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Full text of "Voyage au pole sud et dans l'Océanie sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée, exécuté par ordre du roi pendant les années 1837- 1838-1839-1840, sous le commandement de m.J. Dumont d'Urville,capitaine de vaisseau, publié par ordonnance de Sa Majesté sous la direction supérieure de m. Ja cquinot, capitaine de vaisseau, commandant de la Zélée .."

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DONOYAGE 
AU POLE SUD 
| ET DANS L'OGÉANIE. | 


VIIL. 


VOYAGE 


AU POLE SUD 


ET DANS L’OCÉANIE 


SUR LES CORVETTES 
L'ASTROLABE ET LA ZELEE,_ 
EXÉCUTÉ PAR ORDRE DU ROI 
PENDANT LES ANNÉES 1837-1838-1839-1840, 


SOUS LE COMMANDEMENT 
DE M. J. DUMONT-D'URVILLE, 


Capitaine de vaisseau, 


PUBLIÉ PAR ORDONNANCE DE SA MAJESTÉ, 


sous la direction supérieure 
DE M. JACQUINOT, CAPITAINE DE VAISSEAU, COMMANDANT DE LA ZÉLÉE: 


—" 


- HISTOIRE DU VOYAGE, 
PAR M. DUMONT-D URVILLE. 


* TOME HUITIÈME.. 


PARIS, 
GIDE ET C*, ÉDITEURS, 


RUE DES PETITS-AUGUSTINS, 5, PRÈS LE QUAI MALAQUAIS. 


mn 


1845 


CHAPITRE LI. 


Traversée de Samboangan à Samarang a travers le détroit de 
. Makassar. — Course sur les îles Pamarong et Poulo-Laut. 


\ 


En quittant Samboangan , J'espérais pouvoir ga- 
sner rapidement la pointe la plus méridionale de 
Mindanao, que nous avions déjà reconnue en quittant 
les Mariannes. J’espérais surtout pouvoir rentrer 


__ bientôt dans l’océan Pacifique et accomplir dans ces 
 parages quelques travaux géographiques, avant de 


gagner Sidney; je ne prévoyais pas alors les contra- 
riétés qui nous attendaient sur cette route, et qui 
devaient me faire modifier totalement le plan que je 
m'étais tracé pour notre future campagne. 

Les courants de marée nous firent rapidement 
sortir du détroit de Bassilan ; ils nous entraïnèrent 
avec tant de rapidité , que nous eümes de la peine à 
empêcher l’Astrolabe de tomber sur la petite île des 
Cocos, qui se trouve au milieu de ce canal. Une fois 
hors du détroit, les eaux perdirent en partie leur 
mouvement, et nous restâmes immobiles à leur sur- 

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1839. 
6 Août. 


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face, en vue des rivages de l'ile Bassilan , ‘attend int 


inutilement que quelques bouflées de vent vinssent 


enfler nos voiles. | du: 


Il nous fallut six jours entiers pour “approcher ] la 
partie de la côte de Mindanao que nous avions déjà re- 
connue; les hauts sommets des îles Serangani s'éle 
vaient devant nous, et marquaient les limites de 
l'océan Pacifique que nous ne devions pas atteindre. 
Nous attendimés vainement du vent, les courants 


seuls nous firent changer de place, en nous entraf=. 


nant dans le S. O. Enfin, le 13 août, nous perdimes 
la terre de vue, les courants nous emportaient vers 
le détroit de Makassar ; avec une vitesse de près de 
trente lieues dans les vingt-quatre heures. Ils nous 
amenèrent le 19 en vue des terres de Célèbes , douze 
jours après notre départ de Samboängan ; pendant 


cet intervalle; nous n’avions pas parcouru cent lieues; 
/ jamais je n'avais éprouvé une sérié de calmes aussi. 


continus, les courants Seuls nous avaient fait faire 
quelque route, et ce furent eux qui déciderént lé 
nouvel itinéraire auquel je m'arrêtai. Tous mes efforts 
tendirent désormais à gagnér le détroit de Makassar, 
pour continuer ensuite ma route sur Hobart-Tovwn, par 
le détroit de la Sonde, après avoir touché à Samarang. 


Les courants que nous éprouvions étaient loin de - 


rester réguliers, souvent ils nous faisaient perdré ce 
que nous avions pu gagner la veille. Jusqu'au 23, nous 
restèmes én vue des hautes térres de Célèbes ; enfin 
nous relevämes le cap Dundas, sur cette île, hi les _ 
Îles Saint-Jean se montrèrent à nous le 26, et, dans 


| . 

DANS L'OCÉANIE. 3 

la soirée du même Jour, nous reconnümes d'assez 
près les hautes terres qui forment le cap Kancongan 


sur l'ile Bornéo, cap qui commence en réalité le 


grand détroit connu sous le nom de détroit de Ma- 
por F4 
Le lendemain , nous étions she de la vue des ter- 


res ; nous avions doublé le cap Kaneongan pendant la 


_ nuit. Le 29 nous avions de nouveau coupé l'équateur, 
ët nous étions rentrés dans l'hémisphère austral, Le 
soir nous aperçümes les terres basses et uniformes 
des îles Pamarong, la brise était forte et contraire ; 
des grains nous amenaient des pluies abondantes. 
Le 31 les vents étaient toujours les mêmes, nous 

n'avions pas gagné un mille dans le sud, malgré 
un loûvoyage constant, et je me décidai à mouiller 
près des îles Pamarong pour attendre un temps plus 


favorable. À cinq heures du soir nous étions arrivés 


à sept ou huit milles de la côte, lorsque la sonde nous 
indiqua trois brasses d’eau seulement. Je donnai 
aussitôt l’ordre de virer de bord ; la Zélée put opérer 
son évolution , puis elle laissa tomber son ancre 
par cinq brasses d’eau; l’Astrolabe fut moins heu- 
reuse, elle toucha avant d’avoir viré, et elle s'arrêta 
. sur un banc de vase. La mer était un peu houleuse, 
_mais la corvelte était sur un fond tellement OU , 

qu elle ne courait aucun PAAECr: Nous cher émis 
inutilement dans la soirée à nous déséchouer en nous 
halant sur une ancre élongée dans ce but. Un cou- 
rant assez rapide (deux nœuds) se faisait sentir le long 
du bord, et nous annonçait des marées assez fortes : 


1839, 
Août. 


4er Septembre, 


échantilion d'histoire naturelle. Voici du reste le récit 


RS À mé 
es “@ 


4 % | VOYAGE 
il était | probable que, depuis notre échouage , at 
avait baissé, et nous dûmes renvoyer au lendemain sr 
pour nous remettre à flot. . MOCHE 
Pendant la nuit, au moment de la haute mer, J PER 
trolabe se trouva à flot d'elle-même; au jour nous … 


n’eùmes plus qu’à relever nos ancres pour aller les 


mouiller un peu plus loin, par un fond de cinq brasses, 
à deux milles de la côte. Nous aperçümes distincte à 
ment le banc entièrement couvert sur lequel la mer 
brisait avec force. | RTE 
La brise n'avait point varié dans sa direction ; 
je venais d'apprendre , par l’expérience , que nous 
n'avions rien à gagner à lutter contre des vents. 
contraires, aussi je me décidai à attendre patiem- 
ment au mouillage des circonstances plus favorables. 
Toutefois, je voulus utiliser, dans l'intérêt des scien= 
ces, le temps que je devais passer forcément à l'ancre. 
Les deux grands canots des deux corvettes placées … 
sous les ordres de MM. Tardy de Montravel et Gour- 
din, allèrent porter à terre l'ingénieur avec ses ins- 
truments de physique et les naturalistes. Ils ne ren— 
trèrent que le lendemain de très-grand matins ils 
avaient débarqué sur une plage formée par des vases 
trop molles pour pouvoir y tenter des observations de 
physique. Ces messieurs rapportièrent quelques singes 
de l'espèce nasique, mais les naturalistes ne purent 
pas s’avancer dans l’intérieur ni collecter aucun autre. 


de M. Dumoulin : “de R | 
© À huit heures du rnatin, nous nous embarquions 


v 


DANS L'OCÉANIE. 5 
dans les canots désignés pour nous porter à terre ; 
celui de l’Asfrolabe était monté par MM. Gourdin, 
 Ducorps, Hombron et moi, celui de la Zélée, com- 
mandé par M. de Montravel, portait en outre un 
naturaliste et un élève. Nous nous dirigeñmes d’a- 
bord sur la pointe sud de la terre qui était en vue, 
mais à peine avions-nous parcouru deux milles dans 
cette direction, que nous renconträmes un banc à 
fleur d’eau qui nous barra la route. Ce banc parais- 
sait être formé par du sable mêlé à une grande quan- 
tité de vase, en apparence beaucoup plus dure que 
celle sur Létieile TAstrolabe avait touché la veille. 


1839. 
a Septembre, 


Obligés de changer notre route, nous nous dirigeàmes : 


alors vers la partie nord de la terre, en suivant le 
banc à petite distance, et en cherchant un espace où 
nos canots pussent trouver suffisamment d’eau pour 
le franchir. 

« La terre qui était devant nous paraissait être 
formée par une grande quantité de petites îles, sépa- 


rées par de nombreux canaux. D'un autre côté, l’eau, 


qui était fortement colorée, n’était plus que légère- 
ment saumäâtre; nous nous trouvions sans aucun 
doute devant l'embouchure de quelque rivière con- 
-sidérable , à en juger par la quantité d’eau douce 
qu'elle. apportait à la mer. Dès lors nous suppo- 
‘sämes avec raison que le banc que nous longions 
… était la barre de la rivière, et que, lorsque nous arri- 


verions par le travers de l'embouchure principale, 


nous trouverions la possibilité de franchir cet obsta- 
cle. Nous arrivämes bientôt, en effet, par le travers 


1887. 
&eptembre. 


6 2 | | VOYAGE 


d’un canal À Lucie plus large que gb loi. ateef 
et au milieu duquel nous aperçûmes un petit îlot, } 
nous reconnümes alors devant nous une coupure, de 
couverte de trois pieds d’eau seulement. C'était juste- F 
ment ce qu'il fallait à nos embarcations pour leur per- 
mettre de flotter en se rapprochant du rivage. Une 
fois engagés dans le chenal, il nous fallut chercher 
Jongtemps encore pour pouvoir franchir la barres; 
puis, enfin, la sonde nous indiqua de nouveau trois à 
brasses de fond, nous étions dans le lit de la ri=. 
vière, en quelques coups d’aviron nous allions tou: 
cher au rivage, Il était alors trois heures de l'après: 
midi, il nous avait fallu sept heures pour parcourir les 
mille circuits formés par les eaux courantes de la ri- | 
vière sur le banc d’alluvions, qui barre son embou- 
chure , et qui, suivant toute probabilité, ne tarder | 
pas à être envahi par les palétuviers. fe 
_« En nous approchant de la côte, les matelots, 
placés sur l'avant des embarétones nous annon- 
cèrent que le rivage était garni de sauvages qui pa= 


raissaient nous considérer avec beaucoup d’attention; 


cette nouvelle nous fit prendre toutes les précautions 
commandées par la prudence en pareille circons-. 

tance : toutes nos armes furent chargées; les espin- 
goles, qui garnissaient les plats-bords, se dépouil 
lèrent de leurs enveloppes de toile peinte, et, enfin, 
les Dose furent placés de manière à pouvoir être sai 


sis à la première alarme. Les naturels de Bornéo 


Donc: eneffet, pour être fort méchants, et le détroit : 
de Makassar est, dit-on, irès-fréquenté par les pi- FAT 


DANS L'OCÉANIE. ST. 
rates qui habitent les côtes de Célèbes et de Bornéo. 
Tous nos préparatifs de bataille étaient terminés , 
lorsque nos marins nous annoncèrent que ces ds 
vivants, qui garnissaient la côte et qu'ils prenaient 
toujours pour des individus de l'espèce humaine, 
étaient munis de grandes et belles queues, ce qui leur 
donnaient . une tournure des plus comiques. Cette 
nouvelle annonce de nos matelots nous fit beaucoup 
rire ; ellenous rappelait, en effet, la fameuse histoire 


que l’on nous ayait souvent racontée, sans jamais 


parvenir à nous convaincre, que Bornéo était la patrie 


d'une race d'hommes toute particulière , jouissant du 


bénéfice de porter une queue, et sur laquelle on di- 
sait les plus jolies choses du monde. Notre hilarité 


_ s'étant calmée à la fin, nous dirigeâmes nos longues- 
_ vues du côté de la terre, et nous reconnûmes qu’elle 


était couverte par une troupe de beaux singes qui pa- 
raissaient très-émus de l'approche de nos embarca- 


tions. Nous approchions rapidement, en effet, et 
bientôt nos canots vinrent parallèlement l’un à l’au- 


tre, et dans un ordre de bataille admirable, s’échouer 


rivage était désert, les singes s'étaient réfugiés dans 
les arbres dont ils occupaient les parties les plus éle- 
xées ( ce qui n'est pas peu dire), et du haut de ces 


citadelles naturelles où ces malheureux se croyaient 


en sûreté, ils nous adressaient les plus laides grima- 
ces qu'on puisse voir. : 

« Le rivage sur lequel nous venions d’accoster était 
entièrement formé par de la vase molle et puante, 


1839. 
Septembre, 


. simultanément dans les vases de la plage, Mais déjà le . 


1839. 
Septembre. 


s + INOYAGE DONS 
que les eaux recouvrent probablement à chaque 1 a ; 
rée haute, ou, tout au moins, pendant les grandes. 
crues du fleuve et les marées des syzygies. Les pre- 
miers d'entre nous qui voulurent débarquer sy 
enfoncèrent presque jusqu'à la ceintures la vase, 
constamment délayée sur ses bords par les eaux dela 
rivière, devenait un peu plus ferme danshintérieur; 
mais le sol sur lequel les palétuviers avaient pris ra= 
cine était encore tellement humide, que nous y'enfon-" 
cions toujours jusqu'aux genoux ; il était impossible 
de rester en place, car alors la vase détrempée cé- 
dait constamment sous notre poids, et au bout de fort 
peu de temps, il devenait tout à fait impossible de se 
dégager de ce ciment qui nous lait les pieds. 

« Autant que la vue pouvait s'étendre autour de 
nous, la terre présentait le même aspect; je recon- 
nus bien vite qu'il me serait impossible de tenter 
aucune: observation de physique; à part les grands 
arbres qui avaient pris racine dans ce terrain boueux, 
le sol était entièrement dénudé; les naturalistes ne 
pouvaient le parcourir, et c'était pour eux le supplice 
de Tantale, car, outre les singes, on apercevait dans 
les arbres quelques oiseaux , et nos hommes avaient: 


_ déjà vu plusieurs serpents se glisser dans ces maré=" 


cages. Du reste, le jour baissait rapidement , et. 
les exhalaisons fétides de la plage auraient pu être. 

funestes à nos équipages et faire naître des fièvres. 
pernicieuses. Aussi, nous y séjournâàmes peu de. 
temps, mais les deux heures que nous passämes à À 


terre furent employées à faire une guerre active aux 


He — 


DANS L'OCÉANIE. "9 
malheureux singes, les seuls habitants probables de 
cette forêt aquatique. 

_« À peine nos canots avaient-ils touché au rivage, 
-que M. Ducorps s'était élancé un des premiers à la 
| poursuite des nasiques:; à force d efforts, il parvint à 


_s’avancer d'environ vingt mètres dans l’intérieur, 


lorsque nous étions tous encore autour des embarca- 
Lions sans savoir comment nous dégager du bourbier 
dans lequel nous pataugions. Tout à coup nous en- 
tendimes un coup de feu, et, quelques instants après, 


1839. 
Septembre, 


… les cris de M. Ducorps, qui demandait du secours. 


Y 
1 
= 


A l'instant même nous nous précipitimes du côté 


… d’où partaient les cris; nous aperçcûmes bientôt notre 


compagnon de voyage enfoncé jusqu'à la ceinture 


dans la vase et ne pouvant déjà plus faire aucun 
mouvement. [Il aurait imfailliblement peri s’il eût été 


seul et si on n'eût pu lui porter secours. M. Ducorps, 
n’écoutant que son ardeur pour la chasse, s'était mis 
à la poursuite des singes fugitifs; il était parvenu à 
atteindre un des trainards de la troupe, et l'avait 
abattu d’un POnÉ de feu; mais, en voulant ensuite 


parvenir jusqu à sa victime, il s'était engagé impru- 


“ouement. et où. par conséquent, la vase était plus 
2 , ? £ 


demment dans un endroit où le terrain étant un peu 
plus bas, les eaux pouvaient aussi séjourner plus lon- 


… molle ; déjà fatigué par la course qu'il avait faite, ses 


forces l'avaient abandonné. Il fut, du reste, promp- 
tement arraché à cette lderable position. 

« Cet événement , loin de contenir l’ardeur des 
chasseurs , ne fit die l'augmenter; le singe mort 


1839. 
Septembre. 


LR VOYAGE : 
fut rapporté à bord des embareations par oh. F 
nl C'était un beau mâle , he nous : ir mes : . 


sur Ja és nous OS un fem de HN “pi =. Ÿ 
terie si nourri, que M, Gourdin et mai, qui 
restés au canot, nous aurions pu croire à un enga= 


gement de nos gens avec les naturels, si nous eus : " 
sions été sur un terrain habitable, Les coups de. 1 
fusil que nous entendions nous servirent à nous gui= 


der, et après une demi-heure d’elforis nous rejoi= 


gnimes le gros de nos chasseurs; ils n'étaient pas à 


ylus de quarante mètres des canots, tous s'étaient 


éablis sur des troncs d'arbres abattus par Je vent 
ou le courant, et de là ils avaient ouvert le feu sur ; 
la troupe des singes qui couvrait les branches d'ar— 
bres au-dessus de leurs têtes. Le carnage fut consi-- 
dérable, mais ces malheureux animaux, crampon- 
nés sur Fe grosses branches, recevaient la mort sans 
quitter leurs demeures. Nous ne pûmes en avoir que 
six, dont deux mâles, deux femelles adultes, et deux … 
jeunes, probablement de l'année. J'en tuai deux pour 


ma part, deux femelles; l’une d'elles était pleines … 


l'autre fut rapportée presque vivante à bord, Elle 
avait reçu une balle qui lui avait fracturé une patte 
de devant et l'avait fait tomber, Quoique encore 
pleine de vie, une fois par terre elle ne fit aucun 
effort pour échapper à celui de nos D qui 


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DANS L'OCÉANIE. M 
| chercha M oent à se défendre ou à lui faire du mal; 
seulement, avec le bras de devant qui lui restait, ré 
Bi saisit le nez et parut l’'examiner avec soin, puis 
… elle le tira fortement, comme si elle avait voulu l'al- 
- longer et le rendre semblable au sien, 

. «Il était cinq heures et demie lorsque nous cher- 
 châmes à nous retirer: ce n’était pas chose facile, 


« chacun de nous sentait alors la fatigue des os 


qu'il avait dû faire pour traverser cette mer de ci- 
ment; il nous fallut renoncer à nos souliers , les plus 
… prudents les avaient Jaissés dans les Re les 


autres durent les abandonner dans la vase; enfin à 


- six heures nous étions parvenus , en nous trem- 


% _pant tout habillés dans l'eau, à nous nettoyer à peu 
_ près, et nous remettions à Ja voile, Nos matelots, 


qui avaient manié les avirons toute la matinée, étaient 
exténués ; M. de Montravel ne voulut pas les exposer 
à de nouvelles fatigues. Nous attendimes patiemment 
sous voiles que la brise nous conduisit à bord de nos 


- navires, mais elle était si faible et si variable qu'il 


. nous fallut toute la nuit pour franchir les sept à huit 
… milles qui nous en séparaient. Il était cinq heures 


4 du matin lorsque nous accostämes l’Astrolabe. Une 
— heure après, les deux corvettes avaient levé leurs 
… ancres et déployaient leurs voiles pour continuer leur 
- route le long de la côte de Bornéo. 


« La femelle de singe blessée que nous avions rap- 


portée fut bien vite adoptée par l'équipage; sa dou- 


… ceur ne se démentit pas un seul instant; elle affec- 
_ tionnait surtout le matelot dont elle avait tiré le nez, 


1839. 
Septembre, 


1839. 


Septembre. 


à qui je l'avais donnée pour sa collection. I la laissa 
vivre quelques jours pour la faire dessiner par M.'Le 


adopté une place sur l’avant qu’elle quittait rarement: 


12 Fun VOYAGE 
et qui avait continué à la soigner plus particulièr 
ment. Elle était devenue la propriété de M. Hombron, 


Breton. Quoique libre sur le pont du navire, elle avait … 


Elle paraissait triste et aimait beaucoup la société. 
Lorsque M. Le Breton s’approchait d'elle pour la des- « 
siner, elle se montrait plus contente, et elle ne cher- 
cha jamais à lui faire d’autres malices que de saisir, « 


avec la main qui lui restait, le verre où M. Le Breton « 


 lavait ses pinceaux, afin d'en boire l’eau. Cette mal- 


: accommodée à toutes les sauces possibles, fut tou- 


heureuse bête était constamment altérée, elle souf- 


frait cruellement. L’équipage tout entier avait de 
mandé à M. Hombron de la laisser vivre, mais pour … 
espérer de la sauver, ileût fallut lui fairel’amputation 
de son membre blessé. Désireux de conserver dans … 
toute son intégrité et sa peau et son squelette, M. Hom- 
bron termina toutes ses souffrances en la faisant 
étrangler. Tous ces singes étaient de la même espèce 
que celui tué par M. H. Jacquinot à l'embouchure de 
la rivière Sambas. Je laisse à MM. les naturalistes le 
soin de les décrire ; mais pour l'instruction des voya- « 
geurs qui nous suivront, Je dois dire que leur char, * 


jours trouvée détestable , et cela en dehors de toute à 
prévention. » | ù v 
La brise, quoique faible: nous était favorable lorsque : 
je me décidai à remettre à la voile; ] "espérais, qu’en 
fin nous allions pouvoir continuer notre rout ei : 


TRS 15 


Là Caditeité 


DANS L'OCÉANIE. 13 


id promptement le détroit. Mais combien dé con: 
trariétés ne devions-nous pas encore éprouver avant 


- de pouvoir rentrer dans les mers de Java! Jamais 
nos corvettes ne furent arrêtées par des calmes plus 


* Cd ia dès “LE: QE pers 


- bre, nous étions encore à l'entrée de la baie Balie- 
2 S 


iénaces, coupés seulement par des vents très-faibles 


- étsouvent contraires. Il nous fallut deux jours pour 


perdre de vue les terres de Pamarong. Ces parages 


sont tellement embarrassés de récifs, que la prudence 


nous forçait à mouiller toutes les nuits. Le 6 septem- 


… Papan; nous commencions à apercevoir une des 
… chaines montagneuses de l’intérieur, tandis que le 


2 


rivage de la mer restait toujours bas et uniforme, 


… couvert par des forêts que je suppose être entière- 


ment formées de palétuviers, 

Le 8, nous avions à peine dépassé l'embouchure 
de la rivière Passir. Nous aperçümes celle de la 
rivière Apar, garnie, comme celle de Pamarong, de 
petites îles probablenient formées d’alluvions, et 


totalement couvertes d'arbres. Ce jour-là fut encore 


un jour de deuil pour Ÿ’Astrolabe ; notre pauvre Mañ, 
qui avait quitté sa riante patrie, l'ile Vavao, pour 
Venir partager avec nous la rude vie des marins, ne 
“put en supporter longtemps les fatigues; 1l suc- 
.comba à une phthisie pulmonaire. Ce malheureux 
Noulait voir la France, et sa résolution était tel- 
lement ferme que rien au monde ne put le décider à 
quitter l'Astrolabe pour essayer de rétablir sa santé; 
sa mort était prévue depuis longtemps, et cependant 
il fut vivement ro _ homme, destiné à jouir 


1839. 
Septembre. 


1859. du rang de chef parmi ses compatriotes, 8 s ‘était a 
Septembre. 


1 E. 


L'éttuisagé : fou d’une rare intelligent oo e . 
faitement compris que sa position à bord de nos. 
aie où il ne Reste pee qu une hu 


mériter l'intérét des chefs bon ï avail be la 3 
protection. il a péri victime des conséquences du des- À 

potisme religieux que les missionnaires méthodistes 
exercent sur ses compatriotes ; il ne cessait de s6 . 
plaindre d'eux et, en venant en France, il répétait 
constamment qu'il fuyait les missionnaires, et qua F. 

ne voulait jamais rentrer dans son pays que lorsqu' D: 

serait libre du joug auquel il était assujetu ; 1létait fort \ 

à aimé de nous tous, et il fut sincèrement regretté. Son 
corps fut conservé dans une barrique d’arack, etil. 

fait partie de la collection déposée par nous au Mu- | 

seum d'histoire naturelle. rs 

% y Le 9, nous rangeñmes de près la pointe Ruggéd ; ie 
fallut sine bier de vigilance, car les cartes indi= » 
_quaient beaucoup de récifs sur la route que nous de= # 
en vions parcourir. Nous en reconnümes plusieurs : avant 1) 
' d'atteindre la pointe Shoal, à l'entrée de la rivière 2 
| | Pamanoulan, oùse trouvait un prao qui disparutbien … 
vite à notre approche. Enfin nous distinguâmes les 
hautes terres qui s'élèvent au noïd de la rivière 
Satapa, ainsi que les montagnes de Poulo-Laut, 


DANS L'OCÉANIE. 15 
_à l'entrée du canal qui. porte son nom. J'avais l’in- 
tention d'envoyer de nouveau l'ingénieur et les na- 
turalistes à térre, pour faire quelques observations de 
- pliysique et recueillir quelques échantillons d'histoire 
haturelle, et jé choisis l'ile de Pulo-Laut, dont le 
terrain montueux et accidenté paraissait aussi plus 
intéressant à étudier et plus propre à servir de chamiji 


à leurs investigations. 


_ Le lendemain, pendant que les corveties restaient 
| immobiles sur leurs ancres, les deux grands canots 
armés se rendirent à terre, portant MM. les natura- 
listes et l'ingénieur. Parties à sept heures du matin, les 
embarcations ne rentrèrent à bord qu’à cinq heures 
du soir; M. Dumoulin avait pu faire quelques obser- 
_vations magnétiques et hydrographiques ; MM. les 
naturalistes , de leur côté, avaient enrichi leurs col- 


lections d'objets intéressants. On en jugera par le 


passage suivant, extrait du journal de M. H. Jacqui- 
_ not, qui faisait ni du personn®l du canot de la 
Zélée. d 

« Le 13 septembre, à l'entrée de la nuit, nous 
mouillons auprès de Poulo-Laut. Cette île, satellite de 
“la grande Bornéo , n’en est séparée que par un étroit 


bras de mer : c'est un terre assez élevée, entièrement 


couverte de forêts et inhabitée; elle est sans impor- 
_ tance, et aucun voyageur ne la mentionne d’une ma- 
nière particulière. | 

_« Deïaiñ un officier doit faire le plan du mouil- 
lage; ; pendant ce temps, les canots ir on! , de même 


1839: 
Septembre 


14 


* dique 


1839. 


. Septembre. 


_ seulement avec la houille qui se montrait à à la sur 


_nos mouillages du détroit de Makassar, c’est 


16 RES VOYAGE 


les mèmes espèces que : ai da ren 4 


le {herapon esclave et un trigle, poissons d'un 
fort médiocre. Une très-belle annélide, couverte de. 
bouquets de poils superposés comme fe écailles et à. 
offrant de brillantes couleurs irisées, vient aussi, L 
chose extraordinaire, se prendre à Ph te | 
« Le lendemain matin, armés de toutes pièces, 
nous débarquons sur une plage rocheuse où crois- 
saient avec peine quelques palétuviers rabougris. La. 
roche, de couleur rougeûtre, était marbrée çà et là 
de grandes lignes noires sur lesquelles se porta notre 
attention; nous reconnûmes qu’elles étaient dues à» 
de très-beaux filons d’une houille compacte, qui se 
montrait ainsi à fleur de terre dans diverses direc- 
tions. Nous en déposàmes plusieurs gros échantil- À 
lons dans les canots. Cette mine de houille, qui pa-. : 
raît très-abondante , est tout à fait ignorée, elle. ; 
4 

Le. 


2 NL De: Elie 
RS Pr NÉE vi, sde ler 


serait d’un grand secours pour les colomies hollan- 1 
daises qui possèdent déjà quelques bâtiments à à va- 


peur. Il nous parut à tous qu'un petit bâtiment aurait ! 
facilement pu faire son chargement sans CR SCD 


du sol. : ii 
_: « Toute cette plage était couverte > péndan 
rée montante; d’un côté, elle s’adossait à un 


DANS L'OCÉANIE. | 17 


_de rochers escarpés, au delà desquels s’étendait la 1839. 
forét. Sur le point d'y pénétrer avec M. Desgraz, je Fa 
_ remarquai, sur le sable humide, des traces récentes 
_ que je crus pouvoir  Héra un sapi-ou{ang, ou 
_antilope à cornes déprimées de MM. Quoy et Gaimard. 
À quelques pas de là, je trouvai un crâne de tigre ; 
cette rencontre m’avertit de ne point m'aventurer 
sans précaution, aussi glissai-je une balle dans un 
des canons de mon fusil, puis nous entrimes dans la 
forêt ; elle me parut composée. des mêmes arbres 
que j'avais déjà remarqués sur les autres points de 
Bornéo ; on pouvait assez facilement y pénétrer. Sur 
ses De Je tuai quelques petits oiseaux, entre autres 
les jolis sowimangas aspasie et moustac , puis un four- 
- millier, un édèle, un jora et une petite hirondelle 
_ très-commune sur la plage. | 
« Nous parcourümes longtemps la forêt sans aper- 
cevoir aucune trace de bête sauvage ; en approchant 
. d’un grand arbre abattu par le vent, un sanglier, qui 
 fouillait dans le trou qu’occupaient les racines, s'en- 
fuit précipitamment et se perdit dans les broussailles 
avant que J'eusse pu le viser. Un peu plus loin, M. Des- 
graz, qui n'avait pas de fusil, vit un superbe cerf axis 
arrêté à quelques pas de lui. Un monceau de branches 
 cassces tout récemment vint exciter nos conjectures ; 
aucune trace de pas n'existait aux environs, c'était 
probablement l'œuvre de quelque grand singe. 
_ «Je trouvai, sur un petit arbre, un nid contenant 
trois petits animaux qui me parurent être des ron- 


geurs, mais dont je ne pus déterminer l'espèce; ils 
VII. 9 


à 


. és. 4 


* 

É 

+ Z 
D 


1839. 


Séptembre. 


18 


| nee ététidte d'été Tiéubut blinélié Mere. $ 
du lait épais, ce suc tombait en abondance dé la 


Ja journée entière fut employée à reconnaître Fu 


= 


18 VOYAGE LA 
venaiefit de mourir et étaient encore ai 
fnèré était probablement devenue la Le | 
serpent où de quelque gros oiseau. 20 

«M. Desgraz, qui faisait collection de tait 
ra en entrant se Rà tee une Me 


branche coupée: nous lui imposämes, d’un commun : 
accord, le nom de chèvre végétale. ÉTUDES 
«De retour sûr Ka plage, nots trouvâmes la liparé É 
de nos compagnons réunis; leur chasse n'avait pas 
été plus heureuse qüe la nôtre, seulement M. Gourdin ri 
avait tué deux marcassins qu’il avait rencontrés se 
vautrant dans une mare. pa #4 
« Uni matelot avait aussi aperçu un axiss 2 
« Quelques instants après, nous revinimes à bord : ve Ji 
l'armurier essaya la houille que nos avions apportée Fo 
et la trouva de bonne qualité. » ke. 
Le 15, de grand matin, nous remettions sous voiles : ee 


partie septentrionale de Poulo-Laut, qui forme des .0 : 
îles séparées par ün Canal probablement embarrässé, 
mais où lon pourrait péut-êtré trouver dé. He qe 
miouillages. La brise était toujours contraires il nous 
pr encore trois Aa entiers po doubler He 


ERNALL 
7 ET s. 
w 


DANS L'OCEANIE. 19 
_ par une terre basse et boisée, et d’une uniformité 
désespérante. Le lendemain, avant de quitter la côte, 


nous la longeñmes encore quelque temps, de ma- 
… rière à reconnaître de nouveau Tanjong-Salatan , 


afin de lier les wavaux hydrographiques que nous 
Yenions de terminer dans le détroit de Makassar, avec 
ceux que nous avions faits dans les mêmes parages 
quatre mois auparavant. 

A six heures du soir, le 19, je donnais la roûte aù 
S. Ô. pour gagner la rade de Sur de où je voulais 


aller mouiller. Ma santé, tout à fait ébranlée par les: 


fatigues que nous venions d’éprouver pendant cette 
longue traversée, marquée par tant de contrariétés, 
me força bientôt à tenir ma chambre sans pouvoir 
la quitter. Lorsque la vigie m’annoncça que l’on aper- 
cevait les hautes montagnes de Japara, J'éprouvai 
des coliques tellement violentes, qu'il fallait me tenir 
constamment dans un bain chaud pour pouvoir les 
supporter ; je dus prier le capitaine Jacquinot de 
prendre le commandement de la division et de la 
conduire au mouillage. Dans la journée du 23, nous 
reconnümes de’près la pointe Bouang, et après avoir 


passé la nuit au mouillage près de la côte, le lende- 


demain nous vinmes enfin laisser tomber l’ancre sur 


[a rade de Samarang. Je m'étais alors trainé sur le 
pont de ma dunette, mon impatience ne m'avait pas. 
permis de rester dans ma chambre, lorsque nous 


allons enfin atteindre le mouillage dont j'avais tant 
besoin. Jamais peut-être je n'avais désiré aussi vive- 
ment la terre; je n’eusse certainement pas pu sup- 


1839. 
Septembre. 


19 


1839. 
ï Sepi. 


ue presque mue portaient nr 
 daises, un seul était français : c'était | 
Bordeaux; il était en partance; son capi 
nous visiter, mais il ne put nous donner: 
velle de la France, qu Al avait quittée 
même temps que nous ” | 


42 Note Are, 


DANS L'OCEANIE. 2 


CHAPITRE LV. 


Séjour à Samarang (île Java ). 


Ilétait midi, lorsque toutes nos voiles furent ser— 
rées. Je songeai à profiter du reste de la journée 


pour envoyer à terre un officier chargé d’aller saluer 
le résident , lui faire part de nos besoins et des motifs 
qui nous amenalent au mouillage. M. Duroch, à qui 
je confiai cette mission, fut de retour vers trois heu- 


: res, et m'annonça qu'il avait été reçu avec beaucoup 
d'affabilité par le résident, M. Baud, qui l'avait prié 
de me faire des offres empressées de service, et qui, 


en apprenant que J'étais indisposé, avait beaucoup 
insisté pour que j'allasse à sa maison de campagne de 
Bajong, où il mettait un appartement à ma dispo- 
Sition. M. Ducorps avait accompagné M. Duroch à 
terre ; il s'était rendu, de son côté, chez M. Tissot, as- 
socié de M. Lagnier, de Batavia, afin de Fattre les 
dispositions nécessaires pour le ravitaillement de nos 
navires. Là, il avait recu l'assurance qu'il nous serait 


FAI 
F3 


1839. 
94 Septembre, 


1839. 


Septembre. 


19) 
ns 


un grand soulagement à respirer lair doux € 


circonstance me contraria M car EE ni 4 
grand besoin de renouveler notre provisions et d'un 
autre côté, je ne voulais donner à la relâche de Sa= 
marang que le temps strictement nécessaire pou 
embarquer les vivres dont nous étions dépourvus. 18 
J'avais hâte de remettre sous voile; les contrariélés 4 
que nous venions d’éprouver, pendant notre naviga= + : 
tion dans le détroit de Makassar, me faisaient une. 1 
nécessité de ne pas perdre un seul instant. Je vou— 
lais en effet arriver à Hobart-Town avant la fin de | 
l’année, afin de pouvoir profiter de la saison favo- 
rable pour retourner dans les régions glaciales. Forcé 
de relâcher de nouveau à Batayia pour me procurer : 
les vins dont nous avions besoin, je fis prier M. His 
sot de vouloir bien écrire à M. Lagnier, afin qu il 

nous fit préparer d'avance celte PrOyISION de Cam 
pagne, et que nous n’eussions plus qu'à l'embar- 

quer lorsque nous nous présenterions sur le rade de se 
Batavia. ñ ue 14 
= Aussitôt après le retour de M. Duroch, l'Astrotabe 
salua Île pavillon hollandais de vingt-un COUPS de 

canon , qui lui furent immédiatement rendus par le, 

navire stationnaire mouillé sur rade. Ensuite les com- . 
munications furent ouvertes avec la terre. Plusieurs 

officiers en profitèrent dès le jour même pour aller 
parcourir la ville. Quant à moi, je souffrais toujo 
beaucoup des entrailles, et bien que j'épronvass 


AT 
NT. 


RAT OL NS 


DANS L'OCÉANIE. 25 
baumé qui venait de terre, et surtout à ne plus être 


secoué par la houle, je ne me sentis point assez fort 


è ‘pour quitter le navire, et je renvoyai au lendemain 


“ma visite au résident. Dans la soirée, je recus à mon 
bord le lieutenant de vaisseau commandant le station- 


naires il me fit, de la manière la plus cordiale, des 


offres deservice, et il se chargea, de son propre 


mouvement, de nous fournir trente Malais de son 


équipage, pour faire le service de nos embarcations. 
Bien que le climat de Samarang passe pour être 


_ plus salubre encore que celui de Batavia, je redou- 
. {ais constamment de voir nos équipages envahis par 
. les maladies, et je m’entourai de toutes les précau- 


tions possibles pour les éviter : aussi l'offre qui nous 
fut faite fut-elle acceptée avec reconnaissance. 

L'aspect de la terre, yue du mouillage, est à peu 
près le même qne celui de Batavia. La côte est si 
basse , que c’est à peine, si on la distingue ; toutefois 
on aperçoit, à une petite distance , dans l’intérieur 


_ des terres, une série de jolis coteaux et de mon- 
. tagnes plus élevées, dont la hauteur augmente par 


gradation jusqu’à la majestueuse chaine des monts 
Merbabou et Prahou. Ceux-ci s'élèvent à une hauteur 


considérable; une distance de près de vingt lieues 


les sépare du rivage, et cependant, par un temps 
clair, ils apparaissent de la rade comme s'ils n’é- 
taient que fort peu éloignés. La ville de Samarang, 
comme celle de Batavia, est établie sur le bord d’une 
rivière; elle rivalise , par son commerce, sa popula- 
tion et le luxe de ses habitations, avec la capitale 


1839. 
Septembre, 


ji } 


1839. 
Septembre. 


25 


Re ne VOYAGE Fa 


Cependant, le dôme de l’église s'élève au-dess: 


que l’on aperçoive de la mer. 


. généralément qu’à se louer des services de leurs Fe . 1 


des colonies Néerlandaises. Rien de la mer ne 
trahir l'existence de cette ee M 


au ler d' une ne immense et M 


arbres qu’il domine. C’est du reste le seul monumel 


LA 


re We CT 


F Che. 


À peine avions-nous mouillé sur la nr. , que deux. : 
jolies pirogues, montées par des Javanais, étaient ve- 
nues nous offrir leurs services, moyennant la modique 
somme de une roupie par jour (2 fr. 14cent.). Ces 
hommes remplissent à Samarang les fonctions des s 
daubachis de l'Inde. Leurs services sont excessive 
ment précieux pour les marins qui mouillent sur la (à 


Tr “à Ru eJ ? 
=: dr s'pa-R AdE Aé-is. 


__ rade. Pour accoster la terre, il faut, comme à Bataviaÿ 


remonter la rivière qui traverse la ville, et dont la ds 
barre n’est pas toujours facile à franchir. be embar- à 
cations, plus légères que celles des navires européens, 
et maniées par des mains plus exercées dans ce genre AN. 
de navigation, rendent les communications très 
faciles entre la rade et la terre. Nos officiers s'em— 
pressèrent d'en retenir plusieurs, et ils n eurent. à ë 


Le 


priétaires. sl 
Une nuit de repos, passée sur la SA , avait en + 
coup diminué mes souffrances , et jeme disposais ? à at 


descendre à terre en one du Rae Joe 


DANS L'OCÉANIE. 25 


Ja ville; il avait accueilli la veille plusieurs officiers des 
corvettes, et avait appris d'eux que ] étais très-souf- 


frant ; : il accourait pour m'offrir un logement dans sa 
maison ; je refusai d’abord cette invitation obligeante ; 
mais j'acceptai de descendre à terre avec lui et d’uti- 


liser ses offr es de services, pour me guider dans les 


visites que je voulais faire aux autorités de la ville. 


M. Tissot était accompagné par le capitaine du navire 
marchand le Bombay, qui devait remettre à la voile 
le lendemain. Je profitai de la circonstance pour ar- 
rêter, séance tenante, le passage d’un de nos élèves, 
à qui un fâcheux état de santé ne permettait plus de 
faire partie de l'expédition. Depuis longtemps, M. La- 
fond éprouvait des douleurs aiguës qui l’empêchaient 
de remplir son service; et même, depuis quelques 
jours, le chirurgien-major m'avait prévenu que, 
malgré tous ses soins, il n’espérait sauver les jours 
de cet élève que par un prompt retour en Europe. Je 
saisis donc avec empressement cette occasion de ren- 
voyer M. Lafond en France. Le navire le Bombay 
devait opérer son retour à Bordeaux dans le plus bref 
délai; il réunissait toutes les conditions nécessaires 
pour le transport d’un malade. Le capitaine se prêta 


1839. 
Septembre, 


: de très-bonne grâce à un arrangement. Les condi- 
… ions du passage furent bien vite arrêtées ; dès le jour 


même , M. Lafond quitta l’Astrolabe et embarqua sur 


le Bombay. J'ajouterai que c’est aux soins empressés 


du Capitaine de ce navire que M. Lafond dut, d’après 
son aveu, de pouvoir revenir staduclléntenti: à la 
santé. 


1839. 
Septembre. 


FI, CXLVII. on du “ près Paie à se eq le dés 


M 2. |: VOYAGE Me 
Celle affaire une fois terminée , nous quiti x 
‘r et nous nous dirigeàmes sur la ville, Peu 
lemps après, nous franchissions la barre de la 
_vière, puis nous nous ayançâmes entre les de eux quais 
qui resserr ent son lit; il ngus he Are rip pr | 


sien: Les hp hiaUone qui sont le rx rare 0 chées du $ | 


mence Me po la ville, € C'est a aussi | où ie douane 3 
a établi sés lignes ; elle occupe, sur la rive droite de la 
rivière, un bâtiment considérable, approprié au but 
auquel il est destiné, et près duquel nous établimes 
_notre observatoire, Les officiers chargés de régler » 
nos chronomètres en fixèrent la position. Le terrain 4 
compris entre ce bâtiment et le rivage est OCCUPÉ. $ 
par des marécages. Il est peu habité, Il est probable 
que les exhalaisons méphitiques qui s’en éChA NPA #i 
seraient funestes aux habitants qui viendraient "y. 
fixer. ji 0 
Aussitôt après avoir dépassé le bâtiment de. Fe 
douane, le lit de la rivière apparaît comme une ville de 
flottante , habitée par les pêcheurs malais qui vivent … 


r1.CX LIL. AVEC pr familles sur les praos. Les deux côtés sont 


occupés par une ligne de ces grands bateaux, qui 
rétrécissent beaucoup le passage. Le quartier malais 
s'étend aussi des deux côtés de la M mai- 


4 # 
# + 


DO © DANS LOGÉANIE. | x 
; des plus pittoresques. Ce quartier, très-populeux, est 1889. 
rempli de boutiques et d'ateliers ; la rivière le traverse nat: * 
| dans touie sa longueur, en remonfani son cours, on 
_ rencontre un pont en pierre, qui paraît être solide 
“ment établi. Là, son lit s’élargit considérablement ; 
sur sa rive gauche , on découvre une yaste Hé, 
- sur laquelle débouche la route de Bafavia. Cette 
route est une magnifique avenue large et bien om- 
_ bragée par de beaux arbres Louis , plantés sur 
ses CÔLÉS. 
Comme je l'ai dé dit, nous débarquâmes au bu- 
veau de la direction du port; nous y trouvâmes une 
rès-belle voiture attelée de quatre chevaux qui 
nous attendait : elle appartenait à M. Tissot. Il nous 
fallut peu de temps pour traverser la ville dans cet 
équipage ; elle nous parut bien bâtie; ses rues étaient 
larges et spacieuses. De beaux magasins laissaient 
voir, dans leurs étalages, les productions diverses 
de l'Europe, de la Chine et du Japon. Comme à Ba- 
- tavia, les négociants fortunés n’y ont point leur ré- 
sidence habituelle ; ils se contentent d’y tenir leurs 
- bureaux et leurs magasins. Chaque soir, ils se rendent 
… à leur maison de campagne, où ils rejoignent leur fa- 
mille. C’est surtout près de la route qui conduit à Ba- 
tavia que s'élèvent en grand nombre ces vastes et 
belles maisons de campagne construites avec un luxe . 
toubasiatique, et où l’on trouve toutes les jouissances 
dela wie. Je ne pouvais me lasser d'admirer ces ma- 
gnifiques habitations avec leurs jardins où s’étalait 
la luxurieuse végétation des tropiques. Toutes ces 


“ 


Septembre. 


gs pate VOYAGE 


Fa) 


1839. maisons de plaisance sont encore a l 


FTe l'emplacement qu'elles occupent e 
sous le nom de PO 1 


Potpies: Plus tard, de buse péri et vs & 
grandes dépenses qu'avait nécessitées sa construction 
conduisirent son propriétaire à sa ruine. Obligé de 
vendre ses propriétés pour faire face à ses créanciers, . 
le négociant arménien ne put jamais trouver dans la 5 
colonie un homme ayant une fortune suffisante pour : 
acheter ce palais; M. Tissot se présenta comme ac … 
quéreur, et l’obtint pour 18,000 roupies. C’est sans 
contredit la maison la plus somptueuse que j'aie vue 
parmi celles de Samarang et même de Batavia ; elle. 
est précédée d’une vaste cour traversée par un large 
ruisseau. Les abords de ce cours d’eau sont garnis 
par des bosquets composés des arbustes et des arbres 
les plus beaux. Cette maison ne comporte qu’un seul 
étage; le rez-de-chaussée est divisé en plusieurs salles 
AAA hes décorées avec beaucoup de luxe. Les 
appartements particuliers et les chambres à coucher we 
sont au-dessus. Tout autour de ce bâtiment il existe 
une galerie extérieure parquetée en marbre, où règne : 
Fi une fraicheur des pu Rs Un LS 


M Tissot me présenta toute sa famille; il pe 


Ne 4 #0] £ 


°L 


< _ DANS L'OCÉANIE. 29 
lut ‘accepter son hospitalité sans restriction, et nous 
ne pümes quitter sa demeure sans accepter son déjeu- 
ner. L'hôtel du résident était à peu de distance, nous 
mñous y rendimes. Cette habitation était loin oi la 
| fastueuse apparence de celle que nous venions de 
- quitter. On y arrive sous une longue allée ombragée 
par des arbres hauts et touffus. La maison, quoique 
déjà ancienne, aurait paru belle et somptueuse dans 


- toute autre ville; elle est occupée aujourd'hui par 
M. Baud, neveu de lancien gouverneur général de 


LE 
» 


- ce nom , et résident de la province de Samarang ; il 


nous reçut avec beaucoup de prévenance et renouvela 


— auprès de nous toutes ses offres de services. Il nous 
… {it promettre de lui donner un jour pour faire une 


course dans la campagne avec lui; et il ne nous quitta 


qu'après nous avoir comblé de politesses. Nous nous 
rendimes ensuite chez M. le colonel de Broon, com- 
inandant supérieur de toutes les forces militaires du 
district de Samarang, et chef du corps d' observa- 


tion campé à plusieurs lieues dans l’intérieur. Par 
suite des mécomptes que cet officier avait éprouvés 
- dans son avancement, il venait de demander sa re- 


… iraite, et il se préparait à effectuer sous peu son retour 


en Europe. [rrité des passe-droits qu'il avait subis 
- dans une carrière remplie avec honneur et activité, 


M: de Broon s'était décidé à repousser toutes les pro- 
positions qu'on pourrait lui faire par la suite, et il 
avait quitté une position dans laquelle il croyait avoir 
à se plaindre. Nous le trouvämes occupé à vendre les 
meubles et les effets qu'il ne pouvait pas emporter 


1839. 


Septembre, 


, 


488. 
; Septembre. 


AA ? 


_ visiter MM. Bollet Voute, que nous avions connus dans 


Stance pour faire parvenir sûrement des nouvel 
Texpé 


s, dhélque repos, car j'avais rendez- hr 


D a 5 De 


recevoir stoH son dés mais il nous on j ; 
ment ai Fee avec ui comme sinous ECM de 


Héavatent nous être à LEE Nots allämes ait 


les Molluques, exerçant les fonctions de mägistr ls, | 


le premier à Amboiïne, le second à Makassar. Tous Ë 


deux se trouvaient à Samarang pour y exercer les” 
mêmes fonctions. Nous avions conservé d'eüx des 
souvenirs trop agréables pour ne pas saisir avec ent. 
pressement cette nouvelle occasion de nous revoir. Ils . 
partagèrent avec nous la joie de cette heureuse reh 3 
contre, et nous les trouvämes toujours dans les mê nés 
sentiments à notre égard. Enfin nous rentrâmes chez 
M. Tissot. J'étais toujours fatigué et souffrant; les. 
communications avec nos navires étaient Souvent. 
difficiles et toujours pénibles ; aussi j’acceptai volon- ” 
tiers l'appartement qu’il m'avait fait préparer, et où 
je pus goûter un repos devenu nécessaire. 
Je consacrai la journée du lendemain tout entete 
à écrire au ministre et à ma famille ; le Bombay allait 
mettre à la voile, je voulus brofitèt de cette ciréon 4 


édition. Du reste, j'étais bien aïse dé P 


derit, le lendemain, pour aller visiter l'in 


= 


D 
LA 
+ di 
+ RÉ 


: DANS L'OCÉANIE. 31 

De grand matin, ainsi que nous en étions conve- 
nus, nous nous tétidies, M. Jacquinot et moi, à 
l'hôtel de la résidence. fidèle à à sa parole, M. Baud 


; vait tout disposé ; il nous attendait avec une tasse 
- de café dont nous dûmes nous lester avant de nous 
- mettre en route. La voiture était prête; elle était 


… attelée de six chevaux qui se montraient impatients 


de partir. Le colonel de Broon avait accepté l’invi- 
tation du résident de faire la course avec nous. Il 
fut exact au rendez-vous. Nous primes tous place 


dans la voiture, et les chevaux partirent au galop. A la 
porte d'entrée de l'hôtel se trouvait une suite nom-. 


_ breuse qui devait former notre escorte; elle se com- 


posait de cavaliers du pays, vêtus uniformément et 
armés d'une lance à l'extrémité de laquelle flottait un 
petit drapeau de diverses couleurs. Notre départ était 


entouré d’une pompe que nous n'avions encore vué. 


nulle part, mais qui, à ce qu'il paraît, accompagne 
ordinairement le résident dans ses tournées. Pour le 


moment, nous en partageñmes les honneurs. 


Nous parcourûmes d’abord une belle plaine riche- 


-iment complantée, puis, par une pente assez rapide 
“à environ douze piliers (huit milles), nous arrivämes 
aux plantations de café. La culture de cet arbuste est 
“aujourd hui une de celles vers lesquelles tourne toute 


l'industrie des indigènes : elle a pris un accroisse- 
ment très-grand et tvès-rapide : elle est presque en- 


tièrement eonfiée aux soins des naturels. Le gouver- 


nement de la compagnie ne vend jamais de terres, 
mais il les concède pour vingt années. Cette conces- 


1839. 


27 Septembre. 


£ 


1839. 
Septembre. 


32 PAGE 
sion bn étre renouvelée, surtout si le cul 
a mis ce terrain dans un bon rapport. Au bout 
Cinq ans seulement, le concessionnaire est es 


verser dans les magasins de la compagnie ee ne. 
de leurs récoltes à un prix fixé d'avance. Celui du. 
calé est de six florins le picol (125 livres): Les princes 
et propriétaires indépendants peuvent vendre leurs 
denrées à qui il leur plaît; mais alors le gouverne 
ment prélève un droit de 5 pour 400 sur le prix de 
& vente. : be 
- Tous les fonctionnaires que j'ai interrogés convien- 


ù. “oc sé use hi CARE 


nent que la Hollände retire, comme gain net pro= … 


venant soit de la vente des FR récoltées à Java, 
soit des droits auxquels les propriétaires sont soumis, » 
25,000,000 de florins, et ils prétendent que ce pro= - 
duit pourrait doubler d'ici à quelques années; mais - 
aussi tous conviennent que le système actuel est 
oppressif et ruineux. Îls se récrient surtout contre 
l'autorité tyrannique et absolue du gouverneur gé- | 
néral actuel, qui paraît n’être ni aimé, ni considéré, 
La colonne du système actuel est le ministre des colo- 
nies, qui jouit d’un crédit immense auprés du roi 
Guillaume. RS ns ji 4 

La route que nous suivimes était large et Are 4 
tement tenue ; de ue côté l'on Ro de 


“CENTS 


DANS L'OCEANIE. RCE 
l'insouciance du gouvernement, qui avait permis de 
défricher un terrain jadis couvert par de belles fo- 


rêts, sans s’émouvoir des conséquences que pou- 
“vait entraîner la destruction complète des arbres. A 
treize pilliers de Samarang, nous laissämes sur notre 
gauche un petit fortin garni de quelques pièces de 
canons et qui nous parut être en très-bon état. À 


côté de cette redoute, nous aperçûmes un vaste 
corps de logis destiné à servir de caserne et d’hô- 
pital pour les militaires malades de la garnison de 


Samarang. La position de ce petit établissement a été 


choisie sur ce plateau, renommé pour sa salubrité. 
On y envoie de Samarang les malades qui commen- 
cent à entrer en convalescence, et il paraît que géné- 
ralement ils ne tardent pas à recouvrer leur santé, 
grace à l'air pur qu'on y respire. À quelques pas de 
là, nous arrivames à un relais où nous changeames 


de chevaux ; puis nous repartimes avec une vitesse 


bien supérieure à celle que l’on obtient en France 


. avec les chevaux de la poste. L'aspect de la cam- 


pagne était toujours le même ; seulement de temps à 
autre nous apercevions quelques oasis verdoyants, 

indiquant les cours d’une eau abondante. Les pentes 
des montagnes paraissaient elles-mêmes, comme la 


plaine, totalement privées d'arbres et couvertes de 


culture. 

| La population de Java est D ord: hui de plus de 
huib millions d’âmes, et l’île pourrait, dit-on, nour- 
rir plus de vingt millions d'habitants. Du reste, la 


population doit croître prodigieusement si, comme 
VIII. 3 


1839. 
Septembre. 


1839... 


Septembre. 


LA 


Rs _ VOYAGE 


cent nulle. La autres princes ne sont indé he 323 


que de nom, car ils reçoivent leur autorité du gou- e 
vernement bandit Ë nn 0) À 
Nous aperçûmes de loin, au milieu d'il immense 
plaine, le fort Guillaume , qui était loin encore d'être 1 
achevé, et qui doit pouvoir contenir 2500 soldats. 
Ce sera là une citadelle qui garantira à jamais ja" 
domination de la Hollande des attaques des indigè= … 
nes. Les forces des Européens , concentrées dans … 
le fort Guillaume, seront toujours prêtes à se porter 
sur ious les polis de l’île en cas de guerre intestine. 
Le littoral de Java est très-meurtrier pour les Eu= … 
ropéens; aussi, à quelques exceptions près, il n’est 
gardé en temps de paix que par des indigènes enré- … 
gimentés. Les soldats hollandais qui constituent la 
force du gouvernement séjournent dans l'intérieur; 
i y restent concentrés “ prêts : à marcher à au Li remie 


composée d' Européens, sur M 
compteraSala-Tiga est un des points les miet 
sis pour une place de guerre. L'air qu’o 


OR An 


+1 


DANS L'OCÉ ANIE, 39 


est des plus Cite. et sa position centrale permet une 
surveillance active sur tous les points du littoral. C’est 


_ à Sala-Tiga Le l’on a établi le camp des soldats eu- 
- ropéens, jusqu'à ce que le fort Guillaume soit ter- 


miné. De grandes dépenses y ont été faites, tant pour 


loger les officiers que pour abriter les soldats. Cette 


position militaire est à trente et un piliers de Sama- 
rang. Notre course était tellement rapide, qu'il ne 
nous fallut pas plus de ane heures pour franchir 
cette distance. : : | 
C'était là le but de notre promenade. Le résident 


de Sala-Tiga, ancien officier de la marine hollandaise, 


avait été prévenu à l'avance, et nous fit un accueil des 
plus agréables. Après un copieux déjeuner et quelques 


heures données à la sieste, nous nous acheminimes 


- vers le camp; il ne contenait qu’un seul bataillon de 


sept compagnies, presque entièrement composées 
d'Européens. Le colonel de Broon nous en fit voir tous 


… les détails. Officiers et soldats me parurent bien logés, 
et leur service me sembla être très-doux. Notre jour- 


née fut employée à parcourir les alentours, où l’on 
rencontre presque tous les végétaux de l'Europe : elle 
se termina par un grand repas, offert par le rési- 


— dent; nous y retrouvâmes tout le luxe et tout le con- 
#8 fortable des festins des grandes villes, Il nous restait 


encore à faire une course longue et fatigante dans les 
“montagnes environnantes ; nous nous séparâmes 


pour prendre quelque repos, et le lendemain, à cing 


heures du matin, nous étions tous debout, prêts à 


Si de la édiéheuc de la nuit pour continuer 


1839. 
Septembre. 


1839. 
Septembre. 


d6 Ve : VOYAGE 


route » Je crois or rapporter que faits e et qui À 


ques renseignements qui m'ont été donnés et que je … 


livre à la créduliié du lecteur, sans autre garantieque 
celle des personnes qui me les ont confiés. Parmi les 


contes accrédités 1c1, on m'a souvent parlé d une luie ; 


de pierres qui aurait eu lieu dans un endroit complé- 


tement fermé. Ainsi, dans une chambre hermétique- 
ment close de toutes parts, il serait survenu tout à 
coup des cailloux, qui seraient tombés du plafond ii 
sans qu’on püt voir d’où 1ls provenaient. On conce- 


vrait bien que si le lieu n'était point fermé, il eüt pu 
arriver qu’un aérolithe eût été réduit en poussière, 


et que le vent eût pu en renvoyer les débris dans 


un lieu couvert et non clos; mais il était rmpos- 
sible d'ajouter foi au fait tel qu'il m'était raconté, 
malgré les assertions pressantes de mes compagnons. 

M. Baud m'a cité encore un phénomène dont J'a- 


vais déjà entendu parler, c’est l’existence d’une co= 


quille qui, à certaines époques, laisse échapper des 
oiseaux qui s’envolent. Les assertions de M. Baud à 


cet égard étaient tellement positives, que je ne doute. 
pas qu’il n’y ait là quelque illusion qui a induitener-. 
reur cet homme honorable. Enfin, comme jeme mon- 
trais très-peu crédule sur ces prodiges vraiment fan- 
tastiques, je dis à ces messieurs que je rangeais tous 
ces récits dans la même catégorie que celui qui 
m'avait ia été fait de la mul eiSE ds mr 


DANS L'OCÉANIE. * al 
de la réalité de ce fait : il m'assura qu'il avait ex- 
périmenté lui-même et qu'il possédait plusieurs 
perles capables d'en produire d’autres. Il mit en 


même temps une grande insistance à m'en offrir, et 


je ne pus faire autrement que de les accepter. Il me 
montra, dans une petite boîte remplie de coton , une 
perle assez grosse avec d’autres plus petites , et quel- 
ques grains de riz destinés à les nourrir. Il me fit dis- 
tinguer aussi de très-petites perles qu'il croyait avoir 
vues s'approcher de la grosse et s’en détacher ensuite. 
Ji mit dans une petite boîte garnie de coton celle qu'il 
jugea être la plus productive, avec deux autres plus 
petites et quelques grains d’un riz particulier. Toutes 
ces perles, vues à la loupe, n'avaient rien de particu- 


lier, et dans le désir de lui être agréable, je lui pro- 


mis de faire l'expérience de son procédé; je ne pus 
‘cependant lui cacher mon incrédulité *. 

Nous fümes obligés de renoncer à notre voiture pour 
gagner les sommets que nous voulions atteindre et où 
s'élèvent quelques monuments tumulaires, vieux dé- 
bris de la splendeur passée du peuple javanais. Des 


1839. 
Septembre. 


28 


chevaux de selle nous attendaient à la porte de la ré- . 


… sidence. M. Jacquinot seul ne voulut point en profiter, 
leur allure vive et décidée lui fit craindre de ne pou- 
- voir les monter. Il préféra aller stationner sur la 


grande route avec la voiture, pendant que nous nous 
* M. d'Urville m'a montré ces perles dans le courant du mois 

de juin 18/41; il est inuule d'ajouter qu’elles étaient absolument 

dans le même état qu’à Hier ou eiles lui furent données. 


V. D. 


1839. 


Septembre, 


élancions dans une direction opposée. Au b 


arrivâmes sur une suite de coteaux recouverts par 


constructions paraissaient n'avoir été failes que pour 


pr LA VOYAGE 


quarante minutes, nous avions parcouru quatre 
liers , et nous changeñmes de monture. Enfin, n 


une grande graminée dont les tiges flottantes Fes . 
lançaient au gré des vents. Les tigres, dit-on; à abone 
dent dans ces herbes sauvages. | : : Ss É 

Sur ces coteaux dénudés, nous aperçûmes six petits 


édifices appelés sacella, de forme semblable et ne l 


_différant entre eux que par les dimensions et les or=" 


nements. Le plus élevé de tous couronne la dernière 
colline de la chaîne et paraît isolé. Ces sacella, d'uné 
construction très-mauvaise et peu solide, sont des 
pyramides quadrangulaires de quatre à cinq mètres 

de haut , sur deux ou trois de base; une porte étroite … 
conduit ar intérieur. M. Baud avait envoyé à l'avance 

des ouvriers pour déblayer un de ces édifices, aussr 

nous pümes y entrer; nous trouvames l'intérieur 
entièrement vide, seulement nous aperçümes plu= 
sieurs niches où devaient se trouver des statues. Ces” : 


servir de lieu de sépulture à une seule famille. La plus. 

élevée de toutes était aussi la plus remarquable ; à côté ” 
d'elle on apercevait les débris d’une sacella plus pe- 
tite, d’un autel et de plusieurs bancs. Les pierres qui 
avaient servi à construire ces édifices étaient de grès, 
elles étaient taillées en rectangles peu réguliers et as— 


3 
£ 4 
; 
; 


DANS L'OCÉANIE. 39 
tous semblables ; TOR sont ornés 


ES 


peu prè 


de sculptures. | 
- Du sommet de ces coteaux on jouit d’un coup d’œil 
admirable. Malheureusement la terre était entourée 


… d'une brume assez épaisse, et 1l eût fallu attendre 


peut-être longtemps encore avant que le soleil füt par- 


venu à la dissiper. Nous n’en avions pas le temps, 


et après avoir déjeuné nous remontèämes à cheval. 


Nous arrivämes bientôt près d’un village où l’on me 
montra, au milieu d’une forêt admirable , une des 
plus belles sources que l’on puisse voir; elle sort 


du fond d'une fissure dans le roc, à cinquante- 


deux pieds de profondeur. Son volume est de la gros- 
seur du corps d’un homme ; ses eaux sont jaunes, et 


on prétend qu’elles jouissent de propriétés médici- 


nales lorsqu'elles sont prises sur les lieux. 
Quelques instants après , nous retrouvâmes M; Jac- 
quinot qui Stationnait sur la route avec la calèche, et 
nous reprimes le chemin de Samarang au galop de nos 
chevaux. Je ne pouvais me lasser d'admirer ces belles 
plaines que nous parcourions si rapidement, et qui, 


couvertes de riches récoltes PME Ren si ample— 
ment de la fécondité du sol. \. Baud m’assura que la 
me résidence de Samarang g comprend à elle seule 800,000 


habitants, dans lesquels le district de S ala-Tiga compte 
pour 160,000. 


MM. Baud et de Broon en voyant tout le plaisir 


que j'éprouvais à parcourir l’intérieur de Java, insis- 


tèrent vivement auprès de moi pour m’engager à con- 
sacrer huit jours à visiter les provinces hollandaises 


1 


1839. 
Septembre, 


1839... 
Septembre. 


_ fonde reconnaissance; tout ce que je venais de voir 


10 | lat 


regret, je ne pus accepter des ofres a aussi MEUTEE 4 


lantes et qui m'ont laissé des souvenirs d’une pro= e 


m'avait donné des idées toutes nouvelles sur li ile de : 
Java ; en parcourant ces vasies plaines, où croissent “4 
en once et par les seuls soins des Malais , le 
café, le tabac, l’indigo, etc., je ne pouvais me lasser. 

d’ taire la patience et le talent administratif des 
maîtres des Molluques, des îles de la Sonde et de Bor- 
néo, qui sont parvenus à un pareil résultat. Avec son 
caractère insouciant, sa sobriété et son peu de be=. 
soins, le peuple malais doit avoir une grande répul- 


sion pour les travaux pénibles de l’agriculture ; aussi 


il paraît que les champs seraient loin de présenter cet 
aspect enchanteur, si les chefs javanais n’employaient : 
quelquefois l'usage du bâton pour exciter l’ardeur de 
leurs sujets pour l’agriculture. Mais cette tyrannie, 
si éloignée de nos mœurs et de nos idées libérales, 2 
est exercée sur les Malais par leurs propres chefs, sans | 
que la haine que de pareilles mesures peuvent faire È 
naître revienne ur vers le gouvernement hollan- 
dais. | FRS 
A notre retour à Samarang, nous trouvâmes chez L 
M. Baud un splendide repas qui nous attendait ;jene : 
pus me retirer que fort tard. La voiture de cs : 


,” + TT 


DANS L'OCÉANIE. 4 
journée du lendemain, la dernière que nous devions re 
passer au mouillage.” 

… Houtes les provisions dont nous avions besoin 29 
…. étaient prêtes et en grande partie embarquées. Grâce 
aux secours des Malais qui armaient nos embar- 
cations, nos chaloupes avaient pu faire deux char- 
sements d’eau par jour, et notre provision élait cCom- 
plétée. M. Tissot m'avait dit que M. Lagnier avait 
préparé les vins que nous devions prendre à Batavia. 
_ Enfin, dans la journée, nous avions terminé l’em- 
ct de tous les objets qui nous étaient néces- 
saires pour continuer notré voyage. Avant de quitter 
le bord, je donnai les ordres nécessaires pour que 
… tous les préparatifs d’appareillage fussent faits dans la 
soirée, et je descendis ensuite à terre pour parcou- 
rir la ville que j'avais à peine visitée. 

Je pris terre au bâtiment de la douane, placé, 
comme je l'ai dit, sur la rive gauche. C’est là aussi 
que se trouvent les campongs chinois et javanais, 
qui s'étendent à -plus d’un mille le long de la ri- 
vière. Les habitations qui les composent sont toutes 

- onstruites en bambou , assemblées sans aucun ordre 
. et traversées par des Pheiles étroites et boueuses. Le 
quartier chinois est entièrement séparé des autres 

parties de la ville par une muraille continue; on y 
parvient par de grandes portes, au-dessus desquelles 
Où remarque quelques caractères chinois. Ce quar- 
tier, entièrement séparé du reste de la ville et exclu- 
sivement habité par les Chinois, présente une physio- 
_ nomie particulière. On se croirait tout à fait trans- 


k, 4 _ VOYAGE 
| Re à porté en Chine. Les maisons sont géné 

construites en bois. Chacune d'elles présente 
ainsi dire un pp à . C'est là le centre de 


ihehé destinée à une industrie cle me 
CAES d’'étoffes Nes la plus en. | 


ire, comme celui de Batavia. «Nous nous dit pue pui 
une place, dit M. Desgraz, où le théâtre chinois , des. à 
Vayang-Tchina, suivait le cours de ses représenta= +5 
# | tions, qui ne s’interrompent pas pendant l’époque de . 
l'année affectée à ces réjouïssances publiques. Le théà-. 

tre n’est ouvert qu'à l’époque de certaines solennités, 
- et les frais en sont payés par les riches marchands ds . 
campong. Comme à Batavia, la scène se trouvait éle- Le 
vée sur une barraque en bois, et la troupe des ac … 
teurs était entièrement composée de femmes. Une. 1 
| 


table était dressée en face de la scène, an se d'un 
autel surmonté d’un tableau représentant l'image 
de la divinité chinoise, ou peut-être celle d’un envoyé . 


les frais de la fête étaient assis cat autour de 
la table, d’où ils jouissaient à leur aise du plaisir du 
arr Quelqueois, pour nes Jeur et 


| DANS L'OCÉANIE. 43 

nous ne pûmes juger du goût des Chinois dans le choix 
deleurs pièces. Comme à Batavia, le chant se mélait 
au récitatif monotone des personnages. Les acteurs 
— portaient des masques et prodiguaient l'emploi des 
moustaches. Je pus compter sept longues mèches de 
barbe sur le masque d’une seule actrice. Les restau- 
… rantsn'étaient pas éloignés du lieu de la représenta- 
tion ; on les trouvait facilement, en suivant la foule des 
spectateurs qui, à chaque entr'acte, quittaient le 
spectacle pour aller se restaurer, sauf à reprendre 
leurplace aussitôt qu’une actrice reparaissait en scène. 


… Pappris qu'un grand nombre d’Européens et même 


des dames se faisaient fréquemment conduire dans 
ces restaurants pour y goûter un mets particulier , 
une espèce de hachis nommé #imlo. » Les Chinois 


semblent du reste avoir acquis le droit de fournir 


exclusivement aux besoins et au luxe des Européens. 


1839. 
Septembre, 


Ilssont boulangers , pâtissiers, carrossiers, bottiers, 


tailleurs, fabricants de meubles, etc., etc. Leurs 
fêtes et leurs cérémonies attirent toujours une foule 
nombreuse et forme une des plus grandes distrac- 
tions de la société hollandaise. 

: À côté de cette population laborieuse , la vie des 
- Javanais offre un contraste des plus Énuitihies à : 
sobres par goût, oisifs par caractère, ces hommes, 
Sans jamais s'inquiéter de l’avenir, ne Sherétibnit qu'à 
satisfaire les besoins du moment, en se donnant le 
moins de peine possible; on ne voit parmi eux ni 
marchands , ni industriels , mais en échange les gens 


de peine, les bateliers, les porte-faix abondent. A 


Lk VOYAGE 


a Un . chaque pas on rencontre une foule de Javanai 
pressés de vous offrir leurs services ; mais aussi 
| qu'ils en ont touché le salaire,  . aux /azz4- 
Ti romis napolitains , ils négligent toutes les occasions de À 
réaliser un nouveau gain. Rassurés sur les besoins h L 
moment, ils se livrent au sommeil, plutôt que de pen- ee 
ser au lendemain. La rive per de la rivière est 1 
occupée par le quartier malais et par la ville euro— 
péenne : celle-ci, comme je l'ai déjà dit, comporte . 
plusieurs belles et larges rues garnies par de beaux à 
magasins. Samarang ne se compose point encore, 
-_ comme à Batavia, d’une ville toute marchande, en- 
tiérement occupée par les bureaux et les magasins 
des négociants et d’une nouvelle ville, composée 
de palais. Le quartier européen, à Sata n'a 
point encore été totalement abandonné par les né- 
gociants. Les plus riches d’entre eux seulement 
possèdent des maisons de campagne à Bajong. Au- 
tour d’un rond-point où viennent aboutir plusieurs 
grandes routes , le seul édifice que l’on remarque 
dans la ville et qui mérite l'attention, est le temple. 
luthérien, dont on aperçoit le dôme de la rade; il . 
est garni de colonnes massives, qui font du reste « 
peu d’honneur à l'architecte. Tout auprès de ce tem 1 
ple, on aperçoit l'hôtel de ville et le tribunal, su È 
 mw'offrent rien de particulier. ! 


rx 


LT Après avoir parcouru la ville, je me a | 
M. Boll, qui, fidèle à la promesse qu'il m'avait fai 


Ce 


DANS L'OCÉANIE. 45 
_ toire naturelle étaient d'autant plus précieux que le 1839. 
Muséum de Paris ne les possédait point et que même SRE 
on ignorait encore les particularités anatomiques qui 
distinguent ce coquillage. C'était un ütre de plus à 
notre reconnaissance que l’ancien fiscal d’Amboine 
venait d'ajouter à tous ceux dont nous avions conservé 
Je souvenir. Enfin, à six heures du soir, je me ren 
dis chez M. Tissot, qui avait organisé une fête char- 
mante en notre honneur. Les beaux salons de son 
habitation se prêtaient merveilleusement à la circon- 
stance. Cent personnes environ y étaient réunies, et 
presque toutes parlaient notre langue. Par une atten- 
tion délicate , le choix des invités avait été fait de ma- 
nière à ce que nous pussions nous croire transporlés 
dans un salon français. Les décors étaient magni- 
fiques ; malheureusement, la flamme des bougies \ 
répandait une chaleur D omlle: mais dans la 
galerie qui entourait l'habitation, on respirait un 
air d’une fraîcheur délicieuse. Un orchestre com- 
plet, composé de Malais, se mit à exécuter des airs 
- de contredanses et de valses européennes, et bientôt 
le bal s’organisa avec la plus belle apparence. 
À minuit, un souper fort beau fut servi dans la pièce 
Yoisine ; cent personnes $’assirent autour de la même 
table, et les vins de France achevèrent de rendre 
… cette réunion des plus gaies. En dehors du cercle de 
lw danse, la conversation était partagée entre les 
affaires commerciales et les affaires politiques. Les 
négociants paraissaient espérer beaucoup de voir bien- 
tôt le port de Samarang jouir d’une franchise parti- 


bu - 
à 


16 5) OUR MIN ENENEE 


1839. ste celle s recevoir me: ( 
« Septembre. | 


ee Lu des tien se o foi ant it & 
espoir, ont donné une gra exiension èle a 


D nd ss cette nouvelle vole. s0 nombre de 
_ces spéculateurs se trouvait M. Vitalis, ancien. mil. 
_ taire français actuellement engagé dans une des plus 
grandes entreprises de plantation et de fabrication. 1 
_de sucre. CE 
_ Quant aux affaires EE la dernière guerre. 
de Java en faisait tous les frais; on paraissait même si 
fort peu se préoccuper des succès des Hollandais 
dans l’île de Sumatra. Cette guerre paraît avoir for— ; 
tement ébranlé le pouvoir hollandais , et son souve- 
nir rend encore soucieux les habitants du pays. La 
garnison de Samarang n’est pas forte; il y a quelque 
temps, des renforts ayant été demandés pour l'ar- 
mée qui combat à Sumatra, elle n'avait pu se dé. | 
garnir que d’une Opens tellement on estencore 
sur le qui-vive. Il n’y a pas bien longtemps que lat 
titude de la population tendait à faire craindre fa. h 
levée prochaine de boucliers. Il était probable qu'elle 
prendrait les armes à la première occasion favorabl 
Telles étaient les assertions de plusieurs officiers de la 
milice, qui paraissaient convaincus que si un 
influent, tel que le prince de Solo, venait à f 
appel aux armes, une révolte génial ser: 
- nente. Enfin, dans les différents groupes de ea 


ET re RE *: 


+ | DANS L'OCÉANIE. 7 
on n’entendait que des plaintes sur la décadence ra- 
pide du commerce de Java. Tous, ‘sans exception, se 
plaignaient fortement de la Tube du gouverneur 


4 


énéral, pour lequel ils montraient trop de sym- 
athie. 
P2.La médisance avait aussi son tour : mes officiers et 
… moi-même nous trouvimes plus d'une personne 

parmi les invités qui vinrent charitablement chuchot- 
ter à nos oreilles de malignes insinuations sur [a réu- 
_nion à laquelle nous assistions. On nous dit que la 
fête eût été bien plus brillante si la haute société de 
-Samarang ne s'était fait un scrupule de paraître à 
“une assemblée où devaient se trouver des personnes 
-de sang mêlé. Le sot préjugé qui, dans les colonies, 
- tend à établir des différences si tranchées entre le 


\ 


RE. ae is 


multre et les Européens, existe ici dans toute sa 


force, et en outre il règne une très-grande démar- 
cation entre les familles nobles, les En s 
les marchands et les métis malais. 
Nous rencontrâmes encore chez M. Tissot le capi- 
taine Thébaud, commandant un navire de commerce 
… français, arrivé le matin sur la rade; il venait de Ba- 
tavia, où, à ce qu'il nous assura, il n’était encore bruit 
que de notre dernier passage. « Les officiers français, 
_ disait-on, ont crevé trente chevaux à pros la 


1839. 
Septembre. 


ville Le une tenue négligée pour insulter à la po- 


pulation ; ces officiers ne portaient le plus souvent 


qu'une seule épaulette, etc., etc. » Ces nouvelles 


. ajoutérent beaucoup à notre hilarité ; la soirée fut des 
à plus gaies. IL était près de deux heures du matin que 


1839. 


Septemb 


re. 


reconnaissance. Chacun des officiers prit congé, 


18 - de (VOYAGE 
personne ne songeait Moore à au mr 


: Banda, de Makassar. Nous avions retrouvé per 


se quitter. Les adieux furent amers ; des 
Nous avions reçu à Samarang une réceptiol 
cédait en rien à celle de Ternate , d’An 


che et cordiale hospitalité hollandaise si pro) 


: Ë 


laisser au voyageur de doux souvenirs-et une sincère 


de 


7 


ses nombreux amis et regagna le bord. Quant à moi, : 
je passai cette dernière nuit à terre, et je ne rentrai : 
que le lendemain à sept heures nr matin , lorsque ï 
déjà nos corvettes n’attendaient plus qu mon arrivée 


pour déployer leurs voiles. 


* Notes 2, 3, et 4. 


DANS L'OCEANIE. 49 


CHAPITRE LVL 


Traversée de Samarang à la baie des Lampongs (ile Sumatra ). 
— Séjour sur la rade de Rajah-Bassa (baie des Lampongs ). 


Nous attendimes quelque temps encore les canots 
qui, sous les ordres des officiers chargés des obser- 
vations astronomiques, étaient allés une dernière fois 
à terre ; le vent était au nord, il nous fallut courir 
des bords pour nous éloigner de la côte. À la nuit, 
nous avions gagné le large; mais aussi le vent était 
tombé, et nous ne pümes faire route que très-lente- 
ment. La surface de la mer était sillonnée par de 
nombreux serpents au-dessus desquels voltigeait un 
grand nombre d'oiseaux. Le 3 octobre seulement, 
nous pümes faire bonne route sur Batavia. Nous aper- 
cümes tout près de nous un bâtiment du commerce 
hollandais, qui trainait à sa remorque une espèce de 
radeau sur lequel était un canot renversé. Nous pen- 
sames que les madriers qui formaient le radeau, ainsi 
que le canot, étaient les débris d’un naufrage. Nous 
ne coMmMuniquAmMes point avec ce bâtiment ; il sem- 

VIT. ke 


1839. 
30 Septembre. 


3 Octobre. 


1839, 
Octobre. 


50 VOYAGE | 

blait se diriger comme nous sur Batavia. Mon in- 
tention étant de ne faire qu'un très-court séjour sur 
cette rade, Je ne voulus point engager nos corvettes 
jusqu’au fond de la baie. Le lendemain, à trois heures 
de l'après-midi, nous laissàmes tomber l’ancre par six 
brasses de fond, à un demi-mille de la petite île 
Leyden. 

Aussitôt j'expédiai à terre un canot commandé par 
un élève, afin d'y conduire M. Ducorps , chargé d’ac- 
uiver l’envoi de nos vins et de régler les comptes du 
fournisseur. Je disposai ensuite du reste de ma soirée 
pour aller faire, avec M. Dumoulin, une prome- 
nade sur l’île voisine du mouillage; nous la trouvames 
envahie’ par des moustiques qui ne nous laissèrent de 
repos que lorsque nous fümes plongés dans l’eau. Cet 
îlot est formé par un pâté de corail recouvert par du 
sable sur lequel ont pris racine quelques chétifs ar- 
brisseaux. Ses seuls habitants sont des rats, qui parais- 
sent y être très-nombreux. Cet ilot sert aussi de lieu 
de sépulture, car nous y remarquâmes des fosses ré- 
cemment creusées. La rade de Batavia présentait de 
là un coup d'œil très-animé. J’aperçus avec plaisir, 
au milieu des navires mouillés sur la rade, le pavillon 
français , flottant en six ou sept points différents. La 
pluie nous chassa de cette petite terre, et nous força 
à regagner le bord vers neuf heures du soir. Le 
canot que j'avais envoyé à la ville n’était point encore 
de retour ; il lui avait fallu près de trois heures pour 
atteindre le rivage. Il ne rentra qu’à une heure avan- 
cée de la nuit. 


DANS L'OCÉANIE. 51 

Le lendemain de bonne heure, plusieurs praos 
malais apportèrent à nos navires nos provisions de 
vin et de fromage, qui furent immédiatement em- 
barquées ; mais il nous fallut attendre l’arrivée de 
M. Ducorps, qui ne rentra que vers onze heures. Du 
reste , le calme le plus complet régnait sur la rade. 
Les navires qui avaient appareillé dans la matinée 
s'étaient à peine éloignés de la terre. M. Ducorps avait 
éprouvé les plus grandes difficultés pour regagner le 
navire. Privé d'embarcation , il n'avait pu à aucun 
prix décider les Malais à le reconduire à bord. En- 
fin , il avait fini par trouver un bateau qui, moyen- 
nant le prix excessif de 30 francs, avait élé mis à sa 
disposition pour gagner le bâtiment français le plus 
proche de la ville, et il dut à l’obligeance de M. Pau- 
lin, second du navire où il avait abordé, de pouvoir 
atteindre l’Astrolabe. 

Malgré mon impatience de remettre sous voile, je 
dus attendre le lendemain pour continuer ma route 
en longeant la côte de Java ; nous uülisimes cette 
traversée pour faire l’hydrographie des terres en vue. 
Le 7 octobre, à midi, nous entrions dans le détroit de 
la Sonde. La brise était très-forte et contraire à notre 
twajet; il fallut louvoyer avec une mer dure. Le dé- 
troit de la Sonde est constamment sillonné par un 
grand nombre de navires de toutes nations ; nous 
reconnümes avec plaisir les couleurs françaises sur 
l'un d'eux, qui, en passant près de nous, nous salua 
du pavillon. Malgré le vent contraire , nous franchi- 
mes assez viie la partie du détroit la plus resserrée 


1839. 
5 Octobre. 


1839. 
Octobre. 


p 


O2 VOYAGE 


et la plus encombrée de petits îlots. Nous jetâmes en 
passant un coup d'œil sur Anjer, petite ville char- 
mante, entourée de riants coteaux, au milieu de la- 
quelle on aperçoit une colonne mortuaire érigée à 
la mémoire d’une des 1llustres victimes de la guerre 
javanaise. Les bâtiments qui parcourent le détroit de 
la Sonde peuvent, dit-on, se procurer à Anjer de 
l'eau et des provisions fraiches en très-peu de temps 
et même sans y mouiller. Il y a toujours des citernes 
et des bateaux disposés pour leur en envoyer, lorsque 
le temps le permet. On expédie à chaque bâtiment 
une pirogue chargée d'inscrire son nom sur des re- 
gistres que l’on envoie ensuite à Batavia. Au moment 
où nous nous présentämes devant Anjer , la brise était 
très-fraiche et la mer très-creuse ; nous vimes bien, 
en effet, une pirogue qui se détachait du rivage pour 
se diriger vers nous ; mais elle ne put nous atteindre. 
Nous avions perdu cette résidence de vue, lorsque la 
nuit arriva. 

Le lendemain, nous nous approchâmes de la côte 
de Sumatra, du côté de la baie des Lampongs ; je 
reconnus facilement les trois petits ilots appelés les 
Trois Frères , qui indiquent le mouillage de Rajah- 
Bassa. À neuf heures, nous n'’étions plus qu’à un 
mille de terre, en face du village de Tchanty, et 
nous laissèmes tomber l'ancre par quinze brasses de 
fond. 

Le mouillage de Rajah-Bassa n'offre un abri assuré 
que pour les praos malais et les petits navires. Le 
rivage est formé par une belle plage de sable sur la- 


LA 
# 


DANS L'OCÉANIE. 53 


quelle le débarquement est facile, mais 1l n’y a pas 
debaie. Les grands navires sont obligés de mouiller 
en pleine côte ; seulement, les îles qui embarrassent 
le détroit les défendent un peu des vents du sud. 
Le rivage est bordé par un petit récif, qui s'étend 
presque au niveau de l’eau et forme un abri suffisant 
pour les praos malais; nous en trouvèmes trois de- 
vant ce mouillage. Ces bateaux sont employés à faire 
le cabotage entre les différents points de la côte ; tous 
portaient le pavillon hollandais, qui flottait aussi au- 
dessus du village. 

L'aspect de la terre, vue du mouillage, est des plus 
ravissants. Sur le bord de la mer, on n’aperçoit d’a- 
bord que quelques habitations; le village est à quel- 
ques pas dans l’intérieur. Il se compose d’un groupe 
de maisons, dont on entrevoit à peine les toitures à 
travers l’épais feuillage qui les ombrage. La côte est 
dominée par une belle montagne, couverte d’une 
végétation admirable, et qui donne naissance à plu- 
sieurs cours d'eau. Deux petits ruisseaux viennent 
se jeter à la mer tout près d’une touffe de feuillage. 

L'eau de Rajah-Bassa est réputée pour ses bonnes 
qualités, aussi nous songeàmes à utiliser notre relà- 
che, pour remplacer celle que nous avions consom- 
mée depuis Samarang. Aussitôt mouillés, les embar- 
cations furent mises à l’eau. Nos grands canots se 
dirigèrent vers l’aiguade, les autres furent mis à la 
disposition de MM. les naturalistes et les officiers 
chargés dy faire des observations; les habitants nous 
témoignèrent, dès notre arrivée, de leurs bonnes dis- 


1839. 
Octobre. 


PI. CLI. 


1839. 
Octobre. 


54 VOYAGE 


positions à notre égard. Une multitude de pirogues 
montées chacune par deux ou trois hommes, nous 
apportèrent des cocos, des bananes et des poules 
qu'ils échangèrent volontiers contre des couteaux , 
des mouchoirs ou de l'argent. Les premiers officiers 
qui débarquèrent à terre furent reçus amicalement ; 
ils rencontrèrent le chef du village, qui, armé de la 
canne à pomme d'argent, indiquant sa dignité d'o- 
rang-kaya, se disposait à venir à bord. Déjà un na- 
turel s'était présenté à moi, en m'apportant un 
panier de fruit en cadeau; je le refusai, ce qui ne 
l'empêcha pas de me demander plus tard des fusils 
et de la poudre, et de me faire toute espèce de cajo- 
leries pour obtenir ces objets; je lut offris de le satis- 
faire s’il voulait m'apporter des bœufs ou des cochons ; 
mais alors il fit semblant de ne pas me comprendre, 
et il plaça la conversation sur un autre terrain. Le 
chef se présenta quelque temps après sous le titre de 
radja où Rajah du lieu. C'était un homme d’une figure 
agréable et de manières assez décentes. Il me montra 
un certificat portant la signature de Raffles, constatant 
son autorité, puis immédiatementil me demanda deux 
livres de poudre, un grand couteau, une bouteille de 
vin et du papier en échange d’un sac de café. Il parut 
très-désappointé lorsqué je refusai, et lorsque je lui 
annonçal que nous ne faisions point de commerce. 
I me dit que les habitants n'étaient point des Malais, 
mais des Lampongs. Je le questionnai encore pendant 
quelque temps pour connaître quelles étaient les pro- 
visions du village, puis je me fis donner les noms des 


DANS L'OCÉANIE. 55 
terres qui étaient en vue , et enfin je le congédiai, 
après lui avoir fait servir un verre de vin. Je dois 
ajouter qu'en voyant le plaisir qu’il éprouvait à dé- 
guster ce liquide prohibé par la religion de Mahomet, 
j'aurais pu facilement douter que mon visiteur était, 
comme il le disait, un fervent sectateur de l’islamisme. 

