VOYAGE
L'ASTROLABE.
PIECES JUSTIFICATIVES.
DETAILS
LE TROISIEME VOYAGE DE M. MARSDEN
A LA NOUVELLE-ZÉLANDE.
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Le i3 février 1820, M. Marsden fit voile de Port-Jackson
sur le Dromedary, capitaine Skinner, qui allait charger d'es-
pars à la Nouvelle - Zélande , pour le compte du gouverne-
ment. Il atteignit la baie des Iles le 27 du même mois.
A partir du i5 mars , une quinzaine de jours fut consacrée
à visiter le Gambier ou Shouki-Anga , en compagnie de quel-
ques officiers du navire et de M. Hall.
Sur le rapport qui fut fait , le capitaine Skinner se déter-
mina à conduire le Dromedary au Gambier. M. Marsden l'ac-
compagna. Après avoir examiné l'entrée de la rivière durant
plusieurs jours , on ne jugea pas prudent de la tenter avec un
aussi grand bâtiment.
tome m. 26
37559
402 PIECES JUSTIFICATIVES.
M. Marsden étant revenu à la baie des Iles, se décida à faire
un tour dans l'intérieur; en conséquence il quitta le Drome-
dary le icr mai , pour s'avancer vers le sud-ouest, en compa-
gnie de quelques gentlemen du navire. Près de Kidi-Kidi, ils
trouvèrent un chef puissant , nommé Waï-Tarou , qui fut en-
chanté de voir M. Marsden. De Kidi-Kidi , ils allèrent visiter
les districts de Waï-Mate , Pouke-Nouï et Tae-Ame. Ils pas-
sèrent dix jours dans cette excursion, et trouvèrent la contrée
riche et fertile. Kaï-Tara, l'un des chefs de Tae-Ame, avait
été à Port-Jackson, et avait beaucoup amélioré ses terres.
Le Coromandel , capitaine Downie , étant arrivé sur la baie
pour le même objet que le Dromedary, et allant chercher sa
cargaison à la rivière Tamise ; M. Marsden embarqua sur ce
navire le 7 juin, avec Temarangai qui avait demeuré chez lui
à Parramatta, et en qui il avait beaucoup de confiance. Touai
fut aussi de la partie. Le 12 au soir, après une traversée ora-
geuse, le bâtiment mouilla sous le cap Col ville! Après avoir
consacré une semaine à l'objet de son voyage parmi les natu-
rels, tandis que le Coromandel embarquait des espars, M. Mars-
den employa trois semaines à visiter les baies et les criques si-
tuées sur le côté oriental de la rivière. Il y trouva un grand
chef nommé Tepouhi qu'il avait autrefois connu, et qui lui fit
un accueil cordial. Tepouhi et Tourata sont deux puissans
chefs de cette région ; l'un et l'autre beaux , bien faits et d'une
grande taille. Le premier chef ou ariki , comme le nomment
les naturels, a son pâ ou village fortifié, sur une pointe de
terre élevée, située à la jonction de deux rivières d'eau douce,
dont les eaux réunies forment la rivière Tamise.
Le 12 juillet, M. Marsden quitta le Coromandel , dans le
but de visiter le Waï-Kato, rivière de l'intérieur, où la popu-
lation est, dit-on, très-considérable. Certaines raisons l'ayant
empêché d'exécuter ce projet, il résolut de visiter la baie Mer-
cure, située dans l'Océan , au sud du cap Col ville. Après avoir
donné huit jours à ce voyage, il revint à la Tamise, passa sur
la rive occidentale , et se dirigea vers Kaï-Para , sur la côte
PIECES JUSTIFICATIVES. 403
occidentale de la Nouvelle-Zélande, au sud-est du Gambier.
Il partit pour cette expédition le 25 juillet; il remonta une
rivière nommée Waï-Roa qui tombe dans la Tamise, puis
le Waï-Tamata qui se jette dans le Waï-Roa : ce sont de
belles et larges rivières. Le 26, ils étaient à cinquante milles
du navire, et fort avant sur la route de Kaï-Para. Ayant ren-
contré le 27 une pirogue de naturels montée par Kouhou , un
des cbefs de Kaï-Para, ceux-ci prirent à bord M. Marsden et
l'un des officiers du Coromandel , et leur firent remonter le
Waï-Tamata six à buit milles plus baut. Alors ils débarquè-
rent dans un endroit d'où ils pouvaient apercevoir les hautes
dunes de sable de la côte occidentale de la Nouvelle-Zélande,
distantes de dix-huit à vingt milles en apparence. Ils atteigni-
rent Kaï-Para dans la soirée , et revinrent à la pirogue le jour
suivant. L'eau était agitée et le vent contraire ; cependant le 26
l'équipage, composé de jeunes et beaux naturels, ayant pa-
gayé avec ardeur durant plusieurs heures le soir, on arriva
dans un lieu nommé Mogoïa , qui appartenait au chef
înaki. Cette place était éloignée de trente milles environ de
l'endroit où ils s'étaient embarqués, et située sur une rivière
qui, comme le Waï-Tamata, se jette dans le Waï-Roa. Le
1er août ils regagnèrent le Coromandel '. Touchant ce voyage,
M. Marsden dit :
« Je viens de passer vingt jours hors du Coromandel , et du-
rant ce temps j'ai dormi tout habillé , le plus souvent en plein
air dans un canot ou une pirogue. Le temps a été fréquem-
ment très-humide et orageux. J'ai traversé plusieurs marais,
criques et rivières , depuis la baie Mercure , sur la côte orien-
tale, jusqu'à Kaï-Para sur la rive occidentale. Cependant,
par la grâce de Dieu, il ne m'est arrivé ni accident, ni affaire
fâcheuse; mais au contraire, j'ai eu tout lieu d'être content, et
je suis rentré à bord du Coromandel en parfaite santé.
« J'espère que ma visite à ces différentes tribus leur sera
avantageuse par la suite. Partout je me suis efforcé d'expliquer
aux naturels qu'il n'y avait qu'un seul vrai Dieu vivant, etc..
2G*
404 PIECES JUSTIFICATIVES.
Ils désirent tous voir des Européens résider chez eux,
«Temarangai, mon compagnon constant, recommandait par-
tout aux chefs de renoncer aux combats. Il leur rappelait com-
bien de fois leurs femmes et leurs enfans avaient souffert les
horreurs de la faim , quand leurs récoltes de patates et de pom-
mes de terre avaient été détruites par suite de leurs différends;
combien de leurs femmes étaient restées veuves , et de leurs
enfans orphelins. Ils convenaient des funestes suites de la
guerre; mais ils disaient qu'il y avait certains chefs qui ne
voudraient point y renoncer, et que leurs pères et leurs
grands-pères avaient toujours été des guerriers. »
Inaki avait accompagné M. Marsden à bord du Coroman-
del ; ce dernier avait eu le bonheur d'effectuer une réconcilia-
tion entre ce chef et Tepouhi, et d'arranger d'autres querelles
parmi les naturels.
Le 12 août, M. Marsden quitta le navire pour retourner à
la baie des Iles. Traversant la Tamise, qui en cet endroit a
quinze milles environ de large, il passa sur la côte occiden-
tale, et dans la soirée atteignit Mogoïa , distant du Coroman-
del de quarante à cinquante milles. Le mauvais temps l'empê-
chant de retourner à la baie des Iles par mer, il se décida à
s'y rendre par terre. Comme il ne pouvait suivre la côte est de
la Nouvelle-Zélande, à cause des rochers et des rivières, il
reprit le chemin de Kaï-Para, sur la côte de l'ouest, pour re-
prendre vers l'intérieur , et contourner ainsi les baies et les ri-
vières. Temarangai l'accompagna encore, quoiqu'il eût à
traverser des districts avec lesquels il s'était trouvé en guerre.
Dans cette seconde visite à Kaï-Para, M. Marsden rencontra
différens chefs qui lui firent tous un accueil amical. 11 eut sur-
tout une discussion fort intéressante avec Moudi-Panga , l'un
des plus grands guerriers de la Nouvelle-Zélande, et le rival
de Shongui. Il y resta jusqu'au 21 , puis il s'embarqua sur le
Kaï-Para, et descendit jusqu'à l'entrée du havre. Outre le
Kaï-Para , deux autres rivières viennent encore se décharger
dans ce havre. L'une d'elles se nomme le Kotamata ; elle prend
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 40Ô
sa source près de Bream-Head , sur la côte orientale, et n'est
séparée que par une langue de terre fort étroite , d'une rivière
qui se décharge dans un petit havre, un peu au sud de Bream-
Head ; il en résulte une communication facile entre les deux
côtes opposées de la Nouvelle-Zélande. La troisième rivière
qui tomhe dans celle de Kaï-Para, se nomme Waï-Roa,
et ne doit pas être confondue avec la rivière du même nom ,
qui se jette dans la Tamise. Le cours de ce Waï-Roa occiden-
tal, dans l'espace de trente milles environ, est le nord-ouest,
c'est-à-dire parallèle à la côte dont il est si voisin , que le
bruit du ressac peut s'entendre dans toute cette étendue. Ce
cours offre ainsi un passage commode vers le Gambier ou
Shouki-Anga. De ce point, qui n'est qu'à six milles de la
côte, le cours de la rivière passe au nord, ensuite à l'est. En
remontant ce fleuve, M. Marsden visita Tetoko et Tourou ,
deux puissans chefs, ennemis de Shongui, mais désireux de
vivre en paix et de cultiver leurs terres. Après avoir remonté
le Waï-Roa aussi haut que la marée se faisait sentir, un peu
plus loin , le 26 au matin , ils quittèrent la pirogue , et mar-
chèrent à travers un pays plus élevé, vers Wangari, sur la côte
est, à douze milles au nord de Bream -Head. Ils y arrivèrent
dans l'après-midi du jour suivant, et Temarangai se retrouva
alors avec ses amis et ses alliés. Sur leur route, ils avaient
contemplé avec douleur la ruine et la dévastation que les par-
tisans et les alliés de Shongui avaient portées dans ces régions.
De Wangari, M. Marsden se rendit à la baie des Iles, partie
par eau , partie par terre.
Il arriva dans cette baie le 4 septembre, près de trois mois
après avoir quitté le Coromandel '.
Le Prince-Régent , schooner du gouvernement , venant d'ar-
river de Port- Jackson, M. Marsden s'embarqua dessus le 17 sep-
tembre, pour retourner à la Nouvelle -Galles du Sud. Le
schooner était si encombré d'espars, et il rencontra un si mau-
vais temps au large du cap Nord , que le capitaine rentra dans
la baie pour alléger le navire. M. Marsden avait tellement
406 PIECES JUSTIFICATIVES.
souffert de l'humidité, du mal de mer et du défaut de repos,
qu'il se décida à attendre le retour du Dromedary a Port-
Jackson. Mais apprenant qu'il ne mettrait pas à la voile avant
six semaines, il voulut employer ce temps à visiter de nouveau
les différentes tribus des côtes de l'est et de l'ouest. Le 3o oc-
tobre, M. Butler et quelques autres s'étant réunis à lui à Kidi-
Kidi, ils se mirent en route; ayant touché à Wangari, ils
atteignirent Mogoïa le 3 novembre. Ayant quitté cet endroit le
jour suivant, pour visiter le Coromandel , mouillé à quarante
milles de distance dans la Tamise, ils eurent beaucoup de
mauvais temps dans le Waï-Roa. Ils retournèrent à Mogoïa le
9 , et consacrèrent plusieurs jours à explorer les rivières du
voisinage. S'avançant ensuite vers la côte occidentale, M. Mars-
den rendit une troisième visite aux peuples de Kaï-Para. Le
17, M. Butler remonta le Kaï-Para pour retourner à la baie
des lies ; tandis que M. Marsden prit sa route accoutumée par
le Waï-Roa occidental. Quittant la rivière au point que nous
avons cité, le 22 il atteignit le Gambier. Ayant renouvelé
connaissance ici avec ses anciens amis, il remonta la rivière,
et se rendit par terre à Wangaroa , où il s'embarqua le 25 à
bord du Dromedary. 11 écrit à cette occasion :
a J'ai été absent du navire cinq semaines et un jour ; durant
cet intervalle, j'ai parcouru , d'après mon calcul, environ six
cents milles, tant par terre que par eau , et quelquefois dans
les plus mauvais cbemins qu'on puisse imaginer. C'est une
ebose à laquelle on doit naturellement s'attendre , attendu que
le pays, sous ce rapport, est encore dans son état primitif.
Point de marais desséebés , point de pont sur les rivières et les
criques. Les broussailles obstruent souvent les sentiers. Un
Nouvcau-Zélandais n'est nullement embarrassé pour traverser
les lacs, les marais ou les rivières. Il passe les uns à gué, et
traverse les autres à la nage, sans la moindre peine. »
PIECES JUSTIFICATIVES. 107
OBSERVATIONS FAITES PAR M. MARSDEN DORANT CE VOYAGE.
Affection des naturels pour leurs enjans.
En parlant du chef Waï-Tarou , M. Marsden dit :
C'est un proche parent de Temarangai et un chef puissant.
Deux de ses (ils ont demeuré chez moi à Parramatta : l'un y
est mort, l'autre est revenu avec moi sur le Dromedary. Il est
aujourd'hui très -malade, et il n'y a guère d'espoir qu'il ré-
chappe.
Waï-Tarou fut très-content de, me voir. Il me pria de lui
permettre de m'accompagner à Port-Jackson , pour aller cher-
cher les os de son fils, et les rapporter dans leur sépulture de
famille. 11 chérissait singulièrement cet enfant; c'était le fils de
sa principale femme , et il le regardait comme son héritier. Il
pleurait amèrement en pensant à lui , et il me dit qu'il des-
cendait d'une des premières familles de la Nouvelle-Zélande.
Il avait auprès de lui un beau garçon , qui était son plus jeune
fils : je le lui montrai, et tâchai de le consoler, en lui représentant
que celui-ci serait son héritier. Il remarqua que la mère de ce
garçon n'était pas de la noble famille dont sortait la mère de
celui qui était mort, et que c'était pour ce motif qu'il le re-
grettait autant. Je fus sensible à son affection, car elle était
extrême.
Le fils qui était malade était un jeune homme de dix-sept
ans. Je vis qu'il était trop bas pour conserver aucun espoir de
rétablissement. Quand je causais avec lui, il disait : « Mes yeux
seront bientôt éteints dans la mort. Je ne saurais vivre davan-
tage à la Nouvelle-Zélande : c'est un mauvais pays, je ne
l'aime point ; les chefs sont toujours occupés à se combattre et
a se piller mutuellement. C'est un pays , en outre, où il n'y a
ni thé , ni sucre, ni riz, ni pain ; je ne saurais manger de ra-
cines de fougère , je dormirai bientôt dans la tefre. » Je n'ai
408 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
jamais vu personne parler d'une manière plus louchante que
ce jeune homme ; il pleurait sur la condition dégradée de son
pays, et semblait avoir peu d'envie de prolonger son exis-
tence.
Il était rare, quand j'allais voir Waï-Tarou, ou qu'il venait
me voir, que la mort de son fils ne fût pas le sujet de sa conver-
sation. En tout temps, il exprima le désir que les os de ce fils
fussent rapportés à la Nouvelle-Zélande : comme il se trou-
vait lui-même indisposé à cette époque , il demanda , s'il ne
pouvait y aller lui-même , que je permisse à sa femme de faire
ce voyage. Je lui promis, à mon retour, de lui envoyer ces
restes , si personne ne venait les réclamer. Partout les Nou-
veaux-Zélandais attachent un grand prix aux ossemens de leurs
amis morts.
Un conseil de guerre des naturels.
Sur la route de Kidi-Kidi à Waï-Mate , qui en est à dix
ou douze milles, M. Marsden rencontra une foule de na-
turels qui lui demandaient où il allait. Il écrit à ce sujet :
Quand nous les eûmes satisfaits, ils nous apprirent sur-le-
champ que l'Atoua était à Waï-Mate. Je ne pus comprendre
ce qu'ils voulaient dire par là, car ils semblaient tous vive-
ment occupés de l'Atoua. J'imaginai que quelque chef était
mort ou sur le point de mourir, attendu qu'il y avait beaucoup
de personnes assemblées à Waï-Mate.
Nous arrivâmes en ce lieu vers le soleil couchant, dans une
habitation appartenant au chef Tareha. Nous y trouvâmes la
réunion de naturels la plus nombreuse que j'eusse jamais vue.
Tareha nous reçut très - cordialement , et nous procura une
bonne cabane , et quantité de patates pour nous et nos por-
teurs. Là se trouvaient, avec leurs guerriers, quelques-uns des
chefs des tribus depuis Shouki-Anga, sur la côte occidentale
PIECES JUSTIFICATIVES. 409
de la Nouvelle-Zélande , jusqu'à Bream-Head , sur la côte est.
Nous nous promenâmes autour des différens groupes, car ils
s'étaient formés en corps séparés. Nous trouvâmes une assem-
blée de chefs assis en cercle , et plongés dans une profonde
consultation. Nous apprîmes que les chefs de différentes tribus
s'étaient réunis pour entreprendre une expédition militaire, et
que chaque tribu devait fournir un certain nombre d'hommes.
Le concours du peuple et le mouvement qui en résultait
ressemblaient plus à une foire de campagne qu'à toute autre
chose.
Je demandai quel était le motif d'une si nombreuse réunion
de chefs et de districts aussi éloignés. On me raconta qu'avant la
destruction du Boyd , qui eut lieu il y a dix ans à peu près,
Shongui et sa tribu déclarèrent la guerre aux habitans de Kaï-
Para ; qu'alors il fut défait, et perdit un grand nombre de ses
officiers et de ses hommes , parmi lesquels étaient deux de ses
frères ; et que les chefs de la tribu de Shouki-Anga avaient con-
voqué cette assemblée pour former une expédition contre Kaï-
Para , et venger la mort de ceux qui avaient péri dans cette
funeste guerre. J'appris aussi que depuis sa défaite, Shongui
n'avait cessé de réunir des munitions pour se mettre en état de
renouveler la guerre contre les peuples de Kaï-Para , et qu'il
avait laissé des ordres à ses officiers pour commencer les hos-
tilités peu de mois après son départ pour l'Angleterre.
Nous passâmes la soirée à converser avec les différens grou-
pes. Ils semblaieut tous fort joyeux et satisfaits. Ils se réga-
laient à leur manière , et ils mangèrent avec du poisson quel-
ques centaines de corbeilles de patates et de pommes de terre.
Le tumulte dura toute la nuit, plus ou moins fort. Quand
nous nous retirâmes à une heure avancée, nous laissâmes les
chefs encore assemblés en cercle au même endroit où nous les
avions trouvés et poursuivant leurs délibérations.
Depuis notre arrivée , nous n'avions cessé d'entendre de
grandes lamentations du côté d'une métairie qui semblait
éloignée d'un mille de nous. Quand nous en demandâmes la
410 PIECES JUSTIFICATIVES.
cause, on dit que c'était là qu'était l'Atoua, et ce fut tout ce
que nous pûmes en savoir. Ces lamentations continuant sans
interruption, nous résolûmes de visiter l'Atoua le lendemain
matin , pour connaître quel était cet objet dont tout le monde
semblait si occupé.
Nous nous levâmes au point du jour et nous parcourûmes
le camp. Nous trouvâmes encore les chefs assis en cercle. Us
semblaient n'avoir pas bougé de leur position, depuis le mo-
ment de notre arrivée près d'eux la veille. Après avoir fait
un tour et pris congé des chefs, nous quittâmes cette sin-
gulière assemblée, dans l'intention de déjeuner chez le fils de
Shongui , qui avait demeuré chez moi à Parramatta et dont
le village était tout proche. Nous nous proposions de visiter
l'Atoua , car les lamentations continuaient et les cris avaient
redoublé. Quand nous arrivâmes, nous trouvâmes notre hôte
avec sa mère et ses sœurs , au milieu de leurs gens. La femme
de Shongui nous fit un accueil très-cordial , et donna des or-
dres pour qu'on nous préparât sur-le-champ quelques provi-
sions. Tandis que nous étions occupés à converser ensemble,
une troupe de gens en armes se montra sur le bord du bois,
près d'un champ de patates qui se trouvait entre eux et nous.
Ces guerriers étaient nus et s'étaient mis dans une attitude
défensive. Aussitôt que le fils et les filles de Shongui les eu-
rent aperçus, ils coururent saisir leurs armes. D'abord je ne
sus pas s'il s'agissait d'un combat réel ou feint; mais quand je
vis que les filles de Shongui ne chargeaient leurs armes qu'à
poudre, je fus convaincu que ce n'était qu'un simulacre.
Quand les deux partis furent prêts et rangés en ordre de ba-
taille, ce qui fut bientôt fait, ils commencèrent le combat.
Les femmes chargeaient et déchargeaient leurs mousquets
avec une ardeur vraiment guerrière, et semblaient prendre
beaucoup de plaisir à cet exercice. Je ne doutais pas que
dans une bataille réelle elles n'eussent montré autant de cou-
rage et d'activité. Les hommes combattaient avec leurs lances
et leurs patous. Dans la mêlée, ils se terrassaient les uns les
PIECES JUSTIFICATIVES. 41 1
autres, et faisaient prisonniers de guerre ceux qu'ils pouvaient
entraîner hors du champ de bataille. Quand ils se furent di-
vertis quelque temps de eette manière, ils terminèrent le tout
par une danse guerrière ; puis nous prîmes notre déjeuner.
Le détachement qui parut dans le bois appartenait à Shouki-
Anga , et était venu au congrès général.
Déification d'un chef mort.
M. Marsden poursuit ainsi :
Nous prîmes congé de la famille de Shongui et allâmes voir
l'Atoua , près de qui les lamentations continuaient. A notre
arrivée, nous trouvâmes un chef mort assis dans tout son
appareil. Ses cheveux avaient été arrangés suivant la coutume,
ornés de plumes et d'une guirlande de feuilles vertes. Sa
figure était propre et luisante, car on venait de la frotter
d'huile, et elle avait conservé sa couleur naturelle. Nous ne
pourrions dire si le corps s'y trouvait tout entier ou non ;
car des nattes le couvraient jusqu'au menton. 11 avait l'as-
pect d'un homme vivant, assis sur un siège. J'en avais vu
un quelque temps auparavant, dont la tète avait été arrangée
de la même manière , et le corps desséché et conservé aussi
bien que la tête. Ce chef, au moment où il mourut, était un
jeune homme âgé de trente ans environ. Sa mère, sa femme
et ses enfans étaient assis devant lui, et à sa gauche les crânes
et les os de ses ancêtres étaient rangés sur une ligne. Je m'in-
formai du lieu où il était mort, et l'on me répondit qu'il avait
été tué, quelques mois auparavant, dans une- bataille à la
rivière Tamise.
C'était de ce chef qu'on m'avait tant parlé le jour précé-
dent sous le nom d'Atoua. Les Nouveaux-Zélandais semblent
nourrir l'opinion que la divinité réside dans la tête d'un chef,
car ils ont toujours la plus profonde vénération pour la tête.
S'ils adorent quelque idole, c'est certainement la tête de leur
412 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
chef, autant du moins que j'ai pu me faire une idée de leur
culte.
Dans la circonstance actuelle, une foule de personnes étaient
venues d'une grande distance pour consoler les parens en deuil
et rendre leurs hommages aux restes du défunt. Ses parentes se
déchirèrent, suivant leur coutume, jusqu'à ce que le sang
coulât de leur visage , de leurs épaules et de leur gorge. Plus
ils maltraitent leurs corps, plus ils pensent montrer leur
amour pour les amis qu'ils ont perdus. Quand je leur disais
que les Européens ne se déchiraient point ainsi pour leurs
morts, mais qu'ils se contentaient de les pleurer, ils répli-
quaient que les Européens n'aimaient point leurs amis comme
le font les Nouveaux-Zélandais , qu'autrement ils feraient
comme eux.
Empressement des naturels à s'instruire.
Pour preuve de cette disposition , M. Marsden raconte
ce qu'il observa dans sa visite à Tae-Ame :
Nous trouvâmes un jeune homme nommé Rahi , qui avait
habité quelque temps chez moi à Parramatta, très-malade et
sans espoir de rétablissement. Il venait de revenir sur le Drome-
dary ; c'était un fort beau jeune homme, plein de santé à
notre arrivée à la Nouvelle-Zélande : mais ce n'était plus
mairftenant qu'un squelette. Il était attaqué de maux d'en-
trailles, probablement occasionés par le changement de nour-
riture et de' logement, et par la nécessité de reprendre ses
anciennes habitudes.
Trois des jeunes gens qui avaient vécu chez moi à Parramatta
et qui étaient revenus par le Drumedary, sont morts ; deux d'en-
tre eux étaient des garçons robustes et pleins de santé. Au mo-
ment de sa mort , Rahi possédait trois nattes qu'il chargea son
père de m'envoyer aussitôt qu'il ne serait plus ; je les reçus,
PIECES JUSTIFICATIVES. 413
avec la nouvelle de sa fin , à la baie des Iles. Dans le cours
de cette année, il est mort sept naturels qui habitaient chez
moi quand elle a commencé : quatre à la Nouvelle-Galles du
Sud , et trois à la Nouvelle-Zélande. Ces jeunes gens appar-
tenaient aux premières familles de la haie des Iles.
Quand j'ai conversé avec les parens de ces jeunes gens, j'ai
été vivement frappé de la patience et de la résignation avec
lesquelles quelques-uns d'eux supportaient leur malheur. Un
deâtprincipaux chefs, ^ cnant d'apprendre que son fils était mort
à Parramatta , se rendit à bord du Dromedary avec sa femme.
Ils pleurèrent beaucoup. C'était leur fils unique et un beau
jeune homme. Le père me pria de n'être pas inquiet à cet égard,
remarquant que puisque son fils devait mourir, il était heureux
que cela fût arrivé à Parramatta ; car il était sûr que dans sa
maladie il n'avait manqué de rien de ce qui pouvait lui faire
du bien. Sa femme dit qu'elle restait sans enfans; qu'ils
avaient de grandes terres , mais point d'héritier ; et ils me
prièrent de leur envoyer un de mes fils qu'ils adopteraient
pour le leur et qui hériterait de leurs possessions. Tous deux
désiraient ardemment que les os de leur fils fussent transpor-
tés à la Nouvelle-Zélande , pour être déposés dans le tombeau
de leur famille, et ils demandèrent que l'un d'eux eût la per-
mission d'aller les chercher à la Nouvelle-Galles du Sud.
La mort de ces jeunes gens semble avoir attaché plus que
jamais les Nouveaux -Zélandais aux Européens , quoique je ne
puisse en expliquer la raison. J'aurais pensé qu'il en serait
plutôt résulté un effet contraire. Malgré la mort d'autant
d'enfans de chefs, d'autres s'empressent d'envoyer leurs enfans
à Port-Jackson. Quand je leur ai dit que je craignais de leur
accorder cette permission de peur de les voir péjrir, ils m'ont
répliqué qu'ils consentaient à courir le risque de voir mourir
leurs fils , pourvu seulement que je leur permisse d'y aller.
Koro-Koro , frère de Touai , a un très-beau garçon d'environ
huit ans, qu'il me suppliait avec instance d'emmener à Port-
Jackson. Quand je lui fis observer que j'avais peur de le perdre,
414 PIECES JUSTIFICATIVES.
attendu que l'enfant mourrait probablement, il répondit : « Je
prierai pour mon fils dans son absence comme je faisais pour
Touai ; alors il ne mourra point. » Quoique les Zélandais
n'aient point d'idée d'un Dieu de miséricorde tel que nous le
représente la révélation divine, pourtant ils sont fermement
persuadés qu'ils peuvent apaiser la colère de leur Dieu pat-
leurs prières.
Effets destructeurs des superstitions des naturels.
Dans sa première visite à la Tamise , M. Marsden écrit à
cette occasion :
Nous visitâmes plusieurs anses où quelques habitans avaient
récemment leur domicile, mais nous n'en vîmes pas un seul.
Leurs pas étaient tous en ruines, et ils venaient d'être brûlés
ou détruits. Nous vîmes quelques restes de ceux qui avaient
été tués. Touai me montra du doigt la plage qui , quelques
mois seulement auparavant, disait-il, était couverte de corps
morts, comme la boutique d'un boucher. Cette tribu avait été
entièrement détruite, à l'exception de deux ou trois individus
qui avaient eu le bonheur de s'échapper. J'appris que c'était
Koro-Koro qui avait dirigé cette guerre d'extermination. Le
prétexte fut qu'un proche parent de Koro-Koro avait été
empoisonné dans une visite qu'il avait faite à la rivière Ta-
mise. C'était le fils de Kaïpo, mieux connu des Européens
qui visitent la baie des Iles , sous le nom du Vieux Benny.
Le jeune homme ne mourut point à la Tamise, mais il y fut
pris de mal. Touai fut envoyé de la baie des Iles pour le ra-
mener, et il mourut dans la pirogue avant d'atteindre sa mai-
son, Kaïpo sacriha ensuite plusieurs personnes en son hon-
neur; puis la guerre commença contre la tribu soupçonnée
sur les bords de la Tamise.
Ces gens se croient obligés, par suite de leurs préjugés, de
PIECES JUSTIFICATIVES. 415
venger la mort de leurs parens, soit qu'ils aient succombé
dans le combat, soit qu'ils imaginent qu'ils ont péri par le
poison ou par un enchantement.
M. Marsden dit du chef Tepouhi :
Il m'annonça qu'il était dans une grande inquiétude; les
chefs de la côle occidentale de la Tamise, distinguée sous
le nom de tribu de Houpa, lui avaient dernièrement fait la
guerre, et avaient tué plusieurs de ses guerriers, parmi les-
quels se trouvait son frère ; il s'attendait à les voir sous peu
renouveler leur attaque. La plupart de ses cochons avaient,
disait-il, été tués et ses patates détruites; et lui-même et
son peuple étaient réduits à la dernière extrémité. Je lui té-
moignai l'intérêt que je prenais à ses malheurs , et je fus vrai-
ment peiné de voir la triste position où il se trouvait, ainsi
que sa tribu. Je lui promis de voir les chefs de la côte occi-
dentale, et d'user de mon influence sur eux pour les amener
à une réconciliation. Il me fit observer qu'ils étaient trop puis-
sans pour lui, attendu que leurs amis de la baie des Iles leur
fournissaient des armes et des munitions; qu'il n'était pas ca-
pable de leur résister, et qu'il croyait que leur résolution était
de le dépouiller et de le chasser de ses terres, attendu que
rien autre chose ne pourrait les contenter.
Pâ de Tepouhi sur la rivière Tamise.
Ce pâest situé à l'embouchure d'une rivière d'eau douce, sur
une belle éminence qui, des deux côtés, domine le cours de
la Tamise. La vue y est très-étendue. Il y a une grande plaine
occupée par de bonnes terres de chaque côté et en arrière du
pâ , qui serait très-propre à la culture du blé. Une crique d'eau
salée , d'environ cent verges , s'étend depuis la grande rivière
jusque derrière le pâ , où elle se termine par un ruisseau d'eau
416 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
douce ; la crique était navigable pour de petites barques à l'en-
droit où je la traversai. Une bataille eut lieu quelques mois
auparavant sur ses bords, et un cbef y fut tué d'un coup de
fusil. Les naturels me montrèrent la place où il se trouvait, et
le buisson derrière lequel l'ennemi s'était cacbé quand il fut
tué. Lorsque nous arrivâmes au pâ, il était trop tard pour
pousser jusqu'à la Tamise. Après avoir pris quelques rafraîchis-
semens, le soir je me procurai une pirogue, et je remontai le
ruisseau d'eau douce qui coule entre quelques collines élevées.
En certaines occasions, ce torrent roule dans la crique un
volume d'eau considérable. La terre , sur ses bords , est très-
ricbe, et pourrait être facilement labourée avec la charrue.
Dans la vallée qu'il traverse, je rencontrai une foule de natu-
rels qui revenaient du travail , et avec lesquels je rentrai dans
le pâ.
Il s'y trouvait alors un frère de Tepoubi et plusieurs autres
cbefs; Tepoubi était absent. Je passai la nuit à converser avec
eux sur les funestes suites de la guerre , et les avantages d'un
gouvernement civil, de l'agriculture et du commerce. Le frère
de Tepoubi semblait être un bomme très-doux et très-intelli-
gent; il témoigna combien il blâmait la conduite de plusieurs
des chefs qui étaient toujours occupés à combattre et à rava-
ger les habitans. Temarangai m'apprit que ce chef n'allait ja-
mais à la guerre, tant elle lui déplaisait.
La nature et l'art se sont réunis pour faire de ce pâ une
place très-forte. Elle est encore protégée par des fossés très-
profonds et par une haute palissade en bois fendu. Dans la
manière habituelle aux sauvages de faire la guerre , cette
place eût pu défier les efforts de quiconque eût voulu l'atta-
quer; mais elle cesse d'offrir une défense assurée contre un
ennemi armé de mousquets. Les habitans me montrèrent les
endroits où les balles avaient frappé leurs cabanes, et ils dé-
claraient qu'il leur était impossible, avec leurs lances, de ré-
sister à l'effet des armes à feu .
Si le gouvernement britannique voulait jamais former un
PIÈCES JUSTIFICATIVES. m
établissement à la rivière Tamise, le terrain sur lequel ce pu
est situé serait, à mon avis, le meilleur point à choisir de tous
ceux que j'ai vus. Il possède plusieurs avantages locaux fort
importans. On le rendrait facilement imprenable. Il com-
mande l'entrée de la rivière d'eau douce , une grande
étendue d'excellente terre à cultiver l'environne , et l'on s'y
procurerait facilement du bois de construction. Bien que les
navires ne puissent remonter jusque-là, cette station est ce-
pendant plus à portée du havre où les vaisseaux peuvent mouil-
ler en toute sûreté, que tout autre point. De petits navires de
cent à cent cinquante tonneaux pourraient même entrer dans
la rivière, et venir mouiller en face de cette place.
Pâ de rarihi ou chef principal , à la rivière Tamise.
Celte place, qui porte le nom de Houpa, est située à la jonc-
tion de deux rivières d'eau douce, dont les courans réunis
forment la Tamise. Sur une pointe de terre que les deux riviè-
res environnent presque entièrement , s'élève le pâ du chef
principal ouariki, comme l'appellent les naturels.
Le pâ était rempli de monde qui nous accueillit sur le rivage
avec de grandes acclamations, et nous conduisit à l'ariki qui
était assis au milieu de sa famille. C'était un homme âgé de
soixante- dix ans, suivant toute apparence, bien fait et d'une
grande force musculaire. Sa mère était encore vivante, avec
trois générations après elle. Les maisons des naturels étaient
beaucoup plus grandes et mieux bâties qu'aucune de celles que
j'avais vues à la Nouvelle-Zélande. L'ariki en fit préparer une
pour nous loger, ainsi qu'une cinquantaine de naturels qui
nous avaient aidé à remonter la rivière.
Le jour suivant était un dimanche ; nous restâmes dans le
pâ et je passai une bonne partie de cette journée à converser
avec les naturels sur les œuvres de la création — Tema-
rangai me servait d'interprète.
tome m. 27
418 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Un chef blessé.
Dans la première visite que fit M. Marsden à Kaï-Para ,
il écrit :
Nous trouvâmes le père du chef couché sous un abri ; il était
hors d'état de se lever , par suite d'un coup de lance qu'il
avait reçu long-temps auparavant. Kouhou et deux autres qui
nous accompagnaient versèrent beaucoup de larmes et firent
de grandes lamentations sur lui. La place où il était couché et
même le terrain à quelque distance de son abri étaient taboues.
Sa femme et une jolie petite fille étaient dévouées à lui donner
leurs soins. On ne permit de fouler ce sol sacré à personne
autre qu'à moi et à M. Ewels qui m'avait accompagné depuis
mon départ du Coromandel . Nous nous assîmes par terre près
de ce malheureux guerrier. Il me montra sa cuisse : la chair en
était gangrenée, et il ne pouvait plus la remuer. Nous lui don-
nâmes un peu de thé qu'il aimait beaucoup. Les naturels sem-
blaient tous prendre beaucoup de part à ses douleurs.
Nous passâmes la soirée à converser sur les affreuses cala-
mités de la guerre , les avantages de l'agriculture et du com-
merce , objets sur lesquels ils paraissaient vivement désirer
de s'instruire. Kouhou montrait une grande aversion pour la
guerre, improuvait la conduite de plusieurs de ses compa-
triotes, et racontait comment le peuple de Kaï-Para avait été
ravagé et maltraité par la guerre ; qu'ils avaient combattu plu-
sieurs années contre les Ngapouïs et les tribus de la baie des
Iles; et qu'en ce moment même les Ngapouïs étaient encore
sur le district de Kaï-Para égorgeant et pillant ses habitans. Je
déplorai ces calamités publiques, et leur témoignai l'espoir
que, quand un plus grand nombre d'Européens résideraient
parmi eux, ils mettraient un terme à leurs disputes continuelles.
Le lendemain matin , M. Ewels et moi nous nous dirigeâmes
vers les montagnes de sable , accompagnés d'un des chefs, afin
PIECES JUSTIFICATIVES. 419
d'avoir une vue de l'Océan occidental et de ses rivages. Nous
passâmes par un pâ situé sur un terrain très-fortifié , mais le
chef nous dit qu'ils ne pouvaient plus le protéger contre leurs
ennemis, depuis que les armes à feu avaient été introduites à
"a Nouvelle-Zélande; il nous montra l'endroit d'où les ennemis
avaient fait feu sur eux dans le pà, et fit l'observation que la
distance était trop grande pour faire usage de leurs lances. Les
dunes de sable sont très-élevées , et de leurs cimes on jouit
d'une vue très-étendue vers la mer et vers l'intérieur. On n'y
rencontre aucune végétation, et le sable s'y joue au gré des
vents qui l'agitent ; ces dunes ont plusieurs milles de large et
s'étendent le long de la côte à droite et à gauebe , au-delà des
limites que l'œil peut atteindre.
Nous retournâmes ensuite au village. A notre arrivée, nous
trouvâmes que Koubou et les deux jeunes gens qui avaient fait
tant de lamentations amères sur le cbef blessé , la veille au soir,
s'étaient déchirés jusqu'à ce que leurs visages fussent couverts
de sang, et avaient renouvelé leurs gémissemens douloureux.
Koubou me supplia de prier notre Dieu pour le pauvre mal-
heureux souffrant; je promis de le faire, et leur dis qu'il n'y
avait qu'un seul Dieu , et que notre Dieu était aussi le leur. Je
me rendis sous l'abri du malade et m'agenouillai près de lui.
Il se traîna sur ses mains et s'étendit à mes côtés; ayant décou-
vert sa cuisse et posé sa main sur la partie souffrante , il me
regarda d'un œil plein d'espoir, comme s'il pensait que je
pouvais le guérir. Sa conduite me rappela celle de Naaman.
( Missionnary Registcr, septembre 18^2,
page38y et suivantes. )
SDITE DU JOURNAL DE M. MARSDEN , DANS SON TROISIEME VOVAGE
A LA NOUVELLE-ZÉLANDE.
19 juillet. Nous nous levâmes de très-bon matin et nous
préparâmes pour notre voyage. Nous avions à marcher assez
27'
420 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
long-temps avant de pouvoir nousprocurer une bonne pirogue.
Nous traversâmes deux villages : e'était au troisième que nous
devions nous embarquer.
Tandis que l'équipage de la pirogue travaillait a la lancer et
à tout préparer pour le départ, les habitans du village s'assem-
blèrent autour de nous, et parmi eux se trouvait un vieux
prêtre très-considéré ; ce prêtre eut avec mon ami Temarangai
une conversation très-intime , qui dura quelque temps ; celui-
ci y prêta toute son attention et parut à la fin très-agité. Je lui
demandai de quoi il s'agissait. Il m'apprit que le prêtre lui
avait annoncé qu'il avait vu son esprit dans la nuit, qu'il avait
eu aussi une entrevue avec l'Atoua , que celui-ci l'avait averti
que si Temarangai m'accompagnait à la baie Mercure , il
mourrait sous peu de jours , car il avait tué deux chefs la der-
nière fois qu'il y était allé , et le Dieu de la baie Mercure le
tuerait maintenant , s'il y retournait; c'est pourquoi le prêtre
lui recommandait de renoncer à ce voyage. Temarangai me
parla alors de son expédition contre la baie Mercure , dont il
revenait le matin même où M. Kendall fit voile pour l'An-
gleterre. Les prisonniers de guerre et les têtes de chefs que
j'avais vus à Rangui-Hou ce même jour avaient été amenés
de la baie Mercure.
Par ce récit, je conçus qu'il pouvait y avoir quelque dan-
ger pour Temarangai à m'accompagner, attendu que le peuple
de ce district pourrait profiter de sa position et le faire périr.
C'est pourquoi je lui demandai s'il ne craignait pas que le
peuple de la baie Mercure ne le tuât et ne le mangeât, s'il y
allait avec moi. Il répliqua qu'il ne craignait pas du tout les
habitans, qu'ils n'abuseraient point de leur avantage; mais
qu'il redoutait que leur Dieu ne le fît mourir, d'après ce que
le prêtre lui avait dit. Je répondis que s'il ne craignait que leur
Dieu et non pas d'être tué et dévoré par les habitans, je veil-
lerais à ce que ce Dieu ne lui fît point de mal : car le Dieu qui
serait avec nous serait le vrai Dieu et il prendrait soin de nous
deux. Sur cette garantie, Temarangai dit qu'il oserait courir
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 421
les risques du voyage. Quoique son esprit se soit bien éclairé
et qu'il reconnaisse l'absurdité de plusieurs des coutumes
superstitieuses de ses compatriotes, pourtant j'ai eu souvent
l'occasion d'observer que sessentimens retenaient encore l'em-
preinte de ses anciennes superstitions, toutes les fois qu'une
circonstance importante venait les rappeler dans son imagina-
tion. Quand j'ai voulu raisonner avec lui et lui représenter
combien étaient insensées et absurdes ses craintes relativement
au mal que l'Atoua pouvait lui faire ou à ses amis, il répondait
qu'il me convenait très-bien de parler ainsi , à moi dont le
Dieu était bon , et sur qui l'Atoua de la Nouvelle-Zélande
n'avait aucun pouvoir; mais que lui et ses concitoyens se trou-
vaient dans une position très-différente ; que leur Dieu était
toujours irrité, et que dans sa colère il pourrait leur dévorer les
entrailles.
Lorsque Temarangai eut en partie surmonté ses craintes,
nous embarquâmes pour Houpa, avec une forte marée pour
nous. Les hommes pagayèrent avec vigueur toute la journée;
nous remontâmes la rivière très-agréablement, et nous ne nous
arrêtâmes que vers le soir, où nous descendîmes sur le rivage pour
quelques instans. Nous allumâmes du feu et arrangeâmes un
panier de patates à la façon des naturels, nous n'avions pas les
moyens de faire cuire autre chose : ma chaudière ayant été
oubliée par mégarde au moment du départ, je n'avais qu'un
petit pot d'étain pour subvenir à tous mes besoins. Aussitôt
que nous eûmes pris quelques rafraîchissemens, nous conti-
nuâmes à remonter la rivière jusqu'au point du jour , où nous
arrivâmes devant un petit village. La nuit fut sombre et froide,
avec un peu de pluie. Nous nous arrêtâmes au village, quel-
ques hommes descendirent à terre et appelèrent les habitans qui
allumèrent un feu; puis nous débarquâmes et primes notre
résidence dans une de leurs huttes. Je conjecturais que j'étak
sur les bords de la rivière.
20 juillet. Lorsque le jour parut, je fus étonné de me trouver
sur les bords d'une crique, où étaient deux petits villages. Le
422 PIECES JUSTIFICATIVES.
chef de l'endroit était un très-beau jeune homme de seize ans
environ. Son nom était Wao , et son père , à ce qu'il m'apprit,
avait été tué dans la bataille. Tout le terrain autour de nous
était d'une excellente qualité, et les naturels le préparaient
pour les prochaines plantations. Je communiquai à Wao mes
projets de voyage , et il dit qu'il voulait m'accompagner. Il
nous fit présent de quantité de belles patates et d'un beau
cochon. Je visitai le pâ de son père défunt, qui n'est plus
maintenant habité; c'a été une place considérable et fortifiée :
j'y observai plusieurs tombeaux; quelques-uns s'élevaient
au-dessus du sol, ornés de peintures, de sculptures et de
plumes.
Nous déjeunâmes dans ce village ; nous tuâmes notre cochon,
et le fîmes rôtir tout entier pour notre voyage. Les habitans du
village furent très-satisfaits de notre visite, et je leur fis à tous
de petits cadeaux d'hameçons. La femme principale du village
avait une petite maison d'une verge en carré environ, très-
proprement bâtie , peinte et ornée de plumes , dans laquelle
elle déposait la nourriture sacrée pour son dieu ; celui-ci était
debout sur un poteau près de la cabane. Là nous rencontrâmes
un chef de la baie Mercure, nommé Toua-Roro. Je lui de-
mandai combien il nous faudrait de temps pour aller à cette
baie; il répondit : « Deux jours, » et ajouta qu'il nous servi-
rait de guide.
Après déjeuner, nous quittâmes le village, et en une heure
environ nous atteignîmes au -dessus de Houpa les bords d'une
des principales branches de la Tamise , appelée le Manane. A
quatre milles environ plus haut, se trouve un pâ sur une très-
haute colline rocailleuse, nommé Tepoua-Rahi : il domine une
grande étendue de la Tamise , avec ses forêts et ses immenses
plaines, aussi bien que les montagnes de l'arrière. Ce fut jadis
une place forte, et elle est encore habitée. Nous traversâmes le
Manane à gué, au pied de la colline; l'eau nous montait à la
poitrine, et le courant était très -rapide. Quatre Nouveaux-
Zélandais me portaient sur leurs épaules en toute sûreté ; ils
PIECES JUSTIFICATIVES. 123
suât si accoutumés à l'eau , que les rivières et les marais ne leur
présentent aucune difficulté.
J'avais avec moi quatorze chefs cl leurs serviteurs; de sorte
que je ne craignais de rencontrer aucune espèce d'obstacle
à mon chemin, que je ne pusse facilement surmonter avec
leur assistance.
Le pays commença à devenir très-montucux et couvert de
grands arbres, dont quelques-uns formaient des espars d'une
hauteur et d'une beauté singulières. Les bois s'étendaient au-
delà de la portée de l'œil, à droite et à gauche de notre route.
Le cours du Manane suit un ravin profond dans la montagne ,
au pied de quelques pitons coniques très-élevés. Il nous fallut
traverser trois fois son lit à gué. Notre route au travers du bois
suivait précisément la crête de la montagne. Le bois peut avoir
trois milles de large à l'endroit où. nous le traversâmes; quant
à sa longueur, je ne puis m'en former une juste idée, attendu
que je n'en pouvais apercevoir la lin , même lorsque j'eus at-
teint la terre haute et découverte du côté opposé.
De ce point, comme le pays est entièrement dégagé au-delà
du bois , les hauteurs qui entourent la baie Mercure se décou-
vrent aisément. Elles paraissent être à seize milles de distance
environ , situées sur les contours d'une plaine intermédiaire
qui , en général , est passablement unie , couverte de fougères ,
et complètement dépourvue de bois. Dans cette plaine, il y a
au pied des hauteurs qui dominent la baie Mercure quantité
de sources naturelles dont les eaux réunies forment le Ma-
nane. Les naturels m'apprirent que les espars, dans le bois
immense opposé à la plaine qui conduit à la baie Mercure,
pourraient être transportés par le Manane dans la Tamise.
Mais comme je n'eus pas l'occasion de vérifier ce fait , je ne
puis rien dire à cet égard. Le bois de construction est de bonne
qualité, s'il est facile à faire.
La journée était fort avancée quand nous atteignîmes la
plaine. Nous marchâmes jusqu'à ce que le soleil fût couché :
alors nous nous arrêtâmes et nous nous préparâmes à passer la
424 PIECES JUSTIFICATIVES.
nuit. Les esclaves qui portaient les provisions étaient très-fati-
gués. Il n'y avait point de cabanes dans la plaine, ni aucunes
habitations. Nous fûmes en conséquence obligés de prendre
notre logement en plein air. J'étais très-harassé , n'ayant point
reposé de la nuit précédente, et venant de faire une longue
journée de marche ; si bien qu'en ce moment je ne trouvais rien
de plus désirable que de me reposer sur un monceau de fou-
gère, ou de quelque manière que ce pût être.
il juillet. Nous nous levâmes au point du jour, et nous nous
remîmes aussitôt en route. Je me sentis bien remis par l'utile
repos que je venais de prendre durant la nuit. Nous marchâmes
environ deux heures; puis nous nous assîmes, nous fîmes du
feu, et préparâmes notre déjeuner. La journée fut très- favo-
rable , et la marche dans la plaine agréable ; car la route était
généralement bonne , à l'exception de quelques petits marais
occasionés par quelques sources. Le sol de cette plaine est,
en majeure partie , très-propre à la culture, et recevrait faci-
lement la charrue.
Après que nous eûmes marché quelques milles , nous aper-
çûmes cinq jeunes femmes qui venaient au travers de la plaine.
Aussitôt qu'elles nous découvrirent, elles furent alarmées et
prirent la fuite. Un des nôtres courut après elles et les rattrapa.
Alors elles s'arrêtèrent pour nous attendre : elles nous appri-
rent que Nene, l'un des principaux chefs, était parti pour une
expédition guerrière vers le sud ; mais que sa femme était chez
elle, ainsi que Warou, chef contre lequel Temarangai s'était
trouvé en guerre au commencement de cette année. Après
avoir répondu à nos questions, ces femmes coururent en avant,
afin de prévenir les habitans de notre arrivée.
Quand nous eûmes atteint les hauteurs qui dominent la baie
Mercure, située à un mille au-dessous, je m'assis par terre sur
la cime d'une des plus hautes sommités , afin de prendre une
vue de l'Océan, des îles et de la grande terre. La perspective
est très-étendue. J'observai une île au large, éloignée d'une
quinzaine de lieues au plus du continent , d'où s'élevaient
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 425
d'immenses colonnes de fumée. Je priai Temarangai de me
donner quelques détails à l'égard des îles el des montagnes de
la côte et de l'intérieur qu'il connaissait parfaitement. Il satis-
fit à mes questions, puis il me fit le récit de sa dernière visite
à la baie Mercure.
S'étant assis lui-même à côté de moi, il commença par me
raconter que la dernière fois qu'il vint à la baie Mercure, ce
fut pour une expédition militaire, dont il expliqua les motifs
de la manière suivante : Quelques années auparavant une de
ses nièces fut enlevée de Bream-Head par un brick de Port-
Jackson , et ensuite vendue à un chef de la baie Mercure,
nommé Shoukori , qui y réside encore , et elle devint son es-
clave. Shoukori, et un autre chef nommé Ware, eurent que-
relle entre eux; par suite, sa nièce fut tuée par Warou, ou
quelqu'un de sa tribu , rôtie et mangée. Quelque temps après,
Temarangai fut instruit du sort de sa nièce; et il se sentit
obligé de venger sa mort, tant pour l'honneur de sa tribu que
par un sentiment de justice pour la mémoire de sa parente ,
aussitôt qu'il se sentirait en état de demander satisfaction à
Warou. Environ seize années s'écoulèrent , avant qu'il se sentît
assez fort pour déclarer la guerre à ce chef. Une sœur de Te-
marangai avait été enlevée par le même vaisseau à la baie des
Iles, et avait eu la même destinée vers le sud; il avait déjà
vengé sa mort. En janvier dernier 1820 , il passa la revue de
ses forces qui consistaient en six cents hommes : deux cents de
sa propre tribu , deux cents de la baie des Iles, et deux cents de
Bream-Head; ces quatre cents derniers étaient auxiliaires.
Avec cette troupe, il marcha sur la baie Mercure, et aborda
sur une île située à son embouchure. Warou vint dans sa pi-
rogue pour savoir ce qui l'amenait dans la baie Mercure. Te-
marangai répliqua que Warou avait tué, rôti et mangé sa
nièce , qu'il était venu pour lui demander satisfaction de cette
insulte, et qu'il désirait savoir quelle espèce de satisfaction il
était prêt à lui donner. Warou répondit en ces termes : « Si
c'est là l'objet de votre expédition , la seule satisfaction que je
426 PIÈGES JUSTIFICATIVES.
sois disposé à vous donner, sera de vous tuer, de vous rôtir et
de vous manger vous-même. » Temarangai trouva ce langage
le plus grossier et le plus insultant du monde ; il en fut très-
offensé, et répliqua que puisque telle était la résolution de
Warou, leur dispute serait vidée par un appel aux armes.
Warou répondit qu'il était prêt à combattre ce jour-là même.
Temarangai remarqua qu'il ne voulait pas combattre ce jour
même, mais que le lendemain il irait au-devant de lui. Wa-
rou y consentit, et Temarangai me montra du doigt le terrain
qu'ils avaient choisi pour leur rencontre. C'était un espace
uni, vis-à-vis l'endroit où mouilla jadis le capitaine Cook. Le
jour suivant, les deux partis se trouvèrent au lieu et à l'heure
fixés. Quand ils eurent déployé leurs forces , Temarangai donna
ordre à ses hommes de ne faire feu qu'au moment où il en don-
nerait le signal. Il avait trente-cinq mousquets, tandis que Wa-
rou ne comptait que sur ses lances et ses patous. Warou fit sa
première charge avec une volée de lances, et Temarangai eut
un officier blessé. Alors il ordonna aux siens de faire feu : vingt
des hommes de Warou tombèrent roides morts à la première
décharge, et parmi eux étaient deux chefs, l'un nommé Nou-
kou-Panga, père de Warou, et l'autre Hopo-Nikou. Au mo-
ment où ces deux chefs tombèrent, les hommes de Warou se
débandèrent, et s'enfuirent du champ de bataille. Temarangai
commanda aussitôt à ses hommes de faire halte , et de ne pas
poursuivre l'ennemi qui s'enfuyait. Il était content du sacrifice
qui avait eu lieu, attendu que deux chefs avaient été tués; et il
ne voulut pas verser plus de sang. Les alliés furent méeon-
tens de sa douceur; un conseil de guerre fut convoqué par les
chefs , et ils censurèrent la conduite de Temarangai , pour n'a-
voir pas profité de l'avantage qu'il avait remporté. Us préten-
daient que si Temarangai se contentait de la mort des deux
chefs pour la mort de sa nièce, néanmoins Warou devait être
châtié pour le langage insolent qu'il avait tenu à leur première
entrevue , quand il avait dit qu'il voulait tuer, rôtir et manger
Temarangai; langage tel, qu'un chef ne doit jamais l'employer
PIECES JUSTIFICATIVES. 427
en parlant à un autre chef; et ils demandèrent que l'attnque
lut immédiatement renouvelée. Temarangai désira d'abord
connaître les dispositions de Warou ; son père ayant été tué, il
pensait qu'il en viendrait facilement à des conditions de paix.
C'est pourquoi il sortit du camp, pour aller à la recherche de
Warou qui s'était enfui avec ses guerriers. Temarangai tomba
sur la femme et les enfans de Warou et sur quelques-uns
de ses amis , au nombre de trente ; il les conduisit dans
son camp , sous l'assurance de leur sûreté personnelle. Il de-
manda où étaient leurs provisions de patates; et la femme de
Warou les lui ayant indiquées, il s'y rendit avec ses hommes
pour s'en procurer. Temarangai voulut savoir de la femme
et des amis de Warou s'il était disposé à faire la paix ; on lui
répondit qu'il ne l'était pas. Le jour suivant, tandis que les
chefs étaient occupés à délibérer ensemble dans le camp , ils
s'aperçurent que Warou avait rallié ses forces, et descendait à
leur rencontre. Aussitôt ils coururent à leurs armes ; en très-
peu de temps ils tuèrent un grand nombre d'ennemis avec leurs
mousquets, les mirent en déroute, et les poursuivirent dans
leur fuite. Plusieurs se précipitèrent à la mer et y périrent;
quatre cents environ restèrent morts sur le champ de bataille,
et deux cent soixante furent faits prisonniers; deux cents
échurent en partage aux chefs de la baie des Iles, et nous les
vîmes débarquer à Rangui-Hou le 2 mars : soixante demeurè-
rent au pouvoir des chefs de Bream-Head. Warou fut alors
complètement vaincu, et s'en alla dans les bois avec le peu
d'hommes qu'il avait sauvés. Quand la bataille fut terminée,
Temarangai alla à la recherche de Warou , et l'ayant à la fin
trouvé , la conversation s'engagea entre eux. Temarangai lui
demanda s'il voulait se soumettre , et lui rappela le langage in-
solent qu'il avait tenu à leur première entrevue. Warou re-
connut qu'il était vaincu ; il dit qu'il n'avait pas d'idée que les
mousquets pussent produire de pareils effets , et qu'il les avait
jusqu'à présent méprisés comme instruments de guerre ; mais il
avoua qu'il lui était impossible de leur résister, et qu'en consé-
428 PIECES JUSTIFICATIVES.
quence il se soumettait. Il demanda à Temarangai s'il pouvait
lui donner quelques nouvelles de sa femme et de ses enfans.
Celui-ci lui apprit qu'ils étaient dans le camp , et que s'il vou-
lait l'accompagner, ils seraient remis sains et saufs entre ses
mains. Warou témoigna à Temarangai sa reconnaissance de ce
qu'il avait épargné leurs vies , et l'accompagna au camp , où sa
femme et ses enfans lui furent aussitôt remis. Il fit observer que la
mort de son père l'avait rendu fort malheureux , et supplia Te-
marangai de lui donner quelque chose en dédommagement de
cette perte. Temarangai lui donna un mousquet qui le satisfit ,
et les autres chefs lui firent quelques présens. Ensuite Warou
retourna chez lui avec sa femme, ses enfans et ses amis qui
avaient été en sûreté sous la parole d'honneur de Temarangai.
Celui-ci m'apprit que les vainqueurs restèrent trois jours sur
le champ de bataille , vivant de la chair de ceux qui avaient
été tués , et firent ensuite voile avec leurs prisonniers et les pi-
rogues de Warou , pour la baie des Iles , où ils arrivèrent trois
jours après le Dromedary.
Quand j'eus pris note du récit de Temarangai , il me de-
manda si je comptais l'envoyer en Angleterre. Je lui dis que
je le ferais. Il témoigna la crainte que quand ces choses se-
raient publiquement connues en Europe , il ne fût mis à mort
lorsqu'il irait par la suite sur un navire anglais. Je lui assurai
que la coutume de manger la chair humaine était condamnée
par toutes les nations, et que, sous ce rapport, les Zélandais
étaient redoutés partout ; mais en même temps que les Euro-
péens ne le tueraient point à cause de cette coutume. Il con-
vint qu'elle était très-mauvaise, mais il ajouta qu'elle avait été
de tout temps pratiquée à la Nouvelle-Zélande.
On me permettra de remarquer ici que je notai les particula-
rités de cette affaire , tandis que j'étais assis sur la hauteur , et
qu'à mon retour sur le Coromandel, je revis mes notes, avec
Temarangai à mes côtés, afin de rapporter les faits, d'après
ses propres expressions , aussi correctement qu'il m'était pos-
sible.
PIECES JUSTIFICATIVES. 429
Quand nous eûmes fini cette intéressante conversation, nous
descendîmes de la colline au village; nous visitâmes d'abord
la résidence du chef principal , Nene , dont la femme nous fit
un accueil cordial ; elle destina une de ses meilleures cabanes
à notre usage , et une natte neuve pour me servir de lit.
Une grande abondance de provisions fut aussitôt préparée
pour toute notre bande, et nous passâmes le reste de la soirée
fort agréablement. La plupart des habitans vinrent nous voir.
Il y avait un grand nombre de femmes et d'enfans, mais beau-
coup d'hommes étaient à la guerre. Je fis mettre tous les enfans
sur une file, et leur donnai à chacun un hameçon , qu'ils re-
çurent comme un grand cadeau. Je fis à la femme de Nene
un présent de quelques outils pour son mari lorsqu'il revien-
drait de la guerre.
Aucun navire , à ma connaissance , n'a visité la baie Mer-
cure depuis le capitaine Cook. Il y avait là un vieux chef que
je vis et qui se rappelait fort bien le passage de ce naviga-
teur. Les naturels manquent d'outils de toute espèce , ne
recevant jamais la visite des Européens. On pourrait s'y pro-
curer des provisions pour les navires, car il y a quantité de
patates et de porcs.
Nous demandâmes à la femme de Nene des nouvelles de
Warou. Elle nous apprit qu'il était parti pour la guerre , mais
que son frère Ware était chez lui. Ces deux chefs étaient les
adversaires de mon ami Temarangai; il m'engagea alors à voir
Ware et à opérer entre eux une réconciliation définitive. Il
ne l'avait pas vu depuis le jour du combat. Je lui promis
de rendre visite à Ware le lendemain matin , et de voir ce
qu'il dirait; ce qui parut apaiser l'esprit de Temarangai. Je
lui demandai s'il ne craignait pas que Ware ne se prévalût de
son avantage , maintenant qu'il était seul. Il répondit qu'il
n'en avait pas de crainte ; mais qu'il désirait avoir une occasion
de parler de leurs querelles passées , et qu'il pensait que si je
parlais à Ware, il serait aisé d'effectuer une réconciliation.
22 juillet. Ce matin de bonne heure, nous eûmes une quan-
430 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
tité de visites. Ware vint en grand costume avec une troupe
de ses amis. Ils s'assirent par terre en cercle et suivant leur
rang". Tous étaient étrangers pour moi.
Temarangai vint me dire à l'oreille, en me le montrant du
doigt, que Ware était arrivé. C'était un homme très-vigoureux
et bien fait; il était richement vêtu, suivant la coutume de
son pays, et ses cheveux étaient proprement noués au sommet
de la tête. Il avait à la main un patou-patou de six pieds de
long environ et fait avec un os de mâchoire de baleine. Tema-
rangai me pria de le prendre par le bras, de m'avancer avec
lui vers Ware, et de lui faire part de ses désirs. Sur-le-champ
je m'empressai de le satisfaire. Je dis à Ware que j'avais sou-
haité le voir pour lui exprimer, en mon nom et en celui de
Temarangai , le désir que nous avions qu'une amitié réci-
proque pût à l'avenir subsister entre eux, et que j'espérais
qu'il était également disposé à une réconciliation. Il répondit
qu'il désirait vivement se trouver avec Temarangai sur le pied
de paix. Ils traitèrent ensuite en public de cette affaire; il fut
décidément arrêté que Ware enverrait une personne de dis-
tinction résider avec Temarangai, et que de son côté celui-ci
enverrait un des siens habiter avec Ware. Alors Ware se leva
et prononça un discours, pour annoncer à son peuple qu'il
n'existait plus aucun démêlé entre les deux chefs, et que dé-
sormais ils devaient vivre sur le pied d'amis. Ware m'offrit
son patou-patou que j'ai envoyé au muséum de la société , par
lea capitaine Downie du Coromandel. Temarangai parut lui-
même très-content des observations que fit Ware dans son
discours, et l'un et l'autre semblèrent enchantés de ce qui
venait de se passer.
Je fis à Ware présent de quelques outils , et l'invitai à venir
voir le Coromandel. Il s'excusa en disant que sa femme était
près d'accoucher, et qu'il ne voulait point s'absenter de chez
lui de peur d'accident; mais qu'aussitôt qu'elle serait délivrée,
il viendrait. Il ajouta que c'était aussi son intention de rendre
une visite à Temarangai dans deux ou trois mois. Je dis à
PIECES JUSTIFICATIVES. 431
Ware que puisqu'il avait un si grand besoin d'outils, il de-
vrait employer ses gens à faire des nattes, et les envoyer a
Temarangai qui me les ferait passer; qu'alors je les achèterais
et leur enverrais quelques outils en fer. Tous approuvèrent
cette proposition , et Temarangai promit d'être leur agent à la
baie des Iles.
Je désirais beaucoup rester deux jours avec ce peuple ami-
cal ; mais avant le milieu du jour, la nature du vent com-
mença à annoncer de la pluie. Je craignais que, s'il en tom-
bait beaucoup , il ne me devînt impossible de repasser la
rivière Manane. En conséquence, je voulus m'en retour-
ner sans délai, et communiquai mon intention aux naturels.
Ils me pressèrent fort de rester quelques jours avec eux ; mais
comme ils convinrent que je ne pourrais plus repasser la ri-
vière, s'il tombait beaucoup d'eau, cette considération les fit
céder à mes désirs. Aussitôt ils nous fournirent plus de provi-
sions que nous ne pouvions en consommer. La femme de
Nene désigna deux de ses esclaves pour aider à porter ce
que les nôtres ne pouvaient prendre, et nous prîmes congé.
Ils nous accompagnèrent jusqu'à la hauteur en chantant et en
dansant.
La nous rencontrâmes un chef et sa femme appartenant à
Tepoua-Rahi (le pâ dont nous avons déjà parlé), qui nous
accompagnèrent dans notre retour. Nous atteignîmes avant la
fin du jour l'endroit où nous avions déjà campé, et nous y
passâmes la nuit , après avoir dressé un abri de broussailles et
de fougères, pour nous préserver de la pluie qui commençait
à tomber.
23 juillet. Aussitôt que le jour revint, nous nous prépa-
râmes à partir. La femme du chef de Tepoua-Rahi et son es-
clave avaient disparu : ayant demandé ce qu'elles étaient de-
venues, on m'apprit qu'elles étaient reparties de très-bon
matin , pour préparer notre repas au pâ , où le chef nous invi-
tait à dîner à notre passage. Nous y arrivâmes à deux heures
environ , et trouvâmes que notre hôtesse s'était procuré une
432 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
quantité de provisions pour nous traiter, et avait rassemblé
ses esclaves pour nous servir. Je remarquai sur ce pâ plu-
sieurs tombeaux peints, sculptés et ornés de plumes. Quel-
ques-uns avaient coûté beaucoup de travail. L'un d'eux, qui
était situé près de l'endroit où nous dînions, attira mon atten-
tion. Je demandai à qui il était, et j'appris qu'une des femmes
du cbef , qui avait été tuée par une explosion de poudre à
canon, y était déposée. Au moment où nous arrivâmes, un
vieux cbef venait de mourir, et plusieurs personnes étaient
rassemblées pour pleurer sur son corps.
Après que nous eûmes dîné, nous prîmes congé de ce cbef
hospitalier et de sa femme , et dirigeâmes nos pas vers la rési-
dence de Wao, où nous comptions passer la nuit. Wao, moi-
même et trois de nos compagnons, y arrivâmes à l'entrée de
la nuit, très-fatigués, ayant eu à faire une longue journée de
marebe. Nous ne revîmes le reste de notre bande que le len-
demain matin au point du jour. Ils s'étaient trouvés trop ba-
rassés pour continuer la route et étaient restés en ebemin.
24 juillet. Comme la marée nous favorisait pour descendre
la rivière , nous prîmes congé de ce beau jeune bomme , qui
semble posséder toutes les qualités nécessaires pour devenir
un grand bomme et un membre utile de la société , s'il pouvait
se procurer les moyens de s'instruire. Je l'invitai à venir à
bord du Coromandel, et il accepta de bon cœur. Sa résidence
était éloignée du navire d'environ soixante-dix milles, suivant
mon calcul.
Réconciliation entre des chefs ennemis.
Lorsque je me vis de retour à bord du Coromandel, où je
me retrouvai avec Inaki, je désirai m'acquitter de la promesse
que j'avais faite àTepoubi, de tàcber d'arranger leur querelle.
Afin de juger le meilleur moyen à prendre pour atteindre ce
but, je priai Inaki de m'exposer le motif de leur inimitié. Il
raconta que, quelque temps avant leur démêlé, son père se
PIECES JUSTIFICATIVES. 433
trouvait sur la rive orientale de la Tamise , dans une pirogue
qui chavira, et qu'il se noya, ainsi que tous les hommes de
l'équipage; il apprit plus lard que leurs corps, ayant été
entraînés au rivage, avaient été pris et mangés par Tepouhi
et ses gens. En conséquence de l'insulte faite aux dépouilles
de son père, il avait déclaré la guerre à Tepouhi. Je convins
que, si le fait était vrai , la conduite de Tepouhi était très-
blàmahle; mais en même temps, je leur fis observer qu'en
s'égorgeant les uns les autres, ils ne faisaient qu'accroître leurs
calamités; et je témoignai à Inaki le désir qu'il se trouvât avec
Tepouhi à bord du Coromandel, et qu'il voulût bien entendre
ce que l'autre aurait à dire touchant l'accusation portée contre
lui. Inaki consentit à cette proposition , et, le lendemain ma-
tin , le capitaine Downie eut la complaisance d'envoyer dans
son canot M. Anderson pour prendre Tepouhi, qui revint
avec lui le jour suivant. Aussitôt qu'Inaki aperçut Tepouhi
dans le canot, il sauta dans une pirogue et s'en alla à terre.
Je commençai à craindre qu'il ne voulût point revenir. Quand
Tepouhi fut à bord, je lui fis connaître ce dont Inaki l'accu-
sait : il me dit qu'il savait bien qu'Inaki l'accusait, lui et son
peuple, d'avoir mangé son père et ses gens, mais que la charge
était fausse; que les corps n'étaient point venus au rivage,
mais avaient été détruits dans l'eau. Il ajouta que l'auteur de
ce rapport était l'Ariki ; ses esclaves et ceux de l'Ariki s'étaient
disputés au sujet d'un peu de paille et de coquilles. Il avait
pris le parti de ses gens, et l'Ariki avait défendu les siens,
d'où s'était suivie une querelle entre eux : pour se venger,
l'Ariki avait propagé le rapport en question ; Inaki et son
peuple, y ayant ajouté foi, lui avaient déclaré la guerre, et
avaient tué son frère et plusieurs autres guerriers de sa tribu.
Tepouhi n'espérait point qu'Inaki revînt à bord ou consentît
à entrer en arrangement avec lui. Toutefois, au bout d'une
heure environ, Inaki revint. Quand il monta sur le pont,
Tepouhi y était assis , et Inaki alla s'asseoir du côté opposé.
L'un et l'autre restèrent long-temps sans ouvrir la bouche.
tome m. 28
434 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
J'allais leur adresser la parole, quand Temarangai me pria de
ne point parler, mais de les abandonner à leurs propres pen-
sées. Temarangai et Tourata, assis sur le pont, observaient
leurs regards qui décelaient le combat de leurs passions. A la
fin, l'un d'eux rompit le silence et s'adressa à l'autre. Ils don-
nèrent alors un libre cours à leurs sentimens. Ils se firent mu-
tuellement des reproches, s'avancèrent l'un vers l'autre avec
fureur, et se provoquèrent par des insultes en apparence plei-
nes de mépris et d'ironie. Parfois ils semblaient prêts à se
frapper l'un l'autre. Alors Temarangai et Tourata hasardèrent
de temps en temps quelques mots. Après avoir proféré tout
ce qu'ils avaient à se dire , ils s'apaisèrent peu à peu , et en
vinrent enfin à se réconcilier. Alors le capitaine Downie les
fit descendre dans sa chambre , où ils mangèrent et burent
ensemble au grand contentement des deux partis.
A mon retour à bord du Coromandel , le capitaine Downie
m'apprit qne l'Ariki voulait tuer Mapa, chef inférieur de la
baie ; car il voulait avoir sa tête. Mapa était accusé d'avoir
volé une natte appartenant au fils de l'Ariki. L'Ariki, durant
plusieurs jours, avait été occupé à faire des lances et à aiguiser
ses instrumens de guerre. Tourata me dit de même que l'Ariki
voulait tuer Mapa. Celui-ci me pria d'intercéder près de l'A-
riki en sa faveur; en conséquence je priai Tourata d'aller
trouver l'Ariki de ma part et de lui dire que je désirais que sa
querelle avec Mapa s'arrangeât sans en venir aux mains, et je
priai Tourata d'user aussi de tout son crédit près de lui. Peu
de jours après, je reçus un message de l'Ariki, par la voie de
Tourata et de Temarangai, qui m'apprenait qu'il ne voulait
pas mettre à mort Mapa; mais que leurs griefs seraient jugés
dans une assemblée publique. Au bout de quelques jours, de
très-bon matin, Mapa vint à la porte de ma cabane; je me
levai et lui demandai ce qu'il désirait : il m'apprit que son en-
trevue avec l'Ariki allait avoir lieu dans la journée , et me pria
d'y être présent. M. Hume le chirurgien et M. Halliard le
secrétaire du capitaine , après le déjeuner, descendirent avec
PIECES JUSTIFICATIVES. 435
moi dans un des canots, accompagnés de M. James Downie.
Mapa, qui était resté le long du bord, nous suivit avec ses amis
dans seize pirogues. L'Ariki était à trois milles de distance en-
viron, à l'entrée d'une des anses. Quand nous arrivâmes, l'A-
riki était préparé à nous recevoir. Les hommes de Mapa étaient
tous armés, ainsi que ceux de l'Ariki , quelques-uns de fusils,
les autres de lances, de patous et autres instrumens de guerre.
Mapa mit ses pirogues en ligne , puis tous ses hommes sautè-
rent à l'eau entièrement nus, et coururent en troupe serrée,
comme des furieux , avec leurs lances en avant , vers le rivage
où les hommes de l'Ariki étaient rangés. Après qu'ils eurent
terminé leurs évolutions militaires et leur danse guerrière, le
parti de l'Ariki exécuta la même cérémonie. Les charges contre
Mapa furent ensuite discutées en public par les chefs des deux
partis, et plusieurs d'entre eux parlèrent avec chaleur : ces dis-
cours étaient écoutés avec attention par les deux partis et se
prolongèrent pendant un temps considérable. Nous comprîmes
que l'Ariki exigea et obtint une pirogue et un esclave de
Mapa , en réparation de son crime ; et l'affaire fut ainsi com-
plètement terminée.
Tous les différends entre les chefs de la Tamise étant ainsi
arrangés, et l'harmonie rétablie, je me décidai à quitter la Ta-
mise le jour suivant. Inaki me promit de me fournir une bonne
pirogue et de m'accompagner à la baie des Iles. J'étais en-
chanté qu'aucune dispute n'eût eu lieu entre les Européens et
les naturels, et j'espérais que la bonne intelligence continuerait
de régner entre eux jusqu'au départ du Coromandel.
Détails sur Moudi-Panga, l'un des chefs de la côte occidentale
de la Nouvelle-Zélande.
A Kaï-Para , sur la côte ouest de la Nouvelle-Zélande ,
M. Marsden , lors du voyage qu'il y fit accompagné de
Temarangai , se trouva avec Moudi-Panga , chef distin-
28*
43b' PIÈCES JUSTIFICATIVES.
gué, et ce qu'il en dit sera lu avec beaucoup d'intérêt.
Ce chef est considéré comme un des plus grands guerriers
de la Nouvelle-Zélande; et j'avais souvent entendu parler de
sa renommée par Doua-Tara, Touai et d'autres. Il avait été le
rival de Shongui et de sa tribu , durant ces vingt dernières
années. Avant le naufrage du Bord à Wangaroa en 1809,
Shongui marcha contre Moudi-Panga avec de grandes forces.
Moudi-Panga le défit , tua deux de ses frères, le blessa, tua la
plus grande partie de ses officiers et de ses guerriers, et le ré-
duisit à chercher son salut dans la fuite. Les chefs du sud de
la baie des Iles réunirent ensuite leurs forces, et allèrent atta-
quer Moudi-Panga. Comme ils comptaient sur leurs mousquets
et non sur leurs armes ordinaires, les lances et les patous,
Moudi-Panga usa de ruse avec eux : quand les deux armées
furent sur le champ de bataille , Moudi-Panga , sachant que ses
adversaires étaient armés de fusils , ordonna à ses hommes, au
moment où l'ennemi avancerait et serait sur le point de faire
feu , de se laisser tomber à plat contre terre , et aussitôt que
leurs armes seraient déchargées, de courir à leur rencontre. Ce
stratagème réussit; la volée de l'ennemi passa au-dessus de ses
hommes , qui s'élancèrent aussitôt sur ceux de la baie des Iles ,
les mirent en déroute et tuèrent une quantité de leurs chefs,
parmi lesquels le père de Wivia et celui de King-George : les
chefs qui s'échappèrent n'eurent d'autre ressource que la fuite,
et ne ramenèrent avec eux que quinze hommes, le reste ayant
été tué ou fait prisonnier. J'ai souvent entendu ces mêmes
chefs parler de cette bataille.
Moudi-Panga est un homme d'un esprit vif et pénétrant , et
toujours avide de s'instruire par des observations utiles. Son
regard est fier, spirituel et perçant; son corps d'une taille
moyenne , mais robuste et actif. Il peut avoir environ cin-
quante ans; si j'en juge d'après sa physionomie pleine d'expres-
sion et son attitude martiale , il ne peut manquer de comman-
der le respect à ses compatriotes.
PIECES JUSTIFICATIVES. 437
J'avais tant entendu parler de ce chef depuis nombre d'an-
nées , que je fus enchanté de me trouver avec lui. Il me dit
que sa résidence était encore à quelque distance; mais qu'il
était venu pour me présenter ses respects , aussitôt qu'il avait
appris mon arrivée, et qu'il espérait me voir à son village. Je lui
répondis que je lui étais très-obligé d'une attention aussi mar-
quée , et que je lui ferais ma visite le jour suivant.
Le lendemain matin, aussitôt que nous eûmes déjeuné, je
me préparai à rendre à Moudi-Panga sa visite. Plusieurs des
principaux chefs m'accompagnèrent. En une heure environ ,
nous arrivâmes à la résidence du fils de Moudi- Panga, Kahou,
qui fut très-content de nous voir et nous supplia de dîner avec
lui. Comme j'avais consacré cette journée à des visites, je n'eus
pas d'objection à lui faire. Le dîner fut aussitôt préparé, et de
la fougère fraîche fut étendue sur la terre pour nous servir de
tapis. Kahou est un fort beau jeune homme , et il n'y a pas
long-temps qu'il est marié. Sa résidence est dans une riche
vallée, dont le sol est très-propre à la culture des patates et des
pommes de terre ; on en prépara en abondance pour notre
dîner.
Quand le dîner fut fini , nous poursuivîmes notre route vers
la demeure de Moudi-Panga. Chemin faisant, nous passâmes
par un pâ très-beau et très-fortifié , appartenant à Ma-Wete,
et traversâmes ensuite plusieurs plaines fertiles. Dans l'une de
ces plaines, un combat avait eu lieu deux mois auparavant, et
un chef y fut tué.
Quand nous arrivâmes chez Moudi-Panga , il était prêt à
nous recevoir. Ses enfans étaient tous habillés et leurs têtes
ornées de plumes. Sa femme principale avait revêtu sa belle
natte en peau de chien. Moudi-Panga avait préparé un tronc
d'arbre pour me servir de siège , et l'avait recouvert d'un cous-
sin de broussailles en guise de tapis. Il me témoigna l'extrême
satisfaction que lui causait ma visite, me régala d'un énorme
cochon , et fit aussitôt préparer des provisons pour mes com-
pagnons.
438 PIECES JUSTIFICATIVES.
Alors nous entrâmes en conversation et parlâmes des guéries
qui avaient eu lieu entre la tribu de Shongui et la sienne.
Il me dit qu'il ne désirait faire la guerre à personne ; mais
qu'il était forcé de combattre pour sa propre défense et celle
de son peuple; qu'un détachement de la tribu de Sliongui
était en ce moment même occupé à piller et massacrer les
habitans , et qu'il craignait d'être obligé d'en venir à un
appel aux armes. Ce chef, aussi bien que la plupart des
autres, désirait une forme régulière de gouvernement, qui
pût leur garantir la sûreté de leurs personnes et de leurs pro-
priétés. Temarangai leur expliqua comment le gouvernement
de Port-Jackson était dirigé; qu'il n'y avait qu'un seul roi , qui
était le gouverneur Macquarie ; qu'il empêchait toute espèce de
combats d'avoir lieu ; qu'il avait appris qu'en Angleterre le roi
Georges en faisait autant; mais aussi long-temps qu'il y aurait
autant de chefs à la Nouvelle-Zélande, les guerres seraient con-
tinuelles. Il dit que le capitaine Downic du Coromandel avait
écrit au roi Georges, pour le prier d'envoyer un vaisseau de
guerre à la Nouvelle-Zélande; il pensait que, quand il serait
arrivé, ce serait un grand avantage pour le pays, car il empê-
cherait les peuples de la baie des Iles d'aller à la rivière Tamise et
à Kaï-Para, pour piller et massacrer les habitans. Moudi-Panga
désira savoir si le vaisseau viendrait dans la rivière de Kaï-Para :
je lui répondis que cela dépendrait de la nature du havre; que
si l'entrée en était bonne et le havre sûr, je ne doutais pas qu'il
n'y vînt, mais que s'il y avait une barre à l'entrée de la
rivière, le navire ne pourrait pas y entrer. Il ht observer qu'on
trouverait quantité de beaux espars sur les bords de la rivière dans
son district, si les navires pouvaient y venir, ce qu'il désirait
ardemment. Il souhaitait encore que quelques Européens pus-
sent habiter chez lui , pour le bien de son peuple. Je lui dis
que cela dépendrait beaucoup de la nature de la rivière et du
havre ; mais que jusqu'à ce qu'on les eût examinés, on ne pou-
vait rien statuer à cet égard.
La résidence de Moudi-Panga est très-belle, en vue du
PIÈCES JUSTIFICATIVES. Vi9
fleuve Kaï-Para; le sol à l'entour est très-bon, quoique lé-
gèrement sablonneux et tout-à-fait dégagé de pierres. Autant
que j'ai nu en juger, il y croîtrait de beau blé et de bonne orge.
Le pays oil're les vestiges récens d'une grande population , mais
qui parait maintenant bien réduite.
Frayeur de la colère divine générale parmi les naturels.
M. Marsden, dans la personne de Temarangai, donne
un exemple de l'empire affreux que la superstition a sur
l'esprit de ce peuple. Le fait eut lieu quand il se trouvait
à la rivière Tamise.
Lorsque nous fûmes de retour à bord du Coromandel , Te-
marangai vint à moi dans une grande agitation. Je voulus en
savoir le motif. Il m'apprit qu'étant venu à la rivière Tamise
dans une autre occasion, un cbef lui avait donné un mère,
l'un de leurs instrumens de guerre , pour l'échanger contre
une hache; ce mère était d'une matière à laquelle ils atta-
chent un grand prix. Temarangai ne put obtenir en retour
des Européens qu'une petite hache qu'il ne jugeait nullement
comparable pour le prix. Le chef fut furieux contre Te-
marangai , et lui envoya dire que s'il ne lui procurait pas
une hache , il chargerait un de leurs prêtres de le faire
mourir par enchantement. Temarangai m'assura qu'il mour-
rait indubitablement, si le chef mettait sa menace à exécu-
tion , et me pria de lui donner une hache pour lui sauver la
vie. Je tâchai de le convaincre de l'absurdité d'une telle me-
nace, mais ce fut en vain : il persista à soutenir qu'il mour-
rait, que le prêtre avait ce pouvoir, et commençai tracer les
lignes d'enchantement sur le pont du navire , pour me mon-
trer comment cette opération s'exécutait. Il ajouta que le mes-
sager attendait sa réponse dans une pirogue le long du bord.
Voyant qu'il était inutile de raisonner avec lui , je lui donnai
440 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
une hache, ce qui le combla de joie , et il la remit au messa-
ger, avec la prière pour le chef d'être satisfait, et de ne plus
rien faire contre lui.
Un naturel me dit un jour que son Dieu le tuerait, parce
que j'avais allumé mon feu au sien , sans intention de ma part
de lui faire aucun mal ; d'après le trouble dont il paraissait
agité, je suis sûr qu'il pensait que tel serait son destin. En
même temps, il est plus que probable que le même individu
eût tué et mangé son semblable sans aucun remords.
Je n'ai jamais vu un seul Nouveau-Zélandais qui n'ait con-
sidéré Dieu comme un être vindicatif, toujours prêt à les
punir, et même à les faire périr pour la moindre négligence
dans leurs cérémonies. C'est pourquoi ils s'efforcent , par toutes
sortes de mortifications et de privations , de prévenir sa colère.
Un chef, avec lequel j'étais très-lié, brûla sa maison qu'il avait
construite très- proprement , et ornée de sculptures faites avec
soin, dans l'espoir d'apaiser la colère de son dieu. Quelque
temps auparavant, j'étais allé lui rendre visite, j'avais passé
toute la nuit chez lui , et j'admirai la propreté de sa cabane :
quand je revins, il n'en restait plus de traces; et lorsque je lui
en demandai la raison , il me dit qu'il l'avait brûlée pour apai-
ser son Dieu !...
Dans ses visites à la cote occidentale de cette île ,
M. Marsden trouve les esprits des naturels tourmentés
par les mêmes terreurs superstitieuses de la colère divine.
Au sujet d'un entretien qu'il eut avec Moudi-Panga et
d'autres chefs, il dit :
La superstition avait un pouvoir étonnant sur l'esprit des
naturels avec qui je me trouvais alors. Les arbres et les vieux
troncs, toute espèce de buissons , aussi bien que leurs foyers
et leurs cabanes , étaient tous taboues. Ils tremblaient qu'au-
cune partie de mes provisions , préparées ou non préparées,
PIECES JUSTIFICATIVES. 441
ne touchât à leurs objets taboues , et m'assuraient qu'ils mour-
raient si cela arrivait, car Dieu les tuerait. Les chefs et leurs
(Vînmes étaient aussi taboues. Ils ne pouvaient toucher une pa-
tate ni aucune espèce d'aliment avec leurs propres mains;
mais si personne n'était près d'eux pour les servir, ils s'é-
tendaient par terre, et saisissaient leurs alimens avec leur
bouche.
J'entrai en conversation avec Moudi-Akou , leur premier
prêtre, au sujet du tabou, et je tâchai de leur représenter
quelles privations absurdes ils enduraient, d'après l'idée bi-
zarre qu'ils se faisaient de la divinité. Je leur dis qu'il n'y avait
qu'un seul Dieu, et que le Dieu qui avait fait les blancs les
avait aussi créés; qu'il ne serait jamais irrité contre eux, parce
qu'ils se seraient servis de leurs mains pour manger leurs vi-
vres; que s'il avait voulu qu'ils ne s'en servissent point pour ce
qui leur serait utile, il ne les eût point formés avec leurs mains ;
qu'il ne serait point non plus courroucé de ce qu'ils bussent à ma
coupe, de ce qu'ils fissent cuire à mon feu leurs patates, ou
qu'ils me permissent de me servir du leur, et qu'ils pouvaient
aussi manger dans leurs maisons sans offenser la divinité. Je
leur racontai que Pomare, roi de Taïti , naguère tabouait
aussi comme eux toute espèce d'objets; mais qu'il avait main-
tenant renoncé à cette coutume absurde , et agissait en tout
point comme les blancs; que Dieu pourtant n'était point irrité
contre lui, qu'il n'était point mort; et qu'enfin Dieu ne se
fâcherait pas davantage contre eux, s'ils en faisaient autant.
Ils m'écoutaient avec une surprise visible, et me faisaient une
foule de questions. Je leur expliquai ce que Dieu leur avait
défendu de faire , et ce qui.le mettait en courroux ; qu'il serait
fâché contre eux , s'ils volaient les patates , les cochons
d'un autre; s'ils séduisaient la femme de leur prochain ; s'ils
massacraient et mangeaient un de leurs compatriotes ; que c'é-
taient là des crimes qui allumeraient la colère divine, et leur
attireraient les châtimens du ciel. Ils convenaient sans peine
que c'étaient là des crimes; mais ils alléguaient que notre Dieu
442 PIECES JUSTIFICATIVES.
et le leur étaient bien différens. Ils convenaient également que
je pouvais violer leurs tabous, manger dans leurs maisons , ou
préparer mes vivres à leur feu ; que leur Dieu ne me punirait
point, mais les ferait mourir pour mes crimes.
Je leur demandai s'ils savaient quelque chose du Dieu de
Kaï-Para , ou s'ils avaient quelque communication avec lui.
Ils répliquèrent qu'ils l'avaient souvent entendu siffler tout
bas. Je demandai à Moudi-Akou si lui, comme leur prêtre,
avait quelque communication avec leur Dieu. Il dit aussi qu'il
l'avait entendu siffler, et il imita les sons qu'il avait produits.
Je répliquai que je ne pouvais ajouter foi à ce qu'ils avan-
çaient tous, à moins que je ne l'entendisse moi-même. Ils affir-
mèrent que ce qu'ils avaient dit était vrai, et que tous les ha-
bitans de la Nouvelle-Zélande savaient que c'était la vérité. Je
persistai dans mes doutes, et dis au prêtre qu'à moins que je
n'entendisse l'Atoua moi-même, je ne pouvais croire que lui
ou toute autre personne l'eût jamais entendu , et que j'étais prêt
à l'accompagner partout où je pourrais m'assurer de la com-
munication qui existait entre lui et l'Atoua. Il dit alors que
l'Atoua était dans les broussailles, et que je ne pourrais pas
l'entendre. Je répondis que je le suivrais dans les broussailles.
Quand il vit que je le pressais de la sorte, il avoua qu'il n'y avait
point de Dieu à Kaï-Para. Il avait entendu dire qu'il y en
avait un à Shouki-Anga ; mais pour eux ils n'en avaient
point. Il me pria de lui donner un de mes dieux, disant qu'il
le mettrait dans une boîte , afin de l'avoir toujours avec lui. Je
n'avais jamais vu d'idole , ni entendu jusqu'alors dire que les
Nouveaux-Zélandais eussent aucune idée d'un Dieu matériel.
En réponse à cette demande, je lui dis qu'il n'y avait qu'un
seul Dieu vivant, qui avait créé le monde et toutes les choses
qu'il renferme, et que si je lui faisais un Dieu, ce serait en
bois, ou toute autre substance qu'on pourrait facilement
brûler ou détruire. Ils sourirent tous de l'idée de brûler un
Dieu , et sentirent évidemment l'absurdité d'une idole maté-
rielle.
PIECES JUSTIFICATIVES. 443
Que Satan' ait la permission * de pratiquer quelque décep-
tion orale pour soutenir son domaine spirituel (car il est le
dieu de ee monde) , et maintenir les sombres ténèbres de la
superstition qui aveuglent généralement l'esprit des pauvres
païens, c'est ce que je ne puis décider. Je n'ai pas rencontré
de Nouveau-Zélandais, même parmi les plus éclairés d'entre
eux , qui ne croie fermement que leurs prêtres sont en commu-
nication avec la divinité; et plusieurs, tant de leurs prêtres
que d'autres, m'ont dit qu'ils avaient entendu leur Dieu. C'est
un sujet d'une nature si mystérieuse , que je ne puis me déci-
der à croire ni à rejeter ce qui est si universellement accrédité
à la Nouvelle-Zélande. Je ne prétends pas connaître jusqu'où
l'influence de Satan peut s'étendre sur une nation barbare et
sans civilisation.
Nous continuâmes à causer très -avant dans la soirée, et à
discuter sur leurs idées touchant la divinité , sur le tabou , et
les diverses superstitions qui les font prodigieusement souffrir.
Temarangai fit observer qu'il y avait un trop grand nombre
de prêtres à la Nouvelle-Zélande , et qu'ils écrasaient le peuple
de tabous et de prières , jusqu'à outrance. Il rappela l'exemple
du prêtre qui avait voulu lui persuader de ne pas m'accom-
pagner à la baie Mercure, disant que l'Atoua de cet endroit
lui avait révélé qu'il tuerait Temarangai sous quatre jours ;
mais qu'en conséquence de mes promesses il m'avait suivi, et
était revenu en bonne santé : ce qui prouvait la fourberie du
prêtre. Temarangai plaidait fortement contre le tabou, bien
qu'en même temps son esprit fut torturé par cette superstition.
Il ne peut s'accoutumer à l'idée que notre Dieu soit aussi le
leur. Il répétait souvent que notre Dieu était bon , et n'avait
pas besoin de tabou; mais que le Dieu de la Nouvelle-Zélande
était méchant.
Temarangai expliquait au peuple nos coutumes, nos ma-
* Ne perdons point de vue que c'est un chef de missionnaires qui parle
ainsi.
444 PIECES JUSTIFICATIVES.
nières et notre religion , autant qu'il en était capable. C'est un
homme fort intelligent, et en même temps d'un esprit très-
observateur; ayant résidé quelque temps avec moi à Parra-
matta, il a acquis de grandes connaissances. Quand il trouvait
que nos observations étaient trop au - dessus de la portée
des superstitions de son pays, il disait : « Lorsque vous aurez
envoyé des missionnaires à Kaï-Para, et que les babitans se-
ront plus instruits , ils renonceront au tabou. »
Après que nous eûmes conversé, à notre satisfaction mu-
tuelle , jusqu'à minuit environ , nous nous retirâmes pour nous
reposer; mais les naturels ne me laissèrent pas beaucoup dor-
mir : ils m'appelaient l'un après l'autre , et m'adressaient quel-
que question sur les sujets dont nous avions parlé.
Sur la pratique de manger la chair humaine durant la guerre.
Mon ami Temarangai avait fait partie de quatre expéditions
guerrières contre Kaï-Para, dans deux desquelles il avait été
battu. Plusieurs de ses amis avaient été tués, et dans le nom-
bre son grand-père qui , après sa mort, avait été rôti et mangé
par le parti vainqueur, pour gratification mentale. Quoique
Temarangai eût été en guerre avec la plupart des cbefs de ces
districts, cependant il fut traité avec le plus grand respect par-
tout où il porta ses pas. Les diverses batailles et les lieux où
ils avaient successivement combattu , ceux qui avaient eu le
dessus et ceux qui avaient succombé, tels étaient les sujets de
conversation les plus fréquens entre eux ; et en outre , ce qu'é-
taient devenus les corps des cbefs , s'ils avaient été enterrés ou
mangés.
Je n'ai pas vu de famille qui n'ait eu quelqu'un de ses mem-
bres tué dans un combat, et ensuite mangé par l'ennemi. Si ,
par les chances de la guerre un chef tombe dans les mains
d'une tribu qu'il a opprimée ou insultée, il est certain que les
vainqueurs le rôtiront et le mangeront; après avoir dévoré sa
chair, ils conservent ses os dans leur famille , comme un sou-
PIECES JUSTIFICATIVES. 445
venir de son sort, et les transforment en hameçons, en sif-
flets et ornemens de divers genres. La coutume de manger les
ennemis est universelle. L'origine de cette coutume est main-
tenant trop ancienne pour qu'on puisse l'assigner. C'était un
sujet continuel de conversation dans les principales familles
que je visitais; quoiqu'ils en parlent généralement avec une
horreur et un dégoût marqués, pourtant ils s'attendent tous à
ce que ce sera leur sort définitif, comme cela a été celui de
leurs aïeux et de leurs amis. Partout où j'allais , s'il arrivait
qu'il en fût question , je leur représentais combien leur carac-
tère national souffrait dans l'opinion de toutes les nations civi-
lisées, à cause de l'horrible coutume de s'entre-manger, et que
le genre humain les regardait avec la plus grande horreur,
attendu qu'aucune coutume de ce genre n'était tolérée dans
les autres pavs. Plusieurs d'entre eux regrettaient que ce fût
l'habitude de leur contrée , et faisaient observer que quand ils
seraient mieux instruits, ils y renonceraient : mais que ce n'était
pas une chose nouvelle, et que de tout temps elle avait été
pratiquée à la Nouvelle-Zélande. Si le chef d'une tribu est tué
et mangé , ceux qui lui survivent regardent cet événement
comme le plus grand malheur qui puisse leur arriver , et à leur
tour ils saisissent la première occasion pour se venger de la
même manière. De cette façon , leurs haines réciproques sont
continuellement alimentées, et la guerre devient leur étude
et leur profession.
Entretiens avec les naturels touchant la religion.
M. Marsden tâcha, dans ses conversations avec Moudi-
Panga et ses amis , de leur expliquer les traits de la révé-
lation divine qui étaient le plus à leur portée. La soirée du
samedi fut consacrée à cette occupation , et il en donne
le récit suivant :
Nous passâmes la soirée à causer longuement sur l'immor-
446 PIECES JUSTIFICATIVES.
talité de l'ame et la résurrection des corps. La première est
une doctrine universellement reçue parmi eux ; mais ils ne
peuvent comprendre la dernière, quoiqu'ils n'en récusent
point la possibilité. Je leur représentai l'heureuse mort des
justes, ajoutant que quand Dieu leur révélait qu'ils allaient
mourir, ils n'étaient nullement effrayés; qu'ils se trouvaient
heureux de penser qu'après cette vie ils allaient habiter
le même endroit que leur Dieu. Mais ce n'est pas le cas des
Nouveaux-Zélandais; quand ils s'aperçoivent qu'ils vont mou-
rir, ils sont très-effrayés et ne souhaitent point mourir. Les
naturels avouaient que c'était toujours ce qui arrivait à leurs
compatriotes, et qu'ils redoutaient constamment la mort.
Je les assurai que quand ils comprendraient le livre de Dieu
qu'il avait donné au peuple blanc, et que les missionnaires
leur donneraient et leur apprendraient à connaître, alors ils
n'auraient pas plus de frayeur de mourir que ceux des blancs
qui sont bons. Ils saisissaient parfaitement la différence qui
existe entre l'homme qui redoute de mourir et celui qui n'en
est pas effrayé. Ils disaient que toutes les âmes des Nouveaux-
Zélandais, au moment de la mort, se rendaient dans une
grotte au cap Nord, et que de là elles descendaient dans la
mer, pour aller dansTautre monde. Les privations et les mor-
tifications que ces misérables païens souffrent, d'après l'idée
qu'ils attachent au crime, et par suite de leurs frayeurs, sont
nombreuses et pénibles : à moins que la révélation divine ne
leur soit communiquée, ils ne trouvent point de remède qui
puisse affranchir leurs esprits des liens de la superstition , sous
l'empire de laquelle plusieurs d'entre eux tombent malades,
languissent, et finissent par périr. Ils n'ont point d'idée d'un
Dieu de miséricorde qui puisse leur faire du bien ; mais ils
vivent dans l'appréhension funeste d'un être invisible qui , sui-
vant leur croyance , est toujours prêt à les tuer et à les dé-
vorer , et qui les tuera s'ils négligent un iota dans une
de leurs superstitieuses cérémonies. Boire un peu d'eau à ma
coupe, quand ils sont taboues par le prêtre, serait regardé
PIECES JUSTIFICATIVES. 447
comme une offense à leur Dieu , suffisante pour le porter à les
mettre à mort. Quand je leur disais que mon Dieu était bon ,
qu'il prenait soin de moi jour et nuit, partout où j'allais; que
je ne craignais point sa colère , et qu'il m'écoutait toujours
quand je lui adressais mes prières , ils disaient qu'ils n'avaient
point de Dieu semblable , et que le leur ne faisait que punir
et tuer.
Le jour suivant étant un dimanche , M. Marsden leur
fit connaître qu'il restait un jour de plus avec eux , et il
écrit au sujet de la manière dont ce jour se passa :
Moudi-Panga et plusieurs autres vinrent de bonne heure
passer la journée avec moi. Quoique ces pauvres païens n'eus-
sent jamais entendu parler du jour du sabbat , je fus pour-
tant naturellement conduit à leur parler de la création du
monde et de l'institution de ce jour sacré , etc., etc Quand je
me trouvais embarrassé pour la langue, Temarangai me servait
d'interprète, et, par ce moyen, je fus généralement compris.
Moudi-Panga fut tellement touché des différens sujets de la
conversation, qu'il resta avec moi tout le dimanche, aussi
bien que plusieurs des chefs, et ne me quitta qu'au moment
où je partis le jour suivant. Il avait passé la nuit dans la même
cabane que moi, où il me fut à peine possible de fermer l'œil,
à cause de leurs» fréquentes conversations. La cabane était
remplie d'hommes, de femmes et d'enfans, et contenait plus
de quarante persof nés.
Deuil pour les morts.
A cet égard, M. Marsden dit des naturels de la rivière
Gambier :
La dernière fois que je visitai cette place , le fils de Mou-
Ina , chef principal , le fils de son frère et quelques autres
448 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
chefs de distinction, étaient allés vers le sud, pour une expé-
dition guerrière. Maintenant ils étaient de retour. Dans cette
expédition , Mou-Ina et son frère avaient eu leurs fils tués.
A mon arrivée, je fus d'abord conduit à deux des princi-
pales femmes qui étaient dans une profonde désolation. L'une
était la belle-fille de Mou-Ina, dont l'époux avait été tué et
mangé à Tara-Nake , dans un engagement contre le peuple
de ce district, et l'autre était la sœur de son défunt mari. Elles
étaient ensemble sous un toit à l'écart , poussant de profondes
lamentations et pleurant amèrement. L'une avait une coiffe
de deuil faite d'une toile rouge , avec une frange autour
en poil de chien blanc, de trois pouces de long, qui pen-
dait sur son visage et le cachait en grande partie. Cette
coiffe était en outre bordée d'un ruban fait avec une étoffe de
l'Inde. Sa belle-sœur était costumée de la même manière,
seulement sa coiffe était en étoffe de Taïti. Elles semblaient
livrées à la plus profonde douleur. Se désolant, comme dit
saint Paul, ainsi que des gens sans espoir, elles me firent
signe de m'asseoir près d'elles, ce que je fis. Aussitôt qu'elles
furent en état de me parler, elles me racontèrent la fatale
cause de leur désolation.
Tandis que nous conversions ensemble, un homme en vigie
au sommet du pâ s'écria qu'une grande pirogue étrangère
remplie de monde s'approchait du rivage. Mou-Ina, avec la
conque suspendue à son bras, donna au%itôt le signal de
l'alarme; alors ses guerriers coururent aux armes dans toutes
les directions , et ceux qui étaient avec mm. se ceignirent les
reins, prêts à combattre ou à prendre la fuite, suivant que les
circonstances en décideraient. Tous restèrent dans cette agi-
tation jusqu'au moment où la pirogue fut assez près pour
reconnaître ceux qui la montaient et d'où ils venaient. Quand
ils eurent mis pied à terre, on trouva que c'étaient des alliés,
qui étaient venus de deux journées de distance pour consoler
ceux qui avaient perdu leurs amis dans la dernière expédition,
et pleurer avec eux. Les femmes reprirent leur habillement de
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 449
deuil, et se rassirent au même endroit où j'avais été conduit à
mon arrivée. Leurs amis, qui étaient venus pour les visiter,
s'assemblèrent en cercle, et commencèrent leurs pleurs et leurs
lamentations. Ils poussèrent de grands cris une bonne partie
de l'après-midi, et semblaient aussi accablés de douleur que
ceux qui étaient réellement en deuil.
Pâ de Moïangui.
Dans le passage que fit M. Marsden de Wangari à la
baie des Iles , il trouva un pâ très-romantique qu'il décrit
ainsi :
Le soir à la brune , nous atteignîmes le pâ où réside Moïan-
gui , ce cbef qui accompagna M. Savage en Angleterre , il y a
douze ans environ. Le nom du pâ est Pâ-Ika-Nake. Il est assis
sur la cime d'un piton conique très-élevé, et entouré d'eau
à très-peu de chose près, au moment de la marée haute. Il
paraît inaccessible de tous côtés , à l'exception d'un seul pas-
sage étroit.
Aussitôt que les naturels virent la pirogue au pied du pâ ,
ils se jetèrent au passage avec leurs lances à la main , comme
s'ils allaient combattre un ennemi. Nous leur dîmes qui nous
étions; alors ils nous firent signe d'aller de l'autre côté du
pâ où nous pourrions mettre pied à terre, et nous invitèrent à
passer la nuit avec eux. Cette invitation fut acceptée de grand
cœur, car nous souffrions du froid, de la faim et de la fatigue.
Dès que nous eûmes débarqué , on nous conduisit au pas-
sage ; je n'aurais pu le gravir sans secours, tant il était étroit
et escarpé. Quand j'eus atteint le sommet, je vis une foule
d'hommes , de femmes et d'enfans, assis autour de leurs foyers
et faisant rôtir des chevrettes , des crabes et de la racine de
fougère : il faisait alors tout-à-fait noir. Au pied du pâ , le
rugissement de la mer dont les vagues roulent avec fracas
dans de profondes cavernes; les précipices élevés qui nous
tome irr. 29
450 PIECES JUSTIFICATIVES.
entouraient; le mont dont la cime et les flancs étaient couverts
de huttes, et les groupes des naturels conversant autour de
leurs feux , tout cela faisait naître en moi des idées neuves et
étranges !
