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Full text of "Vers pour la patrie, 1914-1918"

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PIEllRE  UE  NOLUAC 


VERS  POUR  LA  PATRIE 


1914-1918 


PARIS  -  ÉMILE-PAUL  FRÈRES,  ÉDITEURS 
100,     Rue     du     Faubourg    Saint-Honoré ,     100 


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VERS  POUR  LA  PATRIE 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/verspourlapatrieOOnolh 


PIERRE    DE    NOLHAC 


VERS  POUR  LA  PATRIE 


1914-1918 


.•^'«^^♦'^•O^ 


V 


PARIS 
ÉMILE-PAUL    FRÈRES,    ÉDITEURS 

100,    RUB    DU    FAUBOURG    SAINT-HONORÉ 


...  Ceux-là,  je  leg  portaU  loujourt 
êur  moi  c/,  chemin  faisant,  je  leâ 
(lonnam  à  lire  à  men  rompagnom  de 
lutte.  Plus  (lun  lieutenant  d'infanterie 
les  écoula,  lea  larmes  aux  yeux, 
avant    de     monter     à     l'attaque 

AvRO^tF.H 


i 


Non,  lu  n'as  pas  été,  ma  France,  assez  chérie  1 
N'avons-nous  pas,  aux  temps  qui  déjà  sont  lointains, 
Préféré  d'autres  ciels  au  ciel  de  tes  matins, 
Murmuré  d'autres  chants  que  ceux  de  la  patrie  ? 

Sur  la  route  étrang-ère  et  parfois  ennemie. 
Que  d'erreur  complaisante  et  de  pas  incertains  ! 
Et  comme  une  jeunesse  ignora  ses  destins 
Qui  crut  trouver  sans  toi  les  règles  de  sa  vie  I 

Sois  désormais  Tunique  amour  de  tous  ces  cœurs 
Où  tu  t'es  révélée  au  jour  de  tes  douleurs; 
Tes  fils  en  t'adorant  ont  essuyé  tes  larmes  ; 

Et  quelle  autre  merveille  éblouirait  leurs  yeux, 
A  présent  qu'ils  t'ont  vue,  ô  sainte  France  en  armes, 
Tirer  ton  juste  glaive  et  conjurer  les  dieux  1 


II 


Le  vent  de  tes  plateaux,  de  tes  monts,  de  ta  plaine, 
Le  nuirmure  cnclianté  qui  monte  de  tes  bois. 
Les  souffles  d'océan  remj)Iis  de  sourdes  voix 
Et  la  brise  au  soleil  devant  la  mer  romaine, 

Tous  les  hymnes  du  ciel  chantent  sur  ton  domaine. 
Tous  disent  ta  splendeur,  ô  cher  pays  g-aulois  ! 
Qui  dans  tes  siècles  d'or  as  fait  naître  à  la  fois 
Sur  le  sol  le  plus  beau  la  plus  belle  œuvre  humaine. 

Ton  manteau  triomphal  porte  en  ses  plis  dorés 
La  richesse  des  champs,  des  vignes  et  des  prés  ; 
Et,  parmi  ces  trésors  que  jamais  tu  n'épuises, 

Pour  mieux  sanctifier  le  fruit  de  tes  saisons. 
Tu  sèîiies  par  milliers  à  tous  les  horizons 
Le  miracle  sans  fin  de  tes  nobles  églises. 


m 


Je  ne  veux  plus  chanter  que  Ion  divin  visage, 
L'ouvrage  de  ton  âme  et  celui  de  tes  doigts, 
Et  ton  front  couronné  d'honneur  par  tant  de  rois. 
Le  saint,  le  bâtisseur,  le  guerrier  et  le  sage; 

Ta  généreuse  histoire,  où  rêve  sur  la  page 
L'enfant  qui  croit  y  lire  un  poème  parfois; 
La  sagesse  latine  inscrite  dans  tes  lois, 
Et  tes  erreurs  qui  font  qu'on  t'aime  davantage; 

L'ordre  subtil  et  sûr  qui  règne  en  ta  maison  ; 

Ton  art  où  le  caprice  écoute  la  raison  ; 

Tes  jardins  embaumés  par  les  plus  belles  roses; 

Et  surtout  -  ô  mon  cœur!  sache  te  souvenir  - 
Ce  peuple  chevalier  né  pour  les  justes  causes 
Et  sa  jeunesse  en  fleur  toujours  prête  à  mourir. 