Il y avait déjà longtemps que j'entendais dans la 
forêt des coups de fusil tirés par nos chasseurs, lors- 
qu'à une heure je descendis à l’aiguade où je trouvai 
nos marins occupés àremplir leursbarriques au milieu 
d’une foule d'enfants et d'habitants qui les regar- 
daient. L'eau était excellente et très-facile à faire, 
dans ce ruisseau abondant, qui serpentait gracieuse- 
ment au milieu de bosquets d’une délicieuse fraîcheur. 
Je me mis ensuite à chercher le village. La plage ne 


_ présentait qu’une forêt de cocotiers , quelques habita- 


tions isolées s’y faisaient remarquer ; le village était 
assis à une cinquantaine de mètres au-dessus du 
niveau de la mer, à cinq cents pas du rivage. Une qua- 
rantaine de maisons étaient groupées là sur le pen- 
chant d’une colline; toutes étaient bâties à la manière 
des Malais, sur pilotis, recouvertes en chaume, et 
construites presque en entier avec des bambous. Leur 
charpente laissait voir cependant quelques pièces de 
bois parfaitement sculptées. Sur la base où se trouvait 
Ja porte, le toit débordaït de plusieurs pieds et ser- 
vait à abriter l'espèce d'escalier qui y conduit. Toutes 
étaient fermées, et nous ne rencontrâmes personne qui 
parût disposé à nous les ouvrir pour les visiter. À no- 
tre approche, nous avions aperçu plusieurs femmes 


1839. 
Octobre, 


PI, CLIT. 


1839. 


Octobre. 


96 VOYAGE 


vêtues d’un simple sarong, qui avaient fui à notre 
approche; nous pensâmes qu'elles s'étaient réfugiées 
dans ces habitations, où, en véritables croyants de la 
religion de Mahomet, leurs maris les tenaient renfer- 
mées à l'abri du regard profane des étrangers infi- 
dèles. Au milieu de ce petit village s'élevait la mos- 
quée, qui n'avait rien de remarquable, sinon que les 
murs étaient construits en briques; du reste , c'était 
la seule maçonnerie de l'endroit. En faisant le tour 
de cet édifice, je fus aperçu par mon ami l'orang- 
kaya, qui était venu me rendre visite à bord;til s’ap- 
procha de moi; puis, me prenant par la main, il 
me conduisit dans sa demeure. Je fus étonné du con- 
fortable que j'y rencontrai; il me fit servir de l'eau 
de coco dans de beaux verres posés proprement sur 
de belles assiettes en porcelaine, et en me montrant 
un assez beau service à thé, il m'offrit de me faire pré- 
parer’ du café. J'avais hâte de parcourir les alentours 
du village, et je le quittai très-satisfait de son hospi- 
talité. En m'accompagnant, il me conduisit sous un 

vaste hangar attenant à son habitation, qui était rem- 
pli de poivre récolté dans le pays. 

J'ignore si cette peuplade, qui reconnaît la suze- 
raineté hollandaise, peut trafiquer librement de.ses 
denrées avec les navires étrangers ; mais ce qu'il ya 
de certain, c’est que ce chef me fit beaucoup d’ins- 
tances pour me vendre sa marchandise, qu'il esti- 
mait au prix de 12 florins le picol. Je fus enchanté de 
la réception de cet homme, dont l’hospitalité ne fit, 
à ce qu’il paraît, défaut à aucun des officiers de l'ex- 


DANS L'OCÉANIE. 57 


pédition. « Je reçus un accueil des plus aimables, dit 
M. Dubouzet, de l'orang-kaya, nommé Bassan-An- 
gara, auquel j'avais fait quelques présents; ce brave 
homme très-simple se mit en frais pour moi, et il 
ne voulut pas me laisser partir sans prendre du thé. 
J'appris de lui que tout le pays des Lampongs forme 
une nation à part dans la grande île Sumatra (Inda- 
lass), dont la langue, bien différente de celle des Ma- 
lais et des Javanais , a des caractères particuliers que 
lui, homme letiré, connaissait parfaitement, et dont 
il me donna un alphabet. » Ce chef, questionné sur 
les animaux qui se trouvaient dans les environs du 
village, me répondit qu'on y rencontrait beaucoup de 
singes et quelquefois des sapi-outangs. Il faut aller 
sur la montagne pour trouver le rhinocéros, l’élé- 
phant et le tigre, qui quelquefois étend ses ravages 
jusque dans les villages situés près de la mer. Les 
habitants possédent, comme animaux domestiques, 
quelques rares moutons dont ils ne voulurent pas se 
défaire, mais ils n’élèvent pas de cochons. 

Au milieu du village, il existe une place à peu près 
carrée et garnie de beaux arbres, puis de tous côtés 
on aperçoit de nombreux sentiers qui conduisent dans 
l'intérieur. Tout autour des maisons , nous vimes 
d'abondants pâturages et de nombreuses rizières en- 
tretenues par des eaux claires et abondantes. En en- 
trant dans les forêts, nous aperçûmes encore une foule 
de plantations de poivre dont la vue nous était mas- 
quée par les grands arbres sur lesquels viennent s’ap- 
puyer les plantes qui le produisent. Les habitants 


1839. 
Octobre, 


PI, CTI. 


1839. 
Octobre. 


38 VOYAGE 
après avoir planté le poivre, lui donnent généralez. 
ment pour tuteur une branche d'arbre qui prend ra- 
pidement racine dans le sol et qui finit par produire 
des arbres d’une grande hauteur. La liane du poivre 
s’enroule autour du tronc $ans s'élever jamais à une 
hauteur égale à celle de ces tuteurs. Tous ces arbres 
étaient alignés et également espacés, leurs pieds étaient 
débarrassés de toutes les herbes parasites; enfin, ces 
plantations paraissaient tenues sur le meilleur pied. 
Une multitude de petits écureuils, à la queue très- 
fournie et très-belle, jouaient sur les branches de ces 
arbres majestueux, et, de distance en distance, nous 
distinguions des troupes de singes, surprises sur le 
bord des ruisseaux où elles respiraient la fraîcheur, 
s'élancer dans les touffes des bambous pour fuir l’ap- 
proche de leurs ennemis. Je passai le reste de ma 
journée à promener et à chasser les insectes qui y 
étaient fort nombreux , mais dans tous ces lieux hu- 
mides nous rencontrions des foules de petites sang- 
sues, qui, malgré nos vêtements, s’attachaient à nos 
jambes pour ne plus les quitter que lorsqu'elles s’é- 
taient gorgées de sang. 

La pluie me força de regagner le bord, j'étais à 
peine rendu à l'échelle de l’Astrolabe, que dés grains 
nous amenèrent beaucoup d’eau et de vent. La mer 
devint houleuse , et nos corvettes commencèrent à 
rouler, ce qui rendait notre mouillage fort ncommode. 
Pendant toute la nuit, le temps ne cessa d’être à l’o- 
rage, et la journée du 9 s’annonça sous les auspices 
les plus fâcheux. M. Jacqumot m'avait appris qu'il 


DANS L'OCEANIE, 59 


comptait déjà à son bord sept ou huit hommes atteints 
de fièvre et de dyssenterie; le rapport du matin du 
médecin de l’Astrolabe constata deux cas nouveaux 
parmi les marins de ce navire; je redoutais beau- 
coup de voir nos équipages envahis par ces terribles 
maladies, si fréquentes sur les côtes de Java; cepen- 
dant, comme aucun cas grave ne s'était présenté 
jusque-là, je résolus d'attendre encore vingt-quatre 
heures avant de prendre une résolution. 

La veille, nos chasseurs avaient été heureux; ils 
avaient rapporté plusieurs oiseaux fort beaux, quel- 
ques singes, beaucoup d’écureuils dont la chair avait 
été trouvée fort délicate, et enfin deux daims d’une 
espèce fort petite, mais de formes très - élégantes. 
Malgré la pluie qui continuait à tomber par grains 
assez fréquents, ils s'étaient fait mettre à terre de fort 
bon matin pour explorer de nouveau le pays. 

. Pendant la matinée, nos corvettes furent visitées 
par un grand nombre de pirogues qui nous appor- 
tèrent des provisions en abondance et une très- 
grande quantité de coquillages ; un naturel vint offrir 
à la Zélée une tortue pesant plus de cent livres, 
qu'il abandonna pour la modique somme de cinq 
francs. Sa chair fut trouvée délicate et d’un goût dé- 
licieux. Nous engageâmes, par tous les moyens en 
notre pouvoir, les naturels à nous en apporter un 
grand nombre pour le lendemain. Je ne prévoyais pas 
que nous devions manquer au rendez-vous que nous 
leur avions donné. Bientôt nous vimes tontes ces em- 
barcations s'éloigner du rivage pour aller sur les îles 


1839. 
9 Octobre. 


1839. 
Octobre. 


60 VOYAGE 


voisines, pêcher les tortues que nous avions deman- 
dées, et pour lesquelles nous leur avions offert des 
prix fort élevés. Le propriétaire d’un bateau malais 
qui, du rivage de Java où est assise la ville d’Anjer, 
nous avait vu nous diriger de ce côté, accosta aussi 
nos corvettes avec quelques sacs de patates qu’il nous 
vendit. Il nous donna lieu de supposer qu’il n’avait 
pas fait un pareil voyage pour un si petit bénéfice, 
mais nous pensâmes qu'il avait probablement été en- 
voyé pour nous observer. Toute cette partie de la 
côte de Sumatra reconnaît, du moins nominalement, 
la souveraineté de la Hollande; cependant la com- 
pagnie n’a aucun établissement permanent dans la 
baie. Il y a là plusieurs petits villages, qui ont pour 
chefs de petits radjas, dont les principaux reçoivent 
une subvention du gouvernement de Batavia, à la 
condition de rester tranquilies et de ne jamais s’allier 
à ses ennemis. Le village de Tchanti dépend de Rajah- 
Bassa, qui se trouve à cinq milles dans l’est, et qui a 
donné son nom au mouillage. Du reste, toute cette 
côte ne présente aucun abri et est assez difficile à 
aborder. 
Je ne quittai le bord que dans l'après-midi, et je 
m'avançai dans l’intérieur, en suivant un joli sen- 
tier qui me conduisit au pied de la montagne à un 
deuxième village moins considérable que celui de 
Tchanti, mais comme lui entouré de belles prairies 
et d’abondantes rizières. Nos chasseurs avaient fait 
de ce lieu leur point de rendez-vous ; ils avaient 
ajouté quelques beaux échantillons à leurs captures 


DANS L'OCÉANIE. 61 


de la veille. Presque tous avaient les jambes cou- es 
. vertes de plaies faites par les sangsues qui vivent | 
en grand nombre dans ces rizières , et qui, après les 
pluies de la nuit, se trouvaient même répandues sur 
tous les points de la forêt. MM. Dumoulin et Hom- 
bron, suivis de deux hommes, avaient fait de vaimes 
tentatives pour atteindre le sommet de la montagne 
et traverser la forêt ; les naturels, qui d’abord s'étaient 
présentés en très-grand nombre pour leur servir de 
guides, s'étaient peu à peu éloignés d'eux, lorsqu'ils 
les avaient vus bien résolus à gravir la montagne. 
Tous ces-hommes leur disaient constamment que 
cette ascension était très- dangereuse, à cause du 
grand nombre de tigres qui y ont leur repaire; et 
lorsqu'ils virent que leurs conseils ne parvenaient pas 
à arrêter nos chasseurs , ils finirent par les aban- 
donner. Ces messieurs essayerent inutilement de tra- 
verser la forêt, elle était tellement compacte et em- 
barrassée par des lianes, qu'ils durent y renoncer. 
Nous opérions notre retour tous ensemble, lorsque 
nous fûmes accostés par un des matelots de la Zélée, 
homme de confiance de M. Jacquinot, qui déclara à 
son capitaine qu'il venait d’être volé. Ce fait nous 
étonna d'autant plus que les indigènes, habitués à 
Noir des navires européens et à trafiquer avec eux, 
nous avaient toujours paru doux et bien Intentionnés. 
Ce fut pour nous une nouvelle preuve qu’il ne faut 
pas toujours se fier aux apparences chez des hommes 
habitués à dissimuler; l'on doit constamment se tenir 
sur ses gardes contre leur penchant à s'approprier les 


. 1839. 
Octobre. 


62 VOYAGE 

objets qui peuvent les tenter ; comme on le sait, tous 
les peuples sauvages sont rusés et voleurs, souvent 
même parmi eux le vol est un honneur passé dans 
leurs mœurs ; les habitants de Sumatra, quoique au- 
jourd’hui sujets hollandais, n’ont pas encore renoncé 


08e 


à ces funestes habitudes. Voici du reste le récit de cet ” 


événement. 

M. H. Jacquinot avait confié son fusil double à un 
matelot, chargé de lui tirer quelques oiseaux: Celui-ci 
avait choisi, dans le village, un naturel pour le gui- 
der dans la forêt et vers les lieux fréquentés plus par- 
ticulièrement par les oiseaux qu'il cherchait; cet 
homme, pendant quelque temps, affecta beaucoup de 
zèle à lui signaler le gibier, et, aussitôt que le chas- 
seur avait abattu une pièce, son guide s'empressait 
d’aller la ramasser. Pendant plus de deux heures, 1l 
chercha, par sa conduite, à capter la confiance du 
matelot qu'il voulait dévaliser. Enfin, soutenant 


toujours son rôle, il parvint à conduire notre chas- 


seur au milieu d’un fourré très-épais où un oiseau fut 
visé et abattu. La difficulté était ensuite de pénétrer 
dans ce fourré pour irouver le gibier qui venait d'y 
tomber. Deux personnes n'étaient pas de trop pour 
cette recherche. Le sauvage fut le premier ày péné- 
trer en engageant le matelot à suivre son exemple et 
à abandonner momentanément son arme, qui l’eüt 
gèné dans ceile recherche. C'était là le but que se 
proposait le Malais, depuis le commencement de la 
promenade, et 1l fut prompt à exécuter son dessein. 
Profitant du momeni où le matelot était engagé dans 


DANS L'OCEANIE. 63 
les lianes, il s’'empara du fusil, objet de sa convoitise, 
et il s'enfuit à toutes jambes. Connaissant les locali- 
tés, il ne lui fut pas difficile de se mettre en sûreté; le 
matelot, désappointé, fit de vaines recherches pour 
retrouver cet effronté voleur : il avait disparu déjà 
depuis longtemps, lorsqu'il parvint à se débarrasser 
du fourré dans lequel ïi avait eu l’imprudence de 
s'engager. Il est facile de comprendre, d’après ce fait 
particulier, combien les navires de commerce, qui 
viendraient sur cette côte pour compléter un charge- 
ment de poivre , auraient de précautions à prendre 
pour ne pas être les dupes de ces adroits et audacieux 
voleurs. | 

J'avais annoncé aux officiers que je consacrerais 
trois journées entières à cette relâche, et, en me re- 
tirant le soir, riche de plusieurs beaux échantillons 
d'histoire naturelle, je formais de beaux projets de 
promenade pour le lendemain ; je croyais aussi qu’il 
était de l'intérêt des bâtiments du commerce qui nous 
suivraient sur cette côte, de ne pas laisser impuni le 
vol commis au préjudice du capitaine de la Zélée, et 
ma première visite à terre devait être pour l’orang- 
kaya, à qui j'avais déjà porté plainte de cet attentat, 
en lui demandant satisfaction. Mais le rapport mé- 
dical du lendemain matin vint constater deux nou- 
Yeaux cas de dyssenterie; comme je l’ai déjà dit, la 
Zélée comptait sept ou huit malades sur les cadres ; 
quant à l’Asérolabe, pendant les deux jours qu’elle 
venait de passer sur cette rade, elle avait eu quatre 
de ses marins atteints de la même maladie. J'étais 


1839. 
Octobre. 


10 


1839. 
Octobre. 


64 VOYAGE 
loin cependant de redouter encore les terribles ré- 


sultats qui, à quelques jours de distance, devaient 


peser sur nos équipages, mais, craignant pour leur 
santé , le voisinage des côtes de l’archipel indien, si 
malheureusement célèbres pour les maladies qu’elles 
engendrent, je ne voulus pas rester un instant de 
plus sur ce mouillage où notre séjour s’annonçait 
sous de si fâcheux auspices, et, renonçant à tous les 
avantages qu’un jour de plus, passé sur cette terre, 
aurait procurés à nos naturalistes, je donnai immé- 
diatement l’ordre de se préparer au départ. L’Astro- 
labe était encore au grand complet, personne n'était 
descendu àterre. Plus matinal, l’état-major de la Zé- 
lée comptait plusieurs officiers qui déjà étaient partis 
pour la chasse, mais qui, heureusement, ne s'étaient 
point encore éloignés de la plage. Deux coups de ca- 
non et le pavilion de partance hissé en tête de mât, 
les rappelèrent, et, à neuf heures du matin, nos cor- 
veltes étaient sous voiles *. 


© Notes 5,6, 7, et 8. 


Jai. Le ntitint 


AS. « " 5 abte FONE m7 7 EST LEMET ET 
G De : 7" 


OGÉAN IE. DR |. 
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e “e es ee Lampongs Gite Sumatra) à |Hobar - 
Un Town sie de NE HE es 


des riens qui ont fréquenté le sn 1839. 


le de Lu js nié pour 
ia nn He les FOIE et les 


lpar des terrains bas et marécageux, dédHe 
quer cette influence funeste sur la santé des Eu- 


a 


que Lu dans leûr redoutable + VOISi- 


€ Hénidie île , les dues ds Su- 
sont à peu près pariout formés 


140 Octobre. 


A _ VOYAGE 


1839. par des terrains d'alluvions, sur les 
Octobre. : 


est ordinairement baigné par les eau 
végétaux accumulés sur un sol vaseux doi 
décomposer rapidement sous l'influence d’ 
leur qui atteint presque toujours 30 degrés d du 
momètre centigrade , et répandre dans l'atmosp M 
des miasmes délétères, funestes à la santé des ma 
rins. C'était pour cette raison que je redoutais" 
tamment, à chaque nouvelle relâche de l'expédi- 
tion , de voir la fièvre ou la dyssenterie, ces 
terribles fléaux des pays tropicaux , assaillir nos 
équipages et renouveler les scènes de deuil et d 
mort auxquelles javais assisté dans mon précédent 
voyage, à la suite d’un séjour de moins d’un mois Sur ‘1 
les rivages de l’île Vanikoro. I avait fallu des calmes | Î 
aussi constants que ceux que nous avions rencontrés 4 1 
en quittant Samboangan et les courants rapides « “ee *! 
ensuite nous emportièrent malgré nous dans le sud, 
pour me faire renoncer au projet de rentrer dns. ! 


me ramener, ral ma répugnance dan ces par 
rages dangereux. Les contrariétés que nous rencon— 
trâmes ensuite dans le détroit de Makassar, la pro: - 
mité de NtErxeS bordées 5, comme celles dePanarong, € de 


EXCESSIVES QUE NOUS y éprouvâmes , accompag 
De a00nAan IS see FRS ; 


LM», 
‘sn . À 
SE ÉRPR (a ML » 


éd dde . 1, 


DANS L'OCÉANIE. 67 
nous n'avions pas senti le besoin impérieux de refaire 


des vivres et de réparer nos navires, avant d’entre 


prendre la longue traversée par laquelle nous devions 


gagner le climat plus tempéré d’'Hobart-Town. En quit- 


tant Samarang, j je me félicitai smcèrement de voir nos 


marins pleins de courage et de santé. Je croyais alors 
avoir échappé à l'influence funeste de ces mers, j'étais 


loin de m’attendre que quelques jours plus tard, sur 
une côte comme celle de la baie des Lampongs, parais- 
sant réunir toutes les conditions d’une salubrité par- 
faite, je serais obligé de fuir devant le fléau des mala- 


 dies, en emportant avec nous le germe de ces ter- 


ribles épidémies qui frappent indistinctement sur 
tous les hommes d’un équipage, quels que soient leur 
âge et leur position. Au moment où nous remimes à 
la voile , rien ne présageait encore les dangers dont 
nous étions menacés. La Zélée comptait, comme 
nous, sur les cadres, quelques hommes atteints par 
les fièvres et la dyssenterie, mais aucun d’eux ne pré- 
sentait des symptômes graves pouvant faire craindre 


… pour leur vie, et nous étions alors tous intimement 


convaincus que ces maladies disparaîtraient bien vite, 


. lorsque nous aurions atteint la température favorable 


des latitudes plus élevées. 
Mon impatience à m'éloigner de la côte fut d’abord 


mal secondée par les vents. Une faible brise du S. 0. 


mous permit à peine de nous approcher de la ligne 
formée par les îles Poulo-Tiga et Saradang, et nous 
ne pümes dépasser celle-ci que vers sept heures 
du soir. Cette circonstance permit aux naturels de 


1839. 
Octobre. 


1839. 
Octobre. 


nous accompagner dans leurs pirogues pendar 


68. à. VOYAGE 


que | toute la journée, pour nous vendre le peu de pre 
visions 4 ils avaient apportées. Ces Fo ” 


preuve de bonne foi; et, certes, si nous de & #0 
les juger sur ces apparences, je n'aurais eu que des. 4 
éloges à en faire. Mais je ne pouvais oublier le vol : 4 
fait à un matelot de la Zélée, d’un fusil de chasse, « 
et l'air d'insouciance avec lequel le chef du village 
avait appris cet attentat commis par un de ses subor- 
donnés; un nouveau fait, que je n'ai appris qu'au- 
jourd’hui, est venu encore confirmer les doutes que ” 
je conservais sur les sentiments de probité que ces 
hommes à demi civilisés affectaient dans leurs dehors, 

et qui sont si propres à faire abandonner aux voya=— 
geurs les méfiances que j'avais pour tous les peuples 

sauvages. Hier, M. Ducorps se promenait dans le vil 
lage, en cherchant à acquérir quelques bestiaux pour 
l'équipage ; n'écoutant qu'un zèle louable pour tâcher 
d'obtenir de ces hommes quelques vivres frais, ileut 
l'imprudence de montrer à deux naturels une pièce 
d'or qu'il portait dans sa poche. Dès ce moment * 
ces deux indigènes s’attachèrent à ses pas, et bien 
qu'ils ne se en point concertés ensemble sur 
les moyens de s'approprier l'or qu'ils ävaient vu, 4 
ils Pre api comme s'ils < ts Re 


+ 


DANS L'OCÉANIE. 69 
raissant chercher des oiseaux dans la forêt, où 
M. Ducorps s'était engagé, comme s'ils n’avaient eu 
d'autre désir que celui de diriger cet officier dans 
sa chasse et d’en assurer le succès, ces hommes 
à Avaient conservé une allure suspecte qui n'avait pu 

Jui échapper. Déjà M. Ducorps, soupçonnant de 
mauvaises intentions à ses guides, se tenait sur 
la défensive, lorsque ceux-ci, apercevant des oï- 
seaux dans la forêt, renouvelèrent leurs insistances 
auprès de cet officier pour qu’il déchargeñt son arme. 
Jusque-à, M. Ducorps, rendu prudent par ses soup-- 
cons, avait résisté à toutes les tentations de ce genre, 
ilse refusa encore à leurs désirs. Il vit alors les deux 
—… naturels se rapprocher, échanger quelques mots, puis 

- se séparer et chercher à se placer, l’un devant lui, 
l’autre derrière. En même temps il remarqua que l’un 


d'eux portait la main à son kriss, dont il tenait la lame 


à moitié dégagée du fourreau ; aussitôt pour lui ses 


doutes se changerent en certitude, et il crut le mo- 


… ment venu de faire une démonstration décisive , 
et de leur prouver qu'il avait deviné leur machi- 
nation criminelle. Il se retourna vivement, et met- 
tant en joue l’homme qui le suivait, et qui, sans 
“doute, d’après les habitudes des sauvages, était celui 
- qui devait porter le premier coup, il le somma de 
passer devant lui. Aussitôt ce malheureux se jeta 
aux pieds de l'officier, lui demandant grâce de 
la vie, tandis que son camarade, voyant le complot 
démasqué, fuyait à toutes jambes. Dès lors M. Du- 
corps n'avait plus rien à craindre, il releva son arme, 


\æ 


1829. 
Octobre... 


1839. 


Octobre. 


41 


_ la Zélée se trouvait encore à la place de la veille. ‘ 


| on autres fivierel Ceries : ces cie à 


D Er | VOYAGE 


tiels, je serais injuste de vouloir incriminerle caractère : : 
général de cette peuplade, qui aujourd’hui fait partie 
des sujets de la Hollande, mais ils prouvent au | 
moins combien on doit se méfier de ces hommes « 
à demi sauvages qui, n’ayant gagné à la civilisation 
qu'on leur a fait connaître, que des besoins, sans les 
moyens de les satisfaire, sont toujours prêts à mas 4 
sacrer l'étranger sans défense, qu les Me ont 
tenté sa cupidité. ne 

Le lendemain, à cinq heures du soir, nous étions 
encore en vue de la terre du mouillage, et tout près M 


de l’île Saradang; les naturels de Radja-Bassa nous 


avaient fait leurs adieux dès la veille, et nousneles « 
revimes plus. Pendant la nuit les courants, à l’aide 

du calme, avaient agi différemment sur les deux na- 
vires, ou bien les faibles brises qui nous venaient de M 
terre avaient été tellementirrégulières, que l Astrolabe ‘4 
était presque entièrement dégagée du canal, lorsque 


NA MS ee ie 


Toutes nos manœuvres tendirent à nous rapprocher, 4 
mais inutilement; à six heures, le tonnerre se fit + 
entendre , et bientôt nous fumes assaillis par un 
fort grain chargé de pluie, qui permit enfin à nos. 
corvettes de reprendre leur position respective 


M i 


” 1 « 


DANS L'OCÉANIE. 71 
côtés, l’un d'e eux semblait s’abaisser vers la mer: ; plu- 


_sieurs colonnes noires et ellilées CRE vers 


la surface des eaux, fort agitées. Bientôt une de ces 
colonnes prit de l'extension et vint toucher la mer 
Der une de ses extrémités , nous aperçümes alors 
une trombe bien formée : o colonne resta entière 
15 minutes environ sans éprouver de déformation, 


me puis elle se rompit et disparut. Pendant toute là du- 


OPA CPE. 


ST 


#y En r 


 rée du phénomène, le tonnerre avait cessé de gronder, 
. mais aussitôt que la colonne fut rompue, les éclairs 
_sillonnèrent le ciel dans toutes les directions, la fou- 
dre éclata et fit entendre ses roulements prolongés ; 


nous fûmes bientôt aussi assaillis de nouveau par la 


pluie, qui continua à tomber pendant toute la nuit. 


Les fortes houles du sud agitaient nos corvettes à 


. notre réveil du lendemain. Nous étions enfin rentrés 


dans le grand Océan; les hautes montagnes du détroit 
dela Sonde s’élevaient bien encore au-dessus de l’hori- 
zon, derrièrenous, mais bientôt elles nous furent mas- 


…_ quées par la pluie, qui ne cessa de tomber pendant 
- vingt-quatre heures. Ce fut au milieu des brumes 


que nous fimes nos adieux à ces belles terres hol- 
Dennis qui, à quelques j jours de là, devaient noùs 
… laire payer si cher le plaisir que nous avions eu à vi- 
» siter leurs côtes insalubres. 

Douze hommes alités à bord de la Zélée, huit ma- 


es bord de l’Astrolabe , tel est l’état sanitaire de 


Vexpédition au moment où nous laissons le détroit 
de la Sonde derrière nous, pour rentrer dans l'O- 
céan. Tous sont attaqués par la dyssenterie, mais au- 


LA 


1839. 
Octobre, 


12 


13 


Fe 


1839. 
Octobre. : 


72 | VOYAGE, LES 
cun d eux ne paraît être gravement atteint. Fra bris: 
favorables de l’alizé qui nous emportent dans Je 
l'influence salutaire de la température qu 
moins chaude chaque jour, font espérer: u 
cins une guérison prompte et hors de doute Of 
et matelots, tous savent que Hobart-Town sera no : 
première tolèche, mais ils savent aussi qu'il faut. comp- oi 
ter deux mois aù moins de traversée pour atteindre 
les rivages de la Tasmanie. Nos équipages n’ont rien 
perdu de leur gaieté, leur courage est depuis longtemps … ". 
éprouvé, et quelles que soient les é preuves auxquelles 
ils vont être soumis , ils ne devront jamais faiblir. 
Une forte brise de S. E. appuie fortement sur nos 1 
voiles ; forcées de serrer le vent pour ne pas trop tom. 4 
ber dans l’ouest, nos corvettes fatiguent.durementet 
bondissent en brisant les fortes lames que les vents M 
poussent sur leur avant. Mais nous filons rapidement 
vers le sud, chaque jour nous rapproche de Hobart— + 
Town. Chaque incident qui peut amener un peu de 
variété dans les habitudes si monotones des mate- | 
lots, est saisi avec empressement. Les gabiers: S élan 
cent dans la mâture à la poursuite de quelques oi 
seaux de mer et d une pauvre hirondelle dre | 


cher un moment de repos sur nos navires. Les pé 4 
cheurs jettent l'émérillon à la mer, et bientôt ils % 
amènent à Pr un énorme be ‘ennemi 1 jus ne | 


DANS L'OCÉANIE. 13 
guerreà des troupes innombrables de poissons volants 
bondissant à la surface des eaux. Puis, à mesure que 


nous gagnons le large, les oiseaux disparaissent, la 


mer élève toujours ses houles de 4 à 5 mètres de hau- 


“ jeur, mais elle devient déserte , les poissons volants 
. ne viennent plus effleurer dans leur vol rapide les 


crêtes des vagues écumeuses; nous avons quitté les 


eaux chaudes des tropiques et ses habitants. 

_Le 23, nous avions dépassé le 20° degré de latitude 
sud, la mer était belle et nos navires en profiterent dans 
la soirée, pour communiquer. Le capitaine Jacquinot 


‘envoya à mon bord un canot monté par un médecin, 
qui m apprit que la Z élée comptait quatorze hommes 


surles cadres, et qu'un officier, M. Pavin de la Farge, 
était pris depuis quelques jours de coliques très-vio- 
lentes ; touteiois, les rapports des médecins consta- 
taient que les malades allaient beaucoup mieux. Ces 
messieurs espéraient encore que, sous l'influence 
d'une température moins élevée , les malades ne 
tarderaient pas à reprendre leur santé. Du reste, 
le capitaine Jacquinot m’annonçait avec satisfaction 


que, malgré le grand nombre d'hommes qui se trou- 


F valent atteints par la-dyssenterie, l'équipage ne mon- 


# , 
D : É' 
‘+ 

PF, 

#1 


trait aucun découragement. Les officiers se faisaient 
- toujours remarquer par leur enthousiasme pour 


1839. 
Octobre. 


23 


Vs 


_ les succès futurs de lexpédition. La chaleur avait 


déjà singulièrement diminué. Le thermomètre variait 


entre 20 et 23 degrés centigrades. Dès la veille, sur 


l'avis des médecins, j'avais ordonné pour nos hommes 
la tenue en drap; j'engageai le capitaine Jacquinot à 


A 


1839. 
Octobre. 


29 


ques. Ainsi, rien encore dans notre situation ne pou- 


(53 VOYAGE 


dos sévissait lat à bord Fe l'Astrolabe. 
AONOnE onze malades seulement, | 


eux donnait des inquiétudes sérieuses ; Ro. 205 | 
médecins ne renonçaient pas à Ro. de le sauver 
si nous parvenions promptement à sortir des trôpis 


vait faire présager les pertes nombreuses quo nous 
devions faire à quelques jours de là. 1 
Les vents soufflaient régulièrement de l'E. s. E,, ; 
mais nos navires ressentaient l'influence d’une forte 
houle du S. S. O., qui ne me laissait aucun douteque M 
sous peu de jours nous atteindrions la zone où les # 
vents d’ouest règnent presque constamment, et qÜ'a= 
lors il nous faudrait peu de temps pour gagner Ho= 
bart-Town, où, plus que partout ailleurs, nos malades 
pouvaient espérer un prompt rétablissement. 4 
Jusqu'au 29 octobre, nous ne pümes avoir de com- 4 
munication directe avec la Zélée. Ce qui se passait M 
sous mes yeux à bord de l’Asirolabe me donnait de 


. vives inquiétudes. Le nombre des malades s'était en- 


core augmenté. Nous avions seize dyssentériques, 4 
parmi lesquels se trouvait un officier, M. Marescot,« 
alité depuis plusieurs jours. Les nouvelles de laZ élée 
étaient plus rassurantes. Ce navire comptait encore, L 
ilest vrai, treize malades, mais aucun d’eux, d’après. 
les rapports qui me furent faits, ne donnait di 


DANS L'OCÉANIE. | 7h 


 S'améliorer. M. Goupil, dessinateur de l'expédition, 


était aussi obligé de garder le lit; toutefois, rien dans 
son état n ‘annonçait des symptômes fâcheux. 
Nous étions alors par 26 degrés de latitude; les 


“ vents qui jusque-là avaient soufflé évulirémant du 
“S. E., commencèrent à mollir et passèrent ensuite au 
… 5. et S. S. O. J’espérais donc avoir bientôt atteint les 
* vents favorables de l’ouest , sur lesquels je comptais 


pour gagner la Tasmanie. Pendant quelques jours, les 


calmes nous retinrent à la même place et augmentè- 


“rent notre impatience. Les maladies étendirent leurs 
“ravages; M. Gourdin se trouva subitement pris, le 
30, de violentes coliques qui le forcèrent à se mettre 
au lit d’où il ne devait plus se relever. 


Le 1° novembre vint marquer l’époque la plus 


- désastreuse pour notre expédition. Ce jour-là, la 


brise s'établit de nouveau, et d'une manière régu- 


“lière, auS. S. E. Aussi nous dûmes renoncer à l’espoir 


de voir bientôt arriver les vents d'ouest, si impa- 


faux ponts étaient encombrés de malades. A partir de 
- cette date jusqu à Hobart-Town , notre navigation 


ne fut pour ainsi dire qu une scène de deuil et de 


mort, où chaque jour j'avais à inscrire le nom de 
# quelques nouvelles victimes enlevées soit à l’Aséro- 


re 


labe, soit à la Zélée. Ce même jour , à sept heures du 
soir, l'équipage de l’Astrolabe eut à regretter le mate- 


lot Le Blanc, jeune homme d’une santé florissante 
- quelques jours auparavant, et qui avait ressenti déjà 


au mouillage de Samarang les premiers symptômes de 


1839. 
Octobre, 


Aer Novembre. 


“iemment attendus par les deux corvettes , dont les 


1839. 
Novembre. 


76 | j VOYAGE | 


les regrets qu'il fit naître. 
« « Le 2 sou à midi, nous étions, ait 


PARENT de nos hommes, et que les hédec ns 
avaient eu l'espoir de voir bientôt disparaître sous 
l'influence d’un changement de climat, non-seuleme 
persistait, mais elle s'était même portée plus tard sur 
d’autres individus ; nous comptions alors une ving= 
taine de malades, dont deux personnes de l'état-ma- 
jor. À Ft d’un domestique dont l’état er 
désespéré , aucun des autres n’était encore dans une 4 
position à donner des inquiétudes sérieuses, et nous « 
comptions bien que cette maladie finirait par céder. 
devant les soins des médecins. Le lendemain, à une 


heure del’après-midi, je fus prévenu que Louis Pflaum, À 


domestique de l'état-major, venait de rendre le der=, 
nier soupir. Cet homme, d’une constitution chétive ,* ” 
succomba aux attaques simultanées de la dyssenterie 
et d’une inflammation de la vessie. Depuis plusieurs | 
jours il était dans un état Se aa de de ne. 


sans souffrir. » 
Les 5, E équipage de l’Astrolabe confiait à à la mer! 


DANS L'OCÉANIE. F.79 


{ 


_fices de la tite aussitôt que l’Astrolabe serait r ren— 
trée dans le port. Il fut un dés premiers atteints par l’é- 
pidémie. Grâce aux soins du médecin, il était déjà con- 

valescent, lorsqu'il fit quelques écarts de régime qui 

sè occasionnèrent une rechute àlaquelleilne put résister. 

Le lendemain, l’Astrolabe eut encore à regretter le 

- matelot Massé, remplissant à bord les fonctions de 

coq (cuisinier de l’équipage). Cet homme ne faisait 

- partie de l'équipage que depuis notre relâche à Talca- 
huano. En se voyant atteint par la maladie, cet imfor- 

“tuné avait cru devoir avaler une forte infusion de poi- 

vire. de cannelle et d’ autres épices dans de l’eau-de-vie, 

| plutèé que d’avoir recours aux soins du médecin. Il es- 

_pérait obtenir de cet étrange remède une réaction fa- 

“orable. Il ne fit qu'ajouter à ses souffrances d’horri- 

- bles douleurs d'estomac, et il hata l'heure de sa 

inort. Chaque jour la maladie faisait de rapides pro- 

grès. M. Hombron , chirurgien-major de l’Astrolabe, 
a jusque-là avait pu consacrer tous ses soins au 
soulagement des malades, fut atteint d’une irritation 
…cénérale des intestins, qui le força à garder le li. 

M. Dumoutier, barque à à bord de l’Astrolabe, en 

- qualité de D on auxihaire et dans le but de se 

livrer à des études toutes spéciales, fut dès lors 

hargé du service actif sous la direction du chirur- 

“oien-major. Je suis heureux d'ajouter que, par son 
zèle et son dévouement , M. Dumoutier sut pourvoir 
_à toutes les nécessités d’un service aussi pénible , et 

“il mérita toujours la reconnaissance et l'affection des 

“malades, dont il s'était déjà acquis la confiance. 


a 


1839." 
Novembre, 


18 VOYAGE 


1839. Ce même jour les calmes nous porirent de 
Novembre. 


. flots: le malin même, une | victime, « « À 

Fa cinq heures du matin, dit M. Jacquinot, nou: 
* dimes le nommé Pajat, matelot de première cl 

jeune, plein de courage et d'intelligence, d’une 

duite- et d’une tenue exemplaires. Ce marin € 
Pnnidére comme le meilleur homm e de l'é 


présenté au médecin que re et en toute te 1 
guérison était presque impossible. Il fut vivement ! 
regretté par tous ses officiers et par tous ses cama- | 
rades. » 0 

Le canot de la Zélée, qui m'en apportait des GR $ 
velles, était monté par M. Leguillou. Ce médecin j 
avait pour mission réelle de me rendre un compte 
détaillé de l’état sanitaire de l'équipage de la Zélée 34 
et ensuite il devait se concerter, avec ses ER 4 
de l’Ast{rolabe, sur les moyens les plus propres à 
combattre le terrible fléau qui nous décimait. 
demanda, en arrivant, à me parler en particulier. pa : 
Chaque Fe do homme de l’Asérolabe comp" 
tait de nombreux amis dans l'équipage de la Zélées : 
aussi chacun était-il désireux de connaître le rappoi 14 
que M. Leguillou allait me faire. J'insistai pour qu'il 
me fit pas , Sur le pont, de «ce qui à me 


CES $ 
…— * L P F 
FA È »': T4 
, + ; ne D ed 
f # ps a. ni - f Li LU A 


4 


| DANS L'OCEANIE, 79 
étaient morts, deux autres se trouvaient dans un état 
| désespéré ; douze étaient alités, et on ne pouvait rien 
Fe sur l'issue de leur maladie. Enfin, MM. Pa- 
vin de la Farge et Goupil paraissaient être DHPNeRENt 
atteints. Après ces nouvelles, M. Leguillou m'annonça 
qu'il était chargé, par MM. les officiers de la Zélée, et 
- nominativement par MM. Dubouzet, Montravel et 
+ Coupvent, de me demander de changer de route pour 
- relâcher le plus promptement possible, soit à la rivière 
‘des Cygnes, soit à l'Ié de France. Pendant quelques 
instants, je ne pus croire à une semblable démarche. 
; Les officiers dont les noms se trouvaient si singulière 
; _ ment compromis, étaient précisément ceux en qui J'a- 
“yais la plus grande confiance; d’ailleurs, en toutes 
“ circonstances, j'avais toujours vu avec une vive satis- 
faction tous les officiers des deux états-majors, sans 
exception, braver avec un courage admirable tous les 
dangers de notre position. Je savais, d’un autre côté, 
que M. Leguillou était loin d’avoir su, par sa conduite, 
mériter l'affection et l’estime de ses camarades ; aussi 
Hapremière impression, en recevant une demande de 
“celte nature, faite par un pareil ambassadeur, fut de 
douter de sa sincérité. Toutefois, les assertions de 
“M. Leguilliou devinrent Liiou positives , que je 
{finis par les prendre en considération. Je le congédiai 
enle priant d'ailer de nouveau consulter MM. les of- 
ficiers de la Zélée, et de leur dire que j’attendrais une 
demande par écrit et signée par eux tous, pour chan- 
“ger ma détermination, bien arrêtée, de conduire nos 
= Lorveties directement à Hobart-Town. Je lui annonçai 


1839. 
Novembre. 


LA 


1839. 
Novembre. 


- possible, me FOURS la TRIAS An MM. ss = 


ÉRT — VOYAGE : 
que j'allais maintenir nos deux navires à. +. 
distance l’un de l’autre, afin qu'il püt; le plu 


ciers. 


dans laquelle nous nous trouvions LEE c, MES 
l'ai déjà dit, j'avais fini par croire aux assertions po-. 


4 
u 
_sitives de M. Leguillou, et j'en avais conclu que les 
1 
3 


enfin Hobatt: TON Les deux premiérs étaient très-. 


maux qui avaient frappé la Zélée avaient jeté dans 
un profond découragement et son équipage et son“ 
état-major. Dès lors, quels que fussent mes projets ul- 
térieurs, je ne pouvais plus compter sur le concours 
de la Zélée. Si je n'avais vu dans ce moment même lé" 
quipage et l'état-major de l’Astrolabe pleins de! Cou | 
rage et de bonne volonté, je n'aurais pas hésité à ; 
abandonner ce qui me restait encore ‘à faire de la { 
mission qui m'était confiée pour retourner en France. « 
Nous étions alors par 31 degrés. de latitude sud, les. 
ports les plus voisins étaient la rivière des Cygnes et i 
le port du roi Georges, venait ensuite l'Île de France; et { 


difficiles à gagner, à cause des vents d'est, quirégnaient 
avecune persistancesi désastreuse pour nous. Du reste, . 
je redoutais avec raison de n’y rencontrer aucune 
des ressources nécessaires pour la A dé nos | 


DANS L'OCÉANIE. ; 81 
cer à la plus belle partie de la mission qui m'avait été 
confiée. Dans ce cas, il eût fallu encore traverser 
‘en entier l’espace compris entre le 26° et le 31° paral- 


lèle, où déjà nous avions rencontré des calmes qui nous 


y avaient retenus pendant près de dix jours : tandis 
que dans les parages où nous nous trouvions, nous 


devions nous attendre tous les jours à la venue 


des vents d’ouest, si fréquents dans ces latitudes, et 
qui devaient nous pousser à Hobart-Town en peu 
de jours. De plus, jusqu’à cette époque, les médecins 


1829. 
Novembre. 


“avaient toujours considéré comme une dés circon- 


- stances les plus favorables à la cessation des mala- 
dies, notre arrivée dans la zone tempérée. J'eus donc 


Hibu d être surpris lorsque M. Lesguillou, qui assurait 


en avoir conféré avec son collègue M. Hombron, vint 
me déclarer inopinément qu’il était-nécessaire , dans 
… l'intérêt de nos malades, de conduire le plus prompte- 
ment possible nos corvettes à l'Ile de France. Or, je 
savais déjà que, à bord de la Zélée, des reproches 
graves avaient été adressés à M. Leguillou sur les soins 

-qu'il devait aux malades, et par état et par humanité. 
Je savais même que les hommes de l'équipage, igno- 
rant la maladie de M. Hombron, avaient prié plu- 
sieurs de leurs camarades de me supplier de leur 
envoyer M. Dumoutier pour médecin, en remplace- 
ment de M. Leguillou. Quelques matelots de l’Astro- 
labe, qui prévinrent ces envoyés que leur démarche 
serait contraire à la discipline et que leur demande 
ne pourrait être accueillie, empêchèrent seuls qu’elle 
me fût directement présentée. M. Hombron était 
VIIL. 6 


FA 


1839. 
Novembre, 


_il rendait compte chaque jour à M. HOT de l'état 


maladie et en étudier les effets. Son avis, dans ce cas, - 


_ dans la chambre du capitaine Jacquinot, et lui fis 


82 VOYAGE | 


où se trouvaient les malades, et des progrès que faisait | 
le mal. Il me semblait donc que le chirurgien-major 4 
de l’Astrolabe ne pouvait qu'imparfaitement suivre la 


avait donc pour moi moins de poids que celui de. 
MM. Jacquinot ; Jeune et Dumoutier, qui poursuivaient 
leur noble tâche avec un zèle digne d'éloges. Or, « Ceux 
ci s'étaient formellement refusés à se joindre à la | 
demande que m'avait faite M. Leguillou, en appuyant F 
son opinion de celle de M. Hombron. ; 4 

Toutes ces considérations me fixèrent plus que jee 4 
mais dans la détermination de continuer ma roule 4 
sur Hobart-Town; toutefois, désireux de reconnaître 
par moi-même quel était l’état sanitaire de la FREE 
je résolus de me rendre à bord de cette corvette. IL 
faisait calme. La mer, quoique houleuse, luiseait 69 1 | 
communications faciles ; je fis armer ma baleinière,et 
j'accostai l'échelle de la Zélée. Je descendis d'abord. 1 


SZ) ne 3 à lg Fe sg Ce 


part de la démarche que je croyais avoir été faite 
par ses officiers. Il m’assura qu'il lignorait entière » 
ment, et il me confirma dans la bonne ‘opinion L 
ue “avais conservée d'eux, RE ce qe m'avait pe n. 


DANS L'OCÉANIE. 83 
n'en comptait plus que cinquante-six: Enfin , je ter- 
minai ma visite par quelques mots que dires à à 
MM. les officiers, et dans lesquels je cherchai bien 


franchement à ranimer leur courage et leur enthou- 
-siasme. Après mon départ de la Zélée, des explica- 
uons eurent lieu dans la soirée, entre le capitaine Jac- 


x 


quinot et son état-major. Quelques jours après, j'acquis 
la certitude que jamais aucune demande n'avait été 
formulée par MM. les officiers. M. Leguillou seul était 
responsable de la démarche qu’il avait faite et qui était 
si loin du noble caractère des personnes dont il avait 


: si impudemment compromis les noms. Combien alors 
je dus me féliciter d'avoir persévéré dans mes des- 


Méins, et d’avoir déjoué l'intrigue honteuse au moyen 


de laquelle cet homme espérait sans doute arrêter 
V'expédition dans l’accomplissement de sa noble : 


tâche %E 


*11 me tépughe infiniment d’être obligé d'ihsdier dans cet ou< 
vrage d'aussi tristes détails ; mais M, Leguillou ayant publié, 


aprés la mort de M. le contre-amiral Dumont-d Urville, une note 


ER 


…calomnieuse et excessivement injurieuse pour sa mémoire, dans 
= laquelle il est fait allusion à ce qui se passa à bord de nos cor- 
_vettes à cette époque, il m'est impossible de les supprimer. Du 


| reste, les protestations des officiers des deux cor vettes , au sujet 
- de cette incroyable note de M. Leguillou , m'imposaient le devoir 


de rétablir sous leur véritable jour les faits dénaturés par lui d’une 
mamère odieuse., Dans les Pièces justificatives , insérées dans le 
40° volume, on trouvera les lettres écrites à M. d'Urville > par 


MM. Dubouzet, Montravel et Coupvent , dont les noms furent à 


s cette époque si singulièrement re omis par M. Leguillou. 


Ni. ER 


1839. 
Novembre. 


1839. 
7 Novembre. 


pote le poisson qui s’approchait de lui. je Lo 


entire toutes les gamelles , composa deux : 
viande fraîche, ‘dont a eslomacs délab 


84 | VOYAGE A À 

Les venis étaient HAN a est, nous n avio) 
de mieux à faire qu'à poursuivre notre route d 
sud ; Hi à ce qu ‘enfin nous trouvions les x f 


ss des couralent des Do AP de | 
l’Astrolabe, MM. Roquemaurel, Demas, Dumoulin, Des ; 
graz étaient fortement menacés. Les deux premiers 
ne tardèrent même pas à suspendre leur service. ;, 
Les maîtres furent obligés de remplacer nos officiers, + 
presque tous alités ; et cependant, malgré tous nos | 
désastres, on n’eût pu apercevoir, parmi ces jeunes : 
officiers pleins de courage et même parmi nos ma= 
telots, le moindre signe d’abattement et la moindre” 

Mon, La maladie allait frappant de tous côtés 

dans le faux-pont, comme dans le carré de l'éfate ‘ 
jor, et cependant rien ne trahissait au dehors les émo-« 
tions que chacun ressentait. Sur l'avant du navire, le 
quartier-maître Surin, le pêcheur le plus adroit du 

bord, tenait toujours son harpon à la main, prêt à" 


% 
M 
n 


on apercevait une baleine lançant l’eau parses évent 15 4 
mais Surin visait à une capture plus modeste ; bp + 
tôt un marsouin, du poids d'au moins 200 Kilog. | 
fut capturé par de adroit harponneur. Il fut le bien- | 
venu à bord, a il Proties un | mOrIen 4 


DANS L'OCÉANIE. 85 

La corvettela Zélée commençait à être plus maltrai- 

_tée que l'Astrolabe. Comme nous , elle comptait deux 
officiers dont l’état empirait chaque jour; mais, parmi 
ses matelois, elle devait fournir de plus nombreuses 
victimes. « À cinq heures du soir, dit M. Jacquinot, 
la mort vint de nouveau éclaircir nos rangs , en nous 
“enlevant lenommé Helies, matelot de deuxième classe. 
1 Ce marin provenait de la corvette l’Ariane ; il n’avait 
* été embarqué sur la Zélée que lors de notre relâche à 
- Valparaiso. Quelques minutes avant d’expirer, il avait 
encore toute sa connaissance, et il s entretenait fami- 

- lièrement avec ses amis. 

 « Le 10, à quatre heures trente minutes du matin, 
je fus prévenu que le nommé Salusse, maître calfat de 
première classe, venait d'expirer. Due jours au- 
parayant, je l’avais vu sur le pont, plein de santé. 
Rien ne pouvait faire présager la triste fin qui lui était 
. destinée. Ce maître , jeune encore, était parvenu de 


Eu 


1839. 
Novembre. 


10 


bonne heure au grade qu’il occupait. Il avait mérité 


son avancement par sa belle conduite, par son intelli- 
0 et son dévoument. C’était un homme de con- 
mfiance et de ressources, dont la perte fut également 

sentie, et par les officiers et par l'équipage. Chez lui, 
à: Ja maladie avait fait, dès le début, de r apides progrès ; 
_ jusqu à l'instant de sa mort, il avait eu à supporter des 

_ souffrances très-aiguës. 

« Le 14, ce fut le tour du matelot de deuxième 
. classe Billoud ; il expira à six heures du matin. C’é- 
… tait la cinquième victime à bord de la Zétée, depuis 
— notre départ de la Malaisie , et nous pouvions présa- 


sr FR À VOYAGE 


1839. 
Novembre. 


Ne 


ger que nos pertes ne s ‘arréteraient pas ‘là Nous u 
comptions encore parmi nos malades deux ou trois 3 
hommes dont l’état ne laissait pes d'espis de gun \ 
risOn, » | ‘ SUIS 
À bord de l'Astrotabe, la raladie nl ‘sta- + 


Re 


tionnaire ; les coliques qui avaient forcé plusieurs | : 
officiers à suspendre leur service, ne ardèrent pas 
à céder au traitement des médecins. Les malades - 
les plus sérieusement atteints, parmi lesquels nous « 
comptions MM. Marescot et Gourdin, semblaient « 
éprouver un soulagement sensible; malheureuse 
ment, les éléments vinrent, à leur tour, conspirer | 


contre nous. Pendant trois jours, nous fümes assail=. | 
lis par de fortes tourmentes de la partie Est qui sou— : 
levèrent autour de nous une mer affreuse, ER 
mement fatigante pour nos malades. Fe 
Le 17 novembre, quelques instants de calme permi- ? 
rent à un canot de l’Astrolabe d'aller visiter la Zélée. 
M. Dumoutier, qui le montait, me rapporta des nou- 
velles bien plus satisfaisantes que je n’osais l’espérer.. 
Onze hommes seulement restaient encore sur les ca= 
dres; trois étaient grièvement atteints , mais un seul « 
était dans un état désespéré. Il ne se présentait plus } 
de nouveaux cas ; la maladie semblait toucher à son. | 
terme. M. Goupil était toujours dangereusement | 
malade; mais M. Pavin de la Farge paraissait être M 
en pleine convalescence. M. Dumoutier, au mo 
ment de sa visite, avait trouvé cet officier se} 
menant sur le AU et nourrissant l'espoir. l 
bientôt revenu à une parfaite santé. L'info: 


D 0 D PIE 237 


DANS L'OCÉANIE, | 87 
pensait pas alors qué ses douces espérances ne de- AR 
vaient jamais se réaliser, M. Dumoutier s'était en outre 
rendu porteur de lettres à mon adresse, signées par 
MM. Dubouzet, Montravel et Coupvent. Ces offi- 
« Giérs me faisaient connaître qu'ils n'avaient jamais 
chargé M. Leguillou de m'adresser la demande dont ce 
- chirurgien s'était fait, disait-il, l'interprète, mais qui 
… était de sa pure invention. Ils protestaient hautement 
de leur zèle et de leur désir de voir s’accomplir en 
entier la mission qui nous était confiée. 
—. Nousavionsalors passé lequarantième degré de lati- 
—tude sud , et jusque-là nous n’avions encore éprouvé 
que des calmes ou des vents d'est. La brise commença 
… cependant à souffler du N. N. O., mais elle était encore 
… faible et inconstante. Nos navires étaient loin d’at- 
teindre la vitesse après laquelle nous soupirions avec 
tant d’impatience. Toutefois ce changement de vent 
ranima nos équipages, et la joie sembla renaître à 
bord, mais elle fut de courte durée, car bientôt nous 
füumes assaillis de nouveau par des calmes qui nous 
permirent à peine de changer de placé. Le même jour, 
_ dans la soirée, la Zélée perdit encore un de ses ma- 
rins , le nommé Goguet, matelot de première classe, 
a attaqué par la dyssenterie depuis environ un mois. 
î ‘De notre côté, nous ne conservions plus aucun es- 
- poir de sauver M. Marescot. À quelques jours de À, 
nos'deux corvettes devaient confier à la fois trois ca 
davres aux flots de la mer. | 
- Le 23 novembre fut une de nos journées les plus 28 
—… funestes. Dans la matinée et à quelques heures d’in- 


MEL), mé 


“ ; 


L LS 


1839. 
Novembre. 


telots les. plus aimés pour son intrépidité et son dé- 


_ nutes après, Ja trace laissée à la Re des eaux 


88 AR! VOYAGE L 


tervalle, la Zélée perdit deux de > 
telots , les nommés De Lorme et Fabry: le pre 
Si bootait depuis cinquante jours ses souffrances avec , 
Ja plus grande résignation ; le second'était un des ma- ‘ 


vouement ; 1l était attaqué ee longtemps par une 
maladie de foie à laquelle il n'aurait pu échapper. La 4 
dyssenterie ne fit que hâter sa fin. Dans la soirée, à | 
bord de l’Astrolabe, M. Marescot rendit le dernier sou- : 
pir; la nouvelle desa mort, répandue toutd’uncoupsur « 
le pont , y jeta un deuil général. Cet officier avait su ; 


captiver l’affection des matelots, auxquels il inspirait ; 


une confiance sans bornes par son mérite et son sa- 1 
voir. Tous les officiers, ses camarades, le pleurèrent 
comme un frère. L'état-major de l’Astrolabe offrait ; 
dans ce moment-là un spectacle touchant. L’umion la M 
plus parfaite, qui ne cessa jamais d'exister parmi ce 
corps d'officiers, se traduisait admirablement dans les « 
regrets amers que chacun exprimait à l’occasion de … 
cette perte douloureuse. M. Marescot , zélé dans son. ! 
service, entièrement dévoué au succès de la mission, « 
succomba à six heures du soir. Ses yeux étaient, À 
à peine fermés que déjà son corps répandaït une odeur « 
insupportable; comme tous les hommes qui nous fu 
rent enlevés par ce cruel fléau, il fallut se hâter d’en- 1 | 
voyer ses restes à la mer. À minuit, tous les officiers | | 
réunis lui firent leurs derniers adieux ; ; quelques ni- 


À Ed, LE Dr 


dant que le corps descendait 2 au Le de ne. de 


DANS L'OCEANIE. 89 


. plus profond silence avait régné sur le pont; aucun 1839. 
honneur militaire n'avait été rendu à ses dépouilles | 
mortelles, car à quelques pieds de là nous avions en- 
Le. plusieurs malades prêts à rendre le dernier sou- 

Nr pir. Il ne fallait pas que nos mourants pussent compter 

de leur lit le nombre de nos morts”. 

«Le26, à une heure du matin, dit M. Jacquinot, 

la maladie ou une nouvelle victime; le maître ma- 

gasinier Reboul succomba. Cet homme était malade 
depuis fort longtemps. Déjà, lors de notre première 

À ‘relâche à Batavia, dans le mois de juin, il avait été at- 

…aqué par la fièvre, qui ne suspendit ses accès que pour 

faire place à la dyssenterie, et il ne pui résister à ce 

“double mal. Nous le regrettâmes sincèrement, car ce 
marin intelligent et très au fait deses fonctions comme 
comptable , était en outre plein de Coee et de dé- 
vouement. » 
Dépuis dix jours nous avions atteint le quarantième 
parallèle, et cependant, loin de ressentir les vents 
É ‘violents de l’ouest qui règnent constamment dans ces 
an _parages, les calmes ou les faibles brises ne noue avaient 
permis de faire que quelques lieues dans l'est. Je re- 

—…doutais toujours de voir nos équipages se laisser aller 

3 l'abattement ; je pensai que, dans ces circonstances, 

L “ je devais aller visiter la Zélée; du reste, je tenais à 
“assurer MM. les officiers de toute la satisfaction que j’a- 
vais éprouvée en voyant les bonnes dispositions qu'ils 
m'avaient exprimées dans leurs lettres au sujet de 


19 
(=?) 


FD, 


PT, -) 


_ * La biographie de M, Marescot est à la fin de ce volume. 


1839. 
Novembre, 


27 


“ dus in dpplaal du succès Pa ma | démarche , 4 
car j ‘acquis la certitude qu’en toute occasion je, pou— 


_plet, pendant lequel toutes ses facultés physiques 
paraissaient anéanties. Enfin, le 27, àsix heures trente. 


90 VOYAGE | 6.* | 


vais compter sur le zèle et le courage de tous mes 1 
officiers , tant à bord de la Zélée qu'à var de Vase 
trolabe. à 
Amon retour, je m’aperçus avec nu que la nb L 
du S. 0. avaitaugmenté ; elle m’annonçait en effet l'ar : 
rivée des vents favorables; qui, dès le lendemain, nous « 
poussèrent enfin rapidement vers notre lieu de relà= 
che; malheureusement, cette brise, si impatiemment 
attendue, avait été bien tardive à nous parvenir. Par= 
tout où idée avait frappé, elle avait laissé des 
traces profondes; et bien que son intensité fût moin- | 
dre, notre route jusqu'à Hobart- Town devait: ètre 
encore jalonnée par des cadavres. 3 4 
 Dèsle 25, M. Pavin de la Farge, qui, quelquesie jours À 
auparavant, semblait marcher rapidement dans sa con- 
valescence, fut repris par de violentes coliques qui ) 
forcèrent de nouveau à garder le lit, Cette fois, le mal 
fit de rapides progrès, et aucun remède ne puten ar-. 
rêter la marche. Bientôt il tomba dans un délire com 


minutes du soir, il rendit le dernier POP Pen a 


DANS L'OCÉANIE. . 94 
cier, jeune encore, plein de talent, possédant de là 
_ fortune et aimant sa famille avec dolétries avait COM— 
mencé sa carrière d'une manière brillante. L'avenir 
lui présageait les chances les plus heureuses. Pendant 


- tout le temps de sa maladie, il ne cessa de faire des” 


projets pour le retour. Son caractère enjoué, son es- 
prit original, lui avaient attiré l'affection de tous ses 
. camarades ; ses qualités solides lui avaient déjà gagné 
leur estime. « Cette mort, dit M. Dubouzet, nous 
plongea dans l’affliction. Nous étions depuis si Ilong- 
. temps ensemble, et si unis, qu’il semblait qu’elle nous 
enlevait un membre de notre famille. Ses derniers 
moments furent déchirants; car un délire affreux 
-s’empara de lui. À peine eut-il quelques retours à la 
raison, il les employa pour faire ses dispositions en 
faveur de sa famille, dont il était chéri et qu’il aimait 
tant. Ce délire manqua de faire connaître son état à 
M. Goupil, qui gisait à ses côtés; nous eûmes bien de 
_ la peine à lui cacher sa mort, qui aurait pu, dans ce 
moment, lui porter le dernier coup.—Le lendemain, 
… ajoute M. Dubouzet, nous rendîmes les derniers de- 
 voirs à notre infortuné compagnon. On ne rendit point 
d'honneur militaire à ses dépouilles, à cause de notre 
—ficheuse position. C’eût été jeter l'alarme parmi les 
“autres malades. Avant de confier son cadavre à la 
- mer, la religion fut invoquée pour les bénir. Nous 
dimes ensuiteun dernier adieu à notre bon camarade, 
qui disparut bientôt sous les eaux, moment triste et 
- pénible! surtout à bord d’un bâtiment où l’ami que 
Von perd est privé même de la consolation de laisser 


1839. 
“Novembre, 


1839. 
4er Décembre. 


 saient rapidement vers Hobart-Town avaient fait re=, 


._ 9 


du matin. C'était l'officier le plus jeune de l’expé- | 


92 VE VOYAGE A di 
après Jui une tombe sur laquelle ses. te 
amis puissent venir de nes en temps Jane I 
leurs larmes”. » LE IRERSUAES 
Le 1” décembre, l’Astrolabe ED TOME une mou 
velle perte ; le nommé Raymond de Nogaret, matelot, « : 
succomba à la maladie. Ce jeune homme, debonne « 
famille n’avait entrepris une navigation aussi pénible « 
que pour pouvoir plus tard commander un navire du 
commerce, La mort vint le frapper au moment où il 
faisait les plus beaux rèves pour l'avenir. 
M. Gourdin était alors dans un état qui ne laissait 4 
plus d'espoir. Cependant les vents qui nous pous-. 


_ dd Ts M Nm Fr D SEE À ju 


vivre quelque espérance d'arriver à temps sur les … 
côtes de la Tasmanie. Mais, bien que nos corvettes 
filassent presque constamment septnœuds à l’heure, M 
cet infortuné ne devait jamais revoir la terre ; il s'étei- « 
gnit dans la nuit du 7 au 8 décembre, à trois heures « 


dition ; il semblait devoir résister plus que tous les 
autres au fléau qui nous décimait. Sa mort fit une« 
impression profonde; comme celle de M. Marescot, À 
elle répandit sur l’Astrolabe un deuil général ” . Ma | 
rescot, Lafarge, Gourdin, et peut-être Goupil, voi e 
perte sera vivement sentie par {ous vos compagnons À 
de voyage qui étaient devenus vos arniss . mais elk | 


* Sa idee aphie est à la fin de ce volume. 
** Ibid. 


- DANS L'OCÉANIE. 93 
_ quelle vous avez pris part, et dont votre zèle et votre 
dévouement étaient si capables d'assurer le succès. 
Le lendemain, quelques instants de calme nous 
“permirent de communiquer avec la Zélée. Ce bâti- 
… mentne comptait plus depuis longtemps de nouveaux 
“malades ; mais, comme à bord de l’Astrolabe, aucun 
des hommes atteints par l'épidémie n'avait pu encore 
recouvrer la santé. Le 14 décembre, au moment où 
la vigie annonçait enfin que l’on apercevait la terre 
- qui se trouvait à une distance de 36 milles dans le 


nord-est, la Zélée envoyait encore à la mer le corps. 


du nommé Zoupy, « brave et excellent matelot, dit 


«M: Dubouzet, qui mourut avec un courage et une 


résignation fort rares , et qui eussent suffi pour rendre 
sa mort sensible à tout le monde, si chacun n’avait 
apprécié depuis longtemps ce qu'on ou attendre 
d’un homme aussi dévoué. » 

Enfin, nous revoyons la terre, cette terre de la 
| LT si vivement désirée, quoique couverte par 
“une végétation iriste qui lui donne un air si désolé. 
Au point du jour, nous sommes à l'entrée de la Baie 


1839. 
Décembre, 


11 


12 


des Tempêtes ; favorisés par une belle brise, nous la 


(raversons rapidement, en longeant la côte orientale 
… del’ile Bruny, puis à l'entrée de la rivière Derwent, 
les pilotes viennent nous guider dans son lit sinueux. 

À une heure de l'après-midi, nous laissons tomber 
ancre sur la rade de Hobart-Town, par le travers 
de la batterie Mulgrave , à moins de deux encâblures 
de la côte. Nous venions de subir l’époque la plus 
désastreuse de l’expédition. Notre traversée de Su- 


9ë “ANANE 

1839. matra à Hobart-T own avait , d 
Décembre, a 
elle nous avait coûté trois off e 
_nesse, de mérite et de zèle, treiz 
se avaient succombé. La mort avai 
rangs sans distinction d’âgé et de se 
sement elle n'avait point encore terminé 
il: nous restait de nombreux malades, et , et 


 lasanté”., 


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Ta)” 
6 


M À Note 10. 


DANS L'OCÉANIE. M 95 


ne CHAPITRE LVHL 


À Séjour à à Hobart-Town. — Préparatifs pour retourner dans les 
‘ régions glaciales. 


4 


À peine l'ancre était-elle tombée, qué je reçus la 
visite de M. Moriarty, capitaine du port, qui vint me 
faire ses offres de service. Le bien-être des mala- 
. des occupait alors toute ma pensée; je le priai de 
vouloir bien diriger MM. Hombron et Ducorps dans 


les démarches qu'ils auraient à faire pour louer à 


terre un local réunissant toutes les conditions néces- 
se saires pour y établir un hôpital provisoire, où je pour- 
vais envoyer tous les hommes malades. Cet officier, 
… dont nous eûmes par la suite tant à nous louer, s’em- 
press de se mettre à notre disposition. Nos corvettes 
Print en outre besoin de nombreuses réparations 
“avant d'entreprendre une nouvelle pointe dans les 
_ glaces, que je méditais De longiemps. M. Moriarty 
m'assura dès le principe qu’à cet égard nous trouve- 
-rions toutes les facilités désirables, et je dois ajou- 
“ter que sa bienveillance à notre égard ne se démentit 
jamais un seul moment: 


1839. 


12 Décembre. 


di 


96 VOYAGE 


1839. 
Décembre, 


_lage d'Hobart- trie nos corveltes se trouvère 


Hors, que M. Goupil dont l'état était | 


gU D e 


nr te ‘ tx 


Bientôt, tous les officiers purent libre 
cendre à rs La Zélée ne comptait ne 


DE JU 


rapports que lui faisait chaque jour M. Dumoutier.… 
Du reste, sa présence allait être utile dans l'hôpita 
provisoire qu'il était chargé de surveiller. M. D 
était encore alité. Son état ne présentait pas heureu 
sement de funestes symptômes, mais 1} Jui Mt 
core des soins et beaucoup de temps pour revenir à 
la santé. Il s’empressa d'aller prendre possession. ï 
d’un logement qu'il s'était fait préparer à terre, où il | 
reçut les soins de M. Dumoutier. Parumi les ad per-” 
sonnes de l’état-major, plusieurs officiers et élèves . 
étaient encore en proie à des indispositions: fréquen- 
tes, qui décélaient des santés délabrées; mais la rue 
de la terre avait fait cesser toutes les inquiétudes. 
Chacun espérait voir disparaître pendant cette relàc e. 
les symptômes effrayants de l’épidémie; chacun aussi 
se hâta d'aller chercher un domicile 3 terra ’ai 


Kat Dès le premier jour de notre arrivée au à 


__ DANS L'OCÉANIK. 97 
en compagnie du capitaine Jacquinot, pour aller faire 
une visite aux autorités principales de la ville. Sir John 
Eranklin , gouverneur de la Tasmanie, était absent; 
_ nous nous dirigeâmes alors chez le code) Elliot , 
+ $ qui était chargé du gouvernement par intérim. Pi 

tout, nous rencontrâämes beaucoup de bienveillance, 
3 “et nous reçûmes un accueil des plus flatteurs. La re- 
connaissance me fait un devoir de citer particulière- 


1839. 
Décembre. 


ment sir John Peder, avec qui je fus lié d'amitié dès 


le premier jour, et qui devait m'accabler de politesses 
Dependant tout le temps de notre séjour. 


J'avais déjà visité Hobart-Town lors de mon premier 


? | voyage decircumnavigation; mais, dans l’espace de dix 


années, cette villé avait totalement changé d'aspect. 


— Sa population presque triplée s'élevait alors à douze 
- où quatorze mille âmes. Toutes les rues, se coupant 
à angle droit et régulièrement tracées, étaient presque 
entièment garnies des deux côtés par de jolies mai- 
sons, petites, il est vrai, mais d’une propreté remar- 


… quable. Je profitai de la soirée en me promenant avec 


le capitaine Jacquinot, pour lui faire part de mes 


F _ projets futurs, Nos équipages avaient éprouvé des 


S+$ 


FA ‘conduire de nouveau nos deux corveites dans les 
… glaces. Je pensais sérieusement à laisser, dans le 
- port d'Hobart-Town, la Zélée, tandis que l’Astrolabe 
irait seule de nouveau tenter de faire quelques dé- 
. couvertes dans les régions australes. Dans ce cas là, 
. je comptais renforcer mon équipage de quelques 


Fe  matelots de bonne volonté, pris parmi les hommes 
VI. 7 


PI. CLY. 


1 … pertes trop considérables pour songer désormais à 


1839. 
Décembre. 


lui et pour moi de voir que, pour la première fois,n 


| Goura 1h _Demas était Hess et, Suivant 


Ro | VOYAGE 
valides de. et Zi. in: rs Je 


tion des glaces. Cette résolution mn. contr 
vivement M. Jacquinot. Son zèle courageux 

révoltait à l’idée de né pas prendre part à une des 
plus glorieuses , comme aussi des plus dangereuse 
parties de la mission. Il était surtout pénible pout 


nous devions nous séparer au moment où nous al à 
lions avoir le plus besoin de nous trouver réunis. 
Aussi le capitaine Jacquinot mit tant d’insistance à à ne : 
pas abandonner l’As{rolabe, que je lui promis de lais- 3 
ser à la Zélée toute facilité de nous suivre au. mo- } 
ment du départ, si d'ici là les malades sortis de T'hô- 
pital et les matelots que nous pourrions enrôler sur 
la DORE re ee à CORPS nos See 


vent, enseigne de vaisseau , et Boyer, abte à je 
mière classe ts eu Je ones Lu 


mort nous avait en effet enlevé MM. Mare 


à 


DANS L'OCÉANIE. 99 


M. Gervaize. Il fut en outre convenu entre 
juinot et moi que , dans le cas où la Zélée se- 
t obligée de rester à Hobart-Town, M. Tardy de 
ontravel ferait partie de l'état-major de V Astrolabe, 
pendant le temps seulement de la séparation des 
deux navires. | | 
_ Aussitôt que nous eûmes regagné le bord , M. Jac- 
F uinot et moi nous fimes part aux officiers de la Zélée 
4 de cette détermination ; l'enthousiasme que MM. de 
= Montravel, Coupvent et Boyer laissèrent éclater à 
Roue nouvelle, et la peine quelle causa à M. Dubou- 
ze, me Doc, mieux encore que les lettres que 
ces ofliciérs m avaient adressées, combien , dans la 
j è journée du 6 octobre, M. Le Guillou avait été chobable 
… en faisant auprès dé moi une démarche à laquelle il 
n'était pas auiorisé et qui un instant avait pu me faire 
douter du zèle et du dévouement de ces officiers. Dès 
“ce moment, M. Dubouzet ne prit plus un seul instant 


un le second , eüt complété son équipage et eût fait 
toutes les réparations nécessaires pour être prète à 
mettre sous voile au moment de notre appareillage. 
Ce n'était, en effet, qu’à ces seules conditions que je 
ig pouvais consentir à Ce qu elle vint avec nous partager 


: # es dangers de notre navigation polaire. 


| LE pue y déposer nos malades; il fallut encore la 
… journée presque entière, pour y préparer des lits et y 
“transporter nos hommes, dont plusieurs étaient dans 
un état alarmant, La direction de l'hôpital fut confiée 


“ de repos jusqu'à ce que la corvette la Zélée, dont il 


- Dès la veille, M. Ducorps avait trouvé et arrêté un 


1839. 
Décembre. 


13 


: 1839. 
Décembre, 


autre côté, je savais que dans les navigations aussi + 


14 


la rade et en même temps celui de Phô ôpital. 
tard, je fus obligé d'interdire positiveme 


100 7 NOYAGE VS 
à M. HDron. MM. Dumoutier, Le Guillou 
(Honoré) et Lebreton durent se partager le 


Guillou de se mêler en rien des affaires de Ph: 
Depuis longtemps les avertissements étaient de 
inutiles et j'aurais peut-être dû commencer à 
contre ce chirurgien dont , comme on l’a vu déjà, , les 
malades eux-mêmes récusaient les soins. Mais d'un 


longues et aussi pénibles que la nôtre , les privations "1 
Brent souvent sur les caractères Li mieux faits ; 5 
aussi J'étais porté à l’ indulgence ; la suite m'a prouvé 
qu'avec un pareil homme ma bienveillance devait L 
m'attirer de nombreux désagréments ”. Latin rl 

Pendant toute la journée du 13, je ne quittai point . 
le bord; j'avais besoin de Hart des ordres pour 3 
activer les PAS de la corvette, qu'on nepou— 
vait commencer qu'après le départ as malades. Je 
reçus de nombreuses visites ; tous les habitants de M 
la colonie connaissaient déjà la position.  désas 1s-" 
treuse dans laquelle nous nous trouvions , et ik 


nous témoignaient un intérêt des plus mie . 


ce fait AS a M. Le Guillou ; il ba a 
lettre autographe de M. d'Urville publiée par M. Le Gu 


de son commandant quelques jours seulement apr 
lorsqu'il pensait ne plus devoir le craindre. 


DANS L'OCÉANIE. 104 
pect religieux les Anglais observent le repos or- 

donné pour ce saint jour ; je me conformai avec d’au- 
tant plus de plaisir aux usages du pays, que nos 


“équipages avaient grand besoin dese remettre de leurs 
-fatigues. Les hommes purent aller librement à terre ; 


mais je m'aperçus bientôt que, malgré l’état de déla- 
brement où se trouvait leur santé, la liberté dont ils 


- jouissaient pour parcourir la “le. pourrait leur de- 


venir plus funeste qu’avantageuse, à cause des nom- 


breux cabarets qu’elle renferme et auxquels nos ma- 
rins faisaient de trop fréquentes visites. 


Les travaux du bord ne commencèrent bien réelle- 


ment que le lundi 15 décembre; ils avaient pour but 


de repeindre en entier le navire, tant à l’intérieur qu’à 
l'extérieur, afin de le purifier et de détruire l’odeur 


1839. 
Décembre. 


45 


pestilentielle que nos malades avaient laissée après 


eux. Tout le gréement devait, en outre, être revu en 


détail ; enfin, il fallait réparer nos voiles ainsi que 


notre gouvernail, qui fut envoyé à terre à cet effet. 


Nos équipages étaient si faibles, ils comptaient si peu 


d'hommes valides , qu'il était à craindre que ces tra- 


vaux ne pussent être terminés avant la fin du mois. 
Les retards que nous avions éprouvées dans notre 
dernière traversée ne me laissaient plus la facilité 


d’allonger le temps de la relâche à Hobart-Town. Il 
était nécessaire que nous fussions sous voile le 1°” jan- 
vier de l’année 1840, afin de pouvoir disposer de 
toute la saison favorable pour entrer dans les gla- 
ces; il fallait toute l’activité que déploya dans cette 
occasion le second de l’Astrolabe, M. Roquemaurel, 


1839. 
Décembre. 


402 à VOYAGE 


vaste ets où je le nl occupé à faire ses 


pour achever à temps nos prépara 
passai point la journée sans aller : 
ils Por ou déjà é cprores unbie 


l'effet moral qu'avait produit ur eu il ue de 
et les espérances qu’elle avaït faitnaître, bieï 
le sie réel dans leurs de 


commie très-grave. Un des jeunes mousses Fe le Z4 
attaqué depuis longtemps par cette cruelle épidémie 
ainsi que M. Hop ne > laissait pre PP d pie 


Vaiions. A PAUCERES 


offert par la abuicon. alhetite tee . 
macs délabrés ne pouvaient encore nous 
de jouir entièrement . raie in 


.: 


LL 


DANS L'OCÉANIE. 103 


loir Chien présenter mes excuses au colonel Elliot, 
4 pour qui je lui donnai une lettre. Quatre officiers 
… etrle commandant de la Zélée purent seuls faire 
D. à l'invitation de la garnison ; ils réxinrent, 


4 D. Franklin, afin de lui annoncer mon ar- 
— rivée et lui présenter mes compliments, Je reçois 
: aujourd'hui une réponse des plus aimables et des plus 
: polies. Sir John Franklin m’annonce que sous peu il 
… espère être de retour à Hobart-Town, et me recevoir 
£. dans la maison du gouvernement. Il me fait en 
mème temps parvenir un paquet de lettres à mon 
… adresse; plusieurs étaient de ma famille, d’autres 

- de mes amis de France, qui me faisaient part de l’im- 


pression qu'avait Midée notre première tentative : 


dans les glaces, et du peu de retentissement qu’elle 
ot Elles me prouvaient que, plus que jamais, 
je devais persister dans ma résolution de retourner 
À pans les régions polaires. 
“La rade présentait un aspect des plus animés; plu- P 
ÿ Eure navires baleiniers venaient, couverts de toile, 
#. pour gagner le mouillage, et nous étions tous occupés 
à considérer cette scène intéressante, lorsqu'un grand 
“ cripartit de terre, et nous fit tourner les yeux de ce 
… côté: un incendie venait de s’y déclarer. Un long jet 
… de flamme s'élevait à côté d’un magasin à voile qu'il 
…menaçait d’une destruction rapide et totale. Nous 


La 


1839: 
Décembre, 


16 


PI. CLIX. 


— nous hâtames d’y porter secours. Nos canots, montés | 


ed 


4839. 
Décembre. 


part s'étaient enfuis de peur d’être pris par nous 


104 VOYAGE, 
pars nos hommes ne de haches a 


pd fat nt consumé. hs 
Pendant que l’Astrolabe activait ses prépara de 
départ, la Zélée n’était point restée en arrière. Leu 
pitaine Jacquinot était résolu à nous suivre, etil 
s’épargnait, ainsi que son lieutenant, aucune peine 
pour se mettre en mesure. « Le petit. nombre 
d'hommes auquel était edtitée notre équipage , dit 
M. Dubouzet ; ne permettait de faire avancer nos 
travaux que Es dan Dès les premiers jours, | 
nous nous occupàames à recruter des matelots pour 
remplacer ceux que nous avions perdus. Il y avait 
alors sur la place beaucoup de déserteurs provenant \ 
dé baleiniers français qui, au nombre de douze ou 
quinze, fréquentent annuellement cette rade; mais dès 
qu'ils avaient appris l’arrivée de nos corvettes, la plu 4 


Nous eussions pu demander aux autorités de lesfai 
arrêter; mais nous préférâmes n’embarquer. que de 
RER de bonne volonté. Nous réussimes avec be: u- 
coup de peine, en leur promettant l’oubli complet 
passé , à en recueillir une demi-douzaine. Quelques” 
matelots anglais se présentèrent aussi; pour les atti=« 
rer, on leur offrit une solde de six Be pp 


Le 


DANS L'OCÉANIE. 105 


_vée. Journellement j étais accosté dans les rues de la 


ville par quelques-uns de ces hommes; mais, bien 
que je misse pour les attirer toute la patience des rac- 


… coleurs, mes efforts échouèrent tout à fait dans le 
—… principe. Il eût fallu pouvoir, comme en Angleterre, 


courir les tavernes et leur faire signer leur engage- 


ment en buvant avec eux ; mais cela était au-dessus 
de mes forces. » | | 

Les fêtes et les invitations se succédaient rapide- 
ment. Tous les fonctionnaires de la colonie rivalisaient 
pour nous faire oublier les fatigues que nous venions 


de traverser; mais ma santé ne me permettait que 


bien rarement de faire honneur aux nombreuses in- 


“— vifations qui m’étaient adressées. Aujourd’hui le na- 


vire français baleinier le Duc d'Orléans vient mouil- 


_ ler sur la rade. Ce bâtiment, parti du port du Havre 
- Je 11 juin dernier, a déjà recueilli sur sa route 500 ba- 


rils d'huile, dans sa navigation entre le 30° et le 50° de- 


gré. Son capitaine, en me faisant part de la route 


qu'il a suivie et qu’il fréquente depuis longtemps, me 


… prouve plus que jamais combien les calmes que nous 
« avons éprouvés dans notre dernière traversée sont 


rares dans ces ile Il avait trouvé des vents de 
Us. 0. partout où nous n'avions eu que des calmes ou 
des vents d’est qui nous étaient si contraires. Le ca- 
- pitaine du Duc d'Orléans venait à peine de quitter 
VAstrolabe, lorsqu’arriva l’aide-de-camp du gouver- 


pu qui venait me prévenir de l’arrivée de sir John 


… Franklin et du désir qu’il avait de me voir. Il fixait à 


; _ sept heures du soir l'heure de ma visite; de plus, il 


1839. 
Décembre. 


19 


106 Fee 
| nr. FAAOeRe À cpl à 


nement je voMuh interroger sir pres Franklin su 
les résultats obtenus par l'expédition américaine. a 
n'en avait pas entendu parler. Il avait trouvé que 
ma figure ressemblait beaucoup à celle du eapitai 
Parry, et se récriait constamment sur cette ressem— 
blance, qu'il disait être frappante. Cela me rappe a, 
malgré moi, une anecdote assez plaisante qui m 
riva en 1826. Je soupais avec un Anglais qui conn 
sait le capitaine Parry, et qui, frappé de même di 

ressemblance avec ce re ne M o an ? 


2 
Le 


gl m'attendait le lendemain Le M ai 


DANS L'OCEANTIE. 107 
me heure, en m’ajoutant qu’il me priait en 
( le ui donner une liste de notre ur afin 


L 73 


Jà colonie, ne se démentit pas un seul instant; 
pus au milieu des fêtes sans nombre qui s'organi- 


E jour M. Jacquinot et moi nous faisions de fré- 
“uentes visites à l'hôpital. Le sort de nos malades s’é- 


été fortement atteints par l'épidémie laissaient encore 
peu d'espoir d’un rétablissement prochain. Le fléau 
semblait même vouloir continuer ses ravages. Le 20, 
de homme de . ts on re ur encore de 


tre nouveaux ice L’Astrolabe Y envoyait 


nerie, la Zélée deux de ses maielots; il est vrai que 
“Lous ces hommes étaient loin d’éprouver les symp- 
* ômes pitayants avec lesquels l'épidémie avait com- 
-mencé à ouvrir nos rangs; toutefois il devenait pour 
” noi évident que les maladies avaient laissé parmi 
| nous une ne Done: et sur le point de com- 


| Lu amélioré sensiblement, mais {ous CEUX qui avaient. 


mn de ses marins et son premier chef de timon- 


1839. 


Décembre, 


20 


21 


» 
En 
"; 


LA 


1839. 
Décembre. 


23 


24 


‘au milieu de sa famille. La mort vint le frapper lors 


cinq jours de maladie, et cependant ses. intest 


CT die mousse ke de Zélée, à tel 
oc ans. . Ce nes enfant conserva 


stants avant de mourir, il annonça de, | 
prochaine à ses jeunes camarades avec un cou 
et une résignation qui fit l'admiration de tous. De 
jours après, l’Astrolabe perdait son pr re 
d'équipage , Simon. Cmq jours auparavant , et 
homme paraissait jouir d’une santé parfaite. Il ne k 
le plus âgé des deux équipages. Cette campagne d 
vait clore sa carrière. Sa retraite et la décoratia ‘1 
qu'il avait méritée lui auraient assuré une aisance | 
dans laquelle il espérait passer ses derniers jours 


que déjà il croyait avoir échappé à tous les dangers" 
Elle laissa un vide profond parmi nous. Il comp- « 
tait de nombreux et honorables services. L'autopsie . À 
de son cadavre vint démontrer combien chez lui la 

maladie avait marché rapidement; il n'avait eu q 


étaient perforés en plusieurs endroits. Il est assez. 
cile d'admettre que d’aussi grands ravages aient 
être faits en si peu de temps, aussi l’on me 


DANS L'OCÉANIE. 109 


n avion pas encore changé de date depuis notre départ 
ce, desorte que les Anglais, qui avaient apporté 
s en venant d'Europe par l’ouest, comptaient 


ne est D observée Pa les habitants 


‘ ke er comme un hoc d’une sincère amitié la 
à liberté que nous eûmes de nous y associer. Je passai 
“4 ma journée avec sir John Peder; il m’apprit que 
RFe expédition américaine, ni anée par le capitaine 
& Wilkes , Qui, comme nous, était destinéeà étendre le do- 


| | mainedes connaissances géographiques, était occupée, 
… les glaces. Du reste, sir John Peder ne putajouter 
aucun détail sur les résultats déjà obtenus par les 
Américains. « La plus grande réserve est imposée aux 
hommes, » me dit-il; «le silence le plus absolu est 
… récommandé aux officiers, de sorte que rien n’a tran- 
 spiré sur les dérouvertes et les travaux de cette ex- 


73 vettes avaient jeté l’ancre dans la rade, un digne et 
respectable ecclésiastique de la ville, le ie Terry, 
ministre catholique de la Mo était venu, de 
“son propre mouvement, nous offrir ses services 


“comme coreligionnaire; il avait eu l'attention délicate 


“à Sidney, à faire des préparatifs pour retourner dans : 


1839. 
Décembre, 


our de plus que nous. L’on sait bon la fête 


ps dif 


2 


a 


4839. 


Décembre. 


lies, ia anelles qu il désenie était vo 
ne ot ee ce he ee éta 


arrivait PA tie où il m’assura avoir ne 
capitaine Wilkes, avec lequel ils’était entrétent 


je connaissais AE Il m’assura que dernière : 
avait cherché _ s’ avancer le sud € en sui à 


1839. 
Décembre. 


à MM. Dumoulin et Coupyent toutes les facilités pour 
… monter Sur le plateau du mont Wellington, qui domine 


4 ntéressaitvivement aux sciences de et que 

- plusieurs convicts seraient mis à la disposition de nos 

… observateurs afin de les guider dans leurs courses et 
pour porter leurs instruments. De retour à bord; je fis 

- part de ces dispositions à M. Dumoulin. Les prépara- 

* tifs furent bientôt terminés, et le lendemain ces mes- 

Sieurs commencèrent leur excursion. 

«A sept heures du matin, dit M. Dumoulin, le di- 97 

écteur des prisons de la ville mit à notre disposition 

cinq condamnés, de plus il nous désigna un de ces 


… Les comme devant unie et se faire obéir | 


suite re eux, qu tion Driait de lui faire un rap- 
port verbal , à notre retour, sur la conduite que ces 
hommes auraient tenue à notre égard; nous savions 
“de plus que ces condamnés comptaient parmi ceux 


PI. 


4839. 
Lécembre. 


CLXII. 


112 A ur | VOYAGE 


qui vont d'Hobart-Town au port Dalry mple, pe ta 


. se font remarquer Faure leu 


matin qu'il disposait aussi île sa Journée pour : | 
sur cette montagne , et il m'avait prié de. charger 
guides des vivres dont il pensait avoir besoin T'S- 
qu’il serait arrivé sur le sommet du mont. Ce point 
dominant est, de temps à autre, un but de pro | 
menade pour F. habitants d'Hobart-Town, qui vien- À 
nent y jouir du coup d'œil magnifique que présente 
le terrain accidenté de l’île, bordé de tout côté parles 
eaux de l'Océan. Plusieurs officiers de la garnison, À 
voulant profiter de l’occasion, avaient promis à M.Du- 
bouzet de l'accompagner, et nous nous étions {ous 
donné rendez-vous pour déjeüner sur le sommet de la | 
montagne ; mais l'ignorance de nos convicts. devait | 
faire échouer tous ces projets. é. 
« En quittant Hobart-Town, nous suivimes 4 ab 


versant la Tasmanie dans sa plus ges D 


petit village: qui un ee peut-être free un 
faubourgs d'Hobart-Town. Ce hameau ne 


Da 


NA hË 


| DANS L'OCÉANIE. 113 
rait de servir d'école. Mais déjà sur les deux bords 
de la route s'élèvent de nombreuses constructions. 