Plongé dans ces réflexions, je contemplais l'état de mes
compagnons actuels. Je m'étais assis au milieu d'eux; une
femme remit entre mes mains un homard qu'elle venait de
faire rôtir , d'autres me préparèrent de la racine de fougère.
Comme j'étais très-affamé, je fus très-satisfait de mon sou-
per, nonobstant la manière dont il était cuit et servi.
Moïangui n'était pas chez lui, et je ne connaissais aucun des
naturels. Le pà était sous la garde d'un officier qui fut très-
honnête , ainsi que tous les habitons. Ils mirent à notre dis-
position une de leurs meilleures cabanes, et je m'y étendis
jusqu'au matin. Temarangai les amusa jusqu'à une heure très-
avancée du récit de notre voyage et des accidens qui nous
étaient arrivés dans notre marche.
C'est un lieu romantique. Les côtés qui regardent la mer
ont l'apparence d'une abbaye en ruines, et les roches brisées
semblent autant de colonnes massives que le temps a minées
et détruites.
{Missionnary Registcr, octobre 1822 ^pag. 432 et sui\>.*)
M. Kendall, l'un des premiers colons de la baie des Iles à la
Nouvelle-Zélande, accompagné de Shongui et de Waï-Kato,
deux chefs du pays, a fait voile de cette baie le 2 mars 1820,
à bord du Ncw-Zcalander , capitaine Munroe. Après une lente
traversée, ils sont arrivés dans la Tamise, le 8 août, par la
route du cap Horn.
Des deux chefs qui ont accompagné M. Kendall, le nom
de Shongui est familier à tous nos lecteurs. C'est un des prin-
cipaux chefs de la Nouvelle-Zélande; il est à la tête d'une
tribu puissante qui possède une grande étendue de terre près
de la baie des Iles. Nous avons mentionné la vente qu'il a faite
à la société de treize mille acres de terre. Il a un air mâle, et
PIECES JUSTIFICATIVES. 451
ressemble beaucoup au buste sculpté par lui-même dont on
a donné la gravure. Shongui a environ quarante-cinq ans; sa
mère, qui est encore vivante et très-àgée, dit à M. Kendall
que son fils était né peu après le départ du capitaine Cook de
la baie des Iles. Shongui et sa tribu ont toujours été amis des
colons; son nom a été souvent cité dans les rapports de
M. Marsden et des missionnaires. Il comprend un peu l'an-
glais, mais ne le parle pas, car il a presque toujours vécu
avec son peuple, et ses rapports avec les colons ont eu prin-
cipalement lieu en sa langue maternelle. Feu Doua-Tara était
le fils de la sœur de Shongui.
Waï-Kato est un des chefs de Rangui-Hou à la baie des
Iles. Son âge est d'environ vingt-six ans. Il a un air mâle et
franc. Il entend assez bien l'anglais, et peut se faire com-
prendre , ayant eu plus de rapport avec nos compatriotes que
Shongui. Waï-Kato et Doua-Tara avaient épousé les deux
sœurs.
Touai et Titari appartiennent à d'autres tribus que ces deux
chefs, et ils habitent maintenant chacun au milieu de leurs
peuples. Les vues et les désirs qui ont conduit Shongui et
Waï-Kato à visiter l'Angleterre vont être mieux développés
par eux-mêmes, comme M. Kendall les transcrivit sous leur
propre dictée , sans j rien mêler du sien :
« Ils désirent voir le roi Georges, connaître le nombre des
hommes de son peuple, leurs occupations, la bonté du sol
qu'ils cultivent. Leur désir est de rester un mois en Angle-
terre, puis de s'en retourner. Ils voudraient emmener au
moins cent Anglais avec eux. Ils ont besoin d'une troupe
d'ouvriers pour creuser la terre et chercher du fer , d'un
renfort de forgerons, de charpentiers, de missionnaires, qui
apprennent à parler la langue de la Nouvelle-Zélande pour
se faire entendre. Ils désirent aussi vingt soldats pour protéger
leurs propres compatriotes, les colons, et au moins trois
officiers pour maintenir les soldats en .bon ordre. Les colons
doivent emmener du bétail avec eux. Il y a quantité de terres
*9'
452 PIECES JUSTIFICATIVES.
vacantes à la Nouvelle-Zélande qui seront volontiers cédées
aux colons. » Telles sont les paroles de Shongui et de Waï-
Kalo.
ÇMissionnary Rcgister, août 1820 , pag. 326.)
Après avoir résidé quelque temps à Cambridge avec M. Ken-
dall , les deux chefs Shongui et Waï-Kato sont revenus à
Londres. Ils ont bientôt, comme leurs compatriotes, subi
l'influence d'une température dangereuse pour les insulaires
de ces parages. Waï-Kato est rétabli , mais il y a de sérieuses
craintes pour la vie de Shongui. Ses poumons sont gravement
attaqués; pourtant il faut espérer qu'avec l'aide de Dieu et les
soins qu'on lui donne, il pourra résister jusqu'à ce qu'un
climat plus chaud puisse le rétablir entièrement.
Sa Majesté a eu la bonté de donner audience à ces deux
chefs, et les a accueillis avec une courtoisie et une bienveil-
lance extrêmes; elle leur montra l'arsenal du Palais-Royal.
En cette circonstance , M. Lee profita de la présence de ces
deux chefs et de M. Kendall, ainsi que des nombreux maté-
riaux recueillis par ce missionnaire, pour compléter sa gram-
maire nouvelle-zélandaise sur des principes scientifiques. Cet
ouvrage a deux cent trente pages, dont cent trente en gram-
maire et exercices, et cent en vocabulaire; il était imprimé à
la fin de l'année 1820.
(Missionnary Rcgister, décemh. 1820, pag. 499«)
M. Kendall, ainsi que les chefs Shongui et Waï-Kato , s'em-
barquèrent à Sheerness, à bord du Spekc , navire de transport
pour les convicts, capitaine Macpherson, le i5 décembre 1820,
pour retourner à la Nouvelle-Zélande. Ils arrivèrent en mai
suivant dans la Nouvelle -Galles du Sud, firent voile pour
la Nouvelle-Zélande sur le JVestmoreland, le 4 juillet 1821,
et arrivèrent à la baie des Iles le n juillet de la même année.
{Missionnary Rcgister , fevr. 1821, pag. yg,févr. 1822,
Paë- 9?>i/"M« i8-i2,pag. 248.)
PIECES JUSTIFICATIVES. 463
M. Kcndall et les chefs Shongui et Waï-Kato sont arri-
vés de Port-Jackson à la baie des Iles, le 1 1 juillet 1821. Il
s'est suivi beaucoup de mal de cette visite de Shongui en
Angleterre : ses passions guerrières ont été exaltées par la
possession des armes et des munitions que ce voyage lui a
permis d'amasser; car il paraît avoir échangé à Port-Jackson
contre des fusils et de la poudre tous les présens qu'il a reçus
en Angleterre. Des hostilités de la nature la plus formidable
ont été commencées contre d'autres tribus, et les missionnaires
de Kidi-Kidi, forcés d'être témoins des plus affligeantes scènes
de cruauté et de carnage, ont en outre enduré plusieurs
insultes et outrages.
(Missionnary Registcr, juin 1822, pag. 247.)
On lit dans un des ouvrages imprimés par la Société
des Missionnaires de Church Society , sous le titre de Re-
ports ou Proceedings , les détails suivans sur la conduite
que tint Shongui envers les Européens aussitôt qu'il fut
de retour à la Nouvelle-Zélande.
A cette époque, les deux établissemens avaient fait de grands
progrès; on était sur le point d'établir une autre école à Kidi-
Kidi; quelques jeunes naturels de Rangui-Hou commençaient
à lire et à écrire ; on avait déjà adouci quelque peu leurs
mœurs sauvages. Les missionnaires pouvaient se promener
dans tous les environs sans aucune crainte; ils se proposaient ,
dès qu'ils sauraient mieux la langue , d'aller prêcher autour
de l'ile. Déjà ils avaient dressé une dizaine de naturels à exploi-
ter une ferme, à faire des palissades, entretenir un jardin,
soigner les cochons, les vaches, les chevaux, etc. Huit d'entre
eux savaient couper et scier le bois. Tous ces naturels étaient
nourris par les missionnaires, ils se conduisaient bien et fai-
saient de grands progrès.
On peut se faire une idée des succès de l'agriculture,
454 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
en voyant la liste des productions obtenues a Kidi-Kidi :
Froment.
Laitue.
Persil.
Prunes.
Avoine.
Chicorée.
Vigne.
Menthe.
Orge.
Asperges.
Fraises.
Poivre.
Pois.
Cresson.
Framboises.
Sauge.
Fèves.
Oignons.
Oranges.
Riz.
Ivraie.
Échalolles.
Citrons.
Soucis.
Houblon.
Céleris.
Pommes.
Lilas.
Navets.
Melons.
Poires.
Roses.
Carottes.
Betteraves.
Pèches.
OEillets.
Radis.
Brocolis.
Abricots.
Et plusieurs espèces
Choux.
Citrouilles.
Cerises.
de fourrages.
Pommes de terre.
Concombres.
Amandes.
Tous les Européens qui avaient visité cet établissement,
avaient exprimé leur surprise de voir tant de terrain défricbé
et en plein rapport, des jardins si bien entrenus, et le tout en
aussi peu de temps. Les naturels de l'intérieur venaient souvent
visiter les missionnaires et montraient le plus grand désir de
s'instruire. Enfin tout allait si bien qu'on avait déjà conçu les
plus bautes espérances ; mais le retour de Shongui changea
totalement la face des affaires. Sans doute tous ceux qui furent
témoins des peines qu'on prit pour le combler de faveurs,
seront surpris qu'il ait pu rapporter d'Angleterre à la Nouvelle-
Zélande un cœur exaspéré contre la société. A son arrivée
Shongui instruisit ses compatriotes de ce qu'il avait vu. « Le
» roi d'Angleterre, dit-il, a beaucoup de fusils, de munitions
» et de soldats ; je lui ai demandé s'il avait ordonné de ne pas
» me donner des armes , il m'a répondu que non. Cependant les
- missionnaires ont écrit pour défendre qu'on m'en donnât;
» ces mêmes missionnaires, dans leur pays, ne sont que des
» malheureux, des esclaves du roi Georges. «> Il n'en fallut pas
davantage pour enflammer ces sauvages insulaires; et dès-lors
plus de respect pour les apôtres de la mission. Les ouvriers
PIÈCES JUSTIFICATIVES. iS5
quittent leur travail. Shongui leur a défendu de taire rien
pour rien. Ils demandent à être payés si les missionnaires ont
besoin d'eux ; ils exigent de la poudre, des fusils, ou de l'ar-
gent pour en acheter. En même temps , une femme parente de
Shongui lui apprit, ainsi qu'a ses autres amis, que pen-
dant son absence mademoiselle Puckcy, enfant de douze ans,
avait dit à la fille de Shongui que, quand celui -ci reviendrait,
elle voulait lui couper la tète et la faire cuire dans le pot de
fer. Cette femme parvint par là à mettre le comble à l'irritation
des naturels. Depuis ce moment, il ne se passa pas un jour que
les missionnaires n'eussent à se plaindre de leurs rapines et
de leur brutalité sauvage. Un jour , ils enfonçaient les palis-
sades et enlevaient les bestiaux et les volailles ; une autre fois,
ils entraient dans la maison, jetaient la porte à bas, si elle
n'était pas ouverte, et volaient ensuite tout ce qui leur tom-
bait sous la main. Il y eut des momens où les colons furent
en danger de perdre la vie; heureusement un chef les protégea
par son influence et son autorité.
Shongui n'ayant paru chez les missionnaires que quelques
jours après son arrivée, fut questionné sur les motifs étranges
d'une pareille conduite; il parla de l'histoire que sa fille lui
avait contée et de l'opiniâtreté que les missionnaires mettaient
à ne pas lui fournir des armes et des munitions. Ils eurent en-
core à souffrir quelque temps de la présence des partisans de
Shongui , jusqu'à ce que l'esprit de vengeance qui l'animait
l'eût mis à la tête d'une expédition guerrière qu'il projetait
depuis long-temps pour aller ravager les bords de la rivière
Tamise. Les travaux de cet armement extraordinaire don-
nèrent encore lieu à des vexations cruelles pour les mission-
naires.
Enfin Shongui parut dans la baie des lies le ô septembre 1821.
Quelques jours auparavant, il avait fait manœuvrer dans la
rivière plusieurs de ses pirogues, afin de les exercer à tous les
mouvemens dont la rapidité demande le plus d'adresse. Les
embarcations longues et étroites , montées par cinquante
456 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
ou soixante hommes, sont mues avec une vitesse extraor-
dinaire. Le lieu du rendez -vous général était Wangaroa
à cent milles environ du lieu de l'action. Il n'y avait jamais eu
de pareil armement à la Nouvelle-Zélande. Il était vraiment
affreux de les entendre parler du ravage qu'ils se promettaient
de faire : ils voulaient tuer, massacrer, détruire tout sans merci,
ce qui est le plus haut degré de gloire pour un Nouveau-Zé-
landais. Il y avait sur la flotte un prêtre très-vieux , qui avait
songé que toutes les pirogues devaient être mises en pièces par
la tempête; s'il eût fait le même rêve une seconde fois, l'expé-
dition ne serait pas partie.
Dès que Shongui et ses partisans eurent quitté la baie des
Iles, les missionnaires retrouvèrent la paix et la tranquillité.
Ils étaient cependant inquiets, en songeant au retour de ces
Cannibales qui devant la victoire à la supériorité de leurs
armes , après s'être abreuvés du sang de leurs ennemis , allaient
rentrer dans leurs foyers plus altiers et plus féroces que jamais.
Shongui était parti de la baie des Iles avec trois mille com-
battans, parmi lesquels on en comptait cent armés de fusils.
La bataille qu'il livra aux habitans de la Tamise et de la baie
Mercure réunis fut épouvantable. Un grand nombre périt des
deux côtés, mais Shongui sortit victorieux et revint en grand
triomphe à Kidi-Kidi. Lui-même et Waï-Kato ont raconté
qu'ils tuèrent mille de leurs ennemis, dont trois cents furent
rôtis et mangés avant de quitter le champ de bataille. C'est là
que Shongui tua de sa propre main un chef avec qui il était
revenu de Port-Jackson , et qui plusieurs fois lui avait témoi-
gné le désir de se réconcilier avec lui. Il lui coupa la tête, fit
couler le sang dans le creux de sa main , et s'en abreuva pour
satisfaire une vengeance que rien ne pouvait éteindre.
En guerre , ils ne font point de quartier aux hommes. Lies
femmes et les enfans sont faits prisonniers et distribués entre
les chefs. Après leur retour, ils tuèrent plus de vingt esclaves,
les firent rôtir et les mangèrent.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 457
Difficultés récentes de la Mission.
On a rapporté des preuves de l'espoir que donnait la
Mission au retour de Shongui d'Angleterre. Le comité
ajoute dans son rapport :
Mais le retour de Shongui changea tout-à-coup la face des
choses ! Qu'il ait rapporté à la Nouvelle-Zélande un esprit
ulcéré contre les colons, c'est une chose qui a dû paraître fort
surprenante à ceux qui ont vu les soins qu'on s'est donné pour
lui être agréable; mais après toutes ces politesses, cette nou-
velle disposition de son caractère a été cruellement ressentie
par les colons restés à la baie des Iles, durant son absence.
La manière dont Shongui fit connaître son changement fut
très-affiigeante. Apprenant à son arrivée que le commerce
des mousquets et de la poudre avait cessé de la part des co-
lons, s'imaginant en outre que, si tous ses désirs n'avaient
pas été entièrement satisfaits en Angleterre , c'est qu'on n'avait
pas écrit des lettres en sa faveur, il se tint durant quelques
jours à une certaine distance de l'établissement de Kidi-Kidi.
Les scieurs de bois, qui avaient jusque-là travaillé paisible-
ment et avec zèle, imitèrent sa conduite et quittèrent leur
besogne; insistant pour être payés, soit en poudre et armes
à feu, leurs articles favoris, soit en argent, afin de pouvoir
s'en procurer par les baleiniers. Comme on ne put les satis-
faire, tous quittèrent l'ouvrage, excepté deux, et il devint
nécessaire d'en former d'autres. Un des colons écrivit en octo-
bre : a Depuis plusieurs mois , ils avaient cessé de deman-
der ces objets; mais depuis le retour de Shongui, comme il a
rapporté avec lui une quantité d'armes à feu, les naturels,
sans exception, nous ont traités avec mépris; ils se sont
accoutumés à entrer dans nos maisons au gré de leur caprice ;
à. demander des vivres; à voler ce qui se trouve sous leurs
mains; à briser les palissades de nos jardins, et à enlever des
458 PIECES JUSTIFICATIVES.
canots du navire tout ce qu'ils peuvent attraper. Si M. Mars-
den s'était alors trouvé parmi eux, quelle que soit l'estime
qu'il mérite pour ce qu'il a fait, je pense qu'il n'aurait pas
échappé à leurs outrages. »
Le grand objet du voyage de Sliongui paraît mainte-
nant avoir été d'accroître ses moyens de conquête sur ses
compatriotes. Quand il arriva à Port-Jackson , il v trouva
quatre chefs de la rivière Tamise , qui étaient passés sur
le Coromandel pour se rendre en Angleterre. M. Marsden prit
des mesures pour les empêcher de poursuivre leur voyage,
et Shongui, sans doute pour ses propres desseins, les dissuada
fortement d'aller en Angleterre, à cause des effets pernicieux
du climat sur sa santé et celle de ses compatriotes. Mais
déjà il méditait une expédition formidable contre les dis-
tricts auxquels appartenaient ces chefs. C'est de cette expédi-
tion qu'un des colons écrit :
« L'expédition dernièrement armée à la baie des Iles ,
dont Shongui est le chef, est vraiment formidable. Je juge
qu'elle se compose de cinquante pirogues au moins, et de
plus de deux mille hommes, dont un grand nombre armés de
mousquets avec des munitions. Ils ont le projet de tout dé-
truire de fond en comble, si notre Dieu ne les en empêche
point. Le cœur saigne en pensant à la désolation qu'ils mé-
ditent.
Un autre cultivateur écrit :
« La plus grande partie des naturels sont allés avec Shongui
à la rivière Tamise , pour une expédition guerrière. On ima-
gine que c'est la plus forte armée et le plus grand nombre de
fusils qui soient jamais sortis de la baie des Iles. Leur résolution
est de détruire hommes, femmes et enfans, les tribus qu'ils
sont allés attaquer n'étant pas en état de se défendre, à défaut
de ces mêmes armes. »
PIECES JUSTIFICATIVES. 159
Un missionnaire appartenant à une Société amie , alors
en visite clans la baie , dit à ce sujet :
« C'est avec beaucoup de regret que je vous annonce qu'il
n'est résulté aucun bien de la visite de Shongui et de Waï-
Kato en Angleterre : ils ont renoncé à leurs babillemens eu-
ropéens , et se sont mis en marche pour massacrer et ravager
la plus grande partie de l'île. On a reçu des nouvelles qui an-
noncent qu'ils ont tué , et probablement mangé plusieurs cen-
taines d'hommes. »
M. Francis Hall s'exprime ainsi touchant ce triste état
de choses :
« Shongui jouit de la plus haute considération parmi son
peuple, comme un guerrier illustre et heureux; il y a plus,
ils le regardent comme un dieu ; mais il n'a pas toujours le
pouvoir d'arrêter leur violence, comme nous l'avons éprouvé
dans les derniers troubles. Leurs succès dans les combats, les
avantages qu'ils ont retirés de la mission , et leurs rapports
avec les navires les ont gâtés. D'après ce que j'ai vu dernière-
ment des dispositions des naturels, je suis porté à croire que si
Shongui fût mort en Angleterre, non -seulement toutes nos
propriétés, mais encore toutes nos personnes eussent été sa-
crifiées à la superstition de ces peuples. »
Le même écrivait au sujet des cultures exécutées par
M. Kemp et par lui :
« Nous avons dans notre jardin des arbres fruitiers d'Eu-
rope, et des végétaux de plusieurs sortes... Nous avons coupé
des asperges grosses comme le doigt que j'ai semées de graine
dans le même temps Nous avons plus de trois acres d'aussi
beau froment qu'on ait jamais vu, et une acre et demie d'orge,
460 PIECES JUSTIFICATIVES.
qui suffiront pour notre famille l'année prochaine, s'il nous est
permis de les récolter. »
M. Butler disait de ses cultures à Kidi-Kidi :
<• J'ai sept acres de blé et six d'orge et d'avoine qui poussent
admirablement bien. »
{Missionnary- Regùter, décerna. 1822, pag. 628.)
EXTRAIT DU JOURNAL DE M. FRANCIS HALL,
TENU A KIDI-KIDI.
19 décembre 1821. Trois des pirogues de guerre de la tribu
de Moudi-Waï, du district de Shouki-Anga , sont revenues de
la rivière Tamise , où, depuis plusieurs mois, elles semaient
en tous lieux la mort et la destruction. Ceux qui les montaient
ont débarqué à un demi-mille environ de l'établissement pour
prendre quelques vivres, puis ils ont continué leur route
pour retourner cbez eux , à notre grande satisfaction. Ils
avaient avec eux plus de cent prisonniers de guerre, qu'il était
facile de distinguer à leur contenance abattue; quelques-uns
de ces captifs gémissaient et pleuraient avec amertume , une
femme surtout, devant laquelle ils avaient, avec une cruauté
tout-à-fait sauvage, planté la tête de son père au bout d'un
bâton; la malheureuse s'était assise par terre en face de cette
tête, et les larmes coulaient par torrens le long de ses joues.
Nous vîmes plusieurs autres tètes fichées sur des bâtons au tra-
vers du camp, et nous apprîmes qu'ils en avaient beaucoup
d'autres renfermées dans des corbeilles.
Ces pirogues apportaient la nouvelle de la mort du chef
Tête, beau-fils de Shongui, qui avait été tué dans le combat.
Tête était l'homme le plus civilisé , le plus décent , le plus
adroit et le plus industrieux que nous eussions rencontré
parmi les Nouveaux-Zélandais. Son frère Pou, qui était un
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 4G1
très-beau jeune homme, est aussi au nombre des morts. Ces
nouvelles oceasionèrent une grande affliction dans la famille.
On surveilla la femme de Tête et son frère Matouka , pour les
empêcher de mettre fin à leurs jours. La femme de Pou se
pendit en apprenant ces nouvelles, et celle de Shongui avait
tué un kouki ou prisonnier de guerre, suivant leur coutume
en ces sortes d'occasions.
20 décembre. Ayant appris que la femme de Shongui allait
tuer un autre esclave, nous nous transportâmes à la hutte où
elle se trouvait avec la femme de Tête et son enfant. Elles
pleuraient toutes amèrement. Nous trouvâmes qu'elles n'a-
vaient point tué le garçon, et nous espérons, d'après ce que
M. Shepherd et moi lui dîmes, qu'elles ne le feront point. Je
lui ai fait présent d'une hache pour cela.
21 décembre. Aujourd'hui Shongui et son peuple, avec
quelques autres tribus , sont arrivés portant les cadavres de
Tête et de Pou. La plupart de ce que nous étions d'Euro-
péens se rendit au lieu où ils débarquèrent, à un quart de
mille environ, pourvoir ce qui allait se passer; mais nous
fûmes bien fâchés de ce que notre curiosité nous eût conduits
à assister à de telles scènes d'horreur.
Une petite pirogue , qui co'ntenait les corps morts, s'appro-
cha la première du rivage : les pirogues de guerre et les pri-
sonniers faits dans le combat, au nombre de quarante à peu
près, s'étaient arrêtés à peu de distance. Peu après, les jeunes
gens débarquèrent pour exécuter le chant et la danse guer-
rière ordinaire au retour des combats : ils hurlaient, bondis-
saient, brandissaient leurs lances, et levaient en l'air lestâtes
de leurs ennemis avec une expression révoltante. Mais cela
n'était encore que le prélude de l'affreuse cérémonie qui allait
avoir lieu et dont nous n'avions nulle idée.
Il y eut un intervalle d'un silence lugubre. Enfin les piro-
gues s'ébranlèrent lentement et accostèrent le rivage. Alors la
veuve de Tête et les autres femmes s'élancèrent vers la plage
dans un accès de rage , et mirent en pièces les sculptures qui
462 PIECES JUSTIFICATIVES.
ornaient la proue des pirogues. Puis se jetant dans une des
pirogues, elles précipitèrent à l'eau plusieurs des captifs et
les assommèrent, à l'exception d'un garçon qui s'échappa à la
nage. Ensuite la veuve furieuse, se dirigeant vers une autre
pirogue , entraîna dans l'eau une femme captive , et lui brisa
la cervelle avec la masse qui sert à écraser la racine de
fougère.
Nous nous éloignâmes de cette scène d'horreur, où notre
entremise ne pouvait être d'aucune utilité. Nous apprîmes
qu'après notre départ, Shongui tua de sa propre main cinq
personnes. En tout, il y eut dans cette soirée neuf personnes
massacrées, qui furent ensuite mangées par les chefs et le
peuple. C'est une coutume pour ces peuples barbares de faire
ces sacrifices, en guise de satisfaction, pour leurs amis tués au
combat.
Les prisonniers de guerre, hommes, femmes et enfans, sont
très-nombreux , mais surtout dans ces deux dernières classes.
On a dit qu'ils montaient à près de deux mille , et ils ont été
particulièrement distribués entre les différentes tribus de la
baie des Iles. Ces sauvages sont maintenant plus que jamais
altérés de sang; ils parlent de repartir bientôt, et projettent
de ravager l'île entière.
Dans cette expédition, ils ont accompli tout le mal qu'ils
avaient annoncé. Le pauvre Inaki a été tué et mangé : ils ont
rapporté sa tête, ainsi que celles de plusieurs de ses compa-
gnons. Néanmoins Inaki lésa reçus plus chaudement qu'ils ne
s'y attendaient.
22 décembre. Durant la nuit dernière, les nombreux natu-
rels qui nous environnaient nous ont fait moins de mal que
nous ne devions nous y attendre. Plusieurs des tribus éloi-
gnées sont paisiblement parties ce matin , après avoir fait d'a-
bord un grand monceau de tous leurs vieux kakahous et y
avoir mis le feu. C'est leur habitude , quand ils retournent
dans leurs foyers , de brûler tous les vêtemens qui leur ont
servi dans le temps qu'ils ont tué des hommes.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 463
Parmi les prisonniers de la tribu de Shouki-Anga , qui est
partie ce matin, se trouvait une belle femme, avec un joli
garçon son fils, qui était vraiment très-bien, et passait pour
le rejeton d'un officier du Coromandel. Le chef à qui elle
appartenait menaçait de tuer l'enfant; c'est pourquoi madame
Butler, par un sentiment d'humanité, le prit sous sa protec-
tion. MM. Kentp et Shepherd descendirent à la pointe pour
voir le corps de Tête. Shongui était tout occupé à fabriquer
une caisse avec des morceaux de pirogues ornés de plumes et
de sculptures, suivant leur habitude, pour y déposer les corps
des deux frères Tête et Pou.
Une partie des corps de ceux qui ont été tués hier rôtis-
saient alors sur un feu à une petite distance, et d'autres mor-
ceaux de chair humaine déjà cuits étaient dans des corbeilles
par terre. Sbongui eut l'audace de leur en offrir à manger,
disant que c'était meilleur que du cochon. Les naturels fai-
saient cuire, au pied de la colline située derrière nos maisons,
des morceaux d'une des pauvres femmes qui avaient été mas-
sacrées : ils avaient coupé la tète et l'avaient fait rouler le
long de la colline; plusieurs autres s'amusèrent ensuite à jeter
dessus de grosses pierres jusqu'à ce qu'ils l'eussent mise en
pièces. Puis ils la laissèrent prendre à M. Puckey qui l'enterra.
On nous a rapporté que, parmi les esclaves qui ont été
emmenés hier à Waï-Mate , une femme ne pouvait suivre les
autres, soit qu'elle fût fatiguée, soit qu'elle fût estropiée. Elle
fut en conséquence tuée et mangée. C'est la coutume de la
Nouvelle-Zélande !
24 décembre. Shongui est venu à l'établissement ce matin
pour la première fois depuis son retour de la guerre : son but
était de réunir les naturels qu'il pourrait trouver pour tirer
à terre une de ses grandes pirogues. Il m'a aperçu dans la
cour, s'est approché de moi, en me disant : « Comment vous
portez-vous? » Puis il a sur-le-champ tourné d'un autre côté ,
et s'en est allé. Peut-être pensait-il que j'allais lui parler des
meurtres qu'il venait de commettre. Il n'agit plus avec cette
464 TIECES JUSTIFICATIVES.
franchise et cette loyauté qu'il déployait avec nous , mais il est
taciturne et dissimulé.
29 décembre. Nous avons reçu le triste avis que Shongui et
ses gens ont tué et mangé encore d'autres prisonniers; ce qui ,
à notre connaissance, porte à dix-huit le nombre de ceux qui
ont été massacrés de sang-froid depuis leur retour du combat.
Les corps de Tête et de Pou ont été déposés près de la ri-
vière, à environ un demi-mille de l'établissement. En remon-
tant la rivière , on n'a pas voulu permettre à notre canot de
passer devant cet endroit, à cause du tabou. Il nous a fallu
descendre à terre, quitter le canot, et transporter nos objets
par terre. Nous avons vu les entrailles des pauvres créatures
qui ont été tuées flotter sur les eaux de la rivière!
3i décembre. Nous avons vu plusieurs tètes humaines plan-
tées sur des pieux , et la peau tatouée de la cuisse d'un homme
clouée sur une planche pour sécher; elle est destinée à servir
de couverture à une giberne. Les naturels ont planté deux tètes
sur une haute palissade, en face de notre demeure.
10 janvier 1822. La femme de Tête tente actuellement de
se laisser mourir de faim : elle n'a rien mangé depuis plusieurs
jours.
\5 janvier. Trois des femmes de Shongui , qu'il a capturées
dans la dernière guerre , se sont enfuies, et il est allé à leur re-
cherche. Akou , la belle-fille de Shongui, qui a dernièrement
tenté de se tuer, est venu faire panser son bras; elle paraît
plus contente, et j'espère qu'elle n'essaiera pas une seconde fois
de se détruire.
16 janvier. Shongui a retrouvé ses fugitives. Nous sommes
bien aises de voir qu'il n'en ait tué aucune, comme nous avions
lieu de le craindre.
i5 février. Les naturels se préparent actuellement à une
très-grande expédition, pour venger la mort de Tête et celle
de Pou. Plusieurs centaines de guerriers se sont rassemblés ici
de plusieurs parties éloignées ; ils doivent se réunir aux Ngapouis
et aux différentes tribus de la baie, dès que leurs pirogues
PIECES JUSTIFICATIVES. 465
seront prêtes , pour former un des plus grands arméniens
qu'ait jamais vus la Nouvelle-Zélande. Ils sont campés sur des
coteaux autour de l'établissement; jusqu'à présent ils nous ont
peu inquiétés, bien qu'il fassent un bruit épouvantable.
18 février. La tribu de Shongui , craignant que quelqu'une
des tribus puissantes , aujourd'hui rassemblées, ne ravage ses
champs de patates, a développé tout l'appareil de ses forces par
des marches et contre-marches, et ces démonstrations ont pro-
duit l'effet qu'il désiraient.
19 février. Les guerriers sont sur le point de partir. Ils sont
très-méchans.
25 février. Ils se sont tous embarqués aujourd'hui pour
commencer leur oeuvre de désolation.
27 mars. Nous avons appris que deux pirogues des guerriers
ont été détruites et ceux qui les montaient ont été tués et
mangés. Ils formaient l'arrière-garde du corps de l'armée et
avaient débarqué pour ramasser de la racine de fougère, lors-
qu'ils ont été surpris et taillés en pièces.
8 juin. Touai avec ses frères Koro-Koro et Terangui et Wil-
liam fils de Koro-Koro sont arrivés ici. Touai a été absent,
pour la guerre, durant près de deux ans : il a couru les plus
grands périls et a reçu plusieurs blessures. La guerre semble
faire ses délices : il dit que quand tous les peuples de l'Est
seront exterminés on attaquera ceux du Nord. Je lui fis, avec
toute la réserve possible , des représentations sur la folie et la
cruauté d'une pareille conduite. Il cita plusieurs de ses mer-
veilleux exploits : une fois entre autres il fut bloqué dans une
place fortifiée durant un temps considérable : pendant vingt
jours, il n'eut rien à boire ni à manger : ses ennemis sem-
blaient si assurés de le prendre , qu'ils avaient préparé le bois
pour le faire rôtir : mais il fut délivré de cette situation cri-
tique par ses amis de la baie Mercure. Il a cinq femmes. Les
chefs passèrent la soirée avec nous; et Touai, pendant nos
prières du soir, se joignit à nous et récita l'oraison dominicale
qu'il sait très-bien.
tome m. 3o
466 PIECES JUSTIFICATIVES.
îo juin. Touai est venu nous voir ce matin avant son dé-
part. Nous lui avons donné deux haches , une herminette , une
pioche, cinq limes , deux ciseaux de menuisier, un couteau,
deux paires de ciseaux et quelques hameçons. Sa figure est
tatouée et il paraît fort maigre. Il se propose , à ce qu'il paraît,
de retourner à la guerre dans trois mois.
29 juillet. Rewa et plusieurs autres chefs sont de retour de
la guerre; ils ont rapporté avec eux les corps de neuf chefs qui
ont été noyés dans une pirogue qui a chaviré par la houle. Les
tribus de la baie des Iles ont exercé de grands ravages et fait
beaucoup de prisonniers. Déjà deux de ces infortunés ont été
tués et mangés.
Nous sommes environnés de scènes de désolation : les femmes
pleurent leurs maris morts dans les combats; les captifs dé-
plorent leur éternelle et cruelle servitude; il y en a d'autre
qui se réjouissent de l'heureuse arrivée de leurs parens et amis.
Shongui est tout glorieux; il dit que dans un endroit, sur les
bords du Waï-Kato, son armée a réussi à tuer quinze cents
individus.
7 août. Il y a eu plusieurs coups de fusil tirés ce matin ;
Shongui devant relever les os de son beau-fils , ces coups de
fusil avaient pour objet de chasser l'Atoua. Nous nous propo-
sions d'assister à cette cérémonie ; mais nous apprîmes que
Shongui avait tué deux esclaves et qu'on allait les manger,
ce qui nous fit rester chez nous. Ces déplorables victimes
étaient assises l'une près de l'autre sans soupçonner le sort qui
les menaçait, quand Shongui leur lâcha son coup de fusil,
dans l'intention de les tuer d'un seul coup ; mais la malheu-
reuse femme ayant été seulement blessée tenta de s'échapper :
elle fut bientôt rattrapée, et sur-le-champ on lui brisa la cer-
velle.
8 août. Un chef d'un très-mauvais naturel est entré chez
nous et a dit que nos bestiaux ayant endommagé ses patates ,
il fallait que nous lui donnassions deux haches ou bien qu'il
allait tirer dessus. Il a pris son fusil et est parti pour exécuter
PIECES JUSTIFICATIVES. it;7
sa menace ; mais son frère l'a ramené, et nous avons été con-
traints de céder à sa demande et de donner une hache à son
frère pour la peine qu'il s'est donnée.
lo août. Nakoura, un naturel qui est dernièrement revenu
de la guerre, est mort cette nuit. M. Kemp et moi nous lui
donnâmes des soins avant qu'il restât couché ; nous lui
fîmes prendre quelque chose de chaud et lui préparâmes un
feu. Il parlait avec force et clarté; bien qu'il nous dît qu'il
allait mourir dans la nuit , nous ne pouvions imaginer qu'il fût
si près de sa fin. On a dit qu'en une occasion il avait tant
mangé de chair humaine, qu'il ne s'était jamais trouvé bien
depuis ce moment. Ce pauvre malheureux fut abandonné dans
ses derniers momens par ses compatriotes. Us allaient jeter son
corps dans la rivière; mais pour une légère gratification que
nous leur offrîmes, ils creusèrent une fosse pour l'enterrer.
22 août 1822. Te Aïre , parent de Shongui et chef de
quelque importance et d'un caractère affable , se trouvant dan-
gereusement malade, à douze milles environ de distance, je
suis allé le voir. Ses poumons sont attaqués et il crache beau-
coup de sang. Nous lui avons mis des vésicatoires et donné un
peu de thé, ce qui lui a fait grand plaisir.
23 août. Nous avons soigné la mère de Shongui qui est âgée
de plus de cent ans : elle est à l'extrémité. Un des fils de Shon-
gui est aussi très-mal. En revenant chez nous, nous vîmes sur
la route un grand nombre d'ossemens blanchis au soleil, qui
étaient ceux des esclaves tués et mangés.
21 octobre. Un pauvre enfant de six ans environ , qui avait
été amené prisonnier de guerre , a été aujourd'hui tué et
mangé près de l'établissement.
22 novembre. J'ai pansé les blessures d'une femme qui s'é-
tait, par mégarde , endormie trop près du feu, où elle faisait
cuire sa racine de fougère. Elle s'était brûlée d'une manière
épouvantable.
26 novembre. Le chef Watihou, qui ne s'était pas rétabli de-
puis son retour du combat de Waï-Kato , est mort. Je l'avais
1 ~*
JO
468 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
soigné durant plusieurs mois. On l'avait ramené de Waï-Mate
peu de jours avant sa mort. Deux de ses femmes ont clé tuées
à coups de fusil par Te Aire son père : une d'elles était la femme
la plus belle et la plus intéressante que j'eusse vue dans la
Nouvelle-Zélande. Plusieurs esclaves ont été massacrés; et
plusieurs naturels ont accouru pour prendre part à l'horrible
festin qui en sera la suite.
3o novembre. Koro-Koro ayant dit que Shongui avait volé
quelques-uns de ses cochons, plusieurs pirogues bien armées
et bien manœuvrées sont parties d'ici pour aller en tirer ven-
geance sur lui et sur son peuple. Il n'y a pas eu de combat,
mais Koro-Koro a reçu de rudes coups sur la tête et a failli
perdre l'œil qui lui reste; ses ennemis ont aussi emporté
toutes ses patates.
n décembre. La pauvre jeune femme dont j'ai parlé le 22
du mois dernier, est morte aujourd'hui. Sa mort a sans doute
été hâtée, sinon occasionée, par la superstition des naturels,
qui n'ont pas voulu la laisser sous l'abri de sa cabane, mais l'ont
exposée à un soleil accablant. Une troupe de mauvais sujets
qui revenaient précisément de voler les patates de Koro-Koro,
l'ont environnée dans ses derniers momens, et par leurs rail-
leries et leurs grimaces l'ont insultée sans pitié a son dernier
soupir.
Peu de jours après le départ de M. Hall, qui eut lieu le 3 ou
le 4 décembre 1822 , Tiki , la principale femme de Watihou ,
a été trouvée morte; elle s'était pendue, et laissait quatre en-
fans orphelins. On demanda pourquoi Te Aire avait tué deux
de ses autres femmes; les naturels répondirent qu'on l'avait fait
pour les empêcher de devenir les femmes d'autres hommes.
( Missionnarj' Register, novemb. i82.3 , pag. 5o4« )
EXTRAIT D'UNE LETTRE DES MISSIONNAIRES.
g janvier 1822. Shongui est venu ce matin pour faire panser
ses blessures; car il vient d'être tatoué de nouveau sur la
PIECES JUSTIFICATIVES. 460
cuisse qui est très-enflammée. Sa fille aînée, la veuve de Tête
qui a succombé dans l'expédition , s'est tiré un coup de fusil
chargé de deux balles qui ont percé la partie charnue de l'é-
paule. Elle avait l'intention de se tuer, mais nous présumons
que dans le mouvement opéré pour pousser la gâchette avec
l'orteil, la bouche du fusil s'est dérangée de l'endroit fatal...
Hier ils ont tué d'un coup de fusil une autre pauvre esclave,
et l'ont mangée. C'était une fille de dix ans environ. Le frère
de Tête lui tira un coup de pistolet, et ne fit que la blesser;
alors un des petits-enfans de Shongui l'assomma d'un coup
sur la tète! Nous avions appris la mort de cette fille; quand
nous allâmes panser la blessure de la veuve de Tête, nous
lui demandâmes si cela était vrai ; elle répondit en riant qu'ils
avaient grande faim , et qu'ils avaient tué cette fille pour la
manger avec des patates douces; elle disait cela avec tout
aussi peu d'embarras que s'il se fût agi de tuer une poule ou
une chèvre.
( Missionnary Rcgister, janv. i8a3 , pag. 68.)
Par des lettres du 20 et du 26 février 182?. , M. Leigh con-
firme les nouvelles que nous avions déjà données des expédi-
tions turbulentes et sanguinaires des naturels; mais il ne sent
pas pour cela sa confiance ébranlée pour s'établir parmi eux.
Une station à Oudoudou, près du cap Nord, environ à cent
milles de la baie des Iles, lui avait été recommandée par Shon-
gui , et les chefs de ce district qui se trouvèrent alors dans
la baie appuyèrent la recommandation. Son intention avait
été de s'établir à la baie Mercure , près la rivière Tamise ; mais
Shongui lui dit de renoncer à ce dessein, attendu qu'il avait le
projet de massacrer tous les peuples de ces régions !
Un extrait d'une des lettres de M. Leigh sera lu avec regret
et horreur, spécialement par ceux qui virent ces chefs en An-
gleterre, et conçurent des espérances favorables sur leur ca-
ractère et leurs intentions.
<■ Bientôt après son arrivée, Shongui fut informé qu'en son
470 PIECES JUSTIFICATIVES.
absence un de ses parens avait été tué par quelques-uns de ses
amis de la baie Mercure et de la rivière Tamise. Ce rapport
n'était que trop vrai. Sur-le-cbamp Shongui déclara la guerre
à ceux-ci, bien qu'ils fussent aussi ses parens. Le chef qui
était de la baie Mercure , et avec qui Shongui était venu de la
Nouvelle-Galles du Sud à la Nouvelle-Zélande, désirait vive-
ment une réconciliation; mais ce fut en vain. La guerre seule
pouvait satisfaire Shongui. Il eut bientôt rassemblé trois mille
combattans, et se mit en marche. Le combat fut affreux, et
plusieurs périrent des deux côtés : enfin Shongui remporta la
victoire, et retourna en grand triomphe à la baie des Iles.
«< A mon arrivée à la Nouvelle-Zélande , j'appris que Shon-
gui et ses gens tuèrent mille hommes, dont trois cents furent
rôtis et mangés sur le champ de bataille! Shongui tua le chef
ci-dessus mentionné; puis il lui coupa la tète, égoutta le sang
dans sa main et l'avala! C'est de Shongui et de Waï-Kato eux-
mêmes que je tiens ce fait qu'ils racontaient avec le plus grand
orgueil.
« Shongui et Waï-Kato ont tué depuis leur retour de la
guerre plus de vingt esclaves qu'ils ont rôtis et mangés.
» Shongui et ses amis sont retournés à la guerre. Depuis
que j'ai débarqué , non moins de mille combattans ont quitté
la baie pour aller à la rivière Tamise, et non moins de deux
mille, autour de nous, se préparent à marcher sous peu de
jours vers le même endroit. Shongui est à la tête de cette
armée, et combattra avec elle. »
( Missionnary Réguler, août 1822 , pag. 35i. )
EXTRAIT DU JOURNAL UE M. LEIGH.
20 août 1822. Un jeune homme fortement attaqué de con-
somption me demanda si le Dieu de l'homme blanc était un
Dieu bon. Quand je lui eus répondu que oui, il fit observer que
le dieu du Nouveau-Zélandais était un dieu méchant; car il
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 471
dévorait leurs entrailles, et les faisait beaucoup souffrir. « En
outre, ajouta-t-il, notre dieu ne nous donne ni pain, ni ha-
bits, ni bonnes maisons , comme fait le vôtre. »
Une tribu s'oppose à ce que des Européens s'établissent
chez elle, et voici la raison qu'elle donne : « Si les blancs ve-
naient vivre avec les Zélandais, ils amèneraient avec eux le
Dieu de l'Europe qui tuerait toute la tribu : depuis que les
blancs sont arrivés à la baie des Iles, beaucoup de Nouveaux-
Zélandais sont morts, et leur Dieu est très-irrité contre nous. »
3o août. Dans un des villages des naturels, un jeune homme
tomba malade. On lui envoyait de temps en temps du thé et
du pain ; mais quand il crut sérieusement qu'il allait mourir,
il annonça à la personne qui lui apportait ces alimens, que
cette fois il ne mangerait point le pain , mais qu'il allait le
réserver pour son esprit qui viendrait le manger après avoir
quitté son corps, et lorsqu'il se mettrait en route pour le cap
Nord.
3 septembre 1822. Un Européen demandait à un chef ma-
lade : « Priez-vous Dieu de vous rendre la santé? — Non,
nous n'avons pas un dieu bon ; notre dieu est un méchant es-
prit. Il ne nous donne pas de vivres. Il nous rend malades. Il
nous tue , etc.
Je rencontrai dernièrement quelques naturels qui venaient
de pécher. Je désirai leur acheter un peu de poisson. Quand
je leur en fis la proposition , ils répondirent qu'ils ne pou-
vaient pas m'en céder du tout, attendu que c'était le premier
qu'ils eussent pris cette année dans cet endroit, et qu'ils de-
vaient le manger sur le premier endroit du rivage où ils al-
laient aborder ; mais que si , à mon retour, je désirais en avoir,
ils retourneraient pêcher, et qu'ils m'en donneraient en plus
grande quantité.
(Missionnary Register, avril 182 3 , pag. 198. )
472 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
DETAILS
SDR
LE QUATRIÈME VOYAGE DE M. MARSDEN
A LA NOUVELLE-ZÉLANDE.
Le révérend Samuel Marsden , avec le révérend Henri Wil-
liams et sa famille, s'embarquèrent à Port-Jackson pour la
Nouvelle-Zélande , à bord du Brampton , capitaine Moorc, le
23 juillet i823, et touchèrent à Rangui-Hou le 23 août.
M. Marsden rembarqua à bord du Brampton pour la Nou-
velle-Galles du Sud le 5 septembre. Le navire fit naufrage
dans la baie des Iles le 7 septembre , mais personne ne perdit
la vie. M. Marsden fut retenu dans ce pays jusqu'au t4 no-
vembre, où il s'embarqua sur le Dragon, avec le révérend
Jobn Butler et sa famille, et M. et madame Côwell; ils
arrivèrent à bon port à Sydney, au commencement de dé-
cembre.
( Missionnary Registcr , juin 1824 , pag- 277. )
M. Marsden employa à cette visite un peu plus de quatre
mois, depuis la fin de juillet de l'année dernière jusqu'aux
premiers jours de décembre. Nous allons extraire de son
journal divers passages qui répandront un nouveau jour
sur le caractère des naturels et les progrès de la Mission.
PIECKS JUSTIFICATIVES. 473
Misère et cruautés du paganisme.
Une pirogue de guerre arrivant du sud a aceosté le navire.
Sur l'arrière, j'ai observe le corps d'un homme mort enveloppé
dans des nattes. La pirogue était pleine de monde. Toutourou ,
un des chefs de Waï-Kadi , s'y trouvait , et semblait épuisé de
fatigue et de privations : il avait naguère demeuré chez moi à
Parramatta, et il fut très-ému en me voyant; cependant il ne
sortit point de la pirogue, et resta dans sa posture de deuil. Que
de souffrances ces pauvres païens ont à endurer sous l'empire
du prince des ténèbres! Dans l'après-midi, tandis que nous
nous promenions sur le rivage, il arriva une autre pirogue de
guerre , où nous apprîmes qu'il se trouvait deux chefs morts :
quand ils furent à une petite distance de terre , ils s'assirent
tous en silence dans la pirogue en pleurant , et du rivage les
femmes commencèrent aussi à pousser des cris et à faire un
grand bruit. Ces pauvres créatures se désolent, comme si elles
étaient sans espoir.
— Rewa , le chef le plus puissant après Shongui, venait,
accompagné de quelques autres chefs , du Waï-Kato où ils
étaient allés comme ambassadeurs, pour faire la paix avec les
tribus de cette rivière. Le Waï-Kato est une contrée très-po-
puleuse de la Nouvelle-Zélande. Plusieurs personnes appar-
tenant à ces districts étaient venues avec ces chefs. Rewa
est marié et a cinq enfans. Lors de sa dernière expé-
dition guerrière , il ramena chez lui une autre femme , ce
qui affligea beaucoup la première. Elle ne put supporter l'idée
de voir deux femmes à Rewa. Dans l'absence de ce chef, sa
seconde femme eut un fils : dans le même temps, sa première
femme était aussi enceinte, et peu après elle accoucha égale-
ment d'un garçon. Celle-ci fut si courroucée de ce que la se-
conde femme eût un fils, qu'elle détruisit son propre enfant.
Peu de temps après la seconde femme mourut aussi. Quand
Rewa fut instruit de ces événemens , il en fut vivement affligé,
474 PIECES JUSTIFICATIVES.
et pleura amèrement. L'infanticide n'est pas commun à la
Nouvelle-Zélande, surtout pour les garçons. Us sont très-atta-
chés à leurs enfans , et en prennent un grand soin. La femme
de Rewa fit périr son enfant uniquement par dépit et pour se
venger de ce que son mari avait pris une autre femme. On
craint que Rewa ne fasse ur. sacrifice humain pour dissiper ses
inquiétudes.
— M. Kcmp m'apprend que Rewa vient de tuer une jeune
femme en holocauste pour la mort de sa seconde femme. Son
fils vint l'appeler tandis que nous conversions ensemble. Peut-
être était-ce pour accomplir cette cérémonie sanglante!...
Quand ces rits barbares seront-ils abolis?... Cette jeune femme
était une prisonnière de guerre, prise dans la dernière expé-
dition contre la rivière Tamise.
— Rewa vient de me rendre visite, revêtu de son grand cos-
tume , et m'a fait cadeau de deux nattes. Il m'a raconté qu'il
a tué une jeune femme; mais il a donné ordre qu'on l'enterrât
et qu'on ne la mangeât point. La pauvre femme était accusée
de deux crimes : l'un , de n'avoir pas rendu les soins conve-
nables à sa maîtresse durant ses couches; l'autre, d'avoir ac-
compli les rits funéraires envers sa maîtresse, puis d'avoir
mangé avec ses propres mains avant d'avoir été purifiée de
la souillure qu'elle avait contractée en touchant un corps
mort. Ce dernier acte est regardé comme un très-grand crime
vis-à-vis de leur Dieu. Pour ces motifs, il était nécessaire
qu'elle fût sacrifiée , tant pour apaiser l'esprit de la morte que
pour le salut des vivans. Ni persuasion, ni récompenses, ni
promesses, ne peuvent arrêter ces cérémonies sanguinaires!...
Rewa sembla tout-à-fait tranquille quand il eut fait cette
offrande. Je lui avais cité l'ancienne condition des Taïtiens et
leur conduite actuelle, j'espérais que les Nouveaux-Zélandais
les imiteraient.
— J'ai demandé ce que l'on avait fait du corps de la jeune
femme qui avait été sacrifiée hier, et l'on m'a appris qu'il
avait été préparé et mangé par les naturels du Waï-Kato, bien
PIECES JUST1EICATIVES. 475
que Rewa m'eut dit qu'il avait donné des ordres pour qu'il fût
enterré. Avant d'aller me couelier la nuit dernière, j'entendis
les naturels qui dansaient et qui chantaient près de l'endroit
où la jeune femme avait été tuée. Je suis persuadé qu'ils se
préparaient à dévorer la victime.
— La femme de Waï-Kato m'a dit qu'elle me donnerait un
esclave. C'est le fils d'un chef qui a été tué dans le combat , et
qui fut alors fait prisonnier. J'ai accepté cette offre , dans l'es-
poir de racheter cette pauvre créature du plus cruel esclavage.
Un esclave n'a aucune garantie pour sa vie : son maître peut
le tuer quand cela lui plaît, et il le traite tout-à-fait au gré de
ses passions.
— Waï-Kato m'a amené le garçon dont sa femme m'avait
fait présent. En le questionnant, je trouvai que son père avait
été tué à une grande distance au sud de la rivière Tamise ,
époque à laquelle il fut fait prisonnier de guerre; puis il fut
pris une seconde fois et amené à la baie des Iles. Je me pro-
pose de l'emmener avec moi dans la colonie , et de lui donner
quelque instruction; peut-être pourra-t-il se rendre utile à
son pays par la suite, si la Providence veut le permettre.
Notions superstitieuses des nature/s.
Un navire américain , le Cossack , a dernièrement fait nau-
frage en sortant de la rivière Gambier, sur la côte occidentale de
la Nouvelle-Zélande, que les naturels nomment côte du Shouki-
Anga. La perte de ce navire a été le sujet de longs entretiens
parmi les Nouveaux-Zélandais. Un chef me donna les raisons
suivantes de cet événement : il y a sur le bord méridional de
l'entrée du havre deux rochers qui sont regardés comme
sacrés, étant la résidence du dieu des vents et des vagues. Les
matelots du Cossack n'eurent point de respect pour ces ro-
chers, mais ils les frappèrent avec leurs marteaux. Les naturels
les avertirent de ne pas agir ainsi, et les prièrent de ne pas y
toucher; car s'ils le faisaient leur Dieu serait irrité. Les ma-
An PIÈCES JUSTIFICATIVES.
rins ne tinrent aucun compte des paroles des naturels. Quand
le Cossack en sortant passa sur la barre , le dieu des rochers
se glissa sous le fond du navire : dans sa colère, il se mit à
danser, et fit bondir le navire comme une balle. Le maître
laissa tomber les ancres; mais le dieu furieux coupa les ancres
(non pas les câbles) au fond de la mer, et secoua le navire
jusqu'à ce qu'il fût brisé en pièces. Le Cossack n'aurait point
éprouvé d'accident si les matelots n'avaient point provoqué
la fureur du dieu des vents et des vagues en frappant les ro-
chers sacrés. C'est une opinion généralement admise par lés
Nouveaux-Zélandais. Quand je visitai cette rivière et que j'ap-
prochai de ces rochers, ils me prièrent de ne point y toucher,
de crainte que je ne mourusse. Telle est la superstition actuelle
de ce peuple.
Remarques sur le caractère des naturels.
J'ai eu une conversation avec Ware-Porka sur l'état actuel
de la Nouvelle-Zélande. C'est un chef d'une grande influence,
et considéré comme un des plus braves guerriers de ce pays.
Il désire la paix, et m'a prié de parler à Sliongui à ce sujet.
Si Shongui voulait renoncer aux combats, la plupart des chefs
de la baie des Iles semblent disposés à s'occuper de leurs cul-
tures et de leurs affaires domestiques. Leur intelligence s'ac-
croît par degrés; mais il leur manque un objet assez important
pour exercer leur activité et leurs capacités. J'ai recommandé
à plusieurs d'entre eux de diriger leur attention vers la cons-
truction d'un navire de cent vingt tonneaux environ , qui leur
servirait à entretenir une communication régulière avec Port-
Jackson. S'ils voulaient fixer leur attention sur l'agriculture
et le commerce, ces arts leur fourniraient une matière suffi-
sante pour occuper leurs esprits; ils accroîtraient par là tout
ensemble leurs besoins et les moyens d'y satisfaire. Jusqu'au
moment où quelque chose de ce genre aura été adopté , je
ne puis concevoir comment leurs guerres pourront avoir un
TOGES JUSTIFICATIVES. 477
terme. Quand ils ont perdu un proche parent dans un com-
bat, leurs esprits s'appesantissent sur la mort de leur ami, car
ils n'ont rien pour les occuper. S'ils sont en état de venger
sa mort, ils tentent de le faire le plus tôt possible, sinon ils
songent à leur perte durant des années entières et ils en gar-
dent le deuil; enfin, s'ils peuvent un jour en obtenir satis-
faction , tant qu'ils vivent ils n'en laissent point échapper
l'occasion. Ils ne connaissent point l'oubli pour les outrages
qu'ils ont reçus ; pour eux , c'est un devoir envers leurs
parens défunts que de punir ceux qui ont causé leur mort,
quand bien même ils auraient succombé par les suites ordi-
naires de la guerre. Si ces hommes avaient des rapports régu-
liers avec les nations civilisées, et des objets d'une certaine
importance pour occuper leurs âmes, la force de leurs affec-
tions naturelles et de leurs notions superstitieuses diminuerait
par degrés, et leurs ressentimens s'apaiseraient. Il faut espérer
que la génération actuelle aura des idées et des sensations
différentes, car elle sera mieux instruite des arts de la civili-
sation et moins accoutumée à leurs habitudes guerrières.
— J'ai eu un long entretien avec Rewa , le premier pour le
rang après Shongui. Il avait appris que son frère avait été tué
dans le combat, et, si cette nouvelle était exacte, il se voyait
obligé d'aller venger sa mort sur-le-champ. Je lui représentai
les calamités de la guerre , et combien il vaudrait mieux pour
eux de cultiver les arts de la paix. Il répliqua que son cœur
était si brisé en songeant à son frère , qu'il ne pouvait pas se
consoler, et qu'avant d'éprouver aucun repos il fallait qu'il
eût satisfaction. Je lui dis que je croyais que les chefs de la
baie des Iles pourraient se réunir pour construire un bâti-
ment, et que, dans ce cas, je leur ferais avoir un permis de
navigation. Plusieurs d'entre eux désiraient aller à Port-Jack-
son , et ils pourraient alors le faire quand cela leur plairait.
Il répondit que les chefs ne pourraient jamais s'accorder pour
avoir un navire, car chacun d'eux voudrait en disposer sui-
vant son gré ; il fit observer aussi qu'ils ne permettraient jamais
478 PIEGES JUSTIFICATIVES.
aux missionnaires de vivre ensemble , attendu que chaque chel
voudrait qu'ils habitassent dans sa tribu. Les Nouveaux-Zé-
landais sont doués de jugement et de réflexion, et ils tâchent
de découvrir le motif de toutes les actions d'un homme. C'est
pour eux un proverbe ordinaire de dire que « l'on peut voir
l'extérieur d'un homme, mais non pas son intérieur; » et sou-
vent ils me faisaient observer , après que j'avais causé avec
quelques-uns de leurs compatriotes : « Vous les entendez bien
parler, mais vous ne savez pas ce qui se passe au fond de leurs
cœurs. » Quand il plaira à Dieu de leur accorder la connais-
sance de sa grâce et de son amour, ils deviendront un peuple
étonnant. Ils étudient la nature de l'homme avec l'attention
la plus assidue, et s'efforcent de découvrir son véritable carac-
tère d'après l'ensemble de sa conduite. Ils détestent un carac-
tère grossier et violent. Entre eux, ils vivent en général en
paix et en parfaite harmonie. Je n'ai pas vu d'homme,
de femme ou d'enfant en frapper un autre tant que j'ai été
dans l'île.
Exemple des Taïtiens compris par les Nouvcaux-Zélandais.
Tawa , le fils du feu chef Tepahi , très-beau jeune homme
qui avait demeuré avec moi à Parramatta plus de douze mois,
me fit des questions sur les motifs pour lesquels les mission-
naires ne vendaient ni fusils ni poudre aux naturels*. Je répon-
dis qu'ils avaient reçu l'ordre des gentlemen qui les avaient
expédiés d'Angleterre, de ne point vendre ces articles, et
qu'aucun missionnaire ne pouvait se permettre de le faire à la
Nouvelle-Zélande. Comme plusieurs des chefs qui étaient pré-
sens avaient été à Port-Jackson , je fis observer que là aucun
ecclésiastique ne vendait ni mousquets ni poudre. Ils savaient
que je n'avais point de fusils dans ma maison , et qu'ils n'en
avaient jamais vu un seul chez moi quand ils y étaient venus.
Ils confirmèrent la v érité de ce que je disais. J'ajoutai que nous
ne nous mêlions point du gouvernement à la Nouvelle-Zé-
PIECES JUSTIFICATIVES. 479
lande; ils faisaient ee qu'il leur plaisait, et les missionnaires
devaient jouir du même privilège. Tawa dit que cela était
juste , et fit la remarque suivante : « Nous sommes actuel-
lement dans le même état que lesTaïtiens il y a quelque temps.
Les Taïtiens ne demandaient que de la poudre et des fusils,
et ne voulaient rien autre chose ; aujourd'hui qu'ils sont mieux
instruits, ils n'en demandent plus. Les Nouveaux-Zélandais
ne s'en soucieront plus aussi quand ils seront plus éclairés ;
avec le temps cela viendra, mais il faut leur donner le temps
de s'instruire. » Il ajouta qu'il était allé à la guerre quelque
temps auparavant , mais qu'il n'y retournerait point. Tous les
chefs acquiescèrent aux observations de Tawa. Je fus charmé
de voir que leurs esprits s'étaient éclairés, et qu'ils eussent
commencé à considérer ce sujet sous un point de vue aussi
juste. Je déclarai que les remarques de Tawa sur la conduite
des Taïtiens étaient fort exactes, et je leur dis que le brick
Queen Charlotte, qui la veille avait fait voile de la baie des
Iles, appartenait au jeune roi Pomarc; que lesTaïtiens avaient
envoyé à Port-Jackson de l'huile et divers autres articles, en
échange desquels ils recevaient du thé , du sucre , de la farine
et les habillemens nécessaires; qu'avec le temps les Nouveaux-
Zélandais pourraient avoir aussi à eux un navire pour se pro-
curer du sperma-céti, des espars, etc., qu'ils pourraient ven-
dre à Port-Jackson ; et que plusieurs d'entre eux pourraient
harponner les baleines, ayant été long-temps employés à
bord des baleiniers. Quand ils posséderaient un navire , ils se
mettraient au niveau des Taïtiens et renonceraient à leurs
cruelles guerres. Ils témoignèrent un grand plaisir à l'idée
seule d'avoir un vaisseau à eux , pour les mettre en état de se
procurer les objets dont ils avaient besoin.
Indices satisfais ans parmi les naturels.
Après le naufrage du Bramplon , on débarqua sur l'île Mo-
tou-Roa une quantité considérable de vivres et de provisions.
480 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Je descendis sur l'île et priai les naturels de protéger à la fois
les gens de l'équipage et leurs propriétés : ils m'assurèrent qu'ils
allaient monter la garde nuit et jour , et que je pouvais comp-
ter que rien ne serait perdu. M. Butler m'informa qu'il y avait
eu quelque altercation parmi les naturels, au lieu du naufrage,
mais que King-George et les chefs du bord avaient apaisé le
différend, et que tout était parfaitement tranquille. Je fus très-
content de ce rapport , et de voir qu'une nation sauvage , dont
plusieurs de ses membres étaient si pauvres et si misérables
qu'ils ne possédaient pas seulement un clou, put s'abstenir du
pillage , en dépit de la tentation violente que devait offrir à
leur avidité naturelle le naufrage de tant de propriétés impor-
tantes. Je ne pense pas qu'on puisse offrir une preuve plus
forte des progrès que ces pauvres païens ont faits vers la civi-
lisation , que le respect qu'ils conservèrent pour les Européens
et pour leurs propriétés dans une circonstance aussi déplo-
rable. Nous étions tous, ainsi que nos effets, tant à terre qu'à
bord , complètement en leur pouvoir. Ils eussent pu à chaque
instant se défaire de nous , et il n'est pas douteux qu'ils n'eus-
sent pris ce parti , si les missionnaires n'avaient pas été établis
parmi eux et n'avaient pas gagné leur confiance et leur affec-
tion. C'est le cas d'observer que, durant les neuf dernières
années, c'est-à-dire depuis le premier établissement de la Mis-
sion jusqu'au moment actuel, aucun Européen n'a reçu d'in-
jure de la part des naturels dans toute l'étendue de la côte
comprise entre le cap Nord et la rivière Tamise , bien que les
habitans eussent été souvent provoqués et maltraités par les
maîtres et les marins des navires qui les avaient visités. Les
Missions ont rendu un service important sous ce rapport. Un
navire peut aujourd'hui entrer et mouiller dans la baie des
Iles, avec tout autant de sécurité qu'à Port-Jackson. Le temps
viendra, sans doute , où les habitans de la Nouvelle-Zélande
avanceront non-seulement vers la civilisation , mais encore
vers la connaissance et le culte du seul vrai Dieu, et le monde
chrétien aura alors sujet de se réjouir et de louer le Seigneur. '
PIECES JUSTIFICATIVES. 18 1
Le capitaine Moorc, du Brampton , m'apprit qu'il avait
quitté le navire échoué et transporté tous ses bagages sur l'île
Motou-Roa; que les chefs du bord s'étaient tous bien compor-
tés; que dans une circonstance cinq ou six cents naturels
avaient entouré le navire dans leurs pirogues , et semblaient
disposés à être turbulens ; que King-George avait prié le capi-
taine de rester tranquille et de ne se mêler de rien ; qu'alors
King-George avait adressé aux naturels un discours qui avait
duré plus d'une heure. Il leur représenta les suites funestes des
actes de violence ou de pillage qu'ils pourraient commettre,
en leur rappelant le Boyd et ce qui suivit la destruction de ce
navire : puis il prit l'épée du capitaine et leur dit qu'il tuerait
le premier homme qui tenterait de monter sur le navire. Par
sa présence et sa fermeté, l'ordre et la paix furent rétablis, et
le capitaine Moore put emporter du bord tout ce qu'il désira
sauver. Le capitaine Moore me dit que, s'il eût fait naufrage sur
les côtes de l'Angleterre, les Anglais se fussent montrés mille
fois plus importuns que n'avaient été les Nouveaux-Zélandais.
J'ai passé la journée à converser avec les naturels touchant
leurs guerres, leur religion et leur pays, d'une manière fort
intéressante. Quelques-uns des chefs ont beaucoup voyagé
dans l'intérieur , et ils décrivaient plusieurs endroits où le ter-
rain était uni et le sol fertile durant des journées entières de
marche ; ils décrivaient de hautes terres couvertes de neige, des
lacs intérieurs et des sources chaudes situées dans le Sud , avec
une grande population. Toutes leurs belles nattes et leurs
sculptures se font dans les contrées du Sud, qui sont encore
inconnues aux Européens.
Touai devient le chef de sa tribu.
Je suis allé visiter la tribu de Touai , accompagné par le
révérend H. Williams et M. Kemp : la distance de Kidi-Kidi
est de neuf milles environ par eau.
Nous trouvâmes un nombre immense de femmes et d'en fans
TOME III. 3i
482 PIÈCES JUSTIFICATIVES,
chez eux. Touai , ainsi que son frère Koro-Koro , son oncle
Kaïpo et les combattons étaient allés à la guerre. On avait reçu
la nouvelle que Kaïpo avait été tué dans le combat et que
Koro-Koro était décédé de mortnaturellc. Kaïpo était un jeune
homme quand le capitaine Cook visita la Nouvelle-Zélande :
c'était actuellement un très- beau vieillard et un grand guer-
rier. Sa veuve et sa fille étaient revêtues de leurs habits de
deuil et assises l'une près de l'autre, gardant un profond silence
et dans une grande désolation. Toute la tribu était fort affectée
de la perte de son chef. Les naturels me dirent que Touai se
trouvait sur une petite île peu éloignée de la Tamise, où il atten-
dait le moment où il pourrait rapporter le corps de son frère à
la baie des Iles. Ils me prièrent de revenir pour voir le corps
^lc Koro-Koro quand il serait au village.
Un des frères de Touai , qui était présent, me raconta que
celui-ci était si contrarié de ces guerres continuelles, qu'il
était déterminé à quitter la Nouvelle-Zélande. Maintenant que
Koro-Koro qui était si passionné pour les combats n'est plus,
peut-être que Touai qui va être le chef de sa tribu usera de
son influence pour les en détourner; son frère puîné, qui
aime le repos, secondera certainement Touai, si celui-ci sou-
haite de vivre en paix. Mais, par malheur, quand les autres
chefs ne peuvent décider leurs amis du voisinage à les seconder
dans leurs expéditions, ils se réunissent pour couvrir ceux-ci
de honte en les accusant de lâcheté.
Ils me pressèrent fort d'envoyer un missionnaire pour s'éta-
blir dans leur district; ils disaient que depuis long-temps on
leur en promettait un, et ils soutenaient qu'ils v avaient des
droits, puisque Koro-Koro était allé le premier à Parramatta
pour les chercher, et que Touai avait ensuite été le premier
en Angleterre. Jusqu'aujourd'hui aucun missionnaire ne s'est
établi parmi eux , parce que tous les guerriers du Nord et de la
baie des Iles, dans leurs courses, ont coutume de passer par
cet endroit, ce qui les incommoderait fort et les exposerait à
être pillés; car les Nouveaux-Zélandais ressemblent beaucoup
p i k c es .1 1 1 s il fic a ri v es . 48 3
aux soldats en temps de guerre, qui se plaisent trop souvent à
piller et à détruire les propriétés. J'espère qu'un jour viendra
où un missionnaire pourra leur être destiné, et résider en
sûreté dans leur tribu qui compte un grand nombre d'enfans.
Si Touai revenait avant mon départ, je pourrais savoir quelles
sont ses .intentions aetuellement que son frère est mort. Il
pourrait se rendre fort utile à ses compatriotes.
Heureuses dispositions de IV aï-Kato .
J'ai été très-satisfait d'apprendre que Waï-Kato s'était bien
comporté envers les missionnaires depuis son retour d'Angle-
terre. J'ai eu plusieurs conversations avec lui sur la situation
de la Nouvelle-Zélande. Il m'a dit que plusieurs milliers de
naturels avaient été tués depuis son retour; et qu'à la demande
pressante de Shongui , il l'avait accompagné vers la rivière
Tamise dans son expédition contre Inaki. Les scènes de car-
nage et de cannibalisme qui eurent lieu pendant et après la
bataille où Inaki fut tué, furent si affreuses et lui firent tant
d'horreur, qu'il ne put manger durant près de quatre jours. Il
s'exprimait avec énergie sur le cannibalisme de ses compatrio-
tes, et déclara qu'il ne retournerait plus à la guerre. Shongui
l'avait sollicité de l'accompagner dans sa dernière expédition
contre Roto-Doua , mais il s'y était refusé. Il ajouta que les
Nouveaux-Zélandais ne renonceraient jamais à combattre, et
qu'il ne voulait plus vivre dans ce pays ; il me demanda si je lui
accorderais quelque protection dans le cas où lui et sa famille
viendraient à Port-Jackson. Je lui en fis la promesse. Il dit qu'il
avait vu Shongui depuis son retour, et que celui-ci lui avait
annoncé que son intention était d'entreprendre une autre expé-
dition contre Tara-Nake aussitôt que j'aurais quitté la Nou-
velle-Zélande , mais qu'il attendrait pour cela mon départ. Il
me demanda si j'avais vu Shongui et si nous étions amis : je
lui répondis que nous nous étions vus et que nous étions bien
ensemble. Il pensait que notre discussion h Port-Jackson avait
3i"
484 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
pu rompre notre amitié , et il témoigna le plaisir que lui cau-
sait notre réconciliation. Il désirait que les Anglais vinssent
prendre possession du pays , car il était convaincu que les ca-
lamités publiques ne cesseraient que du moment où il existe-
rait un pouvoir suffisant pour arrêter les maux de la guerre.
J'ai entendu plusieurs chefs exprimer le même vœu.
Quant à Waï-Kalo et à plusieurs autres chefs, ils avaient
honte de ne point prendre part à une expédition , quand ils
étaient convoqués, quelque éloignés qu'ils fussent des com-
hattans, car ils étaient traités de lâches en agissant ainsi. Ce-
pendant le premier était résolu à quitter le pays plutôt que
d'être forcé à combattre.
Waï-Kato s'occupe maintenant de la culture de sa ferme ,
ainsi que du soin de sa femme et de sa famille à laquelle il est
fort attaché. A notre arrivée à bord du Bramplon , je lui fis
cadeau d'une bêche et de quelques instrumens tranebans, ce
dont il fut très- reconnaissant. Je lui assurai que s'il n'allait pas
à la guerre, il aurait chaque année une couverture ou quel-
que autre article de valeur en présent. Je m'informerai de sa
conduite, et si j'apprenais qu'il se fût appliqué à l'agriculture,
je me souviendrais de lui. Waï-Kato est retourné à terre , bien
satisfait de notre entrevue; son courage srétait ranimé. Depuis
son retour d'Europe, il a eu le temps de réfléchir à ce qu'il
avait vu et entendu ; il paraît en avoir beaucoup probté. Je
fus content de plusieurs de ses observations. Il désirait qu'un
missionnaire fut envoyé à la rivière Tamise, et dit que dans
ce cas il irait y demeurer. Je lui répliquai que cela ne pou-
vait avoir lieu pour le moment, mais que dans quelque temps
on pourrait s'en occuper.
Georges de Wangaroa.
A Wangaroa je m'entretins avec Georges de l'affaire du
Boyd. Il me dit qu'il avait été méprisé et insulté par différentes
tribus pour avoir détruit ce navire, et que cet événement lui
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 485
avait Causé beaucoup de soucis, attendu que ses voisins n'a-
vaient pas voulu se réconcilier avec lui. Il disait qu'il avait en-
vie de visiter encore une fois Port-Jackson, mais qu'il avait
peur d'être pendu s'il y allait. Il pensait qu'il pourrait main-
tenant s'y hasarder, attendu qu'il avait quelques Européens
dans son établissement qui lui serviraient d'otages; car, s'il
était pendu , ses gens pendraient à leur tour les Euro-
péens. Il me demanda si je veillerais sur lui dans le cas où
il risquerait ce voyage. Je lui en fis la promesse, et déclarai
que le gouverneur de Port- Jackson ne le ferait point pendre,
parce que le capitaine du Boyd, le premier, l'avait fait fouetter.
Georges répondit qu'actuellement qu'il était mieux instruit ,
il ne commettrait plus une semblable action ; que cependant
il n'irait pas encore à Port-Jackson , mais que la fille de son
frère y accompagnerait madame Leigb , et que si elle n'était
point pendue, il ferait ensuite lui-même ce voyage. En
conséquence, il fut arrêté que la nièce de Georges partirait
avec madame Leigh; mais son père était très-inquiet de savoir
si elle ne serait pas pendue. Il disait : « Nous sommes réconci-
liés avec vous , mais nous ne pouvons pas croire que vous le
soyez avec nous ; vous demanderez des sacrifices pour ceux
qui ont péri sur le Boyd. •> Parmi eux c'est une loi d'exiger
la vie pour la vie; et ils ne croient pas qu'on puisse apaiser
le courroux de la Divinité autrement que par des sacrifices
humains. Usera impossible de détruire les craintes de ce peuple
jusqu'au moment où ils auront acquis la preuve que nous ne
voulons point venger la mort des hommes du Boyd. Leur reli-
gion ne leur permettrait point de laisser un pareil attentat im-
puni, et ils ne sauraient s'imaginer que la nôtre puisse nous le
permettre.
Le lendemain matin la nièce de Georges nous accompagna ,
après avoir fait de tendres adieux à ses amis qui pleuraient
tous. Son père était très-alarmé sur son compte, et nous
accompagna au navire; il me demanda à plusieurs reprises si
elle ne serait pas pendue à son arrivée dans la Nouvelle-Galles
486 PIECES JUSTIFICATIVES.
du Sud. Je lui assurai le contraire; il me pria , si cela arrivait,
de lui renvoyer son corps afin qu'il pût voir ses os.
Avant que nous missions à la voile , Georges vint de Wan-
garoa pour me voir ainsi que M. Lcigh. Je suis bien aise qu'il
soit si attentif pour les missionnaires. C'est pourtant l'homme
qui, quatorze ans auparavant, détruisit l'équipage du Boyd ,
et devint l'effroi de tous les Européens, qui vil aujourd'hui
avec les prédicateurs de l'Evangile. Une maison de mission-
naires est élevée en vue du lieu même où les hommes de l'équi-
page furent tous dévorés par ces cannibales!...
( Missionnary Rcgistcr, novemb. \%i.\} pag. 5io et suiv.}
M. Davis, en parlant des Nouveaux-Zélandais avec qui
il se trouvait à Parramatta en 1823 , écrivait :
« Nous avons quelquefois sept ou huit de ces insulaires avec
nous. Ils sont affectueux , honnêtes et sincères. J'en ai souvent
entendu parler comme d'un peuple traître et perfide, mais je
crois que ces rapports sont mal fondés, et ils le prouvent;
car s'ils ont quelque mécontentement contre M. Marsden qu'ils
estiment comme leur père, ils le lui disent sur-le-champ sans
hésiter. »
Il ajoute un peu plus loin :
« C'est une race d'hommes distinguée et capable d'appren-
dre toute sorte de choses. Quelques-uns savent lire passable-
ment. Nos enfans les aiment tendrement; ils caressent leurs
faces tatouées qui les amusent beaucoup. Les naturels restent
assis des heures entières pour recevoir les leçons de nos
enfans. »
Un peu plus tard , il disait :
« J'ai eu quelques Nouveaux-Zélandais à instruire durant
PIEGES JUSTIFICATIVES. 187
un certain temps, et il m'est agréable de vous dire que j'ai été
très-content de leur conduite et de leurs dispositions. Ils ap-
prennent fort vite à lire et à écrire, et ils se montrent appli-
qués et reconnaissans de l'instruction qu'on veut bien leur
donner. C'est un peuple très-intelligent, et qui paraît suscep-
tible d'apprendre en peu de temps tous les arts utiles à la civi-
lisation. Nous avons maintenant ici avec nous neuf beaux
jeunes gens et un petit garçon. Le matin , je leur montre à lire
jusqu'à dix beures, puis je les fais travailler hors de la maison
jusqu'à deux heures; ils vont dîner, et ensuite je leur montre
à écrire. »
(Missionnary Register,fét>. 1826 , pag. 100.)
MM. Leigh et White, dans l'année 182.°), voulurent s'établir
à Wangari, à soixante-dix milles au S. E. de la baie des Iles,
et s'y rendirent dans cette intention. Mais ils reconnurent que ,
par suite des dernières guerres, les habitans avaient été dé-
truits, ou s'étaient enfuis dans les bois. En conséquence, ils
se fixèrent à Wangaroa , où ils achetèrent du chef Georges,
par l'entremise de M. Marsden , le terrain nécessaire pour leur
station. Peu après, M. et madame Turner et M. Hobbs vin-
rent se joindre à eux. Toutes ces personnes appartiennent à la
"Société des missionnaires de Wesley.
( Missionnary Régis ter,févr. 1 826 , pag. 101.)
Touai vient de mourir : après de cruelles souffrances, il a
quitté cette vie le 17 octobre 1824. (Voyez ci -contre le
portrait de ce chef.') Le capitaine Lock, du Mary, alors
mouillé dans la baie, apprit qu'il était très-mal à terre,
n'ayant d'autre ressource que de l'eau et de la racine de
fougère. Sa tribu avait considérablement souffert des troupes
de pillards qui étaient tombées sur elle des diverses parties de
la baie. Le capitaine l'envoya chercher dans son canot, pour
lui procurer les secours de la médecine et une nourriture con-
venable. Mais il était trop tard , Touai mourut à bord. Sa
488
PIECES JUSTIFICATIVES.
tribu tua un esclave pour empêcher sa mort, et quatre autres
furent sacrifiés pour apaiser ses mânes !
( Missionnary Registcr, juin 182G , pcig. 3o4- )
PIECES JUSTIFICATIVES. 489
En février i825, Shongui quitta la baie des lies avec quatre
cents hommes environ , et alla se joindre à un nombre beau-
coup plus considérable, afin de venger sur le peuple de Kaï-
Para la perte qu'il avait éprouvée quelques années aupara-
vant, avant que sa troupe fût pourvue de mousquets. Ces
armes seules lui ont assuré cette fois-ci la victoire; mais il a
perdu son fils aîné , qui était un beau jeune homme âgé de
vingt ans , avec- plusieurs autres chefs. Les missionnaires par-
lent ainsi de l'esprit guerrier de ces naturels :
« Le grand cri des naturels est : « Qui nous donnera des
» mousquets, du plomb et de la poudre? » Parmi eux, per-
sonne ne cherche Dieu, ni son Christ, ni le salut de son ame.
Ils sont sans pitié pour leurs esclaves et ceux que leur caprice
rend leurs ennemis. Pour un mousquet, un Nouveau -Zélan-
dais s'assujettira aux travaux les plus pénibles durant plusieurs
mois. Dans le fait, c'est son idole : il l'estime au-dessus de tout
ce qu'il possède : pour une telle arme, non-seulement il cé-
dera ses esclaves, mais il prostituera même ses enfans aux ma-
rins affligés de maladies honteuses. »
M. Williams écrivait en 1824 :
« Les naturels pensent qu'il y a une grande différence entre
notre Dieu et le Dieu de la Nouvelle-Zélande ; mais ils se con-
tentent de considérer qu'il est fort bien à nous d'observer les
ordres de notre Dieu , et qu'ils doivent rester soumis à la juri-
diction du leur. »
Le 31 mars 1825 , le même missionnaire mandait :
« Nos visites aux naturels ont lieu comme de coutume ; ils
s'intéressent assez généralement aux passages historiques de
l'Ecriture ; mais ils sont tout-à-fait insensibles à la nécessité de
la rédemption , autant même que les animaux le pourraient
être. Un dimanche , nous demandâmes à un chef que nous visi-
490 PIECES JUSTIFICATIVES.
tions, pourquoi son peuple n'était pas venu assister à nos ins-
tructions, attendu qu'il était prévenu de notre arrivée : il
répondit que ses gens ne se souciaient point de ces sortes
de choses, qu'ils ne s'occupaient que de manger, boire et
combattre; il les avait prévenus, mais ils n'avaient pas voulu
venir : si nous étions venus pour leur parler de toute autre
chose, ou leur donner des objets de commerce, nous les au-
rions vus accourir en foule Lorsque nous leur parlons de
l'œuvre de la rédemption , ils disent qu'ils ne peuvent rien
comprendre à cela , et sur-le-champ ils se retirent dans leurs
cabanes. »
Au sujet des dispositions de Shongni envers les mis-
sionnaires en 1825 :
« Quoiqu'ennemi déclaré du christianisme, Shongui est
généralement sur un pied amical avec les missionnaires. Ce-
pendant il est sujet à d'étranges boutades. M. Shepherd ayant
éprouvé quelque violence de la part des habitans de Kidi-
Kidi , les missionnaires firent des recherches à ce sujet, et re-
présentèrent à Shongui que si l'on agissait ainsi à leur égard ,
on ne permettrait pas à d'autres Européens de venir s'établir
chez lui; mais il témoigna à cet égard l'indifférence la plus
complète, et se contenta de répondre : « Vous êtes libres de
vous en aller ou de rester. »
Au commencement de l'année 182a, la mauvaise conduite
des naturels et les violences qu'ils exercèrent envers les mis-
sionnaires de Wangaroa obligèrent ceux-ci à chercher un
asile pour un temps chez leurs confrères de la baie des Iles.
Déjà , dans le mois de juin de l'année précédente, ils s'étaient
portés à des menaces suivies d'un commencement d'exécution
envers le navire qui portait les députés de la Société des mis-
sionnaires de Londres, lorsqu'il toucha dans leur rade. Sans
l'arrivée du chef Georges et de M. White qui parurent tout-à-
coup dans la baie, il est probable que le navire eut été enlevé.
PIECES JUST1EICATIVES. 491
Enfin, au mois de mars 1826, ils firent main basse sur le ba-
lcinier le Mercury, de Londres, qu'ils pillèrent entièrement.
Le navire fut perdu , et l'équipage se sauva comme il put à la
baie des Iles, beureux d'avoir échappé à la mort. Le même
jour, MM. White et Turner, missionnaires de Wangaroa ,
furent attaqués par les naturels et cruellement maltraités.
M. White écrivait à cette même époque :
« Georges, l'un de nos principaux ebefs, est dangereuse-
ment malade. Au cas où il mourrait, il a demandé que les na-
turels de Sbouki-Anga vinssent nous dépouiller de tout ce que
nous possédions, et peut-être nous tuer, comme outou ou sa-
tisfaction pour la mort de son père qui périt lors de la prise
du Bord, et pour qui , dit-il , il n'a pas encore eu satisfaction.
Ses frères m'ont souvent répété qu'à sa mort nous serions ka-
wati , brisés ou dépouillés de toutes nos propriétés. La de-
mande de Georges est considérée comme la volonté dernière
d'un homme qui va entrer dans le monde des esprits, et elle
s'adresse à des êtres pour qui rien n'est plus doux que la ven-
geance, et qui , je n'en doute pas, seront enchantés d'exécuter
un tel vœu. »
Les missionnaires restèrent à Kidi-Kidi jusqu'au 27 juin.
Georges de Wangaroa mourut en avril. Mais les naturels pa-
rurent effrayés de l'idée de perdre les missionnaires ; et comme
les affaires prirent un meilleur aspect , on se décida à conser-
ver cette station le plus long-temps possible.
( Missionnary Régis ter, mars 1826 , pag. 160 et suiv. )
M. Hall écrivait en 1825, au sujet des charmes ou sor-
tilèges chez les Nouveaux-Zélandais :
Un jour, M. King et moi , sur notre route à Kidi-Kidi , nous
débarquâmes près d'une source d'eau fraîche pour prendre un
peu d'eau , et nous lûmes alarmés en voyant que nous avions
492 PIECES JUSTIFICATIVES.
presque poussé le canot sur trois cadavres étendus l'.un contre
l'autre au bord de l'eau , au travers de quelques broussailles.
Ces malheureux avaient été massacrés dans la matinée ou la
veille au soir. Près de ces corps était un gros paquet de bois,
et un endroit préparé pour les faire cuire; une pirogue était
mouillée à peu de distance, et portait des marques sanglantes,
mais nous ne vîmes point de naturels. Quand nous arrivâmes
à Kidi-Kidi, les babitans nous dirent que ces cadavres étaient
ceux de trois esclaves qui avaient été sacrifiés pour avoir exercé
le makoutou sur un chef, c'est-à-dire pour avoir pratiqué un
sortilège, ou avoir fait de mauvaises prières qui avaient causé
sa mort. C'est ainsi que plusieurs de leurs prisonniers de guerre
perdent la vie par suite de leurs idées superstitieuses. »
La scène suivante, suscitée en 182(> aux missionnaires
de Pahia par l'ariki Toï-Tapou et naïvement racontée par
Mmc Williams, donne un exemple des inconvéniens que les
Européens avaient souvent à essuyer parmi les sauvages
turbulens de la Nouvelle-Zélande :
Un chef très-importun , nommé Toï-Tapou , qui réside a
deux milles environ d'ici , a tout mis en désordre dans l'habi-
tation. Au lieu de frapper à la porte , comme d'ordinaire ,
pour être introduit, il a sauté par-dessus la palissade faite en
taihepa, ou en petits pieux de bois. M. Fairburn lui a dit
qu'il était un tangata kino, un méchant homme; qu'il était
venu comme un tangata taehae, un voleur, et non pas comme
un rangatira , un gentleman , en escaladant la palissade. Sur-
le-champ le chef se mit à trépigner et à gambader comme un fou,
en attirant autour de lui les voisins par les cris et le vacarme
qu'il faisait. Il agitait son mère ( instrument de guerre en
pierre verte que chacun d'eux porte caché sous sa natte), et
brandissait sa lance en sautant comme un chat, et la dirigeant
avec fureur contre M. Fairburn. M. Williams lui dit qu'il se
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 183
comportait fort mal, et refusa de lui toucher la main : le sau-
vage, cartel il paraissait vraiment alors, se dépouilla pour
combattre, ne gardant sur lui qu'une simple natte, semblable
à relie <jue portent les jeunes tilles. MM. Williams et Fairburn
le regardèrent avec une indifférence marquée; quand ils s'en
allèrent, il s'assit pour reprendre baleine, et comme ces deux
messieurs se dirigeaient vers la plage, il sortit du jardin.
Quand M. Williams revint, il vit quelques nattes étendues
par terre, qu'il jugea appartenir à Toï : il les jeta debors,
ferma la porte et alla au fond de la maison. Peu après, cet
homme furieux accourut du rivage, et arrachant une longue
perebe, il en frappa contre la porte. Voyant qu'elle résistait
à ses efforts, il sauta de nouveau par-dessus la palissade, il
recommença ses gestes sauvages, et quand M. Williams parut,
il dirigea sa lance contre lui. Sans y prendre garde, M. Wil-
liams s'avança vers lui ; mais , bien que tremblant de rage , le
sauvage n'envoya point sa lance. Il dit qu'il s'était blessé au
pied en sautant sur la palissade , et demanda un outou, ou un
paiement pour sa blessure. Comme on lui répondit qu'il n'en
aurait point, il se dirigea vers le magasin, et s'empara d'un
vieux pot de fer en guise tfoutou. Il voulut sauter par-dessus
la palissade , mais le poids du vase l'en empêcha , et il se diri-
gea vers la porte : alors M. Williams s'élança sur lui , il lui
arracha le pot des mains, et s'appuya le dos contre la porte
pour l'empêcher de s'enfuir; il appela aussi quelqu'un pour
emporter le pot que Toi tenta plusieurs fois de reprendre. En
même temps celui-ci agitait son mère et sa lance avec des
gestes furieux , tandis que M. Williams tenait ses bras croisés
en le regardant d'un air qui annonçait une résistance froide
et déterminée. Comme je guettais par la fenêtre avec un vif
sentiment de crainte, cette scène me rappela celle d'un homme
qui, attaqué par un taureau sauvage et furieux, fixa hardi-
ment ses yeux sur cette bête féroce, et la tint ainsi en échec.
Notre forgeron étant survenu et s'étant emparé du pot, poussa
Toi par les épaules; tout en cédant, celui-ci continua ses
494 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
menaces; malgré sa taille gigantesque, son agilité était sur-
prenante : il courait çà et là , la lance à la main , comme
un enfant qui joue à la crosse. En pareil cas, les guerriers de
la Nouvelle-Zélande sautent sur le côté , en se battant les
hanches et frappant du pied en mesure et avec des gestes
affreux : tantôt ils s'arrêtent tout court, tantôt ils s'accrou-
pissent, la poitrine gonflée et haletant avec force, comme
pour exciter leur rage au dernier degré de violence , avant de
donner le coup fatal.
M. Fairburn revint au moment où Toi s'assit pour reprendre
haleine, et ils parlèrent long-temps ensemble : Toi réclama
son outou, et déclara qu'il resterait là tout le jour, le lende-
main , et cinq autres journées encore; qu'il engagerait un
grand combat, et que le lendemain , « dix, dix, dix, et puis
dix hommes, levant en l'air ses doigts à chaque fois, arri-
veraient, mettraient le feu à la maison et brûleraient le ma-
gasin. » Quand MM. Williams et Fairburn purent dire un mot
à leur tour, ils lui répondirent : « Qu'est-ce que cela signifie,
monsieur Toi? Vous causez beaucoup; vous plaisantez, mon-
sieur Toi. »
Durant la prière, il resta plus tranquillement assis derrière
la maison , auprès du feu des naturels, c'est-à-dire de ceux
qui nous étaient attachés. Sa femme, quelques personnes des
deux sexes qui étaient venues avec lui, Apou, la femme de
Waraki, l'un de nos solides amis, et d'autres, regardaient par
la fenêtre, et un ou deux chefs s'assirent dans la chambre.
Tekokc, notre chef, était absent.
Après les prières , Toi' vint à la fenêtre , et, sans cérémonie,
mit la jambe dessus, en montrant son pied, et demandant le
outou pour le peu de sang qui en coulait. M. Williams lui
dit de s'en aller, et de revenir le lendemain comme un gent-
leman, de frapper à la porte comme MM. Tekokc , Walou ,
Houroto , Waraki , etc.; qu'alors il lui dirait: « Comment
vous portez-vous, monsieur Toï-Tapou? » et qu'il l'inviterait à
déjeuner avec nous. Celui-ci répondit qu'il avait trop de mal
PIECES JUSTIFICATIVES. i95
aux pieds pour pouvoir marcher ; il renouvela son intention de
pester là plusieurs jours et de brûler la maison ; après avoir parlé
quelque temps 9 il entra de nouveau dans une colère épouvan-
table. Nos amis, en regardant par la fenêtre, m'adressaient
souvent la parole, et s'écriaient l'un après l'autre : « Eh ! mère
(c'est le titre que les filles et les femmes du pays donnent par
amitié aux femmes des missionnaires) — Aire! mai (venez)
apopo (demain vous verrez un grand feu; la maison — Oh oui!
— Les enfans morts — tous morts — un grand nombre d'hom-
mes — un grand combat — beaucoup de mousquets). »
M. Williams rentra dans la maison, me pria de me coucher,
ferma les fenêtres, et recommanda au forgeron de veiller avec
soin. Les chefs, nos amis, s'enveloppèrent dans leurs nattes
fourrées, et allèrent dormir sur des paquets de taihepa. Tandis
que nous nous mettions au lit, Toi commença à chanter, ou
plutôt à hurler d'un ton lugubre certaines paroles, et M. Fair-
burn nous apprit qu'il le faisait pour jeter un charme sur
nous; car ce malheureux, victime de la superstition et esclave
de Satan, imaginait, par ce moyen, rendre notre mort infaillible.
Nous fûmes éveillés de grand matin par les cris de Toi et
d'aulres naturels , qui ne cessèrent d'arriver jusqu'au moment
où notre habitation en fut tout-à-fait environnée. Avant de
déjeuner, M. Williams avait été obligé de pousser Toi de
force hors de la cour, parce que , dans un transport de rage ,
il s'était saisi d'un pauvre petit chevreau. Au déjeuner, j'avais
préparé du thé pour plusieurs de nos amis, et, curieux de
voir comment Toi le recevrait, nous lui en envoyâmes une
pinte toute pleine hors de la porte, où il se tenait assis par
terre avec une gravité taciturne, entouré d'une foule de ses
partisans qui s'étaient assemblés pour le combat. Au travers de
la palissade, nous le vîmes boire son thé, et j'eus l'espoir que
cela pourrait le rafraîchir ; mais il ne tarda pas à gambader
de nouveau dans la cour, avec plusieurs autres guerriers à
figures hideuses, armés de lances et de haches d'armes, et
quelques-uns de mousquets.
iOfi PIECES JUSTIFICATIVES.
Nos jeunes filles du pays étaient toutes dehors; madame
Fairburn et moi nous étions prisonnières chez nous, et nos
fenêtres furent tout le jour masquées par les tètes des naturels
qui regardaient chez nous. J'en fus bientôt excédée, et leurs
remarques cessèrent de m'amuscr : il faisait extrêmement chaud,
et nous étions privées du grand air. Les pauvres enfans com-
mençaient à languir par défaut d'air et de liberté.
Vers cinq heures, M. Williams, qui s'était rendu au milieu
des naturels , vint à la fenêtre de la chambre à coucher , et
nous dit que tout était plus tranquille et que les naturels se
dispersaient. En conséquence, je fis passer deux des enfans par
la fenêtre ; mais à peine leurs pieds touchaient à la terre ,
qu'on entendit tout-à-coup des coups violens qui semblaient
appliqués derrière le magasin ; on eût dit qu'on voulait ouvrir
une brèche au travers des murs de bois. Les enfans furent re-
placés en hâte dans la chambre, et M. Williams courut sur
le terrain. Le tumulte et les clameurs devinrent très -grands.
Les enfans étaient fortement persuadés que les naturels allaient
tuer leur père. Comme j'étais assise au milieu de la chambre
à coucher, avec un enfant au sein et les trois autres collés
contre moi , je vis par la petite fenêtre de la salle , une fois la
première émeute passée , un homme pointer son fusil vers la
maison, prêt à faire un effort pour y entrer, et mon mari se
jeter au-devant de lui. Alors mes craintes furent portées au
plus haut degré; cependant je conservai assez de courage pour
résister aux souffrances qui vinrent déchirer mon ame dans
ce moment terrible. Les chers enfans, criant et sanglottant,
tombèrent à genoux, et répétèrent avec moi une prière ins-
pirée par la circonstance. Le bruit continua; ils secouèrent
plusieurs fois nos faihles murailles de bois, mais la maison
résista et les enfans devinrent plus calmes. Je voulus rassurer
l'aîné, en lui disant que plusieurs des naturels étaient de nos
amis, et qu'ils tâcheraient de sauver papa. « Oh! maman,
s'écria l'enfant, que nos amis sont d'effrayantes créatures ! »
Les femmes en dehors défendaient l'accès de notre fenêtre.
PIECKS JUSTIFICATIVES. 497
en criant de temps en temps : « Eh modeler ! eh modderl te na
ra ko koe modder! (mère! mère! prenez courage, mère!) »
Enfin Apou vint nous montrer sa bonne et affectueuse figure,
en m'annonçant que le combat était fini pour la journée; que
tous les hommes étaient partis, et qu'elle s'était vaillamment
battue pour nous; car les femmes combattent aussi à la Nou-
velle-Zélande. Je débarrai de bon cœur la porte, pour laisser
entrer M. Williams qui nous dit que tout était fini. Cette se-
conde querelle avait été tout-à-fait distincte de la première.
Durant la dernière affaire, Toi était resté en repos, et pen-
chait même en quelque sorte pour nous. Pour complaire aux
vœux réunis des chefs nos amis , le pot en litige lui avait été
donné, et il était retourné chez lui.
ÇMissionnary Registcr, décembre 1826, pag. 6i3 et suivï)
Le 24 janvier 1825, le petit schooner le Herald, de cin-
quante-cinq à soixante tonneaux, construit par les mission-
naires de la Nouvelle-Zélande à Pahia, fut lancé heureusement
aux acclamations des naturels. Le 20 février il partit pour son
premier voyage, et arriva à Sydney le 7 mars; il quitta
Sydney le 18, et fut de retour à la baie des Iles le 25 du
même mois. Ce petit navire se trouva avoir d'excellentes qua-
lités. Ce fut à cette époque que Rangui-Touke, fils de Tekoke,
alla à Port-Jackson où il resta quelque temps... Le Herald se
perdit à l'entrée du Shouki-Anga, le 6 mai 1828.
(JMissionnary Register, décembre 1826, pag. 617
et 619, et décembre 1828 , pag. 63o.)
Voici le récit des événemens qui amenèrent la ruine de
la Mission de Wangaroa au commencement, de l'année
1827 :
La mission Wesleyenne sur la Nouvelle-Zélande fut com-
mencée au mois de juin i823. Elle était établie dans une belle
TOME III. 32
498 IMECES JUSTIFICATIVES.
et fertile vallée, aujourd'hui nommée Wcsley-Dale, et située à
sept milles environ de l'embouchure d'une rivière qui se dé-
charge dans la baie deWangaroa , et à vingt milles à peu près
à l'ouest de Kidi-Kidi , l'établissement le plus voisin de la
société des missionnaires de l'Eglise dans la baie des Iles. On
avait élevé une maison solide et commode, avec une grange,
un atelier de charpentier et diverses autres bâtisses accessoires.
On avait formé un excellent jardin d'un bon rapport; son
étendue, jointe à celle d'une pièce de terre cultivée en blé,
comprenait environ quatre acres. Tout l'établissement était
environné d'une belle palissade, et présentait un honorable
échantillon de la civilisation anglaise au milieu d'un peuple
barbare.
Les naturels qui occupaient la vallée montaient à près de
deux cents, et prenaient le nom de tribu de Ngate-Oudou ;
ils avaient à leur tête plusieurs chefs, et le principal était
Tcpouhi. A la distance de vingt milles demeurait une autre
tribu, appelée Ngate-Po, qui comptait six ou sept cents
hommes. Les travaux des missionnaires s'étendaient aux natu-
rels de ces deux tribus.
Nous commencions à éprouver des encouragemens dans ces
travaux ; la partie la plus fatigante et la plus désagréable de
notre entreprise avait été accomplie, et nous avions de grandes
espérances de la voir prospérer et s'accroître. Du reste, cet
avenir florissant, par les décrets mystérieux de la Providence,
s'est tout-à-coup obscurci , et nos brillantes espérances se sont
évanouies, du moins pour le moment.
Durant quelque temps, différens bruits avaient circulé dans
la vallée , touchant certains projets que le célèbre chef Shon-
gui avait en vue. Les uns prétendaient qu'il avait envoyé
l'ordre à Tcpouhi de se retirer sur un autre point du pays,
pour lui faire place, car il avait l'intention de prendre pos-
session de notre vallée ; suivant d'autres, Shongui voulait fixer
sa résidence dans le pays de Ngate-Po. Bien qu'on ne pût
ajouter une foi entière à ces bruits vagues, il était évident que
PIÈCES JUSTIFICATIVES. i99
Shongui méditait quelque opération importante, et, d'après
ce qu'on connaissait de son caractère, les plus avisés conjec-
turaient que ses desseins ne pouvaient être que médians.
Cet homme extraordinaire avait presque été réduit au dé-
sespoir par divers malheurs domestiques tout récens. Son fils
aîné, jeune homme qui promettait beaucoup et sur lequel se
réunissaient toutes ses espérances, avait été tué dans une ba-
taille. Sa fille aînée était morte de consomption; tandis qu'elle
était malade, son mari avait été surpris dans un commerce
incestueux avec la femme favorite de Shongui; cette femme
se pendit, aidée dans cette action par la sœur même de Shon-
gui , qui , pour ce crime , manqua aussi perdre la vie ; car son
frère, furieux, tira deux fois sur elle, mais la manqua à chaque
coup. Une autre de ses femmes fut tuée malgré lui, pour sa-
tisfaction de la mort de l'adultère , et le coupable amant mit
fin à son existence en se tirant un coup de fusil au travers du
corps. Ces affreuses calamités brisèrent le cœur de Shongui ,
et quelques-uns des naturels, se conformant à la coutume gé-
nérale qui est d'opprimé?- un homme quand il est dans la dé-
tresse, en profitèrent pour le dépouiller de ses propriétés.
Par suite de ces événemens, son esprit fut poussé au plus
haut point d'exaspération, et il résolut d'abandonner les lieux
qui avaient été pour lui le théâtre de tant d'infortunes, et qui
les rappelaient sans cesse à sa mémoire. Dans un pareil état
de fureur et d'irritation , il était fort à craindre que partout
où ce chef porterait ses pas, il n'y fût accompagné par la
guerre et les massacres. Il avait suffi des soupçons vagues qui
s'étaient répandus autour de nous touchant son intention de
venir dans le voisinage , pour semer partout l'alarme et la
consternation.
Enfin nous reçûmes la nouvelle qu'il s'était mis en route
pour le havre de Wangaroa , mais que les vents contraires
l'avaient contraint de relâcher à Rangui-Hou, où se trouvait un
établissement des missions de l'Église , occupé par MM. King
et Shepherd. Tandis que l'expédition se trouvait sur ce point,
32*
.500 PIECES JUSTIFICATIVES.
le bruit courut aussi que quelques-uns de ceux qui en fai-
saient partie avaient exprimé le dessein de piller notre habi-
tation : nous conçûmes déjà quelques craintes, et, sans ajouter
foi à tout ce qu'on nous disait, nous ne pûmes nous empêcher
de sentir que notre situation devenait inquiétante.
Le jeudi soir, 4 janvier 1827, tandis que nous assistions à
l'office divin avec les naturels attachés à notre service, nous
fûmes troublés par la nouvelle si long-temps redoutée qui
annonçait l'arrivée de Shongui dans le havre. Ce fut le père
d'un jeune garçon au service de la Mission qui apporta ces
nouvelles, et qui venait avertir son fils de chercher avec lui
son salut dans la fuite. Tout fut alors sens dessus dessous, et
l'anxiété fut très-grande , car les véritables intentions de Shon-
gui étaient encore enveloppées d'un voile mystérieux. La nuit
suivante tout rétablissement retentit des cris des naturels. Te-
pouhi, de concert avec son frère et plusieurs des principaux
personnages, accompagnés de leurs esclaves, s'enfuirent à
Shouki-Anga , place distante de quarante milles environ.