IV 


Quelle  étrange  auréole  est  sur  vos  jeunes  têtes, 
Beaux  enfants  qui  venez  relever  notre  orgueil, 
Alors  qu'en  souriant  votre  cœur  fait  accueil 
Au  risque  des  combats  cherchés  comme  des  fêtes  ! 

Nous  n'apportions,  nourris  dans  les  jours  de  défaites, 
Qu'un  hommage  sans  flamme  à  des  drapeaux  en  deuil; 
Quel  mystère  est  en  vous  qui  chante  à  notre  seuil 
Et  vient  rasséréner  nos  âmes  imparfaites  ! 

0  jeunes  gens  !  plus  fiers  que  nous  et  plus  croyants. 
Une  image  de  gloire  entre  en  vos  yeux  brillants, 
Qui  vous  laisse  en  tombant  cette  face  ravie  ; 

Et  votre  mort  ardente  atteste  en  vérité 
Qu'ils  valent  mille  fois  le  don  de  notre  vie, 
Ces  rêves  immortels  dont  nous  avions  douté. 


Ceux  qui  savent  mourir  nous  enseignent  encore 
Qu'un  tel  savoir  suffit  et  que  tout  autre  est  vain, 
Qu'au-delà  du  tombeau  rayonne  un  seuil  divin 
Et  qu'à  sa  nuit  succède  une  vivante  aurore. 

C'est  pour  servir  ailleurs  à  des  fins  qu'on  ignore 
Que  cet  enfant  succombe  à  son  premier  matin, 
Et  nous  croyons  à  tort  s'achever  son  destin 
Quand  le  sillon  sanglant  l'étreint  et  le  dévore. 

Mais,  quel  que  soit  le  sort  de  ceux  que  vous  pleurez, 

Mères  et  veuves,  sœurs  et  filles,  deuils  sacrés, 

La  douleur  de  vos  cœurs  par  soi-même  est  féconde  : 

Vos  larmes  ont  leur  part  aux  rachats  infinis 

Par  où  le  sacrifice  équilibre  le  monde. 

0  chers  yeux  qui  pleurez  nos  morts  I  soyez  bénis. 


PREMIER     AOUT      1914 


Nous  avons  trop  vécu  sous  la  loi  de  Taffront; 

L'espérance  pourtant  veillait  au  cœur  rebelle, 

Et  nous  disions,  sachant  que  Tlieure  eût  été  belle  : 

«  S'il  est  trop  tard  pour  nous,  nos  enfants  la  verront.  » 

Mais  l'injuste  défi  nous  relève  le  front; 

Aux  combats  désirés  l'ennemi  nous  appelle... 

Ah  !  que  puissent  nos  morts  en  avoir  la  nouvelle  ! 

J'en  sais  dans  leur  tombeau  qui  se  réveilleront; 

J'en  sais  qui  l'attendaient,  sombres,  rong-és  de  fièvres, 
N'ayant  qu'un  nom,  celui  de  la  patrie,  aux  lèvres, 
Qui  réchauffaient  leur  vie  à  cet  unique  amour. 

Et,  tombés  sur  la  route  où  nous  aimions  les  suivre, 

N'ont  pas  même  entrevu  l'aurore  de  ce  jour. 

Ce  jour  qu'ils  méritaient  et  que  nous  allons  vivre  ! 


A    LA    MÉMOIRE    d'aLHERT    DE    MUN 


Tu  disais  :  «  Le  péril  est  là,  c'est  pour  demain,  m 
Tu  dénombrais  leur  force,  et  leur  ruse,  et  leur  haine, 
Et,  lorsque  la  tempête  à  tous  semblait  lointaine, 
Tu  montrais  sa  menace  à  l'horizon  prochain. 

Un  temps  fut  où  l'appel  ne  sonna  plus  en  vain  : 
Nos  fils,  meilleurs  que  nous  et  d'âme  plus  sereine. 
Accouraient,  à  ta  voix  de  jeune  capitaine, 
Vers  Tancêtre  ingénu  qui  leur  tendait  la  main. 