«Sans nous arrêter à New-Town, nous continuâmes 
notre route en longeant la rivière Derwent, à deux ou 
(rois milles de distance. La vallée que nous parcou- 
rions, encadrée de tous côtés par des montagnes en 


partie boisées , était couverte de maisons de campa- 


gne et de cultures. Bientôt nous arrivämes à Bridge- 
Water, petit hameau qui n’a de remarquable qu'un 


pont en pierre jeté sur un ruisseau. Ce fut là que 


mous quittèmes la grande route du port Dalrymple 
pour suivre un petit sentier qui conduit au sommet de 
la montagne à laquelle nous tournions le dos. La 
Derwent, après avoir couru au nord, s'étend vers 
l’ouest et semble contourner la chaîne de montagnes 
dont le mont Wellington est le plateau le plus élevé. 
IL était alors huit heures du matin; nous avions déjà 
parcouru six à sept milles sur la grande route, et je 
regrettais vivement de n’avoir point connu d'avance le 


trajet que nous devions faire , car faible comme je l’é- 
lais, nous eussions pu nous arranger de manière à évi- 
ter une course aussi longue et qui déjà nous avait 


fatigués. 


« Nous suivimes longtemps encore le ruisseau qui 


va passer à Bridge-Water. De beaux pâturages gar- 

nissent ses deux bords. Il parcourt un des plus beaux 

versants que l’on puisse voir. En suivant son cours, 

nous arrivämes à une cascade formée par ses eaux, 

qui se brisent sur des rochers d’un aspect des plus 

Pittoresques , en tombant d’une hauteur de 3 à 4 mè- 
VII. 8 


1839. 
Décembre. 


PI, CLXV. 


1839. 
Décembre. 


He à _ VOYAGE Te 
tres. À mesure que nous montions, les maisons € deve- | 
naient de plus en plus rares et moins opulentes. Nc us & 
étions arrivés sur le bord de la forêt. Nous choisimes | \ 
ce lieu pu déjeuner et pour nous reposer. Depuis la. 
veille j'éprouvais de fortes coliques et des douleurs 
dans les reins. Je craignis un instant d’avoir. sa 
compté sur mes forces, et je me serais certainement » 
arrêté à cet endroit, Si MON COMPAgnON de route 
M. Coupvent avait pu seul faire les observations. . 

« Nous ne nous reposàmes qu’une demi-heure: : nos Ë 
convicts en profitèrent pour faire leur thé et pour dé- 
jeuner. Quant à nous, nous avions plus besoin de 
repos que de nourriture. Pendant quelque temps en- 
core, nous suivimes le cours du ruisseau. Sur ses 
bords, la végétation offrait un caractère tout différent 
de celui général à Ja Tasmanie. Ses rives étaient gar— 
nies de fleurs et de petits arbrisseaux d'une verdure 
magnifique. Bientôt même, nous fümes obligés de 
changer de route et d'abandonner notre ruisseau “ 
conducteur, sur les bords duquel la forêt paraissait É 
compacte et impénétrable. Dès lors le chemin devint 
plus difficile et la pente plus rapide. Le sol était coû-M 
vert de rochers morcelés, au milieu desquels s'éle- 
vaient quelques arbres souffreteux de plus en plus 
rares à mesure que nous avancions. Le sol cepen— 1 
dant n’était point DAE d'humidité, car sur la ha _ 


SN SN Une 


D 


DANS L'OCÉANIE. 115 


nous conduire à notre but. C'était peut-être aussi le. 


plus facile et le plus avantageux pour eux, dont les 

épaules étaient embarrassées par les caisses de nos 
instruments. Quoi qu’il en soit, ce ne fut que vers les 
deux heures que nous püûmes atteindre le plateau qui 
couronne le mont Wellington. Nous étions harassés 


de fatigue, mais nous dûmes songer à commencer 
… sur-le-champ nos observations, afin de pouvoir les 


terminer avant la nuit. Il va sans dire que MM. Du- 


bouzet et les officiers de la garnison, qui nous avaient 


donné rendez-vous sur la montagne et quinous avaient 


chargés de leur porter à déjeuner, nous avaient pré- 


_ cédés. Ils étaient repartis depuis longtemps, lorsque 
nous arrivames au sommet, pensant avec raison que 
s'ils voulaient déjeuner, il serait pour eux plus pru- 
dent de ne pas nous attendre plus longtemps. 

«Nous étions parvenus à la partie la plus élevée de la 


montagne par le côté diamétralement opposé à Ho- 


bart-Town. Le mont Wellington, autrefois appelé le 
mont de la Taèle par l'expédition française comman- 


…dée par le contre-amiral d’Entrecasteaux, se termine 
par un plateau d’une grande étendue. Il était difficile 


d'en reconnaître le point culminant. Nous traver- 


“…simes celte petite plaine dans toute son étendue, en 
nous arrêétant de distance en distance pour y faire des 
- observations suivies. Nulle part nous n’y aperçümes 


aucune trace de végétation. Le sol était couvert par 
- d'énormes blocs de rochers jetés çà et là, et quelque- 


Lois séparés par du sable. Enfin, à six heures du soir, 
3) Lin L - < 
nous atteignines la partie du plateau qui surplombe 


1839. 
Décembre. 


1839. 
Décembre. 


jouir du coup d'œil vraiment magique qui s'offre à 


116 VOYAGE es 
la ville. Nous y trouvämes un mât de pavillon dispos SR | 
pour faire des signaux ; mais nous ne. remarquâmes 
dans les environs aucune cabane indiquant un poste 1 
de vigie établi là en permanence. Ce fut au pied de 
ce mât de pavillon que nous établimes notre dernier 
observatoire. Au moment où nous arrivions monte 
plateau , nous avions été assaillis par des brumes 
épaisses et ensuite par la pluie. Heureusement, elle 
fut de courte durée. Bientôt même l'horizon s’éclair- 
cit, et avant de terminer nos travaux, nous pûmes 


la vue du spectateur placé au pied du mât des si. 
gnaux. Nous apercevions alors Hobart-Town à nos 
pieds. Nous pouvions suivre toutes les sinuosités de la: 
Derwent, qui étend son cours au milieu de plaines 
couvertes de culture et de jolies habitations ; et 
nous admirions toutes les découpures de la côte qui 
forment, en mille endroits divers, de vastes et pro- 
fondes baies. L’horizon était borné par la mer, dont 
la ligne bleuâtre allait se confondre avec l’azur du 
ciel. Ce point de vue est, sans contredit, un des plus 
beaux que l’on puisse rencontrer. Les habitants d'Ho- 4 
bart-Town en font souvent le bat de leurs prome- M 
nades; mais alors ils suivent un chemin peut-être « 
plus rapide , mais sans contredit beaucoup pal (4 
court que celui que nous avions parcouru. 15.0 

«La nuits approchaitrapidement : ; nous ne POUVIO 
Doper que in fort te d’instants pour Re 


& dr SR RUE EE ce: ee Z ats 


DANS L'OCÉANIE. CDR à 


fiions avec raison de l'ignorance de nos guides. On 
nous avait assuré à Hobart-Town qu’il ne fallait pas 
plus de deux heures pour parvenir au sommet de la 
montagne, en suivant le chemin dit de la Cascade. 


Nous tâchâmes de faire comprendre à nos condamnés 


que c'était par ce chemin qu’il fallait diriger le retour. 
- Le chef de l’escouade prit alors la tête de la colonne 
d’un air tellement décidé, que nous dûmes croire 
_ qu'il connaissait parfaitement les localités. Nous 
eùmes le tort de nous confier de nouveau à lui et de 


le suivre sans chercher nous-mêmes à reconnaître 


. 


d’abord les lieux. 

« Pendant quelque temps nous pûmes descendre 
sur une pente très-rapide, en nous laissant glisser le 
long des blocs de rochers qui garnissaient le sol, mais 
qui rendaient impossible tout retour sur nos pas. Bien- 
tôt cependant nous aperçûmes devant nous un im- 
mense précipice. La montagne se terminait là par 
une muraille ayant plus de 50 mètres de hauteur. Du 
côté de la ville, le mont Wellington nous avail paru 
- taillé à pic, et certes il ne nous serait jamais venu dans 
l'idée que nos guides choisiraient précisément ce côté 
pour nous y conduire. Notre position devint alors 
- réellement des plus fâcheuses. Nous ne pouvions son- 

ger à relourner sur nos pas pour regagner le plateau. 
D'un autre côté, la nuit s’approchait rapidement, et 
le froid qui se faisait sentir commençait à roidir nos 
membres. La pluie avait mouillé nos vêtements, et 
- au milieu de ces rochers, il fallait renoncer à l'espoir 
- de faire du feu pour nous réchauffer. Pendant près 


1839. 
Décembre, 


1839. 
Décembre. 


118 1. VND | 
d’une ie, il nous fallut longer cette muraille ver- AE 
ticale, en nous appuyant sur des pointes de rochers | 1 
qui formaient comme une corniche au-dessus du pré- 3 
cipice. Le moindre faux pas, un étourdissement nous Ya 
eût entraînés dans l’abime sans que rien püt nous 4 
arrêter. Un instant mème, nous dûmes craindre de À | 
voir tous nos efforts Ha devant les difficultés qui 
se présentaient devant nous. Nous renconträmes un 
ravin profond et d’une pente excessivement rapide, M 
qui semblait faire échancrure dans la muraille de | 
rocher et conduire jusqu'à son pied. Aussitôt nos 

guides se hâtèrent de nous la désigner comme étant 
le chemin qui devait nous conduire à la forêt. Nous î 
eûmes l’imprudence de les suivre, mais bientôt nous M 
nous trouvàmes de nouveau au-dessus d’un précipice, 
et il nous fallut revenir sur nos pas. Quelques herbes - L 
devinrent alors notre seul point d'appui; si dans ce 
moment-là le pied nous eût glissé, rien n’auraitpunous « 
arrêter. Il était évident pour nous que nos guides 
étaient complétement désorientés ; ils ne s’occupaient 
même plus de nous. Nous dümes peut-être à cette 
circonstance d'échapper aux dangers réels de la po= 
sition où ils nous avaient placés ; en effet, M. Coup- « 
vent et moi, qui ne nous quittions point, nous par= 
vimmes à regagner le sommet de la montagne, et M 
alors nous pûmes choisir un côté dont la pente était 4 
douce et qui nous ramena promptement à la forêt 

mais alors la nuit était devenue très-noire, Nous ap: | - 


DANS L'OCÉANIE. 119 


approcher, en suivant un petit ruisseau qui pendant 


longtemps servit à diriger notre route, mais bientôt 
les arbres que nous rencontrions sur ses bords devin- 


. rent tellement serrés, qu'il fallut nous arrêter et at- 


tendre le jour pour nous guider. Il était onze heures et 


demie; la nuit était des plus froides, et nous étions 


ruisselants de sueur. Nos guides, qui presque tous 


étaient munis de vêtements en fourrures, ne tardè- 


rent pas à s'endormir; quant à nous, nous grelot- 


tames le reste de la nuit, malgré les feux que nous 
avions allumés. 

«À quatre heures du matin, nous nous remimes en 
route, nous retrouvâmes bientôt le ruisséau dont 
le cours avait servi à nous guider la veille; nous le 


1839. 
Décembre, 


28 


suivimes encore, et nous ne tardâmes pas à arriver 


au pied de la montagne. Ce petit ruisseau est pré- 
cisément celui qui traverse Hobart-Town; avant de 
se jeter dans la Derwent, il arrose une petite plaine 
des plus fertiles; il met en mouvement une scierie et 
un moulin appartenant à ün riche industriel anglais. 


Avant de rentrer dans la ville, nous visitàmes ces éta- 
. blissements, dont le propriétaire, M. de Grave, qui 


déjà avait fait la connaissance de nos états-majors, 
nous fit les honneurs avec une bienveillance et une 


. politesse parfaites. À midi, nous étions de retour à 


Hobart-Town. J'avais emporté mon fusil, dans l’es- 
pérance de rendre cette course profitable aux sciences 
naturelles ; mais les forêts que nous venions de par- 


courir nous avaient paru d’une pauvreté remarquable 


sous le rapport des espèces vivantes. Pendant les deux 


1839. 
Décembre. 


29 


d’Opossum qui, le jour, trouvent une retraite dans « 


poraire que nous avions établi à terre devait rester 


120 | VOYAGE À 


jours 1e nous venions de passer au milieu des bois, ci 
nous n'avions vu que deux perruches, deux serpents : 
noirs et un grand lézard. Nos guides nous assurèrent, 
qu’ordinairement on rencontrait un grand nombre 


les troncs d'arbres creusés , et qui, la nuit, viennent 4 
rôder autour des feux que l’on allume dans la forêt; 
quant à nous, nous n’en vimes pas un seul.» 
J'aurais vivement désiré aussi pouvoir gravir le. 
sommet de la montagne pour y faire quelques études 
de botanique, et parcourir les différents lieux de la 
Tasmanie où les Anglais se sont établis et où ils ont 
développé toutes les qualités qu'ils possèdent pour 
coloniser ; mais j'étais faible et fatigué, et ensuite, de- 
vant la responsabilité qui allait peser sur moi en con-. 
duisant de nouveau dans les glaces nos équipages 
harassés et malades, je devais tout mon temps aux 
travaux du navire; je voulais m’entourer de toutes 
les précautions nécessaires pour assurer le succes si 
incertain de l'expédition que j'allais entreprendre. 
J'étais entièrement fixé sur le nombre des malades 
que leur état de santé forcerait à rester. Outre les ma- 
telots, l'Astrolabe devait laisser à Hobart-Town un 
officier encore malade, M. Demas, et le chirurgien « 
major M. Hombron. Le service médical du bord fut 
confié à M. Dumoutier, pendant que l'hôpital tem 


be F: 
gare ER UATT ie si ie] 


Re Vi tn een 4h crnrd À vo forme 3 


sous la direction de M. Hombron. D’un autre côte 
nous ne conservions plus aucun En de sauv 


DANS L'OCÉANIE, 124 
ton, à qui l'expédition était déjà redevable d’un grand 
nombre de jolis dessins, fut dès lors chargé de con- 
tinuer l'œuvre si intéressante commencée par M. Gou- 
pil. Les deux corvettes étaient parvénues à renforcer 
leurs équipages de quelques marins français et an- 
Slais ; ainsi, désormais, le personnel de l'expédition 
ne me donnait plus les mêmes inquiétudes. Quant 


au matériel, nous avions trouvé à Hobart-Town tous 


les objets qui pouvaient nous être nécessaires. En 
même temps nous avions pu renouveler à des prix 
très-élevés, il est vrai, toutes les provisions fraiches 
et de campagne qui nous étaient nécessaires. 
Pendant tout le temps que nos corvettes avaient été 
. en réparation, le gouverneur avait remis la visite 
qu'il m'avait annoncé vouloir leur faire; mais enfin 
le gréement tout entier était réparé, le gouvernail 
était en place, et nous étions en état de reprendre la 
. mer. À midi, je reçus à mon bord sir John Franklin 


1839, 
Décembre. 


30 


et toute sa famille. Jusqu'au dernier moment, l’inté- 


rêt bienveillant qu’il nous avait témoigné ne se dé- 
_mentit pas un seul instant. Le gouverneur parcourut 
avec plaisir tous les travaux déjà exécutés par la mis- 
‘Sion, et me témoigna à plusieurs reprises toute sa sa- 
tisfaction. Dix-sept coups de canon le saluèrent au 
moment où il quitta l’Astrolabe. Je l’accompagnai à 
terre pour le conduire à l’observatoire de M. Du- 
moulin où il voulait visiter les instruments qui y 
étaient réunis. Sir John Franklin , à qui la science est 
redevable de tant de données intéressantes, s’en- 
tretint pendant plus d’une heure avec notre hydro- 


1839. 
Décembre, 


31 


127 à VOYAGE 


graphe; il voulut connaître en détail la cons ci 
et l'usage de chacun des instruments, et enfin 4 
qu'il rentra à son gouvernement, il ne Ponte 
taire avec moi de tout le PART qu il avait Ra 
dans cette visite. n 40e M 
Nos préparatifs de départ tiraient à leur fin , et je 4 
désirais vivement mettre à la voile sans délai; la ‘4 
pareillage fut fixé au lendemain. Cette ; journée était 
la dernière que nous devions passer sur la rade; elle 
fut employée à régler tous les comptes et à Li nos. 
adieux. Dans la soirée, nous assistâmes à un bal cheen 
le gouverneur. Lady Franklin avait voulu donner une … 
fête aux officiers français. La réunion était des es 1 
brillantes ; nous en eûmes tous les honneurs. Comme. 
je l'ai déjà dit, les Anglais d'Hobart-Town étaient en 
avance, dans (eue date, d’un jour sur nous. Sir John À 
PnLe et sa femme avaient voulu commencer l'an- M 
née 1840 par une fête aussi brillante qu’agréable: 
Quant à nous, le 1° janvier 1840 devait nous trouver 
sous voiles; l’année qui commençait nous promettait % 
encore de nombreuses fatigues, mais elle ouvrait « 
aussi l’espoir du retour dans nos Fes avant 4 elle 
fût terminée ”. ne 


* Notes 41,12, 13 et 14. 


AU POLE SUD. 123 


CHAPITRE LIX. 


…. Navigation vers le pôle Antarctique. — Découverte de la terre 


Adélie. 


À quatre heures du matin nous étions sous voiles. , 1510. 

“Le capitaine Moriarty avait voulu nous servir lui- 
mème de pilote, « afin, disait-1l, de passer quelques 
instants de plus avec vous. » La brise était alors favo- 
rable, et je brülais d’en profiter. Ce fut dans ce mo- 
ment que l’on vint m'annoncer que M. Goupil 
avait rendu le derniér soupir pendant la nuit. Je sa- 
vais combien ce jeune artiste était aimé par tous ses 
‘compagnons de route. Je savais en outre que tous les 
- officiers de l'expédition désiraient vivement passer 
une journée de plus à terre, pour pouvoir rendre à 
ses dépouilles' les honneurs qui lui étaient dus; mais, 
- d’un autre côté, l’époque de notre départ avait déjà 
été très-retardée. Nous n'avions pas un instant à per- 
dre pour prendre la mer, afin d'arriver dans les glaces 
dans la saison favorable. De plus, nos équipages, 
déjà fort réduits, n'avaient pu qu'avec beaucoup 
de peine se renforcer de quelques matelots anglais, 


1840. 


Janvier. 


124 | VOYAGE 


+ l te £ 


toujours prêts à déserter, et qui menacaient 
abandonner à chaque instant. Toutes-ces co ; 
tions m 'EREAGQUERE à continuer ma route, mal ré 
tout le désir que j'avais de rendre moi-même un. 
dernier hommage à l’infortuné Goupil, dont j'avais d 
apprécié le zèle et le talent. Aussi, à mon grand re 
gret, nos corvelies couvertes de toile durent conti À 
nuer à s'éloigner de la rade. Un instant je conçus « 
l'espoir de pouvoir sortir du fleuve dans la journée 
même, mais bientôt la brise, jusque-là incertaine, « 
passa au S. S. E., et vint à SIDE avec force. Dès Î 
lors il était inutile de songer davantage à lutter con- î 
tre des vents contraires, pour gagner la pleine mer. M 
Aussi je me décidai à laisser tomber l’ancre de nou 4 
veau dans le lit de la rivière, à quelques milles de la « 
rade renvoyant un nouvel appareillage au lendemain. 

Quelques embarcations vinrent dans la journée à « 
bord de l'Astrolabe , et lui apportèrent des planches « 
qui avaient été oubliées ; elles nous apprirent que les 1 
obsèques de notre malheureux compagnon de route 
devaient avoir lieu dans trois jours. Les officiers de la 
garnison anglaise en avaient eux-mêmes fixé le céré- L 
monial et déterminé les honneurs à rendre. Dès lors 
il devenait tout à fait inutile que dans la journée nos« 
embarcations allassent de nouveau accoster les quais 
de la ville; nous ne pouvions que mêler nos rceEe 
sincères à ceux de nos malades restés à terre, à 
était réservée la triste satisfaction d'accompagner jt 


AU POLE SUD. 125 
MM. Gervaize et Dumoutier, qui m'en manifesterent 
le désir, la permission d'aller à terre, à la condition 
expresse qu'ils seraient rentrés à bord le lendemain à 
quatre heures du matin. 
M. Goupil, peintre de l'expédition, était à peine 
âgé de vingt-cinq ans; sa mort, quoique prévue d’a- 
vance, laissa parmi nous tous une impression pro- 


fonde ; « car il n’était personne, dit M. Dubouzet, qui 


n'eût apprécié les heureuses qualités du cœur qu’il pos- 


. sédait. Chacun vit avec beaucoup de peine un Jeune 


talent aussi remarquable s’éteindre à la fleur de l’âge 
après une longue et pénible campagne à laquelle la 
passion des arts et des voyages lui avait fait tout sacri- 
fier. Jamais , ajoute M. Dubouzet, son noble caractère 
ne s'était fait mieux remarquer que pendant sa longue 
et cruelle agonie, qu'il supporta avec tant de courage 
et de résignation, et pendant laquelle il dicta avec le 
plus grand calme ses dernières volontés. Jusqu'au 
dernier moment il pensa à sa famille et à ses amis ; il 
donna des souvenirs à chacun de nous, témoignant la 
plus vive reconnaissance à tous ceux qui lui donnaient 
des soins”. » | 

À deux heures du matin, le pilote accostait nos cor- 
veltes et donnait le signal du départ, malgré le calme 
qui régnait. Grâce au courant de la rivière, nous at- 
teignimes bientôt la vaste baie des Tempêtes, bassin 
magnifique où les eaux peu profondes permettent de 
mouiller dans toute son étendue, et où une escadre 


* Sa biographie est à la fin de ce volume. 


\ 


1840. 
Janvier. 


1840. 


Janvier. 


voyage était pOsSInIes Nous renvoyämes | le pilot : 


os ne | Vorice ss | 


tains FR se fixèrent au uN. 6: ; mais mn 


LUE grosses houles s se faisaient sentir qe sd 
nous. Le lendemain matin seulement nous perdimes 
de vue les terres de la Tasmanie, et nous commen | | 
cames à courir dans le sud. 2e vi 

Si le lecteur veut bien se rappeler le chapitre placé À 
en tête du deuxième volume de cet ouvrage, et dans M 
lequel j'ai cherché à résumer les résultats obtenus par « 


les divers navigateurs pour parvenir dans les régions 


(Me: 4 


glaciales , il verra qu’il restait encore sur la zone du n | 
pôle sud un vaste espace à explorer; c'était celui COM- » 
pris entre le 120" et le 160"° degré de longitude orien- 1 
tale : c'était là que je voulais conduire nos corveltes en # 
partant d'Hobart-Town. Je ne me doutais pas, à cette M 


époque, qu’un navire de commerce anglais nous avait 


précédés d’une année dans ces parages ; je n'avais en- M 
core aucune connaissance desiles Ballenyni delaterre « 
Sabrina, dont la découverte avait été faite une année 1 
avant notre apparition dans ces contrées. En prenant 4 
sous ma responsabilité personnelle une nouvelle ten= 
tative pour pénétrer dans les glaces, mon intention ne. 
pouvait être de faire une nouvelle exploration suivie 
de la banquise ; je voulais simplement faire une poi 


| AU POLE SUD. 127 

Zélée, se détournant de sa route, reviendrait à Ho- 
bart-Town prendre nos malades, pour nous rejoin- 
dre ensuite dans les lieux que je lui aurais désignés. 
- [i n'avait échappé à personne que la partie du cer- 
cle polaire qui s'étend directement au sud de la Tas- 
manie n'avait été explorée par aucun navigateur. En 
reportant sur une carte les itinéraires des différents 
ponigeurs qui essayèrent de pénétrer dans les glaces, 
J'avais vu que la route du capitaine Cook venait seule 
traverser cet espace; mais encore le célèbre navi- 
sateur anglais n'avait nullement cherché à pénétrer 
dans ces parages, où il était resté en dessous du 60° 
parallèle. En me dirigeant de ce côté, je devais espé- 
rer de m'élever dans le sud autant qu’il était possible 
de le faire. Mes équipages , quoique fatigués, étaient 
pleins de courage et déjà habitués à ce genre de navi- 


sation; je savais que, pour m'arrêter, il faudrait des 


obstacles tout à fait infranchissables. Sans rien présu- 
mer d'avance de l'issue future de ma nouvelle tenta- 
tive, j'avais résolu de la rendre, dans tous les cas, la 
plus fructueuse possible dans l'intérêt des sciences 
… physiques. Une découverte importante restait à faire, 

c'était celle du pôle magnétique, ce point si im- 
portant à connaître pour la solution du grand pro- 
blème des lois du magnétisme terrestre. Dès le début, 
je voulus suivre la route la plus directe pour nous 


conduire à ce but. Je savais, d’ailleurs, que les obser- 


vations de ce genre les plus profitables seraient celles 
- qui seraient faites sur un même méridien magné- 
tique; je cherchait donc à maintenir nos corveites 


1840. 
Janvier, 


1840. 


Janvier. 


toutes les fois que les vents nous le permettraien PE. 


_sardeuse, ] avais compté sur le courage de mes équi- 1 


de nous continue sa route à l’est sans s'arrêter. 


128 | VOYAGE - 
dans cette direction, et, pour cela, je donnai l'o or- 
dre de toujours tenir la route au pi de la boussole s 


D'abord notre navigation se présenta sous les aus- 1 
pices les plus facheux ; les vents fixés au sud vin- 
rent contrarier notre route; les courants nous pos. 1 
saient dans l’est, et nous forçaient à serrer le vent, 4 
de peur de nous éloigner. De fortes houles, atteignant 3 
généralement de # à 5 mètres de hauteur, agitaient “4 
nos corvettes et nous fatiguaient horriblement. Enfin, 
il y avait à peine quatre jours que nous avions quitté le 
rivage, déjà les rapports de M. Dumoutier consta- 
taient que nous avions neuf malades sur les cadres. 
Cependant, depuis cette époque, l'équipage n avait 
pas cessé d’avoir des vivres frais; je nrétais fait une 
loi de rendre le service le plus doux possible, et nos 
matelots ne se fatiguaient presque pas. Quelques jours 
encore, je pouvais avoir besoin peut-être de tous » 
leurs efforts ! Une grave responsabilité pesait sur moi; 
mais avant de me Jeter dans une entreprise aussi ha= 


sc sistiétislineniititisiii: éié 


RIE 


(@ 
ci 
à 
jo 
j 
j 


pages, et J'étais sûr qu'il ne faillirait pas. = 4 

À mesure que nous avançons dans le sud, la tem 4 
pératurese refroidit sensiblement ; nous naviguons au » 
milieu d’un vol d’albatros qui ne nous quitte pas. 4 
De nombreuses baleines jettent autour de nous de. 
l’eau par leurs évents, mais il paraît que cette variété” 
n'est point celle que recherchent les pécheurs, 
un navire baleinier qui passe à une petite dis 


n. 


Va 
ee 


AU POLE SUD. 129 

Juelques instants de calme permirent aux deux cor- 
vettes de communiquer dans cette journée. Un canot 
dela Zélée , monté par M. Gaillard, parvint, malgré 
Ja houle , à accoster l’Astrolabe. Cet élève venait récla- 
mer une boussole d’inclinaison qui, reconnue mau- 


…. vaise par M. Dumoulin, ne servait à aucun usage; il 
| venait en outre se concerter avec l'ingénieur pour 
“connaître la nature des observations qui pourraient | 
être faites sur la Zélée et qu’il jugerait avantageuses 


dans ces parages. Chaque jour MM. Dumoulin et Coup- 
vent faisaient à plusieurs reprises de nombreuses 
observations .d’ inclinaison avec un excellent instru 
ment sorti des ateliers de M. Gambey. Fajouterai que 


… M: Gaillard, malgré sa bonne volonté , ne put jamais 


“plus tard tirer parti de la boussole qu’il était venu 
“réclamer. Il est fâcheux que nos deux corvettes, à 
leur départ de France, n'aient pu être munies d’in- 
Struments comparables entre eux, car les observations 
_dece genre faites à la mer présentent toujours trop 


de difficultés et laissent assez d'incertitude, pour que 


les sciences aient beaucoup à profiter de la compa- 


raison des observations, qui seraient faites simultané- 


ment à bord de deux navires naviguant de concert. 
…—_ … Je profitai de cette circonstance pour interroger 
…— M: Gaillard sur l’état sanitaire de son bâtiment; il 


m'apprit que la Zélée comptait sept hommes sur les 
cadres : parmi ceux-ci, trois paraissaient grièvement 
frappés. La dyssenterie dont ils étaient atteints sem- 


VIIL. 9 


blait avoir pris une nouvelle intensité depuis qu'ils 
— avaient quitté le port d'Hobart-Town. Certes, je re- 


1840. 


«Janvier. 


4840. 
J ahvier. 


11 


avoir pris l'avis de M. Hombron,et lorsque Ja 


plus favorables, hous n’apercümes pas la terre. ll est 


“encoré trois malades dont l’état dl de. 


180 NPTASES : 


n avaient été à embarqués à bérd de en | Zélée qu 


xison était assez avancée pour leur PES tre ( 


prendre la mer. ETES 


Le 11, nous avions dépassé le cinquantezuièt . n pd 
rallèle sud: nous nous trouvions alors sur la position 1 
assignée par plusieurs hydrographes : à l'ile Royal 


Company. Malgré nos recherches et un horizon des 4 


probable que cette île, si ellé existe, est mal placée. : 
Du reste, il doit arriver souvent que, dans les années \ 
où les régions glaciales sont favorisées par ui été très M 
chaud, de fortes débâcles ont lieu, et alors des îles de 
glace ont pu fréquemment être entraînées jusque : 
par le 50° parallèle de latitude sud, et être signalées \ 
comme de nouvelles découvertes. Souvent les îles 1 
de glace, suivant la quantité de lumière qu'elles re . 
çoivent, présentent des teintes bizarres qui leur 
donnent l'aspect de rochers isolés. “ARR 

Les albatros, qui depuis Hobart-Town ne “rois 4 
avaient pas quittés, disparurent par les 50° de lati- 4 
tude. Les vents commencèrent aussi à souffler avéc 4 
force ; pendant deux jours nous fûmes obligés de tenir 
la cape avec une mer monstrueuse : nos Corvettes. 
CEE NS ASS ne FES 


quiétudes. Ces gros temps ne pouvaient qu 


AU POLE SUD. 191 
vent que nous eussions encore essuyés, le nommé 
Pousson, matelot dé première classe, rendit le der- 
Hier soupir. « Cet homme, dit M. Jacquinot, n’avait 

“ressenti quelques coliques que peu de jours avant 
notre départ d'Hobart-Town. Au moment où nous 
“quittmmes la colonie anglaise, il ne donnait aucune 

inquiétude, et il n'était pas dans un état qui nécessi- 
àt un plus long séjour à l'hôpital; mais depuis que 
ous avions repris la mer, la dyssenterie avait fait de 

. rapides progrès , et au bout de fort peu de jours toutes 
- les ressourcss de la médecine étaient devenues insuf- 
……fisantes. Nous perdimes en lui, ajoute M. Dubouzet, 

un de nos meilleurs matelots. L’infortuné s'était em- 
barqué à Valparaiso le jour même de notre départ; il 


1840. 
45 Janvier. 


avait depuis lors rempli pendant près de deux ansles 


fonctions de patron du canot major, à la satisfaction 
de tous ses chefs. » 
Ce jour-là, nous fûmes assaillis par des grains de 
_neige qui augmentérent encore la force du vent. La 
“température de l’eau de la mer s'était aussi abaissée 


subitement ; et des milliers de pétrels de toutes cou- 


— leurs entouraient nos navires. Comme lors de notre 
première tentative pour pénétrer dans les glaces, ces 
indices semblaient annoncer l'approche de la ban- 

É -quise ; nous nous trouvions à peine sous le 58° degré 
- de latitude, et déjà chacun de nous éprouvait l'ap- 
préhension de la voir barrer notre route. Cependant le 
lendemain matin les oiseaux de mer devinrent moins 
nombreux autour de nüs navires ; la brise avait molli 
. et la température était plus douce. I ÿ avait deux 


1840. 


Janvier. 


16 


132 NX VOYAGE | 
ans qu'à pareil Jour, et à peu près sous 1 
latitudes, nos équipages RE ‘1 


tuations ils te HE ra qu’ He 
d’être ane heureux dans cetie nouvelle. 
prise, mais cette espérance devait être de 0 l 
durée. | PA 
A trois heures vingt-cinq minutes dur matin, 1, Re Vis ie 
signalait la PRES glace ; elle était peu importante. | 
Ce n’était qu’un glaçon de petite dimension, qui n of 1 


* frait rien de remarquable et qui aurait certainement 


passé inaperçu à côté de nos corvettes, s'il n avait ‘ 4 
signalé pour nous l'approche probable de glaces in- 3 
franchissables. Peu de temps après, d'autres glaces à 
se montrèrent à l'horizon, au nombre de cinq à six. À 
Nous rangeâmes de très-près celle qui se trouvait la 
plus voisine de nous ; elle formait un bloc d environ 4 
400 mètres de re sur 21 mètres de hauteur. Ses 4 
bords échancrés annonçaient que depuis longtemps 4 
elle était en pleine mer, où les eaux, agitées par %e À 
vent, avaient n fait de larges entailles dans pe 1 


ea dr 
RE, REX à 


F : Fe à AT à Les A 2 
és “dn 2 E RO Et LE de Pr ES 


AU POLE SUD. 133 
mes qui apercevaient pour la première fois ces masses Bis 
redoutables. Ils devinrent naturellement le sujet des 
plaisanteries de leurs camarades, et bientôt, entraînés 
par l exemple, ils ne donnèrent plus à leur tour aucun 

‘signé d’étonnement à la vue des glaces flottantes que 
nous rencontrames"par la suite. 

… L'apparition de ces glaçons ne me présageait rien 
de bon pour l'avenir. Dans ma première tentative, 
- nous avions aperçu les premières glaces par le 59° de- 
gré de latitude, et nous n'avions pu dépasser le 
D 65° parallèle : ne hui nous n'avions atteint que 
le 60° degré, et j'en tirai naturellement la conclu- 
sion que nous arriverions sous peu devant les mêmes 
banquises qui déjà nous avaient arrêtés une fois. 
Cependant ces premières glaces me paraissaient 
déjà trop grosses pour avoir pu se former dans la 
banquise en pleine mer. Je pensai qu elles prove- 
naient plutôt de quelques terres qui se trouvaient 
dans le voisinage, et la suite m'a prouvé que je ne 

. m'étais point trompé. 

… Les vents continuaient à souffler de l'O. N. O., 

E mais la mer s'était apaisée tout d’un coup, la houle 

ine parvenait que difficilement jusqu’à nous. C'était 

* à une indication bien précise qui annonçait l’ap- 
| proche de la terre ou de la banquise. Cette remarque 
h avait échappé à aucun de nous; toutefois, comme 
pendant les deux jours qui HR nous n’aper- 
çümes presque plus d'îles de glace flottantes, nous 
continuèmes à espérer d'atteindre une latitude éle- 
vée. Le froid était devenu très-vif. Le thermomètre 


1840. 
Janvier. 


48 


19 


134  CUVOYAGE COS 
ne s'élevait que fort peu au-dessus de zér 


magnétique Joue la er était un da br 

principaux de l'expédition. A ee. 
Le 18 janvier au soir, nous avions afteint V8k | 1 

degré de latitude méridionale. Le temps était humide, 

la température assez douce, et nous étions tous plei ns s ! 

d'espoir de dépasser bientôt le 70° parallèle ; mais à 

minuit nous nous trouvames tout à coup entourés 


par cinq blocs énormes, taillés en forme de table, 1 


Ces glaces avaient tout à fait l’aspect de celles que 
nous avions rencontrées en si grand nombre aux. 


environs des îles Powels. Dès lors mes prévisions | 
que nous nous trouvions dans le voisinage de terres 
inconnues prirent plus de consistance; je renonçai \ | 
avec peine” à l'espoir que je nourrissais de pénétrer M 

jusqu'à une latitude élevée, car je pensai que bientôt 
je serais arrêté par les terres que je présumais devoir 
être devant nous, et qui, dans tous les cas, en offrant 4 
une base solide aux glaces flottantes, devaient former 


dans ces parages, nous profitâmes d’une jolie 
d'ouest qui s'était établie pour nous avancer 
le sud. | nn. 

À six heures du matin, nous ee. six 1 


AU FOLE SUD. 133 


_ endistinguait seize. Tous ces blocs étaient en général 


plus grands que ceux que nous avions déjà rencon- 
. Tous avaient la même forme, ils étaient plats 
et taillés à pic sur les bords. Leur hauteur variait 


entre 30 et 40 mètres ; quant à leur dimension hori- 


zontale, nous en remarquâmes plusieurs qui avaient 
plus de 1000 mètres de largeur et l'un d’eux accusa 


un mille de distance entre ses deux extrémités. Tous 


avaient le même aspect, et se présentaient comme 


ceux que nous avions vus, dans notre première expé- 


dition polaire, aux environs des terres. On n’aper- 


…. cevait aucune trace de fusion ni de décomposition ; 


‘© 
Cu, 


? 


7 Ad 
+4 


aucun d'eux ne présentait ces vastes échancrures 
que les eaux de la mer pratiquent dans leurs bords, 
et qui imitent, à s’y tromper, les arches d’un pont, 


surtout lorsque la lumière vient les éclairer oblique- 
_ ment. Ces îles flottantes semblaient être détachées de 


la veille d’une côte glacée peu éloignée. 
Nos corvettes étaient entourées de pétrels blancs 


“et gris, de damiers, de quelques manchots, d’une ba- 


leine et de deux ou trois phoques. C'était encore là 


—… un présage certain que nous étions près de la terre. 
À neuf lieures du matin, nous aperçümes dans 


PO. S. O. un gros nuage noir paraissant stationnaire 
et affectant tout à fait l'aspect d’une île élevée. 
RRUAARE LARonES nous Je suivimes des Yeux, 


LES 1 


constater pour nous une nouvelle découverte. Mais : à 


dix heures, le ciel, jusqu'alors brumeux, s’éclaircit 


out à coup. Le soleil apparut dans toute sa pu- 


1840. 
Janvier, 


| 136 VOYAGE 
1810. reté, et fit bien vite disparaître cette apparent 


Janvier. 
peuse. KA F4 


Fi] 771 


induits en erreur La ces Fate apparenoes, dr ; J 
Li dans ces ae. _que nous étions s devenus 4 


$ pont, occupé pis ce HénlLe à à élit à s dif 
rentes îles de glace qui étaient en vue, se hâta de 
monter dans la mâture afin d’éclaircir tous les doutes; 

il s’assura alors que l'indication donnée par M. Ger= 
_vaize se rapportait à un nuage qui, vu de la hauteur 1 

de la.hune d’artimon, paraissait être au-dessus de 1 
l'horizon. En descendant, il m’annonça en outre, € que e 

droit devant nous, il existait une apparence de terre 

bien plus distincte et mieux tranchée; c'était, en effet, « 

la terre Adélie. Grâce à cette circonstance, M. Du- 4 

+ moulin fut le premier de nous tous qui aperçut lan 
terre. Mais il avait été si souvent déçu par des er: 


abattue sous le poids des énormes bloes q 
chargeaient, était calme et unie comme 


| AU POLE SUD. 137 
soleil brillait de tout son éclat, et ses rayons, se ré- 
fléchissant sur les parois de cristal qui nous envi- 
ronnaient, produisaient un effet magique et ravis- 


sant. Nous ne comptions plus un seul malade sur les 


cadres. M. Dumoutier m'avait prévenu qu’il avait cru 


apercevoir sur quelques hommes des indices d’une 


- invasion prochaine du scorbut; mais heureusement 


. tout danger de ce genre avait rapidement disparu de- 
vant les soins assidus des médecins. Aussi nos équi- 


pages, pleins de courage et de bonne volonté, pa- 
raissaient gais et contents. Ils avaient préparé dès 
longtemps une cérémonie semblable à celle qu'on 
pratique à bord des navires au passage de l'équateur, 
etles acteurs, après m'en avoir demandé la permis- 
sion , se tenaient prêts à paraître sur la scène lorsque 
nous arriverions sous le cercle polaire. J'ai toujours 
pensé que les farces grossières dont les matelots ont 


Phabitude de gratifier ceux qui, pour la première 
fois, franchissent les limites équatoriales, étaient d’un 


bon effet à bord d’un navire, où les distractions sont 
si rares pour les marins, et où souvent l’oisiveté et 


l'ennui qui en est la suite jettent le découragement 


dans les équipages. Aussi, loin de m’opposer aux 


scènes burlesques que préparaient nos matelots, je 


leur déclarai que je serais le premier à m'y sou- 


mettre; seulement, en raison de la température, je 
leur défendis de jeter de l’eau sur le pont, ni de 
soumettre personne à des ablutions qui ne sont sup- 


| . ; __ 
portables que sous la zone torride. Je leur laissai, 
. du reste, le soin d'inventer le genre de cérémonie à 


1840. 
Janvier, 


1840. 
Janvier, 


faisait espérer que bientôt nous aurions fr: 


PI. CLXVI. 
| parut derrière elle, et te voir de route] 


sur Je pont pour jouir du Coup d'œil 48 


constance, leur génie ne leur fit pas faute. 


du soir le soleil était encore au-dessus de l'horizon, « 


138 | VOYAGE | 
laquelle 1 ils désiraient soumettre e les ha itar 
trolabe, et l’on verra plus tard que, dans © 


avions atteint le 66° degré de latitude sud, t : 


tE PEUY EU 


cercle polaire antarclique , et, suiyanl habit LH 


Eunes, je reçus un pan monté & sur “un Rae. 1 
qui m'apporta le message de son fantastique sou 


rain. Je ferai grâce au lecteur du costume de ce sin- D | 
gulier ambassadeur et du contenu de son épitre; Je. : 


vis avec plaisir que nos marins ayaient changé 14 24 


cérémonie du baptême habituel de la ligne, en celle 


d’une communion sous une seule espèce, celle du | 
vin, qui devait leur être plus profitable, et je n eus à 
pas d’ objection à faire. Comme eux, j'espérais que le 
lendemain nous aurions dépassé le cercle polaire , : 
mais les calmes qui succédèrent à la brise arrétèrent : 
notre route. Nous étions à l’époque où les jours sont les | 
plus longs dans les zones glaciales, aussi àneuf heures 


et son disque lumineux s’abaissait lentement derrière 


l terre dont l'existence était pour piuseu eneor 4 


pureté ses contours élevés. Chacun était a 


XL U4 , 3 
ee 


« d : n ; À à 
pet k de Etre Yi 
VAR. EPST DEN CERN HER 


AU POLE SUD. G 139 


effet, la grandeur de ce spectacle, Le calme de la nuit 
venait donner aux masses énormes de glace qui nous 
entouraient un aspect plus grandiose peut-être, mais 


“aussi plus sévère ; tout l'équipage suivait des yeux le 
soleil disparaissant derrière la terre et laissant encore 
après lui une longue traînée de lumière. À minuit, le 


crépuscule durait encore, et nous pouvions facilement 


lire sur le pont. Nous ne comptions pas plus d’une 
demi-heure de nuit; j'en profitai pour aller prendre 
quelque repos , renvoyant au lendemain le soi d’é- 
claircir tous les doutes sur l'existence de la terre qui 


… était devant nous. 


À quatre heures du matin, je comptais soixante- 
douze grosses glaces autour de nous. Je savais que pen- 
dant la nuit nous avions à peine changé de place, et 


cependant parmi ces blocs énormes qui nous entou- 


raient ef qui tous avaient une forme particulière, bien 
qu’ils présentassent un aspect à peu près uniforme, 
je ne reconnus presque aucune des îles flottantes que 
J'avais remarquées la veille. Le soleil était depuis long- 
temps sur l'horizon, et bien que l’atmosphère fût 
- brumeuse, sa ne se faisait sentir ; aussi toutes les 
ss qui nous entouraient paraissaient subir une 
= décomposition active, Une d'elles, qui n’était sé- 


… parée de nous que par une distance peu considérable, 


NUL to Mr lt PRE POLE 


aitira surtout mes regards. De nombreux ruisseaux 
prenaient leur source sur son sommet, creusaient 


profondément ses parois et s’élançaient à la mer en 
- cascades. Le temps était magnifique; mais malheu- 
reusement 1 n'y avait pas de vent; devant nous se 


1840. 
Janvier, 


20 


1840, 
Janvier. 


PI. CLX VIT. 


140 _ | VOYAGE | 


pente assez douce. Au milieu de la teinte gris et 
. uniforme quelle présentait, nous n’apercevio: qu 


tive. Toutefois la joie fut générale à bord; désormais, 


rement couverte de neige, elle S Pr d 
k ouest, et elle semblait s’abaisser vers la meï 


pe 
un sominet, pas un seul point noir. Aussi existai 


encore plus d’un incrédule sur le fait de son exis- 4 
tence. Cependant à midi toute incertitude avait cessé. 4 
Un canot de la Zelée qui vint nous visiter, nous an- 4 
nonça que depuis la veille on avait vu la terre à bord 
de cette corvette. Moins méfiants que nous, tous les 
officiers de la Zélée étaient persuadés déjà de la réa | 
lité de cette découverte. Malheureusement, les calmes | 
qui continuaient ne nous permettaient point d'en ap- 1 
procher et de la reconnaître d'une manière plus posi- M 


le succès de notre tentative était assuré; car l'expé- 
dition devait rapporter, dans tousles cas, la connais- © 
sance d’une nouvelle terre. LENS 

La journée fut entièrement consacrée aux plaisirs | 
de l’équipage. Bien que nous n’eussions pas attein 
encore le cercle polaire, nos marins n’attendirent pa: 
ce moment pour faire apparaître sur le pont le sou 
verain antarctique. Ils RAR co à l'or-. 


.: 0 Et Mel 2e: Ar ALT 


AU POLE SUD. tal 

avaient rarement joui d’une santé plus florissante. 
Les oïseaux de mer étaient nombreux autour de 
nous;nous voyions s'agiter dans les eaux un grand 
nombre de manchots et plusieurs phoques à fourrure, 
mais nous n’aperçümes aucun de ces grands pétrels 
- géants que nous avions trouvés en abondance dans 
… les glaces, lors de notre première expédition circum- 
_ polaire, et qui, lorsque nos corvettes restèrent cer- 
nées dans la banquise, venaient se disputer, sous nos 

| yeux , les débris des phoques abattus par nos chas- 


UE" di LOUER, A 


4840. 
Janvier. 


seurs. Nous recueillimes à la surface de la mer un _ 


_ long cordon blanchâtre et du plus singulier aspect. Il 
4 avait plus de deux mètres de long, à était rond et 
uniforme. Nous reconnümes plus tard qu'il était 
formé par une agglomération de mollusques ; dans Ja 
suite , nous rencontrâmes encore plusieurs RS 
D Hills, mais de moindre longueur. 
Depuis que nous avions reconnu la terre, nous at- 
tendions avec impatience que la brise vint nous per- 
— mettre de nous en rapprocher ; enfin, à trois heures du 
pur elle se fit duS. S. E., mais elle était si faible, 
pau elle nous permettait à de filer un nœud. A 
«mesure cependant que nous approchions, nous aper- 


SN EL 


$  cevions distinctement des crevasses sur la croûte de 


glace qui recouvrait le sol, et qui lui donnait une 
teinte grise des plus uniformes. De distance en dis- 
tance, nous voyions des ravines profondes , creusées 
par les eaux provenant de la fonte des neiges; mais 
les détails de la côte nous étaient toujours mas- 
qués par les iles de glace pans: qui, Suivant 


4 
è 


21 


PI. CLXIX. 


LCR | voyacE | 


et nous commençänes à avancer ï pes { lermé 
mesure nee nous HAPESIOR les îles de 


ces inasses flottantes, que je redéutaiee à | chu i | 
stant de voir nos corvettes aller se briser sur elles: M 
Cette navigation n’était t point, en effet, sans danger, 4 
car la mer produisait autour de tous ces COrPS. des 1 
remous considérables qui né pourraient manquer 
d'entraîner un navire à sa perte, s’il se trouvait un 
seul instant abrité du vent par les hautes falaises « de 4 
glace. C’est en passant à leur base que nous pouvions M 
surtout juger de la hauteur qu’atteignent ces glaçons « 
flottants. Leurs murailles droites dépassaient de beau- F. 
coup nos mâtures ; elles surplombaient nos navires, | 
dont les dimensions A re Heu ri © 


rues étroites d’une ville de géants. Au pied 
immenses monuments, nous apercevions de. 
cavernes creusées par la mer, et où les eaux 
souffraient avec fracas. Le soleil dardait ses 
cBlIques.s sur d'immenses parus de glace, 


__ - AU POLE SUD. 18 
lumière vraiment magiques et saisissants. Du haut 
de ces montagnes de glace s’élançaient à la mer de 
nombreux ruisseaux, alimentés par la fonte des nei- 


ges qui paraissait irès-active. Il nous arriva souvent 


dé voir devant nous deux glaçons tellement rappro- 


À “chés que nous perdions de vue la terre sur laquelle 


nous nous dirigions. Nous n’apercevions alors que 
deux murs droits et menaçants qui s’élevaient à nos 
côtés. Les commandements des officiers étaient répé- 
tés par plusieurs échos produits par ces masses gi 
gantesques, qui se renvoyaient de l’une à l’autre les 
sons de la voix; lorsque nos yeux se reportaient sur 


Ja Zélée, qui nous suivait à petite distance, elle nous 


paraissait si petite, sa mâture semblait être si grêle, 
que nous ne pouvions nous défendre d’un sentiment 
de terreur. Pendant près d’une heure, nous ne vimes 


autour de nous que des murailles verticales de glace. 


Puis nous arrivâmes dans un vaste bassin formé par 


la terre, d’un côté, et de l’autre par la chaîne d'îles 
flottantes que nous venions de traverser. À midi, nous 


- n'étions plus qu’à trois ou quatre mulle de notre nou- 


RO VIENT ? 


velle découverte. | | 
- La terre qui était en vue nous montra alors Île 


° peu d'accidents qu'elle présentait : elle s’étendait à 


toute vue au S. E. et au N. O., et, dans ces deux 


* diréctions, nous n’apercevions pas ses limites. Elle 


était entièrement couverte de neige, et elle pouvait 
avoir une hauteur de 1000 à 1200 mètres. Nulle 
part elle ne présentait de sommet saillant. Nulle part 


non plus on n'apercevait aucune tache indiquant le 


1840. 
Janvier. 


1840. 


Janvier. 


_eussions pa: admettre que at les ] 


144 | VOYAGE | 
sol, êt l'on eût pu croire que no me. 

dont: une banquise plus considéra] le e 
toutes celles que nous avions renc: 


semblable à ut que nous avale ba 
dans les îles flottantes ue non Aube à 


que nous ne conservâmes s pas le nee doëte Me 
formation de celles-ci. Du reste, sur plusieurs points | 
du rivage, nous apercevions encore üne grande qi ane 
tité d'îles flottantes, paraissant à peine séparées du | 
littoral où elles s'étaient formées, et n° ‘attendant p plus 
que l'influence des vents et des courants pour gagner 
le large. Les parties élevées de la terre présentaient | 
partout une teinte uniforme ; elles se terminaient à 
la mer par un plan Fee incliné; grâce à cette 
disposition particulière, nous pouvions embrassernd 11 
regard une étendue assez considérable de. tent ain Ë 
Sur plusieurs points, nous Mn 427 ke ne 


AU POLE SUD. 145 

son éclat et ajoutait beaucoup à l’aspect déjà si im- 
_ - posant de cet amas de glaces. Avec nos lunettes, 
nous interrogions à chaque instant du regard cette 
terre mystérieuse , dont l’existence ne paraissait 

_ plus contestable , mais qui ne nous avait offert 
encore aucune preuve irrécusable de son existence. 
Bientôt la vigie crut distinguer une tache noire sur 
les bords de la mer, et se hata d'annoncer sa décou- 
verte ; plusieurs officiers qui s'étaient élancés eux- 
--mêmes dans la mâture, crurent apercevoir à leur tour 
ces indices si désirés à travers une masse d'îles flot- 


| 
à _ 


que nous nous approchâmes , le point noir qui avait 


été signalé disparut subitement. Nous reconnümes, 


parmi les îles flottantes, qu'une: d'elles présentait 
- une teinte terreuse, et qui aurait pu donner lieu à une 
méprise. Nous supposèmes que c'était là la tache noire 
aperçue par la vigie. Il est possible cependant qu'il y 
eüt dans cette partie une île ou un sommet dénudé 
qui aurait pu apparaître dans une direction donnée, 
inais qui, plus tard, aurait disparu derrière les glaces 
qui garnissaient la côte. Les événements qui se suc- 
- cédèrent quelques heures plus tard rendent même 
cette hypothèse très-probable. 
La brise, quoique faible, nous était favorable pour 
prolonger la côte dans l’ouest. Toute la journée fut 
employée à la reconnaître. Nous aperçümes quelques 
caps avancés, et quelques baies peu profondes et 
généralement embarrassées par une immense quan- 
tité d'îles flottantes ; mais partout le rivage présentait 
VIIL. | 6 40 


tantes qui garnissaient la côte. Mais ensuite, à mesure 


1840 


Janvier. 


1540. 


Jänvier. 


désireux de recueillir des observations magnétiques, 


146 VOYAGE NS 
le même aspect ; il se terminait à la mer par ie Hi 5 
raille glacée qui rendait tout débarquement 1impos= 
sible. Depuis longtemps MM. Dumoulin et Coupvent; “4 


plus concluantes que celles qu'ils avaient faites Surnios 
navires, n'avaient demandé à débarquer soit Sür la 
côte, soit sur une île de glace assez considérable pour ‘ 
qu'elle fût sensiblement privée de mouvement. En « 
vain, pendant toute la journée, j'avais cherché loc= 
casion de satisfaire ce louable désir, toutés les îles « 
de glace que nous rencontrions étaient inabordables. 
Mais, vers six heures du soir, l’une d’elles, présen— 
tant sur une de ses faces une pente assez douce, nous 
parut réunir toutes les conditions nécessaires pour ce 
genre d'observations. Aussitôt ma baleinière fut mise 

à la mer pour y porter nos observateurs. Pendant ce 
temps nos corvettes restérent en panne pour ne pas 
trop s'éloigner de la glace de l’observatoire. Ce futàces 
circonstances que nous dûmes de pouvoir constater 
l'existence de la terre d’une manière irrécusable. 

M. Duroch, qui était de quart, avait déjà fixé salu= 
nette sur un point où un instant il avait eru aper— ? 
cevoir des taches noires; mais toute marque de ce 
genre avait disparu ensuite à mesure que n0$ COrVEL- M 
tes avait pris du mouvement. Tout à coup, il aperçut de À 
nouveau des rochers, dont la teinte sombre tranchait 
sur la blancheur des neiges, et qui disparurent ensuite 
derrière les glaces, mais cette fois-ci la terre avait été 4. 
reconnue d’une manière non équivoque, et je men 


décidai à faire disposer une embarcation pour aller 


FR 


AU POLE SUD. 147 


vérifier ce fait important. À l'heure avancée à laquelle 


nous nous {rouvions, il n’était point sans danger d’en- 


voyer un canot à une si grande distance. D'ailleurs, 


mos embarcations étaient bien inférieures, pour la 
marche , à ma baleinière dont j'avais déjà disposé 


en faveur des observations de physique. Toutefois, 


1840. 
Janvier, 


désireux de profiter de ces circonstances heureuses, 


qui pouvaient ne plus se représenter, je confiai le ca- 
not-major à M. Duroch, avec la mission de recueillir 
des fragments palpables de notre découverte. La Zélée 
envoya de son côté une embarcation sous les ordres de 
M. Dubouzet. Comme nous, les officiers de ce bâtiment 
avaient aperçu ces îlots dénudés, et comme nous aussi 
ils désiraient vivement aller les étudier. | 
Aneuf heures, MM. Dumoulin et Coupventrentrèrent 
à bord après avoir achevé toutes leurs observations. 
Ils avaient constaté un fait important à connaître pour 
expliquer comment les îles de glace, après s'être for- 
méés sur la côte, peuvent s’en éloigner rapidement. 
Après avoir disposé une boussole de déclinaison sur la 


- glace où ils s'étaient établis, ces messieurs en avaient 


dirigé la lunette d’épreuve sur une autre glace très- 


éloignée. Au bout de fort peu de temps, ils s’aperçü- 
“rent que l’île sur laquelle ils avaient dirigé la lunette 
… avait subi un grand mouvement. Lorsque ensuite 


ils visèrent un des points de la terre , afin de savoir 
si le glaçon sur lequel ils se trouvaient, et qui parais- 
sait beaucoup plus considérable, avait un mouvement 
qui lui fût propre, ils constatèrent encore que cette 


 riasse énorme éprouvait une impulsion qui lui était 


1840. 


Janvier. 


148 M OYAGÉ 


particulière, et qui, bien qu’elle parüt très-légère, s'é F 
devenait pas moins très-sensible à la lunette. J'avais 
cherché, pendant que les corvettes étaienten panne; à 


faire sdete malheureusement toutes nos lignes des- 


| tinées à cet usage étaient à peu près hors de service» Je 
n'avais pu envoyer la sonde que par cent brasses, sans 
trouver le fond. Il est certain, puisque la glace sur 


laquelle MM. Dumoulin et Coupvent avaient fait leurs 
observations ne s’appuyait point sur le sol, il est cer— 


tain, dis-je , que la mer conserve là une très-grande 


Maideur: 7à 
Les deux embarcations qui s'étaient dirigées sur 
la terre ne rentrèrent à bord qu’à dix heures et 


demie, chargées de fragments de rochers arrachés 
au rivage. Voici le récit consigné dans le jour— 


nal de M. Dubouzet sur cette intéressante excur- 
sion. « Pendant la journée entière tous nos yeux 
avaient été fixés sur la côte , pour tâcher d'y décou- 
vrir quelque point où l’on vit autre chose que de la 
neige et de la glace. Enfin, au moment où nous com- 


mencions à désespérer, ct après avoir dépassé un 
amas de grandes iles flottantes qui nous masquait 
tout à fait le rivage , nous aperçümes plusieurs petits 
îlots dont les flancs, dépouillés de neige, nous mon- 


trèrent cette teinte de terre noirâtre si ardemment 


désirée. Quelques instants après , nous vimes le ca= M 
not-major de l’Astrolabe se détacher de cette corvette à . 
et se diriger vers le rivage avec un officier et deux 1 
naturalistes. . Immédiatement, je demandai au com- se à 
mandant Jacquinot de m ’embarquer : dans sa sole 3 


AU POLE SUD. 149 


qu'il faisait mettre à la mer pour l'envoyer à terre. Le 
. canot de l’Astrolabe avait déjà pris beaucoup d'avance 
sur nous; nous forçâmes la nage, et au bout de deux 
reset demie, nous atteignimes le plus rapproché 
des îlots aperçus. Nos hommes étaient tellement 
_ pleins d’ardeur qu’ils s’aperçurent à peine des efforts 
qu'ils venaient de faire pour franchir, en si peu de 
temps, une distance de plus de sept milles. Chemin 
faisant, nous rangeâmes de très-près d'immenses îles 
de glace. Leurs flancs perpéndiculairés , rongés par 
la mer, étaient couronnés à leur sommet par de lon- 
ques aiguilles d’une glace x erdâtre, formées à la suite 
du dégel. Leur aspect était on ne peut plus imposant. 


1840. 
Janvier. 


Elles paraissaient former, dans l’est des îlots sur les- 


quels nous nous dirigions , une digue redoutable; ce 
qui me fit penser qu’elles étaient échouées peut-être 
par quatre-vingts à cent brasses de fond. Leur hau- 
teur indiquait à peu près ce tirant d’eau. La mer était 
couverte de débris de glace, qui nous forçaient à faire 
. beaucoup de sinuosités. Sur ces glaçons, nous aperce- 
vions une foule de pingoins, qui, d’ün air stupide, 
nous regardaient tranquillement passer. 

«Il était près de neuf heures lorsque, à notre grande 
joie, nous primes terre sur la partie ouest de l’ilot le 
plus occidental et le plus élevé. Le canot del’ Astrolabe 


était arrivé un instant avant nous ; déjà les hommes 
qui le montaient étaient grimpés sur les flancs escar- 


pés de ce rocher. Ils précipitaient en bas les pingoins, 
fort étonnés de se voir dépossédés si brutalement de 
l'ile dont ils étaient les seuls- habitants. Nous sau- 


PI, CLXX. 


1840. 


Janvier. 


PI. CLXXI. 


- étant sur un Sol français. Celui-là aura du moins 


450 VOYAGE , 


âmes aussitôt à terre armés de pioches el {de mar= 


teaux. Le ressac rendait cette opération très-difficile, 4 
Je fus forcé de laisser dans le canot plusieurs hommes À 
pour le maintenir. J’envoyai aussitôt un denosma= 
telots déployer un drapeau tricolore sur ces terres. » 


qu'aucune créature humaine n'avait ni vues ni fou- 


lées avant nous. Suivant l’ancienne coutume quelles 
Anglais ont conservée précieusement, nous en primes 
possession au nom de la France, ainsi que de la côte. 
voisine, que la glace nous empêchait d'aborder. Notre. « 
enthousiasme et notre joie étaient tels alors, qu'ilnous 
semblait que nous venions d'ajouter une province au 
territoire français par cette conquête toute pacifiques 

Si l'abus que l’on a fait de ces prises de possession 
les ont fait regarder souvent comme une chose ridi- 
cule et sans valeur, dans ce cas-ci, au moins, nous 
nous croyions assez fondés en droit pour maintenir 
l'ancien usage en faveur de notre pays. Carnousne 
dépossédions personne, et nos titres étalent incon— 
testables. Nous nous regardâmes donc desuite comme 


l'avantage de ne susciter jamais aucune Laser à 
notre pays. : SRE | 

« La cérémonie se termina, comme elle déqai is. 
nir, par une libation. Nous vidâmes à la gloire'de la 4 
France, qui nous ram alors nn Be 


+: C4 


jouer un rôle plus digne; jamais bouteille 


“ 
L 


TE ss 


et de glaces éternelles, le froid était des plus vifs. 
Cette liqueur généreuse réagit avantageusement 
contre les rigueurs de cette température. Tout cela 
prit moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire. 
Nous nous mimes aussitôt tous à l’œuvre, afin de re- 


cueillir tout ce que cette terre ingrate pouvait offrir 


de curieux pour l'histoire naturelle. 
 « Le règne animal n’y était représenté que par les 
pingoins. Malgré toutes nos recherches, nous n’y 
trouvames pas une seule coquille. La roche était en- 
tièrement nue, et n'offrait pas même la moindre trace 
de lichens. Nous n’y trouvâmes qu’un seul fucus, en- 
core était-il desséché et avait-il été apporté là par 
les courants ou par les oiseaux. Il fallut nous rabattre 
sur le règne minéral. Chacun de nous prit le marteau 
et se mit à tailler dans la roche. Mais celle-ci, d’une 
nature toute granitique, était tellement dure, que 
nous ne pümes en détacher que de très-faibles mor- 
ceaux. Heureusement, en parcourant Je sommet de 
l'ile, les matelots découvrirent de larges fragments de 
. rocher détachés par les gelées, et ils les embarquèrent 
dans nos canots. En peu de temps nous en eûmes une 


__ provision suffisante pour pouvoir en fournir des. 


échantillons à tous nos musées, et faire encore des 
heureux ailleurs. En les examinant de près, je re- 
__ connus une ressemblance parfaite entre ces roches 
et de petits fragments de gneiss que nous avions 
trouvés dans l'estomac d’un pingoin tué la veille. 
Ces fragments auraient pu au besoin donner une idée 


AU POLE SUD. 154 


1840. 
Janvier, 


1840. 


Janvier. 


soit cette manière de faire de la géologie, elle prouve. « 


as auxquelles ils servent de noyau. Peut-être” 


152 | VOYAGE , Lee 
exacte de la charpente géologique de ces terres, sion - 
n’avait pas pu y aborder. Quelque extraordinaire que | 


combien, pour le naturaliste, les moindres observa= 
tions peuvent avoir de l'intérêt et souvent même 
l'aider dans ses recherches, en le plaçant quelquefois + 
sur la voie des découvertes auxquelles elles semblent 1 
être le plus étrangères. RAR ‘ 
= -« Le petit îlot sur lequel nous prions terre fait 


parti d’un groupe de huit ou dix petites îles arron- 


dies au sommet, et présentant toutes à peu prèsles 
mêmes formes. Ces îles sont séparées de la côte la 
plus proche par un espace de 5 à 600 mètres. Nous. 
apercevions encore sur le rivage plusieurs sommets 
entièrement découverts, et un cap dont la base était r 4 
aussi dépouillée de neige; mais nous remarquämes 
aussi une grande quantité de glace qui en rendait 
l'approche très-difficile. Tous ces îlots, très-rappro— « 
chés les uns des autres, semblaient former une 
chaîne continue, parallèle à la côte, et qui s'étendait 
de l’est à l’ouest. Toutes les îles de glace qui étaient 
accumulées dans la partie orientale et qui me paru- 
rent échouées, recouvrent probablement d’autres 
flots semblables à ceux sur lesquels nous avions dé- « 
barqué. Il est certain que beaucoup de rochers doi 
vent rester ensevelis chaque année sous ces glaces 


1 - 


” dl 
sé, 


AU POLE SUD. 153 
dans ces parages ne sauraient avoir d'autre but que 
de préciser la forme de ces glaciers au moment 
de notre passage, sans indiquer le contour de la 
côte, qui rarement doit être déponillée de la croûte 


- épaisse qui recouvrait le sol. 


« Nous ne quittâmes ces îlots qu'à neuf heures et 


demie ; nous étions ravis des richesses que nous em- 
portions. Avant de déployer nos voiles, et pour dire 


un dernier adieu à notre découverte, nous la saluà- 
mes d’un hourra général. Les échos de ces régions 


silencieuses, troublés pour la première fois par des 


voix humaines, répétèrent nos cris, et reprirent 


- ensuite leur silence habituel, si sombre et si impo- 


sant; poussés par une jolie brise d'est, nous fimes 
route sur nos navires, qui étaient alors bien au large, 
et qui disparaissaient souvent dans leurs bordées der- 
rière les grandes iles de glace. Nous ne les ralliâmes 
qu’à onze heures du soir. Le froid était alors extré- 


. mement piquant. Le thermomètre indiquait 5 degrés 
-au-dessous de zéro. L’extérieur de nos canots ainsi 
que nos avirons était couvert d’une couche de glace. 


Nous nous retrouvàämes avec bouheur à bord de nos 
corvettes, heureux d’avoir pu ainsi compléter notre 
découverte sans accidents, car, sous ce climat glacial 
et capricieux, il est bon de ne jamais quitter son 
navire pour longtemps. Le moindre vent qui sur- 
prendrait un bâtiment sur une pareille côte, le for- 
cerait de suite à prendre le large, et à dinde 
ses embarcations. » | 
Après cette excursion, qui ne laissait plus aucun 


1840. 
Janvier, 


f6r 1 _. SFOvAGE 
sue doute sur la réalité de notre dé couver! 1 
restait plus qu'à en étendre la reconnais 
- Join que possible. Le temps semblait se prêter 
rablement à cette nayigation difficile. Les vents 
à l’est, et nous poussaient lentement dans | 
d PPT et pendant tout le temps où des doutes 
avaient pu exister, je n'avais point voulu donner 
. de’nom à cette découverte, mais au retour de nos 
canots, je lui imposai celui de terre ‘Adélie. Le cap: 
plus ml que nous avions ApeNeu dans la matinée, 
au moment où nous cherchions à nous rapproche er 2 
de la terre, reçut le nom de cap de la Découverte. La 
pointe près de laquelle nosembarcations prirent en 
et où elles purent recueillir les Me pédoge 
ques, fut appelée pointe Géologie"... = ou ve 


* Notes 15, 16, 17, 18 et 19. 


re 
* 
+ 


AU POLE SUD. 155 


= CHAPITRE LX. 


L2 


Reconnaissance de la terre Adélie. — Navigation le long de la 
banquise. — Reconnaissance de la côte Clan ie. — Retour des 
cor vettes à Hobar t-Town. 


+ 


Les nuits étaient devenues tellement courtes que ce 
fut à peine si nous perdimes de vue la terre après le 
coucher du soleil. À une heure du matin, nous en aper- 
cevions de nouveau tous les détails. La brise était si 
faible, que nous avions à peine bougé de place. Ce- 


pendant, vers neuf heures, nous étions arrivés par le 


travers d’une vaste baïe entièrement ouverte. Là, la 
croûte de glace qui recouvrait le sol paraissait sillon- 
née dans tous les sens par des-ravins profonds qui 


-me firent donner à la baie le nom de baie des Ravins. 


Déjà nous avions pu remarquer, avant d'arriver au 
Cap Pépin, de semblables découpures, mais, au fond 
de la baie , les glaces qui recouvraient le terrain pa- 
raissaient tellement tourmentées, que l’on eût dit 


qu'elles avaient été jetées en blocs énormes sur le sol, 


comme souvent on:le remarque dans les terrains vol- 


1 840. 
99 Janvier. 


1840. 


Janvier. 


hr VOYAGE 
“u 
caniques de création récente. Une multitools 
flottantes et atteignant des dimensions colossales, 
s’avançaient au large. Leurs bords étaient formés p: (a 
des murailles droites , mais la surface supérieure, « 


au lieu d’être unie, paraissait aussi recouverte de 


glaçons , dont les prismes cristallisés se croisaient en - 
tous sens. Cette chaîne d'îles de glace éparses pro= 
duisait uñ effet des plus singuliers. Il est probable 
qu'elles s’'appuyaient sur le fond, peut-être même sur : 
desilots séparés qui leur servaient de noyaux.Plusieurs M 
fois la vigie crut distinguer au milieu d’elles des ta- « 
ches noires; mais il arrive souvent que les glaces 
prennent une teinte sombre, suivant la manière dont . 
la lumière leur parvient, et les indices de terre qui . 
furent signalés ne furent jamais suffisants pour « 
donner quelque certitude à l'hypothèse que je viens « 
d'émettre. Plusieurs fois nous remarquâmes aussi, 
sur les glaces flottantes, des teintes rougeûtres dont « 
nous ne pûmes deviner la cause. Sur notre route 

même, nous rencontrâmes un petit glaçon qui pré- à 
sentait à un dégré très-prononcé cette teinte bizarre 1 
Un instant j'espérai en recueillir des échantillons, « 
mais nous en étions encore trop loin pour mettre 


une embarcation à la mer et pour aller les recueillir, « 


la brise nous quitta , et nos corvettes se trouvèrent 4 
entrainées par les courants, qui les PORTE sensi- » 
blement dans l’ouest. | “A 40 eu 
Souvent aussi, parmi les glaces flottantes, nous | 
en avions remarqué plusieurs qui avaient une teint 
brune, comme si elles eussent été salies par lee 


AU POLE sub. 157 


du we Il est probable que ces effets singuliers ne doi- 
vent pas toujours être rapportés aux jeux de la lu- 
mière, qui varient à l'infini au milieu de ces masses 
gigantesques aux formes multiples. Il est probable que 
- toutes ces îles de glace se produisent près des côtes 
et qu'ensuite, lorsqu'elles s’en détachent, elles empor- 
tent avec elles des débris qui attestent leur origine. 
Un de ces blocs extraordinaires se trouvait devant 
nous à une petitedistance, etje désirais vivement m'en 
approcher ; mais la bite ne nous revint que lorsque 
le soleil était couché. Il était minuit lorsque nous le 
dépassimes en le rangeant de très-près. Il présen- 
tait alors l’aspect de la terre ; du reste, il nous fut 
impossible de reconnaître la cause de cette teinte par- 
liculière. 

À quatre heures du matin, la vigie annonça que 
la mer était barrée devant nous par une chaîne d'îles 
de glace. Le ciel était magnifique. Rien n’annonçait 
encore un changement dans le temps. La brise était 


_ 


léoère et régulière, la mer des plus unies. Désireux 


de prolonger la reconnaissance de la terre aussi loin 
qu'il nous serait possible, je voulus d’abord essayer 
de continuer ma route , afiri de passer entre la terre 
et la chaîne d’iles qui m était signalée ; mais, à mesure 


que nous approchions, la vigie reconnut de nou- 


velles îles de glace qui bientôt se montrèrent liées 
entre elles par une’ banquise continue. Cette bar- 
rière de glace, s'appuyant sur la terre au sud, s’éten- 
dait ensuite vers le nord pour revenir enfin vers 
l'est; nous l’accostàmes de très-près : elle était sem- 


4840. 
Janvier, 


23 


1840. 


Janvier. 


is de | OMOMSE IN 


blable à à - _celles que nous avions. rencontré es r 
notre première excursion circumpolaire. De gr Ses 
glaces la surmontaient de toutes parts. La mers | 
brisait avec force sans l’ébranler. 


Bien que cette rencontre vint contrariér mes pro= * 


jets, j'espérais que la banquise ne s écndaléoge | | 
Join dans le nord, et qu'alors nous pourrions. l : É 


doubler en peu de More pour la proloñgér ensuite en 


conservant notre route vers l'occident. Un instantje ÿ 
crus que la banquise, se terminant par le 66° parak . 
lèle, allait nous laisser le passage libre vers l’ouest. ” 
Là, en effet, elle formait un grand golfe, et, au cen- « 
tre, on n’apercevait plus qu’une ligne d'îles flottantes ” 
au milieu desquelles il nous eût été facile de passer « 
mais en Courant dans le nord, nous aperçûmes de nou- » 
veau la banquise qui nous ramena dans l’est en nous 

barrant le chemin. Le temps continuait à être ma= 
gnifique. Ce champ de glace, vu du haut de la mà= 
ture, brillait, sous les rayons obliques du soleil, 

d’un éclat semblable à celui des diamants. Au mi- w 
lieu , nous apercevions une énorme montagne de « 
glace qui s’éloignait tellement des dimensions "de 
celles que nous avions rencontrées auparavant que M 
nous lui supposämes un noyau de terre pour lui 
servir de base. Les vents étant toujours à est, il 4 
nous fallut louvoyer pour sortir du'cul-de-sac où nous 
nous étions engagés. Pendant toute la journée, no 

restmes en vue de cette montagne de glace, maï 
rien ne vint contssen les doutes que nous av 
son égard. OP TP RTE OT 


AU POLE SUD. 159 
Lors de notre premiere expédition circumpo- el 
laire, nous avions constamment remarqué que le L 
soir, après le coucher du soleil, il existe toujours 
au-dessus des banquises une clarté ässez vive, pro- 
venant sans doute de la réflexion des glaces. Cette 
clarté avait toujours été pour nous un indice cértain 
- de l'approche des champs de glace. Réduits à lou- 
% voyer, pendant la nuit, au milieu d'un espace où 
_ se trouvaient parsemées un grand nombre d’iles 
flottantes, nous étions obligés de redoubler de soins 
pour éviter de tomber inopinément sur elles. Cha- 
- cun de nous comprenait bien que notre position 
pouvait devenir dangereuse, si les vents d’est, qui 
- nous empêchaient de sortir du golfe où nous étions, 
venaient à souffler avec force. Aussi, le soir, j'interro- 
geai avec inquiétude tous les points de l'horizon, et 
je m’aperçus bien vite que nous étions loin encore 
d'avoir atteint l'extrémité orientale de la banquise, 
dont je pouvais alors étudier la direction à la vive 
clarté qu’elle réfléchissait dans le ciel. | 
A huit heures du soir, nous vinmes virer de bord 
près de la terre, afin de pouvoir courir une longue 
bordée pendant les quélques heures de nuit qui 
nous restaient. À minuit, la brise sembla augmenter 24 
de force. La houle, qui se faisait sentir du côté de 
l'est, eût été un présage certain du mauvais temps, 
si déjà le ciel n'avait commencé à se couvrir et à 
prendre la plus mauvaise apparence. À quatre heures 
du matin, nous courions au nord et je croyais alors 
avoir doublé la banquise dont nous avions reconnu 


1840. 


Janvier. 


160 ‘sé _ VOYAGE D 
Le veille u une pointe dans 0e mais bientôt Fa vigie 


gereuses, car si nous eussions dans ce moment- 


pu résister au choc de ces énormes masses de glace 4 


" 


annonça de nouveau les glaces solides devant nous. 
La banquise s’étendait dans le nord-est à à toute vue, 
prolongeant ainsi le golfe dans lequel nous étions “ 
engagés. Dès ce moment, je commençai à serrer le 
vent; mais, reconnaissant bientôt que nous ne pou 
vions ne les glaces de la bordée , nous virämes « 
de bord pour courir de nouveau sur Le terre. Pendant 
cet intervalle, la brise fraîchit subitement; la mer | 
devint très-grosse, et en peu d’instants notre position 
fut des plus fâcheuses. Heureusement T'espace au 
milieu duquel nous étions obligés de courir n’était 
pas trop encombré par les glaces flottantes. Une | 
vingtaine seulement étaient en vue : obéissant à lim 

pulsion des vents, elles dérivaient visiblement vers « 
la banquise. Vers une heure, le vent souffla par ra-, 
fales avec une force extraordinaire. La neige tomba 
en tourbillons et vint nous masquer la terre. Notre 
horizon alors ne s’étendit pas à plus de trois en- 
càblures, et notre navigation devint des plus dan-. 


éme ASE" pi ÉRRÉe 2 or 


ar =: 


FN un ia 


là rencontré sur notre route une de .ces grosses M 
glaces, si fréquentes, nous n’eussians peut-être pas M 
pu l’apercevoir assez à temps pour l’éviter, et alors « 
quelle fin eût été la notre! Nos corvettes n’eussent . 


compacte, et elles eussent PHARES coulé sur 
DAPRc | R s 


AU POLE SUD. ».. "104 
pressai de faire le signal à son capitaine de ma- JE 
nœuvrer comme il l’entendrait pour la sûreté de son 

_ bâtiment, sans s’astreindre plus longtemps à rester 
dans nos eaux ; mais dans ce moment nos navires 
furent tout à coup enveloppés par un épais tourbillon 

de neige qui ne permit pas que ce signal fût aperçu. 
Toutefois, dès cet instant, nos corvettes se perdirent 
de vue, et nous dûmes bientôt concevoir de sérieuses 
craintes sur le sort de la Zélée. Malgré la violence 
du vent, nous étions obligés de conserver encore beau- 
coup de toile pour éviter d’être entraînés sur la ban- 
quise où notre perte eût été rapide et inévitable. 
Forcés cependant de carguer la grand’voile dans une 
rafale, elle fut presque immédiatement mise en lam- 
beaux. Bientôt il fallut aussi serrer la misame:; nous 

_conservames encore, mais avec grande peine, les 
huniers aux bas ris ; la mâture ployait sous le poids 
de cette voilure réduite. À chaque instant nous crai- 
smions de voir le grand mât s’écrouler ou nos huniers 
emportés et déchirés par le vent. L’Astrolabe se débat- pl. cLxxir. 
tant au milieu des lames qui l’inondaient de toutes 
parts, présentait un spectacle effrayant ; elle donnait 
une bande telle que sa batterie sous le vent était pres- 
que entièrement recouverte par les eaux de la mer. Si, 
dans ce moment-là, avec la vitesse qui lui était impri- 
mée, elle eût rencontré un obstacle devant elle, elle se 
serait abimée immédiatement. Le froid était des plus 
vifs, l'avant du navire disparaissait sous une croûte 
“épaisse de verglas. La neige , qui tombait abondam- 


. ment, s’attachait à chaque manœuvre, s’y congelait 
VI. | A1 


1840. 


Janvier. 


462 | VOYAGE 
et en augmentait la roideur. Il fallait nn. à 
éfforts de tout l'équipage pour exécuter la moitidre À 
inanœuvré , ét je dus craindre 1 bientôt ses forces É 

À 


nie vinssent as ’épuiser. dat: Lee 


Tous, officiers et marins, remplisshiofit adrnirable 
ment für devoir ; cependant, malgré tous ños éfforts, 
je m aperçus bientôt que, loin de gagner dans l'est, 
nous dérivions rapidement dans l’ouest. Deux fois déjà 
nous étions venus virer de bord près de la banqüise , 
et à chaque fois j'avais reconnu que, nonobstant 
notre loüvoyage, nous avions été fortement entraînés 
dans l’ouest. Pour comble de malheur, la boussole, 
dont les indications précises nous étaient si néces= 
saires, était devenue tout à fait inexacté. En eflet, . 
pendant tout le temps que nous avions couru au sud, ‘ 
sans presque jamais changer le cap du navire, nous 
nous étions peu aperçus des déviations considérables 
que l'aiguille aimantée éprouvait en se rapprochañé 
du pôle magnétique. Mais dans cette journée, la plus 
terrible de toutes celles que nous passèmes dans les 
régions glaciales, nous dûmes naviguer dans des di- 
rections très-différentes et souvent tout à fait op“ ; 
sées ; dès lors tous nos compas de route comimencè= « 
rent à affoler ; nous nous trouvions suffisainiietit près 
du pôle magnétique, pour que la force horizontale 
qui dirigeait nos aiguilles devint trop faible par rap= 
port aux Influences étrangères ; les indications de la 1 
ne devinrent aussitôt np. el As } 


Eu ME Te: à Pie 


AU POLE SUD. VAE SA06 
réuni dans l'endroit le moins agité du bâtiment, pen- 
dant la tourmente, toutes les boussoles que nous 
avions à bord. Toutefois, ce ne fut que quelques jours 
après , et lorsque nous eûmes fait des observations de 
déclinaisons comparatives sous tous les caps du bâti- 
._ mént, que nous pûmes connaître avec exactitude la 

route que nous avions suivie dans les glaces, el tous 
les danigers que nous ÿ avions courus: 

Dans la journée du 24, les glaces flottantes que 
nous avions remarquées précédemment servirent 
seules à nous guider; elles suffirent pour nous prou- 
ver que, malgré notre louvoyage, le vent nous en- 
_trainait rapidement dans l’ouest, et que nous ne de- 
vions plus espérer de salut que dans le cas où le vent 
diminuerait promptement d'intensité. À sept heures 
- du soir, sa violence était devenue telle que toute ma- 
_ nœuvre était très-diflicile. Il n’était pas possible de se 


tenir dans le gréemnent couvert de glaçons tranchants ; 


c'était à peine si nos matelots pouvaient se main- 
tenir sur le pont, constamment balayé par les lames. 
Cette nuit fut affreuse; heureusement nous ne ren- 


contrâmes dans notre sillage que quelques glaces 


éparses que nous pümes apercevoir assez à temps 
pour les éviter. Aucun obstacle ne se présenta devant 
nous, lorsque la neige, tombant à gros flocons , et 
une brume épaisse nous permettaient à peine d’aper- 
cevoir les objets à la distance d’un mât à l’autre; car, 
je le répète, la rencontre d’une seule glace, dans une 
pareille situation, aurait infailliblement entrainé 
notre perte. | | 


1840. 
Janvier. 


1840. 


Janvier, 


s’offrait un avenir des plus honorables, et qui, quel= 


ment nous séparaient du fond du golfe. En tenant 


162 V. OYAGE ï 
À combien de réflexions pénibles n'étais-je pas en 
traîné dans un pareil moment! Si nous eussions péri 
dans cette journée, tous les travaux de l'expédition 
auraient été anéantis ; Je n’avais pas même la CONSO— 
lation de penser que j'avais été conduit dans cette. 
nouvelle expédition glaciale par les instructions qui. 
m'avaient été confiées. Pour moi, la vie était peu de. 
chose : condamné à des souffrances constantes, la 
mort élait presque une délivrance ; mais combien 
était différente la position de ces jeunes marins à qui. 


\ # CE 


ques jours auparavant, éprouvaient tant de joieetde 
bonheur à la vue de la terre que nous venions de dé—. « 
couvrir. Avec quelle avidité j'interrogeais l'horizon! « 
Incertain sur notre position, je redoutais à chaque 
instant d'entendre ce cri terrible de banquise sous le | 
vent! car je ne pouvais me dissimuler, quels que fus- 
sent nos efforts, que nous finirions par être acculés sur 
ces terribles récifs de glace sans aucune chance de. 
sauvetage. à dut) 
D'après l’estime de M. Dumoulin, dix lieues seule- 


compte de notre dérive, il suffisait de douze heures 
pour nous faire parcourir cet espace; mais obligés à 
chaque instant de laisser porter pour doubler les 
glaces flottantes qui se trouvaient sur notre passage, 
nos chances de salut tendaient encore à diminuer. 
C’est surtout dans de pareils périls que l'on peut 
juger l'équipage qui est occupé à les braver. Jama 
je dois le dire, les marins de l’Astrolabe ne mc 


= 


2 à 


AU POLE SUD. 465 
rent un plus noble courage ; officiers et matelots, 
tous, dans cette circonstance, montrèrent un, zèle 
intrépide, une stoïque abnégation, digne des plus 
grands éloges. Deux officiers étaient constamment de 


Service sur le pont du navire; les matelots se rele- 
aient d'heure en heure, mais le froid était telle 
ment vifet le service si pénible, que l'équipage était 
épuisé. 


Enfin, le lendemain, à dix heures du matin, le vent 


_ perdit subitement de sa force, les rafales devinrent 


plus rares et moins violentes; l'horizon s’éclaircit, et 
espoir commença à renaître à bord de l’Astrolabe. 


La vigie crut apercevoir du haut de la mâture la Zélée 


à une grande distance sous le vent, mais un coup de 
canon que nous tiràmes pour lui indiquer notre po- 
sition resta sans écho. Bientôt le vent recommencça à 
souffler avec force, en nous amenant des grains de 


neige qui masquèrent de nouveau l'horizon : c'était le 


dernier coup de fouet de la tempête, la brise mollit 
ensuite tout d’un coup et devint maniable; l'horizon 
s’éclaircit, nous revimes la terre, et nous pûmes con- 
stater sur les glaces l'effet du coup de vent. Toutes les 


îles que nous avions déjà aperçues dans la journée 
du 23, au milieu du bassin où nous venions de courir 


de si grands dangers, avaient presque totalement dis- 
paru; la banquise elle-même semblait avoir reculé 
sous l'effort du vent. Les relèvements qui furent 
pris plus tard sur une des plus grosses glaces vin- 


rent nous démontrer qu’en effet la partie septen- 


trionale de la banquise avait marché dans l’ouest de 


1840. 
Janvier. 


1840. 


Janvier. 


_ que nous poussâmes vers la terre , nous reconnüm: 


166 VOYAGE Re Ô 
près de trois milles, Il serait même possible € que la 
glace qui nous servit de paint de répère, eût été aussi 
rejetée dans l’ouest, et alors la banquise toutentière 
aurait pu participer à ce mouvement sans qe Al nous h 
ait été possible de le reconnaître. FR ER 
Aussitôt le calme revenu, chacun de nous, , inquiet 
du sort de la Zélée, s'était empressé d'interroger “4 
l'horizon, mais itloine le position m'inspirait 
en effet des craintes bien sérieuses : malgré la fureur 
des rafales, malgré l'épaisseur de la neige, elle avait 
su se maintenir dans nos eaux à trois ou quatre en— 
câblures ; mais lorsque je lui avais fait faire le signal 
de liberté de manœuvre, on m'avait averti qu’elle 
carguait son grand hunier. Or, dans cette position , 
une avarie seule pouvait contraindre le capitaine Jac- 
quinot à diminuer de voiles; j'avais donc tout lieu de 
redouter que cette corvette, ne pouvant plus conser- 
ver sa toile, n’eût été rapidement entraînée dans la 
banquise où elle aurait péri infailliblement;. heureux 
encore si, dans cette circonstance, nous avions pu, 
au risque de nous briser à notre tour, sauver nos mal- 
heureux camarades échappés à un naufrage aussi. 
affreux. Dans la soirée, les craintes qui nous tour= 
mentaient sur le sort de notre conserve furent peuà 
peu dissipées; dès cinq heures, la vigie crut l'entre- M 
voir à six ou sept milles sous le vent à nous. A six 4 
heures du soir seulement, dans une longue bordée 


A RTS 


tout à coup et très-visiblement notre fidèle compag 


AU POLE SUD. 167 


tombée à près de sept on huit milles sous le vent ; 
elle nous avait aperçus, et elle s'était couverte de 
taile pour nous rallier. Aussitôt je laissai arriver tout 
plat sur elle, et deux heures après les deux corvet- 
tes naviguaient paisiblement l’une à côté de l’autre, 
comme s'il n’était rien arrivé. 

. En ce moment, mon cœur fut soulagé d'un grand 
poids, car, malgré toute la satisfaction que la décou- 
verte de la terre Adélie pouvait me faire éprouver, 
elle eût été à jamais empoisonnée par la perte de la 
Z élée, si une funeste pique eût terminé sa car— 
ces s tristes parages. | 

Dans la soirée, la mer s’embellit encore; il vint 
une petite brise de S. O., et je conçus l'espoir de 
pouvoir prolonger la terre dans l’est, après avoir été 
si brusquement arrêté dans l’ouest. Toute la journée 
du 26 fut en conséquence employée à rallier la terre 
dont nous n'’étions plus, le soir, qu’à trois ou quatre 
lieues ; 1l nous fallut en même temps réparer les per- 
tes éprouvées dans le dernier coup de vent. Je n’a- 
vais pu communiquer avec la Zélée, mais il était 
facile de s'apercevoir qu’elle avait subi de fortes ava- 
ries dans sa voilure pendant le mauvais temps, car 
elle employa toute la journée à Ferrer des voiles 
neuves. | | 
Dans la soirée nous parvinmes à rallier une longue 
ligne d'îles de glace éparses, et ne laissant entre 
elles que des canaux très-étroits. Nous présumâmes 
que ces blocs de glace étaient les mêmes que ceux au 


1840. 
Janvier, 


26 


1840. 