Le dimanche malin, la fille de Shongui et la femme de
Tareha , l'un de ses principaux alliés, avec plusieurs de leurs
partisans, remontèrent la rivière. Elles venaient nous appren-
dre que Shongui n'avait point le projet de visiter notre village,
bien qu'il fût irrité contre Tepouhi pour avoir pris la fuite;
elles demandaient en même temps que quelques-uns de nos
guerriers allassent assister Shongui dans l'attaque qu'il se pro-
posait de tenter le jour même contre les Ngate-Po. Pour mieux
les déterminer, on leur rappelait l'obligation de tirer ven-
geance de cette tribu, pour avoir massacré quelques-uns de
leurs amis peu d'années auparavant. Les hommes de Ngate-
Oudou se prêtèrent volontiers à cette requête; sur-le-champ
ils descendirent la rivière, charmés de voir que l'orage qui
semblait les menacer allait éclater sur la tête de leurs voisins.
Le lundi nous apprîmes qu'une escarmouche où deux ou
trois hommes avaient été tués, avait eu lieu entre le parti de
Shongui et celui des Ngate-Po; que le premier avait élé re-
PIECES JUSTIFICATIVES. 601
pousse (lu j)à ou forteresse situé sur le sommet d'une eollinc
élevée et presque inaccessible, où les Ngate-Po avaient pris
position, et qu'un engagement général et plus sérieux était
remis au lendemain.
Nos guerriers revinrent dans ee jour du eliamp de bataille,
pour chercher leurs femmes et leurs enfans. Pour raison de
celte démarche, ils prétendirent que si quelques-uns de leurs
ennemis apprenaient que leurs femmes et leurs enfans étaient
demeurés sans défense, ils viendraient les faire périr, et qu'ils
avaient des sujets de soupçonner d'un projet semblable la
tribu de Rarawa , pour leur demander outou ou satisfaction
de leurs hostilités contre les Ngatc-Po. En conséquence, dans
la soirée, tous les naturels s'embarquèrent dans leurs pirogues,
emportant avec eux tous leurs effets, et ils descendirent la
rivière pour aller rejoindre l'armée dans le havre. Ils nous
quittèrent avec toutes les marques d'une amitié apparente et
d'un intérêt réel pour notre salut : ils nous déclarèrent que
nous devions nous attendre à être pillés, mais qu'ils espéraient
que nos vies seraient respectées.
Abandonnés désormais à nous-mêmes et tout-à-fait à la
merci des maraudeurs de chaque parti qui voudraient abuser
de notre position , le mardi matin nous nous décidâmes à ins-
truire nos amis de la baie des Iles de l'état de nos affaires,
et à réclamer leur assistance. Mais vers midi, comme nous
étions occupés à leur écrire, dix ou douze hommes armés
appartenant aux Nga-Pouis, qui forment la tribu de Shongui,
débarquèrent d'une pirogue , dans laquelle ils étaient venus
du havre, et, après avoir franchi notre palissade, ils s'avan-
cèrent vers la maison. Nous marchâmes au-devant d'eux, et
leur demandâmes ce qu'ils désiraient. Us répondirent : « Nous
sommes venus pour emporter vos effets et brûler vos maisons;
car votre place est abandonnée, et vous êtes un peuple brisé. »
Heureusement pour nous , plusieurs des hommes de cette
bande étaient connus de miss Davis, jeune dame de la mis-
sion de l'Eglise, qui se trouvait alors en visite chez nous.
502 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Quand ils la virent , ils furent visiblement intimidas ; car ils
craignirent, s'ils commettaient quelque violence contre nous,
que quelques-uns de leurs chefs ne prissent notre parti et
ne les punissent, d'autant plus que le chef de leur troupe
n'était qu'un prisonnier, et qu'en conséquence il n'avait au-
cun droit pour se hasarder à une entreprise de ce genre. Du
reste, ils se montrèrent fort importuns, et nous dérobèrent
plusieurs cochons. Voyant qu'ils ne pouvaient pas tromper
notre vigilance , ils se dirigèrent vers les plantations des na-
turels, où ils trouvèrent quantité de patates douces qu'ils enle-
vèrent. A leur retour, ils nous firent une seconde visite, et
furent encore plus importuns qu'auparavant; ils enfoncèrent
une de nos maisons et essayèrent de piller tout ce qui leur
tomba sous les mains. Avant de nous quitter, ils nous signi-
fièrent que nous pouvions nous attendre à un pillage général
pour le lendemain. Un jeune naturel, qui était resté avec
nous, leur entendit dire que leur troupe était trop faible pour
nous voler; que s'ils le faisaient, ils se feraient remarquer, et
courraient le risque d'être tués; mais que s'ils étaient en plus
grand nombre, ils partageraient le blâme comme le butin, et
pourraient alors nous dépouiller de toutes nos propriétés sans
retard.
A dix heures du soir, M. Stack partit pour Kidi-Kidi, por-
tant à nos frères de l'établissement de l'Eglise une lettr;-, pour
les instruire de ces événemens et demander leur assistance.
Vers onze heures , comme nous allions nous coucher, deux
des femmes attachées à notre service, qui, la veille, avaient été
emmenées par leurs païens, se présentèrent à notre porte.
Elles venaient d'arriver du havre ; elles nous apprirent que les
Ngatc-Po avaient abandonné le pâ , et qu'une division de
l'armée de Shongui était à la poursuite des fugitifs. Dans le pâ,
on avait trouvé deux vieilles femmes qui avaient été sur-le-
champ massacrées; le corps d'une jeune esclave qui avait péri
dans le même temps avait été rôti et mangé.
Le mercredi matin, io janvier, au point du jour, Lue Wade,
P1LCES JUSTIFICATIVES. 503
notre domestique européen , aperçut un petit nombre de
naturels qui venaient de notre côté. Il nous en donna aussitôt
avis ; durant le temps nécessaire pour mettre nos habits et sor-
tir de la maison , une vingtaine de sauvages armés de mous-
quets, de lances et de haches, entrèrent sur le terrain de la
Mission , et se précipitèrent vers l'habitation. Leur ayant de-
mandé quel était leur dessein , ils dirent : « Nous venons
pour combattre. — Mais pourquoi cela ? — Votre chef s'est
enfui et tous vos hommes ont quitté l'endroit, avant midi
vous allez être dépouillés de ce que vous possédez et on va com-
mencer tout de suite. » Oro, le chef qui nous fit cette déclaration
et dont la résidence est à Waï-Mate , commanda en même
temps au reste de la bande d'enfoncer une petite case qui
était occupée par Luc Wade. Cet ordre fut promptement exé-
cuté; en un quart-d'heure , ils eurent, non-seulement enfoncé
ce petit bâtiment, mais encore le magasin des patates et des
instrumens, la cuisine, le grenier et l'atelier du charpentier,
et ils emportèrent tout ce qu'ils trouvèrent. Aussitôt que ce
pillage eut commencé , il y eut plusieurs coups de feu de tirés ;
il paraît que c'était un signal convenu, car en quelques mi-
nutes une foule de naturels vint se joindre à cette bande de
voleurs.
Convaincus de l'impossibilité de réprimer leurs violences,
nous nous renfermâmes dans la maison principale et nous
nous préparâmes à quitter la place, attendu que cette démarche
allait devenir indispensable. Dans cette circonstance, plusieurs
jeunes garçons, qui avaient été sous nos soins, vinrent nous
témoigner le regret qu'ils éprouvaient en voyant ce qui nous
arrivait, et s'offrirent à nous accompagner. Nous acceptâmes
avec joie cette proposition, considérant que leur secours nous
serait très-utile pour le transport des enfans. Nous prîmes à la
hâte quelques rafraîchissemens et nous tînmes quelques effets
tout prêts pour notre voyage, résolus toutefois à ne quitter
l'établissement qu'au moment où nous serions réduits à la der-
nière extrémité.
504 PIECES JUSTIFICATIVES.
Tandis que nous étions livres à cette triste perplexité , les
pillards, ayant vidé tous les bâtimens secondaires, commen-
cèrent à jeter bas les fenêtres et les portes de la maison princi-
pale ; ils pénétrèrent dans toutes les chambres et s'emparèrent
de tous nos effets. Les jeunes naturels qui devaient nous ac-
compagner parurent fort alarmés, et nous pressèrent de par-
tir, assurant que, pour peu que nous tardassions encore, nous
ne pourrions échapper qu'avec notre peau seulement, voulant
dire par là que nous serions dépouillés des habits même que
nous portions. Mais , quoique notre situation fût extrêmement
périlleuse, nousbalancionsencore; car nous éprouvions la plus
grande répugnance à abandonner un établissement auquel nous
avions consacré tajit de soins et de travaux et qui nous était
devenu cher sous tant de rapports intéressans. Enfin la der-
nière lueur d'espoir s'évanouit : nous (urnes complètement
convaincus que la crise fatale était arrivée et qu'un devoir im-
périeux nous forçait de fuir pour sauver nos vies. En consé-
quence \ers six heures, lorsque cette œuvre de pillage et de
dévastation durait depuis une heure et plus avec une fureur
aveugle et continuelle, nous nous mîmes en route, et le cœur
oppressé, nous dirigeâmes nos pas vers Kidi-Kidi, la plus
voisine des stations qui appartenaient à la mission de l'Eglise.
Notre troupe se composaitdes deux missionnaires, MM. Tui-
lier et Hobbs , de madame Turner qui n'était accouchée que
depuis cinq semaines et qui était encore très-faible; trois petits
enfans , miss Davis , Luc Wade , domestique anglais , sa
femme qui avait été grièvement malade durant plusieurs
semaines, et qui pouvait à peine marcher, cinq garçons et
deux jeunes filles du pays, complétaient la totalité qui montait
à seize personnes. Nous avions à faire un voyage de vingt
milles au travers d'un pays montagneux et très-raboteux. Cer-
taines hauteurs sont si escarpées, que sans les racines des
arbres qui forment comme des degrés, elles seraient presque
inaccessibles.
Ce ne fut pas sans éprouver de vives inquiétudes sur la pos-
PIECES JUSTIFICATIVES. 505
sibilité d'effectuer un si long voyage, que nous l'entreprîmes;
les plus forts soutenaient les faibles et tous se confiaient dans
l'aide de la divine providence. La route conduisait d'abord à
une vallée au milieu de laquelle une rivière coule en serpen-
tant; il fallut la traverser plusieurs fois, et nous fûmes obligés
de transporter les femmes dans nos bras. Après avoir encore
marché l'espace d'un mille , nous rencontrâmes trois des habi-
tans qui avaient quitte la vallée où nous résidions le vendredi
précédent : ils nous apprirent qu'une troupe considérable,
composée de mille guerriers, arrivait de Shouki-Anga et se
trouvait tout proche; qu'ils étaient suivis par Tepouhi et
plusieurs de ses gens, et que leur but était de soustraire la
femme et les enfans de Tepouhi aux atteintes de Shongui pour les
conduire dans un lieu de sûreté. Ils nous pressèrent fortement
de nous déranger de la route et de nous cacher, soutenant que
si cette troupe nous rencontrait, elle nous massacrerait très-
certainement. Nous n'avions aucun sujet de douter de la nou-
velle qu'ils nous donnaient, maisnous avions de puissans motifs
pour nous défier de leur avis, car nous connaissions ces gens
pour être de très-mauvais sujets. L'un d'eux avait tenté, deux
ans auparavant , d'assassiner M. Turner; et nous savions qu'un
autre était ce même homme qui avait eu la perfidie de con-
duire deux hommes de l'équipage du Boyd dans un endroit
où ils furent tués et mangés. Nous étions fort embarrassés de ce
que nous devions faire ; mais comme il n'y avait pas de temps
à perdre, nous tournâmes sur le côté pour nous cacher. Nous
n'étions pas loin quand ces hommes nous ordonnèrent de
nous asseoir; cela ranima nos soupçons, attendu que de cet
endroit nous pouvions être facilement aperçus de la route.
Ces soupçons se trouvant fortifiés par la conduite singulière
de ces hommes sous d'autres rapports, nous fûmes portés à
croire que leurs intentions étaient perfides; c'est pourquoi,
nous nous décidâmes a regagner la route, et, à tout hasard , à
poursuivre notre voyage. Avant d'atteindre le sentier, nous
fûmes contens de rencontrer deux autres naturels qui pou-
506 PIECES JUSTIFICATIVES.
vaient nous inspirer plus de confiance : ils nous confirmèrent
la nouvelle de l'arrivée prochaine de l'armée de Shouki-Anga,
et nous conseillèrent de nous arrêter jusqu'à ce qu'elle eût
passé. Néanmoins nous nous résolûmes à continuer notre
route, et nous décidâmes l'un d'eux, qui était un chef de nos
amis dans la haie des Iles, à nous accompagner. Alors, sans
hésiter davantage , nous nous remîmes en marche , hien que
nos esprits fussent encore agités des plus vives inquiétudes.
Bientôt, à un détour de la route, nous nous trouvâmes tout
près de l'armée qui nous était annoncée. Sans être aussi nom-
breuse qu'on l'avait représentée, elle offrait cependant un
aspect formidable : elle se composait de plusieurs centaines
d'hommes qui marchaient en troupe serrée, en ordre et dans
le plus profond silence, armés de mousquets, de baïonnettes
et de haches à long manche. Ce fut un instant critique pour
nous, car nous ignorions si ces naturels allaient se conduire
en amis ou en ennemis : Ware-Nouï leur cria de s'arrêter, ce
qu'ils firent à l'instant. Alors il instruisit les chefs qui mar-
chaient à la tête de la troupe, de la position où nous nous
trouvions ; sur cette explication , les chefs nous parlèrent avec
amitié et nous sommèrent de nous placer les uns près des
autres, au bord de l'eau, et de nous tenir assis ou à genoux.
Nous obéîmes, persuadés, nous devons l'avouer, que leur in-
tention était de nous massacrer : cependant, à notre inexpri-
mable joie , ils se formèrent en cercle autour de nous et ordon-
nèrent à leurs compagnons de passer outre, nous protégeant
ainsi contre ceux qui eussent été disposés à nous maltraiter. En
outre, dans la crainte que nous ne fussions exposés à de nou-
veaux dangers de la part de quelques traîneurs qui se trou-
vaient à une certaine distance de l'arrière-garde, un de ces chefs
bienveillans se joignit à nous et nous accompagna jusqu'à ce
que nous eussions dépassé le reste de l'armée. A sept milles
environ de Wesley-Dalc, nous rencontrâmes MM. Stack et
Clarke, qui venaient à notre secours, avec douze naturels.
M. Stack était arrivé à Kidi-Kidi entre quatre et cinq heures
PIECES JUSTIFICATIVES. 507
du matin ; à lu lecture de notre lettre , MM. Kenip et
Gktrke inani lestèrent le plus vif intérêt pour notre sort, et se
préparèrent à nous secourir sur-le-champ. Sans perdre un
instant ils expédièrent un messager à Pallia , et un autre
à la station des missionnaires de l'Eglise, à quinze milles
de Kidi-Kidi , pour annoncer aux frères de cette station ce qui
était arrivé et réclamer leur assistance. En même temps, la
compagnie que nous avions. eu le plaisir de rencontrer s'était
mise sans retard en route pour Wangaroa. Le récit de nos
dangers et de nos désastres pénétra l'ame de nos amis d'un pro-
fond chagrin , et leur rencontre devint pour nous une source
de consolations, car elle nous procurait les secours dont nous
éprouvions la plus pressante nécessité. Avant d'arriver à Kidi-
Kidi, nous vîmes aussi arriver les amis de Pahia , qui se com-
posaient du révérend H. Williams, de M. R. Davis et de M. W.
Puekey, accompagnés par M. Hamlin et plus de vingt naturels.
Nous fûmes étonnés de la célérité avec laquelle nos tendres et
excellens amis étaient accourus à notre secours, attendu que dix-
huit heures s'étaient à peine écoulés depuis le départ de M. Stack
de Wesley-Dale , et que Pahia est éloigné de près de quarante
milles de cet endroit. Le reste du chemin, d'un mille envi-
ron , se fit heaucoup plus aisément; car les naturels portèrent
mesdames T/urner, Davis et Wade, qui étaient tout-à-fait ex-
ténuées de fatigue : la dernière s'était évanouie deux fois sur la
route. Sur les sept heures du soir, après une journée passée
dans une fatigue excessive et dans les dangers lcsplusimminens,
nous atteignîmes un asile amical, pénétrés de reconnaissance
envers Dieu pour notre conservation miraculeuse, et envers
nos frères de la mission de l'Eglise pour leur tendre intérêt et
leur généreuse assistance.
Tels sont les événemens qui se rattachent à la destruc-
tion de notre mission. Il est peut-être bon d'y ajouter
quelques détails qui arrivèrent à notre connaissance, tandis
que nous étions à la haie des lies, touchant ce qui ce passa
à Wangaroa après notre départ, et l'état actuel des affaires
.508 PIECES JUSTIFICATIVES.
en général sur la partie septentrionale de la Nouvelle-Zélande.
Le jeudi, 11 janvier, nous nous retirâmes à Pahia. Là,
nous trouvâmes nos frères fort inquiets de l'esprit de trouble
et de conquête qui animait les naturels , et surtout de certaines
menaces alarmantes qui avaient été proférées contre la tribu
de Pahia. Si elles venaient à être mises à exécution , ils devaient
se trouver inévitablement exposés aux mêmes désastres que
nous venions d'essuyer ; en conséquence, ils commencèrent à
emballer sur-le-champ ceux de leurs effets qui pouvaient l'être,
dans l'intention de les envoyer à Sydney, pour éviter qu'ils
tombassent entre les mains des naturels.
Le vendredi nous reçûmes un billet de MM. Clarke et
Kcinp de Kidi-Ridi, qui nous assurait qu'ils avaient eu l'avis
que Shongui avait reçu une blessure dangereuse, en poursui-
vait les Ngate-Po dans leur fuite; que cette nouvelle avait
produit un grand trouble parmi les habitans de leur station ;
que plusieurs d'entre eux étaient allés au secoursdu chef blessé,
et que les autres se préparaient à les suivre; que deux des prin-
cipaux personnages leur avaient assuré que, dans le cas où
Shongui mourrait ou serait dangereusement blessé, les habi-
tans de Kidi-Kidi seraient certainement pillés; et que, comme
ils auraient assez à faire pour se défendre eux-mêmes, ils ne
pouvaient promettre de protéger les missionnaires. Celte nou-
velle était accompagnée de la prière de leur envoyer sur-le-
champ deux canots pour sauver les effets les plus précieux de
la Mission.
Le dimanche on apporta une lettre des frères de Kidi-
Kidi, qui nous informait qu'un courrier était arrivé dcShouki-
Anga pour leur annoncer la mort de Shongui ; ils s'attendaient
à chaque instant à voir paraître une troupe qui, disait-on,
venait pour les piller; et ils demandaient qu'on leur envoyât
sans délai un canot pour madame Clarke, ce qui fut exécuté.
Au point du jour, le lundi malin, le canot qui la veille au
soir était parti pour aller prendre madame Clarke , parut en
vue, avec un pavillon rouge en tête du mât; c'était le signal
PIECES JUSTIFICATIVES. 509
dont on était convenu si, à l'arrivée du canot à Kidi-Kidi, la
nouvelle de la mort de Shongui paraissait être authenti-
que. L'aspect de ce signal produisit une forte sensation , et
l'on déploya la plus grande activité pour mettre en sûreté, à
bord du navire , les objets de la Mission.
Le mercredi 17, nous allâmes à Rangui-Hou. Là nous
rencontrâmes quelques naturels qui venaient d'arriver deWan-
garoa où ils étaient allés, faisant partie d'une expédition com-
mandée par les chefs Waï-Kato et Ware-Porka. Leur but était
de réclamer des patates, et satisfaction de la perte que leur
avait fait éprouver le parti de Shongui , tandis qu'il se trou-
vait campé dans leur voisinage. Par ces gens, nous apprîmes
qu'au moment où la troupe de Shouki-Anga que nous avions
rencontrée le 10 pendant notre fuite, arriva à notre établisse-
ment , ceux qui la composaient chassèrent les premiers pil-
lards qui appartenaient au parti de Shongui. Ceux-ci ne purent
emporter que la plus légère portion du butin, et les autres
s'emparèrent du reste, et retournèrent le lendemain matin à
Shouki-Anga, chargés de ces dépouilles. Les bâtimens de la
Mission , ainsi qu'une centaine de boisseaux de blé en paille
que nous venions de ramasser dans la grange, avaient été ré-
duits en cendres. Le bétail, composé de huit bêtes, les chè-
vres, la volaille, etc., avaient été tués. Les têtes, les pieds, et
d'autres parties des bestiaux , étaient étendus çà et là sur le sol ,
confondus avec d'autres objets que les pillards n'avaient pas
jugé mériter la peine d'être emportés. Non contens de ce qu'ils
avaient trouvé à leur disposition, ces barbares avaient déterré
le corps de l'enfant de M. Turner, inhumé quelques mois au-
paravant, uniquement pour s'emparer de la couverture dans
laquelle ils supposaient qu'on l'avait enseveli; et ils avaient
laissé le corps de ce pauvre enfant exposé en plein air, comme
un monument de leur impitoyable cruauté. Ces gens nous
apprirent aussi que Shongui n'était point mort, mais qu'une
balle lui avait traversé le corps. Elle avait brisé l'os du cou;
elle avait pénétré dans le côté droit de la poitrine, suivant
510 PIECES JUSTIFICATIVES.
une direction oblique, et était sortie près de l'épine dorsale,
un peu au-dessous de l'omoplate. A son retour, après avoir
poursuivi les Ngate-Po, sa principale femme , Toudi , était
morte à Wangaroa. L'héroïsme et le jugement de cette femme
étaient admirables, et ses talcns pour la guerre étaient si sur-
prenans, que, nonobstant sa cécité et d'autres infirmités de
l'âge, elle accompagnait constamment son mari dans ses ex-
péditions guerrières.
Le 19, il arriva quelques naturels du S. E. de l'île; ils
racontaient que les nouvelles des malheurs de Shongui y
avaient été reçues avec tous les témoignages de la joie et du
triomphe. Ce n'étaient que chants et danses durant tout le
jour et toute la nuit, sans interruption; au cas où il mour-
rait, on devait s'attendre à voir paraître dans la baie des Iles
une armée considérable de ces districts, pour se venger des
atroces persécutions que ce chef avait exercées sur ces peuples.
Ce soir, le révérend H. Williams reçut une lettre du capi-
taine Hurd, du vaisseau le Rosanna, au service de la compa-
gnie de la Nouvelle-Zélande, alors mouillé à Shouki-Anga,
par laquelle ce capitaine exprimait poliment le regret sincère
qu'il avait ressenti en apprenant nos désastres, et nous offrait
généreusement un passage pour Sydney, et tous les autres ser-
vices qui dépendaient de lui. Une pareille honnêteté, mani-
festée par un étranger, dans une position aussi critique qu'était
devenue la nôtre , excita dans nos cœurs les plus vifs sentimens
de gratitude et de considération.
Le 21, un chef de Waï-Tangui déclara que Shongui allait
probablement expirer. Les naturels s'attendaient à voir arriver
le lendemain une troupe armée pour les tailler en pièces;
mais ils étaient déterminés à combattre pour se défendre, et
ils voulaient avoir la consolation de tuer quelques-uns de leurs
ennemis, avant d'être eux-mêmes massacrés. Ils ajoutaient que
les habitans de Wangaroa avaient obtenu une grande satisfac-
tion pour leurs morts, en faisant périr un ennemi aussi redou-
table que Shongui.
PIECES JUSTIFICATIVES. 511
Le lundi 22 , les naturels s'assemblèrent en troupes autour
des hàtimcns de la mission de Pallia : les frères commençaient
à suspecter leurs intentions, mais ils se dispersèrent tout-à-
coup le jour suivant. Waï-Kato et Warc-Porka, deux chefs
de nos amis à Rangui-Hou , dirent que si Shongui mourait,
ils seraient sans aucun doute attaqués par leurs ennemis; mais
que les Européens et eux devaient succomber ensemble.
Les missionnaires de l'Église jugèrent leur situation à
la Nouvelle-Zélande si précaire, qu'ils embarquèrent en-
viron vingt tonneaux de leurs effets à bord du Sisters, pour
être transportés à Sydney. Le reste de ceux qui étaient encore
de quelque valeur et dont on n'avait pas un besoin immédiat
fut enfoui sous terre, ou transporté sur un navire mouillé
dans la baie. Ils adoptèrent ces mesures de précaution, pour
mettre en sûreté ce qui deviendrait nécessaire à leur voyage;
car il n'était pas invraisemblable qu'ils fussent obligés de s'en-
fuir à Port-Jackson; et ils craignaient, en cas d'une invasion
soudaine de la part des naturels, d'être dépouillés de tout,
comme nous l'avions été.
Le mercredi 24 5 on reçut une lettre de M. Clarke, de Kidi-
Kidi , annonçant que les courriers qu'on avait envoyés à Shon-
gui avaient rapporté la nouvelle que ce chef allait probable-
ment se rétablir, et qu'il avait presque entièrement détruit la
tribu des Kaï-Tangata , qui résidait sur la côte occidentale du
havre deWangaroa. Dix personnes seulement de cette mal-
heureuse tribu passaient pour avoir échappé au massacre. Le
% ieux Matapo qui en était le chef, et qui avait été le principal
acteur dans le pillage du brick Mercury, se trouvait parmi les
tués. L'avis que Shongui donnait aux missionnaires de Kidi-
Kidi était de rester dans leur station tant qu'il vivrait, mais
de s'enfuir dans leur patrie aussitôt qu'il viendrait à mourir.
Dans ce district, toutes les querelles étaient terminées, et les
naturels se retiraient chacun chez soi. Peu de jours après, la
tête de Matapo fut exposée sur une perche dans la baie des
Iles , comme un trophée des succès de Shongui.
512 PIECES JUSTIFICATIVES.
Quand nous quittâmes la Nouvelle-Zélande, le 28 janvier,
une armée considérable, commandée par le chef Tareha, était
mouillée sur la baie de Korora-Reka, dans la partie orientale
de la baie des Iles. Elle formait une escadre si formidable,
que lorsqu'elle se dirigea sur le Sisters, le capitaine Duke jugea
à propos de tirer deux coups de canon de six par-dessus les
pirogues, pour les empêcher d'approcher. On ne connaissait pas
leurs intentions réelles; mais leur chef Tareha est un de ceux
qui avaient menacé la tribu de Pahia : aussi les habitans de ce
canton se trouvaient dans une grande inquiétude.
Nous nous dispenserons d'exprimer notre opinion, quant au
résultat de cet état de troubles et d'anxiété, bien que nous ne
puissions nous empêcher de craindre que les conséquences
immédiates n'en soient désastreuses. Cependant nous ferons
observer attentivement que notre mission à la Nouvelle-Zé-
lande, pour être suspendue, n'est point du tout abandonnée.
Tout en reconnaissant les obstacles qui s'opposent pour le mo-
ment à ses progrès, nous sommes convaincus qu'elle pourra
être reprise avec de justes espérances d'une utilité durable et
étendue.
( Missionnary Register, juillet 1827, pag. 338 et sitiv. )
Quelque temps après ces événemens, M. .1. Kemp
écrivait :
L'opinion générale des naturels est que Shongui mourra ;
et plusieurs d'entre eux pensent que c'est par suite des en-
chantemens que quelques naturels de l'ouest ont fait pour
l'empêcher d'aller les tuer. S'il meurt, le peuple qui passe
pour avoir opéré ces charmes, sera châtié, s'il ne peut résister
à ses ennemis; et, sans aucun doute, il arrivera de grands
changemens. Les naturels soutiennent que s'il meurt nous
serons pillés, en satisfaction de sa mort. Dernièrement, je suis
allé voir Shongui , et j'ai eu un entretien avec lui à ce sujet :
il dit que les naturels qui habitent à quelque distance répan-
PIECES JUSTIFICATIVES. 513
daicnt ce bruit, mais il ne pensait pas qu'ils tentassent de
nous faire aucun mal. Il nous invita à n'avoir pas de craintes.
* Vous ne serez point tourmentés, dit-il, à moins que les
étrangers n'attaquent la tribu de Kidi-Kidi , et ne tuent tous
les habitans. » Puis il ajouta : « Si je meurs, mes enfans vivront
avec vous, et les naturels ne vous inquiéteront point. » Il avait
avec lui deux prêtres pour le soigner et accomplir toutes les
cérémonies d'usage; ses alimens doivent tous passer par les
mains d'un prêtre , et Shongui est convaincu que, s'il revient,
il le devra aux prières des prêtres : il est tout-à-fait pénétré
de toutes leurs superstitions. Je voulus représenter à ces prêtres
la'vanité et le ridicule de leurs opérations ; mais mes discours
ne produisirent pas le moindre effet sur leur esprit.
M. R. Davis s'exprime ainsi touchant la difficulté qu'il
y a d'amener les naturels à se livrer aux soins et aux tra-
vaux de l'agriculture :
Il m'a été jusqu'alors impossible d'amener les chefs du pays
à cultiver le blé, à l'exception du seul Taï-Wanga qui de-
meure avec moi. M. Kemp procura de la semence à quelques-
uns des chefs qui m'avaient promis de semer du blé , à mon
départ de Kidi-Kidi ; ils le semèrent en effet, mais ils ne l'ont
jamais récolté. En réponse aux efforts que je faisais pour les
engager à ce genre de culture, ils opposent le raisonnement
suivant : « INous ne saurions cultiver le blé, et nous ne nous
en soucions point; il faut pour cela trop de travail, et il faut
trop d'opérations pour en faire du pain bon à manger. Au
contraire, si nous défrichons une pièce de terre pour la plan-
ter en patates douces, nous avons une bonne récolte de nour-
riture que nous aimons, et nous pouvons la manger aussitôt
qu'elle sort de terre.
— Je n'ai pu réussir, comme je m'y attendais, à cultiver la
terre à Kawa-Kawa. Je n'ai pu amener les naturels à travailler,
et une grande partie de ce qui a été fait, l'a été par mes propres
tome ni. 33
.514 PIECES JUSTIFICATIVES.
moyens. J'ai maintenant en crue cinq ou six acres de blé sur
un très-bon terrain qui était couvert de bois il n'y a que deux
ans; mais la saison a été humide , et la terre étant maigre , la
récolte promet peu. Maintenant il y a peu d'apparence que
je puisse tenter aucune culture un peu considérable , non-
seulement parce que je ne puis trouver de bras pour travail-
ler, mais encore à cause de la répugnance qu'éprouvent les
naturels à céder huis terres. Quand j'acquis pour la première
fois de la terre à Kawa-Kawa , ils m'en promirent une grande
étendue qui était contiguë. Environ trois mois après, je m'a-
dressai aux habitans pour en acheter encore une acre, afin
d'équarrir le territoire de la Société; mais ils s'y refusèrent de
la manière la plus péremptoire. Alors je leur rappelai la pro-
messe qu'ils m'avaient faite jadis de me céder une plus grande
étendue de terre; mais voici la réponse qu'ils me firent :
« Quand celte terre ne produira plus que des patates grosses
comme le bout de notre petit doigt , vous pourrez la prendre. »
Ils me signifièrent aussi que je ferais bien de demeurer à Mars-
den's-Yale, et de ne point m'établir chez eux, attendu que le
bétail que j'y mènerais avec moi ferait tort à leurs plantations
de patates douces.
— Pour le moment les besoins du Nouveau-Zélandais se
réduisent à peu de chose. Il lui suffit de nous apporter quel-
ques patates pour se procurer des outils; puis il choisit un
morceau de bonne terre dans un bois, abat les arbres, les
réduit en cendres, et plante son champ en patates; il en porte
le produit à des na\ires, et les vend pour des mousquets et de
la poudre. En voilà assez pour en faire un grand personnage.
Comme les pommes de terre forment ce qu'ils appellent la
récolte d'hiver, à son retour du navire avec ses mousquets et
sa poudre , il commence à préparer sa terre pour une seconde
récolle , qui est généralement de patates douces. Dès qu'elles
sont plantées, il dirige toute son attention vers la guerre, pour
avoir une occasion d'essayer son mousquet et de se faire une
réputation parmi ses compatriotes.
PIECES JUSTIFICATIVES. 5i£
Les naturels des environs ne nous ont apporté ni patates
ni porc à vendre durant ces six derniers mois, bien qu'ils en
eussent en abondance ; sans le secours du Herald, nous n'au-
rions pas eu une patate à manger, et il eut fallu fermer nos
écoles qui donnaient tant d'espérances. Les naturels ne nous
apportent plus de bois à vendre comme de coutume; de sorte
que nous sommes obligés d'aller dans les bois couper nous-
mêmes celui dont nous avons besoin. La raison de cette con-
duite de leur part est palpable. Les baleiniers fréquentent
régulièrement la baie pour acheter des cochons et des patates
aux insulaires. Il y vient souvent des marchands pour acheter
le bois et les divers articles qui leur conviennent, et tous ces
marchés se font habituellement moyennant des fusils et de la
poudre. Quand un chef a deux ou trois outils d'une espèce, il
est satisfait, et il ne se soucie pas d'en avoir davantage pen-
dant un certain temps, à moins qu'il ne veuille faire des pré-
sens à ses amis. Mais il en est tout autrement des fusils, un
chef n'est pas content que chacun de ses guerriers ne possède
une telle arme : il y a plus, je ne sais pas trop combien il
faudrait de ces armes pour satisfaire entièrement les désirs d'un
Nouveau-Zélandais. Maintenant ils en possèdent plusieurs mil-
liers, tant à la baie des Iles que dans la rivière Tamise. Les
peuples de la rivière Tamise ont dernièrement remporté une
victoire complète sur une troupe de naturels de la baie des
Iles, et ils sont aujourd'hui enflés de leurs succès. Shongui est
dangereusement malade, et s'il meurt, nous ne savons pas
quel effet cet événement produira parmi les naturels; car il
est probable que plusieurs chefs aspireront à lui succéder dans
son autorité. Les malheureux habitans de Kawa-Kawa et de
plusieurs autres endroits sont dans un état d'inquiétude et
de crainte sur ce qui pourra leur arriver si Shongui vient à
mourir. J'ai entendu dire qu'ils étaient convenus de n'acheter
rien autre chose que des fusils et de la poudre pour se pré-
parer à tout événement; car ils s'attendent à combattre les uns
eontre les autres à la mort de ce chef.
33"
516 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
M. H. Williams écrivait à la même époque :
La destruction de l'établissement de Wesley à Wangaroa a
été imprévue, et rien ne l'avait provoquée. Plusieurs tribus s'y
étaient rassemblées par suite de la guerre que Shongui allait
porter dans le voisinage. La perte éprouvée dans cette occasion
a été considérable, elle monte à plus de 2,000 liv. sterl. , sans
compter que les missionnaires ont été dépouillés d'une grande
étendue de terre. Il n'est pas douteux qu'en vertu des senti-
mens et des idées actuelles des naturels, aussitôt que Sbongui ,
qui est regardé comme leur cbef , sera mort , nos frères de
Kidi-Kidi seront aussi pillés. Cela est conforme à la loi du
pays , et en outre satisfait les penebans des Nouvcaux-
Zélandais. On nous a déclaré à nous-mêmes , en termes aussi
positifs qu'on le puisse faire, que lorsque notre cbef Tekoke
mourra, nous devons nous attendre au même sort, c'est-à-
dire que nos propriétés deviendront celles des naturels, et
qu'en outre ils seront maîtres de détruire nos maisons si cela
leur plaît : ce qui donne lieu à de sérieuses réflexions. Pour le
moment, nous ne pouvons rien décider autre ebose que de
nous maintenir dans nos propriétés jusqu'à ce que nous en
soyons ebassés par une force supérieure.
M. G. Clarke justifie Shongui d'avoir provoqué la
ruine de la Mission de Wangaroa, et même d'y avoir par-
ticipé :
Sbongui nie avoir jamais eu aucune intention hostile contre
les missionnaires wesleyens. Il paraît certain que tant qu'il
fut mouillé sur le havre de Wangaroa , nos frères de Wesley
demeurèrent en paix; ce ne fut qu'au temps où il se mit à la
poursuite de ses ennemis que les ravages furent commis. Il
déclare n'en avoir eu connaissance qu'au moment où il fut
rapporté blessé dans le havre, et où il vit les pirogues char-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 517
gées des propriétés de rétablissement; aussitôt il donna l'ordre
de piller eeux qui avaient fait ce coup , et la majeure partie
de ees pillards furent obligés de s'enfuir pour sauver leurs vies. Il
prétend en outre que les principaux auteurs de cette affaire
furent des traîneurs qui l'avaient suivi sans y être invités, pour
le mettre en possession de Wangaroa dont il se prétendait le
maître.
A la tête des pillards se trouvait la première femme de Te-
pouhi , le elief principal du village où demeuraient les Wes-
leyens, et elle n'avait agi qu'en vertu des ordres de son mari,
qui avait quitté l'endroit peu de jours auparavant. Divers na-
turels nous firent le même rapport, ce qui nous porte à croire
que la déclaration de Sbongui était sincère. D'après le carac-
tère bien connu de Tepouhi, qui fut un des principaux ac-
teurs dans la destruction du Boyd , nous regardons comme
très-probable qu'il ait été le principal agent dans l'affaire des
Wesleyens. Voyant que tous les avantages qu'il retirait de
leur résidence dans son voisinage allaient cesser, il se déter-
mina à un pillage général pour se rendre maître de tous leurs
biens , et empêcher ces avantages de passer en d'autres mains.
Nous ne prétendons nullement justifier Sbongui de ses vio-
lences contre les naturels de Wangaroa ; mais nous sommes
bien aises de montrer qu'il est aussi favorablement disposé que
jamais à l'égard des Européens, encore que ses dernières ac-
tions aient été indirectement et sans intention de sa part en
partie la cause de la ruine de la Mission à Wangaroa. Car, si
son expédition n'eût pas eu lieu, Tepouhi ne se serait point
déterminé à ravager l'établissement des Wesleyens.
(Missionnary Register, décembre 1827, pag. 623 et suiv.}
518 PIECES JUSTIFICATIVES.
M. Georges Clarke de Kidi-Kidi parle ainsi de la mort
et du caractère de ce chef :
Mort de Shongui.
Shongui est mort le 5 mars 1828, après une maladie
de près de quinze mois, occasionée par la blessure d'un
coup de feu qu'il reçut à la prise de Wangaroa , en janvier
1827. Sa réputation comme guerrier est devenue célèbre
dans les deux ou trois grandes îles connues sous le nom de
Nouvelle-Zélande, et est parvenue jusqu'aux rives de la Grande-
Bretagne. Ses attentions constantes pour les Européens lui
avaient mérité leur considération. Rien ne put jamais le déter-
miner à en faire périr un seul, bien que le traitement qu'il
reçut quelquefois à bord des n;i\ ires eût suffi à un Anglais qui
eût joui de son influence pour l'engager à donner le signal de
la vengeance. Sa conduite en général à noire égard fut tou-
jours affectueuse, et ses derniers momens furent employés à
inviter ceux qui lui survivaient à nous bien traiter, et à ne
nous obliger sous aucun prétexte de quitter l'île. Quant à son
ame, sous le rapport de l'éternité, elle était livrée tout entière
aux plus épaisses ténèbres, bien qu'il sentît que sa fin arrivait.
Shongui avait souvent entendu les paroles de l'Evangile; mais
comme elles contrariaient ses projets, il rejeta jusqu'au der-
nier moment les offres de miséricorde qui lui furent faites, et
négligea la seule affaire nécessaire. Sa famille , qui consiste
en cinq enfans, deux fils et trois filles, est privée d'un des
pères les plus tendres qui aient probablement existé. Tous les
babitans de cette partie de l'île reconnaissent que, sous ses
ordres, ils ont joui d'un bonbeur constant et d'une supériorité
marquée sur leurs ennemis du Sud, durant les vingt dernières
années. Il semblait n'avoir pas encore atteint l'âge de soixante
ans, et, avant de recevoir sa fatale blessure, c'était un homme
très-actif et qui paraissait devoir arriver à un âge avancé.
PIECES JUSTIFICATIVES.
10
C'est l'usage à la Nouvelle-Zélande de sacrifier au moins
quelques-uns des esclaves d'un chef au moment où il meurt;
520 PIECES JUSTIFICATIVES.
mais ceux de Shongui furent épargnés par suite du désir
particulier qu'il exprima à cet égard. Son décès, durant quel-
ques jours, fut tenu aussi caché que possible par ses amis,
afin qu'ils pussent mieux se préparer à se défendre contre ceux
qui viendraient les piller. Ses restes furent déposés en secret
par quatre chefs dans le tombeau de sa famille, de peur que
ses os ne fussent enlevés par ses ennemis; car le plus grand
malheur qui puisse arriver à une tribu est que les restes de
son chef soient enlevés.
Depuis long-temps les missionnaires attendaient avec une
certaine inquiétude le moment où Shongui mourrait, parti-
culièrement ceux qui habitaient à Kidi-Kidi , attendu que cet
établissement se trouvait dans son territoire , et que les cou-
tumes du pays exposent la propriété d'un chef à un pillage
général au moment de sa mort. On savait bien aussi que bon
nombre de naturels étaient tout disposés à profiter de cette
occasion pour s'emparer des biens de la Société, mais, grâces
à Dieu , il n'en fut rien.
(M. G. Clarke, 8 mars.)
Nous n'avons plus rien appris touchant Shongui, et nous
ne voyons pas de quel côté nous aurions quelque chose à
craindre. Il y a plusieurs rapports sous lesquels cet homme
mérite notre reconnaissance. S'il était mort quand il fut blessé
à Wangaroa, personne ici ne doute que les naturels ne se fus-
sent portés aux dernières extrémités contre les missionnaires.
Heureusement cela n'eut pas lieu. Shongui vécut encore assez
long-temps à Wangaroa pour que ses liens avec les habitans
de Kidi-Kidi se fussent en quelque sorte de beaucoup relâchés.
Actuellement que sa mort est arrivée, le seul parti dont nous
aurions à craindre la méchanceté est en expédition sur la côte
occidentale.
(Rev. IV. Williams, 11 mars.)
(JMissionnary Régis ter, août 1828, pag. 4n et suiv.)
PIECES JUSTIFICATIVES. 521
Très-peu tic temps après la mort de Shongui , il arriva un
événement qui menaça de plonger le pays dans une confusion
générale. Un chef de la baie des Iles ayant été tué dans une
querelle à Shouki-Anga , une troupe partit de la baie des Iles
pour prendre connaissance de cette affaire. Au moment même
où ils semblaient prêts à s'arranger à l'amiable, il s'éleva un
malentendu qui amena une bataille générale , et causa la mort
d'un chef et de plusieurs autres personnes. Les naturels se
soulevèrent de toutes parts, et les missionnaires eurent à crain-
dre une guerre sanglante et destructive ; mais il plut à Dieu
de disposer à la paix les cœurs des chefs qui étaient le plus
intéressés à cette querelle. Les principaux d'entre eux vinrent
prier les missionnaires d'employer leurs soins pour terminer les
différends entre les partis ennemis. Ceux-ci se prêtèrent avec
plaisir à cette demande, et, grâces à leur médiation, la paix fut
conclue. Voici comment M. H. Williams raconte cette affaire.
i5 mars 1828. Les lettres arrivées de Shouki-Anga ont
apporté des nouvelles de la nature la plus affligeante. Une
grande bataille a eu lieu entre les naturels de ce district et
ceux de la baie des Iles : Ware-Oumou a été tué avec plusieurs
naturels, et les Ngapouis, qui forment la tribu de Shongui,
ont été mis dans une déroute complète. M. Hobbs , mission-
naire de Wesley, qui se trouvait chez nous, a été sur-le-champ
expédié à Kidi-Kidi pour se rendre ensuite à Shouki-Anga.
A peine il venait de s'asseoir dans le canot, qu'un naturel
accourut en toute hâte, publiant à haute voix et tout en cou-
rant que Ware-Oumou était tué et ses partisans mis en fuite.
Jusque-là nos naturels n'en savaient encore rien. Désormais
tout fut en désordre, chez nous comme parmi leshabitans,
dans la crainte où l'on était des suites funestes qui devaient
résulter de ces événemens.
On a fait diverses représentations aux naturels sur les maux de
tous genres qu'entraînent ces combats. Ils en conviennent
facilement, mais ils répondent que leur devoir les oblige à
agir ainsi.
522 PIECES JUSTIFICATIVES.
Dimanche 16 mars. Au point du jour , nous sortîmes de chez
nous pour savoir s'il était venu d'autres nouvelles. Les jeunes
gens s'étaient tous rassemblés pour conférer ensemble : l'un
d'eux avait eu son frère tué et mangé; c'était un liommc de
considération. Différens bruits circulaient : on raconta qu'une
foule de guerriers étaient revenus la veille à Waï-Mate sans
avoir conservé un seul vêtement.
17 mars. Il a paru quatre pirogues appartenant au peuple
de Waï-Kadi. Tetorou , l'un des principaux chefs de cette
tribu, a perdu cinq de ses fils dans la dernière bataille. C'est
une affaire terrible, et je ne sais pas quelle en sera l'issue.
L'établissement de Wesley, qui a été dernièrement fondé , sera
probablement une seconde fois détruit. Je suis déterminé à
m'embarquer aussitôt que j'observerai quelque mouvement
parmi nos naturels ; ils parlent de se rassembler de toutes parts ;
et s'il ne sont arrêtés par la main du Seigneur, il s'ensuivra de
grands malheurs. Vers midi, Tekoke et une troupe d'hommes
sont arrivés de Kawa-Kawa , et quelque temps après Rewa est
arrivé de Korora-Reka. INous avons eu avec eux un entretien
dont nous avons été contens; ils nous ont proposé d'aller avec
eux à Shouki-Anga pour arranger la querelle qui vient de s'é-
lever. Ils sont persuadés qu'il leur arrivera de grands désastres
s'ils font la guerre; pourtant leurs lois les obligent à venger
la mort de Ware-Oumou. Par eux-mêmes ils ne peuvent pro-
poser la paix; mais si nous les accompagnons, ils espèrent
qu'elle pourra se conclure.
18 mars. Ce matin Rangui-Touke est allé de bonne heure,
pour tenir conseil avec Tareha, Rewa, Toï-Tapou, Tema-
rangai et d'autres, à Korora-Reka. On a reçu des lettres de
Shouki-Anga; tout y est encore tranquille : Warc-Rahi s'y
trouve et fait des efforts pour obtenir le corps de Ware-Oumou
et décider Patou-One à se joindre aux Ngapouis contre la
tribu qui est la cause de tous ces malheurs. Ware-Rahi, le
chef en question , se nomme quelquefois Ware-Nouï ; ces
deux noms signifient également grande maison.
PIECES JUSTIFICATIVES. 523
ig ,nars. Au puintdu jour, on a observé vingt-trois pirogues
qui se dirigeaient vers Korora-Reka. On a reconnu que c'était
le vieux Kaïra de Mataudi qui venait pour tout ravager à Waï-
Tangui , afin de se venger de la mauvaise conduite que les
hommes de cette tribu avaient tenue dans sa résidence où ils
avaient tué un esclave. Vers sept heures, M. Davis et moi
nous allâmes à Rangui-Hou rendre visite à M. Shepherd, qui
avait témoigné le désir de nous accompagner à Shouki-Anga.
En débarquant, nous apprîmes que le parti de Kaïra avait
fort mal agi envers M. Shepherd ; et comme on s'attendait à
voir venir cette troupe par la même route , M. Shepherd n'eut
pas la liberté de s'absenter. Nous apprîmes aussi que Kaïra
avait l'intention de visiter Pahia , en se rendant à Kawa-Kawa :
cette nouvelle nous causa une vive inquiétude, attendu que si
nous ne pouvions pas nous trouver à l'assemblée générale, il
fallait renoncer à toute espérance de paix. En conséquence,
nous nous décidâmes à nous diriger vers Kidi-Kidi, pour nous
procurer des renseignemens sur l'état des affaires à Pahia. A
notre arrivée, nous fûmes reçus par Rewa, qui venait d'y ar-
river, en faisant route pour Shouki-Anga; il fut alors arrêté
que nous nous y rendrions ensemble. Dans la matinée il avait
rencontré Kaïra et lui avait recommandé de revenir chez lui
et de se joindre à l'armée.
20 mars. L'indisposition de madame Clarke et l'appréhension
de quelques-uns des détachemens qui se rendaient à Shouki-
Anga en passant chez eux , furent cause qu'aucun des frères de
Kidi-Kidi ne put nous accompagner. Entre neuf et dix heures
du matin , nous partîmes pour Shouki-Anga avec nos jeunes
naturels et accompagnés de Rewa, de sa femme et de ses fils.
A onze heures nous arrivâmes à la résidence de ce chef «à Waï-
mate : c'est un beau site , entouré de plantations d'une étendue
considérable. Nous y prîmes quelques rafraîchissemens , dans
l'espoir de continuer sur-le-champ notre route; mais nous y
fûmes retenus plusieurs heures par Rewa , occupé à réparer le
ressort d'un fusil. Sa famille formait un groupe fort inte-
524 PIECES JUSTIFICATIVES.
ressant. Vers trois heures après-midi , notre troupe se remit en
marche, guidée par une des filles de Rewa, âgée de quatorze
ans environ, qui portait un fusil de chasse à deux coups.
Rewa n'avait pas encore dîné ; au coucher du soleil nous arri-
vâmes à l'habitation d'un des amis de ce chef, et c'est là qu'il
nous rejoignit. Sur-le-champ six grandes corbeilles de kou-
maras furent préparées pour notre souper.
21 mars. Nous ne pûmes guère dormir, car Rewa et une
foule de femmes ne firent que causer et rire toute la nuit. A la
première pointe du jour nous fûmes debout, et en route avant
que le soleil se levât. Nous rencontrâmes quelques personnes
qui nous instruisirent des mouvemens de l'armée, ce qui nous
fit hâter le pas. Nous rattrapâmes deux détachemens bien
armés de fusils; ils furent très-curieux de connaître le motif
de notre voyage, et Rewa le leur expliqua. Vers midi, nous
aperçûmes la fumée du camp, et à deux heures nous y arri-
vâmes : nos amis nous firent un accueil amical , et nous plan-
tâmes nos tentes près de Toï-Tapou. Nous eûmes un long en-
tretien touchant les dispositions générales de nos naturels;
quelques-uns de ceux qui à Pahia s'étaient moqués de l'idée de
faire la paix, désiraient désormais que nous fissions tous nos
efforts pour y amener l'ennemi. Après avoir pris quelques
rafraîchissemens , les divers détachemens se rendirent à la
revue : leur ensemble formait une force considérable, et presque
chaque homme avait un fusil. Il y eut plusieurs shakas ou
danses exécutées, et le terrain tremblait alors sous leurs pieds.
Plusieurs discours furent ensuite prononcés, et il était clair que
le vœu général était pour la paix. Le reste de la journée se
passa paisiblement.
22 mars. Pour empêcher l'ennemi de surprendre le camp ,
on tira plusieurs coups de fusil durant la nuit. Au point du
jour, tout fut en mouvement, les guerriers s'armèrent et se
préparèrent à marcher : quelques minutes après, ils s'élan-
cèrent tous à la fois vers le sentier qui conduisait au pâ. Quant
a nous, nous restâmes au centre avec plusieurs des chefs, et
PIECES JUSTIFICATIVES. 525
nous marchâmes à grands pas au travers d'un bois très-consi-
dérable et en partie au travers d'un marais. Il y eut beaucoup
de pluie et de tonnerre : la pluie rendit notre marche fort pé-
nible et le tonnerre frappa les naturels d'épouvante; ils le
regardèrent comme le présage infaillible d'une bataille. Nous
lunes halte au pied d'une colline jusqu'à ce que tous les guer-
riers fussent rassemblés. Alors deux ou trois chefs firent une
harangue; ensuite nous nous remîmes en marche et nous arri-
vâmes enfin dans une belle vallée vis-à-vis d'un pâ. Nos gens
se mirent à courir en tous sens, les uns pour détruire les mai-
sons, quelques-uns pour chercher des vivres, d'autres pour
voir le lieu où Ware-Oumou avait péri. En trois heures de
temps , plusieurs rangs de cabanes furent dressés pour l'usage
des différentes tribus; elles étaient disposées dans un ordre
admirable, et chaque tribu avait sa place séparée.
Dans l'après-midi, Rewa etToï-Tapou se consultèrent avec
nous : ils remarquèrent qu'il ne serait pas convenable qu'aucun
d'eux allât au pâ dans la journée, mais qu'il vaudrait mieux
que nous y allassions nous-mêmes pour nous assurer des véri-
tables dispositions de l'ennemi. En conséquence nous nous
dirigeâmes vers le pâ, accompagnés de deux naturels parens
de Rewa qui en étaient venus. Nous fûmes reçus avec beaucoup
d'aménité et conduits devant Patou-One et plusieurs autres
chefs ; ils témoignèrent le désir de voir faire la paix et le regret
des combats qui avaient eu lieu, et parurent enchantés de nous
voir. Ware-Rahi demanda s'il ne faudrait pas que Paï , le chef
du pâ , allât avec nous dans le camp. Comme nous n'avions
pas d'instructions à cet égard, nous sentîmes que ce serait
prendre sur nous une trop grande responsabilité ; c'est pour-
quoi nous lui conseillâmes de rester pour le moment. Ware-
Rahi revint avec nous dans le camp ; le pauvre vieillard sem-
blait abatlu et fatigué , nous le conduisîmes à son hère Rewa.
Comme nous nous rendions à notre tente , les naturels nous
entourèrent pour nous demander les nouvelles, et ils furent
contens d'apprendre que tous désiraient la paix.
52G PIECES JUSTIFICATIVES.
Avant le soleil couchant, je rendis une visite aux princi-
paux chefs , et j'eus avec eux quelques conversations fort agréa-
bles : il était vraiment intéressant de contempler l'ordre qui
régnait parmi ces hommes sauvages et indépendans. Il parais-
sait que le vœu général était que la paix pût se conclure le
lendemain même ; nous étions fâchés d'une pareille infraction
au jour du sabbat , mais nous n'y trouvions pas de remède ,
attendu que le moindre retard pourrait donner lieu à de funestes
conséquences et rendre inutiles tous nos efforts. Cependant,
tandis que je conversais avec Ware-Porka, je lui insinuai que
le lendemain était ra tapou (jour sacré) : il dit que c'était un
jour favorable pour faire la paix. Je lui demandai s'il ne trou-
verait pas convenable de rester tranquille ce jour-là , et de ne
faire la paix que le lundi. Ce chef et quelques autres assis à
côté de lui y consentirent sur-le-champ , et m'engagèrent à en
faire part aux autres chefs de l'armée. Je le fis; personne ne
s'opposa à ma proposition, et tous se conduisirent de la ma-
nière la plus satisfaisante.
A mon retour à la tente, j'appris que MM. Kemp et Clarke
approchaient; il était déjà tout-à-fait nuit, et ils arrivèrent
une demi-heure après. Comme nous finissions la soirée, Toï-
Tapou se leva , et adressa la parole à l'armée sur la nécessité
de rester en repos le lendemain, attendu que c'était le ra tapou.
Son discours fut animé, et Oudou-Roa lui répliqua; ensuite
tout fut tranquille, et durant la nuit on ne tira pas un seul
coup de fusil.
Dimanche 2.3 mars. Le silence régna dans le camp. Après le
déjeuner, mon drap fut hissé en guise de pavillon : M. Clarke
et moi nous montâmes au pâ , pour annoncer qu'il n'y avait
point d'assemblée aujourd'hui, attendu que c'était le ra tapou.
Nous fumes bien reçus par les habitans , encore qu'ils fussent
contrariés de voir différer l'instant où la paix devait se con-
clure. Nous parlâmes à plusieurs groupes de l'importance des
choses éternelles, et ils nous prêtèrent une oreille attentive.
Vers onze heures , nous prîmes congé d'eux , en promettant de
PIECES JUSTIFICATIVES. 527
les revoir le lendemain. Tout était tranquille dans le camp.
Aussitôt que la nuit fut arrivée, les naturels commencèrent à
danser, et après les shakas ils firent, pendant quelque temps,
des décharges générales de mousqueterie : quelques-uns tirè-
rent à balle. Toï-Tapou donna ordre à haute voix de ne tirer
qu'à poudre , de peur de malheur : néanmoins plusieurs con-
tinuèrent de tirer à balle.
24 mars. Le jour solennel arriva enfin , celui qui devait dé-
cider la querelle entre les deux grandes tribus des Ngapouis
et des Ma-Oure-Oure. 11 tomba beaucoup d'eau dans la nuit
et dans la matinée. On apprit que Tareha allait bientôt arriver.
Tandis que nous déjeunions, Toï-Tapou et Rewa vinrent sous
notre tente pour se consulter avec nous touchant la conduite
à suivre. Toï-Tapou ne paraissait pas goûter l'idée d'aller au
pâ , bien qu'il eût été désigné pour cela par les chefs de l'ar-
mée ; cependant il prit son parti , et se dévoua à cette démar-
che, quelle qu'en dût être l'issue pour lui. Le déjeuner terminé,
Toï-Tapou nous pria de nous hâter pour l'accompagner
au pâ. 11 demanda que le pavillon blanc fût placé entre
les deux armées ; on le planta au bord d'un large fossé qui
leur servait de ligne de démarcation. La situation était très-
favorable pour cet objet, le terrain parfaitement uni à trois
quarts de mille environ du camp et autant du pâ. Après avoir
planté le pavillon , nous nous avançâmes vers le village. Nous
y fûmes reçus comme de coutume. Après un court entretien ,
tous les naturels marchèrent vers l'entrée du pâ , et nous, avec
le fils aîné de Patou-One, nous nous avançâmes vers le pavillon
où se trouvait notre station. Plusieurs personnes de distinction
du pâ vinrent bientôt nous y joindre. Alors Rewa sortit du
camp, et, traversant le fossé, il vint appliquer son nez sur le
nez de ceux du pâ, et s'arrêta avec nous près du pavillon. Un
grand tumulte se fit entendre dans le camp ; en peu de temps on
observa les div erses tribus qui marchaien t en bon ordre vers nous,
et serpentaient autour de quelques broussailles qui se trouvaient
sur leur route. Pour cette partie du monde c'était un specta-
.528 PIECES JUSTIFICATIVES.
clc vraiment imposant; quand ils se trouvèrent à cent cin-
quante verges environ de nous , ils firent une charge générale
accompagnée de cris affreux. Cette troupe se composait d'en-
viron sept cents hommes, presque tous armés de mousquets.
Après s'être arrêté quelque temps , Rewa marcha vers la troupe
ennemie qui était restée au fond du pâ ; il salua les chefs , et
les conduisit à quarante verges des hommes de son parti. Plu-
sieurs shakas et décharges de mousqueterie eurent lieu des
deux côtés. Comme il y avait à craindre que plusieurs ne tiras-
sent à balle, les chefs prirent toutes les précautions possibles
pour prévenir les accidens, et ordonnèrent aux deux troupes
de faire feu à droite et à gauche. Quand le feu eut cessé, Rewa
commença une harangue dans un style mâle , pour exprimer
le désir de voir la paix se conclure ; puis Patou-One en fit au-
tant, et plusieurs autres ensuite. Les discours finis, plusieurs
guerriers de chaque parti se retirèrent chacun de son côté , et
une salve continuelle de mousqueterie eut lieu dans le camp
comme dans le pâ : ceci pouvait passer pour des marques de
joie ; cependant on remarqua qu'il y eut plusieurs coups tirés
à balle : alors les chefs ordonnèrent tout-à-coup au peuple de
se disperser. MM. Davis et Kemp retournèrent au camp pour
commander à nos gens de porter notre bagage au pâ , car nous
voulions nous rendre à l'établissement wesleyen de Man-
gounga, sur une autre branche de la rivière : M. Clarke et moi
nous nous retirâmes dans le pâ avec les Ma-Oure-Oure, pour
guetter le canot de M. Hobbs. Sur notre route, plusieurs balles
passèrent par-dessus nos têtes, et quelques-unes très-près : ce
fut un grand bonheur qu'il n'y eut personne de blessé; car de
cette condition, pour ainsi dire , dépendait l'issue de la jour-
née. Quand nous fûmes entrés dans le pâ, le feu cessa; et les
habitans , comme s'ils étaient délivrés de prison , prirent leurs
pirogues et regagnèrent leurs différentes habitations.
( Missionnary Begister, septemb. 1828 , pag. 4^7 et suiv. )
PIÈGES JUSTIFICATIVES. >29
Cruautés et superstitions des naturels.
Quand l'armée de Shongui prit le pâ où s'étaient réfugiés
un grand nombre deshabitans de Wangaroa, hommes, femmes
etenfans furent tous massacrés, sans distinction d'âge ni de sexe.
Il y eut des chefs qui voulurent épargner quelques victimes;
mais Shongui donna des ordres pour que personne n'échappât
à ce massacre , excepté les esclaves qui passèrent au service
de la tribu de Shongui. Pendant le temps que les jeunes
gens que nous avions envoyés pour avoir des nouvelles de
Shongui passèrent sur ces lieux , plusieurs naturels de Wan-
garoa furent arrachés de leurs retraites et mis à mort : ils eurent
l'affreux spectacle de voir les corps de ceux qui avaient péri
taillés en pièces et mangés par leurs compatriotes devenus
semblables à des chiens qui rongent une carcasse : ils virent
ces malheureux cannibales se préparer à dévorer de jeunes
enfans, dont les tètes avaient été brisées sous les yeux même
de leurs pàrens. Les scènes d'horreur qui eurent lieu sont im-
possibles h. décrire, et, malgré les assertions de nos jeunes
naturels, nous avions peine à croire à de pareilles horreurs.
Nous apprîmes que les naturels de Wangaroa avaient été dé-
truits, comme satisfaction pour la mort de la femme ds Shon-
gui , et pour consoler son esprit de cette perte.
— Parmi les naturels, il y a encore beaucoup d'agitation ,
et il nous est difficile de nourrir l'espoir qu'ils puissent rester
long -temps en paix. Des deux côtés il y a tant d'outrages à
oublier, tant de morts d'amis et de païens à venger, dont
quelques-uns datent de plus d'un siècle, que sans les pro-
messes de la parole de Dieu pour l'époque glorieuse où les
hommes ne connaîtront que la justice et renonceront à la
guerre, il nous faudrait désespérer de voir ces peuples chan-
ger de sentimens. Quand nous demandons aux chefs dans quel
temps cesseront leurs guerres, ils répondent : « Jamais! » En
effet, c'est la coutume qu'une tribu qui perd un homme ne
tome m. 34
530
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
puisse s'apaiser sans une satisfaction , et dans ce cas la mort
seule d'un homme peut expier la mort d'un autre.
Le révérend W. Williams communique les faits sui-
vans :
Dans un village près de Rangui-Hou , nous apprîmes qu'une
esclave avait été tuée d'un coup de fusil par son maître. Nous
rencontrâmes ce chef qui justifia sa conduite, en alléguant
que cette femme était depuis long-temps malade , et qu'elle ne
pouvait plus gagner sa nourriture ; c'est pour cela qu'il l'avait
tuée par" derrière tandis qu'elle était assise par terre. Il n'y
avait pas long -temps que nous étions de retour, quand nous
apprîmes un second exemple de la cruauté révoltante si sou-
vent pratiquée chez ce peuple. Un jeune garçon fut assommé
d'un coup de mère ou hache en pierre , pour avoir volé des
patates douces. Souvent les esclaves ne sont pas plus consi-
dérés que des bêtes fauves; et leur condition est si dégradée,
qu'une fois qu'un homme a été fait prisonnier, il refuse de
s'échapper, quand bien même il en aurait les moyens, parce
qu'il est regardé avec mépris par ses propres amis.
— Une troupe de guerriers de notre voisinage, qui quittèrent
la baie il y a deux mois, sont revenus, amenant avec eux plu-
sieurs esclaves. Leurs cruautés à l'égard des malheureuses créa-
tures contre lesquelles ils se dirigèrent furent aussi horribles
que jamais. Autant que nous avons pu en apprendre, ils n'a-
vaient de projet fixe contre aucun peuple particulier; mais
étant tombé sur une troupe isolée appartenant à un détache-
ment qu'un de nos puissans chefs de la baie des Iles condui-
sait dans son propre district sous sa protection , ils en tuèrent
plusieurs, et firent autant de prisonniers qu'il leur fut possi-
ble. Aussitôt qu'ils furent de retour, la première nouvelle que
nous en eûmes, fut qu'ils avaient tué sur-le-champ une es-
clave de la manière la plus féroce qu'on puisse imaginer; ils
PIECES JUSTIFICATIVES. 531
avaient coupé des morceaux de ses cuisses et de ses bras , sans
l'avoir mise à mort auparavant, et s'étaient ensuite régalés de i
son corps. Cette femme était innocente, et elle fut massacrée,
à ce qu'on nous dit, pour satisfaction d'un commerce adul-
tère de la part de son maître.
— Ware-Porka, chef à Wangaroa, ayant perdu son frère
unique, Tourna , j'allai voir le cadavre quand il fut tout-à-fait
en état, suivant les règles strictes de leur superstition. Le défunt
était placé dans la posture d'une personne assise; sa personne
entière, à l'exception du haut de la figure, était cachée sous
différons vètemens. Par-dessus tout était un habit de sergent
presque neuf : derrière étaient placés les deux fusils qui lui
avaient appartenu. Quelques-uns de ses parens travaillaient
avec activité à bâtir une maison destinée à recevoir ses restes,
tandis que les autres étaient assis à l'entour, et poussaient, les
plus tristes lamentations. Ce sont des espèces de chants géné-
ralement exécutés dans ces sortes d'occasions. Ware-Porka
n'avait touché à aucune nourriture depuis la mort de son frère,
et il avait l'intention de n'en prendre aucune jusqu'à ce que la
cérémonie fût terminée. On suppose que l'esprit du mort vol-
tige à l'entour de son corps et à une certaine distance, durant
trois jours; ensuite le cadavre est déposé en grande cérémonie
dans l'endroit où il doit rester jusqu'à l'expiration du deuil.
C'est une pratique commune de tuer un ou plusieurs esclaves
dans ces occasions, pourservir de compagnons au défunt sur sa
route au Reinga ou lieu des esprits partis; l'on proposa
d'en tuer un dans cette circonstance , mais Ware-Porka et le
père du chef s'y opposèrent. Deux jours avant que Tourna expi-
rât, on supposa que son esprit s'était enfui (sans doute il avait
perdu connaissance); alors ses amis poussèrent un cri, pen-
sant que c'était le moyen de le rappeler. Tourna raconta qu'il
était allé au cap Nord , tandis qu'il semblait mort ; mais qu'une
petite fille, morte quelque temps auparavant, l'avait rencon-
tré sur la rampe par où l'on descend dans le Reinga , et lui
avait dit de revenir dans quelques jours. La cérémonie fut
34¥
532 PIECES JUSTIFICATIVES.
continuée le joui- suivant sur l'éminence tabouée du village,
.l'éprouvai un vif sentiment de pitié pour ces pauvres créa-
tures dont la désolation paraissait profonde, mais qui gémis-
saient comme des gens sans espérance. Tourna était un véri-
table sauvage : quelques années auparavant, à la mort d'un
parent, d'un coup de massue il tua une esclave, tandis
qu'elle lavait du linge à la porte de M. Hanson , malgré les
efforts de MM. Kendall el King pour la sauver. La preuve
qu'il y a eu du changement depuis ce temps, c'est qu'il n'y a
eu personne de sacrifié pour lui.
— Shongui, se trouvant à bord d'un navire, fut saisi d'une
violente douleur au genou , et son peuple s'imagina qu'il avait
été ensorcelé par un chef de la rivière Tamise : sa perte fut
en conséquence jurée. Quelques-uns de ces malheureux , alté-
rées de sang , proprosèrent de tuer tous les esclaves de Shongui
qui sont très-nombreux : il s'opposa fortement à ce qu'on sa-
crifiât personne à cause de lui , et il dit à ses esclaves de cher-
cher leur salut dans les bois. Mais Oudou-Roa , l'un des parens
de ce chef, vovant passer une de ces malheu reuses avec une
charge de bois sur le dos, la tua d'un coup de fusil, et sur-
le-champ un autre chef assomma un jeune garçon avec son
merc de pierre.
— Nous sommes allés assister à la cérémonie qui se pratique
pour déplacer les os d'un chef. Elle a lieu quelques mois après
la mort, et, à ce que je suppose, quand il s'est écoulé un temps
suffisant pour que la chair se soit séparée des os. Ceux-ci
avaient été dérangés de leur situation primitive : c'étaient les
restes de trois individus j el on les avait placés sous une cou-
verture, avec les têtes seules exposées à la vue. La cérémonie
commença par le pilic ou hymne funéraire, qui fut d'abord
chantée par les vieux guerriers les plus renommés, puis répétée
par une troupe de personnes plus jeunes. Quand ce chant fut
terminé , douze à quinze personnes armées de longues lances
s'avancèrent et dirigèrent leurs lances vers un centre com-
mun , en avant soin de les pointer et de les retirer, à mesure
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 533
que plusieurs chefs se présentaient tour à tour devant eux
pour parler. C était une espèce de conseil de guerre, et l'objet
des discours était de délibérer s'il fallait attaquer un établis-
sement dans le voisinage, qui appartenait à l'un des chefs alors
occupés à combattre à la ri» ière Tamise ; mais il parutqu'iln'y
eut rien de décidé , bien qu'il y eût eu plusieurs discours pro-
noncés. Du reste, plusieurs orateurs firent mention des mis-
sionnaires en termes peu respectueux, insinuant que le pillage
de nos maisons serait une fort bonne affaire.
— J'ai visité Wangari avec M. C. Davis. La plupart des
habitans ont quitté leurs demeures, car ils s'attendent à voir
arriver une troupe pour les piller, afin de venger une querelle
qui s'était élevée entre les deux principaux chefs. La querelle
fut engendrée par une liaison adultère , et c'est le motif habi-
tuel de toutes les petites brouilleries qui s'élèvent continuel-
lement entre les tribus voisines les unes des autres et les diffé-
rentes familles de la même tribu. En cette circonstance, deux
esclaves avaient été blessés si cruellement, qu'ils avaient failli
en périr : l'un avait eu le corps percé d'une lance, et l'autre
avait reçu une large entaille à la tête. Ils n'avaient aucun rap-
port avec l'affaire en question , mais ils furent maltraités ainsi
pour les méfaits de leurs maîtres.
— Il y a peu de jours, le capitaine Duke du navire Sisters
nous fit part d'un exemple révoltant de cruauté dont il fut
témoin. Un chef nommé Toi avait une esclave qui s'était en-
fuie quelques jours auparavant. A la fin il la trouva assise au
milieu de quelques naturels à Korora-Rcka , trèsqjrès de la
maison de son maître, il l'entraîna, la lia à un arbre, et la
tua d'un coup de fusil. Le capitaine Duke apprit le fait, et
sortit pourvoir ce qui en était; alors il trouva le corps de la
jeune fille tout préparé pour être cuit au four des naturels,
les grands os des bras et les jambes avaient été coupés. En ré-
ponse à ses questions, les naturels répondirent que cette affaire
ne le regardait pas, et qu'ils étaient maîtres d'agir comme il
leur plaisait. M. Duke retourna chez lui , appela à son secours
534 PIECES JUSTIFICATIVES.
M. Earl , artiste de Port-Jackson , qui, pour le moment, de-
meurait avec lui ; puis étant rétournés sur le terrain avec deux
bêches, ils emportèrent le corps sans opposition.
— Nos naturels à Kawa-Kawa sont encore retombés dans
un état d'inquiétude générale pour un motif bien ridicule ,
mais qui, dans ce pays, est cependant la cause d'une foule de
maux. Une vieille femme, dans un transport de colère, a
appelé les patates douces de Kawa-Kawa du nom de la femme
de Tekoke. Elle se nomme Tapa -Tapa, et, suivant les cou-
tumes de la Nouvelle-Zélande , tout parti qui en a la force a
le droit de venir sur la place et d'emporter les patates ainsi dé-
signées : aussi tous les habitans sont aujourd'hui rassemblés,
s'attendantaux visites habituelles de leurs voisins en pareil cas.
C'est un motif semblable qui amena il y a quelque temps la
destruction de tous les cochons dans la tribu de Wangaroa.
Un jeune chef eut querelle avec son père, et appela les co-
chons du village du nom de Shongui. Celui-ci n'en eut pas
plutôt connaissance, qu'il rassembla ses gens, tua et emporta
soixante-dix cochons de Wangaroa.
— Un enfant du voisinage se noya, tandis que son père était
absent avec une troupe de pillards. La mère fit de grandes
lamentations, et pria ses voisins de tuer quelqu'un pour servir
de compagnon à son fils, sur sa route au Rcinga. Une vieille
esclave, qui craignait pour sa vie, se sauva et se cacha parmi
les fougères : sur quoi une autre femme, parente du défunt,
appela l'esclave en lui promettant d'être épargnée si elle ve-
nait. La pauvre créature se montra ; aussitôt on appela le frère
de l'enfant mort, qui assomma sur-le-champ l'esclave avec
une masse à écraser la racine de fougère.
— Un détachement est revenu du sud; ceux qui le com-
posent surprirent une petite troupe d'habitans près la rivière
Tamise , ils les tuèrent tous ou les firent esclaves. C'est la sa-
tifaction qu'ils cherchent, chaque année, à obtenir pour la
mort de leurs parens; et, par suite de ce funeste système, la
population du pays décroît généralement.
PIECES JUSTIFICATIVES. 535
— Le samedi soir, 8 décembre 1827, il nous arriva un cour-
rier de Ka>va-Kawa pour nous informer que Tckokc , notre
chef principal, et plusieurs autres, étaient fort mal et dési-
raient nous voir. Hier matin, 9 décembre, M. Fairburn et moi
nous allâmes pour tâcher de leur administrer tout à la fois les
secours temporels et spirituels. Nous trouvâmes le vieux chef,
ainsi que son fils et sa femme , couchés dans un bois épais ,
sans aucun abri sur leur tète , exposés le jour à la chaleur la
plus étouffante , et la nuit aux brouillards les plus dangereux.
Le chef et son fils souffraient cruellement d'une maladie épi-*
démique; les femmes n'étaient pas si mal. Après leur avoir
donné quelques remèdes et leur avoir appliqué quelques vési-
catoires, je leur parlai des choses de Dieu : ce fut peine per-
due. Oh ! quand viendra le temps où ces pauvres créatures
seront favorisées d'une oreille attentive à nos discours! Après
avoir fait en sorte de suppléer à leurs besoins, et comme je
prenais congé d'eux, la femme de Tekoke me dit à l'oreille :
« Nous avons envoyé chercher le sorcier pour prononcer des
paroles sur nous, a6n de chasser notre mal hors de nous.
Est-ce bien ou mal fait? » Je leur dis que le sorcier ne pour-
rait rien du tout pour eux, qu'ils étaient dans l'erreur; mais
que s'ils croyaient en Dieu , celui-ci seul pourrait tout en leur
faveur. La manière dont la femme de Tekoke me faisait con-
naître qu'elle avait envoyé chercher le sorcier était une preuve
évidente que sa confiance dans les superstitions de son pays
commençait à chanceler.
— 22 février 1828. M. Williams et moi nous sommes allés à
Kawa-Kawa visiter les naturels dans l'affliction. Nous les trou-
vâmes rassemblés et fort occupés à fortifier leur place et à
ramasser leurs vivres. Les pauvres malheureux semblaient très-
pensifs, quelques-uns d'entre eux surtout, quand nous leur
parlâmes des bénédictions qui sont le partage de l'homme qui
croit dans le Christ. Tekoke nous dit qu'il ne désirait avoir
ni querelle ni combat avec les Ngapouis, mais qu'il souhaitait
uniquement qu'on le laissât tranquille chez lui. 11 ajouta qu'il
63G PIÈCES JUSTIFICATIVES.
continuerait de résider sur la colline où il se trouvait , près de
son fort; que lui et son peuple allaient y former un village;
qu'il allait y construire un local pour le culte public , afin que
nous pussions les y trouver tous réunis quand nous viendrions
pour les instruire. Ils nous déclarèrent que , quand les Nga -
pouis viendraient, ils ne songeraient à combattre que quand
ceux-ci auraient tué au moins quatre de leurs chefs. Ils nous
supplièrent de prier Dieu en leur faveur, afin qu'il ne disposât
pas les cœurs des Ngapouis contre eux. Ces pauvres malheureux
assurèrent qu'ils allaient aussi prier Dieu eux-mêmes. Ils nous
supplièrent encore de nous trouver avec eux, s'il était possi-
ble, quand les .Ngapouis arriveraient , pour tâcher de faire la
paix avec eux. Après nous être consultés ensemble sur ce sujet,
nous leur promîmes de revenir, s'il était possible, quand 1< ■>
Ngapouis paraîtraient. Cela parut rassurer un peu leurs esprits
abattus. Nous étions aflligés sincèrement de voir la détresse de
ces pauvres gens. Quand nous fûmes de retour dans la soirée,
nous apprîmes que quelques-uns des Ngapouis étaient arrivés à
Korora-Rcka , et se proposaient de se rendre à Kawa-Kawa le
lendemain matin. En conséquence, nous nous préparâmes à
les accompagner. Le lendemain de bonne heure, nous dispo-
sâmes notre canot, et nous épiâmes les mouvemens des natu-
rels, car nous pouvions les distinguer facilement avec une
lunette d'approche. Quand nous les vîmes se mettre en mou-
vement, nous entrâmes dans notre canot accompagnés par le
révérend W. Williams, et nous ramâmes après les pirogues.
A notre grande satisfaction, nous remarquâmes qu'une seule
pirogue se dirigeait sur Kawa Kawa et que les autres s'en
retournaient. Nous les eûmes • bientôt rejoints, et nous
vîmes que presque tous les principaux chefs se trouvaient
dans cette pirogue et semblaient avoir des intentions pacifi-
ques. Quand nous arrivâmes à Kawa-Kawa , nous trouvâmes
tous les habitans rassemblés, revêtus de leurs habits de guerre
et en armes. Après avoir été instruits de la nature de la visite
des chefs Ngapouis, le peuple de Kawa-Kawa s'apprêta à les
PIECES JUSTIFICATIVES. 537
recevoir avec toutes sortes d'honneurs. Un simulacre de com-
bat eut lieu; puis les naturels se rassemblèrent, et Tekoke
fit le premier discours. Il expliqua à ses hôtes pourquoi il
avait fortifié son pâ ; il leur fit part des bruits qui avaient
circulé, et leur déclara quelle était sa résolution s'ils persis-
taient à vouloir sa ruine. Rewa , le grand chef des Ngapouis,
parla après lui. Il dit à Tekoke que ni lui ni son peuple
n'avaient de mauvais desseins contre lui , mais qu'il désirait
vivre en paix. Plusieurs autres chefs firent aussi des discours
qui furent tous dans le même sens. Quand ils eurent fini,
Tekoke les conduisit tous chez lui, et nous les quittâmes
très-conlens et disposés à se régaler ensemble. Ainsi finit, de
la manière la plus satisfaisante, cette affaire qui avait été pour
nous la cause de beaucoup de craintes et d'inquiétudes. Oh !
que d'actions de grâces ne devons-nous pas au Seigneur pour
tant de faveurs!
Il y a de plus brillantes espérances pour voir la paix établie
parmi les naturels qu'il n'v en a jamais eu. Shongui et Ware-
Oumou étaient les principaux chefs des expéditions pour la
rivière Tamise, mais ils ne sont plus; et Rewa, qui leur a
succédé , semble aujourd'hui disposé à faire la paix avec tous
les partis. Sa fille s'est mariée à l'un des principaux chefs des
contrées du Sud, et je pense que cette union produira un bon
effet. Si la paix se fait, une vaste carrière s'ouvrira dans le Sud
pour les missionnaires.
{M. R. Dam.)
— iNous avons remarqué (22 février 1828) une pirogue qui
débordait de la rive opposée, et qui se dirigeait vers Kawa-
Kawa ; apprenant qu'elle portait les principaux chefs de Waï-
Mate qui allaient faire la paix avec Tekoke, mon frère, M. Da-
vis et moi, nous préparâmes le canot, et fîmes route avec les
naturels, pour voir le résultat de cette affaire. Nous fûmes en-
chantés de voir que tout se terminait à l'amiable. En cette
occasion, nous eûmes de grands motifs de reconnaissance, en
338 PIECES JUSTIFICATIVES.
voyant que nos prières avaient été si promptement exaucées.
Il y eut une circonstance digne d'attention : mon père et
M. Davis avaient remonté hier la rivière, et Tekoke leur avait
dit qu'il allait prier notre Dieu pour affaiblir les cœurs, waka
ngoi hore, des Ngapouis , afin qu'ils ne fussent pas disposés à
l'attaquer; et il nous pria d'en faire autant. La manière dont
la conférence eut lieu entre ces chefs nous rappelait les as-
semblées des anciens. Quand les chefs de Waï-Mate débar-
quèrent, les naturels de Kawa-Kawa, au nombre de trois
cents , partagés en deux bandes , exécutèrent un combat simulé
qui dura quelques minutes : puis tous s'assirent par terre en
se formant en demi -cercle; alors Tekoke se leva le premier
pour parler, marchant ça et là, comme un homme qui fait
une harangue. Il déclara aux Ngapouis qu'ils pourraient venir
l'attaquer quand ils voudraient, mais qu'il était trop vieux,
qu'il n'essaierait point de leur résister, et qu'il mourrait dans
sa place. Un des chefs de Waï-Mate répondit que Tekoke n'a-
vait rien à craindre de leur part, qu'ils n'avaient point de
sujet d'inimitié contre lui : deux autres parlèrent encore, puis
l'assemblée fut dissoute; chacun se retira de son côté, et
Tekoke prépara lui-même une case pour ses hôtes.
( Révérend W. Williams. )
( Missionnary Register, décemb. 1828 , pag- 6i3 et j«ù'.)
Vers la fin de juin 1827 , la mission de Wesley (John Hobbs
et John Stack, missionnaires; Luke Wade, assistant) fut réta-
blie, mais sur le côté de l'île opposé à son ancien siège à
Wangaroa. Elle est maintenant sur les bords du Shouki-Anga,
et le comité en parle ainsi qu'il suit : >< La population des en-
virons monte à quatre mille personnes ; les différentes tribus
ayant leurs villages sur les bords d'une belle rivière navi-
gable, on peut en canot les visiter facilement et prompte-
ment. Les missionnaires se proposèrent d'abord de se fixer
à Waï-Hou, à l'endroit même où ils débarquèrent, près de
PIECES JUSTIFICATIVES. 539
la résidence de Patou-One , chef ami, d'une grande influence
et de beaucoup de talent, et à trente-deux milles environ de
l'embouchure de la rivière. Mais ils trouvèrent ensuite néces-
saire de se retirer à six milles plus bas dans la rivière , dans un
lieu nommé Mangounga , où leur projet est d'élever des bâti—
mens convenables, et de fonder un établissement en règle. De
là ils feront des visites chez toutes les tribus du voisinage,
pour instruire les naturels dans les vérités importantes du
christianisme , et les déterminer autant que possible à placer
leurs enfans sous la surveillance des missionnaires.
ÇMissionnary Begister, mars 1829, pag. 127.)
DETAILS SUR LA MORT ET LES FUNERAILLES DE SHONGCI.
( Extrait du Journal de M. Stack , en date du 12 mars 1816.)
Patou-One , qui vient de revenir de Wangaroa , m'a rendu
visite ce soir. Je lui ai parlé de Shongui; il m'a donné divers
détails que j'ai écoutés avec intérêt, attendu qu'ils ont rapport
à la fin de ce chef extraordinaire. Je m'aperçus que Patou-One
en parlait d'une manière très-affectueuse.
Quand lui et ses gens arrivèrent à Pinia où était Shongui ,
ils le trouvèrent dans un tel état d'émaciation , qu'ils en furent
très-affectés ; suivant leur coutume, ils pleurèrent tous ensem-
ble, puis ils dirent à Shongui qu'ils craignaient de le voir
mourir bientôt ; il répondit à cela par la négative , disant
qu'il ne s'était jamais senti mieux. Après être restés assez, long-
temps pour lui rendre leurs hommages, ils allaient s'en reve-
nir quand Shongui fut tout-à-coup pris de mal ; alors ils ré-
solurent d'attendre le résultat de cette crise. D'après son grand
affaiblissement, jugeant qu'il allait passer, Shongui dit à ses
amis : « Je mourrai bientôt, mais pas aujourd'hui. » Il de-
manda sa poudre à canon : quand on la lui eut apportée, il dit :
" Ka ora koutou — Cela va bien pour vous, — » en s'adres-
540 PIECES JUSTIFICATIVES.
sant à ses enfans. Ce même jour (5 mars) il légua à ses enfant
ses mère ou haches de combat , ses mousquets , et la cotte de
mailles qu'il avait reçue du roi Georges IV. Après avoir ar-
rangé ces affaires, il parla de la conduite des naturels après
sa mort , et il assura que , suivant toute apparence , ils se con-
duiraient avec amitié envers ceux qui allaient lui survi-
vre, en disant : « Koxuai ma te liai hai mai ki a hou tou?
haorel — Qui est celui qui voudra vous manger tous? Per-
sonne ! »
Il employa ses derniers momens , dans la matinée du G du
courant, à exhorter ses compagnons à avoir du courage, et à
repousser toute espèce de force , quelque grande qu'elle fût ,
qui tenterait de marcher contre eux ; il leur déclara que c'é-
tait là toute la satisfaction, outou, qu'il exigeait ; ce qui suppo-
sait qu'on lui avait adressé la question suivante : « Quel est
celui qu'il faudra tuer en satisfaction de votre mort? » Cette
abominable coutume d'honorer les morts par des sacrifices hu-
mains existe encore à la Nouvelle-Zélande. Ses lèvres expi-
rantes proféraient ces mots: <« Kia toa , Icia toa. — Soyez
braves , soyez braves. »
Aussitôt que Shongui eut rendu le dernier souffle , tous ses
amis, dans le pâ de Pinia , commencèrent à trembler pour
leur propre compte; car ils ne savaient pas si les naturels de
Shouki-Anga n'allaient pas tomber sur eux, et les envoyer
tenir compagnie à leur chef mort , dans les contrées de la nuit.
Pour prévenir tout soupçon de leur part, les naturels de
Shouki-Anga ordonnèrent à leurs gens de rester tranquilles
dans leurs cases, tandis qu'ils se rendraient au pâ pour venir
préparer le corps de Shongui : à leur approche , bien qu'ils
eussent pris ces précautions, ils s'aperçurent que les habitans
du pâ frissonnaient de peur, comme des feuilles agitées par le
vent, jusqu'à ce que Patou-One et ses compagnons eussent dis-
sipé leurs craintes, car elles étaient sans fondement.
Le désir de tenir la mort de Shongui cachée jusqu'à ce qu'il
fût enterré, de peur que leurs ennemis ne vinssent les atta^
PIECES JUSTIFICATIVES. 541
quor, engagea ses enfans «à l'ensevelir, ou plutôt à le déposer
mit le ivahi-tapou ou sur l'endroit sacré, le jour même qui
suivit sa mort. Mais Patou-One leur en fit des reproches en
disant : « Ce n'est que d'aujourd'hui que j'ai connu des gens
qui veulent enterrer leur père vivant. » C'est pourquoi on at-
tendit quelques jours pour l'ensevelir; durant ce temps, on
rendit tous les honneurs que les Nouveaux-Zélandais sont sus-
ceptibles de rendre aux dépouilles du célèbre Shongui. Les
naturels passèrent tout ce temps à faire des harangues, à pous-
ser des cris, à se déchirer, à danser, à tirer des coups de fusil.
Voici ce que M. Samuel Marsden écrivait en date du
1er janvier 1829 , de Parramatta , au sujet de la Nouvelle-
Zélande :
Les naturels sont maintenant en paix les uns avec les autres.
Les chefs de la baie des Iles , ceux de la rivière Tamise , et
ceux qui habitent encore plus au sud , sont maintenant unis.
L'Evangile commence à exercer son influence sur quelques-
uns d'entre eux , et ils font de véritables progrès dans la civili-
sation. Il m'est arrivé ce matin un chef du détroit de Cook,
qui vient voir s'il pourrait obtenir un missionnaire. Il m'en-
voya , il y a deux ans, un de ses fils, âgé de cinq ans à peu
près, bien que je n'eusse jamais vu le père. J'avais renvoyé cet
enfant, il y a quinze jours, pour voir son père, ignorant que
celui-ci dût lui-même venir ici.
La Nouvelle-Zélande est maintenant de toutes parts prête à
recevoir l'Evangile et les arts de la civilisation. J'avais derniè-
rement chez moi une vingtaine de Nouveaux-Zélandais de la
côte occidentale qui ne sont pas encore tous repartis. Il n'y a
pas de doute que la Nouvelle-Zélande ne devienne une nation
civilisée.
( Missionnarr Regis/er, juin 1829 , pag. 284. )
.542 PIECES JUSTIFICATIVES.
extraits de quelques lettres des missionnaires , en
l'année 1828.
Vives affections des naturels.
J'ai visité Rangui-Hou. Le rivage entier était couvert d'é-
trangers, venus dans des dispositions amicales des bords du
Waï-Kato , appartenant à la tribu des Ngatc-Marou , qui der-
nièrement a causé tant de craintes à la baie des Iles. A la nuit,
Titore, chef de Waï-Mate, vint pour les voir, et saluer son
frère Rapou , qui était allé à Waï-Kato pour une mission de
paix. A son arrivée, Titore resta assis dans un morne silence,
la tête couverte de sa natte , et remuant son corps çà et là ,
ressemblant presque à un hérisson qui se serait roulé par terre.
Quelque temps après, quelques-uns des habitans de la colline,
mal intentionnés, se levèrent, et s'en allèrent pour enlever les
cochons de leurs hôtes : Titore s'y opposa, sans quoi j'ignore
quelles eussent pu être les suites de cette tentative. Puis Titore
monta sur une petite éminenec qui dominait la plage, et sou-
haita la bien-venue à son frère dans une sorte de chant mé-
lancolique, mais en même temps vraiment touchant. Pendant
toute sa durée , il se promenait d'un pas lent et solennel sur la
crête de la colline; puis , quand il eut fini, tout-à-coup il s'a-
dressa aux étrangers, et continua de leur parler avec grâce
durant plus d'une heure. Ses gestes étaient parfaitement natu-
rels, et par conséquent très-agréables : sa voix était forte, mais
bien modulée, et son langage abondant et fleuri. Je pris un
vif intérêt à toute cette scène, qui certainement était la plus
romantique dont j'eusse été jamais témoin. Quand tout fut ter-
miné, et que le salut eut aussi été donné suivant les formes,
Titore se précipita vers l'endroit où son frère était assis , et il
s'en suivit une entrevue très-touchante , attendu qu'il avait à
lui communiquer la mort d'une sœur à laquelle ils étaient tous
les deux tendrement attachés.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 543
Certainement les Nouveaux-Zélandais sont doués de senti-
mens extraordinaires; sentimens, j'en suis convaincu, qui
produiraient les plus heureux effets, si dès l'enfance ils eussent
été heureusement cultivés et convenablement dirigés.
o
( Révérend TV. Yate. )
Manières sauvages des naturels
i
On a observé une troupe nombreuse qui débarquait à Ko-
rora-Reka, et l'on a supposé que c'étaient des guerriers de
Oudou-Roa et de Kaïra, de Wangaroa et de Mataudi : car
nous avions appris que Oudou-Roa méditait une attaque sur
les tribus de Waï-Tangui, Waï-Kadi et Kawa-Kawa. Le len-
demain, au point du jour, l'armée fut en mouvement; d'a-
bord nous ne pûmes découvrir leurs intentions ; mais nous les
vîmes bientôt gouverner spr Waï-Tangui : des ordres furent
donnés pour fermer toutes les issues de nos habitations , excepté
deux que l'on pouvait fermer au dernier moment. Toï-Tapou
fit son apparition , et nous engagea à être bien sur nos gardes ,
attendu que les intentions de ces gens étaient mauvaises. Après
le déjeuner, nous nous décidâmes à rendre une visite à cette
armée; en conséquence nous armâmes une pirogue de guerre
appartenant à Toï-Tapou qui se trouvait à la place, et nous
nous dirigeâmes vers les étrangers : leurs ennemis s'étaient en-
fuis, et ils n'avaient trouvé qu'un esclave qu'ils avaient tué.
Nous conversâmes avec Kaïra , et nous fûmes contens de trou-
ver parmi eux nos amis Ware-Porka et Waï-Kato ; ils étaient
disposés en notre faveur, et s'opposaient évidemment aux pro-
jets du vieillard.
Tandis que nous nous trouvions avec cette troupe, il arriva
un accident que nous n'oublierons jamais , 'tant nous sommes
peu certains de vivre une heure de plus ! Waï-Kato nous mon-
trait le fusil que le roi lui avait donné. Ayant observé que les
deux coups étaient armés, je pris l'arme pour lesmettre au repos;
54 i PIECES JUSTIFICATIVES.
mais en touchant le ressort, le coup partit : dans ce moment,
Toï-Tapou récitait une harangue près de moi , et sa tête ne se
trouvait guère qu'à un pied de la bouche du fusil quand le
coup partit. Il se retourna , et me dit que j'avais manqué de le
tuer. Je le savais bien , et je rendis grâces à Dieu de ce que
cela n'était point arrivé. L'arme était dans une position pres-
que perpendiculaire; mais j'étais assis par terre et il était de-
bout. S'il était arrivé un malheur, nous l'eussions probable-
ment payé de nos vies.
Nous retournâmes ensuite à Pahia, et à deux heures dans
l'après-midi nous eûmes la satisfaction de voir toutes les
pirogues sortir à la voile de la baie, pour se rendre à Wan-
garoa. Les naturels déchargèrent leurs armes en passant près
de l'établissement, et en retour nous tirâmes deux coups de
pierrier; mais, malgré nos inquiétudes générales, ils s'en allè-
rent paisiblement.
( Révérend H. Williams. )
Visite, aux naturels sur la cote du Sud-Est.
Le Herald est revenu aujourd'hui, 18 avril 1828, du Sud,
avec quarante cochons environ et le quart d'une cargaison de
patates. Les hommes de ce navire étaient en bon train de le
remplir, mais ils furent obligés de revenir plus tôt qu'ils ne
le désiraient. Leshabitans du Sud semblent vivre dans un état
bien plus triste que ceux de la baie des Iles ; ils ne sont point
disséminés ça et là comme ceux-ci, mais ils sont réunis dans
des forteresses, et continuellement dans la défiance de leurs
voisins.
Le 12 avril, le Herald était entré à Touranga. Le havre
parut tout-à-fait désert, car il n'y avait qu'une pirogue en vue,
et les naturels étaient occupés à commercer avec un brick
mouillé aux environs, pour se procurer de la poudre.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 545
Détails sur le naufrage du Herald.
8 mai 1828. M. Hobbs est arrivé avec la nouvelle que le
Herald avait fait naufrage à Shouki-Anga , mais que l'équi-
page et M. Fairburn étaient sains et saufs à terre. Un petit
navire s'était perdu deux jours auparavant et se trouvait à la
côte à quelques milles au nord du Herald. Je me mis sur-le-
champ en route avec mon frère et M. Hobbs pour Kidi-Kidi ;
là M. Kemp se joignit à nous, et nous continuâmes notre che-
min pour Shouki-Anga.
9 mai. Nous arrivâmes à l'établissement Wesleyen de Man-
gounga, où nous apprîmes de nouveaux détails. A l'embou-
chure de la rivière Shouki-Anga se trouve une barre sur
laquelle les navires passent généralement sans accident; mais
quelquefois la mer y brise d'une manière affreuse. Depuis
deux jours le Herald se tenait au large, attendant une circons-
tance favorable , parce que la houle était très-grosse. Le 6,
un peu avant le coucher du soleil , il gouverna sur la barre
avec un bon vent et l'espoir d'être bientôt rendu au mouillae-e:
mais, une fois parvenu sur la barre, le vent tomba tout-à-
coup, et l'abandonna au pouvoir des brisans ; il tomba sur
les rochers. La nuit approchait , et comme l'équipage n'avait
qu'un sort terrible en perspective , chacun commença à songer
à son salut. Pendant ce temps, le canot, qui avait été mis à la
mer tandis que le navire tenait encore sur ses ancres, fut
entraîné par la violence du ressac; deux hommes qui se trou-
vaient dedans furent obligés de se sauver à la nage. M. Fair-
burn quitta ensuite le navire et n'atteignit le rivage qu'avec
beaucoup de peine, épuisé qu'il était de lassitude. Le maître
et l'équipage se tinrent suspendus au gréement jusqu'au lende-
main matin , où la mer se retira assez pour les laisser descen-
dre à terre. Du reste, en arrivant au rivage, ils ne trou-
vèrent guère de pitié dans les naturels, qui leur arrachèrent
la plupart de leurs vêtemens et les menacèrent d'en venir encore
TOME ni. 35
546 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
à de plus grandes extrémités. Aussitôt que la mer se fut suffi-
samment retirée , les naturels allèrent au navire et le dépouil-
lèrent de tout ce qu'ils purent emporter; non contens de cela .
ils hachèrent le navire de la manière la plus honteuse ; ils
coupèrent tout le gréement et toutes les garnitures de la
chambre, et ne laissèrent rien d'entier que la carcasse. M.Mair
et l'équipage restèrent auprès du navire pour tâcher de les
arrêter; mais ce fut en vain. En conséquence, peu après notre
arrivée à Mangounga , ils s'en vinrent dans un canot, jugeant
inutile de rester plus long-temps à bord.
10 mai. Nous sommes descendus vers les pointes du havre,
à vingt milles de distance environ. Nous avons visité le navire
à marée basse et l'avons trouvé dans un état déplorable : car
bien qu'une grande partie de sa quille fût échouée près du
corps du bâtiment, dont elle avait été séparée par le choc con-
tinuel des vagues sur le rivage, cependant la méchanceté des
naturels lui avait encore causé plus de dommage. Du reste,
c'est un grand bonheur que ceux qui le montaient aient
échappé , non-seulement à la fureur des flots, mais encore aux
cruautés des naturels. Comme notre troupe était forte , les na-
turels n'osèrent pas approcher de nous; mais à notre retour
nous passâmes par leur établissement, et nous vîmes quelques-
uns des principaux coupables. Ils eurent peu de chose à dire
pour justifier leur conduite : le pillage des menus objets était
permis d'après leurs propres idées; mais ils convinrent que le
dommage fait au navire était une mauvaise action. Du reste,
suivant leur habitude , les chefs rejetèrent le blâme sur
d'autres chefs non soumis à leur autorité.
il mai. Nous passâmes le dimanche à Mangounga, où
nous fîmes le service, matin et soir, dans la maison de
M. Hobbs.
12 mai. Ce matin , avant que nous pussions nous mettre en
route pour nous en retourner, Patou-One , le chef de cette
partie de la rivière , vint chez nous avec une forte troupe de
naturels: il nous dit qu'il allait demander satisfaction au
PIECES JUSTIFICATIVES. 547
peuple des pointes pour le mal qu'il avait fait au navire,
mais en même temps il désirait avoir notre sanction et nos ins-
tructions. L'affaire étant ainsi déférée à notre jugement, nous
ne pûmes leur donner notre approbation, bien que les naturels
des pointes méritassent certainement d'être punis. Nous leur
dîmes qu'en qualité de missionnaires, nous ne pouvions leur
conseiller une pareille démarche , que nous étions venus seu-
lement pour annoncer le nom de Dieu ; que nous étions affligés
de la conduite dont nous avions été témoins, mais que nous
devions abandonner le reste à notre Dieu. Ils dirent que nous
étions un étrange peuple; à la fin il fut arrêté que M. Hobbs
les accompagnerait le jour suivant, pour terminer l'affaire à
l'amiable.
( Révérend H. TVilliams. )
{Missionnarr Register, octobre 1829, page 458 et suiv.}
Voici quelques extraits des lettres écrites par les Mis-
sionnaires en 1829.
L'année dernière il y a eu une grande mortalité parmi les
naturels des environs, jeunes comme vieux. Au printemps
passé , plusieurs sont morts de la coqueluche : l'ennemi du
genre humain a profité de ces événemens pour irriter l'esprit
des naturels contre nous. Souvent ils nous ont dit qu'avant
notre arrivée dans ce pays ils vivaient fort long-temps; mais
qu'aujourd'hui tous meurent , j eunes comme vieux ; et la raison
qu'ils en donnent, est que notre arrivée parmi eux leur a ap-
porté différentes maladies. Ils disent que notre Dieu est un Dieu
cruel , parce que plusieurs d'entre eux meurent , et que c'est
lui qui les tue. Si nous pouvions leur persuader qu'ils vivraient
toujours et ne mourraient point, nul d'entre eux ne manque-
rait de venir h nous , et de dire que notre religion est bonne ;
tous l'embrasseraient. Mourir et quitter ce monde , est pour
35*
.J48 PIECES JUSTIFICATIVES.
les Nouvcaux-Zélandais le plus affligeant de tous les événe-
mens.
( M. Kcmp. )
Durant les deux dernières années, j'ai été bien aise de voir
les naturels manifester plus de dispositions à cultiver le grain ;
l'année dernière, j'ai acheté d'eux de quarante à cinquante
boisseaux de blé pour des couvertures, car cela seul peut les
engager à cette culture. Jusqu'à présent ils ne veulent pas se
donner la peine de le cultiver pour leur propre usage , attendu
que leur nourriture ordinaire leur coûte beaucoup moins
d'embarras. Je les ai encouragés par tous les moyens possibles;
et comme ils estiment beaucoup les couvertures, j'espère qu'ils
étendront cette culture sur une plus grande échelle ; je leur ai
promis que nous achèterions pour des couvertures tout le blé
qu'ils pourraient semer.
Taï-Wanga se porte bien , ainsi que sa femme ; leur famille
s'accroît : ils ont déjà trois enfans. Trois de mes naturels se
sont mariés, et tout, en général, va bien.
Comme j'ai commencé à bâtir pour moi-même une habita-
tion plus solide, mon ami Taï-Wanga se propose d'en faire
autant, et j'ai l'espoir qu'avec notre assistance il en viendra à
bout.
{M. fi. Davis.)
Depuis l'époque où nous mouillâmes dans la baie Paroa,
vis-à-vis du village où habitait Thomas Touai , de grands et
nombreux changemens ont eu lieu.' Le pauvre Touai n'est
plus : sa tribu est presque éteinte; le petit nombre de ceux qui
existent encore, dispersés parmi les autres tribus, ne sont
guère plus considérés que des esclaves. Il reste à peine quel-
ques vestiges du peuple de Kaï-Para qui fut naguère si nom-
breux. Dans le même intervalle de temps, Wangaroa a été
complètement dépeuplé et repeuplé par une tribu différente :
Pomare, Ware-Oumou et le fameux Shongui , après avoir fait
PIECES JUSTIFICATIVES. 549
périr par l'épée plusieurs autres chefs que j'avais jadis connus ,
ont terminé leurs jours de la même manière. Au milieu de
tous ces événemens , nous avons pu nous maintenir dans
notre position. Quoique souvent menacés par ces pauvres
sauvages, une invisible main les a empêchés d'accomplir leurs
menaces.
Durant ces dernières années, un changement très- remar-
quable a eu aussi lieu parmi les naturels. Des écoles ont été
établies ; plusieurs enfans et adultes ont appris à lire et à écrire.
L'Evangile a été prêché en plusieurs endroits, et nous en at-
tendons d'heureux effets ; quelquefois les chefs écoutent nos
instructions avec attention.
( M. Clarke. )
Nos naturels se comportent généralement bien , et font des
progrès considérables dans la lecture, l'écriture et le calcul :
ils ont acquis une grande connaissance de l'Ecriture, et cette
connaissance semble avoir de l'influence sur leurs actions.
Quanta de véritables conversions, jusqu'à ce moment il y a
peu de choses à dire. Durant les trois dernières années, cette
Mission a fait des progrès rapides; et, bien que nous soyons
encore sujets à certaines épreuves, nos espérances sont flat-
teuses.