Tu  prêchais  simplement  une  grande  espérance, 
Tu  célébrais  l'honneur  de  mourir  pour  la  France  ; 
Ces  enfants  ont  appris  à  se  connaître  en  toi. 

Au  séjour  de  lumière  où  sont  les  cœurs  fidèles, 

Où  tu  sers  près  de  Dieu  ta  patrie  et  ta  foi. 

Reçois  les  jeunes  morts  qui  vont  te  parler  d'elles  I 


ERNEST     PSICHARI 


Il  livre  le  secret  de  sa  jeunesse  grave, 
Le  beau  «  Centurion  »  qui  griffonne  en  chemin  ; 
Mais  sa  plus  noble  page,  il  l'écrira  demain 
Devant  l'envahisseur  affronté  d'un  cœur  brave. 

Riche  d'un  triple  sang,  breton,  grec  et  batave, 
Sur  ses  canons  rompus  qu'il  dispute  au  Germain, 
Fils  de  l'Esprit,  il  tombe,  esquissant  de  la  main 
Le  signe  de  la  foi  qui  libère  et  qui  lave. 

Les  Celtes,  ses  aïeux,  parlent  en  lui  si  fort 
Qu'il  a  comme  eux  choisi  le  devoir  dans  la  mort  : 
Ils  l'appellent;  son  âme  est  prête;  il  faut  qu'il  parte... 

Où  va  ton  ombre  fière,  enfant  au  pâle  front. 
Tu  seras  reconnu  par  les  Trois-Cents  de  Sparte, 
Et  les  Saints  du  pays  d'Armor  t'accueilleront. 


SOLDATS    DE    JEANiNE    d'aRC 


Heureux  le  chevalier  qui  fil  la  jo-rande  guerre 
Pour«  le  plus  beau  royauuKî  après  celui  des  cieux  » 
El  prit  sa  part  d'honneur  en  ces  temps  nnerveilleux 
Où  nous  fûmes  sauvés  par  la  sainte  Bergère  1 

Heureux  le  compagnon  qui  se  mit  en  prière 
Auprès  d'elle,  à  genoux  sur  le  sol  des  aïeux, 
Et  plus  heureux  celui  qui  tomba  sous  ses  yeux, 
Ayant  d'elle  reçu  sa  force  et  sa  lumière  1 

Cinq  siècles  ont  passé;  ce  sont  les  mêmes  cœurs 
Que  mènent  au  combat  nos  bataillons  vainqueurs; 
Un  même  esprit  d'amour  les  guide  et  les  conseille; 

Comme  ceux  d'autrefois  pour  la  fleur  de  lis  d'or, 
Ame  de  Jeanne  d'Arc  !  c'est  toi  que  suit  encor 
Sous  des  drapeaux  nouveaux  cette  France  pareille  I 


10 


APRES    LA    BATAILLE    DE    LA    MARNE 


Lorsque  tu  reviendras  vers  la  France,  ô  Victoire  ! 
Redescendant  des  cieux  do  rêve  où  je  te  vois 
Et  portant  dans  tes  bras,  pour  la  seconde  fois, 
Les  moissons  de  la  mort  et  celles  de  la  gloire  ; 

Ton  vol  sera  plus  lent,  plus  grave,  laissant  croire. 
Quelque  mystérieuse  à  l'homme  que  tu  sois, 
Que  tu  rends  ton  arrêt  et  qu'à  jamais  ta  voix 
Proclame  le  destin  aux  plaines  de  l'histoire. 

Viens  avec  nous.  Déesse  auguste  !  Ne  crains  pas 
Qu'un  peuple  de  héros,  se  ruant  sur  tes  pas. 
Te  fasse  un  jour  rougir  de  ses  justes  revanches. 

Reste  avec  nous  !  Ce  peuple  est  sage  autant  que  fier  ; 

Il  joindra  l'olivier  à  ses  glaives  de  fer. 

Il  ne  souillera  pas  tes  grandes  ailes  blanches. 


11 


VERSAILLES    TRIOMPHANT 


La  France  d'autrefois  a  laissé  son  image 
Faite  de  pierre  et  d'eau,  de  marbres  et  de  fleurs  ; 
Versailles  lui  compose  un  livre  de  grandeurs 
Où  l'art  de  ses  enfants  l'exalte  à  chaque  page. 