Janvier, 


milieu desquels il nous avait déjà. fallu. che rc 


16e à VOYAGE er 


notre route, lorsque, dans la journée du 20, nous *. 
avions voulu nous rapprocher de la terre. Nous - 
comptions autour de nous plus de centcinquanteiles 
de glace, parmi lesquelles plusieurs personnes cru- 

rent reconnaître quelques-unes de celles que nous. 
avions déjà vues dans la journée du 20. J'ai déjà. 
dit que toutes ces îles avaient à peu près le même 

aspect à et bien que je ne crusse point qu'il fût 
possible de les reconnaître à leur forme particu- 
lière, je suis cependant persuadé que tous ces blocs. 
de glace étaient les mêmes que ceux au milieu des- 
quels nous avions chenalé dans la journée du 20. 
Quoi qu’il en soit, les vents qui mollirent dans la nuit 
en passant au sud et ensuite au S. E., nous forcèrent « 
bientôt à changer de direction. Je n’hésitai pas un 
instant à engager nos corvettes au milieu de cette 
chaîne de glaces flottantes, afin de sortir le plus 
promptement possible du re où nous venions de 

courir de si grands dangers. | HEURE 
_ Pendant la nuit, nous nous trouvâmes de nouveau … 
entourés par ces immenses murailles de glace qui 
terminent les îles flottantes, et dont l'aspect, vu de 4 
près, nous avait déjà paru si imposant. Il nous arriva « 
de nouveau plusieurs fois de nous trouver tellement 
resserrés entre ces parois menaçantes, qu'il était à 4 
redouter de voir à chaque instant nos corvettes entraî- 1 
nées dans le remou que Lan les eaux de la m 


inst Etes. ir ie SE MA SET. éS ié 


+. bd 


| | AU POLE SUD. 169 
nous dûmes nous féliciter d’avoir traversé cette 
chaîne d'îles flottantes, lorsque le jour nous amena 
de forts vents d’est et too de neige. Je donnai 
la route au nord; à tout prix il fallait nous éloigner 
de la terre ; la neige tombait en abondance et notre 
navigation présentait encore les plus grands dangers. 
Nous redoublions de soin et de vigilance pour aper- 
cevoir les glaces, qui à chaque instant pouvaient 


venir barrer notre route ; mais la brume était telle- 


ment épaisse que, suivant toute probabilité, nous 
n'eussions pas eu le temps de les éviter. À midi, la 
vigie signala la banquise; nous n’avions pas eu le 
temps encore de manœuvrer pour serrer le vent que 
déjà nous étions engagés au milieu d'elle. Heureuse- 
ment c'était une fausse alerte ; les glaçons qui avaient 
paru former un champ de glace solide, n’étaient que 
des débris faciles à écarter. Il est cependant probable 
qu'ils provenaient d’une banquise peu éloignée dont 
une partie avait pu être désoudée par la violence du 
vent. Quoi qu’il en soit, nous pûmes nous dégager fa- 
cilement, et comme alors le vent soufflait avec beau 
coup de force, nous mimes à la cape courante, le 
cap du navire étant au nord. Pendant toutela journée, 
la neige ne cessa de tomber. Nous aperçûmes quel- 
ques îles flottantes ; puis dans la soirée, nous nous 
trouvâmes entièrement dégagés. | 


Dans la journée du 28, les vents repassèrent à 


l’ouest. Le ciel se dégagea sensiblement, et à midi, 
nous pümes observer la latitude ; je remis aussitôt le 


Cap au sud, espérant pouvoir continuer la reconnais 


1840. 
Janvier, 


1840. 
Janvier: 


29 


à l'est, je crus devoir renoncer à toute tentative de. ‘4 


Nous ne connaissons point encore les obser vations météorolo 


\ 


ne | VOYAGE 
sance de 7 terre res he FI as la sc 


mença à oran à toit Lan mer at aie € et \ 
mentée “. PR 
Le lendemain, F. vents paraissant tout à fait ie 


pénétrer dans cette direction, et dès lors, je songeai à M 


diriger ma route de manière à la rendre la plus avanta= 


geusè possible pour la recherche du pôle magnétique. ee. 
RES avoir consulté M. Dumoulin, la route fut don- 
née auS. O., afin de pouvoir couper tous les méridiens 1 
magnétiques dont les courbes semblent devoir se rap- 1 
procher le plus de celles des méridiens terrestres. À 
midi, nous étions par 64° 48’ de latitude sud ; deux | 
ou trois îles de glace seulement étaient en vue. La 

mer était encore très-grosse, mais le temps était beau, 

quoique brumeux, et nos corvettes, couvertes de . 
toile, ayant le vent en poupe, défilaient rapidement, « 
À quatre heures, l'homme de vigie signala devant 
nous, et à petite distance, une glace d’une immense 


ÿ 4 se { 


* Cette persistance des vents d'est dans les hautes latitudes ét 
un fait très-remarquable. Comme on le sait, entre les parallèles À 
du 30° au 60° degré, lesvents régnants soufflent presque constam— 
ment de l’ouest, Il ne serait pas impossible qu’au delà de cette h- “4 
mite les vents d'est devinssent plus fréquents que les vents d'oues 4 


ques faites dans les mêmes pArAGREs PAU les “pass Wilke 


toi e aux mêmes conclusions. 


AU POLE SUD. 171 
étendue. Bientôt en effet, nous aperçûmes, à travers 1840. 
la brume, une longue ligne de glace s'étendant du ere 
S. B. au N. O., et paraissant continue. Aussitôt je 
donnai l’ordre de serrer le vent en prenant les amu- 
res à tribord, À Et | 
DS: Nous avions à peine exécuté notre mouvement, et 
déjà l'officier de quart avait donné l’ordre de faire 
amurer la grand’voile momentanément carguée pen- 
dant la manœuvre, lorsque la vigie signala un na— 
vire courant vers nous vent arrière. En un instant 
tout le monde fut sur le pont. Chacun en effet était 
. bien aise de s'assurer de l'exactitude d’une nouvelle 
si inattendue dans les parages où nous nous trou- 
vions. Le navire signalé marchait rapidement, et déjà 
il était très-près de nous lorsque la vigie l'avait an 
noncé. La brume seule l'avait masqué jusqu'alors. 
En même temps que nous distinguàmes ses formes, 
nous pûmes reconnaître son pavillon de nation qu'il 
avait hissé aussitôt qu'il nous avait aperçus. C'était 
un brick américain, et la flamme nationale qui flot- 
tait au sommet de son grand mât indiquait que c’é- 
… {ait un bâtiment de guerre. Comme je l'ai déjà dit, 
- noussavions, à notre départ d'Hobart-Town, que l’ex- 

… pédition américaine, composée de plusieurs navires 
… placés sous les ordres du capitaine Wilkes et destinée 

à accomplir un voyage de circumnawvigation, était à 
… Sidney au mois de décembre, faisant ses préparatifs 
“— pour tenter une nouvelle exploration polaire. Ainsi, 
nous étions certains que le brick aperçu faisait partie 
- de cette expédition; et lui-même, à la vue de nos 


1840. 


Janvier. 


de la division américaine. Quoi qu'il en soit, 


172 | VOYAGE 
corveltes, avait espéré peut-être retrouver 


que nous eussions hissé nos couleurs, ce bâti 


4 


continua à se diriger sur nous, et J'espérais que son 


intention était de communiquer. Afin de luifaciliter 
les moyens de nous approcher, je donnai: l'ordre ; 
d'attendre quelques instants avant d’amurerla Lens. 1 
voile. ot 

Bientôt le brick américam ne fut plie! qu à une 

encäblure derrière nous, et je pensai que son ca=. 
pitaine avait l'intention de passer à babord de. 
l’'Astrolabe et de se maintenir à une petite distance 1 
sous le vent. Or, comme ce navire couvert de toile « 
avait conservé une grande vitesse par rapport à la « 


nôtre et qu’il nous eût rapidement dépassés si, dans M 


ce moment-là, il eût serré le vent , je donnai ordre : 
d’amurer la grand’ voile, afin que 7 Astrolabe pût se 

maintenir plus longtemps à ses côtés. Cette manœuvre « 
fut probablement mal interprété par les Américains; 

car aussitôt le brick laissa porter dans le sud ei s'é= « 
loigna rapidement. Plus tard, les rapports du capi- « 
taine Wilkes qui nous sont parvenus, en faisant men- 
tion de cette rencontre, m'ont attribué des intentions î 
oo étaient alors bien loin de ma pensée. Certes, si je # 
n’eusse pas à cette époque désiré communiquer avec 
le navire qui m'était annoncé, je n’eusse point tardé 


ts 


AU POLE SUD. 173: 


vions aucunintérêt à tenir dans le secret le résultat de 
nos opérations et les découvertes que nous avions failli 
acheter si chèrement. D'ailleurs, nous ne sommes 
plus au temps où les navigateurs, poussés par l’'inté- 
rèt du commerce, se croyaient obligés de cacher 


soigneusement leur route et leurs découvertes pour 


éviter la concurrence des nations rivales. J’eusse été 
heureux au contraire d'indiquer à nos émules le ré- 
sultat de nos recherches , dans l'espérance que cette 


communication aurait pu leur être utile et élargir e: 


cerele de nos connaissances géographiques. Si j'en 
crois ce qui m'a été dit à Hobart-Town, il paraît que 
les Américains étaient loin de partager ces idées. Sur 


. tous les points où ils ont abordé, ils ont toujours con-. 


servé le plus grand secret sur leurs opérations, et ils 
se sont abstenus de donner la moindre indication de 
travaux qu'ils ont accomplis. 

La neige qui, la veille, n'avait cessé de tomber 
avec abondance, cessa pendant la nuit. La ; Journée 
du 50 s’annonçait sous les meilleurs auspices. Les 
vents étaient toujours à l’est, la mer dure et houleuse ; 

mais l'horizon était devenu beaucoup plus beau; à 
. six heures, la vigie avait signalé la banquise dans le 
sud, je fis serrer le vent pour nous en rapprocher et 
- la reconnaître de près ; à dix heures, nous n’en étions 
plus qu’à trois ou quatre milles de distance. Son as- 
pect était prodigieux. Nous apercevions une falaise 
ayant une hauteur uniforme de 100 à 150 pieds, 
- iormant une longue ligne s'étendant à l’ouest. Sur 
- quelques points, des coupures peu étendues sem- 


1840. 
Janvier, 


- 


Jänviéf. 


FI. CLXXIIT. 


venaient l’éclairer. 


AE | VOYAGE 


ut assez Re pour ile. pute il 
les glaces que nous apercevions , celles-ci attei- 
gnaient encore des grandeurs que nous n’avionsja- « 
mais vues parmi les glaces flottantes. Au loin, nous « 
apercevions des caps très-prononcés, des enfonce 
ments ; mais tous ces accidents étaient toujours ter— ; 
minés à la mer par une muraille droite et verticale © 
recouverte à sa base de glaçons plus petits. Ces dé- 
bris, résultant de l’effort continuel des eaux ‘de la 
mer contre ces masses glacées, annonçaient combien 
les lames exercent peu d'action contre cet obstacle, 
car malgré leur force, elles n'avaient pu arracher, 
par leur choc incessant, que pelques morceaux Lo 
étendus. DU for 
Nous employämes toute la journée à prolonger 4 
cette côte de glace sur un espace de 20 à 25 lieues, . 
sans apercevoir de sommet dominant la plaine de . 
neige. Les falaises de la côte étaient trop élevées 
pour nous permettre de distinguer les détails de l'in= 
térieur, Vainement nous interrogeñmes aveé soin. 
{ous ses contours, cherchant à y découvrir-un ro- 
cher ou un indice de terre quelconque; partout nous 
n’aperçümes que de la glace compacte réfléchissant, 
de mille manières diverses, les rayons tanxineue 0 4 


RUES PE EEE 


Pos EM BR 


Dans la soirée, nous atteignimes un cap saïllan 1 
de cette-côte extraordinaire. Là, sa direction } | 
sait se modifier, elle semblait fuir dans le sud: 


AU POLE SUD. 175 

et la clarté que nous remarquâmes dans cette di- 
rection, après le coucher du soleil, nous indiqua 
qu'elle s’étendait encore dans l'ouest à une très- 
grande distance. Ce fut là que nous terminâmes cette 
reconnaissance. À six heures du soir, avant de faire 
. route à l’ouest, nous profitûmes d'un instant où, 
abrités par la glace, nos navires purent communi- 

. quér. Pendant qu’un canot de l'Asfrolabe se rendait à 


bord de la Zélée, nous envoyames à la mer un: plomb 


de sonde avéc une ligne de deux cents brasses, mais 
nous né trouvâmes pas de fond. Un thermométro- 
graphe avait été joint au plomb , il accusa à cette pro- 
fondeur un degré de moins encore qu'a la surface de 
la mer. M. Dumoulin s'attendait plutôt à trouver une 
augmentation de température qu’un refroidissement, 
l'eau à la surface étant à zéro. Il attribua ce résultat 
à là trop grande proximité des glaces. Pour ma paït 
j admets assez volontiers son opinion, qui consiste à 
croire que, lorsque l’eau de la surface de la mer est 
à zéro, on doit bien plutôt s'attendre à une augmen- 
tation de température dans des sondes de grande 
D 19 

… Ainsi, pendant plus de nus heures, noûs avions 
prolongé cette muraille de glace parfaitement verti- 
cale sur ses bords et horizontale à sa cime. Pas la 
moindre irrégularité, pas la plus légère éminence ne 


rompit cetté uniformité dans les vingt lieues d’éten- 


due qui furent tracées dans la journée , bien que nous 
eli ayions passé quelquefois à deux ou trois milles de 
distance , de manière à en suivre les moindres acci- 


1840. 
Janvier. 


1840. 


Janvier. 


couches de neige qui les recouvrent. Seulement, dans « 


176 1) VOYAGE 


cette côte than mais en géné : mer était pre 
libre au large. 
Quant à la nature de cette. muraille énorme , 4 
comme à la vue de la terre Adélie, les avis. furent 
encore une fois partagés, les uns a que ce : 
füt une masse de glace compacte et indépendante de À 
toute terre, les autres , et Je partage cette Opinion, 
soutenaient que cette Érn ceinture servait au 
moins d’enveloppe, de croûte, à une basesolide, soit dé _ 
terre, soit de rochers, soit même de hauts-fonds épars | 
autour d’une grande terre. En cela, je me fonde tou— w 
jours sur le principe qu'aucune glace d’une grande 
étendue ne peut se former en pleine mer, et qu'il 
lui faut toujours un point d'appui solide pour lui per- 
mettre de s'établir à poste fixe. Ainsi, dans les ré- 
gions polaites arctiques, on voit en hiver de grandes 
étendues de côtes entièrement ensevelies sous d’é- 4 
paisses couches de glace. Ainsi, même dans les ré 
gions septentrionales de la France, on voit, après À 
d’abondantes chutes de neige suivies d’une forte ge-. 3 
lée, on voit, dis-je, les inégalités du sol s’effacer peu « 
à peu, et souvent disparaître complétement sous les FE 


L (0 


SRE PE 


cette hypothèse, j'avoue qu’il est difficile d’expli- « 
quer la païfaite uniformité des couches de glace qui * 
formaient notre grande muraille; il me répugne d’ad- 
mettre que des masses aussi RU soient ] 


- 


AU POLE SUD. 177 
sives par des couches plus ou moins inclinées à l’ho- 
rizon. Quoi qu’il en soit, à dix heures du soir je don- 
nai la route au S. O., après avoir imposé à la barrière 
de glace que nous venions de reconnaitre , le nom de 
côte Clarie *. | 

Je m'attendais à retrouver, le-lendemain 31, notre 
muraille de glace, mais à trois heures du matin, bien 
que j'eusse piqué au sud pendant la nuit, nous ne 
vimes plus à sa place qu’une formidable chaine 
d'îles flottantes. Nous distinguâmes en même temps 
dans le S. 0. une de ces vives clartés qui, au mo- 
ment du crépuscule, apparaissent au-dessus des 
champs de glace. Bientôt, en effet, dans cette di- 


rection, nous aperçümes une banquise qui se dé- 


veloppait dans l’ouest et le N. O., aussi loin que la 
vue pouvait s'étendre, et qui semblait former un 
grand golfe autour de nous. Cette banquise res- 
semblait à toutes celles que nous avions déjà vues. 
Elle était flanquée par d'immenses îles de glace, sou- 
dées entre elles par une couche de glaçons moins 
épais, mais qui présentaient encore un obstacle in- 
surmontable à nos navires. 

Nous avions alors atteint le 128° degré de longi- 
tude ; la variation, de N.E. qu'elle était, était devenue 


N. O.,et même assez forte. Nous avions donc dépassé, 
dans ces journées tempétueuses, le méridien où la 


déclinaison est nulle. MM. Dumoulin et Coupvent 
pensaient avoir recueilli des documents suffisants 


* Voir le rapport de M. d'Urville parmi les pièces justificatives 


contenues dans le 10° volume. 
VIN, 9 


1840. 
Janvier, 


31 


1840. 
Janvier. 


der L'évrier. 


pour déterminer la position du pôle inaighétii ue 
tral. Toutefois, il leur restait un dernier d 41 
celui d'observer la déclinaison sous tous les cap ni 


je crus pouvoir atteindre ce but. J’aperçus une île 


fre > L' MOYAGE 


navire, et d'accomplir dé: nouveau des observations | Ÿ 
magnétiques Sur un glaçon flottant. En conséque encé, 


j'employai toute la journée à chercher une glace 
convenable pour y envoyer ces officiers. À midi, 


de glace ‘inclinée à l'horizon et sur laquelle le dé 
barquement paraissait possible : la baleinière fut 


bed + voi Me Lite téérelts 5 nées EPA 


mise à l’eau , mais en l’approchant, nos marins recon- 
nurent l'impossibilité de la gravir. La mer y brisait | 
avec force, et les éclats des lames s’élevaient à plus 4 
de cinq mètres de hauteur. De plus, la partie qui 4 
s’inclinait à l'horizon était formée d’une couche de L 
olace extrèmement vive et olissante. Fe ù 
La journée du lendemain s'annonça sous des auspi- : 
ces plus favorables à nos opérations. Il faisait presque 4 
calme, et la houle était bien faible pour ces parages 4 


constamment battus par les tempêtes. Plusieurs îles 
de glace étaient en vue et semblaient présenter à ños 
observateurs des chances plus heureuses que la veillé. M 
L'une d’elles surtout offrait un vaste plateau fort peu * 
élevé au-dessus du niveau de la mer. À huit heures 
du maiin, ma baleinière, portant les instruments de. 1 
physique, tentait de l'accoster sous le vent, tandis qu d | 
nos corvettes couraient de petits bords pour ne: 
s'éloigner. Un instant, j'espérai avoir atteint le. 
que je poursuivais depuis deux jours, mais. 
je vis l’'embarcation, après avoir fait le tour 


AU POLE SUD- 179 


première île de glace, se diriger sui une seconde, 
plus petite et par conséquent beaucoup moins stable. 
MM: Dumoulin et Coupvent ne tarderent point à ren- 
“rer à bord, ils me rapportèrent que le pied de la 
première glace qu'ils avaient visitée était balayé 
constamment par les lames, qui, après s’être brisées 
dans les cavernes qu’elles avaient creusées dans la 
inontagne, retombaient avec fracas dans les eaux de 
la mer en formant de larges cascades que nous n'a- 
percevions point du bord. Quant au second glaçon 
sur lequel ils s'étaient ensuite dirigés, il était telle- 
_inént agité par la houle que toute observation y de- 
venait impossible , et même le canot eût infaillible- 
ent chaviré, s’il l’eût accosté. 

Dès lors, je dus renoncer à l'espoir de faite, uñe 
nouvelle fois, des observations magnétiques qui 
présentaient autant de difficultés. Je consacrai le 
_ resté de la journée à faire tourner notre navire 

sur lui-même et dans toutes les directions, pen- 


dant que l’on observait simultanément la déclinai- 


- son, sur l'avant et l'arrière du bâtiment. Cette opé- 
“ration, que j'aurais voulu pouvoir renouveler plus 
tard, était alors facile, car on pouvait à chaque in- 


—_ stant déterminer l’azimuth d’une des îles de glace 
qui $e trouvaient en vue. Elle vint constater des ré— 


sultats bizarres et des différences de près de douze 
degrés dans les différentes déclinaisons obtenues 
sous les caps opposés. Je passai encore le reste 
de Ia journée à rechercher sur notre route une 
glace favorable pour y renouveler une tenta- 


1849. 
Février. 


_ AS40. 
Février. 


180 VOYAGE 


tive de débarquement: mais ce fut. inutilement. A 

de jugeai alors que notre tâche était remplie. Er 
L’Astrolabe et la Zélée pouvaient se retirer de la. 
lice, après avoir fourni pour leur part un contin— 
gent honorable à la géographie et à la physique. : 
Sans contredit, il n’eût pas été impossible de pous— 
ser plus loin à l’ouest, d'y tracer une plus grande 
étendue de la banquise, peut-être même d'y retrou= 
ver la terre. Car je pense qu’elle environne la ma= 
jeure partie du cercle polaire et qu'elle finira tou 
jours par se montrer aux yeux du navigateur assez 


heureux ou assez téméraire pour franchir les masses 


de glace accumulées qui la ceignent d'ordinaire, 


à moins toutefois qu’une banquise rebelle et insur- 


montable ne vienne frustrer ses efforts ; mais je pris. 


en considération l'état des équipages, celui de la 


Zélée surtout, bien plus affligeant encore que celui de | 


l’Astrolabe. Je pensai qu'il y aurait de la cruauté à 
abuser de leur courage et de la confiance qu’ils m’a- 


vaient témoignée en me suivant jusqu'ici sans mur- 


murer. Je réfléchis que des travaux importants et une 
longue navigation réclamaient encore leurs forces 
et leur ardeur pour huit mois au moins ; enfin, je puis 
l'avouer sans détour, j'étais moi-même très-fatigué 
du rude métier que je venais de faire, et je doute fort 
que j'eusse pu y résister. plus longtemps. 


Dans cette courte, mais pénible et périlleuse campa- x ; 
gne, tous les officiers et élèves des deux corvettes, sans 4 
exception, avaient parfaitement fait leur devoir, et 1 
je n’avais que des éloges à donner à leur conduite. A 


À 
ë 
$ 


AU POLE SUD. 181 


Dans la soirée du 1° février 1840, par 65° 20" de la- 
titude méridionale et 180° 21’ de longitude orientale, 
nous dîimes un adieu définitif à ces régions sauvages, 
et je mis le cap au nord pour rallier Hobart-Town *. 


_ * J'ai puisé dans le rapport adressé par M. d'Urville au mi- 
nistre de la marine , à la date du 19 février 18/40, une grande partie 
_de ce chapitre. Le journal tenu par le chef de l'expédition pen- 
dant cette excursion se réduit, comme à l'ordinaire, à la narration 
des faits principaux qui se sont passés sous ses yeux, sans qu'il 
y soit fait mention des services spécialement rendus par chacun 
de ses officiers. Il est probable que si M. d'Urville eût pu rédiger 
cette partie de son ouvrage, il y eût fait uñe mention parti- 
culière de ces services en son lieu et place. C’est pourquoi je 
crois de mon devoir de reproduire ici la portion du rapport de 
M. d'Urville dans laquelle il exprimait au ministre de la marine 
Ja satisfaction qu'il éprouvait de la conduite et du zèle de son état- 
major. Ce paragraphe est ainsi conçu : 

« Je dois signaler ici d’une manière toute particulière les 
noms des personnes qui, demeurées fidèles à leur mandat, 
n’ont cessé de me montrer le dévouement le plus absolu, la 
confiance la plus honorable et l'enthousiasme le plus souténu 
pour les travaux glorieux qu’ils étaient appelés à partager. Leur 
concours loyal, la certitude de mériter du moins leurs suffrages, 
ont seuls pu m'aider à m’élever au-dessus de bien des mécomptes, 
à persévérer dans mes projets, enfin à assumer sur moi les ter- 
ribles chances de ma dernière pointe au pôle. » 


Suivait la liste des officiers pour lesquels il demandait des ré- 


 compenses. Et enfin le rapport, qu'on trouvera en entier dans les 
pièces justificatives contenues dans le 10° volume, se terminait 
comme il suit : 
« J'ai cru pouvoir, monsieur le ministre, promettre à nos équi- 
pages, en raison de nos derniers efforts, de nos derniers succès, 
et surtout de leur excellente conduite, que la prime qui leur 


1840. 
Février, 


1840. 


Février. 


182 | VOYAGE 


; repos et dés RU ea à à nos marins ge QUE à 


comme celui de la Ra qu’ une chétive somme : de de 


rémunérer tant de fatigues, dé pr ivations et de misères? & 


les conduire à de nouvelles fatigues. Certes, ils avaient | 
bien mérité cette petite douceur, car il était impos- 


sible de déployer plus de courage, plus de résigna— 
tion, et même d’abnégation et de mépris de la mort, " 
qu ils ne l'avaient fait dans les moments les plus crie | 


"à 


tiques. Du reste, cette détermination ne pouvait en 
aucune manière contrarier mes projets futurs ; car il » 
fallait, dans tous les cas, qu’une des corvettes se rendit 
à Hobart-Town, pour y reprendre nos malades, tandis 
que l’autre serait allée l’attendre dans un des ports de 
la Nouvelle-Zélande. | on: 
Pendant quelques jours encore, les vents de l'Est 
et du N. E. continuèrent de nous contrarier en souf- 
flant d’une manière très-irrégulière, et en soulevant $ 
des mers très-dures qui nous fatiguèrent cruelle 
ment. Le # février, une brume épaisse vint nous 


avait été promise leur serait payée. Je suis persuadé que vous % 
acquitterez ma promesse. Je suis même persuadé que sl fallait 
pour cela une mesure législative, vous n’hésiteriez pas à Ja pro 1 
poser aux Chambres, qui, sans doute, souscrir aient avec: empres- : 
sement. Qui sait même si les Chambr es, élonnées de la modicité 
de chiffre , ne Does ont ‘4 Ba l'élever à un taux Li A | 


quinze mille francs , divisée entre cent trente personnes . pou 


VD. 


pr ime a été accordée. ) 


AU POLE SUD. 183 
envelopper; quelque rapprochées que se tinssent 
nos corvettes, il nous était impossible de distinguer 
la Zélée. Le bruit de la cloche et de fréquents 
“coups de canon nous aidèrent à éviter une sépara- 
tion. : | 
… Le 6, nous avions atteint le 58° parallèle. Jusque- 
là, chaque jour nous avions encore vu quelques îles 
de glaces flottantes, affectant des formes bizarres 
qui indiquaient suffisamment que depuis longtemps 
elles étaient à la mer, où elles résistaient avec peine 
à l’action des lames. Dans la matinée, nous en aper- 
cûmes encore trois ou quatre, mais ensuite elles de- 
vinrent de plus en plus rares. En même temps, les 
vents qui s'étaient presque constamment tenus au 
. S. E., tombèrent tout d'un coup. Le lendemaim, le 
temps était couvert; bientôt nous sentimes une 
petite houle de N. 0., et il tomba une pluie fine 
mêlée de neige qui fondait en touchant le pont. 

… A neuf heures du soir, nous fûmes tous appelés sur 
le pont par un de ces spectacles magnifiques si fré- 
quents dans les hautes latitudes du nord : je veux 


…. parler des aurores dont les rayons lumineux vien-— 
nent tout d’un coup éclairer le ciel pendant les lon- 


gues nuits d'hiver. Dans la soirée, le ciel s'était 
> éclairci, mais horizon, dans toute sa circonférence, 
était resté enveloppé d’une bande de brume qui ne 
permettait d'apercevoir les étoiles du firmament que 
dans les régions voisines du zénith. Bientôt les vents 
d'est qui pendant toute la journée avaient soufflé avec 
force et nous avaient amené beaucoup de pluie, tom- 


1840. 
Février, 


4840. 


Février. 


184 | VOYAGE . 


_sommels, Smet converger vers un même point, 


ques expériences magnétiques. La mer était très— À 


bèrent tout à coup, en même temps le AL. se trouva é È 
éclairé par une lumière blafarde assez semblable à 24 
celle de la lune, et variable en intensité. Des fais. 
ceaux lumineux, larges à leur base, effilés à leurs 


placé à 5 ou 6 degrés environ au nord de notre zé- 
nith. Tous ces faisceaux, se développant en tiroir lés 
uns au-dessus des autres, paraissaient conserver une : 
grande mobilité ; leur base ne s’appuyait point sur 
l'horizon, et le banc de brume dont j'ai parlé nous * 
empêchait d’ailleurs‘ de les suivre jusqu’au niveau de 

la mer. À dix heures du soir, ces rayons lumineux 
formaient une calotte sphérique parfaite; dans ce 
moment le spectacle était des plus beaux, maïs ül fut 

de courte durée, car ensuite les rayons lumineux ne 
se montrèrent plus que partiellement, embrassant 
un espace plus ou moins large, mais sans jamais 
former de nouveau une calotte complète. C'était sur- « 
tout dans le S. E. et le N. O. que se trouvaient les 
parties les plus brillantes. Nous n’aperçümes aucune 
variation brusque dans les aiguilles de nos bous- « 
soles. M. Dumoulin essaya vainement de faire quel- | 


houleuse ; le navire, n'étant pas appuyé par le vent, 
tournait cistatitél sur lui-même, et le roulis ne . 
permettait aucune observation. / 4 
Dans les deux jours qui suivirent, chaque nuit une À ; 
partie du ciel se trouva éclairée par de pareilles au 


AU POLE SUD. 185 
suite à l'O. N. O., et dès lors on n’en aperçut plus. 

Le 17, nous arrivions à l'entrée de la baie des 
Tempêtes, et dans la journée nous laissions de nou- 
veau tomber l'ancre sur la rade d’ Hobart-Town. Déjà 
nous avions interrogé le pilote sur l’état des malades 
que nous avions laissés à terre; 1l avait appris, nous 
disait-il, que plusieurs d’entreeux étaient morts, mais 

les détails qu'il pouvait nous donner se bornaient hà ; 
_ ils étaient fort inquiétants. Aussi avions-nous hâte 
de revoir quelqu'un des nôtres , afin d'apprendre, 
d’une manière positive, combien de victimes nous 
avions encore à pleurer. Bientôt cependant, M. Hom- 
bron, qui avait reconnu les navires , se hâta de ve- 
mir à bord ; 11 m'apprit que pendant notre absence 
trois hommes avaient succombé. L’Astrolabe avait à 
regretter le nommé Bernard, jeune et intéressant ma- 
telot, aux formes douces et polies, d’un zèle et d’un dé- 
vouement à toute épreuve. Je m'attendais à cette perte, 
car au moment de notre départ, cet infortuné, at- 
teint d’une hydropisie survenue à la suite de la dyssen- 
terie, ne laissait que peu d’espoir. Plus malheureuse 
encore, la Zélée avait perdu un de ses bons mate- 
lots, le nommé Beaudoin, et son maître charpentier, 
- nommé Coutlelenqg. « Nous avions laissé ce dernier, 
dit M. Dubouzet, dans un état presque désespéré. Mais 
sa mort me fit beaucoup de peine. C'était un excel- 
lent serviteur, et un homme extrêmement habile 
dans sa profession. Je l’estimais beaucoup; j'avais 
déjà navigué avec lui, et dans des circonstances dif- 
ficiles, il avait donné des preuves d’un talent con- 


1840, 
Février, 


1840. 
. Février. 


_lités nécessaires pour faire une campagne pareille ? A: 


_ nous entouraient, nous en comptions encore tro 


Tu VOYAGE des 
sommé. Je FAT ais lOnJAUrE regar dé comme 


nous serions sur quel fi iles = 
lées de l'Océanie. Enfin, il réunissait toutes les q qua D 


la nôtre. Le nommé Beaudoin était le dernier des trois 
volontaires de l’Ariane, qui s'était embarqué sur Le 
Zélée à Valparaiso ; tous les trois avaient succombé 
successivementpendant cette campagne, qu ils avaient 
acceptée de leur propre volonté. » EE 
Tous les autres malades étaient convalescents, et. 
prêts, ajouta M. Hombron, à reprendre la mer. M. De- 
mas était entièrement rétabli. Depuis plusieurs ; jours 
déjà il pouvait se livrer à l'exercice de la promenade, « 
et au moment même de notre arrivée, il était alléwi- À 
siter Port-Artlur. Toutefois, la Zélée rentrait de « 
nouveau dans le port d'Hobart-Town, avec deux 4 
hommes dont la vie était sérieusement ménacée, et : 
suivant toute probabilité, ces malheureux ne devaient 
jamais revenir à la santé. ) 
M. Hombron m'apprit encore que pendant notre 1 
absence la rade d'Hobart-Town avait été fréquem- L 
ment visitée par des navires baleiniers français. On 1 
en avait, disait-il, compté onze ou douze mouillés à | 
la fois dans le port, et au milieu des bâtiments qui. 4 


PS à nsèis Rite di db 


qui portaient nos couleurs ”. 


* Notes 20, 21 et 22. és 


K® 2) 
+ 


AU POLE SUD. 


_ CHAPITRE LXI. 


Quelques réflexions sur les voyages au pôle Sud, des capitaines 
Wilkes, James Ross et Dumont -d'Urville *. 


Au commencement de l’année 1837, les gazettes 
américaines annoncèrent qu'une nouvelle expédition 
dans les océans Pacifique et Atlantique allait être en- 
treprise par les Etats-Unis. C'était la première fois 
qu’une expédition de découverte, organisée sur un 
pied aussi splendide, allait partir d’un des ports de 
cette république. Aussi cette nouvelle fit-elle sensa- 


* Les rapports qui nous sont parvenus sur les voyages des ca- 


#4 pitaines Wilkes et James Ro;s m'ont engagé à faire suivre le récit 


de la deuxième expédition du capitaine Dumont-d'Urviile dans 


- les glaces, des réflexions qui m'ont été inspirées par la lecture de 


ces pièces officielles. En cherchant à établir un parallèle autant 
que possible entre les trois expéditions francaise, anglaise et amé- 
ricaine, je me suis surtout appliqué à les juger avec impar- 


. tialité. Dans tous les cas, je dois déclarer que je n’ai rien trouvé 


dans les journaux de M. Dumont-d’'Urville qui dût faire partie 
de ce chapitre, dont je dois réclamer l'entière responsabilité. 


V. D. 


188 | . OYAGE 


tion en Europe; les sociétés savantes de la ei ide- 
Bretagne pressèrent le gouvernement d'envoyer de | 
nouveau des navires dans les mers antarctiques - 4 
pour ne point laisser aux Américains la gloire d'être 
les premiers à soulever le coin du voile qui couvrait 
encore ces parties ignorées du globe. En effet, les jour- 
naux américains, en traçant l'itinéraire de l'expédi- 
tion qui faisait ses préparatifs de départ, avait, outre 
les grands archipels de l'Océanie, désigné les régions 
glaciales comme devant être le but principal de ses 
recherches ; or, les succès imprévus du capitaine Wed- À 
dell, simple pêcheur de phoques, qui semblait an- « 
noncer une mer parfaitement libre par le 7# degré de 
latitude, devaient puissamment stimuler l’ardeur des 
marins anglais dans une voie si brillamment ouverte … 
par leurs compatriotes, les capitaines Cook et Biscoë. 
Dès lors l'expédition des deux navires, lErebus et la 
Terror, confiés au commandement du capitaine Ja= 
mes Poss, fut résolue par le gouvernement anglais. À M 
la même époque, les deux corvettes francaises PAs= M 
trolabe et la Zélée se préparaient, sous les ordres de 
M. Dumont-d’Urville, pour un voyage de circum= M 
navigation. Leur itinéraire était déjà entièrement 
tracé, lorsque, sur l'annonce des futures récher- 
ches des Américains et des Anglais, elles reçurent « 
l'ordre d'aller sur les traces du capitaine Wed= 
dell, pour essayer de pénétrer jusque dans. des h 
latitudes fort élevées. Ce fut ainsi que trois” na | 
tions, pour ainsi dire rivales, durent tour à tour 
ou simultanément aller lutter de hardiesse et di = 


AU FOLE SUD. 189 


trépidité au milieu des glaces éternelles du pôle. 

Aujourd'hui, ces trois expéditions sont rentrées 
dans le port. Toutes les trois ont rempli leur man- 
dat : James Ross, Dumont-d’Urville et Wilkes ont éga- 
lement droit à la reconnaissance des savants pour les 
connaissances qu’ils ont acquises à la géographie , à 
la physique et aux sciences naturelles ; tous méritent 
Padmiration pour le courage et l’intrépidité qu’ils ont 
montrés dans leurs explorations dangereuses. 

Il serait difficile, cependant, de chercher à éta- 
blir un parallèle entre ces diverses expéditions. Nous 
ne connaissons encore celle du capitaine James Ross 
que par des rapports plus ou moins étendus et dans 
- lesquels il est impossible de juger complétement les 
- résultats acquis pour les sciences. Toutefois, nous 
 chercherons à enregistrer ici ce qu'il revient à 
chacune d'elles dans les découvertes nouvellement 
faites autour du pôle antarctique; mais avant de 
comparer entre elles ces trois expéditions, qu'il me 
Soit permis d’insister sur la nature de la mission que 
chacune d'elles avait reçue, car elles différent es- 
“sentiellement par le but et même par les moyens qui 
furent mis entre les mains des capitaines pour l’ar- 
nement des bâtiments. ï 

Les corvettes l’As{rolabe et la Zélée avaient, 
comme je l’ai déjà dit, leur itinéraire tout tracé lors- 
qu'elles reçurent le mandat d’aller essayer de péné- 
trer dans les mers polaires, en suivant la route de 
Weddel; elles devaient parcourir l'Océanie, agrandir 
le cercle de nos connaissances hydrographiques, faire 


_ 


pénétrer vers le pôle ne devait être qu'un incide ï 


#0 VOYAGE 480 OS 
de nombreuses s observations concernant ha ph 


Érééque toutes tés iles répartie à ins l'adae 
fique, et y étudier la nature au point de vue des. 
sciences naturelles. La tâche qui leur fut imposée 


de ce voyage, qui embrassait déjà un cadre si étendu 
d’études sérieuses. Le capitaine Dumont-d'Urville | 
devait seulement se présenter sur la route de Wed=. 
del, constater le point où il trouverait les glaces: so. 
lides et compactes; et si, plus tard, il fit une ps 4 
velle tentative pour pénétrer au sud entre le 120° e 
le 170° degré de longitude, il s’éloigna volontaireme 
des instructions qu'il avait reçues. te 
Comme l'expédition française, celle des Améti- 
cains devait non-seulement essayer de pénétrer dans 
les glaces , mais aussi exécuter de nombreux tra. 
dans l'Océanie et le grand archipel d'Asie. Elle é 
montée sur le plus grand pied. Deux sl6ops, le Pin-« 
cennes et le Peacock; un de le AE es À 


er fi ançaise , ae linites ae où | 
commencer ses a tentatives. 4 fut, € 


AU POLE SUD. 19! 
parallèle le plus élevé. Du reste, les moyens dont ellé 
pouvait disposer étaient bien supérieurs à ceux du 
capitaine Dumont-d'Urville. 
= La mission confiée au commandant anglais diffé- 
rait essentiellement de celles des expéditions fran- 
çaise et américaine, en ce qu'elle était toute spéciale. 
Les navires l’Ercbus et la Terror devaient, comme 
les divisions française et américaine, rester pendant 
trois années éloignés des côtes européennes, mais 
ils étaient exclusivement destinés à parcourir la 
majeure partie des régions antarctiques , et à ne S’é- 


. loïgner des mers glaciales que pour réparer leurs. 


avaries et se préparer de nouveau à faire des dé- 
couvertes. Ils devaient s'occuper exclusivement des 
questions importantes de physique générale qui se 
rattachent au magnétisme terrestre. Plusieurs obser- 
vaicires magnétiques devaient être temporairement 
établis sur plusieurs points du globe, tandis que le 
capitaine Ross irait faire des observations corres- 
pondantes dans les régions voisines du pôle. Ainsi 
lexpédition anglaise avait un but scientifique spécial, 
comme aussi elle était exclusivement destinée à 
…. parcourir les zônes glaciales. La division américaine 
“avait le cadre le plus étendu; ses recherches de- 
… vaient également s'étendre et dans les mers polaires 
et dans les zones tempérées , tandis que l’Astrolabe 
et la Zélée ne devaient faire qu’une seule tentative 
pour pénétrer dans les glaces sur un point déterminé 
et dans un espace de temps extrêmement limité. 
. : Comme on le sait, les corvettes françaises mirent à 


192 | VOYAGE | 
la voile dans le mois de septembre 1837 ; dé p récé- | 
dérent d'une année l’arrivée de l'expédition amé- | 
ricaine dans les glaces. En 1840, lorsqu'elles se dis= 
posaient à rentrer en France, le capitaine anglais 
Ross allait à son tour tenter de conduire au pôle an. 4 
tarctique les navires l’Erebus et la Terror. si 

La première tentative pour pénétrer au pôle, sur la 
route de Weddell, fut faite par nous, mais elle échbia d 
complétement; nous ne pümes dépasser le soixante 
cinquième parallèle. Partout nous rencontrâmes une 
banquise infranchissable là où nous espérions trouver 
la mer libre; cependant cette tentative ne fut point 
sans résultat sous le point de vue scientifique, elle. 
acquit à la géographie la connaissance, on pourrait 
même dire la découverte des terres Louis-Philippe. 

Le 16 février de l’année 1838, l'expédition amé- 
ricaine était mouillée au port Orange, sur la terre de 
Feu; c'était là qu’elle devait prendre son point de. 
départ pour faire sa première tentative dans Îles 
glaces. L'expédition se divisa : le Peacock et le M 
Flying-Fish se dirigèrent dans l’ouest, vers le point où M 
_ le capitaine Cook avait atteint sa plus haute latitude, 4 
et qui offrait les chances les plus probables de suc- « 
ces. Le Porpoise et le Sea-Gull, sous le comman- 4 
dement du capitaine Wilkes, Me le 4 février ‘4 


si NPES SES gi À 


= 


AU POLE SUD. 193 


tude vers le 100° de longitude occidentale, ils rencon- 
trèrent aussi des banquises infranchissables sur la 
route que le capitaine Weddell avait parcourue, et 
ils furent devancés par nous dans la reconnaissance 

des terres Louis-Philippe. | 

Au commencement de l’année 1840, l’Astrolabe et 
la Zélée se trouvaient de nouveau eten même temps 
que l’expédition américaine, dans les régions polaires. 
Les parages choisis par les capitaines pour cette ex- 
ploration étaient à peu près les mêmes ; le lieutenant 
Wilkes rencontrait les premières glaces par le 160° de- 
gré de longitude orientale, à peu près à la même 
époque, et à 20 degrés seulement plus à l'est que 
Dumont-d’Urville. : 

Il est difficile encore aujourd’hui de bien définir la 
part qui revient au lieutenant Wilkes dans les décou- 
vertes opérées pendant ces dernières années dans les 
régions glaciales. Le rapport lu par cet officier le20 juin 
de l’année 1842, à l’Institut national de Washington, 
_sur les résultats obtenus par l’expédition qu’il com- 
mandait, n’est point assez précis pour baser un ju- 
sement ; toutefois, les documents qu’il renferme 
nous paraissent suffisants pour pouvoir décider d’une 
manière incontestable à qui appartient la priorité 
de la découverte des terres qui se trouvent au sud de 
la Tasmanie. | | 

Le 19 janvier, l'expédition française avait décou- 
vert la terre Adélie, et le 21 ses marins en avaient 
constaté l'existence d’une manière irrécusable en en 


rapportant de nombreux échantillons; sans se dou- 
VIN. 43 


194 VOYAGE res 
ter alors qu'un jour cette découverte leur serait dis- 
putée par le commandant américain. 


D’après le rapport du lieutenant Wilkes, ses recher- 
ches se sont étendues entre le 95° et le 160° degré delon- 
gitude orientale. Sur toute cette étendue, cet officier. 


semble croire qu’il existe une terre continue à laquelle 


il a donné le nom de continent austral. Bien que celte 


opinion soit encore très-contestable , il n'y a pas le 
moindre doute qu’en l’admettant, la priorité de décou- 
verte devrait appartenir au capitaine anglais Balleny; 


qui, simple pêcheur, avait le premier signalé en 4889 


un petit groupe d'îles auquel il a imposé son nom, et 
une terre qu’il a nommé Sabrina. Il est vrai que, dans 
les régions glaciales, il arrive, comme on a pu lé voir 
dans le cours de ce récit, que souvent les navigateurs 
ont dû être trompés par des fausses apparences de 
terre. Aussi, le capitaine américain, égaré par l'amour- 
propre national, a-t-il cru pouvoir n’admettre les 
découvertes du marin anglais que comme des terres 
supposées, afin de réclamer en sa faveur la priorité 
de découvertes du prétendu continent austral. Nous 
repoussons cette hypothèse injurieuse pour le capi- 
tainé Balleny et tout à fait gratuite de la part du lieu- 


tenant Wilkes; mais dans ce cas, la question de la 


priorité de découverte resterait encore à être débat- 


tue entre les capitaines Wilkes et Dumont-d'Ur- M 
ville, et à cet égard nous croyons pouvoir répoi 4 
d’une manière victorieuse. 3 
Voici d’abord Je Farace du one du à ete | 


AU POLE SUD. 195 
que les Américains ont appelées continent austral* : 
_ «En parlantde notre croisière dans les glaces, il est 
hécessaire que j’entre ici dans quelques détails, non- 
seulement pour soutenir nos droits à la priorité de dé- 
couverte, mais encore pour répondre à une accusa- 
tion portée à tort par le capitaine Ross, lorsqu'il a dit 
qu'il avait passé sur un point de l'Océan où j'avais 
annoncé qu'il existait une terre. 


« Le but que je me proposais était d'atteindre la plus 
haute latitude possible entre les méridiens du 160° au 
45°, en allant de l’est à l’ouest. Tels étaient en subs— 
tance les ordres que j'avais donnés aux différents bâ- 
_timents , et le rendez-vous, en cas de séparation, était 
le long de la barrière de glace, par 105° de longitude 
est. D'après l’expérience que j'avais eue des glaces 
dans la première année, j'avais résolu de laisser - 
chaque bâtiment libre de sa manœuvre aussitôt que 
nous aurions atteint les glaces. Le 2 janvier nous 
perdimes de vue le Flying-Fish, et le 3 le Peacock. 
Le Vincennes et le Peacock atteignirent la barrière le 
41 janvier, par 64° 11° de latitude sud, et 184° 53 de 
longitude est; ils furent séparés le lendemain par la 
brume. Le Peacock atteignit les glaces le 15, et le 
Elying-Fish le 21 janvier. La coloration de l’eau fut 
bientôt remarquée, et on aperçut un grand nombre 
de phoques et de pingoins, mais aucune apparence 


* Extrait des AS Mmäriimes él coloniales , n° d'avril 18/3, 
traduit par M. Daussy. 


196 : VOYAGE F1 
de terre jusqu'aux 15,16 et 17 janvier, par! 160 de 
longitude est, et 66° 30 de latitude sud ”. AM 

« Le Peacock, le Porpoise et le Vincennes sont d'ac- 
cord là-dessus, quoique plusieurs personnes doutas- 
sent de l’existence de la terre, la considérant comme 
une trop bonne nouvelle pour être vraie. | 

« Dans la matinée du 19 janvier, la terre fut recon- 
nue positivement à bord du Vincennes et du Peacock, 
quoiqu’on en fût éloigné de plusieurs milles *. 

« En essayant d'atteindre la terre le 24 janvier, le 
Peacock éprouva un grave accident. Il avait eu la 
veille une sonde de 320 brasses (585 mètres), fond | 
de vase bleue et de gros gravier. L’avarie était si forte 
que ce bâtiment fut obligé de retourner sur-le-champ 
à Sidney, où il arriva le 21 février. Quand on l’exa- 
mina, on trouva qu'il était miraculeux qu il eût gagné 
ce port 

« Le Flying-Fish, ayant rencontré un un trop 
dur pour rester plus longtemps dans ces parages, re- 
tourna vers le nord le5 février. Le Vincennes etle Por- 


y 
re rt HE eE r ÉS 


* C'est, à cinquante lieues près, par cette longitude etcettelati= 
tude que se trouvent placées les îles Balleny. La position, du 
“reste, qui leur a été assignée par leur découvreur, auraitpu 
être erronée, quoique leur existence ne fût pas douteuse. 

** On verra plus loin que, même le 19, la terre n’a pas été re- e } 
connue positivement par tous les officiers. | £À 4 

*** On se demandera peut-être comment, dans une circonstance M. 
aussi see illeuse, le PS se diri ps sur sas Et ii avaità “4 


pr éner {outes 1 ressources nécessair es. 


AU PQLE SUD. 197 


poise continuèrent de longer la glace jusque par 97’, 
voyant la terre et s’en approchant de temps en temps 
depuis dix milles jusqu’à trois quarts de mille, selon 
que la banquise le permettait. 

« Le 29 janvier, nous entrâmes dans ce que j'ai 
nommé baie Piners, {a seule place où nous eussions pu 
débarquer sur des rochers nus‘, mais nous fûmes 
repoussés par un de ces coups de vent soudains qui 
sont ordinaires dans ces mers. Nous sortimes de cette 
baie en sondant par 30 brasses. Le coup de vent dura 
trente-six heures, et après avoir échappé plusieurs 
fois de très-près à nous briser contre les glaces, nous 
nous trouvames à soixante milles sous le vent de la 
baie. Comme il était alors probable que la terre que 
nous avions découverte était d’une grande étendue, 
je pensais qu’il était plus important de la suivre vers 
l’ouest, que de retourner pour débarquer à la baie 
Piners, ne doutant pas d’ailleurs que nous ne trou- 
vions l’occasion de le faire sur quelque point plus ac- 
cessible **. Je fus cependant trompé dans cette attente, 


* La baie Piners dont il est ici question est située , d’après ce 
même rapport, par 137°40° de longitude, par conséquent, fort 
près du point où les Français débarquèrent le 21 janvier ; cette baie 
serait bornée, au sud par la terre Adélie, et à l’ouest par la ban- 
quise qui faillit devenir si funeste à l’Astrolable et à la Zélée. 

*" On se demandera peut-être quelles étaient les raisons qui fai- 
_ saïent croire au lieutenant Wilkes que la terre découverte avait 
une grande étendue. Sans doute c'était son aspect et surtout sa 


hauteur. Pourquoi le commandant américain ne dit-il rien à cet 
égard ? 


198. | VOYAGE 


et la banquise nous empêcha constamment d'appro= 
cher de la terre. RUE 
« Nous rencontrâmes sur la limite de la banquise 
deux grandes masses de glaces couveïtes de vase de 
rocher et de pierre, dont nous pûmes prendre des. 
échantillons aussi nombreux que si nous les avions. 
détachés des rochers eux-mêmes. La terre couverte 
de neige fut aperçue distinctement à plusieurs en- 
droits, et entre ses points les apparences étaient telles 
qu'elles ne laissèrent que peu el méme aucun doute 
dans mon esprit, qu'il n'y eût là une ligne continue de *# 
côtes qui méritdt le nom que nous lui avons donné de F 
continent antarctique”. L 
« Lorsque nous atteignimes le 97° degré Est, nous 1 
_ trouvâmes que la glace se dirigeait vers le nord. Nous 
la suivimes dans cette direction, et nous arrivames,à 
quelques milles près, au point où Cook avait été arrêté. M 
par la barrière de glace en 1773. Ici le temps devint : 
si mauvais et la saison si avancée, que je pensais que i 
ce serait perdre son temps que d’essayer à s’avancer M 
à l’ouest. En conséquence, le 23 février je me dirigeai 
sur la Nouvelle-Zélande, puis ensuite Je préférai me 
rendre à Sidney, où je trouvai le Peacock en répara- 
tion, C’est alors que j’appris que l’on avait eu connais- 
sance à Sidney du récit des découvertes faites par le 


\ 


- * Quelles étaient donc ces apparences ? L'hypothèse d'une li- 
gne continue de côtes ne nous paraît pas plus probable que celle 
qui admet que les terres vues par les capitaines Dumont-d'Ur- E 
ville, Balleny, Ross et Wilkes, sont des îles ni: ées et liées sie 
elles seulement par les banquises. | TN: LA 


AU POLE SUD, 199 
baleinier anglais Balleny, à l’est et tout près du point 
où nous avions atteint la banquise, c’est-à-dire par 165° 
de longitude, et un peu au sud de notre latitude. 

- « Nous apprîmes aussi que le capitaine Ross était 
parti d'Angleterre et qu'on attendait son arrivée. 
Dans le rapport que j'envoyai au gouvernement, 
jannonçais que la découverte avait été faite le 19 
janvier 1840, jour où je fus convaincu de l’existence 
de la terre, par 154° 30° de longitude est. Dans une 
dépêche suivante, datée de la Nouvelle-Zélande, et 
après que Jj'eus reçu les rapports de tous les bâti- 
_ ments, je trouvai que nous pouvions réclamer la 
découverte de la terre, jusqu’à 160 degrés est, et quel- 
ques jours avant le 19; c’est ce que je fis. 

« Pendant notre excursion, et tandis que nous lon- 
gions la barrière de glace, j'avais préparé une carte 
sur laquelle j'avais tracé la terre, non-seulement où 
nous avions déterminé positivement son existence, 
mais encore dans les points où les apparences indi- 
quaient qu’elle devait se trouver *. Elle formait ainsi 
une ligne continue entre 160° et 97° de longitude Est, 
J'avais une copie de cette carte sur laquelle on avait 
. placé laterre supposée” vue par Balleny, par 165° Est. 
Cette copie, avec mes notes, expériences, ete., fut en- 


* Le capitaine Wilkes n’a vu la terre à nu que dans la baie Pi- 
ners ; c’est ce qui résulte de son rapport. Alors quelles pouvaient 
être les apparences qui indiquaient les directions où elle devait 
se trouver ? Comment pouvaient-elles être différentes de celles qui 
avaient pu déterminer positivement son existence ? . ÿ. 

** ]1 ne nous semble pas possible que l'on puisse élever de 


900 | VOYAGE 


voyée au capitaine Ross, par l'entremise de sir cb | 
ges Gipps, à Sidney, et j'ai appris depuis quele capi= » 
taine Ross l’avait reçue à son arrivée à Hobart-Town, 
quelque temps avant son départ pour le sud. » 

Le capitaine Wilkes rapporte ici la lettre qu'il écri-" 
vit au capitaine Ross; elle n'apprend rien de nou=. 
veau, si cen est la longitude de la baie Piners, placée 
par 137° 40° Est. Voici la suite de ce l'AFR ES 

« Comme je l'ai remarqué ci-dessus , j'avais placé 
sur ma carte originale la position supposée desiles 
ou de la terre Balleny, par 164° et 165° de longitude 1 
Est, et c’est cette carte que j'avais envoyée au capi- 
taine Ross. Je suis très-étonné qu'un navigateur aussi 
habile que ce capitaine, lorsqu'il trouva qu'il avait 
passé sur cette position, n'ait pas examiné mes rap- 
ports sur nos découvertes, qui ont été publiés dans 
les journaux de Sidney et d'Hobart-Town. S'il avait 
considéré les routes suivies par les bâtiments de l’ex- 
pédition, routes qui étaient placées sur la carte qui 
lui a été envoyée, il aurait vu sur-le-champ que cette 
partie n’a jamais été marquée comme faisant partie 
de nos découvertes , et il n'aurait pas avancé cette 
assertion FHRuse, qu'il avait navigué dans une mer 
libre là où avais marqué une terre 


> 


ee 


doute sur la découverte du capitaine Balleny. Il eût été à désirer. 4 | 
pour le capitaine Wilkes qu'il eût pu prouver l'existence de R : 
- terre qu'il prétend avoir aperçcue dans les journées des 15, 16, 
17, 18 et 19 janvier, d’une manière aussi irrécusable a celle 
des îles reconnues par le baleinier anglais. à 
* Il est à remarquer que les terres dont le pet Ross a cons- 


: 10 J 
FOR. 


AU POLE SUD. 201 

«Si on examine la carte de la route du capitaine 
Ross, on verra qu'il ne s’est pas approché de nos 
positions assez pour en déterminer les erreurs ou en 
vérifier les résultats. Je suis loin d’imputer au capi- 
. taine Ross aucune mauvaise intention , et je n'avais 
- aucun droit d'attendre que la route de notre expédi- 
tion et que nos découvertes fussent tracées sur sa 
carte; mais il y a quelque chose de bizarre à y voir 
figurer les découvertes des autres, quoique beaucoup 
moins importantes ; tandis que celles de l'expédition 
américaine sont omises , quoiqu'il connüt beaucoup 
mieux nos opérations que celles des autres *. | 
« Une des circonstances les plus remarquables de 

- cette campagne fut la rencontre des bâtiments fran- 
- çais, qui cherchaïent aussi à faire des découvertes sur 
ces côtes de glace, et le refus de leur commandant de 
communiquer avec nous. Le 30 janvier, le Porpoise 
découvrit deux bâtiments que l’on prit d’abord pour 
le Vincennes et le Peacock ; mais bientôt on reconnut 


taté, dans son voyage, la non-existence, sont, suivant toute pro- 
babilité, celles que le capitaine Wilkes prétend avoir été vues par 
-ses navires dans les journées des 15, 16 et 17. 

* Ce fait de l’indication de la terre Adélie sur la carte polaire, 
* sur laquelle l'amirauté anglaise a fait tracer les découvertes 
du capitaine Ross, s'explique très-facilement par cette circon- 
stance, que les découvertes des corvettes l'Astrolabe et la Zélée, 
reçues au mois de juin 1840, étaient publiées au dépôt de la ma- 
rine au mois de juillet suivant , tandis que nous ne trouvons en- 
core aujourd'hui celles du capitaine Wilkes que sur une mappe- 
monde à très-petits points, où les routes et les terres de l’expédi- 
tion américaine ne sont tracées que d’une manière très-vague. 


AUS VOYAGE : 


_que ce n’était pas eux, lorsqu'on vit le pavillon fran 
çais. Le Porpoise étant au vent, arriva dans l’'inten= à 
tion de parler et de faire les salutations d'usage lors= 
qu’on arbore le pavillon. Il s'approcha donc et était à 
portée de voix, quand le bâtiment françaisfit dela voile 
et refusa d'entrer en communication. Cette circon= 
stance de la rencontre de deux expéditions nationales 
dans des parages si peu fréquentés et ayant évidem= 
ment le même but, n’est pas mentionnée dans le: rap= 
port officiel français. Il est inutile de dire pourquoi : M 
« De Sidney, le Vincennes se rendit à la Nouvelle= 


bei Sistis Sache: 5e de EttES 


* Il eût été, au contraire, très-utile de dire pourquoi. Si cette 
rencontre n’a pas été mentionnée dans le rapport de M. Dumont- 
d'Urville, ce ne peut être que le fait d’un oubli, ou bien parce, 
qu'il n'avait pas jugé que la rencontre d’un des bâtiments amé- 
ricains, qu il savait bien ne pas être celui que le capitaine 
Wilkes commandait, fût assez importante pour être mentionnée 
dans un rapport adressé au ministre. Nous avons dit déjà dans 
ce volume, en rendant compte de cette circonstance, que, loin de 
se refuser à communiquer, M. Dumont-d’Urville avait fait tout 
préparer dans ce but, et même je puis ajouter qu'il avait donné 
l’ordre à l'officier de quart de tenir la batterie prête à saluer le 
pavillon américain. La manœuvre qu'il commanda dans linten- ” 
tion de faciliter les communications fut, comme on le voit, mal L: 


interprétée par les Américains, déjà mécontents sans doute de se 1 
voir prévenus par deux navires français là où ils croyaient ren- % 
contrer leurs compagnons de route le Vincennes et le Peacack 
À cette époque, la découverte de la terre Adélie était déjà acquise 
aux navires français. Le capitaine Dumont-d'Urville avait donc” | 
tout intérêt à en donner avis le plus tôt possible au navire le | 
Porpoise pour bien en établir la priorité; c’est avec cette pensée 
qu'il se hâta de publier les résultats de son expédition. dé les 


AU POLE SUD. 203 


Zélande, où le rendez-vous avait été donné aux au- 
tres bâtiments. Le Peacock seulement, en raison de 
ses réparations, devait rejoindre à Tonga-Tabou. Le 
Porpoise et le Flying-Fish étaient déjà à la baie des 
îles, ainsi que tous les savants qui avaient été laissés 
- à Sidney. » (Le Sea-Gull avait disparu le 29 avril 1839 
au large du cap Horn. Depuis ce moment on n’en- 
- tendit plus parler de lui. Cet événement malheureux 
fut une grande perte pour l'expédition. La gabarre le 
_ Relief avaït été renvoyée en Amérique après avoir 
déposé ses provisions aux îles Sandwich et à Sidney.) 

Le lieutenant Wilkes, après avoir énuméré tous 
les travaux exécutés par ses navires, et qui, je suis 
heureux de l'ajouter, suffiront toujours pour ranger 
l'expédition parmi celles qui auront rendu les plus 
_ grands services aux sciences, termine son rapport 
ainsi qu'il suit : « Les découvertes de lexpédition sur 
le continent antarctique s'étendent depuis le 160° de 
longitude Est jusqu’au 97°, et notre pays peut jus- 
tement s'en glorifier, car nous avons précédé les Fran- 
cais de quelques jours. Il reste à savoir si nous ne 
“pouvons pas être regardés comme étant les premiers 
qui aient découvert une terre dans ces parages; car 
le -rapport du capitaine Ross, du moins celui qui est 
venu à notre connaissance, ne fait aucune mention des 


journaux d'Hobart-Town aussitôt qu'il y fut arrivé. Tandis 
qu'il résultera des débats que nous citerons plus loin, que le 
lieutenant Wilkes, dans un discours fait à son équipage un jour 
ou deux avant d'arriver à Sidney, enjoignit à tous les marins de 
sa division de garder le secret. 


_ 


204 7 NONIGE F2 
îles Balleny,quoiqu'illes ait représentées sursa carte.» 

Le capitaine Ross a reconnu la chaîne d'îles dé- 
couverte en 1839 par Balleny. Du reste, je le ré- 
pète, il n’était pas possible d’élever de doute sur la 
découverte de ce baleïinier. Son journal a été publié. 
Sa route a été tracée sur la carte polaire dressée 
par l’Hydrophical office. Seulement 1l pouvait rester « 
quelque incertitude sur la longitude de ces îles; sides « 
documents pareils avaient pu être reconnus faux, il - 
ne serait plus possible de se fier à rien. Et si le com-— 
mandant américain avait pu arguer, au moment de la | 
rédaction de son rapport, que le capitaine Balleny 
aurait pu être induit en erreur par des apparences . 
trompeuses , que deviendraient les découvertes du 
lieutenant Wilkes, qui n'a constaté que par la vue 
l'existence des terres? 


F . a + 2" #t el 
a Se D 5 GE 2 M GS de cs Sd Ce po 


Quant à la question de priorité de déchu que 
le capitaine Wilkes réclame en sa faveur, parce que, « 
dit-il, l’expédition américaine aurait précédé les 
Français de quelques jours, elle a été jugée autre" 
ment par la société de géographie, lorsqu'en 1840“ 
elle a accordé son grand prix au capitaine Dumont=" 
d’Urville. Pour faire cesser toute incertitude à cet“ 
égard, il nous suffira de citer une note publiée à ce î 
sujet par M. Daussy, ingénieur hydrograpge en chef,* 
membre du bureau des RU géographe aussi ; 4 
distingué que savant, La voici” : | 


* Annales maritimes et coloniales 1843, par tie non officielle, 
n° d'avril, page 574. | | 


AU POLE SUD. 205 


«Aprèsavoiradmiré l'immense étenduedes travaux 
de l'expédition commandée par le lieutenant Wilkes, 
nous croyons devoir examiner impartialement la 
question de priorité de la découverte du continent 
austral. Il a été beaucoup parlé, en effet, d’un proces 
qui aurait été intenté au capitaine Wilkes. Il était 
accuse, disait-on , d’avoir falsifié ses journaux , afin 
de porter la date de sa découverte avant celle de 
Dumont-d’Urville. Il était important de vérifier les 
faits. Or, j'ai pu me procurer deux numéros du 
. 27 août et du 3 septembre 1842 du journal, intitulé 
New-York Weekly Tribune, dans lequel se trouvent 
d'une manière fort étendue les détails de ce procès. 
Nous croyons devoir donner un extrait de ce qui est 
relatif à l’époque de la découverte. Nous ne connais- 
sons pas, il est vrai, l'issue de ce procès, mais les dé- 
clarations des officiers nous semblent suffire pour 
l’objet que nous nous proposons. | 

« Le capitaine ou plutôt le lieutenant Wilkes, car 
un des griefs qu’on lui reproche est d’avoir pris le 
titre de capitaine qui ne lui appartenait pas, a été 
- cité devant une cour martiale assemblée à bord du 
bâtiment des États-Unis North Carolina, pour ré- 
pondre à des accusations portées contre lui par le 
docteur Guillou, chirurgien d’un des bâtiments de 
l'expédition (le brick le Porpoise), et par le lieute- 
nant Pinkney, commandant le Flying-Fish. | 

« Les charges, au nombre de onze, se rapportaient 
principalement à des abus de pouvoir vis-à-vis de 
MM. Guillou etPinkney. Nousnenous y arrétérons pas. 


906 : __ VOYAGE LAS TE 
Le sixième chef d'accusation était : CRE ; 
daleuse tendant à détruire la moralité. À l'appui 
cette accusation, on citait que M. Wilkes, dans son ‘ 
rapport au secrétaire d'État de la marine, en date. 

du 11 mars 1840 “, avait annoncé wne fntisseté con- 
stante et délibérée, en disant : Dans la matinée du 19 « 

-_ janvier, nous vêmes la terre au sud et à l’est, ainsi qué « 
plusieurs indications qui prouvaient sa proximilé, 
comme des pingoins, des veaux marins, une éau dé= « 
colorée ; mais une barrière impénétrable de glace nous u 
empécha d’en approcher. Ledit Wilkes sachant bien | 
que la terre au sud et à l’est n'avait pas été vue, | 
comme il le dit. 

« Par rapport à cette charge, le juge avocat d ac 
cusateur) avance de ‘il établira les faits suivants : 
« Que la terre n’a pas été vue à bord du Vincen- 
nes le 19 janvier. | 
« Que quand l'officier de quart rapporta au lieute- | 
nant Wilkes qu'il croyait voir la terre, celui-ci reçut . 
cette annonce avec tant d'indifférence, qu ‘elle fut. 
bientôt oubliée. : +20 
« Que le lieutenant Wilkes ne songea à avoir 4 
la terre le 19 que, lorsque après son arrivée à Syd=« 
ney, il eut appris qu'une autre nation avait annoncé 
l'avoir découverte dans l'après-midi du 19. 4 
. « Qu ayant rencontré, le 26, un autre bâtiment: 

de l'expédition, et ayant conversé avec l'officier com=« 


* Cette date est importante, parce qu’elle annonce que ce r'af 
port n'a été adressé, par le lieutenant Wilkes, que bien ht 
après qu . a connu les découvertes des Fr ançais: 


AU POLE SUD. 207 
mandant relativement aux découvertes faites, il ne 
fit aucune mention de cette découverte du 19. . 

« Qu'ayant plus tard rencontré le même officier à 
la Nouvelle-Zélande, celui-ci lui exprima son éton- 
nement de ce que lui, Wilkes, n’avait pas parlé de 
cette découverte dans là conversation Le ils avaient 
. eue ensemble le 25 janvier. 

- « Que le commandant du Peacock, relativement 
au 49 janvier, avait pensé d’abord avoir vu la terre, 
mais que, après un examen plus attentif, il avait été 
convaincu qu'il s'était trompé, et que ce n’était 
qu'une montagne de glace, et en conséquence il avait 
“ordonné à l'officier d'effacer la mention qui avait 
été faite sur le livre de Zoch, et d'y substituer qu’on 
avait vu une montagne de glace. 

« Que si la terre a été vue par le Peacock ce jour- 
là, ce ne fut que dans l'après-midi. 

«Enfin, que la terre a été découverte par deux 

officiers du Peacock le 16 janvier 1840, mais que 
leur rapport sur cette découverte fut traité avec dé- 
dain. 
« Sans doute, on ne peut pas regarder comme 
prouvées toutes les assertions de l’accusateur, mais 
nous allons rapporter ici les principales dépositions 
- des témoins, qui sont relatives à la découverte de la 
terre, soit le 19, soit le 16, soit méme le 13 janvier, 
afin de bien constater les faits. 

« Le lieutenant Alden, du Vincennes, dépose : Dans 
la matinée du 19 janvier 1840, le lieutenant Cass 
était de quart de huit heures à midi. Je n’ai rien 


208 : VOYAGE LA ENE RSS 3 
entendu dire relativement à la découverte de a terre à 
jusqu’après notre arrivée à Sidney. Aussitôt après 
notre arrivée, nous entendimes dire que les Fran- 
çais avaient découvert la terre dans l'après-midi du À 
19 janvier. Le lieutenant Wilkes était alors à terre. | 
Lorsqu'il revint à bord, je le reçus à l'échelle, et lui 
fis la remarque que les Français nous avaient devan« 
cés. Oh non! me répondit-il, est-ce que vous ne Vous « 
rappelez pas que vous m'avez annoncé des 2ppAT | 
rences de terre le 19 au matin? Je lui dis que je ne 
CORYAIS pas me le rappeler dans le moment, mais que | 
j'examinerais le livre de loch. Cet examen me con-« 
vainquit d’abord que j'avais’été de quart ce matin- 
là, qui était un dimanche, et ce fait, réuni à quelques 
autres circonstances, me convainquit que j'avais ap- 
pelé son attention sur quelque chose qui semblait être 
la terre (that looked like land ). 4 
« Voici comment cela se passa : Le temps avait 
été brumeux toute la matinée. Un peu apres huit 
heures, j'entendis le bruit de la mer qui se brisait 
contre une montagne de glace peu éloignée du bâti À 
ment ; j'en prévins le lieutenant Wilkes, qui monta 
sur le pont. Le brouillard s’éleva petit à petit, dem 
sorte que nous pûmes voir les por : et bientôt pau } 


AU POLE SUD. 209 
rien, me parut traiter cette annonce avec ecnee 
et descendit. ; 

— « Vous dites que vous avez ie l'attention du 
lieutenant Wilkes le 19 sur une apparence de terre 
vers le sud : croyez-vous que c'était la terre ? 
…  —« D’après ce que je sais maintenant, ça ne l'était 
pas. | f 

— « Le croyiez-vous lorsque vous le lui avez dit ? 

— « Non, je ne le croyais pas, car j'aurais marqué 
ce fait sur le journal, si j'avais eu quelque confiance. 

— « Ces apparences de terre rs été vérifiées 
plus tard ? 

_— « Oui, nous avons été trèes-certains de voir la 
terre le 28 au matin; je la vis étant de quart, mais 
avant que nous pussions nous satisfaire entièrement, 
nous en fümes repoussés par un coup de vent. Nous 
_ étions alors bien loin de notre position du 19, en- 
viron 14 degrés ou 400 milles plus à l'ouest. 

— « Avez-vous été souvent trompés par ces appa- 
rences de terre ? | | 

— « Pas plus que tous ceux qui naviguent ne le 
sont généralement. Jusqu'au 25 janvier, je regardais 
. l'existence de la terre dans ces régions comme très- 
douteuse. Ce jour-là, le lieutenant Underwood étant 
monté au haut des mâts, dit, en descendant, que cer- 
tainement il y avait une terre au sud et à l’ouest. 
Nous étions alors à 200 milles environ à l’ouest de la 
position du 19. | 

— « Essaya-t-on de sonder le 19, ou de se rap- 
procher de la terre ? : 

VIIT. tes À Æ 


Es à VOYAGE 


— « Au contraire, Je reçus l'ordre dé 
vire au large, et aucune sonde ne fut prise q 
sache: Le soir nous vimes le Peacoci se dirig | 
le sud-ouest. | L'ÉTÉ F0 

— « L'atmosphère date . claire jo 28 et ‘4 
le 28 ? à ae 

— « Le 25 était un jour délicieux, adintra 
clair. Je découvris la terre lorsqu’on était à ms 4 
un ris dans les huniers ; je l’'annonçai au lieutenant. 


quarante-cinqg minutes, découvert la terre au S. S.E., 
ou ce qui présente l’aspect le plus PES due - 
terre élevée et couverte de neige. | 

— «Indiquez-nous la latitude et la longitdé di 
Vincennes le 19, le 25 et le 28. 


— « Les voici d’après le journal : 


À midi, le 49, longit, 454° 27/ 45" latit. 66° 19’ 15". «1 
— le 25, 2 147089: NON 
— le28, — 140°2#43/ — 6632450 
— « Quelle démarche. le lieutenant Wilkes du 1 
pour demander le secret de ces découvertes avai 
que vous arrivassiez à Sidney ? : | | 


Wilkes ; il regarda quelque temps, et dit: Hnmya « 
pas d'erreur là-dessus, c’est la terre. Avant qu'on ; 
eût achevé de prendre le ris, le navire fut chassé par 
un coup de vent et une tempête de neige: Mes re | } 
marques sur le livre de /och sont : À neuf heures 


A en 


__ * Le 28, l'expédition américaine se thouvait, en effe 
de la terre Adélie par 140° 24 34” de longitude, € 
latitude. 


AU POLE SUD. 211 
— « Un jour ou deux avant notre arrivée, il appela 
tout le monde sur le pont, fit un discours dans lequel 
ilparla du brillant succès que nous avions eu, et nous 
enjoignit à tous de garder le secret jusqu'à ce que 
notre gouvernement fût instruit de cette découverte; 
attendu que c'était à lui qu'appartenait le droit de la 
faire connaître, et pour que, si quelque bénéfice pou- 
vait en résulter, ce fût notre pays qui en profitât. 
Tel fut le fond de son diseours*. 

— « Dites-nous, s’il vous plaît, si, après qu’on eut 
eu connaissance que les Français avaient découvert 
Ma terre le 19, il n’y eut pas une publication faite à 
Sidney annonçant que les Américains avaient aussi - 
reconnu la terre le 19 au matin, et si cette publi- 
cation n’a pas été faite à la connaissance du lieute- 
nant Wilkes ? 

— « Cela est vrai. Les deux annonces eurent lieu 
le même jour, le document américain fut écrit par le 
consul d'Amérique ; j'étais dans la chambre occupé 
à la rédaction des cartes, et j'entendis le consul en 
faire la lecture en présence du lieutenant Wilkes **. 

— « Voyez sur le livre de Zoch si, le 19, il n’est pas 
marqué qu'on vit des phoques, des cailles (quais), 
des pingouins, des pétrels, etc. 


? On comprend qu'avec de semblables pensées, bien extraor- 
dinaires sans doute, le lieutenant Wilkes ait pu croire que nous 
n'avons pas voulu communiquer avec le Porpoise. | 

#* C’est dans le Sidney-Herald du 13 mars 18/0 que se trouvent 
- ces deux annonces, dont la traduction a été insérée dans les 
Annales maritimes, année 1840, partie non officielle, t. :1, p. 839. 


212 _ VOYAGE | à 
« Le témoin lit le es du dimarche 49 ja * 
vier 1840. Il est dit qu’on vit “un phoque, un pin- 


gouin, et une espèce de pétrel, dans la matinée, etle À 
soir un albatros, un pétrel, et deux baleines (sperm 
LRUeS Ici, un membre de la cour fait observer | 
qu'on ne oh Jamais de baleines quand on est sur rles 2 
sondes. | FAST 

« Le lieutenant Ringgold, qui conti le Por- 4 
poise, est ensuite interrogé. C’est lui qui, le 26 jan= / 
vier, rencontra le Vincennes. On lui demande : | 1 

— «Avez-vous eu ; le 26 janvier, quelque con— f 
versation avec le commandant du 7’incennes?: 4 

— «Oui, une ou deux questions; il ventait très- | 
frais alors; la communication eut lieu par le télé i 
graphe. Il me donna la comparaison du chrono- « 
mètre étalon, et Je crois qu'il me dit avoir parlé ME 4 


Peacoctk lie jours avant. 

— « Vous annonça-t-il alors qu'il avait découvert | 
la terre le 19? 

— «Non. Après être arrivés à la Nouvelle-Zé- 
lande, j’entendis dire qu’il m'avait demandé sijavais 
vu la terre; mais comme j'avais cru entendre si j’a= « 
vais besoin de quelque chose, j'avais répondu : De MW 
rien. Le lieutenant Wilkes me dit la même chose | 
lorsque je lui témoignai mon étonnement de ce qu'il « 
ne m'avait pas parlé, le 26, de sa découverte du 19. à 

— «N’'aviez-vous pas vu la terre avant le £ 
janvier ? Fe 

— «Je suis persuadé que J'ai vu la terre le 13 al 
vier 4840 ; mais je ne fis pas de rapport là | 


LA 


AU POLE SUD. 213 
Je vis environ cent phoques, et l’eau trèes-décolorée. 
Je iuai deux phoques et sondai aussi bien que je le 
pus. J'avais, je crois, 287 brasses ; mais je ne pus at- 
teindre le fond. Nous étions alors plus près de la 
position de Balleny, que nous ne nous en SOYONS ja- 
_ mais trouvés. 

« Le lieutenant Ringgold lit ensuite l'extrait sui- 
vant, du rapport sur la croisière du Porpoise, qu'il 
remit au lieutenant Wilkes à la Baie des Iles. 

« Dans la matinée du 16, on vit des apparences 
très-prononcées de terre. Voici ce a est porté sur 

mon journal: 

« À 6 heures 30 minutes P. M. monté au haut du 
mât; le temps était très-clair, l'horizon net, les 
nuages minces ; Au le bruit de PAUBQunE et 
peu de temps après, j'en vis un, ainsi uni un grand 
phoque. | 

« Etant au haut du mât, je vis, par-dessus un 
champ de glace, un objet large, arrondi, de cou- 
leur foncée, et qui ressemblait à une montagne éloi- 
gnée. Les montagnes de glace avaient toutes un éclat 
brillant qui contrastait avec ce point. Je restai pen- 
dant une heure pour voir si le soleil, en baissant, 
ne ferait pas changer la couleur de cet objet; mais 
il resta toujours le même, ayant un nuage blanc au- 
dessus, comme on en voit ordinairement au-dessus 
des terres hautes. Au coucher du soleil, l'aspect 
resta le même. Je pris le relèvement exact, me pro- 
posant de l’examiner de plus près aussitôt que le 
_vent me le permettrait. Je suis fortement d'opinion 


ME VOYAGE 


que c'était une île entourée d’un immense di le 
glace qui était alors en vue. (Extrait du livre de loch. 12e 

« À 7 heures nous découvrimes ce que l’on sup= 
pose être une île, elle restait au S. : S. E., un A 
nombre de glaces plates en vue. Signé %. North. 
(Extrait du livre de loch.) M. North ‘était re 
de quart. Fe es 

— « Avez-vous fait un rapport sur votre décou= 
verte de la terre le 13 janvier? oc” 


— «Je rapportai simplement que (asia vu des 


indications de terre. Voici ce que je disais : 

«Le 12 janvier fut employé à tâcher de rallier le 
Vincennes ; n'ayant pu y réussir, je me dirigeai vers 
l’ouest, à dix heures du soir. Le lendemain, je péné- 
trai dans une coupure formée par la barrière, danse 


dessein de l’examiner de près et d’ obsegdiet l'in- 


clinaison de l'aiguille. 

«En approchant de la glace, on vit un certain 
nombre de phoques qui étaient dessus; Je parvins 
à en prendre un couple dont les peaux furent plus 
tard placées à bord du Peacock. De hauts sommets de 
glace et la brume qu’on voit ordinairement sur les 
terres élevées étaient visibles tout le long de l'ho- 


fr 


rizon du côté sud. FRA 
— « Pensez-vous que l'apparence de terre que À 
vous vites le 13 confirme la découverte que lon À 


dit avoir été faite le 19 par le VINEERR EE 


Dh nul « 
= SEE 


SEE. ns = 


DT. éd és: 


Tréifarsndas nd x fs ts 


re es 


4 Pa 


per cr cé ÉRRR AE OS ES A ART ReS CE, 
à 


AU POLE SUD. 245 
la nouvelle que nous reçûmes plus tard des décou- 
vertes du capitaine anglais Balleny, l’année précé- 
dente; nous trouvâmes que nous étions sur la même 


route que lui quand il découvrit la terre dans cette 
partie. | 


«Le juge avocat ayant lu une partie de- l'exposé 


fait par le lieutenant Wilkes , à l’Institut de Washing- 
ton, et le conseil de M. Wilkes ayant élevé des ob- 
jections à ce sujet, le juge avocat réplique qu’il a 
présenté cet exposé pour prouver que l'intention de 
M. Wilkes était de ne point admettre les dires de 
M. Ringgold sur les apparences que cet officier avait 


. vues le 13 et le 16, parce qu’il voulait s’attribuer à 
. lui-même l'honneur de la découverte, quoiqu’en 


réalité les apparences vues par M. Ringgold étaient 
beaucoup plus prononcées que celles qui furent aper- 
çues par les officiers du Vincennes. | ï 


— «Avez-vous vu des apparences de terre, tenib 
que des pingouins , des phoques, et l’eau était-elle 
décolorée? 
 — « Mes notes sur le journal portent que je vis un 
pingouin et une espèce de pétrel. 

— «Quelles notes inscrivites-vous sur le journal, 
et qu'est-ce qui y est resté? 


— «D'abord je parlai au lieutenant Hudson, et 
yécrivis sur le livre de loch : Fortes apparences de 
terre. Je reçus ordre ensuite d'effacer cela et de 
mettre qu'il avait été reconnu que c'était une mon- 
tagne de glace. C’est le lieutenant Hudson qui donna 


216 VOYAGE 


cet ordre. La montagne de glace restait entrés 1d 
et l’ouest. + Horde 

— «Vous dites qu’il fut porté sur r le rt d'a- 
près les ordres du lieutenant Hudson , que c'étaitune 
_ montagne de glace ; croyez-vous vous-même > que c'e 52 
tait la terre? | | ; 

— «Oui, etje le crois maintenant encore, Car cela | 
fut Re par la sonde que nous eûmes s quelques À 
jours après. | 

— «Combien de temps, après le 19, le Peacock 
prit-1l cette sonde , et quelle était la profondeur? 

— «C'était le 23 et par 380 brasses ; on n Mat 
pas de sonder le 19. 

— « Quelle était l'espèce de fond que l’on obtint? … … 

— « Je ne me le rappelle pas maintenant; mais il y. 
avait une pierre, et on salua le navire à cette occasion 
(on wich we cheered ship ). On regardait cela comme 
la preuve que nous touchions à terre. 

— « Quelle était la position du Peacock le 23, par 
rapport au Vincennes, et aussi sa position absolue? 

— « La différence entre les deux bâtiments était 
environ de 2 degrés en longitude et 8 milles en lati- 
tude. À ces latitudes, le degré de longitude n’a guère 
que 25 milles. Par l'estime et d’après le journal, la 
position du Peacock était le 19, long. 153° 40° KE, 
lat. 66° 2%, et le 23, long. 151° #3 et lat. 66° 30! À 
‘ce qui donne 8 RENE de différence vers le sud. 
— «A-t-on sondé plusieurs fois le 23? | L 
— « Non, à ma Connaissance, 
«Le lieutenant Reynolds (à bord du Peacoc#) dith 


{ 
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Le" 
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_ AU POLE SUD. 217 
avoir vu la terre le 16 à onze heures, du haut mât. Il 
resta près d'une heure à la regarder avant d’en par- 
ler. Je la vis, dit-il, avec une lorgnette (spy-glass), 
et fus convaincu que c'était la terre. Je la fis remar- 
quer à l'officier de quart, mais il ne crut pas que 


. C'était la terre, et il n’en fut pas fait mention sur le 


journal. Le témoin est encore convaincu qu'il a vu 
la terre. ; 

« Telles sont les différentes dépositions faites devant 
le conseil de guerre, relativement à la découverte du 
continent austral, par l'expédition américaine. En 
résumant tous les faits, on voit que le lieutenant 


… Ringgold, du Porpoise, croit avoir vu la terre le 13 


—. janvier; cependant il en était si peu certam, qu'il 


dit lui-même : Les apparences étaient si fortes, que je 
m'attendais à chaque instant à voir la terre. : 


 « Le 16, on croit encore la voir à bord du Peacock ; 
le heutenant Reynolds croit aussi la voir; cependant 
lofficier de, quart ne croit pas que ce soit elle. 
« Le lieutenant Wilkesne croit pas lui-même que la 


» terre ait été constatée le 16, car ce n’est que le 19 


qu'il dit qu'on a eu la certitude que l’on voyait la 


terre; cependant il est bien prouvé que l’on n’eut ce 


jour-là qu'une apparence très-fugitive. Il est vrai 
qu'on prête à M. Wilkes le désir de s’attribuer ex- 
clusivement l’honneur de la découverte de la terre, 
ce qui l’aurait porté, dit-on, à regarder comme 
douteuses les observations que les autres avaient 
faites avant lui. Mais n'est-il pas évident, d’après 
toutes ces dispositions, que jusqu'au 28 janvier on 


218 VOYAGE 


n'avait aucune certitude de La drairata ll 
que si quelques officiers croyaient lavoir vue, 
tres étaient persuadés que c'était une Ms pourd 
que, comme Je l’ai avancé, si le 22 janvier une cir= 
Constance imprévue avait forcé l'expédition am ire 
caine à s'éloigner de ces parages, il ne serait ré | 
de cette expédition aucune certitude de PA à 
d'un continent austral, tandis quele 21, équipages 4 
de l’Astrolabe et de la Zélée avaient mis pied àterre,. 
en avaient déterminé la position et CAPTER des. 
échantillons ? “AR 
«Il me paraît, au reste, bien sut piéhtot que ls 3 
Américains n'aient pas songé à publier les observa= M 
tions mêmes qui sont consignées sur les journaux de 
bord, et à donner la position des points d'où ontdit « 
avoir vu la terre; car on pourrait au moins vérifier 
plus tard si la terre existe dans la direction où on 
dit l'avoir vue. 1 
« Les cartes qui constatent les découvertes de Di 1 
mont-d’Urville ont été publiées au mois de juin 1840. 
Celles qui donnent les découvertes faites par le ca= 
pitaine Ross en janvier 1841 étaient publiées en FR 
let de la même année, et nous n’avons encore, pour. 
nous faire une idée des résultats de l'expéditiod | 
ricaine, que le tracé assez grossier qui se trouve sur la 
mappemonde, jointe à l’exposé lu par M. Wilkosl ë 
l’Institut national de Washington. à | 
« Les routes des bâtiments sont dia 
mappemonde, mais aucune date n’y est marquée, 
sorte qu'on ne peut dire où étaient le Vince 


r 


AU POLE SUP. 219 
Peacock et le Porpoise le 13, le 16 et le 19 janvier. Une 
carte à plus grands points a été, ilest vrai, envoyée par 
M. Wilkes au capitaine Ross; mais c’est justement 
d'après cette carte que ce dernier annonce avoir 
navigué librement sur un point où la terre était in- 
diquée par M. Wilkes: ce n’était, répond M. Wilkes, 
qu'une ligne tracée pour joindre les îles Balleny à 


"nos découvertes ; mais la meilleure réponse aurait été 


évidemment la publication de la carte elle-même, 
avec RE exacte des parties vues par chaque 
bâtiment. 

