 
<£  7fe,  disait-il.  n'aurait  pas  été  exposé  à  la  conjuration  des  sei- 
gneurs Liu  Cheng  g  $$  et  K'i  Joei  $>  j%j,  s'il  eût  été  accompagné 
de  la  force  armée;  je  ne  veux  pas  commettre  la  même  faute. 

K"ang-kong  ne  savait  pas  que  l'état  des  choses  était  bien 
changé;  au  lieu  d'être  acclamé  sur  son  chemin,  comme  un  ami 
et  un  libérateur,  il  fut  reçu  comme  un  ennemi.  Comment  ce 
revirement  s'était-il  donc  opéré?  En  voici  l'explication  : 

La  princesse  Mou-ing  ^  $K,  veuve  de  Siang-kong,  venait 
chaque  jour  à  la  cour,  portant  dans  ses  bras  son  fils  aîné  I-kao 
i£|  ^  :  là,  elle  se  mettait  à  pleurer  et  à  jeter  les  hauts  cris:  quel 
crime  a  donc  commis  le  prince  défunt?  quel  crime  a  donc  commis 
cet  enfant,  son  héritier  légitime,  pour  qu'on  aille  chercher  un 
autre  souverain?     Que  va-t-on  faire  de  ce  jeune  prince? 

Ayant  ainsi  ému  le  cœur  du  peuple  par  ses  lamentations,  la 
princesse  douairière  se  rendait  de  ce  pas  au  palais  du  premier 
ministre;  de  son  front,  elle  frappait  la  terre  en  s'écriant  :  Notre 
défunt  souverain  confia  cet  enfant  à  votre  sollicitude,  en  disant  : 
s'il  réussit  à  devenir  un  bon  prince,  ce  sera  le  plus  grand  bienfait 
que  j'aie  reçu  de  votre  seigneurie  ;  s'il  ne  réussit  pas,  j'aurai  lieu 
de  vous  en  vouloir,  même  après  ma  mort!  Notre  souverain  n'est 
plus  ;  mais  ses  paroles  retentissent  encore  à  vos  oreilles  ;  comment 
votre  seigneurie  peut-elle  mépriser  une  telle  recommandation,  et 
abandonner  cet  orphelin? 


(1)  Tchou.  Sa  capitale  était  à  26  li  sud-est  de  Tchcou  hien  Jfft  ^.qu'est  à  50 
li  sud-est  de  sa  préfecture  Yen-tchenu  fou  Jj  ^|  tff,  Chan-tonsr.  'Petite  géogr.,  vol. 
to,  p.  8). 


DU    ROYAUME   DE   TSIX.    LIXG-KOXG.  117 

Tchao  Siuen-lse  |jj  j|f  -Ç-  ou  Tchao  Mong  et  les  autres 
grands  dignitaires  se  voyaient  dans  l'embarras,  par  cette  conduite 
de  la  douairière  :  maintenant,  le  peuple  était  pour  elle  ;  d'autre 
part,  le  prince  Yong  3fé  était  en  route.      Que  décider  ? 

On  fit  volte-face  complète  :  on  désavoua  les  deux  messagers 
qu'on  avait  envoyés  à  la  cour  de  Ts'in  f^f,  et  l'on  plaça  sur  le 
trône  le  jeune  prince  I-kao  ^  Q  ;  mais  cette  partie  de  la  tâche 
était  la  plus  facile  ;  comment  accomplir  l'autre,  et  se  défaire  du 
prince  Yong  ^|?  les  troupes  de  Ts'in  ^  étaient  là  pour  le  sou- 
tenir, on  organisa  bien  vite  une  armée  pour  les  repousser. 

Tchao  Siuen-tse,  étant  premier  ministre  et  régent  du  royaume, 
était  de  droit  généralissime;  pour  adjudant, il  prit  Sien  K'o  ^£  }£. 
fils  de  Sien  Tsiu-kiu  5fc  _H  )i'j  défunt;  pour  conducteur  de  son 
char,  il  eut  le  seigneur  Pou-tchao  ■$?  Jg .  et  pour  lancier  le  sei- 
gneur Jong-tsin  -fc  fê.  Nous  avons  dit  que  Sien  Miè  *fc  ^  avait 
été  député  à  la  cour  de  Ts'in  §|§,  inviter  le  prince  Yong;  il  était 
déjà  revenu;  c'est  lui  qui  fut  général  de  l'aile  gauche  de  l'armée, 
avec  Sien  Tou  -*fc  ^  pour  adjudant;  le  seigneur  Siun  Lin-fou  ^f 
t^  3£  f11*  général  de  l'aile  droite,  à  la  place  du  seigneur  Ki-tcheng 
jfÇ  Hft  chargé  de  défendre  la  capitale. 

On  se  mit  en  marche,  et  l'on  parvint  bientôt  à  King-in  ^3 
[^  (1);  là,  dans  un  conseil  des  officiers,  Tchao  Siuen-tse  parla 
ainsi  :  A  tout  prix  il  faut  empêcher  les  troupes  de  Ts'in  J^-  de 
pénétrer  sur  notre  territoire;  sinon,  elles  nous  dénigreront  auprès 
du  peuple,  lui  montrant  l'incohérence  de  notre  conduite;  lançons- 
nous  sur  elles  comme  sur  des  fuyards;  c'est  le  moyen  le  plus  sûr; 
car,  d'ordinaire,  celui  qui  attaque  le  premier  est  vainqueur. 

Ordre  fut  donc  donné  aux  soldats  de  bien  aiguiser  leurs  épées, 
de  nourrir  copieusement  les  chevaux,  de  prendre  leur  repas  sur 
leur  lit;  enfin,  de  marcher  en  grand  silence,  pendant  la  nuit,  afin 
de  surprendre  l'ennemi  au  point  du  jour. 

Tout  fut  ponctuellement  exécuté;  on  tomba  à  l'improviste  sur 
l'armée  de  Ts'in  |j|,  à  Ling-hou  /fr  JJJ,  non  loin  de  la  frontière; 
on  la  mit  en  déroute,  et  on  la  poursuivit  jusqu'à  la  rivière  K'ou- 
cheou  <fi]  "|f    2),  sur  son  propre  territoire. 

(1)  King-in  était  une  ville  de  T&in  ^  :  mais  on  en  ignore  l'endroit.  II  y  a 
le  défilé  fn-ti  fè  if.  à  120  li  sud-ouest  de  Ling-che  hien  f£!î  $£  ■  q»'"  est  à  100  li 
au  nord  de  Houo  tcheov  St^H<  Chan-si;  mais  il  n'est  pas  probable  qu'il  s'ayi^--'  de 
cet  endroit.  (Petite  géogr.,   vol.  S.  p.  41). 

(2)  Lin2>hou  était  à  15  li  à  l'ouest  de  1-che  hien  fâ  J'<  |f.  qui  est  a  120  li 
nord-est  de  P'ou-tcheou  fou  j§}  ■J'H  Jft  Chan-si.  Petite  géogr.,  vol.  S,  p.  31)  — 
(Grande,  roi.  41.  p.   25). 

K'ou-cheou.  Cette  rivière  est  au  sud-est  de  Ho-yang  hien  V.î  [!JJ  fjjf,  qui  est  à 
120  li  nord-est  de  sa  préfecture  T'ong-tcheou  fou  |^J  41  JflP.  Chen-si.  (Petite  géogr., 
vol.   14.  p.    iç)  —  (Grande,    roi.  54.  p.   24   . 


118  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Cependant  Sien  Mié  $q  Jji  était  honteux  du  rôle  qu'on  lui 
avait  fait  jouer;  bientôt  il  s'enfuit  au  royaume  de  Ts'in  ^  avec 
Che  Iloei  -j^  ^,  son  compagnon  d'ambassade.  L'historien  nous 
raconte,  à  ce  propos,  les  faits  suivants  :  Quand  Sien  Mié  avait 
reçu  mission  d'aller  inviter  le  prince  Yong  Iftfc,  son  ami  Siun  Lin- 
fou  ^j  fâ  3C  m'  avait  dit  :  La  princesse  douairière  est  ici,  avec  son 
fils,  le  légitime  héritier;  aller  ailleurs  chercher  un  souverain  n'est 
pas  possible!  prétextez  une  maladie,  et  déclinez  cet  office:  autre- 
ment, il  vous  arrivera  malheur;  je  vous  donne  ce  conseil  en  qua- 
lité de  bon  collègue  et  de  bon  camarade. 

Sien  Mié  persistant  à  partir,  Siun  Lin-fou  lui  chanta  avec 
tinesse  le  passage  suivant  du  livre  des  A'ers  (1)  :  Prenez  conseil, 
même  des  villageois  qui  ramassent  le  foin  ou  le  boi*  mort;  Sien 
Mié  comprit  bien  la  leçon,  mais  ne  voulut  pas  se  laisser  persuader. 
Maintenant  qu'il  était  en  fuite,  son  ami  lui  envoya  sa  femme,  ses 
enfants,  ses  meubles,  son  trésor,  et  lui  ht  encore  dire  les  mêmes 
paroles;  c'est  à  titre  de  bon  collègue, de  bon  camarade,  que  je  vous 
rends  ce  service  ! 

Voici  un  trait  d'un  autre  genre,  au  sujet  de  Che  Hoei  -^  lit  '• 
celui-ci  était  déjà  depuis  trois  ans  dans  le  pays  de  Ts'in  |j|,  et  il 
n'avait  pas  encore  fait  visite  à  Sien  Mié  ;  quelqu'un  lui  en  marqua 
de  l'étonnement  :  Si  j'ai  commis  la  même  faute  que  lui,  répondit- 
il,  ce  n'est  ni  par  vertu,  ni  par  affection  pour  lui;  pourquoi  donc 
irais-je  le  visiter?  Ainsi,  jusqu'en  614,  époque  de  son  retour,  il 
n'eut  pas  de  rapports  avec  lui.  Ce  fait,  avec  la  réponse,  est  resté 
célèbre  dans  les  annales  de  la  Chine,  et  les  lettrés  en  sont  fiers. 

A  la  8eme  lune  de  cette  même  année  620,  le  premier  ministre 
Siuen-tse  avait  une  entrevue,  à  Hou  j~,  (2),  avec  les  princes  de 
Ts'i  fâ,de  Song  5JÇ,de  Wei  fjjj,  de  Tch'enfjfc,  de  Hiu  ^,  de  Ts'ao 
^  et  de  Tcheng  |f]$,  sur  le  territoire  de  ce  dernier.  On  y  fit  un 
traité  de  paix  et  d'amitié,  à  l'occasion  de  l'avènement  au  trône  du 
jeune  Ling-kong.  Le  duc  de  Lou  |§.  vint  en  retard;  ainsi  pou- 
vait-il s'excuser  des  deux  côtés;  à  la  cour  de  Tsin,  il  montrait 
obéissance  ;  à  la  cour  de  Tch'ou  ^,  qui  lui  reprochait  ce  voyage, 
il  prouvait  l'avoir  fait  à  contre-cœur.  O  la  fine  fleur  des  princes 
distingués  et  vertueux! 

Le  seigneur  Ki  K'iuè  £[>  ||i,nous  dit  l'historien,  lit  de  sages 
remontrances  au  premier  ministre:  «En  626,  dit-il,  le  marquis  de 
Wei  $£j  s'étant  montré  revèche,  nous  lui  avons  pris  du  territoire  ; 
maintenant  qu'il  nous  est  très  soumis,  pourquoi  ne  le  lui  ren- 
drions-nous pas?     Ne   pas   abattre  un   état  rebelle,    serait    ruiner 


(1)  (Zottoli,  Chc-kiiuj  §#  fêg  III,  p.   2ôi.  >in  s)   —JCQMWeur,  p.  Sïo.  n°  s>- 

(2)  Hou,  dont  il  reste  un  kiosque  en  souvenir,  était  nu  nord-ouest  de  Yuen- 
"ii  hien  KÀ  iïK.  M  qui  est  à  l.xo  li  à  l'est  de  sa  préfecture  Ho-nan  J'nu  fnf  fjj  î(-f.  llo- 
nan.  (Petite  géogr.,   vol.    12.  p.  29)  —  (Grande,  vol.  .■}■;,  p.  27). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    LIXG-KONG.  119 

notre  autorité;  traiter  sévèrement  un  état  soumis,  serait  inhumain; 
dans  les  deux  cas  nous  ferions  preuve  de  peu  de  vertu  ;  comment 
alors  pourrions-nous,  rester  à  la  tète  des  vassaux?  Votre  seigneurie 
est  actuellement  premier  ministre  et  président  des  divers  princes  ; 
si  elle  ne  s'applique  sérieusement  à  la  vertu,  que  de  malheurs 
sont  à  craindre  ! 

Le  livre  des  Annales  (1)  nous  dit:  prévenez  la  négligence  par 
des  récompenses  décernées  au  mérite;  corrigez-la  par  des  châti- 
ments; excitez  l'ardeur  pur  tes  chant*  sur  les  neuf  sortes  de 
labeurs,  afin  que  votre  œuvre  n'éprouve  pas  de  déclin.  Les  mérites 
montrés  dans  les  neuf  sortes  de  travaux,  sont  dignes  d'être  chantés; 
voilà  ce  qu'on  appelle  les  neuf  chants.  Il  y  a  six  trésors:  l'eau, 
le  feu,  les  métaux,  le  bois,  la  terre,  et  les  grains;  il  y  a  trois 
occupations  :  la  réforme  des  mœurs,  l'acquisition  des  objets  néces- 
saires, et  la  recherche  des  commodités  de  la  vie:  voilà  où  se 
montrent  les  neuf  sortes  de  mérite  ! 

Quiconque  accomplit  fidèlement  cette  tâche,  montre  de  la 
vertu,  et  possède  les  rites  ;  quiconque  ignore  les  «rites»  ne  peut 
réjouir  le  cœur  du  peuple,  et  doit  nécessairement  causer  des  révol- 
tes ;  si  votre  seigneurie  n'a  pas  de  mérites  qu'on  puisse  chanter, 
comment  pourra-t-  elle  s'attacher  les  peuples  ?  Pourquoi  ne  fait-elle 
pas  en  sorte  que  les  états  soumis  célèbrent,  par  des  chants  joyeux, 
la  grandeur  de  ses  bienfaits?» 

Pauvre  lecteur!  vous  ne  comprenez  guère,  sans  doute,  cette 
exhortation  saugrenue?  vous  êtes  un  profane,  résignez-vous  à  res- 
ter un  ignorant.  Mais  les  lettrés  se  comprennent  entre  eux,  cela 
suffit.  L'historien  nous  assure  que  le  premier  ministre  fut  très- 
content  de  cette  remontrance,  et  la  mit  à  exécution  dès  l'année 
suivante  ;  peut-être  avait-il  aussi  d'autres  motifs,  que  l'historien 
ne  connaissait  pas.  et  qu'il  a  remplacés  par  son  élucubration  ver- 
tueuse et  verbeuse. 

En  619  donc,  au  printemps,  Siuen-tse  députa  le  grand  officier 
Hiai  Yamj  jj$  [5J|.  pour  rendre  au  marquis  de  Wei  (ft  les  territoi- 
res de  K'oang  [||  et  de  Ts'i  J[}£,  qu'on  avait  donnés  au  prince  de 
Tcheng  1fj$  ;  on  rendit  encore  au  même  marquis  le  pays  situé  entre 
Chen  ^  et  Hou-lao  }&  2jï  (2),  que  Wen-komj  ~*£  Q  avait  octroyé 
à  son  gendre  Tche  fâ.  Si  ces  restitutions  ne  prouvent  pas  la 
vertu  du  premier  ministre,  elles  montrent  son  habile  prudence  et 
son  autorité;  il  sut  ainsi,  sans  employer  de  violents  moyens,  con- 
server à  son  jeune  souverain  la  prééminence  sur  les  vassaux. 

(1)  Chou-king  ïii  $J  Ta   Yu-mou  ^  ^  ,:?.  (Couvreur,  p.  jj,  n' 

(2)  Chen  était  à  20  li  au  nord  de  Nan-yang  fou  |fj  F§  Iftf.  Ho-nan.  Petit* 
géogr.,  vol.   12,  p.  40)  —  (Grande,  vol.  51,  p.  /  . 

Hou-lao  était  un  peu  à  l'ouest  de  Fan-choci  hien  îQ  7.K  If  q"i  est  à  250  li  à 
l'ouest  de  sa  prélecture  K'av-fong  fou  $)  i\  $'.  Ho-nan.  (Petite  géogr.,  vol.  ij-  p.  io>. 


120  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

Cependant,  la  cour  de  Ts'in  ^  ne  pouvait  pardonner  le  tour 
indigne  qu'on  lui  avait  joué  ;  elle  envoya  une  armée  prendre  la 
ville  de  Ou-tch'eng  fà  jfà  (1). 

Nous  avons  vu  plus  haut  que  le  duc  de  Lou  ^  était  venu 
trop  tard  à  rassemblée  des  vassaux,  à  Hou  Jg  ;  en  été,  une  armée 
fut  envovée,  lui  demander  raison  de  sa  négligence  ;  aussitôt  le 
duc  promit  tout  ce  qu'on  lui  dicta  ;  en  hiver,  il  députa  le  seigneur 
Siang-tchong  ||  fi|>,  pour  signer  un  nouveau  traité  de  paix  et 
d'amitié  ;  l'entrevue  avec  le  premier  ministre  Siuen-tse  eut  lieu  à 
Heng-yong  %]  $£  (2),  sur  le  territoire  de  Tcheng  J$.  Le  duc  se 
déclarait  le  vassal  le  plus  humble,  le  plus  fidèle,  le  plus  obéissant 
de  tous;  c'était  la  formule  d'usage,  mais  ni  lui  ni  les  autres  ne  se 
croyaient  engagés  par  ces  serments  ;  on  les  tenait  tant  que  Tin- 
térêt  ou  la  nécessité  y  contraignait. 

L'historien  donne  ici  l'origine  des  troubles  qui  eurent  lieu 
l'année  suivante  ;  voici  ce  qu'il  raconte  :  A  la  grande  revue  de  / 
1=1!,  en  621,  Siang-kong  j||  fè  voulait  nommer  le  seigneur  A'i- 
tcheng-fou  ^  ff[$  5c  général  de  l'aile  droite,  avec  le  seigneur 
Sien  Tou  fc  $|>  comme  second  ou  adjudant  ;  il  voulait  aussi  élever 
le  ministre  des  travaux  publics,  Che  Houo  ^f  Wîi  à  la  dignité  de 
premier  ministre,  et  en  faire  son  généralissime,  avec  le  seigneur 
Liang-i-eul  |f£  ^  If  comme  adjudant. 

Mais  le  seigneur  Sien  K'o  jfc]&  fils  de  l'ancien  généralissime 
Sien  Tsiu-hiu  ^j  ^^,  fit  remarquer  qu'on  ne  devait  pas  oublier 
les  grands  services  rendus  par  les  grands  dignitaires  Mon  Yen  $R  ([g 
et  Tchao  Tch'oei  jfë  ^  ;  le  prince  avait  suivi  ce  conseil,  et  nommé 
Hou-i-kou  /($  HJ  jil\  généralissime,  avec  Tchao  Toen  jjg  /§  comme 
adjudant;  le  lecteur  s'en  souvient. 

Les  officiers  évincés  étaient  furieux  contre  Sien-k'o;  celui-ci 
enleva  encore  au  seigneur  K'oai-té  jjîjlj  ^  le  fief  qu'il  avait  reçu 
à  King-in  j§;  [^,  en  620  ;  ce  fut  un  mécontent  de  plus,  il  s'unit 
avec  les  autres;  ensemble  ils  formèrent  une  conjuration. 

En  618,  au  début  de  l'année,  au  jour  nommé  K>-yeon  g,  j?f, 
ils  envoyèrent  un  assassin  tuer  Sien-k'o.  Le  premier  ministre  voulut 
venger  son  adjudant  ;  au  jour  nommé  i-tcheou  £  jj,  il  fit  mettre 
à  mort  Sien  Tou  %,  ^  et  Liang-i-eul  ^  ^  ^;   puis,    cà   la    3èim> 


1)  Ou-tch'eng\  Il  y  a  plusieurs  villes  de  ce  nom;  celle-ci  était  à  1  3  li  nord-est 
de  Ilon-tcheou  ^Hl'l,  qui  est  à  180  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  T'oiig-tchcou  fou 
\p\  Ml  K  ,  Chen-si.  L'endroit  exact  se  nomme  Tcheng-tch'eng  t$  \h\  ; ;c 'était  la  capitale 
du  fief  accordé,  en  806,  au  fondateur  de  la  maison  princière  de  Tcheng  |!jfi.  (Petite 
géogr.,  vol.   14,  p.  21)  —  (Grande,  vol.  54,  p.  2). 

(2)  Heng-yong,  nommée  aussi  Yuen-yong  f$f  $ff\  était  à  5  li  nord-ouest  de 
Yuen-ou  bien  JiK  ift  $£.  qui  est  à  180  li  à  l'est  de  sa  préfecture  llo-nun  fou  inj  f$J 
/flf,  Ho-nan.  (Petite  géogr.,  vol.,  12  p.  zg). 


DU    ROYAUME    DE   TSIN.    SIANG-KO.NG.  121 

lune,  au  jour  kia-siu  ^  ^,  ce  fut  le  tour  de  Che  Houo  -j^  f$, 
Ki-tcheng-fou  38:  gj$  ^  et  Kfoai-té  #j|J  ^%  ;  la  révolte  fut  éteinte 
dans  le  sang  des  conjurés. 

La  cour  de  Tch'ou  *£  pensait  profiter  de  la  jeunesse  de 
Ling-kong,  pour  étendre  au  nord  son  autorité  sur  les  états  vrai- 
ment chinois  :  une  armée  envahit  le  pays  de  Tcheng  |iji,  et  força  le 
prince  à  signer  un  traité  de  soumission.  Le  premier  ministre  Siuen- 
tse  accourut  avec  ses  troupes,  auxquelles  s'étaient  jointes  celles  de 
Song  '-£,  de  Wei  ffj  et  d'autres  encore:  mais  il  n'y  eut  point  de 
bataille,  on  arriva  sans  doute  trop  tard. 

En  été,  l'armée  de  Tch'ou  s'attaquait  au  pays  de  Tch'en  fjja. 
et  remportait  les  mêmes  avantages  ;  bien  plus,  ces  deux  princes 
furent  encore  contraints,  l'année  suivante,  à  signer  un  nouveau 
traité  d'alliance,  et  à  rompre  définitivement  avec  Ling-kong;  c'est 
l'origine  des  guerres  que  nous  aurons  bientôt  à  raconter. 

En  617,  le  premier  ministre  enlevait  au  roi  de  Ts'in  ^  la 
ville  de  Cha.o-lia.ng  'p  ^  :   celui-ci   prenait  celle   de  Pê-tcheng    Jfc 

En  6 16,en  été, un  seigneur  deLou||,nomméG7iou-£c/io?î(7-p'ong- 
cheng  .jç£  |ï)>  y'5  4fe-  s'abouchait  à  Tcheng-k'oang  7R  [x  (2  .  avec 
K'i  K'iuè  'ffi  '$k-  grand  seigneur  que  nous  connaissons;  c'est  le 
premier  ministre  lui-même  qui  avait  demandé  cette  entrevue  ;  ou- 
tre les  deux  princes  de  Tcheng  |$  et  de  Tch'en  [î^,  celui  de  Song 
5|£  venait  aussi  de  se  langer  sous  la  suzeraineté  de  Tch'ou  :  il 
importait  d'arrêter  ce  mouvement  de  désertion  :  pour  cela,  l'aide 
du  duc  de  Lou  ne  semblait  pas  à  dédaigner. 

En  615,  le  roi  de  Ts'in  |jê,  voulant  encore  pousser  sa  ven- 
geance, préparait  une  nouvelle  expédition  ;  il  espéra  v  engager  le 
duc  de  Lou  |j|-,  et  lui  envoya  un  ambassadeur:  mais  celui-ci  ne 
rapporta  que  de  bonnes  paroles,  et  rien  autre  chose:  K'ang-kong 
JH  7fe  résolut  alors  d'agir  tout  seul.  A  la  fin  de  l'année,  ses  trou- 
pes enlevaient  à  Ling-kong  la  ville  de  Ki-ma    '"■[  B|     .'J  . 

Le  premier  ministre  Siuen-tse  conduisit  une  armée  contre 
lui:  son  adjudant  était    Siun    Lin-fou    "Mj   |  ;>  3c  :   '°  conducteur  de 

(1)  l'hao-lianur  était  à  Ti  li  au  sud  de  Han-tch'eng  hien  $£  &  $£  qui  est  à 
—  —  ' '  li  nord-est  de  sa  préfecture  T'ohg-tcheou  fou  |ii]  #|  Jff.  Chen-si  Petite  géogr., 
vol.   14.  p.   iç     —     Grande,   vol.  54,  p.   24  . 

Pé-tcheng  était  a  22  li  au  sud  de  Teng-tch'eng  hien  ;^  fc£  $£,  qui  est  .1  120 
li  au  nord  de  ["ong-tcheou  fou.  {Petit,-  géogr.,  vol.  14.  )>.  20  —  Grande,  vol.  -v- 
p.   26). 

(2)  Tchenic-k'oang   était   à   .30  li  à    l'ouest    rie    Soei-tcheou     '':';  ft\.    qui    1  - 
l'ouest  de  sa  préfecture  Koei-té  fou  Jê^ft  Ho-nan.  C'était  sur  le  territoire  de  Song 
^.     Petite  géogr.,   vol.    12.  p.    14  .   —  (Grande, vol.  jo.  jj.   13 

3  Ki-ma  était  a  36  li  au  si.d  de  P'ou-tcheou  fou  };|f  41  ff .  Chan-si.  Petite 
ijeoçjr.,  roi.  8.  p.  30     —   (Grande,  vol.  41   v. 

I  i 


122  TEMi'S   VR.U.M1  .<T    HISTORIQUES 

son  char,  le  seigneur  Fan  Ou-hiué  fa  fjff'IÉ '■  K'i  K'iuê  §ft  Hjk 
commandait  l'aile  droite,  avec  Yu  Pion  E}3  $$  pour  second;  Lonn 
T'ufn  §H  Jg~  commandait  l'aile  gauche,  avec  Siu  Kia  Iff  ^  pour 
second  ;  tout  était  disposé  pour  une  campagne  sérieuse. 

On  suivit  les  troupes  de  Ts'in  |£  jusqu'à  Ho-k'iu  fpj  llj]  l  ■ 
Là,  dans  le  conseil  des  officiers,  Yu  Pien  fit  la  remarque  suivante  : 
l'armée  ennemie  ne  peut  pas  rester  longtemps  ici  :  creusons  un 
fossé  profond,  élevons  un  mur  en  terre  haut  et  solide,  puis  atten- 
dons tranquillement  dans  notre  camp  retranché.  L'avis  fut  de 
suite  exécuté. 

Les  troupes  de  Ts'in  f|f.  en  effet,  demandaient  à  livrer  ba- 
taille :  K'ang-kong  avait  auprès  de  soi  le  fuyard  Che  llnei  ^f;  ^  : 
il  l'interrogea  sur  le  moyen  de  forcer  Siuen-tse  à  combattre  : 
Cette  fois,  répondit  le  transfuge,  le  premier  ministre  a  emmené  Yu 
Pien  ;  certainement  c'est  lui  qui  a  suggéré  le  plan  de  défense  ;  il 
veut  lasser  notre  armée,  il  n'y  parviendra  pas  ;   voici  pourquoi  : 

Auprès  du  premier  ministre,  il  y  a  son  cousin  Tchao  Tch'oan 
ffi  ïgf.  gendre  du  défunt  souverain,  et  l'un  des  favoris  de  la  cour; 
c'est  un  homme  nul,  sans  aucune  expérience  de  la  guerre,  un 
étourdi  qui  se  targue  de  bravoure,  et  de  plus  un  ennemi  de  Yu 
Pien  ;  envoyez  des  troupes  légères  le  provoquer,  le  harceler  ;  sûre- 
ment il  sortira  du  camp,  et  forcera  ainsi  l'armée  à  le  suivre. 

K'ang-kong  offrit  une  précieuse  tablette  de  jade  en  sacrifice 
à  l'Esprit  protecteur  du  Fleuve  Jaune,  pour  se  le  rendre  favorable; 
puis,  à  la  12  "'  lune,  nu  jour  meou-ou  r^  ^f.  il  fit  attaquer  l'aile 
droite  de  l'armée  ennemie.  Tchao  Tch'oan  fit  une  sortie  sur  les 
assaillants,  qui,  naturellement  prirent  la  fuite  pour  l'attirer:  il  les 
poursuivit  sans  pouvoir  les  atteindre. 

Rentré  au  camp,  il  s'écria  en  fureur:  Ayant  une  si  grande 
abondance  de  vivres,  nous  nous  morfondons  ici  !  l'ennemi  vient 
nous  attaquer,  personne  ne  bouge!  qu'attendons-nous  donc?  Des 
officiers  lui  répondirent  qu'on  attendait  une  bonne  occasion,  pour 
frapper  un  grand  coup  :  il  riposta  avec  la  même  fureur  :  Je  ne 
comprends  rien  à  vos  stratagèmes!  moi,  je  vais  me  lancer  seul  sur 
l'ennemi!  Avant  ainsi  parlé,   il  sortit  du  camp  avec  ses  hommes. 

Siuen-tse  était  vivement  contrarié  de  cette  conduite  ;  cepen- 
dant il  dit  à  ses  généraux:  K'ang-kong  Jfâ  Q  va  faire  prisonnier 
ce  téméraire,  et  il  s'en  retournera  chez  lui  tout  glorieux  ;  si  je 
laisse  prendre  ce  ministre  d'Etat,  de  quel  front  reparaitrai-je  à  la 
cour?  Sur  ce.  il  fit  sortir  toute  son  année:  il  y  eut  un  combat, 
mais  on  ne  sut  qui  était  vainqueur. 

Pendant  la  nuit,  un  officier  de  T.<cin  §|§  apporta  au  camp  le 
message    suivant  :    Nos   deux  armées  ne  sont  pas  contentes  de  cette 


I     Ho-k'iu,  aussi  nommée  P'ou-pan-tch' eng  ;jjj  -S  %•  ^'tait  a  5  •'  >ud     s 
P'ou-tcheou  fou.    Petite  géogr.,  vol.  S.  p.  30)  —  (Grande,  vol.  41.  p.    • 


DU   ROYAUME   DE  TSIN.    LING-KONG.  123 

bataille  insignifiante;  demain  matin,  recommençons  s'il  vous  plaît 
le  combat. 

Yu  Pien  dit  àrtix  autres  officiers  :  Les  yeux  du  messager  étaient 
hagards,  sa  voix  tremblait  :  les  gens  de  Ts'in  %\  ont  peur  de  nous, 
ils  sont  capables  de  s'enfuir  cette  nuit  ;  attaquons-les,  au  moment 
où  ils  traverseront  le  Fleuve  Jaune,  nous  sommes  sûrs  d'une  belle 
victoire. 

Mais  Siu  Kia  jif  1{1  et  Tchao  Tch'oan  ^  ^  se  tenaient  sur 
la  porte  du  camp,  et  criaient  :  Nos  morts  et  nos  blessés  ne  sont 
pas  encore  ramassés  ;  les  laisser  là  serait  inhumain  !  sans  avoir 
indiqué  l'heure  et  le  lieu  du  combat,  se  jeter  à  l'improviste  sur 
quelqu'un,  alors  qu'il  est  dans  l'embarras,  serait  une  lâcheté! 

La  désunion  était  donc  parmi  les  officiers,  grâce  à  l'écervelé 
Tchao  Tch'oan;  ainsi  l'on  resta  tranquille,  quand  il  était  le  plus 
à  propos  d'agir  vigoureusement.  Ue  fait,  cette  nuit  même, l'armée 
de  Ts'in  ^  se  retira;  elle  revint  bientôt,  enleva  la  ville  de  Hiai 
     1;  qu'elle  abandonna  peu  après. 

En  614,  Siuen-tse,  craignant  un  retour  offensif  contre  cette 
même  ville,  y  envoya  le  grand  officier  Tclien  Kia  f^ê  ^  comme 
gouverneur,  avec  des  troupes  suffisantes,  pour  protéger  le  territoi- 
re et  le  défilé  de  T'ao-lin  $[>  \\\  2),  point  stratégique  de  la  plus 
haute  importance. 

Le  peuple  de  Tsin  regrettait  vivement  de  voir  un  homme 
aussi  éminent  que  Che  Hoei  -^  /§f .  au  service  de  l'ennemi;  en 
conséquence,  Siuen-tse  réunit  en  conseil  tous  les  ministres  ses 
collègues,  dans  la  ville  de  Tclwu-feou  }fé  %$  (3),  et  il  parla  ainsi  : 
Depuis  que  Che  Hoei,  l'ancien  gouverneur  de  Soei  |^  (4  ,  s'est 
enfui  au  royaume  de  Ts'in  ^,  et  Kia  Ki  jÇ  2p  chez  les  Tartares 
Ti  £J£,  les  malheurs  n'ont  cessé  de  fondre  sur  nous;  que  faire 
pour  remédier  à  cette  situation? 


(1)  Iliai,  sur  la  rivière  Tsiao  $k.  doit  son  nom  l'siao-hiai.  était  a  2  li  au  sud 
le  Clu-n-tclieuu  |$î  :W .   Ilo-naii     'l'rtitc  grogr..   roi-   ;  2 .  p.   64)    -    (Grande,   ool    48, 

p.   Si).    D'autres  auteurs  la   placent  à   5  li  sud-est  de   Hiai-tcheou   3?   M .   Chan-si. 

(2)  T'ao-lin.  Ce  pays  s'étendait  depuis  le  défilé  Tong-koan  ffi  jlj  jusqu'à  celui 
de  Han-kou-koan  §j  tir  '&',  donc  tout  le  territoire  de  Chcn-teheou  et  de  Hoa-tcheou 
^H  m  ;  c'est  le  passage  entre  la  province  du  llo-nan  et  celle  du  Chen-si.  Grande 
grogr..  vol.  4S.  p.  51).  Le  roi  de  Tsin  avait  pris  le  pays  de  Kouo  $£,  pour  i'assu- 
rer  ce  passage. 

(3)  l'chou-l'eou.  On  en  ignore  l'identification.  Serait-ce  Feou-chan  hien  ,f  |l| 
|f.  qui  est  à  90  li  à  l'est  de  sa  préfecture  P'ing-yang  fou  'I'  PU  tff  ■  Chan-si  '  (Petite 
géogr.,  vol.  S,  p.  S)   —   (Grande,  vol.  41.  p.    7  . 

(4)  Soei  était  un  peu  à  l'est  de  Kiai-hieou  hien  ft  #C  M •  dans  la  préfecture 
de  Fen-1 heau  fou  $)  :W  tfF-  Chan-si.  (Petite  géogr..  val.  S.  p.  16)  —  'Grandi-,  vol. 
42,  p.   y)  —  (Annales  du  Chan-si.   roi.  ji.  p.   41   . 


124  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

Siun  Lin-fou  ^j  JJ=£  '£  répondit  :  Allons  inviter  le  seigneur 
Kia  Ki  à  rentrer  dans  sa  patrie  ;  puis  nous  le  chargerons  d'entre- 
tenir de  bonnes  relations  avec  les  Tartares  :  ce  sera  déjà  un  grand 
avantage  pour  nous  :  d'ailleurs  son  père  Hou  Yen  $J£  f|g_  a  bien 
mérité  de  notre  famille  régnante. 

Le  seigneur  K'i  K'iuè  £J$  $fe  répliqua  :  Kia  Ki  est  un  révo- 
lutionnaire ;  il  ne  vaut  pas  Che  Hoei  :  celui-ci  a  su  montrer. 
même  dans  une  position  inférieure,  une  grande  dignité  et  une 
conduite  irréprochable:  il  n'a  pas  de  crimes  à  sou  compte,  et  il 
en  est  incapable:  il  est  soumis,  et  il  peut  remplir  les  postes  les 
plus  importants:  c'est  lui  qu'il  faut  rappeler. 

On  résolut  donc  de  l'envoyer  chercher  :  mais  comme  il  n'était 
pas  facile  d'arriver  jusqu'à  lui  sans  exciter  de  soupçons,  Siuen-tse 
proposa  une  chinoiserie  assez  curieuse  :  Cheou  Yu  ^  fȣ,  gouver- 
neur de  Wei  §j|  1  .fut  chargé  de  simuler  une  rébellion,  et  d'aller 
offrir  cette  ville  au  roi  de  Ts'in  H  ;  il  devait  alors  s'aboucher 
avec  Che  Hoei,  et  s'entendre  avec  lui  pour  favoriser  son  évasion. 

Cheou  Y u  partit  en  toute  hâte;  on  saisit  sa  femme  et  ses 
enfants,  et  l'on  proclama  bien  haut  la  soi-disant  trahison  ;  la 
rumeur  en  parvint  bientôt  au  pays  de  Ts'in  J|  :  quand  le  député 
fut  arrivé  à  la  cour,  il  trouva  les  esprits  tout  disposés  en  sa  faveur; 
K'ang-kong  j^  7fe  accepta  volontiers  la  ville  qu'on  lui  offrait.  Cheou 
Yu  rencontra  bien  Che  Hoei,  mais  il  ne  pouvait  lui  parler  en  pu- 
blic :  sans  en  avoir  l'air,  il  lui  pressa  le  pied,  et  lui  fit  signe  de 
s'enfuir  avec  lui;  le  petit  stratagème  fut  parfaitement  compris  de 
Che  Hoei.  il  ne  restait  qu'à  l'accomplir. 

K'ang-kong  envoya  un  armée  prendre  possession  de  la  ville  : 
elle  .  e  tenait  sur  la  rive  occidentale  du  Fleuve  Jaune,  les  habitants 
de  Wei,  sur  la  rive  orientale:  Cheou  Yu  dit  au  roi  :  Donnez-moi 
un  homme  qui  sache  notre  langue,  afin  qu'il  puisse  parler  aux 
officiers  et  magistrats  de  la  ville. 

K'ang-kong  désigna  Che  Hoei.  Celui-ci  se  récria:  Les  gens 
de  Tsin  sont  des  loups  et  des  tigres  :  quand  j'arriverai,  ils  auront 
peut-être  changé  d'avis  :  ils  me  massacreront  :  vous  tuerez  ma 
femme  et  mes  enfants:  ainsi  tous  les  malheurs  seront  pour  moi, 
sans  aucun  profit  pour  vous  :  les  regrets  seront  inutiles. 

K'ang-kong  ne  se  doutait  de  rien:  Partez  sans  crainte,  dit- 
il  :  si  le  gens  de  Tsin  ne  tiennent  pas  leur  promesse,  et  vous  font 
pris  mnier,  je  vous  enverrai  votre  femme  et  vos  enfants:  je  le  ju- 
re par  ce  lleuve  qui  coule  devant  vous!  Sur  ce,  les  deux  seigneurs 
passèrent  le  Meuve  Jaune. 

Au  moment  où  Che-hoei  montait  en  barque,  un  grand  sei- 
gneur nommé  Chao-lchao  %&  $j]  lui  fit  présent  d'un  fouet,   en   lui 

1  Wei,  annexée  en  661,  était  au  nord-est  de  Joei-tch'eng  ]ïj  |,$  sur  la  rive 
septentrionale  du  fleuve  Jaune,  fchan-si.  Petite  géogr.,  vol.  8,  )>.  41  -  Grande. 
vol     1 .  p.    //    —    pol.   41 .  p. 


DU   ROYAUME  DE  TSIX.    LING-KONG.  125 

disant:  Ne  croyez  pas  que  personne  n'ait  deviné  votre  jeu;  vous 
réussissez  parce  que  mes  conseils  n'ont  pas  été  écoutés! 

Quand  les  deux*  seigneurs  furent  sur  l'autre  rive,  les  gens 
de  Wei  f|Ç  poussèrent  de  grandes  clameurs,  en  signe  de  joie; 
puis  ils  s'en  retournèrent  chez  eux,  sans  dire  un  mot  au  sujet 
de  la  ville.  K'ang-kong  s'aperçut  alors  qu'il  avait  été  berné  :  mais 
il  était  trop  tard;  il  tint  cependant  sa  promesse,  et  il  envoya  à 
Che  Hoei  sa  femme  et  ses  enfants.  Quelques  membres  de  cette 
famille  préférèrent  demeurer  dans  le  pays  de  Ts'in  ^  :  ils  y 
reprirent  leur  ancien  nom  Lieou  |?lj,  de  leur  ancêtre  l.ieou-lei  §lj 
||,  descendant  de  l'illustre  empereur  Yao  ôjè. 

A  la  lin  de  cette  même  année  614,  Wen-kong  /£  JV  duc  de 
Lou  fê-,  se  rendait  à  la  cour  du  jeune  Ling-kong,  pour  le  saluer, 
et  renouveler  l'ancien  traité  d'amitié  signé  en  619  à  Heng-yong 
Hj  3fè.  Le  duc  eut  aussi  une  entrevue  à  Ta  7^  avec  le  comte  de 
Tcheng  fi^  :  et  une  autre  à  Fei  1(5  (1),  avec  le  marquis  de  Wei 
H)  ;  ces  deux  princes  avaient  reconnu  que  la  suzeraineté  de  Tch'OU 
2îË  ne  leur  avait  guère  procuré  que  des  déboires  :  ils  avaient  re- 
gret de  leur  défection,  et  priaient  le  duc  de  leur  en  obtenir  le  par- 
don ;  ce  ne  fut  pas  difficile  ;  on  était  trop  content  de  leur  conver- 
sion,  pour  leur  imposer  une  dure  pénitence. 

En  613,  le  premier  ministre  Tchao  Siuen-tse  présidait,  à 
Sin-tch'eng  %f\  j)fc  (2),  une  réunion  de  sept  vassaux;  outre  les 
deux  princes  que  nous  venons  de  nommer,  celui  de  Song  'fc  de- 
mandait aussi  sa  réconciliation  ;  c'était  un  vrai  triomphe  pacifi- 
que pour  le  premier  ministre  ;  puisqu'on  préférait  son  autorité  à 
celle  d'un  puissant  rival.  L'état  de  Tch'en  ftjfl  étant  déjà  revenu 
à  résipiscence,  les  amis  d'autrefois  se  retrouvaient  au  complet.  A 
la  6'""'  lune,  au  jour  koei-yecu  %fc  "jpç,  on  renouvela  les  anciens 
traites  d'alliance;  puis  on  tint  conseil,  au  sujet  de  la  principauté 
de  Tchou  ^|$,  dont  la  sucession  nécessitait  une  guerre  :  l'accord 
fut  prompt,  et  bientôt  une  armée  de  huit  cents  chars,  c'est-à-dire 
soixante  mille  hommes,  était  en  marche  sous  la  conduite  du  pre- 
mier ministre. 

La  cause  de  cette  "guerre  de  succession"  est  bien  simple  : 
A  la  mort  de  Wen-kong  ~%  £    3),  prince   de   Tchou   £f,    son  fils 


(1)  Ta  est  inconnue,  disent  les  commentaires.  Il  \  a  une  ville  Ta-che  tch'eng 
ff  JS;  feL  au  sud-est  de  Kin-tcheou-ivei  £  #l  ffî  Chan-tong.  Serait-ce  celle-là? 
(Grande  géogr.,  roi.  3-.  p.   18 

Fei  était  probablement  au  sud-est  de  l'antique  ville  de  Lin-hiang  M  JjJ, 
laquelle  se  trouvait  à  25  li  à  l'esl  de  Sin-tch'eng  hîen  îff  i$  !?.{?.  dans  la  préfecture 
de  K'ai-fong  fou  [îf]  M  'ff.  Ho-nan.  (Grande  géogr.,  col.  4-.  p.  32  . 

(2)  Sin-tch'eng,  était  au  sud  de  l'antique  ville  Hoang-tch'eng  Ift  M*,  laquelle 
est  au  sud-ouest  de  K'oei-té  fou  $$  ®,  fï  Ho-nan.     Grande  géogr..  vnl  jo,  p 

(3)  Tchou.  Voyez  l'identification,  au  début  de  ce  présent  règne,  année  I  - 


126  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

aine  monta  sur  le  trône,  sans  aucune  injustice;  son  frère  cadet, 
nommé  Kien-tse  tyk  ~$,  était  fils  de  la  seconde  épouse,  une 
princesse  de  Tsin  :  il  prétendait  à  la  couronne,  et  s'était  réfugié 
auprès  de  Ling-kong,  pour  y  faire  valoir  ses  droits. 

A  l'arrivée  des  troupes  confédérées,  les  habitants  de  Tchou 
ne  se  laissèrent  pas  intimider;  ils  envoyèrent  une  députation 
avec  le  message  suivant:  Notre  humble  souverain,  fils  de  la  pre- 
mière épouse,  une  princesse  de  Ts'i  ^,  est  l'aîné  de  la  famille; 
selon  le  droit  antique,  il  est  le  successeur  légitime,  et  ne  fait  tort 
à  personne;  c'est  donc  lui  qui  doit  régner. 

Ces  paroles  si  justes,  si  pleines  de  modération,  firent  une 
profonde  impression  sur  le  premier  ministre:  Si  j'agissais,  dit-il, 
contre  une  cause  si  évidente,  je  craindrais  d'attirer  sur  moi  la  co- 
lère du  ciel.  Ayant  dit  ces  mots,  il  ramena  son  armée,  et  laissa 
les  gens  de  Tchou  tranquilles.  Avant  de  commencer  l'expédition, 
il  eût  mieux  fait  de  considère)"  les  droits  réciproques  des  deux 
prétendants. 

En  612,  au  printemps,  un  seigneur  de  Lou  $},  nommé  Ki 
Wen-tse-jou  2p  ^C  ~ï  $11-  était  envoyé  vers  Ling-kong,  pour  de- 
mander secours  contre  le  pays  de  Ts'i  ^ .  où  une  princesse  de 
Lou  avait  subi  une  grande  injure.  On  no  peut  savoir  au  juste  de 
quoi  il  s'agissait;  les  historiens  ont  voilé  la  chose;  c'était  une 
affaire  de  mœurs,  où  la  princesse  n'avait  pas  eu  un  beau  rôle  ;  on 
ne  voit  pas  d'autre  raison  à  cette  querelle. 

A  la  6  ,:"'  lune,  le  grand  seigneur  K'i  K'iuè  £[>  ^  conduisait 
une  armée  contre  le  petit  état  de  Ts'ai  ^,  dont  le  prince  n'avait 
pas  daigné  venir  à  la  réunion  de  Sin-tcheeng  %$\  ij^  :  on  voulait 
lui  donner  une  leçon  d'obéissance.  L'armée  n'avait  que  les  deux 
corps  de  droite  et  de  gauche  :  celui  du  centre  ne  prit  pas  part  à 
l'expédition. 

Le  général  enflamma  ses  troupes  en  disant  :  Notre  souverain 
est  encore  jeune;  il  faut  lui  montrer  un  dévouement  d'autant  plus 
empressé  !  La  capitale  fut  prise,  au  jour  ou-chen  /J£  ^  ;  le  prince 
eut  la  honte  de  signer  un  traité  de  soumission  au  pied  des  murs 
de  sa  ville,  et  l'armée  s'en  retourna  triomphante. 

En  automne,  le  seigneur  de  Lou,  Ki  Wen-tse-jou,  revenait  à 
la  charge  auprès  de  Ling-kong;  il  voulait  à  tout  prix  faire  punir 
le  roi  de  Ts'i  $f,  ou  obtenir  une  réparation  satisfaisante.  A  la 
11""  lnne,  dit  sèchement  Confucius,  les  princes  féodaux  tiennent 
une  assemblée  à  Hou  j^  (1)»;  le  saint  homme!  il  se  garde  bien 
de  dire  pourquoi  ! 


(I)   Hou  étail  au  nord-ouesl  cl<>   Yuen-ou  Iticn  /K  jv.  !|£,  qui  est  à   120  li  nord- 

Duesl  de  sa  préfecture  K'ai-fong  /'«m  Rf]  }\  Ijîf,  4o-nan;  coi souvenir,  il  y  a  en-- 

core  un  kiosque    appelé    Hou-t'ing  Jjï  2^£.     Grande  géogr.,  vol.  47.  p.   •?,"•     —  (voir 
année  620*. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    LING-KONG.  127 

La  réunion  fut  pourtant  brillante  :  huit  princes  étaient  grou- 
pés autour  de  Ling-kong;  ils  renouvelèrent  le  traité  d'amitié 
à  Sin-lch'en§  jpj  J$  ;  puis  ils  délibérèrent  sur  le  cas  du  roi  de 
Ts'i.  On  lui  trouva  plusieurs  méfaits  :  il  avait  enchaîné  l'ambas- 
sadeur impérial:  il  avait  vexé  et  injurié  le  duc  de  Lou,  etc.  etc  : 
bref,  il  méritait  punition.  Ce  qu*on  ne  disait  pas,  c'est  qui!  se 
souciait  peu  de  Ling-kong  et  de  sa  cour:  il  ne  désirait  point  son 
alliance,  et  penchait  plutôt  du  coté  de  Tch'ou  ^j|. 

On  délibéra  donc,  on  menaça  même:  pour  se  délivrer  d'en- 
nui, le  roi  de  Ts'i  envoya  de  riches  cadeaux  à  Ling-kong  et  à  son 
premier  ministre,  et  tout  fut  fini:  la  guerre  n'eut  pas  lieu.  Pour 
ne  pas  paraître  accuser  officiellement  le  roi  de  Ts'i,  le  duc  de  Lou 
n'avait  pas  assisté  à  l'assemblée  :  il  dut  refouler  son  chagrin  au 
fond  de  son  cœur,  et  recevoir  la  princesse  Tse-chou-ki  ^  .\'l  $£ 
chassée  ignominieusement  de  la  cour.  Les  querelles  entre  les  deux 
états  durèrent  encore  des  années:  mais  le  duc  n'était  pas  de 
taille  à  se  mesurer  avec  un  tel  adversaire. 

En  611.  il  n'y  a  rien  dans  les  historiens. 

En  610,  au  printemps.  Siun  Lin-fou  ^j  \\K  ^£  conduisait 
une  armée  contre  le  pays  de  Song  5f;.  où  l'on  avait  tué  le  roi,  et 
mis  à  sa  place  un  autre  prince,  nommé  Wen-komj  ~*£  fè  ;  les 
états  de  Wei  fêj .  de  Tch'en  |S|f  et  de  Tcheng  ^  fournirent  leur 
contingent  de  troupes  auxiliaires:  il  n'y  eut  pas  de  batailles;  on  ne 
punit  point  l'usurpateur,  en  dépit  des  lois  sévères  édictées  autrefois 
par  les  anciens  empereurs:  on  laissa  les  choses  dans  le  statu 
quo».  Le  nouveau  souverain  avait  sans  doute  grassement  pavé 
l'expédition,  promis  fidélité  inviolable  à  son  suzerain.  Les  com- 
mentaires ergotent  longuement  sur  les  quelques  paroles  de  Confu- 
cius ;  ils  n'empêcheront  pas  la  réalité  de  la  chose;  on  s'en  tint  au 
•fait  accompli"     1   . 

En  été.  Ling-kong  présidait  de  grandes  manœuvres  militaires, 
à  Hoang-fou  jlf  3Ê  -  :  Pll's  ^  ^ilU  une  nouvelle  assemblée  des 
vassaux,  à  Hou  J^.  au  sujet  du  pays  de  Song.  Le  duc  de  Lou  ne 
vint  pas  à  cette  réunion:  il  avait  sur  le  cœur  son  échec  avec  le 
roi  de  Ts'i;  le  prince  de  Tcheng  ftp  s'y  présenta,  mais  n'y  fut  pas 
admis:  on  lui  reprochait  son  amitié  secrète  avec  le  roi  de  Tch'ou 
^£  :  sur  ce.  le  grand  seigneur  T-<e-kia  -~p  'fâ.  prit  son  pinceau,  et 
écrivit  au  premier  ministre  Siuen-tse  une  lettre  restée  célèbre  :  La 
voici  : 


(1)   C'est  la  veuve  de  Siang-kong  J|  •£■.  de  Tsin,  qui  avait  envoyé  AVei-, 
H   assassiner  le  roi  Tchao-kong  BS  S-    620-611     et  nu-un-    sur   le    uY>ne   le    propre 
frère  de  ce  dernier. 

2  Hoang-fou,  aussi  nommée  II-  Jang  JpL  igj.  et  aussi  Ou-ling  ,f.^  $f.  Cette 
ville,  avec  son  défilé,  se  trouvait  à  40  li  nord-ouest  de  Ts'in-choei  hien  îfc  Tjv.  3f . 
qui  est  à  200  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  Tch'e-tcheou  /'nu  }^l  H\  Jfi .  Chan-si  Petiti 
géogr...   vol.  S.  p.   28)    —    Grande,   vol.   jj.  t 


128  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

A  peine  sur  le  trône  depuis  trois  ans,  notre  humble  souve- 
rain engagea  le  prince  de  Ts'ai  |g  à  se  rendre  avec  lui  à  votre 
cour,  saluer  votre  illustre  roi:  à  la  9ème  lune  de  Tannée  626,  le 
prince  de  Ts'ai  était  chez  nous,  prêt  à  partir;  malheureusement, 
nous  avions  la  révolution  causée  par  Ileou  Siuen-touo  {%  rt±  ^ , 
il  fallut  d'abord  la  réprimer;  à  la  1 1  ";  '  lune,  notre  humble  sou- 
verain rejoignait  le  prince  de  Ts'ai.  se  rendait  avec  lui  à  votre 
cour,  et  traitait  les  affaires  officielles  avec  votre  premier  ministre. 

En  616,  à  la  6"J"K'  lune,  j'accompagnais  le  prince  héritier  I  ^ 
au  royaume  de  Tch'ou  $£,  pour  exhorter  le  prince  de  Tch'en  f^, 
et  ramener  à  se  remettre  sous  votre  obédience.  En  614,  à  la  7ème 
lune,  notre  humble  souverain  était  à  votre  cour,  pour  intercéder 
en  faveur  de  ce  même  prince;  en  613,  à  la  5èl,le  lune,  celui-ci  vous 
faisait  hommage  en  personne;  enfin,  Tan  dernier,  Tcliuu.  Tche-ou 
'JH  i.  5v-  à  la  lère  lune,  accompagnait  notre  prince  héritier  /  ^ 
pour  une  visite  amicale  à  votre  cour. 

Les  pays  de  Tch'en  ^  et  de  T.s'aï  $g  sont  voisins  de  Tch'ou 
3J|?  ;  s*ils  ne  sont  plus  ses  alliés,  c'est  grâce  aux  bons  offices  de 
notre  humble  souverain.  Après  des  services  semblables,  que  peut 
donc  lui  reprocher  votre  illustre  maître?  il  a  fait  visite  et  homma- 
ge à  votre  défunt  roi  Siang-kong  î||  ^  ;  deux  fois  déjà  il  est  allé 
saluer  votre  souverain  actuel  Ling-kongi  le  prince  héritier  et  plu- 
sieurs grands  seigneurs  se  sont  rendus  à  votre  capitale  (1). 

Nous  sommes  un  pays  sans  importance;  mais  qui  donc  a 
montré  plus  de  zèle  que  nous,  envers  votre  illustre  royaume?  Main- 
tenant votre  cour  n'est  pas  encore  satisfaite  de  nos  services  !  Que 
devons-nous,  et  que  pouvons-nous  faire  de  plus?  il  ne  nous  reste 
que  la  ruine  à  attendre  de  votre  main  ! 

Les  anciens  avaient  ce  proverbe  :  si  la  tète  et  la  queue  sont 
en  danger,  que  reste-t-il  en  sûreté?  Et  encore  celui-ci  :  un  cerf 
réduit  aux  abois  ne  craint  plus  rien;  il  se  jette  tète  baissée  sur  le 
ehasseur.  Si  donc  un  grand  royaume  se  montre  bienveillant  et 
généreux,  les  petits  états  consentent  volontiers  à  le  servir:  au  cas 
contraire,  poussés  dans  une  impasse,  ils  imitent  le  cerf,  ils  se 
précipitent  sans  raisonner  là  où  les  pousse  leur  fureur. 

\'<>s  exigences  sont  outrées;  vous  voulez  notre  ruine:  il  ne 
nous  reste  plus  qu'à  réunir  nos  quelques  troupes,  à  Yeou  {•§:  (2), 
sur  notre  frontière,  el  à  attendre  les  ordres  de  vos  seigneuries. 
Autrefois,  notre  défunt  souverain  Wen-kong  ^  7fe,  la  2  l!  année 
de  son  règne,  s'était  rendu  à  la  cour  de  Tx'i  j§  :  voyant  ensuite 
ce    roi    envahir    le    pays    de    Ts'ai    ffc,    il   craignit   pour  sa  propre 

(I)   La  capitale  Kiang,  après  plusieurs  changements,  occupa  enfin  le  territoire 
actuel   de    Kiang-tcheou  i£  -J}|,    150  li  au  sud  de  PHng-yang  /'(»«  -Zp  FH  'fT-  Chan-si. 
ride  géogr.,  vol.  .//.  pp,   12  cl  37. 

Yeou   était   à    l'ouest    de   K'air-fong  fou   [ïf]  £\  H-;.  Ho-nan;    niais   l'endroit 
exact  est  inconnu. 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    LING-KONG.  129 

indépendance,  et  se  jeta  dans  les  bras  de  Tch'ou  *j|  ;  nous  autres, 
petits  états,  nous  trouvant  entourés  de  grands  royaumes,  et  nous 
voyant  poussés  à  bout,  nous  nous  cramponnons  à  la  dernière 
planche  de  salut,  sans  qu'on  puisse  nous  en  faire  un  crime;  si 
vous  autres,  grands  états,  ne  prenez  pas  cela  en  considération,  la 
faute  en  retombe  sur  vous,  qui  nous  poussez  à  cette  extrémité.» 

Avant  reçu  cette  lettre,  le  premier  ministre  députa  le  seigneur 
Kong  Chou  fp;  ^,  pour  arranger  amicalement  cette  querelle. 
Ling-kong  envoya  les  deux  dignitaires  Tchao  Tch'oan  $$  2*f  et 
Kong-siu-tch'e  fè  J^f  ftf}  comme  otages  à  la  cour  de  Tcheng  fj{$  ; 
de  son  côté,  le  prince  de  Tcheng  envoya  près  de  Ling-kong,  aussi 
comme  otages,  son  fils  héritier  7  ^  et  le  grand  officier  Chf-tch'ou 
f\  &£.  Malgré  ces  précautions,  la  foi  jurée  ne  dura  pas  longtemps  ; 
le  lecteur  pourra  alors  juger  de  la  valeur  de  la  fameuse  lettre  qu'il 
vient  d'admirer  ;  il  se  convaincra  que  messieurs  les  lettrés  ont  un 
art  particulier  pour  duper  le.->  gens  et  de  plus,  prouver  que  tout 
le  tort  vient  de  leurs  victimes;  la  politique  actuelle  n'a  pas  en- 
core changé. 

En  609,    rien  dans  l'histoire. 

En  608,  en  été,  Ling-kong  exerça  un  acte  de  sévérité  sur 
SiuKia-fou  ^  Fp  5£,  général- adjudant  du  3ème  corps  d'armée  ;  voici 
le  fait:  En  615,  à  la  bataille  de  Ho-k'iu  fuj  (i]j ,  ce  grand  officier 
avait  refusé  d'attaquer  une  position  retranchée  de  l'ennemi;  il 
avait  ensuite,  probalement,  commis  quelqu"  autre  faute  ;  cette  an- 
née donc  on  le  condamna  à  mort  ;  mais  on  usa  de  grâce,  et  sa 
peine  fut  réduite  à  l'exil  perpétuel  ;  sa  haute  dignité  ne  fut  pas 
non  plus  retirée  de  la  famille;  son  tils  K'o  t£  fut  nommé  au  mê- 
me poste.  Siu  Kia-fou  se  rendit  à  la  cour  de  Wei  $j  ;  son  officier 
SienSin  ft  ^  s'enfuit  à  celle  de  Ts'i  ^;  Tchao  Tch'oan  fg  ^ 
aussi  coupable  que  les  deux  autres,  ne  fut  point  puni  :  c'était  le 
cousin  du  premier  ministre,  comment  y  toucher? 

Nous  avons  vu  comme  Siuen-tse  et  ses  généraux  pardonnè- 
rent l'assassinat  du  prince  de  Sony  $£  ;  comment  le  roi  de  Ts'i 
|j^  se  tira  d'affaire,  en  dépit  de  deux  assemblées  de  vassaux  ;  les 
cadeaux  avaient  gagné  les  cœurs  et  les  consciences.  Le  prince  de 
Tcheng  f$  en  prit  prétexte  pour  rompre  avec  Ling-kong,  et  se  re- 
placer sous  l'obédience  de  Tch'ou  -fê  ;  ce  qu'il  méditait  depuis 
longtemps. 

Déjà  parjure  pour  ce  fait,  ce  prince  voulut  ravir  à  Ling-kong 
les  états  de  Tch'en  [5jf  et  de  Song  ^  ;  en  automne,  il  aidait  une 
armée  de  Tch'ou  f§  à  envahir  ces  deux  pays.  Le  premier  ministre 
Siuen-tse  réunit  en  conseil  les  princes  de  Sony  $£,  de  Tch'en  ffi. 
de  Wei  ^  et  de  Ts'a.0  l|f ,  à  Foi-lin  )}\  fa  (1)  ;  on  y  résolut  la 
punition  du  traître. 


(1)   Fei,  ou  Fei-lin.  Voyez  à  la  fin  de  l'année  614. 

17 


130  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Mais  Koei-kia  jÊ$  H,  général  de  Tch'ou  accourut  au  secours 
de  son  allié  ;  il  rencontra  l'armée  du  premier  ministre,  non  loin 
de  Pé-lin  ^fc  ^  (1),  et  fit  prisonnier  un  de  ses  grands  officiers; 
sur  quoi,  Siuen-tse  reprit  le  chemin  de  sa  capitale. 

Ling-kong  désirait  se  remettre  en  bons  termes  avec  le  puis- 
sant roi  de  Ts'in  Jjf ,  ce  n'était  pas  chose  facile,  après  la  trahison 
que  nous  avons  racontée  au  début  de  ce  règne  ;  Tchao  Tch'oan 
J§  ^,  l'écervelé  que  nous  connaissons,  crut  avoir  trouvé  un  moyen 
infaillible  d'arriver  au  but:  je  vais,  dit-il.  attaquer  le  fief  Tsong 
&:  (2)  ;  l'armée  de  Ts'in  accourra  au  secours,  alors  je  proposerai 
un  traité  de  paix.  Mais  K'ang-kong  |§f  ^V  devina  la  ruse,  et 
refusa  le  traité  espéré. 

A  la  fin  de  cette  même  année  608,  Ling-kong,  aidé  des  trou- 
pes de  Song  5$c,  faisait  attaquer  le  prince  félon  de  Tcheng  §§fl  ; 
mais  l'expédition  traîna  en  longueur,  sans  remporter  grand  avan- 
tage. Le  jeune  Ling-kong,  orgueilleux,  plein  de  lui-même,  n'écou- 
tait pas  les  avis  de  son  premier  ministre  ;  celui-ci  perdant  son 
influence,  le  pays  baissait,  tandis  que  celui  de  Tch'ou  ^  montait 
à  une  grande  puissance,  grâce  à  une  bonne  administration  et  à 
une  ferme  discipline. 

En  607,  au  printemps,  K'ang-kong  Jj|  fè  mettait  le  siège 
devant  T*iao  j£  (3),  pour  venger  l'invasion  du  fief  Tsong.  Le 
premier  ministre  Siuen-tse  accourut  et  fit  lever  le  siège  ;  de  là, 
passant  par  le  territoire  appelé  In-ti  ^  Jjjl  (4),  et  rejoint  parles 
troupes  auxiliaires  des  vassaux,  il  se  jeta  sur  le  pays  de  Tcheng 
f|j$.  Outre  les  griefs  précédents,  on  voulait  encore  venger  une 
défaite  ignominieuse  infligée  par  ce  prince  à  l'armée  de  Song  <%, 
à  Ta  Ki  *  $£  (5). 

Teou  Tsiao  f^j  ^  seigneur  de  la  famille  princière  Jo  Ngao  fë 
ffi  de  Tch'ou  ^,  vint  au  secours  de  Tcheng  fij$  ;  il  campa  sous  les 
murs  mêmes  de  la    capitale,   et   y   attendit   le    premier   ministre: 

(1)  Pé-lin  était  un  peu  au  sud-ouest  de  Tchong-meou  hien  ij)  ^|,  qui 
est  à  70  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  K'ai-fong  fou  [If]  Jt'fr,  Ilo-nan.  (Petite  géogr., 
vol.   12.  p.   14)  —  (Grande,  vol.  47,  p,   24). 

(2)  Tsong.  Sa  capitale  était  à  5  li  à  l'est  de  Yu  hien  ïft  $£ ,  qui  est  à  70  li 
sud-ouest  de  sa  préfecture  Si-ngan  fou  [g  ^ç  tff,  Chen-si.  Petite  géogr.,  vol.  14 
p.   12)  —  (Grande. vol.  SS>  P-  5"   —   vol.   I,  p.   16). 

(3)  Tsiao,  (il  y  a  aussi  une  rivière  de  ce  nom).  Cette  ville  était  à  2  li  au  sud 
de  Chen  tcheou  |JJ»  'H1!   Ho-nnn.  (Grande  géogr..  vol.  48.  p.  si). 

(4)  In-ti.  I.a  ville  était  un  peu  au  nord-est  de  Liu-che  hien  fi|[  ft;  f£,  qui  est 
à  340  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  Ilo-nan  fou  ]"')'  JmT  ïft.  Il  y  a  le  défilé  In-ti- 
koan  fè  iflj  |#J,  ;'i  120  li  sud-ouest  de  Ling-che  hien  §f  "fi  f£,  qui  est  elle-même  à 
100  li  de  Ho  tcheou  fê  'H],  Chan-si.   'Grande  géogr..  vol.  41 -p.  47  —  vol.  48,  p.  48*1. 

(5)  Ta-ki  était  à  70  li  sud-ouest  de  Ning-ling  hien  ^  |E§  $f ,  qui  est  à  60  li 
à  l'ouest  de  sa  préfecture  Koei-té  fou  fë$  f§  $f-  Ho-nan.  (Grande  géogr..  vol.  50.  p.  7). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN".    LING-KONG.  131 

nous  voulons  nous  mettre  à  la  tête  des  vassaux,  disait-il,  quelle 
difficulté  peut  nous  arrêter  ? 

Le  premier  mjnistre  connaissait  son  homme  ;  il  rebroussa 
chemin,  et  ramena  son  armée  sans  avoir  combattu.  La  famille  Jo 
Ngao,  disait-il,  se  croit  déjà  au-dessus  de  son  roi  ;  laissons-la 
s'enorgueillir  encore  de  notre  apparente  défaite  ;  bientôt  elle  sera 
anéantie. 

Dans  l'histoire  de  Tch'ou  nous  avons  parlé  de  cette  fière  fa- 
mille, ou  plutôt  de  ce  clan,  descendant  du  roi  Jo  Ngao  ;  elle  avait 
le  quasi-privilège  de  fournir  au  royaume  le  premier  ministre.  La 
prophétie  de  Tchao  Siuen-tse  n'est  qu'un  artifice  littéraire  de 
l'historien,  pour  nous  annoncer  la  ruine  prochaine  de  cette  puis- 
sante famille;  elle  a  lieu  en  605. 

Expliquons  maintenant  les  raisons  qui  amenaient  la  décaden- 
ce, au  moins  momentanée,  de  notre  royaume  de  Tsin.  Depuis  quel- 
ques années,  malgré  les  éminentes  qualités  du  premier  ministre, 
nous  voyons  les  choses  tourner  mal  ;  il  y  avait  un  motif,  le  voici  : 

Ling-kong,  comme  du  reste  son  nom  posthume  l'indique, 
avait  une  conduite  indigne  d'un  prince;  il  imposait  de  lourdes 
contributions,  et  il  les  gaspillait  en  constructions  insensées  ;  du 
haut  de  la  fameuse  tour  appelée  Ling-kong-t'ai  g  fè  jff  (1),  qu'il 
avait  bâtie,  il  s'amusait  à  tirer  de  Tare  et  de  l'arbalète  sur  les 
passants,  se  réjouissant  de  voir  comment  ceux-ci  évitaient  ses 
coups.  Ce  seul  fait  en  dit  déjà  long  sur  la  valeur  d'un  tel  souve- 
rain.     Poursuivons  : 

Son  maitre-cuisinier  devait  un  jour  lui  servir  des  pattes 
d'ours  ;  elles  ne  furent  pas  préparées  à  point  ;  le  malheureux  fut 
mis  à  mort.  Craignant  cependant  que  cet  acte  de  tyrannie  ne  fut 
connu  du  public,  le  prince  fit  mettre  le  cadavre  dans  un  panier. 
et  chargea  une  femme  de  l'emporter  dehors.  Le  premier  ministre 
et  Che  Hoei  -j^  'ff  se  trouvaient  tout  juste  sur  le  chemin  de  cette 
femme  ;  ayant  aperçu  une  main  mal  couverte,  ils  interrogèrent  la 
porteuse. 

Ecœurés  de  son  récit,  les  deux  seigneurs  voulaient  aller  de 
suite  faire  des  remontrances  au  jeune  fou;  mais  Che  Hoei  (ou 
Che  Ki  ^fr  3p)  se  ravisa:  si  nous  entrons  ensemble,  dit-il,  et  s'il 
ne  veut  pas  nous  écouter,  tout  sera  fini  ;  laissez-moi  aller  le  pre- 
mier ;  si  je  suis  écarté  par  lui,  vous  vous  présenterez,  et  lui  direz 
son  fait. 

Che  Hoei  entra  donc  jusqu'à  trois  fois,  et  s'avança  dans  la 
salle  du  milieu  ;  Ling-kong  voyait  bien  qu'il  voulait  lui  parler,  et 

(1)  La  tour  Ling-kong-t'ai.  Les  restes  se  trouvent  à  31  li  nord-ouest  de  Kiung 
tcheou  fê  ^H,  à  l'endroit  de  l'ancienne  ville  Tchang-sieou  J|  %■  'Annales  du  Châti- 
ai, vol.  55,  p.   r  ■ 

La  narration  de  ces  laits  est  un  chef-d'œuvre  littéraire.  'Voyez..  Zottoli:  1\  ■ 
p.  45  et  suiv.j. 


132  DU    ROYAUME   DE   TSIN.    LING-KONG. 

se  doutait  bien  aussi  de  quoi  il  serait  question;  à  la  fin,  s'adres- 
sant  à  lui:  Je  reconnais  ma   faute,    dit-il,   je   vais    m'en    corriger! 

Che  Hoei  se  prosterna  ;  de  son  front  il  frappa  la  terre  en  di- 
sant :  Qui  donc,  parmi  nous  autres  hommes  pécheurs,  est  sans 
faute"?  Pourvu  que  votre  Majesté  se  corrige, tout  est  pour  le  mieux  ! 
Le  livre  des  Vers  (1)  nous  dit:  beaucoup  de  gens  commencent,  peu 
mènent  leur  entreprise  à  bonne  fin;  et  encore:  si  l'empereur  com- 
met des  fautes,  il  n'y  a  qu'un  homme  comme  Tchong  Chan-fou  ftji 
\\}  "f|"  à  pouvoir  le  redresser.  Ainsi  peu  de  gens  parviennent  à 
s'amender  efficacement;  mais  si  votre  Majesté  se  corrige  vraiment, 
ce  sera  le  salut  du  pays  :  non  seulement  nous  autres  officiers  nous 
en  réjouirons,  mais  tout  le  peuple  avec  nous  ;  il  y  a  donc  encore 
bon  espoir  de  réparer  le  mal. 

Malgré  sa  promesse,  Ling-kong  ne  se  corrigeait  pas;  par  ses 
admonestations  le  premier  ministre  lui  devenait  odieux  ;  un  jour, 
il  ordonna  même  à  un  forban  nommé  Tch''OU  Mi  £(^  J[|r  de  l'assassi- 
ner. De  grand  matin,  celui-ci  se  rendit  au  palais  du  ministre;  la 
porte  de  sa  chambre  était  entr'ouverte,  Siuen-tse,  en  habits  de 
cour,  était  étendu  sur  son  lit,  attendant  l'heure  fixée  pour  se  ren- 
dre à  son  office. 

A  cette  vue,  l'assassin  se  retira  en  s'écriant  :  Un  ministre  qui 
a  son  emploi  à  cœur  jusqu'à  ce  point,  est  le  vrai  protecteur  du 
peuple;  tuer  un  tel  homme  serait  un  crime  impardonnable!  Mais 
désobéir  au  souverain  est  déloyal!  Réduit  à  cette  impasse,  il  vaut 
mieux  me  donner  la  mort!  Ayant  ainsi  parlé,  il  se  jeta  la  tête 
contre  un  acacia,  et  mourut  dans  la  cour  de  Ling-kong. 

La  première  tentative  avait  échoué  ;  le  jeune  tyran  avisa  un 
autre  moyen  :  en  automne,  cà  la  9ème  lune,  il  prépara  un  grand 
festin  en  l'honneur  du  premier  ministre,  et  aposta  des  soldats 
couverts  de  leur  cuirasse,  pour  le  massacrer  pendant  le  repas.  Mais 
T'i-mi  Ming  $§  ^  fj$,  son  lancier  du  char  de  guerre,  eut  vent  de 
ce  guet-à-pens  ;  il  se  hâta  de  monter  à  la  salle  du  festin,  et  s'écria  : 
Quand  un  sujet  dine  avec  son  souverain,  il  ne  doit  pas  boire  plus 
de  trois  coupes;  aussitôt  il  enleva  Siuen-tse,  sans  même  lui  laisser 
mettre  ses  sandales. 

Ling-kong  voyant  sa  victime  lui  échapper,  lança  un  gros 
chien  sauvage  sur  les  fuyards,  mais  T'i-mi  Ming  s'étant  retourné 
le  tua  net  :  Au  lieu  de  favoriser  les  hommes  de  lettres,  vous  nour- 
rissez des  chiens,  cria  le  ministre  au  tyran;  mais  fussent-ils  des 
plus  féroces,  ils  ne  vous  serviront  de  rien  contre  moi! 

Cependant,  les  satellites  étaient  sortis  de  leur  embuscade;  ils 
se  précipitèrent  sur  leur  proie;  Siuen-tse  se  défendait  tout  en  se 
retirant,  et  parvint  à  la  porte  du  palais,  il  était  sauvé;  mais  son 
lancier, qui  lui  faisait  un  rempart  de  son  corps,-fut  tué  dans  la  mêlée. 

(1)  Chou-kinu  ,'!•  ijjij?,  Zottoli,  III.  p.  263.  ode  21,  v.  1.  —  p.  279-  ode  26, 
V.   6)   —   (Couvreur,  p.  JJJ,   v.    1    —  p.  402,   v.   0   , 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    LING-KONG.  133 

A  ce  sujet,  l'historien  rapporte  le  trait  suivant  :  Précédemment 
le  premier  ministre  était  à  la  chasse  sur  la  montagne  Cheou-chan 
"ff"  |Jj  (1);  là,  se  reposant  à  l'ombre  d'un  mûrier,  il  aperçut  un  de 
ses  hommes,  nommé  Ling-tche  fH'  $j£,  qui  semblait  souffrir;  il  lui 
en  demanda  la  cause  :  — Je  ne  suis  pas  malade,  répondit  celui-ci  ; 
mais  depuis  trois  jours  je  n'ai  pas  encore  mangé.  —  Siuen-tse  lui 
fit  aussitôt  apporter  un  bon  repas;  l'homme  n'en  prit  que  la  moi- 
tié; Siuen-tse  lui  en  demanda  encoi'e  le  motif:  —  Depuis  trois 
ans,  dit  Ling-tche,  je  suis  au  service  du  roi,  et  n'ai  pas  revu  ma 
mère;  je  ne  sais  si  elle  est  morte  ou  en  vie;  étant  maintenant  si 
près  d'elle,  je  voulais  vous  demander  la  permission  de  lui  porter 
ces  restes. — Mange  tout,  repartit  Siuen-tse;  je  vais  faire  apporter 
d'autres  provisions  pour  ta  mère. 

Or,  parmi  les  soldats  en  embuscade,  dont  nous  venons  de 
parler,  se  trouvait  Ling-tche  ;  non  seulement  il  ne  porta  pas  la 
main  sur  le  premier  ministre,  mais  au  contraire,  il  le  défendit  de 
toutes  ses  forces;  mettant  sa  lance  en  travers,  il  barrait  le  chemin 
à  ses  compagnons;  et  c'est  en  grande  partie  ce  qui  sauva  la  vie 
de  Siuen-tse.  Celui-ci  lui  demanda  ensuite  pourquoi  il  l'avait  ainsi 
protégé  :  Je  suis  cet  affamé  à  qui  vous  avez  donné  à  manger, 
repondit  le  soldat.  —  Siuen-tse  voulait  savoir  son  nom,  sa  demeu- 
re; mais  l'autre  s'en  alla  sans  dire  un  mot  de  plus. 

Voilà  encore  un  «saint»  caché,  comme  les  lettrés  en  mention- 
nent tant  dans  leurs  livres,  sans  se  soucier  de  les  imiter.  En  tout 
cas,  si  le  fait  est  vrai,  il  prouve  une  fois  de  plus  qu'un  bienfait 
n'est  jamais  perdu. 

Quant  au  premier  ministre,  sa  tète  n'était  plus  en  sûreté  ;  il 
s'empressa  de  fuir  en  exil.  L'écervelé  Tchao  Tch'oan  j|§  j£,  son 
cousin,  imagina  un  moyen  à  sa  façon,  pour  se  mettre  hors  de 
danger;  à  la  9ème  lune,  au  jour  appelé  i-tcheou  £  jj,  il  massacra 
Ling-kong. 

Siuen-tse  n'avait  pas  encore  passé  la  frontière,  quand  cette 
nouvelle  lui  fut  annoncée;  aussitôt  il  rebroussa  chemin,  et  rentra 
dans  la  capitale.  Dans  la  suite,  il  apprit  que  l'historien  officiel 
de  la  cour  l'accusait  de  ce  régicide;  il  protesta:  Votre  seigneurie, 
répliqua  l'archiviste,  était  et  est  encore  premier  ministre  ;  vous 
n'étiez  pas  encore  hors  des  frontières  du  royaume  ;  vous  étiez 
donc  responsable  de  ce  qui  s'y  faisait;  rentré  à  la  capitale,  vous 
n'avez  pas  puni  l'assassin  ;  quel  autre  en  est  donc  responsable  ? 

Siuen-tse  s'écria  :  Hélas  !  c'est  pour  avoir  voulu  sauver  ma 
patrie  que  je  suis  revenu  ici  ;  et  voilà  que  vous  m'imputez  un 
crime  dont  la  mémoire  souillera  mon  nom  dans  la  postérité  ! 


(I)   Cheou-chan,  s'appelle  maintenant  Tchong-t'iao  chan  '|'  fi|»  jjj  ,ei  es(  à   15  li 

sud-est  de   P'ou-tcheou   fou   ${j  j\\  /fôf,    Chan-si.    (Petite  géogr.,    vol.    S.   p.  30    — 
(Grande,  vol.  61,  p.   iç1. 


134  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Confucius  discute  le  fait,  et  dit:  Tong  Hou  jg  ^  est  le  mo- 
dèle des  historiens  ;  il  écrivit  ce  qui  se  passait,  sans  respect 
humain,  sans  cacher  la  vérité;  Siuen-tse  était  le  modèle  des 
ministres  ;  s'il  lui  impute  ce  régicide,  c'est  que  la  vérité  historique 
veut  qu'on  écrive  tout  ;  hélas  !  s'il  eût  été  de  l'autre  côté  de  la 
frontière,  sa  réputation  serait  intacte!»  Le  lecteur  barbare  aura 
peut-être  quelque  peine  à  admettre  cette  façon  d'écrire  l'histoire  ; 
mais  la  Chine,  c'est  la  Chine  ;  et  Confucius  est  son  prophète  ! 
Reprenons  la  suite  des  événements  : 

Le  premier  ministre  députa  l'assassin,  son  cousin,  à  la  cour 
impériale,  où  se  trouvait  le  prince  Hé-t'oen  M  ip^,  oncle  de 
Ling-kong,  donc  frère  de  Siang-kong  H  ^ ,  et  fils  de  Wen-kong 
^C  fè  ;  c'est  lui  que  l'on  voulait  mettre  sur  le  trône,  et  que  nous 
allons  bientôt  retrouver  sous  le  nom  de  Tch'eng-kong  fâ  fè.  A 
la  10ème  lune,  au  jour  appelé  jen-chen  f£  r^,  celui-ci  se  présen- 
tait officiellement  au  temple  des  ancêtres  [Ou-kong  fâ  ^1,  et  par 
le  fait  même  prenait  possession  de  la  couronne. 

Précédemment,  c'est-à-dire  en  656,  à  cause  des  révolutions 
causées  par  l'intrigante  Li-ki  JjjH  j([5,  on  avait  édicté  une  mesure 
radicale,  pour  empêcher  à  l'avenir  semblables  désordres:  on  avait 
fait  jurer  à  tout  le  monde,  que  jamais  plus  on  ne  supporterait  à 
l'intérieur  du  royaume,  un  des  fils  du  précédent  souverain.  Cela 
explique  la  présence   du   prince   Hé-t'oen   à   la  cour  de  l'empereur. 

Dès  son  avènement,  le  nouveau  souverain  fit  abroger  cette 
loi,  dont  il  avait  souffert.  Il  donna  les  plus  hautes  dignités  aux 
fils-aînés  des  ministres  et  des  familles  seigneuriales  ;  il  leur  assi- 
gna aussi  des  fiefs  en  conséquence  ;  ils  furent  donc  considérés 
comme  membres  de  la  maison  régnante  ;  aux  fils  cadets,  il  distri- 
bua des  dignités  moins  élevées  ;  et  les  titulaires  portaient  le 
qualificatif  Yu-tse  f^  Hp,  second,  cadet,  puîné.  Quant  aux  princes, 
nés  des  concubines  du  souverain,  ils  reçurent  des  dignités  mili- 
taires, avec  le  qualificatif  Kong-hang  fè  ^f. 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  nous  sommes  en  Chine.  Or, 
depuis  les  temps  les  plus  reculés,  l'élément  militaire  y  a  toujours 
été  considéré  comme  inférieur  à  l'élément  lettré,  ou  civil  ;  car 
l'antique  principe  était  celui-ci  :  quiconque  travaille  de  l'esprit 
domine  celui  qui  ne  travaille  que  du  corps. 

Désormais  donc,  dans  le  pays  de  Tsin,  les  trois  degrés  de  la 
hiérarchie  furent  ainsi  déterminés  :  1°  les  princes  du  sang,  appelés 
Kong-tsou  fè  ~Jjfc.  2°  les  cadets,  ou  Yu-tse  f£  ^.  3°  les  grands- 
officiers,  ou  Kong-hang  fè  ^f.  Nous  verrons  si  ce  fut  une 
réforme  salutaire. 

Le  premier  ministre  demanda  au  nouveau  souverain  une  fa- 
veur pour  son  propre  frère,  nommé  Kouo  fê,  ou  encore  Ping  Ki 
)$■  Ép  ;  Siuen-tse  désirait  le  faire  admettre  parmi  les  princes  du 
sang,  les  Kong-tsou  fè  ^.  Ce  seigneur  n'était  que  le  demi-frère 
du  premier  ministre;    il  était  fils  de  la  princesse  Tchao  Ki  %Q  #&, 


DU   ROYAUME   DE  TSIN.    LING-KO.NG.  135 

cette  fille  de  Wen-kong  ^  ^  mariée  au  grand  seigneur  Tchao 
Tch'oei  j|f[  ^,  comme  nous  l'avons  raconté  à  l'année  635. 

Le  lecteur  n'a  pas  oublié  le  bel  exemple  d'abnégation  donné 
par  cette  princesse;  elle  descendit  au  second  rang  avec  ses  enfants, 
pour  faire  passer  au  1er  l'épouse  tartare  et  son  fils  Toen  /§",  le 
premier  ministre  actuel. 

Celui-ci  disait  donc  au  nouveau  souverain  :  Kouo  Jfj  était  le 
chéri  de  sa  mère  ;  moi  je  dois  montrer  de  la  reconnaissance  envers 
cette  princesse;  car,  sans  son  intercession  si  humble,  si  bienveil- 
lante, je  n'aurais  jamais  eu  le  bonheur  d'être  Chinois;  j'aurais 
été  un  Tartare  Ti  ^. 

Le  nouveau  souverain  accorda  la  faveur  demandée;  en  réalité, 
c'était  plutôt  une  juste  restitution,  inspirée  par  la  reconnaissance. 
Siuen-tse  céda  aussi  sa  dignité  à  son  frère  Kouo  |§,  qui  devint 
ainsi  le  chef  des  princes  du  sang;  quant  à  lui,  il  se  contenta  du 
titre  de  chef  des  officiers;  il  descendait  donc  au  troisième  rang(l). 

(1)  Le  tombeau  de  Tchao  Siuen-tse,  est  à  18  li  sud-ouest  de  T'ai-p'iny  hien 
;&  ?p  ty$  laquelle  est  à  90  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  P'ing-yang  fuu  ^  [^  }(] , 
Chan-si.  (Annales  du  Chan-si,  vol.  j6,  p.  27). 

D'après  le  texte,  Tchao  Kouo  l'ut  chef  des  "princes  du  sang  (Kong-tsou)  •  mais 
non  premier  ministre  ;  son  frère  n'avait  pas  été  autorisé  à  lui  céder  cette  autre 
disjnité. 


136 

TCH'ENG-KONG    (606-600) 

-H  +  H- 


Le  nom  posthume  du  nouveau  souverain  est  très  élogieux, 
tout-à-fait  en  opposition  avec  celui  de  son  prédécesseur  ;  il  signifie  : 
prince  qui  assura  la  sécurité  de  son  peuple,  et  le  gouverna  arec 
justice  et  bonté    1). 

Tch'eng-kong  était  déjà  vieux  ;  il  ne  pouvait  espérer  jouir 
longtemps  de  la  couronne.  Dès  la  l""p  année  de  son  règne,  il 
envoya  une  armée  contre  le  pays  de  Tcheng  ft$  ;  celle-ci  pénétra 
jusqu'à  Yen  7,i\l  2^:  aussitôt  le  prince  vint  offrir  sa  soumission; 
mais  le  généralissime  Che  Hoei  -j^  'gf  ne  se  contenta  pas  à  si  bon 
marché  ;  il  entra  dans  la  ville,  ce  qui  était  regardé  comme  une 
grande  humiliation,  et  exigea  un  traité  solennellement  juré. 

En  été,  une  armée  de  Tch'ou  *§  tombait  à  l'improviste  sur 
le  môme  pays  de  Tcheng,  pour  le  punir  à  son  tour  de  ce  traité 
d'alliance  ;  mais  cette  fois,  ce  fut  sans  résultat  :  l'année  suivante 
605),  en  hiver,  les  gens  de  Tch'ou  revinrent  à  la  charge,  sans 
plus  de  profit;  en  604,  encore  en  hiver,  ils  se  présentèrent  de 
nouveau:  mais  Tch'eng-kong  envoya  une  armée  de  secours,  sous 
les  ordres  du  général  Siun  Lin-fou  ^  fa  ;$£,  et  leur  campagne 
n'eut  pas  de  suites. 

Pendant  ce  temps,  le  prince  de  Tch'en  ^,  craignant  une 
invasion  des  troupes  de  Tch'ou,  sur  son  propre  territoire,  leur 
offrit,  de  soi-même,  un  traité  d'alliance  et  d'amitié.  C'est  pour- 
quoi le  fameux  premier  ministre  et  généralissime  Tchao  Siuen-tse 
W.  M  "?  conduisait  une  armée  contre  lui,  en  603,  au  printemps  ; 
comme  auxiliaires,  il  avait  les  troupes  de  Wei  fâ.  commandées 
par  le  général  Suen  Mien  ffî  fy. 

En  automne,  les  Tartares  rouges  TclVe  Ti  ff  %fc  s'insur- 
geaient contre  Tch'eng-kong,  lui  prenaient  la  ville  de  Hoai  -[ff,  et 
pénétraient  jusqu'à  celle  de  Hing  K'ieou  Jfl)  ]$  3).  Le  prince 
voulait  envoyer  une   armée   chasser   ces   impudents   envahisseurs  ; 

1      Texte  de  l'interprétation  :  t£  |£  ji.  j$  E3  ^ 

yen  était  à  l'est  de  Tcheng  tcheou  f|l$  ■';'.  Ho-nan,  près  de  l'ancienne  ville 
de  Pi-tch'eng  £R  j$.  qui  se  trouvait  à  6  li  à  l'est  de  Tchens:  tcheou.    Petite   géogr., 
vul.  /.',  p.  -'  —  (Grande,  vol.  47.  p.  ss)- 
(3)   Hoai,  ville  inconnue. 

Mine  K'ieou  ou  P'ing-kao-tcheng  ^  %<ifà- était  à  70  li  sud-est  de  Hoai-k'ing 
fou  0|  S  fff'  ilo-nan.    Petite  géogr.,  col.   12,  p.  26)  —  (Grande,  vol.  4c,  p. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    TCh'eNG-KONG.  137 

Siun  Lin-fou,  autrement  nommé  Heng-tse  j'Êf  :f.  l*en  dissuada 
en  homme  expérimenté  :  Laissons  ces  chefs  de  brigands  se  rendre 
odieux  à  leurs  propves  peuplades  ;  laissons-les  combler  la  mesure 
de  leurs  forfaits  ;  alors  il  nous  sera  facile  de  les  exterminer.  C"est 
le  conseil  qui  nous  est  donné  par  le  livre  des  Annales  (1)  en  ces 
termes:  il  faut  anéantir  la  dynastie  Ing  |£  ;  ce  principe  convient 
parfaitement  à  notre  cas.     Cette  prophétie  s'accomplira  en  594. 

A  la  fin  de  cette  même  année  603,  une  armée  de  Tch'ou 
revenait  encore  une  4ème  fois  à  la  charge  contre  le  prince  de 
Tchey-ig  fj$  ;  celui-ci  finit  par  signer  un  traité  de  soumission,  aussi 
inviolable,  aussi  éternel  que  les  précédents,  et  il  durera  autant 
qu'eux.  Les  petits  états  en  étaient  réduits  à  ce  jeu  de  bascule 
perpétuel;  placés  entre  plusieurs  grands  royaumes  rivaux,  ils  se 
donnaient  à  l'un  ou  à  l'autre,  à  chaque  fois  qu'il  se  présentait 
une  armée. 

En  602,  en  automne,  les  Tartares  rouges  faisaient  une  nouvelle 
incursion  sur  le  territoire  de  Tsin  ;  ils  coupèrent  le  riz  du  pays  de 
Hiang-in  [p]  [^  (2)  ;  ce  qui  ne  put  être  emporté,  fut  foulé  sous  les 
pieds  des  chevaux  ;  après  avoir  opéré  cette  razzia,  ils  se  retirèrent. 

Vers  la  même  époque,  le  prince  de  Tcheng  f$  offrait  à  Tch'eng- 
kong  un  traité  d'alliance  et  d'amitié.  A  ce  propos,  voici  ce  que 
dit  l'historien  :  le  prince  Kong-tse-song  7fe  ^  ^  était  un  de  ceux 
qui  avaient  assassiné  le  précédent  souverain  de  Tcheng  flft,  nom- 
mé Ling-hong  f|  ^  ;  pour  se  faire  pardonner,  il  employait  tout 
son  pouvoir  à  ramener  la  concorde  entre  le  nouveau  prince  et 
Tch'eng-kong. 

C'est  vers  septembre-octobre  que  le  traité  fut  signé,  et  juré 
solennellement  ;  la  réunion  se  tenait  à  Hé-jang  M  j||  f3)  ;  elle  était 
présidée  par  le  grand  ministre  impérial  \\rang-chou  Hoan-kong 
^ft|^;  celui-ci  travailla  de  son  mieux  à  obtenir  l'entente 
finale;  mais  sans  jurer  lui-même  cette  convention. 

Cette  affaire  étant  finie,  Tch'eng-kong  présida  une  assemblée 
de  vassaux,  dans  cette  même  ville;  étaient  présents  les  princes  de 
Song  %,  de  Wei  ftf,  de  Tcheng  §[$  et  de  Ts'ao  Iffi  ;  ils  offrirent 
leurs  hommages  au  nouveau  suzerain,  et  renouvelèrent  les  traités 
d'alliance  et  d'amitié  faits  avec  son  prédécesseur.  Le  duc  de  Lou  s'y 
était  aussi  rendu,  dit  brièvement  Confucius  ;  mais  il  cache  que 
ce  prince,  la  fine  fleur  des  Chinois,  fut  saisi  et   mis   en  réclusion. 


(1)  Chou-king  x§-  $«  (Zottoli,  III.  p.  4?-.  chap.  g).  Le  lecteur  a  sans  dout«' 
remarqué  depuis  Ion-temps  cette  manie  des  lettrés,  d'appuyer  leurs  paroles  par 
quelque  citation  de  leurs  livres    classiques  ,  ;  si  du  moins  elle  venait  toujours  à  propos  : 

(2)  Hiang-in  ou  Hiang-tch'eng  ]îi]  tif .  était  au  sud-ouest  de  Ts'i-yuen  bien 
$?  M  H,  qui  est  à  70  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  Hoai-k'ing  fou  t?3  ©  Jfr'Jlo-nan. 
I Petite  géogr.,   roi.   12.  p.   27).    —   (Grande,   roi.   40.  p.  6  . 

(3)  Hé-jang,  coi/er  à  l'année  610. 

li 


138  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Quelle  honte  !  On  lui  reprochait  de  n'être  pas  venu  saluer  le  nou- 
veau suzerain  à  son  avènement  au  trône  ;  de  n'avoir  pas  même 
envoyé  un  député,  avec  les  présents  d'usage  en  semblable  circons- 
tance. Le  duc  se  fit  mettre  en  liberté  par  le  moyen  ordinaire  et 
infaillible,  l'argent.  L'historien  a  la  naïveté,  cette  fois,  de  nous 
avertir  que  Confucius  ne  rapporte  pas  les  faits  peu  honorables 
pour  son  duc  ;  le  lecteur  le  sait  depuis  longtemps,  par  ce  qu'il  a 
vu  dans  nos  histoires  précédentes  de  Ou  ^|,  de  Ts'in  ^  et  de 
Tch'ou  ^. 

En  601,  au  printemps,  les  Tartares  blancs  ^Pé  Ti  £j  ^\ 
mentionnés  pour  la  lère  fois  par  Confucius,  concluaient  un  traité 
d'alliance  avec  Tch'eng-kong,  et  lui  servaient  d'auxiliaires  dans 
une  campagne  contre  le  royaume  de  Ts'in  ^è.  On  ne  dit  pas  ce 
que  devint  cette  expédition,  ni  quel  en  était  le  motif;  on  remplace 
tout  cela  par  ce  conte:  Une  espion  de  Ts'in  Jj|  fut  pris  par  les 
soldats  de  Tch'eng-kong,  et  tué  sur  la  place  publique  de  la  ca- 
pitale Kiang  $$  ;  mais  six  jours  plus  tard  il  était  ressuscité. 

Ici  l'on  place  un  fait  qui  est  l'origine  des  grands  malheurs 
de  l'illustre  famille  K'i  ffi;  le  voici:  Un  certain  Siu  K'o  jf  Jjïjf, 
membre  de  la  noble  famille  Siu,  était  général-adjudant  du  3è,"e 
corps  d'armée;  c'était  un  écervelé  ;  le  seigneur  K'i  Kiué  £ft  $£> 
qui  remplaçait  par  intérim  le  premier  ministre  Tchao  Siuen-tse 
$j|  W  -f-,  profita  de  cette  circonstance,  pour  dégrader  cet  inca- 
pable, et  donner  sa  place  à  Tchao  Cho  |g  j$J,  fils  du  premier 
ministre,  et  homme  d'avenir.  L'écervelé  en  conçut  une  haine 
implacable,  et  résolut  d'anéantir  la  famille  K'i.  Cela  se  passait 
en  automne. 

A  la  fin  de  cette  même  année,  le  prince  de  Tch'en  |^,  qui 
s'était  mis  à  la  remorque  de  Tch'ou  *§,  en  604,  se  donnait  de 
lui-même  à  Tch'eng-kong,  par  un  traité  de  soumission  et  d'ami- 
tié ;  aussitôt  une  armée  venait  le  rappeler  à  l'ordre,  et  il  s'em- 
pressait de  retourner  à  son  maître.  Toujours  le  même  système. 

En  600,  à  la  9-mn  lune,  Tch'eng-kong  présidait  encore  une 
assemblée  de  vassaux  ;  comme  à  la  précédente,  étaient  présents  les 
princes  de  Song  5J5,  de  Wei  fëj,de  Ts'ao  "H  et  de  Tcheng  fift  ;  la 
réunion  avait  lieu  à  Hou  jg  (l),sur  le  territoire  de  ce  dernier.  On 
s'y  consulta  sur  une  guerre  contre  le  pays  de  Ts'i  ^  et  de  Tch'en 
|5jjî,  qui  n'avaient  pas  paru  à  cette  assemblée.  La  conclusion  fut 
que  le  général  Siun  Lin-fou  ^f  ^  *£  conduirait  une  armée  con- 
tre ce  dernier  prince  ;  et  que  les  vassaux  fourniraient  les  troupes 
auxiliaires. 

L'expédition  était  à  peine  commencée  que  Tch'eng-kong  mou- 
rait subitement  ;  le  général  s'empressa  de  ramener  son  armée  à  la 
capitale. 


(1)   Mou,  voyez  aux  années  620  et  612, 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    TCH'eNG-KONG.  139 

Le  roi  de  Tch'ou  ^  profita  de  la  circonstance  pour  attaquer 
le  pays  de  Tcheng  |§J$  ;  mais  K'i  K'iué  £|]  ^  accourut,  et  eut  le 
bonheur  de  mettre  farinée  en  déroute  complète,  à  Lieou-fen  $$  ^f. 
(1),  comme  nous  l'avons  longuement  raconté  dans  l'histoire  de 
Tch'ou  ;  le  fruit  de  cette  victoire  ne  dura  pas  longtemps,  comme 
nous  allons  le  voir. 

(1)   Lieou-fen,  ville  de  l'état  de  Tcheng;  mais  dont  on  ignore  l'emplacement. 


140 

KING-KONG   (599-581) 


M    <à 


-*£■**{- 


Le  nouveau  souverain,  fils  du  précédent,  monta  sur  le  trône 
sans  qu'il  en  résultât  aucun  trouble  ;  il  s'appelait  Kiu  ^  ;  il  reçut 
le  nom  posthume  King  ^p;,  qui  signifie:  prince  aimant  la  justice, 
et  heureux  dans  ses  entreprises. 

Au  lieu  de  venir  le  saluer,  le  remercier,  lui  apporter  les 
cadeaux  de  joyeux  avènement,  le  prince  de  Tcheng  |U$  renonçait  à 
son  obédience,  et  se  donnait  au  roi  de  Tch'ou  jfe  que  l'on  avait 
vaincu  :  c'était  une  impudente  félonie.  La  même  armée  qui  venait 
de  le  protéger,  revint  pour  le  punir;  elle  était  fortifiée  par  les 
troupes  de  Song  5Jç,  de  Wei  $j  et  de  Ts'ao  ^ . 

Le  prince  fit  la  courbette,  présenta  un  traité  de  soumission 
inaltérable,  et  l'armée  s'en  retourna  triomphante.  Aussitôt  arri- 
vaient les  gens  de  Tch'ou  zjjg.  pour  reprendre  leur  proie;  mais  ils 
furent  repoussés  par  le  fameux  seigneur  et  général  Che  Hoei 
"i  Ht-  pendant  que  les  auxiliaires  gardaient  la  capitale  de  Tcheng 
fi[$,  où  il  y  avait  des  troubles.  Les  gens  de  Tch'ou  furent  refoulés 
jusqu'à  Ing-in  jjj||  [^  (1). 

L'année  suivante,  598,  ils  revenaient  à  la  charge,  pénétraient 
jusqu'à  Li  ^  2),  et  ramenaient  le  prince  de  Tcheyig  f|j$  sous  leur 
suzeraineté.  Voici  les  paroles  que  le  lettré-historien  lui  met  à  la 
bouche  :  Machiavel  ne  les  aurait  pas  dédaignées  pour  son  propre 
usage  :  les  deux  rois  rivaux  n'ont  ni  foi  ni  loi  ;  ils  ne  pratiquent 
pas  la  vertu,  et  s'appuient  uniquement  sur  la  force  de  leurs 
armes;  pourquoi  leur  serions-nous  fidèles?  donnons-nous  à  la 
première  armée  qui  se  présentera  en  nombre  respectable. 

Le  prince  de  Tch'en  [Sij|,  à  la  même  époque,  se  mettait  aussi 
sous  l'obédience  de  Tch'ou.  Voyant  son  rival  s'attacher  ainsi,  de 
gré  ou  de  force,  les  états  chinois,  King-kong  se  tourna  du  côté 
des  Tartares.  K'i  K'iuê  #[>  $£.  autrement  nommé  K'i  Tch'eng  $> 
/ÎX.  se  rendit  chez  eux  pour  leur  proposer  un  traité  d'alliance. 

Juste  à  cette  époque,  plusieurs  de  ces  peuplades  étaient  mé- 
contentes de  la  tribu  des  Tartares  rouges,  dont  le  chef  prenait  des 
airs  de  roi,  et  faisait  peser  sur  elles  un  joug  très  lourd;    pour  lui 


(1)  Ing-in  est  a  10  li  sud-est  de  Yu-tcheou  A  #) .  Ilo-nan  ;  elle  est  au  nord 
de  la  rivière  Tng  ( îî  :  do  là  son  nom.  Petite  géogr..  roZ,  /.'.  p.  61  —  (Grande,  vol. 
46.  p.   2ç  —  vol.   4-.  p.  //   . 

(2)  Li.  nomn.  ■  aussi  Yang-ti-tch' eng  ^fSfe<.  c'est  Vu-tcheou  même.  (Petite 
géogr..  vol.  12,  p.  6)  —  (Grande,  vol.  47.  p.  jo). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    KING-KONG.  141 

faire  pièce,  ces  peuplades  se  montrèrent  disposées  à  se  ranger  sous 
la  tutelle  de  King-kong  ;  en  conséquence,  en  automne,  elles  se 
réunirent   en   assemblée  générale  à   Ts'oan-han  1),    et   se 

déclarèrent  ses  alliées. 

King-kong  voulut  aller  lui-même  recevoir  leur  soumission  ; 
les  seigneurs  de  sa  cour  l'en  dissuadèrent,  lui  suggérant  de  faire 
venir  plutôt  les  chefs  de  ces  peuplades  à  la  capitale,  et  d'y  recevoir 
leur  traité  d'alliance.  K'i  K'iué  leur  répondit  en  fin  lettré:  J'ai 
ouï  dire  que  si  l'on  manque  de  vertu,  il  faut  s'appliquer  à  être 
diligent;  sinon,  comment  pourrait-on  s'attacher  les  hommes?  la 
diligence  assure  le  succès. 

King-kong  se  rendit  donc  au  pays  des  Tartares,  et  conclut 
avec  eux  un  traité  d'amitié.  Sur  quoi,  l'historien  ajoute  que  le 
conseil  de  K'i  K"iué  était  tout  à  fait  sage,  vu  qu'il  était  tiré  du 
livre  des  Vers  (2);  là  il  est  dit:  Wen-wang  déploya  la  plu*  grande 
diligence  :  donc,  si  un  prince  éminent  dut  lui-même  s'appliquer  à 
être  diligent,  combien  plus  cela  sera  nécessaire  aux  princes  d'une 
moindre  valeur  ! 

A  la  fin  de  cette  même  année  598,  le  prince  de  Tcheng  $, 
quittait  le  roi  de  Tch'ou  ^,  pour  se  remettre  sous  la  suzeraineté 
de  King-kong;  cette  fois,  disait-il,  c'est  définitif:  car  c'est  le  seul 
moyen  d'assurer  la  tranquillité  et  le  bonheur  de  mon   peuple. 

En  597,  une  armée  de  Tch'ou  venait  punir  cette  désertion  ; 
elle  assiégea  la  capitale  pendant  trois  mois,  et  finit  par  la  pren- 
dre ;  les  habitants  montrèrent  un  grand  courage  et  une  grande 
constance  ;  néanmoins,  leur  souverain  fut  forcé  de  se  soumettre 
de  nouveau. 

En  été,  à  la  6"""'  lune,  King-kong  envoyait  une  armée  de 
secours;  il  était  bien  temps!  Siun  Lin-fou  ^j  \{\  'i£  était  le  géné- 
ralissime et  commandait  le  corps  du  centre,  avec  Sien  Hou  ffc  ]  ;. 
pour  adjudant.  À  l'aile  droite  était  Che  Hoei  j;  -ff  ;  son  adjudant 
était  K'i  Keo  ffi  j£,  fils  de  K'i  K'iué:  à  l'aile  gauche  était  Tchao 
Cho  j|ft  if$,  avec  son  aide  Loan  Chou  ||§  ^. 

Le  chef  des  Kong-tsou  Q  ^,  Tchno  Kouo  $)  fg,  était  au 
centre  avec  son  frère  Tchao  Ing-ts'i  %$  ■§£  ff-,  parmi  les  grands 
officiers;  mais  il  ne  commandait  pas  en  chef;  de  même,  à  l'aile 
droite,  se  trouvaient  les  seigneurs  Kong-cho  f|;  jjfijj  et  Ilan  Tch'oan 
$£  ^;  à  l'aile  gauche,  les  seigneurs  Siun  Cheou  '^j  "ff" .  frère  du 
généralissime,  et  Tchao  T'ong  $j|  [fs]  frère  aîné  de  Ing-ts'i.  Le 
ministre  de  la  guerre  était  le  seigneur  Ilan  K'iué  §:!f.  Jjjfc. 

(Juand  on  fut  arrivé  au  Fleuve  Jaune,  on  apprit  la  défaite  et 
la   soumission    du    prince    de    Tcheng  ;    Siun    Lin-fou    voulait    de 

(1)  Ts'oan-han.  ville  inconnue;  les  commentaires  disent  seulement  que  c'était 
au  pays  tartare. 

(2)  Che-king  |$  M-  (Zottoli,  III,  p.  30g,  ode  soemc)  —  (Couvreur,  p.  444- 
ode  /oeme..  vers  j). 


142  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

suite  ramener  son  armée,    pour   revenir   après   le   départ   des  gens 
de  Tch'ou. 

Che  Hoei.  grand  lettré,  fit  un  discours  solennel  aux  officiers, 
pour  soutenir  l'avis  du  généralissime:  On  m'a  enseigné,  dit-il. 
qu'en  stratégie  il  faut  profiter  de  l'occasion  favorable  pour  frapper 
un  grand  coup  ;  si  la  vertu,  la  vigueur  des  lois,  la  bonne  admini- 
stration, la  justice, les  règlements  et  ordonnances,  si,  dis-je,  ces  six 
choses  sont  en  parfait  état  dans  un  pays,  personne  ne  prévaudra 
contre  lui. 

Or,  c'est  le  cas  de  Tch'ou:  l'an  dernier  il  punissait  le  déloyal 
prince  de  Tch'en  [&|  ;  cette  année,  il  punit  de  même  le  prince  de 
Tcheng  §f);  après  la  sévérité  il  montre  la  clémence,  en  acceptant 
la  soumission  'des  deux  délinquants  :  la  vertu,  la  vigueur  des  lois, 
la  bonne  administration  sont  donc  en  parfait  état  chez  lui,  et  son 
peuple  est  content. 

Quand  il  appelle  ses  troupes  sous  les  armes,  il  suit  les  règles 
établies  par  son  ancêtre,  le  roi  Ou  j£  740-690);  les  agriculteurs, 
les  artisans,  les  marchands  ambulants  ou  stables,  tout  ce  monde 
vaque  à  ses  travaux  comme  à  l'ordinaire;  en  campagne,  l'infante- 
rie et  la  cavalerie  agissent  d'un  commun  accord,  sans  querelle 
avec  personne;  la  justice  règne  donc  parmi  les  diverses  catégories 
de  la  population. 

Quand  le  seigneur  Wei  Ngao  yJ^  §£  devint  premier  ministre, 
il  choisit  les  meilleurs  règlements  édictés  avant  lui,  les  réunit  en 
un  seul  code,  pour  être  exactement  observés.  En  campagne,  l'in- 
fanterie entoure  les  chars,  et  se  tient  sur  le  "qui  vive!  »,  prête  à 
repousser  toute  attaque;  pendant  ce  temps,  la  cavalerie  vaque  au 
fourrage  et  aux  provisions. 

En  marche,  devant  l'armée  sont  les  espions  et  les  éclaireurs; 
au  moyen  de  différents  drapeaux,  ils  indiquent  si  le  pays  est  libre 
ou  non  ;  si  ce  sont  des  cavaliers  ou  des  fantassins  qui  l'occupent. 
L'office  principal  du  généralissime  est  la  stratégie  et  la  conduite  de 
l'armée  entière  :  le  général  de  l'arrière-garde  est  là  pour  protéger 
les  troupes;  chacun  des  officiers  connaît  son  devoir,  et  l'exécute 
d'après  des  signaux  convenus,  sans  que  le  généralissime  ait  à  dépê- 
cher des  estafettes.   Donc  les  règlements  sont  en  parfait  exercice. 

Le  roi  élève  aux  dignités  les  membres  de  sa  famille  et  ceux 
des  maisons  nobles;  mais  il  veut  pour  cela  qu'ils  aient  du  talent. 
Quiconque  est  vertueux  est  sûr  d'avancer  ;  quiconque  a  des  méri- 
tes est  sûr  d'être  récompensé  :  les  vieillards  sont  l'objet  de  soins 
extraordinaires,  les  étrangers  eux-mêmes  sont  secourus,  et  jouis- 
sent de  plusieurs  privilèges  :  les  dignitaires,  les  nobles,  les  rotu- 
riers ont  leurs  vêtements  distinctifs  ;  les  offices  ont  leurs  règles 
stables,  et  les  titulaires  ne  peuvent  être  bouleversés  arbitrairement; 
les  classes  inférieures  ont  leurs  occupations  et  leurs  usages  fixes. 
En  un  mot,  les  rites,  les  ordonnances,  tout  marche  à  souhait  ;  qui 
donc  peut  attaquer  un  royaume  si  bien  organisé? 


DU   ROYAUME   DE   TSI>\    KIXG-KONG.  143 

C"est  une  règle  en  stratégie  d'attaquer  si  l'on  espère  le  succès, 
de  reculer  si  l'on  prévoit  un  échec  ;  c'est  encore  une  règle  de 
fondre  sur  un  pays  affaibli  et  mal  administré  ;  ainsi  ont  fait 
tous  les  grands  généraux.  Tenons  notre  armée  en  parfait  état  ; 
mettons  en  pratique  les  bons  exemples  donnés  par  nos  rivaux  ;  il 
y  aura  assez  de  pays  mal  gouvernés  sur  lesquels  nous  pourrons 
nous  jeter  ;  pourquoi  nous  attaquer  à  un  royaume  comme  celui 
de  Tch'ou  ? 

Le  livre  des  Annales  (1)  nous  donne  ce  même  conseil,  par 
la  bouche  de  Tchong-hoei  ftji  J^,  fameux  ministre  de  l'empereur 
T'ang  }H  ;  rendez-vous  maître  des  états  affaiblis,  emparez-vous  de 
ceux  qui  sont  en  révolution,  occupez  ceux  qui  tombent  en  ruine. 

Le  livre  des  Vers  (2)  n'a-t-il  pas  les  paroles  suivantes:  Oh  ! 
que  les  légions  de  V empereur  Ou-wang  ]jfÇ  3E  étaient  belles!  Con- 
sultant les  circonstances,  il  les  formait  arec  soin;  il  les  tenait 
dans  l'inaction  jusqu'au  moment  propice;  et  ailleurs:  la  force 
d'âme  de  Ou-wang  fut  constante  ;  ses  belles  actions  sont  incom- 
parables! N'est-ce  pas  le  même  enseignement:  s'attaquer  aux 
pays  affaiblis,  mal  administrés?   Voilà  ce  que  nous  devons  faire'?' 

Le  seigneur  Sien  Hou  -fa  ^,  mommé  aussi  Tche-tse  ^  ^f-, 
avait  eu  sans  doute  beaucoup  de  peine  à  écouter  jusqu'au  bout 
ce  long  sermon:  à  la  fin,  lui,  l'aide  du  généralissime,  riposta  vi- 
vement :  Nous  sommes  à  la  tête  de  vassaux  parce  que  notre  armée 
est  valeureuse,  nos  officiers  vigoureux  et  actifs  :  si  nous  reculions 
parce  que  nous  sommes  en  face  d'un  rival  sérieux,  nous  ne  serions 
pas  des  hommes  !  nous  sommes  à  la  tète  des  troupes  pour  leur 
donner  l'exemple  de  la  bravoure,  et  nous  reculerions  comme  des 
lâches?  qu'un  autre  se  couvre  de  cette  honte;  moi,  jamais! 

Ayant  ainsi  parlé,  il  prit  ses  hommes,  et  traversa  le  Fleuve 
Jaune;  c'était  une  première  et  grave  infraction  à  la  discipline, 
un  funeste  exemple  donné  par  un  des  plus  hauts  dignitaires. 
Siun  Cheou  ^j  "ff*  aussi  nommé  Tche-tchoang  fy§  j££  ,  frère  du 
généralissime,  fit  la  remarque  suivante:  Cette  campagne  s'engage 
sous  de  funestes  auspices  !  et  il  prouva  son  dire  par  des  citations 
du  livre  des  mutations  [I-king  ^  ^  dont  nous  faisons  ^ràce  au 
lecteur;,  puis  il  ajouta:  Si  nous  rencontrons  l'ennemi,  nous  som- 
mes sûrs  d'être  vaincus  ;  et  c'est  le  seigneur  Sien  Hou  qui  sera 
cause  de  ce  malheur;  s'il  échappe  vivant  du  champ  de  bataille,  il 
payera  cher  sa  rébellion,   une  fois  rentré  dans  la  capitale  ! 

Le  ministre  de  la  guerre,  Han  K'iuè  ^'  J^  aussi  nommé 
Han  Hien-tse  f ç  J^  ^    dit    au    généralissime  :    Votre  adjudant   se 


(1)  Chou-kinrj  fg  ;£«.  (Zottoli,  III.  p.  S7S     —     Couvreur,  p.    ; 

(2)  Che-king  f£  $g.    {Zottoli.    III.   p.  306)  —     Couvreur,  p.    42=.    ode    9cmc 
p.  443)- 


144  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

trouve  maintenant  en  péril,  avec  une  partie  de  l'armée,  de  l'autre 
coté  du  fleuve  :  cette  faute  retombera  sur  vous,  qui  ne  savez  pas 
vous  faire  obéir  ;  par  vos  retards  vous  avez  déjà  causé  la  perte  du 
prince  de  Tcheng  ft{5  ;  si  vous  laissez  encore  périr  une  partie  de  l'ar- 
mée, votre  crime  sera  trop  lourd  à  porter.  Xe  vaut-il  pas  mieux 
alors  faire  avancer  toutes  les  troupes?  Si  nous  sommes  vaincus,  la 
honte  retombera  sur  nous  tous,  non  sur  vous  seul!  Sur  ce,  l'ar- 
mée entière  passa  le  Fleuve  Jaune. 

Le  roi  de  Tch'ou  campait  à  Yen  JŒ|{  il)  :  il  était  monté  vers 
le  nord  uniquement  pour  avoir  le  plaisir  d'abreuver  ses  chevaux 
dans  les  ondes  dorées  du  grand  fleuve:  c'était  une  fantaisie  et  une 
bravade  :  apprenant  le  passage  des  troupes,  il  renonça  à  cette  idée, 
et  voulait  s'en  retourner  dans  son  pays  ;  son  favori  Ou-san  fj  ^ 
le  pressait,  au  contraire,  de  livrer  bataille. 

Le  premier  ministre  Suen  Chou-ngao  fâ  ;j^  ;§£  fit  l'observation 
suivante  :  L'an  dernier  nous  avions  l'expédition  de  Tch'en  ^  ;  cette 
année,  nous  avons  celle  de  Tcheng  fÈJ$  ;  nous  harassons  notre  peu- 
ple par  nos  guerres  continuelles  ;  si  cette  fois  nous  sommes  vain- 
cus, suffira-t-il.  pour  effacer  notre  honte,  de  manger  la  chair  de 
Ou-san  ? 

Et  si  nous  sommes  vainqueurs,  'riposta  celui-ci,  tout  le 
monde  saura  que  le  premier  ministre  est  un  incapable  ;  si  nous 
sommes  vaincus,  les  gens  de  Tsin  mangeront  ma  chair;  vous 
n'en  aurez  pas  un  morceau. 

Le  premier  ministre  fit  tourner  les  chars  vers  le  sud.  indi- 
quant ainsi  que  dès  le  lendemain  on  reprendrait  le  chemin  du 
retour.  Ou-san  insista  de  nouveau:  le  généralissime  de  Tsin, 
disait-il  au  roi.  ne  sait  pas  se  faire  obéir;  son  adjudant.  Sien 
Hou  ^fc  fx-  est  un  homme  violent  et  entêté  ;  aucun  des  généraux 
n'est  capable  de  parler  en  maître:  chacun  veut  agir  à  sa  guise,  et 
les  officiers  ne  savent  que  faire?  à  qui  obéir?  une  telle  armée  est 
perdue  si  nous  livrons  bataille  !  De  plus,  votre  Majesté  ne  peut 
reculer  devant  un  simple  ministre  ! 

Le  roi  fut  ébranlé  ;  il  ordonna  au  premier  ministre  de  tourner 
de  nouveau  les  chars  vers  le  nord,  et  de  conduire  les  troupes  à 
Koan  *f£  (2),  pour  y  attendre  l'ennemi.  Malgré  ses  répugnances, 
Suen  Chou-ngao  obéit  aussitôt. 

L'armée  de  Tsin  était  campée  entre  les  montagnes  Ngao  $£  et 


(1)  Yen,  près  de  Pi  #fî.  qui  était  à  6  li  à  l'est  de  Tcheng  tcheou  gR  ft\ ,  \\o- 
nan.  (Petite  géogr.,  vol.   12.  p.   -     —     Grande,  vol.  47-  p. 

[2  Koan, plus  tard  détruite,  était  dans  1rs  murs  "actuels  de  Tcheng  tcheou,  qui 
pour  cela,  est  quelquefois  appelée  aussi  Koan.  —  L'ancienne  capitale  de  la  princi- 
pauté r>i  Sin-tcheng  liien  ffi  §|J  $£.  —  11  ne  faut  pas  oublier  ce  détail  géographique 
important-  'Petite  géogr.,  vol.  12.  p.   y)  —  (Grande,  vol.  47.  p.  54 


DU    ROYAUME   DE   TING.    KING-KONG.  145 

K'ao  |$  (1).  Hoang  Siu  ^  /$,  seigneur  de  Tcheng  ft^,  vint  en 
ambassadeur  auprès  du  généralissime,  avec  le  message  suivant  : 
Notre  prince  a  signé  un  traité  de  soumission,  contraint  par  les 
circonstances;  mais  notre  cœur  est  avec  vous;  l'armée  de  Tch'ou 
J£  est  harassée  ;  pleine  de  confiance  en  elle-même,  à  cause  de  ses 
victoires  précédentes,  elle  néglige  les  précautions  nécessaires  ; 
attaquez-la!   nous  vous  soutiendrons,  et  la  victoire  est  assurée! 

Sien  Hou  -fc  %j£  jubilait  de  voir  son  avis  si  bien  corroboré  : 
c'est  évident,  disait-il,  cette  fois  nous  pouvons  abattre  le  pays  de 
Tch'ou,  et  ramener  le  prince  de  Tcheng  fjft  sous  notre  suzeraineté! 

Le  général-adjudant  Loan  Chou  §j§  ||£  'nommé  aussi  Loan 
Ou-tse  Ifl  jfÇ  -'(■  supposait  à  la  bataille,  et  il  en  donnait  les  motifs 
suivants:  Depuis  sa  grande  victoire,  en  611,  sur  le  prince  de 
Yong  }ffî  (2),  le  roi  de  Tch'ou  n'a  laissé  passer  aucun  jour  sans 
instruire  et  exhorter  son  peuple,  répétant  sans  cesse:  il  n'est  pas 
facile  d'assuré)'  le  .s'a/"/  public;  les  malheurs  arrivent  à  l'impro- 
oiste;  ainsi  donc,  attention'  pas  de  nonchalance  !  Dans  les  camps, 
il  visite  chaque  jour  les  chars  ;  il  exhorte  ses  soldats  en  leur  disant: 
personne  nest  assuré  de  la  victoire!  autrefois,  l'empereur  Tcheou 
$i\  (1154-1123)  fut  vainqueur  en  cent  batailles;  une  seule  défaite, 
infligée  par  Ou-wang  j^  3E.i  'e  priva  île  Ions  les  avantages  précé- 
dents, el  même  du  trône.  T.e  roi  de  Tch'ou  l'appelle  sans  cesse 
les  exemples  de  ses  ancêtres  Jo-ngao  fë  )fc  et  Fen-mao  ffi  pf,  qui 
défrichaient  les  forêts,  n'avaient  que  des  chars  rustiques  et  des 
vêtements  grossiers,  et  cependant  amenaient  leur  peuple  à  la  civi- 
lisation ;  il  rappelle  sans  cesse  les  paroles  employées  par  eux  pour 
aiguillonner  leurs  gens  :  le  salut  d'un  peuple  dépend  de  l'appli- 
cation a  son  devoir;  là  où  elle  règne,  règne  aussi  l'abondance! 

Cela  étant  ainsi,  comment  prétendre  que  l'armée  de  Tch'ou 
est  orgueilleuse  et  confiante  en  elle-même'.'  Un  de  nos  meilleurs 
généraux,  Tse-fan  ~(-  fx,  disait  autrefois:  L'armée  qui  combat 
pour  la  justice  est  forte  ;  celle  qui  lutte  pour  une  mauvaise  cause 
est  faible  ;  or  c'est  nous  qui  avons  tort  ;  nous  qui  harcelons  sans 
trêve  le  royaume  de  Tch'ou  ;  comment  dire  que  ses  troupes  sont 
harassées  '? 

La  garde  du  roi  est  composée  de  deux  compagnies  liang- 
koang  Zl  J^  '■  chacune  a  quinze  chais  de  guerre,  et  chacun 
d'eux  est  entouré  de  cent  fantassins  à  solide  cuirasse  ;  la  compa- 
gnie de  droite  est  de  garde  depuis   l'aurore  jusqu'à    midi  :    celle  de 

(1)  La  montagne  NTgao  est  à  20  li  à  l'ouest  de  Yong-tche  hien  *jfi  '(%  'If.  qui 
est  à  1  10  li  nord-ouest  de  sa  préfecture  K'ai-fong  fou  f'fl  t-.J  'f'r.  Ho  nan.  Petite 
géogr.,  ool.   /-'.  i>.  g)  —  {Grande.,    ool.  ./-.  }>.  $9  ■ 

(2)  Yong.  S;i  capitale  était  è  10  Li  à  l'est  de  Tchou-chan  hien  >ft  \\\  f£,  qui 
csi  à  380  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  Yun-yang  fou  [$  F-}  Iff,  Hou-pé.  Petite 
géogr.,  vol.  21,  p.  33)  —  (Grande.,  vol     jç,  j>.    ?■,). 

19 


146  DU    ROYAUME   DE    ISTX.    LING-KOXG. 

guuche  la  relève  jusqu'à  la  fin  du  jour:  les  officiers  se  succèdent 
à  tour  de  rôle,  pour  parer  à  toute  éventualité.  Comment  dire  que 
cette  armée  ne  prend  pas  les  précautions  nécessaires  ? 

Enfin,  Tse-liang  ^f-  ^  est  un  des  seigneurs  les  plus  émi- 
nents  de  Tcheng  |§j$  :  il  est  en  otage  à  la  cour  de  Tch'ou,  comme 
garantie  du  traité  d'alliance;  et  c'est  P'an  Hoei  :fâ  T(±  aussi 
nommé  Che  Chou  0[]j  fâ  •  un  des  plus  grands  dignitaires  de  ce 
royaume,  qui  a  signé  ce  traité.  Les  deux  pays  sont  donc  liés  entre 
eux.  de  coeur,  et  non  pas  seulement  pour  la  forme.  Si  aujourd'hui 
un  officier  de  Tcheng  vient  nous  pousser  au  combat,  cela  veut 
dire  que  si  nous  sommes  victorieux,  son  prince  reviendra  vers 
nous:  si  nous  sommes  vaincus,  il  restera  sous  la  suzeraineté  de 
Tch'ou.  D'après  mon  humble  avis,  nous  ne  devons  pas  nous  fier 
à  ses  paroles. 

A  ce  discours  les  deux  officiers  Tchao  Kouo  jfï  fê  et  Tchno 
T'ong  %fà  |p]  répondirent  :  Nous  avons  conduit  notre  armée  ici  pour 
chercher  l'ennemi  :  si  nous  sommes  victorieux,  nous  reprendrons 
le  pays  de  Tcheng  qui  nous  a  été  enlevé  ;  qu'attendons-nous  enco- 
re ?  il  faut  suivre  l'avis  de  Sien  Hou  fc  5$  ! 

Ces  deux  individus  lui  sont  donc  vendus?  s'écria  avec  colère 
Siun  Cheou  ^  "g",  le  frère  du  généralissime.  Tchao  Cho  $fr  jfij] 
ajouta  :  Le  conseil  du  seigneur  Loan  Chou  fff  ^  est  excellent  ;  s'il 
peut  l'exécuter,  il  finira  par  être  premier  ministre! 

Ainsi  la  confusion  était  grande  au  camp  de  Tsin  ;  elle  allait 
encore  augmenter  d'une  manière  incroyable,  et  amener  un  désas- 
tre. Un  haut  dignitaire  de  Tch'ou  §g  apporta  le  message  suivant: 
Notre  humble  roi  a  passé  sa  jeunesse  au  milieu  des  troubles,  et 
n'a  pu  cultiver  les  lettres  ;  il  a  cependant  appris  que  ses  deux 
prédécesseurs  Tch'eng  ffc  671-626)  et  Mou  f|  (625-614\  à  diver- 
ses reprises,  sont  venus  dans  ce  pays  de  Tcheng  flft,  mais  unique- 
ment pour  exhorter  le  peuple  à  la  vertu,  y  faire  régner  le  bon 
ordre,  sans  vouloir  aucunement  offenser  votre  illustre  maître  ; 
ainsi,  mes  seigneurs,  ne  vous  attardez  pas  ici  plus  longtemps, 
après  cette  pacifique  explication.  C'était  dire,  en  termes  mielleux: 
sortez  d'ici  !  vous  n'avez  aucun  droit  sur  ce  pays  :  il  est  à  nous  ! 

Che  Hoei  ^f-  ^.  le  fin  lettré,  répondit  sur  le  même  ton  : 
Autrefois,  l'empereur  P'ing-wang  ^  ï  770-720  donna  à  notre 
souverain  Wen-heou  #  fê  780-746,  l'ordre  suivant  (1):  avec  le 
prince  de  Tcheng  §J5,  soye2  un  rempart  protecteur  de  la  dynastie 
régnanb':  ^ri-nez  garde  d'oublier  les  paroles  de  votre  empereur! 
Le  prince  de  Tcheng  ne  tenant  pas  compte  de  ce  mandat,  notre 
humble  souverain  nous  a  envoyés   lui   en   demander   raison  :    com- 

(1)   Le   texte    fait   allusion  au  livre  des  Annales  [Ghou-king  §  $|.  Wen-heou- 
tetae-ming  ;£  fjç  21  ^       il    faut    y    prendre    sarde,    car   plusieurs  historiens 
trompée:  ce  n'esl  pas   Wen-kong  £  5J  qui  reçut  le  mandat,  mai»  Wen-heou   Kieou 
3t  fë  iK  (Zottoli.  III.  p.  s*3     —  'Che-ki-tche-i  £.  f£  jjg  U  vol,   21.  v.   i7). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN'.    KING-KONG.  147 

ment  oserions-nous  chercher  querelle  à  votre  illustre  roi?  Ainsi  nous 
vous  remercions  très  humblement  du  conseil  de  nous  en  retourner. 

C'était  comme  'dit  le  proverbe  «à  bon  chat  bon  rat».  Mais 
Sien  Hou  ^fc  %%  trouva  cette  réponse  humiliante,  et  trop  flatteuse 
envers  un  ennemi  ;  il  dépêcha  Tchao  Kouo  |K  }§  rejoindre  le  mes- 
sager, et  lui  dire  :  notre  interprète  n'a  pas  rendu  exactement  les 
paroles  de  notre  roi;  les  voici:  Aile:!  empêchez  les  gens  de  Tch'ou 
de  jamais  remettre  les  pieds  au  pays  de  Tcheng;  ne  reculez  devant 
personne  !    Ainsi  nous  ne   pouvons   désobéir  à  un  ordre  si  formel. 

Malgré  cette  impudente  provocation,  le  roi  de  Tch'ou  envoya 
un  nouvel  ambassadeur,  proposer  un  traité,  dans  lequel  on  fixerait 
amicalement  la  sphère  d'influence  de  chacun  des  deux  rivaux.  Le 
généralissime  Siun  Lin-fou  $j  H  3£  accepta  ce  moyen  de  concor- 
de, et  indiqua  le  jour  où  l'on  entrerait  en  pourparlers. 

Au  camp  de  Tch'ou  *jj|,  cependant,  l'opinion  publique  était 
pour  la  bataille,  et  le  roi  allait  se  voir  débordé,  tout  aussi  bien 
que  Siun  Lin-fou  ;  le  combat  sera  engagé,  en  dépit  des  deux  com- 
mandants en  chef;  désordre  périlleux  pour  les  deux  armées;  fu- 
neste surtout  pour  celle  de  Tsin,  déjà  si  divisée  par  les  jalousies. 

Un  grand  officier  de  Tch'ou,  nomé  Yo-\>è  ^|  f  £| ,  avait  pour 
conducteur  de  char  l'officier  Hiu-pé  ^f-  f£j  ;  pour  lancier,  Che- 
chou  JH  jjijj.  Tous  trois  résolurent  d'aller  insulter  les  troupes  de 
Tsin,  et  de  les  braver  jusque  dans  leur  camp.  Le  conducteur  di- 
sait :  Quand  on  va  provoquer  l'ennemi,  le  char  doit  être  lancé 
avec  une  telle  rapidité,  que  l'étendard  se  replie  jusqu'à  terre  sous 
la  résistance  de  l'air;  on  va  ainsi  jusqu'à  la  porte  du  camp,  et 
l'on  rebrousse  chemin.  —  Non  pas!  disait  Yo-pé  :  à  la  porte  du 
camp,  le  maître  du  char  décoche  une  bonne  flèche,  prend  les 
rênes  en  main,  le  conducteur  descend,  met  en  ordre  les  sous- 
ventrières  des  chevaux,  remonte  tranquillement,  et  l'on  s'en  re- 
tourne. —  Ce  n'est  pas  encore  cela!  disait  le  troisième  compère: 
le  lancier  doit  entrer  dans  le  camp,  couper  l'oreille  gauche  à  un 
soldat,  en  prendre  un  autre  au  collet,  l'amener  sur  le  char  ;  après 
quoi  l'on  s'en  revient. 

Oui  plus  est,  les  trois  vantards  exécutèrent  à  la  lettre  ce 
qu'ils  avaient  dit!  Du  camp  de  Tsin,  on  s'élança  de  deux  cotés  à  la 
fois  à  leur  poursuite,  espérant  les  cerner  à  quelque  distance  : 
mais  Yo-pé  avait  bandé  son  arc  :  à  droite  du  char,  il  visait  les 
hommes,  à  gauche  les  chevaux,  et  il  ne  manquait  jamais  son 
but.  Il  ne  lui  restait  plus  qu'une  flèche,  quand  il  aperçut  à  l'avant 
du  char  un  magnifique  cerf  qui  fuyait,  effrayé  par  le  tumulte  ; 
il  le  visa  et  lui  perça  le  dos  ;  se  tournant  ensuite  vers  les  gens  de 
Tsin,  il  reconnut  le  seigneur  PaoKoei  $|)  ?&  qui  le  suivait  de 
près;  il  ordonna  à  son  lancier  d'aller  lui  offrit  ce  cerf,  et  de  lui 
dire:  Ce  n'est  pas  précisément  l'époque  où  l'on  s'envoie  de  la  ve- 
naison; je  vous  présente  tout  de  même  cette  pièce  de  gibier, 
pour  en  régaler  votre  suite  !  Pao  Koei  fit  arrêter  ses  gens  en  leur 


148  TEMPS    VRAIMENT   HTSTOUIÇUKS 

criant  :  Yo-pé  est  un  maître  à  tirer  de  l'arc  ;  son  lancier,  un 
maître  dans  l'art  de  bien  dire  ;  ce  sont  deux  hommes  éininents  : 
laissons-les  s'en  retourner  tranquillement  à  leur  camp. 

Auprès  du  généralissime  Siun  Lin-fou  était  un  certain  sei- 
gneur, nommé  Wei  I  fj|  §£,  fils  de  ce  Wei  Tch'eou  fjj|  ^?  dont 
nous  avons  parlé  à  l'année  633-632  ;  il  avait  demandé  à  être  ad- 
mis parmi  les  membres  de  la  famille  régnante  les  Kong-tsou  fè 
~jjfc,  la  lème  classe  des  nobles;  on  lui  avait  refusé  cette  faveur,  il 
demanda  permission  d'aller  provoquer  les  gens  de  Tch'ou,  on  le 
lui  refusa  encore  ;  il  demanda  enfin  d'être  envoyé  traiter  de  la 
paix,  Siun-lin  fou  eut  l'imprudence  de  le  lui  accorder  ;  on  voulait 
lui  donner  un  collègue  et  des  instructions  ;  mais  il  monta  aussitôt 
sur  son  char  et  partit  à  toute  vitesse. 

Auprès  du  même  généralissime  était  un  autre  écervelé,  Tchao 
Tchen  |fr  {/>[-,  digne  fils  de  son  père  Tchao  Tch'oan  J?j  ^  ;  il  avait 
brigué  la  dignité  de  ministre,  on  la  lui  avait  à  bon  droit  refusée  ; 
il  cherchait  donc  une  action  d'éclat,  pour  montrer  son  génie. 
Voyant  qu'on  avait  laissé  échapper  Yo-pé,  il  demanda  la  permis- 
sion d'aller  venger  l'honneur  de  Tsin,  en  provoquant  de  même 
le  camp  de  Tch'ou  ;  on  la  lui  refusa  ;  il  insista  pour  être  du  moins 
chargé  de  négocier  la  paix  ;  Siun-lin  fou  le  lui  accorda,  et  com- 
me l'autre  il  partit  au  plus  vite. 

Le  seigneur  K'i  /v'o  $|]  T/£  dit  alors  au  généralissime:  Ces 
deux  enragés  vont  accomplir  une  ambassade  à  leur  façon  !  nous 
ferions  bien  de  nous  tenir  sous  les  armes,  pour  ne  pas  être  supris 
à  l'improviste  ! 

Mais  l'entêté  général  Sien  Hou  ^fc  ':'<  répliqua:  Les  gens  de 
Tcheng  HP  nous  poussaient  au  combat,  nous  n'avons  pas  su  sui- 
vre leur  conseil  ;  les  gens  de  Tch'ou  nous  proposent  la  paix,  nous 
ne  savons  pas  la  conclure  !  l'armée  n'a  pas  de  tête  ;  à  quoi  bon 
les  précautions  ? 

Che  Hoei  ~i?  ^  insista  en  disant:  11  est -toujours  bon  d'être 
sur  ses  gardes!  Si  les  deux  députés  froissent  les  gens  de  Tch'ou, 
ceux-ci  se  rueront  sur  nous  à  l'improviste,  et  nous  serons  perdus: 
préparons-nous  à  toute  éventualité!  Si  les  gens  de  Tch'ou  n'en- 
treprennent rien  contre  nous,  nos  précautions  auront  été  dans 
l'ordre,  car  dans  les  réunions  où  les  vassaux  veulent  conclure  un 
traité,  chacun  a  ses  gardes  sous  les  armes,  afin  d'être  respecté 
et  honoré  selon  son  rang. 

Sien  Hou  persista  à  ne  rien  faire.  Che  Hoei  s'en  alla:  il  char- 
gea les  seigneurs  KongCho  -tfï.  i'fjlj  et  Han  Tch'oan  $£  ^  de  placer 
des  soldats  en  embuscade,  en  sept  endroits  différents,  au  pied  de 
la   montagne  Ngao   §£  ;  c'est  ce  qui   sauva  son  corps  d'armée. 

A  l'insu  de  Sien  Hou,  le  seigneur  Tcl'iBO  Tng-tsri  ,[£f  ^  ^ 
chargea  plusieurs  officiers  de  préparer  des  barques  sur  la  rive  du 
fleuve  .Jaune;  plus  tard,  voyant  la  bataille  perdue,  ses  hommes 
sautèrent  les  premiers  clans  ces  barques,  et  échappèrent  au  massacre. 


DU    ROYAUME    DE    TSIX.    KTXG-KONG.  1  \  9 

Pendant  ces  préparatifs,  que  devenaient  nos  deux  ambassa- 
deurs? Arrivé  au  camp  de  Tch'ou,  Wei  If  mit  à  faire  le 
fanfaron  ;  il  criait  a  tue-tête  qu'on  se  dépêchât  de  suite  à  venir 
sur  le  champ  de  bataille:  et  il  remonta  en  char.  Indigné  d'une 
telle  outrecuidance,  le  seigneur  P'an-tang  fâ  &.  lui  donna  la  chasse 
jusqu'à  un  étang  nommé  Yong-tché  ^  |f|  (1).  Là.  \.Yei  I  aperçut 
six  cerfs,  qui  paissaient  dans  les  lagunes:  il  en  tua  un.  et  cria  à 
P'an-tang  :  Votre  seigneurie  n'a  sans  doute  pas  eu  le  loisir  de  se 
procurer  du  gibier;  je  lui  offre  cette  pièce,  ponr  régaler  sa  suite' 
Notre  homme  était  heureux  de  rendre  aux  gens  de  Tch'ou  bravade 
pour  bravade.    Pan-tang  aussi  cessa  de  le  poursuivre. 

Pendant  ce  temps.  Tchao  Tchen  jjQ  jjft  était  arrivé  à  son  tour 
au  camp  ennemi,  ignorant  ce  qui  s'était  passé.  En  brave  qui  ne 
craint  rien,  il  avait  étendu  sa  natte  de  lit  devant  la  porte  du  camp, 
et  il  avait  envoyé  ses  gens  à  l'intérieur  porter  le  défi.  Nous  avons 
dit  plus  haut  que  la  garde  personnelle  du  roi  était  composée  de 
deux  compagnies:  dans  chacune  d'elles  il  avait  un  char  de  guerre 
qu'il  montait  à  tour  de  rôle.  On  était  dans  l'après-midi  du  'l'A 
avril  ;  c'était  donc  la  compagnie  ou  régiment';  de  gauche  qui  était 
de  garde;  le  roi  monta  sur  son  char  pour  donner  lui-même 
la  chasse  à  ce  second  impudent    2  . 

Celui-ci  fuyait  à  toute  bride:  mais  se  voyant  pressé  de  trop 
près,  il  sauta  de  son  char,  et  s'enfuit  dans  la  forêt,  le  lancier 
K'iué-t'ang  Jgî  f||  l'y  poursuivit  encore;  le  pauvre  fanfaron  dut 
quitter  ses  armes  et  ses  vêtements,  pour  courir  plus  vite,  et  finit 
par  lui  échapper. 

Les  gens  de  Tsin  étaient  anxieux  sur  le  sort  de  leurs  deux 
écervelés,  qu'on  ne  voyait  point  revenir:  par  prudence,  on  avait 
envoyé  un  char  à  leur  rencontre;  celui-ci,  dans  sa  course  rapide 
soulevait  un  tourbillon  de  poussière.  P'an-tang  y  fut  trompé:  vite 
il  dépêcha  un  exprès  au  camp,  avec  ces  mots  :  les  gens  de  I- 
arrivent  sur  nous  ! 

De  leur  côté,  les  officiers  de  Tch'ou  craignant  que  leur  roi 
ne  s'avançât  trop  loin  dans  sa  poursuite,  et  ne  fût  entoure  par 
par  quelque  embuscade,  avaient  déjà  mis  leurs  hommes  sous  les 
armes,  et  étaient  prêts  à  partir. 


(1J    Le  lac  ou  étang  de  Yong-tché,  est  au  sud  de  Yong-tché  hien  %&  jâp  Sfj,  qui 
est  a   1  iu  li  nord-ouest  de  sa  prélecture  K'ai-fong  fou  [*j  Jt  Hf,  llo-nan.   Ces  lagu- 
nes  ont   été    depuis    longtemps   drainées,    rendues   cultivables   <'t  habitables 
géogr.,  ool.   jj-  p,  S)   —(Grande,  vol.  4-.  p.  /  . 

Dans  le  régiment  de  droite,  sur  le  char  n>\al.  le  seigneur  lliu    Yen  f£  flî 
était  conducteur,    le    seigneur    Yang   Yeou-I.i  j|  [il  it  lancier;  sur  celui  de  . 
le  conducteur  étail  ir  P'ong-ming  t&  %  ■  le  lancier  lf  seigneur  K'iu 

J3$  ifèj.  —  Le  généralissime  était  le  gouverneur  de  Chen    Çfaen-Ing  tfc  y*.,  a\>c  Tse- 
tchnng    y  S  pour  conducteur,  et  Tse-fan    y   ^  pour  lancier. 


150  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Le  premier  ministre  Suen  Chou-ngao  fâ  fy  f}%  fit  sortir  toute 
l'armée  et  cria  :  En  avant!  mieux  vaut  surprendre  l'ennemi  que 
d'en  être  surpris!  la  chance  est  pour  celui  qui  attaque  le  premier! 
Chars  de  guerre  et  fantassins  s'élancèrent  à  l'assaut  du  camp  de 
Tsin. 

Siun  Lin-fou  ne  savait  pas  ce  qui  s'était  passé  ;  voyant  l'ar- 
mée de  Tch'ou  accourir,  il  perdit  la  tète;  il  fit  battre  les  tambours 
et  cria:  sauve  qui  peut!  le  premier  qui  aura  repassé  le  Fleuve 
Jaune  sera  récompense  ! 

Les  soldats  du  centre  et  de  l'aile  gauche  se  précipitèrent  sur 
les  barques;  ceux  qui  n'avaient  pu  y  prendre  place,  les  retenaient 
en  s'y  cramponnant:  on  leur  coupait  les  doigts  à  coups  de  hache; 
c'était  une  confusion  indescriptible  ! 

Pendant  que  ces  deux  corps  d'armée  étaient  ainsi  en  déroute 
complète,  Che  Iloei  j;  -ff  avec  ;es  hommes  restait  inébranlable  à 
son  poste;  son  courage  et  son  sang-froid  furent  le  salut  d'une 
partie  des  troupes  de  Tsin.  Tout  l'effort  de  la  lutte  se  concentra  sur 
lui;  T<'i  fâ,  ministre  des  travaux  publics  de  Tch'ou,  lança  contre 
lui  l'aile  droite  de  son  armée  sans  pouvoir  l'entamer.  Le  prince 
de  T'ang  )^.  nommé  Hoei-heou  ïg  {%  était  là.  à  titre  d'auxiliaire; 
le  roi  députa  P'an-tang  avec  quarante  chars  l'inviter  à  attaquer 
aussi  Che  Hoei  :  quoique  ce  fût  le  souverain  d'une  principauté 
minuscule,  le  message  était  extrêmement  poli;  le  roi  y  disait  : 
Moi,  qui  n'ai  ni  vertu  ni  valeur,  j'ai  cependant  eu  l'audace  de  me 
mesurer  avec  un  grand  royaume:  j'avoue  humblement  ma  faute; 
mais  si  je  suis  vaincu,  votre  seigneurie  en  sera  aussi  couverte  de 
honte:  ainsi  je  compte  sur  votre  puissant  secours  pour  m'aider  à 
remporter  une  pleine  victoire.  Les  seigneurs  T'ang  Kiao  J|f  fê 
et  Ts'ai  Kieou-kiu  ^  )^  M  accompagnaient  P'an-tang     1  . 

Le  seigneur  KH  K'o  ffi  j£  nommé  aussi  Kiu-pé  ,|È)  f£|  de- 
manda à  Che  Hoei  s'il  ne  convenait  pas  de  prendre  l'offensive,  et 
de  se  jeter  sur  les  assaillants.  Nullement!  répondit  le  prudent 
général  :  les  troupes  de  Tch'ou  sont  dans  l'enivrement  de  la  victoi- 
re, elles  sont  capables  de  tout  culbuter;  il  vaut  mieux  masser  nos 
hommes,  nous  retirer  tout  en  combattant,  faire  l'office  d'arrière 
garde,  et  protéger  ainsi  ceux  de  nos  frères  d'armes  qui  sont  en 
fuite  devant  nous.  <  >n  se  mit  donc  en  maiche  ;  et  grâce  à  cette  retraite 
régulière  et  en  bon  ordre,  malgré  les  assauts  réitérés  de  l'ennemi, 
la  défaite  ne  fut  pas  une  extermination. 

A  la  nuit  tombante,  l'armée  de  Tch'ou  établit  son  camp  à 
Pi  #|J  i  2   ;  celle  de  Tsin  continua  toute  la  nuit  à  passer  le    fleuve, 

I  r'ang.  Sa  capitale  est  T'ang  hien  fë  1£.  à  120  li  sud-est  de  sa  préfec- 
ture Nan-yang  fou  ffi  VJk  Jfr.  Ho-nan.  Petite  géogr.,  vol.  12.  p.  41)  —  Grande. 
1  ol.  51,  p.  9). 

-  r  ou  Pi-tch-enyt&tâ,  était  à  6  li  à  l'est  de  Tch'eng-tcheou  lit.  fâl.Ilo-nan. 
'  Voyez  à  l'année  606  . 


DU    ROYAUME   DE  TSIN.    KING-KONG.  151 

sous  la  protection  de  Che  Hoei.  Le  lendemain,  le  roi  faisait  ame- 
ner ses  lourds  charriots  de  provisions,  puis,  quelques  jours  plus 
tard  il  transférait  son  camp  à  Heng-yong  $j  jpff;  l);  l'expédition 
était  finie. 

Avant  de  prendre  le  chemin  du  retour,  P'an-tang  proposa  de 
réunir  en  un  même  tas  tous  les  cadavres  des  soldats  de  Tsin,  et 
d'élever  sur  eux  un  monticule,  au  bord  du  fleuve;  ce  serait  un 
mémorial  de  cette  grande  victoire;  j'ai  ouï  dire,  ajoutait-il,  que 
les  anciens  donnaient  le  conseil  suivant  :  quand  on  a  vaincu  un 
ennemi,  il  faut  en  transmettre  le  souvenir  glorieux  à  ses  descen- 
dants, afin  qu'ils  n'oublient  pas  les  hauts  faits  militaires. 

Le  roi  répondit  :  Vous  parlez  d'une  chose  que  vous  ne  com- 
prenez pas.  Quand  on  écrit  le  caractère  Ou  ^Ç,  qui  signifie  vaillant, 
on  trace  d'abord  la  partie  tche  _||-  cesser,  puis  la  partie  i  -^  tir  à 
l'arc,  dont  il  se  compose;  ainsi,  par  l'écriture  même,  on  vous 
enseigne  qu'un  véritable  vaillant  est  celui  qui  fait  cesser  les  guer- 
res. Le  livre  des  Vers  (2)  raconte  que  Ou-wang  fâ  ^f ,  après  avoir 
abattu  la  dynastie  Chang  ]gf,  dit  aux  princes  réunis  :  j'ai  fait  rap- 
porter les  boucliers  et  les  lances,  remettre  dans  leurs  carquois  les 
arcs  et  les  flèches;  je  vais  cultiver  la  vertu,  et  la  répandre  partout; 
ainsi  je  mériterai  de  conserver  le  pouvoir  impérial.  Ailleurs, dans 
le  même  livre,  le  fameux  Tcheou-kong  |j§]  Q  célébrant  encore  les 
hauts  faits  de  Ou-wang,  lui  donne  cet  éloge  :  vainqueur  des  Ing 
]fl>  ''ous  ave:  mis  fin  aux  massacres.  Ailleurs  encore  il  est  dit  : 
nous  devons  nous  rappeler  .sans  cesse  les  exemples  de  Ou-wang, 
et  nous  travaillerons  uniquement  à  affermir  la  tranquillité  de 
l'empire.  Ailleurs  enfin,  le  même  livre  célébrant  les  faveurs  ac- 
cordées par  le  ciel  à  la  vertu  de  Ou-wang,  a  cette  belle  parole  : 
tous  les  peuples  jouissent  de  la  paix;  souvent  les  récoltes  sont 
magnifiques. 

Ainsi,  la  vraie  valeur  militaire  se  manifeste  dans  la  répression 
de  la  tyrannie,  l'empressement  à  remettre  les  armes  au  dépôt,  la 
conservation  de  son  autorité,  l'affermissement  de  la  paix,  le  bonheur 
du  peuple,  la  concorde  avec  les  états  voisins.  De  cette  manière,  la 
postérité  se  souvient  longtemps  des  exploits  de  ses  ancêtres. 

Le  roi  continua  son  discours  onctueux  sur  le  même  ton;  nous 
l'abrégeons  par  égard  pour  le  lecteur.  Ce  prince  vertueux  offrit 
un  sacrifice  à  l'Esprit  protecteur  du  Fleuve  Jaune,  qui  lui  avait 
été  si  favorable;  il  bâtit  une  pagode  à  ses  ancêtres,  pour  leur  an- 
noncer sa  victoire,  puis  il  retourna  triomphalement  dans  son  pays. 
Naturellement,    les   troubles   continuèrent    dans    la    principauté   de 


(1)  Heng-yong   ou    Yuen-yong    tch'eng  )îï  $fè  i$_.    était  à    5    li    nord-oues 
Yuen-ou    hien   ^  j^;  $£,    qui   est  à   180  li  à    l'est  de  sa  préfecture  Ho-ncrn  fou  i"I  |Tj 
Jfr,    llo-nan.  (Petite   géogr.,  ool,   12  p.  2çi.    —   (Grande,  ool.  47.  p.   z6. 

(2)  Cke-king  ff  $jj  (Zottoli,  111.  p.  294,  ode  8em*.  vers  jeme)  —  (Couvreur, 

.pp  424,  43S,  444.  ode   ioQmc). 


152  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

Tchenq  §J>,  le  roi  de  Tch'ou  n*en  était  point  fâché,  cela  lui  four- 
nissait l'occasion  d'intervenir;   il  y  gagnait  toujours  quelque  chose. 

Voici  maintenant  quelques  détails  relatifs  à  cette  sigulière 
bataille:  Pendant  le  combat,  le  roi  de  Tch'ou  voyant  arriver  son 
régiment  de  droite,  voulait  monter  sur  le  char  de  cette  compagnie, 
comme  étant  la  plus  honorable;  son  lancier  K'iuè-t'ang  Jïjï  f^ 
l'en  dissuada  en  disant  :  Votre  Majesté  a  commencé  la  bataille  sur 
le  char  de  gauche,  elle  doit  y  rester  jusqu'à  la  tin.  Il  craignait 
que  ce  changement  n'impressionnât  les  troupes,  et  ne  fût  consi- 
dère comme  un  mauvais  présage.  Depuis  lors,  ce  fut  la  compagnie 
ou  régiment    de  gauche  qui  eut  la  préséance  dans  la  garde  royale. 

Autre  fait:  l'n  char  de  Tsin  était  embourbé  dans  un  bas- 
fond  :  des  soldats  de  Tch'ou,  au  lieu  d'en  profiter  pour  massacrer 
ceux  qui  le  montaient,  leur  crièrent  d'enlever  la  barre  transver- 
sale où  se  trouvaient  suspendues  plusieurs  armes  ;  le  char  ainsi 
allégé  put  faire  quelques  pas,  mais  s'arrêta  de  nouveau:  Enlevez 
le  grand  drapeau,  crièrent  les  gens  de  Tch'ou;  couchez-le  en  tra- 
vers, il  ne  donnera  pas  prise  au  vent!  Le  char  étant  sorti  d'em- 
barras, le  conducteur,  pour  remercîment.  dit  aux  gens  de  Tch'ou, 
comme  un  fin  lettré:  Nous  autres,  nous  n'avons  ni  l'expérience 
ni  l'habitude  de  la  fuite  comme  votre  ilustre  royaume  !  sur  ce,  il 
lança  ses  chevaux  au  grand  galop. 

Encore  un  trait  curieux  :  L'un  des  auteurs  du  désastre, 
l'écervelé  Tchao  Tchen  @  Jpf-  pendant  la  bataille  avait  cédé  ses 
bons  chevaux  à  son  frère  aine  et  à  son  oncle,  qui  purent  ainsi 
échapper  à  l'ennemi  ;  c'était  héroïque  de  sa  part  :  lui,  avec  leurs 
mauvais  chevaux,  ne  tarda  pas  à  être  rejoint  pas  les  gens  de  Tch'ou, 
il  sauta  de  son  char,  et  s'enfuit  dans  une  forêt  voisine.  Bientôt 
après,  passait  près  de  là  le  grand  officiel-  Fong  3'^  avec  ses  deux 
fils  :  celui-ci  dit  aux  deux  jeunes  gens  :  Pressez  la  course  des 
chevaux  en  avant,  sans  regarder  à  droite  ou  à  gauche!  Il  avait 
bien  aperçu  le  pauvre  fuyard, mais  il  voulait  l'abandonner  à  son  sort 
si  mérité.  Mais  les  jeunes  gens  regardaient  quand  même  de  tous 
côtés  :  ayant  vu  le  fugitif,  ils  crièrent  à  leur  père  :  Voilà  le  seigneur 
Tchao  Tchen  abandonné  derrière  nous!  Fong  indigné  leur  ordonna 
de  descendre:  leur  montrant  un  arbre,  il  leur  dit:  Mourez  là! 
puis  il  tendit  à  Tchao  Tchen  la  courroie  de  cuir  qui  servait  à 
monter  en  char,  il  le  reçut  à  leur  place  et  lui  sauva  la  vie.  Le 
lendemain,  il  revint  au  même  endroit,  il  y  trouva  ses  deux  fils, 
tues  par  les  gens  de  Tch'ou. 

Dernier  incident:  Hiong  Fou-ki  tË  J|  |i§,  grand  seigneur  de 
Tch'ou.  avait    fait    prisonnier    le   jeune    Inij    *;';•      1    •    fils    de    Siun 


l  1 1 1  ■_  lui  gouverneur  de  Tche  fâ.  Cette  ville  était  un  peu  à  L'ouest  de  Yu- 
hicmg  hien  (&  rjip  lilf.  qui  esl  .1  60  li  sud-est  de  sa  préfecture  P'ou-tcheou  fou  j'ijj  ■'il 
':''!  .  Chan  -i.     Petite  </.:. tgr.,  col.  s.  p.  30    —    Grande,  vol.  41.  p.   21  . 


DU    ROYAUME   DE  TSIN.    KING-KONG.  153 

Cheou  |jj  "pf",  et  neveu  du  généralissime.  Ayant  appris  cette  nou- 
velle, le  malheureux  père  prit  les  troupes  de  son  clan,  et  retourna 
sur  le  lieu  du  combat,  suivi  par  un  bon  nombre  de  soldats  du 
;;èine  Corps  l'aile  gauche),  dont  il  était  un  des  grands  officiers. 
Le  conducteur  de  son  char  était  le  seigneur  Wei  l  0ji  £*  1  .  Le 
pauvre  père  lançait  ses  flèches  à  droite  et  à  gauche;  mais  quand 
il  lui  en  tombait  sous  la  main  une  excellente,  il  la  mettait  en  ré- 
serve dans  le  carquois  de  son  conducteur.  A  la  fin,  celui-ci  lui 
cria:  ne  voulez-vous  donc  pas  délivrer  votre  fils?  pourquoi  épar- 
gner les  llèches?  sur  le  bord  du  lac  de  Tong-tché  jft  \^  2:,  il  y 
a  de  quoi  en  faire  d'autres!  Siun-cheou  lui  répondit:  Si  je  ne  fais 
prisonnier  un  fils  de  grande  famille,  pour  l'échanger  contre  le 
mien,  je  combats  en  vain:  je  ne  veux  pas  lancer  au  hasard  mes 
bonnes  llèches!  Enfin,  il  finit  par  tuer  le  grand  officier  Siang- 
la.0  j|§  ^,  dont  il  prit  le  cadavre  sur  son  char;  bientôt  après, 
il  blessait  et  emmenait  prisonnier  le  prince  Kou-tch'en  ^  g: 
.Maintenant,  dit-il,   retournons;  j'ai  de  quoi  faire  l'échange! 

Vers  le  mois  de  juin,  l'armée  de  Tsin  rentrait  piteusement  à 
la  capitale.  Siun  Lin-fou  ^j  ^  *£  demanda  d'être  mis  à  mort, 
pour  s'être  ainsi  laissé  battre  par  le  roi  de  Tch'ou.  King-kong 
était  sur  le  point  de  lui  accorder  cette  faveur  peu  désirable,  quand 
Che  Tchcng-tse  -j^  ^  ^p,  aussi  nommé  Ou-tchouo  ^g  $§,  du  grand 
clan  Che  -fc,  l'en  dissuada  par  le  discours  suivant  :  Autrefois  en 
632],  après  la  grande  victoire  de  Tcheeng-pou  jj$  $|,  nos  troupes 
se  régalèrent  pendant  trois  jours,  des  provisions  trouvées  au  camp 
de  Tch'ou  ;g|  ;  toutefois,  votre  ancêtre  Wen-hong  j$r  £*  ne  prenait 
pas  part  à  la  joie  commune;  on  lui  demanda  la  cause  de  sa  tris- 
tesse: il  répondit  :  tant  que  Tse-yu  ^f-  3E  vivra,  je  ne  puis  me 
réjouir;  les  fauves  même,  poussés  à  l'extrémité,  deviennent  terri- 
bles; combien  plus  dois-je  redouter  un  tel  ministre  d'un  tel  ro- 
yaume! Quelque  temps  après,  ayant  appris  la  mort  de  Tse-yu, 
YVen-kong  en  manifesta  publiquement  sa  joie  :  maintenant,  disait- 
il,  je  n'ai  plus  rien  à  craindre!  Il  considérait  cet  événement  com- 
me une  nouvelle  victoire  de  Tsin.  et  une  nouvelle  défaite  de  Tch'ou  : 
ce  dériver  royaume  en  lut  affaibli,  en  effet,  pour  deux  générations: 
et  c'est  seulement  grâce  à  nos  dissensions  qu'il  vient  de  se  relever. 
A  notre  tour,  le  ciel  vient  de  nous  donner  une  forte  leçon,  pour 
nous  corriger;  si  nous  mêlions  à  mort  Siun  Lin-fou  "fîj  ^  te- 
nons ajouterons  un  désastre  à  celui  que  nous  avons  subi;  nous  en 
serons    pour   longtemps    affaiblis.     En  charge,   ce  général  ne  pense 


■  1     Wei  I    es(    ri1    même    seigneur  qui    provoqua  l'armée  de   rch'ou,  <i  lui  un 
des  fauteurs  de  In  débâcle. 

.'     Tong-tché.  Ce  lac  esl  .'>  '■>■*  li  nord  csl  de    Wen-7ii  hien  flj|   y,   |£,   qui 
70  li  au  sud  de  Kiang  tcheov   ';"f  41.    Chan  si.       Petite    géogr.,    vol.     • .    p.     //  .     -• 
<  Grande,  vol    / 1 .  p.  ss  ■ 


15'*  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

qu'à  se  dévouer  pour  son  prince;  rendu  à  la  liberté,  il  ne  cherche 
qu'à  corriger  ses  fautes  ou  ses  erreurs  ;  en  un  mot,  c'est  une  des 
colonnes  de  l'Etat;  comment  pourrait-on  faire  mourir  un  tel  hom- 
me? Sa  défaite  a  été  une  éclipse:  mais  le  soleil  et  la  lune  ont  les 
leurs,  et  leur  éclat  n'en  est  pas  perdu  pour  cela. 

Kingr-kong;  fut  touché  de  cette  sage  remontrance,  et  il  rendit 
au  généralissime  son  ancienne  dignité:  ce  qui  prouve  que  ce  prince 
n'était  pas  un  homme  à  courte  vue  :  aussi,  malgré  se.->  revers,  il 
demeura  le  chef  des  vassaux. 

A  la  fin  de  cette  même  année  597,  des  députés  de  Tsin  |^, 
de  Song  ^.  de  Wei  $j  et  de  7Vao  ^  tenaient  une  assemblée  à 
Ts'ing-k'ieou  fy\  jjfj  1  .  pour  y  renouveler  les  anciens  traités  d'al- 
liance et  d'amitié  :  Nous  allons,  disait  le  texte  de  la  convention, 
secourir  ceux  qui  sont  dans  la  détresse,  et  punir  les  traîtres:  mais 
ce  fut  lettre  morte. 

Le  prince  de  Song;  attaqua  celui  de  Tch'en  [îjfï.  qui  s'était 
déclaré  partisan  de  Tch'ou  *£  :  le  marquis  de  "Wei  le  défendit, 
lui,  signataire  du  traité:  pour  excuse,  K'ong-ta  JL  j=?,  son  premier 
ministre  répondit  :  Antérieurement  à  votre  réunion  nous  avions 
un  pacte  d'amitié  avec  ce  prince:  quani  à  King-kong,  s'il  est  mé- 
content de  moi,  je  suis  prêt  à  mourir!  Première  antienne  pour 
nous  annoncer  sa  fin  tragique:  nous  la  verrons  arriver  en  effet 
dans  deux  ans. 

King-kong  lui-même  ne  se  préoccupait  guère  de  son  traite  : 
le  prince  de  Song  $£  étant  attaqué  par  l'armée  de  Tch'ou,  il  le 
laissa  dans  l'embarras  sans  lui  porter  secours. 

En  596,  le  roi  de  l's'i  ^:\  profitant  du  désastre  de  Tsin,  fai- 
sait la  guerre  à  la  petite  principauté  de  Kiu  ~'À\'  2  :  celle-ci  se 
confiait  sur  son  alliance  avec  King-kong-:  elle  se  vit  de  même 
abandonnée  à  son  malheureux  sort:  c'était  au  printemps. 

En  automne,  les  Tartarcs  rouges  Tclve-ti  ff.  ffi  attaquaient 
eux-mêmes  le  pays  de  Tsin,  selon  le  proverbe  «un  malheur  ne 
rient  jamais  seul»;  c'est  le  traître  Sien  II  ou  -fc  ^  qui  avait  appelé 
en  secret  ces  barbares;  furieux  de  n'avoir  pu  se  venger  suffisam- 
ment dans  le  désastre  de  Pi  JîJJ,  il  avait  eu  recours  à  cet  autre 
moven.  LesTartares  opérèrent  des  razzias  jusqu'à  la  ville  de  Ts'ing 
ffi    3  .  et  se  retirèrent  à  l'arrivée  des  troupes. 


1     Ts'ing-k'ieou,   était  à    70    li  sud-est  do  K'ai-tcheou  $\  ft\.  Tche-li.  i  Petite 
géogr.,  vol.    2.  p.   55]   —   'Grande,  vol.    16.  p. 

(2)  Kiu,  sa  capitale,  détruite  plus  tard,  était  sur  l'emplacement  actuel  de 
Kiu-tchenu  ~*£  #| .  à  90  li  nord-est  d  I-tcheou  fou  xTf  #|  ''T  sa  préfecture.  'Petite 
yêngr..   vol.  10.  p.   sr1    —    'Grande,    vol.   SS-  P-    2~ 

is'ing,  appelée  plus  tard  Yu-pi  tch'eng  £  !g  >•'•!..  était  a  1:!  li  sud-ouest 
de  Tsi-chan  hien  f£  li|  ff\  qui  est  à  55  li  a  l'ouest  de  Kiang  tcheov  ££  •■']■!,  Chan-si. 
(Petite  géogr.,  vol.  S.  p.  41t.    —     Grande,  vol.  41.  p.  401. 


DU    ROYAUME  DE   ISIX.    KING-KONG.  155 

A  la  fin  de  l'année,  King-kong  se  débarrassa  de  Sien  Hou; 
avec  lui  fut  exterminée  toute  sa  parenté.  Un  sage  lettré  fit  la  re- 
marque philosophique  suivante  :  Quand  on  subit  des  malheurs, 
c'est  qu'on  se  les  est  attirés  soi-même.  Ce  n'est  peut-être  pas  tou- 
jours vrai;  mais  c'était  bien  exact  en  cette  occasion;  Sien  Hou 
jalousait  son  généralissime;  il  eût  voulu  le  supplanter,  en  pleine 
expédition  ,  ce  fut  le  malheur  de  l'armée,  et  la  première  cause  du 
désastre  de  Pi. 

Après  cette  rigoureuse  punition,  King-kong  se  prépara  à 
châtier  un  autre  traître,  le  marquis  de  Wei  $Ç  :  il  lui  envoya  un 
ambassadeur,  lui  demander  pourquoi  il  avait  protégé  le  prince  de 
Tch'en  [^,  contrairement  au  traité.  A  la  cour,  tout  le  monde  s'ex- 
cusa. S'il  n'y  a  point  de  coupable,  dit  alors  L'envoyé,  une  armée  va 
venir  vous  demander  raison  de  cette  félonie!  Le  premier  ministre 
K'ong-la  iJL  j%  lui  répondit:  S'il  y  a  faute,  elle  retombe  sur  moi; 
c'est  moi  qui  ai  voulu  cette  expédition  :  si  ma  mort  peut  terminer 
la  querelle,  je  suis  prêt!  De  fait,  au  printemps  suivant,  K'ong-ta 
se  pendit  :  le  marquis  désavoua  son  ministre,  déclara  qu'il  s'était 
justement  puni,  et  le  différend  fut  apaisé.  Tels  étaient  les  usages 
de  ce  temps-là. 

En  595,  en  été,  King-kong  envoyait  ses  troupes  exécuter  de 
grandes  manœuvres,  sur  le  territoire  de  Tcheng  l|j$,  témoin  de 
leur  dernière  défaite  ;  et  il  en  avait  donne  avis  à  tous  les  vassaux 
amis,  comme  s'il  eût  médité  une  revanche.  C'est  le  généralissime 
Siun  Lin-fou  ^jj  fyl  3C  clui  avait  suggéré  cette  démonstration  mi- 
litaire, dans  le  but  d'effrayer  le  prince,  et  de  l'amener  ainsi  à  se 
remettre  sous  la  suzeraineté  de  Tsin. 

La  chose  n'alla  pas  si  bien  qu'on  l'espérait  :  le  prince  fit  d'a- 
bord revenir  Tse-liang  ^p-  J|,  qui  était  toujours  en  otage  au  pays 
de  Tch'ou  ^|  ;  c'était  un  homme  de  grand  conseil,  ses  avis  sem- 
blaient nécessaires  dans  cette  conjoncture  ;  le  prince  n'en  fut  ce- 
pendant pas  rassuré  :  il  se  rendit  lui-même  à  la  cour,  demander 
la  conduite  à  tenir;  ce  voyage  suffit  à  faire  rentrer  les  troupes  de 
Tsin  dans  leurs  foyers. 

En  594,  le  prince  de  Song,  assiégé  depuis  la  9'nu'  lune  de 
l'an  dernier,  dans  sa  capitale,  par  une  armée  de  Tch'ou,  demandait 
à  cor  et  à  cris  des  renforts  suffisants  ;  King-kong  était  disposé 
enfin  à  les  lui  envoyer;  le  grand  officier  Pé-tsong  fâ  ^  l'en  dis- 
suada en  ces  termes  :  Les  anciens  sages  avaient  ce  proverbe  "le 
fouet  le  plus  long  ne  doit  pas  atteindre  le  rentre  du  choral»;  le 
ciel  favorise  le  roi  de  Tch'ou,  nous  ne  pouvons  lui  chercher  que- 
relle, si  forts  et  si  puissants  que  nous  soyions.  D'autres  proverbes 
nous  disent  :  oiser  haut,  viser  bas,  dépend  de  notre  volonté;  — 
tes  fleuves  et  les  étangs  s'envasent  peu  à  peu;  —  les  montagnes, 
les  forêts,  recèlent  toujours  des  fauves  nuisibles;  —  les  meilleurs 
jades  ont  aussi  quelques  tacites.  C'est  l'ordre  voulu  par  le  ciel,  que 
les  meilleures  choses  aient  leurs  défauts,   sans  que  pour  cela  leurs 


156  temps  Vraiment  historiques 

bonnes  qualités  en  souffrent;  ainsi,  cotte  petite  honte  que  vous 
aurez  de  ne  pas  secourir  le  prince  de  Song  ne  vous  nuira  pas; 
attendons  un  moment  plus  propice. 

•  »n  voit  comment  ces  messieurs  les  lettrés  savent  toujours   - 
tirer  d'affaire;  ils  onl   un  fonds  inépuisable  de  sentences  vertueuses 
à  leur  usage.    Persuadé  par  cette  remontrance  philosophique.  King 
kong   laissa   son   allié  dans  l'embarras;  il  lui  envoya  seulement  le 
seigneur  Hiai  Yang  fi$.  fâ  l'encourager  à  tenir  bon.  car  une  armée 
allait  venir  le  délivrer.   C'était  un  pur  mensonge. 

Les  gens  de  Tcheng  Jfft  eurent  la  bonne  fortune  de  capturer 
ce  seigneur;  ils  l'envoyèrent  au  roi  de  Tch'ou;  celui-ci  lui  offrit 
de  riches  cadeaux,  s'il  voitlait  dire  aux  assiégés  juste  le  contraire 
de  ce  qu'il  devait  annoncer.  L'envoyé  refusa:  vaincu  enfin  par  les 
instances,  il  promit  de  s'exécuter;  on  le  conduisit  donc  sur  une 
tour  mobile,  prés  des  remparts:  là.  le  seigneur  cria  exactement 
les  paroles  de  King-kong. 

Le  roi  de  Tch'ou  furieux  voulait  le  mettre  à  mort  sur-le- 
champ:  pourquoi  cette  trahison?  lui  demanda-t-il  ;  doutiez-vous 
que  je  ne  vous  remisse  pas  les  cadeaux?  vite,  hâtez-vous  de  vous 
donner  la  mort,  si  vous  ne  voulez  pas  qu'on  vous  tue  ! 

Le  seigneur  n'était  pas  si  pressé:  il  répondit  tranquillement: 
j'ai  fait  semblant  d'acquiescer  à  vos  désirs,  afin  de  pouvoir 
arriver  jusqu'aux  gens  de  Song.  et  accomplir  mon  mandat;  que 
m'importent  les  riches  cadeaux  !  Quand  le  prince  donne  un  ordre 
légitime,  le  serviteur  qui  l'exécute  est  un  loyal  sujet:  il  travaille 
pour  le  bien  de  son  pays,  se  montre  véritable  ami  de  son  peuple, 
devient  ainsi  une  des  colonnes  de  l'Etat.  Je  ne  pouvais  recevoir  deux 
ordres  contradictoires,  j'ai  exécuté  le  seul  qui  fût  légitime,  celui 
de  mon  souverain  :  maintenant  ma  vie  est  entre  vos  mains,  frappez- 
moi  ;  je  mourrai  content  de  mon  sort,  et  mon  prince  saura  qu'il 
a  encore  de  fidèles  serviteurs. 

Le  roi  de  Tch'ou  admira  ce  courageux  député,  et  lui  fit  grâce 
de  la  vie.  Mais,  à  la  5ème  lune,  le  prince  de  Song  fut  contraint 
de  se  rendre:  malgré  sa  grande  répugnance,  il  vint  faire  sa  sou- 
mission. Le  vertueux  lettré  de  Tsin  ne  s'en  applaudit  pas  moins 
sans  cloute  de  son  bon  conseil. 

\  la  [;'•!".  lune,  King-kong  s'annexait  la  tribu  tartarc  appelée 
/  ou-che  ^  J£  :  voici  les  détails  que  l'historien  ajoute  aux  brièves 
paroles  de  Confucius:  Tng-eul  ^  j^.  chef  de  cette  peuplade,  avait 
le  titre  de  vicomte  Tse  ^f-  1)  :  son  épouse  était  la  sœur  aînée  de 
King-kong  :  son  premier  minisire,  nommé  Fong  Chou  ^:j  £f.  ayant 
usurpé  l'autorité,  avait  massacré  cette  princesse,  et  blessé  à  l'œil 
le  vicomte  lui-même. 

I  Le  tombeau  de  (ng-eul  est  à  ."m  H  nord-est  de  Lou-1ch'eng  hien  it£tiv.  |f 
qui  est  i>   iO  li  nord-est  de  -.*  préfecture  Loti  h;/"//  fou  $Ç  %ç  Ji^f.  Chan-si.     Annales 

(tu    ClutH-fi    [1|     [3j    3ffj    jf.     V"l.      ."(•>.    p.     >ç    . 


DU    ROYAUME   I)i-:   TSI.N.    KING-KONG.  1Ô7 

A  cette  nouvelle,  King-kong  voulait  immédiatement  conduire 
une  année  contre  ce  rebelle;  mais  les  grands  seigneurs  de  la  cour 
le  retenaient  en  disant  :  ce  ministre  a  trois  qualités  qui  le  mettent 
au-dessus  des  communs  mortels  ;  attendons  une  occasion  plus  fa- 
vorable . 

Le  sage  I'(}-t*un>)  -fjQ  £j£,  que  nous  connaissons,  poussait  au 
contraire  à  la  guerre:  Si  le  ministre,  disait-il,  a  trois  grandes 
qualités,  il  a  aussi  cinq  grands  vices  qui  méritent  châtiment; 
c'est  un  impie,  qui  n'offre  pas  de  sacrifices;  il  est  ivrogne;  il  a 
écarté  le  sage  Tchoiuj-lclLuiLg  fit»  Jj£,  et  s'est  empare  injustement 
du  petit  état  de  I.i  "^  (1)  ;  il  a  massacré  la  sœur  de  notre  souve- 
rain, et  blessé  son  propre  prince.  Il  compte  sur  ses  talents  pour 
se  dispenser  de  la  vertu,  ce  qui  le  rend  encore  plus  coupable  ;  pour- 
quoi remettre  In  punition  h  plus  lard?  Si  son  successeur  pratique 
la  justice,  la  vertu,  révère  les  Esprits,  honore  les  gens  de  bien, 
irons-nous  alors  châtier  un  tel  ministre  pour  les  forfaits  de  son 
prédécesseur?  Quiconque  se  rie  sur  ses  talents,  et  sur  le  nombre 
de  ses  alliés,  celui-là  est  sur  le  chemin  de  sa  ruine,  comme  le 
tyrannique  empereur  Tcheou  ^J*  :  si  les  saisons  sont  renversées, 
viennent  la  famine  et  la  peste  :  si  les  productions  de  la  terre  sont 
renversées,  il  se  produit  des  monstruosités  ;  si  le  peuple  renverse 
les  principes  de  la  vertu,  surgissent  les  révolutions  ;  voici  le 
caractère  Icheny  j£.  qui  signifie  droit,  régulier;  dérangez-le  un 
peu;  vous  avez  fa  £,  vide,  pauvre,  fatigué;  tout  cela  est  appli- 
cable à  notre  cas. 