Par  lui  sous  notre  ciel  s'attestent  d'âge  en  âge 
Les  grâces  d'un  génie  où  se  prennent  les  cœurs  ; 
La  volonté  d'un  seul  ordonna  ces  splendeurs 
Et  le  pays  entier  se  mire  en  son  ouvrage. 

Mais  ces  Français  vaillants  dont  nous  sommes  les  fils 
Savaient  entremêler  les  lauriers  et  les  lis  ; 
A  cueillir  la  victoire  ils  excellaient  naguère  ; 

Et  l'on  voit,  aux  plafonds  que  Le  Brun  déroula 
Du  Salon  de  la  Paix  au  Salon  de  la  Guerre, 
L'Allemagne  trembler  lorsque  Turenne  est  là. 


« 


VEUSAILLKS    SAUVE 

Septembre  1914 

L'été  resplendissait  au  miroir  des  fontaines  ; 
Le  triomplie  des  eaux  chantait  dans  les  conduits  ; 
Aux  degrés  du  palais,  le  parterre  et  le  buis 
Unissaient  les  parfums  qu'avaient  aimés  les  Reines. 

Ce  beau  jardin  paré  de  tant  de  grâces  vaines 
Brusquement,  en  un  jour,  fut  désert  et,  depuis, 
Notre  oreille  anxieuse  écouta  dans  les  nuits 
L'approche  du  canon  sur  les  routes  lointaines. 

Nous  t'aimions  doublement,  chef-d'œuvre  menacé, 
Trésor  de  notre  gloire  et  de  notre  passé 
Dont  le  sort  se  liait  au  risque  des  batailles... 

L'impur  Barbare  a  fui  sans  pouvoir  te  saisir; 
Mais  quelle  autre  victime  a-t-il  osé  choisir. 
Puisque  Reims  a  payé  la  rançon  de  Versailles  ! 


M 


A     l/lTALIi: 


Mai   VJ]b. 


Nous  savions  l)ieii  que  lu  vi(Midiais,  noble  Italie I 
Au  rendez-vous  sacré  du  droit  et  de  l'honneur, 
Et  que  ton  ferme  esprit  éclairé  par  ton  cœur 
Risquerait  à  son  jour  l'héroïque  folie. 

Puisqu'une  fois  de  plus  la  bataille  nous  lie 
Et  mêle  les  drapeaux  à  la  triple  couleur, 
Unissons  nos  espoirs  pour  un  âge  meilleur 
Où  notre  effort  commun  croisse  et  se  multiplie. 

Nos  peuples,  héritiers  des  domaines  romains, 
Sauront  garder  la  paix  du  monde  entre  leurs  mains. 
Aujourd'hui,  verse  encor  le  sang-  qui  t'éternise  ; 

Et  gloire  à  ces  vaisseaux  chargés  de  tes  destins, 
Qui  s'en  vont  sur  la  mer  où  gouverna  Venise 
Délivrer  à  jamais  les  rivages  latins  ! 


14 


POUR    l'aiglk    blanc 


Quand  vous  reconstruirez  le   monde  qui   s'écroule, 
Ce  vieux  monde  bâti  d'injustice  et  d'erreurs, 
Maîtres  des  temps  nouveaux,  peuples  demain  vainqueurs, 
Devant  (jui  l'avenir  apaisé  se  déroule, 

Les  tristes  nations  que  la  conquête  foule 
Suivront  de  leurs  espoirs  vos  pas  libérateurs 
Et,  dans  vos  combattants  acclamant  leurs  vengeurs, 
Les  droits  ressuscites  se  lèveront  en  foule. 

Mais  déjà,  dominant  les  autres  de  son  deuil. 

Celle  qui  sort  toujours  vivante  du  cercueil, 

La  Pologne  martyre  aux  grands  yeux  de  lumière 

Vous  a  crié,  parmi  ces  races  en  courroux  : 

«  N'ai-je  point  mérité  de  parler  la  première 

Par  l'innombrable  sang  que  j'ai  versé  pour  vous  ?  » 


15 


MUNICH     ET      D1U:SDE 


Je  ne  ^^^oùlcrai  plus  les  paisibles  merveilles, 
O  Munich  I  ni  tes  arts  aimables,  ni  tes  chants  ; 
Ton  accueil  a  caché  trop  de  desseins  méchants  ; 
Nous  te  refuserons  nos  yeux  et  nos  oreilles. 