Nous aurons peu de chose à ajouter à ce qui vient 
_ d'être dit par M. Daussy sur la question qui nous 
oceupe. Le capitaine Wilkes, sous le nom de conti- 
nent austral, semble avoir voulu désigner que toute 
Ja calotte antarctique australe est occupée par une 


terre immense, dont il réclamerait la priorité de 
. découverte. Or, s'il arrivait un jour que l’on pût vé- 


rifier d'une manière irrécusable cette hypothèse, la 
gloire de la découverte appartiendrait nécessairement 
aux premiers navigateurs qui découvrirent les terres 
de Graham et celles d’Enderby. Si le continent aus- 
“ral des Américains devait avoir des limites plus res- 


. treintes, il envelopperait encore les terres Sabrina 
… et la terre Adélie. Dans ce cas, la gloire de la pre- 
+ mière découverte appartiendrait au capitaine Bal- 
- Jeny, qui le premier signala, dans l’année 1839, la 
» terre Sabrina; mais il resterait toujours à la France 


” 
A 


d’avoir été la première à prouver son existence d’une 
manière 1rrécusable par les échantillons que nous en 


220 VOYAGE ee 


vue de la terre Adélie, que son existence a pu être! ms ss 4 
tatée par la vue, de manière à convaincre tout le. 
monde. En admettantque les assertions du lieutenant 
Wilkes puissent être admises un jour de manière à 
ne plus laisser de doute sur leur sincérité, ilresterait. 4 
à savoir si les apparences de terre qu'il a aperçues « 
dans les journées des 15, 16, 17 et 19 n'étaient pas « 
produites par des glaces, qui près des terres, peuvent ; 
atteindre des hauteurs considérables. Nous regret— « 
tons sincèrement que le capitaine américain m’ait pas « 
joint dans son rapport officiel la description détaillée ; 
des apparences de terre qu'il a aperçues dans ces À 
journées. C'eûüt été la manière la plus puissante de î 
combattre les assertions de ses antagonistes, qui, 
comme on l’a vu, paraissent assez d'accord pour faire M 
sérieusement douter de sa sincérité. À 

Quoi qu’il en soit, les capitaines Wülkes et Du- 4 
mont-d’ DRE complétement les décou-- 4 
vertes du capitaine Balleny, lorsqu'ils tentèrent de« 
pénétrer dans les régions glaciales. Si nous fûmes 
plus heureux que les Américains , en les prévenant 
de quelques jours sur le seul point peut-être de ces 1 
côtes où la terre, moins entourée de glace , était aussi F1 
plus abordable , nous devons avouer que, dans cette | 
circonstance , nous fûmes mieux servis par le ha= 
sard, et que l'expédition américaine a mérité, pa 
la persévérance et le Abe des ses has pdt | 


AU POLE SUD. 924 
sances géographiques celle d’une terre qui semblait 
devoir à jamais rester ensevelie sous une glace éter- 
nelle. Le rapport du lieutenant Wilkes n’est point assez 

_ étendu pour pouvoir nous livrer ici à une plus longue 
dissertation au sujet de ses travaux dans les régions 
glaciales ; cependant, il est facile déjà de voir que 
cette expédition aura un résultat considérable , par la 
quantité de matériaux quelle aura rapportés. Les re- 
connaissances exécutées sur la côte occidentale d’A-- 
mérique, aux archipels des îles Pomotou , Taïti, Ha- 
. paï, Samoa, Viti, Tonga-Tabou; enfin, les travaux 
exécutés à la Nouvelle-Zélande et dans le grand ar- 
chipel d'Asie, assurentau lieutenant Wilkes une part 
telle qu’il ne peut rien avoir à ambitionner. 

Si les-expéditions française et américaine avaient 
le même but et pour ainsi dire des missions sem- 
blables, je ne saurais trop le répéter, les navires con- 
fiés au commandement du capitaine James Ross de- 

- vaient parcourir un Hinéraire tout différent: spécia- 
- lement destinés à naviguer dans les régions glaciales, 
leur armement avait été fait en conséquence. Le ca- 
….piiaine anglais était libre de tout son temps, il pouvait 
… disposer à son gré de ses trois années de campagne 
- pour aller chaque fois examiner le mouvement des 

“ slaces, de manière à pouvoir profiter d'une saison 
favorable si elle se présentait. Je dois ajouter que, 
sous ce point de vue, l'itinéraire du capitaine Ross 
avait été bien mieux choisi que ceux tracés aux expé- 
ditions française et américaine. Il faut des navires à 
“ part, des armements tout particuliers pour s’aven- 


222 VOYAGE RS" 
turer dans ces régions glacées , là où la mer pré te 
des dangers qu'on ne rencontré nulle part ailleurs. d | 
L'Astrolabe et la Zélée n'avaient, ilest vrai, rien à « 
désirer sous ce rapport. Elles ont passé par des épreu- - 
ves qui ont prouvé que tout avait été prévu pour « 
cette navigation extraordinaire; d’un autre côté, il. 
était difficile d'attendre des équipages plus de zèle 
et de dévouement; mais certainement si Dumont- 
d’Urville, dans sa deuxième campagne, avait pu dis- 
poser de son temps comme il l'aurait voulus; sil. 
. n'avait vu ses compagnons de route affaiblis par les 
maladies que nous avions puisées sous le ciel des 
tropiques, il serait parvenu à des résultats bien au. 
irement importants; peut-être même eût-il enlevé 
au capitaine Ross la gloire de la découverte de la 
terre Victoria, qu’il avait préparée, L'expédition an- 
glaise, destinée spécialement pour un voyage polaire, - 
devait donc nécessairement avoir une tout autre por . 
tée que celles envoyées par la France et les Etats-Unis. » 
Les rapports qui nous ont fait connaître les ré- 
sultats de l'expédition l'Erebus et la Terror, ne sont \ 
point encore assez détaillés pour que nous puissions w 
apprécier toute l'étendue des travaux accomplis. Ge=" i 
pendani nous trouvons, dans le journal des Débals 
du 16 septembre 1843, un compte rendu de cette 
expédition, extrait du Lierary-Gazelle de Londres , : 
et qui, évidemment dû : à la Sabre: du De Ross, 


le citons a 


AU POLE SUD. 223 

« L'Erebus, capitaine James Ross, et la Terror, 
capitaine Crozier, partirent d'Angleterre le 29 sep- 
tembre 1839, et touchèrent d’abord à Madère, à Port- 
Praya des îles du cap Vert, à Saint-Paul et à la Tri- 
mité , relàches dans chacune desquelles il fut fait de 
nombreuses et d'importantes observations scientifi- 
ques. Le 13 janvier 1840, le capitaine Ross jetait l’an- 
cre à Sainte-Hélène, ayant pris cette route pour déter- 
miner le minimum de l'intensité magnétique sur le 
globe, et la nature de la courbe suivant laquelle se dé- 
veloppent les points où cette intensité est la plus fai- 
ble. I réussit à souhait dans ce dessein, car il ne faut 
. pas oublier que le vaste espace de l'Océan qui se dé- 
ploie entre les divers lieux que nous avons nommés, 
est celui de toute notre planète où l'intensité magné- 
tique est le moins sensible. La position de cette ligne, 
qui se développe vraisemblablement vers le nord à 
travers le continent de l'Afrique, étant ainsi détermi- 
_née sur un assez grand nombre de points, il deviendra 
san. doute facile de la reconstruire dans tout son dé- 
… vele pement, et d'en tirer tous les faits que sa con- 
—… naissance peut révéler à la science. Pendant cette 
— partie du voyage, la position de l'équateur magnéti- 
que fut également déterminée, ainsi que des points de 
repère pour l'observation des changements qu'il 
pourrait subir. Après avoir établi un observatoire 
magnéuque à Sainte-Hélène, l'expédition remit à la 
voile, le 8 février 4840, et le 17 mars suivant elle ar-- 
riva au cap de Bonne-Espérance où elle établit un 
- second observatoire consacré aux mêmes travaux. À 


DEN "ii VOYAGE 


_ cetfe époque aussi, il fut fait une série d'expériences es 
quotidiennes sur la température et la gravité spéci= E 
fique de la mer à des profondeurs de 180, 300, 480 et 
600 brasses, et à la fin il fut lancé des plombs dé sonde 
jusqu’au fond de l'Océan (at the bottom of the Ocean) « 
« Le 3 avril, l'expédition repartit du Cap et conti=« 
nua avec autant de zèle que de soin ses observations 4 
magnétiques, ayant toujours soin de les relier aux 
travaux des divers observatoires établis dans d'au- | 
tres parties du monde. Le 12, on touchait à la Terre « 
de Kerguélen, et le 29 (jour fixé d'avance pour des 
observations simultanées sur divers points du globe), 
on nota, à des intervalles de deux minutes et demie, « 
et pendant vingt-quatre heures consécutives, les 
mouvements des instruments magnétométriques. Par « 
un heureux hasard, il survint pendant ce temps une © 
de ces tempêtes magnétiques qui avaient déjà été re- Fl 
marquées en Europe. L'influence que celle-ci exerça | 
sur les instruments à Kerguélen fut identique à celle M 
qu'on observa simultanément à Toronto du Canada ; 6 
circonstance qui prouve l'immense étendue des in= À 
fluences magnétiques et la rapidité merveilleuse avec 
laquelle elles traversent le diamètre de la terre. Lam 
lumière et l'électricité peuvent seules offrir l'exem- + 
pie d’une rapidité aussi merveilleuse. La géologie et | 
la géographie eurent aussi leur part des travaux « de 
cette relâche: De grands arbres fossiles furent extraits 
de la lave , indice de l’origine volcanique de ces ile 
Des masses considérables de charbon fure 
ment reconnues; elles promettent pour la 


AU POLE SUD. 225 
secours utile à la navigation à vapeur dans cette par- 
tie du monde; elles peuvent devenir d'une impor- 
tance immense pour le commerce de l'Inde. 

« Après la terre de Kerguélen, l'expédition visita 
Hobart-Town sur la terre de Van-Diémen et les îles 
Auckland, et s'enrichit d’une série complète d’obser- 

-vations magnétiques au jour important du 30 novem- 
. bre 1840. Alors, nos compatriotes avaient connais 
sance des tentatives déjà faites au pôle sud par le 
lieutenant Wilkes, de la marine américaine, et par la 
division de M. Dumont-d’Urville. Cette circonstance 
détermina le capitaine Ross à user de son pouvoir dis- 
crélionnaire pour changer la route qui lui avait d'a- 
bord été tracée. I] fit route directe vers le sud et par 
. le 170: degré de longitude orientale, direction sur la- 
quelle il devait rencontrer l’ovale isodynamique du 
magnétisme terrestre, et le déterminer, ainsi que le 
point situé à égale distance des deux foyers de la plus 
grande intensité magnétique, en passant entre les 
routes suivies par le navigateur russe Bellinghausen 
et le célèbre capitaine Cook. Il se proposait ensuite de 
se diriger sur le pôle par le S. O. plutôt que de vou- 
loir l’aborder directement par le nord, comme ses 
. prédécesseurs l'avaient fait sans résultat. 

« Le 12 décembre, il quitta donc les îles Auckland, 
toucha à l’île Campbell, et, après avoir traversé une 
mer remplie de glaces flottantes, il rencontra l’ex- 
trémité de la banquise au sud du 63° degré de lati- 
tude, et franchit le cercle antarctique le 1°” jan- 
vier 1841. Celle banquise ne lui sembla pas aussi 

VIIL. 45 


pont. D VOYAGE 


formidable que l’ont représentée les Kana mn 
Américains ; toutefois, un coup de vent et d'autres 
circonstances défavorables empèchèrent d’abord les  « 
bâtiments anglais de s’y risquer. Forcés de prendre 
le large, ils ne la retrouvèrent que le 5, à une cen- 
taine de milles de distance, dans l’est, par les 66° de. 
gré 45 minutes de latitude sud et 174° degré 16 mi- 
nutes de longitude orientale. Alors, le vent etla mer 
portant directement sur elle, on ÿ entra sans avoirà 
regretter aucune avarie faite aux navires, et même 
après y avoir parcouru quelques milles, on putcon— 
tinuer à marcher vers le sud sans grandes difficultés. 
Mais bientôt d’épais brouillards, accompagnés de fai- 
bles brises, rendirent la route aussi périlleuse que pé- 
nible, et de longues pluies de neige vinrent gêner: 
tous les travaux. Ce qui encourageait cependant le 
capitaine Ross à poursuivre sa route, c'était qu'à 
chaque éclaircie on apercevait dans le S. E. un ciel 
* pur qui réfléchissait évidemment une mer libre; et, 

en effet, dans la matinée du 9, après avoir fait plus 

de 200 milles dans la banquise, il entra dans une mer 
parfaitement libre, et mit le cap auS. 0. sur le Le 
magnétique. 

« Le 11 janvier, par les 70° degré 47 minutes dé | 
latitude sud et 172° degré 36 minutes de longitude 
orientale, on signala la terre à la distance d'environ 
100 milles en avant, précisément dans la direction 
qu’on suivait, entre le pôle magnétique et la route des 
navigateurs. C'était la terre la plus avancée au sud 
qu’on eût encore découverte. Elle semblait composée 


7 


AU POLE SUD. 221 
de montagnes à pic, hautes de 9000 à 12,000 pieds, 
entièrement couvertes de neige, et sur les flancs des- 
quelles d'immenses glaciers s’avançaient comme des 
promontoires de plusieurs milles dans l'Océan. Çhet là 
"on apercevait quelques têtes de rochers nus ; mais la 
_ côte était si hérissée de glaces qu’on ne put débarquer. 
- On mit donc le cap au S: E., où se montraient quel- 
ques petites îles, et le 12 janvier, le capitaine Ross 
débarqua sur l’une d’elles, accompagné du capitaine 
Crozier et de quelques officiers. Cette île, dont il prit 
possession au nom de la reine Victoria, est d’origine 
volcanique. Elle est située par les rit degré 56 minutes 
- de latitude S. et 171° degré 7 minutes de longitude E. 
Après avoir reconnu que la côte orientale de la grande 
terre qu'on avait découverte inclinait vers le sud, 
tandis que celle du nord semblait se prolonger dans 
la direction: du nord-ouest, le capitaine Ross résolut 
d'avancer par l’est de cetie terre aussi loin qu'il pour- 
rait vers le sud, de pénétrer, s’il était possible, au 
delà du pôle magnétique, que ses calculs fixaient à 
peu près vers le 76° degré, pour revenir ensuite par 
l’ouest et accomplir ainsi la circumnavigation de la 


. grande terre qu'il avait sous les yeux. Les bâtiments 


la côtoyèrent donc par l’est, et le 23 janvier ils 
avaient atteint le 74° degré de latitude sud, le point 
Je plus élevé qu’on eût jamais atteint! Arrivés là, de 
violents coups de vent du sud, d’épais brouillards, 
d’éternels ouragans de neige les arrêtèrent pendant 
quelque temps; on continua cependant à longer la 
côte au sud , et le 27 on débarqua sur une autre île 


LV SR PRE! 
D OU à 
. ri + ”] 


228 ME VOYAGE 


située par les 76° degré 8 minutes de latitude: su et 
168° degré 12 minutes de longitude est; elle était, 
comme la première, d'origine volcanique. Le 28, on 
signala une montagne haute de 12,400 pieds au des-— 
sus du niveau de la mer, vomissant d'i immenses ger— 
bes de flammes et de fumée. Ce volcan reçut lenom 
de mont Erebus : sa position est par les 77° degré. 
32 minutes de latitude sud et 167° degré de longitude 
est. Un cratère éteint, situé à l’est, fut nommé mont 
Terror. La fumée sortait du volcan par jets soudains 
et s'élevait à une hauteur de 2000 pieds; le diamètre 
de la gerbe au cratère était d'environ 300 pieds, elle 
affectait la forme d’un cône renversé, et, parvenue à 
sa plus grande élévation, elle avait peut-être 500 ou 
600 pieds de diamètre. Par intérvalles, la fumée se 
dissipait complétement et laissait le cratère entière 
ment dénudé, mais brillant d’une flamme intense, 
dont l'éclat s’apercevait même à midi. Des neiges 
éternelles montent jusque sur l’arête du cratère, et 
l’on ne put découvrir sur leur surface aucune trace 
de lave. PA 
« Continuant à prolonger la terre vers le sud, les 
navigateurs se virent bientôt enlever tout espoir de 1 
pénétrer plus loin par une barrière de glace solide, | 
s’'élevant à pic à plus de 150 pieds au dessus du 
sommet des mâts de leurs bâtiments. Au delà de 
cette barrière, on apercevait les cimes d’une haute 
chaîne de Re dont la direction semblait ètre à 
au S. S. E. Ils explorèrent cette barrière à l’est j jus- 
qu’au 2 février, où ils atteignirent le 78° degré 4 mi- ‘à 


=. 


AU POLE SUD. 229 
nutes de latitude sud, le point le plus élevé où ils 
soient parvenus, et le 9, après l'avoir suivie jusqu’au 
191° degré 23 minutes de longitude est, c’est-à-dire 
sur une distance de plus de 300 milles, ils se virent 


. arrêtés par une dangereuse banquise, à travers la- 


quelle ils eurent la plus grande peine à se frayer un 
chemin , et d’où peut-être ils ne seraient jamais sor- 
tis sans les fortes brises qui vinrent à leur secours. À 
la distance de moins d’un demi-mille de la grande 
barrière, la sonde porta par 318 brasses sur un fond 
de vase bleue. La température était alors à 12 degrés 
centigrades au dessous de zéro; on ne pouvait plus 
avancer, il fallut donc remonter vers le nord-ouest, 
et le 15 février, on se retrouva par le 76° degré de 


- latitude sud, la latitude présumée du pôle magnéti- 
. que. Les grandes glaces, produit de l'hiver précédent, 


avaient été enlevées par les courants, mais leur place 
avait été prise par des glaces nouvelles plus abon- 
dantes, au milieu desquelles le capitaine Ross cher- 
cha à se frayer une route vers le pôle. Il arriva ainsi 
jusqu'aux 76° degré 12 minutes de latitude sud et 
164° degré de longitude est, où laiguille aimantée 


 indiqua 88 degrés 40’ d’inclinaison et 109 degrés 


2% de variation est, ce qui le plaçait à 157 milles 
seulement ( 65 lieues communes ) du pôle. Là la terre 
V'arrêta, et malheureusement l'aspect de la côte et de 
la mer était si menaçant, qu'il fallut renoncer à l’es- 
pérance de mouiller les navires pour tenter d’aller at- 
teindre par terre le point, but désiré de tant d'efforts. 

« C'était cependant une grande satisfaction de sa- 


AS: à VOYAGE 


voir qu'on s’en était du dim de quelques contain | 
de milles plus près qu’on ne l’avait encore fait ; que, 


grâce à la multitude d'observations faites sur tant de 
points différents, on en pouvait déterminer la position: 
avec presque autant de certitude que si Ton y 1e 
réellement parvenu + 


« La saison était alors avancée ; il fallait songer au 
retour ; mais cependant on voultt encore faire uné 
iéntatiée pour débarquer sur la grande terre qu'on 
venait de côtoyer si longtemps ; ce fut sans succès. 


Toute cette terre s'étend au sud presque depuis le 
70° degré jusqu'au 79° degré de latitude sud, et elle a 
reçu le nom de la Reine Victoria. Remontant au 
nord , le capitaine Ross alla reconnaître la chaîne 
d'iles découvertes en 1839 par Balleny, etexplorées, 
avec beaucoup plus de soin que par lui, par les expé- 
ditions française et américaine, qui depuis ont tenté 


la fortune dans les mêmes parages *’. Le 4 mars, lex: 


pédition sortit du cercle antarctique ; elle se trouvait 
alors tout près de l’extrémité orientale de ces terres 


auxquelles le lieutenant Wilkes a donné le nom de 


* Une notice, insérée dans le Bulletin de la Société philomati- 


que de Paris, par M, Duperrey, prouve, suivant nous, d’une ma-, 


nière irrécusable, que le capitaine Ross était complétement dans 
l'erreur sur la position du pôle magnétique. 


** L'auteur de ce rapport, dans l'intention évidente de rappor- 4 
ter à son compatriote l'honneur de la découverte des terres aus- 0 
trales, a commis une erreur volontaire et grossière. Nous n'avons 
pas vu et nous ne pouvions pas voir les îles Balleny, qui sont à 4 


20 degrés (200 lieues au moins) à l’est de la terre Adélie. "" 


RE de Dr 


AU POLE SUD. 231 
Continent antarctique ; le 5, on avait atteint leur Ja- 
titude, et l’on gouverna droit dessus. Le 6, les navires 

se trouvaient exactement au centre de la chaîne de 
montagnes indiquée par le navigateur américain ; 
mais, loin d'y trouver des montagnes, on n’y trouva 
pas de fond par 600 brasses.. Après avoir couru dans 
toutes les directions et dans un cercle d’environ 
80 milles de diamètre autour de ce centre imaginaire, 
: par des temps très-purs, qui permettaient de tout 
apercevoir à de grandes distances, les Anglais durent 
reconnaître qu'au moins celle position d’un prétendu 
continent antarctiqne avec les quelques deux cents 
milles de côles indiquées à la suite n’ont pas d'exis- 
tence réelle. Le lieutenant Wilkes aura sans doute 
été induit en erreur par des nuages, par des énormes 
bancs de brouillards qui, dans ces régions, trompent 
aisément les yeux inexpérimentés. S'il en est ainsi, 
c’est une erreur regrettable, d'autant plus qu’elle 
tend à jeter du discrédit sur d’autres découvertes du 
même officier qui auraient une existence plus solide. 
Continuant à porter à l’ouest , l'expédition approcha 
du point où le professeur Gauss avait cru pouvoir 
fixer le pôle magnétique. De nombreuses observa- 
tions démontrèrent l'erreur de cette hypothèse, et le 
% avril, les navires reprirent la route de la terre de 
Van-Diémen. Ni maladie, ni accident d'aucune es- 
pèce ne vinrent attrister les premiers travaux de 
l'expédition, pendant tout le temps de sa tentative au 
pôle ; il n’y eut pas un seul malade à bord de l’un ou 
de l’autre des navires. 


932 VOYAGE 7 Lao 
_« Après s'être complétement réparé et avoir réglé 
tous les instruments sur ceux de l'Observatoire d'Ho=" 
bart-Town , l'expédition repartit pour sa seconde. 
campagne. On toucha d’abord à Sidney et à la Baie” 
des Iles, sur la- Nouvelle-Zélande, pour y faire une. 
série d'observations magnétiques et y compléter des* 
expériences météorologiques. Les travaux faits aux 
antipodes de l'Europe sont du plus grand intérêt pour 
la science; ils ont décidé l’importante question de 
la correspondance exacte des perturbations magné-. 
tiques les plus légères. Le 23 novembre, l'expédition” 
quitta la Baie des Îles, et, touchant à celle de Cha- 
tam , laissa porter à l’est pour rechercher la position 
- supposée du foyer de plus grande intensité magné- 
tique ; et, favorisée par un beau temps, elle fit une 
série d'observations qui prouvèrent qu'on s'était 
trompé jusqu'alors dans la fixation de celte position: 

« Le 18 décembre, étant par les 62° degré 40 mi= « 
nutes de latitude sud et 146° degré de longitude est, 
les navires rencontrèrent la banquise à 300 milles plus 
au nord que l’année précédente ; ils étaient partis de 
trop bonne heure. Cependant ils entrèrent dans les 
glaces et s’y avancèrent de 300 milles au sud jusqu'au 
moment où elles devinrent si épaisses, qu'il fut im— 
possible de faire un pas de plus. Malgré le zèle et le. 
courage des officiers et des équipages, ce fut encore 
seulement le 1* janvier 1842 que les bâtiments pu « 
rent entrer dans le cercle antarctique. L’éclatextraor- « { 
dinaire du ciel était le pronostic certain des glaces 
infranchissables qu’on devait rencontrer si l’on con- 


mit déétadttit"t 


AU POLE SUD. 233 


tinuait à marcher au sud, tandis qu’au contraire des 
apparences plus favorables semblaient inviter le ca- 


pitaine Ross à faire route dans l’ouest. Le 19 janvier, 


il n’était plus qu'à quelques milles de la mer libre, 
lorsqu'un violent coup de vent lui fit courir les plus 
grands périls. D'abord ce fut le gouvernail de l’Ere- 
bus qui fut mis en pièces; celui de la Terror fut à son 
tour complétement enlevé, et, pendant vingt-six heu- 
res, de violents abordages contre d'immenses masses 
de glaces mirent à l'épreuve le courage des naviga- 
teurs. Le 21, la tempête s’apaisa, et bien qu'entou- 
rés de glaces de tous les côtés, les équipages se mirent 


bravement à réparer leurs avaries, pour continuer 
leur tentative aventureuse. La situation était mena- 


çante au plus haut degré, et elle devait sembler d’au- 
tant plus cruelle, que les jours commencçaient à rac- 
courcir, car la saison tirait à sa fin. On avait cepen- 
dant alors fait 450 milles dans les glaces, et pénétré 
plus avant que Cook et Bellinghausen n’avaient pu le 
faire dans une saison plus favorable. Enfin, le 2 fé- 


vrier, les navires abandonnèrent les glaces par les 


67° degré 28 minutes de latitude sud et 159° degré de 
longitude est, après une navigation, on devrait dire 
presque un emprisonnement de quarante-six jours, 


au milieu de montagnes flottantes. C'était dix jours 


plus tôt qu’on ne l'avait fait l’année précédente ; aussi 
le capitaine Ross voulut-il tenter de mettre à profit 
les dernières chances qui pouvaient hui rester encore. 
Il poursuivit donc sa course en côtoyant les glaces au 
sud; mais il trouva bientôt que la banquise remon- 


234 VOYAGE 


tait dans l'ouest, et de violents coups de vent v vinren . 
encore ajouter à ses périls. Il lutta cependant contre É 
tous les obstacles, et le 22, à minuit, ileut lasatisfac- * 
tion de rencontrer la grande barrière. à quelques | 
milles plus à l’est que l’année précédente. Cettemasse 
immense va sans cesse en diminuant, depuis son: 
commencement au pied du mont Erebus, où elle a 
au moins 200 pieds de hauteur au-dessus du niveau 
de la mer. Au point où on la rencontrait en 1842, 
elle n’avait plus que 107 pieds. De nouveaux sondages 
rapportèrent un fond de vase bleue par 290 brasses ; 
fait qui, joint à toutes les autres apparences de terre 
qu’on apercevait à cinquante ou soixante milles au 
delà de la barrière , autorise à croire presque avec 
certitude à l’existence dans le sud d’un vaste continent 
couvert de glaces éternelles. | "A 

« La barrière, ou, pour mieux dire, la banquise 
fixe, fut, avec l’aide d une forte brise, reconnue pen- 
dant cent trente milles encore plus à l’est qu’elle ne 
l'avait été l’année précédente, mais ce fut tout ce 
qu'on put faire. Le capitaine Ross fut done obligé de 
revenir sur ses pas; et dans les lieux où il en avait 
été auparavant empêché par le mauvais temps et les k 
brouillards , il parvint à tracer deux nouvelles lignes 1 
de Hétbiniations magnétiques peu éloignées du 
pôle, et qui serviront à fixer sa position d’une ma- « 
nière encore plus certaine. Ensuite il repassa le 
cercle antarctiqué, et il fit au milieu des longues et 
profondes nuits de ces régions-une nouvelle tenta= À 
tive non moins hardie que les précédentes, et qui” 


AU POLE SUD. 235 
confirma son opinion sur la non-existence d’un foyer 
supposé de la force magnétique. Le 12 mars, poussés 
parune forte brise, les deux navires abordèrent un 
immense glaçon flottant sur lequel l’Erebus brisa son 
. beaupré et son petit mât de hune. Après cet accident, 
on fit route directe sur le cap Horn, et, durant cette 
- traversée, James Angeley, quartier-maîitre, tomba à 
la mer et se noya. C'est le seul homme qu’on eût à 
regretter dans cette pénible et périlleuse campagne 
de cent trente-six jours, durant laquelle, comme pen- 
dant la première, les équipages ne comptèrent pas un 
seul malade. Arrivés à Rio-de-Janeiro, les navires y 
furent réparés, et, quelques semaines après, ils 
étaient en aussi bon état de service que le jour où ils 
appareillèrent des ports de l'Angleterre: 

« Le matin du 17 décembre 1842, l'expédition re- 
. partait des îles Falkland pour sa troisième campagne, 
et le 2%, dans la latitude des îles Clarence, elle avait 
connaissance des premières glaces foi té; le len— 
demain, elle était arrêtée par une banquise solide. 
Le 26 se passa à chercher un -passage en côtoyant 
cette banquise à l’ouest. Le capitaine Ross, persuadé 
que la grande étendue de mer libre découverte au 
74° degré de latitude par le capitaine Weddell, devait 
être libre aux vents d'ouest qui règnent ordinaire- 
ment dans ces parages et chassent devant eux des 
glaces détachées de quelque grande terre, probable- 
ment de la côte Est de la terre de Graham, il résolut, 
s’il lui était possible, d'aller d’abord reconnaître cette 
terre, puis de pénétrer entre ses côtes et la banquise, 


236 ET | VOYAGE 
espérant ainsi arriver à la grande mer libre m4 
par Weddell. Il lui semblait plus avantageux d’allér \ 
ensuite au sud que de suivre la route de Weddell, sur 
laquelle il n’y avait plus de découverte à faire. 74 28, « 
en effet, on signala la terre au sud-sud-ouest; maïs « 
la côte était bordée d’un banc de glaces de dimension - 
si extraordinaire, qu'il fut impossible d'approcher 
plus près que trois ou quatre milles. Toute cette terre, . 
à l'exception de deux caps qui se projettent au nord, 
était couverte de neiges et de glaces qui s’élevaient à. 
pic au-dessus de la mer, quelquefois à des hauteurs 
de 2000 et même de 3000 pieds. 

«La mer venait y briser avec une violence in. 
croyable, etelle en détachait à tout instant d'immenses 
glaçons qui s’en allaient flottants sur les eaux. D'épais 
brouillards forcèrent l'expédition à prendre le large « 
dans l’est, et bientôt elle y rencontra l'extrémité 
ouest de la banquise. Dans la soirée du 30, elle se 
-rapprocha de la terre, et s'avança dans un golfe pro- 
fond qui semblait offrir un moyen d'aborder; mais, 
là comme ailleurs, la côte était défendue par des 
glaces infranchissables. Le #, par le 64° degré 30 mi= 1 
nutes de latitude sud, les navires se trouvèrent ser 
rés de si près par les glaces, qu'il fallut songer à re= . 
monter dans le nord. Le lendemain on en sortit, et J 
l’on réussit enfin à mettre pied à terre sur une le 
située au bout d’un canal profond, à l'extrémité sud 
du golfe. Le capitaine Ross prit possession de cetteilen 
au nom de la reine: elle est d’origine volcanique, 


AU POLE SUD. 237 
elle projette, à la hauteur de 3500 mètres au-dessus 
du niveau de la mer, un cratère parfaitement bien 
formé. Elle sit par les 64° degré 12 minutes de latitude 
sud, et 56° degré 49 minutes de longitude ouest. A 
l'ouest de cette île, une magnifique montagne, ter- 
…_ minée au sommet par un vaste plateau, s'élève à 
7000 pieds au-dessus du niveau de la mer; toute la 
côte occidentale de ce grand golfe est bordée de hautes 
montagnes couvertes de neiges perpétuelles. Les na- 
vigateurs lui donnèrent le nom de golfe de l'Erebus et 
de la Terror ; son ouverture, entre les deux caps qui le 
…_ terminent, est d'environ quarante milles, sur une pro- 
fondeur à peu près égale. Excepté au sud, il était 
bordé partout de glaces épaisses ; au fond , on signala 
deux espaces couverts de glaces, mais sans indices de 
terre, et qui peut-être communiquent avec le détroit 
* de Bransfeld. Sur le soir, les glaces s'étant détachées 
de la côte, les navires doublèrent le golfe au sud et 
longèrent la terre au sud-ouest, marchant entre elle 
et une chaine de montagnes de glaces fixes, située à 
deux ou trois milles de distance. Toute cette partie 
était libre de neiges sur une vingtaine de milles; mais 
ensuite on rencontra de nouveau d'immenses glaçons 
descendant d’une montagne couverte de neiges et 
haute de plus de 2000 pieds. C'était une barrière in- 
surmontable , et qui confirma le capitaine Ross dans 
Topmion qu'un vaste continent s'étend au sud de la 
grande barrière découverte en 1841, et à plus de 
quatre cent cinquante milles à l’est du mont Erebus. 

« Les glaces sous toutes les formes entourèrent 


238 | - VOYAGE Mr 
pendant quelque temps les navires, et l’on fit des ob- 
servations sur celles qui étaient fixes. Le résultatten- \ 
dit à mettre hors de doute que le détroit dontila été 
question communique avec celui de Bransfeld, et 
probablement aussi avec le canal d'Orléans; mais ce 
dernier était tellement encombré de glaces, qu'il fut . 
impossible de vérifier complétement le fait à son 
‘égard. La lutte contre les glaces durèrent ainsi jus- 
_ qu'au 1” février 1843, jour où il devint nécessaire de 
chercher à sortir les bâtiments de ce dangereux voi= 
sinage pour essayer de pénétrer plus au sud. Le 4, ils 
avaient regagné le bord de la banquise et naviguaient 
en mer libre, après avoir passé quarante jours au mi= | 
lieu de ces écueils flottants. Alors cornmencèrent les 
vents d’est et d’épais brouillards ; la meilleure partie 
de la saison était passée. Toutefois , par le 65° degré 
de latitude sud, ils croisèrent la route suivie par « 
Weddell à son retour, et rencontrèrent une banquise \ 
solide là où il avait vu la iner libre. Malgré les plus 
grands efforts, on ne put pas avancer au dela du 65° 
degré 15 minutes de latitude sud; mais alors où se 
trouvait d'une centaine de milles plus au sud quel'a=« 
miral d'Urville dans sa tentative pour suivre Ja route « 
si glorieusement ouverte par notre compatriote Wed: 
dell. Le 22, les navires passaient la ligne où l'aiguille « 
aimantée reste invariable par les 61° degré de lati=« 
tude sud et 24° degré de longitude ouest, et aYecM 
une inclinaison de 57 degrés 40 minutes; fait du 
plus haut intérêt pour la science magnétique, car il 
résulte des observations du capitaine Ross que l'hy= 


| AU POLE SUD. 239 
pothèse de l'existence de deux pôles inagnétiques 
verticaux dans le sud (comme c’est le cas dans le 
nord) est erronée, et qu'il n'y a en réalité qu'un 
pôle magnétique dans l'hémisphère austral*. 

… « Nous devons remarquer que toutes les observa- 
tions de cette année concourent à confirmer la posi- 
… ion assignée à ce pôle, d'après les travaux de sa pre- 
… mière campagne, par le capitaine Ross. Le 23 février, 
les bâtiments doublaient les dernières glaces flot- 
tantes, et, gouvernant au sud-est , ils repassaient le 
cercle antarctique le 1* mars, par 7 degrés 30 mi- 
. nutes de longitude ouest. Le capitaine Ross essaya 
. alors de pénétrer au sud, en se tenant à égale distance 
des routes suivies par Weddell et Bellinghausen. Le 
23, étant par les 68° degré 34 minutes de latitude 
sud et 12° degré 48 minutes de longitude ouest, il fut 
arrêté par un calme, et voulut profiter de l’occasion 
pour exécuter des sondages ; mais une ligne de 
4000 brasses ne rapporta pas de fond. Cette grande 
profondeur doit faire supposer qu’il n'existe aucune 
terre dans le voisinage. Pendant quelques jours, il 
essaya encore de gagner dans le sud , mais la glace 
lui opposait une barrière infranchissable, et de plus, 
une tempête qui dura trois jours sans interruption, 
vint mettre ses navires en péril. Enfin, le 8 mars, le 
vent passa à l’est, et ce fut au moment ‘où ils se 


*11 y avait longtemps que le capitaine Duperrey avait démon: 
tré l’invraisemblance de cette hypothèse, qui n'avait plus à cette 
époque que fort peu de partisans. 


240 VOYAGE 


croyaient perdus presque sans retour, que les) navi- | Es 
gateurs purent reprendre la route du nord. Le25, ils « 
avaient atteint la latitude assignée à Pile OU 
60° degré 19 minutes ; mais, comme le capitaine Con, 2 
ils la cherchèrent en vain, et le capitaine Ross en con- 
clut que le capitaine Bouvet a dû être trompé pardes 
glaces. Le 25, par le 47° degré 3 minutes de latitude « 
sud, 1l apercevait les derniers glaçons flottants, alors 
qu'il fuyait devant un coup de vent du sud et se diri- » 
geait sur le cap de Bonne-Espérance, où l'expédition. 
mouilla heureusement le 4 avril. | 
« Dans cette troisième campagne, s’il ne put pas 

pénétrer aussi loin que Weddell, si la persistance . 
extraordinaire des vents d'est empêècha la débâcle de 
se faire et de laisser la mer libre, cependant elle per- 
mit au capitaine Ross d’atteindre le 71° degré 30 mi- 
nutes de latitude sud, et d'étendre ses recherches 
sous le méridien du 15° degré de longitude ouest à 
12 degrés de latitude plus avant dans le sud que 
n'avaient pu le faire ses prédécesseurs Cook, Bel- 
linghausen , Biscoë. La découverte et la reconnais-« 
sance d’une grande étendue de côtes ignorées , lra= 
vaux qui démontrent la situation insulaire des parties 
d’une terre découverte pour la première fois par « 
Bransfield en 1820, fréquentée ensuite pendant des “ 
années par nos pêcheurs de veaux marins, et enfin 
vue en 1839 par l'amiral d’Urville, qui l LE terre 
_ Louis- _ Philippe , ne peuvent être considérées que 
comme des additions CHper Ans à la géographie de | 
ces parages. ue ‘1 


DR Ge EE dE mr PE ur de ; 


AU POLE SUD. 244, 


« À la fin d'avril, l'Erebus et la Terror partirent du 
cap de Bonne-Espérance, et touchèrent à Sainte-Hé- 
lène et à l’Ascension pour y répéter les observations 
magnétiques qu'ils avaient déjà faites à leur premier 
passage et y régler leurs instruments. Pour complé- 
ter cestravaux, l'expédition se rendit encore à Rio-de- 
Janeiro , où elle arriva le 18 juin, et d’où enfin elle 
_repartit quelques jours après pour l’Angleterre. Re- 
_tardé, vers la fin de sa traversée surtout, par des cal- 
mes et des brises folles, le capitaine Ross ne put dé- 
barquer que le lundi 4 septembre 1843 à Folkstone. 
Le soir du même jour il était à Londres, où nous 
n'avons pas besoin de dire qu’il fut recu de la manière 
la plus flatteuse par les lords de l’Amirauté. » 

Des trois campagnes exécutées par les navires 
VErebus et la Terror, la première fut la plus brillante 
et aussi la plus productive; elle acquit à la géogra- 
phie la connaissance de la terre Victoria, et à l’An- 
gleterre la gloire d’avoir vu son pavillon flotter sur 
le pointle plusrapproché du pole Sud, qu’on n’avait ja- 
mais atteint. La deuxième campagne fut la moins heu- 
reuse : elle n’ajouta rien à la géographie, les navires 
coururent les plus grands dangers ; cependant ils 
dépassèrent encore leur première limite dans le sud. 
Les Anglais constatèrent que les terres découvertes 
par les capitaines Balleny, Dumont-d’Urville et 
Wilkes, auxquelles vient se rejoindre celle qu’ils nom- 
mèrent Victoria, continuaient à s'étendre dans le sud et 
dans l'est; mais leur côte semble devoir rester à jamais 
mconnue, à cause de l’immense quantité de glaces qui 

VII. A6 


212 VOYAGE 08 
la défend. Dans sa troisième campagne , le capitaine. 
Ross compléta pour ainsi dire la reconnaissant: ce des 
terres Louis-Philippe et Joinville, dont Dumont-d'U r- 
ville avait déja assigné les limites dans le nord. Comme 4 
| les Français, les Anglais échouèrent complétemi nt 
dans la tentative qu ils firent pour s’avancer dans le À 
sud, en suivant la route du capitaine Weddell, Cepen- 1 
dant, si le capitaine Ross n'eût pas déjà dépassé dans 
sa deuxième campagne le 78° parallèle, il aurait dû 4 
considérer comme un succès d’avoir atteint, dans sa 
troisième pointe vers les glaces , le A dé de” la=. . 
titude sud. ; 
_ Les suecès de l'expédition anglaise furent donc | 
fort grands. Ce ne fut pas seulement dans sa patrie que 
le capitaine Ross reçut les témoignages flatteurs dus 
à l'intrépidité et à la persévérance qu'il avait. dé- 
ployées à remplir sa mission. La Société de géogra= 
phie de Paris, présidée jadis par l’infortuné Dumont-… 
d'Urville qu 'elle avait couronné auparavant, sem. 
pressa de lui offrir sa grande médaille d’or. | 
Cependant, nous devons dire que c’est avec un 
sentiment pénible que nous avons remarqué, dans les « 
lettres du capitaine Ross qui nous sont parvenues. et 
dans le compte rendu que nous venons de. citer, 1 
certaines allusions plus ou moins directes au der- . 
nier voyage du capitaine Dumont-d'Urville. Cer 
_ si nous avons été moins heureux que nos successe! 
Dumont-d’'Urville n’a montré ni moins d’int - 
ni moins de persévérance que le navigateur 
Mieux que personne, le capiiame sops sal el 


ME à 
LEA 


AU POLE SUD. : 243 


les navigateurs doivent au hasard. Lorsque, le 19 jan- 
_vier 1840, les corvettes françaises trouvèrent la route 
barrée par la terre Adélie, l'intention de leur com- 
mandant était bien de s’avancer encore dans le sud, 
mais la terre s’étendait devant nous perpendiculaire- 
- mentau méridien surlequelnousdirigionsnotre route; 
il fallait la contourner pour se diriger vers le pôle, 
et prendre par l’est ou par l’ouest. Quelle était celle de 
ces deux routes qui offrait les plus grandes chances 
de succès? Il s'agissait d'opter, et rien ne pouvait nous 
aider dans ce choix : les vents en décidèrent. Ils 
soufilaient du côté de l'est; nous nous dirigeâmes vers 
ouest , et la terre nous ramena vers le nord. Plus 
heureux , le capitaine Ross connaissait nos travaux 
et ceux des Américains; il put en faire son profit, et 
bien certainement s’il n'avait pas eu connaissance de 
la terre Adélie, il n’eût pas usé de son pouvoir discré- 
tionnaire pour changer son itinéraire et aller plus à 
l’est faire la découverte importante de la terre Vic- 
toria que nos découvertes avaient facilitée. Si Du 
mont-d'Urville n'avait dû conduire ses navires que 
dans les régions glaciales, il n’y a pas le moindre 

doute que c’eût été par les parages explorés après 
… lui par le navigateur anglais qu'il eût commencé - 
. sa nouvelle campagne. Si, lorsque l’Astrolabe et la Zé- 
lée rencontrèrent la terre, elles n'avaient pas eu un 
équipage déjà décimé par 7e maladies et fatigué par 
une navigation pénible; si même elles eussent trouvé 
des vents d'ouest, n’auraient-elles pas continué à lon- 
ger la terre dans l'est, comme c'était l'intention de 


244 - VOYAGE 
Dumont-d’Urville; et alors elles eussent été al 
blement conduites devant les montagnes Erebus ee. 
Terror, qui semblent placées à la limite de Ja terre 
Victoria , comme pour l’éclairer de leurs flammes 
volcaniques. Certainement les barrières de glace, les. 
banquises n'auraient pas été plus formidables pour. 
nous que pour les navigateurs anglais. Sans aucun 
doute, l’Astrolabe et la Zélée n'auraient pas hésité à 
s'engager de nouveau au sein de ces champs glacés, où 
déjà elles n'avaient dû leur salut qu’à l'épaisseur de. 
leur carëne et à la solidité de leur mature. | 

À ce sujet, qu'il me soit permis de dire ici un mot 
sur les banquises, sur leur formation et sur les obs- 
tacles plus ou moins redoutables qu’elles peuvent pré- 
senter à la navigation. 

Il a souvent été question, dans le cours de ce récit, 
des îles ou montagnes de glace flottantes, des ban- 
quises et des barrières de glace. Ces dénominations 
se rapportent toujours à de vastes amas de glace, mais 
qui diffèrent par un aspect différent et des caractères 
tout particuliers. En général , on pourrait diviser les 
différentes formes de la glace solide en deux catégo- 
ries bien distinctes , désignées sous les noms de ban- 
_quises et barrières £ glace. Sans contester l'opinion 
de ceux qui croient qu’il ne peut pas se former de 
glace en pleine mer, opinion adoptée par M. Du 
mont-d’Urville dans la discussion qui fait partie du 1 
tome II de cet ouvrage, je crois que les banquises 
seules peuvent exister en pleine mer, tandis que les 
barrières de glace s'appuient toujours sur un noyau î 


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Te 


AU POLE SUD. 245 


solide, sauf à s’en écarter à des distances plus ou 
moins considérables, suivant la profondeur des eaux 
aux approches de la terre. 

Les barrières de glace sont formées par des mu- 
raïlles verticales de glace en général ayant plus de 
30 mètres de hauteur, semblables à celles que pré- 
sente la côte Clarie. Ce sont ces barrières qui, en se 
brisant par- des causes diverses, donnent naissance 
à ces miliers d'îles flottantes que l’on rencontre près 
des terres, et qui paraissent formées par des couches 
successives de neige, superposées les unes au-dessus 
des autres d’une manière uniforme. En effet, diverses 
circonstances pourront tendre à briser ces masses 
de glace, souvent de plusieurs milles d’étendue sur 
plus de cent mètres d'épaisseur. Sans chercher ici 
à expliquer comment les terres peuvent se débar- 
rasser de la croûte qui les enveloppe, il est facile de 
se rendre compte que tout autour de ces noyaux so- 
lides , il pourra se former, pendant la saison d'hiver, 
une couche épaisse de glace surplombant la surface 
de la mer, et prête à s’écrouler lorsque, la tempé- 
_rature venant à S’échauffer, cette glace perdra une 
partie de sa consistance. Près des terres un peu 
grandes , il existera aussi des marées qui, faisant va- 
rier le niveau de la mer, ajouteront encore à cette 
dislocation; car du moment où la partie de glace 
plongée dans l’eau ne touchera point le fond, à chaque 
basse mer la partie immergée diminuera et tendra 
alors à faire écrouler les masses de glace formées 
pendant l'hiver et liées entre elles par leur cohésion. 


246 | VOYAGE : 
Je ne m'étendrai pas sur la manière dént cie . 0 


de glace, une fois séparés de la masse où ils avaient | fe 
pris racine, se trouvent entraînés au large soit par ss 
les vents, soit par les courants, pour ensuite se frac 
tionner sous les efforts de la mer et dt du dégel 
occasionné par la chaleur. | TN 
Il n'est pas possible d'admettre que les barrières. 
de glace qui se forment autour des terres sont cons 
tantes, qu’elles ne sont jamais entièrement détruites 
pendant les saisons d’été, car s’il en était ainsi, ces 
barrières atteindraient nécessairement des hauteurs - 
de plus en plus grandes, des dimensions illimitées, 
et dès lors le calcul nous conduirait à des résultats 
absurdes; cependant, cette hypothèse a été admise 
et soutenue, mais, suivant nous, sans succès. D'un 
autre côté, il n’est pas non plus admissible que 
chaque été amène la destruction complète des glaces 
formées pendant l'hiver, mais il doit arriver que ke 
zones glaciales sont de distance en distance soumises 
à l’action de saisons favorables qui les débarrassent 
partiellement de leur croûte glacée. Ainsi, la terre 
Victoria, dont l’heureux capitaine Ross a pu faire ; 
la découverte, restera-t-elle peut-être à présent long= ; 
temps ensevelie sous une barrière de glace. ren «4 
dable._ | 4 
Les banquises, comme l’a admis Dumont-d'Urville, 
sont formées, suivant notre opinion, par une agglo- à 
mération de glaçons flottants, poussés dansune même « 
direction soit par le vent, soit par les courants: Sur : 
leur route, ces glaçons rencontrent des ns 2 “4 


a 


En ALU 


«7 


AU POLE SUD. 247 
de glace flottantes qui présentent un obiacle suffisant 


pour les arrêter. Et alors, comme le dit Dumont-d’Ur- 


ville, ces glaçons se brisent, s’empilent de manière à 
présenter ces scènes de confusion, vraies images du 


. chaos, qui nous ont si vivement frappés. En outre, 
lorsqu'une gelée tardive et subite Vient agir sur eux, 


tous ces glaçons se soudent entre eux et forment une 
masse compacte et presque toujours impénétrable: 
Nous n'avons jamais vu de banquises qui n'aient pré- 
senté un aspect semblable et qui annonce si bien la 
manière dont elles sont formées. Si on admet cette 
explication, il faudra admettre à bien plus forte rai- 
son que ces banquises qui, je le répète, dans mon 


opinion, sont les seules qui puissent exister en pleine 


mer et tres-loin des terres, doivent se briser facile- 


ment sous l'influence de la chaleur, et même se dis- 


perser sous l’action des vents et des courants. Alors 
on comprendra comment , dans une saison favora- 


ble, le capitaine Weddell a pu facilement pénétrer 


vers le sud, là où nous avons rencontré partout des 
banquises infranchissables, car il eût suffi de quelques 
jours de chaleur pour désouder toutes les banquises 
que nous avons rencontré sur sa route, et ensuite les 
vents de sud venant à souffler avec force, la mer aurait 
pu se trouver entièrement dégagée. 

… Quoi qu’il en soit de cette explication, nous con- 
cluons que les barrières de glace présentent toujours 
un obstacle insurmoniable, mais que les banquises 
doivent être plus ou moins formidables, suivant l’é- 
paisseur des glaces qui les forment. Les banquises 


4 | 


DS 


248 VOYAGE 


vaisseaux qui viennent les béni un pu : 
ou moins solide, suivant qu’elles sont serrées. les 
unes contre les autres par une pression plus ou 
moins forte, ou qu’enfin les différentes parties quiles 
forment sont plus ou moins solidement soudées entre : 
elles. Ainsi, le 4 février 1839, l'AstrolabeetlaZélées’ en 
gagèrent dans la banquise, évitant seulement les gla- | 
çons qui auraient pu les défoncer par leur choc; quant. 
aux autres, les étraves des corvettes les chassaient où 

les broyaient sans pitié *. Mais'alors les vents du nord” 
qui avaient accumulé les glaçons de manière à former 
une banquise, étaient faibles, et régnaient depuis peu 

de temps; la gelée n'avait pas encore soudé tous ces 

débris de manière à les rendre impénétrables. Puis, 
dans l’espace d’une seule nuit, les vents soufflèrent 
avec force et vinrent presser les glaçons les uns con=. 
tre les autres. La banquise changea totalement de ca- 

_ractère. L’Astrolabe et la Zélée furent cernés de toutes 

parts. Pendant quatre longs jours ils furent mena- 
cés d’une destruction complète, et enfin ils ne 
durent leur salut qu'à un coup de vent du sud qui « 
leur permit de parcourir à peine {rois milles dans | 
l’espace de six heures, malgré la force immenserque” : 
leur prêtait le vent, s'appuyant sur toute leur voi- 4 
lure sous le poids de laquelle leurs fortes mâtures a 
inclinées avaient peine à résister. Les banquises que ; 
le capitaine Ross a pu braver impunément dans les 


PRO OURS Re 2 M TE 


- 


* Tome II, page 84, Voyage au péle Sud et dans l'Océanie. ie 


AU POLE SUD. . 249 


journées du 5 au 9 janvier devaient.présenter néces- 
sairement des caractères bien différents, car les cor- 
vettes françaises, je le répète, n'avaient pu, malgré 
un coup de vent violent, parcourir que trois milles 


- ensix heures, et encore, si elles sortirent victorieuses 


de leur lutte avec les glaces, elles y laissèrent de si 
nombreux débris, que plus tard elles furent obli- 
+ gées d’abattre en carêne pour réparer leurs avaries ; 
“ tandis que les navires anglais ont pu parcourir 
200 milles dans la banquise en moïîns de quatre jours, 
el cela sans avoir à regreller aucune avarie faile au 
bâtiment. Certes, si le navigateur anglais compare 
cette banquise à celles qui nous cernèrent, il a raison 
de dire que cette barrière de glace ne présentait au- 
cun des caractères formidables auxquels on aurait dû 
s'altendre d'après les rapports des Américains et 
des Français. Mais nous, il nous est permis d’être 
certains que là où les corvettes l’Asfrolabe et la Zélée 
ne purent plus pénétrer, nul autre, pas même le cé- 
lèbre navigateur anglais, n'aurait pu engager ses na- 
vires impunément. 
- C'était la première fois que le capitaine Ross pé- 
… nétrait dans les glaces australes. Il fut favorisé, dans 
son entreprise hardie, par un hiver peu rigoureux. 
11 put facilement, comme on le voit dans ses narra- 
tions, pénétrer vers le sud sans rencontrer les obsta- 
cles qui arrêtèrent notre marche malgré notre per- 
sévérance et nos efforts. Il trouva sur sa route des 
_ glaces accumulées, mais il ne rencontra réellement 
pas de banquises solides dans l’acception quenousdon- 


250 : ch VOYAGE : 
nons à ce mot. Pour nous, qu avons vu jee ge 


restés Cnferies au iniliéu d’ elles ist tous r nos ef= 
forts, il nous sera toujours impossible de croire que 
le capitaine Ross a pu traverser facilement une sem 
blable banquise, en parcourant plus de deux milles 
à l'heure, et cela sans souffrir de graves avaries. Il. 
n’y a pas de navire au monde qui pourrait impuné=. 
ment soutenir de pareils assauts. Il est tout à fait 
impossible qu’au milieu d’une banquise comme celle 
qui nous à si fortement endommagés, on puisse; 
quelle que soit la voilure, parcourir facilement deux 
milles dans une heure, malgré la force des vents les 
plus violents. Plus tard, dans leur deuxième cam=. 
pagne, les Anglais rencontrèrent des banquises bien « 
autrement redoutables, car plus d’une fois elles les - 
arrêtèrent et paralysèrent leurs efforts. Et cependant, à 
d’après le récit du capitaine Ross, il nous est prouvé 
que jamais il ne se trouva un instant engagé, comme È 
les corvettes françaises, au milieu des banquises, pré- : 
sentant les caractères particuliers que nous avons dé- 1 
crits, et qui, par la clarté qu’elles réfléchissaient dans 
le ciel, mdiquaient qu'elles s’étendaient au loin, à de 
grandes distances, tandis que les champs de glace 
traversés par l’expédition anglaise étaient louis à 
limités et peu étendus. salt) | 

-Nous avons déjà fait ressortir que, contrairem: 112 
à l'opinion émise par beaucoup de mes compagn 
de route, Je croyais qu’il était possible que le capi 
baleinier Weddell ait pu trouver la mer entil 


a be 6f urra ae dl de “hs Dis SE ES 


lt er og dun dE di À 


CS tee > 


tbé sunf à. 


AU POLE SUD. 25 


_ libre là où nous avions rencontré des banquises tout 


à fait impénétrables. Bien que de pareilles circon- 
stances doivent être excessivement rares, cependant 


je ne conserve aucun doute sur la véracité du balei- 


nier anglais; toutefois, il n’est pas inutile de remar- 


quer que la tentative faite en dernier lieu par le ca- 
-pitaine Ross pour pénétrer vers le sud en suivant les 
traces de son compatriote, a, comme la nôtre, échoué 
- complétement. Nous avions atteint le 64° 45’ de lati- 
. tude, et nous étions tout près du point où Weddell 


avait trouvé la mer libre, lorsque la banquise nous 
ramena vers le nord. Si le capitaine Ross, ainsi que 
Vindique le compte rendu que nous avons cité, n’a 
pas dépassé le 65° parallèle 15’; en traversant les 


routes de Weddell, il a pu s'avancer de 30 milles seu- 


lement, et non point d’une centaine de mille plus 
au sud que l'amiral d'Uroville dans son infructueuse 
tentative pour suivre la route indiquée par Weddell, 
comme le dit avec intention l’auteur du rapport. 
M. d'Urville eut grand tort peut-être, surtout aux 
yeux des Anglais, de suspecter la véracité de son heu- 


… reux rival, qui pouvait, ainsi que nous l'avons fait 
…_ ressortir, avoir. été favorisé par une saison tout ex- 


LS 


ceptionnelle; mais il était de bonne foi en émettant 
ces doutes offensants, et il fut le premier à applau- 
dir au succès des navigateurs anglais, lorsque, quel- 
ques mois avant sa mort, le bruit de leurs impor- 
iantes découvertes parvint en Europe. Nous aimons 
à croire que l’heureux capitaine Ross, quand il écrira 
le récit de son beau voyage, montrera pour les tra- 


252 VOYAGE 7/5 00 
vaux de l’expédition française un peu plus 
rence et qu'il rendra à notre intrépide chef 
de gloire qui lui revient pour ses découvertes dans les” 
zones glaciales, et pour la persistance et le courage. 
qu’il apporta dans ses recherches. 

Et maintenant, s’il s'agissait d'enregistrer les te: b 
acquis à la science par chacune de ces expéditions 4 
mémorables, rappelons-nous d’abord ce que nous 
avons dit dans le principe, que le but qu'il s'agissait 4 
d'atteindre par chacune d’elles était entièrement dif- . 
férent. L'expédition française parcourait l'Océanie, M 
touchait à toutes ses terres , explorait les archipels w 
encore à peu près inconnus des Viti, des Salomon, … 
de la Louisiade, de la Nouvelle-Guinée; partout elle 
enrichissait les sciences naturelles d’une foule de 
plantes et d'animaux nouveaux pour l’Europe; elle y. 
recueillait des observations de tout genre relatives à. 
la physique générale du globe, tandis que l'expédition. 
anglaise, s’occupant spécialement, pour ainsi dire,. 
du magnétisme terrestre, bornait ses recherches à . 
un petit nombre de points où elle prenait terre, et : 
poursuivait constamment le but particulier qu'elle 
avait en vue. Sans doute, la science ürera bon parti | ; 
_ des dernières reconnaissances faites dans ces régions » 
glacées par des officiers également instruits; sans 
doute, en comparant les routes faites à des époques 
différentes et souvent sur les mêmes lieux, ilenr 
sultera des indications précises sur la formation des 


RO D 


gén rpg DER 


| AU POLE SUD. D 004 
‘sous ce point de vue, l'expédition de M, d'Urville 
dans les mers glaciales, quoique moins brillante en 
apparence que celle du capitaine Ross, sera tout aussi 

. féconde en résultats profitables à la science. 
Quant à l’importante solution des questions qui se 
rattachent au magnétisme terrestre, les observations 
Le de ce genre, recueillies par le capitaine Ross, doivent 
- Ctre plus nombreuses dans les parages qui avoisinent 
le pôle magnétique ; que celles faites par nous dans 
- les mêmes lieux. Ce n’est qu'après avoir coupé l’é- 
quateur magnétique, à peu près dans toutes les mers 
_ qu'elle traverse, que l’expédition française a fait une 
tentative directe pour s'approcher du pôle magnéti- 
“que. Pendant les deux mois employés dans cette en- 
. treprise, 11 nous eùt été difficile de réunir autant de 
- données que les navigateurs anglais, qui devaient y 
passer trois saisons; mais, sous Ce rapport encore, 
les observations recueillies par l'expédition française 
ne pourraient-elles pas tout aussi bien et peut-être 
- même mieux que celles récoltées par l'expédition an- 
glaise, conduire la science à la connaissance parfaite 
« dela position sur le globe du pôle magnétique austral, 
- problème important dont la solution paraît avoir été 
le but des efforts du capitaine Ross, comme elle avait 
été, une apnée auparavant, l’objet des recherches de 
M. Dumont-d’Urville? Jusqu'ici nous ne connaissons 
que bien peu de chose des résultats obtenus par le 
navigateur anglais dans ses observations magnéti- 
“ques. Les comptes rendus qui nous sont parvenus, 
-et que l’on attribue à un officier de l'expédition, doi- 


254 F'OAYOAGN 
vent être consultés avec beaucoup de ch conspe 
surtout HAVE il s agit de données, scientifiq que es 


bte, portant la de du 13 a 1841 4 
position des pôles magnétiques de la terre, d’après ] 
observations recueillies à cette époque par les” ro 
expéditions française, anglaise et américaine, e nous 
citerons textuellement sa conclusion : « Ces faits | 
«semblent établir que la terre Victoria est placé: à 
«à l'égard du pôle magnétique austral, dans 1 
« mêmes conditions que les îles Melville et Byam- 
« Martin sont à l'égard du pôle magnétique boréal; 
« qu’en conséquence il pourrait se faire que la form 
«cot L'=! tang. I, qui aurait trompé les capitain: 
« Sabine et Parry, S'ils en avaient fait usage, € 


« le pôle magnétique austral n’était qu'à 160 mill 
«du lieu de son observation , ni est 


« LES qu'un y (4) ou U opter entre les résul 
«trois expéditions. Si M. d'Urville avait 
«comme l'ont faitles capitaines Wilkes et Ross 


bris heat dt à d'rÉER 


ONE ET PR RTS 


AU POLE SUD. - 258 
«autre direction que celle d’un méridien magné- 
« tique, les inclinaisons observées par MM. Dumou- 
«lin et Coupvent, après le départ d'Hobart-Town, 


“«ne seraient pas susceptibles d’être traitées par la 
“« méthode des coordonnés que j'ai appliquée à la dé- 
« termination des pôles magnétiques, et que je con 
« seille d'employer de la.même manière dans plu- 
“« sieurs méridiens de ce genre, afin de se garantir de 


« Pincertitude qui résulte, même encore dans cette 
« méthode, des déclinaisons observées dans les sta- 


«tions où l’inclinaison est trop voisine de 90°. » 


Après ce jugement porté par un homme aussi com- 


“pétent que le capitaine Duperrey, qui, comme on le 
“sait, a fait des recherches toutes spéciales sur le ina- | 
-gnétisme terrestre, nous n'avons plus qu'un mot à 


ajouter, c’est que, d'après l'itinéraire qui nous a été 
donné du capitaine Ross, il ne paraît pas probable 
qu'il ait pu, dans ses trois voyages, parcourir un mé- 
ridien magnétique dans les circonstances les plus fa- 
vorables pour la détermination du pôle magnétique; 
mais jusqu'à ce que nous connaissions les résultats 


de ses observations et emploi qu'il en aura fait pour 


lasolution de cette question importante, nous croyons 
devoir nous abstenir de toute discussion à ce sujet ”. 


= Les réflexions qui forment ce chapitre ont été écrites pen- 
dant le mois d'août 1844. Des retards successifs et indépendants 


de notre volonté en ont entravé l'impression jusqu’au mois de 


» juillet 1845. La relation du voyage de l'expédition américoine est 


— pärvenuc en France depuis quelques jours, et j'ai pu la parcourir 
… rapidement, Je n'ai pas cru, malgré cela, devoir rectifier quelques 


« 


| 256. 


d. narration du voy yage a ne. et. qu : 
sans 4 mais je oe dus me la Ru Ç 


Balleny : à la terre Lis tombe mn mie 
où le Heutenant on vu des Dans ns 


M Ds 


'HÉSMAR à: 


NOTES. 


Note 1, page 20. 

Le 2 septembre 1839, étant au mouillage sur la côte est de 
Bornéo, dans le détroit de Macassar, M. Dumont-d’Urville 
crut devoir expédier à terre M. Dumoulin, notre ingénieur-hy- 
drographe ; le grand canot fut armé en guerre et muni de vivres 
pour trois jours ; le même ordre fut transmis à la Zélée, et les 
deux embarcations, sous la direction de MM. Gourdin et Montra- 
vel, voguèrent bientôt vers la côte. Le but de ce petit armement 
était la reconnaissance géographique d’une multitude d’iles qui 
paraïissaient embarrasser la vaste embouchure d'un fleuve consi- 
dérable. Le commandant , pensant que l’histoire naturelle trou- 


_verait, dans cette circonstance, l’occasion de glaner quelques 


richesses importantes, m’autorisa à me joindre aux membres de 
cette expédition. | 

Nous n'avions guère que quatre lieues à faire pour atteindre 
la terre la plus rapprochée de nous ; mais une foule de bancs, 
des hauts fonds vaseux nous barrèrent le chemin et nous forcè- 
rent à des recherches et à des détours qui nous retardèrent infi- 


niment; des courants contribuérent beaucoup aussi à ralentir 


notre marche, et nous ne pûmes atteindre la moins éloignée de 
ces îles qu'a quatre heures de l'aprés-midi. 

Ce qu'on appelle îles Pamarong n’est en grande partie qu’une 
multitude de bancs de vase couverts de palétuviers d’une hau- 


260. 0 : NOTES. 


penser que d'aussi belles forêts appartiennent à desiles d'unerare. 
_ fertilité. Mais ces forêts sont dans l’eau; quelques points. du sol 
qu'elles habitent sont toujours inondés , d’autres , au contraire 

se découvrent à marée basse. Ainsi ces bois sont, par le 7. 
implantés sur des hauts fonds, véritables terrains d'alluvions F3 


€ 
: 


5.5 ; 
se 


modernes , séparés entre eux par des canaux qui ne sont queles 
ramifications du courant de la grande rivière, au limon de 
laquelle ces îles submergées doivent leur existence. Cette rivière 
est celle de Kotty, qui très-probablement débouche dans la mer 


‘ 


gRon ed Se ÉA gd 


par un delta. 


La marée était aussi basse que possible quand nous brel 


Cal 


mes l’une de ces prétendues terres, depuis le matin l’objet de 
toutes nos convoitises et le motif de nos impatiences aigries par 
les obstacles. Plusieurs d’entre nous virent distinctement des na- 
turels qui nous regardaient à travers les arbres ; l'on apercut de 
la fumée, présage de quelques habitations voisines. Quelques 


ersonnes crurent avoir vu des kanguroos ; c'eût été au moins 
P 5 ) | 
- une découverte, car on ne connaît pas d'animaux de cette espèce: 


à Bornéo ; mais nous reconnûmes bientôt que ces hommes ou ces 
kanguroos n'étaient que des singes , et que la fumée n'était que 
les vapeurs élevées de ces marécageuses localités. # 

On charge les armes, on se jette à l'eau, on se hâte, mais s la F 


vase qui nous embourbe retient notre ardeur, chacun aspire à. 
atteindre promptementla rive, pour s'affranchir le plus tôt possible ‘4 
de cette pénible et insupportable situation. À chaqué pas nous 

enfoncions dans la boue jusqu'aux genoux. On arrive enfin... 
mais, Ô illusion! l’île n’est que vase récemment découverte 
par la mer; la vase molle y est même plus profonde encore, " 
parce que le remous des courants ly dépose sans cesse; ; 
nous y entrons jusqu'au dessus des cuisses. On conçoit que, 


dans une pareille position , le plus intrépide des chasseurs neût Er 
pu facilement se livrer à son ardente activité. Une fatigue 
montable succède promptement à notre prés élan I 


[] 


DONOTES |: 261 


personnes sont sur le point de tomber en syncope, tant l’épuise- 
ment de nos forces est grand. Les moustiques nous attaquent 
de tous côtés ; nous sommes contraints d’en défendre nos visages 
avec nos mains remplies de boue ; nous ne parvenons à les chasser 
qu’en augmentant lé nombre des souillures plus ou moins gro- 
tesques dont nos faces sont couver tes. 

Cependant, nous ne tardâmes pas beaucoup à nous apercevoir 
qu'il n’était pas nécessaire de faire une lieue en un quart d'heure 
pour atteindre ces animaux, but de tant d’efforts impuissants ; ils 
étaient au-dessus de nos têtes, tapis derrière les plus grosses bran- 
ches. Le feu commenca alors , et malgré la hauteur des arbres et 
lagilité des nasiques, nous en rapportâmes quatre à bord : deux 
mâles magnifiques , hauts d’un mètre et demi , et deux femelles, 
une pleine et une autre vivante, mais blessée grièvement. Cette 
dernière fut représentée par notre confrère Lebreton : son aqua- 
relle est l'expression parfaite de la nature. Après avoir été témoin 
de l’air de raison et de réflexion de ces pauvres bêtes, on sent 
- combien il est intéressant de pouvoir LU de pareils eue 
dans leur état de nature. 

Rien n’égale, en effet, le ridicule des figures qui ont été don- 
nées du nasica, d’après l'imagination des artistes : c’esthien loin 
de la vérité! | 

Ces animaux passent d’un arbre à l’autre en s’élançant de bran- 
che en branche; aussi, courent-ils rarement sur le sol peu ré- 
sistant de Leur aquatique patrie ; pourtant j'en ai vu un sauter à 
terre et bondir sur la surface de la vase avec beaucoup de légèreté, 
- à mon grand étonnnement. A l'inspection de leurs mains de der- 
rière, ma surprise diminua en remarquant qu’elles sont d'une 
grande largeur et qu'une palmure assez considérable occupe 
l’espace interdigital. ! 

Le ventre de ces animaux est très-volumineux, il rappelle 
celui des herbivores ; or, la nourriture du Nasalis se compose 
principalement des feuilles du Rhizophora gymnorhiza*; leur 


* Les feuilles de cet arbre présentent un aliment délicat aux indigènes de 
—… l'’Archipel indien; ils en mangent aussi le fruit cuit dans du vin de Palme. 


262 NOTES. D 
_ énorme estomac en était rempli”. Nul doute, cependant RS ne. 
soient friands , comme tous les singes , de quelque matière ani= 
male : on connaît le goût des quadrumanes en général pour les : 
petits oiseaux : je soupçonne que l'espèce qui nous occupe ici 
recherche les petits poissons ou autres petits habitants des vases 
soumises aux alternatives du flux et du reflux de la mer, Probas 
blement notre présence en ce lieu a singulièrement troublé cette. 
seconde partie de leur repas, dont l'heure était arrivée, NAN 

Je crois que le long nez ‘du nasique lui sert mn du 
toucher, 


Le 
do Y- 
sit 
Se 
Er Le 
7 
k 
J 
4 
| 
‘a 
44 
L. 
de 


Il restait à expliquer comment il se fait que ces animaux se 
trouvent en aussi grand nombre sur une île aussi peu étendue? 1 
L'île du Milieu, tel fut le nom que nous donnâmes de loin à 
cette forêt de palétuviers, est trop circonscrite pour admettre 
qu'une pareille nuée de singes lui appartienne exclusivement. 
Aux premiers coups de fusil, il se fit un tel mouvement sur 
tous les arbres, qu'il semblait que leurs branches se mé- 
tamorphosaient; ces nasiques étaient là par centaines. Un 
grand nombre, profitant de notre immobilité forcée, s’éloignè- 
rent rapidement, de branche en branche, vers l'extrémité N, O. 
de la forêt; d’autres, surpris sur des arbres trop isolés, et n’oz 
sant, dans cette circonstance, hasarder des sauts par trop pé- 
rilleux , se cachèrent derrière les plus grosses et les plus hautes 
ramifications, ne laissant voir que leurs têtes; d'autres enfin , 
éperdus, hésitèrent sur le parti qu'ils avaient à prendre et furent 
tués ou blessés sur les branches où ils s'étaient engagés trop 
étourdiment, Cette grande population est bien certainement une 
fraction de celle de l'archipel entier des îles Pamarong, et n'ap- 
partient point à la petite localité où nous l'avons rencontrée, 
L'ile du Milieu a environ une lieue du S. E, au N, O., et sa &. 


largeur est à peine de cent pas. Ces animaux traversent à gué, 4 
pendant le jusant, certaines parties des canaux + qui séparent les Ë Ë 


* Cet estomac est multiloculaire comme celui des ruminants. Voir la zoologie. 1 


du voyage (mammifères); les comptes rendus de l’Acad, des sciences (Héaee du 3 
lundi 21 juillet 4845). | | 


CS TE 


D 
4 


NOTES. 263 


îles, et-se rendent ainsi où la certitude du butia les attire, Rien, 
en effet, dans l’organisation extérieure de ces singes, ne justifie- 
vait l'idéé d’en faire des nageurs, à cet égard ils ressemblent par- 
faitement à tous les singes possibles, ils sont fort peu propres à 
ce genre d'exercice, | 

- Les crocodiles à double bande abondent sur ces côtes ; si nous 
n'en avons pas rencontré sur ces bancs de vase, il faut peut-être 
l'attribuer à l'heure avancée de cette marée D qui fut aussi 
celle de notre débarquement sur ces îles inhospitalières : en effet, 
ces animaux sont nocturnes , ils chassent principalement la nuit, 
et restent souvent étendus au soleil sur la vase, pendant le 
temps de leur stupeur digestive; ils se replongent sous l’eau vers 
la fin de la journée. C’est ce que j'ai pu observer dans la ri- 


vière de Santos, à 6o lieues au sud de Rio-Janeiro, Un in- 


dividu vivant , que nous avons longtemps conservé à bord de 
VAstrolabe, appartenait à l'espèce dite à double bande : il agi- 
tait beaucoup la nuit, il cherchait à rompre ses liens, et ses 
yeux, toujours clos pendant le jour, brillaient constamment 
dans l’ombre d’une étonnante phosphorescence; une pareille ren- 


- contre sur l’île du Milieu eût été des plus fâcheuses ; personne 


de nous n’y pensa, mais ceux qui nous suivront dans la car- 


rière feront bien de se tenir pour avertis. Afin de chasser 


commodément et sûrement le nasica, sur les îles Pamarong, il 
faudrait être muni d’un petit bateau plat pour aborder sans être 
obligé de se jeter à l’eau, et de patins ou planchettes, pour mar- 
cher sur la vase sans y enfoncer ; encore fera-t-on bien de se mé- 
fier des fondrières. 

Etant sur ce terrain vaseux, nous avons remarqué un phéno- 


_ mène assez singulier, qui mérite d’être mentionné ici, quoiqu'il 


n'ait rien que de très-facile à comprendre. Nos cris, quelque 
forts qu'ils fussent, ne se faisaient entendre qu'à 10 ou 15 pas 
de distance. Cette circonstance rendait nos communications 
très-dificiles, et irritait encore l’impatience de ne pouvoir agir 
librement. Nos coups de fusil faisaient aussi peu de bruit, et 
celui qui en résultait paraïssait partir du haut des arbrès, du 


nes NOTES. 


PAC de de la mollesse du sol sur loouels nous Etiaue mes. 4 3 F4 


Bornéo est une grande terre destinée à s'étendre encore en 
refoulant Jes eaux qui l’environnent ; des débris de son sol et de 
ses productions , elle comble la profondeur de la mer : elleest 
pressée de prendre possession de ses uouveaux domaines; d'é- | 
normes palétuviers consolident ce nouveau sol et l’élèvent même 
aussi de leurs propres détritus. Là, se sont établis des ani= 
maux particuliers à ces singulières forêts; un jour ils dispa- 
raîtront avec ces harmonies locales qui leur conviennent, des 
naturalistes futurs rencontreront leurs squelettes fossiles ; mais, 
aidés des travaux des hommes instruits dont l’Europe s’honore 
et des écrits des voyageurs, ils se joueront du silence de la mort 
et du chaos des temps. Il n’en serait pas de même si l’histoire ac- 
tuelle de Bornéo ne devait avoir d’autres archives que celles que: 
légueront à leurs postérités ses indigènes nos contemporains! Je. 


craindrais fort que les savants de ce pays -ne recourussent alors  * 


au déluge universel, pour expliquer la présence des it du. 
nasique au milieu des marnes de leur patrie. 

Cette réflexion, inspirée par l'étude des âges de la nature, par : 
la foule des écrits oiseux que ce sujet enfanta avant que le gé=, 
nie de Cuvier devint les siècles passés, me porte à souhaiter 
ardemment que le gouvernement songe à ordonner une expédi- 
ton dans l’intérieur et autour de Bornéo : c’est un pays neuf, de- 
puis l'éponge jusqu'à l'homme inclusivement; bien des secrets 
des premiers âges de la terre s’y révèleront par la simple observa- . 
tion. C’est à la France si généreuse, à la France qui ne mesure : 4 
pas tout au point de vue de l'intérêt et d’une spéculation égoïste 1 
et barbare, c'est à elle à prendre linitiative d’une expédition 
bien conçue, bien ordonnée. 


Le commandant Dumont-d’Urville est malade; il a des coli- 4 
ques intolérables : il n’obtient un peu de PR que dans, les à 


DL '7e. | 


+ 


Sat éttilihat dits 


Ste che? er: hat “hdi nt té. | 


: 


NOTES. 265 


bains , lorsque l’eau en est très-chaude; s’il en sort un moment 
pour changer de position, il est forcé d’y rentrer quelques mi- 
nues après. 

- Le génie malfaisant de la goutte s’est fixé cette fois sur des or- . 
ganes bien sensibles ! Malheureusement, une attaque est toujours 


suivie de plusieurs attaques successives sur les mêmes parties : 


il ut donc nous attendre à bien d’autres accès. 

Le peu de soin que le commandant prend de sa santé est 
sans doute la cause qui le prédispose aux douleurs goutteuses 
abdominales ; et c’est cette même négligence de toute sa vie qui 
Ja rendu goutteux. Il abuse, depuis longtemps, des épices ; à 
terre comme à la mer, le choix de ses aliments est assez bizarre ; 
1l préfère souvent des viandes fumées ou salées à de la viande 


- fraîche. Cette alimentation excitante est devenue un besoin qui 
annonce des organes digestifs en mauvais état. 


M. d'Urville est essentiellement nerveux; les privations , les 
souffrances corporelles et morales exaltèrent ce tempérament. 

L'observation qu’il nous fournit n’est point favorable à l’opi- 
nion qui attribue, sans partage, la goutte à une surabondance 
de matériaux nutritifs dans le sang et dans tous les tissus de 
Péconomie ;‘en effet, toute autre constitution que la sienne ne 
pourrait résister à sa manière de vivre, car il choisit rarement les 
aliments les plus nutritifs. | d À 

Il existe, au reste, deux éléments de goutte qui portent leur 


influence sur toute la vie organique, et dont l’action n’est pas 


bornée exclusivement aux articulations ; ces deux causes consti- 
tuent une organisation goutteuse. Ce sont : 1° l'excès de l’action 
nerveuse ; 2° l'excès de l’inertie nerveuse. L’ambitieux de renom- 
mée et de gloire est la victime du premier; le riche paresseux 
est la victime du second ; M. d’Urville appartient à la première 
catégorie. LEA À 1 

La goutte est donc une affection nerveuse ; elle affecte le sys- 
tème nerveux ganglionnaire; voici comment je le comprends. 
Si l'innervation des nerfs de la vie organique diminue, elle ne 
suffit pas complétement aux exigences de la nutrition, et bien 


266 NOTES. 


que, dans l’état de santé, le défaut d'alimentation porte d'abord 
ses premièr es atteintes sur le système nerveux de la vie animale; 
car tous les mouvements deviennent aussitôt pénibles et Éiblere L 
bien que le système nerveux de la vie organique conserve long. 
temps après son activité ; car les besoins se feront sentir bien 


PT 2 
pu Se MB dE Éd 


longtemps encore; il vient cependant une époque où lui-même 
perd de sa puissance, ce qui n'a lieu au reste qu'après une. 
lutte longue et pénible. Le système nerveux céphalo-rachidien 
est évidemment actif; plus la réparation de ses forces est néces- 
saire, plus sont grandes ses exigences, plus il réagit impé- 
rieusement sur le système nerveux du trisplanchnique, qui est. 
véritablement passif; or, pour que ce dernier réponde convena= 
blement à cet appel, aux excitations du premier, il faut que lui- 
même recoive ainsi une quantité de suc réparateur en harmonie 
avec le degré de force qu'il doit développer. Quand, dans un temps 
donné, il ne recoit point la nourriture indispensable à ses fonc- 
tions, la stimulation organique qu'il éprouve devient bientôt © 
cause d’irritation, car tout organe sollicité par l'harmonie géné- 
rale et qui ne peut concourir à l'entretien de cette harmonie, 
quelle que soit la cause de la nullité de son concours, ne tarde 
pas à s’enflammer ; l'effet est d'autant plus prompt que le sujet 
est plus sensible. Partant de ces principes, ce sont naturelle- 
ment les appareils les plus compliqués , le plas constamment en 
action, les plus éloignés des centres de l’innervation et de la 
circulation, qui doivent être le plus promptement et le plus or- 
dinairement affectés : c’est en effet ce qui explique la prédilection 
de la goutte pour les articulations des membres, et surtout pour 
les articulations des pieds et des mains. 

Les douleurs ressenties par les vieillards menacés de gangrène 
sénile, celles que ressentent aux extrémités dés membres les per M 
sonnes parvenues au dernier degré du scorbut, ou les malheu- | 
reux naufragés exposés aux horreurs de la faim, ont toutes 


beaucoup d’analogie avec les douleurs de la goutte. PT 
Si la goutte, par l'excès d’innervation des nerfs de la vie orga- 
nique, peut être le résultat d’une alimentation trop peu substan- 


/ 


NOTES. 267 


tielle, comment se fait-il que le pauvre n’en soit pas plus com- 
munément affecté ? | 

Il y a là toute une question à traiter : nous nous bornerons à 
dire que cette maladie a été souvent confondue avec le rhuma- 
tisme articulaire, et qu’enfin cette affection est plus fréquente 
chez les pauvres qu’on ne le croit généralement. 


La vive sensibilité des hommes d'étude, sensibilité qu’une vie 


- peu favorable à la satisfaction des besoins de la nature exalte et 


déprave, n’est pas la moindre cause de l'apparente prédilection de 
la goutte pour les gens riches ou vivant à l'aise, : 

S'il y a, au contraire, abondance de suc nutritif, l’excitation 
organique devient presque nulle, l'intervention de l’afflux ner- 
veux est peu sollicitée, et à l'embonpoint, qui finit par être une 
maladie, succède d’abord l'irritation des nerfs ganglionnaires qui 
accompagnent les vaisseaux, et ensuite survient leur atrophie, 
car tout organe qui cesse d'agir cesse de se nourrir et est bientôt 
absorbé. Ce phénomène est connu de tout le monde. 

Cesten grande partie à cette destruction des nerfs, qui pénè- 
trent avec les vaisseaux dans la structure intime des tissus, qu'il 
faut attribuer la dégénérescence lardacée des parties affectées de 
goutte par surabondance de suc nutritif, | 

_ Ainsi, deux causes opposées ont un même résultat : cette re- 
marque a de fréquentes applications en physiologi®, l'excès et la 
privation produisent en général le mème effet sur les mêmes 
organes, 

Pour résumer ma pensée , je répéteral donc que la goutte est 
une irritation des nerfs qui formentaux vaisseaux leur enveloppe 
sensible. Les vaisseaux ne sont-ils pas doués d’une vitalité par- 
ticulière ? n'empruntent-ils pas à des nerfs propres l'élément de 
leur activité? Plus ils sont petits, plus ils sont vivants, c’est-à- 
dire sensibles, irritables, parce qu'ils ne recoivent que peu 


d’aide de la grande impulsion du cœur. Chaque point de l’éten- 


duedes vaisseaux a une vie isolée, qui correspond exclusivement à 
la nutrition de la région anatomique dont ils font partie. 
La goutte qui tourmente l'existence de M. d'Urville m'a bien 


268 NÔTES. CU 
souvent fourni l’occasion de remarquer que les variations a 
l’état météorologique de l'air influaient fortement sur le dévelop- 
pement ou l’exaspération des accès de cette maladie, Cela’est 
surtout manifeste quand on quitte une zone du globe pour. 
“passer sous l'influence d'une zone voisine; lorsque le temps 
éprouve un changement ou qu ‘il devient orageux, quand il sur- 
vient un coup de vent. Lorsque l’on a tenu la mer pendant long- 
temps , le voisinage de la terre réveille aussi les souffrances des 
goutteux ; les calmes humides et étouffants de la ligne, le pas- 
sage du cap Horn et du cap de Bonne-Espérance produisent le 
- même effet. à #1 

La cause prochaine essentielle de la goutte est toute organique; 
la cause déterminante est physique, c’est l’état électrique si wa- 
riable de l'air : toutes les affections nerveuses en sont là. 

Les personnes affectées-de myélite, de tétanos, de‘tic doulou- 
reux, m'ont présenté, sous ce rapport, une sensibilité identique à 
celle des personnes qui sont affectées de goutte. Les épileptiques ne 
manquent jamais d’être repris d’une ou plusieurs attaques en vue 
des premières terres qu’ils rencontrent à la suite d’un long voyage 
maritime. L'archipel des Acores, par suite de sa position géogra- : 
phique, est souvent témoin de ces sortes d'accidents, car presque 
tous les navires qui, revenant du sud, se dirigent vers un des, 
Etats du nor®de l’Europe, reconnaissent les Acores pobs recti- 
fier leur point. 

M. L.-Ch. Roche ( Dict. de. méd. prat., p. 418) dit, en par- 
lant du traitement de la goutte : « Toutefois , l'ouverture de las 
veine doit être restreinte à un très-petit nombre de cas, parce 
qu'on l'a vue déterminer quelquefois des accidents mortels. » 
Cette remarque pratique est applicable à toutes les affections 
nerveuses. L’affaissement organique, qui résulte d’une saïgnée,. 


livre l’organisation à tous les désordres d’une sensibilité désor- 

donnée, dont l’exaspération est en raison directe du peudevigueur : 
du-sujet. C’est ce que démontrent souvent les individus énervés 
par l'ivrognerie, par l’usage de l'opium et du tabac à haute 4 
dose. Raphaël, épuisé par les plaisirs de l'amour, éprouvait de 4 


C— 


2 NOTES. 269 
la difficulté à respirer, car, en pareil cas, les plexus ganglionnai- 
res pérdent une grande partie de leur puissance nerveuse; on le 
saigna, et il mourut. La première fois que, sous mes yeux, 
M. Dumont-d'Urville fut pris de coliques, je lui proposai lap- 
plication des sangsues et l’usage de l’opium : il me dit alors que, 
pendant le cours du premier voyage de l’Astrolabe , il avait déjà 
éprouvé de pareilles souffrances , et que ces moyens n'avaient été 


rien moins que curatifs : ils avaient exaspéré ses douleurs. 


On a beaucoup à faire encore pour bien apprécier là nature 
ntime de la goutte, on n’a pas moins à faire, par conséquent, 
pour la bien traiter. Ce que l’on dit du vin de colchique n’est 
point exact , il n’agit point comme un drastique. « À peine lai-je 
pris, me dit M. d'Urville, que je ressens un engourdissement 
général où se perd la douieur, et je m’endors. » 

Les expériences sur les animaux n’ont pas éclairé errant 


Paction de la vératrine ou celle du colchique ; il reste beaucoup 


à faire à cet égard. Mais ce qui m'est déjà démoniré, c’est que 


le vin de colchique, préparé par la méthode de Parmentier ”, est 
un puissant palliatif des accès de la podagre. Les suites n’en sont 
pas plus à craindre que celles de l’opium ou de lacétate de mor- 


_ phine, etc. Il est vrai, cependant, que cette préparation a l’incon- 


vénient de s’altérer très-promptement. Au bout de six mois, il 


_ s’est formé un dépôt de vératrine ; j'ai filtré, mais toute la sub- 


stance active s'était précipitée, et la liqueur limpide qui me restait 
était sans propriété. 

Je me procurerai la teinture de colchique à Samarans, et j'es- 
père qu’elle sera aussi utile contre ces affreuses coliques que le 


-- vin l’a été contre ia podagre. Le tannin contenu dans le vin est la 


cause de ce précipité; j’espère donc qu'il n'aura pas lieu dans une 
solution alcoolique. ' 

J'ai essayé le sulfate de morphine à petites doses continues, 
mais je n’en ai obtenu aucun calme. J’en suis réduit aux bains 


* Segments des bulbes dans l'alcool ; on en fait une teinture que l’on mêle 
au vin dans la proportion de 425 grammes par litre. M. d'Urville a commencé 
par 1,95 et n'a jamais dépassé 3,90 par jour. 


210 NOTES. M 
chauds et à l'application de l’eau froide sur la tête, d'a UNE 
vues physiologiques de MM. Jolly et Lombard. M. d'Urvileseu 
trouve bien peu soulagé ! 
Avant l'invasion de ces douleurs de véntre, M. d' Urville eut 
plusieurs fois l’occasion de tremper ses pieds malades dans l'eau 
froide pour calmer les sotiffrances que lui faisaient éprouver les 
accès de podagre. Je fis quelques réflexions sur ce moyen de trai- 
ter la goutte; il me répondit : « Je brûle, j'éteins lé fett. # IL M 
m'eût été plus facile d’insister qu'il ne fui eût été FAR de 
souffrir ! | 
Ici se présente uné observation importante. Si l'on Fo avéc 
une foule de praticiens distingués, et avec M. L. Ch. Rochélur= « 
même, « que l’on s'expose, en ayant récours à ce moyen (l'eatt 
+ froide), à faire disparaître l’inflanmmation extérieure et à la voir : 
« envahir un organe important ,.…. » il faut aussi admettreque le # 
tissu affecté par la goutte n’est point particulier aux seules arti- Î 
culations, que cette affection peut avoir pour siége une foule de 
parties de notre économie, et que le tissu qu’elle affecte, et qui est 
toujours le même, appartient à toutes les régions de notré ofga- 
nisation. L’inflammation ne se transporte point; mais la cause 
physique extérieure continuant à agir sur le patient, elle fait 
ressentir son influence sur un autre point du système d'organe 


a 


IE ite 


ie -L 


que sa nature affectionne. La goutte s'empare presque toujours, 
dans ce cas, des points les plus sensibles, ou de ceux qui ont été 
prédisposés à l'irritation par des imprudences antérieures. 