King-kong  avait-il  un  faible  pour  ce  lettre?  toujours  est-il 
que  son  avis  prévalut  sur  celui  des  dignitaires  opposants,  et  la 
guerre  fut  résolue.  A  la6-me  lune,  au  jour  appelé  hoei-mao  ^  1JJ]. 
le  généralissime  Siun  Lin- fou  ^  $C  3C  battait  les  Tartares  à 
K'iu-liang  tjj]  -Jjfe  (2),  au  jour  sin-hai  9j£  ]j£  leur  petit  état  était 
déclaré  annexé  au  royaume  de  Tsin.  Fong  Chou  "§|>  ffi,  le  ministre 
rebelle,  s'était  enfui  au  pays  de  Wei  |ff  ;  là  on  eut  peur:  on  se 
hâta  de  le  livrer  à  King-kong,  qui  le  lit  mettre  à  mort. 

Hoan-kong  ^jf.  fè  roi  de  Ts'in  £*  (604-577  ,  était  jaloux  de 
ce  succès;  il  chercha  le  moyen  de  ravir  quelque  territoire  proche 
de  sa  frontière,  pendant  que  King-kong  était  occupé  avec  les  Tar- 
tares ;  mais  le  général   Wei  K*ouo  §|  Jj£î  s'opposa    courageusement 


I,    l.i.    Su   capitale  était  à   ls   H  nord-est  de  Li-tch'eng  hien  ^Si  qui  est 
.i    I  10  li  nord-est  de  sa  prélecture  Lou-ngan  fou.     [Petite   géogr.,    vol.  S.  p.   i  / 
(Grande,  vol.  i,  p.   iô  —  vol.  ./_>.  p.  2j). 

(2)  K'iu-liang  était  un  peu  au  nord-est  de  Yong-nien  hien  fc  i\i  %%■  dans  lu 
prélecture  même  de  Koang-p'ing  fou  )$(  -'P  }(t  ■  l'che-li.  [Petite  géogr.,  coi.  .•■  p. 
jS)  —  (Grande,,  vol.  ij:  p.  /;,'.  Le  recueil  Hoang-tsing  King-kiai,  année  594,  dil 
que  la  bataille  eut  lieu  à  environ  10  li  à  l'ouest  de  Lou-tch'eng  $£  JflÇ  pré?  de  la 
capitale  des  Tartares 


158  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

à  cette  invasion,  et  remporta  une  belle  victoire  à  Fou-che  ïjijjj  fÇ  1  . 
où  l'armée  de  Hoan-kong-  avait  établi  son  camp;  il  fit  prisonnier 
un  géant,  véritable  hercule,  nommé  Tou-lwei  ^  [g],  dont  la  capture 
est  restée  célèbre;  on  la  chante  encore  maintenant  dans  les  échopes 
où  les  paysans  vont  boire  le  thé.   Voici  ce  qu'on  raconte: 

Wei  Ou-lse  fj|î  jÇ  -^  avait  une  concubine  qu'il  chérissait, 
mais  qui  ne  lui  avait  pas  donné  d'enfants  ;  étant  tombé  malade, 
ce  seigneur  dit  à  son  fils  Wei  K'ouo  :  quand  je  ne  serai  plus, vous 
remarierez  cette  concubine:  plus  tard,  avant  de  mourir.  Ou-tse 
changea  d'idée:  quand  on  m'enterrera,  dit-il  à  ce  même  fils,  je  veux 
qu'on  mette  cette  personne  vivante  dans  mon  tombeau,  Wei  K'o:io 
se  garda  bien  d'exécuter  un  ordre  si  barbare,  et  il  remaria  la 
concubine:  lors  de  sa  première  recommandation,  disait-il.  mon 
père  avait  la  plénitude  de  ses  facultés:  à  la  seconde,  il  avait  l'es- 
prit troublé. 

Or,  pendant  la  bataille  de  Fou-che,  il  aperçut  un  vieillard  qui 
nouait  de  grandes  herbes,  en  forme  de  pièges;  et  c'est  précisément 
à  cet  endroit  que  le  géant  fut  capturé;  il  s'était  embarrassé  dans 
les  hautes  herbes,  et  était  tombé.  La  nuit  suivante,  ce  même 
vieillard  apparut  en  songe  à  Wei  K'ouo.  et  lui  dit  :  Je  suis  le  père 
de  la  concubine  que  vous  avez  remariée;  vous  avez  bien  fait  d'exé- 
cuter la  première  volonté  de  votre  père,  et  je  suis  venu  vous  en 
récompenser.    Si  c*est  un  conte,  il  est  du  moins  bien  imaginé. 

Au  jour  ning-ou  f£  <^p  de  la  7ème  lune,  King-kong  faisait  une 
démonstration  militaire,  au  pied  de  la  montagne  Tsi  ffi  (2  ,  sur 
le  territoire  tartare  nouvellement  conquis:  il  voulait  par  un  grand 
déploiement  de  tioupes.  des  exercices,  des  manœuvres,  faire  une 
salutaire  impression  sur  l'esprit  de  ces  sauvages,  et  leur  enlever 
l'idée  de  se  révolter;  il  rétablit  le  prince  de  Li  15$.  qu'ils  avaient 
détrôné,  puis  il  reprit  le  chemin  de  sa  capitale:  il  était  arrivé  au 
bord  de  la  rivière  Lo  jj£  (3  quand  il  apprit  l'invasion  du  roi  de 
Ts'in  0f§,  et  la  victoire  de  Wei  K'ouo:  il  dut  grandement  s'en 
réjouir. 

King-kong  était  content  de  son  expédition  chez  les  Tartares  : 
pour  récompense,  il  donna  au   généralissime   Siun    Lin-fou  ^g   $\ 

(1)  Fou-che,  était  à  13  li  nord-ouest  de   Tch'ao-i  hien  fi'J  Q,  !££.    qui  esi 

li  à  l'est  de  sa  préfecture  T'ong-tcheou  fou  |n)  H]  Jff.  Chen-si.  Petite  géogr.,  vol. 
14  p.  18)  —  (Grande,  vol.  54,  p.  21  .  les  annales  du  Chan-si,  vol.  53,  p.  2 1 ,  la 
mettent  à  l'ouest  de  Yong-ho  liicn  %&  ;*5[  §f,  dans  la  prélecture  de  P'ou-tehcou  fou 
M  #1  /fr,  Chan-si. 

(2)  La  montagne  Tsi  est  à  ."»0  li  au  sud  de  Kiang  teheou  ££  ■'■]■,  Chan-si;  il 
y  a  encore  un  kiosque  commémoratif.  (Petite  géogr.,  vol.  S.  p.  44)  —  (Grande, 
vol.  41.  p.  3q). 

(3)  La  rivière  Lo,  est  au  sud  de  Tch'ao-i  hien  [ci-dessus  .  Petite  géogr.,  vol. 
14,  p.  jçy  —  {Grande,  vol.  $4,  p.  22). 


DU   ROYAUME   DE  TSIN.    KING-KONG.  159 

'£  le  fief  de  mille  familles,  possédé  auparavant  par  le  ministre 
rebelle  Ton;/  Chou  ffji  $f.  Quant  au  seigneur  Che-pé  -j^  f^L  il  lui 
fit  cadeau  de  Koa-yen  )fx  i(f  l),  en  lui  disant  :  c'est  grâce  à 
votre  intercession  que  Siun  Lin-fou  est  encore  en  vie,  et  qu'il 
vient  de  nous  conquérir  ce  territoire:  il  est  juste  que  je  vous  en 
sois  reconnaissant. 

Sur  quoi  le  sage  lettré  Yang  Ché-lche  ^L  -g-  JJf|,  père  du  fa- 
meux Yang  Chou-hiang  ^  ;jc£  [îâj,  se  félicitait  de  voir  le  mérite 
recompensé,  et  la  vertu  honorée  :  ici.  disait-il,  s'est  accomplie  la 
parole  du  livre  des  Annales  •■Il  employait  les  hommes  qu'il  conve- 
nait d'employer;  il  honorait  ceux  qu'il  convenait  d'honorer». 
Wen-wang  %  3E  qui  fonda  l'illustre  dynastie  Tcheou  JS],  n'a  pas 
montré  une  intelligence  supérieure  à  celle-ci.  Le  livre  des  "sers 
nous  dit:  «Ze  ciel  étend  ses  bienfaits  sur  la  famille  Tcheou»  2  : 
c'est  ainsi  qu'elle  a  pu  se  perpétuer:  quiconque  met  en  pratique 
les  mêmes  principes,   ne  rencontrera  rien  d'impossible. 

Pour  faire  plasir  à  l'empereur,  et  se  prévaloir  de  son  autorité. 
King-kong  lui  envoya  une  partie  du  butin  et  des  prisonniers. 
L'ambassadeur  était  le  seigneur  Tchao  T'ong  -Jrf  fp] ,  un  des  demi- 
frères  de  l'ancien  premier  ministre  Siuen-lse  'ff  -^  :  ayant  con- 
science que  sa  mission  était  un  simple  jeu  de  politique,  il  ne  se 
conduisit  pas  assez  humblement  à  la  cour  impériale;  scandale  des 
vertueux  lettrés  à  cheval  sur  les  rites,  qui  lui  prophétisèrent  ses 
malheurs  :  Avant  dix  ans,  s'écria  Licou  K'ang-hong  §?ij  j^£  Q ,  le 
grand  ministre,  les  calamités  fondront  sur  Yuen  Chou  jf^  fâ  autre 
nom  de  l'ambassadeur  :  aujourd'hui  le  ciel  lui  retire  déjà  le  bon 
sens. 

En  593,  à  la  1èr  lune,  une  armée  de  Tsin,  sous  les  ordres  de 
Che  Hoei  -J;  ^ .  attaquait  différentes  peuplades  des  Tartares  rou- 
ges: il  soumit  les  Kia  che  ï\l  j£,  les  Lieou-hiu  £{{  l'f-  et  h  s  Tao- 
tch'en  fj|  Jg ,    dont  les  territoires  furent  annexés  définitivement. 

A  la  3  l,,J  lune,  le  général  offrait  les  prisonniers  à  l'empereur. 
King-kong  voulait  récompenser  ce  dignitaire  éminent,  qui  lui 
avait  rendu  de  nombreux  et  signalés  services:  il  pria  l'empereur 
de  lui  accorder  un  bonnet  de  cérémonie,  un  costume  jubilaire  sur 
lequel  étaient  brodes  en  noir  et  en  bleu  ou  vert  des  haches  et  le 
caractèi e ya  ;:  :  c'était  sans  doute  une  faveur  des  plus  recherchées  à 
cette  époque.  Xon  content  de  cela,  King-kong  nomma  Che  Hoei 
généralissime,  et  de  plus  t'ai-fou  -j£\$  c'est-à-dire  grand  précepteur 
du  prince-héritier:  c'était  le  comble  de  la  gloire  et  des  honneurs. 


(1)  Koa-vcn  était  à  10  H  au  nord  de  Hiao-i  hien  j*f:  ffê  tf,  qui  est  à  :<•">  li 
au  sud  de  -a  préfecture  Fen-tcheou  fou  fi!)  tf\  H ' .  Chan-si.  Petite  géogr.,  vol.  S. 
p.    16).  —   (Grande,  roi.  42.  p.  4).   —  (Hoang-tsing  King-kiai,   roi.   S-oj.  p.  /  . 

(2)  Chou-king  t'j  Sfig,  K'ang-kao  [!|  .;,','■  (Couvreur,  p.  234,  n°  4).  —  Che-king 
W  vS.-   (Couvreur,  p.  320,  vers   2cme). 


lfiO  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

Quand  cette  nouvelle  fut  connue,  la  grande  merveille  de  l'an- 
tiquité reparut  sur  la  terre  :  c'est-à-dire  que  tous  les  brigands  et 
vauriens  déguerpirent  au  plus  vite,  et  se  réfugièrent  dans  les  pays 
voisins.  Yan g  Ché-tche  disait  encore  à  ce  propos:  J'ai  oui  dire 
que  quand  le  grand  empereur  Yu  {£)  avait  choisi  ses  fameux  mi- 
nistres, les  gens  incorrigibles  prirent  la  fuite;  c'est  ce  qui  Aient 
d'arriver  sous  nos  yeux.  Le  livre  des  Vers  nous  donne  le  conseil 
suivant:  «soyons  attentifs  comme  si  nous  marchions  au  bord  d'un 
précipice;  tremblons  de  craintc}  comme  si  nous  marchions  siti 
une  glace  très  mince».  Cela  se  voit  quand  ce  sont  des  " saint- 
qui  occupent  les  hautes  charges  d'un  royaume;  alors  ce  n'est 
plus  le  caprice  qui  distribue  les  récompenses  et  les  punitions, 
mais  la  justice  et  la  vertu  en  personne    1  . 

A  cette  époque,  il  y  avait  des  troubles  à  la  cour  impériale  ; 
c'est  pourquoi  le  grand  seigneur  Wang-suen-sou  3£  #»  $fc  s'était 
réfugié  à  la  cour  de  Tsin  ;  King-kong  chargea  Che  Hoei  d'aller  le 
reconduire,  et  de  remettre  l'ordre  et  la  paix  dans  la  capitale.  On 
était  alors  en  hiver:  l'empereur  donna  un  grand  festin,  en  l'hon- 
neur de  son  hôte,  et  le  seigneur  Yuen  Siang-hong  fâ  ||  ^  fut  le 
maître  de  cérémonie.  Sur  la  table,  on  servit  des  victimes  et  des 
viandes,  sans  les  désosser  :  Che  Hoei  étonné  en  demanda  secrètement 
la  raison:  l'empereur  l'appela  en  audience,  et  lui  dit:  In  homme 
comme  vous  ignore  les  rites!  Recevant  un  souverain,  l'empereur 
t'ait  couper  les  viandes  par  le  milieu  seulement,  afin  de  pratiquer 
et  de  recommander  l'économie  ;  recevant  un  ministre  ou  un  autre 
grand  dignitaire,  il  fait  découper  entièrement  les  viandes,  selon 
toutes  les  articulations,  afin  de  montrer  sa  bienveillance;  voilà 
les  rites  authentiques  de  la  cour  impériale! 

Rentré  che/  lui.  Che  Hoei  examina  soigneusement  ce  qui  se 
pratiquait  à  la  cour  de  Tsin  :  il  le  corrigea  ou  le  compléta,  d'apiv- 
ce  qu'il  avait  vu  chez  l'empereur;  ce  qui  prouve  quelle  diligence 
apportait  ce  dignitaire  en  toutes  ses  fonctions. 

En  592,  au  printemps,  King-kong  envoyait  le  seigneur  K'i 
K'o  '0  \j£  inviter  le  roi  de  Ts'i  ^  à  une  réunion  solennelle  (fis 
vassaux:  nous  avons  déjà  dit  que  ce  prince  tenait  fort  peu  aux 
bonnes  grâces  du  roi  de  Tsin;  et  que  s  il  eut  dû  choisir  un  suze 
rain,  il  se  serait  tourné  du  coté  de  Tch'ou  $£  ;  il  se  nommait 
K'ing-kong  bU  $».  et  régna  de  398  à  082. 

A  la  réception  solennelle  de  l'ambassadeur,  la  mère  du  roi  et 
le^  dames  de  sa  suite  étaient  placées  derrière  un  rideau,  pour  assis- 
ter en  cachette  à  la  cérémonie  :  cela  se  pratique  encore  de  nos 
jours,  aux  visites  d'étrangers  curieux  à  voir.  K'i  K'o  était  boiteux  : 


I     Che-king  £  fëj.  (Couvreur,  p.  348,    vers   6em*J  —  (Zpttoli,  III,  p.   177- 
ode  j2tme,  vers  6rrao.. 


DU   ROYAUME   DE   TSI.W    KING-KONG.  161 

en  montant  l'escalier,  il  fit  des  mouvements  grotesques  ;  ces  da- 
mes éclatèrent  de  rire,  et  le  lui  firent  bien  entendre  (1). 

Furieux  de  sa  mésaventure.  K'i  K'o  jura  de  venger  cette 
insulte,  ou  de  ne  plus  jamais  traverser  le  Fleuve  Jaune,  et  il  s"en 
retourna.  Mais  avant  de  quitter  le  pays  de  Ts'i,  il  y  laissa  un 
espion,  le  seigneur  Loan  King  f|è  ,7,  avec  ordre  d'v  bâtir  une 
maison,  de  s'y  tenir  au  courant  de  toutes  les  nouvelles,  et  de  com- 
muniquer celles  qui  pourraient  servir  de  prétexte  à  une  guerre. 

Rentré  à  la  cour  de  Tsin,  K'i  K'o  demanda  un  armée,  pour 
aller  punir  ce  roi  de  Ts'i  de  son  peu  de  respect;  on  la  lui  refusa; 
il  demanda  du  moins  la  permission  de  faire  la  guerre,  à  son  pro- 
pre compte,  avec  les  seuls  soldats  fournis  par  son  clan  ;  nouveau 
refus  ;  il   fallut  se  résigner  à  attendre  quelqne  occasion  favorable. 

Cependant,  le  roi  de  Ts'i  ne  daigna  pas  se  rendre  en  person- 
ne à  l'assemblée  des  vassaux  :  il  y  envoya  les  quatre  seigneurs 
Kao-hov  jj|j  {§,  Yen-jo  ^  ||,  Ts'ad  Tch'ao  ^  1$  et  Xan  Kouo-yen 
rft  %  ff?  :  mais  arrivé  à  Lien-yu  $fc  ^g;.  2),  Kao-kou  le  chef  de 
l'ambassade,  craignant  pour  sa  vie,  rebroussa  chemin  et  rentra 
chez  soi  :  les  autre  seigneurs  continuèrent  leur  route,  et  se  rendi- 
rent à  Toan-tao  $ft  jtî.  lieu  fixé  pour  la  réunion. 

A  la  6ème  lune,  au  jour  appelé  ki-wei  £  ^  (31  Mai),  les 
princes  et  les  ambassadeurs,  assemblés  à  K'iuen-tchlOU  fê  5§?, 
endroit  de  la  ville  susdite  3  .  signèrent  un  traité  d'alliance  et 
d'amitié,  par  lequel  on  s'engageait  de  nouveau  à  punir  les  traîtres; 
c'est-à-dire  ceux  qui  n'observaient  pas  les  précédentes  conventions, 
ou  mieux  encore,  ceux  qui  avaient  abandonné  Tsin  pour  se  sou- 
mettre à  Tch'ou  3q|  ;  car  c'est  toujours  le  même  et  unique  sujet 
de  ces  congrès  quasi  annuels,  et  le  plus  souvent  inutiles. 

On  voulait  le  roi  de  Ts'i  ^  en  personne;  ses  députés  ne  furent 
pas  admis  à  la  réunion  des  vassaux;  bien  plus,  on  les  saisit  et  on 
les  relégua  en  divers  endroits:  Yen-jo  ^£  ffa  à  Yé-wang  §jf  ]£, 
T<'ai  Tch'ao  ^  !|)|  à  Yuen  J^.  et  Xan  Kouo-yen  ~fâ  tj$  f[g  à  Wen 
M  (4). 

(1)  D*après  le  recueil  Che-ki-tche-i  £.  IE  *S  £!'•  vol.  21,  p.  22,  dans  ces  cir- 
constances, les  dames  étaient  placées  ou  sur  une  tour,  ou  sur  un  balcon,  ou  sur  une 
estrade  cachée  par  un  rideau.  Pour  rendre  la  scène  en  question  encore  plus  ridicule, 
les  anciens  historiens  ou  plutôt  conteurs)  disent  qu'il  y  avait  en  même  temps  l'am- 
bassadeur de  Lou.  absolument  chauve.-  celui  de  Wei.  borgne  ;  celui  de  Ts'ao  bossu: 
c'est  bon  pour  les  tréteaux  : 

(2)  Lien-yu  était  un  peu  au  sud-est  de  K'ai  tcheou  pf)  #).  Tehe-li.  Petite 
géogr.,  vol.   2,   j).  jj)  —  (Grande,  vol.   16,  p.   40  ' 

(3)  Toan-tao  ou  Toan-liang  tch'eng  ffi  ^  ■  ,  était  un  peu  au  nord-est  de 
7Vùi  tcheou  JlQ>  ->H ,   qui   est  au  nord-ouest  de    Lou-ngan   fou    <ï£    '<c    tff.   Chan-si. 

Petite   géogr.,  vol.  S,  p.  32     —     Grande,  vol.  43.  p.    / 

4     Yé-wang.    C'est   Ho-nei  hien  f"T  ft   ï£>   dans  la  préfecture  Hoai-k'ing  fou 

|2S  fô.  Ho-nan. 

•21 


162  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Alors,  c'était  la  guerre  entre  les  deux  pays?  —  Nullement! 
c'était  une  chinoiserie  pour  essayer  d'intimider  le  roi  de  Ts'i;  nous 
allons  assister  à  la  comédie  :  On  envoya  près  de  Yen-jo  un  sage 
lettré,  fugitif  de  Tch'ou,  nommé  Fen-hoang  ^  jf§,  seigneur  de 
Miao  "g"  (1),  et  fils  de  Teou-tsiao  |I3J  $%  connu  du  lecteur  (année 
632).  Ce  lettré  fut  sans  doute  touché  des  vertus  de  l'ambassadeur 
prisonnier;  il  se  rendit  auprès  de  King-kong,  et  lui  fit  la  remon- 
trance suivante  : 

Quel  crime  a  donc  commis  Yen-jo?  pourquoi  est-il  en  prison? 
Autrefois,  les  vassaux  tenaient  à  honneur  de  servir  vos  prédéces- 
seurs; maintenant,  tout  le  monde  se  plaint  de  la  duplicité  de  vos 
dignitaires,  et  les  princes  féodaux  vous  abandonnent.  Le  roi  de 
Ts'i  a  eu  peur  d'être  mal  reçu  par  vos  ministres  ;  il  a  envoyé 
quatre  seigneurs  à  sa  place;  les  courtisans  prévoyaient  ce  qui  est 
arrivé,  l'emprisonnement  des  députés;  c'est  pourquoi  le  chef  de 
l'ambassade  s'enfuit  et  retourna  chez  lui.  Plus  courageux,  les 
les  autres  se  disaient  :  si  nous  n'allons  à  l'assemblée,  les  relations 
vont  cesser  entre  nos  deux  pays,  ce  sera  la  guerre;  mieux  vaut 
exposer  notre  liberté,  notre  vie  même,  pour  le  bien  commun  de 
nos  deux  états. 

Ces  trois  seigneurs  ont  fait  preuve  de  fidélité  et  de  bravoure; 
si  nous  les  traitions  courtoisement,  nous  encouragerions  les  digni- 
taires des  autres  nations  à  venir  chez  nous  ;  nous  les  emprison- 
nons, c'est  donner  raison  à  l'entourage  du  roi  de  Ts'i.  N'avons- 
nous  pas  commis  assez  de  fautes?  ne  voulons-nous  donc  jamais 
nous  corriger?  à  qui  nous  en  prendre,  si  désormais  les  vassaux 
n'osent  plus  paraître  à  nos  assemblées?  quel  est  enfin  le  but  de 
notre  conduite? 

Après  cette  verte  admonition,  dit  l'historien,  King-kong  mit 
en  liberté  Yen-jo  ^  Jfë,  qui  s'empressa  de  retourner  dans  son 
pays;  ses  deux  compagnons  furent  retenus,  en  quelque  sorte  com- 
me otages,  et  pour  un  temps  indéterminé. 

Les  princes  de  Lou  |j§.,  de  Wei  $j,  de  TVao  lj|'  et  de  Tchou 
7$$  furent  les  seuls  signataires  du  traité  ;  malgré  un  appareil 
militaire  inaccoutumé,  l'assemblée  n'avait  pas  eu  grand  succès  ; 
le  désastre  de  Pi  $.$  était  présent  à  la  mémoire,  le  prestige  de 
Tsin  était  bien  diminué,  la  peur  même  poussait  les  petits  états 
vers  le  roi  de   Tch'ou  J|;    King-kong  sentit  mieux  que  personne, 

Yuen  était  à  15  li  nord-ouest  de  Ts'i-yuen  hien  ffi  ($  Hf,  clans  la  même  pré- 
fecture Hoai-k'ing  fou. 

Wcn  était  à  30  li  sud-ouest  de  Wen  iiicn  jg|  §£,  qui  est  à  50  H  sud-est  de  sa 
préfecture  Hoai  k'ing  fou.  (Petite  géogr.,  vol.  ta.  pp.  26.  29J  —  (Grande,  vol. 
49,  PP-  S-   6,    /.t). 

(I)  Miao  était  un  peu  à  l'ouest  de  Ts'i-yuen  hien  (ci-dessus),  qui  est  à  70  li 
à  l'ouest  de  Hoai-k'ing  fou.    Petite  géogr.,  vol.  12.  p.  27)  —  (Grande,  vol.  4c,  p.  10). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    KINC-KONG.  163 

la  nécessité  d'une  vigoureuse  réaction,  pour  ressaisir  l'influence 
perdue.  En  automne,  il  rentra  dans  sa  capitale,  avec  l'armée  qui 
l'avait  accompagné  à  cette  réunion. 

Le  premier  ministre  Che  Hoei  -j^  -^  était  âgé;  il  eut  le  bon 
sens  de  comprendre  que  son  office  était  désormais  au-dessus  de  ses 
forces  ;  il  eut  aussi  la  prudence  de  ne  pas  donner  cette  charge  à 
son  fils  Sié  *Jj£  ;  voici  le  petit  discours  qu'il  lui  fit,  pour  lui  expli- 
quer cette  conduite  si  sage  :  Les  anciens  nous  enseignent  que 
l'amour  et  la  haine  gardent  difficilement  la  juste  mesure  ;  dans  ce 
même  sens,  le  livre  des  Vers  (1)  nous  dit:  «si  l'empereur  punissait 
les  calomniateurs,  s'il  voulait  écouler  de  bons  avis,  probablement 
les  troubles  seraient  bientôt  comprimés».  Ainsi  le  sage  est  capable 
de  mettre  fin  aux  désordres;  s'il  ne  le  fait  pas,  il  les  augmentera. 
Peut-être  K'i  K'o  £[>  j^f  a-t-il  l'intention  de  faire  cesser  les  trou- 
bles qu'il  cause  par  sa  haine  contre  Ts'i  ^  ;  en  tout  cas,  la  res- 
ponsabilité du  pouvoir  le  rendra  plus  circonspect  ;  je  vais  donc 
prétexter  ma  vieillesse,  pour  donner  ma  démission,  et  céder  à 
K'i  K'o  la  charge  de  premier  ministre,  qu'il  convoite  depuis 
longtemps.  Quant  à  vous,  mon  fils,  à  l'exemple  des  autres  digni- 
taires, veillez  avec  un  soin  extrême  à  vos  paroles  et  à  vos  actes, 
afin  qu'il  n'y  ait  jamais  rien  de  répréhensible.  Che  Hoei  fit  comme 
il  avait  dit,  et  K'i  K'o  devint  premier  ministre. 

En  591,  au  printemps,  King-kong,  stimulé  par  son  nouveau 
ministre,  et  secondé  par  Tsang  $$£  prince  héritier  de  Wei  fêj,  con- 
duisait une  armée  contre  le  pays  de  Tsli  ^  ;  quand  elle  fut  par- 
venue à  Yang-kou  ^  Jff£  2  ,  le  roi  se  rendit  auprès  de  King-kong, 
régla  avec  lui  les  clauses  d'un  traité  de  paix,  qu'on  signa  bientôt 
à  Tseng  '$*•  (3),  accorda  son  fils  Kiang  $!§,  comme  otage,  délivra 
ainsi  ses  deux  ambassadeurs  prisonniers,  King-kong  remmena  son 
armée,    tout  le  monde  était  content,  la  comédie  était  jouée. 

[/historien  fait  observer  que  le  traité  fut  conclu  et  signé  loin 
de  la  capitale,  par  respect  pour  le  roi  de  Ts'i,  dont  on  avait  en- 
vahi le  territoire;  ce  détail  était  regardé  comme  un  point  d'impor- 
tance dans  l'étiquette  de  ces  temps-là. 

Le  duc  de  Lou  $}  voyant  son  puissant  voisin  du  nord  en  si 
bons  termes  avec  King-kong,  commença  à  craindre  pour  l'intégrité 
de  son  propre  territoire;  il  envoya  secrètement  des  députés  au  roi 
de  Tch'ou  *£,  le  priant  d'organiser  une  expédition  contre  le  pays 

(1)  Che-king  W  $2  (Couvreur,  p.  2j2,  ode  4*mc,  vers  zeme). 

(2)  Yang-kou  était  à  50  li  au  nord  de  Yang-kou  hien  HUi5,  qui  est  à  300 
li  nord-ouest  de  sa  prélecture  Yen-tcheou  fou  $£  -Hi  tëF,  Chan-tong.  Petite  géogr., 
vol,   io.  p.   ç).    —   (Grande,  vol.  ss,  P-   2I   ■ 

(3)  Tseng  était  au  sud-est  de  Soei-tcheou  BÈ  ^H,  qui  esl  à  170  li  à  l'ouest  de 
Koei-té  fou  Se  fi-  'rf-  Ho-nan.  (Petite  géogr..  vol.  /-'■  p.  /;  —  Grande^  vol.  jo, 
p.  14). 


164  DU    ROYAUME   DE    ISIN.    LING-KÛNG. 

de  Ts'i,  et  promettant,  comme  de  juste,  son  contingent  de  troupes 
auxiliaires.  Tchoang-wang  h±  3E.  (613-591  n'eut  pas  le  temps 
d'exécuter  ce  projet,  la  mort  l'en  empêcha  peu  de  temps  après. 

Ce  même  duc  avait  d'ailleurs  chez  lui  une  grande  cause  de 
chagrin  ;  trois  puissantes  familles  seigneuriales  se  disputaient  le 
pouvoir,  tenant  ainsi  leur  souverain  en  échec,  pour  ne  pas  dire 
esclavage;  celui-ci  voulait  enfin  sortir  de  cette  triste  situation,  et 
redevenir  maître  chez  soi  ;  il  fit  appel  à  King-kong,  pour  l'aider 
dans  cette  entreprise;  mais  la  mort  le  délivra  d'embarras  avant 
la  fin  de  l'année. 

En  590,  King-kong  députait  Kia  ^.  gouverneur  de  Hiai  ïg£ 
(1),  pour  servir  d'intermédiaire  entre  l'empereur  et  les  Tartares 
Jong  5$£  qui  s'"étaient  révoltés.  Pour  la  deuxième  fois  en  peu  de 
temps,  nous  voyons  le  personnage  poétique  de  Lo-yang  £j*  |i|f,  le 
seul  et  unique  roi  de  la  Chine  entière,  avoir  besoin  d'un  bras 
étranger  pour  mettre  un  peu  d'ordre  à  ses  affaires  ;  cela  montre 
l'état  précaire  où  il  se  trouvait,  tandis  que  plusieurs  de  ses  vas- 
saux étaient  devenus  redoutables. 

L'empereur  fut  si  content  du  service  rendu  par  King-kong, 
qu'il  envoya  son  grand  ministre  Chan  Siang-kong  jp.  ijl  Q  remer- 
cier la  cour  de  Tsin.  Pendant  ce  temps,  Lieou  K'ang-kong  fflj  J^£^, 
prince  écervelé  de  la  famille  impériale,  s'imagina  de  conquérir  des 
lauriers  immortels,  en  se  jetant  tout  à  coup  sur  les  Mao  Jong  jf- 
3%  qui  venaient  de  faire  la  paix  loyalement.  Le  dignitaire  Chou- 
fou  -fy  jjj|  s'efforça  d'arrêter  cet  insensé  dan  sson  entreprise  :  Vous 
courez,  lui  disait-il,  à  une  défaite  humiliante  et  certaine;  sans 
motif  vous  rompez  la  paix  jurée,  vous  insultez  le  roi  de  Tsin,  l'en- 
tremetteur de  cette  paix;  le  ciel  même  sera  contre  vous.  Ce  sin- 
gulier personnage  persista  dans  son  idée:  il  se  mit  en  campagne 
contre  les  Siv  Ou-che  fâ  3£.  j^  autre  nom  des  mêmes  Tartares 
Mao  Jong),  mais,  à  la  3ème  lune,  au  jour  hoei-\^ei  ^  ?fc,  il  fut 
affreusement  battu  par  eux. 

Le  roi  de  Ts'i  ^  était  pourtant  humilié  du  traité  qu'il  avait 
conclu  sans  bataille  avec  King-kong;  il  s'en  vengea  en  offrant,  de 
soi-même,  sans  y  être  invité  ni  force,  un  pacte  semblable  avec  le 
roi  de  Tch'ou  ^  ;  la  comédie  va  se  changer  en  drame. 

La  cour  de  Lou,  qui  se  croyait  en  danger  permanent  du  côté 
de  Ts'i  se  vit  obligée  de  recourir  à  King-kong  pour  se  faire  pro- 
téger ;  le  nouveau  duc  envoya  une  ambassade  offrir  un  traité  d'al- 
liance; avec  un  premier  ministre  comme  K'i  K'o  £|J  j£,  ce  n'était 
pas  lettre  morte. 

En  589,  le  duc  de  Lou  .f§.  et  le  marquis  de  Wei  fëj  battus 
par  le   roi   de   Ts'i    dans   une    escarmouche,    et   pour   d'anciennes 

(1)  Hiai-tch'en;.'  était  au  sud  est  d<:  Lin-tsin  hien  (&"  ^  £f[,  qui  est  à  7o  li 
nord-est  de  sa  préfecture  P'ou-tcheou  fou  jiS  -'il  Iff.  Chan-si.  (Grande  géogr.,  ool, 
41.  23.  si). 


DU   ROYAUME    DE   TSIN.    KING-KONG.  165 

querelles,  s'empressèrent  d'avertir  King-kong.  Le  député  du  duc 
était  le  seigneur  Tsang  Siuen-chou  $$  j|f  £?  ;  celui  du  marquis, 
le  seigneur  Suen  Hoan-tse  ffi  |g  -^  ;  tous  deux  s'adressèrent  avec 
confiance  à  K'i  K'o,  connaissant  la  haine  dont  il  était  animé  con- 
tre la  cour  de  Ts'i.  Sur  sa  recommandation,  la  guerre  fut  en  effet 
décidée  ;  le  chiffre  de  sept  cents  chars  de  guerre,  c'est-à-dire  cin- 
quante-deux mille  cinq  cents  hommes,  parut  très  suffisant  pour 
cette  expédition  ;  les  deux  états  intéressés  devaient  fournir  leur 
contingent  de  troupes  auxiliaires. 

K'i  K'o  insista  cependant  pour  avoir  huit  cents  chars,  donc 
soixante  mille  hommes  ;  et  il  en  donnait  la  raison  :  sept  cents 
chars  ont  suffi  pour  remporter  la  grande  victoire  de  Tch'eng-p'ou 
j$  }||  (en  632)  ;  mais  le  génie  de  Wen-kong  a£  fè  votre  illustre 
ancêtre,  et  la  valeur  de  ses  officiers,  suppléaient  au  nombre  des 
soldats;  aujourd'hui,  les  circonstances  ne  sont  plus  les  mêmes - 
je  n'ose  me  promettre  semblable  avantage. 

King-kong  accorda  ce  qui  était  demandé,  et  l'armée  fut 
bientôt  en  marche.  K'i  K'o  était  généralissime  et  commandait  le 
corps  du  centre,  qui  était  le  premier;  Siun  K'ang  |fj  j^j  condui- 
sait l'aile  droite,  et  LoanChou  tijt  ^  l'aile  gauche;  Ilan  Kiué  $% 
$S£  était  encore  le  ministre  de  la  guerre;  Tsang  Siuen-chou  $$.  'M 
;j^  servait  de  guide  à  toute  l'armée,  et  Ki  Wen-tse  ^Ë  ~$£  ^P  com- 
mandait les  troupes  auxiliaires  envoyées  par  le  duc. 

Quand  on  fut  parvenu  sur  le  territoire  du  marquis  de  Wei 
f|j,  il  se  passa  un  incident  assez  curieux  :  Han  Kiué  avait  ordon- 
né de  couper  la  tête  à  un  soldat,  pour  quelque  crime,  ou  pour 
une  grave  infraction  à  la  discipline.  A  cette  nouvelle,  K'i  K'o 
monta  sur  son  char  et  accourut  pour  sauver  le  condamné  ;  mais 
il  arriva  trop  tard,  l'exécution  était  faite;  il  fit  porter  la  tête  à 
travers  le  camp,  pour  inspirer  une  crainte  salutaire  à  tout  le  mon- 
de ;  et  il  ajoutait:  j'agis  ainsi  pour  partager  la  responsabilité  de 
ce  châtiment  rigoureux,  et  maintenir  la  discipline  parmi  nos 
troupes. 

A  la  6  ll,<  lune,  aujour  appelé  jen-chen  ^£  ^,  l'armée  se 
trouvait  au  pied  de  la  montagne  Mi-ki  J$!  ^p  (!)  ;  le  roi  de  Ts'i 
^  n'était  pas  loin;  il  envoya  le  cartel  suivant:  Votre  seigneurie 
a  daigné  venir  jusqu'à  mon  pays,  avec  l'armée  de  son  roi  ;  demain, 
avec  mes  faibles  troupes,  j'espère  vous  rencontrer  sur  le  champ 
de   bataille. 


(1)  La   montagne    Mi-ki   ou   Li-chan   M  Ul  est  à  5  li  au  sud  de  Ts'ir-nan  fou 
$1  $ï  1-fj  Chan-tong.    C'est  là,  dit-on,  que  le    «saint»    empereur  Choen  '£j:   labourait 
la  terre.    Cependant,  le  recueil    Hoang-tsing    King-kiai    place  cette  montagne 
sud-ouest   de    la    même    préfecture.  (Petite   géogr.,  vol.   zo.  p.  2)  —  (Grande,    vol. 
Si.  p.  3). 


J  66  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

K'i  K'o  lui  répondit:  Notre  souverain, le  duc  de  Lou,  le  mar- 
quis de  Wei,  sont  tous  trois  du  clan  impérial  Ki  $E»  ;  ce  sont 
donc  trois  frères,  prêts  à  s'entr'aider  mutuellement;  le  dnc  et  le 
marquis  sont  venus  se  plaindre  de  ce  que  vous  les  persécutez  sans 
relâche  et  de  toutes  manières  ;  notre  humble  souverain  ne  peut 
supporter  plus  longtemps  une  telle  conduite,  et  il  nous  envoie 
vous  en  demander  raison  ;  faites  donc  en  sorte  que  nous  ne  res- 
tions pas  trop  longtemps  sur  votre  territoire  ;  hâtons  le  combat  ; 
car  nous  sommes  décidés  à  avancer  toujours;  à  ne  reculer  jamais  ; 
même  sans  votre  invitation  nous  aurions  engagé  la  bataille  ! 

Le  roi  fit  dire  à  l'envoyé  :  Le  désir  de  vos  seigneuries  est  con- 
forme au  mien;  aussi,  même  sans  votre  permission  nous  voulions 
vous  présenter  le  combat. 

Le  grand  seigneur  Kao-kou  ]gj  [gj,  qui  n'avait  pas  osé  se 
rendre  en  ambassade,  à  la  réunion  de  Toan-tao  ||f  }f£,  voulut 
prouver  qu'il  avait  pourtant  du  courage;  il  s'en  alla  narguer  l'ar- 
mée de  Tsin  d'une  façon  comique  :  il  entra  dans  le  camp,  portant 
une  lourde  pierre  sur  l'épaule;  il  la  lança  sur  un  soldat,  le  fit 
prisonnier,  échangea  son  char  contre  celui  du  captif,  arracha  un 
mûrier  qu'il  emporta  comme  un  trophée  sur  ce  même  char.  Grisé 
de  son  succès,  il  parcourut  le  camp  deTs'i  en  criant  :  Ecoutez, 
messieurs!  si  quelqu'un  a  besoin  de  courage,  qu'il  vienne  ici,  j'en 
ai  à  revendre  ! 

Le  lendemain  donc  (30  mars)  les  deux  armées  étaient  en  pré- 
sence :  sur  le  char  du  roi  de  Ts'i,  le  seigneur  Pliig-hia  î§\\  J[ 
était  conducteur,  le  seigneur  Foncj  Tch'eou-fou  }J|  -JJ-  3C  lancier; 
sur  le  char  de  K'i  K'o,  le  seigneur  Hia.i-tcha.ng  j$|  5^  était  con- 
ducteur, le  seigneur  Tcheng  K'ieou-yucn  fi()  ]$  $|  lancier;  on  se 
trouvait  sur  le  territoire  de  Ngnn  |$r  appelée  aussi  Li-hia~tch'eng 

m  Ti  1  • 

Allons  jeter  ces  gens-là  dehors!  s'écria  le  roi  de  Ts'i;  ensuite 
nous  déjeunerons  !  Ayant  ainsi  parlé,  il  lança  son  char  en  avant, 
sans  même  avoir  fait  couvrir  ses  chevaux  de  leur  cuirasse  d'usage. 

K'i  K'o  venait  d'être  blessé  d'une  flèche;  le  sang  ruisselait 
jusqu'à  emplir  ses  souliers;  mais,  malgré  la  douleur,  il  continuait 
à  battre  le  tambour,  signal  convenu  qui  signifiait  «avancez  tou- 
jours»; enfin  il  s'écria:  je  n'en  puis  plus;  je  souffre  trop!  —  Sei- 
gneur, un  peu  de  patience  !  lui  répliqua  son  conducteur;  une  flèche 
m'a  percé  la  main,  une  autre  le  coude,  je  les  ai  retirées  sans  cesser 
de  diriger  le  char;  la  roue  de  gauche  est  teinte  de  mon  sang.  — 
Le  lancier  ajouta  :  notre  char  était  embourbé,  je  suis  descendu, 
l'ai  retiré  d'embarras,  votre  seigneurie  ne  s'en  est  même  pas  aper- 
çue, à  cause  de  sa  souffrance. 


(l  )    Ngan  était  un  peu  à  l'ouest  de  Ts'i-ngan  l'ou.  (Petite  ycogr.,  vol.  10.  p.  1) 
(Grande,   vol.  31,  p.  2). 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    KING-KONG.  167 

Le  conducteur  reprit  :  Tous  les  yeux  sont  fixés  sur  notre  dra- 
peau ;  toutes  les  oreilles  écoutent  notre  tambour;  il  dépend  de 
nous  que  Tannée  avance  ou  recule:  tant  que  l'un  de  nous  sera 
vivant,  il  faut  qu"il  continue  à  diriger  la  manœuvre,  et  la  victoire 
sera  pour  nous;  penser  à  ses  souffrances  à  un  pareil  moment, c'est 
tout  perdre  ! 

Ayant  ainsi  parlé,  de  la  main  gauche  il  tenait  les  rênes  du 
char,  de  la  droite  il  frappait  du  tambour  avec  une  grande  ardeur: 
une  blessure  n'est  pas  la  mort,  criait-il  ;  d'ailleurs  on  entre  en 
campagne  pour  mourir! 

Pendant  ce  temps,  les  chevaux  dévoraient  l'espace;  les  fan- 
tassins étaient  emportés  par  cet  élan  irrésistible;  ce  fut  une  mêlée 
terrible;  l'armée  de  Ts'i  ne  pouvant  soutenir  un  tel  choc,  com- 
mença à  s'enfuir,  entraînant  le  roi  dans  une  course  folle.  Han 
Kiué,  le  ministre  de  la  guerre,  le  serrait  de  très  près,  espérant  le 
faire  prisonnier. 

Dans  cette  poursuite  vertigineuse,  on  avait  déjà  fait  trois  fois 
le  tour  de  la  montagne  Hoa-pou-tchou  ^  ^  ££  2  :  tout  en  fu- 
yant, le  lancier  du  roi  se  retournait,  et  décochait  ses  flèches  sur 
le  char  de  Han  Kiué  :  Visez  celui  qui  est  au  milieu,  c'est  un 
homme  distingué!  criait  le  conducteur  du  char  royal.  —  Non! 
répondait  le  roi;  tirer  sur  un  sage  un  homme  éminent  serait 
violer  les  rites!  visez  celui  de  gauche!  celui-ci  tué  raide  tombait  à 
bas  du  char.  Visez  celui  de  droite!  cria  encore  le  roi;  et  celui-là 
tombait  sans  vie  sur  le  char  même. 

Or  celui  du  milieu  que  l'on  épargnait  ainsi,  était  Han  Kiué 
lui-même,  le  ministre  de  la  guerre.  La  veille  du  combat,  son  père 
lui  était  apparu  en  songe,  et  lui  avait  dit  :  Demain,  pendant  la 
bataille,  gardez-vous  bien  de  vous  tenir  à  droite  ou  à  gauche  de 
votre  char,  mais  restez  au  milieu  jusqu'à  la  fin  ;  c'est  pourquoi 
Han   Kiué  avait  pris  la  place  de  son  conducteur. 

Le  grand  officier  Ki  Ou-tchang  ^  fitf.  <J|f  avait  eu  son  char 
brisé  pendant  la  bataille:  Han  Kiué  l'aperçut,  le  fit  monter  der- 
rière soi,  l'empêchant  de  se  mettre  à  droite  ou  à  gauche  >an.^ 
avoir  le  temps  de  lui  en  expliquer  la  raison  :  en  même  temps,  il 
se  baissa,  pour  mettre  le  cadavre  de  son  lancier  en  position  plus 
sûre. 

Cette  manœuvre  s'était  opérée  en  un  clin  d'oeil  :  elle  avait 
cependant  suffi  pour  sauver  le  roi  de  Ts'i  0  ;  voici  comment:  Le 
lancier  Fong  Tch'eou-fou  5§r  ;Jr  5£  observait  les  mouvements  de 
Han  Kiué  ;  le  voyant  baissé,  il  profita  de  l'instant  pour  changer 
de  place  avec  le  roi. 

Bientôt  après,  non  loin  de  la  source  Hoa,  un  des  chevaux 
du  roi  s'empêtra,    et    retarda    la   course:    le    lancier    sauta    à    bas. 

(1)  Cette  montagne  Hoa-pnu-tchou  ^  (.  Q  est  >  15  li  nord-est  de  Ts'i-nan 
fou  Chan-tong.  (Petite  géogr..  vol.   io,  p,  z)   —     Grande,  boï,  si.  p.  4). 


168  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

pour  remettre  le  char  en  ordre;  mais,  ayant  été  mordu  peu  de 
jours  auparavant  par  un  serpent  (1),  sa  blessure  le  gênait  beau- 
coup :  il  perdit  du  temps  et  se  vit  bientôt  rejoint  par  Han  Kiué. 

Celui-ci  saisit  d'abord  les  rênes  du  char  royal  ;  puis,  se  je- 
tant à  genoux  deux  fois,  devant  le  prétendu  roi,  il  lui  offrit  une 
coupe  de  vin  et  une  précieuse  tablette  de  jade:  Notre  humble 
prince,  lui  dit-il,  nous  a  envoyés  intercéder  auprès  de  votre  illus- 
tre Majesté,  en  faveur  des  états  de  Lou  .Jf-  et  de  Wei  ffj  ;  il  nous 
avait  recommandé  de  ne  pas  conduire  la  masse  de  nos  troupes 
sur  le  territoire  de  Ts'i  ;  malheureusement,  malgré  notre  bonne 
volonté,  nous  avons  été  entraînés  jusqu'ici  par  vos  innombrables 
chars  de  guerre  ;  je  n'osais  m'enfuir  ;  c'eût  été  désobéir  à  mon 
souverain  ;  c'eût  été  aussi  me  défier  des  sentiments  de  votre  Ma- 
jesté ;  soldat,  et  chef  de  soldats,  j'avoue  mon  incapacité;  mais 
permettez-moi  de  prendre  l'office  de  conducteur  du  char  royal,  jus- 
qu'auprès de  notre  généralissime,  qui  attend  avec  impatience 
votre  Majesté. 

Pouvait-on  montrer  une  plus  grande  obséquiosité,  dans  une 
telle  circonstance"?  ces  formules  de  respect  sont  le  triomphe  des 
lettrés.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  rusé  Fong  Tcheou-fou  joua  bien  son 
rôle;  il  ordonna  au  vrai  roi  de  descendre;  et  d'aller  se  désaltérer 
à  la  souixe  voisine  ;  celui-ci  obéit  ;  puis,  sans  être  remarqué,  mon- 
ta sur  un  autre  char,  dont  le  seigneur  Tcheng  Tcheou-fou  ffj$  fâ 
-*£  était  le  conducteur,  et  le  seigneur  Yuen-fei  fâ  ~fë  le  lancier. 

Han  Kiué  triomphant  introduisit  son  prisonnier  devant  le 
généralissime,  qui  découvrit  aussitôt  l'erreur;  il  en  fut  si  furieux 
qu'il  voulait  sur-le-champ  faire  massacrer  le  faux  roi  ;  mais  celui-ci 
lui  dit  avec  un  grand  calme  :  Vous  voulez  me  mettre  à  mort  à  cause 
de  mon  dévouement  ;  quel  sujet  voudra  ensuite  se  sacrifier  pour 
son  prince  en  danger? 

Le  généralissime  K'i  K'o  £|$  )£  fut  touché  de  cette  parole;  il 
rit  retenir  le  prisonnier,  mais  lui  fit  grâce  de  la  vie.  De  son  côté, 
le  roi  de  Ts'i  ^  voulait  lui  sauver  la  liberté;  trois  fois  il  se  lan- 
ça au  milieu  des  troupes  de  Tsin,  sans  pouvoir  rompre  leurs  li- 
gnes ;  trois  fois  il  revint  sain  et  sauf,  ayant  du  moins  protégé  la 
retraite  d'un  bon  nombre  de  ses  soldats  ;  mais  il  dut  renoncer  à 
reprendre  le  captif  son  sauveur, 

Finalement,  il  se  retira  parmi  les  Tartares  Ti  £Jlç,  qui  étaient 
là  comme  auxiliaires  de  Tsin  ;  ces  barbares  touchés  de  son  coura- 
ge et  de  son  malheur,  lui  tirent  un  rempart  de  leurs  lances  et  de 
leurs  boucliers  ;  c'est  ainsi  qu'il  put  se  réfugier  au  milieu  des  gens 


(1)  Pour  mettre  encore  plus  en  lumière  cet  ensemble  de  circonstances  «  pro- 
digieuses»  qui  concouraient  à  la  perte  du  roi,  le  narrateur  dit  que  ce  serpent  s'était 
introduit  entre  les  fentes  du  char  de  voyage  de  ce  lancier  :  celui-ci  qui  se  reposait 
voulut  l'écraser  du  coude,  et  en  fut  mordu. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    KING-KO.XG.  169 

de  Wei  fëj,  également  auxiliaires  de  Tsin  ;  ceux-ci.  en  prévision 
d'un  revirement  de  fortune,  facilitèrent  son  évasion  :  deux  fois 
donc,    il    dut  la  vie  a  ses  ennemis. 

Dans  sa  fuite,  le  roi  passa  par  le  défilé  de  Siu  fâ  1  ;  par- 
tout sur  son  chemin  il  encourageait  les  villes  et  les  garnisons,  à 
tenir  ferme  contre  l'envahisseur,  en  dépit  de  cette  première  défaite. 
Un  jour  qu'il  suivait  une  grande  route,  avec  peu  de  compagnons, 
il  traversa  un  village  où  une  femme  ne  daignait  pas  se  déranger 
pour  le  laisser  passer;  on  cria:  faites  place  au  roi  !  A  ces  mots,  la 
femme  demanda:  le  roi  est-il  sauf?  —  Oui  !  —  Le  chef  des  archers 
est-il  sauf  aussi?  —  Oui  !  —  Alors  il  n'y  a  pas  grand  dommage! 
s'écria  la  femme,  en  se  rangeant  de  côté.  Le  roi  étonné  désira  sa- 
voir qui  était  cette  personne  :  il  apprit  que  son  père  était  le  chef 
des  archers,  son  mari  l'intendant  des  retranchements  du  camp  ; 
aussitôt  il  nomma  ce  dernier  gouverneur  de  la  forteresse  Che-you 
2  • 

Cependant.  K'i  K'o  poursuivait  l'armée  dispersée  de  Ts'i  -^  ; 
après  avoir  franchi  le  défilé  de  K'iou-yu  jî^  JE.  il  envahit  la  vallée 
de  Ma-hing  ^  [£•;  (3).  Dans  cette  extrémité,  le  roi  dépêcha  le  sei- 
gneur Ping-mei-jen  ^  $"  JK  auprès  du  généralissime,  implorer 
la  paix  :  il  lui  offrait  pour  cela  tous  les  trésors  enlevés  à  la  petite 
principauté  de  Ki  |j^  \  parmi  lesquels  se  trouvait  un  instrument 
de  musique  en  jade,  et  un  vase  de  même  matière,  employé  pour 
cuire  certains  mets  à  la  vapeur  ;  il  lui  offrait  encore  les  territoires 
enlevés  aux  princes  de  Lou  et  de  AVei  ;  et  si  c'était  insuffisant,  il 
acceptait  d'avance  les  autres  conditions  exigées  par  le  vainqueur 

K'i  K'o  voulait  une  réparation  éclatante  des  risées  dont  il 
avait  été  l'objet,  lors  de  son  ambassade;  cette  injure  lui  tenait  à 
cœur  plus  que  tout  le  reste;  il  demandait  qu'on  lui  livrât  la 
reine-douairière,  pour  être  conduite  au  pays  de  Tsin. 


(1)  Siu,  ce  défilé  est  à  l'ouest  de  Tche-tchounrj  hien  \  )i>  '.  qui  est  à  230 
li  à  l'est  de  sa  préfecture  T&'i-nan  fou  $f  J?j  IjÇf,  Chan-tong.  (Petite  géogr...  vol. 
io,  p.  3)  —  vol.  31,  p.    n). 

(2)  Che-you,  aussi  nommée  Tchang-tsing  J|  f~f.  était  à  30  li  sud-est  de 
Tchang-tsing  hien  ^  :*  §?.  qui  >'st  à  7u  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  Ts'i-nctn 
fou,  iî¥  rfl  Ifr.  Chan-tong.  'Petite  géogr.,  vol.  10,  p. 

La  Grande  géogr.,  vol.  31,  p.  1T.  dit  que  l'on  doit  prononcer  Che-you,  non 
pas  Che-Uiao,  ou  Che-leao,  ou  Che-yao. 

(3)  K'iou-yu,  était  u  l'ouest  d<-  Ma-hing.  Or  cette  vallée,  aussi  appelée  Ycn- 
tchnng-yu  ^£  qb  %t..  est  au  sud-ouest  de  Ling-tche  hien  ^s.  •$  g£.  qui  est  à  30  li 
nord-ouest  de  Tsin-tcheou  fou  p  m  u'r ■  sa  préfecture,  Chan-tong.  Petite  géogr.. 
vol.    ID.  p.    24     —     Grande,   ool.  SS>  P-  P-   2  et  &)• 

(4)  Ki,  sa  capitale  était  à  30  li  sud-est  de  Cheou-koang  hieti  H'^'îif,  qui  est 
à    70    li    nord-est   de  sa  préfecture    rsing-tcheou  fou.     Grande  géogr.,  vol.   t.   p.    13 

—  vol.  35,  p.  rj 

2.' 


170  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

C'était  vouloir  l'impossible  ;  le  roi  ne  pouvait  livrer  sa  propre 
mère  en  otage  ;  il  fit  une  réponse  célèbre,  connue  de  tous  les  let- 
trés, matière  à  amplifications  littéraires  pour  les  examens,  jus- 
qu'à la  fin  du  monde  (1)  ;  les  princes  de  Lou  et  de  Wei  intercé- 
dèrent eux-mêmes  auprès  du  généralissime,  et  l'amenèrent  enfin 
à  pardonner  cette  offense  personnelle,  pour  ne  s'occuper  que  du 
bien  public. 

A  la  7ème  lune,  la  paix  fut  signée  (5  Mai),  à  Yuen-leou  g£ 
Ijf  (2)  ;  le  roi  de  Ts'i  restitua  leurs  territoires  aux  princes  de 
Lou  et  de  Wei  ;  ce  dernier  ne  jouit  pas  longtemps  de  son  tri- 
omphe, car  il  mourut  à  la  9''nu'  lune  de  cette  même  année  ;  le  duc 
se  rendit  en  personne  à  l'armée,  qui  campait  à  Chang-ming  J^ 
25  (3)  pour  remercier  les  généraux  de  Tsin  ;  ayant  recouvré  l'im- 
portante région  de  Wen-yang  f£  |î|§  (4),  il  n'avait  pas  de  peine 
à  se  montrer  généreux. 

A  chacun  des  commandants  de  corps  d'armée,  il  offrit  un 
char  de  luxe,  semblable  à  celui  qu'ils  avaient  autrefois  reçu  de 
l'empereur  (5)  ;  puis  un  vêtement  de  gala,  comme  en  portaient 
les  plus  hauts  dignitaire  de  la  cour  ;  enfin  un  drapeau  correspon- 
dant à  leur  dignité. 

Les  grands  officiers  reçurent  un  costume  de  cérémonie,  de 
lèer  classe;  parmi  ces  dignitaires,  il  y  avait  avant  tous  autres,  le 
se-ma  ïïj  J^  préposé  aux  armements,  et  même  quelquefois  mi- 
nistre de  la  guerre;  le  se-kfong  t^  JÇ:,  préposé  aux  camps,  aux 
fortifications,  et  même  quelquefois  ministre  des  travaux  publics  ; 
le  Yu-che  |&  g]]),  préposé  aux  chars  de  guerre;  le  heou-tcheng 
\$c  JE'  chef  des  éclaireurs  et  des  espions. 

L'armée  de  Tsin,  en  retournant  à  ses  foyers,  traversa  le  pays 
de  Wei  fêj  ;  les  trois  généraux  se  rendirent  à  la  cour,  pleurer  la 
mort  du  marquis  Mou-kong  $|  ^  ;  mais  comme  ils  agissaient 
pour  leur  propre  compte,  sans  en  avoir  reçu  le  mandat  de  leur 
souverain,  ils  pleurèrent  en  dehors   de  la  grande  porte  du   palais  ; 


(1)  Voyez  :  (Zottoli.   IV.  p.  ji,  où  ce  chef  —  d'œuvre  est  traduit). 

(2)  Yuen-leou.  Cet  ancien  château  est  à  50  li  à  l'ouest  de  Ling-tehe  hien  ; 
mais  les  auteurs  ne  sont  pas  d'accord  sur  cette  identification.  [Grande  géogr.,  vol. 
35,  V-  6)- 

(3)  Chan^-minu ,  emplacement  inconnu. 

(4)  Wen-yang.  était  à  i0  li  nord-est  de  Kiu-feou  hien  |J|j  Jp-  |£,  qui  est  à  30 
li  à  l'est  de    Ven-tcheou  /'ou  *$£  ')\\   <|')  ,  Chan-tong.  (Grande  géogr.,  vol.  32,  p.  6). 

(5)  Les  chars  de  lu\c  sien-lou  jfe  $J jetaient  de  deux  sortes;  1rs  uns,  à  capote 
de  cuir,  servaient  à  la  guerre;  les  autres  couverts  en  bois,  servaient  pour  la 
chasse;  ceux  que  l'empereur  avai!  donnés  étant  détériorés,  il  fallait  une  permission 
de  sa  MajeMé,  pour  les  l'aire  ré- parer;  le  duc  en  donne  alors  de  nouveaux  et 
semblables. 


U<3   ROYAUME   DE   TSIN.    KING-KONG.  171 

c'est  là  qu'on  leur  rit  les  salutations  d'usage,  à  leur  arrivée  et  à 
leur  départ  ;  et  depuis  lors  on  conserva  cette  coutume  au  pays  de 
Wei  fêj.  Quant  aux  dames,  elles  pleurèrent  à  l'intérieur  de  cette 
même  porte,  au  lieu  d'être  admises  dans  le  grand  salon  comme  le 
prescrivait  l'étiquette. 

Quand  l'armée  de  Tsin  rentrait  à  la  capitale,  Che  Sié  -j^  ^ 
fils  du  sage  Che  Hoei  -^  ^*,  était  dans  les  derniers  rangs  de  l'ar- 
rière garde  ;  son  père  lui  dit  :  ne  saviez-vous  pas  de  quel  désir  je 
brûlais  de  vous  revoir;  pourquoi  donc  avez-vous  tant  tardé?  Che 
sié  répondit  :  les  troupes  faisant  leur  entrée  triomphale,  chacun 
accourt  les  acclamer;  ce  sont  les  premiers  qui  attirent  les  yeux  de 
la  foule,  et  reçoivent  les  ovations;  je  voulais  laisser  cette  gloire 
au  généralissime.  Che  Hoei  enchanté  de  cette  réponse  s'écria: 
mon  fils  étant  si  humble,  ne  s'attirera  aucun  malheur! 

K'i  K'o  £J$  j^f,  le  généralissime,  alla  saluer  King-kong  ;  celui- 
ci  le  félicita  en  ces  termes  :  c'est  grâce  à  votre  habileté  que  nous 
avons  remporté  cette  victoire.  —  Non  pas!  répondit  le  ministre; 
nous  la  devons  à  la  direction  de  votre  Majesté,  au  dévouement  des 
grands  officiers;  moi,  je  n'y  suis  pour  rien. 

Che  Sié  ^t  ^  al'a  aussi  faire  visite  à  King-kong,  qui  le  féli- 
cita de  même;  le  général  répondit  modestement:  nous  autres, 
nous  n'avons  fait  qu'exécuter  les  ordres  de  notre  généralissime 
Siun  K'ang  ^jj  j^  ;  son  remplaçant,  le  seigneur  K'i  K'o,  a  montré 
de  l'habileté,  dans  la  conduite  de  l'armée;  moi,  homme  si  inca- 
pable, je  n'y  suis  pour  rien. 

Loan  Chou  ff§  |J,  général  du  3*-'im'  corps,  dans  une  semblable 
visite,  reçut  aussi  son  compliment;  il  le  renvoya  de  même  à  son 
collègue  :  si  j'ai  fait  quelque  chose  de  bien,  dit-il,  c'est  grâce  aux 
conseils  du  seigneur  Che  Sié;  puis,  tout  mon  monde  a  parfaite- 
ment exécuté  les  ordres  du  généralissime;  vraiment  je  ne  suis 
pour  rien  dans  le  succès  de  cette  campagne. 

L'historien  relate  avec  une  complaisance  marquée,  ces  phrases 
de  politesse  et  d'urbanité;  il  y  voit  la  «  vertu  des  anciens  temps  » 
fidèlement  pratiquée;  si  cette  vertu  consistait  en  belles  paroles,  il 
a  raison. 

King-kong  députa  le  grand  officier  Kong  Cho  ^j)^.  offrir 
à  l'empereur  une  partie  du  butin  et  des  prisonniers;  celui-ci 
refusa  de  l'admettre  en  audience;  il  lui  fit  dire  par  le  prince  Chen 
Siang-hong  |p.  D§  fe  :  quand  les  sauvages  Afan  g£,  /  ^4,  long  3% 
ou  Ti  ^  résistent  aux  ordres  de  l'empereur,  se  livrent  à  une 
débauche  effrénée,  se  moquent  des  anciens  règlements,  le  chef 
des  vassaux  reçoit  l'avis  d'aller  réprimer  ces  barbares  :  après  la 
campagne,  le  vainqueur  peut  alors  offrir  butin  et  prisonniers; 
l'empereur  en  personne  vient  les  recevoir,  et  féliciter  les  troupes 
victorieuses;  ainsi  sont  réprimés  les  revêches,  et  récompensés  les 
fidèles.  Mais  quand  il  s'agit  de  frères  du  même  clan,  ou  de  cou- 
sins  de   clans   différents,    s'ils   se    montrent    rebelles,    l'empereur 


172  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

ordonne  de  les  châtier;  mais  le  vainqueur  doit  seulement  avertir 
que  la  chose  est  finie,  sans  envoyer  ni  butin  ni  prisonniers;  ainsi 
Ton  garde  la  déférence  envers  les  parents,  tout  en  réprimant  leurs 
désordres. 

Or,  mon  vénérable  oncle  le  prince  de  Tsin  a  remporté  une 
grande  victoire  sur  le  prince  de  Ts'i  ffî  de  notre  clan;  cependant, 
il  n'a  envoyé  aucun  des  ministres  à  qui  j'avais  confié  le  soin  de  la 
maison  impériale;  celui  qu'il  me  députe  en  ce  moment  n'est  qu'un 
grand  officier,  sans  office  ni  accès  à  notre  cour;  ce  qui  est  contraire 
aux  anciens  règlements:  l'admettre  en  audience  serait  une  nouvelle 
infraction  à  ces  mêmes  ordonnances;  au  lieu  d'honorer  mon  véné- 
rable oncle,  ce  serait  lui  faire  injure.  Le  prince  de  Ts'i,  notre 
parent,  est  descendant  de  l'illustre  Kiang  T'ai-kong  ^  -fc  5*< 
autrefois  ministre  de  notre  maison  impériale;  s'il  a  été  insolent, 
ne  suffisait-il  pas  de  l'admonester  vertement,  pour  le  corriger? 

Kong  Cho  ne  sut  pas  répliquer  ;  ce  qui  est  considéré  comme 
un  affront  pour  son  maître  ;  car  un  vrai  lettré  ne  peut  jamais  être 
pris  au  dépourvu  :  il  a  réponse  à  tout,  et  dans  les  termes  les  plus 
irréprochables;  autrement,  c'est  un  homme  nul,  sur  la  valeur  du- 
quel son  maître  s'est  trompé.  Ainsi  le  pauvre  Kong  Cho  était  juge  ! 
L'empereur  communiqua  officiellement  à  ses  trois  ministres 
les  précieux  enseignements  qu'il  venait  de  donner  à  l'ambassadeur  ; 
on  devait  les  consigner  avec  soin  dans  les  archives,  pour  la  pos- 
térité. Après  quoi,  sa  Majesté  suprême  condescendit  à  recevoir 
Kong  Cho  en  audience,  comme  représentant  de  chef  des  vassaux, 
annonçant  une  victoire  ;  on  fit  les  choses  un  peu  moins  solennel- 
lement qu'envers  un  ambassadeur  grand  ministre  ;  il  y  eut  mê- 
me un  festin  en  secret,  non  en  public,  ni  officiellement;  le  grand 
maître  des  cérémonies  lui  fit  observer  qu'en  cela  encore,  l'empe- 
reur avait  dérogé  aux  rites,  mais  ne  pourrait  recommencer  à 
l'avenir. 

En  588,  à  la  l1,  lune,  King-kong  avait  une  assemblée  pour 
préparer  une  guerre  contre  le  pays  de  Tcheng  J^,  et  venger  le 
désastre  de  Pi  #|$  (597)  ;  à  cette  réunion  étaient  présents  les  prin- 
ces de  Lou  ;f|,  de  Song  5j^,  de  Wei  f^j  et  de  Ts'ao  |f  ;  la  campa- 
gne fut  décrétée  et  commencée  de  plein  accord. 

Les  troupes  fédérées  attaquèrent  de  suite  la  frontière  orienta- 
le de  Tcheng  :  elles  s'avancèrent  comme  en  triomphe  et  en  désordre  ; 
le  prince  Kong-tse-yen  /fe  ^  f[',J  envoyé  contre  elles,  s'aperçut  de 
cette  incurie  et  en  tira  profit;  en  plusieurs  endroits  du  territoire 
de  Mnn  !\\]  il  plaça  des  embuscades,  y  fit  tomber  les  envahisseurs, 
et  les  mit  en  complète  déroute  à  K'iou-yu  ££  JE.  (t)  ;  quant  au 
butin,  il  en  lit  cadeau  à  son  protecteur  le  roi  de  Tchou  $£.  — 


(1)   .M.in.  emplaci   n'enl  inconnu. 

lv'iou-\u,  voyez  un  peu  |)lu>  haut  (année  précédente). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    KING-KONG.  173 

En  été,  King-kong  renvoyait  à  ce  même  roi  le  prince  Kou- 
Lchen  ^  [[\,  toujours  prisonnier  depuis  597,  et  le  cadavre  de  l'of- 
ficier Siang-lao  ]§f- ;^|£  ;  il  demandait  en  échange  la  liberté  de 
Tche-yu  £p  4e-.  fils  du  seigneur  Siun-cheou  ^  "f|\  retenu  aussi 
captif  depuis  la  môme  époque. 

Le  roi  de  Tch'ou  ayant  appris  que  Siun-cheou  était  devenu 
le  lieutenant  du  généralissime,  s'empressa  de  lui  renvoyer  son 
fils,  comme  on  le  lui  demandait.  Avant  de  lui  donner  congé,  il 
lui  dit:  votre  seigneurie  gardera-t-elle  du  ressentiment  contre 
moi?  Le  noble  captif  renouvela  en  cette  circonstance  la  fière  ré- 
ponse de  Tchong-eul  1g;  3if  [Wen-kong  <£  ^]  à  Mou-kong  ||J  fè 
l'ancêtre  de  ce  même  roi  de  Tch'ou  ;  inutile  de  la  transcrire  enco- 
re une  fois. 

Naturellement,  l'historien  nous  assure  que  ce  fier  langage 
effraya  quelque  peu  le  royal  interlocuteur:  Nous  ne  pouvons, 
dit-il,  rivaliser  avec  un  pays  qui  produit  de  tels  hommes?  C'est 
la  formule,  connue  du  lecteur,  pour  montrer  quels  succès  peut 
remporter  un  vrai  lettré  chinois;  avec  trois  pouces  de  langue  il 
triomphe  des  roi  et  des  armées;  pour  lui,  c'est  un  jeu  ! 

En  automne,  le  généralissime  K'i  K'o  £|$  5^  conduisait  une 
armée  contre  la  tribu  Tsiang-kao-jou  |^  fë  $[l,  la  seule  peut-être 
qui  fût  encore  libre,  parmi  les  Tartares  rouges;  le  seigneur  Suen- 
liang-fou  ffi  }\  -^  de  Wei  $j  commandait  les  troupes  auxiliaires 
fournies  par  le  marquis.  L'expédition  fut  sans  résultat  ;  cette 
peuplade  se  dispersa  aux  quatre  vents  du  ciel,  pour  se  reformer 
comme  auparavant,  après  le  départ  de  l'armée.  L'historien  croit 
y  voir  un  manque  d'affection  du  peuple  envers  son  chef;  il  n'est 
pas  nécessaire  de  recourir  à  cette  explication  ;  c'était  sans  doute 
une  tactique  familière  aux  tribus  nomades  ;  elle  existe  encore  de 
nos  jours,  en  bien  des  endroits. 

A  la  Hème  ]une,  Kingvkong  députait  Siun-k'ang  ^  J^,  fils 
du  fameux  Sinn-ling-fou  ^j  fâ  ^£,  renouveler  avec  le  duc  de  Lou 
^L  le  traité  d'alliance  et  d'amitié  signé  deux  ans  auparavant  ;  on 
ne  voit  pas  le  motif  de  cette  précaution. 

A  la  12ème  lune,  au  jour  Kia-siu  fp  r^,  King-kong  revenait 
au  système  de  six  corps  d'armée,  dont  chacun  comprenait  douze 
mille  cinq  cents  hommes.  H;ui  Kiuè  %%.  [ffi  fut  général  du  centre 
des  trois  nouveaux  corps,  son  adjudant  était  le  seigneur  Tchao- 
kovo  |fi  ;jfj  ;  Kong-cho  §|;  \ft}\  fut  général  de  l'aile  droite,  et  //,/;/- 
tch'oan  ffi  ^  son  adjudant;  Sïun-tchoei  ^j  ffe  était  à  L'aile  gau- 
che, avec  Tchao-tchen  tJV£  jfiy  pour  adjudant.  Tous  ces  seigneurs 
s'étaient  distingués  à  la  bataille  de  Ngan  j/$  :  ils  reçurent  tous  la 
dignité  de  ministres  [king  |Q]],  sans  en  avoir  tous  L'office. 

Vers  cette  époque,  le  roi  de  Ts'i  '0  venait  à  la  cour  de  Tsin 
faire  une  visite  de  politesse  et  d'amitié;  au  moment  où  il  se  dis- 
posait à  présenter  à  King-kong  de  riches  cadeaux  en  jade,  K fi  Kl0 
$5  jtL>  Ie   premier  ministre,    se  précipita  vers  lui  en  disant  :  cette 


174  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

visite  est  la  réparation  des  moqueries  que  m*a  infligées  votre  mère  ; 
maintenant  l'honneur  est  satisfait;  notre  humble  souverain  ne 
peut  accepter  ces  cadeaux. 

Pendant  le  festin  donné  en  son  honneur,  le  roi  de  Ts'i  fixa 
les  regards  sur  H  an  K'iuê  $$[  j^  le  ministre  de  la  guerre,  qui 
avait  été  sur  le  point  de  le  faire  prisonnier  à  la  bataille  de  Nga.ii 
|£:  ce  seigneur  lui  demanda:  votre  Magesté  me  reconnaît-elle?  — 
Votre  vêtement  n'est  plus  le  même,  répondit  le  roi,  mais  je  vous 
reconnais  bien  ! 

Aussitôt  Han  K'iué  monta  vers  le  roi,  lui  présenta  une  coupe 
de  vin,  en  disant  :  si  j'ai  risqué  ma  vie  sur  le  champ  de  bataille, 
le  désir  intime  de  mon  cœur  était  de  voir  vos  deux  Majestés  réu- 
nies ici  en  alliés  et  en  amis!  Voilà  une  parole  de  gentilhomme. 

L'historien  va  nous  en  rapporter  une  autre,  qui  n'est  pas 
moins  belle,  mais  plus  sincère  :  Quand  le  seigneur  Tche  Ing  ^p^H 
ou  Siun  Ing  j^j  :^  était  captif  à  la  cour  de  Tch'ou  *£,  il  avait 
fait  le  complot  de  s'évader,  dans  un  sac  de  marchand  d'habits  du 
pays  de  Tcheng  j|[$;  mais  avant  l'exécution  de  ce  projet,  le  seigneur 
était  libéré.  Le  marchand  vint,  cette  année  même,  à  la  capitale  de 
Tsin  ;  le  seigneur  le  fit  appeler,  le  traita  avec  honneur, et  lui  offrit 
des  cadeaux  pour  le  remercier  de  sa  bonne  volonté.  Mais  le  mar- 
chand s'enfuit  en  disant  :  je  n'ai  rendu  aucun  service,  comment 
pourrais-je  recevoir  des  présents?  un  roturier  comme  moi.  j'irais 
tromper  ies  gens,  leur  laissant  croire  que  j'ai  aidé  à  la  délivrance 
de  ce  seigneur;  c'est  impossible!  Ayant  ainsi  parlé,  notre  homme 
s'en  alla  au  pays  de  Ts'i  3§. 

En  587,  en  été  mars-avril),  le  duc  de  Lou  ^  était  aussi  en 
visite  amicale  à  la  cour  de  Tsin;  on  ne  sait  comment  ni  pourquoi, 
King-kong  lui  manqua  gravement  d'égards;  son  compagnon,  le 
seigneur  Ki  Wen-tse  5p  ^  -^ ,  éructa  aussitôt  une  prophétie  :  le 
roi  de  Tsin,  dit-il,  ne  mourra  pas  de  sa  belle  mort;  car  le  livre 
des  Vers  1  nous  avertit  en  ces  termes  prenez  garde!  prenez 
garde!  prenez  garde!  l'action  du  ciel  est  manifeste!  le  pouvoir 
souverain  n'est  pas  facile  à  conserver!  c'est  par  la  faveur  du  ciel, 
que  King-kong  est  le  chef  des  vassaux:  comment  pourrait-il  ne 
pas  être  plein  de  soins  et  de  respect  envers  ses  subordonner  ? 
Ainsi  voilà  le  prince  dûment  averti  des  malheurs  qui  planent  sur 
sa  tête;  pour  nous,  attendons  jusqu'en  581,  où  nous  aurons  à  les 
raconter. 

Revenu  chez  lui,  après  une  absence  de  trois  mois,  le  duc  était 
encore  si  fâché,  qu'il  voulait  incontinent  renoncer  à  l'alliance  de 
Tsin.  et  se  mettre  sous  la  suzeraineté  de  Tch'ou  ^;  son  prophète 
Ki  Wen~tse  Ép  $£  -^  l'en  dissuada  en  ces  termes  :  Quoique  le 
prince  vous  ait  offensé,  vous  ne  pouvez  rompre  avec  le  pays  de 
Tsin;  il  est  notre  voisin;    tous    ks  grands  seigneurs  n'y  ont  qu'un 

(1)   Che-king  W  M  (Couvreur,  p,  437,  ode  jemej. 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    KING-KONG.  175 

cœur  et  qu'une  âme;  et  ils  sont  tous  gagnés  à  notre  cause.  De 
plus,  ce  serait  rompre,  avec  les  autres  états  féodaux,  ses  alliés,  pour 
nous  jeter  à  la  merci  du  seul  royaume  de  Tch'ou;  ce  n'est  pas 
prudent.  L'antique  historien  /  jfc  a  écrit  cette  sentence  :  ucelui-là 
ne  nous  est  pas  attaché  de  cœur,  qui  n'est  ni  de  notre  famille,  ni 
même  de  notre  clan»;  le  royaume  de  Tch'ou  est  puissant,  c'est 
vrai;  mais  sa  famille  régnante  n'est  pas  de  notre  clan;  elle  ne 
nous  sera  jamais  affectionnée  sincèrement.  Persuadé  par  ce  sage 
conseil,  le  duc  renonça  de  fait  à  son  projet. 

Vers  la  fin  de  cette  même  année,  une  armée  de  Tsin  allait  au 
secours  de  la  principauté  de  Hiu  jf^" .  attaquée  par  celle  de  Tcheng 
fij^;  le  généralissime  K'i  K'o  £[>  j£  n'était  pas  de  l'expédition:  il 
était  remplacé  par  le  seigneur  Loan-chou  Ê%%  ^,  dont  l'adjudant 
était  Siun  f'heou  ^j  "|f*  ;  le  général  de  droite  Siun  K'ang  ^j  }jî 
n'était  pas  non  plus  à  cette  campagne  ;  il  était  remplacé  par  son 
adjudant  Che  Sié*-±  %. 

Pour  forcer  l'armée  de  Tcheng  à  se  retirer,  on  porta  la  guerre 
sur  son  propre  territoire,  mais  on  ne  put  y  faire  de  grandes  opé- 
rations ;  comme  on  devait  s'y  attendre,  on  se  vit  barrer  le  chemin 
par  les  troupes  de  Tch'ou  *£  ;  on  prit  seulement  les  villes  de  Fan 
yjV  et  de  Ts'ai  ^  (1),  puis  on  rentra  chez  soi,  sans  même  garder 
cette  maigre  conquête;  les  guerres  interminables  vont  reprendre 
entre  les  deux  pays  rivaux,  toujours  à  propos  de  quelque  petit 
était  voisin  que  l'on  s'arrache. 

Ici,  l'historien  relate  un  méfait,  qui  causera  de  grands  mal- 
heurs à  la  noble  famille  Tchao  |§  ;  le  voici  en  deux  mots:  Le 
seigneur  Tchao  Ing  |§  ^,  frère  du  fameux  premier  ministre  Siun- 
tse  j|r  ^f-,  avait  des  relations  illicites  avec  la  femme  de  son  propre 
neveu  Tchao  Cho  ^  ifi)],  fils  de  ce  ministre:  or  cette  dame,  nom- 
mée Tchao  Tchoang-ki  |g  |j£  j$ ,  était  la  tille  de  Tctileng-kong 
liSt.  ^,  et  propre  sœur  de  King-kong  ;  le  scandale  n'était  donc  pas 
petit;  mais  comment  y  remédier? 

En  586,  au  printemps,  les  seigneurs  Tchao  T'oug  jj§j[  [fî]  ou 
Yuen-t'ong  fâ  \p\)  et  Tchao  Kouo  ^g  fg-  ou  Ping-ki  }tf.  2JË  ,  frères 
aines  du  coupable,  s'étant  concertés  sur  le  châtiment  à  lui  infliger, 
l'envoyèrent  en  exil  au  pays  de  Ts'i  T$. 


(1)  Fan.  Il  y  a  plusieurs  villes  de  ce  nom:  et  l'on  ne  peut  savoir  avec  certi- 
tude quelle  est  celle  dont  il  s'agit:  communément,  on  dit  qui  -  i-chouei  liien 
TÛ  7JC  '&?  clui  est  à  250  li  *  l'ouest  de  sa  préfecture  K'ai-fong  fou  PU  it  fï-  Ho-nan. 
Petite    géogr.,  vol.   12,  p.  10)  —  (Grande,   roi.   j-.  pp.   55  <'t  62   . 

Ts'ai  était  à  15  li  nord-est  de  Tcheng-tchcou  v">  -il.  a  Vaut  -  I  K'ai-fong  fou. 
Ainsi  le  veut  la  Grande  géogr.,  vol.  47,  p.  55:  là  on  dit  que  Fan  était  au  sud  de 
Tchong-meou  hien  fy  ^  %,  qui  est  à  70  li  nord-ouest  de  K'ai-fong  l'ou, 


176  DU    ROYAUME  DE    [SIX.    KING-RONG. 

Tchao  Ing  |§  ^  se  défendait  en  disant  :  tant  que  je  serai  ici, 
je  saurai  bien  empêcher  la  famille  Lonn  fp§  d'obtenir  la  prépondé- 
rance; après  mon  départ,  vous  serez  dans  l'embarras;  chacun  a 
ses  défauts  et  ses  qualités  ;  si  j'ai  une  mauvaise  conduite,  je  suis 
pourtant  capable  de  soutenir  le  rang-  de  notre  famille;  si  vous  me 
pardonnez,  quel  mal  vous  en  arrivera-t-il  ? 

Mais  ses  frères  se  montrèrent  inflexibles;  Tchao  Ing"  dut 
partir  pour  l'exil  :  et  il  paraît  que  c'était  aussi  l'accomplissement 
d'une  prophétie.  Tchao  Ing  avait  eu  un  soDge  assez  curieux  :  le 
ciel  lui  avait  envoyé  ce  message  «vous  m'are~  offrit  des  sacrifices, 
je  vous  bénirai»;  n'en  comprenant  pas  le  sens,  Tchao  Ing  dépêcha 
une  personne  consulter  le  sage  Che  Tcheng-'pé  -^  j=|  f£  ;  celui-ci 
fit  répondre:  moi  non  plus  je  ne  comprends  pas!  puis,  après  le 
départ  du  commissionnaire,  il  donna  l'explication  à  son  entourage; 
la  voici:  Le  ciel  bénit  les  gens  vertueux,  et  punit  les  pervers;  si 
un  homme  débauché  n'est  pas  anéanti,  c'est  déjà  une  grâce  du 
ciel:  avant  offert  des  sacrifices,  peut-être  que  ce  seigneur  sera 
seulement  exilé?  En  effet,  c'est  juste  le  lendemain  de  ses  sacrifi- 
ces, que  Tchao  Ing  dut  prendre  la  route  de  Ts'i  ^. 

Confucius  a  jugé  digne  de  l'histoire  le  petit  fait  suivant  :  le 
seigneur  Siun  Cheou  ^  "ff*  de  Tsin,  se  rendant  au  pays  de  Ts'i, 
pour  se  marier,  passa  par  la  ville  de  Kou  ^  (1);  le  seigneur  de 
Lou  ||,  Chou-suenn  Kiao-jou  $(  fâ  fgj-  ■$$,  alla  le  saluer  et  lui 
offrir  un  festin  ;  cet  acte  de  politesse  était  surtout  adressé  au  sou- 
verain :  ce  qui  montre  que  le  duc  avait  su  dominer  son  ressenti- 
ment, dans  son  propre  intérêt. 

En  été,  la  montagne  Liang-chan  ^  ]\\  s'écroulait,  causant 
un  grand  émoi  parmi  le  peuple  et  parmi  la  cour  ;  Confuchis  relate 
ce  fait,  comme  étant  d'une  extrême  importance;  il  faut  l'en  croire 
sur  parole.  King-kong  ayant  appris  la  nouvelle,  envoya  sa  voiture 
la  plus  rapide,  chercher  le  sage  Pè-tsong  fQ  ^  pour  savoir  de  lui  ce 
qu'il  v  avait  à  faire  en  cette  grave  occurrence;  Sur  le  chemin,  on 
rencontra   un   lourd   chariot;    holà!  cria  le  sage,  faites  moi  place! 

—  Vous  aurez  bien  plus  vite  fait  de  passer  à  côté,  répondit  tran- 
quillement le  conducteur. — D'où  êtes-vous  donc?  demanda  le  sage. 

—  De  la  capitale  même.  —  Qu'y  a-t-il  de  nouveau?  —  Une  partie 
de  la  montagne  Leang  s'est  éboulée;  on  va  consulter  Pé-tsong 
pour  savoir  ce  qu'il  faut  faire.  —  Et  vous,  brave  homme,  qu'en 
pensez-vous?  pourquoi  cette  chute  de  montagne?  —  La  couche  de 
terre  qui  recouvrait  les  rochers  s'est  désagrégée,  a  produit  une 
avalanche:  y  a-t-il  en  cela  rien  d'extraordinaire? 

Emerveillé  du  bon  sens  de  ce  charretier,  le  sage  voulait  rem- 
mener   avec    soi    à   la  capitale:    mais  il  refusa  absolument:   chaque 


(l)   Kou,  c'est  Tong-ngo  hien  ij;  PSJ  f?  à  210  li  nord-ouest  de  T'ai-ngon  fou 
jk  ''h  tfr,  Chan-tonir.     Petite  géogr.,  vol.   io,  p.   14)  —     Grande,  vol.  33,  p.  17). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    KING-KONG.  177 

souverain,  disait-il,  a  l'office  de  sacrifier  aux  génies  des  montagnes 
et  des  fleuves  de  son  territoire;  si  une  montagne  s'éboule,  si  un 
fleuve  se  dessèche,  le'  prince  jeûne,  s'abstient  des  plaisirs  de  la 
table,  n'use  pas  de  voiture  de  luxe,  ne  se  livre  ni  à  la  musique, 
ni  à  aucune  réjouissance  de  ce  genre;  il  vit  en  ermite,  loin  des 
femmes  ;  il  fait  offrir  des  sacrifices  pour  obtenir  sa  propre  purifi- 
cation ;  l'historiographe  rédige  une  formule  de  confession  publique 
par  laquelle  le  prince  reconnaît  et  avoue  ses  fautes;  enfin,  ainsi 
préparé,  le  prince  offre  les  sacrifices  solennels  aux  fleuves.  Voilà 
l'usage  ancien;  si  Pé-tsong  lui-même  se  rend  à  la  cour,  que 
pourra-t-il  ordonner  de  plus  (1)? 

Le  sage  ne  s'était  pas  fait  connaître,  pour  mieux  avoir  le 
sentiment  de  ce  brave  homme  ;  il  en  fit  son  profit,  et  ne  conseilla 
pas  autre  chose  à  King-kong;  c'est  encore  ce  qui  est  censé  se  pra- 
tiquer de  nos  jours,  lors  d'une  calamité  publique,  pour  rassurer, 
ou  plutôt  berner  le  peuple. 

En  été,  le  prince  de  Tcheng  i|J$,  fâché  de  n'avoir  pas  été 
mieux  soutenu  contre  la  principauté  de  Iliu  §£,  rompait  avec  le 
roi  de  Tch'ou  jg,  et  se  donnait  pour  toujours  à  King-kong;  nous 
connaissons  la  valeur  de  tous  ces  traités  d'alliance  et  d'amitié  ; 
«autant  en  emportait  le  vent»  ! 

A  la  12ème  lune,  au  jour  ki-tcheou  g,  jj  (26  Novembre), dans 
la  ville  de  Tchong-lao  J|  2|î  (2),  King-kong  présidait  une  grande 
assemblée  de  vassaux;  étaient  présents,  les  princes  de  hou  »f§.,  de 
Ts'i  ^,  de  .<uit(j  5j^,  de  Wei  ffg.,  de  Ts'ao  ^ ,  de  Tchou  %$,  de 
Ki  $1  et  de  Tcheng  ff$  ;  il  s'agissait  surtout  de  recevoir  ce  dernier 
au  nombre  des  heureux  subordonnés  de  Tsin. 

Environ  un  mois  plus  tôt  (17  Octobre),  l'empereur  était  mort; 
et  pas  un  des  congressistes  ne  s'en  était  préoccupé;  on  était  ce- 
pendant bien  près  de  la  capitale  de  l'empire!  le  lecteur  peut  juger 
de  «l'influence  morale»  de  cette  pauvre  Majesté   qui  trônait  à  Lo- 

yang  m  H- 

En  585,  au  printemps,  le  prince  de  Tcheng  §J5  se  rendait  à 
la  cour  de  Tsin,  remercier  King-kong  de  l'avoir  admis  à  son 
alliance  ;  il  avait  comme  compagnon  le  seigneur  Tse-you  ^  ffi. 
On  raconte  qu'il  commit  une  maladresse,  pendant  la  réception 
officielle  :  au  lieu  de  se  tenir  entre  les  deux  colonnes  de  la  grande 
salle,  pour  offrir  ses  présents,  il  s'était  trouvé  un  peu  en  dehors 
de  la  colonne  de  l'est;  tellement  il  s'était  empressé  de  quitter  sa 
place,  à  l'arrivée  de  King-kong. 

(1)  La  montagne  Lianir.  il  y  en  a  beaucoup  de  ce  nom,  il  s'agit  de  celle  qui 
est  à  19  li  au  sud  de  Han-tch'eng  hien  ffi  lhri  |£,  laquelle  esi  à  220  li  nord-est  de 
T'ong-tcheou  }'<>u  fn]  m  Jfôf,  Chen-si.  (Petite  géogr.,  vol.  14,  p.  19). 

(2)  Tchong-lao  ou  Tong-lao  fâ  $.  était  à  2  li  au  nord  de  Fong-k'iou  hien 
lt  SU  |f,  qui  est  à  50  li  au  nord  de  sa   préfecture    Wei-hoei  fou  Wi  ï#  fô\    llo-nan. 

(Petite  (jéogr.,  vol,  12,  p.  zi)  —   (Grande,  vol.  47,  p.   zSà  ■ 

23 


1  78  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

Sur  ce,  le  sage  Che  Tcheng-pé  -^  jj|  f^  éructa  une  prophé- 
tie :  ce  prince,  dit-il,  ne  vivra  pas  long-temps;  il  s'est  perdu  lui- 
même  !  ses  yeux  roulaient  inquiets  dans  leurs  orbites  ;  son  pas 
était  précipité  ;  il  n'a  pas  eu  la  patience  de  rester  à  sa  place  jus- 
qu'au moment  voulu  ;  ainsi  il  est  condamné  à  mourir  bientôt  !  De 
fait,  le  prince  de  Tcheng  ne  vit  pas  la  fin  de  l'été. 

A  la  3^me  lune,  King-kong  envoyait  une  armée,  punir  le 
prince  de  Song  ^c,  qui  avait  négligé  de  se  rendre  à  une  assemblée 
de  vassaux.  Les  troupes  de  Tsin  étaient  conduites  par  les  seigneurs 
Pé  Tsong  fâ  ^  et  Hia  Yang-yué  15  |^|  f£  :  celles  de  Wei  fëj  étaient 
commandées  par  les  seigneurs  Suen  Liang-fou  ffî  f^  ^  et  Ning- 
siang  jêf.  jfâ  :  il  y  avait  encore  le  contingent  du  prince  de  Tcheng 
Hjj;  enfin  le  contiugent  des  Tartares  /  -Jp-,  Lo  $j§,  Lou-hoen  (^  fjg 
et  Man  ||. 

Les  gens  de  Tsin  devaient  d'abord  traverser  le  pays  de  Wei 
Iffl  ;  parvenus  à  la  ville  de  Kien  ^  (1),  ils  s'aperçurent  qu'elle 
n'avait  pas  de  garnison  :  jetons-nous  à  l'improviste  sur  cette  ville, 
dit  Hia  Yang-yué  ;  quand  même  nous  ne  réussirions  pas  à  y  en- 
trer, nous  y  ferions  du  moins  un  bon  butin  ;  si  plus  tard  notre 
souverain   nous   punit,   cela  n'ira  pas  jusqu'à  nous  couper  la  tête  ! 

Pé-tsong  f£j  Sri  était  plus  probe:  chose  pareille,  répondit-il, 
est  impossible  !  le  prince  de  Wei  fêj  étant  notre  ami,  n'a  pas 
songé  à  se  protéger  contre  nous,  ni  à  la  frontière,  ni  ailleurs  ;  si 
nous  profitions  de  sa  sécurité  pour  lui  faire  du  tort,  nous  com- 
mettrions une  infamie  ;  nous  prouverions  que  les  gens  de  Tsin 
n'ont  ni  foi  ni  loi  ;  même  un  grand  butin  ne  pourrait  compenser 
la  perte  de  notre  bonne  renommée. 

Ainsi  l'on  s'abstint  de  ce  mauvais  coup;  mais  le  marquis  de 
Wei  $j  eut  vent  du  danger  qu'il  avait  couru  sans  s'en  douter; 
au  retour  des  troupes,  on  trouva  des  gardes  à  la  frontière;  la  le- 
çon avait  produit  du  moins  ce  bon  résultat. 

Dans  les  premiers  mois  de  cette  même  année  585,  il  y  eut 
une  grande  consultation  à  la  cour  de  Tsin  ;  il  s'agissait  de  savoir 
si  l'on  transférerait  la  capitale,  et  en  même  temps  de  déterminer 
le  nouvel  emplacement  (2). 

Tous  les  grands  officiers  furent  d'avis  d'émigrer  à  Siun  Hisd 
|ïj  Jg    3)  :  Là,  disaient-ils,  les  terres  sont  de  première   qualité,   et 

(1)  Kien.  Les  commentaires  du  recueil  Iloang-tsing  King-kiai  ^  S  II  © 
disent  que  c'est  la  ville  appelée  Hien  jft£.  qui  se  trouvait  à  00  li  sud-est  de  A"r<j 
tcheou  PfJ  )\\,  Tche-li.  (Petite  géogr.,  vol.   2,  p.  34)  —  (Grande,    vol.   16.  p.  s?  ■ 

(2)  L'ancienne  capitale  Kiang  i*.  était  à  15  li  sud-est  de  I-tch'eng  hien  J| 
Jj$  H,  qui  est  à  130  li  sud-est  de  sa  préfecture  P'  ing'-yang  fou    2p  R§  f^F.    Chan-si. 

Petite  géogr..  vol.  S.  p.   10)  —    (Grande,    vol     41,   p.    12  .    Cette   ancienne    Kiang 
s'appela  aussi  /  §£. 

(3)  Siun  Iliai,  capitale  de  l'antique  principauté  de  Siun,  était  à  15  li   nord-est 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    KING-KONG.  179 

les  salines  sont  peu  éloignées  ;  ce  sont  deux  grandes  sources  de 
revenus,  très-avantageuses  pour  une  capitale;  il  ne  faut  pas  nég- 
liger un  tel  endroit.   . 

Han  Kiué,  ce  général  et  ministre  dont  nous  avons  tant  de 
fois  parlé,  était  en  grande  considération  à  la  cour  ;  King-kong 
voulait  avoir,  à  part,  son  sentiment  sur  la  question  ;  il  lui  fit  signe 
de  le  suivre  dans  ses  appartements  :  que  pensez-vous  de  ce  trans- 
fert? lui  demanda-t-il.  —  A  Siun-hiai,  répondit  le  chambellan,  les 
terres  sont  légères,  les  eaux  peu  profondes,  les  marais  nombreux, 
les  miasmes  continuels,  les  fièvres  endémiques,  le  sang  du  peuple 
appauvri  ;  c'est  pourquoi,  parmi  d'autres  maladies,  il  y  en  a  une 
plus  fréquente,  à  savoir  le  gonflement  des  pieds  et  des  jambes, 
presque  toujours  suivi  de  la  mort.  La  position  de  Sin-tien  j$\  g] 
(1)  me  semble  bien  préférable;  la  couche  de  terre  y  est  épaisse, 
les  eaux  profondes,  les  fièvres  rares  ;  les  deux  rivières  F  en  -}fy  et 
Koei  \va  ,  par  leur  rapide  courant,  dispersent  tous  les  miasmes; 
la  population  est  docile  et  simple;  en  vérité,  il  y  a  là  une  bonne 
fortune  pour  dix  générations  de  suite.  Quant  aux  montagnes,  aux 
forêts,  aux  étangs,  aux  salines,  tout  cela  est  précieux,  je  raccor- 
de ;  mais  dès  qu'un  pays  est  dans  l'abondance,  il  devint  orgueil- 
leux ;  dans  son  oisiveté,  il  se  livre  à  toutes  sortes  de  vices,  et  la 
famille  régnante  y  est  toujours  en  péril. 

King-kong  fut  persuadé  par  ce  discours,  et  il  ordonna  de 
transporter  la  capitale  à  Sin-tien  ^\  5J  ;  ce  qui  fut  accompli  vers 
le  milieu  de  mars,  au  jour  nommé  ting-tcheou   ~f  jj. 

A  cette  époque  aussi,  King-kong  ordonnait  au  duc  de  Lou 
'|j|-  de  faire  la  guerre  au  prince  de  Song  $fc  ;  pour  le  punir  de  ses 
relations  avec  le  roi  de  Tch'ou  $£.  Le  pauvre  duc  s'exécuta,  mais 
le  moins  possible,  à  contre-cœur,  et  pour  la  forme  ;  car  le  prince 
de  Song  et  lui  étaient  deux  amis;  cette  expédition,  ou  plutôt  cette 
promenade  militaire  eut  lieu  vers  le  mois  de  Juin. 

Alors  encore,  on  recommença  la  lutte  pour  le  pays  de  Tcheng 
fU$.  Nous  venons  de  voir  son  prince  faire  un  traité  d'amitié  avec 
King-kong;  une  armée  de  Tch'ou  ^  se  présenta  bientôt,  pour 
reprendre  le  fugitif;  mais  elle  se  retira  devant  les  troupes  de  Tsin, 
commandées  par  Loan-chou  H§  ^jf  ;  il  n'y  eut  pas  de  bataille,  au 
grand  dépit  des  généraux  de  Tsin.  (Nous  avons  rapporté  les  dé* 
tails  dans  Vhistoire  du  royaume  de  Tch'ou). 

de  Ling-tsin  hien  Ëij,  ^y  $£  qui  est  à  90  li  nord-est  de  P'ou-tclieou  fou  fjjf  )W  fît, 
Chan-si.  (Petite  yéorjr.,  vol.  8,  p.  30)   —   (Grande,  vol.  41,  p.   21). 

La  ville  de  Iliai,  était  au  sud-est  de  cette  même  ville  Ling-tsin  hien.  (Grande 
géogr.,  ibid,  ligne  8eme). 

D'abord  c'étaient  deux  villes  distinctes,;!  20  li  environ  l'une  de  l'autre  ;  on  les 
réunit  en  une  seule,  et  les  deux  noms  n'en  formèrent  qu'un  seul. 

(1)  Sin-tien,  c'est  Kiang  hien  %%■  S£,  à  120  li  sud-est  de  Kiang  tcheou  fâ  ^H, 
Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  8.  p.  45)  —  (Grande,  vol.  41.  p.  41). 


180  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Vers  le  mois  d'août,  le  duc  de  Lou  i|sj.  envoyait  une  ambas- 
sade, féliciter  King-kong  de  l'émigration  heureusement  opérée. 

En  584,  au  début  de  Tannée  (c'est-à-dire  octobre-novembre), 
Tch'eng-kong  fâ  fè,  prince  de  Tcheng  f|j>,  venait  remercier  King- 
kong  de  lui  avoir  envoyé  précédement  une  armée  de  secours.  Au 
mois  de  mai  suivant,  les  troupes  de  Tch'ou  ^  revenaient  à  la 
charge  contre  ce  même  prince  ;  ses  gens  luttèrent  avec  courage  et 
succès  ;  ils  eurent  même  la  joie  de  faire  prisonnier  le  grand  officier 
Tchong-i  @  -fH,  gouverneur  de  Yun  jï^  (1),  qui  fut  aussitôt  livré 
à  King-kong  comme  un  trophée. 

A  la  8èmi'  lune,  donc  vers  le  mois  de  Juin,  grande  réunion  des 
vassaux  à  Ma-ling  fé,  |§|  2);  étaient  présents  les  princes  de  Ts'i 
^,  de  Song  $*,  de  Wei  %,  de  Ts'ao  ff ,  de  Tchou  %$,  de  Ki  7fà 
et  de  Kiu  'J|*  ;  ce  dernier,  dépendant  directement  de  Ts'i,  deman- 
dait, à  l'exemple  de  son  suzerain,  à  faire  partie  de  la  ligue,  et 
l'on  s'empressait  naturellement  de  le  recevoir;  c'était  le  motif  de 
cette  réunion,  où  l'on  renouvela  le  traité  d'alliance  de  586,  signé 
à  Tchong-lao  j|g  i^.  Au  retour  de  cette  assemblée,  King-kong  em- 
mena son  prisonnier  Tchong-i  $$j.  Hfè,  et  l'interna  à  l'arsenal. 

A  cette  même  époque,  se  levait  un  redoutable  ennemi  de 
Tch'ou  2(g  ;  à  savoir,  Cheou-mong  fj|  ^  roi  de  Ou  -^|  ;  c'était  une 
bonne  fortune  pour  le  pays  de  Tsin  ;  son  rival  acharné  se  trouvait 
ainsi  attaqué,  mis  en  extrême  danger,  par  le  nouvel  ennemi;  il  n'y 
avait  qu'à  profiter  de  circonstances  si  favorables. 

Nous  avons  raconté  comment  le  fameux  seigneur  Ou-tchen 
3?  Ei  fuyard  de  Tch'ou,  ennemi  juré  des  ministres  de  sa  patrie, 
s'était  réfugié  au  pays  de  Ou  ^1,  y  avait  formé  l'armée  à  la  tacti- 
que chinoise,  et  par  le  moyen  de  son  fils  Hou-yong  $£ /^j\  ministre 
des  relations  étrangères,  procuré  des  alliances  à  cette  cour  encore 
à  demi  sauvage. 

Au  moment  où  les  vassaux  tenaient  leur  assemblée  à  Ma-ling, 
les  troupes  de  Ou  s'emparaient  de  Tcheou-lai  j\\  ?jç  (3)  ;  les 
ministres  de  Tch'ou,  accouius  sept  fois  de  suite,  et  à  différents 
endroits,  au  secours  de  leurs  frontières,  n'avaient  plus  le  temps  ni 
de  manger  ni  de  dormir.  C'est  ce  que  leur  avait  annoncé  Ou-tchen, 
en  leur  jurant  vengeance.  (Voir  les  détails  de  ces  événements, 
dans  notre  histoire  de  Ou  et  dans  celle  de  Tch'ou). 

Vers  le  mois  de  septembre,  Suen  Ling-fou  ffî  fâ  $£,  grand 
seigneur  de  Wei  fëj,  se  révoltait  contre  son  souverain  ;  il  s'enfuyait 

(1)  Yun,  capitale  d'une  ancienne  principauté  de  ce  nom.  C'est  Té-ngcin  fou  §| 
-/£   Hi,  Ilou-pé.  (Petite  géogr..   vol.   ai,  p.   16)  —  (Grande,  vol.   y-,  p.   26). 

(2)  Ma-ling  au  pays  de  Wei,  était  au  sud-est  de  Ta-ming  fou  jï.  %  Hf, 
Tche-li.  (Petite  géogr..   vol.   2.  p.  J2)   —   (Grande,  vol.  j6,  p.  j). 

(3)  Tcheou-lai, aussi  appelée  Uia-ts'ai  tch'eng  ">'  §|  £$,  était  à  30  li  au  nord 
de  Cheou-tcheou  cf  jV ,  qui  est  à  180  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  Fong-yang  fou 
A  1^  #ft  Nhan-hoei.  (Petite  géogr.,  vol.  6,  p.  24)  —  (Grande,  vol.  21,  p.  21). 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    KING-KONG.  181 

auprès  de  King-kong,  et  lui  offrait  la  ville  de  Ts'i  ffâ  (1)  dont  il 
était  gouverneur,  et  qu'il  possédait  en  fief.  D'après  les  usages 
reçus  à  cette  époque,  King-kong  accepta  cette  ville  ;  mais  le  mar- 
quis étant  venu  à  la  cour  de  Tsin,  y  plaida  si  bien  sa  cause,  que 
le  fief  lui  fut  rendu;  c'était  généreux  de  la  part  du  suzerain. 

King-kong  se  montra  moins  juste  dans  le  cas  suivant  :  En 
583,  au  début  de  l'année,  donc  vers  Novembre,  il  députait  le 
grand  seigneur  Han  Tcli'oan  fs£  ^  à  la  cour  de  Lou  ||,  enjoindre 
au  duc  de  restituer  au  roi  de  Ts'i  ^  le  territoire  de  Wen-yang 
$C  [Il  (2).  Le  premier  ministre  Ki  Wen-tse  5p  $£  "T"i  chargé  de 
recevoir  l'ambassadeur,  lui  rendit  tous  les  honneurs  désirables;  il 
plaida  la  cause  de  son  souverain,  dont  le  droit  sur  ce  territoire 
avait  été  reconnu  par  King-kong  lui-même,  six  ans  auparavant, 
après  la  victoire  de  Ngan  .$£;  mais  la  justice,  l'éloquence,  tout  fut 
inutile  devant  la  volonté  formelle  de  King-kong,  qui  tenait  plus  à 
l'amitié  du  roi  de  Ts'i  qu'à  celle  du  duc. 

Vers  la  même  époque,  une  armée  de  Tsin,  commandée  par 
le  grand  seigneur  Loan-chou  §^.  ff,  envahissait  d'abord  le  pays 
de  Ts'ai  |e|,  puis  celui  de  Tch'ou  ^;  elle  faisait  prisonnier  le 
grand  officier  Li  |§|,  gouverneur  de  Cketi  fia  ;  elle  entrait  dans  la 
principauté  de  Chen  %  (3),  en  faisait  captif  le  seigneur  /  |ij;  : 
puis  rentrait  triomphalement  à  la  capitale. 

Cette  expédition  avait  été  entreprise  et  conduite  d'après  les 
conseils  des  trois  grands  seigneurs  Tche  j§,  Fan  f^  et  Han  ^  ; 
l'armée  de  Tch'ou  y  avait  fait  triste  figure;  elle  avait  évité  tout 
combat,  et  s'était  retirée  honteusement  devant  les  troupes  de 
Tsin.  L'historien  fait  à  ce  propos  sa  remarque  philosophique  : 
Si  l'on  suit  les  conseils  d'un  sage  [d'un  lettré],  les  affaires  s'ar- 
rangent à  merveille  ;  c'est  comme  une  barque  suivant  le  cours  de 
l'eau.  C'est  dans  ce  sens  que  le  livre  des  Vers  (4)  nous  dit:  «notre 

(1)  Ts'i  était  à  7  li  au  nord  de  K'ui-tuheou  p^^H,  Tche-li.  (Petite  géogr.,  vol. 
2,  p.  34)  —  (Grande,  vol.   16,  p.  36). 

{2)  YYen-yang  était  à  40  li  nord-est  de  K'iu-feou  hien  j|[j  JjL  Jjj£,  qui  est  à  :i(J 
li  à  l'est  de  sa  prélecture  Yen-tcheou  fou  3£  H]  Iff ,  Chan-tong.  (Grande  géogr.,  <"/ 
32,  p.  6). 

(3)  Ts'ai,  sa  capitale  à  était  à  10  li  sud-ouest  de  Ghana  Tb'oà  hien  j".  SI  Sf  1 
qui  est  à  75  li  au  nord  de  sa  préfecture  Jou-ning  fou  ïk  j}*  'lT,  Ho-nan.  | Petite 
géogr.,  vol.  12,  p.  50)  —  (Grande,  vol.  30,  p.  23). 

Chen  l|l,  cette  ville  était  à  20  li  au  nord  de  X«n-yang  fou  ]?j  F#  Iflf,  Ho-nan. 
(Petite  géogr.,  vol.  12,  p,  40)  —  (Grande,  vol.  31,  p.  3). 

Chen  'tfc,  sa  capitale  était  la  ville  actuelle  de  Chen-k'iou  hien  ,l  Irl»  %f,  qui 
est  à  110  li  sud-est  de  sa  préfecture  Tch'cng-tcheou  fou  §jî  -Mi  JfiF,  Ho-nan.  Petite 
géogr.,  vol.  12.  p.  37)  —  (Grande,  vol.  47,  p.  40). 

(4)  Che-king  f$  g?,  (Couvreur,  p.  332,  ode  ^emc,  vers  3emeJ- 


182  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

prince  est  gracieux  et  affable,  comment  n'attirerait-il  pas  les  hom- 
mes à  sa  suite?»  En  effet,  l'empereur  Wen  Wang  ~%  3l  choisis- 
sait des  hommes  capables  ;  il  pouvait  donc  exécuter  de  grandes 
choses. 

Pendant  cette  même  campagne,  le  prince  de  Tcheng  ff[$  allant 
rejoindre  les  troupes  de  Tsin,  trouva  la  capitale  de  II iu  fjf  (1) 
dépourvue  de  garnison  ;  il  y  tenta  un  coup  de  main  à  la  porte  orien- 
tale, et  fit  un  grand  butin.  Voilà  comme  on  se  traitait  entre  amis. 

Les  lecteur  n'a  pas  oublié  que  le  seigneur  Tchao-yng  jjg  ^ 
avait  été  chassé  en  exil,  par  ses  deux  frères  aînés  ;  la  vilaine  prin- 
cesse Tchao-tchoang-ki  |g  Jf£  M  cherchait  le  moyen  de  se  venger; 
elle  finit  par  persuader  son  frère  King-kong,  que  les  deux  princes 
méditaient  un  complot  contre  lui  :  les  deux  ministres  Loan-chou 
H§  ^  et  K'i  K'o  $[5  j£  sont  instruits  de  ce  projet,  disait-elle,  et 
peuvent  vous  en  fournir  les  preuves. 

Sur  ce,  à  la  6ème  lune  [avril-mai],  King-kong  fit  mettre  à 
mort  les  deux  seigneurs  Tchao-t'ong  ^g  \p\  et  Tchao-houo  |fr  fâ  ; 
il  fit  en  même  temps  revenir  cette  vilaine  princesse  à  la  cour  où 
elle  demeura  avec  son  fils  Tchao-ou  j$|  j^,  séparée  d'avec  son 
mari  ;  les  terres  de  la  famille  Tchao  furent  attribuées  au  seigneur 
K'i-hi  us  f|. 

Han  K'iué  ^"  ^  eut  le  courage  d'admonester  King-kong  sur 
cette  conduite  si  injuste:  Tchao-ts'oei  ^^,  lui  dit-il,  le  fonda- 
teur de  la  famille  Tchao,  a  suivi  votre  illustre  ancêtre  Wen-kong 
a£  7fe  dans  son  exil,  et  l'a  grandement  aidé  à  monter  sur  le  trô- 
ne :  votre  maison  lui  doit  beaucoup.  Son  fils  Siuen-tse  'Jf  :J-,  ré- 
minent premier-ministre  de  vos  prédécesseurs  Ling-kong  JU  fe 
et  Tch'eng-kong  ffc  R ,  les  servit  fidèlement,  et  rendit  leur  règne 
glorieux.  Ces  deux  seigneurs  n'auront  plus  de  descendants,  qui 
portent  leur  nom  et  leur  offrent  des  sacrifices  ;  désormais,  qui 
donc  voudra  se  dévouer  pour  votre  famille"?  Les  trois  anciennes 
dynasties  impériales  ont  gardé  le  pouvoir  pendant  des  siècles,  ce 
fut  une  faveur  du  ciel  ;  parmi  les  empereurs,  il  y  en  eut  de  mauvais  ; 
mais,  grâce  aux  mérites  de  leurs  ancêtres,  ils  n'ont  pas  été  privés 
de, postérité.  Le  livre  des  annales  (2)  nous  donne  un  grave  ensei- 
gnement par  ces  paroles:  V empereur  Wen  Wang  ne  'permettait 
pas  de  vexer  les  oeufs  ou  les  veuves;  il  employait  les  hommes 
qu'il  convenait  d'employer;  il  respectait  ceux  qu'il  convenait  de 
respecter;  c'est  ainsi  qu'il  fit  briller  sa  grande  vertu. 

King-kong.  nous  l'avons  dit,  estimait  particulièrement  Han 
Kiué  ;  sur  son  conseil,  il  rendit  au  prince  Tchao-ou  %&  j£  les  ter- 
res et  les  dignités  de  sa  famille;  plus  tard,  nous  le  verrons  pre- 
mier-ministre. 


(1)  Hiu  :  sa  capitale  était  à  30  li  à  l'est  de  Hiu-tcheou  ff1  ^H,  lio-nan.  (Petite 
géogr.,  vol.   12.  p.  jS)   —   (Grande,  vol.  47,  p.  42). 

(2)  Chou-king  ^  %§,  (Couvreur,  }>■  233,  n°  4). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    KIXG-KONG.  183 

Un  peu  plus  haut,  nous  avons  dit  que  la  petite  principauté 
de  Kiué  g  avait  été  admise  dans  la  ligue  présidée  par  King- 
kong  ;  au  sujet  de  cet  état  minuscule,  l'historien  rapporte  le  fait 
suivant:  Le  fameux  seigneur  Ou-tchen  J$  [g,  dont  il  vient  d'être 
question,  se  rendant  au  royaume  de  Ou  lj|,  avait  demandé  et 
obtenu  passage  à  travers  le  territoire  de  K'iu;  se  trouvant  donc 
avec  le  prince  K'iou-kong  Jjft  ^  586—577  l;  en  promenade  sur 
les  remparts  de  la  capitale,  il  fit  la  remarque:  vos  murs  sont  en 
bien  mauvais  état!  —  Notre  pauvre  pays,  répondit  le  prince,  est 
perdu  parmi  les  sauvages  (J  ijlf],  qui  donc  songera  jamais  à  nous 
surprendre  ici?  —  Partout,  répliqua  le  seigneur,  il  y  a  des  gens 
rusés,  qui  ne  cherchent  qu'à  agrandir  leurs  territoires;  c'est  ainsi 
que  se  sont  formés  les  grands  royaumes  ;  celui  qui  fortifie  ses  fron- 
tières est  prudent  ;  celui  qui  les  néglige  s*en  repentira  un  jour  ; 
même  l'homme  le  plus  vigoureux  ferme  sa  porte  la  nuit  ;  à  plus  forte 
raison  un  état  doit-il  toujours  être  sur  ses  gardes  !  Ou-tchen  parlait- 
il  simplement  le  langage  de  l'expérience  et  du  bon  sens?  savait-il 
ce  qui  se  tramait  au  pays  de  Tch'ou  fg  contre  cette  principauté? 
nous  ne  pouvons  affirmer  la  seconde  hypothèse  ;  toujours  est-il  que 
l'année  suivante  une  armée  se  présentait  devant  cette  capitale  aux 
murs  délabrés;  il  était  trop  tard  pour  les  réparer.  Nous  laissons 
le  reste  de  cet  incident,  on  peut  le  voir  à  Tannée  582,  dans  notre 
histoire  de  Tch'ou). 

A  la  10ème  lune  (vers  le  mois  d'août  .  le  seigneur  Che-sié  -^ 
t~£  ifils.de  Che-hoei  -^  -ff"  était  envoyé  à  la  cour  de  Lou  .Jf.,  in- 
viter le  duc  à  fournir  un  contingent  de  troupes  auxiliaires,  pour 
une  expédition  contre  le  prince  de  Tau  ;j;[)  2  ,  qui  venait  de  se 
ranger  sous  la  suzeraineté  du  roi  de  Ou  ^.  Le  duc  aurait  bien 
voulu  éviter  cette  corvée  ;  il  offrit  de  grands  et  nombreux  cadeaux  à 
l'ambassadeur,  pour  obtenir  qu'on  renonçât  à  cette  entreprise,  ou 
du  moins  qu'on  la  différât  quelque  temps. 

Mais  Che-sié  se  montra  inflexible:  notre  souverain  a  parlé, 
disait-il,  vous  ne  pouvez  tergiverser;  si  j'étais  infidèle  à  mon 
mandat,  pourrais-je  ensuite  rester  à  mon  poste?  vous-même  ne 
devez  pas  essayer  de  me  détourner  de  mon  office  ;  puisque  les  dé- 
sirs de  mon  souverain  et  les  vôtres  sont  si  divergents,  il  m'est 
impossible  de  satisfaire  les  deux  partis  ;  sachez  que  si  votre  sei- 
gneurie se  montre  si  peu  empressée  à  servir  mon  maître,  à  son 
tour  il  ne  s'occupera  plus  de  vos  intérêts. 

(1)  Une  ville  de  cette  petite  principauté  s'appelait  K'iu-k'iou  U4  Irft,  et  se 
trouvait  à  20  li  sud-ouest  de  Ngan-k'iou  fou  $  $\]  gg,  qui  est  à    160    li   sud-<  - 

sa  préfecture  Tsing-tcheou  fou  ^  ■!{]  !?£,  Chan-tong.    Petite  géogr.,  vol.   10,  p.  26 
—  (Grande,  vol.  35,  p.   21). 

(2)  Tan,  sa  capitale  était  à  100  li  sud-ouest  de  Tan-tch'eng  hien  £[{  i$  %. 
qui  est  à  120  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  I-tchleoit  fou  f)t  ^H  f?-  Chan-tong. 
(Petite  géogr.,  vol.   10,  p.  30)  —  (Grande,   vol.  33,  p.  37/- 


184  TEMPS  VRAIMENT   HISTORIQUES 

Quand  Che-sié  était  sur  le  point  de  partir,  avec  une  réponse 
négative,  le  ministre  Ki-suen  Ép  ^  eut  peur  des  conséquences, 
et  il  conseilla  au  duc  de  s'exécuter  ;  en  fin  de  compte,  les  troupes 
furent  envoyées  se  joindre  à  celles  de  Tsin,de  Ts'i  ^,  et  de  Tchou 
Sfcjï,     dont  Che-sié  lui-même  fut  nommé  le  généralissime. 

C'était  d'ailleurs  une  expédition  assez  ridicule  :  Quand  l'armée 
de  Ou  !£.  s'était  présentée,  King-kong  n'avait  rien  fait  pour  sau- 
ver son  allié,  le  prince  de  Tan  *£p  ;  celui-ci  n'ayant  pu  résister, 
avait  dû  faire  sa  soumission  ;  et  maintenant  on  venait  l'en  punir  ! 
Au  fond,  il  s'agissait  plutôt  d'extorquer  de  grands  cadeaux,  et 
d'obtenir  un  traité  qui  annulât  celui  qui  avait  été  conclu  avec  le 
roi  de  Ou  ;  le  prince  de  Tan  s'empressa  d'accorder  ce  que  l'on 
demandait;  ce  fut  fini. 

En  682,  au  début  de  l'année  (donc  vers  novembre),  il  y  eut 
une  assemblée  de  huit  vassaux,  dans  la  ville  de  P'ou  f|f  (1),  sur 
le  territoire  de  Wei  f|j  ;  le  motif  de  cette  réunion  est  assez  cu- 
rieux ;  il  s'agissait  de  restituer  au  duc  de  Lou  ||»  la  région  de 
Wen-yang  $£  $ff  qu'on  lui  avait  enlevée,  juste  une  année  aupara- 
vant, pour  en  faire  cadeau  au  roi  de  Ts'i  fi|.  King-kong  s'était 
aperçu  que  cet  acte  arbitraire  et  injuste  avait  froissé  presque  tous 
ses  subordonnés,  chacun  redoutant  pour,  soi  un  semblable  mal- 
heur ;  il  voulait  réparer  sa  faute,  et  remettre  les  choses  en  leur 
ancien  état. 

/v/'-\ve?i-/.se  ^  ^  ^  [on  Ki-suen  Êfs  ^],  premier-ministre 
de  Lou,  ne  put  s'empêcher  de  faire  remarquer  une  conduite  si 
incohérente,  à  laquelle  il  s'était  opposé  en  vain  ;  il  dit  donc  à 
Che-sié  -j^  ^  :  votre  vertu  n'est  pas  sincère  ;  à  quoi  bon  faire  de 
nouveaux  traités  d'alliance  et  d'amitié  (2)"? 

Che-sié  lui  répondit  comme  il  put,  par  des  sentences  généra- 
les sur  la  vertu  ;  il  n'était  pas  facile  d'excuser  le  fait,  il  se  rejetait 
sans  doute  sur  la  bonne  intention  de  son  maître  :  s'appliquer  avec 
diligence,  disait-il,  à  la  bonne  admistration  des  états,  les  traiter 
avec  une  généreuse  amitié,  se  montrer  ferme  à  abattre  les  ennemis, 


(i)  P'ou, c'est  Tchang-yuen  hien  J|  JS  §|,  à  250  li  sud-ouest  de  sa  préfecture 
Ta-m/ing  fou  i\  %  /fl\  Tche-li.  (Petite  géogr.,  vol.  2,  p.  35).  —  (Grande,  vol.  16, 
p.  41)- 

(2)  Che-sié  était  de  la  Camille  Fan  ^£,  une  des  plus  anciennes  de  la  Chine  ; 
elle  régnait  sur  la  principauté  de  T'ang  /jlf  ;  celle-ci  fut  annexée  par  l'empereur, 
vers  l'an  1115  avant  Jésus-Christ;  la  famille  Fan  émigra  dés  lors  au  pays  de  Tsin, 
où  elle  reçut  le  fief  Fan  ^L,  d'où  lui  est  venu  son  nouvoau  nom.  Che-sié,  avec  son 
fils  Che-kai  -i  t],  fameux  premier  ministre  dont  nous  aurons  à  parler,  sont  les 
deux  plus  illustres  membres  de  cette  famille,  qui  occupa  toujours  de  hautes  dignités. 
(Annales  du  Chan-si,  vol.  S,  p.  24). 


DU   ROYAUME   DE   TSIN*.    KING-KONG.  185 

servir  fidèlement  les  Esprits  tutélaires,  être  bon  envers  les  hum- 
bles, sévère  à  l'égard  des  fourbes;  c'est  encore  de  la  vertu,  quoique 
d'un  degré  inférieur.  » 

Pauvre  réponse!  comme  on  le  voit;  mais  il  n'y  en  avait  pas 
d'autre,  à  moins  de  reconnaître  purement  et  simplement  la  faute 
de  son  souverain.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  princes  réunis  en  assem- 
blée renouvelèrent  et  jurèrent  le  traité  de  Mailing  j^  [ë|,puis  s'en 
retournèrent  chacun  chez  soi  ;  mais  la  restitution  fut  ajournée. 

On  avait  espéré  en  vain  l'arrivée  des  représentants  de  Ou  £Ç, 
qui  s'étaient  fait  annoncer;  une  grande  inondation  leur  avait, paraît- 
il,  barré  le  chemin.  La  princesse  Pé-ki  f^  $£  de  Lou  ^  venait 
d'être  mariée  au  prince  de  Sori'j  ^  :  pour  faire  plaisir  aux  cours, 
King-kong,  suivant  l'usage  de  cette  époque,  envoya  quelques  prin- 
cesses de  sa  famille,  comme  dames  d'honneur  de  la  jeune  mariée. 
Le  prince  de  Tclieng  ||[$  venait  une  fois  de  plus,  de  changer 
de  maître,  en  se  donnant  derechef  au  roi  de  Tch'ou  ^jj|;  King- 
kong  envoya  Loan-chou  fpè  |fr  avec  une  armée,  lui  demander  rai- 
son de  cette  félonie  ;  le  général  fut  assez  heureux  pour  faire  pri- 
sonnier le  prince  lui-même.  Sur  ce,  le  seigneur  Pé-kiuen  f£j  |§§ 
se  présenta  pour  traiter  de  la  paix  ;  mais  il  fut  mis  à  mort  par 
les  gens  de  Tsin.  Ce  fait,  justement  réprouvé  par  l'historien,  se 
passait  en  automne. 

Vers  cette  époque,  King-kong  visitait  sou  arsenal;  il  aperçut 
un  homme  enchaîné, dont  le  chapeau  était  semblable  à  ceux  des  gens 
du  sud;  il  demanda  quel  était  ce  prisonnier;  on  lui  répondit  : 
c'est  ce  captif  que  vous  a  livré  le  prince  de  Tcheng  §5,  il  y  a  deux 
ans;  il  est  originaire  de  Tch'ou  ^,  se  nomme  Tchong-i  @  -f|. 
un  homme  distingué,  un  vrai  génie.  Che-sié  conseilla  de  le  ren- 
voyer dans  sa  patrie,  et  de  s'en  servir  comme  entremetteur  pour 
obtenir  de  son  roi  une  paix  durable.  King-kong  suivit  ce  conseil, 
et  rendit  la  liberté  à  Tchong-i. 

Sur  la  fin  de  l'année  (septembre),  une  armée  de  TsHn  §jf  et 
des  Tartares  blancs  PéTi  [ÉJ  $C  envahissait  le  territoire  de  Tsin  ; 
on  savait  que  les  vassaux  étaient  mécontents  de  King-kong,  com- 
me nous  l'avons  dit  plus  haut;  mais  on  ignorait  l'accord  survenu 
depuis;  on  pensait  donc  que  personne  ne  viendrait  au  secours  de 
ce  prince  ;  on  était  dans  l'erreur. 

Un  peu  plus  tard  septembre-octobre  ,  le  roi  de  Tch'ou  ^, 
touché  de  ce  qu'on  lui  avait  renvoyé  Tchong-i,  envoyait  un  am- 
bassadeur, remercier  de  ce  bienfait,  et  demander  un  plénipoten- 
tiaire pour  traiter  de  la  paix  entre  les  deux  royaumes. 

En  581,  au  début  de  l'année  fin  d'octobre],  King-kong  dépu- 
tait à  son  tour  le  grand  officier  Tiao-fei  ^  ^\  remercier  le  roi 
de  Tch'ou  d'avoir  envoyé  comme  ambassadeur  un  homme  si  dis- 
tingué, c'est-à-dire  le  grand  dignitaire  Tse-chang  ^f  [§j.  Quant 
aux  pourparlers  relatifs  à  la  paix,  ils  ne  se  tirent  pas  si  rapidement; 
ils  durèrent  environ  deux  ans. 

21 


186  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Vers  le  mois  de  Janvier,  King-kong  tenait  conseil,  pour  savoir 
ce  qu'il  fallait  faire  du  prince  de  Tcheng  f|J$,  toujours  prisonnier  : 
si  on  le  gardait  plus  longtemps,  n'était-il  pas  à  craindre  que  le 
peuple  ne  mît  un  autre  prince  à  sa  place  sur  le  trône  ?  Ne  valait-il 
pas  mieux  le  rendre  à  la  liberté,  s'en  faire  ainsi  un  ami  pour 
toujours? 

King-kong  inclinait  pour  le  parti  de  la  clémence;  mais  le  pays 
de  Tcheng  ffjS  était  alors  en  pleine  révolution  ;  il  fallait  donc  aviser 
d'abord  au  moyen  d'}7  rétablir  l'ordre  et  la  paix,  avant  de  lui  ren- 
dre son  souverain. 

Mais  King-kong  lui-même  était  depuis  quelque  temps  malade; 
il  sentait  la  mort  approcher  ;  incapable  de  terminer  cette  affaire, 
il  voulut  la  confier  à  son  fils,  le  prince-héritier  Tcheou-p'ou  ffl  ffâ, 
en  lui  cédant  le  trône  et  la  couronne.  On  convoqua  les  vassaux, 
à  la  5èmp  lune  (février-mars),  dans  la  capitale  de  Tsin  ;  mais  tous 
ne  se  rendirent  pas  à  cette  assemblée  ;  il  n'y  eut  que  les  princes 
de  Ts'i  ^,  de  Song  '-£ ,  de  Wei  fëj,  de  Ts'ao  ff  et  de  Lou  sg.; 
ils  furent  présidés  par  le  prince-héritier  lui-même,  avec  l'autorité 
de  souverain,  et  la  guerre  fut  décidée. 

A  cette  nouvelle,  on  commença  à  trembler,  au  pa}'s  de  Tcheng 
ft|$  ;  les  troubles  cessèrent, la  paix  fut  signée  à  Siou  Tehe  fê  "^  (1)  ; 
le  prince  Tse-se  ^  fp|  fils  de  Mou-kong  fèfè( 62 7-606)  fut  envoyé 
en  otage  à  la  cour  de  Tsin;  après  quoi,  Tch'eng-kong  /&  ^  fut 
rendu  à  la  liberté,  et  reconduit  à  sa  capitale.  En  signe  de  recon- 
naissance, il  offrit  à  King-kong  la  fameuse  cloche  du  temple  de 
Siang-kong  |g  fc  (604-587)  (2). 

Sur  la  maladie  de  King-kong,  l'historien  rapporte  les  détails 
suivants  :  En  songe,  il  vit  un  des  Esprits  appelés  H  f^  (c'est-à-dire 
les  mânes  qui  n'ont  point  de  descendants)  ;  celui-ci  paraissait  un 
géant  ;  ses  cheveux  épars  traînaient  jusqu'à  terre  ;  il  frappait  sur  la 
poitrine  du  prince,  en  lui  criant  :  vous  avez  injustement  massacré 
ma  postérité;  je  me  suis  adressé  au  grand  maître  du  ciel,  pour 
obtenir  vengeance!  Après  quoi, ce  démon  se  mit  à  détruire  la  grande 
porte  du  palais,  se  dirigea  vers  la  chambre  à  coucher,  où  il  péné- 
tra; le  prince  s'enfuit  dans  une  autre  partie  reculée  du  palais,  le 
démon  l'y  suivit  et  détruisit  encore  la  porte  intérieure  ;  c'est  alors 

(1)  Siou-tche,  d'après  divers  auteurs,  était  au  nord  de  Yuen-ou  hien  ^  jï^;  $% 
qui  est  à  180  li  à  l'est  de  sa  préfecture  Ho-nctn  fou  ;nj]?j  rf'f,  Ho-nan.  (Petite  géogr., 
VOl.    12,  p.    2ç). 

(2)  l*n  souverain  qui  cède  le  trône  à  son  fils,  est  une  chose  si  rare  en  Chine, 
que  divers  auteurs  nient  le  l'ait  que  nous  racontons  ici  ;  entre  autres,  les  commen- 
taires de  l'édition  impériale  du  Tsouo-tchoctn  ^c  IW-  ~^  Mais  il  n'v  a  vraiment  rien 
In  d'impossible;  c'était  même  une  saarc  précaut'Oî),  pour  éviter  des  désordres  après 
la  mort  de  King-kong,  qui,  on  va  le  voir  clairement  lors  de  son  enterrement,  avait 
perdu  l'affection  de  ses  subordonnés. 


DU    ROYAUME   DE   TSIX.    KIXG-KOXG.  187 

seulement  que  le  prince  se  réveilla  de  ce  cauchemar  (1). 

King-kong  fit  appeler  un  fameux  devin,  originaire  de  Sang- 
t'ien  ijfL  0j  (2]  ;  celui-ci  était  si  habile  qu'il  put  raconter  au  prince 
le  songe  en  question,  sans  en  avoir  entendu  parler;  King-kong  lui 
demanda  quelle  en  serait  l'issue? — Votre  Majesté, répondit  le  devin, ne 
mangera  pas  le  froment  nouveau, c'est-à-dire  celui  qu'on  allait  récolter. 

King-kong  tomba  bientôt  malade  ;  la  prophétie  commençait 
donc  à  s'accomplir;  il  fallait  à  tout  prix  la  faire  mentir;  il  fit  de- 
mander à  la  cour  de  T&'in  ^  un  médecin  capable  de  le  guérir; 
on  lui  envoya  un  homme  célèbre  nommé  Hoan   %£. 

Avant  l'arrivée  de  celui-ci,  King-kong  eut  un  autre  songe, 
aussi  embarrassant  que  le  premier  :  11  lui  sembla  que  son  mal  se 
changeait  en  deux  enfants,  qui  se  parlaient  entre  eux  ;  l'un  dit  : 
voici  venir  un  grand  médecin  qui  va  nous  tourmenter;  où  faut-il 
nous  réfugier? — Mets-toi  au-dessus  du  diaphragme;  je  me  placerai 
au-dessous  du  cœur;  alors  personne  ne  pourra  nous  déloger,  ré- 
pondit l'autre. 

Quand  le  médecin  fut  arrivé,  il  déclara  le  mal  incurable:  une 
maladie  dont  le  centre  est  entre  le  diaphragme  et  le  cœur,  résiste 
à  tous  les  efforts  de  l'art;  ni  le  feu.  ni  l'acuponcture,  ni  aucune 
drogue  ne  peut  y  pénétrer;  il  n'y  a  rien  à  faire.  —  C'est  vraiment 
un  habile  médecin!  dit  le  prince;  et  il  lui  fit  de  grands  cadeaux, 
lui  fit  rendre  beaucoup  d'honneurs  par  les  dignitaires,  enfin  le 
congédia. 

A  la  6èuic  lune,  au  jour  nommé  ping-ou  pjjj  Af-  (21  mars), 
King-kong  voulut  manger  du  froment  nouveau,  et  chargea  l'in- 
tendant des  champs  royaux  de  lui  en  apporter.  Pendant  qu'on  le 
préparait  à  la  cuisine,  on  appela  le  devin,  pour  le  faire  mourir, 
comme  faux-prophète;  mais,  au  moment  de  se  mettre  à  table, 
King-kong  sentit  son  ventre  se  gonfler  ;  il  se  rendit  aux  latrines  , 
il  y  perdit  sans  doute  connaissance,  car  il  tomba  dans  la  fosse  et 
s'y  noya. 

Le  matin  même,  avant  son  réveil,  un  petit  officier  avait  eu 
aussi  un  songe,  où  il  lui  semblait  porter  le  prince  au  ciel  ;  or 
c'est  justement  lui  qui  aperçut  et  retira  King-kong  de  la  fosse 
d'aissances  ;  pour  accomplir  intégralement  son  songe,  on  enterra 
vivant  cet  officiel;  dans  le  tombeau  de  King-kong  ;  il  ne  s'attendait 
pas,  sans  doute,  à  ce  genre  de  récompense! 

(1)  Quelle  importance  attachent  les  païens  aux  songes  les  plus  phantastiques; 
ce  qu'ils  imaginent  pour  les  faire  accomplir,  s'ils  sont  favorables;  ou  mentir,  s'ils 
sont  défavorables  ;  nous  le  voyons,  nous  qui  vivons  parmi  eux  !  Le  démon,  ce  singe 
de  Dieu,  veut  avoir  aussi  ses  prophètes:  il  sait  prendre  les  moyens  de  faire  aboutir 
les  songes  qu'il  a  mis  dans  l'imagination  de  ses  adeptes:  il  les  révèle  à  d'autres. 

(2)  Sang-tien  ou  Tch' eousang-i  ÏSJ  f&  §f  était  à  30  li  à  l'est  de  Ming-hiung 
hienffîMM,  qui  est  à  130  li  à  l'ouest  de  Chen-tcheou  fàW,  Ho-nan.  (Petite  géogr., 
vol.  12,  p.  66)  —  ('Grande,  vol.  48,  p,  jç). 


188  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Vers  le  mois  de  mai  de  cette  même  année  581,  le  duc  de  Lou 
^  s'était  rendu  à  la  cour  de  Tsin  ;  on  l'y  retint,  pour  le  forcer  à 
assister  à  l'enterrement  de  King-kong  ;  il  y  avait  encore  un  autre 
motif  à  cette  quasi-réclusion  :  le  bruit  courait  que  le  duc  s'était 
donné  au  roi  de  Tch'ou  <gj  ;  on  voulait  attendre  le  retour  de  l'am- 
bassadeur Tiao-fei  |||  ^,  pour  savoir  la  vérité. 

Vers  le  mois  de  septembre,  on  enterra  King-kong,  et  le  duc 
de  Lou  assista  seul  à  cette  cérémonie  solennelle  ;  aucun  des  autres 
vassaux  ne  daigna  s'y  rendre  ;  ce  fut  une  grande  honte  pour  le 
duc  ;  aussi  Confucius,  rédigeant  son  bulletin  historique  longtemps 
après  les  événements,  eut-il  soin  de  taire  cet  épisode  peu  glorieux 
pour  son  maître;  c'est  le  commentaire  lui-même  qui  fait  cette  re- 
marque. Seulement  à  la  l^11'  lune  de  l'année  suivante,  «le  saint» 
écrit  :  «notre  duc  revient  du  pays  de  Tsin.»  —  Donc  il  s'y  était 
rendu?  —  Evidemment!  —  Et  pourquoi?  et  comment  y  resta-t-il 
si  longtemps?  —  silence! 

Avant  de  passer  au  règne  suivant,  notons  que  le  grand  sei- 
gneur Tch'eng  Ing  f"  |§  attaqua  la  famille  de  Toit  Ngan-kia  J|| 
j^.  jl(,et  l'anéantit  tout  entière;  ensuite  il  ramena  Tchao  Ou  f§5^ 
[nommé  aussi  Tchao  Wen-tse  jt®  ?S£  ~?.1j  puis  il  se  suicida;  son 
tombeau  est  à  21  li  au  sud  de  T'ai-p'iny  hien  -jj^  2p  J|£,  dans  la 
préfecture  de  Pling-yang  fou  ^  [^  Jfô,  Chan-si.  —  (Annales  du 
Chan-si,  vol.  56,  p.  21). 

Se-ma  Ts'ien  ïî\  M}  $&,  chap.  43,  p.  3,  a  des  détails  sur  ce 
seigneur  Tou  Ngan-kia,  l'ancien  favori  de  Ling-hong  fj|  fè  (620- 
607),  et  sur  son  ennemi  Tch'eng  Ing. 


189 

LI-KONG   (580-573) 


& 


->*:-K- 


Le  nom  posthume,  ou  historique,  du  nouveau  prince  n'est 
pas  flatteur;  il  signifie  tyran,  qui  met  à  mort  des  innocents; 
qu'a-t-il  donc  fait  pour  mériter  un  blâme  pareil?  nous  allons  en 
juger  par  nous-mêmes  (1). 

Le  duc  de  Lou  ^  s'étant  déclaré  prêt  à  jurer  foi  et  fidélité 
au  roi  de  Tsin,  avait  été  relâché,  comme  nous  l'avons  vu  plus 
haut.  Bientôt  le  grand  seigneur  K'i-tch'eou  ffi  |/Ë,  cousin  du 
premier-ministre  K'i  Kro  £|$  jfc,  se  rendait  à  la  cour  de  Lou,  pour 
y  signer  et  jurer  solennellement  un  pacte  d'alliance  et  d'amitié  avec 
le  duc  (2);  la  cérémonie  eut  lieu  à  la  3èrne  lune,  au  jour  ki-tcheou 
EL  3t  (27  févier).  L'étiquette  voulait  qu'on  envoyât  ensuite  un 
ambassadeur  à  la  cour  de  Tsin  remercier  de  cette  faveur  ;  c'est  le 
premier-ministre  Ki-wen-tse  ?p  ^t  -J*  qui  fut  chargé  de  cette 
mission. 

Chez  l'empereur,  il  y  avait  des  troubles,  suscités  par  les  gran- 
des familles  jalouses  les  unes  des  autres  ;  en  été,  le  prince  Tchou 
^  vint  se  réfugier  à  la  cour  de  Tsin,  demandant  secours  contre 
ses  adversaires  ;  la  querelle  fut  apaisée,  le  prince  retourna  chez  soi, 
mais  la  concorde  n'était  que  factice  et  ne  dura  pas  longtemps. 

Par  ailleurs,  le  grand  seigneur  K'i  tche  $|$  3*  de  Tsin  était 
en  litige  avec  l'empereur  lui-même,  à  propos  des  territoires  de 
Heou-tien  $|  EB  (3)  ;  les  deux  princes  et  ministres  Liou-k'ang- 
kong  fflj  ^  ^  et  Chen-siang-kong  |fL  |i|  ^  vinrent  auprès  de  Li- 
kong,  pour  terminer  ce  différend. 

K'i-tche  affirmait:  le  pays  de  Wen  $g.  (4)  est  l'ancien  patri- 
moine de  notre  fammille  ;  je  ne  puis  y  renoncer.  Les  deux  minis- 
tres répliquaient  :  s'il  s'agit  d'ancienneté,  notre  dynastie  Tcheou 
jj§]  a  occupé  ce  territoire,    après    avoir   vaincu    la  dynastie   Chang 

(1)  Texte  de  l'interprétation  :  $5  W>  SU  $  H  fëè 

(2)  (Pour  les  détails  de  cette  cérémonie,  voyez  Couvreur.  Li-ki  ijjf  ffj,  vol.  g, 
p.  çz). 

(3)  Heou-t'ien,  il  en  reste  un  Kiosque  commemoratif,  au  sud-ouest  de  Ou-tche 
hien  ^  $<Jj  $£,  qui  est  à  1 Q0  li  à  l'est  de  sa  préfecture  Hoai-k'ing  fou  fcîj  }§£  ''•[, 
Ilo-nan.  (Petite  géogr.,  vol.  12  p.  28)  —  (Grande^  vol.  4c.  p.   13). 

(4)  Wen  était  à  50  li  sud-est  de  Hoai-k'ing  fou  ;  il  s'agissait  donc  de  tout  le 
territoire  situé  à  l'est  de  cette  préfecture.  (Petite  géogr.,  vol.  12,  p.  2ç). 


190  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

"^j,  en  1122;  car,  après  avoir  distribué  les  fiefs  aux  princes  féo- 
daux, l'empereur  s'est  réservé  celui  de  Wen,  et  chargea  le  sei- 
gneur Sou-fen-chen  ||  fè  ^£  de  l'administrer,  en  qualité  de  mi- 
nistre de  la  justice.  Quant  à  celui-ci,  son  fief  était  dans  la  région 
appellée  Ho-nei  pj  j^J,  ainsi  que  celui  du  seigneur  Tan-pé-ta  ft£ 
yfi  5^.  Plus  tard,  un  descendant  de  Sou  s'enfuit  chez  les  Tartares 

Ti  $X'  Puis  au  Pavs  de  Wei  ^  '  c  est  alors  ^ue  lemPereur  Siang- 
kong  j§|  5^  (651-619),  pour  faire  plaisir  à  votre  illustre  souverain 
Wen-kong  j$C  fë  (635-628),  lui  fit  cadeau  de  ce  territoire.  Les 
grandes  familles  Hou  |&  et  Yang  |^  l'ont  occupé  et  en  ont  joui 
bien  avant  la  famille  K'i.  Si  l'on  interroge  l'histoire,  on  voit  que 
ce  paj-s  a  toujours  été  administré  par  un  officier  de  l'empereur, 
pour  le  compte  de  l'empereur;  comment  donc  la  famille  K'i  peut- 
elle  le  revendiquer? 

Li-kong  ordonna,  en  conséquence,  à  la  famille  K'i  de  renoncer 
à  ce  litige,  et  de  laisser  l'empereur  disposer  de  ce  territoire,  selon 
son  bon  plaisir  ;  le  nouveau  souverain  tenait  à  gagner  les  bonnes 
grâces  de  l'empereur,  et  se  concilier  les  vassaux.  Le  commentai- 
re observe  que  cette  famille  K'i  était  vraiment  trop  avare  et  trop 
prétentieuse;  c'est  ce  qui  va  bientôt  causer  sa  perte,  comme  nous 
le  verrons  en  574. 

Vers  les  mois  de  septembre  de  cette  même  année  580,  les  rois 
de  Tsin  et  de  Ts'in  §j§,  après  de  longues  années  d'inimitié,  vou- 
lurent enfin  faire  la  paix;  dans  ce  but,  ils  convinrent  d'avoir  une 
entrevue  à  Ling-hou  fy  %}%  i  Xi-kong  étant  arrivé  le  premier 
au  rendez-vous,  le  roi  de  1  -  |§  redouta  un   guet-à-pens  de   sa 

part,  et  refusa  de  passer  le  fleuve  Jaune;  il  s'arrêta  donc  à  Wang- 
tch'eng  ]j£  jfà  (2),  et  députa  le  seigneur  Che-hou  {£  igp{,  pour  trai- 
ter avec  Li-kong,  à  l'est  du  fleuve;  celui-ci,  de  son  côté,  envoya 
le  seigneur  K'i-tck'eou  $|$  IjË,  s'entendre  avec  le  roi  de  Ts'in  ^ 
à  l'ouest  du  même  fleuve  (3). 

Ce  fut  donc  une  entrevue  à  distance.  Le  grand  seigneur  Che- 
sié  Jt:  ^  [aussi  nommé  Fan-wen-tse  frl  ~$£  ^f]  s'écria:  quelle  uti- 
lité peut  avoir  un  tel  traité?  si  les  cœurs  sont  unis, on  peut  signer 
une  convention  ;  elle  suppose  la  confiance  mutuelle  ;  se  recontrer 
à  un  endroit  déterminé  est  le  premier  indice  de  cette  confiance  ; 
quand  il  n'y  a  pas  de  base,  comment  élever  un  édifice? 

(1)  Ling-hou  était  à  15  li  à  l'ouest  de  I-che  hien  $§■  J£  §£,  qui  est  à  120  li 
nord-est  de  sa  préfecture  P'ou-tcheou  fou  M  'H'\  M,  Chan-si.  (Petite  géogr.,vol.  S. 
p.  si)  —  (Grande,  vol.  41,  p.  21). 

(2)  Wang-tch'eng  était  un  peu  à  l'est  de  Tchao-i  hien  fjJJ  g,  §£,  qui  est  à  30 
li  à  L'est  de  sa  préfecture  T'ong-tcheou  fou  HO  M  tff,  Chen-si. 

(3)  Ho-tong  V'J  J.|(,  (est  du  Meuve),  c'était  le  territoire  actuel  de  P'ou-tcheou 
fou.  —  Ho-ai  'irïT  ®,  (ouest  du  lleuvc),  la  ville  de  ce  nom  était  à  40  li  à  L'est  de 
Hé-yang  hien  (i']U!JJ  Hf ,  4ui  c'st  a  '-°  ''  nord-est  de  T'ong-tcheou  fou.  (Petite  géogr., 
vol.  8,  p.  2ç  —  vol.  14,  p.  iç). 


DU  ROYAUME  DE    TSIN.   LI-RONG.  191 

Il  arriva  ce  qui  était  facile  à  prévoir  dans  de  telles  circons- 
tances ;  à  peine  le  roi  de  Ts'in  J|§  était-il  rentré  chez  lui,  qu'il 
rompit  la  foi  jurée,  comme  nous  allons  le  voir  bientôt. 

En  579,  le  seigneeur  Hoa-yuen  lj|  7c  de  Song  ^  réussit  à 
mettre  d'accord  les  deux  cours  de  Tsin  et  de  Tch'ou  ^§,  après  de 
laborieux  efforts.  A  la  5ème  lune  (février-mars),  le  grand  seigneur 
Che-sié  Jt  *M,  délégué  de  Li-kong,  eut  une  entrevue,  à  la  porte 
occidentale  de  la  capitale  de  Song,  avec  les  délégués  de  Tch'ou, 
les  seigneurs  Kong-tse-pi  fè  ^  jjp|  et  Hiu-yen  f^  \[%  ;  au  jour  Koei- 
hai  ?£  ^  (26  mars)  on  jura  solennellement  le  traité  suivant  ^«Dé- 
sormais, les  états  de  Tsin  et  de  Tch'ou  ne  se  livreront  plus  la 
guerre;  les  cœurs  seront  unis  dans  une  inaltérable  amitié;  en- 
semble ils  exerceront  la  miséricorde  envers  ceux  qui  seront  dans 
le  malheur,  et  ils  porteront  secours  à  ceux  qui  seront  en  danger  ; 
si  quelqu'un  trouble  le  roi  de  Tch'ou,  celui  de  Tsin  se  hâtera  de 
châtier  et  d'abattre  l'audacieux  ;  si  quelqu'un  vexe  le  roi  de  Tsin, 
celui  de  Tch'ou  viendra  de  même  à  son  secours  ;  on  se  fera  mutuel- 
lement des  cadeaux  d'amitié  ;  les  chemins  seront  largement  ouverts 
pour  les  relations  réciproques  des  deux  pays  ;  on  prendra  des  me- 
sures contre  les  perturbateurs  ;  on  punira  ceux  des  vassaux  qui 
refuseront  de  faire  visite  à  leur  suzerain.  Quiconque  ne  gardera 
pas  fidèlement  la  foi  jurée  par  ce  traité,  que  les  sublimes  Esprits 
l'exterminent,  anéantissent  ses  armées,  ne  laissent  pas  sa  posté- 
rité sur  le  trône  !  » 

Après  cette  convention,  le  prince  de  Tcheng  ff[$  se  rendit  à  la 
cour  de  Tsin,  se  déclarant  prêt  à  obéir  à  Li-kong  ;  le  duc  de  Lou  ^ 
et  le  marquis  de  Wei  fêj  vinrent  lui  faire  la  même  déclaration  à 
Souo-tche  Jj|  ffi:  (1)  ;  c'était  se  conformer  à  la  lettre  et  à  l'esprit 
du  traité  de  paix. 

Pendant  que  la  cour  de  Tsin  était  occupée  à  ces  négociations, 
les  Tartares  Ti  %fc  en  profitaient  pour  tenter  quelque  bonne  raz- 
zia ;  mais,  au  mois  de  Juin,  ils  subirent  une  grande  défaite  à 
Kiao-kang  <£  pijlj   (2). 

Le  traité  de  paix  ayant  été  accepté  de  part  et  d'autre,  comme 
nous  venons  de  le  dire,  Li-kong  envoya  le  grand  seigneur  K'i-tche 
ffî>  ÎÊ  remercier  le  roi  de  Tch'ou  ^.  Nous  avons  raconté  dans 
l'histoire  de  ce  royaume,  comment  l'embassadeur  fut  terrifié  du 
vacarme    musical   qu'on   lui    servit   à   son   entrée   dans  la  salle  de 


(1)  Souo-tche:  il  n'en  reste  qu'un  souvenir,  un  Kiosque  appelé  Souo-heou-tiny 
ïf{  |''4  ^,  à  l'ouest  de  l'ancienne  sous-prélecture  Yuen-ling  ~$i  (î§,  qui  est  à  38  li 
nord-est  de  la  sous-préfecture  actuelle  Sin-tcheng  hien  %\  f.:r  !?£  dans  la  préfecture  K'ai- 
fong  fou  [ifj  ^t  Ifif,  Ho-nan.  (Petite  géogr.,  vol.  12.  p.  0   — (Grande,  ool.  jt-P-JS  ■ 

(2)  Kiao-kang.  Le  recueil  Hoang-tsing  King-Mai  J|  fn  $1  8?  place  cette  ville 
à  l'est  de  Yen-ngan  fou  ^^iiJtf,  à  l'est  du  neuve  Jaune.  Chan-si;  les  ouvrages 
géographiques  n'en  parlent  pas. 


192  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

réception; comment  cette  frayeur  fut  l'objet  d'un  fameux  entretien, 
que  nous  avons  rapporté  au  long. 

Les  gens  perspicaces  prévoyaient  que  la  paix  ne  serait  pas 
durable,  et  ils  ne  se  trompaient  pas;  quatre  ans  seront  à  peine 
écoulés  qu'on  reprendra  les  armes  ;  en  attendant,  les  deux  cours 
rivales  signaient  définitivement  ce  traité,  si  laborieusement  prépa- 
ré, entouré  de  tant  de  précautions;  la  séance  finale  eut  lieu  à 
Tche-hi  ^  $$  (1),  à  la  12ème  lune  (septembre). 

En  578,  au  début  de  l'année  (octobre-novembre),  Li-kong  dé- 
putait le  seigneur  K'i-i  ffi  fâ'i  ^s  du  premier  ministre  K'i  K'o 
'$>  t£,  demander  au  duc  de  Lou  des  troupes  auxiliaires,  pour 
une  guerre  contre  le  pays  de  Ts'in  |j|  ;  car  le  roi  Hoan-kong 
M  -S"  venaif  d'exciter  les  Tartares  blancs  pé  Ti  £]  ^  et  même 
les  gens  de  Tch'ou  *£,  à  une  invasion  simultanée  sur  le  territoire 
de  Tsin.  Cette  agression  était  si  déloyale,  que  tous  les  vassaux 
accordèrent  volontiers  leur  contingent  de  troupes  pour  la  punir(2). 

Mais  il  parait  que  l'ambassadeur  oublia  qu'il  parlait  devant 
la  fine  Heur  des  princes  et  des  lettrés  chinois;  il  ne  se  montra  pas 
assez  humble;  aussi  le  sage  Mong-hien-tse  jg  J||  ^-  lui  fit-il  sa 
prophétie:  ce  seigneur  K'i,  dit-il,  périra  sous  peu;  car  les  rites 
sont  la  base  de  la  vie  humaine,  et  le  respect  est  la  base  des  rites  ; 
or  l'ambassadeur  se  montre  orgueilleux,  parcequ'il  est  membre  de 
la  famille  régnante  ^un  des  ts'ou-jen  ~fjfc  A],  et  qu'il  possède  ses 
dignités  à  titre  d'héritage;  il  est  venu  demander  des  troupes  auxi- 
liaires ;  l'armée  est  l'appui  et  le  rempart  d'un  état  ;  il  s'agit  donc 
d'une  chose  extrêmement  importante;  comment  ce  seigneur  peut-il 
accomplir  sa  mission  avec  négligence"?  certainement  il  périra  bien- 
tôt !  —  Pauvre  ambassadeur,  le  voilà  bien  averti  ;  il  en  a  pour 
quatre  ans  ! 

A  la  4'llr  lune,  au  jour  meou-ou  /j£  £ç*  (18  mars),  Li-kong 
députait  au  pays  de  Ts'in  $$,  Liu-siang  g  ,^jg,  fils  du  grand 
seigneur  Wei-i  ^  §£,  annoncer  au  roi  qu'il  rompait  absolument 
avec  lui;  voici  le  "mémorandum»  qu'il  lui  faisait  présenter;  le 
lecteur  pourra  remarquer  la  tournure  que  les  Chinois  savent  donner 
aux  événements  les  plus  manifestes,  pour  mettre  le  tort  du  côté 
de  leurs  adversaires;  aujourd'hui  c'est  encore  le  même  genre  et  le 
même  style;  ce  sont  les  ministres  qui  écrivent  aux  ministres  : 


(1)  Tche-ki,  on  en  ignore  l'emplacement. 

(2)  l.a  famille  K'i  §15.  une  des  plus  puissantes  du  royaume,  était  une  des 
branches  de  la  maison  régnante;  elle  était  devenue  quasi  intraitable,  paç  son  orgueil. 
Ses  membres  les  plus  fameux  furent  K'i  K'iué  Çg  $t  ou  K'i  Tch'eng-tse  §(5  Jfô  J-. 
son  fils  l\>  K'o  ''}\\  >Ji  ou  K'i-hier^-tse  fr|S  fëfc  •?-,  le  premier  ministre  actuel,  puis  in  i 
§B  Uj  son  lils.  qui  va  aussi  se  distinguer  dans  les  plus  hautes  dignités.  (Armalea  du 
Chctn-si  Uj  H  jig  ■{•.  vol.  S,  p.   23  et  suiv.). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    LI-KONG.  193 

«Autrefois,  jusqu'au  temps  de  notre  souverain  Hien-kong  |f/( 
fè  (676-652),  et  de  votre  illustre  ancêtre Mou-kong  Ifèfe  (659-621), 
nos  deux  royaumes  a*vaient  toujours  été  amis;  unis  de  corps  et  de 
cœur,  nous  gardions  fidèlement  nos  traités  de  paix  ;  nous  les  con- 
solidions encore  par  des  mariages  réciproques.  Mais  le  ciel  punit 
notre  pays;  notre  prince  Wen-hong  ^T  £V  s'enfuit  à  la  cour  de 
Ts'i  5*|,  le  prince  Hoei  ih   s'enfuit  chez  vous.» 

«A  la  mort  de  notre  souverain  Hien-kong-,  votre  roi  Mou-kong 
n'oublia  pas  les  anciens  bienfaits;  il  agit  si  bien  que  le  prince  Hoei, 
s'appuyant  sur  lui,  put  monter  sur  le  trône,  et  continuer  les 
sacrifices  à  ses  ancêtres;  malheureusement,  il  ne  sut  pas  gouver- 
ner en  paix,  et  entreprit  la  campagne  de  Han  $•£  (645  où  il  fut 
fait  prisonnier;  votre  roi  en  eut  grande  peine,  et  usa  de  tout  son 
pouvoir  pour  nous  donner  notre  souverain  Wen-kong.»  636) 

«■Celui-ci,  portant  le  casque  et  la  cuirasse,  parcourant  le  pays 
à  travers  les  fleuves  et  les  montagnes,  ne  reculant  devant  aucun 
danger,  soumit  à  son  autorité  tous  les  vassaux  qui  sont  à  l'orient, 
descendants  des  dynasties  Yu  ],#,  [lia  g,  Chang  ($j  et  Tcheou  fë\  ; 
il  les  conduisit  tous  rendre  hommage  à  votre  roi,  et  montra  ainsi 
sa  gratitude  envers  vous.» 

"Le  prince  de  Tcheng  ff[$  eut  avec  vous  des  querelles  de  fron- 
tières, notre  souverain  Wen-kong,  prenant  ses  troupes  et  celles 
des  vassaux,  les  unit  à  votre  armée,  avec  elle  assiégea  la  capitale 
de  Tcheng.  Vos  ministres,  sans  nous  en  avoir  prévenus,  firent  en 
secret  la  paix  avec  le  prince  de  Tcheng,  et  abandonnèrent  leurs 
compagnons  d'armes;  les  vassaux  furieux  voulaient  venger  cette 
injure;  notre  souverain,  craignant  le  reproche  d'ingratitude,  apaisa 
leur  juste  ressentiment,  et  votre  armée  put  retourner  saine  et  sauve 
dans  ses  foyers.» 

«Malgré  ce  signalé  bienfait,  à  la  mort  de  \A'en-kong  (628), 
votre  roi  Mou-kong  ne  daigna  même  pas  prendre  part  à  notre 
deuil  national:  il  montra  aussi  peu  d'estime  envers  le  successeur 
Siang-kong  |jf-  ^,  nous  fit  la  guerre  à  Hiao  ^  (627),  et  rompit 
l'ancienne  amitié  qui  unissait  nos  deux  pays  ;  il  attaqua  notre 
ville  de  Pao-tch'emj  f£  JiJ>  (1),  détruisit  et  s'annexa  la  principauté 
de  Fei-houa  f§  'ffî  (2)  notre  alliée  626  ;  non  content  de  cela,  il 
aurait  voulu  anéantir  notre  maison  régnante.» 

«Notre  souverain  Siang-kong  n'avait  point  oublié  vos  bien- 
faits, quand  il  conduisit  son  armée  à  Hiao;  il  y  était  contraint, 
pour   empêcher   la    ruine    de    notre    pays.    Malgré    notre    éclatante 

(1)  Pao-tch'eng  inconnue  des  commentateurs. 

(2)  Pei-houa.  furieux  nom  de  l't'i,  capitale  du  minuscule  état  de  Houa.  <  >n 
l'appela  aussi  Heou-che-tch' eng  %\\  J£  fcR;  elle  était  à  20  li  au  sud  de  Ycn-chc  hien 
flî  frfî  If,  qui  est  à  Tu  li  sud-est  de  sa  préfecture  Ho-ncm  fou  jSf  fj-j  iff.  llo-nan. 
(Petite  géogr.,  vol.   12,  p.  34).  —     Grande,  vol.  48,  p.  26). 

23 


194  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

victoire,  nous  consentions  encore  à  demander  pardon  à  votre  roi 
Mou-kong;  mais  lui,  dans  sa  haine,  ne  voulut  rien  entendre;  il 
s'adressa  au  roi  de  Tcli'ou  §g.  notre  ennemi,  pour  comploter 
notre  perte;  heureusement  le  ciel  vint  à  notre  secours;  Tch'eng- 
kong  b}l  5^  fut  inopinément  assassiné  (626),  ses  projets  ne  pu- 
rent être  exécutés.» 

Notre  souverain  Siang-kong  ne  lui  survécut  pas  longtemps. 
Chez  vous  K'ang-kong  Jj|  fè.  chez  nous  Ling-kong  Jg  Q  montè- 
rent sur  le  trône:  étant  oncle  et  neveu,  on  pouvait  espérer  qu'ils 
vivraient  en  paix  :  il  n'en  fut  rien  ;  votre  roi  voulut  anéantir  la 
famille  de  sa  mère,  livrer  nos  frontières  aux  incursions  des  bri- 
gands de  la  pire  espèce  ;  aussi  en  sommes-nous  venus  aux  mains 
à  Ling-hou  Sfr  ^  620);  votre  roi  n'en  devint  pas  plus  sage;  il 
envahit  notre  territoire  de  HoK'iu  jpj  $j.  puis  celui  de  Sou-tchonn 
l'î£  J||,  puis  celui  de  Wang-koan  ]f  ^.  puis  celui  de  Ki-ma  f^  J^ 
(1)  ;  voilà  pourquoi  nous  fûmes  encore  obligés  de  nous  battre  à 
Ho  K'iu  (615);  le  chemin  vers  l'orient  vous  fut  fermé,  grâce  aux 
intrigues  de  votre  roi:    et  il  en  fut  ainsi  jusqu'à  maintenant.') 

"Notre  souverain  défunt,  King-kong  j^  ^,  tournait  en  vain 
les  yeux  vers  votre  pays,  en  s'écriant  :  enfin,  sans  doute,  le  roi  de 
Ts'in  Jjl  voudra  renouer  l'amitié  d'autrefois  avec  nous!  Il  n'en 
fut  rien;  on  envahit  notre  territoire  de  Ho  K'iu  >pj  jj{j ,  on  brûla 
les  villes  de  Ki  ^  et  de  Kao  §fl  (2),  on  dévasta  les  récoltes,  on 
massacra  les  habitants  de  la  frontière  :  voilà  pourquoi  nous  nous 
étions  massés  à  Fou-che  f|[  J^     3]   (594).» 


(1)  Ho-k'iu,  aussi  nomméeP'on-jj«)i  ifft^S,  était  à  5  li  sud-est  de  P'ou-tcheou 
fou  fâ  M  M,  Chan-si. 

Sou-tchoan  ou  Sou-chouei-tck' eng  $[  7jcJK-  était  à  26  li  nord-est  de  la  même 
préfecture. 

Wang-koan  était  uu  peu  au  sud  de  Yu-hiung  hien  £$|  $fi  !|f ,  qui  est  à  60  li 
au  sud  de  la  même  préfecture. 

Ki-ma  était  à  35  li  sud-est  de  la  même  préfecture,  i Petite  rjèorjr.,  vol.  8,  p. 
Soi    —     Grande,  vol.  41.  pp.   18  et  22  . 

l'an  ou  l'an  ici-dessusl  s'écrit  de  trois  façons  ifc  ou  $£  ou  '5:  il  signifie  versan* 
de  colline.   (Couvreur,  dictionnaire,  p.  62). 

(2)  Ki  était  à  35  li  à  l'est  de  T'ai-kou  hien  jk  £?  g£,  qui  est  à  120  li  sud-est 
de  sa  préfecture  T'ai-yuen  fou  jfc  !M  ffi- 

Kao  était  à  7  li  sud-est  de  K'i  hien  |(J  |f,  qui  est  à  150  li  au  sud  de  la 
même  prélecture,  Chan-si.  Petite  géogr.,  vol.  S.  p.  4  —  Grande,  vol.  40.  pp. 
14  et  15). 

(3)  l'ou-chc  était  à   13  li  nord-ouest   de    Tch'ao-i   hien    '."  g,  !?£,  qui  est 

li  à  l'est  de  sa  préfecture  T'ong-tehcou  /'on    fp)  #|   '('.'.    t'hen-si.    1  Petite  géogr..  vol. 
14,  p,   18)   —   (Grande,  vol.  J4,  p.   21)   —    (  Voyez  la  note  a  son  sujet,  année  S94J- 


DU    ROYAUME   DE    l'SIN .    LI-KONG.  195 

"Votre  roi  fiait  cependant  par  regretter  tant  de  calamités,  il 
désira  renouer  l'amitié  qui  existait  entre  nos  deux  pays,  au  temps 
de  Hién-kong  et  dà* Mou-kong  ;  il  députa  pour  cela  son  fils,  le 
prince  Pé-kiu  f£|  î|i,  avec  le  message  suivant:  je  veux  faire  avec 
vous  un  traité  de  paix,  enlever  tout  sujet  de  plainte,  rétablir  les 
relations  amicales  d'autrefois,  et  marcher  sur  les  traces  de  nos 
ancêtres,  qui  se  rendaient  de  mutuels  services.» 

«'Hélas!  avant  la  conclusion  de  ce  traité,  notre  souverain 
n'était  plus  !  Son  successeur,  notre  humble  prince  tint  une 
assemblée  à  Ling-hou  (580),  pour  examiner  les  conditions  propo- 
sées ;  peine  inutile,  votre  roi  avait  déjà  changé  d'idée  !  » 

"Les  Tartares  blancs  [pé  Ti  £j  %fc],  et  vous  autres,  gens  de 
Tx'in  §||,  vous  habitez  le  pays  de  Yong-tcheou  H?  j\\  (1);  les  Tar- 
tares Ti  £f(,  dont  vous  avez  juré  la  perte,  sont  nos  alliés,  nos 
amis  ;  votre  roi  lloan-hong  |g  fè  nous  intima  l'ordre  suivant  : 
allons  ensemble  faire  la  guerre  aux  Tartares  Ti  ffc.  Notre  humble 
prince,  par  déférence  pour  lui,  se  préparait  à  obéir,  malgré  sa 
répugnance;  mais  lui,  en  véritable  traître,  envoya  aux  Tartares  le 
message  suivant  :  le  roi  de  Tsin  va  venir  vous  faire  la  guerre. 
Ceux-ci  vous  répondirent  amicalement;  au  fond,  ils  vous  détestent, 
vous  et  vos  paroles  doucereuses  ;  c'est  pourquoi  ils  vinrent  nous 
raconter  vos  agissements.» 

«Bien  plus!  le  roi  de  Tch'ou  ^,  indigné  de  votre  déloyauté, 
nous  adressa  cet  avis  :  le  roi  de  Ts'in  ,^ë,  parjure  du  traité  de 
Ling-hou,  est  venu  nous  offrir  un  traité  d'alliance  et  d'amitié  ;  il 
jure  par  l'auguste  ciel,  par  ses  trois  ancêtres  Mou  ^J|,  K'ang  Jj£ 
et  Kong  Jh,  par  les  trois  nôtres  Tch'eng  /$,  Mou  $|  et  Tchoang 
f\£;  il  dit:  nous  autres,  gens  de  Ts'in  jjf,  malgré  nos  relations 
intimes  (de  parenté)  avec  la  cour  de  Tsin,  nous  regardons  où  est 
notre  avantage,  pour  faire  des  traités.  Notre  humble  souverain, 
détestant  une  si  noire  félonie,  vous  donne  connaissance  de  cette 
proposition,  afin  que  vous  la  punissiez.» 

«Les  vassaux  réunis  en  assemblée,  à  savoir  les  princes  de 
Lou  S§|,  de  Ts'i  $,  de  Song  sfc,  de  Wei  %,  de  Tcheng  %,  de 
T.s'ao  ï|ï,  de  Tchou  '-.ji  et  de  Teng  $jf,  furent  malades  d'indigna- 
tion, à  la  lecture  de  ce  message;  et  ils  pressèrent  la  vengeance  de 
cette  duplicité.» 

«Voici  donc  les  paroles  de  notre  humble  souverain:  je  vais 
conduire  tous  ces  vassaux,  demander  vos  ordres;  nous  désirons  la 
paix;  si  votre  roi,  par  égard  pour  ces  princes,  daigne  nous  l'accor- 
der, la  querelle  sera  finie;  je  calmerai  le  ressentiment  des  vassaux, 
et  nous  rentrerons  chez  nous;  comment  oserais-je  vous  créer  des 
ennuis?  si  vous  nous  refusez  ce  bienfait,  je  ne  suis  pas  capable 
d'arrêter  le  courroux  si  légitime  de  tous  ces  princes. 


(1)   Yong-tcheou,  c'est  T'ong-tcheou  fou  ]p]  ')\\  ÏÏ\  ,  Chen-si, 


196  TEMPS    VP.ATMEN1    HISTORIQUES 

«Voilà  l'exposé  succinct  que  j'envoie  à  vos  seigneuries,  afin 
que  vous  examiniez  ensemble  ce  qu'il  convient  de  décider.» 

Pour  les  Chinois,  ce  factum  est  un  chef-d'œuvre  de  littérature 
et  de  politique;  tous  nos  lecteurs  ne  seront  pas  aptes  à  juger  la 
lère  partie  de  cette  appréciation;  quant  à  la  seconde,  elle  est  évi- 
dente: l'histoire,  en  effet,  y  est  contournée  et  falsifiée  à  plaisir, 
sous  ces  phrases  obséquieuses.  On  dit  vouloir  la  paix,  on  la 
désire  peut-être  ;  mais  c'est  une  véritable  déclaration  de  guerre,  et 
l'armée  entre  en  campagne,  avec  la  haute  approbation  de  l'empe- 
reur Kien-wang  fjjj  ]£. 

Le  grand  seigneur  Loan-chou  fff  flf  est  le  généralissime,  et 
commande  le  cprps  du  centre;  son  aide  est  le  seigneur  Siun-keng 
^j  fé  :  le  conducteur  du  char  est  le  seigneur  K'i-y  £[>  f£  ;  le  lan- 
cier, le  seigneur  Loan-tcheng  fp§  |@(. 

Che-sié  -^  'H;  commande  l'aile  droite,  avec  K'i-i  £[>  J^  pour 
adjudant;  Han-k'iuê  ^  J^  commande  l'aile  gauche,  avec  Siun- 
yong  ^f  -fe-  pour  adjudant.  Quant  aux  nouveaux  corps  d'armée, 
c'est  Tchao-tchen  ^  Jpf  qui  en  est  le  général,  et  K'i-tc\te  ffi  t£ 
son  aide. 

Les  vassaux  ont  envoyé  leurs  contingents  respectifs  de  troupes 
auxiliaires;  tout  est  si  bien  ordonné,  que  le  sage  Mong  Hien-tse 
jS  îtK  "F  de  Lou  ffî  en  est  dans  l'admiration  :  tous  nos  généraux, 
dit-il,  n'ont  qu'un  cœur  et  qu'une  âme;  certainement  nous  aurons 
la  victoire. 

De  fait,  à  la  5èim'  lune,  au  jour  ting-hai  ~J*  ^  (16  Avril), 
l'armée  fédérée  remporta  un  plein  triomphe  à  Ma-soùei  Jj|  \ij&\ 
elle  fit  prisonniers  le  grand  seigneur  Tchreng-tsre  fâ  ^  et  l'officier 
Jou-fou  ~£r  ^;  puis  elle  passa  la  rivière  King  ^,  et  s'avança 
jusqu'à  la  ville  de  Heou-li  fé  §jj,  d'où  elle  reprit  le  chemin  du 
retour;  mais  avant  de  rentrer  à  la  capitale,  elle  alla  saluer  Li-kong 
JH  ^  à  Sin-tchcou  $f  3Ë  (1).  Le  prince  de  TVao  ^jf  mourut  pen- 
dant le  cours  de  cette  expédition. 

En  577,  au  début  de  l'année  (vers  novembre',  le  marquis  de 
Wei  fëj  se  rendait  à  la  cour  de  Tsin  ;  là  se  trouvait,  depuis  sept 
ans,  le  seigneur  Suen  Ling-fou  fâ  %)$.  ;$£,  qni  s'y  était  réfugié 
après  sa  rébellion;  Li-kong  pria  le  marquis  de  pardonner  cette 
faute,  mais  celui-ci  refusa  absolument. 

(1)  Ma-souei  était  au  sud-ouest  de  King-yotng  hien  <  î!  l'ë -ir- qui  est  à  70  H  au 
nord  de  sa  préfecture  Si-ngan  fou  PS  ^<  lîlf,  Chen-si.  ( Petite  géogr-,  vol.  14.  ;>.  8) 
—  (Grande,  vol.  53,  p.   sç). 

La  rivière  King  est  à  7  li  au  sud  de  King-yang  hien.  (Grande  géogr.,  ool.  53, 
P-  3~)- 

Heou-li  n'étail  pas  loin  de  là. 

Sin-tch'ou  était  sur  la  frontière,  entre  Si-ngan  /'oi<  et  T'ong-tcheou  fou  lu]  -Hl 
fff,  Chcn-si  ;  mais  on  en  ignore  l'emplacement  exact. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    I/I-KONG.  197 

Au  mois  de  mars  suivant,  Li-kong  envoya  le  grand  dignitaire 
Kli-tch'eou  ffi  V/l  conduire  Suen  Ling-fou  à  la  cour  de  Wei,  avec 
la  mission  d"obtenir -à  tout  prix  la  grâce  de  ce  seigneur;  le  mar- 
quis se  montra  inexorable.  Alors  la  marquise  elle-même,  nommée 
Ting-hiang  fé  H,  intercéda  auprès  de  son  mari  en  ces  termes  : 
vous  ne  pouvez  plus  refuser;  il  s'agit  du  fils  du  premier  ministre 
de  votre  prédécesseur,  et  c'est  un  roi  puissant,  le  chef  des  vassaux, 
qui  vous  presse  de  faire  grâce  ;  résister  plus  longtemps  est  dan- 
gereux pour  vous  ;  si  vous  avez  raison  de  détester  ce  traitre,  vous 
ne  devez  pourtant  pas,  à  cause  de  lui,  exposer  votre  pays  à  une 
ruine  totale  ;  dévorez  votre  chagrin,  soyez  patient,  exercez  un 
grand  acte  de  générosité  envers  un  de  vos  grands  dignitaires,  et 
conservez  la  paix  à  votre  peuple  ;  n'est-ce  pas  le  parti  le  plus 
avantageux  pour  vous  ? 

Le  marquis  de  Wei  f^j  accorda  enfin  la  grâce  du  rebelle  ;  il 
lui  rendit  même  ses  anciennes  dignités  ;  il  donna  un  festin  solen- 
nel, en  l'honneur  de  cette  réconciliation.  K'i-tcJveou  £|]  jffl 
(nommé  aussi  K'i-tch'eng-chou  £j|l  jfc  ;};£)  (1),  se  montra,  paraît- 
il,  très-arrogant  dans  cette  circonstance,  comme  tous  ceux  de  sa 
famille  ;  Ning-hoeî-tse  ^?  ^  ^p,  le  maître  des  cérémonies,  lui  lit 
aussitôt  sa  prophétie  :  La  maison  du  seigneur  K'i-tch'eou,  dit-il, 
ne  peut  tarder  à  périr  ;  les  anciens  sages  ont  établi  la  coutume 
des  festins  solennels,  pour  étudier  la  conduite  des  convives,  et 
deviner  la  bonne  ou  la  mauvaise  fortune  qui  leur  est  réservée. 
Le  livre  des  Vers  [¥)  nous  en  avertit  par  cette  sentence  :  les  prin- 
ces assis  à  ce  banquet  ne  sont  point  arrogants  entre  eux  ;  toutes 
les  faveurs  du  ciel  seront  pour  eux.  Aujourd'hui,  le  seigneur 
K'i  se  montre  si  orgueilleux,  il  marche  de  lui-même  au-devant  du 
malheur  qui  l'attend  ! 