Les  vieux  ressentiments  dormaient,  tu  les  réveilles  ; 
La  fureur  qui  s'allume  au  cœur  de  tes  marchands 
Guide  les  lansquenets  lâchés  parmi  nos  champs, 
Brûlant  Gerbéviller  comme  autrefois  Bazeilles. 

Mais  toi,  Dresde  !  comment  t'oublier  sans  chagrin? 

Tu  conservais  pour  nous  le  rêve  de  Poussin, 

Ses  saints  les  plus  touchants,  ses  nymphes  les  plus  chastes  ; 

On  te  trouvait  le  ton  français,  l'esprit  subtil, 
Et  ton  perfide  ciel  prête  à  tant  de  contrastes 
Que  lui-même  Watteau  semblait  moins  en  exil. 


16 


SOUVENIR    DE      BERLIN 

1916 

Berlin,  ville  pédante  où  nous  allions  nag^uère 
Juger  d'un  œil  railleur  ce  qu'ils  nonunenl  leur  art, 
Aligne  lourdement  sous  des  cieux  de  brouillard 
L'étalage  insolent  des  monuments  de  guerre. 

Parmi  tant  de  laideurs  la  gloire  est  mensongère, 
Qu'elle  soit  d'empereur,  de  prince  ou  de  soudart  ; 
Quand  elle  tient  chez  nous  l'épéc  ou  l'étendard, 
La  Victoire  n'est  pas  cette  affreuse  mégère. 

Seul  chef-d'œuvre  au  milieu  de  ce  bronze  grossier, 
Frédéric  Deux,  au  geste  dur,  aux  yeux  d'acier. 
Guide,  le  dos  courbé,  sa  royale  monture  ; 

Et  le  maître  rusé  du  vaniteux  troupeau 
Semble  avoir  deviné  la  fin  de  l'aventure, 
Car  son  rire  infernal  ride  sa  vieille  peau. 


17 


SONNET     DE      GLERIIE 


Glier  poème  où  le  vers  français  soupire  on  raille, 
Sonnot  fixe  chez  nous  par  les  joiix  de  Konsard, 
Rytiiiiie  rare  et  charmanl,  ce  n'est  point  j)ar  hasard 
Que  la  muse  aujourd'hui  te  mène  à  la  bataille. 

Le  maître  de  Foutil  sait  comment  il  travaille 
Et  t'emploie  à  dessein  aux  œuvres  du  grand  art  : 
Le  fin  mouchoir  brodé  peut  servir  d'étendard  ; 
Le  profil  le  plus  fier  s'inscrit  dans  une  intaille. 

Tu  vas,  quand  le  Teuton  brutal  est  déchaîné. 
L'atteindre  d'un  coup  sec  sur  son  mufle  étonné 
Et  le  droit  retentit  dans  ce  soufflet  auguste; 

Tu  vas,  ardent  et  bref  comme  un  ordre  du  jour. 
Porter  à  nos  soldats  sur  des  ailes  d'amour 
Le  verdissant  laurier  ou  la  palme  du  juste. 


18 


l'amitié    de    l'amkuique 


Nous  étions  un  pays  de  vieille  royauté, 
Riche  en  forces  de  guerre,  en  courage,  en  noblesse. 
Aimant  servir  le  droit,  protégeant  la  faiblesse, 
Et  fier  de  son  lionneur  longuement  hérité. 

L*Amérique,  étreignant  sa  jeune  liberté. 
S'arme,  lutte,  succombe,  et  le  danger  la  presse; 
Mais  la  France  a  connu  l'héroïque  détresse: 
Le  salut  qu'on  attend,  ses  vaisseaux  l'ont  porté... 