(M. Hombron.) IS 


Note 2, page 48. ‘TUE 


Le 24, dès que le jour se fit, nous appareïllâmes avec un temps 4 
sombre et un horizon tellement embrumé qu’on distingüait. à 
peine les terres basses qui bordent la côte entre J apara et Sama- 
rang. Dès 9 heures nous commencâmes à apercevoir les mâts des 
navires mouillés sur cette rade ; avant de voir la côte. Le mont 


Ve." TA 


« 


NOTES. : 271 
Merbaba seul était en partie dévoilé; nous nous dirigeàmes, la 
sonde àl a main, sur les navires mouillés en tête de la rade, et à 11 
heures , après avoir dépassé ceux-ci, nous mouillâmes à un peu 
plus de deux milles de l'entrée de la rivière par cinq brasses. Cette 
rade contenait alors une trentaine de grands navires presque tous 


hollandais. Nous y vimes avec plaisir flotter le pavillon français 


sur le trois-mâts le Bombay de os tout récemment arrivé 


“de la côte occidentale d'Amérique. 


_ Samarang possède un hôtel qui réunit toutes les commodités de 
la vie, où nous descendimes tous. Malheureusement, nous étions 


- un peu trop nombreux les premiers jours , et il fallut ÿ camper. 
L<}} n’y eut qu’une voix parmi nous pour en trouver la résidence 


beaucoup plus gaie et beaucoup plus agréable que celle de Ba- 


… via. La, au moins, sans trop $e compromettre, on pouvait user 
un peu deses jambes et parcourir la ville et les quartiers chinois 


et malais à pied ; quand on voulait étendre sa promenade plus 


Join en voiture, on trouvait, à moins d’une demie-lieue de la ville, 
un des plus jolis pays qu’on puisse désirer, accidenté de coteaux 


charmants et de points de vue très-variés. Ceux-ci me rappelèrent 
le voisinage de Buitenzorg, et effacaient de ma mémoire les impres- 
sions si monotones des courses que nous faisions en voiture dans 
la plaine de Veltévrede. Malgré le luxe et la magnificence des 
villas qui y sont bâties, et leur ressemblance avec autant de petits 
palais, la richesse des décors, et la bonne tenue toute hollandaise, 
à Samarang, tout est sur un pied beaucoup plus modeste ; mais 
la nature a fait beaucoup plus pour ce pays que les efforts des 


- Hommes ne pourront jamais produire dans l'autre, et quel que 


soit leur art, il est toujours des choses où il ne peut jamais at- 


- teindre; c’est ainsi que les hommes réunis en grand nombre dans 


un désert aride, malgré qu'ils y aient transporté avec eux l’abon- 
dance, échappent difficilement aux idées de solitude que les lieux 
leur rappellent à tous les instants. 

L’abondance règne aussi dans cette ville, et grâce au voisinage 


. de la montagne, on peut s’y procurer à la fois tout ce que produit 


VEurope et les denrées de la zone torride. Si Samarang n'est 


une cet table men nn 4e plus Ho ae Bus, : 
où résident les deux sultans vassaux des Hollandais, c'est dans $ 
cette province qu’on concentre aujourd hui le plus de forces , et: 

les Hollandais y ont maintenant une chaîne de positions mili- 4 
taires avec des camps échelonnés dans la montagne depuis Sama . 
rang jusqu'à Solo. Cest là qu’on tent principalement les troupes : 
pour les soustraire, autant que possible, à l’action funeste du ci 
mat dans toutes les villes du littoral, quel que soit l'éloge que] les 


Hollandais fassent de leur salubrité... Me 


Le mouvement continuel de navires qui avait feu chaque o. A 
sur cette rade, pendant le temps que nous y passâmes , annonçait 
un grand commerce dans cette ville. Il est vrai que ces navires y. | 
venaient alors prendre des chargements de café. Les bâtiments 

étrangers ne pouvaient guère, dans l’état actuel des choses, spé- i 
_culer que sur cette denrée dans l'île; la compagnie leur vendait 
seulement l’excédant de ce qu’elle pouvait envoyer en Hollande: | 


Nous apprîmes que le gouvernement venait encore de donner de 


P 


nouveaux ordres pour empêcher les étrangers de s'établir dans F 
l’île ; la crainte de voir les capitalistes anglais y afluer excite à un 
tel point la jalousie des Hollandais, qu’ils se montrent d'une ri= 


de Es 


gueur excessive, et on ne peut plus ombrageux; aucun Européen J 


ne peut visiter l’intérieur sans une autorisation , el on l'accorde 
de plus en plus difficilement et seulement aux personnes dont on À 
ne redoute point l'influence sur les Javanais. Un jeune Français, | | 
neveu d’un négociant depuis longtemps établi à Java, et aussi. 
considéré UE M: HAUT venait de recér ox lOPRESS pendant. | 


moins ne leur fermer tous les ports de l’île, étaient écoulés. 
CH. Dubouzet. nn: 


NOTES. 373 


Note 3, page 48. 

La rade de Samarang, aussi vaste que celle de Batavia, n’a pas, 
comme celle-ci, l'avantage d’être couverte au nord par une chaîne 
d'îles, mais le fond yestsi bon et les brises sont tellement réglées, 
que dans la bonne mousson on y est parfaitement en sûreté. 

Les navires de 3 à {00 tonneaux ne peuvent accoster le rivage 
à moins de un mille ou un mille et demi, parce que le fond de la 
baie est obstrué par les alluvions qu’entraînent chaque jour les 
eaux de la rivière de Samaraug. Ici, comme à Batavia, on observe 
que la baie se comble de jour en jour. 

La ville de Samarang est , ainsi que celle de Batavia , traversée 
par une rivière en partie canalisée, dont l'embouchure, obstruée 
par les vases, n’a que deux pieds de profondeur à la marée basse. 
On ne connaît ici, comme sur toute la côte de Java, qu’une seule 
marée en 24 heures. La rivière, qui prend sa source à trois ou qua- 
tre lieues dans l’intérieur, peut avoir environ 50 pieds de largeur; 
sa profondeur n'est que de 5 à 6 pieds, car les bateaux, pour la 
remonter, poussent le fond avec des perches. L’embouchure n'é- 
tant pas contenue par des digues, s'évase jusqu’à atteindre une 
largeur de près de 50 toises. Ses eaux bourbeuses baignent les 
pieds des arbres qui bordent son cours. Une longue file de ba- 
teaux malais ou javanais, échoués à l'embouchure de la rivière, 
servent à la reconnaître du dehors... 

Avant de quitter la rive gauche de la rivière, nous donnons 
un coup d'œil à une grande place où se trouve un temple javanais 
surmonté de plusieurs toits qui s'élèvent en pyramides. Non loin 
de là sont deux grands arbres qui couvrent de leur ombre le 
tombeau de quelque saint personnage en grande vénération par- 
mi les indigènes. Le campong chinois occupe un côté de cette 

place, il a la forme d’un rectangle entouré de murs élevés; ses 
deux portes sont décorées de quelques moulures et peintures 
dans le style chinois. R | 

VIH. | J | 18 


274 : NOTES. | | 
Nous ne rappellerons que pour mémoire Le campong, malais ou 
boughis, dont les cases en bambou sont, comme à l’ ordinaire, per- 
chées sur les rives fangeuses du canal; dans ces eaux troubles 
et peu profondes, se traînent avec peine quelques centaines de pi- 
rogues. Une nuée d’enfants grouillent dans ces vases brûlantes, 
dont les émanations seraient mortelles pour d’autres que les Ma- 
lais. Samarang passe à Batavia pour le pays le plus malsain de la 
côte ; mais à Samarang on vous dit que Sourabaya est encore plus 
malsain. 11 faut conclure de là que toute la côte de l’île de Java 
est insalubre , surtout pour les Européens, dont un très-petit 
nombre parvient à s’y acclimater. Le choléra, qui a déjà exercé de 


si grands ravages à Samarang , règne en permanence dans cette 
ville; mais la population, familiarisée avec ce fléau, le regarde 
comme une maladie ordinaire, dont on ne doit pas plus s'émou- 
voir que de la dyssenterie, qui est la sœur du choléra. 


La campagne de Samarang , parfaitement cultivée, produit en 
abondance du riz et du coton. On y cultive aussi la canne à sucre 
et le café. La conquête de cette province, qui eut lieu en 1708; a 
mis les Hollandais en possession de tout le plat pays au nord de 
l'ile de Java, depuis le détroit de la Sonde jusqu’à celui de Bal. 
L'ancienne compagnie des fndes a soumis, par la force des armes 
et l’habileté de sa politique , une grande partie de l'empire 
de Java. Les provinces -de l’intérieur ou du sud qu’elle ma 
pas encoïe envahies, sont divisées en deux gouvernements, qui 
ont conservé une ombre d'indépendance. Le premier appar- ° 
tient au Soussounan, successeur ÉUe des anciens empe- 
reurs ; il réside à FRCo a à cinq journées de marche dans « 
le S. O. de Samarang. Le second, formé du démembrement de | 
l'ex-empire de Faux, a pour chef nominal le sultan de Soura- « 
Karta ou Solo, à deux journées de marche au S. E. dela même M 
ville. Ces deux princes ne peuvent se donner un successeur sans 
l'approbation du gouverneur de Java. Ils ont méme un résident. 
hollandais auprès d’eux, et une petite garnison européenne dans à 
leur propre ville. Nous avons vu partir un nombreux convoi «destiné 4 
Route garnisons de l'intérieur. Le bagage était transporté par 


2 rss de * » 


NOTES. 275 
des bufilés, formant une longue file conduite par des Javanais, 


Eux seuls savent tirer parti de ces stupides et farouches animaux, 
qui, le plus souvent, sont rebelles et indomptables pour les Eu- 


 ropéens. 


Les officiers de la garnison de Samarang nous ont accueillis de 
Ja manière la plus amicale, et nous ont procuré tous les plaisirs 
que peut offrir cette charmante résidence. Le salon ou cercle de 
la société a été ouvert à tous les officiers de l'expédition. Les pro- 
menades à cheval et en voiture, les dîners , soirées, parties à la 
campagne se sont succédé sans interruption pendant toute la 
durée de Ja relâche. Le capitaine du port, van de Velde, le 
capitaine d'infanterie van Exter et le lieutenant Boon, qui nous 
avait déjà si bien accueillis à Ternate, nous ont comblés de pré- 
venances et d'amitiés. Nous avons trouvé ici le fiscal, M. Ball, 
qui a quité la résidence d’Amboine pour celle de Samarang. 
L'expédition lui est redevable d’un nautile flambé, mollusque 
très-rare, dont on ne possède encore en France que la coquille. 
Enfin, ce qui est encore plus précieux pour nous, c’est la bon- 


_ homie, la cordialité, la bonne hospitalité hollandaise que nous 


avons retrouvée à Samarang, et qui contraste si bien avec le froid 
accueil que l’on nous a fait à Batavia. 


(M. Roquemaurel.) 


_Note 4, page 48. 


Comme Batavia, Samarang repose sur les bords d'une riviére, 
sur un terrain plat et marécageux. La même direction semble 
avoir présidé à la fondation des deux villes, et les a dotées d’une 
rade vaste, mais incommode. Le mouillage des navires du com- 
merce est à environ trois milles du rivage; celui des navires de 
guerre est encore plus éloigné. À cette distance , Samarang est 
encore cachée à l'œil, qui cherche en vain l'aspect d’une grande 
et populeuse cité. Des rivages bas et uniformes , dominés par des 
montagnes situées fort loin dans l’intérieur, encadrent une rade 
pleine de mouvement. De nombreux praous, ouvrant de larges 


a 


1 


276 a NOTES. 


voiles de natte aux brises assez régulières de la côte , ‘sillonnent la 


mer en tous sens ; ou bien, échoués sur le banc de vase qui dé- ne # 


fend l'entrée de la rivière aux heures de basse mer, ils forment ; | 
en attendant le moment du passage, des groupes immobiles et Fo 
toresques. £ 

Les tambanghan , bateaux de passage à fond presque ne se 
mélent aux mouvements des praous ; ce sont les seules embarca- 


tions qui puissent franchir la barre à toute heure. Ils dépas- 


sent rapidement, à l’aide de leur voile tr iangulaire, la ligne des 
praous et des petites jonques envasés ; ils traversent ensuite les 
rangs des pêcheurs poursuivant à marée basse des bandes in- 
nombrables de petits poissons, à l’aide de grands filets triangu- 


laires qu'ils poussent devant eux en marchant dans l’eau. Bientôt 


après, on prolonge un rivage bas et désert, aux bords vaseux, 


limitant un sol vert, mais inculte. De gros chiens y rôdent en 


quête des immondices qu’une police peu scrupuleuse laisse aller 
au courant de la rivière; et, sur les confins de cette plage, des 
troupes de hérons blancs, gracieux oiseaux, qui épient graye- 
ment leur pâture sans s’effrayer du voisinage des bateaux. | 
Après avoir dépassé un petit chantier affecté aux réparations 


des embarcations du pays, on atteint, en refoulant le faible 


courant de la rivière, le poste de la douane, Æantoor der recherche. 
Les douaniers sont des Malais, reconnaissables à à une plaque de 
cuivre qu ils portent sur la poitrine. Des employés d’un ordre su- 
périeur, assis à l'ombre dans des bureaux ouverts au grand air, 


surveillent et dirigent les opérations du fisc. Ce point est le seul. 
où l’on opère la visite des embarcations. Jusque-là les t&mban-, 


ghan conservent leur large voile entièrement déployée ; mais 
après avoir subi le coup d'œil investigateur des agents de la 
douane, les bateliers la ferment à moitié, et s'aidant de la rame ou 


delà pagaie , ils atteignent peu à peu les premières habitations de. 
la ville, situées des deux côtés de la rivière qui se rétrécit considé- è 4 | 
rablement. Ce ne sont d'abord que de chétives cases malaises con- 2 
struites en roseaux, gracieusement mélées à des palmiers projetant 4 
de longues feuilles effilées sur la rivière. Des toutes de plantes : 


i 
À 
É.: 


E 


NOTES. 277 
grimpantes tapissent les parois, et souvent leur feuillage touffu 
déborde les palissades et les cache. Au pied de l'échelle qui des- 
cend ordinairement de ces cases dans l’eau, des femmes à demi 
nues lavent leur linge ou se baignent sous les yeux des passants. 
Non loin de là, et sur tout le parcours de la rivière, des trou- 
pes d'enfants prennent à toute heure de joyeux ébats aquatiques, 
et remplissent l'air du bruit de leurs jeux. 


Bientôt, cependant, la scène se développe : les habitations 
grandissent , les rues se peuplent ; l'embarras de la circulation 
sur le canal augmente. L’essor du tambanghan se ralentit de 
plus en plus; il ne passe plus qu'avec difficulté entre les 
gros chalans amarrés au rivage et les grands bateaux qui mon- 

tent et qui descendent sans interruption entre deux rives resser- 
rées ; dans quelques endroits, elles sont séparées tout au plus par 
8 ou 10 mètres. La navigation sur ce canal rappelle le mouve- 
ment des voitures dans les rues des grandes villes : les bateliers 
ne le cèdent pas en adresse aux cochers, mais il faut attendre pa- 
tiemmentun désencombrement graduel pour achever sur la rivière 
un parcours à peu près égal à la distance qui sépare son embou- 
chure du mouillage des navires, et atteindre enfin les beaux quar- 
tiers qui décèlent la ville européenne, la colonie opulente. 

On commence d’abord à apercevoir sur la rive gauche de la ri- 
vière quelques blanches maisons au milieu de cases mal bâties; 
puis de grands édifices noirs qui sont des magasins du gouverne- 
ment : ils indiquent l'emplacement de l’ancienne ville. Une acti- 
vité remarquable anime ce quartier ; de petites boutiques appa- 
raissent de toutes parts ; des colporteurs , des marchands ambu- 
Jants circulent dans la foule revêtue de costumes javanais, chinois 
ou arabes. 11 faut encore quelque temps avant d'aborder sur le 
quai voisin d’un pont de bois jeté sur la rivière, et de débarquer 
au pied des riches quartiers de la nouvelle ville. 

‘ Une belle suite de grandes et somptueuses demeures compose 
le quartier européen. Des piliers ornent la facade de ces édi- 
fices; ils présentent des colonnades agréables à la vue, et forment 
des galeries. couvertes , abritées du soleil et rafraïchies par la 


! 


BTS NOTES. | 
moindre brise. Rarement ces habitations s'élèvent au-dessus | 
- du rez-de-chaussée, mais elles gagnent en étendue ce qu 'elles 
perdent en Had elles occupent de grands emplacements, 
et montrent une longue étendue de murs blancs d’une pro- 
preté exquise. Des esclaves vêtus de longues tuniques aux 
nuances vives , coiffés de mouchoirs de oh garnissent les 
péristyles. Quelquefois, sur le costume indigène de ces serviteurs, 
on voit, par une bizarrerie de goût qui parait fort à la mode, des 
accoutrements européens. Cest ainsique plusieurs d’entre eux. 
portent une veste à parements rouges simulant une livrée; sou- 
vent aussi les cochers, vêtus de longues robes du pays; Aou 


au-dessus de leur coiffure indigène l'immense chapeau ciré et. s 


la cocarde noire des cochers d'Europe. Ce mélange est ER 
nuel, et ce n'est pas une des moindres singularités qui frappent 
l'étranger, d'autant plus qu'aucun de ces hommes ne porte le cos- 
tume européen complet; tous, d’ailleurs, sont privés de chaus- 
sures, ce qui est, sans aucun doute, comme dans les colonies fran- 
caises, une exigence imposée à leur condition inférieure, car Sa- 
marang est le foyer d’une immense fabrication de chaussures 
européennes à des prix prodigieusement restreints. On est as- 
sailli de toutes parts par des marchands de bottes ambulants qui 
les livrent au prix de 2 ou 3 florins (5 ou 6 francs). : j4 

Le beau quartier de Samarang, le quartier européen , est aussi 
celui des affaires. Les comptoirs avoisinent les habitations des 
négociants, et on remarque dans les étalages des magasins les 
marchandises de tous les pays. Meubles européens , objets chi- 
nois et japonais, produits de l’industrie du pays, sont entassés 
côte à côte. On y voit un grand nombre de productions françaises, 
surtout dans le riche et vaste 040 (comptoir) de M. Tissot, où se 
trouvent toutes les étoffes de coton ou de toile qui, en vertu d'un. 
privilége du gouvernement, se consomment dans ces colonies. : 
Ce quartier offre une grande différence avec le quartier euro- 


péen de Batavia : au lieu d’être disséminées sur plusieurs milles 
d’étendue, au lieu d’être isolées et séparées par des jardins, 
les maisons se touchent ; elles forment de belles et larges rues, « 


DU TT EP CRETE 


NOTES. LOT 
où on n'est pas déconsidéré pour aller à pied. A Batavia, la 
distance qui sépare les demeures des négociants du quartier 
mal bâti, mal entretenu où se trouvent leurs comptoirs, à 
_ nécessité l'emploi incessant des voitures ; le luxe colonial en a 
fait plus tard un meuble indispensable pour tout le monde, 
même pour les moindres employés. À Samarang, la disposition 
de la ville rend leur emploi moins nécessaire, et on voit fréquem- 
ment de modestes piétons se risquer le soir à faire une paisible 
promenade, sans avoir recours au véhicule obligé des prome- 
nades de Koningsplain. | 

Samarang, dont les rues présentent une continuité de splen- 
dides demeures, est privé en revanche de monuments ; l’église 
Jüthérienne peut seule prendre ce nom : elle élève vers le ciel 
deux clochers en forme de tours ;sa voûte spacieuse, son intérieur 
large et bien aéré, en font un édifice digne d'orner une grande 
ville. Dix minutes après l'avoir dépassé, on rentre dans un mé- 
lange de constructions dont la beauté et la régularité décroît rapi- 
dement à mesure qu’on s'éloigne du centre. Les boutiques des 
Chinois apparaissent ; elles augmentent de nombre insensible- 
ment, et quoiqu'on ait assigné à ce peuple industrieux un quar- 
tier particulier, il en dépasse l’enceinte trop étroite pour envahir 
graduellement tous les quartiers de la ville... | 

Les environs de Samarang présentent une réunion de sites 

charmants. Plusieurs négociants y possèdent des maisons de cam- 
| pagne ; la plus belle est, sans contredit, celle de M. Tissot, 
nommée Baudion. Cette résidence est un véritable palais, ét 
d’après le dire général, c’est un des plus beaux édifices de 
tout Java. Bâtie par un opulent Arménien qui s’est ruiné dans 
cette construction , elle a été vendue, plus tard, bien au-dessous 
de sa valeur. Elle est de forme carrée, et n’a qu’un étage de 
hauteur, maïs sur des dimensions colossales. Des pavillons ré 
servés aux étrangers la flanquent de chaque côté, et dans l’inté- 
rieur, de vastes salles , où le plancher est formé par des plan- 
ches en bois dur, d’une longueur de 15 à 18 mètres, offrent de 
superbes emplacements pour uné réception ou un bal. Un péri- 


280 AE NOTES. 
style orné de colonnes précède l'entrée et AR 4 | un 


Jerie, où la brise circule librement et où , sous cet ardent 
on trouve un refuge contre la chaleur du; jour. maté 


Le paysage est en harmonie avec l'édifice ; des massifs d'arbres 4 
touffus projettent une ombre délicieuse Le les alentours. La 
maison du Résident, placée à quelque distance, contribue à 
l'embellissement de cette scène ; un ruisseau vient dérouler ses 
courbes capricieuses à quelques pas de là. Sous un pareil climat, | 
c'est un séjour admirable, auquel il ne manque qu’un parce et A 4 
bassins pour en faire une demeure princière. La route quicon- 
duit à la ville est fort belle ; elle est entretenue avec un soin par=. à 
ticulier, Partout sur le parcours on voit incessamment de nom 
breux esclaves l'arroser et enlever des immondices. De toutes 
parts aussi on apercoit des édifices ravissants de blancheur et de 
propreté. Ils sont bâtis dans la forme de ceux de Batavia, mais ici, 
on ne les entrevoit qu’à travers un feuillage riche et abondant. 
De grands arbres bordent la route, leur cime élevée projetteau 
loin des branches chargées de feuilles ; elles se joignent parfois en | 
voûte et donnent asile à des myriades de petits oiseaux chanteurs. 1 
Ce paysage est infiniment supérieur à celui de la campague de 
Batavia. | 

La veille de notre départ, M. Tissot nous donna un bal dans 
sa résidence de Baudion. Le local se prêtait merveilleusement à 
la circonstance, et la réunion était fort belle. Par une attention 


délicate, les invitations avaient été faites de façon à ce que tous 
les invités parlassent ou comprissent le francais. L’orchestre était 
composé de Malais, mais les instruments étaient européens. 11 4 
exécuta sans relâche des aïrs agréables sans doute, mais singuliè- | 
rement variés ;. vieux et nouveaux, italiens, espagnols ou fran- 
çais, ils se confondirent sans distinction d’origine ou d’ancien- 
neté, mais ils eurent le mérite de faire durer la danse fort avant 
_ dans la nuit. À minuit, un souper fort bien ordonné , auqu: 
sh “ cent PAR pa ent prendre pa à VE FisLS 


NOTES. 281 


Ces réunions ont cela d’utile, qu’en dehors du cercle de la 
danse, la conversation, devenue familière , roule sur des sujets 
instructifs et sur des détails intéressants. Dans cette circonstance, 


-ellesepartagea en deux points principaux, les affaires commerciales 


et les événements politiques. A en juger par le dire général, l’état 
du commerce de Samarang esten décadence. Les Indes ont cessé, 
disait-on, d'offrir les avantages qu’elles présentaient autrefois et 
on ne pourra rendre à Samarang sa splendeur passée qu’en accor- 
dant à son port une franchise particulière, celle de recevoir les 
produits étrangers, et de pouvoir trafiquer librement avec tous les 
pavillons , ce qui est interdit sous le régime du monopole actuel. 
La culture de la canne à sucre sur une grande échelle, encoura- 
gée parle gouvernement, prend de l'extension ; les capitalistes y 
placent leurs fonds, dans l’espérance d’une concession prochaine 


de la franchise réclamée. Ces observations nous laissent cepen- 


dant bien des doutes sur la véritable situation du commerce. 
En effet, on se plaint de sa décadence, et de toutes parts 
le mouvement des denrées est fort grand. On rencontre à chaque 


pas des hommes arrivés à des siluations opulentes en peu d'an- 


nées , de sorte qu'on est tenté de croire que le sol classique des 


| grandes richesses n’est pas encore frappé de stérilité. Tout est 


sur un grand pied dans ces colonies; quoique la vie matérielle 
soit à très-bon compte, les salaires moyens des employés des 
maisons de commerce s'élèvent à trois où quatre cents roupies 
{6 à 800 fr.) par mois, et tout est proportionné à cette échelle. 

Il est vrai que les avantages de cette vie de luxe sont grande- 
ment compensés par les inconvénients du climat dévorant de ces 
contrées. Malgré la réputation de salubrité qu’on veut faire à 


-Samarang, la moyenne de la vie y est très-faible pour les Euro- 


péens. Le choléra y fait des ravages fréquents, la dyssenterie et 
les fièvres y régnent sans interruption, les maladies du foie sont 
permanentes. Il n’y a qu'à voir les Européens résidant dans le 
pays depuis quelque temps , pour avoir une preuve palpable de 
linsalubrité du climat. Au bal de M. Tissot, la réunion en- 
tière ne présentait que des figures pâles , jaunes, fatiguées. Les 


289 NOTES. D 
femmes avaient perdu la fraîcheur du teint européen et de Mm- 
blaient s’étioler sous l'influence délétère d'un pays malsain. à de & 

k (À 


C'est une douce halte, dans le cours des longs voyages, que celle 4 
où J’on rencontre des pr évenances qui doublent de valeur à une 
si grande distance de son pays. La réception cordiale et empres- 
sée dont nous avons été l’objet à Samarang, non-seulement de la 
part de M. Tissot, mais aussi de tous les habitants, ne pouvait 
nous laisser que de profonds souvenirs. Les courtes heures de | 
notre séjour sur cette rade furent signalées par l'accueil le plus 
cordial qu’on puisse recevoir. En quittant Baudion à deux heures 
du matin, nous quittâmes une assemblée où nous avions pu. 
nous faire illusion et croire, en entendant parler notre langue, 
que nous nous trouvions en France. Ces impressions agréables 
nous suivirent au rivage; les rapides images des scènes de notre 
passage à Samarang nous occupèrent jusqu’au moment où notre 
légère embarcation atteignit enfin notre gîte flottant. Là l'illusion 
dut cesser. La réalité reprit son empire devant les préparatifs de 
l'appareillage , et ce fut avec un sentiment de regret. que nous 
jetâmes un dernier regard , à travers les ombres de la nuit, dans 
la direction de la grande ville endormie. + 


(M. Desgraz.) 


Note 5, page 64. 


Je descendis, dans laprès-midi, pour faire une promenade 
avec le commandant d'Urville ; nous aliions définitivément faire è 
nos adieux à la Malaisie, et nous étions bien aises de fouler le sol | 1 
de Sumatra que nous n’avions pas encore eu l’occasion de visiter. F 


Nous nous dirigeâmes sur de gros bateaux du pays qui étaient … 
mouillés à peu de distance de la côte, et nous atteignimes promp= 
tement le rivage. RS  . » 

De la rade, nous avions distingué quelques cases, que nous à 
croyions être les seules existant sur ce point; mais à peu 
eûmes-nous fait quelques pas, après avoir quitté le bord de 


d 


2 

4 
+ 
+ 


Ÿ 


Lu 


3 


: 
. 


. : NOTES. | 283 


LA 


mer , que nous en découvrimes d’autres derrière de beaux 
massifs dé verdure ,et nous nous trouvâmes bientôt au milieu 
d'un joli village situé dans une position très-pittoresque, 
entre deux ruisseaux d’une eau courante et limpide. Les mai- 
sons, couvertes en chaume, étaient construites avec goût et 
présentaient dans leur charpente quelques pièces de bois parfai- 
tement sculptées; sur l’une des faces, celle où se trouvait la 
porte , le toit débordant de plusieurs pieds, formait un abri ; les 


. murailles étaient faites en treillis de jonc d’un travail serré et 


solide. Nous dûmes nous contenter d’en visiter l'extérieur; car 
toutes étaient closes, et, parmi les individus que notre présence 
avait attirés , nous ne vimes aucune disposition à nous les ou- 
vrir. Pratiquant l’islamisme , leurs femmes y étaient sans doute 
renfermées , car nous n’en vîimes quelques-unes que de loin ; en 
nous apercevant, elles s’'empressaient de urendre la fuite et de se 
soustraire à nos regards. Les hommes nous parurent, quant au 


_ physique, supérieurs aux Malais que nous avions visités jus- 


À 


qu'alors. Grands et robustes, ils nous offrirent de belles formes, 
des traits mâles et le teint beaucoup moins foncé ; accoutumés sans 
doute à voir des navires sur leur rade, et ayant eux-mêmes des 
relations fréquentes avec les établissements de la côte de Java, 
ils ne se montraient nullement incommodes et opéraient leurs 
échanges avec tranquillité. Il arriva néanmoins une circonstance 
qui prouve qu'il ne faut pas en tièrement se fier aux apparences, 
et qu'il est bon de se tenir sur ses gardes contre leur penchant 
à s'approprier les objets qui les tentent. Un des hommes de la 


… Lélée, étant à chasser dans les environs, se trouvait, depuis son 
? ? ? 
- départ de la grève, accompagné par un naturel qui affectait beau- 


coup de zèle à signaler le gibier, et qui s'empressait d’aller le ra- 
masser aussitôt qu'il était abattu.:Il tint, pendant longtemps, la 
même conduite, paraissant trouver beaucoup de plaisir dans une 
occupation qu'il s’était créée bénévolement ; il parvint ainsi à 
capter la confiance du chasseur, qui ne se doutait nullement des 
mauvaises intentions de son compagnon. Il soutint ce rôle à mer- 
veille, et atteignit ainsi un épais fourré au-dessus duquel un 


284 D dE à isthine 
oiseau fut visé et abattu. La difficulté alors était de + 

l'intérieur pour le trouver, et deux personnes n'étaient pas de. 3 

trop pour cette recherche, à laquelle tous deux procédèrent i im 

médiatement, le matelot abandonnant son arme pour être plus | 

libre dans ses mouvements. C'était là: le but que s'était ei 

Je Malais, depuis le commencement de la PFOReR ER et il Sa 
prompt à exécuter son dessein. 


te 


Profitant du moment où le Francais était engagé die lès hide À 
ches, tout entier à ce qu'il cherchait, il s’ empara du fusil qui était 
à deux coups; parfaitement au fait des localités, il s enfuit a 
toutes jambes et parvint sans doute à se mettre en sûreté en peu 
de minutes. | Fe 

Toutes les recherches furent inutiles , toutes les courses dans 
les environs n’amenèrent aucun résultat, et l’arme se trouva bien 
et dûment volée. NS 


Nous devions passer encore la journée du 10 au mouillage, ét. 
dans cette persuasion, plusieurs officiers étaient descendus à 


Ars Lier 
MU SR 


terre dès le matin ; moi-même je me disposais à les suivre, lors- 
que le commandant d'Urville m'envoya prévenir que plusieurs « 
de ses hommes ayant été atteints de fortes coliques pendant la À 
nuit précédente, et le docteur craignant de voir le mal en frap- 
per d’autres , il se décidait à abréger la relâche et m'engageait x À 
prendre les dispositions pour l’appareillage qui allait avoir lieu 
immédiatement. Je fis aussitôt le signal de ralliement, et j'envoyai 


\ 


4 
; 


une embarcation à terre, qui, une heure après, me ramena tous les 


promeneurs. Nous dérapâmes alors l'ancre et nous  fimes route, 
(M. Jacquinot.) 


1 


Note 6, page 64. 


Dès que le jour se fit, nous laissâmes arriver sur Sumatra, d 
cÔtE pe la baie cs DER En pee ochant ce 1 es nous : 


; NOTES. 285 

Tchanty. IL est bâti sur le bord d’une petite anse abritée par un 
récif où peuvent se réfugier une douzaine de grands prahos. 
On y comptait alors six de ces caboteurs. Nous fûmes entourés, 
dans la matinée, de pirogues dont les naturels vinrent nous of- 
frir du poivre dont la culture est le principal produit de tout ce 
. district. D’autres vinrent le lendemain nous apporter des tortues ; 
- ét un bateau qui nous avait vus la veille nous diriger de ce côté, 
” vint à bord Avec quelques sacs de patates qu'il nous vendit. Il 
- nous donna lieu de supposer qu'il n’avait pas fait pour un si petit 
_ bénéfice un pareil voyage, et qu'il avait été envoyé probablement 
| pour nous observer. Toute cette partie de la côte reconnaît, du 
moins nominalement, la souveraineté de la Hollande, malgré que 

celle-ci n'y ait aucun établissement. La côte est couverte de pe- 

- tits villages , qui ont pour chefs une multitude de petits radjas, 


dont les principaux recoivent de l'argent du gouvernement de 


MR. il d 2é 4 bot ét : CPR 


Batavia, à la condition de rester tranquilles et de ne jamais s’allier 
à ses ennemis. Le village de Tchanty dépend de Radja-Bassa, qui 
- se trouve à cinq milles dans l'est, et donne son nom au mouil- 
age, car là la côte n'offre aucun abri et est assez difficile à 
aborder. : 
Nous eûmes , pendant notre séjour sur cette rade, des pluies 
extrémement fortes et des changements très-fréquents dans le 
vent du S. E. au N. E. qui annoncaient que la mousson orageuse 
… d'ouest allait bientôt commencer. Ces mauvais temps génèrent 
… beaucoup nos travaux, et ceux qui voulaient faire des excursions 
… dans un pays dont la riche nature promettait une ample moisson 

de curiosités dans tous les règnes. Les habitants nous prouvèrent 
… par leur conduite qu'ils avaient une grande habitude de com- 
- mercer avec les bâtiments européens, et nous demandèrent tous 
des fusils. 

Nous devions rester jusqu’au 11 sur cette rade, mais quelques 
hommes furent atteints, à bord de l’Astro/ahe , dans la nuit du 
g au 10, de violentes coliques ; le commandant se décida en con- 
séquence à rester un jour de moins. Ce fut malheureusement le 
seul beau jour que nous eümes sur cette rade. Depuis notre dé- 


Hhen.«, 


286 | | _ CONOIES OS 
part de Batavia nous avions quelques hommes at atteir 
rhées très-fortes. Comme déjà plusieurs fois elles 


eu de PAMÉGS nous de, qu M en-serait encore 


été atteints à ut et ne tous Dafaicsale Es guéris. t Flu bts 4. 
(M. M ÿ: 


Note 7, page 64. 


La partie de Sumatra qui est sous nos yeux offre la mêm 
chesse de végétation que les auires îles du grand archipel d’ 
que nous avons déjà visitées. Ce sont toujours ces belles plaines | 
couvertes de forêts impénétrables, de bosquets d'arbres fruitiers 
ou de rivières, ces nombreux cours d'eaux, ces montagnes parées 
d’une verdure éternelle et dont le sein cédé) de l'or et d’autres 4 
métaux précieux; mais aussi toujours les 'mêmes peuples indo= 4 
lents, barbares ou dégradés, qui ne 8avent tirer aucun bi des | 


bienfaits de la nature. . "7; HR DSORPeNS 


HUE une lisière très-étroite, qui s élargit en $ at à 
sud vers la pointe aux Cocos en une plaine de un à deux mi e. 
de largeur. On y trouve plusieurs villages et quelques cases iso- À 
lées entourées de rizières , de bosquets de cocotiers et de. plan- 
tations de bananiers. Les Hanoi construites dans Je st 
malais, n’offrent rien de particulier, si ce m'est peut-être ; 
peu plus de propreté et de confortable. On remarque même 
certain esprit d'ordre dans la disposition de quelques cases, qi Li 
sont groupées d’une manière assez sur un terrain net 
et aplani. “ | 
La principale production du pays est le Hoivré jéé jeu 
tants cultivaient jadis pour le sultan de Bantam, et qu'ils 


aujourd'hui aux Hollandais. Ceux-ci n’ont qu’un petit 


NOTES. 987 
sont dévoués. Cependant, nous ne supposons pas que la Hollande 
prétende, comme autrefois, interdire aux autres nations commer - 
cantes toutes relations avec les Lämpongs. Les cases ont chacune 
leur petit magasin de poivre, et nous n'avons rien vu qui pût em- 
. pêcher les navires français de venir eux-mêmes chercher cette 
épice, ou les indigènes de la leur livrer. 

Les plantations de poivriers occupent la ctèté des collines qui 
s'élèvent de 100 à 200 pieds au-dessus de la plaine. Elles sont 
disposées par petites’allées de 4 à 5 pieds de large. La plante 
grimpante s'attache aux petits arbres qui lui servent d’échalas et 
parviennent à la hauteur de 7 à 8 pieds. Les grappes ayant at- 
teint leur maturité sont d’une couleur brune foncée. On les ex- 


pose sur des claïes pour les faire sécher et en détacher les grains. : 


Ceux-ci sont mis en sac, agités et frictionnés pour faire tomber 
les pellicules. Après cette opération, qui est suivie du tamisage, 
les grains de poivre sont lisses et ont une couleur claire. 

Nos chasseurs ont tué dans les bois un bon nombre de singes 
de moyenne taille, à queue longue , poil long et sOyeux . Ils ont 
aussi rapporté un joli petit animal ressemblant un peu à la ga- 
zelle, quoique moins gros. Les habitants nous ont dit qu'il fallait 
s’enfoncer assez avant dans le pays pour trouver des éléphants. 

Malgré la bonne opinion que nous avions d’abord concue des 
Sumatriens, nous sommes forcés de les classer sur la même ligne 
que leurs dignes confrères les Malais. Ils ont très-adroitement 
eseamoté un fusil de chasse à un matelot de la Zélée, et essayé 
d'attirer dans l'intérieur un de nos officiers pour le dévaliser. 

(M. Roquemaurel.) 


Note 8, page 64. 


Notre mouillage sur la baie des Lampongs, ou de Radja-Bassa, 
devait compléter la série de nos relâches dans l'archipel indien. 
C'était aussi la première fois que nous visitions Sumatra, la 
grande île voisine et rivale de Java pour l'étendue et la fertilité 
du sol. Situé dans le détroit de la Sonde, ce mouillage offre un 


288 NOTES. 2 D Le 
coup d'œil aussi agréable que varié; des montagnes élevées 4 
accidentent le terrain et le creusent en vallées, mais une épaisse ” 
couche de verdure cache le sol et en voile les aspérités. Cet 
endroit est nommé par les indigènes Lampoung, je n’aïpas pu dé- 
mêler si ce nom désigue le village, la baïe, ou la population 
qui l’habite. | | 

: Le village n’est pas considérable ; il se compose d’une soixan=- 
taine de cases au plus. Elles sont grandes, assez propres à l'ex- 
térieur, et leur toiture , terminée par des sommets aigus, ressem- … 
ble beaucoup à celle des habitations de Samboangan: Près de ces | 
maisons, on voit de petits édifices faits avec soin, élevés au-dessus 
du sol sur des poteaux ou des pierres qui les préservent de l’hu- 
midité. Ce sont des magasins où l’on conserve le poivre, priner- 
pale production du pays ; c’est là où s'accumulent les récoltes et 
où les navires qui font la traite de cette denrée puisent à la longue … 
leurs chargements. Dès notre arrivée, les indigènes , se mépre- 
pant sans doute sur le but de notre relâche , vinrent en foule, 
dans leurs pirogues, nous offrir à bord la vente de petits 
paquets de poivre : c'étaient probablement autant d'échantillons | 
qu’ils voulaient nous présenter. Ils furent fort désappointés de 
nos refus, et se seraient retirés les mains vides s'ils n'avaient 
en même temps'apporté diverses provisions, des fruits, des. 
poules, divers oïseaux, des coquilles et autres menus ob- 
jets. Quoique cette rade soit fréquentée par les navires, nos ob- 
jets d'échange firent fureur ; les indigènes les préféraient à l'ar- 
gent monnoyé. Ils nous montrèrent divers instruments de ’fa- 
brique anglaise, et même ils avaient retenu quelques mots de 
celte langue, qu'ils rÉpÉtens souvent pour se faire bien venir de à 
nous. 1 


Cette population n'offre rien de es remarquable à à nos yeux; 


elle présente le type malais sans différence appréciable: Law 
couleur de la peau de ces hommes est peut-être un peu moins 
foncée que celle des Bouguis, et il m’a paru qu'ils se rappro= 
chaient de l'aspect des habitants de Solo plus que de toute 
autre peuplade malaise que nous SE visitée, Lens, costume 


F_ 


NOTES. 289 
estcelui des Bouguis ; il est formé d’un simple calecon fort court, 
d’une écharpe et d’un mouchoir pour coiffure. Les membres 
des jeunes gens sont arrondis , potelés, sans saillies musculaires 
fortement accusées et bien proportionnés. Avec l’âge, cette ap- 


_parence change; les signes d’une décrépitude précoce se remar- 


quent sur des hommes jeunes encore. Je n'ai vu qu’une ou deux 
femmes ; elles n'avaient pour tout vêtement qu'un sarong, et 
marchaient la poitrine nue. Elles fuyaient notre présence; notre 
arrivée avait sans doute occasionné leur réclusion dans l’inté- 
rieur des cases , qui étaient toutes hermétiquement closes. Nous 
évitâmes avec soin tout ce qui aurait pu porter ombrage à leur 
méfiance. h Hz. $ 

.. Un joli ruisseau serpente près du village ; son cours sinueux 
arrose une grande plaïne cultivée et semée de riz. Cette eau lim- 
pide offre de charmants endroits pour se baigner. Un sentier 


assez battu suit quelque temps ses bords, et conduit à un second 


village placé dans l'intérieur, sur une éminence, à quelques mi- 
nutes de la mer. Il était désert quand nous y passèmes; les 
hommes s'étaient sans doute rendus à bord des corvettes, et les 
femmes s'étaient cachées avec leur progéniture. Nous remar- 
quâmes en passant, sur des espèces de petits établis, des instru- 
ments de travail propres aux orfèvres ; ces hommes s’adonnent 
fort probablement, à cette industrie, du reste assez répandue dans 
les pays malais. 

Une autre industrie des indigènes consiste à fabriquer des 
modèles de praous. Ces objets sont fort bien faits , très-exacts et 
très-curieux ; on les obtient à très-bas prix. Un mauvais fou- 
lard rouge, un mouchoir de coton aux couleurs vives, suffisent 
pour opérer l'échange. Ce talent de construction paraît général ; 
le nombre de ces objets était considérable; ils nous étaient 
offerts de toutes parts : j'en ai compté plus de vingt rassemblés au- 
tour de moi. Les seules armes de ces hommesque nous ayons vues, 
se réduisent à de petits poignards droits ou recourbés qu'ils ca- 
chent dans les rouleaux de leur longue chevelure. Cet usage pa- 
raît leur être particulier. Ils possèdent aussi des couteaux à 

VIIL. 19 


290 as NOTES, 
lames torses qu'ils portent à la ceinture, et qui 
bri iqués € dans le pays. : 


Nous comptions passer encore Ja journée du jet 10 oc! o 
au mouillage, lorsque, d’après l'avis des chirurgiens qui avaient 
constaté l'apparition de quelques cas de dyssenterie, le comman- 4 
dant prit la résolution de quitter sur-le-champ les! lieux où le 
inal avait débuté, afin d'atteindre au large un air plus pur etle- 
loignement des influences morbides de ces terres. Un. COUP. de 
eanon rappela à bord, de grand matin, les officiers de la Zélée « 5 | 
qui étaient .déjà descendus à terre pour chasser. Parmi eux se 
irouvait M. Pavin de Lafarge, un des plus jeunes officiers de 
l'expédition. Jamais il n'avait paru jouir d'une meilleure santé; à | 
Ja veille, nous nous étions promenés ensemble en cherchant des 
insectes. Dans nos moments de halte, il ne cessait de faire des 
projets pour l'avenir ; il songeait au retour en France, et vou- 
lait, disait-il, se reposer longtemps de cette longue navigation... M 
À quelques jours de là, atteint par une cruelle maladie, il se È 
mourait, et ses compagnons confiaient son corps aux flots. se la. 


pleine mer ! | (CH. Dee oraz. x " ie i 
Note 9, page 94. FRE 


real St du S. E. aus. ©. No manœuvrèmes pour HoD 
fiter des changemen ts et nous avancer dans le sud. Le 15, à midi, 
les observations nous placèrent par 7° Eye 2%” latitude sud, et 


100° 58° 23” longitude est. NA 
Dans la soirée du même jour, nous recûmes un fort moe 


rant Et la na “han a à l'E.S. &. , en fetes 


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arr 


NOTES. | 291 
abaissement dans la température, qui.nous fit plaisir, après les 
fortes et ennuyeuses chaleurs auxquelles nous étions exposés 
depuis huit à dix mois. 

» Ainsi que l’Astrolabe, la Zélée avait subi l'influence de notre 
mouillage sur Sumatra ; dés le lendemain de notre départ, une 
douzaine de matelots avaient été attaqués par la dyssenterie 
et de fortes coliques. Cette circonstance fit promptement oublier 


la contrariété que quelques personnes avaient d’abord ressen- 


tie en se voyant aussi inopinément frustrées d’une journée de 


relâche sur laquelle elles avaient compté, et toutes ne purent 


qu'approuver cette mesure ; si elle n'avait pas été prise, il aurait 
pu résulter d'un retard une augmentation dans le nombre des 
malades que nous comptions déjà. Heureusement, aucun des 
cas n'était bien grave, et nous pensions que le changement de 


… climat ferait bientôt raison de tous ces accidents. . 


Le 20, le vent diminua, la mer devint bientôt moins grosse èt 
moins fatigante, et le ciel s’embellit. D’après le rapport du mé- 
decim, nos malades allaient beaucoup mieux et ne devaient pas 
tarder à reprendre leur service. 

‘ Le 2, à midi, nous étions par 28° 52’ 30” latitude sud et 92° 
52 longitude est. La dyssenterie qui, lors de notre départ de 
Sumatra, avait attaqué quelques-uns de nos hommes, et que 
nous avions eu l'espoir de voir bientôt disparaître sous l'influence 
du changement de climat , non-seulement persistait, mais s'était 


même étendue plus tard sur d’autres individus. Nous comptions 


- une vingtaine de malades; parmi lesquels deux appartenaient à 


Vétat-major , M. Lafarge , enseigne de vaisseau , et M. Goubpil, 
dessinateur de l’expédition. Excepté un domestique dont l'état 
était désespéré , aucun des autres n’était encore dans une posi-. 
tion à donner de grandes inquiétudes, et nous comptions bien 
que cette maladie finirait par céder devant les soins des médecins. 
Le 6, nous communiquâmes avec l’Astrolabe, et nous apprîimes 
que son état sanitaire n'était pas plus satisfaisant que le nôtre; 
elle avait également perdu deux hommes , et comptait autant de 


. malades sur les cadres. 


299 NOTES. : 


variable dans des parages où, d’ nr raté des: vents d 


Le 


S. O. est si bien établi. A ie nous n'étions encore us par De 
310 2’ latitude sud, et 90° 54° 41” longitude est... 
Le 7 novembre, à quelques heures d'intervalle, nous eûmes Ja 


‘douleur de perdre deux de nos bons matelots , les nommés. 


Delorme et Fabry. Cette cruelle maladie avait déjà fait huit vie= 
times, et nous n'osions espérer de ne pas en voir succomber d’au-. 
tres. Pour surcroît de contrariétés, la brise, ordinairement fraî- - 


ae ne DS CE - 


éhe dans les latitudes où nous nous trouvions, se maintenait 
très-faible et variable, et nous n’avancions que très-lentement 


s Pi abs NE 


vers Hobart-Town, qui était alors le but de tous nos désirs... 
Le plus pressant pour nous était, dès notre arrivée, de descen- Sa 
dre nos malades à terre et de les sortir de l'entrepont où ils lan- 


guissaient depuis si longtemps. Malgré les pertes que nous avions 


éprouvées, nous comptions encore sur la Zélée quatorze ma- 
lades, dont quelques-uns étaient dans un état tel qu'ils ne pou - 
vaient espérer leur guérison que d’un changement d'air et d'un 
régime autre que celui que pouvaient présenter les moyens du 
bord. Aussi le commandant d'Urville s'empressa-tl de prévenir 
les autorités de la position dans laquelle se trouvaient nos équi- 
pages, et de demander l'autorisation convenable; en mêmetemps 
il envoya les médecins pour s'entendre avec le chef du service 


médical de la colonie, et prendre toutes les dispositions qu'ils ju= 
geraient convenables dans cette circonstance. &:7 00 


(M. Jacquinôt.) 


Note 10, page 94. 


Le 15, les diarrhées dont plusieurs de nos hommes étaient at- : 
teints, commencèrent à prendre un caractère de dyssenterie., 
Nous espérâmes pendant quelque temps que le changement d 
température qui était sensible à mesure que nous avancions vers 
le sud, empècherait cette maladie de se développer. La. bri 
fraiche de VE. S. E. et de l'E, nous fit franchir rapidemen 


1 


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PE, 2 ” 
(l H L 


L Ag : 


4 


i 


Ù AS ! 


Re RE ES Ca Ne Sd Créé ÊTES à 


NOTES. 293 
zone tropicale; le 25 nous coupâmes le tropique du Capricorne. 
Le nombre des malades avait augmenté beaucoup, et déjà nous en 
comptions douze de gravement atteints, dont deux officiers, 
MM. Goupil et Lafarge. Nous avions appris, deux jours avant, en 


‘communiquant avec l’Astrolabe, qu’elle avait aussi des malades, 


et que dans leur nombre se trouvaient MM. Marescot et Gour- 
din, enseignes de vaisseau. d 

Le 3 novembre, le nommé Louis Pflaum, domestique de l’état- 
major, brave et digne serviteur, d’une rare fidélité, succomba le 
premier à la dyssenterie, compliquée d’une maladie de vessie. Ce 
malheureux, dont l’affaiblissement avait constamment fait des 
progrès depuis qu’il était tombé malade, s’éteignit presque in- 
sensiblement. Nous comptions alors parmi les malades deux offi- 
ciers, deux maîtres, sept de nos plus vaillants matelots, et un 
jeune mousse atteint de dyssenterie aiguë. 4 

Le 6 novembre, la mort frappa une nouvelle victime dans la 
personne du nommé Bajat, jeune matelot plein d'espérance, qui 
mourut après avoir éprouvé des souffrances horribles. Il rem- 
plissait depuis deux ans les fonctions de patron de grand canot 
avec beaucoup de zèle, de talent et d'activité, et s’était acquis 
l'intérêt de tout le monde. L'infortuné n'avait que 26 ans, et il 
était le seul soutien de sa famille. Cette mort fit une vive impres- 
sion, car c'était un de ces hommes pleins de force et de vie dont on 
eût cru pouvoir assurer l'existence. | 

Le 7 nous perdimes le nommé Heliés , matelot de 2° classe, un 
des hommes de ldriane qui répondirent avec dévouement à 
la demande que nous fimes à Valparaïso, pour remplacer volon- 
tairement les hommes atteints du scorbut que nous étions obli-. 
gés d'y laisser. | - 

Le vent continuait toujours à souffler de l’est et nous annonçait 
la plus longue et la plus triste des traversées. Le 10, cependant, 
il hala un peu le N. N. E. Le nommé Salusse, maître calfat de 


1*classe, excellent sujet, qui était seulement alité depuis quinze 


jours, succomba après des souffrances horribles ; nous fimes 
en lui une perte irréparable, et sa mort causa à bord une vive 


294 NOTES. de 
sensation, _Menacés de nouvelles calamités , nous éprouvâmes A 
les jours suivants, de fortes brises d’est qui nous forcèrent de à 
nir la cape le 12. Nous fûmes rejetés dans l’ouest; nous étions 4 
alors par 38° 41 de latitude sud, et depuis notre dépit de Su- Le 
matra, nous n'avions pas encore eu une journée de bon vent. 1 
Les courants commencèrent à porter au nord avec force. H 


Le14 novembre, lenomméBilloud, jeuné maielot qui métal | 
aussi de l’Ariane, fut moïssonné par la cruelle mialadié qui avait 1 
fait de nos pauvres corvettes un hôpital ; elle prenait chaque jour 
plus d'intensité, et jusqu'alors un seul homie s’en étdit relevé. 
La brise qui se fit le lendemain à l'O. N. O. etau N. O., vinträ 
nimeér un peu nos espérances. La température de l'air s'était con 
sidérablenient refroidie et variait éntre 10 et 15 degrés. 

Le 17, cette brise hous abandonna et nous vimes la mort nous 
. ravir encore un de nos compagnons; le nommé Goguét , un dé 
nos matelots les plus robustes et les plus courageux » Succomba 
après avoir longtemps lutté contre les atteintes du mal avec un 
courage et une résignation qui rendirent cet événement d'autant 
plus triste. Un canot de l’Astrolabe, qui vint à bord dans la j jour- 
née, nous apprit les nouvelles les plus affigéantes ; elle avait 
déjà perdu trois hommes. Le lendemain nous rencontrâmes un 
grand trois-mâts faisant la même route que nous, et qui nous 
dépassa. Nous eûmes encore deux jours de brises si faibles et 
variables du N.N.E. au N. O., qu’elles nous permirent à peine 
d'avancer de quelques milles. Quand le vent passait à l' ue il 


tournait presque aussitôt au S. O. et au S. E, 3 

Ces contrariétés contribuaient beaucoup à abattre le moral des … 
hommes atteints par l'épidémie ; car aucun d’eux n’ignorait com 4 
bien nous étions loin de tout port, et la prolongation forcée de 
leur séjour à bord entretenait, malgré toutes les précautions qu'où 4 
prenait, un germe de maladie qui tendait à se développer de plus 
en plus. Presque chaque jour nous avions de nouveaux ca 
Le 23 fut une de nos journées les plus funestes , car nous pe 
dîimes, à.quelques heures de distance, deux hommes, dont un 
nommé Delorme, était malade depuis 50 jours et supportait 


Sa 


RO 27 Adi Et D dr 


ART ie GO MR RD at les 


NOTES. 295 
souffrances avec le plus grand courage ; l’autre, nommé Fabry, 
un de nos meilleurs matelots , aussi intrépide que dévoué, fut 
enlevé par une maladie de foie à laquelle là dyssenterie, qui était 
devenue tout à fait épidémique, était venue se méler. 

Le 26, le nommé Reboul, magasinier du bord, atteint de fiè- 
vres depuis Batavia, succomba à la dyssenterie qui vint compli- 
quer les nombreuses rechutes qu'il avait eues. C'était à la fois 
un bon marin et un bon comptable. J'avais déjà été à même de 
lapprécier sur un autre bâtiment , et sa mort me fit beaucoup de 
peine ;‘il laissait dans le bésoin une nombreuse famille. 

Le 27, le vent tourna au N. E. et au N., le ciel se couvrit et 
nous fit espérer un changement de temps qui ranima un peu nos 
espérances. Nous avions tant besoin d’un vent favorable pour 
sauver le reste de nos malades! Un d’eux, notre bon camarade 
Pavin de Lafarge, enseigne de vaisseau , fut victime d’une rechute 
après cinq jours de grandes souffrances. Cette mort nous plongea 
tous dans faffliction ; nous étions depuis si longtemps ensemble 
etsi unis, qu'il semblait qu’elle nous enlevait un membre de la 
famille; ses derniers moments furent déchirants, car un délire 
affreux s’empara de lui. À peine eut-il quelques éclairs de retour 
à la raison pour faire quelques dispositions pour sa famille dont 
il était chéri et qu’il aimait tant. Ce délire manqua de faire con- : 
naître son état à l’autre officier qui était malade à côté de lui, et 
nous eûmes bien de la peine à lui cacher une mort qui pouvait 
dans ce moment lui porter le dernier coup. Le lendemain nous 
rendîimes les derniers devoirs à notreinfortuné compagnon ; il n'y 
eut point d'honneurs militaires, à cause de notre fâcheuse position, 
car c'eût été jeter l'alarme parmi les autres malades, et avant de 
confier ses dépouilles à l’abime, la religion; à laquelle il eût rendu 
publiquement hommage avant sa mort, s’il eût eu l’usage de sa 
raison, futinvoquée pour les bénir. Nous dimes encore un dernier 
adieu à notre bon camarade, moment triste et pénible, surtout à 
bord, où l'ami qu'on perd est privé même de la consolation de 
laisser après lui une tombe où ses parents et ses amis peuvent 
venir de temps en temps lui donner ane larme. 


296 ei NOTES. REA 
Le 11, le vent fraîchit du N. FE. et passa ensuite au nord te | 
N. O. et de là au S. O. Cette brise nous poussa très-vite sur la 


terre. À 11 heures du matin, la côte de la Tasmanie, après. la= 
quelle nous soupirions depuis si longtemps, vint réjouir nos re- 
gards Nous la ralliâmes bien vite; car la brise duS.O. fraichit beau- … 
coup. À 7 heures du soir nous passèmes entre Mew Stoneet Pe- 
dra-Branca. Nous doublâmes dans la nuit le cap Sud, et le lende- 
main matin nous nous trouvions à l'entrée de Storm’s-Bay. Près 
du terme de cette déplorable traversée, nous fûmes frappés d'un 
nouveau malheur, en perdant encore un de nos plus intrépides A 
matelots;, le nommé Loupy, brave et excellent homme, qui mourut 
avec un courage, une résignation qui eussent sufh pour rendre 

sa mort sensible à tout le monde, si chacun n'avait apprécié 
depuis longtemps tout ce qu'on pouvait attendre d’un homme 
aussi dévoué. à | (M. Dubouzet.) 


Note 11, page 122. 

L'hôpital se trouvant trop resserré pour permettre d’y établir 
tous les lits dont nous avions besoin, nous louâmes une vaste. 
maison isolée , bien aérée, dans laquelle toutes les mesures né- 
cessaires furent aussitôt prises ; le lendemain nos hommes, ainsi 
que ceux de l’Astrolabe, purent y être transportés. A l'exception 
de quelques meubles que l’on se procura en ville, tous les autres 
objets et ustensiles furent fournis par l'administration coloniale, 


avec laquelle un compte courant fut établi pour les denrées et les 
remèdes. 

Aussitôt que ce service urgent fut réglé et que nous fûmes 
assurés que tout avait été prévu pour le bien-être de nos malades, M 
nous nous mimes en devoir d'aller faire notre visite aux diverses 
autorités de la colonie. : 

Douze années s'étaient à peine écoulées depuis que javais 
Hobart-Town pour la première fois, et j'eus lieu d'être ‘éto 
des changements et des améliorationsquis 'offraient à à mes rega 


M. "A don OS D ne ne bb dns GEL ER dé Le 


"2 4 


NOTES. 297 


la ville avait pris un accroissement extraordinaire, le nombre des 
maisons avait plus que triplé. De beaux magasins , de vastes édi- 
fices se montraient là où je n'avais apercu que des cases en bois; 
les rues, larges et bien alignées, garuies de trottoirs, étaient tra- 
versées de temps à autre par des calèches élégantes ; tout était 
animé et présentait un air de vie et de bien-être. Les environs 
avaient subi une métamorphose non moins grande, et je me trou- 


_vai désorienté en cherchant dans mes souvenirs les lieux qui 


avaient été autrefois le but de mes promenades. Là où existait 
une forêt vierge s'élevait aujourd'hui de jolies habitations, de vas- 
tes jardins, des terrains en culture et en plein rapport. Le tableau 
avait totalement changé, tout portait l'empreinte de l’industrie et 
de la persévérance, tout annoncait une riche colonie, dont les 
progrès, déjà immenses, tendaient à s’accroître chaque jour. 
J'avais lu dans un journal du Havre une note du capitaine 
Langlois , baleinier francais , annonçant qu'une partie de la ville 
était éclairée au gaz , et j'avais eu, je l'avoue, la honhomie d’y 
ajouter quelque foi. Je fus promptement désabusé, et je m’a- 
percus bientôt que notre compatriote avait puisé le fait dans son 
imagination , et avait usé un peu largement de la crédulité de ses 
lecteurs. Il est-permis de tout espérer du temps, et il peut se 
faire qu’un jour ce mode d'éclairage soit adopté, d'autant plus 
que l’on exploite en ce moment des mines de houille qui s’an- 
noncent devoir être riches et abondantes ; mais il n’en est encore 


rien aujourd’hui, et l'exécution d’un pareil projet est encore tout 


entier dans l'avenir. 
Les eaux de la montagne ont été, au moyen de canaux, ame- 
nées sur un point qui domine la ville, et remplissent constamment 


un large bassin fermé et entouré de grilles ; de là , elles se distri- 


buent dans diverses fontaines publiques qui suffisent aux besoins 
de la population ; l’une d’elles est entièrement consacrée au ser- 
vice des bâtiments, et se trouve assez près du bord de la mer pour 
que les chaloupes n'aient besoin que d’une simple manche pour 
remplir les futailles. L'eau est abondante et de bonne qualité. 


D’après le dernier recensement, au commencement de 1839, la 


298 | _ NOTES. 
population de la Tasmanie se composait de 45,846 india di G 
27,713 personnes libres, et 18,133 déportés pour méfaits. Ho 
: bart-Town, à elle seule, comprend 14,382 personnes; dont 10, 5839 
libres et 3553 convicts. Ce chiffre tend constamment à augmen= | 
ter, et chaque jour les navires amènent de nouvelles familles qui 
viennent se fixer dans une contrée où le sol promet à l'homme la- 
borieux la récompense de son industrie et de ses peines. : Di 


“ 


A l'époque où nous nous trouvions alors , la récolte du blé 
n’était pas encore faite, mais elle rantônealé devoir être pro- 
ductive. La colonie ayant dû, l’année précédente , envoyer une 
partie de ses produits à Sidney, qu’une sécheresse extraordinaire | 
avait tmse en pénurie, cette circonstance avait occasionné dans les . 
denrées une hausse inaccoutumée dont tous les habitants atten= 
daïent la fin avec impatience. Le pain , la viande, les poules’, les 
œufs, etc., s’y vendaient à un prix plus que double du prix or- 
dinaire, et l’approvisionnement des navires était devenu très-dif= 
ficile. Nous parvinmes néanmoins à compléter six mois de vivres 
pour chacune des deux corvettes, et nous nous procurâmes du 
biscuit de bonne qualité, en partie sur un bâtiment anglais, en 
partie chez M. Degraves , qui a établi des fours à une petite lieue_ 
de la ville, dans une charmante situation connue sous le nom de 
Cascade. 

Nous avions eu longtemps l'espoir de sauver M. Goupil, des- 
sinateur de lexpédition. Il s'était bien trouvé, dans le prin- 
cipe, de son séjour à terre, et paraissait repréndre ses forces, 
lorsque le 25 décembre il retomba dans un état de faiblesse qui à 
devint alarmant , et causa à ses nombreux amis les plus vives in= i 


quiétudes. Dés lors il prévit que sa fin approchait, et acquit 
cette conviction avec un courage et une résignation admirables; M 
il fit ses dispositions et dicta ses dernières volontés avec Ja 
plus grande netteté, et attendit la mort avec un calme par 
fait. 11 s’éteignit, à une heure près, avec l’année 1839. Pas= 
sionnhé pour la peinture, plein de talent, ayant un bel avenir, 
avait fait cette campagne pour amasser des matériaux ét pour, 
vailler à sa réputation. D'un caractère agréable et d'un esprit ( 


NOFES. 299 


- joué, toutes les personnes de l'expédition lui étaient attachées , et 
toutes sentirent vivement que sa mort leur enlevait non-seule- 
ment un ami, mais qu'elle était aussi une véritable perte pour 
expédition ; personne ne pouvant entièrement le remplacer, 
non-seulement pour les lieux qui restaient à visiter, mais pour 

. tirer tout le parti des nombreux dessins et des nombreuses es- 
quisses dont il avait enrichi son portefeuille. 


(M. Jacquinot.) 


- Note 12, page 122. 


1 Le nombre de nos malades s'élevait à douze ; on fut obligé d’en 

- porter huit sur des brancards, vu l’état de faiblesse auquel ils 
étaient réduits. Ce furent les nommés Coutelenq, maître char- 
— pentier; Michel, Brunet, Baudoin, Martin, Stahl, matelots ; Mo- 
reau, mousse, et notré pauvre camarade Goupil, dont l’état, 
— qui avait été longtemps désespéré, s'était un peu amélioré, et 
L pour léquel nous comptions priticipalément sur les bons effets 
. de laterre. Tous, aprèsavoir été si longtemps entassés dans un en- 


trepont, privés d’air et de lumière, se sentaient renaître à la vie 


—_ en se trouvant dans un appartement bien aéré, où ils pouvaient 


+ 


: 
5 


jouir de la vue du soleil. Le premier jour, malgré les soins et 


& 


toutes les complaisances des employés de l'hôpital anglais voisin, 
beaucoup de choses manquèrent; nous fûmes obligés de débar- 
quer divers objets de notre matériel, mais tout s’arrangea bien 
vite, et personne n’en souffrit. 

* Toutes les personnes de la ville et toutes les autorités parurent 
pretidre un vif intérêt à notre position. Un jéune médecin de 
_Vhôpital, M. Scott, dont je fis la connaissance, me rendit dès le 
premier jour, avec une parfaite obligeance, des services pour 


SAR" Se LU LÉ 


… notre ami Goupil, que je n’oublierai jamais; il se montra d’une 
“ amabilité et d’une complaisance comme_on en rencontre rare- 
ment chez des compatriotes , et qu’on pourrait à peine attendre 
d’un étranger. 


Un digne et respectable ecclésiastique de la ville, le docteur 


s 
1 
HG 
à 7 A 
ET: 

+ | 
; A 4 
Sr 
Docks +. r Mie 
A ee die a it TARSRES 


300 cl NOTES, pr BNC. 
Terry, ministre catholique de la Fasmanie, dont la chapelle était 
voisine de notre hôpital, vint visiter à plusieurs reprises nos ma- 
lades, et eut l'attention de recommander, le premier dimanche, 
les Âmes de nos défunts aux prières des fidèles, en les engageant 
aussi à en adresser à Dieu pour le rétablissement de nos infirmes. 
Il fit tout cela d'un mouvement spontané, et acquit dès ce jour des 
titres à notre reconnaissance. Nous nous adressâmes à à lui, quel. 
-ques jours après, pour faire célébrer un service pour tous les 
officiers et marins morts dans la traversée; ce service eut lieu 
seulement le 25 décembre, car nous voulûmes profiter de l’occa- 
sion pour faire placer dans le cimetière catholique une pierre 
avec une inscription à leur mémoire. 

Nous recûmes, le lendemain de notre arrivée, la visite des offi- 
ciers du 51° régiment, qui était alors en garnison à Hobart- 
Town ; ils vinrent nous voir à bord amicalement, sans étiquette, 
genre de visite auquel nous fûmes très-sensibles; nous recûmes peu 
après une invitation à leur mess pour le 16 décembre. Ils nous 
donnèrent un dîner des plus splendides ; à, fut déployé un luxe 
qu’on ne rencontre guère que dans les mess des officiers de l'ar- 
mée anglaise, bienfait de l'esprit d'association qui les régit, et 
dont l'adoption serait bien désirable tant pour le bien-être des 
officiers de notre armée que pour leur considération personnelle, 
qui se ressent toujours plus ou moins de la dignité de leur. 
manière de vivre, du luxe et de l'élégance qu'ils peuvent dé- 
ployer. Quelle que soit la différence qu'il y ait entre leur position, 
_et celle des officiers anglais, et dans le caractère national , il est 
certain qu'ils auraient beaucoup à gagner sous tous les rapports, 
en formant des mess comme eux , sauf les modifications indispen- 
sables à y apporter. Quelle différence ils trouveraient alors avec 
la vie misérable à laquelle ils sont condamnés dans les garnisons : 


Le 25 décembre étant le Box-day des Anglais, toute la po=" 
pulation fut en fête comme la veille, et la ville présenta um as= 


pect plus animé qu’à l’erdinaire. Nous eûmnes le spectacle de pro- 
cessions méthodistes de deux différentes confréries qui sortirentm 
de la ville et furent camper pendant quelque temps sur la place, 


gi ea ne af 6 ne à de po à lus à nt à diode da ait it pen 


A pod 


NOTES. 301 
extérieure, bannières déployées. L'une d'elles ne se composail 
que de femmes habillées de blanc, qui avaient en téte leurs ma- 
trones. Cette promenade, qui n'avait rien de bien religieux, fut 
un vrai spectacle pour toute la population, et elle donnait la me- 
sure des folles exagérations de ces sectes. 

J'avais profité, depuis mon arrivée, de diverses matinées pour 
aller faire des courses dans les environs de la ville, tant 
du côté du jardin du gouvernement que de celui de Cascade- 
House, site charmant qui. occupe une vallée étroite traversée par 
le lit d’une petite rivière, où un industriel habile, M. Degraves, 
a établi des moulins de toute espèce et de superbes brasseries , 
scieries, boulangeries. etc.J’avais aussi suivi le bord de lamer jus- 
que près de Sandy-Bay. Le jeune Scottm'avaitaccompagné dans 
plusieurs de ces promenades, et m'avait fait connaître tous les 
jolis sites d'Hobart-Town. Le 27 décembre, il mit le comble à 
son obligeance en voulant bien me servir de guide jusqu’au som- 
met du mont Wellington. Nous choisimes cette journée, afin de 


. nous y trouver avec M. Dumoulin, qui, chargé des observations 


de physique, devait s’y rendre avec des guides qui devaient nous 
porter les vivres nécessaires pour nous restaurer des fatigues du 
voyage. Nous partimes de sa maison, située dans Campbell-street, 
près de l'hôpital, à cinq heures du matin. Après avoir gravi les 
hauteurs qui bordent la ville, nous nous dirigeâmes du côté du 
flanc N. E. de la montagne, en traversant un pays très-accidenté, 
rempli de belles fermes et de défrichements , sur un assez joli 
chemin taillé dans une roche calcaire assez friable, qui suivait 
les bords d'une vallée sinueuse très-retirée. Nous franchimes 
cet espace presque sans nous en apercevoir, en cherchant des 
plantes et en examinant les roches sur notre route. Comme tout 
était alors en fleur, je fis une richemoisson des premières, et re- 
marquai une grande quantité de fossiles qui me parurent se 
composer principalement d'empreintes végétales très-grandes. 
Après avoir marché ainsi pendant une heure et demie environ, 
sans nous fatiguer, nous commencâmes à gravir la premiére pente, 
qui fut d’abord assez faible , mais qui s’inclina progressivement 


302 LR NOTES. 


. jusqu'à rendre très-pénible là marche, avec le soleil atdbets pui 
rayonnait déjà depuis plusieurs heures sur les flancs de la mon-. h 


tagne. Nous ne tardâmes pas à ne plus trouver de chemin tracé FA 4 
la marche devint alors difficile, à cause des broussailles à tra- "4 
vers lesquelles il fallait passer, et des troncs d'arbres abattus que 
nous rencontrions à chaque pas. La forêt, plus épaisse danscette 
partie qu'on ne la trouve ordinairement dans la Tasmanie, se 
composait de grands eucalyptus et d’une espèce de pin très-gros, 4 j 
qui se trouvait surtout près du fond des ravins où le sol était plus 
frais et plus riche; on remarquait une grande quantité de fou- n. 
gères, dont oies étaient arborescentes comme cellés de * 
certains pays tropicaux. À mesure qu’ On $ ‘élevait, cette végéta- Re 
tion devenait de moins en moins vigoureuse, mais n'offrait pas 

de différences sensibles dans les espèces jusqu’à notre arrivée au 

pied du piton qui couronne les étages successifs de la char= 
pente de cette montagne. J'étais déjà très-fatigué en y arrivant, « 
et avant d'entreprendre cette dernière tâche, je fus obligé de re- b 
prendre haleine pour gravir.ce dernier piton. Il fallut escalader M 
successivement, en s’aidant des pieds et des mains, d'énormes 


blocs de granit entassés les uns sur les autres, pendant l’espace. 
de près de trois quarts d'heure. Là, seulement, on commençait 1 
à apercevoir une végétation propre à celte zone , et je remarquai, % 
pour la première fois, au milieu de ces blocs, des serpents noirs 
qui passent pour très-venimeux, sur lesquels je craignais à cha= M 
que instant de mettre les mains; un peu avant d'arriver ax 
sommet,.la pente devint tellement escarpée qu'il fallut user des … 
plus grandes précautions pour éviter de poser le pied sur des M 
fragments détachés qui glissaient quelquefois derrière nous avec 1 


fracas, et auraient exposé aux plus grands dangers. Nous réus= 
simes cependant à atteindre, à neuf heures et demie seulement,’ 
sans accident, le sommet de cette montagne fameuse. Il est formé. 
d’un vaste plateau presque entièrement uni, d’un demi-mille en: ; 
viron de diamètre, entièrement dépouillé d'arbres et d'arbust 
de toute espèce, car ceux-ci n'y paraissent que sous la for 
rabougrie d'embryons peu reconnaissables, de quelques p 


PR 


4 r PS 


NOTES. 303 
et sont presque confondus avec le tapis de verdure qui couvre le 
surface de ce plateau. Les Anglais ont construit une petite ba- 
raqueen pierre sèche pour servir d'abri à ceux que la pluie force 
à chercher un refuge qu'ils ne trouveraïent nulle part ailleurs, 
Près de là est planté un mât de pavillon d’où, par un temps clair, 
on peut faire des signaux à la ville; mais un temps pareil est très- 
rare, car cette position est la plupart du temps voilée de nuages. 
Nous fûmes, en arrivant, heureusement gratifiés de cette faveur, 
et püûmes à notre aise jouir du beau point de vue qu’on a de ce 
plateau. Comme le mont Wellington domine toutes les autres 
montagnes de l'île qui se trouvent dans son rayon, on a de là la 
vue la plus étendue qu’on puisse désirer ; d’un côté, on voit l'O- 
céan et lés hautes falaises de l’entrée de Stormy-Bay, et l'embou- 
chure majestueuse du Berwent, avec les nombreux caps, pres- 
qu'iles et îlots de ses bords, qui sont le plus heureusement 
accidentés; on suit, à partir de la ville, le cours de cette magni- 


. fique rivière jusqu’à une distance de plus de dix lieues à travers 


le sol éminemment riche et pittoresque de la vallée large qui 
forme son bassin. Là s'élèvent de distance en distance, depuis 
Newtown jusqu'à Norfolk, de petits hameaux destinés à former 
avant peu le noyau de villages et de villes; au delà, les cultures 
sont plus disséminées , et on voit encore une partie du pays sur 
la rive gauche, qui a conservé l'aspect sauvage d’avant la con- 
quête, mais qui bientôt aura changé de forme, En tournant ses 
yeux vers l’ouest, on aperçoit les rives du canal d'Entrecasteaux, 
et l'entrée d’un autre bras de mer auquel Entrecasteaux donna le 
nom de rivière Huor-, où se sont déjà fixés plusieurs colons, quoi- 
que le pays soit plus ingrat et plus montagneux ; cet endroit ser- 
vira de point de départ pour le défrichement de la partie ouest de 
l'ile, celle qui a été jusqu’à ce jour la moins explorée. Nous 
avions à nos pieds Hobart-Town, avec ses rues larges et si régu- 


lières, ses jardins, ses édifices, la forêt de mâts qui remplissait 


son port, et toutes les jolies métairies situées dans son voisinage, 
qui donpaient à cette partie un aspect riant et animé. La brume 


- ne nous laissa pas longtemps jouir de ce panorama ravissant ; 


SE Le _ NOTES. Rs 
nous employâmes alors notre temps à parcourir le plateau, 6. 
recueillir quelques fleurs et à y chercher de l'eau pour nous 
désaltérer. J’en sentais, pour mon compte, vivement le besoin, 
et fus heureux de trouver dans la partie nord du plateau un petit” 
marais dont l’eau, renouvelée souvent par les pluies, était excel- 
lente. Nous attendimes alors plus patiemment M. Dumoulin et 
sa caravane qui devait nous apporter notre déjeuner; mais notre 
attente fut vaine : ces messieurs s'étaient égarés en route, etn'at- 
teignirent avec tous leurs instruments le sommet de la montagne 
qu'à cinq heures du soir. Nous y restämes jusqu’à deux heures 
de l'après-midi, espérant toujours Les voir arriver, et fûmes enfin 
obligés de nous contenter d'un peu de biscuit que’ j'avais eu la 
précaution de porter avec moi, déjeuner par trop frugal, bien 
différent de celui que j'avais promis à mon compagnon. De- 
puis que le ciel s’était couvert, le vent était devenu pénétrant ; 
nous nous empressâmes donc de nous mettre en marche pour 
descendre la FAURE ce qui exigea dans le principe encore … 
plus de précautions qu’en montant, car on courait risque d’être 
écrasé par les blocs de pierre qui se détachaïent sur notre pas- 
sage. À mesure que nous descendimes , la tempér ature devint 4 
douce, le brouillard se dissipa, et nous n'avions pas encore at- 
teint la limite de la forêt que déjà nous avions rétrouvé le beau 
ciel du matin. A cinq heures seulement nous étions de retour à 
la ville, très-fatigués l’un et l’autre, et surtout très-affamés. 
Pour mon compte, j'étais néanmoins très-content d’avoir fait M 
cette ascension. Les Anglais en font fréquemment le but de leurs : 
parties, et on m'en avait souvent parlé dans les salons. Je re-. ;) 
cueillis dans cette course un assez grand nombre de plantes, et ï 


j'acquis surtout du pays l'idée la plus complète que je pouvais « 
me procurer, sans voyager dans l’intérieur, ce qui était fort coû- 4 
teux et ce qui exigeait un temps que je ne-pouvais pas Y CONSA- 
crer. Le mont Wellington, qui est considéré ici comme le point | | 
culminant de Van-Diémen-Land , est à un peu moins de 400 
pieds de hauteur. J’ évaluai à trois lieues le chemin qu’on 4) 
obligé de parcourir pour se rendre au sommet, 


1. du. is 


NOTES. 305 

Déjà nos préparatifs de départ étaient faits ; des arrangements 
avaient été pris pour les malades que nous laissions à l'hôpital, 
sous la direction de M. Hombron, chirurgien-major de l’Astro- 
labe. La journée du 31 décembre fut employée à régler tous les 
comptes etàembarquerlerestedes provisions fraîches. Trois de nos 
hommes, qui furent jugés moins malades que les autres, rallièrent 
le bord; on s'était décidé à laisser M. Goupil, qui se trouvait dans 
un état désespéré, ainsi que les nommés Coutelenq;Michel, Bru- 
net , Baudoin , Martini, Stahl, matelots, encore très-gravement 
malades ; et les nommés Robert, capitaine d'armes, et Sureau, 
quartier-maître de timonnerie, chez lesquels la maladie avait pris 
un caractère chronique inquiétant. Nous avions réussi avec bien 
de la peine à recruter en tout douze hommes, dont six Anglais, ce 
qui nous faisait un effectif de soixante-six hommes. 

Le 1° janvier, dès la pointe du jour, le pilote vint à bord, et 
nous mîmes à la voile ; mais le vent s'étant élevé très-frais du sud, 
nous jetâmes l’ancre de nouveau à trois milles dans le S. E. de la 
ville par 30 brasses: Un peu avant d’appareiller, nous appri- 
mes avec un vif sentiment de peine que la mort venait de 
mettre un terme à la longue et pénible agonie de notre infortuné 
camarade et ami, M. Goupil, peintre de l'expédition, et ce fut 
pour nous un vif chagrin d'être privés, par notre départ , de lui 
rendre les derniers honneurs. Quoique ce malheur fût prévu de. 


puis plusieurs jours, nous en fûmes tous très-impressionnés, car 


il n’était personne qui n’appréciât les heureuses qualités de cœur 
qu’il possédait, et ne vit avec beaucoup de peine un jeune talent, . 
qui promettait autant que le sien , s’éteindre à la fleur de l’âge, 


après une longue et pénible campagne , à laquelle la passion des 


arts et des voyages lui avait fait tout sacrifier ; jamais son noble ca- 
ractère ne s'était mieux dessiné que dans sa longue et cruelle ago- 
nie, que nous lui vimes supporter avec tant de courage et de rési- | 
gnation, et pendant laquelle il dicta, avec le plus grand calme, 
ses dernières volontés, donna des souvenirs à chacun de nous, 
pensa jusqu’au dernier moment à sa famille, et témoigna la plus 


vive reconnaissance à {ous ceux qui lui donnaient des soins , et 


VIII. 20 


306 NOTES. Me 
qui lui portaient de l'intérêt ; il nous fit admirer à tous la manière 
dont il savait mourir et renoncer à l'existence brillante qu'il avait. 
eue pendant si longtemps devant lui. Il recut, jusqu’au dernier 
moment, les soins les plus assidus de M. Jacquinot, qui le soigna, 
pendant plus de deux moïs que dura sa maladie, avec un dévoue- 
ment digne des plus grands éloges, et qui, malade lui-même, ne 

voulut jamais confier à un autre la tâche de le veiller jusqu'à ses 
derniers moments ; il eût réussi à arrêter les progrès de cette af- 
freuse maladie , si dès le principe elle n'avait frappé de mort $es 
organes. Au docteur Jacquinot fut réservé, dans cette circons- 
tance , le chagrin le plus vif pour un médecin, celui devoir tous 
les secours de son art impuissants pour sauver l'ami auquel il 
était le plus attaché... 

Nous emportions avec nous assez de moutons et de cochons 
pour donner vingt jours de viande fraîche à l'équipage, du jus de 
limon anti-scorbutique, très-vanté des Anglais, et des pommes de 
terre. Avec toutes ces précautions, nous avions lieu d’espé- 
rer que le scorbut ne viendrait plus , comme dans le premier : 
voyage , envahir nos bâtiments. (M. Dubousct.) 


Note 13, page 122. 


Divers marchés ont été passés pour la fourniture des vivres et 
objets d’approvisionnemient nécessaires aux deux corvettes, Le 
port d'Hobart-Town est loin d'offrir aujourd'hui les facilités du 
ravitaillement que les navires s’attendaient à trouver dans uge 
colonie qu’on a dit si florissante. Par suite de la disette qui a af- c 
fligé l’an passé la colonie de la Nouvelle-Galles, des quantités 
considérables de grains et de bestiaux ont été exportées de Van- 
Diémen pour ce pays. Mais en venant ainsi au secours de sa sœur 
dans le besoin, la colonie de Van-Diémen, quise croyait le grenier | Ë 
de la Nouvelle-Galles, avait fait plus qu “elle ne pouvait faire, et 4 
s'était elle-même épuisée. La réaction n’a pas tardé à se faire ser 
ür sur le marché d'Hobart-Town, où les prix déjà si élevés, « 


TT . 


MF Jtols sé, os ns dt d ui à 
Fr y 4 
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hi hé ri ns NN à Dé RS de de " 


“ 


NOTES. . 307 
presque doublé par le seul fait des fournitures qui doivent nous 
être faites. On attend, dit-on, des navires de Sidney ou du Cap, 
et mieux que tout cela, la nouvelle récolte qui ne peut manquer 
d'améliorer un état de choses qui n’est pas loin d’une disette. 


ÉTAT des vivres fournis à la corvette l’Astrolabe. 


DÉSIGNATION | à | prix 
ol 
DES È DE OBSERVATIONS. 
à ea 
_ DENRÉES. 2 


L'UNITÉ. 


| L, sh. pence. 
2520 kil.» | 


1 £| Suivant le cours du || 
4500 — |» 1 O0 {!| change, le shelling vaut |} 
esse 868 lit.|» » 9 L A fr. 20 c. 
Pain frais NS CORRE 9525kil. |» 474 de 
Viande fraîche (mouton).| 376 — |» 1 4 2 
à nombre |3 » » 
Cochons vivants........ 4 : 
PMR Sarre, Lis DRE 146 kil.|» 2 2 1 
RAR... AU} » 7 + 
 Lard salé ........ r....[1850 — |» 1 T À 
Bœuf salé....,.. LE 405 — |» 1 4 
ROME. 20... .:. 42 — D 6 
Légumes secs.......... 2034 — |» » 7 _ 
LIT ET TERME 92 — |» 3 3 sr ; 
Pommes de terre......,| 400 — » 4352 fr. 90 c. les 400 kil. 
Charbon de terre....... 2000 — » 33 fr. 60 c. les 2000 kil. 
: nombre Dex 
Moutons vivants..,....: 8 336 fr. » les 8 moutons. 
Montant total de la fourniture des vivres..... 20,261 fr. 30 c. 


Pour que le peuple puisse trouver sa subsistance avec des prix 
si élevés, il faut que les salaires suivent la même progression crois- 
sante. Aussi les gages d’un simple manœuvre sont-ils de un dollar 
et même plus, ct la journée de l’ouvrier s’élève-t-elle à deux et 


308 NOTES. 


jusqu’à trois dollars. Le crédit et les banques péuvent seuls sou = 
tenir un tel état de choses et lui donner même un vernis de pros- 


périté. | 
L’excellent accueil que nous avons recu à Hobart-Town nous 
en a rendu le séjour fort agréable ; mais l'étranger qui voudrait se 
fixer dans cette ville, ne pourrait y trouver les mêmes agréments 
s’il ne jouissait d'une très-grande fortune, et s’il ne parvenait à 
_s’isoler un peu de cette tourbe d’aventuriers, brocanteurs et flous, 
qui forme plus des trois quarts de la population de la colonie. 
Grâce aux fréquentes relations de Hobart-Town avec la métro- 
pole, l'Inde et la Nouvelle-Galles, cette ville est assez animée, et 
offre des ressources en tout genre ; dans ses rues, que sillonnent 
d’élégants équipages, se trouvent quelques vastes magasins qui 
offrent aux chalands le pompeux étalage des produits des deux 
mondes. Comme à Londres, comme à Paris, les regards sont plus 
d’une fois éblouis par ces tissus de couleurs variées, .ces cristaux 
aux mille facettes , cette argenterie aux formes bizarres, ces por- 


celaines, ces glaces et ces meubles destinés à parer la femme, à 


orner la table ou le salon du riche. On ne peut faire un pas sans 
rencontrer des tavernes, où d’affreuses boissons, sous les noms 


augustes de Champagne, Bordeaux, Madère et Cognac, offrent. 


des séductions d'un autregenre ; ces établissements, qui se mul- 
üplient d’une manière effrayante, sont d'autant plus funestes à la 
population, qu'ils sont accessibles au pauvre comme au riche, au 
misérable convict comme au négociant opulent. Aussi, malgré 
les sociétés de tempérance, l'ivrognerie et toutes les misères qui 


l'accompagnent font-elles chaque jour de nouveaux progrès, 


ce qui doit tendre à dégrader la population, au lieu de la ré- 
former. 


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(M. Roquemaurel. ) FT 


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.. NOTES. 309 


Note 14, page 122. 


La Tasmanie est divisée en deux provinces : celle du sud, dont 


_ Hobart-Town est la capitale en même temps que le siége du gou- 


vernement général , et celle du nord ayant pour capitale la ville 
de Launcestown, situéesur les bords dela Tamar, à quarante milles 
environ de l'embouchure de cette belle rivière. La troisième ville 
de la colonie est celle de New-Norfolk, située sur le Derwent, à 
vingt-deux milles au-dessus d'Hobart-Town. 

Le chiffre de population de la Tasmanieest de 45,846 habitants ; 

il se divise en 27,713 habitants libres, et 18,133 convicts, sos 
16,069 du sexe masculin et 2,064 femmes. Sur les 18,133 con- 
damnés, 3,343 sont dans les maisons de correction ou employés 
aux travaux forcés (hard labour), et 1,453 sont dans la presqu'île 
de Tasman. La population d'Hobart-Town était, au 1° jan- 
vier 1839, de 14,382 âmes, dont 2723 convicts mâles et 830 fem- 
mes déportées. Celle de Launcestown était de 6,136 âmes, dont 
1,909 convicts mâles et 27/4 femmes ; et celle de New-Nolfolk de 
2,060 individus, dont 841 convicts mâles et 116 femmes. 

Richmond, quatrième ville de la colonie pour l'importance, 
quoique plus peuplée que celle de New-Nolfolk, compte 3,9/4q 
habitants , dont 1,208 convicts, 1,128 mâles et 80 femmes. 

La Tasmanie proprement dite ne renferme plus un seul de ses 
habitants primitifs, les Anglais les ont fait disparaître en les 
traquant comme des bêtes fauves, dans le principe de l’occupa- 
tion, et en leur faisant une guerre à mort. Une seule tribu avait 
survécu à la destruction de cette race; poursuivie dans les 
montagnes, chassée de retraite en retraite , elle a été acculée à la 


mer au nord de l’île. Le gouvernement Va forcée alors à quitter 


sa terre natale et l’a transportée sur l’île Flinders, dans le détroit 
de Bass ; 42 aborigènes du sexe masculin et {o du sexe féminin 
sont tout ce qui reste aujourd'hui de la population primitive 
de cette grande île, et avant longtemps ce reste malheureux 


| 4 


“0, NOTES. 0 r FER | 
et transplanté aura entièrement disparu. Le nombre en diminue s 
chaque jour ; dans un demi-siècle à peine on cherchera en vain. 

les traces des aborigènes de la Tasmanie. Nous n'avons pu 
en voir qu’un seul pendant notre séjour à Hobart-Town; c'est 
un enfant de 9 à 10 ans que le gouvernement élève pour l’emme- 

ner sans doute en Angleterre comme une bête curieuse. Cet 
enfant, aussi noir que les Australiens que nous avons vus au cs 
nord de la Nouvelle-Hollande, m'a paru moins laid et moins. 
stupide que ceux-là; déjà la teinte d’ éducation qu'il a recue a 
changé sa nature. a 


La Tasmanie compte seulement deux églises catholiques , au 
milieu de trente temples appartenant aux diverses sectes protes- 
tantes. Les catholiques libres sont au nombre de 2288, dépendant 
des curés d'Hobart-Town et de Launcestown , qui sontobligés 
de se transporter dans toutes les villes et villages sous leur direc- 
tion pour exercer leur ministère ; aussi leurs devoirs sont-ils 
très-difficiles à remplir... 