Nous  avons  déjà  entendu  semblable  jérémiade,  fulminée  con- 
tre K'i~h'e  ffi  jfc  le  premier-ministre  lui-même,  à  la  cour  de  Lou 
'J§-  ;  les  calamités  approchent  ;  encore  deux  ans,  et  nous  les  ver- 
rons fondre  sur  cette  puissante  et  orgueilleuse  famille. 

En  576,  à  la  2èîïie  lune,  au  jour  Koei-tcheou  ^f  J[  (1er  Jan- 
vier), Li-kong  réunissait  les  vassaux  à  Ts'i  /,$  (3\  pour  les  con- 
sulter sur  les  troubles  survenus  au  pays  de  Ts'ao  ^f  ;  là,  en 
effet,    Tch'eng-hong  J$  Q   avait  tué   son   frère   et  usurpé  le  trône 


(1)  K'i-tch'eou  était  gouverneur  de  K'ou    ,;.  Cette  ville  était  à   20  li  non 

de  Ngan-i  hien  :é:  S  If,  qui  est  à  50  li  à  l'est  de  sa  préfecture  Kiai-tcheou  §5?  ':  . 
Chan-si;  il  ne  reste  qu'un  lac  de  ce  nom.  (Petite  géogr.,  vol.  S,  p.  42)  —  (Grande, 
vol.  41.  p.  31)- 

(2)  Che-king  gf  $f,  (Couvreur,  p.  e?o,  ode  /ei'e,  vers  /'"'"■. 

(3)  Ts'i  était  à  7  li  au  nord  de  K'ai-tcheov  [»]  ffl,  Tche-li  :  c'était  la  ville  de 
Wei  jff  que  le  rebelle  Suen-ling-fou  ffi  ifr  ^ç  avait  offerte  au  roi  de  Tsin,  et  que 
celui-ci  avait  gracieusement  rendue,  en  584. 


198  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

(578)  ;  il  s'agissait  de  le  punir,  et  de  mettre  un  autre  prince  à  sa 
place.  En  conséquence,  une  armée  assiégea  sa  capitale  ;  on  réussit 
à  s'emparer  de  sa  personne,  et  on  le  livra  à  l'empereur. 

Quand  on  voulut  mettre  sur  le  trône  le  prince  Tse-sang  -{-  Jjj$. 
celui-ci  refusa  en  disant  :  dans  les  anciens  livres  il  est  écrit  qu'un 
«saint»  est  à  la  hauteur  de  n'importe  quel  poste;  un  homme  de 
second  ordre  n'est  de  taille  que  pour  son  office  particulier;  un 
homme  de  troisième  ordre  est  au-dessous  de  n'importe  quelle 
fonction,  et  ne  fait  que  des  sottises  ;  je  me  sens  incapable  de  gou- 
verner un  état;  n'étant  pas  un  saint,  je  ne  veux  pas  non  plus 
être  au-dessous  de  ma  tâche!  Sur  ce,  il  s'enfuit  au  pays  de  Sony 
5J5,  et  le  fratricide  fut  replacé  sur  son  trône  ensanglanté,  comme 
nous  le  raconterons  un  peu  plus  loin. 

Vers  le  mois  de  mars,  le  roi  de  Tch'ou  ^  tournait  encore 
une  fois  ses  regards  vers  les  pays  chinois  du  nord;  il  se  disposait 
à  envahir  les  états  de  Tcheng  f||$  et  de  Wei  %.  Dans  le  conseil 
qu'il  tint  à  ce  sujet,  son  grand  ministre  Tse-nang  ^  j||  chercha 
de  tout  son  pouvoir  à  l'en  dissuader  :  nous  venons  de  conclure  un 
traité  de  paix  avec  le  roi  de  Tsin,  disait-il,  nous  est-il  permis  de 
le  rompre,  et  si  tôt,  et  sans  raison?  —  Oui,  répondit  le  seigneur 
Tse-fan  ^f  Jx ,  si  nous  y  trouvons  notre  avantage  !  Et  l'expédition 
fut  entreprise. 

Le  grand  seigneur  Loan-chou  ff§  ^  voulait  aussitôt  se  met- 
tre en  campagne,  pour  repousser  les  envahisseurs;  le  sage  Han- 
k'iuè  %%  )'$i  l'en  dissuada  en  ces  termes:  n'allons  pas  en  guerre; 
laissons  le  roi  de  Tch'ou  combler  la  mesure  de  ses  forfaits;  alors 
son  peuple  se  séparera  de  lui,    et  ce  sera  le  moment  de  l'attaquer. 

Les  trois  puissants  seigneurs  K'i-i  ffi  §f ,  K'i-tche  $|$  3?  et 
K'i-tch'eou  Q5  f^,  par  leurs  calomnies,  avaient  enfin  réussi  à 
causer  la  ruine  et  la  mort  du  sage  Pè-tsong  f£)  ^  ;  ils  avaient  en- 
suite harcelé,  de  la  même  manière,  le  seigneur  Loan-fou-hi  fp§  tffr 
jgl,  et  venaient  d'achever  sa  perte;  Pé-tcheou-li  f£  j)\  ^,  fils  de 
Pé-tsong,  ne  se  croyant  plus  en  sûreté  dans  son  propre  pays, 
s'enfuit  à  la  cour  de  Tch'ou;  nous  allons  bientôt  l'y  retrouver. 

L'épouse  de  Pé-tsong,  raconte  l'historien, l'avait  en  vain  aver- 
ti du  danger  qui  le  menaçait;  quand  il  se  rendait  à  la  cour,  elle 
lui  avait  dit  bien  des  fois  :  les  voleurs  n'aiment  pas  ceux  qui  ont 
du  bien;  le  peuple  n'aime  pas  ceux  qui  le  réglementent;  les  four- 
bes n'aiment  pas  ceux  qui  leur  disent  la  vérité;  or,  vous  êtes  trop 
droit  pour  vivre  à  la  cour;  vous  aimez  à  dire  le  vérité  toute  fran- 
che; certainement  il  vous  en  arrivera  malheur!  Le  commentaire 
ajoute  :  quelquefois,  les  paroles  d'une  femme  sont  à  prendre  en 
considération  ;  dans  le  cas  présent,  ce  seigneur  eut  tort  de  négligcr 
les  avis  de  son  épouse;  il  aurait  évité  une 'mort  violente  (1). 

(1)  La  famille  IV'  '•(ait  une  branche  de  la  maison  régnante;  Pc-k' i  fù  £ti  son 
fondateur,    était    le   fils   d'une   concubine   de  T'cuuj-clwu  fâ  ,j&  (1100),  et  reçut  son 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    LI-KONG.  199 

A  la  H^me  iUne  de  cette  même  année  576  (septembre-octo- 
bre), le  grand  seigneur  Che  Sié  -J7  i§j£,  avec  les  ambassadeurs  de 
Ts'i  ^,de  Song  5j?,<*e  Wei  f^,  de  Tcheng  %  et  de  Tel, ou  %$,  se 
rendait  auprès  du  roi  de  Ou  $.  à  Tchong-li  $|l  ^|  (1);  de  cette 
manière,  ce  souverain  à  demi  sauvage  pouvait  enfin  avoir  l'hon- 
neur et  le  bonheur  d'assister  à  une  réunion  de  princes  chinois, 
c'est-à-dire  de  gens  civilisés  ;  bien  plus,  eux-mêmes  venaient  chez 
lui,  comme  chez  un  suzerain;  pouvait-il  n'être  pas  comblé  de  joie? 

Pourtant,  il  devait  y  avoir  un  motif,  et  il  était  bien  simple: 
on  voulait  arrêter  les  progrès  du  roi  de  Tch'ou  ^,  l'empêcher  de 
s'étendre  au  nord,  aux  dépens  des  pays  chinois;  on  choyait  le  roi 
de  Ou,  son  voisin,  son  rival,  afin  que  celui-ci  le  harcelât  sans 
cesse  au  sud  ;  on  voulait  donc  se  servir  du  roi  de  Ou, sans  pour  cela 
lui  permettre  de  faire  lui-même  des  excursions  dans  ces  régions 
septentrionales. 

En  575,  le  prince  de  Tcheng  ^  recommençait  son  jeu  de 
bascule,  et  quittait  Li-kong  pour  se  donner  au  roi  de  Tch'ou  %£; 
pour  le  punir,  on  ordonna  tout  d'abord  au  marquis  de  Wei  ^j  de 
l'attaquer,  en  attendant  que  l'on  ait  mobilisé  l'armée  de  Tsin. 

Au  conseil  tenu  par  Li-kong,  pour  organiser  la  guerre,  Che 
Sié  -jç  ^  [nommé  aussi  Fan  Wen-tse  ^ï  ~$£  =f-]  opina  comme  il 
suit:  je  serais  vraiment  content,  si  tous  les  vassaux  nous  quit- 
taient en  masse;  alors  notre  souverain  se  mettrait  à  pratiquer  la 
vertu,  ce  qui  serait  le  salut  de  l'état;  s'il  n'y  a  qu'une  seule  prin- 
cipauté à  se  séparer  de  nous,  elle  sera  bientôt  abattue,  et  notre 
amour-propre  en  sera  encore  augmenté. 

En  tout  cas,  répliqua  le  ministre  Loan  Chou  fp§  |&.  tant  que 
je  serai  chargé  de  l'administration,  je  ne  laisserai  par  impunie 
semblable  défection  !  Aussitôt  l'armée  fut  convoquée  et  mise  en 
campagne. 

Loan  Chou  était  le  généralissime,  et  commandait  le  corps  du 
centre;  Che  Sié  -fc  $S£  était  son  adjudant;  Kei-i  $[>  if'f  conduisait 
l'aile  droite,  et  son  aide  était  Siun  Yen  ^  |[f  fils  de  Si  un  Keng 
^j  J|£  ;  Han  K'iuê  ff;  ^  était  à  l'aile  gauche. 

K'i-tche  ^|$  ;§?  commandait  les  nouveaux  corps  d'armée;  Siun 
Yong  ^j  -||  commandait  les  troupes  de  réserve,  chargées  de  garder 
le  royaume;    K'i-tcli'eou   J5J]  3p  était   envoyé  à  la  cour  de    Ts'i  'fë 


nom  du  fief  Pc  f£j,  qui  lui  avait  été  attribué.  Le  seigneur  Pé-tsong  f|'i  ^  était  d'une 
droiture  et  d'une  probité  remarquables:  son  fils  Pé-tcheou-li  fâ  r!  ^  est  célèbre 
par  sa  fuite  au  pays  de  Tch'ou  2g;  il  en  reçut  le  fief  de  Tchong-li  fifc  (';;i .  dont  sa 
famille  porta  désormais  le  nom.  I.cs  membres  qui  restèrent  au  pays  de  Tsin,  s'j 
tinrent  cachés  sous  les  noms  de  Pé  $\  (au  lieu  de  l'é  fê)  ct  de  Tsong  >/;'.  D'ailleurs 
cette  famille  disparut  vite  de  l'histoire.  (Annales  du  Çhan-si  vol.  S.  p.   20  i. 

(1)  Tchong-li   était  à   4    li   à    l'est   de   Fong-yang   fou   l§.  I  '"    Y.1  ,    Nu. m 
(Petite  géogr.,  vol.  6,  p.   20)  —  (Grande,   vol.   21.  p.  5). 


200  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

demander  un  contingent  de  troupes  auxiliaires  :  car  on  allait  avoir 
le  roi  de  Tch'ou  pour  adversaire. 

Loan-ien  §|f  J§|.  fils  du  généralissime,  était  envoyé  dans  le 
même  but  à  la  cour  de  Lou  ïfi).  ;  il  s'y  montra  d'une  urbanité  par- 
faite ;  aussitôt  le  sage  Mong  Hien-tse  ^  |p;  -^  éructa  la  prophétie 
suivante  :  certainement  l'année  de  Tsin  remportera  la  victoire  ;  car 
son  ambassadeur  est  humble  et  exact  observateur  des  rites. 

Au  jour  nommé  Oa-Yng  ^  ji|  (22  mars)  on  se  mettait  en 
marchera  cette  nouvelle,  le  prince  de  Tcheng  ||[)  dépêcha  un  ex- 
près avertir  son  protecteur,  le  roi  de  Tch'ou  *&,  qui  envoya  im- 
médiatement ses  troupes.  Tse-fan  ^f-  J%,  ministre  de  la  guerre, 
était  le  généralissime,  et  commandait  le  corps  du  centre  ;  Tse- 
tchong  ^  lg),  premier  ministre,  conduisait  l'aile  gauche  ;  le  sei- 
gneur Tse-sin  ^p  ^  conduisait  l'aile  droite,  qui,  au  royaume  de 
Tch'ou,  cédait  le  pas  à  la  gauche. 

L'armée  passant  par  le  territoire  de  Chen  ^,  le  généralissime 
v  visita  un  lettré  en  grande  réputation  du  sagesse  ;  il  en  reçut  de 
salutaires  avis,  et  même  l'annonce  de  la  défaite  et  de  la  mort  qui 
l'attendaient  dans  cette  expédition.  Les  lettrés  savent  tous  ces 
secrets  de  l'avenir,  par  l'étude  de  leurs  vieux  livres. 

A  la  5èni  lune  mars-avril),  les  gens  de  Tsin  passaient  le 
fleuve  Jaune,  et  apprenaient  que  l'armée  de  Tch'ou  n'était  pas 
bien  loin  :  Che-sié  -j^  #|£  proposa  de  se  retirer:  simulons  une  fuite, 
disait-il, et  nous  diminuerons  d'autant  le  fardeau  de  notre  chagrin; 
nous  sommes  incapables  de  retenir  les  vassaux  sous  notre  dépen- 
dance ;  attendons  qu'un  autre  état,  meilleur  que  nous,  se  constitue 
leur  chef  ! 

Che-sié  était  un  homme  éminent  ;  pourquoi  donc  paraît-il  si 
découragé"?  la  réponse  est  facile:  cet  homme  de  bien  voyait  son 
pays  miné  par  les  rivalités  des  puissantes  familles  seigneuriales  ; 
à  ce  mal  quasi-incurable,  il  ne  voyait  qu'un  remède,  les  guerres, 
les  défaites,  les  calamités,  qui  forceraient  tout  le  monde  à  laisser 
de  côté  ses  querelles  particulières,  pour  ne  plus  penser  qu'au  salut 
de  la  patrie;  pour  lui,  la  paix  semblait  un  fléau;  car  elle  permet- 
tait aux  différents  partis  de  se  déchirer  entre  eux. 

Loan-chou  ff§  *,  le  généralissime,  se  rendait  bien  compte 
aussi  de  la  situation  ;  il  estimait  son  adjudant  ;  mais  il  n'entendait 
pas  reculer  devant  l'ennemi  :  aussi,  à  la  6ème  lune  (avril-mai),  les 
deux  armées  se  trouvèrent  en  présence  à  Yen-ling  j^J  1^   (!)• 

Che-sié  insistant  de  nouveau,  pour  qu'on  se  retirât  sans  com- 
battre. KH-tche  §fS  ië  mi  nt  une  assez  vive  remontrance:  A  la 
bataille  de  Ilan  ^  Q'i~>  ,  dit-il,  notre  prince  Hoei  iS  n'avait  pas 
bien  disposé  son  armée,  et  il  fut   fait  prisonnier;   à   la   bataille  de 

(1)  Yen-ling  était  à  50  li  sud-ouest  de  Ycn-ling  hien  '"!  fê  !|f.  qui  est  à  160 
li  au  sud  de  sa  préfecture  IC  a  v-fong  fou  [53  j£f  rrf.  Ho-nan.  I  Petite  géogr.,  vol.  12. 
p.  4)  —  (Grande,  vol.  47.  p.   22). 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    LI-KONG.  201 

Ki  îr.  (627)  le  généralissime  Sien-tchen  ffc  j|£  fut  tué  par  les 
Tartares,  et  ne  put  rendre  compte  de  sa  mission  ;  à  la  bataille  de 
Pi  #|S  597),  le  génécalissime  Siun-ling-fou  %j  $v  3£  ramena  en 
piteux  état  les  restes  de  ses  troupes  débandées  ;  voilà  des  hontes 
infligées  à  notre  pays  ;  vous  connaissez  l'histoire  aussi  bien  que 
moi  ;  voudriez-vous  donc,  par  une  fuite  indigne,  nous  rendre  la 
risée  des  autres  nations? 

Che-sié  répliqua  :  nos  anciens  rois  avaient  bien  des  raisons 
pour  livrer  tant  de  combats  ;  leurs  voisins  les  Tartares,  puis  les 
princes  de  Ts'in  fff.de  Ts'i  ^  et  de  Tch'ou  J|,  étant  si  puissants, 
il  fallait  les  abattre,  sous  peine  d'être  accablé  par  eux  ;  les  choses 
sont  bien  changées:  trois  de  ces  états  maintenant  ne  sont  plus  à 
craindre  pour  nous  :  il  ne  reste  que  celui  de  Tch'ou  ;  mais  au  lieu 
de  nous  faire  du  tort,  il  nous  procure  de  grands  biens  ;  il  nous 
tient  en  haleine  par  ses  attaques  réitérées,  et  nous  empêche  de 
nous  livrer  des  guerres  intestines.  Les  «  saints  »  sont  seuls 
capables  de  gouverner  un  pays,  sans  ennemis  au  dehors,  sans 
troubles  à  l'intérieur;  quant  aux  autres  princes,  s'ils  n'ont  pas  de 
Lcuerres  avec  leurs  voisins,  ils  ont  des  révolutions  dans  leur 
propre  pays. 

A  la  6'"  lune,  au  jour  appelé  Kia-ou  Ep  4""  (~  avril),  dès  le 
matin,  l'armée  de  Tch'ou  s'avançait  en  rangs  serrés;  celle  de  Tsin 
fut  un  moment  déconcertée  par  ce  mouvement  hardi  ;  Che-kai  -j^ 
£j,  fils  de  Che-sié.  accourut  alors  et  se  mit  à  commander,  comme 
un  généralissime  :  vite,  remplissez  les  puits  que  vous  aviez  creusés; 
détruisez  les  fourneaux  ;  rangez-vous  au  milieu  du  camp  ;  dans  le 
rempart  devant  vous,  ouvrez  une  brèche,  par  où  vous  vous  lance- 
rez sur  l'ennemi  ;  c'est  le  ciel  qui  va  décider  du  sort  des  combat- 
tants :  pourquoi  ètes-vous  perplexes"? 

Che-sié  indigné  de  l'audace  de  son  fils,  prit  une  lance  et  le 
chassa  en  disant:  la  ruine  ou  le  salut  d'un  pays  dépend  du  ciel; 
un  marmot  comme  toi  peut-il  y  comprendre  quelquechose ?  pour 
nous  aujourd'hui,  une  victoire  serait  la  perte  de  notre  pays! 

Le  généralissime  Loan-chou  dit  aux  autres  généraux,  ses  col- 
lègues :  l'armée  de  Tch'ou  agit  avec  précipitation  :  attendons-la  de 
pied  ferme;  gardons  bien  nos  retranchements;  dans  trois  jours, 
elle  se  retirera,  de  fatigue  ou  d'ennui  ;  alors  nous  nous  jetterons 
sur  elle,  et  nous  la  mettrons  en  pièces. 

Le  seigneur  K'i-tche  -gJS  ^.  général  des  nouveaux  corps 
d'armée,  fit  aussi  cette  remarque  :  l'ennemi  a  six  défauts  dont 
nous  devons  profiter  :  les  deux  grands  chefs  Tsp-tchong  ^  jg  et 
Tse-fan  ^f-  JJF  se  jalousent,  —  les  soldats  sont  fatigués  du  voyage, 
—  les  auxiliaires  de  Tcheng  fift  sont  rangés  en  mauvais  ordre,  — 
les  auxiliaires  sauvages  (Man  ||  sont  encore  pire,  —  on  présente 
le  combat  sans  penser  que  c'est  un  jour  néfaste,  le  dernier  du 
mois,  où  la  lune  disparait.  —  au  lieu  de  se  ranger  en  bataille  en 
silence,  les  gens  de  Tch'ou  font  vacarme,  et    chacun  regarde    der- 


202  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

rière  soi,    cherchant    sans    doute  le    chemin  par    où    il    s'enfuira. 
Donc  tenons  ferme,  et  la  victoire  est  à  nous  ! 

Cependant,  le  roi  de  Tch'ou  ^  était  monté  sur  une  tour 
mobile,  pour  observer  les  mouvements  des  gens  de  Tsin  ;  le 
premier-ministre  Tse-tchong  ^  ^  lui  envoya  le  grand  dignitaire 
Pé-tcheou-li  f£j  ft\  3^,  pour  lui  donner  tous  les  renseignements 
désirables.  Le  lecteur  se  souvient  que  cet  homme  éminent  a  fui 
sa  patrie,  pour  ne  pas  subir  le  même  sort  que  son  père  Pé-tsong 
iÙ  t£  '•  Ie  vouà  maintenant  au  service  de  l'ennemi  :  c'est  là  un 
des  résultats  des  discordes  civiles. 

Pourquoi  court-on  de  tous  cotés,  avec  tant  d'empressement  ? 
demanda  le  roi.  —  On  appelle  les  principaux  chefs  autour  du 
généralissime,  répondit  Pé-tcheou-li. 

Pourquoi  ce  grand  rassemblement  au  corps  du  centre  ?  — 
C'est  le  conseil  de  guerre. 

Pourquoi  dresse-t-on  une  tente?  —  On  va  avec  grande  dévo- 
tion, consulter  les  Esprits. 

Pourquoi  enlever  la  tente?  —  On  va  publier  les  ordres  du 
roi,  présent  à  l'armée. 

Pourquoi  ces  clameurs,  ces  nuages  de  poussière? — On  comble 
les  puits,  on  détruit  les  fourneaux,  afin  de  se  ranger  en  ordre  de 
bataille. 

Pourquoi  ceux  qui  étaient  sur  leurs  chars  en  sont-ils  descen- 
dus, les  armes  en  main?  —  Ils  vont  écouter  les  ordres  du  géné- 
ralissime. 

Ya-t-on  livrer  bataille?  —  Ce  n'est  pas  encore  certain. 

Etant  remontés  sur  leurs  chars,  pourquoi  ces  hommes  en  re- 
descendent-ils de  nouveau?  —  Ils  vont  faire  une  prière  aux  Esprits, 
demander  la  victoire. 

Pendant  que  le  transfuge  de  Tsin  renseignait  ainsi  le  roi  de 
Tch'ou,  de  même  un  autre  homme,  nommé  Miao-pen-hoang  la  lit 
jfl  'fils  de  Teou-tsiao  |^J  ;fcjj  ,  transfuge  de  Tch'ou  depuis  l'année 
605,  renseignait  Li-kong  sur  la  conduite  à  tenir;  c'est  lui  qui  va 
donner  le  meilleur  moyen  de  vaincre  l'armée  de  son  pays. 

Maintenant  que  le  combat  était  quasi  inévitable,  on  était  de 
nouveau  perplexe  au  camp  de  Tsin  ;  fallait-il  se  lancer  sur  l'ennemi. 
dans  une  sortie  vigoureuse?  Valait-il  mieux  se  laisser  assiéger,  et 
lasser,  décourager  les  gens  de  Tch'ou,  en  restant  sur  la  défensive? 
les  deux  tactiques  avaient  leurs  partisans,  leurs  avantages  et  leurs 
périls. 

Miao-pen-hoang  intervint  et  dit:  les  meilleurs  soldats  sont 
au  centre,  autour  du  roi  ;  ce  sont  tous  des  hommes  de  sa  famille, 
de  son  clan  :  choisissez  donc  des  soldats  d'élite,  formez-en  deux 
corps,  chargés  d'enfoncer  l'aile  gauche  et  l'aile  droite  de  Tch'ou. 
ce  qui  ne  sera  pas  d'une  trop  grande  difficulté;  cela  étant  accompli, 
que  le  gros  de  votre  année  se  jette  en  masse  compacte,  et  avec 
vigueur,  sur  le  corps  du  centre;  vous  serez  sûrs  de  la  victoire. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    LI-KONG.  203 

On  consulta  encore  les  sorts,  par  le  moyen  de  l'achillée  ;  la 
réponse  étant  favorable,  il  n'y  avait  plus  lieu  d'hésiter;  il  n'y 
avait  qu'à  exécuter  le  .plan  si  simple,  si  raisonnable,  donné  par 
le  transfuge  ;  on  se  mit  à  l'œuvre. 

Kong-hong  3t  £*,  le  roi  de  Tch'ou,  avait  pour  conducteur  de 
son  char  le  seigneur  P'ong-ming  t^  ig  ;  pour  lancier,  le  seigneur 
P'an-tang  fâ  |g.  Sur  le  char  du  prince  de  Tcheng  JU$,  le  seigneur 
Che-cheou  >fâ  "ff'  était  le  conducteur;  et  le  seigneur  T'.nig-heou 
)^  ^'  Ie  lancier. 

Sur  le  char  de  Li-kong,  le  conducteur  était  le  seigneur  K'i-y 
£|$  ^  aussi  nommé  Pou-y  ^  ;§£)  ;  je  lancier,  le  seigneur  Loan- 
hien  |ff  f$.  Les  deux  clans  Loart  §j|  et  Fan  fa  ayant  les  meilleurs 
soldats,  étaient  au  centre  autour  du  roi,  et  en  quelque  sorte  sa 
garde  personnelle. 

Devant  le  camp  de  Tsin  se  trouvait  un  bas-fond,  précieux 
pour  la  défense,  maintenant  défavorable  pour  l'attaque  ;  il  fallait 
le  contourner,  soit  à  droite,  soit  à  gauche.  Le  char  de  Li-kong 
s'y  trouva  embourbé,  au  moment  décisif,  c'est-à-dire  quand  on  se 
lança  sur  le  centre  de  Tch'ou. 

Le  généralissime  accourut  aussitôt,  priant  Li-kong  de  monter 
auprès  de  lui  :  mais  son  propre  fils  Loan-kien,  le  lancier,  lui  cria 
avec  indignation:  vous,  Chou  ^,  allez-vous-en  donc!  vous,  géné- 
ralissime, vous  voulez  encore  faire  le  conducteur  de  char;  n'est-ce 
pas  indigne?  Ayant  ainsi  apostrophé  son  père,  il  descendit,  et  tira 
le  char  de  ce  mauvais  pas  (1). 

A  propos  de  ce  combat,  l'historien  rapporte  plusieurs  épiso- 
des intéressants,  surtout  parce  qu'ils  montrent  bien  le  genre  des 
chinois  dans  leurs  narrations;  bien  rarement  ils  font  une  vraie 
description  de  bataille;  même  quand  il  s'agit  d'un  fait  d'armes 
très-considérable  et  très-célèbre;  ils  accumulent  des  noms  de  per- 
sonnages, racontent  prolixement  les  détails  de  la  préparation,  puis 
ils  mettent  une  des  armées  en  fuite,  et  tout  est  fini;  c'est  au 
lecteur  à  imaginer  le  reste;  il  faut  bien  nous  contenter  de  ce  qu'ils 
ont  érit  : 

La  veille  même  du  combat,  au  jour  Koei-<e  Z£  g,  6  avril), 
les  seigneurs  P'an-tang  $§  j|é[  et  Yang-yeou-ki  |£  ^  ^  de  Tch'ou. 
voulant  faire  parade  d'adresse  et  de  force,  avaient  placé  sur  un 
tertre  une  rangée  de  cuirasses,  appuyées  l'une  contre  l'autre,  puis 
ils  s'étaient  amusés  à  tirer  dessus,  comme  sur  une  cible;  or,  d'une 
flèche,  ils  arrivaient  à  en  transpercer  jusqu'à  sept.  Les  spectateurs 
émerveillés  avaient  rapporté  ce  fait  en  présence  du  roi,  et  le  féli- 
citaient en  disant  :  avec  de  pareils  archers,  votre  .Majesté  pourrait- 
elle    hésiter    à   livrer  bataille?  —  Voilà  des  gens  sans    intelligence, 

(1)  Cette  apostrophe  du  lils  à  son  père  est  un  trait  de  mœurs;  plus  il  est 
violent  et  grossier  dans  ses  paroles,  plus  il  se  montre  respectueux  envers  le  roi, 
dont  il  défend  ou  est  censé  défendre  l'intérêt. 


2Ô4  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

avait  répondu  le  roi,  ils  n'estiment  que  la  force;  c'est  une  honte 
pour  notre  royaume!  Et  au  lieu  de  féliciter  les  archers,  il  leur 
avait  dit  :  demain,  votre  si  grande  adresse  sera  la  cause  de  votre 
mort  (1)!  Parole  dite  pour  mettre  à  sa  place  la  force  corporelle, 
qui  voulait  prévaloir  sur  la  force  intellectuelle. 

Le  seigneur  Wei-i  f!|  f|f  [aussi  nommé  Liu-i  g  £$f\  était  un 
archer  fameux  au  pays  de  Tsin;  quelque  temps  avant  la  bataille, 
il  avait  en  songe  tiré  sur  la  lune,  l'avait  atteinte,  puis  était  lui- 
même  tombé  dans  un  bourbier;  intrigué  de  ce  songe,  il  en  avait 
demandé  l'explication  à  un  devin,  et  celui-ci  lui  avait  répondu 
comme  il  suit  :  La  famille  impériale,  du  nom  de  Ki  $Jg,  est  repré- 
sentée par  le  soleil  ;  les  autres  familles  princières  sont  représentées 
par  la  lune;  votre  songe  signifie,  sans  aucun  doute,  que  vous 
blesserez  le  roi  de  Tch'ou  ;  mais  ensuite  vous  tomberez  dana  un 
bourbier  où  vous  serez  tué.  Encore  une  prophétie  bien  précise; 
nous  allons  la  voir  s'accomplir  (2)  : 

Pendant  la  bataille,  Wei-i  visait  surtout  les  grands  person- 
nages; de  fait,  il  blessa  le  roi  de  Tch'ou  à  l'œil;  celui-ci  appela 
Yang-yeou-ki  ^  j£j  ^,  lui  donna  deux  flèches,  en  disant  :  tuez- 
moi  cet  homme!  Du  premier  coup,  Wei-i  fut  frappé  à  la  nuque, 
tomba  à  la  renverse,  et  roula  jusqu'à,  terre  ;  Yang-yeou-ki  rendit 
l'autre  flèche  au  roi  en  disant  :  votre  Majesté  est  vengée. 

K'i-tche  £5  ?£ ,  général  des  nouveaux  corps  d'armée,  rencon- 
tra le  char  royal  de  Tch'ou  jusqu'à  trois  fois  pendant  la  bataille; 
trois  fois  il  descendit  de  char,  enleva  son  casque  en  signe  de  res- 
pect pour  le  roi, puis  partit  comme  le  vent  dans  une  autre  direction. 
Nous  avons  déjà  vu  ailleurs  semblable  marque  de  vénération  envers 
la  Majesté  royale;  celle-ci  ne  nous  surprend  plus  si  fort;  la  suite 
est  encore  plus  curieuse  : 


(1)  Les  cuirasses  n'étaient  point  celles  de  nos  chevaliers  du  moyen-âge;  c'était 
plutôt  une  cotte  de  mailles,  ou  bien  une  sorte  de  plastron  en  bois,  en  cuir,  ou  en 
ouate  recouverte  à  l'extérieur  d'une  toile  huilée  ou  vernie  :  rarement  peut-être  en 
tôle  ou  en  fer  —  Le  nom  de  Yang-yeou-ki,  lui  venait  du  lieu  de  sa  naissance,  sur 
les  bords  de  la  rivière  Yang-chouei  §|  fc.  au  sud-ouest  de  Kia-kien  $$  $£ ,  ville 
située  à  90  li  sud-est  de  Jou-tcheou  \k  ')'\'\,  llo-nan.  (Grande  gèogr.,  vol.  31.11.  41). 

P'an-tang,  dont  nous  avons  déjà  vu  le  nom  autrefois,  était  lils  du  seigneur 
P'an-wang  ni?  jg. 

(2)  La  famille  Wei  §!>,  une  des  plus  puissantes  de  Tsin,  lirait  son  nom  du 
fief  Wei,  qui  était  à  7  li  nord-est  de  Joei-tch'eng  hien  ..(]  i$  |p.  cette  dernière  ville 
esta  90  li  sud-ouest  de  Kiai-tcheou  ffi  H'.  Chan-sT.  Nous  verrons  cette  famille., 
d'accord  avec  celles  de  Tchao  û  et  de /fan  $#,  diviser  le  pays  de  Tsin  en  trois  paris. 
et  ériger  la  sienne  en  royaume.  (Petite  géogr.,  ool.  8,  p.  42)  —  (Grande,  roi.  41. 
p.  sa)  —  (Annules  du  Chcm-si,  ool.  8,  p,   21). 


DC    ROYAUME    DE   TSIN.    LI-K0NG.  205 

Le  roi  de  Tch'ou.  flatté  de  ces  marques  de  respect,  envoya  le 
dignitaire  Siang  jj|.  directeur  des  travaux  publics  K'ong-yng  X 
)t  .  remettre  à  K'i-tche  un  arc  d'honneur,  et  il  ajouta  ces  paroles 
élogieuses  :  ce  seigneur  aux  guêtres  de  cuir  rouge,  qui,  au  fort  de 
la  mêlée,  s'expose  ainsi  pour  observer  les  rites  et  saluer  un  roi,  est 
sans  doute  un  sage  ;  vraiment  je  serais  désolé  s'il  venait  à  être 
blessé  ! 

K'i-tche  voyant  arriver  le  dignitaire,  descendit  de  char,  enle- 
va son  casque,  écouta  le  message,  et  répondit:  veuillez  m'excuser. 
si  moi,  ministre  d'un  roi  étranger,  suivant  mon  maître  au  combat. 
et  gêné  par  mon  armure,  je  ne  me  prosterne  pas  à  terre  pour  re- 
cevoir humblement  vos  ordres.  Ayant  ainsi  parlé,  il  joignit  les 
mains,  et  les  inclina  autant  que  possible  jusqu'à  terre-,  puis  il 
repartit  au  combat. 

Encore  une  prouesse  dans  le  même  genre:  Han-k'iuè  $j£  j^ 
ayant  rencontré  le  char  du  prince  de  Tcheng  g£.  son  conducteur 
nommé  Tou-hoen-louo  ^£  j[f}  J§:  lui  disait:  hâtons-nous  de  le 
poursuivre  ;  son  conducteur  regarde  toujours  par  derrière,  et  ne 
fait  pas  attention  à  ses  chevaux;  certainement  nous  l'atteindrons. 
—  Non,  répondit  Han-k'iué  ;  à  la  bataille  de  Ngan  j^.  j'ai  déjà  eu 
tort  de  poursuivre  un  prince;  je  ne  veux  pas  renouveler  ce  crime! 

Encore:  le  seigneur  K'i-tche  £[)  ^E.  à  son  tour,  remeontra  le 
prince  de  Tcheng  ;  Fei-han-hou  ^  ^  j^j  lui  dit  :  envoyez  quelques 
troupes  légères  lui  barrer  le  chemin  ;  je  pourrai  alors  monter  sur 
son  char,  et  le  faire  prisonnier. — Non,  répondit  K'i-tche;  car  qui- 
conque fait  du  mal  à  un  souverain,  en  sera  châtié  par  le  ciel!  Et 
lui  aussi  cessa  toute  poursuite. 

Le  seigneur  Che-cheou  ^  ~|f",  conducteur  du  prince  de  Tcheng, 
dit  à  son  souverain:  en  660,  le  marquis  de  Wei  '$]  fut  vaincu, 
pour  n'avoir  pas  assez  tôt  replié  son  drapeau  ;  de  suite  il  ramassa 
le  sien,  et  le  remit  dans  sa  gaine.  Sur  ce,  le  seigneur  T'ang-keou 
JH^,  le  lancier,  dit  à  Che-cheou  :  nous  sommes  en  grand  danger; 
si  l'on  s'emparait  de  notre  prince,  le  désastre  serait  encore  plus 
lamentable  ;  fuyez,  mettez  en  sûreté  la  personne  de  notre  souverain; 
moi  je  vais  rester  ici,  arrêter  quelque  temps  la  poursuite  de  l'en- 
nemi. Ayant  ainsi  parlé,  il  descendit  de  char,  supporta  vaillam- 
ment le  choc  des  gens  de  Tsin,  et  ne  succomba  que  quand  son 
maître  était  hors  de  danger. 

L'armée  de  Tch'ou,  pendant  ce  temps,  avait  été  poussée  dans 
une  impasse.  Alors  le  seigneur  Chou-chan-jan  ^  [Jj  }ij  dit  à 
Yang-yeou-hi  ^  j|j  ^,  le  fameux  archer:  maigre  les  graves  paro- 
les de  notre  roi,  il  faut  cependant,  vu  l'extrémité  où  nous  sommes 
réduits,  faire  usage  de  votre  talent;  il  s'agit  du  salut  commun. 
Yang-yeou-ki  se  mit  à  l'œuvre;  chaque  flèche  abattait  un  homme. 
De  son  côté,  Chou-chan-jan  ayant  saisi  un  soldat  de  Tsin.  à  bout 
de  bras,  le  lança  sur  un  char  ennemi,  avec  une  telle  force,  que  la 
traverse  fixée  à  l'avant  du  char  en  fut  rompue. 


206  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

A  la  vue  de  ces  coups  d'adresse  et  de  force,  l'armée  de  Tsin 
resta  interdite  ;  elle  cessa  la  poursuite  des  fuyards  ;  elle  se  contenta 
d'avoir  fait  prisonnier  le  prince  Fei  ^  propre  fils  du  roi  de 
Tch'ou.  Un  avait  commencé  la  bataille  dès  le  matin  ;  la  nuit  était 
venue,  les  étoiles  brillaient,  et  Ton  se  battait  encore. 

Voici  un  dernier  épisode  de  ce  combat  homérique:  Sur  le 
char  de  Li-kong, le  lancier  était  Loan-kien  f|£  f$,  fils  du  généra- 
lissime, comme  nous  l'avons  dit  ;  ce  seigneur  apercevant,  à  quel- 
que distance,  le  guidon  du  premier  ministre  de  Tch'ou  @,  dit  à 
Li-kong:  quand  j'étais  ambassadeur  dans  ce  royaume,  Tse-tchong 
~f  jff  me  demanda  en  quoi  nous  mettions  le  point  d'honneur  ;  je 
lui  dis  que  c'était  dans  l'ordre  parfait  de  l'armée;  il  me  demanda 
si  c'était  tout  ;  je  répondis  qu'il  fallait  de  plus  montrer  le  sang- 
froid  le  plus  tranquille,  au  plus  fort  de  la  mêlée.  Que  votre  Ma- 
jesté veuille  donc  me  permettre  d'envoyer  à  Tse-tchong  un  verre 
de  vin,  pour  faire  honneur  à  ma  parole,  et  lui  montrer  que  je  n'ai 
point  oublié  notre  entretien.     Li-kong  le  lui  permit. 

Loan-kien  dépêcha  un  de  ses  hommes, avec  le  message  suivant: 
mon  humble  prince,  m'ayant,  faute  de  mieux,  placé  à  ses  côtés 
sur  son  char,  je  ne  puis  aller  en  personne  saluer  votre  seigneurie  ; 
c'est  pourquoi  j'envoie  un  de  mes  compagnons  d'armes  vous  offrir 
ce  raffraichissement. 

Tse-tchong  répondit  :  je  vois  que  votre  maitre  a  gardé  souve- 
nir de  notre  conversation  à  la  cour;  je  l'en  félicite!  Il  but  le  vin, 
remercia  le  messager,  puis  se  remit  à  battre  le  tambour,  ce  qui 
alors  équivalait  à  sonner  la  charge. 

Le  lecteur  n'est  pas  obligé  de  faire  un  acte  de  foi,  devant  ces 
prouesses  de  galanterie,  qui  dépassent  de  bien  loin  celles  de  nos 
preux  chevaliers  d'autrefois;  si  elles  sont  véridiques,  elles  prou- 
vent que  la  mêlée  de  ces  temps-là  ne  ressemblait  pas  non  plus  à 
celle  où  nos  héros  bardés  de  fer,  frappant  d'estoc  et  de  taille,  cou- 
raient sus  aux  Sarrazins. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Tse-fan  J-  ^,le  généralissime  de  Tch'ou, 
en  ralliant  ses  troupes  débandées,  avait  donné  ordre  de  remplir 
les  cadres,  de  réparer  les  chars  et  les  armes,  de  prendre  la  nour- 
riture avant  le  lever  du  jour,  et  de  se  tenir  prêt  à  tout  le  lende- 
main. 

Cette  nouvelle  découragea  l'armée  de  Tsin,  qui  se  croyait 
victorieuse;  fallait-il  donc  recommencer  de  nouveau  le  combat, 
comme  si  rien  n'eût  été  tait!  Miao-pen-hoang  fë  ^  |g.,  le  trans- 
fuge de  Tch'ou,  sauva  encore  la  situation;  il  dit  au  généralissime  : 
proclamez  un  ordre  du  jour  semblable  à  celui  de  Tch'ou  ;  puis 
lâchez  quelques  prisonniers,  qui  ne  manqueront  pas  de  rapporter 
à  leurs  camarades  et  à  leurs  chefs,  que  vous -préparez  toutes  cho- 
ses (joui-  le  combat  de  demain;  vous  verrez  quelle  panique  va  se 
produire  Là-bas  ! 

On   suivit  ce  conseil.    Le  roi  de  Tch'ou  fut  bientôt  averti  de 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    LI-KONG.  207 

ce  que  racontaient  les  prisonniers  libérés,  il  en  fut  effrayé;  blessé 
comme  il  l'était,  il  redoutait  une  seconde  défaite  plus  grande  que 
la  première  ;  il  fit  ap'peler  le  généralissime  Tse-fan  ^  Jjf,  pour  le 
consulter  sur  le  parti  à  prendre  ;  mais  celui-ci  étant  ivre  ne  put 
se  présenter  :  C*est  le  ciel  qui  veut  Dotre  perte,  s*écria  le  roi ,  il 
ne  faut  pas  rester  plus  longtemps  ici  !  et  il  donna  ordre  de  se 
retirer  cette  nuit-là  même. 

Les  gens  de  Tsin  étaient  en  grande  liesse,  le  lendemain:  ils 
trouvèrent  dans  le  camps  abandonné,  de  quoi  faire  bombance  pen- 
dant trois  jours.  Leur  victoire  n'était  cependant  pas  très-brillante  ; 
ils  la  devaient  en  bonne  partie  au  découragement  du  roi  deTch'ou: 
les  officiers  le  comprirent  ainsi  ;  c'est  pourquoi  Che-sie  -_f;  fifk  disait 
en  public  à  Li-kong  :  votre  Majesté  est  bien  jeune,  et  nous  autres, 
ministres  et  généraux,  nous  sommes  bien  incapables;  comment 
avons-nous  la  victoire?  que  votre  Majesté  ne  s'en  orgueillisse  pas! 
Le  livre  des  annales  1)  nous  donne  ce  grave  avertissement  :  le 
mandat  du  ciel  rie^t  pas  irrévocable;  il  faut  donc  s'appliquer  à  la 
vertu  pour  affermir  son  trône. 

A  la  7ème  lune  de  cette  même  année  575  (mai-juin),  Li-kong 
réunissait  quelques  vassaux  en  conseil,  à  Cha--<0"ri  f>p  g||  2  . 
sur  le  territoire  de  Song  5^  ;  il  s'agissait  toujours  de  punir  le 
prince  de  Tcheng  ftj$,  cause  de  la  guerre,  ou  plutôt  de  l'unique 
bataille  qui  venait  d'avoir  lieu.  A  cette  assemblée,  se  trouvaient 
présents  les  princes  de  Ts'i  ^|,  de  Wei  Hj.  de  Tchou  Jj$,  avec 
l'ambassadeur  de  Song. 

Le  duc  de  Lou  Hf»  s'y  présenta;  au  lieu  d'y  être  admis,  il  fut 
encore  une  fois  mis  en  réclusion  ;  fait  que  Confuciùs  se  garde 
bien  d'inscrire  dans  sa  chronique.  Mais  quelle  était  la  raison  de 
ces  rigueurs  envers  ce  prince,  la  fine  fleur  des  souverains  chinois"? 
la  voici  :  Sa  propre  mère,  nommée  Mou-kiang  ¥£■  H?-,  vivait  en 
désordre  avec  un  certain  seigneur  nommé  Siuen-pè  i(  fg  ou  K'iao- 
jou  fH  %[]  :  celui-ci,  à  ses  autres  crimes,  ajouta  celui  de  calomnia- 
teur ;  il  dit  au  seigneur  K'i-tch'eou  ffi  *p  :  notre  duc  n'a  pas  pris 
part  à  la  bataille  de  Yen-ling  i|[)  §j|  :  il  s'est  tenu  à  Hoai-toue,i  j$ 
PU  (3),  attendant  qui  des  deux  rois  serait  vainqueur.  Or  K'i- 
tch'eou  était  général  des  nouveaux  corps  d'armée,  il  était  le  chef 
des  branches  latérales  de  la  famille  régnante,  il  était  encore  le 
président  des  vassaux  situés  à  l'est  de  Tsin  :  c'était  donc  un  per- 
sonnage puissant,  sa  parole  devait  faire  autorité  ;  le  calomniateur 
le  savait  bien;    aussi   il   envoya   force   cadeaux  pour  faire    accepter 


(1)  Chou-king  "3j;  £2,  [Zottoli,   III.  p.  443)    —   (Couvreur,  p.    244,   »' 

(2)  Cha-souei  était  à  6  li  nord-ouest  dr  Ning-ling  hien  3§!  fë  !$f;,  qui  est 

li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  Koei-té  fou  %%  fê,  /?T.    Ho-nan.     l'élite  géogr.,  vol.   ri, 

p.    121  —     Grande,  vol.  jo,  p.    - 

■  (3)   Hoai-touei,  son  emplacement  est  inconnu. 


208  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

sa  délation.  Le  grand  seigneur  n'eut  pas  honte  de  se  laisser 
corrompre,  et  de  se  faire  le  porte-voix  de  ce  vilain  sire.  Toutefois, 
le  duc  finit  par  se  disculper,  et  fut  mis  en  liberté  (1). 

Sur  ces  entrefaites,  les  gens  de  Ts'ao  ^  priaient  Li-kong  de 
leur  rendre  leur  prince  Tch'eng-kong  jfc  fè,  ce  fratricide  que  l'on 
avait  saisi  et  confié  à  l'empereur.  On  trouva  encore  moyen  d'ar- 
ranger cette  affaire,  sans  léser  la  vertu  évidemment  ;  et  l'on  plaça 
officiellement  sur  le  trône,  celui  qu'on  en  avait  arraché  comme 
un  infâme  usurpateur. 

La  conclusion  de  l'assemblée  des  vassaux  avait  été  l'envoi 
d'une  armée  contre  le  prince  de  Tcheng  f|f$  ;  cette  fois  le  duc  de 
Lou  v  était,  avec  son  contingent  de  troupes  auxiliaires  ;  mais  on 
s'en  retourna  sans  avoir  rien  fait  ;  on  s'en  vengea  en  mettant  en 
prison  à  T'iao-h'iou  ^  Jrj)  (2)  le  seigneur  de  Lou,  Ki-suen-hang- 
fou  $^,  fî  3^'  toujours  à  cause  des  délations  du  calomniateur 
Siuen-pé  jjf  f£j.  Les  troubles  n'étaient  pas  petits  auparavant, 
dans  ce  duché  modèle  ;  ce  fut  bien  pis  après  cette  arrestation  ;  en 
vérité,  le  prince  n'était  pas  à  son  aise  ! 

A  la  12èine  lune,  ce  même  seigneur  Ki-suen-hang-fou  et  le 
seigneur  K'i-tch'eou,  chacun  pour  le  compte  de  son  maître, 
signaient  un  traité  d'alliance  et  d'amitié,  aussi  sincère,  aussi 
éternel  que  tous  les  précédents  ;  c'était  une  comédie  à  l'usage  des 
princes  de  cette  époque. 

A  la  fin  de  cette  même  lune  (octobre-novembre),  Li-kong 
députait  le  seigneur  K'i-tche  $fr  tg  offrir  à  l'empereur  le  butin 
fait  à  la  bataille  de  Yen-ling  f$  §|.  Il  paraît  que  dans  ses  con- 
versations avec  le  grand  ministre  Chen-siang-kong  ïp.  ||  ^,  ce 
seigneur  ne  cessa  de  vanter  ses  hauts  faits  ;  le  ministre  l'écouta 
sans  doute  avec  patience  ;  mais  ensuite  il  dit  à  son  entourage  :  le 
seigneur  K'i-tche  ffi  jf>  finira  mal,  et  très-prochainement.  Parmi 
les  généraux,  il  n'a  que  le  huitième  rang  (3),  et  il  prétend  effacer 
tous  ceux  qui  sont  au-dessus  de  lui  en  grade  et  en  mérite  ;  ignore- 
t-il  que  les  ressentiments  accumulés  contre  quelqu'un,  finissent 
par  causer  sa  perte?  son  orgueil  lui  suscite  partout  des  ennemis; 
comment  pourrait-il  rester  encore  longtemps  à  un  poste  élevé? 
Le  livre  des  annales  (4)  nous  donne  cet  avertissement:    n'attende: 

(1)  La  capitale  du  fief  de  ce  grand  seigneur  K'i-tch'eou  était  à  l'endroit  où  se 
trouve  maintenant  Ling-fen  hien  !..','  &  ?|  dans  la  préfecture  de  P'ing-yong  fou  -f- 
|!|,  fff.  Chan-si;  on  y  a  élevé  un  Kiosque  commemoratif,  appelé  Tch' eou-cke-ting 
W  i-r<   "',''■   (  Voyez   le   recueil   intitule   Lou-che   £§  $£.,   vol.    2,  p.    21). 

(2)  T'iao-k'iou,  emplacement  inconnu. 

(3)  Le  général  «les  nouveaux  corps  d'armée  (Sm-kiun  ffH  1^),  était  inférieur 
aux  généraux  des  trois  corps  anciens,  et  même  à  leurs  adjudants:  il  avait  donc  le 
7eme  rang  ;  son  aide  avait  le  8eme,  et  son  titre  était  tsouosiiv-kiun  fe  5$r  !Ç. 

(4)  Chou-king  S  $§.  (Couvreur,  p.  çs-  n°  s)- 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    LI-KONG.  209 

pas  que  les  plaintes  éclatent  au  grand  jour,  et  précipitent  les 
événements  ;  veillez  à  ce  qu'elles  n'aient  pas  lieu  de  se  produire. 
Ainsi  nous  devons  pr-endre  garde  aux  germes  de  ressentiments, 
encore  imperceptibles;  et  les  colères  contre  cet  homme  éclatent  au 
grand  jour;  comment  échapperait-il  à  son  mauvais  sort?  —  Der- 
nière Jérémiade  à  l'adresse  de  fa  famille  K'i  ^|$,  dont  les  malheurs 
sont  imminents.  — 

En  574,  au  début  de  l'année  (vers  Novembre),  Pé-kong-kouo 
4b  c!T  W  seigneur  de  Wei  fëj,  conduisait  des  troupes  contre  l'ar- 
mée de  Tcheng  ff^,  qui  avait  osé  envahir  le  pays  de  Tsin,  et 
s'était  avancée  jusqu'aux  villes  de  Hiu  ^  et  de  Houa  $f*  (1). 
Mollement  attaqué  par  l'armée  fédérée,  le  prince  de  Tcheng  s'était 
imaginé  qu'on  avait  eu  peur  de  lui,  et  s'était  lancé  lui-même  sur 
le  pays  de  Tsin  ;  le  marquis  de  Wei  $j,  pour  rendre  service  à  son 
suzerain,  avait  envoyé  des  troupes  barrer  le  passage  aux  envahis- 
seurs,   et  celles-ci  s'étaient   avancées  jusqu'à   la   ville   de   Kao-che 

m  &  (2)- 

Le  prince  de  Tcheng  ||j$  envoya  son  fils  le  prince  héritier, 
avec  un  autre  grand  seigneur,  comme  otages  à  la  cour  de  Tch'ou 
*g,  pour  en  obtenir  de  nouveaux  secours.  Il  n'attendit  pas  long- 
temps, car  le  roi  de  Tch'ou  dépêcha  deux  de  ses  fils,  avec  des 
troupes,  garder  la  capitale  même  de  Tcheng. 

L'armée  de  Tsin  n'était  pas  encore  convoquée.  Vers  le  mois 
d'avril,  Li-kong  réunissait  encore  une  fois  les  vassaux,  pour  le 
même  sujet,  la  punition  de  ce  prince  de  Tcheng  qui  parvenait 
toujours  à  échapper.  A  cette  assemblée,  présidée  par  les  deux- 
ministres  impériaux  Yng-ou-Uong  ffr  ^  Q  et  Chen-siang-kong 
Jp.  ;j|  /gv,  étaient  présents  les  princes  de  Ts'i  ^,  de  Lou  ^,  de 
Song  3c,  de  Wei  Hj.de  T>;'ao  ^  et  de  Tchou  %$  ;  le  congrès  avait 
lieu  à  Ko-ling  1$  |S£  (3). 

A  la  *r  ""  lune,  au  jour  i-you  £,  |f  (23  mai),  on  jura  solen- 
nellement un  traité  d'alliance  et  d'amitié  ;  l'armée  fédérée  fut 
bientôt  en  marche,  s'avançant  par  le  territoire  de  Hi-tong  J§£  j|| 
jusqu'à  K'iu-wei  fjjj  jfê  (4)  ;  mais  elle  revint  sur  ses  pas  sans 
achever  la   campagne,    on  ne  dit  pas   la    raison    de   cette    retraite  ; 


(1)  lliu  était  près  de  Iloua;  mais  on  en  ignore  l'emplacement  exact. 
Houa  ou  fleou-efte-teft'eng  f;f£lv.ft?  était  à  20  li  au  sud  de  \rcn-che  hien 

qui  est  à  70  li  à  l'est  de  sa  préfecture  Ho-nan  fou  v"F]%'SF,  Ho-nan.  (Petite  géogr.. 
vol.   12,  p.  34)  —  (Grande,  vol.  48,  p,  26). 

(2)  Kao-che  était  au  sud-ouest  de  l'ancienne  ville  Yang-tt  Hflf?,  actuellement 
Yu-tcheou  T$-  :H'I,  qui  est  à  320  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  K'ai-fong  fou  [!fl  ït  fl-F ■ 
Ho-nan.  (Grande  géogr.,  vol.  47.  p.  si). 

(3)  Ko-lina:,  on  en  ignore  l'implacement  exact;  on  sait  seulement  qu'elle  était 
à  l'ouest  du   pays  de   Tcheng  '%.    Ainsi  l'édition  impériale  (ajino  57  i 

(4)  lli-tong.  Ce  territoire  était  situé  autour  de  la    montairne   Feou-hi-chan  Y} 

27 


210  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

n'était-ce  pas  la  présence  des  troupes  de  Tch'ou?  Cela  est  proba- 
ble ;  mais  le  prince  de  Tcheng  avait  aussi  fait  un  semblant  de 
soumission,  et  avait  berné  les  alliés. 

Ici,  l'historien  rapporte  qu'après  la  victoire  de  Yen-ling  ^ 
H|,  le  sage  Che-sié  -j^  ^  ordonna  au  préposé  du  temple  de  ses 
ancêtres  d'offrir  des  sacrifices,  afin  d'obtenir  pour  lui  une  prompte 
mort  :  Notre  souverain,  ajoutait-il,  était  déjà  par  nature  assez 
hautain  et  extravagant  ;  après  cette  victoire,  sa  tête  paraît 
encore  plus  déséquilibrée  ;  bientôt  de  lamentables  calamités  vont 
fondre  sur  notre  pays  ;  si  quelqu'un  m'aime,  qu'il  prie  le  ciel  de 
m'épargner  la  vue  de  ces  malheurs  ;  ce  sera  pour  moi  un  grand 
bienfait. 

Encore  un  peu,  et  nous  allons  voir  en  quel  triste  état  se 
trouvait  le  pays  de  Tsin,  sous  un  tel  souverain;  nous  ne  serons 
plus  étonnés  du  dégoût,  du  découragement  exprimé  par  cet  hom- 
me de  bien.  De  fait,  à  la  6ème  lune,  au  jour  ou-chen  jrj£  fë  (6 
mai),  ce  grand  seigneur  avait  cessé  de  vivre.  Quelques  rares  au- 
teurs, comme  les  commentaires  de  Tou-linç]  i^  ^,  prétendent 
qu'il  s'était  suicidé;  mais  il  n'y  a  aucune  preuve  à  cette  assertion; 
il  n'y  a  même  aucune  probabilité,  vu  la  longue  et  honorable  car- 
rière fournie  par  ce  haut  dignitaire  ;  aussi  cette  opinion  a  trouvé 
peu  d'adhérents. 

A  la  10ème  lune  (août-septembre),  l'armée  fédérée  reprenait 
les  hostilités  contre  le  pays  de  Tcheng  fîj) ,  au  jour  appelé  heng-ou 
$î  £f-  (5  septembre)  elle  commençait  le  siège  de  la  capitale,  mais 
voyant  les  gens  de  Tch'ou  5§§  arriver  au  secours,  elle  se  retira 
sans  avoir  obtenu  aucun  résultat. 

Nous  voici  arrivés  au  moment  prédit  par  nos  lettrés-prophè- 
tes ;  c'est  maintenant  que  les  calamités  vont  assaillir  le  pays  de 
Tsin.  Li-kong  était  un  prince  extravagant  et  dissolu  ;  il  n'aimait 
autour  de  soi  que  les  frères  et  cousins  de  ses  concubines,  c'étaient 
ses  favoris  et  ses  intimes.  Après  la  victoire  de  Yen-ling  jjfft  |§t,  il 
se  crut  assez  fort  pour  éloigner  de  la  cour  les  grandes  familles 
seigneuriales,  et  les  remplacer  par  ses  créatures. 

L'un  de  ses  préférés  était  le  seigneur  Siu-tong  ^  f§|  ;  son 
père  Siu-kco  ^  j£  avait  été  évincé  par  K'i-k'iué  $|]  jîj&,  en  601, 
comme  nous  l'avons  alors  raconté  ;  la  haine  contre  la  famille  K'i 
'$$  n'était  pas  éteinte,  loin  de  là!  on  se  la  transmettait  de  père  en 
fils,  comme  un  héritage  ;  aussi  Siu-tong.  se  voyant  en  faveur,  va- 
t-il  chercher  et  trouver  l'occasion  pour  une  vengeance  éclatante  (1). 

JgJ  llj-  dans  la  sous-préfecture  actuelle  de  Fan-chouei  JE  7.R.  qui  est  à  120  li  ù 
l'ouest  de  sa  préfecture  K'ai-fong  fou  ^  JJ  îf.f.  Ho-nan.  Petite  géogr.,  vol.  12  p. 
10)  —   [Grande,   vol.  47.  p.   63). 

K'iu-wci.  r'est  Weir-tchoan  hien  f^Jljlff,  à  150  li  sud-ouest  de  K'ai-fong  fou. 
[Petite  géogr.,  vol.  /_'.  p.  4)  —     Grande,  vol.  47.  p.   22). 

(1)  On  se  souvient  que  le  seigneur  Sut — tchen  'jÇ  f§  avait  accompagné  en  exil 


DU    ROYAUME   DE    TSIN.    LI-RONG.  211 

Y-yang-ou  ^  ^  {£  était  aussi  un  des  favoris  de  Li-kong; 
lui  aussi  détestait  la  famille  K'i  parceque  le  seigneur  Kci-i  ffi  |^ 
lui  avait  arraché  des 'terres. 

Un  troisième  ennemi  était  Tcha.ng-iu-kia.0  -J^  fâ  jfâ,  autre 
intime  de  Li-kong;  le  seigneur  K'i-tch'eou  £[>  J|Ë  lui  avait  aussi 
arraché  des  terres  ;  et  même  il  l'avait  fait  lier,  avec  son  père,  sa 
mère  et  ses  enfants,  au  timon  de  sa  voiture  (1);  cette  conduite 
l'avait  rendu  extrêmement  odieux  au  peuple  ;  l'affaire  avait  été  ar- 
rangée, mais  la  haine  était  aussi  vive  qu'aux   premiers  jours. 

Le  plus  redoutable  adversaire  était  le  premier  ministre  Loan- 
chou  ff£  f!j  lui-même;  il  détestait  le  seigneur  K'i-tche  §|$  ^,  par- 
ce que  celui-ci,  à  la  bataille  de  Yen-ling  ,||J  [^,  avait  contrecarré 
ses  plans,  avait  entraîné  l'armée  au  combat,  au  lieu  de  rester 
dans  le  camp,  et  d'y  lasser  les  troupes  de  Tch'ou  $£;  la  victoire 
avait  semblé  donner  raison  au  général  récalcitrant  ;  le  premier 
ministre  voulait  à  tout  prix  le  faire  dégrader  ;  il  eut  recours  à  une 
infâme  calomnie  : 

On  se  souvient  qu'à  cette  bataille,  le  prince  Féi  ^1,  fils  du 
roi  de  Tch'ou,  avait  été  fait  prisonnier  et  conduit  à  la  cour  de 
Tsin  ;  le  premier  ministre  suborna  ce  captif,  et  lui  dicta  l'accusa- 
tion suivante  pour  Li-kong:  «c'est  K'i-tche  qui  a  engagé  mon 
père  à  livrer  combat,  avant  l'arrivée  des  troupes  de  Ts'i^,de  hou 
^  et  de  Wei  $j,  avant  même  que  votre  armée  ne  fût  prête;  nous 
serons  vaincus,  disait-il  à  mon  père,  c'est  ce  que  je  veux  ;  alors 
je  pourrai  faire  venir  le  prince  Suen-tcheou  fâ  fë\,  qui  est  près  de 
l'empereur,  je  le  placerai  sur  le  trône,  et  nous  nous  rangerons 
sous  votre  suzeraineté.'» 

Cette  délation,  venant  d'une  telle  bouche,  fit  grande  impres- 
sion sur  Li-kong  ;  avant  de  rien  décider,  il  voulut  avoir  l'avis  du 
premier  ministre  ;  le  piège  réussissait  donc  à  souhait:  Croyez-vous, 
demanda  Li-kong,  à  la  vérité  de  cette  accusation?  —  Assurément! 

le  prince  Tchong-eul  1||  Jf-  devenu  plus  tard  le  roi  Wen-kony  3>C  5V  :  cette  famille 
l'ut  donc  une  des  principales  du  pays;  ses  membres  eurent  toujours  de  hautes  digni- 
tés, sans  arriver  à  celle  de  premier  ministre.  Siu-kia  ffî  ^,  fils  du  précédent,  fut 
l'aide  du  général  du  3cme  corps  d'armée;  Siu-k'o  'jpjj'-  ]£,  son  fils,  devint  ministre 
d'Etat  (K'ing  JjjJ)  ;  Siu-tftng  est  auprès  du  souverain,  comme  un  grand  personnage; 
nous  allons  voir  sa  fin  tragique.  Les  Siu  sont  encore  longtemps  mentionnés  dans  les 
annales  de   Tsin.    (Annales  du  Chan-si,  vol.  S.  p.  22). 

(1)  Le  caractère  Yitcn  WL  signifie  bien  timon  (ou  limon)  de  voiture;  mais, 
devant  le  palais  des  grands  seigneurs  il  y  avait  alors,  comme  maintenant,  deux 
mâts  qui  peuvent  avoir  ce  nom  ;  il  semble  plus  naturel  que  cette  famille  ait  été 
enchaînée  à  l'un  de  ces  arbres,  à  la  façon  de  ceux  qui  portent  la  cangue  et  un  écri- 
teau  à  la  porte  des  tribunaux;  c'était  déjà  assez  infamant  pour  de  telles  gensl  — 
Il  faut  aussi  noter  ce  qui  suit  :  plus  tard,  les  seigneurs  ayant  perdu  le  privilège  du 
char,  donnaient  à  ces  mats  la  forme  d'un  timon,  pour  en  rappeler  le  souvenir. 


212  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

répondit  Loan-chou  ;  s'il  n'avait  pas  agi  de  cette  sorte,  K'i-tche 
serait  mort  sur  le  champ  de  bataille,  ou  il  aurait  été  fait  prison- 
nier, quand  il  fut  entouré  par  les  gens  de  Tch'ou  ;  au  contraire,  il 
en  a  reçu  un  arc  d'honneur.  Du  reste,  votre  Majesté  peut  se  pro- 
curer une  preuve,  en  députant  K'i-tche  à  la  cour  impériale,  et  en 
s'assurant  s'il  y  est  en  relations  avec  le  prince  Suen-tcheou. 

Li-kong  n'avait  aucune  raison  de  se  défier  du  premier  minis- 
tre ;  il  ne  pouvait  soupçonner  qu'un  exprès  allait  partir  à  l'avance, 
inviter  ce  même  prince  Suen-tcheou  à  se  rendre  chez  K'i-tche, 
quand  il  arriverait  à  la  cour.  Li-kong  députa  donc  K'i-tche  auprès 
de  l'empereur,  et  le  fit  surveiller  par  un  espion  ;  celui-ci  n'eut  pas 
de  peine  à  constater  les  allées  et  venues  du  prince,  et  ses  rapports 
avec  l'ambassadeur.  Li-kong  fut  persuadé  de  la  trahison,  et  réso- 
lut de  la  punir,  mais  il  dissmula  pour  quelque  temps. 

Un  jour,  le  même  K'i-tche  se  rendait  au  palais,  offrir  à  Li- 
kong  un  beau  sanglier  ;  l'eunuque  Mong-tchang  jg  ïjj|  le  lui 
enleva  en  chemin  ;  furieux  de  cette  impudence,  le  seigneur  déco- 
cha une  flèche,  et  tua  le  ravisseur.  Li-kong  feignit  de  croire  que 
K'i-tche  avait  été  l'agresseur,  et  s'écria  d'un  ton  sévère  devant  son 
entourage  :  cet  homme  vient  donc  m'insulter  dans  mon  palais  ? 
Le  pauvre  dignitaire  aurait  dû  s'apercevoir  qu'il  était  mal  en 
cour,  et  s'en  éloigner  à  temps. 

Quand  Li-kong  voulut  commencer  la  guerre  aux  grandes 
familles,  Siu-tong  lui  donna  le  conseil  suivant  :  commencez  donc 
par  celles  des  K'i  $|$  ;  elles  sont  puissantes,  il  est  vrai,  mais  elles 
sont  détestées  ;  personne  ne  les  soutiendra,  et  tout  le  monde  vous 
approuvera.  Cet  avis  plut  à  Li-kong,  et  il  se  prépara  de  suite  à 
l'exécuter. 

Mais  les  K'i  en  eurent  bientôt  connaissance  ;  ils  réunirent 
un  conseil  de  famille,  pour  examiner  les  moyens  de  conjurer  le 
péril.  K'i-i  ffi  §£j  proposa  d'aller  attaquer  Li-kong  dans  son 
palais  :  peut-être  sera-ce  ma  mort,  ajoutait-il,  du  moins  je  me 
serai  vengé. 

K'i-tche  ffi  g?  répondit  en  philosophe  :  ce  qui  recommande 
un  homme,  c'est  la  loyauté,  la  sagesse,  le  courage.  Un  homme 
loyal  ne  se  révolte  pas  contre  son  souverain  ;  un  homme  sage  ne 
nuit  pas  au  peuple  ;  un  homme  courageux  n'excite  pas  de  trou- 
bles ;  si  notre  famille  perd  ces  trois  vertus,  qui  donc  sera  pour 
nous  ?  si  par  cet  acte  de  violence  nous  augmentons  le  nombre  de 
nos  ennemis,  quel  profit  en  aurons-nous  ?  Quand  un  prince  met  à 
mort  un  officier,  celui-ci  n'a  qu'à  se  taire  ;  de  quoi  se  plaindrait- 
il  ?  Si  nous  sommes  coupables,  la  punition  nous  atteint  bien 
tard  ;  si  nous  sommes  innocents,  c'est  la  ruine  du  roi  ;  il  perdra 
l'affection  de  son  peuple,  et  n'aura  plus  de  repus  sur  son  trône. 
Attendons  notre  sort,  c'est  ce  qu'il  y  a  de  mieux  à  faire.  Nous 
avons  longtemps  joui  des  faveurs  de  notre  prince  ;  grâce  à  ses 
bienfaits,    notre  lamille    est  devenue    illustre,  et    nous    avons    un 


DU   ROYAUME    DE   TSIN.    LI-KONG.  213 

parti  puissant  pour  nous  ;  mais  soulever  une  rébellion  pour  sau- 
ver notre  vie,  ce  serait  le  plus  grand  crime  !  La  famille  se 
langea  à  cet  avis.,  et  attendit  les  événements. 

Au  jour  appelé  jen-ou  -ff  ^p  (16  novembre),  les  deux  favoris 
Siu-tong  et  Y-yang-ou  conduisaient  huit  cents  hommes,  couverts 
de  cuirasses,  à  l'attaque  de  la  famille  K'i  £|$.  Le  favori  Tchang- 
yu-kiao  -g  f§  $p|  conseillait  d'emmener  moins  de  monde,  pour  ne 
pas  attirer  l'attention.  Li-kong  lui-même  envoya  un  quatrième 
favori  les  aider  dans  leur  besogne  ;  celui-ci  se  nommait  Tsing- 
fei-foei  gf  ffî  $|. 

Tous  ces  hommes,  retroussant  leurs  habits  et  prenant  leurs 
lances,  simulèrent  une  rixe,  et  entrèrent  ainsi  en  tumulte  dans  le 
palais  de  la  famille  K'i,  laquelle  n'avait  pas  compris  la  ruse  ;  ils 
trouvèrent  les  trois  seigneurs  K'i-i  $[$  f^,  K'i-tch'eou  ffi  ^L  et 
K'i-tche  £1$  ]g  réunis  en  délibération  dans  la  salle  des  armes. 

A  coups  de  lance,  Tchang-yu-kiao  tua  les  deux  premiers  ;  le 
gème  s'écria  ;  vous  ne  montrez  pas  l'ordre  du  roi,  avant  de  nous 
massacrer  !  fuyons  ces  assassins,  et  cachons-nous  !  Mais  Tchang- 
yu-kiao  le  poursuivit,  l'atteignit,  et  le  tua  au  moment  où  il  mon- 
tait sur  son  char  ;  les  trois  cadavres  furent  apportés  en  triomphe, 
et  exposés  dans  la  cour  de  Li-kong,  pour  terrifier  ceux  qui  ose- 
raient prendre  parti  pour  les  victimes. 

On  ne  s'arrêta  pas  en  si  beau  chemin  ;  Siu-tong  et  ses  sbires 
s'emparèrent  du  premier-ministre  Loan-chou  fHf!^,  et  du  seigneur 
Siun-hien-t*e  1=5   S  "?>  dans  le  palais  même  de  Li-kong. 

Tchang-yu-kiao  voulait  aussitôt  les  massacrer  :  si  nous  ne 
tuons  encore  ces  deux-là,  disait-il,  notre  prince  en  aura  malheur  ! 
Li-kong  s'y  opposa  en  disant  :  nous  avons  déjà  exterminé  trois 
ministres  en  une  seule  journée  ;  il  me  répugne  d'en  ajouter 
encore  deux. 

Tchang-yu-kiao  insistait  :  il  ne  leur  répugnera  pas  de  \ous 
tuer  vous-même  !  disait-il  ;  les  anciens  nous  ont  enseigne  qu'aux 
hostilités  du  dehors,  il  faut  opposer  la  vertu  :  aux  trahisons  du 
dedans,  il  faut  opposer  la  sévérité  ;  en  massacrant  les  trois  autres, 
vous  n'avez  pas  encore  montré  de  la  vertu  ;  en  épargnant  ceux- 
ci,  vous  ne  montrez  pas  de  sévérité  ;  bientôt  tous  vos  ennemis  du 
dehors  et  tous  les  traîtres  de  l'intérieur  vont  fondre  ensemble  sur 
vous  ;  ainsi  je  ne  veux  pas  rester  plus  longtemps  ici  !  Ayant 
ainsi  parlé,  il  se  retira  chez  les  Tartares  Ti  Jft.  — 

Li-kong  fit  relâcher  les  deux  ministres,  en  leur  faisant  dire  : 
sa  Majesté  ne  voulait  punir  que  la  famille  K'i  $}  :  vos  seigneuries 
n'ont  rien  à  craindre,  et  n'ont  qu'à  continuer  à  gérer  leur  office. 

A  ces  paroles,  les  deux  ministres  se  prosternèrent,  frappant 
deux  fois  la  terre  de  leur  front,  et  s'écrièrent  :  sa  Majesté  a  puni 
des  coupables,  et  a  bien  voulu  nous  épargner  ;  c'est  une  grâce 
insigne  qu'elle  nous  accorde  ;  pourrions-nous  jamais  l'oublier  ! 
sur  ce,  ils  retournèrent  à  leurs  palais,  la  rancune  dans  le  cœur. 


214  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Après  cette  exécution,  Siu-tong  ^  î§|  fut  nommé  grand 
ministre  d'Etat.  Peu  après  cet  événement,  Li-kong  se  trouvait 
en  promenade  chez  un  de  ses  favoris,  nommé  Tsiang-li  g  j^jj, 
dans  la  ville  de  I  f|  (1)  ;  il  ne  s'imaginait  pas  quelle  rage  le 
danger  couru  avait  excitée  chez  les  deux  ministres  libérés. 

Loan-chou  f|§  If  et  Siun-hien-tse  ^  Jjjfc  ^  profitant  de  cette 
sécurité,  s'emparèrent  de  Li-kong  et  le  tinrent  en  prison.  Ils 
invitèrent  le  seigneur  Che-hai  J^  t^  à  lui  donner  le  coup  de  la 
mort  ;  celui-ci  refusa  :  ils  invitèrent  pareillement  le  seigneur 
Han-h'iuè  $L  Jijfc  qui  leur  répondit  :  j'ai  été  élevé  dans  la  famille 
Tchao  ^  ;  malgré  la  reconnaissance  que  je  lui  dois,  je  n'ai  pas 
voulu  tirer  l'épée  contre  notre  souverain,  quand  on  mit  à  mort  les 
deux  seigneurs  Tchao-l'ong  %$  |p]  et  Tchao-kouo  jH  Ifê  (583 1. 
Un  ancien  proverbe  dit  «personne  n'aime  à  tuer  un  vieux  bœuf», 
à  plus  forte  raison  s'il  s'agit  d'assassiner  un  roi  !  Vos  seigneu- 
ries n'ont  pas  su  servir  à  souhait  leur  monarque  ;  à  cette  heure, 
que  voulez-vous  de  moi  ? 

A  la  lune  intercalaire,  au  jour  appelé  i-mao  £  l)\l  (19 
décembre),  Loan-chou  et  son  collègue  massacraient  Siu-tong  ^ 
J|,  celui-là  même  qui  les  avait  arrêtés,  quelques  jours  auparavant. 

En  573,  5  jours  après  le  nouvel  an  (24  décembre),  les  deux 
ministres  envoyaient  enfin  le  grand  officier  Tcheng-houa  jg  rjf 
tuer  Li-kong,  et  l'enterrer  en  dehors  de  la  porte  orientale  de  la 
môme  ville  de  /  J|,  où  il  avait  été  pris.  L'historien  ajoute  que 
l'enterrement  ne  fut  pas  briil  i:it  ;  on  le  conçoit  !  il  n'y  eut 
qu'une  seule  voiture,  au  lieu  1:  sept  que  l'étiquette  voulait  pour 
les  rois  (2). 

Parmi  les  extravagances  imputées  à  Li-kong,  le  même  histo- 
rien note  celle-ci  :  Quand  il  était  à  la  chasse,  il  emmenait  avec 
lui  ses  concubines  ;  et  après  avoir  lui-même  tiré  sur  le  gibier  que 
les  batteurs  amenaient  à  portée  de  sa  flèche,  il  passait  l'arc  à  ces 
dames,  au  lieu  de  le  tendre  à  ses  grands  dignitaires.  De  même, 
au    festin  de    réjouissance,  après    avoir    bu    lui-même,    il    passait 

(1)1  était  à  15  li  sud-est  de  I-tch'eng  hien  M.  ^  !gg  qui  est  à  130  li  sud-est 
de  sa  préfecture  P'ing-yang  fou  ^f-  [?§  f(f,  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  S,  p.  10)  — 
/Grande,  vol.  41.  p.  12:.    C'est  aussi  le  nom  de  l'ancienne  capitale  Kiang. 

(2)  Le  recueil  Ta-tsing  i-tong  tche  ^  ïn  —  #C  Sa,  vol.  99,  p.  S,  dit  que  le 
tombeau  de  Li-kong  est  à  16  li  sud-est  de  I-tch'eng  hien;  il  n'avait  que  16  pieds  de 
haut,  comme  celui  d'un  manant  :  parce  que  ce  prince  avait  mal  régné.  Le  tombeau 
du  glorieua  Wen-hong  3t  ÎJ,  son  ancêtre,  avait  cent  pieds  de  haut.  (Annales  du 
Chan-si.  vol.  jo.  p.   26). 

Le  tombeau  de  K'i-k'iué  §ft  S0t  (ou  K'i-tch'eng-fse  §B  j£  J-)  dont  nous  avons 
tant  parlé,  sous  les  ans  Hoei-kong  $S  Â  (650-o37)  et  Siang-kong  S  "5J  (627-621  li 
est  g  70  li  à  l'est  de  Ngo-yang  hien  Uj  |:"  SI  qui  est  à  110  li  nord-est  de  sa  pré- 
fecture P'ing-yang  fou.  (Mêmes  annales,  même  volume,  p.  27). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    LI-KO>iG.  215 

encore  la  coupe  à  ces  dames,  et  brûlait  la  politesse  à  ses  minis- 
tres, en  dépit  de  l'étiquette  de  ces  temps-là.  S'il  n'eût  commis 
que  des  crimes  de  ce  genre,  il  est  probable  qu'il  fût  mort  d'une 
façon  moins  tragique  ! 

Après  s'être  débarrassés  de  Li-kong-,  les  deux  ministres 
envoyèrent  en  toute  hâte  les  grands  officiers  Siun-yong  ^  4H  et 
Che-fang  i  %h  à  la  cour  impériale,  inviter  le  prince  Suen-tcheou 
à  venir  monter  sur  le  trône,  et  le  conduire  à  la  capitale.  Celui- 
ci,  âgé  seulement  de  14  ans.  se  trouvait  alors  à  Tsinrj-yuen  ffê 
Jjijf  (1)  ;  c'est  là  que  les  ambassadeurs  allèrent  lui  présenter  leurs 
hommages. 

Malgré  sa  jeunesse,  il  leur  répondit  comme  un  sage  :  en  véri- 
té, je  n'ai  jamais  aspiré  à  cette  dignité;  maintenant  que  j'y  suis 
appelé,  n'est-ce  pas  le  ciel  qui  m'y  place?  Lorsque  les  hommes 
demandent  un  roi,  ils  veulent  un  homme  qui  sache  donner  des 
ordres,  et  gouverner  le  pays  ;  si  l'on  n'obéit  pas  au  souverain,  à 
quoi  bon  le  mettre  sur  le  trône?  Si  vos  seigneuries  veulent  ou  ne 
veulent  pas  m'obéir,  qu'elles  le  disent  dès  maintenant!  Si  elles 
me  défèrent  vraiment  honneur  et  obéissance,  alors  les  Esprits 
nous  combleront  de  leurs  faveurs. 

Les  députés  répondirent  :  tous  les  dignitaires  vous  attendent 
avec  impatience  :  comment  oserions-nous  ne  pas  obéir  au  moindre 
signe?  Ainsi,  au  jour  Keng-ou  Jî  ^p  2  janvier  ,  on  fit  un  traité, 
on  jura  solennellement  les  clauses  de  l'élection  ;  après  quoi,  le 
prince  prit  le  chemin  de  la  capitale  de  Tsin  ;  à  son  arrivée  il 
descendit   au   palais   d'un   grand    officier   nommé  Pè-tse-t'on<j-chp 

Au  jour  sin-se  ^  2,  (14  janvier),  il  se  rendit  solennellement 
au  temple  < m-hong  ^  *§?.  se  présenter  à  ses  ancêtres,  et  recevoir 
l'hommage  des  grands  dignitaires.  Au  jour  i-you  £_.  "g"  18  jan- 
vier), il  montait  sur  le  trône,  où  nous  allons  le  retrouver  sous  le 
nom  de  Tao-kong  fâ  fc.  —  (2)  (3). 

(1)  Tsing-vuen  était  à  20  li  nord-ouest  de  Kiang-tcheou  £|#|.  Chan-si.  'Petite 
rjéorjr..  vol.  S,  p.  44)  —  (Grande,  vol.  41.  p.  40). 

(2)  La  famille  Loan,  comme  on  a  pu  s'en  rendre  compte,  n'était  pas  une  des 
moindres  du  royaume  de  Tsin  :  elle  était  une  des  branches  de  la  maison  régnante. 
et  devait  sans  doute  son  nom  au  fief  qu'elle  avait  reçu.  Il  y  a  encore  une  sous- 
préfecture  appelée  Loan-tch'eng  hien  §*  */<<  f£  à  HO  li  au  sud  de  sa  préfecture 
Tcheng-ting  fou  jE  /Ë  ^F.  Tche-li.   (Petite géogr.,  vol.  2,  p.  42). 

Le  fondateur  de  cette  famille,  le  seigneur  Tse-loan  J-  ff?f.  était  un  des  fils  du 
roi  Tsing-heou  i'jÇ  0|  (858-844  ses  descendants  occupèrent  toujours  de  hautes 
charges.  Loan-tcheny-tse  ?J3  M.  "F*  (°u  Tche  |£)  était,  en  633,  général  du  3eme  corps 
d'armée,  donc  le  5eme  parmi  les  grands  dignitaires.  Son  fils  Loan-toneti  *S  W,  en 
615,  avait  la  mémo  charge.  Le  (ils  de  ce  dernier.  Loan-chou  (aussi  nommé  Loan- 
ou-tse  SI  ïï\.  J")i    est  celui   que   nous  venons  de  voir  à  l'œuvre,  d'abord  général  du 


216  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 


3cme  COI-pS  en  607,  puis  généralissime  et  premier  ministre  en  5S6,  donc  te  premier 
homme  de  l'Etat  après  le  roi,  et  quelquefois  plus  puissant  que  lui,  comme  il  vient 
de  le  prouver.  Son  fils,  Loan-hoan-tse  ^  M  "î"  ou  Yen  JR,  occupa  aussi  de  hautes 
charges,  mais  ne  parvint  pas  à  la  première.  Le  frère  de  ce  dernier, grand  dignitaire 
aussi,  mourra  en  559,  d'une  façon  tragique  peu  honorable,  dans  une  bravade  oii  il 
harcèlera  l'armée  de  Ts'in  fj|  ;  il  se  nommait  Loan-kicn  §1  fjj.  —  Loan-ing  |ç*î§. 
fils  de  Yen  W,  sera  général  du  3eme  corps  en  554  :  mais  nous  le  verrons  perdu  par 
son  onicuil  indomptable.  (Voir,  sur  cette  famille,  les  annales  du  Chansi,  vol.  8, 
pp.   17  et  suiv.  ) 

(3)  La  famille  Wei  §fo,  dont  nous  avons  déjà  dit  un  mot,  ne  le  cédait  nulle- 
ment à  la  famille  Loan  :  elle  deviendra  même  bien  plus  puissante  qu'elle,  puisque 
nous  la  verrons  prendre  une  part  du  pays  révolutionné,  et  l'ériger  en  royaume  de 
Wei.      Ses  membres  les  plus  fameux  sont  : 

1)  Wei-ou-tse  |fë  jft  -J-  (ou  Wei-tch'eou  f|  §1),  compagnon  d'exil  de   Tchomj-cul 
If  %  (plus  tard  YVen-kong  %  &). 

2)  Weîr-tao-tse  f$  'fë  -J-,  son  fils. 

3)  Wei-tchoancj-tse  Ut  Jt  ^  (ou  Wei-kiang  f$  $f)  le  plus  célèbre  de  tous,    com- 
me nous  le  verrons. 

Celui-ci  eut  un  cousin,  nommé  Liu-siang  j§  fg,  ainsi  appelé  du  fief  Lin  & 
donné  à  son   père. 

4)  Wei-hien-tse  ^  Jgt  if  (ou  YYei-chou  Hff),  petit-fils  de  Weï-kiang,  deviendra 
premier  ministre.   (Voir:  Annales  du  Chan-si,  vol.   S.  p.   21). 


217 


TAO- 

-KONG 

(572-558) 

* 

w 

^ 

■*fr* 

■H- 

Le  nouveau  souverain  était  arrière-petit-fils  du  roi  Siang- 
konrj  %£  fe  ( 627-621)  ;  son  nom  historique  signifie  mourant  trop 
tôt,  a  peine  à  l'âge  d'homme  (1). 

Il  commença  par  distribuer  les  charges  aux  divers  officiers; 
et  il  fit  ces  promotions  avec  une  grande  sagesse,  comme  nous 
allons  le  voir  dans  un  instant.  Il  répandit  autour  de  lui  de  nom- 
breux bienfaits,  diminua  les  corvées,  remit  des  redevances,  prit 
soin  des  veufs  et  des  veuves  sans  appui,  replaça  en  charge  les 
officiers  méconnus  ou  injustement  dégradés,  secourut  les  malheu- 
reux dans  leur  misère,  ceux  surtout  qui  étaient  frappés  par  des 
calamités  publiques,  proscrivit  les  mœurs  dissolues  et  toute  espèce 
de  vice,  diminua  les  impôts,  accorda  des  amnisties,  établit  l'éco- 
nomie dans  les  dépenses,  ne  demanda  les  corvées  qu'aux  moments 
oii  les  travaux  des  champs  laissaient  du  loisir,  et  prohiba  de  les 
exiger  en  d'autres  temps.  Bref,  il  établit  une  administration  digne 
des  anciens  »  saints". 

L'historien  remarque  avec  raison,  qu'il  ne  fit  que  peu  à  peu  les 
changements  nécessaires,  afin  de  ne  pas  mettre  tout  en  désordre. 

Parmi  ses  ministres,  il  plaça  les  seigneurs  suivants  :  Wei- 
siang  $|4B,fils  de  Wei-i  fjgfô  —  Che-fang  +8$, fils  de  Che-hoei 
'J*  é  —  Wei-hiè  H  ufl,  fils  de  Wei-h'ouo  ^  ffi  —  Tchao-ou  $} 
tf\ ,  fils  de  Tchao-cho  ,-frj  jjjfj  —  tous  hommes  dont  les  ancêtres 
avaient  bien  mérité  du  pays.  Quant  à  Loan-chou,  et  son  compère 
Siun-hien-tse,  on  n'en  parle  pas  ;  après  leur  méfait,  ils  se  tinrent 
sans  doute  à  l'écart. 

Comme  chefs  et  présidents  des  branches  collatérales  de  la 
famille  régnante,  il  établit  les  seigneurs  suivants:  Siun-kia  ^  9|c, 
éminent  en  sagesse  et  en  vertu,  —  Siun-hoei  ^  -ff,  lettré  de 
grand  conseil.  —  Loan-yen  ff§  %$,  fils  de  Loan-chou  f^é  =§",  hom- 
me courageux  et  déterminé,  —  Han-ou-ki  .■{$:  Ijif.  ^,  fils  de  Han- 
h'iuè  $%  J^j,  homme  d'ordre  et  de   paix. 

Ces  seigneurs  étaient  les  gouverneurs  et  censeurs  des  plus 
nobles  familles  ;  ils  devaient  instruire  les  fils  des  ministres  et  des 
hauts  dignitaires,  veiller  à  ce  qu'ils  fussent  respectueux,  souples, 
obéissants,  économes,  en  toutes  leurs  relations  extérieures.  Car, 
d'après  les  idées  et  les  usages  des  Chinois,  les  parents  ne   doivent 


;i)   Texte  de  l'interprétation  :  'f  *P   ¥■  ^  H  'K'- 

28 


218  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

se  montrer  que  bons  envers  leurs  enfants  ;  c'est  aux  amis  ou  aux 
maîtres  à  les  instruire,  les  blâmer,  les  punir. 

Comme  grand  précepteur  du  prince-héritier  et  de  la  cour  ro- 
yale, il  nomma  le  seigneur  Che-io-tchouo  -je  j|§  $jg  ou  Che-tcheng- 
tse  i"  j=|  "Fi  lettré  des  plus  fameux,  grand  bienfaiteur  du  peuple, 
homme  aux  idées  larges.  Il  reçut  l'ordre  de  réviser  et  perfection- 
ner les  règlements  établis  par  son  frère  Che-hoei  -^  -^f ,  aussi 
nommé  Fan-ou-tse  |jt  ^  ^f . 

Le  seigneur  You-hang-sin  ^J  %j  ^  (1)  fut  ministre  des  tra- 
vaux publics  ;  à  lui  incombait  le  soin  de  fortifier  les  villes,  bâtir 
les  camps  et  les  retranchements,  élever  les  palais,  canaliser  le 
pays,  bâtir  les  ponts,  tracer  les  chemins,  etc,  etc. 

Le  seigneur  Loan-hiou  |f§  $|-,  gouverneur  de  Pien  ^f ,  fut 
nommé  couducteur  du  char  royal  ;  il  fut  en  même  temps  chef  de 
l'administration  des  écuries  et  des  haras  du  roi  ;  c'était  un  hom- 
me capable  de  tenir  en  respect  tout  le  personnel  militaire  employé 
dans  cette  branche  de  l'administration,  gens  ordinairement  iras- 
cibles et  grossiers.  C'était  encore  à  lui  de  veiller  à  la  bonne  forma- 
tion de  tous  les  conducteurs  des  chars  de  guerre  ;  car  souvent 
dépendait  d'eux  le  sort  d'une  bataille,  selon  qu'ils  lançaient  bien 
ou  mal  leur  char  sur  l'ennemi,  de  manière  que  l'archer  pût  bien 
ou  mal  décocher  ses  flèches,  le  lancier  brandir  bien  ou  mal  sa 
lance.  Il  arrivait  que,  par  vengeance  contre  leurs  maîtres,  les 
conducteurs  les  jetaient  à  contre-temps  au  milieu  de  l'ennemi, 
causaient  leur  mort,  et  quelquefois  tout  un  désastre.  Ce  seigneur 
devait  leur  inculquer  les  principes  de  justice  et  de  loyauté. 

Le  seigneur  Siun-ping  ^  ^  fut  nommé  lancier  du  char 
royal,  et  chef  de  tous  les  lanciers  des  chars  de  guerre;  il  était 
d'une  force  herculéenne  ;  il  devait  veiller  au  choix  et  à  la  forma- 
tion de  tout  ce  personnel,  en  faire  des  hommes  habiles,  robustes, 
capables  d'atteindre  au  loin  l'ennemi  visé,  et  surtout  obéissants 
aux  ordres  de  leur  chef. 

Les  ministres  étant  en  même  temps  généraux,  n'eurent  plus 
de  conducteurs  affectés  exclusivement  à  eux,  en  temps  de  paix;  en 
campagne,  des  officiers  étaient  nommés  à  cet  office  ;  il  y  avait  en 
cela  un  premier  changement  à  l'ordre  ancien. 

Le  seigneur  K'i-hi  fi[$  ^\  (2),  homme  ferme  et  incorruptible, 
fut  nommé  grand  juge  des  affaires  litigieuses,  dans  l'armée  du 
centre  ;  on  lui  donna  pour  assesseur  un  seigneur  intelligent,  ins- 
truit, et  dirigeable;  il  se  nommait  Yang-ché-tche  i£  -g-  JfgÇ. 


(1)  Voilà  un  exemple  où  le  nom  d'une  famille  est  dérivé  de  l'office  glorieuse- 
ment géré  par  un  de  ses  membres  :  ce  seigneur,  nommé  d'abord  Kia-sin  Yî  =£. 
avait  été  un  éminent  officier  de  la  garde  royale  de  droite  (You-hang  /£f  \j  . 

(2)  La  famille  K'i  était  une  branche  de  la  maison  royale  de  Tsin  :  son  fonda- 
teur K'ir-ing  |ft  #t   était   le    petit-fils   de  Hien-kong  J$î  &    076-652):  la  capitale  de 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    TAO-KONG.  219 

Dans  le  même  corps  d'armée,  l'intendant  du  matériel  de 
guerre  fut  le  seigneur  Wei-kiang  |j|  |^,  petit-fils  de  Wei-lch'eou 
fîj|  Ifl  ;  il  avait  le  tito;  de  Se-ma  jTj  £§  ;  c'était  à  lui  de  procurer 
et  distribuer  les  armes  de  toute  espèce,  de  former  à  la  stratégie 
cavaliers  et  fantassins. 

Le  seigneur  Tchang-mong  ']£  ;j£,  nommé  aussi  Tchang-lao 
jjjt  ^  (le  vieux)  (1),  était  le  chef  des  éclaireurs  et  des  espions; 
c'était  un  homme  très-fin,  et  cependant  sincère  à  l'égard  de  ses 
supérieurs. 

Dans  l'armée  de  droite,  le  grand  juge  des  affaires  litigieuses 
fut  To-ngo-heou  j^  j§j  fê,  seigneur  sans  peur  et  sans  reproche. 
L'intendant  du  matériel  de  guerre  était  le  seigneur  Tsi-yen  ^  f[g 
(ou  Tsi-you  Çfâijfr),  fils  de  Tsi-ki  |§  2p,  homme  grave  et  sérieux, 
tout  dévoué  à  son  office  (2).  —  Quant  à  l'armée  de  gauche  (aile 
gauche),  les  historié  as  sont  muets. 

Le  seigneur  Tch'eng-tcheng  fâ  j|£  (3),  d'un  caractère  droit, 
franc,  ferme,  fut  nommé  intendant  des  chars  du  roi  ;  c'était  à  lui 
de  former  de  bons  palefreniers,  de  polir  leurs  mœurs  grossières, 
et  de  leur  donner  une  tenue  digne  de  la  cour  royale. 

Tous  les  dignitaires  dont  nous  venons  de  parler,  étaient  uni- 
versellement estimés  pour  leurs  ém inentes  qualités  ;  et  tous  firent 


son  fief  était  à  7  li  sud-est  de  K'i-hien  j\\f>  ff,    qui  est  à   120  li  au  sud  de  sa  préfec- 
ture T'ai-yuen  fou  >fe  W-.  ffî,  Chan-si.  (Grande  géogr.,  vol.  40,  p.   15). 

Cette  famille  était  fière  et  intraitable,  de  même  que  la  famille  Yang-ché  ^ff  : 
comme  elle  aussi,  elle  avait  abattu  d'autres  maisons  princières,  et  s'était  arrogé 
leurs  biens,  en  dépit  de  toute  justice;  comme  elle  encore  elle  sera  exterminée  en 
514,  sous  le  roi  King-kong  ...  3$  (525-512);  son  fiel'  compte  aujourd'hui  sept  sous- 
préfectures,  ce  qui  prouve  combien  elle  était  puissante.  De  tous  ses  membres,  celui 
qui  passe  pour  avoir  été  le  plus  vertueux,  est  précisément  celui  qui  nous  occupe,  et 
qui  se  nomma  aussi  K'i-hoang-yang  $R  15  -^--    Annales  du  Chan-si,  vol.  8,  }>.  18). 

(1)  La  famille  Tchang,  commeuça  dés  l'année  S2T  à  devenir  fameuse;  c'était 
donc  une  des  plus  anciennes:  plus  tard  elle  sera  parmi  les  partisans  des  grands  sei- 
gneurs Han  s'$,  contre  le  roi. 

(2)  La  famille  Tsi  était  aussi  une  branche  de  la  maison  régnante;  puisque 
Yang-choit  r§  $J.  son  fondateur,  était  le  frère  de  Wen-heou  %  fjç  (780-746).  Le 
nom  de  Tsi  JJjf  lui  vint  de  son  office  ;  car  ce  caractère  signifie  registre,  archives, 
annales;  ses  premiers  membres  Furent  grands  archivistes  du  royaume.  Les  plus 
remarquables  lurent  Tsi-ien,  dont  il  est  question  ici.  puis  Tsi-tan  f&  ~Jl  son  fils,  et 
Tsi-ts'in  $§  M&  son  petit-fils,  qui  occupèrent  de  hautes  charges.  Deux  cents  ans 
avant  Jésus-Christ,  cette  famille  disparait  de  l'histoire.  (Annales  du  Chan-si,  vol. 
8.  p.   iç). 

(3)  Ce  seigneur  était  du  même  clan  que  les  familes  de  Siun  ^  et  de  Tche  fa. 
'Annales  du  Chan-si,  vol.  8.  p.    26). 


220  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

honneur  à  leur  office  ;  aussi  leur  choix  fut-il  applaudi  par  le  peu- 
ple. D'ailleurs,  en  toutes  choses,  le  nouveau  souverain  savait 
tenir  le  juste  milieu  ;  distribuant  les  offices  d'après  les  capacités 
de  chacun,  sans  jamais  les  confier  par  faveur  à  des  hommes  sans 
talents,  sans  mérites. 

A  l'armée,  les  officiers  n'usurpaient  pas  l'autorité  de  leurs 
généraux  ;  leurs  subalternes,  à  leur  tour,  se  montraient  soumis 
et  obéissants.  Parmi  le  peuple,  il  n'y  avait  pas  un  mot  de  répro- 
bation sur  la  conduite  de  la  cour  ;  le  nouveau  souverain  se  mon- 
trant si  sage,  éleva  le  prestige  de  son  royaume,  et  conser^va  la 
suprématie  sur  les  vassaux  Dans  l'armée,  les  officiers  du  titre 
che  ffi  conduisaient  un  régiment,  ou  2,500  hommes,  et  quelque- 
fois empiétaient  sur  les  prérogatives  de  leurs  généraux.  Les  offi- 
ciers subalternes  du  titre  liu  %{  avaient  seulement  500  hommes. 

En  573,  vers  le  mois  de  février,  le  duc  de  Lou  ||  venait 
présenter  ses  hommages  à  Tao-kong  ;  à  peine  était-il  de  retour, 
vers  le  mois  d'avril,  qu'un  seigneur  de  Tsin,  nommé  Che-kai  J- 
4EJ  ou  Fan-xiuen-tse  fÊ  '/T  -T,  venait  lui  rendre  sa  visite,  de  la 
part  de  Tao-kong  ;  ce  que  l'historien  approuve  grandement,  com- 
me tout-à-fait  conforme  aux  rites,  c'est-à-dire  à  l'étiquette  de  ces 
temps-là. 

Vers  le  mois  de  juin,  le  prince  de  K'i  fâ  (1)  étant  venu 
saluer  le  duc  de  Lou,  celui-ci  lui  fit  l'éloge  de  Tao-kong  ;  le 
prince  voulut  le  voir,  et  se  rendit  à  la  cour  ;  il  fut  si  charmé  du 
jeune  souverain,  qu'il  lui  fiança  de  suite  une  de  ses  filles. 

A  la  lième  lune  (septembre-octobre),  le  roi  de  Tch'ou  ^ 
recommençait  à  attaquer  le  pays  de  Song  5J5,  qui  envoya  aussitôt 
un  messager  demander  du  secours.  Han-hien-tse  f£  |pf  ^f ,  alors 
premier-ministre,  dit  à  Tao-kong  :  si  nous  voulons  garder  la 
suzeraineté  sur  les  vassaux,  commençons  comme  votre  illustre 
ancêtre  Wen-kong  "^  ^  (632)  ;  allons  soutenir  le  prince  de  Song. 

Ce  conseil  fut  agréé  ;  le  jeune  souverain  se  mit  à  la  tète  de 
ses  troupes,  et  s'avança  jusqu'à  Tai-kou  •£}  fè>  ;  bientôt  il  ren- 
contra l'armée  ennemie,  dans  la  vallée  de  Mi-kio  f0  %  (2),  mais 
il  n'y  eut  point  de  bataille  ;  les  gens  de  Tch'ou  ayant  cru  plus 
prudent  de  se  retirer  devant  des  forces  si  considérables. 

A  propos  de  cette  expédition,  l'on  raconte  l'incident  suivant  : 
Che-fang  ^  %jj  avait  été  envoyé  auprès  du  duc  de  Lou  '$  ,  lui 
demander  son  contingent  de  troupes  auxiliaires.  Ki-v?en-tse  *£. 
jfc  ^,  1or  ministre,  était  perplexe  au  sujet  du  nombre  des  hom- 
mes à  fournir  ;   il  interrogea  Tsang-ou-tchong  ^  jtti  fr1  !    celui-ci 


(1)  K'i:  sa  capitale  c'est K*ir-hien  MM,  à  100  li  fi  l'est  de  sa  préfecture  ICai- 
fancj  fou  Pf]  :£.]-  Jflf,  Ilo-nan.  (Grande  géogr.,  vol.  ss-  P-,  '71-  D'ailleurs,  ces  princes 
ont  plusieurs  fois  changé  de  résidence. 

(2)  Ces  deux  vallées  étaient  dans  le  pays  de  Song,  mais  on  ne  sait  à  quel 
endroit. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.     TAO-KONG.  221 

lui  répondit  :  quand  il  s'agissait  de  combattre  le  prince  de  Tcheng 
§§,  ce  fut  l'aide  du  général  du  3 '""  corps  (aile  gauche  qui  vint 
requérir  notre  contingent  ;  aujourd'hui  le  député  de  Tsin  a  le 
même  rang,  fournissons  le  môme  nombre  d'hommes.  Car  en 
servant  un  grand  royaume,  il  faut  tenir  compte  de  la  dignité  de 
ses  ambassadeurs,  et  agir  en  conséquence  :  une  telle  conduite  est 
conforme  aux  rites.      On  suivit  ce  conseil. 

A  la  12::;;<  lune  (octobre-novembre',  Mong-hîen-tse  ;g£  {|£  ^p, 
député  du  duc  de  Lou,  se  rendait  à  Hiu-ting  J^fjf  ^T  (1),  se  concer- 
ter avec  les  autres  vassaux  sur  les  moyens  de  reprendre  la  ville 
importante  de  P'ong-ich'eng  l:\  jfâ  (2),  que  le  roi  de  Tch'ou 
venait  d'enlever  au  pays  de  Song.  La  réunion  était  présidée  par 
Tao-kong- 

En  572,  à  la  1  n  lune  (vers  décembre),  en  exécution  de  ce 
qui  avait  été  décidé  en  assemblée,  les  troupes  de  Tsin  &,Song  7} ; . 
Lou  .fj.,  Wei  fâ,  Ts'ao  ff,  Km  g,  Tchou  %$,  Teng  $j|  et  Si  (ft 
mettaient  le  siège  devant  P'ong-tch'eng.  Cette  ville  s'étant  ren- 
due au  généralissime  de  Tsin,  le  seigneur  Loan-yen  |j|  |g,  celui- 
ci  prit  cinq  officiers  révolutionnaires,  les  emmena  dans  son  pavs. 
où  ils  furent  internés  à  Hou-k'iou  f/ft  ffi  (3). 

Le  prince  de  Ts'i  ^  n'avait  pas  pris  part  à  rassemblée,  ni  à 
l'expédition  ;  Tao-kong  envoya  une  armée  lui  en  demander  rai- 
son ;  le  prince  fit  ses  excuses,  et  consentit  à  donner  son  fils- 
héritier  comme  otage  à  la  cour  de  Tsin. 

A  la  5  i::  lune  (avril-mai),  les  troupes  fédérées  repartaient  en 
campagne  ;  mais  cette  fois,  contre  le  prince  de  Tcheng  1|J$.  Le 
généralissime  était  le  premier-ministre  Han-k'iué  %%  )tjfc  ou  Han- 
hien-tse  lUfo  -f  ;  il  pénétra  jusqu'aux  faubourgs  de  la  capitale,  et 
battit  sur  les  bords  de  la  rivière  Wei  fâ  les  fantassins  de  Tcheng; 
ce  qui  signifie  un  combat  de  second  ordre,  où  il  n'v  avait  point 
de  chars  de  guerre. 

Pendant  ce  temps,  les  troupes  de  Ts'i  j>$ ,  Lou  ^.,  Ts'axj  ^, 
Tchou  Ç\:\]  et  K't  ^E  étaient  restées  stationnaires  à  Tseng  ':'*  (4)  ; 
le  généralissime  vint  les  y  rejoindre,  et  partit    avec  elles,    envahir 


(1)  Hiu-ting  était  un  peu  à  l'est  de  Soei-tcheou  §f|  )ft ,  qui  est  a  17u  li  à  loues, 
de  sa  préfecture  Koei-té  fou  £U  fë  Jff-,  Ho-nan.  Ainsi  disent  les  commentaires  d< 
l'édition  impériale. 

(2)  P'ong-tch'eng,  c'est  Siu-tcheou  fou  ^  ->H  /fr,  ICiang-sou  fl  / '.'■  .  Petite 
géogr.,    vol.  4.  p.  27)  —   (Grande,  vol.   2ç,  p.  4). 

(3)  Hou-k'iou,  qui  s'écrit  aussi  îjg  Jrf>,  s'appelait  aussi  Yang-hou-tch'eng  flg 
91  était  a  20  li  sud-est  de  Yuen-k'iu  hien  ijj  jij]  gjf,  qui  est  à  230  li  sud-est  de 
Kiang-tcheou  I^^H,  Chan-si.  (Petite  géogr..  vol.  8, p.  45)  —(Grande,  vol.  41,  p.  43). 

(4)  Tseng  était  au  sud-est  de  Souei-tchcou  UfË  M,  Ho-nan.  (Petite  géogr. .vol. 
12,  p.  14)  —  (Grande,  vol.  jo,  p.  14). 


222  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

les  territoires  de  Tsiao  |j|  et  de  /  ^,  dans  le  pays  de  Tch'ou  ^§  ; 
après  quoi  il  les  conduisit  contre  l'état  de  Tch'en  [5j^. 

Tao-kong  était  resté  à  Ts'i  jg£,  avec  le  prince  de  Wei  $j, 
prêt  à  porter  secours,  s'il  en  eût  été  besoin  ;  mais  cela  ne  fut 
point  nécessaire  ;  l'armée  de  Tch'ou  faisait  la  morte,  attendant  le 
départ  des  troupes  triomphantes,  pour  reprendre  tout  ce  qu'on 
venait  de  lui  enlever.  Nous  connaissons  depuis  longtemps  ce  jeu 
de  cache-cache  (1). 

A  la  9  ':i'  lune,  au  jour  nommé  sin-vou  ^  j§  (16  août), 
l'empereur  mourait  dans  sa  capitale.  Tao-kong'  dut  sans  doute 
prendre  plus  de  part  que  personne  au  deuil  général,  puisque  le 
défunt  l'avait  hébergé  si  longtemps,  avant  son  accession  inespérée 
au  trùne  de  Tsin  ;   l'historien  ne  nous  donne  aucun  détail. 

A  la  10-!"e  lune  (septembre-octobre),  le  grand  seigneur  Tche- 
yong  -X\]  ^  allait  saluer  le  nouveau  duc  de  Lou  ||-.  Ces  visites 
amicales,  dit  l'auteur,  étaient  conformes  aux  rites,  entretenaient 
les  bonnes  relations,  resserraient  l'affection  mutuelle,  permettaient 
de  se  consulter  réciproquement  sur  l'administration  générale  des 
divers  Etats.  Cela  ne  fut  pas  toujours  ainsi  ;  finalement  ce 
n'étaient  plus  que  des  visites  de  simple  politesse  ;  les  affaires 
sérieuses  se  traitaient  en  d'autres  circonstances. 

En  571,  à  la  5èmc  lune  (avril-mai),  profitant  de  la  mort  du 
prince  de  Tcheng  fift,  une  armée  de  Tsin,  avec  un  fort  contingent 
des  troupes  de  Song  ^  et  de  Wei  f|j,  se  mettait  en  campagne, 
pour  envahir  le  pays,  en  dépit  du  deuil  national  ;  chose  qu'on  re- 
prochait si  fort  aux  autres.  c,i;and  ils  se  la  permettaient.  Les 
ministres  de  Tcheng  pris  au  dépourvu,  pensaient  faire  leur  sou- 
mission, comme  à  l'ordinaire,  pour  se  débarrasser  des  envahisseurs  ; 
mais  le  seigneur  Tse-se  -^  ,l!jjijj  les  en  dissuada  en  disant  :  nous 
autres,  officiers,  nous  sommes  liés  par  les  ordres  de  notre  défunt 
souverain;  nous  ne  pouvons  pas  accepter  la  suzeraineté  de  Tsin. 

A  la  6èm<  lune,  (mai-juin),  Tao-kong  réunit  les  vassaux,  dans 
la  ville  de  Ts'i  J$(,,  pour  les  consulter  sur  ce  qu'il  y  avait  à  faire. 
Etaient  présents  les  députés  de  Lou  %,Song  5fç,Weï  ^j,T.^rao  ^ 
et  Tchou  $fl.  Celui  de  Lou  .ff-  proposa  de  fortifier  Hou-lao  )$?  2|£  (2); 
assurant  que  c'était  le  meilleur  moyen  d'avoir  raison  de  Tcheng. 

Tsiao  appelée  aussi  Ling-meir-tch' eng  EJâ  $1  $$  était  à  91  li  sud-ouest  de  Sou- 
tdicnu  îfg  ri1,  qui  est  à  233  li  nord-ouest  de  sa  préfecture  Fong-yang  fou  JU,  f%  /fr\ 
Ngan-hoei  -/{-  &.  (Petite  géogr..  vol.  6,  p.  si)  —  (Grande,  vol.  21,  p.  61). 

I  appelée  aussi  TcK  eng-fou-tdï  eng  ':l'Kf£ffî,  était  à  70  li  sud-est  de  Po-tcheov 
^  #1,  qui  est  à  320  li  au  nord  de  sa  prélecture  Ing-tcheou  fou  lit  'H  1?.  Ngan-hoei. 
(Petite  géogr.,   vol.  6,  p,  31)   —   [Grande,   vol.   21,  p.   61). 

(1)  Ts'i  était  à  7  li  nord  de  K' ai-tcheou  $]M],  Tche-li.  (Petite  géogr., vol. 2, p. 5 4). 
2)  Hou-lao  était  un  peu  à  l'ouest  de  Fan-chouei  bien  }E  7k  il,  qui  est  à  250 
li  à  L'ouest  de  sa  préfecture  K'ai-fong  foù  |!f|  j£f  1<J\  Ho-nan.  (Petite  géogr.,  vol,  12. 
p.   10)   —   (Grande,  vol.  47,  p.   62). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    TAO-KONG.  223 

Le  président  Siun-yong  ^  î||  (on  Tche-yong)  approuva  :  c'est 
un  bon  conseil,  ajouta-t-il  ;  l'an  dernier,  vous  avez  entendu,  et 
vous  m'avez  rapporté*,  les  paroles  arrogantes  de  l'ambassadeur  du 
prince  de  Ts'i  ^,  à  la  réunion  de  Tseng  ®|$;  aujourd'hui  il  n'est 
venu  personne  de  ce  pays  ;  grâce  à  son  abstention,  les  princes  des 
Teng  $£,  Si  ^  et  Siao  Tchou  »]*  -ffi  ont  cru  pouvoir  aussi  se  dis- 
penser d'envoyer  leurs  représentants.  Ainsi  le  chagrin  de  notre 
souverain  ne  se  borne  pas  à  la  défection  de  Tcheng  ;  je  vais 
d'abord  lui  communiquer  votre  proposition  ;  ensuite  j'inviterai  le 
prince  de  Ts'i  ^  à  prendre  part  à  la  fortification  de  Hou-lao;  s'il 
accepte,  je  n'aurai  qu'à  me  féciliter  avec  vos  seigneuries;  sinon, 
nous  commencerons  par  l'attaquer,  avant  toute  autre  entreprise. 
Hou-lao  étant  fortifiée,  ce  sera  vraiment  la  fin  de  tant  de  guerres 
continuelles  ;  ce  sera  un  grand  avantage  pour  tout  le  monde,  et 
notre  humble  souverain  ne  sera  pas  le  seul  à  vous  en  remercier. 

Ces  paroles  produisirent  l'effet  désiré.  En  hiver,  on  se  réunit 
encore  une  fois  à  Ts'i  Jj£  ;  les  ambassadeurs  de  Ts'i  ^,  Teng  J}£<, 
Si  ^ê  et  Siao  Tchou  ,K  ffi  eurent  garde  d'y  manquer;  on  se  hâta 
de  fortifier  Hou-lao  ;  cela  fait,  les  gens  de  Tcheng  J§^  vinrent  se 
soumettre  au  roi  de  Tsin. 

En  570,  au  printemps,  le  nouveau  duc  de  Lou  @ ,  enfant  de 
six  ans,  était  conduit  à  la  cour  de  Tao-kong,  pour  lui  faire  hom- 
mage, comme  à  son  suzerain.  A  la  4ème  lune,  au  jour  appelé 
jen-siu  •£  ffc  (8  février),  on  fit  un  traité  d'alliance  et  d'amitié  à 
Tchang-tch'ou  -f|  ^  (1),  château  situé  en  dehors  de  la  capitale 
Kiang  $£. 

Le  seigneur  Mong-hien-tse  jg  ||£  -^  était  le  compagnon,  ou 
plutôt  le  tuteur  du  jeune  duc  ;  il  lui  fit  faire  neuf  prostrations,  le 
front  jusqu'à  terre,  devant  Tao-kong.  Le  seigneur  Siun-yong 
^  ^  lui  observa  que  cela  était  réservé  pour  l'empereur.  Le  sage 
mentor  lui  répondit  :  notre  petit  Etat  se  trouve  bien  loin  de  vous, 
entouré  d'ennemis  puissants  ;  nous  n'avons  qu'un  protecteur  sur 
lequel  nous  puissions  compter  ;  c'est  votre  illustre  souverain  ;  voi- 
là pourquoi  notre  prince  lui  fait  une  si  humble  révérence. 

Tao-kong  voyant  le  prince  de  Tcheng  ff]$  ramené  à  l'obéissance, 
voulut  aussi  nouer  des  relations  amicales  avec  le  roi  de  On  1)!  , 
dont  le  concours  eût  été  si  précieux  contre  les  entreprises  du  roi 
de  Tch'ou  ^.  Le  meilleur  moyen  d'arriver  au  but,  était  de  con- 
voquer tous  les  vassaux  en  assemblée,  et  d'y  inviter  courtoisement 
le  roi  de  Ou  ;  c'est  le  plan  auquel  s'arrêta  Tao-kong  ;  mais  il  vou- 
lut s'assurer  d'abord  que  tous  les  vassaux  seraient  présents.  Il 
avait  lieu  de  se  défier  du  prince  de  Ts'i  *$,  le  plus  puissant  et  le 
plus  revêche  d'entre  eux;    il  lui  envoya  donc   le   seigneur   Che-kai 


(1)  C'est  toujours  en  dehors  des  villes  qu'on  signait  et  jurait  les  traités  d'al- 
liance et  d'amitié,  afin  de  paraître  contracter  d'égal  à  égal,  même  quand  il  s'agissait 
du  suzerain  et  du  vassal. 


224  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

-Jr  4?J.  ayec  le  message  suivant:  Notre  humble  souverain,  voyant 
les  récoltes  insuffisantes,  et  impuissant  à  prévenir  des  malheurs 
imprévus,  désire  réunir  ses  frères,  les  divers  princes,  afin  de  les 
consulter  sur  les  mesures  à  prendre,  envers  les  Etats  qui  ne  sont 
pas  d'accord  avec  nous  ;  que  votre  Majesté  veuille  donc  bien  venir 
à  cette  assemblée.  De  plus,  il  m'a  envoyé  vous  prier  de  faire  un 
traité  avec  moi. 

Le  roi  de  Tsei  ^  comprit  parfaitement  l'intention  de  Tao- 
kong  ;  il  aurait  bien  voulu  décliner  -cette  double  invitation  :  mais 
c'eût  été  se  ranger  parmi  ceux  qui  n'étaient  pas  d'accord  avec  son 
suzerain  ;  c'était  périlleux  !  il  fit  donc  le  traité  demandé,  et  le 
signa  sur  l'autre  rive  de  la  source  Eul  if^  (1)  ;  il  promit  aussi  de 
se  trouver  à  l'assemblée  projetée. 

Avant  de  nous  narrer  ce  qui  se  passa,  lors  de  cette  réunion, 
l'historien  nous  raconte  un  fait  d'un  autre  genre  :  Le  seigneur 
K'i-hi  ff)  |j|,  que  nous  avons  vu  établi  grand  juge  des  affaires 
litigieuses  dans  l'armée  du  centre,  demanda  d'être  relevé  de  sa 
charge,  vu  son  grand  âge.  Tao-kong  qui  l'estimait,  et  avec  raison, 
l'interrogea  sur  celui  qu'il  cro}rait  le  plus  digne  de  lui  succéder  ; 
il  désigna  le  seigneur  Hiai-hou  f$  SfjjÇ,  son  ennemi  personnel  ; 
mais  celui-ci  mourut  avant  d'entrer  en  fonctions.  Tao-kong  le 
pria  de  lui  indiquer  un  autre  homme  ;  K'i-hi  proposa  alors  son 
propre  fils,  nommé  Ou  ^.  Son  assesseur  Yang-ché-tche  ^L  -g"  ]jf$ 
mourut  aussi  vers  cette  époque;  K'i-hi,  de  nouveau  consulté,  ré- 
pondit avec  sincérité:  le  seigneur  Tche  ^  est  un  homme  de  grand 
savoir;  il  remplirait  bien  le  poste  de  son  père  (2).  Tao-kong  sui- 
vit les  indications  de  K'i-hi  et  n'eut  qu'à  s'en  applaudir. 

L'auteur  ajoute  la  réflexion  suivante:  ce  seigneur  montra  une 
égale  impartialité,  en  désignant  son  fils  et  son  ennemi  ;  car  il  ne 
s'inquiétait  que  du  mérite,  et  non  de  la  personne  qu'il  recomman- 
dait. Le  livre  des  annales  (3)  exalte  de  tels  hommes,  quand  il 
nous  dit:  rien  d'incliné;  point  de  parti  pris;  la  voie  de  l'empe- 
reur   est    large    et     conduit     loin!     Ces    paroles     conviennent   au 

(1)  La  source  Eul,  qui  forme  la  rivière  Che  i!  .  Celle-ci  coule  à  25  li  sud-ouest 
de  Ling-tche  hien  $H  ;'{}  f£,  qui  est  à  30  li  nord-ouest  de  sa  prélecture  Tsing-tcheou 
fou  ^f  'JW  '■;'  .  Chan-tonir.  Nouvel  exemple  de  traité  siirné  hors  des  villes:  car  Ling- 
tche  était  alors  la  capitale  du  royaume  de  Ts'i  ^.  (Petite  géogr.,  vol.  10,  p.  24). 
—     Grande,  vol.  33,  p.  ç). 

-  Le  tombeau  de  K'i-hi  est  au  sud  de  K'i  hien  iji[ï!J|§?,qui  est  à  150  li  au  sud 
de  sa  préfecture  T'ai-yuen  fou  >tc  ^  Ij-p,  Chan-si  :  le  tombeau  de  son  fils  Ou  est  un 
peu  à  l'ouest.     Petite  géogr.,  ool.  S,  p.  41 —  (Grande  géogr.,  imper.,  vol.  97,  j>.  a). 

Yang-ché-tche,  ainsi  que  son  fils  Tchc  (nommé  aussi  Pé-hoa  \(\  é$à),  et  son 
autre  (ils  Chou-hicmg  ]%  fp]  (00  Yang-ché-hi  ^  f§"  Ift)  ont  leurs  tombeaux  a  60  li 
nu  sud  de  7V in-tcheou  JC*  ^H ,  Chan-si.  (Annale*  du  Chan-si,  vol.  j6.  p.  2-1. 

(3)   Chou-king  î*î  %£  (Couvreur,  p.  211.  paragr.  13  . 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    TAO-KONG.  225 

seigneur  K'i-hi:  en  se  montrant  impartial,  il  accomplit  trois  belles 
actions  ;  lui-même  étant  éminent,  il  sut  choisir  des  hommes  émi- 
nents.  Le  livre  des  Vers  (l)  nous  donne  le  même  enseignement 
en  ces  termes:  ces  seigneurs  sont  réellement  capables;  et  ils  le 
prouvent  en  choisissant  des  hommes  qui  leur  ressemblent;  cela 
s"est  vérifie'  ici. 

A  la  6"im'  lune,  les  vassaux  se  réunirent  en  assemblée,  à  K'i- 
1<'1><J  $fc  ï^:  (2).  Pour  ilatter  l'empereur,  Tao-kong-  lui  avait  deman- 
dé son  grand  ministre  Chen-king-kong  "jî.  tf\  Q,  pour  en  être  le 
président;  les  princes  de  Lou  }f) ,  Song  ^,  Wei  f$j,  Tcheng  ||ft, 
Kiu  ~>l\  et  Tchou  -$fi  y  étaient  présents,  avec  l'ambassadeur  de 
Ts'i  >0  ;  le  seigneur  Siun-hoei  \\)  ^  avait  été  envoyé  jusque  sur 
les  bords  de  la  rivière  Iloai  \({i  '■'>  ,  audevant  du  roi  de  Ou  $\  ; 
mais  c  lui-ci,  retenu  par  la  longueur  du  chemin,  et  par  la  multi- 
plicité de  ses  occupations,  ne  s'était  pas  présenté:  il  ne  s'était 
même  pas  l'ait  représenter  :  cet  échec  dut  être  sensible  pour  Tuu- 
kong  :   il  fallut  pourtant  s'y  résigner. 

Au  jour  nommé  hi-vrci  2,  fc  (<>  avril),  un  signait  et  jurait 
le  traité  délibéré  en  commun.  Quelques  jovrs  plus  tard,  arrivait 
l'ambassadeur  de  Tcll'en  |5jî.  pour  déclarer,  au  nom  de  son  maî- 
tre, sa  soumission  au  roi  de  '1  si  n ,  et  son  adhésion  au  traité.  Pour 
ne  pas  recommencer  la  cérémonie  du  serment,  Tao-kong  régla  que 
les  officiers  des  divers  princes,  avec  l'ambassadeur,  la  renouvelle- 
raient au  nom  de  leurs  maîtres:  c'est  ce  qui  arriva  au  jour  appelé 
Ou-yng  J%  %    2b  avril  . 

11  parait  que  pendant  une  parade  militaire,  en  l'honneur  des 
vassaux,  à  K'iu-leang  \\[\  ^  (4),  tout  près  du  lieu  de  réunion, 
Yang-kan  ty  ■zf-,  frère  de  Tao-kong\  avait  mis  le  désordre  dans 
les  rangs  des  soldats,  par  quelque  fausse  manœuvre.  Wei-hiang 
Ul  $£.  l'intendant  du  matériel  de  guerre,  dans  le  corps  du  centre, 
ordonna  de  mettre  à  mort  le  conducteur  du  char  du  prince.  Tao- 
kong,  furieux  de  cette  exécution,  s'en  plaignit  au  nouveau  grand- 
juge  de  l'armée  du  centre,  Yang-ché-tche  ^L  -g-  ifp.  :  Etant  si  près 
de  moi,  dit-il,  comment  ce  seigneur   a-t-il  pu,    sans  m'en    parler, 

(1)  Che-king  f$  ^™,  (Couvreur,  p.  s&ç,  ode  io,  vers  4  . 

(2)  K'i-tche  :  le  lac  de  ce  nom  est  à  l'ouest  de  Koang-p1  ing  fou  jft^F/flF,  Tche-li  : 
fî'i-tclie  hien  j$  j^  ^  est  à  60  li  au  nord-est  de  cotte  mémo  préfecture;  le  traité 
fut  signé  au  bord  du  lac.  (Grande  géogr.,  col.   ij,  p.   iç). 

(3)  La  rivière  Iloai  dans  le  nord  du  Kiang-sou  j'X  $.?•  (Grande  géogr.,  vol. 
iç.  p.   1-  •. 

(1)    K'iu-liang  au    nord-est    de  Koang-p' ing   fou.     Petite  géogr.,  vol.  .'.  p 
—     Grande,  vol,   /,-.  p.    1-  . 

Tao-kong  avait  un  frère  aine  quasi  idiot,  -i  bouché  qu'il  ne  distinguait  pas 
entre  des  fèves  et  du  blé;  C'est  pour  cela  qu'il  avait  été  écarté  du  trône;  est-ce  lui 
dont  il  est  ici  question  ? 

20 


220  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

tuer  un  officier  de  mon  frère  ?  c'est  une  honte  extrême  !  ne  lais- 
sez pas  échapper  cet  insolent  "\Yei-kiang,  et  punissez-le  de  mort  ! 

Le  grand-juge  répondit  avec  beaucoup  de  calme  et  de  respect: 
Wei-kiang  est  un  homme  droit  et  franc,  sans  arrière-pensée  : 
dans  le  service  du  roi,  il  ne  fuit  pas  les  difficultés  ;  s'il  a  commis 
une  faute,  il  n'en  récusera  pas  le  châtiment  :  laissons-le  venir 
lui-même  exposer  le  cas  ;   il  n'est  pas  nécessaiie  de  le  prendre. 

Ils  venaient  à  peine  de  dire  ces  paroles,  que  \A~ei-kiang  arri- 
vait, remettait  une  lettre  au  conducteur  du  char  royal,  et  de  ce 
pas  s'en  allait  se  suicider.  Mais  les  seigneurs  Che-fang  -^  §fj  et 
Tchang-lao  jf)f  ^  l'arrêtèrent. 

La  lettre  était  ainsi  conçue  :  Dernièrement,  votre  Majesté  ne 
trouvant  pas  d'homme  capable,  m'établit  intendant  du  centre  [se- 
ma  ^|  JH  .  Or,  on  m'a  enseigné  que  la  soumission,  l'obéissance, 
est  la  première  qualité  du  soldat  :  que  si  la  discipline  exige  la 
mort  d'un  homme,  on  doit  l'exécuter  aussitôt,  sans  aucun  égard  ; 
c'est  le  devoir  des  officiers,  qui  ont  juré  fidélité  à  leur  souverain. 
Votre  Majesté  venait  de  réunir  les  princes  :  comment,  devant  eux, 
aurais-je  pu  trahir  mon  ofliee  ?  Si  les  soldats  n'ont  pas  de  subor- 
dination, les  officiers  pas  de  fidélité,  c'est  le  plus  grand  malheur 
pour  votre  Majesté  ?  Si  j'avais  laissé  un  désordre  impuni,  j'eusse 
été  coupable  moi-même  :  et  mon  châtiment  aurait  peut-être  atteint 
le  seigneur  Yang-kan.  Je  n'ai  pas  su  l'instruire  à  temps,  et  pré- 
venir ainsi  une  exécution  devenue  nécessaire:  ma  faute  estgrande  : 
je  n'en  récuse  pas  la  peine  :  ce  serait  un  nouveau  chagrin  pour  le 
cœur  de  votre  Majesté:  permettez-moi  donc  de  me  rendre  auprès 
du  ministre  de  la    justice,  pour  y  subir  mou  châtiment. 

Tao-kong  avant  lu  cette  lettre,  fut  pleinement  renseigné  sur 
l'état  de  la  question  :  il  sortit  si  subitement  de  sa  chambre,  qu'il 
oublia  de  mettre  ses  chaussures  :  Mes  paroles,  cria-t-il.  n'étaient 
que  le  signe  de  mon  affection  pour  mon  frère  :  je  sais  maintenant 
que  votre  seigneurie  n'a  fait  que  son  devoir,  en  appliquant  le  code 
militaire  :  c'est  moi  qui  ai  tort  :  je  n'ai  pas  su  instruire  mon 
frère,  et  prévenir  cet  accident  :  j'en  ai  bien  regret  :  mais  n'aug- 
mentez pas  men  chagrin  par  votre  mort,  je  vous  en  supplie  ! 

Par  ce  fait,  Tao-kong  comprit  que  \Vei-kiang  était  un  hom- 
me capable  d'appliquer  à  temps  une  peine  méritée,  et  d'aider  au 
bon  gouvernement  du  pays.  Rentré  à  la  capitale,  il  donna  un 
grand  festin  en  son  honneur,  et  le  nomma  aide  du  général  des 
nouveaux  corps  d'armée.  Le  seigneur  Tchang-lao  j/M  ^  lui  suc- 
céda au  poste  de  se-ma  W]  fify  du  centre  :  et  Che-fou  -fc  gf  (qui 
n'était  pas  de  la  famille  Che-hoei  ^fc"§f  )  prit  la  place  de  Tchang-lao. 

A  la  fin  de  l'année.  Tao-kong  envoya  une  armée,  sous  les 
ordres  du  seigneur  Siun-yong  f'j  >§=:  (Tche-yong  %\]  fj§s),  faire  la 
guerre  au  baron  de  II  ht  fr,  qui  prétendait  rester  sous  la  suzerai- 
neté de  Tclt'ou  ££•,  et  n'était  pas  venu  à  la  dernière  réunion. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    T.VO-KONG.  227 

En  569,  au  début  de  l'année  (vers  Novembre),  une  armée  de 
Tch'ou  était  à  la  frontière,  s'apprêtant  à  punir  le  prince  de  Tch'en 
ffi,  de  ce  qu'il  s'était  soumis  au  roi  de  Tsin,  comme  nous  venons 
de  le  raconter. 

Le  premier-ministre  Hnn-k'iuê  ?$.  J^  ou  Han-hien-lse  ^  fijfc 
^f)  dissuada  Tao-kong  de  faire  la  guerre  :  le  «saiatw  empereur 
Wen-wâng  "^  3E,  dit-il.  connaissait  la  perversité  de  son  prédé- 
cesseur, le  tyran  Tcheou  %-\  ;  il  lui  réconcilia  pourtant  les  états 
révoltés  ;  c'est  qu'il  savait  distinguer  les  temps  et  les  circonstan- 
ces, et  s'y  conformait  dans  ses  actions.  Hélas,  nous  ne  compre- 
nons rien  à  ce  système  :  au  lieu  de  chercher  l'amitié  de  Tch'ou, 
nous  voudrions  le  combattre  ! 

A  la  3ème  lune  (vers  février)  Chou-suen-pao  fâ  $\  ffi  ambas- 
sadeur de  Lou  H,  venait  à  la  cour  de  Tsin.  rendre  la  visite  offi- 
cielle faite  au  duc,  en  572,  par  le  seigneur  Siun-yong  ^J  if,';:. 
Les  commentaires  n'acceptent  pas  celte  explication,  et  prétendent 
qu'il  y  avait  vin  autre  motif  :  en  tout  cas,  l'historien  a  une  ma- 
gnifique page  de  prose,  où  l'ambassadeur  brille  dans  tout  l'éclat 
du  fin  lettré,  instruit  dans  les  rites  et  les  cérémonies  :  trésor-. 
inconnus  à  tant  d'autres  cours,  ou  mal  compris  par  elles  :  même 
par  celle  de  Tsin,  alors  si  puissante  en  armes,  mais  bien  moins 
en  vertu  et  en  littérature. 

Vers  le  mois  de  septembre,  le  petit  duc, âgé  de  sept  ans, reve- 
nait auprès  de  Tao-kong,  pour  régler  le  chiffre  des  contributions 
que  son  pays  aurait  à  payer  :  cette  préc  nition  était  b;en  nécessaire: 
car  les  collecteurs  se  montraient  inseti  ibles.et  ne  gariaient  aucune 
mesure:  les  ministres  de  Lou  désiraient  avoir  \\n  chiffre  fixe  au- 
quel ils  pussent  s'en  tenir. 

Tao-kong  donna  un  grand  festin,  en  l'honneur  de  son  jeune 
hôte;  mais  quand  on  lui  demanda  que  la  petite  principauté  de 
Tseng  <£\\  \)  fût  reconnue  tributaire  du  duché  de  Lou,  il  refusa 
d'abord.  Sur  ce,  Mong-hien-tse  jjj£  Jf^  L{-,  le  tuteur  du  petit  prin- 
ce, et  le  vrai  négociateur  de  cette  affaire,  prit  la  parole  en  ces 
termes:  notre  faible  pays  se  trouve  environné  par  de  puissants 
ennemis,  tels  que  Tsi  ^0-  et  Tch'ou  *£  :  ce  qui  cause  de  conti- 
nuelles guerres,  et  d'énormes  dépenses  ;  malgré  cela,  nous  vou- 
drions toujours  servir  votre  Mejesté,  sans  jamais  négliger  le-, 
ordres  qui  nous   sont   transmis   par   vos    ministres;    or   la   princi- 


1)  Tseng:  la  capitale  de  cette  petite  principauté  était  à  80  li  à  l'est  de  l~ 
liicn  |k|S  $£  qui  est  à  200  ly  sud-est  de  sa  prélecture  Ien-tcheou  fou  35  ft\  Hf .  Chan- 
tons. Ses  princes  étaient  vicomtes  (tse  -p),  et  descendaient  de  grand  empereur  Yu 
H  .  il  étaient  du  clan  Se  £&.  En  Ô07,  nous  verrons  ce  pays  pris  par  le  prince  de 
Kiu.1%;  puis,  en  33S  enlevé  par  le  duc  de  Lou.  qui  en  restera  le  suzerain  immédiat. 
(Petite  géogr.,  vol.  10,  p.  o)  —  (Grande,  vol.  3»,  p,  19)  —  (Kùmg-yu-piao  §£  b% 

^  vol.  _fc,  p,  a). 


228  TEMPS  VRAIMENT  HISTORIQUES 

paiitc  de  Tseng  ne  contribue  en  rien  aux  frais  de  guerre  :  tandis- 
que  nous  sommes  lourdement  imposés  ;  nous  ne  voulons  pas 
manquer  à  notre  devoir  ;  nous  demandons  seulement  à  être  un 
peu  aidés  dans  son  accomplissement  par  la  principauté  de  Tseng. 
Ayant  entendu  cette  explication,  Tao-kong  accorda  ce  qu'on  lui 
proposait. 

Kia-fou  ^  j£.  vicomte  des  Tartares  Ou-tchong  |[TE  $£.  avait 
envoyé  l'ambassadeur  Mong-io  ^  |§|  à  la  cour  de  Tsin  :  celui-ci, 
par  l'entremise  du  seigneur  Wei-kiang  f$|£  f£.  avait  offert  de  belles 
fourrures  de  tigres  et  de  léopards  ;  en  même  temps  il  avait  deman- 
dé, de  la  part  de  son  maître,  à  faire  un  traité  d'alliance  et  d'ami- 
tié, pour  tous  les  Tartares  des  montagnes.  Tao-kong  avait  tout 
d'abord  refusé  en  dissant:  ces  barbares  Jony  ^  et  Ti  ij/Ç  sont 
incapables  d'affection  :  ils  ne  songent  qu'à  opérer  des  razzias  chez 
leurs  voisins  :  il  vaut  beaucoup  mieux  leur  faire  la  guerre.     1 

Wei-kiang  répliqua  en  ces  termes  :  les  vassaux  viennent  à 
peine  de  reconnaître  votre  autorité  ;  le  prince  de  Tch'en  ffi  vient 
de  vous  demander  paix  et  amitié;  tous  ont  les  veux  fixés  sur 
vous  ;  si  vous  pratiquez  l'humanité,  la  vertu,  ils  vous  resteront 
fidèles  :  sinon  ils  s'empresseront  de  vous  quitter.  Si  nous  entre- 
prenons une  guerre  contre  les  Tartares,  nos  troupes  harassées  ne 
pourront  secourir  le  pays  de  Tch'en  fjfc  attaqué  par  celui  de  Tch'ou, 
les  autres  vassaux  nous  tourneront  le  dos.  Les  Tartares  ne  sont 
que  des  brutes,  et  pour  eux  nous  perdrions  les  états  Chinois?  le 
livres  des  annales  2  nous  donne  fort  à  propos  l'exemple  de  /  ^fi. 
prince  de  K'iong  $?}. 

Une  dit  donc  ce  livre?  demanda  Tao-kong.  —  Le  voici,  ré- 
pondit Wei-kiang  :  A  l'époque  de  la  décadence  de  la  dynastie 
H  ta  ]J,  le  prince  /  ^  émigra  du  pays  du  Tch'ou  fj_[  dans  celui 
ds  K'iong-che  2j§  ^  3);  puis,  profitant  du  mécontentement  uni- 
versel, il  se  déclara  roi.  Plein  de  confiance  dans  son  habileté  à 
tirer  de  l'arc,  il  négligea  les  affaires  de  son  peuple,  et  ne  songea 
qu'à  la  chasse  aux  bètes  fauves  :  il  écarta  les  sages  ministres  Ou- 
louo  jjÇ  |§L  Pè-ijng  fy  [TçJ.  Uiong-h'ouen  hé  ^,  et  Mang-vtei  ')\^ 
[$]  ;  il  ne  se  servait  que  de   Han-tchouo  ^  j£,    langue   de   vipère, 

(1)  Les  Tartares  Ou-tchong,  branche  des  Chan-jong  \\\  g^.  ou  Tartares  des 
ifionlagacs,  habitaient  le  territoire  actuel  de  Ki-tchcou   ffi\  ;H1 ,    au   nord   du   Tche-li. 

Petite  géogr.,  vol.  2  p.  io)  —  (Grande,  vol.  iz,  p.  50).  —  Leurs  princes  étaient 
vicomte;-.   (Kiang-yu-piao  §§  fa£  §i,  vol.     (;.  p.   21). 

(2)  Chou-hing  §1}  £5.  Hia-hiun  J£  p|,  (Couvreur,  p,  ç2,  paragr.,   2). 

i'.i)  Tch'ou.  était  à  15  1:  a  L'est  de  Houa-hien  rf  $f,  qui  est  à  90  li  nord-est 
do  sa  prélecture  Wei-hoei  fou  ftr  î$  Jff  Ho-nan.  [Petite  yéogr..  vol.  12,  p.  24)'  — 
Grande,  vol.   16.  p.    2ç). 

K'iong-che,  était  dans  les  confins  de  Yng-chan  hien  5£  |Jj  %f. .  qui  est  à  400  li 
sud-ouest  de  Lou-ngan  teheou  A  6&  ^H,  Xgan-hoci    (Edition  imper.,  vol.  2j-p-  ijj- 


DU   ROYAUME  DE  TS1N.    TAO-KONG.  220 

traître  chassé  de  son  pays  par  son  propre  frère,  le  fameux  prince 
Pê-ming  f£  $]  (1). 

Le  fourbe  Han-tchouo  encouragea  les  passions  de  son  maître, 
flatta  les  gens  du  palais,  gagna  les  gens  du  dehors  par  des 
cadeaux,  et  s'empara  du  gouvernement.  Un  jour,  le  prince  ren- 
trant de  chasse,  fut  massacré  et  rôti  par  les  gens  du  palais  ;  ses 
fils  ayant  refusé  de  manger  sa  chair,  furent  aussi  massacrés  à  la 
porte  de  la  capitale.  Le  ministre  Mi  0,  qui  revenait  alors  de  la 
cour  de  Hia  j£.  s'enfuit  à  la  petite  principauté  de  Ko  J^  (2). 

Han-tchouo  prit  le  palais  et  les  femmes  de  son  maître  ;  il 
envoya  son  fils  Kiao  ^  avec  une  armée,  soumettre  les  états  de 
Tchenn-koan  g  [ff  et  Tchenn-sin  |$  W$.  (3)  :  après  quoi,  il  l'éta- 
blit prince  de  Kouo  $|  :  son  autre  fils,  nommé  II  i  fù,  fut  prince 
de  Kouo  3t  (^)- 

Le  ministre  Mi  reunit  les  restes  des  deux  états  détruits,  en 
composa  une  armée,  avec  laquelle  il  vainquit  le  traître,  et  replaça 
sur  le  trône  le  prince  légitime  Chao-h'ang  A?  0,  fils  de  Hia  ]^  ; 
celui-ci,  aidé  de  son  fils  Heou-chou  fë  ffî.  enleva  leurs  principau- 
tés aux  deux  intrus  Kiao  et  Hi.  Ainsi  périt  l'état  de  K'iong  ; 
uniquement  pareeque  son  souverain  avait  perdu  l'affection  de  son 
peuple. 

A  l'époque  de  la  dynastie  Tcheou  Jfs\.  le  grand  historiographe 
Sin-kia  -J^  fp  avait  ordonné  aux  officiers  de  consigner,  par  écrit, 
les  défauts  qu'ils  auraient  remarqués  dans  la  personne  de  l'empe- 
reur ;  le  grand  intendant  de  la  vénerie  inscrivit  ce  qui  suit  :  Au 
long  et  au  large,  le  grand  empereur  Yu  -,[0,  a  parcouru  la  Chine, 
a  délimité  les  neuf  régions,  a  ouvert  les  neuf  routes  ;  gi^àce  à  lui, 
le  peuple  eut  des  temples  et  des  maisons  :  les  animaux  domesti- 
ques eux-mêmes  eurent  leur  nourriture  ;  chaque  être  vivant  trouva 

(1)  llan  :  su  capitale  était  à  30  li  nord-est  de  Wei  hien  jf$  $£,  qui  dépend  dz 
Ping-tou   tcheou  ^  |j£  )\\,  dans  le  Chan-tong.  (Grande  géogr..  vol.  jô  p.   - 

(2)  Ko:  sa  capitale  était  à  10  li  à  l'est  de  Te-p'ing  hien  Ç&  ^  §?,  qui    i 

160  li  à  l'est  de  Te-tclicou  Wt  ''II,  dan-  la  préfecture  de  Tsi-nan  fou  [ff  ffî  fl-F,  Chan- 
tong  (Grande  géogr.,  vol.  31,  p.  31).. 

(3)  Tchenn-koan  :  sa  capitale  était  a    S0  li  nord-est   de    Cheou-hoang    hit 

yt  Ht  qui  est  ù  70  li  nord-est  de  sa  prélecture  Tsing-tcheou  l'on.  f|  ^H  M ■  Chan- 
tong    Grande  géogr.,  vol.  33,  P-  15)- 

Tchenn-sin:  sa  capitale  était  à  50  li  sud-ouest  de  Wei  hien  ;$  S£,  qui  e-t  ■( 
180  li  à  l'ouest  de  P'ing-tou  tcheou  ^   [§  Chan-tong.    (Grande  géogr.,  col. 

P-    7)- 

(4)  ATouo  ïj§.  :  sa  capitale  était  au  nord  de  Lai-tchcou  fou  M  #1  #F,  Chan- 
tong.  (Grande  géogr.,.  vol.  36,  p.  3). 

Kouo  Jq:  sa  capitale  était  entre  le?  états  de  *ong  5fc  et  de  Tcheng  J5?,  du  le 
commentaire;  mais  je  n'ai  pu  la  trouver  dans  les  géographies. 


230  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

son  repos  ;  aussi  la  vertu  llorissait  de  toutes  parts  :  quand  I-i 
~M  3fl  monta  sur  le  trône,  son  unique  plaisir  fut  la  chasse  aux 
bètes  fauves  dans  les  immenses  plaines  ;  il  oublia  d'exercer  la 
miséricorde  envers  son  peuple  ;  il  n'eut  pas  à  cœur  la  formation 
de  l'armée  :  toutes  ses  préoccupations  étaient  à  courir  le  cerf  :  il 
avait  hérité  le  trône  de  Hia.  il  ne  sxit  pas  le  conserver.  Moi, 
humble  intendant  de  la  vénerie,  j'ose  consigner  ces  choses,  pour 
les  fidèles  serviteurs  de  l'empereur. 

Tao-kong  'était  alors  passionné  pour  la  chasse  :  il  comprit 
très-bien  pourquoi  Wei-kiang  |J{J  $£  avait  choisi  cet  exemple  :  il 
lui  demanda  :  d'après  vous,  le  mieux  serait  donc  de  faire  la  paix 
avec  les  Tartares  "?  Assurément  !  répondit  le  seigneur  :  et  nous  y 
gagnerions  cinq  avantages  :  ces  barbares  menant  une  vie  nomade, 
n'estiment  pas  leurs  terres,  et  les  échangent  volontiers  pour  des 
objets  de  commerce  ;  il  nous  est  facile  d'acquérir  leurs  territoires: 

—  avant  la  paix  aux  frontières,  le  peuple  pourra  tranquillement 
cultiver  ses  champs,  sur  de  recueillir  ses  moissons  ;  —  les  bar- 
bares  nous  étant  soumis,  nos  voisins  trembleront  de  crainte,  les 
vassaux  voyant  notre  puissance  auront  grand  zèle   à  nous    servir  : 

—  les  barbares  nous  étant  conciliés  par  des  procédés  amicaux, 
nos  troupes  ne  seront  pas  fatiguées,  nos  armes  ne  seront  pas 
endommagées  ;  —  profitant  de  la  leçon  que  nous  donne  le  prince 
/  ^,  nous  nous  appliquerons  à  la  vertu,  au  bon  gouvernement  ; 
nous  attirerons  les  étrangers,  nous  conserverons  la  paix  à  notre 
peuple.      Que  votre  Majesté  médite  ces  cinq  avantages  I 

Tao-kong  fut  enchanté  de  ces  paroles  ;  il  chargea  Wei-kiang 
lui-même  de  conclure  un  traité  d'amitié  avec  tous  les  Tartares 
Jong  J%,  s'occupa  des  affaires,  et  n'alla  plus  à  la  chasse  qu'en 
temps  opportun,  c'est-à-dire  quand  elle  ne  pouvait  endommager 
les  récoltes  :   il  fit  preuve  d'intelligence,  de  bonté,  et  de  fermeté. 

En  508,  au  début  de  l'année  (novembre-décembre),  le  petit 
duc  de  Lou  $}  retournait  enfin  chez  lui  :  il  était  resté  si  longtemps 
au  pays  de  Tsin,  pour  gagner  les  seigneurs  à  sa  cause,  relative- 
ment à  la  principauté  de  Tseng  §|{,  et  il  avait  enfin  réussi. 

Vers  le  mois  de  Janvier,  Tch'en-chen  ffi  £{£,  oncle  et  minis- 
tre  de  l'empereur,  venait  à  son  tour  à  la  cour  de  Tsin,  se  plaindre 
des  vexations  des  Tartares  Jon<j  j£  :  pour  toute  réponse,  Tao-kong 
le  ht  saisir,  et  avertit  l'empereur  que  ce  traître  jouait  double  jeu 
envers  les  barbares. 

Vers  le  mois  de  mars,  on  régla  officiellement  que  la  princi- 
pauté de  Tseng  ||J  serait  tributaire  du  duc  de  Lou  ^  :  et  lui  sol- 
derait chaque  année  une  somme  déterminée. 

Sers  le  mois  d'avril,  arrivait  enfin  un  ambassadeur  du  roi  du 
Ou  $1  :  il  se  nommait  Cheou-uw-  |j|  ^|  ;  il  expliqua  comment  son 
maître  n'avait  pu  se  rendre  à  l'assemblée  de  K'i-tche  $fë  ^  ni 
même  y  envoyer  des  représentants  ;  il  demanda  de  plus,  pour  son 
pays,  à  être  reçu  dans   l'alliance    et   l'amitié   de   tous  les   princes 


DU    ROYAUME   DE  TSIN.     TAO-KONG.  231 

féodaux.  Tao-kong  était  si  content,  qu'il  voulut  convoquer  de  nou- 
veau tous  les  vassaux  à  une  réunion  solennelle  ;  en  même  temps 
il  chargea  le  duc  de  'Lou  -|§-  et  le  marquis  de  Wei  fâj,  les  plus 
proches  voisins,  d'aller  trouver  le  roi  de  Ou  à  Chan-lao  ^  jj|  (1), 
et  de  servir  de  guides,  à  lui  ou  à  ses  ambassadeurs. 

Au  mois  de  juillet,  à  TsH  jj£,  avait  lieu  la  plus  brillante 
réunion  peut-être,  qu'ait  jamais  présidée  le  roi  de  Tsin  ;  étaient 
présents  les  princes  de  Lou  0.  Sonq  5j?,  Tch'en  [î^f,  Wei  ffj, 
Tehetig  p,  Ts*ao  f ,  Kiu  g",  Tcltou  ||J,  Teng  Jjf  et  Si  g£,  avec 
les  représentants  de  Ts'i  ^,  Ou  J}^  et  Tseng  ||j  ;  au  jour  appelé 
ping-où  jfy  41  (le  11  de  ce  mois),  on  jurait  solennellement  un 
traité  d'amitié,  puis  on  décidait  de  garder  en  commun  la  capitale 
de  Tch 'en  ^,  pour  la  protéger  contre  les  entreprises  du  roi  de 
Tch  'ou  *£. 

Confucius  trouva  sans  doute  que  son  maître  avait  été  par 
trop  humilié  dans  cette  circonstance  ;  avoir  été  en  quelque  sorte 
l'acolythe  de  sauvages,  comme  les  gens  de  Ou,  avoir  même  traité 
d'égal  à  égal  avec  eux,  dans  une  réunion  de  princes  chinois  :  voilà 
une  honte  qu'il  fallait  cacher  aux  générations  futures;  s'il  parle 
de  l'assemblée,  il  garde  un  vertueux  silence  au  sujet  du  traité 
d'alliance  qu'on  y  signa:  heureusement  d'autres  auteurs  furent 
moins  prudes. 

On  sera  peut-être  étonné  de  voir  paraître  les  ambassadeurs  de 
Tseng  $  j  ;  c'est  que  le  duc  de  Lou  avait  changé  d'idées;  ne  trou- 
vant aucun  avantage  avec  cette  principauté  récalcitrante;  ne  se 
sentant  pas  la  force  de  couper  court  aux  difficultés  quille  avail 
sans  cesse  avec  ses  voisins,  surtout  avec  l'état  de  Kiu  ,•",',  le  duc 
lui  avait  rendu  la  liberté,  et  l'avait  invitée  à  régler  ses  querelles 
en   pleine  assemblée;  il  ne  voulait  plus  en  être  responsable. 

Quant  à  la  résolution  de  garder  en  commun  la  capitale  de 
Tcli'en  [Sj|,  elle  fut  bientôt  jugée  impraticable.  Le  seigneur  Che- 
hûi  -fc  £.j  dit  à  Tao-kong:  nous  allons  bientôt  perdre  cette  prin- 
cipauté; le  roi  de  Tch'ou,  sachant  pourquoi  elle  l'a  quitté,  vient 
de  changer  son  premier  ministre,  et  a  nommé  rse-nang  ^f  j||  à 
sa  place;  celui-ci  changera  de  politique,  et  tombera  à  l'improviste 
sur  la  capitale;  dans  leur  détresse,  les  habitants  feront  aussitôt 
leur  soumission  ;  ce  pays  est  trop  loin  de  nous,  trop  pioche  de 
Tch'ou;  nous  n'y  avons  aucun  avantage,  et  beaucoup  d'inconvé- 
nients ;  il  vaudrait  mieux  l'abandonner. 

De  fait,  vers  le  mois  de  septembre,  malgré  la  présence  des 
troupes  fédérées,  le  nouveau  ministre  de  Tch'ou  envahissait  la 
principauté;  sur  ce,  les  vassaux  se  réunirent  à  Tchreng-ti  J$  {,}£ 
(2),  sur  le  territoire  de   Tcheng  f,%,    pour   aviser    aux    moyens   de 

(1)  Chan-tao,  c'est  Yu-i  hien  B?  |h  M,  à  7  li  au  sud  de  Se  tcheou  ïH  !'.' ■ 
Ngan-hoei.  (Petite  géogr.,  vol.  6,  p.  41) — (Grande,  vol.   21,  p.  40). 

(2)  Tch'eng-ti,  comprenant  2  villes,  celle  du  nord  et  celle  du  sud,  était  h   ht  li 


232  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

repousser  l'armée  ennemie;  c'était  à  la  llemelune,  au  jour  Kia-ou 
^p  £f-  1 27  octobre)  ;  il  y  eut  de  part  et  d'autre  des  marches  et 
contre-marches,  sans  aucune  action  décisive  ;  des  deux  côtés  on 
ne  crut  pas  prudent  de  tenter  une  bataille. 

En  r>()7 ,  le  prince  de  Kiu  ';"«"  vainquait  et  se  soumettait  la 
principauté  de  Tseng  ffi  ;  celle-ci  avait  cru  pouvoir  compter  sur 
l'appui  du  duc  de  Lou,  mais  celui-ci  ne  s'en  était  pas  soucié,  pour 
les  raisons  rappelées  ci-dessus.  Pour  la  forme,  Tao-kong"  l'en 
blâma  vertement  ;  mais  ayant  reçu  des  excuses  et  des  cadeaux 
des  deux  partis,  il  laissa  les  choses  dans  le  statu-quo. 

En  5G6,  à  la  l0-me  lune  (août-septembre),  le  premier-ministre 
Han-k'iuê  <?$_  ^  ou  Han-hien-tse  §•%  |p£  ^-,  voulait  résigner  sa 
charge  en  faveur  de  son  fils  aine  Ou-ki  M  j^  ;  mais  celui-ci,  qui 
était  maladif,  répondit  à  son  vénérable  pure  en  citant  un  texte  du 
livre  des  Vers  (1)  :  pourquoi  refusê-je  de  sortir  au  point  du  jour? 
c'est  que  sur  les  chemins  la  rosée  est  trop  abondante  !  et  ailleurs: 
vous  ne  faites  rien  vous-même,  vous  ne  traitez  pas  les  affaires 
vous-même  :  le  peuple  na  pas  confiance  en  vous  !  Il  ajouta  : 
étant  presque  toujours  malade,  je  suis  incapable  de  porter  une 
telle  charge  ;  permettez  que  je  l'offre  à  mon  frère  K'i  ^S  ;  il  est 
l'ami  intime  du  sage  Tien-sou  [£]  j|£  ;  or  celui-ci,  qui  le  connaît 
bien,  assure  qu'il  aime  vraiment  la  vertu.  Le  livre  des  Vers  (2) 
nous  donne  les  conseils  suivants  :  «vous,  grands  dignitaires,  rem- 
plissez avec  calme  les  devoirs  cle  votre  charge  :  aimez  les  hommes 
probes  et  sincères  ;  les  Esprits  secondèrent  vos  efforts,  et  vous 
accorderont  libéralement  les  faveurs  les  plus  précieuses...  Oui- 
conque  remplit  bien  son  office  et  aime  le  peuple,  celui-là  est  bon  ; 
quiconque  est  probe  et  sincère,  a  le  cœur  droit  :  quiconque  rectifie 
et-  qui  n'est  pas  juste,  est  vraiment  correct  ;  celui  qui  a  ces  trois 
qualités,  est  un  homme  accompli,  et  pratique  l'humanité  ;  il  sera 
grandement  béni  des  Esprits  ;  c'est  lui  qui  doit  succéder  à  mon 
père  (3). 

Au  jour  appelé  heng-sin  Jj>  /•£  (3  septembre),  Han-k'iuê  ^£ 
Jïfifc  se  rendait  à  la  cour,  pour  y  résigner  officiellement  ses  dignités, 
et  offrir  son  second  fils  comme  successeur.  Tao-kong  accepta 
cette  démission,  rendue  nécessaire  par  le  grand  âge  du  vénérable 
seigneur  ;  il  louangea  publiquement  son  fils  aîné,  pour  le  désin- 
téressement dont  il  faisait  preuve  ;  en  récompense,  il  le  nomma 
chef  et  président  de  tous  les  nobles,  apparentés  à  la  famille 
régnante.     Quant  au  second  fils,  il  se    réserva  cle  lui  confier    plus 

au  nord  de  Ycmg-ou  hien  p§  j?^  $,£,  qui  osi  à  00  li  nord-ouest  de  >a  préfecture  Iloai- 
k'ing  fou  j^fj  |ï£  Iflp,   Elo-nan.  (Grande  géogr,,  vol.   4.7,  \i.   20K 

(1)  (2)  Che-king  jft  jljf,  Couvreur,  p.  21.  ode  o  —  p.  _>_>;-.  <  de  -.  vers  4  — 
p.  274.  ode  3,  vers  j). 

(3)  Le  tombeau  de  Han-k'iuê,  cs(  a  1  ■">  li  au  sud  de  llin-lchcmt  |'r  #1,  Chan- 
si.  (Géoijr.,   impér,,   vol.   iij,  p.  3). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    TAO-KONG.  233 

tard  la  dignité  de  premier-ministre  ;  pour  le  moment  il  la  conféra 
au  seigneur  Siun-yong  ^  %  (ou  Tche-yong  £rj  |g:)  (1). 

A  la  12 '•■"••  lune- (octobre-novembre  ,  les  vassaux  tenaient  une 
nouvelle  assemblée,  à  Wei  f|J5  2),  sur  le  territoire  de  Tclieng  |$, 
pour  examiner  les  moyens  de  secourir  l'état  de  Tch'en  pjjî.  attaqué 
derechef  par  le  roi  de  Tch'ou  :  à  cette  réunion  se  trouvaient  les 
princes  de  Lou  ;fj.,  Song  54?.  Wei  $j,  Ts'ao  ^",  Kiu  ^\  Tcliou 
%\]  et  Tcli'en  f^(.  Ce  dernier,  dont  le  sort  était  en  jeu,  s'aperçut 
que  l'on  délibérait  mollement,  et  quasi  pour  la  forme  :  il  sentit 
qu'on  ne  tenait  guère  à  lui  :  d'autre  part,  il  craignait  la  ven- 
geance de  Tch'ou  ;  il  résolut  donc  d'aller  immédiatement  lui  offrir 
sa  soumission,  et  s'enfuit  de  l'assemblée  ;  le  congrès  n'ayant  plus 
raison  d'être,  chacun  retourna  chez  soi. 

En  565,  à  la  lère  lune  (novembre),  le  petit  duc  de  Lou  était 
de  nouveau  à  la  cour  de  Tsin  ;  cette  fois,  il  demanda  quand  les 
vassaux  devaient  venir  en  personne  ;  quand  ils  devaient  envoyer 
des  ambassadeurs  avec  des  présents,  saluer  leur  suzerain.  Autre- 
fois, il  avait  été  réglé  que  tous  les  cinq  ans  les  princes  viendraient 
en  personne  (tchao  1$\),  et  tous  les  trois  ans  ils  enverraient  un 
ambassadeur  (ping  Jfë)  ;  peu  à  peu,  des  abus  s'étaient  introduits  : 
la  cour  de  Tsin  et  ses  grands  dignitaires  aimaient  à  recevoir  de 
riches  cadeaux  ;  on  forçait  les  petits  états  à  se  présenter  souvent: 
tandisque  les  grands,  comme  celui  de  Ts'i  y?§ ,  s'en  dispensaient 
complètement.  Tao-kong  se  sentit  assez  fort  pour  obliger  tout  le 
monde  à  observer  l'ancien  règlement,  établi  par  son  glorieux 
ancêtre  Wen-kong  ~$£  fè. 

Cette  même  année,  le  prince  de  Tclieng  i|j).  pour  complaire  à 
Tao-kong,  s'en  allait  en  guerre  contre  le  petit  état  de  7Vai  ^,  et 
remportait  la  victoire;  au  milieu  de  la  joie  commune,  le  sage 
Tse-lch'an  ^  jH  seul  se  montra  triste,  et  prédit  des  malheurs 
qui  ne  devaient  pas  tarder. 

(1)  La  famille  Te  lie  &!,  branche  de  la  famille  Siun'fâ.  était  comme  clic  de  vieille 
noblesse  :  puisque  Che-ngao  i£f  %%  était  leur  ancêtre  commun.  Précédemment  nous 
avons  souvent  parlé  du  grand  seigneur  Siun-ling-fou  >#  ffc  £  et  de  son  frère 
Siun-cheou  /£  tî'.  Celui-ci,  aussi  nommé  Tchoang-tse-cheou  j^rF-lt.  était  un  hom- 
me éminent  et  un  bon  guerrier;  c'est  lui  qui  fonda  la  famille  Tche  j$,  qui  tira  son 
nom  de  son  fief,  dont  la  capitale  était  à  l'ouest  de  Ling-tsin  hien  f&  ia'  |B|  à  70  li 
nord-est  de  P'ou-tcheou  fou  jfô-  AI  Hf .  Chan-si.  (Grande  0I.41,  p.  22 

&\s, Tche-yong  $fl  **.  aujourd'hui  nommé  premier  minis  it-étre  l'homme  le 

plus    remarquable  de  cette  grande  famille;    il  s'appela  aussi  Ou-tseRJ-  et  Tche-pé 
'■-:;  fê.  s"'>  petit-fils  Tche-yng  fàffl  occupera  aussi  une  grande  ]  lace  dan-  le 
me.    Cette    famille    fera    plus  tard  eau--  commui  roi,  avec 

Ilan  !#.  Tchao  g  et  Wei  H,  qui  se  partageront  le  trône  et  le  pays;  ainsi  elle 
persistera  longtemps  .encore  dans  l'histoire,  sans  occuper  les  plus  hauti  -  -    - 

Wei,  on  en  ignore  l'emplacement  exact. 


2  34  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

A  la  5ème  lune,  au  jour  Kia-lchen  tp  Jg  ;24  avril},  les  vas- 
saux envoyaient  leurs   resprésentants  à  la  réunion  de  Hing-h'iou 

?fô  fn  1)  :  le  but  de  cette  assemblée  était  de  promulguer  les  an- 
ciens règlements,  relatifs  aux  visites  régulières  à  la  cour  du  suze- 
rain. En  cela,  Tao-kong"  se  montrait  digne  de  sa  charge,  exigeant 
que  chacun  remplit  ses  obligations,  et  coupant  court  aux  abus 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  Le  prince  de  Tcheng  Hf$  était 
présent  à  cette  réunion,  présidée  par  Tao-kong  lui-même;  le  roi 
de  Ts'i  y!$  et  quatre  autres  princes  y  avaient  envoyé  leurs  députés; 
tous  promirent  d'observer  fidèlement  à  l'avenir  les  dits  règlements. 

Vers  le  mois  de  septembre,  le  prince  de  Tcliong  ftp,  par  son 
étourderie,  s'était  attiré  une  invasion  de  Tch'ou  ^  ;  Tao-kong  ne 
vint  point  à  son  secours  ;  après  des  délibérations  de  haute  sagesse, 
le  pauvre  prince  alla  prosaïquement  faire  sa  soumission  à  l'enva- 
hisseur ;  c'était  toujours  le  même  système  de  bascule. 

A  la  fin  de  l'année  (vers  octobre),  le  grand  seigneur  Che-kai 
-^  4E]  était  envoyé  à  la  cour  de  Lou  $,  pour  remercier  le  petit 
duc  de  ses  nombreuses  visites  ;  il  devait  aussi  annoncer  que  Tao- 
kong  aurait  bientôt  besoin  de  troupes  auxiliaires  contre  le  prince 
de  Tcheng  fi[).  Le  duc  donna  un  grand  festin,  en  l'honneur  de 
Che-kai;  celui-ci,  en  guise  de  toast,  chanta  l'ode  «les  fruits  tom- 
bent du  prunier»  [2),  pour  indiquer  aimablement  qu'on  ne  fit  pas 
attendre  trop  longtemps  les  troupes  demandées.  Le  fameux  pre- 
mier ministre  répondit  qu'on  obéirait  avec  empressement;  car, 
ajouta-t-il  finement,  si  votre  illustre  souverain  est  le  prunier, 
notre  humble  prince,  malgré  sa  dignité,  n'en  est  que  le  parfum  : 
c'est  un  bonheur  pour  nous  de  nous  montrer  obéissants  à  vos  or- 
dres,  n'importe  à  quel  temps  vous  daigniez  nous  les  communiquer. 

Ki  Ou-lse  Ëfs  jÇ  ^,  car  c'était  lui,  chanta  ensuite  l'ode  «l'arc 
bien  travaillé»  (3),  qui  célèbre  l'union  entre  les  frères;  puis  cette 
autre  «l'arc  rouge  est  débandé»,  où  il  est  dit  que  l'empereur  fait 
présent  d'un  arc  rouge;  c'était  un  fin  compliment;  le  ministre 
espérait  que  le  roi  de  Tsin  serait  gratifié  de  cette  récompense,  com- 
me son  ancêtre  Wen-kong. 

Che-kai  répondit  humblement  :  quand  notre  illustre  souverain 
Wen-kong  se  rendit  à  Heng-yong  $f  ffc,  rendre  hommage  à  la 
majesté  impériale,  il  reçut  en  effet  un  arc  d'honneur,  en  récom- 
pense de  ses  services  ;  moi,  rejeton  d'un  de  ses  serviteurs  présents 
à  la  bataille  de  Tcheeng-pou  j)fc  )fjï.  pourrais-je  oublier  ces  faits 
mémorables"?  pourrais-je  ne  pas  nourrir  les  mêmes  sentiments 
que  mes  ancêtres? 

(1)  Hing-k'iou,  appelée  ;ius>i  P'ing-koo  tcheng  -'p  zf£  jsf,  était  à  Tû  li  sid-est 
do  Hoai-kling  fou  1$  JQ  H],  Ho-nan.  (Petite  çéogr.,    vol.    12,  p.    26)   —    {Gronde, 

ml.    4g,   p.    s). 

(2)  (3)  Che-king  g$  £2  (Couvreur,  p.  24.  ode  o.  vers  1  —  p.  302.  ode  çt 
1  -. ■/■-    /    —   p.    içS,  ode   1 


DU    ROYAUME    DE   TSTN.    TAO-KONG.  235 

Dans  celte  circonstance,  le  seigneur  Che-kai  se  montra  par- 
fait connaisseur  des  rites  ;  il  sut  lutter  honorablement  avec  les 
fins  lettrés  de  Lou  ;  c'était  un  mérite  signalé,  et  des  plus   rares. 

En  564,  vers  le  mois  de  mars,  Ki  Ou-tse  lui-même  se  rendait 
à  la  cour  de  Tsin,  rendre  cette  visite  du  seigneur  Che-kai  ;  c'était 
vraiment  assaut  de  politesses. 

De  son  côté,  cette  même  année,  le  roi  de  Ts'in  Jfë,  qui  depuis 
longtemps  ne  faisait  plus  parler  de  soi,  envoyait  un  ambassadeur 
à  la  cour  de  Tch'ou  ^,  demander  des  troupes,  en  vue  d'une 
guerre  contre  Tao-kong  ;  c'était  une  proposition  trop  agréable  pour 
être  refusée  ;  le  roi  y  donna  de  suite  son  assentiment  ;  mais  le 
premier  ministre  Tse-nang  ^*-  ^  y  opposa  des  difficultés. 

Actuellement,  disait-il,  nous  ne  sommes  pas  de  taille  à  lutter 
avec  le  pays  de  Tsin  ;  car  son  roi  emploie  chacun  de  ses  officiers 
selon  ses  talents  ;  il  élève  aux  hautes  charges  des  hommes  capa- 
bles, choisis  avec  soin  ;  ceux  qui  remplissent  bien  leur  poste  ne 
sont  pas  facilement  changés  ;  les  ministres  sont  d'une  telle  humi- 
lité qu'ils  cèdent  leur  place  à  d'autres  plus  capables  ;  les  grands 
oilicicrs  remplissent  leur  office  avec  zèle,  et  leurs  subordonnés 
sont  obéissants  ;  le  peuple  est  soigneux  clans  l'agriculture  ;  les 
marchands,  les  artisans,  les  employés  des  tribunaux,  tous  sont 
diligents  à  leur  travail. 

Le  premier-ministre  Han-k'iué  ?$.  ^  a  résigné  sa  charge,  à 
cause  de  son  grand  âge  ;  mais  son  successeur  Tche-yong  -%\\  •;£  le 
consulte,  en  tout  ce  qui  concerne  l'administration  ;  Che-kai  -^  4l] 
est  plus  jeune  que  Siun-yen  ^  [[!£  ;  malgré  cela,  ce  dernier  lui  a 
cédé  sa  place  d'adjudant  du  généralissime,  la  seconde  dans  toute 
l'armée.  Han-k'i  §•!$.  ^fji  est  plus  jeune  que  Loan-yen  â$|  'ÏÇ?  : 
malgré  cela,  celui-ci  et  le  seigneur  Clie-fang  -}'  %})  l'ont  tait  placer 
au-dessus  d'eux,  comme  adjudant  du  général  de  droite,  le  4èmo 
personnage  de  toute  l'armée.  Wei-hiang  ffy  $$,  cet  homme  émi- 
nent,  a  estimé  Tchao-OU  ^  p^  plus  capable  que  lui-même,  et 
s'est  contenté  d'être  son  adjudant,  à  la  tète  des  nouveaux  corps 
de  troupes,  acceptant  la  huitième  et  dernière  place  parmi  les 
généraux. 

Ainsi,  le  roi  est  sage,  les  ministres  fidèles,  les  grands  digni- 
taires humbles,  les  inférieurs  obéissants  ;  pour  le  moment,  c'est 
un  pays  inattaquable  ;  attendons  un  temps  plus  propice  pour 
tomber  sur  lui.      Que  votre  .Majesté  y  réfléchisse  ! 

Le  roi  répliqua  :  j'ai  donné  ma  parole,  il  faut  que  l'armée  se 
mette  en  marche  ;  mais  il  n'est  pas  nécessaire  qu'elle  envahisse 
le  pays  de  Tsin.  C'est  ce  que  l'on  fit.  Vers  le  mois  de  juin,  les 
troupes  s'avancèrent  jusqu'à  Ou-lch'eng  #£  Jj$     I)  ;     celles  du    roi 

(I)  Ou-teh'cng  :  il  y  a  bien  des  villes  de  ce  nom  :  celle-ci,  qui  s'appelait  enco- 
re Ou-yen-tch'eng  jft  "££  M  et  Si-tch'cny  (5j  £$,  était  au  oord  de  Ncm-yang  fou  f?J 
FU  'l'f,  Ho-nan.  (Petite  géogr.,V9l.  12,  p.  40)  -—  (Grande,  vol.  ji-  p.  6). 


230  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

de  Ts'in  |jï,  après  avoir  envahi  le  territoire  de  Tao-kong,  s'aper- 
çurent bientôt  qu'on  les  aidait  seulement  pour  la  forme  ;  elles 
perdirent  leur  première  audace  ;  une  grande  famine  qui  régnait 
clans  le  pa}Ts,  pouvait  les  seconder  ;  malgré  cela,  elles  se  contentè- 
rent de  quelques  avantages,  et  se  retirèrent  sans  avancer  plus  loin. 

A  la  ÎO'31110  lune,  au  jour  keng-ou  J^f  ^f-  (12  septembre),  plus 
de  douze  vassaux  étaient  réunis  autour  de  Tao-kong,  pour  se  con- 
certer sur  la  guerre  à  entreprendre  contre  le  prince  de  Tcheng  Jff$. 
On  se  mit  aussitôt  en  campagne  ;  on  arriva  sous  les  murs  de  la 
capitale  ;  ne  voyant  point  paraître  les  gens  de  Tch'ou  &£,  ses 
soit-disant  protecteurs,  le  prince  vint  humblement  offrir  sa  sou- 
mission, au  jour  Kia-siu  Ep  )$  (16  septembre)  ;  on  fit  des  dis- 
cours onctueux  sur  la  vertu  ;  finalement  on  se  contenta  de 
renouveler  tous  ensemble  les  anciens  traités  d'alliance  et  d'amitié, 
puis  ce  fut  fini.  Quelques  généraux,  cependant,  honteux  d'une 
pareille  expédition,  voulaient  tomber  à  l'improviste  sur  la  capitale, 
et  s'en  emparer  ;  mais  les  vassaux  étaient  pressés  de  s'en  retour- 
ner chez  eux,  ils  ne  consentirent  pas  à  laisser  accomplir  cet  acte 
de  violence  inutile.  Au  jour  ki-hai  g  J^  de  la  1  lèmc  lune  (11 
octobre),  à  Ili  §\  (1),  ville  de  Tcheng,  ils  jurèrent  solennellement 
le  traité  de  paix,  et  partirent. 

Cette  campagne  grotesque  faillit  avoir  une  tout  autre  issue  : 
Un  des  généraux  de  Tcheng,  homme  de  peu  de  conscience,  voyant 
l'armée  fédérée  s'en  retourner  sans  discipline,  sans  précautions, 
proposa  à  ses  collègues  de  se  jeter  sur  elle,  se  faisant  fort  de  l'a- 
néantir. Un  de  ceux-ci  s'opposa  fortement  à  une  trahison  si 
lâche,  au  lendemain  d'un  traité  si  solennel.  Ainsi,  sans  s'en 
douter,  les  troupes  fédérées  échappèrent  à  un  désastre. 

Le  jeune  duc  de  Lou  accompagnait  Tao-kong  sur  le  chemin 
du  retour  ;  festoyant  un  beau  jour,  sur  les  bords  du  fleuve  jaune, 
le  roi  demanda  quel  âge  avait  le  prince  ;  Ki  Ou-tse  ;p  ^  ^p 
répondit  :  c'est  en  l'année  de  la  réunion  des  vassaux  à  Cha-soei 
'<')/  PJË  (,!J"0)  (-)  q110  mon  maître  est  né.  —  Ainsi,  continua  Tao- 
kong,  votre  duc  a  déjà  douze  ans  ;  c'est  juste  le  nombre  d'années 
d'une  révolution  de  la  planète  Jupiter  ;  à  quinze  ans,  un  prince 
peut  se  marier  ;  mais  il  doit  auparavant  recevoir  le  bonnet  viril, 
comme  le  prescrivent  les  rites;  votre  duc  a  l'âge  requis;  pourquoi 
vus  seigneuries  ne  procèdent-elles  pas  à  cette  cérémonie? 

(1)  Ili,  ville  de  Tcheng,  était  près  de  la  montagne  de  ce  nom,  appelée  aussi 
Fang-chctn  ~/j  |1|,  à  40  li  au  sud  de  Fan-chouei  hien  îll  7.K  Sf,  dans  la  préfecture 
de  K'ai-fong  fou  Df]  }]'  Jff,  Ilo-nan.  (Petite  géogr.,  vol.  12,  p.  10)  —  (Grande,  vol. 
47,  p.  63). 

(2)  Cha-soei,  était  à  6  li  nord-ouest  de  Ning-ling  hien  '■><£  £î|  !|  qui  est  à 
GO  li  à  l'ouest  de  sa  precture  Koei-tc  fou  $$  {$,  ]\$,  Ilo-nan.  (Petite  géogr.,  vol.  jj, 
p.   12)  —  (Grande,  vol.  jo,  p.   ?). 