( M. R. Davis. )
(Missionnary Régis ter, jévr. i83o,/jtf°\ n4 et suiv.*)
SOCIETE DES MISSIONNAIRES DE l'e'gLISE.
Rangui-Hou, sur la côte N. de la baie des Iles, fondée en
1810. — John King, James Shepherd, assistans. — Deux ser-
vices le dimanche et un le vendredi au soir : visites aux natu-
rels le dimanche et parfois dans la semaine : grande indifférence
de la part des naturels pour les intérêts spirituels. — Ecoliers ,
550 [PIÈCES JUSTIFICATIVES.
vingt-trois hommes et garçons, dix femmes; la plupart stu-
dieux : les chefs principaux s'instruisent; des progrès. — La
translation de la mission à Tepouna n'a pas été effectuée, at-
tendu qu'on songe à la réunir à d'autres pour les fortifier.
Kidi-Kidi, sur une rivière qui se jette dans la haie des Iles,
vers sa partie occidentale : 1819. — W. Yatc : James Kcmp ,
G. Clarhc , James Harnlin, C. Baker, assistans. — Il manque
une chapelle : quand tous se rasscmhlent, le nombre excède
cent : visites régulières aux naturels, aussi loin que Waï-
Mate, éloigné de dix milles : plus ou moins d'opposition à
l'Evangile, et disposition a écouter les instructions relatives
au temporel. Ecoliers, cinquante hommes et enfans , vingt-
trois filles : conduite en général très-satisfaisante. Une distri-
bution publique de récompenses pour bonne conduite a excité
un vif intérêt; soixante-huit garçons ou filles y assistaient : les
prix les plus distingués étaient un couteau, une paire de ciseaux,
une trompette ou un peigne : les naturels ont été enchantés
de leurs prix, et les Missionnaires de leur bonne humeur.
Pahia, sur la partie méridionale de la baie des Iles : à seize
milles au S. E. de Kidi-Kidi, et à la même distance par mer
au sud de Rangui-Hou : 1823. — II. TVilliams, W. Williams :
Richard Davis, TV. Fairburn, W. Puchey, assist. — Une cha-
pelle de quarante pieds de long sur vingt de large , avec un
local qui en dépend , de quarante pieds de long sur douze de
large, fut ouverte en septembre 1828. « Pour cette partie du
monde, écrit M. II. Williams, c'est un bel édifice, et qui
excite l'admiration et les louanges des naturels. » — Ecoliers,
soixante-un hommes ou enfans, trente-deux du sexe féminin.
— W. Williams compose un dictionnaire. Les litanies ont été
traduites.
Des douze missionnaires employés dans ces stations, tous
sont mariés, excepté MM. Yate et Puckey : tous les hommes
mariés ont des enfans, en tout vingt-huit mâles et quatorze de
l'autre sexe. M. Davis, en retournant à son poste, s'est embar-
qué avec sa femme, le révérend A. N. Brown , madame Brown
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 561
et madame Hart, en avril, pour la Nouvelle-Zélande. L'Ac-
tive a été acheté et expédié pour remplacer le Herald qui s'est
perdu.
SOCIETE DE VESLEY.
Mangounga, sur le Shouki-Anga, 1827. —John Hobbs ,
James Stack, M. et madame White sont en route pour re-
prendre leurs travaux.
(Missionnaiy Register, j'anv. i83o, pag. fc et suiv.)
EXTRAITS DU JOURNAL DU REVEREND WILLIAM YATE.
$ février 1829. Matapo , l'un des chefs de Tae-Ame , a tué
une esclave ce matin. La raison qu'il a donnée de cette
action a été que l'esclave avait pratiqué un charme sur
Tekoke , chef de Kawa - Kawa , et avait causé sa maladie.
Quand Matapo l'eut tuée, ce vieux coquin de Tareha la fit rôtir
et la mangea. J'ai déjà signalé Tareha comme l'homme le plus
barbare de l'île : il a tué et mangé trois personnes depuis que
je suis à la Nouvelle-Zélande.
16 février. Pawe, l'un de nos grands personnages, est mort
ce matin à W aï-Mate , après une maladie lente et pénible.
C'était un naturel de manières fort agréables ; mais il n'a jamais
donné les moindres signes de conversion. Ses amis nous ont
envoyé demander une couverture pour envelopper le corps
avant de l'inhumer. Rien chez eux n'excite plus leur attention
que la vénération pour les morts.
18 février. Je suis allé à la résidence de Pawe qu'on avait
dit mort : je le trouvai en vie ; mais il expira peu d'heures
après mon arrivée. L'endroit était taboue; on ne permettait à
personne d'approcher de lui. Néanmoins je n'eus aucun égard
à ce qu'on me dit; mais je m'avançai vers un petit hangar; je
lui fis un peu de thé, et tâchai de profiter de l'occasion. Un
552 PIECES JUSTIFICATIVES.
grand nombre de naturels étaient présens dans l'attente de sa
mort : ils se montrèrent tous attentifs. Je passai près de quatre
heures avec eux.
26 février. J'ai visité Waï-Mate, et je suis allé dans sept
résidences; mais je n'ai pas rencontré autant de naturels que
je m'y attendais, parce qu'ils étaient fort occupés à dégager les
Lois. Du reste , j'ai trouvé pour trois heures d'occupation
dans ces différens endroits.
27 février. J'ai visité les naturels de Tako , grand établisse-
ment sur la côte, à douze milles environ de Kidi-Kidi. Wata,
le chef de l'endroit, était allé à Wangaroa pour voir Oudou-
Roa qui' est indisposé : sa femme se trouvait chez elle, ainsi
que toute sa famille. Je n'étais jamais venu dans cette place,
et elle n'avait encore été visitée que deux fois par les Euro-
péens. La réception qu'on me fit fut très-gracieuse. La vieille
dame gronda ses esclaves d'une manière terrible , pour avoir
été si long-temps à faire cuire des vivres pour moi et mes
hommes. Je parlai à cinq groupes différens, et leur annonçai
les trésors incompréhensibles du Christ. Quand j'eus traversé
la rivière pour m'en retourner chez moi , je rencontrai une
troupe qui venait du côté du Sud. Titore , l'un des chefs de
Waï-Mate, se rendait à l'endroit que je venais de quitter, et
portait attaché au sommet d'une lance un petit morceau de
bois en guise de souvenir de feu Pawe. Titore, en sa qualité
de porteur, était taboue, et n'osait pas manger jusqu'au mo-
ment où il aurait remis l'objet de son message à la personne à
laquelle il était destiné. Je lui offris un morceau de pain
d'épice que j'avais dans ma poche; mais quand il le vit, il
s'enfuit comme s'il eût vu un serpent.
10 mars. Une centaine de naturels sont passés par Kidi-
Kidi en toute hâte pour se rendre à l'habitation de feu Koi-
Koi ; ils se proposent d'en enlever tous les vivres, à cause de
certaines mauvaises paroles que le vieux homme a prononcées
au moment même de sa mort. Nous ne disons jamais rien pour
les détourner de ces sortes d'actions, car elles sont conformes aux
PIECES JUSTIFICATIVES. 553
coutumes du pays, et ce serait chose absolument inutile que
de nous immiscer dans leurs réglemens , excepté quand leur
vie en dépend.
19 mars 1829. J'ai visité les naturels au bas de la rivière, et
j'en ai rencontré une troupe forte de deux cent cinquante
environ : ils étaient fort pressés, car ils marchaient au pillage ,
et ils n'ont point voulu m'écouter du tout.
20 mars. Ware-Pou et Hane, deux anciens serviteurs de
l'établissement , se sont mariés ce soir. Probablement ils font
très-bien; leur mariage n'est point une affaire terminée à la
hâte; il y a plus de douze mois qu'ils y songent.
l4 avril. Je suis allé à Waï-Mate, à Pouke-Nouï et Mau-
pere : j'ai rencontré des troupes de naturels fort nombreuses, et
j'ai prêché dans dix-sept villages différens. Les naturels ont
fait plusieurs bonnes observations sur ce que je leur avais dit
lors de ma dernière visite.
12 mai. Le vieux Wata, homme très-vénérable et chef de
Tako, est descendu à l'établissement, suivant la promesse
qu'il nous avait faite samedi dernier, et nous a vendu vingt-
quatre corbeilles de maïs d'une excellente qualité. Il avait
amené vingt-quatre esclaves avec lui pour porter ce grain , par
un très-mauvais chemin , l'espace de plus de quatre milles. Le
paiement a été deux de nos meilleures couvertures.
i3 et 14 mai. J'ai visité les naturels de Waï-Mate et de
Ahou-Ahou. J'ai parlé à quinze groupes formant trois cent
cinquante personnes environ. Sur mon chemin, j'ai rencontré
la femme de Titore : elle allait à Kidi-Kidi pour me prier de
me transporter vers son mari qui est très-mal; c'est un homme
d'une haute importance, et qui ne le cède qu'à Rewa seu-
lement pour le rang. Je le trouvai couché au bord d'un petit
torrent sans autre toit que celui des cieux. Je le saignai et lui
donnai quelques remèdes, en lui conseillant d'aller sous quel-
que abri. Il répondit qu'il ne pouvait pas le faire, qu'il était
sous le tapou, et qu'en conséquence il n'oserait pas y aller.
•Si j'allais maintenant, disait-il, dans une maison , l'Atoua
554 PIECES JUSTIFICATIVES.
serait très-courroucé ; il ferait passer cette pierre au travers de
mes côtes; il la ferait entrer dans mon cœur, et je mourrais.
Tel que je suis, continuait-il, il y a des balles dans mon corps,
une dans mon bras, une autre dans ma cuisse et une troisième
dans mon gosier. » Je tâchai de lui faire entendre raison sur une
croyance aussi absurde ; mais il était si superstitieux qu'il se
montra sourd à -tout ce que je dis à ce sujet. Quand je l'eus
saigné, il dit : « Là, c'est bon. Maintenant il y a un trou ; peut-
être l'Atoua permettra-t-il aux balles de sortir de mon corps,
et je vivrai. » Avant de continuer mon chemin , je lui fis
bouillir un peu de thé qu'il prit : cela le rafraîchit sensible-
ment; son abattement disparut, et il se sentit beaucoup mieux.
Il n'y a rien dont un Nouveau-Zélandais soit plus recon-
naissant que les petits soins qu'on lui rend pendant qu'il est
malade. Tout ce que nous pouvons faire en ce genre, aux
riches comme aux pauvres, ne peut manquer de nous en faire
des amis.
i5 mai. Aujourd'hui j'ai été témoin d'une scène telle que
je n'en avais jamais vue jusqu'à ce moment à la Nouvelle-
Zélande. Une foule de naturels sont venus dans l'établisse-
ment et ont été fort turbulens. Du reste, ce n'était pas à nous
qu'ils en voulaient , et leur conduite était justifiée par les cou-
tumes du pays. Un des jeunes gens de M. Baker était allé
dans l'intérieur, et pendant ce temps avait épousé une jeune
fille qui demeure chez M. Clarke. Cette fille, depuis quelque
temps, avait été mise à part pour son beau -père; en consé-
quence, elle ne pouvait épouser personne autre sans s'exposer
non-seulement elle-même à la mort, mais aussi son mari.
Après s'être mariés, ils revinrent à Kidi-Kidi. Deux jours
après, la tribu entière vint pour emmener l'épousée, et pour
donner à l'époux une sévère correction : ils n'osèrent pas se
porter à de plus grandes rigueurs à cause du rang dont il
jouit parmi eux. Les naturels se montrèrent fort indisciplinés
en cherchant la mariée : la présence de Rcwa ne put les em-
pêcher de sauter par-dessus nos palissades, et de courir tout
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 555
au travers de nos propriétés pour découvrir où la femme s'était
cachée. A la fin, ils trouvèrent sa retraite, la battirent, et
remmenèrent en triomphe avec eux. Ensuite tout se passa
très-bien ; mais l'affaire aurait pu devenir sérieuse, car le frère
de la fille l'ajusta avec son fusil, et allait lui brûler la cervelle
si un ami ne lui eût arraché son arme. Elle ne sera pas mal-
traitée davantage; mais je ne sais pas si on lui permettra de
retourner avec son mari, ou bien si on la réservera pour son
beau-père.
ier et S juin. Une troupe considérable est venue du Sud
pour rendre visite à Revva. En leur faisant la politesse habi-
tuelle, son fusil a crevé et sa main a été grièvement blessée.
En conséquence de cet événement, tous ses vivres, ses cou-
vertures, et ses autres possessions, lui ont été enlevés par ses
amis , comme une marque de leur mépris.
11 et 12 juin. J'ai visité les habitans de Waï-Mate. Il s'y
trouvait une foule de naturels qui s'y étaient rassemblés de
toutes les parties de l'île, pour prendre part au festin donné
par le peuple de Waï-Mate à l'occasion de la translation des
os de Patou. J'eus là une excellente occasion de leur adresser
la parole , et ils se montrèrent tous attentifs.
EXTRAITS DU JOURNAL DD REVEREND W. WILLIAMS.
•2 juin. Rewa s'est blessé grièvement la main avec un fusil •
dont le canon a crevé. 11 était nécessaire d'amputer trois
doigts, et je lui proposai de lui faire l'opération; mais les
naturels étaient si superstitieux que chacun d'eux s'y opposa.
On me donna même à entendre que, si je lui avais taillé la
main, une troupe d'étrangers qui venaient d'arriver du Sud
auraient probablement été taillés en pièces par la tribu de
Rewa , en expiation de l'accident qui lui était arrivé.
Dimanche 21 juin. Le malin esprit est aux aguets, surtout
maintenant, pour aigrir les naturels contre nous au sujet de
556 PIECES JUSTIFICATIVES.
leurs maux temporels. Ils disent qu'avant notre arrivée parmi
eux, peu de personnes mouraient avant la vieillesse, et que
nous leur avons apporté des maladies dont ils deviennent les
victimes à tout âge. Cela a été aujourd'hui le principal sujet
de la conversation entre eux et nous.
i4 juillet. Je suis allé à Kavva-Kawa. Je me suis beaucoup
entretenu avec deux naturels qui venaient d'arriver du Waï-
Kato, escortés d'une troupe nombreuse, pour commercer avec
les habitans de la baie des Iles. Je leur ai tracé une esquisse de
notre message, et ils semblaient en avoir déjà quelque idée.
Ils ont dit qu'une femme du Waï-Kato était allée dernière-
ment au ciel, et avait rapporté que c'était un très-bon endroit;
qu'il y avait une foule de peuples qui vivaient en paix. Quand
ils avaient entre eux quelque légère querelle, ils avaient pour
combattre des paquets de jonc au lieu de fusils, et en place
de mère en pierre des feuilles de phormium.
24 août 1829. J'ai remonté la rivière Waï-Kadi, accom-
pagné par M. Yate. Le vieux Torou , le chef principal , était
malade. Il a remarqué, comme beaucoup d'autres ont fait, qu'il
était malade pour n'avoir pas fait assez d'attention à nos kara-
«
kia (prières), et il a demandé avec une sincérité apparente ce
qu'il devait faire.
25 août. Ce matin , un prêtre d'une certaine célébrité fai-
sait du mouvement parmi nos naturels. Il leur expliquait le
pouvoir vocal de leur dieu Witi ; ce n'était autre chose qu'une
# sorte de sifflement que le prêtre faisait sortir de sa tête par un
tour de ventriloquie. Nous lui dîmes qu'en Angleterre cer-
tains hommes pourraient faire parler une huître ou même un
homme mort, mais que pour cela on ne les appelait point des
dieux. Alors je demandai : « Pourquoi, si celui-ci est un dieu,
ne guérit-il pas vos malades? — Le dieu du pays, répondit
l'individu, est mort depuis que vous êtes venus ici, et il ne
peut plus rien faire. » Cela ressemble en quelque chose à
l'oracle de Delphes , qui cessa de prophétiser lors de la pre-
mière promulgation de l'Evangile.
PIEGES JUSTIFICATIVES. .557
Dimanche 20 septembre. Je suis allé, avec M. Shcphcrd ,
visiter quelques naturels du voisinage qui étaient, pour la
plus grande partie , fort occupés à travailler à leurs filets.
Waï-Kato , qui a été en Angleterre avec Shongui , est tout
aussi superstitieux qu'aucun de ses compatriotes, et pour rien
au monde ne négligerait un seul de ses tapous. Un filet neuf
donne lieu à beaucoup de cérémonies. La mer entière, dans
le voisinage immédiat de Rangui-Hou , est maintenant sacrée
pour ce motif, et nulle pirogue n'a le droit d'y passer sous
quelque prétexte que ce soit. Waï-Kato eût volontiers empê-
ché mon canot de revenir le lendemain , et je n'eus la permis-
sion de passer qu'en promettant de gouverner aussi loin du
filet qu'il me serait possible. Le canot de M. Yate, qui venait
de Kidi-Kidi, fut obligé de s'en retourner sans atteindre Ran-
gui-Hou. Le lendemain, ayant passé outre en dépit du tapou
avec M. Kemp , pour aller voir M. Sbepberd qui était fort
mal , ces deux missionnaires et les hommes de leur équipage
furent fort maltraités. Waï-Kato, pour sa justification, allé-
gua que nous avions nos jours sacrés, que nous étions fâchés
quand on les violait, et qu'ils avaient le droit d'en faire autant.
22 octobre. M. Hamlin est venu de Kidi-Kidi dans un
canot pour voir madame Kemp qui est tombée dangereuse-
ment malade : il lui a fallu passer à un demi-mille de Waï-
Tangui où les naturels préparent un grand filet à maquereau.
La mer à une certaine distance tout à l'entour est sacrée.
Comme le naturel le plus intéressé dans ce filet est d'un carac-
tère turbulent , il conçut le projet de nous causer de l'inquié-
tude; et, suivi d'une cinquantaine d'hommes de son parti, il
accourut en toute hâte à notre établissement. De leur côté,
les gens du canot de M. Hamlin , voyant ce qui se passait à
terre , forcèrent de rames comme s'il y allait de leur vie , et
atteignirent notre plage juste à temps pour se mettre en état
de défense contre leurs agresseurs. Ceux-ci s'élancèrent sur le
canot, dans l'espoir d'y trouver quelque butin; car, d'après
leurs lois, il leur eût été légitimement acquis. Leur recherche
Ô58 PIECES JUSTIFICATIVES.
ayant été inutile, ils attaquèrent alors l'équipage du canot,
et plusieurs d'entre nous crurent devoir intervenir. Le résultat
de cette querelle fut que Marou-Po , le chef, fut terrassé par
un des naturels de Kidi-Kidi, et son mousquet et sa giberne
jetés à la mer. Ce ne fut qu'après la fin de cet engagement
que je connus l'arrivée de M. Hamlin. De pareils incidens
pourraient causer quelque inquiétude à plusieurs de nos bons
amis d'Angleterre ; mais nous sommes obligés de nous y rési-
gner fréquemment.
3 novembre. Je suis allé avec mon frère à Mounga-Neri ,
l'endroit où. se pèche le maquereau, près de la pointe S. E.
de la baie des Iles. Presque tous les naturels de ce canton s'y
sont rendus, et c'est un endroit très-commode pour les visiter.
A minuit, nous atteignîmes une petite île qui n'en est qu'à
quatre milles, et nous y dressâmes notre tente pour la nuit.
Le lendemain matin , nous nous trouvâmes au milieu de di-
verses troupes de naturels appartenant à presque toutes les
tribus avec qui nous sommes en relation : ils se sont tous ras-
semblés sur un espace d'un mille environ. Leur conduite a été
généralement satisfaisante.
3o novembre. Nous avons enterré notre jeune naturel Ro-
bert qui a dernièrement reçu le baptême. Sa mort n'a pas
excité beaucoup d'intérêt parmi les habitans : ils sont bien
aises de penser qu'il est allé au ciel, sans souhaiter pour eux-
mêmes une semblable bénédiction.
16 décembre. Je suis allé à l'établissement des naturels à
Wangaï. Il est un point de vue sous lequel les Nouveaux-
Zélandais diffèrent de beaucoup d'autres païens : d'ordinaire
ils ne chicanent point sur ce que nous leur disons ; mais tout
en acquiesçant à nos paroles d'une manière souvent agréable
pour nous, ils conservent une apathie semblable à celle qu'on
retrouve si souvent dans notre propre patrie. Aujourd'hui ma
conversation avec les naturels eût frappé un nouveau-venu ,
mais je n'ose pas en concevoir un grand espoir.
21 décembre. Un homme et une femme viennent d'être
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 559
massacrés, sous le prétexte qu'ils ont ensorcelé plusieurs per-
sonnes qui sont mortes dernièrement. Une autre femme a rêvé
que telle avait été la cause de leur mort, et ce songe a été
suffisant aux veux d'un naturel. Les corps ont été portés à
Korora-Reka, le mouillage ordinaire des navires, où ils ont
été rôtis et mangés.
(Mùsionnary Register, octobre i83o , page 467 et suiv.)
Le révérend W. Williams écrit en date du 5 mars
1830 :
Les naturels des environs se sont rassemblés durant quel-
ques jours à Korora-Reka, sur le côté opposé de la baie et à
deux milles environ de notre établissement, dans l'attente
d'une attaque des habitans réunis de Wangaroa, Rangui-Hou
et Kidi-Kidi. Ayant appris ce matin qu'Oudou-Roa, cbef
des assaillans, était arrivé, nous pensâmes que nous ferions
bien de nous rendre près des deux armées pour tâcher de les
détourner du mal. Avant débarqué à Korora-Reka, nous pas-
sâmes par-dessus la colline, et nous trouvâmes les ennemis qui
se régalaient des koumaras ou patates douces qu'ils venaient
d'arracher d'un jardin près duquel ils avaient abordé. Toï-
Tapou , notre voisin, était occupé à débiter une harangue,
dont le but était d'empêcher Oudou-Roa de se porter à de
plus grands excès, et de l'obliger à se contenter d'avoir ravagé
les plantations de koumaras, en satisfaction du langage indé-
cent que l'autre parti s'était permis. Toutefois Oudou-Roa
semblait être toujours aussi déterminé à marcher sur Korora-
Reka le jour suivant.
Le révérend H. Williams décrit ainsi leur entrevue
avec les chefs :
Nous trouvâmes Toï-Tapou, au milieu du conseil, récitant
560 PIECES JUSTIFICATIVES.
une harangue. Aussitôt que nous parvînmes en vue de ces
guerriers , ils nous reçurent de la manière la plus gracieuse et
nous firent faire place. Nous nous plaçâmes de manière à leur
adresser la parole , d'après le désir qu'ils nous en témoignèrent
eux-mêmes. Après avoir réclamé le silence , afin que tout le
monde pût entendre, nous nous exprimâmes aussi librement
avec eux que nous l'eussions jamais fait, et rien n'était plus
satisfaisant que l'attention qu'ils porlèrent à nos paroles. En-
suite ils firent défiler leurs troupes pour que nous pussions
juger de leur force. Toï-Tapou , qui appartient à l'autre
parti , les admira beaucoup , et s'écriait avec un sentiment
d'orgueil, en montrant du doigt les différentes tribus : « Celles-
là sont à moi! et celles-là aussi sont à moi! » Au bout de deux
heures, nous nous en allâmes, espérant qu'il n'arriverait
aucun malheur.
6 mars i83o. Vers neuf heures, nous avons entendu plu-
sieurs décharges de mousqueterie à Korora-Reka. A l'aide de
nos lunettes , nous pouvions observer des personnes courant
dans toutes les directions, et des pirogues chargées de monde
quittant le rivage pour se diriger vers les navires. Sur-le-
champ , M. Davis et moi nous nous embarquâmes dans le
canot; et après avoir communiqué avec le capitaine King à
bord du Royal- Sovereign , nous allâmes à terre pour essayer
de faire cesser le feu. Nous débarquâmes sur le théâtre du
combat; mais nous ne pûmes voir aucun chef de distinction,
attendu qu'ils étaient tous cachés par les palissades et les re-
tranchemens. Les deux partis étaient à vingt-quatre verges
environ de distance l'un de l'autre. Je fis autant de bruit qu'il
me fut possible, mais ce fut en vain. Je m'avançai vers notre
vieil ami Toï-Tapou qui se reposait sur ses armes à l'autre
bout de la plage. Je fis en sorte de lui persuader de m'accom-
pagner vers l'armée ennemie pour l'engager à se retirer; mais
il ne voulut pas bouger. Un jeune chef, nommé Touai-Angui,
fut chargé de m'accompagner. Rewa s'avança vers moi , et fit
signe à ses troupes de cesser le feu. Quand nous fûmes près
P1ECKS JUSTIFICATIVES. 561
du champ de bataille, nous apprîmes que plusieurs d'entre
eux étaient tués et blessés. Je fus conduit devant Oudou-Roa ,
qui pouvait à peine parler : du reste, une foule de guerriers
m'environnèrent et portèrent toute leur attention à ce que je
voulais leur dire. Ils convinrent de la justesse de nos argu-
mens , et reconnurent que Satan les avait poussés à cette
mauvaise action. Peu après, plusieurs personnes descendirent
des navires dans les canots pour visiter le champ de bataille :
plusieurs étaient morts, d'autres mourans , et le nombre des
blessés ne fut pas connu. Il y eut une chose qui m'étonna
beaucoup , en cette circonstance , dans la conduite de ces
hommes. Un quart-d'heure après que le feu eut cessé, un
grand nombre de guerriers de chaque parti se mêlaient in-
distinctement avec leurs ennemis , et nous trouvâmes que des
parens , des enfans et des frères avaient combattu les uns
contre les autres.
A cette occasion, M. Davis écrit :
Hélas! quel jour d'horreur et de détresse! Hier au soir,
nous avions quitté les deux partis avec le désir apparent de
faire la paix ; mais eu matin, entendant le feu et jugeant que
le combat avait commencé , nous lançâmes notre canot à la
mer, et nous nous rendîmes vers les navires. Comme le Royal
Soveieign, capitaine King, n'était mouillé qu'à deux ou trois
cents verges du lieu de l'action , nous nous dirigeâmes de son
coté. Je montai à bord. M. Williams se rendit au rivage où il
débarqua, et fit son possible pour arrêter le feu; mais il fut
obligé de rentrer dans son canot, attendu que les deux partis
faisaient un feu très-vif. Ce fut une démarche très-périlleuse
de la part de M. Williams, et il courut de grands risques
d'être tué. Le pont du Royal Sovcreign présentait un déplo-
rable spectacle d'horreur et de désespoir : plusieurs des blessés
avaient été transportés à bord et gisaient étendus sur le tillac ,
tome m. 3G
562 PIECES JUSTIFICATIVES.
mutilés et ensanglantes; le chirurgien était occupé à panser
leurs blessures, assisté par tous les hommes de l'équipage qui
pouvaient lui donner la main. En outre des blessés, il y avait
un grand nombre de femmes et d'enfans qui du village s'é-
taient enfuis sur le navire pour y chercher leur salut. A la
requête urgente du capitaine , je restai sur le navire pour l'as-
sister dans ses rapports avec les naturels. On s'attendait à voir
les habitans abandonner leur village et s'enfuir vers les vais-
seaux pour réclamer la protection des Européens; et dans ce
cas, ils y eussent été probablement suivis par les vainqueurs.
Aussi les navires furent mis en état de défense, et l'on se pré-
para à tout événement. Mais il n'y avait pas long-temps que
j'étais à bord , quand les assaillans se retirèrent et s'en allèrent
dans toutes les directions. Alors je descendis à terre avec
les capitaines King et Dean. Un spectacle affreux s'oinit
à nos regards, car il y avait près de cent personnes tuées
ou blessées. Peu après que nous eûmes débarqué , les assaillans
eurent la permission de venir reprendre leurs chefs morts et
blessés , mais ils laissèrent les cadavres des esclaves tués.
Comme ils avaient encore laissé le corps d'un chef de peu
d'importance, un des chefs du village accourut, lui ou-
vrit le ventre avec une hache, et prit un petit morceau de
foie : on me dit que c'était une offrande pour le dieu de la
Nouvelle-Zélande. Après avoir rendu visite aux deux armées
et être restés avec eux jusqu'à minuit environ , nous revînmes
chez nous.
Dimanche 7 mars i83o. Au point du jour, je fus réveillé
par un bruit de coups de fusils venant de Korora-Reka , qui
cessa avant le lever du soleil. Sur les sept heures, nous vîmes
les pirogues d'Oudou-Roa qui traversaient la baie, se diri-
geant sur Motou-Roa. Toute la journée, il arriva des piro-
gues de Korora-Reka avec des hommes , des femmes et des
enfans qui apportaient avec eux tout ce qu'ils possédaient. Le
service fut retardé à cause des blessés. Au dehors, les naturels
faisaient beaucoup de bruit; mais leur conduite fut pacifique.
PIECES JUSTIFICATIVES. 568
A trois heures après-midi, nous observâmes que les maisons
de Korora-Reka étaient en feu , et toutes les pirogues quit-
tèrent le rivage en prenant diverses directions. Au soleil cou-
chant, Oudou-Roa vint avec Toï-Tapou sur notre plage pour
camper auprès de nous : un moment après arriva Rewa avec
sa famille. Tout était en désordre, et divers bruits circulaient
sur les intentions des Ngapouis.
(M. TVilliams.)
S mars. Plusieurs de nos naturels revinrent de leur pâ de
Kawa-Kawa pour observer les mouvemens de l'ennemi. Nous
leur dîmes que nous tâcherions d'obtenir la paix , s'il était
possible : cette assurance parut leur faire plaisir, mais ils
doutaient que leurs ennemis fussent disposés à s'y prêter. Au
même instant , un navire parut en vue , et il se trouva qu'il
venait de Port-Jackson , amenant sur son bord notre vieil
ami M. Marsden avec une de ses filles.
L'arrivée de M. Marsden fut accueillie avec joie par
les Missionnaires comme par les naturels ; car sa présence
pouvait fortement contribuer à l'accomplissement du but
qu'ils se proposaient , le rétablissement de la paix.
M. Marsden décrit ainsi qu'il suit l'état des choses à son
arrivée :
Quand j'arrivai à la baie des Iles , je trouvai les Mission-
naires dans une grande agitation ; car les naturels étaient
armés les uns contre les autres et réunis en corps nombreux.
Le 6 du courant, un combat avait eu lieu sur le rivage
opposé , dans lequel il y avait eu soixante-dix hommes tués
ou blessés : les cadavres étaient encore étendus sur la plage.
Mon arrivée dans un moment aussi critique fut d'un vif intérêt
pour les Missionnaires, car ils espéraient que j'aurais assez
d'influence sur les tribus en guerre pour rétablir la paix entre
36*
564 PIECES JUSTIFICATIVES.
elles. Des messagers avaient été expédiés de différens côtés
aux amis et aux alliés respectifs des deux partis, et l'on s'at-
tendait à voir arriver sous peu de jours quelques milliers
d'hommes à la baie des Iles. Quelques chefs vinrent aussitôt
me rendre leur visite, et me prièrent d'intervenir entre eux.
Les deux partis étaient également nos amis, et je connaissais
parfaitement les principaux chefs de chaque côté. Je promis
d'aller le lendemain, avec le révérend H. Williams, visiter
les deux camps, et d'écouter ce que chacun des deux partis
aurait à dire. En conséquence, le 9 de bon matin, nous nous
dirigeâmes vers le camp de ceux qui avaient remporté la vic-
toire, et nous en fûmes reçus avec la plus çrande cordialité. Sur-
le-champ, nous nous occupâmes de l'objet de notre mission.
Après une longue discussion , qui fut soutenue par les chefs
avec beaucoup de chaleur et d'énergie, il fut convenu que
nous nous rendrions au camp de leurs ennemis pour leur ren-
dre compte de ce qui avait eu lieu dans cette séance. Les deux
camps étaient éloignés de quatre milles environ. A notre
arrivée , nous fûmes reçus avec beaucoup de respect par les
chefs , et nous les trouvâmes disposés à écouter tout ce que
nous avions à leur dire. Le révérend H. Williams exposa
l'affaire. Après divers débats, il fut arrêté que nous nous ren-
drions avec un des principaux chefs sur l'île Motou- R.oa , dis-
tante de cinq milles à peu près, et sur laquelle était campée
une troupe considérable de leurs amis, afin de connaître leurs
sentimens. Nous y consentîmes, et nous fîmes aussitôt route
vers cette île. A notre arrivée, nous trouvâmes le rivage cou-
vert de pirogues de guerre et les naturels préparés à com-
battre. Nous restâmes quelques heures au milieu de cette
armée; plusieurs des chefs parlèrent avec beaucoup de force
et de dignité : cependant ils cédèrent à nos désirs, et même
nous autorisèrent à nous diriger vers le camp de leurs ennemis
et à leur faire quelques propositions amicales. Quand tout fut
arrangé, nous revînmes chez nous vers neuf heures du soir.
Les conditions de la paix ne sont pas encore définitivement
PIECES JUSTIFICATIVES. 505
fixées. Je n'ai cessé de négocier pour la paix depuis mon
arrivée, et j'espère qu'elle sera bientôt établie. Je n'ai pas
beaucoup d'inquiétude pour les Missionnaires, car les deux
partis sont très-bien disposés pour eux; mais ils ne s'étaient
pas encore vus dans une position si critique, et jusqu'à ce
moment la paix régnait autour d'eux. Je pense que, quand
ce différend sera apaisé, leur influence se répandra :m loin :
plusieurs des cbefs éloignés apprendront qui nous sommes et
quel est l'objet que nous nous proposons.
L'origine de la guerre actuelle provient de la conduite
infâme du maître d'un navire baleinier. Les chefs prétendaient
que, puisque la guerre ne provenait pas d'eux, mais bien d'un
Européen, les Européens, comme nation, devaient être res-
ponsables de ses conséquences. Ils désiraient savoir quelle sa-
tisfaction nous leur offririons pour la perte de ceux de leurs
amis qui avaient été tués; qu'ils étaient en droit de demander
satisfaction ; qu'il était juste que les Européens la leur don-
nassent; que cette querelle ne leur était point personnelle. Je
répondis que tout ce que je pouvais faire était d'écrire en
Angleterre pour empêcher le retour du maître dans la Nou-
velle-Zélande. Ils me prièrent de n'en rien faire; ils désiraient
se saisir de sa personne ; et ils s'en saisiraient, s'il revenait
chez eux ; puis ils se procureraient eux-mêmes la satisfaction
qui leur est due. La conduite immorale de quelques-uns des
baleiniers est épouvantable.
M. Williams continue ainsi :
o, mars i83o. M. Marsden et moi nous sommes allés au pâ
où les naturels de Kawa-Kawa étaient rassemblés. La plus
grande attention fut donnée à ce que nous avions à dire, et il
fut unanimement décidé que Korora-Reka serait livré au parti
opposé, comme satisfaction pour Shongui et tous ceux qui
avaient été tués. Le cri général était la paix! Nous poussâmes
ensuite vers Korora-Reka, où les habitans parurent désirer la
56b' PIECES JUSTIFICATIVES.
paix, et il fut convenu que Tareha et Titore nous accompa-
gneraient vers Oudou-Roa , qui était sur Motou-Roa. Le vent
étant favorable, nous fûmes bientôt rendus, et nous eûmes
une conversation très-satisfaisante. Tous, à l'exception d'un
ou deux , semblent disposés à la paix.
îu mars. Au point du jour, les Oudi-Kapana traversèrent
l'établissement. Ils s'arrêtèrent un moment pour écouter les
nouvelles et pour voir M. Marsden. Après le dîner, j'allai
à Korora-Reka pour voir Oudou-Roa qui venait d'arriver de
Motou-Roa. Il dit qu'il était inutile, pour faire la paix, d'at-
tendre que tout le monde fût rassemblé , et il semblait douter
de la sincérité de ses adversaires.
n mars. Après le déjeuner, Rewa, M. Marsden et moi,
nous nous dirigeâmes vers le pâ. A la demande de Rewa,
nous hissâmes le pavillon blanc pour annoncer que nous ve-
nions traiter de la paix. A notre arrivée, tout le monde se
rassembla. Je leur dis que nous étions venus pour recevoir
leurs instructions, quant au message dont nous allions nous
charger près d'Oudou-Roa, et savoir s'il serait de paix ou de
guerre. Maintenant le moment pressait. Avant que la foule se
fût rassemblée, les chefs répliquèrent que nous avions raison;
mais qu'il était nécessaire qu'Oudou-Roa députât quelque chef
vers le pâ, et qu'ensuite l'un des chefs du pà se rendrait du
côté des ennemis. Ce point étant arrêté, nous allâmes à Korora-
Reka , où nous trouvâmes Oudou-Roa avec d'autres chefs.
Ils parurent consentir à cette proposition; mais ils attendaient
l'arrivée de Mango et de Ka-Kaha , les deux fils de Shongui ,
ce chef de Tako qui avait été tué ; car c'était à eux qu'ap-
partenait désormais le droit de tirer vengeance de la mort
de leur père. Je dis à Oudou-Roa que nous étions fatigués
d'aller et venir ; mais lui et les autres répondirent que nous
ne devions pas nous fatiguer, mais prendre de la force et
du courage. Il ajouta que , si ces deux jeunes gens arrivaient
dans la nuit, il nous enverrait une pirogue, et que la paix
serait conclue le lendemain matin.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. .-j67
t3 mars. Au déjeuner, Toï-Tapou arriva, et parla de la
nécessité de faire la paix, ajoutant que les tribus éloignées
allaient arriver, et qu'alors personne ne pourrait plus les
retenir.
Dimanche i4 mars. Toï-Tapou et Rcwa insistaient pour
que la conférence eût lieu avee Oudou-Roa et les autres chefs
à Korora-Reka, attendu qu'on voyait plusieurs pirogues pous-
ser au large de Motou-Roa. C'est pourquoi je m'y rendis moi-
même , et je saisis l'occasion de parler aux naturels de leur
condition actuelle et des offres de paix éternelle faites par
Jésus-Christ. Tous parurent disposés pour la paix. Le soir, le
service eut lieu comme de coutume. Ware-Moui vint du pâ ,
et semblait fort inquiet du retard apporté à la conclusion de
la paix.
16 mars. Après le déjeuner, M. Davis et moi, nous allâmes
à Motou-Roa pour voir Ka-Kaha et Mango , les fils de
Shongui. Au milieu de la baie, nous recueillîmes le vieux
Kossin qui s'était embarqué dans une frêle pirogue, et qui eût
certainement chaviré si nous n'étions venus à son secours. Les
naturels de Motou-Roa parurent disposés à écouter tout ce
que nous voulions leur dire. Avant de les quitter, nous apprî-
mes d'eux qu'ils mettraient en mer le lendemain matin , et se
porteraient peut-être vers la rivière.
17 mars. Au lever du soleil, nous observâmes un grand
nombre de pirogues, dont plusieurs se dirigeaient vers l'entrée
de la rivière. Nous mîmes à l'eau deux canots portant chacun
un pavillon blanc, et nous poussâmes vers les pirogues qui
venaient d'aborder la terre.
18 mars. Les naturels qui étaient montés hier avec nous au
pâ pour faire la paix, sont descendus ce malin avec quelques-
uns de ceux du pâ pour se rendre à Korora-Reka et ratifier la
paix. Nous les accompagnâmes dans nos deux canots, comme
hier, et les naturels nous montrèrent toutes sortes d'égards : les
discours furent beaucoup plus convenables qu'ils ne l'avaient
été la veille.
566 PIECES JUSTIFICATIVES.
M. W. Williams raconte ainsi comment la paix fut
conclue :
iq mars. Les dispositions des naturels pour la paix ayant
été bien reconnues, et les deux partis manifestant un désir égal
de mettre tin aux hostilités, il avait été arrêté qu'une assem-
blée générale aurait lieu aujourd'hui, suivant la coutume du
pays. De bonne heure , nous observâmes plusieurs pirogues
qui se dirigèrent de Korora-Reka vers Kawa-Kawa , et sur-
le-champ nous allâmes avec nos deux canots à leur rencontre.
Leur troupe montait à trois cents hommes environ qui s'a-
vancèrent jusqu'à un mille du camp ennemi : les ambas-
sadeurs de paix, au nombre de trois, s'avancèrent sous le
pâ avec nous. En débarquant , nous nous dirigeâmes vers les
principaux chefs : alors tout le monde s'assit par terre, en
laissant un petit espace pour permettre aux orateurs de mar-
cher en avant et en arrière , suivant leur constante habitude.
D'abord un des ambassadeurs s'avança, et déclara que la
paix ne seraitpus regardée comme solide, attendu qu'aucun chef
de son peuple n'avait été tué comme satisfaction pour Shon-
gui ; qu'il serait effrayé de rester dans sa propre résidence, et
qu'il irait habiter à Kaï-Para , rivière du sud-ouest. Cet
orateur fut suivi par plusieurs autres , dont les uns parlèrent
à propos et les autres d'une manière moins sensée. Quand
ils curent fini, les différentes tribus défilèrent sur un terrain
en pente, et il y eut une danse de guerre. C'était la plus
grande réunion de guerriers que j'eusse j..mais vue , car elle
montait à mille hommes environ dont plus de la moitié était
armée de mousquets. Les trois ambassadeurs restèrent toute
la nuit dans le pâ : cette partie de la cérémonie devait être
répétée le jour suivant par les hommes du pâ.
18 mars. Les ambassadeurs sont revenus ce matin avec trois
autres du pâ ; ils ont passé par notre établissement, et nous
les avons accompagnés à Korora-Reka. Une scène semblable
à celle d'hier a eu lieu. La ratification définitive de la paix,
PIECES JUSTIFICATIVES. 569
autant que nous avons pu le comprendre, s'est accomplie de la
manière suivante : un chef du parti d'Oudou-Roa a récité un
long chant avec un petit bâton à la main ; et après avoir fini,
il a rompu le bâton , et l'a jeté aux pieds d'un des ambassa-
deurs du parti opposé. Cela signifiait que les hostilités étaient
rompues. Puis le dernier chef répéta les mêmes paroles, et
jeta son bâton brisé aux pieds du premier orateur. Les naturels
parlent de cette paix comme opérée par les Européens, et je
pense que la présence de M. Marsden y a eu beaucoup
d'influence.
EXTRAITS DU JOURNAL DE M. STACK.
(De la station Wesleyenne de Mangounga, sur le Shouki-Anga. )
Ngatoumou et son frère Ware-Kana nous ont rendu visite.
Ngaro , fils de l'un d'eux, fut singulièrement mortifié de ce
que nous adressions particulièrement nos discours à son père
et à son oncle, et il nous demanda pourquoi nous ne le con-
sultions pas. Nous lui répondîmes qu'il n'était qu'un jeune
homme , tandis que son père était avancé en âge. Alors , se
tournant vers son père , il dit avec un rire moqueur et
malin : « Quoi ! est-ce que ce vieux pourri vaut mieux que
moi? Les jours de sa jeunesse ne sont-ils pas passés, tandis
que je suis maintenant dans ma primeur? Je suis donc son
supérieur et non pas son inférieur. »
— Je suis allé a Ware-Hou pour voir ce que les naturels
nomment l ' Eahounga , ou fête en l'honneur des morts, dans
l'espoir de pouvoir leur parler de la résurrection des corps :
mais mon attente fut trompée par l'esprit d'indifférence que
les naturels apportèrent à tout ce que je leur dis, et parce que
je n'y rencontrai point les Ma-Oure-Oure, tribu du Waïnia.
Les morts étaient placés sur un rang sous un hangar; ceux
dont les corps étaient entiers étaient dans la position d'une
570 PIECES JUSTIFICATIVES.
personne assise; les tètes des autres étaient placées de ma-
nière à paraître encore unies au reste du corps : le tout formait
un spectacle affreux. Patou-One pria la sœur de sa défunte
femme de me montrer une pierre qui s'était trouvée dans la
poitrine de sa sœur; elle y était tombée d'un rocher voisin de
l'endroit où le corps était déposé : mais Patou-Onc prétendait
que cette pierre avait été transportée par enchantement dans
le corps de sa femme, et qu'elle avait été la cause de sa
mort. Je fis tout ce que je pus pour lui démontrer le ridicule
de cette absurde opinion : mais cela ne fit que l'irriter;
et il était si peu disposé à regarder ce qu'il venait de dire
comme une fable, qu'il croyait aussi qu'un chiffon plein d'ha-
meçons avait été introduit dans le corps de sa femme de la
même manière. Combien ils sont disposés à croire au men-
songe ! mais combien ils sont incrédules pour les paroles de
la vérité et de la sagesse! Voyant que tous mes raisonnemens
avec eux étaient inutiles , je me promenai vers l'endroit où
sont déposées leurs provisions, et je comptai quatre cent soixan-
te deux corbeilles de patates destinées à être distribuées à ceux
qui viennent en visite, à mesure qu'ils arrivent. Patou-One
se plaignit de mon peu de générosité, de n'avoir pas apporté avec
moi une bonne provision de vivres européens pour leur en
faire part. Cependant, loin que je profitasse de l'énorme quan-
tité de vivres qu'ils avaient préparés, si je n'avais pas eu
soin d'apporter quelque chose avec moi, j'aurais pu m'en re-
tourner à jeun.
Dimanche. Ce matin, j'ai prêché en anglais à l'Horeke,
d'après Luc, XVI, 3. Ayant rencontré sur le port Te Tao-
Nouï , Moudi-Waï , son père , et d'autres qui passaient la
journée dans l'oisiveté, je tâchai de leur expliquer ce que je
venais de dire à mes compatriotes. TeTao-Nouïme regarda d'un
air très-expressif, et dit : « Les Nouveaux-Zélandais ressem-
blent à cet homme, n'est-ce pas? » en faisant allusion au
Riche. Je répondis par l'affirmative, en ajoutant : « On trou-
verait aussi bien des blancs à qui ce portrait conviendrait
PIECES JUSTIFICATIVES. 571
également. » Il se mit alors à ricaner, et dit : « Ha ! ha ! » d'un
air qui signifiait : Pourquoi donc nous désigner, nous autres
Zélandais, comme des médians? Lui et son père vou-
lurent savoir d'où venait notre connaissance sur la condition
des esprits après la mort; et sur ce que nous n'avions pas vu
le feu de l'enfer de nos propres yeux, ils se prirent à rire de
ce que nous y ajoutions foi. Te Tao-Nouï dit : « Vous autres
missionnaires, vous êtes une troupe de vieilles femmes. Qu'un
esprit du monde invisible vienne à l'Horeke ou à Mangounga
et nous déclare qu'il a vu les choses dont vous parlez, alors
nous le croirons; mais tous les renseignemens que nous avons
reçus jusqu'à ce jour à ce sujet ont été directement opposés
aux vôtres. Que mange-t-on dans le monde des esprits? »
Comme on lui répondit que les organes de l'appétit physique
ayant péri avec le corps, il n'était plus besoin de nourriture,
il 6t les questions suivantes : « Comment vivent-ils? comment
entendent-ils? quelle est leur occupation? Si un brave guer-
rier vient à mourir, comment pourra-l-il exercer sa vaillance?
S'il n'y a point de places à assiéger, faut-il qu'il devienne
pacifique? Ah! vous êtes une troupe de vieilles femmes! Vous
ne faites rien autre chose que de vous tenir chacun dans les
limites de votre résidence. N'y a-t-il pas de canons, là? n'y
a-t-il pas de peuples à combattre? » Je parlai ensuite de la
résurrection des morts, et l'on fit les remarques suivantes :
« Combien de personnes sont déjà revenues d'entre les
morts? les avez-vous vues? » Ayant répondu que non, ils se
mirent à rire de tout leur cœur, en disant : « Oh! en vérité,
vous l'avez seulement entendu dire à quelque autre. » Alors je
leur parlai du jugement; mais je ne réussis pas mieux à vaincre
leur légèreté. «Je reviendrai demain à vous, dit l'un d'eux,
et vous me jugerez : cet homme sera condamné, parce qu'il a
une bouche de travers. »
Le pauvre vieux Moudi-VVaï a été attaqué d'une inflam-
mation de poumons. Les naturels s'attendent tous à le voir
mourir, et il le croit lui-même. Ses instrumcns de guerre ont
572 PIECES JUSTIFICATIVES.
été tous placés près de lui, de sorte qu'en cas de mort il
puisse emporter leur esprit avec lui dans l'autre inonde.
Le vieux Moudi-Waï est mort : sa mort a été annoncée
par treize coups de pierrier du fort de l'Horeke. Hélas! pauvre
vieillard! Il y a quelques semaines, il pouvait encore rire
de la mort et de l'avenir; mais aujourd'hui il voit que tout
cela est vrai , et que toutes ses anciennes opinions n'étaient
que des erreurs. Combien il est affligeant de penser qu'il est
mort aussi ignorant à l'égard de Dieu que les bêtes qui vien-
nent à périr!
Je suis allé à Pari-Mata pour voir le cadavre de Moudi-
Waï. Suivant la coutume , le corps était assis et enveloppé
d'une couverture; la tête était somptueusement ornée de
plumes, après avoir été d'abord bien frottée d'huile; son
visage était couvert; sur ses genoux était une corne à poudre;
près de lui étaient déposés ses fusils et un os de baleine, son
arme nationale. A ses côtés était assise sa plus jeune femme,
morte, attendu que la nuit dernière, dans le premier accès
de sa douleur, elle s'était pendue : le corps de celle-ci était
revêtu d'une couverture et sa tète ornée de plumes. Les autres
femmes de Moudi-Waï étaient assises et pleuraient près de
son corps : ses enfans, ses frères et ses sœurs, ainsi que
d'autres parens et amis, semblaient tous dans la désolation.
Bien qu'il ne dît pas grand chose, Te Tao-Nouï semblait
vivement affecté. Une femme esclave s'était pendue, mais elle
avait été sur-le-champ enterrée. J'avais là une belle occasion
de déclamer contre l'artificieuse subtilité des Tohoungas; je
leur représentai l'insuffisance de leurs efforts pour guérir
Moudi-Waï, et leur folie en attribuant à un agent surnaturel
ce qui ne provient souvent que de leur propre imprudence , et
de ce qu'ils négligeaient les uniques moyens qui pourraient
leur sauver la vie. La vérité de mes remarques fut reconnue, et
les naturels parurent admettre l'exactitude de mes paroles.
Environ neuf cents naturels sont passés dans leurs pirogues,
le long de la rivière, pour se rendre à la place de Moudi-
PIÈGES JUSTIFICATIVES. ,573
Waï : ils offraient un aspect vraiment formidable. L'Horekc
les salua de quatre coups de canon : de leurs pirogues, les
naturels répondirent par deux coups et par une décharge de
mousquets dont plusieurs étaient chargés a balle. Nos naturels
semblaient vivement soupçonner ces étrangers de ne pas venir
dans des intentions amicales. 11 est certain qu'il existait entre
eux une défiance réciproque : aussi s'abstinrent-ils du simu-
lacre de combat qui leur est habituel quand ils se rencontrent,
et ils se contentèrent de la danse.
Les cris et les déchiremens furent très-multipliés, car la
plupart de ces gens étaient d'une manière ou d'autre alliés
à Moudi-Waï, et ils semblaient tous agir comme s'ils avaient
perdu une personne de grande importance pour eux-mêmes.
(Missionnaij Register, août t83oj pag. 37 4 et suiv . )
G mai i83o. Depuis l'affaire de Korora-Reka, les naturels
d'ici ont été très-paisibles, bien qu'ils soient sur leurs gardes.
Il v a cinq semaines environ, une troupe de Mataudi marcha
vers le Sud pour tirer vengeance de la mort de Shongui , le
principal chef qui succomba dans cette occasion : ils tuèrent
beaucoup de personnes, en tombant dessus par trahison et
quoiqu'on fût en paix. Cet événement peut amener de grands
troubles et la mort de bien du monde. Toutefois je me réjouis
de voir que les divers partis nous témoignent tous les égards
possibles et reçoivent volontiers nos paroles, etc.
(Rév. H. Williams.)
18 juillet. J'ai visité les naturels de Korora-Reka. Une
troupe d'hommes qui appartiennentà cet endroit, et qui ontpris
part à la dernière guerre, étaient sur le point de partir pour le
Sud avec l'intention de combattre tous ceux qu'ils rencon-
treraient, bien qu'ils ne soient en guerre avec aucun peuple de
ce canton. On dit que ces guerriers se proposent d'obtenir
satisfaction pour un de leurs chefs qui a péri dans l'affaire de
Korora-Reka : comme ils ne sont pas dans le cas d'exiger cette
574 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
satisfaction du peuple qui a tué ce chef, ils se proposent
d'exercer leur vengeance sur une nation innocente et moins
capable de leur résister. Ainsi, tandis qu'autour de nous nous
recevons quelque encouragement à nos efforts, on peut voir
que plusieurs de leurs coutumes barbares sont aussi suivies
que jamais.
(Rév. H. Williams.')
Le révérend W. Yate a remporté une presse avec lui ,
à son retour de la Nouvelle-Galles du Sud à la Nouvelle-
Zélande, en juillet 1830. Ce missionnaire écrit, en date
du 1er septembre suivant, qu'il est occupé avec James
Smith à imprimer quekpues hymnes en langue du pays.
Déjà , pendant son séjour à la Nouvelle-Galles du Sud ,
il avait tiré cinq cent cinquante exemplaires d'un petit
volume de traductions en langue de la Nouvelle-Zélande.
Ce volume comprenait les trois premiers chapitres du
livre de la Genèse, les huit premiers chapitres de l'Evan-
gile selon saint Matthieu , les quatre premiers chapitres
de l'Evangile selon saint Jean , les six premiers chapitres
de l'Epitre de saint Paul aux Corinthiens, des portions de
la liturgie, du Catéchisme, et dix-neuf hymnes. Les natu-
rels, dit M. Yate , étaient fort jaloux de se procurer ce
petit volume qu'ils nommaient JMaore, et quelques-uns
d'entre eux consentaient à travailler un mois entier pour
en posséder un exemplaire.
(Missionnary Régis t er , janvier i83i , pag. 54 et suivA
PIECES JUSTIFICATIVES. 57*
VOYAGE
M. LIDDIA11D NICHOLAS,
A LA NOUVELLE-ZELANDE.
Lors du premier voyage que fit en 1814 M. Mars-
den, pour établir les Missionnaires à la Nouvelle-
Zélande, il fut accompagné par un habitant de la
Nouvelle -Galles du Sud, nommé John Liddiard
Nicholas. L'objet que se proposait M. Nicholas était
de visiter cette contrée encore si peu connue, surtout
d'étudier les mœurs , les dispositions , et le caractère
des N ouveaux-Zélandais, jusqu'alors presque toujours
représentés sous les couleurs les moins favorables.
En 1817, il livra au public le résultat de ses obser-
vations, sous le titre de Narrative of a Voyage to
Xew-Zeala?td, performed in ihe years 1814 and
1815, etc. Cet ouvrage, agréablement écrit, rempli
d'observations piquanles et de descriptions fidèles
des lieux et des individus, offre une lecture fort inté-
ressante ; il a surtout le mérite d'être écrit sans pré-
ventions ni préjugés ; l'auteur a su rendre justice aux
576 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
bonnes qualités des Nouveaux-Zélandais sans dissi-
muler leurs défauts et leurs odieuses pratiques. En
un mot , nous ne craignons pas de dire que c'est l'ou-
vrage le plus remarquable qui ait encore paru sur
cette partie du globe, et l'on ne saurait trop le re-
commander à ceux qui désirent se former une idée
exacte de ce pays. Pour nous, bornés par les limites
de notre travail et la quantité de matériaux que nous
avons à présenter sur cette matière, nous nous con-
tenterons de donner ici la traduction des passages les
plus curieux, surtout de ceux qui sont de nature à
mieux faire connaître la Nouvelle-Zélande et ses
habitons.
A l'occasion du séjour de Tepahi à Sydney, on lit
les anecdotes suivantes. {Pag' 9 et suiv. )
Un jour, comme un gentleman de la colonie se moquait
de Tepahi pour s'être défiguré le visage d'une manière si
bizarre (par le tatouage), ce chef spirituel lui riposta par un
mot piquant, en lui disant qu'il n'était pas moins ridicule
de se mettre de la poudre et de la graisse dans les cheveux,
pratique qu'il jugeait beaucoup plus absurde que le tatouage.
Tepahi ne pouvait concilier la rigueur de notre Code pénal
avec ses propres idées de justice, qui étaient certainement
dictées par de vrais sentimens d'humanité. Un homme envoyé
dans la colonie comme convict, ayant volé quelques cochons,
fut condamné à mort. Tepahi, instruit du crime et du châti-
ment, se révolta contre le dernier comme étant d'une cruauté
inutile et d'une injustice extrême. Raisonnant à cet égard avec
une logique naturelle, il dit que si l'homme avait volé une
hache, ou toute autre chose d'une utilité essentielle, il eut
PIECES .JUSTIFICATIVES. 577
mérité la mort; mais non pas pour un cochon , attendu que la
faim seule l'avait probablement entraîné à cette action. 11 s'in-
téressa chaudement en faveur du coupable, et pria instam-
ment le gouverneur de lui accorder son pardon , tandis qu'il
dînait un jour à la table de S. E. avec une nombreuse com-
pagnie. Mais on lui dit qu'il était impossible d'accorder ce'
pardon, parce que l'homme avait agi en violation directe des
lois de son pays, qui assuraient à chacun la possession de sa
propriété et punissaient de mort tous ceux qui se rendaient
coupables de vol. « Alors, dit Tepahî, pourquoi ne pendez-
vous pas le capitaine ***? » en montrant du doigt le comman-
dant d'un vaisseau dont je ne me rappelle pas le nom , mais
qui se trouvait en ce moment à table. « Le capitaine *** est
venu à la Nouvelle-Zélande; il est venu à terre, et il a volé
(taeliae) toutes mes patates. Pendez donc le capitaine ***. »
La compagnie s'amusa beaucoup de la force et de la justesse
du raisonnement de Tepahi, tandis que le capitaine fut tout
honteux de voir sa conduite si brusquement dénoncée, car il
avait réellement agi comme le chef l'avait assuré. 11 avait en-
voyé à terre l'équipage d'un canot avec l'ordre d'arracher les
patates de Tepahi, ce qui fut exécuté sans qu'on offrît à ce chef
aucune espèce d'indemnité.
M. Nicholas trace les portraits suivans des chefs Doua-
Tara, Shongui et Koro-Roro. (Pag. 23 et suiv.)
Doua-Tara, qui se trouvait alors dans la fleur de l'âge, était
un homme d'une stature élevée et majestueuse, d'une grande
force musculaire et d'une expression de visage prononcée : son
maintien noble et plein de dignité semblait très-propre à sanc-
tionner son autorité, tandis que la vivacité de son regard dé-
celait, même pour un spectateur indifférent, le rang élevé dont
il jouissait parmi ses compatriotes. Outre les traits réguliers et
expressifs qu'il avait reçus de la nature, le visage de Doua-
tome m. 37
578 PIECES JUSTIFICATIVES.
Tara formait, à d'autres égards, un contraste agréable avec
celui des autres chefs, car il n'était point défigure par les mar-
ques dégoûtantes du tatouage, et nulle part cet extrava-
gant usage n'avait gâté les dons de la nature. Son teint n'était
pas plus foncé que celui d'un Espagnol ou d'un Portugais, et
■ses traits en général se rapprochaient du caractère européen.
Du reste, quels que fussent ses avantages personnels, j'étais
encore plus frappé de la noblesse et de l'agrément de ses ma-
nières : en effet elles étaient non-seulement extrêmement dé-
centes et convenables, mais encore polies, agréables et pleines
d'affabilité; c'est plus qu'on n'eût pu attendre d'un homme qui
avait vécu si peu de temps avec des êtres civilisés, encore
étaient-ils de la classe la plus grossière , celle de simples mate-
lots. Doua-Tara, de même que Pierre-le-Grand , s'il était
permis de comparer le chef obscur d'une tribu sauvage avec
le puissant empereur d'une nation formidable, s'occupait avec
un zèle infatigable de toutes sortes de travaux ; mais c'était sur-
tout l'agriculture qu'il désirait introduire chez son peuple; il
n'épargnait aucune peine pour réussir à leur en enseigner les
principes. Il avait l'avantage de pouvoir parler l'anglais qu'il
avait appris sur les navires où il avait servi, ce qui lui était
fort utile pour l'exécution de ses projets.
Shongui, chef d'un rang plus élevé et d'un pouvoir plus
considérable que Doua-Tara, dans le voisinage duquel il ré-
side, s'était décidé d'après ses représentations à l'accompagner
à Port-Jackson. Cet homme n'annonçait pas une vigueur égale
à celle de Doua-Tara ; il avait une physionomie plus tranquille
et une figure plus belle, abstraction faite du tatouage qu'il avait
subi ; mais cette figure n'avait point ces traits sévères et pro-
noncés qui donnaient un caractère si décidé à celle de Doua-
Tara. Tandis que l'esprit de ce dernier chef se dirigeait plus
particulièrement vers l'agriculture et les moyens d'en connaî-
tre tous les procédés, le génie de Shongui montrait une pré-
férence évidente pour les arts mécaniques, et il donna quel-
ques preuves extraordinaires de ses talens et de son adresse.
PIECES JUSTIFICATIVES. 579
Cet homme avait la réputation d'être un des plus grands guer-
riers de son pays. Pourtant ses dispositions naturelles étaient
douces et bienveillantes; et, pour un observateur attentif , il
semblait plutôt né pour des habitudes pacifiques que pour les
hasards de la guerre.
Le troisième chef, qui se nommait Koro-Koro, était tout-
à-fait l'opposé des deux précédens pour le caractère et les
penchans; son ame semblait avoir été jetée dans un moule tout
différent. Méprisant les arts d'une paisible industrie à laquelle
ses compagnons s'appliquaient avec tant de zèle, la guerre
seule faisait ses délices. C'était vers la guerre que se dirigeaient
tous ses vœux avec une impatience avide et un enthousiasme
sauvage, qui dégénérait quelquefois en une violence sans bor-
nes. 11 ne lui arrivait jamais de raconter les batailles qu'il avait
livrées, les victoires qu'il avait remportées, sans éprouver des
transports d'une joie furieuse. Quand on le priait de faire en-
tendre le chant de la guerre et de figurer une attaque sur l'en-
nemi, ses gestes et ses manières peignaient le dernier degré de la
frénésie; une fureur sauvage s'emparait de tous ses sens; tout
son être frémissait de rage ; ses yeux respiraient une horrible
férocité. En un mot , subjugué par une passion effrénée ,
Koro-Koro semblait alors le démon hideux de l'insatiable ven-
geance. Pourtant, quoique son ame fût livrée aux penchans
de la guerre, il n'en faut pas conclure qu'il fût incapable d'é-
prouver l'influence d'affections plus douces. Souvent au con-
traire les larmes du repentir coulaient de ses yeux quand il
avait offensé quelqu'un dont il avait éprouvé la bienveillance ,
et les expressions de sa reconnaissance , ardentes et sincères ,
ne laissaient aucun doute sur les vives émotions dont son
cœur était susceptible. Bien des fois j'ai vu moi-même ce
cœur turbulent céder à de tels sentimens. Quoiqu'il ait été
à peu près impossible de le dissuader de «es projets favoris et
de ramener son imagination à des idées pacifiques, cependant
un reproche qu'il savait mérité pouvait calmer à l'instant la
fougue de ses passions, et même lui faire éprouver toute l'a-
37*
580 PIECES JUSTIFICATIVES.
mertumc du remords. Furieux à l'extrême quand oh l'avait
provoqué, sa rage ne connaissait point de bornes; mais s'il
était bien traité, il se montrait honnête et affectueux. Telle
était sa fidélité, que lorsqu'il avait une fois accordé son amitié,
on pouvait se fier à lui pour toujours. Il offrait dans sa per-
sonne un bon échantillon du caractère de la plupart de ses
compatriotes. Comme Shongui , il avait le visage complète-
ment tatoué, et le derrière de son corps portait aussi les traces
désagréables de cette opération ridicule et vraiment sauvage.
Sans être beaux ni réguliers, ses traits étaient agréables et
intéressans, quoique en même temps ils trahissent trop souvent
les transports déréglés d'un caractère indomptable.
(Page 53.) Le. soir, les chefs nous régalèrent d'une chan-
son , dont les paroles avaient été composées par la fille de
feu Tepahi. Le sujet en était la visite de son père à Port-
Jackson. C'était un air plaintif et mélodieux , et ressemblant
assez à nos chants sacrés qu'il me rappelait malgré moi, par
ses tons bas, lents et étendus; mais, d'après la constante répé-
tition des mêmes mots , il devait renfermer peu d'idées et les
allusions ne pouvaient être variées. Il se divisait en deux par-
ties, que les chefs chantaient séparément; puis les autres na-
turels faisaient chorus avec eux, à certains intervalles; mais
ils terminaient toujours tous ensemble. Le chant et la danse
paraissent être les amusemens favoris de toutes les nations sau-
vages , et les peuples de la Nouvelle-Zélande sont particulière-
ment passionnés pour ces deux arts.
(Pages 55 et saiv.^j Les Nouveaux-Zélandais, d'après ce
que nous avons pu en apprendre par Doua-Tara, ont quelques
idées confuses d'un Etre-Suprême; mais leurs superstitions sont
en général des plus absurdes et des plus extravagantes. En ou-
tre, ils admettent un grand nombre de divinités inférieures, à
chacune desquelles ils attribuent des privilèges et des fonctions
particulières. Suivant leurs idées, l'une préside aux élémens,
l'autre aux oiseaux de l'air et aux poissons de la mer; et il y
en a une foule d'autres dont les devoirs sont si multipliés et si
PIECES JUSTIFICATIVES. 581
compliqués., qu'il faudrait un volume entier pour les détail-
ler. En outre de ces dieux , dont l'idée leur a été suggérée par
des objets matériels, ils en ont encore beaucoup d'autres qui
dérivent des affections de leur ame : c'est ainsi qu'ils ont déi-
fié les diverses passions du cœur humain , comme la colère, la
douleur, la joie, etc., qui rentrent ainsi dans leur système de
théogonie.
Le premier de leurs dieux se nomme Mawi-Ranga-Rangui.
C'est la divinité suprême dont ils ignorent complètement les
attributions et la dignité, mais qu'ils ont placée à la tète des
autres par un certain sentiment intérieur. Tipoko , le dieu de-
là colère et de la mort , vient ensuite , et c'est celui qu'ils pa-
raissent le plus empressés d'apaiser. Towaki ( qu'il faut peut-
être lire Tou wati}, le dieu qui préside aux élémens, suit par
ordre de succession , et suivant eux il occupe un poste fort im-
portant. Après celui-ci vient Mawi-Moua, dont le pouvoir et
les fonctions sont assez limités. L'emploi qu'ils lui ont assi-
gné a été de fabriquer la terre au-dessous de la mer. Quand
elle a été terminée , il a dû l'attacher avec un hameçon à un
grand rocher ; puis , la laissant ainsi toute prête a être tirée en
haut, sa tâche cesse. Alors Mawi-Potiki, autre dieu d'un
grand pouvoir, lui succède et vient tirer à la surface de l'eau
l'ouvrage que son compagnon a terminé. Outre cet emploi ,
Mawi-Potiki exerce d'autres fonctions d'une grande impor-
tance , et il est revêtu d'attributions d'un ordre plus élevé
que celles qui distinguent les dieux les plus puissans, le pre-
mier de tous lui-même à peine excepté. La surveillance
et la direction de toutes les maladies de l'homme sont du res-
sort de Mawi-Potiki; c'est même lui qui jouit exclusivement
du plus important de tous les privilèges, du pouvoir de don-
ner la vie , quoiqu'il ne puisse la retirer, attendu que ce der-
nier droit appartient à Tipoko. Ces êtres importans sont immé-
diatement suivis par une divinité d'une nature fort triste, celle
des larmes et de la douleur, qu'ils nomment Heko-Toro. Les
Nouveaux-Zélandais ont une tradition curieuse à son égard.
582 PIECES JUSTIFICATIVES.
Ils racontent que ce dieu, par un accident malheureux, ayant
perdu sa femme, descendit du ciel, plongé dans la plus grande
consternation, pour la chercher. Après l'avoir inutilement de-
mandée en plusieurs autres endroits, il eut enfin le honneur de
la trouver à la Nouvelle-Zélande où elle s'était égarée long-
temps auparavant. Charmé de l'avoir rencontrée , Heko-Toro
la plaça aussitôt dans une pirogue, et, par le moyen de deux
cordes qu'il attacha aux deux houts , ils furent en un instant
enlevés jusqu'au ciel. Là , pour signaler leur réunion, ils fu-
rent changés en un groupe d'étoiles nommé Rangui, que les
naturels affirment être le couple en question.
Parmi les nombreuses traditions des Nouveaux-Zélandais, il
en est deux fort remarquantes. La première a rapport à la créa-
tion de l'homme, et a été transmise de père en fils au travers
de toutes les générations. Ils croient que le premier homme a
été créé par les trois dieux Mawi-Ranga-Rangui ou Toupouna
(grand-père), Mawi-Moua et Mawi-Potiki; mais c'est à la
première de ces divinités qu'ils accordent la plus grande part
dans cette œuvre. Ils croient aussi, ce qui est le plus curieux,
que la première femme fut formée de l'une des côtes de l'homme;
et pour rendre cette coïncidence encore plus frappante , leur
terme général pour os est uv/qui, dans notre opinion, pour-
rait être une corruption du nom de notre première mèr£. Ce
nom leur aurait été communiqué dans le principe par quelque
moyen que nous ignorons , et conservé sans être bien altéré
dans le nombre de leurs traditions grossières.
Quant à l'autre tradition , ces hommes racontent, suivant le
récit de Doua-Tara, que jadis, lorsque la lune ne donnait au-
cune lumière et que les nuits étaient enveloppées de ténèbres
complètes, un certain individu de leur pays, nommé Rona,
sortit de nuit pour aller chercher de l'eau dans un puits du
voisinage. Au retour, en cherchant son chemin à tâtons , il
lui arriva de se heurter les pieds par accident, et il fut si es-
tropié qu'il ne put revenir chez lui. Dans cette position, comme
sa douleur lui arrachait des plaintes et qu'il tremblait de peur,
PIECES JUSTIFICATIVES. 583
la lune \inl tout-à-coup à paraître; alors il saisit un arbre ot
s'v accrocha pour tâcher de se sauver; mais ses efforts furent
vains, car la tradition rapporte que l'arbre fut arraché jus-
qu'aux racines et emporté, avec l'homme qui y était suspendu,
dans la région de la lune , où il fut replanté et où il existe en-
core aujourd'hui avec Rona. Le lecteur, je pense, aura peine
à croire qu'il existât chez les Nouveaux-Zélandais une histoire
si semblable à celle de notre homme dans la lune , Man in the
moon ; cependant Doua-Tara affirma positivement que cette
tradition leur était propre, ainsi que celle qui précède, et je
n'ai jamais eu de sujet de suspecter sa véracité. D'après sa dé-
claration, ses compatriotes considèrent toute violation du pou-
voir de leurs dieux comme une horrible impiété, et ils croient
fermement à leur présence en tous lieux. La partie des cieux
où ils se tiennent tous se nomme Te Kainga Atoua, et on la
représente comme étant d'une grande beauté. Les naturels y
rattachent aussi les idées de tous les plaisirs bizarres que leur
imagination sauvage peut enfanter.
Doua-Tara m'a encore raconté que la pratique suivante était
invariablement suivie chez les Nouveaux-Zélandais. Quand il
leur naît un enfant, on le porte au tohounga ou prêtre, qui lui
répand de l'eau sur la figure avec une certaine feuille qu'il
tient à la main. Ils pensent que cette cérémonie est non-seu-
lement avantageuse pour l'enfant, mais que l'omission en se-
rait suivie des plus funestes conséquences. Dans ce dernier cas,
ils croient que l'enfant serait exposé à une mort immédiate ;
ou , s'il lui était permis de vivre , qu'il ne croîtrait qu'avec les
dispositions les plus perverses et les plus vicieuses.
(Page G5.) Doua-Tara nous dit qu'il était impossible à un
voleur d'échapper au châtiment à la Nouvelle-Zélande ; car si
les hommes ne pouvaient le trouver, la vigilance de la divinité
qui voit tout était sûre de le découvrir. Pour cela il fit usage
des paroles suivantes, qui sont non-seulement expressives,
mais même éminemment poétiques. « h'Atoua ou Dieu, dit-il,
M lève sur le voleur comme une lune dans son plein ; il se pré-
Ô84 PIECES JUSTIFICATIVES.
cipite dessus avec la rapidité d'une étoile tombante , et le tra-
verse comme la balle qui sort de la bouebe du fusil. » Tel était
le sens exact des termes qu'il employa , autant que je pouvais
saisir son langage , et je fus vraiment frappé d'une description
si extraordinaire.
M. Nicholas décrit ainsi l'exécution de trots des chan-
sons des Nouveaux - Zélandais ; je ne citerai point les
paroles qui sont incorrectement transcrites, et que je
ne pourrais rétablir dans leur vraie valeur. {Pag. 62 et
suiv. )
Toutes les chansons des Nouveaux-Zélandaissont accompa-
gnées de mouvemens dont quelques-uns sont extrêmement gra-
cieux et convenables. J'en vais citer ici trois. La première
d'ordinaire s'exécute alternativement par trois ou quatre per-
sonnes qui chantent en même temps. Tous sont rangés sur une
ligne et font chorus immédiatement avant la finale. Pendant le
chorus ils s'abandonnent à une foule d'attitudes aisées, mais
dont aucune n'a la moindre apparence malhonnête capable
d'offenser le spectateur le plus difficile. Je n'ai pu me faire ex-
pliquer le sens de celte chanson.
J'ai été plus heureux pour la suivante : elle décrit les rava-
ges occasionés par la violence du vent de N. E. {Marangaï).
Leurs patates sont détruites; ils en plantent de nouvelles; et,
plus heureux cette fois , il expriment leur joie en les récoltant
avec les mots ha, kaï, haï! ha , haï, haïl « Mangeons-les! man-
geons-les! » qui terminent léchant. Il s'exécute toujours dans
leurs festins, comme au temps où l'on plante les patates. Gé-
néralement il est accompagné de danses, de gestes et de mou-
vemens qui représentent l'action de planter les patates et en-
suite de les retirer de terre.
La troisième chanson n'est jamais accompagnée de danses;
elle est sur un air bas, doux et plaintif , qui n'est pas sans har-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 585
monic et qui a quelque rapport avec notre plain-cliant. Le su-
jet en est un homme qui s'occupe à sculpter une pirogue tan-
dis que ses ennemis s'approchent du rivage dans une autre pi-
rogue pour l'attaquer. Pour se cacher, il s'enfuit dans les
hroussailles ; mais il est poursuivi, atteint, et sur-le-champ
mis à mort. Plusieurs des expressions de ce chant ont, à un
degré marque, une douceur naturelle, et il y règne un certain
ton de mélancolie touchante. Les naturels l'exécutent alternati-
vement, et l'effet n'en est pas sans intérêt pour un observateur
philanthrope.
Il est remarquable que presque toutes les chansons que l'on
chante à la Nouvelle-Zélande sont composées par certaines tri-
bus qui habitent la partie de l'île nommée par les Européens
cap Est. Les habitans de ce canton semblent seuls s'être appro-
prié les faveurs des Muses, et peuvent être exclusivement con-
sidérés comme les bardes de leur pays.
Voici comment il décrit les guerriers de Wangaroa.
{Page 129 et suiv. )
C'était certainement un spectacle grand et intéressant. Ces
guerriers sauvages, qui montaient au nombre décent cinquante
hommes aussi beaux qu'on en pût trouver en aucun pays,
étaient campés sur une éminenec qui s'élève à une hauteur
considérable, sous la forme d'un piton conique. L'un d'entre
eux avait une taille au-dessus de six pieds; leurs membres
charnus, leur maintien décidé, et leur démarche ferme et mar-
tiale, leur donnaient justement droit au titre de guerriers.
Leur aspect général se trouvait encore relevé par la variété
de leurs costumes , qui consistaient souvent en plusieurs
pièces parfaitement assorties. Les chefs, pour se distinguer des
hommes du commun , portaient des manteaux en poils de di-
verses couleurs, attachés à leurs nattes et qui pendaient par-
dessus, à peu près comme les vestes de nos hussards. Il ne man-
586 PIECES JUSTIFICATIVES.
quait au costume des simples guerriers que les manteaux de
poils pour le rendre aussi riche que celui de leurs supérieurs ;
car sous tout autre rapport il était semblable et quelquefois
même plus brillant. Plusieurs portaient des nattes, enrichies
de bordures chamarrées et décorées en outre avec un art qui
témoignait à la fois en faveur du goût et du talent de celui
qui les avait fabriquées. D'autres avaient des nattes encore
plus belles, car elles avaient le poli du velours , un lustre
éclatant et des dessins d'une rare élégance. Toutes ces nattes
étaient en lin du pays, et quelquefois rougies avec de l'ocre, ce
qui produisait un effet agréable et particulier. Chaque indi-
vidu en portait deux et souvent davantage ; celle de dessous
était toujours liée autour du corps avec une ceinture dans la-
quelle était placé le patou-patou. C'est leur principal instru-
ment de guerre, et les naturels le portent en tout temps, non
moins pour se tenir tout prêts à l'attaque et a la défense, que
comme un ornement indispensable. Il n'y a rien d'extraordi-
naire à cela; cette coutume se retrouve dans tous les pays, ci-
vilisés ou non, et il n'y a de différence que dans la nature des
armes en usage. Du reste, le guerrier de Wangaroa est tout
aussi fier de son grossier patou-palou , que l'officier le plus
glorieux peut l'être de son sabre traînant.
A l'exception des chefs, un petit nombre seulement étaient
tatoués ; mais tous avaient leurs cheveux proprement peignés
et réunis au sommet de la tête par un nœud orné de longues
plumes blanches de mouettes. Plusieurs portaient des décora-
tions qui ne pouvaient manquer de rappeler leur férocité guer-
rière : c'étaient les dents des ennemis qu'ils avaient tués dans
le combat, que plusieurs d'entre eux mettaient en guise de
pendans d'oreilles , comme des trophées de leurs sanglantes
victoires. Mais ils portaient aussi des ornemens moins révol-
tans pour l'observateur civilisé; et j'en observai quelques-uns
en jade vert fort curieux. Ceux qu'ils estiment le plus offrent
l'imitation grossière d'une figure humaine travaillée avec une
certaine adresse; ils les portent suspendus sur la poitrine.
PIECES JUSTIFICATIVES. 587
Leurs armes sont aussi variées que leurs costumes et leurs
décorations; et l'on n'en trouverait pas deux qui eussent exac-
tement la même figure et les mêmes dimensions. Le plus grand
nombre portait des lances de diverses longueurs et de for-
mes différentes , bien que dans leur ensemble on pût remar-
quer quelque ressemblance générale. Plusieurs étaient armés
de lances courtes destinées à tenir lieu de mousquet, en usage
dans d'autres pays pour attaquer l'ennemi à une certaine dis-
tance, et ces naturels savent les darder avec une grande adresse.
Les lances longues, dont la pointe est armée d'un os de baleine
très-acéré , leur servent quand ils combattent de près. Quel-
ques-uns portaient des bacbes de guerre, ainsi qu'un instru-
ment qui ressemble à une hallebarde de sergent, et dont le
sommet est orné de grosses touffes de plumes de perroquet.
D'autres brandissaient dans leurs mains de longs casse-têtes en
os de baleine, et tous portaient le patou-patou , instrument
dont les dimensions ne sont pas fixes , bien qu'elles soient com-
munément de onze ou douze pouces de long sur quatre de large.
Pour la forme , il ressemble assez bien à un battoir, mais il est
aiguisé sur les bords ; et un seul coup de cette arme suffit pour
fendre le crâne le plus dur. Ils s'en servent pour assommer
leurs ennemis en combattant corps à corps , et nulle arme ne
peut mieux remplir ce but. Ces casse-têtes sont, ou en os de
baleine, ou en jade vert, ou bien en une pierre d'une couleur
foncée, susceptible d'un grand poli. L'habileté qu'ils déploient
dans la fabrication de ces armes est réellement surprenante, et
je suis convaincu que le meilleur de nos ouvriers, aidé des ou-
tils nécessaires, n'exécuterait pas avec plus de perfection un de
ces instrumens que ne le font ces sauvages, sans autres moyens
qu'une coquille ou une pierre acérée.
588 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
M. Nicholas rapporte, ainsi qu'il suit, la catastrophe du
Boyd, sur le récit que lui en fit Georges. ( T. 1 , pag. 144
et suiv.)
Georges déclara que lui et un autre de ses compatriotes, se
trouvant ensemble à Port-Jackson , ils convinrent tous les deux
avec le capitaine Thompson de travailler à la manœuvre pour
gagner leur passage chez eux. Mais il arriva, dit-il, qu'il se
trouva tellement malade durant le voyage, qu'il lui fut entiè-
rement impossible de remplir son service. Le capitaine
ne voulant pas ajouter foi à sa maladie, et attribuant l'inac-
tion de Georges plutôt à sa paresse qu'à son indisposition ,
le menaça , l'insulta et finit par le maltraiter. Georges se plai-
gnit d'un traitement aussi rigoureux ; mais il ne fit qu'exas-
pérer de plus en plus le capitaine, qui était d'un carac-
tère violent. Ce fut en vain que l'autre lui fit observer qu'il
était un chef dans son pays et qu'il avait droit à certains égards,
en même temps qu'il lui représentait sa maladie comme étant
la seule cause qui l'empêchât de travailler. Le capitaine, fu-
rieux, ne fit aucune attention à ces observations; mais traitant
Georges de kouhi (homme du peuple) , il le fit garrotter sur le
passe-avant et fouetter cruellement. Ce traitement humiliant
de la part du capitaine fit perdre aux hommes de l'équipage
toute espèce de considération pour Georges; durant le reste
du voyage il fut en butte aux sarcasmes et aux railleries des
matelots qui le tourmentèrent, assura-t-il, de toutes les ma-
nières possibles.
On imaginera facilement quelle profonde impression un pa-
reil traitement avait dû produire sur un esprit comme celui de
Georges, et la vengeance qu'il médita fut aussi terrible qu'i-
névitable. Quoique je n'aie pu découvrir s'il conçut son infer-
nal projet durant le voyage même, ou bien s'il ne le forma
qu'après, j'imaginerais presque qu'il l'avait médité avant d'al-
ler à terre, puisqu'il dit avec beaucoup d'énergie au capitaine,
lorsqu'il se moquait de lui de ce qu'il se donnait pour un chef,
PIECES JUSTIFICATIVES. 589
qu'il reconnaîtrait la vérité de son assertion en arrivant clans
son pays. Du reste, cela pouvait avoir été dit dans l'intention
simplement d'assurer le capitaine du fait, et c'était une ré-
ponse assez naturelle à son incrédulité et à ses railleries. Mais
il est une circonstance plus forte qui nous conduit à penser
que Georges avait formé son horrible complot tandis qu'il était
encore à bord. En arrivant à la Nouvelle-Zélande, le capitaine,
entraîné probablement parles suggestions de Georges, con-
duisit son navire à Wangaroa. Aucun navire européen n'était
encore, à ma connaissance, entré dans ce havre ; mais comme
il se trouve sur le territoire même du chef qui avait été si
maltraité, on peut croire que celui-ci le recommanda pour
mieux assurer l'exécution de son projet. Il ne voulait pas con-
venir devant nous qu'il eût lui-même recommandé ce havre
au capitaine comme le plus favorable pour compléter sa car-
gaison ; mais, d'après ses réponses évasives, je suis entièrement
convaincu que ce fut lui qui l'entraîna vers cet endroit.
Une fois le navire mouillé dans sa baie, le capitaine, ajouta
Georges, le renvoya à terre, après l'avoir auparavant dépouillé
de tous les objets anglais qu'il possédait , et même de ses pro-
pres vètemens; si bien , qu'il fut reçu par ses compatriotes dans
un état de nudité presque complet. Sur-le-champ il leur ra-
conta toutes ses souffrances et les traitemens inhumains qu'il
avait essuyés à bord; ces détails les remplirent d'indignation ,
ils se décidèrent unanimement à en tirer vengeance, et l'idée
seule de massacrer le capitaine et l'équipage et de s'emparer du
navire put satisfaire leur fureur. Georges promit de leur en
faciliter les moyens, et l'œuvre du carnage se préparait tan-
dis que les malheureux dévoués à en être les victimes ne soup-
çonnaient pas même cet infernal projet.
La conduite imprudente et téméraire du capitaine Thomp-
son favorisait les idées de vengeance que sa brutalité avait
excitées contre lui, et cette conduite ne se manifesta que d'une
manière trop évidente. Sans réfléchir un moment sur le carac-
tère du sauvage, dont la passion dominante est le sentiment
i
500 PIECES JUSTIFICATIVES.
de la vengeance, et sans considérer que sa propre tyrannie
avait provoqué de la part de ces hommes les plus insignes re-
présailles, il eut l'audace de laisser son navire sans défense, et,
sans autre escorte que l'équipage d'un canot , de se diriger
vers le rivage où l'attendait une cohorte de cannibales furieux
et prêts à l'exterminer. Le dénouement de cette sanglante tra-
gédie fut prompt. A peine eut-il mis les pieds à terre, qu'il
fut assommé et massacré parTepouhi; et ses malheureux ma-
telots, partageant son triste sort, furent tous dépouillés par les
barbares qui parurent aussitôt revêtus des habits de leurs vic-
times et marchèrent au navire pour consommer le carnage. Ils
arrivèrent à bord encore altérés de sang et brûlant du désir de
compléter leurvengeance : ils'ensuivit un massacre universel de
tout ce qui restait de marins et de passagers sur le navire. A l'ex-
ception de quatre individus, pas un homme, une femme ou un
enfant de tous ceux qui avaient quitté Port-Jackson , n'échappa
à la fureur de leurs impitoyables assassins. En vain ces infor-
tunés cherchaient à se cacher, ils étaient bientôt découverts et
entraînés hors* de leurs retraites pour endurer les plus affreux
tourmens. Vainement quelques-uns des matelots s'étaient en-
fuis sur le gréement , dans l'espoir que leurs vies pourraient
être épargnées quand la fureur des sauvages serait apaisée : ils
eurent le même sort que leurs infortunés compagnons. Us
étaient descendus, à la demande de Tepahi qui , le matin même
de cette affreuse journée, était arrivé de la baie des Iles à Wan-
garoa,et ils s'étaient placés sous sa protection. Mais, bien que
ce vieux chef fît tout son possible pour les empêcher d'être
égorgés, ses efforts furent impuissans, et ils succombèrent sous
ses yeux, victimes de cette dernière scène de sang et d'hor-
reur. Je me trompe , cette scène ne fut pas la dernière ,
car il y en eut encore une autre dont l'humanité frémit,
ainsi que celui qui la raconte. Ces sauvages, non contens
de la vengeance qu'ils venaient d'accomplir , et fidèles à leur
caractère connu de cannibales, se rassasièrent des cadavres
de leurs victimes, en dévorant leur chair ensanglantée jusqu'à
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 591
ce que leurs appétits féroces fussent complètement assouvis.
Les quatre personnes qui échappèrent au sort fatal de tous
leurs compagnons furent une femme, deux enfans et le mousse
de la chambre. Tous, à l'exception du dernier, eurent le bon-
heur de se soustraire aux recherches des barbares jusqu'au
moment où leur fureur fut apaisée. En conséquence , quand
ils furent découverts, ils furent épargnés et traités avec une
certaine douceur. Le mousse de la chambre , pendant le
voyage , s'était mis en faveur près de Georges par divers actes
d'amitié, et eut dans cette occasion le bonheur d'obtenir la
plus précieuse des récompenses pour lui, la conservation de
sa vie. Ce chef, reconnaissant des bons offices qu'il avait reçus
de ce jeune homme, l'accueillit avec affection, tandis qu'il
réclamait sa protection et qu'il s'écriait d'un ton lamentable :
« Georges, vous ne voudriez pas me tuer; » car il lui répondit
d'un ton qui prouvait que, malgré toute sa cruauté, il était
susceptible de reconnaissance : « Non , mon garçon , je ne
vous tuerai point; vous êtes un bon enfant. » Et il le prit sous
sa protection immédiate.
(Pci'e 175.) La case de Doua- Tara ou , s'il est permis de
s'exprimer ainsi, son palais, différait peu de celle de ses sujets;
elle ne s'en distinguait que parce qu'elle avait été construite
sur une plus grande échelle et qu'elle était entourée d'un en-
clos plus vaste. Elle avait environ vingt pieds de long, quinze
pieds de large et huit de hauteur, avec un faîte en forme de
toit , et elle était construite en pieux entrelacés de branches.
La porte, comme dans toutes les autres, était si étroite, qu'il
n'était possible d'y pénétrer autrement qu'en rampant sur les
pieds et sur les mains. L'intérieur n'offrait aux regards que
quelques pierres rapprochées pour servir de foyer. La fumée
n'ayant pour s'échapper d'autre issue que la porte, ce triste
édifice était rempli d'une vapeur étouffante et formait, avec
ses malheureux hôtes, un tableau complet de l'état de bar-
barie.
Mais l'abjecte misère de ces cabanes était en quelque sorte
592 PIECES JUSTIFICATIVES.
compensée par les hangars intérieurs qui étaient aérés , éclai-
rés et agréables par comparaison. C'est là que les naturels
prennent constamment leurs repas ; car c'est pour eux une rè-
gle invariable de ne jamais manger dans leurs maisons , et leurs
motifs pour observer cette loi sont fondés sur des superstitions
d'une nature effrayante.
(Page 180.) Les deux sœurs de la femme de Doua-Tara se
faisaient remarquer parmi leurs compagnes, l'une par sa beauté
extraordinaire , l'autre par sa gaîté et la vivacité de ses ma-
nières. La première paraissait n'avoir que dix-sept ans et eut
pu , même en Angleterre où tant de personnes aspirent à la
palme de la beauté , y conserver de justes prétentions. Ses traits
réguliers, doux et attrayans, étaient d'une délicatesse charmante,
dont l'effet se trouvait encore relevé par l'éclat et la douceur
de son regard; et ses joues, légèrement colorées de la teinte
rosée de la santé , pouvaient se passer du secours du fard , au-
quel nos beautés les plus célèbres sont si empressées de recou-
rir. Sa taille était svelte et gracieuse, en même temps que la
simplicité naturelle de ses manières donnait un nouvel inté-
rêt à ses charmes. Son espiègle sœur était beaucoup plus âgée,
puisqu'à mon avis elle n'avait pas moins de quarante ans , et
elle était si gaie, qu'elle riait continuellement. Dans le fait,
elle semblait être la bonne humeur en personne. Par l'effet que
ses saillies produisaient sur ses compagnes , dont les regards se
dirigeaient sur nous , il nous était facile de voir que les Pakeha
ou hommes blancs étaient l'objet de quelques remarques ex-
traordinaires et provoquaient de sa part les plaisanteries les
plus piquantes. Je ne puis douter qu'elles ne fussent de la na-
ture la plus libre, car tous nos inouvemens donnaient lieu à
de grands éclats de rire.
PIECES JUSTIFICATIVES. 593
Après avoir raconté comment Doua-Tara se contenta
de punir de trente coups de fouet Warc qui s'était rendu
coupable d'adultère avec sa femme , M. Nicholas ajoute
{page 185) :
Probablement jusqu'alors il n'y avait pas eu d'exemple d'a-
dultère où l'un ou l'autre des doux coupables eût éebappé à la
peine de mort, tant l'horreur de ces peuples est grande pour
un crime qu'ils considèrent comme le plus odieux de ceux
qu'on peut commettre. Du reste, il est digne de remarque
qu'ils font une distinction curieuse quant à la culpabilité des
deux parties. Si le commerce criminel est découvert dans la
case de la femme, l'homme est sur-le-champ déclaré le séduc-
teur et comme tel condamné à mort, tandis que la femme en
est quitte pour une forte correction ; mais si le contraire a lieu ,
et si la femme est surprise dans la cabane de l'amant, elle est
alors condamnée à perdre la vie, car on suppose qu'elle a
séduit l'homme qui est à l'abri du châtiment.
(Page 188.) Comme nous nous promenions le long du
rivage, j'observai au pied d'un arbre une pièce de hois fichée
en terre , avec des sculptures grossières et peinte en ocre
rouge. Désirant connaître dans quel but elle se trouvait placée
en ce lieu , je m'avançais de ce côté, quand mon compagnon
s'arrêtant tout-à-coup, et criant tabou-tabou, me fit entendre
qu'un homme se trouvait enterré en ce lieu et me pria de n'en
pas approcher. Je jugeai à propos de me soumettre à cette
injonction , bien qu'en connaissant l'emploi de cette pièce de
bois, ma curiosité fût encore plus vivement excitée. Le mot
tabou , dans la langue de ces peuples, signifie sacré; et la
coïncidence des nations sauvages et civilisées, pour la vénéra-
tion qu'ils accordent aux lieux où reposent les morts, ne peut
manquer d'intéresser le philosophe qui veut étudier le cœur
humain. L'alarme du jeune homme qui m'accompagnait
prouve que les Nouveaux-Zélandais sont très-scrupuleux sous
tome m. 38
594 PIECES JUSTIFICATIVES.
ce rapport, et qu'ils considèrent comme une profanation sa-
crilège toute visite faite au tombeau , quand le corps y est une
fois déposé et que les rites funéraires sont accomplis.
En parlant de la racine de fougère , il s'exprime ainsi
{page 190) :
Cette racine est pour les Nouvcaux-Zélandais une produc-
tion inappréciable, car elle forme la principale base de leur
nourriture. Ils n'ont jamais songé à vivre seulement de patates
ou koumaras , qu'ils considèrent plutnl comme des friandises
capables de leur procurer parfois un mets délicieux que
comme un aliment susceptible de les sustenter babituellement.
La fougère croît dans toute l'île, au point de couvrir la plus
grande partie du sol ; et d'après l'air de vigueur et de santé des
naturels, je suis porté à croire que cette racine est très-nour-
rissante. Leur manière de la préparer est fort simple : après
l'avoir exposée au feu assez long-temps pour la chauffer suffi-
samment, ils la retirent, et la battent avec un maillet jusqu'à
ce qu'elle soit tout-à-fait ramollie et qu'on puisse la mâcher.
Une fois^qu'ellc est ainsi préparée , les cuisiniers la servent
par poignées aux chefs et autres personnes, qui la mâchent
jusqu'à ce que toute la matière nutritive et sucrée en soit ex-
traite ; alors ils rejettent la partie fibreuse, ils en prennent
d'autre, et continuent ainsi jusqu'à ce que leur appétit soit
satisfait. La racine de fougère chaude a un goût doux et
agréable, et lorsqu'elle séjourne dans l'eau, elle dépose une
substance qui ressemble à de la gelée.
(Page 21 5.) Quoique une grande partie des Nouveaux-
Zélar.dais ne se fassent aucun scrupule de voler toutes les fois
qu'ils en trouvent l'occasion, cependant, par une étrange
anomalie , le terme de voleur (jangata tac haé) est le plus grand
reproche qu'on puisse leur faire, et c'est à leurs yeux l'épithète
la plus injurieuse.
(Page 222.) De même que Tara, Tekoke nous reçut avec
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 595
des signes évitions de plaisir et do bienveillance, bien que ses
manières n'oussont point ce caractère engageant de politesse
natusellc qui était si frappant dans le vénérable Tara. Du
reste, son maintien assuré inspirait la confiance, et sa figure
ouverte et pleine de franchise annonçait que la nature no
l'avait pas formé pour trahir lés projets d'un cœur artificieux;
rien dans ses traits n'indiquait le moins du monde la fraude ou
le mensonge, mais chacun pouvait y lire clairement l'expres-
sion de la candeur et de l'honnêteté. Il était plus robuste de sa
personne qu'aucun de ceux que j'eusse vus, et tous ses mem-
bres offraient des formes parfaitement symétriques , en même
temps qu'ils semblaient capables d& résister à toutes sortes
d'exercices : ses larges épaules étaient recouvertes d'une grande
peau en poils de diverses couleurs, et sa belle figure, à la fois
tranquille et hardie, régulière et imposante, eût pu fournir à
Phidias, si Tekoke eût vécu de son temps, un modèle digne
des talens de cet artiste inimitable.
(Page 239.) Dans ce pays, on ne pense pas qu'il y ail
d'inconvenance de la part des femmes à faire les premières
avances, ou même à accorder leurs faveurs avant la cérémo-
nie du mariage. Tant qu'elles sont filles , elles sont exemptes
de toutes les entraves que la délicatesse leur impose chez les
nations civilisées; mais après le mariage tout privilège de 00
genre leur est interdit.
(Page 25t.) La maison de Wivia à Waï-Kadi était la plus
grande que j'eusse encore vue , car elle avait vingt-sept pieds
de long, dix-huit de large et neuf de hauteur. La porte n'étail
pas plus grande qu*e celle des autres cases ; mais elle était dé-
corée de quelques bas-reliefs curieux. Près du village étaient
quelques plantations de pommes de terre et de koumaras bien
cultivées. La précision avec laquelle les plantes étaient rangées,
les soins minutieux que l'on apportait à arracher les mauvaises
herbes , la propreté des palissades cl la commodité des bar-
rières et des sentiers eussent fait, on Angleterre, honneur au
goût du plus habile cultivateur.
38"
596 PIECES JUSTIFICATIVES.
(Page 254-) A Waï-Kadi chacun était curieux de considé-
rer ma montre; mais le mouvement leur parut être une chose
si étonnante , qu'ils jugèrent que ce ne pouvait être rien moins
que le langage d'un dieu; et la montre elle-même, considérée
comme un atoua , devint pour eux tous l'objet d'un profond
respect.
(Page 35o.) Dans ce village (près Waï-Mate), comme dans
tous les endroits que j'avais visités , les naturels étaient confon-
dus du mouvement de ma montre, et le chef et ses cliens dé-
cidèrent d'une voix unanime que c'était X atoua ; en consé-
quence, je fus regardé comme un personnage surnaturel.
(Page 272.) A l'égard^ de leurs maisons, les Nouveaux-Zé-
landais observent encore plusieurs autres pratiques supersti-
tieuses, en outre de celle qui prescrit de n'y prendre aucun
aliment ; elles ont toutes pour motif la crainte d'offenser Ya-
toua , qui les punirait de la plus terrible vengeance s'il leur
arrivait de souiller leurs cabanes par certaines actions qu'ils
regardent comme profanes. C'est pour cela que, non-seule-
ment ils ne mangent jamais dans leur enceinte quand ils sont
bien portans, mais que même, quand ils sont malades, ils ne
réclament point ce privilège, et qu'ils n'en useraient point
quand on le leur accorderait. Alors on les transporte sous un
hangar élevé dans l'enclos , quelque rigoureux que soit le
temps. C'est là qu'ils prennent tous les alimens qu'on leur pro-
cure, puis on les rapporte chez eux quand ils ont fini. C'est
aussi sous ces abris temporaires que les femmes font leurs cou-
ches, s'il fait mauvais temps ; mais comme le climat en général
est fort doux, l'accouchement a d'ordinaire lieu en plein air.
Pendant le temps qu'un naturel est occupé à'bâtir ou à répa-
rer une cabane, il est assujetti au tabou-tabou, qui, dans ce cas,
est une espèce de quarantaine, pour ce qui regarde son traite-
ment en particulier, bien qu'elle ne s'étende point à ses rap-
ports avec les autres, car ils. continuent d'être libres et sans
restrictions. Il ne doit pas toucher à ses vivres lui-même,
il a des personnes pour les lui donner, si c'est un chef; mais si
PIECES JUSTIFICATIVES. 597
ce n'est qu'un kouki ou homme du commun, ses vivres sont
déposés par terre, et il est obligé de se baisser et de les ramas-
ser chaque fois avec la bouche, en répétant cette pénible opé-
ration jusqu'à ce que son repas soit terminé. Sous aucun pré-
teste que ce soit, il ne peut se servir de sa main ; car si dans
ces circonstances solennelles il les portait à sa bouche , suivant
leurs idées, Vatoua le ferait périr par quelque maladie de lan-
gueur. L'individu qui se trouve dans ce cas est toujours péné-
tré lui-même de cette idée , et se soumet de bon cœur à ces
pratiques, tellement que la force est inutile pour lui faire ob-
server une règle aussi importante.
Fatigué de ma course et vexé de ne pouvoir entrer dans la
maison pour faire mon repas et y jouir d'un meilleur abri con-
tre la pluie, je m'emportai avec beaucoup d'aigreur contre ces
superstitions inhospitalières. Comme Touai , jusqu'alors, nous
avait témoigné une préférence marquée pour les coutumes eu-
ropéennes , en s'y conformant à bord autant qu'il le pouvait
faire, je lui dis en raillant que le tabou-tabou n'était qu'une plai-
santerie. Mais je vis bientôt que les opinions adoptées dans
l'enfance et nourries jusqu'à l'âge mûr sont aussi difficiles à ar-
racher de l'esprit d'un Nouveau-Zélandais que de celui d'un
Européen. En effet , rétorquant adroitement mon argument ,
Touai répondit :« Ce n'est point du tout un jeu ; l'homme de
la Nouvelle-Zélande dit que toutes les prières (karakia} de
M.Marsden, le dimanche, ne sont que des plaisanteries. — Oh!
non, repris-je, ce n'est point une plaisanterie; mais c'est bon
(maïlaï^). — Eh bien ! répliqua l'opiniâtre raisonneur, si vos
karakia ne sont point une plaisanterie , notre tabou-tabou n'est
point une plaisanterie non plus. » C'est ainsi qu'il résolut la
question, en nous laissant libres d'apprécier notre système,
tandis que lui-même et ses compatriotes continueraient de res-
pecter le leur.
(Page 282.) Tandis que nous faisions roule pour le vais-
seau , j'observai un des hommes de la pirogue qui portait sou-
vent ses doigts à sa tète et puis à sa bouche; enfin ne pouvant
598 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
plus douter du motif de ses gestes, je découvris qu'il se réga-
lait lui-même avec les essaims de vermine qu'il avait nourris,
et que sa tète sale était devenue une ressource régulière pour
son estomac plus sale encore.
(Pages 286 et suivS) Tara et Pomarc déjeunèrent avec nous
dans la cabane. Le premier, dans sa manière de manger, ob-
servait une règle qui le distinguait de l'autre ; il prenait le riz
dans le plat avec une cuillère et le versait dans sa main avant
de le porter à sa bouche ; pour boire son thé , il mettait sa
main devant ses lèvres et répandait le tbé dans la paume avant
de l'avaler, évitant avec soin de toucher avec ses lèvres aucun
des vases qui lui servaient à boire ou à manger. J'essayai de le
l'aire renoncer à cette absurde pratique et lui dis qu'il lui con-
viendrait bien mieux de manger comme nous; mais il secoua
la tète avec un air d'indignation , en répondant qu'il était Ariki
et tabou-tabou ; mais que Toupc et Pomare, qui n'étaient que
des koukis , pouvaient manger suivant notre manière. Cette
épithète méprisante était une insulte à la dignité de Pomare
qui maniait son couteau et sa fourchette avec toute la dexté-
rité d'un Européen. Désirant éprouver son caractère, je lui
dis en riant qu'il était un kouki/ son orgueil en fut sur-le-
champ offensé , il cessa de nous copier et commença à imiter
Tara. Mais il n'était pas insensible aux traits du ridicule, et
nos railleries le firent bientôt renoncer à cette extravagance et
manger comme nous.
D'après la déférence particulière que l'on accordait à Tara,
il paraîtrait qu'il occupait un rang élevé au-dessus des autres
chefs de cette partie de la baie ; mais je ne pus constater exac-
tement jusqu'à quel point ceux-ci reconnaissaient son autorité.
Du reste, autant qu'il me fut possible de me former une opi-
nion sur l'état de la société parmi ces hommes, il me semble
que ce peuple existe à présent sous une espèce de système féo-
dal , analogue en quelque sorte à celui qui prévalut en Ecosse
jusqu'à une époque assez récente. Les Arikis peuvent requérir
les services des chefs inférieurs en temps de guerre ; mais je n'ai
PIECES JUSTIFICATIVES. 599
pu m'assurer si ors derniers tiennent leurs terres sous certaines
conditions. La partie de la Nouvelle-Zélande dont je traite ici,
c'est-à-dire depuis les Cavalles jusqu'à la rivière Tamise, est
sous la direction de trois arikis ou chefs principaux, qui sont
Kangaroa , sur la partie N. E. de la baie des Iles ; Tara , sur la
partie du S. E. , qui s'étend jusqu'à Bream-Bay; et Houpâ,
dont la juridiction, qui est très-considérable, s'étend sur tout le
pays compris entre ce dernier endroit et la rivière Tamise.