Amis,  vous  invoquiez  cette  dette  lointaine  ; 

Vous  vouliez  la  payer  du  sang  de  votre  veine 

Et  de  tous  les  trésors  nés  dans  votre  grand  cœur  ; 

Et  vos  beaux  régiments  hardis  à  la  française. 
Qui  venaient  secourir  la  République  sœur, 
Savaient  encor  le  nom  du  bon  roi  Louis  Seize. 


19 


AH  TE  ET  A /{MIS 


Les  œuvres  de  beauté  ne  sont  pas  éternelles. 
Ménie  quand  sur  le  roc  le  temple  fut  fondé, 
Ses  images  de  marbre  ont  rarement  gardé 
La  gloire  des  cités  qui  fleurissait  en  elles. 

Leur  art  ne  survit  point  aux  nations  charnelles  : 
L'honneur  de  maintenir  le  sien  n'est  accordé 
Qu'à  celle  dont  le  cœur  est  toujours  décidé 
A  lui  forger  l'appui  des  armes  fraternelles. 

Toi  par  qui  ce  trésor  reste  nôtre,  ô  soldat  ! 
Notre  meilleur  génie  à  tes  côtés  combat  ; 
Parmi  les  citoyens  ta  place  est  la  première, 

Et  la  France  te  tient  pour  son  fils  le  plus  cher, 
Car  tu  l'as  défendue  en   son  âme  et  sa  chair 
Et  pour  le  monde  entier  tu  sauves  sa  lumière. 


20 


LA      VICTOIRE      DU      PALATIN 

Rome,  mai  1918. 

Sculptée  avec  amour  dans  le  blanc  pcntéliquc 
Par  des  Grecs  attentifs  à  fléchir  le  destin, 
Cette  jeune  Victoire  embellit  le  butin 
Qu'un  proconsul  heureux  fit  pour  la  République. 

Mais  Rome  ayant  fêté  la  divine  relique 

Et  bâti  son  autel  au  flanc  du  Palatin, 

Le  marbre  consacré  par  un  culte  certain 

Régna  d'un  pied  vainqueur  sur  la  terre  italique. 

Il  reparaît  au  jour  après  un  long-  oubli 
Dans  le  sol  remué  du  temple  enseveli  ; 
Sa  grâce  retrouvée  émeut  les  Sept  collines  ; 

Et  tout  un  peuple  encor  se  presse  à  ses  genoux, 
Car  ce  retour  auguste  apporte  parmi  nous 
Le  présage  attendu  pour  les  armes  latines. 


NUIT      D^OFFENSIVE 


Juillet  1918. 

Au  bord  (lo  l'Iiorizon  nocturne  un  éclair  luit, 

Puis  vin^»-!,  puis  cent,  puis  niillc...  Et  notre  cœur  tressaille, 

Car  l'air,  qui  se  déchire  au  seuil  de  la  bataille, 

Aux  lointaines  cités  en  apporte  le  bruit. 

Que  de  vœux  et  d'espoirs  rejoig-nent,  cette  nuit, 
Le  canon  qui  là-bas  pour  la  France  travaille, 
Qui  déchaîne  sans  fin  l'ouragan  de  mitraille. 
Surprend  l'envahisseur,  l'écrase  et  le  poursuit  ! 

Robuste  acier,  outils  sacrés  de  la  patrie. 
Vous  tourmentez  un  sol  qui  vous  en  remercie  ; 
Votre  farouche  voix  est  douce  à  nos  échos  ; 

Vous  vengez  les  enfants  orphelins  et  les  veuves, 

Et  vous  accompagnez  la  marche  des  héros 

Qui  reprennent  nos  champs  et  repassent  nos  fleuves  ! 


22 


l/HÉIUTACiE 


L'alouelte  qui  vole  à  la  pointe  des  blés 
Connaît  de  gras  sillons  où  la  moisson  se  presse; 
Tel  pré  soudain  étale  une  herbe  plus  épaisse, 
Tel  verger  nous  surprend  par  ses  arbres  comblés. 

Si  la  chair  de  nos  morts  au  sol  natal  mêlés 
A  su  lui  conférer  cette  étrange  richesse, 
Ne  peut-elle  former  des  âmes  sans  faiblesse 
L'image  des  héros  dans  nos  cœurs  assemblés? 