La  planète  Jupiter,  en  chinois  souei-sin  gfè  M- 


£)U    ROYAUME   DE    l  SIX.    TA0-K0XG.  237 

Ki  Ou-tse  répondit:  d'après  les  rites,  il  faut  offrir  aux  ancê- 
tres des  sacrifices  et  tics  libations  de  vin  aromatisé,  au  son  des 
cloches  et  des  pierres  musicales  (K'ing  jg<  ,  qui  indiquent  Tordre 
et  la  modération  dans  tous  les  actes  du  jeune  prince;  il  faut  que 
cette  solennité  s'accomplisse  dans  le  temple  du  premier  ancêtre  ; 
or,  nous  sommes  en  voyage,  il  est  difficile  de  préparer  tout  le 
nécessaire  ;  que  votre  Majesté  veuille  donc  attendre  que  nous  arri- 
vions sur  un  territoire  dont  le  souverain  soit  du  même  clan  que 
mon  maître  ;  là,  nous  pourrons  emprunter  tout  ce  qu'il  nous  faut. 

Tao-kong  approuva  ce  projet.  La  cérémonie  se  fit  au  pays  de 
Wei  -ffj,  dans  le  temple  de  Tch'eng-kong  $  ^  (634-600).  Nous 
savons  qu'un  lettré  comme  Ki  Ou-tse  a  toujours  une  réponse  à 
tout;  il  est  probable  que  pour  plaire  au  roi,  on  s'arrêta  dans 
n'importe  quel  temple,  et  qu'on  y  lit  la  cérémonie,  en  jurant  que 
tous  les  points  du  cérémonial  étaient  en  régie.  C'est  pourquoi 
certains  disent  que  ce  fut  un  simple  amusement  accordé  à  Tao- 
kong  ;  et  qu'ensuite,  à  la  cour  de  Lou,  on  refit  la  cérémonie,  ou 
tout  au  moins  on  la  suppléa,  au  temple  des  ancêtres. 

Rentré  chez  roi,  Tao-kong  demanda  à  ses  ministres  ce  qu'il 
fallait  faire  pour  que  le  peuple  put  se  rétablir  dans  la  prospérité 
et  le  repos.  Wei-kiang  3$1  $£  recommanda  de  répandre  des  lar- 
gesses, et  de  faire  grâce  des  corvées. 

Aussitôt,  ordre  fut  donné  de  vider  absolument  tous  les  dépots, 
publics  et  privés,  à  commencer  par  ceux  du  roi  ;  ordre  de  cesser 
tout  monopole  ;  défense  d'exiger  aucune  corvée  ;  défense  d'employer 
des  victimes  pour  les  sacrifices;  on  devait  y  suppléer  par  des  soie- 
ries ;  dans  les  repas  de  visite,  défense  d'avoir  plus  d'un  plat  de 
viande  ;  en  fait  de  voilures  et  de  vêtements,  ordre  de  se  contenter 
du  nécessaire  ;  défense  de  construire  de  nouveaux  vaisseaux,  et 
autres  défenses  de  ce  genre.  Ainsi  personne  n'eut  plus  à  souffrir 
de  la  misère,  dans  toute  l'étendue  du  pays;  le  peuple  devint  éco- 
nome et  sans  passions  ;  c'était  vraiment  l'âge  d'or,  l'état  d'inno- 
cence revenu  sur  la  terre.  Aussi,  dans  trois  expéditions  succes- 
sives, le  roi  de  Tch'ou  ^  n'osa  attaquer  un  peuple  gouverne 
d'une  telle  manière. 

Voilà  un  tableau  dressé  par  le  pinceau  d'un  lettré  :  ces  mes- 
sieurs, qui  ont  pâli  sur  leurs  livres,  croient  vraiment  que  cela  est 
arrivé  ;  ils  n'ont  pas  l'air  de  se  douter  que  la  vie  et  les  passions  de 
l'homme  sont  tout  autres  dans  le  pratique  ;  la  Chine  surtout  a  beau- 
coup de  bonnes  lois  ;  elles  dorment  profondément  ensevelies  dans 
leur  code.  Un  roi  intelligent  et  ferme  a  pu  en  presser  l'exécution 
pendant  un  an  ou  deux,  et  produire  ainsi  un  moment  de  prospé- 
rité :  mais  de  là  à  ce  que  nous  venons  de  lire,  il  y  a  loin  ! 

En  563,  à  la  4èmB  lune,  au  jour  appelé  ou-ou  jr£  4f-  (27  fév- 
rier), Tao-kong  présidait  une  assemblée  de  vassaux  à  Tcha  |[[    1   . 


(1)   Tcha  :   cette  rivière  coulait  à  l'ouest  de  Pi-yang  tch'eng  fc'J  RJJ^.  capitale 


238  TEMPS   VRAIMENT  HISTOniQUKS 

(sur  les  bords  de  la  rivière  de  ce  nom)  ;  étaient  présents  les  prin- 
ces des  Lou  1§,  Song  %,  Wei  $j,  Ts'ao  ^,  Kiu  g",  Tchou  #jS, 
Teng  JJi{f,  Si  (j^,  Ki  fâ  et  Siao-lclwu  >J>  $;-|(,  avec  l'ambassadeur 
de  Ts'i  f^,  et  surtout  Cheou-mong  j|  ^,  représentant  de  Ou  §\. 
Le  but  de  la  réunion  était  naturellement  d'exhorter  ce  dernier 
roi,  afin  qu'il  harcelât  le  pays  de  Tclt'ou  ^,  et  qu'il  délivrât  ainsi 
les  chinois  du  nord. 

Le  chemin  entre  leurs  états  et  celui  de  Ou,  passait  par  la 
petite  principauté  de  Pi-yang  ffVJ  PJj  (1)  ;  on  jugea  donc  opportun 
de  s'emparer  de  cette  ville;  Siun-yen  ^fj  fg  et  Che-kai  -j^  £]  pro- 
posèrent de  l'attaquer  immédiatement,  et  de  la  donner  au  sage 
Hiang-chou  [p]  J-%,  en  reconnaissance  des  fidèles  services  rendus 
par  le  prince  de  Song  ^.  Mais  Tche-yong  £fl  if^,  premier  minis- 
tre et  généralissime,  n'était  pas  de  cet  avis:  cette  ville  est  petite, 
disait-il,  mais  elle  est  très-bien  fortifiée;  si  nous  la  prenons,  il 
n'y  aura  pas  beaucoup  de  gloire;  si  nous  échouons,  ce  sera  ridi- 
cule.    Les  deux  seigneurs  insistant,  il  les  laissa  faire. 

Au  jour  ping-ing  pTj  jf£  (7  mars),  on  cerna  la  ville;  pendant 
25  jours  on  fit  des  prouesses  de  valeur  et  de  force  ;  le  père  de 
Confucius,  présent  à  l'armée,  s'y  distingua  parmi  tous  les  autres; 
tout  fut  inutile.  En  désespoir  de  cause,  les  deux  seigneurs  vinrent 
trouver  le  généralissime,  et  lui  dirent  :  l'époque  des  pluies  d'été 
approche;  si  nous  restons  plus  longtemps  ici,  les  chemins  seront 
défoncés;  nous  ne  pourrons  plus  ramener  notre  armée;  il  vaudrait 
mieux  partir  tout  de  suite. 

Tche-yong  furieux  saisit  un  escabeau,  qui  se  trouvait  près  de 
lui,  et  le  lança  sur  les  deux  seigneurs,  sans  les  attrapper  :  c'est 
vous,  leur  cria-t-il,  qui  avez  mis  eu  avant  cette  entreprise;  après 
avoir  tout  combiné,  vous  n'avez  fait  que  m'avertir;  pour  sauver 
votre  face,  je  vous  ai  laissé  agir;  c'est  vous  qui  avez  mis  enjeu 
l'honneur  de  notre  souverain,  mis  en  mouvement  toutes  les  trou- 
pes des  vassaux,  forcé  un  vieillard  comme  moi  à  venir  jusqu'ici  ;  et 
tout  cela  sans  aucun  résultat.  Maintenant,  vous  voudriez  rejeter 
l'odieux  de  cette  sottise  sur  moi, qui  n'y  suis  pour  rien;  vous  diriez 
à  notre  prince  :  si  le  généralissime  n'avait  pas  commandé  la  retraite, 


de  cette  petite  principauté  ;  Cette  ville  était  à  50  li  au  sud  de  /  hien  $$  |f ,  qui  est 
à  260  li  sud-est  de  sa  préfecture  Yen-tcheou  fou  Jj  '){\  H]  Chan-tong  (Grande  géogr., 
vol.    i .  p.   13.   —  vol,  32.  p.   20)  —   [Petite,  vol.   10,  p.  g). 

D'autres  auteurs  placent  cette  ville,  tantôt  ici  tantôt  là. 

Quant  à  l'imposition  du  bonnet  viril,  elle  n'existe  plus  en  Chine.  Autrefois,  le 
jeune  homme  le  recevait  à  vingt  ans,  il  était  alors  déclaré  majeur:  comme  on  le 
voit,  on  devançait  cet  âge  en  faveur  des  princes.  D'après  les  anciens  rites,  l'homme 
recevait  le  bonnet  viril  à  50  ans,  et  se  mariait  à  30  ;  la  femme,  à  20  :  on  donne 
de  tout  cela  des  raisons  profondes  peu  intéressantes  ,  Voir  Couvreur.  Li-ki  |§  SU, 
vol,  2,  p.  636),  (1)   Voir  la  note  précédente. 


DU   ROYAUME  DE  TSIN.    TAO-KONG.  239 

nous  aurions  pris  la  ville  Ifaible  et  usé  comme  je  suis,puis-je  prendre 
sur  moi  une  pareille  responsabilité?  si  dans  sept  jours  la  ville  n'est 
pas  en  votre  pouvoir,  je  saurai  bien  vous  prendre,  moi,  et  vous 
faire  payer  cette  honte  ! 

Au  jour  Keng-ing  Jj*  jîj,  les  deux  généraux  conduisirent  de 
nouveau  leurs  troupes  à  l'attaque,  31  mars);  eux-mêmes  étaient 
au  plus  fort  de  la  mêlée,  recevant  pierres  et  flèches  sur  la  tête  ;  il 
fallait  vaincre  ou  mourir. 

Au  jour  Kîa-ou  Ffi  ^  (4  avril  ,  après  des  combats  désespérés, 
de  part  et  d'autre,  la  ville  tomba  enfin  au  pouvoir  des  assiégeants. 
On  l'offrit  alors  au  seigneur  Hiang-chou  [£]  fâ  ;  mais  celui-ci  la 
refusa  avec  grande  humilité;  on  la  donna  donc  à  son  maître,  le 
roi  de  Song  ^. 

Ce  dernier  voulant  montrer  sa  gratitude,  donna  un  festin 
solennel  à  Tao-kong,  dans  la  ville  de  Tch'ou-li'iou  $£  Jrft  (1)  ; 
dans  cette  circonstance,  il  demanda  permission  de  se  servir  de  la 
musique  appelée  Sang-ling  ^  ~\-\\  (2),  c'est-à-dire  de  la  musique 
impériale  de  la  dynastie  Ing  j|j£. 

Le  premier  ministre  Tche-yong  jf$  *£  était  d'avis  de  refuser 
cette  permission  ;  les  deux  seigneurs  Siun-yen  ^j  ([§  et  Che-kai 
-^  4bj  désiraient  qu'on  l'accordât:  et  ils  en  donnaient  la  raison 
suivante  :  le  roi  de  Song,  descendant  de  la  dynastie  Ing,  et  le  duc 
de  Lou  ig-,  descendant  de  Tcheou-kong  J$  /£*.  voilà  les  deux  seuls 
princes  qui  puissent  nous  faire  voir  les  cérémonies  des  anciens 
empereurs;  le  duc  se  sert  bien  de  la  musique  impériale,  au  grand 
sacrifice  triennal,  et  aux  réceptions  solennelles  des  princes;  pour- 
quoi le  roi  de  Song  n'en  ferait-il  pas  autant  pour  la  réception  de 
notre  souverain? 

La  permission  fut  accordée.  Mais  voilà  qu'au  moment  où  le 
grand  maître  des  pantomimes  impériales  apparut  avec  l'immense 
étendard  de  l'antique  dynastie  Hia  J£,  pour  indiquer  le  rang  des 
places   à  chacun   des   hôtes,    Tao-kong   fut  si  effrayé  qu'il  s'enfuit 

(1)  Tch'ou-k'ieou,  était  à  10  li  sud-est  de  ZVao  hien  f|  f£,  qui  est  à  120  li 
sud-est  de  sa  préfecture  Ts'ao-tcheou  fou  ','?  M  'flF.  Chan-tong.  (Petite  géogr.,  vol. 
io.  p.   ly)  —  (Grande,  vol.  33,  j).   zS). 

(2)  La  musique  Sang-ling.  Les  annal.-  de  Tche-tchcou  fou  ffî  )\\  fff .  Chan-si, 
vol.  5!,  p.  21,  disent  que  Sang-ling  *^  fâ  est  le  nom  d'un  lac  et  d'une  forêt,  qui 
se  trouvent  à  30  li  à  l'ouest  de  Yang-tch'eng  liicn  W.  fe?  M  ■  or,  cette  ville  esl 

li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  Tche-tcheou  fou;  le  lac  s'appelle  maintenant  llouo-tche 
ï*  f^P  C'est  là  que  le  fameux  empereur  T'ang  jj}  [1766-1754  av.  J-C  .  lors  d'une 
grande  sécheresse,  vint  faire  ses  prières,  et  obtint  la  pluie  :  on  y  bâtit  plus  tard  un 
grand  temple.  La  musique  employée  en  cette  circonstance. et  qui  avait  été  si  efficace, 
porta  désormais  le  nom  de  ce  lieu  :  elle  le  irarda  tant  que  dura  la  dynastie  Yng  fj£, 
qui  descendait  de  ce  prince:  elle  s'appela  aussi  ta-houo  ii  ;'§;.  comme  ce  même 
endroit. 


240  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

dans  le  vestiaire,  et  ne  reparut  que  quand  on  eut  emporté  cet 
étendard. 

Autre  merveille  :  sur  le  chemin  du  retour,  étant  parvenu  à 
Tchou-yong  ^  ^jf  (1),  Tao-kong  tomba  gravement  malade;  on 
consulta  la  tortue  divinatoire,  et  l'Esprit  de  la  musique  Sang-ling 
£<  \\{  fit  apparition;  les  deux  seigneurs  Siun-yen  et  Che-kai, 
grandement  inquiets,  voulaient  qu'on  retournât  au  pays  de  Song, 
pour  y  offrir  des  sacrifices  expiatoires.  Le  premier  ministre  s'y 
opposa  encore  :  moi,  dit-il,  je  ne  voulais  pas  de  ces  cérémonies  ; 
si  l'Esprit  de  cette  musique  est  mécontent,  qu'il  se  venge  sur  eux  : 
Finalement,  l'ao-kong  se  trouva  mieux,  et  put  partir  de  là. 

Il  emmenait  captif  le  prince  de  Pi-yang  \ft  f^§  ;  il  le  présenta 
au  temple  de  Qu-kong  ]j£  £j,  en  disant  à  son  ancêtre  :  c'est  un 
barbare  !  et  il  l'avait  affublé  d'habits  de  sauvage  ;  car  il  n'était 
pas  permis  de  présenter  au  temple  un  prisonnier  chinois.  Com- 
me on  le  voit,  les  ancêtres  savaient  fermer  les  yeux  sur  les  pieuses 
fraudes  de  leurs  vertueux  descendants. 

Cependant,  tout  n'était  pas  fini  par  cette  comédie  religieuse  ; 
il  fallait  prévenir  la  colère  et  la  vengeance  des  ancêtres  du  captif  ; 
il  fallait  encore  une  autre  ruse  filiale  :  Ce  prince  était  du  clan  de 
Yun  fer,  et  descendait  de  Tchou-yong  fj£  grfi  :  Tao-kong  chargea 
le  grand  archiviste  de  la  cour  impériale,  de  choisir  et  de  nommer 
officiellement  un  homme  éminent  et  sage  de  ce  clan,  à  l'effet  de 
continuer  ^les  sacrifices  aux  ancêtres,  à  la  place  du  captif.  Et 
c'était  conforme  aux  rites,  ajoute  l'historien.  Quant  à  la  justice, 
il  n'en  était  pas  même  question.  Les  sacrifices  en  question  de- 
vaient désormais  se  célébrer  à  Ho-tch'eng  ]pj  ££  (ou  Ho-jenn), 
ancienne  capitale  d'une  principauté  annexée  au  royaume  de  Tsin, 
en  661  ;  cette  ville  était  à  16  ly  à  l'ouest  de  Ho-tcheou  fpT  ]]]. 
qui  est  à  460  ly  au  sud  de  sa  préfecture  T'ai-yuen  fou  ^  )&  jft- 
Chan-si.  (Grande  géogr.,  vol.  41,  p.  45).  Ho-tch'eng  était  devenu 
fief  de  la  famille  K'i  £[>.  Les  annales  du  Chan-si,  vol.  53,  p.  22. 
la  mettent  à  Fan-che-hien  fg  JX;  $£,  70  ly  à  l'est  de  Tai-tcheou 
^  fl\,  au  nord  de  la  province. 

Vers  le  mois  de  mai,  le  généralissime  Tche-yong  %\\  îgp  con- 
duisait une  armée  ravager  le  pays  de  Ts'in  |f|,  pour  le  punir  de 
l'invasion  de  l'année  précédente  ;  mais  l'historien  ne  relate  aucun 
fait  particulier. 

En  l'année  5*7  1 ,  nous  avons  vu  les  troupes  fédérées  travailler 
de  concert  à  la  fortification  de  Hou-lao  ;  ce  qui  avait  amené  la 
soumission  du  prince  de  Tclteng  |||$  :  on  s'était  vainement  flatté 
qu'à  l'avenir  les  guerres  seraient  finies  avec  le  roi  de  Tch'ou,  à 
propos  de  cette  principauté  :  on  voulut  dans  le  même  but  fortifier 
encore  deux  autres   villes   voisines,    Ou   jfê   et    Tchc   -fjjij    (2),    après 


l      ["chou       'i-    inconnue  des  g     -    tphes. 
[2)  Ou:  d'après  le  recueil  Hoang  Tsing  king-kiai  H  frf  $2  l?',  cette  forteresse 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    TAO-KONG.  241 

avoir  réparé  les  murs  de  Hou-lao,  qui  s'étaient  déjà  dégradés. 
Ces  grands  travaux  turent  exécutés  par  les  seules  troupes  de  Tsin, 
commandées  par  les  seigneurs  Che-fang  -Jj  aj]  et  Wei-kiang  |$| 
|i|.      Aussitôt,  le  prince  de  Tcheng  ft])  revint  faire  sa  soumission. 

A  la  llème  lUne  septembre-octobre),  une  armée  de  Tch'ou^ 
venait  le  punir.  Les  troupes  de  Tsin  et  des  vassaux,  évitant  la 
capitale,  firent  un  grand  détour,  dans  le  dessein  sans  doute  de 
prendre  l'ennemi  par  derrière,  et  de  lui  couper  la  retraite  ;  elles 
arrivèrent  à  Yang-ling  f^  [§|  (1),  et  trouvèrent  l'armée  de  Tch'ou 
en  bon  ordre,  et  prête  à  les  recevoir. 

Tche-yong  fâ]  @,  le  généralissime,  déçu  dans  son  espoir, 
proposa  de  rebrousser  chemin  :  si  nous  nous  retirons  aujourd'hui, 
disait-il,  les  gens  de  Tch'ou  vont  s'enorgueillir,  négliger  les  me- 
sures de  prudence  ;  alors  nous  pourrons  tomber  sur  eux.  —  Fuir 
devant  l'armée  de  Tch'ou  serait  une  honte,  s'écria  le  général 
Loun-yen  |jj|  -S?  :  s'infliger  un  pareil  déshonneur  devant  les  trou- 
pes des  vassaux  serait  encore  plus  humiliant  ;  mieux  vaut  mou- 
rir ;  je  vais  m'avancer  seul  avec  mon  corps  d'armée  ! 

Au  jour  appelé  ki-hai  g,  ~}£  (6  octobre),  il  se  trouvait  d'un 
coté  de  la  rivière  Yng  pj  (2J  :  les  gens  de  Tch'ou,  de  l'autre  ;  et 
l'on  paraissait  également  vouloir  en  venir  aux  mains  ;  il  s'agissait 
de  savoir  qui  passerait  à  l'autre  rive. 

Tse-kiao  ^-  $g,  premier-ministre  de  Tcheng  gf$,  dit  alors  à 
son  maître  :  les  troupes  fédérées  n'ont  pas  envie  de  se  battre,  et 
celles  de  Tsin  ne  pensent  qu'à  se  retirer  :  si  nous  faisons  notre 
soumission  au  roi  de  Tch'ou,  nous  éviterons  sa  vengeance  ;  si 
nous  persistons  à  rester  avec  le  roi  de  Tsin,  nous  en  serons  cer- 
tainement abandonnés.  .Ayant  ainsi  parlé,  il  attendit  la  nuit, 
passa  la  rivière,  et  fit  un  traité  d'alliance  et  d'amitié  avec  les  gens 
de  Tch'ou. 

Le  général  Loan-3-en  était  si  furieux  qu'il  voulait  se  précipiter 
sur  les  troupes  du  traître;  mais  le  généralissime  ne  le  lui  permit 
pas:  nous  ne  pouvons  pas  tenir  tète  à  l'armée  de  Tch'ou,  lui 
disait-il  ;  comment  trouver  mal  que  le  prince  de  Tcheng  cherche 
ailleurs  aide  et  protection  ?     Si  nous  nous  lançons  sur  son  armée, 

était  dans  le  défilé  de  Hou-tong  f§  fl.?.  sur  le  territoire  actuel  de  Yong-yang  hien 
tAWi%  ■■  celle-ci  est  à  200  li  à  l'ouest  de  sa  prélecture  K'ai-fong  fou  Pf]  jÉf  fêf,  Ho-nan. 

Tche,  appelée  plus  tard  Tch'eng-kao-tch'eng  $i  V;  M-  était  au  nord-ouest 
de  Fan-chouei  hien  \Q  /j\  |f,  qui  est  à  250  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  K'ai-fong 
fou.  (Petite  géogr.,  vol.   12,  p.  10).  —     Grande,  vol.  41,  p. 

(i)   Yang-ling,  était  au  nord-oue>t  de  Hiu  tcheou  If  H],  Ho-nan.  (Petite géogr., 

DOl,    12.   p.    5T). 

(2)   Yng,  cette  rivière  est  au   nord-est  de    Siang-tch'eng  hien  J|  £$  §|  :  celle- 
1  90  li  sud-ouest  de  Hiu- tcheou.  (Petit.-  géogr  ,    vol.    12,   p.    S9)  —     Grande 

vol.  46,  pp.  2ç  et  sitiv.. 

31 


242  TEMPS   VRAIMENT  HISTORIQUES 

les  gens  de  Tch'ou  viendront  à  son  secours  ;  nous  serons  pris  de 
deux  côtés;  qui  peut  assurer  le  succès  d'une  telle  bataille?  le 
mieux  est  de  nous  retirer. 

Au  jour  ting-wei  ~J"  ?fc  (14  octobre),  on  reprenait  piteusement 
le  chemin  du  retour;  en  route,  on  se  vengea  un  peu  de  cet  échec 
humiliant;  on  dévasta  la  frontière  orientale  de  Tcheng  J|f5  ;  de 
son  côté,  l'armée  de  Tch'ou  s'en  retourna  chez  elle,  ayant  obtenu 
ce  qu'elle  voulait.  Quelques  commentaires  prétendent  que  Tao-kong 
«ne  perdit  pas  la  face»  en  cette  circonstance;  c'est  vraiment  trop 
de  bonne  volonté. 

11  se  consola  du  moins  en  faisant  une  bonne  œuvre  :  il  y 
avait,  paraît-il,  cette  année-là,  des  troubles  à  la  cour  impériale  ;  il 
envoya  le  seigneur  Che-kai  "JT  4EJ  y  remettre  la  paix;  c'était  son 
devoir  ;  car  le  premier  office  du  chef  des  vassaux  était  de  protéger 
l'empereur. 

En  562,  la  cour  de  Tcheng  |f[$,  fatiguée  enfin  de  son  jeu  de 
bascule,  voulut  y  renoncer  une  bonne  fois,  et  s'attacher  éternelle- 
ment au  roi  de  Tsin  ;  elle  ne  trouvait  pas  son  avantage  à  être  sous 
la  domination  de  Tch'ou  $£.  Mais  comment  entrer  en  pourparlers 
avec  Tsin,  après  la  dernière  trahison?  Le  premier  ministre  pro- 
posa un  bon  stratagème:  attaquons  le  pays  de  Song  5jç,  dit-il; 
l'armée  des  vassaux  et  celle  de  Tao-kong  viendront  à  son  secours; 
quand  nous  serons  en  présence,  nous  ferons  un  traité  d'alliance 
définitif.    Ainsi  arriva-t-il. 

Tao-kong  apprenant  cette  invasion,  convoqua  les  vassaux, 
pour  aviser  aux  moyens  de  l'arrêter,  et  d'en  tirer  vengeance  ; 
douze  princes  ou  leurs  députés  furent  présents  à  cette  assemblée; 
on  décida  de  porter  la  guerre  au  cœur  du  pays,  et  de  forcer  ainsi 
son  armée  à  sortir  du  territoire  de  Song. 

A  la  4ème  lune,  au  jour  ki-hai  g,  ^  (3  février),  les  troupes 
fédérées  étaient  sous  les  murs  de  la  capitale,  et  en  pressaient 
activement  le  siège  ;  à  la  6ème  lune, le  prince  faisait  sa  soumission  ; 
à  la  7ème,  au  jour  hi-wei  g,  jfc  (24  avril),  au  nord  de  la  ville  de 
Po-tch'eng  dg^  jfâ  (1),  il  signait  et  jurait  solennellement  avec  les 
autres  vassaux  le  traité  d'alliance  et  d'amité  qu'il  venait  de  conclure 
avec  Tao-kong. 

Che-kai  i  4t]  fit  alors  l'observation  suivante  :  si  nous  n'y 
prenons  garde,  nous  allons  perdre  notre  suprématie  ;  ces  voyages 
continuels  que  nous  imposons  aux  princes  féodaux,  les  harassent, 
et  souvent  sans  résultat  ;  comment  ne  nous  quitteraient-ils  pas  ? 

Le  texte  du  traité  disait:  Nous  tous,  cosignataires  de  cette 
convention,  nous  promettons  de  faire  part  aux  autres  de  l'excédent 
de  nos  récoltes,  dans  les  années  d'abondance;    de   ne  pas  revendi- 

(1)  Po-tch'eng,  était  à  I  i  li  à  l'ouest  de  Yen-che  kien  M  ê>P  !£>  qu'  cst  à  70 
H  .1  L'est  de  sa  préfecture  Ho-nan  fou  i"I  î$]  H)',  Ho-nan. (Petite  géogr.j  vol.  12,  p, 
34)  —  (Grande,  vol.  48,  p.  36). 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    TAO-KONG. 


Z  -4  .  » 


quer  seulement  les  avantages  des  montagnes  et  des  fleuves,  pour 
soi,  et  d'en  laisser  les  inconvénients  aux  autres  ;  de  ne  pas  proté- 
ger les  traîtres  ;  de  chasser  au  plus  tôt  les  malfaiteurs  ;  de  nous 
entr'aider  dans  les  calamités  publiques  ;  de  nous  montrer  miséri- 
cordieux envers  ceux  de  nous  qui  subiraient  des  fléaux  ou  des 
révolutions  ;  de  nourrir  entre  nous  les  mêmes  affections  et  les 
mêmes  haines  ;  d'aider  et  soutenir  loyalement  la  maison  impériale. 
—  Si  quelqu'un  n'observe  pas  ces  articles,  que  les  Esprits  protec- 
teurs des  traitées,  les  Esprits  des  montagnes  et  des  fleuves,  tous 
les  Esprits  auxquels  on  sacrifie,  les  Esprits  de  nos  anciens  empe- 
reurs et  de  nos  ancêtres,  de  nos  sept  clans  et  de  nos  treize  royau- 
mes, enfin  tous  les  Esprits  intelligents  ensemble  le  détruisent  et 
l'écrasent  ;  que  son  peuple  le  quitte  ;  qu'il  perde  son  mandat  reçu 
du  ciel;  que  sa  famille  soit  exterminée;  que  son  état  enfin  soit 
renversé  et  anéanti. 

Naturellement,  une  armée  de  Tch'ou  ^  se  présenta  bientôt, 
et  le  prince  de  Tcheng  lui  offrit  sa  soumission  ;  naturellement  en- 
core, une  nouvelle  armée  des  princes  fédérés  revint  à  la  charge, 
et  à  la  9ème  lune,  au  jour  kia-siu  Ep  J^  (8  juillet',  le  même  prince 
courbait  la  tête. 

A  la  l0-me  lune,  au  jour  Ting-hai  ~T  ~£  21  Juillet-  son 
ambassadeur  se  rendait  auprès  de  Tao-kong,  en  dehors  de  la  porte 
orientale,  ratifier  le  traité  conclu  avec  son  député.  A  la  12""  lune, 
au  jour  ou-ing  rj£  H  (10  Septembre),  les  treize  princes  étaient 
réunis,  à  Siao-yu  |jf  ^  (1),  pour  y  publier  et  jurer  ensemble  ce 
même  traité.  Deux  jours  plus  tard  Tao-kong  rendait  la  liberté  aux 
prisonniers,  et  priait  les  vassaux  de  pardonner  tout  le  passé  ;  vu 
que  le  prince  de  Tcheng  ^  était  désormais  rivé  au  royaume  de  Tsin. 
De  fait,  cette  fois,  vingt-quatre  années  se  passeront,  sans  qu'il 
fasse  défection  ;  chose  inouie  jusqu'alors. 

En  preuve  de  sa  sincérité,  le  prince  de  Tcheng  f||$  offrit  à 
Tao-kong  les  cadeaux  suivants  :  a)  les  trois  fameux  directeurs  de 
musique  K'ouei  ff!.  Tch'ou  $$|  et  K'iuen  g§  :  —  b]  quinze  beaux 
chars  de  guerre  à  forme  large,  et  autant  à  forme  moins  large; 
tous  complètement  équipés  de  cuirasses  et  d'armes  nécessaires; 
puis  soixante-dix  chars  ordinaires  ;  —  c  deux  rangées  de  cloches 
de  différentes  dimensions,  sans  doute  pour  la  musique  des  réce- 
ption solennelles  ;  chaque  rangée  avait  trente-deux  cloches  de  ce 
genre;  —  d)  une  autre  grosse  cloche,  pour  le  seivice  du  temple 
des  ancêtres  ou  pour  celui  du  palais;  avec  elle,  un  assortiment  de 
pierres  musicales;  —  e  deux  bandes  de  musiciennes,  de  huit 
chanteuses  chacune  (2). 

(1)  Siao-yu  ou  Siou-yu  fê  &,  ville  de  Tcheng,  c'est  Mu  tcheou  jfjf  W.  Ho- 
nan  :  car  celle-ci  a  eu  différents  noms  au  cours  des  siècles.  Grande  geogr.,  vol.  47, 
p.  42). 

(2)  La  principauté  de  Tcheng  était  mal  famée,  pour  sa  musique  lascive  et  ses 


244  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Tao-kong  offrit  à  Wei-kiang  %$L  jfs£  Tune  de  ces  deux  bandes, 
en  lui  disant  :  c'est  votre  seigneurie  qui  m'a  conseillé  de  faire  la 
paix  avec  les  Tartares  Jong  j£  et  Ti  ffi,  afin  de  nous  assurer  la 
fidélité  des  vassaux  ;  or,  en  huit  ans,  nous  les  avons  réunis  neuf 
fois;  et  tous  sont  en  parfaite  harmonie  avec  nous,  comme  les  di- 
vers instrument  d'une  musique;  je  désire  donc  partager  ces  ca- 
deaux avec  vous. 

Wei-kiang  répondit  humblement  :  que  les  Tartares  aient  vécu 
en  paix,  c'est  un  heureux  sort  pour  notre  pays;  qu'en  huit  ans  les 
vassaux  aient  été  réunis  neuf  fois,  sans  qu'aucun  se  fût  montré 
revèche,  c'est  e.ffct  de  la  bonne  administration  de  votre  Majesté,  et 
du  concours  si  dévoué  des  ministres;  je  désire  de  tout  cœur  que 
votre  Majesté  se  délecte  grandement  à  cette  musique  ;  mais  aussi 
qu'elle  pense  toujours  à  l'avenir!  Le  livre  des  Vers  nous  dit  (1)  : 
ces  princes  sont  aimables;  ils  défendent  les  états  du  fils  du  ciel;  ces 
princes  sont  aimables;  ils  sont  comblés  de  tous  les  biens;  des  hom- 
mes d'une  tenue  irréprochable  les  suivent  et  les  accompagnent.  Car 
la  musique  met  la  vertu  en  repos  ;  la  justice  la  met  à  sa  juste  place; 
les  rites  la  font  pratiquer  avec  convenance  ;  la  bonne  foi  la  garde  ; 
l'humanité  lui  fait  exercer  partout  son  influence  salutaire.  Avec  des 
qualités  semblables,  un  prince  peut  vraiment  consolider  son  trône, 
rendre  le  bonheur  universel,  et  attirer  dans  ses  états  des  étrangers 
distingués.  Voilà  les  effets  merveilleux  d'une  bonne  musique!  Dans 
les  anciens  livres  il  est  dit  :  quand  vous  êtes  en  sécurité,  neîî.sec:  à 
prévenir  les  malheurs.  Quiconque  est  prudent  et  prévoyant,  se 
préparc  à  n'importe  quelle  surprise.  Votre  Majesté  ne  m'en  voudra 
pas  de  lui  avoir  rappelé  ces  grands  principes  d'administration. 

Tao-kong  répondit  :  comment  n'aurais-je  pas  soin  de  me  con- 
former à  vos  si  sages  conseils?  c'est  grâce  à  vos  avis  que  j'ai  pu 
traiter  les  affaires  des  Tartares  avec  la  prudence  convenable;  sans 
cela,  nous  n'aurions  jamais  été  en  mesure  de  passer  le  fleuve 
jaune,  et  de  nous  mêler  à  la  politique  des  états  méridionaux.  C'est 
une  règle  antique  dans  l'administration,  de  récompenser  digne- 
ment ceux  qui  ont  bien  mérité  au  service  de  leur  pays  ;  elle  est 
consignée  dans  les  archives,  et  doit  absolument  s'observer.  Ainsi, 
que  votre  seigneurie  accepte  ce  cadeau. 

Depuis  cette  époque,  la  maison  de  Wei-kiang  |||  $fc  eut  le 
privilège  de  posséder  des  cloches  et  des  pierres  musicales  ;  et  de 
s'en  servir  dans  les  fêtes  qu'elle  donnait.  Voilà  des  circonstances 
où  tout  se  passait  d'après  les  rites  anciens. 


musiciennes;  comme  on  le  sait  par  le  livre  des  Vers.-  (cf.  Couvreur,  pp.  Sj,  et 
suiv.,).  ("est  peut-être  pour  cela  que  le  sage  conseiller  parlait  de  l'avenir.  —  Enco- 
re maintenant  on  l'ait  aux  grands  dignitaires  des  cadeaux  de  musiciennes,  femmes 
nux  mœurs  t  celui  qui  les  reçoit  peut  en  passer  à  ses  amis, 

(t)  Che-king  jj^p  ft§.  (Couvreur,  p.  302,  ode  8,  vere  4). 


DU   ROYAUME    DE   TSI\.    TAO-KONG.  2  \  5 

Pendant  que  Tao-kong  était  occupé  au  pays  de  Tcheng  fffl, 
le  roi  de  Tch'ou-^:  pour  l'en  faire  sortir,  conseillait  au  roi  de 
Ts'in  |?§  d'envahir  ses  propres  états  ;  et  celui-ci  n'avait  pas  de- 
mandé mieux  ;  son  général  Pno  $|J  était  entré  le  premier  sur  le 
territoire  de  Tao-kong-  :  le  général  Che-fang  -^  &fj,  qui  avait  reçu 
ordre  de  repousser  l'ennemi,  eut  le  tort  de  mépriser  cette  armée, 
et  ne  prit  pas  les  précautions  voulues  ;  aussi,  au  jour  ning-ou  f£ 
^P  (14  septembre),  le  g-énéral  Ou  jjÇ  passant  à  son  tour  le  fleuve 
Jaune,  au  gué  de  Fou-chc  fjf  fÇ  (1),  se  réunit  à  son  collègue 
Pao  ;  tous  deux  allèrent  présenter  la  bataille  aux  troupes  de  Che- 
fang,  et  les  mirent  en  pleine  déroute  à  Ly  ^  2),  au  jour  ki- 
tcheou  2,   ^  (21  septembre). 

En  561,  vers  le  mois  de  mars,  ce  même  seigneur  Che-fang  -^ 
&jj  était  envoyé  à  la  cour  de  Lo>>.  %}.  remercier  le  duc  de  ses  loyaux 
services,  principalement  dans  les  expéditions  contre  le  prince  de 
Tcheng  ff[>  :   il  devait  lui  offrir  de  riches  cadeaux  en  récompense. 

En  août-septembre,  Tse-nang  -Ç-  §|§,  premier  ministre  de 
Tch'ou  2g.  avec  Ou-ti  M  ii|J,  grand  officier  de  Ts'in  |f|,  conduisait 
une  armée  contre  le  royaume  de  Song  5{ç,  et  s'avançait  jusqu'à 
Yang-leang  ^  ^  (3),  pour  se  venger  d'avoir  perdu  la  principauté 
de  Tclicng  Jf|$  ;  mais  l'expédition  n'eut  pas  grand  résultat  ;  ce  fut 
plutôt  une  razzia  destinée  à  harceler  Tao-kong  et  ses  subordonnés. 

A  la  fin  de  l'année,  le  duc  de  Lou  ^  était  en  personne  à  la 
cour  de  Tsin  ;  l'historien  dit  que  c'était  pour  remercier  de  l'am- 
bassade du  seigneur  Che-fang  ;  il  ne  se  trompe  point  ;  mais  il  ne 
donne  pas  une  autre  raison  plus  sérieuse  ;  c'est  que  le  duc.  voyant 
son  autorité  lui  échapper,  et  passer  aux  mains  des  puissantes 
familles  seigneuriales,  multipliait  ses  visites  auprès  de  Too-kong. 
pour  se  faire  aider  contre  elles  ;  celui-ci  n'était  pas  trop  mécontent 
de  cet  état  de  choses,  qui  lui  permettait  d'être  plus  facilement 
maître  du  duché. 

En  560,  vers  le  mois  d'avril,  mouraient  Tche-yong  ~f$  ^  ou 
Siun-rjong  ^fj  j§|  ,   premier-ministre   et   généralissime,    puis    <'lt<'- 

(1)  Fou-che  :  auprès  de  ce  gué,  il  y  avait  des  fortifications,  pour  le  garder: 
Car  c'était  un  point  stratégique  très-important;  l'endroit  est  à  13  li  nord-ouest  de 
Tchao-i  hien  $1  e  S?,  qui  est  à  30  li  à  Test  de  sa  préfecture  Tono  tcheou  fou  ^ 
M  fft.  Chen-si.  (Petite  géogr.,  vol.   14,  p.   18)  —  (Grande,  vol.  54.  p.   21). 

(2)  Ly  :  la  grande  géogr.,  à  l'endroit  ci-dessus,  marque  cette  ville  au  nord  de 
Pou  tcheou  îiîî#l,  Chan-si  ;  c'est  plausible:  mais  le  même  ouvrage  ne  l'indique  plus, 
quand  il  décrit  cette  préfecture,  vol.  41,  p.  p.  15  et  suiv.,  c'est  qu'en  effet  il  y  a 
des  doutes.  L'édition  impériale,  vol.  20,  p.  li,  place  cette  ville  à  30  li  au  nord  de 
ZÂng-tong  hien  5.~Éa  !£>  dans  la  préfecture  de  Si-ngan  fou  JS  ^  ffi,  Chan-si  ;  c'est 
trop  loin  de  l'endroit  où  étaient  les  armées. 

(3)  Yang-liang,  était  à  30  li  sud-est  de  ICoei-tc  fou  §$  fg  tff,  Ho-nan.  Petite 
géogr.,  vol.   12,  p.   12)   —   (Grande,  vol.  jo,  p.  6  . 


246  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

fang  -j;  '  $%,  adjudant  du  3hmc  corps  d'armée  (1);  pour  choisir 
leurs  successeurs,  Tao-kong  ordonna  de  grandes  manœuvres  à 
Mien-chang  j^  _£  (2),  afin  d'examiner  les  qualités  de  chacun  des 
grands  officiers. 

En  conséquence,  il  choisit  Che-kai  -J^  45]  comme  premier- 
ministre  et  généralissime  ;  mais  celui-ci  refusa  humblement  cet 
honneur  en  disant  :  Siun-yen  ^j  fg  est  mon  ancien,  et  je  suis 
loin  de  le  valoir,  quoique  j'aie  été  longtemps  l'adjudant  du  géné- 
ralissime ;  ainsi  veuillez  lui  donner  la  préférence  ;  je  serai  trop 
heureux  d'être  son  aide.  Tao-kong  suivit  ce  conseil.  Siun-yen 
s'appelait  aussi  Siun-hien-t-<e  1$  Jffc  ^  . 

Ayant  nommé  Han-h'i  %%  $L  général  du  2"3ine  corps  (aile 
droite),  celui-ci  refusa  de  même,  et  proposa  Tchao-ou  j$i$,,  com- 
me plus  capable  ;  Tao-kong  ne  l'accepta  pas,  parce  que  ce  seigneur 
était  alors  à  un  poste  trop  inférieur  ;  il  le  réserva  pour  plus  tard, 
et  nomma  Loan-ycn  fj|  j^.  Ce  dernier,  malgré  sa  nature  si 
orgueilleuse,  voyant  ces  grands  dignitaires  si  humbles,  ne  put 
s'empêcher  d'en  faire  autant  ;  il  dit  donc  à  Tao-kong  :  je  ne  vaux 
pas  Han-k'i  ;  puisque  lui-même  propose  Tchao-ou  comme  plus 
capable,  je  vous  prie  de  donner  ce  poste  à  ce  seigneur  si  éminent; 
c'est  ce  qui  arriva  ;  Han-k'i  fut  l'adjudant  de  son  protégé  ;  Loan- 
yen  lut  général  du  3ème  corps  (aile  gauche),  avec  Wei-hiang  §| 
fë  pour  adjudant. 

Quant  aux  nouveaux  corps  d'armée,  on  ne  leur  assigna  pour 
lors  ni  général  ni  aide  ;  ils  devaient  être,  en  attendant,  sous  les 
ordres  du  chef  de  l'aile  gauche  Loan-yen,  et  de  son  adjudant. 
Tao-kong,  difficile  dans  le  choix  de  ses  dignitaires,  n'avait  pas 
encore  trouvé  les  deux  hommes  qu'il  souhaitait. 

L'historien  approuve  cette  conduite  comme  conforme  aux 
rites;  il  ajoute  que  les  exemples  d'humilité,  qu'il  vient  de  raconter, 
eurent  une  grande  influence  sur  le  peuple,  où  régna  l'union  la 
plus  parfaite  ;  sur  le  vassaux  eux-mêmes,  où  régna  la  plus  grande 
harmonie,  la  plus  entière  soumission  envers  le  suzerain. 

(3)   «Un  homme  sage,  dit-il,  remarquera  que  la  déférence  est 

(1)  La  famille  Siun,  porta  aussi  le  nom  de  Tchong-hang  41  fj  ;  parce  que 
Siun-ling-fou  $  ^  ^£  avait  été  le  général  des  nouveaux  corps  d'armée,  appelés  seu- 
lement hang  f/,  il  y  en  avait  trois,  le  centre  +  et  les  deux  ailes;  mais  il  n'y  avait 
qu'un  général  et  son  aide. 

(2)  Mien-chang,  ou  Siao-micn-chan  /K  ^  il],  montagne  à  15  li  nord-ouest  de 
I-tch'eng  hien  M^M-  celle-ci  est  à  130  li  sud-est  de  sa  préfecture  P'ing-yang  fou 
'f-FU'fiF.  Chan-si  ;  sur  cette  montagne  se  trouve  le  temple  bàli  par  Wen-kong  ïXÎ^, 
en  l'honneur  de  son  compagnon  oublié  Kia-tse-tch'ouci  ft  £  î§..  Petite  géogr.,  vol. 
S.  p.   10)  —  (Grande,  vol.  41,  p.   13)- 

(3)  Voici,  paraît-il,  un  chef-d'ieuvre  de  littérature  et  de  philosophie  ;  en  réa- 
lité, c'est  un  lieu  commun  sur  le  bon  exemple  ;  il  s'en  trouve  partout  dans  les  au- 
teurs chinois  :  mais,  dit-on,  il  n'est  nulle  part  ailleurs  énoncé  avec  une  telle  élégan- 
ce classique. 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.     TAO-KONG.  247 

le  point  capital  des  rites  bien  entendus  :  le  grand  seigneur  Che- 
kai  -j^  <£}  ayant  le  premier  donné  l'exemple,  tous  les  autres  l'imi- 
tèrent ;  même  le  fier  Loan-yen  |f§  J||  fut  entraîné  ;  ainsi  le  royau- 
me de  Tsin  eut  la  paix  et  l'union  la  plus  parfaites  ;  et  l'effet  en 
dura  pendant  plusieurs  générations.  Voilà  ce  que  peut  le  bon 
exemple  !  un  seul  homme  entraîne  tout  le  peuple,  et  assure  la 
sécurité  du  pays;  ne  faut-il  pas  y  réfléchir  sérieusement?  Le  livre 
des  annales  (1)  nous  dit:  si  quelqu'un  pratique  parfaitement  les 
trois  vertus  d'un  bon  juge,  le  souverain  sera  heureux:  le  peuple 
aura  confiance,  et  la  tranquillité  sera  de  longue  durée.  Cette 
parole  n'est-elle  pas  vérifiée  dans  notre  cas  ?  Parlant  de  la  pros- 
périté de  la  dynastie  Tcheou  J$,  le  livre  des  Vers  2)  nous  dit: 
imitez  Wen-wang  ]£  3£,  tous  les  peuples  se  lèveront,  et  vous 
donneront  leur  confiance;  voilà  l'effet  des  bons  exemples;  parlant 
de  la  décadence  de  cette  dynastie,  le  même  livre  nous  dit  :  les 
ministres  ne  sont  pas  justes;  ils  m'obligent  à  faire  seul  tout  le 
service;  comme  si  j'avais  seul  la  sagesse  nécessaire!  Voilà  les 
paroles  d'un  homme  peu  humble.  En  temps  de  bonne  adminis- 
tration, dès  que  les  dignitaires  s'aperçoivent  que  d'autres  sont 
plus  capables  qu'eux-mêmes,  ils  leur  cèdent  la  place  ;  le  peuple 
s'applique  alors  avec  ardeur  à  la  culture  de  ses  champs,  pour  le 
service  de  ses  supérieurs  ;  en  haut,  en  bas,  on  observe  ainsi  les 
rites  ;  les  calomniateurs  et  autres  malfaiteurs  décampent  au  plus 
vite  ;  aucune  querelle,  aucune  rivalité  ;  c'est  ce  que  l'on  appelle 
l'âge  d'or  de  la  pure  vertu.  En  temps  de  mauvaise  administration 
et  de  trouble,  c'est  tout  autre  chose:  les  dignitaires  vantent  leurs 
hauts  faits,  pour  en  imposer  à  leurs  inférieurs  ;  ceux-ci  se  préva- 
lent de  leur  habileté,  pour  se  moquer  de  leurs  supérieurs  ;  des 
deux  côtés  on  ne  sait  pas  pratiquer  les  rites;  de  là  des  rivalités, 
des  querelles  ;  chacun  veut  surpasser  l'autre  ;  c'est  l'âge  de  la  vertu 
délaissée  ;  si  les  étages  de  la  société  tombent  en  décadence  et  en 
ruine,  la  cause   en  est  dans  cet  esprit  d'orgueil  et  de  rivalité.  » 

En  559,  le  roi  de  Ou  Jj|,  poussé  par  Tao-kong,  avait  fait  une 
expédition  contre  le  pays  de  Tch'ou  *g  ;  mais  il  y  avait  été  affreu- 
sement battu  ;  il  envoya  un  ambassadeur  annoncer  cet  échec,  et 
demander  secours  pour  s'en  venger.  Ce  député  étant  parvenu  à 
Hiang  [fï]  (3),  Tao-kong  ordonna  aux  vassaux  de  s'y  rendre,  ou 
d'y  envoyer  leurs  représentants;  aucune  prince  n'y  alla  en  person- 
ne; il  n'y  eut  que  leurs  délégués,  présidés  par  le  seigneur  Che- 
hai  ^fc^j;  c'était  à  la  l'1'1'  lune  'novembre). 

(1)  Chou-king  'M  $J[.  (Couvreur,  p.  383,  paragr.,   13). 

(2)  Che-ki>uj  £§  %2-  (Couvreur,  p.  323,  ode  1.  oers  7  — p.  26c,  ode  z.  di  r 

(3)  Hian^,  était  à  iô  li  nord-:r-i  de  Hoaù-yuen  hien  t8  iÉ  1^  l11'  cst  ■  70  •' 
nord-ouest  de  sa  préfecture  Fong-yang  fou  J1J,  IS  Ir'f .  Ngan-hoei.  (Petite  géogr., 
vol.  6.  p.  22)  —  (Grande  vol.  21.  p.  1 


248  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Celui-ci  traita  de  haut  les  gens  de  Ou  ;  les  blâma  de  ne  rien 
entendre  à  la  vertu  ni  aux  rites,  puisqu'ils  avaient  osé  attaquer 
un  pays  plongé  dans  le  deuil  national  ;  il  les  chassa  de  rassemblée, 
et  déclara  qu'il  ne  voulait  plus  avoir  de  rapports  avec  eux. 

Dans  sa  mauvaise  humeur,  le  président  fit  saisir  Ou-leou  $} 
lît,  prince  de  Kiu  g;',  comme  accusé  de  relations  traîtresses  avec 
le  roi  de  Tch'ou  *£  ;  il  allait  encore  faire  saisir  comme  traître  le 
chef  des  tartares  Jong  fâ  ;  mais  celui-ci  lui  fit  un  discours,  resté 
célèbre  dans  les  annales  de  la  Chine  (voir  votre  histoire  du  royau- 
me de  Ou);  il  lava  si  bien  la  tète  au  fier  seigneur-président,  qu'il 
le  ramena  à  des  sentiments  d'humanité. 

Che-kai  éfait  assez  intelligent  pour  reconnaître  ses  torts  ;  il 
s'excusa,  et  répara  grandement  sa  faute  ;  les  contributions  impo- 
sées au  duché  de  Lou  -ff-  ayant  été  reconnues  trop  lourdes,  furent 
abaissées  à  une  somme  raisonnable  ;  dès  lors,  les  relations  entre 
les  députés  furent  des  plus  cordiales,  jusqu'à  la  clôture  de  la 
réunion, 

Le  résultat  de  cette  assemblée,  fut  une  déclaration  de  guerre 
au  roi  de  Ts'in  |jf.  A  la  4ème  lune  vers  mars),  les  officiers  de 
douze  vassaux,  avec  leurs  troupes,  rejoignaient  celles  de  Tao-kong, 
et  l'on  allait  prendre  la  revanche  de  l'invasion  précédente  (562). 

Tao-kong  demeura  pour  garder  la  frontière  ;  il  envoya  ses  six 
généraux  en  avant,  sur  le  territoire  de  Ts'in  J|  :  mais  arrivée  à 
la  rivière  King  ^  (1),  l'armée  refusa  de  la  traverser  ;  le  seigneur 
Chou-hiang  ;j>£  [fi],  de  la  famille  Yang  cité  ^L  "g-,  étant  allé  visiter 
Chou-suen-mou-ise  ;M#.^|-?*'  celui-ci  lui  chanta  l'ode  «/a  courge 
conserve  encore  se*  feuille*  arriéres;  quand  le  fleuve  (le  gué)  est 
profond,  pour  passer,  on  relève  ses  vêtements  jusqu'au-dessus  de 
la  ceinture  ;  quand  il  ne  l'est  pas,  on  le*  relève  jusqu'aux  genoux 
seulement  (2)»  ;  c'était  annoncer  qu'il  passerait  la  rivière  malgré 
tous  les  obstacles  ;  sur  ce,  Chou-hiang  partit  préparer  des  bar- 
ques ;  ce  furent  les  soldats  de  Lou  et  de  Kiu  g"  qui  traversèrent 
les  premiers. 

Tse-h'iao  ^  ^,  grand  seigneur  de  Tcheng  ||f$,  étant  aussi 
allé  visiter  Pé-hong-i-tse  4fc  'g*  f$  ^ ,  lui  dit  :  quand  on  part  en 
campagne  avec  des  troupes  qui  n'ont  pas  le  cœur  solide,  le  résultat 
ne  peut  être  que  très-mauvais  ;  qu'y  gagnera  la  chose  publique  ? 
I-t<e  sfe^  se  réjouit  de  ces  paroles,  et  tous  deux  allèrent  exhorter 
l'armée,  qui  finit  par  se  laisser  persuader,  et  passa  la  rivière. 


(I)   La  rivière  King  es(  un  affluent  du  fleuve  Wei  ffj,  dans  le  Chen-si  ;  l'année 
la  traversa  au  i  me  Souei-tch' eng  f'ou  H[f;  i\  Èj£,  à  20  li  sud-ouest   de    King- 

yinj  hien  jfë  \ty  g|,  qui  est  à  Tu  li  au  nord  de  sa  pn  f<    ture  Si-ngan  fou  M  5£  'ï''- 
Chfu  m    (G  >gr  .  vol.  js,  />.   27  et  p.   28         vol.  53,  p.    jj). 

king  ,*£  ve     Couvreur,  p.  3S,  ode  ç.  vers  1). 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    TAO-KONG.  249 

Elle  campa  sur  l'autre  rive  ;  mais  les  gens  du  pays  empoi- 
sonnèrent l'eau,  et  iî  mourut  beaucoup  de  monde  ;  alors  Tse-k'iao, 
le  premier,  prit  ses  soldats  de  Tcheng,  et  marcha  de  l'avant,  pour 
s'éloigner  d'un  lieu  si  funeste  ;  toute  l'armée  le  suivit,  et  parvint 
à  Yu-ling  ^  {vfv  (1).  Mais  le  roi  de  Ts'in  ^  ne  montra  aucune 
crainte,  et  ne  lit  aucune  proposition  de  paix,  contrairement  à  ce 
qu'on  avait  espéré  ;  il  attendait  qu'on  se  rangeât  en  bataille,  pour 
en  faire  autant. 

Alors  le  généralissime  Siun-yen  ^j  ([§  publia  l'ordre  du  joui- 
suivant  :  demain,  au  premier  chant  du  coq,  préparez  les  chevaux, 
comblez  les  puits,  détruisez  les  fourneaux  ;  puis  regardez  la  tête 
de  mon  cheval,  pour  me  suivre  partout  où  j'irai. 

Le  fier  Lonn-yen  |p  jjf,  général  du  3ème  corps,  indigné  de  ce 
que  le  généralissime  n'avait  point  consulté  ses  collègues,  et  pré- 
tendait commander  tout  seul,  s'écria  publiquement  :  un  tel  ordre 
du  jour  est  inouï  dans  notre  royaume  ;  puisque  c'est  la  tête  du 
cheval  qui  sert  de  signal,  celle  du  mien  se  tourne  vers  l'est  !  Et 
il  reprit  le  chemin  de  la  maison, 

L'officier  du  grade  tsouo-che  ^  di  demanda  à  Wêi-kiang  §| 
#£  :  on  n'obéit  donc  pas  au  généralissime  ?  Celui-ci  répondit  : 
il  est  commandé  de  suivre  son  chef  ;  Loan-yen  est  mon  supérieur, 
je  dois  le  suivre  ;   et  c'est  encore  exécuter  l'ordre  du  jour. 

Siun-yen  voyant  cette  débâcle,  en  fut  bien  mortifié  :  mon 
ordre  du  jour,  dit-il,  est  vraiment  peu  convenable,  c'est  vrai  ; 
m'en  repentir  maintenant  est  trop  tard  ;  avec  une  telle  désunion 
nous  risquerions  de  nous  faire  prendre  un  grand  nombre  d'hom- 
mes. Et  il  commanda  la  retraite.  Désormais  on  appela  cette 
expédition  la  reculade,  ou  la  campagne  aux  longues  hésitations. 

Cependant,  Loan-hien  f|§  fj|,  frère  de  l'orgueilleux  Loan-yen, 
supportait  avec  peine  la  honte  d'une  telle  retraite  ;  avant  de  se 
mettre  en  route  comme  tout  le  monde,  il  voulut  faire  un  coup  de 
sa  façon  ;  s'adressant  à  Che-yang  J;  |^,  fils  du  ministre  Che-kai, 
il  lui  dit  :  nous  étions  venus  pour  prendre  une  revanche,  et  nous 
fuyons  sans  combat  ;  quelle  honte  pour  notre  pays  !  nous  sommes 
deux  de  notre  famille  parmi  les  hauts  dignitaires  ;  c'est  encore 
plus  déshonorant  pour  elle  ;  allons  ensemble  braver  l'armée  de 
Ts'in  ! 

Les  deux  seigneurs  partirent  ensemble  ;  mais  Che-yang  seul 
revint  [vivant.  Loan-yen,  furieux  de  la  mort  de  son  frère,  alla 
trouver  Che  feaî  ■j^'  fë\  :  c'est  votre  fils,  dit-il,  qui  a  entraîné  mon 
frère  dans  cette  sottise  ;  s'il  revient  seul,  c'est  qu'il  a  massacré 
son  compagnon  ;    éloignez-le  du  pays,   sinon  je  le  tue  !     (2) 

(1)  Yu-ling,  appelée  aussi  Tcheng-tch'eng  £jlî  ijfi,  était  un  peu  au  nord  do 
Iloa  tcheou  'Jfê  ')]] ,  qui  es<  à  180  li  sud-ouesl  de  sa  préfecture  T'ong-tcheou  fou  \a\ 
'){]  OT',  Chen-si.  (Kûxng-yu-piao  ^  bJÊ  Vi,  vol.     |;.  i>.  37). 

(2)  Journellement   pareille  chinoiserie   se    renouvelle;    on    accuse    un    voisin; 

32 


250  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

Che-yang  j^  |$.  s'enfuit  à  la  cour  de  Ts'in  f^f,  à  laquelle  il 
venait  de  faire  la  guerre  ;  il  y  fut  reçu  honorablement.  Le  roi 
lui  demanda  un  jour  :  parmi  les  grands  officiers  de  votre  pays, 
quel  sera,  pensez-vous,  le  premier  à  tomber  ?  —  Ne  sera-ce  pas  la 
famille  Loan  ?  répondit  le  fugitif  ;  elle  est  orgueilleuse  et  tyranni- 
que  audelà  de  toute  mesure  ;  Loan-yen  pourra  cependant  échapper 
au  désastre  ;  parceque  le  peuple  a  encore  souvenir  des  grands  ser- 
vices de  Loan-chou  |-f  ^  son  père.  Au  pays  de  Tcheou  Jg] ,  dans 
les  anciens  temps,  le  peuple  se  souvenant  des  services  de  Chao- 
kong  ^Q  ^,  épargnait  l'arbre  sous  lequel  cet  homme  éminent  ren- 
dait la  justice  ;  aussi  le  livre  des  Vers  (1)  nous  avertit  en  ces  ter- 
mes :  n'abattez  pas  ce  poirier  sauvage,  aux  rameaux  touffus,  aux 
fruits  si  doux  ;  le  prince  Chao  fë  s  est  abrité  sous  son  feuillage  ; 
à  plus  forte  raison  le  peuple  de  Tsin  épargnera-t-il  Loan-yen,  à 
cause  de  son  père  ;  mais  ce  sera  autre  chose  pour  son  fils  Yng 
•ffi,.  Celui-ci  n'aura  pas  eu  le  temps  de  se  distinguer  ;  les  services 
de  son  grand-père  seront  oubliés  ;  on  se  souviendra  seulement  des 
méfaits  de  son  père  ;   il  sera  perdu  ! 

Le  roi  de  Ts'in  ^  fut  frappé  de  ce  raisonnement  ;  il  estima 
ce  jeune  seigneur,  prit  sa  cause  à  cœur,  et  la  ménagea  si  bien 
qu'il  put  retourner  en  paix  dans  son  pays  ;  mais  en  552  nous 
verrons  sa  prophétie  réalisée  par  la  ruine  de  la  famille  Loan. 

Après  la  malheureuse  expédition  que  nous  venons  de  raconter, 
Tao-kong  licencia  ses  trois  nouveaux  corps  d'armée.  L'historien 
approuve,  en  disant  que  c'était  conforme  aux  rites  ;  l'empereur 
seul  pouvait  avoir  six  corps  d'armée,  c'était  une  loi  fondamentale 
de  l'empire  ;  le  roi  de  Tsin  était  donc  en  faute.  Nous  savons 
tout  cela  ;  et  nous  avons  vu  quelles  précautions  prit  le  prince 
pour  éluder  la  loi,  tout  en  gardant  ses  soldats  ;  mais  qui  donc  se 
souciait  de  ces  lois  fondamentales  ?  qui  donc  se  souciait  de  l'em- 
pereur ?  pauvre  personnage  poétique  de  Lo-yang  :fô  $%,  qui  serait 
mort  de  faim  s'il  n'avait  eu  les  contributions  et  les  cadeaux  des 
autres  princes  ! 

La  vraie  raison  a  été  déjà  dite  :  Tao-kong  n'avait  pas  d'hom- 
mes à  mettre  à  la  tête  de  ces  corps  d'armée  ;  il  les  avait  rattachés 
à  l'aile  gauche  ;  et  nous  venons  de  voir  Loan  yen  fjpè  ^||  s'appuyer 
sur  eux  pour  faire  échec  à  son  généralissime  ;  pareil  inconvénient 
pouvait  se  renouveler  ;  le  général  du  3ème  corps  devenait  trop 
puissant,  avait  trop  de  monde  sous  ses  ordres. 

En  mourant,  l'ancien  premier-ministre  Tche-yong  £fl  ^  n'a- 
vait laissé  qu'un  fils  âgé  de  six  ans  ;  l'aîné  l'avait  précédé  dans  la 
tombe.  Le  seigneur  Che-fang  -^  §Jj  n'avait  aussi  laissé  qu'un 
fils    unique    encore   jeune,    qui    n'avait   pu"  succéder    à    son    père. 

mêmes  arguments,  mêmes  preuves  absurdes;    n'importe:    celui-ci  prend   peur,  par- 
lemente, i lemenl  délie  sn  bourse;  et  le  tour  esl  joué. 

(1)   Che-king  i£  M-  (Zottoli,  111,  p.   //.  n.   16)  —  (Couvreur,  p-  20,  ode  j). 


DU   ROYAUME  DE  TS1N.    TÀO-KONG.  251 

N'ayant  pas  de  chefs,  le  prince  licencia  l'armée  ;  c'était  sagesse 
et  économie. 

Un  jour,  le  grand  maître  de  la  musique,  nommé  Koang  igj|,  se 
trouvait  à  coté  de  Tao-kong  ;  celui-ci  l'interrogea  en  ces  termes  : 
les  gens  de  Wei  Hj  viennent  de  chasser  leur  marquis  ;  n'ont-ils 
pas  commis  une  grande  faute  ? 

Le  maître  de  musique  profita  de  l'occasion,  pour  servir  à  son 
souverain  une  bonne  semonce,  à  la  façon  des  vertueux  lettrés  :  il 
répondit  donc:  "c'est  peut-être  le  prince  qui  a  tort!  Un  bon  sou- 
verain récompense  les  bons  serviteurs,  et  punit  les  mauvais  ;  il 
traite  le  peuple  comme  un  enfant  chéri  :  à  la  manière  du  ciel,  il 
lui  sert  de  voûte  protectrice;  il  lui  sert  d'appui,  comme  la  terre 
qui  s'étend  au  loin  et  au  large  ;  alors  le  peuple  le  révère  comme 
son  maître  et  seigneur,  l'aime  comme  un  tendre  père  ;  plein  de 
confiance,  il  se  tourne  vers  lui  comme  vers  son  soleil  et  sa  lune, 
il  le  vénère  comme  il  vénère  les  Esprits  ;  il  le  craint,  comme  il 
craint  la  foudre.  Dans  de  telles  dispositions,  un  peuple  a-t-il 
jamais  chassé  son  souverain?  Le  prince  est  le  maître  des  Esprits, 
auxquels  il  peut  accorder  ou  refuser  des  sacrifices  ;  il  est  l'espé- 
rance du  peuple,  auquel  il  peut  accorder  ou  refuser  des  bienfaits. 
S'il  tyrannise  le  peuple,  néglige  les  sacrifices,  il  n'y  a  plus  rien  à 
attendre  de  lui,  l'état  est  sans  chef:  si  on  le  tolère,  à  quoi  sert-il? 
c'est  un  nom  ;  ce  n'est  pas  un  homme  ! 

Le  ciel  a  créé  le  peuple,  et  lui  a  donné  un  maître  pour  le  gou- 
verner en  bon  pasteur  ;  de  même  il  a  placé  auprès  du  souverain 
des  assistants,  ses  ministres,  ses  conseillers,  afin  de  l'aider,  le 
diriger,  lui  faire  éviter  des  excès.  C'est  ainsi  que  l'empereur  a 
auprès  de  lui  ses  ducs  :  les  vassaux  ont  leurs  ministres  ;  ceux-ci 
ont  les  chefs  des  grandes  familles:  les  officiers  supérieurs  ont 
leurs  adjudants,  de  la  même  famille  ;  les  officiers  inférieurs  ont 
leurs  amis;  les  gens  ordinaires,  artisans,  marchands,  employés 
de  tribunaux,  bergers,  etc,  ont  leurs  assistants  dans  la  personne 
de  leurs  parents  ;  ainsi  on  s'entr'aide  mutuellement. 

Si  le  chef  agit  bien,  ses  ministres  l'approuvent  et  font  son 
éloge;  s'il  se  trompe,  ils  le  redressent;  s'il  est  dans  l'ambarras, 
ils  le  secourent;  s'il  agit  mal,  ils  le  blâment.  Depuis  l'empereur 
jusqu'au  dernier  du  peuple,  chacun  à  près  de  soi  des  témoins  qui 
le  surveillent,  suppléent  à  ce  qui  lui  manque,  et  le  corrigent  s'il 
commet  une  erreur. 

Le  grand  archiviste  consigne  les  actions  de  l'empereur;  le 
grand  chef  de  musique  compose  des  chants  potir  lui  faire  connaître 
ses  défauts;  les  musiciens  inférieurs  chantent  leurs  satyres,  pour 
faire  savoir  au  prince  ce  que  le  peuple  pense  de  lui  ;  les  dignitai- 
res lui  font  ouvertement  leurs  remarques  ;  les  officiers  inférieurs 
lui  transmettent  leurs  avis,  par  l'entremise  de  leurs  chefs;  les 
gens  ordinaires  se  contentent  de  le  critiquer  à  bouche  ouverte  ;  les 
marchands  eux-mêmes  ont  leur  façon  muette  de  faire  leur  critique, 


252  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

en  exposant  les  instruments  de  tyrannie  dont  il  se  sert  de  préfé- 
rence; les  artisans,  dans  leurs  ouvrages,  emploient  une  semblable 
ruse,  pour  manifester  leurs  sentiments. 

Voilà  pourquoi,  dans  le  livre  des  annales  (1),  il  est  dit:  le 
héraut  impérial,  prenant  une  clochette  (a  battant  de  bois),  allait 
par  les  chemins,  reunissait  le  peuple,  et  proclamait:  que  les  offi- 
ciers, chargés  de  diriger  et  instruire  le  peuple,  éclairent  tous 
l'administration  impériale  par  leurs  avis;  que  les  artisans  eux- 
mêmes  présentent  des  remontrances  sur  ce  qui  les  concerne.  Ainsi 
faisait-on  chaque  année,  au  premier  mois  du  printemps,  comme 
il  est  dit  au  même  livre.  On  usait  de  ce  système,  de  peur  que 
l'empereur  ne  s'écartât  du  droit  chemin  ;  car  c'est  bien  le  peuple 
que  le  ciel  aime  le  plus;  certes,  il  ne  veut  pas  que  le  souverain 
ne  suive  que  ses  caprices,  et  perde  l'état  qui  lui  a  été  confié  ;  ce 
qui  serait  insupportable.  (2). 

Les  grands  seigneurs  de  Wei  ^fj  avaient  donc  chassé  leur 
marquis,  et  avaient  mis  un  autre  prince  à  sa  place;  Tao-kong 
demanda  à  son  premier  ministre  Siun-yen  ^jj  f[g  s'il  convenait  de 
faire  la  guerre,  et  de  replacer  le  marquis  sur  son  trône.  Le  minis- 
tre répondit  :  le  mieux  est  de  reconnaître  le  fait  accompli  ;  l'état  de 
AVei  s'est  donné  un  souverain  ;  si  nous  lui  déclarons  la  guerre,  il 
n'est  pas  sûr  que  nous  réussissions  dans  notre  entreprise;  nous 
aurions  en  vain  fatigué  les  vassaux.  L'ancien  historiographe  /  jfc 
nous  donne  ce  conseil:  ce  qui  est  trop  lourd,  n'essayez  pas  de  le 
remuer;  depuis,  Tchong-houei  ftfi  JJjtj  ajoute  cet  autre  avis:  n'ayez 
cure  d'un  état  qui  court  à  sa  ruine;  prenez  celui  qui  est  en  révo- 
lution; écartez  ce  qui  est  en  voie  de  «e  perdre;  affermissez  ce  qui 
est  en  voie  de  se  consolider;  voila  la  politique  des  anciens  (3). 
Pour  le  moment,  votre  Majesté  n'a  qu'à  laisser  les  choses  en  leur 
état;  attendons  qu'il  y  ait  révolution  pour  faire  la  guerre. 

Vers  le  mois  d'octobre  de  cette  même  année  559,  il  y  eut  une 
réunion  de  sept  ambassadeurs  des  princes  vassaux,  à  Ts'i  J$, 
pour   se  consulter  sur   les   affaires   de    Wei  ^  ;   le  président  était 


(1)  Chou-kirig  iB  £§.  (Couvreur,  p.  97.  paragr.,  s)- 

(2)  A  propos  des  critiques  muettes  des  marchands  et  artisans,  voir  le  com- 
mentaire Tsouo.-tiho«n  /è  ^,  à  l'année  539,  où  il  est  rapporté  que  les  souliers 
ordinaires  se  vendaient  à  bon  marché  ;  les  chaussures  pour  ceux  à  qui  l'on  avait 
coupé  le<  pieds  se  vendaient  cher;  c'est  encore  une  formule  des  lettrés! 

Ce  long  discours  est  fameux  ;  sous  Kang-hi  Ifè  J3J,  empereur  autocrate,  les 
lettrés  courtisans  condamnèrent  cette  doctrine  ;  mais  l'histoire  est  là  :  elle  prouve 
que  ces  rois  de  Tsin  et  les  autres  n'avaient  pas  un  pouvoir  si  absolu  ;  ils  étaient 
liés  par  ces  fameux  rites,  sorte  de  grande  charte  de  liberté,  qu'on  leur  opposait  à 
tout  propos. 

(3)  Chou-kiny  tir  $J-  (Couvreur,  p,  707,  paragr.,  7;  le  texte  est  un  peu  di~ 
fférent). 


DU   ROYAUME  DE    rSTX.    TAO-KONG.  253 

encore  le  grand  seigneur  Che-kai  ^t  ^  (1).  C'est  probablement  à 
cette  occasion  que  le  dit  seigneur  emprunta  au  roi  de  Ts'i  ^  un 
grand  guidon  fait  de  plumes  fendues.  C'était  le  privilège  de  l'em- 
perur  d'avoir  un  tel  étendard  arboré  sur  sa  voiture  de  gala  et  de 
chasse  ;  le  roi  de  Ts'i  s'en  était  arrogé  un  semblable  ;  on  l'emprun- 
ta, mais  on  se  garda  bien  de  le  rendre;  car  on  voulait  le  soutirer 
à  son  propriétaire. 

Le  résultat  de  la  conférence  fut  de  reconnaître  le  fait  accompli 
au  pays  de  Wei  $j  ;  des  deux  cotés  il  y  avait  des  torts  ;  la  paix 
s'était  faite  après  la  révolution  :  le  nouveau  marquis,  agréable  au 
peuple,  se  nommait  Chang  £§§  (558-544);  il  était  l'oncle  du  prince 
détrôné  ;  on  décida  de  le  laisser  tranquille. 

En  558,  vers  le  mois  de  mai,  le  roi  de  Ts'i  ^,  mécontent  du 
tour  qu'on  lui  avait  joué,  mettait  le  siège  devant  la  ville  de  Tch'eng 
fâ  (2),  qui  appartenait  au  duc  de  Lou  |§.  ;  il  se  vengeait  indirec- 
tement, en  attaquant  un  des  amis  de  Tao-kong  ;  il  se  contenta 
sans  doute  de  faire  du  butin,  car  la  ville  resta  au  duc;  celui-ci 
ne  voulut  pas  être  surpris  une  seconde  fois,  il  la  fit  fortifier. 

Vers  le  mois  de  juin,  une  armée  de  la  principauté  Tchou  '-$,$ 
osait  attaquer  aussi  la  frontière  méridionale  du  duché  ;  et  celui-ci 
n'avait  pas  la  force  ou  le  courage  de  se  défendre  tout  seul  ;  il  en- 
voyait en  toute  hâte  demander  du  secours  auprès  de  Tao-kong. 

Celui-ci  indiqua  une  assemblée  de  vassaux,  pour  régler  cette 
affaire;  mais  elle  ne  put  avoir  lieu;  car  étant  tombé  malade,  Tao- 
kong  mourut  à  la  Hème  lune,  au  jour  nommé  koei-hai  2£  ]%  \ 
octobre). 

(1)  Ts'i,  sur  le  territoire  de  Wei,  était  à  7  li  nu  nord  de  K'cti-tcheou  pf)  ffl , 
Tche-li,  comme  nous  l'avons  déjà  dit. 

(2)  Tch'eng-,  appelée  plus  tard  K'iu-p'ing  tch'eng  $>  ^  feÇ,  était  à  !»0  li  nord- 
est  de  Ning-yang  h<en  'Sp-  l-jj  |f,  qui  est  à  50  li  au  nord  de  sa  préfecture  Yen- 
tcheou  fou  ^S  M]  îff.  Chantons:.  (Grande  géoyr.,  vol.  32,  j).  S). 


254 

P'ING-KONG    (557-532)    (i) 


¥ 


<à 


-+Ï 


Le  nouveau  souverain,  fils  du  précédent,  se  nommait  Piou  §£ 
(petit  tigre,  raies  ou  taches  de  la  peau  du  tigre)  ;  son  nom  pos- 
thume ou  historique  P'ing  signifie  :  pacifique,  prince  qui  dans 
V administration  s'applique  à  son  devoir,  et  observe  les  règles 
établies  (2). 

Ordinairement,  on  attendait  cinq  mois,  avant  d'enterrer  les 
princes  ;  sans  doute  pour  permettre  aux  courriers  d'avertir  les 
diverses  cours  ;  et  laisser  à  leurs  députés  le  temps  de  se  rendre  à 
la  cérémonie.  Jusque  là,  le  nouveau  prince  ne  pouvait  s'occuper 
d'administration  :  son  devoir  étant  de  pleurer  le  défunt.  La  céré- 
monie funèbre  achevée,  il  déposait  les  vêtements  de  deuil,  se  ren- 
dait au  temple  des  ancêtres,  pour  leur  offrir  un  sacrifice  solennel, 
et  leur  annoncer  son  avènement  ;  après  quoi  il  montait  sur  le  trône. 

Cette  fois,  on  dérogea  à  cette  règle,  et  Tao-kong  fut  enterré 
dès  la  lère  lune  de  l'année  657  novembre).  L'historien  donne 
pour  raison,  que  le  jeune  souverain  tenait  à  réunir  les  vassaux  le 
plus  tôt  possible,  afin  de  mettre  ordre  au  duché  de  Lou  ^. 

A  peine  monté  sur  le  trône,  P"ing-kong  établit  pour  son  con- 
seiller intime,  pour  son  précepteur  dans  la  vraie  doctrine, |_le  sage 
Chou-hiang  fâ  [îi].  appelé  aussi  Yang-ché-hi  i£  -§  ;$  ;  Tchang- 
kiun-tchen  ;j]|  ;§"  [5,  fils  de  Tchang-lao  <]j|  ^?,  fut  nommé  inten- 
dant du  matériel  de  guerre  (se-ma  fîjjffy  ,  dans  l'armée  du  centre; 
comme  chefs  et  présidents  des  branches  collatérales  de  la  famille 
régnante,  il  nomma  les  seigneurs  suivants  :  K'i-hi  ^  ]jj[).  II  an- 
siang  |$  |g.  (fils  de  Han-ou-hi  fjfi  4[ff.  ,§*  ,  Loan-yng  §é  |£,  et 
Che-yang  ^fc  f&  ;  le  seigneur  Yu-kviou-cliou  |||  fÊ.  s&  fut  nommé 
grand  écuyer,  et  conducteur  du  char  royal,  â  la  place  de  Tclvcng- 
tcheng  fi  %. 

Après  avoir  pris  les  meilleures  précautions  pour  la  bonne 
administration   et   la   sécurité    de    l'état,    P'ing-kong  descendit   le 

(1)  La  recueil  I-che  $?  $1,  vol.  78,  p.  14  donne  quelques  anecdotes  surP'ing- 
kong  ;  elles  sont  toutes  dans  le  goût  des  lettrés  ;  c'est  le  grand  maître  de  musique 
Kocing  ^  qui  en  fait  les  frais;  inutile  de  les  transcrire.  Le  tombeau  de  ce  dignitaire 
existe  encore;  il  est  au  sud-est  de  Hong-tong  hien  $£  i|S]  $£.  qui  est  à  55  li  au  nord 
de  sa  préfecture  P'ing-yang  fuit  -l'  FJ?  M  y  Chan-si.  'Annales  du  Chansi,  vol.  $6, 
p.    28). 

(2)  Texte  de  ïinteprétation  f^,  If?  Tï  M  R  2p. 


DU   ROYAUME  DE  TSIN.    P'iNG-KONG.  2ôô 

fleuve  Jaune,  et  se  rendit  â  K'iou-leang  }Q  ^  (1),  lieu  fixé  pour 
la  réunion  des  vassaux.  C'était  pour  ceux-ci  une  bonne  occasion 
de  présenter  leurs  hommages  au  nouveau  suzerain  ;  onze  d'entre 
eux  vinrent  en  personne  à  l'assemblée. 

P'ing-kong  ordonna  de  rendre  au  duc  de  Lou  ^  les  territoires 
qu'on  venait  de  lui  enlever  ;  il  fit  saisir  les  princes  de  Tchou  fâX 
et  de  Kiu  g|*,  accusés  de  servir  traîtreusement  d'intermédiaires, 
contre  le  suzerain,  entre  les  rois  de  Ts'i  ^|  et  de  Tch'ou  $£  ; 
leurs  états  se  trouvaient  en  effet  sur  le  chemin  entre  les  deux  pays. 

P'ing-kong  donna  un  festin  solennel,  en  l'honneur  des  vas- 
saux ;  leurs  grands  officiers  furent  priés  d'y  exécuter  des  pantomi- 
mes accompagnées  de  chants  (Ou  fg|,  ;  mais  le  suzerain  avait 
expressément  recommandé  que  tout  fût  adapté  aux  circonstances 
où  l'on  se  trouvait;  c'est-à-dire  respirât  la  gratitude,  l'amitié  en- 
vers lui. 

L'officier  de  Ts'i  ^,  nommé  Kao-heou  "jej  ]![,  ne  tint  pas 
compte  de  cette  recommandation  ;  son  chant  trahit  les  sentiments 
de  rébellion  qu'on  nourrissait  dans  son  pays.  Le  premier  minis- 
tre en  était  furieux  ;  il  conseilla  à  son  maître  d'exiger  que  tous 
les  grands  officiers  jurassent  un  pacte  de  fidélité  ;  Kao-beou  surtout 
devait  être  soumis  à  cette  épreuve:  nous  irons  tous  ensemble, 
disait  le  texte,  châtier  celui  des  princes  qui  ne  se  présenterait  pas 
à  la  cour  du  suzerain  pour  lui  offrir  ses  hommages. 

Kao-heou,  se  sachant  soutenu  par  son  maître  et  par  d'autres 
vassaux,  s'enfuit  de  l'assemblée,  sans  avoir  juré  le  pacte.  Confu- 
cius  trouva  la  chose  si  forte,  qu'il  daigna  la  consigner  dans  sa 
chronique,  avec  la  date  précise,  au  jour  ou-yng  rjj  g  de  la  'S'U1V 
lune  (16  février). 

P'ing-kong  était  bien  mortifié  ;  mais  il  ne  jugea  pas  à  propos 
de  se  venger  tout  de  suite;  il  remit  cela  à  plus  tard.  En  atten- 
dant, il  emmenait  captifs  les  deux  princes  de  Tchou  fâ\  et  de  Kiu 
£*' ,  sans  en  demander  permission  à  l'empereur,  à  qui  il  aurait  dû 
les  confier  ;  c'était  une  grande  faute  contre  les  fameuses  «lois  fon- 
damentales de  rempire»  dont  on  parlait  naguère.  Les  deux  prison- 
niers, ayant  bien  payé,  furent  d'ailleurs  promptement  rendus  à  la 
liberté. 

Comme  pour  narguer  encore  mieux  son  suzerain,  le  roi  de 
Ts'i  ^  attaqua  la  frontière  septentrionale  du  duché  de  Lou  .|§.  : 
et  P'ing-kong  apprit  cette  insolence  juste  en  arrivent  à  sa  capita- 
le ;  il  fit  encore  taire  son  ressentiment. 

(1)  K'iou-lianfr,  qui  se  lit  aussi  Ki-liang,  c'est-à-dire  barrage  ou  disruc  de  la 
rivière  K'iou  :  il  y  avait  là  sans  doute  des  palais  pour  l'assemblée.  Cette  rivière, 
appelée  au>si  P'é-kien-chouei  Q  j£j  7k,  coule  à  l'ouest  de  Ts'i-yuen  hien  ff? 
70  li  à  l'ouest  do  sa  préfecture  Hoai-k'ing  fou  Sî  S  Hf  >  llo-nan  :  près  de  Wen 
hien  îS.  M-  c'"c  se  jette  dans  le  (louve  Jaune.  (Petite  géogr.,  ool.  13.  p.  2ç)  — 
(Grande,  vol.  40.  p.  s). 


256  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Sur  ces  entrefaites,  le  baron  de  Hiu  frf,  mécontent  de  Tch'ou 
j*|?  son  suzerain,  demandait  l'autorisation  de  transporter  sa  capi- 
tale sur  le  territoire  de  Tsin  ;  les  vassaux  étaient  d'avis  qu'on 
s'occupât  incontinent  de  cette  émigration  ;  mais  les  grands  sei- 
gneurs de  Hiu  refusèrent  leur  consentement,  disant  qu'on  venait 
d'opérer  semblable  transfert  au  pays  de  Tch'ou  ^,  vingt  ans 
auparavant  ;  ils  trouvaient  cela  insupportable,  et  ils  avaient  raison. 

P'ing-kong  voulut  cependant  leur  forcer  la  main  ;  il  renvoya 
les  vassaux,  mais  garda  leurs  troupes,  et  prépara  une  expédition 
contre  l'état  de  Hiu.  Siun-yen  ^j  ffg  était  le  généralissime  ;  à  la 
gème  lune,  il  campait  à  Yu-ling  jp£  $Ç,  au  jour  keng-yng  fè  g 
(28  avril),    il   faisait   investir   la    capitale,    et   campait   à   Han-che 

De  là,  il  partit  avec  Loan-yen  |p§  J||  contre  le  pays  de  Tch'ou 
J|,  pour  le  punir  d'avoir  envahi  le  territoire  de  Song  $£,  en  561. 
L'armée  ennemie  était  commandée  par  le  prince  Ko  ^  ;  elle  fut 
mise  en  déroute,  sur  les  bords  de  la  rivière  Tchan  •$£  (2)  ;  après 
quoi,  les  troupes  de  Tsin  allèrent  ravager  les  travaux  extérieurs 
de  la  forteresse  imprenable  Fang-tcheng  ~jj   J$\ 

Au  retour  de  cette  promenade  militaire,  on  harcela  de  nou- 
veau la  capitale  de  Hiu,  qui  ne  consentit  ni  à  se  rendre,  ni  à 
émigrer  ;  on  finit  par  la  laisser  tranquille,  et  l'on  s'en  retourna 
chez  soi. 

Vers  le  mois  d'août,  le  seigneur  Mou-chou  ^  5^,  ordinaire- 
ment nommé  Chou-suen-pao  ^  ffî  %-},  venait  à  la  cour  de  Tsin, 
saluer  le  nouveau  souverain,  et  se  plaindre  des  vexations  du  roi 
de  Ts'i  ï§^  contre  le  duché  de  Lou  ^  ;  mais  on  fit  la  sourde  oreil- 
le ;  on  s'excusa  en  disant  :  notre  humble  prince  n'a  pas  encore 
offert  le  sacrifice   triennal,   après  le  deuil   de   son   père  ;    (3)    après 

(1)  Yu-ling  appartenait  au  pays  de  Hiu  ;  c'est  tout  ce  qu'on  en  sait. 

Han-che,   item. 

(2;  Tchan,  l'endroit  de  la  bataille,  au  bord  de  cette  rivière,  est  à  .'iO  li  au 
nord  de  Che  liicn  $f  !£  ;  cette  est  à  120  li  au  nord  de  sa  préfecture  Nan-yang  fou 
fêj  PI  Jfr,  Ho-nan. 

Fang-tch'eng,  la  montagne  et  la  fameuse  forteresse  sont  à  40  li  nord-est  de 
Yu  tcheou  #5  'H'1,  qui  est  à  120  li  au  nord  de  sa  préfecture  Nan-yang  fou.  (Petite 
ijéorjr.,  vol.  12.  p.  j).  47,  4S)  — (Grande,  vol.  ji,  p.  p.  29.  32)  —  (Voir  notre 
histoire   du  royaume  de  Tch'ou). 

(3)  Ce  sacrifice  triennal  (ti  /]i$)  s'accomplissait  après  trois  ans,  ou  tout  au  moins, 
à  dater  du  jour  où  le  deuil  avait  cessé  ;  alors,  on  portait  solennellement  nu  temple 
des  ancêtres  la  tablette  du  prince  défunt;  celle  de  son- grand-aïeul  était  en  même 
temps  retirée,  pour  être  placée  en  un  lieu  mois  honorable,  à  l'intérieur  du  temple  : 
celle  du  fondateur  de  la  famille  n'était  jamais  retirée;  pareequ'il  était  censé  présider 
toujours  au  9ort  de  sa  maison.  Cf.  (Zottoli,  II,  p.  36)  —  (Couvreur,  g*  diction, 
chinoi    français  p.  p.  339  et  831). 


DU    ROYAUME   DE   TSI.W    PcING-KO\G.  257 

l'expédition  de  II  iu  f£,  il  n'a  pas  encore  accordé  au  peuple  le 
temps  nécessaire  de  reprendre  des  forces  ;  autrement,  nous  serions 
certes  bien  disposés  à  vous  aider. 

Mou-chou  reprit:  les  gens  de  Ts'i  ffi  ne  cessent,  ni  matin 
ni  soir,  de  décharger  leur  colère  sur  notre  petit  état  ;  nous  sommes 
dans  une  telle  détresse,  que  le  matin  nous  ne  pouvons  nous  pro- 
mettre le  soir;  nos  visages  sont  tournés  vers  vous  :  <■  peut-être  que 
le  roi  de  Tsin  est  déjà  en  marche  vers  nous»,  s'écrie  le  peuple, 
«consolons-nous  dans  notre  angoisse!»;  s'il  faut  attendre  que  vos 
seigneuries  aient  du  loisir,  il  sera  peut-être  trop  tard;  ainsi,  pre- 
nez-nous en  pitié  ! 

Mou-chou  alla  visiter  Siun-yen  ^jj  flg,  le  premier  ministre, 
et  lui  chanta  l'ode  Ki-fou  \f\ '£  (1)  "ministre  de  la  guerre,  nous 
sommes  les  griffes  et  les  dents  de  l'empereur  ;  pourquoi  nous  avez- 
vous  précipités  dans  le  malheur,  et  réduits  h  n'avoir  plus  de  de- 
meure fixe?»  Le  ministre  répondit:  oui,  je  reconnais  ma  faute; 
soyez  sans  inquiétude;  je  ferai  mon  possible  pour  vous  obéir;  je 
vais  montrer  que  j'ai  pitié  de  votre  situation. 

Mou-chou  alla  encore  visiter  le  grand-seigneur  Che-kai -^  fE\; 
il  lui  chanta  de  même  l'ode  Hong-ien  £|  jfj|  (2)  «les  oies  sauvages, 
dans  leur  vol,  crient  d'une  voix  plaintive  ngao  !  ngao  !  P#r  P$(  ; 
lorsqu'ils  entendro.it  notre  chant,  les  hommes  sages  auront  com- 
passion; ils  nous  diront  que  nous  avons  supporté  de  grandes  souf- 
frances; les  insensés  nous  accuseront  d'arrogance.»  Che-kai  fut 
trés-flatté  :  tant  que  je  vivrai,  dit-il,  pourrais-je  tolérer  que  le 
duché  de  Loti  ne  soit  pas  en  paix  ? 

En  dépit  de  ces  belles  promesses.  P'ing-kong  ne  convoqua  ni 
les  vassaux,  ni  les  troupes  ;  l'année  suivante  encore,  le  roi  de  Ts'i 
Hf  put  à  son  aise  harceler  le  duc  ;  on  faisait  l'impossible,  pour 
ne  pas  rompre  entièrement  avec  un  vassal  puissant,  qu'on  avait 
eu  tant  de  peine  à  gagner. 

En  556,  il  n'y  eut  point  d'expédition. 

En  555,  vers  le  mois  d'avril,  les  gens  de  Tsin  saisissaient  le 
seigneur  Che-mai  ~fc  jp(  à  Tchang-tse  ]^  -~p,  puis  le  seigneur 
Suen-hoai  fâ  M  à  Toen-liou  |j{f  |g  (3)  ;  le  premier  était  l'ambas- 
sadeur de  Wei  fêj,  hang-jen  |f  A  l'envoyé];  l'autre  était  son 
compagnon,  sans  doute.  Mais  pour  quel  motif  opérer  une  telle 
arrestation?  C'est  que,  l'année  précédente,  le  premier  de  ces  deux 
seigneurs  avait  conduit  une  armée  contre  l'état  de  Ts'ao  W. 

(1)    (2)    Che-king  f$  £Jj.  (Couvreur,  p,  216,  ode  1   —  p.   212,  ode  -.  r.  .? 

(3)  Tchang-tse,  était  un  peu  au  sud-ouest  de  Tchang-tse  hien  -||  ^  Sf ,  qui 
est  à  50  li  sud-ou?st  de  sa  prélecture  Lou-ngan  fou  }$$  t£  Kf' .  Chan-si. 

Toen-liou,  était  à  10  lv  sud-est  de  Toen-liou  hien  îjjjî  eH  $f,  qui  est  à  ôô  li 
nord-ouest  dp  la  même  préfecture.  (Petite  géogr.,  vol.  S.  p.  ij  —  Grande,  vol. 
42 .    p.  p.   iç,  et  21. 

33 


258  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Vers  le  mois  de  juin,  le  roi  de  Ts'i  ^  combla  la  mesure,  en 
attaquant  de  nouveau  le  duché  de  Lou  ^  ;  le  généralissime  Siun- 
yen  ^j  |g  se  prépara  enfin  â  lui  déclarer  la  guerre.  Mais  voici 
qu'un  songe  curieux  faillit  l'en  dissuader  :  il  s'était  vu  en  face  de 
Li-kong  f^}  Q,  le  souverain  tué  par  lui  autrefois  (573),  celui-ci 
avait  saisi  une  lance,  et  ils  s'étaient  battus  tous  deux  ;  Siun-yen 
avait  été  vaincu,  sa  tête  avait  roulé  à  terre,  il  s'était  mis  à  genoux, 
avait  repris  sa  tête,  l'avait  remise  à  sa  place,  et  la  tenant  entre 
ses  deux  mains,  il  s'était  enfui  ;  sur  son  chemin,  il  avait  rencontré 
le  devin  Kao  J^  de  Keng-yang  fjljj^  (1)  ;  sur  quoi  il  s'était  réveillé. 

Intrigué  et  inquiet,  à  cause  de  ce  rêve,  Siun-yen  désirait  con- 
sulter ce  devin,  qui  avait  en  effet  de  la  célébrité  ;  quelques  jours 
plus  tard,  il  le  rencontra  sur  son  chemin,  et  s'entretint  avec  lui  ; 
grande  surprise,  en  apprenant  que  le  compère  avait  eu  la  même 
vision  !  voici  quelle  fut  sa  réponse  :  cette  fois-ci,  votre  seigneurie 
va  certainement  mourir  ;  mais  si  elle  va  combattre  le  roi  de  Ts'i, 
elle  sera  victorieuse.  C'était  tout-à-fait  la  pensée  du  ministre  ;  il 
partit  donc  en  guerre. 

Quand  les  troupes  de  Tsin  allaient  traverser  le  fleuve  Jaune, 
Siun-yen  ^fff,  tenant  en  main  une  ficelle  rouge,  à  laquelle  étaient 
suspendues  deux  paires  de  jade  précieux,  pria  l'Esprit  du  fleuve 
en  ces  termes  :  Hoan  Jg,  le  roi  de  Ts'i  ^  (le  roi  Ling  g),  plein 
de  confiance  dans  ses  forteresses  et  ses  défilés,  fier  de  la  multitude 
de  son  peuple  et  de  ses  troupes,  a  rejeté  notre  amitié,  et  déchiré 
les  traités  de  paix  conclus  avec  nous  ;  il  vexe  et  tyrannise  l'état 
de  Lou  ;  ainsi  le  dernier  de  vos  serviteurs,  notre  prince  Piou  j^ 
va  conduire  l'armée  des  vassaux  le  punir  de  son  insolence  ;  moi, 
Yen,  son  ministre,  je  suis  établi  pour  le  seconder  dans  ce  dessein; 
si  nous  réussissons,  vous,  Esprit  sublime,  vous  serez  aussi  honoré 
de  notre  succès  ;  moi,  Yen,  je  ne  repasserai  plus  votre  fleuve  ; 
daignez,  Esprit  vénéré,  décider  de  notre  sort  !  Ayant  ainsi  parlé, 
il  laissa  tomber  les  jades  dans  l'eau,  et  traversa  le  fleuve. 

A  la  10ème  lune  (août-septembre),  P'ing-kong  présidait,  au 
bord  de  la  rivière  Ts'i  ijjj^  (2),  dans  le  duché  de  Lou,  une  réunion 
de  onze  princes,  où  la  guerre  fut  approuvée  à  l'unanimité  :  le 
pacte  précédent,  juré  à  K'iou-Jeang  ^  ijj£  (557)  ne  disait-il  pas  : 
nous  irons  ensemble  punir  celui  des  princes  qui  refusera  de  se 
rendre  à  la  cour  du  suzerain,  lui  offrir  ses  hommages  ? 


(1)  Keng-yang,  était  au  sud-do  Siu-keou  hien  tfc  si  ?£,  qui  est  à  SO  li  au 
sud  de  sa  préfccluro  T'ai-yuen  fou  jk  $,  flT'j  Chan  si.  Petite  géogr.,  vol.  S,  p* 
j)  —  (Grande,  vol.  40,  j>,   /,-■. 

Siun-yen,  s'appelait  aussi  Siun-hien-tse  ilj  ^  ^~.  (Voyez  à   la  /in   de   l'année 

(2)  l.a    rivière    l's'i.    esl   i\    l'est    de    Ts'ao-tcheou  fou    ^f  -JH  Jflf,    Chan-tong. 
Petite  géogr.,  vol.   10  p.   16)   —  (Grande,  vol.  30.  p.  }>■    1 1    et   sut».    —    vol.    33, 

p-  Si) 


DU    ROYAUME   DE   TSIX.    p'iNG-KONG.  259 

Le  roi  de  Ts'L  avait  massé  ses  troupes  à  Pfing-yng  ^  (^ 
d)  ;  il  avait  fait  barrer  tons  les  chemins  qni  donnaient  accès  à  la 
grande  muraille  [tchang-tch'emj  L>  ftJtli  et  gardait  militairement 
toute  cette  région,  jusqu'à  Koang-li  ^  J^  (2  ;  l'eunuque  Sou- 
cha-wei  ffi  j'J;  f|j  lui  fit  la  remarque  suivante  :  nous  ne  sommes 
pas  assez  forts  pour  livrer  une  vraie  bataille  ;  il  serait  mieux  de 
quitter  cet  endroit,  et  de  nous  retirer  dans  les  défilés.  Le  roi 
méprisa  ce  lâche  conseil  ;  mais  l'armée  fédérée  étant  venue  atta- 
quer la  grande  muraille,  il  perdit  un  bon  nombre  de  soldats. 

Le  seigneur  Che-kai  -j^  ^t\  disait  alors  à  son  ami  Si-wen-tse 
$f  3>C  "F»  de  Ts'i  :  je  vous  communique  franchement  ma  pensée  ; 
les  princes  de  Lou  et  de  Kiu  '$  nous  ont  demandé  de  venir  par 
leur  pays,  et  d'envahir  votre  territoire  avec  une  armée  de  mille 
chars  (soixante-quinze  mille  hommes)  ;  la  proposition  a  été  accor- 
dée ;  si  les  troupes  envahissent  effectivement  votre  état,  le  roi 
perdra  sa  couronne  ;  comment  votre  seigneurie  ne  pense-t-elle  pas 
à  cette  éventualité  ? 

Si-wen-tse  se  hâta  de  communiquer  cette  parole  à  son  roi  : 
celui-ci  en  fut  effrayé;  aussi  le  sage  Yen-yng  4j^  ^,  avant  appris 
ces  détails,  faisait  la  remarque  suivante:  notre  prince,  vraiment, 
n'est  pas  un  homme  de  courage  ;  il  se  laisse  effrayer  par  ces  nou- 
velles ;  notre  campagne  sera  bientôt  finie  ! 

Le  roi  de  Tsei  @,  voulant  se  rendre  compte  des  forces  enne- 
mies, était  monté  sur  la  montagne  Ou-chan  3É  |1]  [3).  Or,  le 
généralissime  Siun-yen  avait  aussi  chargé  le  ministre  de  la  guerre 
d'aller  examiner  les  endroits  dangereux,  formés  par  les  montagnes 
et  les  étangs  ;  même  si  l'on  ne  pouvait  les  occuper,  il  devait  y 
planter  des  drapeaux,  de  distance  en  distance,  pour  faire  croire 
qu'on  y  arrivait  en  grand  nombre  :  il  avait  aussi  fait  avancer 
beaucoup  de  chars  de  guerre  ;  à  la  droite  de  ceux-ci  étaient  des 
soldats,  en  chair  et  en  os  :  à  la  gauche  étaient  des  épouvantails, 
des  habits  vides  :  devant  ces  mêmes  chars,  étaient  plantés  beau- 
coup d'étendards  ;  enfin,  les  soldats  ôllant  et  venant,  traînaient  des 


(1)  P'ing-yngj.  était  à  35  li  nord-est  de  P'ing-yng  hien  ^F  fe  ty%<  qui  est  à 
190  li  nord-ouest  de  sa  préfecture  T'ai-ngan  fou  ;fc  £  fl-F,  Chan-tonu'.  'Petite 
géogr.,  vol.    10,  p.    13)    —   'Grande  cul.  33.  p.   21). 

(2)  Koang-li,  était  au  nord  de  la  grande  muraille  du  Chan-tong  :  or  celle-ci 
(■tait  à  l'est  de  cette  même  prélecture  T'ai-ngan  l'on.  Grande  géogr..  vol.  r/.  p.  23 
—  vol.  33,  p.  20). 

(Voit  aussi  notre  histoire  du  royau»ie  de  Ts'i,  au  sujet  de  cette  muraille.  — 
introduction) . 

(3)  Ou-chan,  cette  montagne  est  à  "ô  li  nord-ouest  de  Fei-tcli'eng  hien  fl£  }$ 
!£,  qui  est  à  70  li  à  l'ouest  de  sa  prélecture  T'ai-ngan  fou  >k  '£  tff>  Chan-tong, 
(Petite  géogr.,  vol.  10,  p.  12)  — (Grande,  vol.  31,  p.  21). 


260  temps  Vraiment  historiques 

branches  d'arbre    par   terre,    faisaient   voler   la   poussière,    comme 
sïl  y  avait  eu  une  armée  innombrable. 

Le  stratagème  réussit  si  bien,  que  le  roi  de  Ts'i  ^f  s'enfuit 
à  sa  capitale,  sans  même  avoir  emporté  son  drapeau  ;  l'armée  ne 
tarda  pas  à  suivre  le  même  chemin  ;  au  jour  ping-yng  p)  ^  (21 
7bre)  ene  s'enfuyait  pendant  la  nuit. 

Le  lendemain  matin,  le  grand  maître  de  la  musique,  Koang 
l§f|,  disait  à  P'ing-kong:  les  corbeaux  voltigent  si  joyeusement 
sur  le  camp  de  Ts'i,  bien  sûr  que  les  troupes  n'y  sont  plus  !  Le 
grand  officier  Hing-pê  }[[>  f£|  disait  de  même  au  généralissime:  j'ai 
entendu,  cette  nuit,  les  chevaux  de  Ts'i  hennir,  comme  s'ils  quit- 
taient leurs  compagnons  ;  certainement  les  troupes  sont  parties. 
Le  sage  Chou-h.ia.ng  fy  |pj  disait  la  même  chose  à  P'ing-kong;  la 
présence  des  corbeaux  sur  les  remparts,  était  un  indice  de  la  fuite 
des  gens  de  Ts'i.  On  s'avança  donc,  on  entra  dans  la  ville  de 
P'ing-yng  ^  |ïf£,  puis  on  se  mit  à  la  poursuite  de  l'armée  (22  7blv). 

L'eunuque  Sou-cha-wei  j^,  y>p  $j  avait  fait  enchaîner  ensem- 
ble de  grands  chars  de  guerre,  en  guise  de  barricade,  à  l'entrée 
du  défilé,  afin  d'empêcher  ou  du  moins  de  retarder  la  marche  de 
l'ennemi;  puis  il  s'était  mis  bravement  à  l'arrière-garde,  pour 
soutenir  le  choc  des  gens  de  Tsin,  et  protéger  ainsi  la  retraite 
des  troupes.  Mais  les  deux  officiers  Tche-tch'o  Jfe  $$*  et  Kouo- 
ts'ouei  jpp  Jj|  l'envoyèrent  à  l'avant-garde,  en  lui  disant:  ce  serait 
une  honte  pour  nous  tous,  si  un  homme  comme  vous  se  mêlait 
de  faire  le  protecteur  de  l'armée  à  l'arrière-garde  ! 

L'eunuque  mortifié  se  vengea:  il  fit  tuer  bon  nombre  de  che- 
vaux, fit  empiler  leurs  cadavres,  à  un  endroit  des  plus  resserrés 
du  défilé,  afin  de  retarder  la  marche  des  deux  officiers,  et  de  per- 
mettre à  l'armée  fédérée  de  tomber  sur  eux.  Il  y  réussit.  Le  digni- 
taire Tcheou-lch'o  >)\\  $ij£  les  rejoignait  bientôt,  et  deux  de  ses 
flèches  atteignaient  Tche-tch'o  de  chaque  côté  de  la  nuque  :  rendez- 
vous,  lui  criait-il,  sinon  je  vous  vise  au  cœur!  Le  blessé  se 
retourna  et  répondit:  promettez-moi  la  vie  sauve!  —  Oui,  répliqua 
le  dignitaire,  je  vous  le  jure  par  ce  soleil  qui  nous  éclaire  !  En 
même  temps,  il  débandait  son  arc,  et  liait  les  mains  du  captif 
derrière  le  dos  ;  son  lancier  en  faisait  autant  à  l'autre  officier 
Kouo-ts'ouei  ;  on  n'enleva  pas  la  cuirasse  aux  deux  prisonniers, 
qui  étaient  de  braves  soldats  ;  on  releva  seulement  leur  visière,  et 
on  les  fit  asseoir  auprès  du  tambour,  sur  le  char  du  généralissime. 

Celui-ci  voulait  poursuivre  l'armée  de  Ts'i  ^jusqu'à  la  capi- 
tale; mais  le  duc  de  Lou  .f§>  et  le  marquis  de  Wei  fëj  demandè- 
rent qu'on  s'emparât  d'abord  des  forteresses  et  des  défilés,  ce  qui 
fut  exécuté.  Au  jour  ki-mao  g,  Jjf]  (4  Octobre)  Siun-ycn  ^j  fff 
et  Che-hai  -^  tE],  avec  les  troupes  du  centre,  prenaient  la  forte- 
resse  King-ise  jfc  %£  (1);    au  jour   i-you  £,  "jij  (10    octobre),    les 

(1)   La  capitale  de  Ts'i  (Ts'l-tch'eng  5^  feUi  était  un  peu  au   nord  de  Ling- 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    P'iNG-KON'G.  26 î 

généraux  Wei-kiang  §&  #|  et  Loan-yng  f§§  ^£.  à  la  tête  du  3ème 
corps,  occupaient  Ua  montagne  Che-chan  ^J  Jj  ;  les  généraux 
Tchno-ov.  |g  jÇ  et  Han-h'i  %%.  jQ,  avec  le  deuxième  corps,  assié- 
geaient la  forteresse  Ltu  ||[  1  ,  sans  pouvoir  s'en  rendre  maîtres. 
A  la  12-mo  lune,  au  jour  ou-slu  }%  }%  (23  octobre,,  tous  étaient 
réunis  sous  les  murs  de  la  capitale  ;  en  manière  de  bravade,  ils 
allaient,  en  compagnie  de  Ts'in-tcheou  ^  j$,  grand  officier  de 
Lou  |§.,  couper  de  l'armoise,  à  la  porte  de  l'ouest  appelée  Yonrj- 
men  |fj|  |*J.  — 

Chacun  s'évertuait  à  faire  quelque  prouesse  de  sa  façon  : 
Pendant  que  le  seigneur  Che-yang  :£§&  donnait  un  assaut  à  cette 
même  porte,  son  conducteur  de  char,  nommé  Tsouei-hi  fë.  $, 
pour  montrer  son  sang-froid,  tua  d'un  coup  de  lance  un  pauvre 
chien  qui  s'était  réfugié  à  cet  endroit.  Mong-tchoang-tse  jg  IlÊ 
^,  de  Lou  -!§•,  s'y  coupa  une  provision  de  sumac  f^j  ou  ^î£ 
ich'oen),  pour  en  fabriquer  des  instruments  de  musique. 

Le  lendemain  24  octobre',  on  mettait  le  feu  à  cette  même 
porte,  à  ses  faubourgs,  et  à  ceux  du  sud  ;  deux  officiers  de  Tsin, 
Liou-nan  ||lj  f|  et  CUe-jouo  J;  ||,  conduisaient  les  troupes  auxi- 
liaires incendier  les  forêts  de  bambous,  situées  sur  le  bord  de 
l'étang  Chen  ^,  au  sud-ouest  de  la  capitale. 

Le  27  octobre,  on  brûlait  les  faubourgs  de  l'est  et  du  nord  : 
le  seigneur  Che-yang  J;  ^  donnait  l'assaut  à  la  porte  Yang-men 
f£  P'j,  au  nord-ouest  ;  tandisque  Tcheou-lch'o  ft\  ££  attaquait 
celle  de  Test.  Ce  dernier  lut  un  moment  en  grand  danger,  par 
son  cheval  supplémentaire  de  gauche,  qui  bondit  en  arrière  et 
troubla  tout  l'attelage,  juste  à  l'entrée  de  cette  porte,  sous  une 
grêle  de  projectiles  lancés  par  les  assiégés  ;  ce  seigneur  fut  si 
calme  dans  cette  bagarre,  qu'il  se  mit  à  compter,  du  bout  de  son 
fouet,  les  gros  clous  de  la  porte,  en  attendant  que  ses  chevaux 
fussent  remis  en  bon  ordre.  Confucius  lui-même  estimait  ce  sei- 
gneur comme  un  héros  indomptable. 

Le  roi  de  Ts'i,  harcelé  de  toutes  parts,  fit  atteler  son  char, 
pour  s'enfuir  à  YouVang  ^^  (2)  ;  mais  le  prince-héritier  Koang 

tche  hien  $%  'M  Sf  qui  est  à  30  li  nord-ouest  de  sa  préfecture  Tsing-tcheou  fou  %' 
ft\  fl=f,  Chan-tong  ;  elle  avait  50  li  de  pourtour,  et  13  portes.  (Grande  géogr.,  vol. 
3S,  P-  à). 

King-tsc  était  au  sud-est  de  P'ing-yng  ^p  fiï  (supra)  —  (Grande  géogr. .  vol. 
33,  p-  2iJ- 

(1)  La  montagne  Che-chan,  était  à  l'ouest  de  P'ing-vng.    Grande  géogr.,  ibid  . 
Liu-tch'eng,  était  à  25  li  sud-ouest  de  Tchang-tsing  hien  -||   fj   |£,  qui    est   à 

70  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  Ts'i-7ia7i  fou  jj|  ÏfJ  J{f,  Chang-tontr.  Petite  géogr., 
vol.   io,  p.  s)  —  (Grande,  vol.  31  ,p     xy). 

(2)  You-t'ang,  nommé  aussi  T'ang-hiang  "g:  pjîp,  probablement  un  château- 
fort,  était  au  nord-ouest  de  P'ing-tou  tcheou  T  '-S  W,  qui  est  à    100    li   au   sud   de 


262  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Jfc  et  le  seigneur  Kouo-yong  If|3  5^  le  retenaient  en  disant  :  vous 
voyez  bien  l'empressement  inquiet  de  l'ennemi  :  c'est  une  razzia 
qu'il  veut  opérer,  non  un  véritable  siège  ;  il  va  bientôt  se  retirer  ; 
qu'avez-vous  à  craindre  ?  vous,  le  chef  de  l'état,  vous  ne  devez 
pas  vous  troubler  si  facilement  ;  vous  allez  perdre  aussi  votre 
peuple  !    il  faut  absolument  que  votre  Majesté  reste  ici  ! 

Le  roi  persistant  à  partir,  le  prince-héritier  tira  son  épée,  et 
coupa  les  courroies  du  char  ;  il  força  ainsi  son  père  à  rester.  Au 
jour  Kia-tchen  ^  ^  (29  octobre),  l'armée  de  Tsin  s'en  alla  vers 
l'est,  jusqu'au  fleuve  Wei  $j|  ;  puis,  tournant  au  sud,  elle  pénétra 
jusqu'à  /  \Jf  (  1)  ;  enfin,  chargée  de  butin,  elle  rentra  dans  ses 
foyers  ;   mais  pas  tout  de  suite,  comme  nous  allons  le  dire. 

Cette  année,  le  prince  de  Tcheng  f||),  ennuyé  de  son  alliance 
avec  P'ing-kong,  se  donnait  de  nouveau  au  roi  de  Tch'ou  g?  ; 
mais  ce  ne  fut  pas  pour  lengtemps. 

En  554,  au  début  de  l'année,  l'armée  de  Tsin,  encore  en  che- 
min, campait  au  bord  de  la  rivière  Se  fjg  (2)  ;  on  en  profita  pour 
régler  exactement  les  frontières  réciproques  des  princes  de  Lou  |j§. 
et  de  Tchou  %\l  ;  tout  le  territoire,  depuis  la  rivière  Kouo  \^,  fut 
attribué  au  duc  ;  après  quoi,  P'ing-kong  partit  pour  sa  capitale, 
sans  attendre  ses  troupes. 

Encore  en  route,  P'ing-kong  réunit  les  vassaux  en  assemblée 
générale  à  Tou-yang  ^  $j  (3);  là,  il  fut  convenu  qu'aucun  grand 
état  n'abuserait  de  sa  force,  pour  en  envahir  un  petit  ;  et,  pour 
punir  le  prince  de  Tchou  '^\\  de  ses  incursions  sur  le  duché  de 
Lou  ||>,  il  fut  saisi  par  les  soldats  de  Tsin,  et  mis  en  prison;  il 
pava  suffisamment  et  fut  bientôt  mis  en  liberté. 

sa  préfecture  Lai-tcheou  fou  jjf£  ;H'I  tff.  Chan-tong.  (Petite  géogr.,  vol.  10,  p.  36) 
—   (Grande,  vol.  36,  p.  ç). 

(1)  Le  (leuve  YVei,  coule  à  50  li  à  l'est  de  Ngan-k'iou  hien  ^  £[$  |f,  qui  est  à 
160  li  sud-est  de  sa  préfecture  Tsing-tcheou  fou  Ff  H]  fl^p,  Chan-tong.  (Petite  géogr., 
vol.   10,  p.   26)  —  (Grande,  vol.  33,  p.   22). 

La  rivière  I,  coule  à  l'est  de  I-tcheou  fou  $t  ■){]  ffi .  endroit  dont  il  est  ques- 
tion ici.  (Petite  géogr.,   vol.    10,  p.   2ç)  —  (Grande,  vol.  33,  P-  SS>- 

(2)  La  rivière  Se,  coule  à  8  li  au  nord  de  Se-chouei  hien  J0  7k  SI,  qui  est  à 
l'est  de  sa  préfecture  Yen-tcheou  fou  ^  M  l£f,  Chan-tong.  (Petite  géogr.,  vol.  10, 
p.  S)  —  (Grande,  vol.  32.  p.   14). 

La  rivière  Kouo,  coule  à  15  li  au  sud  de  Teng  hien  Jîj  §|.  qui  est  à  1  10  li 
sud-est  de  la  même  prélecture.  (Petite  géogr.,  vol.  10.  p.  ç)  —  (Grande,  vol.  32, 
p.   iS). 

(3)  Tou-j-ang,  ou  Tchou-ko  ÏiB,  t/ûf,  ou  Tehou-ngo  Wl  R,  étai  à  17  li  sud- 
ouest  de  Yu-tcheng  hien  $|  £$  Hf  qui  est  à  100  li  nord-ouest  de  sa  préfecture  Ts'U 
nan  fou  tfà  f?î  flïi  Chan-tong.    (Petite  géogr.,  vol.  10,   p.    4)   —    (Grande,    vol.    31, 


DO    ROYAUME   DE   TSIN.    P'iNG-KONG.  263 

Le  duc  de  Lou  i||.  se  voyant  si  bien  veng-é  de  ses  ennemis, 
devait  une  récompense  à  ses  amis  ;  il  donna  un  grand  festin  aux 
ministres  de  Tsin,  dans  le  parc  appelé  P'ou-pou  fjfj  pj  1  .  situe- 
en  dehors  de  la  porte  orientale  de  sa  capitale  ;  ce  qui  prouve  qu'on 
prenait  son  temps  pour  s'en  retourner  chez  soi.  Il  leur  offrit  en 
cadeau  des  vêtements  superbes,  réservés  aux  plus  hauts  dignitaires 
"san  ming-  tche  fou  jEE  -f^f  £.  EU  •  Quant  aux  grands  juges  des 
affaires  litigieuses  de  l'armée,  au  ministre  de  la  guerre,  à  l'inten- 
dant des  fortifications,  à  l'intendant  des  chars,  au  chef  des  éclai- 
reurs  et  des  espions,  ils  reçurent  des  vêtements  de  degré  inférieur 
i  ming  tche  fou  —  -fir  £  Al*  ■ 

Le  généralissime  et  premier  ministre  Siun-yen  ^  f[§  devait 
avoir  plus  et  mieux  ;  on  lui  donna,  en  outre,  cinq  rouleaux  de 
soieries  de  quarante  pieds  de  long  ;  un  char  de  guerre  attelé  de 
quatre  chevaux  superbes  :  enfin  un  trépied  fameux,  offert  au  duc 
par  Cheou-mong  ||  ^  roi  de  Ou  ^  :  le  ministre  était  traité  en 
roi  (2).  ' 

Hélas  !  il  ne  faut  pas  oublier  le  songe  prophétique  !  les  plus 
grands  honneurs  ne  peuvent  allonger  d'une  minute  le  sort  d'un 
homme  :  Siun-yen  ^j  f[£  fut  pris  de  fièvres  pernicieuses  ;  puis  il 
lui  survint  un  abcès  malin  à  la  tète  ;  malgré  tout,  on  croyait  qu'il 
pourrait  encore  repasser  le  fleuve  Jaune;  mais  arrivé  à  Tchou-yong 
îH1  ||ê  3),  la  douleur  était  si  forte,  que  les  yeux  en  sortaient  de 
leur  orbite. 

Les  grands  officiers,  qui  étaient  déjà  parvenus  à  la  capitale 
de  Tsin.  accoururent  à  cette  nouvelle:  j;  uj,  son  fidèle  adjudant, 
lui  fit  demander  une  dernière  entrevue,  sans  pouvoir  l'obtenir;  il 
était  déjà  trop  tard  :  il  lui  fit  du  moins  demander  quel  serait  son 
successeur:  mon  fils  Ou.  ij  j .  né  de  la  princesse  Tcheng  ff$.  répon- 
dit le  moribond. 

A  la  2  m<'  lune,  au  jour  Kia-yng  ^3  ^  7  janvier),  Siun-yen 
avait  cessé  de  vivre  :  mais,  à  la  grande  surprise  de  tous,  il  ne 
fermait  pas  les  yeux:  ce  qui.  en  Chine,  indique  un  dernier  désir 
non  réalisé.  Che-kai  s'approcha  du  défunt,  le  caressa,  et  lui  dit  : 
soyez  sans  inquiétude  ;  je  servirai  votre  fils  avec  le  dévouement 
que  j'ai  eu  envers  votre  seigneurie  1 

Le  défunt  ne  fermait  pourtant  pas  les  yeux  :  sa  dernière  pensée 
n'était  donc  pas  comprise,  et  ses  dents  restaient  fortement  serrées. 
Loan-yng  |f§  ^f  s'approcha  à  son  tour,  lui  caressa  le  visage  en 
disant  :  c'est  sans  doute  l'expédition  de  Ts'i  ^jf  qui  vous  reste  à 
cœur!  par  ce  fleuve  Jaune,  je  vous  jure  que  nous  l'achèverons  ! 

(1)  P'ou-pou,  ce  parc  appartenait  à  la  famille  Ki  ?p  :  le  premier-ministre  le 
prêta  pour  la  circonstance,  (Grande  géngr..  vol.  32.  p.  S  . 

(2)  Sur  les  cadeaux,  voir  ce  que  nous  en  avons  dit.  à  l'année  589.  Cf.  Couv- 
reur, lù-ki  fâ  |E-  vol.   /.  p.   2;\;  . 

(3)  Tchou-yonar-,  emplacement  exact  inconnu. 


264  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

Aussitôt  les  yeux  se  fermèrent,  les  dents  s'entr'ouvrirent,  on 
put  y  déposer  le  jade  traditionnel,  destiné  à  solder  le  passage  du 
Styx  chinois.  Che-kai  était  humilié  de  n'avoir  pas  su  comprendre 
le  désir  de  son  chef:  je  suis  vraiment  un  pauvre  sot,  disait-il;  je 
croyais  qu'il  pensait  à  son  fils,  tandis  qu'il  ne  songeait  qu'au  bien 
général  du  pays  !  En  conséquence  de  sa  promesse,  Loan-yng  fit 
une  razzia,  en  été,  avec  le  général  de  Wei  ^j,  sur  le  territoire  de 
Ts'i  ;  c'est  ainsi  que  les  païens  bernent  le  plus  souvent  leurs  Esprits, 
en  accomplissant  une  partie  seulement  de  ce  qu'ils  ont  voué;  ils 
promettent  un  temple,  et  bâtissent  une  cage  à  poule  en  forme  de 
pagode  (1). 

Le  duc  de  Lou  fêf  venait  de  remercier  les  grands  dignitaires 
de  Tsin,  pour  l'expédition  qu'on  avait  accomplie,  à  sa  prière; 
d'après  les  rites,  rendre  grâces  en  chemin,  eût  été  insuffisant;  il 
fallait  une  ambassade  solennelle  à  la  cour  même  du  bienfaiteur. 
Le  duc  n'oublia  pas  cette  convenance  obligatoire,  et  il  envoya  son 
premier-ministre  Ki  Ou-tse  ^  ^  -f-  offrir  ses  remerciments  à 
P'ing-kong. 

Celui-ci  donna  un  grand  festin,  pendant  lequel  Che-kai  j^tEJ 
nommé  aussi  Fang-siuen-tse  |j£  j|f  ^f  ),  le  nouveau  premier  minis- 
tre, chanta  l'ode  (2)  «Je  millet  à  panicules  croit  avec  vigueur, 
fécondé  par  la  pluie  du  ciel;  de  même,  nous  sommes  allés  fort 
loin  vers  le  midi,  encouragés  par  le  prince  Chao-kong  ^g  ^,  ait 
secours  de  Lou.» 

L'ambassadeur  se  leva  de  table,  se  jeta  deux  fois  à  genoux, 
frappa  deux  fois  la  terre  de  son  front,  pour  remercier  le  roi  de  sa 
bienveillance:  Oui,  dit-il,  nos  petits  états  dépendent  de  votre 
illustre  royaume,  comme  les  céréales  dépendent  de  la  pluie,  qui 
les  fait  naître  et  grandir;  tant  que  nous  jouirons  de  vos  bienfaits, 
non-seulement  notre  pays,  mais  toutes  les  nations  de  la  Chine 
seront  dans  la  prospérité.  Sur  ce,  il  se  mit  à  chanter  l'ode  (3) 
«au  6-me  mois  de  l'année»,  où  sont  célébrés  les  hauts  faits  de 
Yng  Ki-fou  jft  ^j  "$f,  que  l'empereur  Siuen-wang  j|f  3:  (827) 
avait  envoyé  réprimer  les  barbares  ;  c'était  donc  une  délicate  com- 
paraison, un  compliment  bien  tourné. 

Le  nouveau  premier  ministre  Che-kai  -j^  4?J  se  montra  aima- 
ble et  intelligent  dans  son  administration.  A  la  4ème  lune,  au  jour 
ting-wei    ~J  ^     l,r  mars),    le    prince    de    Tcheng  f$  étant    mort, 

(1)  Croira  qui  voudra  ce  conte  des  yeux  et  d°s  dents!  Ce  qui  est  vrai,  c'est 
l'embarras,  l'inquiétude  des  païens,  de  nos  jours  comme  autrefois,  quand  un  de 
leurs  morts  ne  terme  pas  les  yeux  ;  dans  leur  crainte,  .ils  font  force  superstitions, 
pour  tâcher  de  contenter  L'Esprit  du  défunt,  et  obtenir  que  les  yeux  >e  ferment;  ils 
ont  peur  que  cet  Esprit,  voyant  se  derniers  désirs  non  satisfaits,  ne  vienne  se  ven- 
ger par  des  malheurs. 

(2)  (3)   Cke-king  ff  fë?.  (Couvreur  p.  308,  ode  3.   —  p.  200.  ode  3). 


DU    ROYAUME   DE   TSIX.    P'iNG-KONG.  265 

Che-kai  rappela  à  P'ing-kong  qu'en  559,  pendant  la  ridicule 
expédition  contre  le  pays  de  Ts'in  |^,  le  défunt  avait  montré  un 
grand  dévouement,  e't  avait  donné  le  meilleur  exemple  à  tous  les 
vassaux  ;  il  convenait  de  faire  quelque  chose  pour  l'en  remercier. 
P'ing-kong  demanda  donc  à  l'empereur  une  distinction  spéciale 
en  faveur  du  défunt  ;  un  char  magnifique  fut  accordé,  afin  que 
l'enterrement  fût  des  plus  solennels.  L'historien  ajoute  que  c'était 
conforme  aux  rites. 

A  la  7"11"'  lune  (mai-juin),  Che-kai  conduisait  une  nouvelle 
armée  contre  le  pays  de  Ts'i  ^  ;  mais  arrivé  à  la  ville  de  Kou  ^ 
(1  .  il  apprit  la  mort  du  roi:  il  se  hâta  de  retourner  sur  ses  pas, 
voulant  observer  les  rites,  qui  prohibaient  la  guerre  contre  un 
peuple  plongé  dans  le  deuil  national. 

A  la  fin  de  l'année,  le  nouveau  roi  de  Ts'i,  touché  de  cette 
marque  de  déférence,  signait  un  traité  de  paix  à  Ta-soei  ^  [§§  2  . 
La  cour  de  Lou  ^  en  prit  peur;  elle  craignait  de  voir  se  renou- 
veler les  anciennes  vexations:  le  duc  envoya  donc  le  seigneur  Mou- 
chou  ||J  ^  auprès  de  Che-kai,  à  Ko  |p[  (3  .  lui  exprimer  ses  ap- 
préhensions. 

Le  député  fit  aussi  visite  au  sage  Chou-hiang  ;J^  rirj.  compa- 
gnon du  ministre:  il  lui  chanta  l'ode  \  «je  traverse  celle  "plaine 
on  le  blé  est  déjà  grand;  je  coudrais  gagner  un  prince  puissant  à 
ma  cause  ;  mais  en  qui  mettre  mon  appui?».  Le  lettré  éminent 
comprit  ce  qu'on  désirait  de  lui,  et  promit  d'aider  le  duc  de  tout 
sou  pouvoir. 

En  553,  à  la  6ème  lune,  au  jour  keng-chen  j|î  f|3  7  mai  , 
P'ing-kong  présidait  à  Chen-yuen  -]J  j)$  5  |,  une  réunion  solen- 
nelle des  vassaux  :  douze  princes  y  étaient  présents,  et  parmi  eux, 
le  nouveau  roi  de  Ts'i  )$  ;  on  y  publia  sa  réconciliation  avec  son 
suzerain,  et  l'on  renouvela  les  anciens  traités  d'alliance  et  d'amitié. 


'!)  Kou.  c'est  Tong-ngo  hien  îfc  M  %£■  qui  est  à  210  li  nord-ouest  de  sa  pré- 
fecture T  oi-ngon  fou  jfc  £  Jfi .  Chan-tong.  Petite  gêogr.,  vol.  io.  p.  14)  —  {Gran- 
de vol.  33,  p.   1  :  . 

(2)  Ta-soei.  antique  ville  disparue  :  elle  était  sur  les  limites  de  Kao-t'ang 
tcheou  iSj  ^f  fl\  :  celle-ci  est  à  12U  li  nord-est  de  sa  préfecture  Tong-tcharig  fou  Jjî 
|j  n-f .  Chan-tong;  mais  la  géographie  ne  parle  pas  de  l'antique  ville.  (Petite  géogr., 

Vol.     IO.    p.    2  2    . 

(3)  Ko  était  un  peu  au  nord-est  de  Nei  hoang  hien  jJj  ÂV ''/-'.  qui  esl  à  110  lia 
l'est  de  sa  préfecture  Tchang-te  fou  £;  ÎJ.  Jflp.  Ho-nan.  Petite  géogr.,  vol.  12.  p.  iS) 
—   (Grande,  vol.    iô.  p.    j-  . 

(4)  Che-king  |$  g.  4eme  strophe  de  l'ode  tsai-tch'e  fg£t-    Couvreur,  p.  61  . 

(5)  Chen-yuen.  signifie  grande  plaine  et  étendue  d'eau  de  Chen  :  le  lac  était 
au  pied  de  la  montagne  Wei-yang  chan  fèf  BJ  |||.  à  5  li  si:d-cst  de  K'ai  tcheou  fï] 
Un,  dans  la  préfecture  de  Ta-ming  fou  j\  £  fff.  Tche-H  ;  actuellement  il  n'existe 
plus  :   car,  dans  ce  pays,   les  inondations  changent  souvent  le  cours    des    rivi.  :    - 

:;i 


260  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

En  552.  c'est  maintenant  que  va  s'accomplir  la  prédiction 
faite  sur  la  famille  Loan  g|  :  Le  seigneur  Loan-yen  |p§  Jf  (aussi 
nommé  Loan-hoan-lse  ff§  {y.  ^  avait  été  marié  avec  une  Mlle  de 
Che-kai  ;  il  en  avait  eu  un  fils  appelé  Loan-yng  ff§  £&  ou  Loan- 
hoai-tse  ^  '|"§î  ^f-),  que  nous  connaissons.  En  559.  Che-yang  -^ 
M.  fils  de  Che-kai,  menacé  de  mort  par  Loan-yen.  avait  dû  s'ex- 
patrier, comme  on  s'en  souvient  (1)  ;  rentré  dans  sa  famille,  grâce 
à  l'entremise  du  roi  de  T<ein  ^.  comme  nous  l'avons  raconté,  ce 
seigneur  nourrissait  une  profonde  rancune  contre  la  maison  des 
Loan.  En  557.  il  fut  nommé  parmi  les  chels  et  présidents  des 
branches  collatérales  de  la  famille  régnante  :  dans  l'accomplisse- 
ment de  ses  fonctions,  il  ne  pouvait  jamais  s'entendre  avec  son 
collègue  Loan-yng,  son  neveu. 

Après  la  mort  de  Loan-yen.  sa  veuve,  la  princesse  K'i  fft 
(2),  vécut  en  commerce  illicite  avec  un  de  ses  intendants,  nommé 
Tcheou-ping  j\\  §j|,  homme  qui  conduisait  rapidement  la  maison 
à  sa  ruine.  Loan-yng  était  grandement  humilié  du  scandale  don- 
né par  sa  mère,  et  cherchait  le  moyen  d'y  remédier. 

La  triste  veuve  s'en  doutait  bien,  elle  prit  les  devants  ;  elle 
n'eut  pas  honte  de  perdre  son  fils,  plutôt  que  de  congédier  son 
séducteur  :  elle  alla  donc  trouver  son  père,  le  premier-ministre,  et 
lui  dit  :  mon  fils  Yng  est  sur  le  point  d'exciter  une  révolution, 
parceque,  depuis  la  mort  de  mon  mari,  la  famille  Fan  f[t  (ou  Che 
~\-  s'est  arrogé  toute  l'autorité  dans  le  royaume  ;  il  se  plaint 
qu'au  lieu  de  punir  votre  fils,  pour  sa  contravention  aux  règlements 
militaires,  vous  l'avez  rappelé  d'exil  et  comblé  d'honneurs  ;  vous 
en  avez  fait  son  égal  :  il  faut  que  cela  change,  dit-il  ;  je  ne  veux 
pas  être  le  serf  de  la  famille  Che  ;  s'il  faut  mourir,  mourons  ! 
Ainsi  je  crains  bien  qu'il  ne  vous  cause  de  grands  troubles  :  je  ne 
puis  vous  cacher  mes  appréhensions  ! 

Avant  ainsi  parlé,  la  misérable  invoqua  le  témoignage  de  son 
frère  Che-vang  ;  celui-ci  avait  une  bonne  occasion  de  perdre  son 
rival,  il  ne  la  laissa  pas  passer  sans  en  profiter  ;  il  appuya  les 
calomnies  débitées  par  sa  sœur. 

Loan-yng  était  de  sa  nature  magnifique,  et  faisait  beaucoup 
de  largesses  ;  il  avait  à  sa  solde  tout  un  troupeau  de  lettrés,  gens 
affamés  qui  lui  étaient  très-dévoués,  et  vivaient  en  relations  inti- 
mes avec  lui  ;     le  premier-ministre  commença  à  craindre   que   son 

déroutent  la  topographie.  L'ancien  nom  l'ut  d'abord  conservé  à  cette  partie  du  pays 
de  Wei  ;  plus  tard,  la  ville  reçut  aussi  celui  de  Tc-choi  tch'eng  (^  8$  W?.  (Gronde 
géogr  .   <  "/.   là.  p.  p.   iS.  .?/.  S7  ■ 

(1)  11  ne  faut  pas  oublier  que  la  famille  Clic  s'appelait  aussi  Fan  /£.  du  nom 
de  son  fief. 

(2)  l.a  princesse  était  du  clan  K'i  flifî.  descendant  du  fameux  empereur  Yao 
l£§  :  de  là  son  nom  d'épouse. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'ïNG-K0N«3.  207 

petit-fils  ne  s'appuyât  sur  ces  hommes  remuants,  pour  se  créer  un 
grand  parti  dans  le  royaume  ;  étant  l'aide  du  général  du  3  ' 
corps,  il  avait  le  6'mc  rang  parmi  les  plus  hauts  dignitaires  ;  il 
lui  serait  donc  facile  de  gagner  une  bonne  partie  de  l'armée. 

Ayant  réfléchi  à  ces  circonstances.  Che-kai  décida  d'éloigner 
Loan-yng  de  la  cour  :  il  lui  donna  ordre  daller  surveiller  et  diri- 
ger les  fortifications  que  l'on  construisait  à  Tchou  ^  (1  ;  peu 
après,  il  lui  enjoignit  de  sortir  du  royaume  ;  l'exilé  se  retira  au 
pavs  de  Tch'ou  $>,  d'où"  il  espérait  pouvoir  se  venger  contre  la 
famille  Chc  fou  Fan  . 

Che-kai  ne  ménagea  pas  les  amis  de  son  petit-fils  ;  parmi  eux, 
dix  grands  officiers  furent  mis  à  mort;  d'autres  furent  seulement 
incarcérés;  le  sage  Chou-hiang  ;];£  [fi]  était  parmi  ces  derniers. 
Alors  on  se  moquait  de  lui  en  disant  :  vous  voilà  aussi  enveloppé- 
dans  le  malheur!  à  quoi  vous  ont  servi  votre  vertu,  votre  science? 
Mais  lui  n'était  pas  embarrassé  pour  répondre  :  d'autres  ont  été 
tués,  ou  envoyés  en  exil;  moi.  je  suis  seulement  en  prison;  de 
quoi  me  plaindrais-je?  le  livre  des  Vers  2  nous  dit  «même  en  un 
siècle  de  décadence,  le  sage  garde  toute  sa  joie,  toute  sa  bonne 
humeur,  et  finit  sa  vie  seulement  dans  un  âge  avancé."  Voilà  la 
vraie  sagesse  ! 

Le  grand  officier  Yo-\vang-fou  ^i  3£  Ôff,  grand  favori  de  P'ing- 
kong,  étant  venu  visiter  l'illustre  prisonnier,  le  consolait  en  lui 
disant  :  je  vais  parler  à  sa  Majesté  en  votre  faveur.  Mais  le  fier 
lettré  ne  daigna  pas  lui  répondre,  ni  même  le  saluer,  quand  il  se 
retira.  Ses  amis  l'en  blâmaient;  mais  lui,  fort  de  sa  haute  sages- 
se, leur  répondit  :  ma  délivrance  ne  sera  opérée  que  par  le  seigneur 

L'intendant  de  sa  maison  n  y  comprenait  rien  :  Yo-wang-fou, 
disait-il,  est  si  bien  dans  les  bonnes  grâces  du  roi,  qu'il  obtient  tout 
ce  qu'il  demande  ;  il  vous  propose  d'intercéder  en  votre  faveur, et  \  o  is 
ne  daignez  même  pas  l'écouter;  K'i-hi  n'a  absolument  aucune  in- 
fluence à  la  cour,  et  vous  comptez  sur  lui?  c'est  une  énigme! 

Chou-hiang  répondit  par  une  de  ces  formules  infaillibles,  à 
l'usage  des  lettres  :  Yo-wang-fou  n'est  qu'un  flatteur,  toujours  de 
l'avis  du  prince:  quelle  influence  ptut-il  avoir?  K"i-hi  est  un  tout 
autre  homme  :  il  élève  des  inconnus  à  de  hautes  dignités,  pourvu 
qu'ils  aient  du  talent:  il  ne  rejette  pas  ses  ennemis,  s'ils  sont 
capables  :  il  ne  dédaigne  pas  ses  parents,  s'ils  ont  du  mérite  ;  bien 
sûr,  il  se  souviendra  de  moi;  le  livre  des  Vers  (3  nous  dit  «une. 
relu  sublime  attire  à  elle  ton*  les  peuples»  ;  or,  le  seigneur  K'i- 
hi  a  une  telle  vertu,  cela  suffit. 

(1)   Tchou,  ville  inconnue. 

2  3  Che-king  |$  £J.  (Couvreur,  p.  30a,  ode  S,  vers  j  —  p.  379,  f  de  2 
eers  2).  tout  ce  passage  de  notre  histoire  est  un  des  fameux  morceaux  de  littératu- 
re chinoise  ;  les  lettrés  le  savent  par  cœur  ;  il  est  traduit  dans  Zottoli. 


268  temps  vraiment  historiques 

Un  jour,  P'ing-kong  demanda  à  son  favori,  à  quel  degré 
Chou-hiang  se  trouvait  mêlé  à  la  prétendue  conjuration.  Le  cour- 
tisaa  était  persuadé  de  l'innocence  du  prisonnier;  mais  il  était 
froissé  de  la  manière  dont  il  en  avait  été  éconduit  ;  il  répondit 
donc  :  Chou-hiang  est  trop  attaché  à  sa  famille  ;  ainsi  il  a  dû 
aider  son  frère  Chou-fou  fy  $£,  qui  a  été  mis  à  mort  comme  cou- 
pable    1   . 

A  cette  époque,  le  vertueux  K'i-hi  avait  déjà  renoncé  à  toutes 
ses  dignités,  à  cause  de  son  grand  âge,  et  il  vivait  retiré  dans  la 
solitude  ;  mais  apprenant  l'emprisonnement  de  Chou-hiang,  il  fit 
atteler  une  voiture  rapide,  et  se  rendit  auprès  du  premier-ministre 
Che-kai  -±  €|\ 

Il  lui  cita  le  passage  suivant  du  livre  des  Vers  (2)  :  «  les  an- 
ciens saints  empereurs  ayant  montré  ou  peuple  tant  de  bienveil- 
lance, tant  d'exemples  de  vertu,  leurs  descendants  en  seront  ré- 
compensés, et  conserveront  cette  haute  dignité  »  ;  puis  ce  passage 
du  livre  des  annales  (3)  :  «  les  anciens  saints  empereurs  nous  ont 
laissé  des  enseignements  qu'ils  avaient  longtemps  médités  ;  nous 
en  avons  manifestement  éprouvé  l'efficacité,  pour  affermir  et  con- 
server l'empire  ». 

Chou-hiang,  ajouta-t-il,  est  aussi  un  homme  de  haute  sages- 
se, qui  rarement  s'est  trompé  ;     un  homme  infatigable,   qui   nous 

(1)  Chou-hian::.  ou  Yang-chê-hi  ^  fx  irr",  était  membre  delà  famille  Yang- 
ché  ^  S",  branche  collatérale  de  la  maison  régnante,  dont  le  nom  venait  sans  dou- 
te de  son  fief:  elle  occupait,  naturellement,  les  hautes  dignités  du  royaume,  sans 
v  avoir  cependant  un  rôle  prépondérant.  Vers  573,  nous  avons  vu  le  seigneur 
Yang-ché-tche  ^  "j§"  ÇSi  grand  juge  à  l'armée  du  centre.  De  ses  quatre  fils,  c'est 
Chou-hiang  qui  est  le  plus  connu,  celui  qui  répandit  le  plus  d'éclat  sur  sa  famille, 
par  sa  haute  sagesse.  Yang  $H.  la  capitale  de  son  fief,  était  à  1 S  li  sud-est  de  Hong- 
tong  hien  î&  'M  8? ,  qui  est  à  55  li  au  nord  de  sa  préfecture  P'ing-yang  fou  ^p  PS 
#f,   Chan-si.  'Petite  géogr.,  vol.  S.  p.  8)  —  (Grande,  roi.  41,  p.   6). 

Impliquée  dans  la  soit-disant  conjuration  de  Loan-yng,  cette  famille  reçut  un 
coup  bien  rude:  ce  n'était  pourtant  pas  encore  celui  de  la  mort;  nous  serrons  mê- 
me le  fils  de  Chou-hiang  mentionné  dans  la  suite  de  ces  événements.  C'est  en  5  1  '1 , 
qu'elle  sera  ruinée  et  exterminée,  avec  la  famille  K'i  flift- 

On  dit  pourtant  que  les  descendants  de  Chou-hiang  réussirent  à  s'enfuire  à 
la  montagne  de  TToa-chan  Ijl  llj,  et  s'établirent  à  Hoa-yng  lj|  fê,  à  10  li  au  nord 
de  cette  montagne,  à  1»>0  li  au  sud  de  sa  préfecture  Tong-tcheou  fou  [3]  j{\  JflT. 
Chen-si  Petite  géogr..  vol.  14,  p.  21)  —  'Grande,  vol.  34.  p.  4).  Mais  ce  ne  sont 
là,  peut-être,  que  des  imaginations  de  lettres  ;  car  ces  .messieurs  prétendent  qu'un 
homme  vertueux  aura  toujours  de  la  descendance,  des  sacrifices  à  déguster,  des 
parfums  à  sentir.  Principe  plus  que  contestable  ! 

(2)  Che-king  f$  $j|.  (Couvreur  p.  421,  ode  4,  vers  t). 

(3)  Chou-king  $  $J.  (Couvreur  p.  96,  ?i°  »). 


DU    ROYAUME   DE    ISIN.    P'iNG-KONG.  2G9 

a  donné  à  tous  des  exemples  de  vertu  ;  c'est  la  colonne  de  notre 
Etat  ;  par  égard  pour  lui,  pendant  dix  générations,  il  faudrait 
pardonner  les  fautes  de  ses  descendants,  et  uniquement  poui  ex- 
horter les  hommes  à  pratiquer  la  vertu  comme  lui.  Maintenant, 
votre  Excellence  le  punit,  pour  les  fautes  de  son  frère  ;  n"est-ce 
pas  vouloir  la  ruine  de  notre  pays  ?  n'est-ce  pas  une  lourde  faute"? 

L'histoire  nous  enseigne,  continua-t-il,  que  le  misérable  Koen 
$£  fut  mis  à  mort,  mais  que  son  fils,  le  grand  Yu  ^ ,  fut  élevé 
au  trône  impérial  ;  de  même,  le  ministre  Y-yng  \}t  -^  ayant  en- 
voyé en  exil  l'empereur  T'al-kia  -fc  Ep,  celui-ci,  revenu  à  résipis- 
cence, n'en  garda  pas  rancune  à  ce  lidèle  serviteur  ;  les  princes 
Koan  ^  et  Ts'ui  ^  furent  mis  à  mort  comme  coupables,  mais 
leur  frère  Tcheou-kong  /§J   7fe  devint  le  bras  droit  de  l'empereur. 

Il  conclut  enfin  par  cette  pressante  admonition  :  à  cause  de 
Chou-hou,  qui  fut  coupable,  vous  allez  perdre  son  frère  innocent 
Chou-hiang,  et  ruiner  le  bien  public  ?  Que  votre  Excellence  fasse 
son  devoir,  et  pratique  la  vertu,  son  exemple  entraînera  tout  le 
monde  ;  mais  mettre  à  mort  tant  de  personnes,  quelle  utilité  peut 
en  revenir  ? 

Le  premier-ministre  fut  enchanté  de  cette  remontrance  ;  il 
monta  sur  la  voiture  du  seigneur  K'i-hi,  alla  avec  lui  trouver 
P'ing-kong,  et  en  obtint  la  délivrance  de  l'illustre  prisonnier. 

Quant  à  K'i-hi,  il  ne  voulut  pas  même  voir  Chou-hiang,  au- 
quel il  avait  fait  rendre  la  liberté  ;  tellement  il  n'avait  en  pensée 
que  le  bien  public.  De  son  côté,  Chou-hiang  n'alla  même  pas  le 
remercier  ;  il  se  contenta  de  reprendre  ses  fonctions  à  la  cour, 
comme  si  rien  n'était  arrivé.  Il  avait  conscience  que  ce  bienfait 
s'adressait  au  pays  tout  entier,  non  à  sa  propre  personne  ;  il  ne 
crovait  donc  pas  devoir  en  remercier  l'auteur. 

Voilà  de  la  vertu  païenne,  dans  les  livres  ;  la  réalité  est  sou- 
vent bien  différente  !  N'importe  ;  messieurs  les  lettrés  font  de 
leurs  ancêtres  un  tel  idéal,  que  nos  vrais  saints  du  christianisme 
n'oseraient  y  tendre  ;  ils  outrepassent  la  nature,  et  même  la  grâce. 

Chou-hiang  avait  été  vertueux,  dès  sa  plus  tendre  jeunesse. 
On  raconte  que  sa  mère,  jalouse  de  la  beauté  de  la  concubine, 
mère  de  Chou-liou  fy  }&,  ne  permettait  pas  à  celle-ci  de  se  rendre 
près  de  son  mari  ;  elle  en  fut  blâmée  par  le  jeune  Chou-hiang. 
Elle  lui  répondit  :  ce  sont  les  profondes  vallées  et  les  grands  étangs 
qui  produisent  les  dragons  ;  cette  concubine  produira,  je  le  crains, 
un  dragon  qui  fera  le  malheur  de  votre  famille  ;  actuellement,  il 
y  a  tant  de  grands  seigneurs  dans  le  pays,  si  un  mauvais  homme 
les  excitait  contre  votre  clan,  vous  auriez  bien  de  la  peine  à  vous 
tirer  d'affaire  ;   voilà  uniquement  ce  que  j'avais  en  vue  !  (1) 

(1)  Voilà  un  genre  de  langue  encore  en  pratique  maintenant  ;  la  mère  y  parle 
à  ses  fils,  comme  si  elle  n'était  pas  de  la  maison  ;  comme  si  elle  n'avait  été  envoyée 
que  pour  engendrer  des  enfants  à  une  autre  famille  ;   et  c'est  la  théorie  paienne  des 


270  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

Cependant,  la  mère  acquiesça  aux  remontrances  de  son  petit 
sage,  elle  envoya  la  concubine  à  son  mari;  celle-ci  mit  au  monde 
un  enfant  remarquable  de  beauté,  qui  fut  appelé  Chou-hou  ;  devenu 
grand,  il  fut  aussi  remarquable  par  sa  force  et  son  courage;  il 
devint  le  favori  du  seigneur  Loan-yng  |j|  ^,  et  ainsi  attira  le 
malheur  sur  toute  sa  famille,  comme  la  mère  de  Chou-hiang  l'avait 
prédit. 

Revenons  maintenant  à  notre  exilé  :  En  se  rendant  au  pays 
de  Tch'ou  3£;-  Loan-yng  passa  par  le  territoire  de  l'empereur:  à 
la  frontière  occidentale,  il  y  fut  dépouillé  par  des  brigands  hélas! 
même  parmi  les  sujets  du  "fils  du  ciel», il  se  trouve  parfois  de  ces 
gens-là!);  il  en  porta  plainte  au  ministre  des  relations  étrangères 
hing-jen  ^f  A  :  Moi  Yng.  dit-il.  petit  serviteur  du  fils  du  ciel, 
je  suis  tombé  en  disgrâce  auprès  du  puissant  ministre  que  sa 
Majesté  impériale  a  établi  au  royaume  de  Ts'in;  me  trouvant  en 
fuite,  j'ai  encouru  un  malheur  bien  plus  grand,  sur  la  frontière 
impériale  ;  réduit  b  un  tel  état  de  misère,  je  ne  puis  plus  me  pré- 
senter nulle  part,  même  comme  transfuge:  il  ne  me  reste  plus 
qu'à  me  donner  la  mort  ici.  .Mon  grand-père  Lonn-chou  ff|  j&, 
votre  humble  serviteur,  a  eu  l'occasion  de  déployer  ses  talents,  au 
service  de  la  maison  impériale:  aussi  sa  Majesté  lui  a-t-elle  accor- 
dé des  vêtements  d'honneur  de  haut  dignitaire.  Mon  père  Loan- 
yen  |f§  )^f  n'a  pas  eu  l'occasion  de  rendre  les  mêmes  services  ;  si 
sa  Majesté  n'a  pas  oublie  le  zèle  de  mon  grand-père,  j'ai  espérance 
de  trouver  encore  un  refuge  ;  si  elle  l'a  oublié,  pour  ne  se  souve- 
nir que  de  la  négligence  Je  mon  père,  je  ne  suis  plus  que  le  reste 
d'un  homme  perdu:  je  vais  me  rendre  à  la  capitale,  me  présenter 
au  juge,  pour  me  faire  exécuter  ! 

L'empereur  répondit  à  son  ministre  :  le  roi  de  Tsin  a  déjà 
été  d'une  sévérité  outrée,  envers  la  famille  Loan  ;  si  nous  l'imitions, 
ce  serait  atroce.  En  conséquence,  il  ordonna  à  ce  ministre  d'aver- 
tir le  peuple  :  de  prohiber  tout  acte  de  violence  contre  cette  famille  : 
et  de  rendre  à  l'exilé  tout  ce  qu'on  lui  avait  pris  ;  de  plus,  il  députa 
l'introducteur  officiel  des  visiteurs  à  la  cour,  pour  l'escorter  dans 
le  défilé  dangereux  et  mal  famé  de  Iloan-iuen  ij|  jpg  (1). 

Vers  la  fin  de  cette  même  année  (552),  P'ing-kong  présidait 
une  assemblée  de  huit  princes,  à  Chan-jenn  j$j  f£-  2  :  il  prohiba 
officiellement  de  donner  l'hospitalité  à  Loan-;/»;/  ||§  #>.  Il  parait 
qu'à  cette  réunion  le  roi  de  Tsri  ^  et  le  marquis  de  Wei  $j  ne  se 

Heureusement  la  nature  est  plus  forte  que  les  utopies  de  ces  messieurs  :  et 
la  mère  de  famille  intelligente,  même  païenne,  prend  bien  sa  place  de  mère  au  foyer 
domestique,  et  j  garde  son  influence  légitime. 

(1)  Iloan-iuen  :  il  se  trouve  à  70  li  sud-ovest  de  Kong  Ivcn  #£  JS,  qui  est  à 
l.'SO  li  à  l'est  de  -•>  prefectun  Ho-nan  fou  ^  )*)  '(•'',  llo-nan.  (Petite  géogr.,  vol. 
12.  p.  3s)   —  (Grande,  vol.   48.  p.   29). 

(2)  Chansf-jenn,  emplacement  inconnu. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    P'iXG-KONG.  271 

conduisirent  pas  bien;  ce  qui  donna  lieu  à  Chou-hiang  de  leur 
faire  une  prédiction-  :  bien  sûr,  dit-il,  que  ces  deux  princes  ne 
mourront  pas  de  leur  belle  mort  !  les  assemblées  solennelles,  et  les 
visites  officielles  à  la  cour, sont  de  toute  nécessité  en  fait  de  rites; 
ces  cérémonies,  et  les  convenances  de  la  vie  publique,  sont  le  vé- 
hicule d'une  bonne  administration;  celle-ci  fait  la  prospérité  du 
pays;  quiconque  accomplit  ces  rites  avec  négligence,  compromet 
la  bonne  administration;  celle-ci  étant  en  danger,  il  n'y  a  plus  ni 
confiance  ni  sûreté;  alors  c'est  la  révolution. — Prophétie  de  lettré 
est  infaillible;  nous  verrons  tuer  le  roi  de  Ts'i  en  548,1e  marquis 
de  AYei  en  54  7. 

Cette  intrigue  de  cour,  où  la  famille  Loan  fj|  venait  de  sombrer, 
n'était  pas  encore  finie,  malgré  les  nombreuses  victimes  qu'elle 
avait  faites;  à  la  tin  de  l'année,  quatre  grands  officiers  s'enfuyaient 
au  royaume  de  Ts'i  $■  ;  c'étaient  les  seigneurs  Tche-h'i  £n  £y, 
Tchong-hang-hi  rf»  fô  :g,  Tcheou-tch'o  j-\]  $£  et  Hing-koai  jflîflj. 
Sur  ce,  le  favori  Yo-wang-fou  |g|  3£  §|  demanda  au  premier 
ministre  :  pourquoi  ne  rappelez- vous  pas  Tcheou-tch'o  et  Hing- 
koai?  ce  sont  deux  guerriers  si  fameux! — Oui,  répondit  Che-kai, 
mais  ils  sont  vendus  à  la  famille  Loan;  quelle  utilité  en  retirer? 
—  Montrez-vous  leur  bienfaiteur,  comme  Loan-yng,  répliqua  le 
favori,  et  ils  mettront  leur  dévouement  au  service  de  votre  cause! 
L'historien  fait  observer  que  Che-kai  avait  été  par  trop  dupé 
par  sa  fille  ;  la  punition  de  Loan-yng  f|  -g  était  excessive;  de  plus, 
il  n'était  pas  d'usage  de  fermer  aux  nobles  exilés  le  refuge  des 
autres  cours  souveraines;  au  contraire,  l'usage  voulait  que  leur 
prince  les  fit  escorter  jusqu'à  la  frontière,  et  les  annonçât  à  la  cour 
où  ils  désiraient  se  rendre,  comme  remarque  le  grand  lettré  Sou- 
tche  H  f$. 

On  vexait  donc  Loan-yng  ;  on  provoquait  au  plus  haut  degré 
sa  vengeance,  et  l'on  attirait  les  calamités  sur  tout  le  royaume. 
D'une  misérable  intrigue  de  famille,  le  grand  Che-kai  fit  une 
question  d'Etat  ;  chose  qu'un  premier-ministre,  digne  de  ce  nom, 
ne  doit  jamais  se  permettre. 

En  551,  vers  le  mois  d'avril,  la  cour  de  Tsin  mandait  au 
prince  de  Tcheng  §[$,  qu'il  eût  à  faire  sa  visite  officielle,  et  à  offrir 
les  cadeaux  d'usage  ;  mais  le  lettré-politique  Tse-tch'an  -~p  j§f, 
qui  devint  peu-à-peu  l'âme  de  ce  pays,  fit  une  réponse  célébré 
dans  les  annales  de  la  Chine  ;  en  termes  polis,  il  dauba  l'envoyé 
de  P'ing-kong,  lui  montrant  que  la  cour  du  suzerain  se  moquait 
de  la  vertu  des  anciens  saints,  et  ne  recherchait  que  L'argent.  Ce 
blâme,  en  partie  mérité,  tomba  si  à  propos,  qu'on  n'insista  plus 
sur  la  visite  en  question.  One  n'obtient  pas  le  génie  d'un  lettré! 
En  automne,  Loan-yng  î'y*  g  ne  trouvant  pas  un  terrain 
favorable  à  ses  plans  au  pays  de  Tch'ou  ^,  se  rendait  à  celui  de 
Ts'i  ffî  ;  le  roi  l'y  reçut  à  bras  ouverts,  malgré  les  représentations 
des  seigneurs,  qui  craignaient  des  complications  avec  le    suzerain. 


272  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

Vers  le  mois  d'août-septembre.  P'ing-kong  présidait,  en  effet, 
à  Cha-soei  fy  ^  1  .  une  réunion  de  onze  vassaux,  où  il  renou- 
velait la  défense  d'héberger  le  fugitif.  Le  roi  de  Ts'i  était  pré- 
sent, et  ne  se  troubla  pas  pour  cela  :  il  continua  de  donner  l'hos- 
pitalité au  proscrit.  Le  sage  Yen-tse  4^  -^  (2  fit  alors  sa  pro- 
phétie :  bientôt,  dit-il.  des  malheurs  vont  fondre  sur  nous  ;  notre 
pars  aura  la  guerre  avec  celui  de  Tsin  ;  comment  ne  pas  craindre 
pour  l'avenir  !  —  C'était  facile  à  prévoir. 

Ici,  nous  ne  pouvons  omettre  le  plus  grand  événement  de  la 
Chine,  c'est-à-dire  la  naissance  de  Confucius  [K'ong-fou-tse  ^L  £: 
^p],  à  la  Hème  lune,  au  jour  heng-siu  j^j  fâ  (14  octobre),  dans 
la  ville  de  Tcheou  ^Tj     3),  dont  son  père  était  gouverneur. 

En  550.  au  mois  de  mars,  mourait  le  prince  de  K'i  fâ  (4)  ; 
la  mère  de  P'ing-kong  était  la  sœur  du  défunt,  elle  se  mit  aussitôt 
en  deuil  :  P'ing-kong  aurait  dû  en  faire  autant  ;  lui  qui,  d'après 
les  rites,  devait  porter  le  deuil,  et  se  priver  du  plaisir  de  la  musi- 
que psndant  ses  repas,  à  la  mort  de  n'importe  quel  prince  voisin. 
Pourquoi  donc,  en  cette  circonstance,  où  il  s'agissait  de  son  oncle, 
viola-t-il  des  usages  si  respectables  ?  l'historien  ne  le  dit  pas. 

Est-ce  parcequ'il  était  sur  le  point  de  marier  sa  fille  au  roi 
de  Ou  ^.  et  ne  pouvait  omettre  les  réjouissances  accoutumées  en 
semblable  occasion  ?  Nous  ne  pouvons  deviner  aucune  autre  rai- 
son plausible.  Mais  dans  cette  occurrence,  il  fut  vraiment  berne 
par  le  roi  de  Ts'i  ^|  :  celui-ci  fit  semblant  de  lui  envoyer  quelques 
dames  de  sa  cour,  pour  servir  de  compagnes  à  la  nouvelle  reine  ; 
en  réalité,  dans  ces  voitures  couvertes,  réservées  aux  femmes,  et 
auxquelles  personne  ne  pouvait  toucher,  il  cacha  le  seigneur 
Loan-yng  fp§  ^  et  ses  compagnons  d'armes,  qui  purent  ainsi 
passer  la  frontière,  et  parvenir  jusqu'à  l'ancienne  capitale  K'iu  wo 
lll]   :â\    5  •  ou  Ie  proscrit  avait  beaucoup  de  partisans. 

(1)  Cha-soei,  dans  le  pays  de  Snng  ^J, était  à  6  li  nord-ouest  dcNing-ling hien 
"àf-  &.  If  i  qu'  es*  à  60  li  à  l'ouest  de  sa    préfecture    Koei-te  fou    $$  £*;  ffi ,    Ilo-nan. 

Petite  géogr.,   vol.    12.  p.    12     —   (Grande,  vol.  50,  p.   7). 

(2)  Yen-tse,  fameux  sase  :  quelques  écrits  portent  son  nom.  mais  sont  proba- 
blement apocryphes.  Sa  biographie  est  dans  Se-ma  Ts'ien,  chap.  02,  p.  3.  (Nous 
parlons  assez  longuement  de  ce  sage,  dans  notre  histoire  du  royaume  de  Ts'i). 

(3)  Tcheou.  était  à  2u  ly  sud-ouest  de  K'iu-feou  hien  [il]  JjL  fj£.  qui  est  à  30 
li  .i  l'est  de  s.-i  préfecture  Ten-tcheou  fou  J£  H\  fpi .  Chan-tong.  (Grande  géogr.,  et. 
32,  p.   6).   —   (Pour  1rs  détails,   voir  notre   Vie  de  Confucil 

(4)  K'i,      Voyez  année  5-2.  au  début  du  règne  de   Tao-kong). 

K'iu-wo,    fief,    et   ancien  apanage   de    la    famille    Loan.     Edition    impér., 
vol.   2~.  p.  g  . 

Quant  aux  suivantes  yng  |||f]  de  la  nouvelle  reine,  deux  princes  voisins  de- 
vaient s'empresser  d'en  offrir  chacun  unis:  1  savoir:  une  de  leurs  propres  filles, 
née  de  la  femme  légitime  ;  une  de  ses   cousines:    une    sœur    née    de    concubine.    La 


DU    ROYAUME   DE   TSIX.    p'iXG-KOXG.  273 

Pendant  la  nuit,  Loan-yng  alla  visiter  le  gouverneur  de  cette 
ville,  le  grand  officier  Siu-ou  ff  ^p,  auquel  il  exposa  son  plan  de 
révolution  ;  celui-ci  lui  répondit  :  un  homme  abattu  par  le  ciel,  ne 
pourra  jamais  se  relever;  ce  n'est  pas  que  j'aie  peur  de  la  mort; 
mais  je  vois  qu'il  est  impossible  de  réussir.  —  N'importe,  répliqua 
Loan-yng,  prêtez-moi  seulement  votre  concours  ;  dussé-je  mourir  à 
l'entreprise,  je  ne  le  regretterai  pas  !  si  vraiment  le  ciel  ne  bénit 
pas  mon  projet,  la  faute  certainement  n'en  retombera  pas  sur 
vous.     Le  gouverneur  promit  alors  son  concours. 

D'après  les  plans  convenus,  Siu-ou  cacha  les  conjurés  dans 
son  palais,  et  prépara  un  grand  festin,  auquel  il  invita  les  gens 
les  plus  influents  de  K'iu-wo;  quand  on  fit  de  la  musique,  et 
quand  les  cœurs  furent  tous  en  joie,  il  se  mit  à  dire:  Eh  bien, 
messieurs,  si  maintenant  le  seigneur  Loan-yng  apparaissait  parmi 
vous?  comment  le  recevriez-vous — Tous  de  s'écrier:  si  nous  pou- 
vions revoir  notre  maître,  même  la  mort  pour  lui  nous  serait  dou- 
ce !  On  se  lamentait,  on  pleurait  à  chaudes  larmes,  au  souvenir 
du  pauvre  proscrit. 

Quand  les  coupes  de  vin  eurent  de  nouveau  fait  la  ronde,  le 
gouverneur  demanda  encore  :  Si  le  seigneur  Loan-yng  arrivait  en 
ce  moment,  que  feriez-vous  ?  —  Donnez-nous  seulement  notre  maî- 
tre, répondit-on,  et  nous  le  soutiendrons  !  — Alors  le  proscrit  sortit 
de  sa  cachette,  se  présenta  aux  convives,  et  les  remercia  chaude- 
ment de  leur  dévouement. 

A  la  4ètne  lune  (février-mars),  Loan-yng  prit  les  meilleurs 
cuirassiers  qu'il  avait  choisis  à  K'iu-wo,  et  les  conduisit  à  l'atta- 
que de  la  capitale  Kiang  $£.  Comme  il  avait  été  l'adjudant  de 
Wei-kiang  f||  $£,  au  3ème  corps  d'armée,  leurs  deux  familles 
étaient  restées  toujours  amies  jusque  là.  Wci-chou  §|  £J-,  fils  de 
Wei-kiang,  avait  été  averti  du  complot,  et  avait  promis  de  l'aider 
de  tout  son  pouvoir.  Grâce  à  lui,  Loan-yn^  et  ses  gens  purent  en 
plein  jour  pénétrer  dans  la  ville,  sans  que  personne  se  doutât  de 
rien  ;  plusieurs  grands  officiers  du  3ème  corps,  heureux  de  recouvrer 
leur  chef,  se  joignirent  aux  ahidés. 

La  famille  Tcliao  Hf.  redevenue  amie  avec  celle  de  //an  f^, 
n'avait  pas  encore  pardonné  aux  Loan  l'exécution  de  Tchno-tong 
H  Jp]  et  de  Tchao-kouo  |fî  fj§  '583)  ;  il  ne  fallait  pas  compter  sur 
ces  deux  puissantes  maisons;  au  contraire! 

La  famille  Tchong-hang  r|i  \\  ou  Siun-yen  ^j  fly  était  in- 
timement liée  à  celle  du  premier  ministre  :  elle  avait  encore  sur  le 

jeune  reine  partait  au~>i  avec  une  cousine  et  une  sieur  née  cle  ooncubine  :  le  roi  re- 
cevait donc  neuf  femmes  à  la  fois.  Cela  ne  se  pratiquait  qu'entre  princes  du  même 
clan;  il  y  avait  quelquefois  des  exceptions  on  faveur  d'autres  prince-..  I.a  reine  de- 
meurait dans  le  palais  central  :  sa  cousine,  dans  les  appartements  antérieurs  de 
l'ouest:  sa  sieur  née  de  concubine,  de  meme,  à  l'est:  les  autres  suivantes  étaient 
derrière  son  palais,    //< )«»;/  Tsing  King-kiai,  ml.  s.  p.   _\.-.  et  p-  Sa  ■ 

35 


274  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

cœur  l'affront  infligé  par  Loan-yen,  dans  la  ridicule  expédition  au 
pavs  de  Ts'in  ^  ,559  ;  encore  deux  maisons  ennemies  et  puissantes! 

La  famille  Tche  £P.  branche  de  la  famille  Siun  ^j,  était  dans 
les  mêmes  dispositions  ;  son  chef,  nommé  Siun-yng  ^j  <§>  ou  Tclie- 
yng  ^0  Jg»  n'était  qu'un  jeune  homme  de  dix-sept  ans.  Le  seigneur 
Tch'eng-tcheng  fg  fij),  d'une  autre  branche  du  clan  Siun,  était  en 
grande  faveur  auprès  de  P'ing-kong,  donc  opposé  à  toute  révolte. 

Comme  on  le  voit,  la  famille  Wei  f^  était  la  seule  à  soutenir 
l'insurrection.  Le  favori  Yo-wang-fou  £&  3E  %\]  était  auprès  du 
premier-ministre,  quand  on  apporta  la  nouvelle  :  Loan-yng"  et  ses 
partisans  envahissent  la  capitale  !  A  ces  mots,  Che-kai  -^  &\ 
interdit  ne  savait  quoi  faire,  quoi  commander  ? 

Yo-wang-fou  plus  calme  lui  dit:  allez  mettre  le  roi  en  sûreté, 
dans  le  palais  de  Siang-kong  i§{  ^  :  ensuite,  il  n'y  aura  rien  à 
craindre  !  la  famille  Loan  étant  si  détestée,  n'a  pas  beaucoup  de 
partisans  :  vous  avez  l'autorité  en  main  ;  Loan-yng  attaque,  vous 
n'avez  qu'à  vous  défendre  ;  l'avantage  est  donc  de  votre  côté  ;  le 
peuple  est  avec  vous,  c'est  le  plus  important;  la  famille  Wei  ^ 
sera  pour  vous,  si  vous  savez  vous  y  prendre  ;  pour  abattre  une  ré- 
volte, il  faut  être  rapide  et  énergique;  en  avant,  et  pas  d'indécision! 

Comme  la  cour  était  en  deuil,  à  cause  du  prince  de  K'i  /ftj, 
Yo-wang-fou  dit  à  Che-kai  de  se  vêtir  en  deuil  ;  il  le  coiffa  lui- 
même  du  bonnet  de  chanvre,  le  fit  monter  dans  une  voiture  fermée, 
avec  deux  femmes,  de  peur  qu'il  ne  fût  arrêté  par  des  traîtres  à  la 
porte  du  palais.  Grâce  à  ces  précautions,  Che-kai  parvint  sans 
encombre  jusque  chez  le  roi,  et  le  conduisit  aussitôt  dans  le  palais 
fortifié  appelé  Kou-kong  [g  g\  —  bâti  par  Siang-kong;  il  se 
trouvait  sur  le  territoire  actuel  de  K'iu-wo  hien  [fjj  ^  J|£,  à  120 
li  au  sud  de  P'ing-yang  fou  ^  ^  Jfô,  Chan-si.  —  (Annales  du 
Chan-si,  vol.  55,  p.  6). 

Pendant  ce  temps,  son  fils  Che-yang  -±;  |&,  payant  d'audace, 
allait  au  palais  du  conjuré  Wei-chou  §|  ^f-,  trouvait  les  soldats 
sous  les  armes,  et  les  chars  prêts  à  partir  ;  allant  droit  à  Wei- 
chou,  il  lui  disait  :  des  brigands,  sous  la  conduite  de  Loan-yng, 
ont  envahi  la  capitale  :  mon  père  et  tous  les  grands  seigneurs 
sont  rangés  autour  du  roi  :  ils  m'ont  envoyé  prier  votre  seigneurie 
de  les  rejoindre  ;  permettez-moi  donc  de  monter  avec  vous  sur 
votre  char,  et  hâtons-nous  !  En  même  temps,  tirant  son  épée,  il 
sautait  sur  le  char,  saisissait  la  courroie  d'appui,  et  commandait 
de  partir.  Le  conducteur  demanda  ou  il  fallait  se  rendre.  —  Au 
palais  du  roi  !  répondit  Che-yang.  —  Quant  à  \Aei-chou,  il  n'a- 
vait pas  eu  le  temps  de  revenir  de  sa  surprise  :  il  s'était  laissé 
emmener  sans  faire  de  résistance. 

A  son  arrivée  au  palais,  Che-kai  vint  à  sa  rencontre,  jusqu'au 
bas  de  l'escalier,  lui  saisit  amicalement  la  main,  lui  promit  le  fief 
de  K'iu-wo  \\\]  j£  cemi  de  la  famille  Loan  ,  s'il  voulait  concourir 
à  la  défence  commune. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  275 

Le  coup  d "audace  de  Che-yang  avait  pleinement  réussi  :  Loan- 
yng  était  privé  de  son  unique  appui  ;  Wei-chou  prisonnier  allait 
être  massacré  s'il  essayait  de  reculer  ;  il  prit  le  parti  de  suivre  les 
autres  dignitaires  à  la  défense  du  roi. 

Che-kai  avait  un  esclave,  nommé  Fei-pao  ^  j^,  qui,  pour 
un  grand  crime,  avait  été  dégradé,  et  attaché  pour  la  vie  au  ser- 
vice des  tribunaux  ;  comme  infâme,  il  était  inscrit  sur  le  registre 
rouge  des  gens  de  son  espèce  ;  il  était  connu  pour  ses  forces  her- 
culéennes. 

De  son  côté,  Loan-yng  avait  à  son  service  un  individu,  nom- 
mé Tou-jong  ^  Jp£,  qui,  par  son  courage  et  sa  force,  était  la  ter- 
reur du  royaume.  Fei-pao  dit  au  premier-ministre  ;  bridez  le 
livre  rouge,  et  je  vais  tuer  Tou-jong  !  —  Accepté  !  s'écria  Che- 
kai  ;  si  tu  réussis,  je  jure  par  ce  soleil  qui  nous  éclaire,  j'obtien- 
drai du  roi  de  brûler  le  livre  ! 

Sur  ce,  on  ouvrit  la  porte  du  palais,  pour  laisser  sortir  Fei- 
pao.  Aussitôt  Tou-jong  se  lança  sur  lui  pour  l'abattre  ;  mais 
Fei-pao  lui  échappa  en  sautant  pardessus  uu  petit  mur  ;  Tou-jong 
croyant  qu'il  fuyait,  sauta  à  son  tour  pardessus  le  mur  ;  mais 
alors  le  rusé  Fei-pao  lui  asséna  sur  la  tète  un  coup  si  violent 
qu'il  l'assomma. 

Les  troupes  du  premier-ministre  étaient  massées  derrière  la 
tour  du  palais  royal  ;  celles  de  Loan-yng  attaquaient  vivement  la 
porte  de  ce  même  palais.  Che-kai  dit  à  son  fils  :  les  flèches  des 
assaillants  pénètrent  jusqu'aux  appartements  de  sa  Majesté;  allez! 
repoussez  ces  gens-là  !   dussiez-vous  y  mourir  ! 

Che-yang  commanda  à  ses  hommes  de  tirer  la  courte  épée,  et 
l'on  s'élança  avec  fureur  sur  les  assaillants  ;  le  choc  lut  terrible  ; 
les  gens  de  Loan-yng  reculèrent  quelque  peu  ;  Che-yang  sauta  sur 
le  char  de  son  père,  et  poussa  la  mêlée  comme  un  lion  ;  aperce- 
vant le  seigneur  Loan-lo  |f§  |$|  :  traître  !  lui  cria-t-il,  si  je  meurs, 
je  vous  accuserai  devant  le  maître  du  ciel  ! 

Loan-lo,  pour  réponse,  lui  lança  une  flèche,  sans  l'atteindre; 
pendant  qu'il  bandait  de  nouveau  son  arc,  son  char  heurta  un 
accacia,  et  se  renversa  ;  Loan-lo  tombé  à  terre  fut  percé  d'un  tri- 
dent, et  expira  sur-le-champ.  Loan  fung  |J§  jjjji/j,  fils  de  Loan-yng, 
était  déjà  grièvement  blessé  ;  les  assaillants  finirent  par  cesser  uu 
combat  si  meurtrier,  et  se  retirèrent  à  K'iu-wo  [[{]  ^  ;  l'armée 
de  Tsin  les  y  suivit  et  les  assiégea  ;  ce  fut  seulement  vers  août- 
septembre  qu'elle  put  enfin  s'emparer  de  la  ville,  où  Loan-yng  et 
ses  partisans  furent  massacrés.  Loan-fang  put  cependant  échap- 
per, et  se  réfugia  au  pays  de  Sowj  $£. 

C'est  donc  à  grand'  peine  qu'on  avait  triomphé  d'un  ennemi 
si  brave  et  si  intelligent,  qui  ne  s'était  retiré  qu'après  avoir  mis 
le  feu  à  la  capitale  ;  la  capture  de  son  principal  aflidé  Wei-chou. 
était  pour  beaucoup  dans  son  échec.  Vraiment,  le  roi  s'était 
trouvé  à  deux  doigts  de  sa  perte. 


276  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

•  Le  roi  de  Tsi  ^,  pendant  ce  temps,  n'était  pas  resté  inactif: 
pour  aider  indirectement  son  protégé,  vers  mai-juin,  il  avait  envahi 
le  pavs  de  VVeî  ^j  :  puis  il  s'était  jeté  sur  celui  de  Tsin.  Divisant 
ses  troupes  en  deux  corps  d'armée,  après  avoir  pris  la  ville  de 
Tchao-ho  ^J]  IJfc  '  1  .  il  était  entré  dans  le  dangereux  défilé  de 
Mong-men  ^  fJfJ,  avait  occupé  la  montagne  T'aî-hang  ■jfc.tff  ,avait 
établi  un  camp  retranché  à  Yong-ting  ^  Jjfê,  avait  placé  des  gar- 
nisons dans  les  villes  et  défilés  de  Pi  fy\]  et  de  Chao  $p\  avait 
élevé  une  colline  en  guise  de  trophée  au  bord  de  la  rivière  C/ia- 
chouei  'fy  7JC  :  enfin  il  s'était  retiré,  content  d'avoir  vengé  l'inva- 
sion de  555. 

Le  seigneur  Tcliao-chen  j$î  j|$\  fils  de  Tchao-tchen  |g  jf#f, 
s'était  mis  à  la  poursuite  de  l'armée  triomphante,  l'avait  atteinte, 
et  avait  réussi  à  lui  prendre  son  grand  officier  Yen-lai  Jç  j||  ; 
mais  il  n'avait  pu  pousser  plus  loin  :  il  avait  trop  peu  d'hommes  ; 
car  il  n'avait  amené  que  les  troupes  de  Tong-yang  j^  |^|  2).  À 
la  S'eme  lune  juin-juillet  ,  l'armée  du  duc  de  Lou  <|§.  avait  enfin 
fini   par   se   mettre   en   marche,    pour   apporter  secours;    mais  elle 


(1)  Tchao-ko,  était  un  peu  au  nord-est  de  Iv' i  hien  pt  g?,  qui  est  à  30  li  au 
nord  de  sa  préfecture  Wci-hoci  fou  %\  %<$  m,  Ilo-nan.  Petite  géogr.,  vol.  12, 
p.    20)  —  i  Grande,   vol.  4g,  p.   23). 