Mais je suis porté à croire qu'en plusieurs occasions le pou-
voir de ces arikis sur les chefs subalternes n'est guère que no-
minal; car, bien qu'il soit formellement avéré, il arrive sou-
vent que les différentes tribus se font la guerre entre elles sans
consulter leurs arikis respectifs, et agissent sous plusieurs rap-
ports d'une manière tout-à-fait indépendante de leur autorité.
D'après cela, il est probable que les chefs ne tiennent point
leurs terres comme fiefs des arikis, mais qu'ils consentent tout
simplement à reconnaître leur pouvoir, sans pour cela s'y
soumettre plus qu'il ne convient à leurs caprices ou à leurs
intérêts. L'autorité de plusieurs de ces chefs eux-mêmes est
fort étendue; ils ont une suite nombreuse de cliens tout dé-
voués à leurs intérêts, et prêts à leur sacrifier leur vie au besoin
pour prouver leur fidélité.
Nous fûmes instruits que ce n'était point la coutume que
les arikis s'adonnassent eux-mêmes à la guerre, mais que cha-
cun d'eux avait son général ou homme de combat , comme le
désignait Doua-Tara , qui d'ordinaire était un de ses plus
proches parens. Ce commandant en chef, d'après les rensei-
gnemens qu'où nous donna, est un personnage très-important;
il prend toutes les mesures relatives à la guerre avec une auto-
rité illimitée; il est chargé de passer la revue des forces, et
prend soin de les tenir toujours prêtes à marcher au besoin.
Au combat, il se trouve toujours à leur tète; et c'est de là
qu'il dirige leurs mouvcinens , suivant le système de discipline
qu'il lui a plu d'adopter; fidèle à son poste, il ne songe jamais
à le quitter, jusqu'à ce qu'une défaite totale pu une victoire
GOO PIECES JUSTIFICATIVES.
complète ait mis fin au combat. Par les usages positifs du p«'tys,
les arikis se trouvantainsi débarrassés de toute participation à la
guerre, leur temps est ordinairement consacré à l'agriculture
et à l'économie politique de leur peuple. Tel est le cas de Kan-
garoa , dont le frère Shongui remplit les fonctions de généra-
lissime de toutes ses forces; tel est aussi Tara, qui au carac-
tère de chef unit celui de prêtre, et laisse le commandement
de ses troupes à son frère Toupe, homme très-propre à rem-
plir une pareille charge.
D'après ce que j'ai pu apprendre , le pouvoir des chefs est
en général absolu : les vies et les biens de leurs tribus sont
entièrement soumis à leur volonté. Je crois cependant que,
dans quelques districts, ce pouvoir se trouve limité par cer-
taines règles, et surtout par l'influence de l'opinion publique.
C'est ainsi qu'à Rangui-IIou plusieurs koukis possèdent des
terres d'une manière tout-à-fait indépendante. Ces terres sem-
blent être autant de biens substitués, dont la propriété est
garantie à leurs maîtres et passe à leurs descendans, sans que
le chef ait en rien le pouvoir de les en dépouiller.
Les arikis et les chefs regardent avec un souverain
orgueil tous ceux qui leur sont inférieurs pour le rang, et ne
les considèrent que comme des créatures abjectes, créées uni-
quement pour obéir à leurs ordres absolus. Mais pour leur
rendre justice, je dois faire observer qu'ils ne traitent jamais leurs
cliens avec cruauté, et que leur orgueil ne les entraîne en
aucune circonstance à des actes de sévérité ou d'oppression.
Ils vivent entre eux dans une harmonie parfaite ; bien qu'ils
considèrent leur différence de rangs comme insurmonta-
ble, elle ne porte en rien atteinte à cette union. Les chefs
semblaient très -jaloux de déployer leur importance à nos
yeux , et dans leurs conversations ils ne manquaient jamais
de la rappeler en termes pleins de la plus absurde vanité.
La conduite des hommes du peuple n'était nullement ré-
servée en présence de leurs chefs; ils parlaient et agissaient
avec tout autant de liberté que s'ils eussent été absens. Cela
PIECES JUSTIFICATIVES. 601
me semblait être une prouve de ce qu'ils n'étaient point traités
avec dm clé. D'ailleurs, bien qu'ils cultivent la terre, qu'ils
arrachent la racine de fougère et qu'ils la préparent pour leurs
maîtres, cependant leur travail ne paraît jamais être l'effet de
la contrainte, et ils s'en acquittent avec tant de gaieté et de
bonne humeur, qu'il semble plutôt être pour eux un plaisir
qu'une obligation.
Les chefs sont bien supérieurs aux hommes des basses classes
pour la propreté de leurs personnes; mais cela peut tenir à
leur exemption de travail et à leur état d'indépendance, qui
n'imposent aucune fatigue à leur corps, non plus qu'à leur ima-
gination. Tous les mâles de la famille d'un chef ont le titre de
rangatira , et ils ont d'ordinaire des domestiques pour leur
service particulier. Ils se marient avec les femmes de leur
classe, mais aucun sexe ne peut jamais former le nœud con-
jugal avec les houhis. Les chefs et les rangatiras, dont les
moyens suffisent à l'entretien de plus d'une femme , se per-
mettent toujours d'en avoir plusieurs. Mais toutes ces fem-
mes, excepté la principale, sont généralement employées à
des fonctions laborieuses. Je suis disposé à croire que les chefs
les prennent plutôt pour le service de leur maison que pour
les charmes de leurs personnes ou pour les agrémens de leur
société. En effet, on ne peut guère envisager ces femmes sous
un autre point de vue que celui de servantes chargées de tra-
vaux pénibles, puisqu'elles n'ont pas d'autre privilège que
celui d'un esclavage plus distingué.
Il est curieux de voir en quels termes M. Nicholas parle
de Pomare, dont la réputation devint quelques années
après si célèbre à la Nouvelle-Zélande {pag. 309 el
suiv. ) :
Nous trouvâmes que Pomare était un homme d'un caractère
bien extraordinaire : il nous fut plus utile pour nous procurer
602 PIECES JUSTIFICATIVES.
le bois de construction, que tous les autres chefs ensemble ; et
nulle part au monde je n'ai vu un homme qui montrât une
avidité plus impatiente pour les affaires mercantiles. A cet
égard ses capacités étaient fort grandes; c'était un excellent
juge pour plusieurs articles de commerce , et il eût donné son
opinion sur une hache tout aussi bien qu'un Européen. Tout
en la maniant avec une sorte d'extase, au moment qu'il en de-
venait possesseur, ses yeux semblaient se repaître de la contem-
plation d'une acquisition aussi précieuse. Il était détesté de
tous les autres chefs, et si l'on eût pu s'en rapporter à leurs
assertions , Pomare aurait mérité leur exécration et celle de qui
que ce fût au monde. Mais comme on l'a déjà observé, ces chefs,
rivaux jaloux les uns des autres, sont toujours disposés à se
calomnier mutuellement, et leur témoignage, pour cette raison,
ne peut inspirer une grande confiance. Ce chef, quoique su-
bordonné à Tara, n'avait que très-peu de déférence pour ce
vénérable ariki : souvent il bravait son autorité, et il mani-
festait à tout propos un esprit d'indépendance plus marque
qu'aucun des autres chefs. Les Nouveaux-Zélandais ont cou-
tume de préserver de la corruption , par une méthode cu-
rieuse, les têtes de leurs ennemis tués au combat. Ce procédé,
à ce que j'appris, consiste à enlever la cervelle , puis à dessé-
cher la tête de manière à laisser la chair entière ; mais pour le
pratiquer, il faut un degré peu commun de savoir et d'expé-
rience. Un jour M. Marsden adressa quelques questions à Po-
mare sur les moyens qu'il employait dans cet art barbare où
il s'était acquis une réputation de supériorité marquée sur ses
compatriotes.. Il ne voulut y faire aucune réponse di-
recte, sachant que c'était une matière à laquelle nous ne son-
gions qu'avec horreur, et attendu qu'il lui eût fallu entrer
dans des détails révoltans pour nos habitudes. Mais mon ami
lui ayant demandé s'il pouvait lui procurer une tête ainsi con-
servée, Pomare songea tout-à-coup qu'il pourrait recevoir une
hache pour sa peine , et cet espoir détermina cet homme inté-
ressé, non-seulement à entrer dans une explication très-dé-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 003
taillée sur sa théorie , niais encore à nous offrir do nous donner
un exemple de son procédé. Il allait, ajoutait-il, tuer à coups
de fusil des gens qui avaient fait périr son fils, si nous vou-
lions lui donner pour cela de la poudre; puis il rapporterait
leurs tètes et nous montrerait tout ce que nous désirions savoir
sur l'art de les conserver. On sent bien que cette proposition
sanguinaire arrêta tout-à-coup toutes nos questions. Ce chef
ne laissait échapper aucune occasion de faire parade de ses
qualités personnelles et de l'autorité considérable dont il jouis-
sait. Il se targuait sans cesse de ses talens militaires, mépri-
sait ses rivaux et s'élevait au-dessus de tous les autres héros de
la Nouvelle-Zélande.
(Page 329.) Les arbres de cette forêt (entre Kidi-Kidi
et W aï-Mate) n'étaient guère variés et ne consistaient prin-
cipalement qu'en deux espèces, mais quelques-uns étaient
les plus grands que j'eusse jamais vus , et que probable-
ment on pût trouver dans aucune partie, du monde connu.
Une espèce de pin, nommée par les naturels totara , excita
notre étonnement par le volume et la hauteur à laquelle elle
parvient. Nous en mesurâmes quelques arbres auxquels nous
trouvâmes trente et trente-trois pieds de circonférence, et qui
atteignaient cent pieds et plus sans porter de branches, avec
un tronc parfaitement droit. La quantité de bois massif qu'un
de ces arbres peut fournir est immense. Le totara a une
écorce singulière , qui devient fort épaisse'et se partage dans
toute sa longueur en bandes horizontales séparées les unes des
autres par des intervalles de deux pieds environ. Sa feuille est
petite et étroite , et je n'ai vu suinter de cet arbre aucune goutte
de résine ou de térébenthine. Les naturels font des pirogues
avec les plus petits individus de cette espèce. Le tawa, autre
espèce de pin , sans être aussi grand que le totara, croît aussi
dans cette forêt en abondance, et y parvient à une hauteur
considérable. Cet arbre a également une feuille petite et étroite,
mais sou écorce est mince et presque unie : il porte une bai<
que mangent les naturels.
604 PIECES JUSTIFICATIVES.
M. Nicholas décrit ainsi qu'il suit le pà de Waï-Mate
{pag. 336) :
Une forte palissade , en gros pieux plantés les uns près des
autres et hauts de vingt pieds , formait la première enceinte
qui entourait la ville. L'entrée était une poterne de cinq pieds
de haut et de deux de large, accompagnée au dehors de quel-
ques tètes humaines sculptées, qui respiraient un air de ven-
geance et semblaient menacer les assaillans. En dedans de la
palissade, et à la toucher dans toute son étendue, régnait une
forte clôture d'osier que les habitans avaient élevée pour ar-
rêter les lances de leurs ennemis; mais à certains intervalles ils
avaient pratiqué des meurtrières afin de pouvoir faire un feu
de mousqueteric sur les assaillans. A une petite distance de ce
solide rempart, et dans l'intérieur, était un espace de trente
pieds de large environ, où l'on avait creusé un fossé : une fois
rempli d'eau , il défendait le côté de la colline qui était le plus
accessible à l'extérieur. Derrière ce fossé, ils avaient élevé un
talus escarpé sur lequel se trouvait un second rang de palis-
sades de la même hauteur et de la même force que le premier.
Le fossé qui avait au moins neuf pieds de largeur défendait
une issue fermée par une autre poterne; entre celle-ci et la
dernière qui donnait dans la ville , régnait un espace intermé-
diaire de quatre-vingts pieds de large, à l'extrémité duquel la
colline était taillée à' pic dans une hauteur de quinze pieds en-
viron. Au sommet s'élevait un autre rang de palissades qui
entourait le pâ et complétait ses fortifications.
Au centre de la ville, on nous montra le siège ou trône de
Kangaroa. Il était d'une forme curieuse et s'élevait sur un pi-
lier à six pieds environ au-dessus du sol, enrichi de dessins
grotesques en bas-reliefs. Pour l'aider h j monter, il y avait
aussi un degré qui servait en même temps d'escabeau. C'était
de ce trône que le chef, élevé au-dessus de son peuple, don-
nait ses ordres et dictait ses lois avec autant d'autorité que
le potentat le plus absolu en Europe. Près de ce siège en
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 005
était un autre exclusivement réservé pour l'usage de la reine
douairière, mère de Kangaroa , et tout auprès une petite
caisse pour contenir les provisions de Sa Majesté.
(Page 343.) Les naturels nous apprirent que le lac de
Maupcre abondait en poissons, et nous montrèrent deux pa-
niers de forme circulaire qui leur servaient pour les prendre. Ces
paniers étaient faits avec l'écorec de l'arbre appelé mangui-
mangui , et babilement travaillés; la bouebe du panier se ré-
trécissait comme celle d'une souricière, de sorte que le poisson
qui v était une fois entré n'en pouvait plus sortir. Il ressem-
blait fort à ceux que nos paysans fabriquent en Angleterre
pour attraper les anguilles.
(Page 3q2.) Houpa, qui semblait avoir h peu près le
même âge que Tara , était le vieillard le plus beau et le plus
vénérable que j'eusse jamais vu : par sa stature il dépassait le
plus grand de ses compatriotes; et s'a force, bien qu'affaiblie
par l'âge, était encore extraordinaire. Ses traits avaient un air
sérieux et pensif qui annonçait un esprit porté à la réflexion ;
dans tout son maintien régnait une gravité solennelle qui ,
plus encore que son baut rang, servait à le distinguer de tous
les autres, et commandait ce respect et cette vénération qu'il
était impossible de lui refuser.
Houpa, d'après ce que nous apprîmes de nos guerriers,
était de beaucoup le ebef le plus puissant que nous eussions
encore rencontré ; son autorité s'étendait depuis la Tamise jus-
qu'à Bream-Bay, étendue considérable dans ce pays pour re-
connaître le pouvoir d'un seul individu. En opposition avec
la coutume suivie par les Arikis, il commandait toujours ses
guerriers en personne , et, malgré son âge avancé , il était re-
gardé comme un des hommes les plus braves de la Nouvelle-
Zélande : son nom était formidable pour toute la partie sep-
tentrionale de l'île.
(Page 4o6.) Doua- Tara m'assura que pour compléter une
natte de grande dimension et du goût le plus soigné , il fallait
au moins deux ou trois ans de travail.
60G PIECES JUSTIFICATIVES.
( Tome II , page 18.) Les chefs peuvent en tout temps re-
quérir les services des hommes de leur trihu , qui se rassem-
blent et se préparent pour leur obéir sans jamais demander
pour quel objet ils sont appelés; ils montrent le plus grand
dévouement à leurs chefs , et sont toujours prêts à marcher aux
scènes de sang et de carnage , ou à s'occuper des travaux plus
doux de l'état de paix. Il est bon de remarquer qu'un dénom-
brement ou plutôt une revue de toute la population adulte et
mâle, a lieu à certaines époques fixes de l'année : alors les ran-
gatiras qui sont tous traités avec le plus grand respect aident
à dénombrer les koukis de la même manière qu'un sergent
compte les soldats de sa compagnie. M. Marsdcn , qui entre
autres renseignemens reçut de Doua-Tara une description
exacte de cette cérémonie , la rapporte ainsi dans une lettre à
un ami : « Les chefs passent la revue de tous leurs hommes à
certaines époques de l'ailnée ; la grande revue a lieu après la
récolte des patates. Le terrain d'où l'on a retiré les patates est
dégagé des pierres et des mauvaises herbes, puis tout aplani;
alors tout le monde s'y assemble, hommes femmes et enfans.
Les hommes sont placés par rangs comme dans un régiment,
et sur cinq, six ou sept hommes de profondeur, suivant la vo-
lonté du chef. Alors un des principaux officiers ou rangatiras
commence à les dénombrer , non pas en les appelant par
leurs noms, mais en passant devant les rangs et les désignant
par leurs numéros. A la tète de chaque cent hommes il place
un rangatira et continue ainsi jusqu'à la fin , en laissant un
rangatira à chaque cent hommes : ainsi dix rangatiras répon-
dent pour mille hommes. Jamais les femmes et les enfans ne
sont soumis à cet appel. »
{Tome II, page 28.) Les quatre hommes qui avaient été de
notre compagnie étaient tous rangatiras, ainsi que Touai prit
soin de nous l'apprendre ; car ces naturels ne négligent jamais
de vous faire connaître leur propre dignité et celle de leurs
amis ; je pense qu'il n'y a pas de pays au monde où l'orgueil de
famille soit plus dominant qu'à la Nouvelle-Zélande, sans ex-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 007
ccptor l'Espagne elle-même «avec ses grands hautains , ni l'Al-
lemagne avec ses barons vaniteux.
En opposition à ce qu'avait avance Forster, M. Ni-
cholas fait la remarque suivante [loin. II, pag. G6) :
Loin d'être insolcns et indisciplinés , j'ai au contraire ob-
servé qu'à la Nouvelle-Zélande tous les enfans des deux
sexes sont soumis et obéissans envers leur mère d'une ma-
nière remarquable ; et pendant tout le séjour que j'ai fait dans
ce pays, je n'ai pas vu un seul exemple de conduite indécente.
Outre le témoignage de mes propres yeux, touchant leurs dis-
positions douces et traitables , aux nombreuses questions que
j'ai faites à cet égard, jamais on n'a répondu que les enfans
fussent dans l'habitude de traiter leur mère avec mépris.
Quand ils seraient disposés à le faire, je n'ai pu m'apercevoir
non plus qu'ils fussent protégés par leur père, contre le châ-
timent dû à ce manque de respect.
( Tome II, pages 92 et suif. ) Le dimanche matin, 5 février
i8i5, le bruit courut à bord parmi les naturels qu'un grand
combat allait avoir lieu, dans le courant de la journée, entre
Wiwia, le chef contre lequel Koro-Koro venait de diriger ses
forces, et Hinou , le chef dont Wiwia avait séduit la femme.
Comme Temarangai déclara qu'il voulait demeurer spectateur
neutre de ce combat, je n'hésitai point à l'accompagner, d'au-
tant plus qu'il me garantit que je ne courrais aucun danger.
Nous entrâmes enfin dans celte petite capitale (Waï-Kadi),
et nous n'y trouvâmes qu'une scène de tumulte et de confu-
sion ; clic était remplie d'hommes armés qui couraient de toutes
parts avec un air farouche , au milieu de tous les préludes
d'un engagement sauvage. Là , je reconnus notre ami Toupe,
ainsi que deux autres chefs de ma connaissance, Koue et Hou :
ils étaient assis sur le toit d'une maison; et Toupe, dès
qu'il m'aperçut, me fit signe d'aller m'asseoir à côté de lui. De
008 PIECES JUSTIFICATIVES.
cette station d'honneur, car elle était considérée ainsi , j'eus
l'avantage de voir toute la force des combattans des deux par-
tis. Directement en face de l'endroit où nous étions assis, se
trouvait un vaste enclos séparé de nous par le Waï-Kadi; c'est
là qu'était campé Hinou avec ses gens. Cette troupe, qui mon-
tait au moins à deux cents hommes , se composait de diverses
tribus commandées par leurs chefs respectifs. Ces hommes, as-
sis par terre et dispersés en groupes, écoutaient avec attention
un vieux guerrier qui s'était levé pour adresser la parole à Wi-
wia et à ses compagnons. Dans ce vieillard, qui semblait être
un véritable champion de tribu, je contemplai un exemple
curieux de l'éloquence populaire du pays. Sa fougue martiale
et ses gestes me firent conjecturer qu'il opinait encore pour la
guerre, et les auditeurs ne laissèrent pas que d'être influencés
par sa harangue. Tout en marchant , ou plutôt en courant çà
et là le long de la palissade qui bordait le côté opposé de la
rivière, il proférait ses paroles avec une violente indignation;
et nous pouvions les entendre distinctement, la distance qui
séparait les deux partis n'étant pas de plus de cent verges.
Parfois il secouait la tête comme pour appuyer son raisonne-
ment ; il brandissait sa lance comme s'il eût voulu exterminer
d'un seul coup Wiwia et toute sa troupe ; en un mot , le vété-
ran semblait entraîné par son ardeur pour le combat. Le plus
profond silence régna, et quand il eut fini sa fougueuse allo-
cution , deux des guerriers de notre côté se levèrent pour lui
répliquer.
Les personnes désignées pour cet objet par l'assentiment gé-
néral furent Toupe et Temarangai , qui répondirent au vieil-
lard avec un accent et des manières aussi douces et aussi con-
ciliantes que les siennes étaient violentes et emportées. Du
reste, ils parurent plaider leur cause avec une fermeté grave
et décidée , et le parti opposé ne cessa de les écouter avec l'at-
tention convenable. Leurs discours ne furent point prononcés
en même temps; mais Toupe, se levant le premier, fit sa ré-
ponse qui ne dura que quelques minutes. Quand il se fut ras-
PIECES JUSTIFICATIVES. (509
sis, Temarangai le remplaça et parla un peu plus long-temps;
mais il employa un ton aussi graeieux, aussi persuasif que son
compagnon, et il semblait appuyer ses raisons avec quelque
chaleur. Je fus frappé du sang-froid et du bon ordre qui furent
observés des deux côtés, tandis que ces harangues furent pro-
noncées. Temarangai ayant fini, je m'attendais à ce qu'il n'y
aurait plus de discours, mais que les deux partis allaient s'é-
lancer l'un sur l'autre et employer le patou-patou au lieu de
la langue. Du reste, ce n'est pas ce qui arriva; car ils paru-
rent décidés à terminer leur querelle par ce dernier instru-
ment, résolution qui me causa un véritable plaisir ; j'aimais
beaucoup mieux trouver en eux des dispositions aussi conci-
liantes, que de satisfaire ma curiosité par le spectacle d'un
combat. Un autre guerrier du parti d'Hinou répliqua aux
discours de Toupe et de Temarangai; se levant du milieu du
groupe qui l'environnait , il s'avança vers l'endroit où le
vétéran avait parlé , et commença sa harangue , modèle d'élo-
quence naturelle. Dans la manière de cet homme régnait
un ton d'aisance et de dignité qui le distinguait sur-le-
champ des autres orateurs. Il parla durant un temps con-
sidérable ; je ne pouvais m'empêcher d'admirer la gracieuse
élégance de son maintien et la convenance parfaite de ses
gestes. Tenant d'une main son patou-patou, il marchait de
çà et de là le long de la rivière d'un pas ferme et plein de
dignité; une natte unie, attachée sur son épaule droite,
lui descendait jusqu'aux pieds avec une sorte d'abandon plein
de noblesse et rappelait assez bien la toge romaine à l'imagi-
nation de l'observateur, tandis que sa stature majestueuse et la
parfaite symétrie de ses formes complétaient l'illusion. Son dis-
cours, quoique prononcé avec énergie, ne semblait nullement
inspiré par un esprit de violence ou d'hostilité; et bien que le
sens m'en restât inconnu , attendu le peu que je savais de leur
langue, cependant, à la manière dont il était proféré , je ne
doutai point qu'il ne fût d'une nature conciliante.
A cet orateur, qui certes méritait bien ce titre puisqu'il en
tome m. 3q
i
(ÏIO PIECES JUSTIFICATIVES.
possédait toutes les qualités à tin degré éminent, succédèrent
Toupe , Temarangai et deux autres chefs de notre parti qui
parlèrent chacun à leur tour. Puis on entendit un troisième
orateur du côté opposé , qui n'offrit rien de remarquable dans
sa manière ni dans son élocution. La harangue de cet homme
fut la dernière qui fut prononcée. Alors je demandai à Toupc
quel était le résultat de ces débats oratoires, et il me dit que
les deux partis en étaient venus à un arrangement amical.
Quelques formalités préliminaires, a ce qu'il paraît, avaient
eu lieu entre Wiwia et Hinou avant mon arrivée; et quoique
le vieux guerrier représentât avec force la nécessité de recou-
rir immédiatement aux armes, je suis persuadé que ses argu-
mens furent réfutés par les autres orateurs qui n'étaient point
enflammés par le même esprit d'hostilité implacable.
Je n'avais pas encore vu Wivvia , mais il s'avança alors vers
moi d'une façon très-amicale , suivi de cinq ou six de ses guer-
riers; il me toucha la main avec beaucoup de cordialité, puis
il s'en retourna et se confondit avec ses gens. Cet homme dont
l'intrigue illégitime était la cause de tous les discours que je
venais d'entendre et de toutes les démonstrations dont j'avais
été témoin , était l'aimable et galant Lothario de ces contrées.
Il semblait être âgé de trente-cinq ans environ ; sa taille était
moyenne, mais sa figure était gracieuse et ses formes très-bel-
les. Une jolie natte, ornée de plumes, était liée autour de sa
ceinture, et laissait à nu le haut de son corps qui était copieu-
sement enduit d'huile et d'ocre rouge ; ses cheveux étaient pro-
prement liés sur le sommet de sa tète et surmontés d'un large
peigne, aussi blanc que l'ivoire, fabriqué avec un os de céta-
cée et travaillé avec goût. Ses joues étaient peintes en rouge ,
ce qui donnait à ses yeux du feu et de la vivacité, et formait
un contraste curieux et d'un bon effet avec sa barbe noire et
touffue. Sa tournure était bien capable d'exciter l'attention des
dames de son pays , qui le considéraient comme le vrai mo-
dèle d'un homme du bon ton.
Toupe m'apprit que les guerriers qui suivaient Wivvia et Hi-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. f,l(
non lui appartenaient, bien qu'en eette circonstance ils eus-
sent été obligés d'embrasser des intérêts contraires, parce que
les chefs inférieurs dont ils dépendaient immédiatement les
avaient placés en opposition les uns aux autres. Mais je con-
jecturai qu'il voulait seulement dire que ces guerriers recon-
naissaient l'autorité de son frère Tara, qui était Ariki, et que
lui-même étant son général , avait en conséquence un certain
pouvoir sur eux.
Tous les différends étant désormais arrangés à l'amiable, ils
voulurent couronner leur réconciliation par un copieux ban-
quet. Toupc me conduisant du côté d'Hinou , un des naturels
me fit traverser la rivière sur ses épaules, tandis que nous étions
suivis d'autres gens qui portaient une quantité de patates
à Hinou. Wiwia les envoyait en présent à son adversaire,
qu'il savait à court de provisions, pour célébrer cette joyeuse
circonstance. Je trouvai Hinou avec son fils Temoudi , assis au
milieu de son camp et environné des guerriers de sa propre
tribu ou de celles de ses alliés. Après avoir passé au milieu
d'une file de ces gens, j'arrivai près du chef; et après avoir mis
mon nez en contact avec le sien, suivant la cérémonie d'usage,
à sa prière je m'assis près de lui. Il n'y avait entre ce chef et
Wiwia aucune ressemblance , ni pour la figure ni pour la
tournure. Quoiqu'il une époque plus reculée de sa vie il eût
dû être un homme de bonne mine, Hinou n'avait plus rien
alors dans sa personne qui pût lui garantir l'attachement
d'une femme dont la fidélité ne dépendait que des impressions
extérieures. Toute sa vigueur avait disparu devant le progrès
insensible des années , et il n'était pas surprenant que sa
femme, qui ne se croyait liée que par le plaisir des sens, eût
préféré son rival, alors dans la fleur de l'âge et doué de tous
les attraits personnels' les plus admirés dans le pays. Le fils de
Hinou était presque aussi âgé que Wiwia , et Hinou lui-même
ne devait pas avoir moins de soixante-dix ans ; sa barbe , aussi
blanche que la neige, couvrait sa poitrine, et lui donnait une
gravité patriarcale.
39*
(>12 PIECES JUSTIFICATIVES.
Je restai assis quelque temps avec Hinou . qui ne proféra pas
une parole; mais il me regardait fixement, comme pour juger
d'après les traits de mon visage de la nature de mes intentions:
puis jo me levai et allai me réunir aux différens groupes dis-
persés dans l'enclos. Tous ces naturels s'amusaient beaucoup
de me voir, et me priaient avec leur empressement ordinaire
de m'asseoit parmi eux. Us examinaient mes bottes et mes
habits avec une attention minutieuse, et nul article de mon
costume n'échappait à leurs remarques. Je trouvai qu'il était
assez désagréable d'être assujetti à cet impertinent examen, car
ils se pressaient autour de moi de manière à me mettre en
contact avec leurs /toutous (poux), dont je n'avais déjà eu que
trop souvent l'occasion de me débarrasser. Cependant je n'au-
rais pu leur refuser cette liberté qu'en les repoussant d'une
manière péremptoire, et c'était une mesuré à laquelle je ne
jugeai pas qu'il fût prudent de recourir. Quelques-uns débou-
tonnaient mon habit et insistaient pour voir ma poitrine*;
puis ils se regardaient l'un l'autre, comme s'ils voyaient en
moi une créature autrement organisée qu'eux-mêmes et tout-
à-fait extraordinaire dans sa conformation , et ils proféraient
certaines paroles à mesure que leur admiration se trouvait
excitée par quelque nouvel objet d'étonnemcnl. Tandis que je
leur faisais voir ma montre, dont le ressort ne manquait pas
d'occasioncr leurs exclamations habituelles de surprise, les
chefs s'écriaient avec leur ton d'orgueil naturel : Iti iti tan-
gata, voulant nous faire entendre par là que les personnes
dont je satisfaisais la curiosité n'étaient que des gens du com-
mun auxquels je n'aurais pas dû faire attention. Mais je ne
me prêtai point à cette exception peu généreuse, et l'injuste
vanité des chefs ne put me porter à priver les pauvres koukis
d'un spectacle qui intéressait tant leurs supérieurs. Au milieu
d'un de ces groupes, j'observai un homme qui était né con-
Leur but en cela était de s'assurer, à ce que j'imagine, s'ils devaient me
considérer comme un homme ou comme une femme.
PIECES JUSTIFICATIVES. 618
(refait; son dos était voûté, ses jambes tortues, et sa taille si
rapetisser qu'il avait presque l'air d'un nain. Ce fut le seul
exemple de difformité semblable que je découvris parmi ces
peuples; car leurs membres sont en général parfaitement tour-
nés, et leurs personnes ne peuvent guère offrir d'autres traits
à blâmer que ceux qu'ils se font eux-mêmes, ou par suite de
leurs superstitions en temps de deuil, ou dans le but extrava-
gant d'ajouter à leur beauté naturelle.
Sur ces entrefaites, une bande de cuisiniers préparaient les
corbeilles de patates que Wiwia avait envoyées; elles avaient
été d'abord toutes apportées au milieu du camp , sous la direc-
tion d'un des chefs de Wiwia , et réunies ensemble. Après
certaines cérémonies, qui consistaient partie dans la répé-
tition de quelques paroles que je ne puis comprendre ,
partie en divers mouvemens exécutés sur l'ensemble des cor-
beilles, elles furent distribuées avec ordre aux différentes
tribus.
De tous les guerriers rassemblés pour cette circonstance, je
n'en vis pas un plus remarquable que Ware , l'homme qui
avait séduit la femme de Doua-Tara , et qui se présentait pour
la seconde fois à nous depuis qu'il s'était échappé du navire.
Bien qu'il ne fût pas costumé comme ses compatriotes, son
extérieur n'en était ni moins formidable ni moins imposant;
aucun de ces guerriers n'avait un air plus martial, un maintien
plus déterminé : vêtu d'une jaquette et d'un pantalon de ma-
telot, il portait un mousquet, et une giberne était suspendue
à son côté. Il me tendit la main ; et ne jugeant pas qu'il fût
politique en cette occasion de manifester le moindre souvenir
de son crime en repoussant sa politesse, je lui donnai la
mienne comme si j'eusse tout-à-fait oublié sa conduite passée.
J'entrai sans façon en conversation avec lui, et lui fis quelques
questions sur les gens de ce canton et sur son avis touchant
ce qui venait de se passer. Temarangai survint et ne toucha la
main de Ware qu'avec une sorte de répugnance; il lui repro-
cha même sa conduite dans les termes les plus durs. Ware lui-
014 PIECES JUSTIFICATIVES.
même m'expliqua le sens de ces expressions; et les épitliètcs
qui lui furent adressées annonçaient toute l'indignation de
l'autre, et l'horreur qu'il avait de Warc à cause du crime qu'il
avait commis. Cependant Temarangai , me voyant disposé à
converser familièrement avec Ware, adoucit peu à peu son
ton. M'ayant demandé si Ware était maïtaï (bon), je répon-
dis qu'il avait mal agi , mais que j'espérais qu'à l'avenir il se
comporterait mieux ; sur quoi il se réconcilia sincèrement
avec Ware, et pour preuve il appliqua même son nez con-
tre celui de Ware. Comme je conversais avec ces deux
chefs, je fus accosté par un homme, nommé Rcko , qui
avait été à l'île Norfolk et à Port-Jackson : il me demanda
avec empressement des nouvelles du gouverneur King et des
capitaines Piper et Brahyn qu'il se rappelait parfaitement,
et il voulut savoir si ces personnes étaient encore dans la
colonie.
La quantité de feux allumés par les cuisiniers, qui dé-
ployaient toute leur activité, produisit une fumée si suffocante
que, pour en éviter l'incommodité, je m'empressai de quitter
au plus vite le camp. Ayant traversé de nouveau la rivière , je
rejoignis Wiwia et ceux de son parti. Je les trouvai occupés
à se régaler des patates qui avaient été distribuées dans des
corbeilles aux différens groupes étendus sur le sol, et qui dé-
voraient leur kaï kaï avec leur appétit ordinaire. J'offris au
chef un peu de biscuit; mais il ne put y toucher, car il se
trouvait en ce moment sous l'influence du tabou, et il lui était
interdit de prendre lui-même ses vivres. Du reste, il chargea
quelqu'un de ses gens de le lui réserver pour l'époque où il
serait délivré de cette quarantaine mystique, et il se proposait
alors de gratifier son palais de celte rare friandise. Un des
guerriers, homme d'une stature imposante et d'un maintien
plein d'expression, était singulièrement costumé. A sa cein-
ture était attachée une natte doublée en plumes d'oiseau de
diverses couleurs et réunies en un tissu épais; une autre natte
pendait librement et avec grâce sur son épaule droite, et par-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 615
dessus tout se trouvait uni- pièce d'indienne rouge, taudis
qu'on inoircau de cette même étoffe lui ceignait le front; sa
chevelure était ornée de longues plumes blanches comme la
neige placées en tout sens, et d'une manière si extraordinaire,
qu'elles produisaient l'effet le plus bizarre et le plus comique;
ses joues étaient peintes en rouge, et il portait à la main une
énorme pique de fer, avec un long patou-patou suspendu à
sa ceinture. Ainsi équipé, il marchait ça et là d'un grand air
d'importance, tenant sa tête aussi roide que le grenadier le
mieux discipliné, et réglant tous ses mouvemens d'après une
sorte de cadence militaire qu'il modifiait au gré de la circons-
tance, car elle devenait grave , véhémente ou précipitée, sui-
vant que le cas l'exigeait. Comme j'allais lui toucher la main,
je voulus flatter sa vanité, et je lui dis qu'il était nouï nouï
maïtaï (très-beau). Il reçut ce compliment comme un tribut
dû à sa haute importance, et me regardant avec beaucoup de
bienveillance, il me dit à son tour que j'étais nouï nouï maïtaï
Youropi (un très-bon Européen).
Les chefs se distinguaient principalement des guerriers su-
balternes par leurs manteaux en peau de chien; les poils,
diversement colorés, présentaient un aspect très-curieux par
les dessins étranges que formait leur réunion. Quelques-unes
de ces peaux étaient coupées par morceaux carrés blancs
comme de la neige, d'autres en longues bandes tachetées,
et leur mélange formait toutes sortes de dessins qui diffé-
raient pour la forme, la couleur et la dimension : cependant il
était évident que, dans tous ces vêtemens, on avait eu plus
d'égard au faste et à l'éclat qu'au goût et à l'uniformité. Peut-
être une peau de panthère donne-t-elle l'idée la plus juste
de ces costumes, encore n'offrirait-elle qu'une image impar-
faite de leur variété grotesque. Effectivement j'observai dans
cette journée, chez les naturels, un plus grand étalage de
toilette et de décoration que je n'avais encore vu ; c'était aussi
la plus grande réunion de guerriers que j'eusse jamais remar-
quée, car elle était au moins double de celle des guerriers de
G16 PIECES JUSTIFICATIVES.
Wangaroa, au milieu desquels nous avions passé la première
nuit lors de notre arrivée.
Quand les deux partis se furent suffisamment régalés, comme
une formalité nécessaire à la réconciliation qui allait avoir
lieu, ils se préparèrent à exécuter leurs évolutions militaires.
Hiuou rassembla tous ses gens et les forma sur deux divisions;
l'avant-garde , armée de lances d'une immense longueur, se
précipita sur les palissades en poussant de grands cris comme de
coutume , et fut suivie de près par l'autre division. Après avoir
fait halte , les guerriers se rassemblèrent en une phalange com-
pacte, et les chefs prirent place suivant leur rang et le nom-
bre des hommes qu'ils commandaient respectivement. Ils dé-
ployaient leur impétuosité accoutumée, et poussaient d'é-
pouvantables mugissemens , comme dans les représentations de
ce genre auxquelles nous avions déjà assisté. Mais il était vrai-
ment effrayant de voir avec quelle fureur ils feignaient de char-
ger leurs ennemis supposés : les chefs se montraient toujours
aux premiers rangs et à l'endroit le plus périlleux, et par leur
exemple excitaient l'ardeur de leurs guerriers ; leurs passions
étaient poussées à un point tel que la scène, sans être ensan-
glantée , semblait respirer le carnage , et que ce spectacle qui
n'était qu'un simulacre de combat offrait presque tout l'effet
de la réalité. Deux fois ils firent cette charge épouvantable ,
puis ils se mirent à danser et à chanter l'ode guerrière; enfin
l'exaltation de cette troupe fut adoucie par trois femmes,
qui, venant se joindre à la danse, aux applaudissemens de
cette assemblée, firent cesser bientôt l'horrible désordre, et par
leurs gracieux mouvemens fixèrent toute l'attention des guer-
riers. Quand elles eurent terminé leur danse , la troupe ainsi
calmée alla s'asseoir au milieu de l'enclos. Comme c'était le
tour de Wiwia de figurer dans une semblable représentation
guerrière , il rangea tous ses hommes en ordre de bataille ,
les conduisit au bord de l'eau comme avait fait son adver-
saire, et leur fit exécuter, autant que possible, des évolutions
semblables à celles qui avaient eu lieu du côté opposé.
PIECES JUSTIFICATIVES. G 17
Cette représentation furieuse des forées respectives des deux
partis étant désormais terminée de chaque côté, les orateurs se
levèrent de nouveau et réclamèrent l'attention de l'assemblée.
Le premier fut le vétéran , qui se représenta avec une nouvelle
véhémence , soit que les évolutions guerrières qui venaient d'a-
voir lieu eussent excité toute son ardeur, soit qu'il trouvât que
ses compatriotes s'étaient montrés trop pusillanimes, en bor-
nant leur énergie militaire à un combat simulé ; c'est ce que je
ne puis décider : ce qu'il y a de certain , c'est que de véhément
seulement qu'il était au début de sa harangue , il devint tout-à-
fait insultant à mesure qu'il parlait, et qu'il finit par bondir
sur le champ de bataille, écumant de rage et de fureur. Wiwia
lui répondit par un discours d'une certaine étendue, ainsi que
deux autres orateurs qui lui succédèrent. A la fin le chef qui
avait été outragé, Hinou, s'étant levé de son siège avec une gra-
vité vénérable, prononça un discours avec beaucoup de dou-
ceur; c'était probablement une leçon touchante qu'il donnait à
son rival, sans accompagnement d'aucuns symptômes de repro-
che ou d'indignation. Wiwia lui répondit avec une douceur
égale; puis ses trois femmes jugèrent à propos d'interposer les
effets de leur éloquence, comme médiatrices entre les deux par-
tis, bien qu'il n'y eût déjà plus d'inimitié entre eux. Elles par-
lèrent d'un ton fort animé , et les guerriers les écoutèrent tour
à tour avec un silence attentif; elles employèrent un ton très-
résolu, qu'elles accompagnaient de gestes expressifs ou de re-
gards courroucés contre Hinou, et qui ne semblaient guère jus-
tifiés par l'indulgence dont celui-ci venait de donner la preuve.
Les harangues, ou plutôt les plaintes (je suppose plutôt ces
dernières) de ces insolentes femmes terminèrent les cérémonies
de cette singulière conférence; la réconciliation ainsi con-
sommée, les parties ne gardèrent plus vis-à-vis l'une de l'autre
que les sentimens d'une amitié réciproque. Il serait heureux
pour les habitans de ce pays que tous leurs différends pussent
ainsi s'arranger à l'amiable. Quelque grands que soient leurs
penehans pour la guerre, pourtant je suis disposé à croire
018 PIECES JUSTIFICATIVES.
qu'ils ne sont pas insensibles aux charmes de la paix, et que
souvent, comme dans cette circonstance, ils terminent leurs
querelles par un pardon mutuel. Cette disposition a sou-
mettre à la force de la raison la fougue de leur ressentiment,
même au dernier degré de rage, et lorsque leurs passions
semblent trop furieuses pour se calmer, est une forte preuve
en faveur du grand caractère intellectuel de ces peuples. Peut-
être est-ce l'argument le plus puissant pour établir la supério-
rité de l'esprit humain sur l'instinct de la brute , que de voir
le sauvage susceptible de cette transition inattendue.
Hinou et ses compagnons quittèrent le champ de bataille et
s'en allèrent chacun chez soi. Certes il fut heureux pour
Wiwia que ses ennemis eussent renoncé à l'attaquer, car l'a-
vantage, quant au nombre, était évidemment de leur côté. Dès
qu'ils furent partis, nos guerriers se dispersèrent aussi. Charmé
du spectacle auquel je venais d'assister, je rassemblai mes gens
et j'entrai dans la pirogue avec Toupe , qui désirait m'accom-
pagner à bord du navire. Comme nous descendions la rivière ,
le soleil se couchait derrière des montagnes éloignées, et à la
lueur de ses derniers rayons je pouvais distinguer les guerriers
de la Nouvelle-Zélande qui défilaient sur les coteaux en sens
divers. Joint aux détails romantiques de la scène et aux circons-
tances qui s'y rattachaient, ce spectacle était si imposant et si
bizarre, qu'il excita toute mon admiration tant qu'il fut sous
mes yeux : aujourd'hui même je ne puis le rappeler à mon
imagination sans éprouver les mêmes sentimens.
(Tome II , pages 119 et suiv.} Désirant acheter le peigne
que Wiwia portait le jour de sa conférence avec Hinou , je
lui dis, en revenant de Waï-Kadi , de l'apporter à bord du na-
vire, et que je lui en donnerais toute sa valeur. Il le fit, et
bien que je lui eusse donné la veille un croc en échange, dont
il avait été content , il voulut attendre jusqu'au lendemain
pour me livrer le peigne. La cause de ce délai était tout à la
fois sérieuse et solennelle. Ce chef, à ce qu'il paraît, attachai l
à ce peigne une importance sacrée d'une nature peu coin-
PIECES JUSTIFICATIVES. G19
munc : craignant de se rendre coupable du crime de profa-
nation en s'en dessaisissant avec la même précipitation que de
tout autre objet moins important , il jugea à propos d'attendre
un certain temps, et de ne le remettre entre mes mains qu'avec
les cérémonies convenables. Lorsque le moment fut arrivé,
Wiwia , suivi de trois cbefs qui devaient l'assister dans cette
formalité , me pria de descendre dans la chambre pour rece-
voir le peigne suivant nos conventions. Il est nécessaire que je
fasse observer ici que Wiwia était reconnu par ses compa-
triotes sous le double titre de prêtre et de chef, ce qui lui était
commun avec Tara et quelques autres. Comme il allait agir
sous le premier de ces caractères , il prit un maintien plus
grave que de coutume, et se prépara d'un air très-sérieux à
ses fonctions mystiques. Il commença la cérémonie par me
prier de tenir les paumes des mains ouvertes devant lui, puis
il les joignit; et saisissant l'un de mes doigts d'une main, il
trempa l'autre dans un bassin d'eau, et croisa ma main droite
sur elle, en répétant pendant tout ce temps, d'un ton de voix
précipité et avec une volubilité extraordinaire, certaines pa-
roles que je supposai être des prières. A mesure qu'il les réci-
tait, ses facultés semblaient de plus en plus maîtrisées par un
vif enthousiasme , et jamais le génie de la superstition ne
trouva un sujet plus dévoué ni plus ardent. Ensuite il déposa
de la salive sur ses doigts et croisa les paumes de mes mains ,
en continuant de parler avec rapidité et en apparence absorbé-
dans les rites importans qu'il célébrait. Cela fait , il prit un
morceau de poisson sec , et l'ayant légèrement appliqué à mes
mains, il le porta sur-le-champ à la bouche des trois chefs qui
l'assistaient; chacun d'eux en mangea un petit morceau, et
celte portion de la cérémonie fut répétée par trois fois. Alors
on en vint à la conclusion qui était de me mettre en possession
du trésor vénéré; un des chefs s'approchant de "Wiwia d'un
pas solennel , prit le peigne sur sa tète et me le remit sans pro-
férer une parole. Ainsi finit celte singulière cérémonie, sans
laquelle il m'eût été impossible d'obtenir le peigne , attendu
620 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
que le chef n'eût pu en disposer d'une autre manière. J'al-
lais déposer l'objet ré\éré dans ma cassette; mais Wiwia
me dit que je ne devais pas le placer en cet endroit, et comme
je ne voulais pas céder, il insista, me pria de l'envelopper
soigneusement dans du papier , et me montrant une armoire
au-dessus de ma couchette , il me somma d'y déposer le
peigne et nulle part ailleurs. Je n'éprouvai point de répu-
gnance à me rendre à cette injonction positive , et ma com-
plaisance lui causa un plaisir tout particulier, car son pro-
fond respect pour cet objet subsistait encore après qu'il avait
cesse d'en être possesseur. Ce peigne fut le seul de ce genre
que j'aie observé dans l'île ; mais le capitaine Cook en men-
tionne un semblable porté par les peuples de la partie méri-
dionale. Il était effectivement curieux sous le double rapport
du goût et de l'habileté de l'exécution, et les personnes aux-
quelles je le montrai par la suite ne purent s'empêcher d'ad-
mirer le talent d'invention extraordinaire du sauvage qui l'a-
vait fabriqué.
( Tome II, page 126.) Doua -Tara nous informa qu'un ani-
mal très-destructeur se trouvait dans l'intérieur du pays; qu'il
faisait de grands ravages parmi les enfans, attendu qu'il les
emportait pour les dévorer, toutes les fois qu'il en trouvait sur
son chemin. La description qu'il en donnait répondait exac-
tement à celle de l'alligator; mais je doute que cet animal ou
tout autre d'une espèce aussi formidable puisse exister à la
Nouvelle-Zélande. Le chef n'avait jamais vu cet animal lui-
même; mais il tenait ce récit d'autres personnes, et il paraît
très -probable qu'on en avait imposé à sa crédulité.
{Tome II, page i3i.) Je dois remarquer qu'à la Nouvelle-
Zélande les maux d'yeux sont très-communs, et je les attribue-
rais à ce que les naturels dorment fréquemment en plein air,
exposés à de fortes rosées et toujours la tête découverte. Je
les ai vus maintes fois se relever le matin avec les cheveux et
la barbe tout humides. Je suis seulement surpris qu'ils
puissent conserver leur santé, en considérant les privations
PIECES JUSTIFICATIVES. 021
cruelles et nombreuses auxquelles ils sont exposés; mais l'ha-
bitude suffit pour aceoutumer l'homme à toutes sortes de con-
ditions, et même pour lui donner la force d'endurer le plus
pénible état de souffrances.
(Tome II, page i36.) Le 9 février un des parens de Oudi-
Okouna mourut ; une foule de naturels se rassemblèrent à Te-
pouna pour assister a l'enterrement, et il y eut de longues con-
iérenees pour discuter comment les obsèques seraient réglées.
D'après cet empressement à s'occuper de l'enterrement, il pa-
raîtrait que les Nouveaux-Zélandais ne laissent pas leurs
morts plus long-temps au-dessus de la terre, quand une fois le
souffle de la vie est éteint, qu'il n'est nécessaire pour régler les
formalités de leurs funérailles. Curieux d'observer leurs céré-
monies en cette circonstance , nous nous rendîmes en hâte à
l'endroit où le corps était déposé , à un mille environ de Ran-
gui-Hou. A notre arrivée , nous trouvâmes plusieurs naturels
déjà sur les lieux. Le corps du défunt était enveloppé dans les
vètemens qu'il portait au moment de sa mort : Iqs pieds et les
genoux semblaient rapprochés du corps comme on l'avait pra-
tiqué pour le naturel qui mourut à bord; et le tout était étroi-
tement lié avec une ceinture et placé sur une planche entre
deux pieux qui avaient servi à l'apporter en cet endroit \ Quoi-
que le cortège fût considérable , il y avait peu de personnes
en deuil ; et de toutes celles qui se tenaient auprès du cada-
vre, je ne vis que la veuve de Tepahi et une autre femme
qui parussent affectées. Elles pleuraient amèrement et veil-
laient avec soin à ce que nous n'approchions pas trop du corps;
elles nous disaient avec une inquiète précaution qu'il était ta-
bou-tabou, et nous témoignaient par des signes expressifs
combien elles craignaient de nous voir dépasser certaines li-
mites prescrites. Les autres naturels qui étaient présens pre-
Les naturels font, en diverses parties de l'île, une espèce de bière pour
transporter leurs morts, et ils la décorent de sculptures qui représentent
des figures obscènes ou des actions indécentes.
1
622 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
riaient, j'en suis persuadé, peu d'intérêt à cet événement, bien
qu'ils eussent tous, inscrites sur leurs figures, les hideuses mar-
ques de la douleur. Un jeune homme qui était probablement
proche parent du défunt avait le visage déchiré d'une ma-
nière effroyable et versait d'abondantes larmes. En m'ap-
prochant de lui, je remarquai tout-à-coup un changement
bien extraordinaire, car il se mit à sourire avec une légèreté
et une étourderic qui prouvaient que sa douleur ne consistait
que dans les marques extérieures qu'il en donnait. Je lui tou-
chai la main; du simple sourire qui lui était d'abord échap-
pé , il passa à un rire aux éclats, et sa conduite contrastait si
fort avec son extérieur, que je ne savais plus comment l'expli-
quer : je conjecturai que les plus grands témoignages de
chagrin, pour quelques-uns de ces naturels, n'étaient que de
pures formalités commandées par une coutume depuis long-
temps établie. Cette opinion ne pourrait cependant point s'ap-
pliquer aux Nouveaux-Zélandais en général; car il n'est pas
de peuple qui ressente plus vivement la perte de leurs parens
et amis; et leurs deuils, quoique assujettis à des formes exté-
rieures, n'en sont pas moins sanctionnés par leurs cœurs. Les
femmes, excepté les deux premières dont j'ai fait mention , ne
montrèrent aucune sorte de regret dans l'exemple en question.
Elles ne firent que rire et parler sans la moindre réserve et sans
s'inquiéter en aucune façon de la cérémonie. Plusieurs d'entre
elles me demandèrent des clous et me prévinrent qu'elles
avaient du fil qu'elles désiraient me vendre.
Il n'y avait pas long-temps que nous étions là , quand nous
vîmes approcher du rivage une pirogue chargée de patates.
Parmi les personnes qui s'y trouvaient , je remarquai la femme
d'Okouna, qui sembla tout aussi peu affectée de la perle du
parent de son mari , que la plus indifférente des autres dames.
En débarquant , elle se mit à rire et à jouer avec la même vi-
vacité, et l'on ne remarquait aucun symptôme de chagrin ni
dans son maintien ni dans sa conduite. Toutes les personnes
de l'assemblée commencèrent alors à allumer les feux et à pré-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. f>23
parer les provisions pour satisfaire leur appétit avant de se
mettre en route avec le eorps pour le lieu de l'enterrement. Il
nous fut défendu d'aller jusqu'en cet endroit par les réglcmcns
absolus du tabou , autorité que nous n'osâmes attaquer et
que nous ne jugeâmes pas même prudent de mettre en ques-
tion, quoique nous eussions espéré dans le principe assister à
toutes les cérémonies usitées dans leurs enterremens. Nous ne
pûmes savoir s'il y en avait eu quelques-unes d'exécutées sur
le corps avant notre arrivée ; mais comme nous nous en re-
tournions dans la pirogue de Kawiti et que nous doublions la
pointe de terre qui sépare cet endroit de la ville, nous vîmes
que deux hommes emportaient le cadavre sur leurs épaules
avec des perches, tandis que trois ou quatre autres naturels
formaient tout le cortège. Eu égard au petit nombre de per
sonnes qui restaient à la fin des funérailles, je supposerais que
la majorité de l'assemblée ne voulut point y assister, ou plu-
tôt que cela lui était défendu comme à nous, par les supers-
titions du pays.
En parlant de la maladie de Doua-Tara, M. Nicholas
dit :
( Tome II, page 170.) Le 21 février je fis un second effort
pour le voir; mais il fut également infructueux. Ayant de-
mande dans quel .état il se trouvait, la seule réponse qu'on
me donna fut que YAtoua rongeait maintenant ses entrailles
et que le chef serait mate moe (tué) , aussitôt qu'elles seraient
toutes dévorées. Cette persuasion , beaucoup plus encore que
le mal dont ils sont atteints*, accélère la mort de ceux qui tom-
bent malades à la Nouvelle-Zélande. Leurs esprits en sont tel-
lement frappés, que lorsque les symptômes deviennent réel-
lement dangereux , ils pensent que toute espèce de remède se-
rait impie ; et quelque affligés qu'ils soient de la perte de leurs
amis ou de leurs païens, il ne leur arrive jamais de murmurer
624 PIECES JUSTIFICATIVES.
contre le mystérieux vautour qui les ronge insensiblement au
gré de son appétit.
( Tome II, page 173. ) Le 22 février, en revenant à la ville,
je vis une foule de naturels assis en cercle autour de quelques
corbeilles de patates rôties. Dans le nombre je remarquai un
homme qui était obligé de se baisser contre terre pour ramas-
ser avec sa bouche chaque morceau , et qui évitait scrupuleu-
sement de toucher avec ses mains les vivres qu'il prenait. Cela
me fit sur-le-champ connaître qu'il était taboue ; je lui en de-
mandai la raison, attendu qu'il semblait jouir d'une bonne
santé, et qu'il n'était atteint d'aucun mal qui put le placer à
l'écart des autres personnes. J'appris qu'il était taboue parce
qu'il construisait une maison et qu'il ne pouvait être affranchi
des entraves du tabou que quand il aurait fini. Comme cet
homme n'était qu'un kouki, il n'avait personne pour l'assister,
ce qui l'obligeait à se soumettre à une manœuvre aussi pénible
pour se nourrir et ne point enfreindre les règles superstitieu-
ses du tabou. Le tohounga ou prêtre lui avait signifié que., s'il
osait seulement porter un doigt à sa bouche avant d'avoir fini
l'ouvrage qu'il avait entrepris, Vatoua punirait infailliblement
son impiété en s'insinuant avant le temps marqué dans son es-
tomac et en le dévorant pour le chasser de ce monde. Ce
malheureux semblait tellement redouter cette fin prématurée,
qu'il tenait ses mains à l'écart, comme si elles n'avaient jamais
dû servir à toucher la nourriture ; il ne souffrait pas même
qu'aucun mouvement de leur part les rapprochât le moins du
monde de sa bouche, de sorte que cet organe était obligé de
remplir une double fonction en agissant pour les membres que
la superstition avait paralysés. ,
Ayant quitté ce groupe quand ir eut terminé son banquet,
je passai près de la cabane où demeurait Warc , le frère d'O-
kouna, et je le trouvai fort occupé à couper les cheveux de sa
femme. 11 exécutait cette opération avec un morceau de pierre
tranchante que les minéralogistes nomment obsidienne ou
verre volcanique; il coupait les cheveux de devant presque
P1KCES JUSTIFICATIVES. 625
ras et laissait ceux de derrière la tète de toute leur longueur.
Quand il eut terminé sa tâche qui lui demanda un certain temps,
eu égard à la précision qu'il observa , il ramassa tous les che-
veux coupés avec le plus grand soin, et les porta hors des li-
mites de la ville pour les jeter au vent. Comme je lui demandais
la raison de cette précaution , il me dit que les cheveux étaient
taboues et ne pouvaient rester dans la ville sans provoquer
la colère de l'Atoua qui, dans un pareil cas, détruirait la per-
sonne à la tête de laquelle ces cheveux avaient appartenu. J'al-
lais ramasser une des pierres dont il s'était servi ; mais il me
somma de ne pas y toucher, en ajoutant qu'elle était aussi ta-
bouée, et que la divinité furieuse de la Nouvelle-Zélande ne
manquerait pas de faire tomber sa vengeance sur ma tète cou-
pable, si j'osais seulement porter un doigt sur cet instrument
saccé. Riant de sa superstition, je commençai à me récrier
contre son absurdité; mais, comme avait fait Touai en sem-
blable occasion, il prit sa revanche en tournant en ridicule
nos karakia (prédications), et en même temps il me pria de
prêcher sur la tête de sa femme , comme s'il eût voulu l'exor-
ciser. Sur mon refus , il se mit à le faire lui-même , mais il ne
put se défendre de quelques éclats de rire involontaires. J'ob-
tins de lui, sans aucune dilïïeulté, une des pierres qui ne lui
avaient point servi ; car aucun tabou ne pouvait s'opposer à ce
qu'elle passât entre les mains d'une personne étrangère.
( Tome II , page 182.) Quand M. Kendall voulut remporter
le flacon qui contenait le vin, tous les assistans s'y opposèrent
avec indignation ; Doua-Tara lui-même pria qu'on le laissât,
déclarant que ce vase était taboue, et que l'Atoua qui était
dans son corps allait le tuer plus vite si l'on emportait le fla-
con. Pour le délivrer de cette frayeur absurde, le mission-
naire complaisant consentit à laisser le vase ; il fit une nouvelle
visite au malade deux heures après, et lui apporta un peu de
riz auquel il ne fit que goûter, car il était trop mal pour pou-
voir prendre la moindre nourriture. M. Kendall en offrit un
peu à la femme principale du chef, ainsi qu'à l'enfant qu'elle
tome m. 4o
026 PIECES JUSTIFICATIVES.
allaitait , tous deux eri grand danger de mort ; mais il ne put
la décider à en manger. Elle dit qu'elle était t;ibouée,ct le prê-
tre s'y opposa pour la même raison.
(J'orne II, page 187.) Cet homme extraordinaire (Doua-
Tara), dont la grandeur d'aine brilla d'un éclat si remar-
quable au milieu de la barbarie dont il était environné, mou-
rut peu de jours après notre départ de l'île. Sa première femme,
Dehou, inconsolable de sa mort, se pendit presque immédia-
tement après. M. Kcndall, dont je tiens ces détails, m'assura
dans sa lettre que toute sa famille, ses parens et la population
entière de Rangui-IIou , applaudirent à cette preuve déses-
pérée de dévouement conjugal. Il paraît du reste, d'après les
récits subséquens des missionnaires, que c'est une pratique
commune à la Nouvelle-Zélande, que la femme se détru^c à
la mort de son mari. •
Le 25 mars 1819, comme Doua-Tara se trouvait à toute
extrémité, on réclama de ce chef des pistolets qu'on lui
avait prêtés. M. Nicholas en tira un ; et comme Doua-Tara
l'avait chargé jusqu'à la gueule, M. Nicholas se blessa
assez grièvement. ( Tom. \\,pag. 191.)
Je saignai beaucoup , et M. Marsden , étant venu à mon se-
cours, lava et banda ma plaie : mais les naturels, loin de té-
moigner aucun regret de cet accident, ne firent que me re-
procher mon impiété pour avoir osé manier un pistolet qui
était taboue , et ils considérèrent ma blessure comme une juste
punition de l'Atoua courroucé, qui n'avait pu contempler un
acte aussi criminel sans donner sur-le-champ une preuve de sa
vengeance. Wiwia, se glorifiant de sa sainteté comme prêtre,
me dit avec un grand air de confiance que cela ne lui serait
point arrivé ; et le vieux Tara , également fier de sa pureté sa-
cerdotale, déclara qu'il aurait bien certainement échappé à cet
PIÈGES JUSTIFICATIVES. f,27
accident, mais que moi qui n'étais point tohounga, je n'avais
eu que ee que je méritais.
( Tome II , page 219.) Jem (le Taïtien) décrivait les peu-
ples du cap Est comme beaucoup plus ingénieux et plus labo-
rieux que toutes les autres tribus de la Nouvelle-Zélande.
Leurs maisons, disait-il, sont plus grandes et mieux construites,
et leurs plantations plus considérables que partout ailleurs
dans l'île; en outre, c'était chez eux que se fabriquaient les
plus belles nattes, ainsi que les instrumens de guerre les mieux
finis. Parmi ces derniers , le patou-patou en jade est le plus
remarquable : mais je trouvai qu'à l'égard de cette substance ,
Jem , quoique éclairé sous d'autres rapports, partageait l'opi-
nion absurde qui régnait parmi les naturels. Ils assurent que
le jade provient de la substance intérieure d'un poisson qui ,
bouilli sur le feu, se dissout en un liquide glutineux , se mo-
dèle ainsi sous la forme du patou-patou, et prend ensuite une
consistance solide par son exposition à l'air. Il est surprenant
qu'une pareille croyance soit aussi généralement admise dans
la Nouvelle-Zélande, quand son absurdité serait si facilement
démontrée par le témoignage du peuple qui fabrique ces ins-
trumens; mais il paraîtrait que ces peuples eux-mêmes main-
tiennent cette erreur par quelques motifs d'intérêt particulier.
Jem observa aussi que les peuples de l'Est, bien que très-nom-
breux , n'avaient point un caractère belliqueux , et préféraient
des habitudes paisibles et réglées au genre de vie hostile et
pillard adopté par la plupart de leurs compatriotes. Mais ces
dispositions jointes aux ressources produites par leur talent et
leur industrie supérieure, ne servaient qu'à les exposer davan-
tage aux incursions de leurs voisins rapaces qui conspiraient
pour les dépouiller des propriétés qu'ils n'avaient pas le cou-
rage de défendre.
( Tome II , page 234-) D'après les récits des missionnaires
qui ont visité la baie des Iles au milieu de l'hiver, et d'après
nos propres observations durant notre séjour au milieu de
Télé, je ne crains pas d'affirmer qu'il n'y •'■ peut-être pas de
4o'
fi 2 8 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
pays au monde qui puisse se vanter d'un climat plus beau et
plus régulier que cette partie de la Nouvelle-Zélande. Bien
qu'il ne soit éloigné que de onze degrés du tropique et qu'on
été les rayons solaires y tombent presque verticalement, cepen-
dant, dans les mois les plus ebauds de l'année, nous trouvâ-
mes que la ebaleur n'était jamais excessive ni nuisible à la vé-
gétation ; l'air avait une douceur et une influence salutaires
qui agissaient puissamment sur le corps humain. M. Kendall,
qui avait un thermomètre, me fit observer qu'il n'avait pas vu
le mercure, durant son séjour à terre, au-dessus de 74° n»
au-dessous de 63°. 11 m'informa aussi que lors de sa première
visite dans ce pays , qui eut lieu en hiver, le froid ne fut nul-
lement rigoureux ; les plantations restèrent aussi vertes et aussi
florissantes qu'elles l'eussent été chez nous à la fin du prin-
temps ou au commencement de l'été. Cet aspect fertile et ver-
doyant ne fut point diminué par les chaleurs de l'été; car il y
avait de temps en temps de douces averses qui venaient rafraî-
chir la terre, et nous éprouvâmes aussi trois ou quatre jours
d'une pluie continuelle. C'est pourquoi la végétation ne per-
dit pas un moment cette riche fraîcheur si agréable à la vue
du spectateur, et de toutes parts la nature offrait l'aspect le
plus attrayant. On doit conclure de ces observations que le
climat de la Nouvelle-Zélande est doux et tempéré, et par
conséquent favorahle à la culture de toutes les productions
que le sol est capable de recevoir.
(Tome II, pages 277 etsuiv.*) En considérant l'état social,
tel qu'il est établi à la Nouvelle-Zélande, nous trouvons trois
ordres qui s'élèvent par gradations successives au-dessus des
gens du peuple. Ces ordres sont, en commençant par les plus
bas, les Rangatiras, les Chefs et les Arikis. Les rangatiras ré-
clament le pas sur le peuple, ainsi que plusieurs privilèges po-
litiques, en conséquence de leur alliance avec les chefs; les
derniers, quoique héritant de souverainetés indépendantes,
sont néanmoins obligés par les conventions du pays de prêter
leurs services à l'ariki ou chef principal , quand celui-ci juge
PIECES JUSTIFICATIVES. 629
à propos de faire la guerre, n'importe d'ailleurs que les motifs
on soient justes ou non. Les koukis ou la classe inférieure,
quoique de beaucoup les plus nombreux, comme cela arrive en
tout pays, sont maintenus par chacun de' ces ordres dans un
état de vassclage complet, bien qu'en certaines circonstances
ils aient un droit indépendant sur le terrain qu'ils occupent.
(Tome II, pages 288 et suiv.^) Dans la partie de Sumatra
qui borde le détroit de Malacca , il existe un peuple qui a con-
servé son caractère national depuis les premiers temps de son
origine jusqu'au moment présent. Ses coutumes et ses institu-
tions, dans leur ensemble, sont semblables à celles des Nou-
\ caux-Zélandais et presque identiques avec elles. Le peuple
dont je vais parler est celui des Battais. Prenant d'abord en
considération leurs formes respectives de gouvernement, nous
les trouverons, à très-peu de chose près, complètement sem-
blables. L'autorité supérieure réclame une certaine soumission
des nombreux petits chefs, tandis que les derniers sont à tous
égards indépendans les uns des autres et jouissent d'un pouvoir
absolu sur la vie et les propriétés de leurs sujets. Dans le pays
des Battas comme à la Nouvelle-Zélande, les femmes sont ad-
mises à la succession ; il y a aussi une classe semblable à celle
des Rangatiras, qui descend des Raïas ou chefs, et forme les
branches cadettes de leurs familles. C'est pourquoi le gouver-
nement des Battas, considéré sous toutes ses faces, approche
plus du système de politique en vigueur à la Nouvelle-Zélande
que celui même des Malais. Dans les kampongs ou villages
fortifiés de ces peuples , nous retrouvons presque la forme
exacte des pas de la Nouvelle-Zélande. Construits comme ceux-
ci sur un terrain élevé, ils sont fortifiés par de larges remparts
plantés en broussailles. En dehors de ces remparts règne un
fossé, de chaque côté duquel s'élève une haute palissade en
bois de camphrier. Le tout est environné par une haie de bam-
bous piquans qui, parvenue à une certaine époque, devient si
épaisse, qu'elle dérobe entièrement la vue de la ville à l'œil
du spectateur. Les natifs de Batla , guidés par le même pen-
630 PIECES JUSTIFICATIVES.
chant pour la guerre et la rapine , vivent comme les Nou-
veaux-Zélandais dans un état d'hostilité perpétuelle les uns à
l'égard des autres. Il semble aussi qu'il y ait un certain rapport
entre ces deux nations à l'égard de leurs systèmes de mytho-
logie. Les Battas reconnaissent trois divinités pour gouverner
le monde, et leurs noms sont liatara-Gourou , Sora-Pada et
Mangala-Roulang. La première de ces divinités peut prendre
rang avec le dieu principal des Nouveaux-Zélandais Mawi-
Rangui-Rangui; et, touchant les deux autres, ils ont absolu-
ment les mêmes idées que ces derniers insulaires ont sur le
compte de leurs dieux Tauraki etMawi-Moua, l'un ayant pou-
voir sur l'air, entre la terre et le firmament, et l'autre sur la
terre. Le peuple de Batta reconnaît, comme les Nouveaux-
Zélandais, un grand nombre de divinités inférieures qu'ils ont
investies d'une autorité locale, et ils entretiennent quelques
notions vagues de l'immortalité de l'aine.
Outre ces traits de ressemblance caractéristique, je dois faire
observer que les Rattas , aussi bien que les habitans de la Nou-
velle Zélande, dévorent les corps morts de leurs ennemis, pra-
tique qui , toute odieuse qu'elle soit pour tout homme civilisé,
place ces deux nations au même degré de barbarie. C'est le
même principe de vengeance qui les porte l'une et l'autre à
cet excès d'inhumanité; mais les cannibales de Ratla surpas-
sent encore à nos yeux ceux de la Nouvelle-Zélande en mons-
truosité, car non-seulement ils se repaissent de la chair des
ennemis qu'ils ont tués dans le combat, mais encore ils met-
tent à part les cadavres de leurs criminels pour les partager
par morceaux et satisfaire à leurs appétits. Dans leurs institu-
tions domestiques, ces peuples se rapprochent également des
Nouveaux-Zélandais : les hommes , qui sont maîtres de prendre
autant de femmes qu'ils en peuvent entretenir, mènent une vie
oisive, en comparaison de ces femmes qui sont obligées de faire
toute la besojrne et sont traitées comme de véritables esclaves.
Elles sont tenues précisément dans le même état d'humiliation
qu'à la Nouvelle-Zélande où, bien que l'homme prenne plu-
PIECES JUSTIFICATIVES. fi31
sieurs femmes, parmi celles-ci la principale seule jouit de
quelque privilège. A Batta, l'adultère est puni de l'exil, et, en
certains cas aggravans, de la mort. La manière de s'habiller en
ec pays est la même qu'à la Nouvelle-Zélande ; leur habille-
ment consiste en une étoffe de coton qu'ils fabriquent eux-
mêmes, liée autour de la ceinture, tandis qu'une autre pièce
de la même étoffe, attachée aux épaules, tombe le long du
corps. Ces étoffes sont peintes de diverses couleurs : les Nou-
veaux-Zélandais teignent généralement les nattes de dessous en
ocre rouge; les plus belles ont des bordures où trois ou quatre
couleurs sont assorties avec beaucoup de goût et d'adresse. Les
Battas sont certainement plus avancés en connaissances que les
Nouveaux-Zélandais ; ils ont une langue écrite. Ils ont dressé le
cheval et le buffle à les servir, et ils ont quelques idées de
commerce. Cependant, en dépit de ces avantages qu'ils doi-
vent uniquement à certaines circonstances locales , leur carac-
tère s'élève à peine au-dessus de celui des peuples les plus sau-
vages. En traçant ce tableau de comparaison entre deux na-
tions si peu connues , je ne prétends pas affirmer que les Nou-
veaux-Zélandais descendent du peuple Batta , mais qu'ils sont
leurs contemporains, et qu'ils ont dû avoir une même origine
continentale.
( Tome II, page 299. ) Bien que je pense que le nombre de
100,000 (estimé par Forster) puisse représenter la population
de toute la Nouvelle-Zélande , cependant je supposerai qu'elle
s'élève à i5o,ooo. Nous trouverons alors que l'île Ika-na-Mawi
ou du Nord, qui contient 16,742,400 acres carrées, aura pour
l'entretien de chaque individu une superficie de 70 à 80 acres,
après en avoir prélevé un tiers pour les rivières, les marais
et les montagnes qui ne sont pas susceptibles de culture.
( Tome II, page 3oo.) Voici les principales causes qui s'op-
posent à l'accroissement de la population à la Nouvelle-Zé-
lande : l'état de dégradation où sont toutes les femmes; la po-
lygamie généralement pratiquée par les classes supérieures ;
leurs funestes superstitions ; en outre le peuple n'est poin
632 PIECES JUSTIFICATIVES.
réuni sous un seul chef, mais divisé en petites tribus indépen-
dantes gouvernées par leurs chefs respectifs, dont les rivalités
les entretiennent dans un état d'hostilité perpétuelle les uns
envers les autres.
(Tome II, pages 3o6 et jhjV.) Mais dans les relations sociales
etdomestiques , où la nature du cœur humain peut se montrer
dans toute sa vérité , nul homme n'est plus aimable que le
Nouveau -Zélandais. Placé au milieu de sa famille et de ses
amis, il paraît doux , affable et affectionné : loin d'exercer une
autorité rigoureuse sur ceux qui dépendent de lui, sa conduite
envers eux est certainement pleine de douceur et d'aménité ,
quelque abjects et quelque insignifians qu'ils soient d'ailleurs
à ses regards. Sous ce rapport les chefs de la Nouvelle-Zélande
se distinguent particulièrement des classes supérieures des
îles Tonga qui traitent souvent le peuple avec une cruauté in-
digne, témoin Finau, le roi de ces îles , qui fit tuer d'un coup
de fusil un kouki ou plébéien, sans le moindre motif qui pût
justifier un pareil acte. Jamais on n'a vu des arikis ou des
chefs subordonnés, à la Nouvelle-Zélande, tremper leurs
mains dans le sang de leurs cliens d'une manière aussi peu ex-
cusable; s'il arrive que ceux-ci commettent des fautes, leurs
chefs les punissent avec douceur et modération , et ne les met-
tent à mort que pour les crimes qu'ils regardent comme odieux.
Les sentimens les plus tendres de la parenté, sage inspiration
de la nature , se font remarquer dans toutes les classes de ce
pays, dans les plus humbles comme dans les plus élevées. Les
chefs portent leurs enfans sur leur dos, en les retirant du sein
de leurs mères dès l'âge le plus tendre, pour qu'ils ne soient pas
un embarras pour elles dans leurs laborieuses occupations.
Il faut faire observer aussi que les hommes s'entendent très-
bien à nourrir leurs enfans et qu'ils ont un talent particulier
pour les soigner. Je n'ai jamais vu de père plus tendre pour
son enfant, que le chef Wiwia semblait l'être pour un beau
garçon qu'il apporta sur son dos dans une visite qu'il nous fit :
il déploya les attentions les plus grandes pour cette petite
PIÈCES JUSTIFICATIVES. (i33
créature, tandis qu'elle était suspendue par les bras autour de
son cou et qu'elle semblait complètement heureuse des soins
de son père. Dans l'intérieur de leurs tribus, ces peuples ne se
portent jamais à des actes de fureur sans y être provoqués par
des motifs très-sérieux , leurs dispositions naturelles étant d'une
humeur égale et pacifique; mais quand ils forment des coali-
tions partielles, la circonstance la plus triviale est capable de
les porter à une violence effrénée. Le courage surnaturel, cet
attribut caractéristique de toutes les nations sauvages, leur
est propre à un degré éminent , et il n'est jamais adouci ni
tempéré par la pitié. Sur le champ de bataille il est rare qu'ils
accordent ou attendent quelque merci ; et quand le combat est
terminé, leur vengeance n'est pas satisfaite qu'ils ne se soient
montrés de véritables barbares en dévorant leurs victimes, le
dernier des outrages que l'homme puisse faire à l'humanité.
( Tome II, pages 3og et suiv. ) Les superstitions les plus
grossières régnent à la Nouvelle-Zélande, et le mot tabou
décida très-souvent les actions d'une race entière. Pour sui-
vre la valeur de ce mot dans ses acceptions nombreuses et di-
verses, il faudrait détailler minutieusement toutes les cir-
constances de l'économie politique de ce peuple , tâche au-des-
sus de nos forces. Non-seulement il règle leurs institutions,
mais encore leurs travaux journaliers ; et il y a à peine un seul
acte de leur vie auquel cet important dissyllabe ne se trouve
mêlé. Bien qu'il les assujettisse, comme on a pu voir, à une
foule de restrictions absurdes et pénibles, il est néanmoins fort
utile par le fait dans une nation si irrégulièrement constituée.
En l'absence des lois, il leur offre la seule garantie capable de
protéger les personnes et les propriétés, en leur donnant un
caractère sacré et authentique que personne n'ose violer. Sa
puissante influence peut même arrêter les pillards les plus cruels
et les plus avides. Ce serait un bonheur pour les naturels, s'ils
pouvaient tous être sous l'égide de cette garantie mystérieuse;
mais ce n'est pas là ce qui a lieu , la protection qu'il assure se
borne seulement à un certain ordre de personnes qui peuvent
634 PIECES JUSTIFICATIVES.
la révoquer à leur gré, bien qu'en diverses circonstances le
tabou affecte la masse entière de la population. Cette supersti-
tion sert en grande partie à consolider le pouvoir limité des
arikis sur les chefs inférieurs; par exemple, si un ariki juge
convenable de tabouer un navire qui vient dans le havre, au-
cun des autres ne pensera à avoir la moindre communication
avec lui ou à lui fournir des provisions, tant que la défense
subsistera. La même chose a lieu à l'égard de toute autre chose
que les arikis veulent exclure de l'usage commun ; et des prohi-
bitions de cette nature , une fois qu'elles sont généralement
établies, ne peuvent être enfreintes sous aucun prétexte. Quand
ils vont à la guerre , je suppose que le tabou est suspendu
pour un temps, ou qu'il permet leurs hostilités ; mais comme
le tohounga ou prêtre est l'arbitre de toutes leurs superstitions,
il a soin, sans aucun doute, de les accommoder au gré et peut-
être même suivant les intérêts de ses compagnons. Les Nou-
veaux-Zélandais ne font point d'idoles et n'ont aucune forme
extérieure de culte ; leurs idées d'un pouvoir suprême se*mon-
trent seulement dans les superstitions que nous avons mention-
nées, et l'on peut dire que c'est dans le seul mot tabou que
consistent toute leur religion et toute leur moralité.
PIECES JUSTIFICATIVES. G 35
VOYAGE
DE
M. RICHARD CRUISE,
A LA NOUVELLE-ZÉLANDE.
Quand M. Marsden fit sa troisième visite à la
Nouvelle-Zélande, en 1820, sur le Dromedary ,
M. Cruise commandait le détachement qui fut em-
barqué sur ce navire. Cet officier écrivit le journal
de son voyage , et le publia , en 1 823 , sous le titre de
Journal of a ten month's résidence in New-Zea-
land, by Richard A. Cruise, captain in the 82 th-
regim. foot. Cet ouvrage est loin d'être écrit avec la
même élégance et d'offrir le même intérêt que celui
de M. Nicholas. Cependant, comme il porte le cachet
de la vérité dans toutes ses parties, et qu'il donne des
détails utiles sur les mœurs du peuple zélandais, nous
en avons aussi extrait les passages remarquables, pour
confirmer par un nouveau témoignage le tableau que
nous en avons tracé.
(Page 3.) Il est bon d'observer ici qu'il y a à la Nouvelle-
Zélande deux sortes d'arbres qui , par la taille énorme à la-
636 PIECES JUSTIFICATIVES.
quelle ils parviennent sans porter de branches, sont regardés
comme propres à donner des mâtspour de grands navires : l'un
est appelé par les naturels kaï-katea, et l'autre koudi ou kouri.
Le kaï-katea se trouve dans les terrains bas et marécageux ,
fréquemment sur le bord des rivières , et par cela même il est
facile à se procurer. Il porte une feuille comme l'if et une baie
rouge. Le koudi , auquel leshabitans de l'île donnent une pré-
férence marquée , croît dans les terrains secs, et souvent sur le
sommet des plus hautes montagnes; sa feuille, quoique beau-
coup plus grande, ressemble assez à celle de notre buis; il
produit un cône et fournit de la résine en abondance. Quel-
ques-uns des arbres de koudi , que nous mesurâmes, s'élevaient
à cent pieds au-dessus de terre sans porter une seule branche
et avaient une touffe considérable; d'autres, moins élevés,
avaient des troncs de quarante pieds de circonférence.
(Page 6.) Sous le rapport de la dignité héréditaire , le plus
distingué de nos passagers était un jeune garçon de quinze ans,
nommé Dipiro, (ils du chef Sliongui. Mais le plus remarqua-
ble pour l'extérieur était Hicloro, homme de quarante-cinq
ans , à ce que j'imagine. 11 avait six pieds deux pouces , et les
traits de sa figure étaient parfaitement beaux. Quoiqu'il fût
bien tatoué, l'air de bonté et môme de beauté de son visage
n'était point détruit par cette affreuse opération.
{Page il.) Si l'on demandait aux naturels (tant qu'on était
à la mer) de quel côté leur pays se trouvait situé, à toute
heure du jour ils montraient l'est avec toute l'exactitude d'un
compas; et quand la nuit les étoiles étaient visibles, ils dé-
ployaient la même intelligence.
{Page 19.) A notre arrivée à la baie des Iles , quand on
permit aux pères, aux frères, etc., de nos naturels de monter
à bord, la scène qui eut lieu ne saurait se décrire ; les mous-
quets furent mis de côté , et toute apparence de joie s'évanouit.
Ces peuples extraordinaires ont l'habitude de se livrer, en re-
voyant leurs amis, aux mêmes démonstrations que lorsqu ils
prennent congéd'eux. Ils joignent leurs nez et restent dans cette
PIECES JUSTIFICATIVES. 037
position au moins une demi- heure; pendant tout ec temps ils
sanglottent et gémissent de la manière la plus pitoyable. S'il y
a plusieurs amis rassemblés autour de la personne qui vient
d'arriver, le plus proche parent prend possession du nez, tan-
dis que les autres se suspendent à ses épaules, à ses bras et à
ses jambes , et se tiennent en mesure avec le principal pleureur,
si l'on peut le désigner ainsi, dans les divers temps de ses la-
mentations. Cela fait, ils reprennent leur gaîté accoutumée et
entrent dans les détails de ce qui leur est arrivé durant leur
séparation. Comme il y avait neuf Nouveaux-Zélandais qui
venaient d'arriver et plus de trois fois ce nombre de person-
nes pour les recevoir, leurs cris firent un bruit affreux, et il
en résulta un spectacle si étrange pour tout le monde à bord,
qu'on eut beaucoup de peine à maintenir l'équipage attentif
à la manœuvre, dans un moment aussi important. Le petit Di-
piro, qui dans la traversée s'était souvent vanté d'avoir le cœur
trop anglais pour crier ainsi, fit tous ses efforts pour s'en em-
pêcher, en voyant approcher son père Shongui. Mais ses pre-
mières habitudes l'emportèrent bientôt sur sa résolution , et il
manifesta peut-être plus de désolation que les autres. Il y avait
quelque chose de fort respectable dans la tournure de Shongui;
il était de sa personne fort bel homme et il était revêtu d'un
uniforme d'officier anglais. Quoiqu'il fût un des plus puissans
chefs de la baie des Iles et le guerrier le plus brave et le plus
audacieux , il était loin d'être le plus exigeant de ceux aux-
quels on permit de monter à bord. Tandis que plusieurs autres
tâchaient de pénétrer de force dans la chambre, Shongui resta
sur le pont avec son fils et ne tenta d'aller nulle part sans y
être invité.
Nous apprîmes que le New-Zealandcr , navire baleinier
qui allait faire voile pour l'Angleterre dans deux jours, allait
emmener Shongui et M. Kendall, l'un des missionnaires. Cette
résolution ne plaisait point aux autres : leur petit établisse-
ment avait été formé dans le district de Shongui, sous sa pro-
tection , et il était difficile de pré\oir quelles seraient pour
(538 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
eux les suites de son absence. On avait employé en vain tous les
moyens possibles pour le dissuader de quitter son pays ; il avait
toujours répondu « qu'il mourrait s'il ne faisait pas ce voyage ;
que s'il allait une fois en Angleterre, il était certain de sj pro-
curer douze mousquets et un fusil à deux coups. » Ce dernier
article, dans l'opinion d'un Nouveau- Zélandais, surpasse en
valeur toutes les autres possessions de la terre.
(Pages 27 et suiv.^) Le magasin des patates ou loumaras est
toujours le bâtiment le plus considérable et le mieux construit
du village; celui du village deWiwia avait environ vingt pieds
de long sur huit de large et cinq de hauteur; il était tout neuf
et semblait avoir exigé plus de soins pour sa construction que
la plupart de ceux que nous eûmes l'occasion de voir par la
suite.
Après ces magasins, sous le rapport de l'apparence, vien-
nent les résidences des chefs. Elles sont bâties sur le sol; le
plancher et l'aire qui se trouve vis-à-vis sont proprement bat-
tus ; mais ces maisons sont très-basses, et nous en trouvâmes rare-
ment où l'on pût se tenir debout. La petite porte d'entrée, qui est
l'unique ouverture pour la lumière et l'air, n'est pas mieux pro-
portionnée à la taille du maître ; ces cases ont un vestibule et
des ornemens en sculptures , auxquels une teinture rouge donne
un certain air de luxe; la quantité des sculptures indique
souvent le rang du propriétaire. Les cases des hommes du peu-
ple sont misérables et ne valent guère mieux que de simples
abris; mais la pratique de dormir en plein air est si scrupu-
leusement suivie, qu'il faut un bien mauvais temps pour con-
traindre les Nouveaux -Zélandais à recourir au couvert de
leurs maisons. Ils dorment dans la posture d'une personne as-
sise avec les pieds ramassés sous eux, ce qui joint au tissu gros-
sier des nattes dans lesquelles ils s'enveloppent, leur donne du-
rant la nuit l'aspect de ruches rangers par groupes dans un
village.
Quand nos bagages furent apportés hors des canots, ils fu-
rent placés sous le vestibule du magasin , et taboues ou consa-
(
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 639
crés contre toute espèce de violation par Wiwia qui était un
prêtre. Il est digne de remarque que, bien que plusieurs Nou-
veaux-Zélandais, en venant à bord de nos vaisseaux, ne se
fassent aucun scrupule de voler quand ils voient la possibilité
de n'être pas surpris, cependant quand un Européen va parmi
eux et qu'il se confie avec ses effets à leur protection, il peut
placer une con6ance entière dans leur bonneur et leur pro-
bité.
(Page 3i.) Vers la fin de notre séjour parmi eux, quand
les naturels eurent l'occasion de voir nos gens danser, ils ob-
servèrent avec dérision que jamais deux hommes blancs ne re-
muaient leurs bras et leurs jambes de la même manière.
( Page 3?..) Nous passâmes près de quelques morceaux de
terre cultivés, où étaient plantées des patates et des pommes-
de-terre, et qui étaient entourés d'une grossière palissade. Mais
notre guide nous défendit de nous en approeber, et nous indi-
qua que ces terrains étaient taboues ou consacrés.
(Pages 36 et su.it>.*) Mercredi 2 mars 1820. Quand nous
mouillâmes dans la baie des Iles, nous apprîmes que les tribus
de Temarangai et de quelques autres chefs étaient employées
à une expédition guerrière à la rivière Tamise. Leur prochain
retour nous fut annoncé par un naturel qui vint à bord ce ma-
tin et qui excita d'abord une certaine curiosité. Il portait un habit
bleu , un pantalon , des bottes et un chapeau retapé, avec une
longue plume blanche. Cela , joint à ce qu'il était très-peu ta-
toué , le faisait ressembler à un officier étranger : quand il
fut à bord , il s'adressa en anglais aux personnes qui l'envi-
ronnaient. A déjeuner, il se comporta tout-à-fait comme un
gentleman, et nous dit que son nom était Touai et qu'il était
le frère cadet du chef Koro-Koro, à qui appartenait la ma-
jeure partie de la baie de Paroa; il s'excusa de ne pas nous
avoir rendu sa visite plus tôt, sur ce qu'il ne faisait que d'arri-
ver de la veille au soir du cap Nord, où Koro-Koro et lui
étaient allés pour accomplir les cérémonies de deuil habi-
tuelles sur le corps d'un proche parent qui était mort en cet
640 PIECES JUSTIFICATIVES.
endroit, et dont ils avaient rapporté les restes avec eux.
Aussitôt que l'expédition de la rivière Tamise entra dans
la baie, quelques-uns de nos messieurs allèrent à sa rencon-
tre. La flotte était composée d'environ cinquante pirogues,
dont plusieurs avaient de soixante-dix à quatre-vingts pieds
de long, et peu moins de soixante. Leurs proues, leurs bords
et leurs poupes étaient joliment sculptés et ornés d'une in-
finité de plumes; elles portaient en général deux voiles faites
en nattes de paille. Elles étaient remplies de guerriers qui se
levèrent et poussèrent des cris à mesure que notre canot pas-
sait près d'elles , en montrant plusieurs têtes humaines comme
trophées de leur victoire.
La conversation de Touai , durant le déjeuner, fut une pa-
rade continuelle des atrocités qu'il avait commises dans une
excursion qu'il avait faite deux mois auparavant avec Koro-
Koro vers la rivière Tamise ; il insistait avec un plaisir marqué
sur une prouesse de son généralat, durant lequel il avait blo-
qué une petite troupe de ses ennemis dans un défilé d'où ils ne
pouvaient s'échapper, ce qui lui permit d'en tuer successive-
ment vingt-deux à coups de fusil, sans qu'ils pussent faire la
moindre résistance. Pour nous inspirer une plushaute opinion
de ses principes religieux, il remarqua que bien que tous les morts
eussent été dévorés par sa tribu, ni lui ni ses frères ne man-
geaient de chair humaine et ne combattaient le dimanche.
Quand on lui demandait pourquoi il n'essayait point de diri-
ger l'esprit de son peuple vers l'agriculture, il disait que c'était
impossible. « Si vous parlez à un Nouvcau-Zélandais de travail-
lerai s'endormira ; mais parlez-lui de combattre, il ouvrira ses
yeux aussi grands qu'une coupe à thé ; son imagination est toute
portée vers la guerre, et pour lui les combats ne sont que des
jeux. »
{Pages 4* et suiv. ) Parmi les femmes ramenées prison-
nières de guerre , l'une excitait un intérêt particulier par
sa jeunesse et sa beauté. Tandisquc les autres prisonnières con-
versaient entre elles, elle était assise à l'écart, silencieuse, et
TIÈCES JUSTIFICATIVES. 011
comme abîmée dans sa douleur. Nous apprîmes que son père,
qui était un chef de quelque importance à la rivière Tamise,
avait été tué par l'homme dont elle était devenue la eaptive,
et nous le remarquâmes assis à une petite distanec de son cs-
elave durant la plus grande partie de la journée. Ce naturel
était frère de Tawi , le principal chef de Rangui-Hou , et c'était
un jeune homme de la plus belle apparence. Les scènes ex-
traordinaires dont nous fûmes témoins nous retinrent à Te-
pouna jusqu'au soir, et comme nous nous préparions à retour-
ner à bord, nous fûmes attirés vers la partie du rivage
où se trouvaient les prisonnières par les cris et les lamenta-
tions les plus douloureuses. Nous y vîmes îa jeune et intéres-
sante esclave dans un état qui aurait attendri le cœur le plus
insensible.
L'homme qui avait tué son père, lui ayant ensuite coupé la
tête, l'avait conservée par un procédé particulier à ces insu-
laires. Il la tira d'un panier où il l'avait jusqu'alors cachée, et
la jeta dans le sein de la malheureuse fille. Aussitôt, dans un
transport de frénésie qu'on ne saurait décrire, elle saisit celte
tète , en pressa le nez inanimé contre le sien , et la tint dans
cette position jusqu'à ce que ses larmes l'eussent entièrement
inondée. Puis elle plaça la tète par terre , et avec un morceau
de coquille tranchante, elle se défigura entièrement, d'une
manière si choquante , qu'en peu de minutes ilne lui resta au-
cune trace de sa beauté première. Elle commença d'abord
par se déchirer les bras, puis la poitrine, et enfin le visage;
chaque incision suffisait pour faire jaillir un ruisseau de sang;
mais elle semblait tout-à-fait insensible à la douleur, et elle
continua son opération avec un courage héroïque.
Le sauvage dont la cruauté avait donné lieu à cet affreux
spectacle s'amusait évidemment de l'horreur qu'il nous ins-
pirait. Saisissant là tête par les cheveux qui étaient longs et
noirs, il offrit de nous la vendre pour une hache; il la tour-
nait en divers sens pour en mieux faire ressortir tous les avan-
tages, et comme il ne se présenta aucun acquéreur, il la remit
tome rrt. 41
642
PIECES JUSTIFICATIVES.
dans le panier d'où il l'avait tirée. Les traits de cette tête
étaient aussi réguliers qu'à l'état de vie, et quoique la fille
fût une personne formée, la tète de son père semblait avoir
appartenu à un homme jeune et vraiment beau.
A quelques toises de cette scène d'horreur était un prison-
nier que le partage du butin avait séparé de sa famille captive
comme lui; il pressa le nez d'un enfant contre le sien, tandis
que ses femmes, assises autour de lui, s'unissaient à ses lamen-
tations, et pratiquaient avec une coquille, sur leurs person-
nes, la même opération que la jeune fille venait d'exécuter.
Les esclaves sont assujettis par leurs maîtres à des travaux péni-
bles; ils sont nourris comme le reste de la famille, sans avoir
cependant le droit de manger avec les personnes libres, et
leur existence est toujours fort précaire. Quand un membre
de la famille d'un chef vient à mourir, un certain nombre
d esclaves, proportionné au rang de la personne, sont sacri-
PIECES JUSTIFICATIVES. G43
fiés pour apaiser l'esprit du mort. On nous montra une femme
qui avait été deux fois désignée pour un pareil sacrifice;
mais chaque fois instruite d'avance du sort qui l'attendait, elle
s'y était soustraite en se cachant dans les bois jusqu'à la fin des
cérémonies.
Leur manière d'infliger la mort en pareil cas est peut-être
l'une des coutumes les plus humaines du pays : l'existence de
la victime est terminée par un coup sur la tète , asséné par un
casse-tête en pierre nommé mère. L'exécuteur chargé de cet
office par la tribu ne peut s'y refuser, et la victime est im-
molée sans qu'on lui fasse connaître le sort qui lui est ré-
servé.
( Page 48. ) Le corps (d'un mort) était d'abord enveloppé
de nattes, mais Koro-Koro le tira de la pirogue où il était dé-
posé et le dépouilla. Les tempes étaient ceintes d'une guir-
lande de feuilles, et les cheveux ornés de plumes d'alba-
tros; les genoux étaient rapprochés du corps, et la tête ap-
puyée dessus. Le ventre était affaissé, et les entrailles en
avaient été certainement retirées, bien qu'on n'aperçût au-
cune marque d'incision ; les membres avaient été racornis
par suite du procédé employé pour empêcher la putréfaction ,
dont il n'y avait pas la plus légère apparence malgré le temps
considérable qui s'était écoulé depuis que l'individu était mort.
{Pag. 5o.) La coutume de conserver les têtes des vaincus
est universelle parmi ces insulaires; ils les portent avec eux à
la guerre, d'abord comme trophées, puis en cas de paix, pour
les rendre au parti à qui elles ont été enlevées, l'échange
mutuel des tètes étant toujours un des premiers articles de
leurs traités. Maintenant ils les vendent aux Européens pour
des bagatelles.
(Pag- 77-) Wangaroa est un lieu romantique d'une beauté
singulière. Près de la pointe du nord est un gros rocher percé
qui présente l'aspect d'une arcade gothique ; la mer roule ses
flots au travers , et d'un temps calme les canots peuvent y pas-
ser. L'entrée de Wangaroa n'a pas plus d'un demi-mille de
4i¥
644 PIECES JUSTIFICATIVES.
large, et de la mer il est impossible de l'apercevoir, mais il y
a grand fond jusqu'à toucher la terre de chaque côté, et quand
on est dedans , c'est un des plus beaux havres du monde. Les
plus grandes flottes pourraient y mouiller, et elles y seraient à
l'abri de tous les vents.
(Pages 107 et suiv. ) Vendredi is. avril 1820. Nous trouvâ-
mes les naturels, particulièrement les femmes qui travaillent
plus que les hommes, très-occupés à récolter leurs koumaras
ou patates douces. Le commencement de la récolte des kou-
maras est la grande époque qui marque le retour de l'année,
et le soin de les ramasser fait suspendre tout autre genre d'oc-
cupation. Elle est précédée parla bénédiction du prêtre pour
sa réussite, et terminée par le tabou qu'il impose sur les ma-
gasins où cet aliment sacré est déposé, pour en défendre l'accès
à tout étranger. Même dans les invasions destructives des Nou-
vcaux-Zélandais, il est quelquefois arrivé que, tandis que
tout autre objet avait été pillé, la superstition du tabou avait
protégé les koumaras contre la profanation. Une des per-
sonnes du navire fut présente à la récolte (aha-rahi^ du
peuple de Shongui ; elle fut célébrée dans un bois où l'on
avait dégagé d'arbres un espace carré, au centre duquel trois
grands piliers fichés en terre, dans la forme d'un triangle,
supportaient une pile immense de paniers de koumaras. La
tribu de Tepere de Wangaroa avait été invitée à prendre
part aux réjouissances, qui consistaient en plusieures danses
qui furent exécutées autour de la pile, et suivies d'un festin
splendide. Quand les hommes de Tepere s'en allèrent, ils re-
çurent en présent autant de koumaras qu'ils purent en em-
porter.
Lorsque les naturels s'asseoient pour prendre leur repas, les
esclaves placent la portion de chaque personne devant elle,
dans un petit panier neuf fabriqué avec une espèce de jonc;
ces paniers ne peuvent servir deux fois. A la fin du repas cha-
cun emporte le reste de la portion de vivres qui avait été placée
devant lui.
PIÈGES JUSTIFICATIVES. G45
Les réjouissances sont les mêmes quand on plante les kou-
maras que quand on les récolte ; pendant tout ce temps le ter-
rain est rigoureusement taboue, aussi bien que les individus
chargés de le cultiver : ils ont des cases temporaires, élevées
sur le sol même, dont ils ne peuvent dépasser les bornes, de
jour ni de nuit, jusqu'à ce que leurs travaux soient terminés.
Les naturels veillaient avec tant de soin à ce que nous n'ap-
prochassions pas de ces terrains taboues, qu'ils postaient des
personnes tout exprès pour nous avertir et nous conduire,
souvent en faisant de grands circuits , au lieu où nous voulions
aller.
(Page ii2.) Nous vîmes près du sentier la tête, le bras
droit et une petite partie de la poitrine d'un enfant mort de-
puis quatre jours environ. Quand on en eut informé Kiwi-
Kiwi , le frère du chef King-George de Korora-Reka , il dit que
c'était l'enfant d'un kouki , qui était mort de maladie peu de
jours auparavant, et que les restes que nous voyions étaient
ce que les chiens n'avaient pas encore dévoré. Nous tentâmes
de lui représenter la convenance d'enterrer ce dégoûtant ob-
jet; mais il parut toul-à-fait offensé de la proposition, en
disant que si c'était l'enfant d'un rangatira ou gentilhomme,
il eût été déposé dans un terrain taboue avec toutes les céré-
monies requises, mais qu'on ne pouvait pas accorder à un
kouki l'honneur même d'être enterré, et qu'il dérogerait à
son rang en s'écarlant , à cette occasion , des coutumes de son
pays.
(Page 12G.) Quand le corps est resté assez long-temps en
terre pour que la chair soit décomposée, les amis du défunt
relèvent les os, les nettoient, et les recueillent dans une cor-
beille, en ayant soin de mettre le crâne par-dessus tout; ils
les déposent dans le tombeau de la famille. Ces tombeaux sont
rigoureusement taboues, et leur violation n'est jamais oubliée
ni pardonnéc. En relevant les os, les personnes de la famille
pratiquent aussi la cérémonie de pleurer et de se déchirer, et
tout est terminé par un grand festin
640 PIECES JUSTIFICATIVES.
(Page 127.) Quand une personne meurt, tous ceux qui
ont un mousquet le déchargent en guise de salut à l'esprit qui
s'en va.
(Page i35.) Tandis que nous errions au travers du vil-
lage de Kawera-Popo , par hasard et sans être vus , nous entrâ-
mes dans le lieu des sépultures. Au centre de l'enclos s'élevait
une espèce de plate-forme couverte d'un toit comme une mai-
son , et sur laquelle étaient placées plusieurs petites pirogues.
Dans l'une d'elles se trouvaient les restes d'un enfant envelop-
pés dans une natte, sans être tout-à-fait décomposés; et dans
une autre était un monceau d'ossemens avec un crâne placé
par-dessus.
Les naturels disent que les corps de ceux qui meurent sont
enterrés jusqu'à ce que la chair se détache des os ; mais ce que
nous vîmes dans cette journée , joint à d'autres motifs, prouve
suffisamment qu'il y a des exceptions à ces pratiques, et que
chez ce peuple extraordinaire il règne , dans la façon dont
ils disposent de leurs morts, la même mobilité qu'on observe
dans plusieurs de leurs autres coutumes.
Il était évident que les restes de l'enfant, qui n'était pas tout-
à-fait décomposé, n'avaient jamais été enterrés. Koro-Koro
n'aurait pas non plus pris tant de peine dans l'exemple qu'on
a cité plus haut pour empêcher la putréfaction du corps de
son ami, si l'on avait dû le mettre en terre. On avait observé
à Shouki-Anga la partie supérieure du corps d'une femme
dans un état parfait de conservation, tandis que le reste n'a-
vait pas été conservé à cause de la décomposition qui avait eu
lieu immédiatement après la mort. M. Marsden vit aussi le père
de Wiwia placé sur une plate-forme, précisément de la
même manière que l'était l'enfant en question.
(Page i83. ) Nos messieurs trouvèrent les habitans de la
baie des Iles dans la plus grande alarme , car ils s'attendaient
à une invasion prochaine de la part dn chef de Kaï-Para
( Moudi-Panga), district de la côte occidentale. Ce guerrier
était représenté comme infiniment supérieur à tous ses com-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. Gi7
patriotes par la taille et la force corporelle, et il était à la tête
d'une tribu puissante et très-nombreuse. Son approche avait
occasioné une consternation extraordinaire; toute la popu-
lation mâle de la baie des Iles était sous les armes.
(Pages 186 et suie. ) La persuasion que les morts peuvent
reparaître est universelle parmi les Nouveaux-Zélandais ; ils
s'imaginent qu'ils entendent la voix de leurs parens défunts
quand le vent souffle avec force; toutes les fois qu'ils passent
près de l'endroit où un homme a été tué, chacun a coutume de
jeter une pierre sur la place , et la même pratique est observée
par tous ceux qui visitent au cap Nord une caverne, paria-
quelle les esprits des morts sont censés passer dans leur route
vers l'autre monde.
Il est bon de faire observer ici qu'ils attachent les plus fu-
nestes conséquences à l'action de manger dans leurs maisons.
Une fille de King-George se trouvant très -malade, on ftii
portait parfois des alimens du bord , et on recommanda à ses
parens de ne l'envoyer en aucune manière au grand air} mais
cette injonction ne fut point suivie, et par le plus mauvais
temps elle était obligée de quitter sa cabane toutes les fois
qu'elle allait manger.
Ils croient que ceux qui entrent dans une maison où quel-
que morceau de nourriture animale se trouve suspendu sur
leur tète, ne courent pas des dangers moins grands; un pi-
geon mort ou un morceau de porc suspendu au plancher étaient
une meilleure sauve-garde contre leur importunité qu'une
sentinelle. En dernier lieu, ceux de nos gens qui demeuraient
à terre l'employaient avec le plus grand succès pour se débar-
rasser des naturels.
Bien que leurs superstitions soient inviolablement suivies
par ces hommes quand ils sont à terre, du moment qu'un
Nouveau-Zélandais monte à bord , il s'en considère comme
entièrement dégagé , et il se conforme aussitôt à nos coutumes
et à nos manières.
648 PIECES JUSTIFICATIVES.
M. Cruise raconte ainsi qu'il suit l'alarme que causa
l'invasion de Poro et de ses gens dans la tribu de Georges
à Wangaroa, tandis que le Dromedary se trouvait mouillé
dans cette baie pour charger des espars de Koudi. [Pages
192 et suiv.)