D'un  flot  plus  généreux,  d'une  sève  plus  forte, 
Ne  nourrit-elle  pas  le  beau  sang  qui  l'apporte 
Dans  les  veines  des  fils  nés  pour  les  jours  nouveaux? 

Foyer  transfiguré  par  les  grands  sacrifices. 
Quelque  rôle  modeste  ou  fier  que  lu  remplisses, 
Sache  par  tes  vertus  montrer  ce  que  tu  vaux  I 


23 


A     LEuns     I  II.S 


Vous  connaîtrez  sans  doute  une  France  plus  belle, 
Plus  prospère  et  plus  douce,  o  fils  de  nos  enfants  ! 
La  servirez-vous  mieux  en  ses  jours  triomphants 
Qu'en  ses  jours  menacés  ceux  qui  tombaient  pour  elle  ? 

Elle  exigea  leur  sang  et  le  trouva  fidèle; 

Le  deuil  de  leur  demeure  a  racheté  ses  champs  : 

Le  poète  à  jamais  réservera  des  chants 

A  tant  de  saintes  morts  qui  la  font  immortelle. 

Vous  qui  ne  suivrez  plus  de  si  cruels  chemins, 
Fiers  de  notre  passé,  sûrs  de  vos  lendemains. 
Vous  naîtrez,  vous  vivrez  sous  des  signes  de  gloire  ; 

Mais  vous  vous  souviendrez  de  fleurir  les  tombeaux 
Des  pères  qui  s'offraient  afin  que  la  Victoire 
De  son  bouclier  d'or  protégeât  vos  berceaux. 


24 


SUR     LA     MORT     d'uN      AMI 


Tu  nous  quittes  à  l'heure  où  cessent  les  batailles. 
Lorsque  notre  destin  n'est  fixé  qu'à  demi  ; 
Tu  tombes  sur  le  bord  du  sillon,  noble  ami, 
Et  nous  ferons  sans  toi  les  nouvelles  semailles. 

Tout  ce  peuple  d'esprits  qui  suit  tes  funérailles 
Va  manquer  du  conseil  de  son  guide  endormi. 
Pourquoi,  cœur  frémissant  et  pourtant  affermi. 
Avant  d'avoir  tout  dit  faut-il  que  tu  t'en  ailles? 

Du  moins,  récompensant  le  courage  et  l'amour, 
Le  Dieu  que  lu  servis  fit,  à  ton  dernier  jour, 
Paraître  devant  loi  la  France  de  Ion  rêve  ; 

El  de  la  voir  ainsi  lu  mourus  rassuré, 
Avec  ses  yeux  levés  au  ciel,  son  front  lauré 
El  son  poing  pacifique  appuyé  sur  le  glaive. 


25 


V(*:U      D  KCUIVALN 


Nos  livres  les  plus  beaux  n'ont  qu'un  sort  incertain  ; 
Parmi  les  vains  débris  dont  le  passé  s'encombre, 
Comment  garder  l'espoir  d'avoir  conçu  dans  l'ombre 
L'œuvre  que  l'avenir  mellra  dans  son  butin  ! 

Toi  qui  croyais  servir  l'honneur  du  nom  latin, 
Qui  remplissais  d'un  long*  labeur  des  jours  sans  nombre. 
Vois  :  de  tant  de  travaux  l'un  après  l'autre  sombre  ; 
Un  seul  survivra-t-il  pour  un  meilleur  destin? 

Parfois,  un  simple  chant  gravé  sur  une  stèle 
Rend  le  poète  cher  à  la  muse  immortelle  ; 
Un  cri  jailli  du  cœur  illustre  le  tribun... 

Ah  !  puissé-je  à  mon  tour  inscrire  en  ta  mémoire, 
0  Patrie!  et  sauver  du  naufrage  commua 
Une  page  d'amour  écrite  pour  ta  gloire  ! 


26 


IMl'HIM  li 

PAR 

DARANTIBRE 

A      DIJON 

LE     ONZE     NO\'EMBRE 

MIL     NEUF     CENT 

VINGT 


La   Bibliothèque 

Université  d'Ottowo 

EcKé«itc« 


The   Librory 

Univeriity   of   Ottowo 

Data    du* 


CE  PO   2627 
.06V4  1920 
CÛO   NCLHAC, 
ACC/^  1238597 


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