Mong-men  :  ce  défilé  appelé  maintenant  Pé-hing  ÉI  Pff  :  est  à  50  li  à  l'ouest  de 
Houei  hien  t'y.  Sjjj|,  qui  est  à  00  li  à  l'ouest  de  la  même  préfecture.  (Annales  de  Tche~ 
tcheou  fou  ;^  ^H  .#.   col.   is-  p.   2)- 

La  montagne  T'ai-hang.     Voyez  à  la  géographie  de  cette  présente  histoire'. 

Yong-ting,  ou  Hing-ting  ££-  J2,  était  un  peu  à  l'est  de  K'iu-wo  hien  |!ll  fjz 
Sf,  qui  est  à  1^0  li  au  sud  de  sa  préfecture  P'ing-yang  fou  -Zp  pg  1^-,  Chan-si. 
'Petite  géogr..  vol.  S,  p.  g)  —   (Grande,   vol.  41,  p.   11   . 

P'i,  la  ville  et  le  défilé  étaient  à  l'ouest  de  Chao  ;  mais  on  en  ignore  l'endroit 
exact. 

Chao  :  ce  défilé,  où  se  trouvait  autrefois  une  ville,  est  à  l'ouest  de  Ts'i-yuen 
liicn  3^  fâ  flf .  qui  est  à  70  li  à  l'ouest  de  Hoai-k'ing  fou  fë  §[  Kf ,  Ilo-nan.  (Gran- 
de géogr..  vol.   4g.  p.  g). 

Cha-chouei  :  cette  rivière  n'est  pas  sûrement  identifiée  :  pour  les  uns,  c'est  la 
rivière  Ts'in-chouei  j-ù'  ?fc-  qui  a  sa  source  sur  le  territoire  de  Ts'  in-chouei  hien 
ïH!'  2fc  Sf  •  et  coule  à  50  li  à  l'est  de  cette  ville,  qui  est  à  120  li  à  l'ouest  de  sa  préfec- 
ture Tchc-tchcou  fou  $■';  'l|-|  Ht,  Chen-si  ;  —  pour  d'autres,  ce  serait  la  rivière  Kouei- 
chouei  rfâ  7j<.  qui  coule  à  40  li  sud-est  de  Kiang  tcheou  ££  #|.  Chen-si;  l'armée  de 
1  s'i  eût  été  jusqu'auprès  de  la  capitale  de  Tsin  ;  ce  qur  e-t  invraisemblable  !  {Petite 
géogr.,  vol,  S,  p.  p.   2S  et  43)  —  (Grande,  vol.  43.  p.  S    —  vol.  41,  p.  3c). 

rong-3'ang,  c'est  Ki  tcheou  $&  #',  Tche-li  ;  c'était  la  capitale  de  l'ancienne 
petite  principauté  de  Kou  aM  'Petite  géogr.,  vol.  2,  p.  63)  —  (Grande,  vol,  14, 
V-  33)- 


DO    ROYAUME    DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  277 

s'était  finalement  cantonnée  à  Ywng-yu  3fâj  fH  (1  ,  pour  attendre 
les  ordres  de  P'ingvkong,  et  n'avait  rien  fait. 

En  5i9,  le  duc  voulut  dumoins  féliciter  son  suzerain,  d'avoir 
heureusement  étouffé  la  rébellion;  pour  cela,  il  choisit  le  seigneur 
Mou-chou  ^  ,j.)(,  vulgairement  appelé  Chou-suen-pao  jj;j{  ^  %^.  Le 
premier  ministre  lui  rendit  les  plus  grands  honneurs  ;  il  alla  même 
au  devant  de  lui.  Plus  tard,  dans  un  entretien  amical,  il  lui  posa 
cette  question  :  les  anciens  ont  dit  que  tel  et  tel,  morts  depuis 
longtemps,   survivent  encore;  qu'est-ce  que  cela  signifie? 

Sans  attendre  la  réponse,  il  continua  ainsi  :  Mes  ancêtres, 
bien  antérieurs  au  fameux  Yu-choen  H§!  j£f:,  étaient  princes  de 
Tao-l'ang  ffâ  j||  ;  sous  la  dynastie  Hia  J|,  mon  ancêtre  Liou-lei 
|fjj  ^  avait  la  haute  dignité  de  Yu-long  ft]]  jfjl  (gouverneur  du 
dragon)  (voyez  année  513^;  sous  la  dynastie  Chang  "[§},  mes  an- 
cêtres étaient  seigneurs  de  Che-wei  ^  ^L  ;  sous  la  dynastie  Tcheou 
/g],  ils  étaient  seigneurs  de  T'ang  J|f-  et  de  Toit  jjfc;  depuis  que 
le  roi  de  Tsin  est  le  chef  des  vassaux,  nous  sommes  connus  sous 
le  nom  de  Fan  fë,  et  nous  occupons  les  plus  hautes  dignités.  Ce 
mot  des  anciens  ne  s'applique-t-il  pas  à  une  famille  comme  la 
nôtre  (2)? 

Le  bon  ministre  faisait  la  demande,  et  dictait  la  réponse  qu'il 
désirait;  le  fin  lettré  va  joliment  le  détromper:  votre  famille,  dit- 
il,  est  une  de  celles  qui  ont  des  dignités  héréditaires;  mais  cela 
ne  suffit  pas  pour  mériter  l'éloge  des  anciens,  «qu'elle  survit  et 
survivra  toujours».  Autrefois,  au  duché  de  Lou  .^-,  il  y  eut  un 
dignitaire  fameux,  Tsang  wen-tchong  $£  ^C  il\*  ■>  dont  beaucoup  de 
sages  paroles  ont  été  conservées  jusqu'aujourd'hui  ;  voilà  un  hom- 
me qui  se  survit.  D'après  les  enseignements  des  anciens,  «survi- 
vent» les  éminentes  vertus,  comme  celles  des  grands  «< saints •<    Yao 

(1)  lYong-yu  était  à  IS  li  sud-ouest  de  Siun  hien  j§  $£,  qui  est  à  1  1  <>  li 
nord-est  de  sa  préfecture  Wei-houei  fou.  (Petite  géogr.,  vol    12.  p.   23)  —    Grande. 

VOl.    IÔ,   p.     2l). 

(2)  La  famille  C'he  (ou  l'an  ?Ë)  prétendait  descendre  de  l'illustre  empereur 
Yao  il,  qui  avait  sa  capitale  à  T'cd-yuen  fou  ;fc  fâ  Jj!f,  Chan-si.  (Petite  géogr., 
vol.  S,  p,  2)  —  (Grande,  vol.  40,  p.  7). 

La  capitale  Wei,  fondée  par  Che-wei,  était  à  50  li  sud-est  de  Houa  hien  x\\ 
Stf,  qui  esta  U0  li  nord-est  de  sa  préfecture  Wei-houei  fou.  Petite  géogr.,  ool. 
12,  p.   24)  —  (Grande,  vol.   16,  p.   2S). 

T'ang  était   à    1  li  au  nord  de  T'ai-yuen  fou.  (Petite  géogr.,    voL    8,  p.  3)  — 

(Grande,  vol.  40,  p.   g). 

Tou  était  à  15  li   sud-est  de  Si-ngan   fou   Bi  "iè.  )(f .    Chen-si,     Petite   géogr., 

vol.  14.  p.  4)  —  (Grande,  ool.  53,  p.  12). 

l'an,  d'où  la   famille  tira  son   nom,   était  à  2ô    li    sud-est    de    Fan    hien    jfà  JJf, 

qui  est  à  100  li  au   nord  de    sa    préfecture    Ts'ao  tcheou  fou  *$  ;H1  K>,    Chan-tong, 

(Petite  géogr.,   ool.   10,  p.    iç)  —  [Gronde  vol.  34,  p.   22  . 


2"/ 8.  it.mps  vraiment  historiques 

f=|  et  Clioen  £$,  qui  ont  posé  les  fondements  de  la  société  humai- 
ne ;  les  mérites  exceptionnels,  comme  ceux  des  illustres  personna- 
ges Yu  ^  et  Tsi  ^  ;  les  paroles  remplies  de  sagesse,  comme 
celles  du  fameux  historien  Che-i  ^  f£  et  du  grand  penseur  Tcheou- 
jenu  J§\  fâ.  Partout  et  toujours,  il  y  a  des  familles  qui  subsistent 
longtemps,  fondent  des  branches  collatérales,  continuent  les  sacri- 
fices aux  ancêtres,  dans  leurs  temples  antiques  ;  mais  ce  n'est  pas 
là  l'immortalité.  Conserver  les  dignités  dans  une  famille,  n'est 
pas  ce  qu'on  appelle  "se  survivre    . 

Le  puissant  premier  ministre  recevait  donc  une  bonne  leçon, 
d'un  lettré  du  petit  pays  de  Lou,  siège  de  la  vrai  doctrine  des 
anciens-  :  quelle  gloire  pour  Mou-chou!  et  combien  ses  congénè- 
res modernes  se  délectent  en  récitant  son  chef-d'œuvre  ! 

Autre  chose  est  la  puissance,  autre  chose  est  la  vertu  ;  nous 
allons  encore  voir  cela  mis  en  lumière  par  un  autre  lettré  ;  Sous 
l'administration  de  Che-hai  i  ^  ou  Fan-siuen-tse  f\±  jy  ^f-),  les 
contributions  imposées  aux  vassaux  étaient  de  nouveau  devenues  trop 
lourdes;  car  si  ce  seigneur  gouvernait  bien  le  pays, il  ne  s'oubliait 
pas  lui-même  ;  comme  cela  se  voit  aussi  ailleurs  qu'en  Chine. 

A  la  2:'IKL'  lune,  le  prince  de  Tcheng  g[;,  voulant  obtenir  une 
diminution  en  sa  faveur,  se  rendait  à  la  cour  de  Tsin,  accompagné 
de  son  ministre  Tse-si  -J-  "0|  ;  le  fameux  Tse-tch'an  ^f-  j§?,  lettré- 
politique  déjà  connu  du  lecteur,  leur  remit  une  lettre  à  l'adresse 
de  Che-kai  :  elle  est  célèbre  dans  les  annales  de  la  Chine  ;  la  voici  :  (1) 
Votre  seigneurie  gouverne  maintenant  le  royaume  de  Tsin, 
en  qualité  de  premier  ministre:  les  vassaux  vos  voisins  n'ont  pas 
encore  entendu  raconter  sur  vous  des  faits  éclatants  de  haute  vertu; 
ils  ne  voient  qu'aggravation  de  contributions;  les  anciens  disaient 
qu'un  ministre  sage  et  vraiment  supérieur,  ne  s'inquiète  pes  si 
fort,  s'il  se  voit  à  court  d'argent  ;  mais  tient  bien  plus  à  cœur  de 
laisser  un  nom  glorieux.  Si  les  trésors  des  vassaux  s'entassent  chez 
leur  suzerain,  ceux-ci  le  prendront  en  haine,  et  se  sépareront  de 
lui  ;  s'ils  s'entassent  dans  le  palais  de  votre  seigneurie,  c'est  vous 
qui  deviendrez  odieux  à  tout  le  royaume.  Si  les  vassaux  quittent 
l'obédience  de  leur  souverain,  c'en  est  fait  du  pays  de  Tsin  ;  si  le 
peuple  vous  déteste,  c'est  votre  maison  qui  marche  à  sa  ruine, 
grâce  à  votre  insatiabilité.  Pourquoi  donc  tenez-vous  à  tant  de 
richesses,  à  tant  de  cadeaux?  Songez  plutôt  à  acquérir  une  bonne 
renommée:  c'est  le  véhicule  de  la  vertu!  Or,  la  vertu  seule  est 
le  solide  fondement  d'un  Etat;  si  la  base  est  inébranlable,  l'édifice 
durera  indéfiniment.  Ainsi,  n'est-il  donc  pas  de  toute  nécessité 
de  s'appliquer  à  la  vertu?  elle  fait  la  joie  du  cœur;  elle  fait  le 
bonheur  du  peuple;  avec  ces  deux  choses,  un  Etat  est  stable.  Le 
livre  des  Vers    2    nous  dit:  conviro.<  aimable*  et  distingués,   vous 

(1)  Ce  chef-d'œuvre  est   traduit  dans  Zottoli,  vol.  IV,  p.  63. 

(2)  Che-hing  f$  $|.  (Couvreur,  p.  ig4>  ode  7,  vers  z—p.  3Sôx  ode  2,  vers  7). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  279 

êtes  les  soutiens  de  l'Etal!  ce  qui  signifie  qu'ils  ont  une  vertu 
remarquable  et  connue  de  tout  le  monde.  Ailleurs,  le  même  livre 
a  cette  parole:  le  maître  suprême  est  avec  vous,  efforcez-vous  d'ac- 
quérir une  glorieuse  renommée  !  la  droiture,  l'amour  du  peuple 
étant  dans  votre  coeur,  l'éclat  de  vulve  vertu  se  répandra  de  toutes 
parts;  ceux  qui  sont  loin,  en  seront  attirés  a  vous;  ceux  qui  sont 
près,  en  jouiront  et  vous  aimeront.  N'cst-il  pas  mieux  que  les 
hommes  se  disent  traités  par  vous  en  fils  bien-aimés,  plutôt  que 
de  les  entendre  crier  que  vous  vous  engraissez  de  leurs  sueurs? 
Les  précieuses  défenses  de  l'éléphant  sont  cause  de  sa  mort  :  de 
même  quand  on  amasse  des  richesses!" 

Comme  on  le  voit,  la  semonce  était  assez  verte.  Pour  ne  pas 
en  être  offensé,  Che-kai  devait  grandement  estimer  l'auteur  de  la 
lettre  ;  pour  y  obtempérer,  il  devait  avoir  une  assez  grande  dose 
de  bonne  volonté  ;  de  fait,  il  abaissa  aussitôt  le  chiffre  des  contri- 
butions de  tous  les  vassaux. 

En  faisant  cette  visite,  le  prince  de  Tcheng  ff[$  avait  encore 
un  autre  but  ;  il  venait  prier  instamment  P'ing-kong  de  faire  la 
guerre  au  prince  de  Tch'en  fifc.  Aussi,  le  demandeur  s'humilia- 
t-il  devant  le  premier-ministre,  jusqu'à  se  mettre  à  genoux,  à 
frapper  la  terre  de  son  front,  malgré  les  protestations  de  Che-kai  ; 
il  en  aurait  à  peine  fait  davantage  aux  pieds  de  l'empereur.  La 
chose  était  donc  bien  pressante  ! 

Tse-si  en  donna  la  raison  :  fort  de  l'appui  du  roi  de  Tch'ou 
^  son  voisin,  le  prince  de  Tch'en  [5^  ose  impudemment  nous 
attaquer,  nous  injurier  d'une  manière  odieuse  ;  mon  humble  maî- 
tre vous  prie  donc  de  vouloir  nous  défendre,  et  punir  notre  enne- 
mi ;  étant  venu  pour  vous  supplier,  comment  ne  baisserait-il  pas 
la  tête  devant  votre  seigneurie  ? 

Comment  résister  à  une  requête  présentée  si  humblement  ! 
Che-kai  promit  de  la  présenter  au  roi,  et  de  l'exhorter  de  tout  son 
pouvoir  à  y  faire  droit  ;  dans  un  an,  nous  verrons  l'effet  de  cette 
promesse.  En  attendant,  il  s'agissait  de  punir  le  roi  de  Tsi  ^f, 
pour  avoir  prêté  la  main  à  la  rébellion  de  Loan-yng  |§  ^.  et 
pour  avoir  lui-même  envahi  le  territoire  de  Tsin. 

Déjà,  en  été,  P'ing-kong  avait  ordonné  au  duc  de  Lou  fy  de 
harceler  le  pays  de  Ts'i,  et  de  commneer  ainsi  les  premières  hos- 
tilités. Bientôt,  lui-même  présidait  à  /-;'  ^  \fë  [\  |  une  réunion 
de  onze  vassaux,  pour  régler  tous  les  détails  du  plan  de  campa- 
gne ;  mais  il  survint  une  telle  inondation  qu'il  fallut,  pour  le 
moment,  renoncer  à  ce  projet. 

Le  roi  de  Ts'i,  heureux    de   ce  contre-temps,    en    profita  pour 


(1)   I-i  était  à  1  iO  li  à  l'ouest  de  Chouen-te  fou  M  {'£  fff,Tche-li  :  |  Petite  géogr., 
vol.  2,  p,  45)  —  ( Grande, vol.   15,  ]>■  4)  elle  étail    sur   le   territoire   du    marquis   de 

wei  m. 


280  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

se  rapprocher  du  roi  de  Tch'ou  $£,  et  le  prier  de  faire  cause  com- 
mune avec  lui.  Celui-ci  enchanté  commença  aussitôt  à  envahir 
le  pays  de  Tcheng  %.  Ainsi,  pour  une  autre  raison,  P'ing-kong 
se  voyait  forcé  de  courir  au  secours  de  ce  prince  plus  tôt  qu'il  ne 
l'avait  pensé. 

Pour  provoquer  les  gens  de  Tch'ou  ^  à  la  bataille,  P'ing- 
kong  députa  les  deux  grands  officiers  Tchang-ho  jjj|  ^§  et  Fou-li 
H\  &&  (^)  ;  ceux_ci  demandèrent  au  prince  de  Tcheng  un  conduc- 
teur de  char,  qui  connût  bien  les  chemins  et  le  pays  ;  on  consulta 
les  sorts,  par  le  moyen  de  la  grande  tortue  divinatoire  ;  la  réponse 
fut  que  le  seigneur  Yuen-ché-k'iuen  $1  fy\  ^  était  l'homme  de  la 
circonstance. 

Le  ministre  T-ai-chon  -fc  fâ  lui  donna  quelques  bons  con- 
seils, pour  la  conduite  à  tenir  envers  les  deux  officiers  :  vous  avez, 
lui  disait-il,  à  traiter  avec  deux  grands  seigneurs  d'un  puissant 
rovaume  ;  n'allez  pas  vous  imaginer  de  vivre  d'égal  à  égal  avec 
eux  !  —  Peu  m'importe,  répondit  l'autre,  qu'ils  soient  d'un  grand 
ou  d'un  petit  royaume  ;  je  ne  m'occupe  que  de  leur  grade,  et  les 
traiterai  en  conséquence  ;  voilà  tout  !  —  Nous  avez  tort  de  parler 
ainsi,  répliquait  le  ministre  ;  ne  savez-vous  pas  que  sur  les  petites 
collines  ne  poussent  pas  les  grands  sapins,  ni  les  majestueux 
cyprès  ? 

De  leur  côté,  les  deux  seigneurs  de  Tsin  traitaient  leur  hom- 
me, comme  un  simple  cocher  :  assis  eux-mêmes  sous  leur  tente, 
ils  lui  disaient  de  se  tenir  dehors  ;  après  avoir  bien  dîné,  ils  lui 
passaient  leurs  restes  ;  quand  ils  se  mirent  en  route,  ils  lui  dirent 
d'aller  devant,  sur  son  lourd  char  de  guerre  ;  eux-mêmes  le  sui- 
vaient sur  une  calèche  légère  et  bien  commode  :  c'est  seulement 
quand  on  approcha  de  l'ennemi,  qu'ils  montèrent  auprès  de  lui  ; 
encore  s'assirent-ils  tranquillement,  pour  pincer  de  la  guitare, 
tellement  ils  avaient  le  cœur  à  l'aise. 

Le  conducteur  furieux  voulut  se  venger  :  sans  les  avertir 
qu'on  était  arrivé,  il  lança  le  char  sur  le  camp  ennemi  ;  mais  nos 
deux  héros  tirèrent  tranquillement  leur  casque  de  son  enveloppe, 
le  mirent  sur  leur  tète,  passèrent  le  mur  d'enceinte,  saisirent  cha- 
cun un  homme  de  Tch'ou,  qu'ils  jetèrent  garotté  sur  le  char, 
comme  un  paquet,  retournèrent  en  chercher  chacun  un  autre, 
qu'ils  apportèrent  sous  le  bras. 

Le  conducteur  ne  les  attendit  pas  ;  il  fouetta  ses  chevaux,  et 
partit  au  grand  galop;  les  seigneurs  sautèrent  dans  leur  calèche, 
où  ils  se  défendirent  à  coups  de  flèches,  contre  les  gens  de  Tch'ou 
qui  les  poursuivaient;  ils  finirent  par  échapper  sains  et  saufs  de 
la  bagarre. 


(1)   Tchang-ko  était    petit-fils  du   fameux    Tchcmg-lao   3H    fa     année    572) 
(Annales  du  Chan-si,  vol.  s.  p.  26). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iXG-KONG.  281 

Ayant  rejoint  le  conducteur,  ils  remontèrent  sur  son  char,  et 
se  remirent  à  pincer,  de  la  guitare,  bien  contents  de  leur  prouesse  : 
Seigneur  Kong-suen,  dirent-ils  au  conducteur,  puisque  nous  som- 
mes compagnons  d'armes,  pourquoi  vous  êtes- vous  lancé  sur  l'en- 
nemi sans  ordre,  et  vous  êtes-vous  enfui  de  même?  —  C'est  que, 
répondit  l'autre  tout  penaud,  je  ne  pensais  d'abord  qu'à  me  jeter 
sur  les  gens  de  Tch'ou  ;  ensuite  la  peur  m'a  saisi.  —  Vous  êtes 
bien  impressionnable  !  répliquèrent  les  deux  seigneurs  en  riant  de 
lui. 

Voilà  une  peinture  des  hauts  faits  de  cette  époque  ;  c'est  ainsi 
que  les  héros  montraient  leur  bravoure  et  leur  sang-froid.  Reve- 
nons mointenant  à  des  récits  plus  prosaïques  :  P'ing-kong  afffec- 
tionnait  le  seigneur  Tch'eng-tckcng  fjg  |fj$  ;  il  le  nomma  adjudant 
du  général  du  3ème  corps  d'armée.  Ce  favori,  assistant  un  jour  à 
la  réception  de  l'ambassadeur  de  Tcheng  f|[$,  demanda  :  descendre 
l'escalier  pour  recevoir  un  hôte,  qu'est-ce  que  cela  signifie? 

L'ambassadeur  ne  sut  pas  répondre  convenablement;  mais  il 
rapporta  l'interrogation  au  sage  Jan-ming  $k  Wft,  qui  éructa  aus- 
sitôt une  prophétie  :  Cet  homme-là,  dit-il,  va  bientôt  périr;  ou 
bien  il  sera  jeté  en  exil;  car  un  grand  dignitaire  doit  être  craintif 
et  circonspect;  quiconque  est  craintif,  aime  à  s'abaisser,  et  montre 
son  humilité  en  descendant  l'escalier,  pour  aller  à  la  rencontre  de 
son  hôte;  c'est  une  marque  de  déférence;  qu'v  a-t-il  donc  d'éton- 
nant? aimer  à  s'abaisser,  quand  on  est  parvenu  à  une  haute  di- 
gnité, est  la  marque  d'un  homme  sage  ;  mais  ce  seigneur  n'est 
pas  capable  de  comprendre  ce  langage  ;  ce  favori  ne  sera-t-il  pas 
chassé  en  exil,  pour  quelque  méfait?  ou  bien,  sa  tète  serait-elle 
dérangée?  ce  serait  l'indice  d'une  mort  prochaine. —  La  prédiction 
s'accomplit  l'année  suivante:  mais  l'historien  relate  seulement  la 
mort  du  seigneur  Tch'eng-tchcng,sans  en  donner  les  circonstances. 

En  548,  au  mois  d'avril,  P'ing-kong  réunissait  une  seconde 
fois  les  vassaux  dans  la  même  ville  de  I-i  ]%  $%  ;  pour  s'y  rendre, 
il  avait  pris  un  autre  chemin,  et  avait  travervé  la  rivière  Pan  ffi 
(1);  onze  princes  furent  présents  à  cette  assemblée  ;  il  s'agissait 
toujours  du  même  objet,  punir  le  roi  de  Ts'i  ^  de  ses  derniers 
méfaits. 

Pendant  que  l'on  discutait  les  détails  de  la  campagne  qu'on 
allait  entreprendre,  des  députés  de  Ts'i  vinrent  annoncer  que  ce 
prince  avait  été  tué  quelques  jours  auparavant,  c'est-à-dire  au  jour 
i-hni  2j  !$  de  la  5ème  lune  (26  avril)  ;  le  défunt  s'appelait  Tchoang- 
kong  $£  ^  (553-548)  ;  les  envoyés  avaient  ordre  de  signer  un 
traité  de  soumission  et  d'alliance. 

Le  nouveau  roi  de  Ts'i,  pour  preuve  de  bonne  volonté,  envo- 
yait une  énorme  quantité  de  cadeaux;  c'était  d'abord  une  troupe 
de  jeunes  gens  et  de  jeunes  filles,  de  familles  nobles  et  de  familles 


!1)    l'an,  rivière  absolument  inconnue  des  commentateurs. 

36 


282  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

plébéiennes;  on  devait  les  distribuer  comme  esclaves,  serviteurs, 
concubines,  épouses,  à  tous  les  dignitaires  selon  leur  degré  hiérar- 
chique ;  ensuite,  d'autres  présents  pour  tous  les  généraux,  prési- 
dents, et  ofhciers  de  l'armée.  P'ing-kong  reçut  des  vases  précieux 
et  des  instruments  de  musique,  provenant  du  temple  des  ancêtres 
de  Ts'i. 

P'ing-kong,  délivré  inopinément  d"un  grand  souci,  par  cette 
mort  tragique,  chargea  le  sage  Chou-hiang  ^  [p]  d'annoncer  aux 
vassaux  que  le  nouveau  roi  de  Ts'i  ayant  fait  sa  soumission, l'affai- 
re était  finie.  Le  duc  de  Lou  .Jff-,  au  nom  de  tous  ses  collègues, 
députa  le  seigneur  Mong-tsino  jg;  $%,  pour  remercier  le  suzerain 
de  cet  agréable  message  :  Votre  illustre  Majesté,  disait-il,  a  daigné 
pardonner  la  faute  de  Ts'i,  pour  nous  procurer  la  paix,  à  nous, 
petits  états  ;  c'est  un  bienfait  signalé  ;  nous  vous  remercions  de 
vos  ordres. 

Après  cela,  P'ing-kong  s'occupa  des  affaires  du  pays  de  Wei 
:f§f.  En  559,  le  marquis  Hien-kong  J^  ^  avait  dû  s'enfuir  à  la 
cour  de  Ts'i  ^;  et  son  trône  avait  été  occupé  par  son  oncle,  le 
prince  Chang  ^  ;  revenir  sur  un  fait  accompli  depuis  onze  ans, 
parut  impossible;  P'ing-kong  obligea  l'usurpateur  à  laisser  à  l'an- 
cien marquis  au  moins  la  ville  de  I-i  ^  Hf,  où  l'on  se  trouvait: 
le  grand  seigneur  Wei-chou  |^  $f ,  avec  son  compagnon  Yuen- 
mow  fà  $£,  furent  chargés  d'aller  chercher  le  marquis,  et  de  le 
conduire  honorablement  à  sa  nouvelle  demeure  ;  mais  quand  l'exilé 
fut  sur  le  point  de  partir,  il  vit  sa  femme  et  ses  enfants  retenus 
par  Ts'ouei-tse  ^  ^f-,  ministre  de  TsH  ^;  pour  leur  accorder  la 
liberté,  celui-ci  exigea  que  l'usurpateur  lui  cédât  la  ville  de  Ou-lou 
3l  J5=l  (1)  j  aujourd'hui  on  appellerait  cela  un  coup  de  diplomate. 

A  la  7ème  lune,  au  jour  ki-se  g,  g,  (19  juin),  le  nouveau  roi 
de  Ts'i  3J|  et  tous  les  autres  vassaux,  réunis  à  Tchong-h'iou  -g 
J$  (2),  sous  la  présidence  de  P'ing-kong,  renouvelaient  ensemble 
les  anciens  traités  de  paix  et  d'amitié.  Au  mois  de  juillet,  le  pre- 
mier-ministre Che-kai  -^  4EJ  étant  mort,  ce  fut  le  grand  seigneur 
Tchao-ou  jHÈ  fÇ  qui  lui  succéda;  il  était  fils  de  Tchao-cho  |g  $$, 
et  est  aussi  connu  sous  le  nom  de  Wen-tse  ^  ^  ;  nous  le  verrons 
fournir  une  brillante  carrière.  (3) 

(1)  Ou-lou,  était  un  peu  au  sud-est  de  Ta-mîng  fou  ^  ^  ffî,  Tchc-li.  (Petite 
géogr.,  vol.   3,  p.  52)   —  (Grande,  vol.   i6,p.  5). 

(2)  Tchong-k'iou,  était  à  50  li  sud-est  de  Tong-tch'ang  fou  Jfc  H  flrf,  Chan- 
tons:. (Petite  géogr.,  vol.   10.  p.   20)   —   (Grande,  vol.  34,  p.  3). 

(3)  La  irrandissime  famille  Tchao  descendait  du.  fameux  sage  Pé-i  fâ  jgj,  que 
le  grand  empereur  Vu  3Ï  (2200  ans  avant  Jésus-Ghrist)  voulait  avoir  pour  successeur, 
mais  qui  refusa  ;  ses  descendants  eurent  toujours  des  dignités  à  la  cour  impériale  des 
diverses  dynasties.  Elle  était  du  clan  Yng  j&i-  comme  les  princes  de  7  Vin  $$ç  .  leur 
nom  de  Tchao  leur  vint  du  fief  qu'ils  occupaient  ;  car.  vers  l'an  1001 ,  l'empereur  Mou- 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    P'iNG-KONG.  283 

Dès  son  début,  il  allégea  encore  les  contributions  imposées 
aux  vassaux,  et  se  «montra  d'une  exquise  amabilité  envers  eux. 
Mou-chou  ^  ;J$,  le  seigneur  de  Lou  ^  que  nous  connaissons 
depuis  longtemps,  étant  allé  le  féliciter  et  le  remercier,  il  lui  dit: 
désormais,  j'espère  que  les  expéditions  militaires  seront  plus  rares; 
Ts'ouei  fè  et  K'ing  ||,  les  nouveaux  ministres  de  Ts'i  ^,  ont  à 
coeur  de  garder  la  paix  avec  les  princes  féodaux  ;  je  suis  bon  ami 
avec  Tse-mou  -^  ^C,  premier-ministre  de  Tvh'ou  #£  ;  ainsi  je  puis 
espérer  d'empêcher  beaucoup  de  guerres. 

Nous  avons  vu,  précédemment,  que  le  prince  de  Tcheng  ff[$ 
avait  prié,  supplié,  le  premier-ministre  Cke-hai  -\-  4EJ  de  le  secou- 
rir contre  le  prince  de  Tch'en  ^;  il  en  avait  obtenu  la  promesse; 
puis,  les  événements  ayant  pris  une  autre  tournure,  on  avait  dû 
d'abord  le  secourir  contre  le  roi  de  Tch'ou  Jfè  qui  avait  envahi 
son  pays.  Délivré  de  cette  attaque  plus  dangereuse,  il  s'était  vengé 
tout  seul  de  son  ennemi  ;  mais  il  avait  triomphé  sans  la  permis- 
sion de  son  suzerain,  c'était  une  faute  qu'il  fallait  maintenant  se 
faire  pardonner. 

C'est  le  lettré-politique  Tse-tch'an  ^f-  j^  qui  fut  envoyé  négo- 
cier cette  affaire  délicate.  Celui-ci  se  présenta  à  la  cour  de  Tsin, 
couvert  de  sa  cuirasse,  comme  s'il  revenait  du  champ  de  bataille, 
et  offrit  à  P'ing-kong  le  butin  pris  à  l'ennemi.  On  lui  demanda 
avec  mauvaise  humeur:  quel  crime  avait  donc  commis  le  prince 
de  Tch'en  jSjjf,  pour  mériter  la  guerre? 

L'intrépide  ambassadeur  fit  une  réponse  bien  digne  d'un 
lettré  chinois  ;  il  prouva  que  depuis  deux  mille  deux  cents  ans 
l'état  de  Tch'en  ffi  avait  commis  tant  de  crimes  qu'on  aurait  dû 
l'anéantir  depuis  longtemps;  nous  omettons  ce  discours  onctueux, 
qui  est  par  trop  long. 


wang  |â  ZE  avait  donné  au  seigneur  Tsao-fou  )'u  Q  la  ville  de  Tchao  Jf?,  qui  se 
trouvait  à  35  li  au  sud  de  Tchao-tcli'cng  hien  fâ  ^  f£,  ville  située  à  50  li  sud-ouest 
de  Ho  tchcou  "$_  -)\\,  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  S,  p.  41) —  (Grande,  vol.  41.  p. S). 
Vers  l'an  780,  nous  trouvons  le  seigneur  Tchao-chou-tai  j§  $3.  $|r,  au  service  du 
prince  Wei-heou  3C  \%  de  Tsin;  depuis  lors,  les  membres  de  cette  famille  occupèrent 
toujours  de  hautes  dignités  dans  le  royaume.  Les  plus  célèbres  furent  Tchao-tch'oan 
Mtf,  tchao-tthen  jg  ïfâ  et  son  fils  Tchao-cheng  fS  g$,  Tchao-ts'ouei  j®  M  qui  eut 
4  fils  illustres  :  Tehao-t'oen  jjg  /§  (ou  Siuen-tse  j|)  J-)  premier-ministre  fameux, 
Tchao-tong  «2  fïij  et  Tchao-kono  f⣠ J,Ç  deux  grands  guerriers  tués  ignominieusement 
en  583,  Tchao-yng  j{§  §§  aussi  bon  guerrier;  Tchao-cho  i§$J,  (ils  de  Siuen-tsc,  fut 
aussi  un  officier  éminent.  Son  (ils  est  celui  qui  nous  occupe  en  ce  moment,  et  va 
gouverner  avec  éclat.  Cette  famille,  devenue  trop  puissante,  divisera  le  pays  en  trois 
parts,  avec  les  seigneurs  llan  f.§L  et  Wci  Dt,  et  fondera  le  royaume  de  Tchao.  (An- 
nales du  Chan-si,  vol.  S.  p.  20). 


284  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Mais,  lui  répliqua-t-on,  pourquoi  vous  être  attaqués  à  un  plus 
faible  que  vous?  n'est-ce  pas  une  lâcheté?  —  Il  fit  une  réponse 
«ad  hominem»  à  l'adresse  de  Tsin,  qui  en  avait  souvent  fait  tout 
autant.  —  Pourquoi  vous  présenter  en  cuirasse  à  la  cour  de  votre 
suzerain? —  Il  apporta  une  ordonnance  de  Wen-kong  "*£  fè,  l'il- 
lustre ancêtre  du  prince  régnant. 

Bref,  il  était  victorieux  sur  toute  la  ligne  ;  il  pulvérisait  tou- 
tes les  objections  de  Che-jouo  -j^  j§|j,  le  représentant  du  suzerain  ; 
ce  dignitaire,  ne  sachant  plus  quoi  dire,  alla  demander  de  nouvel- 
les instructions  au  premier  ministre.  Tcliao-ou  £#  Jf£  lui  dit  :  les 
paroles  de  Tse-tch'an  sont  fondées  ;  il  est  malaisé  de  réfuter  de  si 
bonnes  raisons.  Ainsi  l'on  finit  par  accepter  le  butin  qu'on  aurait 
voulu  refuser. 

A  la  5ème  lune  avril-mai)  les  deux  Etats  de  Tsin  ^f  et  de 
Ts'în  |j|  finirent  par  se  rapprocher,  et  voulurent  faire  un  traité 
d'amitié  ;  à  cet  effet,  P"ing-kong  députa  le  seigneur  Han-k'i  ^ 
jj|!,  auprès  du  roi  de  Ts'in  |(§  ;  celui-ci  envoya  son  frère,  le  prince 
Kien  |$  (ou  Pé-kiu  f£|  ïja  à  la  cour  de  Tsin  ^  ;  on  arriva  bien- 
tôt à  une  conclusion  ;   mais  ce  ne  fut  qu'une  paix  boiteuse. 

En  5i7,  le  prince  Kien  f$  se  trouvait  encore  auprès  de  P'ing- 
kong  ;  tant  les  pourparlers  marchaient  lentement.  Le  sage  Chou- 
hiang  ffi  \u]  était  chargé  de  négocier  le  traité  avec  lui  ;  celui-ci 
employait  comme  entremetteur  un  certain  Tse-yun  -f-  J|  ;  un 
autre  individu,  nommé  Tse-tchou  ^  ^  en  était  furieux  ;  il  se 
présenta  trois  fois  en  s'écriant  :  c'est  mon  tour  de  remplir  cet 
office  !      Chou-hiang  ne  lui  répondit  même  pas. 

Tse-tchou  exaspéré  lui  cria  de  nouveau  :  je  suis  grand  officier 
aussi  bien  que  Tse-yun  ;  et  cette  fois,  c'est  à  moi  de  remplir  l'of- 
fice d'entremetteur  ou  rapporteur)  ;  pourquoi  votre  Excellence  me 
chasse-t-elle  de  la  cour,  en  ne  daignant  pas  même  me  répondre  ? 
Et  il  tira  son  épée. 

Chou-hiang  lui  ait  tranquillement  :  il  y  a  trop  longtemps 
que  la  paix  n'existe  plus  avec  le  pays  de  Ts'in  fj|  :  il  faut  abso- 
lument que  les  négociations  aboutissent  :  or  Tse-yun  est  fidèle,  et 
rapporte  sincèrement  les  paroles  des  délégués  des  deux  partis  ; 
vous,  au  contraire,  vous  les  changez  à  votre  guise  ;  vous  ne  servez 
pas  loyalement  votre  prince  ;  je  ne  puis  supporter  cela.  Si  la 
paix  ne  se  conclut  pas,  notre  royaume  y  perdra  de  grands  avanta- 
ges :  et  les  ossements  de  nos  soldats  blanchiront  sur  les  anciens 
champs  de  bataille  sans  pouvoir  être  enterrés.  Ayant  ainsi  parlé, 
il  releva  ses  vêtements,  pour  se  mettre  en  garde,  et  recevoir  l'at- 
taque de  Tse-tchou  ;   mais  on  finit  par  faire  sortir  ce  furieux. 

P'ing-kong  ayant  appris  cette  scène,  se  réjouit  grandement  : 
mon  royaume  est  vraiment  heureux,  disait-il  ;  car  mes  officiers  se 
battent,  non  pas  pour  des  querelles  privées,  mais  pour  le  bien 
public  !  Koang  l$f,  le  grand  directeur  de  musique  bien  connu  de 
nous,  voyait  les  choses  d'un  autre  œil  ;    il  fit  à  ce  sujet  la  remar- 


DU   ROYAUME   DE   ÎSIX.    p'iXG-KONG.  285 

que  suivante  :  notre  maison  régnante  s'amoindrit  ;  les  grands 
dignitaires  vident  leurs  querelles  à  coups  d'épée,  non  à  coups  de 
bonnes  raisons  ;  ils  ne  s'appliquent  pas  à  la  vertu,  et  veulent 
cependant  paraître  la  pratiquer  ;  quand  les  passions  en  sont  venues 
à  ce  point,  les  hontes  ne  peuvent  tarder  longtemps. 

Au  printemps  de  cette  même  année  547,  Suen-ling-fou  fâ  ^vjv 
3£,  grand  seigneur  de  Wei  |ff,  s'était  retiré  dans  son  fief  de  T*ci 
$H  (1),  et  s'y  était  déclaré  indépendant  de  son  souverain  ;  puis, 
pour  se  faire  protéger  dans  sa  révolte,  il  avait  offert  son  territoire 
à  P'ing-kong  ;  celui-ci  enchanté  de  cette  bonne  aubaine,  s'était 
empressé  de  l'accepter. 

Le  marquis  de  Wei  protesta,  et  fit  envahir  la  frontière  orien- 
tale du  fief  ;  P'ing-kong  envoya  au  secours  de  son  protégé,  et  lit 
occuper  militairement  la  ville  de  Mao-che  ^î  J£  (2)  ;  l'armée  de 
Wei  continua  la  campagne,  prit  cette  ville,  et  massacra  les  trois 
cents  hommes  de  Tsin  qui  la  gardaient. 

P'ing-kong  convoqua  les  vassaux,  pour  examiner  cette  affaire, 
et  préparer  une  expédition  contre  le  marquis  ;  la  réunion  présidée 
par  le  premier-ministre  Tchao-ou,  se  tint  à  Chen-yuen  ■}§[  ^  (3); 
elle  fut  loin  d'être  brillante  ;  il  n'y  eut  que  le  duc  de  Lou  ^.,  avec 
les  délégués  de  Tcheng  fïj$,  Song  %  et  TVao  T|f  ;  on  avait  con- 
science qu'il  s'agissait  d'une  injustice  ;  on  ne  voulait  pas  s'en  mê- 
ler. Malgré  cela,  la  cession  de  Ts'i  J$  fut  ratifiée  ;  soixante  tsing 
r}J:  du  territoire  occidental  de  la  ville  de  /  f$  (4)  furent  encore 
enlevés  au  marquis,  et  attribués  au  seigneur  rebelle  Suen-ling- 
fou.      C'était  en  février-mars  de  cette  même  année  547. 

Le  marquis  lui-même  était  présent  à  cette  assemblée  ;  c'était 
aussi  un  révolutionnaire,  comme  nous  l'avons  vu  précédemment  ;  il 
s'était  emparé  du  trône  de  son  neveu  Hien-kong  J^  fè,  et  son 
suzerain  avait  fini  par  l'en  laisser  paisible  possesseur;  aujourd'hui, 
il  lui  imposait  une  petite  pénitence  ;  des  deux  côtés  on  se  valait. 

L'affaire  étant  ainsi  réglée,  ce  même  marquis  ne  craignit  pas 
de  se  rendre  à  la  cour  de  Tsin  ;  mais  là  il  fut  saisi  et  mis  en  pri- 
son, sous  la  garde  du  seigneur  Che-jouo  -j^  M  (&)■  A  la  7ème  lune 

(1)  Ts'i,  était  à  7  li  au  nord  de  IC«i-tcheou  fJrj  jW,  Tche-li. 

(2)  .Mao-che,  ainsi  que  Yu  141,  étaient  à  l'est  de  la  même  ville  de  K'ai- 
tcheou  ;  mais  on  ne  sait  au  juste  à  quel  endroit. 

(3)  Chen-vuen,  voyez  à  l'année  553,  était  à  5  li  sud-est  de  la  même  ville, 

(4)  I,  était  à  50  li  nord-ouest  de  Ts'i.  (Grande  géogr.,  vol.  16.  p.  p.  ss> 
36,  31). 

Un  tsing  ^\-,  était  un  carré  de  neuf  cents  Meou  h\  (arpents),  divisés  on  for- 
me du  caractère  tsing  %-.  —  (Couvreur,  grand  dictionnaire,  p.   çôj)  —  (Zottoli,   If, 

P-  ss). 

(5)  Che-jouo,  était  de  la  grande  famille  seigneuriale  Cite  J;,  branche  collaté- 
rale de  la  famille  Fan  ^£  (ou  Che)  ;  plus  lard  les  descendants  de  ce  haut  dignitaire 


286  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

mai-juin  .  le  roi  de  Ts'i  ^  et  le  prince  de  Tckeng  ffj$  se  rendi- 
rent auprès  de  P'ing-kong,  afin  d'intercéder  en  faveur  du  captif. 

On  donna  un  grand  festin  en  leur  honneur  ;  P'ing-kong  chanta 
en  guise  de  toast  l'ode  Kia-lo  f\'}  ^  "le  prince  est  admirable  et 
aimable,  e/c»;  le  compagnon  du  roi  répondit  par  l"ode  Lou-siao 
~§£  Ifï  «cette  armoise  est  grande,  e/c»,  comparaison  pour  célébrer 
les  mérites  du  suzerain;  le  compagnon  du  prince  de  Tclieng  Jjtft 
chanta  l'ode  Tche-i  fgj  ^  -le  vêtement  noir  vous  sied  bien,  e/c» 
(1),  pour  témoigner  la  reconnaissance  de  son  maître. 

Chou-hiang  ^  [p]  avertit  P'ing-kong  de  remercier  ses  hôtes, 
en  leur  faisant  une  salutation  des  plus  profondes  ;  en  même  temps, 
il  disait  au  roi  de  Ts'i  :  notre  humble  souverain  vous  rend  grâces 
de  tout  cœur,  parceque  votre  illustre  Majesté  a  procuré  le  repos 
aux  tablettes  de  ses  ancêtres!  oserais-je  aussi,  ajouta-t-il,  remer- 
cier le  prince  de  Tcheng,  pour  ses  loyaux  services!  Les  deux 
compliments  étaient  différents,  parceque  les  deux  odes  chantées 
étaient  aussi  très-différentes. 

Le  compagnon  du  roi  de  Ts'i  envoya  ensuite  le  sage  Yen- 
p'ing-tchong  5^^  ftfi .  visiter  en  particulier  Chou-hiang:  Votre 
illustre  souverain,  lui  dit-il.  fait  éclater  devant  les  vassaux  les  plus 
beaux  exemples  de  vertu  ;  il  exerce  miséricorde  envers  ceux  qui 
sont  affligés  par  les  calamités  ;  il  répare  les  fautes  de  ceux  qui  les 
ont  commises  ;  il  redresse  ceux  qui  ont  fait  fausse  route  ;  et  pour 
tout  cela  il  n'épargne  aucune  fatigue  ;  voilà  pourquoi  il  se  main- 
tient à  la  tète  des  vassaux  ;  comment  donc  a-t-il  pu  faire  saisir  le 
prince  de  Wei  f|j  ? 

Chou-hiang  transmit  ces  paroles  au  premier  ministre,  qui  les 
rapporta  à  P'ing-kong  ;  celui-ci  répondit:  le  marquis  de  Wei  a 
massacré  mes  trois  cents  hommes  ;  voilà  pourquoi  je  le  retiens  ; 
peu  m'importe  sa  querelle  avec  Suen-ling-fou  !  Et  il  ordonna  à 
Chou-hiang  de  communiquer  cette  réponse  aux  deux  visiteurs, 
qui,  naturellement,  durent  s'en  déclarer  satisfaits. 

Le  prisonnier  ne  fut  pourtant  pas  mis  en  liberté.  Les  gens 
de  Wei,  connaissant  le  faible  de  P'ing-kong,  lui  envoyèrent  une 
belle  princesse  pour  concubine:  aussitôt  le  marquis  fut  délivré. 
C'était  une  honte  ;  une  femmelette  obtenait  ce  que  n'avaient  pu 
obtenir  un  roi  et  un  prince,  malgré  leur  intercession  présentée  en 
personne.  Aussi  l'historien  voit  dans  ce  fait  le  principe  de  la 
décadence  des  rois  de  Tsin  (2). 


prirent  son  nom  comme  celui  qui  leur  était  propre, et  s'appelèrent  "famille  Che-jouo". 
Annales  du  Chan-si  vol.  S,  p.  zà). 

(1)  Che-king  W  vl-  '  Couvreur.}).  350,  ode  s,  —  p.-  iço,  ode  ç,  —  p.  Sj,  ode  1  . 

(2)  Kn  5S4,  nous  avons  vu  ce  même  seignew  Suen-ling-fou  |£  $fc  ££  se  ré- 
volter contre  son  souverain,  offrir  la  même  ville  de  Ts'i  J$  à  King-kong  ^  &  roi 
de  Tsin  ;  celui-ci  l'accepta,  puis  la  rendit  au  marquis.  P'ing-kong  fut  moins  gé- 
néreux : 


DU    ROYAUME   DE    ISIN.    p'iNG-RONG.  287 

Quant  au  prince  de  Tcheng  |||^,  qui  avait  été  ainsi  éconduit. 
à  peine  rentré  dans  .sa  capitale,  il  eut  la  platitude  d'envoyer  une 
ambassade  à  P'ing-kong,  avec  ce  message  :  notre  humble  prince 
est  venu  causer  des  ennuis  à  vos  Excellences,  messieurs  les  minis- 
tres ;  il  craint  d'avoir  excité  votre  mécontentement;  il  m'a  envoyé 
vous  en  demander  pordon. 

L'historien,  à  cet  endroit  de  son  récit,  a  toute  une  longue 
tirade  sur  la  sagesse  de  la  cour  de  Tsin,  qui  sut  tirer  bon  parti 
des  autres  pays.  Nous  avons  indiqué  ces  émigrations,  dans  notre 
histoire  du  royaume  de  Tch'ou  ^  ;  car,  à  cette  époque,  plusieurs 
transfuges  de  ce  pays  lui  firent  bien  du  mal,  en  renseignant  les 
autres  sur  son  administration,  sur  sa  tactique  militaire,  etc. 

Le  grand  seigneur  Han-siun-tse  $£  la  ^  ou  Han-k'i  $$[^§), 
haut  dignitaire  de  Tsin,  et  futur  successeur  du  premier  ministre 
Tchao-ou  jfâ  jÇ.  se  rendit  à  la  cour  impériale,  offrir  ses  homma- 
ges. L'empereur  lui  fit  demander  le  motif  de  son  voyage  :  Votre 
humble  serviteur,  répondit-il,  est  uniquement  venu  pour  présenter 
ses  respects  aux  illustres  ministres  de  la  maison  impériale;  il  n'y 
a  pas  d'autre  raison. 

L'empereur  n'en  pouvait  croire  ses  oreilles  :  ce  seigneur,  dit- 
il,  va  grandir,  et  dépasser  peut-être  la  maison  régnante  de  Tsin  ; 
voilà  un  homme  dont  les  paroles  ne  s'écartent  pas  des  bonnes 
manières  des  anciens,  à  l'égard  de  la  dynastie  impériale,  même 
quand  elle  est  en  décadence;  c'est  un  fait  bien  rare  à  notre  époque. 
—  Prophétie  d'empereur  pourrait-elle  être  en  défaut  !  Nous  la 
verrons  donc  se  réaliser  en  son  temps. 

Pendant  cette  année  5'i7,  un  seigneur  audacieux  de  Ts'i  5^, 
nommé  Ou-yu  J|  f£,  avait  pris  à  son  propre  roi  la  ville  de  Ling- 
k'iou  j|l  Jrft,  l'avait  offerte  à  P:ing-kong,  en  se  déclarant  son  sujet; 
ayant  si  bien  réussi,  ce  même  rebelle  avait  encore  pris  au  marquis 
de  Wei  $j  la  ville  de  Yang-kio  i£  fi}  (1),  qu'il  avait  semblablc- 
ment  offerte;  il  avait  de  même  enlevé  la  ville  de  Kno-yu  ~0j  ^  au 
duc  de  Lou  ;f|  ;  puis  une  autre  au  roi  de  Sony  5£. 

A  cette  époque,  le  premier  ministre  Che-kai  -^  ^\  était  déjà 
mort;  aucun  des  vassaux  n'avait  eu  la  force  ou  le  courage  de 
dompter  cet  heureux  aventurier;  le  nouveau  ministre  Tchao-ou  |g 
§Ç  fit  à  P'ing-kong  la  remarque  suivante  :  Votre  Majesté  a  été 
établie  à  la  tète  des  princes  féodaux;  si  l'un  d'eux  envahit  le  ter- 
ritoire  d'un   autre,    c'est  à   elle   d'y  mettre  ordre,  en  punissant  le 

(l)  Ling-k'iou,  était  un  peu  au  sud-c^t  de  Fan  liicn  -fÈ  ff.  qui  est  à  I1"  h 
au  nord  de  sa  préfecture  Ts'ao  tcheou  /'on  @  *JH  ff'f,  Chang-tong.  Petite  géogr., 
vol.    10,  p.   jç)  —  (Grande,  vol.  34.  p     22). 

Yang-kio,  ne  formait  qu'une  ville  avec  Ling-k'iou  :  tellement  elle  en  était  rap- 
prochée. 

Kao-yu,  était  è  quelques  li  au  nord-est.  f-f*  H  vS.  '""'•  37>  V-    -'-'• 


288  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

coupable,  et  en  le  forçant  à  restituer  ce  qu'il  a  pris;  les  villes  offer- 
tes par  Ou-vu  sont  dans  ce  cas  :  si  nous  les  gardons,  de  quel  front 
irons-nous  parler  de  justice  devant  les  vassaux?  le  mieux  serait 
de  les  rendre  à  leurs  légitimes  possesseurs. 

P'ing-kong  répondit:  c'est  bien;  rendons-les!  mais  qui  char- 
gerez-vous  de  cette  mission?  —  Le  seigneur  Siu-liang-tai  flf  ^ 
1$  (l)  fera  très-bien  notre  affaire,  dit  le  ministre;  et  pour  cela  il 
n'aura  pas  besoin  de  troupes.  —  Alors,  envoyez-le  faire  cette  res- 
titution, ajouta  le  roi. 

En  546,  ce  seigneur  partait  dès  le  début  de  l'année  (vers 
novembre  ,  pour  accomplir  sa  commission  ;  voici  quel  fut  son  stra- 
tagème :  il  manda  secrètement  aux  princes  de  Ts'i  H,  >'onij  $~  et 
Lou  |§-  d'envoyer  quelques  troupes  recevoir  les  villes,  sans  rien 
laisser  transpirer  de  cette  restitution  ;  en  même  temps,  il  mandait 
ostensiblement  à  l'aventurier  Ou-yu  de  venir  avec  ses  chars  et  ses 
soldats,  recevoir  solennellement  l'investiture  de  ses  conquêtes. 

Quand  le  rebelle  fut  arrivé  avec  tout  son  monde,  les  trois 
princes  commencèrent  les  cérémonies  de  la  fausse  investiture  ;  sur- 
vint un  compère,  préparé  par  l'ambassadeur,  suscitant  une  querelle 
contre  Ou-yu;  sur  quoi,  l'on  suspendit  les  cérémonies;  l'aventu- 
rier fut  saisi  avec  tous  ses  gens,  qui  ne  s'étaient  pas  méfiés  du 
piège  ;  et  les  villes  furent  rendues  à  leurs  maîtres,  aux  applaudis- 
sements de  tous  les  vassaux. 

C'est  à  cette  époque,  nous  raconte  l'historien,  qu'on  tenta  de 
réaliser  une  grande  utopie,  qui  a  été  essayée  de  nos  jours  avec  le 
même  insuccès  ;  il  s'agissait  de  provoquer  un  désarmement  géné- 
ral, et  d'établir  une  paix  universelle,  sur  les  seules  bases  d'une 
concorde  solennellement  jurée. 

C'est  Hiang-siu  (n)  J^,  seigneur  de  Song  ^,  qui  fut  le  pro- 
moteur de  cette  magnifique  idée  :  Ami  de  Tchao-ou  $$  j^  premier 
ministre  de  Tsin,  ami  de  Tse-mou  ^  ^  premier  ministre  de 
Tch'ou  3ê;  notre  lettré  crut  le  moment  venu  de  réaliser  la  géné- 
reuse pensée  conçue  par  sa  bonne  âme;  du  coup,  il  pensait  acqué- 
rir une  gloire  sans  pareille. 

Il  se  rendit  d'abord  à  la  cour  de  Tsin.  Tchao-ou.  mis  au 
courant  de  ce  beau  projet,  réunit  en  conseil  tous  les  grands  digni- 
taires présents  à  la  capitale;  on  examina  le  pour  et  le  contre: 
naturellement,  il  y  eut  des  opposants  qui  montrèrent  clairement 
que  le  candide  seigneur  poursuivait  une  chimère. 

Han-siuen-tse  ftè  "M.  "P  l°  soutint  en  ces  termes  :  les  guerres 
sont  une  calamité  pour  le  peuple,  elles  sont  la  ruine  des  finances; 
elles  sont  le  fléau  des  petits  états  plus  encore  que  celui  des  grands 
royaumes  ;  si  quelqu'un  vient  nous  proposer  de  les  faire  cesser. 
quand    même    nous  jugerions   son  projet  irréalisable,  nous  devons 

(1)  Ce  seigneur  était  de  la  même  famile  que  le  favori  Siu-tong  ff  Iff  mas- 
sacré à  la  lin  du  règne  de  Li-kong  /,(£  ■&.  année  574. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  289 

cependant  le  prendre  en  considération,  et  tâcher  d'en  accomplir  le 
plus  qu'il  sera  passible.  Rejetons  cette  pensée  généreuse;  le  roi 
de  Tch'ou  la  fera  sienne,  afin  de  tourner  l'opinion  publique  en  sa 
faveur,  et  attirer  à  soi  les  vassaux,  qui  désirent  si  ardemment  la 
paix  ;  notre  suprématie  serait  ainsi  mise  en  danger,  pour  avoir 
fait  fi  d'une  proposition  si  humanitaire. 

La  cour  de  Tsin  approuva  ces  paroles  pleines  de  sagesse,  et 
se  déclara  prête  à  entrer  en  pourparlers  sur  cette  question,  avec 
les  représentants  des  divers  pays.  Sur  ce,  Hiàng-siu  |îï]  J^  partit 
pour  le  royaume  de  Tch'ou;  la  cour,  favorablement  prévenue  en 
sa  faveur  par  le  premier  ministre,  lui  fit  bon  accueil,  et  promit 
d'envoyer  ses  députés  au  congrès  général. 

Hiang-siu  se  rendit  au  pays  de  Ts'i  ^,  où  il  trouva  une 
grande  opposition  ;  mais  le  seigneur  Tchen-wen-tse  $f{  ^  -p  vmt 
à  son  aide  en  ces  termes  :  les  rois  de  Tsin  et  de  Tch'ou  ont  donné 
leur  adhésion  à  ce  généreux  projet  ;  comment  pourrions-nous  le 
repousser?  ce  serait  nous  aliéner  le  cœur  de  notre  peuple,  qui 
soupire  si  lamentablement  à  chaque  nouvelle  guerre. 

La  cour  de  Ts'i  finit  par  donner  aussi  sa  promesse  d'envoyer 
ses  députés  au  congrès.  Hiang-siu  arrivait  bientôt  au  royaume 
de  Ts'in  ^,  alors  réputé  le  4ème  parmi  les  grands  états;  il  y 
rec,ut  bon  accueil,  et  fa\orable  promesse.  Bref,  il  parcourut  suc- 
cessivement tous  les  pays,  petits  et  grands,  et  obtint  toutes  les 
adhésions  qu'il  souhaitait.  Cet  apôtre  de  la  paix  universelle  croyait 
déjà  triompher;  puisque  l'accord  semblait  si  unanime,  sur  une 
question  si  avantageuse  pour  tout  le  monde  ;  d'ailleurs,  comme  on 
le  voit,  il  n'épargnait  ni  peines  ni  fatigues,  pour  arriver  à  une 
heureuse  conclusion.  Une  assemblée  générale  fut  donc  décidée; 
elle  devait  avoir  lieu  dans  la  capitale  de  Song  çjç  ;  puisque  c'était 
la  patrie  de  l'apôtre. 

A  la  5ème  lune,  au  jour  hia-chen  Lp  ^  (16  mars),  Tchao-ou 
llï  jï£  arrivait  le  1er  au  rendez-vous  ;  deux  jours  plus  tard, arrivait 
le  seigneur  Liang-siao  J\  tt  député  de  Tchong  ${$  ;  dès  le  lende- 
main, le  prince  de  Song  donnait  un  grand  festin  en  l'honneur  du 
premier  ministre  de  Tsin;  à  ce  repas  solennel,  l'intendant  du 
service  était  le  ministre  de  la  guerre  lui-même  le  se-ma  pj  Jtf|), 
selon  l'étiquette  alors  en  usage. 

Chou-hiavg  -]:J(  [^].  le  sage  mentor  que  nous  connaissons, était 
le  compagnon  du  premier  ministre;  il  ht  observer  à  l'intendant 
que,  selon  les  rites,  on  devait  servir  la  chair  des  victimes, préalable- 
ment découpée  sur  la  table  du  sacrifice.  L'historien  approuve  ces 
détails.  Confucius  lui-même  consigna  plus  tard  par  écrit,  les  céré- 
monies pratiquées  en  cette  grande  occasion,  parcequ'elles  lui  four- 
nissaient ample  matière  à  des  explications  utiles. 

Le  lendemain.  20  mars,  les  ambassadeurs  de  Lou  !§^,  de  Ts'i 
5tf,  de  Tch'en  [^  et  de  Wei  fâ  faisaient  leur  entrée  à  la  capitale; 
le  26  mars,  arrivait  Siuen-yng  ^J  ^.  assesseur  de  Tchao-ou.  qui 

37 


290  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

n'avait  pu  partir  avec  son  premier  ministre;  le  28  arrivait  le  prince 
du  petit  état  de  Tchou  %. 

Le  3  avril,  arrivait  Kong-tse-hé-kouen  Tfe  ^  M  JJ£,  grand 
seigneur  du  rovaume  de  Tch'ou;  son  premier  ministre,  resté  en 
expectative  dans  la  capitale  de  Tch'en  ^,  l'avait  envoyé  s'abou- 
cher avec  Tchao-ou,  sur  le  sens  et  la  portée  de  la  convention  en 
projet  ;  il  ne  tenait  pas  à  se  montrer  en  spectacle  dans  une  réunion 
si  solennelle,  si  l'on  devait  aboutir  à  un  échec  :  il  n'était  venu  ni 
pour  une  parade,  ni  pour  une  comédie  :  il  désirait  même  avoir  un 
exemplaire  du  texte  qui  serait  proposé  à  la  signature  de  tous  les 
congressistes.   En  cela,  il  faisait  preuve  de  sagesse  et  d'habileté. 

Hiang-siù  \u]  }fc  se  rendit  auprès  du  ministre  de  Tch'ou,  et 
lui  transmit  le  texte  demandé  ;  Tse-mou  ^^  proposa  d'y  ajouter 
la  convention  suivante  :  <<  désormais,  les  alliés  de  Tsin  se  présen- 
teront régulièrement  à  la  cour  de  Tch'ou  ;  de  même,  les  alliés  de 
Tch'ou  feront  leurs  visites  régulières  à  la  cour  de  Tsin.  » 

Le  lendemain,  9  avril,  le  prince  de  Teng  jj§è  arrivait  à  la 
capitale  de  Song.  Le  11,  Hiang-siu,  de  retour,  communiquait  à 
Tchao-ou  le  désir  de  Tse-mou.  —  Les  quatre  royaumes  de  Tsin 
^,  de  Ts'i  3§,  de  Tch'ou  ^  et  de  Ts'in  |pf.  répondit  le  premier- 
ministre,  sont  à  peu  près  d'égale  force  ;  nous  ne  sommes  pas  de 
taille  à  forcer  le  roi  de  Ts'i  à  se  présenter  à  la  cour  de  Tch'ou  ; 
si  cependant  le  seigneur  Tse-mou  se  sent  capable  d'obliger  le  roi 
de  Ts'in  |j§  à  nous  faire  visite,  certainement  notre  humble  maître 
tentera  l'impossible  pour  amener  le  roi  de  Ts'i  à  se  rendre  à  la 
cour  de  Tch'ou. 

Deux  jours  plus  tard.  13  avril,  l'infatigable  Hiang-siu  rap- 
portait ces  paroles  à  Tse-mou  ;  celui-ci  ne  crut  pas  prudent  d'en- 
gager l'honneur  de  son  maître  sans  l'avoir  consulté  ;  il  dépêcha 
un  courrier  à  toute  vitesse  à  la  cour  de  Tch'ou  ;  le  roi  répondit  : 
laissons  les  deux  états  de  Ts'i  et  de  Ts'in  |(§  en  dehors  de  cette 
question  ;  il  suffit  que  tous  les  autres  vassaux  fassent  les  visites 
proposées. 

A  la  7ème  lune,  au  jour  ou-yng  ^  ^,  19  avril,  Hiang-siu 
rapportait  le  dernier  mot  du  roi  de  Tch'ou  ;  cette  nuit  même, 
Tchao-ou  et  Kong-tse-kè-kouen  Q  ^  M  JJ£  signaient  ces  prélimi- 
naires du  traité  de  paix  universelle. 

Le  21,  Tse-mou  arrivait  enfin  au  rendez-vous,  suivi  des  am- 
bassadeurs de  Tch'en  |6fî.  de  Ts'ài  #£,  de  T*'ao  ~t$  et  de  Iliu  f^. 
Les  congressistes  étaient  au  complet  ;  chacun  d'eux  était  avec  ses 
gens  dans  son  campement  particulier,  entouré  d'une  simple  haie 
ou  d'une  palissade  ;  pour  bien  montrer  la  confiance  réciproque,  et 
les  intentions  pacifiques  de  tout  le  monde-;  Tchao-ou,  venu  du 
nord,  campait  au  nord  de  la  capitale  ;  Tse-mou,  venu  du  sud, 
campait  au  sud  ;   et  ainsi  des  autres. 

Siun-yng  ^fj  ^,  l'assesseur  de  Tchao-ou.  lui  tit  la  remarque 
suivante  :    les  gens  de  Tch'ou  ont  bien  mauvaise  mine  ;    n'y  a-t-il 


DU    ROYAUME   DE  TSIN.    p'iXG-KONG.  291 

pas  quelque  complication  à  craindre  ?  —  S'ils  veulent  nous  jouer 
quelque  tour,  répondit  le  ministre,  nous  n'aurons  qu'à  gagner  la 
porte  orientale  de  la  ville,  et  nous  serons  chez  nous,  à  l'abri  d'un 
coup  de  main  ;   qu'y  a-t-il  à  redouter  ? 

Au  jour  sin-se  ^  g_,  22  avril,  on  se  préparait  à  signer  et  à 
jurer  solennellement  la  convention,  en  dehors  de  la  porte  occiden- 
tale ;  quant  aux  gens  de  Tch'ou,  ils  endossèrent  la  cuirasse  sous 
leurs  habits,  dans  le  dessein  de  tomber  à  l'improviste  sur  les  sol- 
dats de  Tsin. 

Pé-lcheou-li  fQ  j\]  2j9,  ce  transfuge  que  nous  connaissons, 
voyant  le  piège  que  l'on  allait  tendre  aux  hommes  de  son  pays, 
s'en  montra  vivement  ému  :  une  telle  perfidie  est  impossible  ! 
s'écria-t-il  ;  nous  sommes  venus  pour  conclure  la  paix  avec  tous 
les  princes  ;  leurs  députés  sont  réunis  en  toute  confiance  en  notre 
bonne  foi  ;  et  nous  commettrions  une  telle  déloyauté  !  même  les 
vassaux  qui  nous  étaient  soumis  jusqu'à  ce  jour,  ne  vont-ils  pas 
nous  quitter  avec  horreur  ? 

Le  bon  seigneur  insistait  de  toutes  ses  forces,  pour  faire  reti- 
rer les  cuirasses.  Tse-mou  lui  répondit  brutalement  :  que  parlez- 
vous  de  bonne  foi  ?  il  y  a  longtemps  que  votre  royaume  et  le  nôtre 
ne  s'en  soucient  plus  ;  ils  ne  considèrent  que  leur  avantage  ; 
pourvu  que  nous  atteignions  notre  but,  peu  importe  le  reste  ! 

Pé-tcheou-li  sortit  indigné  et  navré  :  cet  homme,  dit-il  à  son 
entourage,  n'en  a  pas  pour  trois  ans  !  il  ne  songe  qu'à  son  but, 
sans  se  préoccuper  de  la  bonne  foi  ;  comment  pourrait-il  subsister 
longtemps  ? 

De  son  coté,  Tchao-ou,  malgré  sa  réponse  précédente,  n'était 
pas  sans  quelque  appréhension  ;  il  consulta  son  mentor,  le  sage 
Clwu-1iian<j  %{  |mJ.  Celui-ci  lui  répondit:  Qu'avons-nous  à  craindre? 
même  un  homme  vulgaire  qui  n'a  pas  de  bonne  foi,  ne  peut  sub- 
sister ;  il  cause  sa  propre  ruine;  à  plus  forte  raison,  un  prince  qui 
a  réuni  les  ministres  de  tous  les  états,  peut-il  espérer  la  réussite 
de  ses  desseins,  s'il  manque  de  loyauté?  c'est  la  confiance  qui  a 
rassemblé  tant  de  députés  ;  les  gens  de  Tch'ou  se  trompent,  s'ils 
croient  arriver  à  leur  but  par  la  perfidie  ;  ils  ne  nuiront  qu'à  eux- 
mêmes  ;  espèrent-ils  gagner  ainsi  le  cœur  des  vassaux,  et  les 
attirer  à  leur  parti?  Oui  donc  voudrait  s'attacher  à  eux,  après 
une  si  noire  fourberie?  Nous  avons  un  appui,  en  cas  de  trahison; 
nous  n'avons  qu'à  nous  retirer  dans  la  ville,  qui  est  à  nous;  avec 
le  secours  de  sa  garnison,  nous  pourrions  tenir  en  échec  les  gens 
de  Tch'ou,  fussent-ils  deux  fois  plus  nombreux  qu'il  ne  sont.  Bien 
plus!  dussions-nous  mourir  dans  un  guet-à-pens  ;  puisque  nous 
sommes  venus  pour  établir  une  paix  universelle,  toute  la  gloire  et 
tous  les  avantages  seraient  pour  nous:  les  gens  de  Tch'ou,  cou- 
verts de  honte,  s'en  retourneraient  chez  eux.  avec  la  réprobation 
de  tous  les  Etats. 

Un    autre   incident   se    produisit   à    ce   même   moment:     Par 


292  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

ordre  du  duc  de  Lou  ;f|.  le  premier  ministre  Ki-ou-tse  %£  ^  ^ 
avait  mandé  à  son  député,  le  seigneur  Chou-suen-pao  ^  fâ  %}  de 
suivre  la  même  ligne  de  conduite  que  les  principautés  de  Tchou 
ï\\  et  de  Teng  Jfëg  :  parcequ'il  avait  peur  de  se  voir  imposer  de  trop 
fortes  contributions  ;or  il  arriva  que  le  roi  de  Ts'i  ^  demanda  et 
obtint  que  le  prince  de  Tcliou  ^JS  fût  son  tributaire  ;  de  même  l'état 
de  Song  -J{i  reçut  la  principauté  de  Teng  I)&,  sous  sa  dépendance 
immédiate  :  en  conséquence,  les  deux  princes,  présents  à  l'assem- 
blée, devaient  être  exclus  de  la  signature,  réservée  aux  seuls  états 
indépendants.  Le  représentant  du  duc  ne  pouvait  plus  se  confor- 
mer à  l'ordre  reçu,  sinon  c'était  la  déchéance  :  il  se  résolut  à 
suivre  la  ligne  de  conduite  de  ses  égaux,  les  pays  de  Song  5^  et 
de  Wei  -f|rf  :  comme  eux  il  fut  admis  à  la  signature  du  traité,  et 
au  serment  solennel. 

Nous  voici  arrivés  au  moment  critique  :  Les  congressistes 
sont  réunis;  qui  d'entre  eux  va  avoir  la  préséance?  qui  va  signer 
le  premier"?  qui  va,  le  premier,  se  frotter  les  lèvres  avec  le  sang 
de  la  victime?  les  gens  de  Tch'ou  ^  vont-ils  susciter  une  querelle 
à  ce  sujet,  pour  pouvoir  fondre  sur  leurs  rivaux  de  Tsin?  les  cœurs 
devaient  battre  un  peu  fort  à  cet  instant  décisif! 

Notre  souverain,  dirent  les  gens  de  Tsin,  à  été  jusqu'ici  le 
chef  des  vassaux  de  l'empire,  sans  que  jamais  personne  eût  pré- 
tendu avoir  le  pas  sur  lui.  —  11  y  a  peu  de  jours,  répliquèrent 
leurs  rivaux,  vous  nous  avez  mandé  que  les  états  de  Tsin  et  de 
Tch'ou  vont  d'égal  à  égal:  comment  aujourd'hui  voulez-vous  nous 
mettre  au  second  rang?  Depuis  longtemps  d'ailleurs,  nos  deux 
états  ont  eu  alternativement  la  suprématie  sur  les  princes  féodaux: 
comment  prétendez-vous  l'avoir  exercée  toujours  et  tout  seuls  ? 

L'orage  commençait  à  gronder  :  un  des  deux  rivaux  allait-il 
sombrer?  Le  sage  Chou-hiang  $1  |fï]  dit  onctueusement  à  son  pre- 
mier ministre  ;  les  divers  princes  se  sont  alliés  à  notre  souverain, 
non  pas  à  cause  de  sa  préséance  dans  les  assemblées,  mais  à  cause 
de  sa  haute  vertu  :  que  votre  seigneurie  rivalise  donc  à  l'emporter 
en  vertu,  comme  lui  :  non  pas  à  se  frotter  les  lèvres  le  premier, 
avec  le  sang  des  victimes!  D'ailleurs,  dans  les  assemblées,  il 
s'agit  d'arranger  les  affaires  des  petits  états,  co-signataires  du 
traité  ;  il  faut  bien  que  quelqu'un  se  charge  de  cette  corvée  ;  si  les 
gens  de  Tch'ou  veulent  la  prendre  pour  eux  :  tant  mieux  pour 
nous!  pouvons-nous  en  être  mécontents? 

Là-dessus,  l'inflexible  ministre  de  Tch'ou,  le  premier,  se 
frotta  les  lèvres  avec  le  sang  des  victimes.  Ce  qui  n'empêche  pas 
Confucius  de  donner  la  préséance  à  Tchao-ou  ;  pareeque,  dit-il,  le 
royaume  de  Tsin  était  vertueux  et  loyal.  N'est-ce  pas  une  niaise- 
rie? L'histoire  doit  avant  tout  dire  la  vérité.  Les  commentaires 
ne  sont  pas  plus  intelligents  dans  leur  explication  ;  pour  eux,  les 
gens  de  Tch'ou  étant  des  sauvages,  ne  pouvaient  marcher  de  pair 
avec  les  Chinois;  encore  moins  passser  avant  eux.     Belle  raison  ! 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  293 

Quatorze  états  étaient  représentés  à  ce  congrès  ;  Confucius 
n'en  mentionne  que  .neuf;  on  arrive  à  son  chiffre  de  la  manière 
suivante:  les  rois  de  Ts'i  3ë|  et  de  Ts'in  |j|  ne  comptent  pas, 
comme  dispensés  des  visites  officielles  ;  les  princes  de  Tcltou  %\\ 
et  de  Teng  Jjig  ne  comptent  pas  non  plus,  comme  ayant  été  mé- 
diatisés"; enrin,  le  prince  de  Sang  $~,  chez  qui  l'on  se  trouvait, 
ne  devait  pas  signer  la  convention,  quoiqu'il  y  adhérât,  et  en  fût 
même  considéré  comme  l'entremetteur;  ainsi  le  voulait  l'étiquette 
en  usage  dans  les  traités  ;  c'était  une  exagération  de  déférance  et 
d'humilité  envers  les  hôtes. 

Ici,  pour  la  première  fois,  parait  officiellement,  et  dans  un 
acte  sollennel,  ce  qui  existait  de  fait  depuis  longtemps:  à  savoir, 
le  dualisme  dans  l'administration  de  l'empire  :  on  y  parle  des 
adhérents  de  Tsin  et  de  Tch'ou  ^,  comme  ayant  les  mêmes  droits, 
les  mêmes  privilèges;  désormais,  il  y  a  deux  chefs  des  vassaux; 
celui  du  nord,  le  roi  de  Tsin;  et  celui  du  sud,  le  roi  de  Tch'ou; 
chose  inouie  jusque  là,  on  y  reconnaît  des  sauvages  les  uens  de 
Tch'ou;  comme  les  égaux  des  Chinois. 

Les  historiens  et  les  commentaires  en  versent  des  larmes  ;  et 
ils  ajoutent  que  plus  tard  on  descendra  encore  plus  bas,  en  ad- 
mettant les  barbares  de  Ou  J^.  et  de  Yuè  %&  dans  le  concert  des 
nations  civilisées,  c'est-à-dire  chinoises. 

Quant  à  l'empereur,  lils  du  ciel,  maître  unique  du  monde  exis- 
tant, il  n'en  est  pas  même  fait  mention  ;  son  ministre,  président 
naturel  d'une  assemblée  comme  celle-là,  ne  paraît  pas,  n'a  pas  été 
invité;  on  veut  prouver  efficacement  que  son  maître  ne  compte  plus. 

Hiang-siu  [p]  Jj^, l'infatigable  promoteur  du  congrès,  s'imagina- 
t-il  avoir  réussi"?  crut-il  que  jamais  plus  on  ne  verrait  de  guerres 
entre  les  divers  princes?  comprit-il,  au  contraire,  qu'avec  le  systè- 
me nouvellement  inauguré,  les  choses  ne  marcheraient  pas  mieux 
qu'auparavant?  nous  ne  pouvons  répondre  à  ces  questions;  peut- 
être  vécut-il  assez  longtemps  pour  voir  les  batailles  recommencer 
comme  autrefois. 

Nous-mêmes,  en  ces  derniers  temps,  dans  l'Europe  supra- 
civilisée,  n'avons-nous  pas  vu  un  puissant  empereur  provoquer  une 
semblable  assemblée,  avec  aussi  peu  de  succès?  n'avons-nous  pas 
vu  les  congressistes  sortir  de  leur  réunion,  pour  bourrer  leur>  ca- 
nons, charger  leurs  vaisseaux  ;  qui  pour  l'Afrique,  qui  pour  la 
Chine?  Paix  universelle  !  Belle  pensée  ;  irréalisable  dans  les  condi- 
tions où  l'on    espère  en  vain  la  mener  à  bonne  fin  ! 

.Mais  reprenons  notre  récit  :  Le  23  avril,  au  lendemain  du 
pacte  solennel,  le  roi  de  Song  $£  donnait  un  grand  festin,  en 
l'honneur  des  deux  premiers  ministres  de  Tsin  et  de  Tch'ou  $£  ; 
pour  consoler  Tchao-ou  d'avoir  été  évincé  la  veille,  on  lui  laissa 
la  préséance  au  banquet  ;  mais  il  parait  qu'il  ne  sut  pas  répondre 
convenablement,  dans  son  entretien  avec  son  rival  Tse-mou;  pour 
éviter  une   nouvelle  honte,  il  ordonna  à  Chou-hiang  de  se  tenir  à 


294  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

ses    cotes,    et    de    prendre   la    parole  à  sa  place;    le  lettré  remporta 
bientôt  le  triomphe  sur  toute  la  ligne. 

Entre  autres  questions,  Tse-mou  fit  la  suivante:  En  quoi  donc 
la  vertu  de  votre  seigneur  Fan-ou-t^e  ffc  jj^  -$•  fut-elle  si  remarqua- 
ble, pour  avoir  obtenu  une  si  grande  renommée  fl)? 

Le  sage  lettré  répondit  :  c'était  un  homme  modèle  dans  sa 
famille,  dont  toutes  les  affaires  étaient  parfaitement  réglées  ;  c'était 
un  modèle  à  la  cour,  où  il  parlait  à  son  souverain  avec  la  plus 
franche  sincérité  :  aussi  les  employés  de  son  temple  n'avaient  rien 
à  cacher,  rien  à  exagérer  sur  ses  mérites,  dan  leurs  suppliques 
aux  Esprits  protecteurs  de  sa  maison  ;  ils  n'avaient  qu'à  invoquer 
la  simple  vérité,  pour  les  fléchir  en  sa  faveur. 

L'historien  ajoute  que  Tse-mou,  rentré  dans  sa  patrie,  rap- 
porta cette  réponse  à  son  roi.  et  que  celui-ci  s'écria  :  ô  l'homme 
admirable,  qui  fut  également  agréé  des  hommes  et  des  Esprits! 
étant  doué  d'une  telle  vertu,  il  était  bien  juste  qu'un  tel  homme 
aidât,  illustrât  cinq  souverains,  et  les  fit  parvenir  à  la  dignité  de 
chefs  des  vassaux  !  Tse-mou  remarqua  de  même  :  il  est  bien  na- 
turel que  le  roi  de  Tsin  conserve  la  suprématie  sur  les  princes 
féodaux  ;  car  un  sage  comme  Chou-hiang  est  le  conseiller  qui 
inspire  les  ministres  :  notre  pays  n'a  pas  de  dignitaire  qui  lui 
soit  comparable:  ainsi  nous  ne  pouvons  guère  lutter  pour  l'hégé- 
monie, avec  quelque  espoir  de  succès. 

Au  jour  i-you  g,  "g"  (26  avril  le  roi  de  Song  5fç  signait  en 
son  particulier,  en  dehors  de  la  parte  Mong  |jj|  (2),  le  traité  de 
paix  universelle:  le  faire  avec  tout  le  monde,  aurait  dénoté  de 
l'arrogance  envers  ses  hôtes,  dont  il  devait  se  considérer  comme 
le  valet. 

Tckao-ou  ^§  ]j\;.  en  retournant  dans  son  pays,  passa  par  la 
capitale  de  Tcheng  §j>  ;  on  lui  fit  fête  à  Tch'ouei-long  gè  ffl|  (3)  ; 
le  prince  y  était  présent,  avec  les  sept  grands  seigneurs  Txe-tchen 
ïr  M>  Pè-you  f£  ^,  Tsesi  ^  ]f.  Tse-iclvan  ^  j^,  T.<e-trai- 
chou  ^f-  -Jk  M  et  les  deux  Tse-che  ^f-  ^,  dont  l'un  s'appelait 
Yng-toan  O]  jU;,  l'autre  Kong-suen-loan  Q  fâ  fj£. 

Tchao-ou  dit  joyeusement  au  prince  :  votre  Majesté  me  fait 
vraiment  trop  d'honneurs  ;  mais  puisqu'il  en  est  ainsi,  je  serais 
au  comble  du  plaisir,  si  ces  messieurs  avaient  la  bonté  de  me 
chanter  chacun  une  ode,  qui  manifestât  les  sentiments  de  leur  cœur. 

(1)  Fan-ou-tsc,  c'est  Che-lioci  i  fj"  ou  Che-ki  i  !p,  aussi  nommé  Soei-hoei 
El  fr.  Soei-];i  £a  ^  et  Soei-ou-tse  Eia  jR  ^  .  du  nom  de  son  fiel  Soei  Kg. 

(2)  La  porte  Mong,  était  celle  du  nord-est  :  l'endroit  précis,  pour  cette  signa- 
ture, fut,  dit-on.  ta  40  li  au  nord  de  la  capitale.    'Petite  geogr...  vol.   12,  p.   12)    — 

rlr.    vol.    SO,   p. 

(3)  Tch'ouei-lonir,  était  un  peu  à  lest  de  Yong-ijang  hien  ta  15»  Sf  1  qui  0!it  ;l 
200  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  ICai-fnng  fou  Pf]  Jt  lîi.  Ilo-nan.  Petite  giogr., 
vol.    12.  p.  S)   —   (Grande,  vol.   4-.  p. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  295 

Aussitôt,  le  premier,  Tsc-tchen  chanta  l"ode  «  la  sauterelle 
dans  les  prés  crie»,  mi  la  femme  d'un  grand  officier  appelle  de  ses 
vœux  le  retour  de  son  mari.  Tchao-ou  répondit  avec  humilité  : 
ce  serait  très-bien  pour  un  souverain  qui  s'abaisse  vers  son  peu- 
ple ;  mais  moi,  je  ne  suis  qu'un  petit  ministre  ;  je  ne  puis  accepter 
ce  compliment    1  ). 

Pé-vou  chanta  l'ode  «  les  cailles,  les  pieSj  oonl  deux  à  deux  ; 
et  sont  fidèles  l'une  à  l'autre»,  qui  célèbre  la  foi  conjugale,  et 
réprouve  les  mœurs  déréglées.  Tchao-ou  répondit  :  pareilles  pa- 
roles peuvent  se  dire  au  lit,  mais  ne  doivent  pas  passer  le  seuil 
de  la  porte  ;  à  plus  forte  raison,  ne  doivent  pas  se  faire  entendre 
en  public  ;  moi,  petit  serviteur  de  mon  souverain,  je  ne  puis  les 
laisser  achever  (2). 

Tse-si  chanta  la  é*me  strophe  de  l'ode  Chou-miao  ^  "jg.  qui 
dit  nies  travaux  exécuté*  à  Sié  ffâ  ont  une  apparence  sévère  ;  c'est 
le  prince  Chao  ^g  qui  en  a  tracé  le  pian»  ;  le  dignitaire  comparait 
donc  le  premier-ministre  à  cet  homme  illustre.  Tchao-ou  protesta 
modestement  :  pareil  éloge,  dit-il,  pourrait  convenir  à  mon  sou- 
verain ;   moi,  comment  oserais-je  l'accepter  (3)"? 

Tse-tch'an,  le  fameux  lettré-diplomate  que  nous  connaissons, 
chanta  l'ode  ((dans  un  terrain  bas  et  humide  le  mûrier  devient 
magnifique»,  où  l'on  célèbre  l'estime  et  l'affection  pour  les  sages  ; 
c'était  exprimer  sa  joie  de  saluer  un  homme  de  ce  genre,  dans  la 
personne  du  ministre.  Tchao-ou  répondit  :  j'accepte  la  V'lm'  stro- 
phe, qui  dit  a  déjà  auparavant  je  l'aimais  dams  mon  cœur  (en  se- 
cret) :  pourquoi  ne  le  dirais-je  pas  ?  je  garde  son  souvenir  au 
fond  de  mon  âme  ;  pourrais-je  l'oublier  jamais  (4)? 

Tse-t'ai-chou  chanta  l'ode  «  dans  la  plaine  croît  une  plante 
rampante  ;  elfe  est  couverte  de  ronéo  »  ;  on  y  célèbre  la  rencontre 
d'un  sage.  Tchao-ou  dit  :  vous  êtes  vraiment  bien  aimable  de 
m'adresser  un  tel  compliment    5   ! 

Yng-toan  chanta  l'ode  «/e  grillon  est  dans  la  chambre,  et 
l'année  touche  à  sa  fin  »  :  on  y  célèbre  le  repos  et  la  joie,  dont  il 
faut  user  avec  modération.  Oui,  c'est  bien,  dit  Tchao-ou,  il  faut 
de  la  modération  ;  c'est  elle  qui  conserve  la  famille  ;  j'espère  pou- 
voir le  faire  (6). 

Enfin,  Kong-suen-toan  chanta  l'ode  «  le.<  vevdiers  du  mûrier 
voltigent  ça  et  la  ;  leur  plumage  est  varié»  :  c'est  l'empereur  qui. 
dans  sa  joie,  félicite  les  feudataires  de  leurs  manières  cordiales  et 
aisées.  En  réponse,  Tchao-ou  chanta  lui-même  la  dernière  strophe 
de  cette  ode  ;  la  voici  :  «  celle  corne  de  rhinocéros  est  recourbée  : 
elle  contient  un  vin  exquis  et  très-doux  :  les  princes  assis  à  ee 
banquet  ne  sont  point  arrogants  entre  eux  ;  toute*  les  faveur*  du 
ciel  seront  pour  eux  »  :   il  ajouta  :   si  quelqu'un  peut  accomplir  ce 


(l)    Che-king  §^  |ig.  (Couvreur,  p,   iS,  ode  3  —   (2)  p.  56.  ode  j.    — 
30c,  ode  3  —  (4)  p.  jzo,  ode  4  —  (5)  p.    toi,    ode    20    —    (S)   p-    120,    ode    1    — 


296  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

que   dit   cette   ode,    voulût-il  fuir  le   bonheur   et   toutes    sortes   de 
bénédictions,  il  n'y  parviendrait  pas  !      (l) 

Le  festin  fini,  Tchao-ou  dit  à  Chou-hiang  :  ce  Pè-you  jfa  vff 
mourra  de  mort  violente,  et  dans  peu  d'années!  par  la  poésie, 
nous  manifestons  les  désirs  de  notre  cœur  ;  il  a  donc  voulu  calom- 
nier son  prince,  compromettre  son  honneur  devant  tout  le  monde, 
dans  une  réception  solennelle  d'un  visiteur,  alors  qu'il  était  là 
comme  son  compagnon  ;  comment  pourrait-il  durer  longtemps  ? 
il  aura  de  la  chance,  s'il  est  d'abord  chassé  en  exil  ! 

Chou-hiang  répondit:  oui,  il  est  par  trop  impudent  ;  c'est  un 
de  ceux  desquels  on  dit  «il  ne  mangera  pas  le  blé  de  cinq  récoltes. — 
Le  lecteur  connaît  ces  prédictions  faites  après  coup  par  l'historien; 
elles  sont  donc  infaillibles  ;  nous  verrons  celle-ci  se  réaliser  en  543. 

Tchao-ou  continua  ses  appréciations  et  ses  prophéties  :  Les 
six  autres  seigneurs  floriront  pendant  des  générations;  Tse-tchen, 
plus  longtemps  que  les  autres  ;  car,  dans  une  haute  dignité,  il 
n'oublie  pas  de  s'humilier  ;  Yng-toan  le  suit  le  plus  près  ;  il  se 
réjouit,  mais  garde  la  modération,  et  sait  être  le  consolateur  du 
peuple;  envers  lui,  il  évite  toute  tyrannie,  toute  surcharge;  com- 
ment ne  durerait-il  pas  longtemps? 

Le  grand  seigneur  de  Tch'ou,  Wei-pi  ^  Ifl,  fut  envoyé  par 
son  roi  à  la  cour  de  Tsin,  rendre  la  visite  de  l'ambassadeur,  et 
ratifier  le  traité  de  paix  universelle.  P'ing-kong  donna  un  grand 
festin  en  son  honneur.  Tse-t'ang  ^  $>.  (autre  nom  de  ce  digni- 
taire), sur  le  point  de  quitter  la  table,  chanta  l'ode  «vous  nous 
avez  servi  le  vin  à  pleines  coupes,  et  nous  avez  comblés  de  bien- 
faits; prince,  que  le  ciel  vous  accorde  dix  mille  ans  de  vie,  et  un 
accroissement  de  prospérité!»  (2) 

Aussitôt  le  sage  Chou-hiang  se  trouva  inspiré:  ce  seigneur 
Wei  |||f,  dit-il,  aura  de  la  descendance  dans  le  royaume  de  Tch'ou 
^  ;  et  c'est  bien  juste;  chargé  d'une  mission  par  son  souverain, 
il  y  a  montré  de  la  diligence  et  de  l'intelligence  ;  il  sera  bientôt 
élevé  à  la  tète  du  gouvernement,  et  saura  bien  soigner  son  peu- 
ple ;  à  quel  autre  pourrait  mieux  convenir  cette  haute  dignité? 

En  545,  vers  le  mois  d'avril,  arrivaient  à  la  cour  de  Tsin  les 
princes  de  Tch'en  ffi,  de  Ts'ai  £|,  de  Hou  ^  et  de  Chen  fâ,  tous 
feudataires  de  Tch'ou  ^|  ;  c'était  l'exécution  du  traité  de  paix 
universelle  qui  commençait.  Apparurent  ensuite  le  prince  de  Yen 
djjt  et  le  chef  des  Tartares  blancs  [pé  Ti  ^j  |ft].  Le  roi  de  Ts(i  ^ 
se  préparant  à  la  même  visite,  le  seigneur  K'ing-fong  J|  ^  lui 
remarqua:  nous  n'avons  pas  signé  cette  convention,  pas  plus  que 
le  roi  da  Ts'in  fj|  ;  nous  avons  été  dispensés  de  ces  visites  :  pour- 
quoi les  faire  (3)? 

(1)  Che-king  f$-  ifjSJ.  (Couvreur,  p.  s8ç,  et  sço,  ode  i). 

Cl)   Che-king  $  ££.  (Couvreur  p.  ,iss>  '"'<'  s)- 

(H)   Yen,  sa  capitale  était  STïeji  tch'eng  ffij  w,  :  c'est-à-dire  la   partie    orientale 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  297 

Le  grand  seigneur  Tch'en  Wen-tse  (^  ^C  -^  répliqua:  étant 
vassal  d'un  grand  royaume,  il  faut  d'abord  se  conformer  à  son 
administration;  puis  il  faut  lui  offrir  des  cadeaux;  c'est  ce  que 
prescrivent  les  rites  ;  un  petit  état  doit  même  prévenir  la  pensée 
de  son  suzerain,  sans  attendre  un  ordre  exprès;  c'est  encore  une 
prescription  des  rites  ;  nous  n'avons  pas  signé  le  traité  de  Song 
zfc,  c'est  vrai;  mais  pouvons-nous  rejeter  le  vasselage  de  Tsin? 
avez-vous  oublié  le  traité  de  Tchong-h'iou  jg  Jjfl  ?  [548)  vous 
devriez,  au  contraire,  engager  notre  souverain  à  partir  au  plus  tôt! 

Le  duc  de  Lou  |§.,  avant  de  se  rendre  à  la  cour  de  Tch'ou 
&£,  en  donna  avis  à  P'ing-kong,  de  crainte  que  cette  démarche  fût 
mal  interprétée  ;  tandisqu'il  voulait  simplement  se  conformer  au 
texte  de  la  convention.  En  juillet-août  (9'me  lune),  le  prince  de 
Tcheng  J|p  prenait  la  même  précaution,  pour  le  même  motif. 

Vers  la  fin  de  l'année,  Tse-mou  ^f-  t{c,  le  premier  ministre 
de  Tch'ou,  étant  mort,  Tchao-ou  en  porta  le  deuil  ;  ayant  ensemble 
signé  le  traité  de  paix,  ils  étaient  censés  devenus  frères,  d'après 
les  prescriptions  des  rites.  Si  cela  avait  pu  continuer  longtemps 
de  cette  manière,  on  aurait  pu  croire  à  l'efficacité  de  la  convention 
de  Song  ;   que  de  calamités  évitées  ! 

En  544,  en  mars-avril,  P'ing-kong  faisait  construire  les  for- 
tifications de  la  ville  de  K'i  fâ  ;  pour  augmenter  l'honneur  de  sa 
mère,  princesse  de  ce  pays.  C'est  le  grand  seigneur  Siun-yng  ^j 
-%%  qui  était  chargé  de  ces  travaux  ;  celui-ci,  appelé  aussi  Tche- 
tao-tse  £fj  '|^r  ^  (1),  convoqua  les  grands  officiers  des  divers  prin- 
ces féodaux,  pour  leur  demander  chacun  leur  contingent  de  tra- 
vailleurs, et  mener  rondement  cette  entreprise. 

T$e-teai-chou  -^  ^  jfjj,  grand  dignitaire  de  Tcheng  f|fl,  dont 
nous  venons  de  parler,  étant  allé  faire  visite  à  T'ai-chou-wen-t<<j 
~À\.  ;fô  Z5C  -f  de  Wei  jaj,  ce  dernier  lui  dit  avec  mauvaise  humeur: 
c'est  pourtant  trop  fort,  que  nous  soyions  obligés  de  bâtir  ces  for- 
tifications !  —  C'est  vrai,  répondit  Tse-t'ai-chou  ;  le  roi  de  Tsin 
n'a  cure  des  états  du  clan  impérial,  qui  sont  en  détresse  ;  il  ré- 
serve ses  soins  pour  ce  dernier  reste  de  la  dynastie  éteinte  Hia  J[; 

de  Pé-king  4b  JS  '■  car  cette  dernière   ville   était   alors   bien    loin   de   son   amplitude 
actuelle    (Petite  géogr.,  vol.   i,  p>-  2}   —  (Grande,  vol.  1.  p.   18  —  vol.  11,  p.  5). 

Hou  :  sa  capitale  était  à  2  li  nord-ouest  de  Yng  tcheou  fou  %\  ^f|  f(f ,  Xgan- 
hoei.   (Petite  géogr..  vol.   6,  p.  30)  —  (Grande,  vol.    1.  j>,    ly  —   vol.    21.  p. 

Chen  :  sa  capitale,  appelée  plus  tard  P'ing-yu  tch'eng  7P  fî;I  jjp,  était  au  sud- 
est  de  Jou-ning  fou  fa  "ëp.  Jfl\  Ilo-nan.  (Petite  géogr.,  roi.  12.  p.  4c  —  Grande, 
vol.  so,  p.  iS). 

(1)  Ce  seigneur, de  la  famille  Siucn  ~»\ij  (branche  Tche  £j]  '' ,  avait  perdu  son 
père  Tchc-cho  ;fcfl  $)]  à  l'âge  de  six  ans  ;  puis  bientôt  son  grand-père  Tche-ou-tae  jffl 
ff^  -J- ;  aussi  avança-t  il  lentement  dans  la  carrière  des  honneurs.  Annales  du  Chan- 
si,  vol.  8,  p.  es). 

38 


298  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

n'est-ce  pas  une  grande  faute  ?  les  anciens  disaient  :  quiconque 
délaisse  sa  propre  famille,  pour  courir  après  une  autre,  a  brisé 
avec  la  vertu.  Le  livre  des  Vers  (I)  a  la  même  sentence  :  v  ce  ne 
sont  que  de  vils  flatteurs,  (de  vils  favoris  de  l'empereur),  ceux  qui 
ont  des  réunions  avec  leurs  voisins,  des  relations  fréquentes  avec 
leurs  parents  par  alliance,  et  abandonnent  leur  propre  famille  ». 
Si  le  roi  de  Tsin  néglige  ceux  qui  lui  sont  si  étroitement  unis 
par  le  sang,  qui  donc  recherchera  encore  son  amitié? 

Le  grand  seigneur  A'ao  Ise  yong  j^  -^  '^  de  Ts'i  ^  (nommé 
aussi  A'ao  tche  ^  j£),  et  Hoa-ting  J|Ë  ^  ministre  de  l'instruction 
de  Song  5|c,  vinrent  saluer  Siun-yng  ^j  ^  occupé  à  ses  fortifica- 
tions ;  après  la  visite,  son  compagnon,  le  seigneur  Jou-ts'i  ^  ^ 
(2)  lui  fit  cette  remarque  :  ces  deux  dignitaires  n'échapperont  pas 
aux  calamités  qu'ils  se  préparent  eux-mêmes  :  Kao-tche  est  un 
inflexible  arrogant  ;  Hoa-ting  est  un  oigeuilleux  et  un  prodigue  : 
des  gens  semblables  sont  la  ruine  de  leur  famille. 

Siun-yng  lui  demanda  quand  le  malheur  fondrait  sur  eux  ? 
—  Sur  un  tyran,  répondit  le  prophète,  les  calamités  arrivent  au 
galop  ;  sur  un  prodigue,  elles  viennent  plus  lentement  ;  celui-ci 
meurt  d'anémie  ;  l'autre  est  renversé  par  les  hommes,  qui  se  jet- 
tent sur  lui  avec  fureur.  —  L'automne  de  cette  même  année  n'était 
pas  encore  fini,  quand  le  seigneur  Kao-tche  }§Ç  j{^  s'enfuyait  au 
pavs  de  Yen  çjpË  (3)  ;  en  522,  Hoa-ting  |p|  ^  s'enfuira  au  pavs 
de"  Te// 'en  jJjg'.'" 

Pour  remercier  le  duc  de  Lou  ^  de  sa  coopération  aux  tra- 
vaux de  K'i  ^£,  P'ing-kong  députa  le  seigneur  Che-yang  -j^  ^, 
que  nous  connaissons  depuis  longtemps.  Peu  après,  il  envoyait 
Jou-ts'i  -f£  5§,  prier  le  même  duc  de  restituer  à  cette  principauté 
les  territoires  qu'il  lui  avait  autrefois  enlevés.  On  en  rendit  seu- 
lement une  partie. 

Tao-fou-jen  \i?.  ^  A  ,  c'est-à-dire  la  reine-douairière,  la  mère 
de  P'ing-kong,  était  furieuse  :  ce  Jou-ts'i,  s'écria-t-elle,  a  dû  re- 
cevoir des  cadeaux,  pour  ne  pas  exiger  la  restitution  complète  !  si 
le  défunt  roi,  mon  mari,  peut  avoir  connaissance  de  cette  trahison, 
pourra-t-il  la  laisser  impunie  ? 

P'ing-kong  rapporta  cette  malédiction  à  Jou-ts'i;  mais  celui- 

(1)  Che-king  '§$  Jjg.  (Couvreur,  p.  23s,  ode  8,  n.  12)  —  (Zottoli,  III.  16S. 
ode  38  n.    12). 

(2)  La  familic  Jou,  dont  le*  présent  seigneur  Fut  un  des  membres  les  plus  cé- 
lèbres, n'occupa  jamais  les  plus  hautes  dignités  du  royaume  de  Tsin.  (Annales  du 
Chan-si,  vol.  S.  p.  26). 

(3)  Son  fils  Kao-chou  ïgj  §£  s'enfuit  auprès  de  P'in-kong,  qui  fortifia  et  lui 
donna  la  ville  de  Mien  ,?•$  ;  celle-ci  était  auprès  de  la  montagne  Mien-chang-chan 
$$  I;  lU,  à  80  li  au  nord  de  T'sin-yuen  hien  y-C.  îîK  !f,  qui  est  à  120  li  à  l'ouest  de 
T'sin-tcheou  ,'j   I!'1 ,   Chan-si.  (Grande  géogr.,  vol.  43.  p.  11). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  299 

ci  n"en  fut  point  ému  ;  il  répondit  tranquillement  :  les  petites 
principautés  de  YuJjSft  655  .  de  Koao  ^  655),  de  Tsiao  je,  de 
Houafft    627),  de  IIouo  'g    660.,  de  Kangjg,  de  H  an  ^  et  de  Wei 

ff|  660  .  dont  les  souverains  étaient  tous  du  clan  impérial  Ki  #(§ 
et  de  votre  famille,  ont  été  détruites  et  annexées  à  notre  royaume; 
c'est  ainsi  qu*il  est  devenu  puissant,  et  a  pu  faire  de  nouvelles 
conquêtes;  votre  ancêtre  Hien-kong  f^fc  Q  672-652  ,  à  lui  seul  a 
annexé  dix-sept  petits  états,  en  a  soumis  trente-huit  autres  à  son 
vasselage  ;  et  ses  successeurs  ont  continué  le  même  système.  Qui 
donc  aujourd'hui  obtiendrait  de  nous  la  restitution  de  tant  de 
pays?  La  minuscule  principauté  de  K'i  fâ  n'est  qu'un  faible  reste 
de  la  dynastie  Hia  J[  ;  elle  a  perdu  la  chilisation  chinoise,  et  est 
devenue  sauvage;  tandisque  le  duc  de  Lou  ^- ,  descendant  de 
Tcheou-kong  J5]  ^ ,  est  notre  ami  dévoué.  Lui  remettre  tout  le 
territoire  de  K'i  ne  serait  que  justice;  et  l'on  ose  lui  en  redeman- 
der une  partie?  Il  est  extrêmement  fidèle  à  payer  ses  contribu- 
tions ;  il  nous  envoie  des  cadeaux  à  chaque  instant;  lui,  ses 
ministres,  ses  grands  officiers,  ont  avec  nous  les  relations  les  plus 
cordiales  ;  et  nous  irions  l'appauvrir,  pour  agrandir  l'insignifiant 
état  de  K"i"?  Si  notre  défunt  souverain  peut  avoir  connaissance 
du  dessein  de  la  reine-douairière,  assurément  il  le  désavouera,  et 
approuvera  ma  conduite  ! 

En  543,  à  la  deuxième  lune,  au  jour  koei-wei  J£  fc  i  décem- 
bre .  Tao-fou-jen  cette  même  douairière,  donnait  un  grand  dîner 
à  tous  ceux  qui  avaient  pris  part  aux  fortifications  de  K'i  4ti  : 
parmi  eux,  se  trouva  un  vieillard,  qui,  n'ayant  pas  de  fils,  avait 
dû  lui-même  fournir  sa  corvée.  Un  des  servants  lui  demanda  son 
âge;  il  répondit:  un  homme  vulgaire  comme  moi  ne  se  préoccupe 
guère  du  nombre  de  ses  années  ;  depuis  ma  naissance,  qui  eut 
lieu  le  1er  jour  de  la  lère  lune,  au  cycle  kia~lse  Ep  ^  du  calendrier 
de  la  dynastie  Hia  J|,  se  sont  écoulés  4  45  Itia-lsc  r^  -^  ou  cycles  : 
aujourd'hui  commence  le  3  ine  tiers  d'un  autre  kia-tse  c'est-à-dire 
qu'il  faut  ajouter  40  jours       1    . 

Personne  ne  sachant  calculer,  d'après  cela,  le  nombre  des 
anné.s,  un  des  officiers  présidents  du  festin  jugera  digne  d'aller 
consulter  les  mathématiciens  de  la  cour.  Koang  11^.  le  directeur 
de  la  musique,  répondit  le  premier:  cet  homme,  dit-il,  naquit  en 
l'année  où  le  grand  seigneur  de  Lou  $}  Chou-tclwng-hoei-pé  ,ft 
(i|i  ig  f£j  eut  une  entrevue  avec  notre  illustre  K'i-tchreng-lse  £[) 
/&  ^p  ou  K'i-k'iuè  £|$  jî&  ,  dans  la  ville  de  Tcheng-h'oang  j^  g 
(2)  (donc  en  616  .     Cette  même  année,  les  Tartares  Ti  %fc  envahi- 

(1)  In  Kia-tse  (ou  cycle)  comprenait  60  jours.  Che-wen-pc  aurait  du  compter 
alors  26740  jours;  se  trompa-t-il  donc? 

(2)  Tcheng-koang,  était  à  30  li  à   l'ouest  de   Souci  tche  jui   est  à 

170  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  Koei-te  fou  fM  {§  Hf ,  Mo-nan.  Petite  géogr.,  vol. 
12,  p.   14)   —   'Grande,  vol.  je,  ]).   13,  . 


300  TEMPS   VRAIMENT  HISTORIQUES 

rent  le  duché  de  Lou  ;  mais  le  seigneur  Chou-suen-lchoa.ng-ch.ou 
M.ffi.$:  $£  les  battit  à  Yen  ^,  prit  les  trois  fameux  géants  K'iao- 
jou  ^  $n>  Hoei  J&  et  Pao  %t],  d'après  lesquels  il  nomma  ses  fils. 
Cet  homme  a  donc  soixante-treize  ans.  L'archiviste  Tcliao  j|j|  ajou- 
ta: le  caractère  liai  jff  (ou  |[^,  le  ^  moderne)  indique  juste  le 
nombre  de  ses  jours  (1).  Le  seigneur  Che-vtérï-pé  î"  ^C  fê  tira 
la  dernière  conclusion  :  il  a  donc  vécu  26,660  jours. 

La  chose  parvint  aux  oreilles  du  premier  ministre  Tchao-ou  ; 
il  demanda  d'où  était  cet  homme,  de  quel  dignitaire  il  était  le 
sujet  ;  il  s'apprêtait  sans  doute  à  donner  à  ce  dernier  une  bonne 
semonce,  pour  avoir  exigé  une  telle  corvée  d'un  tel  vieillard.  Il 
se  trouva  que  c'était  justement  un  sujet  du  premier  ministre  lui- 
même,  et  natif  de  la  capitale. 

Il  appela  donc  ce  vieillard,  et  lui  demanda  pardon:  je  suis 
un  homme  incapable,  lui  dit-il  ;  chargé  de  l'administration  du 
royaume,  et  distrait  par  tant  de  détails,  je  n'ai  pas  su  découvrir 
un  sage  comme  vous,  et  je  vous  ai  laissé  languir  dans  un  coin  ; 
vraiment  cette  faute  retombe  sur  moi  ;  pardonnez-la-moi,  et  ne 
l'attribuez  qu'à  mon  incapacité. 

Tchao-ou  éleva  ce  vieillard  à  un  haut  emploi  dans  l'adminis- 
tration ;  mais  celui-ci  n'accepta  pas,  vu  son  grand  âge  ;  le  premier 
ministre  lui  donna  une  propriété,  et  lui  attribua,  comme  sinécure 
honorable,  le  titre  de  chef  de  la  garde-robe  royale;  enfin,  il  l'éta- 
blit parmi  les  conservateurs  du  cadastre  de  Kiang  $|  sa  ville 
natale.  En  outre,  il  cassa  d'emploi  le  commissaire  chargé  des 
constructions  et  des  fortifications,  pour  avoir  envoyé  aux  corvées 
un  homme  si  âgé. 

A  ce  moment,  se  trouvait  à  la  cour  de  Tsin  l'ambassadeur 
de  Lou  <"!§.  ;  il  apprit  les  détails  que  nous  venons  de  raconter;  re- 
venu chez  lui,  il  les  rapporta  devant  le  duc  ;  Ki-ou-tse  Épï  fÇ  ^ 
remarqua  :  on  ne  peut  mépriser  un  pays  comme  celui-là;  possédant 
un  premier-ministre  comme  Tchao-ou,  avec  un  aide  tel  que  Che- 
wen-pé  ;  un  archiviste  comme  Tchao,  un  directeur  de  musique 
comme  Koang,  auxquels  le  ministre  peut  demander  tous  rensei- 
gnements et  conseils  ;  possédant  encore  des  sages  tels  que  Chou- 
hiang  et  Jou-ts'i,  grands  précepteurs  de  la  cour;  quelles  entre- 
prises pourraient  lui  être  impossibles?  ce  que  nous  avons  à  faire, 
c'est  de  le  servir  de  notre  mieux. 

A  la  56me  lune,  au  jour  kia-ou  Fp  ^f  (19  avril),  la  foudre 
tombait  sur  le   palais   du   prince   de  Song  zfc,  et  l'incendiait  avec 


(1)  Quelques  auteurs  rapportent  que  ce  vieillard  s'appelait  Ilcii-tctng  ~$£  fâ  ; 
son  âge  était  donc  indiqué  par  son  nom,  comme  le  remarqua  spirituellement  l'archi- 
viste. 

Le  seigneur  Che-\ven-pé  était  membre  de  la  grande  famille  Che  J;  ou  Fan 
Jfë.  (Annales  du  Chan-si,  vol.  S,  j>.  zô). 


DU   ROYAUME  DE  TSIN.    p'iNG-KONG.  301 

toute  la  capitale;  la, reine-douairière  elle-même  périssait  dans  les 
flammes.  Pour  délibérer  sur  les  secours  à  apporter  au  prince, dans 
un  si  grand  malheur,  les  députés  de  tous  les  vassaux  tinrent  une 
assemblée,  à  Chen-yuen  ^g  jjjjj  (1),  sous  la  présidence  de  Tchao- 
ou.   On  fit  beaucoup  de  discours,  mais  on  ne  se  résolut  à  rien. 

Confucius  en  a  eu  tellement  honte,  dit  l'historien,  qu'il  passa 
sous  silence  le  nom  des  douze  représentants,  qui  prirent  part  à 
cette  reunion;  il  n'a  pas  même  dit  si  son  duc  y  avait  un  ambas- 
sadeur.   On  ajoute  philosophiquement  la  remarque  suivante  : 

Un  homme  sage  dira  qu'il  faut  avoir  extrêmement  à  cœur  de 
se  montrer  loyal  et  de  tenir  la  parole  donnée.  Ces  grands  seigneurs 
et  ministres  n'ont  pas  été  jugés  dignes  d'être  mentionnés  par  Con- 
fucius, parce  qu'ils  se  sont  montrés  si  peu  soucieux  de  tenir  leurs 
promesses.  Le  livre  des  Vers  (2)  nous  donne  le  même  enseigne- 
ment en  ces  termes  :  Wên-wàng  *£  3E  monte  et  descend,  toujours 
à  la  droite  ou  à  la  gauche  du  maître  du  ciel;  et  cela,  pareequ'il 
est  probe  et  consciencieux.  Le  même  livre  dit  encore  ailleurs  : 
faites  grandement  attention  à  votre  conduite;  gardez-vous  bien 
d'être  faux  et  hypocrite. 

En  542,  à  la  lère  lune  (vers  novembre),  Chou-suen-pao  fâ  $• 
^J,  l'ambassadeur  de  Lou  ^,  revenait  de  cette  grande  assemblée, 
où  l'on  avait  tant  délibéré  pour  ne  rien  faille  ;  il  alla  en  rendre 
compte  au  ministre  Mong-hiao-pé  jj£  ^  f^,  et  lui  dit  :  Tchao-ou 
va  bientôt  mourir  ;  car  ses  paroles  étaient  indignes  d'un  homme 
de  sa  qualité  ;  paroles  d'un  indolent,  radotage  d'un  vieillard  de  80 
à  90  ans  ;  il  ne  durera  plus  longtemps  ;  après  lui,  certainement, 
les  rênes  du  gouvernement  seront  confiées  au  seigneur  llan-hi  §îf. 
jjjt!,  dignitaire  des  plus  distingués.  Ne  serait-il  pas  bon  que  votre 
seigneurie  délibérât  avec  le  premier-ministre  Ki-ou-tse  Éfg  fÊÇ,  -f» 
sur  les  moyens  de  gagner  à  l'avance  l'amitié  de  cet  homme  d'ave- 
nir. Bientôt  l'influence  du  roi  dans  l'administration  sera  nulle, 
usurpée  qu'elle  sera  par  les  grandes  familles  ;  si  Han-k'i  ne  nous 
protège  pas,  nous  aurons  à  souffrir,  à  cause  de  l'insatiable  avarice 
de  ces  familles  seigneuriales.  Alors  nous  ne  pourrons  plus  nous 
tourner  vers  les  cours  de  TsH  ^  ou  de  Tch'ou  ^,  pour  nous 
soustraire  aux  contributions  exorbitantes  dont  nous  sommes 
menacés. 

Mong-hiao-pé  dédaigna  ce  conseil  :  l'homme  étant  si  borné, 
dit-il,  qui  donc  ne  se  trompe  jamais  ?  le  matin,  on  n'est  pas  sûr 
du  soir  ;  à  quoi  bon  viser  un  si  long  avenir,  et  lier  cette  amitié  ? 
Chou-suen-pao  sortit,   scandalisé   de   cette   réponse  ;     il   dit   à   son 


(1)  Chen-yuen,  (Voyez,  années  347  et  553),  était  à  5  li  sud-est  de  K'cà-tclienu 
P3  H],  dans  la  préfecture  de  Ta-mincj  fou  j\  %  fff,  Tche-li.  (Grande  gêogr.,  vol. 
16,  p.  p.  18,  33,  37). 

(2)  Che-king  jj#  £|.  (Couvreur,  p,  31c,  ode  1,  n.  1), 


302  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

entourage  :  cet  homme  mourra  bientôt  ;  je  lui  parlais  de  l'indo- 
lence de  Tchao-ou  ;  mais  lui  est  pire  encore.  Notre  prophète 
espéra  trouver  une  oreille  plus  favorable  chez  le  premier-ministre  ; 
mais  Ki-ou-tse  ne  voulut  rien  entendre  non  plus. 

Plus  tard,  les  regrets  furent  inutiles  :  Tannée  suivante,  à  la 
mort  de  Tchao-ou,  la  maison  régnante  perdit  son  autorité  ;  les 
familles  seigneuriales  usurpèrent  l'administration  ;  ILin-k'i  $f.  j|B 
devint  premier-ministre  ;  mais  il  ne  fut  pas  capable  de  maîtriser 
les  ambitieux,  ni  de  retenir  les  vassaux  sous  la  domination  de 
Tsin  ;  le  duché  de  Lou  .f|  fut  écrasé  sous  les  contributions  ;  ce 
fut  une  avalanche  de  délations  et  de  calomnies  ;  on  supporta  long- 
temps cet  état  de  choses  ;  enfin,  en  529,  il  y  eut  une  réunion  à 
P'incj-k'iou  2fi  Jrfj  (1),  pour  tâcher  d'y  apporter  remède  ;  Ki-ou- 
tse  y  fut  pris  par  les  gens  de  Tsin,  et  paya  ainsi  son  imprévoyanece. 

A  la  6-me  lune  (avril-mai),  mourait  le  duc  de  Lou  |j§.  ;  tan- 
disque  le  prince  de  Telieng  flft,  accompagné  du  lettré-diplomate 
Tse-tch'an  ^p  jH,  se  rendait  à  la  cour  de  Tsin.  P'ing-kong  pré- 
texta le  deuil,  pour  ne  pas  les  recevoir  ;  mais  il  ne  connaissait 
pas  l'habileté  ni  l'audace  du  dignitaire  qui  lui  demandait  audience 
pour  son  maître. 

Tse-tch'an  joua  un  tour  resté  célèbre  :  il  fit  totalement  démo- 
lir le  mur  qui  entourait  la  résidence  destinée  aux  vassaux  visi- 
teurs  ;  il  y  fit  entrer  ses  chars  ;  puis  il  s'y  installa  avec  le  prince. 
C/ie-wen-pé  -^  $t  fÔ»  ^e  conseiller  intime  du  roi,  vint  se  plaindre 
d'une  telle  conduite  :  dans  notre  pauvre  capitale,  dit-il,  l'adminis- 
tration étant  affaiblie,  brigands  et  voleurs  abondent  ;  en  prévision 
des  visites,  notre  humble  souverain  ordonna  à  ses  officiers  de 
réparer  solidement  les  résidences  des  vassaux  ;  il  a  fait  construire 
un  mur  d'enceinte  et  de  hautes  portes,  afin  que  les  visiteurs 
n'eussent  rien  à  craindre.  Or,  votre  seigneurie  vient  de  détruire 
ce  mur  ;  peut-être  que  vous  et  votre  suite,  vous  avez  les  moyens 
de  vous  défendre  ;  d'autres  ne  le  pourront  pas;  de  plus,  si  tout  le 
monde  fait  comme  vous,  notre  humble  souverain  sera  incapable 
de  traiter  honorablement  ses  nobles  visiteurs  ;  c'est  pourquoi  il 
m'a  envoyé  vous  demander  des  explications. 

(2)  Tse-tch'an  enchanté  les  lui  donna  :  Notre  petit  état  de 
Tcheng  f$,  dit-il,  n'est  qu'un  étroit  lambeau  de  terre,  jeté  au  mi- 
lieu de  puissants  royaumes  ;  vos  taxes  et  vos  exactions  n'ayant 
rien  de  fixe,  nous  n'avons  pas  osé  nous  tenir  tranquilles  chez 
nous  ;  nous  avons  recueilli  tant  bien  que  mal  nos  faibles  contri- 
butions,   et   nous   sommes   venus   vous  entretenir  de   nos   affaires. 

(1)  P'ing-k'iou:  était  à  50  li  sud-  Tchang-iuen  liien  ^  JJ3  $£,  qui  est  à  250 
li  sud-ouest  de  sa  préfecture  Tu-ming  fou  ^  %  ffi,  Tche-li  (Petite  géogr,,  vol.  2. 
2>>  55)   —   (Grande,  vol.   16.  p.  42). 

(2)  Voici  encore  un  chef-d'œuvre  de  littérature  ;  il  est  traduit  dans  Zottoli, 
IV,  p.  09. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    P'iNG-KONG.  303 

Malheureusement,  leurs  seigneuries  les  ministres,  n'ont  pas  eu  le 
temps  de  nous  recevoir  ;  ils  n'ont  même  pas  daigné  nous  commu- 
niquer leurs  ordres,  et  nous  dire  quand  ils  pourraient  nous  don- 
ner audience. 

Ainsi,  nous  n'avons  pu  offrir  nos  cadeaux  ;  nous  ne  pouvions 
pas  non  plus  les  laisser  dehors,  exposés  aux  intempéries  de  la 
saison  ;  si  nous  les  offrons  avant  d'avoir  reçu  audience,  ils  seront 
déposés  dans  votre  trésor,  deviendront  votre  propriété  ;  le  roi  ne 
les  aura  pas  même  vus  ;  nous  voulons  au  moins  les  lui  montrer  ; 
s'ils  se  trouvent  détériorés  par  le  soleil,  par  la  pluie,  ils  ne  seront 
plus  présentables. 

Les  anciens  nous  ont  raconté  qu'au  temps  de  votre  illustre  roi 
Wen-konrj  ^  -JV-il  n'avait  pour  lui-même  qu'un  pauvre  petit  palais, 
sans  tours  ni  belvédères,  ni  terrasses  plantées  d'arbres  ;  mais  il  avait 
bâti  de  hauts  et  magnifiques  hôtels,  pour  la  réception  des  vas- 
saux ;  résidences  vraiment  princières,  pourvues  de  dépendances 
pour  y  déposer  les  objets,  pourvues  de  bonnes  écuries  pour  les 
chevaux,  et  de  hangars  pour  les  chars.  Le  ministre  des  travaux 
publics  faisait  à  temps  exécuter  les  réparations,  les  blanchissages; 
tout  y  était  parfaitement  entretenu  ;  et  les  chemins  qui  y  condui- 
saient, toujours  en  bon  état,  facilitaient  les  voyages  aux  visiteurs. 

Quand  les  princes  féodaux  arrivaient,  tout  était  préparé  par 
les  officiers  ;  de  nombreuses  torches  étaient  allumées  ;  des  domes- 
tiques faisaient  bonne  garde  pendant  la  nuit  ;  des  palefreniers 
rangeaient  les  chevaux,  et  les  chars  ;  des  hommes  de  service 
graissaient  les  essieux  des  roues;  tout  un  personnel  de  valets  était 
au  service  des  visiteurs  ;  un  grand  nombre  d'officiers  étaient  mis 
à  leur  disposition. 

De  son  côté,  le  roi  ne  détenait  pas  longtemps  les  vassaux,  de 
peur  de  nuire  à  la  bonne  administration  de  leurs  états;  leurs  joies 
et  leurs  soucis  devenaient  les  siens,  et  réciproquement  :  il  s'infor- 
mait de  leurs  affaires  ;  il  enseignait  les  ignorants  ;  suppléait  là  où 
c'était  nécessaire.  Alors  les  princes  féodaux  venaient  à  la  cour  de 
leur  suzerain,  comme  à  la  maison  paternelle,  sans  aucune  préoc- 
cupation de  trouble  ou  d'ennui  possible  ;  personne  n'avait  à  craindre 
ni  brigands  ni  voleurs  ;  personne  ne  voyait  ses  objets  endommages 
par  le  soleil  ou  la  pluie. 

Maintenant,  tout  est  changé:  le  palais  royal  tong-ti  $ft  ^  (1) 
a  une  étendue  de  plusieurs  ly  ;  tandisque  les  vassaux  n'ont  que 
des  chambrettes  de  domestiques  ;  les  portes  sont  si  petites  que  les 
chars  ne  peuvent  y  passer;  on  ne  peut  cependant  les  introduire 
pardessus  le  mur;  partout  on  ne  voit  que  brigands  et  voleurs,  qui 
sont  comme  chez  eux  ;  personne  n'a  prévoyance  pour  les  cas  de 
maladie,   ou   pour  les  changements  si  subits  de  la  température:   il 

(1)  Le  palais  Tong-ti,  était  à  10  li  au  sud  de  Ts'iri-tcheou  JÛ  ttl ,  Chan-si  ; 
actuellement,  il  n'en  reste  que  des  ruines.   (Grande  géogr.,  vol.  43.  p.  ç)\ 


304  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

n'y  a  aucun  règlement  fixe  pour  les  audiences;  bref:  on  ne  sait  à 
qui  s'adresser,  à  quoi  s'en  tenir. 

Si  donc  je  n'avais  pas  fait  démolir  le  mur  de  notre  auberge, 
par  où  fallait-il  introduire  nos  chars?  nos  cadeaux  laissés  dehors 
eussent  été  détériorés:  nous  n'aurions  pu  ensuite  les  offrir  à  notre 
illustre  suzerain.  Puis-je  demander  à  leurs  seigneuries  les  minis- 
tres ce  que  nous  devions  faire?  Le  refus  d'audience  est  motivé  par 
le  deuil  en  l'honneur  du  duc  de  Lou  ;  mais  notre  cour  a  aussi  pris 
le  deuil.  Si  vous  nous  faites  la  grâce  d'accepter  tout  de  suite  nos 
contributions,  nous  allons  aussitôt  rebâtir  le  mur,  et  nous  hâter 
de  retourner  chez  nous.  Voilà  le  seul  bienfait  que  nous  demandons 
à  sa  Majesté  ;  oserions-nous  refuser  de  remplir  diligemment  notre 
office  ! 

Che-wen-pé  rapporta  cette  longue  et  verte  semonce  à  Tchao- 
ou,  le  premier  ministre  :  Oui  vraiment,  dit  celui-ci,  Tse-lch'an  ^p 
j||  a  raison;  j'ai  commis  une  grande  faute,  en  attribuant  aux 
vassaux  de  si  misérables  logements;  je  vais  y  mettre  bon  ordre; 
retournez  auprès  du  prince,  et  priez-le  de  me  pardonner. 

P'ing-kong  se  hâta  d'accorder  l'audience  demandée,  traita  le 
prince  de  Tcheng  f^  avec  plus  d'honneurs  que  jamais,  lui  donna 
des  preuves  de  sincère  amitié,  et  lui  permit  de  rentrer  aussitôt 
dans  son  pays  :  pour  les  vassaux  il  fit  construire  de  vrais  palais. 

A  ce  propos,  Chou-hiang  $L  (»)  fit  la  remarque  suivante  : 
voyez  combien  le  don  de  la  parole  est  indispensable!  Tse-tch'an 
en  est  doué,  et  il  en  fait  profiter  tous  les  princes  féodaux  ;  le 
livre  des  Vers  a  raison  de  dire  «si  vos  paroles  sont  conformes  à  la 
droite  raison,  l'union  se  rétablira  parmi  le  peuple;  si  vos  paroles 
sont  pleines  de  douceur,  le  peuple  redeviendra  tranquille»  (1). 

Vers  cette  époque,  le  roi  de  Ou  ^  députait  le  seigneur K'iue- 
hou-yong  j$,  %  J^  à  la  cour  de  Tsin,  renouveler  les  bonnes  rela- 
tions entre  les  deux  états  ;  nous  en  avons  parlé  dans  notre  histoire 
de  Ou;  car  c'est  uniquement  l'éloge  du  vertueux  Ou-ki-tse,  Jjl  ^ 
^-.  qui  intéresse  peu  ici. 

En  541,  à  la  l'lv  lune,  au  jour  i-wei  £  ^  (6  octobre  .  gran- 
de réunion  à  Kouo  $f  2  .  pour  renouveler  le  traité  de  paix  uni- 
verselle: les  ambassadeurs  de  neuf  souverains  étaient  là,  présidés 
par  Tchao-ou  et  le  premier  ministre  de  Tch'ou  $&. 

K'i-ou  f\\l  <$>,  fils  de  l'ancien  sage  K'i-hi  ^  H  dont  nous 
avons  tant  parlé  autrefois,  fit  à  Tchao-ou  la  remarque  suivante  : 
A  l'assemblée  de  Song  fc  546  ,  les  gens  de  Tch'ou  nous  ont  évin- 
cés, et  se  sont  les  premiers  frotté  les  lèvres  avec  le  sang  des  vic- 
times;   le   premier   ministre   actuel   est  un  fripon,  comme  tous  les 

(1)    Che-king  |£  M-  (Couvreur,  p.  .?;/.  ode  10,  n°  2). 

(2     I,  -1  Fan-chouei  hien  ïE  2fc  ff,  à  250  li  à  l'ouest  de  sa   préfecture 

K'air-fong  fou  pf]  ||  Jflf.  Ho-nan,  Petite  géogr.,  vol.  12.  p.  10)  —  (Grande,  roi. 
47,  p.  bz). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  305 

vassaux  le  savent;  si  votre  seigneurie  n'y  prend  garde, nous  serons 
dupés  encore  une  fois.  Tse-mou  ^  ^,  l'ancien  ministre,  était 
estimé  des  divers  princes,  comme  un  homme  de  mérite  ;  il  nous  a 
cependant  jolie  un  vilain  tour,  et  nous  a  infligé  une  honte  ;  que 
ne  fera  pas  son  successeur?  Si  nous  sommes  bernés  une  seconde 
fois,  notre  humiliation  sera  trop  forte. 

Depuis  7  ans  vous  êtes  le  président  des  princes  qui  ont  signé 
ce  traité;  deux  fois,  vous  avez  réuni  les  vassaux  (548  et  547);  trois 
fois  vous  avez  assemblé  leurs  représentants(546,543,et  aujourd'hui); 
vous  avez  réduit  à  l'obéissance  le  roi  de  Ts'i  ^f  et  le  chef  des  Tarta- 
res  Ti  ^  ;  vous  avez  pacifié  tous  les  états  chinois,  à  l'est  de  notre 
royaume;  vous  avez  réussi  à  conclure  avec  le  pays  de  Ts'in  ifs,  un 
traité  de  paix  si  longtemps  désiré  (547);  vous  avez  fortifié  (546)  la 
ville  de  Chouen-yu  \_f.  -^  (1),  pour  que  le  prince  de  /v'i^Ë  pût  y  trans- 
férer sa  capitale;  vous  avez  laissé  nos  troupes  en  repos;  vous  avez 
épargné  à  notre  pa}-s  bien  des  taxes  et  contributions  ;  personne  ne 
se  plaint  de  votre  administration  ;  depuis  que  vous  êtes  à  la  tête  du 
gouvernement, il  n'y  a  pas  eu  de  calamité  publique  ;  tous  les  vassaux 
sont  contents  de  vous  ;  voilà  une  longue  série  de  mérites  qui  sont  à 
vous  ;  votre  réputation  s'est  répandue  dans  tout  l'empire  ;  n'allez  pas 
la  compromettre  aujourd'hui  par  quelque  imprudenceje  vous  en  prie! 

Tchao-ou  répondit  :  je  vous  remercie  de  vos  bons  avis.  A  l'as- 
semblée de  Song,  le  ministre  de  Tch'ou  était  décidé  à  nous  faire 
du  tort;  moi,  je  voulais  la  paix;  voilà  pourquoi  je  lui  ai  cédé  le 
pas  ;  son  successeur  est  animé  des  mêmes  intentions  mauvaises  ; 
moi  non  plus,  je  ne  changerai  pas  de  conduite;  la  loyauté  avant 
tout!  nous  n'y  perdrons  rien.  Un  laboureur  persiste  à  arracher  les 
mauvaises  herbes  ;  s'il  a  ses  années  de  disette, il  a  aussi  ses  années 
d'abondance.  Les  anciens  nous  ont  enseigné  qu'un  homme  sincère 
n'a  jamais  le  dessous;  le  livre  des  Vers  (2)  nous  dit  aussi  «me 
commets  aucune  erreur,  aucune  injustice;  alors  il  sera  presque 
impossible  que  le  peuple  ne  te  prenne  pas  jjour  modèle»;  c'est  là 
ma  seule  préoccupation  ;  je  n'ai  aucun  souci  des  mauvais  desseins 
de  Tch'ou. 

Le  vertueux  ministre  fut  encore  évincé  cette  fois  :  son  rival 
proposa  de  jurer  le  traité  d'une  manière  moins  solennelle  ;  on  ré- 
citerait le  texte  à  haute  voix;  puis  on  le  déposerait  sur  la  victime, 
sans  se  frotter  les  lèvres.  Tchao-ou  fut  obligé  d'accepter  cette  pro- 
position, qui  lui  enlevait  le  moyen  de  prendre  sa  revanche.  La 
cérémonie  eut  lieu  à  la  3'',m"  lune,  au  jour  Kia-lchen  ïp  J^  (14 
décembre). 


(1)  Chouen-yu,  ancienne  capitale  d'une  minuscule  principauté,  était  à  30  li 
nord-est  de  Ngcm-k'iou  hien  S£  £[$  %f,  qui  est  à  160  li  sud-est  de  sa  préfecture 
Tsing-tcheou  fou  &  M\  fff,  Chan-tong.  (Petite  géogr.,  vol.  zo,  p.  26)  —  (Grande, 
vol.  35.  p.  20). 

(2)  Che-king  H  $J.  (Couvreur,  p.  sSa,  n°  S 

31» 


306  TEMPS  VRAIMENT  HISTORIQUES 

Dans  le  temps  même  où  se  tenait  cette  assemblée,  l'armée  du 
duc  de  Lou  ^  envahissait  la  principauté  de  Kiu  ~>l\  ;  c'était  en  quel- 
que sorte  narguer  les  congressistes  de  la  paix  ;  le  ministre  de 
Tch'ou  protesta,  et  réclama  la  punition  d'un  attentat  si  déloyal. 
Tchao-ou  plaida  en  faveur  de  son  vassal  ;  on  fit  force  discours 
onctueux  sur  la  vertu  ;  finalement  on  passa  l'éponge  sur  ce  forfait. 

Au  festin  solennel  qui  précéda  la  séparation  des  congressistes, 
le  premier-ministre  de  Tch'ou  ^g  chanta,  en  l'honneur  de  Tchao- 
ou,  la  lère  strophe  de  l'ode  ta.-m.ing  ^  PJ],  qui  dit  (.(lorsqu'une 
vertu  extraordinaire  brille  sur  la  terre,  le  ciel  lui  confie  le  gouver- 
nement île  l'empire,  e/c...».  En  retour  de  ce  compliment  délicat, 
Tchao-ou  chanta  la  2ème  strophe  de  l'ode  siao-iuen  >J>  ïfâ,  ainsi 
conçue  (d'homme  grave  et  sage,  lorsqu'il  boit  le  vin,  se  modère  et 
reste  maître  de  lui-même,  etc..  »  ;  en  apparence,  on  se  quittait 
donc  bons  amis  ;  (1)  en  réalité,  on  restait  rivaux,  autant  ou  plus 
qu'auparavant. 

Après  cette  fête,  Tchao-ou  disait  à  Chou-hiang  fâ  fi]  :  le 
ministre  de  Tch'ou  se  conduit  en  souverain  ;  pensez-vous  qu'il 
parvienne  un  jour  au  trône  ?  —  Le  roi  est  faible,  répondit  le  sage 
lettré  ;  le  ministre  est  puissant  ;  il  pourrait  bien  arriver  à  son 
but  ;  mais  dût-il  réussir,  il  finira  mal.  - —  Pourquoi  cela  ?  —  La 
force  qui  opprime  la  faiblesse,  et  s'y  complaît,  finit  par  commettre 
trop  d'excès  ;  elle  s'use  et  se  détruit  elle-même  ;  le  livre  des  Vers 
(2)  nous  donne  ce  même  enseignement  par  ces  paroles  «  la  concu- 
bine Pao-se  Tj£$\  elle  seule  suffira  à  détruire  la  vénérable  dynastie 
Tcheou  jj§]»  ;  voilà  un  exemple  où  les  excès  aboutirent  à  la  ruine! 
Si  le  ministre  parvient  au  trône,  il  voudra  que  tous  les  vassaux 
se  rangent  sous  sa  suzeraineté  ;  vu  notre  faiblesse  actuelle,  il  peut 
se  faire  qu'il  réussisse  ;  alors  sa  tyrannie  ne  connaîtra  plus  de 
bornes,  et  deviendra  intolérable  ;  le  succès  lui  fera  croire  qu'il  est 
dans  la  bonne  voie  ;  il  aboutira  finalement  à  la  luxure  et  a  l'op- 
pression ;   système  pareil  ne  peut  durer  longtemps. 

Naturellement,  cette  prédiction  du  sage  lettré  doit  s'accomplir; 
en  530,  ce  ministre  Wci  ff],  après  avoir  régné  douze  ans,  finit 
par  être  massacré,  comme  nous  l'avons  raconté  dans  l'histoire  du 
royaume  de  Tch'ou  ^. 

A  la  4ème  lune  (janvier),  Tchao-ou,  accompagné  du  seigneur 
Chou-suen-pao  ^  ^  |^J  de  Lou  ||,  et  des  grands  officiers  de 
Ts'ao  Tj!f ,  se  rendit  à  la  capitale  de  Tcheng  f|]$.  Le  prince  voulant 
donner  un  festin  solennel  en  l'honneur  de  ses  hôtes,  députa  le 
seigneur  Tse-p'i  ^f-  fe  leur  porter  l'invitation  ;  en  guise  de  ré- 
ponse, Tchao-ou  chanta  l'ode  Hou-ié  ^  |j|  dont  voici  quelques 
paroles  :  (des  feuille*  de  concombre  tremblent  sur  leurs  tiges  ;  on 
les  cueille,  on  les  fait  cuire,  elc »  ;  le  sens  est  celui-ci  :  le  repas 

(1)  Che-kiny  §£  £§.  (Couvreur,  p,  323,  n°  1   —  p.    247,  n°  2). 

(2)  item,  (p.  233,  n°  S). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  307 

le  plus  frugal  est  agréable  aux  invités,  si  les  règles  de  l'urbanité  y 
sont  parfaitement  observées.  Le  ministre  acceptait  donc  l'invita- 
tion ;  mais  il  demandait  que  le  dîner  fût  des  plus  simples,  non 
pas  un  festin  d'apparat  (1). 

Tse-p'i  se  rendit  auprès  de  Chou-suen-pao,  et  lui  dit  ce  que 
le  ministre  venait  de  chanter  ;  le  lettré  comprit  que  Tchao-ou 
désirait  un  repas  où  l'on  offre  le  vin  une  seule  fois  (2)  ;  mais  il 
vit  que  le  messager  n'oserait  rapporter  à  son  maître  une  demande 
si  extraordinaire  :  faites  comme  il  désire,  dit-il  â  Tse-p'i  ;  car  il 
faut  se  conformer  aux  volontés  de  ces  grands  seigneurs  ;  par  res- 
pect cependant  pour  sa  dignité,  préparez  quelque  chose  de  plus. 

Quand  Tchao-ou  arriva  au  lieu  du  festin,  il  vit  qu'on  avait 
disposé,  sous  une  tente,  tout  ce  qu'il  fallait  pour  une  série  de  cinq 
oblations  de  liqueurs  ^ou-hien  3l  H£j  (3)  ;  c'est-à-dire  tout  ce  que 
l'on  servait  d'ordinaire,  à  la  réception  du  premier-ministre  d'un 
grand  royaume. 

Tchao-ou  n'étant  pas  en  visite  officielle,  refusa  absolument 
des  honneurs  si  solennels  ;  il  remarqua  en  secret  au  fameux  lettré- 
diplomate    Tse-lck'an   ^   jjf|   que,    par   son   chant,    il    avait   assez 


(1)  Che-kiiuj  |$  ijtjj.  (Couvreur  p.  314,   ode  ycm,'J. 

(2)  Pour  les  fûtes  solennelles,  consulter  le  livre  des  Vers  (che-king),  Siao-ya 
'h  ïfÉ-  (Zottoli,  III,  p.   2oç)  —  (Couvreur,  p.   2çjL  avec  les  commentaires  chinois. 

Quand  un  souverain  voulait  offrir  un  festin  à  un  ministre  étranger,  il  lui  en- 
voyait l'invitation,  le  jour  même  où  devait  avoir  lieu  le  dîner.  En  d'autres  circon- 
stances, par  exemple  quand  il  s'agissait  d'imposer  le  bonnet  viril,  l'invitation  devait 
être  portée  environ  dix  jours  à  l'avance,  un  peu  plus  un  peu  moins  d'après  la  for- 
mule :  Siun-nci,  Siun-wai  {jj  j3j  -fjj  ^J>  .  Car  on  consultait  les  sorts,  pour  choisir  un 
jour  heureux;  aussitôt  on  envoyait  une  lcru  invitation;  trois  jours  avant  le  festin, 
on  consultait  de  nouveau  1rs  sorts,  pour  savoir  qui  serait  le  président  du  repas  ;  se- 
conde invitation.  Enfin,  le  jour  même  du  diner,  le  maître  de  la  maison,  en  personne. 
allait  faire  la  3eme  et  dernière  invitation.  (Hoang-tsing  King-kiai,    R  1Z.  ~~"  P-   ?  — 

3L  ■£  A  p.  15  -  S.  ■&_  n  +  •  ■  p.  90). 

(3)  I-hien  — '  J$fc  (une  seule  offrande  de  vin),  est  expliqué  clans  le  livre  des 
Rites  (li-ki  ~fl  fË),  où  il  est  dit;  quand  le  vin  n'était  présente  qu'une  fois,  la  céré- 
monie (le  repas)  était  simple  ;  quand  il  était  présente  trois  fois,  la  cérémonie  com- 
mençait à  être  belle  ;  s'il  était  présenté  cinq  fois,  elle  était  distinguée  ;  si  l'on  allait 
jusqu'à  sept  fois,  c'était  le  comble  ;  alors  on  témoignait  un  grand  respect  envers 
les  Esprits.  (Couvreur,  vol.   1,  p.  567). 

Les  princes  offraient  la  coupe  autant  de  fois  qu'ils  avaient  d'emblèmes  sur 
leurs  vêtements  de  gala  ;  donc,  les  vicomtes  et  les  barons  ne  pouvaient  l'offrir  que 
cinq  fois.  (Couvreur,  ibid.p.  S47).  C'était  ordinairement  le  maître  de  la  maison  lui- 
même  qui  présentait  la  coupe  aux  convives  ;  mais  les  princes  pouvaient  se  faire 
remplacer  par  leur  chef  de  cuisine.  (Couvreur,  ibid,  p.  25). 


308  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

clairement  manifesté  son  intention  de  n'accepter  qu'un  simple  re- 
pas. Comme  il  était  l'hôte  principal,  on  lui  donna  la  première 
place  ;  on  lui  servit  des  viandes  toutes  découpées,  et  une  seule 
coupe  de  vin. 

Sur  la  tin  du  repas,  Chou-suen-pao  fâ  ffi  ffî  chanta  l'ode 
ts'io-tch'ao  §j|  jj|,  qui  dit  «.la  pie  a  fait  son  nid,  la  tourterelle 
l'occupe,  etc..»  ;  c'était  féliciter  le  roi  de  Tsin  d'avoir  un  ministre 
si  distingué  (1).  Tchao-ou  l'interrompit  en  disant  :  non,  non,  je 
ne  suis  pas  digne  d'un  tel  compliment  ! 

Alors  Chou-suen-pao  chanta  l'ode  suivante  ,'du  même  livre 
des  Vers)  ts'ai-fo.n  jfc  ^,  où  il  est  dit  «/a  princesse  cueille  V ar- 
moise blanche  au  bord  des  bassins,  et  sur  les  îlots»  ;  le  sens  est 
celui-ci  :  ne  pouvant  trouver  mieux,  la  princesse  va  jusqu'à  cueillir 
les  fleurs  les  plus  vulgaires,  pour  en  orner  le  temple  des  ancêtres; 
car  c'est  l'affection  qui  donne  du  prix  aux  plus  humbles  offrandes. 
(2)  Le  seigneur  ajouta  humblement  :  nos  petits  états  sont  comme 
cette  armoise  blanche  ;  si  votre  illustre  maître  veut  bien  s'en  ser- 
vir, nous  sommes  prêts  à  tous  ses  désirs. 

Tse-p'i  ^f-  fe  chanta  la  dernière  strophe  de  l'ode  yé-you-se- 
kiun  §Ff  /£§  ^£  |j,  ainsi  conçue  :  «  doucement,  doucement,  jeune 
homme  !  ne  te  permets  même  pas  de  toucher  ma  serviette,  ni  de 
faire  aboyer  mon  chien»  (3)  ;  il  voulait  par  là  exprimer  le  respect 
avec  lequel  le  premier-ministre  traitait  les  vassaux,  ne  les  vexant 
ni  par  des  expéditions  militaires,  ni  par  d'onéreuses  contributions. 

Pour  réponse,  Tchao-ou  chanta  l'ode  tchang-ti  %$&  «la  fleur 
du  prunier  n  est-elle  pas  la  plus  brillante  ?  de  même  les  frères 
sont  préférables  à  tous  les  autres  hommes  qui  sont  au  monde.»  (4) 
Il  voulait  ainsi  marquer  sa  préférence  pour  les  états  dont  les  prin- 
ces étaient  du  même  clan  que  son  maître  ;  il  était  si  flatté  du 
compliment  de  Tse-p'i,  qu'il  ajouta  :  nous  qui  sommes  des  états 
frères,  soyons  toujours  unis  dans  une  commune  paix  ;  ainsi  aucun 
chien  ne  viendra  nous  mordre,  ni  même  aboyer  contre  nous. 

Sur  ce,  Chou-suen-pao,  Tse-p'i,  et  le  grand  officier  de  Tsrao 
^gf,  se  prosternant  jusqu'à  terre,  le  remercièrent  de  son  affection 
pour  les  princes  parents  du  roi  de  Tsin  ;  puis,  levant  leur  coupe, 
faite  d'une  corne  de  rhinocéros  (5),  ils   s'écrièrent  :     nous   autres, 

(1)    (2)    Che-king  §£  %£.  (Couvreur,  p.   16,  ode  1    —  p.   17,  ode  2). 

(3)  Pour  inculquer  le  respect  avec  lequel  on  doit  traiter  les  gens,  cette  ode  ima- 
gine un  homme  qui  trouve  le  cadavre  d'un  daim,  à  la  campagne;  il  l'enveloppe 
d'herbe  blanche  pour  l'emporter,  évitant  ainsi  tout  contact  ;  la  dernière  strophe  est 
l'interpellation  d'une  jeune  personne  à  un  jeune  homme  oublieux  du  respect  (Couv- 
reur, p.  27,  ode  12,  n°  3). 

(4)  (Couvreur,  p.    178,  ode  4). 

(5)  La  corne  du  rhinocéros  est  terrible  pour  ses  ennemis  :  voilà  pourquoi  les 
anciens  osaints  empereurs'    condamnant  fin  hojnm.e  à  vider  une  coupe,  en   guise   de 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  309 

petits  états,  nous  nous  appuyons  sur  vous,  bien  convaincus 
qu'ainsi  nous  échapperons  à  toutes  sortes  de  malheurs  ? 

On  but  donc  le  vin  en  parfaite  cordialité.  Tchao-ou  disait, 
au  sortir  de  ce  repas  :  jamais,  sans  doute,  je  ne  pourrai  plus 
goûter  une  joie  semblable  à  celle  d'aujourd'hui  ! 

L'empereur  lui-même  tenait  à  féliciter  Tchao-ou  ;  il  envoya  le 
grand  seigneur  Liou-ting-hong  |flj  %.  Q  le  complimenter,  l'accom- 
pagner jusqu'à  la  grande  courbe  du  fleuve  Lo  f,{{,  où  l'on  avait 
préparé  sa  demeure,  enfin  lui  offrir  un  dîner  solennel  au  bord  de 
la  rivière  Yng  Hf  (1) 

Dans  la  conversation,  ce  seigneur-lettré  disait:  Oh  que  les 
mérites  du  grand  Yu  J^  sont  admirables  !  sa  vertu  s'est  perpétuée 
jusqu'aux  temps  et  aux  pays  les  plus  reculés  !  s'il  n'avait  pas  fait 
écouler  les  eaux,  nous  ne  pourrions  vivre  que  comme  des  poissons; 
s'il  ne  s'était  pas  dépensé  pour  le  salut  du  peuple,  ni  votre  Excel- 
lence ni  moi  ne  porterions  le  bonnet  de  dignitaires  ;  nous  n'au- 
rions pas  de  peuples  à  gouverner;  comme  lui,  dans  vos  entreprises, 
visez  loin  ;  rendez  service  à  l'empire  tout  entier  ! 

Tchao-ou  répondit  humblement:  je  suis  vieux  et  cassé;  ma 
seule  préoccupation  est  de  ne  pas  faire  de  sottises  ;  comment  serais- 
je  capable  de  viser  si  loin?  des  gens  comme  moi  ne  sont  plus  bons 
qu'à  manger  leur  riz;  le  matin,  nous  ne  pensons  même  pas  au 
soir;  comment  donc  songer  aux  siècles  futurs, comme  le  grand  Yu? 

Le  seigneur-lettré  prit  cela  pour  du  bon  argent.  Rendant 
compte  de  sa  mission  à  l'empereur,  il  lui  dit:  les  anciens  avaient 
ce  proverbe  "l'homme  est  à  peine  devenu  sage  par  l'expérience, 
qu'il  commence  bientôt  à  radoter»;  c'est  bien  le  cas  de  Tchao-ou. 
Lui,  premier-ministre  d'un  si  grand  royaume;  lui,  chef  des  prin- 
ces féodaux,  se  compare  à  un  valet,  qui  le  matin  ne  pmse  même 
pas  au  soir  ;  un  tel  homme  n'a  cure  ni  des  Esprits  ni  du  peuple  ; 
il  ne  verra  pas  l'année  prochaine  !  ses  sacrifices  n'étant  plus  agréés 
des  Esprits,  le  peuple  l'adondonnant,  il  n'a  plus  raison  de  vivre. — 
A  la  12;'mo  lune  de  cette  même  année  nous  verrons  s'accomplir 
cette  prédiction. 


punition,  voulaient  qu'elle  fût  en  corne  de  rhinocéros.  Ainsi  parle  l'ouvrage  f/j  ff. 
Ici  les  trois  seigneurs  lèvent  cette  coupe,  en  signe  d'imprécation,  se  vouant  à  toutes 
sortes  de  malheurs,  s'ils  étaient  jamais  infidèles  au  roi  de  Tsin. 

(1)  Le  fleuve  Lo  :  coule  à  l'ouest  de  Kong  Iiien  j£  Sf,  qui  est  à  130  li  &  l'est 
de  sa  préfecture  Ho-nan  fou  '««T  $|  #F,  Ho-nan.  L'est  là  qu'eut  lieu  la  rencontre 
avec  Tchao-ou.  (Petite  géogr.,  vol.   12,  p.  }i.  SJ-  38)  —  (Grande,  vol.  4S,  p.  j-oi. 

La  rivière  Yng:  coule  à  30  li  à  l'est  de  Ten-fong  hien  5£  %\  !£f.  qui  est  à  140 
li  sud-est  de  sa  préfecture  Ho-nan  fou.  La  ville  de  Yng  était  à  40  li  sud-est  de  la 
sous-préfecture  actuelle  du  même  nom  ;  c'était  alors  le  territoire  impérial.  (Grande 
géogr.,  vol.  48.  p.  p.  44,  4s). 


310  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

A  la  5ème  lune  (février),  le  prince  Kien  f$,  frère  du  roi  de 
Ts'in  §j|,  s'enfuyait  auprès  de  P'ing-kong;  pour  traverser  le 
fleuve  jaune,  il  avait  fait  établir  un  pont  de  bateaux  ;  pour  sa 
suite,  il  avait  mille  chariots  ;  deux  cents  raccompagnaient  ;  les 
autres  le  suivaient,  huit  par  huit,  espacés  de  dix  ly  en  dix  ly,  et 
occupaient  ainsi  la  distance  de  mille  ly  qui  séparait  les  deux  capi- 
tales. A  son  arrivée,  il  prépara  un  dîner  des  plus  solennels,  en 
l'honneur  de  P'ing-kong;  c'est  alors  qu'il  lui  offrit  la  première 
des  neuf  séries  de  cadeaux  qu'il  lui  destinait,  pour  le  remercier 
de  son  hospitalité  ;  les  huit  autres  arrivèrent  peu-à-peu,  et  furent 
présentées  à  tour  de  rôle. 

Jou-ts'i  -fc  $|,  conseiller  intime  de  P'ing-kong,  demanda  au 
prince:  tous  vos  chars  sont-ils  ici?  n'en  avez-vous  plus  d'autres? 
—  Je  pense  que  c'est  déjà  un  nombre  respectable,  répondit  le 
transfuge  ;  si  j'en  avais  eu  moins,  je  ne  serais  pas  venu  ici  !  c'est- 
à-dire  :  si  j'avais  été  pauvre,  je  n'aurais  pas  été  obligé  de  fuir  ma 
patrie  ;  j'étais  orgueilleux,  je  me  confiais  en  mes  richesses;  de  là 
mon  malheur. 

Le  conseiller  rapporta  ces  paroles  à  P'ing-kong  ;  puis  il  ajou- 
ta: Kien  sera  certainement  rappelé  dans  son  pays;  caries  anciens 
disaient  :  si  un  prince  reconnaît  ses  fautes,  il  prendra  de  bons 
moyens  pour  s'en  corriger,  et  il  sera  béni  du  ciel. 

Le  transfuge  alla  faire  visite  au  premier  ministre  Tchao-ou  ; 
celui-ci  lui  demanda  quand  il  espérait  pourvoir  retourner  dans  sa 
patrie?  —  Je  suis  venu  ici,  répondit  le  prince,  parceque  je  prévo- 
yais que  le  roi,  mon  frère,  me  présenterait  une  longue  liste  de 
méfaits  par  lesquels  j'ai  mérité  bien  des  fois  la  mort;  jattendrai 
donc  l'avènement  de  son  successeur  pour  rentrer  dans  mon  pays. 

Le  roi  actuel  est-il  bon?  demanda  encore  le  ministre. — Non, 
répondit  le  prince  ;  il  n'a  pas  de  principes.  —  Alors  il  périra,  et 
perdra  son  royaume?  —  Pas  nécessairement!  un  état  n'est  pas 
perdu  à  cause  d'un  seul  mauvais  roi  ;  fondé  sur  le  ciel  et  la  terre, 
soutenu  par  beaucoup  de  monde,  il  ne  périt  que  si  la  famille 
régnante  est  mauvaise  pendant  plusieurs  générations.  —  Est-ce 
que  le  ciel  s'en  préoccupe? —  Assurément!  —  Et  cela,  combien  de 
temps?  —  D'après  les  anciens,  quand  un  royaume  est  gouverné 
par  un  mauvais  prince,  et  a  cependant  de  bonnes  récoltes,  il  le 
doit  à  la  bénédiction  du  ciel  ;  et  cela  dure  au  moins  cinq   ans. 

Tchao-ou  regardant  l'ombre  du  soleil,  répliqua  :  l'ombre  du 
matin  est  bien  différente  de  celle  du  soir  (c'est-à-dire  :  le  matin, 
nous  ne  sommes  pas  sûrs  du  soir)  !  qui  peut  compter  sur  cinq  ans? 

Sorti  de  l'entrevue,  le  prince  Kien  dit  à  son  entourage  :  le 
ministre  va  bientôt  mourir;  lui,  chef  du  peuple,  se  joue  du  temps 
et  des  jours;  cela  ne  peut  durer  longtemps.  —  Quant  au  trans- 
fuge lui-même,  l'histoire  du  royaume  de  Ta' in  Jj|  nous  l'a  montré 


DU    ROYAUME   DE    ISIN.    P'iNG-KONG.  311 

succédant  à  son  frère,  en  537,  et  régnant  avec  gloire  jusqu"cn 
501  (1). 

Pendant  l'été  de  cette  même  année  541,  le  grand  seigneur 
Siun-ou  ^j  l£L  (2)  remportait  une  éclatante  victoire,  près  de  T'ai- 
yuen  ^  jf^,  sur  les  Tartares  Ou-tchong  3HF.  $?.  et  Ti  $)^  ;  voici  en 
quelles  circonstances  eut  lieu  ce  combat  remarquable  : 

Le  seigneur  Wei-chou  fjj|  %f  3)  s'apercevant  que  l'ennemi 
n'avait  que  des  fantassins,  dit  au  généralissime  :  dans  ce  pavs 
montagneux,  nos  chars  de  guerre  vont  grandement  nous  embar- 
rasser; nous  ne  pourrons  manœuvrer;  combattons  tous  à  pied; 
mettons  dix  hommes  à  la  place  de  chaque  char;  je  veux  le  premier 
donner  l'exemple,  afin  d'entraîner  les  autres  officiers  à  faire  de 
même  ;  et  il  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre;  prenant  les  quinze  hommes 
qui  montaient  cinq  chars,  il  en  faisait  trois  rangées  de  cinq  fan- 
tassins. Un  des  officiers  les  plus  en  faveur  auprès  du  généralissime, 
refusant  obstinément  de  combattre  à  pied,  fut  décapité  sur-le- 
champ,  pour  enlever  à  d'autres  le  désir  de  résister.  On  changea 
de  même  la  disposition  ordinaire  des  troupes  ;  l'armée  fut  divisée 
en  cinq  corps,  assez  rapprochés  pour  se  soutenir  mutuellement, 
assez  éloignés  pour  avoir  la  liberté  de  leurs  mouvements  :  d'abord 
l'avant-garde  appelée  pien  ffj,  puis  le  corps  de  front  appelé  liang 
f$  ;  derrière  celui-ci,  le  gros  (le  centre)  de  l'armée  appelé  ou  $L, 
avec  l'aile  droite  appelée  tchoan  ]£}.  et  l'aile  gauche  appelée  Is'an 
0  (4). 

(1)  Yoncj  fff,  l'ancienne  capitale  de  Ts'in  f$|.  était  un  peu  au  sud  de  Fong- 
siany  fou  jijj,  ■$  tff,  Chcn-si.  (Petite  gèogr.,  vol.  14,  p.  24)  —  (Grande,  vol.  jj, 
p.  3).  Le  pont  de  bateaux  établi  par  le  prince  Kien,  se  trouvait  au  gu»  de  P'ou- 
tsing-koan  ffff  ? '-£  Wi  cn  dehors  de  la  porte  occidentale  de  P'ou-tcheou  fou  j'jff  )\\ 
fl!f,  C'han-si.  (Petite  yéagr.,  vol.  S,  p,  30)  —  (Grande,  vol.  39-  P-  21  —  vol.  41, 
p.   20). 

(2)  Siun-ou  appelé  aussi  Siun-mnu-tse  H5  ^  -f"  et  Tchong-hang-pé  '|'  \j 
-fÉJ,  était  fils  de  Siun-ycn  ~4v)   fig  que  nous  connaissons  depuis  longtemps. 

La  capitale  de  ces  Tartarec  Ou-tchong  Rappelés  aussi  Tartares  des  montagnes, 
Chan-jong  MJ  fâ  était  un  peu  à  l'ouest  de  Yu-t'ien  hien  3£  111  S£.  qui  est  à  80 
li  sud-est  de  Siuen-hoa  fou  Hl  -ffc  Kf ,  Tche-li.  Petite  géogr.,  vol.  2,  p.  63) — (Gran- 
de, vol.  11.  p.  50). 

T'ai-vuen  :  l'ancienne  ville  était  un  peu  au  nord-est  de  T'ai-yuen  hien  jti  ffî. 
%%,  qui  est  à  45  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  T'ai-yuen  fou  pk  M  tff  •  Chan-si. 
(Petite  géogr.,  vol.  S,  p.   2)  —  (Grande,  vol.  40,  p.  7). 

(3)  Wei-chou:  appelé  aussi  Wci-hien-tsr  i%  f£  J- .  fils  de  Wei~kiang  ï$l  "\ 
nous  connaissons  tous  ces  noms  depuis  longtemps. 

(4)  Le  pien  avait  le  contingent  de  25  chars  de  guerre,  donc  2500  hommes  — 
le  liang,  celui  de  50  chars,  ou  5,000  hommes  —  le  ou,  celui  de  125  chars,  donc 
12,500  hommes  —  le  tchoan,  celui  de   100  chars,  ou  10,000   hommes    —    le    ts'an, 


312  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

Les  Tartarcs  riaient  de  bon  cœur  en  voyant  un  ordre  de  ba- 
taille si  singulier;  mais  ils  ne  rirent  pas  longtemps;  avant  qu'ils 
fussent  eux-mêmes  rangés  complètement,  on  se  lança  sur  eux  avec 
fureur,  et  l'on  en  fit  un  grand  carnage.  Les  commentaires,  c'est- 
à-dire  les  lettrés,  attribuent  cette  victoire  à  la  discipline  de  l'ar- 
mée, à  l'union  des  généraux,  à  la  déférence  que  montra  le  géné- 
ralissime lors  du  conseil  de  guerre,  et  quand  on  lui  tua  un  de  ses 
favoris;  ces  messieurs  disent  vrai,  mais  ils  ne  disent  pas  tout;  si 
la  tactique  n'avait  pas  été  changée  pour  cette  occasion,  au  lieu 
d'un  triomphe,  on  eût  eu  sans  doute  une  honteuse  défaite  à  enre- 
gistrer dans  les  annales. 

Cependant, P'ing-kong  était  tombé  malade  ;  le  prince  de  Tcheng 
HJ$  envoya  son  homme  de  confiance,  le  lettré-diplomate  Tse-tch'an 
■^  ^,  exprimer  ses  condoléances,  et  demander  des  nouvelles  de  la 
maladie.  Le  sage  Chou-hiang  jjjj  [ÎT)  lui  répondit  :  nous  avons  con- 
sulté les  sorts  ;  il  paraît  que  ce  sont  les  Esprits  mauvais  Che-chen 
3Ï  tfc  e*  Tai-t'ai  jf  §£  qui  sont  la  cause  de  tout  le  mal;  mais 
notre  archiviste  ne  les  connaît  pas  ;  oserais-je  vous  demander  qui 
ils  sont? 

Tse-tcb'an  montra  qu'il  était  un  puits  de  science,  capable  de 
surpasser  un  homme  comme  Chou-hiang  :  Dans  les  temps  les 
plus  reculés,  dit-il,  l'empereur  Kao-sin  fâ  ^  (ou  Ti-k'ou  ffi  §) 
eut  deux  fils,  dont  l'aîné  s'appelait  Ngo-pé  j||j  f£j,  le  cadet  Che- 
chen  H  %  ;  ils  demeuraient  au  pays  (ignoré)  de  Koang-ling  ^ 
^,  mais  ils  ne  pouvaient  y  vivre  en  paix  ;  c'étaient  entre  eux  des 
querelles  et  des  batailles  continuelles.  L'empereur  Heou-ti  fè  ^ 
(le  fameux  Yao  3%)  voulut  y  mettre  un  terme  ;  il  transféra  Ngo-pé 
dans  le  pays  de  Chang-k'iou  ]0f  Jjfl  (1),  pour  y  présider  aux  sacri- 
fices offerts  à  la  constellation  tchen  fë  ;  plus  tard,  le  prince  Siang- 
t'ou   jfâ  J^,    fondateur  de   la  dynastie  Chang    ^j,   reçut   en   fief  ce 


celui  de  75  chars,  ou  7,500  hommes  —  En  tout,  le  contingent  de  375  chars; 
c'étaient  donc  bien  les  troupes  de  trois  corps  d'armée,  dont  chacun  avait  12,500 
hommes.  Le  contingent  d'un  char  était  de  cent  hommes.  (Hoang-tsing  King-kiai 
jlt  -\~  21  ~i'  A>  P-  S1)-  En  Chine,  comm  ailleurs  (excepté  chez  le  Romains),  on 
avait  le  préjugé  que  la  cavalerie  l'ait  la  l'orée  de  l'armée  ;  on  négligeait  l'infanterie  ; 
combattre  en  char  était  le  privilège  de  la  noblesse  ;  celle-ci  s'armait  à  ses  trais,  et 
en  était  fière. 

(1)  Le  fameux  lettré-diplomate  va  nous  servir  une  page  de  haute  philosophe; 
elle  ne  sera  pas,  sans  doute,  du  goût  du  lecteur;  mais  puisque  nous  étudions  les 
chinois,  il  faut  bien  connaître  les  absurdités  débitées  par  ses  plus  fortes  tètes. 
D'ailleurs,  la  philosophie  européenne,  c'est-à-dire  la  fausse,  n'a-t-ellc  pas  aussi  ses 
folies?  Ayant  rejeté  la  vérité,  l'intelligence  humaine  n'est  plus  qu'un  l'eu  follet. 

Chang-k'iou  :  c'est  Koei-te  fou  $$  fi§  Jft .  Ilo-nan,  l'ancienne  capitale  de  Song 
'■^l.  (Petite  géogr.,  vol.   12.  p.   12)    —   ;  Grande,   col.  jo,  p.  4) 


DU    ROYAUME   DE   TSI.W    p'iNG-KONG.  313 

même  pays,  et  continua  les  mêmes  sacrifices  à  cette  constellation 
protectrice  de  la  contrée 

Tche-chen  avait  été  transféré,  par  le  même  empereur,  dans  le 
pays  de  T'ai-Hia  -}{  J[  (1),  pour  présider  aux  sacrifices  offerts  à 
la  constellation  Chen  ^:  ;  plus  tard,  les  descendants  de  Heou-ti 
habitèrent  cette  région,  et  s'y  montrèrent  les  humbles  serviteurs 
des  dynasties  Hia  j|f  et  Chang  ]$j  :  là  se  trouvait  la  principauté 
de  Tanrj  }£■  ;  l'empereur  Tch'en-'wang  /&  2E  la  donna  en  fief  à 
son  frère  T'ai-chou  -fc  <]$,  qui  fut  dès  lors  appelé  Tarir)  Chou-Yu 
JM  <K  Wi.  '•  celui-ci  continua  les  mêmes  sacrifices,  et  devint  le 
fondateur  de  votre  royaume  de  Tsin.  Tche-chen  est  manifeste- 
ment l'Esprit  de  cette  constellation  protectrice  de  votre  pays. 

Quant  à  Tai-l'ai  jf  §£,  voici  son  origine  :  Dans  les  temps 
les  plus  reculés  encore,  l'empereur  Kin-tfien-che  ^  ^  J^  (ou 
Chao-hao  /J?  |j|)  eut  un  descendant  éloigné,  nommé  Mei  >fc,  chef 
des  officiers  préposés  aux  rivières  et  aux  canaux  ;  celui-ci  eut  deux 
fils,  Yunn-ko  fâ  fô  et  Tai-l'ai  jf  Bfë.  Le  second  étant  très- 
intelligent,  fut  jugé  digne  de  succéder  à  son  père  ;  c'est  lui  qui 
régla  le  cours  des  fleuves  Fenn  ^  et  Tiao  jfc  (2)  ;  lui  qui  endigua 
le  lac,  et  rendit  le  pays  habitable  ;  lui-même  demeurait  à  T'ai- 
yuen  -fc  )$.  L'empereur  Tchoan-hiu  \$\  Jif,  content  de  ses  ser- 
vices, lui  donna  en  fief  la  principauté  de  Fenn-tchoan  •$>  )\\  ;  ses 
descendants  furent  les  princes  de  Chen  ffc,  de  Se  ^,  de  Jou  W£ 
et  de  Hoang  JV  ;  le  royaume  de  Tsin  détruisit  ces  petits  états,  et 
s'annexa  le  pays  de  Fenn  Y/}-  H  ost  manifeste  que  Tai-t'ai  en  est 
l'Esprit  tutélaire. 

Mais  ce  ne  sont  pas  ces  deux  Génies  qui  vexent  votre  illustre 
souverain,  et  causent  sa  maladie  ;  car  les  Esprits  des  fleuves  et 
des  montagnes  président  aux  inondations,  aux  sécheresses,  et  aux 
fièvres  pestilentielles  qui  en  résultent  :  les  Esprits  du  soleil,  de  la 
lune  et  des  étoiles  président  au  vent,  à  la  pluie,    à    la    neige,   à  la 

(1)  T'ai-hia  :  c'est  T'ciUyuen  fou  5k  M.  f\  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  S> 
p.   2)   —  (Grande,   vol.   40.  p.   -j). 

Pour  ce  qui  concerne  Chou-j'u  (ou  Tang  Chou-yu),   voir    les  «premiers  temps 
de  cette  présente  histoire  :  le  récit  du  lettré-diplomate  est  identique  à  ce  «pie  nous  y 
avons  écrit:  inutile  de  le  transcrire  de  nouveau. 

(2)  Le  Meuve  Fenn  :  voir  ce  que  nous  en  avons  dit  dans  «l'introduction  géogra- 
phique' de  cette  présente  histoire.  Le  (leuve  riao  :  ou  Sou-chouei  ;■}{  ?J\.  coule 
au  sud  de  Wen-hi  hien  r'-\  %  |f,  qui  est  à  70  li  au  sud  de  Kiang-tcheou  -.£  jHi!, 
Chan-si.     Petite  géogr.,  vol.  8,  p.  44    —  'Grande,  vol.  41.  p.  33  ■ 

Le  lac  en  question  est  à  7  li  à  l'est  de  K'i  hien  f"  Sf,  qui  est  à  150  li  au 
sud  de  sa  préfecture  T'ai-yuen  fou.  (Petite  géogr.,  vol.  8,  p  t  —  Grande,  vol. 
40.  p.  16).  Les  i  principautés  (Chen,  Se.  Jou,  Hoang  furent  gouvernées  par  les 
descendants  de  Tai-t'ai  :  c'était  le  territoire  actuel  de  Uo-tcheou  ft*  ■'■','.  Chan-si  ;  mais 
on  en  ignore  l'emplacement  exact.    Annales  du  Chan-si.  vol.  ./■  p 


314  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

gelée  blanche  ;  on  leur  offre  des  sacrifices  quand  les  saisons  pa- 
raissent en  désarroi  (1).  La  maladie  de  votre  illustre  maître  ne 
peut  provenir  que  de  mauvaises  digestions,  de  mauvaises  selles, 
d'excès  de  joie  ou  de  chagrin  :  les  Esprits  des  montagnes,  des 
fleuves,  des  étoiles  n'ont  rien  à  y  voir  ;   leur  office  est  tout  autre. 

J'ai  ouï  dire  qu'un  prince  sage  divise  son  temps  en  quatre 
parts  :  le  matin,  il  entend  les  rapports  concernant  l'administra- 
tion ;  vers  le  milieu  du  jour,  il  prend  là-dessus  des  informations  ; 
dans  la  soirée,  il  met  la  main  aux  ordres  à  publier  ;  la  nuit,  il  se 
repose  ;  prr  cette  vie  régulière,  les  mauvaises  humeurs  sont  dissi- 
pées, et  ne  peuvent  causer  de  maladie  ;  si  le  prince  ne  se  conduit 
pas  sagement,  son  administration  en  souffre  ;  l'intelligence  s'obs- 
curcit, les  mesures  qu'il  prend  n'ont  plus  de  suite,  le  désordre 
règne  partout.  Votre  illustre  souverain  n'agrée  pas  un  tel  partage 
de  son  temps  ;  il  n'a  qu'une  seule  occupation  (Chou-hiang  com- 
prenait fort  bien  l'allusion)  :   c'est  la  cause  de  sa  maladie. 

En  outre,  les  anciens  nous  ont  enseigné  qu'un  homme  ne 
doit  pas  prendre,  pour  concubines,  des  femmes  de  sa  propre  famil- 
le ;  les  enfants  qui  en  naissent  ne  réussissent  pas  ;  la  passion  pour 
ces  femmes  s'étant  épuisée  dans  les  excès  avec  elles,  finit  par  en- 
gendrer de  graves  maladies  ;  voilà  pourquoi  les  anciens  sages 
détestaient  ces  unions.  Dans  leurs  livres  il  est  écrit:  «si  l'on 
achète  une  concubine  dont  on  ignore  le  nom,  il  faut  consulter  les 
sorts»;  si  donc  la  réponse  est  favorable,  on  peut  présumer  que 
cette  femme  n'est  pas  de  la  même  famille  que  l'acquéreur  ;  autre- 
fois, ce  règlement  était  observé  avec  grand  soin,  comme  étant 
d'une  importance  capitale. 

Votre  illustre  souverain  a  présentement  quatre  concubines  de 
la  famille  Ki  #[5,  c'est-à-dire  de  la  sienne  propre;  la  cause  de  la 
maladie  ne  serait-elle  pas  là"?  s'il  n'a  pas  commis  d'excès  avec  ces 
femmes,  il  y  a  peut-être  un  remède  au  mal  ;  dans  le  cas  contraire, 
il  sera  inguérissable. 

Chou-hiaiir/  -fy  (tï]  était  émerveillé  de  tant  d'érudition:  c'est 
parfait,  s'écria-t-il,  je  n'avais  pas  encore  entendu  pareille  doctrine; 
tout  ce  que  vous  dites  est  très-vrai  !  P'ing-kong  lui-même,  ayant 
appris  la  réponse  de  Tsc-tch'an,  s'écria  de  même:  vraiment  c'est 
un  lettré  d'un  savoir  immense'   et  il  lui  fit  de  riches  cadeaux 

Cependant,  la  maladie  ne  guérissait  pas;  on  demanda  au  roi 
de  T&'in  |f§  s'il  aurait  un  médecin  capable  d'y  trouver  un  remède; 
celui-ci  envoya  un  certain  Houo  ffi  (ou  ^||  ,  qui  avait  alors  une 
grande  célébrité;  voici  quelle  fut  sa  consultation;  celle  du  fameux 
Harpagon  de  Molière  est  à  cent  pieds  au-dessous  de  celle-ci  : 

Ayant  attentivement  examiné  le  prince:  cette  maladie  est 
incurable,  dit-il  :  elle  vient  de  l'abus  des  femmes  :  le  proverbe  nous 

(1)  Yong  gH  :  sacrifice  déprécatoire,  pour  éloigner  une  calamité,  et  la  faire 
tomber  sur  un  autre;  on  brùlail  de  la  paille  tendre  sur  un  tertre. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  315 

enseigne  que  l'homme  livré  à  ce  genre  d'excès,  en  devient  comme 
fasciné  et  empoisonaé  ;  il  ne  s'agit  ni  d'Esprits  malfaisants  ni 
d'excès  dans  la  nouriture.  Avec  le  roi,  son  fidèle  officier  va  aussi 
mourir;  le  ciel  ne  veut  pas  l'épargner,  puisqu'il  n'a  pas  su  mori- 
géner son  souverain. 

Donc,  on  ne  peut  pas  approcher  d'une  femme?  demanda 
P'ing-kong.  —  Assurément  on  le  peut,  répondit  le  médecin  ;  mais 
il  y  faut  de  la  modération  !  Les  anciens  empereurs  ont  établi  la 
musique,  avec  sa  mesure  rigoureuse,  pour  régler  toutes  choses  ; 
avec  ses  cinq  notes,  ses  cinq  intervalles,  son  rythme  tantôt  lent 
tantôt  rapide,  tout  se  tient,  tout  se  correspond,  pour  former  l'har- 
monie ;  chaque  note  doit  être  à  sa  place;  les  cinq  tons  musicaux 
ayant  été  exécutés  régulièrement,  l'harmonie  est  obtenue,  et  l'on 
cesse  de  jouer.  Voilà  pourquoi  un  homme  sage  ne  veut  ni  musi- 
que ni  mimique  licencieuse  :  car  elle  fascine  l'oreille  et  trouble  le 
coeur,  fait  oublier  l'harmonie  raisonnable  avec  sa  mesure  rigou- 
reuse. Ainsi  en  est-il  en  toutes  choses  ;  arrivé  à  ce  point,  il  faut 
s'arrêter  ;  sinon  il  y  aura  désordre  et  maladie.  L'homme  sage 
aime  la  guitare  ec  le  luth,  non  pour  réjouir  son  cœur,  mais  pour 
régler  ses  désirs. 

Outre  cela,  il  faut  encore  tenir  compte  des  six  influences  à 
savoir:  le  principe  mâle  (Yang  [^),  le  principe  femelle  (Yng  |5£  , 
le  vent,  la  pluie,  l'obscurité,  la  lumière],  qui,  descendant  du  ciel, 
forment  les  cinq  saveurs  [l'acre,  l'aigre,  la  saline,  l'amère,  et  la 
douce],  les  cinq  couleurs  !  la  bleue,  la  jaune,  la  rouge,  la  blanche, 
la  noire i;  tout  cela  est  régularisé  par  les  cinq  sons  musicaux  ;  si 
l'on  y  commet  des  excès,  vient  la  maladie. 

Ces  six  influences,  bien  séparées,  forment  les  quatre  saisons 
de  l'année  ;  de  même,  ces  influences,  bien  coordonnées,  forment 
les  cinq  éléments  les  métaux,  le  bois,  l'eau,  le  feu,  et  la  terre  : 
s'il  y  a  du  désordre,  viennent  les  calamités.  L'excès  du  principe 
femelle  produit  le  froid;  l'excès  du  principe  mâle  produit  le  chaud; 
l'excès  du  vent  se  fait  sentir  aux  extrémités  du  corps  ;  l'excès  de 
la  pluie  se  fait  sentir  dans  le  ventre  ;  l'excès  de  l'obscurité  produit 
l'hallucination  ;  l'excès  de  lumière  trouble  le  cœur  et  l'intelligence. 
Trop  désirer  la  femme,  vient  du  principe  mâle  ;  c'est  dans  l'obscu- 
rité de  la  nuit  que  l'on  satisfait  à  cet  instinct  ;  l'excès  produit  une 
grande  chaleur  et  une  fascination  folle.  Or,  votre  Majesté  n'a  pas 
su  se  modérer,  ni  observer  le  temps  voulu  ;  était-il  donc  possible 
de  ne  pas  en  arriver  à  cette  extrémité  ? 