3 août 1820. Le soir on vit plusieurs feux dans un marais
à l'extrémité méridionale du havre , près de l'embouchure de
la rivière Kamimi. Les naturels dirent que c'était le camp du
chef Poro du cap Nord, ajoutant qu'un grand combat allait
avoir lieu ; mais après de nombreuses questions, on ne put
s'assurer d'une manière satisfaisante si l'attaque allait avoir
lieu sur le peuple de Georges ou sur celui de Tepcre. Les ha-
bitans semblaient vivement alarmés, et aucune de leurs piro-
gues n'osa s'aventurer vers cette partie du havre.
4 août. La même inquiétude et la même ignorance sur
les intentions de Poro ont régné parmi les naturels. Tepcre
est venu de bonne heure à bord , et ne s'en est allé qu'à la
nuit. Il était évidemment dans une grande anxiété, et la peur,
plutôt qu'aucune affaire, semblait le retenir sur le navire. Dans
la soirée, les feux de Poro ont disparu, et les naturels ont
rapporté qu'il s'était avancé sur les bords du Kamimi, vers le
■district de Georges.
5 août. Dans l'après-midi le charpentier et Georges sont
venus a bord ; le premier a annoncé que l'apparition de Poro
avait plongé Georges et sa tribu dans les plus grandes alarmes;
toute espèce de travail avait cessé depuis quelques jours, et
l'on faisait toutes sortes de préparatifs pour repousser le for-
midable agresseur.
Quand Poro se remit en marche le troisième jour, il se di-
rigea au travers des bois vers le pâ de Georges , et prit posi-
tion sur une colline précisément en face, qui n'en est séparée
que par le Kamimi, guéable en cet endroit, et par une vallée
intermédiaire, d'un demi-mille de large. Le mouvement de la
PIECES JUSTIFICATIVES. G4ï)
tribu de Poro au travers des bois ne put être aperçu des Eu-
ropéens, mais du moment qu'ils en sortirent jusqu'à eelui où
ils oeeupèrent la colline éloignée d'un mille à peu près, leurs
opérations furent visibles.
Sur la lisière du bois , ils laissèrent leurs femmes , leurs en-
fans, leurs koukis, leurs bagages et leurs habits, et s'avancè-
rent vers le sommet de l'éminence , en trois divisions qui mar-
chaient avec rapidité , et ne portaient absolument rien que
leurs armes. Leurs corps étaient entièrement nus et peints en
rouge, leur cheveux liés au sommet de la tête et huilés, et
leurs figures barbouillées d'une espèce de peinture bleue , assez
commune en quelques parties de la Nouvelle-Zélande. En
arrivant au sommet de la colline, ils exécutèrent la danse de
guerre, et poussèrent des cris pour défier leurs ennemis ; en-
suite le bagage se mit en route et ils formèrent leur camp. La
danse de guerre et les cris furent sur-le-champ répétés par le
peuple de Georges du côté opposé; les hommes étaient peints
en rouge et armés, et plusieurs femmes semblaient costumées
delà même façon pour rendre l'aspect de leurs forces plus im-
posant. Durant la nuit on observa le plus profond silence; au
moindre bruit les hommes couraient aux armes, et Tepouhi
fit souvent tirer des coups de fusil, afin de prouver à ses en-
nemis que sa propre tribu était pourvue de ces armes redou-
tables.
Le lendemain malin , le charpentier annonça son intention
d'aller au camp de Poro pour s'assurer de l'objet de sa visite,
et Wetoï, le naturel de Shouki-Anga qui nous avait déjà
donné plusieurs preuves de sa fidélité, ayant quelques païens
dans l'armée de Poro , s'offrit à l'accompagner. Georges s'op-
posa fortement à cette démarche , prétextant le danger per-
sonnel auquel le charpentier allait s'exposer ; enfin il fut con-
venu que Houdou , frère de Georges, se joindrait à l'ambas-
sade. Comme ils approchaient du camp, Houdou fut subju-
gué par ses craintes, et saisissant le charpentier par son
habit, il le conjura , mais en vain , de ne pas aller plus loin
650 PIECES JUSTIFICATIVES.
La réception fut, suivant la coutume du pays, gracieuse et
pleine de dignité. Les députés trouvèrent Poro assis au mi-
lieu de ses plus proches parens, tandis que les guerriers de sa
tribu, munis de leurs armes, formaient un cercle autour de
leur chef et des étrangers. Poro interrogé sur l'objet de sa
visite, répondit qu'il était venu voirie vaisseau et les hommes
blancs , et converser avec eux; que si Georges avait le dessein
de s'y opposer, il combattrait contre lui, mais que dans le cas
contraire, ses intentions étaient amicales. Lorsqu'on lui eut
annoncé qu'il ne serait apporté aucun obstacle à ses communi-
cations avec le Dromcdarj-, la paix fut proclamée par une danse
guerrière, répétée plusieurs fois par les deux partis; de eba-
que côté les femmes agitaient leurs nattes et poussaient le cri :
Aire mai — viens ici-
Peu après , Georges traversa la rivière et alla offrir deux
haches à Poro, mais on remarqua qu'on ne lui donna rien en
retour. Cette entrevue , jointe à ce que Georges n'avait qu'une
centaine de guerriers, tandis que son adversaire avait le dou-
ble de ce nombre, prouva que Georges, par cette démarche ,
reconnaissait la supériorité de Poro. v
De la crainte la plus abjecte Georges passa tout-à-coup au
ton et à la conduite d'un conquérant. En arrivant à bord, il
ne daigna pas faire attention à Tepere , qui se trouvait sur le
pont, et qui n'avait pas encore fait sa paix, et se tournant
vers quelques hommes de la tribu de ce dernier, il leur ordonna,
de la manière la plus péremptoire, en présence de leur chef,
de quitter à l'instant le vaisseau.
Tepere gardait un profond silence; mais comme c'était de
la part de Georges un trait d'insolence qu'on ne pouvait pas
laisser passer, un des officiers lui signifia qu'aussi long-temps
que les naturels se comporteraient décemment, ils resteraient
à bord tant qu'il leur plairait, et qu'il n'avait aucun ordre à
donner à ce sujet.
Cet avis produisit l'effet désiré, et pendant le reste de sa
visite il se conduisit lui-même très-bien. Tepere resta à bord
PIECES JUSTIFICATIVES. 651
jusqu'à la nuit, et ne s'en alla qu'avec une répugnance visible.
Dimanche 6 août. Dans la soirée , un canot qui était allé
chercher Poro , revint amenant ce chef, son fils et ses petits-
fils, et un matelot des îles Marquises qui s'était établi dans
son district. La terreur du vieux chef était extrême, il trem-
blait comme la feuille en approchant du navire, et l'on assura
qu'avant de quitter son camp il était si alarmé pour sa sû-
reté , que YVetoï fut obligé de rester en otage dans le camp
jusqu'à son retour. Pour empêcher qu'aucune espèce de pil-
lage n'eût lieu durant son absence, Poro taboua la propriété
des blancs, dont la cabane était voisine de son camp, et il
envoya cinquante personnes de sa tribu pour aider les Euro-
péens et les gens de Georges à transporter un espar.
1 août. Dans l'après-midi on déchargea les canons, et
quoique ce fût un spectacle tout-à-fait nouveau pour les peu-
ples du cap Nord, leurs marques de surprise furent bien au-
dessous de ce que nous pouvions attendre en pareil cas. Le
petit-fils du chef, qui était un grand garçon, fut si alarmé,
qu'il ne cessa de crier durant ce feu, malgré les rebuffades
fréquentes et quelquefois sévères qu'il recevait de la part des
hommes de sa tribu qui se trouvaient placés près de lui.
Dans l'après-midi, Poro, ayant reçu plusieurs présens, se
remit en route pour son camp , accompagné par quelques
personnes du vaisseau. En nous dirigeant vers le Kamimi,
nous rencontrâmes le père de Tepere dans sa pirogue; une
conversation eut lieu entre lui et Poro , et pendant ce temps
ce dernier se tint debout dans le canot, montrant fréquem-
ment son mère. Ce geste nous fut expliqué comme un signal de
paix, et par la suite nous apprîmes que la tête du frère de
Tepere, qui était restée au pouvoir de Poro depuis que celui-
ci l'avait tué dans un combat , allait être rendue à sa famille.
Poro se fit un point d'honneur d'atteindre son camp quelque
temps avant les gentlemen du navire. Quand nous arrivâmes,
nous le trouvâmes assis avec sa famille, en face de sa cabane,
qui était située presque au sommet de la colline : le reste de la
G52 PIECES JUSTIFICATIVES.
tribu était debout, les armes à la main, à cent verges envi-
ron plus bas. A un signal de leur chef, ils s'élancèrent avec
une grande rapidité vers l'endroit où nous étions assis avec
Poro , en poussant des cris et brandissant leurs lances; puis ils
s'arrêtèrent et exécutèrent les danses de guerre, en s'animant
jusqu'à un tel degré de frénésie, qu'une personne étrangère à
leurs manières eût imaginé que c'était le prélude de quelque
acte de violence.
Leurs armes étaient des lances, des baïonnettes attachées à
des bâtons semblables à des piques, des patou-patous, des
mère et douze fusils, qui donnaient un haut degré d'impor-
tance à la force de la tribu. Ceux qui étaient présens parais-
saient, en général, de très-jeunes hommes, et d'une haute
taille; ils étaient complètement nus, et outre le rouge d'o-
cre, commun aux autres tribus de la Nouvelle-Zélande, leurs
visages et leurs corps étaient barbouillés de taches d'une cou-
leur bleue. La danse de guerre terminée, ils continuèrent à
regarder fixement les étrangers durant quelques minutes, tan-
dis que Georges leur déclinait nos noms et tâchait de leur
expliquer nos différentes fonctions. Pendant la conférence,
un chef, debout, veillait à ce qu'ils ne nous importunassent
point, et quiconque dépassait la limite imposée était traité
par ce chef d'une manière rude et sévère. Sur un autre si-
gnal de Poro , ils se retirèrent précisément de la même ma-
nière qu'ils s'étaient avancés, et, déposant leurs armes, ils re-
prirent leurs occupations habituelles.
Le camp était établi sur le revers gauche de la colline, et
consistait en quatre longues cabanes construites en pieux , et
si bien couvertes de roseaux, qu'elles étaient impénétrables
à la pluie. Chaque hangar pouvait contenir cent personnes;
la cabane des chefs était aussi près du sommet de la colline
que pouvait le permettre la nature du sol, tandis que les au-
tres étaient élevées à droite et à gauche sur le penchant du
mont. Il paraissaity avoir de trois cent cinquante à quatre cents
personnes dans le camp, y compris plusieurs femmes; et ils
PIECES JUSTIFICATIVES. G53
semblaient avoir en abondanec des vivres qu'ils devaient
avoir apportés avec eux.
S août. Ayant appris que quelques gentlemen du navire
voulaient visiter son camp dans la journée, Poro, par politesse
pour eux , retarda son départ qui devait avoir lieu dans la
matinée. Après avoir fait exécuter la danse de guerre par
ses gens, il les partagea en deux corps, et leur fit simuler
un combat. Les attaques entre les deux partis opposés con-
sistaient en une suite de charges ou d'engagemens sans ordre
ni métbode ; en en venant aux mains, chaque guerrier choi-
sissait son homme et le combattait. Dans cette représenta-
tion , Poro, qui doit avoir passé la soixantaine, déploya
autant d'activité et de vigueur que le plus jeune guerrier de
sa tribu. Les Anglais quittèrent Poro dans la soirée, charmés
de ce qu'ils avaient vu, et ce chef se prépara à retourner le
lendemain dans son district, après avoir témoigné sa grati-
tude pour les attentions et la générosité des hommes blancs
à son égard.
g août. De bonne heure dans la matinée, Poro s'est mis en
route pour son pays. Il avait exprimé la crainte qu'un plus
long séjour n'épuisât ses provisions, et bien qu'il y eût cinq
jours de marche jusqu'à son territoire, il avait fait apporter à
des esclaves , non-seulement assez de vivres pour la subsis-
tance de sa tribu jusqu'à son retour, mais encore les maté-
riaux nécessaires pour construire les huttes.
(Page 2i5.) Ces naturels (de la rivière Tamise) étaient en
apparence bien supérieurs à tous les Nouveaux-Zélandais que
nous avions vus jusqu'alors. Ils étaient mieux faits, d'une plus
grande taille et d'une forme plus athlétique. Leurs pirogues
étaient plus grandes, et plus riches dans leurs ornemens et
leurs sculptures.
{Page 229.) Nous demandâmes à Te ta ta , le jour suivant,
pourquoi il nous avait fait la veille au soir sa visite à une heure
aussi avancée; il répondit que les deux jeunes filles qu'il avait
emmenées étaiertt des filles de chefs. Lui-même les avait ame-
654 PIÈGES JUSTIFICATIVES.
nées à bord; mais, à son retour dans sa tribu, il avait été si
sévèrement réprimandé pour cette action, que pour sa propre
sûreté il avait été contraint de venir les reprendre. Il dit que
toutes les filles qui étaient venues à bord du navire étaient des
esclaves; mais que les chefs s'étaient crus déshonorés en per-
mettant qu'on disposât de leurs filles de la même manière.
Leur opinion , à cet égard, était certainement bien différente
de celle de plusieurs des chefs de la baie des Iles, qui entraî-
naient leurs sœurs et leurs filles à bord des navires, du mo-
ment de leur arrivée, satisfaits qu'elles devinssent le partage
des Européens du dernier rang comme des classes les plus
élevées.
(Page 235.) Dans le mois de septembre, à l'inexprimable
surprise des insulaires, deux baleines qui étaient entrées dans
la baie des Iles, furent attaquées par les canots de deux navires
baleiniers et dépecées. Quand l'huile en fut extraite, on laissa
la carcasse flotter à la surface de la mer.
La chair de la baleine étant considérée par ces peuples
comme une friandise du premier ordre, ils accoururent de tou-
tes les parties de la baie pour s'en repaître. Une foule de que-
relless'élevèrent sur le corps du cétacée.Les jeunes filles même,
qui vivaient comme servantes chez les missionnaires et parta-
geaient leur nourriture, abandonnèrcntleur service pour pren-
dre place sur la carcasse de la baleine, ou stipulèrent qu'on leur
en achèterait des morceaux pour leur consommation.
{Page 269.) 28 novembre 1 820. Une jeune naturelle, fille d'un
chef, avait vécu depuis quelques mois avec le soldat qui était
cause de la mort deWilliam Aldridje, et on jugea convenable
de l'éloigner du navire. Elle ne céda à cet ordre qu'avec beau-
coup de répugnance. Depuis le moment où le malheureux sol-
dat avait été mis au cachot , elle s'était tenue, à ses côtés et n'a-
vait pas cessé de pousser des cris : comme on lui avait dit qu'il
serait infailliblement pendu, elle avait acheté du lin des na-
turels le long du bord et en avait fait une corde, déclarant
que si tel était le sort de son amant , elle terminerait son exis-
PIECES JUSTIFICATIVES. 055
tencc de la raûme manière. D'après les coutumes de son pays,
il n'y a pas le moindre doute qu'elle n'eût exécuté son projet.
Quoique chassée du navire, elle resta le long- du bord dans
une pirogue depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, et
ni remontrances ni présens ne purent la décider à s'en aller.
Quand le Dromcdary retourna à la baie des Iles, elle nous sui-
vit par terre; et reprenant son poste près de la partie du na-
vire où elle supposait que son amant était emprisonné, elle y
resta même par le temps le plus affreux, et recommença ses
lamentations habituelles sur le sort qui lui était réservé jusqu'à
notre départ définitif de la Nouvelle-Zélande. %'
(Page 274O 3 décembre. En prenant congé du navire, les
femmes qui avaient vécu avec les personnes du bord prati-
quaient la cérémonie de pleurer et de se déchirer avec des co-
quilles, tout comme elles l'eussent fait en se séparant de gens
qui auraient eu des droits plus légitimes à leur tendresse. La
douceur du traitement qu'elles recevaient des Européens, com-
parée avec la conduite de leurs compatriotes, avait gagné leur
estime et leurs affections. D'ailleurs, outre le regret qu'elles
éprouvaient à se séparer d'hommes avec qui elles avaient si
long-temps vécu, elles devaient songer aux privations et aux
misères de la vie sauvage, et aux traitemens humilians et
souvent cruels des hommes avec qui elles allaient se re-
trouver.
{Page 307.) Quand un naturel veut faire un marché, il
examine l'article que l'Européen lui offre, une hache par
exemple,avec beaucoup d'attention etde sagacité; s'il la trouve
à son goût, il tire un fil de sa natte, qu'il attache autour de
la hache, en déclarant en même temps qu'il l'a tabouée. Puis
il la rend au propriétaire jusqu'au moment où il peut lui en
donner la valeur.
(Page 307. ) Leur boisson universelle est l'eau ; par poli-
tesse ils prennent quelquefois du vin et du grog, mais avec
répugnance.
Georges de Wangaroa fut la seule exception que nous pu-
G56 PIECES JUSTIFICATIVES.
mes observer, mais ses habitudes avaient été corrompues par
son séjour sur un de nos navires. Il aimait réellement les li-
queurs fortes dont une petite quantité le rendait ivre, et dans
cet état il était très-violent.
{Page 3o8.) L'action de couper les cheveux s'associe à
une étrange superstition; celui qui l'a subie doit s'éloigner
pendant quelques jours de la société de sa famille, et pendant
ce temps il est taboue. Ces sauvages se coupent les cheveux
avec une coquille presque ras au sommet de la tête, tandis
qu'ils les laissent longs par derrière : ils attachaient un grand
jirix aux peignes et aux ciseaux que nous leur distribuiîmes.
{Page 3io.) Certaines particularités dans la forme du moko
(tatouage) distinguent les membres de chaque famille. Les
naturels demandaient souvent à un gentleman du Dromcdary,
qui avait un écusson gravé sur son cachet, si c'était là le moko
de sa tribu.
{Page 3iG.) Aire mai, ou viens ici , est le salut de paix ou
d'amitié. Quand ce mot n'est pas prononcé à l'approche d'un
étranger, les sentimens des naturels ne sont pas d'une nature
favorable envers lui.
{Page 3 18.) L'emu se trouve à la Nouvelle-Zélande, bien
que nous n'ayons jamais eu le bonheur d'en rencontrer. Les
naturels vont le chasser aux ténèbres avec des feux qui attirent
ces oiseaux et des chiens qui les tuent. Leurs plumes sont noi-
res, plus petites et plus délicates que celles de l'emu de la
Nouvelle-Hollande. Une natte ornée de ces plumes est le cos-
tume le plus dispendieux qu'un chef puisse porter.
{Page 32o.) La justice, parmi les Nouveaux-Zélandais,
s'administre d'une manière sommaire. Ceux qui sont allés à
Port-Jackson se sont toujours récriés fortement sur la manière
froide et réfléchie avec laquelle les blancs mettent à exécution
les sentences prononcées par la loi. Ils regardaient toute es-
pèce de punition corporelle comme un raffinement de cruauté;
et leur argument général était : « Si un homme vole, tuez-le,
et il ne pourra plus voler; et s'il faut le tuer, assommez-le au
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 657
montent même où il commet le crime; mais ne le gardez pas
une semaine entière à languir après le sort qui l'attend. »
(Page 3ui.) Les lieux où les personnes meurent et ceux où
leurs restes sont déposes sont marqués de la même manière.
Un pieu peint en rouge est planté en terre, et il est surmonté
d'une figure humaine grossièrement sculptée.
(Pages 277 et juiV.) Les habitans de la Nouvelle-Zélande
sont en général grands, actifs et bien faits; leur teint est brun,
leurs cheveux noirs, tantôt droits et tantôt frisés; ils ont de
très-belles dents. Ilyaunc différence frappante, pour la stature
et les formes, entre les rangatiras, c'est-à-dire les chefs ou la
classe la plus élevée, et ceux qui sont koukis ou esclaves de
naissance. Plusieurs des derniers sont presque noirs et au-des-
sous de la taille moyenne. Les Nouveaux-Zélandais offrent au-
tant de variétés dans leurs traits que les Européens : il y a
peu de caractère national dans leur figure qui , avant l'âge du
tatouage, peut passer pour être régulière et agréable ; du moins
plusieurs de ceux que nous vîmes avant d'avoir subi cette opé-
ration avaient un beau visage. Les dessins du tatouage varient
suivant les différentes tribus. Quand un individu a atteint sa
vingtième année , il n'est pas considéré comme un homme
s'il n'a pas subi cette pénible cérémonie. Il la supporte avec
un courage surprenant , et on la renouvelle de temps en
temps , à mesure que les traits s'affaiblissent , jusqu'à l'âge
le plus avancé. Hietoro, qui retourna à la Nouvelle-Zé-
lande sur le Dromedarjj allait être tatoué de nouveau à son
arrivée; et quand nous dîmes à Wetoï , qu'un long séjour avec
nous avait à demi anglicisé , qu'il ne devrait pas adopter cette
affreuse coutume de ses compatriotes, il répondit « que s'il ne
s'y soumettait pas, il serait méprisé et peut-être traité comme
une femme. » L'inflammation qui suit l'opération est si consi-
dérable, que celle-ci ne s'exécute jamais que graduellement. Des
mois et quelquefois des années entières s'écoulent avant que la
figure soit complètement tatouée : du reste, quoique cette opé-
ration défigure les naturels dans leur jeunesse, elle cache com-
TOME III. 42
658 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
plètement les ravages de la vieillesse. Les tètes chauves sont
très-rares, et nous n'en avons vu qu'un seul exemple; plu-
sieurs hommes très-âgés descendent dans la tombe sans avoir
un seul cheveu gris. Benny, un des chefs de la baie des
Iles, qui, disait-il, était déjà un homme fait lorsque le
capitaine Cook y parut, n'avait pas un seul cheveu gris sur la
tête.
Leur habillement consiste en une natte fabriquée avec du
lin du pays, qui est soyeux et fort beau , et adroitement tissu
par les femmes. Ils en portent une sur leurs épaules, tandis
qu'une autre du même tissu et de la même matière est soute-
nue autour de leurs reins par une ceinture. En hiver, pour la
nuit ou les temps humides, ils emploient une sorte de natte
très-grossière, qu'ils nomment kakahou; elle est très-chaude ,
impénétrable à la pluie et assez large pour envelopper tout le
corps. Leur tète est toujours nue, même au plus fort de l'hi-
ver, ce qui explique les maux d'yeux auxquels plusieurs d'en-
tre eux sont sujets ; mais ces maux affectent rarement leur vue
qui est singulièrement perçante. La femme du chef Pomarc
formait exception à cet avantage général. Elle demanda de
l'eau pour ses yeux ; quand on lui en eut donné, elle remarqua
« que si elle ne voyait pas aussi bien que le reste de ses com-
patriotes, au moins elle avait la satisfaction d'avoir cela de
commun avec le roi Georges; » faisant par-là allusion à notre
dernier monarque, le seul prince souverain dont le nom soit
connu de ces peuples.
Quand les hommes font des exercices violens, ils se mettent
tout nus et ne gardent que leurs ceintures , qu'ils ceignent très-
serrée autour de leur corps. L'embonpoint dans cette partie du
corps est une chose inconnue pour eux ; et quand ils le voient
chez les Européens, ils le tournent en ridicule. Quand ils vont
à la guerre ou qu'ils désirent paraître dans toute leur beauté,
ils se peignent le corps en rouge avec une composition d'huile
et d'ocre; leurs cheveux sont aussi huilés, réunis en touffe au
sommet de la tète et ornés de plumes de mouettes ou d'alba-
PIECES JUSTIFICATIVES. 659
tro&. Ordinairement ils portent aussi à eliaque oreille une touffe
«1rs plumes les plus cotonneuses de ces oiseaux.
Leurs oreilles sont toujours percées dès l'enfance , particu-
lièrement chez les femmes. L'ouverture en est graduellement
élargie au moyen des morceaux de bois qu'on a soin d'y pas-
ser : plus elle devient grande , plus grand est l'ornement qui
en résulte. La classe supérieure y suspend la dent d'un poisson
fort rare sur cette côte ; et les personnes autorisées à porter
cette distinction sont si pointilleuses sur ce chapitre, que les
koukis n'oseraient en aucune circonstance usurper ce pri-
vilège.
Ils portent encore , attaché au cou avec une corde et pen-
dant sur la poitrine , un morceau de talc vert , sculpté , et
représentant une figure qu'on ne saurait appeler humaine. Us
v attachent beaucoup de valeur , non pas pour aucun motif
superstitieux, mais pour son ancienneté , et parce que c'est un
meuble héréditaire dans la famille. L'habillement des femmes
est précisément le même que celui des hommes. Pour ceux-ci ,
la nudité en aucun temps, ni en aucun cas , n'est regardée
comme indécente ; mais il est bien rare de voir les femmes
manquer à la pudeur sous ce rapport. Elles sont légère-
ment tatouées sur la lèvre supérieure, au milieu du menton
et au-dessus des sourcils. Quelques-unes ont quelques traits
sur les jambes; une femme que l'on vit à Shouki-Anga, et qui
passait pour être venue d'un lieu très- éloigné dans le Sud ,
avait sur la poitrine des dessins qui ressemblaient aux anneaux
d'une chaîne; en outre, une des esclaves de Koro-Koro était
presque autant tatouée qu'un homme. Les Nouvelles -Zélan-
daises sont aussi belles que les femmes des parties méridionales
de l'Europe, bien faites, et en général jolies. Avant le mariage,
le concubinage ne passe point pour un crime, et ne porte
aucun obstacle à des engagemens plus respectables; mais après
le mariage, ce sont des épouses fidèles et affectionées, et des
mères passionnées pour leurs enfans. Elles supportent avec
la plus grande patience la conduite violente de leurs maris
42*
(ifiO PIECES JUSTIFICATIVES.
qui, ne considérant les Femmes que comme des êtres d'une na-
ture bien inférieure à la leur , les traitent souvent avec une
grande brutalité.
Il serait difficile de définir quelle est leur religion. Ils ont
d'innombrables superstitions sans être idolâtres. Ils croient
que les chefs après leur mort iront dans un lieu de bonheur;
mais que les koukis n'ont pas d'existence au-delà de ce
monde. Ils adressent des prières au soleil , à la lune , aux
étoiles, et même aux vents quand leurs pirogues sont surprises
par le calme ou par la tempête; mois leurs prières émanent de
circonstances purement accidentelles , et ne sont assujetties à
aucune forme régulière , à aucun temps assigné pour leur
culte. Ils croient à un Etre-Suprême , désigné par le nom
iVAtoua, incompréhensible pour eux, auteur du bien et du
mal, divinité qui les protège dans le danger ou les détruit par
la maladie. Un homme , nue fois parvenu a un certain pé-
riode d'une maladie incurable, est sous l'influence de l'Atoua
qui a pris possession de lui , et qui sous la forme d'un lézard
déchire ses entrailles. Alors il n'est plus permis de donner
aucun secours humain , aucun remède au patient; il est em-
porté hors du village, et on le laisse mourir. Celui qui a eu
les cheveux coupés est sous la charge immédiate de l'Atoua; il
doit s'éloigner du contact et de la société de sa famille et de
sa tribu ; il n'ose point toucher lui-même à ses vivres , une
autre personne est chargée de les porter à sa bouche , et de
quelques jours il ne peut reprendre ses occupations habituel-
les, ni fréquenter ses compagnons. Toutes les fois qu'un
guerrier part pour la guerre, une femme âgée, une espèce de
prêtresse s'abstient de nourriture durant deux jours; et le
troisième, quand elle est purifiée et inspirée par l'Atoua,
après diverses cérémonies, elle prononce des paroles magiques
pour le salut et le succès de celui qu'elle envoie au combat.
Mais les attributions de l'Atoua sont si vagues, son pouvoir et
sa protection tellement indéfinis , et parmi les naturels eux-
mêmes il y a si peu d'accord touchant sa nature, qu'il est
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 661
presque impossible de découvrir chez eux rien qui ressemble à
un système de théologie.
Leur nourriture générale est le koumara ou la patate douée ;
la racine de fougère rôtie et battue, le taro indigène qui est
fort doux, la pomme de terre , le chou et le poisson qu'ils
prennent en abondance. Ils le sèchent en détail et sans sel , et
il reste bon durant plusieurs mois. Ils consomment une im-
mense quantité de moules ; ils mangent quelquefois du porc ,
mais ce n'est que dans les grandes occasions , et généralement
ils réservent ces animaux pour les vendre aux Européens. Les
cochons rôdent à l'état sauvage dans les bois , et les naturels
ne les attrapent qu'avec peine et à l'aide des chiens, qu'ils
mangent aussi quelquefois , et qu'ils considèrent comme un
mets délicat. Les chiens et les rats sont les seuls quadrupèdes
naturels dans l'île ; les premiers ont la forme de notre renard,
mais varient pour la couleur; et les derniers sont tellement
au-dessous du rat d'Europe pour la taille, qu'un chef exprima
le désir qu'on en emportât d'Angleterre chez eux pour amé-
liorer la race et en faire un meilleur mets. La plante du taro ,
qui a été importée de Taïti , «st cultivée par un petit nombre
de naturels avec un grand succès. L'appétit de ces hommes est
très-grand ; ils cuisent leurs mets d'une seule et même ma-
nière , savoir au moyen de pierres chaudes couvertes de feuil-
les et de terre , de manière à former une espèce de four. Ap-
prêtés de cette façon , il est certain que leurs végétaux et leurs
coquillages ont un excellent goût. Ils sont très-avides de notre
biscuit. Bien que celui du Dromcdary fût tellement rempli de
vermine que personne parmi nous ne pût en manger, les tri-
bus du voisinage livraient volontiers en échange leurs patates
et les autres plantes comestibles introduites dans leur île par
le capitaine Cook. Du reste, insoucians de l'avenir, ils avaient
bientôt consommé leurs petites provisions, et vivaient ensuite
dans une misère relative.
Quoiqu'ils n'ignorassent point toute notre horreur pour le
cannibalisme, ils n'ont jamais nié que ce fût une de leurs cou-
(562 PIECES JUSTIFICATIVES.
tûmes; au contraire, ils n'exprimaient que trop souvent leur
prédilection pour la chair humaine. Dans un homme on n«
peut manger que les membres, tandis que, la tète seule exceptée,
le corps entier d'une femme ou d'un enfant est un mets dé-
licieux pour eux.
Outre l'équipage du Boyd , d'autres Européens ont été de
temps en temps les victimes de leur férocité. Mais ils repré-
sentent la chair des blancs comme fade et insipide comparée
à celle de leurs compatriotes , et ils attribuent son infériorité
à la coutume universelle que nous avons d'employer du sel
dans nos alimens.
C'est par suite de motifs superstitieux qu'ils dévorent leurs
ennemis tués dans les combats; mais il y a tout lieu de
croire que leur anthropophagie s'exerce en d'autres circons-
tances.
Durant notre séjour parmi eux et sous les yeux même des
Européens , il y a eu des femmes esclaves massacrées pour des
crimes trop légers pour justifier une pareille sévérité. Comme
leurs corps étaient aussitôt dépecés , lavés et transportés
dans un lieu où ils pouvaient être mangés commodément, et
comme les naturels eux-mêmes ne craignaient pas de men-
tionner publiquement le festin projeté, il est à présumer qu'ils
se plaisaient à satisfaire par-là leurs effroyables goûts.
A l'exception du marin du Catherina , aucun Anglais ne
fut témoin d'un acte de cannibalisme durant notre visite à
la Nouvelle-Zélande , et les naturels prirent toutes sortes de
précautions pour nous les cacher; mais les missionnaires ont
pu en observer les préludes immédiats, et ils ont acquis des
preuves irrécusables de son existence. D'après les remarques
qu'ils nous ont fournies, et d'après l'aveu des naturels eux-
mêmes, il est tout-à-fait impossible que les personnes les plus
incrédules du Dromedary soient retournées en Angleterre sans
avoir acquis la ferme conviction que l'anthropophagie existe
à la Nouvelle-Zélande, non-seulement comme superstition,
mais comme gratification d'un appétit féroce.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. (>G3
Les relations fréquentes qui ont lieu entre les équipages des
navires européens et les femmes du pays, comparées avec le
petit nombre de fruits d'un pareil commerce qu'on a pu trou-
ver dans l'île, ont fait présumer que l'infanticide y régnait à
un haut degré. Durant notre séjour à la Nouvelle-Zélande,
nous n'avons vu que deux individus de cette classe, et on ne
nous en a mentionné que deux autres. De ceux que nous vîmes
l'un était un enfant, le fds d'un marin d'un navire baleinier, et
l'autre une jeune fille adulte , de seize ans environ , et dont le
père était un habitant de la Nouvelle -Galles du Sud. L'un
et l'autre étaient de jolis enfans ; la dernière, quoique élevée
en commun avec les sauvages, avait tout-à-fait l'air anglais,
à cela près que son teint était fortement brûlé du soleil. C'était
une jolie fille, et à cette époque elle vivait à bord d'un bâti-
ment baleinier.
Ce commerce illicite a communiqué à quelques-unes des
femmes de l'île cette maladie que les Européens transportent
dans toutes les parties du monde où ils séjournent, et nous ob-
servâmes à la baie des Iles quelques exemples déplorables de ses
funestes ravages.
Les femmes niaient devant nous le crime d'infanticide ,
quant aux résultats de leur commerce avec les Européens, et
elles déclarèrent qu'elles en prévenaient les suites par un ac-
couchement prématuré. Cela peut être vrai, attendu que les
autres navires ne sont jamais restés dans l'île qu'un temps
fort court ; mais comme plusieurs femmes n'ont quitté le Dro-
medary qu'à une époque très-avancée de leur grossesse , il sera
curieux pour ceux qui nous suivront de rechercher si ces en-
fans sont vivans, et dans ce cas il y aura lieu d'espérer que
l'humanité des Européens prendra des mesures pour améliorer
leur condition.
Dans les familles, quand le nombre des filles excédait de
beaucoup celui des garçons, on a su que la mère , frustrée
dans son attente, avait sacrifié ses enfans du premier sexe.
Une fille de Pomare nous assura que tel aurait été son sort
664 PIECES JUSTIFICATIVES.
sans l'autorité de son père qui s'y opposa ; et une femme de
Rangui-Hou , bien connue des missionnaires, fit successive-
ment périr trois enfans du sexe féminin au moment même
qu'ils venaient au monde.
Cet acte barbare s'opère par la mère elle-même qui enfonce
son doigt dans la partie du crâne nommée \a fontanelle sur l'en-
fant nouveau-né , et cause ainsi sa mort d'une manière immé-
diate
Bien que l'infanticide ait lieu lorsqu'il y a excès de filles ,
pourtant dans leur manière d'élever les enfans, dans la ten-
dresse remarquable et les soins attentifs que leur prodiguent
les parens, on n'a jamais observé de leur part aucun exemple
de partialité pour le sexe; mais comme les hommes constituent
la force et l'importance d'une tribu , la naissance d'un garçon
est saluée avec orgueil et ravissement par la communauté; il
reçoit le nom d'un oiseau, d'une rivière, d'une île, ou bien
de quelque partie du corps humain ; son front est orné d'une
guirlande des baies rouges d'un arbre nommé kara-manga ,
qui passe pour posséder des vertus particulières, et les person-
nes de sa tribu profèrent sur lui des prières, afin qu'il soit
fort , agile à la course et invincible au combat. L'enfant n'est
pas plutôt sevré qu'une grande partie de son éducation est dé-
volue aux soins du père; il apprend à passer ses bras autour
du cou de son père, et à rester ainsi des journées entières, en-
dormi ou éveillé, suspendu aux épaules et recouvert de la
natte de son père, et il en devient le compagnon fidèle dans
ses plus longs voyages ou dans ses occupations les plus péni-
bles. Si l'enfant est un garçon , dès l'âge le plus tendre on lui
enseigne l'usage des armes, la danse de guerre, comment il
faut manœuvrer une pirogue et réciter le chant qui accompa-
gne cette manœuvre, il apprend enfin à suivre son père et à l'ai-
der dans ses excursions. Le premier succès du jeune homme à la
guerre est considéré comme un heureux présage de ce qu il
fera par la suite. Dipiro , fils de Shongui , pour avoir tué
d'un coup de fusil un homme au cap Nord, avant d'avoir at-
PIECES JUSTIFICATIVES. 665
teint sa quatorzième année, avait acquis une grande influence
dans sa tribu.
La pluralité (les femmes parmi les chefs est générale; mais
il y a une distinction décidée entre la principale femme et les
autres. L'union d'un chef avec sa principale femme est politi-
que : elle est la fdle d'un chef, sinon supérieur, au moins égal
pour le rang à l'homme qu'elle épouse; et le fruit de cette union,
quant au droit d'hérédité, a le pas sur les enfans des autres
femmes, qui ne sont guère que des servantes, par rapport à
cette première femme. L'ordre de succession marche du frère
au frère et retourne au fils aîné du frère aîné. Les femmes in-
férieures sont souvent choisies parmi les prisonnières de guerre;
mais dans ce cas leur flétrissure disparaît devant le rang du
mari, et les enfans naissent rangatiras ou gentlemen.
L'infidélité dans la femme d'un chef est quelquefois punie
par la mort des deux coupables ; mais il y a bien des cas où le
grand pouvoir du père de la femme a empêché le mari de se
porter à cette extrémité.
Dans le cas d'une mort violente ou prématurée pour le mari,
c'est la coutume du pays que la femme principale se pende.
Les naturels nous ont désigné et nous ont fait observer comme
des lieux sacrés ceux où ce dernier témoignage de dévoûmenl
conjugal eut lieu de la part de la femme de Doua-Tara , sous
la protection immédiate de qui les missionnaires s'établirent
pour la première fois à la Nouvelle-Zélande, et de la part de
la femme du frère deTepere, qui fut tué dans une bataille près
de YVangaroa.
Lorsqu'un chef conçoit quelque goût pour une femme, les
inclinations de celle-ci sont rarement consultées. On a vu des
cas où la femme a été enlevée avec une violence brutale par
son futur et avec une résistance apparente de la part de ses pa-
rens; mais un arrangement amical ne tardait pas à suivre cette
action. Même pour le choix de la femme principale, le con-
sentement seul du père suffit.
D'après tout ce que nous avons pu apprendre de leurs guer-
666 PIECES JUSTIFICATIVES.
rcs, rarement il y a un combat en règle et de quelque durée
entre les deux partis, ni de grandes preuves d'un courage
personnel. Le parti surpris est celui qui a le dessous ; et il n'est
pas de fatigues ni de privations que ces peuples ne puissent
souffrir avec résignation pour tomber à l'improvislc sur leurs
ennemis quand ils ne sauraient leur résister.
Les naturels de Rangui-Hou nous décrivaient un jour une
attaque heureuse qu'ils firent contre une tribu du cap Nord,
de laquelle ils allaient tirer vengeance du meurtre commis sur
la personne d'un des leurs : ils dirent qu'ils arrivèrent avec
le jour dans leurs pirogues au pied du pâ ennemi; mais ils fu-
rent découverts par les babitans qui descendirent au bas de la
colline pour leur demander qui ils étaient et ce qu'ils dési-
raient. Alors ils s'annoncèrent pour des étrangers qui avaient
beaucoup souffert du mauvais temps et que la nécessité avait
contraints de chercherun abri et l'hospitalité sur leurcôte. Les
habitons du cap Nord, d'abord défians, ne furent rassurés que
lorsque leurshôtes eurent montré différens articles de commerce
qu'ils commencèrent à échangercontre des provisions; cepen-
dant ceux -ci ne purent trouver l'occasion de mettre leur pro-
jet à exécution, qu'après avoir continué pendant quelque temps
leur commerce et lorsqu'on leur eut préparé des vivres pour
leur déjeuner. A la fin , à un signal convenu , ils tombèrent sur
les malheureux qui les recevaient sans défiance, et en tirèrent
une ample vengeance.
Tel est le caractère général de leurs guerres ; cependant il y
a eu diverses exceptions. Les naturels de la baie des Iles atta-
quèrent ouvertement un chef de la côle occidentale, qui les mit
en déroute. Le carnage fut très-grand : plusieurs des frères de
Shongui furent tués, et la tribu de Wiwia, frère aîné de Hie-
toro, fut presque entièrement exterminée. Mais dans ces der-
niers temps la supériorité des tribus de la baie des Iles et des
environs, due à la quantité d'armes à feu que leurs membres
possèdent, a fait trembler le reste des habitans et les a rendus
la terreur et le fléau de la Nouvelle-Zélande. Chaque printemps
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 667
ils préparent une expédition pour aller ravager leurs ennemis.
Ils sont continuellement les agresseurs, et jamais ils ne sont at-
taqués chez eux. En effet, bien qu'il ne se passât pas une se-
maine sans qu'ils vinssent nous raconter que quelque puissant
chef allait tomber sur eux pour les envahir, et qu'on fît toute
sorte de préparatifs pour le repousser; toutefois, après avoir
recueilli tous les renseignemens possibles, le fait était qu'au-
cune démarche hostile n'avait été dirigée contre eux durant
tout notre séjour, à moins que ce ne soit lors de la bataille de
Kai-Tara, qui eut, dit-on, lieu quelques jours avant notre
départ. D'ailleurs le rapport qui nous en fut fait n'avait pas
tous les caractères de l'authenticité.
Il est vraiment surprenant à quelle distance ces naturels s'é-
loignent de chez eux et combien de temps ils peuvent rester
absens dans leurs excursions guerrières. Pomare était parti pour
une de ces expéditions avant notre arrivée à la Nouvelle-Zé-
lande, et à l'époque de notre départ l'on ne savait pas où il
était. Quand le schooner le Prince- Régent était à la rivière
Tamise, les habitans nous dirent qu'ils l'avaient vu; mais que
depuis long-temps il était parti pour le sud. Quoique sa tribu
semble avoir marché seule dans cette circonstance, en général
ces expéditions se composent des forces réunies de trois ou
quatre chefs. Chaque chef est absolu dans sa tribu , et chaque
tribu est indépendante des tribus voisines.
Jusqu'à présent les armes à feu entre les mains des Nou-
vcaux-Zélandais ne sont pas en général très-dangereuses : ils
s'en servent très-maladroitement, ajustent rarement leur objet,
à moins d'en être tout près, et perdent un temps considérable
à choisir le lieu et le moment favorables pour tirer. Nous les
avons vus , pour tuer un pigeon ( oiseau très-familier à la Nou-
\elle-Zélande), grimper sur l'arbre où il était posé, avec une
précaution et une adresse qui leur sont particulières, et appro-
cher le bout du canon à un pied de l'oiseau, avant de faire
leu. Leurs armes sont essentiellement mauvaises, et les ressorts
en sont détestables; car les baleiniers les apportent unique-
G 08 PIECES JUSTIFICATIVES.
ment pour les vendre. En outre, leur ignorance touchant la
manière d'en prendre soin et l'humidité de leurs maisons, les
mettent bientôt hors d'état de servir. Enfin, quoique jaloux à
l'excès de se procurer de la poudre, ils ne songent guère aux
balles et emploient des pierres à la place. Quelleqùe soit, du reste,
leur maladresse à se servir de ces armes, telle est la terreur gé-
nérale qu'inspirent leurs effets, qu'aujourd'hui la force d'une
tribu dépend, a leurs yeux, moins du nombre de ses guer-
riers que de celui des mousquets qu'elle peut présenter. Quand
Poro entra sur le district de Georges, son peuple frappé d'é-
pouvante représenta l'ennemi comme ayant douze mousquets ;
et le nom de Koro-Koro, que l'on sait posséder cinquante de
ces armes, n'est prononcé qu'avec terreur à deux cents milles
de la baie des Iles.
Dans cette partie de Pile, les pas ou forteresses ont été bien
abandonnés ou négligés depuis l'introduction des mous-
quets. Les armes primitives du peuple étaient le merc ou un
court casse-tête qu'ils portaient à la ceinture , la lance qui
était longue et pointue aux deux bouts , le patou-patoit ou
hache de combat en bois, et un long casse-tète en os de ba-
leine et curieux par son travail, mais très-rare parmi eux ; ces
armes ont cessé d'être estimées comme moyens de défense.
Maintenant ils attachent la baïonnette , la hache et la hachette
au bout d'un bâton, mais leur grande confiance repose sur le
mousquet.
La plus grande pirogue de guerre que nous ayons vue
avait quatre-vingt-quatre pieds de long, dix pieds de large
et cinq de profondeur, et appartenait à Tareha , de la tribu
de Shongui. Elle était construite avec un seul tronc de koudi
creusé, et surmontée de planches de deux pieds de hauteur
solidement attachées au corps de la pirogue avec des morceaux
de chanvre qui servaient à les maintenir ensemble. Les coutu-
res étaient garnies avec du jonc pour empêcher les voies
d'eau. A l'avant comme à l'arrière s'élevait un pieu de quinze
pieds de hauteur couvert de bas-reliefs peints en rouge et dé-
PIECES JUSTIFICATIVES. Gfi9
coré d'une quantité do plumes noires ainsi que les eûtes de la
pirogue.
Le chef, assis sur l'arrière , gouvernait la pirogue que fai-
saient mouvoir les forces réunies de quatre-vingt-dix hommes
nus. peints eï ornes déplumes; trois autres , debout sur des
bancs, réglaient les coups des pagaies , en répétant avec des
gestes violens une chanson que chacun de ceux de la pirogue
accompagnait. La pirogue , mue avec une étonnante rapidité,
laisait jaillir avec force l'eau de chaque côté; et nous avons
observé d'autres pirogues de guerre qui traversaient la baie des
Iles sans danger, par des temps où l'on eût regardé comme
imprudent d'exposer les canots du navire à la mer.
La consomption, de violens rhumatismes et les maux d'yeux
semblent être les maladies régnantes à la Nouvelle-Zélande;
plusieurs naturels meurent d'inflammation des poumons ou
des entrailles. Mais quoiqueTeperenous ait dit que, quelques
années auparavant , une fièvre contagieuse eût emporté un
grand nombre d'individus de sa tribu, nous ne pûmes observer
rien de semblable.
L'aspect du pays, dans les parties que nous avons visitées,
excepté à Kidi-Kidi et sur le bord occidental de la rivière
Tamise, est en général montueux et richement varié de bois
qui sont toujours verts. Ces bois sont rarement très-étendus,
et les terrains intermédiaires et découverts sont revêtus de
broussailles et de fougères; mais il doit s'y trouver des plantes
nourrissantes , puisque les bestiaux que nous apportâmes s'y
engraissèrent. Il y a très-peu d'herbe naturelle; l'eau «st
abondante et extrêmement bonne. Les naturels cultivent les
terres basses et boisées, où le sol est excellent ; ils ne s'occu-
pent jamais de défricher un sol qui serait ingrat. Leur unique
instrument pour l'agriculture est la pioche en bois; contens
du produit des morceaux de terre naturellement labourables
qui se trouvent disséminés sur leurs districts , les naturels sup-
pléent au déficit de leurs vivres avec du poisson et de la racine
de fougère. Il y a une grande variété d'oiseaux que l'on tue
670 PIECES JUSTIFICATIVES.
rarement, excepté pour leurs plumes, comme on l'a déjà ob-
servé; il n'y a point d'autres quadrupèdes que le chien et le rat;
il n'y a point de reptiles. Le cochon , jusqu'aujourd'hui le seul
animal importé chez ces peuples, et qui leur a été laissé par
différentes personnes qui ont visité l'île, a beaucoup multi-
plié ; mais ils ne suffisent pas encore aux demandes des navires
baleiniers. L'avidité de ces insulaires pour se procurer des ar-
mes à feu surpasse toutes les bornes de la prudence : vingt co-
chons, peut-être tout ce que possédait la tribu, ont été livrés
pour un mousquet qui ne valait pas dix schellings.
On a publié un vocabulaire de leur langage , tous leurs mots
se terminent par des voyelles et ne sont difficiles ni à appren-
dre, ni à prononcer. Quelques-uns de nos hommes le parlaient
assez bien avant de quitter la Nouvelle-Zélande. Pour échan-
tillon de son harmonie générale, nous allons donner la prière
suivante, que les naturels adressent au vent quand ils sont
surpris par le calme à la mer.
01] ii» noui, -.'.1)11» roa
Sljou pou, £ibi-iiibi.
ilibia tau pai baro
«Liti, parera rrra
ftokoia, Ijomai te sljait.
On a vu par ce journal que durant un séjour de dix mois
à la Nouvelle -Zélande des relations constantes ont eu lieu
c»tre les hommes du navire et les naturels , et que diverses
personnes exécutèrent des excursions dans l'intérieur et le
long de la côte, sans aucunes suites fâcheuses. D'après mon
expérience personnelle, c'est une justice que je dois aux
Nouveaux- Zélandais d'ajouter mon témoignage particulier
en faveur de leur caractère. Deux officiers du détachement
du 84e régiment étant pourvus d'un canot particulier con-
duit par deux soldats, et ayant beaucoup moins de motifs
pour les retenir à bord qu'aucune autre personne du Dro-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 671
mcdary, liront diverses parties de chasse ou promenades dans
le pavs, qui les mirent en rapports journaliers avec les naturels
qui se montraient toujours disposés «à les assister dans le moin-
dre de leurs désirs. Quand le mauvais temps ou d'autres rai-
sons nous obligeaient à. chercher un abri ou des vivres chez
eux, un appel à leur hospitalité ne fut jamais fait en vain.
Sans cesse à leur merci , s'ils eussent voulu nous maltraiter,
jamais au contraire une seule insulte ne fut faite à personne
de notre petite réunion; jamais la moindre bagatelle ne fut
dérobée, et nous éprouvâmes souvent de leur part des actes de
générosité et de désintéressement qui eussent fait honneur à un
peuple civilisé.
La destruction du Boyd prouve à quels excès ils peuvent
être amenés par l'avarice et de mauvais traitemens. Mais si dans
cette circonstance ils satisfirent à ce désir de vengeance qu'ils
regardent avec vanité comme inhérent à leur nature et héré-
ditaire dans leurs tribus, il faut convenir aussi que depuis cette
époque différons maîtres et équipages de navires ont commis
sur eux de grands outrages qui n'ont été suivis d'aucunes re-
présailles. Cette patience de leur part peut s'attribuer à ce
qu'ils sont maintenant convaincus qu'il serait impolitique et
dangereux pour eux d'insulter un peuple qui doit leur inspirer
l'idée d'un pouvoir infiniment supérieur au leur, eu égard au
grand nombre de vaisseaux qu'il peut envoyer sur leurs côtes.
On leur a toujours persuadé que bien que le massacre de l'é-
quipage du Boyd soit resté impuni, un autre attentat sur les
blancs serait suivi du châtiment le plus prompt. Tant qu'ils
seront convaincus, comme ils l'étaient par la force numérique
du Dromedary, qu'il y a une force capable de punir un ou-
tuige, il est raisonnable de penser, d'après ce que nous avons
nous-mêmes éprouvé, que les Européens pourront aller en sû-
reté parmi eux; confier leurs personnes et leurs propriétés à
l'honneur de ces peuples, et par une conduite amicale et une
libéralité modérée s'assurer de leur part les dispositions les plus
bienveillantes.
r.72 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
VOYAGE
DE M. DUPERREY.
Le lieutenant de vaisseau Duperrey, de la marine
française , commandant la corvette la Coquille , parut
à la baie des Iles le 4 avril 1 824 , et y passa quinze jours
au mouillage. Durant cette relâche, il y eut des rap-
ports continuels et de la nature la plus amicale entre
les Français et les naturels, et plusieurs officiers firent
une excursion intéressante jusqu'à Kidi-Kidi, station
principale des missionnaires anglais sur ce point. Sans
doute M. Duperrey a réuni de curieuses observations
sur les Nouveaux-Zélandais , et il nous en fera peut-
être part dans la publication de son Voyage. Par mal-
heur cette publication n'est pas très-avancée, et tout
annonce que la partie relative à la Nouvelle-Zélande
sera encore long-temps attendue. J'ai donc été con-
traintde renoncer à citer au nombre de mes Pièces jus-
tificatives les observations de M. Duperrey, comme
je l'ai été pour celles de M. Freycinet à l'égard de la
Nouvelle-Hollande. Je faisais partie de l'expédition de
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 673
la Coquille, et à cette même époque je m'occupai sans
relâche de recueillir des documens sur les mœurs des
Nouveaux-Zélandais. Lechef Touai , qui parlait assez
couramment l'anglais, et qui m'était sincèrement atta-
ché, me fut alors d'une grande •tilité, et passa souvent
des journées entières renfermé seul avec moi dans
ma cabane pour répondre à mes questions , avec
une extrême complaisance et une intelligence remar-
quable. Je dois aussi des renseignemens utiles à
M. Kendall, le seul des missionnaires qui se soit oc-
cupé de recherches scientifiques. Ce sont ces divers
matériaux, vérifiés pour la plupart dans mon voyage
de 1827, que je donne en partie dans ce volume sous
le titre d 'Observations personnelles, et que l'on a déjà
trouvés en substance dans mon Essai sur la Nou-
velle-Zélande.
Observations personnelles.
Les tours que les Européens ont si souvent joués aux Nou-
veaux-Zélandais , la manière honteuse dont la bonne foi de
ces hommes a été cent fois surprise par les baleiniers, les ont
rendus singulièrement défians dans leurs marchés. Avant de
conclure un échange de quelque importance, ils examinent
long-temps les objets qu'on leur présente ; la moindre marque
dans une hache, quelque différence de couleur et de grosseur
dans le grain de la poudre et dans les armes suffisent pour les
leur faire refuser. Jamais ils ne voulurent prendre en échange
les mousquetons de la Coquille à cause des capucines qui ,
disaient-ils, les empêchaient de viser juste. Parmi les dupe-
ries piquantes que ces naturels avaient éprouvées de la part des
tome ni. 43
(>7i PIÈCES JUSTIFICATIVES.
baleiniers, Touai me dit un jour que ces aventuriers, non
contens de leur apporter des poudres avariées, y avaient sou-
vent mêlé des graines de chou , et que les insulaires étaient
restés aussi confondus qu'indignés en voyant qu'elles ne pre-
naient point feu.
Ces hommes si cruels, « sanguinaires envers leurs ennemis,
sont susceptibles des sentimens les plus tendres, et l'on pour-
rait citer une foule de traits touchant leur attachement et leur
dévouement à l'égard de leurs parens et de leurs amis.
Quoiqu'il y eût près de neuf mois écoulés depuis que la veuve
de Koro-Koro avait perdu son mari, lorsque quelques offi-
ciers de la Coquille allèrent lui rendre visite, ils trouvèrent
cette femme dans sa cabane, livrée à la douleur, aux larmes,
et dans un état de désespoir semblable à celui qu'a souvent
décrit M. Marsden. Ces officiers ont assuré que c'était un spec-
tacle vraiment digne de pitié, d'autant plus qu'il ne parais-
sait pas y avoir d'affectation dans la conduite de cette mal-
heureuse femme.
Taï-Wanga se trouvait dans le même canot que moi lorsque
nous rencontrâmes les pirogues de Shongui, et qu'il revit ses
parens et amis après une absence de quinze à dix-huit mois.
Je tenterais en vain de décrire les preuves d'affection et de sen-
sibilité que donna en cette occasion ce pauvre garçon. Durant
plus d'une heure son cœur resta gonflé d'émotion , et des lar-
mes d'attendrissement coulaient de ses yeux.
Touai m'a cité l'exemple de quelques chefs qui s'étaient
tués de désespoir à la mort d'une femme tendrement chérie,
et de la part de la femme la chose est encore plus fré-
quente.
Il suffit qu'un ornement ou un objet quelconque leur vienne
d'un ami ou d'un parent pour qu'ils y attachent le plus grand
prix. Il m'est souvent arrivé de marchander des dents de re-
quin qu'ils possédaient à ce titre, et quelque séduisantes que
fussent mes offres pour eux, jamais je n'ai pu les déterminer
à s'en dessaisir. Ce peuple singulier est outré dans tous ses
PIECES JUSTIFICATIVES. 675
senlimens, et porte tout à l'excès, son amour et son dévoue-
nu'ut comme sa haine et sa vengeance.
Lorsque le navire le Cossack fit naufrage à l'embouchure
de la rivière Shouki-Anga, loin de profiter de leur avantage
pour opprimer les Européens , les habitans de la rivière eu-
rent pour eux toutes sortes d'attentions, et leur procurèrent
des pirogues et des esclaves pour transporter leurs provisions
lorsqu'ils voulurent se rendre à la baie des Iles. En retour les
chefs se contentèrent de tous les objets que le capitaine du
navire voulut bien leur abandonner.
Shongui, qu'on doit plutôt prononcer Chongui , était le
chef suprême de la tribu de Kidi-Kidi , plus connue sous le
nom de Ngapouïs , et le rangatira le plus puissant de ceux qui
habitent la baie des Iles. Malgré ses longues communications
avec les missionnaires, malgré un voyage en Angleterre, il
ne renonça à aucune de ses cruelles pratiques , et se montra
toujours également vindicatif, également féroce. Du reste
c'était un fort bel homme, plein de dignité, mais dont le re-
gard annonçait la fausseté et la méchanceté : son nom devrait
s'écrire E'ongui-lka , qui signifie littéralement salut poisson,
par allusion sans doute au poisson qu'adorent les Nouveaux-
Zélandais.
Instruit par les traitemens que les baleiniers avaient sou-
vent fart éprouver à d'autres chefs, Shongui, plein de défiance
pour ces étrangers, ne se rendait ordinairement à bord de
leurs navires qu'accompagné paraune suite imposante. C'est
ainsi qu'il vint nous rendre visite sur la Coquille; il était monté-
sur une de ses plus grandes pirogues de guerre , entouré de ses
principaux officiers et de ses plus braves guerriers, tous ar-
més et prêts à le secourir en cas de danger. On lui offrit un
logement commode pour la nuit, mais il n'en voulut pas, et
préféra camper en plein air avec sa suite sur la plage voi-
sine.
Bien que le père de Shongui fût aussi rangatira , il n'ap-
partenait pas cependant aux premiers rangs de sa tribu , et
4 V
676 PIECES JUSTIFICATIVES.
c'était principalement à sa bravoure personnelle que son fils
avait dû sa puissance et son influence sur toutes les tribus du
nord d'Ika-Na-Mawi. A ses fonctions de premier cbef il avait
d'ailleurs uni celles de prêtre et de prophète, et cela avait
acheva de lui concilier la considération publique. Il avait
même fait un pèlerinage à la Caverne-Sacrée , près du cap
Reinga, et à son retour il avait, dit-on, institué des cérémonies
jusqu'alors inconnues à ces peuples.
Néanmoins Touai, en parlant de lui, ne manquait jamais
de rappeler que la famille de Shongui était moins ancienne
(pie la sienne , et il reprochait en outre à son rival quelques
petites faiblesses, surtout celle de ne marcher aux combats
qu'avec la cotte de mailles et le bouclier donnés par le roi
Georges à Shongui, tandis qu'an brave guerrier ne doit avoir
d'autre bouclier que sa lance.
Shongui ne voulut jamais se rendre aux efforts des mis-
sionnaires pour l'engager à adopter le christianisme. Il mé-
prisait une religion dont l'esprit et les dogmes contrastaient
d'une manière si extraordinaire avec les idées qu'il avait
nourries depuis son enfance touchant la gloire et les honneurs
dont l'esprit de l'homme était susceptible dans ce monde
comme dans l'autre. Il ne tolérait ces étrangers que pour les
services qu'ils pouvaient lui rendre dans les arts mécaniques;
depuis long-temps surtout il avait témoigné le désira M. Mars-
den d'avoir un armurier pour réparer ses mousquets et les en-
tretenir en bon état. M. Glarke, que nous transportions en
1824 avec sa famille à la baie des Iles, avait été annoncé à
Shongui à ce titre. En effet, le premier métier de M. Clarke
avait été celui d'armurier et de serrurier; mais, dans sa nou-
velle condition de missionnaire, il avait pris un ton et des
prétentions bien au-dessus de celles d'un simple ouvrier, et je
\ is bien qu'il ne se ravalerait jamais à ses premières fonctions.
Shongui qui se faisait une fête de le recevoir eut lui-même
assez de jugement pour en tirer la même induction la première
fois qu'il le vit, et le chagrin qu'il éprouva de voir encore une
PIECES JUSTIFICATIVES. fi77
fois ses espérances renversées rendit un peu froid l'accueil qu'il
lit à M. Clarke. ■ C'était un bon ouvrier que je voulais, dit
» Shongui, et non pas un ariki de plus; j'en avais déjà trop. »
Pins raisonnable que ses collègues , M. Kcndall s'était con-
cilié l'atFection de Shongui et de tous les Zélandais en vivant
au milieu d'eux sans défiance, et en remettant à leur disposi-
tion tous les outils qui pouvaient leur être utiles. En outre,
il me parut avoir, à l'égard de leur conversion, des idées bien
plus saines que ses collègues. Il soutenait que le temps n'é-
tait pas encore venu d'en faire des chrétiens ; que tou-
tes les importunités des missionnaires ne servaient qu'à en-
nuver les insulaires, et qu'on devait pour le moment se borner
à gagner leur confiance, à apprendre leur langue, et à leur
faire voir peu à peu le ridicule et l'abus de leurs coutumes.
Enfin M. Kendall était le seul jusqu'alors qui se fût occupé de
recueillir des doeumens sur ce peuple extraordinaire ; sous
ce rapport on doit regretter qu'il n'ait pas pu prolonger son
séjour dans ces contrées.
M. Kcndall était lui-même fort attaché à Shongui, dont il
faisait constamment l'éloge, en affirmant que hors du champ
de bataille c'était le meilleur homme du monde, Un jour que
nous parlions ensemble du caractère de ce rangatira célèbre,
comme j'étais peu disposé à croire tout le bien que m'en di-
sait M. Kendall , pour preuve de la férocité naturelle et réflé-
chie de Shongui, je citai l'affreux trait de barbarie rapporté
par les missionnaires même de Kidi-Kidi. M. Kendall répli-
qua que cet événement avait été raconté d'une manière peu
exacte : Shongui n'avait jamais eu le dessein de sacrifier ces
malheureux captifs; mais sa belle-fille, dont l'époux avait
péri dans le combat , après avoir accablé son beau-père de re-
proches , lui demanda le sang des prisonniers. Sur son refus,
cette femme impitoyable, assistée d'un ou deux de ses parens ,
alla elle-même mettre les prisonniers à mort durant la nuit.
M. Kendall ajoutait que Shongui fut très-contrarié de cet évé-
nement. Ce missionnaire me répétait souvent que ce chef était
67 8 PIECES JUSTIFICATIVES.
celui auquel il se fierait le plus volontiers , et que plus d'une
fois il avait eu occasion de reconnaître la sincérité de son atta-
chement et la solidité de ses sentimens.
Quoique Touai se fût donné beaucoup plus de soins que
Shongui pour imiter les manières et la tournure des Euro-
péens, au fond il n'avait pas mieux profité de son voyage
en Angleterre, sous le rapport des principes. Il était tout aussi
adonné qu'aucun de ses compatriotes aux goûts , aux coutu-
mes et aux superstitions de son pays. Plus adroit seulement,
plus insinuant et plus jaloux de faire sa cour aux Européens,
Touai prenait un grand soin de déguiser sa conduite et ses sen-
timens sous des dehors de civilisation, et ce sauvage possédait
parfaitement la sagacité convenable à un courtisan de pro-
fession. Aussi, durant notre séjour sur la baie de Paroa ,
nous n'eûmes qu'à nous louer de ses procédés et même de ses
prévenances. Toujours guidé par son unique mobile, il espé-
rait obtenir de nous beaucoup de poudre et de fusils. Quant à
Titari, son compagnon , lorsque je lui en demandai des nou-
velles, Touai me répondit que c'était un mauvais sujet; qu'il
avait commis un crime et qu'il avait été obligé de le bannir de
la tribu. Sans être bien sûr de la nature de ce délit, il me pa-
rut que ce devait être un vol.
Touai avait tellement acquis les manières européennes, que
la première fois qu'il se présenta à bord dans ses vêtemens de
gentleman et m'adressa la parole, je le pris pour un Anglais
qui s'était établi à la Nouvelle-Zélande et qui s'était fait ta-
touer, comme cela arrive quelquefois. Je dois convenir que ce
chef ne cessa de déployer, pour toutes les personnes de la Co-
quille, une complaisance infatigable. Capitaine, officiers et
matelots, tous n'eurent qu'à se louer de lui; et j'ai souvent ad-
miré le tact et la finesse dece naturel pour apprécier ceux à qui
il avait affaire et saisir les moyens d'être bien accueilli de tous.
Dans la langue des Nouveaux-Zélandais le véritable nom
d'un esclave ou prisonnier était tao reka-reka, et d'un servi -
leur warî. Aujourd'hui ils sont plus fréquemment désignés sou$
PIECES JUSTIFICATIVES. 07 o
le nom de kouài, qui est une corruption du mot anglais cook
cuisinier; parce que l'emploi principal des esclaves e.st de pré-
parer la nourriture de leurs maîtres et de faire cuire leurs ali-
mens. Ces malheureux m'ont paru être traités assez doucement
et sont quelquefois dévoués sincèrement à ceux qu'ils sont obli-
ges de servir. Du reste, l'autorité des maîtres à l'égard de leurs
esclaves est absolue , et ils ont sur ces derniers droit de vie et de
mort. Quand je demandais à Touai ce qu'on ferait à un ran-
gatira qui tuerait un esclave sans motif, il convenait qu'on ne
lui ferait rien; mais il ajoutait que ce serait une mauvaise
action et que ce motif seul empêcherait de la commettre. Un
des chefs de la baie des Iles me montrait un jour un de ses es-
claves accroupi à ses pieds et attendant ses ordres en silence,
et ce chef racontait avec orgueil que son esclave avait été jadis
un des guerriers les plus distingués du Shouraki. En effet, cet
infortuné portait sur sa figure toutes les marques exclusive-
ment affectées aux rangs distingués, et je ne pus m'empêcher
de le plaindre de n'avoir pas été dévoré sur le champ de ba-
taille, comme ses confrères, plutôt que d'avoir été réduit à la
honte de servir son ennemi triomphant.
Les guerriers mènent ordinairement leurs esclaves à la guerre
pour transporter leurs provisions et préparer leurs vivres :
quelquefois même ils leur donnent des armes pour combattre.
Touai me montra un de ses esclaves qu'il avait ramené de la
baie Witi-Anga. Au lieu de le tuer, comme c'est assez la cou-
tume, il lui avait donné la vie, et quelque temps après la li-
berté, et même une femme pour vivre avec lui. Quoique cet
homme fût rangatira dans sa patrie, il s'était sincèrement atta-
ché à Touai ; c'était son homme d'affaires pour tous les marchés
à conclure avec les Européens, et il accompagnait son maître
aux combats. Touai me fit entendre qu'il serait désormais sans
considération dans sa propre tribu , et c'était ce motif qui l'a-
vait ainsi attaché aux intérêts de Touai.
On doit faire observer que les égards et les préférences que
les navigateurs ont témoignés, sans le savoir, à des esclaves ou
680 PIECES JUSTIFICATIVES.
à des hommes du peuple en présence et au préjudice des chefs,
ont été souvent des motifs de jalousie et d'indignalion pour
ceux-ci ; car ces insulaires sont très-fiers de leur rang et de leurs
prérogatives, et tout attentat contre ces droits serait pour eux
une de ces insultes graves que le sang seul peut payer. Les es-
claves qui n'ont rien à perdre et qui n'ont qu'à gagner en ces cir-
constances, sont presque toujours les premiers à se livrer aux
étrangers et à leur montrer des égards et des prévenances qui
leur méritent la reconnaissance de leurs hôtes. C'est donc avec
les esclaves ou avec les gens du peuple que les Européens for-
ment d'ordinaire leurs premières relations, ce qui manque ra-
rement d'indisposer les chefs. La même chose à peu près aurait
lieu chez nous si des personnes d'un rang élevé , allant visiter
un palais ou un château , faisaient beaucoup d'amitiés aux do -
mestiques et les comblaient de présens, sans avoir égard ni
faire attention aux maîtres de la maison. C'est un inconvénient
d'autant plus difficile à éviter pour les navigateurs, que sou-
vent les esclaves ne sont distingués des chefs par aucune mar-
que extérieure; mais il donne l'explication de procédés qui
ont souvent paru surprenans et bizarres de la part des chefs
des nations sauvages.
La conduite des hommes de l'équipage est encore souvent
un grand sujet de discorde entre les navigateurs et les tribus
sauvages; quelque surveillés qu'ils soient, quelque recom-
mandation qu'on leur fasse, ces hommes sont persuadés que
les sauvages sont faits pour obéir à toutes leurs volontés , pour
céder à tous leurs caprices , et le plus souvent ils agissent con-
formément à cette opinion. C'est un fait que je n'ai eu que
trop d'occasions de remarquer, et qu'il est encore très-difficile
de prévenir, si les officiers n'ont pas constamment les jeux sur
les actions des matelots; car cette classe, sans être cependant
ni méchante ni cruelle , est généralement peu disposée à
écouter la voix de la raison et des sentimens. Dans ce cas , le
mieux estde diminuer, autantque possible, les rapports des ma-
telots avec les sauvages des îles où l'on se trouve en relâche.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. <;81
Pour remplacer les matelots morts ou déserteurs, ou pour se
procurer un renfort de bras utile à leurs opérations, les ba-
leiniers anglais ou américains ont souvent pris sur leurs navi-
res des sauvages de la Nouvelle-Zélande. En général, ces na-
turels ont été durement traités , et les blancs les regardent à
peu près comme des esclaves dont ils deviennent maîtres ab-
solus. Enfin, quand ils en ont tiré toutes sortes de services,
ils les abandonnent au premier endroit venu, sans ressources
et sans aucune sorte d'indemnité pour leurs longs services.
Chez ces peuples essentiellement guerriers, il est indispen-
sable que le chef puisse mener lui-même ses combattans au
champ de bataille. Ainsi dans la tribu de Kahou-Wera, près
de laquelle nous étions mouillés, Koro-Koro n'ayant laissé
qu'un fils à peine sorti de l'adolescence, son frère Touai
avait occupé depuis sa mort le rang suprême. Touai avait
pourtant un frère plus âgé que lui ; mais comme ce frère
était d'une santé chancelante, il avait lui-même renoncé
aux privilèges du commandement. Touai nous répétait sou-
vent qu'il allait partir pour la guerre, autrement ses con-
citoyens cesseraient d'avoir pour lui aucune espèce de consi-
dération , malgré les droits de sa naissance. Touai paraissait
lui-même disposé à remettre l'autorité suprême au fils de Koro-
Koro, dès que l'âge de celui-ci le lui permettrait.
Au sommet du pâ de Kahou-Wera , dans une petite case
destinée à cet usage, lorsque Touai était absent, se tenait
constamment un guerrier de confiance, un rangatira chargé
de surveiller tous les mouvemens qui se passaient aux environs.
Touai m'assura qu'en temps de guerre il ne pouvait guère s'en
écarter lui-même , et que c'était là son poste , comme autrefois
c'était celui du grand Koro-Koro. Quand j'allai avec lui visi-
ter son pâ, l'ariki Touao , son cousin , était de garde à la porte ;
il vint nous reconnaître avec sa lance à la main , escorté de
deux guerriers, et demanda de loin qui nous étions. Le chef
Touai lui répondit que c'était le rangatira para-parao du
vaisseau français. Ce mot para-parao veut dire qui commande ;
682 PIECES JUSTIFICATIVES.
ils désignent ninsi le lieutenant d'un navire européen , parce
qu'ils ont observé qu'il commandait plus souvent aux matelots
que le capitaine lui-même. D'ailleurs chez eux le rangatira
para-parao est ordinairement aussi le lieutenant militaire du
chef principal , le commandant spécial des guerriers.
Pour obtenir de Touai des détails plus positifs sur la céré-
monie du baptême , je profitai d'un moment où ce chef, re-
connaissant de quelques présens que je lui avais faits, me parut
mieux disposé que jamais en ma faveur, et prêt à répondre à
mes questions d'une manière plus satisfaisante que d'ordi-
naire. Je ferai observer que c'est une marche indispensable
à suivre pour quiconque voudra s'instruire avec quelque suc-
cès des coutumes et des opinions de ce peuple singulier, que
de procéder avec beaucoup de circonspection, de paraître en-
trer dans ses opinions, et même de les respecter et de les ad-
mirer jusqu'à un certain point , car ces hommes sont très-sen-
sibles au mépris et aux dédains des Européens, et par tous les
moyens possibles ils cherchent à se soustraire à des senthnens
aussi humilians pour leur vanité.
Au début de l'entretien, Touai ne cherchait qu'à éluder
mes questions, soit par un «je ne sais pas — I don't /enow,» assez
froid, soit en alléguant que ces cérémonies n'étaient que des
niaiseries bonnes seulement pour des sauvages, soit enfin en
prétextant que cela ne devait avoir aucun intérêt pour moi.
Bientôt, devenu plus complaisant, il répondait à mes ques-
tions, il est vrai, mais souvent il débitait tout ce qui lui pas-
sait par la tète , fort indifférent au fond à ce que ces documens
fussent vrais ou faux. Après l'avoir interrogé sur le baptê-
me , et lui avoir récité les mots attribués par la grammaire
à cette cérémonie, il répondit même d'abord qu'ils étaient
conformes à ce qu'on pratiquait en pareil cas. Enfin, pressé
de m'en donner la signification en anglais, comme j'étais sur-
pris de ne trouver aucun sens à sa traduction , il finit par con-
venir qu'effectivement ces mots ne signifiaient rien , et qu'il ne
savait pas où l'on avait pu les recueillir. Ce fut alors seule-
PIECES JUSTIFICATIVES. 68
•>
ment qu'après de nouvelles instances, il consentit à me don-
ner les paroles baptismales, telles du moins qu'on les avait
employées à la naissance de son fils , avec les rits qui furent
suivis dans cette cérémonie, car il est très-probable que ces
rits comme ces paroles varient de tribu à tribu, et peut-être
dans les familles de la même tribu, suivant le caprice des
arikis ou de ceux qui dirigent la cérémonie.
Cinq jours après la naissance de l'enfant, la mère , assistée
de ses amies et de ses parentes, le déposa sur une natte, et
cette natte est soutenue sur deux monceaux de bois ou de sa-
ble. Toutes les femmes , l'une après l'autre , trempent une bran~
cbe dans un vase rempli d'eau, et en aspergent l'enfant au
front. C'est en ce moment qu'on lui impose son nom; le nom
est une affaire sacrée pour ces peuples , et à leurs yeux il fait
en quelque sorte partie d'eux-mêmes.
Cependant ils en changent quelquefois pour perpétuer le
souvenir d'une circonstance, d'un exploit remarquable dans
leur vie. Ainsi en mémoire du lieu où périt de maladie Koro-
Koro , à Witi-Anga , à la suite d'un combat, son frère Touai
prit le nom de Kati-Kati , mais l'ancien a prévalu. Il est ar-
rivé le contraire à l'égard de Pomare, dont l'ancien nom
Wetoï était presque oublié, comme des chefs King-George et
Georges, dont les noms primitifs étaient inconnus des Euro-
péens, etc. , etc. Dans ces occasions, assurait Touai, il fallait
que la cérémonie du changement de nom fût consacrée par un
nouveau baptême.
Voici les paroles employées au baptême du fils de Touai ,
d'après sa propre diction et conformément à notre prononcia-
tion. Quant à la valeur de chacun des mots séparément,
je ne puis en répondre, car ce chef l'ignorait lui-même, et ne
pouvait distinguer les syllabes isolées de celles qui devaient être
réunies en un seul mot. D'ailleurs il arrive souvent que cer-
taines alliances de mots donnent au composé une valeur toute
différente de celle qu'ils ont par eux-mêmes :
684 PIECES JUSTIFICATIVES.
(tokou taaama. Que mon enfant
3 tôt Ijict. soit baptisé. j
Ai te parau>a. Comme la haleine, >
&\a bibi. puisse-t-il être furieux, \
itiu nçjoui' \)\a. puisse-t-il être menaçant.
iâo te tama. Qu'à cet enfant j
Met, kani. la nourriture soit fournie
<D toit. par l'Atoua, mon père.
Pour
la vie.
Pour
la mort.
\
fto ttnga no. Puisse-t-il se bien porter, / Pour
fjia ou tre. être content. S la vie.
lia waka teka. Puissc-t-il recevoir sa nourri- N, „
/ Pour
ture , ,
Êe kant, Ijia ou toe. quand ses os seront relevés. <
A l'aide du Vocabulaire, j'entends passablement les huit
premières lignes; il n'en est pas de même des quatre dernières,
et je suis obligé de m'en rapporter implicitement à la traduc-
tion que Touai me donna , moitié par mots anglais décousus,
moitié par signes et par gestes à défaut d'expressions suffisan-
tes pour rendre ses idées.
Quoi qu'il en soit, on voit que cette prière se compose de
deux parties distinctes, l'une pour l'état de vie, l'autre pour le
moment où l'individu sera réduit à sa' substance spirituelle.
Dans toutes ses actions, dans toutes ses cérémonies, ce peuple
singulier ne perd jamais de vue cet instant. Cette conviction
intime d'une existence future et de la gloire qui s'y rattache,
quand ils peuvent triompher de leurs ennemis, doit influer
pour beaucoup dans ce courage féroce, dans ce mépris sau-
vage de la mort qui les caractérise, car ils ne la redoutent
guère pourvu qu'ils soient assurés que leurs corps recevront
les honneurs funèbres.
La dernière ligne a trait à la cérémonie solennelle de re-
lever les os des morts. Voici en quoi elle consiste, ou du
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 085
moins ce que Touai vit dernièrement pratiquer aux obsèques
tic son frère, le fameux Koro-Koro.
Cinq mois après les funérailles, et souvent davantage, on
retire les os du tombeau où le corps avait été déposé pour les
placer définitivement dans la sépulture de la famille. Le plus
proche parent est ordinairement chargé de cette fonction, et
par son contact avec un corps taboue il devient nécessairement
tapou lui-même au degré le plus éminent. Tant qu'il se trouve
en cet état, personnc*ne peut le toueber, et si par mégarde ou
autrement quelqu'un venait à le faire , il serait tué sans pitié si
c'était un homme du néant, et son corps, comme tapou, serait
abandonné à la voirie. Un rangatira coupable de ce sacrilège
serait au moins exposé à être dépouillé de ses biens ou de son
rang.
Pour se purifier, voici maintenant ce que Touai fut obligé
de faire : de retour chez lui, il prit sur la tombe ou dans un
lieu taboue un morceau de bois qui reçoit alors le nom de pc-
poa (consacré). Devant l'ariki, il le posa solennellement à terre ;
l'ariki présenta à Touai une poignée de patates; celui-ci en
prit une qu'il déposa en contact avec le popoa , et l'y laissa
huit à dix minutes; elle était devenue tapou. Il la reprit, en
rompit un morceau qu'il jeta avec respect derrière lui. C'était
là la nourriture de l'atoua, de l'esprit du mort, auquel les
mots du baptême font allusion. Il remit ensuite le reste dans
la bouche du grand-prêtre, qui devait l'avaler sans y porter
les mains. Dès que la patate est devenue tapou par le contact
avec le popoa, celui-ci est relevé, déposé dans la bouche de
l'ariki , dont il est retiré peu après et jeté dans un lieu où il ne
soit exposé à tomber dans les mains de personne. Il est en-
core défendu à l'ariki de porter les mains à la seconde patate,
et il doit également la recevoir dans sa bouche. Enfin il prend
lui-même le reste, le mange, et alors l'homme taboue rede-
vient libre, et peut communiquer sans danger avec ses pa-
rens et ses amis.
Il est peu de nations sauvages où les hommes tiennent au-
686 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
tant qu'à la Nouvelle-Zélande à la fidélité , à la chasteté de
leurs femmes. Ces créatures que les premiers voyageurs rece-
vaient à bord de leurs navires, ou qu'on leur présentait dans
leurs promenades à terre, n'étaient le plus souvent que des es-
claves qui prodiguaient leurs faveurs pour obtenir quelques
cadeaux des étrangers, et le fruit de ces avances ne reste pas
même à ces malheureuses filles, tout appartient à leurs maîtres.
C'est ainsi que Touai et sa femme Ehidi ne manquaient jamais
d'appeler et de visiter chaque soir leur% esclaves pour s'em-
parer du produit de leur journée. Il était curieux de voir ces
filles , échos fidèles de leurs patrons, demander sans cesse pou-
dra (de la poudre). En général, elles étaient mieux que les
femmes mariées. Quant à celles-ci, il était rare qu'elles mon-
tassent à bord, et elles ne quittaient pas un instant leurs pa-
rens et leurs maris. Une fille libre peut cependant accorder
ses faveurs à qui lui plaît, pourvu que l'objet de son choix
soit digne de son rang, autrement elle dérogerait. Pour la
femme mariée, la mort est la punition de l'adultère. Cepen-
dant , quand elle appartient à une famille puissante que le
mari craint d'offenser, quelquefois il se contente de la ren-
voyer chez ses parens, et de ce moment elle redevient libre
de sa personne. Quand des Français adressaient à des femmes
de chefs des propositions galantes, elles étaient constamment
repoussées avec mépris, et même avec une espèce d'horreur
par les mots : JVahine ano, tapou — femme mariée, défendu.
Le village de Paroa ou Kahou-Wera, situé sur un monti-
cule au bord de la mer, se trouvait dans une position très-forte,
sur la pointe avancée d'une péninsule, et l'on ne pouvait y pé-
nétrer que par l'arête d'un coteau qu'il était très -facile de
défendre. Partout ailleurs ce pâ dominait des rochers escarpés;
sur les points les moins inaccessibles il se trouvait en outre dé-
fendu par une tranchée assez profonde et de fortes palissades
de douze ou quinze pieds de hauteur. Il me parut contenir en
1824 environ deux cents cabanes petites, basses, et munies
chacune d'une porte de deux pieds à peine en carré, telle-
PIECES JUSTIFICATIVES. G87
ment qu'on ne pouvait pénétrer à l'intérieur qu'en rampant
sur lés pieds et les mains. Une grande partie des guerriers de
ee pâ se trouvait, à cette époque, à la guerre sous les ordres
de Pomare, et Touai m'assura que leur nombre s'élevait à deux
cents environ, ee qui était sans doute exagéré. Kahou- Wera se
compose des deux mots kahou natte, et wera brûlé; Paroa,
des mots pâ fort, et roa grand. C'était en effet le plus grand
village de ces cantons.
Le Pihe est l'ode solennelle que chantent en choeur les guer-
riers, tantôt avant, tantôt après le combat, toujours auprès du
feu qui consume le repas de Dieu , Kaï-Atoua, et dans les cé-
rémonies funéraires. On peut dire que c'est le chant patrioti-
que et religieux des Zélandais; il paraît renfermer la base de
toutes leurs croyances mystiques. Touai était passionné pour
ce chant et ne le récitait jamais qu'avec une expression de phy-
sionomie et des transports qu'il serait impossible de décrire :
il était facile de voir que tout son être était vivement affecté;
et j'ai remarqué cet effet sur un grand nombre d'autres na-
turels.
C'en était assez pour exciter ma curiosité , et je puis assurer
que je ne négligeai rien pour obtenir l'interprétation du mys-
térieux Pihe. Mes efforts furent constamment inutiles; la pre-
mière fois je pris Touai dans ma chambre et le gardai au moins
trois heures pour le questionner. Quelques passages isolés
m'offrirent bien un certain sens; mais le tout ensemble était
décousu, incohérent et parfaitement inintelligible. Convaincu
que Touai seul ne pouvait satisfaire mes désirs, je voulus pro-
fiter peu de jours après d'une visite de M. Kendall pour réus-
sir dans mon projet; car Touai convenait lui-même» que ce
missionnaire entendait et parlait très-bien le zélandais. Je les
réunis donc tous les deux dans ma chambre, et M. Kendall
déploya toute la complaisance imaginable. Toutefois mon at-
tente fut encore frustrée, et je ne pus obtenir la traduction du
-<hant sacré.
M. Kendall paraissait ne pas bien comprendre les expliea-
G88 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
tions de Touai, et celui-ci de son côté semblait incapable de
donner la véritable signification de tous les passages du Pihe.
Peut-être que les allusions qui s'y rencontrent sont déjà trop
anciennes et que leur sens échappe à l'intelligence des moder-
nes insulaires. Sans doute j'éprouvais en cet instant l'inconvé-
nient qui s'offrirait à un Bramine ou à un sectateur de Fo qui
interrogerait la plupart des chrétiens pour obtenir le sens exact
de plusieurs des paraboles de l'Evangile. Au moins voici ce
que M. Kendall m'apprit relativement au sens général et aux
traits principaux de cette ode singulière.
D'abord le mol Pihe se compose de deux particules, pi qui
indique adhésion, connexion , et /*equi au contraire exprime
une disjonction, une scission violente. Ainsi le rapprochement
de ces deux mots pi he (Pihe) signifie séparation de ce qui est
uni ; ce mot composé a rapport au terme de la vie, à la mort,
époque à laquelle l'a me et le corps, ces deux substances intime-
ment unies durant la vie, se séparent avec effort au moment
du trépas.
Cette ode se compose de cinq parties assez distinctes : la pre-
A
mière a trait à la manière même dont l'^/oua^l'Etre-Suprème
a détruit l'homme, et à la réunion de la créature avec Dieu
opérée par cette action. De là on passe au cadavre, et ce sont
des plaintes sur sa destruction ; ensuite au sacrifice en lui-
même et à l'encens, à la nourriture offerte à YAtoua. Dans
leurs idées cet encens est toujours le souffle, l'esprit de vie,
l'aine. Puis ce sont des exhortations aux parons, aux amis du
défunt pour les engager à venger sa mort et à honorer sa mé-
moire en lui donnant la gloire kia oudou — rends-le glorieux.
Enfin le chant se termine par des complaintes et des consola-
tions à la famille sur la perte d'un de ses membres.
Sans doute, quand plusieurs centaines de guerriers revêtus
de leur costume de guerre, armés de toutes pièces et rangés
sur un ou deux rangs entonnent de concert cet hymne solen-
nel et qu'ils l'accompagnent par des gestes menaçans et terri-^
blés, l'effet qui en résulte doit être imposant, lugubre et re-
PIECES JUSTIFICATIVES.
089
doutable. Avant d'en venir aux mains, on dirait que ces hom-
mes veulent en quelque sorte célébrer de concert leurs funé-
railles et donner à leurs combats un caractère sacré par ce
dernier acte de religion.
Je regrettai beaucoup de n'avoir pu approfondir le sens de
cette ode extraordinaire, et j'engageai vivement M. Kendall à
s'en occuper avec soin. Ce missionnaire n'était plus à la Nou-
velle-Zélande quand j'y repassai en 1827, et les autres mission-
naires n'avaient obtenu aucune sorte de renseignement tou-
chant cet hymne.
Du reste, voici le Pihe tel que M. Kendall le rapporte dans
sa Grammaire , à cela près des passages que je corrigeai sous la
dictée de Touai.
f)apa ra te watt tibi
3 bounga net
fiou ana, kana pou t t 0
(£ nl)i 0
Cou ka btbi
tlongo mai, ka \\ckt
Ca taxa
Ce toa't pouna
£e a\)a kofjoubou,
fio na,a natta,
fia i»ût paranaui
fio kapi te ono,
fia kapi te ono
Ce iki tki,
Ce ra marama
Ce u>eti, te œcta
Ce toto rot al
tDano,
tOano, uiano, roaito,
iflai toki -oumi e.
TOME III.
Ha bibi toit,
fia ngou'ta ton,
(ko vocioci tou,
fio ma roana
Coue touc toue
fia taka
Haro poubt aï
fia taka te roaro.
pi pi ra ou e boit ko i e
fli pi
Ra ou c bou ko t e.
fie kott kotta,
Ce oubou 0 te ariki
pi pi ra ou e bou ko t c
<Ê tapou
(Ê tapou tou mata tara roa
(6 ngaro
<£ ngaro tou ki tana e tu>a.
<£ nva
44
fi 90
PIECES JUSTIFICATIVES.
(6 ma tou kouo ki te matai
UJcro u>ero.
tOero votre, te toro o moi ta,
{Veto Ijia , ki taï \)ïa ,
UJaka rama, uuika roroo
te tara ki a taï,
JRe ko tiitji inauaiua reka
«Le manama ki o tou.
A] aï, Ijo i, Ija !
Ajoï, Ijoï, l)a !
itia ouiiou, l)aï Ijoï 1)0 !
3ki iki
3 M iki ii'oro iuara
lîo taï tonçio roo
3 totwo.
<D mot ta,
<É ki no tou.
tthinga Ijuiga,
Ati a toi
Aloro pana
*lc kouo ki te moroï
lUiti boua
de iko tere ki painga
Atia ouooit , Ijoï, !)ûï, Ijo'
Ajoï, Ijoï, 1)0 !
tua ouîiou, l)aï, k;oï, Ija!
Ijoï, l)oï, 1)0 !
llia ou&ou, Ijoï, l)ûï, 1)0 !
}3,l,e.
Durant toute la durée de nos relâches à la baie des Iles, les
trente ou quarante filles esclaves qui s'étaient établies à bord
pour y trafiquer de leurs charmes, nous donnaient régulière-
ment tous les soirs une représentation de leurs danses d'amour.
Rien de lubrique, d'obscène comme leurs mouvemens, leurs
gestes et leurs attitudes; tout d'ailleurs donnait lieu de croire
que les chants qui les accompagnaient étaient pour le moins
aussi lascifs. Le jour qu'il vint à bord, Shongui nous procura
la vue d'une danse guerrière; elle fut exécutée par douze ou
quinze de ses guerriers d'élite et dirigée par Revra et Hihi. La
précision , la souplesse et l'énergie qui régnaient dans les figu-
res de cette danse la rendaient très-curieuse ; du reste on re-
marquait sans peine qu'elles se rapportaient entièrement à
leurs mœurs féroces et sanguinaires. Touai regardait avec dé-
dain et mépris les danses des femmes ; mais à l'aspect des danses
guerrières, nonobstant notre présence et la contrainte qu'il
cherchait à s'imposer, ses traits s'animaient, ses yeux roulaient
dans leur orbite, ses genoux s'agitaient convulsivement, sa lan-
PIECES JUSTIFICATIVES. 691
gue sortait de sa bouche , et l'on voyait qu'il s'unissait en dé-
pit de lui-même, d'esprit et de cœur, aux mouvemens et aux
paroles des guerriers.
Lors de ma visite au pà de Kahou-Wera, Touai me fit en-
trer mystérieusement dans sa cabane et ferma la porte sur nous
deux, puis il retira de son coffre une natte dans laquelle était
enveloppée une tête tatouée, moko mokaï; les dessins du moko
annonçaient qu'elle avait dû appartenir à un personnage d'un
rang distingué. En effet il me raconta que cette tête était celle
d'un guerrier puissant et redouté des bords du Shouraki, nom-
mé Kapou-Oka. Dans un combat livré deux ou trois ans au-
paravant, il avait blessé grièvement Koro-Koro d'un coup de
lance ; mais peu de temps après Shongui le tua d'un coup de
fusil, et Touai me montra le trou qu'avait fait la balle dans la
tête. Le chef de Kidi-Kidi partagea le corps de Kapou-Oka
avec ses guerriers, et fit présent de la tête à Koro-Koro. Touai
ajouta que dans le premier voyage qu'il allait entreprendre sui-
tes rives du Shouraki, il voulait reporter cette tête au fils de
Kapou-Oka comme un gage de la paix qu'il voulait conclure
avec lui. Néanmoins il offrit de me la céder pour une livre
de poudre ; et , si le marché m'eût convenu , il est certain que
le fils de Kapou-Oka n'eût jamais revu la tète de son malheu-
reux père. Je conclus assez naturellement de l'offre de Touai
qu'il faisait plus de cas d'une livre de poudre que de l'amitié
du jeune homme. Cette tête était une des plus belles et des
mieux tatouées que j'eusse vues dans mon voyage, mais les
chiens avaient rongé un morceau de la joue gauche.
44"
092 PIECES JUSTIFICATIVES.
OBSERVATIONS
DE M. DE BLOSSEVILLE.
M. de Blossevillc, l'un des officiers de l'expédition
de la Coquille, durant son séjour à Port-Jackson en
1 824 , s'appliqua avec beaucoup de soin à recueillir de
la bouche de divers capitaines baleiniers, et par d'autres
voies, des renseignemens sur la Nouvelle-Zélande. A
son retour en Fiance, il publia, en 1 826, le résultat de
ses recherches , sous le titre de Mémoire géographi-
que sur la Nouvelle-Zélande, etc., dans les Nouvelles
Annales des Voyages, Tom. XXIX. Cet intéressant
Mémoire présente plusieurs documens utiles sur di-
vers ports et mouillages encore peu connus sur cette
partie du globe, et nous avons eu occasion de le citer
quelquefois dans notre Essai sur la Nouvelle-Zé-
lande. Ici nous ne rapportons textuellement que la
partie de ce Mémoire qui concerne les mœurs et les
coutumes des habitans de l'île Tavai-Pounamou, afin
de démontrer que la race qui habite les parties les plus
australes et les plus rigoureuses de la Nouvelle-Zé-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 693
lande est identique avec celle qui en occupe les ré-
gions les plus septentrionales et les plus tempérées. Il
n'y a de vraie différence que dans la faiblesse extrême
et le petit nombre des tribus répandues sur Tavai-
Pounamou , comparées à celles dTka-Na-Mawi.
Comme on ne possède encore aucun renseignement précis
sur les peuplades méridionales de la Nouvelle-Zélande, cette
esquisse de leurs mœurs pourra paraître intéressante ; elle fera
voir que ces hommes barbares ne le cèdent ni en cruauté ni
en humeur belliqueuse aux habitans de l'île septentrionale, et
qu'en général ils leur ressemblent beaucoup. C'est avec vérité
que les voyageurs nous dépeignent les habitans dTka-Na-
Mawi sous les traits d'hommes menteurs, superstitieux, ca-
lomniateurs, fiers, cruels, sales et gourmands; mais en même
temps braves, prévoyans, respectueux pour les vieillards,
bons parens et amis fidèles. Ces vices et ces qualités caractéri-
sent également les habitans de Tavai-Pounamou.
Les naturels qui habitent les côtes du détroit de Foveaux
sont d'une taille moyenne, bien constitués, gros et robustes;
leur couleur est plus foncée que celle des mulâtres, mais la
teinte en est changée par les figures et les dessins profonds
qu'ils gravent sur leur peau. Les femmes sont généralement
petites, et leurs traits n'ont rien de remarquable; elles consi-
dèrent le tatouage comme une prérogative de noblesse. Ces
hommes, dans leur état sauvage, sont traîtres, dissimulés,
vindicatifs, et poussent ces vices jusqu'à l'extrême. Les plus
grands bienfaits et l'amitié la plus longue ne peuvent obtenir
yâce auprès d'eux pour l'offense irréfléchie d'un moment. Ils
sont cannibales dans toute l'étendue du mot, et loin d'en faire un
mystère, ils expliquent complaisamment leurs odieuses prati-
ques. Egalement adonnés au vol et au mensonge, ils vivent
dans une défiance continuelle; chacun d'eux a dans les bois
une retraite particulière où il cache tout ce qu'il possède.
694 PIECES JUSTIFICATIVES.
Leur perversité est poussée au point que l'idée de crime leur
est étrangère, et que les coupables ne subissent aucune puni-
tion. Si un cbef dérobe quelque ebose à un autre cbef, la
guerre éclate aussitôt entre les deux tribus; mais si le larcin
n'est commis que sur un homme du commun , celui-ci ne peut
se dédommager que sur des individus de son rang; il n'a aucun
recours contre un voleur illustre.
La guerre est la passion dominante de ces peuplades avides
de pillage. C'est à leur système de destruction qu'il faut attri-
buer la population peu nombreuse de leur pays. Elles ne s'at-
taquent ordinairement que lorsqu'elles se croient assurées de
la supériorité et d'un riche butin. Dans ce cas , on ne tient
pas compte de la perte de quelques guerriers de la classe infé-
rieure. Mais au contraire un chef est-il tué, son parti rassem-
ble ses amis et ses parens , et lorsque la victoire seconde cette
troupe, la mort devient le partage inévitable de la tribu en-
tière des meurtriers. Si au contraire la bande ne se sent pas
assez forte , la ruse vient à son aide ; elle tâche de s'emparer,
par surprise, de quelques-uns de ses ennemis, et assouvit sa
rage en les dévorant. La mort de ces malheureux est rarement
vengée. Tous les prisonniers sont adoptés par les chefs vain-
queurs, ou bien tués et dévorés. Leurs têtes sont conservées
par un procédé très-simple. La personne qui prépare ces têtes
ne peut manger pendant les premières vingt-quatre heures;
dans la seconde journée elle ne doit toucher à aucun mets, et
un esclave lui donne sa nourriture.
Ces hommes ont pour armes une grande pique longue de
20Ù3o pieds, une de 10 à l4> et le patou-patou , qui est pour
tous les naturels de la Nouvelle-Zélande ce que le poignard
et le couteau sont pour les Italiens et les Espagnols. Ils ne
lancent jamais la longue pique : rarement ils lancent la petite;
mais alors ils s'approchent aussitôt et engagent le combat avec
le patou-patou, qui est fait avec un os de baleine ou un mor-
ceau de la pierre verte qu'ils nomment pounamou.
Les enfans sont très-gais , se témoignent beaucoup d'amitié ,
PIECES JUSTIFICATIVES. 695
cl déploient dans leurs exercices une agilité remarquable ; ils
s'amusent à faire des cerfs-volans, des fouets, d'autres jouets
et de petites pirogues; ils dansent ensemble et s'exercent à la
fronde. Les jeunes gens ne sont réputés hommes laits que lors-
qu'ils atteignent l'âge de vingt ans; alors s'ils ont appris à se
servir de la lance etdu patou-patou,ets'ils ont une certaine cor-
pulence, on les tatoue entièrement et ils sont proclamés guer-
riers. Souvent l'opération du tatouage auprès des yeux leur
cause des douleurs inouies dont les suites leur font perdre
la vue.
( Hommes et femmes, tous ces insulaires sont également mo-
destes ; ils observent en ce point la régularité la plus scrupu-
leuse , et sont toujours complètement couverts par leurs
habillemens qui consistent en une natte grossière faite de
phormium, et barbouillés d'oerc rouge ; ils mettent par-dessus,
dans les jours froids et pluvieux, une seconde natte faite avec
lécorec d'un arbre nommé ohe : la première est l'ouvrage des
femmes et l'autre celui des hommes. Leurs cheveux sont réunis
en un nœud sur le sommet de la tète ; dans des occasions parti-
culières, les hommes se parent de grandes plumes blanches
qu'ils placent horizontalement dans ce nœud, et ils en at-
tachent en même temps à leurs oreilles. Les hommes se parent
également de guirlandes de fleurs rouges et blanches et de
verdure, placées avec un goût tout particulier. Le rouge est la
couleur préférée, et partage avec les branches vertes l'avan-
tage d'être le symbole de la paix. Ces ornemens de feuillages
ne sont portés d'après aucune idée religieuse , ce sont de sim-
ples décorations. Les sauvages ne peuvent souffrir la couleur
blanche ni la noire, ils se couvrent de peintures et s'ornent de
fleurs à l'approche d'un étranger , qu'ils accueillent par ees
mots : Miti arowi, en même temps qu'ils frottent leur nez
contre le sien , cérémonie fort désagréable pour celui-ci , mais
seul gage de sa sûreté. La polygamie est permise : dans l'ab-
sence de leurs époux, les femmes prodiguent leurs faveurs
sans aucune distinction ; le mari se trouve même flatté de
698 PIECES JUSTIFICATIVES.
toutes les attentions qu'un blanc veut avoir pour sa femme.
Le grand âge est l'objet du plus profond respect : un chef
même donne la nourriture à un homme de basse classe que la
vieillesse a privé de ses facultés; mais aucun sentiment d'affec-
tion n'est le mobile de ces bons procédés. Cependant nulle
part les lois de l'amitié et les liens de la parenté ne sont plus
respectés. Les hommes vivent généralement quatre-vingts ans
et les femmes quatre-\ ingt-cinq et quatre-vingt-six. A la mort
d'un chef, sa tribu se rassemble et se livre à la joie ; on mange
des oiseaux, des anguilles, des pommes de terre, mais ni en-
trailles ni viande crue. Une demi-heure après la mort, la tête*
est coupée et on s'occupe de la conserver. Le corps, placé
dans une caisse qui est mise debout dans une maison bâtie tout
exprès, y reste deux ans entiers; ensuite on enlève les os pour
le* brûler; le coffre passe à un nouvel occupant. Les hommes
du peuple et les esclaves sont enveloppés, après leur mort,
dans leurs propres nattes, et jetés comme des chiens dans un
trou creusé derrière les cabanes; quelquefois, mais bien rare-
ment, les amis du défunt viennent pleurer sur sa tombe pen-
dant environ une demi-heure, ensuite on ne s'en occupe plus
pendant long-temps. Il arrive fréquemment que le corps d'un
défunt de cette classe est enlevé et mangé pendant la nuit,
mais c'est un crime puni de mort. Si ce cadavre reste enterré ^
on enlève les os au bout d'un certain temps et on les brûle.
Les os des ennemis vaincus ne sont pas consumés par le feu ;
on en fait des hameçons, des flûtes, et d'autres objets qu'on
porte comme trophées. La mort exerce particulièrement ses
ravages sur les enfans de l'âge de. deux ans ; on observe pour
eux les mêmes cérémonies que pour les chefs ; les femmes sont
également traitées de la même manière, à l'exception des es-
claves qui sont brûlées immédiatement.
Les principales maladies de ces insulaires paraissent être
l'éléphantiasis et le pian, infirmité très-commune dans les An-
tilles; elle paraît avoir pour cause une extrême indolence et
1 habitude de rester assis sur les cendres dans les cabanes. On
PIECES JUSTIFICATIVES. 697
\oit des naturels privés do leurs pieds et de leurs mains; leur
eorps est dans un état affreux de maigreur, et les extrémités
tombent en pourriture. 11 y a aussi parmi eux beaucoup de
Scrofuleuz. Quoique les maux d'yeux soient communs par les
suites du tatouage et de la fumée des habitations, cependant
la cécité est rare avant le grand âge, et elle ne frappe géné-
ralement que les femmes. Les maux de dents et la surdité sont
inconnus. Lorsqu'un membre est cassé ou démis, ils le remet-
tent dans sa position naturelle, le fixent avec des attelles et des
feuilles de palmier, et l'exposent deux fois par jour à la vapeur
d'herbes mouillées jetées sur le feu.
Ils choisissent , pour bâtir leurs villages, le penchant d'une
colline faisant face au point du rivage où l'on peut débar-
quer de ce côté , et enlèvent tout ce qui pourrait les empê-
cher de voir arriver les pirogues et les navires. Leurs maisons
sont propres et solides ; elles ont seize pieds de hauteur , dix de
largeur et trente de longueur : le plancher, élevé d'un pied
au-dessus du sol, est couvert d'une espèce de claie en lianes;
ils y laissent de petites ouvertures dans lesquelles ils allument
du feu lorsque le temps est froid et humide. Quand quelqu'un
tombe malade , ou lorsqu'une femme est sur le point d'accou-
cher , on construit une petite cabane particulière à quelques
toises des autres maisons ; on y met le feu dès qu'elle n'est plus
occupée. Les jardins sont placés en général à une certaine dis-
tance des maisons; on y cultive des pommes de terre, des
choux, et d'autres plantes potagères introduites par les Euro-
péens. On conserve les pommes de terre pendant la saison de
l'hiver, par le même procédé qu'emploient les Irlandais.