Les évasions des convicts sont fort rares du côté de la terre, 
mais on à quelques exemples d'évasion par mer d’une audace lex- 
traordinaire ; voici celles qu'on m’a racontées. Six convicts bien 
déterminés s’emparèrent d’une embarcation appartenant au com- 
mandant du Port-Arthur, légère baleinière plus faite pour navi- 
guer sur un étang que pour se hasarder en pleine mer sous ces 
latitudes orageuses; échappant à toute poursuite, ils réus- 
sirent à gagner la Nouvelle-Hollande, où ils se donnèrent d’abord 
comme de malheureux naufragés, mais la police fut bientôt sur 
leurs traces ; ils furent repris et ramenés à Hobart-Town. 

. Dix autres condamnés, transportés par un brick du Port- 
Davis au Port-Arthur, se révoltèrent dans la traversée, mirent à 
terre le capitaine et les mateloits du brick, ainsi que les soldats 
chargés de leur escorte, et firent route pour la côte du Chili où. 
ils échouèrent le navire dont la cargaison en eau-de-vie avait 
déjà fort diminué; arrivés à Valparaiso comme naufragés , ils 
recurent tous les secours dontilsavaient besoin; mais ils furentre- 
pris plus tard, conduits à Sidney etpendus pour servir d'exemple. 


NOTES. gi 


Quelques convicts eurent assez d’audace pour enlever dans le 
golfe même d'Hobart-Town et en plein jour, une petite goëlette 
de seize tonneaux, sur laquelle ils firent route pour les côtes de la 
Chine, où ils arrivèrent fort heureusement. L'un d’eux retourna 
en Angleterre ; il y fut de nouveau repris de justice pour cause de 
vol et vint de rechef au Port-Arthur, où il avoua sa participation 

à l’enlèvement de la goëlette en question. Ces évasions, quoique 
rares, ont fait redoubler de vigilance , mais je doute qAe l'auto- 
rité parvienne à les arrêter complétement... 

Peu à peu nous réussimes , grâce à la bonne: réputation de 
notre navire, car les bâtiments de guerre surtout ont une bonne 
ou une mauvaise réputation parmi les matelots, selon que leurs 
équipages sont bien où mal traités; peu à peu, dis-je, nous 
vimes rallier à nous une dizaine de matelots tant français qu’an- 


_glais. Dès lors, notre départ ne fut plus mis en doute et je me vis 


au comble de mes vœux; j'allais faire une seconde campagne au 
sud, que je désirais depuis si longtemps, et cela sans quitter mon 
navire, ce qui complétait mes souhaits. Notre destination n’était 
plus un mystère ; tout le monde savait que nous retournions dans 
les mers polaires , et je dois dire que personne dans les deux 
équipages ne témoigna le plus léger mécontentèment. Le souve- 


_nir des fatigues et des peines de la première exploration , joint 


aux pertes que nous venions de faire si récemment, aurait pu 
justement décourager nos matelots si horriblement maltraités 
depuis notre départ de France, mais il n’en fut rien, et ce qui 
est remarquable, c’est que pas un ne laissa échapper un mur- 
mure dans cette circonstance ; on aurait dit que chacun d’eux 
sentait qu'après avoir échoué une première fois, il importait à 
notre honneur de faire une nouvelle tentative. 


15e (A. Montravel.) 
Note 15, page 154. 


Le 1 4 janvier, un peu après midi, le ciel se chargea de nouveau, 
les rafales recommencèrent accompagnées de grains de neige et . 


312 | NOTES. 

de grêle ; tout autour de nous nous.apercevions des vols considé- 
rables de pétrels qui paraissaient poURe quelques bancs de 
poissons. 


A huit heures trente minutes du soir, nous perdimes le nommé 
Pousson , matelot de première classe. Cet homme , qui n'avait 
commencé à ressentir quelques coliques que peu de jours avant 
notre départ d'Hobart-Town, n'était pas à cette époque dans 
“un état à être laissé à l'hôpitai , et ne donnait pas d'inquiétude. 
La dyssenterie avait fait chez lui des progrès rapides depuis que 
nous avions repris la mer, et elle avait déjoué tous les secours de 
la médecine... 

Dans la soirée du 19, nous nous trouvions entre deux longues 
lignes parallèles de gros glacons, peu éloignés les uns des autres, 
et paraissant se diriger du nord au sud ; nous gouvernions au 
plus près tribord amures , pour doubler ceux qui se trouvaient 
sous le vent, lorsque le calme survint et fut peu après suivi de 
brises légères et variables, qui, tout en nous forçant à manœuvrer 
constamment, ne nous permirent de faire que fort peu de che- 
min. Vers les sept heures du soir, nous apercûmes devant nous, 
à une grande distance et s'étendant du S. au S. O., une ligne 
noire élevée au-dessus de l'horizon, que nous primes d’abord 
pour une panne de brume, et à laquelle nous fimes peu d’atten- 
tion ; mais bientôt, ne la voyant nullement changer de forme ni de 
position, quelques personnes commencèrent à penser que ce 
pouvait bien être la terre, et nous fimes tous des vœux pour que 
cette idée se réalisät. Les apparences étaient réellement en faveur 
des croyants, et néanmoins je n’osai encore m’y abandonner, 
connaissant toutes les déceptions qu’avaient eprouvées plusieurs 
navigateurs , qui, après êlre restés longtemps sous l'impression 
de la réalité, avaient fini, en approchant, par voir leurs décou- 
vertes s'envoler et s’évanouir. Je me couchai dans le doute et 


tourmenté par le désir de faire du chemin, de manière à ré= | 
soudre un problème qui nous offrait un si puissant intérêt. % .. 
A deux heures du matin, je montai de nouveau sur le pont; 
le soleil était sur le point de se lever, le temps était magni- 


NS ut 


NOTES, . 343 
fique et l'horizon bien dégagé. Je portai immédiatement mes ve- 
gards sur le point où l’on avait cru voir la terre, et je trouvai les 
apparences plus fortes que jamais. Bientôt, à l’aide d’une longue- 
vue, je distinguai, au milieu des couches de neige, des bandes 
plus foncées qui me laissèrent si peu de doute , qu’ayant été hèlé 
quelques heures après par le commandant d’Urville qui dési- 
rait Savoir ce que nous en pensions, je n’hésitai pas à lui répon- 
dre que nous avions évidemment la terre en vue, et que c'était 
lopinion générale à bord de la Zélée. Malheureusement le calme 
persistait et les corvettes gouvernaient à peine ; chacun soupi- 


yait après un vent qui pût nous permettre d'approcher et d’éclai- 


rer quelques consciences qui restaient encore incertaines..…… 


Le 21, à six heures trente minutes, la fraîcheur étant très- 
faible, le commandant d'Urville profita de cette circonstance 
pour envoyer MM. Dumoulin et Coupvent sur une grosse glace, 
afin d'y faire des observations magnétiques; peu après leur dé- 
part, ayant apercu près de la côte quelques îlots qui présen- 
taient leurs flancs à nu, il expédia un canot de chacune des cor- 
vettes avec un officier et un naturaliste, qui recurent l’ordre de 
les explorer. Favorisées par le temps, ces embarcations attei- 
gnirent sans difficulté l’une de ces petites îles, et nos messieurs 
purent se convaincre qu'elle faisait partie d’un petit archipel 
composé d’une quinzaine d’ilots ; peu espacés entre eux et éloi- . 
gné de trois à quatre milles de la grande terre. Ils étaient de re- 


A 


tour à bord à onze heures, rapportant plusieurs échantillons 


de pierre et quelques pingouins. Leurs recherches ne leur 
avaient offert rien de plus : pas une coquille, pas le moindre signe 
de végétation. M. Dubouzet, lieutenant de vaisseau, second de la 
Zélée, avait planté le pavillon national sur cette terre mysté- 
rieuse. | 

Nous hissâämes immédiatement les canots, et profitant d’une 
brise d’est qui venait de s’élever, nous continuâmes à nous avan- 


cer au S. O. et à l'O. S. O., ayant constamment la terre en vue, 


et ne rencontrant que peu de glacons. 
(M. Jacquinot.) 


34. nn à 


Note 16, page 154. 


Le 15 janvier, le vent tomba un peu et le ciel devint moins 
sombre. La nuit fut à peine sensible ; à quatre heures du matin, 
nous apercûmes à l'horizon notre première île de glace ; elle fut 4 
loin de produire sur nous le même effet que celles du premier È 
voyage ; néanmoins chacun la considéra avec intérêt, nous en - 1 
passâmes à environ deux milles, on lui trouva 350 mètres envi- 
ron de longueur et 20 mètres d” élévation: Cette glace se trouvait 
sur le parallèle de 60° 15 latitude sud, et nous avions dé- 
passé la route de Cook, qui, en mars 1773, fut obligé, 4 
causé de l'état avancé de la saison, de faire route au nord avant 
d'essayer de passer cette latitude. La mer où nous nous trou- 1 
vions n'avait donc été encore sillonnée par aucun navigateur. 
Les circonstances nous paraïssaient favorables pour aller au sud 1 
Dans la matinée du 19, nous vimes une douzaine d'îles dela 
plus grande dimension, disséminées autour de l’horizon : leur 
forme était généralement plate et leur hauteur variait de 30 à 35 
mètres. Nous apercûmes plusieurs baleines qui soufilaient au. 
milieu de ces îles ; nous vimes beaucoup d’albatros fuligineux à 
et de pétrels antarctiques, et nous entendimes, pour la première 
fois, le cri des pingouins. La vue de ces îles, dont les faces per- à 
pendiculaires, éclairées par les rayons du soleil, rendaient des 
reflets de couleurs on ne peut plus brillantes, donnait à là navi- M 
gation des points de repère pour reposer la vue, et nous . 
nous plaisions à les regarder, oubliant combien , par un temps 
sombre, brumeux ou neigeux , leur agglomération nous donne- 


rait d'inquiétude. Le vent diminuait à mesure que nous avan- 
cions dans le sud, mais le froid devenait beaucoup plus vif; lamer. 
prit dès lors une température constamment au-dessous de zéro, … : 
qu’elle conserva longtemps, et la température de l'air oscilla en= 4 
tre 1,0 et 3,5. Le 19, à midi, nous étions par 65°, 40” de Jati- Ë 
tude sud et 139° 4” de longitude est. Nous contiuuâmes à courir à 


N 


NOTES. 315 


au sud avec la plus grande sécurité, grâce à la pureté du ciel et à 
l'absence complète de nuit, et nous nous flattâmes, malgré l'aug- 
mentation des îles de glace, de ne pas rencontrer les banquises 
avant le cercle polaire. 

Le soir, nous gouvernâmes entre deux chaînes de grandes iles 
de glace qui se rapprochaient de plus en plus à mesure que nous 
avancions, à tel point qu’à huit heures du soïr on en comptait 
quarante à l'horizon. On crut alors voir la terre dans le sud, 
cette partie de l'horizon offrait des blancheurs qui rappelaient 
celles des banquises ou des terres neigeuses, chacun recon- 
naissait ces indices, mais peu de personnes osaient se flatter que 
ce fût la terre. On ne perdit pas de vue cette partie de l'horizon. 
 Ges apparences se dessinèrent de plus en plus, et à notre grande 
joie, à deux heures du matin, aa moment où le soleil, qui n’avait 
fait que quitter très-peu de temps l'horizon, vint à se lever, son 
disque éblouissant éclaira pour nous une grande terre qui s’éten- 
dait depuis l'E. S. E. jusqu’au S. O.; à quatre heures du matin 
il n’était plus possible de contester son existence. 


Nous nous en approchâmes seulement de quelques milles dans 
la matinée. Malheureusement le vent nous abandonna. De folles 
brises du S. E. et du S. O. nous forcèrent de courir des bor- 
dées au milieu des îles de glace qui cachaient presque en entier 
Ja côte et ne laissaient apercevoir que les hauteurs qui se déta- 
chaient fort peu du ciel, mais assez cependant pour qu’on pût 
reconnaître à leur élévation que ce n’était ni une banquise, ni, 
des îles de glace ; à huit heures, nous passâmes très-près de 
V Astrolabe ; le commandant d’Urville nous héla au porte-voix 
pour savoir ce qu’on pensait à bord de ce qui était en vue; nous 
lui répondimes que l'opinion était unanime que c’était la terre. 
À son bord, beaucoup de personnes en doutaïent encore. Pour 
nous, nous nous regardâmes comme si certains que c’étaitelleetque 
nous dépassions le cercle polaire, que nous fétâmes le jour même 
la découverte et le passage de ce cercle fameux qui, pour la rareté 
du fait, mérite une cérémonie autant que l'équateur. La joie la 
plus vive régna toute la journée à bord ; nous portâmes des toasts 


316 NOTES. nn. 4 


à nos familles et à nos amis, qui ne se doutaient guère alors que 


( 


nous étions à pareille fête ; car chacun de nous ie avait laissé 
pr udemment i ignorer quer nous retournions dans la mer Glaciale. 
(M. Dubouset.) 4 


Note 17, page 154. 


Le temps est magnifique, les corvettes sont entourées d’une 
grande quantité de glaces, toutes très-élevées. La brise est à l'est, 
joli frais, et nous en profitons pour nous rapprocher de la terre 
que nous dévorons des yeux; mais pour y arriver, nous sommes à 
obligés de donner tête baissée à travers un véritable labyrinthe 
d'îles de glaces, qui heureusement offre des passes praticables. 
Tantôt c’est une rue longue et étroite, bordée d’édifices majes- 
tueux,aux dômes étincelants ; tantôt ce sontdes palais aux arcades. 
bien découpées, où se reflètent les plus brillantes couleurs du 
prisme. Ici une vaste baie, plus loïn un cap sourcilleux. Nos navires 
glissent silencieusement, effleurant partois, du bout de leur ver- 
gues , Ces imposantes masses qui souvent dominent leur mâture. 
Sauf le cri rauque et discordant des pingouins, rien ne vient trou- 
bler le silence de ces majestueuses solitudes. 

. La redoutable barrière est franchie, la mer est plus dégagée 
et nous pouvons gouverner droit sur la terre ; devant nous se dé- 
veloppe une masse blanche de 12 à 1500 pieds de hauteur , elle . 
s'étend à perte de vue; de loin en loin apparaissent des ondula- 
tions qui semblent annoncer des vallées, des collines ; le rivage 
n'offre qu'un amas confus de glacons formant tantôt des caps, des 


pointes avancées , tantôt des baïes aux falaises déchirées , boule- 
versées sans doute par quelque convulsion de la nature quien a 
violemment séparé les masses flottantes que nous avons rencon- 


trées au large. 

Nous prolongeons à petite distance cette côte de nouvelle es- 
pèce; de toutes parts nos lunettes fouillent , interrogent les 1 re- 
coins les plus reculés : partout la désolante blancheur monotone « 


… 


NOTES. 317 
de la neige, pas le plus petit morceau de roche ; souvent le cri de 
terre retentit du haut de la mâture, chaque fois ce sont des émo- 
tions nouvelles, mais chaque fois aussi nous pouvons nous con- 
vaincre que ce ne sont que des ombres, des reflets fantastiques. 

Cependant, il est cinq heures du soir, nous contournons un cap 
de glace qui s’avance de 5 à 6 milles au large dela terre ; la brise, 
faible et incertaine depuis quelque temps, nous pousse juste assez 
pour nous le faire doubler, puis nous abandonne tout à fait sur 
une mer dont la surface, aussi unie que celle d’un lac, n’est plus 
_ troublée que par le plongeon de quelque pingouin. 

Une glace énorme, et dont la base paraît accessible, flotte à 
côté de nous. MM. Dumoulin et Coupvent partent pour y 
faire des observations magnétiques. Pendant que ces messieurs 
 cheminent vers leur observatoire, nous sommes tous réunis 

sur la dunette. Le temps est admirable, et, chose merveilleuse 
dans ces régions; le ciel est d’une pureté sans tache ; chacun s’a- 
muse à contempler les formes bizarres qu'offrent les glaces qui 
nous entourent. Pour la centième fois j'interroge de ma longue- 
vue ces masses de neige et de glaces, lorsque j’aperçois des taches 
roussätres, rugueuses, qui ne pouvaient appartenir qu’à des ro- 
ches, à de véritables roches. Je les fis remarquer au commandant, 
mais souvent trompé dans Îa journée, il se refuse d’abord à y 
croire. Bientôt cependant de nouvelles taches se découvrent, cette 
fois ilest impossible de ne pas être convaincu ; car, quoique éclai- 
rées par le soleil, ces taches conservent une teinte uniforme, et 
ressortent parfaitement en noir sur la neige d'où elles surgissent. 

Le commandant donne l'ordre de mettre un canot à la mer; on 

larme avec six hommes vigoureux, car la distance est grande ; on 
embarque un compas, de la bougie, tout ce qui peut être néces- 
saire, dans le cas où la brume viendrait le surprendre en route ; 
je suis de service: à moi donc le commandement du canot, à moi 
l'honneur de fouler le premier cette terre vierge de pas humains. 
Rien ne peut égaler mon bonheur. Qu’elles devaient être puis- 
santes les émotions qui ont dû assaillir le cœur des navigateurs 
qui les premiers dans la carrière ont doté leur pays de la décou- 


318 | ENNOMES | 
verte de ces magnifiques contrées couvertes de la plus luxariante ; 
végétation et de nombreuses populations ! RE 0e C1 TAN 

Je pars accompagné de MM. Dumoutier et Lebreton ; mes 
hommes, pleins d'ardeur, imprimentau canot une vitesseinaccou- 
tumée. Hardi, matelots ! la yole de la Zélée nous talonne ; il faut 
arriver les premiers ; mais je n’ai pas besoin de les stimuler: obéis- 
sant à leurs bras vigoureux , l'embarcation dévore l'espace. 

Les corvettes baissent sensiblement à l'horizon, et bientôt 
nous ne distinguons plus que leur mâture ; la côte, au contraire, 
se découvre davantage; nous ne pouvons ai douter que ce ne . 
soit de la terre ; les matelots redoublent d'énergie et nous entrons 
au milieu d’un labyrinthe de glaces qu'il faut traverser pour 
arriver au but. 

De ma vie je n’oublierai le magique spectacle qui s’offrit alors 
à nos yeux. ; 

Sauf le grandiose , nous aurions pu nous croire au milieu des 
débris de l’une de ces imposantes cités de l'antique Orient ré - 
cemment béuleversée par un tremblement de terre. 

Nous naviguions, en effet, au milieu de gigantesques débris, 
affectant les formes les plus bizarres : : ici des temples, des palais 
aux colonnades brisées, aux superbes arcades ; plus loin le mi- 
naret de la mosquée, les flèches aiguës de la basilique romaine; là- 
bas, une vaste citadelle aux nombreux créneaux, dont les flancs 
déchirés paraissent avoir été frappés par la foudre ; sur’ ces majes- 


tueux débris règne un silence de mort , un silence éternel, jamais 


à 4 
4 

à 
% 
3 


la voix de l’homme n’avait encore retenti dans ces solitudes gla- 
cées. Au milieu de cette scène majestueuse , nos embarcations, 
le pavillon de France en poupe, glissent calmes et recueillies ; maïs. 
le cœur bat vivement, et soudain un long cri de Vive le roi! ! vient 
saluer la terre. 


C’est elle, en effet; la voilà ! nous la touchons, et nos fasses 
couleurs se déroulent et flottent majestueusement sous le cercle 4 
polaire, au bruit de nos hourrah d’allégresse, sur une rude T0 


che de granit FAURE dominée par douze cents pieds dé € lac 
éternelles! à 


NOTES. 319 


Mais il nous faut des souvenirs ; il faut qu'un de ses frag- 
ments vienne rappeler à chacun de nous, dans ses vieux jours, 
qu'il a mis le pied sur un sol nouveau ; pics et marteaux reten- 
tissent à l’envi ; le roc est bien dur, mais il ne peut résister à 
nos eflorts, et bientôt de nombreux débris remplissent le fond des 
_ canots. 


Quelques inoffensifs, pingouins seuls habitants de ces lieux, se 
promènent près de nous; malgré leurs protestations, nous les 
emmenons comme de vivants trophées de notre découverte. 

. Mais la brise s’élève fraiche et froide autant que la glace sur la- 
quelle elle passe pour arriver jusqu’à nous. Nous en profitons 
pour mettre à la voile et saluons la terre, qui disparaît, de trois 
cris de Vive le roi! 

La bonne brise nous pousse rondement ; à 411 heures et demie 
nous atteignons les corvettes ; tout le monde est sur le pont; tous 
nous attendent avec anxiété; la vue de nos trophées excite des 
transports de joie, notre découverte est constatée et reçoit le nom 
de terre Adélie. 

Nous étions alors par 66° 29° de latitude sud et 1389 21° de lon- 
aitude à l’est du méridien de Paris. 

# (M. Duroch.) 


Note 18, page 154. 1 


Le 18, os matelots imaginèrent, pour célébrer le passage du 
cercle antarctique , une fête semblable à celle que les marins sont 
dans l'habitude de faire lorsqu'ils traversent l’équateur. Dans 
la soirée, le père Antarctique, frère supposé du père la Ligne, 
a envoyé une missive au commandant d'Urville, pour lui annon- 
cer son arrivée pour le lendemain, à l’occasion du passage du 
cercle polaire ; la suite du baptême de la Ligne sera la commu- 
nion avec le pain et le vin. 

Voici le contenu de cette dépêche : # 

Anterctique XIX° du nom, au capitaine de vaisseau Dumont- 
d'Urville commandant l’Astrolabe , salut et amitié. 


320 110 NOTES. LPS 


Voici la seconde fois que votre navire se trouve aux portés. de 
mon empire hyperboréen ; j'ai cru doncqu'il était de mon devoir, 
en voyant tant d'audaceetdepersévérance, d’entreren pourparlers | 
avec vous ; quelque nom que vous donniez à ma capitulation, elle 
n’en sera pas moins honorable pour moi. 

Quand, il y a deux ans, vous voulüûtes pénétrer des secrets 
que nulautre mortel n'avait connus, je recus un message de mon 


frère Ligna, me conjurant de mettre obstacle à votre dessein, … 


jaloux qu’il était de vous faire connaître les détails de son empire; 


c'est alors que je vous arrétai, vous savez comment... Toutefois, 


pour garder un souvenir de vous, j'ai conservé sous verre le 
coupe-glace qui formait l'avant de votre navire; il se trouve dans 
mon cabinet d'antiquités à Pinguinopolis. (salle ILE, tiroir À, etc.) 

Avant la révolution de Juillet, nul,'si ce n’est Cook que m'a- 
vait recommandé mon frère Liona, n'avait pu pénétrer dans mon 
empire; mais à présent que mes sujets révoltés , prenant exemple 
sur ceux de votre roi, ont tué mes gendarmes et mes gardes mu 
nicipaux , je ne puis opposer à la curiosité des navigateurs que 
quelques glaçons ; encore ne faudrait-il pas qu’ils eussent tou- 
jours affaire à des navires comme l’Astrolabe. 

Cette année l'hiver n'a pas été rigoureux, en sorte que mes 
glacières nesont pasbien approvisionnées; nulobstacle convenable 
ne s’opposera donc à votre entrée dans mes États. Ne vous effrayez 
pas de quelques glaçons épars sur mes frontières , ce sont de pe- 
tits encouragements que je vous envoie , des preuves de ma puis- 
sance que j'étale aux yeux des mortels. Tel un gendarme, arrétant 
un membre de la Société des Droits de l'Homme, nele frappe que 
du plat quand il pourrait le couper avec le tranchant de son 
sabre. à d 

Vous entrerez donc dans nos Etats, maïs vous vous conformerez 


aux formalités exigées par notre loi; vous avez été baptisés par « 


mon frère, vous communierez avec moi; l’eau vous a purifiés 


dans votre baptême tropical; pour entrer chez moi: vous com- 
munierez sous les espèces du pain et du vin : seulement, comman- 
dant, je vous préviens que mes caves sont un peu dégarnies. 


NOTES. 324 

La bière dont j'avais fait provision pour vous est presque 
épuisée, aussi faut-il que je la ménage. | 

Toutefois, j'espère vous recevoir, moi et ma cour, demain lundi 
aux frontières de mon empire. 

Fait en notre palais impérial, à Pinguinopolis, lat. 90° 00-00”, 
long. 00° 00’-00” dans toutes les directions , — ce jourd’hui di- 
manche 19 du mois solsticial , année 1839 de l’hégire polaire. 


ANTAR CTIQUE. 
Pour copie conforme, 


J | PérRoLoPHILE, 1° ministre. 


P. -S. Notre ambassadeur Glaciolithe sera, comme à l'ordi- 
_naire , logé et défrayé par le navire visité. 

Nota bene. Ce jeune homme sera sans doute altéré par sa lon- 
gue course, je vous prierai de l’abreuver; votre commis aux vi- 
vres réglera ces dépenses avec notre chargé du détail des vivres. 


Les instructions du père Antarctique furent ponctuellement 
suivies , et on envoya le messager se rafraîchir à la cambuse. 

Le lendemain , l’ingénieur des régions polaires vint, de la part 
de son souverain, frère du père la Ligne, accompagné du pre- 
mier ministre Pétrolophile, annoncer au commandant d'Urville 
l'arrivée du souverain et de sa cour, conformément à la lettre 
reçue la veille. 

_ Un envoyé, qui avait le plus grand rapport de costume et de 
manières avec notre Robert Macaire européen, prit le comman- 
dement du navire pour lui faire franchir le point dangereux du 
cercle polaire où son souverain nous attendait. 

Les ordres se succédèrent avec tumulte ; le pilote des régions 
polaires parvint à faire à lui seul autant de bruit que dix officiers- 
modèles. 

« Brassez babord la aline Larguez la balancine du con- 
« tre-cacatois de perruche! Larguez le PRET de civadière ! 
« Pesez le bras du battant de cloche. » É 

On répondait à ces commandements par de grands éclats de 
rire. Pendant ce temps, l'ingénieur des terres polaires, armé 
d'une boussole d’inclinaison improvisée par le charpentier, ornée 

VIN. | 21 


N 


; ‘24 
2 
} 6.1 $ 


322 NOTES CS 


d’une aiguille en fer-blanc, occupait et gourmandait les cu 


niers, qui écrivaient les résultats suivants de ses ohAe vations : e | 
17 plan perpendiculaire. — Haut. 182° 15° 12° 14" ap. CRE. 
 — Bas. 752° 4 457 13 127” etc. 
Et ainsi du reste. Enfin, reconnaissant que son aiguille était 
influencée, il y piqua une patate, et la trouvant verticale, il an 
nonça le pôle magnétique... il remit ensuite au commandant 
le plan de la baie de la Communion et des terres voisines, où se 
trouvait le pôle magnétique rayonnant comme un soleil, le vol- 4 
can des Pétrels, la pointe Pingouin, etc., etc. : + 
Enfin, le grand moment arriva, on héla un navire et Fa: “4 
vit apparaître le père Antarctique légèrement vêtu d’une veste ; 
blanche, ruisselant de sueur, quoiqu'à l'abri d’un parasol , te 4 
tenant au brasmadame son épouse, une grossedondon, représen- 
tée par un novice auquel on avait adaptéune paire d’appas de di- 
mension et une cornette blanche ; il s’'avanca gravement vers la 
dunette et présenta au commandant sa cour, ainsi composée : Le 
grand chancelier habillé en marquis, orné d’un chapeau à claque 
de trois pieds de hauteur , en toile goudronnée, avec une énorme 
cocarde, d’un habit à queue et d’une épée en civadière ; un abbé 
et toute une séquelle d'enfants de chœur, de bedeaux et de 
suisses ; c'était un gaillard de six pieds, qui paraissait faire un 


F2 7 “ 
due 


œil peu canonique à madame Antarctique. el . 

Un naturaliste habillé en charlatan, remorquait après lui uhe | 
masse de squelettes , de peaux , d’avanos, etc., etc. — Puis un 
gabier peint à la chaux en pingouin, distribuait des gourmades 
au naturaliste qui prétendait l’empailler. —- Enfin, un phoque, 


dont le père Antarctique fit présentau commandell comme une 
espèce particulièrement curieuse. : 

L'autel avait été préparé à tribord, près du grand mât. L’ abbé, 
suivi de tous les enfants de chœur, bedeaux , etc. » s'y dirigea 
avec componction , se recueillit un instant, et purifiant le: pain à 
et le vin, cassa une croûte et s’administra une bonné rasade , | 
puis se retournant vers les fidèles quil’ entouraient, il leur ù 
la parole en ces termes : EN 


* 


. + Pr “ ul 


ns sttiths bib its ds Le. 


la it CU LL. 4, : À 


Dé à “hate 


nada ‘à le 


LR 


pt a 


NOTES. 323 


FiniBus TERRÆ GLORIA. 

C'est aux confins du monde qu’est l’immortalité. 

.(Ges paroles sont tirées de saint Passe-Avant, chapitre 1x, 
verset 18.) : 

C’est avec un sentiment profond de plaisir et de peine tout à la 
fois, que je me retrouve parmi vous, vieilles connaissances, vicux 
habitants de l'empire des mers ; favoris du père Ligna, vous 
l’'êtes aussi du père Actarctique, son frère cadet. Jadis vous m'a- 
vez vu frais et brillant de la gloire du premier , distribuant mes 
bénédictions pontificales à droite et à gauche; quej'étais heureux 
alors! Je recueillais sur ma face toute une moisson de roses et de 
lis, mes joues fraîches et rebondies attestaient hautement l'excel- 
lence de la cuisine lignatique ; mon nez rouge et bourgeonné di- 
sait assez clairement que les bidons de nectar n'étaient pas les 
seuls que je connaissais. Avec quel plaisir je voyais tous les jours 
se dessiner plus distinctement un troisième étage à mon menton 
déjà bismonté! Peccavr, j'ai péché! Adieu, palais , adieu , repas 
splendides , lignoble pingouin à remplacé les friandes côtelettes 
d’albatros, les hures savoureuses des marsouins, les délirantes gi 
belottes de baleine ; peccavt, j'ai péché! adieu, vignobles, adieu, 
vous aussi clysoirs qui veniez si voluptueusement verser une 
bienfaisante eau chaude dans mes intestins enflammés au fort de 
mes digestions laborieuses ; peccavi, j'ai péché! vos plaisirs ne 
sont plus faits pour moi dans cette vallée de larmes , ën hac la- 
crymarum valle. Mea culpa, mea maxima culpa. 

Maïs, me direz-vous, quel crime a donc pu t’exclure de cette 
cour dont tu faisais l’ornement ? Quel crime? Hé! mon Dieu, une 
simple peccadille : Confesseur ex voio de madame la Ligne, char- 
gé, par conséquent, de veiller à sa conduite, j'eus le tort de ne 
pas avertir à temps le père Ligna, de certain ornement qu’un de 
ses courtisans voulait ajouter à son noble port ; eh bien! le croi- 
rez-vous ? mon noble seigneur ne s’accommoda pas de cette coif- 
fure qui fait fureur en Europe , el mon postérieur souffrir de ce 
caprice ; il me fit subir la peine du talion en m'envoyant un grand 
coup de pied dans le .,.!!!; et, non content de tout cela, m’exila 


394 NOTES. 


à Pinguinopolis , super flumina Babylonis, auprésdesonfrére;qui, - 
-sur la nouvelle de plusieurs expéditions dirigées vers les rives de 


son royaume, avait besoin d’un aumônier. Vous êtes les premiers #4 
depuis Cook qui receviez les honneurs de la communion des 
adeptes ; plusieurs se sont déjà présentés, mais l'accueil le plus 
froid les recevait partout ; le front de glace de mon nouveau sei= 
gneur ne se dérida pas en faveur de ces entreprises vaines et té- 
méraires, ils s’en retournèrent chez eux la queue entre les jambes, 
avec quelques côtes brisées, bien contents d’en être quittes à si bon 
marché... Cependant, il faut avouer que ce n’est pas précisement 
sur votre bonne mine que le père Antarctique veut bien vous re- 
cevoir dans ses Etats ; s’il vous en souvient bien, il y a deux ans, 
ses étreintes n'étaient pas, à s’y méprendre, celles de l'amour, mais 
bien celles de la haine. Je vous en donnerai pour preuve le taïlle- 
glace que l’on voit encore déposé en son cabinet d’antiquités à 
Pinguinopolis. 

Les différentes expéditions qui nous arrivèrent dans ces der- 
niers temps, apportèrent avec elles le parfum des idées libérales 
qui trouvèrent du retentissement parmi le peuple pinguinolent, 
et Pinguinopolis eut aussi ses trois journées de combat et son cri 
de victoire ; les gendarmes et la garde royale furent massacrés, 
criblés, assommés sous des avalanches de neige et de glace. 
Le”peuple, resté maître, n’abusa pas de la victoire, il se 
donna une constitution qui assure à chacun sa liberté person- 
nelle et le respect à la propriété, ce que nous vous prions d’ob- 
server scrupuleusement, sous peine de six mois de réclusion 
par 75 degrés. | ï 

Pour comble de bonheur, un hiver un peu rude qui suivit fit 
manquer la récolte sur les terres du gouvernement, et sans la sage 
administration du ministre de l’intérieur Frigoritas, on eûtcom- 


plétement manqué de glace cette année. Ainsi donc, plus de gen- | 
darmes, rien que quelques glaçons à opposer sur les frontières 
de son empire; le père Antarctique se décida à traiter, à vous 
recevoir sous son toit et à partager avec vous son pain et son sel; 
oublions donc notre petite querelle, vous eûtes vos représailles , 


Los dant de à à tn Li il 
, 


RU ns ni 


és dt 


NOTES. 325 


150 pingouins furent assommés dans une escarmouche, rôtis et 
mangés par vos pinguinophages équipages. Paix et union main- 
tenant. Pax vobiscum. 

Déjà blanchis et régénérés dans les eaux baptismales de la 
Ligne, vous recevrez dignement le Saint-Sacrement que je vais 
vous présenter. Retrempés, raffermis , pleins de vigueur et de 
force, vous supporterez la légère rigueur du climat qui environne 
notre Eden ; approchez avec confiance, prenez-en , mangez. Ca- 
pite et manducate, et consommons l'acte qui nous unit à jamais; 
nos merveilles les plus cachées deviendront les vôtres , les portes 
de notre Eden vous seront ouvertes à deux battants ; vous eprou- 
verez cependant encore quelques désagréments, la route est ra- 
boteuse ; que votre courage ne faiblisse pas ; marchez, marchez, 
ce n'est pas ici. Ze, ite, hic non est. - 

. ILest sur la route, à droite en montant, un lieu inconnu à tous 
les humains , dont aucun n’a souillé de son pied boueux le cristal 
du parvis. Aucun œil n’a considéré la mosaïque de colonnades et 
d’ogives qui enveloppent ses mystères ; trois glaces énormes, éter- 
nelles comme leur auteur, surmontées de quatre pitons, chacune 
de forme svelte et gracieuse, indiquent le pôle magnétique. —Avan- 
cez et admirez, heureux mortels, un des domaines les plus renom- 
més de mon maître, poursuivez encore quelques pas, le sentier 
s'élargit, la voie devient grande et belle, une suave harmonie, ba- 
lancée sur les ailes de la brise, arrive à vos oreilles charmées ; les 
glaces énormes qui vous entourent semblent affecter des formes 
riantes; encore eu peu, nous y voilà ! Tout a changé, voyez cet 
agréable marais , voyez ces longues allées de joncs et de r'OSEAUX 
écoutez ce tendre concert formé du chant mélodieux du pin- 
gouin royal et ordinaire, mâle et femelle. — Avancez, ite à ce 
palais ; vous y voilà! — Aic est domus. Entrez et rafraîchissez- 
vous. | 

C’est ce que je vous souhaite. 

Après cet édifiant discours, la cérémonie commenca. Le com- 
mandant d’'Urville fut appelé le premier. Le grand chancelier lui 
remit ses lettres d'introduction scellées du grand sceau de l'Etat, 


326 : NOTES. 


nous passe ensuite à la sainte able l'abbé, Poe NS | 
vantage le vin de la communion, en buvait une rasaded 
en temps, et comme le lieutenant avait donné l’ordre à la cam- k. 
buse de fournir aux frais de la cérémonie, avant que tout l'équi- ;. 
page eût participé à cette communion, depuis le père Antareti= À 
que jusqu'au simple enfant de chœur , l'officiant commençait à à 
‘avoir la langue épaisse. Le naturaliste des régions polaires eut Si 


ENTRE A: 
LS #T 


Le 


une conversation du métier avec M. Dumouticr. Il paraît G re 


la phrénologie est en honneur à l’académie de Pinguinopolis , Le 
car le dit naturaliste examina fort attentivement la tête de M. Due | k 
moutier, et le pria avec instance de se laisser mouler, afin. de È 
constater la découverte d’une nouvelle bosse, dite phrénologico- 
disterico- limico-maconico-gnaudino-squéléticique. 
La cérémonie se termina par des chants et des danses réndus 
très gais par une double ration accordée par le commandant, 


(M, Coupvent.) 


Note 19, page 154. ESS 


En arrivant à Hobart-Town, on ne pouvait guère présumer 
qu'au bout de vingt jours de relâche au plus, nos corvettes déla- 


brées par deux ans de mer consécutifs, nos équipages fatigués 4 
par une aussi longue navigation sous les climats les plus oppo- … 
sés , cruellement amoindris par une épidémie meurtrière dontüls 
te por encore l'influence, pourraient renouveler, avec quel- ‘4 
ques chances de succès, la tentative que nous avions faite en 1838, M 
au début de notre voyage, de pénétr er dans les régions POSE : 4 
et d'explorer le domaine des glaces éternelles. 21: ÉTÉ GRECE 

Cepeudant la lice était ouverte : une expédition américé 
sous les ordres du lieutenant Wilkes, une expédition ang 
dirigée par le capitaine James Ross , devaient parcourir 


simultanément ces parages si peu connus encore, et allaient tente 
ME 


À 
Ë 
d 


NOTES. | 327 


d'assurer à leurs pavillons l'honneur des premières découvertes, 
l'accomplissement des premiers travaux scientifiques dans cette 
partie du monde. Il eût été facheux , ileût été pénible de voir une 
expédition française, comme la nôtre, se tenir à l'écart de cette 
noble lutte, et, dans de pareilles circonstances, cesser de con- 


courir aux progrès des connaissances FE Me ‘objet prin- 


cipal de sa mission. 

Aussi, ni la situation précaire des navires, ni l’affaiblissement 
dés équipages, ne purent faire abandonner au commandant 
d'Urville le projet, concu depuis longtemps, de retourner dans 
les glaces, et grâces au concours zélé de tous les membres de l’ex- 
pédition, pénétrés du désir d'accomplir cette entreprise, il parvint 
à mettre ce projet à exécution. Les matelots eux-mêmes sem- 


_ blaïent comprendre l’opportunité de cette seconde tentative qu'ils 


n'ignoraient pas. Ils témoignaient une ardeur et une confiance à 
toute épreuve, et malgré les séductions dont ils furent entourés à 


_terre, malgré le souvenir des souffrances et des épreuves de toute 


nature qu'ils avaient subies en 1838, pas un d'eux ne manqua à 
l'appel le jour du départ. | 

Dans l’état où se trouvait l'expédition , devant les vides ouverts 
dans son personnel, le commandant d'Urville résolut de laisser la 
Zélécau mouillage d'Hobart-Town, de fondre les deux équipages 
en un seul composé d'hommes valides , et de poursuivre avec un 
seul navire le but qu’il se proposait. Dès le premier jour de l’ar- 
rivée, les dispositions les plus actives furent prises pour assurer 
la réussite de ses intentions. Tous les malades furent évacués 
sur un hôpital établi à terre sous la direction de M. Hombron, 
chirurgien-major del Astrolabe. Sur-le-champ les travaux de ré- 
paration dont les navires avaient un besoin extrême , furent com- 
mencés et suivis avec persévérance , tout en ménageant les forces 
de l'équipage , en lui accordant le repos, les aliments frais et les 
distractions nécessaires à sa santé. En même temps diverses mu- 
tations eurent lieu dans les deux états-majors. MM. Coupvent- 
Desboïs et Boyer furent désignés pour passer sur l’Astrolabe, 
tandis que MM. Gaillard et de Flotte les remplacèrent daus leur 


au de du départ. 


* Ce dernier changement ne s’accomplit pas : des circon 
heureuses, les instances pressantes du commandant et des of 
ciers de la Zélée, l'embarquement inespéré , au premier abord, ÿ 
de quelques marins français, désertéurs des navires baleiniers, et. 


de quelques marins anglais alléchés par l’appât d’une prime, ame 
nèrent une modification du plan primitif. Les deux corvettes ne. ; 
durent plus se quitter. Cette nouvelle fut accueillie avec une vive à 
“joie, car les deux équipages, accoutumés depuis si longtemps à 4 
partager le même destin, étaient liés d'une étroite sympathie. Une 4 
séparation au moment SR une exploration épineuse, 


mais qui pouvait être féconde en résultats, eût été PER] POUR? 
tous. | NT 

Le 31 décembre 1839, l'expédition avait à peu près terminé ses 
préparatifs. Le départ fut fixé au lendemain. Elle allait reprendre 
la mer avec des navires réparés à la hâte, et des équipages incom= 
plets, mais pleins de bonne volonté et d'enthousiasme : celte ar- 
deur était générale. Nos malades exprimaient le regret d'être 


retenus au rivage; les convalescents demandaient à rentrer à bord; jo 


l'un d’eux paya de sa vie son désir de participer à cette seconde 
navigation dans les glaces. Il succomba au bout de quelques jours, 


victime d’une rechute produite sans doute par un embarquement. É: 
que les médecins avaient cru pouvoir autoriser. Un long séjour | 
à l'hôpital l’eût peut-être sauvé. Les soins qu'il reçut à bord de x 
la Zélée n’eurent pas cette eflicacité. " 


Vus j y 
rats n À À, 


Notre dernière visite à terre fut consacrée aux malades: quenous 
devions laisser derrièrenous. Ils étaientau nombre deseize; parmi 


eux se trouvaient MM. Barlatier-Demas et Goupil. Nos adieux 
THE isa car nous re nous ne ÉNIGSE pas 1,68 s Les 


Se do notre is M. Hombron recut aussi He instri 
tions précises pour opérer le rapatriement des hommes pl 
sous ses ordres, dans le cas où les deux corvettes viendraient. 


NOTES. 329 
Le premier janvier, dès quatre heures du matin, le signal d’appa- 
reillage flottait à la corne de l’Astrolabe ; quelques instants après, 
les deux corvettes quittèrent simultanément la rade; mais, à sept 
heures, le vent passa au S. S. E. et devint contraire; on se décida 
alors à laisser retomber l'ancre dans le lit de la rivière Derwent, 
à trois ou quatre mille de Hobart-Town et à deux milles environ 
du rivage. 
 Unefunestenouvellenousétaitparvenuependantquenotreappa- 
reillage s'achevait. M. Goupil avait expiré dans la nuit. Il semblait 
que la mort avait voulu l’épargner jusqu’au moment où ses amis 
devaient s'éloigner de lui. [l avait lutté longtemps. Onavait même 
concu, pendant quelques jours, l'espoir de le rendre à la santé, 
mais la nature, épuisée par de longues souffrances, n'avait pu 
soutenir l'effort qui avait produit un mieux passager. Dès lors, il 
subit une décroissance graduelle de forces, et fut bientôt ré- 
duit à une prostration complète. La vie ne le quittait que lente- 
ment et à regret, et c'était une vue déchirante que celle de cet 
infortunécompagnon, s’affaiblissant de plus en plus. Il se mourait 
insensiblement. On lisait encore dans ses regards Île calme de sa 
pensée , lorsque déjà il pouvait à peine soulever ses paupières et 
que les traits de sa physionomie avaient revêtu l’immobilité de la 
mort. Nous nous attendions à cette cruelle catastrophe, et cepen- 
. dant elle nous frappade stupeur. Elle vint raviver la douleur que 
nous éprouvions de la perte de tant de nos malheureux compa- 
gnons. Goupil avait été trop gravement frappé pour pouvoir se 
rétablir ; pendant sa longue maladie, il fut l’objet de la plus vive 
sollicitude; Les soins les plus empressés et les plus touchants lui 
furent prodigués. M. H. Jacquinot, second chirurgien de la 
Zélée, avec qui il était lié d’une étroite affection , n’avait cessé de 
veiller sur lui avec une assiduité qui n'avait pas eu de trêve. Il 
ne l'avait pas quitté d’un instant, et avait combattu le mal avec la 
minutieuse attention, le zèle éclairé du médecin, avec le profond 
dévouement de l'ami. JI prolongea son existence... il ne put le 
sauver !| ‘ 


Ce fut M. H. Jacquinot lui-même qui porta le premier cette 


330 | NOTES. 


funeste nouvelle. Il venait de recevoir le: dernieb poitfit le Le 3 ; 
fortuné Goupil ; il n'avait voulu le quitter qu ’au dernier instants 
assis à son chevet, il attendait l'aube pour rentrer à bord: Au 
moment de partir, il voulut donner une dernière et silencieuse 
étreinte à la main de son ami, il la trouva froide et inanimée +. 
Goupil venait d’expirer sans douleur , sans effort. Il avait SHBE: 
de vivre au moment de cette séparation... QE EN MNR 


Se 
* 


à 


Le mouillage qui suivit de si près le départ des corvettes. ne Fe 
fit espérer de pouvoir assister au convoi de notre infos % 
compagnon . MM. Dumoutier et Gervaize , en obtenant dans la 
soirée l'autorisation de se rendre à terre, recurent en même 


rire 


temps la recommandation de s'informer des dispositions prises à 
cet égard. À leur retour, nous apprimes que l’enterrement ne 
devait avoir lieu que dans quatre jours, terme fixé par les auto- 
rités anglaises, qui avaient, en outre, prescrit Le cérémonial du ser- 
vice et convoqué les officiers de la garnison, ainsi qu'un cortége 
militaire pour accompagner cette cérémonie funèbre. 

En recevant ces détails, nous n’eûmes plus l'espoir de pouvoir 
assister au convoi de notre malheureux ami, dont le sou. 
venir vivait parmi nous entouré de l'estime générale; car nous 
savions que le moindre retard pouvait être funeste au succès de 
la navigation que nous allions entreprendre; aussi, nous compri= M 
mes parfaitement les motifs qui décidèrent le commandant à ne i 


mettre aucun délai dans l’accomplissement de ses projets. Les 
circonstances l’exigeaient impérieusement. Nous étions déjà fort 


arriérés pour la saison, et nous dûmes reconnaître la nécessité de 
hâter le début de notre exploration, aux dépens de la satisfaction 
que nous eussions éprouvée à donner un dernier témoignage de 
sympathie à celui que nous regrettions tous. Nous dûmes. nous 
résigner en laissant à MM, Hombron et Demas le soin de repré= di 
senter l'expédition dans cette triste solennité. 3 Mu STE 

Le 2 janvier 1840, les vents étant devenus plus bird 
nous fûmes sous voiles de grand matin ; une mer calme, une 
brise légère nous conduisirent au large en peu de temps 


Le 15 janvier nous n'avions point encore rencontré de gl ce 


NOTES. 331 


En passant par les mêmes latitudes où deux ans auparavant, à la 
même époque, nous ävlons reconnu les premières îles flottantes, 
nous pensions qu’un été plus favorable allait seconder nos désirs, 
Les paris qu’on ne rencontrerait pas de glaces de huit jours 
étaient déjà ouverts, lorsque, le 16, à trois heures et un quart du 
matin, la vigie signala un petit glacon. A sept heures on en 
apercevait trois, et, à huit heures, cinq, du haut de la grand’ver- 
gue. Nous étions décidément entrés dans le domaine des glaces. 
Nous nous trouvions alors par 60° 22° de latitude, et 140° 42? 
de longitude orientale. Les formes de ces glaces, arrondies et bril- 
lantes, paraïssaient avoir été modifiées par le dégel. 

Le lendemain et le jour suivant, le nombre des îles de glace 
augmenta progressivement. Les dimensions de ces blocs grandi- 
rent en même temps. On estima à plus de cinquante mètres la 
hauteur de l’un d’eux. Ils présentaient tous une forme carrée, à 
faces verticales, percées de trous simulant des cavernes , des por- 
tes , des ouvertures diverses à la surface de la mer. Cette forme 
particulière, que le dégel n avait pas encore modifiée, la grandeur 
de ces blocs énormes, semblaient présager la proximité de la terre; 
nous n'avions vu de glaces semblables, de cette forme et de ce 
volume, que dans le voisinage des îles Powell et de la terre Louis- 
L- Philippe. 11 nous répugnait, d’ailleurs, d'admettre que ces masses 
. colossales pussent se former en pleine mer. 


Le. 19 janvier, le temps , presque toujours sombre ou mauvais 
jusque-là, s’embellit considérablement ; le soleil parut ; il dissipa 
les brumes de l'atmosphère et les confina à l'horizon, où, à plu- 
sieurs reprises, leur teinte et leur immobilité trompèrent les yeux 
les plus exercés. Elles simulaient des apparences de terre si bien 
marquées que le cap du navire fut changé plusieurs fois pour les 
reconnaître. Ces illusions scrépétèrentplusieurs fois dans la jour- 
née et stimulèrent le désir qu’on éprouvait de découvrir la terre. 
L'aspect des glaces semblait confirmer cette prévision. Leur nom- 
bre et leur masse s'était considérablement accrus. Aquatre heures 
du soir, on en apercevait-vingt-neuf dans différentes directions, 
et asix heures on en comptait jusqu’à soixante . Elles nousentou- 


332 NOTES: 


nous masquaient . vuedes HR éloignées. On avait qu 
qué dans la journée, à la surfacedela mer, un grand: nombre de 
petits fragments de glace qui pouvaient provenir d’une baie 
peu éloignée ; cependant il est possible qu'ils fussent détachés 


+ 


des grandes îles à la suite de quelque choc. En 1838, la veille du 
jour où la banquise vint barrer notre route, nous avions aussi 
- rencontré de pareils fragments, mais en plus grande abondance, 4 
Une indication nouvelle du voisinage de la terre ou de la ban- 
quise résulta de l'apparition subite d’un ou de deux manchots. &. 
Dans la soirée, un albatros fuligineux vint décrire autour des 
corvettes les larges spirales de son immense vol; une BI “i 
vint aussi souffler à plusieurs reprises non loin de nous. Tous 
ces signes , interprétés dans un sens favorable à nos desirs, nous 
tenaient en suspens. Tous les yeux, toutes les lunettes interro- 
geaient l’horizon trompeur, où naissaient et se dissipaient tour % 
à tour des apparences de terres éloignées. A chaque instant notre … 
ingénieur hydrographe , M. Dumoulin, s’ ’élevait dans la mâture | 
pour vérifier la nature des apparences de terre signalées, et: ä 


chaque fois il constatait une erreur. Vers dix heures du soir, un . 
magnifique coucher du soleil vint illuminer de ses pâles ne 
les voiles’ de nos corvettes. Dans ce moment favorable : a la vue 
des terreséloïgnées, on n 'apercut plus que des bandes de brest 
peu distinctes, et sans contours bien arrêtés ; une seule de ces 
bandes conservait encore l'aspect d’une côte lointaine. + 7 

M. Dumoulin constata bientôt, du haut de la mâture , que 4 
cette apparence était produite par un nuage; ilen signäla une 
seconde un peu moins douteuse, qui vint attirer au méme ins- 
tant l’attention du commandant ; mais tant de déceptions avaient | + 
suivi, dans cette journée, les espérances que de semblables as 


s'était changée en une incrédulité complète. Le commandant d'U 
ville, doué d’une des meilleures vues du bord, parut seul disp 
à croire à la réalité de l'existence de la terre dans cette dire 

Le jour ne cessa pas de régner pendant tout le temps del: 


NOTES. 333 


Une lueur rougeâtre , une aurore permanente, indiqua sans in- 
terruption la marche du soleil , abaissé seulement de quelques 
. degrés au-dessous de l’horizon. Il reparut dans toute sa splen- 
- deur vers une heure du matin. De toutes les apparences de terre 
signalées , la dernière subsistait seule ; toutes les autres avaient 


changé de contours ou s'étaient évanouies. Pendant cette courte 
nuit sans ténèbres , on n'avait pas cessé de l’apercevoir , et aucune 
modification n'était survenue dans sa structure. Cette persistance 
confirma le commandant dans sa supposition, et fit balancer 
l'opinion générale : on commenca à douter. Bientôt on concut 
des espérances nouvelles ; quelques heures après et à mesure 
que nous nous rapprochions, il n’y eut plus qu’un petit nom- 

_ bre de dissidents qui ne fussent pas convaincus de l'existence 
de la terre. À midi, il devint impossible de douter plus long- 
temps ;. il était certain que la terre, une terre inconnue, était 
devantnous. Il était impossible qu’une simple banquisepütattein- 
dre une pareille élévation en pleine mer. Malheureusement, au- 
cune tache noirâtre, aucune arête culminante, aucun rocher dé- 
nudé, ne venait confirmer cette assurance. Une lueur assez vive 
rayonnaitsur ses CON tours, et sa surface présentait cetteteinte jau- 
nâtrequenous avions déjà remarquée sur la terre Louis-Philippe. 

. Un phoque à fourrure, un petit pétrel damier, plusieurs 
- manchots se montrèrent auprès de nous. Le cri désägréable des 


manchots se fit entendre fréquemment, et nous en apercûmes 
plusieurs prenant leurs ébats à la surface de la mer calme ; ils 
donnaient quelque vie à ces mornes et tristes solitudes. Le nom- 
bre et la grosseur des glaces étaient devenus de plus en plus consi- 
dérables, Ce nombre avait varié de 86 à 80 dans la journée ; nous 
nous trouvions entourés de toutes parts dans une enceinte de blocs 
formidables , au milieu desquels un calme complet vint nous sur- 
prendre. La brise, devenue faible et variable du S. O. à l'E. S. E., 
nous faisait à peine filer cinq dixièmes de nœud. 

L'équipage recut la permission de profiter de cette admirable 
journée pour mettre à exécution le projet qu'il avait formé de 
célébrer l'approche du cercle polaire austral et la découverte de 


“ 


D né à on luc té, S S, 


334 NOTES. 


sue et ses suivants, ne de Pen DL » ne le 


vue donnait le Fu par la température qui régnait, en- 


vahirent, à un signal donné, l'arrière du navire, et commen 
cèrent la cérémonie, à laquelle tout le monde se soumit, depuis le « 
commandant jusqu'au dernier mousse. L'équipage entier but. 


dans le même verre au succès de l'expédition, et ce fut une occa= & 

sion, pour plusieurs de ces braves et excellents marins, de témoi- . 
É 

gner de leur dévouement et de leur confiance sans bornes. 


Quelques instants de gaieté dans les plus tristes contrées du 
monde leur firent oublier leurs peines passées. Des. acclama- 
tions joyeuses retentirent dans ces lieux vierges encore du son 
de la voix humaine ; elles saluèrent la découverte de la terre, qui 


assurait un succès honorable aux efforts de l'expédition. Au sein … 


de cette scène grandiose et imposante, dans cette profonde soli- 
gl 


tude, la vue de ces frêles navires, dominés par les éclatantes par 
rois de glaces gigantesques, l'explosion de l'enthousiasme de cet 


équipage, fétant aux limites du monde le triomphe de l'audace | 


humaine, offraient un spectacle qui touchait au sublime, et dont 
le souvenir vivra toujours dans les souvenirs de ceux qui y ont 
ASSIS ee ce 4. è 


Une belle soirée termina ce beau jour. Le soleil se coucha à 


4 # 


onzeheures, pour reparaître sur l'horizon vers une heure du ma= « 


tin, aussi radieux que la veille ; il n'avait presque pas régné de 


nuit, et on avait pu toujours lire sur le pont. Une légère brise 
du S. E. nous permit de nous rapprocher de la terre, dont les 


dimensions grandissaient de plus-en plus, mais dont les abords 


étaient défendus par une ligne d'îles de glace innombrables. he 


DE REA à acquérir je pr Sn dan 


NOTES. | 339 
bientôt nous nous trouvâmes engagés dans les passages rétrécis 
qui séparaient ces îles flottantes. Entourés bientôt de toutes parts 
par une succession continuelle de parois éblouissantes , nous 
suivimes une route difficile et tortueuse. La hauteur de ces blocs 
énormes dépassait de beaucoup celle de notre mâture et rapetis- 
sait à rien le corps des corvettes, dont le volume, ainsi réduit, 
donnait un point de comparaison pour mesurer ces masses colos- 
sales. Cet aspect était prodigieux et nous frappait d’étonnement. 
On ne saurait mieux décrire cette scène qu’en comparant ces 
masses gigantesques aux blancs édifices d’une ville de géants bâ- 
tie dans l’eau , coupée en tous sens par des canaux sinueux. Des 
crevasses, des cavernes, des trous, creusés par la mer à la base de 
ces monuments, figuraient tantôt l’entrée d'un souterrain, tantôt 
des fenêtres ornées de draperies ; d’autres fois les arceaux d'une 
porte d'église ou la voûte d’une cave. Le soleil, projetant d’o- 
bliques rayons sur ces éclatantes falaises, produisait des jeux 
- d'ombre et de lumière impossibles à décrire. Dômes immensess, 
hardies coupoles, palais éblouissants, châteaux de diamant, 
naïssaient tour à tour dans les découpures de la glace et capti- 
vaient l'attention autant qu'ils fatiguaient l'œil ébloui par leur 
éclat. | 

Aucun accident ne signala notre passage dans les détours de 
ces îles ; nous atteignimes heureusement un espace plus dégagé 
et plus rapproché de la terre. Alors il ne fut plus possible de 
douter de son existence ; la terre était certainement devant nous, 
mais une terre entièrement couverte d’une enveloppe profonde de 
glace et de neiges ; d'immenses falaises la terminaient à la mer et 
ne paraissaient offrir aucun point abordable ; de là, sans au- 
cun doute, s'étaient détachées , avec le premier retour de la 
chaleur, les innombrables îles de glace que nous venions de 
traverser. Sur le sommet de quelques-unes de ces îles les plus 
rapprochées de la terre, on remarquait des déchirures, des élé- 
vations inégales, comparables à une multitude de cheminées éle- 
vées sur une terrasse. Sur la terre, vers le milieu de la distance 
qui séparait les hauteurs du rivage, on apercevait de pareilles élé- 


| pénmettre à MM. Dimonts et à COR a se pe sur ‘4 


cuter des observations magnétiqnes. Nous avions alors. pre esque a 


336 71 NOTES 
vations, dont la cause nous restait cachée, Lars as 


chirures, d'autres îles de glace, d’autres Fepaoes trè 
Ja hu restaient lisses et unis. 2UE 


une glace: voisine, qui paraissait accessible et où ils de n ee 
perdu l'espoir de découvrir un point dénudé de la côte, surla- | 
quelle tous les yeux promenaïient un regard désappointé. Nous … 
vimes nos observateurs débarquer et installer leurs instruments, = | 
puis un des canoüers prendre le pavillon du canot et le planter | 
sur la pente de cette île de glace. C'était une prise de possession 
qu'il venait de simuler et qui ajouta au regret que nous éprou= 
vions de ne pas posséder un témoignage palpable de nôtre dé- à. 


couverte. Le commandant et quelques officiers, postés sur la du- 


nette, ne cessaient d'observer les accidents de cette côte glacée, - 
lorsque tout à coup M. Duroch crut voir dans le champ de sa. 
lunette une tache noire. Aussitôt toutes les longues-vues furent” 
braquées dans cette direction : la tache avait disparu , et déjà 

on l’attribuait à une illusion d'optique , lorsqu’au bout de. qu 
ques instants elle reparut. Près d’elle une autre tache se mon 
tra, puis elles s'agrandirent toutes deux. Il n’y avait plus d 
doute ; c'était la terre dénudée que nous sAppe es de tous nos » 
té ue 


rages où les brumes instantanées et les vents impétlen et je se 
brusquement, et où tant de circonstances pouvaient amenc 
la perte ou nécessiter l'abandon d’une embarcation, l'ordre: 


s’y embarquer ; bientôt ils s’éloignèrent de toute la vite 
les bras des matelots enthousiasmés pouvaient impri 
avirons. En même temps, la Zélée demanda par: 
à communiquer comme nous avec la terre: celte 


PT +. 


sas tm aità té) lé 


RTE EP OMS 


NOTES. _ 331 
ion lui fut accordée ; nous vimes M. Dubouzet, accompagné 
d’un autre officier, s’élancer dans une yolesur les traces de notre 
canot-major. Les deux embarcations luttèrent de vitesse et d’ar- 
deur; nous les perdimes plusieurs fois de vue ; enfin elles nous 
parurent, au bout d’un temps assez long, avoir atteint la terre, 


. dont nous nous étions nous-mêmes un peu rapprochés. 


Heureusement le temps fut d’une pureté admirable pendant 
absence de nos embarcations. La baleinière ramena, à neuf 
heures, MM. Dumoulin et Coupvent, qui avaient achevé, 
malgré un froid intense, les observations importantes qui de- 
vaient servir à déterminer la position du pôle magnétique. A 
dix heures ét demie, le canot-major rejoignit aussi le bord; 
son équipage harassé, nos officiers transis de froid, se hâtèrent 
ecpendant de nous raconter les événements de cette excur- 
sion... 

Un chargement de fragments de rochers arrachés au rivage, 
et quelques manchots d’une espèce différente de ceux que nous 
avions déja recueillis, encombraient le fond du cano-tmajor. Un de 
ces manchots était vivant : on le laissa errer en liberté sur le 
pont, où sa démarche grotesque excita plus d’une fois l’hilarité 
générale. Un plaisant de l'équipage le baptisa d’un sobriquet qui 
Jui resta; ensuite il le prit à part pour le féliciter gravement 
du bonheur qui lui était advenu de faire connaïssance avec 
des hommes, et lui annonca les honneurs réservés à sa dé- 


_pouille, destinée à figurer au palais du Jardin des plantes de 


Paris... 
_ Aussitôt après le retour de nos embarcations, nous fimes de la 
toile. Les fragments. de rocher apportés par le canot-major fu- 
rent remis eñtre les mains du docteur, qui eut fort à faire pen- 
dant la soirée pour satisfaire aux demandes de tous les membres 
de léquipage. Chacun d’eux sollicitait le don d’une parcelle de 
ce granit, preuve matérielle , palpable , irrécusable de notre dé- 
couverte, à laquelle le commandant d’Urville imposa le nom de 
Terre Adélie...…. | 

L'équipage montra une nouvelle fois, dans cette circonstance, à 

\ 1 11 PRES 22 


338 NOTES. 
quel degré il ii une idée de gloire aux suce 
vaux. Le CEANNQUE de la terre + Adéie était en 


épidémie ruelle: ne une situation ne 5 Et SU EUR 
menses obstacles, avait en trepris une exploration aussi dif ificile. 3 
La fortune avait récompensé tant de persévérance; si la route. des 4 
corvettes, arrêtées par la terre, n'avait plus la chavce de s'avancer | 
davantage dans le sud, du moins cette campagne n'avait pas été 
stérile, et cette pensée nous inspirail une vive satisfaction... 

(M. Desgraz. ) ji ie 


Note 20, page 186. OS 


Le lendemain, à midi, nous étions par 662.17 22718 lat. sud » +. à 
et 136° 12° 44” long. E. Il existait entre ce résultat et celurdé- ÿ 
duit de l'estime, une grande différence qui tendit à nous démon- : 
trer que nos Dole éprouvaient l'influence du méridien ma= 
guétique ; qu'elles indiquaient fort mal la route que nous sui= 
vions et que nous avions réellement gouverné de l’ouest au nord, 4 
lorsque nous croyions nous avancer au sud de cette même direc- 
tion. La brise était toujours à l’est, mais très-faible ; nous pro 
longions lentement la terre, dont l'extrémité ouest nous était alors 5 
masquée par des bancs de glace. 


J 


Le vent ayant uu peu fraîchi pendant la nuit, en à conservant | À 
la même direction, nous avancions toujours vers l'O. S. O., lors- me 
qu’à trois heures et demie du matin, nous aperçûmes devant nous " 
une banquise compacte qui se réunissait à la côte, et qui remon- 
tait ensuite, au S.S. E., aussi loin que la vue pouvait s ‘étendre ; à 
nous nous trouvions par le fait dans un grand golfe dont il nous à 
fallait sortir en louvoyant ; heureusement le temps était “beau et j 
la mer unie. 

A midi, d’après le lon nous étions par 65° 56 


lat. S., ét 1359 A0, 2m long. L.; nous gouvernions alors 
VE. N. FE, ayant le ut la banquise, qui était de 


d'état nt matin. tmtbiamats 7 
ï 
" 


ut 4) (ro 


; NOTES. 339 


minée et flanquée par intervalles de hautes montagnes de glace. 
A une heure quinze minutes, nous trouvant à un mille au plus de 
ses parois, nous virâmes de bord, portant sur cette nouvelle route 
au sudet au S.! S. E.; nous continuâmes ainsi à courir des 
bordées. Le lendemain au matin, nous présumions être tout 
à fait dégagés, lorsque nous vimes encore le même rempart 
devant nous, débordant de quelques milles au nord; il fallut 
donc nous remettre à l'œuvre et continuer un ennuyeux lou- 
voyage. Malheureusement, les circonstances annoncçaient devoir 
changer ; la brise, qui jusqu'alors s'était maintenue maniable, 
commençait à fraîchir ; le cie Îse couvrait, et tout annonçait que 
nous allions avoir du mauvais temps. , 

A cinq heures du soir, il ventait grand frais, par violentes 
rafales; la neige tombait très-épaisse, et la moindre manœuvre était 


- devenue très-difhcile, àcause du verglas qui couvrait les voiles et 


les agrès; nous courions depuis quelques heures la bordée du sud, 
n’y voyant pas à deux longueurs de navire devant nous, lorsque 
nous nous trouvâmes subitement entourés de débris qui indi- 
quaient le voisinage de quelques grosses masses : le péril était 
imminent; nous virâmes aussitôt lof pour lof, afin de reprendre 
les autres amures. La promptitude que nous dûmes apporter à 
la manœuvre, jointe aux obstacles que nous présentaient la neige, 
Ja glace et la force du vent, ne permirent pas d'exécuter l’évolu- 
ton avec toute la précision et les ménagements convenables ; 
nous ne pûmes éviter de déchirer la grande voile, de déralinguer 
le peut foc et l’artimon, trois voiles devenues indispensables dans 
la position où nous nous trouvions. La trinquette était heureu- 
sement enverguée, et nous l’établimes immédiatement. 

Une fois sur l’autre bord, nous apercûmes encore l’Astro- 
labe au vent et à petite distance, mais bientôt la brume nous la 
déroba, nous la perdimes de vue. Le vent augmentant encore de 
force, nous n’eussions pas, dans toute autre circonstance, hésité 
à mettre entièrement à la cape; mais, engolfés comme nous l’étions, 
il devenait urgent de nous maintenir autant que possible, et nous 
gardâmes les trois huniérs au bas ris, au risque de les voir 


340 NOTES. 


tant, ue, toute do surveillance , rencontrer Er mad FA | 
tagne de glace dont le choc eût inévitablement amené notre perte. 
Les rafales perdirent enfin de leur violence; le vent, quoique. 
continuant à souffler avec beaucoup de en devint plus Henr. où 
lier, et nous pûmes , après avoir viré de bord à minuit et demi, 
mettre la misaine et travailler à enverguer une autre grande voile, 
qui se trouva établie le 25 de très-bonne heure. La bourrasque 
avait alors beaucoup diminué; le ciel était moins sombre, et l'hori- 


nt 


zon plus dégagé permettait de voir à deux ou trois milles: 
néanmoins, nous ne pumes découvrir l’Astrolabe, qui devait avoir. | 
sur notre compte les mêmes inquiétudes que nous avions sur elle. 
Nos hommes avaient cruellement souffert la nuit précédente, e4 
quelques-uns de nos meilleurs matelots s étaient même vus forcés | 
de renoncer au travail, épuisés de fatigue, saisis par le froid, ne 
trouvant plus rien en eux, malgré tous leurs efforts, qui püt 
seconder leur courage et leur bonne volonté. Si le coup de vent : 
eût duré quelques heures de plus, nous eussions fini par nous À 
trouver dans une position très-critique ; les bras nous auraient 
manqué et nos voiles n’eussent pu résister aussi longtemps à 
d'aussi violentes attaques. Heureusement le ciel continua à s'em- | 
bellir, le temps devint maniable, et nous pûmes, dans la journée, : 
regagner le terrain que nous avions perdu. 


À cinq heures et demie du soir, j'éprouvai une grande oo. 
tion lorsqu'on vint m'annoncer que l’on voyait l’Astrolabe ; je 
montiai de suite sur le pont, et je la vis courant grand largue, pour | 
nous rallier. Elle avait réussi à s'élever plus au vent que nous. 
Peu à peu nous la rejoignîmes, et nous nous retrouvâmes à notre 
poste accoutumé, à petite distance d'elle. Après quelques heures « 3 
de calme, la brise passa à l’ouest et au S. O. vers minuit. | | 
DH courümes à l’est jusqu'à D he du matin ; nous 


presque entièrement uote Nous profità (Âmes. Ai ci circons ne 
tance pour réparer quelques avaries et enverguer nos É 


NOTES. 341 


huniers de rechange. A midi, les observations nous placèrent par 
65° 54 51” lat. sud, et 136° 21° 45” long. orientale; la longitude, 
par les distances, fut trouvée, au même instant, de 136° 33. 
Nous avions été grandement portés dans l’ouest pendant le der 
nier coup de vent. Ù | 

Dans la soirée, nous prolongeâmes au vent une longue bande 
de gros glaçons , peu éloignés les uns des autres; pendant la 
nuit, nous manœuvrämes presque constamment pour nous dé- 
gager de cette masse épaisse , lofant pour les uns et arrivant sou- 
vent presque plat vent arrière pour en éviter d’autres. La partie 
de l'horizon où se trouvait la terre était bien éclairée, et nous 
l’apercevions distinctement et bien dessinée, AE 

Le 27,sur les quatre heures du matin, notre horizon s’assombrit 
de nouveau, et tout nous annonça un changement dans la brise 
avec un retour de mauvais temps ; bientôt la neige commenca à 
tomber, l'horizon devint brumeux, le vent passa à l'E. S. E., 
en fraîchissant rapidement; nous étions heureusement en de- 
hors de la ligne des montagnes de glace, et nous pümes courir au 
N. N. O. sous la misaine et les deux huniers avec deux ris. La. 
route que nous suivions était néanmoins très douteuse quant à 
la direction ; car, depuis que nous étions dans le voisinage du 
méridien magnétique, nos Compas n’indiquaient rien de posi- 
tif, et, depuis quelques jours, nous profitions de toutes les 
circonstances possibles pour observer des azimuths et suppléer 
ainsi à leurs variations. Pendant la nuit, la force du vent diminua, 
mais la neige ne cessa de tomber; la mer était très-grosse et très- 
fatigante. Notre horizon très-rapproché nous soumettait à une - 
surveillance continuelle pour ne pas perdre de vue l’Astro- 
labe, qui naviguait à moins de deux longueurs de navire devant 
nous. 

À six heures du matin, la brise ayant varié au S. O., le ciel se 
_dégagea sensiblement , et à neuf heures nous prîmes le plus près 
tribord amures. À midi, nous étions par 64° 10’ lat. S. et 134° 57° 
long. E. Ce temps passable ne fut pas de longue durée; car, 
vers le soir, la neige revint de nouveau, par grains épais, le vent 


349 : NOTES. 
sauta au N. E. dé nous gouvernâmes au s:03; 
tue et tourmentée. 


Le lendemain, à midi, nous nous trouvions par 64e 40° 3 
lat. S. et 133° 6 long. E. ; nous nous dirigions toujours auS.O., =} A 
lorsque vers quatre heures, dans une éclaircie. qui eut. lieu ; L 
nous crûmes ‘apereevoir la terre ou au moins la banquise ‘os 2 É 

Ur 


_vinmes au plus près les amures à tribord. SU RE | 

Environ une heure après, la vigie signala un navire, courant re 
grand largue pour nous approcher; tout le monde fut, en un. 
instant, sur le pont pour jouir d’un spectacle si rare et si inat- : à 


tendu dans les parages où nous nous trouvions. Notre première 


idée fut que ce bâtiment appartenait à l'expédition américaine Ë 
qui se trouvait à Sidney à l’époque où nous nous trouvions à Ho= L 
bart- Town, et qui était destinée pour les mers australes; nous 

x FAN P Abe à 


fûmes confirmés dans cette opinion lorsqu'il fut plus près , et. 


que nous vimes un brick déployant la flamme et le pavillon des 
Etats-Unis. 11 manœuvra sur nous jusqu’à se trouver à quelques 
encablures par notre arrière, après quoi il vint subitement sur | 
babord , et s’éloigna rapidement sous toutes voiles.  : 0 


Pendant la nuit, le temps resta sombre et neigeux, le vent souf.… | 
fla bon frais de l'E. S. E., et nous gouvernâmes à l'O. N. O. jus- « 
qu’à cinq heures du matin ; nous mîmes alors le cap au S.O., di 0 
rigeant notre course pour passer entre deux grosses îles de Ce 
celle du vent nous donna, un instant, de violentes rafales. Les 
mer était toujours grosse et la brise soufflait avec force. éd 1 

Vers neuf heures, la vigie signala la terre, et bientôt, nous | 
crûmes tous l’apercevoir distinctement ; maïs en ‘approchant , des 
doutes commencèrent à s'élever. Nous avions devant les yeuxun 
muraille épaisse de glace, haute de 80 à 100 pieds, à parois per 
pendiculaires et bien tranchées, présentant une continuité com=* 
pacte aussi loin que nos regards pouvaient s'étendre des dei 
côtés, et courant du N. E. au S. O. Nous n’avions pas en 
rencontré une masse semblable ; tout porte à croire que ce 
part de glace s’'appuyait sur la côte qui ne devait pas & 
éloignée, et que l’état seul du ciel nous empéchait de l'a 


| 


> 


NOTES. 343 


voir. À midi, nous en étions au plus à 3 milles ; nous gouver- 
nâmes pour la prolonger à cette distance’, le cap au S. O.etau 
S. 0.4 O.;'en faisant bon sillage. À neuf heures, l'extrémité S. O. 
restait au sud; nous avions à cette époque exploré environ une 


vingtaine de lieues de cette muraille, qui ne nous avait jamais pré- 


senté la moindre fissure, et qui disparut en paraissant s’infléchir 
vers le sud, (M. J'acquinot.) 


LA 


Note 21, page 186. 


La côte, à mesure que nous avancions dans l’ouest, s’inflé- 
chissait sensiblement vers le nord. Les grandes îles de glace 
nous empêéchaient toujours d’en approcher. Nous eûmes une 
journée de calme , mais le ciel ne fut pas tout à fait aussi pur 
que les jours précédents. Plusieurs pingouins, des baleines de 
l'espèce appelée fun-back, vinrent lancer leur souffle autour de 
nous ; les jours précédents on avait vu quelques phoques et deux 
baleïnes ; le vent s’éleva du S. E. pendant la nuit, et nous nous 
apercûmes, à trois heures du matin, qu'il était impossible d'attein- 
dre la limite ouest de nos terres, car de grands champs de glace 
étaient fixés dans cette partie ; nous vimes, en nous en approchant, 
qu'ils se dirigeaient vers le nord et le N. E., et nous reconnûmes 
bientôt après que nous étions enfoncés dans un grand golfe, car 
en virant à huit heures un quart, à un demi-mille de ces glaces 
compactes, nous les vimes se prolonger jusqu'au N. E. à une grande 
distance. | 

Cette banquise renfermait , dans son intérieur, des montagnes 
de glace plus élevées que celles que nous vimes à l’est des îles 
Powel ; comme le vent était à l’est, et qu'il n’y avait d'autre is- 
sue que de ce côté, il fallut louvoyer; heureusement le temps 
était beau, nous y employâmes toute la journée du 23 et une 
partie de la nuit du 23 au 24. 

Le 24, à cinq heures du matin, le temps était sombre et l'ho- 
rizon commençait à se charger beaucoup dans l’est; nous nous 


344 | NOTES. 


bler la banquise ; nous laissâmes donc porter de deux q 1 
la pointe extrême, où on voyait de grandes montagnes de 
soudées avec elle ; mais en approchant , à huit heures du matin, 
on s’apercut qu’elle se prolongeait à environ 3 milles dans le N. EE. , 
par une pointe Sy du reste par un canal étroit et. él | 
obstrué de glaces, qu'avec un temps aussi sombre on ne pouvait ‘4 
s'y engager, de crainte d’être arrêté et pris entre ces glaces isolées 4 
et la glace fixe. Nous reprîimes aussitôt le plus près et virâmes de 3 

bord presqu’à toucher ces glaces ; nous forcâmes de voiles ensuite é 
pour sortir au plus tôt de ce cul- de sac:il n’y avait pas de us a 
perdre, car les apparences étaient très-mauvaises. | n 


“ 


Au bout de quelques heures, le vent fraichit considérablement, 
le temps s’obscurcit et la neige commenca à tomber. Il atteignit 
bien vite la violence d’un coup de vent qui nous força de dimi- F. 
nuer de voiles et nous fit faire des avaries dans nos écoutes d’ hune. 4 
Comme nous avions déjà laissé porter à plusieurs reprises pour ne R : 
pas nous séparer de P Astrolabe, nous tombâmes alors sous le vent. 

à elle, d'autant plus que les glaces nous forcaient souvent d’e arri- 
ver, n'étant pas libres de notre manœuvre. Déjà à trois heures ei 
vent soufflait grand frais de l'estet de l'E.S. E., nous gardâmes À ; 
néanmoins les basses voiles pour ne pas dériver sur les banquises. rs 
La neige tombait avec une telle abondance, que parfois nous per- 


RER ASE 


dions de vue l’Astrolabe, et notre position commencait à être très- 
. e- . ur. - y ER re s 
critique, en raison des nombreuses glaces dont la mer était couverte 
et des glaces compactes qui nous restaient sous le vent. L'état de 
È ; > . RL 

nos compas qui , influencés par le voisinage du pôle magnétique , « 
variaient à chaque instant de sept à huit rhumbs de vent, com- « 
pliquait encore plus notre situation, car nous ignoriôns dans 
l'obscurité où nous clones nous conservâmes é de qe de ba 


NOTES, 345 : 


ques pas; comme nous devions être très-près de grandes îles de 
glace, nous virâmes vent arrière à la hâte pour en éviter une qui 
parut tout à coup sous notre beaupré ; dans cette évolution notre 
grande voile fut défoncée ainsi que le petit foc. La violence du 
vent s’accrut encore dans la soirée et nous forca de diminuer de 
voiles ; la neige qui tombait par ondées épaisses, la lame qui cou- 
vrait la corvette, et le froid excessif paralysèrent alors à tel point 
les forces de nos hommes, que toute manœuvre était devenue on 

» ne peut plus difficile; toutes les cordes étaient couvertes d’une 


couche épaisse de glace et avaient plus que doublé leur dia- 
mètre. 


A sept heures du soir, le vent avait acquis une telle intensité, 
que dans tout autre cas il eût fallu mettre à la cape ; mais, affalés 
comme nous l’étions , on devait plutôt s’exposer à les perdre que 
de diminuer de voiles. Nous gardâmes donc les deux huniers au 
bas ris, et restèmes dans cette position jusqu’à onze heures du 
soir, en proie aux plus vives inquiétudes ; à chaque instant, au 
milieu de ce chaos, nous pouvions tomber inopinément sur une 
glace et nous briser, ou bien rencontrer les champs de glace 
fixe, ce qui était à peu près équivalent. IL était impossible de se 
dissimuler le danger que courait la corvette, et l’Æsérolabe que 
nous avions perdue de vue devait être dans la même situation: 
Pendant ces heures d’angoïisses, nous sentimes bien vivement 
la privation de nos boussoles, et nous aurions voulu être bien 
loin du pôle magnétique, car nous dirigious nos bordées sur le 


vent qu’on était obligé de supposer fixe, et nous étions privés dle 
la ressource de pouvoir profiter de ses variations. La distance à 
laquelle nous avions perdu de vue la banquise ne nous permet- 
tait pas de douter que, pour peu que le vent durât ainsi toute la 


UN 


nuit, nous tomberions dessus le lendemain ; sa nature compacte 
et la grosse mer ne nous laissaient guère de chances de trouver 
un refuge dans ses débris. À onze heures le temps s’embellit un 
— peuet notre horizon s’étendit ; nous augmentâmes alors de voiles 
autant que pouvait nous le permettre l'absence de la grande voile 
et l’impossibilité de la remplacer dans les circonstances où nous 


346 ; NOTES. | 
étions ; surtout avec des hommes aussi fatigués que 
marins, qui avaient eu les mains presque gelées en pr " 
Nous virâmes de bord près de grandes glaces, et nous ap ercûme: 
après que nous tombions encore beaucoup sous le vent Finn 
port à elles, quoiqu'elles fussent entraînées elles-mêmes vers. 
l’ouest. A deux heures du matin , nous repr Yinlés: le large. He qua i 
tre heures du matin, le vent. soufflait toujours bon frais, mais | L 
nous nous apercûmes avec plaisir qu'avec la voilure que nou: 4 
avions nous commencions à nous maintenir. Nous atteignimes : à + 
huit heures la tête de la banquise, après avoir été obligés plu- 4 
sieurs fois de laisser arriver ; on reconnut alors les grandes mon- 1 
tagnes de la veille. Une de nos vigies crut apercevoir l’4 strolabe 
dans le N. E.; quoique, en nous séparant d’elle, nous l'eussions 
laissée au vent, nous n’en étions pas moins très-inquiets sur son 1 
compte. Nous virâmes alors de bord, et on changea aussitôt après 
la grande voile, ce qui nécessita deux heures et demie de travail, à 
malgré tout le zèle qu'y mirent nos gabiers ; nous suivimes en= 
suite, le cap sur la terre, la banquise à 5-ou 6 milles. û 3 
Dans la journée du 27, le vent devint grand frais et le témps 
tellement sombre, à cause de l’épaisseur de la neige, que nous fû 
mes obligés de veiller, avec la plus grande attention, pour ne pas 
rencontrer de glaces , car avec une vitesse aussi considérable qué | 
celle que nous avions, on aurait eu difficilement le temps de. 
manœuvrer. À quatre heures nous eûmes une terrible alerte; 
nous tombâmes tout à coup au milieu d'une grande quantité 
de PEUR débris de Ne la mer était 44 très- “rate Ed an 


vit tout à coup dé très-près une le de glace de la plus pe 
mension , et nous n’eûmes que le temps de laisser porter po 
ranger presqu'à toucher sous le vent. Comme sa hauteur d 
sait notre mâture , nous ressentimes en passant de fortes ral 
comme sous Un Cap escarpé. La neige se détachait par 0 
lons de la surface de son sommet ; la mer brisait avec f 


ORNE 


NOTES. 347 


ses flancs , la teinte sombre de l'horizon et la violence du vent 
donnaient un aspect lugubre à cette masse errante. Nous ne pou- 
vions nous dissimuler que nous pouvions à chaque instant en 
rencontrer une pareille sous notre beaupré et nous perdre dessus : 
c'était le danger de tous les instants de cette navigation, mais 


_ le passé nous donnaït de la confiance en l'avenir, et nous repris 
) pri 


mes après notre route au N. O. au milieu des ténèbres. La neige 
ne cessa pas de tomber un instant pendant la puit. Des hommes 
étaient occupés sans cesse à enlever celle qui couvrait le pont et 


 Jes manœuvres. Les agrès et toutes les autres parties du navire 


en avaient une couche épaisse qui donnait la teinte d'hiver 
la plus prononcée. Nous étions obligés de naviguer de très-près 
pour ne pas nous perdre, et cependant, très-souvent nous per- 
dions de vue l’As/rolabe , malgré l’attention constante que nous 
lui prêtions. À quatre heures du matin, nous changeâmes de route 
et vinmes à l'O. S. O. Nous avions déjà fait beaucoup de chemin 
dans le nord. Le vent continua toujours à être très-frais; mais à 
six heures le temps s’éclaircit et nous apercûmes de loin deux 
grandes îles entre lesquelles nous passèmes ; nous avions élé assez 
heureux pour n’en pas rencontrer dans la nuit. 


Le 29 janvier, le temps devint beaucoup plus doux, et ce fut la 
preière fois depuis longtemps que le thermomètre monta au- 


dessus de zéro ; aussi le dégel fut complet ; mais la grande humi- 


dité, l'absence du soleil toujours voilé par du brouillard, et la grosse 
mer qui ne céssait de nous tourmenter, nous firent peu appré- 
cier ce changement; nous regrettions toujours les beaux jours 
que nous avions passés sur la côte avant le coup de vent ,. mal gré 
que le froid fût alors assez vif. Nous fimes route au S.S. O. 
jusqu'à quatre heures. Alors on crut apercevoir la banquise et 
nous mîmes aussitôt le cap au N. N. O. A cinq heures, à notre 
grande surprise, nous apercûmes dans le N. N. E. un brick qui 
faisait route sur nous sous toutes voiles ; il mit, en nous appro- 
chant, les couleurs américaines, et nous le reconnûmes pour un 
des bâtiments de l'expédition de cette nation que nous savions à 
Sidney, quand nous quittûmes Hobart-Town. Il parut nous 


348 | _. NOTES. 


vent; mais bientôt après il reprit sa route vent arrière au 1. ; 
Cette rencontre si singulière de deux expéditions différentes, à 
dans des parages où on n’était jamais venu avant nous, donna 4 
lieu à bord à mille conjectures. RAR 17 4 


+ PUS 


Le vent reprit à l'E.S. E. pendant l3 nuit, nous s courûmes à 
FO. N. O. Il fraichit beaucoup et la neige vint encore obscureir 
l'horizon ; à cinq heures du matin, nous fimes route de nouveau ? 
vers le sud. À sept heures et demie, nos vigies signalèrent la terre; 
mais en approchant nous vimes, au lieu d'elle, une grande côte de … 
glace qui se prolongeait dans l’ouest autant que la vue pouvait … 
s'étendre ; nous suivimes toute la journée cette côte à unedistance 
de 2 à 3 milles :ælle était partout uniforme et se terminait par des 
falaises verticales de 30 mètres d’élévation; on voyait à son appro- 


che beaucoup de petites îles flottantes comme sur les côtes, et elle 
offrait exactement l’aspect des glaces qui terminent toutes les par- 
ties peu saillantes des côtes dans ces parages. Nous la suivimes 2 
ainsi jusqu’au soir l’espace de 20 lieues, d'assez près pour voir 


qu’elle était toujours continue, ce qui nous fit supposer qu'elle 
était soudée à la terre, qui était à une certaine distance dans le sud; ; à 
mais rien n’indiquait celle-ci, et malgré toute l'attention qu'on y « 
préta, on ne put découvrir derrière ni montagnes, ni terre. Tout M 
nous fit croire cependant que cette masse énorme de glaces devait 
avoir pour noyau des terres , et n’était point une île errante, car 
sa grandeur dépassait tout ce qu'on a vu jusqu'à ce jour. Nous À 
aurions bien voulu DRASS éclair cir ce fait, mais les circonstances L 
ne le permettaient pas. À : 
Pendant la nuit, qui commençait à être SA IES tant les j jours | 
décroissent vite sous cette latitude, nous courûmes au S. O.e ; 
au S. S. O.; nous laissâmes dans le S. E. une immense quant 
d'îles de glace de la plus grande dimension, et des lucurs a 
quelles on ne se trompe guère annonçaient l'approche de Ja | 
quise. ï 


NOTES. 349 
- peut mieux employé, car non-seulement nous avions découvert 
- une grande terre, et complété cette découverte en débarquant 
dessus, ce qu’on ne peut pas toujours espérer sous cette zone, où 
les terres sont ensevelies , même au cœur de l'été, sous d’épaisses 
» couches de glaces et de neige, et où la fréquence des coups de vent 
» rend si difficile de se maintenir près d’elles ; de plus, on avaït fait 
assez d'observations à l’est et à l’ouest du méridien magnétique ; 

pour déterminer la position du pôle piianetque austral, avec une 
. exactitude bien supérieure à celle qu on avait eue jusqu’à ce jour ; 
et si nous n'avions pas été jusqu’à un point où l'aiguille prend 
- une direction verticale, la terre seule que nous avions rencontrée 
nous avait arrêtés; sa nature, nous pouvons l’avancer, s’op- 
+ posera toujours aux tentatives de ceux qui voudraient pénétrer 
jusqu'à ce point mystérieux, et sera pour eux un obstaclei invin- 

cible. Après d’aussi heureux résultats, nous dîimes adieu sans 
regret à cette vilaine zone. Nous avions à bord deux hommes en- 

core gravement malades de la dyssenterie depuis notre départ ; et 
leur état commençait à nous donner de vives inquiétudes. Les 
autres, grâce aux rafraîchissements que nous avions embarqués, 
Ë continuaient à bien se porter. (M. Dubouzet.) 