On  comprend  pourquoi  Tse-tch'an  reprochait  au  roi  de  n'avoir 
qu'une  seule  occupation  :  il  était  toujours  sans  doute  avec  ses 
concubines.  Quant  à  notre  illustre  Esculape,  ayant  ainsi  terminé 
son  boniment,  il  alla  saluer  le  premier  ministre  Tchao-ou  j£  jjg  ; 
celui-ci  lui  demanda  :  qui  aviez-vous  en  vue,  quand  vous  avez 
prononcé  ces  mots  "l'officier  tidèle  va  aussi  mourir»? 

C'est  votre  Excellence  elle-même, répondit  le  médecin-prophète; 


316  TEMPS   VRAIMENT   HISTOKIQUES 

depuis  huit  ans,  vous  administrez  le  royaume,  sans  qu'il  y  ait 
eu  ni  troubles  ni  révolutions;  les  vassaux  ont  été  fidèles  à  remplir 
leurs  devoirs  envers  leur  suzerain  ;  n'ètes-vous  pas  un  serviteur 
dévoué?  Mais  les  anciens  disaient:  si  un  ministre  se  contente  de 
jouir  de  sa  haute  dignité  et  de  ses  riches  émoluments  ;  s'il  se 
contente  de  remplir  sa  charge  et  de  soutenir  son  autorité  dans 
l'administration;  s'il  ne  sait  pas  détourner  le  cours  des  malheurs 
et  des  calamités  qui  surgissent;  ce  ministre  n'échappera  pas  au 
blâme,  ni  aux  funestes  conséquences  de  sa  conduite. 

Or,  votre  souverain  a  commis  des  excès  de  femmes,  jusqu'à 
en  devenir  malade;  bientôt  il  sera  incapable  de  s'occuper  de  l'ad- 
ministration du  royaume;  n'est-ce  pas  la  plus  grande  calamité  qui 
pouvait  lui  arriver?  Votre  Excellence  n'a  pas  su  l'arrêter  sur  la 
pente  du  mal;  voilà  pourquoi  j'ai  dit  qu'elle  serait  enveloppée  dans 
le  même  malheur. 

Tchao-ou  continua  :  vous  avez  souvent  employé  l'expression 
Kou  ;§|  (venin,  venimeux,  vermoulu);  qu'entendez-vous  par  là? 
—  C'est  l'état  de  marasme  produit  par  les  excès  charnels,  par  les 
imaginations  lascives.  Regardez  attentivement  le  caractère  Kou  ; 
il  se  compose  de  ming  ]JT|  (le  vase),  puis  de  Ichong  §£  (les  vers); 
c'est  la  corruption  des  eaux  stagnantes,'  des  substances  croupis- 
santes. Kou  signifie  encore  l'enveloppe  du  grain,  la  balle  que  le 
vent  emporte  à  cause  de  sa  légèreté.  Dans  le  livre  des  Mutations 
(1),  son  hexagramme  s'écrit  ainsi  =^;  la  partie  supérieure  5z»  Keng 
J|,  c'est  la  perversité  qui  monte  et  domine  ;  la  partie  inférieure 
~,  Suen  jH,  c'est  la  soumission,  la  lâcheté  qui  supporte  tout;  la. 
suite  nécessaire  en  est  le  désordre,  la  perturbation,  la  révolution; 
c'est-à-dire  la  femme  fascine  l'homme  faible, le  vent  emporte  l'arbre 
déraciné  de  la  montagne;  tout  cela  signifie  la  même  chose. 

Tchao-ou  émerveillé  d'une  telle  science  s'écria  :  vraiment  voilà 
un  médecin  éminent!  il  lui  rendit  les  plus  grands  honneurs,  et  ne 
le  renvoya  qu'après  lui  avoir  fait  de  riches  cadeaux  (2). 

A  la  fin  de  cette  même  année  541,  Kong-tse-pi  fè  ^  J£, 
prince  de  Tch'ou  ^,  venait  aussi  se  réfugier  auprès  de  P'ing- 
kong  ;  mais  pour  tous  ses  bagages,  il  n'amenait  que  cinq  chariots  ; 
le  sage  Chou-hiàng  jj$  |fï],  conseiller  intime  du  roi,  attribua  au 
nouveau-venu  les  mêmes  appointements  qu'au  prince  Kien  §/$  de 
Ts'in  ^,  c'est-à-dire  des  revenus  capables  d'entretenir  une  suite 
de  cent  hommes. 

Tchao-ou  lui  en  exprima  son  étonnement;  mais  Chou-hiang 
lui  répondit:  on  assigne  les  appointements  d'après  la  vertu;  s'il 
y  a  égalité  de  vertu,  on  tient  compte  de  l'âge;  s'il  y  a  égalité 
d'âge,    on    tient   compte    de   la   dignité  ;    s'il  .s'agit   de   princes,  on 


(1)  I-king  '  )  H!-  (Zottoli,  III,  p.  534). 

(2)  Le  lecteur  est  maintenant  édifié  sur  la  médecine  chinoise  :   elle  en  est  en- 
core là,  de  nos  jours  !  le  principe  mule,  le  principe  femelle,  etc,  etc. 


DU    ROYAUME   DE   TSIX.    p'iNG-KONG.  317 

examine  lequel  des  royaumes  est  le  plus  puissant:  mais  on  ne 
demande  pas  lequel»  des  exilés  est  le  plus  riche.  Le  prince  Kien 
étant  déjà  si  opulent,  il  ne  convient  pas  d'augmenter  encore  sa 
puissance  ;  le  livre  des  Vers  (1)  nous  donne  cet  avis  :  n'opprimez  pas 
les  faibles;  ne  .craignez  pas  de  résister  aux  fort*  et  aux  violents; 
or  les  royaumes  des  deux  exilés  sont  d'égale  puissance. 

Chou-hiang  voulait  donner  la  préséance  au  prince  Kien,  com- 
me étant  le  plus  âgé  des  deux  :  mais  celui-ci  déclina  humblement 
cet  honneur  :  Moi,  dissait-il,  j'ai  dû  m'enfuir,  pareeque  je  crai- 
gnais la  punition  de  mes  nombreuses  fautes;  le  prince  de  Tch'ou 
n'a  rien  à  se  reprocher;  il  a  quitté  sa  patrie  à  cause  du  manque 
de  sécurité;  il  est  nouveau-venu,  je  dois  lui  céder  la  place:  l'his- 
torien I  jfc  a.  cette  parole  :  si  vous  n'honorez  pas  l'hôte  qui  vient 
d'arriver,  qui  donc  honorerez- vous  ? 

(2)  A  la  Hème  lune,  après  avoir  assisté  au  sacrifice  hivernal, 
offert  par  P'ing-kong  dans  le  temple  des  ancêtres,  Tchao-ou  se 
rendit  à  Nan-yang  \%  ^  3),  pour  présider  à  ceux  qu'on  y  offrait 
aux  ancêtres  de  sa  propre  famille,  surtout  à  Tchao-ts'oei  ^g  ^ 
celui  qui  commença  à  la  rendre  illustre.  A  la  12  ::1  lune  selon 
l'historien),  au  jour  kia-tchen  ^3  J|  15  Octobre),  il  était  à  Wen 
îra.)  tout  occupé  de  ces  cérémonies  solennelles  :  au  jour  heng-siu 
$1  $1    21   octobre)  il  avait  cessé  de  vivre. 

A  cette  nouvelle,  le  prince  de  Tcheng  |f[)  se  mit  en  deuil,  et 
prit  le  chemin  de  Tsin,  pour  aller  présenter  see  condoléances  à  la 
famille  du  défunt;  il  était  arrivé  à  la  ville  de  Yomj  |f|  4),  quand 
la  parenté  du  ministre  envoya  un  exprès  s'excuser  de  ne  pouvoir 
accepter  un  tel  honneur  de  la  part  d'un  souverain.  Le  prince  s'en 
retourna  donc  chez  soi.  Ce  fait  prouve  que  le  siège  d'un  premier 
ministre  de  Tsin  était  plus  élevé  que  le  tronc  d'un  petit  souverain, 
quoique  la  théorie  officielle  fût  contraire. 


(1)  Che-king  j^p  e2.  (Couvreur,  p,  401,  ode  6.  n 

(2)  Le  roi  olTrait  les  sacrifices   d'usage,   à    la    iere    lune   du    trimestre   (m 
vue  j£  fi);  les  grands  officiers  les  oflraient  la  lune  suivante  (tchong-yué    f1!'    I 

y  a  donc  une  erreur  dans  le  texte  ;  elle  vient,  sans  doute,  do  ce  que  l'historien  aura 
mal  traduit  le  calendrier  de  la  dynastie  Hia  J§\  f Hoang-tsing  King-kiai,  f[_  %.  "t" 
;S  P-  32). 

(3)  Nan-yang,  L'ancienne  ville  était  un  peu  au  nord  de  Siou-ou  hien  f>  L»  Sf. 
qui  est  à  120  li  à  l'est  de  sa  préfecture  Hoai-k'ing  fou  ^  }Q  Jff.  Ho-nan. 

Wen,  l'ancienne  ville,  fiel"  de  la  famille  Tchao,  était  à  30  li  sud-ouest  de 
Wen-hien  i§,  Sf,  qui  est  à  50  li  sud-est  de  la  même  préfecture  Iloai-k'ing  fou 
(Petite  géogr-3  ool,  12.  p.  p.   2S  et  2çK 

(4)  Yong  :  capitale  d'une  ancienne  petite  principaux  lit  un  peu 
à  l'ouest  de  Siou-ou  hien.  (Petite  géogr.,  ml.  12.  p.  2S)  —  (Grande,  vol.  4c. 
p.   10). 


318  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

(1)  En  540.  Han-k'i  §!f.  fêl  succédait  à  Tchao-ou  ^j  }jÇ,  et, 
dès  la  lère  lune  (novembre;,  il  entreprenait  la  visite  des  princes 
féodaux.  L'historien  dit  que  c'était  conforme  à  l'usage  ;  d'autres 
auteurs  le  nient  :  selon  eux,  c'était,  de  la  part  du  nouveau  minis- 
tre, un  acte  de  courtoisie  pour  se  concilier  la  bienveillance  des 
vassaux. 

Tout  d'abord,  il  se  rendit  à  la  cour  de  Lou  ^ ,  saluer  de  duc 
Tchao  |lg,  qui  y  régnait  depuis  deux  ans  à  peine  :  il  en  profita 
pour  examiner  sa  célèbre  bibliothèque,  oii  se  trouvaient  beaucoup 
d'anciens  ouvrages.  Ayant  aperçu  le  livre  dee  Mutations  [Y-king 
Jî,  £?£  et  les  annales  de  Lou  Lou-lch'oen-ts'iou  .f§.  §  j§H(  il  s'é- 
cria :  les  institutions  de  la  maison  impériale  Tcheou  JÏÏ\  sont  toutes 
ici  ;  je  comprends  enfin  comment  Tcheou-hong  jg]  ^  s'est  élevé  à 
un  si  haut  degré  de  vertu  ;  et  comment  la  dynastie  Tcheou  a  réussi 
à  occuper  le  troue  impérial  !  car  ces  deux  livres  sont  de  l'empereur 
Wen-yçartg  ^C  3î  e^  de  Tcheou-kong  ;  ils  contiennent  la  profonde 
sagesse  des  anciens    2  . 

Le  duc  donna  un  grand  festin,  en  l'honneur  de  son  hôte 
illustre  ;  le  ministre  Ki-ou-tse  ^  jÇ  ^jp,  en  guise  de  toast,  chanta 
la  dernière  strophe  de  l'ode  Mien  fâfc,  qui  dit  :  les  princes  de  Yu 
/jj|  et  de  Joei  ~fâ  firent  la  paix  entre  eux,  et  Wen-xvang  ~$£  3£ 
augmenta  rapidement  sa  puissance  (3;  ;  c'était  comparer  délicate- 
ment Han-k'i  aux  grands  ministres    qui   aidèrent  cet  empereur  à 

(1)  Han-k'i;  ou  Hansiuen-tSe  $$  m.  "Pi  Bis  de  Han-h' iué  $£  )$;,  fut  un  des 
membres  les  plus  célèbres  de  la  famille  ;  il  est  le  fondateur  de  la  branche  collatérale 
Han-yu-che  $p  ft£   fÇ. 

Les  autres  ministres,  ses  collègues,  étaient:  Tchao-tch'eng  Jfi  fip,  fils  de 
Tchao-ou, —  Sîun-ou  ,'j  $£,  fils  de  Siun-yeng  'jij  f|£,  —  Wei-chou  ffê  £f.  fils  de  Wei- 
kiang  $&  "'.  —  Che-yang  ±  £:<  (ou  Fan-van-  jft  $*),  (ils  de  Che-kai  ±  £?,  —  Tche- 
ynU  £fl  S  (°u  Siun-yng  '^j  M.)-  fils  de  Tche-cho  ^fl  j^  (ou  Siun-cho).  (Annales  du 
Clum-si.   vol.   S.  p.   26)   —  (Tsouo-tchoan  ^£  f^,   vol.  36.  p.  6J. 

(2)  Han-k'i  trouva  l'ancienne  partie  du  livre  appelé  Y-king,  à  savoir:  les 
figures  Koua  1|-  ,  soit-disant  révélées  à  Iroit-lii  t\  ^  par  un  drasron  sorti  du  fleuve 
jaune: — les  définitions  (toan  ~îfc)  de  ces  mêmes  figures,  imaginées  par  Wen-wang  ; 
—  les  symboles  (yao  5t)  de  ces  mêmes  figures,  imaginés  par  Tcheou-kong.  Ce 
livre  étaii  censé  renfermer  les  règles  d'un  bon  gouvernement;  on  s'en  servait  aus- 
si pour   consulter    les    sorts.    Il  y  avait  probalcmcnt   aussi  le  livre  des  annales  (chou- 

|  f£ <  qui,  en  grande  partie  composé  par  Tcheou-kong,  renferme  la  haute  sa- 
gesse politique  et  sociale  des  anciens.  Le  Lou-tch'oeh-ts'iou  est.  sans  doute,  un  livre 
historique  de  l.ou,  d'où  fut  extraite  la  chronique  (tch'oen-ts'iou)  de  Confucius,  que 
nous  possédons  encore;  ce  livre  renfermait  les  institutions  et  les  lois  immuables 
conservées  dans  le  recueil  des  Rites  fii-fci  f|j  $^>. 

(:i)  Che-king  p$  &.  (Couvreur, p.  329.  ode  3.  >i°  9 — p.  302.  ode  9 — p.  226, 
ode  7,  n°  10). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iXG-KOXG.  319 

devenir  si  fameux.  Pour  réponse,  celui-ci  chanta  l'ode  Kio-kong 
^  pj,  dont  voici  quelques  paroles  :  un  arc  a  été  bien  travaillé,  ses 
extrémités  ont  éié  garnies  de  corne;  quanti  on  le  dé/end,  il  se 
redresse;  les  frères,  les  parents  par  alliance,  ne  doivent  point 
s'éloigner  les  uns  de*  autres  (1).  Par  cette  allusion,  Han-k'i 
annonçait  son  désir  de  traiter  toujours  amicalement  les  princes 
de  la  même  famille  que  son  maître. 

Ki-ou-tse  se  hâta  de  se  posterner  à  terre,  en  disant  :  puis-je 
me  permettre  de  vous  remercier,  et  de  vous  exprimer  notre  grati- 
tude, pour  la  bienveillance  que  vous  témoignez  envers  notre  petit 
état?  notre  humble  prince  espère  que  vous  voudrez  bien  nous 
aider  fraternellement.  Ayant  ainsi  parlé,  il  se  releva,  et  chanta 
encore  la  dernière  strophe  de  l'ode  Tsié-nan-ckan  ^j  jfi  \\j,  qui 
dit  :  vous  pourrez  rendre  heureux  tous  les  peuples  :  (2)  c'était 
indiquer  tout  ce  que  l'on  espérait  de  la  bonne  administration  du 
ministre. 

Après  ce  festin  solennel,  Han-k'i  alla  saluer  le  premier-mi- 
nistre Ki-ou-tse  dans  son  propre  palais  ;  là  se  trouvait  un  arbre 
magnifique,  à  l'ombre  duquel  il  aimait  à  s'asseoir.  Ki-ou-tse  lui 
dit  :  désormais  je  soignerai  encore  davantage  ce  bel  arbre,  pour 
montrer  que  je  n'oublie  pas  les  promesses  que  votre  Excellence 
vient  de  nous  faire.  Et  aussitôt  lui-même  se  mit  à  chanter  l'ode 
Kan-t'ang  "ft  ^,  qui  dit  :  ne  taille:  pas,  ne  coupez  pas  ce  poirier 
sauvage,  sous  lequel  le  prince  Chao  ^  s'est  assis    .'!  . 

Han-k'i  l'interrompit  en  s'écriant  :  je  n'ose  accepter  un  tel 
compliment  !  hélas,  je  suis  bien  loin  de  ressembler  à  cet  illustre 
prince  ! 

Ayant  achevé  cette  première  visite,  Han-k'i  se  rendit  à  la  cour 
de  Ts'i  ^  ;  là  il  offrit  les  cadeaux  de  mariage  que  lui  avait  con- 
fiés P'ing-kong  ;  car  celui-ci,  déjà  ramolli  par  l'abus  des  femmes, 
trouvait  bon,  pour  se  guérir,  de  prendre  encore  une  concubine  de 
plus  ;  et  il  désirait  une  princesse  de  Ts'i  ;  voilà  comme  il  tenait 
compte  de  la  double  consultation  que  nous  avons  décrite  un  peu 
plus  haut. 

Le  grand  seigneur  Tse-ya  ^f-  !ff{:  vint  saluer  Han-k'i,  et  lui 
présenta  son  fils  Tse-ki  -f-ffi  ;  au  lieu  de  compliment,  le  ministre 
lui  fit  une  leçon  assez  dure  :  ce  n'est  pas  ce  jeune  homme,  dit-il, 
qui  sera  l'appui  et  le  protecteur  de  sa  famille  :  il  est  trop  infatué 
de  sa  personne,  et  trop  arrogant  ! 

Le  grand  seigneur  Tse-wei  ^  J|  reçut  pareille  semonce,  quand 
il  lui  présenta  son  fils  Kiang  jf§|.  Plusieurs  dignitaires  avaient 
entendu  ces  remontrances  ;    ils  en  riaient,  comme  étant  exagérées  ; 


(1)   (2)   Che-king  f$  ^jg.    (Couvreur,  p,  S2ç.  ode  s,  n"  ?  —  p.  302,  ode  o  — 

p.   226,  ode   y,   n°   jo). 

(3)   Che-king  f$  fâ.  (Couvreur  p.  20,  ode  5  —  p.  os-  ode  1       j>-  :.- 


320  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

mais  le  sage  Yen-lse  ||  ^  leur  dit  :  Han-k'i  est  un  homme  supé- 
rieur qui  pénètre  l'avenir  ;  il  faut  le  croire  ;  car  toutes  ses  paroles 
sont  méditées  et  pesées  à  l'avance.  Dix  ans  plus  tard,  les  deux 
jeunes  hommes,  devenus  buveurs  et  querelleurs,  durent  s'enfuir 
au  royaume  de  Tsin. 

Han-k'i  se  rendit  à  la  cour  de  Wei  %  ;  le  prince  donna  éga- 
lement un  grand  festin  en  son  honneur  ;  le  dignitaire  Pé-kong- 
■wen-lse  4b  "Ê!  %■  "F  chanta  l'ode  Ki  yo  }lt  f^l  qui  dit  :  voyez  ce 
méandre  de  la  (rivière)  Ki  \lt  ;  les  bambous  verdoyants  sont  jeunes 
et  beaux  (1)  ;  c'était  comparer  le  ministre  à  Ou-kong  jÇ  Q ,  dont 
il  est  question  dans  cet  hymne,  et  dont  la  vertu  avait  atteint  la 
perfection. 

Pour  le  remercier  de  ce  compliment.  Han-k'i  chanta  l'ode 
ainsi  conçue  :  à  qui  m'offre  un  coing,  je  donne  une  pierre  pré- 
cieuse (Kiu  B/i)  e/c...  (2)  ;  c'était  annoncer  qu'il  se  montrerait 
toujours  généreux  envers  l'état  de  Wei. 

A  la  4::;ie  lune  de  cette  année  540  (février-mars),  son  propre 
fils  Han-siu  $£  2Jf  était  envoyé  à  la  cour  de  Ts'i  ^,  pour  en  ra- 
mener la  nouvelle  concubine,  nommée  Chao-kiang  *Jj  =£..  Le  roi, 
de  son  côté,  députa  le  grand  dignitaire  de  ière  clause  Tcli'en-ou- 
\ju.  Pjfi  5ïl£  "^,  pour  accompagner  la  princesse  jusqu'à  la  capitale 
de  Tsin. 

P'ing-kong  s'éprit  d'une  folle  passion  pour  elle  ;  il  changea 
son  nom,  et  l'appela  Chao-ts'i  'J?'$,  la  petite  fleur,  le  petit  trésor 
de  Ts'i  ;  pour  la  flatter,  croit-on,  il  s'indigna  qu'elle  eût  été  ame- 
née par  un  dignitaire,  et  non  par  le  premier-ministre  ;  en  consé- 
quence, il  fit  saisir  Tch'cn-ou-yu,  qui  s'en  retournait  à  la  cour  de 
Ts'i,  et  était  déjà  parvenu  à  Tchong-tou   >{î  ftf    3  . 

La  concubine  croyait-elle  à  la  sincérité  de  ce  courroux  ? 
Peut-être  !  En  tout  cas,  son  intercession,  en  faveur  de  son  chef 
d'escorte,  fut  une  leçon  pour  P'ing-kong  ;  elle  lui  disait  :  la 
crainte  de  déplaire  h  votre  Majesté  a  troublé  notre  humble  souve- 
rain :  c'est  pourquoi  il  a  délégué  un  messager  d'un  rang  supérieur 
à  celui  du  vôtre,  et  a  ainsi  violé  les  rites  (4).  Malgré  cette  expli- 
cation, l'envoyé  fut  maintenu  en  prison. 

I      [2)  Che-king  f$  £2-  (Couvreur,  p.  20.  ode  5— p.  63.  ode  1  —  p.  yj.  ode  10). 
(?,)   Tchong-tou  :  était  à    1-!  li  à  l'ouest  de  P'ing-yao   hien    -7]"1  iS  î?i  qui  cst  à 
80  li  n  l'est  de  sa   préfecture  Fen-tcheou  fou  f;)  'Jil   IfîF.  Chan-si.   (Petite  <7<:o<yr  .  vol. 
8.  p    16)  —    Grande,  col.  42.  p-  à). 

(',)    1  -  rites  (c'est-à-dire    l'étiquette)    l'ambassadeur   qui    venait   cher- 

cher, et  celui  qui  conduisait  l'épouse,  devaient  être  du  même  rang  :  si  P'ing-kong 
avait  'l  fsirc  le  premier-ministre  de  Ts'i,  il  devait  envoyer  le  sien  :  s'il  y  avait  lai 

était  donc  chez  lui  :  non  chez  le  roi  de  IVi,  qui  avait  l'ait  plus  qu'il  ne  devait. 
Mais  les  premiers-ministres  ne  devaient  s'envoyer  que  pour  l'épouse  légitime,  min 
pour  les  conçu  bines  ' 


DU    ROYAUME   DE  TSIN.    P'iNG-KONG.  321 

A  la  5  ème  lune  (avril),  le  seigneur  Chou-kong  ;j'^  p^,  de  Lou 
iff.,  Venait  remercier,  P'ing-kong  de  la  visite  de  son  premier  minis- 
tre. D'après  les  rites,  le  roi  députa  un  dignitaire  pour  aller  au 
devant  de  l'ambassadeur,  lui  souhaiter  la  bienvenue,  lui  offrir  un 
grand  diner  ;  tout  cela,  en  dehors  de  la  capitale,  dans  un  des  fau- 
bourgs (1).  Chou-hong,  le  lettré  habile,  s'excusa  en  disant:  notre 
humble  prince  m'a  envoyé  uniquement  pour  resserrer  l'amitié  entre 
nos  deux  états  ;  il  m'a  bien  recommandé  de  ne  pas  me  conduire 
en  ambassadeur  officiel  ;  ainsi  permettez-moi  de  ne  pas  accepter 
l'honneur  d'un  diner  d'apparat. 

Comme  on  le  conduisait  à  une  grande  hôtellerie,  il  s'excusa 
de  nouveau  en  disant:  pourvu  que  je  puisse  seulement  communiquer 
mon  message  aux  ministres,  mon  humble  prince  se  considérera 
comme  très-honoré  ;  permettez-moi  donc  encore  de  ne  pas  accepter 
une  si  belle  résidence. 

Le  sage  Chou-hiang  7]^  £]  fit  à  ce  sujet  la  remarque  suivante  : 
voilà  un  homme  versé  dans  les  rites  !  les  anciens  nous  ont  ensei- 
gné que  la  loyauté  est  le  revêtement  extérieur  des  rites  ;  l'humilité 
en  est  la  base  solide  ;  le  seigneur  Chou-kong,  en  déclinant  les 
honneurs,  n'a  pas  oublié  de  penser  d'abord  à  son  prince  ;  voilà  la 
preuve  de  sa  loyauté  ;  ce  n'est  qu'ensuite  qu'il  a  pensé  à  sa  person- 
ne ;  voilà  la  preuve  de  son  humilité.  Le  livre  des  Vers  nous  dit  : 
ayez  soin  d'avoir  un  extérieur  grave,  et  des  manières  bienséante*. 
afin  d'attirer  les  hommes  vertueux  (2).  Ce  seigneur  est  assuré- 
ment un  de  ceux-là  ! 

Vers  la  9  l;:i'  lune  (août),  mourait  la  nouvelle  concubine. 
P'ing-kong  l'efféminé  fut  dans  une  désolation  extrême  ;  il  voulut 
pour  elle  un  enterrement  réservé  jusque-là  aux  reines  seules. 
Aussi,  le  duc  de  Lou  ^  s'empressa-t-il  de  se  mettre  en  route,  pour 
présenter  ses  condoléances, et  assister  à  cet  enterrement  solennel.  La 
cour  de  Tsin  trouva  cependant  que  c'était  trop  fort;  elle  députa  le 
seigneur  Che-wen-pé  ih"  ^C  f ^  à  la  rencontre  du  duc, avec  le  message 
suivant:  ne  daignez  pas  vous  donner  la  peine  de  venir  jusqu'ici; 
la  défunte  n'était  pas  l'épouse  légitime!  Le  duc  fut  rencontré  sur 
les  bords  du  fleuve  Jaune;    de   là   il   retourna  chez   lui,   et  envoya 

(1)  I.c  livre  des  Rites  (li-ki  jji^j  |£)  nous  renseigne  ainsi  sur  l'étiquette  des 
visites  :  Arrivé  à  la  frontière  du  pays  où  il  se  rendait,  l'ambassadeur  ou  le  messager 
s'arrêtait,  envoyait  à  la  cour  annoncer  sa  venue.  Le  prince  députait  un  officier 
chargé  de  ramener  jusqu'à  la  capitale;  il  envoyait  encore  un  grand  dignitaire  le 
recevoir  en  dehors  de  la  ville;  le  prince  lui-même  allait  au-devant  de  lui,  jusqu'à 
la  grande  porte,  à  l'intérieur  du  palais;  le  conduisait  nu  temple  (.\f<  ancêtres; 
puis,  se  tournant  vers  le  nord,  comme  un  sujel  devant  son  souverain,  il  saluait,  pour 
remercier  le  prince  étranger  de  lui  avoir  envoyé  un  n  -  Couvreur,  vol.  _'. 
p.    6Sç). 

(2)  Che-king  f£  $J  (Couvreur,  p.  joç.  «de  ç.  nn  3). 

41 


322  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

son  ministre  Ki-ou-tse  ^^-^  à  sa  place,  offrir  de  superbes 
vêtements  pour  la  défunte  (1). 

Cependant,  Tclren-ou-yu  (^  4h£  ^p,  ce  grand  dignitaire  qui 
avait  escorté  la  princesse,  était  toujours  en  prison  ;  Chou-hiang  eut 
compassion  de  lui;  il  dit  à  P'ing-kong:  Qnelle  faute  a  donc 
commise  ce  seigneur?  il  n'a  fait  qu'obéir  à  son  roi!  celui-ci  a 
montré  sa  bonne  volonté  en  députant  un  dignitaire  plus  élevé  que 
le  vôtre  ;  ce  fut  même  un  excès  de  déférence  envers  vous  ;  mais 
s'il  y  a  faute,  elle  est  de  votre  côté.  Dire  que  le  roi  de  Ts'i  ^ 
aurait  dû  envoyer  son  premier  ministre,  serait  une  prétention 
exorbitante.  Votre  conduite  sied-elle  au  chef  des  vassaux?  La 
princesse  elle-même  avait  intercédé  pour  son  chef  d'escorte,  inno- 
cent de  toute  faute  ;  vous  le  retenez  injustement  en  prison  :  n'est- 
ce  pas  inexcusable  ? 

Sur  cette  sévère  remontrance,  P'ing-kong  rendit  la  liberté  à 
son  captif;  et  celui-ci  s'empressa  de  retourner  dans  sa  patrie. 
Sans  doute  le  grand  âge  et  l'office  de  Chou-hiang  lui  donnaient 
plus  de  liberté  dans  son  langage;  ses  nombreux  et  importants 
services,  la  droiture  de  son  caractère,  mettaient  son  dévouement  à 
l'abri  de  tout  soupçon  ;  pourtant,  cette  fois,  il  semble  bien  avoir 
été  indigné  des  extravagances  royales  ;  '  ses  paroles  le  laissent 
entendre  assez  clairement  ;  elles  ont  un  ton  inaccoutumé. 

A  la  llème  ]une  septembre-octobre),  le  prince  de  Tcheng  §{$, 
qui  avait  tant  de  raisons  pour  cultiver  l'amitié  de  P'ing-kong, 
envoya  un  grand  seigneur  lui  présenter  ses  condoléances  :  lui 
aussi,  par  peur  ou  par  flatterie,  outrepassait  les  rites,  qui  pres- 
crivaient une  ambassade  lors  du  décès  de  la  seule  épouse  légitime. 

En  539,  à  la  lère  lune  (vers  novembre),  ce  même  prince  de 
Tcheng  ^  députait  le  seigneur  Tse-t'ai-clwu  -f  ^  ^  à  la  cour  de 
Tsin,  assister  à  l'enterrement.  Les  deux  dignitaires  Liang-ping 
i^  pij  et  Tchang-ti  i;Jf  \]£  (2),  conversant  avec  cet  ambassadeur, 
lui  disaient  :  que  votre  seigneurie  soit  venue  pour  une  telle  cir- 
constance, n'est-ce  pas  exagéré? 

L'envoyé  répondit:  y  avait-il  moyen  de  nous  en  dispenser? 
Autrefois,  en  effet,  vos  illustres  rois  Wen  ~*£  (635  628)  et  Siang 
^g.  627-621)  avaient  grand  soin  de  ne  pas  vexer  les  princes  féo- 
daux :  ceux-ci  devaient  tous  les  trois  ans  envoyer  un  ambassadeur; 


(1)  D'après  le  même  livre  des  Rites,  il  y  avait  les  présents  funéraires  destinés 
au  défunt  [fong  §g  :  d'autres  destinés  à  sa  famille  fou  §!$  :  quand  un  prince  en- 
voyait cette  sorte  de  présents,  il  n'offrail  pas  sa  vniture  de  1'"'  classe,  ni  ses  vê- 
tements reçus  de  l'empereur  ;  mais  sa  voiture,  son  bonnet,  i —  vêtements,  tout  de 
2'""'  classe.  (Couvreur,  vol.   2,  pjp.  j  —   jjj  —   147  ■ 

(2)  Ce  Liang-ping  n'était  ni  de  la  grande  noblesse,  ni  même  d'une  famille 
avant  rendu  de  grands  services  au  pays.  Tchang-ti  était  fils  du  seigneur  Tchang- 
lao,  que  le  lecteur  n'a  pas  oublié. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    P'iXG-KOXG.  323 

tous  les  cinq  ans  venir  eux-mêmes  à  la  cour;  ils  n'étaient  con- 
voqués en  assemblée  qu'en  cas  de  vraie  nécessité  :  par  exemple, 
s'il  y  avait  querelle  ou  guerre  entre  les  vassaux;  à  la  mort  du  su- 
zerain, un  grand  officier  allait  présenter  les  condoléances  ;  le  mi- 
nistre assistait  à  l'enterrement;  telle  était  la  régie.  De  môme,  à 
la  mort  de  la  reine,  un  officier  venait  présenter  les  condoléances  ; 
un  grand  dignitaire  assistait  à  l'enterrement.  Cela  suffisait  pour 
entretenir  les  relations  d'amitié  et  de  dépendance  entre  les  vassaux 
et  leur  suzerain  ;  les  rites  ne  demandaient  pas  davantage,  et  ces 
illustres  princes  s'en  contentaient. 

Les  choses  ont  bien  changé  !  Aujourd'hui  meurt  une  concu- 
bine ;  nous  ne  pouvons  prétexter  son  rang  inférieur,  et  lui  rendre 
moins  d'honneurs  qu'à  la  reine  ;  nous  en  serions  blâmés  :  il  faut 
donc  nous  exécuter,  quoiqu'il  nous  en  coûte.  La  défunte  était  en 
si  grande  faveur,  que  la  cour  de  Ts'i  ^  s'empressera  d'envoyer 
une  autre  princesse  pour  la  remplacer;  il  nous  faudra  revenir  en- 
core une  fois,  offrir  nos  félicitations. 

Bien  parlé!  répliqua  Tchang-li  fâ^W.  ;  mais  moi  je  vous  assure 
que  vous  n'aurez  plus  de  tels  ennuis.  Comme  la  planète  hov.o  j){, 
notre  royaume  est  à  son  point  de  culmi nation  ;  il  y  aura  une 
détente;  nous  perdrons  notre  suprématie;  voulussions-nous  alors 
reunir  les  vassaux,  nous  n'en  serons  plus  capables. 

Après  cet  entretien.  Tse-1'a.i-chou  -fr  ~Jk,  %L  dit  à  son  entou- 
rage :  ce  seigneur  Tchang-ti  est  bien  instruit;  il  semble  un  des 
sages  de  l'antiquité. 

Le  roi  de  Ts'i  ^  accorda,  de  fait,  à  P'ing-kong  une  nouvelle 

petite  fleur»,  un  nouveau  "petit  trésor»;  et  c'est  le  sage    Yen-tse 

i^  ^   qui   fut   chargé   d'en   porter  la  promesse;  pour  le  remercier 

de  ses  soins,  on  lui  rît  les  honneurs  d'un  grand  festin:  c'est  alors 
qu'il  eut  avec  son  collègue  en  sagesse,  Chou-hiang.  l'entretien 
resté  célèbre  dans  les  annales  de  la  Chine  (1);  il  y  gémit  sur  la 
mauvaise  administration  de  son  pays  :  il  prophétisa  la  déchéance  de 
la  maison    régnante,  l'accession  de  la  famille   Tch'en  ^  au  tronc. 

Chou-hiang  fit  chorus  à  cette  jérémiade  :  Notre  maison  ré- 
gnante, dit-il,  est  à  sa  dernière  étape  ;  les  chars  de  guerre  sont 
en  mauvais  état;  n'ayant  pas  un  homme  capable,  pour  conduire 
l'armée,  les  ministres  se  gardent  bien  d'entreprendre  aucune  ex- 
pédition militaire:  il  n'y  a  plus  de  bons  généraux:  il  n'y  a  même 
pas  un  lancier  pour  le  char  royal;  le  peuple  est  épuisé  par  les 
impots  et  les  corvées;  le  palais  royal,  au  contraire,  regorge  de 
trésors:  sur  tous  les  chemins,  on  rencontre  les  cadavres  de  gens 
morts  de  faim;  tandisque  les  concubines  royales  et  leurs  ornements 
augmentent  de  jour  en  jour  ;  aussi  le  peuple  abhorre  les  ordres  du 

(1)   Pour  le  discours  de  Yen-tse,  voyez  :  Zottoli,  IN",  p.  77, 


324  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

prince;  il  les  considère  comme  les  paroles  d'un  chef  de  brigands, 
ou  d'un  ennemi:  les  familles  seigneuriales  Loan  a|§,  K'i  ffi,  Siu 
^,  Yuen  Jfc,  Hou  #H,  Chou  i^,  K'ing  /J|  et  Pe  f£,  aussi  ancien- 
nes que  la  maison  régnante,  et  descendant  des  mêmes  ancêtres, 
ont  été  réduites  à  l'état  de  porte-faix;  l'administration  du  royaume, 
abandonnée  par  le  prince, est  aux  mains  des  dignitaires;  le  peuple 
est  à  leur  merci,  et  n'a  personne  pour  appui  :  malgré  de  sérieuses 
remontrances,  le  prince  ne  change  pas  de  conduite;  parmi  les  fêtes 
bruyantes-,  il  oublie  les  devoirs  de  sa  charge  :  la  maison  régnante 
est  tombée  si  bas,  que  cet  état  ne  peut  se  prolonger  longtemps. 
Sur  le  trépied  exhortateur  sont  gravées  les  paroles  suivantes  :  dès 
le  point  du  jour,  appliquez-vous  à  votre  office  ;  même  alors,  il  y 
a  encore  pour  vous  danger  de  devenir  làclie.  Donc,  à  plus  forte 
raison,  l'homme  qui  ne  veut  pas  corriger  ses  défauts  ne  pourra-t- 
il  durer  longtemps  ! 

Que  pense  faire  votre  seigneurie?  demanda  Yen-tse.  —  Quand 
les  branches  d'un  arbre,  répondit  Chou-hiang.  ont  perdu  leurs 
feuilles  et  leur  sève,  le  tronc  dépérit  et  meurt:  des  onze  familles 
originaires  de  nos  premiers  ancêtres,  il  ne  reste  que  la  mienne 
celle  de  Yang-ché  i£  -g-)  ;  mon  fils  ne  vaut  pas  grand'chose  ;  la 
maison  régnante  n'a  pas  de  tête  raisonnable;  j'aurai  bien  de  la 
chance,  si  je  puis  mourir  tranquillement;  je  n'ose  me  flatter 
d'avoir  des  descendants,  qui  m'offrent  des  sacrifices  ! 

Naturellement,  la  prédiction  d'un  sage  comme  Chou-hiang  est 
infaillible;  de  fait,  sous  son  petit-fils,  en  514,  sa  famille  sera  ex- 
terminée. Au  pays  de  Tsin,  comme  à  celui  du  grand-turc,  les 
saignées  périodiques  de  la  noblesse  étaient  passées  en  usage  (1). 

A  la  4  1!"'  lune  (février-mars  .  le  prince  de  Tclieng  M{)  venait 
saluer  P'ing-kong;  pour  compagnon,  il  avait  amené  le  grand  sei- 
gneur Kong-suen-loan  fe  fâ  j^,  qui  dirigea  à  ravir  les  cérémonies 
de  la  visite.  En  récompense,  le  roi  lui  donna  en  fief  la  ville  de 
Tcheou  ffl  [2):  votre  père,  Tse-fong  ^  ^,lui  dit-il,  a  bien  mérité 
de  mon  royaume  ;  pour  montrer  que  je  ne  l'ai  pas  oublié,  je  vous 
donne  cette  ville,  afin  que  vous  puissiez  y  offrir  des  sacrifices  à  ce 
seigneur  si  éminent. 

Kong-suen-toan  se  posterna  deux  fois  jusqu'à  terre,  pour 
rendre  grâces  de  ce  bienfait;  il  reçut  le  diplôme  de  cette  investi- 
ture, et  se  retira  enchanté  d'une  telle  bonne  fortune.  L'historien 
fait  sur  cela  une  réflexion,  à  laquelle  le  lecteur  ne  s'attendait 
guère:     Voyez,  dit-il,  l'importance  des  rites  !  Kong-suen-toan  était, 


(1)  Nous  avons  déjà  noie  que  les  descendants    de    Chou-hiang    se   réfugièrent 
dans  la  répion  de  Hoa-chan  ?f§  [Ll -  (Annales  du  Chan-si,  vol.  S,  p.  rç). 

(2)  Tcheou  :  était  à  50  li  sud-est  de  Hoai-k'ing  fou  fë  !§  ft,  Ho-nan.  (Petite 
giogr.,  vol.   12.  y.  26)   —     Grande,  vol.  4c,  p.  4  . 


DU   ROYAUME   DE    [SIX.    p'iNC-KONG.  325 

au  fond,  extrêmement  orgueilleux;  sachant  une  seule  fois  se  vain- 
cre, et  s'humilier  devant  le  roi  de  Tsin,  il  y  gagna  une  grande 
fortune  ;  à  plus  forte  raison  aurez-vous  de  nombreux  avantages,  si 
vous  observez  toujours  et  dans  la  perfection  ces  rites  si  nécessaires. 
Le  livre  des  Vers  ne  dit-il  pas:  l'homme  qui  n'observe  pas  les 
rile.<,  que  ne  meurt-il  bien  vile?  (4) 

Quant  à  cette  ville  de  Tcheou  j\\.  elle  appartenait  autrefois 
au  seigneur  Loan-pdo  §f§  % -]  :  après  l'extinction  violente  de  cette 
famille  550),  les  trois  ministres  successifs.  Che-kai  -^  ÇE},Tchao- 
ou  jfë  jft;  et  Han-k'i  $$  ^E,  avaient  en  vain  demandé  pour  eux  ce 
beau  fief.  Tchao-ou  avait  même  prétendu  que  tout  le  pays  de 
Wen  j|g_  dont  Tcheou  faisait  partie;  était  depuis  longtemps  la 
propriété  de  sa  famille.  Ses  deux  compétiteurs  lui  avaient  répliqué 
comme  il  suit:  depuis  K'i-tcheng  ^  ^  650  .  cette  région  a  été 
le  partage  de  trois  familles  2  ,  comme  du  reste  il  est  arrivé  poin- 
tant d'autres  endroits  de  notre  royaume  :  qui  donc  peut  réclamer 
pour  lui  seul  telle  ou  telle  ville  ? 

Tchao-ou,  bien  mortifié  de  cette  leçon,  avait  renoncé  à  faire 
valoir  ses  droits,  vrais  ou  prétendus.  Les  deux  autres  seigneurs 
firent  de  même,  se  contentant  d'avoir  lutté  pour  la  justice.  Quand 
Tchao-ou  fut  devenu  premier  ministre, son  fils  Ilouotyfe  voulait  profiter 
de  l'occasion  pour  s'emparer  du  fief  en  litige  :  Tchao-ou  s'y  opposa 
absolument:  -mes  deux  compétiteurs,  disait-il,  m'ont  évincé  en 
toute  droiture:  quiconque  va  contre  la  justice,  s'attire  des  mal- 
heurs; j'ai  déjà  assez  de  peine  à  gouverner  mes  fiefs  légitimes  ;  je 
ne  veux  pas  m'attirer  des  calamités  pour  celui-là,  dont  la  propriété 
m'est  avec  raison  disputée. 

Bien  malheureux,  ajoute  l'historien,  est  celui  qui  ne  voit  pas 
de  quel  coté  le  menacent  les  calamités  :  plus  malheureux  encore, 
celui  qui  le  voit,  et  ne  sait  pas  les  détourner!  Le  pays  de  Tcheou 
laissé  ainsi  en  suspens,  finit  par  être  considéré  comme  néfaste, 
et  comme  devant  causer  la  mort  de  son  propriétaire.  Kong-suen- 
toan  savait-il  cette  renommée?  elle  ne  l'empêcha  pas  de  l'accepter. 

C'est  sur  la  recommandation  de  Han-k'i  $"£  fêl  que  le  roi 
avait   fait   cette    largesse  ;    en    cela,    il    avait   une    arriére-pensée  : 


(1)  Che-king  jjjf  %£.  (Couvreur,  p.  S9>  ode  S,  nn  s  Là  il  est  dit:  quiconque 
n'observe  pas  les  rites  se  met  nu-dessous  des  plus  vils  animaux,  n'est  pas  un  hom- 
me, ne  devrait  pas  vivre.  —  On  ne  peut  imaginer  d'expressions  plus  fortes,  pour 
exprimer  une  idée  si  familière  aux  Chinois. 

(2)  Plusieurs  familles  seigneuriales  étaient  très-riches  et  très-puissantes  :  cel- 
le de  Hun  $f,  par  exemple,  avait  sept  fiefs,  dont  chacun  fournissait  cent  chars  de 
guerre,  équipés  à  ses  frais  ;  on  ne  s'étonnera  pas  trop,  quand  on  la  verra  s'emparer 
du  trône.  Les  familles  Tcliao  jj§.  Wei  Pi,  Siun  '^pj,  ei  Fan  jfë  lui  étaient-elles  beau- 
coup inférieures?  les  deux  premières  -  ront  le  royaume  avec  elle. 


326  temps  vraiment  historiques 

depuis  longtemps,  ces  seigneurs  Fong  |§p,  quand  ils  venaient  à  la 
cour  de  Tsin,  étaient  les  hôtes  habituels  de  la  famille  H  an  i$i  ;  le 
premier-ministre  espérait  finalement  faire  l'acquisition  de  ce  fief, 
quand  il  serait  rendu  au  roi  de  Tsin  ;  il  se  montrait  donc  moins 
désintéressé  que  son  prédécesseur. 

Vers  la  5èrae  lune  (avril),  Han-k'i  lui-même  était  envoyé  au 
royaume  de  Ts'i  |^?,  chercher  la  nouvelle  concubine  ;  cette  fois, 
P'ing-kong,  malgré  les  fameux  rites,  se  conduisait  comme  envers 
une  reine.  Tse-wei  ^p  j^,  le  premier-ministre  de  Ts'i,  lui  joua 
un  tour  assez  singulier  ;  il  lui  envoya  sa  propre  fille  ;  la  jeune 
princesse  qui  avait  été  promise,  fut  mariée  à  vin  seigneur  de  Ts'i. 
Quelqu'un  avertit  Han-k'i  de  cette  substitution  ;  celui-ci  répondit: 
je  veux  avant  tout  conserver  la  bonne  entente  entre  nos  deux 
royaumes  ;  si  j'offensais  Tse-wei,  qui  est  ici  tout-puissant,  je 
manquerais  mon  but.      (1) 

Vers  la  7:'1!u-'  lune  (mai-juin),  Tse-p'i  ^  fc,  ministre  de 
Tchenrj  ff[$,  venait  offrir  à  P'ing-kong  les  congratulations  officielles 
de  son  maître,  à  l'occasion  du  «petit  trésor»  reçu  de  Ts'i.  Au 
milieu  des  fêtes  solennelles  de  ce  soit-disant  mariage,  l'ambassa- 
deur n'oublia  pas  qu'il  avait  une  autre  commission  à  faire  ;  il  dit 
donc  à  Han-k'i  :  le  roi  de  Tch'ou  ^  rappelle  à  mon  humble  maî- 
tre les  conventions  du  traité  de  paix  universelle,  et  le  presse  in- 
stamment de  venir  à  la  cour  faire  sa  visite  de  règle  ;  mon  humble 
souverain  craint  de  vous  déplaire  en  s'y  rendant  ;  veuillez  donc 
lui  donner  une  direction  à  suivre. 

Han-k'i  chargea  Chou-hiang  fy  ffi]  de  donner  la  réponse  ;  la 
voici  :  pourvu  que  voire  prince  nous  reste  uni  de  cœur,  il  n'a  rien 
â  craindre,  en  accomplissant  le  traité  de  Song  jfç,  et  en  se  rendant 
à  la  cour  de  Tch'ou  ;  si,  au  contraire,  il  ne  nous  était  pas  soumis 
de  cœur,  vous  auriez  beau  rester  ici  nuit  et  jour,  vous  ne  pourriez 
dissiper  nos  soupçons  ;  votre  prince  demeurant  loyalement  notre 
allié,  notre  ami,  pouvait  faire  sa  visite  à  la  cour  de  Tch'ou,  sans 
même  nous  en  donner  avis. 

Cependant,  le  seigneur  Tchang-ti  ïjjt  îli£->  dont  nons  avons 
parlé  plus  haut,  était  un  peu  désappointé  de   ce  que  cette  ambas- 


(1)  Le  lecteur  ne  doit  pas  juger  ce  fait  d'après  ses  idées  européens;  pareille 
substitution,  en  effet,  serait  impossible  en  Kurope  ;  ici,  sans  être  fréquente,  elle  n'est 
pas  >i  rare  qu'on  le  penserait  ;  nous  en  avons  vu  plusieurs  cas,  non  parmi  les  chré- 
tiens, niais  parmi  les  païens;  quelquefois,  les  jeunes  personnes  ne  s'en  cloutent  mê- 
me pas;  tout  s'arrange  entre  les  compères,  entremetteurs  du  mariage;  il  faut  natu- 
rellement s'assurer  la  protection  de  quelque  matador  (ordinairement  parmi  les  fripons 
de  l'endroit),  pour  le  cas  où  il  3  aurait  réclamation.  N'oublions  pas  qu'ici,  en  prin- 
cipe,  el  souvent  en  réalité,  les  deux  fiancés  ne  se  connaissent  pas,  ne  se  voient  pas 
avant  le  jour  des  noces.  Exagération  païenne  de  la  pudeur,  soit  !  mais  il  n'est  pas 
rare  que  les  parents  mêmes  des  fiancés  soient  inconnus  les  uns  aux  autres  ! 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    P'iNG-KONG.  327 

sade  n"eût  pas  été  accomplie  par  son  ami  Tse-t'ai-chou  ^  -fc  ;J^  ; 
il  lui  écrivit  le  billet  suivant  :  depuis  votre  voyage,  au  printemps 
dernier,  j'ai  fait  réparer  la  pauvre  demeure  de  mon  père,  espérant 
vous  y  donner  l'hospitalité  ;    mon  attente  a  été  trompée. 

Tse-t'ai-chou  lui  répondit  :  cette  fois,  mon  rang  ne  me  per- 
mettait pas  d'être  chargé  de  cette  ambassade  ;  notre  humble  prin- 
ce, craignant  de  déplaire  à  votre  illustre  roi,  crut  devoir  envoyer 
le  ministre  lui-même  offrir  ses  félicitations  ;  d'ailleurs  votre  sei- 
gneurie avait  prédit  que  je  n'aurais  plus  semblable  mission  à 
remplir  ;   c'est  donc  votre  parole  qui  s'accomplit. 

Eu  538.  dès  le  début  de  l'année  'octobre),  le  prince  de  Tcheng 
Jfft  se  rendait  à  la  cour  de  Tch'ou  J£  ;  il  y  fut  bientôt  rejoint  par 
le  baron  de  Hiu  ^  :  le  roi  les  amusa,  les  envoya  faire  des  parties 
de  chasse  sur  les  rives  du  Yang-tse-kiang  f|L  ^  £q  :  il  voulait 
ainsi  les  garder  jusqu'à  l'assemblée  solennelle  qu'il  avait  projetée. 
Ce  roi  intelligent  et  énergique,  nommé  Ling-wang  J||  rE  (540- 
529),  voyant  l'inertie  de  P'ing-kong,  crut  le  moment  venu  de  lui 
soutirer  sa  suprématie  sur  les  vassaux. 

Prudent  et  habile,  secondé  par  les  circonstances,  il  ne  voulait 
rien  brusquer,  tout  en  marchant  droit  à  son  but  ;  il  envoya  le 
grand  officier  Tsiao-kiu  j-jjjf  ^  à  la  cour  de  Tsin,  demander  hum- 
blement la  permission  de  réunir  les  princes  féodaux. 

P'ing-kong  sentit  bien  l'arrogance  de  cette  requête,  et  voulait 
d'abord  refuser  son  consentement  :  mais  Jou-ls'i  ^r  >0 ,  son  con- 
seiller et  son  ministre  de  la  guerre,  lui  persuada  d'accorder  la 
permission  demandée  :  il  lui  fit  alors  un  discours  célèbre,  où  il 
exalta  la  haute  sagesse  des  anciens  «saints»,  et  l'exhorta  vivement 
à  suivre  leurs  traces.  Nous  avons  donné  ce  chef-d'œuvre  littéraire 
dans  notre  histoire  du  royaume  de  Tch'ou  ;  inutile  de  le  répéter 
ici.      (Zollolij  IV,  i>.  83.  le  ilonne  en  entier). 

Ling-wang  ayant  obtenu  l'autorisation  qu'il  souhaitait,  réunit 
en  été,  dans  la  ville  de  Che.n  ^  (1),  onze  princes  chinois,  plus  le 
chef  des  sauvages  I  ])^  des  bords  de  la  rivière  Hoai  :{fo.  La  dé- 
cadence du  royaume  de  Tsin  s'accentuait,  l'axe  du  pouvoir  pas>ait 
peu  à  peu  au  pays  de  Tch'ou  ~f£.  Ling-wang  faisait  parade  de 
soumission  et  d'amitié;  il  avait  même  demandé  pour  épouse  une 
princesse  de  Tsin,  et  l'avait  encore  obtenue. 

En  537,  au  printemps,  il  envoyait  son  premier  ministre  Tse- 
tang  ^Ç-  $£  et  le  ministre  KHu-chen  J$,  ^  (qui  avait  le  titre  de 
mou-ngao  ^L  $jfc),  c'est-à-dire  ses  deux  plus  hauts  dignitaires, 
chercher  sa  fiancée.  P'ing-kong  poussa  l'amabilité  jusqu'à  conduire 
sa  fille  jusqu'à  la  ville  de  Hing-k'ioU  lf|)  Jrp)     2  . 

(1)  Chen  :  était  à  20  li  nu  nord  de  Nan-yang  fou  fà  fë  ft '■  Ho-nan.  Petite 
géogr.,   roi.    jj.  p.  ./</     —     Gronde,  roi.  /  / .  p.  5  . 

(2)  Hing-k'iou  :  était  à  70  li  sud-ost  de  Hoaï-k'in  fou  £&  Ffe!  ?[•  Ho-nan  Petite 
géogr.,  roi.   12.  p.  26)  —  (Grande,  col.  4c.  p.  s). 


328  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

C'est  là  que  le  prince  de  Tcheng  ff^,  accompagné  du  lettré- 
diplomate  Tse-tcli'an  ^  ;lg,  vint  lui  offrir  ses  hommages;  sans 
doute  aussi  il  le  félicita  d "avoir  marié  sa  fille  à  un  si  grand  roi  (1); 
hélas!  de  telles  congratulations  eussent  été  agréables  à  P'ing-kong, 
si  celui-ci  n'eût  pas  compris  les  desseins  de  son  gendre! 

A  la  3  ,iie  lune  (vers  janvier),  le  duc  de  Lou  ?£•  venait  lui- 
même  à  la  cour  de  Tsin  saluer  son  suzerain,  son  protecteur;  il 
observa  si  bien  le  cérémonial,  que,  depuis  le  diner  de  réception 
dans  un  des  faubourgs  de  la  capitale,  jusqu'à  la  remise  finale  des 
cadeaux  du  départ,  il  ne  commit  pas  la  moindre  inexactitude. 

P'ing-kong  émerveillé  disait  à  Jou-ts'i  -£ç  yï§  :  le  duc  de  Lou 
n'est-il  pas  magnifiquement  observateur  des  rites?  Le  conseiller 
profita  de  l'occasion,  pour  servir  à  son  prince  une  bonne  remon- 
trance, sous  des  dehors  innocents  :  Le  duc,  dit-il,  n'a  pas  commis 
la  moindre  erreur  ;  cela  prouve  qu'il  est  ferré  sur  le  cérémonial, 
mais  non  sur  les  rites  ;  car  c'est  par  le  moyen  de  ceux-ci  qu'un 
prince  conserve  l'autorité  dans  son  état,  se  distingue  par  une  par- 
faite administration,  s'attache  intimement  le  cœur  de  son  peuple. 
Or,  au  duché  de  Lou,  l'autorité  est  entre  les  mains  des  grandes 
familles;  le  prince  ne  compte  plus;  c'est  à  tel  point  qu'il  n'a  pu 
donner  un  office  à  T*e-hia-hi  -^  ^  ||j  ce  sage  si  éminent;  c'est 
l'arbitraire  qui  règne  du  haut  en  bas;  on  ne  tient  aucun  compte 
des  traités  jurés;  on  foule  aux  pieds  les  petites  principautés;  on 
se  réjouit  de  l'embarras  des  autres,  et  l'on  en  tire  profit,  sans  se 
soucier  des  désordres  qui  pullulent  chez  soi  ;  du  pays,  on  a  fait 
quatre  parts,  divisées  entre  les  grandes  familles;  le  duc  est  réduit 
à  la  condition  de  simple  particulier,  ne  vivant  que  par  grâce;  per- 
sonne ne  s'occupe  de  lui  ;  personne  ne  prend  en  main  ses  intérêts 
présents  ou  futurs  ;  personne  ne  cherche  un  remède  à  un  état  de 
choses  si  navrant;  les  malheurs  vont  fondre  sur  un  tel  prince,  qui 
ne  sait  pas  tenir  sa  place.  L'essentiel  des  rites  consiste  à  bien 
soigner  son  peuple;  observer  scrupuleusement  le  cérémonial,  n'en 
est   que   l'accessoire.    Ainsi  le  duc  est  bien  loin  de  l'idéal! 

Sans  en  avoir  l'air,  cette  longue  tirade  était  à  l'adresse  de 
P'ing-kong:  son  royaume  était  à  peu  près  dans  le  même  état  que 


(1)  Sur  les  visites  des  vassaux,  voir  le  li-ki  ;.'.  =£  (Couvreur. vol.  i.  p.  p.  275, 
2-ç  —  vol.  2.  p.  6çi).  La  théorie  en  est  fort  belle:  le  suzerain  devait,  à  la  place  de 
l'empereur,  examiner  la  manière  Az  gouverner  du  vassal,  lui  donner  de  bons  con- 
seils, le  former  enfin  à  L'art  si  difficile  de  L'administration.  La  pratique  se  réduisait 
à  de  pures  cérémonies,  plus  ou  moins  solennelle--:  puis,  et  surtout,  a  l'offrande  de 
cadeaux  le--  plus  riches  qu'il  était  possible:  c'est  '•■•■  qui  ^'esi  perpétué  jusqu'à  main- 
tenant :  le  dévouement  d'un  employé  quelconque,  son  hab*rleté  dans  sa  charge,  tout 
cela  se  mesure  a  la  quantité  et  à  la  qualité  des  présents  qu'il  apporte.  De  même,  la 
justice  d'une  cause  à  examiner,  se  mesure  au  nombre  de  dollars  qu'on  offre  nu  ma- 
gistral et  aux  jeu-,  de  son  tribunal  :  qui  paye  bien  a  finalement  raison. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KONG.  329 

le  duché  du  Lou  :  ne  pouvant  blâmer  en  face,  le  conseiller  énumé- 
rait  en  détail  les  désordres  qui  régnaient  chez  le  voisin,  pour  attirer 
l'attention  de  son  maître  sur  ceux  de  son  propre  pavs. 

Nous  avons  laissé  en  chemin  la  fille  de  P'ing-kong,  se  ren- 
dant auprès  de  son  royal  époux;  Han-k'i  f^;  |g  et  Chou-hiang  fâ 
|pj,  les  deux  plus  hauts  dignitaires  de  Tsin,  étaient  chargés  de 
conduire  la  jeune  princesse  jusqu'à  la  capitale  de  Tch'ou  fê. 

A  leur  passage  dans  la  ville  de  Souo  $£  l  ,  dans  le  pavs  de 
Tcheng  f|$,  les  deux  seigneurs  Tée-pri  -$■  J%  et  Tse-t'ai-chou  ^ 
>[C  ^  ^eur  offrirent  un  grand  diner.  pour  les  réconforter  de  leurs 
fatigues.  Pendant  la  conversation,  Tse-t'ai-chou  disait  à  Chou- 
hiang  :  le  roi  de  Tch'ou  est  d'un  orgueil  et  d'une  arrogance  in- 
croyables ;  vos  seigneuries  doivent  bien  se  tenir  sur  leur  garde  ! 

Chou-hiang  répondit  en  philosophe  :  ces  excès  retombent  sur 
l'orgueilleux  même,  et  lui  attirent  les  plus  grands  malheurs;  ils 
ne  sauraient  atteindre  autrui.  Si  nous  offrons  respectueusement 
les  cadeaux  :  si  nous  nous  montrons  dignes,  polis,  loyaux  :  si  nous 
observons  exactement  les  rites,  sans  que  personne  puisse  rien  nous 
reprocher;  si  nous  sommes  humbles  sans  être  rampants,  respec- 
tueux sans  oublier  notre  dignité  :  si  nous  conformons  nos  paroles 
aux  enseignements  des  anciens  sages;  si  nous  suivons  les  règles 
établies  parles  "saints  empereurs";  si,  de  plus,  nous  avons  les 
égards  dûs  à  nos  deux  royaumes  :  le  roi  de  Tch'ou  fût-il  le  plus 
arrogant  de  l'univers,  que  peut-il  nous  faire  ? 

Les  deux  ambassadeurs  ne  connaissaient  guère  leur  homme. 
Quand  ils  furent  arrivés,  Ling-wang  g  3E  réunit  son  grand  con- 
seil, et  fit  la  proposition  suivante:  je  pense  faire  couper  les  pieds 
à  Han-k'i,  et  le  mettre  comme  gardien  à  la  porte  de  mon  palais  ; 
puis,  je  ferai  évirer  Chou-hiang.  pour  le  placer  comme  gardien  de 
mon  harem  ;  et  cela, pour  humilier  le  plus  possible  la  cour  de  Tsin. 
Est-ce  pratique?  est-ce  opportun? 

Voilà  quel  était  le  gendre  de  P'ing-kong  ;  voilà  quel  était  son 
niveau  moral  !  Nous  avons  rapporté  au  long,  dans  l'histoire  de 
Tch'ou,  cette  singulière  consultation,  et  la  réponse  négative  du 
conseil.  En  conséquence,  ce  roi  sauvage  rendit  les  plus  grands 
honneurs  aux  deux  envoyés  de  son  beau-père. 

Ayant  entendu  vanter  la  sagesse  de  Chou-hiang,  il  voulut  en 
faire  l'épreuve  ;  il  lui  fit  les  questions  les  plus  épineuses,  les  plus 
imprévues  ;  notre  lettré  donna  réponse  à  tout  ;  il  se  montra  vrai- 
ment un  puits  de  science.  Ling-wang  émerveillé  lui  Ht  de  riches 
cadeaux  (2). 

(1)  Souri:  ou  Tasouo  -^<  ^.  était  à  10  li  ctlviroil  au  sûd-est  de  Fong-yatig 
fctwi  »3?  Wj  Sf-  qui  est  à  200  li  ;'i  l'ouest  de  sa  préfecture  fc'tzi-fong  /'<>x  pfj  £\  tff. 
Ilo-nan.  [Grande  géogr.,  vol.  4-,  p.    ~o  . 

(2)  Chou-hiang  n'était  pas  ministre,  mais  chef  et  président  des  haut:-  digni- 
taires de   la   coin-  :    il   était   le  conseiller   intima  et  comme   le  grand  maître  du  roi  :  il 

42 


330  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

Les  ambassadeurs,  en  repassant  par  les  pays  de  Tcheng  ffj$, 
trouvèrent  encore  un  dîner  de  gala  préparé  pour  eux  par  Tordre 
du  prince,  dans  la  ville  de  Yu  g  (1)  ;  mais  ils  refusèrent  cet  hon- 
neur ;  car,  d'après  les  rites,  l'envoyé  ne  devait  se  laisser  attarder 
par  aucune  invitation  de  ce  genre,  tant  qu'il  n'avait  pas  rendu 
compte  de  sa  mission. 

Voici  maintenant  une  tout  autre  affaire  :  Au  pays  de  Kiu  g", 
un  grand  officier  (ta- fou  ^  5^)  s'était  révolté  contre  son  souverain, 
s'était  enfui  à  la  cour  de  Lou  i^.,  s'était  déclaré  vassal  du  duc,  et 
lui  avait  offert  ses  fiefs;  Ki-ou-tse  Êf;  f^  ^f ,  le  ministre  tout- 
puissant,  s'était  empressé  d'accepter  une  si  bonne  aubaine.  Le 
prince  de  Kiu  avait  porté  plainte  ;  P'ing-kong  indigné  voulait 
immédiatement  faire  arrêter  le  duc,  qui  se  trouvait  encore  à  la 
cour  de  Tsin.  Mais  le  ministre  Che-yang  -J^  |&  (ou  Fan-gang  fô 
1|Jj.)  calma  son  courroux,  en  lui  disant:  Saisir  un  prince  venu  pour 
vous  saluer,  serait  une  trahison  ;  se  jeter  sur  un  état  sans  lui  avoir 
déclaré  la  guerre,  serait  une  barbarie  ;  deux  forfaits  indignes  du 
chef  des  vassaux.  Le  mieux  serait  de  laisser  partir  le  duc,  puis  de 
le  punir  à  la  première  occasion;  c'est  ce  que  P'ing-kong  trouva 
finalement  de  plus  raisonnable. 

Le  duc  retourna  donc  tranquillement  chez  lui,  et  garda  les 
fiefs  si  mal  acquis  ;  déjà  régnait  la  loi  des  «laits  accomplis». 
Confucius  approuve  la  conduite  de  son  maître  ;  content  de  voir 
son  pays  s'agrandir  et  se  fortifier  ;  en  d'autres  occasions  cepen- 
dant, il  se  montre  moins  facile,  moins  égoïste,  et  plus  juste. 

En  536,  vers  la  5èrQe  lune  (mars-avril),  Ki-ou-tse  Ép  fà  ^ , 
le  premier-ministre,  le  vrai  maître  de  Lou,  venait  remercier  P'ing- 
kong  d'avoir  laissé  au  duc  les  trois  villes  en  question  ;  il  ne  se 
présentait  pas  les  mains  vides,  naturellement  ;  ses  cadeaux  étaient 
proportionnels  à  la  nouvelle  annexion,  sa  cause  était  gagnée. 

Le  suzerain  fut  si  content,  qu'il  prépara  un  dîner  de  gala 
plus  solennel  que  l'étiquette  ne  le  demandait  pour  une  telle  am- 
bassade.   L'humble  ministre  refusa  cet  honneur  exagéré,  s'éloigna 

avait  sous  sa  direction  les  principaux  personnages  suivants  :  K'i-ou  $[$  *f  (ils  de 
Kli-hi  |5  *g,  du  clan  royal  ;  —  Tchang-ti  '/£•  fê  fils  de  Tchang-lap  fê  i£,  de  famille 
seigneuriale  ;  —  Ts'v-fan  $&  jj;i£  fils  de  Ts'i-yen  jff  (S,  du  clan  royal  :  —  Jou-tsi  fx 
5^,  de  famille  noble  ;  —  Liang-ping  %fc  ffi,  de  famille  inconnue  ;  —  Tchang-koua  3j>| 
{$,  fils  de  Tchang-ti  ; — l''ou-li  iji^  j^,  de  famille  inconnue  -,  —Miao-pcnn-hoang  ^  El 
J|l,  fugitif  de  Tch'ou.  (Tsouo-tchoan  ^Èc.  i$,  vol.  36,  p.  à). 

La  réponse  négative  du  conseil  s'explique  facilement  :  Quoique  en  décadence,  le 
royaume  de  Tsin  pouvait  mettre  sur  pied  une  armée  formidable  pour  l'époque.  L700 
chars  de  guerre,  ayant  chacun  cent  fantassins  :  cette  raison  était  la  meilleure  pour 
un  homme  si   grossier  que  Ling-Wang. 

(1)  Yu:  (;iait  à  50  li  au  sud  de  K'i  hien  \\[  $f,  qui  est  à  100  li  à  l'est  de  sa 
pri  fe  ture  K.'ai-fong  fou.  (Petite  géogr..,  ml.    >j.  p.  3)  —  (Grande,  ool.  ./:■  p.   18), 


DU  ROYAUME  DE  TSIN.    p'iNG-KONG.  33 1 

de  la  salle,  et  envoya  un  message  à  Han-k'i  $£  >Jû  :  notre  petit 
état,  y  disait-il,  a  une  vraie  joie  d'être  soumis  à  votre  illustre 
souverain  ;  s'il  veut  bien  nous  pardonner,  ne  pas  nous  punir, 
c'est  déjà  une  grande  grâce  ;  mais  je  n'ose  accepter  les  honneurs 
extraordinaires  que  sa  Majesté  a  préparés  pour  moi  ;  sur  la  table 
du  festin,  il  y  a  plus  de  plats  que  ne  le  comportent  les  rites  ;  si 
j'acceptais  un  tel  dîner,  je  serais  coupable. 

Han-k'i  tacha  de  calmer  un  tel  scrupule  :  c'est  une  exception, 
disait-il  :  notre  humble  souverain  veut,  par  ce  moyen,  prouver  la 
joie  que  lui  procure  votre  visite.  Mais  l'obséquieux  potentat,  le 
spoliateur  de  son  maître  (1),  persista  dans  son  refus  :  mon  hum- 
ble prince  lui-même,  ajoutait-il,  n'oserait  s'asseoir  à  cette  table  ; 
moi,  son  petit  serviteur,  pourrais-je  avoir  cette  audace  ? 

On  fut  donc  obligé  d'enlever  les  services  qui  étaient  de  trop  : 
alors  le  rusé  politique  consentit  à  rentrer  dons  la  salle  du  festin. 
Cette  conduite  émerveilla  la  cour  de  Tsin  ;  le  fin  lettré  savait  com- 
ment prendre  les  gens  et  les  berner  :  il  fut  traité  avec  de  plus 
grands  égards,  et  reçut  à  son  tour  des  présents  plus  distingués. 
Vive  donc  la  littérature  ! 

Peu  de  temps  après  cet  épisode,  K'i-lsi  |K- ^ .  prince  héritier 
de  Tch'ou  ^  (2),  venait  remercier  P'ing-kong  de  la  princesse,  et 
de  l'ambassade  qui  l'avait  accompagnée.  Selon  les  règlements,  le 
prince  attendait  à  la  frontière  le  grand  oflicier  qui  devait  l'y  rece- 
voir et  l'amener  à  la  capitale.  Or,  quand  on  avait  conduit  la 
princesse,  Ling-wang  ™î  jj£  avait  omis  ces  détails  de  l'étiquette. 
Han-Ji'i  ^  ^U  voulait  lui  rendre  la  pareille,  et  refusait  d'envoyer 
un  dignitaire  à  la  frontière. 

Chou-hiang  fâ  |n]  se  montra  plus  conciliant  et  mieux  avise  : 
la  cour  de  Tch'ou.  disait-il,  a  fait  preuve  de  son  peu  d'urbanité  : 
ne  faisons  pas  comme  elle,  ce  serait  imiter  des  sauvages  :  le  livre 
des  Vers  nous  avertit  en  ces  termes  :  oous  donnez  V exemple,  vos 
sujets  le  suivent  (3)  ;  le  livre  des  Annales  a  une  parole  semblable: 
ce  sont  les  «saints»  qui  font  la  loi  :  ainsi  donc,  n'allons  pas  imiter 
les  rustauds  de  Tch'ou  ;     donnons- leur  plutôt  une  bonne  leçon  de 

(1)  Dans  notre  histoire  du  duché  de  Lou.  nous  avons  raconté  comment  Ki-ou- 
tse  dépouilla  son  maître,  et  le  réduisit  à  l'état  de  simple  particulier;  bientôt  nous 
le  verrons  forcer  ce  même  prince  à  s'enfuir  à  la  cour  de  Tsin.  Ses  humbles  paroles 
sont  donc  l'hypocrisie  la  plus  révoltante  :  s'il  n'était  pas  venu  les  mains  pleines,  P'ing- 
kong  l'aurait  traité  autrement  :  car  ses  agissements  autocrates  étaient  connus. 

(2)  Cette  ambassade  du  prince  héritier,  cette  conduite  incivile  de  Ling-wang 
s. 'ii  père,  nous  montrent  que  la  fille  de  P'ing-kong  ne  devait  être  qu'une  épouse  se- 
condaire, sinon  une  concubine. 

(3)  Che-king  =$-  £J  (Couvreur,  p.  303.  »°  2)  —  Quand  à  la  citation  du  Chou- 
king  annales),  elle  ne  se  trouve  plus  dans  les  éditions  actuelles  ;  a-t-cl!c  été  perdue? 
a-t-cllc  été  retranchée  par  Confucius? 


332  TEMPS  VRAIMENT  HISTORIQUES 

civilité.  P'ing-kong  approuva  ce  conseil,  et  députa  un  grand 
officier  à  la  frontière. 

Voici  maintenant  un  autre  épisode  qui  réjouira  les  légistes 
d'Europe  :  Au  début  de  cette  même  année,  Tse-tch'an  -^  j§|  le 
lettré-diplomate,  le  premier-ministre  de  Tcheng  ^(;,  a\a\t  rédigé 
uu  code  pénal  ;  et  pour  le  faire  passer  plus  sûrement  à  la  posté- 
rité, il  l'avait  fait  fondre  sut  un  grand  trépied.  Le  sage  Chou- 
hiang  fut  scandalisé  de  cette  conduite  de  son  ami,  et  lui  écrivit 
cette  singulière  remontrance  :  <•  Jusqu'ici  je  vous  avais  considéré 
comme  mon  modèle  ;  je  ne  pensais  qu'à  vous  imiter  ;  hélas, 
maintenant  c'en  est  fait  !  Les  anciens  saints  empereurs  exami- 
naient chaque  cas  en  particulier,  avant  de  fixer  leur  jugement  sur 
une  action  quelconque  ;  ils  étaient  bien  éloignés  de  dresser  un 
code  pénal  ;  de  peur  que  le  peuple  ne  devint  trop  audacieux,  et 
ne  se  mit  à  ergoter  sur  l'innocence  ou  la  culpabilité  du  fait  en 
question. 

Malgré  cette  précaution,  ils  ne  parvenaient  pas  à  empêcher 
tous  les  crimes  ;  pour  y  mettre  une  barrière,  ils  inculquaient  les 
principes  de  justice  et  de  convenance  ;  ils  redressaient  les  torts, 
en  donnant  l'exemple  à  leurs  sujets  ;  ils  enseignaient  la  politesse 
et  la  déférence,  en  observant  les  rites  ;  ils  montraient  une  probité 
à  toute  épreuve,  une  humanité  qui  s'adressait  à  chacun  selon  son 
degré. 

Ils  se  contentèrent  de  fixer  des  dignités  et  des  revenus  à  leurs 
fidèles  serviteurs  :  ainsi  ils  excitaient  une  noble  rivalité  à  prati- 
quer la  vertu,  à  observer  les  règlements,  à  juger  et  punir  sévère- 
ment les  malfaiteurs.  Craignant  cela  insuffisant,  ils  faisaient  au 
peuple  des  instructions  sur  la  probité,  sur  le  dévouement  :  ils 
l'excitaient  à  une  bonne  conduite  ;  ils  lui  indiquaient  ce  qu'il  y 
avait  à  faire  ou  à  éviter  de  plus  important  ;  ils  lui  imposaient  des 
corvées  avec  un  esprit  paternel  ;  ils  le  traitaient  avec  politesse  et 
révérence  :  ils  affirmaient  leur  autorité  avec  vigueur,  et  rendaient 
leurs  jugements  avec  une  grande  précision. 

En  outre,  ils  cherchaient  des  hommes  éminents  en  sagesse  et 
en  vertu,  pour  en  faire  leurs  ministres  ;  des  hommes  intelligents 
et  prudents,  pour  en  faire  leurs  grands  officiers  ;  des  hommes 
loyaux  et  fidèles,  pour  en  faire  les  chefs  des  divers  services  ;  des 
hommes  doux  et  instruits,  pour  en  faire  leurs  maîtres  d'école. 
De  cette  manière,  ils  pouvaient  gouverner  le  peuple,  sans  provo- 
quer ni  troubles  ni  révolutions. 

Si  le  peuple  a  un  cod:  pénal,  il  ne  craint  plus  ses  préposés, 
liés  eux-mêmes  par  la  loi  ;  il  devient  revèche  ;  il  en  appelle  au 
texte,  pour  discuter  la  sentence,  et  quelquefois  il  réussit  à  détour- 
ner la  punition.      Voilà  pourquoi  un  code  pénal  est  inopportun. 

l/histoirc  nous  enseigne  la  même  doctrine  :  C'est  à  la  fin  de 
la  dynastie  Hia  J[,  à  l'époque  déjà  troublée,  qu'apparut  le  code 
pénal  Yu  fy  ;  de  même,  lors  de  la  décadence  de  la  dynastie  Chang 


DU   ROYAUME  DE  TSIN.    P'iXG-KONG.  333 

$jj,  et  parmi  les  troubles,  parut  le  code  pénal  de  l'empereur  T'ang 
fë  ;  entin,  la  dynastie  Tcheou  ]§)  elle-même  commençant  à  déchoir, 
et  voyant  le  désordre  régner  partout,  publia  ses  neuf  châtiments. 
Ces  trois  exemples  sont  assez  évidents  ;  un  code  pénal  prouve  la 
faiblesse  d'un  gouvernement. 

Votre  Excellence  avait  déjà  introduit  un  nouveau  système  de 
digues  et  de  canaux,  un  nouveau  système  d'impôts  ;  voici  un  code 
pénal,  à  l'instar  des  dynasties  en  décadence  ;  vous  désirez  tenir 
votre  peuple  dans  l'obéissance  et  la  paix  ;  cela  me  semble  bien 
difficile  par  de  tels  moyens.  Le  livre  des  vers  a  cette  parole  : 
j'observe  avec  soin  les  statuts  de  Wen-wang  ;  je  maintiens  ainsi 
constamment  la  paix  dans  V empire  ;  et  cette  autre  du  même  genre: 
pour  être  sûr  de  vous  conformer  toujours  à  /a  volonté  du  ciel, 
copiez  Wen-wang  ^  3^;  tous  les  peuples  se  lèveront,  et  vous 
donneront  leur  confiance  (1).  Alors,  à  quoi  bon  un  code  pénal? 
Connaissant  une  fois  le  moyen  de  chicaner,  le  peuple  va  laisser  de 
coté  les  rites  qui  le  gouvernaient  jusqu'ici  dans  la  paix  ;  il  va 
discuter  les  textes,  ergoter  sur  la  pointe  d'une  aiguille,  sur  le 
tranchant  d'un  couteau,  se  prendre  aux  cheveux  pour  des  riens  ; 
les  querelles,  les  procès  vont  se  multiplier  à  1  infini  ;  la  vénalité, 
la  corruption,  tout  ira  en  proportion.  Votre  Excellence  une  fois 
disparue,  l'état  de  Tcheng  |||$  ne  tiendra  pas  debout.  Les  anciens 
disaient  :  c'est  à  la  dernière  étape,  à  la  ruine  imminente  d'un 
pays,  que  beaucoup  de  lois  sont  forgées  ;  votre  Excellence  ne 
vient-elle  pas  de  confirmer  cette  parole  ?»      (2) 

A  une  si  singulière  doctrine,  présentée  par  une  pareille  tète, 
quelle  réponse  va  donner  le  non  moins  célèbre  lettré  Tse-tch'an  ? 
la  voici,  elle  a  le  mérite  d'être  courte  ;  "Quant  à  vos  précieuses 
instructions,  je  ne  suis  malheureusement  pas  capable  de  viser  jus- 
qu'aux avantages  des  générations  futures  ;  heureux  déjà,  si  je 
puis  sauver  l'âge  présent.  Quoiqu'il  me  soit  impossible  d'exécuter 
vos  ordres  si  sages,  je  les  considérerai  toujours  comme  un  bienfait 
signalé  de  votre  part.  » 

Scandalisé  à  son  tour  par  une  telle  réponse,  le  sage  lettré 
Che-\ven-pë  -j^  ^  f £|  se  mit  à  faire  une  prophétie  sur  les  malheurs 
qui  allaient  fondre  sur  le  pays  de  Tcheng  ff{$  ;  prédiction  infaillible, 
comme  toujours;  mais,  cette  fois,  fondée  sur  l'astronomie;  nous 
en  faisons  grâce  au  lecteur,  qui  connaît  suffisamment  ces  sornettes. 

(1)  Che-king  j^s  ^f.  (fourreur.,  p,  423,  ode  ;,  »°  2   —  p.  j2j,  ode  j.  n"  7  ). 

(2)  Un  code  de  lois,  c'est  trop  clair  :  cela  gène  considérablement  l'arbitraire 
des  juges.  Voilà  ce  que  le  grand  sage  Chou-hiang  noie  sous  une  avalanche  de  con- 
sidérations. Il  eût  mieux  raisonné  s'il  eût  dit  :  votre  code  est  bien  inutile  ;  les  juges  ne 
s'en  soucieront  pas  ;  c'est  l'arbitraire,  ou  l'argent,  qui  réglera  tous  les  jugements  : 
car  depuis  ce  temps-là  jusqu'à  maintenant,  c'est  la  pratique  la  plus  ordinaire,  du 
haut  en  bas   des  tribunaux. 


334  TEMPS   VRAIMENT  HISTORIQUES 

A  la  llème  lune  de  cette  même  année  536  (septembre-octobre), 
le  roi  de  Ts'i  ^  venait  demander  à  P'ing-kong  l'autorisation  de 
faire  la  guerre  à  l'état  de  Pé-yen  ^b  $ê  ;  le  ministre  Cke-yang  J" 
^,  accompagné  de  Che-\ven-pé  -^  *£  -f£j,  alla  jusqu'au  bord  du 
ileuve  jaune,  recevoir  le  prince,  et  l'amener  à  la  capitale.  Bien 
entendu,  sa  requête  lui  fut  gracieusement  accordée. 

En  535,  à  la  4ème  lune,  au  jour  Kia-tchèn  ^  H  (18  mars)  (1), 
il  y  eut  une  éclipse  de  soleil;  P'ing-kong  demanda  au  prophète 
Che-wen-pé  :  sur  qui  donc  va  tomber  le  malheur  annoncé  par  cette 
éclipse?  Le  lecteur  fixe  déjà  sa  pensée  sur  le  pays  de  Tcheng  fjf), 
sans  doute.  Hé  bien  non  !  C'est  sur  les  états  de  Wei  |fj  et  cle  Lou 
i^.,  répondit  le  lettré;  le  premier  souffrira  plus,  le  second  moins, 
ajouta-t-il. 

Pourquoi  cela?  demanda  encore  P'ing-kong.  —  Parce  que  le 
malheur  s'appesantira  tout  d'abord  sur  le  premier;  ensuite  seule- 
ment il  se  rendra  chez  le  second;  le  marquis  de  Wei  $j  sera  frappé 
de  mort;  puis  le  ministre  de  Lou. 

La  prédiction  se  réalisa  à  la  8"3me  lune  et  à  la  Hè-me  de  cette 
même  année.  En  attendant,  P'ing-kong  demanda  encore  une  expli- 
cation :  que  signifient,  dit-il,  ces  paroles  du  livre  des  Vers  «quand 
il  y  a  éclipse  de  soleil,  il  faut  se  demander  quel  malheur  est  sur  le 
point  d'arriver»!  (2) 

Le  lettré  fut  enchanté  de  cette  question,  qui  lui  permettait  de 
donner  au  prince  une  bonne  leçon  ;  voici  sa  réponse  ;  elle  fera 
sourire  les  astronomes  européens,  qui  vont  sur  toutes  les  plages 
du  monde  avec  leurs  instruments  de  précision,  assister  à  toutes 
les  phases  du  phénomène  ;  les  astronomes  chinois  voyaient  les 
choses  bien  plus  simplement.  Notre  sage  dit  donc  :  «une  éclipse 
est  la  preuve  évidente  que  l'administration  d'un  état  est  mal  réglée; 
dès  qu'elle  n'a  plus  d'hommes  de  mérite,  elle  tombe  en  désordre  ; 
les  calamités  fondent  sur  le  pays,  et  elles  sont  présagées  par 
l'éclipsé.  Ainsi  un  prince  doit  soigneusement  s'appliquer  au  bon 
gouvernement  de  son  état;  il  doit  surtout  veiller  aux  trois  points 
suivants  :  choisir  des  hommes  sages  et  éminents,  procurer  le  bien 
du  peuple  comme  le  sien  propre,  tenir  compte  des  saisons  et  des 
circonstances  pour  donner  ses  ordres.» 

A  la  3ème  lune  (vers  janvier),  le  duc  de  Lou  <|§-  se  rendait  à 
la  cour  de  Tch'ou  ^.  P'ing-kong  en  fut  fort  mécontent;  pour 
l'en   punir,   il   envoya  un   messager,  lui  ordonnant  de  restituer  ce 


(1)  Lcgge  donne  pour  date  "le  11  Mars  534»  ;  donc  l'année  et  le  jour  sont 
bien  afférents  ;  qui  a  raison?  J'ai  calcule  d'après  la  formule  Havret-Chambeatt. 

{2)  Che-king  fj  $J[.  (Couvreur,  p.  237,  ode  ç,  n°  2)  Les  européens  savent 
assez  quelles  niaiseries  débitent  les  païens  chinois  à  propos  de  ces  éclipses  ;  quel  tin- 
tamarre ils  font  pour  effrayer  le  dragon,  et  l'empêcher  d'avaler  le  soleil  ;  et  cela,  de 
nos  jours  comme  autrefois. 


DU   ROYAUME   DE  TSIN.    p'iNG-KONG.  335 

qui  lui  restait  encore  des  terres  de  K'i  ^g  ;  le  pauvre  duc  dut 
s'exécuter,  et  rendit  la  ville  de  Tch'eng  jfc  (1). 

Tse-tch'an,  le  créateur  du  code  pénal,  était  venu  à  la  cour  de 
Tsin.  P'ing-kong,  alors  malade,  chargea  Han-k'i  $%.  j^G  de  le  rem- 
placer, et  de  rendre  à  cet  hôte  illustre  les  honneurs  dûs  à  son  rang. 
Pendant  la  conversation,  le  ministre  se  lamenta  ainsi  :  notre  humble 
prince  est  alité  depuis  trois  mois  ;  au  lieu  de  diminuer,  le  mal 
s'aggrave  ;  nous  avons  cependant  couru  toutes  les  montagnes  offrir 
des  sacrifices  ;  une  chose  nous  inquiète  pardessus  tout,  c'est  qu'en 
songe,  notre  prince  a  vu  un  ours  jaune  entrer  dans  sa  chambre  à 
coucher;  quel  mauvais  démon  cela  peut-il  être? 

Un  roi  si  sage  que  le  votre,  répondit  le  lettré,  un  ministre 
aussi  éminent  que  votre  Excellence,  peuvent-ils  parler  de  mauvais 
démon?  Autrefois,  l'empereur  Choen  $*£  mit  à  mort,  au  pied  de 
la  montagne  Yu  ~%\  (2),  le  traître  K'oen  $£,  dont  l'Esprit,  méta- 
morphosé en  ours  jaune,  s'enfonça  dans  le  lac  voisin.  Depuis  lors, 
la  dynastie  Hia  jÇ  [descendant  de  l'empereur  Yu  fô)  sacrifiait  à 
cet  Esprit,  ainsi  qu'au  ciel  et  à  la  terre  ;  les  deux  dynasties  sui- 
vantes Yng  fifc  et  Tclieou  /g]  en  firent  autant.  Votre  souverain,  le 
chef  des  vassaux,  le  vrai  maître  de  l'empire,  n'a  peut-être  pas  en- 
core pensé  à  offrir  des  sacrifices  à  cet  ours  jaune? 

A  la  suite  de  cette  savante  explication,  Han-k'i  se  hâta  de 
réparer  l'oubli  de  son  maître  ;  ù  merveille  !  P'ing-kong  aussitôt  se 
trouva  un  peu  mieux  (3  ;  pour  remercier  le  lettré,  il  lui  fit  un 
cadeau  royal  ;  il  lui  donna  deux  trépieds  carrés  reçus  du  prince 
de  Kiu  jj*". 

Tse-tch'an,  pour  montrer  sa  reconnaissance,  rendit  le  fief  de 
Tcheou  j||| .  dont  nous  avons  parlé  ci-dessus  (599):  Précédemment, 
dit-il  à  Han-k'i,  votre  illustre  roi  avait  donné  ce  fief  à  Kong-suen- 
toan  Q  fâ  (|3;>  en  souvenir  de  son  père  Tse-fong  -f  ^  ;  ce  seigneur 

(1)  Tch'enir  :  ou  Kiu-p'ing  tch'eng  £.[ï  2p  |jj£,  était  à  00  li  nord-est  de  Ning- 
yang  )iie>i  "SjjL  (^  [j!£,  qui  est  à  50  li  au  nord  de  sa  préfecture  Yen-tcheou  fou  $jf  M\ 
tfï ,  Chan-tong.  (Grande  géogr.,  vol.  32,  p.  8). 

(2)  Yu  :  cette  montagne  est  à  70  li  à  l'est  de  Tan-tch'eng  hien  $$  ifâ  $F,  q"j 
est  à  120  li  sud-est  de  sa  préfecture  I-tdieou  fou  {Jt  Hi  tff,  Chan-tong.  Cette  mon- 
tagne va  jusque  sur  le  territoire  de  Hai-tcheou  ïf£  #1.  Kiang-sou.  Le  texte  du  Tsouo- 
tchoan  fa  fèî  est  fautif;  c'est,  comme  nous  l'avons  écrit,  l'empereur  Choen  qui 
mit  à  mort  K'oen,  le  père  du  grand  Yu  ^.  (Petite  géogr..  vol.  4.  p.  32 —  vol.  10, 
j).  30)  —  (Grande,  vol.   22  p,   21,  —   vol.  33,  p.  3-). 

(3)  Outre  les  maladies  diaboliques  bien  caractérisées,  il  y  en  a  d'autres  où 
le  démon  fait  plus  ou  moins  sentir  son  influence  ;  il  peut  les  aggraver  ou  les  dimi- 
nuer, selon  les  sacrifices  qu'on  lui  offre;  c'est  le  meilleur  moyen  de  retenir  ses 
esclaves  sous  son  joug  tyrannique.  Dieu  ne  le  laisse  pas  complètement  libre,  suis 
doute;  mais  il  tient  -vi  chaîne  m  >ins  courte  qu'envers  les  chrétiens. 


336  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

vient  de  mourir  :  son  fils  n'a  pas  la  prétention  de  garder  ce  terri- 
toire ;  moi,  je  n*ose  le  rendre  à  votre  souverain,  de  peur  de  l'offen- 
ser; ainsi  je  le  remets  «privatim»  à  votre  Excellence,  pour  qu'elle 
en  dispose  à  son  gré. 

Han-k'i  refusa  tout  d'abord.  Tse-tch'an  insista:  il  y  a,  dit-il. 
un  proverbe  qui  convient  à  notre  cas:  le  père  a  fendu  et  préparé 
le  bois;  mais  le  fils  est  incapable  de  l'emporter.  Fong-che  J|  $j£, 
le  fils  de  Kong-suen-toan,  ne  se  sent  pas  les  épaules  assez  fortes, 
pour  remplir  l'office  dont  son  père  était  chargé;  encore  moins  ose- 
t-il  prendre  le  gouvernement  de  ce  fief;  tant  que  votre  Excellence 
sera  à  la  tête  du  royaume,  il  n'y  a  rien  à  craindre;  plus  tard, 
notre  petit  état  aura  peut-être  des  querelles  de  frontières  ;  la 
famille  Fong  redoute  les  complications  possibles,  au  sujet  de  ce 
fief;  ainsi,  en  le  recevant,  votre  Excellence  rendra  un  vrai  service 
à  cette  famille  et  à  notie  pays;  je  vous  prie  donc  de  l'accepter. 

Han-k'i  était  bien  embarrassé;  il  convoitait  ce  fief,  nous  l'a- 
vons vu  ;  mais  il  craignait  le  courroux  de  P'ing-kong;  il  craignait 
les  réclamations  des  compétiteurs  Fan  fr£  et  Tchao  j|§  ;  il  se  tira 
cependant  d'affaire:  il  présenta  la  chose  si  adroitement,  que  P'ing- 
kong  l'autorisa  à  accepter  ;  puis  il  échangea  ce  fief  contre  celui  de 
Yuen  Jf^,  qui  appartenait  à  Yao-ta-sin  gfe  •%  'fr,  grand  officier  de 
Song  %  (1). 

A  la  8ème  lune,  au  jour  ou-lchen  jr£  J|  (9  Août),  Siang-kong 
JE  ^,  marquis  de  \Yei  étant  mort,  selon  la  prophétie,  les  grands 
officiers  de  Tsin  dirent  au  ministre  Che-yang  -^  1|jji  :  l'état  de  Wei 
fëj  nous  a  toujours  servis  avec  loyauté;  nous,  au  contraire,  nous 
l'avons  traité  indignement  ;  nous  avons  soutenu  ses  rebelles  ;  nous 
lui  avons  pris  son  territoire  de  /  |^  (547),  chose  qui  a  dû  indis- 
poser tous  les  vassaux  contre  nous.  Le  livre  des  Vers  a  cette 
parole:  la  bergeronnette  s'agite  dans  la  plaine  ;  de  même  les  frères 
sont  parfois  agités  par  le  sort;  et  cette  autre:  parmi  les  terreurs 
de  la  mort  et  des  funérailles,  les  frères  montrent  leur  affection 
(2).  Si  nos  cours,  qui  sont  de  la  même  famille,  ne  sont  pas  d'ac- 
cord entre  elles  ;  si  nous  ne  présentons  pas  nos  condoléances,  à 
l'occasion  de  ce  décès  ;  que  ferons-nous  donc  envers  les  princes  qui 
ne  sont  pas  nos  parents  ?  qui  donc  voudra  encore  s'attacher  à 
nous  ?  le  successeur  du  défunt  quittera  notre  vasselage  ;  et  ce  sera 
le  signal  d'une  désertion  générale. 

Che-yang  (appelé  aussi  Fan-hien-tse  ffc  J|£  ^)  communiqua 
ces  réflexions  au  premier  ministre;  Han-k'i  les  trouva  fort  sen- 
sées; il  envoya  Che-yang  lui-même   à   la  cour   de  Wei,   porter  les 

(1)  Vuen  :  dtait  à  1">  li  nord-ouest  de  Ta'i-yuen  hten  ??  M  Sf ,  qui  f-s'  à  "0 
li  à  l'ouest  dé  sa  préfecture  Hoai-k'ing  fou  £&  §?  JflF,  Hd-nan.  (Grande  géogr.. 
vol.  49.  p.  6). 

(2)  Che-king  |£  $!!•  (Couvreur,  p.  170,  ode  4.  n°  3  et  9), 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    p'iNG-KOIN'G.  337 

condoléances  d'usage;  de  plus,  il  restitua  les  terres  dont  on  s'était 
emparé  précédemment. 

A  la  11'1"1  lune',  au  jour  koei-wei  •§&  7^:  .23  octobre)  mourait 
Ki-ou-tse  5pf  fj£  ^f-,  le  ministre  tout-puissant  de  Lou  i§|.  P'ing- 
kong  dit  au  lettré  prophète  Clie-wen-pé  -]■  %  {£}  :  votre  prédiction 
s'est  réalisée;  ce  que  vous  m'avez  alors  enseigné  est-il  infaillible? 

Non,  répondit  l'astrologue  ;  car  les  six  facteurs  qui  y  concou- 
rent ne  sont  pas  toujours  les  mêmes;  de  plus,  le  cœur  du  peuple 
change  aussi  ;  le  cours  des  choses  change  ;  les  officiers  ne  s'appli- 
quent pas  toujours  à  leurs  fonctions  avec  le  même  zèle  ;  souvent  le 
début  et  la  fin  d'un  gouvernement  sont  bien  différents  ;  comment 
la  vérification  serait-elle  la  même?  Le  livre  des  Vers  nous  dit: 
parmi  le  peuple,  il  y  a  des  gens  en  repos,  el  à  leur  aise;  il  y  en 
a  qui  se  dépensent  entièrement  au  sei^vice  de  l'état  (l);  ainsi,  tout 
dépend  des  circonstances. 

P'ing-kong  répliqua  :  quels  sont  les  six  facteurs  dont  vous 
parlez?  —  Ce  sont:  l'année,  les  saisons,  les  lunes,  les  jours,  les 
étoiles,  et  le  zodiaque.  —  Enseignez-moi  plus  amplement,  dit  le 
roi  ;  car  bien  des  gens  m'ont  expliqué  le  zodiaque  ;  mais  ils 
n'étaient  pas  d'accord  ;  les  uns  disaient  que  c'est  la  Grande  Ourse  ; 
d'autres  que  c'est  Mars;  quel  est  votre  sentiment?  —  Ce  sont  les 
conjonctions  du  soleil  et  de  la  lune,  qui  forment  les  douze  signes 
du  zodiaque  ;  voilà  pourquoi  l'on  s'en  sert  pour  déterminer  les 
jours  et  les  heures  (2),  dit  enfin  l'astrologue. 

En  534,  au  début  de  l'année  (novembre), une  merveille  singu- 
lière se  produisait  au  pays  de  Tsin  :  une  pierre  s'était  bel  et  bien 
mise  à  parler,  dans  la  ville  de  Wei-yu  ^  |jjft  !  (3)  P'ing-kong  de- 
manda l'explication  de  ce  phénomène  au  directeur  de  musique 
Koang  ^:. 

Les  pierres  ne  peuvent  parler,  répondit  celui-ci,  à  moins 
qu'elles  ne  soient  possédées  par  un  Esprit;  en  dehors  de  ce  cas, 
c'est  une   mystification,    une   absurde   rumeur   répandue    parmi   le 


(1)  Che-king  f$  %!&.  (Couvreur p.  26c.  ode  i,  n°  4}.  Finalement,  on  ne  voit 
pas  trop  ce  que  veut  dire  l'astrologue  ;  se  comprenait-il  lui-même  ? 

(2)  L'astronomie  européenne  n'a  guère  à  apprendre  des  Chinois.  On  saii  que 
zèle  ont  déployé  les  premiers  missionnaires,  pour  tirer  la  Chine  de  sa  routine  sé- 
culaire :  il  ont  échoué  devant  l'orgueil  et  la  jalousie  des  mandarins;  leurs  magni- 
fiques instruments  ont  été  délaissés:  on  a  repris  «l'ancien  système». 

(3)  Wei-yu  :  était  un  peu  au  nord-ouest  de  Yn-tse  /n'en  fâ<  *fc  % ,  qui  est  à 
60  li  sud-est  de  sa  prélecture  Tlai~yuen  fou  ptc  5jl  T-J'",  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol. 
S.  p.  s)   -*  (Grande,  vol.  40,  p.    12). 

Héponce  curieuse  :  les  pierres  ne  peinent  parler,  excepte  pour  manifester  les 
murmures  du  peuple  ;  voilà  au  fond  ce  que  dit  ce  sage.  :  Voir  In  pièce  rions  ZottaH, 
IV,  p.  8s). 

4S 


338  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

peuple.  Cependant,  les  anciens  disaient:  quand  les  choses  se  font 
hors  de  saison,  les  sentiments  de  haine  surgissent  dans  le  cœur 
du  peuple;  alors,  la  nature  étant  bouleversée,  des  objets  qui, 
d'eux-mêmes  et  d'ordinaire,  ne  savent  pas  parler,  font  entendre 
des  avertissements.  Or  maintenant,  votre  Majesté  bâtit  des  palais, 
et  des  maisons  considérables;  le  peuple  est  épuisé,  au  point  d'être 
dégoûté  de  la  vie  ;  ses  murmures  éclatent  en  bien  des  façons  ;  qu'y 
aurait-il  d'étonnant,  si  une  pierre  venait  à  parler  ? 

A  cette  époque,  P'ing-kong  bâtissait  le  palais  Se-k'i  //^f|i(l); 
le  directeur  de  la  musique  profita  de  l'occasion  pour  lui  servir 
une  bonne  remontrance.  Quand  Chou-hiang  ;J^  |p]  apprit  cette 
admonition,  il  en  fut  enchanté:  les  paroles  de  Koang  tyjj{,  dit-il, 
sont  celles  d'un  sage  ;  les  avertissements  d'un  homme  éminent 
sont  sincères  et  loyaux  ;  ils  ne  causent  pas  de  désagrément  à  celui 
qui  les  profère;  ceux  d'un  homme  vulgaire  sont  exagérés,  sans 
évidence,  et  font  détester  leur  auteur.  Le  livre  des  vers  nous  dit  : 
malheur  aux  avis  sincères  qu'il  n'est  pas  permis  de  donner!  non- 
seulement  ils  sont  inutiles,  mais  encore  nuisibles  à  leur  auteur; 
heureux  les  avis  qu'il  est  permis  de  faire  entendre!  un  langage 
adroit  est  comme  un  cours  (Veau  sans  obstacle;  il  assure  le  bon- 
heur à  celui  qui  le  profère  (2).  Quand  ce  palais  sera  fini,  les  vas- 
saux vont  nous  abandonner  ;  c'est  le  roi  qui  en  portera  la  peine  ; 
tout  cela  est  bien  connu  du  directeur  de  la  musique. — Cette  pré- 
diction, le  lecteur  s'y  attend,  s'accomplira  dans  deux  ans,  par  la 
mort  de  P'ing-kong. 

Vers  la  4ème  lune  (mars),  le  seigneur  Chou-hong  ^  ^  de 
Lou  |§>  venait  à  la  cour  de  Tsin,  féliciter  le  roi  de  sa  nouvelle 
construction,  et  assister  aux  fêtes  données  à  cette  occasion  ;  il  y 
était  bientôt  rejoint  par  le  prince  de  Tcheng  ff|$,  accompagné  de 
Tse-t'ai-chou  %  d^M-  En  faisant  visite  à  ce  dernier,  l'historio- 
graphe Tchao  |g  lui  dit:  vraiment,  vous  nous  jouez  aujourd'hui 
un  tour  cruel  ;  au  lieu  de  félicitations,  vous  devriez  nous  apporter 
des  condoléances,  pour  les  haines  que  nous  nous  attirons. 

Nullement!  répliqua  le  seigneur;  tous  les  princes  de  l'empire 
vont  vous  envoyer  leurs  congratulations  ;  tellement  ils  ont  peur  de 
votre  puissance. 

En  533,  Siang  H  commandant  impérial  de  la  ville  de  Kan 
-y-,  et  Kia  ^,  officier  de  Tsin,  commandant  de  la  ville  de  Yen  f|ff, 
eurent  ensemble  une  grave  querelle,  au  sujet  des  terres  de  Yen 
[?^  ;  l'affaire  s'envenima  au  point  que  les  deux  seigneurs  Leang- 
ping   ^   p^   et   Tchang-li   jj||  $£  lancèrent,    sur   la  ville  impériale 


(1)  Le  palais  Se-k'i  :  était  à  49  li  sud-est  de  K'iu^voo  hien  [ifc  jft  Hi  qui  est  à 
120  li  au  sud  de  sa  préfecture  P'ing-yang  fou  j:-  Il  M  Chan-si.  (Petite  géogr., 
vol.  8,  p.  ç)  —  (Grande,  vol.  41,  p.   iz). 

(2)  Che-king  Hf  &§.  (Couvreur,  p.  242,  ode  10,  n°  j). 


DU   ROYAUME   DE   TSI.V.    P'iNG-KON'G.  339 

Yng  Jtjl,  des  bandes  de  Tartares  Yng-jong  flj  2%,  de  la  tribu  des 
Lou-hoea  [^  ^     l). 

Cette  impudente  audace  indigna  l'empereur  King-wang  pfr  3£ 
[544-520]  ;  comme  ses  prédécesseurs,  il  n'avait  plus  aucune  in- 
fluence ;  malgré  sa  faiblesse,  il  était  pourtant,  aux  yeux  du  peuple, 
la  majesté  sacrée,  le  représentant  de  l'autorité,  de  la  justice,  et  du 
droit  :  dans  cette  circonstance,  il  sut  se  relever  à  une  hauteur 
qu'on  ne  pouvait  soupçonner.  Il  envoya  le  seigneur  Tchen-hoan- 
Vè  llÊ  M  fÔ  en  ambassade  à  la  cour  de  Tsin,  blâmer  P'ing-kong: 
voici  quel  était  son  message  : 

"  Notre  maison  impériale  Tcheou  jëj  possède,  depuis  la  dy- 
nastie llia  J[,  comme  récompense  des  grands  services  de  Heou-isi 
fâ  f*  notre  ancêtre,  les  territoires  de  Wei  §J|,  T';n  |q,  Joei  p£j, 
K'i  |I|£  et  Pi  J}1.  qui  sont  notre  frontière  occidentale.  Quand 
l'empereur  Ou-v?ang  jfÇ  J  anéantit  la  dynastie  Chang  $J  (1122), 
les  pays  de  P'ou-kou  ffâ  #/f  et  Chang-yen  $j  fé  formaient  notre 
frontière  orientale  (2  . 


(1)  Kan:  était  à  25  li  sud-ouest  de  Ilo-nan  fou  ;ÏÎ7  jrj  T-F,  Ho-nan.  (Grande 
géogr.,  vol.  4S.  p.   12). 

Yen  :  était  non  loin  de  l'ancienne  ville  Kan  ;  mais  on  ne  sait  pas  l'endroit 
exact. 

Ynsr  :  était  à  40  li  sud-est  de  Teng-fong  hien  2  *f"  S?i  qu'  cst  a  '  '"  ''  sud- 
est  de  Ilo-nan  fou.  (Petite  géogr..  vol.   12.  p.  38)  —  (Grande,  vol.  48,  p.  44). 

(2)  Wei  :  ce  pays  forma  plus  tard  de  territoire  de  Ho-pé  tch'eng  '$  Jfc  t$,  qui 
était  à  7  li  nord-est  de  Joei-tchcng  hien  \%  j$  H£,  laquelle  est  à  90  li  sud-ouest 
de  Kiai  tcheou  $,?  $\\,  Chen-si.  (Petite  géogr.,  vol.  S,  p.  42)  —  (Grande,  vol.  41, 
P-  Sa). 

T'ai  :  ce  pays  forma  plus  lard  le  territoire  de  Li  jjfc,  qui  était  à  22  li  sud- 
ouest  de  Ou-kong  hien  5^"  ïj]  &Jf ,  laquell  li  sud-ouest  de  Kien  tcheou  ^  îHl, 
Chen-si.   {Petite  géogr..   vol.   14,  p.  60)   —     Grande,  vol.  34,  P-  SS)- 

Joei  :  avec  sa  ville,  était  à  30  li  à  l'ouest  de  Joei-tch'eng  hien  (ci-dessus). 
Plus  tard,  ce  fief,  avec  son  nom,  fut  transféré  au  sud  de  Tong-tcheou  fou  \S\  H]  !{f , 
Chen-si.  (Petite  géogr. .  vol.  14.  p.  17)  —  'Grande,  vol.  41.  p.  36  —  vol.  34, 
p.   17). 

Le  pays  de  K'i:  avait  sa  capitale  un  peu  au  nord-est  de  K'i-chan  hien  ftjj 
fjj  |f,  qui  est  à  50  li  L  l'est  d^  sa  préfecture  Fongsiang  fou  03.  )%\  tff ,  Chen-si. 
(Petite  géogr..   vol.    14.  p     24)  —  (Grande,   vol.  55,  p.  6). 

Le  pays  de  Pi  :  avait  sa  capitale  à  5  li  au  nord  de  Hien-yang  hien  )&,  FS  If. 
qui  est  à  50  li  nord-ouest  de  sa  préfecture  Si-ngan  f<>u  VS  tSc  'ff,  Chen-si,  Petite 
tj<'<Kir..  vol.   14.  p.   7)  —  (Grande,  vol.  33.  p.  33  . 

Le  pays  de  P'ou-kou:  eut  sa  capitale  (appelée  plus  tard  Po-kou  \})  £A  à  15 
li  nord-est  de  Pouo-hing  hien  15  jU  s?-f-  qui  est  120  li  nord-ouest  de  sa  préfecture 
Tsing-tcheou  fou  n  M  Tï  Chan-tong  Petite  géogr.,  vd.  jo,  p.  24,  —  (Grande, 
t'°J-  3S>  P-  lt)> 


340  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Les  pays  de  Pa  [n.  Pou  j|j|,  Tch'ou  ^j§  et  Teng  §\)  étaient 
notre  frontière  méridionale;  les  pays  de  Sou-chenn  Jf|  '{là,  Yen  $t 
et  Po  ^  formaient  notre  frontière  septentrionale  (1). 

Les  limites  de  notre  empire  ne  peuvent  pas  être  faites  plus 
étroites;  elles  touchaient  aux  quatre  mers  (2).  Quand  les  empe- 
reurs Wen  j£.  Ou  j^,  Tch'eng  Jï£,  K'ang  J||  assignèrent  plus 
tard  des  fiefs  à  leurs  frères,  c'était  pour  élever  à  la  maison  Tcheou 
fë\  des  remparts  protecteurs,  afin  d'en  empêcher  la  décadence. 
Est-ce  que  ces  grands  empereurs  auraient  eu  seulement  l'intention 
de  distribuer  à  des  enfants  des  bonnets  qu'ils  rejetteraient  devenus 
adolescents? 

Les  anciens  empereurs  placèrent  T'ao-ou  ^  >£j[  dans  une  des 
quatre  régions  sauvages:  pour  en  chasser  les  mauvais  Esprits,  et 
les  autres  êtres  malfaisants  ;  c'est  ainsi  que  ces  vilaines  gens  de 
Yun  -fc,  ancêtres  des  Tartares  Yng-jong  fê  fâ,  vinrent  s'établir 
dans  la  contrée  de  Koua-lcheou  jfj\  j\\  (3  . 


Le  pays  de  Chen-yen  :  avait  sa  capitale  Yen-tch'eng  ^  gR  à  2  H  à  l'est  de 
K'iu-feou  hien  $&  -^-  Sf ,  qui  est  à  30  li  à  l'est  de  sa  préfecture  Yen-tcheou  fou  52 
#)  /ftS  Chan-tong.  (Petite  géogr.,  vol.  10,  p.  7)  —  (Grande,  vol.  32.  p.  5 

(1)  Le  pa\s  de  Pa  avec  sa  capitale  Kiang-tcheou  )Z  #1,  forme  le  territoire 
de  Tchong-k'ing  fou  §1  §  }(%,  port  ouvert  au  commerce  européen,  le  plus  à  l'ouest, 
sur  le  Yang-tse-kiang,  Se-tchoan  0  )]\.  (Petite  géogr.,  vol.  24,  p.  8)  —  (Grande, 
vol.  6g,  p.  23). 

Le  pays  de  Pou  :  était  au  sud  de  Kien-ning  JE  -ty-,  près  de  Che-cheou  hien 
H  ~W  S£,  qui  se  trouve  à  180  li  sud-est  de  sa  préfecture  King-tcheou  fou  $IJ  ft\  fâ . 
Hou-pé.   [Grande  géogr.,  vol.   78.  p.   ij). 

Le  pays  de  Tch'ou  :  avec  sa  capitale  Yng  s|5,  était  à  3  li  nord-est  de  King- 
tcheou  fou.  ( Petite  gcogr.,  vol.   21,  p.   20)  —  [Grande,  vol.   78,  p.  6). 

Le  pays  de  Teng  :  avec  sa  capitale,  était  à  20  li  nord-est  de  Siang-yang  fou 
ï§  f'ê  fà,  Hou-pé.  (Petite  géogr.,  vol.   21,  p.   28)   —   (Grande,  vol.    yç,  p.  8). 

Le  pays  de  Sou-chenn  :  était  dans  la  Mandehourie.  au  pays  des  sauvages  du 
nord  Ipé-i  4fc  %_,  comme  dit  le  commentaire. 

Le  pays  de  Yen  :  avec  sa  capitale  Ki-tch'eng  j$Jj  fe£,  est  le  territoire  de  Pé- 
tàng  ifc  j|f  (Choen-t'ien  fou  MF?  3*C  Tf)-  (Petite  géogr.,  vol.  2.  p.  2)  —  (Grande, 
vol.   11.  p.   s). 

Le  pays  de  Po  :  était  dans  cette  même  région  ;  mais  on  ignore  l'endroit  exact. 

(2)  Les  quatre  mers,  expression  qui  revient  si  souvent  dans  l'histoire.  Les 
anciens  Chinois  croyaient  vraiment  que  leur  pays  était  ainsi  borné,  aux  quatre 
points  cardinaux  ;  ils  n'y  avaient  pas  été  voir. 

(3)  Le  pays  de  Koua-tchcou  :  était  au  nord  de  la  province  du  Chen-si  ;  les 
territoires  de  ces  nomades  sont  naturellement  difficiles  à  identifier.  (Grande  géogr.. 
vol.  64,  p.   23  . 


DU    ROYAUME   DE    CSIN.    P'ING-KONG.  34i 

Lorsque  notre  vénérable  oncle,  le  roi  Hoei-kong  ^  fè  650- 
637),  votre  ancêtre,  revint  du  pays  de  Ts'in  ^  6'».')  .  il  engagea 
les  Tartares  à  émigfer  vers  l'est;  d'accord  avec  le  roi  de  Ts'iniÊê, 
il  transféra  les  Tartares  Lou-hoen  [^  ffî  dans  la  contrée  de  }'- 
tchoan  <£jj-  )\\  638  .  C'était  pour  vexer  et  harceler  les  pays  de  notre 
clan  Ki  #EJ  ;  c'était  pour  envahir  nos  frontières  :  et  vraiment  ils 
ont  réussi;  ils  ont  pris  nos  territoires.  X'est-ce  pas  grâce  à  ces 
deux  princes  que  ces  Tartares  sauvages  ont  pris  pied  dans  les  pays 
chinois?  Si  nous  en  souffrons,  qui  faut-il  blâmer? 

Notre  vénérable  ancêtre  Heou-tsi  fè  f|£  avait  assigné  des  bor- 
nes fixes  à  chaque  fief;  il  avait  fait  cadeau  des  cinq  céréale-,,  et 
avait  enseigné  aux  princes  chinois  la  manière  de  les  semer  :  main- 
tenant, ce  sont  les  sauvages  Tartares  qui  en  règlent  en  maîtres  la 
distribution;  chose  pareille  n'est-elle  pas  difficile  à  supporter?  Que 
mon  vénérable  oncle  veuille  bien  réfléchir  à  ces  détails! 

Malgré  tout,  je  reste,  vis-à-vis  de  votre  seigneurie,  ce  que  le 
bonnet  des  cérémonies  solennelles  est  à  l'égard  des  vêtements  :  ce 
que  la  racine  est  pour  l'arbre;  ce  que  la  source  est  pour  le  fleuve: 
le  chef  pour  le  peuple.  Si  vous,  mon  vénérable  oncle,  ne  craignez 
pas  de  déchirer  le  bonnet  précieux  surmonté  d'un  jade  carré  ,  de 
briser  la  couronne  impériale;  si  vous  arrachez  la  racine  de  l'arbre. 
obstruez  la  source  du  fleuve;  si  vous  voulez  être  indépendant,  et 
ne  reconnaître  personne  au-dessus  de  vous  ;  que  puis-je  attendre 
des  Tartares  Jong  3%  et  Ti  %fc  ?  ■ 

Ayant  entendu  ce  message,  Chou-hiang  ;|J  |î«]  dit  au  premier 
ministre  Han-k'i  {$.  jgï:  lorsque  notre  glorieux  roi  Wen  $£  était 
le  chef  des  vassaux,  malgré  sa  puissance,  il  n'osa  toucher  à  l'au- 
torité si  vénérable  de  l'empereur;  au  contraire,  il  le  soutint  de 
toutes  ses  forces,  et  lui  montra  encore  plus  de  respect  qu'aupara- 
vant. Depuis  lors,  notre  état  est  allé,  baissant  de  génération  en 
génération  ;  si  nous  nous  mettons  à  tyranniser  la  maison  impé- 
riale, et  à  la  déprécier,  nous  montrerons  un  orgueil  extravagant  : 
pourrons-nous  être  étonnés,  si  les  vassaux  nous  quittent?  Vrai- 
ment, ce  que  l'empereur  nous  reproche  est  très-exact:  que  votre 
Excellence  veuille  donc  mûrement  examiner  le  cas. 

Han-k'i  fut  content  de  cet  avis,  et  agit  de  suite  en  consé- 
quence :  sachant  l'empereur  en  deuil,  il  envoya  le  seigneur  Tcliao- 
tcheng  |j|  fj£,  aide-général  du  2-nu'  corps,  lui  offrir  les  condoléan- 
ces, et  porter  le  vêtement  destiné  au  défunt  ;  il  restitua  les  terres 
de  Yen  [îfj,  cause  du  litige  ;  enfin,  il  renvoya  honorablement  les 
prisonniers  faits  à  l'attaque  de  Yng  |pî. 

L'empereur,  enchanté  d'une  telle  déférence,  ordonna  à  son 
grand  officier  Ping-houa  ^  ffî  de  prendre  le  commandant  Siang 
^,  et  de  le  livrer  captif  à  la  cour  de  Tsin,  comme  coupable,  et 
auteur  de  ce  malentendu.  Naturellement,  le  prisonnier  fut  traité 
avec  de  grands  égards,  et  rendu  à  son  maître:  l'incident  était 
clos,  tout  à  l'honneur  de  la  majesté  impériale. 


342  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Vers  la  5ème  lune  de  cette  même  année  533  (avril),  le  grand 
seigneur  Siun-yng  |fj  J§[,  fils  de  Tcîie-cho  £p  j$j  (ou  Siun-cho), 
s'était  rendu  à  la  cour  de  Ts'i  ^|,  pour  y  chercher  sa  femme;  il 
mourut  à  Hi-yang  ;j$  ^  (1)  pendant  le  voyage  du  retour;  son 
corps  fut  rapporté  à  la  capitale  de  Tsin.  Il  n'était  pas  encore 
enterré,  lorsque  P'ing-kong,  en  dépit  de  l'usage  contraire,  ordon- 
na un  festin  à  grand  orchestre.  Tou-h'ouai  J^  j$pj,  son  chef  de 
cuisine  (2),  courut  à  la  salle  du  festin,  et  demanda  permission 
d'aider  réchanson,  ce  qui  lui  fut  aussitôt  accordé  ;  alors  il  versa 
une  coupe  de  vin,  en  punition,  au  directeur  de  la  musique  Koang 
l||[,  et  lui  dit:  vous  avez  pour  office  de  former  l'oreille  du  roi,  afin 
qu'il  entende  juste  ;  les  jours  qui  tombent  au  tse  ^p  et  au  mao  #[] 
sont  néfastes;  puisque  l'empereur  Tcheoufâ  est  mort  au  jour  hia- 
tsp.  ^  If-,  et  l'empereur  Kié  #fe  au  jour  i-mao  £  £}}]  ;  en  des  jours 
pareils,  le  roi  doit  s'abstenir  de  grands  festins  et  de  musique  solen- 
nelle ;  et  les  élèves  qui  sont  sous  vos  ordres,  ne  doivent  pas  faire 
de  répétitions  :  ces  jours  portent  malheur.  Or,  les  ministres  et 
les  grands  officiers  de  la  cour  sont  les  bras  et  les  jambes  du  roi  ; 
si  l'un  de  ces  membres  vient  à  manquer,  le  corps  tout  entier  souf- 
fre grièvement.  Siun-yng,  grand  officier,  n'est  pas  encore  enterré; 
vous  n'avez  donc  pas  entendu  cette  nouvelle?  puisque  vous  faites 
de  la  musique  comme  si  rien  n'était  arrivé  ;  votre  oreille  est  bien 
mamaise  ! 

Ayant  ainsi  parlé,  il  versa  une  autre  coupe  de  vin,  et  la 
présenta  au  favori  Chou  ;j5,  grand  officier  de  second  rang, 
chargé  des  affaires  extérieures:  Vous,  lui  dit-il,  vous  êtes  l'oeil 
du  roi.  chargé  de  l'éclairer  dans  sa  conduite:  au  moyen  des  habits 
brillants  ou  sombres,  on  distingue  les  jours  heureux  ou  néfastes  ; 
par  les  solennités  plus  ou  moins  grandes,  on  voit  quelle  affaire  se 
traite  ;  dans  les  affaires  même,  il  y  a  des  degrés  d'importance  à 
considérer  ;  bref,  l'extérieur  des  cérémonies  et  des  personnes  doit 
manifester  de  quoi  il  s'agit.  Or,  l'extérieur  de  notre  roi  ne  corres- 
pond pas  au  deuil  où  la  cour  est  plongée,  par  la  mort  de  Siun- 
yng  ;  vous  n'avez  rien  vu  de  tout  cela  ;  votre  oeil  est  donc  bien 
mauvais  ;  vous  méritez  d'en  être  puni. 

Le  chef  de  cuisine  se  servit  aussi  une  coupe  de  pénitence,  en 
disant  :    la  saveur  des  mets  a  pour  but  de  nourrir  l'homme  et  lui 

I  Hi-yang  ;  était  un  pou  au  nord  de  Njei-hoang  hien  [*J  m  ff.  qui  est  à 
110  li  à  l'est  de  sa  préfecture  Tckang-te  fou  '&  i'z  'f')'.  Ho-nan,  (Petite  géogr., 
vol.  12.  p.  iç)  —  (Grande,  vol.   16.  p.   iy). 

(2)  Le  livre  des  Rite6  [li-ki  </■!;  IE)  donne  le  même  fait,  avec  des  détails  dra- 
matiques. (Couvreur,  .vol.  i,  p.  221).  Il  ne  faut  pas  oublier  que  le  chef  de  cuisine 
était  le  maître  d'hôtel  1  intendant  de  bouche  '  du  prince  :  à  la  cour,  c'était  un 
grand  dignitaire*  qui.  dans  certaines  cérémonies,  remplaçait  son  maître,  (ibid, 
p.  481). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    P'iNG-KONG.  343 

donner  de  la  vigueur  ;  afin  qu'il  ait  de  la  fermeté  et  de  la  constance 
dans  l'esprit  :  alors  il  saura  choisir  les  paroles  convenables  pour 
communiquer  les  or*dres  d'une  bonne  administration.  Or,  c'est 
moi  qui  suis  chargé  d'assaisonner  les  mets  dans  de  justes  propor- 
tions ;  ces  deux  officiers  ont  manqué  à  leur  devoir:  le  roi.  cepen- 
dant, ne  les  en  a  pas  blâmés  ;  les  mets  ont  donc  été  mal  préparés, 
puisqu'ils  n'ont  pas  produit  l'effet  voulu  :  je  suis  donc  moi-même 
coupable. 

P'ing-kong  reçut  de  bonne  grâce  une  si  singulière  remon- 
trance, et  fit  de  suite  cesser  le  festin.  Auparavant,  il  était  décidé 
à  casser  de  son  emploi  le  chef  de  la  famille  Tche  £f]  ;  il  voulait 
passer  ses  fonctions  à  son  favori  Chou  jjjjj  :  cette  admonition  lui 
ouvrit  les  yeux,  et  il  renonça  à  son  projet  ;  puis,  pour  consoler 
cette  famille,  il  donna  à  Siun-li  Sj^,  fils  de  Siun-Yng,  la  charge 
qu'occupait  son  père  ;  il  le  nomma  donc  adjudant  du  général  du 
3ème  corps  d'armée. 

En  532,  à  la  lèrc  lune  novembre  une  étoile  étrange  se  mon- 
tra dans  la  constellation  Ou-niu  3j£  i£  le  Verseau  ;  aussitôt,  le 
seigneur  Pi-tsao  |^i  yjf,  de  Tcheng  f§.  dit  au  fameux  ministre 
TïP-lch'an  ^  H|  :  à  la  7  :n  lune,  au  jour  ou-tse  /£  -f  (  1  4  juin), 
le  roi  de  ïsin  va  mourir.  Car  la  planète  souei-sin  $i^?  (Jupiter), 
qui  gouverne  le  ciel  cette  année,  est  dans  le  groupe  Iliu  ^g  (situé 
entre  le  verseau  et  le  petit  cheval;  de  la  constellation  Hiu-tchoen 
ïj|  [ISjfî.  Ce  sont  les  maisons  Kiang  ^  de  Ts'i  ^  et  Jeu  [£  de  Si 
§ë  qui  ont  la  garde  des  territoires  correspondants  à  la  constellation 
Hîuen-hiao  ^f^  (1)  ;  or,  juste  auprès  de  cette  dernière,  se  trouve 
cette  étoile  étrange  ;  elle  annonce  à  la  princesse  Y-kiang  g^  ^, 
mère  de  T'ang-chou,  les  calamités  qui  vont  fondre  sur  sa  maison. 
Les  vingt-huit  constellations  zodiacales  sont  arrangées  en  ixT  : 
le  jour  ou-tse  jj£  ^f-  est  mort  le  prince  Fong-hong  ^  fè  :  alors 
aussi  une  singulière  étoile  apparaissait  dans  cette  même  constella- 
tion Ou-niu.      Voilà  sur  quoi  je  fonde  ma  prédiction. 

Le  lettré-diplomate  Tse-tch'an  devait  être  bien  humilié  de 
n'avoir  pas  découvert  cela  le  premier  :  lui.  avoir  ignoré  des  choses 
si  claires  pour  d'autres  !  Naturellement,  la  prophétie  s'accomplit 
à  la  lettre,  et  P'ing-kong  mourait  au  jour  désigné.  Mais  l'histo- 
rien ne  donne  pas  d'autres  détails  sur  cet  événement. 

A  l'annonce  de  ce  décès,  le  prince  de  Tcheng  f$  se  hâta  de 
partir  pour  la  cour  de  Tsin,  afin  d'offrir  ses  condoléances  ;  arrive 
au  bord  du  fleuve  Jaune,  il  rencontra  un  courrier  de  la  cour,  lui 
rappelant   que    selon    les    rites,    le   prince   ne   devait   pas    \enir   en 

(1)  Le  groupe  Iliu  ^f  ;  s'appelle  aussi  Hiuen-hiao  ^  $§•,  et  comprend  le  H 
du  verseau.   (Couvreur,  grand  dictionnaire.  }'■  p-   I2Z,   136.   137  . 

T'ang-chou  fë  ■$  :  on  se  le  rappelle,  est  le  fondateur  du  royaume  de  IVin. 
P'ong-konir.  est  un  prince  légendaire;  sous  la  dynastie  Yng  f;\  il  résidait  au  pays 
de  Ts'i. 


344  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

personne  :     mais   envoyer   seulement  un   grand   officier  ;     puis,    le 
premier-ministre,  lors  de  l'enterrement. 

A  la  9  !:"  lune  i juillet-août),  avait  lieu  l'enterrement  solennel; 
.les  ministres  de  Lou  ||.  de  Ts'i  f§,  de  Song  5J?,  de  Wei  ffr,  de 
Tcheng  §j$,  de  Hiu  ff,  de  Tsao  ^ ,  de  Kiu  g",  de  Tcliou  %,  de 
Teng  jj§£,  de  Si  jr£p,  de  K'i  7J£  et  de  Siao-tchou  ,]-»  $fl,  étaient  pré- 
sents à  la  cérémonie  :  ce  qui  montre  que  si  l'autorité  de  Tsin  était 
contrecarrée  par  le  roi  de  Tch'ou  ^,  elle  était  encore  assez  grande. 

Quand  Tse-p'i  -J-  jx,  ministre  de  Tcheng  |$,  allait  partir 
pour  l'enterrement,  il  demanda  des  soieries  et  autres  objets  pré- 
cieux, pour  les  offrir  au  nouveau  roi,  et,  par  cet  empressement, 
gagner  ses  bonnes  grâces.  Tse-tch'an  ^-  jf|  lui  objecta  :  qui  donc 
a  jamais  offert  des  soieries,  à  l'occasion  des  funérailles  ?  si  vous 
persistez  cependant  à  faire  des  cadeaux  au  nouveau  roi,  il  vous 
faut  au  moins  cent  chariots,  et  mille  hommes  pour  les  escorter. 
Parti  avec  une  suite  si  nombreuse,  vous  allez  bientôt  vous  con- 
vaincre que  le  prince  ne  vous  recevra  pas  ;  alors,  embarrassé  de 
tout  cet  attirail,  vous  allez  dépenser  ces  présents,  de  quelque  ma- 
nière que  ce  .soit,  et  en  pure  perte.  Combien  de  fois  croyez-vous 
qu'un  petit  état,  comme  le  nôtre,  puisse  supporter  de  pareilles 
dépenses  ? 

Tse-p'i  ne  voulut  rien  entendre,  et  partit  comme  il  le  désirait. 
Après  l'enterrement,  les  ministres  des  vassaux  demandèrent  une 
audience  au  nouveau  roi  ;  celui  de  Lou  îffj.,  plus  ferré  que  les 
autres  sur  les  rites,  cherchait  à  leur  éviter  un  refus  humiliant  : 
pareille  pétition,  leur  disait-il,  est  contraire  à  l'étiquette  et  aux 
règlements. 

Chou-hia.no  ${  |p]  fut  chargé  de  communiquer  la  réponse  du 
roi  ;  elle  était  négative  :  Vos  seigneuries,  dit-il,  sont  venues  pour 
l'enterrement  ;  les  cérémonies  accomplies,  votre  mandat  se  trouve 
rempli  ;  vous  désirez  cependant  une  audience  ;  mais  notre  prince 
est  en  deuil  :  il  porte  les  vêtements  de  deuil  ;  il  pleure  son  père  ; 
se  présenter  ainsi  devant  vous,  serait  recevoir  une  seconde  fois 
vos  condoléances  ;  prendre  les  vêtements  ordinaires  serait  violer 
les  rites  ;   quel  conseil  lui  donnent  vos  seigneuries  ? 

Les  ministres  n'avaient  plus  qu'à  se  retirer;  c'est  ce  qu'ils 
firent.  (Juant  à  Tse-p'i  -^  rj£,  selon  la  prévision  de  Tse-tch'an,  il 
rentra  les  mains  vides,  ayant  dépensé  inutilement  ses  cadeaux.  Il 
reconnut  sa  faute,  devant  le  seigneur  Tse-yu  ^  ï$,  en  disant:  il 
n'est  pas  si  difficile  de  connaître  son  devoir  que  d'agir  en  consé- 
quence ;  notre  vénérable  maître  Tse-tch'an  savait  bien  que  mon 
projet  était  irréalisable;  mais  moi,  je  n'étais  pas  capable  de  suivre 
son  avis;  le  livre  des  annales  indique  très-justement  mon  cas  par 
ces  paroles:  j'ai  satisfait  mes  passions,  nu  mépris  des  lois;  j'ai 
suivi  mon  caprice,  en  dépit  des  bienséances  (1). 


(1)   Chou-king  Wt  fet'.  (Couvreur,  j>,  123,  n°  3). 


345 
TCHAO-KONG    (531-526) 


Le  nouveau  roi.  fils  du  précédent,  s'appelait  /  ^|  ;  son  nom 
posthume  ou  historique,  Tchao,  signifie  homme  de  grand  mérite 
et  d'éminente  vertu,  ou  encore  prince  d'une  conduite  respectueuse 
et  d'une  tenue  modeste.     1 

Han-k'i  i$i  jj£  continua  d'être  premier  ministre:  Chou-h.ia.ng 
^  (oj  garda  son  office  de  conseiller  intime  et  grand  maître  du 
nouveau  souverain. 

A  la  4ème  lune  (février-mars),  le  roi  de  Tch'ou  jîg?  ayant 
attaqué  et  vaincu  le  petit  état  de  Ts'ai  ^,  le  ministre  Siun-ou 
^f  ijl  dit  à  Han-k'i:  en  534,  nous  n'avons  pas  secouru  le  prince 
de  Tch'en  [^  ;  il  a  été  battu  par  l'armée  de  Tch'ou;  si  nous  agis- 
sons de  même  envers  celui  de  Ts'ai,  personne  ne  voudra  plus  être 
notre  vassal  :  notre  impuissance  éclatera  aux  yeux  de  tout  le  mon- 
de ;  ne  nous  chagrinant  guère  de  voir  nos  parents  attaqués  à 
mort,  â  quoi  nous  sert  le  titre  de  chef  des  vassaux? 

En  conséquence  de  cette  admonition.  Han-k'i  présida  une 
réunion  de  sept  ambassadeurs,  a  K'iué-yng  Jîjfc  ^  (2),  vers  le 
mois  de  juin,  pour  se  consulter  sur  ce  qu'il  y  avait  à  faire;  on 
croyait  une  guerre  inévitable  :  c'est  pourquoi,  chacun  des  délégués 
avait  amené  un  contingent  de  troupes  assez  considérable  ;  mais, 
après  bien  des  délibérations,  l'assemblée  se  contenta  d'envoyer 
une  ambassade,  prier  la  cour  de  Tch'ou  de  ne  pas  molester  injus- 
tement le  prince  de  Ts'ai.  Les  commentaires  mettent  cette  lâcheté 
au  compte  de  Han-k*i.  l'accusant  de  s'occuper  alors  beaucoup  plus 
des  avantages  de  sa  maison  que  des  intérêts  du  royaume. 

Vers  cette  époque,  le  même  ministre  eut  une  entrevue,  à  Ts'i 
}$L  3  ,  avec  le  grand  seigneur  Tch'enri  jj£,  gouveneur  de  Chen  j|[. 
et  ministre  de  l'empereur:  il  parait  que  ce  personnage  fit  piteuse 
figure  ;  ses  paroles  étaient  trop  lentes,  sa  voix  trop  faible,  à  peine 
un  souffle:  ses  yeux  étaient  inquiets,  craintifs,  fixés  trop  bas. 


(1)  Textes  de  l'interprétation  :  Bg  \§.  fj  #•  S  B3     g  fô  $  31  El  Bg 

(2)  K'iué-yn^:  aucun  commentaire  n'en   donne  la  moindre  identification. 
(2)   Ts'i  :  déjà  identifiée. 

Chen:  était  un  peu  au  sud-est  de  Mong-tsing  liien  2»  >£  S?-   C1UI    '  ?l   ■    50    li 
nord-est  de  sa   préfecture  Ho-nan  fou    :,af  ff]  fff,    Ho-nan.    (Grande  giogr.,   vol.   i, 

P-   15)- 

N 


346  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Chou-hiang,  présent  à  la  réception,  dit  ensuite  à  l'entourage: 
ce  seigneur  me  paraît  devoir  mourir  bientôt;  à  la  cour,  les  places 
de  chacun  sont  déterminées  d'une  manière  fixe  ;  aux  audiences 
données  hors  de  la  capitale,  les  places  sont  indiquées  par  un  dra- 
peau ;  les  paroles  doivent  se  faire  entendre  de  tous  les  assistants  ; 
les  regards  ne  doivent  pas  monter  au-dessus  du  collet  de  l'interlo- 
cuteur, ni  descendre  au-dessous  de  sa  ceinture  ;  mais  rester  fixes 
entre  ces  deux  extrémités,  afin  de  montrer  une  contenance  digne 
et  respectueuse.  Ce  seigneur  est  le  chef  de  tous  les  officiers  de  la 
cour  impériale  ;  c'est  lui  qui  doit  communiquer  au  conseil  des 
ministres  les  ordres  de  sa  Majesté;  ses  regards,  ses  paroles,  rien 
ne  cadre  avec  sa  dignité  :  un  tel  homme  ne  peut  vivre  encore 
longtemps.     De  fait,  il  mourut  à  la  12ème  lune. 

Quelque  temps  après  cette  prédiction,  le  même  sage  en  faisait 
une  autre  du  même  genre  au  duc  de  Lou  ^.  qui  n'avait  pas 
montré  assez  de  chagrin,  à  l'enterrement  de  sa  mère  ;  il  le  rendait 
encore,  à  cause  de  cela,  responsable  des  calamités  présentes  et 
futures  de  son  duché. 

En  530,  vers  le  mois  de  mars,  le  duc  de  Lou  ||  partait  pour 
la  cour  de  Tsin,  afin  de  présenter  ses  hommages  à  Tchao-kong  ; 
mais,  arrivé  au  bord  du  fleuve  Jaune,  il  dut  rebrousser  chemin  : 
un  courrier  avait  été  envoyé  à  sa  rencontre,  lui  ordonnant  de  res- 
tituer au  prince  de  Kiu  ^  le  territoire  de  Keng  ^  (1),  qu'il  lui 
avait  enlevé  deux  ans  auparavant  ;  sinon,  il  ne  serait  pas  reçu  en 
audience.  Le  pauvre  duc  retourna  chez  soi,  tout  penaud,  et  dé- 
puta son  frère  Kong-tse-yng  fè  ^  %V)  expliquer  son  cas  devant 
Tchao-kong.  Le  prince  de  Kiu  avait  porté  plainte,  aussitôt  après 
l'envahissement  ;  mais  comme  alors  on  était  en  deuil,  on  avait 
remis  son  affaire  à  plus  tard. 

D'autres  souverains  se  rendirent  aussi  à  la  cour  de  Tsin,  pour 
saluer  le  nouveau  roi  ;  celui-ci  donna  un  grand  festin  en  leur 
honneur.  Tse-tch'an  ^  j||,  compagnon  du  prince  de  Tcheng  j|[), 
déclina  l'invitation,  an  nom  de  son  maître,  parceque  ce  dernier 
n'avait  pas  encore  achevé  le  deuil  de  son  prédécesseur  Kien  f|J 
(565-530)  ;  la  raison  fut  acceptée,  comme  conforme  aux  rites  et  à 
la  leçon  infligée  au  ministre  Tse-p'i  ^  fe. 

Tchao-kong  était  gaiement  assis  a  table  avec  le  roi  de  Ts'i 
2§f,  lorsque  le  ministre  Siun-ou  -lij  ^  proposa,  comme  récréation, 
un  jeu  d'habileté,  qui  consistait  à  jeter  des  flèches  dans  l'orifice 
d'un  vase  ;  c'était  donc  une  sorte  de  tir  à  la  cible.  Avant  que  le 
suzerain  lançât  la  première  flèche,  Siun-ou  s'écria  :  nous  avons  du 
vin,  à  faire  déborder  le  fleuve  Hoai  fâ  ;  de  la  viande,  à  en  entas- 
ser des  montagnes  ;  si  votre  Majesté  réussit  son  coup,  elle  sera  le 
chef  des  vassaux  !   Tchao-kong  réussit  en  effet. 

(1)   Keng  :  étail  sur  les  bords  de  la  rivière  I-chouei  (Jt  7fc.  dans  la   préfecture 

I-tcheou  fou  #f  #|   'rf,  Chan-tong,  disent  les  commentaires. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    TCHAÛ-KONG.  347 

Le  roi  de  Ts'i  dit  à  son  tour  :  nous  avons  du  vin,  à  faire 
déborder  la  rivière  Chen  J|g  (1)  ;  de  la  viande,  à  en  entasser  des 
collines  ;  si  je  suis  heureux  dans  mon  coup,  alors  je  changerai  de 
place  avec  votre  Majesté.  Sa  llèche  frappa  droit  au  but  ;  ce  qui 
fut  considéré  comme  un  mauvais  augure. 

Le  seigneur  Che-vten-pè  -J;  ^r  f£j  gronda  Siun-ou  :  vous  êtes 
vraiment  imprudent  dans  vos  paroles  ;  notre  maitre  n'est-il  pas, 
de  droit  et  de  fait,  le  chef  des  vassaux.?  pourquoi  donc  se  livrer  à 
ce  jeu,  pour  en  obtenir  un  heureux  présage  ?  une  llèche  bien  tirée 
a-t-elle  quelque  chose  de  si  merveilleux  ?  Le  roi  de  Ts'i  a  traité 
de  pair  avec  notre  souverain  ;  une  fois  rentré  chez  lui,  bien  sûr, 
il  ne  mettra  plus  les  pieds  chez  nous. 

Siun-ou  répondit  fièrement  :  nos  armées  avec  leurs  généraux 
sont  assez  fortes  pour  s'opposer  à  nos  ennemis  ;  nos  chars  sont 
solides  ;  nos  fantassins  aussi  capables  de  grands  exploits  que  dans 
le  passé  ;  que  pourrait  faire  le  roi  de  Ts'i  ?  s'il  ne  nous  reste  pas 
attaché,  à  qui  donc  adhèrera-t-il  ? 

Juste  à  ce  moment,  Kong-suen-saou  Q  ffi  \^,  seigneur  de 
Ts'i,  entra  dans  la  salle  en  disant  :  le  jour  est  sur  son  déclin, 
notre  souverain  est  fatigué,  il  est  temps  qu'il  se  retire.  Et  il  se 
hâta  de  l'entraîner  ;  preuve  du  sans-gène  avec  lequel  maitre  et 
serviteur  se  conduisaient  à  la  cour  de  Tsin  ;  Che-\ven-pé  avait 
raison  de  leur  soupçonner  des  desseins  d'indépendance. 

Vers  le  mois  d'avril,  Siun-ou  ^j  J^,  sous  prétexte  d'aller 
réunir  l'armée  de  Tsin  à  celle  de  Ts'i,  pour  une  expédition  com- 
mune, avait  demandé  permission  de  traverser  le  pays  de  Siun-yu 
$£  ||l  ;  l'ayant  reçue,  il  en  profita  pour  occuper  traîtreusement  la 
ville  de  Si-yang  ^  [S§  (2). 

A  la  suite  de  ce  beau  fait  d'armes,  il  en  accomplit  un  autre 
semblable:  à  la  8ème  lune,  au  jour  jen-ou  ^r  ^p  (-8  juillet),  il  dé- 
truisait la  petite  principauté  de  Fei  ^g,  (3),  l'annexait  au  royaume 
de  Tsin,  et  emmenait  captif  la  prince  Mieu-Uao  $£  ^. 


(1)  La  rivière  Chen:  a  sa  source  dans  le  lac  Chen  ^1,  au  sud-ouest  de  Ling- 
Ichc  hien  E$j  '$  if.  qui  est  l'ancienne  capitale  de  Ts'i,  et  se  trouvait  alors  à  30  l1 
nord-ouest  de  sa  préfecture  Tsing-tcheou  fou  ^  Hi  /$F,  Chan-tong.  Après  avoir 
coule  à  l'ouest  de  Ling-tche,  la  rivière  se  jette  plus  au  nord  dans  une  autre  appelée 
C/ieli*.   (pour  le  deux.   Grande  géogr.,  vol.  35.  p.  ç). 

(2)  Sien-yu  :  dont  la  capitale  s'appela  plus  tard  Sin-che  tch'eng  y(é( "jjj  Jft, était 
à  40  nord-ouest  de  Teheng-ting  fou  JE  ^  fà  Tche-li.  Si-yang  était  un  peu  au 
sud-est  de  'r.s/11  tcheou  W  '-NL  même  préfecture.  (Grande  giogr.,  vol.   i.f.   p,   p.    6, 

IS>  4i)- 

(3)  Fei:  appartenant  aux  Tartares  blancs  (pé-ti   ÉJ  ïA    :  sa  capitale  étail    à    ~ 
li  sud-ouest  de  Kao-tch'eng  hien  if|  £$  ff,  qui  est  à  60  li   sud-est   de  sa    pr 
Tcheng-ting  fou.  (Grande  géogr.,.  vol.   14.  p.   16)» 


318  TEMPS  VRAIMENT  HISTORIQUES 

Si  un  autre  état  eût  agi  de  la  sorte,  Tchao-kong  eût  protesté, 
et  crié  à  l'injustice  ;  mais  comme  la  conquête  était  à  son  profit,  et 
accomplie  par  un  de  ses  généraux,  elle  devenait  la  plus  irrépro- 
chable du  monde.  Bien  mieux  !  cette  petite  expédition  ayant  si 
bien  réussi,  une  autre  armée  fut  envoyée  attaquer  le  pays  de  Sien- 
yu  lui-même,  vers  la  fin  de  Tannée.  Et  le  traité  de  paix  universelle, 
qu'en  faisait-on?  Il  semble  déjà  relégué  parmi  l'histoire  ancienne. 

En  529,  voici  un  autre,  genre  d'exploits  :  Lorsqu'en  534,  on 
avait  célébré  l'heureux  achèvement  de  palais  Se-h'i  J/]|  f[$,  les  vas- 
saux s'étaient  rendus  à  cette  solennité  ;  mais  voyant  la  faiblesse 
du  gouvernement,  les  exigences  et  la  vénalité  des  officiers,  les 
divers  princes  commencèrent  à  dédaigner  leur  suzerain,  et  à  tour- 
ner leurs  regards  ailleurs,  sans  beaucoup  se  soucier  de  lui. 

Tchao-kong  résolut  de  réagir  contre  ce  mouvement  de  déser- 
tion. Sous  prétexte  d'arranger  l'affaire  du  duc  de  Lou  |§.,  qui 
s'était  emparé  du  territoire  de  Keng  £tji  (532),  il  convoqua  une 
assemblée  des  vassaux,  et  y  invita  même  le  roi  de  Ou  ^  ;  la  ville 
de  Leang  j^  (1)  étant  la  plus  proche  de  ce  dernier,  fut  indiquée 
comme  le  lieu  de  la  rencontre  avec  lui. 

Sur  ce,  Chou-hiang  fit  à  son  maître  la  remarque  suivante  :  il 
serait  bon  de  déployer  aux  yeux  des  princes  des  troupes  considé- 
rables, afin  de  leur  inspirer  une  crainte  salutaire.  Tchao-kong 
goûta  ce  sonseil,  et  conduisit  une  armée  de  quatre  mille  chars  et 
plus  de  trois  cent  mille  hommes.  Mais  le  roi  de  Ou  ^|  s'excusa 
de  ne  pouvoir  venir,  à  cause  des  inondations,  qui  rendaient  les 
chemins  impraticables. 

Tchao-kong  était  allé  l'attendre  à  Leang  ;  il  dut  s'en  retourner 
bien  chagriné  de  ce  contre-temps  ;  il  s'en  alla  au  sud  de  la  capitale 
du  petit  état  de  Tchou  %\\  (2),  présider  les  manœuvres  exécutées 
par  ses  troupes,  à  cet  endroit;  c'était  au  jour  ping-yng  ^  ^  de 
la  7ème  lune  (7  mai);  le  ministre  de  la  guerre  était  pour  lors  le 
seigneur  Yang-ché-fou  ^  |§"  SjfJ,  frère  de  Chou-hiang. 

Cependant,  les  vassaux  se  rendaient  à  P'ing-k'iou  ^  j£  (3), 
pour  l'assemblée.  Les  deux  seigneurs  Tse-tch'an  ^  ^  et  Tse- 
V ai-chou  -^  -Jfc  $%  accompagnaient  leur  maître,  le  prince  de  Tcheng 
fU$  ;  traversant  l'état  de  Wei  fâj ,  ils  apprient  que  Yang-ché-fou 
avait  demandé  au  marquis  de  riches  cadeaux,  mais  ne  les  avait 
pas  reçus  ;  en  conséquence,  il  donnait  à  ses  fourrageurs  sinon 
l'ordre,  du  moins  la  permission  de  le   venger;   ceux-ci  dévastaient 

(1)  Liang:  nu  pays  de  Tchou  f>|$,  était  à  60  li  au  nord  do  Pc  tcheou  îp  M\ , 
qui  est  a  1 50  li  nord-est  de  sa  prélecture  Siu-tclieou  fou  fô  Ml  Ifr.  Kiang-sou 
(Petite  géogr.,  vol.  4.  p    2ç)  —  (Grande,  vol.  22,  p.  28). 

(2)  Tchou:  sa  capitale  était  à  26  li  sud-est  de  Tclieou  hien  $R5  8$,  qui  est  à 
50  li  sud-est  de  sa  prélecture  Yen-tchcou  fou  &  #|  flr\  Chan-tong.  (Petite  géogr., 
vol.  io,  p.  S)  —  (Grande,  vol.  32,  p.  zi). 

(3)  P'ing-k'iou  :  voyez  un  peu  plus  loin  l'identification. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    TCHAO-KONG.  349 

le  pays,  sous  prétexte  de  couper  de  l'herbe  pour  les  chevaux  et  du 
bois  pour  la  cuisine  des  soldats. 

Sur  leur  conseil,  on  chargea  le  seigneur  Tou-pé  j||  f£  d'aller 
faire  une  visite  à  Chou-hiang,  de  lui  offrir  un  service  de  bouillons 
et  une  corbeille  de  soieries;  puis  de  l'avertir  de  la  conduite  de  son 
frère:  Les  princes  féodaux,  dit  le  message,  servent  tous  le  roi  de 
Tsin,  sans  la  moindre  intention  de  l'abandonner  ;  à  plus  forte 
raison,  notre  petit  état  de  "Wei,  si  proche  de  vous,  ne  pense-t-il 
qu'à  vous  prouver  son  dévouement  et  sa  soumission,  sans  arriére- 
pensée.  Pourquoi  donc  les  fourrageurs  de  votre  armée  se  condui- 
sent-ils envers  nous  si  différemment  des  autres  années?  Oserais-je 
vous  prier  de  mettre  un  frein  à  leurs  déprédations  ! 

Chou-hiang  accepta  le  service  de  bouillons,  pour  prouver  sa 
bienveillance;  mais  il  refusa  les  soieries:  Yang-ché-fou,  dit-il,  est 
insatiable  de  cadeaux,  ce  qui  tôt  ou  tard  lui  sera  fatal:  c'est  lui 
qui  vous  cause  tant  de  dommages,  pour  se  venger:  offrez-lui  cette 
corbeille  de  soieries,  au  nom  de  votre  marquis:  aussitôt  cesseront 
les  vexations  et  les  ravages. 

Le  messager  suivit  ce  bon  conseil  :  chose  merveilleuse  !  il 
n'était  pas  encore  parti,  que  déjà  l'ordre  était  donné  aux  fourra- 
geurs d'arrêter  leurs  déprédations  :  tant  le  génie  d'une  lettré, 
comme  Chou-hiang,  est  puissant  pour  mettre  fin  à  toutes  sortes  de 
désordres  ! 

Tchao-kong  s'étant  rendu  à  P'ing-k'iou  Zp.  JJ_  1  ,  y  trouva 
réunis  treize  princes  avec  le  ministre  de  l'empereur;  c'était  donc 
une  assemblée  des  plus  solennelles  :  il  désira  que  tous  ensemble 
renouvelassent  les  traités  précédents  :  afin  de  prouver  leur  soumis- 
sion envers  leur  nouveau  suzerain.  Le  roi  de  Tsei  ^  refusa 
carrément  ;  il  ne  voulait  plus  se  lier  envers  un  prince  qui  lui 
paraissait  si  affaibli. 

Tchao-kong  envoya  Chou-hiang,  avertir  le  ministre  impérial 
de  cet  incident,  et  lui  demander  la  conduite  à  tenir.  Celui-ci  ré- 
pondit :  si  votre  souverain  se  montre  loyal,  aucun  des  vassaux  ne 
l'abandonnera;  que  craignez-vous?  parlez-leur  avec  douceur,  tout 
en  déployant  des  forces  militaires  considérables  ;  quand  même  le 
roi  de  Ts'i  s'obstinerait  à  refuser  son  adhésion  aux  anciens  traités. 
votre  souverain  y  gagnera  beaucoup;  moi-même,  si  vous  le  per- 
mettez, je  vais  conduire  les  voitures  de  l'impôt,  escortées  de  dix 
grands  chars,  et  je  vous  servirai  d'avant-garde. 

Chou-hiang,  ainsi  instruit,  se  rendit  auprès  du  roi  de  Ts'i  : 
les  princes  féodaux,  lui  dit-il,  sont  réunis  ici  pour  un  traité  solen- 
nel de  paix  et  d'amitié  avec  notre  souverain  :  votre  Majesté  seule 
refuse  de  s'y  associer  ;  oserais-je  lui  en  demander  la  raison  ? 

(1)  P'ing-k'iou:  était  à  50  li  sud-ouest  de  Tchang-yuen  hien  :H  iîl  |f,  qui 
est  à  250  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  Ta-ming  fou  ji  &  'ff'.  Tche-li.  'Petite 
géogr..  vol.  2,  p.  sj)  —  (Grande,  vol.  16.  p.  4:  . 


350  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Le  roi  de  Ts'i  répondit  finement:  on  propose  de  tels  traités 
à  signer,  quand  il  s'agit  de  connaître  et  de  punir  des  traîtres  ;  ils 
sont  inutiles  quand  tous  les  princes  se  montrent  très-soumis  et 
très-obéissants. 

Chou-hiang  répliqua  par  un  discours  magistral  de  la  plus 
haute  philosophie  chinoise  ;  le  voici  :  Votre  système,  dit-il,  .-.erait 
la  ruine  des  états  :  s'il  y  a  des  réunions  de  princes  pour  une 
affaire  urgente,  mais  point  de  contributions  pour  aider  à  la  rég- 
ler, on  ne  fait  rien  de  durable  ;  car  si  la  règle  manque,  le  fonction- 
nement régulier  aussi  fera  défaut  ;  s'il  y  a  des  contributions,  sans 
la  stricte  observance  des  rites  usuels,  il  pourra  se  trouver  de  la 
régularité,  mais  sans  ordre  et  sans  suite  dans  le  gouvernement  ; 
si  l'on  observe  les  rites  usuels,  sans  l'autorité  ni  l'influence  vou- 
lues, il  y  aura  de  l'ordre,  mais  pas  de  respect;  s'il  y  a  l'autorité, 
sans  les  sacrifices  aux  Esprits  tutélaires,  sans  serments  jurés 
devant  eux,  il  y  aura  le  respect,  mais  non  la  publicité,  la  solen- 
nité requise  ;  dès  lors,  le  respect  s'en  ira  bientôt,  aucune  affaire 
ne  sera  traitée  convenablement  :  la  conséquence  inévitable  sera  la 
décadence  et  la  ruine  de  l'état. 

Voilà  les  graves  raison  qui  ont  déterminé  les  anciens  et  sages 
empereurs  à  établir  des  règles  fixes  :  les  vassaux  doivent,  chaque 
année,  envoyer  des  ambassadeurs,  pour  montrer  qu'ils  savent  leur 
obligation  de  contribuer  aux  frais  communs.  Tous  les  trois  ans,  ils 
ont  à  se  présenter  eux-mêmes,  pour  observer  les  rites  devant  leur 
suzerain  ;  tous  les  six  ans,  ils  doivent  se  réunir  en  assemblée 
solennelle,  pour  reconnaître  et  proclamer  ainsi  la  majesté  du  mê- 
me suzerain  ;  tous  les  douze  ans.  on  renouvelle  les  anciens  traités 
de  paix  et  d'amitié  communes,  pour  déployer  la  publicité  nécessaire 
devant  les  Esprits,  témoins  et  garants  de  la  sincérité  réciproque. 

Par  le  moyen  des  contributions,  se  conservent  les  relations 
amicales  entre  les  états;  par  le  moyen  des  rites  usuels,  on  conser- 
ve les  rangs  de  la  hiérarchie  :  par  le  moyen  de  l'autorité  et  de  la 
puissance,  on  impose  à  la  multitude  ;  par  le  moyen  de  la  publicité, 
on  appelle  la  ratification  et  la  sanction  des  Esprits. 

Depuis  l'antiquité  la  plus  reculée,  jusqu'à  nos  jours,  on  a 
toujours  tenu  à  ces  règles,  sans  jamais  y  manquer;  de  leur  stricte 
observance,  dépend  la  conservation  ou  la  ruine  des  états,  D'après 
les  anciens  usages,  le  roi  de  Tsin  est  le  chef  des  vassaux,  pour 
empêcher  le  relâchement  de  s'introduire  dans  l'administratien  des 
divers  pays  ;  en  ce  moment,  nous  avons  communiqué  nos  désirs 
à  tous  les  princes,  les  victimes  des  sacrifices  sont  prêtes,  car  nous 
voulons  une  conclusion  en  règle  ;  votre  Majesté  seule  reste  en 
dehors  de  l'assemblée,  en  disant  :  je  ne  m'en  soucie  point  ;  cela 
ne  me  concerne  en  rien,  ni  de  loin  ni  de  près.  Que  votre  Majesté 
veille  donc  bien  peser  ce  que  je  viens  de  lui  exposer  ;  mon  hum- 
ble souverain  attend  ses  ordres,  pour  agir  en  conséquence. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    TCHAO-KONG.  351 

Ce  discours  n'aurait  peut-être  pas  convaincu  le  roi  de  Ts'i  ; 
mais  il  y  avait  là  trois  cent  mille  soldats  ;  on  pouvait,  dès  le  len- 
demain, les  lancer  stir  son  territoire  ;  quels  ravages  ne  leraient-ils 
pas  dans  un  pays  surpris  à  l'improviste  ?  il  y  avait  matière  à 
réflexion  !  Oui,  répondit-il.  mes  paroles  ont  été  inconsidérées  : 
c'est  la  cour  de  Tsin  qui  donne  ses  ordres  à  tous  les  vassaux  : 
comment  nous  seuls  oserions-nous  désobéir  ?  nous  connaissons 
maintenant  vos  désirs,  nous  les  accomplirons  avec  respect  :  nous 
sommes  donc  à  votre  disposition  :  veuillez  l'annoncer  à  votre 
illustre  maître. 

Chou-hiang  était  sans  doute  content  de  son  succès  :  mais  il 
se  rendait  compte  de  la  situation  :  il  dit  donc  à  Tchao-kong  :  les 
princes  féodaux  n'ont  plus  d'attachement  sincère  envers  nous  ;  il 
faut  leur  inspirer  une  crainte  salutaire  par  le  nombre  et  les  ma- 
nœuvres de  nos  troupes. 

Sur  ce,  au  jour  Sin-mei  ^  ^  (12  mai  .  Tchao-kong;  fit  faire 
de  grands  exercices  militaires,  mais  sans  déployer  les  drapeaux  : 
le  lendemain,  on  recommença,  enseignes  au  vent,  comme  si  Ton 
marchait  à  l'attaque  de  l'ennemi  ;   cette  vue  terrifia  les  vassaux. 

Les  princes  de  TcJiou  ^|>  et  de  Kiu  ^  portèrent  plainte  contre 
le  duc  de  Loti  ^  en  termes  véhéments  :  ni  jour  ni  nuit,  disaient- 
ils,  ses  gens  ne  nous  laissent  en  repos  :  ils  nous  harcèlent  sans 
cesse  ;  nous  sommes  complètement  ruinés  :  c'est  pourquoi  nous 
ne  pouvons  apporter  nos  contributions. 

C'étaient  de  fortes  exagérations,  des  calomnies  même  :  mais 
voyant  Tchao-kong  décidé  à  tomber  sur  quelqu'un  pour  faire  une 
leçon  aux  autres,  ils  profitèrent  de  l'occasion  pour  charger  leurs 
griefs.  Le  suzerain  s'en  doutait  peut-être  :  il  envoya  cependant 
Chou-hiang  annoncer  au  duc  qu'il  ne  serait  pas  admis  en  audien- 
ce, et  qu'il  ne  serait  pas  admis  non  plus  à  la  réunion  commune 
des  vassaux  :  Au  jour  kia-siu  Fil  /£  15  mai  .  lui  dit  le  messager, 
tous  les  princes  vont  jurer  le  traité  de  paix  et  d'amitié  :  mais 
notre  humble  souverain,  se  voyant  incapable  de  servir  votre  illustre 
seigneurie,  vous  prie  de  ne  pas  assister  à  la  réunion. 

Le  duc  comprit  bien  ce  que  signifiait  cette  formule  si  polie  . 
aussi  le  seigneur  T^e-fou-lioei-p''  ^p  $j!  ri*,  fê  protesta  avec  indi- 
gnation :  Votre  illustre  roi.  dit-il.  a  été  trompé  par  les  calomnies 
de  ces  sauvages  Man-i  gf  ])>,  .  au  point  de  rejeter  ses  frères,  les 
descendants  de  Tcheou-kong  ïo\  Q  ;  il  faut  bien  nous  conformer 
à  votre  bon  plaisir  ;  noire  humble  prince  vous  remercie  de  lui 
avoir  intimé  vos  ordres. 

Chou-hiang  répliqua  :  notre  humble  souverain  a  ici  quatre 
mille  chars  ;  même  s'il  voulait  abuser  de  sa  puissance,  il  faudrait 
encore  le  craindre  :  à  plus  forte  raison,  quand  il  ne  veut  que  ce 
qui  est  juste  !  Oui  oserait  encore  lui  résister  ?  le  bœuf  le  plus 
maigre  tombant  sur  un  jeune  pourceau  ne  l'écrasera-t-il  pas  du 
coup  .' 


352  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Le  duc  ne  voulait  pas  s'attirer  une  affaire  ;  il  se  soumit,  et 
n'insista  plus  pour  être  admis  à  l'assemblée.  La  veille  du  jour 
fixé,  l'habile  Tse-tcli'an  ^p  jfr.  compagnon  du  prince  de  Tcheng 
HP,  réclama  de  nouveau  contre  les  taxes  exorbitantes  imposées  à 
son  pays  :  depuis  midi  jusqu'au  soir,  il  disputa  avec  les  ministres 
de  Tsin.  et  il  finit  par  triompher  ;  c'est  qu'il  savait  bien  ce  qu'il 
pouvait  se  permettre,  et  jusqu'à  quel  point  il  pouvait  résister. 

Au  jour  kia-siu,  à  midi,  les  princes  étaient  avec  Tchao-kong, 
à  l'endroit  désigné,  pour  le  serment  solennel,  devant  un  tertre 
élevé  en  forme  d'autel,  où  l'on  offrit  les  sacrifices  en  usage.  Le 
pauvre  duc  de  Lou.  la  fine  Heur  des  princes  chinois,  dut  se  mor- 
fondre dans  son  hôtellerie,  pendant  que  tous  les  autres  juraient  le 
traité  de  paix  et  d'amitié  ;  il  eut  encore  le  chagrin  de  voir  un  de 
ses  compagnons,  le  seigneur  Ki-p'ing-tse  5p  *$.  ^f- .  arrêté  et  em- 
mené captif  au  pays  de  Tsin  :  malheureux  chez  lui.  il  était  encore 
maltraité  par  son  suzerain  :   il  n'avait  pas  de  chance  ! 

Cette  brillante  assemblée  que  nous  venons  de  raconter,  est  la 
dernière  présidée  par  le  roi  de  Tsin  :  la  gloire  de  la  maison  régnante 
est  finie.  Nous  avons  vu  P'ing-kong  ^  sfe  se  ramollir  avec  les 
femmes:  le  premier  ministre  Han-k'i  fjfi  $£  s'occupait  de  sa  famille 
beaucoup  plus  que  de  l'état;  et  les  autres  ministres  en  faisaient 
tout  autant  ;  c'était  le  commencement  de  la  ruine  :  le  prince  lui- 
même  se  montrant  si  négligent,  pouvait-il  demander  aux  autres  le 
dévouement  à  sa  cause?  C'est  le  roi  de  Tch'ou  ^  qui  va  le  sup- 
planter comme  chef  des  vassaux  :  c'est  même  déjà  fait  en  grande 
partie,  comme  nous  l'avons  vu. 

Les  gens  de  Sien-yu  0.  |f|  voyant  toutes  les  troupes  de  Tsin 
réunies  à  P'ing-k'iou,  s'étaient  imaginé  n'avoir  rien  à  craindre, 
et  avaient  négligé  la  garde  de  leur  frontière:  Siv.n-ou  ^j  ^  s'a- 
perçut de  cette  faute,  et  résolut  d'en  profiter.  Prenant  le  1er  corpe 
d'armée,  campé  à  Tchou-yong  ^  |ff -il  1°  conduisit  sur  le  territoire 
de  Sien-yu,  jusqu'à  Tchong-jen  t|i  A  [11  :  là,  il  se  jeta  à  l'impro- 
viste  sur  les  gens  du  pays,  leur  prit  un  grand  nombre  d'hommes, 
et  fit  un  butin  considérable  :  après  quoi  il  rentra  glorieusement 
de  sa  facile  campagne.  Une  telle  razzia  n'était  pas  faite  pour 
relever  le  moral  de  Tsin:  le  suzerain  qui  l'autorisait  pouvait-il, 
comme  chef  des  vassaux, punir  le  duc  de  Lou  -{§•  pour  en  avoir  fait 
tout  autant"? 

Celui-ci  voulait  pourtant  demander  pardon,  et  rentrer  dans 
les  bonnes  grâces  de  Tchao-kong:  pour  cet  effet,  il  se  mit  en  mar- 
che vers  la   capitale   de   Tsin    (  septembre-octobre  ï  ;    arrivé   sur  les 


(1!   Tchou-yong:  emplacement  ignoré. 

Tchong-jen:  était  à  13  li  nord-ouest  de  Vang  hicn  J|»  $£,  qui  est  à  120  l1 
sud-ouest  de  sa  préfecture  Pao-ting  fou  fô  fé  #f.  Tche-li.  (Petite  géogr.,  vol.  2, 
2>.  23)  —  (Grande,  vol.   12-  //•   14  • 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    TCHAO-KONG.  353 

bords  du  fleuve  Jaune,  il  envoya  un  exprès  annoncer  sa  visite.  A 
cette  nouvelle,  Siun-ou  dit  au  premier  ministre  Han-k'i  :  les  vas- 
saux viennent  à  la  cour  saluer  notre  roi,  pour  prouver  leur  amitié; 
or,  nous  tenons  en  prison  le  ministre  de  Lou  ;  nous  ne  sommes 
donc  pas  en  paix  avec  le  duc;  comment  donc  recevoir  sa  visite? 
le  mieux  serait  de  la  refuser. 

Han-k'i  suivit  ce  conseil  ;  il  envoya  le  seigneur  Che-hing-pè 
"d"^  fÔ'  fi^s  ^e  Che-y/en-pé  "JT  ^C  fÔ»  porter  une  réponse  négative; 
le  pauvre  duc  fut  encore  forcé  de  s'en  retourner  honteusement  chez 
lui;  c'était  comme  un  parti  pris  de  l'humilier;  nous  allons  voir 
un  de  ses  dignitaires  le  venger  à  sa  manière;  voici  comment  : 

Quand  le  ministre  Ki-p'ing-tse  5p  ^£  -f-  fut  emmené  captif, 
le  seigneur  Tse-fou-hoei-pé  -^  jjj£  '}&  fâ  l'avait  suivi  volontaire- 
ment, pour  lui  rendre  service.  L'occasion  s'en  étant  présentée,  ce 
compagnon  parla  ainsi  à  Siun-ou  ^  ^i  :  en  quoi  donc  notre  état 
a-t-il  montré  moins  de  dévouement  et  de  fidélité  que  ces  minuscu- 
les principautés  de  sauvages  (I  JJ|)?  notre  maison  est  de  la  même 
souche  que  la  vôtre;  notre  pays  est  assez  grand,  et  peut  fournir 
tel  contingent  de  troupes  qu'il  vous  plaira  ;  si  vous  nous  repoussez 
pour  les  beaux  yeux  de  ces  barbares,  vous  nous  forcez  à  nous 
mettre  au  service  des  rois  de  Ts'i  J^  et  de  Tch' ou  <§£  ;  et  quel 
avantage  y  trouvez-vous? 

Traiter  amicalement  ses  parents,  vivre  en  bonne  harmonie 
avec  les  états  puissants,  récompenser  ceux  qui  vous  sont  dévoués, 
punir  ceux  qui  vous  offensent  ;  voilà  les  moyens  de  conserver  la 
suprématie  sur  les  vassaux.  Que  votre  seigneurie  veuille  bien 
peser  ces  paroles,  et  examiner  notre  cas.  Le  proverbe  dit  :  un  ser- 
viteur a  toujours  deux  maîtres  prêts;  vraiment,  n'y  a-t-il  que  le 
roi  de  Tsin  à  qui  nous  puissions  offrir  nos  services?  n'y  a-t-il  pas 
quelque  autre  grand  royaume  auquel  nous  puissions  adhérer,  et 
nous  délivrer  des  ennuis  auxquels  nous  sommes  exposés  ici? 

Siun-ou  10)  ^1  rapporta  ces  fières  paroles  au  premier  ministre 
Han-k'i  jjt^  jJC  ;  puis  il  ajouta:  le  roi  de  Tch 'ou  ^  s'est  emparé 
des  états  de  Tch' en  fjfc  et  de  Ts'ai  f£  ;  nous  n'avons  pas  été  ca- 
pables de  les  secourir;  maintenant, pour  faire  plaisir  aux  sauvages 
(I  Jfë),  nous  retenons  prisonnier  le  ministre  du  duc.  à  quoi  chose 
pareille  aboutira-t-elle? 

Han-k'i  rendit  la  liberté  à  son  prisonnier,  et  lui  dit  de  s'en 
retourner  dans  sa  patrie;  mais  le  rusé  Tse-fou-hoei-pé  voulait 
mieux  que  cela;  il  s'aperçut  très  bien  que  les  gens  de  Tsin  redou- 
taient les  suites  de  leur  sottise  :  Notre  humble  prince,  dit-il,  n'a 
pas  conscience  de  vous  avoir  manqué  de  soumission  ;  vous  lui  avez 
pourtant  infligé  une  grande  honte,  dans  l'assemblée  solennelle  des 
vassaux;  si  son  ministre  est  coupable,  dites  en  quoi,  et  mettez-le 
à  mort  ici  même;  s'il  est  innocent,  il  ne  suffit  pas  de  le  relâcher, 
sans  en  avertir  officiellement  tous  les  princes;  autrement,  il  sem- 
blerait s'être  évadé  comme  un  voleur;    vous  l'avez  saisi  dans  une 

4:> 


354  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

réunion  des  vassaux,  veuillez  donc  proclamer  son  innocence  dans 
une  semblable  assemblée. 

Le  premier  ministre  était  bien  embarrassé;  il  s'adressa  au 
sage  Chou-hiang  pour  se  tirer  d'affaire;  celui-ci,  qui  n'était  jamais 
à  bout  de  ressources,  chargea  son  frère  Chou- fou  ;}5  fàft  de  faire 
partir  le  prisonnier,  sans  tambour  ni  trompette  ;  c'était  l'homme 
qu'il  fallait  pour  la  circonstance. 

Yang-ché-fou  se  rendit  auprès  de  Ki-p'ing-tse  ^  ^  -p,et  lui 
dit:  quand  en  552,  j'encourus  la  disgrâce  de  notre  roi,  je  me  ré- 
fugiai au  pays  de  Lou  ;  là,  votre  illustre  ministre  (Ki-ou-t.se  âft  ^ 
^)  et  grand-père  me  traita  avec  la  plus  cordiale  affection  ;  si  je 
suis  encore  en  vie,  je  le  dois  à  votre  famille, et  je  lui  en  serai  éter- 
nellement reconnaissant;  c'est  pourquoi  je  viens  vous  avertir  du 
danger  qui  vous  menace.  Notre  cour  est  furieuse  de  ce  que  vous 
lui  demandez  réparation  d'honneur;  elle  fait  préparer  pour  vous 
une  affreuse  prison,  à  l'ouest  du  fleuve  Jaune;  je  le  tiens  de  l'of- 
ficier qui  en  est  chargé;  alors,  qu'allez-vous  devenir? 

En  achevant  ces  mots,  le  rusé  versait  un  torrent  de  larmes. 
Ki-p'ing-tse  tenait  plus  à  la  liberté  qu'à  l'honneur;  il  se  hâta  de 
partir.  Son  compagnon  Tse-fou-hoei-pé  continua  encore  quelques 
jours  sa  comédie;  il  persistait  à  demander  une  réparation.  Pro- 
bablement, on  finit  par  lui  donner  un  dîner  de  gala,  pour  le  dé- 
dommager de  ses  peines;  après  quoi  il  s'en  alla. 

Le  gouvernement  de  Tsin  avait  grandement  «perdu  la  face»  ; 
il  avait  prouvé  qu'il  ne  savait  pas  juger  sainement  la  portée  de 
ses  entreprises  ;  et  qu'il  n'avait  pas  à  cœur  la  justice  de  ses  subor- 
donnés ;  le  duc  de  Lou  s'était  emparé,  en  pleine  paix,  d'une  ville 
d'un  des  alliés  ;  le  coupable  n'avait  pas  été  puni  ;  on  avait  même 
failli  lui  demander  pardon  ;  le  prestige  du  chef  des  vassaux  se 
trouva  grandement  affaibli  ;  juste  punition  de  sa  nonchalance  et 
de  sa  cupidité. 

En  528,  au  début  de  l'année  (vers  décembre),  le  ministre  de 
Lou,  Ki-p'ing-tse,  rentrait  enfin  dans  sa  patrie;  ce  fut  tout  un 
événement;  la  famille  régnante  jugea  digne  de  l'annoncer  à  ses 
ancêtres  dans  leur  temple. 

Voici  maintenant  un  incident  d'un  autre  genre  :  Le  seigneur 
de  Hinrj  }f[)  (1)  était  le  fils  du  prince  Chen-kong-ou-tchen  f\i  ^ 
Âfc  (g,  qui,  en  589,  avait  fui  le  royaume  de  Tclvou  <Jg  sa  patrie, 
et  s'était  réfugié  à  la  cour  de  Tsin.  Le  seigneur  de  Yong  $fë  (2) 
était  aussi  un  transfuge  du  même  pays.  Ces  deux  personnages 
étaient  en  dispute,  à  propos  du  territoire  de  Hiou  f|,$  (3)  ;  ils  y 
mettaient  un  égal  acharnement;  ni  l'un  ni  l'autre  ne  voulait  céder; 

(1)  Iling:  était  un  peu  nu  sud-ouest  de  Choen-te  fou  Ift  î§  ffi'',  Tchc-li.  (Pe- 
tite (jéorjr.,  viol.  2,  p.  44)  —  (Grande,  vol.   15,  p.  3). 

(2)  Yonp;  :   était  une  ville  de  Tsin;  on  en  ignore  l'emplacement. 

(3)  Hiou  :  item. 


DU    ROYAUME   DE  TSIN.    TCHAO-KONG.  355 

impossible  d'arranger  cette  affaire  à  l'amiable.  Che-king-pè  -j^  ^ 
-f£j,  qui  en  avait  été  chargé,  se  trouvant  alors  en  ambassade  à  la 
cour  de  Tch'ou  ^,  t>n  députa  Y&ng-chè-fou  jp:  -g-  Sfj-,  le  frère  de 
Chou-hiang,  comme  juge  du  procès,  avec  ordre  d'en  finir. 

Celui-ci  donna  tort  au  seigneur  de  Yong  ;  ce  dernier  lui  en- 
voya aussitôt  une  de  ses  filles  comme  concubine;  ce  cadeau  fut  si 
agréable  au  juge,  qu'il  revint  sur  sa  sentence,  et  donna  tort  à 
l'autre  partie. 