Les hommes chassent , pèchent , bâtissent les maisons , cons-
truisent les pirogues et travaillent au jardin; mais ils aime-
raient mieux mourir que de porter leurs provisions : les fem-
mes sont chargées de tous les fardeaux. Pendant la belle saison
ils tuent des albatros, des poules sauvages, des phoques, des
rats, etc., etc. Ils fument ces animaux et les conservent entiers,
enfermés dans des sacs pendant plusieurs mois. Ces provision^
G 98 PIECES JUSTIFICATIVES.
d'hiver sont à l'abri des rats sur une plate-forme établie au
sommet d'un poteau bien lisse auquel ils montent à l'aide
d'une échelle mobile. lisse procurent du feu en frottant vive-
ment un bâton pointu dans une rainure du même bois , dont
la poussière s'enflamme dans un instant. Leur procédé, pour
préparer les alimens, consiste a rôtir la viande ou le poisson
sur le feu, ou bien ils creusent un trou dans la terre, y font
chauffer une grande quantité de pierres, enveloppent ce qu'ils
veulent faire cuire dans des herbes vertes et recouvrent le tout
avec de la terre. L'équipage du Snapper axait adopté ce moyen
pour faire cuire son pain a l'aide de pierres rougics.
Leurs pirogues bien construites et décorées de sculptures
résistent difficilement à une grosse mer ; mais lorsque l'eau est
calme et unie, les rameurs leur impriment une grande vitesse.
Les pirogues de guerre sont généralement simples , et ont de
soixante-dix à cent pieds de longueur : c'est aussi le nombre
des combattans et des rameurs; elles marchent avec une promp-
titude extraordinaire. Les grands filets de pêche ont de un à
deux milles de longueur et entre dix à douze pieds de hauteur:
ils sont faits avec les fibres du phormium , sans aucune prépa-
ration. La mer est très-poissonneuse.
On trouve de l'eau douce presque partout , mais elle n'est
pas toujours d'un goût agréable. Le pays est infesté de rats;
on n'y rencontre aucun reptile venimeux. On voit fréquem-
ment de petites chauve-souris, des iguanes, des lézards, beau-
coup de moustiques, de grosses mouches, des abeilles, des
criquets et des sauterelles. La vue d'un lézard alarme les in-
sulaires, quoiqu'ils mangent souvent des animaux plus sales.
Ce peuple n'avait pas encore de cochons à l'époque du voyage
du Snapper. M. Edwardson leur en a donné plusieurs dont ils
ont pris le plus grand soin ; ils paraissaient sentir toute l'im-
portance de ce présent.
Leshabitans de Tavai-Pounamou croient qu'un Etre-Suprême
a tout créé, excepté ce qui est l'ouvrage de leurs mains, et
qu'il ne leur fera aucun mal. Ils l'appellent Maaouha (sans
PIECES JUSTIFICATIVES. 699
doute Mawiy Roekou-Nouï-Etoua est un bon esprit qu'ils
supplient nuit et jour de les préserver de tout accident. Kow-
lioula est l'esprit ou Et ou a , qui gouverne le inonde pendant
le jour, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher. Ils ap-
pellent à haute voix Rockou-Nouï-Etoua et Kowkoula à leur
secours. Rockiola est l'esprit nocturne, la cause de la mort,
des maladies et de tous les accidens qui peuvent arriver pen-
dant les heures de son règne ; c'est pour cette cause qu'on s'a-
dresse à lui et à Rockou-Nouï-Etoua pendant la nuit. Il existe
des traditions fabuleuses au sujet d'un homme ou d'une femme
qui habite dans la lune.
Les choses belles et curieuses qu'ils voient entre les mains
des Européens leur font regarder ceux-ci comme des espèces
de diahlcs ou d'esprits (Etouas*). Ils observent les blancs avec la
plus grande attention, et épient leurs démarches. La dissimu-
lation, qui gâte chez eux quelques heureuses dispositions, leur
caractère vindicatif et leur esprit rusé les rendent sensibles à
la moindre offense; il est alors très-difficile de les apaiser. Si
un chef reçoit un présent moins considérable qu'un autre chef,
ou si l'on fait un cadeau à un homme du peuple, la colère du
premier ne connaît plus de bornes. Cette susceptibilité rend
trop pénible la position d'un étranger qui traite avec ces peu-
ples, et qui , à tout événement, doit chercher à plaire à tous.
C'est au manque d'une sage politique qu'il faut attribuer la
mort de plusieurs blancs.
On peut citer parmi les nombreuses victimes de la férocité
des insulaires le capitaine Tucker et l'équipage de son canot ;
cinq hommes du canot du Sydney-Cove , bâtiment pêcheur,
tués par Hunneghi, chef d'Owaï, dans la partie orientale du
détroit de Foveaux; quatre hommes de la goélette Brothers
massacrés au havre Molineux; plusieurs matelots du gênerai
Gates ; enfin trois Lascars du brick Matilda qui avaient dé-
serté pour cause de mauvais traitemens : trois autres qui fu-
rent épargnés enseignèrent aux naturels la manière d'attaquer
les Européens pendant les fortes pluies, lorsque les fusils ne
700 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
peuvent pas servir, et de plonger pour couper les câbles des
navires pendant la nuit.
James Coddell, ancien matelot du Sydney-Cave, avait été
pris à l'âge de seize ans, et en avait passé autant avec les natu-
rels de Tavai-Pounamou, lorsque Je Snapper l'amena à Port-
Jackson , où les officiers de la Coquille l'ont vu. Cet homme,
qui avait épousé une jeune insulaire nommée Tougui-Touki ,
s'était tellement familiarisé avec le genre de vie de ces sauva-
ges, qu'il était devenu aussi franc cannibale qu'aucun d'eux.
11 avait embrassé leurs idées et leurs croyances, ajouté foi à
leurs fables, s'était plié à tous leurs usages, si bien que l'on
aurait pu croire que la Nouvelle-Zélande était sa véritable pa-
trie. Son caractère vil et rusé l'avait fait favorablement ac-
cueillir des naturels. Dans les premiers rapports qu'il eut avec
M. Edwardson, il avait eu de la peine à se faire comprendre,
et avait tellement oublié sa langue maternelle qu'il pouvait
difficilement servir d'interprète. Il était regardé comme fort
dangereux ; mais en ne lui accordant pas une trop grande con-
fiance on parvint à tirer de lui beaucoup de services.
Nota. Les noms propres Ohe , Maahoua , Rockou-Nouï-
Etoua, Kowkoula et Rockiola ne se trouvent point dans le
Vocabulaire des missionnaires, et je soupçonne fort qu'ils sont
écrits d'une manière incorrecte , ainsi que le salut Miti
arowi.
( Note de M. d'Uivtllc. )
PIECES JUSTIFICATIVES. 701
VOYAGE
DE M. DILLON.
M. Dillon, commandant le navire de la Compagnie
des Indes, le Research, envoyé à la recherche des dé-
bris du naufrage de Lapérouse, toucha à la baie des
Iles de la Nouvelle-Zélande , d'abord en allant à Va-
nikoro, au mois de juillet 1827, puis à son retour, au
mois de novembre de la même année. Ses deux relâ-
ches furent très-longues ; l'une fut de plus de trois se-
maines , et l'autre dépassa quarante jours. Ce marin ,
sans doute , aurait pu nous procurer d'utiles rensei-
gnemens sur les Nouveaux-Zélandais , d'autant plus
qu'il possède , dit-il , parfaitement leur langue et toute
leur confiance, et qu'il avait déjà fait cinq ou six
voyages parmi eux. Cependant sa narration n'offre
presque aucuns détails importans sur ce sujet, et je
n'ai pu en extraire qu'un petit nombre d'articles dignes
de quelque intérêt. Il est vrai que M. Dillon promet
de donner plus tard une description complète des cou-
tumes civiles et religieuses de ce pays : espérons qu'il
tiendra sa promesse.
702 PIECES JUSTIFICATIVES.
Nous citerons toujours l'édition française de la nar-
ration de M. Dillon, intitulée Voyage aux Iles de la
Mer da Sud en 1827 et 1828, etc., par le capitaine
Peter Dillon. Paris, 1830.
M. Dillon raconte, ainsi qu'il suit, l'accueil que fit
à son arrivée à Korora-Reka , le 1er juillet 1827 , l'un des
chefs de ce village aux deux naturels de la rivière Tamise,
Bryan Borou et Morgan Mac-Marragh , qui l'avaient suivi
sur son navire à Calcutta. Nous ferons observer en même
temps que ces deux noms n'étaient point les véritables
noms de ces deux naturels , mais deux sobriquets ridicules
que M. Dillon leur avait imposés , à l'imitation des capi-
taines baleiniers qui ne manquent jamais de remplacer les
noms ordinairement harmonieux des insulaires par les
désignations les plus triviales et les plus mal sonnantes.
( T. I,pag. 182 et suiv.)
Notre conversation prit ensuite une tournure politique . Il
ir'apprit qu'il était neveu de Pomare*, chef puissant et pro-
priétaire de ce port, que mes amis de la rivière Tamise (rivière
du pays ) avaient tué , il y avait environ dix ans. Il ajouta qu'un
des fils de Pomare avait également été tué avec environ deux
cents guerriers , et qu'il se préparait contre les tribus de la Ta-
mise une expédition, composée de tous les chefs du nord qui
s'étaient coalisés pour exterminer tous les Borou et les Mac-
Marragh. Il me demanda ensuite où étaient les deux jeunes
gens du pays de la Tamise , que j'avais emmenés sur le Saint-
* M. Dillon a écrit ce nom très-incorrectement, Bou marray. Pomare se
compose de deux mots,po, nuit, et mare, rhume. On a dit quelque part que
ce chef zélandais prit ce nom d'après celui du souverain de Taiti alors ré-
gnant; il se nommait auparavant Weloi.
PIECES JUSTIFICATIVES. 703
Patrick. Quand je lui eus appris. qu'ils étaient avec moi , il me
dit : • Livrez-les nous pour être tués et mangés sur-le-champ. •
Il était revêtu de la natte de guerre , avec un manteau de peau
de chien, jeté négligemment sur ses épaules. En ce moment sa
physionomie prit un air de férocité impossihle à décrire; ses
veux sortaient de leurs orbites et exprimaient le désir le plus
ardent de saisir des malheureux qui n'avaient commis d'autre
crime que d'appartenir à une tribu avec laquelle il était en
guerre. Je n'ai pas besoin de dire que je déclarai à ce canni-
bale que les jeunes gens en question étaient sous la protection
du pavillon et des canons anglais, et ne seraient pas molestés
tant qu'ils resteraient sur le vaisseau ; que là ils étaient tabou;
que quand ils seraient à terre, on pourrait les traiter confor-
mément aux lois de la Nouvelle-Zélande; mais que les inten-
tions qu'il avait manifestées à leur égard , me feraient apporter
du soin à choisir le lieu où je les mettrais à terre.
J'ordonnai alors qu'on fît monter sur le pont mes amis Bryan
Borou et Morgan Mac-Marragh. Ils se présentèrent à l'escalier
du vaisseau et entamèrent une conversation avec l'homme qui
venait de se montrer si avide de les dévorer. Le chef leur parla
avec autant de sang-froid que s'il n'eût pas témoigné le désir
de se régaler de leur chair, chose dont , à en juger par les pré-
paratifs qui avaient été faits dans sa pirogue, il paraissait avoir
eu l'idée avant de venir auprès du vaisseau. Il s'exprima avec
le plus grand respect sur le compte du père de Bryan, et dit
que deux des fils de Pomare avaient été faits prisonniers dans
une bataille avec d'autres personnages d'importance apparte-
nant à sa tribu et emmenés en esclavage; que peu de temps
après le père de Bryan avait ordonné qu'on leur rendît la li-
berté , et leur avait fourni une pirogue pour les ramener dans
leur pa>Ts; qu'en ce moment ils se trouvaient à deux journées
de marche dans l'intérieur, mais qu'ils viendraient rendre vi-
site à Bryan aussitôt qu'ils seraient informés de son arrivée.
Le vaisseau étant amarré , je permis à ce chef de venir à
bord. Brvan Borou et lui se prirent par la main et avancèrent
704 PIECES JUSTIFICATIVES.
leur tète jusqu'à ce que leurs nez se touchassent ; après quoi ils
s'entretinrent des exploits des compatriotes de Bryan dans les
dernières guerres.
L'accueil que fit King-George, chef de Korora-Reka,
à ce même Bryan Borou, n'est pas moins curieux. ( T. I ,
pag. 195.)
Le 4 juillet. Je reçus dans la matinée la visite de la reine
Tourourou, de son frère Mao un ga, et de son fils le roi George,
qui était de retour à Korora-Reka.
A peine le roi George était-il monté sur le pont, qu'il s'in-
forma de Brvan Borou. Celui-ci, que j'eus beaucoup de
peine à y déterminer, consentit enfin à se présenter. Le roi
George s'approcha de lui et l'embrassa tendrement , ce que fi-
rent aussi sa mère et Maounga; après quoi il adressa un
long et éloquent discours à Bryan Borou et à Mac-Marragh ,
pour les prier, à leur arrivée dans la Tamise, d'informer leurs
amis que lui et les chefs du Nord n'avaient pas oublié la perte
de Pomare, et que son intention était de partir pour leur pays
dès que la récolte des patates serait rentrée , c'est-à-dire au
mois de janvier suivant, pour tirer vengeance de la mort de
Pomare et de plusieurs autres de ses amis, qui avaient été tués
dans la bataille livrée l'année précédente. Il avoua en même
temps que la bataille dans laquelle Pomare avait péri s'était
donnée en plein jour; qu'il n'y avait pas eu de trahison noc-
turne, et que tout s'était passé loyalement. Il fit ensuite présent
à Bryan Borou de quelques corbeilles de patates , l'assurant
qu'il avait la plus grande estime pour son père, et qu'il était
extrêmement peiné que les lois de la Nouvelle-Zélande l'obli-
geassent à rechercher sang pour sang , et à faire la guerre aux
amis de ce jeune prince.
On sera bien aise de trouver ici comment les naturels
PIKCES JUSTIFICATIVES. 705
de korora-Keka racontèrent à M. Dillon les circonstances
qui causèrent el suivirent la mort de l'infortuné capitaine
Marion. ( T. I,pag- 200 et suiv.)
Maounga (qui a pris le nom de King-Charlcy) ayant men-
tionné le nom de Marion , je jugeai à propos de m'enquérir
des circonstanees qui avaient amené le massacre de ce naviga-
teur dans la baie même où je me trouvais. Voici ce que j'ap-
pris : le capitaine Marion, dans le cours d'un voyage de dé-
couvertes, relâcha à la baie des Iles, où ses bâtimens jetèrent
l'ancre à un endroit nommé aujourd'hui la Baie du Vaisseau, et
situé derrière l'île de Paroa , l'une de celles qui bordent la
côte depuis le cap Brctt jusque vers la pointe de Tapeka. La
reine Touroulou dit qu'elle se souvenait parfaitement bien du
massacre ; qu'il y avait à bord du bâtiment de Marion une
femme européenne nommée Micki* , laquelle avait avec elle
un enfant; mais je ne pus comprendre de quel sexe il était.
Micki était descendue à terre à Paroa pour laver du linge, et
des gens de la tribu de Wangaroa lui en dérobèrent différentes
pièces. Une rixe s'éleva ensuite entre les matelots et les natu-
rels, au sujet de quelques poissons pris dans un filet. Micki
fut très-effrayée et se sauva à bord du vaisseau dans un des ca-
nots. Sur ces entrefaites, le capitaine Marion , ignorant ce qui
se passait, était descendu à terre; il fut tué.
La nouvelle de cet événement ne tarda pas à arriver aux
vaisseaux , et deux cents hommes débarquèrent armés de fusils.
Les naturels, se fiant sur leur nombre, leur firent face hardi-
ment. Le patou-patou et le javelot n'avaient pas beau jeu con-
tre les balles de fusil, et les gens de Wangaroa, qui tombaient
par douzaines, ne concevaient pas comment cela arrivait, ne
pouvant apercevoir l'objet qui les blessait. A la fin ils s'enfui-
rent sur la grande terre et prirent poste dans un endroit for-
* Il faut peut-être lire Maiki, nourrice, en langue du pays.
«TOME III. 45
700 PIECES JUSTIFICATIVES.
t i fié. Ils supposaient qu'ils s'étaient battus contre des esprit»,
qui soufflaient du feu et de la fumée sur eux par la bouche avec
de gros tubes de fer. Ils donnèrent au fusil le nom de pou qui
lui resta et qui, dans leur langue, signifie souffler. Les Fran-
çais les poursuivirent sur la grande terre et en massacrèrent un
nombre considérable.
L'homme qui avait tué le capitaine Marion se nommait Te
Kouri (le Chien) ; il était natif de Wangaroa , et il est assez re-
marquable que la tribu de Wangaroa fut la première et la
dernière à faire du mal aux Européens.
Les bardes du pays ont composé plusieurs chansons sur cette
bataille et sur la mort de Marion. Il y est souvent fait mention
de Micki et de son enfant. J'avais, en diverses occasions, en-
tendu chanter ces chansons; mais je n'en avais pas jusqu'alors
compris le sens.
Quand les naturels apprirent que M. Chaigneau était un
compatriote de Marion, ils lui donnèrent le nom de Marion,
et continuèrent toujours à l'appeler ainsi.
(^Tome I , page 222. ) 12 juillet. Au nombre des spectateurs
était un orateur femelle, prêtresse du rang le plus élevé, et
jouissant dune grande considération parmi les tribus environ-
nantes. Elle se nommait Wanga-Taï. Cette femme était regar-
dée par ses compatibles comme au-dessus du commun des
mortels, et ils lui supposaient une puissante influence sur la
déité qui, d'après leur croyance, gouverne les âmes dans l'au-
tre monde. On lui prêtait aussi le pouvoir de makoutou, c'est-
à-dire d'ensorceler les gens et de les faire mourir par ses sorti-
lèges quand il lui plaisait. C'était en même temps une espèce de
sibylle; et, dans toutes les expéditions contre les ennemis, on
la consultait sur le résultat qu'elles devaient avoir; on appre-
nait d'elle le jour le plus propice pour mettre à la voile, ainsi
que le jour et l'heure où , pour être agréable h la déité dont
elle était l'organe , il convenait de livrer bataille. Comme de
raison, elle exerçait l'empire le plus absolu sur l'esprit des na-
turels, et ses oracles touchant l'issue d'une campagne ne pou-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 707
\ aient manquer de s'accomplir souvent, par suite de la dé-
lia née ou de la confiance qu'elle avait donnée aux guerriers,
selon que son caprice ou son intérêt la portait à désirer ou à
craindre le succès d'une entreprise.
(3n assure que celte prêtresse aime beaucoup les Européens,
et elle en donne une preuve assez évidente , en choisissant tou-
jours un époux parmi eux. Sa personne est regardée comme
trop sacrée pour qu'il s'établisse des relations intimes entre
elle et des individus de sa nation.
( Tome I , page 228 et suiv. ) l3 juillet. Vers midi la prê-
tresse Wanga-Taï revint nous voir. Elle était accompagnée
des deux fils de feu Pomare, qui avaient désiré s'entretenir
avec Brvan Borou. Quelques autres chefs faisaient partie de sa
suite. Tous embrassèrent tendrement Bryan Borou , et dé-
plorèrent, en versant d'abondantes larmes, la malheureuse
affaire qui avait rompu l'amitié des deux familles, et les for-
çait de chercher à avoir le sang des amis de Borou.
Les fils de Pomare racontèrent la mort de leur père à peu
près de la manière suivante : ils commencèrent par me de-
mander si je me souvenais d'une circonstance de mon dernier
voyage sur le Saint-Patrick , pendant que j'étais en charge
dans leur Tamise. Voici de quoi il s'agissait : j'avais, ainsi
qu'ils me le rappelaient par leurs questions, demandé à leur
père, qui faisait alors une tournée dans la baie des Iles, d'a-
mener avec lui deux mille hommes pour me couper du bois
de mâture, attendu que les gens de la Tamise m'assistaient
avec trop de lenteur, et je lui avais promis, dans le cas où il
parviendrait à compléter ma cargaison en deux mois, de lui
faire présent de cinq fusils et de deux barils de poudre. Cette
espèce de marché avait été conclu a la grande satisfaction du
père des deux jeunes narrateurs *.
* Il est certain que ce marché dut parfaitement convenir à l'avide Pomare,
ainsi qu'à ses cruels compagnons; mais on doit faire observer que M. Dillon ne
pouvait provoquer un meilleur moyen pour consommer la ruine des malin u-
45*
708 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Pomare était en effet parli , avec plus de deux mille hom-
mes tous armés, pour les bords de la rivière Tamise, afin de
faire couper mon bois. A leur arrivée, ils trouvèrent que j'a-
vais mis à la voile pour le port où j'étais en ce moment avec
le Research. En conséquence ils remontèrent la Tamise dans
leurs pirogues jusqu'au point où cette rivière cesse d'être na-
vigable; de là ils avaient traversé par terre le pays de Borou,
et y avaient été reçus d'une façon très-hospitalière. Pomare
avait alors invité avec instance les gens de la tribu de Borou à
l'assister dans une invasion qu'il projetait du pays de Waï-
Kato , mais les Borou l'avaient refusé, et l'avaient prié de re-
tourner paisiblement sur son territoire. En conséquence il re-
descendit la rivière pour gagner les îles Barrière , rendez-vous
général de ses forces. Là , un de ses chefs nommé Tawaï dé-
clara qu'il ne s'en retournerait pas sans avoir tué quelqu'un ,
parce qu'il avait la plus grande envie de faire un repas de
chair humaine. Tawaï s'en fut donc débarquer sur la grande
terre, mais une troupe d'hommes du canton, qui avaient
soupçonné son dessein, était en embuscade près du rivage, et
le tua ainsi que tous ses guerriers.
Pomare attendit pendant quelques jours le retour de Tawaï;
ne le voyant pas revenir, il en conclut qu'il lui était arrivé
quelque accident, et il alla à sa recherche. En pénétrant avec
sa pirogue dans une crique étroite, dont les bords étaient
très -escarpés, il fut subitement assailli par une décharge de
mousqueterie accompagnée d'une grêle de flèches et de pierres
que lançaient sur lui un parti embusqué des deux côtés de la
crique. Avant que les gens de Pomare pussent atteindre aux
endroits commodes pour débarquer, ils furent presque tous
tués. Il n'y eut que lui, son fils aîné et quelques-uns des sieDS
qui purent mettre pied à terre. Pomare reçut une balle dans
la cuisse et tomba sur un genou; alors les ennemis accouru-
reux habitans de la haie Sliourati , déjà si maltraités par ceux de la baie des
Iles.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 700
rent en masse pour l'attaquer; il eu tua deux avec sou fusil
double; mais, avant d'avoir pu recharger, il lut tué lui-même,
et on lui coupa la tête.
Ainsi périt Pomare , sous les coups d'ennemis dont il n'a-
xait pu reconnaître la présence que par les soudains et terri-
bles effets de leurs fusils et de leurs javelots. Ses ennemis con-
servèrent sa tète , mais ils dévorèrent son corps, ainsi que celui
de son lils aîné qui était mort en combattant avec intrépidité
aux côtés de son père.
Les deux fils de Pomare qui me racontaient la mort de leur
père étaient aussi présens à cette affaire. En cherchant à fuir
pour gagner la côte, ils avaient été faits prisonniers. L'un
d'eux était grièvement blessé de trois coups de hache. On les
emmena dans l'intérieur où on les vendit comme kou/as ou
esclaves. Le père de Bryan les délivra de servitude peu de
temps après, et leur fournit une pirogue avec des vivres
pour les mettre à même de retourner chez eux, en les priant
de ne pas oublier cet acte de bonté, si son fils arrivait dans
leur havre.
Bryan ne contesta pas la probabilité de leur histoire ; mais
on ne put le déterminer à débarquer avec ces jeunes gens.
( Tome I, page 237.) J'ai souvent eu des entretiens avec les
sauvages. Ils m'ont tous dit que la première fois qu'ils avaient
vu des Européens, ils les avaient supposés descendus des nua-
ges , et s'étaient figuré qu'ils ne pouvaient avoir d'autre des-
sein , en venant dans leur pays , que d'enlever leurs provisions
et d'emmener leurs femmes et leurs enfans en esclavage. Cette
idée était fondée sur l'habitude générale de ces insulaires d'en-
lever les femmes et les enfans de leurs ennemis dans leurs ex-
péditions guerrières, tandis que lorsqu'ils vont rendre une vi-
site amicale aux habitans d'une île voisine ou d'un pays étran-
ger, leurs femmes et leurs enfans les accompagnent d'ordinaire.
M. Dillon raconte aussi la visite que lui fît Shongui
à son retour à la Nouvelle-Zélande ; il est bon de rappeler
710 PIECES JUSTIFICATIVES.
que cette visite eut lieu tout au plus quatre mois avant la
mort de ce chef célèbre. ( Tome II , page 263. )
1 3 novembre 1827. Vers dix heures du matin je reçus la vi-
site de Shongui, ce chef puissant qui avait fait, quelques au-
uées auparavant, le voyage d'Angleterre, et avait eu l'honneur
d'être présenté au roi Georges IV. Il avait alors promis à Sa
Majesté d'aholir le cannibalisme à son retour dans son pays.
Il ne tint pas cette promesse ; car depuis cette époque il aida à
tuer et à manger un grand nombre de ses semblables. Il arriva
à bord de mon vaisseau , accompagné de sa famille et des chefs
sous ses ordres , dans deux belles pirogues de guerre. Quoique
presque exténué des suites d'une blessure qui l'entraîne gra-
duellement au tombeau , il a encore l'air imposant. La férocité
et la ruse brillent dans ses petits yeux perçans, et l'ensemble
de ses traits annonce un vrai sauvage , mais un sauvage chez
lequel il y a quelques lueurs d'intelligence.
Sa blessure est fort singulière : une balle de fusil lui a percé
le corps d'outre en outre, en traversant les poumons; elle a
laissé un trou à la poitrine et un autre au dos. L'air sort par
ce dernier trou, avec un bruit qui ressemble un peu à celui de
la soupape de sûreté d'une machine à vapeur. Shongui en fait
lui-même un sujet de plaisanterie. Au reste, quoiqu'il ne souf-
fre pas beaucoup , on voit clairement qu'il n'a pas long-temps
à vivre , et il paraît en être persuadé lui-même par la précipi-
tation avec laquelle il se dispose à entrer en campagne, comme
généralissime de tous les chefs du nord, pour une expédition
contre les tribus de la Tamise.
En arrivant à bord, Shongui embrassa très-tendrement
Bryan Borou , et lui exprima , en termes fort touchans , son
regret d'être obligé de faire la guerre à son père qui, disait-il,
était un homme très-bon. « Mais, ajouta-t-il, la mort de Po-
mare doit être vengée, et il faut absolument sang pour sang. »
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 7 11
LA NOUVELLE-ZELANDE.
(1829.)
Extrait de la Revue Britannique.
Dans un recueil littéraire justement estimé, et qui
parait mensuellement à Paris, sous le titre de Revue
Britannique, se trouve un article \n° 59, mai 1830)
relatif à la Nouvelle-Zélande. Il ne nous apprend
presque rien de nouveau sur cette contrée; mais il
nous donne quelques détails sur les habitans de la
baie d'Abondance , et ces détails confirment tout ce
qui a été écrit jusqu'à ce jour sur les mœurs et le ca-
ractère de ces insulaires. C'est pour cette raison prin-
cipalement que nous allons le rapporter ici en entier.
La Nouvelle-Zélande, composée de deux grandes îles dont
la circonférence n'est guère moins considérable que celle des
Iles-Britanniques, fait partie de l'Australie ou Océanie , que
les géographes modernes considèrent comme une cinquième
partie du monde. Elle peut se partager en trois divisions prin-
cipales, savoir : l'Archipel-Orienlal, que l'on regardait autre-
fois comme appartenant à l'Asie ; le grand continent de la
Nouvelle-Hollande et son appendice, la terre de Van-Diémen ;
et les mille îles de la Polynésie , parmi lesquelles se trouve la
•
712 PIKCES JUSTIFICATIVES.
Nouvelle-Zélande. Le récit suivant d'un officier du brick le
Hawes fera voir combien les insulaires de la Nouvelle-Zé-
lande sont encore barbares. Cette barbarie contraste avec l'ap-
titude aux arts de la civilisation , manifestée par les insulaires
des Sandwich , de Taïti, et de quelques autres groupes d'îles
de la Polynésie.
Le 17 novembre 1828, je partis de Sydney comme second
du brick le Hawcs, de cent dix tonneaux et de quatorze hom-
mes d'équipage; ce brick était commandé par le capitaine
John James, qui avait aussi avec lui douze matelots que nous
devions débarquer, soit aux îles des Antipodes, soit à celles de
Bounty. Après avoir laissé dix de ces matelots aux Antipodes
et deux à Bountv, nous fîmes voile pour la Nouvelle-Zélande,
but de notre voyage entrepris dans des vues commerciales.
Nous touchâmes à la baie des îles au mois de décembre, pour
faire du bois et de l'eau , et nous nous dirigeâmes vers le cap
de l'Est, éloigné environ de cinq cents milles. Dès que les
indigènes nous aperçurent , ils vinrent en foule dans de larges
canots. Nous avions pris à notre bord, dans la baie des lies,
un Anglais qui nous servait d'interprète : ce fut en vain qu'il
chercha à leur persuader de faire des échanges. Nous fûmes
très-surpris de ce refus; car ces peuples sont très-avides de
tout ce qui vient d'Europe. Mais le mystère fut bientôt éclairci :
notre interprète nous dit qu'ils commençaient leur chant de
guerre, et se préparaient à attaquer le navire.
Déterminés à faire une vigoureuse résistance, nous cou-
rûmes aussitôt aux armes, et nous découvrîmes notre pièce
de canon. Mais n'espérant réussir qu'autant qu'ils surpren-
nent leurs victimes, les insulaires s'enfuirent avec la plus
grande précipitation dès qu'ils s'aperçurent que leurs inten-
tions nous étaient connues. L'objet de notre voyage ne pou-
vant être atteint sur ce point, nous levâmes l'ancre, et, lon-
geant la côte , nous allâmes à quelques milles plus loin à la
baie de Plentv. Les insulaires y sont en grand nombre; ils sont
belliqueux, voleurs et perfides. Notre capitaine permit à quel-
PIECES JUSTIFICATIVES. 713
ques-uns des principaux chefs de venir à bord : il eut pour
eux beaucoup d'égards , espérant ainsi les disposer à trafiquer
avec nous. Sa conduite adroite lui réussit; nous obtînmes en
deux jours autant de lin que nous en désirions.
Nous, fûmes continuellement sur nos gardes pendant ces
deux jours, car les insulaires firent plusieurs tentatives pour
surprendre le navire; mais notre vigilance, excitée par l'avis
que notre interprète nous avait donné si à propos, déjoua leurs
projets. Nous retournâmes dans la baie des Iles arrimer nos
marchandises , et faire de la place pour nos provisions. Lors-
que nous eûmes achevé le tonnelage de nos barils, nous allâ-
mes à quelques milles de là à un endroit nommé Tauranga,
situé à l'entrée de la baie de Plenty. Tauranga offre un bon port
pour les petits bâtimens ; à marée basse, il y a trois brasses
d'eau. Le pays est montagneux, coupé par des bouquets de
bois si agréablement jetés çà et là , qu'il ressemble à un parc
dessiné par une main habile. Les montagnes sont couvertes de
verdure; chaque vallon est arrosé par un ruisseau qui tantôt
serpente paisiblement dans un silence délicieux , et tantôt, ar-
rêté par des débris de rochers ou par des arbres , semble s'ir-
riter de ces obstacles, se gonfle et s'échappe en cascades suc-
cessives. Nous apprîmes qu'on trouvait dans ce lieu beaucoup
de cochons sauvages : leur chasse devant nous retenir assez
long-temps, nous jetâmes l'ancre. Nos entrevues avec les insu-
laires confirmèrent, du moins en apparence, ce qu'on nous
avait dit de leurs dispositions amicales, et, pendant quelques
jours, nous obtînmes des vivres en suffisante quantité; mais
cela dura peu, car au bout de sept semaines nous n'avions
encore que sept tonneaux de pommes de terre et trois de viande
préparée.
Noire interprète recommanda au capitaine d'envoyer une
barque à Walki-Tanna ( qu'il faut peut-être écrire IVariki-
Tanci), établissement situé à environ cinquante milles de Tau-
ranga où nous étions, l'assurant qu'il y trouverait des vivres
en abondance.
71 i PIECES JUSTIFICATIVES.
En conséquence, la barque fut gréée, et je fus changé du
commandement. Le lendemain matin je partis avec notre in-
terprète et un homme de l'équipage. A minuit, nous jetantes
l'ancre dans une petite baie qui est en avant de l'établissement.
Au point du jour, nous remontâmes la rivière, et, à un quart
de mille environ, nous nous trouvâmes en face du pâ ou
village. Ce pâ, comme tous ceux que j'ai vus dans la Nouvelle-
Zélande , est situé sur une montagne escarpée et de forme
conique. Sa force naturelle est encore augmentée par une es-
pèce de parapet en terre. On y arrive par un sentier tournant
et très-étroit que les Européens ne peuvent gravir sans dan-
ger, tandis que l'habitant de la Nouvelle-Zélande court nu-
pieds sur les rocs les plus hérissés de pointes avec une extrême
légèreté.
Des insulaires rassemblés au lieu de notre débarquement
nous saluèrent de leur aire mai', parole d'amitié qui veut dire :
Venez ici. Notre interprète les ayant informés de l'objet de
notre visite, leur joie devint excessive; ils dansèrent et chan-
tèrent autour de nous en faisant les gestes les plus bizarres, et
ils déclarèrent qu'ils nous rendraient tous les services qu'ils
pourraient. Ils nous conduisirent à l'habitation de leur chef
par le sentier dont j'ai parlé. C'était une petite hutte faite de
pieux enfoncés en terre ; les parois et le toit étaient de roseaux
arrangés de façon à ne pas laisser pénétrer la pluie. La seule
ouverture qui donnât du jour et de l'air était une petite porte
de roseaux à coulisse et à peine assez large pour laisser passer
un homme. La hauteur de cette hutte ne permettait pas que
l'on s'y tînt debout. Elle était entourée d'une espèce de ga-
lerie ornée de sculptures grossières, peintes en rouge, ce qui
désignait le rang et la famille du chef. Les huttes des autres
membres de cette peuplade sont tout-à-fait misérables , et res-
semblent à des toits à porc. Ils ont l'habitude de dormir en plein
air, et il faut que le temps soit bien rigoureux pour les forcer
à chercher un abri dans ces cahutes. Ils dorment assis les jam-
bes pliées sous eux, et ils sont couverts d'une natte de jonc ;
*
PIECES JUSTIFICATIVES. 715
en sorte que pendant la nuit ils ont l'air tic petites meules de
foin éparpillées sur le revers de la montagne.
Le chef auprès duquel on nous introduisit se nommait Nga-
rara ou le Lczard. Il était grand , bien fait, d'une forte Staline
et d'un aspect imposant. Tout son corps était tatoué. Nous le
trouvâmes assis devant sa hutte, ayant une belle natte sur les
épaules. Sa figure était barbouillée d'huile et d'ocre rouge. Ses
cheveux, arrangés à la mode du pays, étaient attachés sur le
sommet de la tète, et ornés de plumes de poe , oiseau très-
remarquable. Dès qu'il fut informé de ce que nous désirions,
il nous montra un assez grand nombre de beaux cochons qu'il
consentait à nous céder. Je le priai de les envoyer par terre à
1 endroit où notre navire était stationné ; mais il répondit que
cela lui était impossible, attendu qu'il était en guerre avec
quelques-unes des tribus intermédiaires. Je ne vis d'autre
moyen que de retourner à notre bâtiment, la barque étant trop
petite pour transporter ces provisions. Malheureusement le
vent était contraire et la mer très-houleuse; nous étions obli-
gés de courir des bordées et de nous tenir au large. La nuit
survint; le vent fraîchissant au nord-ouest, nous prîmes des
ris , et notre petite barque se soutint mieux que nous n'aurions
pu l'espérer; mais au point du jour nous nous trouvâmes tel-
lement sous le vent de la rivière, que nous fûmes forcés de re-
tourner à Walki-Tanna. Le vent s'étant calmé, nous prîmes
nos rames, et, à trois heures après midi, nous étions revenus
au même point que nous avions quitté la veille. Le capitaine
m'avait dit de lui envoyer, par terre, un homme avec un
guide , si j'étais retenu par les vents ou par quelque autre cir-
constance. Voyant que le vent se fixait au nord-ouest et qu'il
n'était guère probable que la barque pût rejoindre le bâtiment,
je priai notre interprète d'y aller par terre. Il refusa ainsi que
mon matelot, n'osant ni l'un ni l'autre se fier aux insulaires
qu'ils pourraient rencontrer. Je me décidai donc à y aller moi-
même ; j'engageai un des chefs de cette tribu à venir avec moi,
et nous nous mimes en route le lendemain à la pointe du jour.
716 PIECES JUSTIFICATIVES.
Je trouvai le pays montagneux, coupé de nombreuses ri-
vières, dont il nous fallait souvent côtoyer les bords pendant
des milles entiers avant de trouver un endroit guéablc; ce qui
alongea de beaucoup notre route. Le lin croît en abondance
sur ces rives; on y voit de petites pièces de terre cultivées, qui
produisent des choux, des pommes de terre, des panais, des
carottes, une petite espèce de navet, des melons d'eau et des
pèches. La culture de l'oranger y a été introduite avec assez
de succès. Les arbres les plus remarquables sont le kaï-katea
et le koudi : ils s'élèvent tous les deux à une hauteur prodi-
gieuse et sans une seule branche ; ils seraient excellens pour
l'aire des mâts de grands vaisseaux. Le kaï-katea se trouve dans
les endroits marécageux et sur le bord des rivières; sa feuille
paraît être persistante et ses baies sont rouges. Le koudi, qui lui
est préféré, croît dans les terrains sablonneux; il a un très-
beau feuillage, et contient beaucoup de résine. Une grande
partie du voyage se fit à travers les sables, ce qui le rendit
très-pénible. Enfin, après avoir marché pendant deux jours
et deux nuits, en évitant avec soin la rencontre des insulaires,
nous arrivâmes auprès de notre bâtiment. Je donnai à mon
guide une couple de tomahauks et un peu de poudre, ce dont
il parut satisfait. Dès que notre capitaine sut que nous avions
trouvé des provisions à Walki-Tanna , il leva l'ancre, et se
dirigea vers l'établissement devant lequel nous arrivâmes la
nuit suivante. Les habitans parurent joyeux de nous revoir; ils
vinrent à nous dans de grandes barques, nous apportant d'a-
bondantes provisions de porc que nous leur achetâmes sans
aller jusqu'au mouillage. INgarara vint à bord, et nous traita
avec une apparente cordialité. Son peuple semblait animé des
mêmes sentimens, et, conformément aux ordres qu'il en avait
reçus, il se tint à distance de notre navire. Nous rangeâmes
nos provisions sur le pont le mieux qu'il nous fut possible, afin
qu'il en tînt davantage ; et, le vent fraîchissant au sud-est, nous
retournâmes dans la baie de Tauranga pour tuer et saler nos
cochons; mais la quantité n'étant pas suffisante, nous mîmes
PIECES JUSTIFICATIVES. 717
encore une fois à la voile pour Walki-Tanna , où nous arri-
vâmes le dimanche 1er mars 1829. Le temps étant superbe,
nous jetâmes l'ancre entre l'île de Maltora (ne serait-ce pas
V otou -If-ira'.' ) et l'île principale. A peine étions-nous arri-
ves que les insulaires vinrent en grand nombre; nous n'avions
besoin que de vingt porcs, et ce fut tout ce que nous leur
achetâmes.
Le lundi 2 mars , à six heures du matin , la barque fut en-
\ nvee à terre avec un officier et huit hommes , y compris l'in-
terprète , pour tuer et préparer promptement nos porcs à
une source d'eau chaude qui se trouvait sur la côte à peu de
distance du vaisseau. A une heure après midi, nous les hé-
lâmes pour qu'ils vinssent dîner. Comme ils ne nous enten-
daient pas, le capitaine alla les trouver, et me laissa, avec trois
hommes , le soin du bâtiment , ne se méfiant nullement des in-
tentions perfides des insulaires. Ngarara était alors à bord avec
dix ou douze des siens. Je remarquai plusieurs fois qu'ils par-
laient avec chaleur du kaï-pauke (le bâtiment), et, soupçon-
nant quelque trahison, je dis au commis aux vivres, qui était
un Taïticn , de sortir les sabres et de surveiller Ngarara, que
je vis redresser son arme. A ce signal, ses hommes se précipi-
tèrent sur les haubans du grand mât , ayant chacun un fusil
qu'ils avaient caché dans leurs canots. Dans ce moment cri-
tique nous n'avions pas de pistolets sur le pont, et je sentais
bien que, si l'un de nous descendait pour les chercher, Ngarara
en profiterait pour commencer l'attaque. Comme nos fusils
avaient été placés dans la hune de misaine, non-seulement
pour qu'ils fussent plus en sûreté, mais aussi crainte de sur-
prise, j'ordonnai à l'un de mes hommes d'y monter et de tirer
sur Ngarara; mais comme il n'était pas convaincu aussi bien
que moi des mauvais desseins des insulaires, il refusa d'obéir.
Il n'y avait pas cependant un moment à perdre : je restai moi-
même dans la hune en ordonnant d'avoir l'œil au guet. Mal-
heureusement mes hommes m'éeoutèrent peu , disant que je
méditais la mort d'un innocent, et ils continuèrent à plaisan-
718 PIECES JUSTIFICATIVES
ter entre eux. Mais dès que Ngarara me vit dans la hune oc-
cupe à dénouer les fusils, il tira sur un des nôtres qui était
à trois pas de lui et qui s'amusait à jouer avec un sabre; la
balle passa au travers de sa tête , que Ngarara lui coupa aussi-
tôt avec son mère , sorte de petite massue qui se termine par un
caillou aiguisé. Tous les siens sautèrent alors sur le pont, et
les deux pauvres matelots qui nous restaient furent massacrés.
Les insulaires tirèrent ensuite sur moi sans m'alteindre; mais
au moment où j'armais mon fusil, Ngarara m'envoya dans le
bras droit une balle qui brisa l'os. Quand ils me virent tom-
ber dans la hune, ils commencèrent leur danse de guerre en
faisant d'horribles hurlemens , puis ils se mirent à piller le na-
vire. Quoique je fusse presque accablé par la douleur , je re-
marquai que, dans la chaleur du pillage, ces misérables n'a-
vaient aucun égard pour l'autorité de leur chef; et, comme ils
ne voulaient point lâcher prise, quelques-uns furent tués sur la
place. Leur diligence à remplir leurscanots futextrème. Ngarara
ordonna à un des siens de venir me prendre; cet homme, ne
pouvant y parvenir à lui seul, appela à son aide, et je fus
traîné dans un des canots. Le soleil était couché; ces sauvages
firent force de rames pour entrer dans la baie avant la nuit ,
ce qui alors est extrêmement dangereux. Nous y arrivâmes
sans accident, quoique nous eussions à passer sur un brisant.
Quelques-uns des canots trop chargés, principalement ceux
qui l'étaient de nos armes et de nos munitions, chavirèrent;
les insulaires parvinrent à se sauver, mais ils perdirent et leur
butin et leurs canots.
J'ignorais le sort du capitaine et celui de l'équipage ; je
croyais même qu'ils avaient tous été taillés en pièces, et je me
voyais la seule victime qui eût survécu. Destiné à souffrir de
la part de ces cannibales les plus horribles tortures avant
qu'ils assouvissent sur moi leur passion pour la chair humaine,
j'aurais dû regarder avec indifférence la perte de leurs canots ;
mais malgré l'agonie de corps et d'esprit dans laquelle j'étais,
je vis avec ravissement cet acte de justice. Quand nous fûmes
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 719
arrivés à L'établissement , les femmes nous entourèrent en
chantent, en dansant, en faisant toutes les démonstrations
d'une joie extravagante, et en louant leurs héroïques maîtres
de l'action courageuse que, dans leur opinion , ils venaient
de faire. Lorsque les indigènes eurent débarqué leur butin, ils
allumèrent de grands feux autour desquels ils se réunirent. La
lueur des flammes faisait voir de plus en plus leurs horribles
contorsions. Ils paraissaient discuter avec violence : j'enten-
dais assez leur langage pour comprendre que j'étais l'objet qui
les occupait si vivement. Mon sort me parut inévitable; la plu-
part des sauvages demandaient ma mort : l'on en ordonna au-
trement. Je dus mon salut au chef qui m'avait servi de guide
et qui intercéda pour moi , promettant que, si ma rançon n'ar-
rivait pas à une époque fixée , ce serait lui-même qui me tue-
rait; mais qu'un fusil valait bien mieux que ma personne. Ce
raisonnement décida les insulaires à différer ma mort.
Alors il me conduisit dans sa hutte. Tous les événemens de
cette pénible journée se retraçant tour à tour à ma pensée,
j'offris à Dieu des actions de grâces pour ma délivrance mira-
culeuse, et j'implorai sa miséricorde.
Je passai les deux premières nuits sans fermer l'œil; tout ce
que j'avais éprouvé, et la douleur que me causait mon bras,
ne m'en laissaient pas la possibilité. Mes plaintes importu-
nèrent mon hôte, au point qu'il me mit hors de sa hutte ; je
me traînai sous une espèce de hangar qui était tout auprès.
Pendant ces deux jours personne n'avait songé à me soulager;
enfin je trouvai un morceau de cuir, que je plaçai comme une
éclisse autour de mon bras ; puis , déchirant mon bas pour me
servir de bandage, mon hôte le serra contre ma blessure, et
j'allai plusieurs fois la laver à la rivière, où l'un de mes gar-
diens m'accompagnait. La balle avait traversé l'os, et il restait
encore du plomb que je ne pouvais extirper. Le second jour
de ma captivité, me trouvant du côté du pâ qui fait face à la
baie , la vue d'une goélette attira mon attention. Lorsqu'elle
fut proche de notre misérable navire, dont presque tous
720 PIECES JUSTIFICATIVES.
les agrès avaient été enlevés , je vis les insulaires l'aban-
donner en toute hâte et la goélette chercher à le remorquer
hors de la baie. Je suppliai ces misérables de me mener à
bord, leur promettant ma rançon et des indemnités ; ils furent
sourds à mes prières. On concevra mieux que je ne pourrais
l'exprimer ce que j'éprouvai en voyant s'éloigner ces deux
vaisseaux qui pouvaient seuls m'assurer quelque chance de
salut. Je tâchai donc de me résigner à mon sort puisqu'il
était inévitable; mais l'amour de la vie et cette pensée que je
venais d'échapper à un plus grand danger firent rentrer dans
mon ame un rayon d'espoir. Ce qui m'arriva le lendemain
n'était cependant pas de nature à diminuer mes mortelles
anxiétés. Un des indigènes m'apporta la tète d'un de mes in-
fortunés compagnons : c'était celle du Taïtien qu'ils avaient
préparée avec beaucoup de soin et tatouée. Ils conservent
ainsi un grand nombre de têtes, et c'est même une de leurs
branches de commerce ; je frissonnai à l'idée que la mienne ne
tarderait pas à en faire partie.
Le matin du quatrième jour de ma captivité, je fus vive-
ment alarmé en voyant les insulaires se réunir autour de moi.
J'en demandai la raison : c'était , me dirent-ils , le peuple de
Tauranga , tribu voisine, qui venait les attaquer avec des forces
supérieures aux leurs.
Peu après ,'Ngarara parut tenant le sextant du capitaine; il
me le donna en me disant d'observer le soleil et de l'instruire
si véritablement la tribu de Tauranga s'avançait vers la sienne.
Le refuser m'eût été fatal ; il ne l'était pas moins de mal pro-
phétiser. Toutefois réfléchissant , d'après le caractère bien
connu de ces insulaires, que la nouvelle du pillage de notre
bâtiment devait avoir excité la cupidité des peuplades voisi-
nes, j'obéis aux ordres de Ngarara , j'observai la hauteur du
soleil et demandai un livre , que j'eus l'air de consulter atten-
tivement. « Oui , lui dis-je , la tribu de Tauranga s'avancera
vers ton peuple avec des intentions hostiles. — Et quand? »
me demanda-t-il. Mon agitation était extrême, je savais à peine
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 721
cv que je disais et lui répondis : « Domain. » Il parut content
de moi et se prépara à une défense vigoureuse. Les naturels
construisirent, du côté de la rivière et au pied du pâ, une es-
pèce de rempart en terre de quatre pieds de hauteur, sur
lequel ils placèrent nos caronades et nos pierriers, et ils at-
tendirent avec impatience et sans crainte l'aurore du jour
suivant. Elle paraissait à peine que j'entendis une décharge de
mousqueterie. Ngarara, se précipitant dans ma hutte, m'an-
nonça que l'attaque de ceux de Tauranga avait lieu ainsi que
je l'avais annoncé. Sa confiance en mes prédictions ne con-
naissait plus de bornes; il me supplia de lui dire s'il serait
vainqueur. Je lui répondis que oui, ce qui inspira une nou-
velle ardeur à son peuple, parmi lequel ma première prédic-
tion s'était promptement répandue. L'ennemi était alors de
l'autre côté de la rivière ; il avait commencé un feu très-vif,
auquel ceux de Walki-Tanna répondaient vigoureusement.
Un d'eux me conduisit derrière l'établissement, pensant que
j'y serais moins en danger ; ma vie était devenue un objet de
sollicitude. J'entendis bientôt après le bruit d'un de nos ca-
nons, puis ensuite des chants de victoire ; cette décharge avait
produit une telle frayeur parmi les assaillans , qu'ils s'étaient
enfuis dès qu'ils l'avaient entendue. Ngarara vint à moi suivi
de plusieurs chefs, m'appelant Atoua (Dieu). On coupa la tête
des blessés ennemis restés prisonniers ; on enleva et. nettoya
l'intérieur des corps; on les fit cuire , et l'avidité que montrè-
rent ces sauvages, hommes et femmes , à cet horrible repas ,
me persuada qu'ils préfèrent la chair humaine à toute autre
nourriture.
Comme leur manière de conserver les tètes pendant plu-
sieurs années, sans que les traits subissent la moindre altéra-
tion, peut exciter quelque curiosité, j'en rendrai compte ici.
Lorsque la tète a été séparée du tronc et toutes les parties in-
térieures enlevées, on l'enveloppe de feuilles et on la met dans
un four en pierre , que l'on a assez fortement chaude et que
l'on enfonce dans la terre en le recouvrant d<- gazon. La clia-
tome ni. jC}
7 22 PIECES JUSTIFICATIVES.
leur est modérée et fait évaporer doucement l'humidité, qu'on
essuie avec soin jusqu'à ce qu'il n'en reste plus; après quoi on
expose la tète assez long-temps à l'air pour que la siccité soit
parfaite. Les traits, les dents , les cheveux de quelques-unes
de ces têtes sont comme lorsqu'elles étaient pleines de vie , et
restent dans cet état pendant des années entières.
L'usage de conserver les tètes est commun dans toute la
Nouvelle-Zélande : ce sont leurs trophées de guerre. Quand
elle cesse , ils rendent ces têtes aux parens afin que la paix
soit durahle. Ils les donnent maintenant aux Européens pour
un peu de poudre à canon. Les insulaires que j'ai vus sont gé-
néralement grands , bien faits, actifs; ils ont la peau basanée,
les cheveux noirs et souvent bouclés , les dents blanches et ré-
gulières. Ils sont divisés en deux classes : les Rangatiras ou
chefs avec leur famille et leur parenté ; les Koukis ou esclaves,
qui sont presque tous noirs, d'une stature plus petite, et pa-
raissent être d'une autre race.
Avant qu'ils soient tatoués , les traits de l'habitant de la
Nouvelle-Zélande sont agréables , quelquefois même d'une
beauté remarquable. Quand un jeune homme arrive à l'âge de
vingt ans, il doit se soumettre à cette opération pénible, ou
bien il est considéré comme un être sans courage.
Généralement ils la supportent avec fermeté. On s'y prend
ainsi : le patient pose sa tète sur les genoux de celui qui doit
le tatouer, et qui commence par tracer les lignes particulières
à sa tribu. Un petit ciseau , fait d'os de poisson, incise un peu
jusqu'aux chairs; on applique ensuite sur ces incisions une
préparation de charbon. L'inflammation qui en résulte est
telle qu'on est obligé de s'y prendre à plusieurs reprises et
qu'il faut des mois entiers avant qu'un homme soit complète-
ment tatoué. Les femmes se soumettent à cette opération,
mais on leur fait moins d'incisions qu'aux hommes. Le vête-
ment de ces insulaires consiste en deux nattes d'un lin soyeux
et artislcment travaillé par les femmes ; l'une de ces nattes est
jetée sur l'épaule , l'autre est attachée par une ceinture autour
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 723
du corps. Lorsque le temps est mauvais, ils portent une grande
natte qui 1rs couvre entièrement. Leurs cheveux sont huilés,
réunis en touffe sur le sommet de la tète et ornés des plumes
du poe. Quand ils vont combattre, ils se peignent le corps
d'huile et d'ocre rouge. On perce les oreilles aux enfans des
deux sexes et on agrandit progressivement le trou en y intro-
duisant de petits bâtons, car plus ce trou est grand, plus il
est regardé comme un ornement. Les classes supérieures y sus-
pendent la dent d'un poisson rare, et celte marque de distinc-
tion est telle qu'un kouki n'oserait se la permettre. Ils portent
aussi autour du cou une image grotesque gravée sur du talc
vert : ils paraissent y tenir beaucoup , car on la garde , dans
une même famille , pendant des générations entières. L'habil-
lement des femmes est semblable en tout à celui des hommes.
Généralement elles ont le maintien modeste ; leur teint res-
semble à celui des Italiennes : elles sont belles , bien faites, et
supportent avec une douceur et une patience extraordinaires
les brutalités de leurs maris. Epouses tendres et fidèles , elles
aiment passionnément leurs enfans.
Toutefois il existe parmi elles un usage dont la seule pen-
sée fait frémir. Lorsque le nombre des filles dépasse celui des
garçons, la mère elle-même, dès la naissance de son enfant,
le tue en appuyant fortement son doigt sur la partie du crâne
appelée la fontaine; mais la plupart de ces mères voient sans
doute avec horreur une coutume aussi révoltante. La pluralité
des femmes a lieu dans les classes supérieures, mais il existe
une grande distinction entre l'épouse principale et les autres.
Celle-ci étant toujours la fille d'un chef, c'est la politique qui
décide de ces sortes d'unions. Ses enfans l'emportent sur ceux
des autres femmes , qui ne sont auprès d'elle guère mieux que
des domestiques. A la mort du chef, l'épouse principale se
pend ordinairement, et cette action porte avec elle un carac-
tère sacré.
Il ne m'arriva rien d'intéressant jusqu'au 9 mars. Mais ce
jour-la j'appris, contre toute attente, et avec une joie impos-
46'
724 PIÈGES JUSTIFICATIVES.
siblc à décrire, que ma rançon était arrivée. Cette délivrance
extraordinaire était due aux événemens suivans.
Quand le capitaine quitta le bâtiment pour aller sur la côte,
la première chose qu'il aperçut lut un insulaire emportant les
sabres de nos gens; et lorsqu'il eut rejoint ceux-ci, il apprit
qu'effectivement ils avaient été dépouillés de leurs armes.
Il donna aussitôt l'ordre de détacher la chaloupe, mais les
rames n'y étaient plus : on vit, sur un des rochers, l'insulaire
qui les avait prises et qui les tenait encore. Nos gens le pour-
suivirent avec tant de vigueur qu'il jeta les rames et s'enfuit.
Comme ils revenaient vers la chaloupe, les sauvages cachés
derrière les rochers tirèrent sur eux, et ne leur rirent heureu-
sement aucun mal. Ils avaient à peine quitté le rivage qu'ils
s'aperçurent que les insulaires s'étaient emparés du brick : ils
étaient sans armes; par conséquent il était inutile de songer à
sauver le bâtiment. Ils s'avancèrent en pleine mer , se diri-
geant vers le nord-ouest en faisant force de rames, et ils eurent
l'heureux hasard de rencontrer la goélette la Nouvelle-Zélande,
capitaine Clarkc, venant de Sydney, et qui les reçut à son bord.
Ce capitaine, apprenant le sort de notre bâtiment, résolut de
le reprendre, ce qu'il fit ainsi que nous l'avons vu. Les lam-
beaux de chair humaine répandus sur le pont, les débris du
feu qu'on y avait allumé, ne laissèrent pas de doute que les
malheureux restés à bord n'eussent été dévorés par ces canni-
bales. La goélette rentra dans le mouillage de Tauranga. Là,
on apprit que j'étais encore vivant et prisonnier à Walki-
Tanna. Le capitaine envoya deux chefs porter des fusils pour
ma rançon; ils allèrent par terre, et arrivèrent le 9 mars. Je
partis aussitôt avec eux : ma faiblesse me rendit encore ce
voyage plus pénible que la première fois. J'eus beaucoup de
peine à traverser les montagnes couvertes de fougère tellement
mouillée par la rosée que je ne pouvais m'y reposer.
Mes guides me procurèrent cependant quelque soulagement
en faisant dans le sable des trous dans lesquels je me couchais
jusqu'à ce que le froid et le frisson m'obligeassent à marcher
PIECES JUSTIFICATIVES. 726
de nouveau ; il nous fallait aussi faire de nombreux détours
pour éviter les insulaires. Après trois jours et trois nuits d'une
marche pénible, nous atteignîmes Tauranga , où j'eus le bon-
heur inexprimable de retrouver mon eapitaine et mes cama-
rades , et où nous nous racontâmes tous les événemens qui s'é-
taient passés depuis notre séparation.
Nous arrivâmes le i5 mars dans la baie des Iles. Le capi-
taine me mena à terre auprès du révérend M. Williams, mis-
sionnaire établi dans ces parages; mais, n'étant pas médecin,
il ne put me donner d'autre secours qu'une poudre pour em-
pêcher l'excroissance des chairs. Je partis pour Sydney le 17 ,
à bord de la Nouvelle-Zélande , et nous arrivâmes le 25, ayant
ainsi passé vingt -trois jours sans aucun secours des gens de
l'art. On extirpa de mon bras trois plombs et plusieurs es-
quilles; la blessure était en si mauvais état que le chirurgien
voulait faire l'amputation; je n'y pus consentir. Je passai trois
mois à Sydney pendant lesquels ma blessure se guérit ; mais
désespérant de pouvoir jamais me servir assez bien de mon
bras pour continuer mon service dans la marine , je retour-
nai en Angleterre où j'arrivai après une traversée de quatre
mois et demi.
( United Service Journal.}
726 PIECES JUSTIFICATIVES.
OUVRAGE
INTITULE
NEW-ZEALANDERS.
Les matériaux de ce recueil sur la Nouvelle-Zélande
étaient prêts depuis un an environ , mais leur impres-
sion a été retardée par des circonstances indépendantes
de ma volonté. Sur ces entrefaites, j'appris qu'un ou-
vrage venait de paraître en Angleterre sur ce même
objet et sous le litre de New-Zealanders , London,
Charles Knigth, Pallmall East. 1830. Je réussis à
me le procurer à Portsmoulh, dans le voyage que je fis
en Angleterre pour y conduire le roi Charles X et sa
famille. Un examen rapide de cet intéressant ouvrage
m'eut bientôt convaincu que je venais d'être devancé
dans le travail que je projetais sur ces îles australes.
Seulement, au lieu de présenter, comme je le fais, un
tableau des mœurs et des coutumes des Nouveaux-
Zélandais, et de réunir ensuite en un volume, par
extraits détachés, tous les matériaux qui existent sur
PIÈGES JUSTIFICATIVES. 727
ces peuplades : l'auteur anglais a fondu ces divers
documens dans le cours de son ouvrage dont le corps
est principalement formé par le récit d'un Anglais
nommé Rutherford, qui est resté long-temps pri-
sonnier chez les sauvages. Je ne discuterai point ici
à laquelle de ces deux méthodes on doit donner la
préférence , mais je reconnaîtrai que l'ouvrage anglais
m'a paru excellent sous tous les rapports ; il est aussi
complet qu'on peut le désirer , et l'auteur a puisé aux
meilleures sources. Si j'avais eu connaissance de ce
travail avant de commencer le mien , je me serais pro-
bablement contenté d'y ajouter mes propres obser-
vations. Mais ayant terminé mes recherches, et la
marche que j'ai adoptée pouvant avoir son utilité, j'ai
cru devoir poursuivre mon premier plan; d'autant
plus qu'il répondait mieux au titre sous lequel je l'ai
annoncé, de Pièces justificatives ou de Collection des
Chroniques de la Nouvelle-Zélande. D'ailleurs on y
trouvera textuellement le récit des intéressantes ex-
cursions de M. Marsden dont on ne rencontre que des
extraits fort succincts dans le Neiv-Zealanders. J'ai
extrait, au reste, de ce dernier ouvrage deux épisodes
remarquables, savoir : la captivité de Rutherford dans
la Nouvelle-Zélande et le voyage de Toupe-Koupa en
Angleterre, et j'en donne ici la traduction pour com-
pléter la série de mes Pièces justificatives.
Histoire de Rutherford.
Rutherford, suivant son propre récit, était né à Manches-
ter vers l'an 1796. 11 prit la mer, à ce qu'il assure , ayant ;"t
728 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
peine dix ans et après avoir jusqu'alors travaillé comme ou-
\ rier dans une fabrique de coton de sa ville natale : il paraît
qu'ensuite, et durant plusieurs années, il se retrouva fort peu
en Angleterre et même à terre. Il servit long-temps à bord
d'un vaisseau de guerre , sur la côte du Brésil, et il prit part
à l'affaire de Saint-Sébastien en août 18 13. A son retour d'Es-
pagne dans sa patrie, il passa à bord d'un autre vaisseau du
Roi destiné pour Madras, sur lequel il se rendit ensuite en
Cliine par la route de l'Est, et il séjourna près d'un an à
Maeao. Dans le cours de ce voyage , son vaisseau toucha à
plusieurs des îles du grand archipel de l'Inde, et entre autres
aux îles Bashec , qui avaient été peu visitées. A son retour des
Indes, il embarqua à bord d'un navire chargé de eonvicts
pour la Nouvelle-Galles du Sud ; puis il (it deux voyages sur
des bâtimens de commerce aux îles de la mer du Sud. Ce fut
dans le premier de ces voyages qu'il vit pour la première fois
la Nouvelle-Zélande , son navire ayant touché à la baie des
Iles, dans sa traversée d'Angleterre à Port-Jackson. Sa se-
conde campagne commerciale dans ces mers eut lieu sur le
Magnet, schooner à trois mâts, commandé par le capitaine
Vine ; mais ce navire ayant relâché à Hawaï , Rutherford
tomba malade et fut laissé sur cette île. Du reste s'élant ré-
tabli , au bout de quinze jours environ , il fut reçu à bord de
V Agnes, brick américain de six canons et quatorze hommes
d'équipage , commandé par un certain capitaine Coffin, alors
occupé au commerce des perles et de l'écaillé de tortue, dans
les îles de l'Océan-Pacifiquc. Ce bâtiment, après avoir touché
sur divers autres points, à son retour de Hawaï , accosta la
côte orientale de la Nouvelle-Zélande , dans le dessein de relâ-
cher à la baie des îles pour y prendre des rafraîchissemens. Le
f> mars 1816, nos navigateurs se trouvèrent en vue des îles
Barrière, situées devant l'entrée de la rivière Tamise , et par
conséquent à quelque distance au sud du port où ils comp-
taient aller. C'est pourquoi ils remirent le cap au nord; mais
ils n'avaient pas élé loin dans cette direction, quand il corn-
PIECES JUSTIFICATIVES. 729
mcnça à souiller un coup de vent du M. E. qui, joint au cou-
rant , non-seulement les mit dans l'impossibilité d'atteindre la
Laie des lies , mais leur fit même dépasser l'embouchure de la
Tamise. Ce coup de vent dura cinq jours, et, quand il cessa, ils
se trouvèrent à quelque distance au sud d'une haute pointe de
terre, qui , d'après la description de Rulherford, doit être cer-
tainement celle à laquelle le capitaine Cook donna le nom de
cap Est. Ruthcrford l'appelle tantôt cap Est, et tantôt cap
Sud-Est, et la représente comme la partie la plus élevée de la
côte. Elle est presque située par la latitude de 3y° 4a' S.
La terre précisément devant eux se creusait en une large
baie. Le capitaine ne se souciait nullement d'y entrer , pen-
sant qu'aucun navire n'y avait encore mouillé. Cependant
nous ne doutons guère que ce ne fût la baie même où Cook
toucha d'abord , à son arrivée sur les côtes de la Nouvelle-
Zélande , au commencement d'octobre 17G9. Il la nomma
baie de Pauvreté et la trouva située par 38° 42' L. S. La baie
où se trouvait Rutherfbrd doit avoir été du moins fort près
de cette partie de la côte; et sa description correspond exac-
tement à celle que Cook nous donna de la baie Pauvreté.
«Elle était , dit Rulherford, en forme de demi-lune, avec
une plage de sable tout autour et au fond une rivière d'eau
douce ; celle-ci a une barre à son embouchure, ce qui la rend
navigable seulement pour des canots. » Il fait mention aussi
de l'élévation de la terre qui en forme les côtés. Tous ces dé-
tails sont aussi mentionnés par Cook. Le nom même qui lui
est donné par les naturels , tel qu'il est. rapporté par l'un
d'eux, n'est pas tellement différent de celui que donne l'autre,
qu'il n'est pas hors de vraisemblance que les deux ne re-
présentent le même nom exprimé également d'une manière
inexacte. Cook l'écritTaone-Roa, et RutherfordTako -Mardo *.
Il parait que cette baie Tako-Mardo de Rulherford doit être la baie
Toko-Malou de l'Astrolabe, située à quarante milles au N. N. E. de la haie
Taone-lloa. ( \ote de M. d'Unùlle. )
730 PIECES JUSTIFICATIVES.
Le plus léger examen des vocabulaires des langues sauvages,
tels qu'ils ont été recueillis par les voyageurs et les naviga-
teurs, prouvera facilement l'imperfection avec laquelle l'o-
reille saisit les sons auxquels elle n'est point habituée , et dé-
montrera les erreurs auxquelles on est exposé en essayant de
représenter les mots d'un langage que l'on ne comprend point,
d'après la simple prononciation des naturels.
Malgré la répugnance qu'éprouvait le capitaine à donner
dans cette baie, par suite de son ignorance de la côte et de ses
soupçons sur les dispositions des babitans, l'équipage se déter-
mina enfin à y relâcher, attendu l'extrême besoin d'eau où l'on se
trouvait, joint à ce qu'on ne savait point si le vent permettrait
de gagner la baie des Iles. En conséquence on mit à l'ancre,
au large d'une pointe de récifs située précisément au-dessous
d'une terre élevée qui formait un des côtés de la baie. Aussitôt
qu'on eut laissé tomber l'ancre, le navire fut environné par un
grand nombre de pirogues qui arrivaient de tous les points de
la baie, et dont chacune était montée et manœuvrée par une
trentaine de femmes. Très-peu d'hommes se montrèrent dans
la journée ; mais bon nombre de femmes restèrent à bord toute
la nuit , occupées principalement à voler tout ce qui leur tom-
bait sous la main. Leur conduite alarma vivement le capitaine,
et toute la nuit on fit une bonne garde. Le lendemain matin
un chef, que l'on dit se nommer Emaï, arriva à bord, dans
une grande pirogue de guerre de soixante pieds de long envi-
ron et portant plus de cent naturels. Ils étaient approvision-
nés d'une quantité de nattes et de lignes de pêche fabriquées
en lin blanc et fort du pays, qu'ils paraissaient empressés de
vendre aux hommes de l'équipage.
Quand ce chef eut été quelque temps à bord, il fut convenu
qu'il retournerait à terre avec auclques hommes de sa tribu ,
dans le canot du navire, pour se procurer une provision deau.
Le capitaine tenait beaucoup à faire cet arrangement, car il
répugnait à envoyer aucun de ses hommes à terre, désirant les
garder tous à bord pour la défense du navire. Au bout du
PIECES JUSTIFICATIVES. 731
temps nécessaire, le canot revint chargé d'eau, qui fut sur-le-
champ embarquée ; puis le chef et ses hommes furent expédiés
de nouveau pour le même objet. Pendant ce temps, le reste
des naturels continuait d'apporter des cochons à bord en très-
grande quantité. A la fin du jour, environ deux cents de ces
animaux avaient été achetés, avec une provision de racine de
fougère pour les nourrir. Jusqu'à ce moment, aucune inten-
tion hostile n'avait été manifestée par les sauvages , et leurs
relations avec le navire portaient l'empreinte de l'amitié et de
la cordialité, si toutefois on met de côté leur penchant à dé-
rober un certain nombre des objets précieux et tentans que
leur montraient leurs hôtes civilisés. Sous ce rapport leur con-
duite semblerait presque prouver qu'ils n'avaient encore formé
aucun projet pour attaquer le navire, attendu qu'en pareil cas
il n'est guère probable qu'ils se fussent donné la peine de vo-
ler de faibles portions de ce dont ils auraient espéré se rendre
maîtres en totalité. D'un autre côté , une pareille infraction
aux lois de l'hospitalité ne se serait guère accordée avec ce sys-
tème d'honnêteté perfide qu'ils ont coutume d'employer pour
endormir les soupçons de ceux qu'ils sont à la veille d'égorger.
Au reste, durant la nuit les vols se renouvelèrent et devin-
rent plus inquiétans; car on s'aperçut dans la matinée que
quelques-uns des naturels avaient non-seulement dérobé le
plomb sur l'arrière du navire, mais qu'ils avaient coupé plu-
sieurs cordages et les avaient emportés dans leurs piregues. Ce
ne fut aussi qu'au point du jour que le chef revint avec sa se-
conde cargaison d'eau ; et l'on s'aperçut alors que le canot du
navire, qu'il avait emmené avec lui, faisait beaucoup d'eau.
Le charpentier l'examina, et reconnut qu'une grande partie
des clous qui tenaient ses bordages avaient été arrachés. Dans
le même temps, Rutherford surprit un des naturels occupé à
voler le plomb de soude. « Comme je le lui arrachais des
mains , dit Rutherford dans son récit, le sauvage grinça des
dents et me menaça de son tomahawk. Alors le capitaine paya
le chef pour l'eau qu'il avait apportée, en lui donnant deux
732 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
mousquets, de la poudre et du plomb , les armes et les muni-
tions de guerre étant les seuls articles que ces peuples voulus-
sent recevoir. En ce moment il se trouvait environ trois cents
naturels sur le pont, et Emaï au milieu d'eux; chacun était
armé d'une pierre verte, suspendue à une ceinture passée au-
tour de leurs reins. Ils appellent cette arme un mère y c'est une
pierre d'environ un pied de long, aplatie, de forme oblongue,
tranchante sur les deux bords et terminée par une poignée :
ces sauvages s'en servent pour tuer leurs ennemis, en les frap-
pant sur la tète. On vit alors des fumées s'élever de plusieurs
sommets, et les naturels semblaient se rassembler sur le rivage
de tous les points de la baie. Le capitaine fut très-effrayé , et il
nous pria de larguer les voiles et de nous hâter de terminer
notre dîner, car il avait l'intention de remettre sur-le-champ
à la voile. Aussitôt que nous eûmes dîné, nous montâmes sur
les vergues et je m'occupai de larguer le foc. En ce moment,
personne autre que le capitaine et le coq ne se trouvaient sur
le pont, le premier maître étant occupé à charger quelques
pistolets dans la salle à manger. Les naturels saisirent cette
occasion pour commencer à attaquer le navire. D'abord le chef
se dépouilla de la natte qu'il portait en guise de manteau ; et,
brandissant son tomahawk, il entonna le chant de guerre.
Alors tous les autres jetèrent aussi leurs nattes, et, désormais
complètement nus, ils se mirent à danser avec une telle vio-
lence, que je crus qu'ils allaient enfoncer le pont du navire.
Le capitaine était alors appuyé contre le capot; l'un des sau-
vages se glissa à l'improvistc derrière lui , et lui asséna sur la
tête trois ou quatre coups de casse-tête qui le tuèrent à l'ins-
tant. Le coq, voyant le capitaine attaqué, courut à son secours;
mais il fut aussitôt assassiné de la même manière. J'étais alors
assis sur le bâton du foc , les yeux baignés de larmes et trem-
blant de frayeur. Peu après je vis le maître qui accourait par
l'escalier du capot; mais avant d'arriver sur le pont, il lut
frappé sur la nuque du cou , comme l'avaient été le capitaine
et le coq. Il tomba sur le coup; mais il ne mourut pas tout
PIECES JUSTIFICATIVES. 733
de suite. Une foule de naturels se précipitèrent dans la cham-
bre, tandis que d'autres y entraient par les fenêtres, et que
d'autres travaillaient à couper les rides des haubans et des
étais. Dans cet instant, quatre hommes de notre équipage s'é-
lancèrent à la mer de dessus la vergue de misaine; mais ils
furent ramassés par quelques pirogues qui venaient de terre, et
eurent aussitôt les pieds et les mains liés. Alors les naturels
montèrent dans le gréement; ils traînèrent en bas le reste des
hommes de l'équipage et les firent tous prisonniers. Un des
chefs me fit signe de venir à lui : j'obéis à l'instant, et me rendis
à ce chef. Nous fumes alors placés tous ensemble dans une
grande pirogue , avec les mains liées. Les Nouveaux-Zélandais
nous fouillèrent et nous enlevèrent nos couteaux, nos pipes,
nos boîtes à tabac, et divers autres objets. Les deux cadavres
et le maître blessé furent jetés dans la pirogue avec nous. Le
maître poussait d'affreux gémissemens et semblait à l'extrémité,
le casse-lète lui ayant entamé le cou à deux pouces de profon-
deur. Durant tout ce temps, un des naturels qui était assis
dans la pirogue avec nous, essuyait avec sa langue le sang de la
plaie. Sur ces entrefaites , plusieurs femmes qui étaient restées
sur le navire sautèrent à l'eau et nagèrent vers le rivage, après
avoir coupé le câble du bâtiment, si bien qu'il s'en fut en dé-
rive et vint échouer sur la barre, à l'embouchure de la rivière.
Les naturels n'eurent pas l'adresse de larguer les ris des voiles;
mais ils coupèrent la toile le long des vergues, en y laissant
tenir le reste des bandes de ris. Les cochons que nous avions
achetés furent, en grande partie, tués à bord et portés morts
à terre dans les pirogues. D'autres furent jetés tout vivans par-
dessus le bord et voulurent se sauver à terre à la nage; mais
plusieurs furent tués à l'eau parles naturels, qui leur sautaient
sur le dos et les frappaient à la tête avec leurs rnerc. Plusieurs
des pirogues arrivèrent à temps; chargées du butin fait à bord;
quantité de naturels se querellèrent touchant le partage de ces
dépouilles; ils se battirent et s'enlretuèrent. J'observai aussi
qu'ils brisèrent nos pièces à eau, pour s'emparer des cercles
734 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
de fer. Tandis que tout cela se passait, nous fûmes retenus
dans la pirogue; niais à la fin, quand le soleil fut couché, ils
nous conduisirent à terre dans un de leurs villages, où ils nous
attachèrent à plusieurs petits arbres. Le maître avait rendu le
dernier soupir avant que nous fussions à terre, de sorte qu'il
ne restait plus que douze de nous en vie. Les trois corps
morts furent alors emportés et pendus par les pieds à la bran-
che d'un arbre, afin que les chiens ne pussent pas y toucher.
Une quantité de grands feux furent allumés sur le rivage pour
éclairer les pirogues qui ne cessaient d'aller de terre au navire,
et du navire à terre, durant toute la nuit, bien qu'il ne cessât
de pleuvoir la plus grande partie du temps.
» Lecteur compatissant, s'écrie Rutherford, considère main-
tenant la triste situation où nous étions réduits ; notre navire
perdu, trois de nos compagnons déjà massacrés, et le reste
d'entre nous attachés chacun à un arbre , épuisés de faim , de
froid et d'humidité, et sachant que nous étions entre les mains
de cannibales. Le lendemain matin je remarquai que le ressac
avait fait passer le navire par-dessus la barre ; qu'il se trouvait
alors à l'embouchure de la rivière et échoué près de l'extré-
mité du village. Tout ce qu'il contenait ayant été emporté,
vers dix heures du malin les sauvages y mirent le feu; ensuite
ils se rassemblèrent tous dans une pièce de terre inculte près
du village, où ils restèrent quelque temps debout; mais, à la
fin , ils s'assirent tous , à l'exception de cinq , qui étaient les
chefs, pourlesquclson réserva unegrande place au milieude l'as-
semblée. Les cinq chefs , au nombre desquels était Emaï , s'ap-
prochèrent de l'endroit où nous étions ; après s'être consul-
tés quelque temps ensemble , Emaï me détacha, ainsi qu'un
autre de mes camarades, et nous ayant conduits au milieu du
cercle, il nous fit signe de nous asseoir, et nous obéîmes. Quel-
ques minutes après, les quatre autres chefs vinrent aussi dans
le cercle, amenant avec eux quatre autres de nos hommes,
qu'on fit asseoir par terre entre nous. Alors les chefs marchè-
rent en avant et en arrière dans le cercle, avec leurs merc à la
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 735
main , et ils continuèrent de parler ensemble durant quelque
temps, mais sans que nous comprissions ce qu'ils disaient. Du-
rant tout ce temps le reste des naturels garda un profond si-
lence ; ils semblaient écouter leurs chefs avec une grande
attention. A la fin, un des chefs parla à l'un des naturels qui
était assis par terre; celui-ci se leva sur-le-champ, prit à la
main son nasse-tête, et alla tuer les six hommes qui étaient liés
aux arbres. Les malheureux jetèrent plusieurs fois des cris
en luttant contre les dernières souffrances de la mort; et, à
chaque cri, les naturels poussaient de longs éclats de rire.
Nous ne pûmes nous empêcher de pleurer sur le triste sort de
nos camarades, sans savoir, en même temps, si notre tour n'al-
lait pas venir tout de suite. Plusieurs des naturels , en
voyant nos larmes, se mirent à rire et nous montrèrent leurs
mère.
» Quelques-uns d'entre eux creusèrent alors huit grands trous
de forme ronde, d'environ un pied de profondeur chacun;
ils y jetèrent ensuite une grande quantité de bois sec et le cou-
vrirent de beaucoup de pierres. Ils mirent le feu au bois, qui
continua de brûler jusqu'à ce que les pierres fussent chauffées
à rouge. En même temps quelques-uns d'entre eux étaient
occupés à dépouiller les corps de nos compagnons morts; après
les avoir d'abord lavés dans la rivière, ils les coupèrent par
morceaux pour les faire cuire ; puis ils les portèrent sur plu-
sieurs branches vertes qui avaient été arrachées aux arbres et
étendues par terre, près des feux, pour cet objet. Les pierres
une fois chauffées à rouge, les plus gros morceaux de bois en-
flammés furent retirés de dessous les pierres et jetés au large; des
branches vertes, après avoir été d'abord trempées dans l'eau,
furent placées tout autour des pierres, tandis qu'on les cou-
vrait avec quelques poignées de feuilles vertes. Les morceaux
de chair furent ensuite placés sur ce tas de feuilles , et une
quantité d'autres feuillesles recouvrirent; après quoi une natte
en paille fut étendue par-dessus chaque trou. Enfin, trois pin-
tes d'eau environ furent répandues sur chacune de ces nattes ,
73G PIECES JUSTIFICATIVES.
et cette eau, en coulant sur les pierres, produisit une épaisse
fumée; puis le tout fut à l'instant couvert de terre.
» Ils nous donnèrent ensuite un peu de poisson rôti à manger,
et trois femmes furent employées à nous faire griller de la ra-
cine de fougère. Quand elle fut rôtie, ces femmes la mirent sur
une pierre et la battirent avec un morceau de bois, jusqu'à ce
qu'elle fût devenue molle comme de la pâte. Du reste, en se
refroidissant, elle se durcit et prend la consistance du pain
d'épice. Nous ne mangeâmes que fort peu des mets qu'on nous
donna; ensuite les femmes nous conduisirent dans une cabane
et nous donnèrent à ebacun une natte et de l'herbe sèche pour
nous servir de lit. Nous y passâmes la nuit , et deux des chefs
dormirent avec nous.
» Aussitôt qu'il fit jour, le lendemain matin , nous nous re-
levâmes ainsi que les deux chefs, et nous allâmes nous asseoir
en-dehors de la maison. Nous y trouvâmes une quantité de
femmes occupées à fabriquer des corbeilles en feuilles de lin
vertes; quand elles furent terminées, quelques-unes furent
destinées à recevoir les corps de nos camarades, qui avaient
cuit toute la nuit , tandis que d'autres furent remplies de pa-
tates préparées par un procédé semblable. Je remarquai quel-
ques enfans qui arrachaient la chair des os de ces cadavres,
avant qu'on les retirât du feu. Peu après, les chefs s'assem-
blèrent et s'assirent par terre; les corbeilles furent pla-
cées devant la multitude, et ils les partagèrent sur-le-champ
aux assistans , à raison d'une corbeille pour un certain nombre
de personnes. Ils nous envoyèrent aussi une corbeille de pata-
tes et un morceau de viande qui ressemblait à du porc ; mais
au lieu d'en manger, nous frémîmes à la seule idée d'une cou-
tume aussi barbare , aussi horrible , et nous abandonnâmes ces
mets a l'un des naturels.
Rutherford et ses camarades passèrent une seconde nuit de
la même manière ; puis le matin suivant ils se mirent en
route, accompagnés par cinq chefs, pour l'intérieur du pays.
Quand ils quittèrent la côte, il fit la remarque que le navire
PIECES JUSTIFICATIVES. 7 37
brûlait encore. Ils étaient escortés par environ quarante natu-
rels chargés du butin dn malheureux bâtiment. Il calcula que
cejourils marchèrent l'espace de dix millcscnviron ; la marche
était très-fatigante par le défaut de routes régulières et la
nécessité de se frayer un chemin au travers d'une suite de
bois et de marais. Le village où ils s'arrêtèrent était la rési-
dence d'un des chefs, dont le nom était Rangadi et qui à son
arrivée fut reçu par environ deux cents des habitans. Us arri-
vèrent en masse, et, s'agcnouillant autour de lui, ils com-
mencèrent a pousser des cris et à se déchirer les bras, le visage
et d'autres parties du corps avec des morceaux de cailloux
tranchans, qu'ils portaient autour du cou, jusqu'à ce que le
sang coulât en abondance de leurs plaies.
La maison du chef où Puitherford et ses compagnons furent
logés était la plus vaste du village ; quoique très-basse, elle
était longue et large, et elle n'avait pas d'autre issue qu'une
ouverture qui fermait au moyen d'une porte à coulisse, et qui
était elle-même si basse que pour y passer il fallait ramper
sur les genoux et les mains. Deux forts cochons et une quan-
tité de patates furent préparés de la manière qu'on vient de
décrire : quand ces vivres furent prêts , une portion en fut
assignée aux esclaves qui ne peuvent jamais manger avec les
chefs, et les derniers s'assirent par terre pour prendre leur
repas, avec les blancs placés devant eux. Le banquet n'eut
pas lieu dans l'intérieur de la maison , mais en plein air; et
l'on suspendit à des poteaux pour un autre repas ce qui ne
fut pas consommé alors. Un des plus grands préjugés des
Nouveaux-Zélandais, est l'aversion qu'ils éprouvent à voir sus-
pendre au-dessus de leurs tètes quelque sorte de mets que ce
soit; c'est pour cela qu'ils ne peuvent souffrir qu'on apporte
aucune espèce de vivres dans leurs maisons; mais ils placent
constamment ces objets dans un certain espace proche leurs
cabanes , que quelques écrivains ont nommé la cuisine, en ce
qu'il leur sert à la fois pour faire cuire leurs vivres et pour les
y manger.
TOME nr. 47
738 PIECES JUSTIFICATIVES.
Ruthcrford dit que les figures grossières placées sur la porte
des cabanes des chefs ont pour objet d'interdire aux esclaves
l'accès de ces cabanes en l'absence de leurs propriétaires , et
qu'une mort immédiate serait lé châtiment d'une pareille offense.
Ce sont ces effigies que quelques voyageurs ont prises pour des
idoles.
Ruthcrford prétend que les corbeilles dans lesquelles les
provisions sont placées ne servent jamais deux fois. Les cale-
basses sont le seul vase qu'ils emploient pour contenir leurs
liquides; quand ils boivent avec ces vases , ils ont soin que
leurs lèvres n'y touchent point, mais ils lèvent la tète en l'air
et font couler la liqueur dans leur bouche. Après dîner, ils se
placent sur un rang pour boire, un esclave va présenter la ca-
lebasse de l'un à l'autre, et chacun tient sa main sous son men-
ton, tandis que l'esclave lui verse la liqueur dans la bouche. Ils
ne boivent rien de chaud ni de tiède. Leur unique boisson
paraît être l'eau ; et leur aversion prononcée pour le vin et les
spiritueux a été remarquée par presque tous ceux qui ont ob-
servé leurs coutumes.
Le dîner fini, Ruthcrford et ses compagnons passèrent la
soirée assis autour d'un grand feu ; pendant ce temps, plusieurs
des femmes, qu'il décrit comme agréables, s'amusaient à jouer
avec les doigts des étrangers, tantôt ouvrant leurs chemises
pour considérer leur poitrine, tantôt leur tâtant le gras des
jambes. « Cela nous fit penser, dit Ruthcrford, qu'elles nous
examinaient pour s'assurer si nous étions assez gras pour être
mangés. Le grand feu qui avait été allumé pour chauffer la
maison ayant été retiré , nous nous étendîmes pour dormir
suivant leur manière ordinaire. Mais, bien que le feu eût été
éteint, la maison resta pleine de fumée, attendu que la porte
était fermée et qu'il n'y avait ni cheminée ni fenêtre pour lui
donner issue. Le matin, quand nous nous levâmes, le chef
nous rendit nos couteaux et nos boîtes à tabac qu'on nous avait
pris dans la pirogue lors de notre captivité; puis nous déjeu-
nâmes avec des patates et des coquillages qu'on avait fait
PIECES JUSTIFICATIVES. 739
cuire pondant que nous étions au bord de la mer, et qu'on
avait apportés dans des corbeilles. La femme et les deux
fdles d'Emaï arrivèrent, ce qui occasiona une nouvelle céré-
monie de gémissemens; quand elle fut terminée, les trois
dames vinrent me voir ainsi que mes compagnons. Bientôt elles
curent envie de quelques petits boutons dorés que j'avais à
ma veste ; Emaï me fit signe de les couper, je lui obéis sur-le-
champ et les présentai aux femmes. Elles les reçurent avec joie,
et, me touchant les mains, elles s'écrièrent : L'homme blanc est
très-bon. Tous les naturels s'étant assis par terre en cercle ,
nous fûmes conduits au centre, dépouillés de nos vetemens et
couchés sur le dos ; puis chacun de nous fut retenu par cinq ou
six naturels, tandis que deux autres commencèrent l'opération
du tatouage sur nos personnes. Après avoir pris un morceau
de charbon et l'avoir écrasé sur une pierre avec un peu d'eau,
de manière a former un liquide épais, ils y trempèrent un ins-
trument fabriqué avec un os à bord tranchant comme un ci-
seau, et façonné en forme de pioche; puis ils l'appliquaient
sur-le-champ contre la peau, en frappant dessus deux ou trois
fois avec un petit morceau de bois. De cette manière, il en-
trait dans la chair comme aurait fait un ciseau , et faisait cou-
ler une quantité de sang qu'ils avaient soin d'essuyer à mesure
avec le revers de la main, pour examiner si l'impression était as-
sez nette. Dans le cas contraire, ils appliquaient une seconde fois
le ciseau à la même place. Du reste, ils employaient divers
instrumens dans le cours de l'opération ; quelquefois ils se ser-
vaient d'un ciseau fait avec la dent d'un requin, quelquefois
d'un autre qui avait des dents comme une scie. Ils en avaient
aussi de différentes grandeurs, suivant les diverses parties du
travail. Tandis que je subissais cette opération , je ne bougeai
nullement et ne poussai aucun cri ; mes camarades au con-
traire criaient horriblement. Quoique les opérateurs fussent
adroits et expéditifs, je restai quatre heures entre leurs
mains. Pendant l'opération, la fille aînée d'Emaï essuya plu-
sieurs fois le sang de ma figure avec du lin préparé. Quand
47"
740 PIECES JUSTIFICATIVES.
tout fut terminé, clic me conduisit à la rivière pour que je"
pusse me laver , car cette opération m'avait rendu complète-
ment aveugle, puis elle me ramena près d'un grand feu. Alors
les sauvages nous rendirent tous nos habits , à l'exception de
nos chemises que les femmes gardèrent pour elles-mêmes, et
nous observâmes qu'elles les portaient en plaçant le devant
derrière. De ce moment , nous fûmes non-seulement tatoués,
mais encore ce qu'ils appelaient taboues, ce qui signifie sacrés,
ou condamnés à ne toucher aucune sorte de provisions avec
nos mains. Cctétatdc choses dura troisjours; pendant ce temps
nous fûmes nourris, par les filles des chefs, des mêmes vivres
et aux mêmes corbeilles que les chefs eux-mêmes et que les
personnes qui nous avaient tatoués. Au bout de trois jours,
les enflures occasionées par l'opération s'étaient considéra-
blement apaisées, et je commençai à recouvrer la vue : mais
il se passa six semaines avant que je fusse tout-à-fait bien. Pen-
dant ma maladie je ne reçus aucune sorte de secours médical ;
mais les deux filles d'Emaï se montrèrent fort attentives pour
moi; elles s'asseyaient fréquemment à mes côtés, et m'adres-
saient souvent la parole dans leur langage, auquel du reste je
ne comprenais pas encore grand'chose. »
Rutherford déclare que dans la contrée où il se trouvait les
hommes étaient ordinairement tatoués sur la figure, sur les
hanches et sur le corps; quelques-uns l'étaient jusqu'aux ge-
noux. Il n'était permis qu'aux plus grands chefs de l'être sur le
front, le menton et la lèvre supérieure. 11 ajoute que plus il-.
sont tatoués, plus ils se croient honorés.
Rutherford demeura dans ce village environ six mois, ainsi
que les autres hommes qui avaient été faits prisonniers avec
lui et n'avaient point été mis à mort. Un seul, nommé John
Watson , bientôt après leur arrivée sur ce point , avait été
emmené par un chef nommé Nene. Une maison leur fut assi-
gnée pour leur logement, et les naturels leur donnèrent aussi
une marmite qu'ils avaient prise sur le bâtiment pour faire
cuire leurs vivres : cet ustensile leur devint fort utile. Il était
PIECES JUSTIFICATIVES. 741
taboue , de sorte qu'aucun esclave ne pouvait manger de ce
qui avait été cuit dedans, et on l'avait taboue, à ce que nous
supposons) parce que l'on imagina que c'était le moyen le plus
sur pour empêcher qu'on ne le volât. A la fin , les blancs se
mirent en route avec Emaï et un autre chef pour continuer
leur voyage plus avant dans l'intérieur; l'un d'eux seulement,
dont le nom n'a pas été donné, resta avec Rangadi. Etant ar-
rivés dans un autre village, dont le chef se nommait Parama,
un autre blanc , appelé John Smith, fui laissé chez lui. On doit
se rappeler que le nombre de ceux auxquels on avait conser-
vé la vie était de six, si bien que trois d'entre eux ayant cha-
cun une destination, comme on a vu, il n'en resta plus qu'un
même nombre ensemble, y compris Rutherford. Quand ils
eurent fait encore douze milles., ils s'arrêtèrent à un troisième
village et y restèrent deux jours. « Nous fûmes traités avec
beaucoup de bonté, dit Rutherford, par les naturels de ce
village. Le chef, dont le nom était Wana , nous fit cadeau
d'un gros cochon que nous tuâmes suivant l'usage de notre
pays, au grand étonnement des Nouveaux-Zélandais. J'obser-
vai qu'un grand nombre d'enfans recueillaient le sang qui en
découlait dans le creux de leurs mains, et le buvaient avec la
plus grande avidité. Leur manière ordinaire de tuer un cochon
est de le noyer, pour éviter de perdre son sang. Les naturels
se mirent à racler le poil en tenant l'animal au-dessus du feu ,
et le vidèrent aussi, ne demandant que les entrailles pour
leur peine. Nous le fîmes cuire dans notre marmite que les es-
claves qui nous suivaient avaient apportée avec le reste du
bagage appartenant à notre troupe. Il ne fut permis a personne
de prendre de ce cochon, à moins que nous-mêmes n'en dispo-
sassions, et seulement en faveur des personnes qui apparte-
naient à la famille d'un chef. En quittant ce village, nous lais-
sâmes avec Wana un de nos camarades nommé Jcfferson qui, en
se séparant de nous, me serra la main et s'écria les larmes aux
yeux : « Dieu vous bénisse tous les deux ! nous ne nous rever-
rons jamais ! » Nous continuâmes notre voyage en compagnie
742 PIECES JUSTIFICATIVES
d'Emaï, de sa famille et d'un autre chef. Après avoir marché
l'espace de deux milles sans que personne proférât une parole ,
nous arrivâmes au bord de la; rivière. Là nous nous arrêtâmes
et allumâmes du feu : les naturels chargés du bagage étant arri-
vés au bout d'une heure environ, apportant avec eux des patates
et du poisson sec , nous fîmes cuire notre dîner de la manière
habituelle. Ensuite nous traversâmes la rivière où nous n'eû-
mes de l'eau que jusqu'aux genoux , et nous entrâmes aussitôt
dans un bois au travers duquel nous continuâmes à cheminer
jusqu'au soleil couchant. En sortant de la foret, nous nous
trouvâmes au milieu d'un terrain cultivé où nous observâmes
des pommes de terre , des navets , des choux, des taros (racine
ressemblant à l'igname), des melons d'eau, et des koumaras ou
patates douces. Peu après, nous arrivâmes à une autre rivière,
et sur l'autre bord se trouvait le village où résidaitEmaï. Etant
entrés dans une pirogue, nous nous rendîmes au village de-
vant lequel se trouvaient plusieurs femmes qui s'écrièrent
en nous voyant approcher, et en agitant leurs nattes : Aire
mai 1 aire mai ! c'est-à-dire soyez les bienvenus. Alors nous
fûmes conduits à la maison d'Emaï qui était la plus grande du
village et bâtie de la manière ordinaire , avec des murailles
formées de grands pieux recouverts de tapis de jonc qui com-
posaient aussi le toit. Un cochon fut tué et préparé avec des
koumaras pour notre souper; puis nous étant assis autour du
feu, nous nous amusâmes à entendre chanter plusieurs des
femmes. En outre, une jeune fille esclave fut tuée, et mise à
rôtir dans un four en terre, comme nous l'avons déjà décrit,
pour servir au festin du lendemain , en l'honneur du retour
du chef chez lui. Nous passâmes cette nuit dans la maison du
chef, mais le lendemain matin nombre de naturels furent em-
ployés à nous construire une cabane de la même forme que
celle qui servait au chef, et presque de la même dimension.
Dans le courant de la journée, plusieurs autres chefs arrivèrent
au village, accompagnés de leurs familles et de leurs esclaves,
pour féliciter Emaï sur son retour , ce qu'ils firent suivant leur
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 743
coutume. Dans le nombre, quelques-uns apportèrent une
quantité de melons d'eau, et ils m'en donnèrent ainsi qu'à
mon camarade. EuGn ils s'assirent tous par terre pour l'aire
leur festin , après que plusieurs grands cochons et quantité de
corbeilles de patates, de taros et de melons d'eau eurent d'a-
bord été apportés devant les convives par les gens d'Emaï. Les
cochons, après avoir été noyés dans la rivière et apprêtés,
avaient été rôtis avec les patates. Quand ceci fut mangé, le
four qui avait été chauffé la veille au soir fut ouvert, le corps
de la jeune esclave en fut retiré, et les naturels s'en régalèrent
avec le plus grand plaisir. On ne nous invita point à en .pren-
dre notre part, car Emaï savait que nous avions déjà refusé-
une fois cette espèce de mets. Quand le repas fut achevé , les
restes furent ramassés et emportés par les esclaves des différens
chefs , suivant la coutume constamment observée en semblable
circonstance à la Nouvelle-Zélande. »
La maison que le chef avait fait bâtir pour Rutherford et
son compagnon fut prête au bout d'une semaine environ ; ils y
établirent leur résidence, et on leur permit de vivre suivant
leurs propres habitudes autant que les circonstances où ils se
trouvaient pouvaient le permettre. C'est dans ce village que
Rutherford habita pendant le reste du temps qu'il passa à la
Nouvelle-Zélande. '
Rutherford déclare positivement , et il est la seule a utorité à
cet égard, que plusieurs riches veines de charbon de terre se
montrent sur le revers des montagnes dans l'intérieur de l'île
septentrionale, bien que les naturels ne brûlent autre chose
que du bois. Il assure avoir aussi observé des bancs de coquilles
d'huîtres, à trois pieds au-dessous de la surface du sol, et à la
distance de dix milles de la côte. Les naturels, ajoute-t-il avec
une simplicité caractéristique , ne peuvent expliquer comment
cela a pu arriver. Rutherford , dans un entretien , rapporta
aussi qu'il y avait une plaine d'un mille carré environ, près du
cap Est, dont la superficie était couverte d'herbes, mais qui
au-dessous offrait jusqu'à la profondeur de plusieurs pieds une
744 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
poussière d'un jaune brillant comme du soufre, caustique en
l'appliquant sur la peau , et tant soit peu chaude.
Suivant Rutherford , les cochons errent à l'état sauvage
dans les bois , et on les chasse avec des chiens. Il fait mention
aussi de quelques bètes à corne dans l'intérieur, qui seraient
provenues de celles qu'auraient laissées sur l'île les navires de
découverte.
Rutherford déclare que, durant son long séjour, il devint
très-adroit, à l'imitation des naturels, a attraper les oiseaux
avec des lacets, et qu'il a pris aussi des milliers de perruches
vertes avec des lignes de cinquante pieds environ de lon-
gueur.
Les Nouveaux-Zélandais sont d'excellens plongeurs, et Ru-
therford assure qu'ils vont attraper avec la plus grande adresse
les poissons vivant dans les eaux les plus profondes.
Le point de l'île septentrionale de la Nouvelle-Zélande où
se trouvait le village qu'il fut obligé d'habiter, ne saurait être
fixé bien exactement, d'après le récit qu'il donne de son voyage
de la côte jusqu'à cet endroit. Il est cependant évident qu'il
était situé trop avant dans l'intérieur pour qu'on pût, de cet
endroit , apercevoir la mer.
« Durant la première année qui suivit notre arrivée au vil-
lage d'Emaï , dit Rutherford, nous passâmes notre temps prin-
cipalement à pécher et à chasser; car le chef avait un excellent
fusil de chasse à deux coups et quantité de poudre et de plomb
à canard, qu'il avait emportés de notre navire; il avait cou-
tume de me confier cette arme toutes les fois que j'avais envie
d'aller à la chasse, bien qu'il m'y accompagnât rarement lui-
même. Nous étions généralement assez heureux pour rappor-
ter plusieurs pigeons sauvages, oiseau très-commun à la
Nouvelle-Zélande. A la fin , il arriva qu'Emaï et sa famille se
rendirent à une fête, dans un autre village situé à quelques
milles du nôtre. Mon camarade et moi nous restâmes à la
maison, avec un petit nombre d'esclaves et la mère du chef,
femme âgée qui était malade et assistée par un médecin. Dans
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 715
ce pays UB médecin demeure jour et nuit avec ses malades,
et ne les quitte que quand ils sont guéris ou morts. Dans ce
dernier cas, il est traduit devant une cour d'enquête, com-
posée de tous les chefs, à plusieurs milles à la ronde. En
l'absence de la famille , mon camarade vint à prêter son cou-
teau à un esclave pour couper des joncs, avec lesquels il
comptait réparer une maison. Cela fait, le couteau lui fut
remis. Peu de temps après, lui et moi nous tuâmes un co-
chon ; nous en coupâmes une partie en morceaux et la mîmes
dans notre marmite avec des patates que nous avions aussi
pelées avec nos couteaux. Quand elles furent cuites, la vieille
femme malade nous pria de lui en donner quelques-unes, ce
que nous fîmes en présence du docteur, et elle les mangea. Le
lendemain matin elle mourut, et le chef, avec le reste de sa
famille, revint immédiatement chez lui. Le cadavre fut d'a-
Lord porté dans une pièce de terre inculte, au milieu du vil-
lage. Là, il fut assis contre un poteau , avec une natte par-
dessous , et recouvert jusqu'au menton par une autre natte.
La tête et le visage étaient enduits d'huile de requin; une
feuille de lin verte était attachée autour de la tête, et l'on y
avait fiché plusieurs plumes blanches; car c'est la couleur que
l'on préfère à toute autre. Ensuite ils élevèrent autour du corps
une cloison en branchages, ressemblant en quelque sorte à la
cage d'un oiseau, pour empêcher les chiens, les cochons et les
enfans d'en approcher. Ces opérations terminées, on ne cessa
de faire des décharges de mousqueterie pendant le reste du
jour, en mémoire de la vieille femme. Sur ces entrefaites, les
chefs et leurs familles de plusieurs milles à la ronde faisaient
leur apparition dans notre village , amenant avec eux leurs es-
claves chargés de provisions. Le troisième jour après la mort,
tous les naturels, au nombre de quelques centaines, s'age-
nouillèrent autour du cadavre; après avoir dépouillé leurs
nattes, ils commencèrent à crier et à se déchirer, de la même
manière que nous l'avions observé à l'arrivée des différées chefs
dans les villages par où nous avions passé. Après avoir consa-
746 PIECES JUSTIFICATIVES.
cré quelque temps à cette cérémonie, ils s'assirent tous par
terre pour se régaler avec les provisions même qu'ils avaient
apportées. Le lendemain matin les hommes seuls formèrent
un cercle autour du corps mort, armés de lances, mous-
quets, tomahawks et mère, puis le docteur se montra et se mit
à marcher en avant et en arrière au milieu de l'assemblée.
A cette époque , mon compagnon et moi nous avions déjà
beaucoup appris de leur langage ; comme nous prêtions l'o-
reille à ce qu'on disait, nous vîmes que le docteur racontait
les circonstances relatives à la maladie et à la mort de la vieille
femme ; ensuite les chefs commencèrent à s'informer minutieu-
sement de ce qu'elle avait mangé dans les trois jours qui pré-
cédèrent sa mort. A la fin, le docteur s'étant retiré du cercle,
un vieux chef s'avança, avec trois ou quatre plumes blanches
plantées dans les cheveux. Quand il eut fait quelques tours
dans l'assemblée, il prit la parole et dit qu'à son avis la mort
de la vieille femme venait de ce qu'elle avait mangé des
patates pelées avec le couteau d'un blanc , après qu'on s'en
était servi pour couper des joncs destinés à réparer une mai-
son ; pour ce motif, il pensait que le blanc auquel le couteau
appartenait devait être immolé, ce qui serait un grand hon-
neur à la mémoire de la femme décédée. Plusieurs des autres
chefs donnèrent leur assentiment à cette proposition , et il
parut qu'elle allait être adoptée par le conseil. Pendant ce
temps, mon compagnon tremblait de tout son corps, et la
peur lui ravit la parole. Alors je m'avançai au milieu du cer-
cle et je leur représentai que si l'homme blanc avait mal fait
de prêter son couteau à l'esclave, c'était uniquement par igno-
rance des coutumes du pays. En même temps je m'approchai
d'Emaï pour lui adresser la parole et le supplier d'épargner
les jours de mon compagnon , mais il ne bougea pas de l'en-
droit où il était assis, et continua de pleurer la perte de sa
mère, sans me répondre, ni paraître faire attention à ce que
je disais. Tandis que je lui parlais , le chef aux plumes blan-
ches s'avança vers mon camarade, et l'assomma d'un coup de
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 747
son mcrc sur la tête. Du reste, Emaï ne voulut pas permettre
qu'on le mangeât, bien que je n'aie pu connaître quel fut
pour eela son motif. En conséquence , les esclaves ayant creusé
un tombeau pour lui , il fut enterré d'après mes instructions.
Quant au cadavre de la vieille femme, il fut enveloppé dans
plusieurs nattes et emporté par Emaï et le docteur, sans qu'il
fût permis à personne de les suivre. J'appris cependant qu'ils
l'avaient porté dans un bois du voisinage, et qu'ils l'y avaient
enterré. Ensuite de cela, les étrangers quittèrent tous notre vil-
lage et s'en retournèrent chacun chez eux. Environ trois mois
après, le corps de la femme fut relevé et porté au bord de la ri-
vière, où les os furent nettoyés et lavés, puis renfermés dans une
caisse préparée pour cet emploi. La caisse fut ensuite attachée
au sommet d'un poteau , à l'endroit où le corps avait d'abord
été déposé. Cet espace fut entouré d'une palissade de trente
pieds de circonférence environ , et l'on y planta une figure de
bois pour annoncer que ce terrain était taboue ou sacré, et
que l'accès de cette enceinte était interdit à qui que ce fût. Tel
est, à la Nouvelle-Zélande, la manière régulière d'enterrer
tous ceux qui appartiennent à la famille d'un chef. Quand un
esclave meurt, on creuse uit trou et le corps y est jeté sans
aucune cérémonie. Dans la suite, jamais il n'est déterré, et l'on
n'y fait aucune attention. Ils ne mangent jamais ceux qui meu-
rent de maladie ou de mort naturelle. »
Ainsi , demeuré seul parmi ces sauvages , et sachant par le
meurtre de son camarade combien sa propre existence était
précaire, exposé comme il l'était à tout moment à se trouver
en butte à leur fantasque cruauté, Rutherford, comme on peut
bien l'imaginer, dut trouver sa captivité de jour eh jour plus
insupportable. Un des plus grands désagrémens qu'il eut à
éprouver, provint de l'usure de ses vetemens : il les rapiéça
comme il put pendant quelque temps; mais au bout de trois
ans environ de séjour dans le pays , ils se trouvèrent tout-à-
fait hors de service.' Alors tout ce qu'il eut pour s'habiller se
borna à une natte blanche en lin , que le chef lui donna ; elle
748 PIECES JUSTIFICATIVES.
lui couvrait les épaules et tombait jusqu'aux genoux. Ce fut là,
dit-il, son unique vêtement, et il fut obligé d'aller nu-tèle et
nu-pieds, car il n'avait ni chapeau, ni souliers, ni bas. Sa vie,
d'ailleurs, semble avoir été semée de peu d'incidens dignes
d'être cités ; et nous sommes porté à croire qu'il passa généra-
lement son temps à chasser et à pêcher, comme auparavant.
Durant les seize premiers mois de sa résidence dans le village,
il tint compte des jours au moyen de coches sur un bâton;
mais quand il fut obligé par la suite de voyager avec les chefs,
il négligea ce moyen de noter le cours du temps.
« A la fin , il arriva un jour, dit son Journal, que tandis que
ntfcus étions tous rassemblés pour prendre part à un festin dans
le village, Eruaï me fit approcher de lui, en présence de plu-
sieurs autres chefs; et, après leur avoir parlé de mon activité
à la chasse et à la pêche, il termina en leur disant qu'il dé-
sirait m'élever au rang de chef, si je voulais y consentir, ce
que je fis sur-le-champ. Alors mes cheveux furent coupés par
devant avec une coquille d'huître, comme l'étaient ceux des
chefs. Plusieurs chefs me firent présent de quelques nattes, et
promirent de m'envoyer le lendemain quelques cochons. De
ce moment je revêtis une natte» enduite d'huile et de rouge
d'ocre, semblable à celles que portaient les autres chefs. J'eus
aussi la tête et le visage barbouillés de la même composition
par la fille d'un chef, qui m'était entièrement étrangère. Je re-
çus en même temps un beau mere en pierre, que je portai en-
suite constamment avec moi. Einaï m'invita à prendre deux
ou trois femmes, attendu «pue c'est la coutume des chefs d'en
prendre autant qu'il leur est agréable, et je consentis à en
prendre deux. Environ soixante femmes furent amenées devant
moi; aucune ne me plut, et je ne choisis aucune d'elles. Alors
Emaï me dit que j'étais taboue pour trois jours, et qu'a l'ex-
piration de ce terme il me conduirait au camp de son frère,
où je pourrais trouver quantité de femmes qui me plairaient.
En conséquence , au jour fixé nous allâmes chez son frère, où
l'on nous présenta plusieurs femmes; mais ayant jeté les yeux
PIECES JUSTIFICATIVES* 740
sur les deux filles d'Emaï, qui nous avaient suivis et étaient as-
sises sur l'herbe, je m'approchai de l'aînée et lui dis que je la
choisissais. Aussitôt elle poussa des cris et s'enfuit; mais deux
des naturels avant jeté leurs nattes la poursuivirent et la ra-
menèrent bientôt. D'après l'ordre d'Emaï, j'allai à elle et
m'emparai de sa main. Les deux naturels la lâchèrent, et elle
me suivit tranquillement vers son père, la tète penchée vers
la terre et ne cessant de rire. Alors Emaï appela son autre
fille, qui vint aussi en riant; et il m'invita à les prendre toutes
les deux. Je me tournai vers elles et leur demandai si elles
consentaient à venir avec moi; elles répondirent toutes les
deux ia pea, c'est-à-dire oui , ou j'y consens. Emaï leur si-
gnifia qu'elles étuient tabouées pour moi et nous ordonna de
retourner tous trois ensemble à la maison , ce que nous fîmes,
accompagnés par plusieurs naturels. Nous n'étions que depuis
quelques minutes au village, quand Emaï et son frère y
arrivèrent aussi; le soir Emaï donna une grande fête au
peuple.
» Durant la plus grande partie de la nuit, les femmes ne ces-
sèrent d'exécuter une danse nommée kani-kani, et qui n'a
guère lieu que quand elles sont rassemblées par troupes nom-
breuses. Lorsqu'elles l'exécutent , elles se tiennent toutes sur
un rang, et plusieurs d'entre elles agitent des mousquets sur
leurs tètes. Leurs mouvemens sont accompagnés par le chant
de plusieurs hommes; car il n'y a aucune espèce de musique
en ce pays.
» La plus âgée de mes femmes se nommait Eshou, et la plus
jeune Epeka. Elles étaient toutes deux jolies, douces et d'un
bon caractère. Désormais j'étais obligé de manger avec elles
en plein air; car elles n'eussent pas consenti à prendre leurs
repas sous le toit de ma maison; c'eût été contraire aux usa-
ges du pays. Quand je devais m'absenter pour un certain
temps, j'avais coutume d'emmener Epeka avec moi, et de
laisser Eshou à la maison. Les femmes des chefs, à la Nou-
velle-Zélande, ne sont jamais jalouses les unes des autres;
750 PIÈCES JUSTIFIC2VTIVES.
elles vivent au contraire ensemble dans une grande union. La
seule distinction qui règne parmi elles, est que la plus âgée est
toujours considérée comme la première femme. Dans le cas du
mariage, il n'y a pas d'autre cérémonie que celle que j'ai men-
tionnée. Tout enfant issu d'une femme esclave estesclave comme
la mère, quand même le père serait un chef. Une femme sur-
prise en adultère est sur-le-champ mise à mort. Plusieurs chefs
prennent des femmes parmi leurs esclaves; mais quiconque
épouse une femme esclave peut être impunément dé-
pouillé , tandis que celui qui prend une femme dans la fa-
mille d'un chef est à l'abri de toute espèce de pillage; car les
naturels n'oseraient piller une personne de ce rang. A l'égard
des vols ordinaires, la coutume est que si celui qui a dérobé
quelque chose peut le tenir caché durant trois jours, l'objet
volé devient alors sa propriété ; et le seul moyen qu'ait l'offensé
d'obtenir satisfaction est de voler à son tour le voleur. Si le
vol est découvert dans le délai des trois jours, le voleur doit
restituer l'objet dérobé; mais dans ce cas même, il reste im-
puni. Bien que les chefs soient à l'abri de toute déprédation de
la part de leurs inférieurs , ils se livrent souvent au pillage les
uns envers les autres , ce qui occasione parmi eux des guerres
fréquentes.
» Tous les naturels, dit Rutherford, sont assaillis de vermines
qui habitent dans leurs cheveux et se nichent aussi dans leurs
nattes. Leur manière de les détruire est d'allumer un grand
feu, d'yjetcr une quantité débroussailles vertes cl d'étendre leurs
nattes au-dessus. La fumée oblige la vermine à se réfugier à la
surface ; les femmes s'empressent alors de donner la chasse à
ces insectes avec leurs deux mains et les dévorent de grand
cœur. Quelquefois deux ou trois femmes s'occupent de cette
chasse sur une même natte,
» Les Nouveaux-Zélandais préparent leur poisson en le
trempant plusieurs fois dans l'eau salée, et le faisant sécher
au soleil. Ils font d'abord cuire, suivant leur coutume, les
grands coquillages, puis les retirent de leurs coquilles, les at-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 751
tachent ensemble et les font sécher à la fumée ; ainsi proparés ,
ils se mangent comme du vieux fromage, et peuvent se gar-
der des années. Les koumaras ou patates douces sont aussi
préparées de la même manière, et alors on les mange comme
du pain d'épice. Les naturels ramassent leurs pommes de terre
dans des corbeilles faites en feuilles de lin vert, et les conser-
vent ainsi tout l'hiver. Du reste, il y a trois mois de l'année
où les naturels ne se nourrissent guère que de navets, et à
peine boivent-ils durant tout ce temps. »
Ruthcrford nous donne quelques détails sur un voyage
qu'il fit un jour avec le chef Emaï. « Je pris, dit-il, ma femme
Epcka avec moi; nous étions accompagnés par environ vingt
femmes esclaves pour porter nos provisions; chacune d'elles,
outre la provision nécessaire à sa propre consommation , por-
tait sur ses épaules environ trente livres de patates, et condui-
sait devant elle en même temps un cochon qu'elle tenait par
une corde attachée aux jambes de devant de l'animal. Les
hommes ne voyagent jamais sans leurs armes. Notre marche
avait lieu tantôt par eau et tantôt par terre ; en continuant de
cette manière, au bout d'un mois environ, nous arrivâmes
dans un endroit nommé Tara-Nake , sur la côte du détroit de
Cook, où nous fûmes reçus par Otako , chef puissant qui était
venu des environs du cap Sud. Dans cette rencontre nous nous
saluâmes les uns les autres de la manière accoutumée en faisant
toucher nos nez, et il y eut aussi, comme de coutume, beaucoup
de cris et de gémissemens. Là je vis un Anglais nommé James
Mowry, qui me dit avoir été jadis mousse à bord d'un navire
appelé le Sidney-Cove. Ce navire avait touché près le cap Sud
lorsque l'équipage d'un canot dont il faisait partie fut envoyé
à terre pour commercer avec les naturels. Les Anglais furent
bientôt attaqués et tous massacrés, lui seul excepté; il dut
son salut à sa jeunesse et à la protection de la fille d'Otako qu'il
épousa par la suite. Il y avait à cette époque huit ans qu'il se
trouvait dans le pays, et il s'était si bien habitué aux coutumes
rt à la manière de vivre des naturels, qu'il avait résolu de ne
752 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
jamais les quitter. Il était âgé de vingt-quatre ans , joli garçon,
d'une taille moyenne, et il avait été bien tatoué. Mowry avait
été aussi proclamé chef, et avait souvent accompagné les natu-
rels dans leurs combats. Il parlait leur idiome, et avait perdu
en partie l'usage de sa propre langue. Il me dit qu'il avait su
la prise de notre navire, et il me donna des détails sur la mort
de Smith et de Watson , deux de mes infortunés compagnons;
à mon tour je lui racontai mon histoire et les aventures qui
m'étaient arrivées.
« Le village de Tara-Nake est situé au bord de la mer; les
manières et les coutumes des habitans y sont les mêmes que
dans les autres parties de l'île. Nous y restâmes six semaines;
et pendant ce temps je guettai attentivement les navires qui
pourraient passer par le détroit; mais je n'eus jamais le bon-
heur d'en apercevoir un seul. Du reste, j'avais soin de cacher
mes intentions à Mowry, car il était trop attaché aux naturels
pour que je pusse me fier à lui.
» En quittant Tara-Nake, nous fîmes route le long de la côte;
après un voyage de six semaines nous arrivâmes au cap Est,
où nous rencontrâmes un grand chef, nommé Pomare , et ap-
partenant à la baie des îles. Il nous dit qu'il résidait dans le
voisinage de M. Kcndall le missionnaire. Il avait environ cinq
cents guerriers avec lui et plusieurs pirogues de guerre, dans
l'une desquelles je remarquai un coffre qui portait le nom
du capitaine Brin, du navire de la mer du Sud Asp. Ses gens
avaient aussi avec eux bon nombre de mousquets avec des
canons polis, quelques petits barils de poudre et une grande
quantité de patates et de nattes de lin. Ils avaient pillé et mas-
sacré presque tous les peuples qui habitent entre le cap Est et
]a rivière Tamise , et tout le pays tremblait au nom de Pomare.
Ce guerrier fameux nous montra les têtes de plusieurs des chefs
qu'il avait tués dans cette expédition, et il avait, disait-il,
l'intention de les rapporter avec lui à la baie des Iles, afin de
les vendre pour de la poudre à canon aux navires qui tou-
chaient en cet endroit. Ce chef et ses compagnons ayant pris
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 7.53
congé do nous et tait voile avec leurs pirogues , nous quittâmes
aussi le eap Est le jour suivant, et continuâmes notre route
pour revenir chez nous, marchant tout le jour, et la nuit
campant dans les bois, où nous dormions à l'cntour de grands
feux et à l'abri des branches d'arbres. Ce fut ainsi que nous
arrivâmes au bout de quatre jours dans notre village, où je
fus reçu avec beaucoup d'allégresse par Eshou, l'aînée de mes
deux femmes. J'étais bien fatigué de mon voyage, ainsi que
mon autre femme Epeka qui m'avait accompagné.»
Pour préparer les tètes humaines, suivant Rutherford, on
vide d'abord entièrement la cervelle , et on arrache la langue
et les yeux, puis les narines et l'intérieur du crâne sont bour-
rés de lin. A l'endroit où la tête a été séparée du corps, la
peau du -cou est réunie comme l'ouverture d'une bourse, en
laissant un espace assez grand pour y faire entrer la main. Puis
on l'enveloppe dans un paquet de feuilles vertes, et dans cet
état on l'expose au feu jusqu'à ce que l'humidité en soit bien
évaporée; après quoi on rejette les feuilles et on laisse la tête
suspendue à la fumée , de manière à donner à la chair une
consistance dure et coriace. Les cheveux et les denU restent en
place , et le tatouage de la figure demeure tout aussi net que
dans l'état de vie. Ainsi préparées, ces têtes peuvent se con-
server toujours si on les tient au sec. Il paraît, en effet, que
par cette exposition à un feu de bois ces têtes sont imprégnées*
d'acide pyroligneux, et c'est ce qui les met désormais à l'abri
de toute décomposition.
Durant un certain temps après son retour du détroit de
Cook, l'existence de Rutherford paraît n'avoir offert aucun
événement remarquable. « A la fin, dit-il, un jour il arriva
d'un village voisin un messager qui annonça que tous les chefs
à plusieurs milles à la ronde allaient sous trois jours se mettre
en route pour un endroit nommé Kaï-Para, près de la source
de la rivière Tamise, et distant de deux cents milles environ
de notre village. Ce messager apportait aussi une demande de
lapartdesautreschefspourEmaï, qui le priaient de se joindre à
tome ru. ^8
754 PIEGES JUSTIFICATIVES.
eux avec ses guerriers. Il répondit qu'il se rallierait à eux à
Kaï-Para dans le temps indiqué. Nous comprîmes que nous
allions combattre à Kaï-Para contre un certain nombre de
cbefsde la baie des Iles et de la rivière Tamise, en vertu d'une
convention arrêtée avec les chefs de notre voisinage. En con-
séquence tout fut préparé pour notre voyage aussi prompte-
ment qu'il fut possible : les femmes s'occupèrent sur-le-champ
de fabriquer une grande quantité de corbeilles neuves pour
transporter nos provisions. Dans ces sortes d'expéditions,
chaque guerrier doit se procurer ses armes , ses munitions , ses
provisions et les esclaves nécessaires pour les porter. D'un
autre côté, le bu'.in que fait chaque famille est pour son propre
compte, et elle ne doit au chef que ce qu'elle juge convena-
ble de lui accorder. Les esclaves ne sont point forcés de eom-
hattre, bien que dans la mêlée ils accourent souvent au secours
de leurs maîtres.
» Quand le jour de notre départ fut arrivé, je me mis en
marche avec le reste de l'armée, muni de mon mère, d'une
paire de pistolets, d'un fusil de chasse à deux coups, de pou-
dre, déballes, et d'une grande quantité de plomb à canard,
que j'emportai pour tuer du gibier le long- du chemin. J'étais
accompagné par ma femme Epeka, qui portait trois nattes
neuves pour nous servir de lit; ces nattes avaient été fabriquées
•par Eshou durant notre voyage a Tara-Nake. Les guerriers et
les esclaves qui marchaient avec nous montaient en tout à cinq
cents personnes environ ; mais à mesure que les esclaves
étaient débarrassés des provisions qu'ils portaient, on les ren-
voyait à la maison , attendu qu'on n'en avait plus besoin. Dans
le voyage, si nous arrivions dans un village ami , nous y pas-
sions la nuit, sinon nous campions dans les bois. Quand les
provisions que nous avions apportées avec nous furent toutes
consommées, il nous fallut en dérober partout où nous pou-
vions en trouver. Notre voyage, eu égard à la saison pluvieuse
qui régnait alors, fut plus pénible que de coutume. Nous em-
ployâmes cinq semaines pour atteindre Kaï-Para, où nous
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 755
trouvâmes environ onze cents autres naturels campés au bord
d'une rivière. A notre arrivée , des cabanes lurent sur-le-
cliamp construites pour notre troupe , et il y en eut une des-
tinée pour moi et ma femme. On nous désigna aussi deux
femmes esclaves pour arracher les racines de fougère, ramas-
ser les coquilles et pécher le poisson pour notre nourriture,
car ce fut là nos seules provisions durant tout notre séjour en
cet endroit, excepté quand j'allais de temps en temps au
bois pour y tirer quelques pigeons ou un cochon sauvage.
» Du côté opposé de la rivière, qui avait au moins un demi-
mille de large , et qui pourtant n'avait pas plus de quatre pieds
de profondeur, étaient campés environ quatre cents ennemis
qui attendaient des renforts. En attendant, des courriers se
rendaient continuellement d'une armée à l'autre pour porter
des messages concernant la guerre. L'un d'eux nousappritqu'il
y avait dans son parti un homme blanc qui avait entendu par-
ler de moi et désirait me voir; il ajouta que les chefs qui dési-
raient aussi me voir me donneraient la permission de traverser la
rivière pour me rendre près du blanc , et que je pourrais en-
suite m'en retourner sans être inquiété , si je le jugeais conve-
nable. En conséquence, du consentement d'Emaï, je traversai
la rivière; mais on ne me permit point d'aller en armes, ni
même de mener ma femme avec moi. Quand j'arrivai sur le
bord opposé, plusieurs des chefs vinrent me saluer à la ma-
nière ordinaire, en appliquant leur nez contre le mien, puis
j'allai m'asseoir au milieu d'eux , à côté de l'homme blanc , qui
me dit que son nom était John Mawman , qu'il était originaire
de Port-Jackson, et qu'il avait déserté du Tecs , corvette de
guerre , tandis qu'elle était mouillée dans cette île. Depuis ce
moment il s'était réuni aux naturels, et il vivait maintenant
chez un chef nommé Rau-Mate, dont il avait épousé la fille,
et qui résidait dans un lieu nommé Shouki-Anga , sur la côte
occidentale, à cinquante milles de la baie des Iles. Il me ra-
eonta qu'il était peu de temps auparavant à la baie des Iles,
et qu'il avait vu plusieurs des missionnaires anglais. Il me
48*
756 PIECES JUSTIFICATIVES.
dit aussi qu'il avait appris que ces naturels avaient derniè-
rement pris un navire dans un endroit nommé Wangaroa,
qu'ils l'avaient pillé et l'avaient ensuite laissé aller en dérive; mais
que l'é<|uipage s'était échappé dans les embarcations et avait
repris le large. C'est a ce même endroit que l'équipage du navire
le Boyd fut massacré quelques années auparavant.
» Tandis que je me trouvais avec ces gens, on amena un
esclave devant un des chefs; sur-le-champ celui-ci se leva,
frappa l'esclave avec son mère et le tua. Ce mère était différent
des autres, car il était d'acier. Le cœur fut tiré du corps de
l'esclave aussitôt qu'il expira, et fut sur-le-champ dévoré par-
le chef qui l'avait tué. Je demandai quel était ce chef, et l'on
m'apprit qu'il se nommait Shongui ; c'était un des deux chefs
qui avaient été en Angleterre, et qui avaient été présentés en
cepavsà plusieurs personnes de distinction, dont Shongui avait
reçu plusieurs présens de prix, entre autres un fusil à deux
coups et une armure complète, qu'il avait par la suite portée
dans plusieurs batailles. Sa raison, me dit-on, pour tuer cet
esclave qui lui appartenait, était qu'il avait volé cette ar-
mure et qu'il s'enfuyait avec elle à l'ennemi, quand il fut ar-
rêté par un détachement campé sur la lisière du camp. C'a
été le seul exemple de vol que j'aie jamais vu puni à la Nou-
velle-Zélande. Quoique Shongui ait hahité deux ans parmi
les Européens, je le considère encore comme un des plus fé-
roces cannibales de son pays. Il protège les missionnaires qui
viennent sur son territoire, uniquement pour ce qu'il peut re-
tirer d'eux.
» Je revins vers mon parti. Le lendemain matin, de bonne
heure, l'ennemi se retira à la distance de deux milles de la ri-
vière; alors les gens de notre parti jetèrent sur-le-champ leurs
nattes et se mirent sous les armes. Les deux armées ensemble
possédaient environ deux mille fusils, qui avaient été principa-
lement achetés des navires anglais et américains de la mer du
Sud , qui touchent à l'île. Nous traversâmes la rivière ; arrivés
vers le côté opposé, je m'établis sur un petit tertre à un quart
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 757
de BÎHe de l'endroit où notre troupe fit halte; de sorte que
j'avais de là une vue complète de l'engagement. Je ne fus point
requis de combattre moi-même , mais je chargeai mon fusil
à deux coups, et, muni de cette arme, je restai à mon poste
avec ma femme et les deux filles esclaves assises à mes pieds.
Alors le commandant en chef de chaque armée s'avança de
quelques verges, et chacun se plaçant en face de ses troupes,
entonna le chant guerrier. Quand il fut terminé, les deux trou-
pes exécutèrent la danse de guerre, et chantèrent en même
temps, d'une voix aussi forte qu'il leur était possible, en
brandissant leurs armes en l'air. La danse achevée, chaque
armée se forma sur une ligne de deux hommes d'épaisseur,
tandis que les femmes et les enfans se tenaient à dix verges
environ de l'arrière. Alors les deux corps s'avancèrent à une
centaine de verges l'un de l'autre, cl là ils déchargèrent leurs
mousquets. Un petit nombre d'entre eux, pour faire feu, porta
l'arme à l'épaule , mais pour la plupart ils tenaient simplement
le fusil à la position de la charge. Ils ne tirèrent qu'une seule
fois; ensuite jetant leurs mousquets derrière eux, où ils fu-
rent ramassés par les femmes et les enfans, ils tirèrent leurs
mere et leurs casse-têtes de leurs ceintures ; puis , tous en-
semble, entonnant le chant de guerre delà manière la plus lu-
gubre , les deux partis en vinrent aux mains. De la main
gauche ils saisissaient leur ennemi aux cheveux , tandis qu'ils
cherchaient à lui couper la tête avec la main droite. Pendant
ce temps, les femmes et les enfans les suivaient de près en
poussant les cris les plus affreux que j'eusse jamais entendus.
Ces derniers recevaient des mains des guerriers les têtes de
ceux qui avaient succombé aussitôt qu'elles étaient tranchées,
et ceux-ci couraient s'emparer ensuite des cadavres au travers
des ennemis; mais il arrivait souvent qu'ils s'emparaient de
corps qui n'avaient point appartenu aux têtes qu'ils avaient
coupées. La mêlée ne durait que depuis quelques minutes
quand l'ennemi commença à battre en retraite , et fut poursuiv i
par nos gens au travers des bois; quelques-uns des ennemis,
758 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
dans leur fuite, traversèrent la colline où je me trouvais, et
l'un d'eux, en passant, me lança un dard barbelé qui m'attei-
gnit en dedans de la cuisse gauche. Deux femmes le retirèrent
au moyen d'une incision qu'elles firent tout autour .avec une
écaille d'huître ; l'opération laissa une plaie de la largeur d'une
coupe à thé ordinaire, et quand elle fut terminée, je fus trans-
porté au travers de la rivière, sur le dos d'une femme,
jusqu'à ma cabane ; là , ma femme appliqua sur la bles-
sure quelques herbes fraîches qui sur-le-champ arrêtèrent
l'effusion du sang, et rendirent ia douleur beaucoup moins
violente.
» Bientôt nos gens revinrent victorieux , ramenant avec eux
plusieurs prisonniers. Tous ceux qui sont pris dans les com-
bats, chefs ou non , deviennent les esclaves de ceux qui les ont
pris. Un de nos chefs avait été tué d'un coup de fusil par Shon-
gui , son corps fut rapporté et déposé sur des nattes devant les
cabanes. Vingt tètes furent plantées sur de longues lances au-
tour de nos maisons, et un nombre presque double de cada-
vres furent placés sur les foyers pour les faire cuire suivant la
coutume. Notre armée ne cessa de danser et de chanter toute
la nuit, et le lendemain il y eut un grand festin, dont les
corps des tués et la racine de fougère firent les frais, pour
célébrer la victoire que nous avions remportée. Le nom du
chef dont le corps était déposé devant nos cabanes était Wana ;
c'était un de ceux qui avaient pris part à l'enlèvement de notre
navire. Son corps fut ensuite découpé en plusieurs morceaux ,
et empaqueté dans des corbeilles recouvertes de nattes noires,
et mises à part dans une des pirogues pour être transportées avec
nous le long de la rivière. Outre Wana, il y eut encore cinq
autres chefs tués de notre côté, savoir : Nene , Wari , Tome-
Touï , Ware-Oumou et Rau. Du côté opposé , trois chefs fu-
rent tués, savoir : Charlaï, le fils aîné de Shongui, et deux fils
de Moudï-Waï, chef puissant du Shouki-Anga. Leurs têles
lurent rapportées par nos gens comme des trophées de la
guerre, et préparées à l'ordinaire.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 759
Nous quittâmes Kai-Para sur un grand nombre de piro-
gues, et nous descendîmes la rivière jusqu'à un endroit nommé
Shouraki, où résidait la mère d'un des chefs qui avaient été
tins. Quand nous arrivâmes en vue de celle place, toutes les
pirogues se réunirent et les guerriers qui les montaient enton-
nèrent riivmne funéraire. Durant ce temps, plusieurs des co-
teaux vis-à-\is de nous furent couverts de femmes et d'enfans
dont le visage était barbouillé d'ocre et la tète ornée de plu-
mes blanches, et qui agitaient leurs nattes en l'air, en criant de
toutes leurs forces: Aire mai, Aire mai './.c'est le salut par lequel
ils accueillent les étrangers chez eux. Quand le chant funé-
raire fut termine, nous débarquâmes de nos pirogues que nous
hâlâmes à terre , et tous nos hommes complètement nus exé-
cutèrent une danse; puis ils furent accueillis par une autre
troupe de guerriers qui arriva de derrière la colline , et ils
figurèrent ensemble un simulacre de combat qui dura vingt
minutes environ. Ensuite les deux bandes allèrent s'asseoir
autour de la maison qui appartenait au chef du village, et de-
vant celte maison l'on plaça les corbeilles qui renfermaient le
corps mort. On les ouvrit toutes, et la tête ayant été retirée
et ornée de plumes, fut placée au-dessus de l'une de ces cor-
beilles, tandis que les autres têtes qui avaient été enlevées dans
le combat furent plantées sur de longues lances, en diverses
parties du village. Pendant ce temps, la mère du chef qui avait
péri se tenait sur le toit de la maison , tournant continuelle-
ment la tète, se tordant les mains et poussant des cris sur la
perle de son fils.
» Le corps mort ayant été peu de jours après enterré avec
les cérémonies accoutumées, nous nous préparâmes tous à
nous en retourner chez nous. Shouraki est un des endroits les
plus délicieux de la Nouvelle-Zélande, et j'y ai observé plus
de terres cultivées qu'en aucun autre pays. Tandis que je m'y
trouvais , je vis une esclave manger une partie de son propre
enfant, qui avait été tué par le chef son maître. J'ai eu con-
naissance de plusieurs exemples où des femmes de la Nouvelle-
7 GO PIECES JUSTIFICATIVES.
Zélande avaient mangé leurs enfans aussitôt qu'ils étaient nés.
» Leurs pirogues, dit Rutherford, sont construites avec des
pins de la plus grande dimension ; ces pièces de bois qui ont gé-
néralement quarante à cinquante pieds de long, sont creusées
dans toute leur étendue, alongées à chaque extrémité par d'au-
tres pièces de bois de huit pieds de long et exhaussées de chaque
côté par des planches de deux pieds de largeur. Ces pirogues
portent une figure à l'avant, et leur arrière s'élève de près de dix
pieds au-dessus de l'eau ; cette partie est bien sculptée, ainsi que
la figure de devant et tout le corps de la pirogue. Les côtés sont
ornés de morceaux de nacre incrustés dans les bas-reliefs , et
au-dessus règne un cordon de plumes. Dans l'intérieur et dans
toute la longueur de chaque pirogue sont des bancs où deux
hommes peuvent s'asseoir de front. Ces embarcations arment
environ cinquante pagaies de chaque bord, et plusieurs d'entre
elles portent jusqu'à deux cents personnes. Quand ces naturels
pagaient , le chef se tient debout et les anime par une chanson
à laquelle ils se joignent en chœur. Ces pirogues roulent beau-
coup et peuvent filer jusqu'à sept nœuds; leurs voiles sont des
nattes en paille et taillées dans la forme de voiles latines. Les
naturels font leur cuisine à bord de ces pirogues, mais ils des-
cendent toujours à terre pour manger. Ils s'avancent souvent
jusqu'à trois ou quatre cents milles le long de la côte. »
Maintenant nous avons rapporté toutes les aventures que
Rutherford s'est rappelé lui être arrivées durant sa résidence
à la Nouvelle-Zélande, et il ne nous reste plus qu'à raconter
la manière dont il s'échappa à la fin de ce pays. C'est ce que
nous allons faire dans ses propres termes.
« Peu de jours après notre retour du Shouraki, nous fûmes
alarmés à l'aspect de plusieurs colonnes de fumée qui se mon-
traient sur diverses montagnes; les naturels couraient aussi de
tous côtés dans le village, en criant : Kaï-pouke , ce qui signi-
fiait qu'un navire était sur la côte. A cette nouvelle, je lus
ravi de joie; de concert avec plusieurs guerriers et suivis par
une troupe d'esclaves chargés de nattes et de patates et condui
PIECES JUSTIFICATIVES. 761
sant devant eux des cochons pour vendra aux gens du navire,
Emaï et mai sur-le-champ nous nous mîmes en route pour
Toko-Malou ; en deux jours nous arrivâmes en cet endroit,
malheureux théâtre du désastre de notre bâtiment et de son
équipage, dans la journée du 7 mars 1816. Je ne tardai pas à
distinguer le navire à vingt milles environ de la côte, car le
vent qui soufflait avec Force de terre l'empêchait d'en appro-
cher. En attendant, comme la nuit arrivait, nous campâmes et
nous nous mîmes à souper. Je remarquai que plusieurs des
habitans portaient encore au cou et aux poignets plusieurs des
bagatelles qu'ils avaient volées à bord du navire. Comme Emaï
et moi soupions ensemble, un esclave vint avec une corbeille
neuve qu'il plaça devant moi , en disant que c'était un présent
de la part de son maître. Je lui demandai ce qu'il y avait dans
la corbeille, et il m'apprit que c'était un morceau de la cuisse
d'une jeune esclave que l'on avait tuée trois jours auparavant.
Je lui ordonnai d'ouvrir la corbeille, ce qu'il fit, et cette
viande avait tout-à-fait l'apparence d'une pièce de porc qui
avait été cuite au four. J'en fis présent à Emaï qui la partagea
entre les chefs.
» Les chefs tinrent conseil et décidèrent que, si le navire
entrait dans la baie, ils s'en empareraient et massacreraient
l'équipage. Le lendemain matin il parut bien plus près de terre
qu'il ne l'était la veille; mais les chefs craignaient encore qu'il
ne vînt point au mouillage ; en conséquence ils résolurent de
m'envoyer à bord pour l'attirer vers la côte, et je promis d'agir
suivant leurs désirs. J'étais alors revêtu d'un manteau déplu-
mes , d'une ceinture, d'un turban, et armé d'une hache de
combat dont la lance était fabriquée avec une pierre assez sem-
blable à du verre vert, mais si dure qu'elle pouvait résister au
coup le plus violent du meilleur acier ; la poignée était d'un
bois noir, dur, joliment sculpté et orné de plumes. Dans ce
costume je m'embarquai dans une pirogue , accompagné par
le fils d'un des chefs et par quatre esclaves. Quand nous fûmes
arrivés le long du bâtiment, qui se trouva être un brick amé-
762 PIECES JUSTIFICATIVES.
ricain , commandé par le capitaine Jackson, employé à com-
mercer au travers des îles de la mer du Sud et destiné en ce
moment pour la côte de la Californie, je montai sur-le-champ
à bord et me présenlaiau capitaine qui, en me voyant, s'écria
aussitôt : «Voilà un Nouveau-Zélandais blanc. » Je lui dis que
je n'étais point un Nouveau-Zélandais, mais un Anglais; alors
il m'invita à descendre dans sa chambre où je lui fis le récit
de mes aventures et de toutes mes infortunes. Je l'instruisis du
danger auquel son navire serait exposé s'il mouillait dans cette
partie de l'île ; et je l'engageai à reprendre le large le plus
promptement possible , en le priant de m'emmener avec lui ,
attendu que c'était la seule chance que j'eusse jamais rencon-
trée de pouvoir m'échapper. Pendant ce temps, le fils du chef
ayant commencé ses vols sur le navire, les hommes de 1 équi-
page l'avaient attaché, l'avaient fouetté avec les araignées d'un
de leurs hamacs , puis l'avaient renvoyé dans sa pirogue. Ils
auraient aussi fouetté les autres, si je n'eusse intercédé pour
eux, réfléchissant qu'il y avait peut-être encore quelques-uns
de mes infortunés compagnons vivans, à terre, sur lesquels les
naturels auraient pu se venger. Le capitaine consentit à me
prendre à son bord , et la pirogue ayant été laissée en dérive ,
nous reprîmes le large. Pendant les seize premiers mois de
mon séjour à la Nouvelle-Zélande , j'avais compté les jours au
moyen de coches sur un bâton ; mais ensuite j'y avais renoncé.
Je sus cependant que le jour que je fus emmené de l'île était
le 9 janvier 182G ; ainsi j'étais resté prisonnier chez ces sauva-
ges dix ans entiers moins deux mois.»
Le capitaiuc Jackson donna ensuite à Rutherford tous les
vètemens dont il avait besoin , et celui-ci, en retour, lui fit
présent de son costume national et de sa hache d'armes. Le
navire se dirigea vers les îles de la Société, et mouilla à Taïti
le 10 février. Là Rutherford entra au service du consul an-
glais, qui l'employa à. scier du bois. Le 26 mars iï fut marié à
une femme de distinction qui se nommait, dit-il, Novvaï-Roua,
par M. Pritchard, l'un des missionnaires anglais. Tandis qu il
PIECES JUSTIFICATIVES. 7C3
résidait dans cette île, il fut aussi employé comme interprèle
par le capitaine Pcachy (lisez lïecchcy), du sloop de guerre
le Blossom, alors employé à l'exploration de ces îles. Du reste,
brûlant du désir de revoir son pays natal, il embarqua le
G janvier 1827 à bord du brick Macquaric, commandé par le
capitaine Hunter, et destiné pour Port-Jackson. En prenant
congé de sa femme et de ses amis, il leur fit la promesse de
revenir dans l'île sous deux ans; « promesse que j'ai l'intention
de tenir, dit-il, si cela est en mon pouvoir, et je désire y termi-
ner mes jours. ■> Le Macquarie atteignit Port-Jackson le 19 fé-
vrier, et Rutherford raconte qu'il y rencontra une jeune femme
qui avait été sauvée du massacre du Boyd , et qui lui fit le
récit de cette catastrophe. C'était probablement la fille de la
femme que M. Berry transporta à Lima. Il trouva aussi à Port-
Jackson deux navires prêts à opérer leur retour en Angleterre,
avec une réunion de personnes qui avaient tenté de former
un établissement à la Nouvelle-Zélande , mais qui avaient été
contraintes de renoncer à ce projet, à ce qu'il comprit, par la
conduite perfide des naturels. Il s'embarqua à bord du Sydney-
Paeket, commandé par le capitaine Taylor, qui loucha d'a-
bord à Hobart-Town, sur la terre de Van-Diémen , et, après
un séjour de quinze jours environ , fit voile pour Rio-Janeiro.
A son arrivée dans cette ville, il entra au service d'un M. Har-
ris, Hollandais. M. Harris, ayant appris son histoire, le pré-
senta à l'empereur Don Pedro , qui lui fit plusieurs questions
par un interprète, et lui fit présent de quatre-vingts dollars.
Il lui offrit aussi de l'emploi dans sa marine; mais Rutherford
refusa , préférant retourner en Angleterre sur la frégate Blan-
che, alors sur le point de mettre à la voile, et sur laquelle il
obtint un passage à la recommandation du consul anglais. A
l'arrivée du navire à Spithead , il le quitta sur-le-champ, et
se rendit à Manchester, sa ville natale , qu'il n'avait pas revue
depuis la première fois qu'il s'était embarqué en l'année 180G.
Depuis son retour en Angleterre, Rutherford gagnait par-
fois son entretien en accompagnant une caravane ambulante
764
PIECES JUSTIFICATIVES.
de curiosités, on montrant son tatouage, et racontant quel-
que partie de ses aventures extraordinaires. L'éditeur de ce
volume eut plusieurs entretiens avec lui , en janvier 1829,
quand il se laissait montrer à Londres. C'était évidemment un
homme d'une grande intelligence, et doué d'un véritable talent
d'observation. Il repassa son journal entier avec beaucoup de
soin, en expliquant les passages difficiles, et communiquant
certains détails dont nous avons profité dans le cours de cette
narration. Ses manières étaient douces et polies : il aimait les
enfans, et se plaisait à leur expliquer les causes de sa singu-
lière apparence; c'était aussi un homme très-sobre d'habitude.
Il souriait à l'idée de voir ses aventures publiées, et fut charmé
qu'on fit son portrait, quoiqu'il fût bien pénible pour lui de
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 765
poser devant l'arliste, avec le haut du corps découvert, dans
un temps de gelée très-rigoureuse. En masse , il semblait avoir
contracté beaucoup de la confiance du peuple avec lequel il
avait si long-temps vécu , et il était en quelque sorte hors de
son élément au milieu de la contrainte des relations sociales
et des occupations monotones du peuple anglais. Il lui était
fort pénible de se montrer pour de l'argent, et il ne s'y prêtait
guère que pour acquérir une somme qui , jointe à ce qu'il
avait reçu pour son manuscrit , lui permît de retourner à
Taïti. Nous n'avons plus eu de nouvelles de lui depuis cette
époque, et il est probable qu'il a réalisé ses projets. Il assurait
qu'il ne balancerait point à aller à la Nouvelle-Zélande ; que
ses anciens compagnons croiraient très-volontiers qu'il avait été
emmené de force ; que , d'après la connaissance qu'on avait de
leurs coutumes, on pourrait l'employer avec beaucoup de
succès à commercer avec eux; et que s'il ramenait avec lui un
forgeron et beaucoup de fer , il pourrait acquérir la plupart
des productions les plus précieuses du pays, particulièrement
l'écaillé de tortue, qu'il considérait comme l'objet le plus
important pour une spéculation commerciale.
Histoire de Toupe-Koupa.
Ce fut au commencement de l'année 182G que le docteur
Traill rencorflra Toupe-Koupa ; il avait été appelé pour
visiter ce sauvage, attaqué de la rougeole à Liverpool.
M. Traill le trouva logé chez un capitaine Reynolds de
l'Urania, navire marchand de la mer du Sud, appartenant à
MM. Staniforth et Gosling de Londres, sur lequel il était venu
de son pays natal. La manière dont ce sauvage se présenta au
capitaine Reynolds est très-extraordinaire, et dénote vivement
l'intrépidité et l'énergie de son caractère. Tandis que l'Urania
naviguait au travers du détroit de Cook, qui divise en deux
îles les terres qui constituent la Nouvelle-Zélande, on observa
766 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
trois grandes pirogues contenant ensemble soixante-dix à
quatre-vingts naturels, qui faisaient voile pour le navire. Cela
causa une vive alarme à l'équipage qui, du reste, se disposa
à recevoir chaudement les sauvages, dans le cas où leurs inten-
tions deviendraient hostiles. Quand la plus grande pirogue
vint à approcher, un des naturels qui la montaient se tenait
debout, et par signes, comme par quelques mots de mauvais
anglais, il exprimait que son désir était d'être reçu à bord.
Ce naturel était Toupe-Koupa. Sa requête fut rejetée par le
capitaine Reynolds qui craignait quelque trahison; mais lors-
qu'il eut remarqué qu'il n'y avait point d'armes dans la piro-
gue , il la laissa accoster le navire. Alors le sauvage déterminé,
quoique le capitaine s'obstinât encore à ne pas le recevoir,
s'élança du milieu de ses compatriotes, et fut en un instant sur
le pont. La première chose qu'il fit, après être monté à bord ,
fut d'ordonner aux pirogues de se retirera une certaine distance.
Son but était de montrer que ses intentions étaient entièrement
pacifiques. Puis, par des signes non équivoques, il demanda
au capitaine des armes à feu. Cette demande ayant été refusée,
il annonça sur-le-champ le projet qu'il avait formé de se ren-
dre, en dépit de toute résistance, en Angleterre. «Je vais en
Europe, dit-il, pour voir le roi Georges. » Embarrassé de cette
résolution, le capitaine, après avoir tenté en vain de lui per-
suader de rentrer dans sa pirogue , ordonna à la fin à trois de
ses plus robustes matelots de le jeter par-dessus le bord. Il sa-
vait que tous les Nouveaux-Zélandais nagent fort bien , et les
pirogues étaient encore à une petite distance. Mais Toupe de-
vina son intention ; sur-le-champ se jetant tout de son long
sur le pont, il s'accrocha à deux barres de fer avec tant de
force, que, pour l'en détacher, il eût fallu employer une vio-
lence qui répugnait à l'humanité du capitaine Revnolds.
Quand cette lutte eut cessé, le chef, car on ne pouvait plus
douter que tel ne fût son rang, se sentant fermement établi à
bord , annonça à ses gens dans les pirogues qu'il était en route
pour l'Europe, et leur ordonna de retourner à terre. Ceux-ci
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 7Q7
obéirent à l'instant. Durant quelques jours , ïe capitaine Rey-
nolds lit diverses tentatives pour le débarquer sur différons
points de la côte voisine , mais les vents l'empêchèrent d'effec-
tuer eette résolution. Pour cette raison , voyant qu'il ne pou-
vait faire autrement, il renonça à l'espoir de se débarrasser
de son hôte importun , et se décida à rendre son existence à
bord du navire la plus douce possible. Peu à peu les ma-
nières du Nouveau -Zélandais lui concilièrent le respect et
l'attachement des matelots , et ils étaient ensemble sur le
pied le plus amical avant que le navire arrivât à Lima. A
Monte-Video, il survint un incident qui rendit indissolubles
les liens de l'amitié entre Toupe et le capitaine Reynolds.
Celui-ci tomba à la mer, et eût péri sans l'intrépidité de
Toupe. Ce naturel s'élança à la mer après lui, et l'ayant saisi
au moment où il coulait, il le soutint d'une main sur l'eau ,
tandis qu'il nageait de l'autre , jusqu'à ce qu'on eût pu les dé-
couvrir du bord. Après cette aventure, l'attachement de Toupe
et du capitaine Reynolds devint si fort, que le docteur Traill
raconte qu'à Liverpool le premier semblait tout inquiet quand
le capitaine restait absent une heure ou deux de plus que de
coutume ; et dans la crainte de voir son ami et protecteur s'é-
loigner de lui , il avait retiré le bagage du capitaine dans sa
propre chambre. D'un autre côté , la conduite du capitaine
Reynolds envers l'étranger, de l'entretien duquel il se trou-
vait ainsi chargé, était marquée par des soins et une bienveil-
lance qui lui faisaient le plus grand honneur. Bien qu'il fût
sans emploi et que ses ressources fussent très-modiques, il les
partageait avec son ami , et il avait constamment résisté avec
fermeté aux propositions réitérées qu'on lui avait faites de
montrer Toupe pour de l'argent. Dans le temps de sa maladie
particulièrement, Toupe reçut les soins les plus attentifs du
capitaine et de sa femme. Sans la présence presque conti-
nuelle du capitaine, le pauvre chef serait resté presque sans
appui, même après son arrivée en ce pays; car bien qu'il pût
comprendre quelques mots d'anglais, quand on lui parlait, il
768 PIECES JUSTIFICATIVES.
n'avait pas acquis une connaissance suffisante de la langue
pour pouvoir s'exprimer, même pour les besoins les plus ordi-
naires; et le capitaine Reynolds, qui conversait avec lui dans
sa langue maternelle, lui était en conséquence essentiellement
nécessaire comme interprète.
Quand le docteur Traill fut appelé près de Toupe, il le
trouva, comme nous l'avons déjà dit, attaqué de la rougeole
et assisté d'un chirurgien qui l'avait vacciné quelques jours
auparavant. Des saignées et des vésicatoircs appliqués à pro-
pos firent céder heureusement la maladie, et le malade fut
bientôt complètement rétabli. Toupe resta à Liverpool quel-
ques semaines après son rétablissement, et pendant ce temps
il faisait de fréquentes visites au docteur Traill ; ainsi ce gent-
leman eut les occasions les plus favorables d'observer son ca-
ractère et ses manières, et d'obtenir de très- précieux rensci-
gnemens touchant ses compatriotes.
Toupe-Koupa semblait être encore dans la fleur de l'âge,
bien qu'au moment où il entreprit son aventureuse expédition
il eût laissé son fils aîné, disait-il, à la tête de sa tribu pendant
son absence. Sa figure était agréable et annonçait de l'intelli-
gence, quoiqu'elle fût si bien tatouée qu'à peine y restait-il le
moindre espace qui eût conservé sa couleur primitive. Qui plus
est , toutes les parties de son corps étaient couvertes de ces
dessins; ses bras nerveux et bien conformés étaient surtout
sillonnés par un grand nombre de simples lignes noires , et
ces lignes, disait-il, indiquaient le nombre des blessures qu'il
avait reçues dans le combat. Son caractère était généralement
doux et facile, mais il lui échappait parfois des boutades qui
rappelaient l'humeur capricieuse et irritable du sauvage. Une
fois , tandis qu'il se trouvait à bord , un matelot vigoureux l'in-
sulta avec intention; aussitôt il s'élança sur cet homme, Je
saisit par le col et par la ceinture, etaprèsl'avoir tenu quelques
momens suspendu sur sa tète, il l'étendit sur le pont avec une
grande violence. Du reste, de pareils emportemens de sa part
semblaient fort rares. En société ses manières étaient tout-à-
PIECES JUSTIFICATIVES. 7G9
fait exemptes de gène, et dénotaient cette aisance naturelle
à un homme accoutumé à inspirer de la considération. Toute-
fois , pénétré de l'idée qu'il devait se conformer aux coutumes
du pays où il se trouvait, il était constamment sur ses gardes
pour observer la conduite de ceux qui l'environnaient, et gé-
néralement sa manière de les imiter était admirablement
prompte et exempte de toute gaucherie. En prenant sa leçon,
pour ainsi dire, son habitude était de tenir les yeux sur celui
qu'il considérait comme la principale personne de la compa-
gnie. A table, bien qu'il fût ordinairement servi le premier,
à titre d'étranger, il ne commençait jamais à manger, sur-
tout si le plat était nouveau pour lui , à moins qu'il ne vît les
autres se servir de leur cuiller, ou de leur couteau et de leur
fourchette. Il comprit bientôt l'usage des verres à laver les
doigts et des serviettes; une fois il avala cependant l'eau des
premiers , mais il ne retomba jamais dans la même erreur.
Le motif pour lequel Toupe avait entrepris le voyage ex-
traordinaire , où il débuta d'une manière si déterminée , était
le même qui dans ces dernières années attira en Angleterre
plusieurs autres de ses compatriotes. Il venait, comme il en
est convenu lui-même , pour se procurer une provision d'ar-
mes à feu. Aucun chef de la Nouvelle Zélande, parmi ceux
dont il a été question jusqu'à eejour,nesauraitlui être comparé
sous le rapport du pouvoir et de l'importance, si nous devons
en croire les détails qu'il a donnés sur l'étendue de ses do-
maines. Quand on lui montra son pays natal sur une carte, il
le reconnut tout de suite ; quand on lui demanda où était le
terrain où il résidait, il représenta ses Etats comme embrassant
toute la partie méridionale de l'île Nord, qui en serait déta-
chée par une ligne tirée depuis la pointe de Sugar-Loaf , sur
la côte de l'Ouest, jusqu'au cap Turn-Again sur la côte orien-
tale; et cette étendue ne formerait guère moins du quart de
l'île entière. Il déclarait que sa principale résidence était
l'île Entry, située à peu de distance de la côte, sur la rive sep-
tentrionale du détroit de Cook, et presque en face de l'entrée
tome m. 49
7 70 PIECES JUSTIFICATIVES.
du canal de la Reine-Charlotte. Précisément vis-à-vis de cette
petite île, un canal spacieux et profond pénètre, dit ce chef,
fort avant dans les terres. Il décrivait aussi un autre canal, qui
n'est pas tout-à-fait aussi étendu , et qui pénètre dans la terre
située à l'Est, entre Le cap Tera-Witi et le cap Palliser. Cette
partie de la côte fut très-imparfaitement explorée par Cook
qui , dans le fait, ne l'a guère figurée que par conjecture; et
depuis ce temps on n'a eu aucun détail à cet égard. Toupe
assurait que les bords de ces mers intérieures étaient cou-
verts jusqu'au bord de l'eau de pins magnifiques de l'espèce du
koudi.
Toupc avait été l'une des principales victimes dans le nom-
bre de ceux qui avaient souffert des invasions de Shongui, lors-
que ce chef belliqueux fut de retour d'Europe avec une ample
provision d'armes, et des projets ambitieux de conquêtes qui
ne tendaient à rien moins qu'à subjuguer l'île entière. La par-
tie la plus voisine des domaines de Toupe n'est pas éloignée
de moins de quatre cents milles de ceux de ce puissant et infa-
tigable capitaine; en effet leurs Etats étaient séparés l'un de
l'autre par la longueur presque entière de l'île. Aussi rien ne
peut donner une idée plus exacte des projets de conquête de
Shongui, que de montrer qu'elles l'avaient conduit à avoir
pour ennemi un peuple séparé du sien par un intervalle aussi
considérable. Cependant le récit de Toupe ne fait pas connaî-
tre si Shongui envahit effectivement son territoire; peut-être
est-il plus naturel de supposer que, comme cela est ordinaire
dans les guerres de ces peuples, ils convinrent d'en venir
aux mains sur quelque pays intermédiaire, et de vider leur
différend par les armes. Toupe, qui n'avait aucune idée des
armes redoutables que son rival allait lui opposer, n'hésita
pas un instant à accepter le cartel qui lui fut proposé. Quand
même il eût été mieux instruit qu'il ne l'était de l'effet des
armes à feu, les usages de la Nouvelle-Zélande ne lui eussent
peut-être pas permis de refuser ce défi. Quoi qu'il en soit, les
deux chefs en vinrent aux mains, et la défaite de Toupe en
\
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 771
fut le résultat. Cet événement eut les conséquences les plus
funestes pour cet infortuné chef. Poursuivant ses succès,
Shongui chassa devant lui son rival vaincu, jusqu'il ce
qu'il l'eût réduit à se réfugier avec un petit nombre de ses
partisans dans un de ses pas ou châteaux-forts. De cette
citadelle, le misérable Toupe, parmi nombre d'atrocités
exercées sur son peuple, fut soumis à l'lft>rreur de voir deux
de ses enfans taillés en pièces et dévorés sous ses yeux par
son impitoyable vainqueur. Bien qu'il fut sans doute accou-
tumé aux scènes affreuses de barbarie, si ordinaires dans les
guerres de ce pays, cette horrible scène avait fait sur son
cœur une impression ineffaçable, et le souvenir de cet ins-
tant fatal semblait le poursuivre dans toutes les circonstances
de sa vie. En Angleterre , il fut vivement ému la première fois
qu'il vit un des fils du docteur Traill, petit garçon de quatre
ans environ. Ayant pris l'enfant sur ses genoux, il se mit à
l'embrasser et à pleurer; et quand on lui demanda le motif de
son affliction , il répondit que cet enfant était précisément du
même âge que l'un de ses fils qu'il avait vu tuer et manger;
puis, d'un ton et d'un air qui annonçaient toute son émotion,
il détailla la manière dont son enfant avait été égorgé. Sa fi-
gure prit une expression terrible quand il fit connaître , par
un petit nombre de mots proférés à la hâte, et par des signes
non équivoques, qu'il avait vu son ennemi arracher les yeux
de son enfant et les dévorer. L'accès de sa rage se terminait
par des menaces entrecoupées de vengeance , et il était évident
que l'espoir de voir arriver le jour où il pourrait satisfaire ce
sentiment était désormais le vœu le plus ardent de son cœur.
Quoiqu'il fût venu en Angleterre uniquement pour obtenir ,-r«v m
les moyens de se mesurer avec son puissant ennemi à armes y.*-*'"
égales, il déclarait qu'il était résolu , à son retour, de réprimer
les affreux excès que ses compatriotes ajoutent aux horreurs
inévitables de la guerre. Ils avaient l'habitude, ainsi qu'il l'a-
vouait, de boire le sang fumant de ceux qui succombaient
dans le combat, mais il affirmait qu'il ne permettrait plus à
49"
772 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
son peuple de pareilles actions; lui-même , disait-il, ne man-
gerait plus de chair crue, ni ne tuerait personne que dans le
combat, car il voulait essayer de vivre à tous égards comme
les blancs. Nonobstant les coutumes sauvages dans lesquelles
il avait été élevé, il est certain que Toupe donnait souvent
des preuves d'un caractère naturellement humain et susceptible
d'affection. Il était 5?n outre doué de tant de sagacité et d'in-
telligence, que l'on ne pouvait douter que la connaissance
qu'il avait acquise de la vie civilisée ne lui fit vivement sentir
toute la dégradation des habitans de son pays; mais il est dou-
teux qu'il ait assez d'autorité ou d'énergie dans le caractère
pour introduire, à son retour, aucunes réformes salutaires parmi
ses compatriotes, réduit comme il le sera à ses propres moyens
et au milieu de circonstances aussi peu favorables à ses vues.
Cependant, durant son séjour en Angleterre, il s'informait
attentivement de tous les objets qui pourraient être le plus
utiles à son pays. Plusieurs fois le docteur Traill lui fit faire
de courtes excursions dans son cabriolet , au travers de la cam-
pagne des environs de Liverpool , et dans ces occasions , Toupe
lui adressa plusieurs questions qu'il posait avec beaucoup d'in-
telligence. Tout ce qui se rapportait à l'agriculture et à l'art
du forgeron l'intéressait particulièrement. 11 fut très-surpris
de voir comment le blé croissait et se changeait ensuite en fa-
rine. Il fut impossible de faire comprendre h Toupe le méca-
nisme de quelques-uns des moulins les plus compliqués qu'on
lui fit voir; l'unique moyen de communication dont on pou-
vait user en ces circonstances était trop borné pour permettre
à ses amis de lui donner les explications nécessaires, quand
bien même il eût été en état de les comprendre ; mais lorsqu'on
lui montra un moulin à eau pour moudre le grain, il saisit
facilement comment la chute de l'eau faisait mouvoir la grande
roue, et il semblait concevoir aussi de quelle manière ce mou-
vement se communiquait à la pierre supérieure. Une autre
machine, si toutefois on peut l'appeler ainsi, d'une nature
bien différente , et tout-à-fait h la portée de son intelligence,
PIECES JUSTIFICATIVES. 773
in> lui causa p;is moins de plaisir et d'étonnemcnt : c'était un
arc, car, ce qui est assez étrange, cette arme est tout-à-fait in-
connue aux INouveaux-Zélandais , malgré leur passion pour
les combats, et quoique l'arc soit par sa simplicité l'arme na-
turelle des peuples primitifs. Il essaya de s'en servir à plu-
sieurs reprises , et il témoigna un vif plaisir en voyant avec
quelle force la flèche pénétrait dans le but. Il ramassa avec
soin quelques arcs et flèches dont ses amis de Livcrpool lui
firent cadeau, et il en faisait un grand cas; quoiqu'il sentît
bien que cet instrument fût loin de valoir le fusil, il voyait
cependant qu'il pouvait en tenir lieu jusqu'à un certain point.
Sa surprise fut extrême la première fois qu'il vit un homme
à cheval. Il demanda un jour quel animal c'était, et il parut
stupéfait quand il vit le cavalier descendre à son gré et se pro-
mener seul. Il aimait à rappeler combien sa surprise avait été
grande en ce moment. Quand ce phénomène lui fut devenu
plus familier, il témoigna le désir de monter lui-même à che-
val, on le satisfit à cet égard; il fut d'abord enchanté de voir
marcher l'animal avec lui , mais il lui arriva de lâcher la bride,
le cheval décampa , et le pauvre Toupe fut jeté par terre avec .
quelque violence, catastrophe à laquelle il ne s'était nullement
préparé.
Le docteur Traill le conduisit un jour voir la revue d'un
régiment de dragons, spectacle tout-à-fait de son goût. La
belle apparence des troupes , leurs évolutions en exécutant une
charge, les commandemens avec lesquels s'exécutaient les
divers exercices, tout cela arrachait à Toupe les plus vives
expressions de surprise et de- joie. Ayant demandé à qui ces
hommes appartenaient, on lui dit que c'était au roi Georges;
alors il voulut savoir si le roi avait beaucoup d'autres guerriers
semblables à ceux-ci ; quand il eut appris qu'il en avait un
grand nombre d'autres, il s'écria sur-le-champ : « En ce cas,
pourquoi ne donne-t-il pas à Toupe des mousquets et des sa-
bres? » ajoutant qu'il paierait généreusement ces objets avec
des espars et du lin. Il appelait le lin ariki-kaï] terme que nous
774 PIECES JUSTIFICATIVES
n'avons vu mentionné nulle part, koradi étant celui qu'on
emploie habituellement. Pourtant on ne put clouter que Toupe
ne fît allusion au phormium tenax , à la manière dont il re-
connut sur-le-champ un échantillon de cette plante qu'il vit
dans une serre. Ravi de joie à cet aspect, comme s'il eût ren-
contré un vieil ami, il s'écria tout-à-coup : Ariki-kaï! ariki-
kaï! et il rit de bon cœur de voir cette plante cultivée avec
soin dans un pot, remarquant qu'elle deviendrait bien plus
robuste si on la laissait en pleine terre ; qu'elle était très-com-
mune dans son pays, et ne méritait pas du tout le soin que
nous en prenions en Angleterre. Il semblait croire que cet
échantillon ne signifiait pas grand'chosc, ajoutant qu'il en en-
verrait de beaucoup plus beaux de la Nouvelle-Zélande.
Quand le docteur Traill et Toupe se promenaient en voi-
ture ensemble, ils étaient ordinairement entourés d'une foule
de spectateurs, partout où ils s'arrêtaient dans les rues; le chef
était enchanté de la curiosité que montrait le peuple, il tirait
son chapeau aux curieux, et touchait les mains de plusieurs
d'entre eux. Un jour, une jeune fille qui vendait des oranges
lui ayant présenté son panier pour l'inviter à en acheter quel-
ques-unes, il s'imagina qu'elle lui faisait un cadeau du tout,
et il se mita vider la corbeille dans la voiture. Il fut impossi-
ble de lui faire entendre raison; c'est pourquoi on lui permit
de vider le panier, et l'on paya la femme à son insu. Aussi, à
son retour chez lui , il raconta au capitaine Reynolds , avec un
air très-satisfait, quelle admiration il avait excitée, et combien
le peuple avait été honnête à son égard eh lui faisant des présens.
Mais parmi les divers objets qu'on lui offrait, il attachait
toujours un bien plus grand prix à ceux qu'il jugeait réel-
lement utiles , qu'à ceux qu'il considérait comme purement
de luxe. Immédiatement après les armes à feu, les instrumens
de fer et les outils d'agriculture étaient les grands objets
de son ambition. Les scies, les haches et les ciseaux avaient
beaucoup de valeur à ses yeux , ainsi que les couteaux et les
fourchettes dont il voulait, disait-il, à son retour, intro-
PIECES JUSTIFICATIVES. 77
duire L'usage parmi ses compatriotes. Le docteur Traill lui fit
présent d'un couteau de voyage ordinaire a euiller et à four-
chette ; la réunion de ces trois pièces en une seule fui un grand
sujet d'admiration pour lui, etle ravissement que lui fit éprouver
ce présent fut réellement inexprimable. Il ne fut surpassé que
par l'extase dans laquelle il fut plongé, quand un autre de ses
amis le gratifia de quelques vieux fusils et d'un mousqueton
de cuivre ; cette fois il poussa des cris et sauta de joie.
On peut citer le fait suivant comme une preuve curieuse de
la difficulté qu'il y a de se procurer des renseignemens exacts
touchant plusieurs des coutumes et des opinions en vi-
gueur chez un peuple dont la condition sociale est très-diffé-
rente de la nôtre. Pendant tout le temps que Toupe s'était
trouvé avec le capitaine Reynolds, depuis leur première ren-
contre à la Nouvelle-Zélande, jusqu'à leur arrivée en Angle-
terre , le dernier n'avait jamais pu découvrir si son ami avait
quelque notion d'un être ou intelligence supérieure , bonne
ou mauvaise. Il se passa même un temps considérable avant
que le docteur Traill pût s'assurer de la vérité à cet égard. A
la fin , un jour comme ils passaient près d'une église , Toupe
demanda à qui était cette grande maison, et on lui dit qu'elle
avait été bâtie par les Anglais pour prier le grand Esprit du
ciel qui envoie la pluie , le vent et le tonnerre. Cette explica-
tion ayant été traduite par le capitaine Reynolds , à l'aide de
signes qui imitaient l'acte de la prière, sembla être comprise.
Toupe interrogé s'il n'y avait point aussi un grand Esprit dans
son pays natal, répondit : « Oh ! oui, plusieurs, les uns bons,
d'autres très-méchans , envoyant les tempêtes et la maladie. »
Il faisait connaître en même temps, par des signes très-expres-
sifs, que ses compatriotes avaient coutume de leur adresser à
tous des prières. On le conduisit ensuite à l'église , et il sembla
comprendre le but général des cérémonies religieuses , qu'il
observa avec une grande attention. On fit quelques efforts
pour lui imprimer la doctrine qu'il n'y avait qu'un seul Dieu,
mais le succès de ces tentatives demeura douteux.
77H
PIECES JUSTIFICATIVES.
Quelques renscignemens fort curieux touchant le mo/co lu-
rent accidentellement obtenus de la part de Toupe. L'esquisse
de sa tête, dont nous donnons ici une gravure, fut tracée,
ç*
durant son séjour à Liverpool, par un de ses amis, M. John
Sylvester; et Toupe s'intéressa beaucoup aux progrès de son
exécution. Mais par-dessus tout il tenait fortement à ce que
les dessins de son visage fussent fidèlement reproduits sur
le portrait. Ces dessins, assurait-il, n'étaient pas du tout
l'ouvrage du caprice, mais ils étaient tracés suivant certai-
nes règles de l'art qui déterminaient la direction de chaque
ligne. Dans le fait, leur ensemble constituait la marque dis-
tinctive de l'individu : il y a plus, Toupe donnait constamment
son nom à la marque de sa figure qui se trouvait précisé-
ment au-dessus de la partie supérieure de son nez, en disant :
« L'homme de l'Europe écrit son nom avec une plume, le
nom de Toupe est ici, » en désignant son front. Pour mieux
expliquer sa pensée, il traçait sur un papier, avec une plume
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 77 7
ou un pinceau, les marques correspondantes dans les mokos de
son frère et de son fils , et faisait remarquer les différences qui
se trouvaient entre ces dessins et le sien. Du reste, cette
partie de sa décoration qu'il appelait son nom n'était pas
seule aussi familière à l'esprit de Toupe ; chacun des dessins,
tant de sa figure que de toutes les autres parties de son corps,
était constamment gravé dans sa mémoire.
Quand on eut découvert le talent de Toupe dans ce genre de
dessin , plusieurs de ses connaissances de Liverpool lui deman-
dèrent des échantillons de son savoir-faire, et, durant une
quinzaine de jours, tout son temps fut employé à fabriquer des
dessins des cicatrices dont sa figure était couverte. La pro-
fondeur et la quantité des traits du tatouage indiquaient, di-
sait-il, la dignité de l'individu; suivant cette règle, il devait
avoir été lui-même un chef d'un rang distingué , attendu qu'il
restait à peine le moindre espace de la peau de sa figure dans
l'état naturel. Quelques-uns de ses ouvrages représentaient
aussi les dessins des autres parties de son corps ; et il traça pour
le docteur Traill les mokos de son frère et de son fils aîné ,
jeune homme qu'il avait laissé, comme nous l'avons déjà dit,
pour commander sa tribu jusqu'à son retour. En finissant le
dernier, il le tint en l'air, le contempla avec un murmure de
contentement affecteux, le baisa plusieurs fois, et fondit en
larmes en le remettant au docteur.
L'ensemble de ces anecdotes forme la peinture la plus agréa-
ble que nous possédions du caractère des Nouveaux-Zélandais ;
il démontre ce qu'un peuple doué d'un aussi bon cœur pour-
rait devenir, si l'on pouvait améliorer la condition fâcheuse
où il se trouve, condition qui dirige la plupart de leurs qua-
lités vers un but si funeste , puisqu'elle ne fait servir leur sen-
sibilité, leur bravoure, et même leur intelligence et leur
adresse naturelle, qu'à l'entretien de leurs haines mutuelles,
et à ajouter une férocité nouvelle et un esprit de vengeance
plus insatiable encore à leurs guerres perpétuelles. Toupe ,
une lois soustrait à ces funestes influences, et placé au milieu
778 PIECES JUSTIFICATIVES.
des habitudes de la vie civilisée, ne montrait plus que des
dispositions douces et affecteuses. Le barbare, qui dans les
combats avait tant de fois semé la mort autour de lui, était
devenu le compagnon de jeu des enfans et le disciple corn-'
plaisant des coutumes les plus paisibles. Personne n'eût mon-
tré des dispositions plus naturelles pour tous les avantages de
la civilisation. Sa reconnaissance de tous les petits services
qu'on pouvait lui rendre était toujours exprimée avec une
chaleur et d'une manière qui prouvait qu'elle venait du cœur.
Lorsqu'il quitta Liverpool, il fut profondément ému en pre-
nant congé du docteur Traill : d'abord il lui baisa les mains;
ensuite , oubliant ou dédaignant les nouvelles formes qu'il
avait contractées depuis son arrivée en Europe, pour revenir
à celles que son cœur jugeait sans doute beaucoup plus expres-
sives, il frotta son nez contre celui de son ami, d'après la
coutume de son pays, avec une cordialité passionnée. En
même temps Toupe assura le digne médecin que , s'il venait
jamais dans son pays, il aurait des vivres en abondance, et
pourrait remporter avec lui autant de chanvre et d'espars qu'il
en désirerait.
Le docteur Traill était sincèrement pénétré des avantages
que l'on pouvait retirer de la \ isite de Toupe en Angleterre ,
visite qui nous avait prouvé l'amitié d'un chef aussi puissant,
et qui avait donné une preuve si extraordinaire de son carac-
tère énergique et entreprenant, en même temps qu'elle avait
démontré ses dispositions à cultiver ses relations avec les An-
glais; et il s'arrangea de manière à présenter un mémoire sur
cette matière au gouvernement. D'après le récit de Toupe, on
ne pouvait douter que son territoire ne produisît en abondance
du bois de koudi et du lin; et il était très-probable qu'on
pourrait se procurer ces deux, productions dans le district de
Toupe, avec plus de facilité et de meilleure qualité que dans
toute autre partie de la Nouvelle-Zélande. Nous avons déjà
lait observer que la plus belle espèce de lin croît seulement
sur la partie méridionale de l'île. La difficulté de se procurer
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 779
le bois de koudi dans les autres parties de l'île, où l'on s'est
déjà dirigé pour cet objet, provient de ee que cet arbre croît
trop loin dans l'intérieur pour être transporté jusqu'à la mer,
ou seulement sur le bord de rivières que les navires d'un fort
tonnage ne peuvent remonter. Mais Toupe représentait les
deux détroits, qui conduisent du détroit de Cook jusqu'au cen-
tre de son territoire, comme assez profonds et assez spacieux
l'un et l'autre pour recevoir les plus grands navires, et comme
couverts de bois jusqu'au bord de l'eau. La formation d'un
établissement de commerce, pour échanger ces objets contre
les armes à feu des Européens, était un des projets favoris de
Toupe, et ses idées à cet égard étaient certainement assez rai-
sonnables. Le capitaine Reynolds , disait-il , achèterait un na-
vire et le conduirait à la Nouvelle-Zélande, où Toupe le char-
gerait de lin. Le capitaine Reynolds irait vendre ce lin en
Europe, et du produit achèterait des fusils, des objets de cou-
tellerie, etc. ; et, quand il serait de retour avec ces articles,
Toupe lui donnerait une autre cargaison de lin pour sa
peine.
On a sujet de croire aussi que , si nous ne le faisons point,
d'autres nations ne sont pas éloignées de tenter d'ouvrir un
commerce régulier avec les Nouveaux-Zélandais. Lorsque le
capitaine Reynolds revenait en Europe , il rencontra un navire
américain dont le capitaine vint à bord de l'Urania. Après
avoir entendu l'histoire de Toupe , il offrit à Reynolds mille
dollars s'il voulait faire passer le chef de la Nouvelle-Zélande
sur son bâtiment.
Par suite de la requête du docteur Traill, un ordre du
trésor fut sur-le-champ transmis au capitaine Reynolds pour
l'autoriser à recevoir chaque semaine une indemnité pour
l'entretien de Toupe, et l'on fil connaître à celui-ci qu'il serait
reconduit chez lui aux frais du gouvernement. Du reste il fut
arrêté qu'on ne lui fournirait point d'armes à feu, et cela pour
des motifs que comprendront suffisamment tous ceux qui sont
instruits des suites fatales qui ont résulté durant ces demie-
780 PIECES JUSTIFICATIVES.
res années de l'introduction de ces armes à la Nouvelle-Zé-
lande.
En conséquence, en quittant Liverpool , Toupe se dirigea
vers Londres , et peu après on apprit qu'il avait fait voile pour
la Nouvelle-Galles du Sud. Le gouvernement eut la bonté de
le gratifier de différens inslrumens d'agriculture et d'autres
également utiles ; il fut en outre pourvu d'ordres qui invitaient
le gouvernement de Sydney à lui remettre différens animaux
domestiques.
Nous n'avons point eu de nouvelles de Toupe depuis qu'il a
mis à la voile pour la Nouvelle-Zélande : mais bien qu'il n'eût
point réussi dans l'objet principal de son voyage , il y a lieu
d'espérer, d'après le caractère qu'il a montré et la manière
dont il a été traité pendant son séjour en Angleterre, que ses
rapports avec le monde civilisé n'auront pas été sans une heu-
reuse influence sur son existence. Aujourd'hui que Shongui ,
son ennemi mortel, n'est plus, il a plus de chances de pou-
voir vivre en paix ; il lui suffira d'oublier les injures qu'il a
reçues, et dans ce cas, même avec les notions imparfaites
de civilisation qu'il a acquises durant sa visite en Angle-
terre, il pourra devenir le bienfaiteur de son propre pays.
PIKCES JUSTIFICATIVES. 781
VOYAGE
DE JOHN SAVAGE
A LA NOUVELLE-ZÉLANDE.
M. J. Savage, médecin, ayant fait en septem-
bre 1 805 une visite à la baie des Iles , où il séjourna
un mois ou six semaines , publia , a son retour en An-
gleterre, dans Tannée 1807, ses observations sous
le titre de Sortie Account qf New-Zealand , particu-
larly the bayofhlands, etc., London, 1807. Ce récit,
écrit avec simplicité, donne une description assez
étendue des mœurs, des coutumes, du gouverne-
ment et du véritable caractère des Nouveaux-Zélan-
dais. Cet ouvrage nous manquait quand nous avons
commencé notre travail , et nous n'avons pu en faire
mention en sa place naturelle. Quel que soit d'ailleurs
son mérite , pour éviter de répéter des faits et des
descriptions déjà souvent donnés dans ce Recueil,
nous nous bornerons à rappeler ici ce qu'il dit de Te-
pouna , ancienne résidence de Tcpabi , et du voyage
782 PIECES JUSTIFICATIVES.
de Maounga en Angleterre *. Le lecteur est déjà fa-
miliarisé avec le nom de ce naturel , qui a été souvent
prononcé dans ces Mémoires, et qui le premier osa se
transporter en Angleterre.
(Pages 12 et suiv.} La capitale de cette partie du pays (la
baie des Iles) qui est située en partie sur la grande terre et en
partie sur une petite île, se nomme Tepouna et se compose
en tout d'environ cent habitations. Sur le continent, les ca-
banes des naturels sont entourées chacune d'un petit morceau
de terre cultivée ; mais l'île est réservée pour être la résidence
du chef principal et de sa cour, et il n'y a aucune culture. L'île
est si escarpée et par conséquent si facile à défendre contre
l'ennemi , qu'en temps de guerre elle est fréquemment le re-
fuge des naturels ; elle offre tous les avantages d'une forte ci-
tadelle , et leur sert en même temps de dépôt général pour les
objets de prix, en temps de paix! allais-je ajouter. Mais
hélas! ces temps sont rarement connus chez les peuples sau-
vages où la population est nombreuse.
Tepahi , le chef de l'endroit, possède une maison bien cons-
truite sur cette île , et un grand magasin de lances , nattes de
guerre, et autres objels de valeur.
A peu de distance de la résidence du chef est un édifice
soutenu sur un seul pilier, tout-à-fait semblable , pour la
forme et la grandeur, à une niche à pigeons. Tepahi y ren-
ferma une de ses fdles durant plusieurs années ; nous ap-
prîmes qu'elle s'était rendue amoureuse d'un individu d'une
condition inférieure, et que cette mesure avait été adoptée
pour l'empêcher de déshonorer sa famille. L'espace réservé
à la dame ne pouvait lui permettre ni de se tenir debout, ni
de s'étendre tout de son long; elle avait une auge où l'on dé-
* Partout où le nom de ce naturel a été écrit Moïanguc , il faudra lire
Maouuga.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 783
posait sa nourriture, lorsque cela était nécessaire, durant sa
réclusion, et je ne pense pas qu'on lui accordât aucune autre
douceur. Ces privations et la défense d'aucune sorte de com-
munication avec elle prouvent que Tepahi était déterminé à
offrir un sévère exemple à ses sujets , au moins pour ce qui
regardait les jeunes dames de cette partie de la Nouvelle-Zé-
lande, qui seraient disposées a se déshonorer elles et leurs fa-
milles par des alliances inconvenantes.
Cette longue réclusion , avec toutes ses privations , produisit
l'effet qu'on se proposait et rendit la princesse obéissante aux
désirs de son royal père. Cette cage barbare, qui est ornée de
sculptures grotesques, est restée comme un épouvantail pour
toutes les jeunes femmes du pays soumis a l'autorité de
Tepahi.
Les habitations des naturels ont d'ordinaire cinq pieds de
haut, les murs en sont formés de claies et tapissés de brous-
sailles. Le tout est fabriqué avec une herbe forte en forme de
lame, et généralement bien appliquée.
L'espace que la cabane occupe est proportionné au nombre
des membres de la famille : il n'y a d'ordinaire qu'une porte
ou issue, et ces cases ressemblent assez, pour l'aspect, à une
ruche.
Tels sont les logemens ordinaires des naturels; leurs opéra-
tions de cuisine, qui du reste n'exigent ni beaucoup de vases
ni de nombreux serviteurs, ont lieu sous un bangar à petite
distance de la case. Ce hangar est formé par quatre pieux de
cinq pieds de haut, fichés en terre, et qui soutiennent un toit
plat en broussailles.
( Pages 38 et suiv. ) Le portrait que je fis de Tareha fut si
ressemblant qu'il me donna une grande popularité parmi les
naturels, et il en vint plusieurs d'une distance considérable
pour le voir. Beaucoup d'entre eux s'offrirent pour m'accom-
pagner en Europe; j'en choisis un dont la tournure me plai-
sait , pour le conduire en Angleterre : c'était un jeune homme
sain et vigoureux , nommé Maounga , de la classe des guer-
78 i PIECES JUSTIFICATIVES.
riers, et allié aux familles de la première condition dans ces
contrées.
( Pages 94 et suiv. ) Notre départ de la baie fut retardé de
plusieurs jours par des vents contraires, après que Maounga
et ses amis eurent pris un congé en règle les uns des autres,
de sorte que leurs visites se trouvèrent plusieurs fois répétées
durant ce délai.
Un jour ou deux avant notre départ , je l'avais revêtu d'ha-
bits européens; ils étaient grossiers et semblables à ceux que
portent les matelots à la mer. Cependant ils lui plurent ainsi
qu'à toutes ses connaissances; il paraissait affecter une sorte
de supériorité sur ses anciens compagnons, et ceux-ci le con-
sidéraient d'un air qui montrait qu'ils le regardaient comme
hautement favorisé par la fortune. Maounga supporta le der-
nier adieu avec beaucoup de courage , mais à mesure que nous
nous éloignions de la terre, son amc était en proie aux
plus vifs regrets. Le soleil se coucha dans tout son éclat sur
son île natale, et son œil resta constamment fixé sur elle jus-
qu'au moment où les ténèbres lui en ravirent l'aspect. Le sou-
venir des scènes de son heureuse jeunesse, qu'il abandonnait
pour traverser un élément qui offre peu de plaisir et de repos,
lui fit plus d'une fois venir la larme à l'œil. Pourtant Maounga
voulut être un homme ; il récita son chant du soir et alla se
coucher.
Durant plusieurs jours encore Maounga regardait avec in-
quiétude du côté de l'ouest, où sa terre natale avait disparu à
ses regards ; mais il retrouva bientôt son courage, et, non con-
tent de s'amuser lui-même, il était un sujet d'amusement pour
les autres.
Durant la terrible et longue traversée de la Nouvelle-
Zélande au cap Horn , Maounga conserva beaucoup de gaieté;
son chant du matin et du soir ne fut jamais oublié. Il s'amu-
sait avec les matelots, et exerçait souvent à leurs dépens son
talent pour les grimaces.
La vue éloignée du cap Horn lui causa beaucoup de satis-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 785
faction; je crois en effet qu'il commençait à craindre de s'être
embarqué sur un monde d'eau , dans le sens littéral de ces
mots.
Quand nous approchâmes de la terre , et qu'il reconnut qu'elle
était couverte de neige, il parut grandement désappointé, et
décida qu'il avait fait une sottise en quittant un fertile et
beau pays pour une terre qui semblait totalement stérile.
Ces sauvages estiment la valeur de la terre par la quantité
de patates qu'elle produit, et comme il ne voyait dans ce
pays aucune trace de culture, Maounga fut très-satisfait de
la quitter, et nous continuâmes notre route vers Sainte-Hélène.
Plusieurs des oiseaux de mer que nous vîmes dans la traversée
étaient nouveaux pour lui et attirèrent son attention ; les pois-
sons volans l'amusèrent beaucoup. Il nageait parfaitement
bien, ainsi qu'on peut l'imaginer; comme il faisait très-
chaud et que le navire marchait lentement, il se plaisait sou-
vent à se baigner. Dans une de ces circonstances , un très-
grand requin faillit mettre un terme aux voyages du pauvre
Maounga : nous vîmes le danger qu'il courait , nous l'aver-
tîmes, et il n'échappa qu'à peine aux mâchoires du monstre
vorace. Le requin suivit le navire durant quelque temps ;
Maounga le contemplait avec horreur, en prononçant sou-
vent les mots : « Kaïore* ika mate mate Maounga — mauvais
poisson, tuer Maounga. » A la fin , à sa grande satisfaction ,
nous touchâmes à Sainte-Hélène.
La beauté du climat, les édifices de la ville, et les nom-
breux vaisseaux mouillés dans la rade rendaient cette scène in-
téressante pour toutes les personnes du bord; mais Maounga
en fut complètement enchanté; il dansait, chantait, et s'é-
criait à diverses reprises : « Paï ana , maïtaï — très-bon , très-
* M. Savage traduit toujours kal ore ou kiooda , comme il 1 écrit, par
mauvais; nous ne connaissons cependant qu'un sens de simple négation à la
première de ces expressions, car pour celle de kiooda, elle n'existe pas
dans la langue, à notre connaissance. (Note de M. d'Unille.J
TOME III. 50
786 PIECES JUSTIFICATIVES.
beau! » et quand je lui eus annoncé que cette île produisait en
quantité d'excellentes patates, je crois qu'il oublia presque
son pays natal.
Pendant l'intervalle de temps qui s'écoula entre le moment
où nous mouillâmes et celui où je le conduisis à terre , la bat-
terie de Ladder- Hill fit un salut ; sa surprise et sa peur fu-
rent extrêmes. Il se coueba tout de son long sur le pont, se
boucha les oreilles, et se crut sans doute à la fin de ses jours.
Cependant , comme il vit le feu continuer, et qu'il ne se sentait
aucun mal, il reprit par degrés de la confiance et du courage ;
mais dans les occasions de ce genre, il témoignait toujours
quelque inquiétude, et se bouchait constamment les oreilles
en disant : « Mate mate taringa — cela tue les oreilles. »
Nous allâmes ensuite à terre, et rien n'échappa à l'attention
de Maounga. La quantité des grandes ancres, des canons et
des autres objets en 1er l'étonna ; jusqu'alors il semblait ne
s'être pas fait une juste idée de notre opulence nationale. Les
militaires fixèrent beaucoup sonattention.il avait beaucoup
de penchant à montrer du doigt tout ce qui le frappait, soit
dans la personne soit dans le costume des individus, et l'uni-
forme de la garnison se trouvait particulièrement dans ce cas.
Il se permettait quelquefois de telles libertés à cet égard ,
que, suivant toute apparence, il en eût été rudement corrigé si
je n'avais été là pour certifier aux personnes insultées qu'il n'y
avait aucune mauvaise intention de sa part, et que sa grossiè-
reté tenait uniquement à son ignorance de nos manières et de
nos coutumes.
Il admirait beaucoup les édifices de Sainte-Hélène; mais
quant à l'île elle-même, il n'en avait qu'une très-pauvre opi-
nion, et répétait souvent : « Kaï ore outa — mauvaise terre.»
La première fois qu'il vit une couple de bœufs, sa surprise
fut très-grande, car il n'avait pas d'idée d'un animal de cette
taille. Peu après, il vit un homme à cheval, ce qui lui fit tant
de plaisir, qu'il se mit à rire de tout son cœur, et quand l'ani-
mal se mit en route d'un pas modéré, Maounga l'accompagna
PIECES JUSTIFICATIVES. 787
dans le vallon; puis il revint, et me témoigna qu'il aimait
beaucoup cette façon de se faire porter. La musique du régi-
ment L'enchantait; il avait une passion très-prononcée pour
toute espèce de musique, et je l'ai vu en extase en entendant
un violon. Tout était nouveau pour lui , et presque tout lui
plaisait. Je le présentai au gouverneur Patten , qui était, lui
dis-je, le chef de l'île. Il fut très-content du gouverneur, et il
me disait souvent : Paï ana Tepahi, paï ana.
Sainte-Hélène n'offre pas une grande variété d'objets, et,
peu après notre arrivée, Maounga préféra le navire à la terre.
11 avait des connaissances à bord, et il prenait beaucoup de
plaisir à la pèche à laquelle il était fort adroit. Pendant cette re-
lâche, il faillit une seconde fois être dévoré par un requin ; il
se baignait un matin quand un de ces voraees animaux parut
sur la rade et se trouva bientôt près de Maounga , qui n'attei-
gnit le navire que tout juste à temps pour échapper à sa perte.
Malheureusement ce monstre des mers fut plus heureux dans
une autre occasion. Un officier de dragons, a son retour de
l'Inde, devint la victime de sa voracité. Nous continuâmes
notre route vers l'Angleterre, et rien n'attira l'attention de
Maounga. Du reste, on eut occasion de remarquer combien
sa vue et son ouïe étaient supérieures à celles des autres per-
sonnes du bord. Maounga entendait distinctement un coup de
canon éloigné, et distinguait aisément une voile étrangère,
quand personne ne pouvait entendre ou voir ces objets.
A la fin , la terre si long-temps désirée , la terre de pro-
mission pour Maounga, se montra à ses regards; et l'abon-
dante provision de poisson, de viande et de végétaux, qu'on
reçut d'un port de l'Irlande , firent sur lui une impression fa-
vorable à notre pays. Le nombre des navires, d'après lequel
il estimait notre richesse et notre population , était pour lui
une" source constante de surprise qui n'eut plus de bornes a
notre entrée dans le port de Londres.
J'avais des dépèches pour le gouvernement, et de Cork je
lus obligé de me rendre à Londres par la route de Dublin et
788 PIECES JUSTIFICATIVES.
de Holy-Hcad. Le navire fut retenu plusieurs jours par des
vents eontraires, et, pendant ce temps, Maounga regretta
mon absence d'une manière très-touchante.
A l'arrivée du bâtiment dans la Tamise , j'allai à la ren-
contre de Maounga, qui fut très -content de me voir. Le
grand nombre des navires et l'aspect de Londres excitèrent
chez lui plus d'étonnement qu'il n'en avait jamais éprouvé;
mais ces objets firent aussi naître une réflexion qui lui causa
quelque chagrin. Il me dit qu'à la Nouvelle-Zélande il était
un homme de quelque importance; mais il voyait que, dans
un pays comme celui-ci, il ne jouirait plus d'aucune sorte de
considération. Pourtant, comme rien n'était capable d'affliger
Maounga pendant long-temps, il me suivit au rivage avec
gaieté.
L'immensité de cette métropole a frappé les hommes les plus
éclairés : il ne paraîtra donc pas extraordinaire qu'un pauvre
naturel des Antipodes ait été à son aspect dans le plus grand
étonnement. Nous débarquâmes dans la partie orientale de la
ville, et il nous fallut marcher quelque temps à pied avant de
pouvoir nous procurer une voiture : il eut donc, pendant cette
promenade r sujet d'admirer tout ce qui s'offrait à ses regards.
Les immenses magasins des taillandiers fixèrent particulière-
ment son attention. Quand nous passions devant les boutiques
où ces marchandises étaient étalées, il me faisait toujours cette
observation : « Paï anaouta, nouï nouï to/n' — Bon pays, beau-
coup de haches. «Les objets d'une utilité réelle tenaient cons-
tamment à ses yeux le premier rang. Les boutiques qui dé-
ployaient des objets de toilette et de luxe le faisaient rire ,
tandis que celles qui offraient des vêlemens de première utilité
semblaient lui donner une satisfaction véritable. Dans la partie
de la ville que nous eûmes à traverser se trouvaient plusieurs
magasins de cette dernière espèce; toutes les fois qu'il en
voyait un, il me faisait observer : « Paï ana, nouï nouï hakahou
— C'est bon, beaucoup d'habits. »
Les marins lui avaient appris le salut familier de : « How do
PIECES JUSTIFICATIVES. 789
you do, my boy? — Comment vous portez-vous, mon garçon? »
Maounga trouva l'occasion de l'employer pendant sa prome-
nade ; car la singularité de sa tournure excitait la curiosité des
passans : souvent ils s'arrêtaient pour le considérer. Maounga
avait un bon caractère , et toutes les fois qu'il voyait quelqu'un
s'arrêter devant lui, il allait à lui, et lui tendait la main en
ajoutant : How do you do, my boy? Son aspect effrayait beau-
coup ces curieux , et ils s'enfuyaient sans vouloir répondre à
son honnêteté.
La voiture lui causa beaucoup de satisfaction. Quand les
chevaux se mirent en marche, le mouvement sembla lui cau-
ser d'abord quelque effroi , mais avec moi il reprit bientôt cou-
rage. Il regardait de chaque côté , puis devant; puis il parut
pensif. Je lui demandai comment il trouvait notre allure
actuelle ; il répondit : « Paï ana, tvare nouï nouï dire — Très-
bien , la maison marche très-fort. »
Comme nous traversions un grand nombre de rues sur notre
route vers mon logement situé à l'extrémité occidentale de la
ville, rien n'échappait à ses observations. Les clochers, les
boutiques , les passans, les chevaux et les voitures, tout exci-
tait de sa part quelque remarque singulière. A propos de la
hauteur des clochers , il disait : « Paï ana xvare , tawititawiti
pokoura — Bonne maison , aussi loin que les nuages.» Lors-
qu'il observait dans un passant quelque effet de vieillesse ,
blessure ou maladie, il ne manquait pas de dire : « Kaï orc
tangafa, ou Kaï orewahine — Mauvais homme, ou mauvaise
femme. » Son œil cherchait constamment les objets en fer, les
habits ou les vivres. Touchant certaines rues , il observait
Nouï nouï tangata , nouï nouï ware, itiitiika, iti iti potatou
— Beaucoup d'hommes, beaucoup de maisons, mais très-
peu de patates.
Je ne pus jamais amener Maounga à prononcer le mot En-
gland (Angleterre); en conséquence je lui laissai faire usage,
en sa place, de celui d'Europe, qu'il prononça sans difficulté.
Quelquefois, sur la route , il faisait la comparaison de ce pays
•
790 PIECES JUSTIFICATIVES.
avec le sien , et cette idée l'entraînait dans des réflexions mé-
lancoliques. Il disait alors : Nouï nouï Youroupi, iti iti Niou-
Ziland.
Nous arrivâmes à mon logement, où Maounga retrouva
mon domestique, qui avait été son compagnon durant la tra-
versée, et il parut complètement satisfait.
Peu après mon arrivée , je présentai Maounga au comte
Fitz-William. Je lui dis que sa seigneurie était un chef, et
Maounga entra dans sa maison avec le respect convenable.
L'ameublement et les tableaux lui plurent beaucoup, mais il
fut tout-à-fait enchanté de l'affabilité du comte et de la com-
tesse Fitz-William. Lord Milton et quelques nobles pa-
rens de Fitz-William étaient présens, et tous eurent part à
l'approbation de Maounga. Il était grand physionomiste et fort
disposé à contracter une opinion bonne ou mauvaise des per-
sonnes au premier abord. Les traits delà figure de sa seigneurie
lui plurent davantage que ccux.de tous les hommes sur lesquels
il m'avait jusqu'alors exprimé son opinion. Unbuste en marbre
qui représentait sa seigneurie attira toute son attention durant
plusieurs minutes; il alla se placer en face dans une chaise, et
en contempla les traits avec une grande admiration. Il dit qu'à
son retour à la Nouvelle-Zélande il s'efforcerait de graver une
figure semblable à ce buste. Toutes les fois que lord Fitz-Wil-
liam me tournait le dos , il me disait à l'oreille : «Pat ana Te-
pahi — C'est un bon chef; » et il fut aussi satisfait de la com-
tesse et de sa compagnie.
Les objets d'ornement dans l'ameublement ne faisaient point
sur lui autant d'impression qu'on aurait pu l'imaginer : à l'oc-
casion des glaces et autres ornernens splendides, il disait sim-
plement : « Maïtaï — c'est bien ; » et tandis que je pensais qu'il
admirait des objets plus remarquables , je trouvai qu'il comp-
tait les chaises. Il s'était procuré un petit morceau de bois ,
qu'il avait rompu par morceaux pour aider sa mémoire. Il fit
cette remarque : « Nouï , nouï tangata Tepahi — Beaucoup
d'hommes assis chez le chef.»
PIECES JUSTIFICATIVES. 791
Maounga s'en alla très-satisfait de sa visite; il nie pria sou-
vent de la renouveler, et s'informait fréquemment de la santé
du chef et de sa famille.
11 était très-incommode do conduire Maounga «à des specta-
cles publics, ou même de se promener avec lui dans les rues,
à cause de la curiosité de Jolin Bull : c'est pourquoi je ne le
faisais pas sortir aussi souvent que je l'eusse fait sans cet incon-
vénient. Je le menai à la cathédrale de Saint-Paul; les vastes
dimensions de cette masse de bâtimens parurent l'étonner. Il
contempla avec beaucoup de satisfaction l'intérieur du dôme ,
mais il s'attacha avec un plaisir infini à considérer les monu-
niensde nos grands hommes.
Une grande source de divertissemens pour Mouanga était
d'observer les passans, en faisant une foule de remarques sur
leur figure et leur personne , et souvent il riait de tout son
cœur à leurs dépens.
Les jambes de bois l'amusaient beaucoup. Un jour il vit un
homme qui en avait deux; il m'appela en hâte pour voir ce
pauvre malheureux, en disant : « Tangata kadoua pouna
poima rakou — Un homme avec deux jambes de bois. »
Il détestait le bruit et les criailleries; aussi le tumulte des
cris de Londres lui déplaisait fort. Dans ces occasions, il ex-
primait son déplaisir en disant : « Kaï ore tangata ou kaï ore
waJiine , nouï nouï moum moum moum — Mauvais homme , ou
mauvaise femme, fait beaucoup de tapage. »
Nos marchés lui causaient beaucoup de satisfaction, en lui
faisant connaître que nous étions abondamment pourvus de
vivres. Du reste, l'aspect de plusieurs des passans eût suffi
pour le délivrer de semblables craintes, à supposer qu'il eût
pu d'abord en concevoir. Toutes les fois qu'il voyait passer
près de lui un homme opulent, il disait : « Tangata nouï nouï
kaï kaï — Cet homme a beaucoup à manger. » Comme il ne
voyait aucune apparence de bestiaux ni de terres cultivées, ce
fut d'abord un mystère pour lui que d'expliquer comment pou-
vait vivre une population si prodigieuse, mais l'arrivée de quel-
♦
792 PIECES JUSTIFICATIVES.
qucs troupeaux de bœufs et de chariots charges de légumes ,
qui passaient constamment devant notre maison , bannit
bientôt toutes ses craintes touchant notre subsistance.
J'ai rendu compte des motifs que j'avais eus de renvoyer
Maounga si promptement chez lui, et de la manière touchante
dont il prit congé de moi. Quand il arrivera dans sa patrie,
il sera un homme de haute importance sous le rapport des ri-
chesses et des connaissances utiles. L'usage des outils du char-
pentier et du tonnelier lui est familier, et s'il reste à la Nou-
velle-Zélande , je ne doute point qu'il ne se rappelle sa visite en
Europe avec une satisfaction particulière pendant le reste de
ses jours.
FIT* 1)11 TOME TnOISlKME ET DES PUCES JIÎSTIFtCM'tVFS.
TABLE
DES
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Pages.
Avertissement. i
Voyage de Tasman. 5
Voyages de Cook. i4
Plantations, 14. — Villages fortifies, i5. — Naturels de la baie
des Iles, 18. — Traditions, 19. — Notions religieuses, 20. —
Dispositions des naturels, 22.
Voyage du capitaine Sorville. 26
Voyage du capitaine Marion. 3i
Remarques générales sur les naturels, 52. — Description des vil-
lages, 55. — Nourriture, 5g. — Habillement, 6r. — Indus-
trie, 64. — Religion, 68. — Productions du pays, 6g.
Extrait de l'ouvrage de Collins. jG
Observations de Turnbull. 87
Extraits du Missionnary Register. 106
Voyage et Remarques de M. Kendall en 1814. ii6
Etablissement des Missionnaires en 18 i5. i32
Premier Voyage de M. Marsden en i8i4- i3G
Arrivée au cap Nord, 137. — Aux îles Cavalles, 143. — Visite
au camp de Wangaroa, 147. — Arrivée à la baie des Iles, i55.
— Visite au chef Tara, i5g. — Voyage à Waï-Mate, 162. —
Le lac Maupere, 166. — Débarquement des colons à Rangui-
Hou , 170. — Voyage à la rivière Tamise , 171. — Visite à Kou-
koupa, i85. — Probité des naturels, 188. — Visite à Waï-
Kadi, îgi. — Traitement des malades, ig5. — Maladie de
Doua-Tara, 2o3. — Conclusion, 212.
tome m. 5i
794 TABLE
Note sur Mawi. 221
Extraits du Journal de M.Kendall en i8i5 et 181G. 226
Lettres de Titari et de Touai. 248
Mémoires de Doua-Tara. 202
Second Voyage de M. Marsden en 1819. 267
Arrivée à Rangui-Hou, 269. — Rivalité des chefs Shongui et
Koro-Koro, 271. — Kidi-Kidi choisi pour un nouvel établisse-
ment, 272. — Visite à Paroa, 275. — Visite àMotou-Doua, 279.
— Cruelles superstitions des naturels, 284. — Visite à Korora-
Reka, 288. — Idées des naturels à l'égard du vol, 2g5. —
Coutumes touchant les têtes des chefs tués au combat, 5o3. —
Du tatouage, 5 10. — Sacrifices humains, 3i5. — Famille de
Shongui à Tepouna, 3 19. — Détails sur la rivière Shouki-
Anga , 525. — Querelle des chefs de Karaka et de Houta-
Koura, 33o. — Visite à Widi-Nake, 343. — Tradition des
naturels, 352. — Arrivée à Tepapa, 555. — Visite à Motou-
Iti, 36i. — Visite à Tae-Ame , 364. — La source chaude et le
lac Blanc, 374. — Conversations sur le Tabou, 376. — Départ
de la-baie des Iles, 58G. — Conclusion, 588.
Extraits des Journaux des Colons en 1819 et 1820. ^91
Troisième Voyage de M. Marsden en 1820. 4°»
Affection des naturels pour leurs enfaus, 407. — Un conseil de
guerre, 4o8. — Déification d'un chef mort, 4i 1. — Effets des-
tructeurs des superstitions, 41 4. — Pas de la rivière Tamise, 41 5.
— Visite à la baie Mercure, 419. — Réconciliation entre des
chefs ennemis, 45 2. — Détails sur Moudi-Panga, 435. — Frayeur
de la colère divine parmi les naturels, 43g. — Entretiens sur la
religion, 4-t5. — Deuil pour les morts, 4*7. — Pà de Moïan-
gui, 44g.
Voyage de Shongui en Angleterre, effets de cette visite. i5o
Extraits du Journal de M. F. Hall en 1821 et 1822. 460
Extrait du Journal de M. Leigh en 1822. 4?°
Quatrième Voyage de 31. Marsden en 1823. 47'-'
Misère et cruautés du paganisme, 475. — Remarques sur le carac-
tère des naturels, 476. — Indices satisfaisans parmi les natu-
DES PIECES JUSTIFICATIVES.
795
rels, 47g. — ïouai devient le chef de sa tribu , 481. — Georges
deWangaroa, 484.
Mort de Touai. A 87
Violences de Toï-Tapou. 492
Description de la mission de \Yangaroa. 497
Mort de Shongui. 5i8
Cruautés et superstitions des naturels. 5?$
DÉTAILS SUR LÀ MORT ET LES FUNÉRAILLES DE ShONOUI. 53()
Extraits de quelques Lettres des Missionnaires en
1828. 542
Situation des Missions. 549
Extraits du Journal de M. Yate en 182g. 55 1
Extraits du Journal de M. W. Williams en 1829. 555
Combats entre les naturels du nord et ceux du sud de la baie des
Iles. 56o
Extraits du Journal de M. Stack.. 569
Voyage de M. Liddiard Nicholas. 5y5
Portraits de quelques chefs, 577. — Notions religieuses des Nou-
veaux-Zélandais, 58o. — Costumes de guerre, 585. — Catas-
trophe du Boyd, 588. — De la racine de fougère, 5g4. — Défense
de manger dans les maisons, 5g6. — Privilège des Arikis, 5g8.
Portrait de Pomare, 60 r. — Description du pà de Waï-
Matc, 6o4. — Revue des guerriers, 606. — Conférences solen-
nelles à Wai-Kadi, 607. — Cérémonies au sujet d'un peigne, 618.
— Funérailles, G21. — Superstitions concernant le Tabou, 625.
— Nature du climat , 628. — État social des Battas comparé à
celui des Nouveaux-Zélandais, 629. — Du Tabou, 655.
Voyage de M. Richard Cruise.
Le Kaï-Katea et le Koudi, 656. — Description des cabanes, 658.
Visite de Touai , 65g. — Barbarie d'un guerrier envers sa
captive, 64i. — Culture et récolte des Koumaras, 645. — Ré-
glemens relatifs aux morts, 645. — Visite de Poro au Dromedaiy
sur la rade de Wangaroa, 647. — Attachement des femmes pour les
Européens , 654. — Caractère, usages, coutumes et industrie des
Nouveaux-Zélandais, 657.
635
V96 TABLE DES PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Voyage de M. Duperrey. Qn2
Observations personnelles. 6^3
Affection des naturels pour leurs parens, 674. — Shongui, 675. —
Touai, 678. —Des esclaves, 679. — Devoirs des chefs, 681.
Baptême, 682. — Fidélité des femmes, 686. — Du Pihe , 687 .
Observations de M. de Blosseville. 692
Voyage de M. Dillon. n0i
Entrevue de Bryan-Borou et Mac-Marragh avec le neveu de Po-
mare et Maounga, 702. — Traditions des naturels touchant le
massacre de Marion et de ses compagnons, 705. — Mort de
Pomare , 707. — Blessure grave de Shongui, 710.
La Nouvelle-Zélande (1829). 711
Relâche du Hawes à Tauranga, 710. — A Walki-Tauna, 717. —
Enlèvement du navire par les sauvages, 717. — Coutumes des
Xou veaux-Zélandais ,721.
Outrage intitulé New-Zealanders. 72G
Enlèvement du brick l'Agnes par les Nouveaux-Zélandais, 752.
— Massacre des Européens, -5i. — Leurs corps sont rôtis et
mangés, 736. — Rutherford et ses compagnons sont tatoués, 769.
— Rutherford conduit au village d'Emaï, 741. — Son compa-
gnon sacrifié pour infraction du tapou, 746. — Rutherford fait
chef et marié à deux femmes, 748. — Coutumes des naturels, 750.
— Voyage de Rutherford à Tara -Nake, 751. — Sa rencontre
avec Pomare ,762. — Voyage à Kaï-Para ,754. — Combat entre
les guerriers de Kaï-Para et ceux de Shongui, ~5-. — Station à
Shouraki, 759. — Départ de Rutherford de la Nouvelle-Zé-
lande, 762. — Portrait de Rutherford , 764.
Histoire de Toupe-Koupa, 765. — Son arrivée à bord del'Ura-
nia, 766. — Son caractère , 768. — Ses combats avec Shongui, 770.
— Sa conduite en Angleterre, 772. — Ses idées sur le Moko, 776.
Départ de Toupe-Koupa d'Angleterre, 780.
Voyage de John Savage a la Nouvelle-Zélande. 781
Description de Tepouna , 782. — Départ de Maounga pour l'An-
gleterre, 784. — Incidens du voyage, 786. — Observations de
Maounga durant son séjour en Angleterre, 786.
I I>" DE LA TABLE.