Note 22, page 186. 


Le 24, à quatre heures du matin, le temps se couvre, la 
brise fraichit du S. E. Nous commencions à sentir la houle 
… de l'est. Nous courons au plus près tribord amures, cap au 
-N. E. pour doubler la banquise, dont la pointe extrême suppo- 
-sée doit nous rester vers le nord à environ 6 milles de distance. 
- Tous nos compas sont affolés et n’indiquent le cap du navire 
“que très-imparfaitement. Cette aberration des aiguilles est due au 
- voisinage du pôle magnétique, à la grande inclinaison que l’ai- 
_guille tend à prendre, et à l'influence du fer du navire ; on essaye 
vainement de balancer cette force d’inclinaison par un poids ad- 
“ditionnel établi sur l'aiguille. Celle-ci n’en acquiert pas un sur- 


CP ODRE P AOFEANNEN 


350 ” NOTES. 


are NuQ:: diférant snivant ns compas CE Fi posi- j 
tion, les caps du navire, ete., est plus sensible aujourd'hui que les 
jours précédents, à cause de l'agitation de la mer, terne 
aux aiguilles un mouvement oscillatoire irrégulier qui l’emp: 
toujourssur la force directrice. Il serait intéressant de unten 
dans le cas où nous nous trouvons, la plaque inventée par le doc= | 
teur Barlow pourrait à la fois atténuer l'influenee du fer du nas 
vire sur l'aiguille, et l'effet de l’inclinaison, et conserver à l'aiguille 
horizontale une force directrice suffisante pour que le choc des” 
vagues et les divers caps du navire ne puissent la détruire ou la. 
modifier que pour un temps très-court. Pour que la plaque de 
Barlow soit applicable aux boussoles marines, il faut qu’elle sa 
tisfasse aux conditions précédentes, sans quoi on ne pourrait l 
tiliser que par des mers par faitement calmes, comme celles dell 
deux jours passés. Or, nous avons déjà remarqué que, malgré le. 
voisinage du pôle magnétique et la forte inclinaison de l’aiguiil n 
malgré l'influence du fer du navire et l’ affaiblissement de la puis- 
sance directrice de cette aiguille, elle n’en a pas moins secte une 
direction assez régulière (sauf la variation qui est toujours mo= 
difiée par les divers caps du navire), tant qu'elle n’a pas été expo- 
sée au choc des vagues, qui la dérangent brusquement de la posi- 
tion d'équilibre qu'elle tendait à prendre en vertu des seul 
forces magnétiques. En un mot, dans la journée‘d’hier, par. 
mer Calme, nos compas de route, malgré leurs aberrations, n 
donnaient 6 à 8 degrés près le cap du navire ; tandis qu' 
jourd'hui, dans les mêmes parages, sur une mer agitée, ils n % 
quent plus rien. 


Le baromètre à quatre heures du maun était à o; 
à huit heures. —— à: ) 
à midi M 
à quatre heures —— RTE à < ,94 


éret Nbsst D ‘rites, nant 2 


ls bé mu. cl mt ste ul EE ANS 


in a title démétadtatt … dnd cts ohtAlt 


PP NS 


DR PORN SR TE ET 


NOTES. 351 

Le sympiésomètre est descendu dans le même temps de 0,713 
à 0,710. HART) | 

À une heure et demie, la brise d'E. S. E., qui wa toujours en 
augmentant, souffle par rafales violentes, le temps est très-som- 
bre, la neige tombe assez serrée. Nous perdons tout à fait la terre 
de vue. On prend les deux derniers ris au petit hunieretau per - 
roquet de fougue, et l'on cargue la grande voile remplacée par 
Vartimon et le foc d’artimon , le vent renforçant encore, pris le 
deuxième ris au grand hunier et dégréé les perroquets. 

A quatre heures, le coup de vent est bien établi, la mer est très- 
gxosse, notre horizon ne s'étend pas à plus de trois encablures ; 
quelques grosses glaces défilent sous le vent. 

À quatre heures trente minutes, nous avons pris la bordée de 
tribord amures, portant le cap du N.N.E.etàa l'E. N.E,, autant 
qu'il est possible d'en juger avec une douzaine de compas qui 
donnent les indications les plus extraordinaires. Le meilleur 
guide est la direction du vent et surtout celle des lames que nous 
savons venir du S. E. à l'E. S. E. De quatre à huit heures, le 
vent a soufflé avec une violence extrême. La corvette fatigue beau- 
coup, et la mâture résiste à peine à cet excès de voilure. On car- 


gue l’artimon et le foc «d’artimon. Des tourbillons de nelge très - 


dense nous aveuglent et forment sur le pont une couche qui 
s'épaissit encore par l’eau de mer qui se gèle en tombant à bord. 


De cinq heures à six heures, la violence du vent et_la rigueur du 


temps rendent toute manœuvre à peu près impossible. Nos mate- 
lots ne peuventse tenir dans le gréement qui est hérissé de glaçons 
tranchants. Ce n’est qu'avec la plus grande peine qu’ils peuvent 
s’accorer sur le pont. C'est dans ce piteux état que nous parve- 
nons à éviter quatre ou cinq glaces flottantes dont la fueur a heu- 
reusenent traverséle voile sombre qui nous enveloppe. A six heu- 


res du soir, la Zélée est aperçue sous le vent dans une éclaircie, 


Le capitaine de ce navire est rendu, par sigual , libre de sa ma- 
nœuvre pour la sûreté de son bâument. 

L'équipage se relève par bordées d’lreure en heure. Des punchs 
chauds sont distribués aux matelots qui quittent le pont. Les of- 


352 RONDYES. 


J 


officiers en deux bordéés se nt dé deux en 
La grande voile  téchires ane cargues. La Z4 bi. lev 
De 8 heures à minuit, le temps toujours très -brumeux. 1 
grosse, la neige tombe par intervalles. Le vent, toujours uès-vio= ‘4 
lent, commence cependant à éprouver quelques accalmies.… | ‘3 
Le 26, dans l'après-midi, on a relevé divers points de TE * 
Adélie qui est toujours encroûtée. On remarque cependant « Luc 
le dégel a fait des progrès sensibles. Quelques sommets commen- > 
cent à poindre du milieu des neiges, et l’on commence à HER S L. 
un peu lerelief du terrain. Mais la côte n she encore is upe fa 4 


dont le coup x vent die a sans doute un peu hâte Ja ei 
pesante vers l'ouest. À midi, on en FE vipgt- “rois à huit < 
heures du soir, quatre-vingt-quatre. » SR 
Il résulte de cette navigation que nous devons nous estimer 
très-heureux d’avoir accosté la terre d’Adélie sur un méridien où 
la mer était assez libre de glace. 15 lieues plus à l’ouest, nous au- 
rions rencontré la banquise, qui nous eût tenus à une trop ne 4 
distance de la terre, pour nous permettre de la découvrir. | © M 
Le 29, à quatre heures, nous venions de reconnaître la ban 
quise, quand on aperçut dans la brume un navire qui paraisse 


se diriger sur nous ; la rencontre parut si singulière, qu’on sup- 
posa d’abord que ce n'était qu’un glacon de forme pyramidale. 
Mais le navire étant couvert de voiles, et la brume se dissipant, 
nous ne tardons pas à reconnaître que ce n'est ni une glace 
ni une ombre, mais un véritable brick, avant les couleurs des . 
Etats-Unis. L’ Astrolabe et la Zélée, en ce moment bien ralliées, 
ont hissé leur pavillon, et attendu sous petites voiles lebrick amée | 
ricain. Celui-ci n'étant plus qu'à deux encablures par notre tra- 
vers au vent, l’Astrolabe a amuré sa grande voile, sur quoi : 


à 160 touneaux; ses formes aussi peu élégantes que celles : 
corvettes. Nous n'avons pu apercevoir sur son pont sue une 
taine d’ hommes. 


tt 


NOTES. 353 


Le 30, à huit heures vingt minutes, la vigie annonce la terre 
dans la direction du S. au S. O. : ce que nous examinons avec 
tant d'attention depuis une demi-heure a pris un corps, et ne 
saurait être de la brume. Mais cette bande, qui s'étend depuis le 
S. S. E. jusqu’au S. O. £ $., est si plate, si uniforme, qu'on con- 
coit à peine l'existence d’une terre taillée avec une si parfaite ré- 
gularité. D’un autre côté, peut-on supposer qu’il puisse exister 
un bloc de glace d’une dimension aussi prodigieuse ? Nous n’a- 
vons encore vu, nulle part, rien de semblable à cette immense fa- 
laise de glace qui se déploie dans une étendue de plus dedix lieues, 
et dont les extrémités se perdent dans le vague de l'horizon. Nous 
avons donc cru que ce nouveau rivage n’était que l’escarpement 
de la croûte de glace enveloppant une terre que nous ne tarde- 
rions pas à découvrir. 

A huit heures trente minutes, la route est donnée au S. S. O; 
pour accoster cette falaise ct l’examiner de près. La mer , balayée 
par les derniers coups de vent d'est, est à peu près dégagée des 


_ glaces flottantes, dont on n’apercoit que quelques débris clair- 


semés. 
A dix heures, nous n’étions plus qu’à environ trois milles de la 
côte. Elle est taillée à pic et se dresse au-dessus de la mer, à la 


hauteur de 150 pieds environ. On ne distingue rien au-dessus de 


la crête qui forme une ligne rigoureusement droite et parallèle à la 
ligne d'horizon. Il faut parcourir plusieurs lieues de cette côte 
pour y rencontrer une crevasse, une simple fissure qui annonce 


sa prochaine rupture. Le cap le plus avancé, qui forme un angle 


obtus vers le nord, paraît insensible à l’action des grosses lames 


de l'E. et du N. O., qui tour à tour viennent se ruer à sa base. 
Après avoir doublé ce cap, nous remarquons avec étonnement 
qu'une grosse houle du S. E. nous est renvoyée par la côte. C'est 
la houle du large ou du N. O. qui se réfléchit à la base des fa- 
laises où elle déferle à peine. On croirait un instant que cette va- 
gue du S. E. s’est glissée sous le cap glacé pour arriver jusqu’à 
nous. 

Il nous est impossible de voir la terre dans cet immense pla- 

VIN, | 23 


Lu. RO 


ver sur ro points, “hi lä crête dt vieil ui s tout 
son VHRRs est de à ès de pire HE RE due edes 
d’après ce que nous avons di. va de Ja terre Adélie 
n'avons pu atteindre la limite ouest, nous sommes persu: | 
lé plateau qui est devant nous s'étend dans le sud jusqu’à la terre, | 
où, en d’autres termes , nous croyons qu’un pareil plateau de” 
neige et de glace n enveloppe pas la re mais qu il s appuie s sur k 
elle dans le sud. ‘y: | À Fans 
D'un autre côté, comment expliquer la formation d'une dde 
de glace, d’une véritable banquise flottante, qui, pour une bau- 
teur de 150 pieds au-dessus de la mer, ne devrait pas avoir moins 
de 800 pieds au- dessous du niveau des eaux? Et si l'on tient | 
compte de l’action combinée du soleil, des vagues et des courants 
qui, dans les mois d'été, doivent suspendre sa formation et, soti- . 
vent même en disloquer les premières couches, combien d'années à 
ne faudra-t-il pas à la nature pour élever cette barrière de cris- | 
tal?.... On conçoit à peine qu’un bras de mer, r'esserré entre deux ï 
terres; doit se figer au moins à sa surface, dans uu hiver polaire. 
La neige, s'ämoncelant sur ce bass , pourra, si l'on veut, la com- 
bler jusqu'aux sommets des montagnes voisines. On aura. ainsi, 
par une succession d'hivers rigoureux, un pâté de glace épais 
de Le PiiÈes et même Au sn dans le re Fe 


Mais ici, comment concevoir là formation d'une at inte 
mille pieds d'épaisseur; qui, n’étant appuyée à la terre que d'un 
côté, est exposée de l'autre à toute la violence des mers antare= | 
tiques ? | fl 


De minuit à quatre heures du matin, temps couvert : 
jolie brise d'E. , variable à VE. S. E. Fait route au : 
sous les huniers, avee un sillage de Le milles ; à d » 
fait route au S.S. ©. sous les hunierset les basses voil 


Dh Lis À. + 
. 


LED... à RL : 


TL" SL LS 


. PRESS sé. 


NOTES. 355 
quatre milles. À deux heures et demie, perdu de vue la côte de glace 
que nous venons de prolonger. Nous sommes tous persuadés que 
la terre est derrière cette falaise escarpée : mais à quelle distance ? 
c'est ce que personne ne peut préciser. Nous ne rencontrons sur 
Hotre roule que quelques glacons épars. Une dizaine de glaces au 
vent à nous. (WT, Roquemaurel.) 


Note 22, page 186. 


Nous avions attaqué la terre à vingt milles environ de la pointe 


extrème daÿs l’est, qui tranchait jiarfaitement sur un horizon aussi 


pur qu'on puisse en voir dans Îles plus beaux climats. Nous étions 


arrivés, à 5 heures environ, sur uh point assez dégagé de glacés, et 
près d’un gros glacon qui semblait d’un abord facile ; M. d'Urville 
mit en panne et envoya MM. Dumoulin et Coupvent y faire 
des observations magnétiques. Pendant que nous étions à attendre 
le retour de ces messicurs, nous apercûmes, au milieu d’un amas 
confus de glaces qui s’étendaient sur une ligne perpendiculaire 
a la côte, des ilots entièrement dégarnis dé neige ; l’Astrolale, qui 
les avait vus comme nous, envoya une embarcation pour y re- 
cueillir des fragments de roche, preuve essentielle pour constater 
aux yeux même des plus incrédules, que nous ne nous trompions 
pas, et que nous avions découvert une terre, et non une grandeîle 
de glace de 1200 à 1500 pieds de hauteur !.... Depuis que nous 
avions vu la roche à découvert, nous nous impatientions de ne 
pas voir de canot prendre cette direction ; mais ce fut bien aütre 
chose quand nous vimes passer près dé nous un canot de l45- 
trotabe , sans qu’on nous donnât ordre d’y aller de notre côté. 
J'avoue que dans ce moment j'éprouvai une vive contrariété ; 
je jurai, je tempétai, et mon désespoir ne se calma que lorsque, 
sur notre demande faite par signal, un de nos canots obtint de 
suivre celui de l’Astrolabe. Y eût été injuste de nous refuser cette 
faveur. Appelés à partager les mêmes dangers et les mêmes la- 
beurs , nous avions le même droit aux petits avantages de notre 


campagne , qui sont de voir par nos yeux et d'étudier par nous- 


hi 


356 | . NOTES. 


soir environ, et se diri igea à Se de rames vers Nb 1 
. vers celte terre que pas un AY Rae n 'avait BV 


prirent, suivant l'antique usage, possession Poicue au M % la 


France; on vida une bouteille de Bordeaux en l'honneur du pe 24 
villon français, hissé sur le sommet de li Lot le plus élevé. : Sans > 


YOUR 


Sas 
doute, personne ne disputera à la France cette propriété, qu'onne 


ob 
“à 
4 
73 
E 2 


LÀ F 
reverra peut- -être jamais ; 2 incontestablement, noire patrie clle- 
même n’en sera pas enrichie, mais elle sera en droit de. s 'enor- mn 
gueillir de cette découverte, achetée au prix des peines de ses. 


M 


LA 


enfants et des périls sans nombre qu elle a coûtés. 
Le 24 au matin , nous fûmes désappointés en nous retrouvant 
encore dans la partie N. E. dela banquise que nous avions bon 


espoir de pouvoir doubier; mais nous ne pouvions nous douter 
que de forts courants nous porteraient dans l’ouest, et détrui- Î 
à 


raient tout notre ouvrage; tout était à refaire ; nous reprimes 


donc la bordée de terre avec résignation , mais en maugr éant un 
peu contre notre mauvaise fortune, bien que nous fussions loin 
de nous attendre aux misèr esetaux dan gers qui nous menaçaient. 
À peine, en effet, eûmes- nous viré de bord, que le vent here 
à fraîchir avec des apparences de temps peu rassurantes ; nous | 
tnmes de la toile tant que nous pûmes ; mais bientôt il fallut son- 
ger à en diminuer. [nous arriva alors ce qui arrive généralement ; ‘4 
c’est que lorsqu'on tarde à diminuer de toile, le : vent augmente 
plus vite que vous ne pouvez serrer, et vous perdez vos voiles. À | 
Pour comble de malheur, nos écoutes d’hune en chaînes déjà 4 
vieilles , et trop faibles dès le principe, manquérent a plusieurs ù 


ee l'une après l’autre ; avaries légères dans les circonstances 
D FAMMERS de l Haye tion, mais Due de vie ou de mort dans 


NOTES. 397 


l’eussions abordée. Qu'on joigne à cet imminent danger de tousles 
instants, celui de notre situation entre une banquise et une terre 
dont les côtes étaient parsemées d’immenses glaces, dont les débris 
encombraient les passages ; de plus, l'incertitude où nous étions, 
par l’affolement de nos compas, des routes que nous suivions, et 
un froid intense qui paralysait nos hommes , dont toutes les forces 
suffisaient à peine pour les retenir sur les vergues, et dont les 
mains ne pouvaient plus saisir les manœuvres durcies par la gelée; 
qu’on fasse, dis-je, la somme de toutes ces circonstances, et qu’on 
juge de notre position. 

À 5 heures du soir, nous trouvant tout à coup au milieu de 
débris de glace, nous nous jugeâmes peu éloignés de terre ; surpris 
par l'apparition subite de grands glacons sous le vent à nous , nous : 
virâmes de bord avec la plus grande promptitude, sans avoir 
le temps de prendre les précautions qu’exigeait le temps ; aussi 
eümes-nous notre foc et notre grande voile emportés ; ce qui nous 
réduisit à courir l’autre bordée sous le petit hunier, l’artimon et 
_ le foc d’artimon , notre grand hunier ayant eu un peu avant une 
écoute cassée; dans ce moment nous perdimes l’Astrolabe de vue, et 
dès-lors nous n’eûmes plus à nous occuper qu’à nous tirer d'af- 
faire, pour lui être plus tard de quelque utilité, s’il lui arrivait 
malheur. Enfin, grâce aux efforts de tout le monde, nous nous 
_trouvâmes, vers 6 heures, établis sous les trois huniers au bas 
ris, que la violence du vent menacait à chaque instant de nous 
emporter, auquel cas nous étions probablement perdus sans res- 
sources; mais heureusement ils tinrent bon ; vers 11 heures du 
soir, le temps s'étant un peu éclairci et le vent ayant un peu dimi- 
nué, nous pümes juger de notre situation, dont nous n'avions 
pas eu jusque-là une idée complète. La banquise s’étendait sous 
le vent à nous, à six et huit milles environ, et en avant d’elle se pro- 
jetait une longue ligne de grandes îles de glace, qui probablement 
étaient appuyées sur elle. Par différents glacons que nous avions 
vus la veille avant qu'il neigeât, nous pûmes apercevoir que nous 
n'avions pas beaucoup perdu, malgré les avaries multipliées que 
nous avions faites. Le vent, moins violent, nous permit de mettre 


358 ER die 


jusqu’à huit Mt du matin sous une He faible à à Ni + À 
vent, et nous nous trouvâmes alors très-près du fond du golfe de e. 
la banquise, dans sa partie N. O. Nous reprimes les amures sur. 
la terre, en attendant que nous eussions pu enverguer une nt ou. k. 
velle grande voile et un petit foc, ce qui ne put être fait avantonze 5 
heures et demie, malgré les efforts de nos hommes ; beaucoup 4 
d’entre eux avaient eu, dans la journée du 24, des doigts gelés; ; : 
plusieurs même, saisis par le froid, étaient tombés malades dans. 
la nuit. Enfin, peu à peu nous fimes notre besogne, etavant midi, 
nous avions une voilure convenable, qui nous mit bientôt en po! "+ 
sition de n’avoir plus rien à redouter. | 


\ 


Depuis le matin, le temps s’était considérablement embelli et 
l'horizon éclairci. Après avoir parcouru tout lhorizon sans voir 
l'Astrolabe, qu'une vigie veillait depuis le matin, toutes nos in. 
quiétudes se portèrent sur notre pauvre compagne, qui aurait pu 
éprouver quelque avarie, ou rencontrer quelque glace pendant 
la nuit, et disparaître sur-le-champ. EL” 4s/rolabe était dans toutes 
les bouches, et tous les yeux la cherchaient constamment : aussi, 
quand à cinq heures du soir la vigie la signala à grande distance 
au vent à nous, tous les cœurs se trouvèrent-ils soulagés d'un 
poids affreux. Elle grossit rapidement, et nous la vimes bientôt À 
courir sur nous dès qu’elle nous eut apercus ; à sept heures et 
demie, elle était près de nous à la distance ordinaire. N'ayant pro- l | 
bablement pas éprouvé les mêmes avaries que nous, elle avait, 
pu, pendant la nuit, s'élever bien plus au vent à nous, et ne nous” 
revoyant plus, au jour elle avait laissé porter pour venir nous - 
chercher. Si elle avait vu, la veille, nos écoutes de hune partir. 
| successivement, et plus tard nos voiles déchirées, elle a dû avoir 
sur notre sort de bien grandes Re: et vraiment a ! he, 


1 


> 
$ 
r 

à 


NOTES. 399 


qu'il était le 2/4 au soir, je ne doute pas qu'il ne nous fût arrivé 


malheur. La banquise était tellement compacte, qu’elle ne nous 


offrait même pas la ressource d’un abri , si nous y avions été 
acculés entièrement; quant à la terre, il n’y fallait pas songer, 
car elle était entièrement inabordable. Notre seule ressource, 
celle de nous soutenir à la voile, nous était enlevée par la perte 
de nos voiles et l’impossibilité où le froid avait mis nos hommes 
de tirer de leur courage tout le parti possible. Du reste, je dois 
leur rendre la justice de dire que tous se sont comportés en 
vaillants matelots; pas un n’a faibli devant la peine et le dan- 
ger, et tous ont travaillé autant que leurs forces le leur ont per- . 
mis ; plusieurs sont restés plus de six heures dans la mature ; aussi 
un assez grand nombre a-t-il quelque partie du corps gelée. 
C’est dans de semblables circonstances qu’on apprend à apprécier 
et à juger les matelofs ; en général, on peutdire qu’ils grandissent 
avec les dangers et la misère ; ce sont des hommes que l’on ne 
peut connaître dans les circonstances ordinaires de la naviga- 
tion, et auxquels on rend trop rarement la justice qu’ils méritent. 
Après avoir couru toute la nuit du 29 au 30 dans une mer 
assez libre, mais grosse, nous nous trouvâmes,le 30 au matin, 
à petite distance d’une banquise basse, tenant à une partie haute, 
que dans la brume nous primes d’abord pour la terre ; maïs nous 
en étant approchés, nous reconnûmes , à notre grañd chagrin, 
que ce n’était qu’une immense glace plate, qui s’étendait à perte 
de vue dans le S. O. Nous la prolongeâmes à trois milles environ, 
depuis sept heures du matin jusqu'à minuit, qu’elle s’infléchit 
vers le sud, où nous la perdimes de vue au milieu d’une infinité 
de glaces flottantes qui, sans doute, ne sont que les débris de la 
grande. Pendant tout le jour, nous avions vu par-dessus cette côte 
glacée une apparence de terre éloignée et haute, que la brume nous 
empécha de constater complétement. Cette île immense, que nous 
avons côtoyée pendant l’espace de vingt lieues environ, est généra- 
lement d’une hauteur de 31 mètres, deux circonstances qui ne 
peuvent exister sans qu’une terre serve d'appui à une telle 


{ 


| masse. (M. Montravel.) 


. BIOGRAPHIES. 


ns: fe 3 
ss 


EUGÈNE MARESCOT DU THILLEUL. 


le bonne heure un goût très-vif pour la marine. Cependant il 
était d'une santé délicate, et son amour de la mer fut vivement 
combattu par ses parents, qui l'idolâtraient ; prières, larmes de sa 
- pauvre mère, tout fut inutile. = 

En 1820, il entra au collége Henri IV, où il fit des études bril- 
“lantes et solides ; à seize ans, il avait terminé ses classes. Souvent 
la salle de la distribution des prix avait retenti du nom du jeune 
-Marescot et il eut plusieurs fois l'honneur d’être nommé au con- 
* cours général. L’excellent et modeste savant, qui était alors à la 
tête du collége de Henri IV, M. Auvray, dont le souvenir est cher 


- à tous ses élèves, lui donna à sa sortie du collége les plus beaux 


- certificats. 


‘ Sorti du collége le 11 maï 1826, Marescot se présenta à l’exa- 
- men, _et fut recu à l’école d'Angoulême au mois de décembre de 
s la même année. Là, il se livra tout entier à ses études ; il fut jugé 
à capable, dix mois après, de passer sur Je vaisseau- ne l'Orion, 
avec le grade d'élève de la marine de 2° classe. 

A bord du vaisseau, il ne tarda pas à être distingué deses chefs 


et chéri de ses camarades ; il était si studieux, d’un caractère si 


ARE Une 


TT NE, cou LED. LR SAS 


Né à Boulogne-sur-Mer, Le 26 octobre 1809, Marescot montra 


\ 


364 . NOTES. 
bon , si doux ! Marescot était d’une petite t taille, mai 


sf 


prise. Ses longs cheveux noirs ponte ses jus 


mença Ma Dao avec Mie Hélas! j je: ne me doutis } pas ire % 
que quinze ans après j’attacherais moi-même deux boule s a 


aux 


pieds de mon pauvre camarade, pour le lancer aux requ n s du 
grand Océan. | 


Nous suivions avec ardeur nos études , lorsqu’ un jour, au ns 


<a 


lieu d’une de nos classes , nous entendons avec surprise | les tam | 


na 


bours battre aux champs, et le rappel nous s appeller à nos. 
pièces. | 


dt 
LR À 


Il venait de se passer un sublime, un héroïque fait d'armes : + 
notre brave commandant, des larmes dans la voix et les yeux, 
brillant d'enthousiasme, voulait nous en faire part et 7 


ainsi nos jeunes courages. , [LE CT 


« Hot à . marine HAS s’ écria le CORSA Un | 


« rates grecs, n’a pas voulu que le pavillon de France fût Ml | 
« par de pareils cure ;ila pin mis le feu aux en et 


J'étais à côté de MT son cœur battait à Te sa poitrine, 
#4 
ses yeux Agente Le lendemain, notre profes de littéra= 


vivement de ne pouvoir la eu ici. que 

L'époque des examens arriva : Marescot fut recu dans un 
très-bon rang, et bientôt après, embarqué sur la frégate la V'énus 
qui se rendait dans la Méditerranée. En arrivant à Toulon. 
élèves furent répartis sur les divers bâtiments de la flotte: 7. 
fut embarqué sur la corvette la Victorieuse ; elle faisait 


QU 


l'escadre qui bloquait les côtes de la régence. Ingrate et ( 
kg Ù 


BIOGRAPHIE. 365 


Er 


sion, c'était une guerre sans combats. Les Algériens restaient 
* cachés dans leurs ports ; ces redoutés forbans, braves devant un 
- malheureux navire marchand sans armes, sans défense, se blo- 
- tissaient dans leur repaire , et tremblaient sous la bordée de nos 
» croïseurs. Il fallait constamment tenir la mer, et cela sous les for- 


midables raffales du mistral, qui balaye la Méditerranée, comme 
dans les belles mers et les jolies brises d'été; c'était là un rude 
métier, tellement rude, que le brave amiral Collet y mourut du 
scorbut. La croisière durait depuis trois ans , et menaçait de se 
prolonger indéfiniment , lorsque l’on apprit que des troupes ar- 
rivaient de tous les points de la France pour se concentrer autour 
de Toulon , et qu'enfin l'expédition était résolue. 

Marescot passa alors sur le vaisseau de 80 le Breslaw. Arrivé 
à Sidi-el-Ferrucb, il fut débarqué avec sa compagnie et fit partie 


. du corps de marins destiné à garder le camp retranché. Nos ma- 


telots, habitués aux planches de leurs navires, souffrirent cruelle- 
ment de leur campement sur le sable de la plage, et les maladies 


| firent bientôt de terribles ravages dans nos rangs. Marescot fut 


atteint un des premiers ; rien ne put le décider à abandonner son 
poste. 

En face de l'ennemi, disait-il, je ne reconnais qu’ une Abe 
maladie , c’est une balle dans la poitrine. 

Au bout de trois semaines , l'amiral nous rappela à bord de 
nos vaisseaux, et le 5 juillet, la flotte se forma en ligne de bataille 
pour combattre les forts de la côte et ce terrible môle, sous les feux 
duquel lord Exmouth avait perdu tant de monde. En mêmetemps 
l'armée deterrebattait en brèche le fort l Empereur.Toutlemonde 
connaît les résultats de cette double attaque. Ces féroces Algé- 
riens , ces hardis pirates , qui devaient s’ensevelir sous les ruines 
d'Alger, se trouvèrent trop heureux de recevoir la capitulation 
que voulut bien leur accorder le général en chef. 

Pendant le combat, Marescot, quoique malade, dirigea avec 
calme et habileté le feu des pièces qui lui étaient confiées , et son 
commandant, M. Maillard de Liscourt, lui donna les notes les 
plus brillantes. 


366 BIOGRAPHIES. 
De retour à Toulon, le Preslarw recut 
Marescot passa sur la frégate l’4 rthémise, Fi 
tre Toulou et la côte d'Afri Hole | 


escadee ; on n’en raie positivemet 
mais sue savait . le PRE L la es 


ne Es douteux pour personne, et tout le mond 
faire pate S 


destiner pour la flûte la Didon, commandée par M. a Chât 
ville. SL 

Le 19 juin 1831, l'expédition, sous les ordres: de M. à 
amir al Hugon, fit voiles EU le Ponte) le 2 ds elle Es 


À cinq Ve nous étions maîtres du lève ë Hotte 
était en notre pouvoir, etnos Vaisseaux; embossés à portée « d 
de la ville, menaçaient de l’anéantir, si prompte 

tait faite; elle ne se fit pas attendre. 


hic cette A a 1 


1e sur rade. tie de rep me | ï 
obtint de passer sur la goélette la Daphné, sa ré 
ficier était déjà tellement bien établie à cetteépo 


- 


BIOGRAPHIES. 367 


- tenant de vaisseau Freart, qui commandaitle bâtiment, Le choisit 
pour son second. 


Le8 avril 1832, la goëlette était mouillée sur la rade de Mers-el- 


_Kebir(Oran); la mer, fouettée par un fort coup de vent du S. E., 


était affreuse; un bâtiment du commerce, la Mathilde, chassait sur 
ses ancres etdérivait vers la côte garnie de bedouins;quiattendaient 
les naufragés, le fusil et le yatagan à la main ; la mer était trop 
grosse pour qu’il fût possible de lui porter une ancre. Chacun à 
bord suivait le maiheureux navire avec angoisses ; enfin , il s’ar- 


» rête sur un haut-fond, talonne et se brise, entre deux dangers 


affreux, celui du yatagan des Arabes et celui de la lame. L’é- 


- quipage n'hésite pas ; tous se jettent à la mer. Le ciel est en feu; 
à la lueur des éclairs, les bédouins tirent sur les malheureux qui 
. reviennent sur l’eau... Devant cet horrible spectaclé, Marescot ne 


se content plus; il les arrachera à la mort ou périra avec eux ; 


avec quelques matelots dévoués, il saute dans un canot, et, malgré 
la mer, qui le couvre de son brisant, qui deux fois remplit sa 
faible embarcation , malgré le feu des bédouins, qui déjà calcu- 
lent le nombre de têtes qu’ils auront à couper, il les sauve tous 


et les ramène à bord de la goëlette, où des soins de toute espèce 


leur sont pr odigués. / 
Une action comme celle-là suffit pour honorer toute la vie ed un 
RATER 


Un rapport sur cet admirable dévouement fut adressé à M. Le 


- ministre de la marine par les soins de M. de Missiessy, qui com- 


maudait alors la station navale d'Oran. 
Peu de temps après, la Daphné revint à Toulon , Marescot ob- 


tint un congé de trois mois ; il avait besoin de repos, il avait be- 


soin de se retremper au sein de sa famille. 

Depuis 1827, il était à la mer. 

Trois mois après, il était de retour au port et embarqué sur le 
brig le Hussard, où il resta peu de temps. À cette époque , notre 
marine à vapeur commençait à prendre un assez grand dévelop 
pement ; Marescot ne voulut pas y rester étranger, 1l obtint d’é- 


tre embarqué sur le Souffiur. 


368 | | BIOGRAPHIES. 


De nientée las de cette PARUS terre-à- 


être si fatale. “ONE | 
Il fit à bord plusieurs campagnes dans les : mers s du Levant, gr 
Marescot avait exploré la Méditerranée dans tous less ssens. HA ei 

de ses études classiques, il s'était fait un bonheur de parcour 

côtes célèbres, patrie de tant de grands hommes. F 
Il voulait désormais naviguer plus au large. On armait la co 


Wu À QE de était destiné à porter à Pondichéry. M. 


L'Oise devait ARR à T'énériffe, à à Rio-Janeiro, Al 51 
rescot n'eût pas mieux choisi ; il obtint son emberi Ar 
rivé à Pondichéry, il fut rudement éprouvé par le climat ; il fut, 
repris de cette terrible maladie, dont il avait déjà tant souffert e dt 4 
Afrique. Le mal fit de si rapides progrès que l'on craignit ps 
ses jours ; mais grâces aux soins éclairés et fraternels que lai pros 
digua M. Révallon, le chirurgien- major de l'Oise, Marescot fut 
bientôt sur pied , et put reprendre son service à bord del 
vette avant son arrivée en France; à la fin de 1835, l Oise re 
au port. Marescot passa alors sur l'Evérie, qui le ramena dans | 
Méditerranée, et fit à bord de ce bâtiment plusieurs campa 
sur les côtes d'Espagne et d'Afrique. NE | 

Cependant, sa santé était toujours délicate. Il prit un conne) d 
six mois. 

Il était dans sa famille depuis quelque temps, lorsque le 
se répandit que M. Dumont-d’Urville devait prendre le com 
dement d’une expédition destinée à explorer les parages du 
austral et de l'Océanie. Bientôt le bruit se confirma, et l'o n 
positivement le nom des bâtiments qui devaient la compos 
taient l’As/rolabe et la. L M. she reçut ax nom 


navigateur, qui depuis nous a été enlevé par une. affr 
Hiople. LÉ -major des corvettes était pets au 


: | BI OGRAPHIES. 369 


Marescot, je + trouvai enthousiaste du voyage que j'allais en- 
treprendre : une campagne comme celle-là avait été le réve de 
toute sa vie. En vain je lui objectai que sa santé, à peine rétablie, 
ne résisterait pas aux privations, aux misères de toute espèce qui 
accompagnent un voyage de découverte à travers les glaces du 
pôle austral. Sa décision était fermement arrêtée. Marescot était 
un excellent officier; M. d’Urville accueillit sa demande avec 


_empressement. 


Nous recûmes bientôt l'ordre de nous rendre à Toulon. Au mi- 
lieu des travaux toujours pénibles dun armement, la santé de 
Marescot s'était fortifiée. : 

Le 7 septembre 1837, nous étions sous voiles ; le soir, nous aper-. 
cevions à peine à l'horizon les côtes de France ; nous les suivimes 
des yeux, jusqu’à ce que la nuit vint nous les cacher. Nous par- 
tions pour une campagne longue et périlleuse. De tous ces forts 
jeunes gens pleins d’ardeur et d'existence, Dieu seul savait com- 
bien reverraient le port, et chacun de nous Gen EN à son pays 
un dernier adieu. a 

Hélas ! je devais revenir seul, rapportant tout ce qui restait de 
mon pauvre camarade, une mèche de cheveux... | 

Il serait trop long d’énumérer ici tous les services que rendit 
Marescot dans le cours de la campagne ;‘le lecteur en jugera en 
lisant nos-courses aventureuses. 

Marescot dessinait à ravir; la plupart des portraits qui figu- 
rent dans l'album sont dus à son crayon. 

Sa santé, qui avait résisté à notre dure navigation dans Ja mer 
Glaciale, s'était affaiblie dans les climats équatoriaux. Nous avions 
parcouru les deux tiers de notre longue course, mon pauvre ca- 
marade changezït à vue d'œil ; je le voyais dépérir sans se plain- 
dre. Au milieu de ses souffrances , il était resté le même; son ca- 
ractère si égal, si doux, n’avait pas changé. | 

Le climat des Moluques le tuait. Nous arrivâmes à Samarang. 
Marescot était dans un état de santé déplorable. Un bâtiment de 
commerce français allait partir pour France; nous l'engageâmes 
tous vivement à en profiter ; M. d'Urville, qui lui portait le plus 

VI. É R QE 


… ben 


LD 2 PA BIOGRAPHIES. 72 1 
- grand intérêt, se joignit à nous. Îlré épugnait à Maves 
Fepeeions nu Fat RUE céder à nos ne 


seconde - an dans les régions su De ,n nous è 
ne pümes rien obtenir : « Je veux être là, disait-il, > pour partager 2 
vos dangers ; ce serait une lâcheté que de quitter la corvette ; 
et, du reste, les latitudes ne ées dans me nous allon de 
bientôt entrer me remettront, j en ai la conviction.»  . 

Nous quittâmes Samarang après six jours de relâche; M 
avait repris, nous étions tous plein d'espoir ; nous en avions 
avec des terribles côtes des Moluques et des îles de la Sond 
bientôt nous allions nous retrouver dans deslatitudes plus sain 

Le 10 octobre 1839, les corvettes étaient au mouillage au dé : 
bouquement du détroit de la Sonde, devant un village de la côte 
de Sumatra. Nous étions tous à terre, lorsquetroiïs coups dec canon L. | 
del Astrolabe vinrent nous rappeler ; nous crûmes d'abord à Lune 
attaque des naturels, et nous nous hâtâmes de regagner la plage ; ; 4 e] 
elle était couverte de sauvages, mais calmes et inoffensifs. Nos ca- | 
nots nous attendaient , et en quelques coups d’aviron nous ee à 
vâmesàbord. À 


Le redoutable fléau qui nous menaçait depuis si longtemps ve=. 
nait de se déclarer à bord de nos pauvres corvettes ; le comman- | 
dant, l’'attribuantau mouillage que nous occupions, Do le quit | | 
ter sur-le-champ ; il était trop tard, nous éPONASS ‘la conta- … 
glon avec nous. ï AS D 

Marescot fut atteint un des premiers ; ses bre étaient épui- | 
sées, et la maladie eut bientôt fait chez lui de terribles ravage | 
Cependant, les vents s'étaient établis au S. E. grande brise ; ils 
nous poussaient avec une vitesse de 60 et 80 lieues par vingt-qua=w 
tre heures. Le thermomètre était tombé de 15 et 20: degrés. 
nous avions atteint les latitudes tempérées ; encore quelques jou 
de cette bonne brise, nous attrapions Hobart-Town ; là , : 
étions sauvés. he “ET Re 

Mais le vent tomba, et nous restâmes en cali. ballottés: ] 
longues houles du grand Océan. Le mal faisalt des rogr 


BIOGRAPHIES. 374 


frayants. Au milieu de ses affreuses douleurs, Marescot avait con- 
servé toute sa tête, toute la plénitude de son esprit ; il nous par- 
lait de son père, de sa sœur chérie, de son frère qu’il aimait tant ; 
il nous disait combien leur douleur serait cruelle; pour lui, il 
envisageait la mort avec calme. | 

Cependant , sa jeunesse futtait avec énergie; mais, hélas ! ce 
n'élait que pour prolonger son agonie. 

Le 23 novembre, les vents qui s'étaient maintenus à l'O. pas- 
sèrent au S. O.; de lourds nuages noirs s’amoncelèrent sur nos 
têtes, la mer grondait sous nos pieds , tout présageait un coup de 
vent. Le soir, nous fûmes assaillis par un grain épouvantable ; la 
mer était énorme. Quelle nuit, mon Dieu! deux officiers, vingt 
matelots râlaient dans l’entrepont; chaque coup de tangage, 


chaque lame qui déferlait sur la corvette, semblait devoir nous en- 
lever un de nos camarades. 


Au jour, je trouvai Marescot exténué, les violentes secousses 
de la nuit lui avaient enlevé le peu de forces qui lui restaient ; il 
était tombé dans un état de somnolence presque continuel. Vers 
cinq heurés du soir, il parut reprendre un peu; c'était la dernière . 
lueur de la flamme qui s'éteint. | 

J'étais penché sur lui, il me reconnut, et me serrant la main : 
C’est fini, embrasse-moi, mon ami, me dit-il; puis, faisant un ef- 
fort : « Tu mettras deux boulets à mes Un je ne veux pas que 
les albatros se disputent mon cadavre... » 


Ün instant après, je” vis ses lèvres s’entrouvrir : « Mon père” 
mon pauvre vieux père !! » 


æ 


Ce furent ses dernières FRE , Sa vie s'était éteinte avec elles. 


J'avais perdu mon meilleur ami, et la marine un de ses officiers 
les plus braves, les plus dévoués. 

À minuit, la mer était encore grosse, le vent sifflait avec un 
bruit lugubre à travers nos cordes ; la corvette tauguait lourde - 
ment. Tout ce qui restait d'hommes valides, tous ceux qui avaient 


pu se traîner étaient réunis, CHE LS d'un sabord ; tous 
chérissaient Marescot, AE 


372 BIOGRAPHIES. 0 
Si le jour eût éclairé cette scène, on eût pu voir une |: rme glis- 
ser sous la paupière de toutes les rudes figures des matélots.” s. Au 
milieu du recueillement général, la dépouille mortelle de notre 
ami disparut dans le brisant d’une lame. 
(Un de ses amis , son compagnon de voyage. ) + 


Tony de Pavin de La Farge est né à Viviers, département de 
l'Ardèche, le 23 mai 1812, d’une famille distinguée du Vivarais. 
Placé au collége de La Flèche, il se fit constamment remarquer. 
par son aptitude au travail et sa bonne conduite. Admis à l'école 


navale de Brest, il fut un des premiers élèves de sa promotion, et 
jugé digne de recevoir son brevet d'aspirant de deuxième classe. 
avant l'expiration des deux années d'étude de l’École. 4 
La Farge était à peine âgé de dix-huit ans, lorsqu’en 1830, il. .: 
s’embarqua à Toulon à bord de la Syréne, pour prendre part, avec M 
son bâtiment, au blocus et à la prise d'Alger. Il se trouva ensuite 
devant Lisbonne avec le Trident, et plus tard, ce fut à Ancône où 
son jeune courage recut sa première ospose il fut fait lieu 
tenant de frégate. En cette qualité, il servit à bord de différents M 
bâtiments envoyés en mission dans le Levant, ou sur les côtes 
d'Afrique. Mais l'imagination ardente du jeune marin, la tour- 
nure romanesque de son esprit, qui avait si bien servi au dé- 
but de sa carrière, ne pouvaient se familiariser avec les exi- 
gences du métier. Cette vie de croiseur lui devint me 


ger, et qu'un désir ardent d'indépendance ne pourait conten: ee 
dans lés limites ordinaires. Es ns 


Cette époque de sa vie le remplit d'un sentiment d’ incertitu 


BIOGRAPHIES. 373 


sur sa destinée , d’une rêverie vague qui ne l’abandonnaïit pas. 
Avide d'émotions, ces occupations stériles ne pouvaient lui en 
fournir. La Farge s'occupa alors, dans les loisirs du métier, d’é- 
crire les observations que lui avaient fournies ses intéressantes 
expéditions ; elles forment une série de lettres adressées à sa fa- 
mille, pleines de variétés et de charmes, qui ne sont pas destinées 
à voir le jour, mais qui, si elles étaient livrées à l’impression, cap- 
tiveraient la curiosité et l'intérêt du lecteur. Il s’'adonna aussi à 
Ja poésie. Plusieurs pièces de vers du recueil qu A] a composé sont 
écrites souvent agréablement , toutes sans peine. Ses affections se 
concentraient dans sa famille ; elle-même nourrissait ce cœur si 
pur et si noblement dévoué; et si nous n'avions peur de com- 
mettre une indiscrétion, nous citerions quelques-uns de ses es 
sais dans le genre.lyrique, morceaux pleins de sensibilité et sou- 
vent de mélancolie , mais de cette sensibilité touchante et vraie, 
propre à consoler la douleur d’une mère, qui se révélait devant 
de funestes pressentiments ! ! 

On venait d'annoncer le voyage de M. Dumont-d'Urville. Déjà 
les corvettes lAstrolabe et la Zélée étaient en réparation. La Farge 
n’hésita pas un instant; c’est le cœur rempli d'émotions et d'en- 
thousiasme qu'il se présente devant le chef de l'expédition, et 
qu'il demande d’en faire partie, Bientôt après avoir été dire un 
adieu, un éternel adieu à sa famille, il recut l’ordre de se rendre 
à bord de la Zélée. | 

Avant d'arriver à la funeste catastrophe qui devait enlever le 
courageux et distingué marin, nommons les services qu'il a ren- 
dus à l’expédition. Parlons de son zèle à explorer desrégions incon- 
nues, se montrant à la fois marin habile et narrateur intéressant. 
Bon dessinateur, il dessine les sites les plus remarquables; rien 
ne l’arrête dans ses devoirs ! C’est au fond d’une baie Re ; 
dont il a voulu prendre un croquis, malgré l'opposition de ses 
camarades , qu'il prit le germe de la maladie qui devait l'enlever. 
À l’esquisse des mœurs des peuples barbares qu'il visitait, il a 
joint une collection précieuse d'armes et d'instruments à leur 
usage, La tête et le cœur pleins des grandes choses qu'il étudiait, 


pe BIOGRAPHIES. de 


il adressait à sa famille des récits intéressants, premiers j lon: 
l'histoire de son voyage qu'il avait promis d'écrire. 

Mais l’époque fatale approchait. Vers le 9 octobre 1 837 le 
ribles symptômes de la dyssenterie s'étaient déclarés à à bord , fu * 
Zélee. Sous la désastreuse influence du climat, le mal sévit bien- 
tôt dans toute son intensité, et, le 27 novembre, de La Farge, qui | 
avait déjà, au départ des côtes infectes, éprouvé tous les: sym p' ô - 
mes de la maladie, ne put résister à ce redoutable fléau. Pauvre % 
jeune homme ! A la fleur de l’âge, avec un esprit de la plus bril- 4 
lante espérance, un caractère aimable, délicat, et des plus aimants, ; 
mourir si vite |... HS | | À 


? 


À sa dernière agonie, son cœur, qui s'était plibé d'avance sous 
les ailes puissantes de l’Espérance et de la Foi, donnait encore des 
ÉMOspasts d'affection à ses camarades. Il vit sans effroï la mort 
s’avancer vers lui, montra sur son lit de douleur un courage sans 
ostentalion , envisageant en chrétien ces dernières heures de la 
vie. Une petite croix d’or brillait sur sa poitrine, gage pieux d'une 4 
sœur qui possédait toute sa tendresse. D'une voix émue, il la re- 
mit à son ami de Montravel , afin qu’au retour du voyage, ce signe 
de douleur et de mort pût recevoir les larmes et les prières 
de sa famille en deuil. Ses dernières paroles furent pour sa mère 
et pour sa patrie, sublime mélange d’affections qui ont toujours, Ë 
occupé la première place dans le cœur de l'ami que nous avons 


perdu. (Un de ses amis.) 


jour amène de nouvelles atteintes qui viennent grossir les rangs 
des hommes hors de service. Alors, le navire présente un des plus 
douloureux spectacles qu'on puisse imaginer : privés des soula- 
gements qu'on peut leur accorder dans des lieux plus appropriés 
à la nature des soins qu'ils réclament , les malades souffrent à la 
fois du mal qui les mine, du manque d'espace, d’une gène conti- 
nuelle, enfin de mille inconvénients inhérents à la vie du bord. 

Entassés les uns sur les autres dans un entrepont où len- 
combrement obstrue le passage, secoués par les houles inces- 
santes des hautes mers, privés souvent d’air et de lumière, ces 
infortunés subissent mille tortures , et cherchent en vain un re- 
pos qui les fuit. Leurs compagnons valides , menacés du même 
sort, assistent sans trève aux scènes les plus pénibles. Les pha- 
ses de la maladie se déroulent sans discontinuer; la souffrance 
et la mort s'offrent de toutes parts sous leur aspect le plus som- 


bre; l'œil attristé suit pas à pas la marche de la destruction qui 


s'opère ; chaque heure, chaque instant, augmente le supplice des 
malades, accroît le désespoir de leurs compagnons impuissants à 
les soulager. Jour et nuit, leurs plaintes semblent réclamer un se- 
cours qu'on ne peut leur donner; elles se mélentauxceris déchirants 
arrachés par d’atroces douleurs ou produits par l’agonie. L’équi- 
page entier n’a plus de repos, l’affliction règne sur toutes les 
physionomies; tout contribue à fixer les pensées sur de funèbres 
images ; il n’est aucune cesse à cet état. Une odeur infecte enva- 
hit le navire, s’attache aux parois, reste imprégnée aux vêtements ; 
les habitudes de la vie du bord se modifient ; elles subissent forcé- 
ment les exigences du service médical; les aliments s'apprêtent 
à côté du fourneau de l'infirmerie ; aux heures dés repas, les tables 
se dressent auprès du lit des mourants ! Il faut avoir passé par ces 
épreuves pour en comprendre toute l'horreur. On souffre de mille 
peines, on ressent mille angoisses ; on souffre surtout de voir 
ceux aveé qui les dangers et les privations d’une longue naviga- 
tion ont fait naître une étroite sympathie, se débattre sans espoir 
sous l’étreinte du mal; on souffre de ne pouvoir apporter aucun 
secours à ceux qu'on voudrait tant secourir ; on souffre long- 


BIOGRAPHIES. 315 


don. BIOGRAPHIES, HS 


temps à l'avance en suivant journellement les progrès rte i 
rapide décomposition, et, par pitié pour eux, on se prend quelque- 
fois à désirer leur mort... Et quelle mort! et combien elle dif. 
fère de la mort des naufrages et des combats! DRE 
. Telle était la situation des corvettes l’Astrolabe ct la Zélée pen- ! 
dant leur traversée des côtes de Sumatra à celles de la Tasmanie. 
Pendant deux ans, leurs équipages avaient bravé impunément 
les influences pernicieuses des climats les plus divers ; l'explora= 
tion des glaces du pôle, un long séjour dans les parages malsains … 
du grand archipel d'Asie avaient été, il est vrai, accompagnés de. 
l'invasion du scorbut et de quelques cas de fièvres malignes et de 
dyssenterie; mais, grâces aux précautions les plus minutieuses et. 4 
à des circonstances heureuses, le nombre des victimes avait été 4 


très-restreint. La santé de ces vigoureux marins ne paraissait 
pas avoir été sensiblement altérée ; c'était merveille de les voir 
résister à toutes les intempéries, à toutes les privations et aux. à 
changements brusques de température et de climats de cette rude | 4% 
campagne. Gais et confiants, ils supputaient déjà l’époque du ne. 
retour dans leurs familles, alors qu'une cruelle maladie, la dys-_ É 
senterie, envahit inopinément les deux corvettes, et vint les rem-" LE: 


plir de deuil. 


Placées à une grande distance de tout point de relâche, hors. 
de portée des secours que les établissements européens peuvent 
offrir , retardées par des vents contraires ou des calmes inusités, … 
elles offraient le déplorable spectacle de deux hôpitaux flottants. 
Dès le début , l'épidémie prit un caractère pernicieux ; les efforts M 
des médecins devinrent infructueux ; ils ne purent qu'adoucirles 
derniers moments de ceux que la pr avait gravement at- 
teints. Et pourtant, que de soins, que de dévouements prodigués ! 
Grâces en soient rendues à MM. Hombron, Jacquinot, Dumoutier, +: 
et Lebreton, tous à l’envi, n’écoutant que leur zèleet leur cœur, ni 
dépassèrent ce qu’on pouvait attendre des forces humaines; ls ne. 
ont acquis, dans cette funeste époque, les titres les plus réels à la. 
reconnaissance de leurs compagnons. Si l'épidémie avait pu êtrem 
combattue, ils l’auraient vaincue; mais l’art était impuissant à en" 


BIOGRAPHIES. 3711 


arrêter les ravages ; ce n’était plus que dans un avenir éloigné qu’on 
pouvait espérer de voir décroître son intensité, à l’aide des res- 
sources d’un hôpital établi à terre. Malheureusement, les points 
de relâche praticables étaient tous forts éloignés, et à peu près à 
égale distance ; leur choïx n’était même pas possible. La rivière 
des Cygnes, l'Ile-de-France , Hobart-Town , demandaient à peu 
près le même temps pour y parvenir. Le premier de ces points 
était dénué des ressources nécessaires ; l’Ile-de-France entraînait 
l'abandon du reste de la campagne ; il ne restait plus qu'Hobart- 
Town, but primitivement désigné de cette traversée. M, d'Ur- 
ville, devant ces considérations, ne put, avec raison, que persé- 
vérer dans cette dernière direction. 

Cependant la mort commencait à frapper à coups pressés dans 
les rangs des malades. A bord des deux navires, l'équipage, ou- 
bliant sa propre situation, épiait avec une sollicitude touchante 
les mouvements du navire voisin , et cherchait à connaître, dans 
l’autre équipage, le sort de ceux dont il connaïssait l’état alarmant. 
Lorsau’à l’aide des longues-vues on veyaït dresser,entredeuxmâts, 
une tente blanche sur la chaloupe, on comprenait aussitôt qu’une 
nouvelle victime avait succombé, victime inconnue et dont cha- 
cun redoutait d'apprendre le nom. Et puis, lorsque la nuit ve- 
nait couvrir de ses ombres le sillage des corvettes, on devinait 
à leur manœuvre le moment fatal de l'immersion, car chacune 
d'elles, s’éloignant momentanément de sa conservè , semblait re- 
chercher la solitude pour accomplir ce dernier devoir, et vou- 
loir dérober à sa compagne la perte qu’elle venait d'éprouver !.… 
Heures funèbres , où sans bruit, en dissimulant ses pas pour 
cacher aux malades l'accomplissement de cette pieuse cérémonie, 
on venait furtivement donner un dernier adieu à d’infortunés 
compagnons. Combien d’entre eux qui, jeunes, vaillants et forts, 
avaient à espérer une longue carrière, et qui gisent dans les-pro- 
fondeurs de ces mers éloignées! 

Le 8 décembre 1839, l’Astrolabe eut à déplorer la perte d’une 
nouvelle victime de l'épidémie. Le plus jeune des enseignes, 
Gourdin ( Jean-Marie-Emile ) succomba à ses souffrances à trois 


‘ 


378 | ne 


Né le 13 janvier 1810 à Para l la vue » dé Si mer Jé avait. | 
inspiré de bonne heure le goût de la vie aventureuse des marins. Ë 
Des traditions de famille aidèrent cette vocation naissante ; elles 
conduisirent le jeune Gourdin à servir dans la marine militaire. À. F 
sa sortie de l'école navale établie en rade de Brest, il débuta, vers la 
fin de 1830, dans la carrière deson choix. par une campagne aux. 
Antilles sur la frégate l'Æermione. Au retour, au mois de septembre. 
1831 , il fut embarqué sur la frégate la Sirène, puis : sur la gabarre j 
la Marne, avec laquelle il visita Cayenne et les côtes voisines. En à 
1833 il passa sur la frégate la Junon; mais bientôt il recut l'ordre 
d embarquer de nouveau sur la frégate l'Hermione qui avait vu 1 
son début dans la navigation; il partit pour la station du Bré- « 7 
sil, le 27 octobre de la même année, à la veille de quitter Paiguil-. 
lette des élèves pour l’épaulette des enseignes de vaisseau. -En 
effet, sa nomination fût signée le 6 janvier suivant ; il avait alors. 
vingt-un ans. Pourvu de bonne heure du grade qu'il ambition- 


2 


nait, plein de zèle pour un service qu’il aimait, il envisageait 
avec confiance l'avenir qui s’ouvrait sous d’heureux auspices, 
et quoique la navigation.fut accompagnées pour lui de malaises « 
pénibles, il savait les supporter et les combattre avec une mâle" 
énergie. Lorsque l’Hermione rentra au port, quinze mois aprè: le 
départ, il sollicita un congé pour aller embrasser ses vieux pa- 
rents, qu'il n'avait pas vus depuis sa sortie du vaisseau- école, 
et qui, après cette dernière entrevue, ne devaient malheureuse= 
ment plus le revoir. $ | | 4 
A l'expiration de son congé, Gourdin fut embarqué momenta= 4 | 
nément sur le stationnaire le Lé=ard, puis sur le bateau à vapeur, 
le Ramier, destiné à un service très-actif sur les côtes de l'Algérie. 
Il resta environ un an sur ce navire, qu'il quitta à Toulon le Ne 
17 avril 1837. Vers cette époque, l'expédition de l'Astrolabe etil 
de la Zélée venait d'être résolue. L'itinéraire, le but dece long 
voyage, le nom du chef qui devait le diriger, avaient excité Pen 
thousiasme de beaucoup de jeunes officiers. Plusieurs d'entre 
eux sollicitèrent d'être embarqués sur une ou l'autre corvet{e ; 


nd diet: c 


BIOGR APHIES. 379 


Gourdin, surtout, désirait vivement un embarquement qu’il con- 
sidérait comme une faveur, et recut avec joie la destination qu’il 
recherchait. 

La vue de la mer avait décidé de sa vocation. Des traditions de 
famille l'avaient conduit à servir dans la marine militaire; l’exem- 
ple de son oncle, le brave vice-amiral Jurien, qui, dans sa jeunesse, 
avait pris part à l'expédition de d'Entrecateaux, devait aussiinfluer 
sur sa carrière. C’est ainsi que dans la marine les travaux et le 
dévouement de certaines familles se transmettent comme un legs 
et se rencuvellent comme une obligation imposée de génération 
en génération. Le récit des événements survenus dans le cours du 
voyage de la Recherche avait charmé l'i imagination de Gourdin, 


et fait naître le vif désir de visiter et d’ explorer à son tour les ré- 


gions mystérieuses de notre globe. Le tableau des scènes décrites 
par les anciens navigateurs , au sein de contrées ignorées, parmi 
de sauvages peuplades, excitaient son ardeur etson enthousiasme. 
Avide d'instruction, désireux d’attacher son nom à quelques tra- 
vaux scientifiques, il se complaisait dans la pensée quelesrecher- 


ches qu'il accomplirait pourraient être de quelque utilité, et 


puis, dans le fond de son cœur , il concevait l’espoir secret 
que lui aussi, en retour des privations et des périls qu'il allait 
affronter , il pourrait recueillir un peu de cette renommée et de 
cette gloire, qui seules aident et conduisent à l’'abnégation des 
sentiments et des intérêts les plus chers. Telle était la perspec- 
tive qu’il envisageait. I partit, plein de confiance et d’ardeur!...Il 
ne devait pas revenir. 

Le 22 octobre 1839, il ressentit les premiers symptômes de la 
cruelle maladie qui régnait à bord. En peu de jours, elle fit de ra- 
pides progrès. Gourdin avait trop bien appris à connaître, pen- 
dant le séjour qu’il avait fait aux Antilles, la marche et les ra- 


- vages du mal dont il était atteint, pour s’abuser sur son état. 


Les soins presque maternels des chirurgiens, les précautions les 
plus minutieuses, ne purent lui faire illusion. 1l se sentit perdu. 
11 se renferma dès lors dans un silence plein d’une énergique 
résignation; mais peut-être aussi d’amers regrets. Ne voyait-il 


’ 


580: BIOGRAPHIES. + 
pas l'échafaudage de ses espérances, ses idées de gloire et dé ré. 
nommée pencher et s'écrouler inopinément. Il ne voulut accep— ê 
ter ni encouragements, ni consolations de ses camarades ; il avait 
compris que sa position était désespérée , et sembla concentrer « 
ses pensées vers les membres de sa famille, auxquels il portait « 
une vive affection. Il articulait quelquefois leurs noms; surtout 
celui de son frère, qui, lui aussi, sert dans la marine, et à quil: 
léguait sans doute, mentalement , les devoirs qu’il ne devait plus 
pouvoir accomplir, On avait vainement pris toutes les mesures 
imaginables pour lui cacher la mort de l'infortuné Marescot du i 
Thilleul ; il l’avait pressentie, il la devina. Peu de jours après," 4 
il fit appeler les médecins pour les remercier avec effusion des 74 4 
soins qu'il avait reçus, mais il refusa d'ajouter foi aux espérances” 3 
qu’ils tentaient de lui donner; puis , tour nant sa tête vers les pa- 


rois du navire, il attendit l'heure suprême avec le calme stoïque 
d’une âme fortement trempée!.… 


* 


À l’aube, la mort vint mettre un terme à ses souffrances ! A de | 
heures du soir, le même jour, les officiers et les marins encore Va=. 
lides de l’Astrolabe étaient silencieusement groupés autour d'un 
sabord ouvert. La mer houleuse venait rejaillir jusqu’à l’ouver- N. 
ture de la batterie et semblait réclamer le dépôt qu’on allait ht 4 

confier. Bientôt un bruit sourd, une traînée phorphorescente “ 
dans le sillage de la corvette suivirent l'immersion de celui qui 
avait été pour tous un compagnon affectueux et dévoué, un homme É 
doué d’un cœur rempli d'énergie et d'excellentes qualités, un offi- = h.| 
cier brave, intelligent, plein d’ardeur et d’intrépidité, mort pra 4 
maturément à une immense distance de son pays! 


PASRENAE A EVER. S- 


Mort funeste, mais aussi glorieuse ! N’est-il pas mort au ser- K 
vice de son pays, victime de son dévouement? Il a peu vécu; Ë 
mais assez pour bien servir et emporter l'estime et les regrets de 4 
ceux qui l'ont connu. Sa tombe, pour être ignorée, n’en est pas 
moins consacrée dans la mémoire de ses compagnons, qui L 
donnent ici un nouveau tribut d'un douloureux souvenir. 


( Un dè ses amis, Son compagnon de voyage: ) 


PS 


BIOGRAPHIES. | 381 


prie ERNEST GOUPIL. 


Découvrir jusqu'au milieu des glaces polaires de nouveaux 
pays, enrichir la science par d'immenses travaux exécutés au tra- 
vers des périls de tout genre, c’est là une glorieuse mission pour 
le marin , pour le savant; moins brillante peut-être et toutefois 
encore digne d’envie est la part de gloire réservée à l'artiste qui 
affronte les mêmes dangers. Sans lui, en effet, le récit de ces dé- 
couvertes, l’exposition même de recherches et d'études multi- 
pliées resteraient toujours vagues et confus. 

Ernest Goupil avait bien compris les services qu'il était appelé à 
rendre comme dessinateur de l'expédition, et les planches qui 
_ portent son nom l’attestent , bien qu'il n’ait pu, ni surveiller la 
reproduction sur pierre de ses dessins , ni surtout les compléter 
par tout ce qu'une mémoire che en souvenirs ce infaillhble- 
ment ajouter à plusieurs d’entre eux. 

Ernest-Auguste Goupil est né à Châteaudun, le 14 avril 1814. 
Sa vie, qui devait s’éteindre, frappée par une cruelle épidémie, aux 
extrémités du monde, commenca au milieu de scènes non moins 
funestes, et pendant que sa mère fuyait devant les désastres de 
J'invasion ennemie. Né avant terme et faible de constitution, il 
dut à son séjour prolongé dans cette jolie petite ville qui domine 
la vallée du Loir, d'acquérir une organisation forte et capable de 
lutter avec les dangers que plus tard il devait braver. Une vie ac- 
üve et sans contrainte contribua sans doute en même temps à 
développer ce goût pour la vie d'artiste, qui seule lui convenait. 
Aussi, dès son retour à Paris, où l’amena son éducation univer- 
sitaire, montra-t-il un goût prononcé pour les voyages, en même 
temps qu'il aspirait à l'illustration que plusieurs membres de sa 
famille ont obtenue. 

Ses études n'étaient point achevées, et déjà son impatience le 
faisait entrer dans l'atelier de M. Watelet, son parent. Plus tard, 


389 | BIOGRAPHIES. k 


il recut les conseils d’un habile maître, de M. Goïgnet, ipoune | 
d'histoire, près duquel il puisa le goût des études sévères. 


En 1833, il parcourut l'Auvergne, accompagnant son premier L 
maître, et il s’y lia avec un ancien camarade d'atelier , M. Ma- 
rilhat. Les succès obtenus dès lors par ce jeune paysagiste, 
après un long séjour en Orient, contribuèrent sans doute à déve- 
lopper chez Ernest un vif désir de voyage... bien décidé à fuir 
cet écueil, contre lequel ontéchoué tant d'artistes habiles, qui 
toute leur vie font de la peinture avec les souvenirs d’autres ta- 
bleaux , répétant sans fin les maîtres qu'ils admirent. Il M, 
remonter à la source où ceux-ci avaient eux-mêmes puisé. Aprè ) 
avoir étudié dans les ateliers et les musées , il crut que la nature 
seule pouvait lui fournir les moyens d'avoir une manière à li, 
d'acquérir en un mot cette originalité, cachet des grands peintres. 
1] visita d’abord les environs de la capitale, puis des contrées 


Re 


moins FRE ‘ées, moins souvent reproduites, et qui l'exposaient 
moins à être SA même à son insu. ‘+6 


compagna à Saint-Valery (Somme), en 1834. Comme Mi, il ire 
cette vie calme et studieuse passée sur les bords de la mer. Là ,4k 
pouvait consacrer à son art tout le temps que, dans la capitale, M | 
aurait dépensé malgré lui en occupations peu utiles, Une de ses 
promenades à Saint-Valery fut marquée par un incident qu'il 
cacha soigneusement, et qui ne fut connu de sa famille at 0 
le récit d’un capitaine de commerce (M. Demay), témoin du fait 
Une embarcation, dans laquelle se trouvaient un officier et son. 
jeune fils, chavira à quelque distance du port. Ernest se jeta à la 


l’enfant qui, grâces à ses vêtements soulevés par l'air, s'était sc 
tenu au-dessus de l'eau, quand une chaloupe in à le 
cueillir. : ET 


- Ernest Goupil partit de Saint-Valery en novembre 1835, sur uñ 
navire marchand qui devait côtoyer l'Espagne et débarqueraf 


BIOGRAPHIES. 383 


seille. Ce voyage se fit en quarante-deux jours; de là, Goupil se ren- 
dit à Cette; mais la saison trop rigoureuse ne lui permettant point 
de faire des études en France, il s'embarqua pour l'Algérie sur un 
bâtiment en fort mauvais état. La traversée se fit avec un gros 
temps et des dangers réels, rendus plus graves par des pompes 
délabrées hors d'état de rendre aucun service”. Ils furent heu- 
reux de pouvoir enfin relâcher à Mahon quelques jours , et n’ar- 
rivèrent à Alger que dans le commencement de février. Ernest 
passa deux mois en Afrique, et, bien que contrarié par des pluies 
‘abondantes , y fit de bonnes études ; puis il revint à Marseille. Le 
temps s'était radouci, il fit beaucoup d’études et de fort bons des- 
sins, en dirigeant ses courses du côté de Toulon, surtout aux 
gorges d'Olioulles. Cependant un si long isolement commençait à 
le fatiguer, quand il reçut une lettre d’un artiste, son ami, de 
M. G. Lacroix; celui-ci l'attendait à Montpellier, où il était venu 
faire des études, en compagnie de MM. Corot et Francey. 

Ernest se hatà de rejoindre ses amis, heureux de peindre avec 
eux, et appréciant tout le talent qu’ils ont tous trois montré de- 
puis dans leurs expositions ; il travailla dans cette utile société 
trois mois, poussant son voyage sur les côtes de la Méditerranée. 
Arrêtés quelque temps à Port-Vendre, la guerre civile ne leur 
permit point de passer la frontière d’Espagne. Enfin, après 
quinze mois d'absence, il revint, en octobre 1836, travailler pour 
exposition du printemps suivant. | 

Déjà il avait mis plusieurs tableaux au salon de 1835, et mal- 
gré un peu d’inexpérience de l’art, inévitable à 21 ans , ses pre- 
miers essais décelaient un véritable talent. Loin de le bte, 
toutefois , ils lui avaient laissé le regret de w’avoir point attendu, 
pour prendre, dès son début, le rang qu'il se sentait appelé à 
conquérir, 


Au milieu de ces projets de longs travaux, le bruit d'un nou- 


* Là toutefois n’était pas le plus grand péril : en effet, un capitaine malade, 

un second cherchant dans l’abus des liqueurs spiritueuses du courage pour lutter 

contre une mer mauvaise, devaient faire prévoir t une issue funeste à cette na- 
vigation. , 


RE 


384 , BIOGRAPHIES. As 
veau voyage de circumnavigation, sous les ordres de M. Dumont- 
d'Urville, parvint jusqu’à lui. Quelle occasion pour un paysa- 
giste, pour un peintre de marine, d'étudier, d’être vrai sans 
monotonie pendant une longue carrière d'artiste, et dans une 
multitude de productions. Mais quitter la France pour trois an- 
nées au moins, abandonner de nouveau sa famille, qu'ilavait été 
si heureux de revoir, et cela après avoir péniblement amassé déjà 
tant de précieux matériaux, dont il pourrait actuellementstirer 
parti, c'était un immense sacrifice ; il devait hésiter longtemps. 
Il vit toutefois le chef de l'expédition et lui montra ses dessins ; il 
apprit de lui combien ce voyage, ordonné dans un but derecher- 
ches scientifiques, pourrait lui être utile. Peu de jours après, 
il recevait du ministre de la marine sa commission , et le titre de 
dessinateur de l'expédition autour du monde et au pôle antarcti- 
que. L’illustre M. d’Urville avait été heureux, et il se plaisait à 
le redire, de trouver réunis tant de talent et une volonté énergi- 
que, déjà éprouvée. par les périls de la navigation. C’est ainsi 
qu'avait commencé celte vie qui promettait d’être longue et fruc- 
tueuse. 

Ces belles années qui s’écoulent ordinairement en projets, et. 
qu'on dissipe quelquefois si follement, avaient chez E. Goupil 
été remplies par l'étude et le travail; et à l’âge ou la plupart des. 
jeunes gens cherchent encore une profession, il était déjà un. 
peintre distingué et montrait un brillant avenir. 

On a vu qu'il avait préludé par quelques voyages à la longue 
et périlleuse campagne pendant laquelle il devait succomber. Sa 
première course sur mer avait été une dure.et triste épreuve, qui 
eût suffi pour dégoûter à jamais une âme moins fortement trempée 
que la sienne. Mais ces faibles obstacles étaient peu dechose pour 
Goupil, qui, dans son amour pour son art, dans son désir de 
gloire, n’hésitait pas à abandonner un père et une mère avancés 
en âge, et une famille dont il était l'idole, | 

Ils Rene au paisible travail de l'atelier, au foyer paleruel, 
où sa vie s'était jusque-là écoulée si douce, pour une existence … 
toute de privations et de dangers. 


BIOGRAPHIES. 389 

Et cette séparation, ces sacrifices étaient plus pénibles, plus 
douloureux pour rotre jeune artiste que pour ses compagnons de 
voyage ; en eflet, pour le marin, les longues navigations sont 
une chose ordinaire, c’est l’accomplissement d’un devoir ; les sé- 

parations sont prévues , on s’y cst résigné à l'avance, et en en- 
trant dans la carrière, dans un âge tendre encore, les années vien- 
nent affaiblir l'amertume de ces regrets. 

. À son arrivée à Toulon, son humeur, douce et enjouée, son 
heureux caractère, sa physionomie franche et ouverte, où se re- 
flétait sa belle âme, lui gagnèrent de suite l'affection de tous ses 
compagnons de voyage. Quelquefois les personnes étrangères à la 
marine, que les circonstances appellent à naviguer, sont, auprès 
des officiers de marine réunis par l'esprit de corps, l’objet d’une 
sorte de froideur. Goupil n’eut qu'à se montrer pour triompher 
de ces préventions, et pendant tout le cours de la campagne, il 
- sut s’attirer, non-seulement l'amitié de ses compagnons de la 

Zélée, mais encore il se concilia l'affection de tous les officiers 

de V'Astrolabe. L'Aritiste ! (c’est ainsi qu’on se plaisait à le dési- 
gner) était un mot magique qui déridait les fronts les plus sou- 
cieux , et appelait sur toutes les lèvres un bienveillant sourire. 

La première traversée, une des plus longucs et des plus en- 
nuyeuses , fut parfaitement supportée par Ernest; il s'était fait 
avec facilité à cette vie de mer, vie de privations et d’ennui, il 
semblait avoir navigué toute sa vie. 

Il employa nos premières relâches au détroit de Magellan , à 
faire d'excellentes études. La vue du port Saint-Nicolas, du port 
Famine, donnent de cette belle et sauvage nature l'idée la plus 
exacte. | 

Dans ce dernier lieu , il lui arriva un accident qui aurait pu 
avoir les suites les plus funestes. Nous étions à la chasse, Ernest 
venait de tirer un oiseau aquatique, il rechargeait son fusil; mais 
au moment où il versait la poudre dans le canon , elle s’embrasa 
et communiqua le feu à celle que contenait la poire; une explo- 
sion terrible eutlieu; la poire à poudre, faite de corne et de cuivre, 
vola en éclats. Une parcelle enflammée, restée dans le canon, avait 

VIII. 3 25 


386 =‘ BIOGRAPHIES. ce 
été la cause de cet accident. Ernest en fut quitte pour une nm. 
brûlure à la main. Nous retrouvâmes à une grande distance quel- 
ques-uns des morceaux de la poire à poudre, tordus et brûlés. 

A la sortie du détroit, les corvettes prirent leur course vers les 
régions polaires ; tn cette longue et pénible navigation , la 
gaîté, la douce humeur d’Ernest ne se démentirent pas un seul 
instant au milieu de l'ennui, des privations et des fatigues qui 
ordinäirement aigrissent les caractères les mieux faits. Pendant 
les journées les plus obscures, par le froid le plus rigoureux, 
assis sur la dunette, pouvant à peine tenir son crayon dans ses 
doigts glacés, il couvrait les pages de son album, des formes si 


diverses, si bizarres des glacons qui nous entouraient. Il accu- 


mulait les matériaux qui lui servirent pour achever, pendant notre 
relâche à Talcahuano, ces quatre dessins admirables, qui répré- 
sentent avec tant de vérité les régions désolées des mers antarc- 
tiques. M 
Ces quatre dessins furent envoyés au ministre de la marine, et 
mis sous les yeux du roi. S. M. en fut si satisfaite, qu’elle témoi- 
gna le désir de les voir reproduits sur la toile par le célèbre pein- 
tre de marine, Gudin ; maïs ce désir ne put être exaucé, on ne 


pouvait disposer de ces dessins sans le consentement de leur au- . 


teur, dont ils étaient la propriété si légitime. 
Désormais nous allions parcourir pendant longtemps les mers 
intertropicales , visiter ces nombreuses îles semées dans le vaste 


Océan pacifique. Goupil allait voir se réaliser ses rêves d'artiste ,: 


il allait contempler cette bellé nature, ces magnifiques forêts 
viergés , dont son imagination lui retracait sans cesse les riants 
tableaux. Son attente ne fut point trompée; cette végétation gran- 
diose, variée à l'infini, ces massifs de bananiers aux larges feuilles, 
et de plantes gigantesques, ces, bouquets de cocotiers élancés se 


balancant à la brise sous un ciel si bleu ; ce beau climat, ses pit- : 


* La lithographie a rendu avec bonheur ces quatre dessins dans l'album sir 4 
toresque du voyage. Ils représentent : 1° Un coup de vent auprès des îles 


Powell; 2° les corvettes naviguant dans la banquise; 5 3° les corvettes renfermé 
dans la banquise; 4° la vue des terres de Louis-Philippe: 


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BIOGRAPHIES, 381 


toresques habitants , etc., formaient des tableaux qui laissaient 
bien loin derrière eux tous ce que Goupil avait pu s’imaginer. 

Mais ce qui aurait dû le combler de joie fut précisément la 
cause de son découragement ; il aurait voulu passer des mois en- 
tiers à étudier, à représenter cette belle nature sous tous ses as- 
pects , dans tous ses détails ; mais il ne pouvait en être ainsi, nos 
relâches les plus longues étaient à peine de huit jours, et ce court 
espace de temps, Goupil était forcé de l’employer à tracer à la hâte 
le plus grand nombre possible d’esquisses, matériaux de la pu- 
blication du voyage. | 

Les relâches se succédaient ainsi, courtes et rapides, et ces nom- 
breuses îles se déroulaient devant l'artiste, vagues et insaisissa- 
bles, panorama mouvant des sites les plus pittoresques. Et lors- 
qu'il aurait voulu les étudier dans leurs plus petits détails, à 
peine avait-il le temps de fixer leur image fugitive. 

C'était pour lui le supplice de Tantale! Aussi, souvent un pro- 
fond découragement, une sombre tristesse s'emparaient de lui, et 
ne cédaient qu'avec peine aux consolations de ses amis, dont les 
discours s’eflorcaient sans cesse de relever son courage. 

Bien des fois, s’il n’eût été retenu par des engagements qu'il 
considérait comme sacrés , il eût demandé à débarquer sur quel- 
qu'une de ces îles océaniennes, où il aurait pu à son aise étudier 
la nature et recueillir d'importants matériaux. 

Son découragement prenait aussi sa source dans un sentiment 
de modestie exagérée et de défiance de lui-même ; car il n’est 
pas douteux qu'avec les simples esquisses qu’il recueillait, il n’eût 
un jour produit d'excellents tableaux, et il était notoire pour 
tous que son talent grandissait de jour en jour. 

Nous rapporterons ici un trait qui aidera à donner de son 
caractère et de son amour de l’art une idée exacte. Il avait écrit 
en grosses lettres , sur une feuille de papier, ces deux noms : 
Claude le Lorrain.— Huysmans , et avait collé cette inscription 
au fonton de son secrétaire, de manière à avoir toujours pré- 
sent aux yeux et à la pensée, le nom et les œuvres de ces deux 
grands artistes, qu’il avait choisis pour modèles. Ces deux mots 


* 


388 BIOGR APHIES. 


étaient un talisman qui relevait son courage, enflammait son 
imagination, et lui faisait supporter les ennuis et les fatigues de 
cette longue navigation. | ; 

On voit, par le choix de ses modèles, la ligne queGoupil suivait 
en-peinture. Il n'était point de cette école exagérée qui recherche . 
dans la nature les contrastes les plus opposés et les effets Les plus 
bizarres. Il cherchait à rendre ce qu’il voyait, et il trouvait que 
la nature était assez belle, sans que l'imagination vint y âjouter 
ses fantastiques rêveries. 1 1 

Sa dernière œuvre montre bien la nature de son talent; c’est 
une grande aquarelle représentant des massifs de bambous sur 

le bord d’un ruisseau. il n’y a pas autre chose, et cependant une 
douce mélancolie règne dans ce coin de paysage; le ciel bleu, la 
cine d’un cocolier agitée par la brise, tout cela attire et charme | 
le regard ; la couleur est si vraie, l'air circule si bien à travers les : 
touffes de feuillage, qu’on sent que c’est la représentation exacte 
de la nature. 

Notre longue course dans l'Océanie tirait à sa fin; encore une 
relâche, relâche fatale! et nous allions gagner des climats tem- 
pérés ; puis explorer de nouveau les régions polaires. Le lieu de 
cette relâche fut Samarang, pays malsain et dangereux, juste- 
ment redouté des navires européens. 

Notre séjour fut de peu de durée, mais bien trop long, hélas ! 
car ce fut là que nous primes le germe du terrible fléau qui de- 
vait nous enlever , en peu de temps, plus de trente de nos com- 
pagnons !…. 

Un canal conduit de la rade au milieu de la ville; sur ses bords, 
s'élèvent de beaux arbres qui ombragent de pittoresques habi- 
tations. Des pirogues , des canots de forme gracieuse ou bizarre 
le siilonnent sans cesse; c’est ce lieu que Goupil avait choisi 
pour dessiner. Il y passa ainsi présque tout le temps de la relà- b | 
che, exposé aux ardeurs d’un soleil dévorant, et aux vapeurs n : 
méphitiques qui s’exhalaient des eaux du canal, réceptacle de - | 
toutes les immondices de la ville... A 


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Ce fut à, sans nul doute, qu’il prit le germe de la maladie qui 


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à 


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BIOGRAPHIES. 389 


devait, après deux longs mois de souffrances, le conduire an tom- 
beau , victime de son amour pour l'art. 

Bientôt, en mer, le fléau 3e déclara avec intensité. Atteint un 
_des premiers et cloué sur son son lit de douleur, Goupil put 
ignorer ce qui se passait autour de lui, et que chaque jour la 
maladie dont il était atteint nous enlevait une victime. Nous 
mîmes tous nos soins à lui cacher ce triste état, dont la connais- 
sance aurait pu exercer sur lui une fâcheuse influence. Cela était 
bien difficile, dans un lieu si resserré, où de minces cloisons vous 
séparent à peine, et n’empéchent aucun bruit, aucune parole de 
parvenir aux oreilles du malade; cependant, tels furent les soins 
et la circonspection de tous , que pendant deux longs mois au- 
cune indiscrétion ne fut commise , aucune parole imprudente ne 
fut prononcée, et son ami de La Farge rendait le dernier soupir à 
deux pas de lui, qu’il ignorait encore la gravité de son propre mal. 
ILs'en réjouissait même quelquefois, linfortuné : en pensant que 
cette circonstance, en Jui permettant de revenir en Europe par 
la première occasion , lui ferait revoir plus tôt sa famille! 

Enfin, cette longue traversée s’acheva ; elle avait duré deux 
mois ou plutôt deux siècles ; nous avions perdu trois officicrs, 
quinze malelots, et il nous restait vingt malades, dont neuf de- 
vaient encore succomber. Ils furent aussitôt transportés à terre 
et placés dans un local convenable. 

La joie d’être arrivé, le repos dans un bon lit, la vue de la 
campagne. parurent produire quelque changement dans l’état 
de notre pauvre artiste. Une espèce de réaction eut lieu et nous 
donna quelques espérances, mais elles ne furent pas de longue 
durée ; un grand affaiblissement survint et nous présagea sa fin 
prochaine ; nous le voyions s’éteindre peu à peu; lui-même ne 
put bientôt plus s'abuser sur sa positson. Il apprit la vérité d’un 
œil serein , et vit venir le dernier moment avec un calme et une 
égalité d’âme qui ne l’abandounèrent pas un seul instant. 

Le jour de sa mort, il eut un entretien avec M. Thery, prêtre 
catholique. « Ma plus grande faute et mon plus grand regret, 
lui disait Goupil, c’est d’avoir abandonné mes vieux parents. » 


390 | BIOGRAPHIES, 


Quelques.heures avant sa mort, par un caprice de moribond, 
il voulut goûter du vin de Champagne ; nous ne pümes nous 
refuser à ce désir, et il tenait le verre dans sa maïn débile, lorsque 
le commandant Jacquinot, qui avait pour Ernest une affection 
toute particulière, vint le voir. « Vous voyez, commandant, dit- 
il en faisant un effort pour sourire, la mort n'est pas aussi triste 
qu'on se l’imagine ! » A la vue de cette résignation angélique, le 
dur marin, qui avait vu sans sourciller la mort de si près, et sous 
tant de formes, dont l'équipage avait été plus d’une fois décimé 
par les maladies, se détourna pour cacher ses larmes !… 

Notre départ était fixé au lendemain. A dix heures du soir, 
Goupil se fit plusieurs fois changer de place, puis il resta tran- 
quille et parut s'endormir ; quelques instants après il n'était plus, 
il s'était éteint sans douleur, sans agonie, il s’était endormi du 
sommeil du juste ! Et 

Ainsi mourut Ernest Goupil, à l’âge de vingt-six ans, martyr 
du devoir et de son amour de l’art. Il fut pleuré de ses compa- 
gnons de voyage, qui, pendant plus de deux années passées avec 
lui, avaient pu apprécier toute la générosité, tout le dévouement 
de sa belle âme, et qui tous perdaient en lui un véritable ami. 

Ses œuvres, tout incomplètes qu’elles sont, sufliront pour as- 
surer à son nom l’immortalité, et feront regretter tout ce que 
promettait une vie si brusquement tranchée. | 


Ainsi moururent quatre officiers de l’expédition. Goupil seul 
parvint jusqu’à terre; les autres étaient morts pendant la tra- 
versée. : A | 

Ils étaient morts martyrs de la science, et leur regret, en mou- 
rant, était de n'avoir pas assez fait pour la patrie, de n’avoir pu 
achever leurs utiles travaux, auxquels devait s'attacher à jamais 
leur nom......... Combien est préférable la mort du soldat sur le 
champ de bataille, Dans sa bouillante valeur, il se précipite au de- 
vant de l'ennemi, la musique guerrière, le bruit du canon exaltent 
encore son courage, et lorsqu'une balle ennemie vient le frapper, 
il tombe; mais souvent, avant de se fermer pour jamais, ses yeux 


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,. BIOGRAPHIES. 391 


entrevoient son drapeau triomphant, et à ses oreilles retentissent 
des cris de victoire ! 

Les honneurs militaires seront rendus à ses dernières dé- 
pouilles, des lauriers couvriront son tombeau, car il est mort pour 
sa patrie ! 

Mais le marin qui entreprend de longs voyages pour ajouter 
aux conquêtes de la science, qui pendant plusieurs années endure 
des privations sans nombre, brave tous les périls, essuie tous les 
dangers, et qui, lorsqu'il compte sur les joies du retour, sur le 
succès de ses travaux comme compensation à toutes ses fatigues, 
est atteint d’une horrible maladie. Loin de toute terre, balloté 
par les vagues, il meurt après de longs jours de souffrance, sans 
avoir la consolation que son nom survivra à ce trépas obscur et 
ignoré. 

Il meurt, et les vagues engloutissent sa dépouille ; il n’a pas 
même un tombeau, aucun vestige de lui ne reste, rien ! Rien 
qu’une petite croix qu’une main amie trace sur la carte, à l'endroit 
où les vagueswse sont refermées sur lui ; point perdu au milieu 
de l'Océan, atôme dans l’immensité, mais vers lequel se .repor- 
tent sans cesse les cœurs déchirés des parents et des amis. 

Oh ! ceux-là méritent bien la palme des guerriers, car eux 
aussi sont morts pour la patrie ! 

Un modeste monument élevé sur une des collines qui entourent 
la ville d'Hobart-Town, dans le lieu consacré aux sépultures, 
rappelle les noms de nos infortunés compagnons. La piété pu- 
blique entoure ce mausolée de respect et de vénération, et quel- 
ques âmes, comme il yen a partout, sympathiqués au malheur 
et aux grandes choses, veillent à sa conservation et l'entourent 
de fleurs. Qu'ils recoivent ici le tribut de notre profonde recon- 
naissance. (Un de ses amis, son compagnon de voyage.) 


FIN DU TOME HUITIÈME. 


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Cap. LIV. 


— LV. 
—  LVI. 


—  LVIT. 


TABLE DES MATIÈRES 


CONTENUES 


DANS LE TOME HUITIÈME. 


Traversée de Samboangan à Samarang à tra- 
vers le détroit de Macassar. — Course sur 
les îles Pomarong et Poulo-Laut. . . . . . 

Séjour à Samarang (île Java) 


OL ie Rem eee e 2e 


Pages. 


Traversée de Samarang à la baie de Lam- 


ponss (île Sumatra). — Séjour sur la rade 
de Rajah-Bassa (baie des Lampongs). . . 
Traversée de la baie des Lampongs (île Su- 
matra) à Hobart-Town (ile de Van-Dié- 
TETE RS PR A AS 


. Séjour à Hobart-Town. — Préparatifs pour 


retourner dans les régions glaciales. . . . 


. Navigation vers le pôle Antarctique. — Dé- 


couverte de la terre Adélie. . , . . . . . 


. Reconnaissance de la terre Adélie. — Navi- 


gation le long de la banquise. — Recon- 
naissance de la côte Claire. — Retour des 
corvettes à Hobart-Town. . . . . . . .. 


. Quelques réflexions sur les voyages au pôle 


sud, des capitaines Wilkes, James Ross 
chDéamont-dUrvile. 1." 4" 


CRT Es tele ee en ete me Te) eHer;:es ecole: /e . 01106... 


FIN DE LA TABLE DU TOME HUITIÈME, 


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