Le  seigneur  de  Hing  en  devint  si  furieux  qu'il  massacra  en 
pleine  cour  et  son  rival  et  son  juge.  Le  premier  ministre  s'adressa 
encore  à  Chou-hiang,  pour  se  tirer  d'embarras.  Celui-ci  répondit  : 
tous  trois  sont  coupables;  vous  devez  mettre  à  mort  celui  qui  reste, 
et  exposer  publiquement  son  cadavre  :  vous  devez  aussi  déshonorer 
le  cadavre  des  deux  autres.  Le  seigneur  de  Yong  savait  avoir  tort; 
il  a  voulu  acheter  le  droit  à  prix  d'argent;  Chou-fou  a  vendu  la 
justice;  le  seigneur  de  Hing  a  commis  deux  assassinats;  les  trois 
crimes  sont  également  grands  et  punissables.  Celui  qui  a  commis 
un  forfait,  et  cherche  à  s'en  faire  absoudre,  est  un  criminel  incor- 
rigible; celui  qui  par  convoitise  oublie  les  devoirs  de  sa  charge,  est 
une  âme  noire;  celui  qui,  en  dépit  des  lois,  met  quelqu'un  à  mort, 
de  sa  propre  autorité,  est  un  vil  brigand.  Or,  dans  un  ancien 
livre,  il  est  dit  que  le  fameux  Kao-yao  C;!;  \(% ,  ministre  de  la  justice 
de  l'empereur  Choen  ^p,  a  déterminé  la  peine  de  mort,  pour  le 
criminel  incorrigible,  pour  l'âme  noire,  et  pour  le  brigand;  suivez 
cette  sentence  de  l'ancien  sage.  Han-k'i  fit  ce  qui  lui  était  conseillé. 

Confucius  (1)  a  écrit  â  ce  propos  :  «Chou-hiang  est  vraiment 
une  relique  des  anciens  temps  !  dans  l'administration  de  l'état,  et 
dans  la  sentence  d'un  criminel,  il  n'avait  égard  ni  à  la  chair  ni 
au  sang  ;  trois  fois  il  a  appuyé  sur  la  faute  de  son  frère,  au  lieu 
de  l'atténuer  ;  oui,  c'était  un  homme  d'une  inflexible  droiture  ! 
A  l'assemblée  de  P'ing-k'iou  *$  jïf$,  il  avait  déjà  réprouvé  la  cupi- 
dité de  son  frère  ;  il  l'avait  cependant  laissée  passer,  pour  délivrer 
le  pays  de  Wei  f|j  de  ses  vexations,  et  épargner  au  royaume  de 
Tsin  un  acte  de  cruauté.  A  l'occasion  de  Ki-p'irtg-tse  ^  ffi  ^, 
il  avoua  franchement  le  cœur  fourbe  de  ce  même  frère  ;  il  le  laissa 
encore  passer,  pour  rendre  service  à  l'état  de  Lou  «||.,  et  épargner 
â  la  cour  de  Tsln  un  acte  de  tyrannie.  Enfin,  dans  ce  dernier 
procès,  il  a  condamné  solennellement  la  convoitise  de  ce  frère,  et 
a  tenu  haut  l'étendard  de  la  justice,  pour  épargner  â  son  pays  la 
flétrissure  de  la  partialité.      Par  sa  triple  déclaration,  il   a  délivré 


(1)  Note:  Confucius  vivait  à  cette  époque;  né  en  551,  il  mourut  en  i'9  ;  le 
lecteur  ne  s'en  doutait  pas,  probablement;  c*est  que,  de  son  vivant,  Tchong- 
nt  fj»  /S  (petit  nom  du  grand  homme)  fit  peu  de  bruit:  car  on  ne  se  souciait  p;uère 
de  lui  ;  ce  sont  les  lettrés  des  siècles  postérieurs  qui  l'ont  canonisé.  Il  faut  que 
l'homme  adore  Dieu,  ou  une  idole. 


356  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

sa  patrie  de  trois  fléaux,  la  cruauté,  la  tyrannie  et  la  partialité,  et 
lui  a  procuré  les  trois  avantages  contraires  ;  il  a  livré  son  frère  à 
la  réprobation,  à  cause  de  ses  crimes,  et  il  s'est  lui-même  couvert 
de  gloire,  par  sa  justice  et  son  inflexible  droiture.» 

En  527,  à  la  8ème  lune  (vers  juin),  le  ministre  Siun-ou  ^j 
J^  conduisait  une  armée  contre  la  principauté  tartare  Sien-yu  %$■ 
Jjl,  et  assiégeait  la  ville  de  Kou  g£  (1).  Quelques  habitants  vou- 
laient lui  livrer  cette  place  par  trahison  ;  mais  lui,  dans  sa  délica- 
tesse de  conscience,  relusa  absolument.  Son  entourage  étonné  lui 
disait  :  pourquoi  ne  pas  accepter  leur  proposition  ?  vous  auriez  la 
ville  sans  coup  férir,  sans  fatiguer  vos  troupes  ! 

Le  général  répondit  en  lettré  scrupuleux  :  mon  maître  Chou- 
hiang  m'a  enseigné  que  les  supérieurs  ne  doivent  s'écarter  de  la 
droite  ligne,  ni  dans  leurs  affections  ni  dans  leurs  aversions  ;  alors 
le  peuple  sait  à  quoi  s'en  tenir,  et  toutes  les  entreprises  réussis- 
sent. Comment  traiterions-nous  celui  qui  livrerait  une  de  nos 
villes  ?  nous  l'aurions  en  horreur,  assurément.  Alors  pouvons- 
nous  récompenser  ces  traîtres-ci  ?  Accepter  leur  offre,  sans  les 
récompenser,  serait  déloyal.  Si  nous  voulons  donner  un  bon 
exemple,  persistons  dans  ma  ligne  de  conduite  ;  voici  mon  plan  : 
si  je  puis  avancer,  j'avance  ;  sinon  je  me  retire  ;  avant  tout,  je 
calcule  mes  forces  ;  je  ne  veux  pas  cette  ville  au  point  d'accepter 
le  concours  de  la  trahison  ;  car  dans  ce  cas,  ma  perte  serait  plus 
grande  que  mon  gain. 

Sur  ce,  il  avertit  les  habitants  de  massacrer  les  traîtres,  et 
de  se  préparer  sérieusement  à  soutenir  l'assaut  qu'il  allait  leur 
donner.  Le  siège  durait  depuis  trois  mois,  quand  les  gens  de  la 
ville  résolurent  de  se  rendre  ;  ils  envo}'èrent  donc  des  parlementai- 
res ;  mais  le  vertueux  général  leur  répondit  :  vos  figures  ne  sont 
pas  celles  d'hommes  qui  meurent  de  faim  ;  allez  réparer  vos  murs, 
et  défendez-vous  jusqu'à  la  dernière  extrémité. 

Les  officiers  de  Siun-ou  n'en  pouvaient  croire  leurs  oreilles  : 
le  peuple  lui-même  demande  à  se  rendre,  disaient-ils,  et  vous  re- 
fusez !  vous  préférez  l'accabler  jusqu'à  l'épuisement  !  vous  voulez 
donc,  en  pure  perte,  harasser  vos  soldats  ?  Est-ce  là  du  dévoue- 
ment envers  le  roi  ?  Cette  fois,  ce  ne  sont  plus  des  traîtres  qui 
veulent  vous  livrer  la  ville,  mais  ses  propres  habitants  ;  pourquoi 
ne  pas  accepter  ? 

Oui,  répliqua  le  vertueux  général,  ce  que  je  fais,  c'est  par 
dévouement  envers  notre  roi  ;  recevoir  cette  ville,  en  ce  moment, 
serait  induire  ses  habitants  à  la  paresse  ;  triste  profit  pour  nous  ! 
funeste  exemple  donné  à  notre  peuple  !  En  exhortant  les  assiégés 
à  faire  leur  devoir  jusqu'au  bout,  j'enseigne  par-là  même  à  notre 
peuple  à  être  fidèle  à  son  souverain.      Si  je  tiens   le   droit  chemin 

(1)  Kou:  c'est  Tsin  tcheou  ',}  'Ji|,  '. »0  li  à  l'est  de  sa  préfecture  Tcheng-ting 
fou  JR  xi!  flï,  Tche-li.  (Petite  yéogr.,  vol.  2,  p.  43)   —  (Grande,  vol.  14,  p.  41). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    TCH.VO-KONG.  '.\~>~ 

de  la  justice,  n'inclinant  ni  à  droite  ni  à  gauche,  je  finirai  par 
prendre  la  ville  ;  et  j'aurai  donné  à  notre  peuple  une  grande  leçon; 
désormais,  il  saura  comment  il  doit  se  dévouer  envers  son  prince, 
jusqu'à  la  mort,  sans  jamais  abandonner  son  service.  X'est-il 
pas  désirable  de  monter  jusqu'à  cette  hauteur  de  vertu  .' 

Quand  enfin  les  gens  de  Kou  j|£  vinrent  annoncer  qu'ils  étaient 
à  bout  de  forces  et  de  vivres,  le  général  consentit  à  recevoir  leur 
soumission,  et  il  emmena  captif  leur  prince  Yuen-ti  ||£  $|  :  la 
campagne  était  glorieusement  achevée,  sans  avoir  perdu  un  soldat. 

Voilà  des  mérites  qui  dépassent,  de  bien  loin,  ceux  d'un  Saint 
Louis  !  quelle  vertu,  que  celle  de  ces  païens  !  Le  lecteur  s'est  vite 
aperçu  que  ce  tableau  est  sorti  du  pinceau  d'un  lettré  :  la  réalité 
fut  sans  doute  bien  différente  ;  ce  que  nous  avons  vu  précédem- 
ment, ne  montrait  pas  un  saint,  dans  la  personne  de  Siun-ou  ^ 
J%  ;  encore  un  peu  de  patience,  et  nous  le  verrons  se  conduire  en 
sauvage. 

Vers  le  mois  d'août,  le  duc  de  Lou  |§.  se  rendait  à  la  cour  de 
Tsin,  pour  y  renouer  les  bonnes  relations  d'autrefois  ;  malgré  les 
menaces  proférées  par  le  seigneur  Tse-fou-hoei-pé  ^  i]g  iH  fÉJ.  le 
prince  ne  tenait  pas  à  changer  de  suzerain  ;  traité  si  durement,  il 
revenait  caresser  son  maître,  comme  un  chien  fouetté  revient  le 
soir  à  la  maison  ;  c'est  donc  qu'il  n'espérait  pas  trouver  avantage 
au  changement. 

A  la  12ême  lune  (octobre-novembre),  le  grand  seigneur  Siun- 
li  ^  Jjg,  fils  de  Siun-yng  ^j  ^  (ou  Tche-yng  ^)  â  ■  se  rendait 
à  la  cour  de  l'empereur,  dont  la  mère,  Mou-heou  ^  fÊ  >  venait  de 
mourir  :  pour  compagnon,  l'ambassadeur  avait  le  seigneur  Tsi-tan 
£î|  y^  ;    tous  deux  devaient  assister  à  l'enterrement. 

Après  la  cérémonie,  l'empereur  déposa  ses  vêtements  de  deuil, 
et  invita  Siun-li  à  un  diner.  où  le  vin  fut  servi  dans  une  coupe 
précieuse,  autrefois  offerte  par  le  duc  de  Lou.  Dans  la  conversa- 
tion, sa  Majesté  dit  à  l'ambassadeur  :  tous  les  princes  m'ont  en- 
voyé des  cadeaux,  pour  me  consoler  dans  ma  douleur  :  seul  mon 
vénéré  oncle  de  Tsin  s'est  abstenu  de  cette  marque  d'affection  ; 
pourriez-vous  m'en  indiquer  le  motif  ? 

Siun-li  ne  sachant  que  répondre,  fit  un  salut  à  Sun  compa- 
gnon, pour  le  prier  de  prendre  la  parole  à  sa  place.  Tsi-tan  dit 
humblement  :  lorsque  les  princes  féodaux  reçoivent  leur  investiture, 
sa  Majesté  impériale  leur  envoie  en  même  temps  des  vases  précieux 
dont  ils  se  serviront  pour  les  sacrifices  aux  Esprits  tutélaires  : 
ainsi,  les  princes  peuvent,  de  leur  côté,  offrir  de  riches  cadeaux  à 
sa  Majesté. 

11  en  est  bien  autrement  de  notre  humble  souverain  :  rejeté 
parmi  les  hautes  montagnes,  entouré  des  sauvages  Ti  tyi  et  Jong 
3%,  il  est  à  une  si  grande  distance  que  les  bienfaits  de  sa  Majesté 
impériale  ne  peuvent  parvenir  jusqu'à  lui  :  c'est  à  peine  s'il  a 
pu  dompter  ces  barbares,  et  les   soumettre   à   l'empire  :    comment 


358  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

aurait-il  eu  le  temps  de  penser  à  envoyer  des  cadeaux  à  la  cour  de 
sa  Majesté  ? 

L'empereur  répliqua  :  mon  jeune  seigneur,  avez-vous  la  mé- 
moire si  courte  ?  mon  illustre  ancêtre  Wen-wang  ~-X  31  avalt  fait 
l'acquisition  du  fameux  tambour  et  du  char  célèbre  de  Mi-siu  <$£ 
2J|  1  :  mon  autre  illustre  ancêtre  Ou-wang  jéÇ  3f£  s'était  emparé 
d'une  précieuse  armure,  à  la  conquête  de  K'iué-kong  |p|  ^jr  (2), 
et  il  s'en  était  revêtu  â  la  bataille  décisive  contre  le  dernier  empe- 
reur de  la  dynastie  Chang  ($j.  Xe  savez- vous  pas  que  ces  objets 
ont  été  donnés  à  T'ang-chou  Jiî.  ,-$,  votre  premier  ancêtre  royal, 
quand  il  reçut  l'investiture  du  pays  qui  correspond  à  la  constella- 
tion Chen  £&,  avec  la  mission  de  gouverner  les  sauvages  Ti  ffi  et 
Jong  J%  ? 

Plus  tard,  mon  autre  ancêtre  Siang-wang  a;|  3:  avait  deux 
chars  précieux,  l'un  pour  les  sacrifices  solennels,  l'autre  pour  la 
guerre  ;  une  hache  d'armes  précieuse,  pour  le  combat  ;  une  autre 
hache  d'armes  dorée  ;  des  liqueurs  aromatisées  ;  des  arcs  rouges  : 
une  garde  personnelle,  choisie  parmi  les  meilleurs  soldats.  Hé 
bien,  tout  cela  fut  donné  à  votre  souverain  Wen'kong  $C  fc .  avec 
le  pays  de  Nan-yang  \fi$%.  et  la  prééminence  sur  tous  les  vassaux 
de  Test.     Xe  sont-ce  pas  là  des  cadeaux  ;? 

Les  services  de  Tsin  n'ont  pas  été  oubliés  ;  ils  sont  consignés 
dans  les  archives  ;  de  beaux  fiefs,  de  splendides  robes  de  gala,  de 
grands  drapeaux,  et  beaucoup  d'autres  objets  précieux,  en  ont  été 
la  récompense  :  à  qui  donc  la  maison  impériale  en  a-t-elle  donné 
autant  ?  à  qui  a-t-elle  montré  une  si  grande  affection  ? 

Et  votre  propre  ancêtre  Suen-pé-yen  fâ  f£j  JSr,  mon  jeune 
seigneur,  comment  reçut-il  le  nom  de  Tsi  |ff,  qui  s'est  perpétué 
dans  votre  famille  ?  Sin-you  ^  ;£j\  un  grand  officier  de  la  cour 
impériale,  eut  deux  fils,  nommés  Tony  fg.  qui  se  rendirent  au 
pays  de  Tsin:  ils  y  furent  chargés  des  archives  tsi  ^|  :  Suen-pé- 
yen  fut  leur  aide;  et  c'est  ainsi  qu'il  fut  appelé  Tsi;  il  devint  un 
homme  éminent,  consulté  dans  tous  les  doutes  au  sujet  de  l'ad- 
ministration du  royaume.  Vous,  descendant  d'un  si  remarquable 
archiviste,  comment  avez-vous  oublié  tous  ces  détails  historiques? 

Le  pauvre  seigneur  resta  bouche  close;  il  était  interloqué;  lui 
qui  avait  pensé  donner  une  leçon  à  l'empereur,  ne  s'attendait  pas 
à  une  telle  mercuriale.  Quand  les  deux  hôtes  furent  sortis,  sa 
Majesté  lit  une  prophétie,  à  l'adresse  de  celui  qui  avait  été  si  mal 


(!)  Mi-siu  :  était  à  50  li  à  l'ouest  de  Ling-tai  hien  ®  5|  ff,  qui  est  à  00  li  au 
sud  de  King  tcheon  i5î  M ,  dans  la  province  du  Kansou  '\\  ïfà-  (Petite  géogr.,  vol. 
15-  p-   SS'  —   (Grande,   vol.  S&i  1>-   -   )■ 

(2)  K'iuc-Uon?  :  capitale  d'une  antique  petite  principauté,  c'est  Kong  hien  %^ 
fi,  a  130  li  à  l'est  de  sa  préfecture  llo-nan  fou  Vf  fêjff,  Ho-nan.  'Grande,  géogr., 
vol.  48,  p.   zS  . 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    TCHAO-KONG.  359 

avisé  :  je  pense,  dit  l'empereur,  que  ce  seigneur  Tsi  n'aura  pas  de 
descendance:  il  a  peut-être  bien  compulsé  les  archives;  mais  il  n'a 
pas  su  se  rendre  c<5mpte  des  détails  historiques  dont  elles  sont 
composées. 

Rentré  à  la  cour  de  Tsin,  le  seigneur  raconta  sa  mésaventure 
à  son  chef,  le  sage  Chou-hiang  £7  |fï]  ;  celui-ci  fut  bien  mortifié 
par  cette  leçon  impériale,  qui  visait  toute  la  cour;  il  se  consola 
par  une  contre-prophétie  :  l'empereur,  dit-il,  ne  fera  pas  une  bonne 
fin;  car  les  anciens  nous  ont  enseigné  que  (d'homme  meurt  de  ce 
qui  fait  ses  délices».  Or,  l'empereur  trouve  encore  des  délice^,  au 
milieu  du  deuil  de  sa  famille;  s'il  meurt  pendant  ce  temps,  on  ne 
pourra  pas  dire  qu'il  a  fait  une  bonne  fin. 

Dans  l'espace  d'un  an,  il  a  perdu  sa  mère  et  son  prince  héri- 
tier :  chacune  de  ces  morts  demande  trois  années  de  deuil  ;  en 
pareille  occurrence,  il  a  donné  un  dîner  ù  ses  visiteurs  ;  et  il  a 
réclamé  des  cadeaux  :  c'est  le  comble  des  délices  au  milieu  du  deuil! 
c'est  contraire  à  tous  les  rites  !  Un  empereur  peut-il  décemment 
réclamer  des  présents?  Les  cadeaux  s'envoient  pour  des  mérites 
exceptionnels  ;  mais  jamais  à  l'occasion  d'un  enterrement.  Un  grand 
deuil  de  trois  ans  doit  se  porter  complètement  :  ainsi  l'exigent  les 
rites  :  et  cela  chez  l'empereur,  comme  chez  les  plus  hauts  dignitai- 
res. Si  cependant  sa  Majesté  ne  voulait  pas  aller  rigoureusement 
jusqu'au  bout  de  ce  temps,  du  moins  il  ne  fallait  pas  donner  de 
festin  ;  car  c'était  violer  deux  fois  les  rites,  ces  règles  établies  par 
les  anciens  sages,  et  qui  sont  sacrées  et  inviolables  pour  tout  le 
monde.  L'empereur  a  montré  pour  elles  peu  de  respect,  peu  de 
délicatesse.  Les  archives  nous  transmettent  les  règlements  antiques  ; 
exalter  les  archives  et  mépriser  les  rites  est  un  non-sens. 

A  son  tour,  la  Majesté  impériale  recevait  une  verte  leçon  ;  en 
termes  voilés,  c'était  dire:  l'empereur  s'est  conduit  d'une  manière 
absurde;  violer  le  deuil,  demander  des  cadeaux,  quel  funeste  exem- 
ple! Le  bon  Chou-hiang  oubliait  que  sa  Majesté  mourait  de  faim. 
Quoi  qu'il  en  soit,  la  prophétie  doit  évidemment  se  réaliser,  puis- 
qu'elle est  faite  après  coup  par  l'historien.  En  520.  pendant  le 
deuil,  l'empereur  va  rejoindre  ses  illustres  ancêtres  dans  la  tombe; 
et  l'année  suivante,  sa  cour  est  en  grande  révolution. 

En  526,  le  duc  de  Loti  ^-  était  encore  à  la  cour  de  Tsin:  on 
ne  le  laissait  pas  partir:  était-ce  par  excès  d'amitié?  était-ce  pour 
extorquer  plus  de  cadeaux?  en  tout  cas,  l'historien  du  duché  n'en 
est  pas  content,  et  Confucius  passe  le  fait  sous  silence,  comme 
peu  honorable  pour  son  maître. 

A  Ja  '.'>■■'  lune  vers  janvier  .  le  premier  ministre  Han-li'i 
¥t-  ;ty  allait  saluer  le  prince  de  Tclieng  |jj)  :  celui-ci  donna  un  grand 
festin  en  son  honneur,  et  chacun  des  servants  ou  officiers  eut  la 
consigne  de  bien  veiller  aux  rites:  il  arriva  toutefois  que  l'un 
d'eux  prêta  à  rire,  n'ayant  pas  su  où  se  tenir. 


360  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

Mais,  en  revanche,  Han-k'i  lui-même  reçut  sa  leçon  de  l'illus- 
tre Tse-tch'an  ^f-  jf|  :  voici  le  fait  en  quelques  mots  :  Un  fameux 
artiste  avait  ciselé  une  paire  de  bracelets  en  jade,  et  le  travail  en 
était  tout-à-fait  merveilleux  :  l'un  de  ces  bracelets  était  au  bras  de 
Han-k'i;  l'autre  était  chez  un  marchand  de  Tcheng.  Le  premier 
ministre  avait  prié  le  prince  de  lui  procurer  le  bracelet  en  question  ; 
il  y  tenait  absolument. 

Tse-tch'an.  qui  s'y  opposait,  fit  un  discours  de  quatre  pages, 
pour  prouver  qu'on  ne  pouvait  se  procurer  ce  précieux  objet  sans 
mettre  le  pays  en  péril  de  ruine  :  nous  faisons  grâce  au  lecteur  de 
ce  chef-d'œuvre  littéraire  :  comme  le  bracelet,  il  est  d'un  travail 
exquis  :  mais,,  sous  ces  belles  paroles,  qui  sont  censées  renfermer 
la  plus  haute  philosophie,  et  la  plus  fine  politique,  il  n'y  a  qu'un 
lieu-commun  de  sophiste  ;  c'est  creux  et  ridicule. 

Le  plus  merveilleux,  s'il  faut  en  croire  l'historien,  c'est  que 
Han-k'i  fut  converti,  et  renonça  à  son  projet  :  Je  suis  un  homme 
bien  borné,  dit-il  humblement:  j'ai  eu  tort  de  convoiter  ce  brace- 
let: par  cette  demande  stupide.  j'ai  failli  causer  deux  grands  mal- 
heurs, aliéner  le  cœur  des  vassaux,  et  ruiner  l'état  de  Tcheng  qui 
nous  est  si  dévoué. 

A  la  4ème  lune  seulement,  Han-k'i  songea  au  départ  :  les 
ministres  lui  donnèrent  encore  un  festin  d'adieu,  en  dehors  de  la 
capitale  ;  on  y  fit  assaut  de  vertu  et  d'amabilité  ;  le  voyageur  était 
si  content  qu'il  pria  ses  hôtes  de  lui  chanter  quelques  odes  expri- 
mant les  sentiments  de  leur  cœur. 

T<et±ouo  ^  ^f.  fils  de  Tse-p'i  -^  jr£,  entonna  aussitôt  celle- 
ci  :  dans  la  -plaine,  croit  une  plante  rampante,  qui  célèbre  la  ren- 
contre fortuite  d'un  sage.  Han-k'i  fut  ravi  du  compliment  :  oui, 
très-bien,  jeune  seigneur,  dit-il,  mon  désir  est  tout-à-fait  récipro- 
que (1). 

Tse-tch'an  chanta  :  sa  tunique  garnie  (doublée)  de  peau  d'a- 
gneau  paraît  brillante  :  l'ode  célèbre  un  grand  dignitaire,  dont  les 
qualités  sont  en  rapport  avec  son  splendide  costume  (2).  Han-k'i 
répondit  modestement  :  je  n'ose  accepter  un  tel  éloge  pour  mon 
humble  porsonne. 

Tze-t'ai-chou  ~f-  -Jfc  ^  chanta  :  si  uous  are:  des  sentiments 
d'amitié  pour  moi,  je  relèverai  mes  vêlements  jusqu'au  genou; 
l'ode  demande  un  prince  puissant,  qui  rétablisse  l'ordre  (3).  Oui, 
dit  Han-k'i.  tant  que  je  vivrai,  vous  n'aurez  pas  besoin  de  cher- 
cher ailleurs  aide  et  secours  :  s'il  en  était  autrement,  notre  vieille 
amitié  pourrait-elle  subsister  ?  Le  chanteur  se  jeta  à  genoux,  pour 
remercier  d'une  telle  promesse. 

Tse-gou  ^f  jfff.  chanta  :  dans  la  voiture  du  prince,  il  y  a  une 
femme,  qui  ressemble  à  la  fleur  du  ciriez  :  l'ode  célèbre  une  femme 


1      -  Che-king  j^  %§.  (Couvreur,  p.  toi,  "<!<■  20, — p.  91.  ode  o — p.  çô. 

ode  ij   —  p.  çS,  ode  16   —  p.  çj,  ode  g  —  p.  çj,  ode  11   —  p.  423,  ode  7). 


DU    ROYAUME   DE   TSIxW    TCHAÛ-KONG.  361 

distinguée,  et  inclique  la  grande  affection  que  l'on  a   pour   le   pre- 
mier-ministre (1). 

Tse-liou  ^p  $P'chanta  :  leuillcs  flétries,  feuilles  desséchées  : 
ce  sont  les  paroles  des  officiers  sub-alternes,  qui  font  appel  au 
dévouement  de  leurs  supérieurs,  pour  remédier  aux  maux  du 
pays  (2). 

Han-k'i  était  ravi  :  oui  vraiment,  dit-il,  votre  état  est  pros- 
père ;  et  il  va  fleurir  encore  plus  brillamment  ;  vous,  mes  sei- 
gneurs, vous  avez  répondu  au  désir  de  votre  souverain,  eu  me  fai- 
sant cette  fête  :  pour  me  chanter,  vous  n'avez  pas  eu  besoin  d'em- 
prunter ailleurs  vos  hymnes  :  tout  est  de  chez  vous,  et  retrace 
très-bien  les  sentiments  de  vos  cœurs.  Vous  êtes  les  chefs  des 
familles  qui  gouvernent  le  peuple  depuis  longtemps  ;  soyez  sans 
crainte  ;  vous  resterez  encore  à  la  tête  de  votre  pays  pendant  des 
générations. 

Han-k'i  donna  à  chacun  d'eux  de  magnifiques  chevaux  ;  puis 
il  chanta  ainsi  :  f  amène  et  j'offre  une  brebis  et  un  bœuf  ;  le  prin- 
ce du  ciel  descendra,  je  Ve*pèie,  à  la  droite  de  ces  victimes  (3)  ; 
l'ode  exalte  le  ciel,  qui  récompense  les  bons,  et  apaise  les  troubles. 

Tse-tch'an  se  jeta  à  genoux,  et  commanda  aux  autres  minis- 
tres d'en  faire  autant  :  Votre  Excellence,  dit-il,  a  bien  voulu  cal- 
mer les  troubles  de  notre  pays,  n'est-il  pas  juste  que  nous  vous 
rendions  grâces  pour  ce  grand  bienfait  ? 

Han-k'i  fit  encore  à  Tse-tch'an  une  visite  amicale,  pendant 
laquelle  il  lui  offrit  un  jade  précieux  et  de  superbes  chevaux  :  votre 
seigneurie,  lui  dit-il,  m'a  fait  renoncer  au  bracelet  que  je  convoi- 
tais, elle  m'a  sauvé  la  vie  :  je  lui  dois  donc  un  présent  spécial 
pour  un  tel  bienfait. 

Le  lecteur  voit  avec  quelle  complaisance  l'historien  nous  mon- 
tre Tse-tch'an  à  l'œuvre  :  Han-k'i  n'est  plus  ici  le  personnage 
principal,  il  n'a  pour  lui  que  la  puissance  ;  l'autre  a  les  rites,  la 
sagesse,  la  science,  la  politique,  la  vertu  ;  c'est  le  «  lettré  >•  enfin, 
qui  mène  tout  le  monde  et  toutes  choses. 

Vers  le  mois  de  mai,  la  cour  de  Tsin  permettait  enfin  au  duc 
de  Lou  'f§.  de  retourner  dans  son  pa}s  ;  le  seigneur  T.<e  fou-tchao- 
Vè  "?  J3S.  H3  fâ-  son  compagnon,  disait  à  son  premier-ministre 
Ki-p'ing-lse  âp  4-  -p  :  la  maison  régnante  de  Tsin  sera  bientôt 
affaiblie  et  réduite  à  rien  ;  le  souverain  est  jeune,  les  six  ministres 
sont  puissants  et  orgueilleux  ;  en  ce  moment,  ils  sont  les  maîtres  ; 
l'habitude  une  fois  prise,  deviendra  la  règle  ;  comment  la  maison 
régnante  ne  tomberait-elle  pas  ?  Ki-p'ing-tsc  lui  répondit  :  vous 
êtes  encore  trop  jeune  pour  porter  un  jugement  sur  le  gouverne- 
ment d'un  état. 


(1)   (2)   (3)   Che-kin  =$-  ££.  (Couvreur,  p.   lot,  ode  ao  —   p.  01.  ode  6  —  p. 

ço.  ode  7.   jj  —  p,  ç8,  ode  16  —  p.   ç3,  ode  .y —  /<.   oj,  ode   11    -p.  ,.'->_.-.  i 

16 


362  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

A  la  8ème  lune,  au  jour  ki-hai  g  %  (24  juillet),  mourait 
Tchao-kong.  A  la  10-me  lune  (août-septembre)  Ki-p'ing-tse  Ép  2p- 
■^  se  rendait  ù  l'enterrement;  il  eut  alors  l'occasion  d'examiner 
la  cour  de  Tsin  ;  il  fut  étonné  que  le  seigneur  Tse-fou-tchao-pé 
l'eût  si  justement  jugée  :  je  ne  tenais  pas  compte  de  ses  paroles, 
disait-il  ensuite;  mais  je  constate  qu'il  ne  s'est  point  trompé;  la 
famille  Tse-fou  possède  en  lui  un  homme  remarquable  (l). 


(1)    Ce  jeune  seigneur  était  le  fils  du  fin   politique    Tse-fou    Mong-tsicto    ^ 
j£  ;|$  ;  son  nom  ordinaire  était  Hoei  M  ;  Tchao-pé  son  nom  posthume. 


363 
K'ING-KONG    (525-512) 

-H-*-H- 


Le  nouveau  roi,  fils  du  précédent,  se  nommait  K'iu-lsi  -JK 
•$£  ;  son  nom  posthume  ou  historique  signifie  très-appliqué  h  se 
montrer  respectueux  et  circonspect.  (1)  Han-k'i  $l£  |fi  continua 
d'être  son  premier-ministre,  jusqu'en  514. 

A  peine  sur  le  trône,  K'ing-kong  envoya  demander  à  la  cour 
impériale  permission  d'offrir  des  sacrifices  au  ileuve  Lo  fè  et  à  la 
montagne  San-t'ou  3  t£  (2)-  Le  député  était  le  seigneur  Tou- 
hoai  /g-  ,:'jij,  ce  chef-cuisinier  dont  nous  avons  parlé  naguère  ;  on 
avait  remarque  sa  sagesse,  et  on  lui  avait  donné  de  l'avancement  ; 
le  voilà  ambassadeur  à  la  cour  impériale. 

Le  grand  officier  Tchang-hong  j^  ijj_^  dit  au  ministre  Liou-lse 
||lj  ^Ç-  :  ce  monsieur-là  m'a  l'air  bien  décidé  ;  il  ne  semble  guère 
être  venu  pour  une  chose  si  pieuse  que  les  sacrifices  ;  ne  s'agit-il 
pas  plutôt  d'une  expédition  contre  les  Tartares  Lou-hoen  ^  j^f 
(3),  qui  sont  si  bien  avec  le  roi  de  Tclvou  *£  ?  que  votre  Excel- 
lence se  tienne  donc  prête  à  tout  événement  !  Liou-tse  approuva 
ce  conseil,  et  donna  ses  ordres  au  ministre  de  la  guerre. 

A  la  9ème  lune,  en  effet,  au  jour  ting-mao  ~J  J/J]  (15  août), 
le  général  Svm-ou  ^  ^  passait  le  fleuve  Jaune,  au  gué  de  Ki- 
tsing  jjijjî  $t  (4),  et  envoyait  de  suite  un  de  ses  officiers,  offrir  des 
sacrifices  au  fleuve  Lo  fê.  Les  Tartares  de  Lou-hoen  ne  se  dé- 
fiaient de  rien,  puisque  personne  ne  leur  avait  déclaré  la  guerre  ; 
ils  durent  bien  s'en  repentir  !  l'armée  s'avança  rapidement  de  leur 


(1)  Texte  de  l'interprétation  :  §£  VI  €&  tft  B  Sî 

(2)  Le  fleuve  Lo  :  coule  à  25  li  au  sud  de  Ho-ncm  fou  fif  |f]  rf'f,  Ho-nan. 
(Grande,  géogr..  vol.  46.  p.   2.6   —  vol.  48,  p.   ib). 

l.a  montagne  San-t'ou  :  d'autres  disent:  les  trois  montagnes,  est  a  10  li  sud- 
ouest  de  Song  hion  ^  $|,  qui  est  à  160  li  au  sud  de  sa  préfecture  Ho-nan  lou. 
'Petite  géogr.,  vol.   12,  p.  jç)   —  (Grande,  vol.  4S,  p.  46). 

(3)  Lou-hoen  :  était  à  HO  li  au  nord  de  Song-hien  (ci-dessus)  —  (Grande  geogr.. 

Vol   4S,   p.    45)- 

(4)  Le  gué  Ki-tsing  :  est  à  l'est  de  Wei-hoei  fou  fjjf  j®  h]  .  Ho-nan  :  mais 
c'est  trop  loin  du  lieu  de  l'expédition,  et  des  chemins  par  où  était  venue  l'armée; 
les  commentaires  disent  que  c'est  le  gué  Mong-taing  SE  \?.  a  .">  li  au  nord  de  la  ville 
du  même  nom,  qui  est  à  50  li  nord-est  de  sa  préfecture  Ho-nan  fou  Petite  geogr., 
vol.   12,  p.  ss)  —  (Grande,  vol.  4S,  p.  33). 


364  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

coté  ;  au  jour  keng-ou  ^  ^  (18  août),  elle  tomba  soudainement 
sur  la  capitale  ;  c'est  à  peine  si  le  prince  eut  le  temps  de  s'enfuir 
au  pays  de  Tch'ou  £  :  le  peuple  se  dispersa  de  tous  côtés,  puis 
se  reforma  sur  le  territoire  impérial  de  Kan-lou  ■[£  J^  1  Siun- 
ou,  ce  saint  général  que  l'historien  nous  montrait  avec 'tant  de 
satisfaction,  interrogé  sur  cette  singulière  agression,  répondit  tout 
bonnement  que  ces  Tartares  étaient  en  trop  bons  termes  avec  le 
roi  de  Tch'ou. 

L'officier  impérial  ne  s'était  donc  pas  trompé  ;  mais  que  fai- 
sait son  ministre  de  la  guerre,  lui  qui  avait  dû  se  préparer  à  tout 
événement  ?  C  est  bien  simple  :  voyant  le  pillage  commencé,  il 
envoya  son  armée  prendre  sa  part  de  butin  :  et  elle  ne  fut  pas 
petite  ;  ainsi  l'empereur  eut  du  riz  à  manger.  Voilà  où  en  était 
le  «  fils  du  ciel   >  qui  trônait  à  Lo-vang  ! 

Et  l'historien  raconte  cela,  sans  un  mot  de  blâme;  tout  ce 
que  fait  1  empereur  est  bien  fait.  Quant  à  Siun-ou,  il  avait  été 
charge  de  cette  besogne, grâce  à  une  intervention  céleste,  paraît-il  : 
Han-k'i  $£  jg  avait  vu  en  songe  l'ancien  roi  de  Tsin,  le  glorieux 
Wen-hong  £j£,  conduire  ce  général,  et  lui  remettre  le  pays  de 
Lou-hoen  [3£  ?f .  En  conséquence,  les  prisonniers  faits  à  cette  ex- 
pédition furent  présentés  à  ce  grand  roi.  dans  son  temple;  il  y 
eut  probablement  des  sacrifices  humains:  car  le  caractère  chinois 
employé  pour  indiquer  cette  présentation  est  hien  jg£  (offrir)  ;  quand 
il  s  agissait  de  non-chinois,  on  ne  se  montrait  pas  si  difficile. 

En  524,  de  grands  incendies  dévastaient  les  capitales  de  Sonq 
SR,  de  U  ei  $,  de  Tch'en  fâ  et  de  Tcheng  f>.  Juste  au  moment 
ou  cette  dernière  était  en  feu,  une  ambassade  de  Tsin  se  trouvait 
en  dehors  de  la  porte  orientale:  le  fameux  ministre  Tse-tch'an  ^ 
M  a*  lu'  permit  pas  d'entrer  dans  la  ville:  de  plus,  il  fit  sortir 
tous  les  étrangers  qui  étaient  à  l'intérieur,  et  il  organisa  une 
garde  d  hommes  fidèles  pour  veiller  aux  remparts. 

Le  seigneur  Tse-t'ai-chou  ^  ±  £  lui  fit  observer:  la  cour 
de  lsin  ne  sera-t-elle  pas  offensée  de  votre  conduite?  ne  vous  en 
demandera-t-elle  pas  raison?  —  Les  anciens  sages,  répliqua  Tse- 
tch  an,  nous  ont  enseigne  qu'un  petit  état  est  perdu  dès  qu'il 
néglige  de  prendre  les  précautions  nécessaires;  cela  est  encore  plus 
vrai   quand    i]    saLrit  dun   pareil  incendie;  quand  UQ  ^  Q&t       ^ 

a  toute  éventualité,  on  se  garde  bien  de  le  mépriser. 

Quelque  temps  plus  tard,  des  officiers  de  Tsin,  chargés  des 
frontières,  vinrent  en  effet  à  la  cour  de  Tcheng,  demander  des 
explications:  Lors  de  l'incendie,  disaient-ils,  notre  roi  et  nos 
grands   dignitaires   n'eurent  point   de   repos,    tellement  ils  étaient 


1  territoire   <;tait   près  de   In   montagne  Lou-ti-chon  M  Bf  tfj, 

à  50  li  sud-est  de  I-yang  hier  g  ft  g,  qui  cst  à  70  li  nord-ouest  de  sa  préfecture 
Ho-nan  fou.  (Petite  géogr.,  vol.  I3.  p.  j6)  —  {Grande,  vol.  48.  p.  srJ. 


DU    ROYAUME   DK   TSIN.    K'iNG-KONG.  365 

émus  de  pitié  à  votre  égard;  ils  consultèrent  les  sorts,  par  la 
tortue  et  l'achillée;  ijs  coururent  à  toutes  les  montagnes,  offrir  des 
sacrifices;  ils  s'inquiétèrent  peu  des  grands  frais,  coûtés  par  les 
jades  et  les  victimes  ;  car  votre  calamité  était  un  chagrin  doulou- 
reux pour  notre  souverain. 

Vos  ministres  se  sont  montrés  peu  convenables  envers  notre 
ambassade;  ils  avaient  l'air  farouche:  ils  distribuaient  des  armes 
pour  garder  la  ville,  comme  à  l'approche  de  l'ennemi  ;  contre  qui 
sentaient-ils  donc  le  besoin  de  se  défendre?  Nous  avons  été  effrayés 
de  cette  conduite,  et  nous  venons  vous  en  demander  explication. 

Tse-tch'an  leur  répondit  :  vos  seigneuries  viennent  nous  com- 
muniquer le  grand  chagrin  ressenti  par  votre  illustre  roi,  à  cause 
de  notre  malheur;  c'est  le  ciel  qui  punit  les  fautes  de  notre  admi- 
nistration ;  au  moment  de  l'incendie  et  du  tumulte,  je  craignais 
les  brigands  et  les  voleurs  ;  ce  qui  aurait  augmenté  nos  calamités 
et  la  peine  de  votre  illustre  souverain  :  quand  nous  serons  sortis 
d'embarras,  nous  rendrons  facilement  compte  de  notre  conduite, et 
des  précautions  que  nous  avons  prises;  nous  avons  des  voisins,  il 
est  vrai;  mais  nos  espérances  sont  uniquement  en  vous;  étant 
soumis  de  tout  cœur  à  votre  illustre  maître,  comment  songerions- 
nous  à  l'abandonner'? 

En  523,  voici  un  nouvel  incident,  où  Tse-tch'an  sut  encore 
repousser  les  prétentions  de  Tsin  :  La  fille  d'un  grand  dignitaire 
de  ce  pays  était  mariée  à  un  grand  seigneur  de  Tcheng  ^J],  et 
avait  perdu  son  mari:  son  fils  étant  tout  jeune,  on  avait,  à  sa 
place,  établi  un  de  ses  oncles,  comme  chef  de  la  famille.  La  cour 
de  Tsin,  mise  au  courant  de  la  question,  avait  envoyé  une  ambas- 
sade demander  encore  des  explications. 

Tse-tch'an  répondit  :  c'est  une  affaire  privée,  à  laquelle  notre 
prince  ne  s'est  pas  mêlé,  laissant  à  cette  famille  le  soin  de  s'ad- 
ministrer elle-même;  s'il  s'en  était  occupé,  les  gens  ne  l'auraient 
pas  écouté:  la  cour  de  Tsin  a  encore  moins  raison  d'intervenir; 
nous  ne  sommes  pas  réduits  à  l'état  d'une  sous-préfecture,  dépen- 
dante en  tout  de  votre  direction. 

Le  fier  ministre  n'admit  même  pas  les  ambassadeurs  à  une 
audience  de  son  souverain:  il  les  renvoya  comme  ils  étaient  venus  : 
toutefois,  il  jugea  prudent  d'envoyer  lui-même  une  députation. 
pour  expliquer  sa  conduite;  et  il  eut  le  plaisir  de  voir  ses  raisons 
admises  par  la  cour  de  Tsin. 

Si  cet  incident  prouve  que  le  roi  de  Tsin  voulait  être  consulté 
et  obéi,  il  prouve  aussi  que  les  temps  étaient  changés:  sa  faiblesse 
n'était  plus  un  mystère  pour  personne,  et  son  influence  diminuait 
de  plus  en  plus. 

En  522,  à  la  fin  de  l'année, mort  de  ce  fameux  lettre  Tse-tch 
"?  jË  !  on  dit  que  Confucius  pleura  à  cette  nouvelle.    Sur  le  royau- 
me de  Tsin,  il  n'y  a  rien  dans  l'histoire. 


366  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

En  521,  vers  le  mois  d'avril,  le  grand  seigneur  Che-yang  -j; 
^  était  envoyé  à  la  cour  de  Lou  ^  ;  le  commentaire  dit  que  c'é- 
tait pour  annoncer  l'avènement  de  K'ing-kong  ;  or  il  était  sur  le 
trône  depuis  cinq  ans  ;  il  était  bien  temps  d'en  donner  connais- 
sance officielle  ! 

A  cette  époque,  le  premier-ministre  de  Lou  était  Chou-suen- 
tchao-tse  fâ  ffi„  lig  -^  ;  .  son  prédécesseur  voulant  lui  faire  com- 
mettre une  sottise,  suggérait  aux  dignitaires  de  recevoir  l'ambas- 
sadeur, comme  on  avait  reçu  celui    de    Ts'i    ffî ,    nommé    Pno-kouo 

i<&  ffl, en  528- 

Che-yang  furieux  leur  dit  :  sachez  que  la  dignité  de  Pao-kouo 
était  bien  inférieure  à  la  mienne  ;  comme  son  royaume  est  bien 
inférieur  au  nôtre  ;  si  vous  me  faites  cette  injure,  notre  roi  saura 
bien  vous  en  punir.  La  cour  de  Lou  prit  peur  ;  on  avait  d'abord 
offert  à  l'ambassadeur,  seulement  7  bœufs,  7  brebis  et  7  porcs  ; 
on  se  hâta  d'ajouter  quatre  animaux  de  chaque  espèce  ;  ainsi  le 
grand  seigneur  se  trouvait  traité  mieux  qu'un  duc,  à  qui  l'on 
offrait  seulement  neuf  pièces  de  chaque  espèce  (1). 


(1)  En  488,  le  roi  de  Dit  ^  venant  au  duché  de  L-ou  ^,  demandera,  pour 
sa  réception  solennelle,  cent  pièces  de  chacune  de  ces  espèces  de  b'-tail. 

Ces  présents  de  bétail,  qui  rappellent  le  suovetaurigium  des  Romains,  por- 
taient le  nom  de  lao  ^£.  et  étaient  de  deux  sortes  :  le  t'ai-lao  >k  -£  (la  grande 
oll'rande)  consistait  en  un  bœuf,  une  brebis,  et  un  porc;  —  le  Siao-loo  ^  tfZ  (la 
petite  oil'randc)  supprimait  le  bœuf.  Dans  la  pratique,  un  seul  bœuf,  sans  autre 
chose,  avait  fini  par  être  regardé  comme  la  grande  offrande  :  celle  de  l'empereur, 
par  exemple,  à  ses  nobles  visiteurs  :  on  encore  celle  d'un  sacrifice  des  plus  solen- 
nels. 

Quant  aux  visites,  le  li-ki  jjj§  s'Ë  (Couvreur,  ool.  _>.  p.  688)  voulait  que  l'am- 
bassadeur du  plus  haut  prince  n'eût  que  sept  officiers  pour  compagnons:  dans  les 
temps  postérieurs,  l'usage  en  avait  ajouté  deux. 

Donc,  en  principe,  les  princes  féodaux  tchou-heou  §§'  j^èj  se  rendant  à  la 
cour  impériale,  avaient  une  suite  de  sept  officiers,  et  recevaient  sept  t'ai-lao  ;fc  ^  : 
les  grands  dignitaires  [ta-fou  ^h  ^x  n''  pouvaient  amener  que  cinq  officiers,  et  re- 
ce\  aient  cinq  t'ai-lao. 

Dans  le  temps  postérieurs: 

L'n  duc  kong  -5V  eut  une  suite  de  neuf  -rancis  seigneurs,  et  reçut  neuf  t'ai- 
lao,  à  la  cour  impériale. 

I  n  marquis  (hcou  $|)  et  un  comte  (pé  fâ)  eurent  sept  seigneurs,  et  reçurent 
sept  t'ai-lao.  à   la   même   cour. 

in  vicomte  (tse  J")  et  un  baron  (nan  ^)  eurent  cinq  seigneurs  et  reçurent 
cinp  t'air-lao  à  la  susdite  cour. 

Quand  on  offrait  sept  lao.  on  en  cuisait  un  seul  (un  bœuf,  une  brebis,  un 
porc)  ;  on  en  tuait  trois;  les  trois  autres  étaient  présentés  \i\ants,  afin  que  le  visi- 
teur en  disposât  en  toute  liberté. 


DU    ROYAUME   DE    CSIN.    k'iNG-EONG.  367 

Les  commentaires  observent  que  cette  ambassade  est  la  der- 
nière que  le  royaume  de  Tsin  envoya  à  la  cour  de  Loti  :  celle-ci 
avait  été  différée  cinq  ans  ;  plus  tard,  on  pensa  qu'un  état,  comme 
celui-là,  ne  méritait  plus  aucune  considération  ;  alors,  cependant, 
il  avait  l'honneur  et  le  bonheur  de  posséder  Confucius.  Mépriser 
un  pays  où  se  trouve  un  tel  «  saint  »  '.  C'est  pourtant  la  réalité  : 
mais  elle  prouve  aussi  la  décadence  rapide  de  Tsin. 

A  la  llème  iune  (septembre-octobre),  des  troupes  de  Tsin,  de 
Ts'i  ^  et  de  Wei  ||f,  se  rendaient  au  pays  de  Song  %,  pour 
abattre  la  révolution  qui  y  régnait  depuis  le  printemps. 

A  la  fin  de  l'année,  le  duc  de  Lou  ,'g>  se  mettait  en  marche 
pour  aller  saluer  K'ing-kong  ;  mais,  à  peine  arrivé  au  fleuve  Jau- 
ne, on  l'avertit  de  ne  pas  continuer  son  voyage,  vu  que  l'on  avait 
une  guerre  sur  les  bras,  et  qu'on  ne  pouvait  penser  à  des  récep- 
tions princières. 

Le  pays  de  Kou  g£,  soumis  en  527,  venait  de  se  révolter,  et 
de  s'unir  à  celui  de  Sien-yu  $fc  f^L.  On  préparait,  en  effet,  une 
expédition  ;  mais  cela  n'aurait  pas  empêché  de  recevoir  le  duc.  si 
Ton  avait  encore  eu  quelque  estime  pour  lui  ;  si  l'on  avait  eu 
quelque  chose  à  craindre  ou  à  espérer  de  lui. 

Nous  avons  vu  comment  le  «  saint  général  •>  Siun-ou  ^  ^. 
avait  pris  la  ville  de  Kou  ;  son  prince,  fait  prisonnier,  avait  été 
présenté,  comme  un  glorieux  trophée,  au  temple  des  ancêtres  ; 
puis  on  lui  avait  rendu  la  liberté,  à  condition  de  rester  fidèle  vas- 
sal de  Tsin  ;  le  prestige  de  son  vertueux  vainqueur  ne  dura  pas 
longtemps,  comme  sa  révolte  le  prouve. 

En  ô2U,  à  la  6ème  lune  (avril-mai),  le  général  Siun-ou  %j  ^ 
conduisait  rapidement  son  armée  à  Tong-yanrj  $}£  f(>|  :  de  là.  il 
envoyait  des  soldats  déguisés,  entrer  dans  la  ville  de  Kou  g%  : 
ceux-ci  avaient  la  cuirasse  cachée  sous  leurs  vêtements,  et  se  te- 
naient d'abord  tranquillement  assis  à  la  porte  de  Si-yang  -"*£  ^ 
(1),  comme  de  paisibles  marchands  de  riz.  La  ville  de  Kou  fut 
donc  enlevée  par  surprise  :  le  prince  Yuen-ti  ]Èfo  $?§  fut  conduit 
captif  à  la  capitale  de  Tsin.  et  son  territoire  annexé  définitivement 
au  royaume.  Cette  fois,  le  <•  saint  général  •  n'employa  plus  les 
moyens  vertueux,  mais  la  tactique  la  plus  vulgaire.  Le  grand 
officier  Tche-t'ouo  $£•  fâ  fut  chargé  d'administrer  la  nouvelle 
conquête. 


On  faisait  de  même,  proportions  gardée,  grand  on  offrait  cinq  lao  :  un  cuit, 
deux  tués,  deux  vivants. 

Mais  tous  ces  règlements  furent  rarement  exécutés  ù  la  lettre  Couvreur,  ibid, 
vol.  1.  p.  s 43). 

(1)  Tong-yang,  Kou,  Si-yang:  étaient  sur  le  territoire  actuel  de  Tsin-tcheov 
^f  H\,  qui  esi  à  'JO  li  à  l'est  de  sa  prélecture  Tcheng-ting  /'on  JE  /£  H-T ■  Tche-li. 
(Petite  géogr.,  vol.  2.  p.  43)  —  (Grande,  vol.   14.  p.  41  I. 


368  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Cette  année,  à  la  mort  de  l'empereur  King-wang  ^  J£,  il  y 
eut  de  grands  troubles  à  la  cour,  et  le  prince-héritier  dut  s'enfuir. 
Les  généraux  Tsi-tan  ||  ffc  et  Siun-li  3$  JH  conduisant  leurs 
troupes  stationnées  sur  le  territoire  de  Lou-hoen  (^  fj^,  les  uni- 
rent à  celles  de  Tsiao  $L,  HUti  ïg,  Wen  j^  et  Yuen  fâ  ;  puis 
ramenèrent  le  prince-héritier  à  sa  résidence  de  Wang-tck'eng  J£ 
J^  (l).  et  le  placèrent  sur  le  trône. 

Cela  se  passait  à  la  10:'"  lune  (septembre)  :  malheureuse- 
ment, le  nouvel  empereur  mourait  à  la  lune  suivante,  et  les  trou- 
bles recommençaient  de  plus  belle.  K'ing-kong  envoya  encore  une 
fois  ses  troupes  :  Tsi-tan  s'établit  dans  le  camp  fortifié  de  Yng 
f%  :  Siun-li,  dans  celui  de  He ou  jj^  ;  le  général  Kin-sin  ^  ^, 
dans  celui  de  Ki-ts'iuen  ^  ^  ;  enfin,  le  général  Se-ma-toa  u\  £f 
^  dans  celui  de  Che  jfc  (2)  :  les  troupes  impériales  occupaient 
trois  autres  camps  fortifiés. 

A  la  12ème  lune  intercalaire,  K'ing-kong  envoyait  encore  trois 
autres  généraux,  à  savoir  Ki-i  38*  g£,  Lo-tch'eng  gf§  fëfc  et  You- 
hang-kouei  ^  %f  ffg  ;  eeux-ci  passèrent  les  fleuves  F  {p  et  Lo  $£, 
prirent  la  ville  de  Ts'ien-tch'eng  "t%tj  3$  3),  puis  vinrent  se  can- 
tonner au  sud-est  de  la  place. 

Malgré  l'appareil  imposant  de  ces  armées,  les  rebelles  ne  se 
soumettaient  pas  ;  il  fut  nécessaire  de  leur  livrer  bataille.  Leurs 
forces  principales  étaient  concentrées  à  Kiao  xft  ;  les  troupes  réu- 
nies marchèrent  sur  cette  ville  (4). 

En  519,  au  1er  jour  de  la  l"'e  lune  (décembre),  on  établissait 
le  siège  devant  cette  place,  et  devant  celle  de  Siun  tp|J  (5)  ;  au  jour 
hoei-mao  Z£  %  (17  décembre),  elles  étaient  prises  d'assaut  ;  qua- 
tre jours  plus  tard,  les  armées  stationnaient  à  Yng  [^,  et  peu  de 
temps  après  reprenaient  le  chemin  de  Tsin  ;  la  rébellion  était 
écrasée,  la  paix  et  la  sécurité  rendues  au  pays  de  l'empereur  ;  du 
moins,  le  croyait-on. 

(1)  Wang-tch'eng  :  c'était  l'ancienne  ville  de  llo-nun,  un  peu  au  nord-ouest 
de  Ho-nan  fou  ;"T  fô  $F,  Ho-nan.  (Petite  géogr.,  vol.  12.  p.  31)    —   (Grande,   vol. 

48.  p.   10)  ■ 

(2)  Yng:  était  un  peu  à  l'est  de  Mong-tsing  hien  j£  ^  H,  qui  est  à  50  li 
nord-est  de  sa  préfecture  Ho-nan  fou.  (Petite  géogr.,  vol.  12.  p,  sj>  —  (Grande, 
roi.   48,  p.  32). 

Heou  :  ou  Heou-che  f:fé  lr;.  était  à  20  li  au  sud  d?  Ycn-che  hien  f[|  gjp  $£, 
qui  est  à  70  li  de  la  même  préfecture,  à  l'est.  Ki-ts'iuen  est  ianorée.  (Petite  géogr.. 
vol.   12,  p.  34)   —  (Grande  vol.  48,  p.   26). 

(3)  Ts'ien-tch'eng  :  était  à  50  li  sud-ouest  de  Ho-nan  fou.  (Petite  géogr.. 
vol.   12,  p.  31)  —  (Grande  vol.  4S,  p.   12  . 

(4)  Kiao:  était  tout  prés  de  Siun. 

(5)  Siun  :  était  à  58  li  sud-ouest  de  Kong  hien  §j£  JÇ,  qui  est  à  130  li  de  sa 
préfecture  Ho-nan  fou,  à  l'est.  (Petite  géogr.,  roi.  12.  p.  34)  —  (Grande  vol.  4S. 
p.  29). 


DU    ROYAUME    DE   TSIN.    Iv'l.NG-KOXG.  369 

K'ing-kong  venait  de  se  montrer  deux  fois  digDe  de  son  titre 
de  chef  des  vassaux  ;  nous  allons  maintenant  voir  ses  ministres 
se  nover  ridiculement  dans  une  goutte  d'eau  ;  voici  I2  fait  :  Pen- 
dant les  événements  que  nous  venons  de  raconter,  le  prince  de 
Tchou  %]\]  avait  fait  fortifier  sa  ville  de  Y  J|  1  :  ce  travail  ache- 
vé, les  officiers  et  leurs  hommes  s'en  retournaient  tranquillement 
chez  eux,  quand  ils  furent  pris  dans  un  guet-à-pens  par  les  gens 
de  Lou  ^-.      Le  prince  de  Tchou  porta  plainte  à  la  cour  de  Tsin. 

Le  duc  envova  le  grand  seigneur  et  ministre  C hcm-ïven-lch' 0 
~%l  W-  ftfcf  donner  des  explications,  et  arranger  l'affaire  à  l'amiable; 
tout  d'abord,  celui-ci  fut  saisi  et  mis  en  prison,  comme  on  avait 
l'habitude  de  faire  à  l'égard  des  gens  de  Lou:  puis,  on  lui  signifia 
qu'il  serait  amené,  avec  les  officiers  'ta-fou  -)^  :Jx  de  Tchou,  à  la 
barre  des  juges  chargés  d'examiner  sa  cause. 

La  cour  de  Tsin  ne  connaissait  pas  son  homme  :  D'après  les 
antiques  règlements  de  la  dynastie  Tcheou  fë\,  dit-il.  un  ministre 
'King  j$]  des  grands  vassaux  li-kouo  ^i]  ^  est  du  même  rang 
que  les  souverains  des  petits  états  siao-kouo  /j^  [§t]  ':,  de  la  dignité 
de  comtes  pé  fâ  .  vicomtes  tse  -^  ,  et  barons  nan  j^}  :  vous 
voulez  me  ravaler  au  rang  des  grands  officiers  de  ce  prince  sauvage 
(i  3^1)  I  Je  ne  puis  accepter:  tout  ce  que  je  puis  concéder,  c'est  que 
mon  ta-fou.  Tse-fou-tchao-pê  ^p  JjjJ  PS  fj^,  discute  avec  les  gens  de 
Tchou;  à  aucun  prix  je  ne  veux  transgresser  les  règlements. 

Quelle  victoire  déjà,  pour  ce  fier  lettré,  sur  les  ministres  de 
Tsin,  qui  se  montraient  si  ignorants  des  rites;  et  quelle  humilia- 
tion pour  eux  !  leur  honte  fut  si  grande,  qu'on  ne  parla  plus  de 
cette  affaire;  mais  on  garda  l'entêté  en  prison,  allant  de  sottise  en 
sottise;  car  il  ne  céda  pas  d'un  pouce. 

Han-k'i  i*l  4I2  embarrassé  imagina  un  stratagème;  il  conseil- 
la aux  gens  de  Tchou  %$  d'aller,  en  nombre  suffisant,  enlever  le 
prisonnier,  et  de  l'amener  de  force  à  la  barre  des  juges.  A  cette 
nouvelle,  Chou-suen-tclro,  laissant  toute  sa  suite  de  seigneurs  et 
de  soldats,  se  présenta  seul  à  la  cour,  comme  un  homme  résolu  à 
la  mort. 

A  cette  vue,  le  seigneur  Che-king-pè  -j^  ^  fQ  dit  au  premier 
ministre  :  votre  Excellence  n'a  pas  choisi  le  bon  moyen  de  termi- 
ner cette  affaire;  remettre  Chou-suen-tch'o  entre  les  mains  de  ses 
ennemis,  c'est  le  pousser  à  se  donner  la  mort,  plutôt  que  d'être 
déshonoré:  si  cela  arrive,  le  duc  se  jettera  sur  le  pays  de  Tchou, 
pour  se  venger:  il  l'annexera  certainement  à  son  propre  territoire: 
alors,  que  ferez- vous?  vos  regrets  ne  nous  tireront  pas  d'embarras: 
le   prince   de   Tchou  se  réfugiera  ici,   et  nous  restera  sur  les  bras; 


(1)1:  était  un  peu  au  sud  de  l'ancienne  ville  Our-tch'eng  jÇ  t$,  laqur 
à  90  li  sud-ouest  de  Pi  hien  fi  H  :  celle-ci  est  ;'i  *.»0  li  nord-  I  îcture 

I-tch'eou  fou  ;7?  W  ffi,  Chan-tong.     Petite  géogr.,  vol.   10.  p.  30)— 

p.    3g). 

47 


370  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

le  chef  des  vassaux  a  pour  office  de  punir  les  coupables  :  il  ne  peut 
permettre  à  chacun  de  se  faire  justice  soi-même. 

Cet  avit  était  très-juste;  Han-k'i  recula  de  nouveau,  et  retira 
l'ordre  ou  plutôt  le  conseil  qu'il  avait  donné  aux  gens  de  Tc/iou 
'-;!')  :  il  se  contenta  de  séquestrer  en  deux  endroits  différents 
l'ambassadeur  et  son  compagnon  Tse-fou-tchao-pé.  pour  les  empê- 
cher de  se  consulter.  Le  seigneur  Che-king-pé  se  rendit  confiden- 
tiellement auprès  de  chacun  d'eux,  leur  demander  des  explications, 
espérant  les  trouver  en  désaccord  ;  peine  inutile  ;  ni  l'un  ni  l'autre 
n'avoua  le  tort  de  Lou. 

Han-k'i,  de  plus  en  plus  vexé,  commanda  à  Che-king-pé  de 
mettre  l'entêté  et  toute  sa  suite  dans  des  prisons  véritables  et 
séparées.  Ce  seigneur  exécuta  aussitôt  cet  ordre  absurde  :  pour 
réjouir  le  cœur  du  prince  de  Tchou.  et  lui  montrer  le  zèle  de  la 
cour,  il  fit  passer  le  cortège  des  prisonniers  devant  la  porte  de  sa 
résidence.  Bientôt  après,  on  permit  au  prince  lui-même  de  s'en 
retourner  chez  lui,  vu  que  l'affaire  était  suffisamment  éclaircie. 

À  quelque  temps  de  là,  Che-king-pé  voulut  encore  tenter  la 
constance  de  son  prisonnier  :  dans  notre  capitale,  dit-il,  nous  ne 
pouvons  pas  facilement  nous  procurer  le  bois  pour  votre  cuisine, 
et  le  fourrage  pour  vos  chevaux  :  vous  en  souffrez,  et  toute  votre 
suite  avec  vous;  nous  pensons  donc  vous  envoyer  dans  un  endroit 
plus  propice. 

L'ambassadeur  comprit  qu'on  voulait  l'effrayer,  par  la  pers- 
pective d'une  réclusion  perpétuelle:  dès  le  lendemain,  de  grand 
matin,  il  était  sur  pied,  prêt  à  partir  pour  n'importe  quel  séjour 
on  voudrait  bien  lui  assigner.  On  passa  cette  journée  à  examiner 
ce  qu'il  fallait  faire  d'un  tel  individu;  le  lendemain,  on  lui  signifia 
qu'il  serait  interné  à  Ki  ^  (1),  et  son  compagnon  dans  une  autre 
ville;  mais  l'entêté  ne  montra  aucun  souci  à  cette  nouvelle. 

Au  point  où  l'on  se  trouvait  acculé,  le  seigneur  Che-yang  -j^ 
?|jji,  que  nous  connaissons  de  longue  date,  se  présenta  devant  l'am- 
bassadeur, s'offrant  comme  entremetteur  entre  les  deux  partis,  et 
se  faisant  fort  d'arranger  l'affaire  à  l'amiable  :  pour  récompense, 
il  demandait  seulement  un  chapeau.  Le  fin  lettré  berna  joliment 
son  homme  ;  il  lui  fit  demander  la  mesure  de  sa  tête,  et  lui  envoya 
deux  chapeaux,  au  lieu  d'un,  s'excusant  de  n'en  avoir  pas  davan- 
tage ;  comme  on  dut  rire  du  grand  seigneur,  dont  la  cupidité  se 
trouvait  si  adroitement  punie  ! 

Cependant,  le  duc  était  moins  constant  que  son  ambassadeur; 
pour  le  délivrer,  il  avait  député  le  seigneur  Chen-fong  tfi  ^  avec 
de  nombreux  et  riches  cadeaux  à  la  cour  de  Tsin  ;  mais  le  prison- 
nier déjoua  encore  ce  moyen  ;  il  lit  venir  l'envoyé,  comme  pour  se 

(I)    Ki  :  étuit  à  35  li  à  l'es!  de  T"ot-fcow  hien  jz  &  ||,  qui  est  à  120  li  sud-est 

de  sa  prélecture    T'ai-yuen  fou    ^  ffi.  Kî,    Chan-si.    (Petite  f/cogr.,  vol.  S,  p.  4)  — 
(Grande,   vol.   40.  p.    14). 


DU    ROYAUME   DE   TSÎN.    k'tNG-KONG.  :!71 

concerter  avec  lui,  se  lit  remettre  les  précieux  objets,  sans  vouloir 
consentir  à  aucune  distribution. 

L'officier  qui  gardait  la  prison  demandait,  comme  récompense 
de  ses  bons  offices,  le  beau  chien  de  l'ambassadeur  ;  celui-ci  refusa 
de  même  cette  concession  ;  plus  tard,  mis  en  liberté,  il  fit  tuer  ce 
chien,  et  le  fit  porter  à  l'officier,  pour  qu'il  s'en  régalât  tout  son 
saoul  (1). 

Pour  vexer  et  lasser  le  reclus,  on  le  faisait  souvent  changer 
de  prison  ;  mais  lui,  au  départ,  se  montrait  plein  de  joie,  comme 
s'il  s'en  fût  retourné  dans  sa  patrie  ;  arrivé  dans  sa  nouvelle  de- 
meure, il  s'empressait  de  la  faire  bien  réparer,  comme  s'il  fût 
content  d'y  passer  toute  sa  vie. 

Bref,  c'était  une  suite  de  triomphes  remportés  par  le  vertueux 
lettré,  une  suite  de  déboires  et  d'humiliations  pour  les  ministres 
de  Tsin  :  malgré  toutes  les  fourberies  employées,  jamais  on  ne 
put  ébranler,  même  un  instant,  son  imperturbable  constance.  Le 
duc  était  fier  de  son  ministre  ;  il  se  mit  en  chemin,  pour  aller 
lui-même  à  la  cour  de  Tsin  le  délivrer  ;  malheureusement,  il  tomba 
malade  en  route,  au  bord  du  fleuve  Jaune,  et  fut  forcé  de  s'en 
retourner  ;   c'était  vers  août-septembre. 

En  518,  les  ministres  de  Tsin  étaient  contraints  de  s'avouer 
vaincus  ;  mais  quel  moyen  nouveau  inventer  pour  se  délivrer  hon- 
nêtement  de  cet  individu,  auquel  on  ne  pouvait  extorquer  ni  aveux, 
ni  cadeaux,  ni  promesses,  et  qui  ne  demandait  pas  mieux  que  de 
mourir  ?  Le  seigneur  Che-king-pé  se  rendit  encore  une  fois  auprès 
de  lui  ;  celui-ci,  persuadé  qu'on  venait  l'assassiner  en  secret,  réso- 
lut de  se  détendre  jusqu'au  bout,  et  de  vendre  chèrement  sa  vie  ; 
il  dit  à  Leang-ki-king  ^  JilJ^,  son  fidèle  serviteur  :  si  je  regarde 
cà  gauche  en  toussant,  sautez  sur  le  visiteur,  et  tuez-le  ;  si  je  re- 
garde à  droite  en  riant,  restez  tranquille. 

Le  pauvre  prisonnier  était  dans  une  grande  erreur  ;  Che-king- 
pé  venait  lui  rendre  la  liberté,  et  lui  offrir  des  présents,  de  la  part 
du  roi  :  notre  prince,  lui  dit-il  humblement,  vous  envoie  quelques 
petits  cadeaux,  indignes  d'un  homme  tel  que  vous  ;  c'est  pour  les 
distribuer  aux  gens  de  votre  suite  ;  vous  avez  été  retenu  si  long- 
temps prisonnier,  pareequ'il  n'y  avait  pas  moyen  de  faire  autre- 
ment ;  notre  souverain,  étant  le  chef  des  vassaux,  devait  cette 
satisfaction  à  l'opinion  publique,  à  cause  de  votre  manière  d'agir 
envers  l'état  de  Tchou  ;  vous  êtes  homme  à  comprendre  les  com- 
plications de  la  politique  ;   ainsi,  recevez  mes  excuses. 

(1)   La  viande  do  chien  était  autrefois  et  es1  encore  maintenant,  dans  beaucoup 
d'endroits  en  Chine,  un  régal  très-honnête.   Par  le  li-lù  $1  fE,  nous  la    voyons   dans 
les  sacrifices  ;  on  en  faisait  un  bouillon  offert  aux  mânes  des  ancêtres,    et   les 
tants  le  dégustaient  avec  plaisir:  cette  viande,  avec  du  gros  millet,    était  un    régal, 
(Couvreur,  vol.  z,  p.   ioi). 


372  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

Chou-suen-tch'o  se  montra  satisfait  :  il  distribua  les  cadeaux, 
et  partit  pour  son  pays  :  à  la  2-me  lune,  il  rentrait  à  la  capitale, 
où  il  fut  reçu  en  triomphe  ;  son  retour  fut  consigné  clans  les  an- 
nales, comme  un  événement  de  haute  importance. 

Le  lecteur  n'est  pas  obligé  de  faire  un  acte  de  foi,  devant  tous 
les  détails  rapportés  si  amoureusement  par  le  lettré-historien,  qui 
veut  glorifier  son  illustre  ancêtre  en  littérature  ;  ce  qui  est  évident. 
c"est  la  sottise  de  la  cour  de  Tsin  :  pour  avoir  voulu,  de  parti  pris, 
humilier  le  duc  de  Lou.  elle  devint  elle-même  la  risée  de  tout  le 
monde. 

A  la  3ème  lune,  au  jour  keng-siu  j||  r-£  23  février  .  Che-kïng- 
pé  était  envoyé  à  la  cour  impériale,  examiner  les  prétentions  des 
deux  compétiteurs,  qui  se  disputaient  le  trône. 

Ce  seigneur  s'établit  à  la  porte  nord  de  la  capitale  (1),  pour 
interroger  toutes  sortes  de  gens  sur  ce  litige  ;  puis,  au  nom  de 
son  souverain,  il  rejeta  les  prétentions  de  Tse-tchao  -^  j|fl,  comme 
illégitimes,  et  n'admit  plus  les  députés  de  ce  prince  à  ses  audien- 
ces. Malgré  cette  décision,  les  troubles  ne  furent  pas  apaisés  :  il 
était  nécessaire  d'employer  la  force  armée  pour  abattre  l'usurpateur. 

Vers  le  mois  d'avril,  le  prince  de  Tclieng  ftp  se  rendait  à  la 
cour  de  Tsin  :  son  compagnon  et  premier  ministre.  Tse-i'ai-chou 
~f"  >lv  $>•  cut  uue  entrevue  avec  le  ministre  Che-yang  -j^  ^ 
(l'homme  aux  deux  chapeaux  :  celui-ci  lui  demanda  ce  qu'il  pen- 
sait des  troubles  de  la  cour  impériale.  Le  prudent  compagnon 
répondit:  moi,  pauvre  vieux,  je  suis  incapable  de  soigner  comme 
il  faut  mon  propre  pays  :  comment  pourrais-je  encore  m'occuper 
des  affaires  de  la  cour  impériale  ? 

Seulement,  il  y  a  un  proverbe  qui  dit:  «une  veuve  n'a  pas 
peur  que  la  trame  de  ton  fil  se  rompe;  mais  elle  se  chagrine  que  la 
cour  impériale  chancelé  et  menace  ruine  ;  die  tremble  que  sa  chute 
ne  l'atteigne   aussi   elle-  .     Actuellement,    la   cour   impériale 

est  ébranlée  ;  notre  petit  état  en  est  effrayé  :  il  craint  des  malheurs; 
mais  le  soin  d'apaiseï  ces  troubles  incombe  à  votre  illustre  souve- 
rain :  comment  pourrions-nous  nous  en  occuper? 

2  Vous  connaissez  la  parole  du  livre  des  Vers  :  si  la  bouteille 
est  vide,  c'est  une  honte  pour  l'amphore,  qui  ne  lui  fournit  pa-< 
de  oin;  si  les  parents  sont  dans  l'abandon,  c'est  une  honte  pour 
les  enfants;  ces  troubles  de  la  cour  impériale  tourneront  au  dés- 
honneur de  votre  royaume. 

Che-yang  fut  frappé  de  cette  réponse:  il  s'empressa  de  la 
communiquer  au  premier   ministre;    Han-k'i    lut   aussi    ému   que 


(1)  L'ancienne  capitale  impériale  était  un  peu  au  rïord-ouest  de  Ho-ruxn  fou 
fnj  f?j  fl-F,  llo-nan  ;  elle  avait  douze  portes;  celle  du  nord,  dont  il  s'agit  ici,  s'appelait 
Kofi  ts'i  ij£  *g.  /Grande  géogr.,  vol.  4S.  p.  4). 

(2)  Chc-king  |$  $J.  (Couvreur,  p.  262,  ode  S,  n°  s). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    k']NG-KONG.  \'~,'.\ 

son  collègue  ;  mais  que  faire?  on  avait  échoue  déjà  trois  fois!  la 
conclusion  de  l'entretien  fut  que  l'on  convoquerait  une  réunion 
des  vassaux. 

En  517.  vers  avril-mai,  cette  assemblée  avait  lieu  à  Hoang- 
fou  ^  5C  (1),  sous  la  présidence  du  ministre  Tchao-yang  |fr  |^  : 
aucun  prince  ne  s'y  présenta  ;  il  y  eut  seulement  dix  ambassadeurs; 
après  bien  des  délibérations,  le  président  proposa  d'envoyer  des 
vivres  à  l'empereur,  qui  avait  dû  quitter  la  capitale:  on  enverrait 
en  même  temps  quelques  troupes,  pour  sa  garde  personnelle,  en 
attendant  qu'on  eût  prépare  une  expédition  pour  l'année  suivante. 
C'est-à-dire,  on  ne  voulait  rien  faire,  et  l'on  avait  honte  de 
l'avouer  :  on  prenait  le  facile  système  de  temporise!'. 

Dans  une  entrevue  avec  Tse-l'ai-chou  ^  -fc  >}?£,  le  président 
lui  demanda  des  renseignements  et  des  explications  sur  les  "rites»; 
comme,  par  exemple,  quand  on  salue  quelqu'un,  quand  on  lui  cède 
la  préséance,  et  autres  usages  semblables,  dans  les  relations  sociales. 

Le  grand  lettré  fut  stupéfait  de  cette  question  naïve:  Mais, 
dit-il,  ce  sont  là  des  observances  de  civilité,  de  politesse,  de  bonne 
éducation,  voilà  tout  !  les  rites  sont  des  règles  immuables,  fondées 
sur  les  lois  éternelles  du  ciel,  sur  le  cours  régulier  des  astres,  de 
la  terre,  des  saisons,  sur  les  usages  des  hommes. 

Suit  un  long  développement,  répétant  les  lieux-communs  en 
vogue  parmi  les  lettrés  ;  nous  en  faisons  grâce  au  lecteur  :  il  en  a 
déjà  dégusté  assez  de  semblables  ;  même  en  chinois,  le  morceau 
est  ennuyeux,  malgré  l'art  des  antithèses  manié  si  habilement 
par  le  styliste. 

Revenons  à  notre  assemblée;  on  n'y  avait  presque  rien  décré- 
té ;  l'ambassadeur  de  Song  5^  trouva  que  c'était  encore  trop:  notre 
cour,  dit-il,  ne  peut  fournir  des  vivres  ;  car  notre  priucc,  étant  un 
descendant  de  la  dynastie  Chang  ]gj,  n'est  pas  le  parent,  mais 
seulement  l'hôte  de  la  maison  impériale  Tcheou  |§)  ;  or  les  hôtes 
ne  contribuent  pas  à  la  nourriture  de  celui  qui  les  héberge.  C'était 
dire  en  langage  voilé  :  la  famille  Tcheou  a  supplanté  notre  dynas- 
tie ;  à  son  tour,  elle  s'effondre  ;  tant  mieux  donc  ! 

Le  seigneur  Che-king-pé  j;  -jp;  {£  de  Tsin  répliqua  victorieu- 
sement :  votre  roi  n'a-t-il  pas,  avec  tous  les  autres  vassaux,  juré 
solennellement  toutes  les  conventions  communes,  depuis  celle  de 
Tsien-Vou  jg|  i  (632)  jusqu'à  celle  de  notre  dernière  assemblée? 
N'y  est-il  pas  stipulé  que  tous  les  princes  féodaux  auront  à  cœur 
d'aider  et  secourir  la  maison  impériale?  comment  pourriez-vous 
donc  vous  soustraire  à  cette  obligation  sacrée?  Vous  êtes  ici.  au 
nom  de  votre  souverain,  pour  coopérer  au  bien  public:  je  ne  vois 
pas  comment  vous  pourriez  vous  dérober  au  devoir  commun. 

(1)  Hoang  fou:  appelée  plus  tard  Ou-ting  &  p$i  était  à  50  li  nord-oucsl  de 
Ts'in-chouei  hien  ;-t  ^C  f£,  qui  est  à  120  li  à  l'ouest  de  sa  préfecture  P'ou-tcheou 
fou  "$f  H\  ffi,  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  S.  p.  2S)  —  ^Grande,  vol.  43,  p 


37  4  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

L'ambassadeur  de  Song  resta  bouche  close;  il  reçut  la  feuille 
sur  laquelle  étaient  inscrites  les  contributions  à  fournir  par  son 
état,  et  s'en  retourna  chez  lui.  Che-king-pé,  qui  venait  de  le  con- 
fondre si  bien,  lui  prédit  encore  sa  fin  prochaine,  pour  avoir 
oublié  les  conventions  et  les  traités;  hélas!  chacun  en  faisait 
autant,  et  le  royaume  de  Tsin  tout  le  premier  ;  chaque  cour  savait 
bien  ce  qu'on  lui  devait  ;  elle  oubliait  trop  souvent  ce  qu'elle  devait 
aux  autres  et  au  bien  public. 

En  516.  les  deux  compétiteurs  du  tronc  impérial  continuant 
à  se  faire  une  guerre  acharnée,  K'ing-kong  recevait  supplique  sur 
supplique  de  son  protégé  en  détresse  ;  il  envoya  enfin  les  généraux 
Siun-li  ^j  jjr$|  et  Tchao-yang  £fj  3|Jt  avec  une  armée  suffisante  ;  le 
grand  officier  Jou-koan  -/%  ]|f  fut  chargé  d'occuper  les  défilés  K'iué- 
sai  |^  ,§§  1),  au  sud-ouest  de  la  capitale  impériale;  sans  doute, 
pour  couper  la  route  aux  renforts  qui  venaient  aux  rebelles  par  ce 
côté;  c'était  vers  la  8  ""   lune    juin-juillet  . 

A  la  llème  lune;  au  jour  Sin-iou  t^  jSj  21  octobre),  l'armée 
de  Tsin,  jointe  à  celle  de  son  protégé,  reprenait  la  ville  de  kong 
jjp:  (2);  quelques  jours  plus  tard,  elle  conduisait  le  nouvel  empe- 
reur en  triomphe,  dans  sa  capitale;  lui  laissait  quelques  troupes, 
sous  les  ordres  du  grand  officier  P'an  $%,  pour  assurer  la  tran- 
quillité: puis  reprenait  le  chemin  de  Tsin.  Quant  au  compétiteur 
Tse-tchao  ^f-  îjBj,  il  s'enfuit  au  royaume  de  Tch'ou  3§|,  avec  lcs 
chefs  de  son  parti;  après  bien  des  entreprises,  il  fut  enfin  mis  à 
mort  en  505  (c'est-à-dire  assassiné). 

En  515,  Ou-ki-tse  }£.  âp  ^,  le  "grand  saint»  du  royaume  de 
Ou  §^.  venait  à  la  cour  de  Tsin,  pour  s'y  instruire  sur  les  mœurs 
et  les  usages  des  états  chinois;  K'ing-kong  dut  être  bien  flatté, 
vu  la  grande  sagesse  du  prince  visiteur. 

Vers  le  mois  de  juin,  le  ministre  Che-yang  -j^  j$&  présidait. 
à  Ou  J§  (3).  une  réunion  de  cinq  ambassadeurs;  c'était  une  as- 
semblée semi-officielle  semi-privée;  on  y  délibéra  encore  sur  les 
moyens  de  soutenir  l'empereur,  mal  assuré  sur  son  trône  ;  on  y 
traita  la  question  du  duc  de  Lou  -^.,  mis  en  fuite  par  les  trois 
familles  seigneuriales  les  plus  puissantes  ;  il  eût  été  facile  de  le 
ramener  chez   lui  ;    mais  Che-yang  lui-même  avait,  en  secret,  reçu 

(1)  La  montagne  K'iué-sai-chan,  est  à  30  li  sud-ouest  de  Ho-nan  fou  Jnf  f?) 
IjÇf,  Ho-nan  ;  elle  ;i  reçu  encore  plusieurs  noms:  entre  autres,  celui  de  Ibng-men  i"(? 
|,,:j  (porte  du  dragon).  (Petite  géoyr.,  vol.   12.  p.  32)  —  (Grande  vol.  48,  p.  14). 

(2)  Kong  :  (voir  à  l'année  Ô27),  était  à  30  li  sud-ouest  de  Kong  hien  yc  S£ . 
qui  esl  à  130  li  à  l'est  de  sa  préfecture  Ho-nan  Fou.  (Petite  géogr.,  vol.  12,  p.  34). 

I)  Ou:  dont  il  ne  reste  plus  qu'un  Kiosque,  comme  souvenir,  était  un  peu 
au  nord-ouest  de  Yuen-ou  hien  IW.  j^  Sf.  qui  est  à  180  li  à  l'est  de  sa  préfecture 
Hoai-k'ing    f'oxi    tS  ^  ^f  ■   Ho-nan.  (Petite  géogr..  vol.   12,  p.   2ç)  —  (Grande,  vol. 

■<:■  p.  *i)> 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.     K'iNG-KONG.  375 

de  riches  cadeaux  de  l'ancien  premier  ministre,  Ki-p'ing-tse  ^ 
^  ^f-,  l'un  des  antagonistes  du  duc;  ainsi  l'assemblée  perdit  son 
temps  en  délibérations  stériles. 

A  la  L2ème  lune  (octobre-novembre),  le  seigneur  Tsi-t&'in  ffij- 
|f§,  fils  de  ce  Tsi-tan  ff-  fj^  autrefois  semonce  par  le  précédent 
empereur,  conduisait  encore  une  fois  une  armée,  pour  garder  la 
capitale  impériale:  les  divers  princes  féodaux  avaient  fourni  leur 
contingent,  excepté  celui  de  Lou  ||.,  alors  réfugié  à  la  cour  de 
Ts'i  ^.  Confucius,  alors  dans  la  force  de  l'âge,  s'était  aussi  retiré 
dans  le  même  pays;  comme  les  autres,  il  s'orientait  d'après  lè- 
vent, et  personne  ne  s'occupait  beaucoup  de  lui,  ni  de  sa  doctrine; 
les  lettrés  postérieurs  ont  complètement  oublié  ces  détails. 

En  514,  au  début  de  l'année  novembre  ,  le  pauvre  duc,  re- 
buté des  humiliations  subies  à  la  cour  de  Ts'i  ^'.  se  tourna  vers 
celle  deTsin,  qui  lui  était  cependant  si  inhospitalière:  il  se  rendit 
à  Kan-heou  Jp£  (3|  1  ,  et.  de  là  envoya  une  supplique  à  K'ing- 
kong, demandant  permission  d'aller  à  la  cour  exposer  ses  malheurs. 
Son  compagnon,  le  sage  Tse-kia-tse  -f"  fOL  -£ ,  lui  conseillait  de 
ne  pas  entrer  sur  le  territoire  de  Tsin,  mais  de  se  tenir  en  dehors 
de  la  frontière,  et  d'y  attendre  la  réponse  du  roi:  quiconque  envoie 
une  supplique,  disait-il,  doit  faire  anti-chambre  avec  humilité:  il 
ne  doit  pas  se  mettre  à  son  aise  dans  un  bon  endroit:  autrement, 
personne  ne  voudra  le  secourir.  Le  duc  ne  sut  pas  comprendre  cet 
avis  si  sensé;  il  en  fut  bien  puni. 

K'ing-kong  lui  fit  répondre  durement  :  le  ciel  afflige  le  duché 
de  Lou  par  de  grandes  calamités  :  votre  illustre  seigneurie,  chas- 
sée de  son  pays,  n'a  pas  senti  le  besoin  de  m'en  avertir  :  elle  s'est 
adressée  à  son  oncle  maternel,  le  roi  de  Ts'i  ^  :  elle  lui  a  de- 
mandé secours  :    qu'elle  veuille  donc  bien  recourir  encore  à  lui. 

K'ing-kong  ordonnait  au  malheureux  exilé  de  sortir  de  Kan- 
heou,  et  d'attendre  qu'on  ait  statué  sur  son  affaire.  La  leçon  était 
forte,  mais  méritée,  dit  le  commentaire,  puisque  le  prince  avait 
méprisé  le  conseil  d'un  sage  compagnon. 

Xous  sommes  arrivés  à  une  époque  ou  le  désordre  va  s'accen- 
tuer de  plus  en  plus,  dans  le  royaume  de  Tsin  :  voici  l'état  des 
choses  :  Dans  la  grande  famille  K'i  f[),  branche  latérale  de  la 
maison  régnante,  il  y  avait  un  scandale  assez  curieux  :  les  deux 
seigneurs  Chenrj  ftfè-  et  Ou-tsang  j^|J  #j$  avaient  échange  leur  femme 
entre  eux.  K'i-yng  %\\  M'  Ie  cnef  de  la  famille  voulait  tout  d'a- 
bord saisir  les  deux  coupables  ;  cependant,  il  demanda  conseil  au 
ministre  de  la  guerre.  Chou-you  -£{  $f.  fils  de  Jou-ts'i  l£  ^ 
connu  de  nous  depuis  longtemps. 


(1)   Kan-heou:  était  à  13  li  sud-esl  de  Teheng-ngan  hien  J#  3c  f£,   qui   est   à 
60  li  nu   sud  do   >.i    préfecture    Koang-p'ing  fou   K  l1  ^      rche-li.    (Petite  g 
vol.   3,  p    4ç)  —  (Grande,  vol.  13.  p.   23). 


376  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

Ce  grand  dignitaire  lui  répondit  :  un  ancien  livre,  du  nom 
de  Tcheng  fl[$.  a  cette  sentence:  «nombreux  sont  les  compères  qui 
détestent  la  vérité  et  la  justice»  ;  nous  vivons  dans  un  siècle  bien 
pervers  ;  que  votre  seigneurie  prenne  donc  garde  à  ne  pas  s'attirer 
malheur.  Le  livre  des  Vers  nous  dit  :  les  hommes  ont  beaucoup 
de  vices;  n'allez  pas  vous  compromettre,  ni  donner  raison  de  vou< 
saisir  (1)  ;  ne  serait-il  pas  plus  sage  de  laisser  cette  affaire,  sans 
vous  en  occuper  ? 

K'i-yng  répliqua  :  c'est  une  affaire  privée,  qui  ne  regarde  que 
ma  famille  :  je  veux  punir  les  coupables,  comme  j'en  ai  l'autorité: 
la  cour  n"a  rien  à  y  voir.  De  fait,  il  fit  saisir  les  deux  seigneurs: 
mais  K'i-cheng  envoya  de  riches  cadeaux  au  ministre  Siun-li  ^j 
H|.  pour  demander  son  secours  ;  celui-ci  parla  au  roi.  et  présenta 
cette  arrestation  comme  arbitraire  et  illégale  :  K'i-yng  fut  à  son 
tour  mis  en  prison    2). 

Un  des  officiers  de  sa  maison  s"écria  alors  :  tous  trois  vont 
certainement  être  mis  à  mort  :  je  veux  du  moins  que  mon  maître 
ait  la  consolation  de  voir  les  deux  autres  punis  avant  lui  !  Là- 
dessus,  il  alla  tuer  les  deux  seigneurs. 

A  la  6ème  lune  vers  avril  .  K'ing-kong  croyant  le  meurtre 
commandé  par  K'i-yng,  le  fit  mettre  à  mort,  avec  Yang-che-ngou 
j§ï  j£  3%  son  conseiller,  fils  de  l'illustre  Chou-hiang  jj'jj  (ff\  :  l'in- 
cident prit  des  proportions  incroyables  ;  ce  fut  une  lutte  acharnée 
entre  les  grandes  familles  seigneuriales  du  royaume  :  celles  de 
K'i  ijj|)  et  de  Yang-ché  ^  -f£  furent  exterminées. 

Naturellement,  il  y  avait  eu  des  prophéties,  annonçant  ces 
tragiques  événements  :  quant  à  la  famille  Yang-ché,  voici  ce  qu'en 
rapporte  l'historien  :  Autrefois,  Chou-hiang  avait  pensé  prendre, 
pour  épouse,  une  fille  de  la  fameuse  Hia-ki  J|  ?;[Ç ,  cette  femme  si 
célèbre  par  sa  beauté,  plus  encore  par  son  inconduite,  et  qui  eut 
pour  mari  le  grand  seigneur  de  Tch'ou  ^XJhen-kong-ou-tchen  ^3 
^  3?  Ê2-  ^a  rnère  de  Chou-hiang  le  détournait  de  ce  mariage, 
et  lui  conseillait  de  prendre  plutôt  une  jeune  personne  de  sa  famille 
maternelle  ;  à  quoi  le  jeune  sage  répliqua  :  j'ai  eu  bien  des  mères, 
mais  peu  de  frères  'un  aîné  et  deux  cadets"  ;  ainsi  je  n'aime  pas 
du  tout  votre  famille  (3). 

(1)   Che-king  i$  !§.  (Couvreur,  p.  J7s-  ode  io,  ?i°  6). 

{2)  Le  chef  de  famille,  en  Chine,  a  en  elfet  une  grande  autorité,  parcequ'il 
est  responsable  des  individus  qui  la  composent  :  de  nos  jours  encore,  il  n'est  pas 
rare  de  le  voir  tuer  l'un  d'eux,  comme  voleur  incorrigible  ;  à  tout  le  moins,  le  mu- 
tiler, en  lui  crevant  les  yeux,  ou  en  lui  coupant  les  jarrets,  etc.  Le  mandarin  ne 
dit  rien,  si  personne  ne  porte  plainte. 

(3)  Les  enfants,  par  respect  pour  leur  père,  donnent  le  nom  do  mère  à  tou- 
tes  ses  femmes,  même  aux  concubine-  La  mère  de  Chou-hiang  est  célèbre  aussi, 
pour  sa  sagesse  et  sa  vertu. 


DU  ROYAUME  DE  TSIN.    k'iNG-KONG.  377 

La  mère  lui  fit  alors  un  discours  célèbre  ;  le  voici  :  La  prin- 
cesse Hia-ki  a  causé  la  mort  à  trois  de  ses  maris,  puis  à  son  fils 
Hia-tchen-chou  J[  %  gf-,  puis  à  Ling-kong  f|  fe  '613-699)  sou- 
verain de  Tch'en  Pj|f  :  elle  a  perdu  cet  état  et  deux  ministres  (King 
^1);  ne  faut-il  pas  craindre  cette  femme  et  sa  descendance?  Les 
anciens  disaient  que  l'extrême  beauté  est  (souvent?  jointe  à  l'ex- 
trême méchanceté. 

Cette  princesse  Hia-ki  eut  pour  mère  Yao-tse  $fc  ^ ,  concu- 
bine de  Mou-kong  ^|  7fe  (627-606)  souverain  de  Tcheng  f$;  son 
frère  Tse-mou  ^  f$,  mort  jeune  encore,  n'eut  pas  de  postérité  ; 
c'est  pourquoi  le  ciel  accumula  sur  cette  personne  tous  les  trésors 
de  beauté  ;  on  pouvait  dès  lors  prévoir  qu'elle  deviendrait  la  cause 
de  grands  malheurs,  en  se  rappelant  ce  qui  s'était   passé  ailleurs. 

Dans  les  anciens  temps,  le  prince  de  Jen  tyj  eut  une  fille 
dont  la  chevelure,  d'un  noir  d'ébène,  était  brillante  comme  un 
miroir;  on  appela  cette  jeune  personne  Hiuen-tsi  ~3f  ^j|,  la  prin- 
cesse aux  cheveux  noirs  ;  mariée  au  grand  seigneur  Kouei  ïiffe, 
directeur  de  musique  de  l'empereur  Choen  ^?,  elle  eut  un  fils 
nommé  Pé-fong  fâ  ^j\  une  vraie  brute  ;  voluptueux,  cupide,  que- 
relleur, tyrannique,  au  delà  de  toute  expression  ;  il  finit  par  être 
surnommé  Fong-cho  ^  ^  Fong-le-cochon.  C'est  /  ^fl,  prince  de 
Kiong  ^  (1),  qui  extermina  cet  animal:  et  le  vertueux  seigneur 
Kouei  n'eut  ni  descendance  ni  sacrifices. 

De  nos  trois  grandes  dynasties,  celle  de  Hia  JÇ  fut  ruinée 
par  la  fameuse  Mei-hi  ^  J§i,  celle  de  Yng  Jj£,  Par  1&  fameuse 
Tan-ki  jf[[  $Ç  ;  celle  de  Tcheou  ^J,  par  la  fameuse  Pao-se  ]g?  #£|. 
Chez  nous,  le  prince  Chen-chen  ^  ^  de  si  grande  espérance,  a 
été  victime  de  la  fameuse  Li-ki  f-jËf  §pî>. 

Connaissant  ces  faits  historiques,  pourquoi  donc,  mon  fils, 
vouloir  vous  attirer  semblable  malheur?  plus  une  femme  est  belle, 
plus  elle  séduira  l'homme,  et  l'entraînera  hors  du  droit  chemin  ; 
sans  un  grand  et  solide  fond  de  vertu,  vous  ne  ferez  qu'attirer  sur 
vous  et  votre  famille  de  terribles  calamités. 

Effrayé  par  ces  graves  paroles,  Chou-hiang  avait  renoncé  à 
son  projet;  mais  plus  tard  P'ing-kong  l'obligea  à  y  donner  suite; 
de  cette  princesse,  il  eut  un  fils,  Yang-che-ngou  $?.  fr  ^,  qui 
vient  de  périr,  et  de  causer  l'extermination  de  la  famille:  il  s'ap- 
pela aussi  Pè-che  fQ  Ç. 

(1)  Jen  :  dont  la  prononciation  ressemble  bien  à  Jen  Q'j.  avait  sa  capitale  à 
Jen-tcheng  ff;  i'  .  qui  forme  actuellement  la  préfecture  Ts'i-ning  tcheou  $f  j£  -'H , 
Chan-tong.   (Petite  géoejr..  vol.   10,  p.  38)  —  (Grande,  vol.  33,  jj.   2). 

Kiong:    Les  commentaires  de  L'édition  impériale  placent   cette    principauté   au 
sud  de  Ycn-chc  hien  fi|  fà$  $£.  qui  est  à  70  li  à    l'es!   de    -.1    préfecture  Ho-nan  fou 
Pi  &  #F-  Ho-nan.    —  La   grande   géogr.,    vol.    21,    p.    33,    la    place   nu    bord   de   la 
rivière  Kiong  Jjf .  appelée  aussi  Fong  ^,  qui  se  jette  dans  le  neuve  Kocm  \1f . 
de   Yng-tcheou  fort  $i  M\  fff,  \tian-hoei. 

1- 


378  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Voici  encore  ce  qu'on  raconte  à  son  sujet  :  Quand  le  petit 
Pé-che  vint  au  monde,  sa  tante  (la  femme  du  frère-ainé  de  Chou- 
hiang)  courut  avertir  la  grand'mère  ;  celle-ci  alla  de  suite  pour  le 
voir;  arrivée  dans  la  cour,  elle  entendit  les  vagissements  du  nou- 
veau-né :  ce  sont  les  cris  d'un  loup  !  dit-elle  ;  un  loup  a  le  cœur 
farouche  ;  c'est  lui  qui  ruinera  certainement  notre  maison  !  Et  elle 
s'en  retourna  sans  avoir  vu  l'enfant. 

Reprenons  la  suite  des  événements  :  Vers  le  mois  de  mai  de 
cette  même  année  514,  mourait  le  premier  ministre  Han-k'i  %%. 
tJ£  (1);  son  successeur,  Wei-chou  f$|  $f-,  petit-fils  de  Wei-kiang 
fît  $^,  à  peine  au  pouvoir,  divisait  les  biens  des  deux  familles 
anéanties  ;  ceux  de  la  maison  K'i  f\\l  formèrent  sept  districts:  ceux 
de  la  maison  Yang-ché  i£.  ^,  trois  ;  tous  furent  confiés  à  de  grands 
officiers,  qui  en  furent  les  gouverneurs,  pour  le  compte  du  roi. 

Se-ma  Mi-meou  jî\  ||  i^jf  ?£.  fut  établi  à  Ou  J|3  —  Kia-sinjf[ 
^  à  K'i  ffl  — Se-ma  Ou  p\  Jg§  J§  à  P'ing-ling  zjk  §g  (2). 

Wei-meou  |$|  ;3ç,  fils  du  premier  ministre,  mais  né  d'une 
concubine,  fut  placé  à  Kenq-yang  ||j  ^  (3)  —  Tche-siu-ou  j$fâ 


(1)  Le  tombeau  de  Han-k'i  :  est  à  15  H  nord-est  de  Siang-yuen  hien  §§  i@ 
g|,  qui  est  à  90  li  au  nord  de  sa  préfecture  Lou-ngan  fou  $?  3c  Jft ■  Chan-si. 
(Annales  du  Chan-si.  vol.  jô.  p.   27). 

(2)  Ou:  était  à  27  li  nord-est  de  Kiai-siou  hien  -fr  fc  %£,  qui  est  à  70  li  sud- 
est  de  sa  préfecture  Fen-tcheou  fou  fft  <)+)  tf.f,  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  S, 
p.   16)  —  (Grande,  vol.  42,  p.   7). 

K'i;  c'est  A"'i  hien  %\',  §£.  à  150  li  au  sud  de  sa  préfecture  T'ai-yuen  fou  ^ 
/^  ^F,  Chan-si.  (Petite  géogr..  vol.  S.  p.   4)   —     Grande,  vol.  40.  p.   15). 

P'ing-ling:  appelée  plus  tard  Ta-ling  j\  |^|.  était  à  21  li  nord-est  de  Wen- 
chouei  hien  yr  ;flç.  g|  ,  qui  est  à  160  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  T'ai-yuen  fou. 
(Petite  géogr..  vol.  8,  p.  3)   —   (Grande,  vol.  40.  p.   ici. 

(3)  Keng-yang  :  était  un  peu  au  sud  de  Siu-keou  /u'e>i  ^  jf|  IJSjj,  qui  est  à  80 
li  au  sud  de  sa  préfecture  T'aïyuen  fou  5&C  M.  tfï,  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  S. 
p    /     —  (Grande,  vol.  40.  p.  i~  . 

Tou-chouei  :  ou  Tou-yang  fè  |3|.  était  20  li  au  sud  de  Siu-keou  hien  (Gran- 
de géogr.,  vol.  40,  p.   17). 

Ma-cheou  :  était  à  15  sud-est  de  Cheou-yang  hien  jÇ  FjJ  $£,  qui  est  à  1 00  li 
à  l'ouest  de  Ping-ting  tcheou  2p  JE  flï-  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  8,  p.  33  — 
(Grande,  vol.  40,  p.   21). 

Yu  :  c'est    Yu  hien  ^  % .  à   100  li  nord-ouest  de  P'ing-ting  tcheou.  (ibid). 

Tong-ti  :  c'est  T.s'm  tcheou  JCf  #|,  Chan-si.  'Petite  géogr..  vol.  S.  p.  32)  — 
(Grande,  vol.  43,  p.  ç). 

P'ing-yang:  c'est  P'ing-yang  fou  -^  |?§  tff.  Chan-si.  Petite  géogr.,  vol.  8, 
p.   7)  —  (Grande,  vol.  41,  p.  3). 

Yani;-tch'enu  :  était  à  18  li  sud-est  de  Hong-tong  hien  &  ffî  %%,  qui  est  à 
55  li  au  nord  de  sa  préfecture  P'ing-yang  fou.  (Petite  géogr..  vol.  S.  p.  S)  — (Gran- 
de, vol.  41 .  ]).   61. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN .    K'ING-KONG.  379 

3£,  petit-fils  de  Siun-ijng  ^j  ^g>,  à  Tou-chouei  %fe  fo  —  Han-kou 
If  É-  petit-fils  de  Han-k'i.  à  Ma-cheou  J|  ^  —  Yu-ping  j£  pj, 

•i   }""  ^  —  Lo-siao  m  ^Ç,  à  Tong-ti  ^  $§  —  Tchao-tchao  ^Bg, 
à  P'ing-yang  ^  J$  —  Leao-?vrya/(  fg  5£,  à  Fang  ^. 

Voilà  un  nouvel  exemple,  qui  prouve  la  richesse  et  la  puis- 
sance, dont  jouissaient  les  grandes  familles  seigneuriales  de  Tsin  : 
leurs  fiefs  étaient  de  petits  royaumes,  administrés  selon  leur  bon 
plaisir.  Le  premier  ministre  dit  aux  deux  seigneurs,  Kia-sin  et 
Se-ma  Ou,  qu'ils  devaient  cette  haute  dignité  au  zèle  qu'ils  avaient 
déployé  pour  le  service  de  l'empereur  en  520).  Quant  aux  seigneurs 
suivants.  Wei-meou,  Tche-siu-ou,  Tchao-tchao,  et  Han-kou, cadets 
nés  de  concubines,  il  leur  recommanda  d'être  diligents  dans  leur 
nouvel  office,  et  de  faire  honneur  à  leurs  familles. 

Les  quatre  autres  seigneurs,  Se-ma  Mi-meou,  Yu-ping,  Lo- 
siao,  et  Leao-ngan,  étaient  des  hommes  éminents  ;  ils  ne  devaient 
leur  élévation  ni  à  la  faveur,  ni  à  leur  nom  ;  le  premier  ministre 
n'avait  donc  qu'à  les  féliciter. et  à  les  encourager  à  continuer  leurs 
loyaux  services. 

11  interrogea  le  grand  officier  Tcheng-tchoan  fâ&M  '■  m'accusera- 
t-on  de  partialité,  dit-il.  pour  avoir  donné  ce  poste  à  mon  fils 
Meou  fè?  La  question  était  délicate:  voici  la  réponse  de  l'officier: 
Comment  pourrait-on  porter  pareil  jugement?  Tenu  à  distance. 
Meou  n'oublie  cependant  pas  son  souverain;  comblé  de  faveurs,  il 
ne  se  permet  ni  libertés  ni  arrogances,  envers  les  autres  dignitai- 
res: dans  les  occasions  où  il  pourrait  faire  du  profit,  il  a  devant 
les  yeux  la  justice  ;  pressé  par  le  besoin  d'argent,  il  garde  quand 
même  une  probité  pure  et  intègre;  il  sait  dominer  les  passions' 
du  cœur  humain,  sans  jamais  leur  lâcher  la  bride;  ses  mœurs 
sont  absolument  irréprochables  ;  n'est-il  donc  pas  juste  que  votre 
Excellence  lui  donne  ce  gouvernement? 

Dans  l'antiquité,  l'empereur  Ou-wang  jj£  ^£,  ayant  abattu  la 
dynastie  Chang  ^J,  distribua  de  riches  fiefs  à  quinze  de  ses  frères, 
et  à  quarante  autres  parents;  dans  son  choix,  cet  illustre  prince 
n'eut  souci  que  des  mérites  ou  de  la  capacité  des  élus;  aussi  le 
livre  des  Vers  dit-il  de  lui  :  le  roi  du  ciel  donna  à  Wang-ki  Jl  ^ 
un  jugement  exquis;  et,  dans  le  silence,  prit  soin  d'étendre  la 
renommée  de  sa  sagesse;  sa  sagesse  fut  pénétrante  :  elle  le  rendit 
capable  de  comprendre  et  discerner  les  choses,  de  former  et  il<' 
gouverner  les  hommes;  chargé  de  Vempire,  il  sut  obtenir  la  sou- 
mission et  l'amour  de  ses  sujets.  Wen-waug  «£  3î>'j"*  foi  succéda, 
n'eut  jamais  rien  à  se  reprocher;  il  jouit  des  faveurs  du  ciel,  et 
les  iransmit  i>.  ses  descendants  (1). 

Avoir  un  jugement  exquis,  signifie  que  le  cœur  sait  juger  en 
toute  justice  ;  dans  le  silence,   étendre   la  renommée  de  la  sag 
signifie  que  son  cœur  est  orné  de  toutes  les  vertus,  qui  lui  conci- 
lient  l'affection  des    hommes:    .sa   sagesse   fut    éclatante,    signifie 

(1)   Che-kinij  f$  $J.  (Couvreur,  p.  337,  ode  7,  n°  4  . 


380  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

qu'elle  brilla  aux  yeux  de  tous  les  pays;  savoir  discerner,  signifie 
s'appliquer  avec  soin  à  distribuer  les  bienfaits  sans  égoïsme  ni 
partialité;  former  les  hommes,  signifie  les  instruire,  les  corriger, 
les  perfectionner,  sans  jamais  se  lasser  dans  cette  rude  besogne  : 
gouverner  les  hommes,  c'est  distribuer  les  honneurs,  les  offices, 
les  récompenses,  les  punitions  comme  il  convient;  obtenir  la  sou- 
mission, c'est  faire  en  sorte  que  l'inférieur  obéisse  avec  humilité 
et  dévouement,  comme  à  un  bon  maître;  obtenir  l'affection,  c'est 
commander  si  bien,  que  le  sujet  accepte  d'instinct  et  sans  efforts 
les  ordres  qui  lui  sont  donnés. 

Quand  le  ciel  et  la  terre  se  combinent  ensemble,  comme  la 
chaîne  et  la  trame  d'une  toile  ;  quand  tout  est  disposé  dans  un 
ordre  accompli;  c'est  la  perfection,  comme  elle  se  montra  dans  la 
personne  de  Wen-wang. 

Si  ces  neuf  qualités  se  trouvent  réunies  dans  un  homme,  il 
n'a  rien  à  se  reprocher  dans  n'importe  quelle  entreprise  ;  voilà 
pourquoi  Wen-wang  reçut  la  bénédiction  du  ciel  (l'empire),  et  la 
transmit  à  ses  descendants,  qui  jouissent  de  ses  mérites. 

Dans  cette  promotion,  votre  Excellence  a  approché  de  la  per- 
fection de  l'empereur  Wen-wang  ;  elle  a  su  choisir  des  hommes 
distingués,  parents  ou  étrangers;   qui  donc  pourrait  la   critiquer? 

Voilà  un  tonneau  d'eau  de  rose,  versé  sur  le  nouveau  premier 
ministre  !  Mais  ce  lieu-commun  sur  la  perfection,  incarnée  dans 
la  personne  de  Wen-wang,  est  vraiment  par  trop  fade  ;  personne 
n'y  croit  ;  le  compliment  fut  sans  doute  beaucoup  plus  court,  dans 
la  bouche  de  l'officier  ;  le  lettré-historien  y  a  ajouté  ces  belles 
considérations  qui  font  les  délices  des  «connaisseurs»  chinois. 

Quand  le  seigneur  Kia-sin  jf|~  -^  allait  se  rendre  à  son  nou- 
veau poste,  il  fit  une  dernière  visite  au  premier  ministre  ;  celui-ci 
était  en  veine  ;  il  lui  servit  à  son  tour  une  curieuse  instruction  : 
Approchez,  seigneur  Sin  -ë^,  lui  dit-il,  écoutez  cette  petite  histoire: 
Autrefois,  Chou-hiang  $[  fp]  étant  en  ambassade  au  pays  de  Tcheng 
Jff$,  un  homme  d'une  laideur  repoussante  voulait  à  tout  prix  le 
voir;  pour  cela,  il  se  tenait  au  bas  de  l'escalier,  parmi  les  servants 
de  table  ;  inopinément,  il  proféra  une  sentence  de  haute  sagesse. 
Chou-hiang  avait  justement  la  coupe  de  vin  sur  les  lèvres,  quand 
il  entendit  cette  parole:  cet  homme,  s'écria-t-il,  ne  peut  être  que 
le  sage  Tsong-mi  ^  j§£  !  Aussitôt  il  descendit,  prit  son  homme 
par  le  main,  le  conduisit  dans  la  salle,  et  le  présenta  aux  convives, 
comme  un  génie  supérieur;  il  ajouta  le  petit  conte  suivant:  Au- 
trefois, dans  la  principauté  de  Kia  jf  (1),  un  officier,  d'une  sin- 
gulière laideur,  avait  pris   pour  épouse   une   femme   d'une  grande 


(1)  Kia:  cette  minuscule  principauté  avait  sa  capitale  à  1S  li  sud-ouest  de 
P'ou-tch'eng  hien  fâ  J$  ff,  qui  est  à  80  li  à  l'ouest  de  sa  prélecture  Tong-tcheou 
fou  |rJ  fl\  fff,  Chen-si.  (Petite  géogr.,  vol.  14,  p.  22)  —  (Grande,  roi.  34,  p.  8). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.     k'iNG-KONG.  381 

beauté  ;  pendant  trois  ans,  celle-ci  ne  lui  avait  pas  dit  un  seul 
mot,  pas  même  donné  un  sourire.  Ce  dignitaire  partit  un  jour 
pour  la  chasse,  et  conduisit  sa  femme  sur  son  char;  ayant  visé 
un  faisan,  sa  flèche  l'atteignit  au  vol  ;  l'épouse  fut  si  contente, 
qu'elle  sourit,  et  commença  des  lors  à  parler  à  son  mari  :  Quel 
heureux  coup!  s'écria  celui-ci;  il  m'a  permis  de  montrer  mon 
talent,  et  de  gagner  le  cœur  de  ma  femme!  Quant  à  vous,  cher 
monsieur,  votre  figure  n'est  pas  très-attrayante  :  sans  la  sentence 
que  vous  venez  de  proférer,  je  n'aurais  jamais  eu.  sans  doute,  le 
bonheur  de  faire  votre  connaissance  ;  voilà  comme  il  est  nécessaire 
de  s'exercer  dans  l'art  de  la  parole  ! 

Après  ce  petit  conte,  Wei-chou  en  lit  l'application  :  Votre 
seigneurie,  dit-il,  s'est  distinguée  de  la  manière  la  plus  brillante, 
au  service  de  l'empereur;  voilà  pourquoi  je  vous  ai  donné  ce  gou- 
vernement; allez,  montrez-vous  digne  de  ma  confiance;  continuez 
à  faire  preuve  du  même  dévouement  dans  votre  nouvel  office  ! 

Toute  cette  tirade  semble  écrite  afin  de  pouvoir  mettre  en 
scène  le  pauvre  Confucius,  que  les  contemporains  négligeaient  si 
obstinément.  Notre  lettré-historien,  son  admirateur,  nous  le  pré- 
sente, et  nous  rapporte  une  de  ses  graves  sentences  :  Quand  Con- 
fucius, dit-il,  eut  appris  la  promotion  faite  par  Wei-chou,  il 
s'écria:  voilà  un  véritable  ministre!  il  a  su  reconnaître  le  talent 
parmi  sa  parenté,  il  a  su  aussi  le  reconnaître  parmi  les  étrangers; 
voilà  un  ministre  modèle,  qui  n'est  conduit  que  par  la  justice  ! 

Le  même  historien  revient  à  la  charge  avec  son  «saint»: 
Quand  Confucius  eut  ensuite  appris  les  paroles  de  Wei-chou  la 
petite  historiette  et  sa  conclusion),  il  s'écria  de  nouveau:  voilà  un 
ministre  loyal  et  fidèle!  le  livre  des  Vers  nous  dit  «con formez-vous 
sans  cesse  aux  ordres  du  ciel;  vous  recevrez  de  lui  de  nombreuses 
faveurs»  (1);  voilà  ce  qu'obtient  un  homme  loyal  !  Dans  la  distri- 
bution de  ces  hautes  dignités,  le  ministre  s'est  montré  animé 
d'une  grande  justice  ;  dans  la  direction  donné  à  ceux  qui  entraient 
en  charge,  il  s'est  montré  d'une  loyauté  admirable  :  bien  sur,  un 
tel  homme  aura  toujours  de  la  descendance  dans  le  royaume  de 
Tsin.  —  Le  lettré-historien,  dans  son  cœur,  répond  certainement: 
ainsi  soit-il  ! 

Le  père  .étant  si  bien  canonisé  par  le  pontife  de  tous  les  siè- 
cles, montrons  qu'il  avait  le  bonheur  d'avoir  un  fils  digne  de  lui. 
presque  meilleur  que  lui:  Vers  la  fin  de  cette  même  année  514, 
des  gens  de  Keng-yang  ^  |^  avaient  porté  au  tribunal  de  Wei- 
meou  un  procès  d'une  importance  majeure  ;  celui-ci,  n'osant  le 
décider  de  sa  propre  autorité,  l'avait  déféré  au  premier  ministre, 
son  père.  Le  principal  moteur  de  ce  procès,  voulut  en  assurer  le 
succès  ;  pour  cela,  il  offrit  à  Wei-chou  un  groupe  de  jolies  musi- 
ciennes ;  et  celui-ci  était  sur  le  point  de  l'accepter. 


(1)  Che-kinrj  Hf  fëg.  (Couvreur  p.  322-  ode  /..  ?i°  6). 


382  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

1  )  Wei-meou  averti  du  fait,  appela  ses  deux  fidèles  officiers 
Yen-mou  f|||  $£  et  Jou-koan  -J£  ^  :  son  Excellence  le  premier- 
ministre,  dit-il,  est  connu  dans  tout  l'empire,  comme  un  homme 
qui  ne  reçoit  pas  les  cadeaux  ;  si  cette  fois  il  se  laisse  gagner,  ce 
sera  une  grande  flétrissure  pour  sa  réputation  ;  il  faut  à  tout  prix 
l'avertir,  et  l'empêcher  de  commettre  cette  faute. 

Les  deux  officiers  s'étant  concertés  sur  les  moyens  à  prendre, 
se  rendirent  à  la  capitale  ;  le  premier-ministre  était  absent,  quand 
ils  allèrent  le  visiter  ;  ils  l'attendirent  dans  son  antichambre.  A 
son  retour,  Wei-chou  ^  $]"•  les  invita  à  dîner  avec  lui  ;  pendant 
le  repas,  ils  poussèrent  de  grands  soupirs,  à  trois  reprises  diffé- 
rentes ;  le  ministre  en  était  tout  étonné,  mais  pour  lors  ne  leur 
en  demanda  pas  le  motif. 

Après  le  dîner,  il  les  invita  encore  à  passer  ensemble  un  mo- 
ment de  récréation  ;  puis  il  leur  dit  :  d'après  le  proverbe,  pendant 
le  repas  on  oublie  son  chagrin  ;  pourquoi  donc,  à  table,  avez-vous 
soupiré  ?  —  Hier  soir,  répondirent  les  deux  officiers,  nous  avons 
bu  le  vin  chez  un  ami,  mais  il  ne  pensa  pas  à  nous  donner  à  sou- 
per ;  quand  donc  on  commençait  à  servir  le  diner,  tout  à  l'heure, 
nous  craignions  de  ne  pouvoir  rassasier  notre  faim,  et  nous  avons 
soupiré  ;  au  milien  du  repas,  nous  nous  disions  :  nous  avons  eu 
tort  de  supposer  une  pareille  chose,  à  la  table  d'un  premier-minis- 
tre ;  et  nous  avons  soupiré  de  regret.  Vers  la  fin,  nous  pensions: 
puisse  le  cœur  d'un  homme  sage,  savoir  se  contenter  de  la  juste 
mesure,  comme  notre  appétit  a  cessé,  quand  il  fut  rassasié  ;  nous 
avons  alors  poussé  le  troisième  soupir. 

11  paraît  que  le  premier-ministre  comprit  la  leçon,  et  refusa 
le  cadeau  des  gens  de  Keng-yang.  Les  chinois  aiment  beaucoup 
ces  petits  apologues,  imaginés  pour  faire  passer  adroitement  une 
vérité  ;  mais  les  lettrés  croient  seuls  être  capables  de  les  compren- 
dre. Un  maître  m'expliquait  un  jour  ce  genre  de  littérature  ;  je 
le  laissais  dire,  sans  me  montrer  émerveillé  de  cette  finesse,  par- 
tout en  usage  ;  le  bonhomme  crut  que  je  ne  saisissais  pas  ;  il 
revint  à  la  charge,  pour  me  bien  expliquer  ce  genre  de  composition 
chinoise  ;   peut-être  qu'il  soupira  aussi  de  me  voir  si  borné. 

En  513,  la  cour  de  Tsin  persistait  à  refuser  au  duc  de  Lou 
<!!•;  la  permission  de  venir  saluer  le  roi,  et  lui  exposer  ses  ma- 
rieurs ;  l'exilé  s'était  donc  une  seconde  fois  retiré  à  la  cour  de 
Ts'i  >0,  mais  n'y  avait  reçu  que  de  nouvelles  humiliations  ;  il 
prit  enfin  le  parti  de  retourner  encore  à  Kan-heou  jfi£  fâ,  et  d'y 
attendre  des  temps  meilleurs.  Etant  sans  ressources,  il  n'avait 
rien  à  offrir  ;  tandisque  ses  ennemis  envoyaient  de  riches  cadeaux  ; 
c'est  pourquoi  ses  suppliques  demeuraient  sans  effet.  Pour  com- 
ble d'infortune,  Confucius  n'était  pas  de  son  parti. 

(1)  Le  tombeau  du  célèbre  Yen-mou,  est  un  peu  au  sud-ouest  de  Siu-keou 
hien  fô  fë.  SU,  qui  est  à  80  li  au  sud  de  sa  préfecture  T'cd-yuen  fou  jfc  W.  tfF, 
Chan-si.  (Annales  du  Chan-si,  vol.  jô,  p.  2S). 


DU   ROYAUME  DE    TSIN.    k'iNG-RONG.  383 

Vers  le  mois  de  juillet,  un  dragon  se  montra,  paraît-il,  en 
dehors  des  faubourgs  de  la  capitale  de  Tsin  ;  le  premier-ministre 
s'empressa  d'inten'oger,  sur  cet  événement,  le  grand  archiviste 
Ts'ai-me  ^  |g  :  Les  anciens,  dit-il,  affirment  que  le  dragon  est 
le  plus  intelligent  de  tous  les  animaux,  et  que,  pour  cela,  on  ne 
peut  jamais  le  prendre  vivant  ;   est-ce  vrai  ?     (1) 

C'est  une  double  erreur,  répondit  le  savant  ;  le  dragon  n'est 
pas  doué  d'intelligence,  et  il  peut  être  élevé  comme  les  autres  ani- 
maux ;  c'est  pourquoi,  autrefois,  le  pays  de  Tsin  eut  des  hoan- 
long-che  |f|  f|  j£  et  des  Yu-long-che  f^J  f£  JÇ,  c'est-à-dire  des 
éleveurs  et  des  conducteurs  de  dragons  ;  de  là,  ces  noms  se  con- 
servèrent dans  les  familles  qui  avaient  cet  office. 

En  effet,  reprit  le  ministre,  j'avais  entendu  parler  de  ces  deux 
noms  de  famille  ;  mais  je  n'en  connaissais  pas  l'origine  ;  pourriez- 
vous  m'en  raconter  l'histoire  ? 

Dans  les  anciens  temps,  dit  l'archiviste,  Chou-ngan  fâ  %, 
prince  de  Leao  }!}$  (2),  eut  un  descendant  éloigné,  nommé  Tong- 
fou  |g  5£>  grand  amateur  de  dragons  ;  il  avait  étudié  leurs  mœurs, 
et  avait  découvert  leur  nourriture  de  préférence  ;  ainsi  beaucoup 
de  ces  animaux  se  rendaient  d'eux-mêmes  auprès  de  lui.  Il  en 
éleva  pour  le  compte  de  l'empereur  Choen  ^  (vers  2257  avant 
Jésus-Christ);  il  put  aussi  établir  une  méthode  raisonnée  de  les 
nourrir  et  et  de  les  élever  ;  c'est  pourquoi  cet  empereur  lui  donna 
le  nom  de  Tong  jj,  qui  signifie  administrateur,  gouverneur;  il 
reçut  encore  le  nom  de  Hoan-long  ^  f|,  qui  indiquait  plus  clai- 
rement et  plus  vulgairement  son  office  (qui  nourrit  les  dragons). 
Ce  nom  se  perpétua  dans  sa  famille  ;  celle-ci  fut  aussi  appelée 
Tsong-i  ^  ^,  à  cause  de  ce  fief  qui  lui  fut  attribué  par  ce  même 
empereur  (3).  Ainsi  il  conste  qu'il  y  eut  des  éleveurs  de  dragons 
à  cette  époque. 

Le  savant  historiographe  ne  semble  pas  douter  de  ce  qu'il 
raconte  ;  son  discours  est  tout  au  long  dans  notre  auteur  ;  je  n'ai 


(1)  La  rivière  Long-kou-chouei  |g  fè.  j\ï.,  a  reçu  ce  nom,  de  cette  apparition 
vraie  ou  fausse:  elle  coule  à  1S  li  nord-est  de  l'endroit  où  étail  la  capitale  Kiang  $  : 
c'est  là,  dit-on,  que  se  montra  ce  dragon.  (Petite  géogr.,  vol.  S,  p.  44)  —  {Gran- 
de, vol.  41,  p.  401.  Nier,  à  priori,  l'existence  de  ces  fameux  dragons,  serait  aller 
contre  la  médecine  chinoise,  qui  en  vend  des  ossements  fossiles  :  ce  serait  ridiculiser 
la  société  de  savants  allemands,  qui,  en  ce  moment  est  à  la  recherche  de  ces  mêmes 
ossements.  Donc,  ne  préjudicions  en  rien  a  personne  ' 

(2)  Leao:  sa  capitale,  appelée  plus  tard  Hou-yang  tch'eng  #J]  FS  W-  était 
à  00  li  au  sud  de  T'ang  kien  fjj  §f,  qui  est  à  120  li  sud-est  de  sa  préfecture 
Nan-yang  fou  p^  1^  iff,  Ilo-nan.  (Petite  géogr.,  roi.  12.  p,  n  —  Gronde,  ool. 
Si,  i>.  10). 

(3)  Tsong-i:  11  y  eut  autrefois  un  (leuve  rsong.  mais  on  en  ignore  l'identi- 
fication ;  ainsi  disent  les  commentaires. 


384  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

pas  le  courage  de  traduire  cette  élucubration  peu  probante  ;  notre 
savant  oublie  qu'on  a  imaginé  bien  des  légendes  phantastiques, 
pour  expliquer  le  nom  d'une  famille,  d'une  montagne,  d'une 
rivière,  d'un  pont,  etc,  etc. 

Vers  le  mois  de  septembre  de  cette  même  année,  Tchao-yang 
^  ^  et  Siun-yng  ^j  lif,  tous  deux  petits-fils  des  anciens  et  illus- 
tres premiers  ministres  Tchao-ou-tse  ^g  fÊÇ  -?■  et  Siun-yen  ^  f[§, 
conduisaient  leurs  troupes,  bâtir  une  forteresse,  au  pays  des  Tar- 
tares  Lou-hoen  |§|  jljF,  sur  les  bords  du  fleuve  Jou  *$r  (1). 

Aussitôt,  Siun-yng  imposa  à  son  fief  de  K'iu-wo  $fi  ffî,  une 
contribution  de  quatre  cent  quatre-vingts  livres  de  fer  (2)  ;  il  en 
fondit  un  trépied,  sur  lequel  il  fit  graver  les  lois  pénales  établies, 
en  621,  par  Fan-siuen-tse  ffa  Jj|  -^  (ou  Che-kai  -^  4g)  (3). 

A  cette  nouvelle,  Confucius  éructa  une  menaçante  prophétie, 
dont  les  "considérants»  semblent  bien  empruntés  â  ceux  de  Chou- 
hiang  ^  [p],  en  pareille  circonstance:  Le  royaume  de  Tsin  ne 
va-t-il  pas  à  sa  ruine?  dit-il;  en  publiant  de  lois  pénales,  il  perd 
les  lois  propres  [tou  J^]  à  la  bonne  administration;  il  devrait 
plutôt  garder  les  règlements,  donnés  par  l'empereur  au  fondateur 
de  la  maison  régnante  (Tang-chou  ^  fâ). 

Si  les  ministres  et  les  grands  dignitaires  savent  se  tenir  cha- 
cun à  son  rang,  le  peuple  saura,  de  son  côté,  estimer  et  vénérer 
ses  supérieurs  ;  ceux-ci,  forts  de  cette  soumission,  sauront  garder 
leurs  droits  héréditaires;  il  n'y  aura  plus  d'empiétements,  ni  d'une 
part  ni  de  l'autre;  c'est-là  ce  qu'on  appelle  avoir  des  lois. 

En  623,  à  l'occasion  des  manœuvres  exécutées  à  Pi-lou  |j£  |§[, 
Wen-kong  *£  Q  établit  une  hiérarchie,  parmi  les  officiers  et  les 
autres  fonctionnaires  ;  il  publia  des  règlements  invariables  ;  c'est 
grâce  à  cette  forte  organisation,  qu'il  devint  le  chef  des  vassaux. 

Maintenant,  on  rejette  ces  règlements  ;  on  grave  des  lois 
pénales  sur  des  trépieds;  le  peuple  va  les  lire;  fort  de  ce  texte, 
il  va  discuter  les  décisions  des  ses  supérieurs  ;  il  perdra  sa  sou- 
mission envers  eux  ;  ceux-ci  ne  pourront  plus  garder  intacts  leurs 
droits  et  privilèges  héréditaires  ;  les  rangs  ne  seront  plus  conser- 
vés :  l'état  ne  pourra  plus  subsister. 

(1)   Lou-hoen  :   voyez  an  début  de  ce  règne  (525). 

Le  fleuve  Jou:  coule  au  sud  de  Song  hien  {8J  ff,  qui  est  à  160  li  au  sud  de 
sa  préfecture  Ho-ncm  fou  fnf  i^}  Ifr,  Ho-nan.  (Petite  géogr.,  vol.  12.  j>.  3c)  — 
(Grande,  vol.  4S,  p.  45). 

{'!)  Le  fer  était  alors  rare  et  précieux.  D'après  le  commentaire,  voici  les  poids 
alors  en  usage:  an  l\lim  $f-,  était  trente  livres:  un  Cite  2J,  cent-vingt  livres;  un 
Kou  ai',  quatre-cent-quatre-vingts  livres.  (Hoang-tsing  Ktng-kiai  Jï  jff  £«î  fô,  \  % 
+  il,P-  48)- 

(3)  Voir  à  l'année  indiquée,  où  le  même  historien  dit  que  Tchao-toen  $î  Jjt 
est   l'auteur  de  ces  mêmes   lois. 


DU 


ROYAUME   DE   TSIN.    k'iNG-KONG.  385 


De  plus,  ces  lois  pénales  de  Fan-siuen-tse,  établies  lors  des 
manœuvres  exécutées  à  /  %,  furent  inventées  pendant  une  époque 
de  troubles  ;  elles  -furent  bonnes,  peut-être,  pour  ces  temps-là  ; 
comment  pourrait-on  en  faire  des  ordonnances  durables  ? 

Ainsi,  le  lecteur  le  voit,  ce  «  saint  des  saints  lettrés  »  n'aime 
pas  non  plus  les  lois  claires  et  clairement  promulguées  ;  elles  en- 
levaient aux  hautes  classes  leur  meilleur  moyen  d'opprimer  le 
peuple,  en  rendant  l'arbitraire  plus  difficile.  Il  pouvait  d'ailleurs 
se  rassurer  ;  gravées  sur  les  trépieds,  ou  imprimées  dans  les  codes, 
ces  lois  devenaient  bien  vite  lettre  morte,  comme  cela  se  pratique 
encore  de  nos  jours  ;   l'arbitraire  seul  persiste. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Ts'ai-meh  '?%  H  (l'historiographe  des  dra- 
gons) poussa  aussi  sa  jérémiade,  au  sujet  du  malencontreux  trépied 
de  fer  :  Ces  deux  familles  Fan  fë  et  Siun  ^j,  dit-il,  vont  périr, 
pour  avoir  promulgué  ces  lois  pénales  ;  Siun-yng  n'étant  pas  pre- 
mier-ministre, ne  pouvait  s'arroger  le  pouvoir  de  les  publier  ;  en- 
core moins  de  les  graver  sur  un  trépied,  comme  lois  du  royaume; 
elles  étaient  tombées  en  désuétude  ;  en  les  déterrant,  il  a  fait  en- 
core plus  de  mal  que  Fan-siuen-tse  lui-même  ;  il  va  donc  subir 
aussi  un  châtiment  plus  grave,  et  sera  bientôt  exterminé.  Tchao- 
yang  a  eu  sa  part,  dans  cette  publication  ;  mais  il  ne  pouvait  faire 
autrement  :  s'il  se  met  à  pratiquer  la  vertu,  il  pourra  échapper 
au  sort  de  Siun-yng. 

Tout  cela  est  un  pur  artifice  littéraire,  employé  à  satiété  par 
notre  auteur,  pour  nous  annoncer  la  fin  tragique  de  Siun-yng  ; 
nous  verrons,  en  effet,  celui-ci  se  révolter  en  497,  et  entraîner 
toute  sa  famille  dans  sa  ruine. 

En  512,  à  la  6^'ne  lune,  au  jour  keng-chen  fê  H  (22  avril), 
mourait  K'ing-kong  ;  et  deux  mois  plus  tard  il  était  enterré  ;  on 
avait  donc  grand'hâte  de  se  débarrasser  de  lui  ;  puisqu'on  n'at- 
tendait pas  les  six  mois  réglementaires. 

Tse-t'ai-chou  ^  -fc  ;#,  ministre  de  Tcheng  f|$,  était  venu 
présenter  les  condoléances  de  sa  cour  ;  il  resta  là.  pour  assister  à 
l'enterrement,  de  la  part  de  son  maître  ;  c'était  contraire  aux  usa- 
ges. Wei-clwu  ffé  ?ï  chargea  le  seigneur  Che-king-pé  ±  ^  fÊ 
de  demander  explication  de  cette  conduite  : 

A  la  mort  de  notre  roi  Taokong  -|f  &.  votre  ministre  Tse-si 
^  "g  vint  nous  offrir  vos  condoléances  :  et  votre  premier-ministre 
Tse-tch'an  =f-  fè  assista  à  l'enterrement  ;  cette  fois-ci,  votre  sei- 
gneurie seule  est  venue  ;  elle  n'a  même  pas  amené  un  compagnon, 
pour  la  remplacer,  en  cas  d'accident  ou  de  maladie  ;  pourquoi 
donc  ce  grand  changement  dans  la  circonstance  actuelle  ? 

L'ambassadeur  était  un  homme  capable  de  répondre  à  son 
interlocuteur,  et  de  lui  fermer  la  bouche  sans  l'offenser  :  La  rai- 
son, dit-il,  pour  laquelle  tous  les  vassaux  reconnaissent  la  supré- 
matie de  Tsin,  est  dans  les  rites,  qui  veulent  qu'un  petit  état  soit 
sous    la    suzeraineté    d'un    grand.      D'après    eux.    le    petit    doit    se 


386 


TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 


montrer  soumis,  obéissant,  offrir  les  contributions  et  cadeaux  d'u- 
sage ;  le  grand  doit  lui  prouver  son  affection  en  compatissant  à 
sa  faiblesse,  en  lui  prêtant  secours  et  appui  dans  le  besoin. 

Nous  sommes  situés  entre  les  deux  royaumes  de  Tsin  et  de 
Tch'ou  @  ;  nous  avons  le  devoir  de  vous  fournir  les  contributions; 
il  faut  aussi  nous  tenir  en  garde  contre  des  malheurs  inattendus; 
s'il  nous  arrive  d'omettre  quelque  léger  détail  dans  notre  service,' 
il  n'en  faut  pas  conclure  que  nous  avons  oublié  nos  obligations  ; 
c'est  seulement  que  nous  avons  été  empêchés  par  les  circonstances! 

D'après  les  anciens  règlements,  à  la  mort  d'un  roi,  un  officier 
doit  porter  les  condoléances  ;  un  grand  officier,  assister  à  l'enter- 
rement ;  à  l'occasion  d'événements  joyeux,  comme  un  mariage  ; 
dans  les  visites  officielles  d'amitié  ;  dans  les  questions  d'armée  ou 
de  guerre  ;  en  tous  ces  cas,  et  autres  semblables,  c'est  un  ministre 
qui  doit  être  envoyé. 

Quand  donc  le  royaume  de  Tsin  eut  un  deuil  national,  notre 
prince  n"a  pas  manqué  de  remplir  son  devoir  ;  il  est  même  venu 
en  personne,  quand  les  circonstances  le  lui  ont  permis  ;  s'il  en  a 
été  empêché,  si  même  il  n'a  pu  députer  un  dignitaire,  selon  la 
coutume,  ne  l'accusez  pas  de  négligence  ;  croyez  qu'il  n'a  pu  faire 
autrement. 

Il  est  de  votre  générosité  de  nous  louanger,  quand  nous  faisons 
plus  que  notre  devoir  ;  d'autre  part,  il  ne  faut  pas  trop  pointiller 
sur  des  minuties  qui  nous  ont  été  impossibles  ;  bref,  vous  devez 
bien  plus  examiner  les  sentiments  qui  nous  animent  ;  si  vous 
pouvez  strictement  vous  contenter  de  ce  qu'un  petit  état,  comme  le 
nôtre,  fait  selon  les  circonstances,  estimez  qu'il  a  observé  les  rites. 

Ainsi,  à  la  mort  de  l'empereur  Ling-wang  igf  3£  (571-545), 
notre  souverain  se  trouvait  à  la  cour  de  Tcheou**&,  pour  l'enter- 
rement du  roi  K'ang-kong  fê  %  ;  nous  fûmes  réduits  à  envover 
le  grand  officier  Yng-toan  gl  g  à  la  cour  impériale,  porter  nos 
doléances,  et  asssister  à  l'enterrement.  Malgré  sa  jeunesse,  notre 
député  fut  bien  reçu  des  dignitaires;  personne  ne  nous  chercha 
querelle;  on  vit  que  nous  avions  agi  de  la  sorte,  à  cause  des  cir- 
constances. 

Aujourd'hui,  votre  illustre  cour  montre  moins  de  condescen- 
dance; votre  seigneurie  demande  pourquoi  nous  n'avons  pas  observé 
les  anciens  règlements?  mais  ceux-ci  ont  eux-mêmes  du  plus  et  du 
moins;  faire  plus,  notre  prince  ne  le  pouvait;  il  est  trop  jeune 
pour  venir  en  personne;  il  a  dû,  à  son  regret,  se  contenter  de 
m'envoyer,  moi, votre  humble  serviteur.  Que  votre  seigneurie  veuille 
donc  examiner  si  notre  cour  a  fait  son  devoir. 

A  ce  discours,  si  poli  dans  la  forme,  mais  au  fond  si  mordant, 
le  seigneur  Che-king-pé  n'eut  rien  à  répondre;  aussi,  l'historien 
ne  le  rapporte  que  pour  montrer  les  exigences  et  les  prétentions 
de  Tsin;  ajoutons  qu'il  veut  nous  faire  admirer  un  vrai  lettré, 
daubant  finement  son  monde,  en  invoquant  une  impossibilité 
imaginaire. 


387 


TING-KONG    «511-475) 


£      & 


'r*-H- 


Le  nouveau  roi,  fils  du  précédent,  s'appelait  Ou  ^p  ;  son  nom 
posthume  ou  historique,  Ting,  signifie  prince  qui  eut  grandement 
à  cœur  de  procurer  la  paix  à  .son  peuple  (1);  il  a  encore  trois  autres 
sens  aussi  louangeurs  ;  nous  verrons  si  la  postérité  s'est  trompée. 

Nous  avons  dit  que  le  duc  de  Lou  ^  se  tenait  en  exil,  à  Kan- 
heou  jjî£  {^,  sur  le  territoire  de  Tsin  :  pendant  ce  temps,  l'ancien 
premier  ministre  Ki-p'ing-tse  3g  Zp.  ^jp  ou  Ki-suen-i-jou  Êp  fâ 
M  ^n  s'était  arrogé  tout  pouvoir.  Confucius  entretenait  avec  lui 
des  relations  amicales  ;  tandisqu'il  laissait  de  côté  le  malheureux 
prince  ;  ne  lui  faisant  pas  même  une  visite,  ne  lui  donnant  pas 
même  un  conseil  :  il  y  aurait  eu  sans  doute  quelque  danger  à  se 
déclarer,  même  si  peu,  partisan  du  maître  légitime,  et  le  -  saint' 
tenait  à  sa  peau. 

Ting-kong,  cependant,  eut  honte  de  voir  un  prince  de  ses 
alliés,  de  sa  famille,  exilé  sur  son  propre  territoire,  abandonné  à 
son  malheureux  sort,  sans  pouvoir  obtenir  même  une  audience  ;  il 
résolut  donc  de  mettre  un  terme  à  cette  humiliante  situation,  et 
de  replacer,  à  main  armée,  le  duc  sur  son  trône. 

Le  ministre  Che-yang  -j^  j|jji  l'homme  aux  deux  chapeaux 
trouva  le  moyen  de  déjouer  cette  bonne  intention  de  son  maître, 
tout  en  ayant  l'air  d'abonder  dans  son  sens:  Oui.  dit-il,  Ki-suen 
Hp  ■££  est  peut-être  un  véritable  rebelle  ;  que  votre  Majesté  l'appelle 
donc  à  son  tribunal  ;  s'il  refuse  de  venir,  il  sera  convaincu  d'usur- 
pation ;  il  sera  temps  alors  de  prendre  les  armes  pour  le  punir  ; 
voilà  mon  idée,  sauf  meilleur  avis. 

Ting-kong,  qui  ne  se  doutait  de  rien,  tomba  dans  le  piège:  il 
donna  ordre  à  Ki-p'ing-tse  de  se  présenter  à  la  cour  de  Tsin  :  en 
secret,  le  traître  Che-yang  l'avertissait  de  venir  sans  crainte  ;  il  se 
faisait  fort  de  lui  procurer  la  victoire  sur  le  duc. 

Ki-p'ing-tse  se  mit  aussitôt  en  route,  et  eut  une  entrevue 
avec  le  ministre  Siun-li  ^  ^  a  Ti-li  jj!|  jg  (2):  Le  roi  mon  maî- 
tre, lui  dit  celui-ci,  vous  demande  par  ma  bouche,  pourquoi  vous 


(1)  Texte  de  l'interprétation  :  ^  lg  S?  ft  0  ^ 

(2)  Ti-li  :  inconnue  aux  commentateurs.  Peut-être  est-ce  IJ-hiang  H  ^,  qui 
était  à  25  li  de  Ning-tsin  hien  "Sji  ff  %,  qui  est  à  45  li  de  Tchao-tcheou  jfi  M\,  au 
sud-est,  Tche-li.  ( Kiang-yu-ptio  $fi  tç£  vol.  _fc,  p.  50). 


388  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

avez  chassé  votre  souverain  ;  et  pourquoi  vous  l'empêchez  de  ren- 
trer? une  loi  de  l'empire  ordonne  de  punir  quiconque  refuse  obéis- 
sance à  son  prince;  vous  connaissez  cette  loi  et  son  application. 

Le  comédien  avait  bien  préparé  son  rôle  ;  vêtu  en  grand  deuil, 
et  pieds  nus,  Ki-p'ing-tse  se  prosterna  le  front  contre  terre,  et 
parla  ainsi  :  Obéir,  et  servir  mon  souverain,  est  mon  plus  grand 
désir  ;  mais  il  refuse  obstinément  de  rentrer  à  la  capitale  ;  si  je 
suis  coupable  en  quoi  que  ce  soit,  me  voici  ;  je  suis  prêt  à  subir 
ma  peine;  j'ai  prié  mon  souverain  de  m'interner  à  Pi  J|  (1),  en 
attendant  que  mon  procès  fût  jugé;  après  quoi,  on  fera  de  moi  ce 
que  l'on  voudra  ;  si  mon  souverain  consent  à  exercer  la  miséricorde 
envers  mes  ancêtres,  et  ne  pas  massacrer  ma  famille,  je  mourrai 
content,  sachant  que  les  sacrifices  pourront  se  continuer  dans  ma 
descendance  ;  voilà  pourquoi  je  suis  venu  avec  ces  vêtements  de 
deuil,  tout  disposé  à  mourir.  Si  mon  maître  a  pitié  de  moi,  et  me 
condamne  seulement  à  l'exil,  ce  sera  un  bienfait  dont  je  lui  serai 
reconnaissant  toute  ma  vie.  Mais  s'il  m'était  permis  d'accompa- 
gner mon  prince,  et  de  le  reconduire  à  la  capitale,  mon  plus  grand 
bonheur  serait  de  le  servir  avec  le  plus  entier  dévouement. 

Siun-li  fut  leurré  par  cette  comédie  (2)  ;  à  la  4ème  lune  (fé- 
vrier-mars), il  emmena  Ki-p'ing-tse  à  Kart-heou  ifc  fj£,  où  se  trou- 
vait le  duc,  et  où  il  espérait  pouvoir  opérer  la  réconciliation. 

Le  sage  Tse-kia-tse  -?  |jc  -^  exhortait  le  prince  en  ces  termes: 
consentez  à  rentrer  avec  cet  impudent  P'ing-tse  ;  c'est  une  honte, 
je  l'avoue  ;  mais  elle  n'est  que  passagère,  et  elle  vous  évitera  celle 
de  rester  en  exil  toute  votre  vie.  Le  duc  était  disposé  à  suivre  ce 
conseil,  quand  son  entourage  l'en  dissuada:  le  roi  de  Tsin,  lui 
observait-on,  est  si  bien  disposé  pour  vous,  que  vous  n'avez  qu'un 
mot  à  dire,  et  vous  serez  à  jamais  débarrassé  de  P'ing-tse. 

Siun-li  exprima  ses  doléances  au  duc  ;  puis  il  ajouta  :  le  roi 
mon  maître  a  envoyé  votre  serviteur,  punir  Ki-suen-i-jou  sfs  fâ 
^t  ilïï  :  celui-ci  est  prêt  à  la  mort,  si  vous  le  jugez  coupable  ;  vous 
pouvez  donc  rentrer  dans  votre  capitale. 

Le  duc  remercia  chaudement:  votre  illustre  roi,  dit-il,  a  dai- 
gné se  souvenir  de  l'amitié  de  mes  ancêtres,  pour  abaisser  ses 
regards  sur  moi  ;    grâce   à    sa    puissante   intervention,  je   pourrai 

(1)  Pi  :  capitale  du  fief  de  ce  comédien,  était  à  70  li  sud-ouest  de  Pi-hien 
îî  $f,  qui  est  à  90  li  nord-ouest  de  sa  préfecture  I-tcheou  fou  jjf  ffl  ffi.  Chan-tong. 
(Petite  géoyr.,  vol.  m.  p.  jo)  —  (Grande,  vol.  js-  p.  3S). 

(2)  Comédie  semblable  se  pratique  journellement  encore:  a-t-on  un  procès,  à 
peu  prés  perdu,  on  fait  avancer  devant  le  mandarin  une  veuve  en  grand  deuil,  ou 
Utl  vieillard  en  guenilles  ou  coiffé  du  bonnet  j;uine  de  la  vieillesse  (soit-disant  accordé 
par  l'empereur)  ;  les  nouveaux  compères  doivent  savoir  jouer  de  la  langue,  bien  en- 
tendu; tout  le  monde  connaît  le  «fa-tse  f£  "7  "  (le  truc)  ;  et  pourtant,  il  fait  toujours 
impression;  si  le  procès  n'est  pas  ?agoc,  il  est  perdu  «avec  honneur». 


DU    ROYAUME    DE   TSTN.     TING-KONG. 

rentrer  dans  ma  patrie,  et  balayer  le  temple  de  mes  ancêtres  :  en 
reconnaissance,  je  veux  le  servir  fidèlement  toute  ma  vie.  Quant 
à  cet  abominable  traître  Ki-suen  2p  •££,  je  ne  consentirai  jamais 
à  le  voir;  je  le  jure  par  l'Esprit  de  ce  fleuve  :  si  je  change  d'idée, 
je  me  voue  à  sa  plus  terrible  vengeance. 

Siun-li  n'en  pouvait  croire  ses  oreilles:  Notre  humble  sou- 
verain, s'écria-t-il,  s'est  donné  tant  de  peine,  pareequ'il  craignait 
d'être  accusé  d'indifférence  à  votre  égard  :  mais  puisque  vous-même 
ne  voulez  pas  rentrer  dans  votre  capitale,  nous  ne  nous  occuperons 
plus  de  vos  affaires;  je  vais  dresser  un  rapport  à  ce  sujet. 

L'ambassadeur  se  retira:  La  colère  de  notre  souverain,  dit-il 
à  Ki-p'ing-tse  â^^fi  ^f-,  est  encore  trop  forte  contre  vous:  retour- 
nez à  votre  capitale  :  offrez  les  sacrifices  solennels  d'usage,  à  la 
place  de  votre  prince,  et  continuez  l'administration  de  l'état. 

Le  sage  Tse-kia-tse  -f-  ^  -J*  conjurait  le  duc  de  sauver  la 
situation,  pendant  qu'il  en  était  encore  temps:  laissez  donc  votre 
suite  ici,  lui  disait-il;  montez  sur  votre  char,  et  rendez-vous  au 
milieu  de  vos  troupes  :  Ki-p'ing-tse  ne  fera  pas  difficulté  de  vous 
suivre  ;  tout  le  monde  verra  que  vous  êtes  disposé  à  pardonner  le 
passé;  tout  s'arrangera  à  l'amiable. 

Le  duc  voulait  encore  suivre  ce  bon  conseil,  mais  les  seigneurs 
de  son  entourage,  craignant  d'être  abandonnés  et  sacrifiés,  s'oppo- 
sèrent à  son  départ,  lui  remontrant  qu'il  ne  pouvait  violer  le  ser- 
ment solennel  qu'il  venait  de  faire  à  l'instant.  Ainsi  le  duc  resta 
en  exil  jusqu'à  sa  mort:  c'est-à-dire  jusqu'à  la  12ème  lune  de 
l'année  suivante. 

En  510,  vers  mai-juin,  l'empereur  King-wang  j^  3E  519- 
476)  députait  à  la  cour  de  Tsin  les  deux  grands  officiers  Fou-sin 
g"  ^5  et  Che-tchang  ^  î;Jf  '  demander  que  les  vassaux  voulussent 
bien  fortifier  la  ville  de  Tch'eng-lcheou  ffc  ^  l  .  où  il  désirait 
transférer  sa  résidence. 

Le  pauvre  «  fils  du  ciel  »  ne  pouvait  vivre  en  paix  dans  sa 
capitale  Wang-tch'eng  ^£  f&  ou  les  partisans  de  son  ancien  com- 
pétiteur Tse-tchao  ^f-  ^\  étaient  encore  nombreux.  Voici  la  teneur 
du  message  :  Le  ciel  a  fait  une  large  part  de  calamités  à  notre 
maison  impériale  Tcheou  JjlJ  ;  même  mes  frères,  et  d'autres  mem- 
bres de  ma  famille,  se  sont  révoltés  contre  moi  ;  ces  troubles,  je 
le  sais,  mon  vénéré  oncle,  causent  bien  du  chagrin  et  des  ennuis 
à  vous  et  à  tous  les  vassaux  nos  alliés  :  après  m'avoir  aidé  à  abat- 
tre les  rebelles,  vous  tenez,  depuis  cinq  ans.  garnison  dans  ma 
capitale,  pour  me  protéger.  Ces  grands  bienfaits  sont  si  profon- 
dément imprimés  dans  ma  mémoire,  que  j'y  pense  journellement  ; 

(1)  l'en 'eng- tcheou  :  si  célèbre  ensuite  sous  le  nom  de  Lo-yuny  ï#  S»,  avait 
déjà  des  murs;  il  s'agissait  donc  de  l'agrandir  et  la  fortifier  davantage;  afin  d'en 
faire  un  séjour  assuré,  digne  de  la  majesté  inpériale  du  «'fils  de  ciel  »  .(Petite  géogr., 
vol.   iz.  }u  31)  —  (Grande,  vol.  48,  p 


390 


TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 


comme  le  paysan,  après  une  longue  famine,  espère  ardemment 
une  bonne  récolte  ;  avec  la  même  anxiété  désirai-je  la  fin  des  trou- 
bles, et  le  retour  d'une  paix  solide  et  durable.  Si  vous,  mon 
vénéré  oncle,  à  l'exemple  de  vos  illustres  ancêtres  Wen-heou  % 
fâ  (780-746)  et  Wen-kong  %  &  (635-628),  qui  furent  la  conso- 
lation et  l'appui  de  notre  dynastie,  si,  dis-je,  vous  voulez  bien  me 
rendre  encore  un  service  signalé,  vous  serez  béni  des  «  saints  » 
empereurs  Weng  %  et  Ou  jï£  ;  vous  affermirez  votre  suprématie 
sur  les  vassaux,  et  vous  acquèrerez  la  gloire  et  la  fortune  que  je 
vous  souhaite  de  tout  cœur. 

Autrefois,  l'empereur  Tch'eng-wang  $5  (1115-1079)  a  déjà 
réuni  les  princes  féodaux,  pour  bâtir  les  fortifications  de  Tch'eng- 
tcheou  }fc  J$,  en  vue  d'en  faire  la  capitale  orientale  de  l'empire  ; 
c'était  pour  honorer  la  grande  vertu  de  l'illustre  Wen-wang  3t3£. 
Maintenant,  de  mon  côté,  je  désire  m'assurer  les  bénédictions  et 
l'heureuse  influence  de  ce  même  Tch'eng-wang,  mon  glorieux 
ancêtre,  en  renouvelant  et  agrandissant  celte  ville,  dont  il  fut  le 
fondateur. 

Ce  travail  accompli,  je  n'aurai  plus  besoin  de  vos  garnisons  ; 
je  ne  fatiguerai  plus  les  princes  féodaux  ;  car  les  traîtres,  qui, 
comme  des  vers  nuisibles,  rongent  les  fondements  du  trône  impé- 
rial, seront  pour  toujours  chassés  et  éloignés.  J'espère  exécuter 
ce  projet,  grâce  à  l'aide  du  royaume  de  Tsin  ;  c'est  à  vos  bons 
soins,  que  je  confie  et  remets  cette  grande  entreprise,  mon  vénéré 
oncle.  Veuillez  la  prendre  en  sérieuse  considération  ;  et  faire  en 
sorte  que  moi,  le  pauvre  empereur,  je  ne  m'attire  pas  le  mécon- 
tentement du  peuple  ;  et  que  vous,  de  votre  côté,  vous  vous  cou- 
vriez d'une  gloire  immortelle.  Mes  ancêtres  vous  en  seront  recon- 
naissants, et  vous  en  récompenseront. 

A  la  lecture  de  ce  message  doucereux,  le  seigneur  Che-yanq 
•±  |&  dit  au  premier-ministre  Wei-chou  §|  ^  :  il  est,  en  effet, 
plus  commode  de  fortifier  Tch'eng-tcheou  j$;  jgj,  que  d'entretenir 
des  garnisons  ;  le  «fils  du  ciel»  a  parfaitement  raison  ;  faisons-lui 
ce  plaisir  ;  si  ensuite  il  a  encore  des  difficultés,  notre  royaume  de 
Tsin  pourra  s'en  laver  les  mains,  et  ne  s'en  point  occuper  ;  en 
obéissant  aujourd'hui  aux  ordres  de  l'empereur,  nous  déchargeons 
les  vassaux  de  l'obligation  de  fournir  leur  contingent  de  garnisons, 
et  nous  nous  délivrons  de  nombreux  soucis  ;  manquer  un  coup 
pareil  serait  impardonnable  ;  que  pouvons-nous  désirer  de  mieux? 
Wei-chou  fut  aussi  de  cet  avis  :  de  suite  il  députa  Han-pou- 
sin  %%  T-  fg,  fils  de  Han-h'i  $£  £g,  transmettre  la  réponse  sui- 
vante :  Dès  que  «le  fils  du  ciel»  nous  intime  ses  ordres,  comment 
oserions-nous  ne  pas  obéir  promptement  ?  nous  allons  immédiate- 
ment avertir  les  vassaux  ;  ensuite,  quand  et  comment  exécuter  ces 
travaux,  cela  sera  absolument  remis  à  la  discrétion  de  la  cour 
impériale. 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    T1NG-KONG.  391 

A  la  llème  }une  (septembre-octobre),  Wei-chou  et  Han-pou- 
sin  (nommé  aussi  Han-pé-yng  $:£  f^  -^f)  se  rendaient  ensemble  à 
la  réunion  des  représentants  des  vassaux  ;  elle  eut  lieu  à  Ti-ts'iuen 
%K  îjç  (^)»  erjdroit  qui  devait  faire  partie  de  la  nouvelle  ville  pro- 
jetée ;  on  y  renouvela  d'abord  le  traité  d'alliance  et  d'amitié  conclu 
en  529,  à  P'ing-h'iou  *$  ]£  ;  puis  on  régla  les  détails  de  l'entre- 
prise, et  la  part  qui  incomberait  à  chacun  des  Etats. 

Il  paraît  que  Wei-chou,  en  exerçant  sa  présidence  légitime,  y 
commit  une  faute  impardonnable  ;  il  s'arrogea  la  place  du  souve- 
rain, et  parla,  le  visage  tourné  vers  le  sud,  privilège  inaliénable  du 
roi  son  maître,  pour  ne  pas  dire  du  seul  empereur. 

Aussi,  Piao-i  fê£  fê£,  grand-officier  de  Wei  fëj,  s'enipressa-t- 
il  d'annoncer  le  châtiment  d'une  telle  usurpation  :  le  seigneur 
Wei-chou,  dit-il,  encourra  certainement  une  grande  calamité, pour 
son  intolérable  arrogance;  le  livre  des  Vers  (2)  nous  avertit  en  ces 
termes  :  «craignez  la  colère  du  ciel  ;  ne  vous  abandonnez  pas  à  la 
dissipation  ni  à  l'oisiveté;  craignez  les  dispositions  changeantes 
du  ciel;  prenez  garde  de  vous  livrer  au  désordre»  ;  donc,  à  plus 
forte  raison,  faut-il  éviter  d'usurper  la  place  du  souverain,  et  de 
commander  en  maître  l'exécution  d'une  œuvre  si  importante  ! 

Au  jour  Ki-tcheou  g  jj  (18  octobre),  le  seigneur  Che-hing- 
pé  -j^  jp;  fâ  de  Tsin  remettait  à  Liou-tse  |>|J  ^f-,  ministre  de  l'em- 
pereur, le  plan  et  le  devis  des  fortifications  projetées  ;  tout  s'y 
trouvait  indiqué  avec  le  soin  le  plus  minutieux  :  longueur, hauteur, 
largeur  de  ces  murs  en  terre  battue;  qualité  de  cette  terre, endroits 
d'où  elle  devait  être  tirée;  canaux  et  rigoles  à  creuser:  nombre 
d'hommes  et  de  journées  nécessaires  ;  provisions  de  bouche  et  ins- 
truments des  travailleurs  ;  endroit  à  construire  par  chacun  des 
états  confédérés;  chaque  député  reçut  une  feuille  oii  rien  n'avait 
été  oublié,  de  ce  qui  le  concernait  (3). 

En  509,  à  la  l"'e  lune,  au  jour  sin-se  ^  £  (,4  décembre), 
Wei-chou   réunissait   les    députés,  pour  fixer  la  date  à  laquelle  on 


(1)  Ti-ts'iuen:  est  le  nom  d'une  rivière  qui  coule  au  milieu  de  Lo-ycmg  fô 
Wj  ;  déjà,  en  6:11,  il  \  avait  eu  réunion  de  souverains,  au  même  endroit,  dans  les 
palais  bâtis  au  bord  de  cette  rivière  et  de  l'étang  qu'elle  alimente.  Grande  géogr., 
vol.  48.  p.   iq). 

(2)  Che-king  g^f  fâ.  (Couvreur,  p,  373.  ode  10.  n°  S). 

(li)  Ces  corvées  publiques,  comme  creusement  clr  canaux,  ou  choses  sembla- 
bles, se  l'ont  encore  aujourd'hui  de  la  même  manière;  la  plus  grande  équité  semble 
y  présider:  en  réalité,  ce  n'est  que  fraude  et  vénalité:  malheur  à  celui  qui  néglige 
de  faire  des  cadeaux  en  rapport  avec  sa  fortune  :  on  le  lui  l'ait  bien  expier  autrement 
11  y  a  toujours  des  querelles  et  des  rixes,  parmi  ces  nombreux  el  robustes  travail 
leurs  ;  il  faut  une  grande  autorité  «m  une  main  ferme,  pour  j  maintenir  une  paix 
quelconque;  sinon  l'entreprise  reste  inachevée. 


392  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

commencerait  les  travaux  :  il  se  réservait  en  même  temps  la  direc- 
tion générale  de  toute  l'entreprise,  au  grand  scandale  des  ambas- 
sadeurs: c'est  pourquoi  Piou-i  j£$  §|  le  prophète  de  Wei  fëj,  ren- 
chérit sur  sa  première  prédiction  :  Il  est  contraire  à  tous  les  droits, 
dit-il,  de  s'arroger  une  pareille  autorité,  quand  il  s'agit  de  la  ca- 
pitale du  "fils  du  ciel";  elle  appartient  à  ses  ministres;  une  telle 
usurpation  provoque  la  colère  du  ciel:  ou  bien  le  roi  de  Tsin  va 
perdre  sa  suprématie  sur  les  vassaux,  ou  bien  \.Yei-chou  va  perdre 
la  vie. 

N'en  déplaise  à  notre  lettré-prophète.  Wei-chou  avait  raison, 
quand  il  se  réservait  l'autorité  suprême,  en  nommant  surintendant 
des  travaux  son  compagnon  Hain-pou-sin  %%  ^  f|f ,  aidé  de  Yuen- 
cheou-kouo  i^0j^.  grand  officier  impérial.  Au  milieu  d'une  telle 
agglomération  de  travailleurs  d'une  douzaine  de  nations,  il  fallait 
une  tête  et  une  main  plus  fermes  que  celles  des  ministres  de  l'em- 
pereur,   pauvres  gens  incapables  d'être  maîtres  chez  eux. 

Wei-chou  ne  voulait  cependant  pas  s'astreindre  à  une  sur- 
veillance continuelle,  ni  s'imposer  l'obligation  de  vider  les  querel- 
les journalières  de  ces  milliers  de  terrassiers  :  il  y  avait  pourvu  au 
moven  de  ses  deux  remplaçants.  Quant  à  lui,  il  s'en  alla  chasser 
au  pays  de  Ta-lou  ^  (^  1  :  pour  lui  rendre  cette  partie  de  plaisir 
plus  fructueuse,  on  mit  le  feu  aux  herbes  et  aux  arbres  de  la  ré- 
gion. C'est  en  revenant  de  cette  chasse  qu'il  mourut  à  Ning  ^t, 
au  grand  contentement  du  prophète  Piou-i,  qui  voyait  sa  prédiction 
si  tôt  réalisée. 

Che-yang  -j^  i|jji  fut  nommé  premier  ministre;  il  commença 
par  refuser  à  son  prédécesseur  le  cercueil  extérieur  en  bois  de 
cyprès,  qui  était  d'usage:  il  donna  pour  prétexte,  que  le  défunt 
n'avait  pas  rempli  son  mandat,  étant  mort  avant  d'avoir  achevé 
l'entreprise  dont  il  avait  été  chargé,  et  n'ayant  pu  en  rendre 
compte  à  son  maître:  il  lui  reprochait  surtout  d'avoir  été  s'amu- 
ser à  la  chasse,  au  lieu  de  vaquer  à  son  office. 

Au  jour  Keng-yng  ^  ^  (13  décembre)  on  avait  fini  tous  les 
échafaudages  en  bois.  Mong-i-tse  jg;  ^  "Pi  grand  officier  de  Lou 
.|§..  était  venu  avec  son  contingent  de  travailleurs.  Tchong-ki  fih 
^|,  grand  officier  ambassadeur  de  Song  '£ .  refusait  obstinément 
de  se  mettre  à  l'œuvre  :  nos  feudataires  de  Teng  ^,  de  Si  f^  et 
de  Ni  £)|)  (ou  Siao-tchou  ,\i  ^|$),  disait-il,  sont  ici  pour  accomplir 
la  tâche  imposée  à  notre  royaume. 

Le  ministre  de  Si  protestait  avec  indignation  :  l'état  de  Song, 
disait-il.  agit  contre  toute  justice,  en  nous  refusant  le  droit  d'avoir 
des    relations    directes   avec    l'empereur,    et   de  nous  dévouer  pour 


1  l'a-lou  :  nomme  plus  tard  Ou-tche-p'oua  %  ffl  g$.  ('tait  à  1 0  li  au  nord 
de  Sinunu  hien  0  g^  gg,  qui  est  à  120  li  à  l'est  de  sa  prélecture  Hoai-k'ing  fou 
ISi  JS  W,  llo-nan.  Ning  «'lait  un  peu  à  l'est  de  Siou-ou.  Petite  géogr.,  Bol.  I-'. 
L>.    28     --     Grande,   vol.   4c.  p.    //   • 

I 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    TING-KONG.  393 

notre  compte  au  bien  commun;  il  nous  considère  comme  une  pen- 
deloque inutile;  c'est  nous  pousser  à  quitter  les  intérêts  de  la 
Chine,  pour  nous  attacher  aux  sauvages  de  Tch'ou  ^.  Jusqu'ici. 
nous  avons  fidèlement  suivi  la  direction  de  Song;  mais  dans  le 
traité  de  Tsien-iou  {Jj|  -£,  conclu  en  G32.  sous  la  présidence  de 
Wen-kong  ^  ^,  il  est  stipulé  que  chacun  des  états  signataires 
jouira,  de  nouveau,  de  ses  anciens  droits  et  privilèges. 

Faut-il  s'en  tenir  à  ce  texte?  Alors  nous  sommes  les  égaux 
de  Song;  nous  traitons  nos  affaires  directement  avec  l'empereur. 
Ou  bien,  contrairement  au  traité,  sommes-nous  les  feudataires  de 
Song?  Que  le  roi  de  Tsin,  chef  des  vassaux,  décide  la  querelle  ; 
nous  sommes  prêts  à  lui  obéir. 

Très-bien  !  répondait  Tchong-ki,  tenons-nous-en  au  traité  ;  il 
ne  fait  que  confirmer  nos  droits  ;  car  vous  avez  toujours  été  feu- 
dataires de  Song  ! 

Nullement!  répliquait  le  ministre  de  Si:  Hi-tchong  ^.  jrji . 
fondateur  de  notre  maison  régnante,  demeura  d'abord  au  paya  de 
Si,  et  fut  intendant  en  chef  des  chars  impériaux,  sous  la  dynastie 
Hia  ]|[  ;  plus  tard,  il  se  transporta  a  Pei  £[>  (1);  mais  son  descen- 
dant Tchong-hoei  ff(i  J|&,  fameux  ministre  de  l'empereur  T'nwj  $ 
(1766-1754),  retourna  à  Si.  D'après  nos  anciens  droits  et  privi- 
lèges, notre  famille  est  celle  d'un  ministre  impérial  ;  pourquoi 
faire  de  nous  des  feudataires  d'un  état  vassal? 

A  quoi  Tchong-ki  répondait  pertinemment:  Depuis  les  trois 
dvnasties,  il  y  a  en  bien  des  changements;  nous  sommes  actuelle- 
ment sous  celle  de  Tcheou  jg),  comment  invoquer  un  ordre  de 
choses  qui  existait  sous  colle  de  Chang  f^?  Vous  êtes  les  hommes 
de  Song;  voilà  vos  droits  et  vos  devoirs  I 

Le  seigneur  Che-king-pé  ~f  &  f6  était  bien  embarrassé  de 
ce  cas.  débattu  furieusement  devant  son  tribunal:  il  cherchait 
à  gagner  du  temps,  avant  de  répondre1,  espérant  que  le  débat 
tomberait  de  soi-même  :  .Notre  premier  ministre,  disait-il,  vient 
seulement  d'entrer  en  charge  ;  ainsi,  il  ne  peut  pas  donner  tout 
de  suite  une  réponse  définitive;  en  attendant,  il  convient  que  l'état 
de  Song  accomplisse  sa  part  des  corvées,  comme  tous  les  autres  : 
dès  que  je  serai  rentré  à  la  capitale,  je  consulterai  les  archives, 
pour  savoir  ce  qu'il  en  est  de  cette  question. 

Tchong-ki  répliqua  fièrement  :  peut-être  que  votre  seigneurie 
a  oublié  le  droit  public  :  mais  les  Esprits  des  montagnes  et  des 
fleuves  ne  l'ont  pas  oublié:   ils  en  vengeront  la  violation. 

(1)  Pei  ;  Ce  pays  devint  pli.-  tard  Siu^tcheou  fou  \%  ¥h  %f  ■  Kiatig-sou. 

si  :  sa  capitale  étnil  à  10  li  au  sud  de  Teng  hien  $$  (|.f.  <)"'  es*  ;i  '  ''-'  ''  -Ul'- 
esl  de  sa  préfecture  Yen-tcheou  fou  $£  #|  ffî.  Charf-tong.  (Petite  géogr.,  eol.  10, 
p,    .■      —     Grande,    vol.    ..'-'.  p.    Zj 

fchong-hoei  :    Sur   *•<•    fameux    homme,    voir    le    livre    des  lynastic 

Chang  j§J,  chap.  -'.  (Couvreur,  /■.  ^.   103,  et  suiv 

50 


394  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

Che-king-pé,  furieux  de  cette  bravade,  en  parla  de  suite  à 
Han-pou-sin  <j>j£  ^  fjf.  le  sous-intendant  des  travaux:  l'ambassa- 
deur de  Si.  dit-il.  invoque  le  témoignage  des  hommes,  qui  peut 
être  vérifié  :  mais  celui  de  Song.  ne  pouvant  répondre  aux  argu- 
ments, en  appelle  aux  Esprits,  pour  nous  effrayer  et  nous  berner; 
n'est-ce  pas  une  impudence  impardonnable?  C'est  bien  le  cas 
d'appliquer  la  sentence  du  livre  des  annales  1  n'ayez  pas  de 
favoris:  vous  vous  attireriez  le  mépris  de  leur  part;  car  la  fami- 
liarité engendre  le  mépris*  .  Il  faut  absolument  couvrir  de  honte 
cet  insolent. 

Sur  ce.  les  gens  de  Tsin  s'emparèrent  de  Tchong-ki.  et  le 
livrèrent  à  l'empereur  ;  ils  auraient  bien  voulu  le  conduire  prison- 
nier à  leur  capitale  ;  mais  ils  craignaient  les  conséquences  d'un  tel 
abus  de  pouvoir,  en  présence  de  l'empereur  lui-même. 

Les  fortifications  furent  terminées  en  trente  jours;  les  soldats 
des  garnisons  purent  s'en  retourner  chez  eux.  Seuls,  les  gens  de 
Ts'i  ^,  qui  n'avaient  pas  commencé  leur  tache  au  jour  fixé, 
durent  encore  rester  quelques  jours  p:>ur  l'accomplir:  ils  étaient 
sous  les  ordres  de  leur  ambassadeur  Kao-lcliarnj  ^  $i- 

Le  grand  seigneur  de  Tsin.  Jou-cltou-lioan  fjr  7j^  ^f .  se  sentit 
inspiré  de  faire  une  prophétie  au  sujet  de  ce  retard  et  de  ces  forti- 
fications :  Tchang-hong  |=  g£,  grand  officier  impérial,  et  Kao-tchang 
l'ambassadeur  de  Ts'i,  dit-il.  n'échapperont  pas  au  mauvais  sort 
qu'ils  ont  mérité:  le  premier  a  lutté  contre  le  ciel:  le  second, 
contre  les  hommes  :  le  premier  a  voulu  relever  la  maison  impériale, 
condamnée  à  l'humiliation  par  le  ciel  :  le  second  ne  s'est  pas  rendu 
au  jour  fixé  pour  commencer  les  fortifications  :  le  premier  a  oublié 
que  quiconque  est  abattu  par  le  ciel,  ne  peut  être  relevé  ;  le  second 
a  oublié  qu'une  entreprise  commune  doit  s'exécuter  en  commun. 
sans  qu'on  puisse  tenter  de  s'y  dérober. 

Cette  prédiction  saugrenue  du  seigneur  lettré,  ou  plutôt  de 
l'historien  postérieur,  est  le  procédé  habituel  pour  nous  dire  qu'en 
492  Tchang-hong  ^^/-  sera  mis  <l  mort,  et  qu'en  489  Kao-tchang 
}lJj  jjH  sera  jeté  en  exil.  Ces  messieurs  historiens  ont  l'agaçante 
manie  de  montrer,  à  tout  bout  de  champ,  que  le  présent,  le  passé, 
l'avenir,  tout  cela  est  livre  ou\ert  pour  les  lettrés. 

En  50S,  rien  dans  la  chronique.  En  507,  vers  le  mois  de 
juin,  une  armée  de  Tsin  se  voyait  honteusement  battue,  à  P'ing- 
tchong  ^  r^i    2),    sur   son  propre  territoire,  par  les  troupes  de  la 

(1)  Chou-kiny  îij-  jjjj     Couvn   'r.  p.    zj6.  n°  g). 

(2)  Pinir-tchontr  :  n'est  pas  connue. 

Sien-vu:  sa  capitale  était  près  de  Sin-lo  hien  $f  >«*  ff.  C)Uj  est  à  VU  li  nord- 
est  de  sa  préfecture  Tcheng-ting  fou  JE  M  tff,  Tche-li.  Cette  principauté,  appelée 
plus  tard  Tchong-clutn  ^  |lj.  ne  subsista  pas  Ion-temps.  (Grande  géogr.,  roi.  14. 
p.  24  . 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.     TING-KONG.  395 

minuscule  principauté  de  Sien-yu  j|^J|;  Koan-liou  f|H  J^,le  chef 
de  cette  expédition,  était  fait  prisonnier;  c'était  la  juste  punition 
de  son  incurie:  il  croyait  faire  une  simple  promenade  militaire,  et 
avait  négligé  les  précautions  les  plus  usuelles. 

En  506,1e  royaume  de  Tsin.par  une  sottise  incroyable,  laisse 
échapper  l'occasion  d'anéantir  l'état  de  Tch'ou  ^,  et  de  relever 
plus  haut  que  jamais  sa  propre  autorité.  Voici  les  faits: 

Xous  avons  vu  que  Tsc-tchao  ^jf-  jjïj),  rival  de  l'empereur  légi- 
time, s'était  réfugié  auprès  du  roi  de  Tch'ou;  celui-ci  ne  deman- 
dait pas  mieux  que  de  l'aider  à  s'emparer  du  trône,  espérant  bien 
le  supplanter  à  son  tour,  quand  le  moment  serait  venu. 

L'empereur  et  Ting-kong,  également  menacés  par  des  projets 
si  ambitieux,  convoquèrent  les  princes  et  les  troupes  de  dix-huit 
états;  jamais  on  n'avait  vu  pareille  assemblée,  pareille  armée. 
Liou-tse  ||lj  ^f,  ce  fameux  ministre  impérial  qui  avait  provoqué 
l'agrandissement  de  la  nouvelle  capitale,  était  encore  l'âme  de  cette 
réunion  pléniaire;  il  était  secondé  par  le  prince  de  Ts'ai  |j|,  qui. 
harcelé  par  les  gens  de  Tch'ou.  effrayait  tout  le  monde  par  ses 
rapports  exagérés. 

A  la  3ème  lune  (janvier-février),  pendant  cette  extraordinaire 
assemblée  tenue  à  Chao-ling  £J  [^  (1),  le  grand  seigneur  de  Tsin 
bien  connu  de  nous,  Siun-yng  ^j  jj|,  demanda  des  cadeaux  au 
prince  de  Ts'ai;  celui-ci  ne  jugea  pas  à  propos  de  les  accorder;  ce 
fut  la  cause  de  la  débâcle. 

Mécontent  de  ce  refus,  Siun-yng  s'adressa  au  premier  ministre 
Che-yanrj  -^  .^,  l'homme  aux  deux  chapeaux,  dont  la  cupidité 
n'est  pas  oubliée  du  lecteur;  il  lui  parla  en  ces  termes:  Notre 
royaume  se  trouve  présentement  dans  une  situation  critique;  les 
vassaux  ne  nous  sont  point  affectionnés  :  ils  se  préparent  à  nous 
abandonner:  n'est-il  pas  dangereux  de  nous  lancer  sur  un  état 
aussi  puissant  que  celui  de  Tch'ou?  Les  grandes  pluies  du  prin- 
temps vont  bientôt  commencer,  et  défoncer  tous  les  chemins  ;  nos 
gens  seront  décimés  par  les  fièvres  ;  la  principauté  de  Sien-yu  $,|  ^ 
n'a  pas  encore  été  punie  de  l'affront  qu'elle  vient  de  nous  infliger. 
Xous  irions  provoquer  la  colère  de  Tch'ou,  avec  lequel  nous  som- 
mes en  paix!  ne  serait-ce  pas  violer  la  foi  jurée?  Quel  serait  le 
résultat?  Contre  cet  état,  depuis  notre  inutile  attaque  de  Fangf- 
tch'eng  ~fj  ££  (557),  nous  n'avons  jamais  pu  aboutir  à  rien;  en 
ce  moment,  nous  n'aurons  pas  plus  de  chance:  et  nous  aurons, 
en  pure  perte,  harassé  notre  armée.  Le  mieux  serait  de  laisser  le 
prince  de  Ts'ai  terminer  son  différend  avec  le  roi  de  Tch'ou.  sans 
nous  en  mêler. 


(1)   Chao-ling:  était  à  45  li  à  l'est  de    Yeng-tch'eng  /n'en    [ÉJ5  #K  $$.   q"'  '  - 
120    li    au    sud   de    Hiu  tcheou   jrf  )■[} ,    Ho-nan.     'Petite  géogr.,  roi.   12.  p.   .        — 
(Grande,  vol.  ^7.  p.  46). 


396  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

Ce  stupicle  conseil  prévalut.  Après  bien  des  délibérations, bien 
des  querelles  sur  l'observance  des  "anciens  rites»,  l'expédition  fut 
abandonnée:  cette  grand  levée  de  boucliers  s'évanouit  comme  une 
fumée;  la  décadence,  l'imbécilité  de  Tsin  se  montra  dans  tout  son 
jour. 

L'édition  impériale  vol.  34.  p.  lia  de  longues  citations  de 
divers  auteurs,  unanimes  à  déplorer  l'aveuglement  de  la  cour  de 
Tsin,  qui  perdait  une  occasion  sans  pareille  ;  il  ne  lui  fallait  qu'un 
peu  d'intelligence,  un  peu  d'énergie  :  mais  il  n'y  avait  plus  que 
vénalité,  coterie,  égoïsme.  dans  ce  royaume  devenu  la  proie  de 
quelques  familles  puissantes. 

Ting-kong  semble  d'une  parfaite  nullité  ;  présent  à  l'assemblé: 
de  Chao-ling,  il  ne  fut  pas  mieux  avisé  que  ses  ministres.  A  la 
5éme  iune  (mai-juin),  il  eut  encore  quelques  délibérations  avec  les 
vassaux,  dans  la  ville  de  I\ao-you  -^  !(jjjj  (1  ,  mais  sans  aucun 
résultat,  sinon  le  suhant  : 

Le  prince  du  petit  état  de  Chen  fâ  (2)  n'avait  pas  paru  à  ces 
deux  réunions  ;  Ting-kong.  indigné  de  cette  négligence,  ordonna 
au  prince  de  Ts'ai  2g.  son  voisin,  de  l'en  punir.  Celui-ci,  bien 
content  de  cette  commission  lucrative,  se  jeta  sur  la  pauvre  petite 
principauté,  la  vainquit  sans  peine,  et  massacra  le  souverain  fait 
prisonnier. 

A  cette  nouvelle,  le  roi  de  Tch'ou  $&  vint  mettre  le  siège  de- 
vant la  capitale  de  Ts'ai  ;  le  prince  implora  du  secours  auprès  de 
son  suzerain,  mais  Ting-kong  le  laissa  encore  dans  ce  nouvel  em- 
barras. C'est  alors  que  ce  prince  fit  alliance  avec  le  roi  de  Ou  £{, 
et  commença,  de  concert  avec  lui.  une  lutte  qui  mit  le  pays  de 
Tch'ou  à  deux  doigts  de  sa  perte. 

Xous  avons  raconté  ces  tragiques  événements  dans  notre  his- 
toire de  Ou,  et  dans  celle  de  Tch'ou  ;  ce  qui  reste  incompréhensi- 
ble, c'est  que  Ting-kong,  voyant  son  rival  pressé  au  sud  et  à  l'est, 
ayant  déjà  perdu  sa  capitale  et  presque  tout  son  pays,  errant  à 
l'aventure  parmi  les  roseaux,  ne  soit  pas  venu  du  nord  lui  donner 
le  coup  de  grâce. 

Pendant  ce  temps,  c'esi-à-dire  vers  le  mois  de  juillet,  le  pre- 
mier-ministre Che-ynng  -±  |&  partait  en  guerre,  contre  la  petite 
principauté  de  Sien-yu  f$.  %  :  il  n'eut  pas  honte  de  requérir  au- 
près du  marquis  de    Wei  $j  des   troupes   auxiliaires,    jugées   sans 


i  K  io-vou  :  était  au  sud-est  de  l'ancienne  ville  de  Fcm-tcluoig  5gf  H  :  celle-ci. 
qui  a  aussi  disparu,  n'a  plus  que  des  vestiges,  à  30  li  nord-ouest  de  Ling-yng  hien 
ËSÏ  S  Sf.  qui  e-i  .',  00  li  de  Hiu  tcheou  H=  #).  Hn-nan.  (Grande  géogr.,  vol..  47, 
p.  44). 

-     "  :  -a  capitale  est  devenue  la    Mlle   actuelle    de    Chen-k'iou  fetes  #fc  tL 

Sf,  à  110  li  sud-est  de  sn  préfecture  Tch-cncj-tchcov  fou  j$  #|  /flf.  Ho-nan.  Petite 
géogr.,  vol.  12.  y,    S7    —    Grande,  vol.  4-;.  p. 


DC    aOTAÙME   DE  TSIN.   TlNG-ftONG.  39*7 

doute  nécessaires  pour  assurer  son  succès.  N'était-ce  pas  absurde? 
Aussi  l'historien  se  tait  sur  le  résultat  de  cette  expédition  :  les 
commentaires  en  rient  ;  ils  disent  que  si  Che-yang  ne  remporta 
point  de  gloire,  il  y  gagna  des  pots-de-vin  :  c'est  ainsi  que  les 
gens  de  Sien-yu  payèrent  leur  imprudente  victoire. 

Vers  cette  même  époque,  mourait  Liou-tse  §lj  ^f-.  ou  Lh  - 
wen-kong  §1]  ^  5»,  ce  fameux  ministre  qui  avait  tente  de  relever 
le  prestige  de  la  dynastie  impériale,  et  n'avait  réussi  qn'à  en  ra- 
lentir un  peu  l'irrémédiable  décadence.  Les  commentaires  disent 
que  depuis  des  siècles,  l'empereur  n'avait  pas  eu  un  homme  égal 
à  celui-là  ;  sa  mor1  fut  annoncée  officiellement  aux  vassaux  :  Con- 
fucius  lui-même  la  consigna  dans  ses  annales  :  exception  bien 
honorable  :  car  il  n'y  inscrivait  que  le  décès  des  souverains.  Cet 
insigne  ministre  disparu,  la  cour  impériale  retomba  dans  le  désar- 
roi ;  sa  faiblesse  augmenta  de  jour  en  jour  :  elle  poux  ait  encore 
moins  donner  quelque  impulsion  ou  direction  au  royaume  de  Tsin, 
pour  le  bien  commun  de  tous  les  états. 

En  505,  au  printemps,  l'empereur  profitant  de  l'embarras  où 
se  trouvait  le  roi  de  Tch'ou  ^,  envoya  des  sicaires  assassiner  le 
prince  Tse-tcliao  ^f  ]$].  dont  il  craignait  le  retour.  Exemple  fu- 
neste, de  la  part  de  celui  qui  devait  punir,  ou  tout  au  moins  faire 
punir,  quiconque  aurait  commis  semblable  forfait  '. 

Vers  le  mois  de  septembre.  Che-yang   retournait   à   la   cha 
contre  le  pays  de  Sien-yu  :  il  en  assiégea  la  capitale,  sans  pouvoir 
s'en  emparer  :     pour  faire  quelque  butin,  il    fut    réduit   à   dévaster 
la  campagne.      Encore  une  honte  de  plus  ! 

En  504,    Tan-p'ien  ^f  gjj.  partisan   du   prince    Tse-tchao  -^ 
^jjj,  recommençait  la  lutte  contre  l'empereur:   soutenu  par  le  sou- 
verain de  Tcheng  fi[$,  il  prenait  d'abord    la   ville  de  Shi-mi  ^  |$f 
I    :    puis   forçait    ie    pauvre      fils  du  ciel-    à    s'enfuir    au    pays    de 
Tsin.  dans  la  ville  de  Kou-you  jjji  ijg-. 

Ting-kong  ordonna  au  duc  de  Lou  fy  d'aller  punir  le  prince 
de  Tcheng  de  cette  insigne  félonie  :  le  duc  obéit, et  fut  assez  heureux 
pour  prendre  la  ville  de  K'oang  [je  2  :  mais  Ting-kong  la  réclama 
pour  soi. 

Vers  le  mois  de  février-mars,  le  grand  seigneur  Ki-hoan-tse 
5p  tM  *?>  fils  de  Ki-p'in<j-tse  5p  *$■  -j*.  se  rendait  dévotement  à 
la  cour  de  Tsin,  offrh  les  prisonniers  capturés  pendant  cette  expé- 
dition.    Ce  ministre   étant   parti.    Yang-hou  [^  J&  le  trop   fameux 

(1)  Siu-nii  :  était  i'i  10  li  sud-est  de  Yen-vhe  hien  jH  fiifî  H ,  qui  e?t  a  70  li  à  l'est 
de   sa    préfecture   Ho-nan  fou    f"f  ^  $F,  Ho-nan.    Petite  géogr.,  vol.   12.  p< 

■  trie,,   vol.  48,  p.   20  . 
Kou-you  :  appartenait  à  l'empereur  :  c  e-i  tout  ce  qu'on  en 

(2)  K'oang  :  était  au  nnrd-e?i  de  Woi-tchoan  hien  v/f  Jl|  K-  qui  est  h  150  li 
sud-ouest  de  sa  prélecture  K'ai-fong  fnv  [$  $j  H-f.  Ho-nan.  <■••  toi.  ts, 
p.  4'  —     Gronde,  vol.  4-.  p.   22  . 


398  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

et  trop  puissant  intendant  de  la  famille  Ki  ^,  et  pour  lors  le 
vrai  maître  du  pays,  força  Mong-i-tse  ;jg  Jg  ^-.  autre  ministre, 
à  partir  à  son  tour  pour  la  cour  de  Tsin,  sous  prétexte  de  remer- 
cier la  reine,  des  cadeaux  qu'elle  avait  envoyés. 

C'était  un  abus  d'autorité  de  cet  impudent  parvenu  ;  c'était 
une  basse  flatterie  de  sa  part  :  et  Mong-i-fse  sentait  vivement  la 
honte  de  sa  commission.  De  fait,  Ting-kong  ne  donna  qu'un  seul 
festin,  en  l'honneur  de  ces  ambassadeurs:  il  traitait  le  second 
comme  simple  assesseur  du  premier. 

Mong-i-tse.  se  trouvant  sur  le  pas  de  la  porte  du  vestiaire,  en 
profita  pour  glisser  un  mot  à  l'oreille  de  Che-yang  ^ji^:  Si  par 
hasard,  dit-il,  Y.ang-hou  ne  pouvait  plus  rester  dans  son  pays,  et 
venait  ici  chercher  un  refuge,  votre  seigneurie  voudra  bien  lui 
donner  un  office,  qui  ne  soit  pas  inférieur  à  celui  d'intendant 
général  de  l'armée  du  centre  (1);  si  vous  le  traitiez  autrement,  les 
mânes  de  vos  anciens  rois  vous  en  puniraient. 

Le  premier  ministre  comprit  très-bien  la  chinoiserie  cachée 
sous  cette  recommandation  :  il  répondit  froidement  :  si  notre  hum- 
ble souverain  a  une  place  vacante,  il  choisit  lui-même  un  homme 
capable  de  l'occuper:  moi,  je  n'ai  rien  à  y  voir.  Che-yang  rapporta 
cet  incident  au  seigneur  Ha n-po u-sin  $p.-7£  \%,  et  ajouta:  ces 
messieurs  de  Lou  ont  peur  de  Yang-hou,  et  cherchent  à  s'en  dé- 
barrasser :  Mong-i-tse  sait  bien  que  cet  homme  va  tenter  une 
révolution,  et  finira  sans  doute  par  s'enfuir;  c'est  pourquoi  il 
s'interpose  en  sa  faveur. 

A  la  8èl"(  lune  juin-juillet  .  Yo-h'i  |j|  ||),  grand  seigneur  de 
Song  5^,  fit  à  son  souverain  la  remarque  suivante:  De  tous  les 
vassaux,  il  n'y  a  plus  guère  que  nous  à  montrer  du  dévouement 
à  la  cour  de  Tsin  :  si  nous  n'y  envoyons  pas  d'ambassadeur,  bien 
sûr  qu'elle  sera  mécontente. 

Ce  même  seigneur  fit  part  de  cette  remontrance  à  son  inten- 
dant Tch'en-yng  ^  '^  ;  celui-ci  répondit:  notre  prince  vous  char- 
gera certainement  de  cette  ambassade  dangereuse  ;  avant  de  partir, 
établissez  votre  fils  comme  votre  successeur  et  chef  de  votre  famil- 
le ;  cette  précaution  est  absolument  nécessaire  ;  s'il  vous  arrive 
malheur,  votre  maison  ne  sera  pas  compromise  avec  vous  :  notre 
souverain  saura  aussi  que  vous  connaissez  la  situation  :  et  que 
vous  êtes  prêt  à  le  servir,  en  dépit  du  péril. 

En  effet,  le  prince  de  Song,  quelques  jours  plus  tard,  appelait 


(I)  Cet  intendant  était  le  plus  haut  des  dignitaires,  nprès  les  ministres.  Y  :  s 
hou  se  rendait  odieux  pnr  ses  empiétements  ;  on  pouvait  prévoir  le  jour  où  il  serait 
c'est  ce  que  dit  Mong-i-tse  à  m<>t-  couverts  :  il  espérait  peut-être  que  la 
cour  de  Tsin  inviterait  ce  personnage  :  ou  que  lui-même  s'offrirait  à  cette  cour, 
dans  l'espoir  d'une  si  haute  dignité  ;  bref,  c'était  une  chinoiserie  pour  tâcher  de  se 
débarrasser  d'un  tel  individu  :  "ti  simule  de  l'attachement  pour  lui. 


DU    ROYAUME   DE    l'SIN.    TING-KONG.  399 

Yo-k'i,  et  lui  disait:  l'observation  que  vous  m'avez  faite  est  très- 
sage  ;  c'est  votre  seigneurie  que  je  choisis  pour  cette  ambassade. 
Yo-k'i  présenta  son  fils  Houen  j||J,  pria  le  prince  de  lui  donner 
l'investiture  de  chef  de  famille,  puis  se  mit  en  route  pour  le  pavs 
de  Tsin. 

Tchao-yang  ^^.  petit-fils  du  fameux  premier  ministre  Tchao- 
ou  jjg  5^,  vint  à  la  rencontre  de  l'ambassadeur,  et  lui  donna  un 
grand  festin  à  Mien-chang  $£  _fc,  1);  ce  seigneur  fut  si  flatté  do 
cette  réception,  qu'il  offrit  à  Tchao-yang  un  cadeau  de  soixante 
boucliers  précieux. 

Son  sage  intendant.  Tch'cn-yng  gjjf  J|,  désapprouva  cette  lar- 
gesse intempestive  :  autrefois,  dit-il,  les  membres  de  votre  maison 
étaient  les  hôtes  habituels  de  la  famille  Fan  j*[5f  celle  du  premier 
ministre  :  aujourd'hui,  vous  passez  à  la  famille  Tchao.et  vous  lui 
faites  un  si  beau  présent;  Che-yang  ^  ^  et  toute  sa  parenté  vont 
être  jaloux  ;  ils  vous  feront  expier  chèrement  cette  faute  ;  vous  allez 
voir  quelles  calamités  vous  auront  attirées  ces  précieux  boucliers  ! 
Mais,  dussiez-vous  mourir  au  pays  de  Tsin,  votre  descendance 
continuera  d'être  prospère  dans  votre  patrie:  pareeque  vous  avez 
montré  votre  dévouement  dans  cette  ambassade. 

En  effet.  Che-yang  s'adressant  à  Ting-kong  lui  dit  :  sur  l'ordre 
de  son  souverain,  le  seigneur  Yo-k'i  a  passé  la  frontière  pour  venir 
ici  en  ambassade  :  avant  d'avoir  salué  votre  Majesté  et  accompli 
sa  mission,  il  s'est  laissé  festoyer  chez  le  seigneur  Tchao  |ft"  ;  une 
telle  conduite  ne  peut  se  tolérer;  elle  est  une  injure  envers  le 
prince  de  Song  et  envers  votre  Majesté. 

Confucius  blâme  cet  ambassadeur  dans  les  mêmes  termes  ; 
cela,  toutefois,  n'excuse  pas  les  actes  de  violence  commis  par  Che- 
yang,  sur  la  personne  de  Yo-k'i,  en  dépit  du  droit  des  gens  alors 
en  usage;  tout  d'abord,  il  fit  saisir  l'imprudent  ambassadeur: 
système  tyranique  assez  habituel  à  cette  cour  en  décadence.  Si, du 
moins,  on  s'était  contenté  de  cette  punition  illégale  !  mais  non  : 
une  sottise  en  amène  une  autre  ! 

En  503,  à  la  Hème  lune,  au  jour  meuu-uu.  j%  ^p  20  septem- 
bre), l'empereur  quittait  enfin  la  ville  de  Kou-you  jtfj  fj§,  pour 
retourner  dans  sa  capitale.  Ting-kong  le  fit  reconduire  par  le  grand 
seigneur  T&i-ts'ing  ^  ^.  accompagné  de  deux  ministres  impériaux. 


(1)  Mien-chang:  la  montagne  Mien  est  a  15  ii  nord-oueM  de  l-tch'eng  hien 
M.  itâ,  %,  qui  est  à  130  Ii  sud-esi  de  sa  préfecture  P'ing-yang  fou  T1  fë  #f .  Chan- 
m.     Grande  yéogr..  vol.  41.  p.   13  . 

Quant  à  ces  précieux  boucliers.  le  texte  porte   le  caractère    Yang  $g  :    étaient- 
Us  en  buis  ?  c'est  peu  probable  ;  en    peuplier.'    en    saule.'    .Mers    ils    étaient    J 
par  leur  ornementation,    sculpture,  vernis,  dorure,  argenterie,  ■•)!  antre  chos 
boucliers  ordinaires  étaient  en  cuir  durci    du  moins  pour  la   plupart  ,  -i    on 
tinsrue  des  cuiras: 


400  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

A  la  douzième  lune,  au  jour  ki-se  g,  g,  (21  octobre,  l'em- 
pereur faisait  son  entrée  dans  sa  ville  de  Wang-tch'eng  3£  ;£$, 
prenait  logement  dans  le  palais  de  la  grande  famille  Tang  ^,puis 
se  rendait  de  suite  au  temple  Tchoang-kong  J£  fè,  remercier  ses 
ancêtres  de  son  heureux  retour;  les  troubles  étaient  finis. 

En  502,  l'ambassadeur  Yo-k'i  *g|  f\\]  étant  toujours  prisonnier, 
le  grand  seigneur  Tchao-yang  jjg  |^,  cause  involontaire  de  son 
arrestation,  intercéda  vivement  en  sa  faveur,  auprès  de  Ting-kong: 
Il  n'y  a  plus  que  le  pays  de  Song  $£,  disait-il,  à  nous  montrer  de 
l'amitié  ;  quand  même  nous  porterions  ses  ambassadeurs  dans  nos 
bras,  ils  auraient  encore  peine  à  venir  chez  nous;  retenir  le  sei- 
gneur Yo-k'i,  c'est  pousser  tous  les  princes  féodaux  à  fuir  notre 
vasselage  ;  le  mieux  serait  de  le  renvoyer  honorablement,  et  sans 
délai. 

Le  premier  ministre  s'y  opposa  en  disant  :  depuis  trois  ans 
bientôt,  cet  ambassadeur  est  ici  ;  son  prince  n'a  fait  faire  aucune 
démarche,  aucune  intercession, pour  le  délivrer;  si  aujourd'hui,  sans 
raison,  nous  lui  rendons  la  liberté,  son  souverain  quittera  certai- 
nement notre  vasselage. 

Ayant  ainsi  parlé,  Che-yang  -^  ^  fit  encore  donner  à  Yo-k'i, 
en  secret,  un  perfide  conseil  :  notre  humble  souverain,  disait-il, 
vous  retient  ici,  pareequ'il  n'a  guère  confiance  en  votre  prince; 
faites  donc  venir  votre  fils,  à  votre  place;  alors  vous  pourrez  re- 
tourner chez  vous. 

Yo-k'i  communiqua  cette  proposition  à  son  intendant;  celui- 
ci  devina  le  piège:  gardez-vous-en  bien,  répondit-il;  ce  serait  per- 
dre votre  fils  avec  vous  ;  assurément  notre  pays  va  rompre  avec 
une  cour  pareille  :  il  vaut  mieux  que  votre  seigneurie  reste  seule 
ici,  en  attendant  que  l'affaire  s'arrange. 

Yo-k'i  était  vieux;  il  pouvait  mourir  un  jour  ou  l'autre  à  la 
cour  de  i'sin  ;  d'après  les  mœurs  chinoises  d'alors,  comme  d'au- 
jourd'hui, c'eût  été  une  complication  très-fâcheuse;  on  se  résigna 
enfin  à  le  laisser  partir;  mais  le  digne  homme  mourut  en  chemin. 

Yo-k'i  se  trouvait  parmi  les  montagnes  qui  forment  la  chaîne 
Ta-han<j  J^  fj  (1),  quand  il  rendit  le  dernier  soupir  ;  son  inten- 
dant pensait  pouvoir,  sans  nouvelles  difficultés,  conduire  le  cercueil 
au  pays  de  Sonij  5$J  :  il  se  trompait  :  Che-yang  lui  envoya  l'ordre 
de  le  laisser  dans  la  ville  de  Tcheou  >)\\  (2)  :  il  en  exposa  le  motif 


(1)  Ta-hang:  nous  avons  déjà  dii  que  cette  chaîne  de  montagnes  scrl  de  fron- 
tière entre  la  province  du  Chan-si  el  celle  du  Ho  nan. 

(2)  Tcheou:  appelée  plus  tard  Ou-te  tch'eng  fit  $§>,  M.  était  à  50  u"  gud-esl 
de  Hoeti-k'ing  fou  fê!  $£  fff.  Uo-nan.  (Petite  g éogr.,  ml.  u.  p.  zà)  —  (Grremde, 
roi.  fa,  p.  y1.  Ces  mœurs  se  conservenl  encore  maintenant;  s'il  j  a  des  dettes  à 
paver,  ou  une  affaire  en  litige,  on  ne  permet  pas  d'emporter  le  mort,  ni  de  l'enter- 
rer j  les  mandarins  sonl  alors  impuissants. 


DU    ROYAUME   DE   TSIN'.    T1.NG-K0NG.  40l 

à  Ting-kong  :  Après  ce  qui  est  arrivé,  dit-il,  le  prince  va  quitter 
notre  vasselage  ;  s'il  veut  reprendre  le  cadavre  de  son  ambassa- 
deur, forçons-le  à  nous  jurer  fidélité. 

Ainsi  fut  fait  ;  au  printemps  do  l'année  suivante,  le  roi  de 
Song  envoya  un  grand  dignitaire  h  la  cour  de  Tsin.  jurer  un  traité 
d'amitié,  et  ramener  le  cercueil. 

Le  puissant  état,  de  T.<'i  ^  s'était  depuis  longtemps  débar- 
rassé de  la  suzeraineté  de  Tsin  :  il  cherchait  même  à  lui  enlever 
des  feudataires.  et  à  se  les  attacher  ;  il  s'attaquait  pour  lors  au 
duché  de  Lou  ^.  ;  celui-ci  demanda  du  secours  à  Ting-kong.  qui 
lui  envoya  une  armée  :  les  troupes  de  Ts'i  s'empressèrent  de  s'en 
retourner  chez  elles,  remettant  l'expédition  à  un  moment  plus 
propice. 

Le  duc  de  Lou  se  hâta  d'aller  remercier  ses  libérateurs  dans 
leur  camp,  à  Wa  ~fa  1  :  on  dit  que  lors  de  cette  visite,  Che-yang 
"!.*$& i  Ie  généralissime,  tenant  en  main  un  agneau,  l'offrit  au  duc, 
en  signe  d'amitié  mutuelle  ;  Tchao-yang  ^^.  le  second  général, 
et  Siun-yng  ^fj  'pT  le  troisième,  offrirent  chacun  une  oie  sauvage: 
depuis  cette  époque,  ce  genre  de  présents  fut  adopté,  et  se  perpétua 
pendant  de  longues  générations  2  .  Mais  voici  une  affaire  d'une 
tout  autre  gravité  : 

Wa  se  trouvait  sur  le  territoire  de  Wei  f.vj  :  Che-yang  et  ses 
collègues  profitèrent  de  leur  présence  à  cet  endroit,  pour  effrayer 
le  marquis,  et  le  rattacher  à  l'obédience  de  Tsin  :  ils  lui  mandèrent 
donc  de  venir  à  Trhoan-tche  |ÙJ  ffi  3  jurer  ensemble  un  traité 
d'alliance  et  d'amitié  :  ils  se  proposaient  en  même  temps  de  lui 
infliger  une  bonne  humiliation.  Tchao-yang  demanda  aux  grands 
officiers  qui  d'entre  eux  se  sentait  le  courage  de  jurer  ce  traité  avec 
le  marquis  :  ou  plutôt,  qui  d'entre  eux  voulait  se  dévouer  à  jouer 
cette  comédie  ?  Tche-t'ouo  ffi  |)£  et  Tch'eng'ho  ^  jîîj  s'offrirent 
pour  un  si  bel  exploit. 

Pour  cette  cérémonie  solennelle,  il  fallait  le  sang  d'une  victi- 
me, ordinairement  d'un  bœuf  :  on  coupait  l'oreille,  et  l'on  en  re- 
cueillait le  sang,  pour  écrire  le  traité  et  se  frotter  les  lèvres  ;  le 
moins  digne  parmi  les  contractants  avait  pour  office  de  tenir  cette 
oreille.  Le  marquis  invita  donc  un  des  deux  officiers  à  remplir 
ce  rôle. 

(1)  Wa  :  cette  montagne  e-t  à  l'est  de  Houa  hien  fâ  '$£.  qui  est  à  '.'Û  li  nord- 
est  de  sa  préfpcture  Wei-hoei  fou  fëj  fQ  Jft.  Ho-nan.    Petite  géogr.,  vol.   /.'.  ;<. 

Grande,  vol.   16.  p.  30 

(2)  Le  livre  des  rites  (li-ki  $f  fC  dit  en  effet:  un  ministre  dotât  offre  un 
agneau  :  un  grand  dignitaire  offre  une  oie  sauvage  :  un  officier  intérieur,  un  faisan  : 
un  homme  du  peuple, un  canard  domestique  :  ces  animaux  dosaient  être  ornés  d'une 
banderolle  d'étoffe  fleurie.   (Couvreur,  vol.   1.  p.  106). 

(3)  Tchoan-tche:  ville  de  Wei  .  on  eu  ignore  l'emplacement. 

5 


402  ■    TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

Tch'eng-ho  s'écria  impudemment  :  votre  état  de  Wei  ne  vaut 
pas  nos  deux  villes  de  Wen  jj^  et  de  Yuen  fâ  (T.  ;  et  vous  voulez 
trancher  du  grand  vassal,  vous  mettre  sur  le  môme  rang  que  notre 
royaume  de  Tsin  ? 

Quand  le  marquis  se  préparait  à  tremper  son  doigt  dans  le 
sang,  pour  s'en  frotter  les  lèvres,  Tche-t;ouo  lui  poussa  la  main 
dans  le  sang,  jusqu'au  poignet  ;  ce  n'était  pas  seulement  une 
grossière  injure,  c'était  un  sacrilège.  Le  marquis  s'aperçut  trop 
tard  qu'on  avait  voulu  se  moquer  de  lui  ;  mais  il  se  vengea  en 
quittant  pour  toujours  le  vasselage  de  Tsin  :  en  vain  la  cour  lui 
fit-elle  ensuite  présenter  ses  regrets,  ses  excuses  même:  c'était  fini! 

Le  généralissime,  très-fier  sans  doute  de  ce  singulier  »  traité 
d'amitié  »  (2),  eut  ensuite,  au  mois  de  juin,  une  entrevue  avec  le 
grand  ministre  de  l'empereur  :  il  s'agissait  de  punir  le  prince  de 
Tcheng  |f}),  qui,  en  504,  avait  profité  des  troubles  de  la  cour  im- 
périale, pour  s'emparer  des  territoires  situés  près  du  défilé  I-k'iuè 
tà  1Ê  3;  ;  comme  conclusion,  l'armée  de  Tsin  assiégea  la  ville  de 
Tchong-lao  ||  ^  (4). 

Le  prince  de  Tcheng  |$  donna  satisfaction  :  car  l'historien 
se  contente  de  dire  que  le  premier  ministre  partit  de  là  pour  aller 
réduire  le  marquis  de  Wei  -ffj  par  les  armes  ;  les  choses  ne  mar- 
chèrent pas  si  bien  qu'il  l'avait  espéré  :  il  fut  obligé  d'appeler  les 
troupes  auxiliaires  du  duc  de  Lou  i§.  ;  celles-ci  arrivèrent  à  la 
gème  lune  'juillet-août)  :  mais,  de  son  côté,  le  prince  de  "Wei  im- 
plora le  secours  du  roi  de  Ts'i  ^.  qui  fut  enchanté  de  cette  bonne 
occasion  de  faire  échec  à  son  soit-disant  suzerain. 

En  501,  vers  le  mois  de  juin,  le  roi  de  Ts'i,  à  la  tète  de  ses 
troupes,  envahissait  le  territoire  de  Tsin.   et  prenait  la  forteresse 


(1)  Wen:   était  au  sud-est  de   Ho«i-kinrj  fou  U  g  #f,   Ho-nan. 

yuen:  était  à  70  li  à  l'ouest  do  la  mû  me  préfecture.  (Petite  géogr.,  vol.  12. 
iijj.    27  et  2ç)  —  )Grande.  vol.   4Q .  p.  6). 

(2)  Dans  un  pacte  solennel  'ming  g[).  on  immolait  une  victime  (un  bivuf) 
sur  lo  bord  d'une  fosse  rectangulaire  ;  on  lui  coupait  l'oreille  gauche,  que  l'on  dé- 
posait sur  un  plat  orné  de  perles  :  on  recevait  le  sang  dans  un  bassin  incrusté  de 
pierres  précieuses:  avec  ce  sang,  on  écrivait  les  articles  du  traite,  et  l'on  se  frot- 
tait les  lèvres  :  on  lisait  ce  traité:  on  le  déposait  sur  la  victime;  puis  on  l'enterrait 
avec  elle  dans  la  fosse.  (Couvreur  li-ki  $j|  fC  l'ol.  i.  p.  ç2 

(3)  I-k'iué  :  se  trouve,  avec  la  montagne  K'iué-sai  cluxn  j$]  Sr  (il,  à  30  li 
sud-ouest  do  Ho-nan  fou  'éT  l'i  fl=p.  Ho-nan.  Petite  géogr.,  vol.  i  a .  //  32) — (Gran- 
di .   roi .  4S.   p.    14) . 

hong-lao  :  ou  encore  Tong-luo   fis]  $.   était   à   2    li   au    nord  de    Wong- 
k'iou  hien  Jf  fc  f?»  qui  est  à  50  li  au  nord  do   >a    préfecture    Wei-hoei  fou   fâ\  JjSf 
ff?p.  Ho-nan;  il  3  a  un    kiosque  comme   souvenir.     Petite  géogr..  vol.   12.  /».   21    — 
Grande,  vol.   t~.  \>.   2s  . 


DU    ROYAUME   DK  TSIN.     TING-KONG.  403 

de  I-i ^  {$  1  .  Une  armée  de  Tsin,  forte  de  mille  chars  de 
guerre,  accourut  pour  reprendre  cette  ville  :  ainsi  la  comédie  se 
trouvait  changée  en  un  drame  redoutable. 

Le  roi  de  Ts' i  s'étant  rendu  à  Ou-che  3£  ]fc  (2),  le  marquis 
voulait  aller  l'y  rejoindre,  avec  ses  troupes  :  mais,  pour  cela,  il 
lui  fallait  passer  par  Tchong-meou  PJ4  fç.  (3),  où  se  trouvait  alors 
campée  l'armée  de  Tsin  ;  avant  de  partir,  le  marquis  ordonna  de 
consulter  les  sorts  ;  mais  le  devin  maladroit  grilla  si  bien  la  cara- 
pace de  la  tortue  divinatoire,  qu'il  fut  impossible  de  rien  lire  parmi 
les  crevasses. 

Les  sorts  sont  favorables  !  s'écria  quand  même  le  marquis  ; 
car,  dans  sa  haine  contre  les  gens  de  Tsin,  il  était  résolu  à  livrer 
bataille,  coûte  que  coûte  :  je  n'ai  que  cinq  cents  chars,  ajouta-t- 
il  ;  mais,  à  moi  seul,  j'en  vaudrai  cinq  cents  autres  ;  ainsi  nous 
sommes  égaux  ! 

Les  généraux  de  Tsin  se  disposaient  à  marcher  à  sa  rencontre 
et  à  l'écraser  ;  un  transfuge  de  Wei  les  en  dissuada  en  ces  termes: 
notre  état  est  petit,  et  son  armée  bien  inférieure  à  la  votre,  c'est 
vrai  ;  mais,  dans  sa  fureur,  le  marquis  luttera  à  mort,  et  la  chan- 
ce lui  sera  peut-être  favorable  :  les  troupes  de  'IV i,  au  contraire, 
sous  les  ordres  d'un  général  inférieur,  se  reposent  de  leur  victoire; 
tombez  plutôt  sur  elles,  à  l'improviste  ;  dans  le  désarroi  d'une 
telle  attaque,  elles  ne  feront  qu'une  faible  résistance,  et  vous  en 
aurez  facilement  raison.  Les  généraux  suivirent  ce  conseil,  qui 
eut  un  plein  succès. 

En  500,  vers  le  mois  d'avril,  le  grand  seigneur  Tchao-yang 
^  §&  allait  assiéger  la  capitale  de  Wei  fêj  '■  H  aurait  peut-être 
réussi  à  s'en  emparer  ;  mais  le  marquis  mieux  avisé,  lui  ayant 
promis  cinq  cents  familles  d'habitants  en  cadeau,  ce  digne  général 
se  retira  content  de  cette  aubaine,  et  déclara  la  ville  imprenable. 

A  propos  de  ce  siège,  l'historien  relate  les  détails  suivants  : 
L'année  précédente,  le  marquis  ayant  rejoint  le  roi  de  Ts'i,  envahit 
le  territoire  de  Han-tan  ■jfôtj^  ;  le  gouverneur,  nommé  Ou  àf.,  était 
occupé  à  réparer  les  murs  de  la  forteresse  Han-che  $£  ^  (4), 
quand  l'armée  de  Wei  se  présenta  pour  en  faire  le  siège  :  le  brave 


(1)  I-i  :    était    a    12   li   sud-ouest   de   Tong-tchang  fou   Ml  Éi  M.   Chan-tong. 
(Petite  géogr.,  vol.   zo,  p.  zo)     -  (Grande,  vol.  34,  p. 

2)   I  >u-che  :  était  un  peu  à  L'ouest  de  Han-tan  hien  1115  |1|>  ^.  qui  es(  à    55    li 
sud-ouest   de   sa    préfecture   Kouna-pinv  fou  ffi  ^f-  Jft .    IVhe-li.     Petite  géogr 
2.  p.  jo1  —  (Grande,  vol.   //.  p.  26).   —  Ou-che  s'appela  aussi  Han-che  $$  rx;. 

(3)  Tchong-meou:  •'•tait  à  50  li  à  L'ouest  de  T'ang-yng  hien  ?$  Pê  $£>  qui  est 
a   ',.">  li  au   sud   de  sa    préfecture    Tchang-te  fou   &  fê.  fl?.    Ho-na  géogr., 

vol.  12,  p.  if)  —    Grande,  ool.  ./•>■  p. 

i      Han-tan  :   riait   à   20   li   Sud-OUest  de   llan-l.m   hien 

Han-che;  c'est  Ou-che    ci-dessus). 


404  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

officier  continua  son  travail  sans  s'effrayer  ;  mais,  pendant  la  nuit. 
ses  soldats  l'abandonnèrent,  et  le  marquis  s'empara  de  la  place 
avec  facilité. 

Quand  Tchao-yang  assiégea  la  capitale  de  \Yei,  le  grand 
officier  Ou  éf-,  qui  l'aidait,  voulut  réparer  son  honneur  par  un 
coup  d'éclat;  prenant  seulement  avec  soi  soixante-dix  hommes,  il 
s'en  alla  donner  l'assaut  à  la  porte  occidentale  de  le  ville  ;  les 
habitants  voyant  une  si  faible  troupe,  ouvrirent  la  porte,  espérant 
s'emparer  de  ces  fanfarons  ;  mais  le  grand  officier  se  contenta  de 
tuer  un  ennemi,  dans  l'intérieur  des  murs  ;  puis  il  s'en  retourna 
en  criant:  pour  aujourd'hui,  c'est  assez;  je  voulais  seulement 
venger  l'affront  que  j'ai  subi  à  Han-chc  ^  J£  (1)! 

L'insolent  Tche-t'ouo  ffi  f£  que  nous  connaissons,  le  félicita 
de  cette  bravade:  vous  avez  montré  du  courage,  lui  dit-il;  mais, 
en  ouvrant  la  porte,  les  assiégés  ont  prouvé  qu'ils  n'avaient  pas 
peur  de  vous  ;  je  vais  y  retourner  ;  vous  verrez  qu'ils  se  garderont 
bien  d'ouvrir. 

Ayant  ainsi  parlé,  notre  brave  appela  aussi  soixante-dix 
hommes  ;  en  attendant  qu'ils  fussent  arrivés,  il  alla  se  promener 
tout  seul,  en  long  et  en  large,  devant  cette  même  porte  ;  ses  sol- 
dats étant  réunis  stationnèrent  à  cet  endroit  jusqu'à  midi  ;  voyant 
enfin  qu'on  ne  voulait  pas  ouvrir,  ils  s'en  retournèrent  au  camp. 

Cependant,  la  cour  de  Tsin  ne  s'expliquait  pas  la  défection 
subite  du  marquis  de  Wei  fëj  ;  encore  moins  la  rage  dont  il 
paraissait  animé,  après  avoir  juré  un  traité  d'amitié;  elle  fit  une 
enquête,  et  apprit  l'outrageante  comédie  de  ce  traité  ;  elle  aurait 
dû  tout  d'abord  en  punir  le  premier  ministre  et  ses  collègues  ; 
mais  il  ne  fallait  pas  même  y  penser  ;  elle  fit  donc  saisir  l'insolent 
Tche-tcouo  ëJ?ft;;  Puis  e^e  n*  proposer  au  marquis  de  venir 
renouveler  honorablement  amitié  avec  son  suzerain,  lui  promet- 
tant une  ample  satisfaction.  Le  marquis  répondit  qu'il  ne  voulait 
plus  avoir  de  rapports  avec  la  cour  de  Tsin  ;  sur  quoi,  Ting-kong 
fit  massacrer  Tche-t'ouo.  A  cette  nouvelle,  l'autre  compère  Tch'eng- 
n0  JiJc  fnj  décampa  au  plus  vite,  et  se  réfugia  au  pays  de   Yen  $t. 

L'historien  fait  sur  cela  sa  remarque  de  lettré  :  un  homme- 
sage,  dit-il,  verra  ici  l'accomplissement  du  proverbe  «quiconque  se 
moque  des  rites,  mérite  une  punition  exemplaire»;  le  livre  des 
Vers  a  une  parole  équivalente  «celui  qui  n'observe  pas  les  conve- 
nances de  la  vie  sociale,  que  ne  meurt-il  bien  vite!»  (2) 

En  499  et  498,  il  n'y  a  rien  dans  la  chronique:  il  y  a  ample 
compensation  à  l'année  suivante. 

En  497,  au  début  de  l'année   (novembre-décembre),  le   roi  de 


(1)  Han-chc:  fei-dessusj.  Han-tan,  Han-chc,  Qu-che,  étaienl  comme  une  seule 

ville,  n  cause  de  leur  proximité;  de  là, ce  qui  est  de  l'une  s'applique  parfois  à  l'autre. 

(2)  Che-Mng  g$  ifif.  (Couvreur,  j),  6o,  ode  8,  tl°  3), 


DU   ROYAUME  DE  TSIX.    TlNG-KONG.  405 

Ts'i  ^  et  le  marquis  de  Wei  ^  campaient  à  Tch'ouei-kia  SJt  e| 

(1);  de  lu,  ils  envoyèrent  des  troupes  envahir  le  territoire  de  Tsin  : 
mais  celles-ci,  arrivées  au  bord  du  fleuve  jaune,  refusèrent  de  le 
traverser  ;  leurs  grands  officiers  eux-mêmes  n'osaient  les  conduire 
de  l'autre  côté,  disant  que  cette  expédition  était  trop  aventureuse. 

Seul,  le  grand  dignitaire  Ping-i-tse  |Tjft  ^  ££  soutenait  qu'elle 
était  possible:  envoyons,  disait-il,  l'élite  de  nos  troupes  envahir 
la  contrée  de  Ho-nei  fpj  |Aj  (2);  le  courrier  le  plus  rapide  mettra 
plusieurs  jours  avant  de  parvenir  à  la  capitale,  en  donner  la  nou- 
velle ;  si  le  roi  expédie  tout  de  suite  une  armée  contre  nous,  elle 
ne  sera  pas  arrivée  avant  trois  mois  :  alors  nous  aurons  ravage  le 
pays,  et  nous  aurons  repassé  ce  fleuve;  qu'avons-nous  à  craindre? 

Ce  conseil  fut  enfin  agréé,  et  mis  à  exécution  :  mais  le  roi  de 
Ts'i  apprit  avec  indignation  la  Lâcheté  de  ses  grands  officiers  : 
pour  les  en  punir,  il  retira  à  tous,  excepté  à  Ping-i-tse.  la  voiture 
à  timon  recourbé,  dont  ils  avaient  le  privilège. 

\<>us  n'avons  pas  oublié  le  singulier  cadeau  fait  par  le  mar- 
quis de  Wei  ^  au  général  Tchao-yang  |§  $&  :  *'  ne  *"aut  Pas  troP 
s*en  étonner;  à  cette  époque,  les  familles  de  bourgeois  et  de  pay- 
sans étaient  quasi-esclaves;  on  se  les  partageait  en  héritage,  on 
les  échangeait,  on  les  transportait  ailleurs,  à  peu  près  comme  du 
bétail;  nous  avons  même  vu,  quelquefois,  la  population  entière 
d'une  ville  transférée  ailleurs,  pour  avoir  opposé  aux  assiégeants 
une  résistance  opiniâtre. 

Dans  le  cas  présent,  Tchao-yang,  pour  ne  pas  se  compromet- 
tre, n'avait  pas  transplanté  ces  cinq  cents  familles  dans  son  propre 
fief  ;  il  les  avait  établies  sur  le  territoire  de  Han-tan.  dont  le  grand 
officier  Ou  éf  était  le  gouverneur  :  ce  fut  l'origine  d'événements 
tragiques  :   les  voici,  dans  leur  curieux  enchaînement  : 

Tchao-yang  n'ayant  sans  doute  plus  rien  à  craindre,  de  la 
part  des  envieux  ou  de  la  cour,  manda  au  grand  officier  <  >u,  de 
lui  rendre  ces  cinq  cents  familles,  mi  qu'il  voulait  les  placer  dans 
son  fief  de  Tsin-yang  |f  %    3     :   on  était  alors  au  printemps. 

Le  gouverneur  était  tout  disposé  à  obéir  :  étant  retourné  dans 
sa  famille,  il  parla  de  cet  ordre  avec  son  père  et  son  frère-aîné  : 
ceux-ci  s'opposèrent  absolument  à  cette  reddition  :  le  prince  de 
Wei  $j,  disaient-ils,  se  montre  tout-à-fait  bien  envers  le    pays  de 


(1)  Tch'ouei-kia:  appelléc  aussi  Kicn-chc  j$  ft  (ou  \}$lk-  était  au  sud-ouest 
de  Kiu-yé  hien  $L  ïf  M,  qui  est  à  110  li  à  l'est  de  sa  préfecture  Tch'ao-tcheou 
fou  W  'H  tfï-  Chan-tong.  (Grande  géogr.,  vol.  33,  p.  1  . 

(2)  Ho-nei  ;    c'est   le    territoire   actuel    do     Wei-hoei   fou    Wt  *$  1Ï-     Ho-nan. 

(Petite  géogr.,  vol,   12,  p.   iq)   —(Grande,  vol.  49'  P-   '7>- 

(3)  Tsin-vang  :    était    à    15  11  sud-ouest  de    T'ai-yuen  fou    $\  fâ.  W%    l'han-si, 
Petite  géogr.,  vol.  S,  p.  2)  —  (Grande)  roi.  40.  p.  7). 


406  TEMPS   VRAIMENT    HISTORIQUES 

Ha.n-ta.n  $[)  jpj  1  ,  à  cause  de  ses  anciens  sujets  ;  les  envoyer 
ailleurs,  serait  rompre  avec  lui  :  si  l'on  ne  peut  éviter  d'obéir,  il 
faudrait  prendre  un  moyen-terme  :  il  faudrait  envahir  le  territoire 
de  Ts'i  ^  ;  le  roi  dépêcherait  certainement  une  armée,  pour  se 
venger  :  alors,  sous  prétexte  de  mettre  ces  familles  en  sécurité, 
vous  pourriez  les  transférer  ailleurs,  sans  froisser  le  marquis. 

Le  gouverneur  approuva  ce  conseil  :  il  manda  donc  à  Tchao- 
yang,  qu'il  lui  enverrait  ses  nouveaux  sujets  à  Tsin-yang  :  mais 
à  un  moment  plus  propice.  Ayant  reçu  cette  réponse  dilatoire, 
Tchao-yang  entra  dans  une  grande  fureur  ;  il  somma  le  gouverneur 
de  venir  s'expliquer  à  Tsin-yang  même  ;  là,  il  le  mit  en  prison, 
et  défendit  aux  gens  de  sa  suite  d'entrer  en  armes  dans  la  ville  ; 
ceux-ci  préférèrent  s'en  retourner,  voyant  qu'ils  ne  pouvaient  déli- 
vrer leur  maître. 

Tchao-yang  écrivit  aux  habitants  de  Han-tan  le  billet  suivant: 
pour  des  raisons  privées,  que  je  ne  puis  vous  faire  connaître,  j'ai 
gardé  ici  votre  gouverneur  :  choisissez-vous  donc  un  autre  homme 
capable,  que  vous  mettrez  à  sa  place.  Après  avoir  envoyé  cette 
dépèche,  Tchao-yang  fit  tuer  son  prisonnier. 

A  cette  nouvelle,  Tchao-tsi  ^f^,  fils  du  gouverneur,  et  TvUp- 
ping  ffi  '<§[,  un  des  chefs  de  l'escorte,  expliquèrent  aux  habitants 
de  Han-tan  les  menées  perfides  de  Tchao-yang,  et  les  excitèrent  à 
se  révolter  ouvertement  contre  lui  ;  ainsi  le  transfert  des  cinq  cents 
familles  était  devenu  impossible. 

A  la  Gèmc  lune  (avril-mai;,  le  seigneur  Tsi-ts'in  f§  Jjjs-,  grand 
intendant  de  l'armée  du  centre,  conduisait  des  troupes  contre  ces 
rebelles  ;  ce  qui  causa  une  révolution  dans  tout  le  royaume  :  voici 
comment  :  Le  seigneur  Siun-yng  ^  j|[  (bien  connu  de  nousï  était 
l'oncle  maternel  du  gouverneur  assassiné  :  de  plus,  le  fils  de  ce 
même  défunt  avait  pour  épouse  la  fille  de  Che-ki-chè  jr  cf  §\, 
Mis  du  premier  ministre  Che-yang  J:  'Pt  ;  les  deux  familles  Siun 
et  Che  (ou  Fan  ffc)  étaient  donc  étroitement  unies  d'honneur  et 
d'intérêt,  pour  venger  la  mort  de  leur  parent. 

Aussi,  quand  l'armée  de  Tsin  se  mit  en  marche  pour  l'expé- 
dition de  Han-tan,  ces  deux  familles  refusèrent  leur  contingent  : 
elles  se  préparaient,  au  contraire,  à  attaquer  Tchao-yang  dans  son 
propre  palais.  Celui-ci  fut  averti  par  un  de  ses  officiers,  nommé 
Tong-ngan-yu  3£  5c  -J*  :  mais  il  se  contenta  de  lui  répondre  : 
nous  avons  une  loi  qui  dit  «  celui  qui,  le  premier,  commence  une 
révolution,  sera  mis  à  mort  »  ;    laissons-les  donc  venir  ;    ensuite, 


I      fchao  yang  avait  place  ses  cinq  cents   ramilles  sur    le   territoire   de    Tsin, 
non  loin  de  leur  ancienne  patrie. 

La  capitale  de   Weifgf,  a  cette    époque,   <;tait   à    Pou*ycmg   i&t  RS»  :   or  celle-ci 
(.■si  la  ville  actuelle  de  K'ai  tcheou  P£)  H],  à   12"  li  au  sud  de  sa  préfecture  Ta-ming 

fou     h  45    'ïT'i   Tche-li.   (Petite  giSat/r..   vol     j.  [>.    -v      -       Grande,   vol.    i6,  p.  54). 


DU   ROYAUME  DE  TSIN.    TINO-KONG.  107 

nous  verrons  ce  qu'il  y  aura  à  faire-.  —  Alors,  répliqua  l'officier, 
au  lieu  de  mettre  en  péril  toute  votre  maison,  attaquez  vous-même 
vos  ennemis  ;  puis  vous  rejetterez  la  faute  sur  moi,  comme  si  vous 
n'aviez  rien  su.  —  Tchao-yang  remercia  ce  serviteur  de  son  dé- 
vouement :  mais  il  refusa  de  commencer  les  hostilités  :  il  se  retira 
dans  son  fief  de  Tsin-vang.  et  se  prépara  aussitôt  à  la  défense  :  à 
la  7ème  lune    mai-juin),  l'ennemi  était  sous  ses  im. 

Voici  maintenant  les  personnages  qui  vont  soutenir  la  cause 
de  Tchao-yang  :  le  lecteur  ne  s'attendait  pas  à  y  trouver  de  pareils 
noms:  c'est  vraiment  un  drame  redoutable  auquel  nous  assistons: 

1°  F;in-kao-i  fë  ^  t^|,  né  d'une  concubine,  mal  vu  et  mal- 
traité par  son  frère  Che-ki-ché  -^  ^  £j\  voulait  pour  cela  se  sé- 
parer avec  éclat  de  sa  famille,  et  de  son  père  le  premier  ministre  ; 
il  méditait  une  révolution. 

2°  Siun-li  ^jj  j$|  ou  Tche-wen-tse  £p  $r  -"f  .  ministre,  ennemi 
de  Siun-yng  ^j  j^. 

3°  Leang-yng-fou  |J£  ^£  3C-  favori  intime  du  précèdent,  qui 
voulait  en  faire  un  ministre. 

4°  Han-pou-sin  f^  ^  f|f .  ministre,  ennemi  de  Siun-yng, 

5°  Weisiang-tse  f$|  || ■  =f-.  petit-fils  de  l'ancien  premier  mi- 
nistre Wei-chou  f$l  ^  :  il  s'appelait  aussi  Man-louo  ||  ^ .  et 
détestait  Che-ki-ché  -±  S  %\. 

Ces  cinq  grands  seigneurs  s'étant  reunis  en  conciliabule,  dé- 
cidèrent d'expulser  Siun-yng.  et  de  le  remplacer  par  Leang-yng- 
fou;  de  chasser  de  même  Che-ki-ché.  dont  Fan-kao-i  prendrait  la 
place,  comme  chef  de  la  famille. 

En  conséquence.  Siun-li  s'adressa  à  Ting-kong  encestermes: 
Pour  maintenir  la  paix  entre  les  grandes  familles,  nous  avons  une 
loi  qui  dit  ■celui  qui  excitera  une  révolution  sera  mis  à  mori  : 
cette  loi  a  été  jurée  par  tous  les  grands  seigneurs  :  puis  elle  a  été 
déposée  dans  le  fleuve  jaune,  sous  la  garde  de  l'Esprit  protecteur 
de  ce  fleuve.  Or,  des  trois  dignitaires  qui  ont  excite  la  présente 
révolution.  Tchao-yang  seul  se  trouve  en  exil:  ainsi,  les  peines 
infligées  ne  sont  pas  égales  :  nous  prions  donc  votre  Majesté  d'ex- 
pulser aussi  les  deux  seigneurs  Siun-yng  et  Che-ki-ché. 

Le  faible  Ting-kong  donna  son  consentement  :  à  la  I  1   '""  lune 
septembre-octobre  .   une   armée    allait    attaquer   les    deux    familles 
Fan  et  Siun-yng:  elle  était  cammandée  par  Siun-li.   Han-pou-sin. 
et  "\Yei-siang-tse.  qui  furent  honteusement  battus. 

Fiers  de  leur  victoire,  et  furieux  de  cette  permission  de  Ting- 
kong,  les  deux  seigneurs  Siun-yng  et  Che-ki-ché  résolurent  de 
tourner  leurs  armes  contre  lui.  l'n  de  leurs  officiers,  nomme 
Kao-kiang  ïfj  5§|,  transfuge  de  Ts't  >0 .  et  protégé  de  la  famille 
Fan  f£  ou  Che  -|;  .  les  en  disMiadait  de  toir  s  ses  ces  vou> 
connaissez,  leur  disait-il.  ce  proverbe  /<■  médecin  qui  s'est  trois 
fois  ca.?>é  le  bras  finit  par  devenir  habile*  :  profitez  donc  de  mon 
expérience!    comme  vous,    je    me    suis    attaqué    à    mon    roi:    t     - 


408  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

pourquoi  je  suis  maintenant  en  exil.  Les  trois  familles  Tche  £fj, 
H  an  !J!j|l  et  Wei  H,  se  jalousent  entre  elles  ;  vous  avez  toutes  les 
chances  de  les  vaincre;  alors  le  roi  n'osera  pas  vous  résister;  si, 
au  contraire,  vous  tournez  vos  armes  contre  lui,  ces  trois  familles 
appelleront  le  peuple  à  son  secours,  et  vous  serez  perdus. 

Ce  conseil  était  bien  sage  ;  mais  les  deux  vainqueurs  n'étaient 
plus  capables  de  le  goûter  ;  ils  persistèrent  à  marcher  contre  leur 
souverain,  furent  battus,  et  s'enfuirent  à  Tchao-ko  ^^C  (i)  pour 
recommencer  la  lutte. 

Cependant,  les  deux  ministres  Hun  £■'£  et  Wei  |j|  prièrent 
Ting-kong  de  rappeler  Tchao-yang,  vu  que  ce  n'était  pas  lui  qui 
avait  commencé  la  révolution.  En  conséquence,  à  la  12ème  lune, 
au  jour  sin-wei  ^  ^  (20  novembre),  ce  seigneur  rentrait  triom- 
phalement à  la  capitale,  jurait  soumission  loyale  à  son  souverain, 
et  en  recevait  amnistie  complète. 

Sur  ces  événements.  Confucius  écrit  "Tchao-yang  tient  la  ville 
de  Tsin-yang  ^  $§  en  révolte»,  puis  «Tchao-yang  est  rappelé  à 
la  capitale-:  il  était  contemporain,  et  pouvait  savoir  la  vérité; 
pourquoi  donc  la  falsifier?  Les  commentaires  s'escriment  à  expli- 
quer ce  texte  ;  ce  n'est  pourtant  pas  si  difficile  ;  dans  un  moment, 
nous  allons  voir  le  duc  de  Lou  <||.  soutenir  le  parti  des  deux  sei- 
gneurs ;  donc  le  tort  devait  être  de  l'autre  côté,  pour  Confucius. 

En  496,  Leang-yng-fou  ^  ^  $£,  le  nouveau  ministre,  détes- 
tait Tong-ngan ■  yu  j^  t§J  -T-,  de  la  famille  de  Tchao-yang;  il  en 
parla  à  son  puissant  protecteur  et  ami  Siun-li  ^  {{^t  :  Si  nous  ne 
tuons  pas  cet  homme,  dit-il  ;  si  nous  le  laissons  gérer  les  affaires 
de  la  famille  Tchao,  celle-ci  sera  bientôt  maîtresse  de  toute  l'auto- 
rité dans  le  royaume  ;  pourquoi  ne  l'accuseriez-vous  pas  d'avoir,  le 
premier,  causé  toute  cette  révolution?  vous  demanderiez,  qu'à  ce 
titre,  il  soit  mis  à  mort  par  la  famille  elle-même. 

Siun-li  (ou  Tche-wen-tse  £fj  ~$£  ~F)  envoya  à  Tchao-yang  le 
message  suivant  :  Che-ki-ché  et  Siun-yng  ont  été  dûment  punis 
pour  leur  révolution  :  mais  le  véritable  instigateur,  celui  qui  en  a 
eu  la  première  idée,  celui  qui  l'a  provoquée,  c'est  votre  intendant 
Tong-ngan-yu  ;  vous  ne  l'ignorez  pas  ;  oserais-je  vous  rappeler  la 
loi  qui  le  condamne  à  mort? 

Tchao-yang  comprit  ce  qu'on  voulait;  mais  comment  se  rési- 
gner à  sacrifier  un  serviteur  si  utile  et  si  dévoué?  Celui-ci  le  tira 
d'embarras  :  si  ma  mort,  dit-il,  peut  assurer  la  paix  du  royaume 
et  la  sécurité  de  la  famille  Tchao,  pourquoi  tiendrais-jc  à  vivre? 
un  peu  plus  tôt.  un  peu  plus  tard,  nous  mourrons  tous  !  Ayant 
ainsi  parlé,   il  alla  se  pendre. 


1  rchao-ko  :  appelée  plus  tard  Wei-hien  tch'eng  \%\  fH  M,  était  à  50  H  à 
l'ouest  de  Siun-hien  }■§  ff;.  qui  est  à  110  li  nord-esl  de  sa  préfecture  Wei-hoei  fini 
'iéi  'M  tff-  Ho-nan.     Petite  géogr.,  vol.   12,  p.   23)  —     Grande,  roi.  16.  p.  20). 


DU   ROYAUME   I)E    rsiX.    TING-KONG.  109 

Tchao-yang  fit  exposer  le  cadavre  sur  la  rue:  puis  il  écrivit,  à 
Siun-li  :  votre  seigneurie  a  daigné  me  communiquer  ses  ordres  ; 
ils  sont  exécutés:  lé*  coupable  n'existe  plus:  je  vous  en  envoie  l'an- 
nonce officielle. 

Tchao-yang  venait  de  donner  une  grande  marque  de  déféren- 
ce: elle  lui  valut  un  traité  d'alliance  offensive  et  défensive  avec 
Siun-li  et  les  autres  familles  seigneuriales.  Pour  prouver  sa  re- 
connaissance envers  son  intendant,  il  lui  donna  mie  place  dans  le 
temple  de  ses  ancêtres,  et  lui  offrit  des  sacrifices  comme  protecteur 
de  sa  famille. 

Vers  le  mois  d'avril,  une  armée  de  Tsin  s'en  allait  mettre  le 
siège  devant  Tchao-ho  1$  ^f.  où  se  trouvaient  les  deux  seigneurs 
rebelles  Siun-yng  fëj  '£{  et  Che-ki-chè  b  "pf  Q\  :  presque  tous  les 
vassaux  tirent  cause  commune  avec  eux,  contre  leur  suzerain, 
comme  nous  allons  le  voir. 

Tout  d'abord,  le  roi  de  Ts'i  5§,  le  marquis  de  Wei  f-j-j  et  le 
duc  de  Lou  -"g-  eurent  une  entrevue  à  P'i-chang-liang  F$  _h  ^  '  • 
pour  se  concerter  sur  les  moyens  de  secourir  les  assiégés:  la  con- 
clusion fut  que  deux  grands  officiers  du  parti  rebelle,  nommés 
Si-tch'eng-fou  ty\-  Jj^âffet  Siao-wang-tao-kia  j|>1:.  $fc  If  reuniraient 
une  armée  de  Tartares  Ti  ££,  et  feraient  invasion  sur  le  territoire 
de  Tsin,  afin  de  forcer  les  troupes  assiégeantes  à  se  retirer. 

Ce  conseil  eut  d'abord  un  plein  succès:  les  Tartares  parvinrent 
jusque  sous  les  murs  de  la  capitale:  mais  là,  ils  lurent  écrasés,  et 
leurs  conducteurs  s'enfuirent  de  nouveau  à  Tchao-ko. 

Au  mois  de  juin,  le  roi  de  Ts'i  et  celui  de  Song  '-£  avaient 
une  entrevue  à  Tîao  $fç  2  ,  pour  aviser  encore  aux  moyens  de 
sauver  les  rebelles:  en  conséquence, une  armée  des  princes  fédérés 
marchait  à  la  rencontre  des  troupes  de  Tsin;  la  bataille  eut  lieu  a 
Lou  jjj£  3),  en  octobre-novembre  :  elle  fut  malheureuse  pour  les 
alliés;  le  grand  seigneur  Tsi-ts'ing  ^  .^.  que  nous  connaissons, 
fut  fait  prisonnier  et  mis  à  mort:  de  même  Kao-hiang  '^']  jf{Tj.  ce 
transfuge  de  Ts'i,  dont  les  deux  seigneurs  rebelles  avaient  autre- 
fois méprisé  le  bon  conseil. 

Sur  ces  entrefaites,  arrivaient  les  troupes  du  prince  de  Tch'en 
|ftfî  :    elles  ne  purent  se  joindre  à  l'armée  des  princes  fédérés;  elles 


(1)  P'i-chang-lian»  Kien  'f:  par  Confucius,  était  a  12  uest  de 
Nei-hoang  hien  j^j  fç  $f,  qui  est  à  110  li  à  l'est  de  >.i  préfecture  Tchang-te  fou 
%&  îê  Ht-  Ho-nan      Grande  géogr.,  vol  16,  /..    /  r  . 

(2)  Tiao  :  était   à    50    li    sud-ouest   de    Pou    tcheou   f^  #f .    Chan-1 
géogr.,  ool.   /■<■  p.    iS    —  'Grande,  '"/.  34,  j>. 

C.S)   Lou  :  .'tait  à   10  li  nord-est  de  Lou-tch'eng  hien  g'5  i'\  '.?£,  qu 
nord-est  de  sa    préfecture    Lou-ngan  fou    }j$  '/,;-  !{-f,   Chnn-si.  ■:/'••■  vol.  S . 

)>.   14)  —  (Grande,  ool.  42.  p.   2?). 

52 


410  TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 

furent  aussi  vaincues  à  Pé-tsiuen  "gf  ^  (1),  par  les  gens  de  Tsin. 
Malgré  ces  échecs  réitérés,  le  parti  rebelle  ne  désarma  point:  il  y 
eut  seulement  une  trêve;  on  s'acharnait  vraiment  à  ruiner  le  roy- 
aume de  Tsin.  Nous  sommes  bien  loin  de  la  grosse  farce,  que 
l'on  avait  voulu  jouer  au  marquis  de  Wei  $j  !  Qui  donc  aurait  pu 
lui  prédire  de  telles  suites? 

En  495,  rien  dans  la  chronique. 

En  494,  à  la  4ème  lune  (février-mars),  Tchao-tsi  ^  fg,  fils 
du  gouverneur  Ou  -^p,  et  petit-neveu  de  Siun-yng  |fj  ^,  était,  on 
le  conçoit,  un  des  plus  ardents  promoteurs  de  la  révolution  ;  il 
avait  été  le  premier  rebelle,  et  voulait  venger  chèrement  l'assassinat 
de  son  pure;  il  était  pour  lors  assiégé  dans  la  ville  de  Han-tan 
"Jjji  ]p3 :  le  roi  de  Tx'i  ^  et  le  marquis  de  Wei  ■j^f,  voulant  forcer 
l'armée  de  Tsin  à  se  retirer,  allèrent  eux-mêmes  assiéger  Ou-lou 
31  j^     2   ;   Han-tan  fut  ainsi  débloquée. 

Vers  le  mois  de  juin,  ces  deux  mêmes  princes  s'étant  concer- 
tés à  Kan-heou  ijfc  $|  (3),  leurs  troupes,  unies  à  celles  du  duché 
de  Lou  .f§.  et  à  celles  de  la  principauté  de  Sien-yu  j$.  J|  (4), 
s'emparèrent  de  la  ville  de  Ki-p'ou  jj^  fjf    5  . 

A  la  12ème  lune  octobre-novembre  ,  Tchao-yang,  le  vrai  au- 
teur de  toutes  ces  calamités,  conduisait  lui-même  une  armée  à 
Tchao-ho  jji^  ^,  contre  ses  deux  ennemis  personnels;  il  croyait 
enfin  en  avoir  raison;  il  fut  honteusement  battu,  et  dut  se  retirer. 

En  493.  à  la  4ème  lune,  au  jour  pivg-tse  j5ij  -^  9  mars), 
mourait  le  marquis  de  Wei  fëj,  l'ennemi  irréconciliable  de  Tsin. 
Son  fils,  le  prince  héritier  K'ouni-houei  ijîpj  B-j|,  non-seulement 
n'avait  pas  la  haine  de  son  père, il  était  encore  l'ami  de  Ting-kong, 
auprès  duquel  il  s'était  enfui.  Tchao-yang  voulut  faire  une  action 
éclatante,  reconduire  le  jeune  prince  dans  sa  capitale,  ramener  le 
pays  à  l'obéissance,  et  par  là  intimider  les  autres  vassaux. 

(1)   Pé-ts'iuen  :  (les  cent  sources)  cet  endroit  est   dans   la    montagne    Sou-men 

-chun  «{|  f"j  [i]  à    7  li  nord-ouest   de   Hoei  bien  ;5  !?f  :  celle-ci  est  à  60    li  à    l'ouest 

de  sa  préfecture  Wei-hoei  fou  |g  %S.  fâ,  Ho-nan.     Petite  géexjr..  vol.  12.  p.  21)  — 

ide.rol.  4Q.  p.   25). 

-     Ou-lou:    était    un    peu    au    sud-est    de     Ta-ming  fou    j<.  %  ffî ■     Iche-li. 

Grande  géogr.,  vol.  16,  p.  s). 

(3)  Kan-heou:  était  à  13  li  sud-est  de  Tcheng-ngan  bien  j^  $  |£.  qui  est  à 
GO  li  au  sud  de  sa  préfecture  Koang-p'ing  fou  %%  'r  'î-1  '•  Tche-li.  Petite  géogr., 
vol.  2,  p.  4q>  —  (Grande,  vol.   /.« .  y».   23). 

(4)  Sien-yu:  sa  capitale,  appelée  plus  tard  Sin-che  tch'eng  $ft  |ft  jjf,  était  à 
40  li  au  nord-ouest  de  Tckeng-ting  fou  ^f  ^Jr  flïf,  Tche-îi.  (Grande  géogr.,  vol. 
14.  p.   à). 

(5)  K.i-p'ou  :  c'est  Tchao  tcheou  jf§  MK  l'chc-li.  Petite  géogr.,  vol.  j.  p.  6j 
—  (Grande,  vol.  14.  p.  46). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    TIXG-KONG.  411 

A  la  6èn"  lune,  au  jour  i-you  £,  (ËJ  (17  mai),  l'armée  était 
en  marche  vers  la  ville  de  Ts'i  j[j|  (1),  territoire  de  Wei  :  mais 
on  s'égara  pendant  la  nuit  ;  heureusement  on  fut  remis  sur  le  bon 
chemin,  par  un  individu  qui  connaissait  bien  le  pays.  Cet  homme, 
c'est  Yang-hou  fâ  f£\  le  fameux  intendant  de  la  famille  Ki  5p, 
de  Lou  <!§•,  dont  il  a  été  question  en  504  ;  à  cause  de  son  arro- 
gance, il  avait  été  chassé,  et  s'était  retiré  à  la  cour  de  Tsin.  il 
dit  donc  à  Tchao-yang :  nous  avons  traversé  le  fleuve  jaune  au 
gué  ordinaire:  celui-ci  est  juste  au  nord  de  Ts'i;  allons  donc 
droit  vers  le  sud  (2). 

Bientôt,  en  effet,  on  se  trouva  en  vue  de  la  ville  :  mais  com- 
ment y  entrer?  Tchao-yang  imagina  un  stratagème:  l'armée  resta 
en  arriére:  le  prince-héritier  et  huit  seigneurs,  tous  en  grand 
deuil,  se  présentèrent  à  la  porte,  feignant  d'être  une  députation 
venue  de  la  capitale,  au  devant  du  nouveau  marquis  :  dans  cet 
accoutrement,  ils  ne  cessaient  de  pleurer,  et  finirent  par  toucher 
le  cœur  du  gardien,  qui  consentit  à  les  laisser  entrer;  ils  restèrent 
ainsi  dans  la  ville,  attendant  le  moment  propice  pour  agir  avec  le 
concours  de  l'armée  de  Tsin. 

A  la  8ème  lune  (juin-juillet),  le  roi  de  T.<ci  y^  envoyait  un 
grand  convoi  de  vivres  et  de  munitions,  pour  ravitailler  les  deux 
seigneurs  en  détresse  à  Tchao-ko  î^J]  |j$;  :  deux  officiers  de  Tcheng 
JU$,  Tse-yao  ïf- $fc  et  Tse-p'an  ^  J|&,  s'étaient  chargés  de  conduire 
et  de  remettre  ce  convoi  composé  de  mille  chariots.  De  son  côte. 
Che-ki-ché  -^  ~n  M<  averti  de  son  arrivée,  s'était  porté  à  sa  ren- 
contre avec  une  partie  de  ses  troupes. 

Quelle  magnifique  occasion  pour  Tchao-yang  '.  ce  ravitaille- 
ment devait  passer  non  loin  de  la  ville  de  Ts'i  }$,;  vite,  il  fallait 
disposer  ses  hommes  en  rang  de  bataille,  et  compenser  le  nombre 
par  la  ruse. 

Yang-hou  [5§  jj{  lui  dit  donc:  nous  avons  peu  de  chars;  il 
faut  mettre  tous  nos  drapeaux  sur  le  front  de  notre  armée:  trom- 
pés par  cette  apparence,  les  officiers  de  Trheny  fjifj  seront  saisis 
de  frayeur  ;  alors,  avant  qu'ils  aient  eu  le  temps  de  ranger  leurs 
troupes  en  ordre  de  bataille,  fondons  sur  eux:  nous  sommes  sûrs 
de  la  victoire. 

Ce  plan  fut  adopté:   mais  quand  on  voulut  consulter  les  sorts, 
la  carapace  de  la  tortue  divinatoire  se  trouva   si   grillée,    qu'on  ne 
put   y    lire    aucune   indication.     L'officier    Yo-ting  ^  ~J"   sauva   la 
situation  en  s'écriant:  le  livre  des  Vers  a  cette  parole  (3)  «/'< 
reur  Ou-wang  tj£  3E  délibéra  d'abord  avec  ses  compagnons,   puis 

(1)  rs'i:  était  ii  7  li  au  nord  de   K'ai  tcheou  he-li.    (Petite  géogr., 

vol.   2.  p.  j4>   —   'Grande,   vol.    iô,  p.  36). 

(2)  Les  'commentaires  font  remarquer  que,  d'apr  cours  du 
Fleuve  Jaune  a  bien  changi  . 

(3)  Che-king  g$  fë.  (Couvreur,  p.  327,  ode  s,  " 


412  TEMPS    VRAIMENT    HISTORIQUES 

il  consulta  la  tortue»;  si  les  hommes  ne  peuvent  s'entendre,  alors 
c'est  le  cas  de  consulter  les  sorts;  ici,  tous  nos  cœurs  sont  d'ac- 
cord :  de  plus,  avant  de  nous  mettre  en  marche,  pour  placer  le 
marquis  de  "Wei  sur  son  trône,  les  sorts  furent  favorables  ;  qu'est- 
il  besoin  de  les  consulter  encore  ? 

Tchao-yang  fit  une  proclamation  solennelle,  qu'il  jura  d'ob- 
server fidèlement  :  la  voici  :  «  Les  chefs  des  familles  Fan  frf  et 
Siun-yng  -pïjjî£  se  sont  révoltés  contre  les  décrets  évidents  du  ciel; 
sans  vergogne,  ils  ont  sabré  le  pauvre  peuple,  comme  on  fauche 
de  l'herbe  ;  ils  veulent  accaparer  toute  autorité,  et  renverser  la 
maison  régnante.  Notre  humble  souverain  avait  autrefois  pleine 
confiance  dans  le  prince  de  Tcheng  @!>  :  maintenant,  celui-ci  a 
délaissé  le  droit  chemin  ;  après  avoir  quitté  notre  service,  il  sou- 
tient encore  les  rebelles  contre  nous. 

Vous,  messieurs,  suivez  les  ordres  évidents  du  ciel,  qui  nous 
prescrivent  d'obéir  à  nos  préposés,  de  pratiquer  la  justice  et  la 
vertu.  Aujourd'hui,  il  faut,  à  tout  prix,  éviter  la  honte  d'une 
défaite  :  :-i  nous  avons  la  victoire,  je  jure  d'accorder  les  récom- 
penses suivantes  : 

Les  grands  officiers  recevront  le  gouvernement  d'une  contrée 
hien  Jg$]  (1)  ; 

Ceux  de  second  rang,  le  gouvernement  d'un  canton    kiun  fîp  ; 

Les  officiers  inférieurs,  cent  mille  arpents    meou  $jfc    de  terre; 

Les  hommes  du  peuple,  les  artisans,  les  marchands,  des  offi- 
ces et  dignités  selon  leurs  mérites  : 

Les  gens  asservis  aux  basses  fonctions  des  tribunaux,  ou  à 
la  garde  du  bétail,  seront  relevés  de  leur  servitude  humiliante. 

Pourvu  que,  par  votre  concours,  je  puisse  remporter  la  vic- 
toire, soyez  sûrs  que  notre  souverain  accordera  tout  ce  que  je  de- 
manderai. Si  moi  je  ne  fais  pas  mon  devoir,  je  consens  à  être 
étranglé,  à  n'avoir  qu'un  cercueil  en  éléococca,  et  d'une  épaisseur 
de  trois  pouces  seulement,  sans  aucune  enveloppe  protectrice  ;  un 
char  funèbre  sans  aucun  ornement,  traîné  par  des  chevaux  misé- 
rables ;  à  n'avoir  pas  même  d'enterrement  :  qu'on  me  traite  enfin 
comme  un  ministre  dégradé  et  puni  (2  . 

Au  jour  kia-sin  EJ3  Jk£  ô  juillet;,  se  livra  la  bataille  :  sur  le 
char  de  Tchao-yang,    le  conducteur   était    You-OU-hiué  ^  4tt   jj|. 


(1)  I  n  hirn  !|p  avait  une   étendue  tic  cent   li    en   carré;   —  un  Kiun   £î>    n'en 
avait  que  cinquante;  un  Hien  renfermait  dune   1  Kiun.  Cent  mille  arpents  formaient 

ndue  de  plus  de  dix  li  en  carré,    telle  est    la    théorie,  qui  existe    encore   dans 

les  livres;  en    pratiqne,  on  se  formait  a  la  configuration    du    sol.    (Note  det 

mentaires  . 

(2)  Cette  ■  -    honneurs   funèbres  est    Longuement 

iteurs  ;  nous  l'omettons:  elle  est    par   trop   fastidieuse;    ici    Tchao- 
accepte  te  cercueil  d'un     roturier   . 


DU    ROYAUME  DE  TSIN.    TING-KONG.  Ï13 

autrement  nomme'  Wang-leang  3E.  j£  ;  le  lancier  était  le  prince- 
héritier  de  Wei  fëj  lui-même.  Avant  le  combat,  Tchao-yang  se 
lit  mener  sur  la  colline  T'i  $$  |  1  ,  pour  examiner  les  troupes  en- 
nemies ;  elles  étaient  si  nombreuses,  que  le  jeune  marquis  en  eut 
une  attaque  de  frayeur,  et  tomba  du  char  ;  Wang-leang  lui  tendit 
la  courroie  pour  remonter,  et  lui  dit  en  riant  :  vous  êtes  une  fem- 
melette ! 

Tchao-yang  parcourut  ensuite  les  rangs  de  ses  soldats  :  Pi- 
wan  ^  $^,  leur  disait-il,  n'était  qu'un  homme  vulgaire;  mais 
dans  sept  batailles  de  suite,  il  ht  chaque  fois  son  prisonnier  ;  aussi 
reçut-il  de  grandes  récompenses  ;  c'est  à  tel  point  qu'il  eut  cent 
chars,  de  quatre  chevaux  chacun  ;  et  il  mourut  tranquillement 
dans  sa  maison,  à  un  âge  très-avancé  :  voilà  votre  modèle  !  D'ail- 
leurs, ajoutait-il,  c'est  le  ciel  qui  détermine  qui  sera  tué  par  l'en- 
nemi, qni  reviendra  sain  et  saut. 

Le  grand  officier  Tchao-louo  ^fr  ||  était  un  poltron  d'une  lâ- 
cheté extrême  ;  pour  l'empêcher  de  fuir,  on  l'avait  attaché  sur  son 
char  ;  un  petit  chef  l'ayant  aperçu  en  cet  état,  en  demanda  la  rai- 
son au  conducteur  Fan-yu  ^  ïffl  ;  celui-ci  répondit  :  c'est  qu'il  a 
la  fièvre  !  Heureusement,  il  avait  pour  le  protéger,  pendant  le 
combat,  son  vaillant  lancier  Xong-ijong  5^   Ji. 

Cependant,  le  jeune  marquis  de  Wei  fj£j-  ne  pouvait  dominer 
sa  frayeur  ;  il  se  recommandait  à  tous  les  Esprits  tutélaires,  à  tous 
ses  ancêtres  ;  surtout  à  l'empereur  Wen-wang  ^  J,  à  K'ang- 
chou  jjjfe  fy  le  fondateur  de  sa  famille  (1115-1078),  à  son  grand- 
père  Siang  |f|  543-535)  ;  il  n'osait  invoquer  son  père,  dont  il 
contredisait  la  politique  :  Votre  humble  descendant  K'ouai-houei 
jjljij  Ujî;,  disait-il,  ose  vous  avertir  de  son  danger  ;  Chen  ]$,  prince 
de  Tcheng  f|j$,  a  quitté  son  suzerain  pouJ  se  joindre  aux  rebelles  ; 
le  roi  de  Tsin  se  trouve  dans  une  grande  calamité  ;  c'est  lui  qui  a 
chargé  son  général  Tchao-yang  d'abattre  la  révolution  ;  moi,  votre 
humble  descendant,  je  n'ai  pas  osé  m'abandonner  à  un  repos  hon- 
teux ;  j'ai  saisi  la  lance  à  crochet,  je  suis  parti  en  guerre  avec  lui  : 
veuillez  nous  protéger,  afin  que  cette  entreprise  ait  plein  succès  ; 
qu'aucun  de  mes  nerfs  ne  soit  coupe  par  une  lance  ennemie; 
qu'aucun  de  mes  os  ne  soit  brisé  par  une  chute  de  char;  que  ma 
ligure  ne  soit  rendue  difforme  par  aucune  blessure.  Si  l'un  de  ces 
malheurs  m'arrivait,  ce  serait  aussi  pour  vous  une  grande  honte. 
Quant  à  ma  vie,  je  n'ose  vous  en  parler;  comme  si  j'y  tenais  pour 
mon  avantage  privé;  mais  votre  gloire  est  d'avoir  de  nombreux 
descendants;  je  ne  tiens  pas  non  plus  à  ces  jades  précieux,  sus- 
pendus à  ma  ceinture;  je  vous  les  offre  volontiers  en  sacrifice  (2). 

(1)  La  colline  l"i:  esl  à  5  li  .m  nord  de  K'ai  tcheou  [If-]  'H\,  Tche-li.  Petite 
géogr.,  vol.   2,  p.  54)    --   (Grande,   ml.    1  c .  p.   37). 

(2)  Vraie  ou  supposée,  cette  prière  est  t3-pique;  elle  montre  ce  que  deman- 
dent les  païens,  s'il  leur  arrive  de  prier;  quelle  autre  chose  pourraient-ils  deman- 
der? pour  eux,  cciic  vie  présente  est  toul  : 


'i  1  \  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

Les  gens  de  Tcheng  fï[j.  pendant  la  bataille,  blessèrent  Tchao- 
yang  à  l'épaule,  le  renversèrent  sur  son  char,  et  lui  prirent  son 
drapeau  de  généralissime  fong-k'i  5s£  JK,  ;  1°  prin  ce-héritier  lui 
sauva  la  vie  par  ses  heureux  coups  de  lance.  Les  gens  de  Tcheng 
firent  prisonnier  le  gouverneur  de  Wen  j^_,  Tchao-louo  j^  H,  ce 
lâche  poltron  que  l'on  avait  attaché  sur  son  char:  la  victoire, 
d'abord  indécise,  tourna  finalement  du  coté  de  Tsin  ;  le  prince- 
hériter  de  Wei,  enhardi  par  ses  succès,  se  lança  sur  l'ennemi,  lui 
infligea  une  grande  défaite,  et  s'empara  du  convoi  de  vivres  et  de 
munitions. 

Maintenant  c'est  bien  !  séria  Tchao-yang.  félicitant  le  jeune 
marquis  de  ses  brillants  exploits.  Fou-seou  \$j.  /(&,  un  de  ses  offi- 
ciers, lui  remarqua  cependant  :  vous  avez  vaincu  les  gens  de  Tclieur/ 
JU$,  c'est  vrai  ;  mais  la  famille  Tche  ^jp  est  encore  debout,  et  vous 
donnera  bien  du  iil  à  retordre:  vous  n'êtes  pas  au  bout  de  vos 
peines  ! 

Autre  incident  du  combat  :  Autrefois,  l'empereur  avait  donné- 
un  grand  fief  à  la  famille  Fan  ffo;  Kong-suen-mang  fe  fâ  Jfe, 
l'intendant  de  cette  propriété,  avait  été  fait  prisonnier  par  l'armée 
de  Tsin;  on  l'amena  devant  Tchao-yang  pour  le  mettre  à  mort; 
mais  il  s'y  opposa  en  disant  :  quel  crime  a  donc  commis  cet  hom- 
me"? il  n'a  fait  que  remplir  fidèlement  son  devoir  envers  son  maître! 
Sur  ce.  il  le  délivra,  lui  fit  cadeau  du  fief  qu'il  gérait  si  bien,  et 
l'attacha  ainsi  à  son  service. 

Touché  de  cette  générosité.  Kong-suen-mang  choisit  cinq  cents 
hommes,  se  lança  pendant  la  nuit  sur  les  gens  de  Tcheng  HJJ, 
reprit  le  drapeau  du  généralissime,  et  le  rapporta  triomphalement 
à  Tchao-yang  :  j'ai  voulu,  dit-il.  prouver  ma  reconnaissance  à  votre 
seigneurie. 

Le  lendemain,  on  poursuivit  encore  les  fuyards  de  Tcheng; 
mais  les  généraux  Tse-yao  ^p  $jç,  Tse-p'an  zf  Jf£  et  Kongsuen- 
!tn'.l  &  ffi,  1;iv-se  tenant  à  l'arrière-garde, tuèrent  un  grand  nombre 
des  assaillants:  Tchao-yang  donna  l'ordre  du  retour  en  s'écriant  : 
l'état  de  Tcheng  est  petit,   mais  il  a  de  fameux  archers  ! 

Revenu  dans  son  camp.  Tchao-yang  commença  à  se  vanter  : 
tombé  à  la  renverse  sur  le  fourreau  de  mon  arc,  disait-il.  le  sang 
me  sortait  par  la  bouche;  malgré  cela,  je  n'ai  pas  cessé  de  battre 
le  tambour,  ordonnant  d'avancer  quand  même;  ainsi  nous  avons 
remporté  la  victoire;  dans  cette  glorieuse  journée,  ma  part  n'est 
pas  petite. 

Le  jeune  marquis  de  Wei  fêj  ne  voulant  point  passer  inaperçu, 
lui  répondit  :  .sans  moi,  vous  étiez  perdu:  mes  bons  coups  de  lance 
vous  ont  sauvé  la  vie:  parmi  vos  compagnons  d'armes,  qui  donc 
peut  se  flatter  d'avoir  mieux  travaillé? 

Wang-liang  ~\[  £.l.  le  conducteur  du  char  lui  répliqua  aussi- 
tôt :  le  collier  de  deux  chevaux  était  sur  le  point  de  se  rompre; 
j'ai  réussi  à  prévenir  ce  malheur;    sans   mon  adresse,  nous  étions 


DU   ROYAUME  DE  TSIX.    TIXG-KONG.  'il") 

tous  perdus.  Comme  on  ne  semblait  pas  le  croire,  il  fit  atteler, 
mit  un  simple  morceau  de  bois  sur  le  char,  et  fouetta  les  chevaux  ; 
du  premier  coup,  les  deux  colliers  se  rompirent. 

En  'i92,au  début  de  l'année  (novembre-décembre),  les  troupes 
de  Ts'i  >0$-  et  de  Wei  ||j  assiégeaient  le  jeune  marquis  dans  la 
ville  de  TVi  $£,  où  il  se  tenait  réfugié,  en  attendant  qu'il  pût  se 
rendre,  de  gré  ou  de  force,  dans  sa  capitale,  et  monter  sur  le  trône. 
Les  Tartares  de  Sien-yu  f{$.  r,jv  vinrent  se  joindre  aux  assiégeants; 
la  ville  ne  put  cependant  être  prise,  et  l'on  dut  se  retirer.  Notons 
ici  que  Confucius  blâme  ce  jeune  marquis;  selon  lui,  il  devait  obéir 
à  son  père,  qui,  avant  de  mourir,  l'avait  privé  de  son  titre  de 
prince-héritier,  et  l'avait  donné  à  un  autre  de  ses  fils  l  .  On 
comprend  encore  mieux  pourquoi  ce  prince  ne  pouvait  adresser  sa 
prière  aux  mânes  de  son  père,  dont  il  devait  craindre  la  vengeance, 
puisqu'il  venait  à  main  armée  réclamer  la  couronne  ;  on  comprend 
encore  pourquoi  il  ne  fait  allusion  qu'aux  troubles  de  Tsin;  il  ne 
pouvait  parler  de  sa  propre  révolte  contre  l'autorité  paternelle; 
supposait-il  que  ses  ancêtres  l'ignoraient?  ou  bien  qu'ils  lui  don- 
neraient raison  contre  son  père,  en  dépit  de  la  loi  sacro-sainte  de 
la  piété  filiale?  Mais  il  ne  faut  pas  trop  presser  le  lettré-historien 
qui  lui  met  cette  prière  sur  les  lèvres;  la  doctrine  de  ces  messieurs 
ne  va  pas  si  loin. 

Voyons  plutôt  la  conduite  du  «fils  du  ciel»  au  milieu  de  cette 
guerre  civile:  Son  premier  ministre  était  partisan  des  rebelles;  sa 
famille,  en  effet,  était  unie  à  celle  de  Fan  ~{\ï  (ou  Chc  -j^)  depuis 
des  générations,  par  une  série  de  mariages  réciproques;  grâce  à 
lui,  la  cour  impériale  s'était  rangée  du  même  parti.  Tchao-yang 
s'en  plaignit  à  l'empereur:  celui-ci  ne  voulant  pas  déplaire  à  son 
ancien  libérateur,  tit  mettre  â  mort  Tchang-hong  jj|  ££,  grand 
officier  qui  s'était  trop  compromis  dans  cette  querelle  ;  c'était  assez 
avertir  le  premier  ministre  de  n'avoir  pas  à  s'en  mêler.  <  >n  était 
alors  en  avril-mai  (2). 

Tchao-yang,  â  la  10ème  lune  (août-septembre),  mettait  encore 
une  fois  le  siège  devant  la  ville  de  Tchao-ko  t$  ;;}[*  :  les  rebelles  e1 
leurs  auxiliaires  l'attaquèrent  lui-même  de  deux  cotés  à  la  lois. 
par  la  porte  du  nord  et  celle  du  sud,  ne  lui  I, lissant  pas  le  temps 
d'investir  la  ville.  Siun-yng  -fîj  jj|  parvint  ainsi  à  lui  échapper  : 
le  7  octobre  suivant,  il  était  à  Han-tan  %  jjn,  protégé  par  les 
troupes  du  gouverneur  Tchao-tsi  $f|  ffî. 

Tchao-yang  furieux  de  ce  nouvel  échec,  tit  massacrer  Fan- 
kao-i  frV  JfLj^l,  son  propre  partisan  :  et  cela,  uniquement  par  haine 

(1)   Luen-yv  Jm  îHî-  (Zottoli,  II,  r  ■  paragr.,   i  . 

2  On  s'en  souvient,  une  prophétii  saugrenue  avait  annonce  que  l'chang-hong 
serait  puni  pour  avoir  essaye  de  relever  la  dynastie  impériale,  condamnée  à  la 
ruine  par  le  ciel  :  le  motif  de  sa  mort  n'apparaît  guère  se  vérifier  ici. 


416  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

pour  la  famille  Fan,  dont  celui-ci  était  un  des  membres;  voilà 
comment  ce  malheureux  fut  récompensé  de  sa  révolte  contre  son 
frère  Che-ki-ché  ±  ^  $ft  ! 

En  491,  le  roi  de  Tclr'ou  ^  ayant  fini  par  reprendre  le 
dessus,  dans  sa  terrible  guerre  avec  le  roi  de  Ou  J^..  se  vengeait 
de  tous  ceux  qui  lavaient  délaissé  dans  sa  détresse  ;  pour  lors,  il 
assiégeait  la  capitale  des  Tartares  Jong-man  j%  ||  (1);  leur  chef, 
nommé  Tche  fp,  lui  échappa  et  s'enfuit  au  pays  de  Yng-ti  |ïfï  i{|l 
(2),  sur  le  territoire  de  Tsin  ;  là,  il  fut  fait  prisonnier,  avec  cinq 
de  ses  compagnons,  par  le  grand  officier  Che-mi  -j^  |jj[,  et  conduit 
devant  Tchao-yang. 

Notre  royaume,  dit  celui-ci,  est  troublé  par  la  guerre  civile  ; 
n'allons  pas  irriter  le  roi  de  Tch'ou  ;  remettons-lui  ces  prisonniers, 
puisqu'il  les  réclame!  Confucius  rapporte  ce  fait,  et  le  blâme 
comme  il  convient  ;  c'était  une  lâche  trahison  ;  car  ces  malheureux 
captifs  avaient  demandé  et  obtenu  asile. 

A  la  71"1'  lune  juin  .  les  troupes  de  Ts'i  ^  et  de  Wei  |$j 
recommençaient  la  lutte  contre  les  gens  de  Tsin  ;  les  premières 
étaient  commandées  par  Tch'eng-kci  |îjfî  -^  et  Hien-che  jjÈ  Ml '>  les 
secondes  par  Ning-k'ouei  ^  $n  :  au  jour  keng-ou  }£  ^f-  (21  juin  , 
elles  assiégeaient  de  nouveau  la  ville  de  Ou-lou  "fL  J§È    3  • 

A  la  ',) ''' ■'•  lune  (septembre  .  Tchao-yang,  de  son  côté,  inves- 
tissait Ha.n-.tan  $$  |pj,  qui,  cette  fois,  fut  forcée  de  se  rendre  après 
un  mois  de  résistance;  mais  Siun-yng  s'était  enfui  chez  les  Tar- 
tares Sien-yu  $£  |ft  :  Tchao-tsi  s'était  d'abord  retiré  à  Ling  £fr  (4), 
ville  peu  sûre  pour  lui  :  le  général  Hien-che  vint  l'y  rejoindre  avec 
ses  troupes,  en  détruisit  les  fortifications,  et  le  conduisit  ailleurs. 

Pendant  ce  temps,  Kouo-hia  |]||  jf|,  autre  général  de  Ts'i  ffî, 
enlevait  les  huit  villes  suivantes  :  Hing  j\\].  Jen  ££,  Louan  H§, 
Hao  |p,  Gni-lche  ^  B#,  Yng-jen  \%  J\,  Yu  }£  et  Hou-h'eou  |f 
P   (5)  ;     après  quoi,  unissant  ses  troupes  à  celles  des  Tartares  de 


(1)  Les  tartares  Jong-man:  leur  capitale  étail  un  peu  au  sud-ouest  de  Jou 
tcheon  \li  'H'|.   Ho-nan    (Petite  géogr.,  vol.    /.?,  p    64)   —   (Grande,  vol.  51,  p.  36). 

(2)  Yng-ti  :  ('■tait  un  peu  au  nord-est  de  Liu-che  hien  ffjfâ_  fc.  §£.  qui  est  à  240 
li  sud-ouesj  de  sa  préfecture  Chen-tcheou  |$£  M.  Ilo-nan.  (Grande  géogr.,  vol.  48. 
p:  48). 

3     Ou-lou  :      Voyez  à  l'année  400  f. 

('i)  Ling  :  c'est  Ling-tch'eng  hien  Kî  ifâ  $£.  à  90  li  sud-ouest  de  Tchao  tcheou 
|£î  -)\\.    rche-li.  (Petite  géogr.,  ool.  2.  p.  6S)  —     Grande,  vol.  41.  p.  jo). 

5)    Hing:    était    un    peu    au    sud-ouest    de    Chouen-te  fou    fl[?(  i§  tff.    Tche-li. 
Petite  géogr.,   vol.   2,  p-   44^  —  (Grande,   vol.    /    .    , 

Jen  :  étail  peu  au  sud-est  de  Jen  hien  f£  !(!,f .  qui  est  à  S0  li  nord-est  de 
1  houen  te  fou,  sa  préfecture  (Petite  géogr.,  vol.  2.  p.  46)  —  (Grande,  vol.  ij, 
P-    7)- 


DU   ROYAUME   DE  TSIN.    TING-KONG.  417 

Sien-yu  jffi.  J||,  il  conduisait  Siun-yng  dans  la  ville  de  Pé-jen  Jfâ 
\,  où  se  trouvait  déjà  Che-ki-ché. 

En  490,  au  début  de  l'année  (novembre),  une  armée  de  Tsin 
venait  les  y  assiéger,  avec  plus  de  fureur  que  jamais,  car  c'était 
leur  dernier  retranchement  ;  si  l'on  réussissait  à  les  y  prendre,  la 
guerre  était  finie  ;  mais  ils  parvinrent  tous  deux  à  s'enfuir  au 
pays  de  Ts'i  ^.  C'est  dans  ce  royaume  que  ces  deux  grandissi- 
mes familles  Fan  fgT  et  Siun-yng  ^jj  J|  vinrent  s'échouer,  pour 
disparaître  bientôt  de  l'histoire  ;  un  orgueil  indomptable  fut  la 
principale  cause  de  leur  perte. 

A  propos  de  ce  siège,  l'historien  raconte  le  beau  trait  suivant: 
Wang-cheng  ff  ££,  officier  de  la  famille  Fan,  détestait  un  de  ses 
collègues,  nommé  Tchang-liou-cho  51^1^  ;  il  proposa  cependant 
à  Che-ki-ché  de  le  nommer  gouverneur  de  la  ville.  —  N'est-il  pas 
votre  ennemi  ?  observa  celui-ci.  —  Assurément  !  répondit  Wang- 
cheng  ;  mais  une  querelle  privée  ne  doit  pas  nous  empêcher  de 
pourvoir  au  bien  commun  ;  avoir  l'œil  ouvert  sur  les  défauts  d'un 
ami,  ne  pas  le  fermer  sur  les  qualités  d'un  ennemi,  est  une  règle 
de  simple  justice. 

Tchang-liou-cho  avait  donc  été  fait  gouverneur  de  Pé-jen. 
Au  départ  des  deux  chefs  de  la  rébellion,  il  dit  à  son  fils  :  suivez 
les  deux  seigneurs,  et  servez-les  de  tout  votre  dévouement  ;  moi, 
je  resterai  ici  pour  soutenir  les  assauts  de  l'ennemi  ;  c'est  ma 
mort,  je  le  sais  ;  mais  je  ne  veux  pas  tromper  les  espérances  que 
l'on  a  eues  en  me  confiant  ce  poste.  Il  périt  en  effet  pendant  le 
siège. 

Vers  le  mois  d'avril,  Tchao-yang,  délivré  d'un  côté,  se  retour- 
nait de  l'autre  ;  il  voulait  maintenant  abattre  le  pays  de  Wei  ^j, 
qui  ne  cessait  point  les  hostilités,  et  qui  ne  voulait  pas  recevoir 
son  marquis  ;     l'armée  de  Tsin  mit  le  siège  devant  Tchong-meou 


Louan  :  était  à  10  li  nord-est  de  Pé-hiang  hien  ifg  «jU  f£,  qui  est  à  70  li  au 
sud  de  Tchao  tcheou  j§  ffl,  Tche-li.  (Petite  géogr.,  vol.  2,  p.  67)  —  (Grande,  vol. 
14,  p.  48). 

Hao  :  était  à  22  li  au  nord  de  Pé-hiang  hien. 

Gni-tche  :  était  à  20  li  sud-est  de  Wan-hien  %  fj-,  qui  est  a  70  li  à  l'ouest  de 
sa  préfecture  Pao-ting  fou  fâ  fë  tff,  Tche-li.  (Petite  géogr.,  vol.  2,  p.  24)— (Gran- 
de, vol.   12,  p.    ig). 

Yng-jen  :  inconnue. 

Yu  :  c'est  Tu  hien  t'.  ['!?.  à  100  li  nord-ouest  de  P'ing-ting  tcheou  ?fi  3:  #), 
Chan-si.  (Petite  géogr..  vol.  S.  p.  ss)   —   (Grande,  vol.  40.  p.   22). 

Hou-k'eou  :  cette  forteresse  et  son  défilé  sont  h  50  li  sud-e*t  de  llou-koan 
hien  §g  Wtî  ($£,  qui  est  à  250  li  a  l'est  de  sa  préfecture  Lou-ngan  fou  %&  %c  tfj", 
Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  8.  p.    14)    —   (Gronde.   1)0 1.   42.  p.    2 

Pé-jen  :  était  à  12  li  à  l'ouest  de  Chouen-te  fou.  igrr.,  vol.   2.  p.  46) — 

(Grande,  vol.   15,  p.  g). 

53 


418  TEMPS  VRAIMENT  HISTORIQUES 

rf>  ÉfL  (1),  sans  pouvoir  s'en  emparer  ;     elle  dut  se  retirer,   après 
avoir  ravagé  le  pays,  et  fait  un  grand  butin. 

En  489,  au  début  de  l'année  (novembre),  Tchao-yang  revenait 
à  la  charge  contre  les  Tartares  Sien-yu  |(£,[j,  pour  les  punir  d'a- 
voir soutenu  la  cause  de  ses  ennemis,  et  leur  avoir  donné  asile  ; 
l'historien  ne  relate  pas  les  détails  de  cette  expédition  ;  elle  con- 
sista sans  doute  en  razzias,  comme  la  précédente. 

En  488,  le  petit  pays  de  Wei  $j  persistant  dans  son  anitno- 
sité,  ne  faisant  pas  la  moindre  proposition  de  paix,  une  armée  de 
Tsin,  commandée  par  le  grand  seigneur  Wei-man-touo  gj|  J|  ^, 
y  opérait  une  nouvelle  invasion  sans  plus  de  succès. 

En  487,  rien  dans  la  chronique. 

En  486,  vers  le  mois  d'avril,  Tchao-yang  consultait  les  sorts, 
pour  savoir  s'il  irait  au  secours  de  l'état  de  Tcheng  §[5,  alors  atta- 
qué par  celui  de  Song  $£  ;  pour  présage,  il  eut  l'eau  rencontrant 
le  feu.  Il  en  demanda  l'explication  aux  archivistes  Tchao  ^§,  Me 
JH,  et  Kouei  ||.  Ce  dernier  répondit:  l'eau  éteint  le  feu;  ainsi 
vous  pouvez  partir  en  guerre  ;  mais  vous  ne  serez  victorieux,  que 
si  vous  attaquez  la  maison  Kiang  =H,  que  règne  au  pays  de  Ts'i 
jlf  ;  vous  en  prendre  à  la  maison  Tse  ^p,  qui  descend  des  empe- 
reurs Chang  $§,  et  règne  au  pays  de  Sohg  $z,  serait  malheureux 
pour  vous. 

Me  J|§  répondit:  votre  surnom  Yng  ££  (plein)  est  aussi  un 
nom  donné  à  l'eau,  qui  veut  toujours  remplir  les  endroits  vides 
qu'elle  rencontre.  Tse  ^jp  est  le  nom  de  la  maison  régnante  de 
Song;  dans  les  douze  signes  du  zodiaque,  ce  caractère  a  sa  place 
au  nord,  où  se  trouve  aussi  celui  de  l'eau  ;  il  y  a  donc  antago- 
nisme entre  vous  deux  ;  la  guerre  sera  des  plus  violentes,  sans 
espoir  pour  vous  de  remporter  la  victoire. 

Tchao-yang  eut  peur  de  ces  oracles,  vraies  sornettes  qui  mon- 
trent la  bêtise  humaine  sous  le  joug  tyrannique  et  moqueur  du 
démon.  Cette  consulte  tient  une  page  dans  l'historien;  tout  y  est 
de  cette  force  et  de  ce  génie  ;  laissons  les  lettrés  s'en  délecter. 
Remarquons  cependant  que  l'archiviste  Me  j||  jouait  un  tour,  ou 
bien  se  trompait  grossièrement  :  la  famille  Tchao  ^g  était  du  clan 
Yng  H|,  comme  les  rois  de  Ts'in  |j|  ;  l'archiviste  prend  un  carac- 
tère pour  un  autre,  comme  base  de  sa  réponse. 

En  485,  vers  le  mois  d'avril,  Tchao-yang  se  lançait  enfin 
contre  le  royaume  de  Ts'i  3J|,  dont  il  avait  tant  à  se  venger,  et 
qui  abritait  ses  deux  ennemis  personnels.  Avant  de  se  mettre  en 
marche,  ses  officiers  le  priaient  de  consulter  les  sorts. —  C'est  déjà 
fait,  leur  répondait- il,  et  les  présages  furent  favorables  ;  il  ne  faut 
pas  consulter  les  sorts  deux  fois,  sur  le  même  objet;  difficilement 

(1)  Tchong-meou:  (Voyez  à  l'année  soi)- 


DU  ROYAUME  DE  TStf»,   TIHG-KONG.  418 

on  obtient  la  même  réponse,  et  l'on  pourrait  rarement  commencer 
aucune  entreprise  (1).' 

L'armée  s'empara  des  villes  de  Li  %$?  et  de  Yuen  tfè,  détruisit 
les  fortifications  des  faubourgs  de  Kao-t'ang  ^  Jf\  fit  une  irrup- 
tion sur  le  territoire  de  Lai  jfc|  (2),  puis  rebroussa  chemin.  Les 
commentaires  observent  que  Tchao-yang  profita  du  deuil  national 
de  Ts'i,  pour  conduire  cette  expédition;  le  roi  venait  de  mourir; 
mais  leurs  blâmes  sévères  pourraient  s'appliquer  à  tous  les  états  ; 
quel  est  celui  qui  n'a  pas  commis  la  même  faute,  quand  elle  tour- 
nait à  son  avantage,  tout  en  la  reprochant  aux  autres,  quand  elle 
était  à  son  détriment"? 

En  484  et  483,  rien.  En  482,  vers  le  mois  d'avril,  Ting-kong 
avait  une  entrevue,  à  Hoang-tch'è  ||  ftjj  (3),  avec  Fou-tch'ai  ^ 
JK,  fameux  roi  de  Ou  -^L,  en  présence  d'un  ambassadeur  impérial 
accompagné  du  duc  de  Lou  ;§f..  La  cour  de  Tsin,  malgré  sa  fai- 
blesse, prétendait  bien  garder  la  préséance,  dans  les  réunions  des 
princes  féodaux  ;  mais  la  chose  était  plus  compliquée  dans  le  cas 
présent;  le  roi  de  Ou,  censé  sauvage,  n'était  point  un  vassal  de 
l'empereur  ;  aussi  réclamait-il  les  honneurs  de  la  préséance. 

On  était  resté  ensemble  jusqu'au  5  juin  (jour  sin-tcheou  r*fc 
2:);  alors  il  s'agissait  de  jurer  solennellement  un  traité  d'alliance 
et  d'amitié  ;  qui  des  deux  rois  allait,  le  premier,  se  frotter  les 
lèvres  avec  le  sang  de  la  victime?  Le  roi  de  Ou  disait:  je  suis  le 
descendant  de  T'ai-pé  ^  fg,  donc  de  la  branche  aînée  de  la  mai- 
son impériale  Tcheou  Jfj\  ;  à  moi  la  préséance.  —  Moi,  répliquait 
Ting-kong,  je  suis  le  chef  de  tous  les  états  de  la  famille  Ki  $£  ;  je 
ne  puis  céder  la  place  à  personne. 

Ainsi,  l'on  se  querellait  pendant  une  grande  partie  de  la  jour- 
née. Tchao-yang  fit  venir  l'intendant  général  de  l'armée,  nommé 
Yng  jg  :  le  soleil  commence  à  décliner,  lut  dit-il,  et  le  traité  n'est 


(1)  Tchao-yang  le  reconnaît,  on  ne  peut  se  fier  à  la  tortue  divinatoire;  elle 
répond  blanc  et  noir  sur  le  même  sujet  ;  employez  des  tables  tournantes,  des  «mé- 
dium» hypnotisés  ou  non,  le  diable  ou  ses  compères  se  jouent  de  vous  ! 

(2)  Li:  appelée  plus  tard  T'a-yng  $R  ^,  était  à  10  li  à  l'ouest  de  Ling-{ 
hien  6g  g,  |£,  qui  est  à  150  li  au  nord  de  sa  préfecture  Ts'i-nan  fou  ?9  $§  fl<r. 
Chan-tong.  (Grande  géogr.,  vol.  31,  p.   16). 

Yuen:  était  un  peu  au  nord-ouest  de  Yu-tch'eng  hien  (S,  $  H,  qui  est  à  100 
li  nord-ouest  de  Ts'i-nan  fou.  (Grande  géogr.,  vol.  31,  p.   15). 

Kao-t'ang:  était  à  40  li  à  l'ouest  de  Yu-tch'eng  hien.  (Grande  géogr.,  vol. 
31,  p.  zj). 

Lai:  dont  il  ne  reste  qu'un  Kiosque,  était  un  peu  à  l'est  de  Ts'i-nan  fou. 
(Petite  géogr.,  vol.   10,  p.  a)  —  (Grande,  vol.  31,  p.  6). 

(3)  Hoang-tch'é  :  était  à  7  li  sud-ouest  de  Fong-k'iou  hien  JJ  Etf  g£,  qui  est 
à  50  li  au  nord  de  sa  préfecture  Wei-hoei  fou  ffi  M  fà-  Ho-nan.  (Petite  géogr., 
vol.  ta,  p.  ai)  —  (Grande,  vol.  47,  p.  aS). 


420  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

pas  encore  conclu  ;  la  faute  en  est  à  nous  deux  ;  battons  le  tam- 
bour, rangeons  nos  gens  en  bataille,  et  en  avant!  alors  on  verra 
qui  est  le  plus  fort,  qui  doit  avoir  la  préséance  ! 

Attendez  un  peu,  s'il  vous  plaît,  répondit  l'intendant;  je  vais 
d'abord  'examiner  de  près  l'état  des  choses.  De  retour,  il  fit 
cette  remarque  :  ceux  qui  mangent  de  la  viande,  n'ont  pas  la 
figure  noirâtre  comme  celle  du  roi  de  Ou  ;  aurait-il  reçu  quelque 
mauvais  message?  son  pays  serait-il  envahi?  son  prince-héritier 
serait-il  mort?  patientons  encore  un  peu  ;  la  constance  des  sau- 
vages ne  dure  pas  longtemps  ;   la  chose  s'arrangera  d'elle-même. 

Enfin,  qui  eut  la  préséance?  question  sans  réponse  décisive. 
Tsouo  K'iou-ming  ^  ^  PJ  et  grand  nombre  de  lettrés,  la  donnent 
à  Ting-kong  ;  sous  prétexte  qu'un  sauvage  ne  pouvait  avoir  le  pas 
sur  le  chef  des  états  chinois  :  ils  oublient  le  traité  solennel  de 
Song  5>f?,  en  546,  où  le  royaume  de  Tsing,  alors  puissant,  fut  bel 
et  bien  évincé  par  les  sauvages  de  Tch'ou  ^.  Ici,  n'ayant  plus 
aucune  autorité,  pouvait-il  résister  au  roi  puissant  et  violent  de 
Ou  ^?  ces  niaiseries,  sur  la  couleur  du  visage  de  ce  roi,  sont  des 
formules  de  lettré. 

Se-ma  Ts'ien,  dans  les  annales  de  Tsin,  attribue  la  préséance 
au  roi  de  Ou?  dans  celles  de  ce  dernier  royaume,  il  la  donne  à 
Tsin-kong  ;  il  y  a  là  contradiction  ;  donc  nous  ne  décidons  rien, 
tout  en  estimant  plus  probable  que  le  roi  de  Ou  demeura  vainqueur 
dans  ce  différend. 

Pendant  ce  temps,  une  armée  sous  les  ordres  du  seigneur 
Wei-man-touo  fj|  J|  ^,  envahissait  le  pays  de  Wei  fëj  ;  elle  se 
contenta  sans  doute  de  le  ravager  :   car  on  ne  dit  rien  autre  chose. 

En  481,  puis  en  480,  vers  le  mois  de  juin,  Tchao-yang  lui- 
même  y  faisait  une  expédition  de  ce  genre. 

Vers  la  fin  de  cette  dernière  année,  Tsin-kong  en  personne 
conduisait  une  armée  contre  l'état  de  Tcheng  f|j$. 

En  479,  mort  de  Confucius.  Quels  actes  remarquables  avons- 
nous  eu  à  signaler,  depuis  sa  naissance?  Le  duché  de  Lou  ||.,  son 
pays,  était  dans  une  confusion  inexprimable;  quel  remède  y  a  donc 
apporté  cet  homme,  à  qui  les  lettrés  postérieurs  ont  dressé  un 
piédestal  sans  pareil  ?  pourquoi  en  ont-il  fait,  non-seulement  le 
«saint»  par  excellence,  mais  même  un  dieu?  serait-ce  du  moins 
pour  sa  doctrine?  après  avoir  tiré  au  clair  l'histoire  de  son  pays, 
nous  tâcherons  de  mettre  en  pleine  lumière  cette  vie  et  cette  doc- 
trine du  «maître  des  maîtres»  ;  en  attendant,  constatons  que  les 
autres  pays  ne  se  souciaient  guère  de  lui. 

En  478,  le  prince-héritier  de  Wei  ff,f  ayant  fini  par  s'emparer 
du  trône,  Tchao-yang  lui  envoya  le  message  suivant  :  quand  votre 
Majesté  se  trouvait  dans  notre  royaume,  j'étais  votre  hôte,  votre 
ami,  votre  protecteur  ;  venez  donc  maintenant  saluer  notre  souve- 
rain, ou  bien  envoyez  en  ambassade  votre  prince-héritier;  autre- 
ment, notre  cour  m'accuserait  de  vous  avoir  conseillé  cette  absten- 
tion regrettable. 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.    TING-KONG.  421 

Koai-kouei  j$j|J  fjfj;  s'excusa  de  ne  pouvoir  faire  ce  voyage  en 
personne,  vu  la  multiplicité  des  affaires,  et  les  embarras  de  sa 
situation  ;  de  son  côté,  son  fils,  ennemi  de  Tsin,  au  lieu  de  se 
mettre  en  route,  pour  l'ambassade  demandée,  fit  battre  le  mes- 
sager ;   c'était  une  grosse  injure  et  une  grosse  faute. 

Tchao-yang  indigné  conduisit  une  armée,  assiéger  la  capitale 
de  Wei  fêj  ;  c'était  à  la  6èmo  lune  (avril-mai).  Le  roi  de  Ts'i  % 
envoya  ses  troupes,  sous  les  ordres  des  généraux  Kouo-koan  \$\  |0j, 
et  Tch'eng-koan  ^  3|f,  au  secours  de  ses  anciens  alliés. 

Quelques  braves  de  Tsin  étant  venus  faire  les  fiers-à-bras,  et 
provoquer  à  une  bataille,  furent  capturés  et  jetés  en  prison. 
Tch'eng-koan  les  fit  venir,  leur  rendit  leur  uniforme  de  soldats,  et 
leur  dit  ;  actuellement,  l'autorité  est  entre  les  mains  du  seigneur 
Kouo-koan,  qui  m'a  ordonné  de  livrer  combat;  je  vais  incessam- 
ment le  faire;   qu'aviez-vous  besoin  de  venir  nous  insulter? 

Les  captifs  étant  revenus  au  camp,    rapportèrent  cette  parole 
Tchao-yang  repondit  :  j'avais  consulté  la  tortue  pour  faire  la  guerre 
au   pays   de  Wei,    non    pas  à  celui   de   Ts'i  ;    et   il    s'en    retourna 
honteusement. 

A  la  I0ème  lune  'août-septembre),  il  revint  se  venger  de  cet 
échec,  et  s'empara  tout  d'abord  des  faubourgs  de  la  capitale  ;  au 
lieu  de  pénétrer  dans  la  ville,  ce  qui  n'était  plus  une  grande  diffi- 
culté, il  se  retira  en  disant  ;  notre  sage  Chou-hiang  -fy  fû]  m'a 
autrefois  enseigné  que  quiconque  profile  des  troubles  d'un  étal 
pour  l'abattre,  n'aura  pas  de  descendance. 

L'historien  ajoute  que  les  habitants  furent  touchés  de  cette 
conduite  vertueuse,  et  chassèrent  leur  marquis  Tchoang  ]\±,  c'est- 
à-dire  le  prince  Koai-koei  jîtpj  J}j(\  Tchao-yang  fit  avec  eux  un 
traité  d'amitié,  plaça  sur  le  trône  Pan-che  Jj£  Jïjjj,  petit-fils  du 
marquis  Siang  H  (543-535)  ;  puis  s'en  retourna  au  pays  de  Tsin. 

En  477  et  476,  rien.  En  475,  le  roi  de  Ts'i  ^  se  tournait 
d'un  autre  côté,  pour  reprendre  la  guerre  ;  il  faisait  alliance  avec 
le  duc  de  Lou  .|jj.,  sous  prétexte  de  venger  l'état  de  Tcheng  f|]$,  de 
l'invasion  qu'il  avait  subie  en  480  ;  mais  finalement  le  prince  de 
ce  pays  refusa  lui-même  ces  offres  obligeantes  ;  il  en  donna  pour 
raison  le  deuil  national  de  Tsin. 

Ting-kong,  en  effet,  venait  de  mourir  ;  et  Tchao-yang  ne 
tarda  pas  à  le  suivre  dans  la  tombe  (1). 

Avant  de  passer  au  règne  suivant,  racontons  encore  quelques 
détails   curieux  :     Nous  avons    narré    précédemment    l'entrevue    de 


(1)  Tchao-yanp:,  nommé  aussi  Tchao-hicn-tse  tff  fft  J' .  a  son  tombeau  à  MO 
li  nord-ouest  de  Cheou-yang  hien  Çj  Fë  M-,  qui  est  à  100  li  à  l'ouest  de  P'ing-ting 
tcheou  ^  5£  îM,  Chan-si 

Le  tombeau  de  son  fils  Ousiu    M  tÉ  (s  %  1~)    est   à    5    li    à    l'est    de 

Tsing-sicmrj  hien  %  Jj  $% ,  qui  est  à  50  li  à  l'est  de  Hing  tcheou  fî  'M,  Chan-si. 
(Annales  du  Chan-si,  vol.  jô,  p.   28). 


422  TEMPS  VRAIMENT  HISTORIQUES 

Hoang-tchlé  H["ftfi  ;  à  cette  occasion,  le  roi  de  Ou  ^  avait  fait  un 
traité  d'amitié  avec  Tchao-yang.  Cela  se  pratiquait  alors  ;  les 
princes  se  ménageaient  ainsi  des  amis  parmi  les  conseillers  des 
autres  cours  ;  les  grands  seigneurs  se  préparaient  un  refuge  et  un 
secours  en  cas  d'infortune. 

Tchao-yang  étant  mort,  son  fils  Tchao-ou-siu  |§  M  ^  ou 
Tchao-siang-tse  j^jl-1?.  apprit  les  malheurs  du  roi  de  Ou,  alors 
harcelé  furieusement  par  le  roi  de  Yué  j|j|  ;  à  cette  nouvelle,  ce 
seigneur,  qui  portait  déjà  le  deuil  de  son  père,  se  vêtit  et  se  nour- 
rit encore  plus  misérablement,  pour  marquer  le  chagrin  que  lui 
causaient  les  calamités  de  cet  ami  de  sa  famille. 

Tch'ou-long  ^§  |^,  son  intendant,  lui  en  exprima  son  éton- 
nement.  —  Le  roi  de  Ou,  répondit  Ou-siu,  est  menacé  de  perdre 
le  trône  et  la  vie  ;  je  voudrais  aller  combattre  son  ennemi  ;  mais, 
dans  la  situation  où  se  trouve  notre  royaume,  il  ne  faut  pas  y 
songer  ;  c'est  pourquoi,  dans  mon  chagrin,  j'ai  augmenté  mon 
deuil  et  mes  abstinences.  —  Ne  serait-il  pas  opportun,  reprit  l'in- 
tendant, de  faire  parvenir  à  la  cour  de  Ou  l'expression  de  votre 
douleur  et  de  vos  condoléances  ?  —  Assurément  ;  mais  je  n'en  vois 
pas  la  possibilité.  —  Confiez-moi  ce  message  ;  en  dépit  des  diffi- 
cultés, je  tâcherai  de  parvenir  jusqu'à  votre  royal  ami,  et  je  le  lui 
remettrai. 

Tch'ou-long  partit  en  effet  ;  pour  arriver  à  son  but,  il  usa  du 
stratagème  suivant  :  il  se  rendit  au  camp  de  Yué,  sous  prétexte 
de  féliciter  et  d'encourager  le  roi  :  Fou-tch'ai  ^  J|,  disait-il, 
nous  a  fait  bien  du  mal,  à  nous  autres  Chinois  ;  c'est  pourquoi, 
ayant  appris  que  votre  Majesté  en  personne  était  venue  le  punir, 
nous  avons  tressailli  d'allégresse  ;  nous  ne  craignons  qu'une  chose> 
c'est  que  vous  n'alliez  pas  jusqu'au  bout  ;  permettez-moi  donc 
d'entrer  dans  la  ville,  pour  voir  où  en  sont  les  choses. 

Il  paraît  qne  Keou-ts'ien  $}  Jgf ,  le  terrible  roi  de  Yué  j&,  fut 
assez  simple  pour  se  laisser  berner  par  de  telles  paroles.  Tch'ou- 
long  parvint  donc  jusqu'à  Fou-tch'ai  :  Ou-siu  4È  'fojfl.  fils  de  votre 
ami  Tchao-yang,  lui  dit-il,  m'a  envoyé  saluer  votre  Majesté,  lui 
témoigner  sa  sympathie,  lui  exprimer  le  chagrin  que  lui  causent 
vos  malheurs  ;  il  voudrait  bien  venir  à  votre  secours  ;  mais  l'état 
présent  de  son  pays  ne  le  lui  permet  pas  ;  veuillez  donc  recevoir 
ses  excuses. 

Fou-tch'ai  fut  touché  de  cette  marque  d'amitié  ;  il  prit  une 
petite  corbeille,  la  remplit  de  pierres  précieuses,  et  la  confia  au 
messager  pour  la  remettre  à  Ou-siu  4&  ^  (nommé  aussi  Tchao- 
™ong  f§  Je). 


423 


TCH'OU-KONG    (474-457) 


Le  nouveau  souverain,  fils  du  précédent,  s'appelait  Ts'o  §§•; 
son  nom  posthume  Tch'ou  signifie  détrôné,  chassé;  pour  les  deux 
premières  années  de  son  règne, nous  ne  trouvons  rien  dans  histoire. 

En  472,  à  la  6èm,:  lune  (avril-mai),  le  grand  seigneur  Siun- 
yao  ^f  J§  (nommé  aussi  Siun-siang-tse  ^f  ||  ^  et  Tche-pé  ^  {£) 
(1),  petit-fils  de  Siun-li  ^  fêfc,  conduisait  une  armée  contre  le 
royaume  de  Ts'i  ^  ;  de  son  côté,  le  général  Kao-ou-pei  ]fj  M  25 
venait  à  sa  rencontre,  repousser  l'invasion. 

Siun-yao  s'étant  avancé  pour  examiner  les  forces  ennemies, 
ses  chevaux  s'effrayèrent  ;  au  lieu  de  s'en  retourner  sur  ses  pas, 
le  général  fouetta  ses  chevaux  à  coups  redoublés,  les  lança  en 
avant,  d'un  galop  forcené,  jusqu'aux  premiers  retranchements  de 
Ts'i;  après  quoi  il  rebroussa  tranquillement  son  chemin.  Les  gens 
de  Ts'i,  disait-il  ensuite,  auraient  pu  s'imaginer  que  nous  avons 
peur  d'eux;  j'ai  voulu  leur  prouver  le  contraire. 

Sur  le  point  de  livrer  bataille,  le  grand  officier  Tchang-ou-tse 
J|  iïÇ  ^f.  demandait  qu'on  consultât  les  sorts  ;  Siun-yao  refusa  en 
disant:  notre  souverain  a  averti  le  <<fils  du  ciel»  (l'empereur);  de 
plus,  dans  le  temple  de  ses  ancêtres,  il  a  interrogé  la  tortue  divi- 
natoire, et  la  réponse  a  été  favorable  ;  que  voulons-nous  de  plus  ? 

(1)  Siun-yao:  ou  Siun-siang-tse,  avait  pour  père  Siun-chen  ~%j  ffi  ;  celui-c; 
n'a  rien  fait  de  remarquable,  qui  soit  mentionné  dans  l'histoire  ;  il  semble  être 
mort  assez  jeune  ;  sans  cela,  sen  fils  Yao  n'apparaîtrait  pas  si  tôt  dans  notre  récit. 

Siun-yao  est  encore  nommé  Tche-pé,  parcequ'il  était  de  la  branche  Tchc  |J  ; 
l'autre  s'appelait  Tchong-hang,  comme  nous  l'avons  noté  autrefois,  à  cause  de  son 
fondateur  Siun  ling-fou  ^?J  ^JC  lj?f,  qui  se  distingua  dans  le  commandement  de  l'ar- 
mée (ou  corps)  du  centre  [tchong-hang  4*  ffl- 

Siun-yao  (ou  Tche-pé)  joue  un  grand  rôle  dans  ces  derniers  temps  du  royau- 
me de  Tsin  ;  habile  dans  les  compositions  littéraires,  dans  l'art  de  la  parole,  dans  le 
maniement  des  affaires  ;  d'une  belle  stature,  d'une  force  corporelle  peu  ordinaire, 
guerrier  intrépide,  bon  lancier,  bon  archer,  bon  conducteur  de  char,  il  manqua 
d'humanité  ;  son  orgueil,  sa  violence,  et  même  sa  cruauté,  en  firent  un  tyran 
détesté  ;  en  cela  encore,  il  surpassa  tous  ses  contemporains.  Quand,  grâce  à  lui  sur- 
tout, la  famille  Tche  fut  anéantie,  un  de  ses  oncles,  nommé  Tchc-kouo  £q  ^  fui 
épargné,  et  prit  désormais  le  nom  de  Fou  fcg.  (Voir  le  recueil  Kouo-yu  H  JÏ5 
Wi.  Ut  p.  g). 


424  TEMPS   VRAIMENT   HISTORIQUES 

D'ailleurs,  c'est  le  roi  de  Ts'i  qui  a  commencé  la  guerre  le 
premier,  en  nous  enlevant  la  ville  de  Yng-k'iou  3^  ffi  (1);  notre 
souverain  nous  envoie  la  reprendre  ;  cela  suffit  ;  nous  n'avons  pas 
à  consulter  les  sorts,  pour  savoir  s'il  convient  d'obéir  ou  non. 

Nous  avons,  du  premier  coup,  une  idée  du  caractère  de  ce 
nouveau  général  ;  il  n'était  pas  homme  à  se  plier  au  sentiment 
des  autres;  au  jour  jen-tch'en  =£  fc  (3  juin),  il  lierait  bataille 
sur  le  territoire  de  Li-k'iou  2pl  ffi  (2),  mettait  l'armée  de  Ts'i  en 
déroute,  de  ses  propres  mains  capturait  le  grand  officier  Yen- 
k'ang  §J|  |pf  et  le  faisait  passer  au  fil  de  l'épée. 

En  471,  à  la  4ème  lune  (février-mars;,  Tch'ou-kong  voulant 
lui-même  se  mettre  en  campagne  contre  le  royaume  de  Ts'i  \2f, 
envoya  un  messager  au  duc  de  Lou  %},  lui  demander  des  troupes 
auxiliaires:  Autrefois,  lui  disait-il,  le  seigneur  Ts'ang-\ven-tcho7ig 
$§,  $C  Wi  conduisant  l'armée  de  Tch'ou  £j|,  prit  au  pays  de  Ts'i 
la  ville  de  Kou  K£  (634)  ;  plus  tard,  le  seigneur  Ts'ang-siuen-chou 
Wt.  JL  <^»  avec  ^es  ëens  de  Tsin,  s'empara  de  Wen-yang  $fc  ^ 
(589)  (3)  :  moi,  homme  de  peu  de  valeur,  je  voudrais  de  nouveau 
punir  ce  même  royaume  ;  pour  cela  je  requiers  la  protection  de 
Tcheou-kong  ^f)  fè,  votre  illustre  ancêtre;  et  j'espère  que  votre 
Majesté  m'accordera  encore  le  secours  de  la  noble  famille  Ts'ang. 

Le  seigneur  Ts'ang-che  ^  J£  fut  envoyé  avec  une  armée,  et 
eut  la  bonne  fortune  de  prendre  la  ville  de  Ling-k'iou  jj|  $$  (4). 
Après  ce  premier  exploit,  les  officiers  de  Tsin  donnaient  à  grands 
cris  l'ordre  de  tout  préparer  pour  une  prochaine  attaque,  contre 
une  autre  ville;  mais  Lai-tchang  ;$j£  Jp:,  dignitaire  de  Ts'i,  ne  fut 
pas  dupe  de  ces  fanfaronnades:  l'an  dernier,  dit-il,  les  gens  de  Tsin 
ont  eu  la  victoire  sur  nous  ;  il  viennent  encore  de  triompher  cette 
fois;  mais  c'est  fini;  comment  le  ciel  pourrait-il  leur  accorder  de 
nouvelles  faveurs?  leur  prince  n'est  qu'un  mannequin;  leurs  mi- 
nistres sont  des  tyrans  fieffés  ;  ils  croient  nous  effrayer  par  leurs 
clameurs;  attendons  un  peu,  nous  allons  les  voir  s'en  retourner 
chez  eux. 


(1)  Yner-k'iou  :    inconnu. 

(2)  Li-k'iou  :  est  la  même  ville  que  Li-k'iou  ^{  irft,  ou  T'a-yng  ffî  fë,  (voyez 
année  485). 

(3)  Kou:  c'est  Tong-ngo  hien  Tjfî  |îiïj  Pf,  à  210  li  nord-ouest  de  sa  préfecture 
T'ai-ngan  fou  Sfji  Hi  i$f,  Chan-tong.  (Petite  géogr.,  vol.  10,  p.  14)  —  (Grande, 
vol.  33,  p-  n)- 

Wen-yang  :  au  sud  de  la  Wen,  forme  actuellement  la  souspréfecture  Wen- 
chang  0t  _t«  (Grande  géogr..  vol.  33,  p.   14). 

(■i)  Ling-k'iou:  était  un  peu  au  sud-esl  de  Poen  hien  ïfë  ff,  qui  est  à  160  li 
nu  nord  de  sa  préfecture  Ts'ao-tcheou  fou  W  ft\  flT',  Chan-tong.  (Petite  géogr.,  vol. 
10,  p.  iç)  —  (Grande,  vol.  34,  p.  tz). 


DU    ROYAUME   DE   TSIN.    TCH'OU-KONG.  425 

C'est  en  effet  ce  qui  arriva.  Pour  remercier  le  seigneur 
Ts'ang-che  #jj$  j^  'de  son  concours  si  efficace,  Tch'ou-kong  députa 
le  grand  historiographe  du  royaume,  avec  le  message  suivant  : 
notre  humble  prince  étant  en  marche,  ne  peut  en  ce  moment  vous 
faire  un  cadeau  convenable  ;  il  prie  votre  seigneurie  d'accepter, 
en  attendant,  ces  quelques  bœufs  vivants  qu'il  vous  envoie. 

En  468,  vers  le  mois  d'avril,  Siun-yao  ^  J§j  partait  en  guerre 
contre  le  pays  de  Tcheng  ff[$,  et  plaçait  son  camp  près  de  Tong- 
k'iou  ijfâ  {$  (1);  mais  le  prince  invoqua  le  secours  de  Ts'i  J|, 
dont  l'armée  se  mit  aussitôt  en  marche.  A  cette  nouvelle,  Siun- 
yao  replia  ses  tentes  en  disant  :  j'avais  consulté  la  tortue  contre 
Tcheng,  non  contre  Ts'i;  vraie  gasconnade  qui  signifiait;  j'ai  des 
hommes  pour  un  royaume,  non  pour  deux. 

Avant  de  se  mettre  en  marche,  il  adressait  à  Tch'eng-heng 
ffi  '[g.  vrai  maître  de  Ts'i,  l'injurieuse  provocation  suivante  :  vous 
êtes  un  descendant  de  la  maison  régnante  de  Tch'eng  ffi  ;  vos 
ancêtres  ont  été  anéantis  par  le  prince  de  Tchaig  ft$,  en  478; 
voilà  pourquoi  mon  humble  souverain  m'avait  envoyé  punir  cet 
état,  pensant  que  votre  seigneurie  aurait  aussi  pitié  de  vos  illus- 
tres aïeux  ;  si  cependant  vous  voyez  avec  plaisir  votre  famille 
extirpée  jusqu'à  la  racine,  je  n'ai  plus  rien  à  dire  (2). 

D'après  les  mœurs  chinoises,  ce  message  était  une  impréca- 
tion déguisée;  aussi  Tch'eng-heng  fut  outré  de  colère:  ceux  qui 
profèrent  des  injures  si  grossières,  s'écria-t-il,  ne  peuvent  se  tenir 
longtemps  dans  les  hautes  dignités  ;  Siun-yao  ferait-il  exception, 
par  hasard  ? 

Siun-yng  ^f  jp(,  le  rebelle  de  Tsin,  se  trouvait  dans  l'armée 
de  Ts'i;  sans  le  vouloir,  il  offensa  aussi  son  généralissime;  il 
disait  à  celui-ci  :  on  m'a  averti  que  Tch'ou-kong  va  envoyer  mille 
chars  -donc  cent  mille  hommes),  et  qu'il  veut  anéantir  vos  trou- 
pes. —  Tch'eng-heng  lui  répondit  fièrement:  mon  humble  souve- 
rain m'a  ordonné  de  ne  pas  mépriser  une  petite  armée,  et  de  n'en 
pas  craindre  une  grande  ;  quand  les  mille  chars  de  Tsin  arriveront, 
nous  les  recevrons  comme  il  convient;  quant  à  votre  avis,  je  le 
communiquerai  à  notre  prince. 

Siun-yj\g  ^  J|  se  mordit  la  langue,  pour  avoir  commis  cette 
indiscrétion  :  je  comprends,  dit-il,  pourquoi  je  me  trouve  en  exil, 
et  depuis  si  longtemps  ;  un  homme  sage  qui  délibère  sur  une 
entreprise,    en    considère    le    commencement,    le  milieu    et    la    fin  ; 

(1)  Tong-k'iou  :  était  un  peu  au  nord-est  de  de  //in  tcheou  f£  W ,  Ho-nan. 
(Petite  géogr.,  vol.   iz.  p.  s&)  —  (Grande,  vol.  47,  p.  43)- 

(2)  C'est  le  royaume  de  Tch'ou  fé  qui  s'annexa  l'état  de  Tcheng  tSft.rn  478; 
donc  Siun-yao  mentait,  pour  exciter  encore  davantage-  la  colère  de  son  rival.  La 
réponse  de  celui-ci  est  de  nu-inc  une  imprécation  déguisée  ;  incident  tout-«-fait  chi- 
nois ;  on  appelle  cela  «se  maudire  mutuellement  —  Siang-ma  ff}  m   —  *• 


426  TEMPS  TR AIMENT  HISTORIQUES 

quand,  tout  bien  examiné,  il  peut  se  promettre  le  succès,  il  met  la 
main  à  l'œuvre  ;  moi,  malheureusement,  je  ne  regarde  aucun  bout; 
je  vais  de  l'avant,  comme  un  étourdi,  et  j'en  porte  la  peine. 

En  464,  Siun-yao  ^  J||  revenait  à  la  charge,  contre  la  capi- 
tale de  Tcheng  |fj$  ;  avant  son  arrivée,  un  seigneur,  nommé  Se- 
hong  J^  5^,  conseillait  aux  habitants  de  ne  pas  résister:  le  géné- 
ralissime, disait-il,  est  un  homme  opiniâtre,  qui  veut  absolument 
l'emporter  sur  tous  les  autres  ;  soumettons-nous  à  lui,  aussitôt 
qu'il  serai  ici  ;  flatté  de  cette  déférence,  il  s'en  retournera  bien 
vite,  et  nous  en  serons  délivrés. 

Les  gens  de  Tcheng  $J$  voulurent  cependant  faire  quelque 
résistance,  au  moins  «pour  la  face»;  ils  occupèrent  militairement 
les  faubourgs,  surtout  ceux  de  la  porte  méridionale,  et  attendirent 
l'ennemi.  Siun-yao  n'eut  pas  de  peine  à  les  en  déloger;  il  y  perdit 
toutefois  un  de  ses  officiers  nommé  Hi-k'ouei-lei  1|5  $£};  jf|  ;  celui- 
ci  ayant  été  capturé  pendant  le  combat,  les  gens  de  Tcheng,  pour 
le  gagner  à  leur  parti,  lui  firent  les  offres  les  plus  séduisantes, 
jusqu'à  lui  proposer  la  dignité  de  ministre  ;  mais  il  ne  daigna  pas 
même  ouvrir  la  bouche  ;  on  finit  par  le  mettre  à  mort. 

Siun-yao  ^  ^  dit  alors  à  Tchao-ou-siu  j|j|  ÉE  >\^,  fils  de 
Tchao-yang  ^  jgfc,  d'attaquer  la  porte  méridionale,  de  s'en  empa- 
rer, et  de  là,  poursuivre  intrépidement  les  habitants  jusqu'à  l'in- 
térieur de  la  ville.  —  Pourquoi  votre  seigneurie  ne  se  charge-t-elle 
pas  de  ce  soin?  répondit  ce  seigneur,  avec  une  certaine  ironie. — 
Vilain  lâche!  s'écria  Siun-yao,  comment  a-t-on  pu  choisir  un 
homme  pareil,  pour  chef  de  la  famille  Tchao  ^j|?  —  C'est,  repartit 
l'autre,  que  je  suis  capable  de  supporter  avec  patience  un  tel  affront; 
il  y  a  espoir  que  je  ne  causerai  pas  la  ruine  de  ma  maison  (1). 

Siun-j'ao  ne  changea  pas  de  conduite,  et  n'essaya  pas  même 
un  rapprochement  avec  Tchao-ou-siu  ;  aussi,  ce  dernier  nourrissait- 
il  contre  lui  une  haine  mortelle,  et  contribuera  pour  une  bonne 
part  à  l'anéantissement  de  la  famille  Tche  £fl,  comme  nous  allons 
le  voir  bientôt. 

En  458,  les  quatre  grands  seigneurs  Tche-yao  £p  J§I,  Tchao- 
ou-siu  j|§  M  '^n,  Han-hou  §j|  fâ,  (nommé  aussi  Han-k'ang-tse  $1| 
Jj|  ^),et  Wei-hoan-tse  §|  ||  -^  (ou  Wei-kiu  §&  19)*  se  mettant 
à  la  tête  de  tous  les  hommes  de  leur  parenté,  dont  ils  étaient  les 
chefs,  attaquèrent  les  deux  familles  Fan  $j  (ou  Che  -j^)  et  Siun  ^ 
(ou  Tchong-hang  t£  ^t)*  s'emparèrent  de  tous  leurs  biens,  et  se 
les  partagèrent. 

Ce  Tche-yao   n'est   pas   un   autre    personnage  ;    c'est   Tche-pé 


(1)  Tchao-yang  avait  écarté  son  fils  aîné  Pa-lou  fâ  ^£,  avait  mis  à  sa  place 
Ou-siu,  cadet,  né  d'une  concubine  tartare  (Ti  |§)  ;  parceque  celui-ci  avait  une  belle 
prestance,  et  semblait  annoncer  un  brillant  capitaine.  (Se-ma  Te'ien,  chapitre  de 
la  famille  Tchao). 


DU  ROYAUME  DE   TSIN.   TCH'oU-KONG.  421 

#P  fg,  c'est  Siun-yao  Jgj  ^  lui-même,  qui,  pour  s'enrichir,  ané- 
antit une  branché  de  sa  propre  famille  ;  n'est-ce  pas  de  la  sauva- 
gerie ?  Mais  patientons  un  peu  ;  nous  allons  le  voir  puni  à  son  tour. 

En  attendant,  quelle  était  la  conduite  du  roi?  Un  officier  de 
T&'i  %  l'appelait  naguère  un  mannequin  ;  ce  mot  pouvait  paraître 
un  peu  dur  ;  c'était  parole  d'ennemi  ;  c'était  pourtant  la  vérité. 
Les  quatre  seigneurs  en  question  étant  plus  forts  que  lui,  il  se  vit 
réduit  à  les  dénoncer  au  duc  de  Lou  |§.  et  au  roi  de  Ts'i  ;  lui,  le 
soit-disant  chef  des  vassaux  !     Où  en  était-il  arrivé  ? 

Que  pouvait  faire  le  pauvre  duc?  lui  qui  n'était  pas  le  maître 
dans  son  propre  palais!  Le  roi  de  Ts'i  jubilait;  n'avait-il  pas 
souvenir  des  guerres  entreprises  par  son  père,  pour  ruiner  le  pays 
de  Tsin?  lui-même  ne  venait-il  pas  de  soutenir  l'état  de  Tcheng 
JU$  contre  son  suzerain?  il  se  garda  bien  d'arrêter  une  décadence 
qui  allait  à  si  grands  pas  ;  il  voulait  plutôt  l'accélérer. 

En  457,  les  quatre  seigneurs  sachant  la  démarche  tentée  con- 
tre eux  par  Tchrou-hong  fcB  fè,  se  tournèrent  contre  lui,  et  le 
forcèrent  à  prendre  la  fuite.  Mais  où  se  retirer?  le  pauvre  détrôné 
se  dirigea  vers  le  royaume  de  Ts'i,  sans  pouvoir  y  parvenir;  il 
mourut  en  chemin  (1).  C'est  Siun-yao  |jj  jéji  qui  va  se  charger  de 
lui  donner  un  successeur  de  sa  façon. 


(1)   Quelques  auteurs  prétendent  cependant  qu'il  vécut  encore   six   années,    en 
exil  au  pays  de  Ts'i. 


428 

NGAI-KONG    (456-439) 

Le  nouveau  souverain  s'appelait  Kiao  m  ;  son  nom  posthume 
ou  historique  Ngai  signifie  orphelin  dès  le  jeune  âge,  et  mort  de 
trop  bonne  heure  ;  inexpérimenté  dans  le  gouvernement  ;  une  au- 
tre interprétation  dit  un  peu  différemment  :  prince  rempli  de  res- 
pect et  d'humanité  ;  mais  mort  jeune,  sans  avoir  réalisé  les  espé- 
rances que  Von  avait  mises  en  lui  (1). 

"Voici  comment  il  monta  sur  le  trône  :  Siun-yao  ^j  3§j  (ou 
Tche-yao,  ou  Tche-pé)  pensait  à  s'emparer  lui-même  de  la  couron- 
ne, mais  il  recula  devant  cette  audace  ;  il  craignait  la  jalousie  de 
ses  trois  collègues,  qui  n'auraient  pas  manqué  d'ameuter  le  peuple 
contre  lui  ;  il  chercha  donc  un  prince,  sous  le  nom  duquel  il  pût 
gouverner  en  réalité. 

Il  avait  pour  intime  ami  le  prince  Ki  fe,  petit-fils  de  Tchao- 
kong  flg  g.  (531-526)  (2)  ;  il  résolut  de  le  placer  sur  le  trône  ; 
mais  celui-ci  étant  mort,  juste  à  ce  moment,  c'est  son  fils  Kiao 
qui  fut  appelé  à  recevoir  la  couronne. 

Bien  entendu,  le  véritable  roi  fut  Siun-yao  ;  lui  seul  était 
craint  et  obéi  ;  ce  fut  son  apogée,  ce  fut  aussi  sa  perte  ;  orgueil- 
leux à  l'excès,  il  commandait  comme  un  tyran,  et  suscitait  des 
querelles  à  ses  collègues  ;   il  se  rendait  insupportable. 

Tout  d'abord,  il  entreprit  Tchao-ou-siu  £g  M  fft  ;  lui  repro- 
chant, comme  premier  grief,  de  s'être  arrogé  une  trop  grande  part 
des  biens  des  deux  familles  Fan  jfë  et  Siun  ^j  ;  il  voulait  le  forcer 
à  en  restituer  quelque  chose.  Il  lui  reprochait  encore  de  s'être  an- 
nexé la  petite  principauté  tartare  Tai  fÇ  (3),  et  d'avoir  ainsi  acquis 

(1)  Textes  des  interprétations:  ^  Wi  $&  #f   0| 

(2)  Le  père  du  prince  Ki  s'appelait  Yong  ';£,  et  aussi  Tai-tse  $&  J~  :  c*était 
le  plus  jeune  des  fils  de  Tchao-kong. 

(3)  Le  prince  de  Tai,  de  la  tribu  Ti  ïfc,  du  clan  royal  Kiang  -;£-,  avait  pour 
épouse  la  propre  sieur  de  Tchao-ou-siu  ;  celui-ci  invita  son  beau-frère  à  une  entrevue 
solennelle,  près  du  défilé  de  Keou  tcheou  5}  }£  ;  pour  le  service  de  table,  il  y  avait 
une  lourde  cuillère  en  or,  à  long  manche  ;  quand  les  tartares  furent  enivrés,  Ou-siu 
donna  un  signal  convenu,  le  servant  prit  cette  cuillère  et  en  assomma  le  prince  ;  à 
cette  nouvelle,  l'épouse  de  celui-ci  se  donna  la  mort,  en  se  perçant  d'une  longue 
épingle  à  cheveux.  C'est  ainsi  que  Ou-siu  s'empara  de  la  principauté.  (Se-ma 
Ts'ien,  chap.  43,  p.  10)  —  (Se-ma  Koang,  vol.  /,  p.  11)  —  (Annales  du  Chan-si, 
vol.  8,  p.  15).  Le  défilé  de  Keou-tchou  s'appelle  maintenant  Yen-men-koan  0  ;  j  \h  ; 
il  est  à  15  li  au  nord  de  Tai  tcheou  \t  #1.  Chan-si.  (Petite  géogr.,  vol.  8,  p.  37)— 
(Grande,  vol.  40,  p.  42). 


DU   ROYAUME   DE   TSIN.     NGAI-KONG.  429 

une  puissance  exorbitante.  Tchao-ou-siu  ne  voulut  rien  entendre, 
et  garda  ce  qu'il  avait  pris  ;  Siun-yao  fit  alors  alliance  avec  les 
deux  autres  compères  Han-hou  g  fc  et  Wei-kiu  £  $j.  dans  le 
dessein  de  se  débarrasser  du  quatrième  larron  ;  mais  les  choses 
prirent  une  tournure  inattendue. 

En  455  Tchao-ou-siu  résolut  de  quitter  la  cour,  où  il  ne  se 
trouvait  plus  en  sûreté.  Son  intendant,  Tchang-tan  %  gj,  lui 
donnait  alors  un  conseil  excellent  :  vos  ancêtres,  disait-il,  ont 
accumulé  des  trésors  dans  vos  palais,  tablettes  de  jade,  cloches, 
trépieds  et  mille  autres  objets  précieux  ;  pourquoi  ne  vous  en 
servez-vous  pas,  pour  vous  faire  des  amis  parmi  les  princes  voi- 
sins '  vous  auriez  ainsi  refuge  et  secours  en  temps  de  troubles. 

Tchao-ou-siu  répondit  :  je  n'ai  personne  à  qui  je  puisse  con- 
fier cette  mission.  —  Vous  pouvez  en  charger  votre  officier  Ii  Jj£. 
répliqua  l'intendant.  —  Ayant  tant  de  défauts,  manquant  totale- 
ment de  vertu,  repartit  Ou-siu,  je  ne  puis  viser  à  atteindre  une 
gloire  semblable  à  celle  de  mes  aïeux;  j'en  serais  réduit  à  m  ap- 
puver  uniquement  sur  les  cadeaux,  pour  acheter  des  amis  et  du 
sec'ours  L'officier  Ti  ne  mérite  pas  ma  confiance  ;  il  est  un  de  ceux 
qui  servent  mes  passions  au  lieu  de  les  combattre  ;  dans  son  de- 
vouement,  il  cherche  bien  plus  son  avantage  que  le  mien;  si  je 
me  fiais  à  lui,  je  périrais  avec  lui  (1). 

Cependant,  la  fuite  devenait  urgente  ;  Ou-sm  demandait  a  ses 
amis  où  il  devait  se  retirer;  les  uns  proposaient  Tchang-tse  & 
qp  (21  ville  peu  éloignée,  d'un  accès  facile,  et  dont  les  murs 
étaient  épais  et  solides.  -  Malheureusement,  réponda.t  Ou-sm, 
en  construisant  ces  fortifications,  j'ai  épuisé  les  ressources  des 
habitants;  qui  donc  voudrait,  parmi  eux,  se  sacrifier  encore  à  ma 
défense,  dans  le  danger?  , 

D'autres  proposaient  //an-fan  %  "M,  où  se  trouvaient  des 
dépôts  de  provisions,  et  tout  l'attirail  nécessaire  pour  une  longue 
résistance  —  Oui,  disait  Ou-siu.  il  y  a  beaucoup  de  provisions; 
mais  son  "gouverneur  a  été  tué  par  mon  père;  depuis  lors  cette 
ville  a  été  hostile  à  notre  famille;  je  n'y  serais  pas  en  surete.  1 
vaut  mieux  me  réfugier  a  Tsin-yang  £  $  (S),où  les  revenus  sont 
moindres,  mais  la  population  nombreuse  et  dévouée  à  ma  maison, 

""(„   Tel  que^T^^son^Tchao-ou-siu,    Il    est    peu    probable   que   ces    ré- 
fle^ons  vertueuses  soient  de  lui  ;  ce    sont  b,en    plutôt   des    Qeux-communs    sort* 
pinceau  du  lettré-historien. 

(•>)  Tchan*-tse:  était  un  peu  au  sud-ouest  de  Tchang-tse  hien  &  +  S*.  q« 
est  à  50  li  sud-ouest  de  sa  préfecture  Lo^ngan  fou  B  *  M  .  Chan-sUPe**  ***r.. 
vol.  S,  p.   13)  —  (Grande,  vol.  42.  P-   '?)■ 

(3)  Tsin-yang:  c'est  T'ai-yuen  Hien  *  M  g.  *  45  li  sud-ouest  de  s-  pré- 
fecture T'ai-yuen  fou  *  ffi  ff.  Chan-si.  (PetiU  géogr.,  ,ol.  S.  p.  .)  -  f*—. 
vol.  40,  p.  7). 


430 


TEMPS    VRAIMENT   HISTORIQUES 


à  cause  de  la  grande  bienveillance  que  mon  père  lui  a  montrée, 
et  des  largesses  que  son  gouverneur  Yng-to  ^  f|  a  répandues  en 
temps  opportun. 

Tchao-ou-siu  se  retira  donc  dans  son  fief  de  Tsin-yang,  et  y 
attendit  ses  ennemis.  Ceux-ci  ne  tardèrent  pas  longtemps;  une 
armée  imposante,  commandée  par  Siun-yao  ^îg,  H  an- hou  $$:  f& 
et  Wei-kiu  §|  £&}  mit  en  vain  le  siège  devant  la  forteresse  ;  elle 
ne  put  s'en  emparer:  elle  détourna  même  le  cours  de  la  rivière 
Fen  ffî.  pour  inonder  la  place;  si  bien  que  les  grenouilles  prirent 
leurs  ébats  sur  les  fourneaux  de  cuisine  ;  le  peuple  ne  broncha  pas, 
ne  se  plaignit  pas  et  défendit  son  maitre  avec  une  constance  invin- 
cible; les  assiégeants  durent  enfin  se  retirer. 

A  ce  propos,  l'historien  raconte  la  méthode  emplovée  par  le 
gouverneur  Yng-to  f*  ^,pour  obtenir  un  résultat  si  remarquable; 
en  entrant  en  charge,  il  avait  demandé  à  Tchao-yang  gjffc:  faut- 
il  viser  à  vous  enrichir?  faut-il  plutôt  préparer  une  forteresse  de 
refuge,  pour  les  moments  de  troubles  ?  —  Préparez  une  forteresse, 
avait  répondu  Tchao-yang. 

Sur  ce,  Yng-to  avait  diminué  de  beaucoup  les  taxes  et  les 
corvées,  et  avait  ainsi  attiré  une  nombreuse  population;  par  son 
gouvernement  paternel,  il  l'avait  invinciblement  attachée  à  la  fa- 
mille Tchao;  c'est  ainsi  que  Siun-yng  ^j  jg  etChe-ki-ché  fj[  ^f  %$ 
firent  en  vain  les  derniers  efforts  contre  cette  place  ;  en  497,  ils 
durent  renoncer  à  la  prendre. 

Pour  en  faire  le  siège,  ils  l'avaient  eux-mêmes  entourée  de 
camps  fortifiés,  espérant  intercepter  tout  secours  extérieur.  Après 
cette  période  tourmentée,  Tchao-yang  avait  ordonné  d'abattre  ces 
ouvrages  avancés  ;  Yng-to  les  avait  au  contraire  fortifiés  davanta- 
ge, afin  d'en  faire  un  boulevard  de  la  ville,  et  de  la  rendre  vrai- 
ment imprenable. 

Tchao-yang  étant  un  jour  revenu  visiter  ce  fief,  et  vovant  ses 
ordres  méconnus,  était  entré  en  fureur,  et  avait  commandé  de 
massacrer  le  gouverneur  ;  on  avait  eu  grand'peine  à  obtenir  son 
pardon;  et  cependant  il  avait,  au  péril  de  sa  vie,  rendu  le  plus 
signalé  service  à  la  famille  Tchao.  Maintenant  le  fils  de  Tchao- 
yang  le  reconnaissait  sans  peine,  après  avoir  échappé  à  ses  enne- 
mis, dans  un  danger  si  pressant. 

En  453,  Tchao-ou-siu  sachant  que  Han-hou  |$:  jç|  et  Wei- 
kiu  Kg  J6J  détestaient  cordialement  leur  tyrannique  collègue  Siun^ 
yao  ^  %,  envoya  secrètement  le  seigneur  Tchang-mang  fâ  jg 
leur  proposer  de  faire  la  paix  ensemble,  et  de  s'unir  contre  cet 
insupportable  orgueilleux.  Le  messager  réussit  à  souhait;  un  vrai 
triumvirat  fut  institué,  en  dehors,  et  peut-être  à  l'insu  du  roi,  du 

Han-tan  :  était  à  20  li  sud-ouest  de  Hcm-taix  hien  fflî  ^  gZ,  qui  est  à  55  li 
sud-ouest  de  sa  préfecture  Koang-p'ing  fou  fc  ^  M*  Tche-li.  (Petite  géogr.,  vol. 
'y  P-  S°)  —  (Grande,  vol.   ij,  p.  as)- 


DU   ROYAUME  DE   TSIN.    NGAI-KONG.  431 

moins  au  début  ;  une  lutte  à  mort  fut  engagée  ;  Siun-yao  fut 
vaincu  et  tué  par  Ou-siu  au  pied  de  la  fameuse  tour  T.so-taï 
Haï  (1)  ;  sa  têfe  fut  coupée  ;  son  crâne  devint  le  vase  de  nuit 
du  vainquenr  ;  sa  famille  fut  anéantie,  et  ses  immenses  possessions 
partagées  par  les  triumvirs. 

Le  florissant  royaume  de  Tsin  était  donc  devenu  la  proie  de 
ces  derniers  ;  encore  quelques  années,  et  il  aura  cessé  d'exister  ; 
les  grandes  familles  seigneuriales  s'étaient  entre-dévorées  ;  il  n'en 
restait  plus  que  trois  ;  celles-ci  finiront  par  scinder  le  territoire,  et 
former  trois  royaumes  ;  tous  les  vassaux  qui  avaient  longtemps 
gémi  sous  la  suzeraineté  de  Tsin  applaudiront  à  sa  ruine. 

En  452,  Tche-k'ai  £0  ^,  fils  de  Tche-pé  £0  {g  (ou  Siun-yao), 
s'enfuyait  auprès  du  roi  de  Ts'in  |^-,  auquel  il  fit  hommage  de 
son  fief.  Comment  avait-il  échappé  au  massacre  de  toute  la  fa- 
mille? l'historien  ne  le  dit  pas;  peut-être  était-il  alors  hors  du 
royaume  ? 

En  448,  Tche-koan  ^Djf^,  autre  membre  de  la  même  famille, 
s'enfuyait  aussi  auprès  du  roi  de  Ts'in  ||§,  et  lui  faisait  également 
hommage  de  son  fief;  on  ne  dit  pas  non  plus  comment  ce  sei- 
gneur avait  été  épargné.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  famille  Tcho  jf$\ 
n'apparaît  plus  désormais  dans  l'histoire. 

(1)  Tso-tai  :  cette  tour  était  à  40  li  au  sud  de  Yu-ts'e  hien  f$)  ^  $£,  qui  est 
à  60  li  sud-est  de  sa  préfecture  T'ai-yuen  fou  ;fc  fâ  Jfr,  Chan-si.  (Petite  géogr., 
vol.  8,  p.  4)   —   (Grande,  vol.  40,  p.   13). 

Le  tombeau  de  Siun-yao  (ou  Tche-pé)  est  à  30  li  à  l'est  de  Yu-ts'e  hien;  com- 
me son  cadavre  n'avait  plus  de  tête,  on  lui  et  mit  une  en  bois,  dans  son  cercueil; 
sans  quoi  ses  mânes  n'auraient  pu  se  présenter  décemment  devant  ses  ancêtres  :  dans 
leur  sottise,  les  païens  sont  encore  ingénieux  !  Quelques  auteurs  trouvèrent  aussi  par 
trop  ignominieux  que  son  crâne  fût  devenu  un  vase  de  nuit  ;  ils  ont  écrit  qu'on  en 
avait  fait  une  coupe  ;  il  suffit  de  s'entendre  sur  le  nouveau  sens  de  ce  mot  poéti- 
que ! 

On  raconte  aussi  comment  Siun-yao  (ou  Tche-pé,  ou  Tche-yao)  s'était  trahi, 
pendant  le  siège  de  Tsin-yang  ^§  F§  :  Comme  il  pataugeait  dans  l'eau,  avec  ses 
collègues,  poussant  ses  troupes  à  l'assaut,  il  se  serait  écrié  :  maintenant  je  vois 
quel  terrible  engin  de  destruction  l'on  peut  se  procurer  par  le  moyen  de  l'eau  \ 
la  rivière  Fenn  g)  peut  être  dérivée  contre  Ngan  3c  :  la  rivière  Kiang  ££,  contre 
P'ing-yang  2p  [ÎÇ;.  Or,  Xgan  était  le  fief  de  Wei-kiu  ft  i>]  ;  P'ing-yang,  celui  de 
Han-hou  &.  fâ  ;  ces  deux  seigneurs  se  poussèrent  du  coude  réciproquement,  pour  se 
montrer  qu'ils  avaient  compris  l'idée  de  cet  aimable  collègue.  Ils  s'imaginèrent  faci- 
lement qu'un  jour  ou  l'autre  il  la  mettrait  à  exécution  contre  eux  :  c'est  pourquoi 
ils  se  montrèrent  si  disposés  à  faire  la  paix  avec  Tchao-ou-siu  gï^M.  pt  à  s'unir 
avec  lui  contre  un  tel  sauvage.  (Voir  les  annales  du  Chan-si,  vol.  56,  p.  28) —  (voir 
encore  Se-ma-koang,  vol.  1,  p.   7  et  suiv...). 


432 

YOU-KONG    (438-420) 


& 


Le  lecteur  a  dû  être  frappé  du  silence  de  l'historien  sur  les 
faits  et  gestes  du  roi  précédent  ;  il  n'a  pas  plus  été  question  de 
lui,  que  s'il  n'eût  pas  existé  ;  on  n'a  pas  même  mentionné  sa  mort. 

Le  nouveau  souverain,  son  fils,  va  être  encore  plus  nul,  si 
c'est  possible.  Il  s'appelait  Liou  $/|j  ;  son  nom  posthume  ou  histo- 
rique signifie  arrêté,  contrarié  en  tout,  n'a  jamais  pu  rien  faire; 
il  a  encore  deux  autres  sens,  du  même  genre  (1). 

Il  était  absolument  à  la  merci  des  trois  grandes  familles 
Tchao  |jif,  Han  jjij£,  et  Wei  §|  ;  celles-ci  possédaient  tout  le  royau- 
me, et  ne  lui  laissaient  que  le  territoire  de  la  capitale  Kiang  $£  ; 
auquel  il  faut  ajouter  celui  de  K'iu-wo  \\[]  ^,  lieu  originel  de  la 
famille  régnante,  où  se  trouvait  le  temple  des  ancêtres  avec  un 
bon  nombre  de  leurs  tombeaux 

En  425,  l'événement  le  plus  singulier  fut  la  mort  successive 
des  trois  grands  seigneurs.  Tchao-ou-siu  |fr  M  '|]f[  décéda  le  pre- 
mier ;  il  s'était  réconcilié  avec  son  frère  aîné  Pé-lou  f^  .ff.  ;  il  avait 
donné  à  Tcheou  J$,  fils  de  celui-ci,  la  principauté  de  Tai  f^  (2), 
avec  le  titre  de  Tai-tch'eng-hiun  f (J  ^  fê  ;  il  voulait  même  en 
faire  son  héritier  et  successeur  ;  mais  il  en  fut  empêché  par  la 
mort  prématurée  de  ce  seigneur  ;  il  passa  donc  la  succession  à 
Wan  $c  (ou  Hiuen-tse  J^  ^ )  petit-fils  de  Pé-lou. 

Delà,  des  complications,  des  querelles  de  famille:  Kia.  |£, 
frère  cadet  de  Ou-siu,  voulait  pour  soi-même  ce  magnifique  héri- 
tage ;  il  chassa  son  rival,  mais  il  ne  jouit  pas  longtemps  du  fruit 
de  cet  acte  de  violence  ;  peu  de  mois  après,  il  avait  cessé  de  vivre, 
et  son  fils  était  massacré  par  le  peuple.  Wan  $£  put  donc  revenir 
et  rentrer  paisiblement  en  possession  de  ses  droits  ;  en  prévision 
de  l'avenir,  il  fortifia  sa  ville  de  Hiuen-che  f£  j£  (3). 


(1)  Texte  de  l'interprétation  :  H  j'D  xf  jgj  [-1  j$J 

(2)  Tai  :  sa  capitale  était  à  20  li  nord-est  de  Siuen-hoct  fou  yi  fâ  Hf ,  l'che- 
li.   (Petite  géogr.,   vol.    2,  p.   jçl    —   (Grande,  vol.   44,  p.  45). 

(JS)  Hiuen-che  :  était  à  10  li  à  l'est  de  Kao-p'ing  hien  ni]  -1*  $,£,  qui  est  à  83 
li  au  nord  de  sa  préfecture  Tche-tcheou  fou  T?l  'Hi  H)  ,  Chan-si  ;  la  rivière  Tan  jf 
coule  à  l'ouest  de  cette  dernière  ville.  (Petite  géogr.,  vol.  S,  p.  2j) —  (Grande,  vol. 
43-  p.   4)- 


DU    ROYAUME   DF.   TSIN.    TOU-KONG,  'l33 

Han-hou  %'{.  r>Ç  laissa  pour  son  successeur  et  chef  de  sa 
famille,  son  tils  Qu-tse  jfÇ  ^f.  nommé  aussi  Ki-tchang  jgfc  $  : 
celui-ci  jugea  prudent  d'augmenter  les  fortifications  de  sa  capitale 
P'ing-yang  ^  ^-,  pour  résister  aux  entreprises  de  ses  collègues    1   . 

Enfin,   Wei-hïu  $&  ,|pj    ou   Wei  Hoah-1  j'-     eut  pour 

successeur  et  chef  de  famille,  son  tils  Se  &J(,  plus  connu  dans 
l'histoire  sous  le  nom  de  Wei  Wen-heou  jfy  ~%  [fc  Î23-387]  ; 
c'est  lui  qui  est  regardé  comme  le  fondateur  de  la  maison  royale 
de  Wei  fj|;  il  eut  sa  capitale  à  Ta-leang  X  %£    '1  . 

Naturellement,  les  historiens  (.m  recherché  quels  prodiges 
avaient  pu  signaler  une  année  si  remarquable  :  voici  tout  ce  qu'ils 
ont  pu  découvrir  :  il  y  eut  une  extrême  sécheresse  :  la  terre  pro- 
duisit du  sel,  chose  peu  mervei'leuse,  vu  les  nombreuses  salines 
de  la  province  ;  enfin,  la  rivière  Tan  ^'J-  fut  trouble  et  colorée  : 
c'est  l'année  suivante  seulement  qu'elle  redevint  claire  et  limpide    '.',  . 

En  't'20.  You-kong,  corrompu  de  mœurs,  n'avait  pas  assez  de 
concubines  dans  son  palais,  il  courait  les  femmes  de  ses  seigneurs; 
s'étant  hasardé,  une  certaine  nuit,  hors  de  sa  capitale,*  pour  une 
de  ces  misérables  intrigues,  il  fut  assassiné  ;  les  uns  disent  par 
des  brigands  ;  d'autres  affirment  par  des  sicaires,  sur  l'ordre  de 
son  épouse,  une  princesse  de   Ts'ilï   J^s. 

Wei-se  |j&  $f  ou  VVei  Wen-heou  ^  £  (£  profila  de  cette 
occasion  pour  se  concilier  l'opinion  publique  et  la  faveur  du  peu- 
ple ;  il  rechercha  les  assassins,  les  punit,  et  rétablit  l'ordre  dans 
la  cour  royale. 


(1)    P'ing-yang:   c'est  P'ing-yang  fou    ^  F";  ff-f ,  Chan-si.     Petite  géogr.,  vol. 
t.  p.  7)  —      Grande,  vol.  41.  p.  3). 

.'     Ta-loang:  c'est  K'air-fong  fou  gfl  £}  Jft.   Ilo-nan. 
(3)   L.«  rivière  Tan  :    voyez  ci-dessus 


M 


134 


L1É-K0NG     419-393 


Fils  du  précédent,  le  nouveau  souverain  s'appelait  Trhe  ]f^  : 
son  nom  posthume  et  historique  signifie  prince  de  grand  métite, 
qui  a  su  donner  la  paix  au  peuple  (1)  ;  c'est  dommage  que  ses 
hauts  faits  aient  été  ensevelis  dans  le  silence  ;  si  tant  est  qu'il  en 
eut,  ce  qui  est  peu  probable. 

Quant  aux  autres  événements  de  ce  règne,  nous  n'avons  qu'u- 
ne sèche  indication  ;  il  semble  que  les  historiens  aient  eu  hâte  d'en 
finir  avec  ce  royaume  condamné  à  mort. 

En  418,  la  famille  Tchao  |ff  fortifie  la  ville  de  P'ing-i  ^g  (2). 

En  4  13,  une  armée  de  Ts'i  ^  prend  et  démolit  la  ville  de 
Hoang-tch'eng  ^  J$,  puis  assiège  celle  de  Yanj-hou  j^  ^  ■,%). 

Cette  même  année,  les  troupes  de  Tsin  remportent  une  victoi- 
re, à  Tcheng  $$  ,4  ,  sur  l'armée  de  Ts'in    ;';. 

Cette  même  année  encore,  grand  éboulement  des  rives  du 
Eleuve  Jaune,  depuis  la  gorge  appelée  Long-men  §§  f,lJ,  jusqu'aux 
rochers  appelés  Ti-tchou  Jft^È  (ol  :  ^  '^  une  immense  inondation 
dans  les  territoires  environnants. 


(1)  Texte  de  l'interprétation  :  £f  s}]  'V:  £5  0  fil 

(2)  lJ'iny-i  :  <'tait  à  7  li  au  nord  de  Xun-lo  hien  ]f]  ]fè  $£,  dans  la  prélecture 
Ta-ming  fou  ^  ^S  #•  Tche-li,  (à  40  li  sud-est  de  celte  dernière  ville).  (Petite 
géogr.,  vol.   2,  p.  53)   —  (Grande,  roi.   16.  p.   12). 

(3)  Hoang-tch'eng:  était  un  peu  au  sud  de  Kauei  hien  fâ  $f.  qui  est  à  100 
li  sud-ouest  de  sa  prélecture  Tong-tchang  fou  J\{  ||  Jff,  Chan-tong.  (Petite  géogr., 
vol.   10.  p.   21)   —   (Grande,   col.  34,  p.  S). 

Vang-hou  :  était  à  :*0  li  nord-est  de  Ta-ming  fou  (Petite  géogr.,  roi.  2. 
p.  32)   —  (Grande,  vol.   16.  p.  s). 

i      fcheng  :  c'est  Hoa  tcheou  ~ifë  )\\.  à   180  li   sud-oue>t  de    T'ongr-tc/ieou  fou 
Ip)  ')W  H-]'-  Chen-si.     Petite  géogr.,  roi.  14.  p.  21)  —  (Grande,  roi.  54.  p.  »). 

(5)  Long-men:  cette  fameuse  porte  du  Fleuve  Jaune.est  a  80  li  nord-est  de 
tlan-tch'eng  hien  %\  M  M-  dans  Id  préfecture  de  ["ong-tcheou  fou.  (Petite  géogr., 
roi.  14.  p.  20)  Grande,  roi.  .-/.  p.  _>.. 

l'i-tchou  :  ces  rochers  sont  nu  mileu  du  Pleuve  Jaune,  à  10  li  à  l'est  de  Chen 
tcheou  &  H],  Ho-naa.  'Petite  géogr.,  ool.   12.  p.  64)  —  [Gronde,  roi.  48,  p.  j2  ■ 


DO   ROYAUME   DE  TSIN.     LIÉ-KONG.  435 

En  412,  Wei-vtenrheou  %&  %  jifë  envoie  son  fils,  nommé  Ki 
^,  assiéger  la  ville  de  Fan-p'ang  %  /,)(].  du  royaume  de  Ts'in 
fë  ;    celui-ci  la  prend,  et  en  expulse  la  population   (1   . 

(2)  En  411,  la  famille  Tchao  |g  fortifie  une  autre  ville  du 
nom  de  P'ing-i  2JS  £â  . 

En  410,  l'empereur  lui-même  ordonne  aux  deux  seigneurs 
Tc/iao  jfj  et  Han  f£,  de  passer  la  14 randc  muraille  de  Ts'i  fê  :;  . 
et  d'attaquer  ce  royaume  :  on  ne  dit  pas  pour  quel  grief.  Mais 
l'expédition  tourne  mal;  l'armée  de  Tsin  est  vaincue,  le  général 
Han-kiu  •%  |f|  est  fait  prisonnier,  et  la  première  ville  de  P'ing-i 
41  î<â    tombe  au  pouvoir  nu  roi  de  Ts'i. 

(4)  En  i09,  Wei-wen-heou  |^  £  |i£  fait  la  guerre  au  pays 
de  Ts'in  jtj^;  il  semble  avoir  été  victorieux;  car  nous  le  voyons 
ensuite    fortifier    les    deux    villes  de  Ling-tsin    |?^  f^-  et  de   Yuen-li 

ît  M- 

En  408,  Wei-wen-heou  retourne  en  campagne  contre  le  même 
royaume;    après  quoi   il   fortifie  la  ville  de  Fenn-yng  :fy  [^  (5  . 

En  503,  l'empereur  reconnaît  officiellement  les  trois  seigneurs 
Tchao  j{j|[,  Han  ^  et   Wei  |j|,   comme    princes  de  l'empire;    donc 

indépendants  du  soit-disant  roi  de  Tsin;    d'ailleurs    cette    nouvelle 
situation  ne  va  pas  durer  longtemps. 


I)  Fan-p'ang:  était  au  sud-est  ci''  tlan-tch'eng  hien  ci  dessus),  qui  est  à 
220  li  nord-est  de  Pong-tcheou  fou.  (Petite  géogr.}  vol.  /./.  p  tç)  —  Grande, 
vol.  34.  p.   sj). 

;2i  P'ing-i  :  cette  seconde  ville  de  ce  nom  étail  au  nord  ouest  de  Ling-k'iou 
hien  §S  f[5  l'ïr-  qui  est  à  220  li  sud  est  de  sa  préfecture  Ta-t'ong  fou  7c  [fi]  Kf . 
Chan-si.   (Petite  géogr.,  vol.  S,  p.  32  —    vol.    //.  p.  30  ■ 

3)   La  grande  muraille  de   l's'i  :   Vous   en    avons   d    jà    pari ni 

Le  fait  rapporté  ici,  prouve  que  ces  trois  seigneurs  et 1  di  jà  cons  ratique- 

naent  comme    princes  féodaux;    la    reconnaissance    officielle,    en    chine,    ~,é    faisait    e( 
se  l'ail  encore  longtemps  attendre. 

(4  Ling  tsin:  était  à  20  li  sud-ouesl  de  7'c/i'no  i  hien  §H  g  M-  qui  est  ■' 
MO  li  ;'i  l'est  de  sa  préfecture  T'ong-tcheou  fou  f^J  ->H  ' '■.'  .  I  hen-si.  1  était  autrefois 
la  capitale  d'une  minuscule  principauté   lartare  appelée    T'a  li    K  ■)',  i    avnil 

été  annexée  ensuite   au    royaume   de    TV  in    PU;    donc    VVei  wen-heou    vient    de   s'en 
emparer  puisqu'il  la  fortifie. 

Yuen-li:  était  depuis  longtemps  une  propriété  de  la  famille  Wei  $§  ;  elle  était 
à  2  li  nord-est  de   fong-tcheou  fou. 

I  «mit    ce    pays   était   et    est    encore    très    mportant.    n    cause   du   fameux   dénie 

P'ou-koan    MM,   actuellement    nommé    Ling-tsin-k 

Ling-tsin  hien    ^  ^  M<    dans    la    préfecture    P'ou-tcheou  fou    \\\)  M\   '':)  .    Chan-si. 
(Petite  géogr.,  vol.    /./,  p.    iç     —     Grande,  vol.  54,  p. 

(5)   Fenn-yng:  était  à  9  li  au  nord  de   Vong  ho  I  -     à    I2i> 

li  au  nord  de  sa  préfecture  T'en  tcheou  fou.     Petit  S,  p.  31    —   Gran- 

de, vol.  41,  p.  23). 


436 

HIAO-KONG     392-378 


#       £ 


Ce  roi  est  aussi  inscrit  sous  le  nom  de  Hoan-hong  |b  Q.  par 
quelques  auteurs,  qui  prétendent  que  son  nom  de  prince  était  Hiu 
ïj|.  Ainsi  le  veut,  par  exemple.  Han-féi-tse  f$i  ~J\i  ^f-,  dont  le 
témoignage  n'est  pas  à  dédaigner. 

Fils  de  Lié-kong,  il  s'appelait  K'i  IfS.  selon  les  uns.  K'ing  f|£j 
selon  les  autres  :  son  nom  posthume  ou  historique  Hiao  signifie 
prince  bien-aimét  qui  fit  les  délices  de  ses  ancêtres,  jusqu'il  la 
5ème  génération    1  . 

En  390,  les  trois  grandes  familles  le  forcent  à  quitter  sa 
capitale,  et  le  relèguent  à  T'ouen-liou  t£  |g  (2);  plus  tard  ils  le 
transfèrent  encore  ailleurs.  C*est  tout  ce  que  l'histoire  nous  ap- 
prend sur  ce  règne  de  quinze  années. 


1  l'cxte  de  l'interprétation  :  3£  ?n  ^c  -J-  E3  ^ 

2  r'ouen-liou  :    était   à    10    li    sud-ouest  de    T'ouen-liou  liien    rfi,  a?  %$>    qu> 
est  à  55  li  au  nord-ouest  de  sa  préfecture  Lou-ngan  fou  ■■$  t£  fâ .    Chau-si.     Petite 

géogr.,   vol.  S.  p.    is     —   'Grande,   vol.   42.  p.    21). 


437 

TSING-KONG    (377-      ) 


#     & 


-  «•  *•'-:- 


Fils  du  précédent,  le  nouveau  et  dernier  souverain   s'appelait 

KiujfL;  son  nom  posthume  et  historique  signifie  prince  pacifique, 
aux  douces  vertus  (1). 

En  376,  les  trois  familles  spoliatrices  lui  interdisent  d'offrir 
les  sacrifices  solennels  dans  le  temple  de  ses  ancêtres;  dés  lors  la 
dynastie  est  considérée  comme  abolie. 

Peu  après,  ces  trois  mêmes  familles  enlèvent  à  ce  débris  de 
roi,  le  peu  de  territoire  qu'il  possédait  encore:  puis  elles  le  déchi- 
rent «homme  privé»  [Kia-jen  ^  A)>  c'est-à-dire  simple  particulier. 

En  358,  elles  le  transfèrent  à  Toan-che  ~$j  j£  '2  :  désormais, 
ce  rejeton  de  tant  de  princes  disparait  de   l'histoire. 

Le  royaume  de  Tsin  a  vécu. 

Il  nous  reste  à  voir  ce  que  vont  devenir  le  trois  grandes 
familles  spoliatrices  Tchao  jfè,  Han  |^  et  Wei  fj|  :  c'est  l'histoire 
de  trois  royaumes  qui  commence. 


(1)  Texte  de  l'interprétation  :  M  î*  £  %.  13  n? 

(2)  Toan-che:  était  à  90  li  à  l'est  de  T'sin-chouei  hiev  j-H-  7ji  S£-  qui  es!  à 
120  li  à  l'ouest  de  s;i  préfecture  P'ou-tcheou  /on  $j  41  tff.  Chan-si.  (Petite  giogr., 
vol.  S,  pi   28)  —  (Grande,  vol.  43,  p.  S). 


AND  SEIGS 


s 


2- 

45G 


'N( 


lYe 


438 


00  r       ■ 

1  F061 

ï»v*Li 


18 


5V)u 

X*  long 
C7S 


îv 


Hien   it 


,A  kong 
67  G 


21 


651 


20Ûm  * 

651  ^ 

i        £ 


9#hJ 


:  92 


'<& 

:<77 
358 

la  fan 
de  1' 


fâ 

I 

]fx 

573 
570 


M 
fc 


£14.        ces  2   fam 


FABLE  GÉNÉALOGIQUE  DE  LA  FAMILLE  RÉGNANTE  ET  DES  GRAND  SEIGNEURS  DE  TSIN 


Ice  famille  seigneuriales 


,ÀETing 

& 

511 
I 

-PHtcu'o. 

471 
I 


SE 

o  ! 

*     =81 

I    m 


■?  a 


i 

•a 
fâ 


±    ± 


«15    «15 


3tsienWs 


r5fc      W 
1      ffl 


WHouJJÎLom 
«60  | 


13  «  #  w 

?  si  S  ^ 


*  e  4- 

fâ    m   ff 


±    «15    i£     *    *      ^f 

!  m  m   m  36   £ 


±    ±       ±    «15    «15     fft 
«S   ^      £3    36    m     m 


■g       ïg    «S    ?     S 


+ 

43] 

+ 

± 

ifir 

1 

| 

m 

552 

m 

* 

514 

+ 

#31 

fê 

+ 

f 

3t 

S 

* 

*  ffl 


1 

s 

i 

* 

1 

599 

1 
058 

fâ 

Jg.tnMt  au  Ou  ». 


»T.h,W 


cij 


) 

B^Hoei 

m 

050 

UJ)U 

651 

1 
'ff  Foai 

630 

_J 

;c2îLi„e  ^ 


j'4ÎT.o   ■« 


, 


DS 
7Û3 
V3 
120.30 


Variétés  sinologiques 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY