Skip to main content

Full text of "Voyage de la corvette l'Astrolabe éxécuté par ordre du roi, pendant les années 1826-1827-1828-1829"

See other formats


' 


'< 


I     ^ 


*.s 


■***&È 


»* 


w* 

* 


i. 


L? 


VOYAGE 


L'ASTROLABE. 


LE    VOYAGE    DE    L  ASTROLABE 

se  compose  des  parties  suivantes  : 

première  Biwsum. 

V  Histoire  dc  Voyage,  rédigée  par  M.  Dumont  d'Urville;  j^  volumes  grand 
in- 8,  papier  grand-raisin  superfin  ;  avec  plus  de  100  Vignettes  en  bois 
ou  en  taille-douce ,  5  Cartes  grand  in-folio ,  et  un  AUas  dc  au  moins 
240  Planches  lithographiées  sur  demi-feuille  jésus-vélin. 

Météorologie,  Magnétisme,  Température  de  la  Mer,  etc. ,  Mémoire 
rédigé  par  M.  Arago,  de  l'Académie  des  Sciences;  t  volume  in-8. 

Deuxième  Dbistort. 

I     Botanique.  Texte  par  MM.  Lesson  jeune  et  A.  Richard;  1  volume  in-8; 
r  Atlas  de  80  Planches  au  moins  en  taille-douce,  la  plupart  coloriées,  sur 
demi-feuille  jésus-vélin. 

QLroisièmc  Bioision. 

Zoologie,  rédigée  par  MM.  Quoy  et  Gaimard;  5  forts  volumes  in-8,  avec 
Atlas  de  200  Planches  au  moins,  gravées  en  taille-douce,  imprimées  en 
couleur,  relevées  au  pinceau;  sur  demi-feuille  jésus-vélin. 

€Luatrième  Dioisioit. 

Partie  Entomologique  ,  rédigée  par  M.  Latreille ,  de  l'Académie  des 
Sciences;  1  volume  in-8,  avec  12  Planches  en  taille-douce,  imprimées 
en  couleur  et  relevées  au  pinceau,  sur  demi-feuille  jésus-vélin. 

Cinquième  Dioiôion. 

Hydrographie.  Atlas  d'environ  53  Cartes  ou  Plans,  gravés  par  les  soins 
du  gouvernement ,  suivi  d'un  volume  de  texte ,  rédigé  par  M.  Dumont 
d'Urville. 


imprimerie  de   j.  tastu. 


VOYAGE 


LA  CORVETTE 


L'ASTROLABE 

«Êmutc  par  (Drùre  lui  î\oi , 

PENDANT  LES  ANNÉES  1826-1827-  1828-1829 


«OIS    l.r    COMMAMDIME? 


DE  M.  J.  DUMONT  D'URVILLE, 

CAPITAINE    DE    VAISSEAU. 
POBLtl 

Par  (Prùonnatuc  bt  Sa  fila\cttt. 

HISTOIRE  DU  VOYAGE. 

# 

TOME  PREMIER. 


PARIS 

J.  TASTU,  ÉDITEUR-IMPRIMEUR, 

W°    36,    RUE    DE    VAUGIRARD. 

1830 


Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2011  with  funding  from 
Duke  University  Libraries 


http://www.archive.org/details/voyagedelacorvet11dumo 


DISCOURS  PRELIMINAIRE. 


L'immortel  Colomb  venait  de  découvrir  un  nou- 
veau monde,  et  Ton  savait  seulement  qu'un  Océan 
immense  le  ceignait  à  l'ouest  comme  «à  Test,  mais 
on  ignorait,  l'étendue,  les  limites  de  ce  bassin,  et 
Ton  n'avait  aucune  idée  des  terres  qui  pouvaient 
se  trouver  sur  sa  surface.  A  peine  écbappée  à 
l'ignorance  du  moyen-âge ,  l'Europe  était  encore 
bien  loin  d'avoir  atteint  ce  baut  degré  de  civilisa- 
tion, ce  noble  amour  des  sciences  et  de  la  gloire 
qui  la  caractérise  aujourd'hui,  et.  qui  a  conduit 
plusieurs  souverains  à  faire  exécuter  de  nos  jours 
tant  de  belles  expéditions  pour  l'intérêt  seul  de  la 
science  et  de  l'humanité.  Au  commencement  du 
seizième  siècle  ,  la  soif  des  conquêtes  et  les  spécu- 
lations mercantiles  pouvaient  seules  déterminer 
les  monarques   ou  les   gouvernemens  à  montrer 


n  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

leur  pavillon  à  l'extrémité  du  globe,  tandis  que 
les  hommes  qui  montaient  ces  vaisseaux  n'étaient 
guère  animés  que  par  l'appât  du  gain  et  l'espoir 
du  pillage.  Des  aventuriers  avides  ne  voyaient 
que  l'or  pour  but  de  leurs  travaux ,  ils  ne  de- 
mandaient que  de  l'or  aux  terres  qu'ils  décou- 
vraient ,  et  celles  qui  n'offraient  point  à  leur 
cupidité  ce  métal  précieux  ,  cessaient  à  leurs  yeux 
de  mériter  le  plus  léger  intérêt.  On  sent  qu'avec 
de  telles  dispositions  et  sous  l'influence  exclusive 
de  pareils  sentimens ,  ces  navigateurs  ne  purent 
rendre  de  grands  services  à  l'hydrographie  :  aussi 
leurs  découvertes  furent-elles  souvent  enveloppées 
d'incertitude  et  même  de  doutes  sur  leur  exis- 
tence. L'identité  des  terres  vues  jadis  par  Mindana 
avec  les  îles  Salomon  d'aujourd'hui  était  encore 
un  fait  contesté  par  divers  géographes,  quand  l'in- 
génieux travail  du  sage  Fleuri  eu  répandait  déjà 
une  lumière  très-vive  sur  ce  sujet  ;  mais  il  fallut  les 
beaux  travaux  de  M.  d'Entrecasteaux,  et  le  témoi- 
gnage de  divers  capitaines  anglais ,  qui  passèrent 
près  de  cet  archipel,  pour  décider  la  question. 
Combien  d'iles  vues  jadis  par  Quiros,  Tasman  et 
Roggewin ,  ont  été  long-temps  regardées  comme 
imaginaires  ,  jusqu'au  moment  où  des  navigateurs 


DISCOURS  PRELIMINAIRE.  in 

modernes  les  ont  retrouvées  et  placées  d'une  ma- 
nière plus  exacte!  Combien  d'autres  îles,  enfin, 
restent  à  découvrir  une  seconde  fois  !  Cependant , 
comme  il  est  juste  de  rendre  à  chacun  ce  qui  lui 
est  dû,  indépendamment  du  motif  qui  a  pu  le 
guider,  liàtons-nous  d'énumérer  les  noms  et  les 
voyages  des  capitaines  que  l'ambition  ou  la  cupi- 
dité seules  attirèrentdans  ces  mers,  avant  que  de  plus 
nobles  sentimens  y  conduisissent  les  Européens. 

Le  premier,  traçant  la  route  à  ses  successeurs, 
en  l'an  i5^o,  l'audacieux  Magellan,  s'élance  dans 
l'Océan-Pacifique  par  le  détroit  qui  porte  son  nom, 
le  traverse  dans  toute  son  étendue  ,  n'y  rencontre 
que  trois  ou  quatre  petites  îles  dont  la  position 
n'est  pas  encore  bien  connue,  découvre  ensuite  les 
iles  des  Larrons  ou  les  Mariannes,  et  enfin  les  Phi- 
lippines ,  où  il  est  tué  en  combatlant  contre  les 
naturels ,  et  laissant  un  nom  désormais  célèbre 
dans  les  fastes  de  la  navigation. 

Garcia  deLoaysa,  qui  le  suit  en  i5a5,  meurt  sans 
faire  aucune  découverte  importante ,  ainsi  que  le 
fameux  Sébastien  del  Cano  son  vice-amiral,  qui  avait 
ramené  le  vaisseau  de  Magellan.  Leur  successeur, 
Alfonse  de  Salazar,  n'ajoute  à  la  géographie  que  la 
petite  île   de  Saint-Barthélémy  (dans  les  Caro- 


iv  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

Unes)  et  quelques  îles  dans  l'archipel  des  Larrons. 

En  i52Ô,  Fernand  Cortez,  alors  gouverneur  du 
Mexique,  avide  d'étendre  ses  conquêtes,  expédie 
son  parent  Alvar  de  Saavedra  vers  les  Moluques. 
Sur  sa  route ,  ce  voyageur  découvre  un  groupe 
auquel  il  donne  le  nom  ailles  des  Rois,  et,  en  re- 
venant de  Tidor  au  Mexique  ,  il  a  la  première  con- 
naissance de  la  Nouvelle-Guinée ,  île  immense  et 
destinée  à  rester  si  long— temps  imparfaitement 
connue.  On  ne  sait  pas  trop  ce  que  peuvent  être 
ses  Iles  des  Barbus,  à  10  à  i3°  de  latitude  N. 

Hurtado  et  Grijalva,  envoyés  sept  ans  après  par 
le  même  Cortez,  découvrent  une  île  Saint-Thomas 
aussi  mal  constatée  que  les  précédentes. 

Le  voyage  de  Juan  Gaëtan ,  en  i542,  offrirait 
un  grand  intérêt ,  puisqu'il  vit  une  foule  d'îles 
dans  la  partie  septentrionale  du  Grand-Océan,  et 
surtout  plusieurs  de  celles  qui  prirent  ensuite  le 
nom  de  Carolines,  comme  les  Jardins,  Arrezife, 
Matelote,  Rocca-Partida,  etc.  Mais  toutes  ces  dé- 
couvertes furent  si  vaguement  indiquées  qu'elles 
restèrent  long-temps  douteuses.  Il  en  est  de  même 
de  la  reconnaissance  qu'il  paraît  avoir  faite  de  la 
Nouvelle-Guinée,  et  dont  les  détails  demeurèrent 
ignorés    du    reste    de    l'Europe    par    une   consé- 


DISCOURS  PRÉLIMINAIRE.  y 

qùence  de  l'esprit  mystérieux  du  cabinet  espagnol. 

Plus  fécond  en  découvertes  que  tous  les  précé- 
dens,  le  voyage  de  Mindana  parti  du  Pérou  en 
i56j,  procure  à  la  géographie  la  connaissance  de 
la  petite  île  Jésus  et  de  ces  fameuses  îles  de  Salomon 
qu'il  explora  avec  tant  de  soin  ,  et  dont  la  position 
fut  néanmoins  si  long-temps  incertaine. 

Dix  ans  plus  tard  l'intrépide  Drake  est  le  pre- 
mier Anglais  qui  renouvelle  l'entreprise  de  Magel- 
lan; et,  comme  lui,  ce  capitaine  ne  rencontre  que 
quelques  îles  qu'il  signale  si  vaguement  que  ,  par 
la  suite,  on  n'a  pu  retrouver  leur  vraie  position. 

En  i587,  Thomas  Candish  passe  des'côtes  de  la 
Californie  aux  îles  Marianne  s  sans  rien  voir. 

Alvar  de  Mindana  ,  ardent  à  poursuivre  ses  pro- 
jets de  colonisation,  repart  de  Payta  en  i5q5;  il 
ne  retrouve  point  ses  îles  de  Salomon,  mais  dé- 
couvre l'archipel  des  Marquises,  les  îles  Saint- 
Bernard  (qu'on  croit  être  les  îles  du  Danger,  de 
Byron),  l'île  Solitaria  qui  est  à  revoir,  et  enfin 
la  belle  et  grande  île  de  Santa-Cruz;  il  tente  vai- 
nement de  fonder  une  colonie  dans  cette  île  où 
l'on  perd  la  trace  de  son  histoire. 

De  Cordes  et  Van-Noort,  en  1600,  traversent 
l'Océan-Pacifique  sans   faire  de  découvertes  car 


yi  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

on  ne  peut  guère  deviner  ce  que  peuvent  être  de 
prétendues  îles  vues  par  le  vice-amiral  Beunin- 
gue  par  i6°  latitude  N.  et  habitées  par  des  antro- 
pophages ,  à  moins  que  ce  ne  soit  quelqu'une  des 
Ues  Sandwich. 

Nous  arrivons  à  un  navigateur  d1un  ordre  supé- 
rieur pour  ces  temps  d'ignorance.  La  marche  de 
son  voyage,  combinée  avec  plus  de  méthode, 
donne  lieu  à  de  nombreuses  découvertes  ;  et  des 
observations  moins  vagues  que  celles  de  ses  devan- 
ciers ont  fourni  le  moyen  de  les  retrouver  toutes, 
à  peu  de  chose  près.  Je  veux  parler  de  Fernand 
Quiros,  pilote  de  Mindana  dans  son  dernier 
voyage,  et  qui,  pilote  encore  en  1608  sous  les 
ordres  de  Paz  de  Torres,  parait  néanmoins  avoir 
dirigé  la  campagne.  Sa  Sagittaria  est  certaine- 
ment Taïti;  Tikopia  a  été  retrouvé ,  et  ses  îles  du 
Saint-Esprit  sont  les  Cyclades  de  Bougainville  ou 
la  partie  septentrionale  des  Nouvelles-Hébrides. 
On  a  cru  voir  Encarhacion  dans  Pitcairn,  Dezena 
dans  Maïtea,  et  Gente-Hermosa  dans  les  îles  du 
Danger.  Enfin ,  Mallicolo  vient  d'être  reproduit 
dans  Vanikoro,  et  son  île  Taumako  existe  certaine- 
ment peu  loin  de  Santa-Cruz.  Une  nouvelle  explo- 
ra! ion  des  îles  de  l'archipel  Dangereux  fera  con- 


DISCOURS  PRELIM1NA1RK.  yn 

naître   probablement    San-Jaaii-Batista ,    Sant- 
Elmo,  la  Conversion  de  San-Pablo. 

Passons  promptement  sur  le  voyage  de  Spilberg 
en  i6i5  et  1616,  qui,  n'ayant  rencontré  au  nord 
de  la  ligne  que  deux  ou  trois  îlots  encore  indé- 
terminés, ne  devra  peut-être  sa  triste  célébrité 
qu'au  traitement  injuste  et  barbare  que  cet  amiral 
eut  à  exercer,  au  nom  de  la  Compagnie,  envers  le 
célèbre  et  malbeureux  Jacques  Lemaire. 

Celui-ci,  de  concert  avec  Scbouten,  venait  d'im- 
mortaliser son  nom  par  la  découverte  du  détroit 
de  Lemaire ,  des  îles  des  Chiens,  Sans-fond,  TVatei\ 
des  Mouches,  des  Cocos,  des  Traîtres,  Espérance, 
Horn ;  il  avait  encore  reconnu  les  îles  nommées 
par  Tasman,  Ont  on  g- Java  ,  Vertes,  Saint- Jean  , 
Moïse ,  et  plusieurs  autres  sur  la  côte  nord  de  la 
Nouvelle-Bretagne  et  de  la  Nouvelle-Guinée ,  qu'il 
avait  laissées  sans  nom,  car  il  avait  prolongé  pres- 
que entièrement  toute  rétendue  de  cette  grande 
terre. 

Je  ne  parlerai  point  ici  des  découvertes  faites 
successivement  de  1616  à  162g  sur  divers  points  de 
la  Nouvelle-Hollande  par  Hertog,  Zeachen,  Edels, 
Nuitz ,  Witt,  Carpenter  et  Pelsart.  Je  mention- 
nerai à  peine  Jacques  Hermile  qui,  en  i6?4>  se 


tiii  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

rendit  d'Aeapulco  à  Guam  sans  rien  trouver 'sur  sa 
route.  Mais  on  doit  citer  avec  honneur,  Tasman , 
le  plus  remarquable  des  navigateurs  du  dix-sep- 
tième siècle,  après  Lemaire  et  Dampier.  Dans  un 
premier  voyage  ,  en  1642  et  i643,  il  découvre  la 
Nouvelle-Zélande ,  File  des  Trois-Rois ,  File  Pyls- 
tart,  plusieurs  des  îles  des  Amis,  quelques-unes 
des  îles  Viti,  les  îles  Antoine,  Caens,  Gardener  et 
Vischers,  et  prolonge  une  partie  de  la  côte-nord  de 
la  Nouvelle-Guinée.  Dans  un  second  voyage  ce 
capitaine  paraît  avoir  fait  d'importantes  décou- 
vertes sur  la  côte  méridionale  de  cette  grande  île , 
mais  la  politique  de  la  Compagnie  hollandaise  les 
a  constamment  tenues  cachées  au  reste  de  l'Europe. 

Le  voyage  de  Cowley,  en  i683,  ne  mérite  guère 
d'être  cité  que  parce  que  ce  capitaine  reconnut 
d'une  manière  positive  les  îles  Gallapagos  jusqu'a- 
lors très-vaguement  indiquées. 

En  1696,  vingt-neuf  habitans  des  îles  Palaos 
sont  jetés,  par  une  tempête,  sur  les  côtes  de  Samaî, 
et  procurent  ainsi  la  première  connaissance  de 
leur  archipel.  Dans  l'espace  de  quinze  à  vingt  ans 
après  cet  événement ,  elles  sont  visitées  par  divers 
navires  espagnols  qui  les  déterminent  d'une  ma- 
nière assez  précise  pour  ces  temps. 


DISCOURS  PRELIMINAIRE.  ix 

Dampier,  le  plus  judicieux  des  navigateurs  de 
cette  époque,  est  expédié  en  1699  pour  faire  de  nou- 
velles découvertes  dans  les  mêmes  parages.  Son 
expédition  n'eut  pas  tout  le  succès  qu'on  eût  pu 
attendre  d'un  marin  si  expérimenté  et  d'un  ob- 
servateur si  laborieux.  Cependant  il  vit  encore  la 
côte  nord  de  la  Nouvelle-Guinée ,  découvrit  les 
îles  Mathias  et  Orageuse,  reconnut  la  côte  orien- 
tale de  la  Nouvelle-Irlande ,  et  la  côte  méridionale 
de  la  Nouvelle-Bretagne,  et,  franchissant  le  premier 
le  détroit  qui  porte  son  nom,  sépare  cette  dernière 
île  de  la  Nouvelle-Guinée.  Il  découvre  ensuite  les 
îles  du  Volcan,  Couronne,  G.  Rook,  Longue, 
Rich,  le  long  de  cette  terre.  Toutes  les  descrip- 
tions de  ce  navigateur  sont  exactes  :  mais,  comme 
ses  prédécesseurs,  privé  de  moyens  sûrs  pour  dé- 
terminer les  longitudes ,  son  voyage  ne  peut  que 
prouver  l'existence  de  ces  terres  sans  assurer  leur 
position. 

Huit  ans  plus  tard  ,  il  parcourt  encore ,  en  qualité 
de  pilote,  l'Océan-Pacifîque  avec  le  capitaine  Rog- 
gers,  mais  sans  rien  trouver  de  nouveau. 

François  Padilla,  en  1710  ,  commence  la  recon- 
naissance des  îles  Palaos  ;  le  mauvais  temps  le  force 
de  les  quif  ter  sans  l'avoir  terminée. 


x  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

La  Barbinais  traverse  en  1716  ce  même  Océan , 
sans  rien  voir. 

Roooewin,  en  1722,  découvre  l'île  de  Pâques, 
00  ■ 

les  îles  Pernicieuse,  Aurore,  Vêpres,  Labyrinthe, 
Récréation,  Bauman,  Tienhoven,  Groningue  et  les 
Mille-Iles.  Dans  ce  nombre  quelques-unes  sont  à 
retrouver. 

Là  s'arrêtent  les  voyages  de  découvertes  entre- 
pris dans  Tunique  but  de  conquérir  de  nouvelles 
terres,  et  d'y  chercher  de  For  ou  des  productions 
précieuses.  Car  on  ne  peut  placer  dans  cette  caté- 
gorie le  voyage  d'Anson,  entrepris  seulement  pour 
ravager  les  possessions  espagnoles,  saisir  leurs  na- 
vires et  ruiner  leur  commerce  ;  d'ailleurs  il  ne 
produisit  rien  autre  pour  la  géographie  que  quel- 
ques documens  plus  détaillés  sur  quelques  mouil- 
lages peu  connus. 

Plus  de  quarante  années  s'écoulent  avant  que  le 
goût  des  grandes  navigations  se  réveille  en  Eu- 
rope ;  mais  un  nouvel  esprit  doit  caractériser  celles 
qui  vont  suivre.  Le  noble  amour  de  la  gloire ,  le 
désir  de  perfectionner  la  connaissance  de  notre 
globe,  en  seront  le  principal  but;  désormais  des 
actes  de  cruauté  souvent  aussi  inutiles  que  honteux 
ne    signaleront   plus   l'apparition    des   Européens 


DISCOURS  PRÉLIMINAIRE.  x, 

chez,  des  peuples  enfans.  Nous  devons  convenir 
que  F  Angleterre  donna  la  première  ce  bel  exemple 
aux  autres  nations,  mais  aussi  nous  pouvons  ajou- 
ter que  la  France  le  suivit  avec  honneur. 

Ce  fut  sous  de  pareils  auspices  que  Byron  navi- 
gua dans  la  mer  du  Sud,  en  1764  et  1766.  Cepen- 
dant son  voyage  fut  peu  fructueux ,  et  la  géogra- 
phie n'en  retira  que  la  connaissance  des  petites  îles 
Désappointement,  Roi-Georges,  Prince  de  Galles, 
Duc  d'York  et  Byron. 

Wallis  le  suit  de  près.  En  1767,  il  signale  les 
îles  Pentecôte,  Reine-Charlotte,  Egmont,  Glo- 
cester,  Cumberland,  Prince-Henry,  Osnabrugli;  vi- 
site Ta'iti,  découvre  celles  du  Duc-d'York  (Eiméo), 
Charles-Saundcrs,  Lord-Howe,  Scilly ,  Boscawen  , 
Kcppel,  Wallis,  et  reconnaît  les  îles  Pcscadores. 

Dans  la  même  année  et  dans  la  suivante,  son  com- 
pagnon Carteret  découvre  les  îles  Pitcaim,  Évcque- 
d'Osnabruck,  Duc-de-Glocester ,  reconnaît  les  îles 
de  la  Reine- Charlotte  (Santa-Cruz  de  Mindana), 
découvreles  îles  Gower,  Simpson,  Carteret,  Charles- 
Hardy,  JVinchelsea,  le  Canal  Saint-Georges,  et 
sépare  ainsi  la  Nouvelle-Irlande  de  la  Nouvelle- 
Bretagne,  la  Nouvelle- Hanovre,  les  îles  Portland, 
de  V \imirau(('\  Duroin,   1/7//7»  ,  Stephens,  Freesvill 


kil  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

et  Courant.  Il  eut  (Tautant  plus  de  mérite  à  exé- 
cuter ces  nombreuses  découvertes  que  son  na- 
vire était  fort  mauvais  et  privé  de  toutes  les  muni- 
tions nécessaires  à  un  pareil  voyage. 

Dans  les  mêmes  années  encore ,  notre  célèbre 
Bougainville,  ouvrant  la  carrière  de  ces  navigations 
aux  Français,  ajoute  à  la  géographie  les  îles  des 
Çuatre-Facardins ,  des  Lanciers,  de  La  Harpe, 
onze  îles  dans  l'archipel  Dangereux;  visite  Ta'iti , 
découvre  l'archipel  des  Navigateurs,  V Enfant- 
Perdu;  retrouve  les  terres  du  Saint-Esprit  de 
Quiros  qu'il  nomme  Cyclades  ;  découvre  les  îles  de 
la  Louisiade ;  reconnaît  plusieurs  des  îles  Salomon, 
et  termine  enfin  ses  nombreuses  découvertes  par 
les  îles  des  Anachorètes  et  de  l'Echiquier.  Ce 
voyage,  déjà  fort  important  par  lui-même,  l1  aurait 
été  bien  davantage  si  Ton  eût  pu  fixer  exactement 
la  position  des  îles  aperçues ,  et  si  les  détails  géo- 
graphiques eussent  été  plus  soignés. 

A  Cook  était  réservé  l'honneur  d'ouvrir  une 
nouvelle  ère  pour  la  géographie  dans  ces  para- 
ges. Non  content  de  voir  et  d'annoncer  de  nou- 
velles terres ,  comme  avaient  fait  ses  devanciers , 
il  détermina  leur  position  avec  soin ,  et  cher- 
cha   à  tracer  leurs  gisemens   et  les  contours  de 


DISCOURS  PRELIMINAIRE.  xm 

leurs  côtes  avec  toute  la  précision  que  pouvaient 
comporter  les  méthodes  en  usage  de  son  temps. 
Aussi  toutes  ses  découvertes  sont  restées  authen- 
tiques, et  il  a  fallu  que  les  opérations  hydro- 
graphiques fussent  portées  à  un  très-haut  point  de 
perfection  pour  qu'on  pût  se  convaincre  que  ses 
reconnaissances  laissaient  encore  beaucoup  à  dé- 
sirer. Toutefois  on  ne  saurait  lui  refuser  le  titre 
de  fondateur  de  la  véritable  géographie  dans 
l 'Océan-Pacifique  ;  ceux  qui  sont  venus  après  lui 
sur  les  mêmes  lieux  n'ont  pu  prétendre  qu'au  mé- 
rite d'avoir  plus  ou  moins  perfectionné  ses  travaux. 
Les  fruits  de  son  premier  voyage  en  1769  et 
1770,  sont  la  découverte  de  l'île  de  la  Chnmc, 
des  îles  de  la  Société  qui  environnent  Taïti;  la 
reconnaissance  complète  de  la  Nouvelle-Zélande  , 
de  toute  la  côte  orientale  de  la  Nouvelle-Hollande, 
et  enfin  du  détroit  de  Torrès.  Ces  trois  derniers 
travaux  lui  valurent  l'admiration  générale  des  ma- 
rins et  des  géographes,  ils  relevèrent  en  un  instant 
au-dessus  de  tous  les  navigateurs  qui  l'avaient 
précédé ,  et  donnèrent  la  mesure  de  ce  qu'on 
pouvait  attendre  du  courage  inébranlable ,  de  la 
profonde  sagacité  et  de  la  persévérance  opiniâtre 
de  ce  grand  homme. 


xiv  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

Surville,  en  1769,  reconnut  plusieurs  des  îles 
Salomon ,  qu'il  prenait  alors  pour  la  suite  des 
terres  du  Saint-Esprit  de  Quiros ,  et  découvrit  la 
vaste  baie  d'  Oudoudou  sur  la  partie  N.  E.  de  la 
Nouvelle-Zélande  ,  où  il  était  mouillé  ,  tandis  que 
Cook  traçait  les  contours  de  ces  grandes  îles. 

Quinze  mois  plus  tard,  en  mars  1771  ,  l'infor- 
tuné Marion  mouilla  ses  vaisseaux  dans  la  baie  des 
Iles;  il  y  trouva  la  mort,  mais  ses  compagnons 
recueillirent  une  foule  de  documens  intéressans 
sur  les  mœurs  des  naturels,  documens  dont  les 
voyages  subséquens  ont  démontré  l'exactitude. 

L'Espagnol  Domingo  Boenecheo,  dont  l'expédi- 
tion à  Taïti  est  si  peu  connue ,  paraît  avoir  décou- 
vert, en  1772  et  1773,  les  îles  San-Simon,  San- 
Quintin,  Narcisso.  La  seconde  n'a  pas  été  revue 
depuis. 

Le  célèbre  Cook  reprend  la  mer  en  1772,  et,  dès 
l'année  suivante,  découvre  les  îles  Douteuse, Harvey, 
Palliser,  Palmerston,  Sauvage,  Tortue,  la  Nou- 
velle-Calédonie, des  Pins,  Botanique,  Norfolk,  et 
reconnaît  avec  son  exactitude  accoutumée  les  ar- 
cbipels  des  Amis  ,  des  Marquises ,  des  Terres  du 
Saint-Esprit  (Nouvelles-Hébrides  suivant  lui). 
Cette  expédition  confirme  sa  réputation ,   et   le 


DISCOURS  PRÉLIMINAIRE.  xv 

gouvernement  anglais  lui  décerne  la  juste  récom- 
pense de  ses  glorieux  travaux. 

Mais  cet  infatigable  marin  ne  peut  résister  à 
l'attrait  d'ajouter  d'autres  lauriers  à  ceux  qui  cei- 
gnent déjà  sa  tête;  un  nouveau  voyage,  qui  doit  lui 
être  funeste ,  élèvera  son  nom  au  plus  haut  degré 
de  gloire.  En  i777,  il  découvre  les  îles  Mangea, 
ÏVatiou,  Okatootaïa,  Toubouai,  Noël,  l'impor- 
tant archipel  des  îles  Sandwich;  c'est  en  voulant 
l'explorer  avec  plus  de  soin,  au  retour  de  ses 
belles  reconnaissances  vers  le  détroit  de  Behring, 
qu'en  février  ,779  ce  grand  homme  succomba 
sous  les  traits  des  naturels  d'Owhyhee. 

Les  voyages  de  Cook   eurent  le  mérite  ,   alors 
tout-à-fait  extraordinaire,  de  ne  pas  enrichir  la 
navigation  seule,  mais  toutes  les  sciences;  celles 
qui  tiennent  à  l'histoire  naturelle,  durent  surtout 
à  ces  expéditions  de  précieuses  acquisitions.  Les 
observations  en  tout  genre  des  Banks,  des  Solan- 
der,  des  Anderson,  et  surtout  des  deux  Forster, 
donnèrent  de  nouveaux  aperçus  sur  la  géographie 
physique  du  globe,  en  même  temps  qu'elles  firent 
le  charme  principal  de  ces  voyages,  lors  de  leur 
publication. 

Quelque  incorrectes  que  l'on  trouve  ses  positions, 


xvi  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

et  tout  arriéré  qu'il  soit  pour  son  siècle,  nous  devons 
mentionner  rapidement  les  découvertes  de  l'Espa- 
gnol Maurelle.  Parti  de  File  Luçon ,  il  découvre, 
en  1 78 1 ,  les Ercmitanos,  Monjos,  Amargura, Latta, 
Mayorga  ou  Vavao  ,  et  Vasquez  qui  n'a  plus  été 
retrouvé,  Consolation,  Gran-Cocal  et  Saint-Au- 
gustin. Comme  ses  longitudes  sont  très-fautives, 
on  a  souvent  éprouvé  de  rembarras  pour  constater 
l'identité  de  ces  îles  avec  d'autres  îles  aperçues  aux 
mêmes  lieux  par  les  navigateurs  postérieurs  à  lui. 

Ce  fut  dans  le  même  esprit  que  celles  de  Cook  , 
et  sur  une  échelle  plus  libérale  encore,  que  le 
gouvernement  français  conçut  et  prépara  l'expé- 
dition aux  ordres  de  notre  illustre  La  Pérouse, 
en  1785.  Si  la  fortune  lui  eût  permis  de  revoir  sa 
patrie,  nul  doute  que  ses  travaux  géographiques 
n'eussent  rivalisé  avec  ceux  de  Cook ,  et  ne  les 
eussent  surpassés  en  précision ,  grâce  au-  perfec- 
tionnement des  instrumens  et  des  méthodes.  Les 
autres  sciences  aussi  pouvaient  tout  attendre  du 
zèle  infatigable  et  du  mérite  éclatant  des  savans 
qui  accompagnaient  cet  infortuné  voyageur.  Nous 
savons  du  moins  qu'en  1786  il  découvrit  dans 
l'Océan-Pacifique  l'île  Necker ,  et  l'anne'e  sui- 
vante plusieurs  des  îles  des  Navigateurs,  indé- 


DISCOURS  PRELIMINAIRE.  xvn 

pendamment  de  ses  belles  explorations  sur  la  côte 
nord-ouest  d\Amérique,  sur  celles  du  Japon  et  dans 
la  manche  de  Tartarie. 

G.  Bligh,  expédié  en  1787  pour  aller  prendre 
aux  îles  de  la  Société  des  plants  d1  arbres  à  pain,  des 
cannes  à  sucre  et  autres  plantes  utiles  ,  découvre 
au  sud  de  la  Nouvelle-Zélande  le  petit  groupe  des 
îles  Bounty,  File  Whytoutaki.  Abandonne'  dans  sa 
chaloupe,  en  178g,  parles  mutins  de  son  vaisseau, 
il  parvient  à  opérer  sur  un  si  frêle  esquif  son  retour 
à  Timor,  et  découvre  sur  sa  route  plusieurs  des  îles 
Viti ,  un  nouveau  groupe  au  nord  des  Nouvelles- 
Hébrides  qu^il  nomme  îles  de  Banks ,  et  qui  avaient 
été  jadis  vues  par  Quiros;  enfin  plusieurs  îles  nou- 
velles dans  le  détroit  de  Torrès. 

Immédiatement  après  son  retour,  Edward  Ed- 
wards, envoyé  en  1790  à  la  recherche  des  mutins 
du  Bowity,  découvre  dès  Tannée  suivante  dans  ces 
mers  les  îles  Ducie,  Ilood,  Cary  s  fort,  York,  Cla- 
rence,  Grenville  ou  Ro tourna,  Mitre  et  Cherry. 
Il  avait  en  outre  reconnu  les  îles  des  Navigateurs , 
et  celles  de  Vavao  encore  peu  connues. 

Marchand,  parti  de  Marseille  pour  une  spécula- 
tion commerciale,  reconnaît  en  juin  1791  cette 
partie  dies  îles  Marquises  à  laquelle  il  donne   le 

6 


xvi ii  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

nom  d'îles  de  la  Révolution,  et  qui  comprend  les 
iles  Noukahiva,  Uahuga,  Uapoa,  etc.,  que  quel- 
ques semaines  auparavant  venait  de  découvrir  l'A- 
méricain Ingraham. 

Vancouver  ne  peut  être  comparé  à  son  maître 
Cook,  pour  l'importance  et  la  quantité  des  tra- 
vaux ,  mais  le  surpasse  beaucoup  pour  l'exactitude 
et  le  mérite  des  reconnaissances.  C'est  à  lui  que 
commence  la  bonne  géographie  de  détail.  On  re- 
grette seulement  que  son  voyage  n'ait  pas  rendu  les 
mêmes  services  aux  autres  sciences ,  parce  qu'il 
manquait  de  collaborateurs  capables  de  les  enri- 
chir par  leurs  observations.  En  Polynésie  ,  il  dé- 
couvre dans  le  cours  de  1791  les  Embûches  et 
Oparoj  Broughton ,  qui  commande  sa  conserve, 
découvre  de  son  côté  les  îles  Chatam  et  Vavitou. 
Nous  ne  suivrons  pas  les  deux  voyageurs  dans 
leurs  belles  explorations  de  la  côte  nord-ouest 
d'Amérique. 

Le  général  d'Entrecasteaux  est  envoyé  en  1791 
à  la  recherche  de  La  Pérouse,  et  pour  exécuter  de 
nouvelles  reconnaissances  dans  cet  Océan.  Par 
leur  suite,  par  leur  exactitude,  et  par  la  confiance 
qu'ils  peuvent  inspirer ,  ces  travaux  surpassent 
tout  ce  qui  avait  été  fait  jusqu'alors,  et  n'ont  en- 


DISCOURS  PRELIMINAIRE.  xix 

core  été  surpassés  par  aucun  de  ceux  qui  ont  été 
exécutés  depuis.  La  géographie  doit  à  la  campagne 
de  d'Entrecasteaux  la  reconnaissance  détaillée  de 
toute  la  côte  occidentale  de  la  Nouvelle-Calédo- 
nie ,  et  des  immenses  brisans  qui  la  ceignent  au 
nord,  de  plusieurs  des  îles  Salomon,  du  canal  Saint- 
Georges  ,  des  îles  de  l1  Amirauté ,  de  l'archipel  de 
Santa-Cruz,  de  toute  la  partie  septentrionale  de 
la  Louisiade,  des  îles  au  nord  de  la  Nouvelle- 
Bretagne  et  d'une  partie  de  la  Nouvelle-Guinée, 
près  du  cap  de  Bonne-Ëspérance.  Dans  ces  belles 
explorations  se  trouve  comprise  la  découverte  d'un 
grand  nombre  d'îles  et  îlots  inconnus  jusqu'alors. 

L'Espagne  aussi  eût  pu  s'enorgueillir  des  esti- 
mables travaux  exécutés,  par  Malespina,  dans  les 
mêmes  mers  et  à  peu  près  à  la  même  époque.  Mais 
le  traitement  odieux  qu'elle  fit  subir  à  ce  grand 
capitaine  et  à  ses  dignes  compagnons  de  voyage 
lui  a  pour  jamais  ravi  l'honneur  qu'elle  eût  pu 
retirer  de  leurs  observations.  Ce  sera  même  à 
d'autres  nations  qu'on  devra  la  connaissance  dé- 
taillée de  cette  expédition. 

Les  deux  voyages  de  Vancouver  et  de  d'Entrecas- 
teaux,  exécutés  à  peu  près  dans  le  même  temps,  et 
fous  deux  également  estimables  pour  le  prix  et  le 

b* 


xx  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

nombre  des  résultats ,  semblent  avoir  simultané- 
ment épuisé  le  zèle  de  la  France  et  de  F  Angleterre. 
L"une  et  l'autre  renoncent  à  envoyer  de  nouvelles 
expéditions  scientifiques  dans  les  mers  du  sud,  en 
sorte  que  les  découvertes  qui  s'y  font  ne  sont  dues 
qu'à  des  marins  en  retour  ou  à  des  baleiniers  qui 
rencontrent  des  îles  sans  les  chercher.  Elles  ne 
font  partie  d'aucun  plan  suivi  de  recherches  ;  aussi, 
par  une  conséquence  naturelle,  leurs  positions  re- 
latives laissent  souvent  des  doutes.  Cependant, 
grâces  au  perfectionnement  des  chronomètres  et  à 
l'excellente  précaution  qu'ont  les  Anglais  et  les 
Américains  naviguant  dans  ces  mers,  d'en  être 
toujours  pourvus ,  les  erreurs  sont  resserrées  dans 
des  limites  assez  étroites,  et  il  est  rare  que  l'on  ne 
puisse  retrouver  ces  terres  sur  les  indications  des 
premiers  découvreurs. 

C'est  ainsi  que  l'Océan-Pacifique  se  peuple  suc- 
cessivement des  îles  suivantes  que  j'ai  réunies  sous 
la  forme  d'un  tableau. 


DISCOURS  PRELIMINAIRE. 


XXI 


NOMS  DES  CAPITAINES 

NOMS  DES  ILES 

ou 

ÉPOQUE. 

DÉCOUVERTES. 

NAVIRES   QUI    ONT    DÉCOUVERT. 

Mathews  (rocher). 

Gilbert  (capitaine). 

1788 

Charlotte  (banc). 

Idem. 

Id. 

Gilbert  (île). 

Idem. 

Id. 

Rnox  (île). 

Idem. 

Id. 

Charlotte  (île). 

Idem. 

Id. 

Mathews  (ile). 

Idem. 

Id. 

Shortland  (île). 

Shortland  (capitaine). 

Id. 

Middloton  (île  et  banc). 

Idem. 

Id. 

Henderville  (île). 

Marshall  (capitaine). 

Id. 

Hopper  (île). 

Idem. 

Id. 

Harbottle  (île). 

Idem. 

Id. 

Mulgraves  (ile). 

Idem. 

Id. 

Macanley  et  Curtis  (îles). 

Watts  (capitaine). 

Id. 

Penrhyn  (ile). 

Sever  (capitaine). 

Id. 

Howe  (ile). 

Bail  (capitaine). 

Id. 

Stewarl  (îles). 

Hunter  (capitaine). 

I791 

Muskito  (groupe). 

Royal- Admirai  (navire). 

1792 

Barings  (ile). 

Idem. 

Id. 

Hunter  (ile). 

Fearn  (capitaine). 

1793 

Seven  Islands  et  un  autre 

groupe. 

Sugar-Canc  (navire). 

Id. 

Saint-Yincent  (port). 

Kent  (capitaine). 

Id. 

Durand  (récif). 

Butler  (capitaine). 

r794 

Walpolc  (ile). 

Idem. 

Id. 

Rennel  et  Bcllona  (ile). 

Idem. 

Id. 

Young  Williams  (ile). 

Young- Williams  (navire). 

I795 

Caroline  (ile). 

Broughton  (capitaine). 

Id. 

Mortlock  (ile). 

Mortlock  (capitaine). 

1796 

Barwell  (ile). 

Baiwell  (navire). 

1798 

Drummond  (île). 

Bishop  (capitaine). 

'799 

Sydenham  (île). 

Idem. 

Id. 

Peuantipode  (ile). 

1800 

Pleasaut  (ile). 

Fearn  (capitaine). 

r8or 

Mattouchy  (ile). 

Bishop  (capitaine). 

Id. 

Flint  (ile). 

Id. 

Palmyre  (île). 

Sawle  (capitaine). 

1802 

Margaret  (île). 

Turnbull  (capitaine). 

i8o3 

Buyers  (groupe). 

Idem. 

Id. 

Philips  (ile). 

Idem. 

Id. 

Holt  (ile). 

Idem. 

Id. 

Loyalty  (îles). 

//  alpolc,  Britania  (navires). 

1800 

XXII 


DISCOURS  PRELIMINAIRE. 


NOMS  DES  CAPITAINES 

NOMS  DES  ILES 

ou 

ÉPOQUE. 

DÉCOUVERTES. 

NAVIRES   QUI    ONT    DECOUVERT. 

Océan  (ile). 

Océan  (navire). 

1804 

Strong  ou  Ualan  (ile). 

Crozer. 

Id. 

Auckland  (iles). 

Bristow  (capitaine). 

1806 

Sydney-Shoal  (écueil). 

Forrest  (capitaine). 

Id. 

Hope  (ile). 

Elizabeth  (navire). 

1809 

Paterson  (ile). 

Idem. 

Id. 

Banham  (ile). 

Idem. 

Id. 

Campbell  (ile). 

Hazelburgh  (capitaine). 

1810 

Macquarie  (ile). 

1811 

Laughlan  (île). 

Laughlan  (capitaine). 

1812 

Dublon  (ile). 

Dublon  (capitaine). 

1814 

Souworoff  (île). 

Lazareff  (capitaine). 

Id. 

Arthur  (île). 

1818 

Nicholson  (deux  écueils). 

Nicholson  (capitaine). 

Id. 

Peyster  (île). 

Peyster  (capitaine). 

1819 

Ellice  (île). 

Idem. 

Id. 

■Elisabeth  (ile). 

King  (capitaine). 

Id. 

Jarvis  (ile). 

Brown  (capitaine). 

1822 

Minerve  (île). 

Minerve  (navire). 

Id. 

Hunter  (île). 

Hunter  (capitaine). 

1823 

Bordelaise  (île). 

Saliz  (capitaine). 

1826 

Fo veaux  (détroit). 

Chase. 

1809 

Banks  (presqu'île). 

Idem. 

Id. 

Dans  Tannée  1792,  le  capitaine  Bligh  fît  un 
second  voyage  dans  la  mer  du  Sud  pour  remplir 
la  mission  dans  laquelle  il  avait  échoué  quelques 
années  auparavant.  Il  découvrit  de  nouvelles  îles, 
surtout  dans  F  archipel  VitiJ;  mais  son  voyage 
n'ayant  point  été  publié,  je  ne  puis  en  signaler 
exactement  les  résultats.   D'ailleurs  ce  marin  n1a 


DISCOURS  PRELIMINAIRE.  xxm 

jamais  apporté  une  grande  précision  dans  ses  opé- 
rations. 

Wilson ,  en  1796,  fut  chargé  de  conduire  des 
missionnaires  dans  les  diverses  îles  de  la  Polynésie  ; 
il  a  le  mérite  d'avoir  opéré  avec  méthode,  d'avoir 
visité  plusieurs  de  ces  îles,  et  surtout  d'avoir 
donné  une  bonne  relation  de  son  voyage.  Ce 
navigateur  découvrit,  en  1797,  les  îles  Creseeni , 
Gambier ,  Séries  parmi  les  îles  basses;  Danger, 
Middleton ,  Direction,  Ross,  Clusters  et  Farcwell 
dans  l'archipel  Viti ,  le  groupe  de  Duff^vhs  Santa- 
Cruz,  et  enfin  dans  les  Carolines  les  îles  Tucka\ 
Swede,  Sis t ers  et  Treize-Iles. 

Une  nation  qu'on  ne  s'attendait  guère  à  voir  pa- 
raître en  lice  dans  ces  climats,  la  Russie  fut  la  pre- 
mière ,  au  dix-neuvième  siècle ,  à  y  renvoyer  une 
expédition ,  et  Krusenstern  le  premier  promena  le 
pavillon  des  czars  dans  la  mer  du  Sud.  Son  voyage, 
qui  s'effectua  en  1804  et  i8o5,  tenait  plus  à  la 
diplomatie  qu'à  la  science;  il  produisit  cependant 
des  résultats  estimables,  mais  n'ajouta  aucune  terre 
nouvelle  à  la  Polynésie. 

Son  élève ,  Kotzebue ,  conduisit  peu  d'années 
après  dans  les  mêmes  parages  le  brick  le  Rurick  , 
armé  par  la  munificence  du  comte  Romanzoff.  Les 


xxiv  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

îles  Romanzoff,  Spiridoff,  Krusenstern ,  dans  l'ar- 
chipel Dangereux,  et  plusieurs  îles  basses  dans 
la  Chaîne  de  Radack  dans  les  Carolines  ,  sont  des 
découvertes  qu'il  fît  en  1816.  Les  observations  du 
savant  Chamisso  ajoutèrent  un  grand  prix  à  la 
relation  de  so»  capitaine. 

Enfin,  la  France,  rendue  à  la  paix  après  de  lon- 
gues agitations ,  songe  à  montrer  de  nouveau  à 
rOcéan-Pacifique  un  pavillon  qui  plusieurs  fois 
déjà  y  avait  flotté  avec  honneur.  M.  de  Freycinet  y 
dirige  l'Uranie,  en  1819;  mais  cette  expédition, 
plus  spécialement  destinée  à  des  expériences  de 
physique,  ne  rend  à  la  géographie  que  de  médio- 
cres services.  Ses  résultats  se  bornent  à  la  recon- 
naissance de  quelques  îles  Carolines ,  de  la  plus 
grande  partie  des  Mariannes;  le  petit  écueil  Rose, 
dans  l'archipel  des  Navigateurs ,  est  Tunique  dé- 
couverte du  voyage  qui,  du  reste,  produisit  d'im- 
menses matériaux  pour  toutes  les  branches  de 
l'histoire  naturelle ,  grâces  au  zèle  et  au  mérite  de 
MM.  Quoy,  Gaimard  et  Gaudichaud. 

Presqu'au  même  temps,  le  Russe  Billinghausen 
parcourait  la  même  arène.  Les  résultats  de  son 
voyage  ne  me  sont  pas  bien  connus  ;  cependant , 
je  puis  indiquer   la  découverte   des  îles   Moller, 


DISCOURS  PRELIMINAIRE.  xxv 

Arackeef,  JVolchonsky,  Barcley  de  Tolly,  Nigery, 
Tchitchagoff,  Miloradowitch,  TVitgenslein ,  Greig 
et  Lazareff 'dans  l'archipel  Dangereux,  et  Pile  Ono 
avec  deux  petites  îles  voisines  au  sud  de  l'archipel 
Viti. 

M.  Duperrey  est  expédié  en  1822  pour  opérer 
de  nouvelles  reconnaissances  dans  ces  mers.  En 
1823  il  découvre  les  îles  Clermont-Tonnerre  et 
Lostangc,  et  il  exécute  diverses  reconnaissances 
sur  la  Nouvelle-Irlande  et  les  îles  Schouten  de  la 
Nouvelle-Guinée.  En  1824  il  prolonge  de  près  les 
îles  Mulgraves  dont  il  assure  la  position  ;  il  visite  File 
Strongou  Ualan;  découvre  les  îles  Duperrey,  d'Ur- 
ville;  il  explore  le  groupe  considérable  d'Hogoleu 
dont  on  ne  connaissait  encore  que  l'île  haute  de 
Dublon,  et  y  retrouve  plusieurs  des  îles  de  Cantova  ; 
il  découvre  l'îlot  Bigali,  reconnaît  l'île  Tucker, 
et  termine  enfin  ses  travaux  dans  cet  Océan  par  la 
reconnaissance  de  la  partie  de  la  Nouvelle-Guinée 
comprise  entre  Dorey  et  le  cap  de  Bonne-Espé- 
rance. Du  reste ,  cette  expédition  surpasse  en- 
core celle  de  M.  de  Freycinet  par  la  prodigieuse 
masse  d'objets  d'histoire  naturelle  qu'elle  rapporte 
au  Muséum.  Jaloux  d'en  consacrer  le  souvenir, 
le  gouvernement  français   a   fait  publier  l'un  et 


xxvi  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

l'autre  voyage   sur  l'échelle  la   plus  magnifique. 

Des  expéditions  russes  se  sont  succédées  à  de  fré- 
quens  intervalles  dans  ces  mêmes  mers;  je  ne  con- 
nais guère  que  les  noms  des  commandans,  savoir  : 
Schismareff,  Kotzebue,  de  Wrangel  et  Lutke  :  mais 
je  ne  puis  citer  leurs  travaux.  Je  sais  seulement,  par 
une  note  que  m'a  communiquée  le  gouverneur  de 
Guam,  que  celui-ci ,  en  1827,  avait  découvert  ou 
reconnu  dans  les  Carolines  le  groupe  des  îles  Se- 
niavine ,  les  Valiantes  de  Tompson ,  les  îles  Young- 
Williams  de  Mortlock  qu'il  a  trouvées  très-nom- 
breuses ,  les  îles  Namolouk ,  les  îles  Pisenas  vues 
quelques  mois  auparavant  par  James  Duncan  ,  Pi- 
guela  (sans  doute  Bigali  de  Duperrey),  Fayeou  et 
Ualan . 

Enfin ,  dans  ces  dernières  années,  diverses  îles , 
îlots  ou  récifs  ont  encore  été  signalés  dans  la  même 
mer  par  différens  navigateurs;  leurs  positions  ne 
sont  pas  toujours  bien  authentiques,  et  souvent 
leurs  prétendues  découvertes  s'appliquent  à  des 
terres  déjà  connues.  Aussi  me  contenterai-je  d'in- 
diquer l'île  Fanning  revue  dernièrement  par  M.  le 
Goarant,  les  îles  Abgarris  dont  deux  capitaines  dif- 
férens m'ont  donné  la  position  sans  s'être  commu- 
niqués; Washington,  l'île  aux  Noix  de  Cocos  près 


DISCOURS  PRELIMINAIRE.  xxv.i 

Amargura ,  Harbuck ,  New-Nantucket ,  Massa- 
chuset,  Gasper,  Basker\  les  Récifs  de  Clcrk  où  nau- 
fragèrent,  en  1822  ,  les  navires  Pearl  et  Hernies,  le 
groupe  de  Mitchels ,  File  Falsham,  Pile  Rourou- 
tou  récemment  découverte  par  le  capitaine  Henry, 
près  de  Mangea,  etc. 

On  a  dû  remarquer  que  je  n'ai  point  mentionné 
les  expéditions  qui  ont  eu  pour  objet  spécial  les 
archipels  de  l'Asie ,  les  côtes  de  l'Amérique  ou 
celles  de  la  Nouvelle-Hollande.  C'est  pourquoi  j'ai 
passé  sous  silence  les  voyages  de  Baudin,  Flinders, 
King,  etc.,  malgré  les  services  éminens  qu'ils  ont 
rendus  à  la  géographie.  Mais  je  devais  me  borner 
aux  travaux  exécutés  dans  la  Polynésie ,  dont  les 
archipels  seuls  entraient  dans  notre  plan  de  cam- 
pagne. 

Bien  que  j'aie  fait  en  sorte  de  rendre  aussi  com- 
plète qu'il  m'a  été  possible  la  revue  des  décou- 
vertes ou  des  reconnaissances  opérées  par  les  na- 
vigateurs qui  nous  ont  précédé  dans  l'Océan-Paci- 
fîque ,  sans  doute  quelques  documens  ont  échappé 
à  ma  mémoire  ou  ne  sont  point  parvenus  à  ma 
connaissance;  ce  ne  serait  guère  qu'en  Angleterre 
qu'on  pourrait  achever  cette  revue  sans  y  laisser  de 
lacunes.  De nombreuxbaleiniersparcourent  chaque 


vxvm  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

année  les  divers  parages  de  cet  immense  bassin,  et 
c'est  à  eux  qu'il  sera  probablement  donné  désormais 
de  signaler  le  petit  nombre  d'îles  encore  ignorées 
des  Européens.  Aujourd'hui  le  véritable  but  des 
missions  scientifiques  doit  être  plutôt  de  compléter 
la  géographie  des  côtes  imparfaitement  figurées, 
et  des  archipels  peu  connus,  surtout  d'assujettir, 
au  moyen  des  chronomètres ,  la  position  d'une 
foule  d'îles  et  d'écueils  dont  la  position  est  encore 
douteuse,  relativement  à  des  points  regardés  comme 
fixés  d'une  manière  positive  par  un  grand  nombre 
d'observations.  Je  proposai  et  entrepris  la  cam- 
pagne de  V Astrolabe  dans  cet  esprit  qui  n'a  cessé 
de  présider  à  mes  opérations  durant  tout  le  cours 
du  voyage. 

Les  parties  de  l'Océan-Pacifique  qui  me  sem- 
blaient réclamer  plus  impérieusement  l'attention 
du  géographe  navigateur ,  étaient  la  Nouvelle- 
Zélande  ,  les  îles  Viti ,  les  îles  Loyalty ,  la  Nouvelle- 
Bretagne  et  la  Nouvelle-Guinée  ;  et  ce  fut  vers  ces 
divers  points  que  se  dirigèrent  tous  mes  efforts. 
La  relation  du  voyage  fera  voir  ce  qu'il  nous  a  été 
possible  d'exécuter,  et  on  appréciera  sans  doute 
les  raisons  qui  nous  ont  contraint  à  laisser  incom- 
plètes quelques  parties  de  ce  plan. 


DISCOURS  PRELIMINAIRE.  xxix 

Pour  mettre  le  lecteur  entièrement  à  même 
d'avoir  une  juste  idée  de  notre  campagne,  j'ai 
fait  précéder  mon  récit  par  les  instructions  que 
m'avait  données  le  ministère,  et  par  l'excellent 
mémoire  explicatif  qui  avait  été  tracé  pour  le 
voyage  de  V Astrolabe  par  les  savans  chefs  du  dé- 
pôt de  la  marine.  En  cela  j'ai  suivi  l'exemple  des 
plus  illustres  capitaines;  c'est  avec  une  vive  satis- 
faction que  l'on  retrouve  en  tête  des  voyages  des 
Cook,  des  La  Pérouse,  des  d'Entrecasteaux ,  les 
instructions  de  leurs  gouvernemens.  Elles  sont  de 
glorieux  témoignages  des  sentimens  nobles  et  désin- 
téressés  qui  animaient  les  souverains  au  nom  des- 
quels elles  furent  données ,  et  du  courage  persévé- 
rant et  réfléchi  de  ceux  qui  se  dévouèrent  à  les 
suivre.  En  outre,  ces  mêmes  instructions  peuvent 
par  la  suite  offrir  long-temps  encore  d'utiles  ren- 
seignemens  aux  navigateurs  que  le  sort  conduira 
dans  ces  parages.  Celles  de  La  Pérouse ,  que  rédi- 
gea l'habile  Fleurieu,  ont  toujours  été  regardées 
comme  un  modèle  en  ce  genre ,  et  celles  de  V As- 
trolabe prouveront ,  je  l'espère ,  que  l'esprit  de 
cet  hydrographe  célèbre  revit  encore  chez  un  de 
ses  plus  estimables  successeurs. 

La  liste  générale  des  officiers ,  marins  et  soldats 


xxx  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

composant  l'équipage  de  V  Astrolabe ,  avec  leurs 
divers  mouvemens  durant  la  campagne ,  viendra 
après  les  instructions ,  et  sera  suivie  par  le  rap- 
port de  MM.  les  Membres  de  l'Académie  des 
sciences  chargés  d'examiner  les  travaux  de  la 
mission  ;  puis  nous  passerons  à  la  relation  même  du 
voyage. 

Ici  je  dois  une  explication  au  lecteur;  jusqu'à 
M.  de  Freycinet,  tous  les  récits  de  voyages  ma- 
ritimes, constamment  soumis  à  l'ordre  historique, 
n'étaient  en  quelque  sorte  que  le  journal  du  bord 
dépouillé  d'une  partie  de  sa  sécheresse  habituelle, 
et  plus  ou  moins  animé  par  des  épisodes ,  par  des 
observations  sur  les  mœurs  des  naturels,  et  les 
productions  du  sol ,  et  quelquefois  aussi  par  des 
réflexions  philosophiques.  M.  de  Freycinet,  le  pre- 
mier ,  dans  la  rédaction  du  voyage,  de  Baudin  ,  en 
vertu  des  ordres  qu'il  reçut  alors ,  adopta  une 
autre  marche ,  et,  se  contentant  de  faire  précéder 
l'ouvrage  d'un  simple  itinéraire,  divisa  les  obser- 
vations faites  pendant  la  campagne  en  divers  cha- 
pitres qui  ne  reconnurent  d'autre  loi  que  celle  des 
localités  et  des  matières.  Il  a  suivi  à  peu  près 
le  même  système  dans  la  publication  de  son 
voyage  sur  l'Urémie,  qui  offre  plutôt  un  immense 


DISCOURS  PRELIMINAIRE.  xxx. 

recueil   de    recherches    laborieuses   qu'une   véri- 
table relation. 

De  cette  manière,  il  est  possible  de  présenter  sans 
doute  un  travail  plus  complet ,  et  qui  peut  en 
quelques  circonstances  devenir  plus  utile  à  con- 
sulter ,  puisqu'alors  le  narrateur  ne  se  borne  plus 
à  ses  propres  observations  ou  à  celles  qui  y  ont 
un  rapport  direct.  Les  diverses  relâches  de  la 
campagne  deviennent  ainsi  en  quelque  sorte  au- 
tant de  sujets  de  dissertations  que  Ton  peut  rendre 
d'autant  plus  complètes  que  l'on  ne  néglige  au- 
cun des  auteurs  ou  des  voyageurs  qui  ont  traité 
la  même  matière.  Mais  on  ne  doit  pas  se  dissimuler 
que  d'un  autre  côté  cette  méthode  entraine  de 
grands  inconvéniens.  D'abord  elle  nécessite  dans 
la  publication  de  longs  retards ,  puisqu'il  faut 
connaître  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  chaque  sujet , 
étudier ,  discuter  ,  analyser  des  versions  sou- 
vent bien  différentes,  et  faire,  en  quelque  sorte, 
un  traité  de  géographie  pour  chaque  mouillage. 
Ensuite  les  observations  du  voyageur  lui-même 
disparaissent  confondues  avec  celles  des  autres 
personnes  qu'il  a  fallu  citer,  et  son  ouvrage  perd 
alors  ce  cachet  d'originalité  si  agréable  au  lec- 
teur,   pour   les  savans  le  meilleur  garant   de  sa 


xxxn  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

sincérité.  En  même  temps  cesse  aussi  cet  intérêt 
qui  ne  manque  guère  de  se  rattacher  à  la  personne 
de  celui  qui  raconte  ce  qu'il  a  vu ,  ce  qu'il  a  fait , 
ce  qu'il  a  observé  dans  ses  voyages  :  inte'rêt  dont 
la  vivacité  dépend  sans  doute  à  la  fois  du  talent 
du  narrateur,  de  l'importance  des  événemens  qu'il 
doit  retracer,  ou  du  mérite  de  ses  observations. 
Toutefois  cet  intérêt  se  retrouve  jusque  dans  les 
Voyages  les  plus  insignifîans,  et  suffit  pour  les  sau- 
ver de  l'oubli.  Malgré  la  simplicité  ,  et  Ton  pour- 
rait dire  la  naïveté  avec  laquelle  ils  sont  écrits  ,  les 
Voyages  de  Dampier  offrent  un  grand  exemple  de 
cette  vérité  ;  et  qui  n'a  pas  relu  quelquefois  avec 
plaisir  les  narrations  si  ingénues  du  bon  Lery  !  — 
Décidé  par  ces  considérations  et  surtout  jaloux 
de  mettre  sous  les  yeux  du  public ,  dans  le  plus 
court  délai  possible ,  le  résultat  de  nos  efforts ,  je 
suis  revenu  au  mode  adopté  par  la  plupart  de  mes 
devanciers.  Ma  relation  sera  tout  simplement  le 
journal  du  voyage,  et,  comme  je  m'étais  scrupu- 
leusement imposé  la  loi  de  retracer  chaque  soir 
les  événemens  et  même  les  réflexions  de  la  jour- 
née ,  je  ferai  en  sorte  de  m'écarter  le  moins  possi- 
ble des  sentimens  et  même  des  expressions  qui  me 
furent   inspirées   par  les  circonstances  sous  Tin- 


DISCOURS  PRELIMINAIRE.  xxxm 

fluence  desquelles  je  me  trouvais.  Mon  savant  com- 
pagnon M.  Quoy  m'a  remis  un  journal  de  son 
voyage  dont  j'ai  extrait  les  passages  les  plus  remar- 
quables pour  les  ajouter  textuellement  «à  mon  récit, 
en  ayant  soin  seulement  de  les  renvoyer  à  la  fin  de 
chaque  volume  pour  ne  pas  rompre  le  cours  de  la 
narration. 

Le  dernier  volume  de  l'ouvrage  réunira  les  ta- 
bleaux des  routes,  les  observations  d'inclinaison 
et  d'intensité  magnétiques  ,  les  expériences  de 
température  à  profondeur  ,  les  vocabulaires  des 
langues  sauvages,  enfin  tous  les  mémoires  qui  ne 
seront  pas  de  nature  à  être  insérés  dans  le  texte. 

Quelquefois  il  m' arrivera  de  présenter  au  lecteur 
des  documens  étrangers,  mais  qui  auront  un  rapport 
immédiat  et  naturel  avec  les  lieux  que  nous  aurons 
visités ,  et  j'aurai  soin  de  ne  choisir  ces  documens 
que  parmi  ceux  que  je  croirai  encore  inconnus  ou 
au  moins  à  peine  connus  en  France  ;  dans  tous  les 
cas,  ils  ne  seront  jamais  postérieurs  à  l'époque  de 
notre  voyage.  Enfin,  attentif  à  citer  mes  autorites, 
je  me  propose  aussi  de  distinguer  les  observations 
des  autres  de  celles  qui  me  seront  propres. 


Etat  nominatif  des  Officiers,   Officiers- Marinier s , 

Corvette  de  Sa 


Dumont  d'Urville    (Jules-Sébas- 
tien-César), 

Jacquinot  (Charles-Hector), 

Lottin  (Victor-Charles), 

Gressiew  ("Victor-Amédée), 

Guilbert  (Pierre-Edouard), 

Bertrand  (François-Esprit), 

Quoy  (Jean-René-Constant), 

Gaimard  (Joseph-Paul), 
De  Sainson  (Louis-Auguste), 
Lesson  (Pierre-Adolphe), 

Paris  (Edouard), 

Faraguet  (Henri), 

Girard-Dudemaine  (Esprit- Justin- 
Gustave), 

Collinet  (Pierre- Jean-François), 


Vicnale  (Michel), 


GRADES. 


Capitaine  de  frégate,  commandant; 

capitaine  de  vaisseau  le  8   août 

1829. 
Lieutenant  de  vaisseau,  chargé  du 

détail. 
Enseigne  de  vaisseau;  lieutenant  de 

vaisseau  le  ier  juillet  1827. 
Enseigne  de  vaisseau  ;  lieutenant  de 

vaisseau  le  3i  décembre  1828. 
Enseigne  de  vaisseau;  lieutenant  de 

vaisseau  le  3o  octobre  1829. 
Commis  aux  revues. 

Professeur  et  naturaliste;  deuxième 
médecin  en  chef  de  la  marine ,  en 
avril  1828. 

Chirurgien-major  et  naturaliste. 

Dessinateur  ;  commis  entretenu  de  la 
marine  le  Ier  novembre  1829. 

Chirurgien  de  troisième  classe;  chi- 
rurgien de  deuxième  classe  en 
juillet  1826. 

Élève  de  première  classe;  enseigne 
de  vaisseau  le  29  octobre  1826. 

Élève  de  première  classe;  enseigne 
de  vaisseau  le  to  janvier  1828. 

Élève  de  deuxième  classe;  enseigne 
de  vaisseau  en  juin  1829. 


Second  maître  de  manœuvre,  faisant 
fonction  de  maître  ;  maître  de 
deuxième  classe  le  ier  octobre 
1827;  maître  de  première  classe 
le  14  mars  1828. 

Quartier  -  maître  de  manœuvre  de 
première  classe;  second  maître  de 
manœuvre  de  deuxième  classe  le 
icr  octobre  1827. 


Marins  et  Auxiliaires ,   composant  l'équipage  de  la 
Majesté  /'Astrolabe. 


DATES 

DE    NAISSANCE. 


2  3  mai  1790 

4  mars  1 7  96 
26  octobre  1795 
9  novembre  1798 
1 1  septembre  1800 
i3  septembre  1795 
n  novembre  1790 

3i  janvier  1  793 
26  avril  1801 
24  mai  i8o5 

2  mars  1806 

Jt  décembre  180 3 

a€  avril  1807 

28  décembre  1791 
i/9° 


LIEUX 

DE     NAISSANCE. 


Condé  -  sur  -  Noireau 
(Calvados). 

Nevers  (Nièvre). 

Paris  (Seine). 

Paris  (Seine). 

Lorient  (Morbihan). 

Toulon  (Var). 

Maillé  (Vendée). 

Saint-Zacharie  (Var). 

Paris  (Seine). 

Rochefort    (  Charente- 
Inférieure). 

Paris  (Seine). 

Sedan  (Ardennes). 

Marseille  (Bouches-du- 
Rhône). 

Toulon  (Var). 


Toulon  (Var). 


OBSERVA  TIONS. 


Resté  malade  à  Bourbon,  le 
24  novembre  1828. 


Resté  à  l'hôpital  de  Bourbon, 
le  24  novembre  1828. 


Mort  à  Manado ,   le   2  août 
1828.  (Dysenterie.) 


XXXVI 


NOMS  ET  PRÉNOMS. 


Ranccrel  (Savournin), 

Doche  (Jean-Joseph-Marie), 

Raynaud  (François), 
Rey  (Jean-Baptiste), 

Jacon  (Jacques-Philippe-Esprit), 

Laurenzi  (Antoine-Joseph), 

Béringuier  (Alexandre), 
Chieusse  (François-Bernard), 


GRADES. 


Quartier-maître  de  manœuvre  de 
deuxième  classe;  quartier-maître 
de  manœuvre  de  première  classe 
le  icr  octobre  1827;  second  mai 
tre  de  manœuvre  de  deuxième 
classe  le  14  mars  1828. 

Quartier  -  maître  de  manœuvre  de 
deuxième  classe;  quartier-maître 
de  manœuvre  de  première  classe 
le  1 ei  octobre  1827;  second  maître 
de  manœuvre  de  deuxième  classe 
le  14  mars  1828. 

Maître  canonnier  de  deuxième  classe  ; 
maître  canonnier  de  première 
classe  le  ier  octobre  1827. 

Matelot  de  première  classe  ;  quartier- 
maître  canonnier  de  deuxième 
classe  le  1"  octobre  1827  ;  quar- 
tier-maître canonnier  de  première 
classe  le  14  mars  1828. 

Quartier-maître  de  timonnerie  de 
deuxième  classe;  second  maître 
de  timonnerie  de  deuxième  classe 
le  1 er  octobre  1827;  second  maître 
de  timonnerie  de  première  classe 
le  14  mars  1828. 

Matelot  de  première  classe;  quartier- 
maître  de  timonnerie  de  troisième 
classe  le  ier  octobre  1827;  quar 
tier-maître  de  timonnerie  de  pre 
mière  classe  le  14  mars  1828. 
Maître  charpentier. 


Quartier-maître  charpentier  de  pre- 
mière classe  ;  second  maître  char- 
pentier de  deuxième  classe  le 
ier  octobre  1827;  second  maître 
charpentier  de  première  classe  le 
14  mars  1828. 


vwvn 


DATES 

DE     NAISSANCE. 


ii  novembre  1798 
ier  mars  1800 

12  juill    I  7  Su 

i3  janvier  1805 
»2  août  1800 

r  3  mars  1 797 

a5  juin  1  780 
aa  avril  1  ~<)- 


LIEUX 

DE     NAISSANCE. 


OBSERVATIONS. 


La  Cadière  (Var).  Resté  à  l'hôpital  de  Bourbon , 

le  24  novembre  1828.  (Dy- 
senterie.) 


Marseille  (Bouches-du 
Rhône). 


La  Valette  (Var). 
Toulon  (Var). 

Toulon  (Var). 

Bastia  (Corse). 

Six-Fours  (Var). 
Toulon  (Var). 


Resté  à  l'hôpital  de  Bourbon , 
le  24  novembre  1828.  (Pa- 
ralysie.) 


Resté  à  l'hôpital  de  Bourbon , 
le  a',  novembre  1828. (Dy- 
senterie.) 


Mort  en  nier,  le  29  novembre 
1827.  (Inflammation  d'en- 
trailles.) 


XXXVIII 


NOMS  ET  PRENOMS. 


Nivière  (Joseph-Marie), 

Richaud  (Jean-Baptiste-Mathieu), 

Acdibert  (Joseph-Antoine), 
Daniel  (Jean-Louis), 

Moreau  (Joseph), 
Bernard  (Frédéric), 

Quemener  (Guillaume), 

Gemier  (Jean-Julien), 

Bérenguier  (Jean- Joseph), 

Le  Court  (Jean-Baptiste),  ' 
Berre  (Jean-François-Guillaume), 

Maurice  (Pierre), 


GRADES. 


Maître  calfat   de  deuxième  classe; 

maître  calfat  de  première  classe  le 

icr  octobre  1827. 
Quartier-maître  calfat  de  deuxième 

classe  ;  quartier-maître  calfat  de 

première  classe  le  1 cr  octobre  1827. 
Maître  voilier  de  première  classe. 

Matelot  de  deuxième  classe;  mate- 
lot de  première  classe  le  ier  oc- 
tobre 1827;  quartier-maître  voi- 
lier le  14  mars  1828. 

Maître  armurier-forgeron. 

Matelot  de  première  classe  ;  quartier- 
maître  de  manœuvre  de  deuxième 
classe  le  Ier  octobre  1827. 

Matelot  de  deuxième  classe  ;  matelot 
de  première  classe  le  1 er  octobre 
1827. 

Matelot  de  deuxième  classe  ;  matelot 
de  première  classe  le  ier  octobre 
1827. 

Matelot  de  deuxième  classe;  matelot 
de  première  classe  le  ier  octobre 
1827;  quartier  -  maître  de  ma- 
nœuvre de  deuxième  classe  le 
14  mars  1828. 

Matelot  de  deuxième  classe  ;  quartier- 
maître  de  manœuvre  de  deuxième 
classe  le  icr  octobre  1827. 

Matelot  de  deuxième  classe,  infir- 
mier; matelot  de  première  classe 
le  1"  octobre  1827;  quartier- 
maître  de  manœuvre  de  deuxième 
classe  le  14  mars  1828. 

Matelot  de  deuxième  classe;  matelot 
de  première  classe  le  1"  octobre 
1827  ;  quartier-maître  de  manœu- 
vre de  deuxième  classe  le  14  mars 
1828. 


XXX IX 


DATES 

LIEUX 

OnSERVATIONS. 

ni      NAISSANCE. 

DE     NAISSANCE. 

24  avril  1779 

Six-Fours  (Var). 

1 3  juin  1797 
21  octobre  1778 

Toulon  (Var). 
La  Seyne  (Var). 

Mort  en  mer  dans  les  Molu- 
ques,    le    i3    août    1828. 
(Dysenterie.) 

6  août  1802 

La  Seyne  (Var). 

1788 
6  août  1 7  98 

20  mars  1796 

Manosque     (  Basses- 
Alpes). 
Bordeaux  (Gironde). 

Lorient  (Morbihan). 

Resté  à  l'hôpital  de  Bourbon, 
le  24  novembre  1828.  (Dy- 
senterie.) 

■>.  avril  1789 
1 8  avril  1 806 

Trinsaint   (  Cotcs-du- 
Nord  ). 

Toulon  (Var). 

Mort   en   mer  dans  l'Océan 
Indien  ,    le    19  septembre 
1828.  (Dysenterie.) 

10  mars  1793 

17  septembre.  1790 

Bastia  (Corse). 
Bormes  (Var). 

Resté  à  l'hôpital  de  Bourbon, 
le  24  novembre  1828.  (Dy- 
senterie.) 

9  novembre  1802 

Pouillac  (Gironde). 

NOMS  ET  PRÉNOMS. 

GRADES. 

Escale  (Jean-Baptiste), 

Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

de  deuxième  classe  le  ier  octobre 

1827;  matelot  de  première  classe 

le  14  mars  1828. 

Crocq  (Jacques-Jean), 

Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

de  deuxième  classe  le  ier  octobre 

1 8  2  7  ;  matelot  de  première  classe 

le  14  mars  1828. 

Gratien  (Jean), 

Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

de  deuxième  classe  le  ier  octobre 
1827. 
Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

De  La  Maria  (Joseph-Louis), 

de  deuxième  classe  le  icr  octobre 

1827  ;  matelot  de  première  classe 

le  14  mars  1828. 

Caravel  (Joseph), 

Matelot  de  troisième  classe  ;  matelot 

de  deuxième  classe  le  1e1  octobre 

1827. 

Simonet  (Charles), 

Matelot  de  troisième  classe. 

Aubry  (François-Pierre-Michel), 

Matelot  de  troisième  classe  ;  matelot 

de  deuxième  classe  le  ier  octobre 

1827  ;  matelot  de  première  classe 

le  14  mars  1828. 

Jacques  (Jean), 

Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

de  deuxième  classe  le  ier  octobre 
1S27. 
Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

Lisnard  (Antoine-Honoré), 

de  deuxième  classe  le  iel  octobre 

1827  ;  matelot  de  première  classe 

le  14  mars  1828. 

Boutin  (Antoine), 

Malelot  de  troisième  classe  ;  matelot 

de  deuxième  classe  le  ier  octobre 

1827. 

Bertrand  (Jean-Pierre-Melchioi), 

Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

de  deuxième  classe  le  iev  octobre 
1827. 
Matelot  de  troisième  classe  ;  matelot 

(aindrii.ler  (Jean), 

de  deuxième  classe  le  icr  octobre 

1827. 

XL! 


DATES 

LIEUX 

OBSERVATIONS. 

DE     NAISSANCE. 

DE    NAISn\nCF. 

•-  novembre  iSo5 

Cette  (Hérault). 

1804 

Granville  (Manche). 

1806 

Saint- Jean- de-Luz 

Mort  en    mer  dans  l'Océan- 

2  mars  180?. 

(Basses-Pyrénées) . 

Marseille  (Bouches-du- 
Rhône). 

Indien,  le  27  septembre 
1828.  (Dysenterie.) 

»  août  1800 

Saint-Blaisc  (Var). 

Resté  «à  l'hôpital  de  Bourbon, 
le  24  novembre  1828.  (Dy- 
senterie.) 

1"  janvier  180? 

Pérols  (Hérault). 

Déserté  à  Tonga -Tabou,  le 
i3  mai  1827. 

26  septembre  1806 

Toulon  (Var). 

3  mai  i8o5 

Lagarde-Freynet  (Var). 

Resté  à  l'hôpital  de  Bourbon, 
le  24  novembre  1828.  (Dy- 
senterie.) 

27  juin  1800 

Marseille  (Bouches-du- 
Rhône). 

10  juillet  1806 

Valoury  (Var). 

Resté  à  l'hôpital  de  Bourbon , 
le  24  novembre  1828.  (Dy- 
senterie.) 

-  avril  1802 

Toulon  (Var). 

Mort  à  l'hôpital  de  Maurice, 
le  17  octobre  1828.  (Dy- 
senterie.) 

•  >  juin  1801 

Toulon  (Var). 

Resté  à  l'hôpital  de  Bourbon, 
le  24  novembre  1828.  (Dy- 
senterie.) 

XL1I 


NOMS  ET  PRÉNOMS. 

GRADES. 

Guérin  (Laurent-Joseph), 

Matelot  de  troisième  classe  ;  matelot 

de  deuxième  classe  le  i"  octobre 

1827  ;  matelot  de  première  classe 

le  14  mars  1828. 

Bellanger  (Antoine-Augustin), 

Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

de  deuxième  classe  le  ier  octobre 

1827;  matelot  de  première  classe 

le  14  mars  1828. 

Boror  (Benoit-Antoine), 

Matelot  de  troisième  classe. 

Bi-anchet  (Jean), 

Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

de  deuxième  classe  le  ier  octobre 

1 8  2  7  ;  matelot  de  première  classe 

le  14  mars  1828. 

Gossy  (Jean-Étienne), 

Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

de  deuxième  classe  le  ier  octobre 

1827;  matelot  de  première  classe 

le  14  mars  1828. 

Vignau  (André-Vincent-Désiré), 

Matelot  de  troisième  classe  ;  matelot 

de  deuxième  classe  le  ier  octobre 
1827. 
Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

Gras  (Joseph), 

de  deuxième  classe  le  ier  octobre 
1827. 
Matelot  de  troisième  classe. 

Reboul  (Barthélémy), 

Lajjtier  (Joseph), 

Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

de  deuxième  classe  le  ici  octobre 

1827;  matelot  de  première  classe 

le  14  mars  1828. 

Martineng  (Louis-Alexandre), 

Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

de  deuxième  classe  le  ier  octobre 

1827  ;  matelot  de  première  classe 

le  14  mars  1828. 

Bouroul  (Etienne), 

Matelot  de  troisième  classe  ;  matelot 

de  deuxième  classe  le  icr  octobre 

1827  ;  matelot  de  première  classe 

le  14  mars  1828. 

Cankac  (Jean-Victor), 

Matelot  de  troisième  classe;  matelot 

de  deuxième  classe  le  1"  octobre 

1827;  matelot  de  premicrc  classe 

le  14  mars  1828. 

DATES 

DE    NAISSANCE. 

LIEUX 

DE    NAISSANCE. 

OBSERVATIONS. 

22  décembre  1806 

Marseille  (Bouches-du- 
Rbône). 

2  3  septembre  i8o5 

La  Seyne  (Var). 

1  3  juin  1800 
4  août  1800 

Toulon  (Var). 
Beaucaire  (Gard). 

Tombé  à  la  mer  et  noyé,  le 
12  septembre  1828. 

1 1  décembre  1792 

Nice  (Piémont). 

1  5  novembre  1796 

1 5  mars  1806 

12  novembre  1807 
s  mai  1802 

Marseille  (Bouchcs-du- 
Rhône). 

Antibes  (Var). 

Agde  (Hérault). 
Toulon  (Var). 

Resté  à  l'hôpital  de  Bourbon, 
le  24  novembre  1828.  (Dy- 
senterie.) 

Resté  à  l'hôpital  de  Bourbon, 
le  24  novembre  1828.  (Dy- 
senterie.) 

Déserté  à  Tonga -Tabou,  le 
20  mai  1827. 

24  mars  1806 

Toulon  (Var). 

2  5  octobre  1807 

Nice  (Piémont). 

a'i  mai  1807 

Agde  (Hérault). 

XL1V 


NOMS  ET  PRÉNOMS. 


Fabry  (Lambert-Marius), 

Maille  (Marius-Isaac-Blaise), 

Deleuze  (Gabriel-Marius), 

Martin  (Louis), 

Long  (Pierre-Sébastien), 

Richard  (François), 

Divol  (Simon), 
Gocx  (Claude), 

Spire  (Jean-Pierre), 

De  La  Noy  (Victor-Marie-Denis), 

Coulon  (Jean-Joseph), 
Imbert  (Joseph), 
Gcirard  (Noël), 
Castel  (Joseph-Victor), 
Guinaud  (Honoré-Marius), 
Meilleur  (Charles), 
Denis  (Bernard- Alexandre), 


GRADES. 


Matelot  de  troisième  classe  ;  matelot 
de  deuxième  classe  le  ier  octobre 
1827. 

Novice. 


Novice  ;  matelot  de  troisième  classe 
le  icr  octobre  1827;  matelot  de 
deuxième  classe  le  14  mars  1828 

Novice;  matelot  de  troisième  classe 
le  Ier  octobre  1827;  matelot  de 
deuxième  classe  le  14  mars  1828 

Novice;  matelot  de  troisième  classe 
le  ier  octobre  1827;  matelot  de 
deuxième  classe  le  r4  mars  1828. 

Caporal  du  2«  régiment  d'infanterie 
de  marine. 

Fusilier  du  2e  régiment. 

Fusilier  du  2e  régiment. 


Fusilier  du  2e  régiment. 

Fusilier  du  2e  régiment;  caporal  le 
1 4  mars  1827;  sergent  le  1 4  mars 
1828. 

Fusilier  du  2e  régiment. 

Commis    aux    vivres    de    deuxième 

classe. 
Boulanger. 

Coq. 

Domestique. 

Domestique. 

Domestique. 


DATES 

HE     NAISSANCE. 


a  octobre  1809 
>  -  décembre  1808 
ra  avril  1800 


6  mars  c8og  Bcausset  (Var). 


LIEUX 

DE     NAISSANCE. 


Marseille  (Var). 
Brignolles  (Var). 
Livourne. 
Toulon  (Var). 


Mort  à  Manado ,  le  a 7  juillet 
i8a8.  (Dysenterie). 

Mort  en  mer  dans  les  Mo 
toques,  le  1«>  juin  1828 
(Dysenterie.) 


1  8<>o 
1800 

1801 
1801 

1796 
1  7  février  1785 
•  ;  décembre  1793 
a 8  février  1788 
a6  juin  1800 

1801 
>-  avril  1810 


Luxeuil  (Haute-Saône). 

Beaulieu  (Ardêche). 
Corbonod  (Ain). 

Étival  (Vosges). 

Montreuil  -  sur  -  Mer 
(Pas-de-Calais). 

Maudun  (Doubs). 

Brignolles  (Var). 

Bcausset  (Var). 

La  Valette  (Var). 

Toulon  (Var). 

Toulon  (Var). 

Toulon  (Var). 


Assassiné  par  les  sauvages  de 
Tonga-Tabou,  le  t3  mai 
1827. 


Resté  à  l'hôpital  de  Bourbon, 
le  a  ',  novembre  1828.  (Dy- 
senterie.) 


Désertera  Port  -  Jackson  ,   le 
19  décembre  i8a8. 


XL  VI 


NOMS  ET  PRÉNOMS. 

GRADES. 

Coulomb  (Honoré-François), 
Sper  (Michel), 
Lauvergne  (Barthélémy). 

Domestique. 
Domestique. 
Secrétaire  du  commandant. 

XL  VII 


DATES 

LIEUX 

OBSERVATIONS. 

DE    NAISSANCE. 

DE     NAISSANCE. 

i"mai  1797 

Toulon  (Var). 

Resté   à    Hobart  -  To\vn ,    le 
5  janvier  1828. 

i5  mai  1809 

Toulon  (Var). 

Mort  à  la  mer  dans  les  Mo- 

[•'juin  i8o5 

Toulon  (Var). 

luques,  le  9.4  juin   1828. 
(Dysenterie.) 

LETTRE 


MINISTRE  DE  LA  MARINE 

A  M.   1)1  MONT  D'URVILLE, 

CAPITAINE    DE   FRF.C.ATF,   COJUI  ANIlANT   LA  CORVETTE  DO   ROI    l'aSTROI  ABE , 

\  TOULON; 


Pcwv  lui  scroir  ïi'Jnstniittcin  rrlatiiicmrut  au  Dopage 
îir  Dcrouocrtra  qu'il  va  cutrcprrnîtrc. 


Var^,   le  H   avril    i8a("). 

Le  Roi,  Monsieur,  en  vous  confiant  le  commandement 
de  la  corvette  l'Astrolabe ,  a  voulu  vous  mettre  en  mesure 
d'explorer  quelques  -  uns  des  principaux  archipels  du 
Grand-Océan  ,  où  la  Coquille  n'a  fait  que  passer  rapi- 
dement,  et  vous  donner  les  moyens  d'augmenter,  autant 
que  possible ,  la  masse  des  documens  scientifiques  qui  ont 
été  le  fruit  du  voyage  exécuté  par  ce  bâtiment  dans  les 
années  1822,  1823  et  1824. 

Sa  Majesté  sait  que  vous  avez  beaucoup  contribué  au 
succès  de  cette  dernière  expédition  dans  laquelle  vous 
secondiez  M.  le  capitaine  Duperrey.  Appelé  à  diriger  en 
chef  celle  qu'il  s'agit  d'entreprendre,  vous  réaliserez,  sans 

d 


l  LETTRE 

Joule ,  toutes  les  espérances  qui  en  ont  fait  concevoir  le 
projet ,  et  la  marine  aura  encore  une  fois  à  se  féliciter  des 
services  qu'elle  rend  aux  sciences ,  en  s'associant  aux  tra- 
vaux de  ceux  qui  les  professent,  et  en  livrant  à  leurs  médi- 
tations des  matériaux  recueillis  avec  autant  d'habileté  que 
de  zèle  dans  toutes  les  parties  du  globe. 

L' Astrolabe  doit  être  actuellement  prête  à  prendre  la 
mer.  J'avais  donné  les  ordres  les  plus  formels  à  Toulon 
pour  que  cette  corvette  fût  mise  dans  le  meilleur  état,  et 
munie  de  tous  les  objets  nécessaires  pour  une  campagne 
qui  durera  près  de  trois  ans.  Comme  vous  avez  assisté  à 
cet  armement ,  et  que  vous  avez  pu  y  mettre  à  profit 
l'expérience  acquise  sur  la  Coquille ,  je  dois  croire  que 
rien  ne  manque  à  bord  de  ce  qui  pourra  contribuer  au 
succès  de  votre  mission ,  et  je  n'ai  plus  qu'à  vous  faire 
connaître  le  plan  des  opérations  dont  vous  aurez  à  suivre 
l'exécution. 

Je  pense  que  vous  partirez  de  Toulon  peu  de  jours  après 
le  15  de  ce  mois,  et  qu'avant  la  fin  de  mai  vous  suivrez 
votre  route  dans  l'Atlantique,  vers  l'hémisphère  austral, 
après  avoir  fait,  à  Sainte-Croix  de  Ténériffe,  une  relâche 
de  quelques  jours  pour  y  vérifier  la  marche  de  vos  chro- 
nomètres. 

Parvenu  au  sud  du  cap  de  Bonne-Espérance ,  vous  por- 
terez votre  route  dans  l'est ,  pour  vous  rendre  directe- 
ment au  détroit  de  Bass,  qui  sépare  la  Nouvelle-Hollande 
de  la  terre  de  Van-Diémen. 

11  est  probable  qu'arrivé  dans  ces  parages  vers  la  fin 
d'août,  vous  pourrez  passer  quelques  jours  au  port  Dal- 
rymple ,  et  de  là  gagner  Port-Jackson  au  commencement 
de  septembre.  , 

Vingt  ou  trente  jours  passés  dans  ce  chef- lieu  des  éta- 


DU  MINISTRE  DE  LA   MARINE.  u 

hlissemens  anglais  à  la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  suffiront  au 
repos  de  votre  équipage  et  aux  dispositions  nécessaires 
pour  entreprendre  les  recherches  qui  devront  vous  occu- 
per dans  le  Grand-Océan. 

Au  commencement  d'octobre  vous  quitterez  Port-Jack- 
son pour  aller  explorer  la  partie  septentrionale  de  la  Nou- 
velle-Zélande. Vous  vous  dirigerez  sur  le  détroit  de  Cook, 
pour  de  là  vous  porter  le  long  de  la  côte  N.  E. ,  afin  de 
faire  la  reconnaissance  de  divers  points  de  cette  partie  de 
l'île. 

Vers  le  1" décembre,  vous  partirez  de  la  Nouvelle-Zé- 
lande pour  vous  rendre  à  Tonga-Tabou ,  où  vous  verrez 
finir  l'année  1826. 

Laissant,  dans  les  premiers  jours  de  janvier  1827,  les 
îles  des  Amis,  vous  irez  reconnaître  l'archipel  des  îles 
Fidji,  où  vous  ferez  en  sorte  de  ne  pas  rester  plus  tard 
que  l'équinoxe  de  mars  ;  et  de  là  vous  vous  rendrez  suc- 
cessivement à  la  Nouvelle-Calédonie  et  à  la  Louisiade , 
d'où  vous  vous  dirigerez  sur  le  cap  Rodney,  de  la  Nouvelle- 
Guinée. 

Vous  emploierez  cinq  ou  six  mois  à  parcourir  les  cotes 
méridionales  de  cette  dernière  terre ,  en  passant  par  le 
détroit  de  Torrès  que  vous  explorerez  ainsi  que  les  régions 
voisines  où  se  trouvent  un  grand  nombre  d'îles  et  de  ca- 
naux à  peine  connus. 

De  la  Nouvelle-Guinée  vous  vous  porterez  à  Amboine 
où  vous  ferez  en  sorte  d'arriver  au  commencement  d'oc- 
tobre 1827.  Vous  y  resterez  jusqu'à  la  fin  de  novembre 
pour  ravitailler  votre  bâtiment ,  et  faire  reposer  son  équi- 
page. Puis,  vers  le  1er  décembre,  retournant  en  quelque 
sorte  sur  vos  pas,  vous  reviendrez  vers  les  côtes  de  la 
Nouvelle -Guinée   pour  en   reprendre  l'exploration,    \n 

d' 


lu  LETTRE 

commencement  de  janvier  1828,  vous  ferez  une  courte 
relâche  au  port  Dory  que  vous  quitterez  pour  aller  recon- 
naître toute  la  côte  septentrionale  de  la  même  terre ,  jus- 
qu'au détroit  de  Dampier. 

Dans  le  mois  de  mars  suivant ,  vous  visiterez  les  côtes 
de  la  Nouvelle-Bretagne ,  et  vers  le  20  avril  vous  irez 
relâcher  dans  l'une  des  îles  Carolines,  dont  la  position 
exactement  constatée ,  lors  de  l'expédition  de  la  Coquille , 
pourra  servir  à  vérifier  vos  dernières  explorations. 

Pendant  un  mois  environ  vous  parcourrez  la  partie  occi- 
dentale de  l'archipel  des  Carolines  jusqu'aux  îles  Pelew 
où  vous  relâcherez  à  la  fin  de  mai ,  pour  donner  quelque 
repos  à  votre  équipage. 

Partant  des  îles  Pelew  dans  les  premiers  jours  de  juin , 
vous  serez  à  Sourabaya  au  commencement  de  juillet  ;  vous 
pourrez  y  rester  mie  vingtaine  de  jours ,  et  de  là  vous  diri- 
ger sur  l'Ile-de-France ,  d'où ,  après  un  séjour  d'environ 
un  mois,  vous  partirez  au  commencement  d'octobre,  pour 
passer  à  Bourbon,  et  opérer  votre  retour  à  Toulon. 

Vous  arriverez  probablement  en  ce  port  dans  les  pre- 
miers mois  de  l'année  1829. 

Cet  itinéraire  que  vous  avez  vous-même  tracé  à  Paris , 
de  concert  avec  M.  le  contre-amiral  chevalier  de  Rossel , 
se  trouve  développé  fort  en  détail  dans  le  mémoire  ci-joint 
(  sous  le  n.  1  )  qui  a  été  rédigé  au  dépôt  des  cartes  et  plans 
de  la  marine ,  et  que  M.  le  vice-amiral  comte  de  Rosily  m'a 
transmis  comme  contenant  toutes  les  indications  propres 
a  vous  diriger  dans  le  cours  de  votre  navigation. 

Il  ne  m'a  point  échappé,  Monsieur,  qu'en  désignant 
les  parages  où  l'astrolabe  devra  se  porter,  vous  n'avez  eu 
en  vue  que  le  désir  de  tirer  le  plus  grand  parti  du  temps , 
et  d'éviter  les  longues  traversées  que  vous  auriez  eu  à 


DU  MINISTRE  DE  LA  MARINE.  lïh 

faire  dans  des  mers  ouvertes ,  s'il  se  fût  agi  d'un  voyage 
de  circum-navigation. 

Mais  quoique  vous  n'ayez  point  à  faire  le  tour  du  globe, 
la  campagne  que  vous  allez  entreprendre  n'en  sera  pas 
moins  remarquable  ;  elle  vous  donnera  d'autant  plus  de 
droits  à  l'estime  et  à  la  reconnaissance  des  navigateurs, 
que  vous  aurez  mis  plus  de  soins  à  explorer  des  terres 
encore  peu  connues ,  et  à  signaler  les  nombreux  écucils 
qui  en  rendent  l'accès  difficile  et  dangereux. 

Un  autre  intérêt  se  rattachera  à  votre  voyage  si  vous 
parvenez  à  découvrir  des  traces  de  La  Pérouse  et  de  ses 
compagnons  d'infortune. 

Un  capitaine  américain  a  dit  avoir  vu  entre  les  mains 
des  naturels  d'une  île  située  dans  l'intervalle  de  la  Nou- 
velle-Calédonie à  la  Louisiadc ,  une  croix  de  Saint-Louis  et 
des  médailles  qui  lui  ont  paru  devoir  provenir  du  naufrage 
du  célèbre  navigateur  dont  la  perte  cause  de  si  justes  re- 
grets. Sans  doute,  ce  n'est  là  qu'un  bien  faible  motif  d'es- 
pérer que  des  victimes  de  ce  désastre  existent  encore  ; 
cependant,  Monsieur,  vous  donneriez  à  Sa  Majesté  une 
satisfaction  bien  vive  ,  si ,  après  tant  d'années  de  misère 
et  d'exil,  quelqu'un  des  malheureux  naufragés  était  rendu 
par  vous  à  sa  patrie  ! 

Il  suffit  assurément  de  vous  faire  entrevoir  la  possi- 
bilité d'un  tel  résultat  de  vos  recherches  pour  que  vous 
ne  négligiez  rien  de  ce  qui  pourra  les  rendre  fruc- 
tueuses. 

Après  vous  avoir  tracé  la  marche  que  vous  avez  à  suivre 
et  le  plan  des  principales  opérations  auxquelles  vous  devez 
vous  livrer  dans  l'intérêt  de  la  marine,  et  pour  les  pro- 
grès de  l'hydrographie  ,  il  me  resterait  à  vous  parler  de 
ce  que  les  savans  attendent  de  votre  expédition  ;  mais  je 


•\ 


ï.iv  LETTRE 

nie  borne  à  vous  remettre,  ci-joint,  n.  3,  les  instruction-, 
particulières  qui  m'ont  été  adressées  pour  vous  par  l'Ins- 
titut royal  de  France;  reconnaissant,  d'ailleurs,  votre 
expérience ,  votre  savoir  et  le  zèle  éclairé  de  tous  vos 
collaborateurs ,  j'ai  la  conviction  que  vous  réaliserez  com- 
plètement les  espérances  que  vous  avez  fait  naître,  et  qu'à 
votre  retour,  le  voyage  de  V Astrolabe  sera  classé  parmi 
ceux  dont  les  résultats  auront  le  plus  contribué  aux  pro- 
grès des  sciences. 

Une  collection  nombreuse  de  livres ,  d'instrumens ,  de 
cartes  ,  etc.,  a  dû  vous  être  envoyée  par  les  soins  de  M.  le 
directeur-général  du  dépôt  de  la  marine  ;  vous  en  trouverez 
ci-joint  l'état  (sous  le  n.  4). 

Il  vous  a  de  plus  été  envoyé  récemment  trente  mé- 
dailles en  argent ,  et  quatre  cent  cinquante  en  bronze . 
que  j'ai  fait  frapper  pour  perpétuer  le  souvenir  de  l'expé- 
dition de  l' Astrolabe  ;  vous  pourrez  les  distribuer  dans  les 
pays  que  vous  visiterez ,  et  où  vous  jugerez  utile  de  laisser 
des  traces  de  votre  passage. 

Je  vous  fais  remettre ,  avec  cette  dépêche ,  des  passe- 
ports des  puissances  étrangères  ,  au  moyen  desquels  vous 
recevrez ,  dans  les  divers  établissemens  de  leur  dépen- 
dance, un  bon  accueil  en  toute  circonstance,  et  des  secours 
en  cas  de  besoin. 

Chez  les  peuples  dont  la  civilisation  est  moins  avancée , 
vous  suppléerez  aux  recommandations  officielles  par  le 
moyen  des  objets  de  traite  dont  j'ai  ordonné  que  vous 
fussiez  pourvu  en  suffisante  quantité.  A  cet  égard ,  comme 
pour  toutes  les  autres  dispositions  propres  à  vous  assurer 
des  ressources  dans  les  diverses  circonstances  de  votre 
navigation,  l'armement  de  la  Coquille  a  dû  servir  de  guide 
pour  celui  de  l'Astrolabe,  sauf  les  seules  modifications  que 


DU  MINISTRE  DE  LA  MARINE.  i.v 

l'expérience  a  fait  juger  nécessaires,  et  que  vous  avez 
vous-même  indiquées. 

Ainsi,  Monsieur,  les  mêmes  moyens  de  succès  vous  sont 
donnés ,  et  sans  doute  le  même  bonheur  signalera  le  nou- 
veau voyage  que  vous  allez  exécuter.  Vous  avez  beaucoup 
contribué  aux  bons  résultats  de  la  campagne  de  la  Co- 
quille, et  vous  savez  qu'ils  ont  été  dus  autant  à  l'union  qui 
a  régné  à  bord  ,  qu'aux  mesures  adoptées  pour  maintenir, 
parmi  les  marins  de  l'équipage ,  une  exacte  discipline  ,  en 
même  temps  que  les  plus  grandes  précautions  étaient  pri- 
ses pour  éloigner  d'eux  les  dangers  des  maladies  auxquelles 
les  exposaient  les  fatigues  de  la  mer  et  l'insalubrité  de 
quelques-uns  des  pays  dans  lesquels  ils  abordaient.  Je  ne 
puis  trop  vous  recommander  de  consulter  à  ce  sujet  les 
instructions  sanitaires  de  M.  le  docteur  Keraudren  ,  ainsi 
qu'une  note  ci-jointe  (n.  Ô)  que  cet  inspecteur-général  a 
rédigée  spécialement  pour  le  voyage  de  l'Astrolabe. 

Les  journaux,  cartes,  plans  et  autres  documens  qui  se- 
ront le  fruit  de  la  campagne,  devront  être  réunis  par  vos 
soins,  et  m'ètre  adressés  à  votre  retour  à  Toulon. 

11  en  sera  de  même  des  collections  de  toute  espèce  d'ob- 
jets d'histoire  naturelle.  Aucun  de  ces  objets  ne  devra  être 
distrait  de  la  masse  des  produits  de  l'expédition,  et  je  vous 
charge  expressément  de  me  rendre  compte  de  la  manière 
dont  chaeun  de  vos  eollaborateurs  aura  contribué  aux  tra- 
vaux qui  devront  se  faire  en  commun. 

Dans  quelques  voyages  précédens ,  des  officiers ,  des 
maîtres ,  et  même  des  matelots  ont  acheté  et  gardé  pour 
leur  compte  des  échantillons  d'histoire  naturelle ,  qui  n'é- 
tant point  entrés  dans  la  collection  destinée  au  cabinet  du 
Roi ,  n'ont  pu  être  ni  décrits  ni  publiés.  Il  est  à  désirer, 
dans  l'intérêt  de  la  scienec  et  pour  le  renom  qui  doit  s'al- 


lvi       LETTRE  DU  MINISTRE  DE  LA  MARINE. 

tacher  à  l'expédition"  de  l' Astrolabe ,  que  la  même  chose 
n'ait  pas  lieu  dans  cette  nouvelle  campagne.  Vous  voudrez 
bien  faire  connaître  à  toutes  les  personnes  embarquées  sur 
ce  bâtiment ,  que  les  espèces  rares  et  nouvelles  d'animaux , 
de  plantes  ou  de  minéraux,  qui  entreront  à  bord,  devront, 
sans  aucune  exception,  faire  partie  de  la  collection  du  Roi, 
et  resteront ,  à  cet  effet ,  entre  les  mains  des  naturalistes , 
sauf  à  tenir  compte  du  prix  d'achat  à  ceux  qui  en  auront 
fait  l'acquisition  ;  et ,  pour  faciliter  les  transactions  de  ce 
genre  avec  les  habitans  des  pays  que  vous  visiterez,  vous 
aurez  soin  de  mettre  à  la  disposition  des  naturalistes  du 
bord  une  certaine  quantité  des  objets  d'échange  qui  ont 
été  embarqués  à  Toulon.  Enfin,  Monsieur,  je  vous  recom- 
mande de  faire  en  sorte  que  les  échantillons  qui  devront 
faire  partie  de  la  collection  destinée  au  Muséum  royal, 
soient  placés  à  bord  dans  des  lieux  où  leur  conservation 
soit  parfaitement  assurée. 

Vous  aurez  soin  de  profiter  de  toutes  les  occasions  qui 
s'offriront  à  vous  pour  m'adresser  des  détails  sur  votre 
navigation;  il  me  sera  fort  agréable,  Monsieur,  en  mettant 
vos  rapports  sous  les  yeux  du  Roi ,  d'avoir  à  faire  remar- 
quer à  Sa  Majesté  que  vous  aurez  complètement  justifié, 
par  vos  travaux,  la  confiance  qu'elle  a  daigné  vous  accor- 
der en  vous  chargeant  d'une  mission  aussi  importante 
pour  les  sciences  et  pour  la  marine ,  qu'elle  est  honorable 
pour  vous. 

Recevez ,  Monsieur ,  l'assurance  de  ma  parfaite  consi- 
dération , 

Le  Pair  de  France  Ministre  Secrétaire  d'État 
de  la  Marine  et  des  Colonies, 

Signé  :  Comte  de  CHARROL. 


MÉMOIRE 

tour  servir  d'instruction 

A  M.  DUMONT  D'URVILLE, 

<  APIIAINE    DE   FRÉGATE,    COMMANDANT    LA    CORVETTE    DU    ROt    I.'aSTROLA  DE  ; 


Pcnoant  lo  campagne  oc  Dccouocrtcs  bout  .le  Uoi 
lui  a  confie  l'crccution. 


Il  est  probable  que  M.  Dumont  d'Urville  ,  capitaine  de 
frégate,  à  qui  Sa  Majesté  a  confié  le  commandement  de 
la  corvette  V Aslrola.be ,  pour  faire  un  voyage  de  décou- 
vertes dans  le  Grand-Océan ,  et  pour  compléter  par  de 
nouvelles  recherches  l'exploration  de  plusieurs  parties 
que  les  navigateurs  ont  précédemment  visitées ,  pourra 
quitter  les  ports  de  France  au  1er  avril ,  ou  vers  le  1er  avril 
prochain.  Il  est  essentiel  que  le  départ  de  l'Astrolabe  ne 
s'écarte  pas  beaucoup  de  cette  époque.  L'itinéraire  de  son 
voyage  a  été  tracé  de  manière  que,  pendant  les  traversées 
qu'il  devra  faire  pour  se  rendre  d'un  lieu  à  un  autre,  il 
puisse  profiter  des  saisons  les  plus  favorables.  Il  serait  à 
•  •raiudrc  que  si  son  départ  était  de  plus  d'un  mois  et  demi 
postérieur  au  tc'  avril ,  il  ne  fîii  exposé  à  se  trouver  à 


lviii  MEMOIRE  D'INSTRUCTION. 

contre-saison  dans  quelques-uns  des  parages  où  il  doit 
aller,  et  par  conséquent  dans  le  cas  de  ne  pouvoir  plus 
suivre  le  plan  de  sa  campagne,  ainsi  qu'il  est  arrivé  à 
quelques-uns  des  officiers  qui  ont  commandé  de  pareilles 
expéditions. 

Ce  qui  vient  d'être  dit  relativement  à  l'époque  du 
départ  de  l'un  des  ports  d'Europe ,  d'où  l'expédition 
mettra  à  la  voile ,  doit  s'appliquer  au  départ  de  tous  les 
lieux  où  M.  Dumont  d'Urville  sera  dans  le  cas  de  relâcher  ; 
c'est-à-dire  qu'il  fera  toujours  en  sorte  de  combiner  ses 
traversées ,  et  de  ne  mettre  à  faire  les  découvertes  dont  il 
sera  question  dans  la  présente  instruction ,  que  le  temps 
nécessaire  pour  qu'il  puisse  arriver  à  chacun  des  ports 
de  relâche ,  et  en  partir  à  peu  près  aux  époques  qui  y  sont 
désignées.  Il  est  néanmoins  possible  que  des  contrariétés 
ou  des  événemens  imprévus  s'opposent  à  ce  que  cette 
partie  de  ses  instructions  puisse  être  aussi  fidèlement  rem- 
plie qu'il  pourra  le  désirer.  Alors,  afin  de  se  rattacher 
dans  son  voyage  à  quelques-unes  des  époques  subsé- 
quentes à  celle  dont  il  aura  été  forcé  ,  contre  sa  volonté , 
de  s'éloigner ,  il  négligerait  plutôt  quelques-unes  des 
découvertes  ou  des  recherches  qui  vont  lui  être  recom- 
mandées ,  que  d'abandonner  entièrement  l'ordre  qui  va 
être  suivi  dans  ses  instructions.  Au  reste ,  quoique  tous 
les  objets  que  l'on  va  indiquer  comme  devant  fixer  son 
attention  soient  très-utiles  ,  il  ne  doit  pas  en  regarder 
la  recherche  comme  obligatoire.  On  s'en  rapporte  à  son 
zèle  et  à  ses  lumières ,  persuadé  qu'il  fera  toutes  les  re- 
connaissances que  le  temps  et  les  circonstances  lui  per- 
mettront de  compléter. 

Si  la  corvette  V Astrolabe  part  des  ports  d'Europe  le 
lrr  avril   1 8 2 G  ,  ou  dans  les  premiers  jours  d'avril,  elle 


MEMOIRE  D'INSTRUCTION .  lis 

pourra  arriver  à  Ténériffe  le  25  du  même  mois.  On  l'en- 
gage à  observer  à  terre ,  avec  beaucoup  de  soin  ,  le  mou- 
vement des  montres  marines.  L'ile  de  Ténériffe  a  été 
visitée  par  un  grand  nombre  de  navigateurs  ;  sa  longitude 
a  été  déterminée  par  des  montres  un  grand  nombre  de 
fois  ;  néanmoins ,  il  reste  encore  sur  cette  longitude  de 
petites  incertitudes  qui  proviennent  de  ce  que  les  résul- 
tats ,  qui  devraient  être  les  mêmes  ,  diffèrent  de  quantités 
assez  considérables.  On  doit  attribuer  ces  différences  à  ce 
(jue  les  montres  marines  ,  exposées  à  un  changement  de 
température  subit ,  n'ont  pas  pris  au  commencement  des 
diverses  campagnes  la  régularité  de  mouvement  qu'elles 
ont  eue  dans  la  suite.  Ce  n'est  qu'en  multipliant  ces  sories 
d'observations  que  l'on  parviendra  à  obtenir  la  précision 
désirable  ;  certainement  les  résultats  des  trois  montres  de 
V Astrolabe  nous  donneront  les  moyens  d'en  approcher 
beaucoup,  et  peut-être  de  l'atteindre. 

Dix  jours  de  relâche  à  Ténériffe  doivent  suffire  pour  se 
procurer  des  rafraichissemens ,  remplacer  les  vivres  et 
l'eau  consommés ,  faire  les  observations  astronomiques 
pour  régler  les  montres  ,  et  enfin  pour  se  préparer  à  une 
très-longue  traversée.  L Astrolabe  partira  de  Ténériffe 
aux  environs  du  o  mai ,  et  se  hâtera  de  se  rendre  immé- 
diatement dans  les  parages  qui  doivent  être  le  théâtre  de 
ses  principales  découvertes.  Ainsi  on  passera  sanss'arrèier 
au  sud  du  cap  de  Bonne-Espérance  ;  on  traversera  la  mer 
des  Indes ,  et  l'on  viendra  dans  le  détroit  de  Bass  qui 
sépare  la  Nouvelle-Hollande  de  la  terre  de  Van-Diémen  , 
enfin  on  ira  relâcher  dans  le  port  Dalrymple.  On  suppose 
que  trois  mois  et  dix  jours  suffiront  pour  cette  traversée  ; 
inisi  ï Astrolabe  arrivera  aux  environs  du  2ô  août  au  port 
Dalrymple.  Les  accroissemens  que  cette  nouvelle  colonie 


lx  MEMOIRE  D'INSTRUCTION. 

anglaise  a  reçus  font  espérer  que  M.  d'Urville  y  trouvera 
tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  procurer  des  rafraîchisse- 
mens  à  son  équipage.  Les  recherches  relatives  aux  sciences 
naturelles  ne  pourront  manquer  d'être  d'un  très-grand 
intérêt.  On  pourra  également  se  livrer,  dans  le  port 
Dalrvmple ,  à  tous  les  genres  d'observations  propres  à 
déterminer  la  position  de  ce  lieu  ,  la  déclinaison  et  l'incli- 
naison de  l'aiguille  aimantée,  et  faire  les  autres  genres 
d'observations  dont  les  savans  de  l'Académie  des  sciences 
désirent  obtenir  les  résultats  ,  dans  l'intention  d'accroître 
et  de  perfectionner  les  différentes  branches  des  connais- 
sances humaines. 

On  n'a  pas  cru  nécessaire  de  recommander  à  M.  d'Ur- 
ville de  prendre  connaissance  de  quelques-uns  des  lieux 
qui  doivent  se  trouver  à  peu  de  distance  de  la  route 
qu'il  devra  parcourir  après  avoir  doublé  le  cap  de  Bonne- 
Espérance,  pour  se  rendre  au  détroit  de  Bass.  Cepen- 
dant, comme  il  passera  à  peu  de  distance  de  quelques 
lieux  dont  la  position  a  été  déterminée  pendant  le  voyage 
du  contre-amiral  d'Entrecasteaux,  il  ne  serait  pas  inu- 
tile qu'il  vînt  en  vue  de  quelques-uns  des  mêmes  lieux 
pour  en  déterminer  la  longitude  avec  ses  montres.  De 
pareilles  vérifications ,  qu'il  aura  plusieurs  fois  occasion 
de  faire  pendant  son  voyage ,  donneront  les  moyens  de 
lier  entre  elles  ses  découvertes  avec  celles  de  plus  anciens 
voyageurs,  et  d'augmenter,  s'il  est  possible,  la  précision 
des  positions  tant  en  latitude  qu'en  longitude  observées 
pendant  plusieurs  voyages.  La  position  des  îles  Saint- 
Paul  et  Amsterdam  ,  et  principalement  celle  d'un  des 
points  les  plus  remarquables  de  la  terre  de  Nuitz ,  se- 
raient très-propres  à  remplir  cet  objet.  M.  d'Urville  fera 
en  sorte  de  quitter  le  port  Dalrymple  vers  le  25  août, 


MEMOIRE  D'INSTRUCTION.  i.xi 

pour  arriver  à  Port- Jackson  à  peu  près  le  1er  septembre. 

La  relâche  de  Port-Jackson  sera  de  plus  d'un  mois  ; 
toutes  les  opérations  ,  tant  pour  ravitailler  le  bâtiment 
que  pour  faire  des  observations  astronomiques  et  d'autres 
observations  de  tous  genres,  relatives  à  la  vertu  magné- 
tique  et  à  l'histoire  naturelle,  devront  être  combinées  de 
manière  que  l'on  puissepartir  de  Port-Jackson  le  ô  octobre. 

La  première  terre  dont  on  devra  prendre  connaissance 
après  avoir  quitté  la  Nouvelle-Hollande  ,  est  celle  de  la 
Nouvelle-Zélande  ,  dont  il  serait  utile  que  quelques  por- 
tions de  la  côte  nord-est  fussent  reconnues  avec  soin.  Il 
semble  que  la  route  la  plus  avantageuse  à  faire  pour  venir 
chercher  cette  cote ,  serait  de  passer  par  le  détroit  de 
Cook  ,  en  allant  de  l'ouest  à  l'est  ;  et  ensuite  de  remonter 
vers  le  nord,  en  se  tenant  à  peu  de  distance  de  terre. 
M.  d'Urvillc  pourra  juger,  d'après  les  relations  des  dif- 
férens  voyages  qu'il  a  entre  les  mains ,  d'après  les  cartes 
publiées  dernièrement  par  l'amiral  Krusenstern  et  les 
dernières  reconnaissances  faites  par  M.  Duperrey,  quelles 
sont  les  parties  les  moins  connues  de  cette  côte ,  et  par 
conséquent  celles  qui  méritent  de  fixer  le  plus  particu- 
lièrement son  attention.  Quel  que  soit  le  parti  qu'il  juge 
à  propos  de  prendre  à  cet  égard ,  il  lui  est  recommandé 
de  ne  pas  rester  sur  cette  côte  plus  tard  que  le  1er  décem- 
bre ,  afin  de  pouvoir  arriver  à  Tonga-Tabou  à  peu  près  le 
20  du  même  mois.  Il  fera  dans  ce  dernier  lieu  une  re- 
lâche  de  dix  à  onze  jours. 

Le  havre  de  Tonga-Tabou  est  un  des  points  déterminés 
pendant  le  voyage  du  contre-amiral  d'Entrecastcaux.  Il 
l'avait  été  précédemment  par  le  capitaine  Cook.  H  y  a 
lieu  de  penser  que  la  longitude  de  Pangaïmodou ,  déter- 
minée pendant  le  voyage  du  contre-amiral  français ,  ne 


,  \i; 


Ml  MOIHE  D'INSTRUCTION. 


s'éloigne  pas  beaucoup  de  la  véritable.  Cependant  on 
devra  s'attacher  à  la  rectifier  ou  à  la  confirmer  par  de 
nourelles  observations,  mais  surtout  on  comparera  les 
longitudes  obtenues  par  les  montres  de  l'Astrolabe  à 
celles  de  la  montre  de  la  frégate  la  Recherche ,  dans 
l'intention  de  lier  à  la  longitude  de  Tonga-Tabou  la  po- 
sition des  terres  dont  on  aura  connaissance,  après  avoir 
quitté  cette  île.  Il  serait  inutile  de  recommander  parti- 
culièrement de  répéter,  dans  ce  dernier  lieu,  autant  que 
les  circonstances  et  les  localités  pourront  le  permettre, 
tous  les  genres  d'observation  que  l'on  a  dû  faire  à  Port- 
.ïackson  et  au  port  Dalrymple. 

Depuis  trente-sept  ans  que  les  bâtimens  la  Recherche  et 
l'Espérance  ont  visité  les  habitans  des  îles  des  Amis ,  ces 
peuples  ont  dû  avoir  des  communications  plus  ou  moins 
fréquentes  avec  des  bâtimens  anglais  et  des  États-Unis.  On 
présume,  d'après  une  relation  qui  a  été  publiée  il  y  a 
plusieurs  années ,  que  le  mode  de  gouvernement  et  les 
meurs  des  naturels  des  îles  des  Amis  ont  éprouvé  de 
grands  changemens.  Il  serait  curieux  de  faire  connaître 
quelle  a  été  leur  nature ,  et  de  rassembler  un  assez  grand 
nombre  de  faits  pour  s'assurer  si  la  civilisation  y  a  fait 
quelques  progrès  ,  et  si  le  sort  des  habitans  s'est  amélioré, 
soit  par  la  culture  des  terres  ou  toute  autre  espèce  d'indus- 
I rie.  La  connaissance  que  M.  Dumont  d'Urville  a  acquise 
des  grands  progrès  des  habitans  des  îles  de  la  Société  en 
civilisation,  en  morale  et  en  industrie,  peut  lui  fournir  des 
points  de  comparaison  d'un  grand  intérêt  pour  le  public 
en  général,  et  d'une  grande  utilité  pour  ceux  qui  étudient 
I  "  i  ialement  la  marche  que  les  peuples  sauvages  suivent, 
en  partant  de  leur  situation  primitive,  pour  se  rappro- 
cher de  l'étal  parfait  de  civilisation. 


MEMOIRE  D'INSTRUCTION.  lxiiï 

L' Astrolabe  quittera  Tonga-Tabou  le  1er  janvier  1827.  11 
est  fort  à  désirer  que  M.  tl'Urville  s'occupe,  après  avoir 
quitté  cette  île,  de  visiter  l'archipel  des  îles  Fidji  qui  n'en 
est  pas  très-éloigné  dans  le  nord-ouest.  Krusenstern 
place  l'île  de  la  Tortue,  la  plus  sud  de  ces  îles,  par  19° 
48'  de  latitude  sud,  et  179°  40'  de  longitude  orientale. 
Lors  du  séjour  du  contre-amiral  d'Entreeasteaux  à  Tonga- 
Tabou,  les  insulaires  lui  parlèrent  d'un  peuple  très-en  tre- 
prenant  qui  faisait  souvent  des  descentes  sur  leurs  îles 
avec  tant  de  succès ,  qu'ils  y  étaient  singulièrement  re- 
doutés. 

Les  insulaires  des  îles  des  Amis  s'étaient  cependant 
défendus  contre  eux  avec  avantage.  Ils  lui  montrèrent, 
des  prisonniers  faits  sur  ces  peuples  ,  qu'ils  avaient  incor- 
porés dans  leur  nation.  A  en  juger  par  ceux  que  l'on  a 
vus ,  la  race  d'hommes  des  îles  Fidji  est  moins  belle  que 
celle  des  îles  des  Amis.  Leur  stature  est  moins  haute ,  les 
membres  n'ont  pas  d'aussi  belles  proportions  ,  et  leurs 
traits  sont  moins  réguliers  ,  mais  leur  physionomie  et  leur 
attitude  avaient  quelque  chose  de  plus  caractérisé.  Les 
ustensiles  de  ménage  et  les  armes  conquises  par  les  habi- 
tant des  îles  des  Amis,  annonçaient  un  peuple  plus  indus- 
trieux quoique  d'un  caractère  moins  doux  que  ceux-ci. 

Rien  long-temps  avant  le  voyage  du  contre-amiral 
d'Entreeasteaux  ,  Abcl  Tasman  ,  voyageur  hollandais  , 
après  avoir  découvert  les  îles  Tonga-Tabou  et  Anamouka, 
auxquelles  il  avait  donné  le  nom  d'Amsterdam  et  de  Rot- 
terdam ,  vit  pour  la  première  fois  des  îles  et  des  récifs 
appartenant  à  l'archipel  des  Fidji.  Les  îles  furent  nommées 
par  lui  îles  du  Prince  Guillaume  ;  et  les  récifs  ,  basses  du 
Hemskirk  ,  nom  de  son  vaisseau.  Il  se  faisait  alors  par 
16°  â0'  de  latitude  sud,  et  179°  40'  de  longitude  orientale. 


lxiv  MEMOIRE  D'INSTRUCTION. 

Krusenstern  croit  que  la  partie  vue  par  Tasman  com- 
prend les  récifs  indiqués  dans  son  Atlas  sous  le  nom  de 
récifs  du  Duff,  avec  les  îles  qui  les  environnent.  Il  serait  à 
désirer  que  M.  d'Urville,  lorsqu'il  visitera  l'archipel  des 
Fidji,  pût  restituer  les  noms  du  Prince  Guillaume  et  du 
Hemskirk  aux  îles  et  récifs  découverts  par  Tasman.  Il  serait 
même  digne  d'un  navigateur  français  de  faire  reparaître 
sur  ses  cartes  le  nom  du  Hollandais  célèbre  qui ,  le  pre- 
mier, a  eu  connaissance  de  ces  îles.  La  seule  trace  qui 
nous  reste  du  voyage  d'Abel  Tasman,  se  trouve  dans 
l'ouvrage  de  Valentyn.  Cet  auteur  dit  peu  de  chose  de  la 
découverte  des  îles  Fidji ,  mais  on  trouve  une  carte  qui , 
quoique  mal  dessinée  et  peu  détaillée  de  cette  découverte, 
en  donne  des  idées  plus  précises  que  le  texte  du  voyage. 
Un  calque  de  ce  fragment  de  l'ouvrage  de  Valentyn  est 
envoyé  à  M.  d'Urville. 

L'archipel  des  îles  Fidji  est  d'une  grande  étendue  ;  il  a 
plus  de  quatre-vingts  lieues  du  nord  au  sud,  depuis  la 
petite  île  de  la  Tortue  qui  est  la  plus  méridionale  ,  jusqu'à 
l'île  Farewell  la  plus  au  nord;  et  à  peu  près  autant  de 
l'est  à  l'ouest.  11  comprend  un  grand  nombre  d'îles  et  de 
dangers.  Si  V Astrolabe  peut  partir  de  Tonga-Tabou  à  l'é- 
poque indiquée,  qui  est  le  1"  janvier,  il  sera  possible  d'em- 
ployer soixante-dix-huit  jours  à  la  reconnaissance  de  cet 
archipel  ;  ainsi ,  en  supposant  qu'il  y  arrive  le  7  janvier, 
il  en  partira  le  27  mars.  Cette  dernière  époque  est  de 
rigueur,  et  dans  aucun  cas  il  ne  devra  quitter  ces  îles  plus 
tard. 

La  première  partie  de  la  carte  n.  14  de  l'Atlas  de  Kru- 
senstern pourra  servir  de  guide  à  M.  d'Urville.  Les  vents 
dominans  dans  ces  parages  sont  les  vents  de  sud-est.  La 
Tortue ,  qui  est  l'île  la  plus  sud ,  paraît  donc  le  premier 


MEMOIRE  D  INSTRUCTION.  lxv 

objet  dont  il  faut  prendre  connaissance.  Ensuite ,  en  fai- 
sant route  du  nord-est  au  sud-ouest,  ou  dans  d'autres  direc- 
tions ,  suivant  la  position  des  terres  et  des  dangers  ,  on 
fera  en  sorte  que  l'espace  visité  soit  divisé  en  deux  parties 
égales,  par  une  ligne  dont  la  direction  serait  à  peu  près 
nord-ouest  et  sud-est,  laquelle  passerait  dans  le  groupe  où  se 
trouve  l'île  Tongue ,  et  se  continuerait  jusqu'à  l'île  Pago  , 
la  plus  grande  des  iles  Fidji.  La  reconnaissance  de  cet 
archipel  n'a  pas  été  complétée,  ainsi  on  croit  devoir  re- 
commander de  ne  pas  regarder  les  extrémités  indiquées  par 
la  carte  comme  les  véritables,  et  l'on  engage  M.  d'Ur- 
ville  à  pousser  ses  recherches  au-delà ,  en  se  tenant  cepen- 
dant dans  de  certaines  limites. 

11  est  essentiel  de  le  prévenir  que  la  navigation  entre 
ces  iles  est  embarrassée  par  un  très-grand  nombre  d'écueils 
et  de  récifs.  Il  sera  nécessaire  de  mettre  la  plus  grande 
précaution  à  cette  reconnaissance.  Les  habitans  ,  d'après 
les  récits  du  peu  de  navigateurs  qui  ont  eu  connaissance 
de  ces  iles ,  confirment  ce  que  les  insulaires  des  iles  des 
Amis  avaient  dit  au  contre-amiral  d'Entrecasteaux  de  leur 
férocité.  On  a  lieu  de  croire  ,  néanmoins,  que  M.  d'Ur- 
ville  entretiendra  parmi  ses  équipages  un  ordre  et  mie 
discipline  tels  que  les  communications  indispensables 
qu'il  aura  avec  eux  seront  sans  danger.  Il  pourra  obtenir 
de  quelques-uns  d'entre  eux  des  renseignemens  sur  la 
position  des  iles  voisines  par  rapport  au  lieu  où  il  les  aura 
obtenus,  ainsi  que  sur  les  principaux  écueils  ou  récifs 
dont  elles  sont  environnées.  Quelles  que  puissent  être  les 
imperfections  de  pareils  renseignemens ,  ils  aideront  ce- 
pendant M.  d'Urville  à  se  diriger,  mais  surtout  ils  empê- 
cheront qu'il  ne  soit  exposé  à  n'avoir  pas  connaissance  de 
quelques-unes  des  iles  dont  cet  archipel  est  composé:  car, 


lxvi  MÉMOIRE  D  INSTRUCTION. 

comme  on  l'a  déjà  dit ,  la  carte  de  l'ouvrage  de  Krusen- 
stern  est  très-incomplète,  de  l'aveu  même  de  son  auteur. 
Les  différentes  îles  y  ont  été  placées ,  d'après  les  routes  de 
navigateurs  qui  n'ont  pas  eu  connaissance  des  mêmes 
points ,  et  il  serait  très-possible  que  ces  îles  n'eussent  pas 
absolument  entre  elles  les  positions  relatives  qui  leur  ont 
été  données  sur  la  carte. 

On  a  dit  précédemment  que  M.  d'Urville  pourrait  con- 
sacrer soixante-dix-huit  jours  à  la  reconnaissance  de  l'ar- 
chipel des  îles  Fidji,  s'il  part  de  Tonga-Tabou  le  1er  janvier 
1827,  ou  plutôt  s'il  y  arrive  le  7  janvier  suivant.  Il  serait 
à  désirer  que  dans  cet  intervalle  de  temps  il  pût  en  com- 
pléter la  reconnaissance  ;  mais,  en  raison  de  son  étendue , 
des  difficultés  de  la  navigation  et  des  contrariétés  que  l'on 
doit  prévoir,  il  serait  imprudent  d'y  compter. 

On  est  donc  obligé ,  quoiqu'on  lui  recommande  de  re- 
connaître en  entier  cet  archipel ,  de  supposer  qu'il  ne 
pourra  en  visiter  qu'une  partie  ;  mais ,  dans  cette  supposi- 
tion ,  il  s'attachera  à  compléter  ce  qu'il  aura  vu,  et  à  nous 
en  donner  des  cartes  exactes.  Il  ne  doit ,  en  conséquence, 
passer  légèrement  sur  aucune  des  parties  dont  il  aura 
connaissance  pour  aller  en  reconnaître  d'autres.  11  visi- 
tera en  détail  toutes  les  portions  de  cet  archipel ,  comme 
s'il  ne  devait  s'attacher  qu'à  celles-là,  et  si,  le  27  mars, 
époque  à  laquelle  il  doit  s'éloigner  de  ces  parages,  le 
temps  ne  lui  a  pas  permis  de  reconnaître  toutes  ces  îles , 
il  doit  être  persuadé  qu'on  lui  tiendra  compte  des  travaux 
qu'il  aura  faits ,  comme  s'il  avait  pu  lever  la  carte  de  l'ar- 
chipel entier. 

Il  est  à  présumer  que  si  la  corvette  V Astrolabe  quitte 
les  îles  Fidji  le  27  mars,  elle  pourra  se  trouver  aux  envi- 
rons de  la  Nouvelle-Calédonie  le  6  avril  suivant.  La  route 


MEMOIRE  D'INSTRUCTION,  lxvii 

sera  dirigée  à  l'ouest ,  de  manière  à  passer  en  vue  des  iles 
les  plus  méridionales  de  l'archipel  des  Hébrides  appelées 
Erronan  et  Anatom;  ensuite  on  se  tiendra  entre  les  paral- 
lèles de  20°  et  21°  de  latitude.  Les  côtes  de  la  Nouvelle- 
Calédonie,  et  les  récifs  dont  elles  sont  environnées,  ont 
été  reconnus  par  Cook  et  le  contre-amiral  d'Entrecas- 
teaux  ;  il  serait  sans  objet  de  s'en  occuper  ;  mais  un  groupe 
d'îles  qui  porte,  sur  la  nouvelle  carte,  le  nom  de  Loyalu- 
Islands,  situé  à  environ  20°  60'  de  latitude  sud,  et  dont 
l'extrémité  occidentale  se  trouve  à  peu  près  sur  le  même 
méridien  que  les  iles  Beaupré  ,  reconnues  par  d'Entre- 
castcauv,  mérite  toute  l'attention  de  M.  d'Lrville.  >.ous 
n'avons  aucun  détail  certain  sur  l'étendue  et  la  position 
de  ces  iles.  Krusenstern  dit  qu'elles  ont  élé  vues  en  1800 
par  le  vaisseau  Tf'alpoole,  et,  selon  d'autres,  en  1803  par 
le  vaisseau  la  Britannia.  Il  serait  utile  que  M.  d'Lrville  pût 
nous  en  donner  une  carte  complète;  mais  il  est  impos- 
sible de  s'en  flatter  parce  qu'il  n'aura,  selon  toute  appa- 
rence ,  à  y  consacrer  que  dix  jours  ;  c'est-à-dire  depuis 
le  6  avril ,  époque  où  l'on  suppose  qu'il  en  aura  con- 
naissance, jusqu'au  16  avril,  qu'il  devra  continuer  sa 
route  pour  remplir  les  autres  objets  de  sa  mission. 

La  carte  de  l'A  lias  de  Krusenstern,  où  se  trouve  la 
Nouvelle-Calédonie  ,  semblerait  indiquer  que  les  côtes 
occidentales  des  deux  iles  les  plus  méridionales  des 
Loyalty-lslands,  ainsi  que  les  côtes  sud  des  trois  autres 
iles,  ont  été  visitées.  M.  d'Lrville  tâcherait  donc  de  venir 
reconnaître  l'extrémité  la  plus  sud  de  ces  iles  les  plus 
méridionales  qui  se  trouvent  par  environ  21°  32'  de  lati- 
tude, et  165°  28'  de  longitude  orientale.  Mais  cette 
longitude  est  incertaine,  et  ne  mérite  aucune  confiance. 
En  partant  de  l'extrémité  dont  on  vient  de  parler,  il 


lxviii  MÉMOIRE  D'INSTRUCTION. 

serait  possible,  avec  des  vents  de  sud-est,  de  prolonger  les 
côtes  orientales  des  deux  îles  qui  se  dirigent  du  nord  au 
sud,  et  ensuite  de  suivre  les  côtes  septentrionales  des  trois 
îles  rangées  à  peu  près  sur  une  ligne  est  et  ouest.  En 
quittant  ces  îles ,  il  serait  avantageux  de  rattacher  leur 
position  à  quelques  points  dont  la  position  géographique 
a  été  antérieurement  déterminée  par  le  contre-amiral 
d'Entrecasteaux;  les  îles  Beaupré  offriront  cet  avantage, 
mais  il  faudrait  passer  au  sud  de  ces  îles  ,  parce  que  c'est 
la  partie  nord  qui  a  été  vue  précédemment. 

Il  est  inutile  de  dire  que ,  si  le  temps  ou  les  circons- 
tances ne  permettaient  pas  d'aller  prendre  connaissance 
des  îles  Beaupré  ,  il  faudrait  aller  chercher  un  des  points 
de  la  Nouvelle-Calédonie ,  déterminé  précédemment  par 
le  contre-amiral  d'Entrecasteaux. 

On  fera  en  sorte  de  quitter,  ainsi  qu'on  vient  de  le 
dire ,  les  Loy alty-Islands  ,  le  1 6  avril  ;  ensuite  on  fera 
route  pour  attérir  sur  le  cap  de  la  Délivrance  de  la 
Louisiade,  où  l'on  tâchera  d'arriver  le  1er  mai.  Cette 
route  fait  traverser  un  espace  de  mer  peu  connu,  et 
dans  lequel  il  est  à  présumer  qu'il  peut  se  trouver 
des  écueils  ou  des  îles  qui  n'ont  point  encore  été  décou- 
verts. 

Dernièrement  un  bruit  a  couru ,  fondé  sur  le  dire  d'un 
capitaine  américain  ,  d'après  lequel  on  pourrait  supposer 
que  sur  la  ligne  que  l'on  tirerait  de  l'extrémité  septen- 
trionale des  récifs  de  la  Nouvelle-Calédonie  .  jusqu'au  cap 
de  la  Délivrance  de  la  Louisiade',  ou  dans  les  environs  de 
cette  ligne,  il  aurait  découvert  un  groupe  d'îles  bien 
peuplées  et  entourées  de  récifs.  Ce  même  capitaine  a  dit 
avoir  eu  des  communications  avec  les  habitans ,  et  avoir 
vu  entre  leurs  mains  une  croix  de  Saint-Louis  et  des  mé- 


MEMOIRE  D'INSTRUCTION,  mx 

dailles  telles  que  La  Pérouse  en  avait  sur  son  expédition 
pour  distribuer  aux  peuples  de  la  mer  du  Sud.  Ces  indices 
lui  ont  fait  croire  que  les  bàtimens  de  l'infortuné  La 
Pérouse  avaient  péri  sur  ces  îles ,  et  ont  réveillé ,  dans 
toute  l'Europe ,  l'espoir  perdu  depuis  long-temps  de  re- 
trouver les  traces  de  La  Pérouse  et  de  quelques-uns  de  ses 
malheureux  compagnons  de  voyage.  Les  récits  du  capi- 
taine américain  sont  si  vagues ,  qu'il  est  impossible  de 
donner  aucun  détail  sur  cette  découverte  à  M.  d'Urville. 
Le  désir  de  retirer  quelques  Français  malheureux  des 
mains  des  peuples  sauvages  des  des  de  la  mer  du  Sud  , 
l'engagera  sans  doute  à  rechercher  les  îles  dont  il  est 
question  avec  le  soin  que  mérite  un  but  d'humanité  de 
cette  importance. 

M.  d'Urville  déterminera  la  position  géographique 
du  cap  de  la  Délivrance ,  le  plus  oriental  de  la  Loui- 
siade ,  pour  rattacher  ses  opérations  à  celles  du  contre- 
amiral  d'Entrccasteaux;  il  prolongera  ensuite  les  côtes 
méridionales  de  ces  îles,  d'assez  près  pour  bien  les  re- 
connaître ,  mais  il  évitera  de  compromettre  la  sûreté  de 
son  bâtiment.  Toutes  les  fois  qu'un  canal  lui  paraîtra  na- 
vigable et  exempt  de  danger,  il  cherchera  à  y  pénétrer  et 
à  reconnaître  quelques  points  antérieurement  placés  par 
le  navigateur  français  qui  nous  a  donné  le  plus  de  détails 
sur  ces  îles.  M.  d'Urville  se  ménagera  ,  dans  tous  les  cas, 
les  moyens  de  retourner  sur  ses  pas  ,  et  de  venir  repren- 
dre la  reconnaissance  de  la  partie  méridionale  qu'il  conti- 
nuera jusqu'au  cap  Rodney  que  l'on  croit  être  le  plus 
oriental  de  la  Nouvelle-Guinée. 

Lorsque  M.  d'Urville  sera  arrivé  au  cap  Rodney,  son 
but  sera  de  reconnaître  la  côte  méridionale  de  la  Nou- 
velle-Guinée ;   puis  la  corvette  /' .islrolabc  se  rendra  di- 


lxx  MEMOIRE  D'INSTRUCTION. 

rectement  à  Amboine ,  où  l'on  suppose  qu'elle  pourra 
arriver  aux  environs  du  10  octobre. 

La  relâche  d' Amboine  offrira  toutes  les  ressources  que 
l'on  peut  désirer,  tant  pour  procurer  des  rafraîchisse- 
mens  aux  équipages ,  remplacer  les  vivres ,  que  pour  faire 
des  observations  astronomiques. 

Amboine  a  été  déterminée  en  longitude  pendant  le 
voyage  du  contre-amiral  d'Entrecasteaux ,  c'est  le  résultat 
d'une  observation  d'occultation  faite  à  Sourabaya ,  lequel 
a  servi  à  déterminer  toutes  les  longitudes  absolues  des 
lieux  situés  entre  Sourabaya  et  les  petites  îles  Mispalu 
qui  sont  à  peu  de  distance  ,  dans  l'ouest  du  cap  de  Bonne- 
Espérance,  de  la  Nouvelle -Guinée.  Ce  nouveau  point 
liera  les  longitudes  des  montres  de  V Astrolabe  aux  lon- 
gitudes du  contre-amiral  d'Entrecasteaux  et  des  autres 
navigateurs  français  qui  ont  relâché  dans  cette  île.  Toutes 
les  autres  expériences  ou  observations  de  nature  à 
agrandir  le  domaine  de  nos  connaissances ,  pourront  être 
répétées  pendant  cette  relâche. 

Il  sera  nécessaire  d'attendre  à  Amboine ,  non-seulement 
que  la  mousson  d'ouest  se  soit  établie ,  mais  encore  que  le 
temps  orageux  et  les  vents  violens,  par  lesquels  cette 
mousson  commence  ,  se  soient  apaisés  ;  ainsi  V Astrolabe 
ne  quittera  Amboine  que  le  1er  décembre  pour  aller  visiter 
les  parties  de  la  cote  de  la  Nouvelle-Guinée  les  moins 
connues.  M.  d'Urville  choisira,  parmi  les  détroits  qui 
conduisent  au  nord  de  la  Nouvelle-Guinée  en  sortant  des 
Moluques,  celui  qu'il  jugera  à  propos  ,  et  comme  toute  la 
côte  nord  de  cette  grande  île ,  depuis  son  extrémité  occi- 
dentale ,  n'a  aucun  danger,  et  d'ailleurs  est  bien  connue , 
il  passera  légèrement  le  long  de  cette  côte ,  et  viendra 
relâcher  au  port  de  Dory.  On  croit,  néanmoins,  devoir 


MEMOIRE  D'INSTRUCTION.  lxxi 

lui  recommander  particulièrement  de  prendre  connais- 
sance des  deux  petites  îles  Mispalu  déterminées  par 
d'Entrecasteaux ,  et  dont  la  position  en  longitude  est  liée 
aux  positions  des  îles  Moluques  et  des  îles  de  la  Sonde. 

On  admet  que  la  corvette  l'Astrolabe  arrivera  le 
1er  janvier  1828  au  port  de  Dory.  Une  relâche  de  neuf 
jours  parait  devoir  suffire  pour  faire  dans  ce  port  des  ob- 
servations astronomiques  et  des  collections  d'histoire  na- 
turelle ;  ainsi  on  quittera  Dory  le  10  janvier.  L'objet  que 
l'on  doit  avoir  principalement  en  vue  après  cette  re- 
lâche, est  la  reconnaissance  des  côtes  nord  de  la  Nouvelle- 
Guinée  jusqu'au  détroit  de  Dampier.-Deux  routes  se  pré- 
sentent pour  traverser  la  baie  du  Geelwink.  L'une  ferait 
passer  dans  le  détroit  de  Jobie  qui  n'est  pas  très-bien 
connu.  L'autre  conduit  au  nord  de  l'île  de  William  Schou- 
ten.  En  suivant  celle-ci,  on  pourrait  vérifier  si  les  îles 
Stephen  de  Carteret  sont  les  mêmes  que  les  îles  de  la  Pro- 
vidence. Il  serait  bon  de  vérifier  également  si  les  îles 
Freewill  sont  les  mêmes  que  le  Jf'anvick  a  vues  en  1761. 
M.  d'Urville  trouvera  dans  l'ouvrage  de  Krusenstern  les 
renseignemens  nécessaires  pour  le  guider  dans  ses  vérifi- 
cations. Parvenu  à  la  pointe  orientale  de  la  baie  du  Geel- 
wink ,  on  suivra  la  côte  de  la  Nouvelle-Guinée  d'assez  près 
pour  la  bien  reconnaître.  Les  îles  découvertes  par  Schou- 
ten  seront  également  reconnues  avec  soin,  et  rien  ne  sera 
négligé  pour  déterminer  leur  position  à  l'égard  de  la  côte 
la  plus  voisine. 

11  sera  essentiel  de  lier  les  positions  en  longitude  nou- 
vellement déterminées  à  celles  du  contre-amiral  d'Entre- 
casteaux. Les  opérations  précédentes  seront  subordonnées 
au  temps  qu'il  sera  possible  d'y  employer ,  c'est-à-dire 
que  l'on  ne  restera  sur  ces  côtes  que  depuis  le  10  janvier 


,xxn  MEMOIRE  D'INSTRUCTION. 

jusqu'au  10  mars.  Le  temps  écoulé  du  10  mars  au  l«  avril 
sera  employé  à  visiter  les  côtes  de  la  Nouvelle-Bretagne , 
de  manière  à  pouvoir  s'assurer  si  ces  terres  sont  réelle- 
ment séparées  en  deux  parties  au  port  Montague.  Ensuite 
on  remontera  au  nord  par  la  route  que  M.  d'Urville  ju- 
gera à  propos  de  suivre  pour  aller  prendre  connaissance 
d'une  des  îles  Carolines  reconnues  précédemment  pen- 
dant le  voyage  de  la  Coquille.  On  suppose  que  l'astro- 
labe arrivera  à  une  de  ces  îles  le  20  avril.  Du  20  avril  au 
20  mai ,  on  visitera  la  partie  occidentale  des  îles  Carolines 
jusqu'aux  îles  Pelew.  Pendant  le  mois  entier  qu'on  y  con- 
sacrera, il  sera  possible  de  nous  donner  une  connaissance, 
sinon  complète,  du  moins  très-étendue,  de  cette  partie. 

Il  est  en  conséquence  recommandé  à  M.  d'Urville  de  ne 
rien  négliger  de  ce  qui  pourra  contribuer  à  compléter 
cette  reconnaissance,  et  pour  qu'il  ne  soit  pas  exposé 
à  aller  chercher ,  au  hasard  de  les  manquer ,  la  multitude 
de  petites  îles  détachées  dont  cet  archipel  est  composé  , 
partout  où  il  aura  des  communications  avec  les  habitans , 
il  s'enquerra  soigneusement  de  la  position  des  îles  voi- 
sines, et,  à  l'aide  de  ces  renseignemens,  il  conduira  le  fil 
de  ses  opérations  avec  l'espoir  de  ne  rien  manquer  d'une 
certaine  importance. 

L' Astrolabe  s'arrêtera  du  20  mai  au  5  juin  à  l'une  des 
îles  Pelew,  où  l'on  pourra  procurer  des  rafraîchissemens 
aux  équipages  et  se  livrer  à  tous  les  genres  d'observations. 

M.  d'Urville ,  en  quittant  les  îles  Pelew,  se  rendra  di- 
rectement à  Sourabaya ,  situé  près  de  l'extrémité  orien- 
tale de  l'île  de  Java.  Cette  route ,  qui  le  mettra  dans  la 
nécessité  de  traverser  les  mers  des  Moluques  et  des  îles 
de  la  Sonde,  lui  offrira  un  grand  nombre  de  passages 
différcns.  Il  choisira,  d'après  les  vents  régnans,  un  de 


MEMOIRE  D'INSTRUCTION.  lxxiii 

ceux  qui ,  ayant  été  le  moins  fréquenté ,  lui  donnera  le 
plus  d'espoir  d'augmenter  nos  connaissances  hydrogra- 
phiques. La  partie  de  la  mer  des  Moluques  ,  qui  est  entre 
Gilolo  et  Célèbes ,  principalement  du  côté  de  cette  der- 
nière île ,  est  celle  qui  a  été  traversée  par  le  plus  petit 
nombre  de  routes.  Cependant  comme  il  pourrait  être  dif- 
ficile de  gagner  vers  le  sud  pendant  cette  saison ,  il  sera 
important  de  suivre  la  direction  la  plus  propre  à  abréger 
la  traversée ,  et  surtout  il  faudra  combiner  les  routes  de 
manière  à  arriver  le  5  juillet  à  Sourabaya. 

Une  relâche  de  vingt  jours  dans  ce  port  parait  suffire 
pour  réparer  et  approvisionner  le  bâtiment  ;  ainsi  on 
pourra  reprendre  la  mer  le  25  juillet. 

La  position  géographique  de  Sourabaya  a  été  déter- 
minée pendant  le  voyage  du  contre -amiral  d'Entrecas- 
teaux ,  par  des  observations  dont  les  résultats  méritent  la 
plus  grande  confiance.  La  latitude  a  été  conclue  par  un 
grand  nombre  de  hauteurs  méridiennes  d'étoiles ,  obser- 
vées avec  un  cercle  astronomique. 

La  longitude  est  le  résultat  d'une  occultation  calculée 
avec  les  lieux  de  la  lune,  corrigés  par  des  observations  du 
passage  au  méridien,  faites  à  Greenwich  le  même  jour. 
C'est  à  cette  longitude ,  comme  on  l'a  déjà  dit ,  que  celles 
de  tous  les  lieux  compris  entre  les  méridiens  de  Soura- 
baya et  des  petites  îles  Mispalu,  ont  été  rapportées.  La 
comparaison  des  longitudes  obtenues  par  les  montres  de 
V Astrolabe  avec  celles-ci ,  fournira  des  moyens  de  vérifi- 
cation dont  il  sera  possible  de  tirer  de  grands  avantages. 

De  Sourabaya  la  corvette  V Astrolabe  se  rendra  direc- 
tement à  l'Ile-de-France  ,  où  l'on  suppose  qu'elle  arrivera 
le  25  août.  Elle  pourra  quitter  cette  île  le  1"  octobre  pour 
revenir  dans  un  des  ports  de  France. 


i  xxiv  MEMOIRE  D'INSTRUCTION. 

On  doit  présumer  que  M.  d'Urville ,  avant  d'effectuer 
son  retour  en  France ,  sera  bien  aise  de  toucher  à  l'Ile-Bour- 
bon.  On  lui  recommande  de  mesurer  avec  ses  montres  ma- 
rines ,  dont  le  mouvement  aura  sans  doute  été  observé 
avec  beaucoup  de  soin  à  l'Ile-de-France ,  la  différence  en 
longitude  qui  existe  entre  le  port  Louis  et  la  ville  de  Saint- 
Denis  de  l'Ile-Bourbon.  La  longitude  du  port  Louis  a  été 
observée  par  l'abbé  de  La  Caille  et  mérite  une  grande 
confiance.  Il  nous  reste  encore  quelques  incertitudes  sur 
celle  de  Saint-Denis  ;  et ,  si  M.  d'Urville  nous  procure  les 
moyens  de  la  faire  disparaître ,  il  rendra  un  grand  service 
à  l'hydrographie  ;  car  c'est  à  Saint-Denis  ,  Ile-Bourbon , 
que  tous  les  bâtimens  du  Roi  ont  l'habitude  de  relâcher 
avant  d'aller  dans  l'Inde  ;  et  c'est  à  ce  point  que  l'on  rap- 
porte toutes  les  longitudes  obtenues  par  des  montres,  tant 
sur  la  côte  de  Madagascar  que  dans  les  archipels  de  la  mer 
des  Indes. 

Dans  tous  les  cas ,  M.  d'Urville  combinera  ses  routes  et 
la  durée  des  dernières  relâches,  de  manière  à  arriver  dans 
un  des  ports  de  France  dans  le  courant  de  janvier  ou 
février  1829. 


RAPPORT 

SDR 

LA  NAVIGATION  DE  L'ASTROLABE, 


COMMAKDt.E 


PAR  M.  DUMONT  D'URVILLE, 

CAPITAINE    de   vaisseau; 

£u  a  l'ZUabéttùt  royale  ors  Sciences,  bans  la  séance 
on  17  août  1829, 

PAR   M.    LE    CHEVALIER   DE    ROSSEL. 


Malgré  le  peu  de  succès  des  recherches  faites  avec  zèle 
et  persévérance  pour  retrouver  les  traces  de  l'expédition 
de  l'infortuné  La  Pérouse ,  ses  compatriotes  n'avaient 
jamais  perdu  de  vue  cet  illustre  navigateur  ;  ils  avaient  au 
contraire  toujours  conservé  l'espoir  de  retrouver  quel- 
ques-uns de  ses  compagnons  de  voyage  ,  ou  au  moins  de 
recueillir  quelques  indices  de  nature  à  fixer  les  idées  sur 
le  sort  qui  leur  avait  été  réservé.  L'intérêt  général  ne 
s'était  jamais  ralenti  à  cet  égard;  les  bruits  les  plus  vagues 
en  apparence  étaient  saisis  avec  empressement;  ils  ve- 
naient ranimer  l'espoir  que  l'on  avait  conservé  de  retrou- 
ver, de  sauver  peut-être  quelques-uns  de  nos  malheureux 


i.xxvi  RAPPORT 

compatriotes,  tristes  débris  d'un  naufrage  dans  quelque  ile 
inconnue,  ou  perdue  au  milieu  de  l'Océan- Pacifique  ou 
Grand-Océan. 

Divers  bruits  de  cette  nature  se  succédèrent  presque 
d'année  en  année  ;  mais  ils  parurent  trop  peu  fondés 
pour  mériter  de  fixer  l'attention. 

Enfin,  quelque  temps  avant  le  départ  de  M.  d'Urville, 
un  officier  anglais ,  d'un  caractère  respectable ,  répandit 
dans  le  public  les  particularités  suivantes.  Il  tenait,  disait-il, 
d'un  capitaine  américain  que  celui-ci,  après  avoir  décou- 
vert un  groupe  d'îles  bien  peuplées  et  entourées  de  récifs, 
avait  eu  des  communications  avec  les  habitans,  et  avait 
vu  entre  leurs  mains  une  croix  de  Saint-Louis  et  des  mé- 
dailles telles  que  La  Pérouse  en  avait  sur  son  expédition. 
Ces  indices  pouvaient  faire  croire  que  les  bâtimens  de  La 
Pérouse  avaient  péri  sur  ces  îles. 

Il  ne  manquait  à  des  renseignemens  aussi  bien  circons- 
tanciés que  de  faire  connaître  le  nom  et  la  position  du 
groupe  d'îles ,  où  avaient  été  découverts  ces  témoignages 
irrécusables  de  la  présence  des  bâtimens  de  La  Pérouse. 
Quoique  l'espoir  de  le  retrouver  fut  presque  évanoui,  et 
que  le  récit  du  capitaine  américain  manquât  de  l'objet  le 
plus  important,  c'est-à-dire  de  celui  qui  pouvait  aider  à 
diriger  les  recherches  ,  on  ne  crut  pas  devoir  négliger  un 
bruit  qui  avait  ranimé  l'espérance  dans  tous  les  esprits. 
On  se  décida  par  cette  raison  à  entreprendre  une  nou- 
velle campagne  de  découvertes  qui  devait ,  dans  sa  route , 
passer  au  milieu  des  parages  où  l'on  pouvait  supposer  que 
devait  se  trouver  le  groupe  d'îles  visitées  par  le  capitaine 
américain.  Assurément  il  n'était  guère  possible  de  se 
Mai  ter  de  le  retrouver,  d'après  des  renseignemens  aussi 
vagues  que  ceux  qui  avaient  été  donnés  sur  sa  position. 


DE  M.  DE  HOSSEL.  lxxvii 

Quelques  personnes  auraient  même  pu  croire  que  les 
bruits  répandus  sur  le  témoignage  de  ce  capitaine  amé- 
ricain étaient  dénués  de  fondement.  Je  ne  serais  même 
pas  éloigné  de  penser  qu'elles  eussent  eu  raison ,  car 
depuis  on  n'a  plus  entendu  parler  ni  du  récit  du  capitaine 
américain,  ni  de  la  croix  de  Saint-Louis,  ni  des  médailles 
qu'il  aurait  vues  entre  les  mains  des  habitans  du  groupe 
d'îles  dont  il  s'agit.  C'est  par  des  renseignemens  bien 
plus  circonstanciés,  obtenus  peu  de  temps  après  le  départ 
de  M.  dlrville,  que  nous  avons  enfin  pu  concevoir 
légitimement  l'espérance  de  retrouver  des  traees  de  La 
Pérouse. 

Le  récit  du  capitaine  américain,  quoiqu'il  laissât  tant  à 
désirer,  vint  à  l'appui  du  désir  que  l'on  avait  de  favoriser 
les  progrès  de  l'hydrographie  et  des  sciences  en  général, 
et  contribua  beaucoup  à  faire  entreprendre  une  cam- 
pagne de  découvertes  dans  l'Océan -Pacifique.  L'on  s'y 
détermina  avec  d'autant  plus  de  ebances  de  succès,  qu'elle 
pouvait  être  confiée  à  un  officier  distingué  qui  avait  fait 
précédemment  plusieurs  campagnes  de  cette  nature,  et 
avait  acquis  toutes  les  connaissances  que  l'expérience  peut 
donner ,  ainsi  que  celles  que  l'on  obtient  par  l'étude  et  la 
méditation. 

Des  instructions  furent  rédigées  de  manière  que 
M.  d'L'rville  pût  remplir  ces  deux  objets  en  même  temps, 
c'est-à-dire  qu'il  visitât  les  parages  où  l'on  pouvait  sup- 
poser que  les  bàlimens  de  La  Pérouse  avaient  péri,  qu'il 
nous  fit  connaître  quelques-unes  des  parties  de  notre 
globe  qui  n'avaient  pas  encore  été  explorées,  et  où  il  pût , 
par  conséquent ,  contribuer  à  l'accroissement  des  con- 
naissances dans  toutes  les  branches  des  sciences  natu- 
relles. Ce  dernier  but  a  été  atteint  au-delà  de  nos  espé- 


..xxvii.  RAPPORT 

raines  pendant  l'expédition  de  M.  d'Urville,  et,  par  un 
de  ces  hasards  heureux  qui  sont  hors  de  la  prévoyance 
humaine ,  il  a  aussi  retrouvé  des  traces  de  l'expédition  de 
La  Pérouse  :  que  s'il  n'a  pas  pu  jouir  d'un  bonheur  com- 
plet en  ramenant  dans  leur  patrie  quelques-uns  de  ses 
infortunés  compagnons  de  voyage,  M.  d'Urville  a  eu  du 
moins  la  consolation  de  leur  élever,  sur  le  lieu  même  de 
leur  désastre ,  un  monument  qui  témoignera  l'intérêt  que 
leurs  compatriotes  ont  pris  à  leur  sort ,  et  les  regrets  que 
leur  perte  n'a  cessé  d'inspirer  dans  les  lieux  où  ils  ont 
pris  naissance. 

M.  d'Urville  s'est  attaché  avec  un  zèle  et  une  persévé- 
rance infatigables  à  remplir  tous  les  objets  de  la  mission 
qu'il  avait  reçue  ;  il  a  été  secondé  avec  le  même  zèle  et 
une  activité  surprenante  par  tous  ceux  qui  ont  servi  sous 
ses  ordres  :  les  résultats  de  sa  campagne  sont  immenses. 
Cinquante-trois  cartes  ou  plans  des  côtes,  des  ports  ou 
mouillages,  ont  été  rédigés  pendant  la  campagne ,  douze 
autres  plans  ou  cartes  n'ont  été  qu'esquissés.  Les  cartes 
terminées  ont  été  levées  d'après  les  meilleures  méthodes , 
et  rédigées  avec  un  soin  digne  des  plus  grands  éloges. 
Elles  donneront  aux  navigateurs  qui  visiteront  les  mêmes 
parages,  le  moyen  de  se  conduire  avec  la  plus  grande 
sécurité.  Les  cartes  ou  plans  incomplets  auront  sans 
doute  la  même  précision. 

Les  dessins  destinés  à  faire  connaître  l'aspect  des  lieux, 
l'espèce  d'hommes  qui  les  habite ,  leurs  costumes ,  leurs 
armes ,  leurs  habitations,  etc.,  sont  très-nombreux;  ils  se 
montent  à  huit  cent  soixante-six  :  on  les  doit  à  M.  de 
Sainson.  Si  à  ce  nombre  déjà  assez  considérable  on 
ajoute  quatre  cents  dessins  de  vues  de  côtes ,  par  M.  Lau- 
vergne,    la  totalité  des  dessins  qui  sont  le  fruit  de  la 


DE  M.  DE  ROSSEL.  lxxix 

campagne  de  M.  d'Urville  se  portera  à  douze  cent 
soixante -six  ,  consacrés  seulement  aux  parties  histori- 
que et  nautique  du  Voyage.  Sans  doute  il  sera  im- 
possible de  les  publier  en  totalité  ;  mais  M.  d'Urville ,  par 
un  choix  judicieux  et  rempli  de  goût ,  en  retranchera  les 
dessins  qui  offrent  un  moindre  intérêt  ;  l'on  peut  s'en 
rapporter  au  discernement  qui  le  guidera  pour  être  per- 
suadé que  les  savans  et  les  curieux  n'auront  rien  d'essen- 
tiel à  regretter.  Je  n'entrerai  pas  ici  dans  les  détails  de 
tous  les  différons  titres  sous  lesquels  on  peut  comprendre 
la  masse  considérable  des  dessins  dont  il  vient  d'être 
question  ;  je  ne  puis  cependant  passer  sous  silence  les 
réflexions  que  m'a  suggérées  la  belle  collection  des  por- 
traits des  habitans,  composée  de  cent  cinquante-trois 
figures. 

Dans  les  Voyages  publiés  jusqu'à  présent ,  on  ne  trouve 
que  des  portraits  isolés ,  et  en  petit  nombre.  Ils  ont  fait 
connaître,  à  la  vérité,  les  traits  et  la  conformation  de 
quelques  races  d'hommes;  mais  la  collection  de  M.  d'Ur- 
ville offre  un  bien  plus  grand  intérêt,  en  raison  du  grand 
nombre  de  portraits  dont  elle  est  composée.  Cette  collec- 
tion représente  les  traits  et  la  conformation  de  plusieurs 
individus  choisis  dans  chacune  des  races  d'hommes  qu'il 
a  eu  occasion  de  voir  pendant  son  voyage.  Elle  nous 
fait  connaître  les  grands  caractères  propres  à  distinguer 
celles  qui  diffèrent  le  plus  entre  elles,  en  même  temps 
qu'elle  met  sous  les  yeux  les  diverses  nuances  par  les- 
quelles de  légers  changemens  se  laissent  apercevoir  dans 
plusieurs  races  différentes ,  et  lient  ces  races  entre  elles , 
ainsi  qu'il  arrive  à  l'égard  de  tous  les  autres  êtres  de  la 
nature.  Cette  collection  ,  dont  les  dessins  paraissent  être 
d'une  grande  fidélité ,  mérite  donc  de  fixer  particulière- 


mi  RAPPORT 

nient  L'attention  ,  et  il  est  à  désirer  qu'elle  soit  publiée  en 
entier. 

Quant  à  la  collection  des  cartes  dont  il  a  été  question 
précédemment,  elles  ont  été  levées  et  rédigées,  ainsi 
qu'on  l'a  déjà  dit,  d'après  les  meilleures  méthodes,  et  sont 
assujetties  aux  résultats  d'observations  astronomiques  sus- 
ceptibles de  précision,  et  aux  longitudes  obtenues  par  des 
montres  marines  dont  les  mouvemens  ont  été  observés 
avec  le  plus  grand  soin.  Un  examen  attentif  des  résultats 
de  ces  observations,  et  la  comparaison  des  latitudes  et  lon- 
gitudes des  différens  lieux  placés  précédemment  sur  le 
globe  par  d'autres  navigateurs  ,  et  particulièrement  pen- 
dant la  campagne  du  contre-amiral  d'Entrecasteaux , 
offrent  l'accord  le  plus  satisfaisant.  On  ne  peut  s'empê- 
cher de  remarquer,  à  cet  égard,  que  tous  les  travaux  des 
campagnes  où  l'on  a  fait  usage  des  montres  marines  et  de 
l'observation  des  distances  de  la  lune  au  soleil  et  aux 
étoiles ,  concourent  à  confirmer  l'excellence  de  ces  deux 
moyens  de  déterminer  la  longitude.  Il  n'est  pas  rare  que 
des  positions  fixées  par  des  observateurs  ou  marins  éga- 
lement soigneux,  ne  diffèrent  pas  entre  elles  de  plus  de 
deux  ou  trois  minutes  de  degré  ou  même  quatre  minutes. 
La  grande  précision  des  tables  astronomiques  et  celle 
des  instrumens  peuvent  donc  faire  regarder  le  problème 
des  longitudes  en  mer  comme  résolu.  Il  n'y  a  que  les 
personnes  privées  de  la  connaissance  des  moyens  généra- 
lement employés ,  qui  cherchent  encore  la  solution  de 
ce  problème.  11  n'appartient  qu'aux  savans  du  premier 
ordre  d'améliorer  les  méthodes  connues  et  pratiquées , 
en  perfectionnant  la  théorie  des  mouvemens  des  corps 
rélestes.  Les  artistes  les  plus  distingués  peuvent  éga- 
lement y  contribuer  ,  en   donnant  un  grand  degré  de 


DE  M.   DE  KOSSEL.  lxxxi 

précision  aux   instrument   qui  sortent  de   leurs  mains. 

Je  ne  parlerai  pas  des  dessins  qui  se  rapportent  à  l'his- 
toire naturelle  ;  ils  ont  été  vus  et  jugés  par  d'illustres 
savans  qui  leur  ont  aceordé  leurs  suffrages  :  je  me  con- 
tenterai de  dire  que  le  nombre  des  planches  est  de  cinq 
cent  vingt-cinq ,  contenant  près  de  quatre  mille  dessins. 
Ainsi  le  nombre  de  planches  se  rapportant  à  la  partie 
historique  et  à  l'histoire  naturelle  est  de  mille  sept  cent 
quatre-vingt-onze ,  nombre  considérable,  d'après  lequel 
on  peut  juger  de  l'activité  qui  a  régné  dans  les  travaux , 
du  zèle  et  de  l'amour  de  la  science  dont  étaient  animés 
tous  ceux  cjui  y  ont  coopéré. 

Le  récit  de  M.  d'Urville  ,  lu  dans  une  des  séances  de 
l'Académie,  a  fait  connaître  la  route  qu'il  a  suivie.  Userait 
inutile,  dans  ce  Rapport,  d'entrer  dans  les  mêmes  détails  ; 
il  suffira  d'en  rappeler  certaines  circonstances  pour  mettre 
sous  les  yeux  l'ensemble  de  ses  opérations,  et  donner  une 
idée  nette  et  précise  des  services  qu'il  a  rendus  à  l'hydro- 
graphie. 

Vous  avez  appris  qu'après  le  départ  de  l'astrolabe  du 
port  de  Toulon  ,  M.  d'Urville  a  relâché  à  Ténëriffe  ,  à  la 
Praya,  a  vérifié  et  déterminé  la  position  de  l'ile  de  la 
Trinité  située  dans  l'océan  Atlantique,  cherché  inutile- 
ment l'ile  de  Saxembourg  qui  n'en  doit  pas  être  très- 
éloignée  ;  qu'il  a  visité  le  port  du  Roi-Georges  ,  situé  à  la 
terre  de  Nuitz;  qu'en  passant  dans  le  détroit  de  Bass,  il 
s'est  arrêté  au  port  Western;  et  enfin  qu'il  est  arrivé  à 
ï'ort-Jackson. 

Les  grandes  opérations  de  la  campagne  ont  commencé 
après  le  départ  de  Port-Jackson,  sur  les  côtes  de  la  Nou- 
velle-Zélande ;  une  portion  de  la  côte  nord-ouest  de  l'ile 
la  plus  sud  a  été  reconnue.  L' Astrolabe  est  entrée  dans  le 

/ 


Lxxxii  K APPORT 

canal  qui  sépare  cette  ile  de  celle  qui  est  le  plus  au  nord, 
et  a  exploré  toute  la  côte  orientale  de  la  dernière  île  jus- 
qu'au cap  Nord.  Cette  reconnaissance  exigeait  d'autant 
plus  de  fermeté  et  de  persévérance,  que  la  Nouvelle- 
Zélande  est  par  une  latitude  sud  assez  élevée ,  et  que  les 
coups  de  vent  y  sont  par  conséquent  très-fréquens. 
M.  d'Urville  s'est  trouvé  sur  cette  côte  dans  des  positions 
très-épineuses  dont  il  a  su  se  tirer  avec  habileté.  Sa  navi- 
gation nous  procurera  la  connaissance  entière  des  parties 
qu'il  a  visitées  ,  et  qui  n'avaient  été  vues  que  superficiel- 
lement. Ses  travaux  sur  la  côte  du  détroit  qui  sépare  les 
deux  îles,  en  raison  des  baies  et  des  canaux  qu'il  a  décou- 
verts ,  méritent  surtout  de  fixer  l'attention. 

De  la  Nouvelle-Zélande  ,  l'expédition  est  allée  aux  îles 
des  Amis.  C'est  dans  la  passe  qui  conduit  au  mouillage  de 
l'île  Tonga-Tabou  qu'elle  a  couru  les  plus  grands  dangers. 
Les  détails  que  M.  d'Urville  a  donnés  de  la  position  où  s'est 
trouvé  son  bâtiment  pendant  plusieurs  jours  ,  et  qui  était 
telle  qu'il  pouvait  s'attendre  à  tous  momens  à  le  voir 
perdu  sans  ressources ,  ont  sans  doute  inspiré  un  grand 
intérêt.  On  a  dû  remarquer  que  tout  en  s'occupant  essen- 
tiellement de  la  conservation  de  son  bâtiment ,  il  n'a  pas 
perdu  de  vue  celle  des  fruits  de  sa  navigation  précé- 
dente. 

Les  communications  qui  ont  eu  lieu  avec  les  habitans 
des  îles  des  Amis  ont  dû  fixer  aussi  l'attention.  Le  ca- 
ractère de  ces  hommes  est  resté  à  peu  près  le  même  qu'il 
était  lors  des  séjours  du  capitaine  Cook  et  du  général 
d'Entrecasteaux,  malgré  quelques  progrès  sensibles  qu'ils 
paraissent  avoir  faits  dans  la  civilisation.  Ces  hommes , 
en  apparence  si  sociables ,  et  dans  le  fait  si  séduisans ,  ne 
sont  jamais  plus  à  craindre  que  lorsque  l'on  croit  pouvoir 


DE  M.   DE  UOSSEL.  lxxxiii 

vivre  au  milieu  d'eux  avec  l'abandon  de  la  plus  entière 
confiance  ;  c'est  alors  qu'ils  se  livrent  à  des  voies  de  lait 
que  l'on  est  obligé  de  réprimer  par  des  actes  de  rigueur. 
Le  capitaine  Cook  et  le  contre-amiral  d'Entrecastcaux , 
après  les  avoir  regardés  comme  des  amis ,  ont  été  obli- 
ges de  sévir  contre  eux;  et,  plus  tard,  provoqué  par  des 
actes  de  violence  qui  prenaient  sans  doute  leur  source 
dans  la  cupidité  plutôt  que  dans  la  méchanceté  ou  la 
cruauté  ,  M.  d'Urville  a  été  contraint  à  son  tour  de  punir 
l'audace  et  l'astuce  de  ces  insulaires. 

Les  personnes  qui  ont  fait  partie  de  l'expédition  à  la 
recherche  de  La  Pérouse  ont  appris,  avec  quelque  sur- 
prise ,  que  les  vaisseaux  de  cet  infortuné  navigateur  s'é- 
taient arrêtés  pendant  dix  jours  à  l'île  d'Anamouka. 
M.  d'Urville  nous  assure  qu'il  lient  cette  particularité  de 
la  bouche  même  de  la  reine  Tamaha.  À  la  vérité,  cette 
reine  s'était  expliquée  en  langue  du  pavs ,  ce  qui  serait 
de  nature  à  faire  naître  quelques  doutes  sur  le  véritable 
sens  de  ce  qu'elle  a  dit  ;  mais  31.  d'Urville  ajoute  que 
sa  déposition  fut  accompagnée  d'explications ,  de  dé- 
tails si  positifs ,  que  ce  fait  lui  parut  à  peu  près  dé- 
montré ;  par  conséquent  il  doit  être  adopté  comme  tel , 
d'après  un  témoignage  aussi  digne  de  confiance.  Ce  qu'il 
y  a  de  certain  et  ce  qui  doit  redoubler  l'étonnement , 
c'est  qu'à  l'époque  du  séjour  du  contre-amiral  d'Entre- 
castcaux qui  était  à  Tonga-Tabou  trente-cinq  ans  avant 
l'expédition  de  l'Astrolabe,  et  par  conséquent  à  une 
époque  beaucoup  plus  rapprochée  du  passage  de  La  Pé- 
rouse à  Ànamouka ,  on  n'ait  rien  remarqué  dans  les  com- 
munie at  ions  que  l'on  a  eues  avec  les  naturels  du  pays, 
qui  ail  pu  faire  naître  l'idée  d'un  fait  si  important,  et  de  la 
nature  de  ceux  vers  lesquels  tous  les  esprits  et  les  imagi- 

y* 


lxxmv  RAPPORT 

nations  étaient  tendus ,  puisqu'il  se  rapportait  au  but 
principal  de  la  mission. 

L'événement  arrivé  à  l'Astrolabe  qui  a  été  jetée,  pen- 
dant le  calme ,  par  des  eourans  ,  sur  un  écueil  dangereux, 
en  occasionant  la  perte  de  la  plupart  de  ses  ancres ,  a  en- 
travé singulièrement  les  opérations  subséquentes  de  la 
campagne,  et  M.  d'Urville,  qui  jusque-là  s'était  attaché  à 
suivre  ponctuellement  ses  instructions  ,  s'est  trouvé  dans 
l'obligation  de  s'en  écarter  sur  plusieurs  points.  Néan- 
moins ,  quoique  dépourvu  de  câbles  et  d'ancres ,  il  a 
entrepris  la  reconnaissance  des  îles  Fidji  qui  lui  avaient 
été  indiquées  comme  composées  d'un  grand  nombre  d'îles 
et  parsemées  d'écueils  très-dangereux.  La  reconnaissance 
de  cet  archipel  présente  un  fil  d'opérations  liées  entre  elles , 
et  dirigées  avec  un  grand  discernement.  Elle  a  procuré 
une  carte  sur  laquelle  on  peut  compter  que  les  îles  et  les 
dangers  aperçus  par  M.  d'Urville  seront  placés  avec 
exactitude  :  nous  n'avions  que  des  connaissances  impar- 
faites de  la  position  de  ces  différentes  îles.  La  carte  que 
Krusenstern  en  a  donnée  est  très-incomplète ,  de  l'aveu 
même  de  son  auteur,  car  il  a  été  obligé  d'y  placer  des 
îles  vues  isolément  par  différens  navigateurs,  et  a  été 
privé  des  moyens  de  rectifier  les  positions  qui  leur  avaient 
été  assignées. 

Nous  remarquerons,  en  parlant  des  îles  Fidji,  que 
M.  d'Urville  s'est  attaché  à  restituer  aux  îles  découvertes 
par  les  navigateurs  de  diverses  nations ,  les  noms  que  leur 
donnent  les  habitans  de  ces  îles ,  et  qu'il  l'a  fait  toutes  les 
fois  qu'il  lui  a  été  possible.  C'est  par  cette  raison  qu'il  a 
changé  le  nom  des  îles  Fidji  en  celui  de  Viti.  Néanmoins , 
voulant  rendre  hommage  au  célèbre  navigateur  hollan- 
dais qui  a  eu  le  premier  connaissance  d'îles  et  de  dangers 


DE  M.  DE  ROSSEL.  i.wxv 

sit  ués  à  la  partie  orientale  de  l'archipel ,  il  a  donné  le  nom 
de  Tasman  à  une  des  îles  ,  et  conservé  à  un  danger  pré- 
sumé découvert  par  cet  illustre  navigateur ,  le  nom  du 
bâtiment  qu'il  commandait. 

Les  opérations  de  la  campagne  de  l' Astrolabe  ont  été 
liées  à  celles  du  vovage  du  contre-amiral  d'Entrecasteaux , 
en  prenant  connaissance  des  îles  les  plus  méridionales  de 
l'archipel  du  Saint-Esprit;  ensuite  on  a  reconnu  cl  levé 
la  carte  d'un  groupe  d'iles  nommées  îles  Loyalty  ,  décou- 
ver! es  par  les  Anglais  ,  et  sur  lesquelles  ils  ne  nous  avaient 
transmis  que  des  idées  très-confuses.  Le  travail  de  M.  d'Ur- 
ville  remplit  cette  lacune  qu'ils  avaient  laissé  subsiste] 
dans  1'hvdrographie.  Les  îles  Loyalty  ne  sont  pas  très- 
éloignées  au  sud  d'un  groupe  de  petites  îles  entourées 
d'un  récif  très-dangereux ,  appelées  îles  Reaupré  par  le 
eoiiire-amiral  d'Entrecasteaux  qui  en  eut  connaissance  à 
la  pointe  du  jour,  presqu'au  moment  où  les  bàtimens  qu'il 
commandait  allaient  s'y  briser.  Enfin  on  vérifia  que  la 
grande  chaîne  de  récifs  qui  se  prolongent  au  nord-ouest  de 
la  Nouvelle-Calédonie,  se  termine  exactement  aux  der- 
niers qui  ont  été  vus  par  le  contre-amiral  d'Entrecasteaux. 

11  était  à  présumer,  d'après  les  bruits  que  le  eapitaine 
américain  avait  répandus  relativement  aux  vestiges  que 
l'on  aurait  retrouvés  de  l'expédition  de  La  Pérouse,  que 
les  lies  dont  la  position  avait  été  si  vaguement  indiquée, 
devaient  être  aux  environs  de  la  route  que  l'on  aurait  à 
suivre  pour  se  rendre  de  l'extrémité  nord  de  la  Nouvelle- 
Calédonie  à  la  Louisiade.  Aussi  M.  d'Urvillc  redoubla-t-il 
d'attention  pendant  ce  trajet.  Il  ne  fit  route  que  pendant 
Le  jour,  afin  qu'aucun  des  objets  environnans  ne  pût  lui 
échapper.  Aucune  île  ne  fut  découverte,  et  les  faibles 
espérances  qu'il  avait  pu  concevoir  furent  évanouies. 


i.xxxvi  RAPPORT 

M.  d'Urville,  conformément  à  ses  instructions,  avait 
un  très-vif  désir  de  passer  entre  la  Nouvelle-Guinée  et  la 
Nouvelle-Hollande,  pour  revenir  dans  les  Moluques  ;  mais, 
dépourvu  d'ancres  et  de  câbles ,  la  prudence  ne  lui  per- 
mettait pas  de  s'engager  dans  un  passage  aussi  difficile , 
dont  l'entrée  est  fermée  par  une  chaîne  de  brisans  de 
l'espèce  de  ceux  près  desquels  il  avait  couru  de  si  grands 
dangers  à  Tonga-Tabou  ,  et  qui  ne  laissent  que  de  loin  en 
loin  quelques  ouvertures  étroites  dans  lesquelles  il  soit 
possible  d'entrer.  Pour  rendre  sa  route  utile  à  l'hydro- 
graphie ,  il  eût  fallu  chercher  quelques  nouvelles  passes 
rapprochées  de  la  Nouvelle-Guinée ,  avec  la  certitude  de 
se  trouver  ensuite  dans  un  parage  parsemé  de  récifs  de 
même  nature ,  de  bancs  de  sable  et  de  rochers  sous  l'eau 
peut-être  plus  dangereux  encore  que  les  récifs,  parce 
qu'il  est  impossible  de  les  voir.  M.  d'Urville  fut  obligé 
de  diriger  ses  vues  d'un  autre  côté ,  et  de  rendre  sa  na- 
vigation utile  en  visitant  d'autres  portions  de  côtes  mal 
connues. 

11  quitta  les  terres  de  la  Louisiade,  remonta  au  nord,  et 
fit  la  reconnaissance  complète  des  îles  Laughlan  ;  de  là  il 
se  rendit  au  havre  Carteret  de  la  Nouvelle-Irlande ,  où  il 
fit  une  courte  relâche.  Ensuite  la  côte  méridionale  de  la 
Nouvelle-Bretagne ,  qui  n'avait  été  vue  que  de  très-loin 
par  le  capitaine  Dampier ,  fut  reconnue  de  plus  près ,  et 
l'on  vérifia  que  le  passage  que  l'on  soupçonnait  pouvoir  se 
trouver  à  l'anse  qui  avait  reçu  le  nom  de  port  Montague, 
n'existe  réellement  pas. 

On  découvrit,  à  l'ouverture  de  la  vaste  baie  dont  il  est 
question ,  un  groupe  d'îles  remarquables  auxquelles  on 
donna  le  nom  d'îles  du  duc  d'Angoulême. 

C'est  après  avoir  dépassé  l'extrémité  occidentale  de  la 


DE  M.   DE  ROSSEL.  i.xxxvu 

Nouvelle-Bretagne  et  le  détroit  auquel  Dampier  a  donné 
son  nom,  que  M.  cl'Urville  rendit  un  éminent  service  à 
l'hydrographie  ,  en  entreprenant  la  reconnaissance  de 
cette  longue  suite  de  côtes  comprenant  l'espace  qui  est 
entre  le  détroit  de  Dampier  et  la  baie  du  Geclwink,  et  qui 
borne  la  Nouvelle-Guinée  du  côté  du  nord.  L'expédition 
fut  favorisée  par  un  très -beau  temps;  ainsi  on  put  eu 
lever  une  carte  exacte  sur  laquelle  toutes  les  îles  qui 
l'avoisinent  se  trouveront  placées  avec  précision.  Plu- 
sieurs de  ces  îles  avaient  été  vues  précédemment  ;  mais 
nous  n'en  avions  que  des  notions  imparfaites.  Un  grand 
nombre  d'autres,  très-rapproebées  de  la  côte,  ont  été  dé- 
couvertes pendant  cette  nouvelle  reconnaissance.  Ensuite 
on  fit  une  relàcbe  au  port  de  Dorey,  et  l'on  vint  à  Am- 
boinc  prendre  le  repos  dont  les  équipages  avaient  besoin 
après  une  si  longue  navigation.  L'astrolabe  y  mouilla  le 
24  septembre  1827  à  minuit. 

L'expédition  quitta  Àmboine  le  12  octobre  suivant. 
L'intention  du  commandant  était  de  rentrer  dans  la  Mer 
Pacifique  ou  Grand-Océan,  et.  d'y  travailler  à  enrichir 
rbvdrograpbie  par  de  nouvelles  découvertes.  Il  se  dirigea 
en  conséquence  sur  l'extrémité  méridionale  de  la  terre  de 
Yan-Diémen ,  et  vint  mouiller  dans  le  canal  de  d'Entre- 
castcaux. 

Les  côtes  de  ce  beau  canal  qui,  en  1792  et  1793 ,  épo- 
que où  d'Entrecasteaux  en  fit  la  découverte ,  étaient  dé- 
sertes et  sauvages ,  mais  présentaient  cependant  l'aspect 
d'une  végétation  vigoureuse  ,  offrirent  à  M.  d'Urville  des 
plantations,  des  habitations  agréables,  qui  indiquaient  que 
des  hommes  civilisés  étaient  venus  s'y  établir.  Une  cité 
naissante,  qui  commençait  à  prendre  de  l'accroissement, 
venait  d'être  fondée  dans  un  grand  bras  de  mer  auquel 


ixxxvm  RAPPORT 

le  contre-amiral  d'Entrecasteaux  avait  dorme  le  nom  de 
rivière  du  Nord,  parce  qu  il  se  trouve  au  fond  une  rivière 
qui  reçut  ce  nom.  Les  Anglais  ont  jugé  à  propos  de  le 
changer,  et  l'ont  appelée  rivière  Derwent;  ils  ont  nommé 
la  ville  qui  est  sur  ses  rives  Hobart-Town.  M.  d'Urville 
mouilla  le  20  décembre  sous  les  murs  de  cette  ville. 

C'est  là  qu'il  apprit  que  le  capitaine  Dillon  avait  trouvé 
sur  les  îles  Mallicolo  des  traces  de  l'infortuné  La  Pérouse, 
et  que ,  pour  la  première  fois ,  il  reçut  des  renseignemens 
certains  sur  la  route  qu'il  devait  suivre  pour  remplir  l'ob- 
jet le  plus  important  de  sa  mission. 

Ces  renseignemens  obtenus  à  Hobart-  Town  lui  avaient 
appris  qu'à  l'île  Ticopia  il  trouverait  peut-être  des  natu- 
rels ou  quelqu'un  des  étrangers  dont  avait  parlé  le  ca- 
pitaine Dillon ,  qui  lui  indiqueraient  la  route  à  suivre 
pour  se  rendre  au  lieu  du  naufrage  de  l'infortuné  La 
Pérouse. 

M.  d'Urville  se  hâta  de  quitter  Hobart  -  Town  et  de  faire 
route  pour  se  rendre  à  cette  ile.  Il  y  arriva  le  10  février 
1828.  Il  trouva  effectivement  le  Prussien  Buchert  qui  y 
était  arrivé  depuis  peu  ;  mais  ni  lui ,  ni  aucun  des  naturels 
de  l'ile  ne  voulut  consentir  à  lui  servir  de  guide.  Tous 
parurent  effrayés  de  l'influence  pernicieuse  du  climat  ma- 
récageux de  l'île  Mallicolo,  que  nous  appellerons  désor- 
mais Vanikoro ,  parce  que  c'est  ainsi  que  M.  d'Urville, 
d'après  les  communications  qu'il  a  eues  avec  les  habitans 
de  l'île ,  a  jugé  à  propos  de  rectifier  la  prononciation  de  ce 
nom. 

Le  1 2  février  on  eut  connaissance  des  sommités  de  l'ile , 
mais  ce  ne  fut  que  le  19  qu'il  fut  possible  d'approcher  les 
côtes,  et  le  21  V Astrolabe  vint  mouiller  entre  les  récifs 
situés  à  la  partie  orientale  de   l'île.   Des  canots  furent 


DE  M.   DE  ROSSEL.  lxxxw 

immédiatement  expédiés  dans  toutes  les  directions  pour 
visiter  les  côtes,  et  chercher  le  lieu  où  les  bàtimens  de  l'ex- 
pédition de  La  Pérouse  avaient  fait  naufrage.  M.  Jacqui- 
not ,  embarqué  en  second  sous  les  ordres  de  M.  d'Urville, 
y  fut  conduit  par  un  des  naturels  du  pays;  là  il  en  vit  les 
malheureux  restes  disséminés  au  fond  des  eaux  dont  la 
transparence  lui  permit  devoir  distinctement  des  ancres, 
des  canons  ,  des  boulets ,  et  une  immense  quantité  de 
plaques  de  plomb ,  dont  le  témoignage  irréfragable  attes- 
tait qu'il  se  trouvait  sur  les  lieux  où  nos  malheureux 
compatriotes  avaient  fait  naufrage. 

M.  d'Urville,  après  avoir  conduit  l'Astrolabe  dans  un 
mouillage  à  l'abri  de  tous  les  vents,  poursuivit  ses  recher- 
ches avec  une  nouvelle  ardeur.  La  chaloupe  fut  expédiée 
pour  visiter  les  récifs  de  Païou  et  de  Vanou  où  les  deux 
bàtimens  étaient  supposés  avoir  trouvé  leur  perte,  et 
tâcher  de  recueillir  quelques  débris  qui  pussent  attester 
que  les  bàtimens  qui  s'y  étaient  perdus  étaient  véritable- 
ment ceux  de  La  Pérouse.  Une  ancre  de  dix-huit  cents 
livres  et  un  canon  court  en  fonte,  du  calibre  de  8,  tout 
corrodés  par  la  rouille,  ainsi  que  deux  pierriers  en  cuivre 
assez  bien  conservés ,  confirmèrent  que  les  débris  que  l'on 
avait  sous  les  yeux  étaient  bien  réellement  ceux  de  l'expé- 
dition de  La  Pérouse,  et  renouvelèrent  l'impression  pro- 
fonde de  regrets  que  sa  perte  avait  occasionés. 

M.  d'Urville  voulut  laisser  un  témoignage  des  sentimens 
qu'il  avait  éprouvés  sur  les  lieux  mêmes  où  les  bàtimens 
de  La  Pérouse  avaient  péri  ;  en  conséquence  un  monument 
modeste,  tel  que  le  comportaient  les  moyens  qu'il  avait  à 
sa  disposition ,  fut  érigé  en  l'honneur  de  La  Pérouse  et  de 
nos  infortunés  compatriotes.  Son  inauguration  eut  lieu  en 
présence  de  la  majeure  partie  de  l'équipage  qui  était  des- 


xc  RAPPORT 

cendu  à  terre,  au  bruit  de  la  mousqueterie  des  troupes 
qui  environnaient  le  monument,  et  de  l'artillerie  de  l' As- 
trolabe,  avec  le  recueillement  et  la  tristesse  qu'inspire 
une  cérémonie  funèbre. 

Quelque  temps  après  l'arrivée  de  M.  d'Urville  à  Vani- 
koro,  l'influence  pestiférée  du  climat  se  fit  sentir.  Qua 
rante  hommes  de  l'Astrolabe  étaient  sur  les  cadres  lorsque 
M.  d'Urville  quitta  le  mouillage  où  il  s'était  réfugié.  La 
santé  du  reste  de  l'équipage  était  chancelante,  et  lui-même, 
atteint  de  la  fièvre  ,  avait  a  peine  la  force  nécessaire  pour 
veiller  à  la  conduite  du  bâtiment  dans  la  passe  étroite  et 
difficile  par  laquelle  il  devait  s'éloigner  des  lieux  qui  ne 
lui  avaient  présenté  que  des  images  douloureuses ,  sources 
d'éternels  regrets. 

Les  renseignemens  obtenus  par  M.  d'Urville  firent  juger 
que  les  frégates  commandées  par  M.  de  La  Pérouse  au- 
raient rencontré  inopinément,  dans  une  nuit  obscure  et 
pendant  un  vent  violent  de  sud-est ,  les  récifs  qui  entou- 
rent l'île  de  Vanikoro ,  et  s'y  seraient  brisés.  L'un  d'eux 
serait  venu  heurter  un  de  ces  récifs  taillé  à  pic  et  aurait 
coulé  à  fond  presque  immédiatement.  L'autre  vaisseau, 
plus  heureux ,  serait  entré  dans  une  des  coupures  de  ce 
récif;  mais ,  n'ayant  pas  trouvé  assez  d'eau ,  il  se  serait 
échoué  et  aurait  demeuré  en  place.  C'est  celui  dont  les 
débris  aperçus  au  fond  des  eaux  attestent  le  naufrage. 

Trente  hommes  du  bâtiment  coulé  à  fond  auraient  pu 
gagner  la  terre.  M.  d'Urville  ne  parle  pas  du  sort  qui  leur 
a  été  réservé  ;  mais  les  récits  du  capitaine  Dillon  tendent 
à  faire  croire  qu'ils  auraient  été  massacrés  par  les  naturels 
de  l'ile.  Quant  à  l'équipage  du  bâtiment  qui  s'est  échoué 
et  qu'il  a  été  impossible  de  relever  de  la  côte,  M.  d'Urville 
a  entendu  dire  qu'il  aurait  débarqué  dans  le  district  de 


DE  M.   DE  ROSSEL.  xci 

Païou,  lieu  voisin  du  naufrage,  et  aurait  construit,  avec  les 
débris  qu'il  aurait  pu  sauver ,  un  petit  bâtiment  à  l'aide 
duquel  tous  les  Français  se  seraient  mis  en  mer  après  un 
séjour  de  sept  lunes  dans  l'île ,  pour  venir  dans  quelques- 
uns  des  établisscmens  européens  des  Moluques  ou  de  la 
Nouvelle-Hollande.  On  ne  peut  malheureusement  que  trop 
prévoir  le  sort  qui  a  été  réservé  à  ces  infortunés  dont 
depuis  plus  de  quarante  ans  on  n'a  pas  entendu  parler. 
Quelques  récits  cependant  assurent  que  deux  hommes 
de  l'équipage  restèrent  dans  l'île ,  mais  qu'ils  mouru- 
rent en  moins  de  deux  années.  /Vinsi  le  fruit  de  toutes 
nos  recherches  a  été  de  nous  procurer  quelques  canons , 
une  ancre  rongée  par  la  rouille,  qui,  en  nous  faisant 
connaître  le  lieu  du  naufrage  des  compagnons  de  La 
Pérouse ,  nous  enlèvent  l'espoir  de  jamais  en  retrouver 
un  seul. 

Si  quelque  chose  peut  adoucir  les  regrets  de  ceux  qui 
ont  accompagné  le  contre-amiral  d'Entrecastcaux ,  chargé 
spécialement  de  rechercher  les  traces  de  La  Pérouse,  c'est 
que  dans  le  cas  même  où  ils  auraient  abordé  à  l'île  Vani- 
koro  pendant  leur  expédition ,  il  est  probable  qu'ils  n'y 
auraient,  retrouvé  que  les  témoins  muets  de  la  perte  de  ses 
bàlimcns.  La  seule  différence  qui  eût  existé  ,  c'est  que  ces 
témoins  n'eussent  pas  été  endommagés  par  le  temps.  En 
effet,  les  bàtimens  de  La  Pérouse,  partis  de  Botany-Bay  au 
commencement  de  l'année  1788,  doivent  avoir  péri  sur 
l'île  de  "Vanikoro  dans  le  courant  de  la  même  année ,  ou 
au  plus  tard  au  commencement  de  1789.  Ce  n'est  qu'au 
mois  de  mai  1793  ,  c'est-à-dire  quatre  ou  cinq  ans  après 
l'époque  présumée  de  la  perte  des  bàtimens  de  La  Pé- 
rouse, que  le  contre-amiral  d'Entrecasteaux  aurait  pu 
aborder  les  lieux  du  naufrage.  Les  renseignemens  obtenus 


xcii  RAPPORT 

et  transmis  par  M.  d'tlrville  doivent  faire  supposer,  s'ils 
ne  donnent  pas  une  entière  certitude,  que  le  contre-amiral 
ill.ntn  iMsieauv  serait  encore  arrivé  trop  tard  pour  sauver 
la  vie  à  quelques-uns  des  malheureux  naufragés ,  puisque 
deux  ans  après  la  perte  des  bàtimens  il  n'en  restait  plus 
un  seul  sur  l'île. 

Qu'il  me  soit  permis  d'exprimer  les  regrets  que  doivent 
éprouver  les  personnes  qui  ont  fait  partie  de  l'expédition 
à  la  recherche  de  La  Pérouse,  et  que  je  ressens  aussi  vive- 
ment qu'aucun  autre.  Le  19  mai  1793,  les  frégates  la 
Recherche  et  l'Espérance  ont  eu  connaissance  du  somme! 
de  l'ile  Vanikoro  ;  elle  était  alors  à  quinze  lieues  au  vent. 
Le  nom  de  la  Recherche  lui  fut  imposé ,  et  cette  île  fut 
alors  confondue  dans  notre  opinion  avec  la  multitude 
d'autres  îles  que  nous  avions  vues,  et  qu'il  nous  avait  été 
impossible  de  visiter  en  détail.  Nous  étions  loin  de  penser 
que  c'était  là  où  se  trouvaient  le  but  et  le  terme  de  nos  re- 
rherches  et  de  tous  nos  vœux.  Il  ne  peut  pas  rester  de  doute 
à  l'égard  de  l'identité  de  l'île  de  Vanikoro  et  de  l'île  de  la 
Recherche  de  d'Entrecasteaux.  La  position  géographique 
tant  en  latitude  qu'en  longitude,  assignée  par  M.  d'Ur- 
ville  à  l'île  de  Vanikoro,  s'accorde  d'une  manière  surpre- 
nante avec  la  position  assignée  à  Vile  de  la  Recherche 
pendant  le  voyage  de  d'Entrecasteaux. 

Lorsque  M.  d'Urville  quitta  l'île  de  Vanikoro  ,  le  nom- 
bre de  malades  et  de  gens  hors  de  service  lui  imposait 
la  nécessité  de  se  rendre  par  le  plus  court  chemin  dans 
quelque  port  habité  par  des  Européens.  Deux  seuls  offi- 
ciers alors  n'étaient  point  alités  ,  et  lui-même  se  trouvait 
abattu  par  la  maladie.  Il  ne  pouvait  donc  plus  songer  à 
s'engager  dans  le  détroit  rempli  d'écueils ,  qui  sépare  la 
Nouvelle-Hollande  de  la  Nouvelle-Guinée.  Il  fit  route  pour 


DE  M.   DE  KOSSEL.  xcui 

se  rendre  directement  à  Guam,  île  principale  de  l'archipel 

des  Mariannes.  L'accueil  que  M.  de  Freycinct ,  eoinman- 
dant  de  l'Uranie,  y  avait  reçu,  les  ressources  qu'il  y  avait 
trouvées  et  la  salubrité  du  climat ,  donnaient  la  certitude 
que  l'équipage  épuisé  de  l  Astrolabe  pourrait  s'y  rétablir 
en  peu  de  temps. 

La  route  qui  menait  à  Guam  faisait  traverser  l'archipel 
des  Iles  Garolines.  On  eut  connaissance  des  îles  Dublon, 
dont  M.  Duperrey,  commandant,  la  Coquille,  avait  reconnu 
la  partie  occidentale.  Malgré  le  désir  qu'avait  M.  d'IJrville 
et  la  nécessité  dans  laquelle  il  se  trouvait  de  ne  point  s'ar- 
rêter dans  sa  course ,  il  crut  néanmoins  devoir  reconnaître 
la  partie  orientale  de  ce  groupe  d'iles ,  et  compléter  la 
reconnaissance  du  navigateur  qui  l'avait  précédé.  Enfui 
le  2  mai  1828,  à  une  heure  après  midi,  ï  Astrolabe  mou'Ah 
dans  la  baie  d'Umala. 

Après  une  relâche  de  vingt-huit  jours,  pendant  laquelle 
son  équipage  se  rétablit,  M.  d'IJrville  quitta  la  baie  d'U- 
mala, et  fit  route  pour  se  rendre  à  Amboine. 

Plusieurs  tics  iles  qui  forment  la  prolongation  de  l'ar- 
chipel des  Carolines  du  coté  de  l'ouest,  furent  reconnues, 
et  on  en  leva  le  plan.  La  plus  importante  de  ces  décou- 
vertes est  un  groupe  que  les  habitans  appellent  Elivi ,  et 
qui,  d'après  leur  récit,  est  composé  d'une  vingtaine 
d'iles. 

Le  7  juin,  on  passa  à  trois  ou  quatre  milles  de  distance 
de  la  plus  grande  des  iles  Pelew  ;  ensuite ,  après  avoir  pris 
connaissance  de  la  Nouvelle-Guinée,  on  se  rendit  à  l'île 
Mouron  en  passant  au  nord  de  l'île  Waigiow,  et  de  là 
V Astrolabe  vint  faire  une  seconde  relâche  à  Amboine. 

Au  lieu  de  revenir  à  l'île  de  France  par  les  détroits  de 
Timor  et  d'Ombay,  M.  d'Urville  acquiesça  aux  proposi- 


xcxiv  RAPPORT 

tions  que  lui  fit  le  gouverneur  d'Amboine  de  l'accompa- 
gner jusqu'à  Ménado ,  situé  sur  l'île  Célèbes ,  pays  peu 
connu,  et  par  conséquent  où  on  pouvait  espérer  d'ac- 
croître nos  connaissances  en  hydrographie  et  en  histoire 
naturelle.  Enfin,  après  avoir  réalisé  ses  espérances,  il 
mit  à  la  voile  le  4  août,  fit  un  très-court  séjour  sur  la 
rade  de  Batavia,  et  arriva  le  29  septembre  1828  à  l'Ile-de- 
France. 

Il  est  inutile  que  je  répète  ,  en  terminant  ce  Rapport , 
ce  qui  a  été  dit  au  commencement ,  relativement  à  l'im- 
mensité des  travaux  accomplis  dans  toutes  les  branches 
de  connaissances,  travaux  dont  il  avait  été  recommandé  à 
l'expédition  de  s'occuper.  Je  me  permettrai  seulement 
d'insister  sur  le  zèle  et  l'habileté  avec  lesquels  ils  ont  été 
exécutés.  Tous  les  officiers  de  V Astrolabe  y  ont  contribué 
à  l'envi  les  uns  des  autres.  On  doit  cependant  distinguer 
M.  Jacquinot,  commandant  en  second,  qui  a  fait  les  obser- 
vations astronomiques  avec  tout  le  talent  et  l'assiduité  dési- 
rables, malgré  la  multitude  d'autres  devoirs  qu'il  avait  à 
remplir.  Il  faut  aussi  faire  mention  de  M.  Lottin,  lieutenant 
de  vaisseau ,  qui  a  levé  et  rédigé  plusieurs  cartes  ;  cet  offi- 
cier est  occupé  actuellement ,  par  ordre  supérieur,  à  y 
mettre  la  dernière  main.  M.  Gressien,  également  lieute- 
nant de  vaisseau,  a  levé  un  grand  nombre  de  cartes  ,  et 
mérite  d'être  honorablement  cité.  On  doit  aussi  plusieurs 
cartes  à  MM.  Guilbert  et  Paris  ,  enseignes  de  vaisseau. 

Il  est  rare  de  voir  sur  un  seul  bâtiment  un  aussi  grand 
nombre  d'officiers  se  livrer  à  un  même  genre  de  travail. 
Tant  de  zèle  leur  fait  honneur,  et  nous  apprend  avec 
quel  talent,  quel  discernement,  le  commandant  de  l'expé- 
dition a  su  maintenir  une  si  grande  activité  pendant  une 
campagne  où  les  fatigues  de  toute  espèce ,  les  maladies 


DE  M.   DE  ROSSEL.  xcxv 

auraient  pu ,  non-seulement  ralentir  l'action  de  tous  les 
individus ,  mais  encore  leur  inspirer  des  dégoûts. 

M.  d'Urville  parle  avec  éloge  de  MM.  Quoy  et  Gaimard , 
dont  les  travaux  ont  été  hautement  appréciés  par  les  sa- 
vans  appelés  à  en  juger  :  si  j'en  fais  mention  dans  ce 
Rapport,  ce  n'est  que  pour  attirer  toute  l'attention  sur 
l'ensemble  ,  au-dessus  de  tout  éloge ,  qui  a  régné  dans  les 
travaux  de  l'expédition. 

Nous  devrions  terminer  ce  Rapport  en  exprimant  le 
désir  de  voir  publier  le  plus  tôt  possible  de  si  grands  et  de 
si  importans  travaux  ;  nous  pourrions  être  assuré  de 
l'assentiment  de  l'Académie  :  mais  Sa  Majesté  a  devancé 
nos  vœux;  elle  a  ordonné  la  publication  de  tous  les 
fruits  recueillis  pendant  la  campagne  de  l'Astrolabe.  Elle 
a  pris  ,  avec  une  bienveillance  toute  particulière ,  en  con- 
sidération les  services  de  M.  d'Urville  qui  a  dirigé  cette 
expédition,  en  lui  accordant  le  grade  de  capitaine  de 
vaisseau. 

11  ne  reste  plus  qu'un  dernier  vœu  à  former,  c'est  de 
voir  que  les  officiers  et  les  naturalistes  qui  ont  secondé 
M.  d'Urville  avec  tant  de  succès,  soient  jugés  dignes  de 
recevoir  la  récompense  due  à  leur  talent ,  à  leur  zèle  et 
à  leur  persévérance. 


INSTITUT  DE  FRANCE 


Paris,  le  i>'<  octobre  iHjr). 

Le  Secrétaire  perpétuel  de  l'Académie,  pour  les  Sciences  Naturelles, 
certifie  qtie  ce  qui  suit  est  extrait  du  procès-verbal  de  la  séance  du  lundi 
?.fi  octobre  1829. 

L'Académie,  qui  a  déjà  entendu  avec  intérêt  le  rapport 
qui  lui  a  été  fait  par  M.  de  Rossel,  sur  le  voyage  de  décou- 
vertes exécuté  sous  les  ordres  de  M.  le  capitaine  d'Urville, 
a  désiré  qu'il  lui  fut  rendu  un  compte  particulier  des  tra- 
vaux des  naturalistes  attachés  à  cette  expédition,  et  elle 
nous  a  chargés  ,  MM.  Geoffroy-Saint-Hilaire  ,  Latreille  , 
Duméril  et  moi,  d'en  examiner  la  partie  zoologique. 

Il  nous  a  été  d'autant  plus  facile  de  nous  acquitter  de 
ce  devoir,  que  déjà  quatre  fois  nous  avons  eu  occasion  d'en- 
tretenir l'Académie  des  envois  de  ces  savans  navigateurs , 
et  que  nous  n'avons  en  quelque  sorte  aujourd'hui  qu'à 
résumer  nos  rapports  précédens ,  et  à  les  compléter  par 
une  indication  des  objets  qu'ils  en  ont  déposés  eux-mêmes, 
à  leur  retour,  soit  à  l'Académie,  soit  au  Muséum  d'histoire 
naturelle. 


xcvm  RAPPORT 

MM.  Quoy  et  Gaimard,  zoologistes  de  l'expédition, 
étaient  déjà  glorieusement  connus  de  l'Académie  et  de 
tous  les  amis  de  l'histoire  naturelle  par  leur  participation 
au  Voyage  de  M.  le  capitaine  de  Freycinet,  et  par  le  vo- 
lume plein  d'observations  curieuses  et  nouvelles  dont  ils 
ont  enrichi  sa  Relation.  On  ne  pouvait  pas  douter  que  l'ex- 
périence acquise  lors  de  cette  première  expédition,  et  les 
études  qui  leur  avaient  été  nécessaires  pour  en  publier  les 
résultats,  ne  les  eussent  mis  à  même  de  rendre  la  seconde 
encore  plus  profitable  à  la  science  ;  et  on  l'espérait  d'au- 
tant plus  que  le  capitaine  d'Urville  devait  se  rendre  dans 
des  parages  encore  plus  abondans  en  riches  productions, 
et  encore  moins  connus  des  naturalistes  que  ceux  qu'avait 
traversés  le  capitaine  de  Freycinet. 

Ces  espérances  n'ont  point  été  trompées.  Malgré  les 
malheurs  et  les  contre-temps  que  l'expédition  a  éprouvés, 
et  bien  qu'elle  n'ait  pu  séjourner  autant  qu'il  eût  été  à 
désirer  sur  ces  côtes  encore  presque  neuves  pour  la  science, 
de  la  Nouvelle-Guinée,  MM.  Quoy  et  Gaimard  ont  envoyé 
et  rapporté  des  collections  plus  considérables  qu'il  n'en 
avait  été  formé  jusqu'à  ce  jour,  ni  par  leurs  prédéces- 
seurs, ni  par  eux-mêmes. 

Fidèlement  déposées  au  Cabinet  du  Roi ,  il  en  a  été  fait 
des  catalogues  exacts  qui  spécifient  classe  par  classe  les 
nombres  des  genres,  des  espèces  et  des  individus  de  chaque 
espèce  ;  tous  ces  animaux,  depuis  les  plus  grands  jusqu'aux 
plus  petits  et  aux  plus  frêles,  sont  d'une  conservation  qui 
annonce  la  plus  grande  habileté  et  la  patience  la  plus  sou- 
tenue. 

Nous  ne  répéterons  point  ici  ce  que  nous  avons  dit  dans 
nos  quatre  Rapports  précédens,  sur  les  nombres  des  espèces 
et  des  individus  qui  ont  composé  ces  envois.  Les  catalo- 


DE  M.  CUV1EH.  xcix 

gués  les  comptent  par  milliers,  et  rien  ne  prouve  mieux 
l'activité  de  nos  naturalistes,  que  l'embarras  où  se  trouve 
l'administration  du  Jardin  du  Roi ,  pour  placer  tout  ce 
que  lui  ont  valu  les  dernières  expéditions,  et  surtout  celle 
dont  nous  rendons  compte.  Il  a  fallu  descendre  au  rez-de- 
chaussée  ,  presque  dans  les  souterrains ,  et  les  magasins 
même  sont  aujourd'hui  tellement  encombrés ,  c'est  le 
véritable  terme ,  que  l'on  est  obligé  de  les  diviser  par  des 
cloisons ,  pour  y  multiplier  les  places. 

Nous  ferons  remarquer  seulement  que  dans  les  catalo- 
gues généraux  qui  ont  été  présentés  à  l'Académie,  ne  sont 
pas  comprises  de  nombreuses  petites  espèces  contenues 
dans  six  cent  cinquante  bocaux,  dont  plusieurs  en  renfer- 
ment dix  ou  douze ,  l'examen  que  MM.  Quoy  et  Gaimard 
en  font  eux-mêmes  n'ayant  pas  encore  été  terminé. 

Une  partie  des  objets  auxquels  leur  nature  donnait  du 
prix  ont  été  achetés  des  deniers  de  ces  naturalistes,  et 
même  M.  Gaimard  a  fait  à  lui  seul  les  frais  de  son  excur- 
sion particulière  à  Madagascar. 

On  conçoit ,  d'ailleurs,  tout  ce  qu'il  a  dû  en  coûter  de 
fatigue,  ce  qu'il  leur  a  fallu  d'attention  et  d'adresse  pour 
ne  rien  laisser  échapper  de  tant  d'êtres  fugitifs,  surtout, 
de  ceux  que  l'œil  même  a  peine  à  saisir  au  milieu  des  va- 
gues dont  ils  ne  se  détachent  point  par  la  couleur;  aussi 
se  font-ils  un  plaisir  de  reconnaître  que  le  zèle  de  tous  les 
officiers,  de  tous  les  hommes  de  l'équipage,  pour  ce  genre 
de  recherches,  la  complaisance  qu'ils  ont  mise  à  les  se- 
conder, les  ont  puissamment  aidés  à  remplir  cette  partie 
de  leur  mission.  Le  corps  de  la  marine  française  est  trop 
éclairé  aujourd'hui  pour  dédaigner  rien  de  ce  qui  se  rap- 
porte aux  sciences,  et  nous  regarderons  toujours  comme 
un  devoir  de  la  part  des  naturalistes  de  témoigner  publi- 


RAPPORT 

quement  toute  la  reconnaissance  qu'ils  lui  doivent.  Depuis 
plusieurs  années,  l'histoire  naturelle,  et  surtout  la  zoologie, 
s'est  plus  enrichie  peut-être  par  suite  des  ordres  donnés 
de  la  part  du  ministère  de  la  marine,  et  du  zèle  que 
MM.  les  officiers  ont  mis  à  les  exécuter,  que  par  les  efforts 
particuliers  d'aucun  de  ceux  qui  la  cultivent,  et  même 
que  par  les  expéditions  scientifiques  d'aucune  des  époques 
précédentes.  Dans  cette  occasion,  ce  zèle  a  pu  se  montrer 
d'autant  mieux ,  que  le  commandant  de  l'expédition , 
M.  le  capitaine  d'Urville ,  lui-même  très-profond  dans 
plusieurs  branches  de  la  science,  a  partagé,  autant  que 
ses  devoirs  de  chef  le  lui  ont  permis,  les  travaux  des  natu- 
ralistes; et  qu'on  lui  doit  personnellement  une  grande 
partie  des  insectes  de  la  collection.  On  en  doit  aussi  beau- 
coup à  M.  Lottin,  l'un  des  officiers,  et  leurs  contributions, 
pour  cette  partie  seulement,  montent  à  près  de  cinq  cents 
espèces. 

A  Madagascar,  M.  Ackermann,  chirurgien-major  de 
rétablissement  français,  en  a  usé  également  envers  M.  Gai- 
mard  avec  la  plus  grande  générosité. 

Ce  qui  ajoute  encore  à  la  reconnaissance  que  les  amis 
de  l'histoire  naturelle  doivent  au  ministère  de  la  marine 
et  au. gouvernement  du  Roi  en  général,  c'est  l'attention 
que  l'on  met  aujourd'hui  à  publier  aussitôt  les  résultats 
des  expéditions  et  avec  une  magnificence  égale,  à  quelque 
science  qu'ils  se  rapportent.  On  se  souvient  comment 
tout  ce  qu'avaient  produit  le  voyage  de  Bougainville,  et  le 
séjour  de  Commerson  dans  les  mers  de  l'Inde,  s'est  trouvé 
dispersé.  Je  ne  parlerai  pas  de  l'expédition  de  La  Pérouse, 
ni  de  celle  de  d'Entrecasteaux,  l'une  et  l'autre  si  malheu- 
reusement terminées ,  quoique  d'une  manière  différente  ; 
mais  Péron  lui-même,  dont  l'activité,  lors  de  l'expédition 


DE  M.  CUVIER.  ci 

de  Batidin  ,  avait  été  si  productive ,  n'a  j)u  obtenir  que  la 
publication  d'un  mince  atlas ,  et  le  grand  nombre  de  des- 
sins qui  avaient  été  faits  sous  ses  veux  ,  ont  même  disparu 
après  sa  mort,  sans  qu'aucune  autorité  se  soit  mise  en 
peine  d'en  faire  la  recherche. 

Il  n'en  a  pas  été  de  même  îles  trois  derniers  voyages. 
Celui  de  M.  de  Freycmet  a  déjà  produit,  pour  la  seule 
zoologie,  un  volume  où  l'on  ne  peut  reprendre  que  deux 
ou  trois  figures  faites  sur  des  dessins  non  vérifiés  d'un 
artiste  qui  n'était  pas  naturaliste.  Celui  de  M.  Duperrev 
se  publie  maintenant  avec  encore  plus  de  magnificence, 
et  l'ordre  a  été  donné  de  publier  également  celui  dont 
nous  rendons  compte. 

Rien  ne  lui  manquera  en  exactitude,  sous  le  rapport 
des  dessins.  M.  Quoy,  pour  beaucoup  d'objets,  ne  s'en 
est  reposé  que  sur  lui-même;  il  s'est  en  quelque  sorte 
adjoint  à  M.  Sainson ,  peintre  de  l'expédition,  et  son 
talent ,  comme  dessinateur ,  ne  se  montre  pas  moins 
dans  les  recueils  que  nous  avons  sous  les  yeux,  que  ses 
connaissances  comme  naturaliste.  Tous  les  objets  dont 
l'art  ne  pouvait  entièrement  préserver  les  formes  ou  les 
Cdttlèurs,  ont  été  représentés  d'après  le  vivant,  ou  au 
moins  sur  le  frais,  et,  ce  qui  est  vraiment  prodigieux,  ils 
ont  tous  été  dessinés  deax  fois;  les  auteurs  ont  gardé 
par-devers  eux  les  premiers  dessins,  et,  dans  la  crainte 
d'événemens  qui  pourraient  anéantir  leurs  travaux,  ils 
ont  saisi  toutes  les  occasions  d'en  envoyer  des  copies  cof- 
reeles  à  l'Académie,  qui,  déposées  au  secrétariat,  leur  ont 
été*  exaetement  remises  lors  de  leur  retour. 

Ces  dessins,  que  rien  ne  pourrait  remplacer,  ne  por- 
tent ,  comme  celàjétait  naturel ,  ni  sur  les  Mammifères ,  ni 
sur  les  Oiseaux,  ni  sur  les  Insectes,  trois  classes  qui  se  cou 


en  RAPPORT 

servent  assez  bien  en  nature  pour  ne  pas  exiger  cette  pré- 
caution ;  mais  ils  représentent  quelques  Quadrupèdes  (à 
cause  de  leurs  attitudes),  et  tous  les  Reptiles,  les  Poissons, 
les  Mollusques,  les  Annélides  et  les  Zoophytes  qui  ont  paru 
offrir  quelque  intérêt. 

Ils  forment  cinq  cent  vingt-cinq  planches  in-4°,  conte- 
nant trois  mille  trois  cent  cinquante  figures  ou  détails  ana- 
tomiques  relatifs  à  douze  cent  soixante-trois  espèces  dif- 
férentes d'animaux  des  classes  que  nous  venons  d'indi- 
quer. 

En  même  temps  que  ces  observateurs  pleins  de  zèle  se 
livraient  à  ce  pénible  travail,  ils  consignaient  dans  des 
registres  tenus  dans  le  meilleur  ordre  tout  ce  qu'il  y  avait 
à  remarquer  d'intéressant  sur  chaque  espèce. 

Des  numéros  de  concordance  fort  exacts  renvoient ,  de 
l'observation  écrite,  au  dessin,  et  à  l'objet  même  conservé 
en  nature,  en  sorte  que,  par  la  combinaison  de  ces  trois 
documens,  on  peut  toujours  en  compléter  l'histoire. 

L'examen  de  ces  riches  recueils  est  fait  à  la  fois  pour 
effrayer  l'imagination  sur  les  prodigieuses  richesses  de  la 
nature,  et  pour  rendre  modestes  les  naturalistes  les  plus 
habiles,  en  leur  apprenant  combien  ils  sont  encore  reculés 
dans  la  connaissance  de  ces  êtres  dont  ils  prétendent 
dresser  le  catalogue.  Chaque  pas,  chaque  coup  de  filet, 
pour  ainsi  dire  ,  a  fourni  à  nos  voyageurs  des  choses  sin- 
gulières et  inconnues.  L'Académie  se  souvient  que,  dès  la 
baie  d'Algésiras,  pendant  un  séjour  que  les  vents  con- 
traires les  obligèrent  d'y  faire,  ils  découvrirent  en  quelque 
sorte  une  famille  tout  entière  de  Zoophytes,  celle  des 
Diphydes,  dont  on  n'avait  encore  qu'une  seule  espèce  et 
en  individus  mutilés. 

Ce  sont  des  animaux  presque  incompréhensibles ,  tou- 


DE  M.  CUVIER.  cm 

jours  se  tenant  deux  à  deux,  mais  où  les  individus  de 
chaque  couple  ne  sont  pas  semblables  ;  l'un  des  deux  em- 
boîtant l'autre  en  partie  ,  et  fournissant  une  guirlande 
d'ovaires  et  de  tentacules  qui  traverse  un  canal  de  l'em- 
boîté pour  pendre  dans  la  mer.  Cet  arrangement  dont  on 
ne  se  faisait  aucune  idée,  qui  ne  se  laisse  pas  même  bien 
expliquer  maintenant  qu'on  le  connaît,  se  répète  cepen- 
dant en  huit  ou  dix  espèces  différentes,  toutes  d'une  mer 
très-voisine  de  nous,  et  tellement  communes,  qu'il  n'a 
fallu  que  quelques  jours  à  nos  observateurs  pour  les  ras- 
sembler. Depuis  lors  ils  en  ont  trouvé  plusieurs  autres 
exemples  dans  d'autres  mers,  et  nous  ne  doutons  point 
que  les  navigateurs,  maintenant  avertis,  ne  les  multiplient 
encore  beaucoup. 

MM.  Quoy  et  Gaimard  eux-mêmes  ont  découvert  et 
décrit  plusieurs  genres  qui  conduisent  par  degrés  de  ceux- 
là  aux  Àcalèphes  hydrostatiques  ordinaires  ,  dont  la  série 
se  termine  aux  Physalies.  Les  formes  et  les  combinaisons 
les  plus  extraordinaires  se  rencontrent  dans  ce  groupe 
dont  les  Physsophores  de  Forskal  ne  donnent  qu'une  lé- 
gère idée.  Il  y  en  a  dont  les  vésicules,  prenant  des  formes 
stéréométriques  prononcées,  se  rassemblent  en  prismes, 
en  pyramides ,  en  sphères.  Les  guirlandes  de  tentacules , 
de  suçoirs,  d'ovules,  suspendus  à  ces  amas  de  vésicules, 
présentent  aussi  les  formes  et  les  couleurs  les  plus  variées. 
C'est  encore  là  une  famille  d'êtres  qui  promet  les  obser- 
vations les  plus  curieuses. 

Marsigli ,  Donati ,  Ellis ,  nous  avaient  fait  connaître  les 
animaux  du  Corail,  des  Gorgones  et  des  Pennatules.  M.  Sa- 
vigny  avait  donné  des  idées  encore  plus  précises  de  ceux 
des  Alcyons;  mais  on  n'avait  encore  que  des  idées  assez 
vagues  de  ceux  des  divers  sous-genres  que  l'on  a  établis 


civ  RAPPOKT 

dans  le  genre  des  Madrépores,  tels  que  les  Garyophylliesr 
les'Méandrines ,  les  Astrées. 

Nos  voyageurs  les  ont  observés  avec  soin ,  et  nous  en 
donnent'des  figures  coloriées  ;  on  voit  que,  dans  les  Méan- 
drines ,  ce  sont  des  oscules  ouverts  çà  et  là  dans  les  sil- 
lons ;  que  les  Astrées  ont  des  Polypes  assez  voisins  des 
Actinies  ;  que  dans  les  Caryophyllies  chaque  extrémité  de 
branche  fait  sortir  un  faisceau  de  tentacules. 

Plus  de  cent  planches ,  contenant  pour  la  plupart  de 
nombreuses  figures,  sont  consacrées  aux  animaux  des  Co- 
quilles. La  conchyliologie  ne  sera  plus  réduite,  comme 
elle  l'était  presque  encore  il  y  a  trente  ans,  à  jouer,  comme 
disait  Millier ,  avec  de  petites  productions  pierreuses , 
plus  ou  moins  bien  colorées.  Ce  qu'Adanson  avait  com- 
mencé ,  ce  que  Millier  lui-même,  malgré  son  ironie,  n'a- 
vait pu  porter  bien  loin ,  se  trouve  fort  avancé  par  les 
observations  de  nos  savans  voyageurs.  Il  n'est  guère  de 
genre  ni  de  subdivision  de  genre  dont  ils  n'aient  repré- 
senté l'animal  dans  toute  son  expansion  et  avec  ses  cou- 
leurs naturelles.  Deux  de  ces  genres  cependant  restent 
encore  dans  le  doute.  Ils  n'ont  eu  du  Nautile  que  des 
fragmens;  encore  n'est-ce  que  par  conjecture  qu'ils  les 
supposent  appartenir  à  cette  coquille.  Quant  à  l'Argo- 
naute, l'Académie  a  déjà  appris,  par  une  de  leurs  lettres, 
qu'un  Hollandais  établi  depuis  long-temps  aux  Moluques, 
les  a  assurés  que  cette  coquille  est  habitée  par  un  Mollus- 
que dont  il  a  fait  de  mémoire  une  esquisse ,  et  qui  parai- 
trait  de  l'ordre  des  Gastéropodes  ;  mais  MM.  Quoy  et 
Gaimard  eux-mêmes  n'ont  vu  ce  Mollusque  ni  mort  ni 
en  vie ,  en  sorte  que  ce  problème ,  qui  a  tant  occupé  dans 
ces  derniers  temps  quelques  naturalistes ,  ne  peut  être 
encore  considéré  comme  tout-à-fait  résolu. 


DE  M.  CUV1ER.  (v 

MM.  Quoy  et  Gaimard ,  ayant  bien  voulu  se  souvenir 
que  l'un  de  nous  s'occupe  d'un  grand  ouvrage  sur  les 
Poissons,  ont  donné  une  attention  particulière  à  cette 
classe  d'animaux.  Ils  lui  ont  consacré  cent  trente-six  plan- 
ches ,  dont  la  plupart  contiennent  plusieurs  figures ,  en 
sorte  que  le  nombre  des  espèces  représentées  va  à  près  de 
trois  cents. 

Les  auteurs  se  sont  concertés  avec  leurs  collègues 
MM.  Lesson  et  Garnot,  qui  publient  en  ce  moment  la 
partie  zoologique  du  Voyage  du  capitaine  Duperrey ,  et 
avec  MM.  Cuvicr  et  Valenciennes ,  auteurs  de  l'Histoire 
générale  des  Poissons,  afin  que  les  espèces  qui  seront 
représentées  dans  un  de  ces  ouvrages ,  ne  soient  pas 
répétées  dans  les  deux  autres,  et  que  l'on  n'y  figure, 
autant  qu'il  sera  possible,  que  des  espèces  qui  n'aient 
point  encore  paru  ailleurs,  en  sorte  que  si  l'on  y  réunit  la 
partie  zoologique  du  Voyage  du  capitaine  Freycinet,  la 
France  aura  produit,  en  peu  d'années,  une  masse  de 
figures  de  Poissons  coloriées  d'après  le  frais,  qui  enrichira 
considérablement  l'ichthyologie. 

Parmi  ceux  que  l'on  devra  à  MM.  Quoy  et  Gaimard , 
nous  ferons  remarquer  particulièrement  un  grand  nombre 
de  grands  Squales  et  de  grandes  Raies  difficiles  à  rapporter, 
ileux  nouvelles  espèces  de  Moles,  un  nouveau  Sternoptyx, 
et  cinq  ou  six  Poissons  qui  forment  des  genres  nouveaux, 
et  dont,  avec  la  permission  de  nos  voyageurs,  l'un  de 
nous  a  déjà  indiqué  une  partie  dans  la  nouvelle  édition  de 
son  Règne  animal,  mais  qui  exigeraient  trop  de  détails 
pour  être  expliqués  ici. 

Ce  qui,  dans  cette  partie  des  travaux  de  MM.  Quoy 
et  Gaimard,  plaira  surtout  aux  amateurs,  ce  sera  une 
suite  de  Poissons  de  couleurs  charmantes  qui  n'avaient 


cvi  RAPPORT  DE  M.  CUVIER. 

point  encore  été  rendus  avec  cette  vivacité.  On  ne  peut 
revenir  de  la  beauté  de  ces  inimitables  assortimens  de 
couleurs  dont  la  nature  s'est  plu  à  revêtir  des  êtres  des- 
tinés à  demeurer  dans  les  profonds  abîmes  de  la  mer. 

Nos  naturalistes  n'ont  pas  négligé  l'anatomie  des  Pois- 
sons. Leurs  planches  représentent  les  viscères  de  plusieurs 
espèces ,  et  ils  se  sont  attachés  surtout  aux  cerveaux  des 
grands  Squales  et  des  grandes  Raies. 

Ils  ont  rapporté  aussi  plusieurs  pièces  anatomiques  re- 
latives aux  animaux  supérieurs,  et ,  dans  ces  classes  supé- 
rieures elles-mêmes ,  ils  ont  assez  d'espèces  nouvelles  pour 
enrichir  leur  ouvrage  de  planches  intéressantes. 

D'après  cet  exposé ,  il  nous  paraît  que  les  travaux  exé- 
cutés pour  la  zoologie  par  les  naturalistes  de  l'expédition 
commandée  par  le  capitaine  d'Urville ,  répondent  parfai- 
tement à  ce  que  les  amis  des  sciences  pouvaient  attendre , 
et  que  l'ouvrage  où  ils  en  rendront  compte  ne  pourra  que 
faire  honneur  à  la  France  et  à  son  gouvernement. 

Signé  GEOFFROY  SAINT-HILAIRE,  LATREILLE, 
DUMÉRIL,  Baron  G.  CUVIER,  rapporteur. 

L'Académie  adopte  les  conclusions  de  ce  Rapport. 
Certifié  conforme, 

Le  secrétaire  perpétuel,  conseiller  a" Etat,  grand-officier 
de  l'ordre  royal  de  la  Lé  g  ion-d'  Honneur, 

Signé  Baron  G.  CUVIER. 


INSTITUT  DE  FRANCE. 

2Uadfmii  roijalc  ï>e$  ôrimm. 


Paris,  le  16  novembre  1831) 

Le  Secrétaire  perpétuel  de  l'Académie ,  pour  les  Sciences  Naturelles  ' 
certifie  que  ce  qui  suit  est  extrait  du  procès-verbal  de  la  séance  du  lundi 
16  novembre  1829. 

Les  collections  géologiques,  faites  pendant  le  voyage  de 
l'astrolabe ,  sont  le  résultat  des  recherches  actives  et  du 
zèle  éclairé  de  MM.  Quoy  et  Gaimard,  médecins  de  la 
marine  royale,  naturalistes  de  l'expédition.  Elles  se  com- 
posent de  cent  quatre-vingt-sept  espèces  de  Roches  ,  ou 
variétés  principales,  qui  ont  été  recueillies  dans  vingt-deux 
contrées  différentes.  Le  nombre  des  échantillons  est  d'en- 
viron neuf  cents. 

On  remarque  d'abord  des  Brèches  osseuses  et  du  Cal- 
caire compacte  de  la  montagne  de  Gibraltar;  des  Grès 
quartzeux  et  de  la  vase  marine  d'Algésiras  ;  des  Ponces , 
de  l'Obsidienne  et  du  Porphyre  trachy  tique  moderne,  pris 
dans  la  région  supérieure  du  pic  de  Ténériffe  ;  et  des 
Laves  basaltiques  massives  ou  scoriformes  provenant  de 
Santiago ,  l'une  des  îles  du  Cap-Vert,  qui  montrent  le  eu- 


«vin  RAPPORT 

ricux  passage  du  Basalte  au  Verre  volcanique  appelé  Galli- 
nace. 

La  série  des  roches  qui  proviennent  de  l'Ascension, 
ilonne  une  idée  très-détaillée  de  la  constitution  de  cette 
île  qui  est  presque  entièrement  volcanique.  Cette  série 
offre  deux  cent  cinquante  échantillons  appartenant  à  cin- 
quante espèces  ou  variétés  principales,  parmi  lesquelles 
une  seule  est  étrangère  au  domaine  du  feu.  Cette  dernière 
est  un  Calcaire  globulaire  peu  ancien,  formé  par  l'agglo- 
mération de  débris  de  Madrépores  et  de  Coraux  parfaite- 
ment arrondis  et  renfermant  des  fragmens  de  coquilles 
(Huîtres,  Murex,  etc.)  roulées,  qui  ont  en  partie  conservé 
leur  couleur  originaire;  on  s'en  sert  comme  pierre  de 
taille  ;  elle  constitue  le  sol  des  rivages  sur  plusieurs  points. 
Elle  n'a  d'analogues  qu'à  des  distances  immenses ,  c'est- 
à-dire  à  la  Guadeloupe  et  dans  l'Océanie.  Les  autres  roches 
offrent  une  grande  partie  des  matières  volcaniques,  tant 
pyroxéniques  que  feldspathiques ,  qu'on  rencontre  habi- 
tuellement réunies  sur  beaucoup  d'autres  points  de  la  terre  ; 
nous  citerons,  en  outre  de  l'Obsidienne  verte  chatoyante, 
de  la  Gallinace  ,  du  Silex  en  rognons  dans  les  Tufas,  et  du 
Gypse  grenu  dont  il  n'a  pas  été  possible  de  déterminer  le 
gissement. 

Les  îles  de  Sainte-Hélène  et  de  Bourbon ,  dont  la  nature 
volcanique  a  été  constatée  depuis  long-temps ,  ont,  ainsi 
que  le  cap  de  Bonne-Espérance ,  fourni  plusieurs  échan- 
tillons qui  aideront  à  compléter  les  notions  précédemment 
acquises  sur  ces  contrées.  Parmi  les  échantillons  de  Sainte- 
Hélène  il  faut  distinguer  une  Hélice  fossile  qui  pro- 
vient des  amas  coquilliers  marins,  si  remarquables,  qui 
ont  été  observés  par  M.  Seale  ,  naturaliste  du  pays ,  sur  la 
montagne  de  Flagslaff-Hill,  à  six  cent  quatre-vingt-douze 


DE  M.   COHDIEU.  eix 

mètres  au-dessus  du  niveau  de  l'Océan,  el  qu'on  retrouve 
sur  le  penchant  de  la  même  montagne ,  à  des  hauteurs  de 
quatre  cent  onze,  cinq  cent  vingt-trois  et  cinq  cent  soixante- 
dix-neuf  mètres. 

Plusieurs  échantillons  de  Mimosite  pris  à  l'Ile-aux- 
Cailles ,  laquelle  est  située  près  de  l'île  Sainte-Marie  de 
Madagascar,  annoncent,  sur  ce  point  dont  la  nature  était 
inconnue,  l'existence  d'un  vieux  terrain  volcanique  dé- 
mantelé. 

Cent  quatre-vingt-dix  échantillons  appartenant  à  dix- 
huit  espèces,  ont  été  recueillis  pendant  les  quatre  relâ- 
ches qui  ont  été  effectuées  sur  une  étendue  de  côte  d'en- 
viron sept  cents  lieues  dans  la  partie  méridionale  île  la 
Nouvelle-Hollande ,  savoir  :  au  port  du  Roi-Georges,  au 
port  Western,  à  la  baie  Jervis  et  à  Port- Jackson.  Les 
environs  du  port  du  Roi-Georges  ont  offert  du  Granité 
ordinaire  avec  des  filons  de  Pegmatite,  du  Pétrosilex  talci- 
fère,  île  la  Dolérite,  de  la  Houille  commune  mêlée  d'Anthra- 
cite fibreuse,  du  Pisasphalte,  des  Grès  quartzeux  mélangés 
d'Hydrate  de  fer,  de  l'Ocre  rouge,  matière  dont  les  natu- 
rels du  pays  font  un  grand  usage  pour  se  peindre  le  corps, 
enfin  plusieurs  belles  variétés  de  ce  Calcaire  madréporique 
qui  joue  un  si  grand  rôle  dans  toute  l'Océanie,  et  dont  la 
formation  remonte ,  suivant  nous,  aux  derniers  temps  de 
la  période  tertiaire.  Les  environs  du  port  Western  ont  fourni 
des  Minerais  de  1er  hydraté  stratiformes  ou  disséminés  en 
rognon*  dans  des  Argiles,  des  Laves  basaltiques  et  des 
Waekes  à  différens  états  de  consistance. 

A  la  baie  Jervis  on  a  pris  de  beaux  Grès  quartzeux 
mêlés  de  kaolin  ou  Métaxytes ,  au  milieu  desquels  on  dis- 
tingue  des  empreintes  de  Spirifère  analogues  à  celles  de 
terrains  d'Europe  qui  appartiennent  à  la  période  Phylla- 


<x  RAPPORT 

dienne  ou  intermédiaire.  Enfin ,  les  échantillons  de  Port- 
Jackson  présentent  une  belle  série  d'empreintes  de  végé- 
taux fossiles  provenant  du  terrain  houiller,  et  parmi  les- 
quels M.  Quoy  croit  avoir  reconnu  des  feuilles  d'une  es- 
pèce d'Eucalyptus ,  plante  dicotyléclone. 

Les  roches  recueillies  à  l'île  de  Diémen  et  à  la  Nouvelle- 
Zélande,  empruntent  un  intérêt  particulier  de  ce  que  ces 
îles  sont,  dans  cette  partie  du  monde,  les  dernières  grandes 
terres  qu'on  trouve  en  se  rapprochant  du  pôle  antarc- 
tique. 

Les  recherches  géologiques  des  naturalistes  de  l'expédi- 
tion n'ont  pas  porté  seulement  sur  l'île  de  Diémen ,  mais 
aussi  sur  les  îles  Maria  qui  en  sont  au  sud-est,  et  sur  les  îles 
Warren  qui  en  sont  au  nord.  Ces  dernières  îles  ont  offert 
des  Pegmatites  à  très-grands  cristaux  de  Quartz  (ils  ont 
jusqu'à  trois  décimètres  de  longueur);  des  Grès  quartzeux 
de  la  période  Phylladienne  contenant  des  empreintes  de 
Flustres  ;  des  Calcaires  compactes  parsemés  d'Entroques 
cylindriques  ;  des  Dolérites  intactes  ou  décomposées.  Les 
îles  Maria  ont  aussi  présenté  des  Calcaires  de  la  période 
Phylladienne,  et  en  outre  des  fragmens  roulés  d'Agathe  et 
de  Quartz  hyalin,  et  de  très-beaux  et  très-grands  morceaux 
de  bois  fossiles  changés  en  Silex  résinoïde ,  et  qu'on  peut 
regarder  comme  les  indices  de  terrains  peu  anciens.  Le 
nombre  total  des  échantillons  est  de  cinquante-six. 

Cent  vingt-huit  échantillons  appartenant  à  trente-deux 
espèces  ou  variétés  principales  de  roches ,  ont  été  pris  sur 
différens  points  de  la  Nouvelle-Zélande.  Ce  sont ,  pour  la 
partie  sud,  des  Granités ,  des  Pegmatites,  des  Leptinites , 
des  Talcites  phylladiformes  et  des  Pétrosilex  talqueux,  ro- 
ches très-anciennes;  et,  pour  la  partie  nord,  des  Pétrosilex 
à  pâte  terreuse  ,  du  Porphyre  pétrosiliceux ,  des  Talcites 


DE   M.   COBDIEB.  rxi 

sehistoïdes,  de  l'Euphodite,  de  la  Serpentine,  du  Jaspe, 
du  Grès  quartzeux  argilifère  dit  Macigno,  roches  par  con- 
séquent plus  ou  moins  anciennes,  et  en  outre  des  Grès 
ferrugineux,  des  Conglomérats  coquilliers  mêlés  de  sable  et 
d'argile,  et  qui  nous  paraissent  être  les  équivalens  du  Cal- 
caire madréporique  de  l'Océanie,  des  matières  volcani- 
ques plus  ou  moins  récentes  ,  telles  que  Pépérino ,  Tufa  , 
Basalte,  Scorie  et  Pierre  ponce,  enfin  de  la  Pépérite  rouge 
et  du  Soufre  sublimé  qui  proviennent  de  la  petite  île 
Blanche  qui  se  fait  remarquer  près  de  la  côte  septentrio- 
nale de  la  Nouvelle-Zélande  par  les  fumerolles  de  la  solfa- 
tare qu'elle  renferme.  Ces  derniers  échantillons  achèvent 
d'attester  l'existence  d'un  volcan  brûlant  qui  était  à  peu 
près  inconnu. 

Les  îles  de  Tikopia  et  de  Vanikoro  ,  désormais  célèbres 
par  le  désastre  de  l'expédition  de  La  Pérouse  ,  et  qui  sont 
entourées  de  récifs  madréporiques  qu'on  assure  être  de 
formation  tout-à-fait  moderne,  n'ont  offert  que  des  ma- 
tières volcaniques  qui,  par  leurs  caractères,  semblent  ap- 
partenir à  la  période  des  terrains  tertiaires  ;  ce  sont  des 
Dolérites  ,  des  Basaltes  et  des  Pépérinos. 

Les  environs  du  havre  Carteret,  à  la  Nouvelle-Irlande  , 
ont  fourni  quelques  échantillons  de  Grauwacke  et  des  va- 
riétés de  Calcaire  madréporique  qui  sont  remarquables  par 
leur  texture  dense  et  compacte,  et  par  l'absence  fréquente 
de  débris  organiques. 

Plusieurs  échantillons  récoltés  à  l'île  de  Guam,  l'une 
des  Mariannes,  font  connaître  que  les  Laves  feldspathiques 
entrent  dans  la  composition  des  terrains  volcaniques  de 
cet  archipel. 

Enfin,  les  échantillons,  au  nombre  de  soixante,  qui  ont 
été  pris  dans  les  Moluques,  aux  îles  Célèbes,  de  Ler  (petite 


(Mi  RAPPORT  DE  M.   CORDIER. 

ile  près  de  Ratavia  )  et  d' Amboine  ,  sont  tous  d'origine 
volcanique,  et  ne  présentent  que  des  Laves  feldspathiques 
et  des  Conglomérats  du  même  genre ,  tels  que  Trachyte , 
Porphyre  leucostinique ,  Téphrine ,  Obsidienne ,  Conglo- 
mérat trachytique.  Il  faut  en  outre  citer,  parmi  ces  roches, 
une  Alunite  silicifère  analogue  à  celle  qu'on  exploite  depuis 
un  temps  immémorial  à  la  Tolfa,  dans  les  Etats  romains. 

Tels  sont  les  résultats  de  l'expédition  de  l'Astrolabe  en 
collections  géologiques.  On  trouvera  ces  résultats  nom- 
breux, si  l'on  veut  considérer  ce  qu'il  était  possible  de 
faire  en  ce  genre ,  pendant  une  expédition  purement  ma- 
ritime et  consacrée  pendant  les  relâches  à  beaucoup  d'au- 
tres recherches  extrêmement  différentes  ;  on  les  trouvera 
importans  si  l'on  fait  attention  à  la  variété  des  lieux  d'ob- 
servation, à  leur  position  respective  à  la  surface  de  la 
terre  et  aux  grandes  distances  qui  les  séparent.  Il  est  vive- 
mentàdésirer,  dans  l'intérêt  de  la  géologie,  que  MM.  Quoy 
et  Gaimard  puissent  bientôt  publier  la  description  de  ces 
collections ,  et  faire  connaître  les  détails  précieux  qu'ils 
ont  réunis  sur  les  gissemens  et  sur  le  rôle  qu'il  faut  attri- 
buer à  chaque  espèce  de  roches  dans  la  constitution  des 
pays  où  elles  ont  été  recueillies. 

Signé  L.  CORDIER. 

L'Académie  adopte  les  conclusions  de  ce  Rapport. 

Certifié  conforme  : 

Le  secrétaire  perpétuel,  conseiller  a" État,  grand-officier 
de  tordre  royal  de  la  Légion-d Honneur, 

Signé  Raron  G.  CUV1ER. 


INSTITUT  DE  FRANCE. 

JUabhait  xonaie  îics  Sciences. 


Paris,  le  3o  novembre  i8ît|. 

La  partie  botanique  du  voyage  était  confiée  à  M.  Lesson 
jeune,  second  chirurgien  de  l'expédition.  Les  plantes  qu'il 
a  rapportées  peuvent  être  évaluées  à  environ  mille  six 
cents  espèces ,  qui  ont  été  recueillies  dans  les  localités 
suivantes  : 

1°.  Nouvelle-Hollande.  L'expédition  a  fait  quatre  re- 
lâches différentes  sur  des  points  différens  du  continent 
de  la  Nouvelle  -  Hollande ,  savoir  :  1°  au  Port  du  Roi- 
Georges,  du  7  au  25  octobre  1826  ;  2°  au  Port-Western, 
du  12  au  19  novembre;  3°  à  la  baie  Jervis,  du  26  au 
29  novembre;  i°  à  Port-Jackson,  du  2  au  18  décembre. 
Le  nombre  des  espèces,  recueillies  dans  ces  différentes  lo- 
calités ,  peut  se  monter  à  environ  quatre  cent  cinquante 
espèces.  En  général  ces  plantes  sont  dans  un  fort  bel  état 
de  conservation.  Un  assez  grand  nombre  ont  été  géné- 
reusement données  à  M.  Lesson  par  M.  Fraser,  directeur 
du  Jardin  botanique  de  Sydney.  Plusieurs  proviennent 


cxiv  RAPPORT 

de  l'intérieur  de  la  Nouvelle-Hollande ,  et  en  particulier 
des  environs  de  Bathurst  et  des  montagnes  Bleues. 

2°.  La  Nouvelle-Zélande,  que  F  Astrolabe  visita  ensuite, 
est  un  pays  presque  neuf  pour  la  botanique.  L'île  méri- 
dionale de  la  Nouvelle-Zélande ,  surtout  la  baie  Tasman , 
où  la  corvette  séjourna  pendant  quelque  temps ,  présente 
une  végétation  très-riche.  Mais  ici  les  Cryptogames  sont 
presque  en  aussi  grand  nombre  que  les  Phanérogames. 
Sur  le  bord  de  la  mer  on  rencontre  des  Liserons ,  des 
Euphorbes,  le  Lin  de  la  Nouvelle-Zélande,  qu'on  retrouve 
aussi  dans  les  fentes  des  rochers.  Ce  sont  surtout  les  Fou- 
gères qui  abondent  dans  les  forêts.  Les  Lichens  et  les 
Mousses  sont  aussi  en  très-grand  nombre.  Plus  de  deux 
cents  espèces  ont  été  le  fruit  des  diverses  relâches  faites 
tant  sur  l'île  méridionale  ,  que  sur  l'île  septentrionale  de 
la  Nouvelle-Zélande.  Sur  ces  espèces ,  plusieurs  sont  tout- 
à-fait  nouvelles ,  et  toutes  sont  fort  intéressantes  en  ce 
qu'elles  nous  feront  connaître ,  du  moins  en  partie ,  la 
végétation  propre  à  ces  deux  îles. 

3°.  Tonga-Tabou  ,  l'une  des  îles  des  Amis  ,  a  fourni  en- 
viron une  soixantaine  de  plantes  au  botaniste  de  l'Astro- 
labe. Parmi  ces  espèces,  nous  avons  remarqué  plusieurs 
Graminées  et  Fougères,  qui  nous  paraissent  nouvelles. 

4°.  Après  avoir  quitté  Tonga  le  20  mai ,  l'Astrolabe 
laissa  tomber  l'ancre  le  5  juillet  au  soir  dans  le  havre  Car- 
teret ,  près  du  port  Praslin ,  à  la  Nouvelle-Irlande.  Ici  la 
végétation  revêt  d'autres  formes  que  dans  les  régions  déjà 
visitées  par  l'expédition.  De  vastes  et  épaisses  forêts  cou- 
vrent l'intérieur  des  terres,  et  le  luxe  de  la  végétation 
annonce  la  situation  tropicale.  Néanmoins  le  temps  a  été 
si  défavorable,  à  cause  des  pluies  continuelles  qui  n'ont 
cessé  de  contrarier  les  travaux  de  l'expédition  pendant 


DE  M.  DESFONTAINES.  <:xv 

toute  la  relâche  ,  qu'on  n'a  pu  conserver  qu'environ 
soixante  des  espèces  qui  avaient  été  recueillies. 

5°.  La  végétation  à  la  Nouvelle-Guinée  se  présente  sous 
les  formes  les  plus  imposantes.  Tous  les  végétaux  y  sont 
dans  des  proportions  plus  considérables  qu'à  la  Nouvelle- 
Hollande.  Mais  en  revanche  il  y  a  moins  de  variété.  Ce 
sont  de  vastes  forêts  composées  d'un  petit  nombre  d'es- 
pèces d'arbres  trop  élevés ,  et  souvent  trop  rapprochés 
les  uns  des  autres ,  pour  qu'il  soit  possible  de  les  recon- 
naître. Cependant  on  remarque  dans  le  nombre  des  Bar- 
ringtonia ,  des  Aréquiers  ,  des  Papayers ,  l'Arbre  à  pain  , 
et  divers  Palétuviers.  M.  Lesson  ,  contrarié  par  l'exces- 
sive humidité  de  l'atmosphère,  a  cependant  pu  conserver 
environ  une  centaine  d'espèces ,  qui  pourront  nous  don- 
ner une  idée  vraie  du  genre  de  végétation  propre  à  la 
partie  de  la  Nouvelle-Guinée,  visitée  par  V Jstrolabe. 

(i°.  Plusieurs  relâches  ont  été  faites  successivement  sur 
différens  points  des  Moluques ,  à  Amboine ,  à  Guam  ,  à 
lîourou.  Environ  cent  cinquante  espèces  ont  été  rappor- 
tées par  M.  Lesson. 

7°.  La  corvette  quitta  les  Moluques  dans  le  courant 
tl'octobre  1827,  et  arriva  vers  la  mi-décembre  de  la  même 
année  à  Hobart-Town ,  capitale  de  Van-Diémen.  Cette 
ile ,  surtout  aux  environs  de  la  colonie  d'Hobart-Town , 
présente  un  aspect  triste  et  monotone.  Des  campagnes 
arides ,  des  forêts  entrecoupées  de  gros  blocs  calcaires , 
ne  présentent  qu'un  petit  nombre  de  Végétaux.  Il  sera 
très-curieux  de  comparer  avec  soin  les  cent  espèces  en- 
viron, qui  ont  été  recueillies  à  la  terre  de  Van-Diémen , 
avec  celles  de  la  Nouvelle-Hollande,  afin  d'observer  l'ana- 
logie ou  les  différences  qui  peuvent  exister  entre  ces  deux 
points  de  l'Australie. 


(xvi         RAPPORT  DE  M.  DESFONTAINES. 

8°.  L'ile  de  Vanikoro  ressemble  beaucoup  au  havre  Car- 
leret,  et  leur  végétation  est  presque  analogue.  Environ 
quatre-vingts  espèces  ont  été  récoltées  dans  cette  île. 
Elles  ont  beaucoup  d'analogie  avec  celles  de  la  Nouvelle- 
Irlande  et  de  la  Nouvelle-Guinée.  Néanmoins  plusieurs 
nous  ont  paru  nouvelles  et  tout-à-fait  propres  à  cet  ar- 
chipel. 

9°.  En  revenant  en  Europe ,  l' Astrolabe  séjourna  pen- 
dant quelque  temps  au  cap  de  Ronne-Espérance.  Dans 
cette  relâche  plus  de  deux  cents  espèces  furent  ajoutées 
aux  collections  de  la  corvette. 

10°.  Enfin  l'ile  de  l'Ascension  fut  le  dernier  point  visité 
par  l'expédition.  Cette  île ,  toute  volcanique ,  est  peu 
riche  en  Végétaux  phanérogames.  Les  Cryptogames  au 
contraire  y  sont  en  plus  grand  nombre.  Environ  soixante- 
dix  espèces  ont  été  le  fruit  des  recherches  de  M.  Lesson. 

En  résumé  on  peut  porter  à  environ  quinze  à  seize 
cents  le  nombre  des  espèces  recueillies  dans  les  différen- 
tes stations  de  l'expédition  commandée  par  le  capitaine 
d'Urville.  Parmi  ces  espèces ,  un  assez  grand  nombre 
sont  tout-à-fait  nouvelles ,  et  quelques-unes  même  pour- 
ront former  les  types  de  genres  nouveaux.  Celles  de  la 
Nouvelle-Zélande  et  de  Van-Diémen  auront  un  très-grand 
intérêt,  en  nous  donnant  une  idée  de  la  végétation  de  con- 
trées presque  inconnues  jusqu'à  ce  jour  des  naturalistes. 
On  ne  saurait  donner  trop  d'éloges  au  zèle  et  aux  con- 
naissances qu'a  montrées  M.  Lesson  jeune  dans  la  récolte 
et  la  conservation  de  ces  plantes,  et  dans  la  rédaction 
des  notes  qui  souvent  les  accompagnent. 

* 
Signé  R.  DESFONTAINES. 


lith  <fr  Irtuylumc 


VOYAGE 


L'ASTROLABE. 


CHAPITRE  F 


TRWRRSH-     I1K     TOir.OV     A     «.IBRALTAR. 


La  campagne  de  la  Coquille,  dont  j'avais  formé  le  l82.^ 
projet  et  présenté  le  plan  eonjointement  avee  31.  Dn- 
perrey,  mon  collègue,  venait  d'être  terminée.  Sa 
navigation  ayant  eu  presque  constamment  lieu  hors  la 
vue  des  cotes,  avait  offert  peu  de  dangers  :  aussi 
avait-elle  été  très-heureuse.  Les  sciences  naturelles 
et  la  physique  en  avaient  retiré  des  résultats  inté- 
ressans.  La  géographie  lui  avait  du  aussi  quelques 
découvertes,  et  surtout  des  rectifications  de  points 
mal  déterminés  jusqu'alors  ;  mais  il  n'y  avait  eu  au- 
cune reconnaissance  suivie  de  cotes,  aucune  explo- 
ration complète  d'archipel,  si  ce  n'est  celle  des  îles 


2  VOYAGE 

i  s  i  ;  Gilbert  et  Mulgrave  :  la  géographie  réclamait  donc  de 
nouveau  l'attention  du  navigateur  dans  ces  mers. 
Quoiqu'en  apparence  concentré  durant  tout  le  cours 
du  vovage  dans  mes  travaux  de  botanique  et  d'en- 
tomologie ,  comme  dans  mes  fonctions  d'officier 
chargé  du  détail,  j'étudiai  néanmoins  attentivement 
la  direction  des  vents  et  des  courans ,  la  marche  et 
l'influence  des  saisons  ;  je  m'appliquai  à  connaître  exac- 
tement quels  progrès  la  géographie  avait  faits  dans  les 
divers  archipels  de  la  mer  du  Sud;  en  un  mot,  je  mé- 
ditai le  plan  d'une  campagne  propre  à  rendre  les  plus 
grands  services  à  cette  science,  sans  nuire  toutefois 
aux  fruits  que  tous  les  autres  genres  de  connaissances 
pouvaient  retirer  de  nos  travaux.  Aussi  à  mon  retour 
en  France,  ce  plan  se  trouva  tout  arrêté ,  et  je  n'atten- 
dis plus  qu'une  occasion  favorable  pour  le  mettre  à 
exécution. 

L'accueil  honorable  que  je  reçus  du  ministère  alors 
dirigé  par  M.  de  Chabrol,  et  la  confiance  qu'il  me 
témoigna ,  me  déterminèrent  à  lui  faire  part  sur-le- 
champ  de  mes  nouveaux  projets.  Il  prit  les  ordres 
du  monarque  auguste  qui  gouverne  la  France,  et  qui, 
dans  cette  occasion,  donna  une  nouvelle  preuve  de  la 
bienveillance  particulière  qu'il  porte  au  progrès  des 
sciences  et  de  la  navigation.  Je  dois  ajouter  que  je 
fus  bien  favorisé  par  MM.  Halgan  et  Tupinier,  di- 
recteurs du  personnel  et  du  matériel  de  la  marine. 
Grâces  à  leur  influence  et  à  la  généreuse  impulsion  du 
Décembre,  ministre,  dès  le  mois  de  décembre  1825,  je  reçus  ma 
lettre  de  commandement,  et  l'autorisation  de  choisir, 


DE  L'ASTROLABE.  3 

sans  aucune  espèce  de  restriction,  toutes  les  per-      ts^s. 
sonnes  destinées  à  m'accompagner  et  à  partager  les  Décembre. 
dangers  et  l'honneur  de  cette  entreprise. 

Dès  le  moment  où  j'avais  présenté  mon  projet , 
j'avais  désigné  M.  Jacquinot  pour  me  servir  de  se- 
cond. Ses  talens  et  son  dévouement  m'étaient  con- 
nus depuis  longues  années  ;  seul  dans  la  marine  il 
m'avait  paru  capable  de  remplir  dignement  un  poste 
à  la  Ibis  si  important  et  si  délicat.  Par  la  suite,  et  pour 
de  semblables  raisons,  M 31.  Lottinel  Gressien  furent 
attachés  à  l'expédition.  Enfin  31.  Guilbert,  qui  m'a- 
vait écrit  pour  me  faire  connaître  le  vif  désir  qu'il 
avait  de  servir  sous  mes  ordres ,  et  sur  le  compte  du- 
quel j'avais  recueilli  d'honorables  rapports,  compléta 
le  nombre  des  officiers.  Les  élèves  Paris ,  Faraguet 
et  Dudemaine  furent  désignés  plus  tard. 

31.  Gaimard ,  déjà  connu  par  ses  travaux  sur 
C drame,  était  destiné  d'abord  à  remplir  seul  les 
fonctions  de  chirurgien-major  et  de  zoologiste,  tan- 
dis que  31.  Lesson  (Adolphe),  tout  en  l'assistant 
dans  ses  fonctions  médicales ,  se  trouvait  appelé  à 
veiller  aux  intérêts  de  la  botanique.  3Iais,  par  un 
bonheur  inespéré,  31.  Quoy  sollicita  comme  une  fa- 
veur la  permission  de  faire  la  campagne  ;  la  vaste 
étendue  de  ses  connaissances  en  histoire  naturelle 
m'était  aussi  connue  que  la  parfaite  égalité  de  son 
caractère  :  j'acceptai  donc  avec  transport  l'offre  d'un 
collaborateur  aussi  distingué.  Jamais  le  plus  léger 
nuage  n'a  altéré  même  un  instant  les  sentimens  d'es- 
time  qu'il   m'avait   inspirés;  et  c'est  à  sa  présence 


4  VOYAGE 

1825.  que  l'expédition  devra  ces  admirables  observations 
Décembre,  de  zoologie ,  et  ce  précieux  recueil  d'innombrables 
dessins  qui  seuls  suffiraient  pour  en  consacrer  la 
mémoire. 

Les  campagnes  précédentes  avaient  été  médiocre- 
ment favorisées  sous  le  rapport  des  gravures  desti- 
nées à  accompagner  l'historique;  l'on  sait  cependant 
tout  ce  que  des  dessins  agréables ,  et  surtout  fidèles 
à  la  vérité ,  peuvent  ajouter  d'intérêt  à  la  publication 
de  ces  voyages ,  particulièrement  aux  yeux  des  gens 
du  monde.  Mon  attention  se  porta  vers  le  choix  d'un 
sujet  capable  de  réaliser  mon  attente  ;  long-temps  je 
restai  indécis.  Enfin  M.  de  Sainson ,  alors  commis  ex- 
traordinaire de  la  marine  à  Rochefort,  se  proposa; 
M.  Quov,  en  qui  j'avais  toute  confiance,  me  le  re- 
commanda; M.  de  Sainson  devint  ainsi  l'un  de  mes 
compagnons  de  voyage ,  et  le  public  pourra  juger 
que  j'ai  été  admirablement  secondé  par  ce  nouveau 
collaborateur. 

Quant  à  la  marche  du  voyage  et  à  la  désignation 
des  lieux  que  nos  recherches  devaient  embrasser, 
par  une  confiance  bien  honorable  pour  moi ,  le  minis- 
tère me  laissa  entièrement  maître  de  tracer  le  plan  de 
campagne,  de  concert  avec  MM.  de  Rosily  et  de 
Rossel,  chefs  du  dépôt  de  la  marine. 

Dans  le  projet  tel  que  je  l'avais  primitivement  conçu, 
je  devais  me  borner  aux  côtes  de  la  Louisiade,  delà 
Nouvelle-Guinée  et  de  la  Nouvelle-Bretagne,  en  opé- 
rant mon  retour  au  travers  des  Carolines,  par  les 
archipels  des  Moluques  et  de  la  Sonde.  MM.  de  Rosily 


DE  L'ASTROLABE.  5 

et  de  Rossel  adoptèrent  toutes  mes  vues,  en  se  con-      iS»s. 
tentant  d'y  ajouter  la  partie  N.  E.  de  la  Nouvelle-  Décembre. 
Zélande,  les  îles  Tonga  et  Viti,  et  les  îles  Loyalty. 
Je  m'en  félicitai  intérieurement,  car  la  crainte  seule  de 
paraître  embrasser  un  plan  trop  vaste  m'avait  em- 
pêché d'en  proposer  aussi  la  reconnaissance. 

Vers  celte  époque  tous  les  journaux  d'Europe  re- 
tentirent des  nouvelles  que  le  contre-amiral  Manby  lil 
circuler  au  sujet  des  traces  de  La  Pérouse,  décou- 
vertes tout  récemment  par  un  capitaine  baleinier 
sur  des  îles  entre  la  Nouvelle-Calédonie  et  la  Loui- 
siade.  Il  s'agissait  d'une  croix  de  Saint-Louis  et  de  mé- 
dailles recueillies  sur  ces  îles  ;  a  ces  indices  venaient  se 
joindre  des  détails  si  positifs,  que  l'affaire  n'eût  laissé 
aucun  doute  si  la  déposition  elle-même  eût  été  au- 
thentique. Autorisé  à  cet  égard  par  le  ministre ,  je  me 
transportai  chez  M.  Manby,  à  Paris,  afin  d'obtenir  de 
sa  propre  bouche  des  renseignemens  plus  détaillés  ; 
il  se  trouvait  en  ce  moment  à  Chantilly,  mais  à  la  lettre 
que  je  lui  adressai ,  il  ne  fit  qu'une  réponse  assez  insi- 
gnifiante et  conçue  dans  les  termes  suivans  : 

«  Monsieur,  9. 

»  Vendredi  je  revins  à  Chantilly  et  trouvai  votre 
»  lettre  du  9  décembre;  et  j'ai  du  regret  de  ne  pouvoir 
»  visiter  Paris  d'ici  à  quelque  temps ,  vu  que  j'ai  loué 
»  ici  une  maison  pour  l'hiver.  Quant  au  motif  de  votre 
»  correspondance ,  j'eusse  été  heureux  de  vous  don- 
»  ner  tous  les  renseignemens  en  mon  pouvoir  ;  mais 


VOYAGE 


1820. 


»  n'ayant  rien  à  ajouter  à  ce  qui  a  été  déjà  inséré  dans 
Décembre.    M  }es  papiers  publics,  en  formant   des  vœux  pour 
»  votre  succès  et  votre  heureux  retour  ' , 

»  Je  suis  votre  humble,  etc.  » 

Dès-lors  je  n'attachai  plus  aucune  confiance  à  ces 
nouvelles,  et  je  restai  convaincu  qu'elles  n'étaient  pas 
mieux  fondées  en  vérité  que  celles  qui  s'étaient  suc- 
cédées à  peu  près  périodiquement  et  sous  toutes  les 
formes  possibles,  touchant  cette  grande  infortune. 
Jusqu'alors,  d'une  part  le  désir  assez  ordinaire  aux 
voyageurs  de  fixer  un  moment,  et  à  quelque  prix 
que  ce  fût ,  l'attention  du  public  ;  de  l'autre  l'in- 
térêt général  qu'avait  excité  chez  toutes  les  nations 
de  l'Europe  le  sort  de  l'infortuné  La  Pérouse ,  seuls 
avaient  donné  lieu  à  ces  différens  rapports  et  au 
crédit  éphémère  qu'ils  obtenaient  presque  toujours. 
Je  ne  pouvais  prévoir  que ,  durant  le  cours  de  la  cam- 
pagne de  l'Astrolabe ,  le  sombre  voile  qui  avait  si 
long-temps  couvert  le  triste  sort  de  nos  compatriotes, 

1  Chantdlj  ,  dec.  26  th.  i8î5. 

Sir ,  I  wednesday  returned  to  Chantilly ,  and  found  your  letter  of  the 
9  **  of  deccmber ,  and  regret  it  will  be  some  days  before  I  visit  Paris,  as  I 
liave  let  a  home  at  this  place  for  the  winter.  On  the  subjecl  of  your  corres- 
pondance ,  I  should  be  most  happy  to  give  ail  the  information  in  my  power; 
but  having  nothing  more  to  add,  that  whaf  the  public  journals  hâve  stated , 
with  every  wish  for  your  success  and  safe  return , 

I  remain  your  humble  servant. 

Jh.  Manby, 
Rear-admiral. 


DE  L'ASTROLABE.  7 

serait  enfin  soulevé,  et  que  nous  étions  destinés  à  être 
les  premiers  à  rendre  les  hommages  dus  à  leur  mé- 
moire. Toutefois  le  ministère  me  recommanda ,  et  je 
me  promis  de  ne  rien  épargner  pour  m'assurer  jusqu'à 
quel  point  les  nouvelles  de  M.  Manby  pouvaient 
être  fondées. 

Dans  son  rapport  sur  la  campagne  de  la  Coquille, 
par  l'organe  de  son  rapporteur,  l'Académie  des  Scien- 
ces avait  exprimé  le  regret  que  des  expériences  de 
température  h  de  grandes  profondeurs  n'eussent  point 
été  exécutées.  Par  mes  soins,  et  long-temps  à  l'a- 
vance ,  cette  société  fut  prévenue  officiellement  du 
départ  de  V Astrolabe,  afin  qu'elle  pût  tenir  tout  prêts 
les  insl  rumens  qu'elle  voudrait  nous  confier.  Pour 
mieux  remplir  ses  vues  à  cet  égard,  j'obtins  en  outre  du 
ministère  que  M.  Lottin  resterait  un  mois  après  moi 
à  Paris  pour  exécuter  les  observations  préparatoires 
sous  les  yeux  de  M.  Arago,  et  recevoir  de  sa  bouche 
même  les  instructions  propres  à  les  rendre  vraiment 
dignes  de  confiance. 

Comme  j'en  avais  témoigné  le  désir ,  on  me  donna 
la  corvette  la  Coquille ,  qui  prit  le  nom  d'Astrolabe 
en  mémoire  de  M .  de  La  Pérouse.  Le  nouveau  personnel 
du  bâtiment  fut  composé  du  même  nombre  d'indivi- 
dus, et  son  équipage  porté  à  quatre-vingts  hommes  tout 
compris.  Je  demandai  aussi  un  détachement  de  six 
hommes  d'infanterie  de  marine ,  pour  faire  à  bord  le 
service  de  factionnaires  lorsque  le  cas  l'exigerait,  ser- 
vice auquel  le  marin  n'était  nullement  propre  avant 
l'organisation  des  équipages  de  ligne. 


1826. 

Janvier 


8  VOYAGE 

r826.  En  même  temps  je  faisais  venir  d'Angleterre  les 

janvier.  cartes  et  les  ouvrages  qui  devaient  m'être  utiles. 
D'après  le  désir  que  j'avais  exprimé,  M.  Gaimard  vi- 
sitait les  musées  d'histoire  naturelle  d'Angleterre  et 
de  Hollande  pour  reconnaître  leurs  richesses  et  s'as- 
surer des  objets  qui  pouvaient  manquer  au  nôtre-, 
les  autres  membres  de  l'expédition  se  préparaient  aux 
travaux  qu'ils  allaient  entreprendre. 

Il  m'est  doux  d'avoir  à  rappeler  que  toutes  les  de- 
mandes que  j'adressai  au  ministère  dans  l'intérêt  de 
la  mission ,  me  furent  incessamment  accordées  ;  et 
l'ordre  fut  dirigé  vers  le  port  de  Toulon  de  tenir  en 
réserve  pour  V Astrolabe  un  équipage  d'hommes  d'é- 
lite. Par  là  je  me  flattais  d'avoir  prévu  les  obstacles  et 
de  n'avoir  plus  qu'un  armement  prompt  et  facile  à 
exécuter,  de  manière  à  appareiller  le  1er  avril  suivant, 
terme  que  j'avais  assigné  pour  notre  départ. 

Dans  cet  espoir,  je  quittai  la  capitale  et  arrivai  à 
Toulon  le  28  janvier  1826.  Là,  je  fus  bien  contrarié 
de  voir  qu'il  n'avait  pas  été  possible  de  me  former 
un  équipage  de  choix.  Durant  tout  le  premier  mois, 
il  me  fallut  procéder  à  l'armement  avec  sept  ou  huit 
hommes  au  plus.  Les  classes  stériles  ,  malgré  les 
ordres  donnés ,  ne  produisaient  personne ,  et  je  me 
vis  enfin  contraint  de  recevoir  des  sujets  qui  n'étaient 
nullement  propres  à  une  pareille  campagne. 

Heureusement  j'avais  pu  m'entourer  de  bons  maî- 
tres, et  les  officiers  mariniers  méritaient  aussi  quelque 
confiance  ;  ce  fut  sur  eux ,  et  surtout  sur  l'aide  des 
officiers,  que  s'arrêta  tout  mon  espoir.  Ces  derniers 


DE  L'ASTROLABE.  9 

ne  le  trahirent  jamais,  et  c'est  à  leur  dévouement  1826. 
infatigable  que  j'ai  du  le  salut  de  la  mission  et  ses  Mars- 
glorieux  travaux. 

Le  10  mars,  M.  Lottin  arriva  avec  la  plupart  des  10. 
instrumens  de  physique  et  d'astronomie.  Les  cinq 
thermométrographes  de  Bunten,  destinés  à  observer 
la  température  de  la  mer  à  de  grandes  profondeurs  , 
furent  tous  cassés.  L'artiste  Spinelly  de  Marseille  ne 
put  les  réparer,  et  j'en  demandai  d'autres  au  dépôt  de 
la  marine.  Sur-le-champ  M.  Lottin  exécuta  les  obser- 
vations d'inclinaison  et  d'intensité  magnétiques  re- 
commandées par  flnstitut. 

Une  des  chaînes-cables  en  fer  de  trois  cents  mètres  18. 
que  j'avais  demandée  arriva  le  18,  et  se  trouva  beau- 
coup trop  pesante  pour  notre  corvette.  Sur  mes  re- 
présentations, je  n'en  embarquai  que  la  moitié,  et  ob- 
tins du  ministre  l'autorisation  d'acheter  l'autre  en 
voyage  et  dans  la  dimension  que  je  trouverais  conve- 
nable. Cet  article  de  première  nécessité  pour  les  re- 
cherches que  je  me  proposais ,  devint  l'objet  de  mes 
plus  vives  sollicitudes;  jusqu'au  moment  où  je  pus 
mêle  procurer,  mon  imagination,  inquiète  sur  le  suc- 
cès de  mes  efforts  au  travers  de  ces  îles  semées  de 
coraux ,  fut  sans  cesse  agitée  de  la  manière  la  plus 
pénible. 

&  Astrolabe  est  conduite  en  rade  le  28  mars  ;  les        28. 
médailles  de  l'expédition  et  mes  instructions  me  sont 
remises  le  13  avril.  L'équipage  n'est  au  complet  que       Avril 
le  17,  et  le  22  au  point  du  jour  je  me  prépare  à 
partir. 


10  VOYAGE 

1826.  L'ancre  est  levée,  et  la  corvette  est  déjà  sous  voiles, 

22  avril,  quand  la  brise  d'E.  S.  E.,  jusqu'alors  maniable,  fraî- 
chit ,  et  bientôt  soulève  une  mer  assez  dure  qui  nous 
empêche  de  virer  vent  devant ,  au  moment  où  nous 
arrivons  devant  le  creux  Saint-Georges ,  au  seul  en- 
droit où  la  rade  de  Toulon  offre  quelques  roches. 

Menacé  de  tomber  a  la  côte ,  je  fis  mouiller  rapide- 
ment l'ancre  du  bossoir  en  carguant  toutes  les  voiles. 
Bientôt  le  coup  de  vent  fut  déclaré  et  souffla  durant 
trente  heures  avec  une  grande  violence.  Du  reste  ce 
retard  fut  heureux,  car  les  quatre  nouveaux  thermo- 
métrographes  envoyés  de  Paris  arrivèrent  dans  la 
journée  du  24,  et  par  là  l'expédition  ne  se  vit  point 
obligée  de  renoncer  à  des  expériences  curieuses  qui 
attiraient  l'attention  des  physiciens,  et  dont  elle  devait 
être  la  première  à  rapporter  une  suite  aussi  complète. 
25.  De  bonne  heure  ,  le  25  ,  on  releva  l'ancre  ;  comme 

il  faisait  calme  plat,  les  canots  du  port  joints  à  nos 
petites  embarcations  nous  traînèrent  lentement  vers 
l'entrée  de  la  rade.  A  neuf  heures  il  vint  une  petite 
brise  d'O.  S.  O.,  qui  nous  permit  de  faire  voiles,  et 
qui  ne  larda  pas  à  devenir  très-fraîche.  A  six  heures 
du  soir  il  venta  grand  frais,  la  mer  devint  très-grosse, 
et  il  nous  fallut  mettre  à  la  cape  sous  la  misaine  et  le 
grand  hunier  au  bas  ris.  Dans  la  nuit  le  coup  de 
vent  fut  furieux;  les  raffales,  devenues  très-violentes, 
se  succédèrent  presque  sans  relâche,  et  la  houle 
devint  très -fatigante.  Avec  un  navire  dont  l'arme- 
ment s'était  fait  à  la  hâte  et  surchargé  d'un  si  grand 
nombre  d'objets  étrangers  aux  navigations  vulgai- 


DE  L'ASTROLABE.  U 

res,  un  assaut  aussi  brusque  pouvait  nous  surpren-  1826. 
dre  désagréablement  et  nous  causer  quelque  avarie  Avnl 
majeure.  Mais  tout  avait  été  prévu  ;  les  manœuvres 
nécessaires  se  firent  avec  calme  et  à  propos  ;  en  un 
mot,  on  eût  dit  que  nous  étions  depuis  six  mois  à  la 
mer.  L'équipage  même  déploya  une  activité  remar- 
quable, et  qui  me  donna  d'heureuses  espérances 
pour  l'avenir.  Aussi  quand  le  surlendemain,  le  vent 
étant  devenu  plus  modéré,  nous  eûmes  la  possibilité 
d'augmenter  de  voiles,  nous  n'eûmes  aucun  dommage 
à  réparer,  et  l'on  n'aurait  pu  s'imaginer  que  nous 
venions  d'être  secoués  par  une  bourasque  aussi  impé- 
tueuse. 

Ce  même  jour,  à  trois  heures  après  midi,  il  fit  calme  26. 
plat;  j'en  profitai  pour  faire  la  première  expérience 
de  température  à  profondeur.  Le  thermométrographe 
n°  9  de  Bunten  fut  descendu  à  trois  cents  brasses  et 
y  resta  un  quart-d'heure  ;  retiré  du  cylindre  en  cuivre 
où  l'eau  n'avait  nullement  pénétré ,  l'index  ne  donna 
qu'un  degré  de  moins  que  la  température  de  la  surface 
qui  avait  été  de  13°,  8.  Cet  essai  me  fil  juger  quels 
soins  minutieux  et  quelles  précautions  il  me  faudrait 
apporter  dans  ces  expériences,  afin  de  prévenir  autant 
que  possible  toutes  les  sources  d'erreurs,  surtout 
éviter  la  rupture  de  ces  fragiles  instrumens. 

Nous  eûmes  le  27  et  le  28  les  terres  de  Minorque        a8. 
en  vue  dans  l'O.  N.  O. ,  à  une  grande  distance, 
et  nous  fîmes  peu  de  route.  MM.  Quov  et  Gaimard 
commencèrent  leurs  récoltes  de  zoologie,  et  glanèrent 
à  la  surface  des  ondes  ces  mollusques  bizarres  que 


12 


VOYAGE 


1826. 
filai. 


leur  fragilité  et  leur  substance  molle ,  gélatineuse  et  si 
promptement  décomposée,  ne  permettent  point  de 
conserver  dans  un  état  satisfaisant.  Pour  obvier  à  cet 
inconvénient,  ils  s'empressaient  de  les  décrire,  et 
même  d'en  fixer  sur-le-champ  les  formes  et  les  cou- 
leurs à  l'aide  du  pinceau. 

Le  1er  mai  au  point  du  jour,  nous  découvrons  les 
terres  de  Carthagène  que  domine  la  chaîne  élevée 
des  montagnes  de  Grenade.  Vers  deux  heures  nous 
traversons  un  vaste  espace  de  mer  couvert  de  débris 
très-minces  de  pailles,  de  graminées  et  autres  végétaux, 
indiquant  probablement  le  lit  d'un  courant  dirigé  de 
TE.  à  l'O.  Le  soir  nous  vîmes  le  cap  de  Gates.  Le  vent 
s'était  établi  à  TE.,  nous  pûmes  faire  bonne  route; 
et  le  jour  suivant,  vers  cinq  heures  trente  minutes 
du  matin ,  nous  n'étions  qu'à  sept  milles  de  la  petite 
île  Alboran.  A  sept  heures  nous  n'en  étions  qu'à  deux 
milles  au  nord  par  cinquante-cinq  brasses  de  fond, 
gros  sable  mêlé  de  fragmens  de  coquilles  et  de  corail 
rouge. 


Cet  îlot  paraît  entièrement  sain  de  tous  côtés,  et 
n'offre  qu'un  petit  rocher  près  de  sa  pointe  de  l'E. 


DE  L'ASTROLABE.  13 

Le  sol  en  est  très-bas,  entièrement  ras  et  dénué  de       is?6. 
grande  végétation.  Des  points  blancs  et  nombreux,       Mai- 
disséminés  sur  son  étendue,  indiquent  probablement 
autant  de  goélands  sur  leurs  œufs. 

Toujours  poussés  par  une  douce  brise  d'E.  et  E.  3. 
S.  E.  sur  la  plus  belle  des  mers ,  dès  le  3  à  midi ,  nous 
découvrions  les  sommets  du  mont  Gibraltar  et  du 
mont  aux  Singes ,  ces  antiques  colonnes  d'Hercule , 
et  nous  nous  flattions  de  sortir  rapidement  de  la  Mé- 
diterranée, quand  la  nuit  nous  amena  le  calme  qui  ne 
tarda  pas  à  faire  place  aux  vents  contraires  de  l'O. 

Depuis  cette  époque ,  sans  cesse  contrariés  par  le 
vent  et  repoussés  par  le  courant ,  nous  fûmes  réduits 
à  courir  d'inutiles  et  fastidieuses  bordées  devant  le 
canal  entre  les  cotes  d'Europe  et  d'Afrique.  Durant 
dix-neuf  jours  je  m'obstinai  h  rester  sous  voiles,  dans 
l'espoir  de  pouvoir  à  la  fin  profiter  de  quelque  brise 
plus  favorable ,    et   pour  accoutumer  l'équipage  à 
ces  sortes  de  contrariétés.  Dans  la  navigation  que 
j'entreprenais,  je  prévoyais  que  le  sort  devait  souvent 
nous  en  susciter  de  semblables  :  j'étais  donc  bien  aise 
de  connaître  ce  que  je  pouvais  attendre  de  nos  marins. 
Cette  épreuve  m'en  donna  une  bonne  opinion,  car,  sauf 
quelques  mauvais  sujets  que  rien  ne  peut  ramener, 
tous  les  autres  se  comportèrent  bien.  Il  est  vrai  qu'on 
doit  observer  que  tous  les  officiers,  se  modelant  sur 
mon  exemple ,  avaient  pour  eux  tous  les  égards  pos- 
sibles ,  et  qu'on  ne  négligeait  aucun  moyen  pour  leur 
adoucir  les  peines  et  les  fatigues  inséparables  du  ser- 
vice de  la  marine. 


14  VOYAGE 

1826.  Quelque  bien  connus  que  soient  ces  parages,  il  y 

19  mai.  règne  des  courans  très-violens  et  fort  irréguliers  dont 
il  est  bon  de  se  défier.  Le  19  au  matin,  m'estimant  à 
peu  de  distance  et  par  le  travers  du  village  d'Este- 
pone ,  je  me  dirigeais ,  à  l'aide  d'une  faible  brise  de 
N.  E.,  vers  le  rocher  de  Gibraltar,  et  de  manière  à 
en  passer  à  une  bonne  distance  au  large.  Une  brume 
fort  épaisse  ne  me  permettait  de  rien  distinguer  à 
deux  longueurs  du  navire,  je  me  croyais  même  encore 
bien  loin  de  terre ,  lorsqu'à  une  heure  plusieurs  voix 
d'hommes  et  le  bruit  des  vagues  brisant  à  la  plage  se 
firent  entendre  très-près  de  nous  ;  quelques  instans 
après  nous  entrevîmes  le  rivage,  et  la  sonde  donna 
huit  brasses.  Le  vent  tomba  tout-à-fait,  et  le  courant 
continuait  de  nous  entraîner  à  la  côte;  je  fus  réduit  à 
laisser  tomber  l'ancre  par  cinq  brasses,  fond  de  sable. 
Nous  étions  au  fond  de  la  Mal-Bay,  et  à  moins  de  cinq 
cents  toises  au  S.  E.  de  Torre-Nueva.  Heureusement 
deux  heures  après  il  s'éleva  un  peu  de  vent  de  S. 
S.  O.,  l'ancre  fut  relevée,  et  nous  nous  hâtâmes  de 
nous  éloigner  de  cette  station  dangereuse. 

Pour  occasioner  cet  accident  il  fallait  que  le  cou- 
rant nous  eût  portés  dans  l'espace  de  cinq  heures  de 
3  milles  et  demi  au  N.  O. ,  en  opposition  avec  son 
effet  habituel  qui  est  de  se  diriger  constamment  à 
l'E.  Quelques  instans  de  brume  de  plus,  ou  bien  si 
les  voix  de  la  terre  ne  nous  eussent  servi  de  signal , 
V Astrolabe  tombait  infailliblement  à  la  côte. 

Parmi  les  nombreux  aspects  sous  lesquels  nous 
avons  eu   si   souvent  occasion  d'examiner  le  mont 


DE  L'ASTROLABE. 


15 


Gibraltar,  il  en  est  un  sous  lequel  il  se  présente  sous 
la  forme  d'un  double  piton  à  base  étroite  et  sommets 
très-aigus.  C'est  au  moment  où  l'on  passe  directe- 
ment au  sud  de  ce  rocher  célèbre  qu'il  présente  celte 
apparence ,  et  justifie  en  quelque  sorte  le  surnom  de 
Colonne  d'Hercule  qu'il  reçut  des  anciens  marins  de 
la  Phénieie.  Un  moment  après ,  le  mont  aux  Singes 
lui-même  offre  une  apparence  semblable. 


1826. 

Mai. 


16  VOYAGE 


[S  7.6 


CHAPITRE  II 


SEJOUR    SUR    LA    RADE    DE    GIBRALTAR    ET     TRAVERSEE    JUSQU  A    TEXERIFFE. 


Dégoûté  des  inutiles  tentatives  que  j'avais  faites 
mai.  jusqu'alors,  et  réfléchissant  aux  dangers  gratuits  que 
j'encourais  en  tenant  plus  long-temps  la  mer,  je  me 
décidai  à  relâcher  et  laisser  tomber  l'ancre  au  mouil- 
lage de  Carnero  (Sandy-Bay  des  Anglais)  par  vingt 
brasses,  fond  de  sable  et  gravier. 
■>. s.  Accompagné  de  la  plupart  des  officiers  ,  le  jour 

suivant  je  traversai  la  rade  et  me  rendis  à  Gibraltar 
où  M.  Sylvestre  de  Sacy,  notre  consul,  et  fils  du  savant 
membre  de  l'Académie,  nous  fit  l'accueil  le  plus 
honnête  et  m'offrit  tous  ses  services.  Nous  obtînmes 
sur-le-champ  du  major  de  la  place  la  permission  de 
visiter  en  détail  les  fortifications  de  ce  rocher  fameux. 
C'est  un  travail  digne  des  Romains  ou  mieux  encore 
des  cyclopes  de  la  Fable  ;  il  semble  qu'en  cette  occa- 
sion l'orgueil  anglais  se  soit  plu  à  faire  parade  de  tout 
son  pouvoir,  à  prouver  aux  nations  de  l'Europe  qu'au- 
cune force  humaine  ne  pourrait  jamais  le  chasser  d'un 


DE  L'ASTROLABE.  17 

point  aussi  important.  En  effet,  ce  serait  une  entre-  ifcaô. 
prise  chimérique  que  de  vouloir  réduire  par  la  force  Ma1- 
ce  rocher  inaccessible ,  percé  dans  toute  son  étendue 
de  casemates  ,  de  magasins  et  de  batteries  ,  et  défendu 
par  plus  de  six  cents  canons  de  gros  calibre.  La 
famine,  la  trahison  ou  la  nécessité  des  traités  pourront 
seules  un  jour  remettre  Gibraltar  aux  mains  de  ses 
maîtres  légitimes  et  naturels. 

Une  race  de  singes ,  la  même  que  celle  qui  habite 
la  cote  d'Afrique,  vit  sur  les  flancs  de  ce  rocher 
escarpé  des  fruits  du  Chamœrops  humilis  et  des  jeunes 
pousses  du  laitron  ;  les  autorités  locales  protègent  sa 
conservation.  La  végétation  a  beaucoup  de  rapport 
avec  celle  du  Levant,  et  surtout  avec  celle  de  file  de 
Malte.  On  nous  fit  voir  la  grotte  de  Saint-Michel,  Pi. i. 
remarquable  par  ses  énormes  stalactites  et  ses  beaux 
effets  de  cristallisation  variés  sous  toutes  les  formes. 
De  larges  crevasses  sillonnent  ses  flancs  et  doivent 
s'enfoncer  à  de  grandes  profondeurs  ,  comme  l'atteste 
le  bruit,  prolongé  des  cailloux  qu'on  lance  dans  leurs 
cavités. 

Nous  rentrâmes  dans  la  ville  par  les  jardins  qui 
raccompagnent  vers  le  sud.  Délicieux  et  parfaite- 
ment tenus ,  comme  tout  ce  qui  appartient  aux  An- 
glais ,  ils  forment  une  promenade  charmante  et  repo- 
sent bien  agréablement  la  vue  fatiguée  de  l'aspect 
sauvage  et  dénudé  du  mont  qui  les  domine. 

Gibraltar  compte  une  population  de  20,000  aines  , 
mélangée  d'Anglais ,  Espagnols  ,  Génois  et  Juifs  ; 
ceux-ci ,   dit-on ,  forment  à  eux  seuls  le  quart  de  ce 


18  VOYAGE 

1826.       nombre,  et  envahissent  presque  tout  le  commerce. 

Mal        Le  gouverneur  en   titre   est  lord  Châtain  qui  n'y 
réside  que  le  moins  qu'il  peut,  et  le  général  Don,  com- 
mandant en  chef  des  troupes ,  est  celui  qui  remplit 
vraiment  les  fonctions  de  gouverneur. 
24.  Le  23  et  le  24 ,  je  me  promenai  sur  les  bords  de  la 

baie  ;  tout  ce  que  j'observai  me  rappela  parfaitement 
la  Provence,  à  l'exception  d'un  très-petit  nombre  de 
végétaux  déjà  africains ,  et  d'une  culture  en  général 
bien  plus  négligée. 
a5-  Jusqu'alors  assez  faible,  quoique  constante,  le  25 

la  brise  fraîchit  à  l'O.  N.  O. ,  vers  onze  heures,  avec 
des  rafales.  L'ancre  chassa ,  et  voyant  qu'elle  ne  re- 
prenait point,  quoique  nous  eussions  filé  jusqu'à 
soixante-dix  brasses  de  câble,  je  mis  sous  voiles; 
après  avoir  remis  l'ancre  en  haut ,  et  couru  des 
bordées  dans  la    rade ,    à   sept  heures   du   soir  je 

pi.  11.  mouillai  devant  la  ville  d'Algésiras,  par  seize  brasses 
vase  et  coquilles.  Vingt-trois  personnes  de  l'équipage 
parties  dans  le  grand  canot  expédié  à  l'eau  manquaient 
à  bord,  et  ne  le  rejoignirent  qu'au  moment  où  nous 
eûmes  laissé  tomber  l'ancre. 
aG-  Vers  dix  heures,  accompagné  de  MM.  Gaimard, 

Lesson  et  Dudemaine,  je  fus  rendre  visite  aux  auto- 
rités de  la  ville  ;  la  plupart  des  membres  de  ces  auto- 
rités ne  purent  me  recevoir,  malades  d'une  fièvre  dont 
ils  attribuaient  la  cause  aux  vents  d'ouest  qui  ré- 
gnaient depuis  si  long-temps.  Le  gouverneur  actuel 
se  trouvait  être  le  maréchal-de-camp  don  Joseph  de 
Miranda,  auparavant  gouverneur  de  Ceuta. 


DE  L'ASTROLABE.  19 

Je  trouvai  la  ville  petite,  pauvre,  mal  bâtie,  mal       i,s?.r>. 
percée  et  malpropre  ;  mais  les  maisons  en  étaient       Mal 
tout  récemment  recrépies  à  blanc ,  ce  qui  leur  don- 
nait un  certain  air  de  fraîcheur  et  de  nouveauté.  La 
place  est  peu  vaste,  mais  jolie  et  parfaitement  tenue, 
avec  une  fontaine  qui  donne  de  lcau  en  abondance. 
Cette  eau  est  amenée  dans  la  ville  par  un  aqueduc      Pi-  hl 
qui  traverse  quelques  ravins  considérables. 

Sur  une  éminence  près  de  la  ville  on  me  montra 
remplacement  de  l'ancienne  cité  maure  rasée  par  les 
Castillans  qui  semèrent  ensuite  du  sel  sur  ses  ruines; 
sur  une  autre  colline  je  vis  un  cirque  en  bois,  entouré 
de  palissades,  destiné  aux  combats  de  taureaux, 
spectacle  pour  lequel  l'Espagnol  se  passionne  comme 
l'Anglais  pour  les  courses  de  chevaux ,  le  Français 
pour  la  comédie,  et  l'Italien  pour  les  processions. 

A  cette  époque  une  contrebande  très-aclive,  qui 
s'exerçait.  à  Algésiras,  procurait  à  ses  habitans  une 
certaine  aisance,  tandis  que  tout  le  reste  de  l'Espagne 
gémissait  dans  la  plus  profonde  misère. 

Un  brick  de  guerre  anglais  qui  était  appareillé  ce  27. 
matin ,  après  avoir  couru  long-temps  d'inutiles  bor- 
dées ,  prit  enfin  le  parti  de  se  faire  remorquer  par 
le  bâtiment  à  vapeur  de  Cadix,  et  par  ce  moven  il 
franchit  assez  promplemcnt  le  pas  difficile  qui  nous 
séparait  de  l'Océan.  J'eusse  vivement  désiré  trouver 
une  occasion  semblable. 

Le  28  fut  consacré  à  une  excursion  près  de  la  tour        as. 
de  l'Almirantc  sur  les  bords  delà  rivière  Palmene. 
Sesrivcsolïrentun  coup-d'œil  assezpittoresque,  et  son 


&a6. 


29. 


20  VOYAGE 

cours  dans  ses  sinuosités  s'approche  souvent  de  celui 
Mai  du  Guarranque  situé  un  peu  plus  au  nord.  Ce jourétait 
un  dimanche,  et,  pour  un  peuple  aussi  dévot,  je  fus 
surpris  de  voir  un  bon  nombre  d'habitans  occupés 
à  bêcher  leurs  champs.  A  l'observation  que  je  leur 
lis  ils  ne  donnèrent  que  cette  réponse  du  reste  bien 
naturelle  :  Nous  sommes  bien  pauvres. \ 

Vers  neuf  heures  du  matin,  suivi  de  quelques  offi- 
ciers ,  j'allai  débarquer  au  pont  de  la  Mayorga ,  et  de 
là  me  dirigeai  vers  Saint-Roch,  distant  d'une  demi- 
lieue  environ.  Quoique  sablonneuse,  la  route  est 
assez  belle  et  bordée  de  champs  de  blé.  Saint-Roch 
n'est  qu'un  village  perché  sur  le  sommet  d'une  col- 
line ,  assez  agréable ,  quoique  dépourvu  d'ombrages. 
Un  grand  nombre  d'Anglais  distingués  de  Gibraltar 
viennent  y  passer  l'été,  et  la  dépense  qu'ils  y  font  pro- 
cure à  ses  habitans  des  ressources  inconnues  à  leurs 
voisins.  Nous  revînmes  prendre  notre  canot  par 
une  route  plus  longue  et  dirigée  vers  l'ouest ,  et  près 
de  la  mer,  une  pierre  blanche  élevée  sur  le  bord  du 
chemin  m'indiqua  le  lieu  où  un  directeur  des  postes 
de  Saint-Roch  et  sa  malheureuse  femme  avaient  été 
fusillés,  en  juin  1823,  par  un  parti  de  constitution- 
nels. Je  sus  aussi  que  quinze  jours  venaient  à  peine 
de  s'écouler  depuis  que  l'officier  qui  fit  commettre  ce 
crime  en  avait  reçu  le  juste  châtiment  à  Algésiras. 
3o  Dès  le  matin  une  salve  de  treize  coups  de  canon 

tirée  par  les  forts  de  la  ville  nous  annonça  la  fête  du 
roi  d'Espagne.  A  midi  elle  fut  répétée;  les  canons  de 
l'Astrolabe  saluèrent  du  même  nombre,  et  à  trois 


DE  L'ASTROLABE.  21 

heures,  suivi  de  M.  Gressien ,  je  me  rendis  à  l'invita-  i8a6. 
tion  du  gouverneur.  Les  convives  étaient  nombreux  ;  Mai- 
il  régnait  aussi  parmi  eux  plus  degaieté  que  jen'en  aurais 
attendu  de  la  gravité  espagnole.  Malgré  l'abondance  et 
la  variété  des  mets,  et  surtout  des  viandes,  ce  banquet 
ressemblait  plus  aux  noces  de  Gamache  quau  festin 
d'un  grand  seigneur.  Du  reste  M.  le  baron  de  Mi- 
randa  me  combla  de  politesses  et  d'offres  de  services, 
dont  je  lui  témoignai  ma  reconnaissance,  bien  que  je 
n'eusse  absolument  besoin  de  rien  pour  le  moment. 

Le  jour  suivant  je  tentai ,  à  l'aide  d'une  petite  brise  3i. 
de  S.  S.  E. ,  de  mettre  à  la  voile  pour  taire  route; 
après  avoir  varié  en  divers  sens,  dès  une  heure  le  vcnl 
était  revenu  à  l'O.  S.  O.,  et  ce  fut  avec  beaucoup  de 
peine  queje  me  remis  en  position  de  mouiller  devant  le 
fort  Sant- Antonio  par  quinze  brasses  et  demie  vase  et 
coquilles.  Plus  de  soixante-dix  navires  avaient  comme  Juin. 
nous  tenté  la  fortune,  la  plupart  revinrent  aussi  au 
mouillage. 

Voyant  les  vents  opiniâtrement  fixés  à  l'ouest,  je  ■?.. 
me  déterminai  à  exécuter  une  course  sur  le  sommet 
des  montagnes  qui  dominent  Algésiras.  Suivi  de 
MM.  Lottin  et  Lesson,  je  gravis  à  leur  cime,  et, 
quoiqu'un  peu  pénible,  cette  excursion  me  donna 
sujet  de  faire  quelques  observations  curieuses.  La 
zone  qui  s'étend  depuis  le  rivage  jusqu'aux  flancs  de 
la  montagne  est  occupée  par  des  champs  de  blé  entre- 
mêlés de  pâturages  verdoyans;  elle  n'offre  guère  d'au- 
tres plantes  ligneuses  que  des  buissons  de  Nerium, 
de  Cytise  épineux,  de  Chamœrops ,  cl   pas  un  seul 


22  VOYAGE 

1826.  arbre.  A  une  certaine  hauteur  seulement,  commence 
juin.  ^  paraître  le  chêne  liège  ,  arbre  assez  gros  et  touffu , 
mais  le  plus  souvent  tortu ,  difforme  et  d'un  aspect 
peu  agréable.  Les  terrains  incultes  de  sa  pente  sont 
couverts  par  la  fougère  commune.  Quelques  petites 
habitations  se  retrouvent  encore  à  une  grande  hau- 
teur ;  aux  deux  tiers  de  la  montagne  le  liège  dispa- 
raît entièrement  pour  faire  place  aux  cistes  de  diverses 
espèces ,  au  garou ,  aux  fougères ,  aux  cytises  et  à 
diverses  sortes  de  graminées  et  de  composées.  A  cin- 
quante toises  ,  au  plus  ,  du  sommet,  règne  une  longue 
esplanade  naturelle  en  pente  douce ,  d'une  forme 
très-remarquable ,  qui  semble  bordée  de  trois  rangs 
de  murailles.  Sur  une  épaisseur  de  trois  à  cinq  pieds, 
elles  s'élèvent  au-dessus  du  sol  souvent  à  douze  ou 
quinze  pieds,  dirigées  du  nord  au  sud,  et  inclinées 
de  45°  environ  vers  l'ouest.  Toutes  m'ont  paru,  comme 
à  Gibraltar,  formées  par  des  assises  d'un  calcaire 
grossier.  En  botanique,  je  recueillis  avec  plaisir  une 
fougère  à  tige  ligneuse  et  grimpante ,  très-voisine  du 
Davallia  epiphylla;  en  entomologie,  une  jolie  es- 
pèce du  genre  Psyché.  Tandis  que  je  faisais  un  dé- 
jeuner frugal  sur  la  cime  de  ce  mont ,  quatre  aigles 
sillonnaient  avec  majesté  les  plaines  aériennes ,  tantôt 
élevant  leur  vol  rapide  vers  les  nuages  où  ils  dispa- 
raissaient presque  à  mes  regards ,  tantôt  s'enfon- 
çant  dans  les  anfractuosités  des  roches  suspendues 
sous  nos  pieds.  De  ce  point  l'observateur  peut  con- 
templer à  la  fois  l'extrémité  méridionale  de  cette  Eu- 
rope si  célèbre  par  ses  lumières  ,  et  la  partie  boréale 


DE  L'ASTROLABE.  23 

de  celte  Afrique  encore  plongée  dans  les  ténèbres  de 
la  plus  profonde  ignorance.  Comme  une  barrière  in- 
surmontable ,  deux  lieues  au  plus  de  mer  séparent 
ces  deux  continens ,  et  semblent  être  pour  l'intelli- 
gence humaine  les  limiles  de  la  mort  et  de  la  vie. 

Par  les  observations  que  firent  MM.  Jacquinot  et 
Lottin  dans  ce  jour,  la  hauteur  de  cette  montagne  se 
trouva  être  de  sept  cent  quinze  mètres  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer;  et  sa  base  est  éloignée  de  huit  mille 
mètres  de  Torre  de  Villa-Vieja. 

Le  vent  varia  au  N.  et  N.  N.  E.  Encore  une  fois  je 
tentai  d'en  proliter,  et  déjà  V Astrolabe  se  trouvait 
devant  la  tour  de  Gualmcsi ,   quand  l'éternel  vent 


d'ouest  revint  encore,  soufflant  assez  frais.  Inutile- 
ment je  tentai  de  me  soutenir  en  courant  des  bordées 
sous  toutes  voiles  ,  le  courant  nous  entraînait  sensi- 
blement; ainsi  à  quatre  heures  je  laissai  porter  de 
nouveau  pour  le  mouillage.  Après  avoir  passé  entre  le 
rocher  de  Palomes  et  la  Perle,  à  moins  de  trente 
toises  du  premier,  et  contourné  les  brisans  de  Carnero, 
je  laissai  tomber  l'ancre  près  de  la  pointe  de  Getares 


i8a6. 

Juin. 


24  VOYAGE 

1826.  par  douze  brasses  et  demie ,  sable  et  gravier.  Ce  fond 
5  juin.  est  (pune  mauvaise  tenue ,  car  le  jour  suivant ,  dans 
une  risée  assez  faible,  nous  chassâmes  et  fûmes 
obligés  d'aller  reprendre  le  mouillage  d'Algésiras. 
Peu  après ,  les  deux  canonnières  françaises  la  Bombe 
et  le  Tocsin,  commandées  par  MM.  Toulon  etBellan- 
ger  (Michel),  laissèrent  tomber  l'ancre  près  de  nous. 
Ces  deux  navires  destinés  pour  la  station  de  Cadix 
avaient  employé  le  mois  entier  pour  se  rendre  de 
Toulon  à  Gibraltar. 
6.  Ce  matin,  de  nouveau  séduits  par  une  petite  brise 

de  N.  E.,  à  l'exemple  de  plus  de  quatre-vingts  navires 
qui  mettaient  à  la  voile ,  nous  en  faisons  autant.  Au 
moment  où  nous  doublons  la  Perle ,  nous  sommes 
tout-à-coup  enveloppés  d'une  brume  si  épaisse  qu'on 
distinguait  à  peine  les  objets  de  l'arrière  à  l'avant  du 
navire. 

Cependant  je  serre  la  côte  le  plus  près  possible, 
afin  d'éprouver  un  courant  moins  fort  ;  à  onze 
heures  ,  en  passant  à  quatre-vingts  toises  environ  de 
la  pointe  Acebuche,  un  coup  de  talon  assez  fort  se  fait 
sentir;  heureusement  nous  filions  cinq  à  six  nœuds  , 
la  corvette  ne  s'arrête  point ,  le  vent  se  soutient , 
nous  doublons  Tarifa,  et  le  soir  à  quatre  heures 
nous  nous  trouvons  à  deux  lieues  au  nord  de  Tanger. 
Alors  la  brise  tombe ,  et  nous  restons  en  calme  ;  je 
redoutais  d'être  encore  entraîné  dans  l'E.  durant  la 
nuit  ;  mais  là  je  trouvai  la  force  du  courant  bien 
amortie ,  et  j'ai  lieu  de  croire  que  le  jusant  même  y 
reporte  sensiblement   vers  l'O.   Vers  deux  heures 


DE  L'ASTROLABE. 


25 


du  matin,  la  brise  s'est  peu  à  peu  établie  à  l'E.,  et 
nous  avons  cinglé  à  toutes  voiles  dans  l'océan  Atlan- 
tique. 


1826. 

Juin. 


C'est  ainsi  que  le  vent  d'ouest  nous  a  retenus  du- 
rant trente-quatre  jours  à  l'entrée  de  ce  détroit, 
malgré  la  constance  opiniâtre  que  j'ai  déployée,  et  les 
efforts  journaliers  que  je  n'ai  cessé  de  tenter  pour 
surmonter  cet  obstacle.  On  sent  tout  ce  qu'une  con- 
trariété si  prolongée  a  dû  m'offrir  de  dégoûts  et  d'en- 
nuis au  début  d'une  campagne  comme  celle  que  j'en- 
treprenais, avec  le  désir  que  j'avais  de  ne  perdre 
aucun  de  ses  momens.  Pour  cette  raison,  et  d'autres 
plus  péremptoires  encore,  le  capitaine  qui  voudra 
tenter  une  pareille  entreprise,  devra  préférer  tout 
autre  des  ports  de  France  à  celui  de  Toulon.  Conve- 
nons cependant  que  ce  triste  retard  fut  bien  mis  à 
profit  par  M.  Quoy  qui  amassa  les  matériaux  d'un 
mémoire  fort  important  sur  les  mollusques  de  la 
Méditerranée.  Nous-mêmes  nous  réglâmes  nos  mon- 
tres sur  le  méridien  d'Algésiras  ,  et  commençâmes 
nos  observations  de  tout  genre. 


1826. 
i2  juin. 


26 


VOYAGE 


Nous  naviguâmes  dans  l'Océan  avec  des  vents  varia- 
bles en  force  et  dans  les  divers  aires  du  compas.  A 
midi  trente  minutes ,  le  12,  nous  aperçûmes  l'île  la 
plus  au  nord  des  stériles  Salvages  à  toute  distance 


devant  nous  h  l'O.  S.  O.  De  quatre  à  six  heures 
nous  prolongeâmes  de  très-près  toute  la  partie  orien- 
tale de  ce  petit  groupe  dont  M.  Lottin  leva  le  plan 
détaillé.  Celle  du  nord  est  la  plus  grande ,  bien  qu'elle 
ait  à  peine  trois  à  quatre  milles  de  circuit  ;  elle  peut 
avoir  deux  à  trois  cents  mètres  d'élévation  ,  et  sur 
sa  partie  de  l'O.  et  N.  O.  offre  quelques  rochers 
détachés.  De  toute  part  sa  côte  n'est  qu'une  falaise 
escarpée  et  en  apparence  inaccessible  ;  la  mer  brise 
avec  fureur  sur  ses  flancs ,  et  à  la  distance  où  nous 
l'avons  prolongée,  environ  deux  milles,  nous  n'avons 
discerné  aucune  plage,  aucune  crique  praticable.  Sa 
surface  n'offre  que  quelques  broussailles  rampantes 
sur  les  hauteurs  ;  des  espaces  d'une  couleur  jau- 
nâtre assez  prononcée  semblent  être  des  terrains 
argileux,  tout-à-fait  à  nu.  Des  légions  innombrables 
d'oiseaux  voltigent  tout  alentour,  et  seront  sans  doute 


DE  L'ASTROLABE.  27 

d'ici  à  long-temps  ses  uniques  habitans.  L'ilol  du  i  s  v»  «  » . 
piton  n'est  qu'un  pic  peu  élevé,  déchiré,  noirâtre  et  lMI" 
entouré  de  plusieurs  autres  petits  rochers  qui  en  sem- 
blent séparés ,  mais  qui  doivent  s'y  réunir  par  des 
ramifications  peu  profondes.  A  sept  heures  quarante 
minutes  du  soir,  l'exploration  de  ce  groupe  était 
terminée;  nous  fîmes  route  au  S.  S.  O.  vers  l'île  de 
Ténériffe. 

Dés  le  point  du  jour,  à  cinq  heures  trente  minutes  >  ! 
du  matin,  nous  entrevîmes  la  masse  entière  de  l'île 
au  travers  de  nuages  assez  épais  qui  nous  dérobaient 
le  plus  souvent  la  vue  du  pic.  Poussés  par  une 
forte  brise  de  N.  E. ,  bientôt  nous  eûmes  doublé 
la  pointe  de  Nega  ;  déjà  je  n'étais  plus  qu'à  une 
petite  distance  de  la  rade,  quand,  le  vent  fraîchissant 
encore,  je  jugeai  à  propos  d'attendre  qu'il  eût  calmé 
pour  aller  prendre  un  mouillage  par  lui-même  peu 
abrité.  Ainsi,  je  courus  un  bord  au  large;  le  soir  i ,. 
il  surventa,  je  passai  la  nuit  sous  voiles.  Le  lende- 
main nous  nous  rapprochâmes  de  Sainte-Croix,  et,  à 
quatre  heures  après  midi ,  nous  mouillâmes  par  vingt- 
cinq  brasses,  sable  vasard,  à  peu  près  devant  le  fort 
du  nord.  i»i.  mi 

L'entrée  du  port  nous  fut  accordée;  j'en  profitai 
pour  aller  sur-le-champ  rendre  ma  visite  aux  auto- 
rités de  la  place,  qui  nous  reçurent  fort  poliment. 
M.  Brelillard,  consul  de  notre  nation  en  cette  colonie, 
m'apprit  que  le  capitaine  King  venait  d'v  passer  cinq 
jours ,  et  ne  l'avait  quittée  que  le  1 2  ,  m'ayant  attendu 
deux  jours  dans  l'espoir  de  me  voir  arriver.  11  avait 


28  VOYAGE 

1826.  sous  ses  ordres  le  sloop  Adventure  et  le  brick  Beagle, 
juin.  capitaine  Stocks  ;  sa  mission  était  de  faire  la  reconnais- 
sance complète  des  terres  et  des  îles  Magellaniques  ; 
son  voyage  devait  durer  quatre  ans;  il  emportait  à 
bord  pour  deux  ans  de  vivres.  Sur  sa  route  il  devait 
toucher  aux  îles  du  Cap- Vert. 


DE  L'ASTROLABE.  29 


CHAPITRE  III. 


KXCIÏRSION     AV     PIC     DF     TFNKRIFKF. 


Je  méditais  depuis  long-temps  le  projet  de  gravir  l8,r>. 
jusqu'au  sommet  du  fameux  pic  de  Ténériffe;  résolu  1 5  juin. 
d'exécuter  ce  projet,  je  chargeai  M.  Bretillard  de  nous 
procurer  sans  retard  tous  les  moyens  de  transport 
nécessaires  à  cette  excursion.  Je  désignai  pour  m'ac- 
compagner  MM.  Quoy  et  Gaimard,  regrettant  beau- 
coup qu'une  indisposition  subite  ne  permit  pas  à  M.  de 
Sainson  de  se  joindre  à  nous. 

De  bon  matin  nous  nous  rendîmes  chez  M.  Bre-  16. 
lillard  où  les  montures  nous  attendaient;  bientôt 
nous  commençâmes  à  cheminer  jusqu'à  Laguna.  Sans 
être  pourtant  très-difficile,  le  chemin  est  assez  mau- 
vais ,  mal  entretenu  et  souvent  hérissé  de  gros  blocs 
volcaniques  ;  les  campagnes  environnantes  sont  cou- 
vertes de  scories  au  travers  desquelles  les  céréales 
poussent  péniblement  leurs  chaumes;  la  végétation 
naturelle  se  réduit  à  peu  près  aux  tiges  rares  et  dé- 
pouillées des  Cactus  et  des  Eaphorbia  cancuiensis. 


30  VOYAGE 

1826.  La  scène  s'embellit  à  mesure  qu'on  s'approche  de 
Juin.  Laguna,  ville  assez  grande  et  bien  bâtie,  mais  peu 
peuplée.  L'herbe  pousse  dans  la  plupart  des  rues  , 
tout  annonce  qu'une  grande  misère  a  dû  succéder 
dans  cette  ville  à, l'opulence  qui  y  régnait  aux  jours 
brillans  de  la  monarchie  espagnole. 

A  la  hauteur  de  Laguna,  qui  est  de  quatre  cents 
toises  environ,  la  température  a  tout-à-fait  changé,  et 
m'a  rappelé  le  climat  de  la  France  méridionale.  Aussi 
les  plaines  voisines  de  celle  ville  offrent-elles  l'aspect  le 
plus  riche  et  le  plus  varié;  ce  sont  des  champs  de  la 
plus  belle  verdure ,  plantés  en  blés  ,  pommes  de  terre , 
lupin,  mais,  etc.  Dès  qu'on  arrive  sur  la  côte 
occidentale  de  Pile,  la  vigne  avec  ses  pampres  ver- 
doyans  achève  de  rendre  l'illusion  plus  frappante. 
Il  est  un  lieu  sur  la  route  d'où  la  vue  domine  les 
plaines  riantes  et  fertiles  de  Tacoronte,  l'un  des  sites 
les  plus  délicieux  de  l'île.  A  onze  heures  nous  arri- 
vâmes à  Matanza,  lieu  célèbre  par  le  revers  insigne 
qu'y  éprouvèrent  les  Espagnols  combattant  contre 
les  Guanches.  Cette  fois  au  moins,  ceux-ci  guidés 
par  leur  valeureux  chef,  le  dernier  prince  de  Tahouro, 
firent  sentir  à  leurs  cruels  oppresseurs  ce  que  peut  le 
courage  inspiré  par  le  désespoir. 

Depuis  ce  lieu  jusqu'à  l'Orotava,  la  nature  offre  la 
plus  brillante  végétation.  Ce  revers  de  l'île  n'est 
qu'un  amphithéâtre  continuel  de  verdure,  parsemé  de 
jolies  habitations  semblables  aux  bastides  des  Pro- 
vençaux. Après  avoir  traversé  les  villages  de  Viloria 
et  de  Santa-Ursula ,  on  aperçoit  sur  la  pente  de  la 


DE  L'ASTROLABE.  31 

montagne  la  petite  ville  de  TOrotava.  Mon  intention  182& 
étant  d'abord  de  visiter  le  port ,  nous  nous  dirigeâmes 
vers  les  bords  de  la  mer,  en  passant  près  du  jardin  de 
botanique.  Arrivés  dans  la  ville  du  port,  nous  nous 
présentâmes  chez  M.  Antonio  Cologan  pour  qui 
M.  Bretillard  m'avait  donné  une  lettre.  Il  nous  reçut 
poliment  et  nous  fit  servir  des  rafraîehissemens ,  sans 
cependant  nous  offrir  l'hospitalité.  En  conséquence , 
après  avoir  jeté  un  simple  coup-d'œil  sur  le  port  de 
l'Orolava  qui  n'est  qu'une  petite  calanque  sous  le 
vent  de  l'île  ,  mal  abritée,  et  où  la  lame  vient  briser 
avec  violence  ,  je  repris  sur-le-champ  le  chemin  de  la 
ville  où  je  comptais  coucher. 

Arrivés  près  du  jardin  de  botanique,  nous  mimes 
pied  à  terre  pour  le  visiter;  il  est  assez  bien  tenu  ,  et 
renferme  une  belle  collection  de  plantes  rares  et  cu- 
rieuses. Nous  y  rencontrâmes  31.  Berthelot,  ancien 
aspirant  de  la  marine  à  Toulon,  et  M.  Aubcrt,  autre 
Français  établi  comme  lui  à  la  ville  de  l'Orotava.  Ces 
deux  messieurs  s'occupent  avec  zèle  et  succès  de 
diverses  branches  d'histoire  naturelle ,  et  surtout  de 
botanique.  Le  premier  dirige  un  collège  dans  lequel 
l'instruction  publique  est  enseignée  sur  le  même  plan 
que  dans  les  collèges  de  France.  Cet  établissement  a 
prospéré  durant  le  court  règne  de  la  constitution  ; 
mais  depuis  que  les  moines  avaient  recouvré  une 
partie  de  leur  influence,  il  avait  beaucoup  déchu  et 
courait  même  le  risque  d'être  bientôt  fermé.  Du 
reste,  M.  Berthelot  nous  offrit  l'hospitalité  chez  lui; 
à   la  cordialité    d'un  compatriote  il  joignit  le   zèle 


32  VOYAGE 

1826.  d'un  homme  instruit  qui  s'intéresse  aux  progrès  des 
Jlun-  sciences.  Sans  lui  nous  eussions  été  peut-être  fort 
embarrassés  de  trouver  un  gîte ,  vu  qu'il  n'y  a  point 
d'hôtel  à  l'Orotava  :  ses  utiles  conseils  nous  don- 
nèrent en  outre  le  moyen  de  rendre,  à  la  fois,  notre 
excursion  et  plus  complète  et  plus  économique. 

Par  une  rencontre  heureuse ,  le  jardin  même  du 
collège  contenait  cet  énorme  pied  de  Dracœna  draco 
tant  célébré  par  divers  voyageurs  ;  à  mon  réveil  ce 
fut  le  premier  objet  qui  vint  frapper  mes  regards. 
-Nous  mesurâmes  son  contour  à  sa  base,  et  trouvâmes 
qu'il  était  de  quarante-huit  pieds  :  M.  Berthelot  nous 
assura  que  sa  hauteur  était  de  soixante-quinze  pieds , 
bien  qu'elle  paraisse  beaucoup  moindre ,  eu  égard  à  sa 
prodigieuse  grosseur;  cependant,  en  juin  1819,  un 
coup  de  vent  avait  abattu  près  de  la  moitié  de  ce 
monstrueux  végétal.  A  peu  de  distance  ,  un  beau  dat- 
tier mâle  balançait  sa  cime  élégante  à  plus  de  cent 
pieds  dans  les  airs.  Du  balcon  du  collège  on  jouit 
d'une  vue  admirable  :  après  avoir  erré  sur  les  sites  les 
plus  pittoresques ,  sur  les  habitations  les  plus  riantes, 
l'œil  va  se  reposer  sur  l'immensité  de  l'Océan ,  qui , 
tel  qu'un  cadre  d'azur,  entoure  le  tableau  le  plus  gra- 
cieux et  le  plus  animé. 
i7.  Après  avoir  réparé  par  un  sommeil  paisible  nos 

forces  affaiblies ,  et  pris  un  utile  déjeuner,  vers  huit 
heures  et  demie  nous  nous  remîmes  en  route.  La 
petite  ville  de  l'Orotava  est  bien  bâtie ,  bien  percée , 
mais  ses  rues  offrent  pour  la  plupart  une  pente  si 
roide  que  la  circulation  y  est  très-pénible, 


DE  L'ASTROLABE.  33 

A  peine  hors  de  ses  murs,  nous  commençâmes  à  1S16. 
monter  par  un  chemin  très-roide ,  et  pavé  de  laves  si  J,,in- 
glissantes  qu'on  ne  saurait  s'y  hasarder  avec  d'autres 
chevaux  que  ceux  de  l'île  ;  car  je  redoutais  à  chaque 
instant  de  leur  voir  faire  un  faux  pas  dont  la  moindre 
suite  eût  été  de  casser  le  bras  ou  la  jambe  de  leur 
cavalier.  Durant  trois  quarts  d'heure  nous  traver- 
sâmes des  campagnes  bien  cultivées,  jusqu'au  mo- 
ment où  nous  arrivâmes  à  la  région  des  châtaigniers, 
qui  offre  encore  quelques  plantations.  Cette  région 
occupe  une  zone  d'une  demi-lieue  de  largeur,  sur 
deux  cents  toises  environ  de  puissance  en  hauteur. 
Vers  sa  limite  commence  la  région  des  nuages  ,  dans 
laquelle  le  voyageur  se  trouve  enveloppé  d'une  brume 
épaisse,  très-pénétrante  par  son  humidité,  qu'on  dit 
presque  perpétuelle  au  printemps.  Là  vivent  encore 
plusieurs  plantes  de  la  plaine  déjà  confondues  avec 
diverses  espèces  particulières  à  cette  élévation,  comme 
les  Renoncules  ,  le  Doronic,  les  Cistes,  etc.  On  entre 
ensuite  dans  la  région  des  bruyères  qui  doit  avoir  au 
moins  trois  cents  toises  de  profondeur  sur  deux  mille 
d'étendue  ;  c'est  là  que  les  nuages  sont  le  plus  concen- 
trés ,  et  que  la  brume  devient  une  véritable  rosée.  La 
bruyère  qui  lui  a  donné  son  nom  est  un  arbrisseau  de 
six  à  douze  pieds  de  hauteur,  et  se  trouve  entremêlée 
ftHypericum  canarie?ise  en  grande  abondance ,  de 
thym  rabougri  et  de  plusieurs  autres  arbrisseaux  et 
plantes  herbacées  ;  on  traverse  cette  bande  par  un 
chemin  assez  agréable  et  peu  difficile. 

Cependant  l'atmosphère  s'éclaircit  peu  à  peu,  la 


34  VOYAGE 

1826.  verdure  disparaît,  les  bruyères  aussi,  le  Cytisus  fo- 
Juin-  liosus  se  montre,  d'abord  rare  et  rabougri,  bientôt 
plus  vigoureux ,  plus  touffu  à  mesure  que  le  terrain 
devient  lui-même  plus  maigre  et  plus  stérile.  La  région 
du  cytise  m'a  semblé  occuper  une  bonne  lieue  de 
pente  sur  trois  cents  toises  au  moins  de  hauteur. 
\JIIypericum,  le  thym,  de  petits  cistes  et  quelques 
graminées  suivent  le  cytise  jusqu'au  milieu  de  son 
empire  ,  et  disparaissent  enfin  peu  à  peu.  Vers  le 
milieu  de  cette  région  dont  le  sol  est  partout  jonché 
de  laves  décomposées  ,  de  scories  et  de  ponces  en  pe- 
tite quantité  ,  la  brume  disparaît  entièrement ,  et  les 
nuages  se  présentent  sous  vos  pieds  sous  la  forme  d'une 
mer  immense  de  flocons  épais  et  blanchâtres,  telles 
que  doivent  apparaître  les  mers  toujours  glacées  des 
pôles ,  ou  mieux  encore  les  tourbillons  écumans  d'un 
torrent  qui  se  précipite  en  cascades ,  et  qu'une  gelée 
intense  a  rendus  immobiles  dans  leur  chute.  Spectacle 
vraiment  admirable ,  peut-être  le  phénomène  le  plus 
curieux  à  observer  dans  cette  longue  course!.... 

Déjà  tous  les  animaux  ont  disparu,  plus  d'oiseaux  ; 
seulement,  reste  chétif  de  ce  règne ,  quelques  diptères 
voltigent  encore  sur  les  fleurs  du  cytise ,  et  une  lourde 
pimélie  circule  lentement  entre  les  cailloux. 

Jusqu'alors  caché  par  les  nuages  ou  masqué  par  les 
montagnes  de  sa  base,  le  sommet  du  Pic,  qui  de  la 
mer  ne  semblait  qu'un  piton  peu  considérable,  com- 
mence à  se  détacher,  comme  un  mont  conique,  d'une 
masse  imposante.  La  pente  devient  moins  roide ,  et 
vous  vous  trouvez  sur  les  bords  de  cette  plaine  im- 


DE  L'ASTROLABE.  35 

mense  légèrement  ondulée,  d'abord  parsemée  d'énor-  jSiG. 
mes  blocs  de  laves ,  ensuite  tapissée  en  grande  Juin 
partie  d'une  couche  épaisse  de  fragmens  très-divisés  , 
de  ponces  et  d'obsidiennes.  heSpartiumsupranubium, 
arbrisseau  charmant  et  le  plus  élégant  de  son  genre , 
est  le  seul  qui  rompe  l'uniformité  de  ces  vastes  et 
tristes  solitudes  que  les  Espagnols  ont  nommées  Ca- 
nadas à  cause  de  leur  affreuse  nudité. 


En  ce  moment  il  était  onze  heures  ;  avant  de 
passer  outre,  nous  nous  arrêtâmes  dans  une  grotte 
située  à  l'entrée  même  de  ces  plaines,  qui  porte  le 
nom  de  Cucva  del Piiw.  Nous  y  déjeunâmes  et  trou- 
vâmes à  l'ombre  la  température  très-agréable  el  l'air 
très-facile  à  respirer,  bien  que  la  hauteur  de  cette  grotte 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer  doive  s'estimer  à  douze 
cents  toises  au  moins.  A  son  entrée,  je  remarquai  avec 
surprise  quelques  plantes  de  nos  pays,  telles  que  l'or- 
tie, la  pariétaire,  le  géranium,  larénaire,  etc.,  dont  les 
graines  auront  sans  doute  été  introduites  en  ces  lieux 
par  les  Européens  dans  leurs  fréquentes  visites.  Nous 

y 


,(,  VOYAGE 

1826.  fîmes  une  longue  halte  pour  mieux  reposer  nos  che- 
juin.  vaux  et  laisser  passer  l'ardeur  du  milieu  du  jour.  A 
deux  heures  nous  remontâmes  à  cheval.  Nous  traver- 
sâmes les  énormes  blocs  de  basalte  qui,  disposés 
circulairement  et  d'une  manière  assez  régulière  tout 
autour  du  Piton,  représentent  l'enceinte  primitive  du 
cratère,  lorsque  ce  volcan  se  trouvait  dans  toute  son 
énergie,  et  rejeta  au  loin  ces  longues  coulées  de 
laves  qui  formèrent  successivement  toute  l'île.  Nous 
arrivâmes  ensuite  au  milieu  de  ces  Canadas  qui  occu- 
pent aujourd'hui  le  fond  même  de  l'ancien  cratère, 
peu  à  peu  comblé  et  nivelé  par  les  cendres  et  les 
ponces  du  Pic.  Cette  vaste  enceinte  peut  avoir  un 
rayon  d'une  lieue  d'étendue,  le  sol  est  assez  compacte, 
et  les  chevaux  y  marchent  et  même  y  galopent  sans  fa- 
tigue; mais  la  chaleur,  qui  se  concentre  et  se  réfléchit 
en  tout  sens  dans  ce  lieu ,  en  rend  le  trajet  fort  maus- 
sade. Le  Spartiam  est  le  seul  végétal  ligneux  qui  puisse 
croître  là  ;  je  recueillis  en  outre  un  sisymbre  à  fleurs 
jaunes,  un  Hieraciam,  une  Scrophulaire  et  un  Ne- 
peta,  tous  très-rares  et  fort  clairsemés.  On  laisse  à  peu 
de  distance  une  petite  montagne  surmontée  d'un  cra- 
tère parfaitement  dessiné  ,  qui  dut  fumer  long-temps 
encore  après  la  destruction  du  grand  volcan.  Dans 
les  ponces  écrasées,  jusqu'au  pied  du  Pic,  paraît  cette 
jolie  violette  à  fleurs  jaunes  récemment  publiée  par 
M.  Berthelot  sous  le  nom  de  Fiola  teydensis.  Dernier 
effort  du  règne  végétal ,  elle  continue  d'exister  pres- 
que jusqu'au  sommet  du  mont ,  et  ne  s'arrête  qu'à  la 
limite  des  ponces,  où  commence  la  lave  nue. 


DE  L'ASTROLAlïE  I 7 

Nous  attaquâmes  le  cône  par  un  monticule  latéral  rS*6. 
formé  par  un  amas  de  ponces  sur  la  gauche ,  et  ne  Juin- 
nous  arrêtâmes  à  peu  près  qu'au  tiers  du  mont,  sur 
une  petite  esplanade  connue  sous  le  nom  de  Estancia 
de  los  Ingleses.  Le  vent  qui  soufflait  avec  force  était 
assez  gênant,  mais  de  petits  murs  de  pierres,  adossés 
à  de  gros  blocs  de  basalte  ,  nous  servirent  d'abris,  et 
nous  nous  y  établîmes  pour  la  nuit,  auprès  de  bons 
feux  entretenus  avec  les  liges  du  Spai  tium. 

A  cinq  heures  et  demie  du  soir,  le  thermomètre  à 
l'ombre  marquait  15°  centigrades;  à  huit  heures,  au 
moment  où  nous  nous  couchâmes,  il  était  à  1 3°  ;  et  le 
matin,  en  nous  relevant,  à  9°;  je  ne  pense  pas  qu'il 
ait  descendu  au-dessous  de  6°  à  7°  dans  la  nuit.  Du 
reste,  l'air  était  très-pur,  je  n'éprouvai  aucun  de  ces 
violens  malaises  ou  de  ces  suffocations  ressenties  par 
divers  voyageurs.  M.  Quoy  seul  souffrit  des  maux 
d'estomac,  et  M.  Gaimard  dormit  toute  la  nuit  sans 
rien  éprouver.  Pour  moi ,  étendu  près  du  foyer,  sous 
ma  couverture ,  la  chaleur  m'excitait  souvent  à  mettre 
ma  main  à  l'air,  et  chaque  fois  je  ne  lardais  pas  à  res- 
sentir au  petit  doigt  un  engourdissement  marqué  qui 
s'étendait  rapidement  dans  le  reste  de  la  main  ,  et  me 
forçait  enfin  à  la  cacher  de  nouveau.  M.  Aubert,  h  qui 
je  communiquai  ce  fait,  m'assura  qu'il  avait  éprouvé 
ce  même  engourdissement  à  un  degré  violent ,  debout 
cl  en  marchant. 

A  celte  hauteur  la  voix  se  propageait  à  une  distance 
étonnante,  et  avec  une  grande  clarté.  Sous  le  rocher 
qui  nous  abritait,  je  m'entretenais  à  demi-voix  avec 


38  VOYAGE 


1826. 


M.  Gaimard,  tandis  que  M.  Quoy,  à  plus  de  cinquante 
J,,in         pas  de  distance,  debout  sur  un  autre  rocher  un  peu 
plus  élevé,  entendait  parfaitement  tout  ce  que  nous 
disions. 

Bien  loin  sous  nos  pieds,  la  mer  de  nuages,  immo- 
bile et  constante  comme  un  voile  impénétrable,  dé- 
robait à  nos  regards  tous  les  détails  de  l'île,  et  nous 
ne  distinguions  que  quelques  sommets  de  Canary 
qui  dépassaient  son  niveau  et  semblaient  autant  d'îles 
semées  sur  sa  surface. 

A  huit  heures ,  nous  nous  étendîmes  tous  les  trois 
côte  à  côte  pour  dormir,  mais  M.  Gaimard  seul  goûta 
cette  douceur  :  dévorés  par  les  puces,  M.  Quoy  et 
moi  nous  ne  pûmes  fermer  l'œil  de  toute  la  nuit.  Plus 
aguerris  contre  leurs  piqûres ,  nos  conducteurs  et 
notre  guide  dormaient  dans  d'autres  enclos ,  avec  les 
chevaux  autour  d'eux.  Malgré  la  pureté  du  ciel,  l'éclat 
des  étoiles  parut  très-faible. 
18.  Dès  deux  heures  nous  étions  debout  ;  mais,  comme 

il  faisait  encore  complètement  nuit,  ce  ne  fut  qu'à 
quatre  heures  que  nous  nous  mîmes  en  route.  Pré- 
cédés par  notre  guide ,  nous  marchâmes  environ  une 
demi-heure  sur  les  ponces  écrasées ,  entre  deux 
coulées  de  laves ,  avant  d'arriver  à  une  petite  espla- 
nade connue  sous  le  nom  iïAlta-Visla.  Immédiate- 
ment après ,  on  se  trouve  obligé  de  faire  route  sur  les 
laves  nues ,  ce  qui  la  rend  fort  pénible ,  bien  qu'on  y 
retrouve  souvent  les  traces  légères  du  sentier  formé 
par  les  visites  des  voyageurs. 

Nous  vîmes  le  soleil  percer  la  voûte  de  nuages  sus- 


DE  L'ASTROLABE.  99 

pendue  sous  nos  pieds ,  et  les  rayons  de  cet  astre , 
réfléchis  par  leur  surface ,  vinrent  frapper  nos  yeux 
d'un  éclat  éblouissant.  Quoique  l'air  fut  très-piquant, 
nous  n'éprouvâmes  aucun  froid  ;  mais  nous  étions 
fréquemment  obligés  de  faire  halte  pour  reprendre 
haleine,  essoufflés  par  l'extrême  rapidité  de  la  pente. 

En  approchant  du  Pain-de-Sucre ,  on  aperçoit  de 
temps  en  temps,  dans  les  crevasses  des  rochers,  de 
petits  amas  de  neige  ,  que  leur  position  protège  contre 
l'action  du  soleil. 

Il  faut  cheminer  durant  une  heure  environ,  conti- 
nuellement au  travers  des  laves,  pour  arriver  au  pied 
du  Pain-de-Sucre. 

Celui-ci  peut  avoir  soixante  toises  de  hauteur  ver- 
ticale, tandis  que  le  Piton  tout  entier  en  a  près  de 
six  cents  ;  le  Pain-de-Sucre  couronne  le  Piton  de  même 
que  celui-ci  domine  la  masse  entière  de  la  montagne. 
Seulement  bien  moins  vaste  à  proportion,  la  plaine 
qui  domine  le  Pic  n'a  que  deux  à  trois  cents  pas 
d'étendue  depuis  ses  bords  jusqu'à  la  base  du  Pain-de- 
Sucre  ,  et  elle  se  compose  encore  de  débris  de  ponces 
et  d'obsidiennes  ou  de  gros  blocs  de  basalte. 

Le  Pain-de-Sucre  ou  Pilon  offre  une  pente  très- 
escarpée;  les  ponces  mobiles  qui  la  recouvrent  en 
grande  partie  rendent  son  accès  très-difficile,  parce 
que  ces  mêmes  cailloux,  cédant  trop  facilement  sous 
les  pieds,  vous  permettent  à  peine  de  faire  la  valeur 
d'un  pas  en  avant  quand  vous  pensez  avancer  de  deux 
et  même  de  trois.  Aussi  nous  fallut-il  employer  près 
de  trois  quarts  d'heure  avant  de  parvenir  au  sommet 


i8a6. 

Juin. 


40  VOYAGE 

1826.  de  ce  petit  cône.  Vers  le  milieu  de  sa  hauteur,  j'ob- 
jum.  servai  un  soupirail  elliptique  de  quatre  pouces  de  lon- 
gueur sur  deux  de  largeur,  par  où  s'exhalait  une 
fumée  sulfureuse  très-chaude.  Plongé  dedans,  le  ther- 
momètre s'éleva  promptement  de  13°  à  70°. 

A  six  heures  trente  minutes  nous  arrivâmes  à  la  cime 
du  Pain-de-Sucre  ;  c'est  évidemment  un  cratère  à  demi- 
oblitéré,  à  parois  peu  épaisses  et  échancrées,  dont  la 
profondeur  est  de  soixante  à  quatre-vingts  pieds  au 
plus,  et  semé  sur  sa  surface  de  fragmens  d'obsidiennes 
ou  de  ponces  et  de  blocs  de  lave.  Des  vapeurs  sulfu- 
reuses s'exhalent  de  ses  bords,  et  forment  pour  ainsi 
dire  une  couronne  de  fumée ,  tandis  que  le  fond  est 
tout-k-fait  refroidi. 

J'observai,  et  je  n'en  fus  nullement  surpris,  que  le 
vent,  assez  fort  à  cette  hauteur,  soufflait  du  S.  O., 
direction  précisément  opposée  à  celle  de  l'alise,  à  peu 
près  constant  au  niveau  des  mers. 

A  la  cime  du  Pilon,  le  thermomètre  était  à  11°; 
mais  je  soupçonne  qu'il  se  ressentait  encore  de  l'expo- 
sition à  la  fumarole  ;  car ,  arrivé  au  fond  du  cratère , 
de  1 9°  au  soleil,  il  descendit  en  peu  de  temps  à  9°,  5  à 
l'ombre.  Nous  déjeunâmes  avec  autant  de  gaieté  que 
de  frugalité  dans  ce  lieu,  avec  un  morceau  de  pain,  des 
fraises  et  quelques  gouttes  d'eau-de-vie.  ISous  nous  féli- 
citions d'avoir  terminé  avec  autant  de  succès  une  entre- 
prise dont  beaucoup  de  voyageurs  ont  singulièrement 
exagéré  les  difficultés  et  les  dangers.  Nous  faisions 
des  projets  pour  l'avenir;  laissant  de  côté  la  France, 
nos  parens  et  nos  amis ,  nous  ne  pensions  qu'aux  con- 


DE  L'ASTROLABE.  il 

trées  lointaines  que  nous  allions  visiter,  aux  obser-      1826. 
vations  que  nous  devions  y  faire,  aux  trésors  en  tout      Ju,u< 
genre  que  nous  allions  conquérir  pour  la  science!... 
Brillantes  illusions,  douces  chimères,  nécessaires  à 
l'esprit  dans  ces  sortes  de  voyages ,  pour  en  adoucir 
les  ennuis  et  en  varier  la  triste  monotonie  !  — 

Du  sommet  de  ce  mont  sourcilleux,  nous  pûmes  à 
notre  aise  contempler  toute  la  portion  du  Pic  qui  s'é- 
lève au-dessus  des  nuages,  saisir  au  gré  de  notre  curio- 
sité l'ensemble  de  ses  divers  accidens ,  ou  les  détailler 
l'un  après  l'autre,  et  surtout  suivre  à  la  fois  de  l'œil  et 
de  l'imagination  les  phases  successives ,  et  l'accroisse- 
ment progressif  de  cet  énorme  protubérance  du  globe 
terrestre. 

Essayons  en  peu  de  mots  d'en  donner  ici  une  idée 
succincte. 

Le  volcan  primitif,  réduit  pour  la  hauteur  aux  deux 
tiers  environ  de  son  élévation  actuelle,  offrait  une 
bouche  immense  de  deux  à  trois  lieues  de  diamètre, 
dont  les  parois  s'élevaient  sur  l'emplacement  aujour- 
d'hui occupé  par  ces  massifs  immenses  de  laves  qui 
ceignent  les  Canadas.  Sur  plusieurs  points,  comme 
autant  de  vieilles  ruines  encore  debout,  ils  représen- 
tent parfaitement  ce  qu'ils  durent  être  jadis.  Après 
avoir  vomi  ces  immenses  coulées  de  laves  qui  forment 
la  grande  charpente  de  File ,  la  violence  des  feux  s'a- 
mortit ;  les  éruptions ,  au  lieu  de  remplir  en  entier  la 
bouche  énorme  du  volcan ,  devinrent  partielles  ; 
une  foule  de  petits  volcans  secondaires  se  formèrent 
dans  son  intérieur.  Le  plus  grand  nombre  sans  doute 


42  VOYAGE 

i8?.r,.       ne  subit  aucun  développement  ;  quelques-uns,  éteints 
Jum-        depuis  long-temps,  sont  encore  bien  dessinés. 

Celui  qui  occupait  à  peu  près  le  centre  resta  seul 
en  activité ,  et ,  par  la  suite  des  temps ,  devint  ce 
cône  énorme  qui  prit  proprement  le  nom  de  Pic. 
Cependant  le  cratère  primitif,  qui  dut  être  d'une 
grande  profondeur ,  ne  tarda  pas  à  se  combler  peu  à 
peu ,  tant  par  les  matières  que  vomirent  les  volcans 
secondaires ,  que  par  les  attérissemens  entraînés  par 
les  pluies  aux  dépens  de  leurs  masses ,  et  il  finit  par 
former  ces  vastes  plaines,  \esCa?ïadas,  aujourd'hui 
presque  de  niveau  avec  les  bords  de  l'ancien  volcan. 
Tant  que  l'action  des  feux  souterrains  permit  au  pic 
de  lancer  des  matières,  il  continua  de  s'élever  jusqu'au 
point  où  commence  le  Pain-de-Sucre.  Parvenu  à  ce 
point ,  sans  doute  il  y  eut  encore  une  grande  inter- 
mittence ou  du  moins  une  diminution  considérable 
dans  le  pouvoir  des  feux,  jusqu'au  moment  où ,  rallu- 
més de  nouveau ,  ils  élevèrent  peu  à  peu  le  pain  de 
sucre.  Enfin  ils  se  sont  tout-à-fait  éteints,  et  de  la  puis- 
sance prodigieuse  qu'ils  durent  avoir  pour  opérer 
d'aussi  grands  effets,  il  ne  reste  plus  que  les  innocentes 
fumées  qui  couronnent  les  bords  du  Pain-de-Sucre. 

Telle  est  en  abrégé,  et  suivant  les  idées  que  j'ai  pu 
m'en  former,  l'histoire  de  cette  énorme  montagne.  On 
voit  qu'elle  offre  dans  son  accroissement  successif 
quatre  périodes  séparées  par  trois  époques  ou  âges 
bien  tranchés;  savoir  :  1°  le  temps  que  sa  base  dut 
employer  à  s'élever  jusqu'à  la  hauteur  des  Canadas, 
et  durant  lequel   la  bouche  primitive  produisit  ou 


DE  L'ASTROLABE.  13 

donna  naissance  aux  montagnes  qui  forment  l'île  ;       1826. 
2°  le  temps  que  le  Pie  dut  mettre  à  s'élever  jusqu'à       J,,in- 
la  hauteur  où  commence  le  Pain-de-Sucre  ou  Pilon; 
3°  tout  l'intervalle  du  temps  durant  lequel  le  pilon 
lui-même  fut  en  activité  et  travailla  à  sa  formation  ; 
enfin  le  temps  depuis  lequel  il  est  tout-à-fait  éteint. 

Que  de  siècles  durent  se  succéder  pour  amener  ces 
divers  résultats!  Quel  pouvoir  immense  put  arracher 
des  entrailles  de  la  terre  ces  masses  énormes  pour  les 
amonceler  à  sa  surface  !  Et  quelle  raison  nouvelle  a 
suspendu  ce  pouvoir  et  totalement  arrêté  ses  effets  ! . . . 

Cette  dernière  expression  n'est  pas  littéralement 
exacte;  car  il  y  a  moins  de  trente  années  que  des  érup- 
tions s'opérèrent  encore  par  les  lianes  du  Pic,  et  don- 
nèrent lieu  à  des  écoulemens  considérables  de  lave 
qui  firent  d'assez  grands  ravages  dans  les  endroits 
qu'ils  traversèrent.  Mais  ce  ne  sont  que  de  faibles 
accidens  auprès  des  grandes  convulsions  dont  nous 
venons  de  parler. 

A  sept  heures  nous  commençâmes  à  redescendre,  et 
huit  à  dix  minutes  suffirent  pour  nous  rendre  au  pied 
du  Pain-de-Sucre.  Sur  les  bords  de  l'esplanade  d'où  le 
Pilon  s'élance,  je  remarquai  un  rocher  d'où  je  voyais 
sortir  des  fumées  ;  c'était  encore  une  fumerolle,  mais 
d'une  température  moins  élevée  que  celle  que  j'ai 
déjà  mentionnée  ;  car  le  thermomètre  n'y  monta  qu'à 
soixante  degrés.  Les  vapeurs  qui  s'en  dégageaient  se 
condensaient  bientôt  en  gouttes  d'eau.  A  cette  tempé- 
rature vivaient  deux  mousses  bien  organisées  don! 
j'ai  rapporté  des  échantillons. 


44  VOYAGE 

1828.  De-là  notre  guide  nous  conduisit  à  la  Cueva  de  la 

juin.  Nieve ,  grotte  naturellement  formée  au  milieu  des 
amas  de  lave,  abaissée  de  dix  à  douze  pieds  au-dessous 
du  sol,  et  disposée  en  voûte  assez  régulière,  oblon- 
gue,  de  trente  pieds  de  large,  et  peut-être  triple  en 
longueur.  Nous  attachâmes  M.  Quoy  avec  une  corde 
par  le  milieu  du  corps  ;  il  put  ainsi  descendre  dans  la 
grotte,  tandis  que  nous  le  soutenions.  Une  masse 
d'eau,  qui  en  occupait  la  majeure  partie,  était  presque 
entièrement  gelée,  et  nous  offrit  une  espèce  de  con- 
ferve  dont  M.  Quoy  recueillit  des  échantillons  qui 
furent  ensuite  perdus  dans  le  voyage. 

De  retour  à  neuf  heures  au  lieu  où  nous  avions 
passé  la  nuit,  sur-le-champ  nous  nous  remimes  en 
route.  Quelque  temps  je  pris  le  devant  à  pied  pour 
ramasser  encore  des  plantes,  et  surtout  du  Viola  tey- 
densis ;  ensuite  je  remontai  à  cheval  et  n'en  redes- 
cendis guère.  La  route  avait  presque  entièrement  dé- 
truit la  paire  de  souliers  que  j'avais  emportée ,  qui 
la  veille  au  matin  était  encore  fort  bonne.  Nous  nous 
étendîmes  sous  le  beau  pin  de  dornajito  (petite  auge) 
pour  faire  un  léger  déjeuner  au  milieu  de  la  région 
des  nuages  ;  j'errai  le  long  du  ravin ,  glanant  quelques 
plantes  curieuses,  et  M.  Quoy  découvrit  des  par- 
mac  elles.  Ce  pin ,  qui  est  le  canariensis ,  est  le  seul 
que  l'on  rencontre  en  ces  lieux. 

En  rentrant  à  l'Orotava,  nous  trouvâmes  la  popu- 
lation en  mouvement  et  dans  ses  habits  de  gala  pour 
la  fête  solennelle  et  les  processions  de  la  Candelaria. 
M.  Berthelot  et  Aubert  nous  accueillirent  de  nouveau, 


DE  L' ASTROLA.BE.  45 

et  nous  entretinrent  fort  agréablement  des  connais-       1826. 
sances  qu'ils  avaient  acquises  sur  les  lieux.  J,u" 

Le  premier  surtout ,  parfaitement  au  courant  de 
l'histoire  des  Canaries  par  Vieja  y  Glavijo ,  nous 
donna  une  foule  de  détails  sur  la  race  infortunée  des 
Guanches,  sur  les  cavernes  funéraires  qu'il  avait  visi- 
tées, sur  les  objets  qu'il  y  avait  trouvés  et  sur  ce  qu'il 
se  proposait  encore  de  faire. 

Dans  la  soirée  il  me  donna  des  plantes  desséchées, 
ainsi  que  des  insectes  du  pays,  et,  sur  le  désir  que  je 
lui  témoignai ,  il  consentit  à  m'accompagner  le  len- 
demain à  Santa-Cruz.  Je  préparai  ensuite  les  plantes 
que  j'avais  recueillies  et  qui  formaient  une  masse  assez 
considérable. 

D'après  ce  que  j'ai  vu  moi-même ,  et  l'examen  des 
insectes  de  31.  Berthelot  dont  le  petit  nombre  peut 
s'élever  à  cent  soixante  au  plus,  j'ai  conclu  que  tous 
appartiennent  à  l'Europe  méridionale,  excepté  un  seul 
papillon  que  j'avais  trouvé  deux  ans  auparavant  à 
l'Ascension.  Encore  31.  Berthelot  m'affirma  que  cet 
insecte  ne  se  rencontre  à  Ténériffe  que  depuis  que  l'on 
v  cultive  X Asclepias  fruticosa.  Les  papillons  les  plus 
communs  de  l'île  sont  :  le  Cardai,  le  Daplidice ,  le 
Brassicœ,  Y  H  y  aie  et  le  Mœra. 

J'avais  emporté  l'un  des  baromètres  de  Bunten; 
mais  il  fut  cassé  dès  Laguna  par  la  sottise  du  guide 
maladroit  auquel  je  l'avais  confié ,  et  nonobstant  mes 
recommandations  instantes.  Cette  perte  me  fâcha 
d'autant  plus  que  je  manquais  par  là  l'un  des  princi- 
paux fruits  de  mon  voyage,  la  détermination  précise 


46  VOYAGE 


[826.       de  la  hauteur  absolue  du  pic,  el  celles  des  diverses 


Juin-        zones  végétales. 


r,,. 


Dès  huit  heures  trente  minutes  du  matin  nous 
étions  remontés  à  cheval  et  sur  la  route  de  Santa- 
Cruz.  Jusqu'à  Matanza  je  ne  mis  pied  à  terre  que 
deux  fois  :  la  première,  pour  récolter  le  Rumex  lu- 
naria  et  le  Saccharam  canaviense  ;  l'autre,  pour  re- 
cueillir Xllex  perado,  au  bord  même  du  fameux  ravin 
où  les  Guanches  taillèrent  en  pièces  les  troupes  d'A- 
lonzo  de  Lugo.  Le  long  du  chemin  qui  domine  Taco- 
ronte ,  sur  les  fleurs  du  Carduus  mariana,  je  pris 
plusieurs  individus  superbes  du  Cxjnara,  papillon  cu- 
rieux ,  rare  en  France,  et  que  M.  Berthelot  m'assura 
propre  à  cette  localité. 

Arrivés  près  d'un  aqueduc  à  mi-chemin  environ  de 
Matanza  à  Laguna,  il  nous  fit  détourner  vers  la  droite  ; 
à  deux  cents  toises  de  distance  au  plus,  notre  surprise 
fut  extrême  quand  nous  nous  trouvâmes  à  l'entrée 
d'une  belle  et  majestueuse  forêt.  On  la  connaît  sous 
le  nom  d'Agua-Garcia  ;  elle  est  traversée  par  un  ruis- 
seau très-limpide  qui  coule  avec  un  doux  murmure 
au  travers  des  basaltes  ;  et  de  jolis  sentiers  bien  percés 
en  font  une  promenade  délicieuse.  De  superbes  lau- 
riers des  Indes,  Xllex  perado,  le  Viburnum glulino- 
sum,  etc.,  en  forment  la  base,  tandis  que  d'énormes 
bruyères  de  quarante  à  cinquante  pieds  de  hauteur  en 
peuplent  la  lisière.  Par  le  ton  général,  l'aspect  et  la 
forme  des  végétaux,  et  surtout  des  fougères,  cette  forêt 
rappelle  parfaitement  celles  des  îles  de  l'Océan-Paci- 
fique,  de  la  Nouvelle -Guinée,  et  surtout  d'Ualan,etc. 


DE  L'ASTROLABE.  47 

J'y  remarquai  entre  autres  XExacum  viscosam,  le  c8a6. 
Géranium  vitjfolium,  Blechnum  radicans,  Asplenium  Jlun- 
trichomanes  canariensis,  et  une  Clavaria ,  singulière 
et  fréquente  sur  les  lauriers.  Après  avoir  erré  une 
heure  sous  ces  délicieux  ombrages  et  rempli  mon  porte- 
feuille ,  je  sortis  enfin  de  ce  lieu,  non  sans  éprouver 
le  regret  de  n'y  pouvoir  rester  plus  long-temps  ;  et 
je  me  promis  bien,  si  la  fortune  me  ramenait  jamais 
à  Ténériffe,  de  retourner  visiter  les  bois  charmans 
d'Agua-Garcia. 

Nous  passâmes  à  Laguna  ;  à  six  heures  nous  étions 
de  retour  à  Santa-Cruz ,  et  à  sept  heures  trente  mi- 
nutes à  bord  *.  Là  j'appris  avec  satisfaction  que  toutes 
les  observations  étaient  terminées,  et  que,  confor- 
mément à  mes  ordres,  M.  Jacquinot  avait  tenu  tout 
prêt  pour  l'appareillage  qui  fut  fixé  au  surlendemain. 
L équipage  s'était  bien  comporté,  et  le  service  n'avait 
nullement  souffert  de  mon  absence. 

*    Voyez  la  note  n°  t. 


48  VOYAGE 


CHAPITRE    IV 


DE    TENERIFFE   A    LA    TRINITE. 


1826.  Ce  jour  je  fermai  le  rapport  que  j'adressais   au 

20 juin,  minisire  de  la  marine,  touchant  les  opérations  delà 
campagne  jusqu'à  ce  jour.  MM.  Quoy  et  Gaimard  pré- 
parèrent de  leur  côté  un  Mémoire  important  sur  les 
mollusques  recueillis  depuis  le  départ,  pour  l'Académie 
des  Sciences,  accompagné  de  dessins  par  M.  Sainson, 
et  d'une  caisse  de  ces  petits  animaux  conservés  dans 
l'alcool. 

D'après  le  compte  que  nous  a  remis  M.  Bretillard , 
notre  excursion  au  Pic  a  coûté  à  la  mission  soixante- 
douze  piastres  et  demie ,  indépendamment  de  la  nour- 
riture qui  ne  s'y  trouve  point  comprise.  On  nous  a 
assuré  qu'elle  coûte  ordinairement  à  un  Anglais  qui 
l'entreprend  au  moins  cent  cinquante  piastres. 

Le  soir,  M.  Bretillard  me  conduisit  chez  le  major 
Megliorini  dont  on  m'avait  vanté  le  cabinet  d'histoire 
naturelle.  En  effet,  j'y  trouvai  une  foule  d'objets, 
comme  armes,  coquilles,  animaux,  poissons,  oiseaux 


DE  L'ASTROLABE.  49 

et  tableaux  divers,  le  tout  daus  un  désordre  assez  i826. 
grand ,  car  le  respectable  major  n'est  qu'un  curieux  T,:in 
qui  connaît  peu  le  prix  de  ce  qu'il  possède.  Ce  qui 
fixa  le  plus  mon  attention  ,  dans  cet  amas  d'objets 
assez  hétérogènes ,  fut  une  momie  complète  de  Guan- 
che,  qu'on  me  dit  être  celle  d'une  femme.  Elle  était  en- 
veloppée de  plusieurs  bandes  de  peaux  cousues;  les 
traits  du  visage  semblaient  avoir  été  réguliers ,  les 
mains  très-grandes,  et  la  taille  de  l'individu  desséché 
atteignait  encore  cinq  pieds  quatre  pouces.  Du  reste, 
ce  procédé  de  conservation  pour  les  cadavres  est  bien 
inférieur  à  celui  des  IXouveaux-Zélandais,  vu  quilnc 
reste  guère  du  corps  que  la  peau  plus  ou  moins  raccor- 
nie,  comme  aux  momies  de  Païenne.  Dans  les  grottes 
sépulcrales  des  Guanches,  on  a  aussi  rencontré  des  bâ- 
tons en  bois  dur  à  poignée  ronde,  tout-à-fait  semblables 
à  ceux  des  Nouveaux-Irlandais;  des  vases  en  terre  et  en 
bois  assez  bien  tournés ,  des  espèces  de  petits  cachets 
triangulaires  en  terre  cuite,  et  surtout  une  foule  de 
petits  disques  de  la  même  matière  ,  ayant  trois  lignes 
de  diamètre,  enfilés  comme  des  chapelets  (qui  leur 
servaient  peut-être  au  même  usage  que  les  quipos  chez 
les  Péruviens),  des  aiguilles  en  os  et  une  sorte  d'étoffe 
tressée  de  fibres  ou  écorces  roussâtres.  Cette  étoffe 
enveloppait  quelquefois  les  momies,  mais  bien  plus 
rarement  que  les  peaux  de  chèvre  cousues. 

M.  Megliorini  possédait  des  échantillons  de  tous 
ces  objets;  je  contemplai  avec  émotion  ces  uniques 
vestiges  d'une  race  d'humains  douce,  paisible  et  digne 
d'un  meilleur  sort,  si  l'on  en  croit  les  historiens  qu'a 

TOME    I.  4 


50  VOYAGE 

1826.  produits  la  nation  même  qui  les  a  tous  exterminés  jus- 
juin,  qu'au  dernier.  Cependant ,  tout  en  détestant  la  féro- 
cité des  conquérans ,  il  est  permis  de  ne  pas  trop  se 
passionner  en  faveur  des  Guanches  ;  car  on  a  acquis 
la  certitude  que,  comme  parmi  tous  les  peuples  à  demi- 
sauvages  ,  chez  ces  Guanches  si  vantés ,  la  caste  privi- 
légiée affectait  le  plus  profond  mépris  pour  les  indivi- 
dus de  la  basse  classe,  et  souvent  même  les  traitait 
de  la  manière  la  plus  inhumaine. 

Pendant  la  durée  du  mouillage,  le  vent  fut  variable 
en  force  et  en  direction,  quoique  soufflant  le  plus 
souvent  du  N.  E.  au  S.  E.  Du  reste,  le  jour  même 
où  nous  l'observions,  soufflant  assez  frais  du  S.  O.  à 
la  cime  du  Pic,  au  mouillage  il  resta  constamment  à 
l'E.  et  au  N.  E.  assez  faible.  Le  thermomètre,  à  1 7°  à 
quatre  heures  du  matin,  montait  ordinairement  à  .21° 
et  22°  au  milieu  du  jour ,  et  a  été  une  fois  jusqu'à  25°, 
tandis  que  la  surface  des  eaux  s'est  toujours  main- 
tenue à  21°  environ. 

Assez  de  navigateurs  ont  parlé  du  mouillage  de  Té- 
nériffe,  de  ses  avantages  et  de  ses  inconvéniens  ;  je  ne 
répéterai  point  ce  qu'ils  en  ont  dit.  Cette  relâche  nous 
fut  très-utile  pour  remplacer  l'eau  et  le  bois  consom- 
més au  détroit  de  Gibraltar;  nous  prîmes  ,  en  outre, 
quatre  pièces  de  vin  ordinaire,  contenant  environ  neuf 
cents  litres.  En  le  mêlant  avec  égale  quantité  d'eau , 
il  contenait  autant  d'alcool  que  celui  qu'avait  fourni 
le  port;  et  à  cet  état  il  se  trouvait  encore  préférable, 
pour  la  salubrité,  à  l'eau-de-vie. 
ai.  A  huit  heures  et  demie ,  mes  lettres ,  le  paquet  et  la 


DE  L'ASTROLABE.  Si 

caisse  de  MM.  Quoy  et  Gaimarcl  furent  expédiés  chez,  i8a6. 
le  consul;  au  retour  du  canot,  je  mis  à  la  voile.  La  Jum< 
brise  incertaine  et  le  courant  nous  retinrent  quelque 
temps  en  suspens,  je  vis  même  le  moment  où  j'allais 
tomber  sur  un  brick  portugais  mouillé  près  de  nous. 
Enfin,  vers  onze  heures  trente  minutes,  il  s'éleva  une 
jolie  brise  d'E.  N.  E.,  et  nous  fîmes  route,  contour- 
nant l'île  à  bonne  distance,  pour  éviter  les  calmes  de 
la  côte.  L'île  était  enveloppée  d'une  bruine  épaisse 
qui  nous  cacha  entièrement  les  flancs  du  Pic;  sa 
cime  seule  se  montrait  de  temps  en  temps  au-dessus 
des  nuages  comme  une  île  suspendue  dans  les  airs. 

Toute  la  journée  je  ressentis  une  lassitude  extrême 
dans  toutes  les  parties  du  corps,  suite  naturelle  de 
mon  excursion  au  Pic. 

Le  vent  fraîchit  à  l'E.  et  au  N.  E.,  et  nous  cin- 
glâmes sous  toutes  voiles  à  l'O.  S.  O.  Le  22  au  matin 
nous  vîmes  encore  la  tète  du  Pic  au  travers  des  nuages, 
elle  disparut  tout-à-fait  vers  huit  heures.  Quoique  le 
soleil  se  trouvât  presque  au  zénith ,  la  température 
était  délicieuse.  Dans  la  journée  du  23,  nous  com-  a3. 
mençâmes  à  voir  flotter  sur  les  ondes  ces  belles  phy- 
sales  aux  reflets  purpurins,  qu'on  rencontre  si  souvent 
entre  les  îles  Canaries  et  les  îles  du  Cap-Vert. 

J'ai  voulu  employer  un  des  thermométrographes 
de  Bunten ,  pour  observer  les  maxima  et  minima  de 
chaleur,  chaque  jour.  Mais  j'ai  remarqué  qu'il  donnait 
constamment  un  maximum  plus  élevé  que  le  thermo- 
mètre de  Le  Noir,  parce  qu'il  est  situé  dans  ma  cham- 
bre de  la  dunette ,  réchauffée  toute  la  journée  par  les 


52  VOYAGE 

18*6.  rayons  du  soleil  qui  donne  sur  le  plafond,  tandis 
juin.  qUe  }es  autres  thermomètres  sont  plus  à  l'abri  de  cette 
influence,  près  la  barre  du  gouvernail.  Les  localités 
du  navire  ne  permettent  pas  d'obvier  à  cet  inconvé- 
nient, ainsi  qu'à  beaucoup  d'autres,  qui  s'opposeront 
toujours  à  ce  qu'on  puisse  rendre  les  observations  de 
physique  aussi  rigoureuses  qu'on  le  désirerait. 
-  a.,.  Vers  quatre  heures  du  soir ,  me  trouvant  précisé- 

ment vent  arrière,  j'ai  voulu  mesurer  la  vitesse  de  la 
lame  par  le  moyen  qu'indique  Horsburgh.  Elle  était 
assez  longue  et  d'une  profondeur  médiocre,  ce  qui  la 
rendait  peu  sensible.  J'ai  trouvé  que  l'intervalle  de 
deux  lames  consécutives  était  de  cent  vingt  pieds ,  et 
leur  vitesse  de  six  secondes;  ce  qui,  joint  à  la  vitesse 
du  navire ,  de  six  nœuds ,  donne  environ  dix-neuf 
nœuds  pour  la  vitesse  absolue  de  la  houle.  Il  serait 
assez  curieux  de  répéter  ces  expériences,  et  on  le 
ferait  sans  peine  sur  ces  bâtimens  qui  n'ont  d'autre 
but  dans  leur  navigation  qu'une  traversée  d'Europe 
aux  colonies,  et  vice  versa. 
26.  Jusqu'à  ce  jour,  favorisés  par  de  bons  vents  de 

]N.  E.  et  un  temps  superbe,  nous  avons  promptement 
approché  des  îles  du  Cap-Vert.  De  brillantes  phy- 
sales  passent  fréquemment  le  long  du  bord ,  mais  le 
sillage  est  trop  fort ,  et  le  remoux  trop  considérable 
pour  qu'on  puisse  en  prendre.  On  distingue  aussi  de 
petites  velelles  dont  l'azur  ressort  au  milieu  de  l'écume 
blanchissante  des  flots. 

Mon  intention  était  d'abord  de  passer  entre  les  îles 
Sant- Antonio  et  Santa-Lucia ,  pour  en  faire  la  géo- 


DE  L'ASTROLABE.  53 

graphie.  Mais  je  me  rappelai  que  le  capitaine  King  iS?.g. 
pourrait  encore  se  trouver  à  la  Praya;  que,  si  je  l'y  Jl11"- 
rencontrais ,  il  pourrait  me  donner  des  renseignemens 
précieux  pour  la  navigation  des  côtes  de  la  Nouvelle- 
Guinée.  Cette  puissante  considération  me  détermina 
à  passer  en  vue  du  port  de  la  Praya,  pour  reconnaître 
s'il  ne  serait  pas  encore  en  ce  mouillage,  n'étant  parti 
de  Santa-Cruz  que  deux  fois  vingt-quatre  heures  avant 
notre  arrivée. 

En  conséquence,  à  trois  heures  je  mis  le  cap  au  S. 
S.  E.  et  au  S.  S.  E.  '/^S-*  hlant  sept  ou  huit  nœuds 
sous  les  hasses  voiles  et  les  huniers.  Le  jour  sui-  27- 
vant  l'horizon  fut  fortement  embrumé,  l'atmosphère 
épaisse,  humide  et  d'une  couleur  blanchâtre.  A  huit 
heures  du  matin  je  gouvernai  au  sud ,  pour  recon- 
naître plus  vite  l'île  de  Sal.  Ne  pouvant  l'apercevoir, 
à  quatre  heures  quarante-cinq  minutes  du  soir,  je  mis 
le  cap  au  S.  40°  O..,  pour  courir  précisément  dessus. 
Nous  cherchions  à  la  découvrir  de  l'avant,  lorsqu'à 
cinq  heures  quarante-cinq  minutes,  M.  Gressien  vit 
tout-à-coup  ses  pitons  élevés  presque  par  notre  travers 


54  VOYAGE 

1826.       à  tribord,  et  bientôt  après  une  terre  plus  basse  de 
juin.        l'avant  que  je  supposai  être  Buena-Vista. 

Ces  relèvemens  ne  cadraient  nullement  avec  nos 
observations  et  la  position  de  ces  îles  sur  les  caries.  Il 
faut  qu'elle  soit  très-défectueuse,  ou  que  nous  eus- 
sions nous-mêmes  une  grande  erreur  en  latitude. 
Lorsque  la  nuit  nous  eut  dérobé  la  vue  de  ces  îles ,  je 
revins  jusqu'au  S.  S.  E.,  pour  doubler  auvent,  et  à 
une  distance  convenable ,  les  récifs  dangereux  qui 
s'étendent  assez  loin  à  l'E.  et  au  S.  E.  de  Buena-Vista. 
La  nuit  fut  sombre ,  la  mer  houleuse ,  et  nous  res- 
tâmes sous  les  huniers ,  filant  cinq  ou  six  nœuds. 
2g.  Vers  midi  et  demi,  ayant  le  cap  à  l'O.,  nous  aper- 

çûmes File  de  Mai  à  six  ou  sept  lieues.  A  trois  heures , 
nous  n'en  fumes  qu'à  deux  milles  et  demi ,  et  quatre- 
vingts  brasses  de  lignes  à  cette  distance  ne  trouvèrent 
point  le  fond.  Nous  prolongeâmes  à  moins  de  deux 
milles  toute  la  côte  S.  E.  de  cette  île ,  pour  en  lever 
le  plan.  Elle  est  nue,  généralement  basse ,  et  bordée 
d'une  ceinture  de  brisans  qui  semble  s'étendre  unifor- 
mément à  une  demi-encàblure  au  large,  et  sur  la- 
quelle la  mer  brise  avec  une  fureur  inconcevable. 
À  six  heures  nous  quittâmes  cette  île  ;  à  dix  heures 
quarante-cinq  minutes ,  m'estimant  à  peu  près  à  mi- 
canal  entre  Mai  et  Santiago ,  je  mis  en  panne  pour 
attendre  la  fin  de  la  nuit  qui  fut  très-s ombre. 
29.  Au  point  du  jour,  je  restai  fort  étonné  en  relevant 

Santiago  à  l'O.  N.  O.  ,  et  non  au  S.  O. ,  comme  je 
m'y  attendais.  L'île  de  Mai  restait  au  N.  E.,  et  il  était 
évident  qu'un  courant  très-fort  nous  avait  considéra- 


DE  L'ASTROLABE.  55 

blement  portés  au  S.  Nous  mimes  le  cap  au  N.  O.,  en       i8a6. 
forçant  de  voiles,  et  bientôt  nous  eûmes  rallié  la  terre.       JlMI1- 
Il  ne  nous  fut  pas  difficile  de  distinguer  le  morne  isolé 
à  TO.,  donné  comme  principale  reconnaissance,  et 
qui  servit  à  nous  guider  vers  le  mouillage. 

Dès  sept  heures  un  navire  anglais  se  dirigeait  éga- 
lement vers  la  baie,  à  trois  ou  quatre  milles  devant 
nous;  nous-mêmes,  à  huit  heures  cinquante  minutes, 
nous  doublâmes,  en  la  serrant  de  très-près,  sa  pointe 
de  l'E.  Le  vent  refusa  tout-à-fait;  il  fallut  laisser 
tomber  l'ancre  par  douze  brasses ,  fond  de  gros  sable 
gris.  A  dix  heures,  j'expédiai  M.  Guilbert  chez  le 
gouverneur,  pour  lui  présenter  la  lettre  de  son  gou- 
vernement ;  cet  officier  fut  reçu  avec  la  plus  grande 
honnêteté,  et  on  lui  fît  beaucoup  d'offres  de  service. 
Ensuite  les  diverses  personnes  de  l'état-major  des- 
cendirent à  terre  pour  vaquer  chacune  aux  fonctions 
dont  elles  se  trouvaient  chargées. 

J'avais  appris  de  suite  que  le  capitaine  King  venait 
de  quitter  la  Praya  depuis  trente- six  heures  seule- 
ment, après  y  avoir  séjourné  trois  jours.  La  corvette 
anglaise,  qui  avait  mouillé  sur  rade  peu  avant  nous, 
était  leLevel,  commandée  par  le  capitaine  Owen,  et 
employée  depuis  quatre  années  et  demie  à  la  recon- 
naissance détaillée  des  côtes  orientales  de  l'Afrique  et 
de  Madagascar.  A  onze  heures  il  vint  lui-même  nous 
rendre  visite  ;  je  fus  très-flatté  de  faire  sa  connais- 
sance ;  de  son  côté ,  il  parut  charmé  de  trouver 
dans  noire  corvette  un  navire  qui  venait  déjà  de  faire 
le  tour  du  monde ,  et  qui  se  préparait  à  de  nouvelles 


56  VOYAGE 

1826.  recherches  scientifiques.  Cet  estimable  officier,  qui 
jum.  parait  unir  la  franchise  d'un  marin  à  des  manières 
simples  et  même  un  peu  originales  ,  me  fit  beaucoup 
d'amitiés  ;  nous  nous  entretînmes  long-temps  de  ses 
travaux  qui  étaient  à  leur  terme,  car  il  retournait 
en  Angleterre.  Il  avait  beaucoup  souffert  de  l'influence 
pernicieuse  du  climat  et  des  maladies  ,  puisqu'il  avait 
perdu  trente-cinq  officiers  et  plus  de  cent  matelots.  Il 
avait  aussi  dès  le  principe  avec  lui  deux  naturalistes 
qui  avaient  succombé  ;  perte  irréparable,  et  qui  rédui- 
sait les  résultats  aux  seules  observations  géographi- 
ques. Du  reste,  il  avait  admirablement  rempli  son 
mandat  sous  ce  rapport;  il  me  montra  toutes  les  cartes 
qu'il  avait  dressées.  Ce  travail  excellent  méritera  de 
prendre  place  à  côté  de  ceux  de  Flinders  et  de  King. 
C'est  ainsi  qu'on  doit  travailler  quand  on  veut  rendre 
de  véritables  services  à  la  navigation. 

Outre  le  Level,  qui  était  une  corvette  de  vingt-six 
caronades  de  32,  du  port  de  quatre  cent  soixante 
tonneaux ,  et  montée  par  cent  cinquante  hommes  d'é- 
quipage, M.  Owen  avait  aussi  à  sa  disposition  un  petit 
navire  nommé  le  Baracouta,  et  une  petite  goélette 
appelée  V Albatrosse.  On  sent  bien  qu'avec  de  tels 
moyens  il  lui  était  facile  de  faire  beaucoup. 

A  une  heure  je  descendis  à  terre  avec  M.  Lottin, 
pour  aller  rendre  visite  au  gouverneur-général.  Il 
faisait  sa  sieste.  Alors  je  parcourus  la  ville ,  qui 
n'est  qu'un  méchant  village  composé  de  chétives  ca- 
banes ;  le  logement  du  gouverneur  lui  -  même  n'a 
qu'une  bien  triste  apparence.  Trois  maisons  seule- 


DE  L'ASTROLABE.  57 

ment  offrent  un  aspect  plus  décent  ;  elles  appar-  1826. 
tiennent  aux  consuls  anglais  et  américain  et  à  un  né-  Juin- 
gociant.  La  ville  de  la  Praya  et  son  fort,  qui  me  parut  PL  vin  etrx. 
en  bien  mauvais  état,  sont  assis  sur  une  éminence  sur- 
montée d'un  plateau,  et  qu'entoure  de  tous  côtés  un 
vallon  planté  de  quelques  palmiers  et  cocotiers ,  les 
seuls  arbres  que  l'on  puisse  y  remarquer.  Tout  ce  que 
la  vue  peut  saisir  des  montagnes  voisines  respire  cet 
air  de  sécheresse  et  d'aridité  qui  m'avait  déjà  frappé  à 
l'Ascension.  On  dit  qu'à  peu  de  distance,  dans  l'inté- 
rieur, la  scène  change,  et  qu'il  y  a  même  des  sites  fort 
agréables.  Mais  je  n'avais  pas  le  temps  de  songer  à 
y  pénétrer;  dégoûté  du  triste  spectacle  que  j'avais 
sous  les  yeux  ,  accablé  de  la  chaleur  que  j'éprouvais  , 
je  ne  restai  qu'une  heure  à  terre,  et  m'empressai  de 
retourner  à  bord,  où  je  respirais  du  moins  la  brise  de 
la  mer. 

Au  mouillage  nous  relevions  la  pointe  O.  de  la 
baie  au  N.  87°  O.  du  compas.  La  pointe  E.  au 
S.  86°  E. ,  et  le  fort  de  la  Praya  au  N.  36°  O.  Le 
thermomètre  variait  de  1 8°  à  24°,  de  la  nuit  au  jour. 

J'observerai  ici  que  la  relâche  de  la  Praya  me  pa- 
raîtrait préférable  à  celle  de  Santa-Cruz  sous  tous  les 
rapports ,  le  vin  seul  excepté ,  pour  un  bâtiment 
destiné  comme  le  nôtre  à  une  longue  campagne.  Elle 
est  plus  éloignée  du  point  de  départ  ;  l'eau  s'y  fait  plus 
commodément,  et  l'accès  de  la  terre  est  plus  facile. 
Surtout,  et  il  faut  noter  cette  remarque  comme  un 
point  essentiel,  un  navire  affourché  ou  mouillé  avec 
une  chaîne  convenable,  n'a  rien  du  tout  à  y  redouter. 


58 


VOYAGE 


1826. 

Juin. 


3o. 


Cette  dernière  condition  est  de  rigueur,  attendu  qu'on 
est  fort  mal  sur  un  seul  câble  à  cause  des  variations 
perpétuelles  du  vent  et  des  courans  qui  tiennent  sou- 
vent évités  en  travers.  Les  bœufs  et  les  légumes  y  sont 
à  bon  compte ,  et  le  prix  de  la  volaille  le  même  qu'à 
Ténériffe  *. 

Ayant  manqué  le  seul  but  qui  m'avait  appelé  à  la 
Praya,  l'espoir  d'y  rencontrer  le  capitaine  King,  je 
ne  voulus  pas  y  faire  un  plus  long  séjour.  Dès  six 
heures  du  matin  V Astrolabe  remit  à  la  voile,  et  je 
prolongeai  la  cote  méridionale  de  Santiago ,  pour  en 


faire  la  géographie.  Santiago  dans  toute  son  étendue 
offre  le  même  ton  d'aridité  que  la  Praya  ;  je  n'ai  remar- 
qué qu'un  petit  vallon,  dont  l'aspect  vert  et  riant 
contrastait  agréablement  par  sa  fraîcheur  avec  les 
coteaux  dépouillés  qui  l'environnent.  Nous  avons  par- 
faitement distingué  une  petite  ville,  désignée  sous  le 
nom  de  Santiago  sur  la  carte  de  d'Après.  Je  me  pro- 
posais de  prolonger  également  la  côte  sud  de  Fogo, 


*   Voyez  note  2. 


DE  L'ASTROLABE.  59 

et  de  reconnaître  enfin  Brava,  pour  lier  leurs  positions  iSa6. 
entre  elles  avant  de  faire  route.  Mais  à  neuf  heures ,  Juin- 
le  vent  ayant  varié  au  N.  O.  etO.,  en  mollissant,  et  ne 
voulant  pas  perdre  plus  de  temps,  je  me  déterminai 
à  gouverner  au  S.  S.  E.  Bientôt  le  vent  revint  à  TE. 
N.  E.,  et,  dès  une  heure  quarante-cinq  minutes,  nous 
perdîmes  la  terre  de  vue.  A  cinq  heures  trente  mi- 
nutes ,  un  brick ,  faisant  voile  au  sud,  passa  à  environ 
un  mille  de  l'avant  à  nous. 

Toute  la  journée  nous  n'avons  éprouvé  que  des  ie»  juillet. 
brises  très-faibles  d'E.  S.  E.  et  de  S.  E.  On  a  pris  un 
grand  nombre  de  mollusques,  telles  que  Phy sales, 
Fêle  lies,  Porpites,  un  petit  requin,  et  même  quelques 
animaux  nouveaux.  J'ai  suivi  quelque  temps  des  yeux, 
entre  deux  eaux  ,  un  gros  mollusque  cylindrique  dan 
moins  trois  pieds  de  long,  sur  quatre  ou  cinq  pouces 
d  épaisseur ,  et  d'une  couleur  bleu  clair ,  qui  a  passé 
sous  l'arrière  du  navire.  M.  Quoy  a  pensé  que  ce 
devait  être  un  Be'roé. 

A  neuf  heures  du  matin  ,  nous  avons  aperçu  dans  3. 
le  S.  S.  O.  un  navire  à  trois  mats  qui  faisait  route  au 
nord,  et  à  dix  heures  a  passé  par  notre  travers  à  deux 
milles  environ,  sans  mettre  de  pavillon.  Depuis  hier 
la  chaleur  est  accablante,  surtout  quand  le  vent  vient 
à  tomber. 

Déjà  moins  régulier  depuis  trois  jours ,  l'alise  a 
tout-à-fait  manqué  aujourd'hui  par  11°  N.  et  24°  30', 
longitude  O.,  pour  faire  place  aux  folles  brises  de 
S.  et  S.  S.  O.  La  pluie  est  tombée  par  torrens , 
avec  une  grosse  houle  et  de  violentes  chaleurs.  Tel 


60  VOYAGE 

1826.       a  été  Tétat  du  ciel  durant  les  quinze  jours  que  nous 
juillet.      avons  employés  à  franchir  cette  zone  de  vents  va- 
riables. 

Ce  que  nous  avons  éprouvé  touchant  la  limite  de 
l'alise,  concorde,  ainsi  qu'on  peut  le  voir,  avec  les  in- 
dications d'Horsburgh,  qui  désigne  1 2°  pour  la  latitude 
moyenne  à  laquelle  ces  vents  s'arrêtent  au  mois  de  juil- 
let. J'ai  de  fortes  raisons  pour  croire  qu'on  ne  gagne- 
rait rien  à  s'avancer  plus  à  l'O.  en  longitude  ,  dans  le 
but  de  les  conserver  plus  long-temps.  D'un  autre 
côté  ,  il  serait  plus  désavantageux  encore  de  trop  ser- 
rer la  cote  d'Afrique. 

6.  J'ai  profité  d'un  calme  plat  de  midi  à  trois  heures  , 

pour  faire  une  expérience  de  température  à  profon- 
deur. Le  thermométrographe  n°  9  de  Bunten  a  été 
descendu  à  quatre  cents  brasses  de  profondeur,  dans 
une  direction  parfaitement  verticale.  Bien  que  le  cy- 
lindre en  cuivre  qui  renfermait  l'instrument  fût  à 
moitié  rempli  d'eau ,  lorsqu'on  l'a  ouvert ,  le  mercure 
ne  s'était  nullement  dérangé ,  et  il  en  est  résulté  que 
la  température  des  eaux  de  la  mer  qui  était  à  26°,  8 
à  la  surface,  n'était  plus  qu'à  5°,  2  à  la  profondeur  de 
quatre  cents  brasses  ou  deux  mille  pieds.  Cette  expé- 
rience a  prouvé  combien  étaient  imparfaites  celles  que 
l'on  faisait  en  se  contentant  de  puiser  l'eau  à  de  gran- 
des profondeurs ,  et  de  mesurer  la  température  lors- 
qu'elle était  ramenée  à  bord  ;  attendu  que  l'index  du 
minimum  était  déjà  remonté  de  4°,  8  à  14°,  quelque 
diligence  qu'on  eût  d'ailleurs  employée,  en  retirant  la 
sonde.  L'instrument  était  resté  une  demi-heure  en- 


DE  L'ASTROLABE.  61 


1826. 


lière  au  fond ,  et  il  a  fallu  autant  de  temps  pour  le  ra- 
mener à  bord.  Juillet. 

On  peut  aussi  juger  par  là  de  ce  que  ces  expériences 
doivent  avoir  de  pénible  pour  des  hommes  déjà  soumis 
aux  divers  travaux  du  bord,  et  la  moitié  du  temps  cou- 
verts d'eau  sous  cette  zone  à  la  fois  humide  et  brû- 
lante. Ni  l'Institut ,  ni  le  ministère  ne  peuvent  assez 
apprécier  les  fatigues  des  marins  dans  de  semblables 
campagnes.  C'est  une  lutte  perpétuelle  contre  les 
tempêtes,  les  écueils,  les  dangers  et  les  privations  de 
toute  espèce ,  un  fréquent  assujettissement  à  des  tra- 
vaux extraordinaires  et.  souvent  bien  étrangers  au 
service  habituel  du  marin.  Dans  l'intérêt  de  la  science, 
comme  dans  l'exacte  équité,  ne  serait-il  pas  conve- 
nable de  dédommager  ces  hommes  par  des  récom- 
penses honorables  et  proportionnées  à  [la  nature  de 
leurs  services? 

Impatient  d'obtenir  une  donnée  plus  positive  sur  la  10. 
limite  du  refroidissement  des  couches  sous-marines  , 
ce  jour-là  je  mis  à  profit  un  calme  profond,  pour  ten- 
ter une  nouvelle  expérience  à  une  très-grande  profon- 
deur. Dix  lignes  de  cent  brasses  chacune  furent  prépa- 
rées sur  le  pont  ;  le  thermométrographe  n°  9  fut  placé 
dans  le  cylindre  en  cuivre,  de  deux  lignes  d'épaisseur, 
fabriqué  à  l'atelier  des  boussoles  à  Toulon.  J'y  plaçai 
aussi  un  petit  flacon  d'huile  d'olive  pour  connaître  si 
elle  se  congèlerait.  Un  plomb  de  trente  kilogrammes 
était  attaché  au  bout  des  lignes,  à  quatre  ou  cinq  pieds 
au-dessous  du  cylindre,  et  un  peu  au-dessus  de  celui- 
ci,  une  sphère  en  verre  très-forte  et  creuse  à  lin- 


6g  VOYAGE 

1826.       teneur,  que  j'avais  t'ait  faire  à  la  verrerie  de  Toulon. 

juillet.  ^  une  }ieure  cinquante-deux  minutes  on  commença 

à  filer,  et  à  deux  heures  quinze  minutes  toutes  les 
lignes  furent  à  la  mer.  Comme  elles  semblaient  venir 
un  peu  de  l'arrière ,  je  fis  mettre  un  canot  à  la  mer 
pour  remorquer  le  navire  dans  cette  direction,  et  bien- 
tôt la  ligne  devint  tout-à-fait  verticale.  A  deux  heures 
cinquante-cinq  minutes  on  commença  à  retirer  la  ligne  ; 
tout  l'équipage  fut  obligé  de  donner  la  main  à  ce  tra- 
vail; le  plomb  ne  revint  à  bord  qu'à  quatre  heures 
trente  minutes  :  il  n'avait  point  rencontré  le  fond.  La 
pression  des  couches  supérieures  avait  tellement  com- 
primé le  cylindre ,  qu'elles  l'avaient  complètement 
aplati.  L'échelle  en  cuivre  du  thermométrographe  était 
restée  serrée  et  contournée  contre  ses  parois,  et  le 
tube  brisé  en  mille  pièces  avait  disparu,  ainsi  que  la 
fiole  d'huile.  Le  globe  en  verre  revint  intact;  pas  une 
goutte  d'eau  n'avait  pénétré  à  l'intérieur.  Il  avait  néan- 
moins subi  une  pression  de  cent  cinquante-six  atmos- 
phères ! . . . 

Je  regrettai  beaucoup  que  cette  expérience  n'eût  pas 
mieux  réussi;  car,  faite  avec  tout  le  soin  possible,  elle 
nous  eût  donné  la  vraie  température  des  mers,  à  cette 
immense  profondeur  de  cinq  mille  pieds.  En  outre,  je 
me  vis  obligé  de  faire  construire  un  nouveau  cylindre 
par  notre  armurier,  et,  pour  cet  objet,  je  destinai  d'é- 
paisses plaques  en  tôle  qui  nous  avaient  été  données  à 
l'armement  pour  la  réparation  de  la  cuisine. 

Hier  on  avait  déjà  pris  un  requin ,  aujourd'hui  on 
en  a  saisi  deux  autres  de  six  à  huit  pieds.  Il  est  dilfi- 


DE  L'ASTROLABE.  63 

file  de  peindre  la  joie,  l'espèce  d'ivresse  qu'excitent  1826. 
toujours  dans  l'équipage  ces  sortes  de  captures.  C'est  Juillet 
réellement  le  ravissement  du  sauvage  qui  tient  entre 
ses  mains  son  plus  cruel  ennemi,  et  s'apprête  à  le 
dévorer.  Ce  spectacle  donne  une  idée  du  surcroît  de 
jouissance  que  le  sentiment  de  la  plus  terrible  des 
vengeances  peut  ajouter  au  simple  appétit  créé  par 
la  nature  dans  l'animal,  comme  dans  l'homme  ,  sous 
L'empire  absolu  des  passions  ,  et  sur  lequel  la  voix  de 
l'éducation  a  peu  ou  point  d'influence. 

La  plupart  de  nos  officiers  ont  toujours  mangé  avec 
plaisir  la  chair  du  requin  ;  pour  moi ,  sans  être  in- 
fluencé par  aucun  préjugé,  et  sans  la  trouver  préci- 
sément mauvaise ,  j'ai  toujours  trouvé  à  cette  chair  un 
goût  particulier  qui  me  déplaisait;  si  bien  que  je  lui 
préférais  encore  de  bonne  viande  salée ,  malgré  le  peu 
d'attrait  que  ce  dernier  aliment  a  pour  moi,  surtout 
à  la  mer. 

Ames  propres  dépens  je  suis  enfin  convaincu  que  t-?.. 
Horsburgh  a  raison  en  conseillant,  contre  l'avis  de 
d'Après,  de  passer  la  ligne  autant  que  possible  entre 
20°  et  25°,  et  de  ne  rallier  en  aucune  manière  la  cote 
de  Guinée.  Cette  dernière  manœuvre  est  surtout  à 
éviter  dans  les  mois  de  juillet  et  d'août,  où  l'alise  du 
N.  E.  manque  dès  1 1  à  12°  N. ,  et  où  l'intervalle  de 
celui-ci  aux  vents  généraux  est  presque  entièrement 
occupé  par  des  vents  de  S.  S.  O.  et  S.  avec  une  grosse 
mer  et  des  grains  de  pluie.  En  effet,  en  suivant  le 
conseil  de  d'Après ,  me  voici  parvenu  par  1  8°  '/2  de 
longitude,  et  7"  seulement  de  latitude,  et,  depuis  hier, 


64  VOYAGE 

1826.  nous  avons  éprouvé  durant  vingt-quatre  heures  près 
juillet.  (je  qliarante  milles  de  courant  à  l'E.  N.  E. ,  ce  qui 
nous  laisse  peu  d'espoir  de  pouvoir  nous  rapprocher 
de  la  ligne.  Aussi  ai-je  pris  le  parti  définitif  de  gagner 
désormais  à  l'ouest  le  plus  que  je  vais  pouvoir,  afin  de 
m'élever  ensuite  vers  le  sud  en  louvoyant.  Manœuvre 
lente  et  pénible ,  j'en  conviens ,  mais  bien  plus  sûre  au 
moins  et  accompagnée  de  moins  de  dangers,  sur- 
tout moins  exposée  aux  chances  de  maladies  pour 
1  équipage,  que  le  parti  d'aller  s'enfoncer  dans  les 
chaleurs  brûlantes  et  les  calmes  désolans  du  golfe  de 
Guinée. 
1/,.  A  deux  heures  trente  minutes  après  midi,  nous 

aperçûmes  droit  devant  nous,  dans  l'ouest,  un  brick 
courant  au  plus  près  tribord.  A  trois  heures  il  laissa 
porter  sur  nous ,  en  hissant  pavillon  russe.  A  quatre 
heures  il  resta  en  panne  sur  notre  route,  et  mit  son 
canot  à  la  mer.  Il  fut  bientôt  le  long  de  notre  bord ,  et 
le  capitaine  se  fit  reconnaître  pour  celui  du  navire  P Er- 
cole,  qui  avait  été  long-temps  à  l'ancre  près  de  nous  à 
Sandy-Bay  et  à  Algésiras.  Il  venait  nous  demander  à 
vérifier  sa  longitude ,  n'ayant  pas  relâché  depuis  son 
départ  de  Gibraltar,  et  n'ayant  vu  aucune  terre  depuis 
Brava ,  qu'il  avait  reconnu  le  1 9  du  mois  dernier.  Je 
lui  donnai  le  point  de  quatre  heures;  il  n'avait  pas 
moins  de  6°  d'erreur  dans  la  longitude,  qu'il  estimait  à 
25°,  tandis  qu'elle  n'était  effectivement  que  de  1 9°,  telle- 
ment qu'en  poursuivant  deux  jours  encore  sur  le  même 
bord,  il  eût  fort  bien  pu  tomber  inopinément  sur  la 
côte  de  Guinée.  Je  lui  conseillai  en  outre  de  préférer 


DE  L'ASTROLABE. 


G  5 


la  bordée  de  l'ouest  à  l'autre ,  quelque  mauvaise  qu'elle 
semblât  au  premier  abord. 

Tant  que  nous  fûmes  dans  la  région  des  vents  va- 
riables, les  courans  furent  très-irréguliers.  Du  11 
au  16  ils  portèrent  de  trente  à  quarante  milles  par  jour 
à  l'E.  N.  E. ,  à  l'E.  et  à  l'E.  S.  E ,  du  16  au  1  ?  de  qua- 
rante-huit milles  au  S.  O.,  le  jour  suivant  de  qua- 
rante-sept milles  à  l'O.  i\A  S.  O. ,  et  enfin  le  1 9  ils  nous 
avaient  entraînés  de  quarante-sept  milles  précisément 
à  l'ouest. 

Dans  la  soirée  par  2°  latitude  N. ,  et  2 1  °  longitude  O . , 
nous  avons  décidément  rencontré  le  vent  général  du 
S.  E.,  qui  nous  a  ramené  le  beau  temps,  modéré  la 
ehaleur  et  nous  a  permis  de  gagner  vers  le  sud. 

Nous  avons  passé  la  ligne  entre  trois  et  quatre 


1826. 

Juillet. 


iS. 


66  VOYAGE 

1826.       heures  du  matin.  L'équipage  a  célébré  joyeusement  la 
juillet.       f£te  ju  baptême ,  et ,  malgré  quelques  libations  assez 
copieuses  de  la  part  de  certains  individus,  il  n'y  a  eu 
ni  querelle  ni  tumulte. 

A  Toulon,  pour  obliger  M.  Robert,  directeur  du 
jardin  des  plantes  de  cette  ville,  je  m'étais  chargé  de 
deux  caisses  contenant  de  jeunes  plants  d'oliviers  et 
figuiers  de  choix ,  qu'il  envoyait  à  M .  Mac-Arthur,  à 
Port- Jackson.  Malgré  les  secousses  de  la  navigation  , 
ils  ont  admirablement  prospéré,  et  sont  couverts  de 
la  plus  agréable  verdure.  Au  milieu  de  l'assommante 
monotonie  de  l'Océan  ,  cette  végétation  flatte  la  vue , 
récrée  l'imagination  abattue,  et  la  ramène  vers  des 
pensées  moins  tristes.  Si  je  commandais  une  frégate 
ou  un  vaisseau ,  j'aimerais  à  orner  ma  chambre 
de  quelques  caisses  de  fleurs ,  sans  avoir  égard  à  leur 
prix,  mais  pour  leur  verdure  seulement. 
25.  Depuis  quelques  jours ,  au  coucher  du  soleil,  le 

ciel  prend  une  teinte  purpurine  et  violette  très-remar- 
quable ,  tandis  que  les  nuages  qui  passent  sur  ce  fond 
se  colorent  en  vert  sale.  Cet  effet  de  lumière  se  dé- 
clare toujours  du  côté  du  couchant.  Il  n'y  a  presque 
plus  de  crépuscule  ;  dès  que  le  soleil  a  disparu  sous 
l'horizon ,  la  nuit  ne  tarde  pas  à  étendre  ses  sombres 
voiles. 
28.  A  dix  heures  trente  minutes  du  matin,  nous  filions 

à  peine  deux  nœuds  ;  j'ai  mis  en  panne  et  envoyé  le 
thermométrographe  n°  7  à  deux  cents  brasses ,  pour 
essayer  le  nouveau  cylindre  en  tôle.  L'expérience  a 
réussi,  et  il  n'est  entré  qu'un  demi-verre  d'eau  dans  le 


DE  L'ASTKOLABE.  67 

cylindre.  La  température  de  23°,  2  à  la  surface  a  des-      1826. 
cendu  à  10°,  8  à  cette  profondeur.  Juillet. 

Ce  même  jour  il  ne  restait  plus  aucun  malade  au 
poste,  et  l'on  peut  affirmer  que  tout  l'équipage  se  por- 
tait beaucoup  mieux  alors  qu'au  départ  de  Toulon. 


(58 


VOYAGE 


CHAPITRE  V. 


1>K    LA    TRINITE    AU    TORT    DU    ROI-GEORGES. 


ïSaô.  A  deux  heures  quinze  minutes  du  matin,  on  m'a 

3i  juillet,  prévenu  qu'on  apercevait  la  terre  de  l'avant,  un  peu  à 
bâbord;  au  point  du  jour,  nous  avons  clairement  dis- 
tingué les  rochers  de  Martin-Vaz  à  trois  milles  environ 
au  vent,  et  l'île  de  la  Trinité  à  dix-huit  ou  vingt  milles 


sous  le  vent.  A  six  heures  vingt-deux  minutes  du 
malin,  après  une  station  géographique,  nous  fîmes 
route  à  l'ouest  sur  le  milieu  de  l'île  ;  à  neuf  heures 
trente  minutes,  ne  nous  trouvant  plus  qu'à  trois  milles 
à  l'est  du  Pain-de-Sucre,  une  seconde  station  eut  lieu  ; 


DE  L'ASTROLABE.  09 

et  le  thermométrographe  fut  envoyé  à  cent  brasses;  1826. 
mais  une  dérive  trop  forte  dérangea  tout-à-fait  l'expé-  Juillet- 
rienee.  Nous  fîmes  servir  à  dix  heures  ;  alors  le  vent 
avait  un  peu  rangé  le  sud ,  et  le  courant  portait  le  long 
de  nie;  de  sorte  que  je  vis  le  moment  où  j'allais  com- 
promettre la  sûreté  du  navire  en  voulant  doubler  l'île 
par  le  sud.  Cependant  à  dix  heures  trente  minutes 
nous  rangeâmes  à  moins  d'un  mille  les  brisans  qui 
bornent  le  morne  immense,  aride  et  sauvage,  qui 
termine  l'île  de  ce  côté,  puis  nous  continuâmes  de  la 
contourner  en  nous  maintenant  à  deux  milles  au  plus 
de  distance. 

La  partie  occidentale  de  la  Trinité  offre  les  accidens 
du  sol  les  plus  remarquables ,  savoir  :  à  partir  du  sud, 
cette  masse  singulière ,  a  arêtes  très-droites ,  qui  de 
loin  semble  un  énorme  édifice ,  et  dont  la  base  offre 
une  ouverture  à  demi  elliptique  qui  traverse  sa  char- 
pente entière,  et  permet  d'apercevoir  le  jour  de  l'autre 
bord.  Sur  sa  gauche  vient  ce  gros  rocher  incliné, 
isolé,  dépouillé,  que  les  Anglais  ont  nommé  le  Pain- 
de-Sucre,  de  onze  cents  pieds  de  hauteur.  C'est  au 
pied  de  ce  rocher  que  sont  les  deux  seuls  mouillages 
de  l'île,  si  toutefois  on  peut  leur  donner  ce  nom.  L'un 
est  au  S.  E. ,  et  l'autre  au  S.  O.  de  l'île.  C'était  sur 
les  bords  de  la  première ,  près  de  la  petite  plage  qui 
l'entoure,  qu'était  établie  la  colonie  portugaise  qu'y 
trouva  M.  de  La  Pérouse  en  1785.  En  effet,  voilà  le 
seul  endroit  de  l'île  où  l'homme  puisse  faire  quel- 
ques pas  en  droit  chemin.  Au  N.  O.  on  admire 
un  rocher  non  moins  surprenant  que  les  précédens; 


1826. 

Juillet. 


70  VOYAGE 

sa  forme  est  presque  cylindrique ,  sa  hauteur  de 
plus  de  huit  cents  pieds  sur  quatre-vingts  ou  cent  au 
plus  de  diamètre.  Presque  entièrement  détaché  de  la 
masse  de  l'île ,  ses  pans  sont  verticaux,  et  quelquefois 
un  peu  rentrans  vers  sa  base.  On  dirait  de  loin  une 
tour  immense  élevée  par  la  main  des  hommes.  Les 
sommets  de  l'île  sont  hérissés  de  petites  pointes  cylin- 
driques ,  déliées ,  qui  paraissent  souvent  posées  en 
équilibre  sur  les  cônes  qu'elles  couronnent.  L'île  en- 
tière paraît  très-stérile-  à  l'exception  d'une  maigre 
verdure  aux  environs  de  l'anse  du  S.  E.,  et  de  quel- 
ques bouquets  d'arbres  dans  les  ravins  près  du  som- 
met, ce  ne  sont  que  des  rochers  nus. 


J'avais  le  dessein  de  tenter  une  excursion  à  la  côte 
avec  les  naturalistes  ;  mais  le  ressac  y  était  si  violent , 
et  la  mer  brisait  avec  tant  de  fureur  sur  tous  ses 
points ,  que  je  ne  jugeai  pas  à  propos  d'y  hasarder 
une  embarcation.  A  midi ,  nous  trouvant  sur  le  pa- 


DE  L'ASTROLABE.  71 

rallèle  de  sa  pointe  nord,  nous  finies  encore  une  sta-  1826. 
lion  ,  et  nous  gouvernâmes  ensuite  au  sud  avec  une  Aoùt- 
forte  brise  d'E.  S.  E.  et  une  grosse  mer  *. 

La  chaleur  diminue  rapidement;  le  1er  aoùt  au  tn. 
matin  nous  voyons  le  premier  pétrel  damier  par  22° 
latitudeS.  Le  jour  suivant  nous  passons  le  tropique 
du  Capricorne;  le  ciel  et  l'atmosphère  ont  quitté  ce 
ton  vaporeux  et  blanchâtre  habituel  aux  régions  équa- 
toriales,  pour  reprendre  cette  pureté,  et  rendre  à  l'ho- 
rizon ces  lignes  claires  et  bien  arrêtées  des  zones  tem- 
pérées dans  le  beau  temps. 

Par  27°  301  S.,  le  premier  albatros  paraît;   les        4. 
damiers  et  les  pétrels  bruns  sont  devenus  communs. 
Nous  déverguons  et  ramassons  peu  à  peu  nos  menues 
voiles ,  pour  alléger  le  grément  et  nous  préparer  aux 
rudes  secousses  des  mers  australes. 

Le  temps  était  superbe ,  la  mer  très-belle  ;  poussés  6. 
par  une  jolie  petite  brise  d'E.  N.  E. ,  nous  courûmes 
sur  la  position  de  Saxembourg.  A  huit  heures  trente 
minutes  du  soir,  nous  nous  trouvions  précisément 
sur  celle  qui  lui  fut  assignée  par  les  navires  Colombus 
et  Brothers  en  1808  et  1809,  d'après  Horsburgh. 
Nous  ne  découvrîmes  rien ,  pas  même  d'indices  d'au- 
cune nature ,  tels  qu'oiseaux ,  bois  ou  plantes  flottant 
sur  la  mer;  pourtant,  durant  le  jour,  nous  eussions 
pu  distinguer,  au  moins  à  vingt  milles  de  dislance, 
une  terre  basse,  et  à  six  ou  sept  milles  durant  la  nuit 
qui  était  très-claire. 

*    Voyez  note  3. 


72  VOYAGE 

1826.  Alors  je  revins  au  vent  et  mis  le  cap  à  l'E.  S.  E. , 

Août.  agn  çjg  prolonger  encore  quelque  temps  le  parallèle 
de  30°  20'  S.  Bien  que  nous  fussions  depuis  bien  long- 
temps hors  des  tropiques ,  je  donnai  l'ordre  de  con- 
tinuer les  distributions  de  café  trois  fois  par  semaine , 
et  de  punch  tous  les  dimanches  ;  persuadé  que  ces 
boissons  fortifiantes  étaient  encore  plus  convenables 
h  l'équipage  dans  les  climats  frais  qu'entre  les  tropi- 
ques. 
9.  Les  damiers  sont  devenus  nombreux  ;  nos  marins 

en  ont  pris  une  douzaine  à  la  ligne.  Cet  oiseau  a  des 
formes  très-élégantes,  et  beaucoup  du  port  du  pigeon. 
Quelque  vigoureux  que  soit  son  vol,  une  fois  à  terre, 
il  ne  peut  plus  s'enlever  ;  nous  nous  amusions  à  voir 
une  douzaine  de  ces  oiseaux  se  promener  maladroite- 
ment sur  le  pont,  sans  pouvoir  profiter  de  leur  liberté 
pour  s'envoler. 
11.  Notre  navigation  depuis  le  détroit  avait  été  en  gé- 

néral assez  tranquille ,  quoique  souvent  contra- 
riée par  des  houles  assez  pesantes,  des  grains,  des 
vents  défavorables  et  de  grandes  chaleurs.  Mais  nous 
avons  atteint  le  trentième  degré  de  latitude  méridio- 
nale, et  ces  vastes  mers  de  l'hémisphère  austral  sont 
sujettes  à  de  bien  mauvais  temps ,  surtout  en  juillet , 
août  et  septembre.  Aussi,  après  avoir  soufflé  à  l'O., 
assez  frais  durant  quelque  temps  ,  le  1 1  il  sauta  subi- 
tement au  S. ,  où  il  souffla  grand  frais  avec  quelques 
gouttes  de  pluie.  La  mer  devint  très-grosse ,  le  navire 
roulait  beaucoup,  il  fallut  mettre  à  la  cape. 

Le  coup  de  vent  fut  de  courte  durée ,  mais  le  vent 


DE  LWSTKOIAIîE.  73 

continua  de  souffler  avec  force  les  jours  suivans  ,  et  la  ,  s .,,-,. 
mer  resta  très-grosse.  Le  1 3  il  lit  beau,  le  1  4  aussi,  et  "  3  août. 
à  neuf  heures  trente  minutes  du  soir  nous  nous  trou- 
vions sur  la  position  précise  qui  a  été  assignée  à  Saxem- 
hourg  par  Gallowav,  celle-là  même  qui  a  été  adoptée 
dans  la  dernière  carte  publiée  par  le  dépôt  de  la  ma- 
rine. Aucun  indice  de  terre  ne  s'offrit  encore  à  nos 
regards.  On  doit  en  conclure  que  cette  île  n'existe  pas 
davantage  sur  cette  position  (pie  sur  celle  que  lui  a 
donnée  le  pilote  Long  du  (C//i///ùns,  et  que  le  mieux 
sera  de  la  rayer  définitivement  des  cartes,  comme  ont 
déjà  fait  les  Anglais. 

Il  serait  du  reste  assez  curieux  de  constater  ce  qui 
a  pu  donner  lieu  aux  contes  absurdes  débités  par 
Long  et  Gallowav  louchant  l'existence  de  cette  île  ; 
mais  cela  ne  pourrait  se  faire  qu'à  l'inspection  de  leurs 
tables  de  Loch. 

Le  15  au  soir,  nous  eûmes  un  nouveau  coup  de        xj 
vent  de  S.  O.,  avec  une  mer  énorme.  Il  varia  au  S. 
dans  la  nuit,  et  passa  au  S.  E.  le  jour  suivant ,  où  sa 
fureur  diminua  sensiblement. 

Il  est  bien  digne  de  remarque  que  dans  ces  coups 
de  vent  que  nous  venons  d'éprouver,  et  dans  ceux 
qui  suivirent,  le  plus  souvent,  le  baromètre  n'a  subi 
aucune  variation  ;  le  niveau  du  mercure  a  au  contraire 
conservé  des  stations  très-élevées  ,  comme  281'  4';  28n 
51,  et  même  28p  6'.  Il  en  résulte  que  ces  indications  of- 
frent bien  moins  d'intérêt  que  dans  notre  hémisphère: 
j'en  vins  enfin  au  point  d'y  faire  peu  d'attention. 

Dans  un  moment  de  calme  le  thcrmoniélrographo 


74  VOYAGE 

1 8a6-  n°  7  de  Bunten  tut  envoyé  à  trois  cents  brasses,  et  la 
température  de  17°,  5  à  la  surface ,  se  trouva  à  cette 
profondeur  de  1 0°.  L'index  du  maximum  avait  aussi 
monté  de  4°,  ce  qui  indique  que  l'instrument  avait 
traversé  une  couche  de  fluide  dont  la  température  était 
de  4°  supérieure  à  celle  de  la  superficie.  J'avais  en- 
fermé et  solidement  fixé  dans  une  simple  boîte  en  bois 
de  noyer  un  des  thermométrographes  de  Spinelli; 
descendu  à  la  profondeur  de  trois  cents  brasses,  il 
revint  broyé  en  mille  pièces  par  la  pression  des  cou- 
ches qui  avaient  pesé  dessus  ;  le  bois  de  la  caisse , 
complètement  imbibé  d'eau ,  avait  prodigieusement 
augmenté  de  poids. 

i9-  Depuis  quelque  temps,  au  moyen  du  pendule  et  du 

cadran  gradué,  adaptés  à  notre  habitacle,  je  me  suis 
occupé  d'observer  les  effets  du  roulis ,  d'après  l'in- 
clinaison du  navire  et  les  circonstances  qui  en  résul- 
tent. A  5°  d'inclinaison,  le  roulis  commence  à  de- 
venir sensible;  à  10  et  15°,  il  suppose  déjà  une 
grosse  mer  et  devient  incommode.  Il  fatigue  le  bâti- 
ment à  20°  ;  enfin  à  25  et  30°  qui ,  jusqu'à  présent , 
m'ont  paru  les  limites  de  l'inclinaison ,  les  porte-hau- 
bans sont  soulevés  par  les  lames,  la  cloche  tinte,  et 
les  secousses  sont  très-dures ,  surtout  quand  le  vent 
est  droit  de  l'arrière ,  et  la  houle  du  travers  ,  comme 
c'est  le  cas  aujourd'hui.  Du  reste ,  ces  grands  roulis 
sont  rares,  et  ne  reviennent  qu'à  des  intervalles  assez 
éloignés  ,  autrement  ils  démoliraient  la  corvette.  Dès 
que  le  vent  vient  un  peu  de  la  hanche,  ils  sont  moins 
répétés. 


DE  L'ASTROLABE.  75 

Coup  de  vent  de  S.  O.  le  20;  et  le  jour  suivant  iSsfi. 
tourmente  de  S.  S.  O. ,  avec  des  grains  de  pluie,  des  2°  aoiU- 
raffales  très-pesantes  et  une  mer  terrible.  Dans  tout 
le  voyage  de  la  Coquille,  le  coup  de  vent  que  nous 
reçûmes  vers  la  Nouvelle-Zélande,  nous  offrit  seul  des 
lames  d'une  aussi  prodigieuse  hauteur.  L'inclinaison 
du  navire  a  été  jusqu'à  33°.  Malgré  ces  violentes  se- 
cousses la  corvette  se  comporte  très-bien  et  ne  fait 
point  d'eau. 

Dans  la  journée  le  temps  s'embellit  un  peu,  nous        iX 
avons  des  vents  de  N.  O.  Accablés  parles  mauvais 
temps  des  jours  passés,  nous  semblons  renaître  à  la  vie, 
et  nous  goûtons  vivement  quelques  momens  de  repos. 

Ce  bien-être  dure  peu  ;  dès  le  jour  suivant  au  soir, 
le  vent  souffle  déjà  grand  frais  du  nord.  Insensible  aux 
tempêtes  du  sud ,  par  celle-ci  le  baromètre  descendit 
à  27p  9',  5.  De  cette  partie  aussi,  quoique  creuse,  la 
houle  est  cependant  plus  dure  et  plus  pénible  que  celle 
du  côté  opposé;  les  roulis  qu'elle  occasione  sont 
d'une  force  et  d'une  fréquence  extraordinaire.  Les 
paquets  flottans  de  Laminarïapy lïfera  ont  commencé 
à  paraître. 

Prenant  en  considération  la  longueur  des  nuits,  la 
rigueur  de  la  saison  et  la  durée  de  la  campagne,  à  dater 
d'aujourd'hui  l'équipage  est  mis  aux  trois  quarts ,  ce 
qui  procurera  aux  hommes  un  plus  long  repos,  et  les 
exposera  moins  aux  maladies  occasionées  par  d'exces- 
sives fatigues.  D'un  autre  côté  je  serai  obligé  d'exercer 
une  surveillance  plus  active,  surtout  de  redoubler 
de  prudence  pour  la  voilure. 


a  8. 


7 G  VOYAGE 

1S26.  Nouveau  coup  de  vent  de  N.  N.  O.  qui  dure  toute 

29  août.  ja  nuit,  et  qui  le  30 ,  au  jour,  devient  une  tempête  des 
plus  terribles.  A  onze  heures  elle  était  parvenue  au  plus 
haut  degré  de  violence  ;  les  lames,  formant  de  vraies 
montagnes,  atteignaient  au  moins  quatre-vingts  à  cent 
pieds  de  hauteur.  Heureusement  leurs  sommités  seules 
déferlaient ,  autrement  elles  eussent  promptement  en- 
glouti la  corvette.  Jamais  je  n'avais  vu  une  mer  aussi 
monstrueuse,  je  ne  croyais  pas  même  qu'en  aucune 
circonstance  l'équilibre  des  eaux  pût  être  renversé  à 
ce  point.  En  ce  moment ,  nous  nous  trouvions ,  il  est 
vrai,  sur  les  Acores  même  du  Banc-des- Aiguilles;  et 
l'on  sait  ce  que  les  navigateurs  ont  raconté  des  fu- 
rieuses tempêtes  de  ces  parages  si  redoutés  en  hiver. 
Après  avoir  tout  serré ,  nous  avons  été  réduits  à  courir 
sous  le  petit  foc  seul  ;  la  corvette  s'est  bien  comportée , 
mais  elle  a  beaucoup  fatigué ,  et  quelques  paquets  de 
mer  qu'elle  n'a  pu  éviter  ont  fait  donner  quelques  cou- 
tures ,  car  elle  a  commencé  à  faire  de  l'eau  pour  la  pre- 
mière fois  depuis  son  départ. 

Nous  avons  remarqué  que  les  lames  que  nous 
recevions  nous  causaient,  pour  ainsi  dire,  l'effet 
d'une  eau  à  demi  tiède,  ce  qui  indiquait,  pour  la  sur- 
face de  la  mer,  une  température  bien  supérieure  à  celle 
de  l'atmosphère. 

La  tempête  a  soufflé  avec  une  fureur  égale  et  conti- 
nuelle jusqu'à  six  heures  du  soir;  alors  les  raffales  ont 
diminué,  et  le  vent  s'est  soutenu  bon  frais  au  N.  O. 
et  O.  N.  O.  durant  deux  jours,  circonstance  très-heu- 
reuse pour  nous;  car  terrible  comme  elle  était,  la 


DE  L'ASTROLABE.  77 

houle  nous  eût  cruellement  fatigués,  si  le  calme  fut      1826. 
aussitôt  revenu. 

Aujourd'hui,  brises  faibles  et  variables.  A  dix  heures  i«  septembre. 
trente  minutes  du  matin  ,  presque  calme.  J'en  profite 
pour  envoyer  le  thermométrographe  à  cinq  cent  vingt 
brasses  de  profondeur  parfaitement  verticale,  avec  un 
plomb  de  vingt-quatre  kilogrammes.  Il  revient  en  bon 
état,  bien  que  le  cylindre  soit  plein  d'eau,  jusqu'à 
deux  pouces  du  bord.  Au  moment  où  on  l'a  ouvert , 
un  souffle  d'air  très-sensible  se  fait  sentir,  une  fumée 
légère  s'en  exhale  ,  et  l'eau  pétille  au-dedans  comme 
du  vin  mousseux.  L'index  du  minimum  a  descendu 
de  1 2°,  et  la  température  à  cinq  cent  vingt  brasses  de 
profondeur  n'était  que  de  5°,  4. 

Pour  compléter  l'expérience ,  deux  heures  après  le 
même  instrument  est  envoyé  à  cent  dix  brasses  seule- 
ment ;  cette  fois  l'index  ne  descend  que  de  4  à  5°  ;  il 
reste  prouvé  qu'à  ce  niveau  la  température  de  la  mer 
s'écarte  peu  de  celle  de  sa  surface. 

Nous  faisions  route,  àl'E.  S.  E.,  avec  une  faible  2. 
brise  d'O.  N.  O. ,  et  une  mer  assez  tranquille  ,  quand 
à  huit  heures  nous  crûmes  apercevoir  dans  le  sud ,  à 
peu  de  dislance,  un  espace  de  mer  où  la  lame  brisait 
très-sensiblement.  Examiné  attentivement,  et  suivant 
toute  apparence,  cet  objet  semblait  être  une  tète  de 
roche  ou  une  coque  de  navire  élevée  seulement  de 
quelques  pieds  au-dessus  de  l'eau.  Des  taches  blan- 
châtres bien  marquées  donnaient  lieu  de  croire  que'ce 
devait  être  plutôt  un  rocher;  en  outre  plusieurs  hiron- 
delles de  mer,  et  des  nuées  de  petits  pétrels  cendrés , 


78  VOYAGE 

1826.  prenaient  leurs  ébats  alentour.  Pour  fixer  toute  incer- 
septembre.  t  jtuc|e  j  je  gs  mettre  le  cap  directement  dessus  -,  bientôt 
je  ne  tardai  pas  à  m'apereevoir  que  notre  prétendu  bri- 
sant changeait  de  position,  puis  il  finit  par  disparaître  en- 
tièrement. Alors  je  restai  convaincu  qu'une  baleine  de 
grande  taille ,  et  couverte  de  coquilles  et  de  madré- 
pores, avait  seule  causé  cette  apparence.  Nul  doute, 
et  c'est  l'opinion  d'Horsburgh ,  que  d'immenses  céta- 
cés dormant  à  la  surface  des  eaux  et  produisant  de 
semblables  illusions ,  ont  donné  lieu  à  ces  dangers  pré- 
tendus, à  ces  rochers  que  divers  navigateurs  assu- 
rent avoir  rencontrés  dans  ces  mêmes  parages. 

Les  coups  de  vent  que  nous  venons  d'éprouver  et 
notre  température  actuelle  assez  régulièrement  de  8  à 
9°,  ont  porté  un  coup  funeste  à  ma  petite  pépinière. 
Les  figuiers  sont  morts ,  et  les  oliviers  ont  considéra- 
blement souffert.  Pour  transporter  avec  quelques 
succès  des  végétaux  vivans ,  les  bâtimens  à  batterie 
couverte  sont  à  peu  près  indispensables. 

3.  Par  37°  17'  latitude  S.  et  27°  longitude  O. ,  la  brise 
irrégulière  au  S.  O.  nous  a  amené  de  la  pluie  par  in- 
tervalles, et  deux  ou  trois  grains  de  grêle  très-abon- 
dans. 

4.  Le  jour  suivant,  un  gros  vent  de  S.  S.  O.  fait  mon- 
ter le  baromètre  jusqu'à  28p  61,  5  ,  ce  qui  justifie  les 
observations  déjà  faites  par  divers  navigateurs. 

5.  Du  5  au  soir  jusqu'au  10  inclusivement,  les  vents 
restent  fixés  à  l'E.  S.  E.,  à  l'E.  N.  E.  et  au  N.  E. , 
généralement  frais  et  accompagnés  de  beau  temps.  Le 
baromètre  s'élève  jusqu'à  28p  7',  28p  8l  et  même  28p 


DE  L'ASTROLABE.  79 

9'.  Obligés  de  serrer  lèvent,  bâbord  amures,  nous       1826. 
sommes  très-contrariés  durant  tout  ce  temps.  Septembre. 

A  midi  précis,  les  observations  placent  l'Astrolabe  7. 
à  huit  ou  dix  milles  au  IN.  des  Sondes  du  Brunswick 
sur  la  carte  anglaise ,  et  précisément  dessus  sur  la 
française.  Sans  le  courant  qui  a  varié ,  nous  passions 
sur  le  point  de  la  carte  anglaise.  Du  reste,  rien  n'an- 
nonce la  proximité'  d'un  haut  -  fond ,  et  il  vente  beau- 
coup trop  pour  qu'on  puisse  faire  une  sonde  considé- 
rable. 

MM.  Jacquinot,  Gressien  et  Lottin  observentet  cal-        9. 
culent  des  distances  lunaires  ,  et  les  longitudes  qui  en 
résultent  s'accordent  à  la  minute  avec  la  position  don- 
née par  la  montre  n°  38  de  Motel. 

Durant  la  nuit  le  vent  soufflait  au  nord,  bon  frais,  I3. 
avec  quelques  ral'fàles  par  intervalles,  un  temps  cou- 
vert et  une  mer  houleuse.  A  une  heure  trente  minutes 
j'avais  fait  carguer  la  grande  voile,  et  je  dormais  assez 
profondément,  lorsqu'à  six  heures  quinze  minutes  je 
fus  réveillé  en  sursaut  par  des  cris  lugubres  et  le  bruit 
d'une  manœuvre  précipitée.  Ayant  sauté  sur  le  pont, 
enveloppé  de  mon  seul  manteau,  j'eus  bientôt  appris 
qu'un  homme  était  tombé  à  la  mer.  Déjà  l'officier  de 
quart,  M.  Guilbert,  avait  exécuté  toutes  les  manœu- 
vres convenables  en  pareille  circonstance  ;  il  avait  jeté 
deux  cages  à  poules  à  la  mer,  mis  en  travers,  et  travail- 
lait à  mettre  le  petit  canot  à  la  mer,  ce  qui  fut  fait  à  l'ins- 
tant. Comme  je  distinguais  encore  à  sa  chemise  rouge 
le  malheureux  surnageant  au-dessus  des  flots,  et  qu'il 
n'était  qu'à  deux  encablures  du  navire  et  à  une  demi- 


80  VOYAGE 

1826.  encablure  des  cages ,  je  ne  cloutai  pas  qu'il  ne  pût  être 
septembre.  sauvé  f  et  craignis  seulement  pour  l'embarcation  dont 
la  chaleur  avait  ouvert  les  coutures.  Pour  m'éloigner 
moins ,  je  virai  lof  pour  lof,  et  revins  m'établir  en 
panne,  tribord  amures,  à  une  encablure  environ,  sous 
le  vent  du  lieu  où  l'homme  nous  semblait  surnager. 
En  même  temps  le  canot  s'en  approchait  en  toute  hâte; 
mais,  durant  cet  intervalle  qui  dura  à  peine  six  à  huit 
minutes,  il  avait  disparu.  Il  ne  savait  pas  nager,  ainsi 
que  je  l'appris  de  ses  camarades,  et,  après  avoir  pu  se 
soutenir  quelques  momens  sur  l'eau ,  à  l'aide  de  ses 
vètemens  ,  une  lame  aura  fini  sans  doute  par  le  faire 
couler.  Après  une  demi-heure  d'efforts  et  de  recher- 
ches sans  succès ,  quand  nous  fûmes  convaincus  qu'il 
ne  restait  plus  aucun  espoir,  je  rappelai  le  canot  à 
bord ,  et  nous  continuâmes  notre  route ,  consternés 
de  ce  funeste  accident. 

L'homme  qui  périt  alors  si  malheureusement  se 
nommait  Binot  (Benoit),  âgé  de  vingt-deux  ans  et 
gabier  de  misaine.  Au  moment  où  il  tomba  à  la  mer , 
de  concert  avec  le  chef  de  timonnerie  Jacon ,  il  tra- 
vaillait à  dégager  un  seau  engagé  dans  les  chaînes 
des  grands  porte-haubans,  où  une  lame  assez  forte 
vint  le  saisir  à  l'improviste  et  l'entraîna  au  large. 
S'il  eût  pu  se  soutenir  quelques  minutes  de  plus ,  il 
eût  été  infailliblement  sauvé!...  Quelque  répréhen- 
sible  que  leur  conduite  ait  été  depuis  ,  je  dois  rendre 
justice  aux  matelots  qui  se  précipitèrent  dans  le  canot 
pour  aller  sauver  Binot.  Malgré  le  vent,  la  grosse  mer 
et  le  danger  qu'ils  couraient  eux-mêmes,  Simonet, 


DE  L'ASTROLABE.  81 

Condriller,  Gossy,  Le  Court,  etc.,  déployèrent  un        1826. 
courage  et  un  dévouement  vraiment  louables.  septembre. 

A  peine  le  canot  était  bissé ,  que  le  vent  fraîchit 
beaucoup,  et,  trois  heures  après,  il  ventait  grand  frais 
de  N.  N.  O.  avec  des  raffales  et  une  grosse  mer. 

Malgré  nos  soins,  malgré  notre  prudence,  les 
voiles ,  la  coque  et  surtout  le  grément  commencent 
à  se  ressentir  de  cette  opiniâtre  série  de  temps  forcés. 
Je  me  décide  à  relâcher  au  port  du  Roi-Georges,  d'au- 
tant plus  que  ce  point  me  promet  une  mine  féconde  à 
exploiter  en  tout  genre. 

Le  ciel  au  soir  a  pris  une  apparence  sinistre,  le  ■;. 
mauvais  temps  est  revenu,  et  le  jour  suivant,  de  huit 
heures  du  matin  à  dix  heures  du  soir,  nous  sommes 
obligés  de  rester  sous  le  petit  foc  seul.  Le  vent  souf- 
flait, avec  fureur  à  l'O.  S.  O.,  accompagné  de  raffales 
impétueuses,  de  pluie  et  de  grêle.  Quoique  moins 
grosse  que  dans  la  journée  du  30  août,  la  mer  était 
affreuse,  et  peut-être  plus  dangereuse,  en  ce  qu'elle 
était  bien  plus  dure,  et  déferlait  souvent  en  entier  sur 
la  corvette.  Nous  n'avons  pu  éviter  d'embarquer  quel- 
ques lames ,  qui  chaque  fois  semblaient  menacer  de 
nous  engloutir  ,  et  qui  ont  pénétré  dans  toutes  les 
parties  du  navire  *. 

La  fureur  du  vent  s'apaise  un   peu  le  16  au  soir,         17. 
pour  reparaître  avec  une  nouvelle  force  dès  le   17 
au  matin.  Mais  cette  fois  la  température  est  plus  éle- 
vée, les  raffales  sont  sèches,  et  n'amènent  ni  pluie,  ni 

*    l'oyez  note  4. 

TOME  I.  G 


82  VOYA.GE 

i826.       grêle,  ce  qui  les  rend  plus  supportables.  Quatre  ma- 
scptembrc.    telots  se  plaignent  de  maux  d'estomac ,  et  le  quartier- 
maître  Vignale ,  dans  un  coup  de  roulis ,  tombe  sur  le 
pont  et  se  blesse  à  la  tète. 

19.  Le  vent  continue  de  souffler  sans  interruption, 
grand  frais  à  l'O.  S.  O.,  avec  une  mer  très-dure  et  un 
temps  sombre.  Le  1 9  au  soir,  comme  fatigué  de  ses  ef- 
forts, le  vent  avait  suspendu  sa  violence  et  laissait  un 
court  repos  aux  flots  de  la  mer.  En  ce  moment ,  les 
lames,  moins  irrégulières,  semblaient  autant  de  chaî- 
nes de  coteaux  mobiles,  coupés  par  autant  de  vallées, 
et  sur  le  dos  desquels  notre  corvette  glissait  paisi- 
blement. Spectacle  vraiment  majestueux ,  admirable, 
et  dont  la  plume  la  plus  habile  ne  saurait  donner 
qu'une  faible  idée  ! . . . . 

20.  Nouvelle  tempête  du  N.  N.  O.,  aussi  violente  qu'au- 
cune des  précédentes,  et  de  plus  accompagnée  d'un 
ciel  très-chargé  et  d'une  pluie  continuelle.  La  nuit  a 
été  affreuse  et  l'obscurité  complète.  Comme  je  gou- 
vernais sur  le  parallèle  de  l'île  Saint-Paul,  redoutant 
de  tomber  dessus  inopinément,  par  suite  d\in  cou- 
rant imprévu  ou  d'une  erreur  très-possible  dans  nos 
montres  après  une  si  longue  navigation ,  je  pris  le 
parti  de  courir  des  routes  obliques  sans  quitter  ce 
parallèle.  La  corvette  a  beaucoup  fatigué  sur  quel- 
ques-uns de  ces  bords ,  principalement  les  amures  à 
bâbord. 

"•  A  six  heures  je  mets  le  cap  à  l'E.  S.  E.  ;  à  sept 

heures  trente  minutes,  M.  Gressien,  qui  se  trouvait 
de  quart ,  voit  passer  le  long  du  bord  le  premier  pa- 


DE  L'ASTROLABE.  83 

quel  de  Lamina)  ta  pyrifei  af  et,  depuis  ce  moment,  1826. 
ils  ont  passé  avec  profusion  jusqu'à  quatre  heures  du  septembre 
soir  où  ils  ont  tout-à-fait  cessé.  Ces  fucacées,  avec  les 
albatros  qui  nous  ont  entourés  en  grand  nombre , 
sont  l'unique  indice  que  nous  ayons  pu  avoir  de  la 
proximité  des  îles  Amsterdam  et  Saint-Paul  ;  car  nous 
n'avons  rien  aperçu  du  tout.  Cependant,  en  corri- 
geant nos  routes  par  les  latitudes  observées  la  veille  et 
le  jour  suivant ,  il  est  probable  que  le  21 ,  à  six  heures 
du  matin,  nous  devions  nous  trouver  à  six  ou  huit 
milles  au  plus  dans  le  nord  de  Saint-Paul.  S'il  n'y  eut 
pas  eu  de  courant ,  ou  s'il  eut  porté  au  sud ,  comme  le 
vent  semblait  l'annoncer ,  nous  atterrissions  précisé- 
ment dessus.  Du  reste,  avec  un  temps  aussi  détes- 
table et  un  ciel  aussi  chargé ,  il  n'est  pas  surprenant 
que  nous  n'ayons  rien  vu  ;  notre  horizon  s'étendait  au 
plus  à  un  mille  dans  les  instans  les  plus  lucides  *. 

Les  laminaires  qui  habitent  ces  mers  ont  les  bulles 
de  leurs  frondes  plus  grosses  et  plus  turbinées  que 
l'espèce  des  Malouines.  Mon  intention  était  de  visiter 
en  canot  l'ile  Saint-Paul ,  son  cratère  et  son  lagon.  Je 
regrette  vivement  les  observations  de  physique  et 
d'histoire  naturelle  quece  point  m'eût  offertes.  Surtout 
j'étais  curieux  de  savoir  à  quel  système  se  rapportent 
les  végétaux  qui  peuvent  l'habiter  à 

La  fureur  du  vent  s'apaise,  le  ciel  s'embellit,  et        a3. 
noire  navigation  s'adoucit.  La  mer  reste  très-grosse  , 
ce  qui  indique  que  plus  au  sud  le  mauvais  temps  se 

*    Voyez  note  5. 


81  VOYAGE 

1826.       prolonge.  La  journée  du  23  est  même  agréable,  et 
septembre.    semble  annoncer  le  retour  d'une  saison  plus  tempérée 
(le  printemps  des  régions   australes  commençait  ce 
jour  même). 
**■  Dès  le  jour  qui  suit,  le  vent  d'O.  N.  O.  revient 

lourd  et  pesant,  accompagné  de  pluie  et  de  grêle. 
Le  25  nous  prenons  un  albatros  qui  pesait  quatorze 
livres  et  avait  neuf  pieds  deux  pouces  d'envergure.  A 
mon  dîner  je  mange  du  fuligineux ,  dont  je  trouve  la 
chair  bonne ,  et  bien  préférable  à  celle  du  damier  que 
je  trouvais  déjà  passable. 

a7-  Ce  jour  et  le  lendemain,  coup  de  vent  furieux  d'O. 

et  O.  S.  O.;  temps  couvert,  grains  et  pesantes  raf- 
fales.  Le  28  à  trois  heures  du  soir,  la  tempête  est  au 
plus  haut  degré  de  force ,  la  mer  monstrueuse ,  et  les 
lames ,  devenues  de  nouveau  de  vraies  montagnes , 
secouent  cruellement  notre  pauvre  navire.  Aussi  fait- 
il  en  ces  momens  sept  pouces  d'eau  en  six  heures  ; 
l'eau  pénètre  par  l'arrière  dans  ma  chambre ,  en  sorte 
que  tous  mes  livres,  mes  cartes,  mon  linge,  etc.,  sont 
trempés  et  dans  un  état  funeste  à  leur  conservation. 

29-  Le  vent ,  quoique  violent  encore,  devient  plus  ma- 

niable; il  se  modère  le  29  au  soir ,  et  le  2  octobre  nous 
2  octobre,     pouvons  rétablir  les  huniers  depuis  si  long-temps  ser- 
rés. Nous  voyons  aussi  un  pétrel  géant  [quebranta- 
huessos),  le  premier  de  toute  la  campagne. 

3.  Enfin  nous  respirons,  et,  malgré  la  grande  houle 

qui  persiste,  l' Astrolabe  poursuit  une  route  plus  tran- 
quille. 

5,  Nous  filions  vent  arrière  avec  une  jolie  brise  d'O. 


DE  L'ASTROLABE.  35 

et  une  mer  assez  belle,  le  cap  à  l'E.  */4  S.  E.,  et  je  iSa6. 
faisais  veiller  avec  attention  l'approche  de  la  terre.  A  Octobre, 
une  heure  après  midi  le  jeune  Cannac  aperçoit  la  côte 
du  haut  des  barres  de  perroquet  dans  le  N.  E.,  à 
quinze  lieues  de  distance  environ.  Cette  terre  appar- 
tenait aux  caps  Leuwin  et  Hamelin,  et  se  montrait 
alors  sous  la  forme  de  mondrains  élevés  et  blanchâ- 
tres. A  deux  heures  trente  minutes  on  la  vit  de  des- 
sus le  pont,  et  la  sonde  donna  alors  quatre-vingts 
brasses  ,  corail  rougeâtre  et  gros  sable  blanc. 

Nous  approchâmes  pour  mieux  la  reconnaître;  à 
six  heures  du  soir  une  grosse  pointe,  qui  doit  être  celle 
de  d'Entrecasteaux ,  nous  restait  au  N.  77°  E. ,  à  pe- 
tite distance.  Pour  la  nuit  je  gouvernai  au  S.  E.  */4  S., 
pour  passer  au  large  des  écueils  signalés  près  de  ce 
cap. 

Toutes  les  terres  que  nous  eûmes  en  vue  ce  jour 
sont  assez  élevées  et  escarpées  du  côté  de  la  mer;  mais 
en  général  d'un  aspect  aride  et  la  plupart  dépouillées 
de  grande  végétation.  Depuis  que  nous  sommes  près 
de  la  côte,  la  température  a  subitement  augmenté  de  4 
ou  5°,  et  l'effet  en  est  particulièrement  sensible  dans 
les  chambres. 

A  quatre  heures  du  matin,  nous  trouvons  soixante-  c. 
cinq  brasses ,  sable  blanc  et  corail.  Au  point  du  jour  je 
remets  le  cap  à  TE.  N.  E. ,  et  prolonge  la  côte  à  six  ou 
huit  milles  de  distance.  Nous  avons  passé  à  un  mille 
de  la  pointe  Hilliers  de  Flinders,  et  gouverné  ensuite 
sur  le  cap  Howe.  Près  de  la  pointe  Hilliers,  les  terres 
sont  hautes  ,  avec  des  plages  sablonneuses  a  droite,  et 


8(;  VOYAGE 

,s2g.  de  belles  forets  à  peu  de  distance  du  rivage.  En  s'ap- 
octobre.  prochant  du  cap  Howe,  la  cote  devient  triste  et  stérile. 
A  six  heures  du  soir  nous  n'étions  qu'à  quatre  milles 
au  sud  de  ce  promontoire,  et  nous  distinguions  par- 
faitement Peak-Head  et  l'île  de  l'Éclipsé,  vraies  recon- 
naissances du  port  du  Roi-Georges.  Là  nous  avions 
quarante-trois  brasses  ,  fond  de  corail  et  sable. 

Nous  avons  passé  la  nuit,  partie  aux  petits  bords  et 
partie  en  panne,  ayant  soin  de  me  maintenir  à  six  ou 
sept  milles  au  vent  de  l'entrée  de  la  baie ,  et  de  ma- 
nière à  donner  facilement  dedans  au  point  du  jour; 
mais  le  vent  qui  soufflait  à  PO.,  varia  au  N.  O.,  et 
?•  même  au  N .  dans  la  nuit.  En  outre ,  au  point  du  jour, 
je  reconnus  avec  douleur  que  nous  nous  trouvions  déjà 
au  sud  du  mont  Gardner,  le  courant  nous  ayant  en- 
traînés en  dix  heures  de  quatorze  milles  au  moins  dans 
l'est. 

Ainsi  ceux  qui  ont  le  dessein  de  mouiller  au  port  du 
Roi-Georges ,  surtout  avec  les  vents  à  la  partie  de 
l'ouest ,  doivent  avoir  soin  de  rallier  la  côte  à  douze  à 
quinze  lieues  au  moins  dans  l'ouest ,  afin  de  recon- 
naître l'île  de  l'Eclipsé,  qui  est  une  excellente  remar- 
que, parce  que  c'est  la  seule  au  large,  et  qu'elle  forme 
en  même  temps  la  terre  la  plus  au  sud  de  toute  cette 
partie  de  l'Australie.  La  cote  est  saine,  et  peut  se  pro- 
longer sans  danger  à  la  distance  de  deux  milles.  Seu- 
lement il  faut  se  défier  des  vents  de  S.  O.  qui  battraient 
droit  sur  la  plage;  car  l'on  n'y  trouverait  aucun  abri, 
s'ils  étaient  trop  violens  pour  ne  pas  permettre  de  s'é- 
lever au  vent. 


DE  L'ASTROLABE.  87 

INous  profitâmes  du  vent  du  nord  pour  courir  une  1826. 
bordée  à  l'ouest,  et  nous  replacer  devant  l'entrée  de  la  Octol)re- 
baie.  De  dix  heures  à  une  heure  il  fit  calme;  la  pe- 
tite drague,  ramenée  plusieurs  fois  à  bord,  procura 
une  foule  d'objets  intéressans  pour  les  naturalistes. 
A  une  heure ,  à  laide  d'une  légère  fraîcheur  de  S.  O.  , 
nous  mimes  le  cap  sur  Bald-Head.  A  quatre  heures 
nous  rangions  cette  partie  à  un  demi-mille  de  distance. 


Nous  nous  avancions  paisiblement  vers  le  beau  port 
du  Roi-Georges,  et  mon  intention  était  d  aller  mouiller 
dans  le  havre  de  la  Princesse-Royale,  mais  lèvent 
mollit  tellement ,  qu'après  avoir  rangé  l'île  Seal  et  l'île 
de  l'Observatoire,  je  m'estimai  heureux  de  laisser  tom- 
ber l'ancre  à  six  heures  devant  l'entrée  du  goulet  par 
sept  brasses  ,  fond  de  sable. 


88  VOYAGE 


182G. 


CHAPITRE  VI. 


SEJOUR     AU    TORT    I>U    ROI  -  GEORGKS. 


Il  faut  avoir  passé  cent  huit  jours  consécutifs  à  la 
octobre,  mer,  comme  nous  venions  de  le  faire  ,  dont  la  moitié 
par  des  temps  affreux  et  des  mers  assommantes ,  pour 
se  faire  une  idée  du  bien-être  que  nous  éprouvâmes 
en  jouissant  enfin  d'un  repos  presque  parfait.  Nos 
membres,  notre  corps  entier,  accablés  par  des  secousses 
si  violentes  et  si  prolongées,  reprenaient  avec  délices 
leur  assiette  naturelle.  En  outre,  une  soirée  charmante, 
la  vue  d'une  terre  verdoyante,  de  ses  ombrages  et  d'une 
rade  tranquille  et  sûre,  contrastaient  vivement  avec  le 
spectacle  d'une  mer  presque  toujours  en  fureur,  et  les 
tourmentes  réitérées  auxquelles  nous  venions  à  peine 
d'échapper. 
8.  Dès  deux  heures  après  minuit  le  vent  d'ouest  se  mit 

à  souffler  avec  violence,  et  dans  une  raffale  nous  chas- 
sâmes. Nous  filâmes  soixante  brasses  du  câble  en  mouil- 
lant l'ancre  de  bâbord,  ce  qui  nous  arrêta.  J'eusse  dé- 
siré entrer  dans  le  havre  de  la  Princesse  ,  mais  crai- 


DE  L'ASTROLABE.  89 

gnant  d'en  être  empêché  par  les  vents  d'ouest,  je  me      1826. 
décidai  à  reconnaître  l'entrée  du  havre  aux  Huîtres,     oaotae. 
afin  d'y  conduire  la  corvette ,  s'il  me  paraissait  plus 
facile  à  gagner. 

A  sept  heures  du  matin  je  m'embarquai  avec  M.  Lot- 
tin  dans  la  haleinièrc  ;  nous  prolongeâmes  la  longue 
plage  de  sable  qui  s'étend  au  nord  de  la  presqu'île  de 
l'Aiguadc,  et  nous  reconnûmes  que  l'entrée  de  ce  havre 
offrait  une  barre  sur  laquelle  on  ne  trouvait  que  quatre 
et  même  trois  brasses  dans  une  certaine  étendue.  En 
outre  la  direction  du  goulet  est  très-sinueuse,  de  sorte 
qu'il  faudrait  avoir  vent  sous  vergue  pour  sV hasarder 
sans  accident  avec  un  navire  comme  l'Astrolabe. 

Du  reste  le  havre  aux  Huîtres  offre  un  superbe 
bassin ,  d'une  eau  très-paisible ,  et  dont  les  bords  sont 
couverts  de  la  plus  agréable  végétation ,  excepté  vers 
le  sud-ouest,  où  la  plage  devient  marécageuse.  Comme 
un  parterre  de  la  plus  fraîche  verdure ,  la  petite  île  du 
Jardin  s'y  dessine  de  la  manière  la  plus  pittoresque,  et 
c'est  aux  buissons  de  mauves  ou  d'althées ,  ainsi  qu'aux 
robustes  graminées  qui  la  couvrent ,  qu'elle  doit  cet 
agréable  aspect.  Au  moment  où  nous  en  approchâmes, 
nous  vîmes  s'élever  dans  les  airs  un  vol  de  trente  à 
quarante  pélicans.  Aussitôt  débarqué,  je  me  dirigeai 
vers  le  lieu  où  ces  oiseaux  m'avaient  semblé  établis  ; 
nous  y  trouvâmes  une  douzaine  de  jeunes  pélicans  que 
je  fis  ramasser  par  les  canotiers. 

Après  avoir  déjeuné  et  tué  quelques  oiseaux  de 
mer  sur  cet  îlot,  nous  nous  rembarquâmes,  et  je  con- 
duisis  lr   canot  vers   un  endroit  sur  la  rive  du   hâ- 


90  VOYAGE 

182G.  vre,  où  les  matelots  m'avaient  assuré  avoir  observé 
octobre.  une  fumée.  C'était  un  indice  certain  de  la  présence 
des  naturels,  avec  lesquels  je  désirais  entrer  en  com- 
munication. Effectivement ,  nous  ne  tardâmes  pas  à 
distinguer  un  feu  près  de  la  grève  ,  et  peu  après  une 
pi. xvn.  figure  humaine,  couverte  d'une  simple  peau.  Bientôt 
ce  sauvage  (car  c'en  était  un)  s'avança  vers  nous  d'un 
air  assez  résolu  ;  mais  à  mesure  qu'il  s'approchait ,  sa 
hardiesse  semblait  l'abandonner  ,  et ,  malgré  mes  si- 
gnes pour  le  persuader,  il  allait  rester  en  suspens  près 
du  canot,  quand  je  m'avisai  de  lui  présenter  un  mor- 
ceau de  pain.  Il  y  mordit  aussitôt  à  belles  dents,  et  cet 
argument  produisit  sans  doute  un  grand  effet  sur  son 
imagination  ;  car  ayant  perdu  en  un  instant  toute  sa 
défiance ,  il  se  mit  à  rire ,  danser,  chanter,  et  appeler 
ses  camarades. 

Il  monta  sans  crainte  dans  le  canot ,  où  il  se  com- 
porta très-décemment,  tout  le  long  de  la  route.  C'était 
un  homme  de  quarante  ans  environ ,  assez  bien  fait , 
à  cela  près  des  bras  et  des  jambes  toujours  grêles , 
comme  dans  les  habitans  de  la  Nouvelle-Galles.  Il 
avait  absolument  le  même  teint ,  les  mêmes  traits 
et  les  mêmes  manières  que  ces  insulaires.  Sa  taille 
était  de  cinq  pieds  deux  pouces  ;  son  nez  écrasé , 
la  cloison  des  narines  percée ,  ses  dents  très-belles 
et  larges;  il  portait  des  moustaches  et  une  longue 
barbe  au  menton  ;  ses  cheveux  n'étaient  nullement 
crépus.  Il  pouvait  passer  pour  être  propre  dans 
son  genre.  A  bord ,  il  ne  perdit  pas  un  instant  sa 
gaieté  et  sa  confiance;  tout  le  monde  le  combla  d'à- 


DE  L'ASTROLABE.  1)1 

initiés,  et  il  fut  bientôt  accablé  de  présens  qui  le  trans-  1826. 
portèrent  d'abord  de  joie ,  et  ne  tardèrent  guère  à  lui  Octobre. 
causer  bientôt  presque  autant  d'embarras  pour  les 
conserver.  Il  venta  grand  frais  tout  le  soir,  et  il  fut 
impossible  de  le  reconduire  à  terre.  Mais  il  prit  joyeu- 
sement son  parti ,  et  dormit  à  merveille  à  bord,  où  on 
lui  lit  avec  des  voiles  et  des  prélats  le  meilleur  lit  qu'il 
eut  sans  doute  eu  de  sa  vie.  A  la  nuit  on  vit  un  feu  à 
la  côte ,  et  notre  hôte  nous  indiqua  qu'il  avait  été  al- 
lumé par  ses  compatriotes. 

Le  vent  continuant  à  souffler  avec  force  à  l'O .  et  auS.         9- 
O.,  et  impatient  que  j'étais  de  pouvoir  commencer  nos 
travaux,  je  pris  le  parti  d'affoureber  l' Astrolabe  au      il.  x. 
poste  même  où  nous  nous  trouvions  à  peu  près  j\.  et 
S.,  avec  quatre-vingt-cinq  brasses  à  bâbord  et  cent 
vingt-cinq  à  tribord  ,  l'ancre  de  ce  bord  empenellée. 

Ce  mouvement  exécuté  ,  je  me  rembarquai  dans  la 
baleinière,  pour  aller  reconnaître  sur  la  côte  voisine 
le  lieu  le  plus  convenable  pour  établir  notre  observa- 
toire et  la  tente  des  ouvriers.  En  même  temps  je  dé- 
posai à  terre  notre  sauvage,  qui,  déjà  inquiet  de  son 
séjour  forcé  a  bord ,  se  désolait ,  et  pleurait  comme 
un  enfant.  Un  de  ses  camarades,  vêtu  et  tourné 
comme  lui,  l'attendait  au  rivage,  et  sollicita  la  faveur 
de  prendre  sa  place  à  bord.  Je  ne  voulus  point  de  lui, 
avec  d'autant  plus  de  raison  que  je  trouvai  la  côte  ina- 
bordable tout  autour  de  la  pointe  des  Patelles,  à  cause 
du  violent  ressac  soulevé  par  les  vents  qui  venaient  de 
régner. 

Désolé  de  ce  contre-temps,  à  une  heure  je  retournai 


92  VOYAGE 

i8a6.  visiter  les  environs  du  havre  aux  Huîtres,  tandis  que 
octobre,  j'envoyais  MM.  Jacquinot  et  Lottin  reconnaître  celui 
de  la  Princesse-Royale.  Je  m'assurai  qu'en  cas  de  né- 
cessité ,  un  navire  pourrait  s'amarrer  par  quatre  ou 
cinq  brasses  d'eau  près  du  goulet  aux  Huîtres ,  et 
trouverait  à  peu  de  distance  de  l'eau  et  du  bois.  Mais 
il  n'aurait  pas  de  chasse  du  tout,  et  les  vents  de  N.  O. 
se  feraient  sentir  avec  la  plus  grande  violence. 

Je  consacrai  ensuite  une  heure  ou  deux  a  recueillir 
des  plantes  qui  sont  ici  aussi  nombreuses  qu'élégantes 
dans  leurs  formes ,  et  variées  dans  leur  structure  et 
leurs  couleurs.  Des  monceaux  d'écaillés  d'huîtres 
m'annonçaient  l'existence  de  ces  testacés ,  mais  je 
n'en  rencontrai  aucune  sur  les  rochers.  Un  gros  Eu- 
calyptus scié  par  la  base,  et  un  fond  de  barrique  planté 
sur  un  roc ,  me  prouvèrent  également  que  des  Eu- 
ropéens avaient  récemment  paru  sur  ces  côtes.  Je 
remarque  en  passant  que  toutes  les  roches  sont  d'é- 
normes blocs  d'un  très-beau  granit. 

Plus  heureux  que   moi   dans  leurs   recherches  , 
MM.  Jacquinot  et  Lottin  découvrirent  sur  la  rive 
droite  du  goulet  de  la  Princesse  une  fort  belle  ai- 
guade,  et ,  à  peu  de  distance,  une  esplanade  très-com- 
pi.  xin.     mode  pour  établir  notre  observatoire  et  nos  tentes. 
IO-  Dès  le  point  du  jour,  la  chaloupe  est  allée  faire  de 

l'eau  et  du  bois  à  cet  endroit ,  et  y  porter  les  voiliers 
et  leurs  tentes. 

A  une  heure  après  midi,  voyant  tous  les  travaux  en 
train,  je  suis  descendu  à  terre  près  de  la  pointe  des 
Patelles,  suivi  de  M.  Lottin,  et  de  Siinonet  que  j'ai 


DE  L'ASTROLABE. 


93 


choisi  pour  compagnon  de  mes  courses,  à  cause  de  son 
adresse  à  tirer  un  coup  de  fusil.  JNous  avons  parcouru 


i8a6. 
Octobre. 


le  coteau  qui  domine  la  presqu'île,  recueillant  à  cha- 
que pas  de  ces  belles  plantes  si  communes  en  ces  con- 
trées. Le  sol,  quoique  sablonneux,  m'a  semblé  sus- 
ceptible de  fertilité,  s'il  était  soigneusement  cultivé  ;  on 
rencontre  assez  fréquemment  sur  son  chemin  des  lieux 
marécageux  qui  décèlent  des  sources  dont  il  serait  facile 
de  réunir  les  eaux  dans  un  canal.  A  mesure  que  nous 
avancions  vers  le  sommet  de  la  colline ,  nous  enten- 
dions des  cris  qui  nous  annonçaient  l'approche  des  na- 
turels. En  effet,  dès  que  nous  eûmes  répondu  à  leurs 
voix,  bientôt  huit  d'entre  eux,  tous  vêtus  de  peaux  de  pi.  xi  et  xn. 
kangarous ,  se  présentèrent  à  nous ,  et  parurent  en- 
chantés de  nous  voir.  Leur  âge  semblait  varier  depuis 
seize  jusqu'à  quarante  ans;  aucun  n'avait  les  cheveux 


94  VOYAGE 

1826.  vraiment  crépus ,  el  tous  offraient  le  vrai  type  austra- 
octobre.  lien,  tel  que  je  l'avais  déjà  observé  à  Port- Jackson ,  et 
au-delà  des  montagnes  Bleues.  Je  leur  fis  signe  de 
nous  suivre  vers  l'observatoire  ;  ils  y  coururent  en 
sautant  et  gambadant.  Arrivés  à  la  tente ,  nous  vîmes 
trois  autres  sauvages  qui  s'y  trouvaient  déjà,  et  qui, 
depuis  le  matin  ,  avaient  tenu  fidèle  compagnie  à  nos 
gens. 

Sans  doute  le  premier  qui  était  venu  nous  voir  à 
bord  avait  instruit  ses  camarades  des  mauvais  effets  de 
l'eau-de-vie  dont  il  avait  beaucoup  souffert  ;  car,  non- 
seulement  ils  ne  demandaient  point  de  cette  liqueur, 
mais  s'enfuyaient  même  quand  on  leur  en  offrait.  Leur 
conduite  fut  très-paisible,  aucun  d'eux  ne  tenta  de  com- 
mettre le  moindre  vol,  quoique  nos  ouvriers  prissent 
très-peu  de  soin  de  surveiller  leurs  affaires. 

Je  jetai  un  coup-d'œil  sur  la  chaloupe  ,  et  m'assurai 
que  l'eau  et  le  bois  se  faisaient  avec  facilité.  Sous  ce 
pi.  xvi.  double  rapport,  cette  station  est  très-recommandable, 
et  bien  préférable  à  celle  où  s'était  établi  Flinders. 
Elle  aurait  encore  plus  d'avantages  si  le  navire  était  af- 
fourché  dans  le  goulet  même;  car  alors  il  n'y  aurait  qu'à 
peine  une  encablure  de  distance  du  bord  à  l'aiguade. 

Les  oiseaux  paraissent  très-rares  sur  cette  partie  de 
la  côte  ;  je  n'ai  observé  qu'un  petit  quadrupède  qui  s'est 
enfui  d'entre  nos  jambes.  On  voit  à  la  plage  nombre 
de  coquilles  roulées  et  brisées ,  et  surtout  des  pha- 
sianelles  ;  mais  on  ne  peut  guère  se  procurer  vivans 
que  des  patelles ,  des  lépas ,  des  moules  et  de  petits 
buccins  noirs. 


DE  L'ASTROLABE.  95 

MM.  Quoy,  Gaimard,  Guilbert  et  Sainson ,  ont      1826. 
employé  toute  la  journée  à  faire  le  tour  entier  de  la     Oc,obre- 
baie  de  la  Princesse,  sans  avoir  rien  observé  de  bien 
remarquable.  31.  Dudemaine,  que  la  lassitude  avait 
contraint  de  rester  en  arrière  ,  a  été  obligé  de  passer 
la  nuit  sous  la  tente. 

Tous  les  sauvages  ont  témoigné  le  désir  de  me 
suivre  à  bord  ;  mais  je  n'ai  accordé  cette  faveur  qu'à 
un  seul  d'entre  eux ,  content  d'avoir  en  sa  personne 
un  garant  de  la  conduite  qu'allaient  tenir  ses  cama- 
rades envers  les  hommes  que  nous  laissions  à  terre. 
Ce  nouvel  hôte,  qui  pouvait  avoir  trente-cinq  ou 
trente-six  ans,  était  un  des  mieux  tournés  de  sa  tribu. 
J'eus  beaucoup  de  peine  à  obtenir  qu'il  abandonnât 
un  c6ne  de  Banksia  ail  mué,  qui  lui  servait  h  conserver 
long-temps  du  feu,  surtout  à  se  chauffer  le  ventre 
et  tout  le  devant  du  corps.  Pour  les  sauvages  c'est  un 
objet  d'une  haute  importance,  et  je  ne  me  rappelle  pas 
qu'avant  nous  aucun  voyageur  en  ait  fait  l'observa- 
tion. Ils  portent  partout  avec  eux  ces  cônes  enflam- 
més; grâces  à  cette  précaution,  ils  n'ont  pas  besoin 
de  rallumer  à  chaque  instant  leur  feu  par  le  frotte- 
ment, procédé  qui  paraît  même  leur  être  peu  familier. 
Ils  se  servent,  en  outre,  de  leurs  cônes  pour  mettre  par- 
tout sur  leur  passage  le  feu  aux  broussailles  et  aux 
herbes  sèches  ;  c'est  ce  qui  lait  qu'en  général  les  forêts 
de  la  PSouvelle-Hollande  sont,  si  dégagées  et  d'un  accès 
si  facile. 

La  journée  a  été  très-pluvieuse,  et  le  vent  n'a        «. 
cessé  de  souffler  avec  violence  au  N.  O.  Le  naturel 


06 


VOYAGE 


1826.  a  passe  gaiement  son  temps  ,  buvant,  mangeant  et  se 
octobre,  chauffant  au  feu  de  la  cuisine.  Les  matelots  lui  ont 
fait  des  cadeaux ,  et  l'ont  même  habillé.  Il  a  répondu 
avec  intelligence  aux  questions  qu'on  Lui  a  adressées, 
tant  qu'elles  ne  l'ont  pas  ennuyé  ;  comme  le  premier 
naturel  qui  nous  a  visités ,  dès  qu'on  lui  a  montré  un 
morceau  d'ocre,  il  l'a  nommé  boyel ,  et  sur-le-champ 
il  en  a  raclé  avec  l'ongle  du  pouce ,  puis  nous  l'avons 
vu,  avec  la  poussière  de  cette  substance  recueillie  dans 
le  creux  de  sa  main ,  se  barbouiller  le  visage  non  sans 
quelque  symétrie.  Bien  qu'il  eût  témoigné  le  désir  de 
retourner  à  terre ,  il  s'était  résigné  d'assez  bon  cœur 
à  passer  une  seconde  nuit  à  bord;  mais  MM.  Gaimard, 
Guilbert  et  Sainson  m'ayant  demandé  à  coucher  sous 
la  tente  pour  observer  de  plus  près  les  manières  des 
naturels ,  je  profitai  de  cette  circonstance  pour  le 
renvoyer  avec  eux ,  ce  qui  lui  fit  beaucoup  de  plai- 
sir. Les  naturels  continuent  de  se  montrer  très-paci- 
fiques ,  et  l'on  m'a  appris  qu'ils  avaient  déjà  amené 
trois  enfans  au  camp ,  preuve  infaillible  de  leur  con- 
fiance et  de  leurs  bonnes  dispositions. 
iié  Vers  neuf  heures  et  demie  du  matin,  accompagné 

de  Lauvergne  et  de  Simonet,  je  débarquai  sur  la 
longue  plage  de  sable  qui  s'étend  de  la  pointe  des 
Patelles  jusqu'au  havre  aux  Huîtres,  et  me  dirigeai 
vers  les  bois  de  l'intérieur;  a  un  demi-mille  du  rivage, 
dans  un  lieu  abrité  des  vents  d'ouest,  je  rencontrai 
PL  xviii.  quelques  huttes  de  sauvages.  L'une  d'elles,  bien  con- 
servée ,  offrait  tout-à-fait  l'apparence  d'une  ruche  de 
trois  ou  quatre  pieds  de  rayon  coupée  en  deux  par  un 


DE  L'ASTROLABE.  97 

plan  vertical.  De  menues  branches  formaient  sa  char-       xs^g. 
pente,  et  des  feuilles  de  Xanthorrhœa  la  recouvraient     octobre. 
en  guise  de  chaume.  Quatre  ou  cinq  autres  n'offraient 
plus  que  les  débris  de  leur  charpente.  Devant  la  pre- 
mière se  trouvait  une  pierre  qui  avait  servi  à  brover 
l'ocre  que  les  sauvages  emploient  dans  leur  toilette. 

Après  avoir  traversé  de  belles  forets  d'eucalyptus, 
où  je  ne  trouvai  que  très-peu  d'oiseaux  ,  j'arrivai 
sur  la  plage  du  havre  aux  Huîtres  ,  vis-à-vis  l'îlot  du 
Jardin,  près  d'une  petite  rivière  de  quinze  à  vingt  pi.  xix,. 
pieds  de  large,  dont  le  lit  bien  dessiné  est  assez  pro- 
fond. Cette  partie  du  rivage  est  très-basse  et  jonchée 
de  valves  et  de  débris  de  moules ,  de  venus  ,  de  bulles 
et  autres  coquilles. 

Aucun  naturel  ne  s'était  offert  à  mes  regards  dans 
cette  longue  course,  lorsqu'en  suivant  la  plage  de  sable 
pour  revenir  à  bord,  un  d'eux  sortit  d'entre  les  brous- 
sailles et  vint  à  ma  rencontre.  Il  portait  à  la  main  un 
couteau  fabriqué  d'un  morceau  de  quartz  fixé  à  une 
espèce  de  manche  avec  de  la  résine  de  Xanthorrhœa; 
je  lui  donnai  en  échange  un  couteau  véritable,  marché 
dont  il  fut  ravi. 

Vers  trois  heures  je  fus  de  retour  à  bord  ;  MM.  Gai- 
mard,  Guilbcrt  et  Sainson  m'y  suivirent  de  près;  ils 
étaient  très-contens  de  leur  nuit  et  de  leurs  commu- 
nications avec  les  naturels  *.  On  me  montra  des  racines 
de  restiacées,  et  de  petits  lézards  dont  ces  malheureux 
peuples  font  une  des  bases  de  leur  nourriture. 

A  neuf  heures,  une  embarcation  qui  nous  parut 

l'oyez  note    6. 
TOME    I.  7 


98  VOYAGE 

jSyG.  moulée  par  des  Anglais,  accosta  le  long  du  bord; 
Octobre,  l'un  deux  répondit  à  mes  questions  qu'il  avait  appar- 
tenu ,  ainsi  que  ses  compagnons ,  au  schooner  Go- 
vernor  Bvisbane,  destiné  pour  la  pèche  des  phoques 
le  long  de  ces  côtes  ;  que  leur  capitaine ,  après  avoir 
abandonné  six  hommes  de  son  équipage  dans  Coffins- 
Bay,  les  avait  eux-mêmes  laissés  à  Middle-Island,  au 
nombre  de  huit ,  et  était  ensuite  parti ,  lui  quatrième , 
pour  Timor,  à  ce  qu'ils  supposaient.  Ils  vivaient  du 
produit  de  leurs  pêches  ,  et  avaient  établi  leur  domi- 
cile sur  l'îlot  de  Break-Sea.  Depuis  sept  mois  ils 
menaient  l'existence  la  plus  misérable;  ils  se  plaignirent 
beaucoup  des  fatigues  et  des  privations  qu'ils  avaient 
essuyées,  dans  l'attente  d'un  navire  qui  pût  les  em- 
mener. Je  leur  proposai  de  les  recevoir  à  bord  comme 
passagers,  jusqu'à  Port-Jackson;  mais  cette  offre  fut 
froidement  accueillie ,  d'où  je  conclus  que  la  plupart 
d'entre  eux  devaient  être  des  convicts  échappés  de  leurs 
fers ,  et  peu  empressés  d'aller  se  remettre  sous  l'ac- 
tion des  lois.  Cependant,  après  quelques  momens  de 
réflexion,  trois. d'entre  eux  se  déterminèrent  à  embar- 
quer sur  V Astrolabe. 

Ils  nous  offrirent  un  paquet  de  pétrels  bruns  qu'ils 
avaient  attrapés  dans  les  fentes  des  rochers  ;  je  leur  fis 
distribuer  dubiscuit  et  del'eau-de-vie,  en  leur  accordant 
la  permission  de  passer  la  nuit  à  bord.  J'y  consentis 
d'autant  plus  volontiers  qu'ils  auraient  pu  se  diriger 
vers  notre  établissement ,  et  que  je  me  souciais  fort 
peu  de  leur  visite,  jusqu'à  ce  que  mon  jugement  fût 
formé  sur  leur  compte. 


DE  L'ASTROLABE.  99 

Singulière  destinée  que  celle  de  huit  Européens  ainsi       .  ;><;. 
délaissés  avec  un  frêle  esquif  sur  ces  plages  stériles , 
et  livrés  entièrement  aux  seules  ressources  de  leur  in- 
dustrie ! . . . 

Un  casoar  a  été  aperçu  aux  environs  de  l'Aiguade. 

J'ai  fait  appeler  ce  matin ,  devant  moi ,  mes  Anglais ,  ■  3. 
et  leur  ai  demandé  leur  dernière  résolution.  Un  d'eux 
s'embarque  comme  matelot ,  deux  autres  comme  pas 
sagers  jusqu'à  Port-Jackson  ;  les  cinq  autres  se  dé- 
cident à  rester  sur  ces  plages.  Parmi  ceux-ci  un  jeune 
homme,  au  teint  fortement  basané ,  avec  une  figure 
large  et  le  nez  aplati,  me  présentait  un  type  différent  de 
celui  des  Anglais  ;  j'appris  bientôt,  en  le  questionnant, 
que  c'était  un  Nouveau-Zélandais,  natif  de  Kidi-kidi, 
attaché  dès  son  bas  âge,  depuis  près  de  huit,  ans, 
au  misérable  sort  de  ces  aventuriers.  11  parle  anglais  et 
semble  avoir  presque  complètement  oublié  sa  patrie. 

Les  Anglais  ont.  en  outre  avec  eux  ,  sur  Break-Sea, 
deux  femmes  indigènes  qu'ils  se  sont  procurées  de  gré 
ou  de  force.  Us  assurent  au  reste  qu'ils  ont  toujours 
trouvé  les  naturels  très-doux  et  bien  disposés.*  Cet 
hiver  ils  ont  éprouvé  des  vents  violens  et  un  froid  ri- 
goureux le  long  de  ces  côtes.  Depuis  notre  arrivée,  le 
thermomètre  ne  s'est  guère  élevé  au-dessus  de  12  à 
I  ">",  et  les  vents  de  l'O.  au  N.  O.  ont  presque  tou- 
jours soufflé  avec  impétuosité.  Aujourd'hui  même  leur 
violence  nous  force  encore  d'interrompre  les  travaux 
hydrographiques  commencés  hier  matin. 

Nous  avons  profité  du  beau  temps  pour  reprendre        i  ; 
nos  opérations  ;  après  mon  déjeuner  j'ai  fait  une  pro- 

r 


100  VOYAGE 

1S2G.  menade  sur  la  presqu'île  de  Possession  que  j'ai  par- 
ociobre.  courue  dans  tous  les  sens  ainsi  que  les  deux  plages  et 
le  morne  plus  au  sud.  Du  sommet  de  celui-ci  on  jouit 
de  la  vue  complète  du  port  entier  et  du  havre  de  la 
Princesse-Royale  ;  mais  tout  le  terrain  environnant  est 
aride  ,  pierreux ,  dénué  d'eau  douce,  et  par  lui-même 
très-peu  intéressant.  Sous  tous  les  rapports  la  pres- 
qu'île de  l'Aiguade  lui  est  infiniment  supérieure  ;  je 
n'hésite  pas  non  plus  à  penser  que  si  l'on  voulait  éta- 
blir une  colonie  sur  ce  point ,  on  ne  trouverait  pas  de 
station  plus  convenable  que  celle  où  nous  avons  placé 
notre  observatoire. 
1 5.  J'avais  destiné  cette  journée  à  visiter,  au  nord  du 

havre  aux  Huîtres,  la  rivière  des  Français,  que  l'expé- 
dition de  Baudin  avait  reconnue  jusqu'à  quatre  milles 
et  demi  de  son  embouchure.  En  conséquence,  dès 
cinq  heures  et  demie  du  matin,  je  partis  dans  le  grand 
canot ,  accompagné  de  MM.  Quoy,  Lottin ,  Gaimard, 
Sainson  et  Lesson.  En  passant  nous  finies  une  courte 
halte  sur  l'ilot  du  Jardin  où  nos  chasseurs  tentèrent 
vainement  de  surprendre  les  pélicans.  Ces  oiseaux  font 
une  garde  si  vigilante  qu'il  est  impossible ,  même  en 
se  cachant,  de  les  approcher  d'assez  près  pour  les  tirer. 
Nous  traversâmes  le  havre  dans  toute  sa  longueur,  et 
ne  découvrîmes  rien  qui  parût  convenir  à  la  direction 
de  la  rivière  des  Français.  Je  tentai  alors  de  m'en- 
foncer  dans  un  bras  de  mer,  qui ,  après  avoir  couru 
l'espace  de  trois  quarts  de  mille  au  S.  O. ,  reprend  en- 
suite son  cours  au  N.  et  N.  N.  O-,  et  forme  le  lit  d'une 
rivière  que  j'ai  nommée  rivière  des  Anglais ,  parce  qu'il 


DE  L' ASTROLABE. 


101 


m'a  paru  indiqué  sur  le  plan  de  Vancouver.  Mais  à  l'em- 
bouchure on  trouve  à  peine  deux  pieds  d'eau;  après 
avoir,  avec  beaucoup  de  peine ,  fait  traîner  le  canot  l'es- 
pace d'un  mille  environ,  je  renonçai  à  le  conduire  plus 
loin.  Nous  nous  arrêtâmes  sur  les  bords  de  ce  canal 
pour  déjeuner  et  chasser.  Ici  les  oiseaux  étaient  plus  va- 
riés et  plus  nombreux  qu'aux  environs  de  notre  mouil- 
lage; nous  eussions  fait  une  bonne  chasse,  sans  la  pluie 
qui  tombait  presque  sans  relâche,  et  les  moustiques 
dévorantes  qui  nous  poursuivaient  partout  ne  contri- 
buaient guère  à  rendre  notre  promenade  amusante. 
Plusieurs  bandes  de  pélicans,  de  céréopsis  et  de  cygnes 
noirs,  se  montraient  par  intervalles,  mais  en  se  main- 
tenant toujours  bien  au-delà  de  la  portée  de  nos  armes. 
A  quatre  heures  nous  nous  transportâmes,  près  de 
la  pointe  des  Cygnes,  sous  un  beau  massif  d'eucalyptus, 


Octobre. 


*   . 


102  VOYAGE 

1826.  qui  avait  attiré  notre  attention.  Là  nous  eûmes  le  re- 
octobre.  prêt  de  voir  la  pluie  redoubler  de  force  et  tomber  par 
grains  violens  qui  nous  empêchèrent  de  rien  faire.  Il 
fallut  nous  contenter  d'allumer  un  grand  feu  pour  nous 
réchauffer,  et  dîner  tant  bien  que  mal.  A  huit  heures 
du  soir  nous  décampâmes  tout  trempés  encore;  en 
passant  près  du  jardin  ,  nos  chasseurs  sautèrent  à  terre 
dans  l'espoir  de  surprendre  les  pélicans.  Mais  ils  dé- 
logèrent de  bonne  heure;  d'ailleurs  les  hirondelles  et 
les  huîtriers  firent  à  notre  arrivée  un  si  terrible  tinta- 
marre ,  qu'ils  semblaient  prendre  à  tâche  de  découvrir 
notre  supercherie  à  leurs  compagnons.  Nous  nous  di- 
rigeâmes alors  vers  la  corvette ,  où  nous  fûmes  de  re- 
tour à  dix  heures ,  aussi  fatigués  que  mouillés  et  re- 
froidis. 

M.  Guilbert  a  tué  dans  cette  course  un  serpent  de 
cinq  ou  six  pieds  de  longueur,  qu'à  ses  dents  M.  Quoy 
a  jugé  devoir  être  fort  dangereux. 
,6.  M.  Guilbert  avec  la  yole  poursuit  le  plan  du  port 

depuis  la  pointe  des  Patelles  jusqu'au  havre  aux  Huî- 
tres. La  forge  est  montée  à  terre,  et  l'on  continue  le 
travail  du  grément.  Vers  midi  la  pluie  recommence  ; 
17.  tout  le  reste  du  jour  et  le  suivant,  elle  ne  cesse  de 
tomber  par  torrens ,  et  suspend  presque  tous  nos  tra- 
vaux. En  outre  les  vents  du  sud  amènent  dans  la  rade 
une  forte  houle  qui  déferle  partout  avec  fureur  ;  pour 
communiquer  avec  notre  poste ,  il  faut  maintenant  ac- 
coster dans  l'ouest  de  l'observatoire. 

A  midi  nous  avons  aperçu  deux  baleinières  étran- 
gères, voguant  à  l'aviron,  entre  l'île  de  l'Observatoire 


DE  L'ASTROLABE.  103 

et  celle  de  Seal ,  et  nous  avons  jugé  que  les  aventuriers  i8a6. 
qui  les  montaient  étaient  plus  nombreux  que  nous  ne  octobre- 
le  pensions  d'abord.  A  trois  heures  leurs  canots  sont 
venus  le  long  du  bord ,  et  m'ont  appris  que  le  second 
était  monté  par  cinq  Anglais  et  un  Australien  de  Port- 
Jackson  ,  tous  provenant  du  schooner  le  Hanter.  J'ai 
autorisé  trois  hommes  du  premier  canot  à  rester  abord, 
savoir  :  Hambilton,  Brook  etCloney;  et  je  n'ai  reçu 
de  l'autre  canot  qu'un  Américain  de  couleur,  nommé 
Richard  Symons.  Celui-ci  se  dit  originaire  du  Canada, 
et  parle  assez  bien  français.  D'autres  ont  ensuite  solli- 
cité la  même  faveur,  mais  je  la  leur  ai  refusée,  parce 
qu'ils  avaient  trop  hésité  à  se  décider,  et  que  je  vou- 
lais ménager  nos  vivres.  Je  ne  voulus  pas  non  plus  les 
laisser  coucher  à  bord  ;  car  ces  gens  ne  m'inspiraient 
qu'une  confiance  fort  équivoque,  et  je  ne  sentais  que 
trop  ce  que  pouvaient  oser  de  nuit  une  douzaine  d'in- 
dividus audacieux  et  déterminés  ;  j'ignorais  d'ailleurs 
leur  véritable  nombre  qui  pouvait  excéder  leur  nombre 
présumé. 

A  cinq  heures  du  matin  la  yole  partit  sous  les  ordres  x8. 
de  M.  Gressien,  qui  consacra  toute  la  journée  à  son- 
der la  baie  de  la  Princesse  et  à  en  lever  le  plan. 
Vers  dix  heures  trente  minutes,  avec  MM.  Quoy, 
Gaimard,  Guilbert  etSainson,  je  débarquai  derrière 
la  pointe  des  Patelles;  là  chacun  se  dirigea  comme 
il  lui  plut;  pour  moi,  suivi  seulement  de  Lauvergne 
et  de  Simonet,  je  m'enfonçai  dans  les  grands  bois 
qui  dominent  les  étangs  de  la  plage.  Malgré  la  beauté,  pi.  xv. 
l'étendue  et  la  fraîcheur  de  ces  ombrages,  j'y  ren- 


104  VOYAGE 

1826.  contrai  peu  d'oiseaux.  Je  suivais  depuis  quelque 
octobre,  temps  un  sentier  assez  battu,  qui  m'avait  conduit  à 
d'énormes  blocs  de  granit  arrondis  et  tout-à-fait  dé- 
pouillés, quand  je  vis  un  gros  kangarou  s'élancer 
d'entre  mes  jambes ,  et  s'enfuir  rapidement  en  bondis- 
sant seulement  sur  ses  jambes  de  derrière.  Peu  après, 
cinq  naturels ,  dont  deux  à  peine  âgés  de  huit  à  dix 
ans,  sortant  des  broussailles,  se  présentèrent  tout- 
à-coup  à  mes  yeux,  en  paraissant  d'abord  inquiets  de 
nous  voir  en  ces  lieux.  J'en  conclus  que  leurs  habita- 
tions et  leurs  femmes  étaient  peu  éloignées  ;  sans  af- 
fectation, sans  paraître  même  beaucoup  m'occuper 
d'eux ,  je  continuai  ma  route  du  côté  opposé ,  ce  qui  les 
tranquillisa  bientôt. 

Ces  sauvages  ne  font  aucun  cas  de  nos  ustensiles, 
et  vivent  strictement  au  jour  la  journée ,  sans  s'occu- 
per du  lendemain.  De  tout  ce  que  nous  pouvions  leur 
offrir ,  ils  n'estimaient  que  le  biscuit  et  la  viande  ; 
en  échange,  ils  donnaient  volontiers  leurs  haches  de 
pierre  et  leurs  couteaux  de  quartz,  quelque  peine  qu'ils 
eussent  eue  à  les  fabriquer. 

Dans  ma  promenade  j'ai  observé  une  espèce  de 
Xanlhorr'hœa* ,  remarquable  par  sa  taille  élevée  de  huit 
à  dix  pieds  et  ses  épis  nombreux,  courts  et  raides. 
L'eau  ne  manque  point  dans  ces  bois  ;  le  revers  de 
la  presqu'île  de  l'Aiguade,  vers  le  nord,  offre  des 

*  En  parcourant  à  mou  retour  l'ouvrage  du  capitaine  King ,  j'ai  reconnu 
que  c'était  la  même  plante  que  M.  Brown  avait  décrite  sous  le  nom  de  Kingia 
oiislralls  (R.  Brown  ).  Appendice  de  la  Relation  du  Voyage  du  capitaine  King, 
tome  II,  page  535. 


DE  L'ASTROLABE. 


105 


étangs  d'eau  douce ,  et  alentour  un  sol  noirâtre  qu'il 
serait  sans  doute  possible  de  cultiver  avec  succès.  Du 
reste,  la  plupart  des  pâturages  près  de  la  mer  ne  sont 
guère  composés  que  de  joncées  ou  de  resliacées,  peu 
propres  à  la  nourriture  des  bestiaux. 


1826. 
Octobre. 


Les  deux  baleinières  anglaises  sont  revenues  avec 
du  poisson,  des  pétrels,  des  huîtres,  un  phoque  fe- 
melle, un  petit  phalanger  et  quelques  manchots  bleus. 
Tout  cela  a  été  acquis  pour  la  nourriture  de  l'équipage 
et  pour  l'histoire  naturelle  ,  moyennant  un  peu  de 
poudre  et  du  fil  de  caret.  Les  Anglais  avaient  à  leur 
suite  cinq  Australiens,  savoir  :  d'abord  deux  jeunes 
femmes  de  la  terre  de  Van-Diémen,  près  du  port  Dal- 
rvmple ,  toutes  deux  courtes ,  trapues ,  assez  bien 
faites,  mais  avec  des  traits  fort  grossiers,  le  devant  de 
la  figure  très-proéminent,  et  un  teint  noirâtre  comme 
celles  de  Sydney.  On  ne  peut  rien  prononcer  sur  la 
nature  de  leurs  cheveux,  car  ils  étaient  coupés  au  ras 
de  la  tête.  Une  de  ces  femmes ,  assez  intelligente,  a 


«9- 


106  VOYAGE 

1826.  donné  à  M.  Gaimard  un  grand  nombre  de  mots  de  son 
octobre,  langage.  Deux  autres  individus ,  l'un  mâle,  l'autre  fe- 
melle, âgés  de  dix-huit  à  vingt  ans,  proviennent  du 
continent  vis-à-vis  l'ile  des  Kangarous.  Ceux-ci,  pas- 
sablement proportionnés,  ont  un  teint  plus  foncé, 
des  traits  réguliers ,  d'assez  beaux  yeux ,  et  des  che- 
veux noirs  très-unis;  ils  sont  loin  d'être  repoussans 
comme  la  plupart  des  indigènes  de  l'Australie,  et.  sem- 
blent appartenir  à  une  race  moins  dégradée.  Enfin 
une  petite  fille  de  huit  ou  neuf  ans,  provenant  du  con- 
tinent vis-à-vis  l'ile  Middle,  semblait  tenir  le  milieu, 
pour  les  traits  et  la  constitution .  entre  ceux  de  l'ile 
aux  Kangarous  et  ceux  du  port  du  Roi-Georges.  Tous 
ces  individus  vivent  depuis  plusieurs  années  avec  les 
Anglais ,  excepté  la  petite  fille  qu'ils  n'ont  que  depuis 
sept  mois. 

Je  ne  me  lassais  point  d'admirer  la  bizarre  réunion 
de  ces  misérables  mortels,  si  différens  d'origine  et 
d'éducation,  que  le  hasard  s'était  néanmoins  plu  à 
rassembler  pour  les  soumettre  à  une  existence  aussi 
chélive  ,  aussi  précaire  !...  Leurs  deux  barques  com- 
posaient toute  leur  fortune,  c'était  sur  elles  que  repo- 
sait toute  leur  puissance  ;  la  perte  de  ces  chétifs  canots 
eût  rendu  la  condition  de  ces  malheureux  cent  fois  pire 
que  celle  des  sauvages  mêmes  de  ces  contrées. 

M.  Guilbert  a  profité  d'un  temps  plus  beau  que 
de  coutume ,  pour  travailler  avec  ardeur  au  plan  du 
havre  aux  Huîtres.  Un  des  Anglais  a  été  retenu  à 
bord ,  avec  ses  chiens,  pour  accompagner  demain  nos 
chasseurs  à  la  chasse  aux  kangarous  ;  attendu  que  les 


DE  L'ASTROLABE. 


107 


naturalistes  paraissaient  attacher  un  vif  intérêt  à  pos- 
séder au  moins  un  de  ces  animaux, 

M.  Lottin,  parti  dès  le  point  du  jour  dans  la  yole 
avec  M.  Faraguet,  a  reconnu  Break-Sea,  Michael- 
Mas  et  la  côte  voisine,  en  sondant  avec  soin  tout  cet 
espace,  et  n'est  rentré  qu'à  huit  heures  du  soir. 

MM.  Gressien  ,  Guilberl ,  Gaimard  et  Sainson  , 
débarqués  aussi  dès  le  point  du  jour,  avec  l'Anglais  et 
ses  chiens,  pour  chasser  le  kangarou,  ont  poussé 
leur  course  jusqu'à  la  rivière  des  Anglais.  Ils  sont 


189.6. 


20  octobre. 


M 

Es 


rentrés  à  cinq  heures,  très-fatigués,  sans  avoir  tué  ni 
forcé  aucun  de  ces  animaux  ,  bien  qu'ils  en  aient  fait 
lever  cinq.  JNos  chasseurs  croyaient  avoir  remonté 
la  rivière  au-delà  du  point  où  nous  étions  arrêtés  di- 
manche dernier ,  et  n'avaient  presque  pas  vu  d'oiseaux 
sur  leur  route. 

Après  mon  déjeuner,  accompagné  de  Lauvergne  et 
de  Simonet ,  j'ai  moi-même  mis  pied  à  terre  en  tète  de 
la  grande  plage  ;  après  avoir  indiqué  aux  charpentiers 


108  VOYAGE 

1826.  à  deux  cents  pas  du  rivage  une  forêt  de  beaux  Euca- 
octobre.  lyptas  et  de  Banksia ,  pour  couper  de  grosses  pièces 
de  bois  nécessaires  au  service  du  bord,  je  me  suis 
promené  doucement  sous  l'ombrage ,  tirant  des  oi- 
seaux et  ramassant  quelques  plantes.  Le  terreau  de 
ces  coteaux  m'a  semblé  substantiel  et  bien  propre  à 
la  culture. 

La  hutte  dont  j'ai  déjà  parlé  a  été  considérablement 
réparée  et  augmentée  ;  à  un  demi-mille  plus  loin  j'en 
ai  observé  dix  à  douze  autres  de  la  même  forme, 
qui  m'ont  paru  la  résidence  habituelle  de  la  tribu  qui 
peuple  ces  plages.  Aujourd'hui  sans  doute  elle  s'est 
retirée  plus  loin  vers  l'intérieur,  afin  de  soustraire 
les  femmes  à  nos  regards, 
ai.  MM.  Gressien  et  Paris  ont  travaillé  au  plan  du 

havre  de  la  Princesse,  tandis  que  M.  Lottin  faisait 
une  station  avec  le  théodolite  sur  le  point  culminant 
de  la  presqu'île  de  l'Aiguade. 

Dans  l'après-midi  le  vent  soufflait  avec  violence  à 
TO.  ;  sur  les  cinq  heures  une  brume  épaisse,  semblable 
à  des  tourbillons  de  fumée,  s'est  élevée  du  fond  du 
havre  de  la  Princesse,  et,  depuis  ce  moment,  le  vent 
a  soufflé  grand  frais  par  raffales.  Aujourd'hui  la  tem- 
pérature, qui  n'était  à  quatre  heures  du  matin  qu'à 
12°,  8,  atteignait  21°  à  midi;  cette  ascension  produisit 
sur  le  corps  humain  une  impression  de  chaleur  très- 
sensible. 

a2.  Temps  pluvieux  et  vent  violent  qui  m'ont  contraint 

de  garder  le  bord.  Les  canots  des  Anglais  nous  ont 
apporté  du  poisson  et  de  jolies  tourterelles  à  reflets 


DE  L'ASTROLABE.  109 

métalliques,  que  nous  avons  achetées  pour  du  lard  et      1826. 
du  biscuit. 

La  journée  s'annonçait  sous  les  auspices  les  plus  a3  octobre. 
favorables;  tous  les  membres  de  l'expédition  l'ont 
mise  à  profit,  chacun  suivant  ses  goûts  et  la  nature  de 
ses  occupations.  A  quatre  heures,  MM.  Lottin  et  Fa- 
raguet  sont  partis  dans  la  yole  pour  travailler  au  plan 
de  la  baie  extérieure ,  et  ont  en  même  temps  conduit 
MM.  Quoy  et  Gaimard  au  pied  de  Bald-Head  qu'ils 
voulaient  explorer.  A  quatre  heures  trois  quarts  je 
suis  parti  dans  la  baleinière  avec  MM.  Guilbert  et 
Sainson,  pour  rechercher  de  nouveau  la  rivière  des 
Français;  vingt  minutes  après,  MM.Gressien  et  Paris 
ont  été  déposés  sur  la  pointe  Possession  pour  faire 
le  tour  du  havre  de  la  Princesse. 

Je  me  dirigeai  immédiatement  sur  Pile  du  Jardin 
où  la  planche  du  micromètre  fut  plantée  ;  sa  dis- 
tance, à  un  point  sur  la  côte  S.  E.  du  havre,  servit  de 
base  pour  le  plan.  MM.  Guilbert  et  Sainson  firent  le 
tour  de  la  plage  pour  en  tracer  les  sinuosités,  tandis 
que  je  traversais  avec  le  canot  vers  la  partie  de  la 
baie  où  je  supposais  l'embouchure  de  la  rivière.  Au 
moment  où  je  quittais  ces  messieurs,  trois  sauvages 
sortirent  du  bois  et  accoururent  vers  le  canot;  par 
précaution  je  gardai  l'un  d'eux  avec  moi.  En  appro- 
chant de  la  partie  N.  E.  de  la  baie,  un  banc,  qui  s'a- 
vance très-loin  au  large ,  me  contraignit  à  me  mettre  à 
l'eau ,  tandis  que  les  canotiers  halaient  l'embarcation 
à  force  de  bras.  Mais  bientôt  nous  reconnûmes  le 
véritable  lit  de  la  rivière,  dont  le  milieu  est  occupé  par 


110  VOYAGE 

1826.  un  chenal  régulier  de  cinq  ou  six  pieds  de  profondeur 
octobre.  ^  marée  basse.  Là  nous  fûmes  rejoints  par  MM.  Guil- 
bert  et  Sainson.  JNous  ne  tardâmes  pas  à  nous  trou- 
ver dans  la  rivière  elle-même  ;  son  cours  est  bien 
dessiné ,  son  lit  fort  beau ,  et  sa  profondeur  assez  ré- 
gulièrement de  huit  à  dix  pieds  dans  presque  toute  sa 
largeur,  dès  qu'on  s'est  éloigné  d'un  mille  environ  de 
l'embouchure. 

Nous  rencontrâmes  sur  notre  route  des  troupes  de 
pélicans ,  des  céréopsis ,  des  cygnes  noirs ,  des  hérons 
blancs,  des  canards  musqués,  et  deux  autres  espèces 
de  ce  dernier  genre.  Nous  tuâmes  un  cygne  noir ,  un 
canard  brun  et  deux  hérons.  La  journée  était  char- 
mante, la  température  délicieuse,  et  nous  éprouvâmes 
une  vive  satisfaclion  en  naviguant  à  pleines  voiles  sur 
ce  beau  canal,  entre  deux  rives  ombragées  par  d'im- 
menses eucalyptus,  tapissées  par  les  plus  jolis  buis- 
sons et  émaillées  des  fleurs  les  plus  élégantes. 

Nous  avions  parcouru  cinq  milles  environ  sans 
éprouver  le  moindre  obstacle ,  lorsqu'à  deux  heures 
le  canot  se  trouva  arrêté  par  de  gros  rochers  qui  bar- 
rent la  rivière  dans  un  endroit  où  sa  pente  devient 
plus  rapide.  Depuis  long-temps  ses  eaux  étaient  en- 
tièrement douces.  Je  fis  faire  halte ,  et  nous  nous  éta- 
pi.  xiv.     blimes  sur  la  rive  gauche  sous  de  beaux  eucalyptus. 

Près  de  cette  barre  les  indigènes  ont  profité  de 
trois  îlots  qui  rompent  la  vitesse  du  courant  et  dé- 
tournent sa  direction ,  pour  construire  des  pêcheries 
assez  bien  entendues.  Ce  sont  des  digues  en  pierres, 
figurant   de   petits   parcs  arrondis  dont  l'orifice  est 


DE  L'ASTROLABE.  111 

tourné  vers  la  mer.  Sans  doute,  le  flot  monte  jus-       rSafi. 
qu'à  celle   distance,   et  y  amène  des   poissons  qui     (>t°iire. 
restent  engagés  dans  ces  petits  labyrinthes  ,   d'au- 
lant  mieux  que  leurs  issues  ont  l'ouverture  intérieure 
plus  étroite  que  l'extérieure. 

Sur  la  droite  de  la  rivière  les  bois  sont  traversés  par 
de  petits  sentiers  bien  battus,  et  l'un  de  nos  matelots 
y  rencontra  une  hutte. 

Je  descendis  sur  la  rive  opposée ,  dont  le  sol  est 
obstrué  de  broussailles,  et  surtout  de  hautes  fougères 
à  rameaux  entrelacés,  qui  embarrassent  à  chaque 
instant  les  pas  du  voyageur.  A  un  mille  environ  de 
la  première  barre  ,  la  rivière,  qui  continue  d'offrir  un 
lit  de  douze  à  quinze  brasses  de  largeur,  se  resserre 
et  se  trouve  de  nouveau  barrée  par  une  cascade  de 
deux  ou  trois  pieds  de  hauteur.  Son  cours  était  encore 
le  N.  E.  et  l'E.  ;  il  reprend  ensuite  un  peu  plus  au 
IV . ,  et  s'élargit  jusqu'à  un  mille  et  demi,  où  il  est 
barré  une  troisième  fois.  Un  peu  au-delà  je  le  tra- 
versai sur  un  énorme  tronc  d'arbre  abattu  en  travers, 
ce  que  j'avais  inutilement  tenté  jusqu'alors.  Ce  serait 
à  peu  près  jusque-là  qu'une  embarcation,  tirant  quatre 
ou  cinq  pieds  d'eau ,  pourrait  facilement  remonter  le 
cours  de  cette  rivière ,  soit  en  faisant  sauter  les  bar- 
res, soit  en  établissant  des  bassins  et  des  écluses.  On 
peut  estimer  cette  étendue  à  six  ou  sept  milles  de  son 
embouchure,  en  suivant  les  sinuosités.  Plus  loin  la 
rive  droite  s'élève  beaucoup,  le  lit  s'encaisse,  et,  quoi- 
que le  plus  souvent  large  encore  de  quatre  ou  cinq 
brasses,  ce  n'est  plus  qu'un  torrent  rapide  et  trop 


112  VOYAGE 

1826.  obstrué  de  rochers,  pour  que  l'on  puisse  en  tirer  parti 
octobre.  p0ur  autre  chose  que  des  moulins  ou  des  irriga- 
tions. Je  le  suivis  encore  un  bon  mille,  et  le  trouvai  tou- 
jours le  même;  puis,  observant  que  le  terrain  m'of- 
frait constamment  le  même  aspect  jusqu'à  des  mon- 
tagnes assez  élevées  dans  le  N.  N.  O.  ,  d'où  cette 
rivière  semblait  découler,  je  me  décidai  à  revenir  sur 
mes  pas. 

Ce  côté  de  la  rivière ,  quoique  souvent  coupé  par 
des  ruisseaux  qui  s'y  déchargent ,  est  beaucoup  plus 
agréable  que  l'autre  et  d'un  accès  bien  plus  facile.  Le 
sol  m'en  a  paru  excellent ,  et  je  ne  doute  pas  que  l'on 
ne  put  y  faire  avec  succès  des  plantations  en  divers 
genres. 

Près  du  canot  je  tuai  de  jolis  petits  coucous  à  reflets 
verts  sur  le  dos.  Nous  dînâmes  à  cinq  heures,  et  à  six 
heures  nous  nous  mîmes  en  route  pour  le  bord.  Mal- 
gré les  efforts  de  six  hommes ,  qui  ramaient  avec  vi- 
gueur et  sans  interruption,  il  fallut  au  canot  une 
heure  et  demie  pour  revenir  à  l'embouchure.  Là  nous 
fûmes  souvent  engagés  sur  les  bancs  de  l'entrée,  parce 
que  nous  voulions  toujours  couper  trop  vite  au  sud, 
tandis  qu'il  faut  aller  attaquer  de  près  la  côte  occi- 
dentale du  havre  avant  de  reprendre  cette  direction  : 
toute  la  partie  E.  et  N.  E.  de  cette  baie  ayant  à  peine 
un  ou  deux  pieds  d'eau  à  basse  mer.  Le  ciel  se  couvrit 
de  nuages  épais,  circonstance  qui  nous  contraria  beau- 
coup dans  nos  efforts  pour  retrouver  la  passe  du  gou- 
let ;  mais  aussitôt  que  nous  l'eûmes  franchie ,  nous 
aperçûmes  le  fanal  du  bord  qui  nous  servit  de  guide , 


i8?.6. 


DE  L'ASTROLABE.  113 

de  sorte  qu  a  onze  heures  nous  fûmes  de  retour ,  très- 
contens ,  quoique  bien  fatigués  de  notre  excursion.         octobre. 

M.  Lottin  était  rentré  à  bord  une  heure  avant  nous, 
et  avait  fait  deux  stations  complètes  :  Tune  sur  file 
Seal,  où  il  avait  observé  des  phoques  et  des  manchots  ; 
l'autre  sur  File  de  l'Observatoire.  Dans  les  préten- 
dus coraux  du  sommet  de  Bald-Head,  MM.  Quoy 
et  Gaimard  n'avaient  trouvé  que  des  coquillages  in- 
crustés dans  une  espèce  de  pâte  de  grès  et  de  sable , 
et  s'en  étaient  revenus  par  terre  jusqu'à  la  pointe  Pos- 
session. Enfin  MM.  Gressien  et  Paris  avaient  exé- 
cuté leur  course,  qui  sera  très-utile  à  la  configuration 
exacte  du  havre  de  la  Princesse. 

Deux  hommes  ont  toute  la  journée  péché  à  la  ligne 
dans  le  Bot,  entre  les  rochers  de  la  côte,  où  ils  ont  pris 
près  de  deux  quintaux  de  poissons,  tous  de  bonne 
qualité,  et  quelques-uns  fort  beaux. 

Le  départ  étant  fixé  à  demain,  la  tente  et  la  forge  ■?■>. 
ont  été  démontées  et  rapportées  à  bord  ;  l'ancre  de  tri- 
bord a  été  désempenelée ,  et  les  officiers ,  chargés  de 
la  géographie,  ont  donné  la  dernière  main  à  leurs 
travaux.  Moi-même  j  ai  fait  une  dernière  course  à 
terre  :  puis  on  a  tout  disposé  pour  l'appareillage. 

Avant  de  quitter  définitivement  ce  mouillage ,  bien 
certainement  l'un  des  plus  heureux  de  la  campagne, 
récapitulons  rapidement  les  avantages  qu'il  nous  a 
procurés,  et  le  parti  que  nous  en  avons  tiré  pour  la 
science. 

L'équipage  s'y  est  parfaitement  remis  de  la  pénible 
traversée  qu'il  avait  eue  à  supporter  depuis  Ténérifïe  : 

TOME    I.  S 


114  VOYAGE 

1S26.  l'eau  et  le  bois  ont  été  complètement  remplacés,  le 
Octobre,  grément  presque  entièrement  visité ,  et  diverses  ava- 
ries réparées.  M.  Jacquinot  a  réglé  les  montres.  Les 
plans  complets  du  port  et  des  deux  havres,  avec  de 
nombreuses  sondes,  ainsi  que  le  plan  topographique 
de  la  presqu'île  de  l'Aiguade ,  ont  été  dressés  par 
MM.  Lottin,  Gressien  et  Guilbert,  assistés  des  élè- 
ves. MM.  Quoy  et  Gaimard  ont  déjà  amassé  d'amples 
collections  de  zoologie  dans  cette  station,  et  toutes 
les  plantes  ont  été  recueillies  par  M.  Lesson.  Enfin 
M.  Sainson  n'a  négligé  aucun  des  objets  qu'il  était 
intéressant ,  et  même  curieux ,  de  retracer  au  moyen 
de  ses  pinceaux. 

Le  mouillage  est  fort  commode  à  prendre;  malgré 
les  vents  forcés  qui  y  régnent  souvent,  les  navires 
de  toute  grandeur  n'ont  rien  du  tout  à  craindre , 
s'ils  sont  bien  amarrés ,  et  surtout  s'ils  peuvent  se 
placer  à  l'entrée  même  du  havre  de  la  Princesse. 
Comme  nous  l'avons  déjà  dit ,  l'eau  et  le  bois  se  font 
facilement ,  les  naturels  en  sont  pacifiques ,  et  le  cli- 
mat nous  a  paru  très-salubre. 

D'après  toutes  ces  considérations ,  je  pensai  alors 
qu'il  eût  été  difficile  de  rencontrer  un  lieu  plus  favora- 
ble pour  établir  une  colonie  ;  aussi  ne  cessais-je  de  m'é- 
tonner  de  ce  que  les  Anglais  ne  l'avaient  pas  déjà  fait , 
surtout  quand  je  réfléchissais  que  ce  point  se  trouvait 
admirablement  situé,  tant  pour  les  navires  qui  se  ren- 
dent directement  d'Europe  à  la  Nouvelle-Galles  du 
sud ,  que  pour  ceux  qui  veulent  se  rendre  du  Cap  en 
Chine,  ou  aux  îles  de  la  Sonde  à  contre-mousson. 


DE  L'ASTROLABE.  115 

De  l'examen  que  j'avais  fait  de  la  rivière  des  Fran-  is26. 
çais  et  de  tout  le  terrain  qui  avoisine  le  port ,  je  con-  Oc,0,)re- 
cluais  aussi  que  dans  le  cas  où  une  colonie  s'établirait 
au  port  du  Roi-Georges ,  nulle  position  ne  convien- 
drait mieux  à  la  ville  que  celle  de  notre  observatoire.  En 
effet,  elle  réunit  presque  tous  les  avantages  désirables 
en  pareil  cas  :  bonne  eau,  bois  abondant,  défense  facile, 
côte  abordable  aux  canots  de  tout  temps,  et  parfaite 
sécurité  de  mouillage  pour  les  navires,  soit  en  rade  au- 
debors ,  soit  dans  le  goidet  ou  dans  le  havre  même 
de  la  Princesse.  Les  premiers  grands  défrichemens , 
les  plantations  considérables  auraient  lieu  le  long  de 
la  rivière  des  Fiançais ,  et  les  communications  par 
eau  avec  le  chef-lieu  seraient  directes ,  et  des  plus 
aisées.  La  pèche  singulièrement  abondante  offrirait 
aux  premiers  colons  de  grandes  ressources  dans  les 
commencemens  de  leur  établissement.  Enfin,  il  n'est 
pas  douteux  qu'au  bout  de  quelques  années  les  pro- 
ductions du  sol,  tant  en  grains  qu'en  bestiaux,  ne 
pussent  suffire  amplement  à  leur  consommation  *. 

Le  résultat  des  observations   de  M.  Jacquinot  a 
donné  pour  l'observatoire  du  port  du  Roi-Georges  : 

Par  deux  séries  de  hauteur  eircuni-méridiennes  du  soleil; 

latitude  S 35°   2    ?.c>" 

Par  la  moyenne  des  trois  montres  nos  26 

et  38  (Motel),  et  no   83   (Berthoud), 

avec  la  marche  du  départ. 

Longitude  E.  de  Paris u5°   33'  5i" 

Déclinaison  de  l'aiguille  aimantée.  (  Moyenne 

de  66  azimuts) 5<>  33'   16"  If'.  O. 

*    '  oyez-  notes  7  et  8. 


116  VOYAGE 


CHAPITRE  VII 


DU    TORT    DU    ROI-GEORliES    JUSQU  AU    DEPART    DE    TORT-WESTERN- 


ï.826.  A  onze  heures  vingt  minutes  du  matin,  la  yole  est 

a5  octobre,  partie  sous  les  ordres  de  M.  Guilbert  pour  faire  une 
ligne  de  sonde  entre  la  terre  ferme  et  file  Michaelmas; 
et ,  quelques  minutes  après ,  la  corvette  elle-même  a 
mis  sous  voiles  avec  un  temps  couvert  et  une  forte 
brise  d'O.  S.  O.;  elle  a  couru  trois  bords  en  dérivant 
sous  le  petit  soc  et  la  voile  d'étai  de  cape  pour  multi- 
plier les  sondes  de  la  rade ,  puis  elle  a  laissé  porter 
entre  les  deux  îles  de  Break-Sea  et  Michaelmas.  Le 
canal  qu'elles  forment  n'a  pas  plus  de  six  cents  toises 
de  large,  mais  il  est  très-sain  ;  d'ailleurs  la  côte  des 
deux  îles  est  si  acore,  que  l'on  ne  rencontre  pas  moins 
de  soixante  à  quatre-vingt  brasses  presqu'à  toucher 
terre.  A  deux  heures  nous  reprîmes  la  yole  qui  nous 
attendait  à  l'abri  de  Break-Sea  ,  puis  nous  fîmes  route 
au  S.  E.  V4  S.  Bientôt  le  vent  refusa  jusqu'au  S.  S.  O. 
en  fraîchissant  et  soulevant  une  grosse  mer  qui  nous 


DE  L' ASTROLABE.  117 

força  de  laisser  porter  jusqu'au  S.  E.  1/4  E.  en  dimi-       18&6. 
nuant  de  voiles. 

Ce  temps  et  ce  vent  durèrent  toute  la  nuit  et  la   26  onobre. 
journée  suivante,  et  firent  monter  le  mercure  dans  le 
baromètre  jusqu'à  vingt-huit  pouces  huit  lignes  ;  il  re- 
descendit graduellement  en  même  temps  que  la  force 
du  vent  s'apaisa. 

Le  matin  le  vent  est  bien  modéré  ,  et  l'après-midi  il  27. 
fait  tout-à-fait  calme.  Malgré  la  grosse  houle,  on  en- 
voya le  thermométrographe  à  trois  cent  douze  brasses 
de  profondeur  verticale;  il  résulta  de  cette  observation 
que  la  température  des  eaux  de  la  mer,  qui  était  de  1 3°, 
7  à  la  surface,  ne  descendit  qu'à  7°,  4  à  cette  profon- 
deur. Le  soir  le  vent  s'est  peu  à  peu  élevé  au  N.  E., 
ce  qui  nous  a  de  nouveau  contrariés  dans  notre  route. 

Voici  quelques  notions  que  j'ai  recueillies  aujour- 
d'hui de  la  bouche  d'Hambilton  ,  l'un  des  Anglais  qui 
se  sont  embarqués  à  bord  ,  et  celui  qui  m'a  paru  mé- 
riter le  plus  de  confiance.  Les  Australiens  du  port  du 
Roi-Georges,  m'a-t-il  dit,  sont  des  hommes  très-doux, 
obligeans  et  incapables  de  faire  aucun  mal.  Ils  ne  sont 
nullement  navigateurs  ;  Hambilton  ne  leur  a  vu  aucun 
genre  d'embarcation,  pas  même  en  écorce  ou  en  troncs 
d'arbres.  Bien  loin  de  là,  ces  sauvages  semblent  re- 
douter l'eau,  où  ils  ne  s'aventurent  guère  à  la  nage,  et 
ne  fabriquent  point  de  filets  ;  il  en  a  trouvé  quelquefois 
plus  de  cent  réunis  à  la  plage ,  hommes ,  femmes  et 
enfans,  quand  son  navire  était  mouillé  à  la  rade  près 
de  file  Seal.  Ces  Australiens  ont  avec  eux  de  beaux 
chiens  à  poil  rouge,  qu'ils  nomment  aussi  kcmgarom. 


118  VOYAGE 

1826.  Le  soir  le  vent  fraîchit  beaucoup  au  N.  E.,  et  il 

28  octobre.  passe  je  violentes  raffales.  La  mer  est  grosse  et 
nous  tourmente  cruellement.  Les  petits  marsouins  à 
ventre  blanc  deviennent  fréquens. 

29.  Après  avoir  successivement  varié  au  N.  E.,  au 
N. ,  à  TE.,  le  vent  se  fixe  ce  soir  au  S.  S.  E.,  et 
souffle  grand  frais  toute  la  nuit  avec  des  grains ,  de 
violentes  raffales  et  une  mer  très-dure.  Le  baromètre 
qui,  hier  à  midi ,  marquait  encore  vingt-huit  pouces 
quatre  lignes  ,  était  descendu  aujourd'hui  à  midi  à 
vingt-sept  pouces  neuf  lignes  ;  mais  il  a  progressive- 
ment remonté,  ce  qui  m'a  paru  digne  de  remarque. 

30.  Le  coup  de  vent  qui  n'a  cessé  de  souffler  toute  la 
nuit  s'est  apaisé  un  peu  ce  matin  ;  cependant  il  a  en- 
core venté  bon  frais  du  sud;  ce  n'est  que  le  jour  sui- 

3i.  vant  que  le  ciel  s'est  embelli ,  et  qu'une  brise  modérée 
de  S.  O.  nous  a  enfin  permis  de  faire  bonne  route, 
r  novembre.  Ce  mois  qui  correspond  au  mois  de  mai  de  nos 
climats ,  s'est  annoncé  sous  d'agréables  auspices ,  et 
nous  avons  joui  d'une  journée  superbe  qu'avait  pré- 
cédée une  belle  nuit  et  une  abondante  rosée.  Je  tenais 
beaucoup  à  reconnaître  une  petite  île  vue  par  un 
capitaine  Hammet,  en  1818,  par  28°  22'  latitude  S. 
et  127°  longitude  E.  de  Greenwich.  Du  moins  elle 
est  ainsi  placée  sur  la  carte  de  l'Australie  par  Flin- 
ders,  corrigée  en  1822,  et  reparait  à  peu  près  dans  la 
même  position  sur  la  carte  générale  du  premier  volume 
de  l'Atlas  de  Krusenstern.  En  conséquence,  comme 
je  m'estimais,  sur  les  trois  heures  du  matin,  à  vingt  milles 
à  l'ouest  de  cette  île,  je  mis  en  panne  jusqu'au  jour.  A 


DE  L'ASTROLABE.  119 

midi  les  observations  m'apprirent  qu'à  huit  heures  du  iSafi. 
matin  nous  n'avions  dû  passer  qu'à  cinq  ou  six  milles  *""■*""■ 
au  nord  du  point  que  je  viens  d'indiquer.  Bien  qu'il 
régnât  une  brume  assez  épaisse,  cependant  je  pense 
qu'à  cette  distance  nous  eussions  distingué  cette 
terre  si  elle  eut  existé ,  ou  que  nous  en  eussions  du 
moins  observé  quelque  indice.  J'ai  donc  beaucoup  de 
peine  à  croire  à  son  existence,  d'autant  plus  que  le 
pilote  Siddins  m'a  assuré  par  la  suite,  à  Sydney,  qu'on 
devait  ajouter  très-peu  de  confiance  à  cette  découverte 
du  capitaine  Hammet. 

Depuis  long-temps  la  mauvaise  odeur  qu'exhalaient 
les  boites  qui  contenaient  les  poules  braisées  d'Appert, 
faisait  soupçonner  qu'il  devait  y  en  avoir  plusieurs  de 
gâtées.  En  conséquence  j'ai  fait  apporter  toutes  ces 
caisses  sur  le  pont,  je  les  ai  fait  déballer  en  présence 
de  letat-major  et  de  l'équipage  entier,  et  on  a  procédé 
à  leur  examen.  Par  suite  de  cette  visite,  il  s'est  trouvé 
que  sur  deux  cent  quatre-vingt-dix-neuf  boites  res- 
tant à  bord,  cent  quarante-quatre  seulement  sem- 
blaient dans  un  état  de  conservation  rassurant, 
soixante-huit  présentaient  l'indice  de  la  corruption  à 
un  degré  médiocre,  et  le  reste,  au  nombre  de  quatre- 
vingt-sept,  le  même  indice  au  plus  haut  degré  ;  quel- 
ques-unes même  exhalaient  l'odeur  la  plus  fétide. 
Toutes  celles-ci  ont  été  ouvertes ,  et  ont  présenté 
sans  exception  une  viande  corrompue,  qui  répandait 
une  odeur  infecte.  Je  les  ai  fait  sur-le-champ  jeter  à 
la  mer  ;  car  la  nature  de  notre  campagne  et  les  di- 
mensions de  notre  bâtiment  ne  me  permettaient  point 


120  VOYAGE 

1826.  de  les  conserver  à  bord  pour  les  rendre  au  retour, 
Novembre,  comme  le  recommande  M.  Appert  :  d'ailleurs,  leur 
plus  long  séjour  sur  la  corvette  eût  pu  devenir  dan- 
gereux à  la  santé  des  hommes  et  à  la  conservation 
des  autres  vivres.  Les  soixante-huit  boites  douteuses 
ont  été  séparées  et  destinées  à  servir  les  premières 
en  cas  de  besoin.  Enfin  les  cent  quarante-quatre  qui 
semblaient  bonnes  ont  été  refermées  avec  soin  et 
replacées  dans  les  soutes  où  elles  se  trouvaient  : 
elles  y  étaient  à  l'abri  de  toute  humidité,  ainsi  que  de 
toute  secousse  accidentelle.  Aussi  chacun  de  nous  est 
resté  convaincu  que  ces  boites  étaient  déjà  avariées  au 
moment  de  l'embarquement,  et  nous  n'avons  pu  attri- 
buer la  cause  de  cette  avarie  qu'à  la  mauvaise  confec- 
tion des  caisses  en  bois  qui  les  contenaient ,  beaucoup 
trop  faibles  d'échantillon ,  à  leur  emballage  négligé  (la 
plupart  des  boîtes  portaient  contre  les  planches 
mêmes  des  caisses ,  ce  qui  les  a  froissées  considéra- 
blement), enfin  aux  secousses  qu'elles  auront  pu  rece- 
voir dans  le  transport  par  le  roulage.  Quoi  qu'il  en 
soit ,  la  perte  des  quatre-vingt-sept  boites  gâtées  est 
une  perte  essentielle  pour  l'expédition ,  et  qui  pourra 
un  jour  nous  devenir  bien  sensible ,  si  les  maladies 
viennent  nous  assaillir. 
4.  Aujourd'hui  la  Saint-Charles,  fête  du  monarque  des 

Français.  En  son  honneur,  les  marins  de  l'Astrolabe 
ont  reçu,  en  outre  de  leur  ration,  le  café  au  déjeuner, 
double  ration  de  vin  au  dîner,  et  un  punch  après 
souper.  Ce  petit  extra  joint  au  beau  temps  les  a  mis 
tous  en  gaieté;  la  journée  s'est  passée  très-joyeuse- 


DE  L'ASTROLABE. 


121 


ment,  et  le  soir  ils  ont  joué  des  farces  auxquelles  les       1S26. 
deux  nouveaux  venus  Symons  et  Cloney  ont  pris  Novembre. 
une  part  Irès-active. 


Les  observations  d'amplitude  et  d'azimuth  ont 
donné  successivement  aujourd'hui  4°  N.  O.,  1°N.  E. 
et  1°  N.  O.,  ce  qui  prouve  qu'elle  est  à  peu  près 
nulle  pour  38*  40'  S.  et  1 33°  40'  E. 

Depuis  plusieurs  jours  nous  jouissons  d'un  très- 
beau  temps,  et  nous  n'éprouvons  plus  que  de  petits 
vents  variables  en  diverses  directions.  Nous  profi- 
lons des  avantages  d'une  aussi  douce  navigation  pour 
mettre  à  jour  les  matériaux  en  tout  genre  recueillis 
au  port  du  Roi-Georges,  en  sorte  que  nous  serons 
bientôt  prêts  pour  une  nouvelle  relâche. 

Après  de  mûres  réflexions  je  me  suis  décidé  à 
échanger  la  relâche  du  porl  Dalrvmplc  indiquée  par 


122  VOYAGE 

1826.  mes  instructions,  contre  celle  de  Port-Western.  En 
Novembre.  efret  ^  je  savais  cme  l'entrée,  et  plus  encore  la  sortie  du 
port  Dalrymple,  étaient  difficiles  et  souvent  dange- 
reuses pour  un  navire  comme  le  nôtre  ;  on  est  quel- 
quefois obligé  d'attendre  un  mois  ou  six  semaines 
pour  appareiller  ;  d'ailleurs  c'est  un  point  désormais 
bien  connu,  et  nul  besoin  ne  m'y  appelait.  Enfin,  je 
n'ignorais  pas  combien  les  recherches  scientifiques  en 
tout  genre  se  font  avec  moins  d'assiduité  et  devien- 
nent ordinairement  moins  fructueuses  dans  les  relâ- 
ches où  l'on  est  reçu  par  les  Européens,  en  raison 
même  des  politesses  qu'on  reçoit ,  et  des  devoirs  de 
convenance  auxquels  on  se  trouve  astreint.  Port- 
Western,  au  contraire,  n'était  encore  connu  que 
très-incomplètement  par  les  voyages  de  Baudin  et  de 
Flinders  ;  il  offrait  pour  ainsi  dire  un  sol  vierge  à  ex- 
plorer, et  les  hôtes  que  nous  pouvions  espérer  d'y 
rencontrer,  ne  devaient  pas  beaucoup  nous  distraire 
de  nos  recherches  par  les  agrémens  de  leur  société. 
Telles  furent  les  raisons  qui  me  déterminèrent  à  con- 
duire V Astrolabe  à  Port-Western. 

6.  Vers  trois  heures  après  midi ,  un  albatros  chloro- 

rynque  a  été  abattu  d'un  coup  de  fusil,  et,  sur  le  désir 
exprimé  par  les  naturalistes  ,  j'ai  envoyé  la  yole  pour 
le  ramasser.  C'est  un  fort  bel  oiseau  de  six  pieds 
d'envergure ,  et  dont  le  plumage  est  d'une  blancheur 
éclatante  au-dessous  du  corps.  Les  fous  à  tète  fauve 
commencent  à  se  montrer,  et  annoncent  l'approche 
de  la  terre. 

s.  Contrarié  depuis  quelques  jours  par  des  vents  d'E. 


DE  L'ASTROLABE.  123 

fort  ennuyeux,  je  me  suis  décidé  enfin  à  prolonger  la  1826. 
bordée  jusqu'à  terre,  pour  mieux  connaître  notre  po-  Nonwwne 
sition ,  et  en  même  temps  nous  désennuyer  un  peu 
par  la  vue  de  la  côte.  Nous  n'avons  pas  tardé  à  être 
environnés  d'oiseaux  de  rivage ,  tels  que  fous  à  tète 
fauve,  sternes  blanches  à  tète  tachée  de  noir,  et  petits 
plongeons.  Vers  midi  de  nombreux  paquets  deLa??i{- 
naria pyiifera  ont  passé  le  long  du  bord,  et  les  eaux 
de  la  mer  ont  pris  une  teinte  blanchâtre  qui  annonçait 
le  fond.  Le  vent  soufflait  à  l'E.  S.  E.  bon  frais,  avec 
une  forte  houle  et  un  horizon  très-brumeux.  A  midi 
quarante-cinq  minutes,  la  terre  a  été  aperçue  courant 
du  N.  O.  au  N.  N.  E.  La  partie  la  plus  au  nord  tenait 
au  mont  Saint-Bernard  [Freyninet),  monts  Schanck  et 
Gambier(/7/W<?/.y),  près  le  cap  Bouftlers. 

A  deux  heures  le  vent  ayant  beaucoup  fraîchi,  et 
ne  nous  trouvant  plus  qu'à  huit  ou  dix  milles  de  terre, 
j'ai  viré  de  bord  et  repris  la  bordée  du  large.  Dmant 
l'évolution  la  sonde  a  donné  trente  brasses ,  fond  de 
gravier  et  de  coquilles. 

Celle  portion  de  la  côte  est  basse  ,  sablonneuse,  et 
d'un  aspect  triste  et  monotone.  Seul,  au  second  plan, 
le  mont  Saint-Bernard  s'élève  médiocrement,  aplati 
au  sommet,  avec  un  piton  sur  la  droite.  Le  cap  Mon- 
taigne était  caché  par  la  brume,  et  à  quatre  heures 
nous  avions  déjà  perdu  la  terre  de  vue.  Les  deux 
houles  combinées  de  S.  E.  et  de  S.  O.,  en  se  com- 
battant mutuellement,  ont  beaucoup  fatigué  le  navire. 

J'ai  bien  regretté  que  ces  fâcheux  vents  d'E.  ne 
m'aient  pas  permis  de  prolonger  la  côte  de  près  jus- 


124  VOYAGE 

1826.       qu'au  cap  Otway,  afin  de  comparer  les  travaux  de 
Novembre.    Baucj_îii  et  de  Flinders ,  qui  offrent  d'assez  grandes 
différences  en  ces  parages. 

10.  A  dix  heures  trente  minutes  du  matin,  dans  un 
calme  plat  qui  a  été  de  peu  de  durée ,  j'ai  envoyé  le 
therinométrographe  à  trois  cent  vingt  brasses  de  pro- 
fondeur verticale  sans  trouver  le  fond  ,  quoique  je  ne 
fusse  éloigné  que  de  huit  à  dix  lieues  de  la  terre.  Les 
eaux  de  la  mer  à  13°,  5  à  la  surface,  n'ont  fait  des- 
cendre le  mercure  à  cette  profondeur  qu'à  8°,  6. 

Dans  la  soirée  le  vent  a  enfin  varié  au  S.  S.  E.,  et 
S.  S.  O.  en  fraîchissant  considérablement.  Nous  en 
avons  profité  pour  faire  route  la  nuit.  A  minuit  la 
sonde  a  donné  quarante-cinq  brasses,  gros  sable  et 

11.  corail;  à  quatre  heures  nous  avons  aperçu  le  cap 
Otway  du  N.  à  l'E.  N.  E.,  à  dix  ou  douze  milles  de 
distance  ;  terres  hautes ,  bien  boisées  et  d'un  aspect 
agréable.  Aussitôt  qu'il  a  été  doublé ,  je  suis  revenu 
peu  à  peu  sur  bâbord,  afin  de  gouverner  sur  Port- 
Western. 

Des  bandes  nombreuses  d'albatros  chlororynques 
et  des  nuées  de  fous  à  tête  fauve  couvraient  dé- 
sormais les  flots.  Ceux-ci  surtout  nous  amusaient 
beaucoup  par  leur  manière  de  pêcher;  suspendus  en 
l'air,  d'une  grande  hauteur,  ils  guettaient  le  poisson 
attentivement,  puis  ils  fondaient  dessus  la  tête  devant 
avec  la  rapidité  d'une  flèche.  Ce  manège  continuel 
offrait  l'effet  le  plus  bizarre  et  le  spectacle  le  plus 
divertissant. 

Chargés  de  voiles  et  poussés  par  une  belle  brise 


DE  L'ASTROLABE.  125 

de  O.  S.  O.  sur  une  mer  plus  tranquille,  nous  avons  1826. 
filé  rapidement  le  long  de  la  côte.  Dès  trois  heures  *ovembre- 
nous  distinguions  parfaitement  le  sommet  d'Arthur's- 
Seat  et  le  cap  Schanck  à  l'entrée  occidentale  du  port. 
J'allais  même  essayer  d'y  pénétrer  de  suite,  quand  le 
ciel  s'est  chargé  dans  le  S.  O.,  le  vent  a  beaucoup 
renforcé,  et  la  mer  a  grossi  considérablement.  Alors 
j'ai  pensé  qu'il  était  plus  prudent  de  remettre  notre 
tentative  au  lendemain  ,  et  de  passer  la  nuit  aux  petits 
bords  dans  le  détroit.  Dès  cinq  heures  le  vent  a 
soufflé  grand  frais  du  S.  O.,  avec  une  houle  très- 
creuse  et  fort  courte;  mais  cette  bourasque  n'a  pas 
duré  long-temps;  à  huit  heures  la  brise  était  déjà 
modérée. 

J'ai  manœuvré  toute  la  nuit  de  manière  à  me  sou-  ». 
tenir  autant  que  possible  contre  les  courans  de  l'ouest; 
au  point  du  jour,  nous  avons  revu  les  terres  de  Port- 
Western  dans  le  nord ,  à  douze  ou  quinze  milles  de 
distance.  Il  a  fallu  forcer  de  voiles  et  serrer  le  vent 
pour  atteindre  l'entrée;  à  six  heures  quarante-cinq 
minutes ,  par  le  travers  et  à  un  mille  environ  de  la 
pointe  Grant,  nous  avons  mis  en  panne  pour  faire  une 
station  géographique.  En  avançant  nous  avons  décou- 
vert sur  la  rive  droite  un  établissement  de  pécheurs 
de  phoques  qui,  à  la  vue  de  la  corvette,  ont  mis  leur 
canot  à  la  mer  pour  venir  à  bord. 

Guidé  par  le  plan  de  Flinders  et  les  indications 
d'Hambilton,  qui  connaissait  ce  mouillage  et  dont 
l'aide  m'a  été  utile,  je  suis  entré  dans  la  baie;  à  huit 
heures  trente-sept  minutes  l'Astrolabe  était  affour- 


126  VOYAGE 

1826.  chée  au  mouillage  de  Flinders,  à  trois  encablures  de 
Novembre.    }a  terre  par  onze  brasses,  vase  et  coquilles. 

Aussitôt  la  corvette  mouillée  ,  les  pécheurs  de 
phoques  sont  montés  à  bord,  et  leur  patron  m'a  of- 
fert ses  services  et  ses  papiers  à  visiter.  Je  l'ai  re- 
mercié à  l'égard  de  sa  première  offre;  quant  à  ses 
papiers,  je  les  lui  ai  rendus  sans  y  jeter  les  yeux  ,  en 
lui  observant  que  cet  objet  n'était  point  de  ma  juri- 
diction ,  et  qu'aussi  bien  que  moi-même  il  pouvait  se 
regarder  comme  parfaitement  indépendant  sur  ce  sol 
désert  et  jusqu'à  présent  inoccupé. 

Sur-le-champ  on  amis  les  canots  à  la  mer  ;  MM.  Jac- 
quinot  et  Lottin  sont  allés  observer  à  terre,  et  j'ai  dé- 
pi.  xx.  barque  de  l'autre  côté  de  la  crique  des  Mangliers  pour 
explorer  le  terrain. 

Il  m'a  paru  d'une  très-bonne  qualité ,  mais  fort 
difficile  à  pratiquer.  Les  arbrisseaux  et  les  plantes  s'y 
pressent  tellement,  que  ce  n'est  qu'avec  une  peine 
extrême  et  beaucoup  de  temps  que  l'on  pénètre  à 
quelque  distance  du  rivage.  A  marée  basse ,  celui-ci 
se  trouve  lui-même  bordé  d'une  couche  si  épaisse  de 
vase  molle,  qu'il  devient  fort  pénible  de  se  rembar- 
quer dans  les  canots. 

Les  roches  du  rivage,  la  plupart  arrondies,  noi- 
râtres et  pesantes ,  sembleraient  tant  par  leur  aspect 
que  par  leur  disposition  ,  qui  rappelle  celle  des  cou- 
lées de  lave,  être  d'origine  volcanique;  mais  M.  Quoy 
reconnut  que  ce  n'étaient  que  des  espèces  de  géodes 
qui  ne  devaient  leur  couleur  et  leur  pesanteur  qu'à 
la  quantité  de  fer  qu'elles  contenaient. 


DE  L'ASTROLABE.  127 

Très-riche  encore  sur  cette  pointe  australe  de  la  1826. 
Nouvelle-Hollande ,  la  végétation  a  pris  cependant  un  Novembre. 
ton  déjà  bien  différent  des  contrées  plus  au  nord.  Les 
tiges  des  plantes  sont  moins  grêles,  leur  feuillage 
moins  sec ,  leur  verdure  mieux  prononcée ,  et  leurs 
formes  générales  se  rapprochent  davantage  de  celles 
qui  habitent  les  régions  tempérées  des  autres  conti- 
nens.  Les  insectes  sont  encore  moins  variés  qu'au 
port  du  Roi-Georges;  mais  les  oiseaux  y  sont  plus 
nombreux  et  plus  riches  en  couleurs. 

Durant  la  nuit  le  ciel  a  été  couvert,  et  il  est  tombé  de  « 3- 
la  pluie;  mais  au  jour  les  nuages  se  sont  dissipés,  et  il 
a  fait  très-beau  temps.  31.  Gressien  est  parti  à  neuf 
heures  avec  M.  Paris  dans  la  yole,  pour  explorer  les 
côtes  et  les  brisans  de  la  grande  passe  de  l'ouest ,  et 
moi-même,  avec  MM.  Gaimard  et  Lesson,  je  me  suis 
dirigé  avec  le  grand  canot  vers  la  cote  orientale  de  la 
baie. 

Mon  principal  but  était  d'y  visiter  un  village  de  na- 
turels dont  m'avait  parlé  Hambilton  ;  j'espérais  encore 
ouvrir  quelques  communications  avec  cette  race  d'hu- 
mains que  Tuckey  nous  a  représentée  comme  bien 
supérieure  à  toutes  celles  de  l'Australie.  Notre  Anglais 
nous  conduisit  près  de  l'entrée  de  la  passe  de  l'est,  où 
notre  canot  accosta  facilement  le  long  d'une  belle 
plage  de  sable  qui  borde  une  pointe  remarquable  que 
j'ai  nommée  Pointe  des  Philédons  ,  à  cause  du  grand 
nombre  de  ces  oiseaux  que  nous  y  rencontrâmes. 

Le  terrain  environnant  présente  d'agréables  bocages 
de  Banksia,  Eucalyptus ,  Casuarina ,  Podocarpus, 


1 28  VOYAGE 

1826.  Leptospermum ,  etc.,  et  ne  devient  incommode  au 
Novembre,  voyageur  que  quand  il  est  embarrassé  par  le  Pteris 
esculenta  aux  tiges  rameuses ,  et  la  grande  Dam- 
pieria  aux  fleurs  jaunes.  La  plupart  du  temps  ce  sont 
de  charmantes  pelouses  d'une  herbe  dure  et  glissante, 
ombragées  par  de  beaux  arbres  du  genre  que  je  viens 
de  citer,  imitant  assez  bien  nos  forêts  royales  aux  en- 
virons de  Paris. 

Guidés  par  Hambilton,  nous  parcourûmes  ces  rian- 
tes solitudes  en  divers  sens  ,  et  nous  tuâmes  plusieurs 
oiseaux,  tels  que  des  perroquets  aux  riches  couleurs, 
des  philédons  babillards  ,  des  coucous  silencieux ,  de 
gros  marlins-chasseurs  aux  cris  glapissans,  etc.  Ef- 
frayés de  notre  apparition ,  d'agiles  kangarous  s'en- 
fuyaient rapidement  en  sautant  lourdement,  et,  sous 
leurs  bonds  précipités,  faisaient,  retentir  le  sol  d'un 
bruit  sourd  et  prolongé. 

Malgré  nos  recherches  nous  ne  découvrîmes  que 
des  traces  peu  récentes  du  séjour  des  naturels ,  bien 
que  leurs  huttes ,  au  nombre  de  quarante  à  cin- 
quante ,  fussent  encore  en  place  à  peu  de  distance  du 
rivage,  entourées  des  restes  de  leurs  foyers  et  des 
débris  de  coquillages  qui  avaient  servi  à  leur  nourri- 
ture. Quelques-unes  offraient  une  charpente  de  gros- 
ses branches,  recouverte  de  larges  morceaux  d'é- 
corce,  et,  toute  grossière  qu'elle  était,  cette  faible 
ébauche  d'architecture  indiquait  chez  ces  peuplades 
un  germe  de  combinaison  dans  leurs  idées  que  je 
croyais  étranger  à  tous  les  Australiens.  En  outre,  le 
grand  nombre  de  ces  cases  démontrait  que  la  tribu 


DE  L'ASTROLABE.  129 

qui  les  occupait  habituellement ,  devait  compter  une      1826. 
assez  grande  quantité  d'individus.  Novembre. 

Hambilton,  qui  dans  ses  caravanes  avait  eu  occasion 
de  les  fréquenter,  m'a  dit  que  ces  peuples  étaient 
errans,  et  que  le  froid  les  retenait  encore  vers  l'inté- 
rieur. Sans  doute  il  est  possible  que  la  misère,  autant 
que  leur  goût  naturel ,  rende  ces  tribus  nomades  ; 
mais  comme  rien  à  l'intérieur  ne  peut  suppléer  pour 
ces  malheureux  mortels  aux  ressources  que  leur  offre 
le  voisinage  de  la  mer ,  je  suis  bien  disposé  à  croire 
qu'il  faut  chercher  la  véritable  raison  de  leur  éloigne- 
ment  dans  la  présence  des  pécheurs  de  phoques.  D'ail- 
leurs j'ai  appris  par  la  suite  que  des  rixes  s'étaient  éle- 
vées récemment  entre  eux  et  les  Anglais ,  et  qu'un  de 
ceux-ci  avait  été  tué  par  les  naturels.  Nul  moyen  pour 
nous  de  reconnaître  de  quel  coté  furent  les  premiers 
torts  ;  seulement  je  sais  qu'en  général  les  Européens 
qui  se  livrent  à  ce  genre  d'existence  sont  peu  délicats 
envers  les  sauvages ,  surtout  peu  réservés  envers  leurs 
femmes  ;  et  l'on  doit  convenir  que  le  parti  de  la  retraite 
qu'ont  pris  les  naturels  a  été  au  moins  le  plus  prudent. 

Aucune  plante  alimentaire  autre  que  XAptum pros- 
halum  ne  s'est  offerte  à  mes  regards  ;  mais  Hambilton 
m'a  appris  que  les  feuilles  du  Casuarina  (cet  arbre  si 
sec  en  apparence) ,  mâchées  et  gardées  quelque  temps 
dans  la  bouche ,  procuraient  une  saveur  aigrelette  et 
rafraîchissante-,  Fessai  que  j'en  ai  fait  sur-le-champ 
m'a  prouvé  la  vérité  de  cette  assertion,  et  m  est  de- 
venu souvent  utile  par  la  suite. 

Nos  matelots  trouvèrent  sur  la  plage  le  crâne  et  les 

TOME    I.  9 


1 30  VOYAGE 

!326.       ossemens  de  quelques  naturels,  qui  turent  remis  à 

Novembre.      ]\1,  QuO\\ 

A  neuf  heures  trente  minutes  du  soir,  nous  profi- 
tâmes du  flot  qui  commençait ,  et  qui  oceasione  dans 
cette  passe  un  courant  de  deux  ou  trois  nœuds ,  pour 
partir,  et  en  moins  de  deux  heures  nous  eûmes  rejoint 
la  corvette. 

Durant  notre  absence,  la  baleinière  anglaise  était 
venue  à  notre  bord  et  avait  jeté  l'épouvante  au  sujet  des 
colonnes  de  fumée  qui  s  élevaient  du  point  où  nous 
étions  descendus  ;  elle  pensait  que  nous  avions  été 
surpris  et  attaqués  par  les  sauvages  ,  et  que  ces 
feux  étaient  probablement  des  signaux  de  détresse 
de  notre  part.  M.  Jacquinot,  justement  inquiet 
sur  notre  compte  ,  s'empressa  d'envoyer  celte  em- 
barcation, avec  six  hommes  armés,  à  notre  secours. 
ÎNous  chargeâmes  le  patron  de  rassurer  complètement 
M.  Jacquinot;  en  effet,  ces  feux  multipliés  n'étaient 
autre  chose  que  ceux  qu'Hambilton  avait  allumés  à 
la  manière  des  naturels  en  se  promenant  avec  moi ,  et 
qui,  se  propageant  rapidement  dans  tous  les  sens, 
avaient  fini  par  devenir  un  vaste  incendie. 

M.  Gressien  n'est  point  revenu  à  bord  dans  la 
soirée;  vers  neuf  heures  du  soir  nous  apercevons 
sur  la  côte  occidentale,  à  huit  à  dix  milles  du  navire, 
le  feu  qu'il  a  sans  doute  allumé  à  l'endroit  où  il  doit 
passer  la  nuit. 
i4-  A  neuf  heures  trente  minutes  du  matin,  MM.  Guil- 

bert  et  Dudemaine,  accompagnés  d'un  domestique, 
sont  descendus  sur  les  bords  de  la  crique  des  Man- 


DE  L'ASTROLABE.  131 

gliers,  pour  suivre  à  pied  la  côte  de  l'île  Phillip  jus-       i^r,. 
qu'au  cap  Wollamai,  et  en  tracer  les  contours.  Novembre. 

Le  grand  canot  est  allé  jeter  la  seine,  et  n'a  fait 
qu'une  médiocre  pèche. 

A  dix  heures  trente  minutes  je  suis  descendu  près 
de  l'observatoire,  et  j'ai  suivi  la  côte  occidentale  de  l'île 
Phillip  jusqu'à  cinq  ou  six  milles  de  distance  vers  le 
cap  Grant.  Cette  partie  de  l'île  ne  m'a  offert  qu'une 
végétation  généralement  maigre  et  peu  varice,  un  ter- 
rain sablonneux ,  très-peu  d'insectes,  et  encore  moins 
d'oiseaux.  Ce  que  j'ai  rencontré  s'est  borné  à  quelques 
phasianelles  vivantes  laissées  à  la  plage  par  le  jusant. 

Déjà  la  nuit  était  arrivée,  et  je  commençais  à  éprou- 
ver quelque  inquiétude  sur  le  compte  de  M.  Gressien 
et  de  ses  compagnons,  quand  le  retour  de  la  yole  à 
neuf  heures  fit  cesser  toutes  mes  craintes.  Cet  officier 
ayant  été  très-contrarié  la  veille  dans  ses  opérations 
par  les  courans  et  une  houle  assez  forte,  s'était  décidé 
à  passer  la  nuit  dehors  pour  terminer  son  travail 
le  jour  suivant. 

Peu  après,  un  grand  feu,  qui  apparut  tout-à-coup 
dans  l'est,  nous  annonça  qu'à  leur  tour  M  M.  Guilbert 
et  Dudemaine  allaient  camper  dans  cette  partie  de  la 
baie .  La  douceur  delà  température  et  le  beau  temps  ren- 
dent les  bivouacs  moins  pénibles,  l'absence  des  naturels 
éloigne  tout  sujet  de  crainte  ;  d'ailleurs  la  noble  ardeur 
et  le  dévouement  sans  bornes,  qui  animent  tous  les 
officiers  de  V Astrolabe,  leur  font  fermer  les  yeux  sur 
les  dangers  qu'ils  pourraient  courir,  sur  les  privations 
auxquelles  ils  seraient  exposés,  pour  ne  s'occuper  que 


U2  VOYAGE 

1826.       des  travaux  qui  leur  sont  confiés  et  des  moyens  de  les 

Novembre.    remplir  avec  honneur.  Sentimens  admirables  qui  les 

ont  animés  durant  toute  la  durée  de  la  campagne  !  — 

Aujourd'hui ,  au  moment  où  je  suis  descendu  à 
terre ,  j'ai  entrevu  quelques  instans  cinq  femmes  de 
la  Tasmanie,  qui  vivent  ici  avec  les  pêcheurs  de 
phoques  ;  c'en  a  été  assez  pour  me  prouver  leur  par- 
faite ressemblance  avec  celles  que  j'avais  déjà  obser- 
vées parmi  les  aventuriers  du  port  du  Roi-Georges. 

Près  de  notre  observatoire  se  trouve  un  puits 
creusé  dans  le  sable  ,  le  seul  qui  puisse  fournir 
de  l'eau  potable  en  cas  de  nécessité,  bien  qu'elle  ne 
soit  pas  d'une  bonne  qualité,  ni  abondante.  Le  plus 
grand  défaut  de  ce  port  est  de  manquer  de  bonne 
eau ,  ou  du  moins  de  n'en  pas  offrir  à  la  proximité  du 
mouillage. 
i5.  Au  point  du  jour,  accompagné  de  MM.  Lottin, 

Quoy  et  Gaimard,  je  suis  retourné  à  la  pointe  des 
Philédons;  nous  y  avons  passé  la  journée  entière, 
occupés  à  divers  genres  d'observations.  M.  Lottin  a 
travaillé  au  plan  de  la  baie,  et  s'est  avancé  dans  le 
nord  pour  chercher  la  rivière  de  Bass;  mais  il  n'a 
rencontré  que  deux  ravines  à  sec,  qui  ne  peuvent 
répondre  à  la  description  qui  en  a  été  faite  ;  ce  qui 
me  fait  penser  que  cette  rivière  est  plus  loin  encore  au 
nord. 

A  notre  arrivée  près  de  la  passe  de  l'Est,  nous  avons 
aperçu  sur  la  rive  opposée  MM.  Guilbert  et  Dude- 
maine,  et  j'ai  envoyé  le  canot  pour  les  amener  avec 
nous.  Ces  deux  officiers  avaient  complètement  rem- 


DE  L'ASTROLABE.  133 

pli  le  but  de  leur  course;  les  vases  et  les  mangliers  i8?6. 
leur  avaient  souvent  opposé  des  obstacles  et  causé  ^oveml,ro 
des  relards  dans  leur  marche;  ils  n'avaient  rencontré 
d'eau  douce  que  dans  une  espèce  d'étang  vis-à-vis  la 
pointe  des  Philédons.  Du  reste,  ils  avaient  vu  quantité 
de  phasianelles  à  la  plage,  et  de  beaux  cacatois  à  queue 
rouge. 

La  baleinière  est  partie  dès  quatre  heures  du  lf'- 
matin,  avec  MM.  Lottin  et  Faraguet ,  pour  aller 
sonder,  et  lever  le  plan  de  la  partie  de  la  baie 
comprise  entre  l'île  Pbillip  et  celle  des  Français; 
MM.  Guilbert  et  Dudemaine  ont  exécuté  le  même 
travail  vers  la  passe  de  l'Est.  Les  uns  et  les  autres  sont 
revenus  dans  la  soirée. 

De  onze  heures  à  trois  heures,  MM.  Gressien  et 
Sainson  ont  profité  de  la  marée  haute  pour  explorer 
complètement  le  bras  de  mer  que  nous  avons  nommé 
crique  des  Mangliers  ;  ils  l'ont  trouvé  de  près  de  trois 
milles  de  profondeur,  et  terminé  de  tous  côtés  par 
des  plages  vaseuses  que  la  mer  laisse  à  découvert  au 
jusant. 

Les  pécheurs  de  phoques  ont  apporté  aujourd'hui 
quelques  petites  raves  de  leur  jardin  ;  on  a  su  par 
eux  qu'un  navire  de  Port-Jackson  devait  arriver  in- 
cessamment en  ce  port  pour  y  fonder  une  colonie  sur 
l'île  Pbillip  ,  peu  loin  de  leur  établissement  actuel.         Pi.  xxi 

Il  a  fait  calme ,  et  le  thermomètre  qui  était  resté 
à  1 3"  les  deux  ou  trois  premiers  jours  de  notre  arrivée, 
est  monté  jusqu'à  24°.  Il  en  est  résulté  une  chaleur 
vraiment  accablante.  Malgré  sa  latitude  plus  australe, 


134 


VOYAGE 


182c 

Novembre. 


'-• 


il  y  a  lieu  de  croire  que  la  température  de  cette  baie 
est  aussi  en  général  plus  élevée  en  été  que  celle  du 
port  du  Roi-Georges,  ce  qui  tient  sans  doute  à  la 
situation  de  son  bassin  et  à  son  éloignement  des  forts 
vents  du  large.  En  hiver  le  contraire  doit  avoir  lieu. 

Au  point  du  jour  je  me  suis  embarqué  dans  le  grand 
canot  avec  MM.  Quoy,  Gaimard,  LessonetGressien, 
et  me  suis  dirigé  cette  fois  vers  la  pointe  des  Sables , 
sur  la  côte  occidentale  de  la  baie.  Là,  le  débarque- 
ment s'opère  facilement  le  long  d'une  belle  plage  de 
sable  que  bordent  des  dunes  peu  élevées  et  couvertes 
d'arbres  divers. 

Au  moment  où  nous  accostions,  un  phoque  de 
grande  taille  prenait  ses  ébats  à  vingt-cinq  pas  de  la 


mer,  et  nos  Anglais  tentèrent  de  le  cerner;  mais  il 
fut  plus  fin  qu'eux,  et  regagna  l'eau  avant  qu'ils  eussent 
pu  le  joindre. 

Nous  parcourûmes  en  tout  sens  cette  langue  de 
terre.  Hambilton  et  Symons  avec  un  de  leurs  cama- 
rades de  Western  s'attachèrent  surtout  à  la  chasse  des 
kangarous  ;  mais  tous  leurs  efforts  furent  infructueux, 


DE  L'ASTROLABE.  136 

bien  que  ces  animaux  soient  assez  nombreux  sur  ce       1S26. 
point ,  et  que  les  chasseurs  fussent  aidés  par  un  bon    ^ov*>mlm  • 
chien. 

M.  Gaimard,  qui  les  suivit  long-temps,  rencontra 
un  cours  d'eau  qui  lui  sembla  appartenir  à  une  rivière, 
quoique  l'eau  soit  encore  saumâtre ,  et  il  observa  des 
vestiges  récens  de  la  présence  des  naturels. 

Pour  moi,  je  ne  vis  que  quelques  kangarous  et  des 
oiseaux  en  plus  petit  nombre  qu'à  la  passe  de  l'Est. 
Mais  je  m'y  promenai  avec  le  plus  vif  plaisir,  car  le 
terrain  bien  dégagé  offre  les  accidens  les  plus  agréa- 
bles. Tantôt  ce  sont  de  beaux  massifs  d'arbres  faciles 
à  pénétrer,  tantôt  d'immenses  clairières  couvertes  de 
pelouses  charmantes  avec  de  petits  sentiers  bien 
battus,  et  le  passage  des  uns  aux  autres  est  le  plus  . 
souvent  si  régulier,  si  bien  tranché ,  qu'on  a  peint1  à 
concevoir  comment  cela  peut  avoir  lieu  sans  le  tra- 
vail des  hommes.  Cette  disposition  naturelle  dans  la 
végétation  m'avait  souvent  frappé  dans  les  forets 
vierges  du  Brésil ,  du  Chili ,  des  îles  de  la  mer  du  sud  ; 
cependant  nulle  part  elle  ne  s'était  offerte  à  mes  re- 
gards aussi  fréquemment  et  avec  une  symétrie  aussi 
parfaite  que  dans  cette  promenade. 

A  six  heures  nous  quittâmes  le  rivage ,  à  huit 
heures  trente  minutes  nous  fumes  de  retour  à  bord , 
après  avoir  reçu  un  fort  grain  de  pluie  qui  nous  trempa 
jusqu'à  la  peau. 

Il  est  arrivé  dans  la  journée  de  tous  côtés  une  im- 
mense quantité  de  phasianelles  ,  et  la  drague  jetée  le 
long  du  bord  a  rapporté  une  foule  de  térébratules  la 


1 36  -       VOYAGE 

1826.  plupart  vides.  Un  petit  nombre,  seulement,  offrent 
encore  l'animal. 
18  novembre.  Mon  intention  était  de  mettre  à  la  voile  aujourd'hui, 
mais  un  temps  très-couvert  et  pluvieux  m'a  décidé  à 
différer  le  départ  jusqu'au  lendemain.  On  s'est  contenté 
en  conséquence  de  relever  l'ancre  de  bâbord  et  de 
rester  sur  quarante  brasses  de  tribord. 

Le  grand  canot  fut  à  la  pèche  ,  et  ne  rapporta  que 
peu  de  poisson,  car  les  marées  gênent  beaucoup  en 
entraînant  et  renversant  à  chaque  instant  la  seine 
avant  qu'on  puisse  la  retirer. 

Les  trois  Anglais,  Hambilton,  Cloney  et  Symons, 
sont  partis  avec  leurs  confrères  de  terre  ,  pour  aller 
chasser  des  phoques  sur  l'île  Seal  près  le  cap  Grant  ; 
et  ils  ont  rapporté  un  phoque  adulte  et  une  douzaine 
d'autres  encore  tout  jeunes.  Deux  de  ces  derniers  1 
seulement  ont  été  réservés  pour  l'histoire  naturelle. 

A  sept  heures  du  soir,  le  vent  a  passé  au  S.  E.  avec 
des  éclairs  très-vifs ,  et  de  fréquens  coups  de  tonnerre, 
suivis  d'une  averse  abondante  qui  a  été  continuelle 
jusqu'à  minuit  ;  il  a  passé  aussi  quelques  raffales  de 
vent ,  mais  de  peu  de  durée. 

Si  l'on  fait  attention  au  petit  nombre  de  jours  qu'il 
nous  a  été  possible  de  donner  à  cette  relâche  ,  on  con- 
viendra sans  doute  qu'ils  ont  été  bien  mis  à  profit.  En 
effet,  dans  un  si  court  espace  de  temps,  le  plan  de  toute 
la  partie  de  la  baie ,  comprise  entre  l'île  des  Français 
et  l'île  Phillip ,  a  été  levé  en  détail ,  comme  celui  des 
deux  passes  de  l'Est  et  de  l'Ouest,  et  celui-ci  a  été  sondé 
dans  toute  son  étendue  avec  un  soin  particulier.  On  a 


DE  L'ASTROLABE.  137 

répété  toutes  les  observations  d'astronomie,  de  phy-       1826. 
sique  et  d'histoire  naturelle;  cette  dernière  science    ^ovembre- 
s'est  enrichie    d'une   foule   de  matériaux   très-inté- 
ressans. 

Sous  les  rapports  nautiques,  Port-Western  est  du 
plus  grand  intérêt.  En  effet  il  offre  un  mouillage  aussi 
facile  à  prendrequ'à  quitter,  et,  par  celte  double  raison, 
infiniment  supérieur  à  celui  du  port  Dalrymple.  La 
tenue  en  est  excellente ,  le  bois  abondant  et  facile  à 
faire.  En  un  mot  dès  qu'on  aura  découvert  une  aiguade 
commode  [et  elle  se  trouvera  probablement),  ce  sera 
un  point  de  relâche  très-important  dans  un  détroit 
comme  celui  de  Bass ,  où  les  vents  soufflent  souvent 
avec  fureur  d'un  même  côté  durant  plusieurs  jours  de 
suite,  et  où  les  courans  peuvent  rendre  la  navigation 
dangereuse  dans  ces  sortes  de  circonstances. 

La  latitude  de  l'observatoire  à  Port- Western  a  été 
de  38°  27'  46"  S. ,  résultat  de  plusieurs  hauteurs  cir- 
cum-méridiennes  du  soleil. 

La  longitude  de  142°  56'  8"  E. ,  en  prenant  la 
movenne  de  celles  données  par  les  montres  ,  avec  les 
marches  de  départ  et  d'arrivée  ,  et  la  variation  de  l'ai- 
guille aimantée  (moyenne  de  40  azimuts),  de  7°  53' 
51"  N.  E. 


138  VOYAGE 


CHAPITRE  VIII. 


HE    PORT-WESTERN    A    PORT-JACKSON    ET    SEJOUR    EN    CE    PORT. 


1826.  Le  temps  aëlé  pluvieux  et  couvert  durant  la  nuit, 

19  novembre.  avec  [e  vent  à  FO.  N.  O.,  c'est-à-dire  directement  con- 
traire. Cependant  la  corvette  a  mis  sous  voiles  à  quatre 
heures  cinquante  minutes  du  matin  ;  nous  avons  couru 
des  bordées  dans  la  passe  entre  l'île  Phillip  et  les  bri- 
sans ,  et  soutenus  par  le  jusant  nous  nous  sommes 
assez  promptement  élevés.  Je  comptais  même  sortir 
avec  la  marée ,  lorsqu'à  neuf  heures  le  vent  qui  avait 
molli  a  varié  au  S.  S.  O.  et  au  S.  S.  E.  Nous  n'étions 
plus  alors  qu'à  trois  milles  environ  de  l'entrée  du  port, 
et,  craignant  d'être  renvoyé  au  dedans  par  le  flot  qui 
commençait  à  se  déclarer,  je  laissai  tomber  l'ancre  à 
mi-chenal  par  dix  brasses  sable  et  gravier. 

En  prolongeant  la  dernière  bordée  vers  la  côte  de 
l'ouest  pour  mouiller,  il  y  a  eu  un  instant  où  la  sonde, 
après  avoir  rapporté  régulièrement  quinze ,  seize  et 
dix-sept  brasses  de  fond ,  n'a  donné  que  sept  et  six 
brasses ,  sur  le  prolongement  du  banc  qui  partage  ce 


DE  L'ASTROLABE.  139 

chenal  en  deux  dans  le  sens  de  sa  longueur.  Dans  les       1826. 
gros  temps  et  les  fortes  marées,  il  serait  possible  que    Novembre- 
de  basse  mer  cet  endroit  fut  dangereux ,  et  il  serait 
bon  de  s'en  défier. 

De  la  station  que  nous  occupions ,  nous  avions  la 
vue  complète  des  deux  côtes,  et  celle  de  l'ouest  offrait 
surtout  de  superbes  massifs  d'arbres  avec  de  jolis  tapis 
de  verdure.  Cette  partie  du  continent ,  plus  qu'aucune 
de  celles  que  j'avais  jusqu'alors  visitées,  annonce  un 
sol  fécond  et  une  végétation  vigoureuse. 

J'avais  envoyé  M.  Guilbert  sonder  à  un  demi-mille 
de  distance  tout  autour  du  navire;  il  n'a  pas  trouvé 
moins  de  huit  brasses  de  fond ,  malgré  ce  que  m'a- 
vaient affirmé  Hambilton  et  Symons  ,  qui  me  dissua- 
daient de  mouiller  en  cet  endroit,  assurant  qu'il  était 
semé  d'écueils  et  de  hauts-fonds. 

Au  mouillage  ,  on  a  pris  une  foule  de  petits  squales, 
dont  un  appartenait  à  l'espèce  à  sept  branchies. 

A  quatre  heures  du  soir  la  mer  étant  étale,  et  la  brise 
ayant  repris  au  S.  S.  O. ,  nous  avons  remis  à  la  voile, 
et  trois  bordées  nous  ont  suffi  pour  nous  porter  hors 
des  pointes ,  sous  des  torrens  de  pluie. 

Le  ciel  s'est  dégagé  dans  la  nuit ,  le  vent  s'est 
établi  à  l'O.  S.  O.,  et  nous  avons  gouverné  au  S.  '/4 
S.  E. 

Au  point  du  jour  nous  avons  aperçu  les  hautes  terres        20. 
du  promontoire  deWilson  dans  le  N.  E.  1/4  E.,  et  peu 
après  L'île  élevée  de  Redondo.  J'ai  mis  le  cap  à  l'E.  1li 
IN.  E.  en  forçant  de  voiles,  et  une  forte  brise  d'O. 
N.  O.  nous  a  rapidement  rapprochés  de  terre. 


MO  VOYAGE 

1826.  Frappé  des   différences   qu'offrent  les  cartes  de 

Novembre,  jyi  Freycinet  et  celles  de  Flinders,  pour  cette  partie 
du  détroit,  j'ai  voulu  mettre  notre  passage  à  profit 
pour  éclaircir  ce  point  de  géographie;  ainsi  chargeant 
M.  Gressien  de  ce  travail,  j'ai  dirigé  la  route  de  ma- 
nière à  prolonger  de  très-près  toutes  ces  petites  îles, 
et  à  reconnaître  néanmoins  les  dangereux  écueils  du 
Crocodile. 

A  neuf  heures  nous  avons  mis  en  panne  à  trois 
milles  au  sud  de  Redondo ,  îlot  conique  ,  de  toutes 
parts  escarpé  à  sa  base ,  et  couvert  d'une  végétation 
très-active.  De  là  nous  n'avons  pu  voir  le  Crocodile , 
bien  que  Flinders  ne  le  place  qu'à  six  milles  au  S.  E. 
de  Redondo.  Je  désespérais  même  de  pouvoir  le  si- 
gnaler,  à  cause  d'une  brise  forcée  d'O.  N.  O.  et 
d'une  grosse  mer,  qui  ne  m'eussent  pas  permis  d'en 
faire  une  plus  ample  recherche ,  lorsqu'à  neuf  heures 
trente  minutes,  M.  Dudemaine  et  Hambilton  l'aper- 
çurent des  hunes  à  quatre  milles  environ  du  bord 
dans  la  direction  des  îles  Curtis ,  ce  qui  le  renvoie 
presque  à  mi-distance  de  ces  îles  à  Redondo.  Du  reste, 
des  relèvemens  exacts  pris  sur  cet  écueil  l'ont  placé 
d'une  manière  précise.  Il  est  d'autant  plus  à  redouter, 
qu'on  ne  le  voit  briser  qu'à  de  longs  intervalles,  et 
que ,  par  une  mer  calme ,  on  ne  doit  rien  distinguer 
du  tout. 

Les  deux  îles  Moncur  ne  sont  que  des  rochers  iso- 
lés et  parfaitement  nus,  ainsi  que  ceux  de  Devil's- 
Tower  ;  du  reste ,  tout  porte  à  croire  qu'il  y  a  grand 
fond  à  toucher  ces  îles. 


DE  L'ASTROLABE.  141 

A  midi  nous  finies  une  seconde  station  à  six  milles       i$-?.o>. 
environ  dans  l'ouest  de   la  pointe   sud  d'Hogan's-    Novembre. 
Group,  ayant  alors  Redondo  et  Moncur  directement 
à  l'ouest  du  monde. 

Nos  observations  pour  Redondo  s'accordent  très- 
bien  avec  celles  de  Flinders ,  et  en  diffèrent  peu  pour 
les  autres  îles ,  tandis  qu'elles  ont  moins  de  rapport 
avec  la  carte  de  l'expédition  Baudin. 

Nous  doublâmes  au  vent  et  à  six  ou  sept  milles  de 
distance  le  croupe  d'Hogan.  Ces  îles,  au  nombre  de 
six  ou  sept,  sont  élevées,  et  les  plus  grandes  sont  boi- 
sées et  paraissent  babitables.  Au  rapport  d'Ham- 
bilton ,  il  y  aurait  un  bon  mouillage  pour  les  vents 
d'ouest.  Dans  le  lointain  on  distinguait  assez  claire- 
ment les  terres  du  groupe  plus  considérable  de  Kent. 
Mais  à  deux  heures  trente  minutes  après  midi,  nous 
avons  mis  le  cap  à  l'E.  N.  E.,  fdanteinq  ou  six  nœuds. 
Le  ciel  s'est  chargé,  nous  avons  eu  des  grains,  et 
tontes  les  terres  et  les  îles  du  détroit  ont  bientôt  dis- 
paru entièrement. 

Il  a  fait  calme  dans  l'après-midi,  nous  avons  sondé  21. 
et  trouvé  cent  soixante-quinze  brasses ,  sable  fin  et 
vaseux.  A  cette  profondeur,  le  thermoniétrographe, 
qui  donnait  à  l'air  15°,  5,  n'a  descendu  que  de  1°,  5, 
différence  très-peu  considérable  entre  les  tempéra- 
tures de  la  surface,  et  d'un  fond  de  près  de  neuf  cents 
pieds.  Le  cylindre  n'avait  pris  qu'un  demi-verre  d'eau. 

Ce  soir  on  a  commencé  a  discerner  les  montagnes 
qui  dominent  Ram-Head  dans  le  N.  N.  O.,  à  douze 
à  quinze  lieues  de  distance. 


142  VOYAGE 

1S26.  Le  calme  a  persisté  avec  de  folles  brises  en  tout 

22  novembre.  sens#  On  a  revu  les  hauteurs  de  Ram-Head;  et,  après 
midi ,  le  ciel  s'étant  dégagé ,  nous  avons  parfaitement 
distingué  la  chaîne  des  hautes  montagnes  qui  se  diri- 
gent de  ce  promontoire  vers  celui  de  Wilson  en  sui- 
vant la  côte.  Comme  une  distance  de  vingt  à  vingt- 
cinq  lieues  environ  nous  séparait  de  cette  côte  ,  nous 
devons  en  conclure  qu'elle  est  d'une  grande  élévation , 
et  bien  supérieure  à  toutes  celles  qui  ont  été  obser- 
vées sur  tous  les  autres  points  de  cette  grande  terre. 

Nombre  de  grosses  méduses  roses  et  violettes  n'ont 
cessé  de  flotter  entre  deux  eaux. 

Les  deux  journées  suivantes  n'ont  encore  offert  que 
des  alternatives  de  calmes  ou  de  brises  légères  et  in- 
certaines, avec  un  temps  superbe  et  une  mer  très- 
24.  belle.  Cependant,  le  24,  nous  avons  réussi  à  nous 
rapprocher  du  cap  Howe ,  et ,  de  six  à  sept  heures  du 
soir,  nous  prolongeâmes  à  quatre  ou  cinq  milles  de 
distance  la  petite  île  basse  qui  accompagne  ce  pro- 
montoire. 

Le  cap  lui-même  n'offre  qu'une  plage  sablonneuse 
dominée  à  quelque  distance  du  rivage  par  des  pitons 
très-élevés  et  couronnés  de  bois.  Sur  la  partie  delà 
côte  qui  suit  vers  le  nord ,  on  voit  de  grands  espaces 
de  sables  dénués  de  toute  végétation.  Tout  le  jour  les 
terres  de  l'intérieur  sont  restées  enveloppées  d'im- 
menses tourbillons  de  fumée  occasionés,  sans  doute, 
par  les  embrasemens  habituels  des  sauvages. 

Les  violens  clapotis  qui  ont  agité  la  mer  aujour- 
d'hui ,  surtout  dans  la  soirée ,  annoncent  qu'il  doit 


DE  L'ASTROLABE.  143 

exister  près  du  cap  Howe  de  forts  courans.  Tant  que       1826. 
l'île  du  Cap  nous  est  restée  au  nord,  ils  m'ont  semblé    Novembre. 
porter  au  sud ,  et  le  contraire  a  eu  lieu  dès  qu'elle  a 
été  doublée. 

Nous  avions  fait  quelque  route  durant  la  nuit,  à  »5. 
l'aide  d'une  faible  brise  de  S.  :  mais  au  jour  il  a  fait 
calme  ,  et  une  brume  épaisse  nous  dérobait  toute  vue 
de  terre.  Vers  neuf  heures  trente  minutes ,  une  petite 
brise  de  S .  O .  nous  a  permis  de  gouverner  au  N .  O . ,  et 
à  midi  nous  avons  reconnu  l'entrée  de  la  baie  Twofold 
à  sept  ou  huit  milles  dans  le  S.  O. 

Depuis  ce  moment  U Astrolabe  a  prolongé  la  côte  à 
trois  milles  de  distance  pour  en  faire  la  géographie; 
M .  G  uilbert  a  été  chargé  de  ce  travail. 

Tout  le  développement  compris  depuis  la  baie 
Twofold  jusqu'à  une  pointe  voisine  du  mont  Droma- 
daire court  assez  uniformément  N.  et  S.,  sans  aucun 
accident  remarquable.  En  général  elle  est  formée  par 
une  belle  plage  de  sable  ,  dont  la  monotonie  n'est  in- 
terrompue çà  et  là  que  par  quelques  mornes  peu 
saillans.  Le  sol,  à  l'intérieur,  couvert  de  beaux  arbres, 
et  tapissé  d'une  pelouse  verdoyante,  présente  un 
coup-d'œil  très-gracieux.  Sous  les  flancs  même  du 
mont  Dromadaire,  on  remarque  des  sites  charmans  ; 
la  vue  de  ces  délicieux  ombrages,  qui  renouvelaient 
pour  nous  le  supplice  de  Tantale ,  nous  faisait  en- 
core ressentir  plus  vivement  les  ennuis  de  notre  prison 
flottante. 

Ce  mont ,  par  sa  forme  et  son  isolement,  a  quelque 
chose  d'imposant ,  bien  que  son  élévation  n'ait  rien 


144  VOYAGE 


1826. 


d'extraordinaire,  puisque  je  l'estime  à  quatre  ou  cinq 

Novembre.     cen{S  t0ises  au  plus . 

A  cinq  heures  quarante-cinq  minutes  du  soir,  nous 
étions  parvenus  entre  la  pointe  du  Dromadaire  et 
l'île  Montague  que  je  comptais  doubler  en  peu  de 
temps,  quand  le  calme  vint  me  surprendre  à  moins 
de  deux  milles  de  terre.  La  nuit  arriva,  et,  crai- 
gnant d'être  contrarié  par  le  courant,  je  me  préparais 
déjà  à  mouiller  en  pleine  côte  par  dix-neuf  brasses , 
sable  fin,  quand  une  petite  fraîcheur  d'O.  N.  O.  me 
permit  de  gouverner  lentement  vers  le  large  ;  nous 
doublâmes  l'île  Montague,  et  à  dix  heures  nous  en 
étions  à  trois  milles  environ  au  S. 

La  drague  fut  jetée  et  retirée  plusieurs  fois  ;  parmi 
divers  objets  curieux,  M.  Quoy  trouva  enfin  une  pe- 
tite trigonie  vivante ,  coquille  qu'il  cherchait  depuis 
long-temps  à  cet  état,  et  dont  il  n'avait  pu  se  pro- 
curer que  des  valves  séparées  à  Port- Western. 

A  la  nuit  nous  avons  aperçu  distinctement  la  lumière 
des  feux  dont  la  fumée  seule  était  visible  durant  le 
jour.  Un  d'eux,  établi  à  peu  de  distance  delà  cime  du 
Dromadaire,  semblait  un  fanal  allumé  tout  exprès 
pour  nous  guider  dans  notre  navigation. 
a6.  A  trois  heures  du  matin,  M.  Gressien,  qui  comman- 

dait le  quart,  ayant  cru  distinguer  la  terre,  et  en- 
tendre le  bruit  des  brisans  sur  l'avant ,  je  fis  venir  de 
deux  quarts  sur  tribord  :  mais  ce  ne  pouvait  être 
qu'une  illusion  ,  car  la  côte  en  ce  moment  devait  se 
trouver  à  deux  ou  trois  lieues  de  distance  au  moins. 
Au  jour,  une  brume  très-intense  nous  cacha  entière- 


DE  L'ASTROLABE. 


145 


ment  les  terres;  ce  ne  fut  qu'après  avoir  long-temps      1826. 
couru  au  N.  N.  O . ,  et  même  au  N.  O. ,  que  nous  pûmes    Novembre, 
les  revoir  vers  midi ,    aux  environs  du  cap  Saint- 
Georges. 

Je  me  disposais  à  en  reprendre  l'exploration,  quand 
le  vent  sauta  subitement  du  O.  N.  O.  au  S.  S.  E.  et 
au  S.  E.  ;  à  une  heure  trente  minutes  il  était  déjà 
à  f  E.  La  corvette  se  trouvait  alors  précisément  vis- 
à-vis  l'entrée  de  la  baie  Jervis,  à  moins  d'une  lieue 
de  distance.  Plutôt  que  de  m'exposer  à  lutter  péni- 
blement contre  des  vents  peu  favorables ,  convaincu 
d'ailleurs  que  ,  dans  une  campagne  du  genre  de  la 
nôtre ,  le  temps  que  l'on  passe  au  mouillage  est  tou- 
jours bien  plus  utilement  employé  que  celui  qu'il  faut 
consommer  sans  fruit  à  la  mer ,  je  me  décidai  à  con- 
duire F  Astrolabe  dans  cette  baie  encore  si  peu  connue. 

A  deux  heures  trente  minutes  nous  étions  par  le 
travers  du  cap  perpendiculaire,  et  peu  après  nous 
filions  rapidement  devant  l'île  Boswen ,  dont  les 
flancs,  taillés  à  pic  et  garnis  de  cordons  horizontaux, 
imitent  admirablement,  les  murailles  d'une  immense  PL  xxit. 
citadelle.  Après  l'avoir  doublée,  je  laissai  porter  vers 
la  partie  méridionale  de  la  baie  ;  à  trois  heures  je 
laissai  tomber  l'ancre  de  tribord  par  neuf  brasses , 
sable  fin  et  coquilles,  à  trois  encablures  de  la  plage. 

Médiocrement  ondulé  et  de  toutes  parts  revêtu  de    Pi-  xxv. 
beaux  arbres,  le  rivage  nous  offrait  le  coup-d'œil  le 
plus  pittoresque.  Plusieurs  fumées  nous  indiquaient 
aussi  la  présence  des  naturels  ;   nous   ne  tardâmes 
pas  à  en  voir  paraître  cinq  vis-à-vis  de  la  corvette, 

TOME     I.  ÎO 


14  G  VOYAGE 

1826.       avec  des  poissons  à  la  main  ,  qui  semblaient  attendre 
Novembre.    no^re  arrivée  à  terre. 

MM.  Jacquinot  et  Lottin  allèrent  sur-le-ehamp  ob- 
server des  angles  horaires ,  et  communiquèrent  avec 
ces  indigènes  ;  quelques-uns  baragouinaient  quelques 
mots  anglais  ;  tous  témoignèrent  les  dispositions  les 
plus  amicales.  L'un  d'eux  a  couché  à  bord. 

Près  du  mouillage ,  une  roche  s'avançait  en  saillie 
dans  la  mer,  plane  en  dessus  et  percée  d'une  large 
ouverture ,  imitant  parfaitement  les  ruines  d'un  aque- 
duc. Notre  observatoire  se  trouva  naturellement  éta- 
bli sur  cette  plate-forme. 

Après  mon  dîner  je  descendis  à  terre,  où  je  passai 
la  soirée  à  chasser ,  et  à  me  promener  avec  délices 
au  travers  de  ces  majestueuses  forêts.  Jamais  en- 
core je  n'avais  rencontré  d'aussi  beaux  eucalyptus 
et  un  terrain  aussi  dégagé.  La  fougère  seule  règne 
quelquefois  sous  ces  vastes  ombrages ,  et  sur  les  bords 
d'un  torrent,  qui  pourrait  offrir  une  aiguade  en  cas  de 
besoin ,  croissent  d'énormes  touffes  de  Todea.  Du 
reste ,  la  végétation ,  peu  variée ,  est  représentée  par 
les  mêmes  espèces  qu'à  Sydney,  ressemblance  toute 
naturelle. 

Les  officiers  et  les  naturalistes  sont  aussi  descendus 
à  terre;  dans  la  soirée,  deux  heures  de  relâche  à 
Jervis-Bay  avaient  déjà  suffi  pour  enrichir  singuliè- 
rement la  mission  en  tout  genre. 
T.-].  Au  point  du  jour,  M.  Gressien  dans  la  baleinière, 

MM.  Guilbert  et  Dudemaine  dans  la  yole,  et  M.  Paris 
avec  le  bot,  sont  partis  pour  travailler  de  concert  au 


DE  L'ASTROLABE.  147 

plan  de  la  baie,  tandis  que  MM.  Jacquinot  et  Lottin      is26. 
s'occupaient  des  observations  astronomiques.  Novembre. 

J'ai  encore  fait  une  excursion  dans  les  bois  avec 
Simonet;  j'ai  admiré  de  nouveau  la  beauté  des  euca- 
lyptus, et  j'ai  tué  quelques  oiseaux;  mais  les  plantes  et 
les  insectes  n'ont  guère  répondu  à  l'espoir  que  fait 
naître  au  premier  abord  l'aspect  de  ces  beaux  lieux. 
Du  reste,  la  rareté  des  unes  et  des  autres  doit  tenir  en 
grande  partie  à  ces  fréquens  embrasemens  opérés 
par  les  naturels ,  qui  détruisent  sans  doute  chaque 
année  de  nombreuses  espèces  de  plantes  et  d'insectes. 

JXos  relations  avec  les  sauvages  de  ce  point  con- 
tinuent d'être  amicales  ;  cependant  nous  n'avons  vu 
que  des  hommes  de  cette  tribu  ,  au  nombre  de 
sept,  et  deux  en  fans  de  huit  à  dix  ans;  les  femmes 
sont  restées  cachées.  Ces  Australiens  appartiennent 
évidemment  au  même  type  que  ceux  de  Port- Jack- 
son ;  mais  ils  sont  moins  laids ,  plus  vigoureux ,  et 
surtout  mieux  proportionnés  ,  avantage  qui  tient  pro- 
bablement à  une  plus  grande  abondance  de  nour- 
riture. Plusieurs  ont  un  tatouage  en  cicatrices  sur  le 
dos,  la  cloison  du  nez  percée,  et  les  cheveux  disposés 
en  petites  mèches  ornés  de  dents  ou  de  griffes  de 
kangarous. 

Le  vent  a  soufflé  bon  frais  du  nord ,  et  m'a  em-        2». 
péché  de  remettre  à  la  voile.  Aussi  tous  les  officiers 
ont  été  autorisés  à  descendre  à  terre ,  sous  la  con- 
dition seulement  de  ne  point  s'écarter,  et  de  rallier 
promptement  au  premier  coup  de  canon. 

Moi-même  j'ai  voulu  encore  une  fois  explorer  ce 


118  VOYAGE 

1S26.  pays,  qui  m'a  semblé  de  plus  en  plus  agréable  et  fer- 
Novembre.  tjje  \  ja  suite  des  grands  bois  d'eucalyptus  dont  j'ai 
déjà  parlé,  se  trouvent  de  belles  clairières  entière- 
ment dégagées  de  broussailles;  j'ai  remarqué  que 
ces  dernières  localités  offrent  encore  moins  d'oiseaux 
et  d'insectes  que  les  forêts.  Dans  celles-ci  certains 
espaces  brûlés  se  sont  recouverts  de  tapis  d'une  herbe 
verte  et  très-tendre;  cette  végétation  semble  annoncer 
que  nos  céréales  et  nos  légumes  d'Europe  pourraient 
également  croître  en  abondance  sur  le  sol  de  ces 
forets. 

Les  rochers  de  la  côte  nous  ont  offert  de  petites 
huîtres  à  bords  plissés,  fort  bonnes  à  manger,  des 
moules  chevelues  ,  et  dans  le  sable  se  trouve  une 
autre  espèce  d'huître  plus  grande  et  plus  succulente. 
Sur  cette  rade,  la  pêche  est  singulièrement  abondante  ; 
un  seul  coup  de  seine  rapporta  une  immense  quantité 
de  poisson  ;  aussi  les  naturels ,  émerveillés  d'un  spec- 
pi.  xxxiv.  tacle  si  nouveau  pour  eux ,  se  livrèrent  aux  dé- 
monstrations de  la  joie  la  plus  extravagante.  Quand 
ils  virent  surtout  que  les  matelots  leur  abandonnaient 
plusieurs  espèces  peu  délicates,  comme  les  squales, 
les  balistes ,  etc. ,  ils  poussèrent  des  cris  d'allégresse 
si  perçans,  que,  du  bord  où  je  les  entendais,  je  craignis 
qu'il  ne  fût  arrivé  quelque  événement  malheureux. 

Chaque  jour  deux  hommes  allaient  dans  le  bot, 
pêcher  à  la  ligne  sous  l'île  Boswen ,  et  revenaient 
le  soir  avec  deux  quintaux  du  plus  beau  poisson 
et  de  la  qualité  la  plus  exquise. 

Durant  notre  court  séjour  nous  avons  joui   sur 


DE  L'ASTROLABE.  liO 

cette  racle  d'une  température  délicieuse  et  d'un  air  1826. 
pur  et  très-salubre.  Ces  divers  avantages  réunis  nie  Novembre, 
portent  à  croire  que  peu  de  mouillages  méritent  d'être 
comparés  à  celui-ci  pour  l'agrément  et  la  sécurité. 
Sans  doute  si  les  Anglais  ont  jusqu'à  présent  né- 
gligé une  station  si  intéressante  et  si  bien  à  portée 
de  leur  principal  établissement  de  Port-Jackson, 
c'est  qu'une  foule  de  points  leur  offrent  des  ressour- 
ces d'une  autre  nature  et  qu'ils  ne  sont  arrêtés  que 
par  l'embarras  du  cboix. 

Avant  de  terminer  ce  que  j'ai  à  dire  de  la  baie 
Jervis,  je  dois  mentionner  deux  bulles  de  sauvages 
établies  près  de  notre  observatoire.  Leur  forme  était 
celle  d'une  ruebe  oblongue  de  six  à  sept  pieds  de 
bauteur  ;  elles  étaient  construites  en  larges  bandes 
d'écorces  d'eucalyptus  posées  debout,  rapprochées 
au  sommet,  et  recouvertes  de  gramens  et  de  feuilles 
de  zostera.  Propres  et  spacieuses  à  l'intérieur,  cha- 
cune pouvait  recevoir  facilement  une  famille  de  huit  à 
dix  individus,  et  annonçait,  de  la  part  des  sauvages, 
un  degré  d'intelligence  supérieur  à  tout  ce  que  je 
connaissais.  !Nous  avons  vu  des  esquisses  de  cutters 
et  de  chaloupes  de  leur  façon  sur  les  rochers  de  grès 
à  la  côte,  assez  bien  tracées.  M.  Lotlin,  qui  avait 
oublié  entre  leurs  mains  une  règle  en  bois  de  noyer, 
la  retrouva  le  lendemain  enrichie  de  semblables  des- 
sins. Dans  leurs  relations  avec  nous  ils  n'ont  cessé  de 
montrer  réunies ,  une  probité  ,  une  douceur,  et  même 
une  circonspection  très-remarquables  pour  celte 
classe  d'hommes.  Pas  un  d'eux  n'a  tenté  le  moindre 


150  VOYAGE 

1826.       larcin,  et  c'est  avec  plaisir  que  nous  rendons  une  jus- 
Novembre.    tjce  complète  à  leur  excellente  conduite. 

INotre  observatoire  était  placé  par  35°  8'  27"  lat.  S. , 
résultant  de  deux  séries  de  hauteurs  circum-méri- 
diennes,  et  148°  22' 55"  longitude E. ,  rapportée  à  Port- 
Jackson  ,  et  déduite  des  marches  de  départ  et  d'arri- 
vée, qui  n'avaient  point  varié  sensiblement  dans 
l'espace  de  quatre  jours. 

La  déclinaison  de  l'aiguille  aimantée  (moyenne  de 
3  azimuts)  s'est  trouvée  de  9°  38'  23"  N.  E. 
*9-  A  huit  heures  du  matin  nous  avons  appareillé  avec 

une  petite  brise  de  S.  S.  O.  et  de  S.  et  un  temps 
couvert.  Près  du  goulet ,  nous  avons  mis  en  panne 
pour  embarquer  la  yole  qui  depuis  trois  heures  pé- 
chait sous  File  Boswen,  et  avait  déjà  pris  plus  de 
deux  cents  livres  d'excellent  poisson.  Nous  éprou- 
vâmes quelque  peine  à  doubler  le  cap  perpendiculaire, 
avec  un  vent  mou ,  un  courant  contraire  et  une  houle 
de  sud  assez  creuse.  Puis  nous  prolongeâmes  la  côte , 
à  trois  ou  quatre  milles  de  distance,  jusqu'à  Crook- 
Haven.  Ce  n'est  qu'une  longue  falaise  abrupte ,  très- 
élevée,  et  contre  laquelle  un  navire  forcé  par  le 
vent  périrait  infailliblement  corps  et  biens.  Au-delà, 
la  côte  s'abaisse  en  s'enfonçant  à  l'ouest  et  se  dessine 
sous  des  formes  moins  sévères ,  car  ce  sont  de  belles 
plages  bien  boisées  sur  leurs  bords ,  et  dominées  par 
des  montagnes  en  pente  douce  couronnées  de  la  plus 
belle  végétation. 

Près  de  la  côte ,  un  morne  isolé  semblable  au  mont 
Dromadaire,  mais  moins  élevé,  offre  comme  lui  un 


DE  L'ASTROLABE.  15 1 

point  de  reconnaissance  utile.  A  peu  de  distance  i8a6; 
dans  le  sud  de  cette  montagne ,  on  distingue  deux  ou  Novembre, 
trois  coupures  à  la  côte,  qui  doivent  appartenir  à  des 
rivières  ou  à  des  bras  de  mer.  C'est  là  qu'en  effet  la 
carte  de  Flinders  indique  le  cours  d'un  fleuve  consi- 
dérable, mais  j'ignore  sur  quelle  autorité  il  s'est  fondé. 
A  dix  heures  nous  nous  trouvions  par  vingt-cinq 
brasses,  sable  fin.  Vers  midi  l'horizon  s'est  tellement 
embrumé,  qu'on  ne  distinguait  aucune  montagne  de 
l'intérieur,  quoique  nous  ne  fussions  qu'à  quatre  ou 
cinq  milles  de  la  côte. 

INous  avons  doublé  la  pointe  Bass  ;  je  comptais 
doubler  aussi  Red-Point  avant  la  nuit,  car  nous 
voyions  déjà  très-clairement  les  cinq  îles,  à  trois  ou 
quatre  lieues  devant  nous;  mais  le  vent  a  varié  à  l'E. 
JN.  E.,  et  il  a  fallu  prendre  la  bordée  du  large.  Nous 
distinguions  en  ce  moment  (à  peu  près  cinq  heures  du 
soir)  trois  chevaux  qui  paissaient  tranquillement  dans 
un  vert  pâturage  au  bord  de  la  mer;  nous  en  avons 
conclu  l'existence  de  quelque  métairie  dans  ces  en- 
virons. 

Le  vent  a  soufflé  toute  la  journée  au  N.  N.  E.  et  JN.,  3o. 
tantôt  faible  et  variable,  tantôt  frais  et  avec  de  la 
houle;  nous  avons  été  réduits  à  courir  des  bords  le 
long  de  la  terre.  A  sept  heures  du  matin  nous  nous 
sommes  retrouvés  à  cinq  milles  sous  le  vent  du  point 
que  nous  avions  quitté  hier  au  soir  ;  à  midi  nous  avons 
viré  à  trois  lieues  des  cinq  îles  ;  le  soir,  le  vent  a  ren- 
forcé au  nord  avec  des  raffales  et  une  mer  déjà  dure; 
nous  avons  pris  le  large. 


152  VOYAGE 

1826.  Sur  la  lisière  d'un  bois  voisin  du  pâturage  où  pais- 

Novembre.    saient  hier  les  trois  chevaux ,  nous  avons  découvert 

une  longue  case  construite  en  planche ,  comme  le  sont 

tous  les  établissemens  que  commencent  les  Anglais 

dans  ces  contrées. 

A  neuf  heures  du  soir,  un  brick-goélette  faisant 
iev  décembre,  route  au  S.  O.  a  été  aperçu  à  bonne  distance  dans  le 
S.  S.  O. 

Le  vent  du  nord  a  persisté ,  et  nous  avons  forcé  de 
voiles  pour  revoir  la  terre,  dont  une  brume  très- 
épaisse  continue  de  nous  dérober  l'aspect.  A  onze 
heures  le  vent  a  sauté  subitement  du  N.  au  S.  O.,  et 
peu  après  au  S.,  où  il  n'a  pas  tardé  à  souffler  grand 
frais  avec  une  grosse  mer. 

A  midi  trente  minutes  nous  avons  reconnu  la  terre 
près  de  la  pointe  Bass,  et  nous  l'avons  désormais 
suivie  à  quatre  ou  cinq  milles  au  plus.  Près  des  cinq 
îles ,  nous  avons  aperçu  un  petit  navire  qui  semblait 
courir  sur  terre,  mais  qui,  à  notre  vue,  a  fait  vent 
arrière,  et  s'est  mis  dans  nos  eaux.  Comme  nous 
filions  alors  neuf  nœuds  ,  nous  l'avons  promptement 
perdu  de  vue  dans  la  brume. 

A  sept  heures  du  soir,  nous  n'étions  plus  qu'à  sept 
ou  huit  milles  au  sud  du  cap  Solander  de  Botany-Bay  ; 
j'ai  mis  à  la  cape  tribord  amures,  de  peur  de  dépasser 
dans  la  nuit  l'entrée  de  Port- Jackson. 
2-  Vers  minuit  le  vent  ayant  un  peu  molli,  nous  avons 

commencé  à  apercevoir  dans  le  nord  le  fanal  de  Port- 
Jackson  qui  est  resté  visible  jusqu'au  point  du  jour. 
Alors  nous  avons  laissé  porter,  et  suivi  la  côte  à  un 


DE  L'ASTROLABE.  153 

mille  de  distance.  A  cinq  heures  trente  minutes  du      1826. 
matin  ,  sous  les  falaises  même  du  fanal ,  un  coup  de     Derembie- 
canon  a  été  tiré  pour  appeler  le  pilote ,  et  à  six  heures  pi.  xxvi  et 

XXVII. 


nous  donnions  déjà  dans  le  goulet ,  quand  nous  avons 
aperçu  son  hateau.  Je  lai  bientôt  reconnu  pour  le 
même  Siddins  qui  avait  entré  la  Coquille ,  homme 
honnête  et  intelligent ,  et  marin  expérimenté ,  qui  a 
beaucoup  navigué  sur  les  côtes  de  la  Nouvelle-Zélande, 
aux  îles  Fidji  et  au  détroit  de  Torrès. 

Il  a  conduit  la  corvette  ;  en  quelques  bords  et  à 
laide  de  la  marée ,  nous  nous  sommes  trouvés  de- 
vant la  magnifique  habitation  du  capitaine  Piper,  où 
nous  avons  mis  en  panne  pour  l'attendre,  suivant 
les  réglemens  du  port.  Il  est  bientôt  arrivé  à  bord, 
m'a  comblé  d'amitiés  et  d'offres  de  service,  et  m'a 
invité  aujourd'hui  même  à  dîner,  ainsi  que  MM .  Jaequi- 
not  et.  Lottin.  A  sept  heures  quarante-deux  minutes 
nous  avons  mouillé  près  le  fort  Macquarie ,  par 
cinq  brasses  et  demie,  au  même  endroit  où  nous 
nous  trouvions  avec  la  Coquille,  trente-trois  mois  pi.  xxviii. 
auparavant. 


154  VOYAGE 

1826.  Nous  avons  trouvé  en  rade  le  vaisseau  de  ligne  de 

Décembre.  74  ,  le  War  spite ,  commandé  par  le  commodore  sir 
James  Brisbane,  dangereusement  malade  de  la  dy- 
senterie ,  et  les  corvettes  le  Volage  et  le  Success,  ca- 
pitaines Dundas  fils  de  lord  Melville,  et  Stirling.  Ces 
deux  derniers  n'ont  pas  tardé  à  me  venir  rendre  visite 
et  à  m'offrir  très-obligeamment  leurs  services.  Le 
premier  n'a  guère  que  vingt-cinq  ans  ,  et  l'autre  en  a 
à  peine  trente-cinq  ;  du  reste  ce  sont  deux  officiers 
d'un  excellent  ton  ,  et  auxquels  on  accorde  générale- 
ment beaucoup  de  mérite. 

A  une  heure,  accompagné  de  plusieurs  personnes 
pi.  xxix.  de  l'état-major,  je  fus  rendre  visite  au  gouverneur,  le 
major-général  Darling,  homme  âgé,  d'une  politesse 
assez  froide,  et  qui  me  promit  cependant  ses  bons 
offices  pour  tout  ce  qui  dépendrait  de  son  pouvoir. 
M'ayant  adressé  quelques  questions  au  sujet  de  notre 
navigation ,  il  parut  étonné  des  diverses  relâches  que 
je  venais  de  faire  sans  pilote,  sur  plusieurs  points  de 
la  Nouvelle-Hollande  ;  il  me  témoigna  surtout  beau- 
coup d'inquiétude  de  ce  que  nous  n'avions  pas  eu 
connaissance  à  Port-Western,  ni  dans  le  détroit  de 
Bass ,  du  brick  qui  était  parti  de  Port-Jackson  dans 
les  premiers  jours  de  novembre,  pour  y  fonder  une 
nouvelle  colonie,  ainsi  qu'au  port  du  Roi-Georges. 

Je  vis  ensuite  plusieurs  autres  personnes  en  place , 
et  partout  je  reçus  l'accueil  le  plus  obligeant;  je 
terminai  ces  visites  par  les  capitaines  qui  comman- 
daient les  bàtimens  de  guerre  en  rade.  J'admirai  leur 
bonne  tenue  et  leur  extrême  propreté ,  surtout  le 


DE  L'ASTROLABE.  155 

raffinement  de  luxe  qui  distinguait  la  corvette  le  Fo-       is^h. 

lage.  Décembre. 

Je  m'étais  flatté  de  l'espoir  de  trouver  ici  un  ancien 
ami,  M.  Cunningham ,  botaniste  aussi  instruit  que 
zélé,  et  voyageur  infatigable;  mais  il  était  parti  depuis 
trois  mois  pour  explorer  la  Nouvelle-Zélande.  Son 
absence  m'affligea  d'autant  plus  en  cette  occasion , 
qu'elle  me  privait  à  la  fois  d'une  société  agréable  et 
des  matériaux  intéressans  dont  il  eût  sans  doute  en- 
richi la  mission  de  C  Astrolabe. 

Dès  le  premier  abord  nous  avons  vu  avec  une  es- 
pèce d'admiration  combien  la  ville  s'était  accrue  et 
embellie  depuis  trois  ans  seulement. 

Toute  la  journée  a  été  consacrée  au  repos;  une  3. 
partie  de  l'équipage  a  obtenu  la  permission  de  se  pro- 
mener dans  la  ville.  Je  suis  allé  faire  un  tour  au  jardin 
des  plantes  toujours  dirigé  par  31.  Frazier,  et  tenu 
avec  un  soin  remarquable.  J'ai  rencontré  le  capitaine 
Simpson  avec  qui  j'ai  eu  une  assez  longue  conver- 
sation. Il  a  commandé  long-temps  la  station  de  Wel- 
lington dans  l'intérieur,  â  peu  près  a  deux  cent  cin- 
quante milles  de  Sydney,  et  ne  l'a  quittée  que  depuis 
six  mois.  J'ai  su  de  lui  que  cet  établissement  prospérait 
peu  en  ce  moment,  et  qu'il  ny  avait  plus  que  soixante 
convicts.  Ce  n'est  pas  que  la  terre  n'y  soit  fertile  et  la 
campagne  agréable,  mais  cette  position  est  trop  éloi- 
gnée de  Sydney  et  des  autres  lieux  habités  dans  l'état 
actuel  de  la  colonie. 

Je  me  suis  transporté  dans  l'arsenal  où  je  n'ai  trouvé         ,. 
que  fort  peu  de  secours,  à  cause  de  la  présence  des 


161  VOYAGE 

1826.       trois  bàtimens  de  guerre  qui  ont  absorbé  tous  ses 
Décembre.   moyens.  Point  de  calfats ,  point  de  pontons,  ni  de  ma- 
gasins disponibles.  En  outre,  M.  Nichoison,  master- 
attendant,  se  trouvait  absent,  etsonsecond,  M.  Norry, 
store-keeper,  n'osait  rien  prendre  sur  lui. 

D'après  ce  que  j'ai  observé  à  bord  d'un  bâtiment  de 
quatre  cents  tonneaux  de  plus  grande  dimension  que 
l'Astrolabe  et  dont  les  ancres  étaient  de  la  même 
force  que  les  nôtres ,  je  me  suis  assuré  que  des  chaînes 
de  douze  lignes  sont  précisément  celles  qui  nous  con- 
viennent. M.  Wemyss,  commissaire-général,  m'en  a 
montré  trois  de  ce  diamètre  dans  les  magasins  du  gou- 
vernement; mais  il  lui  faut  le  consentement  du  gou- 
verneur pour  me  les  céder,  et  je  lui  ai  écrit  à  cet  effet. 

Le  capitaine  Stirling ,  chez  qui  j'ai  dîné ,  m'a  appris 
qu'il  devait  partir  dans  deux  mois  pour  la  nouvelle  co- 
lonie de  M elville  ,  et  qu'il  était  question  de  la  trans- 
férer sur  la  presqu'île  de  Cobourg  dont  le  sol  semblait 
plus  favorable  à  un  pareil  établissement. 
5.  La  chaloupe  est  allée  faire  de  l'eau  à  Vaucluse  près 

de  l'habitation  de  M.  Piper,  où  elle  a  pu  remplir 
promptement  quatre  tonneaux  d'eau  d'une  assez 
bonne  qualité,  quoiqu'un  peu  trouble.  Nous  avons 
embarqué  six  milles  kilogrammes  de  biscuit  pris  dans 
les  magasins  de  l'Etat.  C'est  du  biscuit  d'Angleterre , 
déjà  couvert  de  petits  charançons  du  genre  Calandra ; 
mais  tel  qu'il  est ,  je  le  préfère  encore  à  celui  que  nous 
primes  dans  le  dernier  voyage  ,  et  qui  avait  été  con- 
fectionné dans  la  colonie.  En  moins  de  deux  mois  il  se 
trouva  gâté ,  soit  que  les  boulangers  de  Sydney  ne 


DE  L'ASTROLABE.  157 

connussent  pas  encore  le  moyen  de  faire  de  bon  bis-       i«a& 
cuit   de  campagne,  ou,  ce  qui  est  plus  probable,    timbre. 
qu'ils  n'eussent  pas  eu  de  scrupule  de  nous  fournir  du 
biscuit  de  mauvaise  qualité,  sûrs  de  n'avoir  pas  à 
craindre  de  réclamations  de  notre  part. 

Les  calfats  ,  en  travaillant  à  l'extérieur  du  navire,        6. 
ont  reconnu  qu'un  des  bordages  à  tribord  était  entiè- 
rement pourri  ,  ce  qui  donnait  de  l'eau  dans  la  soute 
aux  biscuits;  sur-le-champ  on  s'est  occupé  de  le  dé- 
livrer et  de  le  remplacer. 

Tous  les  habifans  de  la  colonie  sont  très-intrigues 
des  relâches  que  j'ai  faites  sur  divers  points  de  la  Nou- 
velle-Hollande. Quelques-uns  pensent  que  j'ai  la  mis- 
sion de  chercher  un  lieu  propre  à  établir  une  colonie 
dans  le  genre  de  Port-Jackson  ;  un  journal  s'est 
avancé  jusqu'à  annoncer  que  V Astrolabe  avait  planté 
le  pavillon  français  dans  les  ports  du  Roi-Georges  et 
de  Western. 

Nous  avons  embarqué  les  légumes,  le  tabac  et  le  7. 
sel.  La  réponse  équivoque  du  gouverneur  à  la  de- 
mande que  je  lui  ai  faite,  pour  le  prier  de  me  céder 
deux  chaînes-câbles,  nie  laisse  à  peine  entrevoir  la  pos- 
sibilité d'en  obtenir  une  seule.  Dans  la  crainte  de 
perdre  en  délais  un  temps  précieux  ,  et  pénétré  de  la 
nécessité  de  me  procurer  ces  objets  indispensables , 
je  conclus  avec  le  capitaine  du  navire  Regalia  l'ac- 
quisition d'une  chaîne  de  neuf  lignes  d'échantillon, 
moyennant  cent  soixante  livres  sterling.  Elle  con- 
viendra parfaitement  pour  notre  ancre  moyenne,  et, 
si  le  gouverneur  ne  veut  pas  m'accorder  l'autre ,  je 


1 58  VOYAGE 

1826.  suis  décidé  à  l'acheter  également  à  quelques-uns  des 
capitaines  sur  rade. 
s  décembre.  Nous  avons  reçu  le  rhum  de  campagne  et  la  sa- 
laison. Le  vent,  ayant  fraîchi  au  N.  N.  O.,  a  porté 
l'arrière  de  la  corvette  à  moins  de  vingt  brasses  de 
terre  ;  mais  le  havre  est  si  bon  et  la  tenue  si  forte , 
que  nous  n'avons  rien  à  craindre. 

Le  pilote  Siddins  m'a  donné  quelques  renseigne- 
mens  sur  les  îles  Fidji,  les  mœurs  et  le  langage  des 
insulaires. 

La  plupart  des  personnes  que  nous  rencontrons 
ici  nous  parlent  avec  plaisir  des  relations  qu'elles  ont 
eues  avec  les  officiers  français  de  la  Thétis  et  de  l'Es- 
pérance. Leur  séjour  à  Sydney  a  été  de  deux  mois  et 
demi ,  et  les  habitans  sont  très-étonnés  de  ce  que  je  ne 
veux  pas  m'y  arrêter  plus  de  quinze  jours. 
9-  Le  café ,  le  sucre  et  le  charbon  de  terre  ont  été  em- 

barqués, et  le  travail  des  calfats  à  l'extérieur  du  na- 
vire terminé. 

10.  J'ai  consacré  tout  ce  jour  à  travailler  à  ma  corres- 
pondance ;  la  pluie ,  qui  tombe  depuis  quelque  temps, 
commence  à  ranimer  les  plantes  presque  entière- 
ment consumées  par  une  sécheresse  absolue  qui  du- 
rait depuis  plusieurs  mois ,  et  qui  avait  été  suivie  peu 
de  jours  avant  notre  arrivée  d'un  embrasement  géné- 
ral de  la  campagne,  causé  par  les  feux  des  naturels. 

11.  Comme  j'étais  aujourd'hui  invité  à  dîner ,  ainsi  que 
M.  Gaimard,  chez  M.  Scott,  archidiacre  de  la  co- 
lonie à  Paramatta,  nous  avons  accepté  l'offre  de 
M.  Piper,  qui  nous  a  proposé  sa  voiture.  Traînés  par 


DE  L'ASTROLABE.  159 

quatre  vigoureux  chevaux,  nous  avons  franchi  en       1826. 
moins  d'une  heure  et  demie  les  quinze  milles  qui  se-     Décembre. 
parent  cette  ville  de  Sydney. 

Aussitôt  je  suis  allé  rendre  ma  visite  à  M.  Marsden, 
dont  j'avais  fait  la  connaissance  lors  de  mon  premier 
voyage.  J'en  ai  reçu  l'accueil  le  plus  obligeant;  avec 
toute  la  complaisance  possible ,  il  m'a  donné  d'utiles 
renseignemens  sur  la  Nouvelle-Zélande  et  les  îles  des 
Amis.  Il  m'a  cité  les  noms  de  quelques  chefs  du  dé- 
troit de  Cook  qui  ont  vécu  chez  lui ,  notamment  Tip- 
pahi,  chef  d'une  île  dans  le  détroit,  et  Oroura,  de  la 
même  tribu,  qui  parle  un  peu  anglais.  J'ai  su  par  lui 
que  décidément  il  n'existait  point  de  missionnaires  aux 
îles  Fidji. 

A  six  heures  M.  Marsdern  m'a  conduit  lui-même, 
dans  son  char-à-banc,  chez  M.  Scott,  qui  habite  une 
jolie  campagne  près  Paramatta.  Après  le  dîner,  M.  Pi- 
per nous  ayant  ramenés  à  Sydney,  à  onze  heures  trente 
minutes  du  soir  nous  étions  de  retour  a  bord. 

J'ai  trouvé  Paramatta  peu  changé,  ou  beaucoup  pi.  xxxm. 
moins  en  proportion  que  Sydney.  Cette  ville  compte 
maintenant  trois  mille  habitans ,  suivant  M.  Marsden. 
Il  y  a  aujourd'hui  un  chapelain  à  Bathurst. 

Ce  soir  je  me  suis  promené  deux  heures  dansces jolis  12. 
bosquets,  qui  ont  pris  le  nom  de  Madame  Macquarie,  pl-  xxx- 
avec  M.  de  Rossi,  chef  de  la  police  à  Sydney,  frère 
d'un  des  officiers  supérieurs  de  notre  marine.  Il  m'a 
dit  qu'il  n'estimait  encore  qu'à  cinquante  mille  âmes 
la  population  anglaise  de  la  Nouvelle-Galles  du  sud. 
Maintenant  les  convicts  qui  arrivent  d'Europe  sont 


160  VOYAGE 

1826.       distribués  aux  propriétaires  libres  sous  certaines  con- 
Décembre.    Citions ,  et  ce  n'est  qu'au  bout  d'un  temps  fixé  qu'ils 
peuvent   être  admis  à  travailler  pour  leur  propre 
compte. 
13.  Je  reçois  enfin  une  lettre  de  M.  Mac-Leay,  secré- 

taire du  gouvernement ,  qui  m'annonce  que  la  chaîne 
est  accordée.  Aussitôt  je  donne  l'ordre  d'aller  la 
prendre ,  et  en  même  temps  cinquante  brasses  de  pe- 
tite chaîne  pour  la  chaloupe.  La  grosse  chaîne  a  un 
pouce  d'échantillon  et  cent  huit  brasses  de  longueur; 
elle  conviendra  parfaitement  à  nos  grosses  ancres. 
Muni  de  ces  objets  précieux,  désormais  je  vais  entre- 
prendre ,  avec  plus  de  confiance ,  les  reconnaissances 
qui  me  sont  imposées.  Cependant  je  ne  me  dissimule 
pas  que  deux  chaînes  sont  encore  peu  de  chose  ;  il  en 
faudrait  au  moins  cinq  ou  six  de  diverses  dimensions  ; 
c'est  ce  que  m'écrivait  avant  mon  départ  l'habile 
capitaine  King,  qui  connaissait  parfaitement  les  dan- 
gers de  nos  explorations.  Du  reste,  nous  ferons  ce 
que  nous  pourrons  avec  ces  faibles  moyens,  et  par 
notre  vigilance  nous  tâcherons  de  suppléer  à  ce  qui 
nous  manque. 

Après  avoir  dîné  chez  le  gouverneur ,  je  me  suis 
entretenu  quelque  temps  avec  le  capitaine  Barlow , 
qui  arrive  de  l'île  Melville  où  il  a  commandé  près 
de  deux  ans.  Le  pays  en  est  aride,  l'eau  et  le  bois 
y  sont  très-rares  ;  les  productions  sont  les  mêmes  qu'à 
Sydney.  Il  n'y  a  point  de  palmiers.  Les  alligators  y 
sont  fréquens,  et  atteignent  quinze  à  dix-huit  pieds  de 
longueur.  On  jouit  en  général,  dans  l'île ,  d'un  très- 


DE  L'ASTROLABE.  161 

beau  temps,  surtout  en  mai,  juin,  juillet  et  août.  La      1826. 
colonie  ne  comptait  que  cinquante  soldats  et  une  tren-    Décembre. 
taine  de  convicts.  Le  capitaine  pensait  que  les  convicts 
resteraient  encore  toute  cette  année,  et  doutait  même 
qu'ils  dussent  être  transférés  comme  on  nie  lavait  as- 
suré, et  comme  je  lavais  lu  dans  les  journaux. 

Me  trouvant  à  diner  chez  M.  Mac-Leay  avec  14. 
M.  Marsden,  j'ai  insensiblement  ramené  celui-ci  sur 
le  sujet  des  jXouveaux-Zélandais.  Il  m'a  raconté  plu- 
sieurs circonstances  de  ses  voyages  parmi  ces  peuples 
extraordinaires;  la  parfaite  concordance  de  ses  ré- 
cits avec  les  relations  qui  en  ont  été  imprimées,  m'a 
fait  le  plus  grand  plaisir,  parce  qu'elle  m'a  confirmé 
l'entière  confiance  qu'on  devait  leur  accorder. 

Ce  matin  M.  Marsden  est  venu  déjeuner  avec  moi,  15. 
accompagné  d'un  autre  ecclésiastique  nommé  M.  Wil- 
kinson.  Le  premier  m'a  remis  des  lettres  pour  les 
missionnaires  de  Tonga -Tabou  ;  le  second  m'a  procuré 
deux  crânes  et  quelques  ossemens  de  deux  indigènes 
de  Sydney,  l'un  adulte,  et  l'autre  enfant. 

Au  point  du  jour  on  a  reconnu  que  deux  de  nos  16. 
matelots  nommés  Jean  (Jacques)  et  Lisnard  (Antoine) 
s'étaient  enfuis  dans  la  nuit  avec  le  bot,  en  le  lais- 
sant ensuite  aller  en  dérive;  heureusement  on  l'a  re- 
trouvé au  milieu  du  chenal  devant  la  pointe  de  Beni- 
long.  Quant  aux  matelots,  ce  sont  d'assez  mauvais  su- 
jets ,  et  je  tiendrais  peu  à  les  ravoir  pour  eux-niènies  ; 
cependant,  pour  saisir  l'occasion  de  donner  un  exem- 
ple aux  autres ,  et  ôter  à  leurs  compagnons  l'envie  de 
les  imiter  par  la  suite,  j'ai  sur-le-champ  demandé  par 

TOME    I.  11 


162  VOYAGE 

1826.       écrit  au  secrétaire  du  gouvernement  et  au  chef  de  la 
Décembre.    p0]ice  ?   d'ordonner  toutes  les  démarches  possibles 
pour  saisir  les  fugitifs  ;  je  promettais,  en  outre,  douze 
piastres  pour  chacun  à  celui  qui  les  ramènerait. 

Toute  la  farine  de  campagne  a  été  embarquée  au- 
jourd'hui ;  elle  est  contenue  dans  cinquante-cinq  quarts 
en  bois  du  pays ,  qu'il  a  fallu  faire  fabriquer. 

J'ai  fait  mes  visites  d'adieux  au  gouverneur  et  aux 
autres  personnes  de  la  colonie  qui  m'ont  fait  des  poli- 
tesses. Mon  rapport  au  ministre  sur  les  opérations  de 
la  campagne  et  toutes  nos  lettres  ont  été  renfermés 
dans  un  même  paquet,  adressés  à  M.  l'ambassadeur 
de  France  à  Londres,  et  portés  chez  M.  Mac-Leay, 
qui  s'est  chargé  de  les  faire  expédier  par  le  Regalia. 

Les  quatre  caisses  d'histoire  naturelle  que  nous  en- 
voyions en  France,  avaient  été  remises  hier,  par  M.  Ni- 
cholson,  à  bord  du  même  navire,  et  portaient  la  même 
adresse. 

Après  midi,  je  suis  allé  me  promener  autour  de 
la  ville;  j'ai  visité  la  grande  caserne  que  l'on  cons- 
truit pour  les  convicts,  aux  portes  de  Sydney,  près 
de  la  route  du  fanal.  Le  corps  principal  du  bâti- 
ment sera  arrondi,  et  accompagné  de  six  ailes  dispo- 
sées en  hexagone,  le  tout  environné  d'une  immense 
enceinte  formant  un  carré  régulier.  Les  murs  seuls 
de  celle-ci,  qui  ont  quinze  à  vingt  pieds  d'élévation  et 
une  prodigieuse  épaisseur ,  sont  terminés ,  et  l'on  ne 
voit  encore  que  les  fondemens  de  la  caserne.  La  cons- 
pi.  xxxi.  truction  de  l'église  catholique  a  fait  très-peu  de  pro- 
grès depuis  trois  ans  ;  par  un  orgueil  mal  placé ,  cet 


DE  L'ASTROLABE.  163 

édifice  a  été  entrepris  sur  un  plan  trop  vaste,  et  les       1826. 
fonds  ont  manqué. 

Dans  un  dernier  voyage  à  l'eau  la  cale  s'est  trouvée  17  décembre. 
remplie.  On  a  relevé  l'ancre  de  tribord  ;  celle  de  bâ- 
bord ,  qui  était  prodigieusement  enfoncée  dans  la  vase, 
a  été  soulagée ,  puis  on  a  tout  préparé  pour  l'appa- 
reillage. 

Vers  trois  heures  après  midi ,  un  habitant  qui  pos- 
sède une  petite  propriété  de  l'autre  côté  de  la  baie, 
nous  a  ramené  nos  deux  déserteurs  avec  leurs  effets 
et  divers  objets  qu'ils  avaient  emportés  avec  eux.  Cet 
habitant  les  a  trouvés  dans  les  bois  à  deux  milles  de  son 
habitation,  et  s'est  rendu  maître  de  leur  personne  par 
surprise ,  en  leur  offrant  de  les  conduire  chez  lui,  et  de 
les  y  receler  jusqu'à  notre  départ.  Les  vingt-quatre 
dollars  que  j'avais  promis  lui  ont  été  remis ,  et  les  deux 
coupables  ont  sur-le-champ  reçu  une  punition  propor- 
tionnée à  leur  faute. 

C'est  ainsi  que  nous  avons  employé  notre  relâche 
à  Port-Jackson.  Elle  a  été  très-utile  à  la  mission; 
nous  partons  d'ici  pour  nos  travaux  ultérieurs ,  aussi 
bien  pourvus  que  nous  l'étions  à  Toulon.  On  pourrait 
même  dire  que  nous  sommes  mieux  disposés,  puisqu'il 
n'y  a  pas  un  seul  malade  à  bord ,  et  que  nous  nous 
trouvons  maintenant  munis  de  ces  précieuses  chaînes 
qui  seules  peuvent  assurer  le  salut  de  l'Astrolabe  au 
travers  des  coraux  où  elle  sera  obligée  de  mouiller. 
On  a  vu  cependant  qu'impatient  de  commencer  les 
travaux  proprement  dits  de  la  campagne,  j'ai  réduit 
notre  relâche  au  plus  court  délai  possible.  Durant  ce 


164  VOYAGE  DE  L'ASTROLABE. 

1S26.  séjour,  tous  mes  momens  ont  été  si  complètement  rem- 
Décembre.  pjjs  ^  sojt  p0ur  les  soins  ordinaires  du  service ,  soit  par 
les  visites  et  les  devoirs  de  convenance  près  des  auto- 
rités locales ,  qu'il  m'est  resté  bien  peu  de  temps  dis- 
ponible pour  recueillir  des  notes  touchant  cette  inté- 
ressante colonie. 

Je  me  bornerai  donc  à  offrir  au  lecteur  un  résumé 
succinct  de  la  fondation,  des  progrès  et  de  l'état  actuel 
de  la  colonie.  Les  deux  premiers  articles  seront  ex- 
traits de  divers  ouvrages  imprimés  depuis  long- 
temps ,  notamment  des  relations  de  Barrington  et  Col- 
lins,  et  le  troisième  le  sera  principalement  des  journaux 
mêmes  de  Sydney,  publiés  peu  de  temps  avant  notre 
passage  en  cette  ville.  Cette  digression  formera  l'objet 
or.  entier  des  deux  chapitres  suivans. 


NOTES 


NOTES. 


Extraits  des  Journaux  des  Officiers  de  l'Expédition. 

page  47- 

A  six  heures,  nous  étions  de  retour  à  Santa-Cruz, 
et  à  sept  heures  trente  minutes  à  bord. 

Le  i4  nous  mouillâmes  dans  la  rade  de  Sainte-Croix  de  Té- 
nériffe,  et  eûmes  de  suite  l'entrée  sans  être  obligés  de  faire  qua- 
rantaine. Tant  de  vovageurs  ont  parlé  de  cette  île  et  de  la  ville 
où  l'on  aborde,  que  je  n'aurais  fait  qu'indiquer  notre  passage 
et  simplement  mentionner  un  voyage  que  nous  fîmes  au 
sommet  du  Pic  ,  s'il  existait  de  bonnes  et  récentes  relations  sur 
la  manière  de  gravir  cette  haute  montagne.  Qu'on  me  pardonne 
donc  les  détails,  peut-être  trop  minutieux,  dans  lesquels  je 
vais  entrer,  que  passeront  ceux  qui  ne  doivent  point  y  aller, 
mais  que  consulteront  ceux  qui  doivent  y  monter  ;  détails  que, 
du  reste ,  j'aurais  été  bien  aise  de  trouver  ailleurs. 

Le  Pic  étant  dans  la  partie  de  l'île  opposée  à  celle  où  l'on 
aborde  ,  pour  s'y  rendre ,  on  a  besoin  d'un  train  de  conduc- 
teurs et  de  chevaux  assez  considérable.  11  est  même  nécessaire 
d'avoir  des  vivres  qui  puissent  se  conserver  plusieurs  jours. 

Le  consul  voulut  bien  se  charger   de  nous  faire  avoir  des 


168  NOTES. 

chevaux;  et,  le  îG  au  matin,  le  commandant  et  son  domesti- 
que, M.  Gaimard  et  moi,  nous  partîmes  de  Sainte-Croix. 
Notre  bagage ,  composé  de  vêtemens  pour  le  froid ,  de  boîtes  et 
de  papiers  pour  l'histoire  naturelle,  de  vivres,  etc.,  le  tout 
réduit  au  strict  nécessaire,  était  porté  par  un  seul  cheval  de  bât 
conduit  par  un  homme.  Deux  guides  chargés  de  nos  chevaux 
de  selle  suivaient  à  pied;  l'un  d'eux  portait  un  baromètre  de 
Bunten. 

On  monte  jusqu'à  la  Laguna ,  jolie  petite  ville  distante  de 
la  mer  de  deux  lieues,  par  un  chemin  difficile,  mal  entretenu 
et  hérissé  de  grosses  pierres  volcaniques.  On  s'occupait  cepen- 
dant alors  à  faire  une  chaussée  depuis  Sainte-Croix  jusqu'au 
fort  qui  commande  la  route  à  gauche.  Il  faut  convenir  qu'on 
aurait  une  bien  fausse  idée  de  TénérifFe ,  si  on  la  jugeait  par  ce 
qu'on  en  aperçoit  de  la  rade,  où  tout  paraît  triste,  aride  et 
stérile ,  où  des  montagnes  déchiquetées  et  couvertes  de  laves 
noires  offrent  à  peine  des  traces  de  végétation.  Rien  n'est  plus 
sombre  ,  surtout  la  partie  droite  de  la  rade ,  lorsqu'elle  est  en- 
veloppée de  nuages.  Cet  aspect  est  à  peu  près  le  même  jusqu'à 
la  Laguna.  Les  céréales  ne  viennent  qu'au  travers  des  scories. 
Mais  passé  ce  lieu ,  la  scène  change ,  et  l'on  se  croit  transporté 
dans  les  plaines  les  plus  fertiles  de  la  France;  en  effet,  tout 
était  cultivé  et  couvert  de  blé.  Bientôt  après,  en  côtoyant  la 
mer  d'une  lieue  ,  plus  ou  moins ,  les  vignes  vinrent  s'y  joindre, 
et  nous  voyageâmes  au  milieu  de  la  plus  belle  végétation,  et 
jouissant  à  chaque  instant  des  plus  beaux  aspects.  Nous  nous 
demandions  pourquoi,  au  milieu  de  tant  de  moyens  apparens 
de  prospérité ,  tant  de  pauvres  couverts  de  haillons,  habitant 
sous  des  huttes  plutôt  faites  pour  des  chiens  que  pour  des 
hommes,  et  demandant  sans  cesse  l'aumône,  à  tel  point  que 
le  salut  des  enfans  est  de  vous  demander  un  liard  (quartillo). 

Sur  les  onze  heures  nous  nous  arrêtâmes  pour  déjeuner  à  un 
lieu  nommé  Matanza ,  où  se  trouve  une  auberge.  Il  faisait  très- 
chaud,  et  nos  montures  étaient  terriblement  tourmentées  par 
les  mouches.  C'est  là  que  nous  eûmes  le  déplaisir  de  voir  que 


NOTES.  169 

le  baromètre  venait  d'être  cassé  par  celui  qui  le  portait.  En 
galopant  sur  le  cheval  de  l'un  de  nous,  il  l'avait  heurté  contre 
la  selle.  La  perte  de  cet  instrument  nous  fut  d'autant  plus  sen- 
sible, que  personne  n'en  avait  encore  porté  d'aussi  parfait  au 
sommet  de  la  montagne,  et  que  c'était  un  moyen  de  vérifier 
l'exactitude  de  la  hauteur  qu'on  lui  donne,  d'après  les  travaux 
de  Borda.  Le  commandant  d'Urville  voulait  aussi  déterminer 
la  hauteur  à  laquelle  viennent  certains  végétaux. 

Matanza  tire  son  nom  d'un  ravin  profond  que  nous  traver- 
sâmes, et  dans  lequel  les  Espagnols  qui  occupaient  cette  île 
furent  défaits  par  les  Guanches.  Depuis  ce  lieu  jusqu'à  l'Oro- 
tava  nous  avons  toujours  vu  la  mer  à  droite  ,  et  quelquefois  de 
hautes  montagnes  à  gauche;  nous  montions  et  descendions  par 
des  chemins  très-roides  et  scabreux.  Les  cultures  étaient  le  plus 
généralement  en  vignes  et  en  maïs  ;  ce  qui  donnait  au  paysage 
une  teinte  d'un  vert  foncé ,  du  milieu  de  laquelle  ressortaient 
les  sommets  noircis  d'anciens  cratères  éteints.  Ces  particularités 
se  remarquaient  surtout  dans  la  plaine  de  l'Orolava. 

Nous  devions  aller  coucher  à  la  ville  de  ce  nom;  mais, 
comme  la  journée  n'était  pas  trop  avancée  ,  nous  descendîmes 
visiter  le  port  de  L'Or  o  ta  va.  Il  est  peu  profond,  et  ne  reçoit 
que  des  navires  tirant  peu  d'eau.  La  mer  y  brise  avec  force. 
La  ville  est  propre  et  régulière.  L'architecture  des  maisons, 
quoique  particulière  à  l'Espagne  et  massive,  ne  laisse  pas 
que  d'avoir  un  certain  agrément,  et  rien  même  n'est  plus  élégant 
que  la  belle  verdure  des  bananiers  que  l'on  aperçoit  dans  les 
cours  de  quelques-unes. 

Nous  rendîmes  visite  à  M.  Cologan  pour  qui  M.  d'Urville 
avait  une  lettre.  Cette  famille  Cologan  a,  par  ses  politesses 
envers  les  voyageurs  français,  rendu  ,  pour  ainsi  dire  ,  son  nom 
classique.  Celui  qui  existe  maintenant  est  un  jeune  homme 
dontles  manières  sont  agréables  :  il  avait  passé  plusieursannées 
à  Paiis,  ainsi  que  son  épouse  ,  et  tous  les  deux  parlaient  fran- 
çais. 

A    une  demi -lieue   environ    du    port  de   l'Orolava   est    le 


170  NOTES. 

jardin  botanique,  belle  demeure  où  se  trouvent  d'agréables 
ombrages  qui,  il  faut  le  dire,  manquent  à  Ténériffe  où  l'on 
paraît  avoir  sacrifié  l'agréable  à  ce  qui  est  productif.  Ce  lieu, 
maintenant  négligé  par  les  circonstances  malheureuses  dans 
lesquelles  se  trouve  l'Espagne,  fut  créé,  au  milieu  d'une  plaine 
dépourvue  d'eau  et  d'arbres ,  par  un  ricbe  habitant  qui,  depuis, 
le  céda  au  gouvernement.  Il  paraît  contenir  encore  un  assez 
grand  nombre  d'arbres  et  d'arbrisseaux  étrangers  au  sol  des  Ca- 
naries. 

Nous  y  trouvâmes ,  par  hasard ,  M.  Berthelot ,  Français  ha- 
bitant la  ville  de  l'Orotava  (qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec 
le  port  du  même  nom),  et  auquel  le  consul  nous  avait  recom- 
mandés. Dans  une  ville  où  nous  ne  connaissions  personne  ,  où 
l'on  ne  trouve  point  d'auberge  ,  M.  Berthelot  nous  fut  du  plus 
grand  secours,  non-seulement  en  nous  offrant  sa  maison,  mais 
encore  en  nous  procurant  un  guide  et  en  nous  donnant  tous 
les  renseignemens  convenables  pour  aller  au  Pic  :  car  ce  n'est, 
à  proprement  parler,  que  de  l'Orotava  que  commence  l'ascen- 
sion. Sans  lui  nous  nous  fussions  trouvés  fort  embarrassés  et 
à  la  merci  de  nos  conducteurs.  Ceux  que  nous  avions  pris  à 
Sainte-Croix  ne  connaissaient  point  le  chemin  de  la  montagne  ; 
il  fallut  s'en  adjoindre  un  autre ,  et  de  plus  un  cheval  chargé 
d'eau,  et  son  conducteur,  parce  que  l'on  n'en  trouve  point 
dans  l'endroit  où  l'on  couche.  Il  faut  aussi  que  toute  la  troupe, 
hommes  et  animaux ,  aient  des  vivres  pour  deux  jours.  Autre- 
ment, je  lé  répète,  on  peut  manquer  son  voyage.  On  vient 
déjà  de  voir  que  nous  nous  étions  presque  aventurés  jusqu'à 
l'Orotava ,  croyant  y  trouver  à  coucher  et  des  guides.  Le 
mieux  est,  lorsqu'on  a  du  temps,  de  s'assurer  de  ces  choses 
avant  de  partir  de  Sainte-Croix. 

M.  Berthelot  est  créateur  et  directeur  d'un  lycée  dont  l'en- 
seignement est  modelé  sur  ceux  de  France.  Malheureusement 
pour  les  Canaries,  on  parlait  de  le  faire  fermer.  Entre  autres 
professeurs,  il  s'était  adjoint,  pour  les  mathématiques,  M.  Au- 
bert ,  Français  depuis  long-temps  fixé  en  Espagne ,  et  que  les 


NOTES.  171 

troubles  de  la  Péninsule  avaient  forcé  de  venir  à  Ténériffe. 
Tous  deux  cultivaient  les  sciences  avec  succès ,  et  joignaient 
celles  d'agrément  aux  plus  immédiatement  utiles.  C'est  ainsi 
qu'ils  sont  très-bien  versés  dans  la  botanique,  surtout  celle  du 
pays.  M.  Aubert  écrit  même  sur  la  physiologie  végétale,  et 
M.  Bcrtbelot  adresse  de  temps  en  temps  des  Mémoires  aux  so- 
ciétés savantes.  Je  me  souvenais  parfaitement  d'avoir  vu  de  lui, 
dans  le  journal  de  M.  de  Férnssac  ,  la  description  d'une  nou- 
velle espèce  de  violette  qui  ne  croît  que  sur  les  flancs  et  au 
sommet  du  Pie,  et  qu'il  nomme  Viola  tcydensis.  Les  momens 
que  nous  avons  passés  dans  la  société  de  ces  messieurs  ont  été 
courts,  mais  nous  pouvons  dire  très-agréables. 

La  ville  d'Orotava  est  grande,  les  rues  sont  larges,  bien 
pavées,  mais  fatigantes  par  la  rapidité  de  leur  pente;  quel- 
ques maisons  sont  belles.  Celle  de  notre  bote,  vaste  et  propre 
à  un  établissement  public  ,  contient  précisément,  dans  son 
jardin,  le  fameux  dragonnier,  antiquité  végétale  à  laquelle 
les  amateurs  vont  rendre  visite,  et  qui,  depuis  la  conquête  des 
Canaries ,  n'avait  varié  ni  en  hauteur  ni  en  épaisseur.  Mais 
dans  ces  derniers  temps  un  coup  de  vent  avait  abattu  sa  tête 
respectable.  Le  reste  était  entretenu  avec  beaucoup  de  soin. 
Sa  circonférence  est  de  quarante-huit  pieds  ;  la  hauteur  de 
sa  tige,  jusqu'à  la  naissance  des  branches,  de  vingt-deux. 

Le  lendemain  matin  à  huit  heures,  notre  petit  équipage, 
composé  de  neuf  personnes  et  sept  chevaux,  quitta  la  ville. 
Partout  nous  étions  pris  pour  des  Anglais  :  ce  qui  indique  que 
ce  sont  eux  qui  font  le  plus  souvent  de  ces  courses.  Nous  com- 
mençâmes à  monter  par  les  chemins  les  plus  scabreux  que  j'aie 
vus  de  ma  vie.  Mais  telle  était  la  bonté  de  nos  chevaux  que  pas 
un  ne  broncha,  soit  en  allant,  soit  en  revenant,  sur  ces  pavés 
basaltiques  qui  étaient  parfois  très-glissans.  Peu  habitués  à  des 
pentes  aussi  rapides  ,  nous  descendions  et  nous  voyions  alors 
ces  animaux  galoper  dans  des  sentiers  en  vraie  forme  d'escalier. 
Ceux  de  nos  guides  qui  étaient  montés  ne  descendaient  jamais, 
et  allaient  presque  toujours  le  trot.   Les  chevaux  de  ces  îles 


172  NOTES. 

unissent  la  plus  grande  sobriété  au  courage  et  à  la  solidité  du 
pied. 

Peu  après  l'Orotava  on  trouve  quelques  fermes  et  des  bois 
de  marronniers  francs.  On  entre  alors  dans  des  nuages  épais 
qui ,  couronnant  pendant  plusieurs  mois  de  l'année  ce  premier 
plan  de  bauteur,  empêchent  de  distinguer  le  Pic ,  de  la  ville 
d'où  il  paraît  très-majestueux  lorsque  les  nuages  n'existent  pas. 
Après  deux  heures  de  marebe  nous  déjeunâmes  sous  un  grand 
et  magnifique  pin  isolé,  au  bord  d'un  ravin  profond  et  où  l'on 
trouve  de  l'eau.  C'est  el  Pino  del  Tornajito.  La  température  y 
était  très-fraîche.  La  végétation  de  ce  lieu,  presque  toute  de 
hautes  bruyères,  est  assez  abondante  :  mais,  à  mesure  qu'on 
avance,  ces  arbrisseaux  deviennent  plus  rares,  les  laves  plus 
amoncelées,  et  la  terre  végétale  moins  abondante.  Aux  envi- 
rons de  la  caverne  del  Pino  ,  on  ne  marche  même  plus  que  sur 
des  scories  légères.  Alors  on  est  débarrassé  des  nuages,  et  avant 
que  d'y  arriver  on  trouve  abondamment  le  cytise  dont  les  fleurs 
jaunes  répandent  dans  l'atmosphère  une  forte  odeur  de  baume 
du  Pérou. 

A  une  heure  on  détourna  un  peu  sur  la  gauche  pour  se  re- 
poser dans  la  caverne  et  y  mettre  les  chevaux  à  l'abri  du  soleil. 
Cette  cavité,  où  l'on  a  peine  à  tenir  debout,  est  à  peu  près  la 
moitié  du  chemin  pour  arriver  à  la  couchée.  C'est  là  qu'on  com- 
menceàvoiren  assez  grande  quantité  le  Spartiumsupranubium. 
La  montagne  deTuffa  rougeâtre,  qui  esta  gauche,  en  abeaucoup 
à  son  sommet.  Chaque  pied  de  ce  grand  arbrisseau  forme  des 
touffes  peu  élevées  qui  s'étalent  en  rond.  Sa  couleur  est  glauque, 
et  ses  fleurs  blanches  exhalent  la  même  odeur  que  celle  de  la 
plante  précédente.  Les  animaux  qu'on  rencontre  à  cette  hau- 
teur sont  un  martinet  qui  se  rapproche  beaucoup  du  nôtre, 
un  lézard  d'un  gris  presque  noir,  et  sous  les  pierres  une  grosse 
pimélie. 

A  deux  heures  nous  partîmes  de  la  caverne  del  Pino.  La  cha- 
leur était  assez  forte  ,  mais  franche  et  sans  accabler;  l'air  d'une 
pureté  et  d'une  transparence  remarquables;  les  contours  des  corps 


NOTES.  173 

se  dessinaient  avec  la  plus  grande  netteté.  Me  servant  habituel- 
lement d'un  verre  concave  pour  voir  à  distance,  j'ai  cru 
m'apereevoir  qu'à  celte  hauteur  je  n'en  avais  presque  plus 
besoin  :  beaucoup  plus  haut  il  n'en  fut  pas  ainsi.  Nous  nous 
détournions  souvent  pour  voir  ce  qu'on  nomme  à  juste  titre  la 
mer  de  nuages,  dont  nous  allons  bientôt  parler. 

A  trois  heures  et  demie  environ  ,  nous  entrâmes  dans  les  Ca- 
nadas ;  c'est  une  très-vaste  plaine  ondulée,  ayant  peu  de  végé- 
tation et  remplie  de  soupiraux  éteints,  de  courans  et  de  murs 
de  laves  dirigés  dans  tous  les  sens.  Le  sol  est  enlièrement  cou- 
vert de  très-petits  fragmens  d'obsidienne  jaunâtre  et  fibreuse, 
qui  ressemble  beaucoup  à  des  ponces.  Nos  chevaux,  débarrassés 
des  mouches  et  facilités  par  la  route,  allaient  assez  vite;  ce- 
pendant nous  mîmes  plus  d'une  heure  à  traverser  ce  plateau, 
où,  nous  dit-on,  la  chaleur  est  quelquefois  si  grande  nue 
des  chevaux  y  périssent  :  tandis  qu'il  est  une  saison  où  il  y  fait 
bellement  froid,  qu'on  nous  montra  un  lieu  marqué  d'une  croix 
où  était  morte  une  pauvre  femme  qui  s'était  hasardée  à  y  aller 
chercher  de  la  neige.  Du  milieu  des  Canadas  on  commence  à 
apercevoir  vers  l'une  des  extrémités  le  dôme  immense  du  Pic 
dont  la  forme  et  les  teintes  changent  à  mesure  qu'on  en  appro- 
che. A  cette  distance  on  ne  se  doute  vraiment  pas  de  quel  côté 
on  attaquera  cette  montagne  pour  y  monter.  A  sa  gauche  nous 
traversâmes  une  petite  montagne  dont  les  ondulations,  aussi 
agréables  qu'uniformes,  étaient  produites  par  de  petits  morceaux 
d'obsidienne  poreuse  dont  la  couleur  jaune  offrait  plusieurs  va- 
riétés de  cette  teinte.  Les  pieds  des  chevaux  y  enfonçaient  assez 
avant.  A  la  superficie  du  sol  et  à  d'assez  grandes  distances  les 
unes  des  autres,  étaient  d'énormes  boules  de  basalte  noir  à 
cristaux  de  feldspath  ;  quelques-unes  avaient  de  vingt  à  trente 
pieds  de  diamètre,  et  étaient  fendues  par  le  milieu;  d'autres 
avaient  quelques-unes  de  leurs  parties  façonnées  en  petits  pris- 
mes. Ces  blocs  isolés,  lancés,  dans  des  temps  bien  éloignés,  de 
l'intérieur  du  cratère ,  semblaient  avoir  été  posés  là  comme  avec 
la  main.  On  ne  voit  sur  cette  montagne  d'autre  végétal  que  la 


174  NOTES. 

violette  de  Teyde,  encore  y  est-elle  assez  rare;  mais  plus  haut 
on  trouve  des  spartium  rabougris  et  dont  les  branches  sont 
étendues  sur  la  terre.  Ils  donnent  abri  à  quelques  lapins  qui 
vivent  dans  ces  régions. 

Sur  les  cinq  heures  nous  étions  au  pied  du  dôme.  Nous 
pûmes  encore  le  gravir,  monter  pendant  une  demi-heure  jus- 
qu'au lieu  appelé  la  Station  des  Anglais  (Estancha  de  los  In- 
gleses).  Toutefois,  encore  que  le  sentier  allât  en  zigzag,  nos 
chevaux ,  enfonçant  dans  de  gros  fragmens  d'obsidienne ,  n'en 
pouvaient  plus ,  et  nous  fûmes  obligés  de  descendre.  C'est 
dans  cet  endroit  qu'on  doit  passer  la  nuit.  Cependant  on  peut 
encore  aller,  avec  les  chevaux ,  coucher  à  quelques  centaines 
de  pas  plus  haut,  à  Alta-Vista,  sous  des  blocs  arrondis  de 
basalte  ;  mais  la  disposition  naturelle  de  ceux  de  la  Station  des 
Anglais  est  plus  commode  et  l'espace  plus  grand.  On  n'y  est 
point  abrité  au-dessus,  et  un  vent  fort  et  par  raffales  y  souffle 
de  toutes  parts.  Nos  chevaux  déchargés ,  notre  premier  soin  fut 
de  faire  du  feu  dans  l'emplacement  où  nous  devions  dormir. 
Nous  nous  servîmes  des  restes  de  spartium  que  nous  pûmes 
trouver  près  de  nous,  et,  quoique  le  bois  fût  vert,  il  brûlait 
avec  la  plus  grande  facilité  en  jetant  de  longues  flammes  vives; 
ce  qui  contredit  manifestement  ce  que  rapportent  certains 
voyageurs  des  montagnes  d'Europe,  sur  lesquelles  la  combus- 
tion serait  lente  et  difficile.  Cependant  la  hauteur  à  laquelle 
nous  étions ,  environ  mille  six  cents  toises ,  égale  celle  de  nos 
montagnes  les  plus  élevées.  On  dit  aussi  que  la  raréfaction  de 
l'air  diminue  l'intensité  du  son.  Nous  ne  nous  en  sommes  point 
aperçus  en  tirant  un  coup  de  fusil;  et  nous  avons  éprouvé, 
pour  la  voix,  le  phénomène  contraire  à  un  très-haut  degré. 
Car,  m'étant  par  hasard  transporté  sur  une  roche  un  peu 
élevée  au-dessus  de  notre  camp ,  et  à  quarante  pas  environ  de 
distance,  j'entendais  MM.  d'Urville  et  Gaimard,  qui  causaient 
auprès  du  feu ,  comme  si  j'eusse  été  avec  eux.  J'en  fis  la  remar- 
que ;  ils  baissèrent  la  voix,  ainsi  que  moi ,  et  nous  finîmes  par 
converser  et  nous  entendre  tout-à-fait  à  voix  basse,  de  telle 


NOTES.  175 

manière  qu'en  plaine  il  eût  fallu  être  à  dis  pieds  les  uns  des 
autres  pour  nous  entendre. 

Après  souper,  nous  mîmes  des  vêtemens  plus  chauds  pour 
passer  la  nuit  auprès  de  notre  feu.  Nos  gens,  de  leur  côté  ,  en 
avaient  aussi  allumé.  Voici  quoi  fut  l'état  du  thermomètre  cen- 
tigrade. A  cinq  heures  et  demie  il  marquait  i5°;  à  sept  heures 
et  demie,  i  i°  8  ;  et  le  matin  ,  à  trois  heures  et  demie,  seule- 
ment 8°.  Il e&t probable  qu'au  milieu  de  la  nuit  il  avait  été  près 
de  zéro.  La  lumière  que  lançaient  les  étoiles  paraissait  singu- 
lièrement affaiblie.  Je  ne  pus  fermer  l'oeil  de  toute  la  nuit,  et 
cela  par  une  cause  dont  on  ne  pourrait  guère  se  douter,  par 
des  puces  dont  ce  lieu  était  plein.  MM.  Aubert  et  Bcrthclot 
avaient  aussi  éprouvé  la  même  incommodité  que  nous,  ou 
plutôt  que  moi;  car  mes  deux  compagnons  dormirent  bien. 
Seul  aussi  j'éprouvai  une  gène  dans  la  respiration  ,  qui  me  for- 
çait toutes  les  cinq  minutes  à  une  forte  et  grande  inspiration. 
De  ma  vie  je  n'avais  ressenti  ce  malaise,  qui  tenait  manifeste- 
ment à  une  moindre  pression  de  l'atmosphère  et  qui  disparut 
en  descendant.  Ne  pouvant  pas  dormir,  je  trouvai  plaisant 
d'écrire  de  ce  lieu  ,  et  au  crayon  ,  à  un  de  mes  amis  de  France. 
J'ignore  si  ma  lettre  lui  sera  parvenue. 

Dès  que  le  jour  parut,  à  quatre  heures,  tous  trois,  sans 
aucun  bagage  que  de  l'eau-de-vie  et  du  biscuit,  nous  suivîmes 
notre  bon  vieux  et  complaisant  guide  Antonio.  La  montée,  qui 
se  fait  entre  deux  larges  et  courtes  coulées  de  laves,  devient  de 
plus  en  plus  roide.  On  trouve  encore  parmi  les  obsidiennes 
vitreuses  et  fibreuses  quelques  bouquets  de  violette,  rares  à  la 
vérité  ;  mais,  arrivé  à  l'endroit  d'où  sont  sortis  les  deux  courans, 
toute  végétation  a  cessé,  et  l'on  ne  marche  plus  qu'en  passant 
d'un  bloc  de  roche  à  un  autre,  dont  quelques-uns  sont  quel- 
quefois vacillans.  Il  n'y  a  plus  de  sentier  tracé.  S'il  peut  y  avoir 
quelque  danger  à  monter  le  Pic,  ce  n'est  que  là;  et  ils  se 
bornent  aux  fortes  déchirures  et  contusions  qu'on  pourrait  se 
faire  en  glissant  dans  ces  anfractuosités.  Il  serait  peut-être  pos- 
sible de  s'y  casser  une  jambe ,   mais  jamais  d'y  disparaître  et 


176  NOTES. 

de  courir  risque  de  la  vie.  Ainsi  il  n'y  a  point  de  précipices  à 
craindre.  Tout  ce  qui  a  été  dit  à  ce  sujet  est  exagéré.  Nous  en 
avions  été  prévenus  d'avance  par  M.  Berthelot,  qui  nous  avait 
dit  au  juste  ce  qui  en  était  de  ces  prétendus  dangers.  Nous 
croyons  bien  ,  par  exemple  ,  qu'il  doit  être  difficile  de  passer, 
sans  quelques  chutes,  parmi  ces  pierres  amoncelées,  lorsqu'elles 
sont  en  partie  recouvertes  par  la  neige  ;  ce  qu'il  n'est  pas  facile 
de  constater  sans  en  approcher.  A  l'époque  à  laquelle  nous  y 
étions,  il  y  en  avait  encore  assez  abondamment  sous  les  pre- 
mières couches  de  lave.  Elle  était  en  assez  gros  flocons  cristal- 
lisés et  agglomérés.  Nous  en  mangeâmes.  Il  arrive  quelquefois, 
d'après  ce  qu'on  nous  a  dit ,  que  le  matin  ,  avant  qu'on  soit 
joint  par  le  soleil ,  le  froid  est  vif,  et  devient  insupportable  aux 
mains.  Pour  nous,  ce  ne  fut  qu'une  grande  fraîcheur.  Dans 
tous  les  cas ,  il  est  bon  d'avoir  des  gants. 

Nous  faisions  de  fréquentes  haltes  qui  me  convenaient  d'au- 
tant mieux,  qu'à  la  gêne  de  respirer  s'était  joint  un  malaise 
d'estomac  en  tout  semblable  au  terrible  mal  de  mer,  que  je 
m  efforçais  de  vaincre  vainement;  il  dura  tout  le  temps  que  je 
demeurai  dans  ces  hautes  régions.  Je  le  calmais  un  peu  en  man- 
geant de  temps  en  temps  des  biscotins  que  me  donnait  mon 
ami  Gaimard.  Plusieurs  personnes  ont  encore  éprouvé  ce  symp- 
tôme ,  qui  a  même  quelquefois  été  jusqu'au  vomissement.  Ainsi 
que  le  précédent,  je  ne  l'avais  jamais  éprouvé  sur  les  nom- 
breuses montagnes  que  j'avais  gravies.  Il  est  vrai  que  leur  hau- 
teur ne  dépassait  pas  sept  ou  huit  cents  toises. 

D'un  certain  point  notre  guide  aperçut  et  salua  le  cône  qui 
s'élève  du  milieu  du  grand  dôme  ,  et  qu'on  nomme  el Pilon.  Au 
sommet  de  ce  grand  dôme  est  une  sorte  de  petite  plaine  hérissée 
de  massifs  de  laves  basaltiques.  Du  milieu  de  quelques-unes  sor- 
tent des  vapeurs  aqueuses  et  très-chaudes,  et  des  mousses  tapis- 
sent ces  fissures  brûlantes.  De  là  nous  voyions  s'élever  devant 
nous  ce  piton  que  commençaient  adorer  les  premiers  rayons  du 
soleil,  et  dont  la  pente,  recouverte  de  petites  obsidiennes  mo- 
biles, était  plus  roide  encore  que  tout  ce  que  nous  venions  de 


NOTES.  177 

franchir.  Nous  y  parvînmes  en  nous  aidant  des  pieds  et  des 
mains.  A  la  base  on  enfonce  au-delà  des  chevilles;  mais  vers 
le  milieu  on  est  facilité  par  des  laves  basaltiques  plus  solides 
auxquelles  on  se  cramponne.  Tl  est  prudent  d'aller  tous  de 
front,  et  non  les  uns  au-dessus  des  autres,  afin  d'éviter  les 
pierres  plus  ou  moins  grosses  qu'on  fait  crouler  avec  les  pieds. 
Près  du  sommet  sont  de  petites  fumerolles  à  odeur  de  chlore  , 
dont  la  chaleur  permet  à  peine  d'y  tenir  la  main.  Enfin  nous 
arrivâmes  au  cratère,  qui  est  tout-à-fait  au  sommet  du  cône, 
à  six  heures  et  demie  ,  c'est-à-dire  deux  heures  et  demie  après 
notre  départ  de  la  couchée.  Le  ciel  était  pur,  sans  aucun  nuage, 
avec  cette  teinte  d'un  bleu  sombre,  propre  aux  grandes  hau- 
teurs. D'après  le  récit  de  divers  voyageurs,  on  y  ressent  tou- 
jours de  rapides  courans  d'air.  Un  vent  de  la  partie  du  nord , 
qui  soufflait  par  raffales,  interrompait  seul  le  calme  et  le  silence 
qui  régnait  dans  ces  lieux.  Quoique  la  température  fût  à  i3°, 
nous  ressentions  assez  de  froid  pour  rechercher  le  soleil.  A 
cet  effet ,  nous  descendîmes  au  fond  du  cratère  où  nous  déjeu- 
nâmes. 

Cet  entonnoir,  qui  semble  maintenant  réduit  à  sa  plus  petite 
expression,  occupe  tout  le  sommet  du  dôme;  il  se  dirige  obli- 
quement à  peu  près  du  nord  au  sud;  ses  parois  sont  irrégulières 
et  formées  de  gros  blocs  de  basaltes  blanchis  par  les  émanations 
sulfureuses.  On  ne  peut  y  pénétrer  commodément  que  par  le 
point  où  l'on  arrive  ;  encore  la  pente  intérieure  est-elle  rapide. 
Le  dedans  offre  un  assez  grand  nombre  d'ouvertures,  ou  fume- 
rolles, de  quelques  pouces  de  diamètre,  laissant  dégager  une 
grande  quantité  de  vapeurs  à  odeur  de  chlore.  Les  bords  de 
quelques-unes  sont  tapissés  de  cristaux  aciculaires  de  soufre, 
et  le  sol  est  en  partie  imprégné  de  cette  substance,  de  même 
que  d'efflorescences  assez  régulières  d'alumine  ,  et  peut-être  de 
sulfate  de  fer.  L'alumine  y  forme  aussi  une  pâte  blanche  sur 
laquelle  on  glisse.  Le  guide  nous  dit  que  les  vapeurs  étaient 
quelquefois  plus  intenses  et  sortaient  avec  bruit.  Celles  que 
nous  voyions  augmentèrent  et  diminuèrent  pendant  le  peu  de 


178  NOTES. 

temps  que  nous  y  séjournâmes.  A  sept  heures,  au  soleil,  le 
thermomètre  marquait  19°. 

C'est  de  ce  point  élevé  que  nous  pûmes  contempler  à  loisir 
cet  amoncellement  de  nuages,  qui,  ceignant  l'île  dans  tout  son 
contour  et  à  une  certaine  hauteur,  formaient  sous  nos  pieds  de 
vastes  plaines  d'un  blanc  cotonneux ,  nommées  avec  assez  de 
justesse  mer  de  nuages.  L'œil  se  reportait  toujours  avec  plaisir 
sur  ces  flocons  légers  qui  paraissaient  immobiles  dans  leurs  li- 
mites. Quelques-unes  des  hautes  montagnes  des  îles  environ- 
nantes pointaient  au  milieu  ;  et,  dans  quelques  ruptures  de  ces 
météores ,  nous  crûmes  quelquefois  apercevoir  la  mer  à  sa 
teinte  bleuâtre.  Si  nous  eûmes  ce  coup-d'ceil,  d'un  autre  côté 
nous  fûmes  privés  d'embrasser  l'ensemble  de  l'île.  A  la  droite, 
au-dessous  de  nous,  nous  vîmes  sur  un  sol  rougeâtre  plusieurs 
petits  cônes  de  neige  qui  n'était  pas  encore  fondue. 

Ce  n'est  que  du  sommet  du  Pic  de  Teyde,  qu'on  peut  se 
faire  une  idée  bien  exacte  de  la  formation  de  cette  montagne. 
Elle  paraît  si  simple ,  qu'au  premier  aspect  elle  frappera  tout 
observateur.  L'île  entière  est  volcanique  ,  et  divers  systèmes  de 
feu  ont  contribué  à  la  former.  Celui  du  Pic  a  été  le  plus  consi- 
dérable ,  et  la  base,  sur  laquelle  il  repose  sa  masse  ou  le  cône 
principal ,  a  été  elle-même  tout  un  immense  cratère  de  plu- 
sieurs lieues  de  diamètre.  En  effet,  tout  l'espace  connu  sous  le 
nom  de  Canadas  est  le  fond  plus  ou  moins  régulier  de  ce  cra- 
tère, d'où  on  voit  encore  des  débris  de  vastes  parois  parfaite- 
ment conservés  et  élevés  comme  des  murs.  Deux  brisures  , 
l'une  du  côté  de  l'Orotava ,  l'autre  par  Ico ,  ont  donné  lieu  à 
des  écoulemens  de  matière  en  fusion  ,  d'où  ont  été  formées  ces 
montagnes  d'élévation  secondaire  qui  s'appuient  sur  les  flancs 
de  la  base  du  Pic.  En  faisant  entrer,  comme  cela  doit  se  faire, 
les  siècles  dans  la  production  des  phénomènes  qui  nous  occu- 
pent ,  nous  aurons  les  mille  formes  et  directions  de  laves  qu'on 
trouve  dans  la  plaine  des  Canadas.  Mais  une  éruption,  plus 
puissante  que  toutes  les  autres  ,  a  fait  sortir  le  dôme  du  Pic 
avec  ses  basaltes  et  ses  obsidiennes.  Qui  sait  si  à  ces  époques  de 


NOTES.  179 

toute-puissance  qui  n'existent  plus,  ce  n'est  point  dans  l'espace 
de  quelques  jours,  dans  une  nuit  peut-être  ! 

Voilà  deux  montagnes  élevées  l'une  sur  l'autre.  Mais  ce 
dôme  était  lui-même  en  ignition.  lia  fourni  les  diverses  cou- 
lées qui  sillonnent  ses  flancs,  dont  deux  surtout  entre  lesquelles 
on  monte,  et  terminées  brusquement,  sont  plutôt  des  amas 
basaltiques  que  de  vraies  coulées.  Enfin  il  a  produit  de  la  même 
manière  qu'il  l'a  été  lui-même,  le  dernier  cône  ou  le  piton  qui, 
quelque  jour  peut-être,  remplira  son  cratère,  et  élèvera  un 
troisième  cône.  L'idée  aussi  simple  que  juste  qu'on  doit  se 
faire  de  cette  formation  ,  est  représentée  par  les  tuyaux  décrois- 
sans  d'une  longue  vue. 

Le  dernier  dôme  ou  le  piton  paraîtrait  avoir  principalement 
lancé  de  ces  petites  obsidiennes  pulvérulentes,  qu'on  pren- 
drait facilement  pour  des  ponces,  car  tout  le  sol  des  Canadas 
en  est  complètement  recouvert;  une  petite  montagne  sur  la- 
quelle on  passe  avant  que  de  monter  le  Pic  en  paraît  entière- 
ment formée,  et  on  en  trou\  (beaucoup  sur  le  Pic  même.  Là  elles 
sont  plus  volumineuses  et  souvent  unies  à  l'obsidienne  en  verre 
irisé  et  verdâtre  :  ce  qui ,  dans  le  même  morceau  ,  indique  des 
degrés  divers  de  fusion.  J'avais  beaucoup  amassé  de  ces  échan- 
tillons qui  doivent  être  rares  dans  les  collections;  le  guide  qui 
en  était  ebargé  les  perdit.  Cette  obsidienne  en  verre  dont  on 
trouve  d'assez  gros  morceaux,  variables  dans  leurs  teintes,  est 
remarquable  par  sa  fragilité.  En  général  toutes  les  laves  du 
Pic  se  distinguent  de  celles  qu'on  voit  à  Sainte-Croix,  en  ce 
qu'elles  ne  sont  point  poreuses  et  manquent  d'olivine  et  de  pé- 
ridot. 

N'ayant  point  parcouru  les  autres  parties  de  Ténériffc,  je 
me  suis  simplement  borné  à  donner  une  idée  générale  du  Pic 
et  des  moyens  d'y  monter.  Deux  savans  du  premier  ordre , 
MM.  Cordier  et  de  Buch ,  l'ayant  exploré  avec  soin,  ont  dû 
donner  à  ce  sujet  tous  les  renseignemens  géologiques  conve- 
nables. Toutefois  je  n'ai  point  encore  eu  connaissance  de  leurs 
relations. 

>■>' 


180  NOTES. 

C'est  à  tort  qu'on  prend  la  couleur  blanche  du  sommet  du 
Pic  pour  de  la  neige  ;  ce  n'est  que  celle  des  obsidiennes.  Si  on 
en  voit  quelquefois  dans  la  saison  où  il  en  tombe  ,  ce  ne  peut 
être  que  sur  les  flancs  du  grand  dôme. 

La  descente  del  Pilon  s'opère  avec  rapidité.  C'est  avec  plaisir 
qu'en  posant  le  pied  dans  ces  petites  obsidiennes  légères,  on  s'y 
enfonce  à  moitié  jambe.  Il  n'en  est  pas  de  même  dans  celles,  plus 
grosses ,  qu'on  trouve  après  avoir  franchi  les  blocs  de  basalte  , 
et  dont  quelques-unes  coupent  comme  le  verre  dont  elles  ont 
l'aspect.  Alors  il  est  bon  de  suivre  le  sentier  tracé.  Ne  le  faisant 
pas  toujours,  je  me  fis  en  tombant  quelques  coupures  aux 
jambes. 

Ayant  appris  et  lu,  dans  des  relations,  que  les  chaussures 
étaient  brûlées  au  sommet  de  la  montagne  parles  vapeurs  sul- 
fureuses, et  mises  en  pièces  par  les  rochers ,  nous  nous  en  étions 
pourvus  de  rechange  :  c'était  bien  inutile,  les  nôtres  ne  furent 
pas  le  moins  du  monde  endommagées  par  le  feu  ,  et  seulement 
un  peu  limées  par  les  obsidiennes.  Elles  ont  servi  beaucoup  de 
temps  encore  à  d'autres  courses.  Il  est  bon  d'avoir  des  demi- 
guêtres  en  peau  ou  en  toile  pour  prévenir  l'entrée  des  petites 
pierres  dans  les  souliers. 

J'allais  oublier  de  parler  de  la  Caverne  des  Neiges  (Cueva  de 
las  Nievcs)  que  nous  visitâmes  au  retour.  Comme  elle  est  pres- 
que sur  la  route,  sur  les  flancs  du  grand  dôme,  on  peut  aussi 
bien  le  faire  en  allant.  Elle  est  formée  de  grands  blocs  basalti- 
ques entassés  les  uns  sur  les  autres,  sans  beaucoup  d'ordre. 
Elle  est  spacieuse;  son  entrée  droite  et  profonde  a  douze  à 
quinze  pieds.  On  m'y  descendit  avec  une  corde.  J'y  trouvai  de 
la  neige  et  une  assez  grande  quantité  d'eau  gelée  jusqu'à  la  su- 
perficie. De  très-belles  et  grosses  stalactites  de  glace  pendaient 
à  la  voûte,  et,  pendant  que  je  recueillais  des  conferves  dans  de 
l'eau  à  la  température  de  zéro',  le  soleil  qui  pénétrait  par  l'ou- 
verture me  brûlait  le  dos.  Quoique  ce  soit  là  qu'on  vienne 
quelquefois  chercher  la  glace  dont  on  sesertàla  ville  de  Sainte- 
Croix  ,  on  ne  s'est  point  encore  avisé  d'y  placer  une  échelle  à 


NOTES.  181 

demeure  au  lieu  des  bâtons  qu'on  laisse  pour  y  descendre. 
A  six  heures  nous  étions  de  retour  à  l'endroit  où  nous  avions 
eouché,  el  ,  comme  nos  chevaux  n'avaient  eu  que  peu  à  boire 
avec  l'eau  que  nous  avions  apportée,  et  presque  point  à  manger, 
qu'une  petite  quantité  d'avoine,  nous  nous  mîmes  en  route  et 
gagnâmes  tout  d'un  trait  la  station  del  Pino  ,  dans  les  nuages, 
et  qui  se  trouve  près  de  l'Orotav  a.  Avant  que  d'y  atteindre,  nous 
eûmes  un  mirage  assez  fort  pour  prendre  des  chèvres  pour  des 
chevaux.  Ces  animaux  vivent,  dans  ces  solitudes  ,  dans  un  état 
demi  sauvage.  Ils  vont  jusqu'aux  Canadas,  et  l'on  peut  même 
en  tuer  pour  manger  sur  le  Pic  sans  que  les  propriétaires  le 
trouvent  très-mauvais,  lorsqu'ils  viennent  à  le  savoir.  A  cl 
Pino  nous  dînâmes,  et  nos  chevaux  trouvèrent  de  l'eau  et  de 
l'herbe;  puis  nous  descendîmes  jusqu'à  l'Orotav  a  en  chassant. 
Le  pav  é  était  tellement  en  pente  et  glissant  que  sur  des  che\  aux 
fatigués  nous  ne  voulûmes  pas  nous  hasarder  à  le  parcourir. 
Pas  un  d'eux  ne  broncha  cependant.  Des  hauteurs,  aussitôt 
qu'on  a  laissé  les  nuages,  le  coup-d'œil  est  charmant.  C'était 
fête  ce  jour-là  à  la  ville,  aussi  eûmes-nous  à  en  traverser  toute 
la  population.  Nous  couchâmes  chez  M.  Berthelot  qui ,  le  len- 
demain, voulut  bien  nous  accompagner  à  Sainte-Croix,  et 
passer  le  jour  suivant  avec  nous  à  bord.  Nous  laissâmes  à  l'Oro- 
tav a  notre  guide  du  Pic',  qui  nous  demanda  neuf  piastres. 
Nous  dînâmes  à  l'hôtel  de  Matanza ,  et,  arrivés  en  cet  endroit 
de  la  route  qui  est  traversé  par  un  aqueduc  en  bois  supporté 
par  des  pieux,  M.  Berthelot  nous  dit  que  nous  n'étions  qu'à 
cinq  cents  pas  d'une  grande  forêt,  et  cependant  nous  ne  voyions 
point  d'arbres.  Mais  en  s'élevant  un  peu  sur  la  droite  nous 
aperçûmes  celle  qu'on  nomme  d'Aguas-Garcias.  Elle  est  magni- 
fique, et  ressemble  aux  forêts  vierges  d'Amérique.  Il  y  a  des 
arbres  très-gros;  ceux  de  l'entrée  sont  des  bruyères  d'une  gros- 
seur et  d'une  élévation  telles  que  je  n'en  avais  point  encore  vu 
de  semblables.  C'est  le  seul  lieu  de  notre  course  où  nous  trou- 
vâmes  un  petit  ruisseau  coulant  sur  les  pierres  d'un  ravin.  En 
général,    l'eau    manque   à  Ténérilr'e.    Nous   v    trouvâmes   des 


182  NOTES. 

parmacelles  et  une  ancille  qui  formera  certainement  une  es- 
pèce nouvelle. 

Dans  la  route  nous  prîmes  sur  le  Carduus-Mariana  beaucoup 
de  papillons  cardinaux ,  belle  espèce  rare  et  imparfaite  dans 
les  parties  méridionales  de  la  France.  Enfin,  le  soir,  assez  tard, 
chargés  de  roches  et  de  plantes ,  et  surtout  très-fatigués ,  nous 
allâmes  coucher  à  bord  de  la  corvette  ,  après  quatre  jours  d'ab- 
sence ,  temps  strictement  nécessaire  pour  le  voyage  du  Pic.  En 
demeurant  un  jour  de  plus  à  l'Orotava,  en  descendant,  on  se 
reposerait  convenablement. 

L'ensemble  du  voyage  a  coûté  quatre  cents  francs,  y  com- 
pris les  guides  et  la  nourriture  des  hommes  et  des  chevaux,  ce 
qui  était  réglé  à  chaque  halte,  et  ce  dont  les  conducteurs  étaient 
chargés  de  s'occuper.  Sans  l'hospitalité  que  nous  trouvâmes 
chez  M.  Berthelot,  les  frais  eussent  dépassé  cinq  cents  francs. 
Encore  ne  faut-il  pas  faire  entrer  en  compte  les  vivres  que  nous 
avions  en  assez  grande  quantité.  Ce  sont  les  Anglais,  habitués 
à  répandre  l'argent  avec  profusion  ,  qui  font  monter  si  haut 
les  dépenses  de  ces  courses  ;  car  les  vivres  et  les  autres  denrées 
sont  à  assez  bon  compte ,  et  Ténériffe ,  où  les  fortunes  sont  mé- 
diocres ,  est  loin  d'avoir  le  luxe  des  colonies. 

(Journal  de  M.  Quoj.^ 

page  58. 

Les  bœufs  et  les  légumes  y  sont  à  bon  compte , 
et  le  prix  de  la  volaille  le  même  qu'à  Ténériffe. 

Le  27  nous  eûmes  connaissance  des  îles  du  Cap-Vert  (celles 
de  Buena-Vista ,  de  Sal  et  de  Mai),  et  le  29  nous  mouillâmes 
sur  celle  de  Santiago  (Saint-Jacques),  dans  le  fort  de  la  Praya, 
lieu  d'un  aspect  affreux,  formé  de  rochers  abruptes  et  de  laves 
noires  dépourvues  de  végétation.  La  ville,  qui  apparaît  au 
fond  de  la  baie ,  est  assise  sur  un  de  ces  rochers  ;  et,  après  être 


NOTES.  183 

débarqué  ,  il  faut  faire  un  assez  grand  contour  pour  y  arriver. 
C'est  tout  ce  que  nous  avons  à  dire  d'un  lieu  qu'une  courte  re- 
lâche nous  a  empêché  d'explorer;  mais  la  grandeur  de  l'île  et 
la  hauteur  des  montagnes  font  présumer  qu'ainsi  qu'à  Téné- 
riffe ,  les  sites  intérieurs  doivent  être  plus  agréables.  Nous 
croyions  aussi  trouver  les  vivres  à  meilleur  compte  que  nous  ne 
les  eûmes.  11  n'y  avait  cependant  que  quelques  navires  sur  la 
rade,  au  nombre  desquels  s'en  trouvait  un  avec  pavillon  anglais, 
que  nous  crûmes  être  celui  du  capitaine  King;  mais,  par  une 
seconde  fatalité,  il  était  parti  depuis  deux  ou  trois  jours.  C'était 
le  capitaine  Owen,  qui,  depuis  quatre  ans,  était  occupé  de  la 
géographie  de  Madagascar  et  de  toute  la  côte  d'Afrique,  qui 
s'étend  depuis  ce  point  jusqu'au  Sénégal.  Pendant  la  durée  de  ce 
travail  immense,  eccommandantavait  perdu  quarante  officiers  et 
cent  cinquante  matelots.  A  mesure  qu'il  en  avait  besoin,  il  allait 
se  recruter  sur  les  navires  qui  passaient  à  l'Ile-de-France;  et 
ceux  qui  lui  restaient  à  cette-  époque  étaient  tous  de  très-jeunes 
gens.  De  nos  messieurs  qui  ont  vu  des  travaux  de  cette  expé- 
dition, les  trouvent  parfaits  et  exécutés  avec  tout  le  soin  et  la 
ténacité  que  savent  y  mettre  les  Anglais.  Ce  sentiment  est  celui 
de  M.  d'Urville  et  de  trois  de  nos  officiers,  qui,  dans  notre 
marine,  sont  au  nombre  de  ceux  qui  ont  probablement  fait  le 
plus  de  bonne  géographie.  Le  capitaine  Owen  ,  travaillant  en 
partie  pour  la  Compagnie  des  Indes,  sera  ,  nous  dit-on  ,  à  son 
retour  récompensé  de  ses  dangers  et  de  ses  travaux  par  une 
somme  de  cent  vingt  mille  francs.  C'est  un  homme  qui  paraît 
dune  grande  simplicité  de  mœurs;  et  lorsqu'il  vint ,  dans  son 
petit  canot,  visiter  notre  commandant ,  à  la  longue  barbe  qu'il 
portait  lui  et  ses  hommes,  on  eut  de  la  peine  à  reconnaître  un 
capitaine  de  vaisseau  anglais  chargé  d'une  semblable  mission. 
Mais  dans  .  une  pareille  dépense  et  une  si  grande  perte 
d'hommes,  on  n'avait  pas  mis  tout  à  profit  et  su  tirer  parti 
d'une  semblable  expédition,  en  négligeant  d'y  adjoindre  des  na- 
turalistes et  des  personnes  chargées  d'observer  les  moeurs  des 
peuplades  nombreuses  avec  lesquelles  on  communiquait;  car 


184  NOTES. 

il  n'existe  sans  doute  aucune  mer  plus  riche  en  zoophytes  et 
en  animaux  marins  de  toute  espèce.  Il  est  vrai  qu'ayant  perdu 
quarante  officiers,  combien  n'aurait-il  pas  fallu  de  naturalistes, 
qui  sont  plus  exposés  encore  par  la  nature  de  leurs  recherches! 
Quand  j'en  témoignai  mon  élonnement  à  M.  Owcn,  il  répondit  : 
«  On  n'a  pas  jugé  convenable  de  me  donner  des  naturalistes.  » 
Ce  qui  me  fait  croire  que  ses  travaux  sei  ont  purement  et  simple- 
ment géographiques.  Du  reste,  l'Angleterre,  n'ayant  pas  comme 
nous  de  centre  pour  ces  sortes  d'études  ,  paraît  les  négliger,  ou 
du  moins  ne  s'en  occuper  que  d'une  manière  secondaire  ;  car 
le  capitaine  King  n'avait  pas  non  plus  de  naturalistes  dans  son 
dernier  voyage  au  cap  Horn.  C'était  lui  qui  se  chargeait  de- 
récolter  le  plus  qu'il  pouvait. 

M.  Owen  dit  avoir  pénétré  bien  avant  dans  une  grande  ri- 
vière, et  avoir  été  obligé  de  se  battre  contre  les  sauvages  afri- 
cains. Il  louait  les  travaux  hydrographiques  de  M.  Roussin  sur 
la  côte  d'Afrique.  Le  capitaine  anglais  avait  toujours  eu  ,  pour 
faire  les  siens ,  deux ,  et  même  ,  je  crois ,  trois  navires.  Il  atten- 
dait sa  conserve  pour  gagner^sa  patrie. 

Dans  le  peu  d'instans  que  je  demeurai  à  terre ,  je  vis  un  oi- 
seau de  proie  à  cou  blanc  et  un  martin-pêcheur ,  que  je  ne  pus 
me  procurer,  et  que  je  signalerai  comme  étant  peut-être  des. 
espèces  nouvelles.  J'y  remarquai  aussi  de  gros  corbeaux  noirs. 

Nous  ne  demeurâmes  pas  un  jour  entier  à  la  Praya,  que 
nous  laissâmes  le  3o  juin  au  matin  ,  après  y  avoir  fait  une  assez 
bonne  collection  de  poissons  riches  en  couleurs. 

(Journal  de  M.  Quoy.} 

page  71 . 

Et  nous  gouvernâmes  ensuite  au  sud  avec  une  forte 
brise  d'E.  S.  E. ,  et  une  grosse  mer. 

Le  3i  juillet  de  grand  matin,  nous  voyons  les  rochers  élevés 


NOTES.  185 

de  Marti n -Vaz ,  et  bientôt  après  nous  nous  rapprochons  de  la 
Trinité,  de  manière  à  en  faire  le  tour  et  la  géographie  complète. 
Cette  île,  qui  n'a  que  quelques  milles  de  circonférence,  est 
assez  élevée  et  ne  présente  aucun  port.  Plusieurs  de  ses  points 
sont  très-certainement  volcaniques;  mais  je  n'assure  pas  qu'il 
en  soit  de  même  de  quelques-uns  de  ses  pitons,  un  sur- 
tout qui  s'élève  du  bord  de  la  mer  comme  un  long  cylindre 
isolé.  Nous  y  vîmes  des  Fous /des  Frégates,  dont  on  se  pro- 
cura deux,  et  un  grand  nombre  d'Hirondelles  de  mer  blanches, 
qui  paraissent  semblables  à  celles  du  Grand-Océan. 

(Journal  de  M.  Quoy.^ 


Et  qui  ont  pénétre  dans  toutes  les  parties  du  na- 
vire. 

Le  i5,  tempête  de  S.  0.;  le  vent  ne  mugissait  pas,  mais 
hurlait  dans  les  manœuvres.  Nous  étions  poussés  heureusement 
dans  une  direction  qui  nous  était  assez  favorable.  Les  jours 
Buivans  grosse  mer  et  mauvais  temps. 

(Journal  de  M.  Quoy.  ) 

PAGE    83. 

Notre  horizon  s'étendait  au  plus  à  un  mille  dans 
les  instans  les  plus  lucides. 

Le  21  septembre,  nous  espérions,  après  une  aussi  longue 
traversée,  être  récrées  par  la  vue  de  l'île  Saint-Paul  que  nous 
annonçaient  des  fucus  et  de  nombreux  albatros  fuligineux  ; 
mais  un  brouillard  épais  empêcha  de  la  reconnaître.  Un 
homme  du  bord  nous  dit  que  de  l'Ile-de-France  on  y  envoie 


186  NOTES. 

quelquefois  pour  la  pêche  de  la  morue.  Est-ce  réellement  de  la 
morue  ?  Et,  dans  le  cas  contraire,  quelle  est  cette  espèce  si  abon- 
dante de  poisson? 

(Journal  de  M.  Çwoy.) 

page  97. 

Ils  étaient  très-contens  de  leur  nuit  et  de  leurs 
communications  avec  les  naturels. 

Le  11  octobre,  le  commandant  nous  accorda  la  permission 
d'aller  coucber  sous  la  tente  que  nos  voiliers  occupaient  à  terre; 
nous  voulions  le  lendemain  commencer,  à  la  pointe  du  jour, 
une  promenade  dans  les  forêts.  Il  était  six  heures  du  soir  lorsque 
MM.  Gaimard  ,  Guilbert  et  moi,  nous  descendîmes  dans  le  ca- 
not ;  l'obscurité  commençait,  et  la  pluie  tombait  avec  assez  de 
force.  Un  naturel,  qui  avait  passé  la  journée  à  bord,  désira 
profiter  de  notre  embarcation  pour  quitter  le  navire.  Durant 
le  trajet ,  ce  pauvre  homme,  bien  que  garanti  par  les  vêtemcns 
que  les  matelots  lui  avaient  donnés ,  paraissait  souffrir  du 
froid,  et  s'apercevant  que  M.  Gaimard  allait  tendre  son  para- 
pluie ,  il  vint  aussitôt  se  blottir  près  de  lui. 

Notre  débarquement  offrit  quelques  difficultés;  une  grosse 
houle  battait  les  rochers  de  la  pointe  à  laquelle  nous  allâmes 
aborder.  Nous  n'étions  pas  à  une  grande  distance  de  la  tente, 
mais  au  milieu  des  ténèbres  qui  régnaient  alors  nous  aurions 
pu  nous  égai'er.  Nous  chargeâmes  donc  notre  indigène  de  nous 
guider;  il  parut  comprendre  nos  signes,  et  se  mit  à  marcher  assez 
rapidement  devant  nous  en  nous  adressant  sans  cesse  des  paroles 
que  nous  prîmes  pour  des  indications  complaisantes  sur  le  che- 
min que  nous  devions  tenir.  Un  petit  marécage  se  rencontra 
bientôt  ;  nous  vîmes  alors  notre  guide,  pour  le  traverser,  ôter  les 
souliers  qu'on  lui  avait  donnés  à  bord ,  et  relever  soigneuse- 
ment le  pantalon  qu'il  portait.  Lorsque  nous  jugeâmes  que  le 


NOTES.  187 

terme  de  notre  course  n'était  pas  éloigné,  nous  poussâmes 
quelques  cris  auxquels  un  assez  grand  nombre  de  voix  répon- 
dirent; le  naturel  avant  crié  à  son  tour  d'une  façon  particu- 
lière, nous  entendîmes  des  acclamations  de  joie  et  d'étonné- 
ment ,  et  peu  d'instans  après  en  perçant  quelques  broussailles 
nous  étions  en  présence  des  sauvages. 

Une  douzaine  d'hommes  et  deux  jeunes  garçons  étaient  de- 
bout autour  d'un  feu.  Dès  qu'ils  nous  découvrirent ,  les  cris  re- 
commencèrent ;  mais  lorsqu'ils  vinrent  à  distinguer  leur  com- 
patriote couvert  de  vètemens  ,  et  décoré  de  colliers ,  de  miroirs, 
enfin  de  mille  bagatelles  dont  on  lui  avait  fait  présent,  il  n'v 
eut  plus  de  bornes  à  leur  gaieté.  Tousse  mirent  à  hurler  et  à 
chanter  à  la  fois,  et  c'était  un  spectacle  du  plus  étrange  effet, 
que  ces  êtres  noirs  et  maigres  éclairés  par  le  reflet  des  flammes , 
s'agitant,  sautant,  et  poussant  des  sons  qui  ressemblaient  à  des 
aboiemens.  De  temps  en  temps  un  cri  aigu  et  général  paraissail 
servir  de  refrain  à  leurs  chants,  car  toutes  les  voix  s'accordaient 
pour  le  pousser,  et  il  était  suivi  d'une  courte  pause.  Notre 
sauvage,  cependant,  était  fêté  ,  caressé,  examiné  par  ses  amis; 
chaque  fois  qu'une  nouvelle  merveille  frappait  leurs  regards , 
les  transports  renaissaient  plus  vifs  et  plus  bruyans  encore  :  et 
lui,  pour  répondre  à  tant  de  politesse,  poussait  de  longs  éclats 
de  rire  ,  et  s'unissait  d'une  façon  très-énergique  au  bruit  assour- 
dissant de  la  joie  commune.  (PI.  23). 

A  ce  tumulte  inusité ,  nos  voiliers  et  nos  soldats  qui  habi- 
taient la  tente  jugèrent  qu'il  se  passait  quelque  événement  ex- 
traordinaire ;  ils  accoururent  sur  le  lieu  de  la  scène  comme 
pour  ajouter  un  contraste  piquant  à  ce  bizarre  tableau.  Enfin, 
la  lassitude  parut  mettre  fin  à  ce  délire  général ,  et  nous  nous 
acheminâmes  vers  la  tente  afin  d'y  préparer  les  places  que  nous 
voulions  occuper  durant  la  nuit. 

Sept  indigènes  se  détachèrent  bientôt  du  groupe  principal , 
et  vinrent  établir  leur  siège  non  loin  de  notre  factionnaire.  Ils 
choisirent  suivant  leur  usage  l'abri  d'un  buisson  touffu  ,  et  s'ac- 
croupirent autour  du  feu  alimenté   sans  cesse  par  de  petites 


188  NOTES. 

branches  de  bois  sec  qu'ils  trouvaient  à  leur  portée.  Les  voyant 
si  près  de  nous  ,  nous  leur  témoignâmes  le  désir  d'augmenter 
leur  cercle;  cette  proposition  fut  accueillie  avec  empressement, 
ils  nous  firent  place,  et  alors  commença  pour  nous  une  scène 
singulière,  fertile  en  émotions  neuves,  et  dont  on  chercherait 
en  vain  l'équivalent  dans  ces  spectacles  que  la  civilisation  a 
inventés  pour  amuser  l'esprit. 

C'est  une  singulière  destinée  que  celle  qui  rassemble  autour 
du  même  foyer  des  habitans  si  différens  du  même  globe.  Nous 
faisions  involontairement  cette  réflexion  qui  en  aurait  amené 
bien  d'autres  si  nos  hôtes  ne  nous  en  eussent  détournés.  Peu  oc- 
cupés d'idées  philosophiques,  ils  obéissaient  en  ce  moment  aux 
impressions  toutes  physiques  qui  agissaient  sur  eux.  Leurs  yeux 
brillans  et  expressifs  nous  observaient  avec  curiosité ,  et  par- 
couraient toutes  nos  personnes.  Leurs  mains  dures  et  maigres 
touchaient  alternativement  nos  vêtemens  et  notre  peau,  et 
chaque  parole  que  nous  prononcions  excitait  leur  étonnement 
et  provoquait  leur  rire.  Un  des  moyens  naturels  d'entrer  avec 
eux  en  conversation  était  de  leur  dire  nos  noms  et  d'apprendre 
les  leurs.  Il  fallut  bien  des  répétitions  avant  qu'ils  parvinssent 
à  articuler  des  mots  pour  lesquels  leurs  organes  semblent  insuf- 
fisans.  Les  s  et  les  r  surtout  échappaient  à  leur  prononciation  ; 
enfin  ,  ils  réussirent  pourtant  à  retenir  nos  noms  qu'ils  défi- 
guraient à  leur  manière.  M.  Gaimard  se  nommait  Kaimay 
M.  Guilbert  Kilberé ,  notre  maître  voilier,  Audibert,  se  nom- 
maitpoureux  Ouadibé; quant  à  moi,  ils  m'appelaient  Tainton. 

On  pense  bien  que  toutes  ces  épreuves  n'avaient  pas  lieu  sans 
beaucoup  de  bruit  et  de  gaieté.  A  peine  connurent-ils  nos  noms, 
qu'ils  voulurent  tous  à  la  fois  nous  dire  ceux  qu'ils  portaient 
eux-mêmes.  Le  plus  âgé  du  groupe,  assis  près  de  M.  Gaimard  , 
se  nommait  Patêt  (PI.  11).  Son  air  était  grave  et  réfléchi,  ses 
yeux  intelligens;  son  corps,  calleux  aux  articulations,  était 
couvert  de  poussière  ,  et  d'une  saleté  repoussante.  Un  homme  , 
encore  jeune  ,  qui  paraissait  affectionner  particulièrement 
M.  Guilbert,  se  nommait  Mokoré  (PI.  11);  il  avait  une  phy- 


NOTES.  180 

sionomic  ouverte  et  les  manières  plus  vives  qu'aucun  de  ses 
compagnons.  J'eus  le  chagrin  de  ne  pouvoir  entendre  en  au- 
cune façon  le  nom  que  portait  mon  voisin  ;  il  était  composé  de 
syllabes  sourdes  et  gutturales,  et  mon  interlocuteur  aimait  tant 
à  causer,  qu'il  me  fut  impossible  de  rien  saisir  dans  le  flux  de 
paroles  dont  il  accompagnait  ses  explications. 

Un  enfant  de  douze  à  treize  ans  se  nommait  Yalepouol 
(PI.  il);  il  nous  lit  entendre  d'une  façon  fort  plaisante  que 
Patêt  était  son  père.  Cet  enfant  faisait  à  lui  seul  autant  de  bruit 
que  tous  les  autres  ensemble;  sa  petite  voix  aigre  et  glapissante 
dominait  toutes  celles  de  l'assemblée,  et  ses  discours  ne  taris- 
saient point. 

Nous  comprîmes  bientôt  que  nos  hôtes  voulaient  changer 
leurs  noms  contre  les  nôtres.  Cette  coutume  que  les  voyageurs 
ont  trouvée  répandue  dans  les  archipels  du  Grand-Océan ,  eut 
lieu  de  nous  étonner  chez  ces  pauvres  humains  qui  semblent  -i 
mal  partagés  sous  le  rapport  de  l'intelligence.  Elle  annonce 
un  état  de  société  déjà  perfectionné  ,  et  nous  ne  pouvions  pas 
nous  attendre  à  la  trouver  établie  dans  une  horde  errante  de  ce 
pays  sauvage.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  changement  eut  lieu  à  leur 
grande  satisfaction,  et  plusieurs  d'entre  eux  chantèrent,  à  cette 
occasion  ,  des  chansons  où  nous  pûmes  reconnaître  nos  noms. 
Un  jeune  homme  de  la  troupe  paraissait  jouir  parmi  ses  compa- 
gnons de  quelque  célébrité  poétique ,  car  lorsqu'il  commen- 
çait à  chanter,  le  silence  s'établissait,  et  de  temps  en  temps  un 
murmure  flatteur  semblait  l'applaudir.  Leur  chant  monotone 
et  d'un  caractère  triste  commence  par  des  notes  élevées ,  re- 
tombe graduellement  dans  un  ton  grave  et  sourd  qui  s'affaiblit 
insensiblement  et  finit  par  un  long  murmure  auquel  tous  les 
assistans  se  joignent  à  l'unisson.  M.  Guilbert  et  moi ,  nous  leur 
chantâmes  un  air  fort  gai  à  deux  voix ,  et  nous  eûmes  lieu  de 
nous  enorgueillir  de  notre  succès ,  car  non-seulement  ils  obscr- 
vèrent  le  plus  grand  silence,  mais  à  la  fin  de  la  chanson  ils 
daignèrent  nous  applaudir  par  leurs  cris  et  leurs  batlcmens  de 
mains.  Cette  dernière  façon  d'exprimer  le  contentement,  usitée 


190  NOTES. 

aussi  dans  notre  Europe ,  fut  encore  pour  nous  un  sujet  d'é- 
tonnement  chez  ce  misérable  peuple. 

Pendant  que  tout  cela  se  passait,  le  vocabulaire  de  M.  Gai- 
mard  s'enrichissait  d'un  bon  nombre  de  mots  qui  ne  peuvent 
laisser  aucun  doute;  car  les  moyens  ne  nous  manquaient  pas 
de  renouveler  nos  épreuves,  et  la  bonne  volonté  de  nos 
hôtes,  quoiqu'un  peu  bruyante ,  nous  secondait  à  merveille. 

Nos  communications  avec  ces  indigènes  nous  avaient  assez 
appris  jusque-là  qu'ils  se  souciaient  peu  de  laisser  voir  leurs 
femmes  aux  étrangers.  Nos  nouvelles  instances ,  dans  cette 
soirée ,  furent  éludées  par  une  promesse  qu'ils  nous  firent  pour 
le  lendemain ,  et  qu'ils  avaient  certainement  l'intention  de  ne 
pas  tenir.  A  leur  tour  ils  nous  demandèrent  avec  les  gestes  les 
plus  .significatifs  ,  si  nous  étions  réellement  tous  du  même  sexe. 
Notre  réponse  affirmative  ne  parut  pas  les  convaincre ,  car  ils 
s'adressèrent  assez  vivement  à  M.  Guilbert  et  à  moi  comme 
pour  éclaircir  leurs  doutes.  Notre  jeunesse  et  nos  mentons 
rasés  nous  rendirent  probablement  l'objet  de  cette  galante 
curiosité.  Quant  à  M.  Gaimard  qui  portait  d'épaisses  mousta- 
ches et  des  favoris,  sa  dignité  d'homme  ne  lui  fut  nullement 
contestée. 

Nos  amis  nous  demandèrent  la  permission  de  relever  nos 
manches  et  nos  pantalons.  La  contexture  de  nos  vêtemens  les 
arrêta  d'abord ,  et  en  les  examinant  avec  soin  ils  répétaient  le 
motkingarou.  Ce  mot  exprimait  sans  doute  une  opinion  très- 
conséquente  dans  leurs  idées,  car,  puisque  le  quadrupède  qu'ils 
désignaient  leur  fournit  leur  unique  vêtement,  il  s'ensuit  tout 
naturellement  pour  eux  que  les  hommes  blancs  ont  aussi  quel- 
que kingarou  dont  les  dépouilles  servent  au  même  usage. 

La  grosseur  de  nos  membres  paraissait  les  étonner,  eux  dont 
la  charpente  grêle  est  revêtue  de  muscles  si  débiles  ;  mais  ce 
qui  semblait  surtout  charmer  leurs  regards,  c'était  la  blan- 
cheur de  notre  peau.  Ils  nous  caressaient  légèrement  et  pro- 
nonçaient de  ces  mots  doux  et  flatteurs  qui  dans  toutes  les  lan- 
gues expriment  des  sensations  agréables.  Notre  couleur  est-elle 


NOTES.  191 

réellement  pour  eux  un  objet  d'admiration?  C'est  une  question 
que  nous  n'osons  pas  résoudre,  bien  que  leurs  démonstrations 
nous  fassent  peneher  pour  l'affirmative. 

Nous  remarquâmes  en  général  parmi  nos  hôtes  des  manières 
douces  et  paisibles  ;  ils  étaient  bruyans,  mais  leurs  imporlunités 
cessaient  au  moindre  geste  que  nous  faisions.  Malgré  l'esiguité 
de  leur  vêtement  qui  leur  couvre  à  peine  les  reins,  nous 
crûmes  reconnaître  en  eux  des  habitudes  de  pudeur,  ou  du 
moins  une  décence  naturelle  qui  paraissait  voiler  en  quelque 
sorte  ce  que  leur  nudité  a  de  choquant  pour  nous. 

La  soirée  s'avançait  et  la  gaieté  cédait  peu  à  peu  au  besoin 
du  sommeil  ;  nous  nous  levâmes  alors  pour  regagner  la  tente 
sans  qu'aucun  indigène  tentât  de  nous  y  suivre. 

Vers  le  milieu  de  la  nuit,  pendant  que  nous  reposions  sur 
les  voiles  étendues  dans  la  tente,  nous  entendîmes  encore  les 
chants  tristes  et  monotones  d'un  homme  et  de  l'enfant  Yale- 
pouol.  Vers  deux  heures  du  matin  tout  était  endormi  :  les 
sauvages  accroupis,  le  menton  sur  les  genoux,  étaient  serrés 
l'un  contre  l'autre  pour  résister  au  froid  ,  et  ne  remplissaient 
dans  cette  posture  qu'un  très-petit  espace.  Le  feu  ne  jetait 
plus  qu'une  sombre  lueur,  et  le  silence  qui  régnait  sur  toute 
la  côte  à  cette  heure  avancée ,  contrastait  avec  les  éclats 
joyeux  dont  quelques  heures  auparavant  ces  solitudes  avaient 
retenti. 

A  la  naissance  du  jour  quatre  indigènes  seulement  rani- 
maient les  restes  du  feu  ;  ils  paraissaient  transis  de  froid,  et 
leur  visage  n'offrait  plus  que  l'expression  stupide  de  l'engour- 
dissement. A  peine  répondirent-ils  quelques  mots  à  nos  ques- 
tions. Lorsque  nous  leur  rappelâmes  l'engagement  qu'ils 
avaient  pris  de  nous  conduire  vers  leurs  femmes  ,  ils  gardèrent 
le  silence,  et  enfin  ils  nous  laissèrent  entrer  dans  le  bois  sans 
paraître  s'apercevoir  que  nous  les  quittions. 

Nous  passâmes  la  journée  dans  les  forêts ,  nous  y  fîmes  la 
rencontre  de  trois  naturels  qui  nous  accompagnèrent  assez 
long-temps.  Notre  chasse  ne  fut  point  heureuse  ,  nous  ne  vîmes 


192  NOTES. 

qu'un  casoar  de  très-haute  taille  que  nous  poursuivîmes  sans 
l'atteindre.  A  cinq  heures  nous  rentrions  à  hord. 

{Journal  de  M.  Sainson.) 

Leshabitans  du  port  du  Roi-Georges,  comme  tous  ceux  des 
plages  de  la  Nouvelle-Hollande  ,  sont  peu  nombreux  et  divisés 
en  petites  tribus  dont  chacune  paraît  composée  au  plus  d'une 
vingtaine  d'individus.  Nous  ne  les  avons  point  vus  entièrement 
réunis.  Les  groupes  les  plus  nombreux  avec  lesquels  nous 
avions  communiqué  comptaient  à  peine  douze  à  quinze  hommes 
et  quelques  enfans  de  dix  à  douze  ans  ,  qui  pouvaient  les 
suivre  dans  leurs  courses.  Les  femmes  n'étaient  jamais  avec 
eux;  et  nous  sommes  fondés  à  croire  que,  par  crainte  ou  par 
jalousie,  ils  les  cachaient  avec  soin.  Il  paraît  même  qu'elles 
habitent  assez  loin  des  bords  de  la  mer. 

Le  caractère  de  physionomie  de  ces  hommes  nous  semble  à 
peu  près  le  même  dans  toute  la  Nouvelle-Hollande,  autant 
qu'on  peut  en  juger  par  les  relations  des  voyageurs  que  parce 
que  nous  avons  vu  nous-mêmes  à  la  baie  des  Chiens-Marins, 
à  la  baie  Jervis  et  à  Port-Jackson.  Il  peut  y  avoir  quelques 
différences  de  localités,  mais  elles  ne  modifient  pas  essentiel- 
lement le  type  général. 

Les  indigènes  du  port  du  Roi-Georges  sont  en  général  d'une 
taille  au-dessous  de  la  moyenne  ;  cependant  il  y  en  avait  quel- 
ques-uns d'assez  grands  parmi  vingt-cinq  à  trente  que  nous 
avons  pu  voir.  Au  premier  aspect  on  est  frappé  de  la  maigreur 
et  de  l'exiguïté  de  leurs  membres  inférieurs;  mais  cette  dispo- 
sition ne  paraît  point  le  caractère  propre  à  ces  peuples;  elle 
tient  à  l'état  de  misère  dans  lequel  ils  sont  et  au  défaut  d'une 
nourriture  suffisante  pour  le  développement  de  ces  parties.  Ce 
qui  semble  le  prouver,  c'est  ce  que  nous  avons  vu  dans  ces  pa- 
rages :  des  femmes  d'une  tribu  de  la  Nouvelle-Hollande  qui 
habite  vis-à-vis  l'île  des  Kanguroos,  et  d'autres  du  port  Dal- 
rymple  ,  sur  l'île  Van-Diémen,  prises  dans  cet  état  d'émaciation 


NOTES.  193 

par  les  Anglais  qui  font  la  pèche  des  Phoques,  vivant  avec 
eux,  et  faisant  usage  d'une  nourriture  abondante  et  animale, 
avaient  leurs  extrémités  très-bien  développées,  et  même  dans 
un  état  d'obésité.  Le  même  cas  s'est  offert  chez  plusieurs  indi- 
vidus des  peuplades  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud.  Quoi  qu'il 
en  soit,  ce  caractère  d'émaeiation  est  si  marqué  chez  les 
hommes  qui  nous  occupent,  qu'il  paraît  singulier  et  vraiment 
extraordinaire  au  premier  aspect,  et  que  le  dessin  que  M.  de 
Sainson  a  fait  d'un  enfant  semble  être  une  vraie  caricature  :  on 
dirait  que  ses  membres  inférieurs  ne  sont  autre  chose  que  le 
fémur  et  le  tibia  recouverts  de  la  peau. 

Si  le  torse  paraît  plus  développé  et  plus  trapu,  on  ne  peut 
l'attribuer  qu'à  l'exiguité  des  jambes,  car  il  est  généralement 
maigre.  Les  bras  rentrent  aussi,  mais  un  peu  moins,  dans  cet 
état  de  maigreur.  Cependant  le  ventre  est  arrondi,  et  a  des 
propensions  à  devenir  gros;  ce  qui  s'explique  facilement  par 
l'habitude  qu'ont  les  peuples  sauvages,  exposés  à  de  longues 
abstinences,  de  prendre  des  alimens  outre  mesure  quand  ils  en 
trouvent  l'occasion. 

Leur  tète  est  assez  grosse,  la  face  un  peu  élargie  trans- 
versalement; l'arcade  sourcilière  très-saillante,  d'autant  plus 
peut-être  que  leurs  yeux,  dont  la  sclérotique  est  blanc-jaunâ- 
tre, sont  très-enfoncés.  Ils  ont  les  narines  plus  ou  moins  apla- 
ties et  écartées;  les  lèvres  médiocrement  grosses;  les  gencives 
blafardes;  la  bouche  grande,  très-fendue  ,  ornée  de  dents  fort 
belles,  régulières  et  serrées,  dont  l'ensemble  ressemble  parfai- 
tement à  ces  mâchoires  artificielles  que  l'on  voit  à  Paris,  au 
Palais-Roval.  Ils  ont  les  oreilles  médiocres;  les  cheveux  frisés 
sans  être  laineux  ,  mais  dont  la  couleur  naturelle  n'est  pas 
facile  à  reconnaître,  parce  qu'ils  sont  toujours  recouverts 
d'une  couche  d'ocre  ,  excepté  chez  les  enfans  qui  les  ont  bruns 
ou  noirs.  Leur  barbe  est  rare  et  noire  ainsi  que  les  mous- 
taches. 

Leur  couleur  générale  varie  entre  le  noir  peu  intense  et  le 
noir  rougeàtre.  Leur  maigreur  est  quelquefois  si  grande  que 
tome  i.  i3 


194  NOTES. 

quelques-uns  ont  l'air  de  spectres.  Cet  état  n'est  point 
étonnant  quand  on  sait  que  la  terre  ne  fournit  presque  rien  à 
la  nourriture  de  ces  hommes  qui,  pour  toute  arme,  ayant  de 
simples  lances,  sont  obliges  de  parcourir  de  grands  espaces 
avant  de  pouvoir  atteindre  une  petite  proie,  telle  que  des  Ser- 
pens,  des  Lézards,  des  Scinques,  et  parfois  des  Phalangers  et 
des  Péramèles  qu'ils  mangent  sans  les  avoir  fait  cuire  ,  et  après 
s'être  bornés  à  les  présenter  au  feu.  Nous  les  avons  vus  quel- 
quefois dévorer  avec  le  même  empressement  les  intestins  de 
poissons  que  nos  matelots  jetaient. 

D'après  ce  qui  nous  a  été  dit  par  les  Anglais  qui  font  la  pècbe 
des  Phoques  au  port  du  Roi-Georges,  toute  l'industrie  qui  tend 
à  leur  procurer  de  la  nourriture,  est  plutôt  le  partage  des 
femmes  que  celui  des  hommes  :  elles  vont  à  la  chasse  avec  des 
chiens  du  pays,  font  la  pêche  et  plongent  sur  le  bord  de  la 
mer  pour  avoir  des  coquillages. 

La  prise  d'un  Kanguroo  est  pour  eux  une  chose  importante  ; 
et ,  pour  cela ,  il  est  nécessaire  que  toute  une  peuplade  entoure 
l'endroit  où  il  est  cantonné ,  y  mette  le  feu,  et  oblige  ainsi  l'ani- 
mal à  se  livrer  à  ses  coups.  Outre  la  nourriture  ,  le  Kanguroo 
leur  fournit,  par  sa  peau,  le  seul  vêtement  qu'ils  possèdent. 
Ils  ont  soin  de  l'assouplir,  et  le  portent  sur  les  épaules,  en 
forme  de  manteau  court.  Le  froid  excessif  qu'il  doit  faire  l'hiver 
dans  cette  contrée,  ne  les  a  point  encore  déterminés  à  s'en 
faire  des  vêtemens  pour  les  membres  inférieurs;  et  l'usure  de 
ceux  qu'ils  portaient  prouve  suffisamment  qu'il  ne  leur  est  pas 
facile  de  s'en  procurer. 

Ces  hommes  sont  très-frileux,  et,  pour  se  préserver  du  froid 
autant  qu'ils  le  peuvent,  ils  portent  constamment  avec  eux  un 
cône  de  banksia  desséché,  enflammé,  et  qui  brûle  lentement 
comme  de  l'amadou.  Chose  singulière  !  tous  le  mettent  pres- 
que à  toucher  leurs  parties  génitales ,  le  plus  souvent  sous  leur 
manteau.  Ils  s'en  servent  aussi  pour  enflammer  en  un  instant, 
et  le  plus  souvent  sans  objet  en  apparence  ,  les  lieux  par  où  ils 
passent ,  ce  qu'ils  font  avec  une  prestesse  singulière  et  une  ra- 


NOTES.  19Ô 

pidité  qu'il  nous  serait  bien  difficile  d'imiter.  Aussi,  toute  cette 
contrée  est-elle  tellement  brûlée  qu'on  ne  peut  y  faire  un  pas 
sans  être  noirci  de  toutes  parts.  Les  grands  arbres  sont  char- 
bonnés  jusque  dans  leur  cime  ,  tandis  que  le  sous-bois  meurt 
et  ne  pousse  que  des  tiges  rabougries.  Il  est  certain  que  cela 
doit  nuire  en  partie  à  la  végétation  des  bords  de  la  mer,  et 
détruire  même  les  animaux  qui  pourraient  scr\ir  à  la  nourri- 
ture des  indigènes,  tels  que  les  Mollusques  terrestres,  les 
Lézards,  etc. 

Leurs  habitations  sont  des  niches  arrondies  dans  lesquelles 
deux  ou  trois  hommes  peuvent  se  tenir  étendus  :  elles  sont  for- 
mées débranches  d'arbres  recourbées,  recouvertes  en  général 
de  feuilles  de  xanthoréa.  On  voit  aux  alentours  lès  débris  de  la 
plante  qu'ils  ne  paraissent  manger  qu'à  défaut  d'autre  chose, 
parce  qu'elle  ne  fournit  que  fort  peu  d'aliment;  et  ,  dans  pres- 
que toutes  ces  cases  de  malheureux  qui  n'ont  pas  de  quoi  vivre, 
les  premières  choses  qui  se  présentent,  les  seules  même  que  l'on 
voie,  sont  des  objets  de  toilette!  Ce  sont  de  petits  morceaux 
d'ocre  rouge  dont  ils  se  plaisent  à  se  frotter  la  figure  et  le 
corps,  et  à  se  couvrir  la  tète  en  grattant  ce  cosmétique  avec 
l'ongle,  ce  qu'ils  faisaient  aussitôt  que  nous  leur  en  pré- 
sentions quelque  fragment.  Sans  doute  que  cette  couche  sale  a 
un  autre  but,  celui  de  se  garantir  des  Moustiques,  insectes 
fort  communs  dans  les  lieux  marécageux  ou  ils  établissent  leurs 
cabanes. 

L'état  de  misère  dans  lequel  ces  peuplades  semblent  vivre 
n'a  point  anéanti  autant  qu'on  pourrait  le  croire  certaines  des 
facultés  propres  «à  l'homme.  Ainsi,  par  exemple,  on  ne  peut 
pas  dire  que  les  habitans  du  port  du  Roi-Gèorges  soient  stu- 
pides,  quoique  leur  existence  s'écoule  presque  entièrement  dans 
le  repos  ou  à  la  recherchede leur  nourriture.  Notre  présence  les 
mettait  dans  une  sorte  de  gaieté,  et  ils  cherchaient  à  nous  com- 
muniquer leurs  sensations  par  une  loquacité  à  laquelle  nous  ne 
pouvions  répondre  ,  n'entendant  pas  leur  langage.  Dès  que  la 
rencontre  s'opérait,  ils  venaient  à  nous  les  premiers  en  gesti- 

*3* 


196  NOTES. 

culant  et  parlant  beaucoup;  ils  poussaient  de  grands  cris,  et, 
si  nous  leur  répondions  sur  le  même  ton,  leur  joie  était  extrême. 
Bientôt  l'échange  de  nom  avait  lieu ,  et  ils  ne  tardaient  pas  à 
demander  à  manger,  en  se  frappant  sur  le  ventre.  Dans  une 
nuit  passée  au  milieu  d'eux  à  terre  ,  nous  obtînmes  assez  faci- 
lement leurs  mots  les  plus  usuels,  et  ils  ne  cessèrent  de  nous 
montrer  les  dispositions  les  plus  bienveillantes.  Ils  nous  suivi- 
rent quelquefois  dans  nos  courses;  cependant  nous  devons  dire 
que  constamment  ils  y  montrèrent  un  défaut  d'industrie  et  une 
sorte  de  paresse  qui  ne  les  portaient  presque  jamais  à  nous 
aider  dans  certains  travaux  que  d'autres  hommes  se  seraient 
empressés  de  nous  faciliter,  comme,  par  exemple,  lorsqu'il  s'a- 
gissait de  porter  nos  collections,  de  chercher  des  coquilles,  etc. 

Si  le  besoin  de  la  nourriture  ou  tout  autre  motif  les  oblige 
à  s'éloigner  du  cantonnement  où  sont  leurs  cabanes,  on  les  voit 
errer  cà  et  là  par  petits  groupes  de  deux,  trois  ou  quatre,  ra- 
rement de  sept  ou  huit ,  et  ils  ne  craignent  pas  de  s'établir  en 
plein  air,  sans  aucun  abri.  Seulement  ils  allument  du  feu 
auprès  duquel  ils  ne  cessent  de  grelotter.  Et  cependant  nous 
étions  dans  le  printemps  de  l'hémisphère  austral  !  Que  doit-ce 
donc  être  l'hiver?..  Ces  hommes  de  la  nature,  dont  on  a  fait  un 
si  brillant  tableau,  nous  paraissent  parfois  bien  à  plaindre. 
S'ils  veulent  passer  la  nuit  quelque  part,  ils  font  très-promp- 
tement  une  petite  cabane  à  peine  suffisante  pour  les  garantir 
de  la  pluie. 

Lorsqu'ils  éprouvent  de  la  peine,  ils  pleurent  assez  facile- 
ment; c'est  ce  qui  arriva  à  un  vieillard  retenu  involontaire- 
ment à  bord  quelques  instans  de  plus  qu'il  ne  voulait.  Ils 
chantent  quelquefois,  ou  plutôt  ils  psalmodient.  L'amour  pa- 
ternel paraît  assez  développé  chez  eux ,  comme  nous  l'avons  vu 
dans  notre  ami  Patêt  :  ce  bon  Australien  prenait  beaucoup  de 
soin  de  son  jeune  fils,  Yalepouol,  qui  l'accompagnait  dans  sa 
course ,  et  qui  vint  avec  lui  à  bord  de  V Astrolabe. 

Leurs  instrumens  n'annoncent  pas  une  plus  haute  industrie 
que  leurs  vêtemens  et  la  construction  de  leurs  cabanes.  Ceux 


NOTES.  191 

de  guerre  sont  de  longues  javelines  minées  et  droites,  dureies 
au  feu,  et  pointues  à  une  extrémité;    nous  n'en  avons  pas  vu 
d'autres.    Les  haelies   dont  ils  se  servent  ont  la   forme    d'un 
grossier  marteau  :  c'est  un  morceau  de  pierre  dure ,  de  Schiste 
ou  de  Basalte,  fixé  à  an  manche  grêle,  à  l'aide  de  la  résine  de 
xanthoréa.  Ils  font  des  couteaux  de  la  même  manière,  en  ap- 
pliquant  sur   une    même  tige    quatre   ou    cinq    morceaux  de 
Quartz  réunis  entre  eux  avec  le  même  ciment.  C'est  à  l'aide  de 
pareils  moyens  qu'ils  coupent  les  arbrisseaux  qui  les  gênent 
dans  leur  route,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  assez  souvent.  Ce 
qu'il  y  a  de  particulier,  c'est  que  ces  abattis  de  hautes  bruyères 
qui  croissent  dans  les  marais  ont  une  forme  demi-sphérique. 
Lorsqu'ils  s'aperçurent  que  nous  voulions  avoir  de  leurs  ins- 
trumens,  ils  s'empressèrent  d'en  faire  pour  nous,   avec   cette 
différence  qu'ils  y  mettaient  moins  de  soin  ,   puisque,  dans  la 
confection  des  couteaux,  au  lieu  de  Quartz  ils  se  servaient  de 
Feldspath  qui  n'offre  ni  la  même  dureté  ni  la  même  résistance. 
C'est  une  branche  de  commerce  à   laquelle  notre  présence  les 
força  de  s'adonner.  Ils  obtenaient  en  échange  nos  petits  cou- 
teaux qu'ils  aimaient  beaucoup  ,  et  du  biscuit  qu'ils  aimaient 
encore  mieux.  Celui  de  leurs  travaux  pour  lequel  ils  déploient 
le  plus  d'intelligence  paraît  être  la  construction  de  leurs  pêche- 
ries, qui  sont  faites  ou  en  pierres  comme  sur  la  rivière  des  Fran- 
çais, ou  avec  de  simples  petits  pieux.  Le  poisson  entre,  avec  la 
marée,  par  une  petite   ouverture   qu'ils  ferment  aussitôt;  et, 
s'il  est  abondant,  la  pèche  devient  ainsi  très-facile.  L'état  d'a- 
bandon dans  lequel  étaient  les  pêcheries  semblerait  indiquer 
que  cette  ressource  est  bien  précaire. 

Si  notre  approche  n'a  point  étonné  ces  tribus,  si  elles  se 
sont  empressées  de  communiquer  avec  nous  ,  si  nos  armes  à  feu 
ne  les  ont  point  étonnées,  nous  devons  l'attribuer  à  la  présence 
des  Anglais  qui  fréquentent  et  habitent  ces  parages  pendant  une 
grande  partie  de  l'année,  pour  la  pêche  des  Phoques.  Et  si 
nous  n'avons  pas  vu  les  femmes  des  indigènes ,  il  faut  proba- 
blement encore  en  chercher  la   cause  dans  la  présence  de  ces 


198  NOTES. 

mêmes  Anglais  qui  en  ont  enlevé  plusieurs  pour  leur  propre  ser- 
vice. Elles  leur  sont  d'ailleurs  de  la  plus  grande  utilité  pour 
leur  procurer  leur  subsistance,  soit  en  prenant  des  poissons, 
des  coquillages,  des  lézards,  etc.,  soit  en  chassant  avec  les 
chiens  et  même  avec  les  fusils.  Elles  deviennent  promptement 
fort  habiles  dans  ce  dernier  exercice.  Une  fois  que  ces  mal- 
heureuses femmes  ont  perdu  le  souvenir  de  leur  état  de  liberté , 
dans  lequel  cependant  elles  sont  maltraitées  par  leurs  maris, 
elles  ne  peuvent  que  trouver  agréable  la  vie  qu'elles  mènent 
avec  les  Européens  qui  ont  pour  elles  beaucoup  plus  d'égards. 
Nous  tenons  de  plusieurs  de  ces  pêcheurs ,  abandonnés  par 
leur  navire  plus  long-temps  qu'ils  ne  pensaient ,  qu'elles  leur 
furent  d'un  extrême  secours  ,  et  que  sans  elles  ils  seraient  peut- 
être  morts  de  misère.  C'est  probablement  à  elles  que  nous  de- 
vons presque  tous  les  Scinques  que  nous  possédons ,  animaux 
dont  nous  n'avions  pu  prendre  que  quelques  individus,  et  dont 
les  Anglais  nous  apportèrent  un  très-grand  nombre  contenus 
dans  plusieurs  sacs. 

Nous  mentionnerons  ici  deux  indigènes,  homme  et  femme, 
nés  dans  une  contrée  peu  éloignée  du  port  du  Roi-Georges,  la 
partie  de  la  Nouvelle-Hollande  qui  est  située  vis-à-vis  l'île  des 
Kanguroos.  Leur  caractère  de  physionomie  ne  paraissait  pas  le 
même  que  celui  des  individus  que  nous  venons  d'esquisser; 
il  est  vrai  qu'il  s'était  amélioré  par  leur  séjour  avec  les  Anglais, 
et  que  ces  deux  indigènes  n'étaient  pas  déguisés  par  les  sales 
peintures  dont  les  premiers  se  couvrent.  Ils  étaient  noirs;  ils 
avaient  la  peau  lisse;  les  cheveux  longs,  lisses  et  noirs.  Leurs 
yeux  n'étaient  pas  très-enfoncés,  mais  la  partie  inférieure  de 
la  face  proéminait  un  peu.  Ils  avaient  l'air  plus  intelligens  que 
les  naturels  du  port  du  Roi-Georges,  sans  qu'on  puisse  indi- 
quer par  la  description  en  quoi  consistait  cette  différence. 

Les  Anglais  vinrent  abord  avec  deux  femmes  du  port  Dal- 
ryniple,  situé ,  comme  l'on  sait,  sur  la  côte  septentrionale  de 
l'île  de  Van-Diémen  ,  que  quelques  géographes  désignent  sous 
le  nom  de  Tasmanie.  Chez  elles,  le  caractère  de  la  physio- 


NOTES.  199 

nomie  était  tout  différent  de  celui  des  deux  précédens;  c'était 
presque  celui  du  nègre  :  les  pommettes  larges  ,  les  lèvres 
grosses,  proéminentes,  s'alongeant  en  une  sorte  de  museau. 
Dans  l'une  d'elles  surtout ,  ce  caractère  était  très-marqué  ;  ce- 
pendant le  front  ne  fuyait  point  trop  en  arrière.  A  ces  traits 
nous  ne  pouvons  point  réunir  l'aspect  et  la  nature  des  cheveux, 
parce  que  ces  femmes  les  ont  coupés  très-ras,  à  l'exception 
d'un  cercle  qui  entoure  le  sommet  ,  et  qui  est  formé  de 
cheveux  dont  la  longueur  est  à  peine  de  quelques  lignes  : 
disposition  assez  justement  comparée  par  Cook  à  la  tonsure 
des  moines  romains.  Il  nous  a  paru  toutefois  qu'ils  avaient 
de  la  tendance  à  se  friser.  ISul  doute  que  le  type  de  leur  phy- 
sionomie ne  soit  pris  par  des  observateurs  superficiels  ou  peu 
attentifs  pour  le  tvpe  nègre,  quoiqu'il  y  ait  des  différences 
réelles.  Ces  deux  femmes,  excessivement  maigres,  et  sembla- 
bles, sous  ce  rapport,  aux  indigènes  du  port  du  Roi-Georges, 
lorsque  les  Anglais  les  prirent,  avaient  acquis  depuis  cette 
époque  beaucoup  d'embonpoint ,  surtout  l'une  d'elles  qui  était 
presque  dans  un  état  d'obésité.  C'est  par  elles  que  nous  fûmes 
convaincus  que  la  maigreur  des  habitans  du  port  du  Roi- 
Georges  n'était  point  naturelle,  et  dépendait  uniquement  de 
leur  misère. 

Le  langage  des  habitans  du  port  du  Roi-Georges  est  exces- 
sivement doux  :  c'est  une  sorte  de  gazouillement  produit  par 
le  concours  des  voyelles.  Il  nous  a  paru  que  plusieurs  lettres, 
telles  que  le  g-,  Ys,  etc.,  ne  pouvaient  être  prononcées  par  eux, 
et  qu'ils  les  changeaient,  la  première  en  / ,  et  la  seconde  en  /. 
Ainsi,  ils  disaient  Tainfon  pour  Sainson  ,  Kaima  pour  Gai- 
mard.  A  l'exception  des  noms  de  Quoy  et  de  Collinel  qu'ils 
prononçaient  parfaitement,  ils  estropiaient  presque  tous  les 
autres  mots  :  ils  disaient  Tchioulcromnl  et  Turvil  pour  d'Ur- 
ville,  Pelante  pour  Bcllanger,  etc.  Des  détails  plus  étendus 
sur  leur  langage  doivent  être  renvoyés  plus  loin,  lorsqu'il  sera 
question  du  vocabulaire  des  différens  peuples  que  nous  avons 
visités.  (Journal  zoofogiaue  de  MM.  Quny  et  Gaimant.) 


200  NOTES. 


PAGE    ll5. 


Enfin,  il  n'est  pas  douteux  qu'au  bout  de  quelques 
années ,  les  productions  du  sol ,  tant  en  grains  qu'en 
bestiaux  ,  ne  pussent  suffire  amplement  à  leur  con- 
sommation. 

Il  n'est  pas  de  contrée  de  grande  étendue  qui  offre  plus  d'u- 
niformité dans  son  ensemble  que  la  Nouvelle-Hollande.  De 
Port-Jackson  au  port  du  Roi-Georges,  la  végétation  a  le  même 
aspect,  les  animaux  sont  pour  ainsi  dire  les  mêmes,  et  le  sol 
ne  présente  que  quelques  différences  locales.  Les  Zoophytes 
et  les  Mollusques,  qui  vivent  dans  la  mer,  sont  les  seuls 
qui  se  ressentent  de  l'influence  des  latitudes,  et  qui  soient 
plus  nombreux  et  plus  brillans  à  mesure  qu'on  approebe  de 
l'équatcur,  etc. ,  etc. 

La  base  du  sol  du  port  du  Roi-Georges  est  de  Granité  à  gros 
grains  avec  de  larges  plaques  de  Feldspath  très-souvent  de  cou- 
leur rosée.  Il  est  des  parties  de  la  rade  où  le  grain  de  cette 
roebe,  beaucoup  plus  fin  ,  contient  une  assez  grande  quantité 
de  Grenat  brun ,  ce  qui  lui  donne  la  plus  grande  similitude  avec 
le  Granité  de  Rio-Janeiro,  en  Amérique.  Toute  la  contrée  est 
parsemée  de  collines  assez  élevées,  et  qui  peuvent  même  pren- 
dre le  nom  de  montagnes,  surtout  à  l'entrée  de  la  rade  où  l'on 
remarque  les  monts  Gardner  et  Bald-Head.  De  grandes  et 
grosses  veines  de  schistes  verdatres  ou  presque  noirs  traversent 
le  Granité  qui  s'offre  très-souvent  en  blocs  énormes  entassés  les 
uns  sur  les  autres.  Entre  les  collines  et  dans  les  lieux  plats  on 
trouve  d'assez  nombreux  étangs  d'eau  douce  qui  presque  tous 
vont  se  jeter  à  la  mer.  Il  y  a  même  des  parties  élevées  qui  sont 
marécageuses;  ce  qui  est  du  à  la  nature  du  Granité  qui  laisse  fil- 
trer de  nombreux  filets  d'eau. 

Le  mont  Bald-Head  est  le  seul  point  qui  ne  soit  pas  grani- 


NOTES.  201 

tique.  Il  est  au  contraire  tout  calcaire  ,  mais  non  formé  de  Ma- 
drépores présentant  encore  leurs  branches  intactes  et  comme 
sortant  de  la  mer,  ainsi  que  le  dit  Vancouver.  Nous  étions  im- 
patiens ,  M.  Gaimard  et  moi,  de  vérifier  ce  qu'en  dit  le  voya- 
geur anglais,  et,  munis  des  instrumens  nécessaires  pour  enlever 
le  plus  de  beaux  échantillons  possibles,  et  en  faire  jouir  les 
amateurs,  nous  parcourûmes  en  vain  les  (rois  quarts  du  sommet 
de  cette  montagne  sans  apercevoir  la  moindre  trace  de  Madré- 
pore quelconque.  Seulement  au  bas  ,  sur  le  bord  de  la  mer,  et 
par  le  seul  endroit  où  l'on  puisse  gravir  la  montagne,  nous 
recueillîmes  quelques  Coquilles  incrustées  dans  le  Calcaire, 
dont  les  analogues  se  trouvent  aux  environs.  Quelques-unes  ne 
tenaient  à  la  roche  que  par  un  point  de  leur  surface.  Passé 
quelques  toises  en  montant,  et  là  où  la  mer  ne  pouvait  plus 
atteindre  dans  ses  plus  grandes  crues,  on  n'en  trouvait  plus. 
Cette  faculté  d'incrustation  sur  quelques  points  de  la  Nouvelle- 
Hollande  est  assez  remarquable.  Péron  en  a  fait  mention  ,  et 
nous  l'avons  observée  aussi  à  la  baie  des  Chiens-Marins,  dans 
notre  précédent  voyage  avec  M.  de  Frcycinet.  Elle  s'étend 
jusqu'aux  végétaux,  et  nous  en  avons  recueilli  où  des  ra- 
cines forment  des  noyaux  de  cylindres  assez  gros.  Serait-ce 
cela  que  Vancouver  aurait  pris  pour  des  Coraux  fossiles?  Ce- 
pendant en  examinant  avec  soin  le  Calcaii'e  de  Bald-Hcad,  on 
pourrait  se  ranger  de  l'opinion  de  quelques  naturalistes  qui 
pensent  qu'une  grande  partie  de  cette  roche  doit  son  origine 
aux  Zoophytes.  Le  sommet  de  cette  montagne  est  quelquefois  à 
du  et  déchiqueté  par  les  météores;  mais  le  plus  souvent  couvert 
de  plantes  et  quelquefois  de  bois  assez  élevés. 

Le  seul  cours  d'eau  remarquable  est  la  rivière  des  Français , 
qui  se  jette  dans  le  fond  du  havre  aux  Huîtres.  Partout  ail- 
leurs ce  ne  sont  que  de  petits  ruisseaux  qui  se  perdent  dans  les 
sables  en  filtrant  au  travers  des  rochers. 

La  physionomie  végétale  du  pays  est  formée  par  les  Euca- 
lyptus, lesBanksias,  lés  Xanthoréas,  des  Mimosas,  des  bruyères 
«t  quelques  Casuarinas.  Les  forêts  ne  paraissent  même  formées 


202  NOTES. 

que  par  les  premiers  de  ces  végétaux  dont  quelques-uns  sont 
énormes  ;  mais  tous  paraissent  plus  ou  moins  souffrir  de  l'ha- 
bitude qu'ont  tous  les  naturels  de  la  Nouvelle-Hollande ,  de 
mettre  le  feu  partout  où  ils  passent.  Et  comme  la  plupart  de 
ces  arbres  sont  résineux,  ou  ont  une  écorce  tomenteuse ,  l'in- 
cendie se  propage  avec  une  rapidité  étonnante,  gagne  jusqu'aux 
tiges  les  plus  élevées,  et  charbonne  les  arbres  dans  toute  leur 
étendue  ;  de  sorte  qu'on  revient  tout  noirci  des  courses  qu'on 
fait  dans  les  bois.  Les  arbustes  y  succombent.  Les  lieux  qui 
n'avaient  pas  été  brûlés,  dans  la  saison  où  nous  nous  trouvions, 
ressemblaient  à  un  parterre  émaillé  de  fleurs  de  toutes  les  cou- 
leurs et  singulières  par  leurs  formes  variées. 

Des  Kanguroos,  des  Phalangers  sont  les  seuls  Mammifères 
que  nous  y  ayons  vus.  Parmi  les  premiers  il  s'en  trouve  de 
grande  taille.  Nous  ne  pûmes  nous  en  procurer  quoique 
nous  les  ayons  ciiassés  avec  plusieurs  chiens  dressés  à  cet  exer- 
cice. Les  Kanguroos,  dans  leurs  bonds,  les  laissaient  toujours 
loin  derrière  eux. 

Si  les  voyageurs  qui  nous  ont  précédés  n'ont  trouvé  que  très- 
peu  d'oiseaux,  c'est  qu'ils  ont  borné  leurs  courses  au  contour 
de  la  baie,  où  en  effet  ils  sont  rares.  Mais  dans  les  forêts  qui 
bordent  les  rivières  des  Français  et  des  Anglais,  on  en  ren- 
contre encore  un  assez  bon  nombre  ,  et  de  variés,  soit  parmi  les 
Perroquets,  soit  dans  les  Philédons.  Dans  le  journal  destiné  à 
l'histoire  naturelle, nousentrerons  dans  plus  de  détailsàcesujet. 
Une  grosse  espèce  de  Tourterelle  à  ailes  métalliques  y  est  assez 
commune  et  constitue  un  très-bon  manger.  Les  oiseaux  de  mer 
y  sont  nombreux,  mais  difficiles  à  tuer,  à  l'exception  cependant 
des  Goélands,  des  Mouettes  et  des  Hirondelles  de  mer.  On  n'a 
pu  approcher  des  Céréopsis  et  des  Pélicans.  Seulement,  sur  la 
petite  île  du  Jardin,  on  en  prit  plusieurs  jeunes  qui  ne  pou- 
vaient point  encore  voler.  On  tua  quelques  Canards  et  un  seul 
Cygne  noir. 

Parmi  les  Lézards ,  nous  eûmes  de  très-gros  Scinques ,  ani- 
maux dont  les  mouvemens  sont  lents,  et  plusieurs  Serpcns  vc- 


NOTES.  203 

nimeux,  dont  un  avait  près  de  six  pieds  de  long.  Les  mauvais 
temps  et  les  travaux  du  bord  ne  nous  permirent  point  de  jeter 
la  seine,  moyen  de  constater  les  variétés  de  poisson;  mais  on 
en  prit  beaucoup  à  l'hameçon  ,  et  des  pêcheurs  anglais  station- 
nés dans  ce  port  en  échangèrent  tous  les  jours  pour  du  lard 
salé.  C'était  le  plus  souvent  une  grosse  espèce  de  Daurade. 

Soit  que  la  saison  ne  fût  pas  assez  avancée  pour  les  Insectes, 
ou  que  ce  lieu  en  contienne  fort  peu  ,  nos  collections  en  ce 
genre  ont  presque  été  nulles. 

Nous  avons  été  plus  favorisés  relativement  aux  Mollusques 
dont  on  trouve  assez  d'espèces  variées,  parmi  lesquelles  on  re- 
marque les  Phasianelles,  coquilles  élégantes,  encore  rares  dans 
les  collections,  et  qu'il  est  bien  difficile  de  trouver  parfaites. 

Nous  eûmes  bientôt  la  visite  des  naturels.  A  leur  empresse- 
ment et  au  peu  de  défiance  qu'ils  montraient,  nous  jugeâmes 
qu'ils  devaient  avoir  quelques  relations  avec  les  Européens; 
ce  qui  ne  tarda  pas  à  se  vérifier  comme  nous  le  dirons  bientôt. 
Le  commandant  fut  le  premier  qui  les  découvrit  en  visitant  le 
havre  aux  Huîtres;  ils  s'approchèrent,  et  l'un  d'eux,  assez  âgé, 
ne  fit  point  de  difficulté  pour  s'embarquer  et  venir  à  bord.  De 
presque  nu  qu'il  était,  il  fut  bientôt  habillé  de  pied  en  cap  ,  et 
coiffé  d'un  vaste  bonnet  noir  en  peau  de  mouton.  Ce  qui  pa- 
raissait lui  plaire  davantage,  c'étaient  les  alimens  dont  il  était 
pourvu  en  abondance,  et  qu'il  avalait  presque  sans  mâcher. 
L'eau-de-vie  fut  pour  lui  une  boisson  trop  forte  ,  et  il  ne  s'en 
trouva  pas  bien.  Le  lendemain  matin  les  gens  de  sa  tribu  , 
après  avoir  fait  un  grand  tour,  vinrent  visa-vis  le  bâtiment,  et 
manifestèrent  leur  présence  par  leur  moven  accoutumé,  en 
mettant  le  feu  aux  broussailles.  Il  voulut  aller  les  rejoindre,  et, 
comme  on  tardait  un  peu  à  le  porter  à  terre ,  il  se  mit  à  pleurer 
et  gémir  comme  un  enfant.  Du  reste  ce  naturel  montrait  peu 
d'intelligence,  et  était  loin  de  ressembler  en  cela  à  ceux  que 
nous  vîmes  ensuite.  Dès  que  ses  camarades  le  virent  si  bien 
équipé,  le  ventre  aussi  bien  tendu,  et  muni  d'alimens  au- 
tant qu'il  en  pouvait  porter,  c'était  à  qui  viendrait  à  bord. 


204  NOTES. 

Les  peuplades  du  port  du  Roi-Georges ,  habitanl  un  pays 
aride,  stérile,  doivent  être  considérées,  ainsi  que  plusieurs  de 
celles  de  la  Nouvelle-Hollande,  comme  les  plus  malheureuses 
de  la  terre.  A  leur  seul  aspect  on  reconnaît  l'influence  d'un  sol  in- 
grat qui  refuse  à  ses  habitans  de  quoi  fournir  à  tout  leur  déve- 
loppement physique.  Aussi  ces  naturels  surprennent-ils  par  la 
maigreur  de  toutes  leurs  parties,  beaucoup  plus  sensible  aux 
bras  et  aux  jambes.  De  loin  ,  lorsqu'ils  sont  couverts  de  leur 
morceau  de  peau  de  kanguroo ,  et  qu'ils  grimpent  sur  les  ro- 
chers, ils  n'ont  pas  mal  l'air  de  ces  oiseaux  de  rivage  à  jambes 
longues  et  grêles,  qu'on  nomme  Echassiers. 

En  général,  ils  sont  de  petite  taille,  ont  la  tête  grosse,  les 
orbites  saillans  ainsi  que  les  pommettes,  ce  qui  donne  à  la  face 
une  assez  grande  largeur  transversale  ;  les  lèvres  grosses  s'alon- 
gent  chez  quelques-uns  comme  un  mufle  ;  la  bouche  est  grande  ; 
les  dents  sont  parfaitement  rangées,  égales,  courtes,  et  res- 
semblent à  ces  râteliers  artificiels  des  dentistes  de  Paris.  Leurs 
yeux  sont  petits,  un  peu  obliques,  noirs,  avec  la  conjonctive 
jaunâtre  ;  ce  qui  peut  tenir  à  ce  qu'ils  sont  presque  toujours 
accroupis  sur  les  tisons.  Dire  que  la  couleur  de  leur  teint  est 
un  noir  rougeâtre ,  n'est  pas  indiquer  celle  qu'ils  devraient 
avoir  naturellement,  car  la  fumée  et  l'ocre  dont  ils  se  frottent 
la  tête  et  le  corps  doivent  singulièrement  modifier  cette  teinte. 
Toutefois  c'est  le  noir  qui  domine.  Leur  ventre  est  proémi- 
nent, arrondi,  et  ils  ne  présentent  point  dans  le  reste  de  leurs 
membres  de  belles  et  justes  proportions.  Mais  tout  indique 
que  ces  défauts  physiques  dépendent  de  la  misère  et  du  man- 
que de  nourriture.  Ce  qui  le  prouve  ,  c'est  que  les  habitans  de 
la  terre  de  Van-Diémen,  que  des  pêcheurs  anglais  avaient  avec 
eux,  et  qu'ils  avaient  pris  dans  un  état  de  maigreur  semblable, 
sont  devenus  gros,  et  ont  fini  par  montrer  des  membres  bien 
iormés.  Plusieurs  des  habitans  de  la  baie  Jervis,  qui  avoisine 
Port-Jackson  ,  et  qui  ont  de  fréquentes  relations  avec  les  colons 
anglais,  nous  ont  offert  le  même  état  d'amélioration;  tandis 
que  les  peuplades  du  port  du  Roi-Georges,  n'ayant  pour  tout 


NOTES.  205 

abri  sous  un  climat  rigoureux ,  en  hiver,  que  de  misérables 
niches  ouvertes  à  tous  les  vents  ;  pour  vêtement  ,  qu'une 
mince  peau  de  kanguroo  qui  leur  couvre  les  épaules,  et  pour 
toute  nourriture,  que  des  lézards  ou  de  maigres  racines,  ne  peu- 
vent que  végéter  sur  une  terre  qui  semble  tout  leur  refuser. 
Leur  seule  industrie  paraît  se  borner  à  la  fabrication  grossière 
de  quelques  pêcheries  sur  la  rivière  des  Français,  où  ils  vont 
à  certaines  époques  de  l'année.  Mais  ils  ne  connaissent  ni  l'arc 
et  la  flèche  pour  atteindre  leur  proie,  ni  la  pirogue  et  l'ha- 
meçon ,  armes  naturelles  aux  peuples  riverains. 

Cependant  ils  ne  sont  point  stupides;  ils  ont  de  la  sagacité  , 
et  de  la  finesse  dans  le  sourire  et  les  manières.  Us  aimaient  à 
être  avec  nous ,  quelquefois  à  nous  accompagner  à  la  chasse. 
Presque  toujours  il  y  en  a  eu  autour  de  latente  que  nous  avions 
à  terre.  Ils  se  plaisaient  à  prendre  nos  noms  et  à  nous  donner 
le  leur,  usage  qui  se  retrouve  dans  toutes  les  îles  de  la  Poly- 
nésie. Mais  ,  je  le  répète  ,  cette  nécessité  de  pourvoir  sans  cesse 
et  tous  les  jours  à  une  nourriture  incertaine  doit  prendre  tout 
leur  temps,  et  les  absorber  entièrement.  Quoi  qu'il  en  soit, 
nous  n'oublierons  jamais  nos  amis  Patèt  père  et  fils. 

Leurs  cabanes  sont  des  branches  d'arbres  pliées  en  rond,  et 
couvertes  de  feuilles  séehécs  de  xanthoréas.  On  ne  peut  y  tenir 
que  couché,  et  à  peine  peut-on  s'y  étendre.  On  trouve  dans 
presque  toutes  une  pierre  qui  sert  à  écraser  de  l'ocre  avec  la- 
quelle ils  se  frottent  la  tète  et  les  joues.  Est-ce  par  une  sorte  de 
nécessité  ou  par  coquetterie?  Nous  pensons  qu'il  faut  l'attribuer 
à  ce  dernier  motif.  Ils  font  du  feu  en  frottant  l'un  contre  l'autre 
deux  morceaux  de  bois  sec  ,  et  ils  en  conservent  toujours  dans 
la  main  en  voyageant,  à  l'aide  d'un  cône  de  banksia  qui  brûle 
très-lentement  comme  une  sorte  d amadou.  Tous  tiennent  ce 
réchaud  portatif  sous  leur  manteau,  et  vis-à-vis  les  parties  gé- 
nitales où  ils  paraissent  le  plus  sensibles  au  froid. 

Nous  nous  croyions  seuls  avec  nos  sauvages  dans  cette  soli- 
tude ,  lorsque  nous  ne  fûmes  pas  peu  surpris  un  soir  de  voir 
arriver  un  canot  portant  des  Anglais  pêcheurs  de  Phoques,  qui 


206  NOTES. 

étaient  cantonnés  sur  une  des  îles  environnant  le  port.  Ils 
avaient  aperçu  notre  navire.  Plus  de  huit  mois  s'étaient  écoulés, 
nous  dirent-ils,  depuis  qu'ils  attendaient  le  bâtiment  qui  les  avait 
déposés  sur  cette  côte ,  et  qui  devait  venir  les  prendre  avec  leur 
cargaison.  Plusieurs,  craignant  d'être  abandonnés,  demandè- 
rent à  M.  d'Urville  de  passer  à  Port-Jackson  ,  ce  qui  leur  fut 
accordé.  Le  lendemain  il  nous  arriva  un  second  canot  faisant 
aussi  la  pèche.  Celui-ci  paraissait  plus  content  de  son  sort.  Il 
y  eut  à  bord  des  échanges  mutuels  de  peaux  de  Phoques  ou  de 
Kanguroos  pour  de  l'eau-de-vic  et  du  tabac.  Ce  sont  ces 
hommes  qui  nous  procurèrent  du  poisson  en  abondance,  des 
Tourterelles,  un  Phoque  pour  l'histoire  naturelle,  et  des  Pétrels 
noirs  tout  plumés  en  grande  quantité.  Ils  allaient  prendre  ces 
oiseaux  dans  des  trous,  sur  les  îles  qui  sont  à  l'entrée  de  la 
rade.  Ces  pêcheurs  avaient  avec  eux  des  femmes  des  naturels 
de  la  Nouvelle-Hollande  et  de  l'île  de  Van-Diémen.  Ils  parais- 
saient avoir  enlevé  de  force  les  premières  ,  ce  qui  les  faisait  re- 
douter sur  cette  côte.  Ces  femmes,  par  leur  adresse  et  leur 
industrie,  étaient  de  la  plus  grande  utilité  pour  les  Anglais; 
c'étaient  elles  qui  péchaient,  allaient  à  la  chasse  au  fusil,  ou  à 
celle  du  Kanguroo  avec  les  chiens;  qui  plongeaient  pour  nous 
apporter  des  Huîtres  et  autres  Coquilles,  et  qui  nous  procu- 
rèrent une  grande  quantité  de  gros  Lézards  qu'il  eût  été  im- 
possible d'avoir  sans  leur  secours.  Elles  ne  devaient  pas  se 
trouver  mal  avec  des  hommes  qui  leur  procuraient  l'abon- 
dance, et  qui  avaient  pour  elles  plus  d'égards  que  n'en  ont  ceux 
de  leur  nation. 

Nous  partîmes  un  matin  avec  le  commandant  pour  une 
course  sur  les  bords  de  la  rivière  des  Français;  nous  man- 
quâmes son  entrée  et  donnâmes  dans  celle  des  Anglais,  où 
nous  demeurâmes  à  chasser.  Nous  fûmes  contrariés  par  la  pluie; 
malgré  cela  nous  tuâmes  un  assez  bon  nombre  d'espèces  diffé- 
rentes d'oiseaux.  Nous  étions  presque  toujours  dans  l'eau, 
quelquefois  jusqu'à  la  ceinture,  tandis  qu'il  pleuvait  à  verse. 
Nous   soupâmes   auprès  d'un  grand  feu    que,    vu  la    qualité 


NOTES.  207 

résineuse  du  bois,  il  ne  nous  était  pas  difficile  d'entretenir 
malgré  la  pluie.  Le  soir,  assez  tard,  nous  rentrâmes  à  bord 
de  la  corvette  avec  nos  collections  qui  nous  présentaient  à 
chaque  course  toujours  quelque  chose  de  nouveau. 

La  veille  de  notre  départ,  en  revenant  péniblement  par 
terre  de  notre  excursion  au  mont  Bald  -  Head ,  je  fis  une 
chute  assez  grave  sur  le  genou  gauche,  qui  me  le  déchira  dans 
trois  endroits.  Elle  fut  occasionée  par  ces  troncs  d'arbres  que 
brûlent  les  naturels.  L'intérieur  est  consumé  que  l'écorce  est 
intacte  :  mon  genou  porta  sur  un  de  ces  contours  charbonnés; 
obligé  de  faire  trois  quarts  de  lieue  après  ce  petit  accident ,  la 
poussière  du  charbon  s'introduisit  dans  les  plaies,  et  m'a  mar- 
qué d'une  manière  indélébile.  Heureusement  que  cela  eut  lieu 
au  moment  de  notre  départ,  car,  ne  pouvant  plus  marcher,  et 
obligé  de  garder  le  bord,  j'aurais  été  très- contrarié  de  celte 
inactivité. 

{Journal  de  M.  Quoy.) 

pa«e   137. 

L'histoire  naturelle  s'est  enrichie  d'une  foule  de 
matériaux  très-interessans. 

Le  12  novembre  au  matin,  nous  mouillâmes  dans  le  port 
Western.  Deux  heures  après  nous  étions  à  explorer  le  pays. 
Ce  port,  situé  dans  le  détroit  de  Bass  ,  est  très-grand,  et  formé 
par  deux  îles  considérables  nommées  îles  des  Français  et  des  An- 
glais. Il  y  a  deux  issues  dont  l'une,  celle  de  l'ouest,  très-vaste, 
permetaux  navires  d'entrer  en  louvoyant  ;  tandis  que  l'opposée, 
qui  est  à  l'est,  étroite,  peu  profonde  et  hérissée  de  récifs,  ne 
peut  donner  passage  qu'aux  embarcations.  Les  terres,  tant  des 
îles  que  du  continent,  sont  peu  élevées,  en  général  sablon- 
neuses,  contenant  sur  quelques  points  une  grande  quantité 
d'oxide  de  fer  très-riche  en  métal.  L'île  des  Français  est  remar- 


208  NOTES. 

quable  surtout  par  des  géodes  arrondies  de  la  même  substance, 
qu'on  trouve  en  grand  nombre  à  l'endroit  où  la  mer  s'enfonce 
dans  les  terres  et  forme  une  fausse  rivière.  L'établissement  an- 
glais qui  va  se  former  sur  ce  point,  y  trouvera  facilement  les 
moyens  de  s'y  procurer  du  fer. 

Là ,  comme  dans  plusieurs  endroits  de  la  Nouvelle-Hol- 
lande ,  nous  n'avons  vu  que  très-peu  d'eau  douce  ,  fournie  par 
de  petits  ruisseaux.  Cependant  dans  une  course  faite  avec  des 
pécheurs  de  Phoques,  M.  Gainiard  eut  connaissance  d'une  ri- 
vière aussi  large  que  la  Seine  à  Paris.  La  végétation  y  est 
en  général  peu  élevée,  mais  très-pressée,  principalement  sur 
les  îles,  où,  quoiqu'il  n'y  ait  pas  de  lianes,  il  est  difficile  de 
pénétrer.  La  partie  du  continent  qui  avoisine  la  passe  de  l'est 
est  celle  qui  nous  a  montré  les  arbres  les  plus  élevés.  Tous 
ces  végétaux  ,  du  reste,  ont  le  même  aspect ,  et  la  plupart  sont 
de  même  espèce  que  ceux  précédemment  indiqués. 

Dans  le  règne  animal ,  nous  commençâmes  à  trouver  de 
nombreuses  différences  parmi  les  oiseaux  qui  y  sont  plus  nom- 
breux et  plus  variés  qu'à  la  terre  de  Nuitz.  Nous  y  trouvâmes 
dans  ceux  de  mer  :  deux  Cormorans,  un  petit  Héron  blanc  et 
un  Chevalier,  que  nous  n'avions  pas  rencontrés  au  port  du  Roi- 
Georges.  Il  y  existe  aussi  des  Cygnes  noirs,  des  Pélicans,  des 
Vanneaux  armés ,  des  légions  de  Canards ,  etc. 

Relativement  aux  mammifères,  nous  ne  fûmes  pas  plus  heu- 
reux ici  qu'ailleurs  pour  nous  procurer  des  Kanguroos  ,  quoi- 
que nous  eussions  des  chiens  et  des  hommes  exercés  à  les 
prendre.  Mais  en  trouvant  la  tète  d'un  Koala ,  nous  cons- 
tatâmes l'existence ,  sur  le  continent ,  d'un  animal  qu'on  n'a- 
vait encore  rencontré  que  sur  l'île  de  Van-Diémen.  Les  pê- 
cheurs de  Phoques ,  qui  habitent  ce  port ,  nous  procurèrent  un 
de  ces  animaux  adultes  et  une  douzaine  de  très-jeunes.  Ils 
allèrent  les  chercher,  avec  la  certitude  positive  de  les  trouver, 
sur  les  rochers  qui  sont  à  l'entrée  de  la  rade.  Les  jeunes  Phoques 
sont  aussi  caressans  et  intéressans  que  les  petits  chiens.  Ils  bê- 
lent comme  les  chevreaux  ,  et  viennent  facilement  lorsqu'on  les 


NOTES.  209 

appelle.  A  cet  âge  leur  pelage  est  noir.  Ils  sont  du  genre  de 
ceux  qui  ont  des  oreilles  extérieures. 

La  mer  nous  a  paru  fournir  assez  de  poissons.  Si  nous  n'en 
avons  pas  beaucoup  pris  avec  la  seine,  cela  semble  tenir  à  ce 
qu'on  a  jeté  ce  filet  à  marée  basse.  Néanmoins  on  pourra  tou- 
jours fournir  aux  équipages  de  la  Raie  qui  y  est  en  grande  abon- 
dance ,  de  même  qu'une  petite  espèce  de  Squale  à  long  nez. 

Le  naturaliste  y  fera  une  ample  récolte  de  Mollusques,  de 
Zoophytes  ,  de  Polypiers  divers.  Rien  n'est  plus  agréable  avoir 
que  la  passe  de  l'est,  lorsque  la  mer  a  mis  à  découvert  le  sommet 
de  ces  nombreux  rochers  recouverts  de  la  plus  éclatante  verdure. 
Quelques-uns  n'apparaissent  sur  les  eaux  que  comme  de  lon- 
gues lignes  verdatres  sur  lesquelles  contraste  la  blancheur  des 
Mouettes  et  des  Pélicans  qui  viennent  s'y  ranger  à  la  file.  C'est 
ici  plus  que  partout  ailleurs  qu'on  trouve  de  ces  Fucus,  de  ces 
Ulvas,  dont  les  formes,  aussi  variées  que  les  nuances,  charment 
l'œil  par  le  moelleux  et  le  velouté  de  leurs  teintes,  et  qu'au- 
cune végétation  terrestre  ne  peut  rendre.  Sous  ces  touffes 
amoncelées  on  trouve  par  centaines  les  plus  élégantes  de  toutes 
les  coquilles,  les  jolies  Phasianelles  qui  fuient  l'éclat  de  la  lu- 
mière en  attendant  que  la  mer  montante  les  ramène  dans  ses 
profondeurs.  Il  semble  que  les  poètes  avaient  sous  leurs  yeux 
ce  brillant  spectacle  de  la  vie  et  du  mouvement  lorsqu'ils  se 
plurent  à  embellir  et  décrire  l'empire  de  Thétis. 

Les  pêcheurs  établis  temporairement  dans  ce  port  parais- 
sent en  avoir  éloigné  les  naturels.  Ils  ont  eu  avec  eux  des  dé- 
mêlés dont  les  premiers  ont  été  victimes.  11  paraîtrait  que  ce 
serait  pour  avoir  voulu  leur  enlever  des  femmes,  que  les  na- 
turels, fondant  sur  eux  à  l'improviste,  en  auraient  tué  cinq. 
Nous  fûmes  contrariés  de  n'en  voir  aucun  pour  les  comparer 
aux  diverses  peuplades  de  cette  terre  que  nous  avons  vues. 

Avant  que  de  laisser  ce  lieu  nous  ferons  observer  à  ceux  qui 
fréquenteront  l'île  des  Français  de  ne  pas  attendre,  pour  y  aller 
ou  en  revenir,  que  la  mer  soit  basse ,    parce  qu'elle  est  entourée 
d'une  vase  molle  très-profonde,  dans  laquelle  on  enfonce  jus- 
tome   i.  *4 


210  NOTES. 

qu'à  la  ceinture.  Nous  eûmes  toutes  les  peines  du  monde  à 
nous  en  retirer.  Nous  croyons  que  dans  l'ouvrage  du  capitaine 
Freycinet  il  est  fait  mention  du  même  inconvénient  pour  l'île 
aux  Anglais. 

Le  19  novembre  nous  laissâmes  Port-Western.  Les  sept  jours 
que  nous  y  demeurâmes  furent  suffisans  pour  nous  procurer 
dans  tous  les  genres  une  assez  bonne  récolte  d'objets  rares  et 
nouveaux,  et  pour  rectifier  la  géographie  de  plusieurs  points 
qui  n'avaient  été  vus  que  par  les  canots  de  l'expédition  Baudin. 

(Journal  de  M.  Quoy.} 

page   i44- 

M.  Quoy  trouva  enfin  une  petite  trigonie  vivante, 
coquille  qu'il  cherchait  depuis  long-temps  à  cet  état , 
et  dont  il  n'avait  pu  se  procurer  que  des  valves  sé- 
parées à  Port-Western. 

Nous  côtoyions  la  côte  de  la  Nouvelle-Hollande  de  très- 
près  ;  quelquefois  nous  n'en  étions  qu'à  un  mille  ;  et  lorsque  le 
calme  se  joignait  à  une  petite  profondeur,  nous  jetions  la  dra- 
gue qui  nous  apportait  toujours  quelques  objets  curieux  pour 
l'histoire  naturelle.  C'est  ainsi  que  sous  le  cap  Dromadaire 
nous  obtînmes  une  Trigonie  vivante ,  dont  nous  n'avons  trouvé 
que  des  coquilles  séparées  à  Port-Western.  Ce  mollusque  est 
remarquable  en  ce  qu'on  croyait  qu'il  n'existait  plus  dans  la 
nature  vivante,  et  qu'il  n'était  que  fossile.  On  en  trouve  beau- 
coup à  cet  état  dans  les  environs  de  Paris. 

(Journal  de  M.  Quoy.} 

PAGE    l49- 

C'est  qu'une  foule  de  points  leur  offrent  des  res- 
sources d'une  autre  nature,  etc. 

En  passant  devant  la  baie  Jervis,  le  commandant  y  laissa 


NOTES.  211 

tomber  l'ancre,  et  nous  y  demeurâmes  trois  jours.  C'est  un  bel 
et  vaste  enfoncement  dans  la  profondeur  duquel  on  trouve  un 
assez  bon  mouillage,  d'où  l'on  n'aperçoit  plus  l'entrée.  De  sorte 
qu'on  est  environné  de  toutes  parts  par  la  terre.  11  est  étonnant 
que  ce  port,  qui  n'est  qu'à  environ  trente  lieues  de  Port-Jackson  , 
n'ait  pas  un  établissement.  Celui  de  Cow-Pasture  n'est  distant 
de  Jervis  que  de  quinze  lieues.  La  base  du  sol  est  un  grès  blanc 
friable.  On  y  voit  un  petit  ruisseau.  La  végétation  y  est  belle 
et  vigoureuse.  De  grandes  et  belles  forêts  dégagées  de  sous- 
bois  viennent  finir  sur  le  bord  du  rivage,  et  présentent  dans 
leur  massif  naturel  la  disposition  des  jardins  anglais.  Elles  re- 
cèlent beaucoup  d'oiseaux,  principalement  la  Perruche  à  tète 
bleue,  et  celle  à  face  aurore;  et  des  vols  de  Kakatoès  noirs, 
espèces  que  l'on  retrouve  à  Port-Jackson. 

Cette  baie  abonde  en  poissons  qu'on  peut  prendre  à  la  seine, 
mais  qu'il  est  plus  simple  de  se  procurer  à  la  ligne,  aux  en- 
virons des  rochers,  parce  que  les  espèces  qu'on  se  procure 
ainsi  sont  meilleures  et  plus  grosses.  C'est  le  pays  des  Squales. 
Nous  nous  procurâmes  celui  si  singulier  de  Philipp ,  et  un 
autre  ayant  sept  ouvertures  branchiales. 

A  l'endroit  du  mouillage  était  une  habitation  de  naturels, 
qu'à  leur  air,  leur  tournure  et  leur  embonpoint,  on  voyait 
manifestement  se  ressentir  du  voisinage  des  Anglais.  L'un 
d'eux  parlait  même  cette  langue  assez  bien  pour  se  faire  en- 
tendre. La  construction  mieux  entendue  de  leur  cabane ,  et 
une  pirogue  pour  la  pêche  annonçaient  un  degré  de  civilisa- 
tion plus  avancée ,  et  une  nourriture  plus  abondante  et  plus 
certaine,  dont  leur  physique  se  ressentait  d'une  manière  très- 
sensible,  surtout  lorsque  nous  les  comparions  aux  habitans  du 
port  du  Roi-Georges.  ' 

(Journal  de  M.  Quoy.) 


212  NOTES. 

PAGE    l58. 

La  plupart  des  personnes  que  nons  rencontrons  ici 
nous  parlent  avec  plaisir  des  relations  qu'elles  ont 
eues  avec  les  officiers  français  de  la  Thétis  et  de  l'Es- 
pérance. 

Nous  apprîmes  le  séjour  que  venait  de  faire  ici  le  capitaine 
Bouffainvîtle  ,  et  l'honorable  empressement  que  les  états-majors 
des  deux  navires  qu'il  commandait  avaient  apporté  à  faire 
élever  à  Botany-Bay  un  monument  à  la  mémoire  de  La  Pé- 
rouse.  On  sait  que  c'est  de  ce  lieu  que  ce  malheureux  naviga- 
teur donna  pour  la  dernière  fois  de  ses  nouvelles.  Lorsqu'aux 
îles  Sandwich  je  vis  le  lieu  où  le  célèbre  Cook  fut  tué ,  je  fus 
très-étonné  de  voir  que  l'Angleterre  n'avait  distingué  par 
aucun  monument  la  place  où  fut  versé  le  sang  d'un  des  plus 
grands  navigateurs  modernes. 

(Journal  de  M.  Quoy.) 


VOYAGE 


L'ASTROLABE. 


CHAPITRE  IX. 


HISTOIRE     DF.     LA     COLONIE     DE     LA     NOUVELLE-GALLES    DU     ST7D. 


Depuis  long-temps  l'Angleterre  avait  adopté  le 
moyen  de  se  débarrasser  des  malfaiteurs  qui  s'élevaient 
dans  son  sein ,  en  les  envoyant  dans  ses  possessions 
d'Amérique.  Par  cette  mesure  à  la  fois  sage  et  philan- 
tropique,  la  société  se  trouvait  délivrée  d'une  classe 
d'hommes  toujours  funeste  à  sa  tranquillité  ;  ces  mal- 
heureux eux-mêmes ,  éloignés  du  théâtre  de  leur  dés- 
honneur, et  revenus  à  de  meilleures  dispositions,  de- 
venaient souvent  des  membres  utiles  de  leur  nouvelle 
patrie,  et  leur  postérité,  confondue  par  le  temps  avec 
celle  des  habitans  d'origine  libre,  formait  le  germe 
de  colonies  puissantes.  En  effet  leurs  progrès  furent 


214  VOYAGE 

rapides  ;  des  contrées  naguère  couvertes  de  forets  im- 
pénétrables ,  et  occupées  par  des  tribus  éparses  et  peu 
nombreuses ,  nourrirent  bientôt  des  peuples  actifs  et 
industrieux.  Traités  avec  équité  par  leur  mère-patrie, 
jamais  ils  n'eussent  oublié  leur  origine  et  fussent  restés 
ses  alliés  fidèles  et  obéissans.  Mais  une  politique  mal- 
entendue ,  un  orgueil  insensé  de  la  part  du  gouverne- 
ment anglais ,  lui  fit  perdre  les  immenses  avantages 
qu'il  pouvait  retirer  de  ses  colonies  ;  long-temps 
encore  celles-ci  endurèrent  les  mépris  et  les  procédés 
injustes  du  cabinet  de  Saint-James  ;  enfin  leur  patience 
se  lassa,  l'étendard  de  la  révolte  fut  levé ,  leur  indé- 
pendance proclamée,  et  d'en  fans  soumis  et  affection- 
nés ,  ils  devinrent  des  ennemis  irréconciliables. 

A  dater  de  ce  moment ,  la  Grande-Bretagne  dut  re- 
noncer au  système  qu'elle  suivait  envers  ses  criminels  ; 
elle  se  vit  obligée  de  les  renfermer  de  nouveau  sur 
des  pontons  ou  dans  des  maisons  de  correction. 

Banks,  au  retour  du  voyage  qu'il  venait  d'exécuter 
avec  le  capitaine  Cook ,  fit  un  portrait  si  séduisant  des 
contrées  qui  avoisinaient  la  rade  de  Botany-Bay  et  des 
ressources  qu'elle  pouvait  offrir,  que  l'on  conçut  dès- 
lors  l'espoir  d'en  faire  un  lieu  de  déportation.  En  effet, 
l'immense  intervalle  entre  ce  point  et  toute  autre  colonie 
européenne ,  la  faiblesse  extrême  et  la  profonde  misère 
des  indigènes ,  en  ôtant  aux  condamnés  tout  espoir 
d'échapper  à  leur  punition,  rendaient  cette  contrée 
très-propre  à  un  pareil  établissement  ;  tandis  que  son 
admirable  situation,  à  égale  distance  environ  des  comp- 
toirs de  l'Inde,  de  la  Chine  et  de  l'Amérique,  lui  pré- 


DE  L'ASTROLABE.  215 

sageait  pour  l'avenir  les  plus  grands  avantages  pour 
le  commerce  et  la  navigation.  Cependant,  détournée 
par  d'autres  intérêts,  l'Angleterre  ne  put.  d'abord  exé- 
cuter ce  projet;  ce  ne  fut  qu'en  1 786  qu'elle  commença 
à  s'en  occuper  sérieusement. 

Neuf  bàtimens,  du  port  de  trois  ou  quatre  cents  ton- 
neaux, furent  frétés  pour  transporter  les  criminels 
qui  devaient  former  le  noyau  de  l'établissement,  les 
provisions  et  les  munitions  nécessaires.  Arthur  Phil- 
lip,  désigné  pour  être  le  gouverneur,  mit  son  pavillon 
sur  la  frégate  le  Strias ,  de  vingt  canons  ,  et  le  brick 
Sapply  (capitaine  Bail)  devint  sa  conserve. 

Cette  flottille  portait  mille  dix-sept  personnes  pour 
la  nouvelle  colonie,  savoir  :  cinq  cent  soixante-cinq 
hommes  condamnés ,  cent  quatre-vingt-douze  femmes 
et  les  diverses  autorités  nommées  pour  la  régir  et  l'ad- 
ministrer. Celles-ci  se  composaient,  outre  le  gouver- 
neur, du  major  commandant  les  troupes  de  marine, 
destiné  à  être  lieutenant-gouverneur,  de  l'adjudant- 
quartier-maitre ,  de  quatre  capitaines ,  dont  un  devait 
remplir  les  fonctions  déjuge-avocat,  de  douze  lieute- 
nans,  douze  sergens,  douze  caporaux,  huit  tambours 
et  cent  soixante  soldats  de  marine. 

On  mit  à  la  voile  le  1 1  mai  ;  on  relâcha  à  Sainte- 
Croix  de  Ténériffe  ,  à  Rio-Janeiro  et  au  cap  de  Bonne- 
Espérance  ,  où  l'on  prit  des  rafraichissemens ,  des 
graines  et  beaucoup  de  bétail.  Le  7  janvier  1788,  la 
pointe  du  sud  de  Van-Diémen  fut  doublée,  et  le  20 
toute  l'escadre  mouilla  sur  la  rade  de  Botany-Bay. 
Trente-deux  hommes  seulement  périrent  dans  cette 

*5' 


21 G  VOYAGE 

longue  traversée,  bien  qu'un  grand  nombre  fussent 
malades  en  quittant  l'Angleterre. 

Phillip  ne  tarda  pas  à  reconnaître  que  le  ter- 
rain qui  bordait  Botany-Bay  n'était  nullement  propre 
à  devenir  le  siège  de  la  colonie.  Le  seul  endroit  qui 
eût  pu  convenir  à  cet  objet,  près  de  la  pointe  du  sud, 
manquait  d'eau  douce.  Il  dirigea  ses  rechercbes  vers 
Port-Jackson,  qui  lui  offrit  un  bassin  magnifique  et 
un  mouillage  assuré  pour  des  flottes  entières;  ce  fut 
sur  les  bords  d'une  des  anses  qui  font  partie  de  ce 
bassin  qu'il  se  décida  à  fonder  son  nouvel  établis- 
sement. 

Le  25  Phillip  se  rendit  à  Port-Jackson  avec  quel- 
ques bâtimens  de  transport,  et  le  jour  suivant,  26  ,  le 
capitaine  Hunier,  du  Sinus,  mit  lui-même  à  la  voile. 
Au  même  instant  les  deux  frégates  du  célèbre  et  mal- 
heureux La  Pérouse  laissaient  tomber  l'ancre  sur  la 
rade  de  Botany-Bay;  chacun  sait  que  c'est  de  ce  lieu 
que  l'on  reçut  ses  dernières  nouvelles. 

Aussitôt  on  s'occupa  de  dégager  le  terrain  pour 
élever  les  tentes  ,  faire  les  premières  plantations ,  et 
parquer  les  bestiaux.  Une  petite  métairie  fut  promp- 
tement  établie,  sous  la  direction  d'une  personne  ame- 
née par  le  gouverneur  ;  pour  la  première  fois  on  vit 
bientôt  croître  sur  ce  sol  le  figuier,  l'oranger,  le  poi- 
rier, le  pommier  et  la  vigne. 

Le  gouverneur  fit  lire  en  public,  par  le  juge-avocat 
Collins,  lacommissiondeSa Majesté, quile  nommait  ca- 
pitaine-général et  gouverneur  en  chef  de  la  Nouvelle- 
Galles  du  sud  et  de  ses  dépendances  ;  ainsi  que  les 


DE  L'ASTROLABE.  217 

lettres  patentes  qui  établissaient  des  Cours  civiles  et 
criminelles  sur  ce  territoire.  Ses  limites  étaient  au  nord, 
le  cap  York,  extrémité  septentrionale  de  la  Nouvelle- 
Hollande  ,  et  au  sud  sa  pointe  méridionale  ;  à  Tinté- 
rieur  et  h  l'ouest,  le  135°  degré  de  longitude  orien- 
tale ,  et  à  Test  toutes  les  îles  adjacentes  de  l'Océan  Pa- 
cifique, comprises  entre  les  parallèles  ci-dessus  dé- 
signés. 

Entraînés  par  leurs  habitudes  vicieuses ,  plusieurs 
des  déportés  se  livrèrent  à  de  nouveaux  crimes ,  et  le 
premier  jugement  de  la  Cour  criminelle,  qui  eut  lieu 
le  1 1  février,  ne  fil  qu'encourager  leur  audace  par  son 
indulgence.  Les  magasins  de  la  colonie  furent  pillés  ; 
cette  fois  une  sage  sévérité  eut  des  effets  plus  salu- 
taires; quelques  coupables  furent  livrés  à  toute  la 
rigueur  des  lois  ;  cet  exemple  servit  de  leçon  aux 
autres. 

La  Cour  criminelle  se  composait  du  juge-avocat  et 
de  six  officiers  de  mer  ou  de  terre  ;  ses  attributions 
étaient  d'examiner  et  de  prononcer  sur  tous  les  délits 
commis  dans  la  colonie,  suivant  les  lois  d'Angleterre. 
Lejuge-avocat  rapportait  l'affaire  par  écrit,  les  témoins 
à  charge  et  à  décharge  étaient  entendus ,  puis  la  Cour 
jugeait  à  la  simple  majorité  si  l'accusé  était  coupable 
ou  non.  En  cas  de  mort  il  fallait  au  moins  cinq  voix 
pour  condamner;  les  sentences  ainsi  prononcées 
avaient  l'effet  d'une  décision  du  jury,  et  le  prévôt-ma- 
réchal était  chargé  de  leur  exécution  par  un  ordre  du 
gouverneur. 

La  Cour  civile  consistait  dans  lejuge-avocat  et  deux 


218  VOYAG£ 

habilans  de  la  colonie,  qui  délibéraient  et  prononçaient 
sur  toutes  les  affaires  litigieuses.  La  sentence  était  exé- 
cutée sur  la  simple  signature  du  juge-avocat  ;  mais  dans 
tous  les  cas  on  pouvait  en  appeler  par-devant  le  gou- 
verneur et  par-devant  le  roi  lui-même  en  son  conseil, 
quand  la  somme  en  litige  dépassait  trois  cents  livres 
sterling. 

En  février,  le  SupphjîxA  expédié  vers  l'île  Norfolk 
pour  y  former,  sous  les  ordres  du  lieutenant  King,  un 
petit  établissement  où  l'on  devait  cultiver  le  lin  de  la 
Nouvelle-Zélande. 

Les  naturels  se  montrèrent  d'abord  bien  inten- 
tionnés à  l'égard  des  nouveaux  venus  ;  aussi  le  gouver- 
neur ne  négligea  rien  pour  maintenir  de  si  heureuses 
dispositions.  Mais  ses  ordres  ne  furent  pas  exécutés  ; 
les  Anglais  se  comportèrent  quelquefois  mal  à  l'égard 
des  naturels;  ceux-ci  ne  tardèrent  pas  à  user  de  re- 
présailles. 

Avril  arriva ,  et  les  approches  de  l'hiver  se  firent 
sentir.  Chacun  se  mit  à  l'ouvrage,  et,  avec  l'aide  des 
marins  des  bâtimens,  on  eut  bientôt  construit  assez  de 
baraques  pour  mettre  tout  le  monde  à  l'abri.  Cepen- 
dant la  colonie  souffrit  beaucoup  des  ravages  du  scor- 
but et  des  maladies  vénériennes  qui  ne  tardèrent  pas 
à  se  déclarer. 

Le  recensement  qui  eut  alors  lieu,  d'après  les 
ordres  du  gouverneur,  prouva  que  l'établissement 
comptait  cinq  vaches,  deux  taureaux,  un  étalon  ,  trois 
jumens  ,  trois  poulains  ,  vingt-neuf  moutons ,  dix-neuf 
chèvres,  vingt-cinq  cochons,  quaranle-neuf  pourceaux, 


DE  L'ASTROLABE.  219 

cinq  lapins ,  dix-huit  dindons  ,  trente-cinq  canards , 
vingt-neuf  oies,  cent  vingt-deux  poules  et  quatre-vingt- 
sept  poulets. 

Le  1 5  mai,  fut  posée  la  première  pierre  de  la  maison 
du  gouverneur. 

Les  naturels  devinrent  de  plus  en  plus  audacieux  , 
ils  assassinèrent  à  diverses  époques  plusieurs  Anglais  ; 
le  gouverneur  se  vit  enfin  obligé  de  donner  la  chasse 
à  ces  dangereux  voisins ,  pour  les  tenir  à  une  certaine 
distance  de  la  colonie. 

La  fin  de  Tannée  1788  et  le  commencement  de  1 789 
furent  marqués  par  de  nombreux  crimes  ;  six  soldats 
même  prirent  part  à  des  tentatives  de  vols.  Il  fallut  des 
exemples  réitérés  pour  réprimer  ces  excès  et  prévenir 
les  suites  funestes  qu'ils  pouvaient  avoir. 

Le  6  mai,  le  Sirias ,  que  le  gouverneur  avait  en- 
voyé au  cap  de  Bonne-Espérance  pour  chercher  des 
vivres,  revint  avec  cent  vingt-sept  mille  livresde  farine, 
qui  furent  d'un  grand  secours;  car  les  blés  semés 
l'année  précédente  avaient  assez  mal  réussi. 

Au  commencement  d'avril  1789,  on  s'aperçut  que 
quelques  grottes,  situées  sur  le  bord  de  la  baie,  étaient 
pleines  de  cadavres  des  naturels  ;  bientôt  on  reconnut 
que  la  petite-vérole  exerçait  ses  ravagés  parmi  eux; 
un  grand  nombre  devinrent  les  victimes  de  celte 
maladie  ;  quelques-uns  cependant ,  qui  reçurent  les 
soins  des  chirurgiens  anglais,  furent  sauvés. 

On  observa  avec  surprise  que  toutes  les  espèces 
d'animaux  qui  avaient  été  réservés  pour  multiplier, 
produisirent  beaucoup  plus  de  mâles  que  de  femelles. 


220  VOYAGE 

Sur  une  portée  de  douze  petits  cochons ,  il  ne  se  trouva 
que  trois  femelles ,  et  une  seulement  sur  sept  che- 
vaux ;  il  en  fut  de  même  généralement  de  toutes  les 
autres  races  d'animaux.  Cette  singularité  fît  naître 
alors  de  sérieuses  craintes ,  en  ce  que  le  manque  de 
femelles  pouvait  retarder  de  beaucoup  l'époque  où 
l'on  pourrait  se  passer  des  secours  de  la  mère-patrie. 

Au  mois  de  décembre  la  récolte  eut  lieu  ;  elle  pro- 
duisit, à  Rose-Hill,  deux  cents  boisseaux  de  blé,  trente- 
cinq  d'orge ,  un  peu  d'avoine  et  une  petite  quantité  de 
maïs ,  qui  fut  en  entier  réservée  pour  semis.  En  outre, 
vingt-cinq  boisseaux  d'orge  furent  recueillis  dans  un 
petit  morceau  de  terre  cultivée  à  Sydney,  nommé  la 
Ferme  du  gouverneur.  Tel  fut  le  premier  fruit  que  les 
Européens  retirèrent  de  leurs  travaux  et  de  leurs 
sueurs  sur  cette  terre  lointaine ,  qui  jusqu'alors  n'a- 
vait vu  croître  que  les  végétaux  qu'elle  tenait  des  mains 
de  la  nature. 

L'hiver  de  1790  fut  pénible,  car  les  provisions  ti- 
raient à  leur  fin  ;  on  ignorait  quand  il  pourrait  en  ar- 
river de  nouvelles  d'Angleterre,  et  l'on  fut  obligé  de 
faire  des  réductions  sur  les  rations  en  tout  genre.  Heu- 
reusement la  pêche  fournissait  de  grandes  ressources  ; 
par  ordre  du  gouverneur,  on  donna  du  poisson  en  ra- 
tion à  raison  de  dix  livres  pour  remplacer  deux  livres 
et  demie  de  porc  salé. 

Pour  diminuer  encore  la  consommation  de  la  colo- 
nie ,  on  fit  passer  en  mars  deux  compagnies  des  troupes 
de  marine,  cent  seize  condamnés,  soixante-huit  fem- 
mes et  vingt-sept  enfans  à  Norfolk  ,  sur  les  navires  le 


DE  L'ASTROLABE.  221 

Strias  et  le  Supply.  Le  sol  de  cette  île  s'était  montré 
bien  plus  fertile  que  celui  de  Sydney,  et  toutes  les 
plantations  avaient  admirablement  réussi. 

L'inquiétude  universelle  fut  encore  augmentée  par 
le  naufrage  du  Sirîas ,  qui  se  perdit  sur  les  brisans  de 
l'île  IXorfolk ,  car  c'était  sur  ce  navire  que  se  fondaient 
toutes  les  espérances  ;  c'était  lui  qui  devait  aller  à  la 
recherche  de  nouvelles  provisions. 

La  ration  habituelle  déjà  bien  réduite  fut  encore 
diminuée  ;  tous  ceux  qu'on  put  assigner  à  ce  service 
furent  employés  à  chasser  et  à  pêcher  pour  la  subsis- 
tance de  la  colonie.  Mais  de  ces  deux  moyens  le  der- 
nier fut  insuffisant ,  et  l'autre  presque  infructueux. 

La  situation  de  la  colonie  devenant  de  plus  en  plus 
alarmante ,  on  prit  l'unique  mesure  qui  restait  à  ten- 
ter, quelque  tardifs  que  dussent  être  les  secours  qu'on 
devait  en  attendre.  Ce  fut  d'envoyer  le  lieutenant  Bail, 
avec  le  Suppù/,  à  Batavia ,  pour  y  prendre  huit  mois 
de  provisions  pour  lui-même,  y  louer  en  outre  un  na- 
vire qui  devait  l'aider  à  porter  dans  la  colonie  deux 
cent  mille  livres  de  farine ,  soixante  mille  livres  de 
porc,  quatre-vingt  mille  livres  de  bœuf,  et  soixante- 
dix  mille  livres  de  riz.  Il  lit  voile  le  17  avril,  et  son 
retour  ne  pouvait  avoir  lieu  que  dans  six  mois  ! . . . 

Enfin  le  3  juin ,  à  la  satisfaction  générale ,  un  navire 
parut  à  la  côte.  A  son  arrivée  au  mouillage,  il  se  trouva 
que  c'était  le  transport  Lad//  Juliana,  appareillé  de 
Plymouth  le  29  juillet ,  et  chargé  de  deux  cent  vingt- 
deux  convicts  femelles. 

On  sut  alors  que  l'état  d'anxiété  où  se  trouvait  ré- 


222  VOYAGE 

duit  le  nouvel  établissement,  devait  s'attribuer  à  la 
fois  à  la  négligence  et  aux  délais  du  ministère ,  surtout 
à  un  événement  des  plus  malheureux.  Deux  mois 
après  le  départ  du  navire  le  Lady  Juliana,  d'Angle- 
terre, le  Guardian,  de  quarante-quatre  canons ,  com- 
mandé par  le  lieutenant  Puou,  avait  aussi  appareillé, 
chargé  de  provisions ,  qui ,  jointes  à  celles  du  premier 
navire ,  eussent  suffi  pour  alimenter  la  colonie  durant 
deux  années.  Par  malheur  le  Guardian,  en  quittant 
le  cap  de  Bonne-Espérance ,  toucha  contre  une  île  de 
glace  le  23  décembre ,  et  le  choc  fut  si  violent  qu'on 
fut  obligé  de  jeter  la  plus  grande  partie  de  la  cargaison 
à  la  mer  pour  empêcher  le  bâtiment  de  couler.  Par  là 
le  navire  fut  sauvé ,  il  rejoignit  le  cap  au  moment 
même  où  le  Juliana  y  arriva,  et  celui-ci  embarqua 
soixante-quinze  barils  de  farine  qui  avaient  été  con- 
servés. 

On  apprit  en  outre,  par  le  Juliana,  que  peu  après 
son  départ  mille  autres  convicts  allaient  être  expédiés 
d'Angleterre ,  et  qu'on  levait  un  régiment  de  troupes 
à  pied  pour  le  service  particulier  de  la  colonie.  Ce  sur- 
croit de  bouches  ne  pouvait  être  que  fort  à  charge 
dans  la  circonstance  où  l'on  se  trouvait. 

Heureusement  le  transport  le  Justinian,  qui  arriva 
bientôt  chargé  de  provisions  et  d'objets  de  tout  genre , 
fut  d'un  grand  secours  ;  dès  ce  moment  on  rendit  à 
chacun  sa  ration  complète. 

Dans  les  derniers  jours  de  juin,  les  navires  le  Sur- 
prise, Neptune  et  Scarborough  ,  arrivèrent  avec  les 
condamnés  et  les  soldats  dont  nous  venons  de  parler. 


DE  L'ASTROLABE.  223 

La  santé  de  ces  hommes  avait  beaucoup  souffert  dans 
le  trajet  ;  le  1 3  juillet  l'hôpital  ne  comptait  pas  moins 
de  quatre  cent  quatre-vingt-huit  malades. 

Des  terres  furent  accordées  aux  officiers  et  aux  sol- 
dats envoyés  d'Angleterre,  qui  voulaient  s'établir  dans 
la  colonie.  Les  convicts  libérés,  soit  par  émancipation, 
soit  par  pardon ,  qui  désiraient  devenir  cultivateurs, 
reçurent  aussi  des  terres  a  raison  de  trente  acres  par 
individu,  et  ceux  qui  étaient  mariés,  à  raison  de  cin- 
quante acres,  plus  dix  acres  pour  chaque  enfant  né  au 
moment  de  la  concession.  La  seule  condition  qui  leur 
était  imposée,  était  d'v  résider  et  de  cultiver  leur  terre, 
en  réservant  tout  le  bois  nécessaire  aux  besoins  du 
service  de  la  marine. 

Les  naturels  se  montraient  assez  tranquilles;  ce  fut 
vers  le  mois  de  septembre  de  cette  année  que  Beni- 
long ,  chef  de  la  tribu  voisine  de  Sydney,  commença 
à  se  lier  plus  intimement  avec  les  Anglais.  En  novembre 
il  vint  même  s'établir  près  du  gouverneur,  dans  une 
petite  maison  que  celui-ci  lui  fit  construire  ;  de  cette 
époque  date  l'union  qui  régna  dans  la  suite  entre  les 
tribus  de  Sydney  et  les  colons. 

Dans  le  cours  de  l'année  1  790,  il  mourut  cent  qua- 
rante-trois personnes ,  savoir  :  deux  marins ,  un  sol- 
dat ,  cent  vingt-trois  convicts  hommes ,  sept  idem 
femmes ,  et  dix  enfans. 

En  février  1791  ,  la  chaleur  fut  si  étouffante  a  Rose- 
Hill,  qu'une  quantité  d'oiseaux  et  de  chauve-souris 
tombèrent  mortes  soit  au  vol ,  soit  des  arbres  où  elles 
étaient  suspendues. 


224  VOYAGE 

Dans  le  mois  suivant ,  James  Ruse ,  le  premier  cul- 
tivateur, après  quinze  mois  de  travaux,  jugeant  qu'il 
pouvait  suffire  à  ses  besoins  avec  le  produit  de  sa  mé- 
tairie, renonça  à  ses  droits  sur  les  magasins  publics. 

Le  1 4  juin ,  le  gouverneur  donna  à  la  ville  fondée 
près  de  Rose-Hill ,  le  nom  de  Parramatta. 

Durant  le  reste  de  Tannée ,  on  vit  arriver  successi- 
vement les  transports  le  Mary-Ann,  le  Matilde, 
rAtlaritic ,  le  Salamander ,  le  TVilliam  el  Ann, 
V  Active ,  le  Queen,  Albemarle ,  Britannia  et  VAd- 
miral-Barrington ,  qui  renforcèrent  la  colonie  d'en- 
viron mille  sept  cents  convicts ,  hommes  et  femmes , 
et  de  divers  détachemens  du  régiment  de  la  Nouvelle- 
Galles  du  sud. 

Le  navire  de  Sa  Majesté,  le  Gorgoji,  de  44  canons, 
capitaine  Parker,  arriva  le  21  septembre,  apportant  du 
cap  de  Bonne-Espérance ,  un  veau  mâle ,  seize  vaches , 
soixante-huit  brebis ,  onze  cochons ,  deux  cents  arbres 
à  fruit,  et  quantité  de  semences  de  blé  et  de  légumes, 
Ce  navire  apporta  aussi  un  sceau  pour  la  colonie ,  et 
une  commission  qui  autorisait  le  gouverneur  à  re- 
mettre d'une  manière  absolue  ou  conditionnelle  tout 
ou  partie  des  termes  pour  lesquels  les  convicts  se  trou- 
vaient transportés. 

A  l'époque  du  départ  du  Sapply  pour  l'Angle- 
terre, le  26  novembre,  il  y  avait  déjà  neuf  cent  vingt  et 
une  acres  de  terre  défrichées  et  cultivées.  Dans  ce  mois 
la  mortalité  fut  si  grande  qu'il  périt  cinquante-quatre 
convicts,  cinquante  hommes  et  quatre  femmes.  La 
perle  totale  de  l'année,  par  les  maladies,  fut  de  un 


DE  V ASTROLA.BE.  225 

fonctionnaire  civil ,  deux  soldats ,  cent  cinquante-cinq 
convicls  hommes  ,  huit  femmes  idem, ,  et  cinq  enfans. 

En  1792  on  poursuivit  avec  vigueur  la  construc- 
tion des  bâtimens  en  briques ,  pour  remplacer  les  ba- 
raques en  bois  qui  commençaient  à  tomber  en  ruines. 
Les  vols  se  renouvelaient  d'une  manière  effrayante , 
quoiqu'une  punition  sévère  suivit  de  près  le  crime.  Ce 
qu'il  y  eut  de  plus  triste,  c'est  qu'ils  furent  souvent 
occasionés  par  la  faim ,  motif  qui  en  tout  autre  pays 
eût  pu  servir  d'excuse. 

Le  24  juillet  le  transport  Britannia  apporta  pour 
quatre  mois  de  farine ,  et  huit  mois  de  salaison  pour 
la  colonie  entière  ,  composée  alors  de  quatre  mille  six 
cent  trente-neuf  individus.  On  put  en  conséquence 
augmenter  la  ration  allouée  par  semaine  à  chaque  per- 
sonne. 

Deux  marchés  sont  élevés,  l'un  à  Sydney,  l'autre 
à  Parramatta,  sous  la  direction  de  deux  commis  char- 
gés de  veiller  à  ce  qu'on  n'y  vende ,  achète  ou  échange 
aucuns  objets  volés. 

La  pierre  à  chaux  est  découverte  dans  l'ile  Norfolk; 
cette  utile  matière  devient  d'un  grand  intérêt  pour 
les  habitans  de  la  colonie. 

Au  grand  regret  de  tous  les  gens  de  bien,  sur  la  fin 
d'octobre  le  gouverneur  Phillip  fait  connaître  le  désir 
qu'il  a  de  quitter  son  gouvernement  pour  aller  rétablir, 
en  Angleterre  ,  sa  santé  délabrée. 

Le  1er  novembre  fut  signalé  par  l'arrivée  du  brigantin 
Philadelpfaay  capitaine  Patrickson,  de  Philadelphie, 
qui,  ayant  appris  au  cap  de  Bonne-Espérance  la  disette 


226  VOYAGE 

de  la  colonie ,  se  dirigea  vers  Port-Jackson  avec  des 
provisions  en  tout  genre.  Le  gouverneur  en  acheta 
pour  la  valeur  de  2,829  liv.  st.  pour  les  magasins  pu- 
blics ;  le  reste  de  la  cargaison  fut  vendu  aux  divers 
officiers  avec  beaucoup  d'avantages. 

Le  premier  numéraire  qui  vint  dans  la  colonie , 
pour  l'usage  du  gouvernement ,  fut  une  caisse  de  dol- 
lars formant  1,000  liv.  st.,  ce  qui  facilita  beaucoup 
les  menues  affaires  du  commerce. 

V Atlantic  mit  à  la  voile  le  1 1  septembre ,  ayant  à 
bord  le  gouverneur  Phillip  et  deux  naturels,  Benilong 
et  Jemmera-Wanik ,  qui  s'étaient  attachés  à  sa  per- 
sonne. 

Les  concessions  faites  aux  cultivateurs  s'élevaient 
alors  à  trois  mille  quatre  cent  soixante-dix  acres,  dont 
quatre  cent  dix-sept  et  demie  en  pleine  culture,  et  cent 
seulement  éclaircies.  En  outre  mille  douze  acres  et 
demie  étaient  défrichées  et  cultivées  pour  les  besoins 
publics.  Cela  prouve  combien  un  petit  nombre  de  con- 
victs ,  travaillant  pour  leur  propre  compte ,  opérèrent 
de  bien  plus  grands  résultats  que  la  masse  entière 
employée  au  compte  du  gouvernement. 

Durant  Fabsence  du  capitaine  Phillip,  sa  place  fut 
occupée  par  Francis  Grose ,  major  commandant  le 
corps  de  New-South-Wales ,  qui  fit  remplir  par  des 
officiers  militaires  les  charges  occupées  par  des  civils. 

En  1793,  plusieurs  officiers,  avec  l'autorisation 
du  gouvernement ,  choisirent  des  terres  à  Parramatta 
et  sur  les  bords  de  la  baie ,  afin  de  les  cultiver  pour 
leur  propre  compte.   Chaque  officier  put  employer 


DE  L'ASTROLABE.  227 

dix  convicts  :  comme  on  leur  permit  de  les  payer  en 
esprits  (rhum),  les  propriétés  furent  bientôt  d'un 
grand  produit. 

Le  10  janvier,  le  transport  Bel/ona,  chargé  de  pro- 
visions, apporta  cinq  colons  libres  avec  leurs  familles  ; 
le  lieu  où  ils  s'établirent  prit  le  nom  de  Liber  h/ -Plains. 
Le  gouvernement  anglais  leur  accordait  le  passage  et 
la  nourriture,  les  outils  propres  à  la  culture,  leur 
fournissait  les  vivres  de  la  colonie  durant  deux  ans, 
leur  concédait  des  terres  sans  aucune  redevance  et  les 
convicts  nécessaires  pour  les  défricher,  avec  la  ration 
de  ceux-ci  durant  deux  ans. 

Le  1 3  mars ,  les  deux  navires  espagnols  Descu- 
bierta  et  Atrcvida,  commandés  par  Malespina  et 
Bustamiento,  et  employés  à  un  voyage  de  décou- 
vertes dans  la  mer  du  Sud,  mouillèrent  sur  la  rade. 
On  leur  permit  de  bâtir  un  observatoire  sur  la  pointe 
du  port,  près  de  la  hutte  de  Benilong,  qui  leur  servait 
de  magasin  pour  les  instrumens.  La  présence  de  ces 
étrangers  rompit  l'uniformité  des  événemens  à  Syd- 
ney, et  devint  une  source  d'amusemens  pour  ses  ha- 
bitans. 

Au  mois  de  juillet  fut  commencée  l'érection  d'une 
église  de  soixante-treize  pieds  de  long  sur  quinze  de 
large.  Elle  devait  être  construite  en  pierres ,  chaux  et 
plâtre  ,  et  surmontée  d'un  toit  de  chaume. 

Le  samedi  23  novembre  de  cette  année,  on  fit  dans 
les  magasins,  pour  la  première  fois,  des  distributions 
de  grains  provenant  de  la  colonie  ;  on  éprouva  d'abord 
quelque    difficulté  pour  la  mouture  ;   mais  on   éta- 


228  VOYAGE 

blit  d'autres  moulins,  et  cet  obstacle  fut  bientôt 
surmonté. 

A  la  fin  de  l'année,  Sydney  s'était  accru,  depuis  le 
départ  du  gouverneur  Phillip ,  de  cent  cabanes  et  de 
cinq  baraques. 

Des  bateaux  de  passage  établis  pour  communiquer 
par  eau ,  de  Sydney  à  Parramatta ,  furent  conduits 
par  des  convicts  qui  avaient  fini  leur  temps  ;  le  prix 
du  trajet  fut  fixé  à  un  schelling  par  personne  et  autant 
pour  chaque  quintal  de  port  du  bagage. 

L'année  1793  vit  périr  cent  cinquante-trois  per- 
sonnes ,  savoir  :  sept  soldats ,  deux  cultivateurs , 
soixante  -  dix  -  huit  convicts  mâles,  vingt-six  idem 
femmes,  et  vingt-neuf  enfans. 

Au  mois  de  mars  1794,  la  colonie  se  vit  encore 
menacée  d'une  nouvelle  disette;  le  jour  même  où  Ton 
faisait  les  dernières  distributions  des  provisions  des 
magasins ,  le  William  de  Londres  arriva  avec  onze 
cent  soixante-treize  barils  de  bœuf,  et  cinq  cent  sept 
de  lard;  et  quelques  jours  après,  l'Arthur,  du  Ben- 
gale, avec  diverses  provisions. 

Les  défrichemens  s'étendirent  sur  une  plus  grande 
échelle ,  et  les  plantations  de  l'île  Norfolk  réussirent 
au-delà  de  toutes  les  espérances  ;  King ,  gouverneur 
de  cet  établissement ,  avait  acheté  des  colons  onze 
mille  boisseaux  de  maïs,  en  billets  tirés  sur  le  trésor; 
mais  le  lieutenant-gouverneur  Grose  ne  jugea  pas  à 
propos  de  les  accepter,  et  les  cultivateurs  découragés 
abandonnèrent  leurs  terres  pour  revenir  à  la  Nouvelle- 
Galles  du  sud.  Vers  la  fin  du  mois  de  décembre ,  le 


DE  L'ASTROLABE.  229 

lieutenant-gouverneur  G  rose  quitta  la  colonie ,  et  fut 
remplacé  provisoirement  par  le  capitaine  Paterson 
du  corps  de  New-South-Wales.  Il  ne  mourut  cette 
année  que  cinquante-neuf  personnes. 

Au  commencement  de  1795,  le  maïs  qui  mûrissait 
sur  les  bords  de  l'Hawkesbury,  promettait  au  moins 
trente  mille  boisseaux  de  grains.  Mais  les  pluies  abon- 
dantes qui  survinrent  alors  firent  tellement  déborder 
le  fleuve,  qu'elles  causèrent  de  grands  ravages  aux  ré- 
coltes des  fermiers  et  du  gouvernement. 

Les  naturels  n'avaient  cessé  de  temps  en  temps 
de  se  livrer  à  des  actes  d'bostilité  envers  les  Euro- 
péens, et  même  de  commettre  parfois  des  meurtres; 
cependant  on  les  avait  jusqu'alors  ménagés.  Mais  au 
mois  de  mars  leurs  déprédations  furent  si  répétées  , 
ils  devinrent  si  audacieux ,  que  le  capitaine  Paterson 
fut  obligé  d'envoyer  des  soldats  armés  pour  protéger 
les  colons  contre  leurs  attaques.  Plusieurs  des  natu- 
rels de  la  tribu  de  Bédia-Gal ,  habitante  des  bois,  qui 
s'étaient  montrés  les  plus  âpres  au  pillage,  furent 
exterminés. 

Le  Providence  de  28  canons,  capitaine  Broughton, 
arriva  d'Angleterre.  Le  courant  l'avait  entraîné  jus- 
que devant  Port-Stephens,  où  le  capitaine  trouva  et 
recueillit  a  bord  quatre  misérables  individus  qui  s'é- 
taient échappés  de  Sydney,  en  1790,  et  que  chacun 
croyait  noyés  ,  d'après  le  mauvais  état  du  canot  qui 
les  portait.  L'histoire  qu'ils  firent  servit  quelque 
temps  d'aliment  à  la  curiosité  publique.  11  paraît 
qu'ayant  abordé  à  Port-Stephens,  ils  vécurent  h  la 

TOME    I.  l6 


230  VOYAGE 

manière  des  sauvages  :  mais  la  nourriture  de  ceux-ci 
n'était  nullement  de  leur  goût.  Chacun  d'eux  reçut 
des  naturels  un  nom  et  une  femme,  et  deux  en  eurent 
des  enfans.  Les  naturels  les  nourrissaient,  et  les  con- 
sidéraient comme  de  malheureuses  créatures  qui 
avaient  droit  à  leur  protection  ;  lorsque  ceux-ci  com- 
mencèrent à  se  faire  entendre  des  sauvages ,  ils  leur 
persuadèrent  qu'ils  étaient  les  esprits  de  leurs  ancê- 
tres ;  un  de  ces  bons  naturels  crut  si  bien  à  cette  fable, 
qu'il  lui  sembla  reconnaître  les  traits  de  son  père  dans 
un  des  convicts ,  et  il  le  conduisit  au  lieu  où  ses  restes 
avaient  été  brûlés. 

Le  7  septembre,  le  gouverneur  Hunter  arriva  sur 
le  navire  le  Reliance  ;  il  prit  les  rênes  du  pouvoir  le 
1 1  du  même  mois.  Un  des  premiers  actes  de  son  gou- 
vernement ,  fut  d'ordonner  un  recensement  exact  des 
personnes  et  des  bestiaux  vivans  dans  la  colonie. 

Il  recommanda  la  culture  du  maïs  sur  la  plus 
grande  échelle  pour  la  nourriture  du  bétail ,  et  accepta 
les  billets  souscrits  par  le  gouverneur  de  Norfolk , 
que  son  prédécesseur  avait  refusés.  Il  ne  tarda  pas 
non  plus  à  rétablir  dans  leurs  fonctions  les  magistrats 
civils. 

En  novembre ,  la  presse  apportée  par  le  gouver- 
neurPhillip,  et  dont  on  ne  s'était  jamais  servi,  ayant 
été  mise  en  activité,  les  ordres  du  gouvernement  furent 
désormais  imprimés. 

Dans  ce  même  mois,  on  acquit  la  certitude  que  les 
bestiaux  perdus  en  1 788  avaient  été  retrouvés  sur  les 
bords  du  Nepean.  En  effet ,  le  gouverneur  suivi  de 


DE  L'ASTROLABE.  231 

MM.  Collins,  Water-Houseet  Bass,  qui  s'étaient  mis 
en  marche  pour  juger  de  la  vérité  par  leurs  propres 
yeux ,  trouvèrent  bientôt  un  beau  troupeau  de  soixante 
bètcs  à  cornes  paissant  dans  un  agréable  et  fertile  pâtu- 
rage. Afin  de  s'assurer  si  ces  animaux  étaient  bien  les 
mêmes  qui  étaient  venus  du  Cap,  le  gouverneur  donna 
Tordre  de  tuer  un  veau.  On  ne  put  y  réussir,  et  l'on  fut 
attaqué  par  un  taureau  furieux  qui  conduisait  l'arrière- 
garde  ;  on  se  vit  obligé  de  le  tuer  pour  se  défendre  de 
ses  attaques  ;  un  examen  attentif  donna  la  solution 
qu'on  cherchait. 

Ces  animaux ,  au  nombre  de  deux  taureaux  et  cinq 
vaches  perdus  en  1788,  avaient  sans  doute  marché 
vers  l'ouest  jusqu'au  bord  du  Nepean,  et,  l'ayant  faci- 
lement traversé ,  ils  s'étaient  trouvés  dans  un  terrain 
bien  arrosé  et  fertile  en  pâturages ,  où  ils  s'étaient 
établis  et  avaient  promptement  multiplié. 

Il  y  eut  alors  des  personnes  qui  proposèrent  de  faire 
des  tentatives  pour  ramener  ces  fugitifs  à  rétablisse- 
ment; mais  l'avis  du  capitaine  Collins  fut  de  les  laisser 
tranquilles  durant  quelques  années  ,  vu  qu'ils  pour- 
raient, comme  dans  l'Amérique  méridionale ,  devenir 
un  objet  de  commerce  suffisant ,  non-seulement  pour 
la  consommation  du  pays ,  mais  encore  pour  son  ex- 
portation. Le  gouverneur,  goûtant  cette  raison,  se 
décida  à  les  protéger  de  tout  son  pouvoir,  et  à  les 
garantir  de  toutes  sortes  d'injures. 

Le  naturel  Benilong  était  revenu  avec  le  gouverneur 
Hunter,  et  durant  son  absence  avait  acquis  des  ma- 
nières et  une  sorte  deducation  qui  relevaient  beau- 


232  VOYAGE 

coup  au-dessus  de  ses  compatriotes.  Il  s'absentait 
souvent  du  gouvernement,  mais  quand  il  revenait, 
il  ne  paraissait  jamais  devant  le  gouverneur  sans  s'ha- 
biller, car  il  laissait  toujours  ses  vêtemens  chez  lui 
quand  il  entreprenait  quelque  excursion. 

Immédiatement  après  son  arrivée ,  son  premier  soin 
fut  de  s'informer  de  sa  femme  Gorou-Barrou-Boullo, 
qu'il  trouva  unie  à  Karuey.  A  la  vue  d'un  très-joli 
jupon  rouge  et  d'un  corset  de  gros  drap  accompagné 
d'un  bonnet  de  la  même  couleur,  elle  quitta  son  amant 
pour  reprendre  son  ancien  époux.  Néanmoins  ,  peu 
de  jours  après ,  à  la  surprise  générale ,  on  vit  la  dame 
débarrassée  de  toute  espèce  de  toilette,  et  Benilong 
était  absent.  On  chercha  Karuey,  et  on  apprit  alors 
qu'il  avait  été  rudement  battu  par  Benilong,  qui  avait 
assez  appris  de  la  méthode  anglaise  pour  faire  usage 
de  ses  poings  en  place  des  armes  de  son  pays ,  au 
grand  regret  de  Karuey,  car  celui-ci  eût  bien  préféré 
se  mesurer  sur  le  terrain  avec  son  rival ,  armé  de  la 
lance  et  du  casse-tête.  Karuey  étant  de  beaucoup  le 
plus  jeune,  et  la  dame  n'étant  pas  femme  à  demi, 
suivit  son  penchant ,  et  Benilong  fut  obligé  de  re- 
noncer à  elle  sans  plus  d'opposition.  Il  parut  satisfait 
de  la  correction  qu'il  avait  donnée  à  Karuey,  et  fit 
entendre  que,  pour  le  moment,  il  resterait  sans 
femme,  et  verrait  par  la  suite  à  faire  un  meilleur 
choix. 

Vers  la  fin  de  cette  année ,  un  phénomène  extraor- 
dinaire arriva  dans  l'Hawkesbury.  Quatre  fermes 
eurent  leurs  récoltes  entièrement  détruites  par  une 


DE  L'ASTROLABE.  233 

pluie  de  glaçons.  Le  blé,  qui  était  encore  debout,  fut 
mis  en  pièces ,  et  le  grain  haché.  Les  tiges  de  maïs 
furent  coupées  et  les  épis  abattus.  Un  homme,  assez 
éloigné  de  toute  habitation,  fut  heureux  de  pouvoir 
se  mettre  à  l'abri  dans  un  creux  d'arbre.  Tous  les  ar- 
bres qui  se  trouvaient  sur  le  chemin  de  ce  grain,  et 
qui  eurent  le  coté  exposé  à  sa  fureur,  furent  maltrai- 
tés comme  s'ils  eussent  reçu  des  décharges  de  mous- 
queterie.  Le  temps  fut  doux  durant  les  deux  journées 
qui  suivirent;  néanmoins  la  glace  resta  sur  la  terre 
en  aussi  gros  morceaux  qu'à  sa  chute.  On  en  trouva 
quelques  blocs,  qu'on  ne  rapporta  que  le  second  jour; 
ils  avaient  de  six  à  huit  pouces  de  long  sur  deux 
doigts  au  moins  d'épaisseur. 

Cette  année  vingt-six  personnes  seulement  périrent 
dans  la  colonie ,  quantité  beaucoup  moindre  qu'on 
n'avait  lieu  de  l'attendre. 

En  179G,  la  contrebande  des  esprits  se  fit  avec 
une  telle  activité,  et  il  en  résulta  tant  d'excès  dans  la 
colonie,  que  le  gouverneur  se  vit  obligé  de  prendre  à 
diverses  époques  plusieurs  moyens  pour  arrêter  ces 
abus.  Mais  ses  efforts  furent  inutiles  ;  il  ne  put  empê- 
cher les  navires  qui  touchaient  à  Port-Jackson ,  de 
débarquer  frauduleusement  cette  denrée  dont  les 
convicls  étaient  si  avides  et  qu'ils  payaient  à  si  haut 
prix. 

Sur  une  enquête  ordonnée  par  le  gouverneur  en 
mai ,  on  reconnut  que  les  colons  des  districts  de  Ponds, 
Field-of-Mars ,  Eastern-Farm ,  Prospcct-Hill  et  Mul- 
grave-Place,  s'étaient  endettés  jusqu'à  la  valeur  de 


234  VOYAGE 

5,098  livr.  sterl.,  par  suite  de  leur  paresse  et  de  leur 
ivrognerie,  qui  les  entraînaient  dans  toutes  sortes 
d'excès. 

Le  20  juin,  le  gouverneur  et  sa  compagnie  furent 
visiter  le  troupeau  sauvage ,  qui  se  trouva  alors 
composé  de  94  animaux.  On  travailla  à  construire 
un  palais  de  justice,  et  on  commença  à  employer 
des  chariots  traînés  par  des  bœufs,  pour  transporter 
le  bois  de  construction  à  Sydney  et  à  Parramatta ,  ce 
qui  épargna  le  travail  de  beaucoup  d'hommes. 

Le  recensement  des  habitans ,  du  bétail ,  et  des  au- 
tres articles^de  la  colonie,  qui  eut  lieu  le  1er  septembre 
de  cette  année,  prouve  quels  progrès  rapides  elle  avait 
faits  depuis  sa  fondation ,  et  de  quel  succès  avaient 
été  couronnés  les  efforts  des  officiers  qui  la  diri- 
geaient. 

Les  animaux  vivans  offrirent  un  total  de  57  che- 
vaux et  jumens  ,101  vaches  et  génisses ,  74  taureaux 
et  veaux,  54  bœufs,  1,531  moutons,  1,427  chèvres 
et  1,869  cochons. 

Le  gouvernement  possédait  de  terre  en 

culture 1,700  acres 

Les  officiers  civils  et  militaires.   .   .   .   1,172 
Les  fermiers 2,547 

Total 5,419 

La  population  consistait  en  4,848  âmes  pour  New- 


DE  L'ASTROLABE.  2SÔ 

SouLli-Wales  et  les  dépendances,  savoir  :  3,959  poul- 
ie continent,  et  889  pour  File  Norfolk. 

Parmi  ceux-là,  321  ne  vivaient  point  aux  dépens 
du  gouvernement.  Quant  aux  3,638  qui  tenaient  leur 
subsistance  des  magasins  publics,  ils  se  trouvaient 
ainsi  distribués,  savoir  :  2,219  à  Sydney,  965  à  Par- 
ramatta,  et  454  dans  l'Hawkesbury. 

La  dépravation  des  convicls  qui  augmentait  rapi- 
dement, et  la  multiplication  de  leurs  délits,  enga- 
gèrent le  gouverneur  à  faire  construire  deux  grandes 
prisons  de  bois  à  Sydney  et  à  Parramalta.  Les  mai- 
sons de  ces  deux  villes  furent  numérotées  et  divisées 
par  quartiers.  Un  babitant  dut  surveiller  dans  cbacun 
de  ces  quartiers  la  tranquillité  publique,  et  trois  watch- 
men  devaient  se  relever  d'année  en  année  avec  l'ap- 
probation du  gouverneur. 

Benilong,  ennuyé  de  la  vie  civilisée,  était  retourné 
à  ses  habitudes  sauvages  ;  il  supplia  le  gouverneur  de 
le  protéger  contre  la  fureur  de  ses  concitoyens,  qui 
voulaient  le  faire  périr  pour  le  meurtre  d'un  homme 
qu'on  l'accusait  d'avoir  tué  près  Botany-Bay,  tandis 
qu'il  protestait  de  son  innocence.  Le  gouverneur, 
acquiesçant  à  sa  prière,  envoya  à  Brickfield,  où  les 
naturels  attendaient  Benilong,  une  garde,  pour  leur 
expliquer  qu'il  n'était  coupable  d'aucun  meurtre,  et 
que  le  gouverneur  ne  permettrait  plus  d'approcher 
de  l'établissement  à  aucun  de  ceux  qui  oseraient  l'in- 
sulter. 

En  mars  1797,  les  naturels  exercèrent  de  grands 
ravages  dans  les  fermes  du  nord.  Les  cultivateurs 


236  VOYAGE 

furent  obligés  de  se  rassembler  pour  se  mettre  à  leur 
poursuite  ;  ils  les  trouvèrent  réunis  au  nombre  de  cent 
environ,  et  les  mirent  en  déroute  en  les  forçant  de 
laisser  leur  butin.  Mais  en  revenant  chez  eux,  ils  fu- 
rent harcelés  à  leur  tour  par  les  sauvages  ;  obligés  de 
faire  feu  dessus,  ils  tuèrent  cinq  hommes  et  en  bles- 
sèrent plusieurs.  Du  nombre  de  ceux-ci,  se  trouvait 
Pe-Mul-Waï,  leur  chef;  il  fut  fait  prisonnier,  mais  il 
réussit  de  suite  à  s'échapper  avec  une  chaîne  aux 
pieds. 

Le  27  juillet,  un  jeune  naturel,  accusé  d'avoir  com- 
mis un  meurtre,  subit  la  peine  du  talion,  ordinai- 
rement employée  en  ces  sortes  d'occasions.  Dans  le 
combat,  deux  lances  percèrent  sa  main;  puis  ses 
amis  se  précipitèrent  sur  ses  adversaires ,  les  défirent 
et  rompirent  leurs  lances.  Benilong  fut  encore  accusé 
d'avoir  tué  une  femme  indigène,  parce  qu'elle  dit  à 
ses  amis,  à  l'instant  de  sa  mort,  qu'elle  rêvait  que 
Benilong  en  avait  été  la  cause  ;  mais  il  protesta  que 
cette  femme  lui  était  parfaitement  étrangère,  ne 
l'ayant  jamais  vue. 

Vers  la  fin  de  septembre ,  une  visite  que  l'on  fit  au 
troupeau  sauvage,  révéla  qu'il  en  existait  au  moins 
deux,  l'un  de  67,  et  l'autre  de  170  tètes  d'ani- 
maux. 

A  la  fin  de  cette  année ,  trois  écoles  pour  l'éduca- 
tion des  enfans  se  trouvaient  déjà  établies  à  Sydney. 
Gomme  les  vacances  commencent,  à  Noël,  102  enfans, 
proprement  habillés  et  accompagnés  par  leurs  maî- 
tres ,  vinrent  présenter  leurs  hommages  au  gouver- 


DE  L'ASTROLABE.  237 

neur,  qui  examina  les  progrès  des  élèves  les  plus 
âgés,  dans  l'écriture,  etc. 

Décembre  vit  terminer  la  toiture  des  nouveaux 
magasins ,  la  tour  qui  devait  recevoir  la  cloche  qu'a- 
vait apportée  le  Reliance,  la  construction  d'un  autre 
moulin  à  vent,  et  les  baraques  des  aides-chirurgiens. 

En  janvier  1798,  les  prisonniers,  arrives  d'Irlande 
sur  les  derniers  navires,  devinrent  si  turbulens, 
qu'il  fallut  avoir  recours  aux  traitemens  les  plus  ri- 
goureux pour  les  fixer  au  travail.  Outre  le  naturel 
vicieux  de  leurs  penchans ,  ils  se  formèrent  l'opi- 
nion ridicule  qu'il  existait,  à  la  distance  seulement 
de  trois  ou  quatre  cents  milles  au  S.  O.  de  l'établisse- 
ment, une  colonie  de  peuples  blancs  où  ils  pourraient 
jouir  de  toute  espèce  de  bonheur  sans  travailler,  pers- 
pective la  plus  flatteuse  que  puissent  imaginer  des 
êtres  comme  eux,  aussi  fainéans  qu'ignorans. 

Par  suite  de  cette  idée,  ils  formèrent  le  projet  de 
s'échapper  de  la  colonie,  et  se  proposèrent  de  l'effec- 
tuer aussitôt  qu'ils  auraient  pu  se  procurer  une  quan- 
tité suffisante  de  provisions. 

Le  gouverneur,  informé  de  ces  desseins,  envoya 
un  magistrat  à  Tongabbi,  où  les  principaux  mécon- 
tens  étaient  employés  ,  pour  leur  représenter  le  dan- 
ger auquel  une  pareille  entreprise  les  exposerait.  En 
outre,  il  leur  annonça  que  le  gouverneur  était  dis- 
posé à  permettre  à  quatre  d'entre  eux  d'aller  aussi 
loin  que  cela  leur  ferait  plaisir,  avec  autant  de  pro- 
visions qu'ils  pourraient  en  porter;  que,  pour  les  pro- 
téger, il  ordonnerait  à  trois  autres  individus,  accou- 


238  VOYAGE 

lûmes  à  courir  les  forêts  et  connus  des  sauvages,  de 
les  accompagner  et  de  les  conduire  dans  toutes  les 
directions  qu'ils  voudraient  désigner. 

D'après  les  renseignemens  que  l'on  prit,  il  paraît 
que  l'histoire  de  ce  prétendu  peuple  avait  pris  sa 
source  dans  un  conte  étrange,  qu'un  convict,  qui 
avait  quitté  son  travail  pour  vivre  avec  les  naturels , 
avait  recueilli  des  sauvages  des  montagnes. 

L'événement  prouva  bientôt  quel  avait  été  l'effet  de 
cet  avis  du  gouverneur.  Il  apprit  qu'un  grand  nombre 
de  ces  malheureux  s'assemblaient  pour  aller  à  la  re- 
cherche de  la  nouvelle  peuplade.  Une  troupe  de  cons- 
tates armés  fut  envoyée  pour  en  arrêter  le  plus  grand 
nombre  possible  ;  seize  furent  saisis  et  emprisonnés.  Ils 
parurent  ignorer  complètement  le  lieu  où  ils  voulaient 
aller.  Mais ,  considérant  tout  à  la  fois  leur  ignorance 
et  leur  opiniâtreté ,  le  gouverneur  comprit  qu'aucun 
argument  ne  pourrait  mieux  les  convaincre  de  leur 
folie,  qu'une  correction  sévère  imposée  à  ceux  qui 
semblaient  les  instigateurs  du  complot.  Ainsi  sept 
d'entre  eux  reçurent  deux  cents  coups  de  fouet  cha- 
cun, et  le  reste,  après  avoir  été  puni  à  Parramatta, 
fut  envoyé  aux  travaux  forcés,  et  bien  surveillé. 

La  nécessité  de  réprimer  cette  manie  d'émigration 
détermina  le  gouverneur  à  les  convaincre,  par  leur 
propre  expérience,  des  dangers  qu'elle  entraînait. 
Ainsi  quatre  des  plus  vigoureux  furent  choisis  et  pré- 
parés pour  un  voyage  de  découvertes.  Ils  devaient 
être  accompagnés  par  trois  hommes ,  qui  devaient , 
lorsqu'ils  seraient  las  de  leur  excursion ,  les  ramener 


DE  L'ASTROLABE.  239 

par  les  parties  les  plus  difficiles  et  les  plus  imprati- 
cables du  pays.  Biais  ce  plan  ne  fut  pas  plutôt  adopté, 
que  le  gouverneur  apprit  qu'une  bande  s'était  con- 
certée avec  les  quatre  coquins  désignes  ,  pour  aller 
les  joindre  à  un  endroit  convenu  ;  là  ils  projetaient 
d'assassiner  leurs  guides,  puis  de  s'emparer  des  armes 
et  des  provisions,  et  ensuite  de  poursuivre  leur  course 
suivant  leur  propre  caprice.  Cet  infernal  projet  fut 
déconcerté  par  l'escorte  de  quatre  soldats  ajoutés  aux 
guides,  et  ils  partirent  tous  le  14  de  Parramatta. 

Le  24  les  militaires  ramenèrent  trois  de  ces  mau- 
vais sujets,  qui,  à  leur  arrivée  au  pied  des  premières 
montagnes,  se  trouvèrent  si  fatigués  de  leur  voyage, 
et  dégoûtés  de  la  perspective  qui  s'offrait  à  leurs  re- 
gards, qu'ils  supplièrent  les  soldats  chargés  de  les  aban- 
donner en  cet  endroit  avec  les  guides,  de  les  ramener 
à  la  colonie  avec  eux.  Un  seul  homme  témoigna  le 
désir  de  pénétrer  plus  avant,  et  fut  en  conséquence 
laissé  avec  les  guides. 

Ceux-ci  ne  furent  de  retour  à  Prospect-Hill  que 
le  9  février,  accablés  de  fatigues  et  pouvant  à  peine  re- 
muer leurs  membres,  tant  ils  étaient  épuisés.  Ils  avaient 
erré  durant  quinze  à  dix-huit  jours  dans  les  forets  ,  les 
montagnes  et  les  ravins.  De  beaux  pâturages ,  quel- 
ques rivières  et  des  terres  d'un  aspect  fertile  s'étaient 
présentés  à  leurs  regards.  Ils  avaient  découvert  des 
carrières  de  chaux ,  de  sel,  de  charbon  de  terre,  et 
communiqué  avec  des  naturels  dont  Wilson  ne  pul 
comprendre  le  langage,  quoiqu'il  connût  déjà  celui  des 
naturels  des  montagnes. 


240  VOYAGE 

Vers  cette  époque,  M.  Bass,  chirurgien  du  Re- 
liance ,  revint  d'une  excursion  en  canot ,  qu'il  avait 
faite  vers  le  sud ,  et  qui  avait  duré  douze  semaines.  Il 
avait  pénétré  jusqu'à  40°  S. ,  visité  chaque  ouverture 
de  la  côte  ;  mais  il  n'avait  trouvé  qu'en  un  seul  endroit 
au  S.  O.  de  la  pointe  Hicks  ,  un  havre  capable  de  re- 
cevoir des  vaisseaux.  Là  il  observa  aussi  l'apparence 
d'un  détroit ,  ou  plutôt  d'une  mer  ouverte  entre  les  la- 
titudes de  39  et  40°  S. ,  et  conjectura  que  la  terre  de 
Van-Diémen  devait  se  composer  d'un  groupe  d'îles  si- 
tuées au  S.  de  la  Nouvelle-Hollande. 

Au  mois  d'avril,  le  bruit  courut,  surtout  parmi  les 
Irlandais ,  qu'une  vieille  femme  avait  prophétisé  l'ar- 
rivée de  plusieurs  frégates  ou  grands  navires  de  guerre 
français ,  qui ,  après  avoir  détruit  l'établissement ,  dé- 
livreraient et  emmèneraient  les  convicts.  Ce  conte  ridi- 
cule fut  propagé  avec  une  rapidité  incroyable.  En 
conséquence ,  un  des  condamnés  de  la  chaîne  de 
Tongabbi  jeta  sa  pioche,  et,  s'avançant  à  la  tête  de  ses 
camarades  ,  poussa  les  cris  de  liberté. 

Ils  furent  promptement  accueillis  par  ses  compa- 
gnons ;  mais  un  magistrat,  qui  se  trouvait  à  portée , 
mitfin  au  trouble  en  faisant  saisir  ce  farouche  Irlandais, 
qui  ne  tarda  pas  a  être  lié  et  récompensé  par  une  sé- 
vère fustigation. 

On  sut  ensuite  que  la  femme  que  l'on  donnait  pour 
la  prophélesse  en  question ,  était  une  vieille  Ecossaise 
qui  faisait  de  la  bière  et  la  vendait  aux  ouvriers.  Elle 
avait  tout  simplement  rêvé  l'arrivée  des  Français ,  et 
avait  conté  son  songe  à  un  homme  qui  l'avait  ensuite 


DE  L'ASTROLABE.  241 

publié  comme  une  prophétie.  Tel  était  le  fondement 
de  cette  ridicule  histoire. 

Le  i4  mai,  le  brick  Nanti  las  arriva  de  Taïti  dans 
un  grand  état  de  détresse.  Il  ramenait  plusieurs  des 
missionnaires  de  cette  île,  avec  leurs  familles.  Ceux-ci 
avaient  reçu  plusieurs  mauvais  traitemens  des  naturels 
qui  les  avaient  même  menacés  de  leur  enlever  leurs 
femmes,  ce  cpii  les  obligeait  à  rester  à  peu  près  ren- 
fermés dans  leurs  palissades.  Comme  le  Naatilus  était, 
hors  d'état  de  les  recevoir  tous  à  bord ,  il  en  resta  six 
ou  sept  sur  l'île. 

Les  naturels ,  en  mai ,  renouvelèrent  leurs  pillages 
sur  les  fermes  du  sud  ;  ils  vinrent  en  bandes  nom- 
breuses, et  brûlèrent  plusieurs  maisons. 

Le  6  juin  ,  le  gouverneur  alla  visiter,  à  cinq  ou  six 
milles  de  Parramatta  ,  un  terrain  où  il  établit  les  mis- 
sionnaires de  Taïti ,  et  quelques  personnes  libres  der- 
nièrement arrivées  d'Angleterre  par  le  Barwell  avec 
leurs  familles.  A  cetteoccasion,  Barringtonseplaintde 
ce  qu'on  ait  toujours  ,  jusqu'à  ce  moment,  laissé  partir 
tous  les  navires  d'Angleterre ,  sans  y  embarquer  quel- 
ques personnes  libres  pour  la  colonie  ,  pour  diminuer 
les  inconvéniens  d'une  société  qui  n'était,  pour  ainsi 
dire ,  composée  que  de  convicts.  Cette  observation 
prouve  évidemment  que  la  population  libre  de  New- 
South-Wales  ne  se  composait  guère  alors  que  des 
fonctionnaires  établis  dans  le  pays  ,  et  des  condamnés 
qui  avaient  été  libérés  ou  émancipés. 

Le  11  octobre  M.  Bass  et  le  lieutenant  Flinders, 
du  Reliance ,  mirent  à  la  voile  sur  un  petit  bateau 


242  VOYAGE 

ponté,  construit  à  Me  Norfolk,  et  nommé  en  consé- 
quence le  Norfolk,  que  le  gouverneur  avait  fait  équiper 
pour  cet  objet.  Leur  mission  était  de  reconnaître  le 
détroit  qu'on  supposait  exister  par  la  latitude  du  39°  S. 
entre  la  Nouvelle-Hollande  et  la  terre  appelée  jus- 
qu'alors Van-Diemen  Land. 

Dans  le  cours  de  cette  année,  d'une  part  la  cupidité 
des  fermiers  pour  se  procurer  divers  objets  apportés 
du  dehors,  et  surtout  des  esprits  ;  de  l'autre,  l'empres- 
sement que  mettaient  les  trafiquans  à  concentrer  ces 
objets  dans  leurs  mains  pour  les  revendre  en  détail  à 
des  prix  exorbitans ,  devinrent  funestes  aux  pre- 
miers. Plusieurs  d'entre  eux  s'obérèrent  pour  des 
sommes  considérables ,  et  se  virent  obligés  de  vendre 
pour  ainsi  dire  à  discrétion  leurs  grains  et  les  produits 
de  leurs  terres  aux  marchands.  Malgré  l'attention  du 
gouvernement  à  combattre  ces  dangereux  abus , 
malgré  les  mesures  tentées  par  lui  à  diverses  époques 
pour  les  réprimer ,  ses  efforts  furent  inutiles  ;  voilà 
l'une  des  principales  causes  de  l'extrême  lenteur  des 
progrès  de  la  colonie. 

En  octobre  on  jeta  les  fondemens  d'une  église  en 
pierre  à  Sydney  ;  elle  devait  avoir  cent  cinquante  pieds 
de  long,  et  cinquante-deux  de  large.  On  se  prépara 
à  en  construire  une  semblable  à  Parramatta,  mais 
dans  de  moindres  dimensions. 

Benilong,  qui  eût  pu  continuer  de  vivre  très-heu- 
reux dans  le  palais  du  gouverneur,  préférait  la  dange- 
reuse société  de  ses  concitoyens ,  et  ne  visitait  l'établis- 
sement que  quand  il  ressentait  trop  vivement  le  besoin 


DE  L'ASTROLABE.  243 

de  quelques-unes  des  ressources  de  la  vie  civilisée.  Il 
reçut  plusieurs  blessures  telles  qu'une  seule  eût  sans 
doute  causé  la  mort  d'un  Européen. 

A  la  fin  de  1 708 ,  le  bétail  de  la  colonie  se  compo- 
sait de  44  chevaux,  73  jumens,  1G3  taureaux  et 
bœufs,  258  vaches,  2,8G7  cochons,  1,459  moutons, 
2,4 13  brebis,  787  boucs,  et  1,880  chèvres.  Il  y  avait 
en  pleine  culture  4,659  acres  de  froment,  1,453  de 
maïs ,  et  57  ]/<2  en  orge. 

Le  2  janvier  1 799 ,  on  accorda  plusieurs  certificats 
à  des  convicts  qui  avaient  complété  leur  temps  de  dé- 
portation ;  ceux  qui  désirèrent  rester  maîtres  de  leur 
personne,  furent  rayés  des  rôles  de  ration. 

Le  12  du  même  mois ,  MM.  Flinders  et  Bass  revin- 
rent de  leur  voyage  d'exploration  à  la  terre  de  Van- 
Diémen  sur  le  Norfolk.  Ils  reconnurent  les  îles  au 
nord  de  Van-Diémen,  découvrirent  le  port  Dalrym- 
ple,  passèrent  à  l'ouest  pour  se  rendre  à  la  rivière 
Derwent  dont  ils  visitèrent  les  environs,  et  revin- 
rent par  l'est  aux  îles  du  cap  Barren.  L'existence  du 
détroit  que  M.  Bass  avait  déjà  soupçonné  dans  son 
voyage  précédent  au  port  Western ,  fut  ainsi  cons- 
tatée; aussi  le  gouverneur  Huntcr  jugea-t-il  à  propos 
de  lui  donner  le  nom  de  cet  intrépide  navigateur. 

Le  1 1  février,  les  prisons  en  bois  de  Sydney  furent 
consumées  par  les  flammes ,  et  tout  porte  à  croire  que 
cet  incendie  fut  prémédité.  Pour  en  prévenir  les  réci- 
dives, on  s'occupa  sur-le-champ  de  bâtir  un  nouvel  édi- 
fice en  grosses  pierres ,  entouré  de  murailles  très- 
épaisses. 


244  VOYAGE 

Les  sécheresses  excessives  qui  avaient  duré  si  long- 
temps et  avaient  causé  tant  de  tort  aux  moissons , 
furent  suivies  en  mars  de  pluies  abondantes  qui  du- 
rèrent plusieurs  jours  et  ranimèrent  en  tous  lieux  la 
végétation  anéantie.  Sur  les  bords  de  l'Hawkesbury, 
les  crues  d'eaux  eurent  des  suites  funestes.  Cette 
rivière ,  en  peu  d'heures  ,  se  gonfla  jusqu'à  la  hauteur 
de  cinquante  pieds  au-dessus  de  son  niveau  ordinaire , 
et  acquit  une  telle  rapidité  quelle  entraîna  tout  ce 
qui  se  trouva  sur  son  passage.  Les  magasins  du  gou- 
vernement ,  les  maisons  des  fermiers,  avec  leurs  effets 
et  une  grande  partie  des  bestiaux,  furent  submergés  et 
détruits.  Plusieurs  habitans  eurent  à  peine  le  temps 
de  se  sauver  en  canots ,  et  cependant  il  n'en  périt 
qu'un  seul.  Toute  la  contrée  environnante  offrit  bientôt 
l'aspect  d'un  lac  immense. 

La  perte  fut  d'autant  plus  grande  que  les  fermiers 
n'ayant  reconnu  d'avance  aucun  symptôme  qui  pût 
causer  cet  accident,  ne  s'y  étaient  nullement  prépa- 
rés. Cependant  les  naturels,  qui  l'avaient  prévu, 
avaient  averti  les  fermiers,  mais  ceux-ci  n'avaient  voulu 
tenir  aucun  compte  d'un  si  important  avis.  Nul  doute 
que  l'inondation  n'eût  été  causée  par  des  pluies  abon- 
dantes qui  avaient  tombé  dans  l'intérieur  des  monta- 
gnes ,  et  qui  ne  purent  trouver  d'autre  débouché  que 
celui  de  la  rivière  dont  le  lit  se  trouva  subitement  grossi 
d'une  manière  si  extraordinaire. 

En  avril  le  bruit  courut  que  les  équipages  de  deux 
bateaux  envoyés  pour  charger  du  charbon  de  terre 
sur  les  bords  de  la  rivière  Hunier,  avaient  été  taillés 


DE  L'ASTROLABE.  245 

en  pièces  par  les  naturels.  Le  gouverneur  envoya  à 
leur  recherche  Hacking  avec  sa  baleinière  bien  armée. 
Celui-ci  tomba  sur  un  fort  parti  de  sauvages  aux- 
quels il  demanda  ce  quêtaient  devenus  les  Européens. 
Les  naturels  répondirent  qu'ils  étaient  repartis  pour 
Sydney;  mais  comme  il  vit  entre  leurs  mains  les  voiles, 
les  couvertures  des  hommes,  et  leurs  divers  effets, 
cette  réponse  ne  satisfît  point  Hacking.  Il  les  menaça 
de  faire  feu  sur  eux  s'ils  ne  disaient  pas  la  vérité  sur- 
le-champ,  et  les  coucha  enjoué.  Les  sauvages  se  mo- 
quèrent de  lui,  et  lui  signifièrent  que  s'il  ne  se  retirait 
pas  en  laissant  le  canot  et  même  celui  dans  lequel  il 
était  venu ,  ils  l'allaient  percer  lui  et  ses  compagnons , 
et  aussitôt  ils  se  mirent  à  balancer  leurs  lances  d'une 
manière  très-menaçante.  Hacking  ajusta  son  arme  sur 
eux  et  tira  la  gâchette ,  uniquement  pour  les  effrayer, 
mais  au  contraire  ils  n'en  devinrent  que  plus  auda- 
cieux et  plus  turbulens.  Jugeant  l'attaque  inévitable, 
il  chargea  son  arme  avec  du  plomb  à  loup,  et  leur 
commanda  de  se  retirer  ;  mais  leur  audace  croissant 
toujours,  il  tira  enfin  sur  eux  et  en  fit  tomber  quatre, 
dont  un  se  releva  bientôt  en  prenant  la  fuite  : 
comme  les  trois  autres  restèrent  étendus  par  terre,  ils 
furent  très-probablement  blessés  à  mort.  Toute  la 
troupe  disparut,  laissant  Hacking  se  retirer  sans 
danger. 

On  n'entendit  plus  parler  des  hommes  des  canots 
durant  quelques  jours ,  ce  qui  fit  craindre  qu'ils 
n'eussent  été  assassinés  ;  mais  ils  atteignirent  heu- 
reusement l'établissement  peu  de  temps  après. 

TOME    I.  *7 


246  VOYAGE 

Durant  l'hiver  de  cette  année,  les  vols,  les  meur- 
tres et  les  crimes  de  toute  espèce  devinrent  plus  fré- 
quens  qu'ils  n'avaient  jamais  été;  les  magistrats  eurent 
recours  à  des  moyens  plus  fermes  que  jamais  pour  en 
arrêter  le  cours  ;  le  dérèglement  des  femmes  fixa  aussi 
leur  attention. 

Au  mois  de  juin  la  colonie  offrait  4,393  acres  de 
terrain  semées  en  blé ,  et  1 ,440  en  maïs.  Certains 
particuliers  possédaient  jusqu'à  200  et  290  acres  de 
terre  en  culture. 

En  vertu  des  ordres  du  gouverneur,  le  8  juillet, 
le  lieutenant  Flinders  repartit  sur  le  Norfolk  pour 
explorer  avec  soin  toute  l'étendue  de  côte  comprise 
depuis  Port-Jackson  jusqu'à  la  baie  Harvey,  située 
par  24°  36'  S.  Il  s'acquitta  avec  beaucoup  de  distinc- 
tion de  cette  tâche  délicate,  et  rentra  le  20  août  à 
Sydney,  après  avoir  fait  d'importantes  découvertes. 
Il  avait  eu  pour  compagnon  dans  cette  excursion  un 
jeune  naturel  nommé  Boungari,  très-intelligent,  et  qui 
lui  fut  fort  utile  dans  ses  communications  avec  les  sau- 
vages de  la  côte. 

Plusieurs  convicts  s'étant  échappés  à  diverses  re- 
prises sur  les  navires  qui  quittaient  Port-Jackson ,  on 
fut  obligé  de  visiter  avec  soin  ceux  qui  mettaient  à  la 
voile ,  et  de  décréter  des  punitions  sévères  contre  les 
officiers  ou  les  marins  qui  favoriseraient  de  sembla- 
bles évasions. 

Les  terres  en  culture ,  à  la  fin  de  l'année ,  montaient 
à  5,465  acres  de  blé,  2,302  de  maïs,  82  d'orge,  et  8 
seulement  d'avoine. 


DE  L'ASTROLABE.  247 

Le  bétail  comptait  39  chevaux  ,  72  jumens , 
1 88  taureaux  et  bœufs  ,512  vaches ,  3, 1 89  cochons , 
4,781  moutons,  et  2,588  chèvres. 

Au  mois  d'août  1 800 ,  on  apprit  à  Sydney  la  mort 
de  Wilson.  Depuis  qu'il  se  trouvait  dans  ce  pavs  ,  il 
avait  passé  la  plus  grande  partie  de  sa  vie  dans  les  bois 
avec  les  sauvages.  On  le  soupçonnait  fort  de  leur 
indiquer  les  moyens  de  molester  les  fermiers  avec  le 
plus  de  succès  et  le  moins  de  danger  possible.  Cepen- 
dant sur  la  proclamation  du  gouverneur,  il  se  rendit, 
et  promit  de  se  corriger.  Comme  il  ne  pouvait  être 
convaincu  que  d'un  penchant  prononcé  pour  l'oisiveté, 
on  lui  pardonna  ,  et  on  le  pourvut  même  d'un  mous- 
quet et  de  munitions ,  pour  accompagner  ceux  qui 
faisaient  des  excursions  dans  les  bois.  Le  reste  du 
temps  il  allait  à  la  chasse  des  kangarous  et  des  oi- 
seaux. Le  premier  ménure  qu'on  vit  dans  le  pays  fut 
tué  par  lui.  C'était  sa  coutume  de  vivre  de  la  chair  des 
oiseaux  qu'il  abattait ,  puis  il  en  apportait  les  peaux 
à  l'établissement. 

Il  avait  acquis  sur  les  naturels  des  bois  une  telle 
influence ,  qu'il  leur  avait  persuadé  qu'il  avait  été  lui- 
même  un  homme  de  couleur  de  leur  race  ;  il  pous- 
sait le  mensonge  au  point  de  désigner  une  vieille 
femme  de  leur  tribu  comme  sa  mère.  Cette  pauvre 
vieille  fut  assez  simple  et  assez  crédule  pour  recon- 
naître son  fils  dans  ce  vaurien.  Les  naturels  qui  ha- 
bitent les  bois  ne  sont  certainement  pas  aussi  rusés 
que  ceux  qui  habitent  le  rivage;  ce  qui  dépend  essen- 
tiellement de  leur  manière  de  vivre ,  l'état  social  in- 


248  VOYAGE 

fluant  beaucoup  sur  l'exercice  el  le  développement 
des  facultés  mentales.  Wilson  profita  de  la  simplicité 
des  premiers  :  après  s'être  donné  pour  un  de  leurs  com- 
patriotes ,  et  leur  avoir  inspiré  autant  de  crainte  que  de 
respect  pour  sa  supériorité ,  il  se  permit  de  satisfaire 
ses  désirs,  en  prenant  des  libertés  intimes  avec  leurs 
jeunes  femmes.  Tout  dépourvus  qu'étaient  ces  sau- 
vages de  raisonnement,  Wilson  éprouva  cependant 
par  une  triste  expérience  qu'ils  étaient  susceptibles 
de  ressentiment.  Car,  ayant  soumis  malgré  elle  une 
femme  a  ses  passions ,  les  amis  de  celle-ci  profitèrent 
d'une  circonstance  où  il  ne  pouvait  se  défendre,  pour 
lui  percer  le  corps  d'une  lance.  Il  finit  ainsi  sa  car- 
rière, et  laissa  les  naturels  dans  l'attente  de  le  voir 
revenir  un  jour  sous  la  forme  d'un  autre  homme 
blanc. 

Le  gouverneur  Hunter  quitta  la  Nouvelle-Galles  du 
Sud  sur  le  Buffalo,  le  28  septembre  1800,  empor- 
tant avec  lui  l'estime  et  les  regrets  de  tous  les  habi- 
tans ,  pénétrés  de  reconnaissance  pour  les  sentimens 
de  justice  et  d'humanité  qui  l'avaient  toujours  animé. 
La  direction  de  la  colonie  resta  entre  les  mains  du  lieu- 
tenant-gouverneur Gidley  King. 

Au  départ  du  gouverneur  Hunter,  on  comptait 
dans  la  colonie  60  chevaux,  143  jumens,  332  bœufs 
et  taureaux,  712  vaches,  4,017  truies,  2,031  co- 
chons, 4,093  brebis,  725  béliers  et  1,455  chèvres; 
4,665  acres  de  terre  en  blé,  2,930  en  maïs  et  82  en 
orge,  sans  parler  de  ce  qui  était  cultivé  en  jardins, 
patates  et  autres  végétaux. 


DE  L'ASTROLABE.  249 

La  quantité  de  terre  en  culture  se  trouva  moindre 
que  l'année  précédente  par  suite  de  la  misère  des 
fermiers,  provenant  autant  de  leur  extrême  impré- 
voyance que  du  prix  excessif  des  objets  en  tout  genre, 
et  des  gages  exorbitans  qu'ils  étaient  obligés  de  payer 
aux  ouvriers. 

Du  reste  le  gouverneur  Hunter  laissa  la  colonie 
enrichie  d'une  quantité  d'ouvrages  ,  de  monumens  et 
d'édifices  publics  entrepris  et  exécutés  sous  sa  direc- 
tion. Il  ne  négligea  rien  de  ce  qui  pouvait  tendre  à  sa 
prospérité ,  et  sut  tirer  du  travail  des  convicts  le  parti 
le  plus  avantageux. 

On  sera  sans  doute  curieux  de  voir  d'un  seul  coup- 
d'œil  la  série  des  navires  des  différentes  nations  qui 
vinrent  mouiller  à  Port-Jackson  depuis  l'établisse- 
ment de  la  colonie  jusqu'au  27  novembre  1800.  Ce 
tableau  donnera  une  idée  assez  juste  de  son  impor- 
tance progressive  sous  le  rapport  des  relations  com- 
merciales. 


vuiAur 

NOMS 

DATES 

LIEUX 

CARGAISON. 

DES    NAVIRES. 

DE    L'ARRIVEE. 

DD    DÉPART. 

Supply,  conserve  de  S.  M. 

25  janv.  1788 

Angleterre. 

Convicts. 

Syrius,  navire  de  S.  M. 

26  janvier. 

Id. 

Id. 

Alexander,  transport. 

Id. 

Id. 

Id. 

Scarborough,  id. 

Id. 

Id. 

Id. 

Charlotte,  id. 

Id. 

Id. 

Id. 

Lady  Penrhyn ,  id. 

Id. 

Id. 

Id. 

Friendship ,  id. 

Id. 

Id. 

Id. 

Prince  of  JFales,  id. 

Id. 

Id. 

Id. 

Fisli-Durn,  navire  d'ap- 

Id. 

Id. 

Id. 

provisionnement. 

Golden-Grove ,  id. 

Id. 

Id. 

Provisions. 

Borrow-Dale ,  id. 

Id. 

Id. 

Id. 

Syrius,  navire  de  S.  M- 

6  mai  1789. 

Cap  de  Bonne- 
Espérance. 

Id. 

Lady  Juliana,  transport. 

3  juin  1790. 

Angleterre. 

Convicts. 

Justinian ,    navire    d'ap- 

20 juin. 

Id. 

Provisions. 

provisionnement. 

Surprise,  transport. 

26  juin. 

Id. 

Convicts. 

Neptune,  id. 

28  juin. 

Id. 

Id. 

Scarborough ,  id. 

Id. 

Id. 

Id. 

Supply,  navire  de  S.  M. 

19  septembre. 

Batavia. 

Provisions. 

TVaksamheid ,  nav.  d'ap- 

17 décembre. 

Id. 

Id. 

provisionnement    hol- 

landais. 

Mary-Ann,  transport. 

1 9  juillet  1 791 

Angleterre. 

Convicts. 

Mali  Ida,  id. 

ier  août. 

Id. 

Id. 

Atlantic,  id. 

20  août. 

Id. 

Id. 

Salamander,  id. 

21  août. 

Id. 

Id. 

JJ'iUiam  and  Ann  ,  id. 

28  août. 

Id. 

Id. 

Gorgon,  navire  de  S.  M. 

21  septembre. 

Id. 

Vivres  et  mu- 
nitions. 

Active,  transport. 

26  septembre. 

Id. 

Convicts. 

Queen,  id. 

Id. 

Irlande. 

Id. 

Albemarle,  id. 

i3  octobre. 

Angleterre. 

Id. 

Britannia,  id. 

14  octobre. 

Id. 

Id. 

Admirai  Barrington ,  id. 

1 6  octobre. 

Id. 

Id. 

Pitt,  id. 

14  févr.  1792. 

Id. 

Id. 

Atlantic,  navire  d'appro- 

20 juin. 

Bengale. 

Provisions. 

visionnement. 

Britannia,  id. 

26  juillet. 

Angleterre. 

Id. 

1  Royal  Admirai,  nav.  d'ap- 

7 octobre. 

Id. 

Convicts. 

provisionnement. 

DE  L'ASTROLABE. 


2ol 


NOMS 

DES    NAVIRES. 


Plùladelphia ,  brick  amé- 
ricain. 
K-ilty,  transport. 
Hope,  américain. 
Cheslerfield ,  baleinier. 

Rellona ,  transport. 
Hornutzear,  shaw. 
Descubierta,  espagnol. 

Atrevida,  id. 

Dœdalus ,  navire  d'appro- 
visionnement. 
Rrilannia,  id. 

Roddington,  transport. 
Sugar-Cane ,  id. 
Fairy,  américain. 

William,  navire  d'appro- 
visionnement. 

Arthur. 

Dœdalus,  navire  d'appro- 
visionnement. 

Indispensable,  id. 

Britannia,  id. 

Speedr,  id. 

Halcyon ,  américain. 

Hope,  id. 

Fancy,  navire  d'approvi- 
sionnement. 

Resolution,  id. 

Salamandcr,  id. 

Mercury,  américain. 

Surprise,  transport. 

Experiment. 

Rritannia. 

Endeavour ,  navire  d'ap- 
provisionnement. 

Providence ,  naviiv  de 
S.  M. 


DATES 

DE    L'ARRIVÉE. 


i"  novembre. 

18  novembre. 
Décembre. 
Id. 

i5  janv.  1793 

9  i  lévrier. 
12  mars. 

Id. 
20  avril. 

Juin. 

7  août. 

17  septembre. 

2  g  octobre. 

20  mars  1794. 

10  mars. 

3  avril. 

14  mai. 

3  juin. 

8  juin. 
14  juin. 
5  juillet. 

9  juillet. 

10  septembre. 

1 1  septembre. 
1 7  octobre. 
■iS  octobre. 
24  décembre. 

4  mars  1795. 

3i  mai. 
26  août. 


LIEUX 

DU    DÉPART. 


Philadelphie. 

Angleterre. 
Rhode-Island. 
Cap  de  Bonne- 
Espérance. 
Angleterre. 

Id. 
Manille. 

Id. 
Côte  N.O.  d'A- 
mérique. 
Cap  de  Bonne- 
Espérance. 
Irlande. 
Id. 
Boston. 

Angleterre. 

Bengale. 
CôteN.O.  d'A- 
mérique. 
Angleterre. 
Batavia. 
Angleterre. 
Rhode-Island. 

Id. 
Bombay. 

Angleterre. 

Id. 
Rhode-Island. 
Angleterre. 
Bengale. 
Cap  de  Bonne 
Espérance. 
Bombay. 

Angleterre. 


CARGAISON. 


Spéculation 
commerciale. 
Convicls. 
Spéculation. 
Pour  répara- 
tions. 
Convicts. 
Spéculation. 
Pour    rafraî  ■ 

chissemens. 
Id. 
Provisions. 

Bétail   et  pro- 
visions. 
Convicts. 

Id. 

Pour   rafrai- 
chissemens. 
Provisions. 

Spéculation. 
Provisions. 

Id. 

Id. 

Id. 
Spéculation. 

Id. 
Provisions. 

Id. 

Id. 

Id. 
Convicts. 
Spéculation. 
Provis.    pour 
les  officiers. 
Bétail. 


252 


VOYAGE 


NOMS 

DATES 

LIEUX 

CARGAISON. 

DES    KAVIREs. 

de  l'arrivée. 

DU    DÉrART. 

Rellance,  navire  de  S.  M. 

7  septembre. 

Angleterre. 

Munitions. 

Supph;  id. 

Id. 

Id. 

Id. 

Young   Jf'illiam,   navire 

4  octobre. 

Id. 

Id. 

d'approvisionnement. 

Sovereign. 

5  novembre. 

Id. 

Id. 

Arthur. 

ier  janv.  1796 

Bengale. 

Spéculation, 

Ceres,  navire  d'approvi- 

2 3  janvier. 

Angleterre. 

Provisions. 

sionnement. 

Experiment. 

24  janvier. 

Bengale. 

Spéculation. 

Otter,  américain. 

Id. 

Boston. 

Pour    rafraî- 
chissemens. 

Marq.  Cornwallis ,  trans- 

1 r  février. 

Irlande. 

Convicts. 

port. 

Abigàil,  américain. 

Février. 

Rhode-Island. 

Spéculation. 

Assistance. 

17  mars. 

Dusky-Bay. 

» 

Susan ,  américain. 

19  avril. 

Rhode-Island. 

Spéculation. 

Indispensable ,  transport. 

3o  avril. 

Angleterre. 

Convicts. 

Britannia ,    navire    d'ap- 

1 1  mai. 

Calcutta. 

Provisions. 

provisi  onnement . 

Crand-Turk,  américain. 

2  3  août. 

Boston. 

Spéculation. 

Prince  of  Jf'ales,  navire 

2  novembre. 

Angleterre. 

Id. 

d'approvisionnement. 

Sylpk. 

1 7  novembre. 

Id. 

Id. 

Mercury,  américain. 

n  janv.  1797 

Manille. 

Pour  répara- 
tions. 

Supply,  navire  de  S.  M. 

16  mai. 

Cap  de  Bonne- 
Espérance. 

Bétail. 

Britannia,  transport. 

27  mai. 

Irlande. 

Provisions. 

Ganges,  id. 

2  juin. 

Id. 

Id. 

Reliance,  navire  de  S.  M. 

26  juin. 

Cap  de  Bonne- 
Espérance. 

Bétail. 

Deptford. 

20  septembre. 

Madras. 

Spéculation. 

Nautilus. 

14  mai  1798. 

Olahili. 

Missionnaires. 

Barwcll,  transport. 

18  mai. 

Angleterre. 

Convicts. 

Hun  ter. 

10  juin. 

Bengale. 

Spéculation. 

Cornwall,  baleinier. 

2  juillet. 

Cap  de  Bonne- 
Espérance. 

Pour  répara- 
tions. 

Eliza,  id. 

4  juillet. 

Id. 

Id. 

Argo ,    schooner   améri- 

7 juillet. 

Maurice. 

Spéculation. 

cain. 

Sally,  baleinier. 

8  juillet. 

Cap  de  Bonne- 
Espérance. 

Pour  répara- 
tions. 

DE  L'ASTROLABE. 


253 


NOMS 

DATES 

LIEUX 

CARGAISON. 

DES    NAVIRES. 

DE    L'ARRIVÉE. 

DU    DEPART. 

'  Britannia ,  transport. 

18  juillet. 

Angleterre. 

Convicts. 

Pomona ,  baleinier. 

20  août. 

Cap  de  Bonne- 

Pour  répara- 

Espérance. 

tions. 

Sémiramis ,  américain. 

Id. 

Id. 

Id. 

Diana. 

icr  octobre. 

Rbode-Island. 

Id. 

Mara.  Cornwallu,  navire 

27  octobre. 

Cap  de  lionne- 

Bétail. 

d'approvisionnement. 
Indispensable ,   baleinier. 

Id. 

Espérance. 
Id. 

Pour  répara- 
tions. 

Rebecca,  américain. 

5  mars  1799. 

Id. 

Spéculation. 

Nostra  Senora  de  Beth- 

2 ',  avril. 

Cape-Blanco. 

Divers  articles. 

léem,  prise. 
Buffalo,  navire  de  S.  M. 

2  G  avril. 

Cap  de  Bonne- 

Bétail. 

Albion,   navire  d'appro- 

29 juin. 

Espérance. 
Angleterre. 

Provisions. 

visionnement. 

Hillsborough,  transport. 

26  juillet. 

Id. 

Convicts. 

Resource,  américain. 

6  septembre. 

Rhode-Island. 

Pour  répara- 
tions. 

Jl "alhcr,  navire  d'appro- 

3 novembre. 

Angleterre. 

Provisions. 

visionnement. 

Plumier,  prise. 

2  décembre. 

Cap  Corienles. 

Divers  articles. 

Th  rnne. 

1 1  févr.  1800. 

Bengale. 

Spéculation. 

Betscy,  baleinier. 

i3  février. 

Amérique. 

Pour  répara- 
tions. 

Fricndship ,  transport. 

i5  février. 

Angleterre. 

Convicts. 

Speedy,  id. 

Id. 

Cap  de  Bonne- 

Bétail. 

Bell  Savage,  américain. 

7  juin. 

Espérance. 
Rbode-Island. 

Pour  répara- 
tions. 

Porpoise,  navire  de  S.  M. 

7  novembre. 

Angleterre. 

Convicts  et  pro- 
visions. 

Royal  Admirai. 

22  novembre. 

Id. 

Id. 

Au  départ  du  gouverneur  Hunter,  deux  navires  se 
trouvaient  sur  les  chantiers  ;  le  premier  de  1 50  à  1 60 
tonneaux,  pour  le  service  de  Sydney  à  Norfolk,  l'autre, 


254  VOYAGE 

qufdevait  porter  le  nom  de  Cumberland ,  de  27  ton- 
neaux ,  destiné  à  être  gréé  et  armé  en  goélette,  pour 
la  poursuite  des  déserteurs  qui  avaient  coutume  d'en- 
lever les  embarcations  pour  s'enfuir. 

On  s'assura  que  la  construction  de  ce  navire  avait 
coûté  la  somme  de  3,954  liv.  sterl. ,  dont  la  majeure 
partie  fournie  par  les  cotisations  publiques. 

Pour  réprimer  la  fureur  des  spéculations  mer- 
cantiles sur  les  esprits  ,  le  gouverneur  renvoya  trois 
navires  du  Bengale,  chargés  de  54,000  gallons  d'es- 
prits et  de  vin ,  sans  leur  permettre  de  les  décharger. 

La  quantité  de  billon  attendue  d'Angleterre  étant 
arrivée,  le  gouverneur  prit  les  mesures  nécessaires 
pour  assurer  la  circulation  des  diverses  monnaies 
en  leur  fixant  à  chacune  une  valeur  légale,  et  pro- 
hibant l'exportation  aussi  bien  que  l'importation  de 
toute  somme  en  monnaie  de  cuivre  au-dessus  de  cinq 
liv.  sterl. 

Au  commencement  de  l'année  1 80 1  ,  les  provisions 
salées  des  magasins  publics  se  trouvèrent  encore  telle- 
ment réduites,  que  le  gouverneur,  dans  la  crainte 
d'une  nouvelle  disette ,  envoya  un  navire  à  Taïti ,  sous 
le  commandement  du  lieutenant  Scott,  pour  y  acheter 
et  y  saler  des  cochons.  Il  portait  des  lettres  du  gou- 
verneur à  Pomare,  roi  de  cette  île ,  afin  de  l'engager  à 
favoriser  M.  Scott  dans  sa  mission,  et  à  protéger  les 
missionnaires.  Mais  les  présens  dont  il  était  pourvu 
produisirent  bien  plus  d'effet  que  les  lettres  sur  ce 
prince  sauvage. 

Dans  la  crainte  des  événemens ,  le  gouverneur  fit 


DE  L'ASTROLABE.  255 

passer  l'ordre  à  Norfolk  d'expédier  h  Sydney  toutes 
les  salaisons  dont  on  pourrait  disposer,  et  prit  des  en- 
gagemens  avee  un  marchand  de  l'Inde  pour  en  rece- 
voir une  cargaison  complète  de  bétail  et  de  riz. 

Au  mois  de  juin  ,  les  animaux  vivans  de  rétablisse- 
ment montaient  à  4,766  cochons,  1,259  chèvres, 
6,269  brebis,  362  bêles  à  corne,  et  21 1  chevaux. 

La  population ,  le  30  du  même  mois ,  se  composait 
de  6,508  personnes,  dont  961  à  Norfolk.  Les  terres 
cultivées  offraient  5,324  acres  en  blé,  et  3,864  en 
maïs. 

Le  brick  Lady-Nelson,  commandé  par  le  lieutenant 
Grant ,  arriva  sans  accident  en  décembre  1 80 1 .  Ce  fut 
lui  qui  passa  le  premier  par  le  détroit  de  Bass ,  en  at- 
terrissant par  38°  latitude  S. ,  4°  plus  à  l'O.  que  n'é- 
taient allés  MM.  Flinders  et  Bass  sur  le  Norfolk.  Il 
visita  aussi  le  port  Western ,  où  il  trouva  un  excellent 
mouillage. 

L'expérience  de  plusieurs  années  prouva  que  la  co- 
lonie ne  pouvait  acquérir  une  certaine  prospérité  que 
par  l'envoi  de  colons  instruits ,  industrieux  et  res- 
pectables. Ceux  qui  formèrent  d'abord  le  noyau  de 
cette  partie  de  la  population ,  au  nombre  de  87  indi- 
vidus ,  avaient  été  des  convicts  émancipés ,  des  marins 
ou  des  soldats,  classe  d'hommes  pour  la  plupart  trop 
adonnés  à  l'ivrognerie  pour  triompher  d'une  habitude 
si  funeste  à  la  nouvelle  condition  qu'ils  avaient  em- 
brassée. Heureusement  on  se  vit  obligé  de  les  trans- 
porter de  nouveau  en  d'autres  lieux ,  eu  égard  à  leur 
incorrigible  conduite.  A  dater  de  l'année   1802,  la 


256  VOYAGE 

classe  des  colons  de  New-South-Wales  acquit  de  jour 
en  jour  des  droits  à  la  considération  publique ,  car  elle 
se  recruta  principalement  de  citoyens  honnêtes  du 
rovaume ,  auxquels  on  facilita  les  moyens  d'aller  s'é- 
tablir dans  la  colonie  avec  leurs  familles.  En  effet , 
depuis  cette  époque,  aucun  navire  ne  parut  à  Sydney 
sans  y  amener  des  passagers ,  et  l'on  peut  juger  com- 
bien ses  progrès  furent  désormais  rapides ,  quand  on 
saura  qu'elle  était  assidûment  visitée  par  des  navires 
venant  du  cap  de  Bonne-Espérance,  de  Batavia,  du 
Bengale,  de  Bombay,  des  côtes  occidentales  d'Amé- 
rique ,  de  la  Chine,  etc. ,  etc. 

Par  suite  de  ce  nouveau  système,  la  colonie  com- 
mençait à  offrir  un  coup-d'œil  plus  intéressant ,  et  les 
crimes  y  étaient  devenus  moins  fréquens  ,  quand  les 
vaisseaux  de  l'expédition  de  Baudin  vinrent  mouiller 
à  Port-Jackson  en  juin  180.2.  Chacun  a  lu  avec  in- 
térêt le  tableau  séduisant  que  traça  le  naturaliste  Péron 
de  cette  colonie  naissante,  et  des  espérances  que  de- 
vaient faire  naître  à  son  avis  des  progrès  si  surpre- 
nans.  Sans  doute,  comme  en  tant  d'autres  occasions, 
cédant  aux  illusions  d'une  imagination  trop  vive  ,  sa 
plume  éloquente  fit  un  éloge  outré  de  cet  établisse- 
ment, de  ses  avantages,  et  surtout  de  la  réforme  admi- 
rable ,  et  des  sentimens  vertueux  qui  devaient  animer 
les  malheureux  transportés  dans  ces  climats  lointains. 
L'exposé  rapide  que  nous  venons  de  présenter  de  la 
fondation  et  de  l'histoire  de  cette  colonie  dans  son  en- 
fance, fait  voir  ce  qu'on  doit  rabattre  des  pompeuses 
descriptions  de  cet  écrivain.  Notre  récit  est  extrait  des 


DE  L'ASTROLABE.  257 

relations  détaillées  d'Anglais  déjà  plutôt  disposés  à  ap- 
plaudir aux  opérations  de  leur  gouvernement  qu'à  les 
déprécier,  et  nous  avons  glissé  rapidement  sur  1  enu- 
mération  des  crimes  et  des  forfaits  qui  viennent  se 
reproduire  dans  chacune  de  leurs  pages.  Toutefois 
nous  conviendrons  volontiers  que  cet  établissement  a 
fait  beaucoup  d'honneur  à  l'Angleterre  sous  tous  les 
rapports.  Surtout  on  ne  saurait  trop  admirer  la  pa- 
tience ,  le  courage  et  le  noble  dévouement  du  gouver- 
neur et  des  officiers ,  qui  les  premiers  furent  chargés 
d'une  tâche  si  pénible,  et  surent  néanmoins  s'en  acquit- 
ter d'une  manière  si  distinguée.  Malgré  les  privations 
auxquelles  ils  se  virent  réduits,  les  dégoûts  qu'ils 
avaient  à  essuyer  dans  leurs  rapports  journaliers  avec 
une  classe  d'hommes  si  méprisable ,  et  même  malgré 
l'abandon  dans  lequel  leur  mère-patrie  sembla  les 
laisser  languir  si  long-temps,  leur  énergie  et  leur 
amour  pour  le  bien  public  et  la  gloire  nationale  les 
firent  triompher  de  tous  les  obstacles,  et  imprimèrent 
dès-lors  à  la  colonie  cette  heureuse  impulsion  qui  ne 
devait  pas  tarder  à  la  rendre  digne  des  applaudisse- 
mens  de  l'Europe.  Je  dirai  plus  ,  quoiqu'il  m'en  coûte 
de  faire  un  pareil  aveu ,  oui ,  je  dirai  que,  malgré 
tous  les  reproches  qu'on  peut  lui  adresser  sous  d'au- 
tres rapports ,  la  nation  anglaise,  dans  l'état  actuel  des 
choses,  est  probablement  la  seule  aujourd'hui  au 
monde  capable  de  produire  de  semblables  caractères  ; 
du  reste  elle  est  aussi  probablement  la  seule  capable 

de  les  récompenser  dignement  ! 

Les  Français  furent  reçus  à  Svdnev  de  la  manière 


258  VOYAGE 

la  plus  obligeante.  On  pourvut  à  tous  leurs  besoins 
avec  la  plus  grande  Libéralité ,  et  toutes  les  personnes 
distinguées  de  la  colonie  se  hâtèrent  de  les  assis- 
ter dans  leurs  travaux  et  dans  leurs  recherches,  avec 
un  zèle ,  un  empressement ,  qui  ne  pouvaient  man- 
quer d'inspirer  h  leurs  hôtes  la  plus  vive  reconnais- 
sance. Cette  conduite  généreuse  et  la  satisfaction  que 
ceux-ci  durent  éprouver  d'un  semblable  accueil,  après 
la  navigation  triste  et  pénible  qu'ils  venaient  d'ac- 
complir ,  durent  influencer  d'une  manière  puis- 
sante leur  disposition  à  voir  et  à  juger  la  scène  qui 
les  environnait.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  qu'ils 
se  soient  plu  à  nous  la  représenter  dans  leurs  rap- 
ports et  leurs  descriptions  sous  le  coup-d'œil  le  plus 
favorable. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  recensement  que  cite  Péron, 
et  qui  eut  lieu ,  dit-il ,  en  1 802 ,  nous  représente  la 
Nouvelle-Galles  du  Sud  comme  peuplée  de  13,195  in- 
dividus, savoir:  370  personnes  libres,  3, 170  éman- 
cipés ,  5,772  convicts,  2,063  enfans  nés  dans  la  co- 
lonie, 840  soldats  du  régiment  de  New -S  ou  th-Wales, 
outre  980  personnes  sur  l'île  Norfolk. 

Dès  le  6  mars  1803,  une  feuille  hebdomadaire 
commença  à  paraître  à  Sydney,  avec  l'autorisation  du 
gouverneur  Ring,  sous  le  titre  de  Sydney  Gazette 
and  New -South-fV aies  Advei  tiser.  Cette  feuille, 
d'abord  très-bornée  et  qui  ne  paraissait  qu'une  fois 
par  semaine,  s'accrut  peu  à  peu  au  format  grand 
in-folio ,  avec  six  colonnes  à  la  page,  et  paraissait ,  en 
1826,  trois  fois  par  semaine. 


DE  L'ASTROLABE.  259 

La  ville  d'Hobart-Town  fut  fondée  à  la  fin  de  1 803, 
et  eelle  de  Port-Dalrymple  en  1804. 

Le  gouverneur  Gidlev  King  donna  sa  démission  le 
13  août  1806;  il  eut  pour  successeur  le  capitaine  Bligh, 
déjà  célèbre  par  la  révolte  de  son  équipage  sur  le  na- 
vire le  Bonn  h/,  et  la  navigation  hasardeuse  qui  en 
avait  été  la  suite. 

Ce  marin  farouche  se  porta  sur  ce  nouveau  théâtre 
à  de  nouveaux  excès ,  et  ne  justifia  que  trop  par  sa 
conduite  la  triste  extrémité  où  s'étaient  portés  Chris- 
tiern  et  ses  compagnons.  Enfin  il  réussit  si  complè- 
tement à  s'attirer  l'exécration  publique,  que  pour  ar- 
rêter le  cours  de  ses  fureurs,  le  lieutenant-colonel 
Georges  Johnslone,  commandant  le  régiment  de  New- 
South-Wales,  de  concert  avec  la  plupart  des  gens 
de  considération,  fut  obligé  de  le  faire  arrêter.  Il  fut 
traduit  devant  une  cour  martiale,  et  condamné  à  être 
suspendu  de  ses  fonctions ,  comme  indigne  de  les 
remplir;  le  colonel  Johnstone  en  fut  chargé  par  in- 
térim. 

Malgré  les  torts  de  Bligh,  on  sent  bien  que  le 
ministère  anglais  ne  put  souffrir  une  pareille  infrac- 
tion à  son  autorité  ;  il  ne  pouvait  manquer  de  se 
trouver  offensé  dans  la  personne  de  son  représentant, 
tout  indigne  qu'il  était  de  sa  confiance.  Aussi  le  co- 
lonel Johnstone  et  tous  ceux  qui  avaient  participé  à 
la  suspension  du  gouverneur  Bligh ,  encoururent  la 
disgrâce  du  gouvernement ,  et  furent  punis  propor- 
tionnellement à  la  part  qu'ils  avaient  prise  à  cet 
acte  de  vigueur. 


2  GO  VOYAGE 

Les  affaires  de  la  colonie  furent  ensuite  successi- 
vement administrées  par  le  lieutenant-colonel  Joseph 
Foveaux  et  le  colonel  William  Paterson,  tous  deux 
du  régiment  de  New-South-Wales ,  qui  devint  ensuite 
le  102e. 

Enfin  le  28  décembre  1 809 ,  le  colonel  Lachlan 
Macquarie  arriva  dans  la  colonie  avec  le  73e  régiment, 
et  entra  en  charge  le  1CI  janvier  1810. 

A  cette  époque  la  colonie  s'était  déjà  considéra- 
blement accrue;  on  y  comptait  près  de  15,000  habi- 
tans,  dont  4,277  seulement  étaient  nourris  en  tout 
ou  partie  aux  dépens  du  gouvernement.  La  terre  cul- 
tivée montait  à  21,000  acres,  et  74,000  étaient  em- 
ployées en  pâturages.  Le  bétail  se  composait  de 
524  chevaux,  593  jumens,  193  taureaux,  6,351  va- 
ches, 4,782  bœufs,  33,818  brebis,  1,732  chèvres 
et  8,992  cochons.  Depuis  quelques  années,  quand 
les  inondations  du  Hawkesbury  ne  détruisaient  point 
les  récoltes,  elles  suffisaient  à  la  consommation  gé- 
nérale. 

De  tous  les  hommes ,  Macquarie  était  peut-être  le 
plus  capable  de  diriger  un  pareil  établissement.  Doué 
d'un  caractère  affable  et  populaire,  exempt  de  pas- 
sions et  de  préjugés ,  surtout  profondément  pénétré 
du  désir  de  faire  le  bonheur  de  ceux  qu'il  était 
appelé  à  gouverner,  il  s'occupa  sans  relâche  des 
moyens  de  réussir.  Peu  après  son  arrivée  à  l'auto- 
rité suprême,  la  colonie  reçut  de  grands  embellis- 
semens.  La  ville  de  Sydney  fut  distribuée  sur  un 
nouveau  plan,  et  coupée  par  des  rues  régulières.  On 


DE  L'ASTROLABE.  261 

fonda  cinq  nouvelles  villes  sur  les  bords  de  l'Haw- 
kesbury  et  de  George-River,  sous  les  noms  de  Wind- 
sor, Richmond,  Wilberforce,  Pitt  et  Castlereagh. 
Les  routes  de  Sydney  à  Paramatta  et  au-delà  ,  jus- 
qu'alors à  peine  praticables ,  furent  réparées  et  mu- 
nies de  ponts  sur  les  criques  et  les  torrens.  Grâces  aux 
soins  du  gouverneur,  de  nombreux  troupeaux  de  bé- 
tail et  de  vastes  magasins  remplis  de  grains  éloignè- 
rent désormais  toute  appréhension  de  disette. 

On  vit  paraître  en  1811  le  premier  almanach  de 
JS  ew-South-f féales  ;  outre  d'autres  détails  curieux 
touchant  la  colonie ,  il  offrit  chaque  année  la  liste  des 
établissemens  et  des  fonctionnaires  civils  et  mili- 
taires. 

Après  tant  de  tentatives  inutiles ,  en  1 8 1 4  on  réus- 
sit à  traverser  ces  fameuses  montagnes  Bleues,  que 
l'on  croyait  un  obstacle  insurmontable  pour  pénétrer 
vers  l'intérieur  de  l'Australie,  et  l'on  découvre  les 
plaines  immenses  qui  occupent  les  régions  situées  plus 
à  l'ouest.  L'année  suivante  un  dépôt  militaire  est 
établi,  sur  les  bords  de  la  rivière  Macquarie,  sous  le 
nom  deBathurst;  et,  en  1817,  on  y  fonde  une  ville 
qui  porte  le  même  nom.  Quoique  éloignée  de  Sydney 
de  cent  trente-six  milles ,  les  communications  sont 
facilitées  par  des  routes  praticables,  et  qui  permettent 
même  aux  plus  pesans  attelages  de  transporter  les 
produits  de  l'intérieur  sur  les  bords  de  la  mer. 

Les  lecteurs  pourront  se  faire  une  idée  de  l'accrois- 
sement rapide  que  prit  la  colonie  sous  l'administration 
de  Macquarie,  quand  ils  apprendront  qu'au  19  no- 

TOME    I.  l8 


Î63  VOYAGE 

vembre  1817,  la  population  totale  de  la  Nouvelle- 
Galles  du  Sud  et  de  ses  diverses  dépendances  ne  mon- 
tait pas  à  moins  de  20,328  âmes,  qui  se  trouvaient 
ainsi  réparties  : 

Dans  la  Nouvelle -Galles  du  Sud,  16,664,  dont 
610  soldats  et  6,297  convicts,  le  reste  en  population 
libre. 

Dans  la  terre  de  Van-Diémen,  3,1 14  ,  dont  2,554 
dans  le  Derwent,  et  560  à  Port-Dalrymple.  Dans  ce 
nombre,  on  comprend  200  soldats,  et  on  estime  le 
reste  des  hommes  libres  à  2,118. 

A  New-Castle ,  à  soixante  milles  au  nord  de  Port- 
Jakson  ,  550 ,  dont  70  environ  seulement  sont  libres. 

Le  gouverneur  Macquarie  ne  se  contenta  pas  d'en- 
richir la  colonie  d'ouvrages  utiles  ;  il  porta  aussi 
toute  son  attention  vers  la  morale  publique ,  et  cher- 
cha tous  les  moyens  de  l'améliorer.  Jusqu'alors  les 
convicts  émancipés,  quoique  rendus  à  la  condition 
d'hommes  libres ,  étaient  restés  généralement  cour- 
bés sous  le  poids  de  l'opinion  publique.  Ils  vivaient 
séquestrés  de  la  société  des  personnes  d'origine  li- 
bre; ils  étaient  exclus  des  fonctions  publiques,  et 
leurs  droits  civils  par  le  fait  se  bornaient  à  peu  près 
à  être  admis  à  procéder  devant  les  cours  civiles. 

Cet  état  de  choses  tenait  essentiellement  à  l'origine 
même  de  la  colonie,  et  aux  élémens  dont  sa  popu- 
lation s'était  successivement  composée.  Ainsi  qu'on  l'a 
vu  ,  durant  les  quinze  premières  années ,  les  grandes 
propriétés  et  la  majeure  partie  des  intérêts  commer- 
ciaux se  trouvèrent  concentrés  entre  les  mains  d'un 


DE  L'ASTROLABE.  263 

petit  nombre  d'individus  qui,  sauf  quelques  excep- 
tions, exerçaient  des  fonctions  civiles  et  militaires,  ou 
les  avaient  primitivement  remplies.  Ils  ne  tardèrent 
pas  à  former  une  sorte  d'aristocratie,  dont  les  efforts 
tendirent  de  suite  h  envahir  tout  le  pouvoir  et  à  domi- 
ner la  colonie  entière.  Jouant  sous  les  premiers  gou- 
verneurs le  rôle  de  la  haute  noblesse  dans  une  monar- 
chie ,  ils  se  regardèrent  comme  leurs  conseillers  natu- 
rels ,  et  exercèrent  la  plus  grande  influence  sur  leurs 
délibérations.  Aux  yeux  de  ces  colons  la  classe  entière 
des  émancipistes  (je  désignerai  ainsi  ceux  des  convicts 
qui  recouvrent  leur  liberté  par  pardon  ou  pour  avoir 
rempli  leur  temps)  ne  méritait  aucune  considération, 
et  leur  orgueil  n'eut  pu  supporter  l'idée  de  les  voir  un 
seul  instant  rétablis  sur  le  même  parallèle  que  les 
hommes  libres. 

Vainement  on  eut  pu  alléguer  les  exemples  très- 
rares  de  quelques  particuliers,  qui,  après  avoir  été 
convicts ,  étaient  néanmoins  parvenus  à  une  certaine 
aisance  et  à  un  état  indépendant.  Leur  succès ,  dans 
ces  cas  mêmes,  ne  pouvait  s'attribuer  qu'au  patronage 
et  à  la  protection  que  leur  avaient  accordée  quelques- 
uns  des  membres  de  cette  sorte  de  junte  aristocra- 
tique, dont  ils  avaient  été  les  agens  dans  leurs  affaires 
de  négoce  ;  car  ces  nobles  de  nouvelle  date  auraient 
cru  déroger  à  leur  dignité  en  tenant  boutique  et  ven- 
dant publiquement. 

Ainsi  se  trouvaient  anéanties  de  fond  en  comble  les 
vues  philantropiques  des  hommes  qui  avaient  fondé 
cet  établissement.  En  effet,  ils  avaient  espéré  que  sur 

i8* 


2G4  VOYAGE 

le  nombre  des  malheureux  qui  seraient  condamnés  a 
y  subir  le  jusle  châtiment  de  leurs  fautes ,  on  en 
trouverait  qui,  susceptibles  encore  de  quelques  sen- 
timens  d'honneur,  pourraient  revenir  à  une  meil- 
leure conduite,  et  par  conséquent  recouvrer  dans  leur 
nouvelle  patrie  les  droits  qu'ils  avaient  perclus  dans 
l'ancienne.  Les  fondateurs  avaient  considéré  cette  terre 
comme  un  asile  pour  le  repentir,  où  le  coupable,  pu- 
rifié de  ses  fautes,  pourrait  un  jour  redevenir  un  mem- 
bre utile  de  la  société  dont  il  allait  faire  partie.  Mais 
l'imprudent  orgueil  des  colons  d'origine  libre  s'attachait 
au  contraire  à  les  frapper  d'un  éternel  sceau  de  répro- 
bation ! En  vain  de  longues  années  d'une  bonne 

conduite  et  d'une  honnête  industrie  semblaient  mé- 
riter à  un  infortuné,  jadis  atteint  par  les  lois,  un  juste 
retour  à  l'estime  de  ses  semblables;  le  terrible  titre 
de  convict  lui  restait  à  jamais  imposé,  et  sa  malheu- 
reuse postérité  semblait  enveloppée  dans  la  même 
proscription  que  lui;  car  ces  fiers  patriciens  accordaient 
presque  autant  de  mépris  aux  enfans  des  émancipistes 
qu'aux  émancipistes  eux-mêmes.  La  conséquence  na- 
turelle d'une  telle  injustice  était  que  cette  classe,  ainsi 
dégradée  dans  l'opinion  publique ,  et  ne  voyant  aucun 
terme  à  sa  honte,  finissait  peu  à  peu  par  s'y  accou- 
tumer, et  ne  tentait  plus  aucun  effort  pour  recouvrer 
un  rang  dont  elle  était  à  jamais  déchue.  Ainsi  l'on 
voit  aux  lieux  où  ils  sont  persécutés,  les  juifs  justifier 
volontairement  la  réputation  qu'on  leur  donne  ;  les 
parias  de  l'Inde  vivre  contens  dans  l'état  d'abjection 
où  les  tiennent  les  autres  castes  ;  et  partout  où  l'homme 


DE  L'ASTROLABE.  .      265 

est  esclave,  on  le  voit  adopter  promptement  tous  les 
vices  de  sa  triste  condition.  Il  résultait  encore  de  cette 
proscription  qu'un  germe  éternel  de  haines  et  de  dis- 
cordes allait  s'établir  dans  la  nouvelle  colonie,  et  ne 
pourrait  manquer  de  lui  devenir  un  jour  funeste ,  des 
que  les  émancipistes  ou  leurs  en  fans  se  trouveraient 
assez  puissans  pour  se  venger  des  mépris  dont  ils 
étaient  l'objet. 

Pour  prévenir  d'aussi  tristes  suites,  le  sage  Mae- 
quarie  s'opposa  de  tout  son  pouvoir  à  l'ambition  de  la 
faction  dominante.  Il  réprima  constamment  les  pré- 
tentions de  ses  membres  durant  tout  le  cours  de  son 
administration.  Pour  parvenir  plus  sûrement  à  son 
but,  il  défendit  aux  militaires  d'occuper  aucune  pro- 
priété territoriale  ou  de  se  mêler  d'affaires  de  com- 
merce ;  il  éleva  à  la  dignité  de  magistrats  plusieurs 
personnes  de  mérite,  bien  qu'elles  fussent  sorties  de 
la  classe  des  convicts  ;  en  outre  il  ouvrit  tous  les  ports 
de  la  colonie  a  l'importation  libre  de  toute  espèce  de 
marchandises  et  sans  aucune  restriction.  Le  sage  ad- 
ministrateur alla  plus  loin  ;  il  admit  à  sa  table  quel- 
ques-uns des  émancipistes  dont  la  belle  conduite 
et  les  services  lui  avaient  paru  dignes  de  cette  marque 
d'estime.  Il  espérait ,  en  donnant  un  pareil  exemple , 
encourager  d'une  part  le  repentir  de  ceux  que  la  loi 
avait  dû  frapper,  sans  détruire  dans  leur  cœur  tous 
sentimens  de  vertu ,  et  de  l'autre  amener  à  des  disposi- 
tions plus  indulgentes,  des  hommes  qui,  trop  fiers 
d'une  origine  sans  tache ,  se  croyaient  exclusivement 
appelés  aux  faveurs  du  gouvernement. 


26  G  VOYAGE 

Quoique  rien  ne  fût  plus  raisonnable  et  plus  hu- 
main que  les  vues  du  gouverneur  Macquarie,  tous  ses 
efforts  pour  rapprocher  les  deux  classes  qui  compo- 
saient la  population  libre  de  New-South-Wales  n'eurent 
point  de  succès  ;  les  colons  d'origine  libre  se  trouvè- 
rent à  la  fois  blessés  dans  leurs  intérêts  particuliers 
et  dans  leur  vanité.  L'admission  des  émancipistes  à  la 
protection  du  gouvernement  et  aux  fonctions  de  la 
magistrature ,  leur  enlevait  le  monopole  de  la  fortune 
et  du  pouvoir,  objet  le  plus  cher  de  leurs  désirs.  Loin 
de  vouloir  se  prêter  à  aucun  rapprochement  avec  leurs 
nouveaux  concitoyens ,  leur  éloigneraient  prit  encore 
un  caractère  plus  marqué ,  et  ils  s'en  firent  publique- 
ment honneur.  Quelques-uns  poussèrent  même  l'oubli 
des  convenances  envers  leur  chef  suprême,  au  point 
de  se  refuser  à  ses  invitations,  pour  ne  pas  se  trouver 
à  la  même  table  que  des  personnes  qu'il  avait  jugées 
dignes  d'y  paraître. 

Ils  ne  s'en  tinrent  pas  là  ;  pour  se  débarrasser  d'un 
chef  dont  ils  ne  pouvaient  plus  attendre  que  le  ren- 
versement de  leurs  projets,  ils  le  dénoncèrent  au  mi- 
nistère, et,  dénaturant  la  pureté  de  ses  intentions,  ils 
prêtèrent  à  ses  actions  des  motifs  honteux.  Long-temps 
son  intégrité  reconnue  et  son  zèle  infatigable  dans 
l'exercice  de  ses  fonctions  répondirent  suffisamment 
aux  inculpations  de  ses  ennemis. 

Cependant  le  cabinet  de  Londres  fut  ébranlé  par 
des  plaintes  si  souvent  réitérées.  Il  se  crut  obligé 
d'en  approfondir  la  source.  Un  commissaire  du  roi , 
nommé  Bigg,  fut  envoyé  en  1819  pour  examiner  en 


DE  L'ASTROLABE.  267 

détail  la  situation  de  la  colonie  et  la  conduite  du 
gouverneur.  Durant  deux  années  environ  qu'il  passa 
en  ce  pays ,  il  ne  s'acquitta  que  trop  scrupuleusement 
de  sa  mission.  Il  s'enquit  minutieusement  de  toutes 
les  moindres  particularités;  il  remonta  à  la  source  de 
toutes  les  fortunes  un  peu  remarquables,  et  on  lui  a 
reproché  d'avoir  souvent  prêté  une  oreille  complaisante 
à  ceux  qui  étaient  connus  pour  être  les  ennemis  dé- 
clarés du  gouverneur. 

Ce  fut  vers  ce  temps  que  VUranie  passa  à  Port- 
Jackson  ,  où  elle  séjourna  du  18  novembre  au  25  dé- 
cembre. Durant  ce  long  intervalle,  et  depuis  son  re- 
tour, M.  de  Freycinet  a  pu  se  procurer  d'immenses 
matériaux  sur  l'état  de  la  colonie  à  cette  époque.  Aussi 
je  me  contenterai  de  dire  ici  qu'il  y  fut  reçu  avec  une 
distinction  st  une  générosité  remarquables.  Le  général 
Macquarie  s'empressa  de  prévenir  ses  moindres  désirs, 
et  procura  aux  naturalistes  de  l'expédition  les  moyens 
d'exécuter  agréablement  et  utilement  une  excursion 
jusqu'à  Bathurst.  MM.  Quoy  et  Gaudichaud  furent 
les  premiers  Français  qui  passèrent  les  montagnes 
Bleues. 

Outre  les  dégoûts  qu'avaient  dû  nécessairement  cau- 
ser au  gouverneur  Macquarie  les  cabales  de  ses  enne- 
mis et  la  présence  du  commissaire,  qu'il  ne  pouvait 
guère  considérer  que  comme  un  espion  du  gouver- 
nement, il  eut  à  lutter  contre  un  obstacle  plus  puis- 
sant, et  qui  tenait  encore  au  point  de  vue  sous  lequel 
la  mère-patrie  s'obstinait  à  considérer  la  colonie. 

A  mesure  que  le  nombre  des  déportés  et   la  po- 


2 6 8  VOYAGE 

pulation  avaient  augmenté ,  la  dépense  annuelle 
avait  dû  s'accroître  proportionnellement.  Ainsi ,  en  y 
comprenant  les  frais  de  transport  des  convicts,  de 
1788  à  1797  elle  avait  étéde  1,037, 230  liv.  st.,  environ 
86,435  liv.  par  an;  de  1798  à  1811,  elle  avait  été 
de  1,634,926  liv.,  ou  116,709  liv.  par  an;  de  1812  k 
181 5,  elle  avait  été  de  793, 827  liv.,  ou  198,456  liv.  par 
an;en  1816,  de  193,775  liv.; en  1817, de 229,1521iv. 
Cet  accroissement  progressif  devait  s'attribuer  en  par- 
tie au  nombre  plus  grand  des  condamnés,  mais  sur- 
tout à  l'augmentation  continuelle  de  la  dépense  inté- 
rieure. 

Sans  doute ,  avec  les  progrès  qu'avait  faits  la  co- 
lonie ,  ses  ressources  eussent  dû  suffire  à  la  partie  de 
la  dépense  indépendante  des  condamnés ,  et  c'est  ce 
qui  fût  arrivé ,  si  des  lois  salutaires  l'eussent  régie. 
Mais  elle  gémissait  au  contraire  sous  des  restrictions 
sans  nombre  qui  s'opposaient  au  développement  de  ses 
forces .  Ainsi  la  prohibition  établie  sur  la  distillation  des 
grains  pour  les  convertir  en  esprits ,  décourageait 
l'agriculteur  qui  ne  savait  où  placer  l'excédant  de  ses 
récoltes  sur  sa  consommation  habituelle  et  ce  qui 
suffisait  à  l'approvisionnement  des  magasins  publics. 
Dénormes  droits,  assis  sur  la  plupart  des  objets 
d'exportation,  comme  bois,  lin  de  la  Nouvelle-Zé- 
lande ,  charbon  de  terre ,  huile  de  baleine ,  sperma- 
céti,  etc.,  paralysaient  tous  les  efforts  du  commerce. 
Enfin  la  navigation  se  trouvait  à  peu  près  anéantie 
par  les  privilèges  de  la  Compagnie  des  Indes,  qui 
s'étendaient  presque  sur  tous  les  points  où  les  marins 


DE  L'ASTROLABE.  269 

de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  eussent  pu  conduire 
leurs  navires. 

Aussi  voil-on  la  dépense  réelle,  occasionée  par  la  co- 
lonie à  la  mère-patrie,  suivre  la  progression  suivante  : 
en  1812,  176,781  liv.  st.;  en  1813,  235,597  liv.; 
en  1814,  231,362  liv.,  et  en  1815,  150,087  liv.  Le 
ministère  effravé  recommanda  au  gouverneur  l'éco- 
nomie la  plus  sévère.  Celui-ci  ne  vit  d'au  Ire  moyen  de 
diminuer  les  charges  de  TEtat  qu'en  devenant  plus 
prodigue  des  billets  de  liberté,  pour  réduire  le  nombre 
des  individus  qu'il  fallait  entretenir  aux  dépens  des  ma- 
gasins publics.  C'est  ainsi  qu'il  réussit  à  diminuer  le 
chiffre  des  années  suivantes ,  malgré  l'arrivée  conti- 
nuelle de  nouveaux  condamnés.  3Iais  ces  mesures 
entraînèrent  de  graves  inconvéniens.  Un  grand  nom- 
bre de  ceux  qui  furent  ainsi  rendus  à  la  liberté  avaient 
été  éprouvés  trop  peu  de  temps  pour  que  leur  ré- 
forme fût  sincère  ;  ils  devinrent  des  membres  fort 
dangereux  de  la  colonie ,  et  leur  émancipation  préma- 
turée donna  lieu  à  de  fréquens  excès.  La  police  se  vit 
obligée  de  redoubler  de  vigilance;  malgré  ses  soins, 
les  vols  devinrent  si  fréquens ,  qu'un  ordre  émané  du 
gouvernement  conseilla  aux  particuliers,  ainsi  qu'aux 
hommes  chargés  de  conduire  des  voitures ,  de  ne 
voyager  que  de  jour. 

Ces  diverses  contrariétés  firent  désirer  au  général 
Macquarie  de  voir  arriver  le  terme  de  sa  longue  admi- 
nistration, et  ce  fut  sans  peine  qu'il  en  quitta  les 
rênes  le  1er  décembre  1821,  pour  retourner  dans  sa 
patrie.  Tous  les  honnêtes  gens  et  tous  ceux  qui  s'in- 


270  VOYAGE 

téressaient  sérieusement  au  bonheur  de  la  colonie,  le 
virent  s  éloigner  avec  le  plus  grand  regret  ;  les  grands 
travaux,  les  établissemens  utiles ,  en  un  mol  tout  ce 
que  la  colonie  possède  de  remarquable,  a  été  entrepris 
sous  ses  auspices  et  rappelle  son  souvenir.  Aujourd'hui 
le  nom  de  Maequarie  dans  la  bouche  des  publicistes  de 
la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  est  prononcé  comme  l'équi- 
valent de  toutes  les  idées  de  bonté ,  de  probité  et  de 
désintéressement. 

Quels  progrès  avait  dû  faire  la  colonie  sous  ce 
gouverneur,  malgré  les  vices  des  lois  qui  la  régis- 
saient ,  puisqu'au  rapport  même  du  commissaire  Bigg, 
en  1820,  elle  n'offrait  pas  moins  de  9,000  acres  de 
terre  cultivées  en  blé  seulement ,  plus  de  30,000  bêtes 
à  corne  et  200,000  brebis! 

Sir  Thomas  Brisbane,  major-général  dans  l'armée  de 
terre,  succéda  immédiatement  à  Maequarie.  C'était  un 
homme  d'un  caractère  doux,  honnête  et  distingué  par 
ses  connaissances  en  astronomie.  Mais  autant  Mae- 
quarie s'était  montré  populaire  et  accessible  à  toutes 
les  classes  de  la  société,  autant  le  général  Brisbane  vé- 
cut retiré  et  peu  communicatif.  Effrayé  par  les  fruits 
qu'avait  retirés  son  prédécesseur  de  ses  tentatives ,  il 
ne  se  permit  jamais  d'accorder  aucune  sorte  de  faveur 
publique  aux  émancipés  :  sous  son  gouvernement ,  ils 
ne  reparurent  plus  a  la  table  de  l'hôtel.  Mais  les  chefs 
du  parti  libre  y  gagnèrent  peu  de  chose  :  naturelle- 
ment juste  et  impartial,  M.  Brisbane  ne  leur  accorda 
aucune  sorte  d'influence ,  et  se  contenta  de  faire  exé- 
cuter les  nouvelles    instructions    qu'il   avait  reçues 


DE  L'ASTROLABE.  271 

à  son  départ  de  Londres ,  sans  prêter  l'oreille  à  au- 
cune sorte  de  réclamations.  Malheureusement  ces  ins- 
tructions étaient  basées  sur  l'économie  la  plus  rigou- 
reuse. Nonobstant  quelques  améliorations  qui  eurent 
lieu  ,  telles  que  l'établissement  d'un  secrétaire  colonial 
et  autres  autorités  nécessaires  au  bon  ordre,  d'une  ma- 
gistrature plus  libérale,  et  la  suppression  de  quelques 
droits  onéreux  ;  les  réductions  qu'il  lai  lut  opérer  sur 
diverses  branches  de  l'administration  portèrent  un 
coup  fatal  à  une  foule  d'intérêts.  La  plupart  des  grands 
projets  entrepris  sous  le  gouverneur  précédent  furent 
suspendus,  et  l'on  ne  put  entretenir  les  édifices  qui 
avaient  été  terminés. 

Le  major  Goulburn,  secrétaire  colonial ,  fonction- 
naire sévère  et  flegmatique ,  fut  chargé  de  l'exécution 
des  nouvelles  mesures  pécuniaires,  dont  il  recueillit 
tout  l'odieux. 

C'est  au  milieu  de  cet  état  de  choses  que  la  Coquille 
parut  à  Port-Jackson,  au  commencement  de  1824, 
et  y  passa  deux  mois  au  mouillage.  Malgré  la  gène  où 
se  trouvaient  les  habitans,  les  Français  furent  reçus 
avec  la  même  politesse  que  de  coutume.  Sur  le  désir 
que  je  lui  témoignai ,  le  gouverneur  Brisbane  s'em- 
pressa de  me  faciliter  les  moyens  de  traverser  les  mon- 
tagnes Bleues,  et  de  m'avancer  jusqu'à  dix  milles  au- 
delà  de  Bathurst.  J'y  trouvai  l'hospitalité  chez  le  major 
Morrisset,  commandant  Ja  station,  et  je  pus  contem- 
pler les  changemens  étonnans  qu'avait  opérés  l'agricul- 
ture en  quelques  années  dans  ces  solitudes  naguère 
inconnues  aux  Européens. 


272  VOYAGE 

Au  moment  où  nous  quittions  la  colonie ,  on  parlait 
beaucoup  de  la  création  d'un  conseil  colonial ,  com- 
pose des  principaux  habitans  du  pays ,  et  qui  devait 
remplir,  à  certains  égards ,  les  attributions  du  pouvoir 
législatif. 

En  effet ,  peu  après  notre  départ ,  par  un  acte  du 
Parlement,  en  date  du  19  juillet  1823,  qui  devait 
avoir  force  de  loi  dans  la  coloniejusqu'aul  "juillet  1827, 
l'autorité  arbitraire  qu'avaient  exercée  les  gouverneurs 
jusqu'à  cette  époque,  ne  tarda  pas  à  être  considéra- 
blement modifiée  par  divers  articles  dont  nous  ne 
rapporterons  ici  que  la  substance. 

«  Un  conseil  législatif  était  créé  pour  la  colonie, 
composé  de  cinq  membres  au  moins ,  et  de  sept  au 
plus  ,  nommés  par  le  gouverneur  ou  son  suppléant,  et 
ratifiés  par  le  roi. 

»  De  concert  avec  le  conseil  ou  avec  la  majorité  de 
ses  membres ,  le  gouverneur  avait  le  droit  de  faire  des 
lois  et  des  ordonnances  pour  la  paix  ,  la  sûreté  et  le 
bon  ordre  de  la  colonie,  pourvu  qu'elles  ne  fussent 
point  contraires  aux  ordres  ou  lettres-patentes  du  roi 
en  son  conseil,  ni  aux  lois  de  l'Angleterre. 

»  Le  gouverneur  avait  seul  l'initiative  de  ces  lois  et 
ordonnances  ;  mais  pour  garantir  leur  conformité  avec 
les  ordres  passés  dans  le  conseil  et  les  lois  d'Angle- 
terre ,  aucunes  d'elles  ne  pouvaient  être  proposées  par 
le  gouverneur  à  l'avis  du  conseil ,  à  moins  qu'une  copie 
n'en  eût  d'abord  été  soumise  au  grand-juge  de  la  Cour 
suprême  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  et  que  celui-ci 


DE  L'ASTROLABE.  273 

n'eût  transmis  au  gouverneur  un  certificat  signé  de  sa 
main  ,  constatant  que  la  loi  proposée  n'éta'it  point  en 
opposition  avec  celles  de  l'Angleterre. 

»  S'il  arrivait  que  la  majorité,  ou  même  la  totalité 
des  membres  du  conseil  rejetassent  la  loi  soumise  à 
leur  approbation,  et  que  cependant  le  gouverneur  ju- 
geât quelle  était  essentielle  à  la  paix  et  à  la  sûreté  de 
la  colonie,  il  pouvait  passer  outre ,  et  ladite  loi  devait 
avoir  son  effet  jusqu'à  ce  que  le  plaisir  de  Sa  Majesté 
fût  connu. 

»  Par  le  même  acte ,  se  trouvait  aussi  établie  une 
cour  suprême,  sous  le  titre  de  Cour  suprême  de  la 
Nouvelle-Galles  du  Sud,  qui  devait  être  tenue  pour  le 
moment  par  le  grand-juge  seul  ;  mais  la  couronne  se 
réservait  le  droit  de  lui  associer  deux  juges  avec  des 
salaires  raisonnables ,  pour  leur  tenir  lieu ,  ainsi  qu'au 
grand-juge ,  de  tous  droits  et  émolumens  quelconques. 
Cette  cour,  dans  toute  retendue  de  la  Nouvelle-Galles 
du  Sud  et  des  iles  qui  en  dépendent,  réunissait  toutes 
les  attributions  des  tribunaux  du  royaume ,  désignés 
sous  les  titres  de  Bancs  du  Roi,  Cours  ordinaires, 
Echiquier  et  Chancellerie.  Elle  avait  aussi  une  juridic- 
tion ecclésiastique. 

»  La  couronne  se  réservait  le  droit ,  de  l'avis  de  son 
conseil  privé,  d'introduire,  en  quelque  temps  que  ce 
lût ,  le  jugement  par  jury  dans  telles  parties  de  la  Nou- 
velle-Galles du  Sud,  dans  tels  cas  et  sous  telles  modi- 
fications qu'il  lui  plairait  de  spécifier. 

»  Enfin  une  nouvelle  Cour  était  établie  sous  le  nom 
de  gênerai  quarter  sessions  of  peace ,  investie  des 


274  VOYAGE 

mêmes  pouvoirs  que  les  gênerai qaar ter  sessions  en 
Angleterre  ;  savoir  de  prendre  connaissance  de  tous 
les  crimes  et  délits  qui  n'entraînent  pas  la  peine  de 
mort,  tant  sur  le  territoire  de  la  Nouvelle-Galles  du 
Sud,  que  sur  les  vaisseaux  mouillés  dans  ses  ports  ou 
destinés  pour  ce  pays ,  et  de  les  punir  par  des  exten- 
sions des  peines  primitives  ou  par  des  travaux  forcés 
dont  la  durée  n'excède  pas  trois  années.  Elle  devait 
aussi  prendre  connaissance  de  toutes  les  plaintes  pour 
fait  d'ivresse ,  désobéissance  ,  désertion ,  insubordina- 
tion ou  en  général  toute  conduite  désordonnée,  et 
punir  les  coupables  par  le  fouet  ou  tout  autre  châti- 
ment corporel ,  sans  pouvoir  l'étendre  à  la  privation 
de  la  vie  ou  d'un  membre,  ou  enfin  en  les  bannissant 
sur  tout  autre  point  de  la  colonie,  suivant  la  nature  et 
le  degré  du  crime.  » 

Du  reste  l'aversion  et  le  mépris  que  les  habitans  d'o- 
rigine libre  affectaient  envers  les  émancipistes ,  étaient 
portés  au  plus  haut  degré.  Le  commissaire  Big-g,  dans 
un  long  et  scandaleux  Mémoire ,  avait  exposé  minu- 
tieusement le  résultat  de  toutes  ses  recherches.  Une 
foule  de  maisons  déjà  considérables  y  retrouvaient  la 
source  souvent  peu  honorable  de  leur  fortune  :  l'on 
devine  facilement  que  les  émancipistes  devaient  jouer 
le  principal  rôle  dans  les  récits  du  commissaire.  Ces 
renseignemens  pouvaient  être  utiles  au  ministère  pour 
fixer  son  opinion  sur  la  moralité  des  principaux  ha- 
bitans de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  et  lui  faire  con- 
naître quel  degré  de  considération  pouvait  leur  être 


DE  L'ASTROLABE.  275 

respectivement  accordé.  Mais  il  était  tout-à-lait  im- 
politique de  rendre  publics  de  tels  documens  ;  c'est 
cependant  ce  qui  a  été  fait.  Plusieurs  colons  d'o- 
rigine libre  à  Sydney  s'en  étaient  procuré  des  exem- 
plaires ;  ils  s'empressaient  de  nous  les  communiquer 
et  de  nous  en  citer  des  passages ,  comme  pour  justifier 
leur  mépris  envers  certains  individus  de  la  colonie,  et 
nous  convaincre  qu'ils  ne  pouvaient  sans  honte  souffrir 
aucun  rapprochement  avec  eux.  Grâce  à  ce  funeste 
écrit ,  les  haines  déjà  trop  enracinées  dans  le  cœur  des 
habitans  ne  pourront  plus  s'ensevelir  dans  l'oubli,  et 
il  servira  à  les  rendre  héréditaires.  En  vérité,  quand 
on  réfléchit  à  la  conduite  de  la  Grande-Bretagne,  dans 
cette  occasion  ,  ainsi  qu'aux  entraves  dont  elle  se  plaît 
à  charger  le  commerce  et  l'industrie  de  la  ÎXouvelIc- 
Galles  du  Sud,  on  serait  disposé  à  croire  que,  déjà 
jalouse  de  progrès  aussi  rapides ,  la  métropole  ne 
cherche  qu'à  ralentir  l'accroissement  de  la  colonie ,  et 
reculer  le  moment  où  elle  pourrait  aspirer  à  son  in- 
dépendance. 

Ennuyé  des  tracasseries  qu'il  avait  à  éprouver  de 
la  part  de  ceux  qu'il  gouvernait ,  et  choqué  par  cer- 
tains procédés  de  la  part  des  chefs  des  bureaux  des 
colonies  à  Londres ,  le  général  Brisbane  à  son  tour 
ne  fut  guère  fâché  de  quitter  ce  poste  en  1825.  Au 
moment  de  son  départ,  les  opinions  furent  partagées  : 
un  petit  nombre  de  personnes  ne  cacha  pas  la  joie 
que  leur  causait  sa  retraite.  Il  faut  convenir  cepen- 
dant que  la  majeure  partie  des  citoyens  honnêtes, 
rendant  du  moins  justice  à  son  intégrité,  à  sa  poli- 


276  VOYAGE 

tesse  et  à  la  loyauté  de  ses  intentions  ,  se  réunit  pour 
lui  présenter  publiquement  et  d'une  manière  authen- 
tique l'expression  de  ses  sentimens  d'estime  et  de 
reconnaissance. 


DE  L'ASTROLABE.  277 


CHAPITRE  X. 


ETAT  ACTl  FI.    DE    LA   rOT.ONfF    T)F.    LA    WO0VBLLK-OALLKS   l>i     $1   D, 


Bientôt  sir  Thomas  Brisbanc  fut  remplace  par  le 
major-général  Darling,  qui  arriva  à  Sydney  à  la  fin  de 
Tannée  1825.  Ainsi,  quand  nous  y  mouillâmes  avec 
V Astrolabe  en  décembre  de  Tannée  suivante,  il  n'v  avait, 
qu'un  an  qu'il  était  en  fonction.  Il  jouissait  de  la  répu- 
tation d'un  homme  juste ,  mais  fort  sévère  ;  et  je  voyais 
facilement  qu'il  était  peu  aimé.  En  effet,  dans  le  peu 
de  rapports  que  j'eus  avec  lui ,  il  me  parut  avoir  une 
sécheresse  decaraclère,  une  roideur  de  manières  et  une 
sorte  d'austérité,  qui  doivent  d'autant  moins  convenir 
dans  sa  position ,  que  ces  sortes  de  qualités  négatives 
se  rencontrent  rarement  dans  les  Anglais  d'un  certain 
rang,  sans  être  mitigées  par  des  formes  gracieuses. 

Sans  doute  je  ne  reçus  de  la  part  du  nouveau  gou- 
verneur ([ue  des  politesses,  mais  je  ne  retrouvai  nul- 
lement en  lui  les  manières  distinguées  et  la  courtoisie 
de  M.  Brisbane,  encore  moins  l'obligeante  bonté  et 

TOME    I.  1<) 


278  VOYAGE 

les  soins  affectueux  que  M.  Macquarie  prodigua  aux 
officiers  de  l'Uranie. 

Le  conseil  colonial  se  trouvait  établi  et  se  com- 
posait des  principales  autorités ,  de  deux  grands  pro- 
priétaires et  d'un  négociant.  Loin  de  répondre  aux 
vœux  des  habitans,  sa  composition  leur  déplaisait 
beaucoup,  et  devenait  souvent  l'objet  de  leurs  plus 
virulentes  récriminations. 

Car  on  saura  qu'une  opposition  véritable  et  bien 
caractérisée  s'était  déclarée  dans  le  sein  même  de  la 
population  libre,  et  se  composait  de  plusieurs  person- 
nes instruites  qui ,  d'un  côté ,  se  trouvaient  choquées 
de  la  hauteur  et  des  prétentions  excessives  des  grands 
propriétaires ,  et  de  l'autre  étaient  sans  doute  flattées 
de  jouer  un  certain  rôle  comme  chefs  de  parti.  Cette 
opposition  se  composait  principalement  des  médecins 
ou  des  hommes  de  loi  qui  consignaient  leurs  opinions 
dans  deux  journaux  nouvellement  en  vigueur ,  sous 
les  noms  ft  Australian  et  de  Monitor. 

L'objet  ordinaire  de  leurs  réclamations  était  d'ob- 
tenir, pour  la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  une  assemblée 
représentative ,  le  jugement  par  jury  et  la  liberté  de 
la  presse.  Le  bill,  passé  en  1823  pour  l'administration 
de  la  colonie,  allait  échoir  en  1827,  et  ils  se  flat- 
taient de  l'espoir  que  le  nouveau  serait  beaucoup  plus 
libéral,  et  leur  accorderait  la  plupart  des  droits  civils 
dont  l'Anglais  jouit  dans  la  mère-patrie.  Comme  la 
classe  des  émancipistes  et  de  leurs  enfans  comprenait 
la  plus  grande  partie  de  la  population ,  c'était  à  eux 
surtout  qu'ils  s'adressaient  le  plus  souvent  pour  sti- 


DE  L'ASTROLABE.  279 

muler  leurs  passions,  et  les  pousser  à  réclamer  le 
plein  et  entier  exercice  de  leurs  droits.  Soit  prudence 
de  leur  part,  et  qu'ils  sentissent  bien  que  le  temps 
n'était  pas  encore  venu  pour  cela,  soit  simplement 
indifférence  ,  et  qu'ils  se  trouvassent  satisfaits  de  leur 
position  actuelle,  les  émancipistes  étaient  restés  tran- 
quilles et  n'ayaient  encore  tenté  aucune  déniait  lie 
Mécontens  de  cette  apathie,  les  partisans  de  la  réforme 
les  traitaient  souvent  avec  mépris  ,  et  se  permettaient 
quelquefois  à  leur  égard  les  sorties  les  plus  violentes. 
C'est  ainsi  qu'on  voit  dans  le  premier  numéro  du 
Monitor,  publié  le  19  mai  1 82(1 ,  le  rédacteur  de  ce 
journal,  en  faisant  sa  profession  de  foi  politique,  s'ex- 
primer à  ce  sujet  dans  les  termes  suivans  : 

«  Nous  avons  toujours  regretté  qu'avec  la  sanction 
des  magistrats ,  les  noms  de  plusieurs  propriétaires 
respectables ,  possesseurs  de  terres  considérables  et 
chefs  de  famille,  n'aient  point  été  portés  sur  les  listes 
des  jurés  formées  par  le  shérif,  sous  le  seul  prétexte 
qu'il  y  a  dix,  vingt  ou  trente  ans,  ils  arrivèrent  dans 
la  colonie  sons  le  poids  de  l'infortune.  Cependant  le 
fait  même,  par  lequel  ils  ont  pu  recouvrer  le  titre  de 
propriétaires,  démontre  les  intentions  du  souverain 
à  leur  égard.  D'ailleurs  si  leur  situation  devait  les 
exclure  du  droit  de  devenir  jurés,  elle  devrait  aussi 
les  priver  de  celui  d'être  admis  en  témoignage. 

»  L'amour  du  repos  et  la  crainte  de  la  dépense  ont 
empêché  cette  classe  de  colons  de  donner  suite  à  la 
procédure  qu'ils  avaient  honorablement  entamée  de- 

*9* 


280  VOYAGE 

vant  la  Cour  suprême,  et  qui  sans  doute  eût  fini  par 
les  rétablir  entièrement  dans  leurs  droits.  Une  telle 
conduite  de  leur  part  est  digne  des  reproches  les  plus 
sévères.  Préférer  leur  argent  et  une  honteuse  paresse 
à  leurs  droits  civils,  se  contenter  de  vivre  et  de  mou- 
rir dégradés  à  leurs  propres  yeux  et  à  ceux  de  leurs 
enfans  ,  c'est  donner  a  ces  derniers  un#exemple  capa- 
ble de  faire  rougir  les  pères  ,  s'ils  y  réfléchissaient  un 
moment.  Nous  serons  toujours  prêts  à  soutenir  les 
émancipistes ,  s'ils  veulent  se  soutenir  eux-mêmes  ; 
mais  ceux  qui  méprisent  eux-mêmes  leurs  propres 
privilèges ,  ne  doivent  attendre  des  autres  aucune  es- 
pèce d'appui  ni  d'intérêt.  » 

Cette  apostrophe  donna  lieu  à  une  lettre  fort  sage 
et  parfaitement  raisonnée,  qui  parut  dans  le  quatrième 
numéro  de  ce  même  journal  (9  juin  1826). 


Ier  juin  1826. 

«  Monsieur,  n'ayant  pas  eu  plus  tôt  l'occasion  de 
faire  attention  à  un  paragraphe  du  prospectus  du 
Monitor,  dans  le  premier  numéro,  relatif  à  la  portion 
des  habitans  qu'il  vous  plaît  de  désigner  sous  le  nom 
iïémancipistes ,  je  prendrai  maintenant  la  liberté  de 
répondre  aux  observations  que  vous  y  avez  faites. 

»  Vous  les  avez  accablés,  Monsieur,  de  tout  le  poids 
de  voire  censure.  Et  pourquoi?  Parce  que  leur  amour 
du  repos  et  la  crainte  de  la  dépense  les  ont,  dites- 


DE  L' ASTROLABE.  281 

vous ,  détournés  de  donner  suite  à  la  procédure  qu'ils 
avaient  entamée  devant  la  Cour  suprême. 

»  Certainement  il  sied  fort  mal  h  l'éditeur  du  Mo- 
nitor  de  censurer  une  classe  de  la  population  sur  son 
amour  pour  le  repos.  Quoi!  voudrait -il  persuader 
aux  émancipistes  qu'il  leur  convient  d'aller  saisir  le 
shérif  par  les  épaules,  et  de  le  secouer  jusqu'à  ce  qu'il 
consente  à  enregistrer  leurs  noms  sur  la  liste  du  jury? 
Voudrait-il  leur  conseiller  d'assiéger  d'une  manière 
tumultueuse  le  tribunal ,  et  d'arracher  par  la  crainte 
les  décisions  de  la  Cour?  Non,  monsieur  Monitor,  les 
émancipistes  savent  trop  bien  ce  qui  leur  est  dû.  Ils 
ne  suivront  point  votre  avis.  Ils  ne  seront  point  in- 
fluencés par  de  pareils  principes.  Ils  conserveront 
leur  amour  pour  la  paix. 

»  Maintenant ,  Monsieur ,  vous  me  permettrez  d'é- 
tablir, et  cela  sans  crainte  d'être  contredit,  qu'aucune 
des  causes  que  vous  avez  assignées,  savoir  ni  X  amour 
de  €  argent,  ni  une  honteuse  paresse,  n'ont  de  part 
au  délai  ou  à  l'interruption  de  la  procédure  si  hono- 
rablement entamée  auprès  de  la  Cour  suprême,  et  qui 
devait  sans  doute,  dites-vous,  rendre  aux  émancipistes 
les  droits  dont  ils  sont  privés.  Car  aussitôt  qu'ils  furent 
instruits,  par  la  décision  du  grand-juge,  que  les  ses- 
sions qui  se  tiendraient  dans  la  colonie ,  seraient  éta- 
blies sur  les  mêmes  principes  de  lois  relatives  au  jury 
qu'en  Angleterre ,  loin  de  s'abandonner  à  une  cou- 
pable paresse  ,  une  députation  nommée  dans  leur  sein 
se  rendit  sur-le-champ  chez  le  docteur  Wardell  et 
M.  l'avocat  Wentworth,  deux  des  plus  habiles  juris- 


282  VOYAGE 

consultes  de  la  colonie ,  pour  les  choisir  pour  leurs 
conseils  et  remettre  leur  cause  entre  leurs  mains.  La 
cause  fut  présentée  à  chaque  session  devant  la  Cour 
par  leurs  conseils,  et  chaque  fois  elle  fut  rejetée  par 
les  objections  qu'éleva  le  conseil  opposé,  et  non  pas , 
vous  me  permettrez  de  le  répéter ,  par  le  désir  de  la 
part  des  émancipistes  de  sacrifier  leurs  droits  civils  à 
l'amour  d'une  honteuse  paresse.  En  outre ,  il  n'y  a 
pas  long-temps  qu'ils  consultèrent  encore  leurs  con- 
seils sur  l'utilité  de  poursuivre  leur  affaire  par-devant 
la  Cour  suprême  ;  leur  opinion  fut  que  cela  devenait 
entièrement  inutile,  vu  que  toute  espèce  de  raison 
vraie  ou  supposée,  qui  eût  pu  jusqu'à  présent  les  pri- 
ver de  leurs  droits ,  se  trouvait  tout-à-fait  anéantie 
par  le  nouveau  bill  présenté  par  M.  Peel  dans  le  par- 
lement. Tels  sont,  Monsieur,  les  faits  que  je  vous 
défie  de  nier. 

»  Quant  à  la  raison  qui  a  empêché  les  noms  de 
MM.  Terry,  D.  Cooper  et  R.  Cooper,  que  vous  vous 
plaisez  à  faire  résonner  si  souvent,  d'être  portés  sur 
les  listes  des  jurés,  je  ne  saurais  en  rendre  compte. 
L'acte  du  parlement  que  je  viens  de  rapporter  n'est 
peut-être  pas  encore  parvenu  aux  autorités  judiciaires. 
Alors  le  gouvernement  local  peut  bien  vouloir  ne  pas 
s'exposer  au  risque  d'encourir  la  responsabilité  de 
rétablir  les  émancipistes  dans  leurs  droits  civils,  sans 
avoir  auparavant  obtenu  l'approbation  du  gouver- 
nement du  royaume ,  ou  la  décision  définitive  de  la 
Cour. 

»  Quelle  que  soit  la  cause  de  leur  exclusion  ac- 


DE  L'ASTROLABE.  283 

luelle,  monsieur  Monitor,  les  émancipistes  se  conten- 
teront parfaitement  de  l'opinion  de  leurs  conseils,  et  se 
laisseront  guider  par  leurs  avis.  Ils  conserveront  leur 
amour  de  la  paix.  Ils  ne  se  livreront  point  à  une  hon- 
teuse paresse,  quand  une  paisible  activité  pourra  être 
utile  à  leurs  intérêts ,  et  ils  seront  toujours  prêts  à 
faire  usage  de  leur  argent  quand  il  pourra  en  résulter 
quelque  chose  d'utile  au  Lien  public. 

»  Je  terminerai ,  monsieur  Monitor,  en  vous  rappe- 
lant que  souvent  les  bonnes  intentions  d'un  ami  indis- 
cret font  plus  de  tort  à  la  cause  qu'il  veut  servir  que 
toutes  les  intrigues  d'un  ennemi  déclaré. 

»  ClDSPISANACIFRA-.  » 


Le  même  journal,  cherchant  à  rassurer  les  colons 
d'origine  libre  sur  l'influence  que  les  émancipistes 
pourraient  obtenir  dans  l'assemblée  représentative, 
fait  le  raisonnement  suivant  : 

«  Une  assemblée  représentative  détruirait  les  moin- 
dres prétentions  des  émancipistes ,  quand  bien  même 
ils  en  auraient  :  ce  qui  n'est  pas.  Quand  Edward Eagar, 
cet  homme  d'esprit ,  était  à  la  tête  de  ce  corps ,  il  fit 
en  sorte  de  leur  communiquer  une  partie  de  son  juge- 
ment vif  et  pénétrant.  Mais  cinq  années  d'absence  ont 
fait  languir  les  plantes  qu'il  cultivait ,  car  elles  étaient 
exotiques.  Les  pounds ,  les  schellings  et  les  pences  , 
vrais  produits  du  sol  émancipiste ,  ont  relevé  leur  tète 
avec  une  nouvelle  vigueur  ;  et  toute  cette  végétation  ar- 


284  VOYAGE 

lificielle,  qui  semblait  fleurir  durant  quelque  temps, 
se  trouve  maintenant  dans  un  état  de  décadence  ra- 
pide. C'est  pourquoi  si  une  Chambre  de  cent  membres 
allait  être  maintenant  organisée  (  ce  qui  ne  pourrait 
avoir  lieu  au  plus  tôt  que  dans  deux  ans),  nous  prions 
les  émigrans  de  jeter  les  yeux  autour  d'eux,  de  comp- 
ter les  émancipistes ,  et  de  nous  dire  s'ils  pourraient 
en  trouver  plus  de  cinq  pour  cent  sur  leur  chemin  à 
la  Chambre?  Après  avoir  mentionné  M.  R.,  M.  T., 
M.  C,  M.  L. ,  et  M.  H.,  qui  pourrait  ensuite  se 
sentir  disposé  à  consumer  son  temps,  s'exposer  aux 
hasards  d'une  élection ,  et  laisser  de  côté  tous  les  bons 
marchés  ,  pour  l'amour  d'un  siège  dans  le  sénat  aus- 
tralien? Mais  en  supposant  même  que  dix  émanci- 
pistes pussent  y  arriver,  que  feraient  dix  individus 
contre  quatre-vingt-dix?  Combien  sont  absurdes  alors 
les  craintes  et  les  jalousies  des  émigrans,  en  suppo- 
sant que  cinq  ou  dix  individus  pussent  lutter  contre 
soixante-dix  magistrats,  et  soixante-dix  autres  émi- 
grans parfaitement  égaux  à  ces  derniers  en  opulence , 
en  éducation  et  en  talens  ?  Ainsi ,  si  les  émigrans  sen- 
taient bien  toute  leur  propre  force,  dans  cette  cir- 
constance, ils  seraient  les  premiers  à  convoquer  une 
assemblée  du  comté ,  pour  demander  au  Roi  et  aux 
deux  Chambres  une  législation  populaire.  En  vérité 
ce  n'est  que  depuis  très- peu  de  temps  que  nous  nous 
sommes  nous-mêmes  bien  assurés  de  leur  supériorité 
à  cet  égard  sur  les  émancipistes ,  quand  nous  vou- 
lûmes examiner  quel  serait  le  nombre  de  ces  derniers, 
que  leur  fortune  et  leurs  moyens  intellectuels  appel- 


DE  L'ASTROLABE.  285 

leraienl  naturellement  à  briguer  un  siège.  Alors  les 
émigrans  nous  parurent  épais  sur  la  liste.  Pour  être 
sincère  avec  nos  lecteurs ,  depuis  que  nous  avons  dé- 
couvert cette  grande  disproportion  de  nombre,  nous 
avons  cessé  d'être  si  ardcns  dans  nos  vœux  pour  la 
formation  d'une  Chambre.  Les  émancipistes  forment 
au  moins  les  deux  tiers  de  la  population  actuelle. 
Mais  ils  n'offriraient  pas  une  vingtaine  de  gentlemen, 
c'est-à-dire  de  personnes  capables  d'être  membres 
de  la  Chambre.  Avec  l'aide  des  gouverneurs,  le  peu- 
ple a  pu  jusqu'ici  s'opposer  assez  bien  aux  prétentions 
des  émigrans  ;  mais  la  perspective  dune  assemblée 
représentative,  composée  de  quatre-vingt-dix  contre 
dix,  nous  a,  je  l'avoue,  causé  quelque  inquiétude. 
Cependant  si  les  émancipistes  sont  assez  heureux 
pour  se  ménager  l'appui  d'une  vingtaine  d'émigrans 
libéraux,  au  point  d'empêcher  le  peuple  de  tomber 
sous  des  lois  insidieuses  et  jalouses ,  c'en  sera  assez 
pour  maintenir  la  liberté  publique  et  l'égalité  des 
droits.  Sous  tous  les  autres  rapports,  les  besoins 
croissans  du  pays  demandent  des  lois  d'une  nature 
toute  différente  que  celles  qui  défigurent  aujourd'hui 
le  livre  des  statuts.  Livre,  avons-nous  dit!  Il  n'y  a 
rien  de  pareil  dans  le  royaume  ,  nos  lois  coloniales  ne 
sont  ni  lex  terrœ,  ni  lex  scripta,  » 

Plus  loin  on  voit  le  même  publiciste,  cherchant  à 
réunir  les  deux  partis  contre  la  haute  aristocratie,  leur 
adresser  ainsi  la  parole  (w°  23,  20  october  1826): 


286  VOYAGE 

«  Le  mur  de  séparation  élevé  enlre  les  émigrans  et 
les  émancipistes  vient  enfin ,  du  moins  suivant  notre 
petite  manière  de  voir ,  d'être  en  grande  partie  ren- 
versé par  le  choix  unanime  de  quelques  personnes, 
pour  former  le  comité  de  certaines  institutions  pu- 
bliques. x\insi  nous  regardons  les  deux  partis  des 
émigrans  et  des  émancipistes,  ou  des  exclusionistes 
et  des  colonistes ,  comme  enfin  réunis.  Ils  sont  désor- 
mais fondus  ensemble  et  forment  vraiment  le  peuple. 
Il  y  a  un  petit  nombre  d'hommes  que ,  par  manière 
de  distinction,  nous  sommes  accoutumés  à  décorer 
du  titre  &e  faction.  Ce  parti  ne  consentira  jamais  à 
renoncer  à  ses  prétentions  oligarchiques  et  à  se  con- 
fondre avec  la  communauté.  Jadis  ils  se  rendaient  for- 
midables par  le  crédit  qu'ils  avaient  acquis  sur  l'es- 
prit des  autorités  de  Downing-Street  *.  Mais  la  liberté 
de  la  presse  dans  la  colonie ,  le  dîner  public  donné  à 
sir  Thomas  Brisbane,  et  les  adresses  du  comté  aux 
derniers  gouverneurs ,  ont  détruit  leur  influence.  Les 
ministres  ont  pénétré  le  secret  de  cette  famille  d'agio- 
teurs ,  et  leurs  perfides  intrigues ,  qui  ont  toujours 
tourmenté  les  gouverneurs  de  cette  colonie,  qui  ren- 
versèrent l'un  d'eux,  ruinèrent  presque  Macquarie, 
et  déplacèrent  sir  Thomas  Brisbane  quelques  demi- 
douzaines  d'années  plus  tôt  qu'il  ne  l'eût  été  sans  eux. 
Mais  la  liberté  de  la  presse  et  le  peuple  ont  tout-à- 
coup  sauvé  ce  dernier  du  précipice  que  la  calomnie 
avait  si  adroitement  creusé  sous  ses  pas.  En  outre, 

Nom  de  la  rue  de  Londres  où  sont  les  bureau*  des  colonies. 


DE  L'ASTROLABE.  287 

le  major  Goulburn  et  sir  Thomas ,  à  l'aide  de  son 
ami  le  duc  de  Wellington,  ont.  l'oreille  du  Roi,  de 
MM.  Peel,  Horton  et  de  lord  Balhurst,  sans  oublier 
le  duc  d'York,  aussi  bien  que  sir  James  Mackintosh, 
sir  Charles  Forbes,  M.  Bright,  sir  M.  Riedley,  et 
d'autres  honnêtes  gens  du  parlement.  Nous  devons 
donc  considérer  k\  faction,  avec  son  adresse  de  vingt- 
deux  signatures,  comme  entièrement  anéantie.  La 
fausseté  de  ses  rapports  et  de  ceux  du  commissaire 
d'enquête  a  été  enfin  complètement  prouvée. 

»  Certaines  habitudes  sont  souvent  très- déplacées, 
et  ont  besoin  d'être  réprimées.  Les  colonistes,  ainsi 
qu'on  les  désigne  d'ordinaire,  doivent  se  rappeler  qu'ils 
ne  sont  plus  une  portion  distincte,  mais  seulement 
une  partie  de  la  grande  communauté.  Une  Chambre 
d'assemblée,  le  jugement  par jury ',  la  taxe  et  les  im- 
pôts par  représentation,  un  agent  honnête  et  diligent, 
et  plusieurs  autres  choses  trop  longues  à  énumérer, 
ne  sont  pas,  il  faut  bien  s'en  convaincre,  des  objets 
plus  utiles  aux  uns  qu'aux  autres.  Ainsi  puisque  ce 
sont  des  choses  d'un  intérêt  général,  il  ne  faut  pas 
qu'à  l'avenir  un  seul  parti  fasse  les  démarches  néces- 
saires pour  les  obtenir.  Si  une  assemblée  du  comté  est 
jugée  nécessaire  pour  demander  au  Roi  et  aux  deux 
Chambres  l'exercice  de  nos  privilèges  civils ,  il  ne  faut 
pas  que  cette  réclamation  soit  faite  par  une  seule  classe 
d'individus.  C'est  aux  chefs  de  la  colonie,  dans  tous 
les  ordres  indistinctement ,  à  se  mettre  en  avant  dans 
ces  circonstances,  ou  bien  restons  pour  toujours  muets 
«m  paralysés.  Privé  de  ces  avantages ,  le  peuple  réus- 


288  VOYAGE 

sira  tout  aussi  bien  que  les  particuliers  les  plus  opu- 
lens.  Si  les  derniers  ne  sentent  pas  la  nécessité  du  ju- 
gement par  jury,  et  d'une  législation  coloniale,  le  peu- 
ple s'en  passera  aussi  à  merveille.  Par  là  nous  ne 
voulons  pas  dire  que  les  hommes  animés  de  l'amour 
du  bien  public  doivent  céder  la  place  à  ceux  qui  ne  sa- 
vent pas  ce  que  c'est.  Non.  Partout  les  affaires  de  la 
politique  ne  doivent  être  conduites  que  par  des  esprits 
supérieurs.  Ce  sont  les  seuls  dont  le  feu  sacré  peut  ra- 
nimer les  étincelles  mourantes  du  zèle  pour  le  bien 
public.  Mais  dans  ce  cas,  ils  doivent  se  présenter  de 
tous  les  côtés  à  la  fois ,  et  non  pas  d'un  seul  parti.  La 
prochaine  réunion  doit  offrir  les  noms  des  principaux 
personnages  de  la  colonie  dans  tous  les  rangs  et  de 
tous  les  partis.  C'est  ainsi  que  nous  pouvons  nous  ha- 
bituer à  voter  ensemble ,  à  penser  et  à  sentir  de  la 
même  manière.  La  mesure  vraiment  utile  à  la  prospé- 
rité de  tous  les  citoyens  sera  à  la  fin  jugée  telle  d'un 
commun  accord ,  et  réunira  tous  les  suffrages.  Puisque 
les  colonistes  furent  les  premiers  en  avant  dans  les 
deux  dernières  assemblées  du  comté,  nous  leur  re- 
commanderons aujourd'hui  de  se  tenir  en  arrière ,  et 
de  ne  pas  faire  un  pas  en  avant  à  la  prochaine  assem- 
blée ,  jusqu'à  ce  que  les  autres ge?itlemen  de  la  colonie 
se  soient  eux-mêmes  prononcés.  S'il  arrivait  que  l'in- 
dolence ou  la  paresse  pût  engager  ces  derniers  à  rester 
passifs ,  et  à  se  contenter  du  présent  état  de  choses  , 
ainsi  soit-il.  Le  reste  de  la  communauté  ne  souffrira 
pas  plus  qu'eux  à  proportion  :  plutôt  que  d'entretenir 
plus  long-temps  deux  partis  en  activité,  nous  invite- 


DE  L'ASTROLABE.  289 

rions  les  gens  du  peuple  à  s'occuper  de  leurs  fermes 
et  de  leurs  magasins,  veiller  aux  circonstances,  ne 
songer  qu'à  leurs  propres  intérêts,  s'enrichir  aussitôt 
qu'ils  le  pourront,  et  abandonner  la  colonie  à  elle- 
même  ,  etc. ,  etc.  » 

Dans  la  feuille  qui  venait  de  paraître  au  moment 
de  notre  arrivée,  ce  journal  se  permettait  une  sortie 
encore  plus  virulente  contre  les  chefs  du  parti  d'ori- 
gine libre.  (Monitor,  ;*°29,  1  december  1826.) 

«  Les  officiers  civils  sont  presque  tous  à  cheval 
dans  leurs  départemens  respectifs.  Mais  comme  ils 
possèdent  de  grandes  terres  et  de  nombreux  troupeaux, 
et  qu'ils  sont  accoutumés  à  participer,  avec  les  gouver- 
neurs de  ces  contrées,  à  l'administration  des  affaires 
publiques ,  ils  ont  trop  de  penchant  pour  l'état  de 
choses  actuel ,  quel  que  soit  d'ailleurs  leur  méconten- 
tement, qui  souvent  s'exhale  en  murmures  et  sarcas- 
mes. Leurs  reproches ,  sans  être  publics ,  n'en  sont  pas 
moins  amers.  Pourtant  ils  se  disent  en  eux-mêmes  : 
«  Le  général  Darling  ne  sera  pas  toujours  ici  ;  il  vaut 
»  mieux  pour  nous  rester  pendant  un  temps  privés  de 
»  nos  anciens  privilèges  pour  assommer  le  peuple , 
»  que  de  nous  réunir  à  celui-ci  pour  obtenir  du  parle- 
»  ment  des  institutions  qui  anéantiraient  pour  jamais 
»  nos  prétentions  oligarchiques.  »  Toutes  les  aristo- 
craties ,  excepté  celle  de  la  Grande-Bretagne ,  je  me 
trompe  j  excepté  celle  d'Angleterre  (car  celles  de  l'E- 
cosse et  de  l'Irlande  furent  et  sont  toujours  despo- 


290  VOYAGE 

tiques  comme  celles  du  reste  de  l'Europe)  :  toutes  les 
aristocraties ,  nous  le  répétons ,  excepté  celle  d'An- 
gleterre ,  ont  été  ennemies  de  la  liberté ,  depuis  le  sénat 
romainjusqu'au  siècle  où  nous  vivons.  Elles  méprisent 
également  le  peuple,  et,  dans  leur  opinion,  ce  n'est 
qu'à  leurs  dépens  que  celui-ci  peut  obtenir  quelque 
avantage.  L'homme  hait  l'égalité.  Un  riche  mendiant 
ne  peut  souffrir  l'idée  de  voir  son  inférieur  et  son  cadet 
dans  le  métier  gagner  autant  de  liards  que  lui ,  ou  vou- 
loir traiter  d'égal  avec  lui ,  quand  dans  leurs  orgies 
nocturnes  ils  se  livrent  aux  douceurs  de  l'ivresse ,  et 
se  moquent  de  la  crédulité  de  leurs  bienfaiteurs.  C'est 
par  suite  de  ce  sentiment  que  les  grands  d'Espagne 
vendirent  leur  pays  à  Joseph  Napoléon,  et  qu'ensuite 
ils  consentirent  à  bannir ,  pendre  et  incarcérer  les 
patriotes  qui  avaient  chassé  les  Français  de  l'Espagne, 
et  rétabli  les  Cottes.  En  vérité,  il  se  trouva  bien  un  ou 
deux  Russel  parmi  eux...  Mais  espérer  que  de  grands 
seigneurs  puissent  hasarder  leur  fortune,  ou  même  ris- 
quer la  chance  de  ne  pouvoir  l'agrandir,  pour  l'amour 
des  droits  civils  du  peuple ,  c'est  attendre  du  cœur 
humain  une  action  contraire  à  sa  bassesse  naturelle. 
Quant  à  la  noblesse  française,  nous  ne  pouvons  y 
songer  qu'avec  un  profond  sentiment  de  pitié.  Cepen- 
dant si  elle  n'avait  été  entichée  du  pouvoir  à  un  point 
si  ridicule  et  si  dégoûtant ,  elle  eut  pu  guider  le  peuple 
dans  ses  délibérations ,  au  lieu  de  le  pousser  à  cette 
vengeance  atroce  qui  souillera  son  nom  aussi  long- 
temps qu'il  subsistera  sur  la  liste  des  nations  *,  Il  en 

*  Ici  noire  Anglais,  laissant  de  côté  l'impartialité  qu'il  se  pique  de  professer, 


DE  L'ASTROLABE.  291 

est  ainsi  chez  les  seigneurs  militaires  de  la  Prusse,  et 
les  nobles  despotes  delà  Moscovie,  qui  ainsi  que  leurs 
terres  regardent  leurs  vassaux  comme  leur  propriété 
particulière.  Les  nobles  en  Europe,  aussi  bien  que  les 
riches  colons  de  New-South-Wales ,  possèdent  ou 
veulent  posséder  l'oreille  du  gouvernement.  Sembla- 
bles au  regrattier  qui  réfléchit  comment  il  pourra 
duper  le  fermier  et  augmenter  le  prix  de  ses  œufs  et 
de  ses  harengs  saurs,  sans  s'occuper  du  malheureux, 
ainsi  les  puissans  du  royaume  et  des  colonies  calculent 
comment  ils  pourront  accroître  leur  influence  au  meil- 
leur marché  possible.  En  provoquant  la  liberté  publi- 
que, en  s'unissant  au  peuple  pour  solliciter  des  insti- 
tutions libérales  ,  ils  nivéleraient  trop  leurs  préten- 
tions. D'ailleurs  qui  se  soucierait  de  devenir  riche,  si 
chaque  misérable  devait  aussi  le  devenir?  Le  grand 
objet  de  l'homme  est  de  devenir  riche  exclusivement; 
d'avancer,  sinon  aux  dépens  des  autres  (ce  qui,  de 
toutes  les  nuances  du  bonheur,  est  la  plus  flatteuse), 
au  moins  à  quelque  prix  que  ce  soit,  pourvu  que  les 
autres  ne  sortent  point  de  leur  sphère.  Mais  avancer 
avec  un  million  d'autres  en  richesses,  en  dignités,  en 
privilèges,  n'est  qu'une  perspective  sans  attraits.  C'est 
pourquoi  tout  peuple  sans  propriétés ,  qu'il  soit  ancien 
ou  jeune,  nombreux  ou  peu  considérable,  ne  doit  at- 
tendre des  grands  aucun  secours  pour  obtenir  l'exer- 

se  li\re  à  la  basse  jalousie  qui  d'ordinaire  anime  la  canaille  anglaise  conlre 
le  nom  français,  et  oublie  d'une  manière  trop  plaisante  que  l'Angleterre  fut 
la  première  à  donner  aux  nations  de  l'Europe  le  funeste  exemple  qu'il  re- 
proobe  si  durement  à  la  France. 


292  VOYAGE 

cice  de  ses  droits  civils.  Il  peut  bien  se  trouver  un  ou 
deux  esprits  d'une  sphère  supérieure ,  et  doués  par  la 
Providence  de  senlimens  plus  élevés ,  mais  ils  seront 
bientôt  bafoués  et  calomniés  par  ceux  de  leur  propre 
classe.  Leurs  faiblesses  seront  mises  en  musique  et 
chantées  en  prose  et  en  vers.  Les  motifs  les  plus  hon- 
teux seront  assignés  h  leurs  démarches ,  si  bien  que 
pour  se  rendre  utiles  au  peuple ,  à  moins  que  leur 
fortune  ne  soit  immense ,  et  leur  conduite  d'une  pureté 
angélique,  ils  se  verront  bientôt  dépouillés  de  la  moitié 
de  leur  crédit. 

»  De  tout  cela  l'on  doit  conclure  qu'en  tous  lieux 
le  peuple  doit  lui-même  prendre  le  soin  de  ses  propres 
libertés.  Il  ne  doit  attendre  aucun  appui  de  l'aristo- 
cratie, ce  serait  trop  espérer  de  la  bassesse  de  la 
nature  humaine.  Le  peuple  lui-même  n'aime  la  liberté 
qu'en  ce  qu'elle  contribue  à  son  propre  pouvoir  et  à 
sa  prospérité.  C'est  par  le  même  motif  que  l'aristo- 
cratie déteste  la  liberté ,  en  ce  que  chaque  pas  que  le 
peuple  gagne  vers  le  pouvoir  est  regardé  par  elle 
(bien  que  ce  ne  soit  pas  notre  manière  de  penser) 
comme  autant  d'enlevé  au  sien.  Pourquoi  donc ,  ô  co- 
lons de  New-South-Wales  !  vous  flattez-vous  du  vain 
espoir  de  voir  les  Mac-Arthur,  les  Jamison ,  les  Cox, 
les  Jone ,  les  Wolstonecraft  et  les  Brown ,  s'avancer 
pour  vous  conduire  vers  le  trône  et  à  la  barre  des 
deux  Chambres  ?  Renfermés  chaque  jour  avec  le  gou- 
verneur, ou  l'ami  du  gouverneur,  ou  l'ami  de  l'ami  du 
gouverneur...  revêtus  des  magistratures...  promus 
au  rang  de  membres  du  conseil  ou  des  comités...  mai- 


DE  L'ASTROLABE.  293 

ires  de  choisir  îles  terres,  quand  d'autres  ne  savent 
où  en  trouver,  ou  ne  peuvent  s'en  procurer  quand  ils 
en  ont  découvert...  ayant  le  pouvoir  de  faire  établir 
des  impôts  sur  certains  produits  coloniaux,  de  ma- 
nière à  élever  la  valeur  de  leurs  propres  domaines  par 
suite  même  de  ces  nouvelles  taxes...   quels  insensés 
vous  êtes,  ô  colons  de  l'Australie  !  d'imaginer  que  de 
pareils    individus    puissent,  être  de  vrais  patriotes  ! 
Vous  pourriez,  avec  tout  autant  de  raison,  tous  at- 
tendre à  voir  le  léopard  changer  la  couleur  de  ses 
taches,  et  L'Ethiopien  celle  de  sa  peau!  D'ailleurs,  ô 
stupides  cultivateurs!  qu'y  a-t-il  donc  de  si  remar- 
quable, dans  les  noms  que  nous  venons  de  prononcer, 
qui  puisse  vous  faire  augurer  que  votre  gracieux  sou- 
verain et  son  auguste  parlement  prêteront  plutôt  l'o- 
reille  à  ces  noms  qu'à  votre  propre  voix,  qu'à  celle 
Aw  peuple!  Des  personnages  comblés  de  titres  et  de 
dignités,  comme  les  Northumberland ,  les  Norfolk  ,  les 
Suffolk,  les  Warwick,  les  Essex,  les  Bathurst  et  les 
Liverpool  parmi  les  pairs  d'Angleterre,  et  des  noms 
comme  ceux  des  Canning,  des  Peel,  des  31aekintosh, 
des  Brougham  ,  des  Bright,  des  Forbes  ,  des  Denham 
et  des  Ridlev  dans  la  Chambre  des  communes ,  se 
sentiront-ils  mieux  disposés  pour  votre  propre  cause, 
en  voyant  votre  pétition  signée  par  des  officiers  civils 
ou  ex-civils  et  ex-militaires  ,  que  si  elle  l'était  par  des 
tanneurs,  des  fabricans  de  savon,  des  chapeliers, 
des  cordonniers,  des  chandeliers,  des  distillateurs, 
des  brasseurs ,  des  marchands,  et  de  petits  proprié- 
taires de  30  ou  40  acres  de  terrain?  Oui  compose  la 
tome  i.  aa 


29i  VOYAGÉ 

masse  du  peuple?  La  minorité  ou  la  majorité?  Hors 
du  royaume  il  n'y  a  plus  d'aristocratie.  S'il  s'agit  des 
autres ,  les  sentimens  légitimes  du  cœur  humain  re- 
prennent leur  cours  naturel  :  nous  osons  assurer  que 
l'aristocratie  elle-même,  en  portant  ses  regards  sur 
une  autre  nation,  se  sent  plus  intéressée  au  sort  du 
peuple  qu'à  celui  de  la  noblesse.  Outre  cela,  combien 
la  noblesse  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  doit  sembler 
méprisable  awx  nobles  et  aux  gentilshommes  de  l'an- 
tique et  vénérable  Angleterre?  L'allusion  même  que 
nous  faisons  de  nos  gueux  parvenus  à  une  vraie  no- 
blesse doit  exciter  leur  dérision.  Quelle  absurdité 
donc  de  votre  part  '.  petits  cultivateurs ,  marchands 
et  fabricans  de  Sydney  et  de  Paramatta,  vous  qui  for- 
mez le  corps  même  de  la  communauté ,  qu'il  est  vain 
et  ridicule  d'imaginer  que  votre  voix,  dans  une  assem- 
blée constitutionnelle  du  comité  de  Cumberland,  ne 
sera  point  écoutée ....  parce  que  les  débris  du  régi- 
ment de  New-South- Wales ,  qui  se  révolta  contre  le 
gouverneur  Bligh ,  et  les  banqueroutiers  de  l'Angle- 
terre ,  maîtres  aujourd'hui  des  plus  riches  pâturages 
de  la  colonie ,  affectent  de  se  tenir  à  l'écart  de  ces 
assemblées ,  et  sont  décidés  à  y  porter  obstacle ,  de 
peur  que  le  monopole  du  pain  et  du  poisson ,  dont  ils 
ont  joui  jusqu'aujourd'hui  par  des  intrigues  de  cour 
et  des  tripotages  politiques,  ne  leur  soit  ravi  pour 
toujours  par  l'établissement  du  jugement  par  jury, 
et  d'une  assemblée  législative  de  cent  ou  deux  cents 
membres  choisis  par  vous  !  » 


DE  L'ASTROLABE.  25)5 

Au  mois  de  juin,  une  lettre,  qu'on  avait  lieu  de  sup- 
poser écrite  par  M.  B****  p****^  ancien  juge  de  la  co- 
lonie, fournit  le  sujet  dune  sortie  non  moins  violente 
contre  les  intrigues  des  grands  propriétaires  [Monîicf, 

n°l,  30  juin  1826). 

«  La  lettre  infâme  rapportée  dans  V Australian  ■> 
d'après  le  Moming-CHronicle ,  démontre  l'avantage 
d'une  libre  concurrence  de  la  presse  dans  la  Nouvel  le- 
Galles  du  Sud  ;  elle  explique  la  profonde  ignorance 
dans  laquelle  les  ministres  de  Sa  Majesté  restèrent 
plongés  par  les  faux  rapports  des  démagogues  de  la 
colonie  et  des  harpies  de  Londres,  qui  leur  servaient 
d'agens,  jusqu'à  l'époque  du  rapport  de  M.  Bigg. 
Nous  ne  discuterons  point  ici  si  ce  fut  son  rapport 
qui  dissipa  ces  ténèbres,  parce  que  nous  allons  à  la 
presse ,  et  qu'il  nous  reste  à  peine  le  temps  nécessaire 
pour  commenter  la  lettre  en  question,  qui  est  évi- 
demment l'œuvre  de  cet  honnête,  sincère ,  véridique, 

intègre,  ex -juge  B****  p****^  écuyer,  etc.,  etc 

Nous  pensons  aussi  que  les  personnes  qui  lui  ont 
fourni  les  faits  (car  ils  sont  forgés)  sur  lesquels  il  a  si 
adroitement  bâti  ses  hypothèses  et  tiré  ses  consé- 
quences, étaient  d'intelligence  avec  lui.  Ce  sont  tou- 
jours les  mêmes  individus  qui ,  bien  que  leurs  terres 
aient  été  défrichées  et  leurs  maisons  bâties  par  les 
convicts,  les  ont  toujours  traités  avec  dureté  et  bar- 
barie; qui,  parce  que  Macquarie,  et,  après  lui,  Bris- 
bane ,  parlèrent  avec  humanité  au  peuple  ,  et  le  pro- 
tégèrent dans  ses  propriétés  et  ses  libertés,  tour- 


29ti  VOYAGE 

lièrent  leur  animosité  contre  le  gouvernement  local 
lui-même ,  et  ne  cessèrent  leurs  perfides  rapports 
qu'après  avoir  forcé  Macquarie  à  résigner  et  obtenu 
le  rappel  de  Brisbane  ;  car  ils  n'avaient  point  de 
presse  pour  les  protéger.  Maintenant  ils  intriguent 
pour  pervertir  le  général  Darling,  et  l'animer  contre 
le  peuple  de  la  colonie.  Mais  le  général  est  trop  vieux 
pour  eux.  Il  connaît  trop  bien  son  monde  et  les  allu- 
res de  Downing-Street.  11  a  vu  des  assemblées ,  des 
dîners  et  des  adresses  publiques  dans  le  Derwent.  Il 
a  reçu  du  peuple  même  d'ici  une  adresse  franche, 
loyale  et  sincère  ;  il  lit  les  papiers  de  la  colonie;  il  voit 
et  juge  par  lui-même ,  et  il  ne  se  rangera  point  du 
parti  de  la  vieille  faction  ;  il  sera  pour  le  peuple  en 
dépit  de  toutes  leurs  cabales ,  etc.,  etc.  » 

La  dissertation  suivante  sur  les  avantages  d'une 
assemblée  représentative  et  sur  les  élémens  dont  elle 
pourrait  se  composer,  écrite  d'un  ton  plus  modéré, 
donne  une  idée  assez  juste  de  l'état  actuel  de  la  colo- 
nie et  des  sentimens  de  la  plupart  des  habitans  sages 
et  raisonnables  {J\lo?ritor,  n°  26,  10  novembre  1826). 

«  Nous  allons  mentionner  un  fait  qui  vient  d'arriver 
à  notre  connaissance.  Le  maître  du  navire  Fairfield 
donna  sa  parole  d'attendre  les  dépêches  du  gouver- 
neur Darling  jusqu'à  onze  heures  du  matin,  le  jour 
qu'il  mettrait  à  la  voile.  Ce  fut  un  vendredi ,  le  jour 
même  où  le  révérend  Samuel  Marsden  publia  dans 
V Australian  (exclusivement)  cette  fameuse  déclara- 


DE  L'ASTROLABE.  297 

tion,  par  laquelle  il  condescend  à  protester  de  son 
innocence ,  pour  avoir  fait  infliger  la  torture  dans  une 
circonstance  particulière  et  spécifiée.  Aussitôt  que  le 
révérend  chapelain  et  M.  John  Mac-Arthur  eurent 
remis  leurs  dépèches  à  bord  (  ce  qui  eut  lieu ,  nous 
a-t-on  assuré,  à  neuf  heures  du  matin),  le  maître, 
comme  par  un  plan  prémédité ,  mit  aussitôt  à  la  voile , 
doubla  la  Truie  et  les  Cochons ,  et  se  trouvait  déjà 
depuis  long-temps  au  large,  lorsque  les  dépèches  du 
gouverneur  se  trouvèrent  prêtes  à  être  envoyées  à 
bord  !  Mais  il  y  a  encore  un  autre  tour  de  maître,  bon 
lecteur  !  C'a  été  de  prendre  votre  argent  et  de  l'en- 
voyer à  M.  Barnard,  afin  de  lui  donner  les  moyens 
de  se  concerter  avec  lord  Bathurst,  pour  décourager 
l'émigration,  mettre  le  pays  dans  les  fers  d'un  clergé 
largement  doté ,  et  y  introduire  des  impôts  sans  acte 
du  parlement  ni  représentation  coloniale. 

»  Nul  doute  que  le  Fairfield  n'a  emporté  de  bonnes 
et  puissantes  raisons  pour  déterminer  le  parlement  à 
terminer  sur-le-champ  la  nouvelle  charte  dans  sa  pro- 
chaine session ,  tandis  que  nous  restons  tous  endor- 
mis ici,  sans  avoir  même  le  courage  de  demander  à 
notre  législateur  la  remise  du  droit  sur  le  cèdre.  Nul 
doute  que  Barnard ,  le  jeune  avocat  Mac-Arthur,  l'ex- 
juge  Field ,  M.  John  Smith ,  et  une  vingtaine  de  mem- 
bres du  parlement,  qui  sont  chargés  des  intérêts  de 
la  compagnie  qui  nous  a  si  bien  escamoté  nos  mines 
de  charbon;  nul  doute  que  tous  ces  individus  ne 
s'empressent  comme  des  abeilles  à  l'arrivée  du  Fair- 
field à  Londres.  Il  y  aura  aussi  des  amis  de  l'apôtre 


298  VOYAGE 

de  l'Australie ,  animés  d'un  zèle  égal ,  mais  plus  purs 
dans  leurs  intentions,  qui  soutiendront  la  cause  de  la 
piété  persécutée  avec  la  chaleur  du  martyre,  même 
avec  l'ardeur  irrésistible  de  la  charité  chrétienne, 
principe  le  plus  puissant  du  cœur  humain ,  supérieur 
même  à  toutes  les  autres  passions ,  ainsi  que  l'ont 
suffisamment  attesté  les  souffrances  des  chrétiens  à 
toutes  les  époques.  Ainsi,  tandis  que  nous  prenons 
nos  aises  à  Sydney,  que  nous  songeons  à  notre  pain  et 
à  notre  beurre  avec  une  prudence  plébéienne,  et  que 
nous  nous  payons  de  quelques  réflexions  très-sages, 
comme  charité  bien  ordonnée  commence  par  soi- 
même  —  mêlons -nous  de  nos  affaires  —  laissons 
agir  le  gouverneur  —  nous  serons  affublés  d'une 
continuation  de  la  présente  charte  pour  sept  autres 
années. 

»  Le  jugement  par  jury,  d'un  avis  unanime,  est  re- 
gardé comme  un  droit  civil  et  indispensable  à  appli- 
quer à  toutes  les  branches  de  notre  jurisprudence. 
Quant  à  l'assemblée  législative ,  les  opinions  sont  plus 
divisées.  La  grande  majorité  néanmoins  se  déclare 
pour  une  assemblée  élective ,  mais  il  y  a  divers  senti- 
mens  sur  le  nombre  des  membres  dont  elle  devrait 
être  composée. 

»  JN  ous  avons  conversé  avec  toutes  les  classes  de 
la  société  à  ce  sujet,  et  nous  avons  constamment  ob- 
servé que  les  colonistes  ou  emigrans  voulaient  en  ré- 
duire le  nombre  en  proportion  exacte  de  leur  rang  et 
de  leur  influence  supposée  dans  la  société.  Ceux  qui 
par  leur  immense  fortune  sont  persuadés  qu'ils  en  sont 


DE  L'ASTKOIABE.  290 

membres  de  droit ,  désirent  que  l'assemblée  législative 
ne  dépasse  pas  le  nombre  actuel  de  ses  membres.  — 
En  tout  cas  dix  ou  douze  membres  seraient  déjà  trop 
nombreux  à  leur  avis.  La  classe  suivante  pense  qu'une 
vingtaine  pourrait  être  le  nombre  convenable,  et, 
comme  les  premiers,  répètent  les  mots  de  brièveté 
et  célérité  comme  l'apanage  le  plus  précieux  du  petit 
nombre.  Beaucoup  parler,  disent-ils,  ne  sert  à  rien  , 
et  ne  fait  qu'ennuyer;  pour  eux  la  discussion  n'est 
qu'un  véritable  épouvantait.  La  troisième  classe,  com- 
prenant que  si  la  Chambre  législative  se  bornait  à 
vingt  membres  ,  la  concurrence  pour  y  entrer  serait 
trop  pénible,  et  leur  coûterait  trop  d'argent,  admet 
avec  beaucoup  de  candeur  et  de  libéralité  que  vingt ,  à 
leur  avis,  sont  un  trop  petit  nombre;  et  prenant  en 
considération  les  maladies ,  la  vieillesse ,  les  affaires 
urgentes  et  les  caquetages ,  suggère  l'idée  que  qua- 
rante à  cinquante  membres  ne  formeraient  pas  une 
réunion  trop  considérable.  —  La  dernière  classe  , 
c'est-à-dire  la  masse  des  hommes  pensans  qui  peuvent 
payer  les  taxes  requises ,  d'un  autre  coté  penche  pour 
un  nombre  qui  ne  serait  pas  moins  que  cent  ;  car  ils 
affirment  que  s'ils  sont  au-dessous ,  les  intrigues  de  la 
faction  et  les  commérages  de  famille  rendront  le  peuple 
la  proie  de  ses  sénateurs. 

»  Il  y  a  dans  la  colonie  plus  de  soixante-dix  ma- 
gistrats ,  que  nous  pouvons  considérer,  sans  crainte 
d'être  réfutés ,  comme  très-en  état  de  faire  nos  lois , 
tant  par  leur  rang  dans  le  pays,  et  leur  intime  con- 
naissance des  coutumes  et  des  ressources  du  peuple , 


300  VOYAGE 

que  par  leurs  moyens  en  tout  genre.  Maintenant  nous 
prierons  les  vieux  colons  de  jeter  les  yeux  autour  d'eux 
et  défaire  attention  aux  gentlemen  de  la  colonie,  qui, 
sans  être  magistrats ,  ne  leur  cèdent  en  rien  sous  les 
divers  rapports  de  l'éducation,  de  la  fortune,  du  ta- 
lent et  de  la  connaissance  locale;  et  nous  pensons 
qu'ils  conviendront  facilement  que  cette  classe  peut 
tripler  le  nombre  des  magistrats.  Il  y  a  donc  bien  trois 
cents  colonistes  capables  de  devenir  les  législateurs 
de  la  colonie.  — Puisqu'il  en  est  ainsi,  pourquoi  borner 
le  nombre  des  membres  de  la  Chambre  à  moins  d'un 
cent? 

»  L'avantage  d'avoir  un  grand  nombre  de  per- 
sonnes est  évident.  Dans  les  questions  importantes  on 
a  vu  plus  de  six  cents  membres  se  rassembler  dans  la 
Chambre  des  communes.  Nous  nous  rappelons  d'avoir 
entendu  l'immortel  Fox  parler  durant  quatre  heures 
dans  la  chapelle  de  Saint-Etienne.  —  La  nef  et  les  ga- 
leries étaient  pleines.  —  Cependant  quand  il  s'agissait 
de  voter  sur  un  point  qui  réunissait  tous  les  suffrages , 
le  mot  ordinaire  d'assentiment,  savoir  :  Aye!  pro- 
noncé par  l'assemblée  entière,  retentissait. comme  un 
coup  de  tonnerre.  En  d'autres  occasions,  nous  avons 
vu  la  Chambre  si  peu  nombreuse,  qu'un  membre  de- 
mandant à  ce  qu'on  en  fit  l'appel ,  il  s'en  trouva  moins 
de  quarante  présens  ,  et  il  fallut  ajourner  la  séance.  Il 
est  permis  cependant  aux  membres  de  poursuivre 
leurs  travaux  quand  même  il  y  en  aurait  moins  de  qua- 
rante présens  ,  pourvu  que  personne  ne  réclame  l'ap- 
pel. C'est  un  grand  avantage  en  beaucoup  d'affaires 


DE  L'ASTROLABE.  301 

ordinaires,  et  une  foule  de  bills  particuliers  passent 
ainsi  sans  occuper  l'attention  d'autres  membres  que 
ceux  que  cela  regarde  immédiatement.  Nous  avons  vu 
quantité  de  bills  passer  aussi  vite  que  le  speaker  pou- 
vait en  répéter  les  paroles  ,  ainsi  que  l'exigent  les  for- 
malités de  la  Chambre.  Le  speaker ,  en  pareille  occa- 
sion, dit  en  se  levant  :  «  Ce  bill  est  pour  tel  et  tel  ob- 
»  jet.  —  Que  ceux  qui  sont  de  cet  avis  disent  oui.  — 
»  Que  ceux  qui  sont  de  l'avis  contraire  disent  non.  — 
»  Les  oui  l'ont  emporté.  »  L'orateur  ne  s'arrête  jamais 
pour  écouter  les  oui  et  les  non,  sachant  bien  d'avance 
qu'il  n'y  aura  point  d'opposition.  —  Ce  serait  perdre 
trop  de  temps  que  d'en  agir  autrement  à  L'égard  des 
petits  bills  particuliers.  Ces  bills  ensuite  vont  aux 
lords ,  et  si  aucun  membre  ne  se  présente  pour  les  dis- 
cuter, ils  y  passent  aussi  rapidement  et  reçoivent  en- 
suite l'approbation  royale. 

»  Maintenant,  bien  que  dans  les  questions  impor- 
tantes,telles  que  les  droits  sur  le  cèdre,l'impôt,etc, etc. , 
il  serait  fort  à  désirer  d'avoir  une  Chambre  complète 
pour  discuter  et  débattre  tous  les  pour  et  les  contre , 
avec  toutes  les  mesures  nationales  ;  cependant ,  dans 
une  assemblée  de  cent  membres,  il  ne  faudrait  pas 
s'attendre  à  en  voir  plus  de  quatre-vingts  réunis  à  la 
fois.  Il  faut  laisser  une  marge  de  20  p.  °/0  pour  les  ma- 
ladies ,  les  mauvais  chemins ,  ies  affaires  particulières , 
le  manque  d'avis,  et  une  foule  d'autres  accidens.  Dans 
les  occasions  ordinaires  ,  une  cinquantaine  seulement 
s'y  1 1  ouveraient ,  cl  pour  les  bills  insignifians  d'un  in- 
térêt purement  local ,   une  demi-douzaine  suffiraient 


302  VOYAGE 

pour  les  faire  passer  ;  de  sorte  que  les  fonctions  des 
membres  seraient  faciles  à  remplir. 

»  Notez  bien  que  par  là  nous  n'entendons  point 
que  ce  serait  toujours  les  mêmes  quatre-vingts ,  cin- 
quante, et  six  membres  qui  siégeraient  habituellement, 
et  que  ce  serait  les  mêmes  vingt ,  cinquante,  et  quatre- 
vingt-quatorze  membres  restans  qui  s'absenteraient. 
Non  pas.  —  Il  y  aurait  un  changement  perpétuel  de 
personnes.  Les  vingt  absens  aujourd'hui  siégeraient , 
par  exemple ,  la  semaine  prochaine ,  et  les  vingt  ou 
trente  autres,  qui  étaient  restés  dans  la  ville  pour  faire 
passer  leurs  bills  favoris  qui  les  intéressaient  person- 
nellement, s'en  retourneraient  à  leur  métairie.  —  Non- 
seulement  nous  croyons  un  pareil  état  de  choses  extrê- 
mement avantageux  et  propre  à  rendre  les  devoirs  de 
la  législation  extrêmement  agréables  et  parfaitement 
d'accord  avec  les  intérêts  particuliers  de  chaque  ci- 
toyen, mais  encore  très-utile  pour  ranimer  l'esprit 
public  et  les  sentimens  populaires.  Ce  soir  M.  Wols- 
tonecraft  éclairerait  le  peuple  par  un  examen  sage  et 
judicieux  de  notre  position  commerciale.  —  Demain 
sir  John  Jamison  retracerait  les  progrès  de  l'agricul- 
ture et  de  l'horticulture,  tout  à  ia  fois  sous  les  rap- 
ports populaires  et  scientifiques.  Un  autre  jour  M.  John 
Mac- Arthur  expliquerait  à  la  Chambre  comment  une 
heureuse  expérience  a  prouvé  que  les  troupeaux  de 
Saxe,  comme  les  mérinos,  s'amélioraient  sensible- 
ment dans  le  climat  uniforme  de  Cow-Pastares.  Dans 
ces  plaines  que  d'épaisses  forêts  préservent  des  cha- 
leurs brûlantes  de  l'été ,  aussi  bien  que  des  funestes 


DE  L'ASTROLABE.  303 

frimas  de  l'hiver ,  la  laine  acquiert  ce  tissu  soyeux 
pour  lequel  elle  est  si  renommée  ;  tellement  que,  d'a- 
près les  derniers  rapports  de  Londres,  on  a  reconnu 
qu'on  ne  pouvait  imiter  avec  succès,  soit  à  Londres , 
soit  à  Edimbourg,  les  véritables  schalls  de  poils  de 
chameau,  qu'avec  des  tissus  de  laine  d'Australie. 
M.  Lavvson,  dans  la  même  séance,  féliciterait  de  bon 
cœur  l'honorable  membre  et  ses  amis  ,  sur  la  posses- 
sion d'animaux  si  utiles;  mais  tout  en  rendant  justice 
aux  louables  efforts  de  ces  Messieurs ,  pour  améliorer 
les  laines  et  mériter  à  l'Australie  une  célébrité  égale  à 
celle  du  Thibet  et  des  autres  contrées  qui  nourrissent 
les  chèvres  aux  poils  soyeux ,  il  se  sentirait  obligé  de 
rappeler  à  ses  confrères  de  la  Chambre ,  qui  comme 
lui  nourriraient  des  troupeaux  de  moutons  d'une 
viande  savoureuse  et  bien  bardée  de  graisse ,  un  pro- 
verbe bien  connu  :  Un  tiens  vaut  mieux  que  deux  tu 
F  auras;  qu'en  conséquence  tout  en  souhaitant,  en  bon 
Australien,  toute  sorte  de  succès  aux  amateurs  de 
laine  de  Saxe,  pour  son  propre  compte,  il  n'introdui- 
rait qu'avec  circonspection  l'année  suivante  dans  ses 
troupeaux ,  des  béliers  qui  pourraient  bien  n'y  en- 
gendrer de  trop  belles  laines  qu'aux  dépens  de  la 
qualité  du  mouton,  etc. ,  etc. 

»  Telle  serait  l'heureuse  marche  que  le  sénat  aus- 
tralien pourrait  imprimer  à  ses  délibérations ,  en  les 
rendant  publiques ,  et  se  composant  d'un  nombre  suf- 
fisant pour  en  rendre  le  coup-d'œil  imposant  toutes  les 
fois  qu'on  le  voudrait.  Les  dames  se  rangeraient  aussi 
de  notre  parti,  car  lorsqueles  sessions  commenceraient, 


304  VOYAGE 

sans  doute  les  députés  ne  laisseraient  pas  chez  eux 
leurs  aimables  moitiés  et  leurs  charmantes  filles.  Il  s'en- 
suivrait qu'il  y  aurait  des  réunions  pour  les  bals ,  les 
concerts,  des  spectacles  pour  celles  qui  aiment  la  joie; 
et  pour  celles  qui  veulent  du  sérieux ,  nul  doute  que 
l'archidiacre  n'eût  assez  de  zèle  pour  ordonner  aux 
chapelains  d'ouvrir  les  églises  une  soirée  par  semaine. 
En  tout  cas  nous  sommes  convaincus  que  les  ministres 
méthodistes  se  trouveraient  heureux  de  pouvoir  rendre 
ce  service  aux  belles  religieuses.  Alors  Sydney  pour- 
rait devenir  une  ville  vraiment  sociale  ;  alors  les  que- 
relles actuelles  seraient  toutes  oubliées ,  et  l'on  ne  se 
rappellerait  qu'avec  surprise  les  anciennes  discordes 
de  la  colonie.  Tous  les  débats  politiques  seraient  bien- 
tôt adoucis  et  modifiés  par  des  débats  légitimes ,  et 
chacun  verrait  qu'à  moins  d'une  extrême  indifférence, 
il  ne  pourrait  plus  arriver  aucune  convulsion  violente 
dans  l'Étal.  Des  lois  sages,  la  liberté,  la  prospérité  et 
la  sociabilité  générale  rendraient  peu  à  peu  la  Nouvelle- 
Galles  du  Sud,  ce  que  la  Providence  l'a  destinée  à  de- 
venir un  jour,  une  seconde  Bretagne  dans  l'hémisphère 
austral.  » 

L'article  suivant,  dans  lequel  l'auteur  développe  la 
faute  que  commit  le  gouvernement  anglais  en  voulant 
fonder  une  colonie  avec  des  convicts  seuls ,  et  en  em- 
pêchant dès  le  principe  les  émigrans  de  se  fixer  à  la 
Nouvelle-Hollande,  n'est  pas  moins  judicieux,  et  inté- 
ressera probablement  le  lecteur.  [Monitor,  n°  27, 
17  novembre  1826.) 


DE  L'ASTROLABE.  305 

«  La  question  du  travail  des  convicts,  suivant 
nous,  n'a  jamais  été  bien  entendue  ni  par  les  ministres 
du  roi,  ni  par  les  gouverneurs  de  la  ?Souvelle-Galles 
du  Sud,  et  nous  croyons  qu'elle  le  fut  beaucoup  mieux 
dans  le  siècle  dernier.  Mais  il  est  assez  ordinaire  à  nos 
hommes  d'Etat  modernes ,  bien  qu'ils  possèdent  par 
écrit,  dans  les  rayons  de  leurs  bibliothèques,  les  opi- 
nions et  les  faits  de  leurs  ancêtres,  d'oublier,  au  milieu 
d'une  foule  de  théories  nouvelles,   l'expérience  du 
passé,  et  de  regarder  les  choses  qui  se  passent  sous 
leurs  yeux  comme  des  questions  nouvelles  et  difficiles, 
tandis   que   plus  d'un   demi-siècle    auparavant  elles 
avaient  été  déjà  éclaircies,  comprises,  et  même  mises 
à  exécution.  ÎXous  conjecturons  que  c'est  ce  qui  arrive 
aujourd'hui  touchant  la  question  du  travail  des  con- 
victs. Avant  que  la  Aouvelle-Galles  du  Sud  eut  une 
existence  comme  colonie,  tandis  qu'elle  faisait  encore 
partie  de  la  terra  incognito  de  l'hémisphère  austral, 
le  transport  des  condamnés  du  royaume  coûtait  peu 
de  frais  à  la  couronne,  et  ils  ne  causaient  aucun  em- 
barras. Dès  qu'ils  étaient  une  fois  arrivés  en  Amérique, 
de  l'autre  bord  de  l'Atlantique,  les  colons  américains 
marchands  ou  cultivateurs  s'empressaient  de  louer  les 
condamnés  :  ils  signaient  un  acte  pour  les  bien  trai- 
ter, etc. ,  et  la  cargaison  de  chaque  vaisseau  était  bien- 
tôt disséminée  au  milieu  des  bois  et  des  forets  de  cet 
Etat  libre,  prospère,  actif  et  bien  gouverné.  Alors 
non-seulement  on  pensait,  mais  on  sentait  et  on  recon- 
naissait que  les  convicts  séparés  de  leurs  compagnons, 
domiciliés  et  traités  comme  des  hommes,  ne  conver- 


306  VOYAGE 

tiraient  point  les  serviteurs  libres ,  leurs  compagnons 
de  travail ,  en  eonvicts ,  mais  qu'au  contraire  ceux-ci 
feraient  des  autres  de  bons  serviteurs.  Les  malfaiteurs, 
isolés  et  forcés  à  la  réflexion ,  étaient  soumis  à  l'in- 
fluence d'un  exemple  bien  puissant  en  pareil  cas;  au 
lieu  d'apprendre  aux  autres  à  blasphémer,  ils  rougis- 
saient bientôt  eux-mêmes  de  le  faire.  Introduits  dans 
la  salle  des  prières  chaque  matin  au  chant  du  coq,  les 
mœurs  simples  des  puritains  gagnaient  leur  conscience 
endurcie.  C'est  pourquoi,  il  y  a  une  centaine  d'années, 
on  savait  très-bien  que  c'était  un  excellent  système 
d'envoyer  des  eonvicts  dans  un  pays  où  l'agriculture 
avait  pris  un  grand  développement,  où  le  travail  de  la 
terre  réclamait  un  si  grand  nombre  de  bras ,  qu'il  était 
de  l'intérêt  même  du  cultivateur  de  bien  les  traiter  ; 
où  les  habitudes  vertueuses  étaient  si  profondément 
enracinées ,  que  des  individus  isolés  se  trouvaient  in- 
sensiblement obligés  de  se  ployer  aux  mœurs  et  aux 
coutumes  de  la  masse.  Tout  cela  était  connu  en  An- 
gleterre ,  par  exemple,  par  lord  North  et  ses  contem- 
porains; connu  en  Amérique  par  les  vice-rois,  les 
gouverneurs  et  leurs  contemporains  Washington  et 
Francklin. 

»  Quand  l'Amérique  eut  conquis  son  indépendance, 
le  gouvernement  anglais  ne  sut  plus  où  envoyer  ceux 
de  ses  criminels  qui  se  trouvaient  condamnés  à  la  dé- 
portation. A  la  fin,  comme  une  espèce  d'enfant  perdu, 
d'aventure  romanesque ,  d'expérience  morale  et  phi- 
lantropique ,  on  résolut  en  dernier  ressort  de  les  dé- 
barquer sur  les  riantes  prairies  que  sir  Joseph  Banks 


DE  L'ASTROLABE.  307 

avait  décrites  comme  environnant  une  grande  baie  sur 
la  côte  de  Ncw-South-Wales,  qui  fut  ensuite  désignée 
sous  le  nom  de  Botan?/-Bai/,  tant  par  compliment  en- 
vers sir  Joseph  ,  qu'à  cause  des  nombreuses  plantes 
et  des  fleurs  rares  et  nouvelles  découvertes  dans  son 
voisinage.  Ce  nom  élégant,  comme  tous  ceux  que  l'on 
voit  prostituer  à  de  vils  emplois,  devint  bientôt  un 
terme  de  mépris  et  de  dérision.  Botany-Bai/,  du  reste, 
lit  bientôt  place  à  Port-Jackson  comme  établissement 
pénal ,  et  ce  fut  dans  l'anse  de  Sydney  que  la  première 
flotte  des  criminels  anglais  vint  jeter  l'ancre.  Ce  fut , 
dit-on  communément ,  sur  le  lieu  même  où  vient  de 
bâtir  Robert  Johnson,  dans  George-Street,  que  son 
père  le  colonel  Johnson  ,  alors  officier  dans  les  troupes 
de  marine ,  a  posé  le  premier  le  pied  d'un  Anglais ,  et 
hissé  le  pavillon  de  la  Grande-Bretagne. 

»  Depuis  cette  époque ,  c'est  sur  le  sol  de  la  Nou- 
velle-Galles du  Sud  que  l'Angleterre  et  l'Irlande  dé- 
barquent chaque  année  leur  population  criminelle. 
Cependant  les  Washington ,  les  North  ,  les  Fox  et  les 
Pitt  étaient  tous  morts,  et  avec  eux  probablement  fut 
perdue  la  connaissance  ou  au  moins  le  souvenir  qu'une 
contrée  nouvelle ,  mais  étendue,  est  la  plus  favorable 
pour  recevoir,  domicilier  et  réformer  des  convicts 
employés  à  la  culture  des  terres ,  et  qu'il  est  dans  la 
nature  même  des  choses  qu'un  établissement  pure- 
ment pénal  soit  une  expérience  très-hasardeuse ,  et 
que  la  nécessité  seule  peut  justifier.  Ce  qui  nous  fait 
croire  qu'on  oublia  peu  à  peu  les  avantages  de  trans- 
porter les  convicts  dans  une  contrée  libre  et  agricole, 


N 


308  VOYAGE 

c'est  que  si  le  gouvernement  fût  resté  bien  pénétré  de 
ce  principe,  il  aurait  toujours  montré  plus  de  zèle  a 
encourager  les  colons  libres  à  se  hasarder  sur  le  terri- 
toire de  la  Nouvelle-Hollande.  Il  est  évident  aussi  que 
les  ministres,  tout  entiers  aux  soins  de  la  guerre  der- 
nière ,  furent  induits  en  erreur  par  les  rapports  con- 
tradictoires des  gouverneurs  et  des  officiers  civils  et 
militaires.  Car  ces  derniers  détestaient  les  nouveaux 
venus ,  les  considérant  comme  des  intrus  qui  venaient 
leur  ravir  le  monopole  des  terres ,  des  troupeaux ,  des 
esprits  et  des  provisions  du  gouvernement,  etc. ,  etc. 
Ils  oublièrent  peu  à  peu  l'ancienne  expérience  du  ca- 
binet, adoptant  un  jour  les  suggestions  de  tel  individu, 
et  une  autre  fois  celles  de  tel  autre ,  suivant  que  les 
faits  établis  dans  les  lettres  publiques  ou  particulières 
de  la  colonie  semblaient  plus  ou  moins  plausibles.  Le 
plus  souvent  ces  prétendus  faits  étaient  d'insignes 
mensonges. 

»  En  conséquence ,  fermer  toutes  les  avenues  de  ce 
lieu  de  pénitence;  le  priver  de  toute  espèce  de  rapport 
avec  les  Européens  ;  décourager  ceux  qui  voudraient 
s'y  établir,  excepté  les  favoris  particuliers  du  gouver- 
nement, et  les  personnes  incapables  de  faire  ombrage 
comme  les  méthodistes  :  tel  fut  le  svstème  adopté  jus- 
qu'à l'époque  où  le  gouverneur  Macquarie  fut  envoyé 
dans  la  colonie.  Et  bien  qu'après  cette  période,  tant  à 
cause  des  rapports  relatifs  aux  belles  laines  de  la  Nou- 
velle-Galles du  Sud,  que  pour  quelques-unes  des  cir- 
constances de  la  rébellion  de  1 808  ,  les  ministres  aient 
commencé  à  se  relâcher  un  peu  de  leurs  principes,  et  à 


DE  L'ASTROLABE.  309 

permettre  à  des  hommes  libres  d'aller  s'y  établir  ;  ce- 
pendant ils  n'agirent  pas  encore  sur  un  plan  régulier, 
ni  en  vertu  d'un  principe  général.  Ils  y  envoyèrent  des 
colons  comme  à  la  bonne  aventure ,  tout  juste  pour 
essayer  comment  cela  réussirait.  La  guerre  les  occu- 
pait trop  pour  leur  permettre  de  donner  à  la  colonie 
les  soins  qu'elle  réclamait. 

»  S'ils  eussent  repris  leur  ancienne  coutume  d'en- 
voyer leurs  condamnés  en  Amérique,  où,  comme  nous 
lavons  déjà  démontré,  ceux-ci  ne  pouvaient  pervertir 
les  habitons  ,  mais  au  contraire  où  ils  se  corrigeaient; 
s'ils  en  eussent  bien  pesé  les  conséquences,  ils  n'au- 
raient point  introduit  dans  la  Nouvelle-Galles  du  Sud 
le  convictisme  seul ,  mais  auraient  eu  soin  d'y  envoyer 
un  fermier  libre  avec  sa  femme  et  ses  enfans ,  pour 
trois  ou  cinq  condamnés  à  y  déporter,  afin  de  co- 
loniser cette  terre  inconnue.  Jugez ,  lecteur,  ce  (pie 
Sydney  serait  aujourd'hui ,  si  pour  chaque  millier  de 
convicts  débarqués  sur  ce  sol ,  il  v  était  aussi  arrivé 
trois  ou  quatre  cents  femmes  condamnées,  et  en  outre 
un  fermier,  sa  femme  et  trois  ou  quatre  enfans  pour 
chaque  trois  ou  cinq  convicts!...  La  Nouvelle-Galles 
du  Sud,  au  lieu  de  cinquante  mille  habitans,  en  comp- 
terait peut-être  un  demi-million!...  C'eût  été  la  plus 
brillante  colonie  créée  en  si  peu  de  temps  dans  les  an- 
nales du  monde. 

»  Nous  pensons  donc  que  ce  doit  être  une  maxime 
admise  dans  cette  branche  de  l'économie  politique, 
cpic  les  obstacles  à  la  réforme  des  malfaiteurs  décrois- 
sent à  mesure  qu'ils  sont  moins  rapprochés  les  uns  des 


310  VOYAGE 

autres ,  et  qu'on  les  force  de  s'associer  à  des  personnes 
d'un  caractère  supérieur  au  leur,  etc. ,  etc.  » 

Ecoutons  maintenant  ce  journaliste  s'exprimer  avec 
non  moins  d'énergie  et  de  vérité  sur  les  tristes  suites 
du  système  d'économie  introduit  dans  l'administration 
de  la  colonie,  à  l'arrivée  du  gouverneur  Brisbane. 
(Monitor,  n°  7,  30  Juin  1826.) 

«  Rien  n'a  paralysé  la  prospérité  de  la  Nouvelle- 
Galles  du  Sud  autant  que  l'économie  méprisable,  im- 
politique  et  vraiment  coupable,  qui  fut  introduite  dans 
cette  colonie  après  le  départ  du  gouverneur  Mac- 
quarie.  Le  zèle  avec  lequel  le  major  Goulburn  pour- 
suivit sans  relâche  cette  parcimonie  ridicule,  déplacée, 
inutile  et  vraiment  stérile ,  nous  donna  toujours  une 
fort  triste  opinion  de  ses  talens  en  économie  politique, 
bien  que  nous  fussions  disposés  à  avouer  que  son  in- 
compréhensible manie  de  mettre  à  exécution  les  mes- 
quines conceptions  de  MM.  Hume  et  Bigg  attestait 
son  intégrité  personnelle.  Cet  honnête  secrétaire  fut 
toujours  entiché  de  feuilles  remplies  de  chiffres  dis- 
posés par  chapitres  et  lignes  droites,  transverses, 
diagonales  ,  perpendiculaires  et  horizontales  ;  et  il  se 
glorifiait  beaucoup  plus  de  produire  des  tableaux,  sur 
le  papier,  qui  déployaient  la  perfection  des  combi- 
naisons arithmétiques  et  typiques ,  enrichis  des  ré- 
sultats et  des  totaux  généraux  et  subsidiaires,  que 
de  s'attacher  aux  principes  libéraux  et  élémentaires 
qui  seuls   peuvent  diriger  les  travaux   d'un  peuple 


DE  L'ASTROLABE.  311 

actif  et  industrieux,  et  s'accorder  avec  une  économie 
libérale. 

»  Mais  sur  quels  principes  de  police  équitable  peut- 
on  prouver  qu'une  réduction  dans  les  traites  du  com- 
missaire ,  sur  le  trésor,  soit  une  économie  réelle  pour 
le  royaume?  On  a  démontré  par  des  calculs  mainte  fois 
répétés,  et  particulièrement  dans  une  dernière  bro- 
ebure  rédigée  avec  soin  par  M.  Eagar,  et  adressée  au 
ministre  de  l'intérieur,  que  les  convicts  employés  par 
le  gouvernement  à  Sydney,  le  sont  à  infiniment  moins 
de  frais  (la  dépense  du  transport  comprise),  que  ces 
mêmes  individus  ne  l'eussent  été  dans  les  galères  et 
les  maisons  de  correction  d'Angleterre.  D'ailleurs  le 
sens  commun  démontre  que  quand  la  dépense  ne  se- 
rait qu'égale,  un  pays  surchargé  de  population,  et  dont 
la  classe  des  cultivateurs  a  dépassé  les  moyens  d  cire 
employés  jusqu'à  la  valeur  de  dix  millions,  trouverait 
un  avantage  immense  dans  la  déportation  des  plus 
mauvais  sujets  de  cet  excédant. 

»  La  déportation  de  médians  fabricans  en  fait  de 
riches  consommateurs  :  il  en  résulte  encore  un  plus 
grand  avantage,  celui  de  purifier  la  société  en  lui  en- 
levant une  partie  gangrenée  ,  dont  la  présence  est  un 
si  grand  fardeau  pour  une  vieille  communauté,  et  d'un 
véritable  intérêt  pour  un  jeune  Etat. 

»  !Nous  savons  bien,  du  reste,  qu'on  répondra  à 
tout  cela  en  avançant  que  si  l'Angleterre  a  jusqu'à 
présent  obtenu  tous  ces  avantages  en  dépensant  annuel- 
lement 150,000  liv.  st. ,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'elle  ne  les 
auraplusàl'avenirenn'yeinployantque  100,000  liv.  st. 


312  VOYAGE 

C'est  l'argument  auquel  ont  eu  recours  dernièrement 
l'inconsidéré  M.  Hume  et  le  superficiel  M.  Bigg.  Car 
ils  finirent  par  convenir  que  les  dépenses  qu'avait 
coûtées  l'établissement  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud, 
avaient  été  moindres  que  celles  qu'eussent  nécessitées  la 
construction  et  l'entretien  des  galères  et  des  prisons 
en  Angleterre.  M.  Bigg  ne  trouva  jamais  cela  durant 
son  séjour  dans  la  colonie.  Mais  plus  tard  il  découvrit 
qu'elle  avait  été  et  était  encore  d'un  grand  intérêt  pour 
l'Angleterre  ;  et  qu'en  comparant  le  compte  entre  la 
Grande-Bretagne  et  Sydney  d'une  part,  entre  la 
Grande-Bretagne  et  les  galères  et  les  prisons  de  Mill- 
bank  d'une  autre  part ,  la  balance  était  immensément 
en  faveur  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud. 

»  La  raison  en  est  si  palpable,  qu'il  est  inconceva- 
ble comment  M .  Bigg,  qui  gagna  1 0,000  liv.  st.  à  pren- 
dre des  renseignemens  sur  ces  objets ,  ne  s'aperçut  de 
cela  qu'après  la  publication  de  son  puéril  ouvrage .  Pour- 
tant il  est  très-clair  que  les  convicts  employés  comme 
cultivateurs  et  comme  bergers  ne  coûtent  rien  au  gou- 
vernement. En  outre  les  hommes  employés  par  le  gou- 
vernement à  Sydney  ne  lui  coûtent  rien  non  plus,  parce 
que  les  fruits  de  leur  travail ,  en  créant  une  nouvelle 
colonie  de  consommateurs  pour  les  produits  surabon- 
dans  de  ses  manufactures ,  lui  rapportent  plus  que  ne 
coûtent  leur  transport,  leur  nourriture  et  leur  habil- 
lement réunis.  Tout  cela  est  clair  et  doit  frapper  au 
premier  abord ,  car  c'est  aussi  simple  que  c'est  exact. 
Les  convicts  entretenus  dans  les  galères  et  les  prisons 
de  la  Grande-Bretagne  sont  une  dépense  morte.  Les 


DE  L'ASTROLABE.  313 

produits  de  leur  travail  sont  une  perte  et  même  un 
mal  pour  l'Elat  :  car  chaque  paire  de  souliers  ou 
chaque  journée  de  travail  laite  par  un  habitant  de  ces 
prisons,  en  enlève  l'équivalent  au  cordonnier  ou  au 
journalier,  ou  du  moins  en  diminue  le  taux,  dans  un 
état  de  choses  où  les  souliers  et  le  travail  opéré  sur- 
passent déjà  le  besoin  qu'on  en  a. 

»  Il  s'ensuit  donc  que  chaque  millier  de  peunds 
que  le  trésor  anglais  dépense  dans  la  Nouvelle-Galles 
du  Sud  pour  encourager  la  culture  des  terres  ou  lu 
pèche  de  la  baleine  et  des  phoques,  comme  pour 
trouver  de  l'emploi  à  l'excessive  population  du  rovaume 
libre  ou  convicte  (car  la  population  libre  est  soutenue 
par  les  taxes  des  pauvres  à  un  point  qui  dépasse  toul 
calcul  *),  débarrasse  la  mère-patrie  d'un  mal  pressant, 
et  tend  à  diminuer  les  taxes  des  pauvres  ,  et  par  con- 
séquent le  nombre  des  crimes.  Les  bases  d'un  journal 
nous  interdisent  des  calculs  aussi  complu jués  ;  autre- 
ment nous  prouverions  volontiers  que  chaque  millier 
de  pounds  dépensé  par  l'Angleterre  pour  faciliter  l'é- 
migration et  le  transport  à  la  Nouvelle-Galles  du  Sud, 
lui  est  plus  profitable  que  2,000  liv.  st.  épargnées  à  ses 

*  Une  note  que  j'ai  trouvée  dans  un  journal  anglais  [->4ge,  22  april 
182(1)  justifie  parfaitement  l'assertion  de  oe  puhliciste  au  sujet  des  taxes  poui 
les  pauvres  : 

•<  La  somme  fournie  pour  le  soutien  des  pauvres  de  l'Angleterre  et  du 
pays  de  Galles,  pour  l'année  qui  a  fini  au  3o  mars  182*},  a  été  de 
6,966,1 5i  liv.  st.  8  s.  6  d.  Les  taxes  des  pauvres  en  Angleterre  commencèrent 
en  1  H-  »,  bien  que  le  premier  acte  du  parlement  passé  à  cet  égard  ne  date 
que  de  l'année  1 5  7  «  » .  Depuis  celte  époque,  il  parait,  en  vertu  des  calcul* 
dressés  sur  des  doenmens  authentiques,  que  ce»  taxes  en  suivant  une  pro 


314  VOYAGE 

taxes  pour  les  pauvres;  qu'en  conséquence  les  der- 
nières épargnes  du  major  Goulburn  sur  la  Nouvelle- 
Galles  du  Sud,  de  50,000  liv.  ou  environ,  ont  em- 
pêché les  taxes  des  pauvres,  en  Angleterre,  de  pouvoir 
être  diminuées  déplus  de  100,000  liv.,  comme  elles 
eussent  pu  l'être  en  agissant  autrement.  Il  n'a  vu  l'af- 
faire que  par  le  trou  d'une  serrure.  Si  les  ministres  du 
Roi  eussent  encouragé  l'émigration  et  le  transport 
pour  ce  pays ,  sur  une  grande  échelle  et  par  des  me- 
sures positives ,  les  taxes  pour  les  pauvres  eussent  di- 
minué dans  un  rapport  qui  eût  dépassé  tout  ce  qu'on 
peut  imaginer.  Car  il  a  été  démontré,  par  XEdinburgh 
Review,  que  quand  le  salaire  du  travail  a  été  réduit  à 
un  vil  prix ,  tel  que  quinze  heures  de  travail  par  jour 
ne  peuvent  fournir  au  fabricant  de  bas  de  Nottingham, 

gression  continuelle  sont  arrivées  à  une  somme  quarante  fois  plus  grande 
qu'elle  ne  l'était  il  y  a  deux  cent  cinquante  ans. 

«  Les  taxes  des  pauvres  en  1573  montèrent  à      17 1,260 liv. st.  10s.  8  d. 
1680  665,56a 

1698  819,000 

1760  i,556,8o4 

1783  2,i3r,486 

1785  2,180,904 

»  Suivant  les  comptes  rendus  à  la  Chambre  des  communes  en  1801  ,  la 
dépense  annuelle  pour  les  pauvres,  durant  les  dix  années  précédentes,  fut 
de  3,86i,oio  liv.  st.  Par  les  rapports  présentés  à  la  Chambre  des  communes 
en  1802 ,  il  parut  que  la  somme  entière  destinée  pour  les  pauvres  de  l'An- 
gleterre et  du  pays  de  Galles,  de  Pâque  1802  à  Pâque  i8o3,  fut  de 
4,952,421  liv.  La  charge  annuelle  pour  les  pauvres,  dans  les  années  1812, 
i8i3  et  1814  ,  fut  de  6,147,000  liv.;  et  depuis  lors  jusqu'à  1826,  il  paraît 
qu'elle  s'est  accrue  par  an  de  la  somme  énorme  de  800,000  liv.  •> 


DE  L'ASTROLABE.  315 

une  quantité  suffisante  de  nourriture  de  la  plus  mé- 
diocre qualité,  en  pain  ou  gruau,  pour  exister,  sans 
lit  ni  charbon  en  hiver  ;  l'éloignement  d'un  petit  nombre 
d'ouvriers  pour  un  autre  pays  suffisait  à  l'instant  pour 
détruire  L'immense  concurrence  pour  l'emploi,  et  re- 
levait par  conséquent  le  prix  des  gages  à  un  taux  rai- 
sonnable— 

»  Le  plus  grand  ennemi  que  ce  pays  eut  jamais,  lui 
le  major  Goulburn.  Ce  fut  un  homme  impartial,  sur- 
tout après  la  seconde  année  de  son  arrivée;  mais  son 
inflexible  avarice  ruina  presque  la  colonie  :  sans  l'im- 
portation d'un  certain  capital,  dû  à  un  grand  nombre 
d'émigrans  qui  commencèrent  heureusement  à  v  ar- 
river, la  banqueroute  eût  clé  parfaitement  complète. 
Mais  les  cargaisons  apportées  d'Angleterre  par  suite 
du  crédit  antérieur  qui  n'était  pas  encore  éteint,  el 
l'arrivée  des  nouveaux  colons  donnèrent  aux  mar- 
chands et  aux  cultivateurs  le  temps  de  respirer,  el 
même  d'emprunter  à  Londres,  c'est-à-dire  de  retenir 
les  fonds  qu'ils  eussent  du  y  renvoyer  jusqu'à  ce  que 
de  nouveaux  canaux  fussent  ouverts  à  l'industrie  et 
aux  spéculations.  C'est  ainsi  seulement  que  par  un 
hasard  heureux  la  colonie  a  pu  se  relever,  que  le  major 
n'a  pas  été  brûlé  en  effigie ,  et  qu'il  a  pu  quitter  le 
pays  avec  la  réputation  d'être  resté  honnête  et  impar- 
tial tout  en  l'opprimant 

»  Si  le  gouverneur  s'attend  à  réussir  à  épargne)'  de 
l'argent  pour  le  gouvernement  anglais ,  il  se  trompe  : 
car  nous  sommes  convaincus  qu'il  ne  s'abaissera  point 
aux  moyens  qui  ont  caractérisé  la  dernière  adminis- 


316  VOYAGE 

tration.  En  outre,  quand  il  y  aurait  recours,  le  résul- 
tat n'en  serait  pas  si  considérable.  La  dernière  admi- 
nistration trouva  des  villes  en  bon  état,  des  ponts 
presque  tous  achevés ,  et  des  routes  toutes  faites  et 
aussi  unies  que  des  boulingrins.  Mais  toutes  ces  choses 
sont  aujourd'hui  en  ruines.  Tous  les  édifices  publics 
sont  en  décadence.  Les  routes  sont  ruinées,  étant  cou- 
vertes de  poussière  en  été,  et  de  boue  en  hiver.  C'est 
à  tel  point  que  tous  les  prisonniers  de  Sydnev  ne  se- 
raient pas  même  suffisans  pour  réparer  les  nombreux 
ouvrages  que  créa  l'immortel  Macquarie.  » 

On  a  avancé,  dans  l'article  qui  précède,  que  les  dé- 
penses causées  à  l'Angleterre  par  l'établissement  et 
l'entretien  des  convictsdansla  Nouvelle-Galles  du  Sud, 
avaient  été  moindres  que  celles  qu'aurait  exigées  leur 
entretien  dans  les  maisons  de  force  ou  de  correction 
du  royaume.  Cette  assertion  va  être  complètement 
prouvée  par  l'extrait  suivant  d'une  lettre  adressée  par 
M.  Eagar  à  M.  Peel,  secrétaire  d'Etat,  et  que  Wenth- 
worth  a  insérée  textuellement  dans  la  seconde  édition 
de  son  ouvrage  sur  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  [tome  II , 
page  158). 

«  Sous  le  rapport  de  l'économie  ou  de  la  dépense 
du  système,  on  peut  l'apprécier  d'une  manière  exacte 
en  la  comparant  avec  celles  qu'ont  nécessitées  les  au- 
tres systèmes  d'inflictions  pénales  adoptés  en  Angle- 
terre ,  savoir  :  les  pontons ,  ou  galères ,  et  les  maisons 
de  correction.  Par  les  rapports  des  comités  du  parle- 


DE  L'ASTROLABE.  317 

ment  sur  la  déportation  en  181 2 ,  par  l'état  des  prisons 
en  1819  ,  et  les  écrits  représentés  au  parlement 
en  1 8 1 9 ,  1 82 1  et  1 823 ,  nous  avons  la  dépense  entière 
de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  et  le  nombre  de  ceux 
qui  y  ont  été  transportés.  Par  le  vingt-huitième  rap- 
port des  finances,  par  le  second  rapport  de  la  justice 
de  la  métropole,  et  par  les  divers  rapports  du  surin- 
tendant des  galères,  enfin  dans  les  rapports  au  parle- 
ment, par  le  comité  de  la  maison  de  correction  de  Mill- 
bank  pour  1819  et  1823,  nous  avons  la  dépense  de 
cet  établissement ,  et  le  nombre  de  ceux  qui  y  sont 
renfermés.  Maintenant,  pour  nous  assurer  si  la  Nou- 
velle-Galles du  Sud  a  été  plus  ou  moins  dispendieuse, 
nous  devons  apprécier  la  dépense  annuelle  de  chaque 
prisonnier  dans  la  colonie  et  dans  le  royaume ,  et  com- 
parer l'une  avec  l'autre,  ou  bien  estimer  ce  que  le  nom- 
bre des  personnes  transportées  à  la  Nouvelle-Galles 
du  Sud  aurait  coûté,  si  on  les  avait  conservées  dans  les 
pontons  ou  les  maisons  de  correction  au  même  prix 
que  ceux  qui  s'y  trouvent  actuellement.  La  dépense 
annuelle  par  tète  a  été ,  dans  la  Nouvelle-Galles  du 
sud,  de  1787  à  1797,  28  liv.  st.  3  s.  5  d.;  de  1797 
à  1810,  18  liv.  14  s.  4  d.  ;  et  de  1810  à  1821  ,  25  liv. 
5  s.  7  d.  Va,  y  compris  la  subsistance,  l'habillement, 
la  surveillance ,  le  gouvernement  civil ,  les  dépenses 
navales  et  militaires  de  la  colonie  aussi  bien  que  le 
transport  des  convic's.  La  dépense  annuelle  par  tête 
sur  les  pontons  a  été,  de  1 787  à  1 797 ,  23  liv.  st.  1 9  s. 
0d.;  de  1797  à  1810,  27  liv.  1  s.  8  d.  ;  et  de  1810 
à  1821  ,  33  liv.  1  2  s.  0  d.  La  dépense  de  la  maison  de 


318  VOYAGE 

t 


Millbank  a  été  très-grande.  La  dépense  pour  l'élever, 
y  compris  les  intérêts,  est  montée,  quand  elle  a  été 
en  état  de  recevoir  mille  personnes,  à  571 ,460  liv.  st., 
dont  l'intérêt  annuel  à  4  p.  °/0  revient  à  22,858  liv. 
pour  la  dépense  annuelle  du  logement  de  mille  per- 
sonnes, près  de  22  liv.  17  s.  2  d.  pour  chacune.  La 
dépense  de  la  subsistance  et  de  la  surveillance  a  été , 
en  1818,  41  liv.  st.  17  s.  2  d.  %  par  tète;  en  1820, 
38  liv.  15  s.  4d.  '/,;  et  en  1821,  31  liv.  0  s.  7  d.  %\ 
moyenne  des  trois  années,  33  liv.  1  7  s.  8  d.  1/2 ,  à  la- 
quelle on  doit  ajouter  l'intérêt  de  la  dépense  des  bâti- 
mens,  22  liv.  17  s.  2  d.  ;  ce  qui  fait  pour  la  dépense 
moyenne  de  chaque  personne  renfermée  dans  la  mai- 
son de  Millbank,  une  somme  de  56  liv.  st.  1 5  s.  0  d. 

»  Après  avoir  trouvé  les  dépenses  de  la  maison  de 
Millbank  aussi  considérables,  je  me  suis  assuré,  autant 
que  cela  m'a  été  possible  par  les  documens  parlemen- 
taires ,  du  montant  des  dépenses  des  autres  prisons , 
maisons  de  pénitence  et  de  correction ,  et  je  les  ai 
trouvées,  comme  il  suit,  en  y  comprenant  l'intérêt  des 
frais  pour  les  logemens,  la  surveillance,  les  salaires 
des  officiers ,  l'habillement  et  la  subsistance. 

»  L'asile  pour  les  abandonnés,  moyenne  des  années 
1815,  1816,  1817,  1818  et  1819,  par  tête  [premier 
Rapport  de  la  police  de  la  métropole) ,  37  liv.  2  s.  3  d. 

»  L'institution  philanlropique  [deuxième  Rapport 
de  la  police  de  la  métropole),  36  liv.  1 7  s.  6  d. 

»  La  maison  de  pénitence  pour  les  femmes  à  Lon- 
dres [deuxième  Rapport  de  la  police  de  la  métropole^ 
41  liv.  6  s.  4d. 


DE  L'ASTROLABE.  319 

»  L'hôpital  de  la  Madeleine  {deuxième  Rapport 
de  la  police  de  la  métropole),  42  liv.  8  s.  0  à. 

»  Maison  de  correction  de  Cold-Bath-Fields;  prison 
de  Clerkenwell  et  Tothill-Field  ,  Bridewell,  moyenne 
par  tète  .sans  l'habillement  {deuxième  Rapport  sur  la 
police  de  la  métropole),  31  liv.  2  s.  0  d. 

»  Hôpital  de  Bridewell  [Rapport  sur  les  priso?is  de 
la  métropole),  42  liv.  5  s.  8  d. 

»  Prison  et  maison  de  correction  de  Worcesler 
[Rapport  sur  les  prisons  à  la  Chambre  des  lords), 
28  liv.  2  s.  4  d.  %. 

»  Prisons  ,  maison  de  pénitence  et  maison  de  cor- 
rection de  Maidstone  {Rapport  su/-  les  prisons  à  la 
Chambre  des  lords),  3i)  liv.  3  s.  10  d. 

»  En  prenant  la  moyenne  de  ces  différentes  prisons 
et  de  la  maison  de  Millbank,  on  trouvera  une  moyenne 
générale  annuelle,  par  tête,  pour  tous  ces  établisse- 
mens,  de  38  liv.  st.  14  s.  0  d. 

»  Le  tableau  suivant  montre  les  dépenses  compara- 
tives des  établissemens  de  convicts  de  la  ÎNouvelle- 
Galles  du  Sud ,  des  pontons  et  des  maisons  de  correc- 
tion. La  première  colonne  indique  le  nombre  actuel 
des  condamnés  existans  dans  la  colonie  pour  chaque 
année;  la  seconde  contient  la  dépense  entière  pour  le 
civil,  le  naval  et  le  militaire,  le  transport,  l'habille- 
ment et  la  subsistance  des  convicts.  La  troisième  in- 
dique la  dépense  que  le  même  nombre  de  convicts 
renfermés  dans  les  pontons  eût  coûté,  estimée  au 
même  prix  par  tête  que  ceux  qui  y  sont  détenus  coû- 
tent actuellement.  La  quatrième  colonne  enfin  montre 


320  VOYAGE 

quelle  eût  été  cette  dépense,  au  taux  moyen  actuel  de 
la  maison  de  Millbank,  des4  autres  maisons  de  correc- 
tion et  des  prisons  du  royaume. 

»  La  dépense  moyenne  des  pontons  par  tête  a  été , 
del787àl797,de231iv.st.  19s.  2d.;del793à  1810, 
ensuivant  un  accroissement  graduel,  de  23  liv.  19  s. 
2  d.  à  30  liv.  4  s.  4  d.  V2,  moyenne  27  liv.  1  s.  8  d.  ; 
de  1810  à  1821  variant  de  43  liv.  7  s.  9  d.  3/4,  à  27  liv. 
18  s.  7  d.  3/4.  La  dépense  présumée  des  maisons  de 
pénitence,  de  1787  à  1810,  qui  n'existaient  pas  alors, 
a  été  estimée  en  proportion  de  celle  des  pontons  ,  sur 
le  même  taux  en  excès  qui  s'est  trouvé  par  la  suite 
entre  les  dépenses  de  ces  deux  systèmes.  Ainsi  celle 
des  maisons  de  pénitence ,  ainsi  estimée ,  eût  été , 
del787àl797,  de  28  liv.  st.  10  s.  0  d.,  de  1797  à 
1810,  de  31  liv.  4  s.  0  d.;  enfin  de  1810  à  1821, 
38  liv.  14  s.  Od. 


Nombre 

Dépense  entière 

Dépense  présumée 

Dépense  présumée 

s 

-w 

des 

de  la 

dans 

dans  les 

K 

Convicts 

< 

1  \:>tan=. 

Nouv. -Galles  du  S 

xi. 

les  Pontons. 

Maisons  de  correction 

liv.  st.      s. 

.1 

Ii%-.  st.      s. 

.1 

liv.  st. 

s. 

1786 

28,346     3 

6 

1787 

757 

3i,34i      4 

s 

i8,i3o      3 

1 1 

21,574 

10 

1788 

699 

18,008     9 

9 

16,741      1 

0 

I9i92r 

ro 

1789 

i,66r 

88,057    »5 

9 

39,78o    19 

H 

47,338 

10 

1 7()o 

i,5i8 

44,774     4 

" 

36,356     2 

0 

43,263 

0 

1791 

3,695 

129,019   19 

10 

88,495     5 

H 

io5,3o7 

10 

1792 

3, fi  1  a 

104, 588      2 

; 

86,5o7     8 

H 

102,942 

0 

«793 

3,8oo 

69,961    16 

6 

91,010     0 

II 

108, 3oo 

0 

'"'.M 

3,85a 

79,38i    i3 

1 1 

92,255     8 

H 

109,782 

0 

1795 

4,i83 

75,280    19 

T 

100,182    17 

H 

1 19,21.5 

10 

1796 

4,532 

83,854   18 

II 

108,541      8 

H 

129,162 

0 

ï'797 

5,34o 

120,372     4 

!» 

128,108   11 

H 

i52,3g6 

10 

1798 

5,fio8 

11 1,5 14     6 

- 

i5i,883     6 

s 

159,828 

0 

*799 

5,5 1 8 

80,274     4 

«i 

149,445   i5 

II 

172,161 

12 

1800 

6,69  3 

110,984    11 

1 

181,268    i5 

II 

208,821 

12 

1801 

6,8o5 

125,563     9 

1 

184, 3o2       I 

s 

212, 3i6 

0 

1802 

6,973 

149,410    10 

6 

1  SX, 8  52      1 

8 

217,557 

12 

iSo3 

7,25i 

96,961    16 

B 

196,381      5 

0 

226,231 

4 

[804 

6,362 

46,5i8    19 

6 

172,304     3 

4 

198,494 

8 

i8o5 

fi,.,:fi 

118,597     6 

- 

ifi4,55S     6 

S 

189,571 

4 

1806 

5,3o3 

105,297    14 

- 

143,622    18 

4 

i65,453 

12 

1807 

4,97<> 

121,859   10 

1 

134,604     3 

4 

i55,o64 

0 

1S0S 

5,275 

i3i,542      1 

y 

142,874    16 

8 

i64,58o 

0 

1809 

5,164 

124,636   16 

1  1 

i39,858     6 

8 

161,1 16 

16 

1S10 

5,190 

178,699   i5 

T   I 

1 56,8  35     6 

3 

2oo,853 

0 

1811 

5,548 

214,696     5 

S 

175,095     3 

0 

214,707 

12 

1812 

5,655 

1 85,5;  :    16 

s 

1 86,357      4 

4 

218,848 

10 

iSr3 

6,288 

218,735      1 

S 

198,674   12 

0 

243,045 

12 

18 14 

7,037 

2  2  5,o8  5   10 

0 

3o5,33a    10 

0 

272,331 

18 

i8i5 

7,383 

181,589   XI 

1 

270,540   16 

1 

2S5,722 

2 

1816 

8,479 

216,291      8 

: 

262,354     7 

lu 

328,137 

6 

1S17 

10,107 

232,585     9 

- 

379,012    10 

0 

391,140 

18 

1S18 

12,621 

325,i  32     3 

lu 

474,654    i5 

6 

488,437 

H 

1819 

i5,447 

327,845     0 

3 

464,375     8 

9 

597,798 

18 

1820 

i8,568 

373,3f5   16 

q 

612,744     0 

0 

718,581 

16 

i8ai 

T 

20,494 

OTADX.   . 

425,35o   14 

3 

572,444     7 

9 

793,117 

16 

5,3oi,o23    16 

6 

6,814,486      3 

6 

7,943,221 

2 

Dépe 
cofiléc 
semrn 

nsc  qu'eût  ' 

fttablis- 

iic    4° 

400,000      0 

0 

pnntor 

s. 

Dépe 

nsc  qu'eut 

eiîgeC 

scnirti 

l'étaMi*- 

de      4° 

8,366,640 

0 



daftBoi 

Dépe 

s. 

nsc  totale 

1 

5,3oi,o23    16 

6 

7,214,486     3 

6 

16,309,861 

2 

322  VOYAGE 

»  La  dépense  entière  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud, 
depuis  sa  fondation,  en  17 88,  jusqu'en  décembre  1821, 
a  été  de  5,30 1 ,023  liv.  st.  16  s.  6  d. ,  qui  ont  été  em- 
ployés à  transporter  et  entretenir  33, 1 56  personnes,  et 
à  subvenir  à  la  solde  du  civil,  du  naval,  du  militaire  et 
autres  dépenses  coloniales.  Si  on  eût  gardé  le  même 
nombre  sur  des  pontons ,  cela  eut  coûté  à  la  nation ,  en 
y  comprenant  rétablissement  des  pontons  nécessaires, 
au  nombre  de  quarante  au  moins,  7,214,486  liv.  3  s. 
(5  d.  Si  on  eût  voulu  les  entretenir  dans  des  maisons 
de  correction,  non  pas  sur  le  plan  de  Millbank,  mais 
bien  dans  le  système  le  plus  économique ,  il  en  fût 
résulté  une  dépense,  pour  la  surveillance  et  la  nour- 
riture seules,  de  7,943,221  liv.  En  outre  la  dépense 
pour  ériger  le  nombre  de  maisons  de  correction  con- 
venable pour  cet  objet,  qui  eût  été  de  quarante  au 
moins,  à  raison  de  450  prisonniers  pour  chacune,  et 
sur  le  plan  le  moins  dispendieux ,  sur  celui  de  la 
maison  de  pénitence  de  Maidstone  par  exemple , 
eût  été  pour  le  moins  de  192,000  liv.  pour  chacune  , 
et  par  conséquent  pour  les  40  de  8,366,640  liv.  Ainsi 
la  dépense  totale  occasionée  par  ces  établissemens 
eût  été  de  16,309,861  liv.  st. 

»  Dans  ce  calcul ,  je  n'ai  point  fait  entrer  la  valeur 
ou  le  produit  du  travail  des  convicts ,  parce  que  le 
travail  qu'ils  exécutent  dans  la  Nouvelle-Galles  du 
Sud  est  beaucoup  plus  prolitable  que  celui  des  prison- 
niers ne  peut  l'être  sur  les  pontons  ou  dans  les  maisons 
de  correction.  Dans  l'état  actuel  de  la  population  in- 
dustrielle en  Angleterre ,  où  le  nombre  des  ouvriers 


DE  L'ASTROLABE.  323 

est  beaucoup  trop  considérable  pour  l'emploi  qu'on 
peut  leur  donner,  et  les  gages  nécessaires  pour  les 
faire  subsister ,  le  travail  des  convicts  ne  peut  devenir 
nullement  profitable  au  pays;  car  si  ce  travail  est  né- 
cessaire ou  utile ,  il  eût  procuré  de  l'emploi  et  les 
moyens  de  subsister  à  un  certain  nombre  d'ouvriers. 
Le  faire  exécuter  par  des  condamnés,  c'est  priver 
d'ouvrage  un  nombre  égal  d'ouvriers  libres,  et  les 
forcer  par  conséquent  à  recourir  aux  taxes  des  pau- 
vres pour  leur  subsistance  ;  ainsi  l'excès  qui  en  résul- 
terait sur  les  taxes  des  pauvres  occasionerait  une  dé- 
pense plus  grande  que  ne  saurait  être  toute  l'économie 
qui  reviendrait  du  travail  des  convicts.  Mais  en  admet- 
tant que  le  travail  dans  les  pontons  et  les  maisons  de 
correction  ait  toute  la  valeur  à  laquelle  on  peut  l'es- 
timer, de  quel  prix  sera-t-il  comparé  avec  les  avantages 
de  la  colonie  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud?  Cette  co- 
lonie est  bien  certainement  le  fruit  du  travail  des  con- 
victs. Elle  contient  aujourd'hui  (en  1824)  une  popu- 
lation de  plus  de  40,000  âmes,  qui  occupe  au-delà 
de  700,000  acres  de  terre,  et  possède  plus  de  5,000 
chevaux,  120,000  tètes  de  bétail,  et350,000moutons. 
Elle  contient  cinq  villes  florissantes ,  et  plusieurs  vil- 
lages ,  consomme  annuellement  pour  la  valeur  de 
350,000  liv.  st.  de  produits  des  fabriques  anglaises, 
exporte  pour  la  valeur  de  100,000  liv.  par  an,  emploie 
des  navires  jusqu'à  la  concurrence  de  1 0,000  tonneaux, 
cl  rapporte  un  revenu  colonial  de  plus  de  50,0001iv.  st. 
»  D'après  toutes  ces  considérations  ,  il  est  évident 
que  la  déportation  à  la  INouvelle-Galles  du  Sud  a  été  le 


S24  VOYAGE 

système  pénal  le  moins  dispendieux  de  tous.  Jusqu'à 
ce  moment ,  il  a  produit  une  économie  directe  et  posi- 
tive de  plus  de  2,000,000  liv.  st.  en  le  comparant  au 
mode  le  plus  économique ,  celui  des  pontons,  et  de  plus 
de  1 1 ,000,000,  comparé  à  celui  des  maisons  de  péni- 
tence. A  l'avenir  l'économie  sera  de  plus  en  plus  con- 
sidérable. Car  en  prenant  la  moyenne  dans  les  trois 
années  1819,  1820  et  1821 ,  la  dépense  annuelle  par 
tète  dans  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  a  été  de  20  liv.  st. 
13  s.  7  d.  ;  dans  les  pontons,  de  30  liv.  6  s.  7  d. ,  et 
dans  la  maison  de  Millbank,  de  56  liv.  15  s.  0  d.  En 
outre  cette  dépense  annuelle  de  20  liv.  st.  13  s.  7  d.  par 
tète  ,  pour  la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  ne  renferme  pas 
seulement  la  subsistance  et  la  surveillance  des  convicts 
dans  la  colonie ,  mais  encore  la  dépense  entière  du 
transport ,  aussi  bien  que  celle  du  gouvernement  de 
la  colonie  et  des  forces  navales  et  militaires  ;  en  un 
mot ,  la  dépense  entière  de  tout  genre  que  peut  occa- 
sioner  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  au  royaume ,  soit 
comme  établissement  pénal ,  soit  comme  colonie.  La 
subsistance  et  la  surveillance  des  convicts  prises  à  part 
durant  les  douze  dernières  années ,  n'ont  pas  monté  à 
plus  de  12  liv.  st.  13  s.  G  d.  chaque  année  par  tête,  et 
durant  les  trois  dernières  années  1819,  1820  et  1821, 
à  plus  de  1 1  liv.  6  s.  0  d.  Sur  les  pontons  et  dans  les 
maisons  de  correction ,  toute  la  dépense  au  contraire 
roulait  uniquement  sur  la  surveillance ,  l'entretien  et 
le  logement  des  prisonniers.  » 

Voyons  actuellement  de  quelle  manière  s'énonce 


DE  L'ASTROLABE.  32$ 

un  autre  journal ,  VAastralian,  touchant  les  mêmes 
matières ,  savoir  :  le  jugement  par  jury  et  la  re- 
présentation   nationale.    (  N°    143,     11     novembre 

1826.) 

«  Nous  touchons  à  l'année  1827,  dans  le  cours  de 
laquelle  l'acte  du  parlement  pour  la  Nouvelle-Galles 
du  Sud  doit  expirer.  Cependant  il  n'y  a  encore  eu  au- 
cune manifestation  publique  du  désir  qui  règne  univer- 
sellement par  toute  la  colonie ,  pour  réclamer  de  la 
législation  anglaise  une  extension  de  ses  institutions 
en  faveur  de  cette  partie  des  domaines  du  royaume. 
Quand  l'acte  qui  régla  la  charte  actuelle  de  la  colonie 
passa  dans  le  parlement  impérial,  on  entendit  géné- 
ralement que  si  elle  continuait  à  faire,  durant  les  cinq 
années  où  cet  acte  serait  en  vigueur,  des  progrès  sem- 
blables à  ceux  qu'elle  avait  faits  dans  le  petit  nombre 
d'années  précédentes  ,  les  ministres  seraient  très-dis- 
posés à  se  montrer  libéraux  à  son  égard.  Non-seule- 
ment ils  devaient  lui  donner  le  pouvoir  de  dresser  ses 
lois  conformément  à  l'esprit  de  la  constitution  anglaise, 
mais  ils  devaient  encore  lui  permettre  de  les  faire  exé- 
cuter par  les  mêmes  moyens  et  suivant  les  mêmes  for- 
mes que  la  mère-patrie.  L'opposition  d'un  petit  nom- 
bre d'individus  réussit  à  reculer  de  cinq  ans  l'exercice 
des  droits  qui  sont  inhérens  aux  sujets  de  la  Grande- 
Bretagne.  Cette  opposition,  du  reste,  après  avoir  dé- 
chu, s'est  enfin  évanouie.  Il  n'y  aura  ni  parti,  ni  fac- 
tion, ni  même  d'individu  disposé  à  entraver  les  efforts 
des  colonistes,  qui  n'auront  à  présenter  que  leurs  pro- 


,?i;  VOYAGE 

près  réclamations,  pourvu  qu'ils  se  donnent  seule- 
ment la  peine  de  le  faire. 

»  Nous  apprenons  qu'on  se  prépare  à  faire  quelques 
démarches  utiles,  et  qu'il  y  aune  résolution  arrêtée 
parmi  plusieurs  des  personnes  respectables,  opulentes 
et  influentes  de  la  colonie ,  de  recourir  au  mode  habi- 
tuel des  Anglais  pour  s'adresser  aux  premières  auto- 
rités de  l'Etat ,  c'est-à-dire  par  l'organe  d'une  assem- 
blée publique.  A  moins  que  les  habitans  de  la  Nou- 
velle-Galles du  Sud  ne  veuillent  se  soumettre  paisible- 
ment, pour  cinq  années  de  plus,  à  tous  les  vices 
d'institutions  anti-nationales,  à  tous  les  embarras  et 
inconvéniens  d'un  corps  -  législatif  qui  ne  peut  com- 
prendre la  situation  et  les  besoins  de  la  colonie,  qui 
ne  peut  que  faire  marcher  les  lois  à  tâtons ,  sans  savoir 
si  elles  sont  pernicieuses  ou  utiles ,  si  elles  sont  con- 
venables à  l'état  actuel  des  choses,  ou  tout-à-fait  en  op- 
position avec  chacun  des  intérêts  auxquels  elles  se 
rapportent;  à  moins  qu'ils  ne  désirent  voir  leurs  tri- 
bunaux accablés  sous  le  poids  des  affaires  comme  ci- 
devant;  ils  feront  entendre  un  vœu  unanime  à  l'assem- 
blée générale,  et  montreront  avec  quelle  sincérité  tous 
les  partis,  toutes  les  classes,  toutes  les  dénominations 
de  personnes  se  réunissent  pour  attester  que  rien  au- 
tre chose  qu'une  législation  représentative ,  et  le  juge- 
ment par  jury,  ne  peut  satisfaire  les  colons ,  et  s'allier 
avec  leurs  intérêts. 

»  Ceux  qui  quitteront  désormais  l'Angleterre  pour 
venir  s'établir  ici,  comprendront  parfaitement  que  leur 
liberté  et  leurs  propriétés  seront  en  sûreté;  ils  place- 


DE  L'ASTROLABE.  327 

ront  leur  confiance  dans  les  autorités  locales,  quand 
on  leur  dira  qu'ils  trouveront  dans  le  lieu  où  ils  vont, 
des  institutions  semblables  h  celles  qu'ils  ont  laissées, 
qu'ils  continueront  de  vivre  sous  les  lois  anglaises,  et 
sous  le  même  système  de  justice  administrative  que 
celui  sous  lequel  ils  ont  vécu  toute  leur  vie,  et  avec  le- 
quelils  ont  toujours  été  familiarisés.  Il  est  très-essentiel, 
pour  la  prospérité  du  commerce,  que  les  marchands 
qui  ont  des  rapports  avec  la  colonie,  soient  bien  con- 
vaincus de  l'intégrité  de  nos  Cours  de  justice.  Ils  le  se- 
ront dès  qu'on  leur  dira  seulement  qu'un  jury  à  l'an- 
glaise sera  l'arbitre  de  leurs  discussions,  que  ce  ne 
sera  qu'à  un  jury  à  l'anglaise  qu'on  pourra  appeler,  et 
qu'ils  pourront  avoir  autant  de  confiance  dans  la  jus- 
tice et  l'impartialité  de  la  Cour  suprême  de  iN'ew-Soutli- 
Wales  ,  que  dans  les  jurés  de  Westminster. 

»  Le  frivole  caquelagequi  a  privé  nos  Coursdu  jury, 
ne  peut  l'emporter  plus  long-temps ,  si  le  peuple  de  la 
colonie  n'est  pas  trop  fainéant  pour  réclamer  son  éta- 
blissement dans  les  Cours  civiles  et  criminelles  ;  s'il 
n'est  pas  trop  paresseux  pour  rappeler  aux  ministres 
anglais  que  nos  villes  sont  beaucoup  plus  peuplées , 
beaucoup  plus  capables  de  fournir  des  jurés  que  ne 
l'étaient  les  villes  d'Angleterre  ,  quand  les  jurés  3 
furent  institués  pour  la  première  fois — 

»  La  législation,  par  représentation  ,  est  un  droit  si 
•;»ii(;ralemcnt  reconnu  pour  appartenir  aux  Anglais, 
quel  que  soit  le  lieu  qu'ils  habitent ,  quelque  soit  le  coin 
de  l'univers  qu'ils  veuillent  coloniser,  qu'il  serait  dif- 
ficile à  la  faction  qui  entoure  ici  le  pouvoir,  quand 


328  VOYAGE 

même  elle  ne  serait  pas  dépouillée  de  son  influence , 
de  disposer  le  ministère  anglais  à  agir  en  opposition 
avec  un  droit  si  généralement  reconnu. 

»  Le  peuple  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  n'a  qu'une, 
chose  à  craindre,  et  c'est  sa  propre  indolence.  S'il  n'a- 
vertit point  le  parlement  anglais  qu'il  compte  être 
rétabli  dans  ses  privilèges,  s'il  ne  lui  déclare  point 
qu'il  veut  prendre  sur  lui-même  le  poids ,  si  toutefois 
c'en  est  un,  de  s'administrer  et  d'être  jugé  par  ses 
pairs  :  doit-il  s'attendre  a  ce  qu'on  le  contraigne  à  re- 
prendre ses  droits ,  à  ce  que  les  autorités  législatives 
d'Angleterre  aillent  le  chercher  dans  son  obscurité,  et 
lui  demander  ce  qu'il  désire? 

»  L'acte  du  parlement  pour  la  Nouvelle-Galles  du 
Sud  sera  remis  en  vigueur  pour  cinq  années  de  plus , 
à  moins  que  le  peuple  ne  se  mette  en  avant,  et  ne  re- 
présente l'injustice  d'un  tel  procédé.  L'assemblée  pu- 
blique dont  on  parle  beaucoup ,  et  pour  la  convocation 
de  laquelle  on  doit  s'adresser  au  shérif,  peut  seule 
prévenir  l'événement  que  nous  déplorerons ,  s'il  a  lieu, 
c'est-à-dire  la  prorogation  de  la  loi  actuelle.  » 

Au  sujet  des  droits  que  le  gouvernement  venait 
d'imposer  sur  les  terres  à  concéder  à  l'avenir  et  sur 
certains  rappels  qui  devaient  avoir  lieu  sur  d'anciennes 
concessions  gratuites ,  on  trouve  dans  le  même  journal 
un  article  plein  de  sens ,  quoiqu'écrit  dans  un  style 
naïf  et  conforme  au  langage  de  son  signataire  John 
BnllAAustralian,  «°  152,  13  décembre  1826.) 


DE  L'ASTROLABE.  329 

«  J'ai  été  très-choqué  des  menaces  qui  courent 

de  reprendre  la  terre  de  quelques  pauvres  laboureurs, 
d'examiner  scrupuleusement  les  bornes  de  leurs  fer- 
mes, de  tracasser,  houspiller,  inquiéter,  et  finalement 
ruiner  ceux  mêmes  qui  ont  converti  ces  solitudes  en 
une  terre  où  coulent  des  flots  de  miel  et  de  lait. 

»  Si  dès  le  principe  on  eût  suivi  le  système  de  tra- 
casserie qui  semble  aujourd'hui  à  l'ordre  du  jour,  la 
Nouvelle-Galles  du  Sud  serait-elle  une  grande  et  impor- 
tante colonie  comme  elle  l'est?  Les  ministres  de  Dow- 
ning-  Street  pourraient-ils  aujourd'hui  récompenser 
leurs  amis  et  leurs  cliens  par  de  larges  salaires  ou  de 
grasses  sinécures  à  Sydney,  en  donnant  cinq  mille 
pounds  par  an  à  l'un ,  trois  mille  à  un  autre ,  deux 
mille  au  vénérable  M.  ***,  et  douze  cents  ou  huit 
cents  à  une  demi-douzaine  d'autres?  »  Le  Quarterhj 
Review,  dans  un  de  ses  derniers  numéros,  s'écriait  : 
«  Il  est  impossible  de  s'aveugler  sur  la  grande  et  pro- 
gressive importance  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud.  Il 
y  a  quarante  ans  à  peine  que  ce  pays  n'avait  pas  encore 
vu  la  figure  d'un  Européen,  et  déjà  sa  principale  cité 
l'emporte  sur  les  villes  les  plus  propres  et  les  plus 
étendues  de  plusieurs  de  nos  comtés  en  Angleterre. 
Elle  marche  de  pair  avec  Yarmouth ,  Hull ,  Leilh , 
Aberdeen,  Belfast;  elle  rivalisera  bientôt  avec  les 
grands  ports  de  Liverpool ,  Bristol ,  Portsmoulh  et 
Devonport.  Les  causes  en  sont  évidentes;  un  beau 
climat,  des  institutions  libérales,  exemption  de  toutes 
charges ,  ce  qu'un  homme  gagne  est  à  lui  ;  point  de  col- 
lecteurs d'impôts  pour  fouiller  dans  nos  poches;  point 


330  VOYAGE 

de  taxes  pour  les  pauvres ,  ni  de  mendia ns  valides,  etc. 
Naguère  les  cultivateurs  demandaient  de  la  terre,  et 
l'obtenaient  sans  l'embarras  de  l'inquisition  actuelle 
pour  évaluer  le  prix  d'une  truie  ou  d'une  paire  de  cu- 
lottes. Naguère  on  lui  donnait  vingt  vaches  à  soigner 
en  commençant  son  établissement ,  et  si  c'était  dans  la 
bonne  saison  de  l'année,  avec  celles-là  il  en  gagnait 
d'ordinaire  vingt  autres  pour  lui.  Naguère  le  cultiva- 
teur recevait  six,  neuf,  douze,  et  quelquefois  dix-huit 
mois  de  rations  pour  lui-même ,  sa  famille  et  ses  do- 
mestiques ,  et  cela  n'était  point  à  titre  ^indulgence , 
suivant  l'expression  moderne;  mais  bien  à  titre  iï en- 
couragement pour  se  montrer  industrieux,  habiter 
sur  sa  propriété,  suppléer  aux  chances  fâcheuses,  et 
compenser,  sous  quelques  rapports  ,  l'absence  de  ses 
amis  et  de  ses  pénates  d'Angleterre,  ainsi  que  de  toutes 
les  douceurs  qui  se  rattachent  au  mot  de  patrie.  C'était, 
en  outre,  une  récompense  pour  les  frais  énormes  du 
passage  vers  cette  contrée  lointaine.  Un  Anglais  ou  un 
Ecossais  songera-t-il  jamais  à  s'expatrier,  si  ce  n'est 
pour  améliorer  sa  condition  ,  pour  parvenir  plus 
promptement  à  la  fortune?  pour  se  procurer  de  bonne 
heure  une  heureuse  indépendance  pour  lui-même  et 
sa  famille?  enfin  pour  se  mettre  à  même  d'exercer  une 
douce  et  raisonnable  hospitalité  envers  ceux  que  la 
gène  et  le  besoin  obligent  à  chercher  des  ressources 
hors  de  leur  patrie?  Le  difficile,  au  reste,  est  de  savoir 
où  s'arrêter  :  ainsi  que  le  goût  de  la  chair  humaine 
s'est ,  dit-on ,  introduit  chez  les  sauvages  par  suite  du 
premier  essai  qu'ils  en  firent ,  de  même  la  première 


DE  L'ASTROLABE.  Ui 

fois  que  l'homme  commence  à  manier  de  l'argent ,  il 
devient  de  plus  en,  plus  exigeant.  Le  thé,  les  esprits  , 
le  sel  et  le  tabac  sont  des  objets  de  taxe  légitime,  et  en 
pareil  cas  elle  fera  plus  de  bien  que  de  mal.  Trois  de 
ces  quatre  objets  peuvent  se  fabriquer  chez  nous;  à 
l'égard  du  thé  ,  la  livre  à  deux  schellings  fera  tout  au- 
tant de  bien  dans  le  pays  que  si  elle  n'était  qu'à  un 
schelling.  La  consommation  en  diminuera,  et  Ton 
s'habituera  a  notre  café  de  l'île  Norfolk  et  de  Moreton- 
Bay.  Les  impôts  généraux  sont  mauvais,  s'ils  n'ont 
un  but  d'utilité  locale.  Je  n'approuve  que  certains 
droits  favorables  au  pays,  et  j'espère  que  le  bruit  qui 
court  d'un  projet  pour  augmenter  le  fonds  colonial 
n'est  qu'un  mensonge.  Quoi!  le  nombre  des  orphelins 
se  serait-il  tellement  accru  que  la  recette  actuelle  de- 
vint insuffisante?  Sans  doute  on  n'exigera  pas  que  les 
colons  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  fournissent  à  l'en 
tretien  de  tous  les  criminels  de  l'Angleterre.  C'est  une 
affaire  de  200,000  liv.  st.  par  an.  La  colonie  doit  se  sut  - 
tire  à  elle-même,  dira-t-on.  La  chose  est  impossible,  et 
ce  mot  n'est  qu'une  plaisanterie.  Le  gouverneur  est 
entouré  d'hommes  trop  éclairés  pourqu'ïl  puisse  songer 
un  seul  instant  de  sang-froid  à  un  pareil  projet.  Ce  se- 
rait le  coup  de  la  mort  pour  la  colonie;  ce  serait  tuer 
la  poule  pour  avoir  l'œuf.  Une  foule  d'habitans ,  jeu 
suis  sûr,  vendraient  tout  ce  qu'ils  possèdent,  feraient 
leurs  paquets ,  et  s'en  retourneraient  en  Angleterre; 
et  le  pays  retournerait  à  son  état  primitif,  insensible- 
ment, mais  sans  aucun  doute.  Car  sans  aucune  des 
ressources  de  l'Angleterre  ,  et  avec  tous  ses  désavan- 


332  VOYAGE 

tages  ;  sans  la  société  des  femmes  et  avec  une  bande 
de  voleurs  ;  sans  aucune  représentation  ,  et  avec  des 
habits  rouges  sur  les  bancs  du  jury,  et  un  système 
d'impôts  odieux ,  quel  est  celui  qui  voudrait  rester  ici, 
qui  ne  s'en  irait  pas?  Je  ne  crois  pas  un  mot  de  ces 
bruits.  Qu'un  fonds  soit  levé  pour  paver,  éclairer  et 
arroser  les  rues  ,  ce  sera  discuté  un  jour  ou  l'autre , 
je  n'en  doute  pas.  Mais  ce  n'est  pas  encore  le  moment; 
nous  sommes  trop  pauvres  pour  cela.  C'est  comme  si 
tout  l'argent  (20,000  liv.  st.)  apporté  par  le  navire  de 
Sa  Majesté,  le  Success,  devait  être  débarqué  au  com- 
missariat, et  jeté  par  la  fenêtre  de  M.  ***,  la  chose  ne 
se  ferait  pas.  Le  bruit  qui  court  est  aussi  absurde.  L'an- 
cien système  d'encouragement  réussissait  parfaite- 
ment ,  et  a  produit  des  merveilles.  Laissons-le  durer 
vingt  ans  de  plus.  En  attendant,  suivant  le  vieux  pro- 
verbe, vogue  la  galère,  achetons  de  la  terre  et  du 
bétail,  sans  argent  ni  valeur. 

»  John  Bull.  * 

Voici  un  autre  article  non  moins  fondé  en  vérité , 
en  raisonnement,  sur  la  nécessité  d'encourager  les  émi- 
grations de  l'Angleterre  vers  la  Nouvelle-Galles  du 
Sud ,  tant  dans  l'intérêt  de  la  mère-patrie  elle-même 
que  de  la  colonie.  {^Australian,  n°  150,  6  décem- 
bre 1826.) 

«  D'après  le  témoignage  unanime  de  plusieurs  per- 
sonnes qui  viennent  d'arriver  dans  la  colonie ,  nous 
apprenons  que  les  réglemens  sur  la  terre  ont  donné 


DE  L'ASTROLABE.  333 

naissance  à  de  grands  méeontentemens  en  Angleterre, 
et  qu'ils  forment  un  obstacle  direct  à  L'émigration. 
Plusieurs  personnes  qui  songeaient  sérieusement  à  se 
diriger  avec  leurs  familles  vers  cette  colonie  ou  vers 
la  terre  de  Van-Diémen,  plusieurs  même  qui  étaient 
sur  le  point  de  s'embarquer,  ont  été  si  dégoûtées  par 
les  conditions  vexatoires  et  impolitiques  imposées  sur 
les  concessions  et  les  achats  de  terres,  qu'elles  ont 
renoncé  à  leur  dessein  de  quitter  l'Angleterre.  C'est 
précisément  ce  que  nous  avions  prévu.  Il  y  a  excès  de 
population  en  Angleterre;  et,  au  lieu  d'encourager 
ceux  qui  étaient  disposés  à  émigrer,  on  oppose  une  en- 
trave directe  à  leur  départ ,  à  moins  qu'ils  n'apportent 
du  capital  avec  eux ,  et  qu'ils  ne  se  soumettent  à  payer 
presque  autant  la  terre  ici  qu'ils  l'eussent  fait  en  Angle- 
terre ,  eu  égard  à  la  qualité  et  a  la  situation  du  terrain 
dans  les  deux  pays.  L'administration  anglaise  entend 
mal  l'état  de  cette  colonie.  Nous  manquons  de  popu- 
lation. Un  accroissement  de  capital,  beaucoup  de  nu- 
méraire serait  à  désirer,  et  sans  doute  ceux  qui  peuvent 
en  apporter  avec  eux  sont  mieux  venus.  Mais  ceux 
qui  en  ont  aiment  à  le  placer  suivant  leurs  désirs ,  et 
ils  doivent  naturellement  s'attendre  à  recevoir  gratui- 
tement de  la  terre,  étant  venus  de  16,000  milles 
dans  cet  espoir ,  et  après  tout  ne  la  trouvant  pas 
dans  un  état  séduisant,  quand  ils  en  prennent  pos- 
session. Le  capital,  nous  le  répétons,  nous  serait  très- 
utile,  mais  nous  manquons  d'hommes,  nous  man- 
quons de  population.  Nous  avons  besoin  de  paysans 
qui   puissent  s'établir  à  leur  aise  sur  une  centaine 


334  VOYAGE 

d'acres  de  terre  chacun ,  et  avec  l'espoir  d'en  obtenir 
davantage,  s'ils  peuvent  la  cultiver.  Nous  avons  besoin 
qu'ils  habitent  la  campagne.  Donnez  aux  plus  indigens 
des  émigrans  qui  viennent  ici  telles  facilités  qu'ils  ont 
droit  d'attendre;  donnez-leur  la  chance  d'employer 
leur  industrie  ,  avant  que  leur  patience  et  leur  énergie 
soient  épuisées ,  avant  que  leur  courage  soit  abattu 
par  le  malheur.  C'est  une  opinion  erronée,  que  de 
penser  que  le  capital  seul  doive  être  un  litre  pour  ré- 
clamer de  la  terre  ;  c'est  une  opinion  plus  erronée  en- 
core ,  que  de  créer  des  rentes ,  de  charger  les  conces- 
sions de  conditions  onéreuses ,  dans  l'espoir  de  tra- 
vailler à  la  prospérité  de  la  colonie  ,  ou  de  contribuer 
à  la  culture  d'une  acre  de  terre  de  plus ,  que  si  le  peu- 
ple pouvait  jouir  sans  aucune  restriction  du  produit 
entier  de  la  terre  qu'il  possède.  C'est  bien  assez  de  dé- 
fendre la  vente  de  ces  terres ,  pour  certaines  raisons  ; 
mais  hormis  celle-ci,  toutes  les  restrictions  sont  nui- 
sibles. Il  pourrait  être  excusable  ou  même  convenable 
de  taxer  les  absens,  de  taxer  ceux  qui  obtiennent  de 
la  terre  uniquement  dans  l'intention  de  la  vendre ,  et 
qui  n'ont  jamais  pensé  à  la  cultiver;  mais  c'est  la  pro- 
position la  plus  inique  qui  ait  jamais  été  faite  et  exé- 
cutée, que  de  faire  payer  aux  concessionnaires  une 
rente  sérieuse  pour  la  terre,  tandis  qu'ils  mettent  tous 
leurs  soins  à  l'améliorer  et  à  se  rendre  ainsi  des  mem- 
bres méritans  de  la  colonie.  Il  est  impossible ,  nous  le 
présageons  clairement,  que  les  réglemens  dernière- 
ment promulgués  restent  long-temps  en  vigueur.  Nous 
annonçâmes  qu'ils  causeraient  un  mécontentement 


DE  L'ASTROLABE.  335 

universel.  —  Ils  ont  en  effet  causé  un  mécontentement 
universel,  et  même  détourné  une  foule  d'émigrans  de 
venir  s  établir  dans  cette  colonie.  Nous  espérons  seu- 
lement que  le  gouvernement  d'Angleterre  se  sera 
aperçu  de  son  erreur,  erreur  dans  laquelle  il  a  été  in- 
duit par  quelques  grands  propriétaires  qui  ont.  conçu 
la  folle  espérance  que  leurs  propres  terres  hausse- 
raient de  valeur,  si  les  nouveaux  venus  étaient  forcés 
de  payer  toutes  celles  qu'ils  recevraicntdelacouronne. 
Nul  doute  que  ce  moyen  n'ait  d'abord  réussi;  mais  ces 
monopoleurs  n'ont  point  réfléchi  qu'ils  seraient  arrivés 
au  même  but  par  une  marche  différente  ;  que  la  valeur 
de  leurs  terres  se  serait  tout  autant  accrue  en  encou- 
rageant de  nombreuses  émigrations  ,  qu'en  faisant 
rançonner  çà  et  là  quelques  cultivateurs  pour  chaque 
acre  de  terre  qu'ils  obtiendraient.  On  ne  peut  discon- 
venir que  les  réglemens  n'aient  eu  l'effet  que  nous  ve- 
nons de  décrire.  On  ne  peut  disconvenir  que  plusieurs 
familles ,  qui  étaient  sur  le  point  de  passer  dans  ce 
pays,  ne  soient  restées  en  Angleterre,  détournées 
de  leur  projet  uniquement  par  les  prix  injustes  et  ef- 
frayans  des  rentes  imposées  sur  toutes  les  terres  à 
concéder.  » 

Nous  allons  maintenant  rapporter  en  entier  les  ré- 
glemens dressés  par  le  ministre  des  colonies,  touchant 
les  concessions  à  faire,  et  qui  ont  donné  lieu  aux  cri- 
tiques précédentes.  (Mom'tor,  n°  20, paçe  1 55,  29 sep- 
tembre 1826.) 


336  VOYAGE 

«  Pour  l'instruction  de  ceux  qui  se  dirigent  vers 
la  Nouvelle-Galles  du  Sud  et  la  terre  de  Van-Diémen, 
comme  cultivateurs ,  on  a  jugé  convenable  de  donner 
l'aperçu  suivant  des  réglemens  que  le  gouvernement 
de  Sa  Majesté  a  trouvé  à  propos  d'établir  pour  ré- 
gler les  concessions  de  terres  dans  ces  colonies. 

»  1°.  On  s'occupe  d'une  division  du  territoire  en- 
tier en  comtés  et  en  cent  paroisses.  Quand  cette  divi- 
sion sera  terminée,  chaque  paroisse  contiendra  une 
superficie  de  vingt-cinq  milles  environ.  On  fera  une 
évaluation  des  terres  de  toute  la  colonie  et  de  chaque 
paroisse  en  particulier. 

»  2°.  Toutes  les  terres  de  la  colonie ,  non  concédées 
jusqu'alors  et  non  appropriées  au  service  public ,  se- 
ront mises  en  vente  aux  prix  ainsi  fixés. 

»  3°.  Toutes  les  personnes  qui  se  proposent  d'a- 
cheter de  la  terre ,  devront  en  présenter  la  demande 
par  écrit  au  gouverneur,  dans  une  forme  prescrite, 
qui  leur  sera  délivrée  au  bureau  del'ingénieur-général, 
en  payant  le  droit  de  deux  schellings  et  six  pences. 

»  4°.  Toute  correspondance  avec  le  gouvernement 
local ,  touchant  les  concessions  de  terrain ,  ne  peut 
avoir  lieu  que  par  ce  même  bureau. 

»  5°.  Le  prix  d'achat  doit  être  acquitté  en  quatre 
termes.  L'escompte  de  10  p.  °/0  sera  alloué  pour  les 
paiemens  en  argent  comptant. 

»  6°.  Lors  du  paiement  de  la  somme,  la  concession 
sera  faite  à  l'acquéreur  en  droit  simple  et  pour  la 
rente  nominale  d'un  grain  de  poivre. 

»  7°.  La  plus  grande  quantité  de  terre,  qui  sera  ven- 


DE  L'ASTROLABE.  337 

due  à  un  seul  individu,  sera  de  1,920  acres.  La  terre 
sera  généralement  mise  en  vente  par  lots  de  trois  milles 
carrés,  ou  1 ,920  acres.  Les  personnes  qui  désirent  faire 
des  acquisitions  plus  considérables,  devront  s'adres- 
ser par  écrit  au  secrétaire  d'Etat,  en  donnant  une 
explication  complète  de  leurs  projets  et  de  leurs 
moyens. 

»  8°.  Tout  acquéreur,  qui  dans  l'intervalle  de  dix 
ans  après  son  acquisition ,  par  l'emploi  et  l'entretien 
de  convicts,  aura  soulagé  le  public  d'une  charge  égale 
à  dix  fois  le  montant  de  son  prix  d'achat ,  sera  rem- 
boursé de  cette  dernière  valeur,  mais  sans  intérêt. 
L'entretien  complet  de  chaque  convict,  employé  du- 
rant douze  mois  par  l'acquéreur,  sera  estimé  a  seize 
livres  sterling,  épargnées  à  la  dépense  publique. 

»  9°.  Les  terres  peuvent  aussi  être  obtenues  sans 
vente,  mais  à  diverses  conditions. 

»  1 0°.  Les  personnes  qui  désirent  devenir  conces- 
sionnaires sans  achat ,  feront  leur  demande  au  gou- 
verneur du  lieu  dans  la  forme  assignée ,  dont  il  leur 
sera  délivré  copie  au  bureau  de  l'ingénieur-général , 
ce  movennant  deux  schellings  six  pences. 

»  11°.  La  plus  grande  concession  de  terre,  qui  sera 
faite  sans  achat,  est  de  2,560  acres;  la  plus  petite 
de  320  acres. 

»  1 2°.  Aucune  concession  ne  sera  faite  à  personne 
sans  achat,  à  moins  que  le  gouverneur  ne  soit  certain 
que  cette  personne  a  tout  à  la  fois  le  moyen  et  le  désir 
de  dépenser,  pour  la  culture  de  ses  terres  ,  un  capital 
égal  à  la  moitié  de  la  valeur  qui  leur  est  assignée. 


338  VOYAGE 

»  13°.  Une  rente  de  5  p.  °/0  par  an,  sur  la  valeur 
appréciative ,  sera  établie  sur  la  terre  concédée  sans 
rente. 

»  1 4°.  Cette  rente  pourra  se  rembourser,  dans  les 
vingt-cinq  premières  années  qui  suivront  la  conces- 
sion ,  par  une  somme  égale  à  vingt  fois  sa  valeur 
annuelle. 

»  15°.  Dans  le  remboursement  de  cette  rente,  le 
concessionnaire  pourra  y  faire  entrer  le  cinquième  des 
sommes  qu'il  aura  épargnées  au  gouvernement  de  Sa 
Majesté,  par  l'emploi  et  l'entretien  de  convicts.  Et, 
pour  établir  cette  indemnité ,  on  calculera  que  le  gou- 
vernement aura  épargné  seize  livres  sterling  pour 
chacun  des  convicts  employés  par  le  concessionnaire, 
et  complètement  entretenus  à  ses  frais  sur  sa  terre 
pendant  le  cours  d'une  année. 

»  1 6°.  Jusqu'à  l'expiration  des  sept  premières  années 
qui  suivront  la  concession  sans  vente,  la  rente  ne  sera 
point  due  sur  les  terres  de  cette  catégorie. 

»  1 7°.  Chaque  concessionnaire  sans  achat  devra ,  à 
l'expiration  du  terme  ci-dessus  mentionné  de  sept 
années,  prouver  devant  l'ingénieur-général,  qu'il  a 
dépensé  pour  la  culture  et  l'amélioration  de  sa  terre , 
un  capital  égal  à  la  moitié  de  sa  valeur,  comme  elle  fut 
fixée  au  temps  de  sa  concession,  et  cela  sous  peine 
de  voir  sa  terre  retourner  à  la  couronne. 

»  1 8°.  Aucune  concession  additionnelle  de  terre  ne 
sera  faite  à  un  particulier,  qu'il  n'ait  employé  la  dé- 
pense nécessaire  de  capital  sur  les  terres  qui  lui  sont 
déjà  concédées. 


DE  L'ASTROLABE.  339 

»  19°.  Les  personnes  qui  recevront  une  seconde 
concession  de  terre  sans  achat,  seront  susceptibles  de 
payer  une  rente  sur  les  terres  comprises  dans  cette 
seconde  concession,  immédiatement  après  qu'elle  a 
eu  lieu. 

»  20°.  Les  personnes  qui  désireront  recevoir  des 
concessions  de  terres  sans  achat,  à  des  conditions  dif- 
férentes de  celles  qu'on  vient  d'établir ,  doivent  sou- 
mettre au  secrétaire  d'Etat  une  exposition  par  écrit 
et  détaillée  des  circonstances  qui ,  suivant  eux ,  peu- 
vent les  exempter  du  cours  ordinaire  des  règles 
générales. 

-  Bureau  des  colonies,  Downing-Slreet ,  novembre  182/,.  -> 


Le  débit  du  bois  de  cèdre  [Cedn/lis  australis , 
Brown)  était  devenu  un  objet  de  commerce  assez 
important  pour  la  colonie ,  et  fournissait  un  moyen 
d'existence  honorable  pour  une  foule  d'ouvriers  qui 
allaient  le  couper  et  le  scier  librement  aux  lieux  où  il 
croissait.  Quelques  mois  avant  notre  passage  a  Syd- 
ney, le  gouvernement  avait  assis  un  droit  de  un  half- 
penny  (un  sou  environ)  par  pied  sur  ce  bois ,  ce  qui 
avait  mécontenté  beaucoup  de  gens.  Le  Monilor  à 
cette  occasion  fait  les  réflexions  suivantes.  [Monitoi-, 
m°11  ,28  juillet  1820.) 

«  Avant  l'arrivée  de  sir  Thomas  Brisbane,  d'odieu- 
ses prohibitions  ,  résultat  de  la  police  de  nos  premiers 
gouverneurs ,  existaient  sur  presque  tous  les  genres 


340  VOYAGE 

de  produits  bruts ,  accompagnés  de  droits  et  d'impôts 
vexatoires  sur  le  chargement  et  déchargement  des 
navires.  Le  major  Goulburn  fut  assez  juste  pour  sup- 
primer tout  cela;  un  ordre  général  fut  publié  spécia- 
lement pour  ouvrir  la  côte  entière  aux  entreprenans 
scieurs  de  bois  :  c'est  en  vertu  de  cet  ordre  qu'ils  tra- 
vaillent maintenant.  Les  riches  propriétaires  qui  pos- 
sèdent des  terres  plus  voisines  de  la  capitale ,  réus- 
sirent à  s'en  procurer  le  monopole  au  moyen  de 
permis.  Cette  méthode ,  sous  le  prétexte  d'arrêter  le 
vagabondage  et  de  détruire  les  retraites  des  déser- 
teurs, est  remise  en  pratique.  Ainsi,  la  politique  hol- 
landaise ,  sous  la  forme  d'impôt  sur  le  cèdre ,  tâche  de 
nouveau  de  reparaître  dans  cette  colonie.  Mais  il  faut 
que  le  gouvernement  se  rappelle  que  la  Nouvelle- 
Galles  du  Sud  a  cessé  d'être  un  simple  établissement 
pénal,  et  que  nous  avons  droit  à  tous  les  privilèges 
commerciaux,  à  tous  ceux  des  plantations  de  Sa  Ma- 
jesté en  Amérique.  » 

Dans  un  long  article  de  V  Aiistraliany  où  l'éditeur  de 
ce  journal  discutait  l'actif  et  le  passif  de  la  colonie,  il  es- 
timait à  4,000,000  de  liv.  st.  son  capital  entier  en  terres 
cultivées ,  maisons ,  troupeaux ,  bétail  de  tout  genre , 
blé ,  grain ,  etc. ,  indépendamment  des  marchandises 
en  magasin.  Si  les  ressources  de  la  colonie  eussent  été 
convenablement  dirigées ,  ce  capital  eût  pu  être  facile- 
ment doublé  par  des  valeurs  en  laine,  tabac,  sucre,  huile 
de  baleine,  cuirs,  et  autres  objets  d'un  grand  débit  en 
Angleterre.  La  dette  des  marchands  de  Sydney  envers 


DE  L'ASTROLABE.  341 

les  étrangers  pourrait  être  évaluée  à  250,000  liv.  st.  ; 
pour  y  taire  face,  ils  peuvent  avoir  en  ce  moment 
pour  180,000  liv.  de  valeurs  entre  les  mains,  repré- 
sentées partie  par  des  marchandises  en  magasin , 
et  partie  par  des  billets  de  divers  marchands  en  gros 
et  en  détail.  00,000  liv.  en  outre  peuvent  être  repré- 
sentées par  des  billets  d'autres  marchands,  du  numé- 
raire en  caisse,  et  des  propriétés  en  terre  et  en  bétail. 
Enfin  les  10,000  liv.  restantes  pourraient  s'imputer  à 
l'intérêt  du  commerce  chez  les  consommateurs. 

De  tout  cela,  l'éditeur  concluait  avec  assez  de  rai- 
son que ,  malgré  l'état  de  gène  où  se  trouvait  alors  la 
colonie,  à  cause  du  grand  excès  de  valeur  des  impor- 
tations sur  les  exportations,  il  n'y  avait  nullement  à 
redouter  une  banqueroute  pour  les  marchands  étran- 
gers; que  les  propriétaires  en  quelques  années  d'éco- 
nomie et  de  travail  pouvaient  rétablir  avantageuse- 
ment la  balance  en  leur  faveur,  et  que  les  marchands 
de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  seuls  en  souffriraient 
par  la  stagnation  des  affaires.  La  valeur  des  objets 
importés  annuellement,  depuis  un  petit  nombre  d'an- 
nées, n'est  pas  montée  à  moins  de  350,000  liv.  st.  ! 
[Australian,  n?  123  et  124,  2  et  6  septembre  1826.) 

La  quantité  de  laine  exportée  chaque  année  en 
Angleterre  a  suivi  la  progression  suivante  : 


En  1817.   .   .   .        73,000  liv. 

En  1818.   .   .   .       93,000 

En  1819.   .   .   .     100,000 

?.3 


3*2  VOYAGE 

En  1820.   .   .   .       95,891  liv. 
En  1821.   .   .   .      175,433 

La  grande  différence  en  plus,  de  cette  dernière 
année ,  doit  s'attribuer  à  ce  que  les  habitans  de  Van- 
Diémen  se  décidèrent  à  envoyer  aussi  en  Angleterre 
leur  récolte  de  l'année  avec  celles  des  années  précé- 
dentes. En  partant  de  cette  base ,  on  calculait  qu'en 
1826  la  récolte  pourrait  être  de  130,000  livres,  et 
s'élever  jusqu'à  200,000  livres  cinq  ans  après. 

Dans  un  rapport  fait  alors  tout  récemment  à  la 
Chambre  des  communes,  on  établissait  que  la  valeur 
des  produits  et  des  manufactures  de  la  Grande-Breta- 
gne ,  portés  à  la  Nouvelle-Galles  du  Sud ,  avait  été, 

liv.  H.       s.     H. 

En  1819,  de       9,000  14  8 
En  1820,  .40,000     3   7 

En  1821,  84,000     1    .» 

(Monitor,  n.  6,  23  juillet  1826.) 

On  peut  juger  par  là  combien  cet  accroissement 
avait  été  rapide  et  prématuré.  C'est  ce  qui  avait  donné 
lieu  dans  la  colonie  à  l'engorgement  des  marchan- 
dises dont  nous  venons  de  faire  mention. 

Au  sujet  d'une  nouvelle  carte  de  la  Nouvelle-Galles 
du  Sud,  publiée  à  Londres  en  1826  par  Cross,  de 
Holburn ,  et  gravée  par  J.  Lewin ,  d'après  les  travaux 
de  M.  Oxlev,  le  Monitoi  fait  l'observation  suivante  : 


DE  L'ASTKOLABE.  343 

«  En  faisant  attention  au  très-petit  espace  que  la 
portion  explorée  de  l'Australasie  occupe,  comparée  au 
continent  entier,  nous  sommes  obliges  de  convenir 
que  toutes  les  théories  sur  les  lacs  intérieurs ,  etc. , 
ne  sont  fondées  que  sur  les  plus  frivoles  bases.  L'Aus- 
tralasie occupe  plus  de  deux  mille  milles  géographiques 
de  longueur  et  mille  huit  cents  de  large.  La  plus 
grande  étendue  de  la  partie  explorée  n'excède  pas  six 
cents  milles  du  nord  au  sud ,  et  quatre  cents  milles 
de  l'est  à  l'ouest.  ]Nous  n'avons  qu'une  connais- 
sance fort  imparfaite  du  pays,  à  deux  cents  milles  de 
Sydney. 

»  Nous  ne  serions  pas  étonnés  si  on  nous  appre- 
nait que  nous  nous  sommes  établis  sur  le  plus  mauvais 
coin  de  l'île  entière.  »  [Monitor,  ti°  6,  23  juin  1826.) 

Au  mois  de  septembre  1826,  la  colonie  comptait 
200,000  bètes  à  cornes,  500,000  brebis,  et  15,000 
chevaux.  Le  bœuf  et  le  mouton  valaient  six  pences 
(environ  douze  sous)  la  livre.  [Australian,  n°  139.) 

Le  prix  des  vivres  au  marché,  le  16  décembre  de 
la  même  année,  était  de  :  blé  (le  boisseau),  5  s.  6  d. 

—  Maïs  [id.\  i  s.  —  Orge  [id.\  4  s.  6  d.  —  Belle  fa- 
rine (le  quintal),  15  s.  —  Méteil  (le  boisseau),  2  s. 

—  Son,  bran  (id.),  1  s.  6  d.  —  Patates,  ou  pommes 
déterre  (le  quintal),  18  s.  —  Poules,  5  s.  la  couple. 

—  Canards ,  6  s.  6  d.  —  Oies ,  1 5  s.  —  Dindons  ,17s. 
la  couple.  —  Beurre,  2  s.  3  d.  la  livre.  —  OEufs,  2  s. 
la  douzaine.  —  Fromage,  1  s.  3  d.  la  livre.  —  Pain, 
4  à  5  d.  7?  par  pain.  —  Bœuf,  3  s.   Il    d.  par  stone 

23' 


344 


VOYAGE 


(poids  de  8  livres).  —  Mouton,  4  s.  10  d.  (id.).  — 
Porc ,  4  s.  9  d.  {id.).  —  Foin,  7  à  10  liv.  10  s.  le  ton- 
neau (2,000  livres).  —  Paille,  35  à  45  s.  {id.) 

Les  végétaux  étaient  très-rares  à  cause  de  la  sé- 
cheresse qui  avait  duré  si  long-temps.  Quelques  fruits 
commençaient  à  paraître ,  mais  à  un  prix  exorbitant. 
(Aastralian ,  n°  1 53 ,  16  décembre  1 826. ) 

Par  un  arrêté  du  conseil,  du  12  juillet  1826,  il 
était  défendu  d'employer  une  autre  monnaie  que  celle 
d'Angleterre ,  et  le  prix  légal  de  la  piastre  espagnole 
était  fixé  à  4  s.  4  d.  Il  était  également  défendu  de  faire 
des  billets  pour  une  somme  au-dessous  de  20  s. 
(Idem,  n°  110.) 

Le  gouvernement  louait  les  pâturages  aux  habi- 
tans ,  à  raison  de  20  schellings  par  an ,  pour  cent  acres 
de  terre.  (Idemy  n°  126,  13  septembre  1826.) 

M.  Blaxland  continuait  avec  zèle  ses  efforts  pour 
cultiver  la  vigne ,  et  il  avait  obtenu  de  tels  succès  , 
qu'ils  lui  avaient  valu  la  grande  médaille  en  argent  de 
la  Société  d'encouragement  des  arts  et  sciences  d'An- 
gleterre. Sa  récolte  de  l'année  avait  pu  remplir  six 
pipes  et  demie  du  vin  produit  sur  son  territoire.  Déjà 
ces  préludes  donnaient  la  plus  grande  espérance  pour 
l'avenir.  (Idem,  16  décembre  1826.) 

L'établissement  de  l'île  Norfolk  était  repris  depuis 
quelques  années  ;  c'était  là  qu'on  envoyait  les  plus 
mauvais  sujets  de  la  colonie,  et  on  en  avait  retiré  toutes 
les  femmes  sans  exception.  Le  lin  de  la  Nouvelle-Zé- 
lande y  réussissait  bien ,  et  il  y  avait  environ  60  acres 
de  terres  en  blé.  Au  mois  de  juillet  1 826 ,  on  y  comp- 


DE  L'ASTROLABE. 


345 


lait  environ  1 10  condamnés,  avec  une  garnison  pro- 
portionnée. (Aastralian ,  5  juillet  1826.) 

Il  était  fortement  question  de  construire,  à  Syd- 
ney, une  salle  de  spectacle  agréable  et  commode  : 
déjà  plusieurs  réunions  avaient  eu  lieu  pour  mettre  ce 
projet  à  exécution ,  et  on  estimait  que  cette  dépense 
pourrait  monter  à  4  ou  5,000  liv.  st.  (Idem,  30  avril 
1826.) 

On  s'occupait  d'établir  une  poste  générale  sur  un 
plan  régulier,  pour  les  communications  des  divers 
points  du  territoire. 

Voici  les  dislances  des  différons  établissemens  de  la 
Nouvelle-Galles  du  Sud  entre  eux  : 


De  Sydney  à  Parramatta.    .    .   .  15  milles  anglais. 

à  Windsor 35 

à  Liverpool 20 

à  Bathurst 13  fi 

à  Wellington-Valley  210 

De  Parramatta  à  Windsor-Town  20  milles  anglais. 


à  Erau-Plains . 
à  Castelreagh. 
à  Liverpool.    . 

20 

23 

9 

Windsor  à  Richmond-Town 
àWilberforce.  .    . 

6  milles  anglais. 

4 

4 

Pitt-Town  à  Wilberforce.  . 

2  milles  anglais. 

346  VOYAGE 

On  songeait  aussi  à  ouvrir  une  nouvelle  route  entre 
Bathurst  et  Sydney,  plus  commode  que  la  première. 
«  On  a  grand  espoir,  dit  t'Australian(26  avril  1826), 
que  le  passage  à  Bathurst ,  par  les  montagnes  ,  pourra 
être  beaucoup  facilité.  Une  nouvelle  route  est  pro- 
jetée, et  une  reconnaissance  va  être  exécutée  pour 
décider  si  le  nouveau  plan  sera  praticable.  Le  capitaine 
Dumaresq,  à  qui  on  en  doit  la  première  idée,  est  d'o- 
pinion qu'il  pourra  s'exécuter  facilement.  La  route 
qu'il  a  marquée  est  très-voisine  de  l'ancienne,  mais 
évitera  le  Mont- York  et  le  Mont-Blaxland.  Outre  ces 
avantages  pour  les  voyageurs  qui  échapperont  ainsi 
aux  ennuis  et  aux  fatigues  de  ces  montées  et  de  ces 
descentes ,  nous  devons  mentionner  que  les  troupeaux 
de  bétail  amenés  de  Bathurst  pourront  paître  tout  à 
leur  aise,  durant  la  nuit,  sur  les  bords  de  la  nouvelle 
route. 

»  On  se  plaignait  beaucoup  du  manque  d'ouvriers. 
Il  était  prouvé  que  l'ingénieur  civil  eût  trouvé,  sur  les 
routes  et  autres  travaux  publics ,  de  l'emploi  facile- 
ment pour  3,000  prisonniers,  s'il  y  en  avait  eu  de  dispo- 
nibles. Les  cultivateurs  eussent  aussi  employé  immé- 
diatement cinq  à  six  cents  artisans ,  particulière- 
ment tailleurs ,  cordonniers  ,  charpentiers ,  forge- 
rons, charrons,  etc.,  etc.»  (Australian ,  31  mai 
1826.) 

A  l'occasion  du  bal  donné  par  le  gouverneur,  le 
jour  de  la  fête  du  roi  d'Angleterre,  V Australian  fait 
les  remarques  suivantes ,  qui  donneront  une  idée  du 


DE  L'ASTROLABE.  3i7 

degré  de  splendeur  auquel  est  déjà  arrivée  celle  inté- 
ressante colonie.  (N°  86 ,  26  avril  1 826.) 

«  Peu  de  personnes  imagineraient  que  dans  une 
communauté  qui  n'a  dû  son  origine  qu'aux  circons- 
tances les  plus  défavorables  ,  et  qui  ne  date  son  exis- 
tence que  d'hier  (car  aux  yeux  des  plus  vieux  habi- 
îans,  il  semble  que  ce  ne  soit  que  d'hier  seulement 
qu'ils  ont  pour  la  première  fois  abordé  dans  un  désert 
et  au  milieu  des  rochers  d'une  terre  inconnue),  peu 
s'imagineraient  qu'on  put  parvenir  en  ce  pays,  même 
chez  le  gouverneur,  à  déployer  autant  de  goût  et  d'élé- 
gance, à  présenter  une  cérémonie  capable  de  rivaliser 
avec  celles  de  la  même  nature  qui  ont  lieu  dans  la  mé- 
tropole. Les  membres  de  l'administration  actuelle  du 
pays  ignoraient,  et  les  personnes  de  l'Angleterre,  qui 
ont.  acquis  le  plus  de  données  sur  la  colonie,  ignorent 
encore  qu'une  pareille  réunion  de  personnes  de  mérite 
et  de  considération  put  avoir  lieu  au  palais  du  gouver- 
neur le  jour  de  la  naissance  du  Roi.  Nous  employons  les 
termes  de  mérite  et  de  considération ,  comme  les  plus 
convenables  pour  désigner  la  condition  exacte  de  ceux 
qui  forment  la  haute  société  de  la  Nouvelle-Galles  du 
Sud ,  et  de  ceux  qui  composaient  en  grande  partie  le 
cercle  appelé  à  célébrer  la  fête  du  Roi.  Les  étrangers 
acquerront  une  notion  plus  exacte  de  l'état  de  la  co- 
lonie et  de  la  nature  de  sa  société,  si  on  leur  dit  que 
la  majeure  partie  de  ceux  qui  se  trouvaient  invités  à 
celte  soirée  eussent  en  Angleterre  figuré  honorable- 
ment parmi  la  petite  noblesse  ,  pour  ce  qui  regarde  le 


U8  VOYAGE 

rang  et  la  dignité.  Car  Dieu  sait  que  toute  autre  pré- 
tention ne  serait  qu'une  pure  affectation ,  et  nos  amis 
d'Angleterre  trouveraient  bien  risible  le  puéril  orgueil 
de  nos  grands  seigneurs  de  la  Nouvelle-Galles  du 
Sud. 

»  Tout  cela  prouve  beaucoup  en  faveur  de  l'amélio- 
ration de  la  société  de  cette  colonie;  c'est  une  puissante 
preuve  de  son  accroissement,  que  de  pouvoir  avancer 
qu'elle  compte  plus  de  deux  cents  membres  capables 
d'être  réunis,  au  besoin,  comme  des  connaissances  plus 
ou  moins  liées  les  unes  avec  les  autres ,  et  presque  sur 
un  vrai  pied  d'égalité ,  et  qu'en  outre  ces  deux  cents 
personnes  appartiennent  à  une  classe  qui ,  en  Angle- 
terre ,  pourrait  se  montrer  dans  les  cercles  les  plus 
distingués ,  bien  qu'un  très-petit  nombre  pût  aspirer  à 
paraître  à  la  cour. 

»  Les  possesseurs  de  ce  sol  peuvent  bien  être  consi- 
dérés en  masse  par  ceux  qui  habitent  le  royaume , 
comme  des  gens  indignes  d'une  vraie  considération  , 
sans  que  nous  ayons  lieu  d'en  être  surpris.  Les  pre- 
mières impressions  ne  s'effacent  pas  facilement.  La 
Nouvelle-Galles  du  Sud  sera  pour  long-temps  encore 
confondue  avec  Botany-Bay  ;  il  faudra  quelque  grande 
secousse  ,  quelque  événement  frappant ,  quelque  cir- 
constance extraordinaire,  pour  détruire  cette  erreur. 
Des  faits  comme  ceux  que  nous  venons  de  publier 
aujourd'hui  produiraient  de  l'effet,  s'ils  étaient  seule- 
ment pesés  par  ceux  dont  le  devoir  et  le  mandat  sont 
d'instruire  et  de  guider  le  peuple  anglais.  Chaque  cour 
de  justice,  chaque  assise,  chaque  ville,  chaque  pa- 


DE  L'ASTROLABE.  349 

roisse  en  Angleterre,  contribue  à  cacher  au  public  le 
véritable  e'tat  de  celte  colonie  ;  car  dans  ce  cas  le  peuple 
anglais  forme  son  opinion  d'après  la  basse  classe  qui 
ne  voit  qu'une  grande  prison  dans  la  Nouvelle-Galles 
du  Sud,  cette  colonie  riche  et  l'on  pourrait  dire 
sans  rivale.  Chaque  hameau ,  chaque  recoin  de  l'An- 
gleterre contient  des  individus  qui  ont  des  parcns  dans 
cette  contrée ,  et  qui  malheureusement  ne  se  trouvent 
dans  le  cas  de  s'en  occuper  et  d'y  l'aire  attention  ,  qu'à 
cause  des  fautes  de  leurs  parens  ou  de  leurs  amis. 
C'est  ce  qui  a  amené  le  peuple  à  n'associer  au  nom  de 
la  Nouvelle-Galles  du  Sud  que  les  idées  d'une  prison , 
et  les  hautes  classes  de  la  société  ont  elles-mêmes  con- 
formé leur  opinion  à  ces  tristes  impressions. 

»  La  sentence  même  de  transportai  ion  prononcée 
sur  de  misérables  criminels  dans  les  tribunaux ,  au 
milieu  d'une  foule  de  spectateurs,  remplit  leur  ame 
d'idées  semblables,  et  entretient  leur  erreur.  C'esl 
ainsi  qu'on  doit  expliquer  l'ignorance  du  peuple  an- 
glais ,  l'ignorance  de  la  mère-patrie  touchant  la  véri- 
table situation  d'une  de  ses  colonies  qu'elle  considère 
avec  la  plus  grande  injustice,  uniquement  comme  un 
insigne  repaire  de  malfaiteurs ,  comme  un  lieu  de  cor- 
rection ,  au  lieu  de  lui  accorder  le  nom  et  la  célébrité 
qu'elle  mérite  par  ses  qualités  naturelles ,  ses  avantages 
essentiels ,  ses  attributs  caractéristiques  ,  et,  nous  pou- 
vons ajouter  par  le  développement  précoce  et  les  fruits 
étonnans  dont  elle  récompense  l'industrie  humaine. 
La  presse  anglaise  devrait  dissiper  ces  erreurs,  bien 
(pic  des  objets  d'un  intérêt  plus  immédiat  soient  tou- 


350  VOYAGE 

jours  à  sa  disposition,  et  plus  rapprochés  d'elle  pour 
satisfaire  la  curiosité  de  ses  lecteurs. 

»  Comme  nous  l'avons  déjà  cent  fois  dit,  ce  n'est 
que  par  la  voie  de  la  presse  qu'on  peut  produire 
de  grands  effets  ,  et  que  les  impressions  perma- 
nentes et  dues  aux  raisons  que  nous  venons  d'énu- 
mérer  pourront  être  détruites ,  ou  du  moins  neu- 
tralisées. Mais  est-il  surprenant  que  le  mérite  et  la 
considération  de  notre  communauté ,  ainsi  que  son 
importance ,  soient  ignorés  des  habitans  du  royaume , 
tandis  que  ces  titres  étaient  ignorés  de  ses  mem- 
bres eux-mêmes?  Nous  le  répétons,  ces  titres  sont 
même  inconnus  ici....  Autrement,  qui  eût  pu  donner 
lieu  à  ces  continuelles  exclamations  de  surprise  de  la 
part  de  tous  ceux  qui  étaient  présens  à  cette  fête,  car 
je  ne  crois  pas  qu'il  y  eût  une  seule  exception.  «  Qui 
»  eût  pu  s'imaginer,  s'écriait-on  de  toutes  parts  avec 
»  emphase ,  qu'on  eût  pu  réunir  une  société  aussi  nom- 
»  breuse,  aussi  choisie,  tant  de  dames  élégantes,  une 
»  si  belle  compagnie.  »  Nous  autres  citoyens  de  la 
même  ville,  habitans  de  Sydney,  nous  étions  surpris  ; 
mais  plus  que  nous  encore  les  habitans  de  la  campagne 
prodiguaient  leurs  expressions  d'étonnement.  A  quoi 
cela  tient-il?  est-il  un  bourg  ou  même  une  ville  de 
moyenne  grandeur,  en  Angleterre,  qui  pût  offrir  parmi 
ses  habitans ,  une  pareille  ignorance  de  leur  existence 
réciproque,  pour  ne  pas  dire  un  pareil  isolement  les 
uns  des  autres?  Il  est  vrai  que  les  habitans  n'ont  pas 
été  élevés  ensemble.  Les  dernières  autorités  vécurent 
tout-à-fait  à  l'écart  ;  elles  ne  donnèrent  lieu  à  aucunes 


DE  L'ASTROLABE.  361 

liaisons  nouvelles ,  et  même  d'anciennes  liaisons  turent 
dissoutes ,  les  anneaux  en  furent  brisés  par  de  nou- 
veaux venus  et  par  un  accroissement  rapide  et  presque 
soudain  de  la  population  :  enfin  la  communauté  cessa 
presque  entièrement  d'exister  comme  société,  ou  du 
moins  comme  une  réunion  de  sociétés.  On  n'imagine 
pas  même  combien  l'habitude  influe  sur  les  amitiés. 
Moins  vous  voyez  vos  amis ,  moins  vous  vous  souciez 
de  les  rencontrer.  Séparés  d'eux  d'abord  par  de  sim- 
ples circonstances  accidentelles,  vous  en  restez  en- 
suite éloignés  par  goût.  C'est  ainsi  que  nous  pouvons 
expliquer  le  défaut  de  société  et  les  plaintes  conti- 
nuelles que  nous  entendons  sur  le  défaut  de  sociabi- 
lité, dans  un  lieu  où  certainement,  comme  nous  ve- 
nons de  le  démontrer,  se  rencontrent  tous  les  élémens 
qu'on  peut  désirer  pour  former  des  sociétés  et  cimen- 
ter des  liaisons. 

»  L'exemple,  quel  qu'il  soit,  bon  ou  mauvais,  a  une 
puissante  influence  sur  l'homme  qui ,  en  dépit  de  lui- 
même,  a  toujours  l'esprit  imitateur.  Ceux  qui  se  trou- 
vaient placés  à  la  tète  de  la  colonie,  nous  le  redirons 
sans  cesse,  ne  donnèrent  point  le  bon  exemple  (il  est 
vrai  qu'ils  eussent  pu  alléguer  plusieurs  excuses  pour 
leur  conduite,  et  en  effet  quelques-unes  de  ces  ex- 
cuses étaient  fondées).  Ils  ne  se  montrèrent  point  des 
membres  de  la  communauté ,  et  la  société  tomba  en 
ruines.  Par  cela  même  que  les  habitans  cessèrent  de 
se  trouver  ensemble ,  la  méfiance ,  le  soupçon  et  l'en- 
vie prirent  la  place  de  la  cordialité,  des  réunions 
joyeuses  et  de  ces  nombreuses  nuances  de  liaisons  qui 


352  VOYAGE 

unissent  les  hommes  entre  eux  depuis  l'attachement 
le  plus  intime  jusqu'aux  plus  simples  marques  de  po- 
litesse. » 

Le  désir  qu'ont  les  habitans  de  la  Nouvelle-Galles 
du  Sud ,  de  voir  l'état  de  leur  colonie  mieux  connu  en 
Europe,  leur  faisait  tenir  le  langage  suivant,  touchant 
le  séjour  de  F  Astrolabe  à  Sydney  : 

«  Les  officiers  français  de  la  corvette  l' Astrolabe 
ne  sont  pas  peu  étonnés  de  voir  cette  colonie  si  bien 
pourvue  de  protection  navale.  Un  vaisseau  de  74,  et 
deux  autres  navires  de  guerre,  à  l'ancre  sur  cette  rade, 
leur  présentent  un  spectacle  auquel  ils  ne  s'atten- 
daient guère.  Les  visites  fréquentes  que  les  puissances 
étrangères  font  à  cet  établissement ,  feront  bien  mieux 
connaître  la  condition  actuelle  de  cette  colonie  sur  le 
continent  européen ,  particulièrement  chez  les  Fran- 
çais et  les  Russes,  qu'elle  ne  l'est  en  Angleterre. 
Chaque  récit  d'un  officier  étranger  qui  entreprend  de 
décrire  ce  qu'il  voit  et  ce  qu'il  rencontre  ici ,  sera  reçu 
avec  attention  dans  son  propre  pays ,  quoique  de  pa- 
reils récits  envoyés  en  Angleterre  par  des  Anglais 
n'excitent  qu'un  intérêt  bien  mince.  John  Bull  n'est 
guère  jaloux  de  savoir  ce  qui  se  passe  dans  ses  colo- 
nies, tandis  que  les  Français  sont  curieux  à  l'infini 
sur  ces  matières.  Ils  se  formeront  en  peu  de  temps 
des  notions  sur  la  Nouvelle  -  Galles  du  Sud,  tout 
aussi  correctes ,  tant  sous  le  point  de  vue  de  la 
statistique  que  sous  celui  de  la  politique,  que  les 
Anglais  les  mieux  instruits  de  ce  qui  concerne  leur 


DE  L'ASTROLABE.  353 

patrie.  »  (Justralùm,  n»  151,  9  décembre  1826.") 

Dans  le  précédent  numéro  de  la  même  feuille  on 
lisait  encore  à  ce  sujet  (G  décembre  1826)  : 

«  A  L'arrivée  du  navire  français  de  découvertes 
l'Astrolabe,  le  bruit  s'était  assez  généralement  ré- 
pandu qu'il  avait  non-seulement  visité  divers  ports  et 
mouillages  sur  la  cote  de  la  Nouvelle-Hollande,  mais 
qu'il  venait  de  hisser  le  drapeau  blanc  à  King-Georges 
Sound,  à  Western-Port  et  Jervis-Bay,  et  pris  posses- 
sion de  ces  lieux ,  dans  le  but  d'y  former  des  établis- 
semens.  On  ne  saurait  douter  que  ce  navire  n'ait 
touché  sur  ces  divers  points  ;  et  nous  sommes  disposés 
à  penser  que  les  Français  ont  cherché  à  acquérir  au- 
tant de  connaissances  de  la  cote  qu'il  leur  a  été  pos- 
sible. Mais  quant  à  leur  intention  d'y  former  des  éta- 
blissemens ,  ce  n'est  qu'un  conte  dû  à  ceux  qui  aiment 
à  inventer  des  histoires,  et  qui  se  plaisent  à  se  jouer 
de  la  crédulité  de  leurs  auditeurs.  Pas  un  mot  de 
vrai  à  cela,  d'après  ce  que  nous  avons  appris.  Ils  ne 
tenteraient  jamais  de  planter  leur  pavillon,  soit  à  Jervis- 
Bay,  soit  a  Western-Port,  puisque  ces  points  sont 
compris  dans  les  limites  du  territoire  anglais.  Mais  il 
ne  serait  pas  fâcheux  pour  l'Angleterre  de  voir  des 
colonies  françaises  ou  russes  s'établir  à  des  distances 
raisonnables  de  ces  limites  ;  ce  voisinage  ne  devien- 
drait point  un  sujet  de  chagrin  pour  les  peuples  de 
celte  colonie;  au  contraire,  il  ne  pourrait  que  leur 
être  avantageux.  Il  engagerait  d'ailleurs  l'Angleterre 


354  VOYAGE 

à  ne  point  nous  tracasser,  et  la  disposerait  en  outre  à 
nous  traiter,  non-seulement  avec  une  douceur  ordi- 
naire ,  mais  même  avec  magnanimité.  Alors  elle  se 
déterminerait  sans  doute  à  nous  donner  une  constitu- 
tion de  notre  goût ,  que  nous  pourrions  respecter ,  et 
que  nous  apprendrions  aux  autres  à  respecter.  La 
métropole  aurait  peur  de  se  brouiller  avec  nous,  si 
elle  voyait  le  rejeton  d'un  pouvoir  étranger  près  de 
nous;  et  le  désir  quelle  aurait  d'éviter  tous  motifs  de 
malentendu  avec  la  colonie  serait  pour  celle-ci  une 
source  d'avantages.  Sans  doute  les  visites  fréquentes 
que  nous  recevons  des  étrangers  mettront  l'Angle- 
terre sur  le  qui  vive  ;  et  probablement  elle  commen- 
cera à  nous  trouver  d'un  plus  grand  intérêt  qu'elle  ne 
l'avait  jugé  dans  ses  rêves.  » 

J'ai  déjà  dit  un  mot  des  incendies  qui  avaient  dé- 
solé les  environs  de  Sydney  peu  de  jours  avant  notre 
arrivée  ;  voici  des  détails  assez  curieux  à  ce  sujet  : 

«  De  grands  feux  dans  les  bois  sont  des  choses  si 
ordinaires,  qu'il  arrive  rarement  que  cela  vaille  la 
peine  qu'on  en  fasse  une  mention  particulière.  Le  plus 
souvent  l'incendie  rend  service ,  en  ce  qu'il  contribue 
à  éclaircir  de  grands  espaces  couverts  de  forêts  et 
de  broussailles ,  et  débarrasse  de  beaucoup  d'objets 
nuisibles.  Néanmoins  les  feux  qui  commencèrent  à 
brûler  vendredi  soir,  et  qui  attirèrent  l'attention  gé- 
nérale par  leur  grandeur  et  l'espace  extraordinaire 
du  terrain  sur  lequel  ils  se  développèrent,  ont  eu  de 


DE  L'ASTROLABE.  355 

très-sérieuses  conséquences  pour  la  plupart  des  per- 
sonnes dont  la  propriété  est  située  dans  leur  voisinage. 
Sur  la  côte  du  nord,  sur  la  route  de  Botany,  près  Li- 
verpool,  et  en  d'autres  endroits,  ils  ont  occasioné  de 
grands  dommages ,  et  sont  devenus  ,  pour  quelques 
personnes,  la  source  de  pertes  considérables  et  de 
grands  malheurs.  On  ne  connaît  encore  qu'imparfai- 
tement toute  l'étendue  des  ravages  qu'ils  ont  causés. 
M.  Wollstonecraft  a  eu  toutes  ses  palissades  consu- 
mées ,  et  a  reçu  pour  plus  de  200  pounds  de  dom- 
mages. Un  excellent  verger  et  une  bonne  maison,  à 
King's-Grove,  la  propriété  de  M.  Lord,  de  la  place 
Macquarie ,  ont  été  réduits  en  cendres.  Plusieurs  ponts 
ont  été  détruits,  ce  qui  a  interrompu  les  communica- 
tions en  divers  endroits ,  particulièrement  à  Liver- 
pool  et  à  Parramatta.  Les  feux  ont  sévi  avec  la  der- 
nière violence  partout  où  ils  se  sont  déclarés  ,  en 
se  propageant  avec  la  plus  grande  rapidité,  et  lais- 
sant à  peine  aux  personnes  douées  de  la  faculté 
de  courir  assez  vite  la  chance  de  leur  échapper. 
L'horizon  fut  complètement  obscurci  dans  une  éten- 
due de  plusieurs  milles ,  par  les  masses  de  fumée 
qui  s'en  exhalaient  ;  et  le  navire  le  Speke ,  qui  arriva 
dimanche ,  à  une  grande  distance  du  rivage ,  et  long- 
temps avant  qu'on  pût  distinguer  la  terre,  eut  son 
pont  couvert  de  cendre.  Plusieurs  têtes  de  bestiaux 
furent  consumées ,  et  on  a  calculé  que  le  dommage 
occasioné  par  cet  incendie  a  été  plus  considérable  que 
tout  ce  qui  avait  jamais  eu  lieu  dans  la  colonie ,  par 
suite  d'événemens  du  même  genre.  Une  maison  oc- 


356  VOYAGE 

cupée  par  Milson  ,  marchand  de  lait ,  sur  la  côte  du 
nord ,  a  été  brûlée  dimanche.  Un  homme  appelé  Mac- 
namara ,  qui  vivait  dans  le  voisinage  de  Wilberforce , 
a  péri  par  le  feu.  Sa  récolte  de  blé,  sa  maison  et  ses 
autres  propriétés  ont  été  complètement  détruites.  Lui- 
même,  entièrement  perdu  durant  quelque  temps,  a 
été  enfin  retrouvé  sans  vie  au  milieu  des  broussailles 
consumées.  Il  y  a  eu  de  grands  ravages  à  la  ferme  de 
Petersham.  Des  palissades  qui  avaient  coûté  près  de 
1 00  pounds  ,  ont  été  brûlées  ,  les  arbres  à  fruit  très- 
maltraités ,  et  une  cavalle ,  montée  par  Camerton  et. 
estimée  plus  de  80  guinées ,  réduite  en  cendres.  L'ha- 
bitation n'a  échappé  qu'avec  peine  à  l'incendie.  On  ne 
pense  pas  qu'un  seul  pont  fût  resté  debout  entre  Syd- 
ney et  Parramatta,  si  les  serviteurs  du  gouvernement 
n'eussent  été  occupés  à  temps  à  dégager  les  bords  de 
la  route  à  mesure  que  le  feu  s'étendait. 

»  Les  vents  brûlans  et  les  particules  pulvérulentes 
ont  affecté  désagréablement  les  yeux  de  plusieurs  per- 
sonnes. Deux  ou  trois  en  ont  ressenti  de  si  cruelles 
souffrances ,  que  le  bruit  s'est  vite  répandu  qu'une  ma- 
ladie semblable  à  l'ophtalmie  d'Egypte  allait  combler 
les  calamités  du  jour,  et  que  ceux  qui  avaient  échappé 
au  catarrhe  seraient  réservés  à  un  autre  malheur,  au 
risque  de  rester  aveugles  pour  toujours.  »  [Australian, 
?t°  148,  29  novembre  1826.) 

Huit  jours  plus  tard  on  lisait  dans  le  même  journal  : 

«  On  peut  se  faire  quelque  idée  de  l'aspect  de  la 


DE  L'ASTROLABK.  3.57 

campagne  parce  qu'on  voit  sur  la  route  du  Fanal.  A  la 
distance  d'un  mille  du  goulet ,  le  spectateur  se  trouve 
sur  un  espace  d'où  sa  vue  ne  peut  découvrir  que  des 
rochers  noircis  par  l'action  du  feu.  Chaque  arhre , 
buisson,  plante  ou  brin  d'herbe,  a  été  brûlé  jusqua  la 
racine ,  et  quelque  habitués  que  soient  ici  les  veux  à 
voir  avec  indifférence  de  grands  espaces  de  terre,  avec 
des  arbres  mutilés  el  à  demi  consumés  ,  on  ne  peut 
contempler  la  scène  dont  nous  parlons ,  sans  éprouver 
une  sensation  tout-à-fait  extraordinaire  produite  par 
le  spectacle  de  désolation  dont  on  se  trouve  envi- 
ronné. »  [Australian,  n°  151  ,  9  décembre  1826.) 

«  Au  mois  de  septembre  1 824  ,  la  frégate  le  Tamar, 
capitaine  B renier,  accompagnée  du  navire  marchand 
la  Comtesse  de  Harcoart  et  du  brick  colonial  Lady 
Nelson ,  avait  porté  une  nouvelle  colonie  sur  la  côte 
N.  O.  de  la  Nouvelle-Hollande.  Cet  établissement, 
composé  d'un  détachement  du  3L  régiment,  et  de  45 
eonvicls  sous  les  ordres  du  capitaine  Barlow,  s'était 
formé  dans  le  port  Cockburn,  sur  l'île  Melville,  et  le 
fort  situé  sur  les  bords  de  King's-Cove  avait  reçu  le 
nom  de  fort  Dundas.  Les  canons  avaient  été  montés 
à  leur  poste,  et  le  pavillon  hissé  le  21  octobre  1824.  » 
{Narration  de  King,  tome  II ,  page  237.) 

Cet  établissement,  pour  lequel  les  Anglais  avaient 
conçu  d'assez  brillantes  espérances,  était  bien  loin 
d'avoir  répondu  a  leur  attente,  ainsi  qu'on  pourra  en 
juger  par  le  passage  suivant.  (.lustra/ian,  n°  150, 
<i  décembre  1826.) 

TOME   I.  24 


358  VOYAGE 

«  Les  dernières  nouvelles  de  File  Melville  nous  ap- 
portent quelques  détails  importans  touchant  cet  éta- 
blissement, et  confirment  à  plus  d'un  égard  l'opinion 
assez  généralement  établie ,  qu'il  a  été  situé  dans  une 
mauvaise  position.  Les  Malais,  qu'on  avait  eu  princi- 
palement en  vue  lors  de  sa  fondation ,  n'y  ont  jamais 
paru ,  et  n'ont  témoigné  aucun  désir  de  former  des 
liaisons  amicales  ou  commerciales.  Du  reste,  on  sup- 
pose qu'à  l'exception  d'un  très-petit  nombre,  ils  n'ont 
pas  encore  eu  connaissance  de  l'établissement  ou  de 
sa  localité  précise.  Plusieurs  d'entre  eux  ont  imaginé 
qu'il  était  situé  sur  un  autre  point,  à  quelques  centaines 
de  milles  de  l'île  Melville.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  Ma- 
lais n'ont  jamais  visité  l'établissement,  et  il  n'y  a  aucune 
apparence  de  réussir  dans  le  but  qu'on  se  proposait. 
Les  habitans  de  Timor  représentent  cette  île  comme  si- 
tuée dans  la  latitude  convenable  à  la  pèche  du  Tri- 
pang  ;  mais  les  gens  établis  dessus  n'ont  pas  encore  eu 
l'occasion  de  s'assurer  à  cet  égard  des  ressources  de 
la  côte.  Quant  aux  travaux  exécutés  sur  l'île,  depuis 
deux  ans  et  demi  environ  ,  ils  sont  tels  qu'on  pouvait 
les  attendre.  Cent  cinquante  acres  de  terre  ont  été 
défrichées.  Des  comestibles  ont  crû  sur  les  terres  cul- 
tivées, comme  des  citrouilles,  de  la  paille  et  autres 
végétaux  des  climats  des  tropiques.  Le  fort  est  dé- 
fendu par  six  canons  prêts  à  repousser  les  visites  hos- 
tiles ou  toute  espèce  de  société  malintentionnée.  Les 
ouvrages  commencés  n'ont  éprouvé  que  peu  d'inter- 
ruptions par  rapport  au  climat;  les  maladies,  l'un  des 
plus  grands   obstacles   à  la  rapidité  des  travaux  , 


DE  L'ASTROLABE.  359 

ont  été  principalement  causées  par  l'usage  constant 
des  provisions  salées.  Le  scorbut  n'a  pas  manqué 
d'exercer  ses  ravages  accoutumés ,  et  la  plupart  des 
personnes  qui  ont  demeuré  sur  l'ilc  ont  souffert  plus 
ou  moins  de  cette  maladie.  La  chaleur  du  climat  est 
tout  aussi  supportable  que  celle  d'ici.  Le  thermomètre 
est  rarement,  et  peut-être  jamais,  aussi  haut  que  nous 
l'avons  vu  cet  été  à  Sydney  ;  et  les  variations  de  la  tem- 
pérature n'y  sonl  jamais  si  extrêmes  ni  si  brusques. 
La  différence  entre  la  chaleur  de  midi  et  la  fraîcheur 
de  minuit  est  loin  d'être  aussi  fortement  marquée 
qu'elle  l'est  ici  dans  toutes  les  saisons  de  l'année. 
Quelles  que  soient  les  qualités  qui  puissent  recomman- 
der l'île  Melville  et  les  objections  solides  auxquelles 
elle  puisse  donner  lieu,  comme  siège  d'un  établisse- 
ment permanent,  il  n'en  paraît  pas  moins  certain  que 
le  projet  primitif  sera  abandonné  et  File  rendue  à  son 
ancienne  solitude.  » 

Nous  avons  déjà  annoncé  le  départ  des  bàtimens 
qui  allaient  porter  les  individus  destinés  à  fonder  de 
nouvelles  colonies  à  Western-Port  et  à  King-Georges- 
Sound.  Voici  quelques  détails  à  ce  sujet,  extraits  du 
Monitor  : 

«  Les  navires  destinés  pour  l'expédition  de  Port- 
Western  et  du  port  du  Roi-Georges  sont  partis  de 
Sydney-Cove  hier.  Le  navire  de  Sa  Majesté  F/y,  ac- 
compagné par  le  brick  D>ago?i,  est  destiné  pour  le 
premier  établissement  qui  aura  le  capitaine  Wright, 


id  VOYAGE 

du  3e  régiment  venant  de  Port-Macquarie ,  pour 
commandant,  et  le  lieutenant  Burchell,  du  57e  régi- 
ment, pour  ingénieur.  M.  Howel  a  aussi  accompagné 
l'expédition  à  Port- Western,  dans  le  but  d'exécuter 
une  reconnaissance  de  ses  côtes  et  localités.  Il  doit, 
dit-on,  s'en  revenir  par  terre,  et  des  chevaux  ont 
été  envoyés  sur  le  Dragon  pour  lui  faciliter  l'exé- 
cution de  ce  projet.  Le  major  Lockyer,  du  57e  ré- 
giment, prend  le  commandement  à  King-Georges- 
Sound,  et  le  poste  de  garde-magasin  sera  rempli  par  le 
plus  jeune  des  fils  du  major.  Le  département  du  génie 
sera  sous  la  direction  du  capitaine  Wakefield,  du  39e 
régiment.  Vingt-trois  prisonniers,  escortés  par  vingt 
soldats,  sont  suivis  vers  ce  dernier  endroit  de  trois 
femmes.  Pour  l'autre,  vingt  prisonniers,  dix-neuf  sol- 
dats et  une  femme  composeront  la  population.  Toute 
l'expédition  est  sous  la  direction  du  capitaine  We- 
therhall,  R.  N.  Par  le  départ  du  capitaine  Wright, 
le  commandement  de  Port-Macquarie  est  resté  vacant, 
et  le  capitaine  Innés  ,  du  3e  régiment,  ira  le  remplacer 
par  la  première  occasion.  » 

Ces  nouvelles  colonies  ne  plaisent  nullement  aux 
habitans  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  à  qui  elles  en- 
lèvent pour  le  moment  des  bras  utiles ,  et  qui  ne  voient 
en  elles  à  l'avenir  que  de  dangereux  concurrens  pour 
leur  prospérité  et  les  secours  qu'ils  auront  à  attendre 
de  la  mère-patrie.  Écoutons  l' Auslralian  s'exprimer 
avec  amertume  sur  cette  manie  de  multiplier  les  co- 
lonies de  la  Nouvelle-Hollande.  (8  novembre  1826.) 


DE  L'ASTROLABK.  561 

«  Nous  annonçâmes,  dans  notre  dernière  feuille, 
qu'on  allait  entreprendre  la  reeonnaissance  de  la  haie 
du  Roi-Georges,  dans  le  but  d'y  former  un  établisse- 
ment. C'est  encore  un  de  ces  superbes  sites  remplis 
d'avantages  maritimes  et  recommandes  par  leurs  rares 
productions  et  leurs  ressources  extraordinaires,  une 
de  ces  places  reconnues  à  la  hâte  par  nos  explorateurs 
de  côtes ,  enchantés  de  s'y  reposer  après  avoir  passé 
six  mois  sur  l'immensité  des  mers.  On  en  prit  à  peu  près 
possession,  il  y  a  long-temps,  au  nom  de  S.  M.  le  roi 
d'Angleterre  ;  ou  du  moins  un  lambeau  d'étoffe  au 
bout  d'une  perche  remplissait  ce  but ,  si  bien  qu'à 
moins  de  rompre  avec  la  Grande-Bretagne,  il  était  in- 
terdit à  tout  pouvoir  étranger  de  s'établir  sur  aucun 
point  d'un  semblable  territoire.  Du  reste,  que  le  mor- 
ceau de  drap  rouge  et  les  hommes  y  fussent  ou  non  , 
cela  ne  signifierait  pas  grand 'chose ,  dans  le  cas  où 
l'ennemi  voudrait  s'emparer  de  vive  force  du  golfe , 
de  la  baie  ou  du  sol.  Il  s'agit  donc  aujourd'hui  de 
former  en  ce  lieu  un  établissement  ou  une  colonie  ,  si 
le  résultat  de  la  reconnaissance  qu'on  va  faire  en  rend 
un  compte  aussi  favorable  que  ceux  qui  ont  été  déjà 
remis  au  ministère. 

»  S'il  est  réellement  intéressant  pour  l'Angleterre 
de  répandre  ses  sujets  le  long  des  côtes  de  la  Nouvelle- 
Hollande,  pourquoi  ne  pas  le  faire  convenablement? 
pourquoi  ne  s'y  établit -on  pas  sérieusement,  au  lieu 
d'y  planter  çà  et  là  quelques  malheureux  avec  une 
garde  pour  les  surveiller,  comme  autant  de  chauve- 
souris  nichées  sur  des  masures  ?  Nous  antres  habitons 


362  VOYAGE 

de  cette  colonie,  nous  n'avons  pas  le  droit  de  nous 
plaindre  de  voir  naître  des  rivaux  le  long  de  la  côte, 
bien  que  ces  rivaux ,  à  mesure  qu'ils  acquerront  de  la 
force  et  de  l'importance,  nous  reculeront  de  plus  en 
plus  de  l'Angleterre  ;  ils  alongeront  la  traversée  et 
accoitront  ainsi  la  distance  qui  nous  sépare  déjà  de  la 
mère-patrie.  Aussitôt  que  les  jeunes  colonies  auront 
acquis  une  vraie  importance,  les  vaisseaux  suivront  la 
côte,  et  toucheront  en  divers  lieux;  ils  s'arrêteront  à 
King-Georges-Sound,  et  y  passeront  huit  à  dix  jours. 
D'autres  endroits  réclameront  aussi  leur  attention , 
car  les  navires  marchands  sont  à  l'affût  des  consom- 
mateurs, et  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  n'aura  plus 
que  le  rebut  de  toutes  ses  cadettes.  Mais  qu'importe? 
c'est  l'effet  de  sa  position.  Le  temps  et  les  événemens 
peuvent  à  leur  gré  faire  naître  des  avantages  et  des  in- 
convéniens.  Ce  sont  des  choses  dont  il  serait  déplacé 
de  se  plaindre ,  quoique  la  colonie ,  dans  ses  raisonne- 
mens  et  ses  calculs ,  puisse  fixer  ses  yeux  sur  ses  pro- 
pres intérêts  et  sa  prospérité.  Notre  mécontentement 
tient  à  ce  qu'en  voyant  comment  se  forment  ces  sous- 
colonies  ,  la  parcimonie  de  l'Angleterre ,  son  ignorance 
et  sa  négligence  nous  assujettissent  à  des  pas  rétro- 
grades qu'elle  devrait  nous  éviter.  Toutes  les  classes 
d'individus  nécessaires    aux  nouvelles  colonies   de- 
vraient être  fournies  par  le  royaume,  et  non  pas  tirées 
du  sein  de  la  nôtre ,  qui  demande  de  l'accroissement , 
et.  qui  pourrait  suffire  à  une  population  décuple  ;  ou 
bien  si  l'on  prend  les  sujets  dans  le  sein  de  la  Nouvelle- 
Galles  du  Sud ,  comme  mieux  appropriés  et  plus 


DE  L'ASTROLABE.  363 

habitués  au  genre  de  travail  qu'on  attend  d'eux ,  qu'au 
moins  on  ait  soin  de  les  remplacer ,  et  de  transporter 
ici  autant  de  colons  qu'on  en  enlève?  Nous  saurions 
gré  à  l'Angleterre  de  nous  amener  de  pauvres  arti- 
sans ;  mais  si  cela  ne  lui  convient  pas  ,  qu'elle  re- 
nonce à  sa  misérable  économie,  et  qu'elle  lasse  passer 
ces  utiles  bras,  s'il  lui  plaît,  par  notre  propre  pays, 
pour  les  diriger  ensuite  vers  les  ports,  les  mouillages, 
les  promontoires  et  les  pays  à  épices  qu'elle  prétend 
coloniser.  Qu'elle  se  garde  de  priver  notre  colonie  de 
gens  aussi  utiles  !  qu'elle  se  garde  d'entraver  notre 
population  et  notre  gouvernement ,  en  les  forçant 
de  laisser  partir  des  bras  que  nous  ne  pouvons  perdre 
sans  éprouver  de  graves  inconvéniens  et  de  funestes 
suites  ! 

»  Le  gouvernement  anglais  imagine ,  et  nous  crai- 
gnons que  le  nôtre  ne  partage  aussi  cette  opinion ,  qu'il 
fait  un  grand  gain  par  l'économie  ou  plutôt  la  parci- 
monie qu'il  apporte  dans  ces  entreprises.  Quelques 
milliers  de  pounds ,  à  son  avis,  suffisent  pour  mettre 
la  machine  en  mouvement;  et  plutôt  que  de  les  dou- 
bler, pour  l'utilité  publique,  il  renonce  au  projet 
qui  a  occasions  les  premiers  frais,  quand  bien  même 
il  reposerait  sur  un  bon  plan ,  ce  qui  du  reste  est. 
assez  rare.  Quant  à  nous  ,  il  nous  serait  agréable  de 
voir  des  sous-colonies  s'établir,  si  l'on  y  portait  tous 
les  soins  nécessaires.  La  rivalité  qui  en  résulterait  se- 
rait assez  compensée  par  les  nombreux  avantages  aux- 
quels elle  donnerait  lieu  d'ailleurs  pour  les  habilans 
de  la   iNouvelle-Galles  du  Sud.    Mais  ces  colonies, 


364  VOYAGE 

nous  le  répétons,  doivent  être  convenablement  for- 
mées ,  nourries  et  entretenues ,  c'est-à-dire  par  les 
ressources  de  l'Angleterre,  par  les  habitans  de  l'An- 
gleterre, et  non  pas  par  ceux  de  la  Nouvelle-Galles  du 
Sud.  Que  l'on  fonde  des  colonies  çà  et  là  partout  au- 
tour de  nous,  mais  que  l'on  donne  à  chacune  les 
moyens  de  se  développer.  Chacune  d'elles  dans  son 
enfance,  chacune  d'elles  même  dans  un  âge  plus 
avancé  ,  deviendra  une  pratique  de  la  nôtre  ;  elles 
s'empresseront  de  prendre  nos  produits , ,  surtout  à 
mesure  que  leurs  localités  se  rapprocheront  des  tropi- 
ques. Elles  achèteront  notre  bétail ,  notre  bœuf , 
notre  porc  salé ,  et  autres  objets  nécessaires  qu'elles 
ne  pourront  trouver  que  chez  nous  ou  chez  notre 
sœur,  la  Terre  de  Van-Diémen.  C'est  ainsi  que  nous 
désirons  voir  des  colonies  s'établir  et  prospérer,  non 
pas  naître  pour  un  jour,  un  été,  et  puis  périr  après 
avoir  néanmoins  diminué  la  prospérité  et  les  res- 
sources de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud.  Nous  ne  vou- 
lons point  de  colonies  que  le  caprice  établit  et  que  le 
caprice  abandonne. 

»  Dans  ces  cas,  le  mal  tient  ordinairement  à  ce 
que  le  système  adopté  pour  créer  des  colonies  n'est 
fondé  que  sur  des  renseignemens  très-imparfaits ,  sui- 
des notions  superficielles  de  quelque  lieutenant  pré- 
somptueux qui  affecte  de  comprendre  tout  le  mé- 
rite des  localités;  avoir  exploré  une  côte  et  donné 
son  rapport  comme  quelque  chose  d'authentique, 
avoir  mis  le  pied  sur  un  sol  nouveau,  avoir  aperçu 
une  crique  ou  un  ruisseau,  vu  un  brin  d'herbe  ou  le 


DE  L'ASTROLABE.  M\.) 

tronc  d'un  vieux  arbre ,  lui  suffisent  pour  conseille! 
de  tonner  un  nouvel  établissement  sur  quelqu'un  de 
ces  points.  Deux  ou  trois  expéditions  seront  années 
aussitôt,  et  après  deux  ou  trois  années  d'expériences, 
de  travaux  et  de  dépenses  inutiles  sur  le  terrain  choisi, 
la  place  sera  reconnue  comme  tout-à-fait  inconve- 
nable ,  et  sera  abandonnée  pour  quelque  autre  qui 
aura  bientôt  le  même  sort. 

»  Ce  n'est  pas  agir  loyalement  avec  le  peuple  an- 
glais, ni  avec  les  habitans  de  la  Nouvelle-Galles  du 
Sud.  On  devrait  choisir  des  hommes  vraiment  ins- 
truits et  zélés  pour  reconnaître  les  côtes ,  faire  des 
voyages  de  découvertes  et  choisir  des  sites  pour  éten- 
dre le  pouvoir  anglais  le  long  de  la  côte  de  la  Nouvelle- 
Hollande.  Ceux  qui  ne  pensent  qu'à  la  récompense 
qu'ils  recevront ,  à  la  promotion  qu'ils  auront  dans 
leur  service ,  aux  concessions  de  terre  qu'ils  obtien- 
dront, aux  troupeaux  de  brebis  ou  de  bétail  qu'ils 
pourront  se  procurer  en  se  chargeant  de  ce  travail , 
ne  sont  pas  dignes  d'être  chargés  d'une  pareille  mis- 
sion. Deux  essais  ont  eu  lieu,  et  tous  deux  ont  échoué. 
Deux  établissemens  viennent  d'être  récemment,  for- 
més ,  et  tous  deux  de  la  manière  la  plus  ignorante. 
Voilà  l'île  Melville,  qui  avait  fait  naître  les  espérances 
les  plus  brillantes.  Quel  a  été  le  sort  de  cette  place 
depuis  que  les  Anglais  l'ont  occupée?  Quel  sera 
le  résultat  de  ce  projet  insensé?  On  venait,  disait-on , 
de  découvrir  un  nouveau  canal  pour  faire  couler  les 
richesses  de  l'Orient  dans  le  sein  du  royaume.  Une 
nouvelle  source  s'ouvrait  au  commerce,  et  l'on  acca- 


36  G  VOYAGE 

blait  d'éloges  celui  qui  avait  instruit  le  ministère  de 
ces  avantages.  Maintenant  il  est  question  d'abandonner 
File  3Ielville.  Les  misérables  humains  qui  y  ont  été 
expédiés,  après  avoir  éprouvé  les  horreurs  de  plu- 
sieurs maladies ,  après  avoir  été  plusieurs  fois  sur  le 
point  de  périr  de  faim,  après  avoir  souffert  des  maux 
infinis ,  voient  que  toute  leur  peine  a  été  complètement 
perdue.  Les  Hollandais  ou  le  diable,  ou  tous  les  deux 
à  la  fois,  pourront  maintenant,  si  cela  leur  plaît ,  s'em- 
parer de  l'île  Melville  et  de  tous  ses  embellissemens. 
»  Voilà  Moreton-Bay,  et  nous  pourrions  y  ajouter 
Port-Macquarie,  car  une  reconnaissance  plus  exacte 
de  la  côte  à  cette  distance  seulement  de  Port-Jackson, 
a  fait  découvrir,  dit-on ,  de  riches  et  fertiles  étendues 
de  terre ,  qui  décèlent  une  ignorance  honteuse  de  la 
part  de  ceux  qui  choisirent  Port-Macquarie  pour  y 
former  un  établissement ,  au  lieu  de  cette  portion  de 
côte  située  à  quelques  milles  plus  au  nord  où  l'on 
vient  de  trouver  une  superbe  rivière.  Mais  voilà  More- 
ton-Bay! Cet  établissement,  deux  fois  recommencé, 
n'est  pas  encore  sur  le  meilleur  point.  Quelle  déplo- 
rable ignorance!  quelle  triste  et  superficielle  recon- 
naissance de  la  côte  !  Une  rivière  de  cinq  cents  ver- 
ges de  large  est  restée  ignorée,  nonobstant  les  ex- 
plorations scrupuleuses  qu'une  demi  -  douzaine  de 
voyages  ont  permis  d'exécuter  !  C'en  est  assez  pour 
dégoûter  des  nouveaux  établissemens  ;  c'en  est  assez 
pour  empêcher  de  courir  après  des  chimères ,  tandis 
que  les  biens  réels  nous  échappent ,  pour  éteindre  la 
manie  des  expéditions  de  découvertes,  à  moins  que  le 


DE  L ASTROLABE.  3«7 

système  n'en  soit  amélioré ,  et  qu'elles  ne  se  forment 
que  sous  les  auspices  d'une  administration  libérale  et 
sous  la  direction  d'hommes  d'un  génie  supérieur.  » 

Ce  même  journal  rapporte  dans  sa  feuille  du  2  août 
1826,  l'extrait  suivant  d'un  article  de  XEuropean 
Review  : 

«  S'il  arrivait  que  les  révolutions  et  les  combinai- 
sons ,  qui  dans  notre  siècle  bouleversent ,  détruisent 
et  rétablissent  si  promptement  les  Etals ,  pussent  un 
jour  amener  la  ruine  ou  la  décadence  de  notre  gou- 
vernement de  l'Inde-Orientale,  cette  étonnante  ma- 
chine ;  en  jetant  les  yeux  sur  la  position  et  les  contours 
de  la  Nouvelle-Hollande  ,  nous  nous  flattons  de  l'es- 
poir que  ce  serait  là  le  siège  d'un  pouvoir  qui  répan- 
drait son  empire  ou  son  influence  sur  les  princes  de 
l'Asie.  Ce  sera  sur  cet  immense  comptoir  que  le  gou- 
vernement devra  jeter  les  yeux  pour  renouveler  ce 
commerce  qui  absorbe  tous  les  produits  du  royaume , 
et  procure  en  retour  les  richesses  de  vingt  autres. 
C'est  en  partant  de  ce  vaste  continent,  séparé  par  une 
immense  étendue  de  mer  de  tout  le  reste  de  la  terre, 
mais  communiquant  promptement  par  ce  même  moyen 
avec  les  îles  presque  innombrables  de  l'Inde  et  des 
mers  du  sud ,  c'est  de  là  que  nous  pourrons  ouvrir 
mille  sources  nouvelles  d'un  commerce  inconnu,  et, 
par  le  moyen  d'une  chaîne  immense  de  nations  amies, 
acquérir  et  consolider  un  pouvoir  nouveau  et  bienfai- 
sant dans  les  latitudes  les  plus  méridionales  du  globe. 


368  VOYAGE 

En  faisant  naître  des  alliés  et  des  sujets  d'une  célébrité 
plus  moderne  dans  l'histoire  des  nations  ,  par  l'indul- 
gence d'un  pouvoir  vertueux,  la  politique  éclairée 
d'un  gouvernement  sage  et  instruit,  et  par  le  courage, 
la  libéralité  et  la  fermeté  d'hommes  libres,  nous  pour- 
rons nous  ménager  sur  les  plages  sans  bornes  de 
l'Australasie,  un  nom  aussi  puissant,  aussi  respecté 
que  celui  qui  a  régné  durant  cent  années  sur  les  des- 
tinées de  l'Inde,  et  une  domination  aussi  glorieuse  , 
aussi  impérissable  que  celle  de  la  Grande-Bretagne 
elle-même! —  » 

Nous  avons  pensé,  en  terminant  cette  longue  di- 
gression sur  l'état  actuel  de  la  Nouvelle-Galles  du 
Sud  ,  que  le  lecteur  pourrait  bien  lire  avec  plaisir 
l'extrait  suivant  du  Monitor.  L'auteur  s'est  lancé 
soixante-quinze  ans  plus  avant  dans  les  temps,  et  rend 
compte  des  événemens  qu'il  présume  avoir  lieu  à  cette 
époque  dans  l'état  d'accroissement  qu'aura  pris  la  co- 
lonie. Il  sera  amusant  pour  nos  neveux  de  pouvoir 
vérifier,  en  1900,  jusqu'à  quel  degré  les  prévisions  de 
notre  Australien  se  seront  vérifiées,  en  comparant  les 
circonstances  qui  auront  lieu  réellement  avec  celles 
qu'il  aura  annoncées. 

Extrait  des  papiers-nouvelles  de  Sydney. 

Janvier  1900. 

«  Par  des  lettres  que  nous  venons  de  recevoir  la 
nuit  dernière,  par  la  malle  de  W estern-Port ,  nous 


DE  L'ASTROLABE.  369 

sommes  fâchés  de  voir  qu'il  y  a  apparence  de  guerre 
avec  la  Tasmanic.  Le  bateau  à  vapeur  n'avait  mis  que 
sept  heures  à  passer  les  détroits  ;  quand  il  quitta  le 
Tamar,  une  chaise  de  poste ,  tirée  à  toute  bride  par 
quatre  chevaux,  venait  d'arriver  et  d'amener  un  grand 
personnage  avec  sa  suite  qui  montèrent  à  bord  ,  et  qui 
viennent  d'arriver  à  Parramatta ,  siège  du  gouverne- 
ment. 

»  Morts.  Hier,  dans  sa  maison,  sur  l'Esplanade, 
est  mort  John  Smith,  écuyer,  un  des  plus  anciens 
habitans  de  ce  quartier  de  la  ville ,  et  qui  venait  de 
compléter  sa  quatre-vingt-sixième  année,  ayant  con- 
servé l'usage  de  ses  facultés  jusqu'au  dernier  moment. 
Il  se  souvenait  davoir  vu  arriver  le  gouverneur  Dar- 
ling  en  1  826 ,  et  d'avoir  vu  abattre  la  vieille  prison 
qui  était  placée  quelque  part  vers  le  milieu  de  Georges- 
Street. 

»  Hier,  les  actionnaires  de  la  compagnie  du  canal  de 
Liverpool  et  Parramatta ,  dans  leur  assemblée  de 
semestre,  sont  convenus  d'un  dividende  de  50  p.  °/0 
du  montant  de  leur  capital.  Rien  ne  peut  surpasser  le 
mouvement  et  l'activité  qui  régnent  sur  toute  l'étendue 
de  cet  utile  et  intéressant  canal.  Durant  les  six  der- 
niers mois ,  il  y  a  passé  plus  de  cent  cinquante  mille 
barils  de  farine,  et  trente-sept  mille  six  cents  tonneaux 
de  provisions  salées. 

»  Hier,  au  café  de  la  Tontine,  on  a  vendu  une  pro- 
priété de  trois  cent  vingt-quatre  acres  et  cinq  per- 
ches ,  située  sur  la  rivière  Acacia ,  jadis  nommée  la 
Crique  du  sud  ,  et  qui  a  monté  à  quatre-vingt-douze 


370  VOYAGE 

mille  dollars ,  ayant  été  achetée  depuis  plus  de  vingt- 
cinq  ans. 

»  Avertissement.  Le  Happy-  Union  ,  bateau  de 
poste  à  vapeur,  part  chaque  dimanche  matin  du  quai 
Campbell  pour  la  rivière  Boyne ,  touchant  pour  pren- 
dre des  passagers  à  New-Castle  ,  à  Hastings  et  à  l'ile 
Moreton.  Le  Happy -Union  est  un  très-beau  navire 
de  500  tonneaux  et  plus  ;  il  tient  166  lits  et  des  rafrai- 
chissemens  de  tout  genre  pour  les  passagers.  Il  va  en 
trois  jours  et  revient  en  quatre. 

»  Par  la  voie  de  l'île  Norfolk  nous  apprenons  que 
les  amusemens  d'hiver,  à  la  mode ,  continuent  d'y  at- 
tirer des  visites  de  toutes  les  parties  du  continent. 
Les  bals  et  les  soupers  se  répètent  chaque  soirée ,  et 
la  plus  grande  harmonie  règne  dans  toute  l'île. 

»  Nous  sommes  autorisés  à  annoncer  positivement 
que  la  législature  de  l'Australasie  ouvrira  sa  session 
le  1er  mai.  On  s'attend  a  voir  paraître  la  proclamation 
ce  soir  dans  la  Gazette.  On  s'attend  aussi  à  voir  pa- 
raître une  nouvelle  nomination  de  baronnets  austra- 
liens dans  la  même  feuille. 

»  Bureau  des  diligences,  New  Piccadilly.  Les  di- 
ligences suivantes  partent  de  ce  bureau  chaque  matin 
à  sept  heures  précises  :  YOpossum  pour  Flinders- 
Town  et  Western-Port ,  prix  :  20  dollars  en  dedans , 
et  16  en  dehors.  Le  Velocifer  pour  la  ville  de  More- 
ton,  par  Castle-Hill ,  Coollombi,  Jerry-Townet  Has- 
ting's-Bridge ,  arrive  à  l'hôtel  de  Pumice-Stone  ,  rue 
Haute ,  à  Moreton ,  à  neuf  heures  du  soir  ;  ne  passe 
que  trois  nuits  dehors.  —  Diligences  le  matin  et  le  soir 


DE  L'ASTROLABE.  371 

pour  Balhurst  et  Parramatta.  Pour  Emu,  tous  les 
après-midis  à  trois  heures  du  soir. 

»  Trente-six  navires  sont  en  ce  moment  occupés  à 
charger  dans  nos  ports  ,  pour  l'Europe.  La  laine ,  le 
coton,  le  sucre,  le  café,  les  cuirs,  le  suif,  les  pro- 
visions salées  et  le  tabac,  forment  la  hase  de  l'expor- 
tation. Celle  de  la  laine ,  nous  nous  plaisons  à  l'an- 
noncer, décroît  rapidement.  En  l'an  181)8,  elle  fut 
de  22,000,000  liv.,  et  pour  l'année  qui  vient  de  finir, 
nous  avons  lieu  de  penser  qu'elle  ne  dépassera  pas 
20,000,000  liv.  Un  changement  si  surprenant  a  été 
occasioné  par  l'établissement  de  plusieurs  manufac- 
tures de  drap  dans  ce  pays. 

»  Des  bateaux  à  vapeur  partent  à  chaque  heure, 
au  son  d'une  cloche,  pour  Parramatta  et  les  rives  pit- 
toresques et  enchanteresses  de  Brisbane-Water.  Per- 
sonne ne  peut  se  dispenser  de  visiter  ces  lieux  char- 
mans. 

»  Hier  arriva  le  navire  à  vapeur  ïf~ooloo?nooloo  en 
quarante-sept  jours  d'Angleterre,  par  le  canal  Darien. 
Il  apporte  trois  cent  dix-sept  émigrés  avec  leurs  fa- 
milles. Il  a  mis  en  panne  quelques  heures  devant 
Taïti,  et  a  apporté  une  malle  considérable  de  cette 
florissante  contrée,  pour  les  marchands  de  Sydney. 
Le  JVooloomooloo  s'est  arrêté  aussi  devant  l'île  Nor- 
folk ,  et  y  a  débarqué  deux  dames  passagères  de  Lon- 
dres, qui  tiennent  un  fort  beau  pensionnat  pour  les 
jeunes  demoiselles ,  sur  la  partie  nord  de  l'île.  Il  est 
très-singulier  qu'il  n'y  a  que  soixante  ans  elle  n'était 
habitée  que  par  des  colons  pris  parmi  les  prisonniers 


372  VOYAGE 

de  la  Grande-Bretagne;  après  quoi  ils  furent  envoyés 
à  la  Nouvelle-Zélande  ,  où  ils  sont  devenus  ,  dans  ces 
soixante  dernières  années ,  un  peuple  puissant ,  et 
comme  les  Nouveaux-Zélandais  n'ont  plus  besoin  de 
déportés  ,  le  gouvernement  anglais  s'est  déterminé  à 
les  envoyer  désormais  à  la  Terre  de  Feu. 

»  On  montre  aujourd'hui,  sur  la  place  du  marché, 
deux  naturels  australiens  qui  ont  été  recueillis  à  la 
suite  d'un  naufrage ,  près  de  l'un  de  nos  établissemens 
au  cap  Gloucester.  Il  y  a  maintenant  cinq  ans  qu'on 
n'avait  vu  aucun  de  ces  noirs  à  plus  de  cinq  cents 
milles  de  Sydney.  Les  maladies,  la  nudité  et  la  rigueur 
croissante  des  hivers  en  ont  presque  éteint  la  race. 
Prix  d'entrée  :  25  cent. 

»  Arriva  hier,  à  sa  résidence  sur  la  place  du  Parc, 
le  lord  évèque  de  Sydney,  venant  des  montagnes 
Bleues. 

»  Une  tentative  très  -  téméraire  a  été  hasardée  la 
nuit  dernière  par  un  corsaire  de  la  Nouvelle-Zélande, 
pour  pénétrer  dans  ce  port ,  et  piller  les  villages  des 
pêcheurs  dans  la  baie  Walson.  Favorisé  par  l'obscu- 
rité de  la  nuit ,  il  avait  déjà  presque  réussi  à  passer 
sous  les  canons  du  fort  Georges  ,  jadis  la  Truie  et  les 
Cochons ,  quand  une  sentinelle  du  1 4e  régiment  de 
ligne  australien,  alors  de  garde,  ayant  donné  l'alarme, 
une  seule  bordée  de  la  batterie  basse  coupa  le  corsaire 
en  deux  ,  et  tout  l'équipage  fut  noyé. 

»  Théâtre  royal,  Georges-Slreet.  Ce  soir,  Mac- 
beth ,  avec  le  divertissement  de  La  Pérouse,  qui  sera 
répété  chaque  soir  cette  semaine. 


DE  L'ASTROLABE.  373 

»  Il  y  a  eu  quarante-six  souscripteurs  pour  YAus- 
tralian-Sainl-Léger,  pour  les  courses  qui  auront  lieu 
sur  le  Vieux-Cours,  le  2  mai. 

»  On  fait  de  grands  préparatifs  pour  la  prochaine 
pèche  de  sperma-céti.  On  s'attend  à  voir  partir  cette 
année  cent  bàtimcns  à  voiles  carrées  pour  cette  pèche  , 
des  diverses  anses  de  Port-Jackson. 

»  Quinze  navires  h  vapeur  sont  maintenant  en  cons- 
truction sur  les  différons  quais  de  la  côte  du  nord. 

»  Le  projet  d'un  pont  suspendu,  en  fil  de  fer,  au 
travers  du  canal ,  qui  a ,  pendant  près  de  cent  années, 
occupé  l'esprit  des  hahitans  instruits  de  Sydney,  vient, 
de  se  ranimer  avec  un  grand  espoir  de  succès. 

»  La  population  de  Sydney,  par  le  dernier  cens, 
s'est  trouvée  de  287,652  âmes. 

»  Prix  du  marché.  Froment  (boisseau  de  56  liv.), 
25  à  30  centièmes  *  ;  maïs  (boisseau),  18  à  20  cent.; 
poules  (la  couple),  1 2  cent.  ;  œufs  (la  douzaine),  6  cent.  ; 
chevaux  (chaque),  20  à  50  dollars  ;  bœufs  de  travail 
(la  couple),  20  doll.  ;  mouton  gras  (stone  ou  8  livres), 
30  centièmes;  bœuf  (stone),  30  cent. 

»  A  la  grande  foire  de  fromages  tenue  à  Richmond 
la  semaine  dernière ,  il  n'y  a  pas  eu  moins  de  trois 
cents  tonneaux  de  celte  denrée  en  vente ,  et  elle  a  été 
portée  à  des  prix  élevés  pour  les  marchés  de  l'Inde. 

»  On  a  calculé  que  les  brasseries  de  bière  seules, 
dans  cette  ville ,  occupent  un  capital  de  plus  de  dix 
millions  de  dollars. 

*  Cent  centièmes  font  une  couronne,  environ  six  francs. 
TOME    i.  2  5 


374  VOYAGE 

»  Par  un  gentleman  qui  vienl  d'arriver  hier  par 
terre  de  l'île  M  el  ville  en  douze  jours  ,  nous  apprenons 
que  le  commerce  est  très-animé  dans  cette  colonie. 
Plus  de  cent  cinquante  jonques  se  trouvaient  dans  le 
port ,  achetant  nos  objets  manufacturés  en  laine  et 
en  coton ,  ainsi  que  les  fers  et  les  quincailleries  fabri- 
quées dans  les  fonderies  de  Surry-Hills.  Depuis  l'ex- 
pulsion des  Européens  de  Java,  et  l'indépendance  de 
cette  île  importante ,  le  commerce  de  Port-Cockburn 
a  subi  un  accroissement  régulier. 

»  La  ville  d'Emu  a  fait  des  progrès  étonnans.  Sa 
population  est  déjà  de  25,000  habitans. 

»  Les  colons  qui  arrivèrent  en  1826  étaient  au 
nombre  de  65  personnes;  en  1840  elle  en  comptait 
9,542;  en  1888,  21,707;  en  1899,25,423. 

»  La  plupart  des  navires  arrivés  l'année  dernière 
avec  des  émigrés  se  sont  dirigés  de  suite  vers  les  pro- 
vinces du  sud ,  ou  dans  le  détroit.  On  dit  qu'ils  y  pros- 
pèrent parfaitement ,  et  que  de  tous  côtés  des  villages 
et  des  habitations  se  sont  élevés  là  où  il  n'y  a  qu'un 
siècle  on  ne  voyait  que  de  mélancoliques  forêts.  » 
[Monitor,  7  et  21  juillet  1826.) 

J'avais  entièrement  terminé  mon  travail  sur  l'état  ac- 
tuel de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  quand  l'intéressant 
ouvrage  du  chirurgien  P.  Cunningham  m'est  enfin 
parvenu.  Il  m'a  présenté  des  détails  si  vrais,  si  bien 
saisis,  si  bien  rendus  sur  l'état  moral  et  social  de  cette 
population,  sur  les  opinions  qui  divisent  ses  habitans, 
que  j'ai  cru  devoir  en  donner  ici  la  traduction  en  en- 


DE  L'ASTROLABE.  375 

lier.  D'ailleurs,  M.  Cunningham,  en  sa  qualité  de  sa- 
larié du  gouvernement,  a  du  nécessairement  prendre 
la  couleur  du  ministère,  et  il  est  facile  de  voir  qu'il 
envisage  d  ordinaire  les  choses  sous  un  aspect  un  peu 
différent  de  celui  qui  règne  dans  les  journaux  de 
l'Opposition  que  j'ai  eu  occasion  de  citer.  Sous  ce 
rapport  seul  son  récit  serait  utile  au  lecteur  pour 
mieux  fixer  son  opinion ,  en  le  mettant  à  même  de 
prendre  un  juste  milieu  entre  des  sentimens  aussi 
différens. 

«  Notre  société  est  divisée  en  cercles  comme  en 
Angleterre;  mais  en  vertu  de  sa  constitution  particu- 
lière ,  elle  offre  encore  naturellement  plus  de  nuances 
qui  à  diverses  époques  ont  reçu  dans  la  colonie  des 
surnoms  distincts.  Nous  avons  d'abord  le  s  ter  lins  et 
la  courante  (currency)  *,  ou  bien  ceux  nés  en  Angle- 
terre et  dans  la  colonie  ;  les  derniers  prennent  aussi 
le  nom  de  corn-stalk  (épis  de  blé)  pour  désigner  la  ma- 
nière dont  ils  poussent.  Voilà  la  première  gTande  di- 
vision. Ensuite,  nous  avons  les  légitimes  (légitimâtes) 
ou  cross-breds,  c'est-à-dire  ceux  qui  ont  eu  des  raisons 
légales  pour  venir  dans  ce  pays ,  et  les  illégitimes  (ille- 
gitimates)  ou  ceux  qui  sont  exempts  de  ce  titre.  Les 
pars  mérinos  ne  sont  qu'une  variété  de  la  dernière 
espèce  qui  se  vante  d'être  le  plus  pur  sang  de  la  co- 
lonie.  Nous  avons  également  nos  caractères  titrés 


Par  allusion  à  la  monnaie  sterling  d'Angleterre  et  à  la  monnaie  cou- 
ranle  du  pays. 

2.5' 


336  VOYAGE 

qui  portent  leurs  insignes  sur  leurs  corps,  sous  la 
forme  de  P.  B.  et  C.  B.  répandus  avec  profusion  sur 
leurs  personnes  ;  et  ceux  sans  titre  [unlitled] ,  qui , 
comme  moi ,  n'ont  ni  marque  ni  caractères  visibles 
sur  leur  extérieur.  Les  litres  sont  tous  des  caractères 
officiels  employés,  par  ordre  du  gouvernement,  à  ré- 
parer les  rues ,  à  cuire  des  briques ,  et  autres  fonctions 
semblables  ;  car  ces  initiales  titulaires  n'annoncent 
pas  qu'ils  appartiennent  à  aucun  ordre  illustre  comme 
celui  du  Bain,  mais  tout  simplement  qu'ils  ont  droit 
B.uxprisoner's  barracks  ou  carter' s  barracks  pour  y 
élire  leurs  domiciles  respectifs. 

»  Les  convictsnouvellement  arrivés  sont  connus  iro- 
niquement sous  le  nom  de  canaris  à  cause  du  plu- 
mage jaune  dont  ils  sont  accoutrés  à  leur  débarque- 
ment. Mais  quand  ils  sont  définitivement  domiciliés  , 
on  les  désigne  avec  plus  de  respect  sous  le  nom  loyal 
d'hommes  du  gouvernement ,  le  terme  de  convict 
ayant  été ,  par  une  espèce  de  convention  générale  et 
tacite ,  rayé  de  notre  dictionnaire  de  Botany-Bay, 
comme  un  mot  très-chatouilleux  dans  ces  latitudes 
susceptibles.  Peu  d'années  se  sont  écoulées  depuis 
qu'un  individu  transporté  à  Van-Diemen's-Land  pour 
fait  de  piraterie,  qui  avait  été  émancipé  pour  sa  bonne 
conduite ,  obtint  un  jugement  qui  condamnait  à  cin- 
quante francs  de  dommages  un  diffamateur  qui  avait 
cherché  à  noircir  son  caractère  en  proférant  entre  ses 
dents,  avec  dépit,  l'épithète  injurieuse  de  d — d 
convict!  et  sans  doute  ce  jugement  fut  juste  et  louable; 
car,  si  un  pareil  langage  était  toléré,  il  s'ensuivrait 


DE  L'ASTROLABE.  37 7 

d'éternelles  disputes  ;  c'est  assez  pour  un  malheureux 
d'avoir  à  subir  la  punition  à  laquelle  il  peut  avoir  été 
condamné,  sans  y  ajouter  les  reproches  :  et  si  le 
temps  de  la  punition  a  été  accompli ,  il  n'y  aurait  ni 
convenance  ni  justice  à  l'injurier  pour  un  fait  dont  le 
public  a  déjà  exigé  une  ample  réparation. 

"Du  reste,  la  grande  division  des  classes  libres  ici, 
sans  avoir  égard  aux  spécialités  coloniales ,  est  celle 
des  émigrans  [emigrants\  qui  sont  arrivés  libres  d'An- 
gleterre, et  des  émancipistes  (emancipists),  qui  y  son! 
venus  comme  convicts,  et  ont  reçu  leur  pardon  ou 
ont  accompli    leur  temps   de  condamnation.    C'est 
entre  ces  deux  grandes  classes  qu'il  y  a  eu  tant  de 
sujets  de  querelle.   Une  subdivision  de  la  classe  des 
émigrans  a  reçu  le  surnom  à'exclasionistes,  pour  vou- 
loir exclure  rigoureusement  les  émancipistes  de  leur 
société;   tandis    qu'à  son  tour  une  subdivision  des 
émancipistes  a  été  surnommée  le  parti  des  confusio- 
nistes ,  d'après  les  efforts  qu'ils  font  pour  confondre 
toutes  les  classes  de  la  société,  au  jugement  des  autres. 
Comme  dans  toutes  les  petites  communautés,  les  que- 
relles particulières ,  les  caquetages  et  le  scandale  ré- 
gnent dans  nos  cercles  sur  la  plus  grande  échelle , 
ou,  pour  mieux  dire,  y  ont  régné,  car  à  cet  égard  les 
améliorations  deviennent  de  jour  en  jour  plus  sensi- 
bles. Mais  ceux  qui  sont  tout-à-fait  instruits  des  habi- 
tudes du  pays  s'accoutument  bientôt  à  écouter  toutes 
ces  balivernes  sans  v  ajouter  de  confiance,  et  les  ré- 
pètent uniquement  pour  dire  quelque  chose,  si  bien 
que  ces  répétitions  peuvent  se  multiplier  à   l'infini 


378  VOYAGE 

sans  obtenir  une  ombre  de  crédit  de  la  part  même  de 
ceux  qui  les  débitent. 

»  L'orgueil  et  la  morgue  de  quelques-uns  de  nos 
u lira-aristocrates  surpasse  de  beaucoup  celui  de  la 
noblesse  d'Angleterre.  Un  de  mes  bons  amis  du 
Yorkshire ,  commandant  d'un  navire  marchand ,  ou- 
bliant les  distances  et  l'étiquette  établies  dans  ce  pays, 
monta  un  jour  chez  un  de  nos  éminens  jurisconsultes 
à  qui  il  avait  été  présenté  par  hasard  peu  de  jours  au- 
paravant, pour  lui  faire  quelque  question  peu  impor- 
tante qu'il  fit  précéder  d'un  bonjour,  Monsieur  [gaod 
moming,  M.);  sur  quoi  l'homme  de  loi,  reculant 
comme  si  un  crapaud  s'était  présenté  sur  son  passage, 
répondit  avec  un  air  de  dédain  :  Sur  ma  vie,  je  ne  vous 
connais  point,  Monsieur  [upon  my  li/e,  I  dont  know 
y  ou.  Si?).  Ceci  devint  ensuite  un  sujet  de  plaisanterie 
pour  mon  ami  qui ,  lorsque  nous  venions  à  nous  ren- 
contrer, ne  répondait  à  mon  salut  habituel  de  :  Com- 
ment vous  portez-vous?  [how  d'ye  do?)  que  par  un 
dédaigneux  signe  de  tête,  suivi  d'un  :  Sur  ma  vie,  je 
ne  vous  connais  point,  Monsieur. 

»  Un  jour  que  je  me  promenais  avec  mon  ami,  lors 
de  mon  premier  voyage  dans  la  colonie ,  il  nous  ar- 
riva de  rencontrer  deux  de  nos  grands  personnages  ; 
mon  ami  accosta  l'un  d'eux  pour  une  affaire  particu- 
lière ,  laissant  l'autre  seul  avec  moi.  Comme  la  per- 
sonne m'était  connue  de  vue,  et  que  je  savais  quelle 
arrivait  dernièrement  d'un  endroit  pour  lequel  je  de- 
vais me  mettre  en  route  le  lendemain ,  je  lui  demandai 
sans  précaution  dans  quel  état  se  trouvaient  les  chc- 


DE  L'ASTROLABE.  370 

mins.  Mais  quelle  fut  ma  surprise,  quand  mon  homme, 
se  rengorgeant  avec  beaucoup  d'importance ,  répliqua 
dans  les  propres  termes  du  jurisconsulte  :  Sur  ma 
parole,  je  ne  vous  connais  point,  Monsieur  (ttpon 
my  word,  I  don't  knowyou,  Sir).  Etant  encore  étran- 
ger à  la  dignité  coloniale,  j'en  conclus  naturellement 
que  quelque  mauvais  plaisant  m'avait  placardé  sur  les 
épaules  un  P.  B.,  ou  quelque  autre  décoration  sem- 
blable, comme  cela  arrivait  quelquefois,  qui  m'avait 
attiré  cette  marque  de  mépris.  Mais  après  m'ctre  as- 
suré qu'il  n'y  avait  eu  rien  de  semblable ,  je  com- 
mençai naturellement  à  chercher  quel  pouvait  être 
cet  illustre  personnage  ,  cl  a  supposer  que  ce  ne  pou- 
vait être  moins  que  le  duc  de  las  Sierras ,  ou  le  mar- 
quis d'Aguaro ,  si  l'on  ne  m'eut  assuré  par  la  suite 
que  c'était  tout  simplement  un  officier  d'infanterie  re- 
traité et  établi  depuis  quelque  temps  dans  la  colonie. 
En  ce  cas,  dis-je,  ce  doit  être  une  terre  fertile  en 
grands  sentimens  d'aristocratie.  Et  même  en  grands 
sentimens  d'honneur  aussi ,  ajoutai-je  quelques  mi- 
nutes après,  apprenant  qu'un  de  nos  meilleurs  légi- 
timés ,  nouvellement  élargi  d'une  réclusion  de  six 
mois  pour  quelque  accroc  aux  lois  du  parjure,  ap- 
puyait avec  chaleur  d'un  :  Sur  l'honneur  [apon  h<>- 
nour),  la  vérité  d'une  assertion  qu'il  faisait.  Oh! 
c'est  très-judicieux  de  sa  part,  en  vérité,  observa  un 
spectateur,  de  mettre  son  honneur  en  gage,  car  ii  sait 
bien  que  personne  ne  voudrait  de  son  serment. 


380  VOYAGE 

»  Ce  fut  durant  l'administration  du  gouverneur 
Macquarie  que  naquirent  ces  querelles  qui  sont  restées 
depuis  un  germe  de  discorde  dans  la  colonie.  Jugeant 
qu'elle  avait  été  fondée  autant  pour  la  réforme  que 
pour  la  punition  des  coupables,  il  en  conclut  avec 
raison  que  le  moyen  le  plus  sûr,  pour  y  parvenir,  était 
d'ennoblir  le  caractère  des  convicts  émancipés,  en 
les  rétablissant  dans  un  juste  état  de  considération 
au  milieu  de  la  société.  Par  malheur,  le  moyen 
que  suivit  le  gouverneur  Macquarie,  pour  mettre 
à  exécution  ces  vues  raisonnables  et  bienveillantes, 
s'opposa  complètement  à  sa  réussite.  Il  s'imagina 
que  la  volonté  seule  du  gouverneur  devait  surmon- 
ter toute  espèce  d'opposition,  et  que  V autorité  de- 
vait achever  l'exécution  de  ce  que  la  simple  expres- 
sion de  son  désir  ne  pouvait  obtenir.  Mais,  en  matière 
d'opinion ,  l'homme  ressemble  au  cochon.  Si  vous 
voulez  le  faire  marcher  par  force,  il  recule  en  arrière 
du  lieu  où  l'on  veut  le  conduire ,  et  il  faut  le  caresser 
tout  doucement  pour  venir  à  bout  de  le  faire  avancer 
en  lui  faisant  croire  directement  le  contraire  de  ce  que 
vous  avez  en  vue.  Le  gouverneur  Macquarie  trouvant 
une  foule  de  récalcitrans  contre  ses  opinions  ,  au  lieu 
de  les  amener  tout  doucement  à  ses  désirs ,  ou  de  fer- 
mer les  yeux  sur  ce  qu'on  faisait  ou  disait ,  et  de  con- 
tinuer à  inviter  paisiblement  à  sa  table  ceux  des  éman- 
cipistes  qu'il  en  jugeait  dignes ,  laissant  au  temps  et  à 
la  raison  le  soin  du  reste ,  commença  à  regarder  tous 
ceux  qui  s'opposaient  à  ses  projets  comme  ses  ennemis 
personnels,  et  même  à  les  traiter  souvent  comme  tels. 


DE  L'ASTROLABE.  381 

Celte  conduite  lui  aliéna  encore  plus  les  esprits  ;  en 
outre  les  attentions  plus  marquées  qu'il  témoigna  aux 
membres  du  corps  des  émancipistes,  comparativement 
aux  colons  libres,  firent  croire  à  d'autres  que  son  inten- 
tion était  d'élever  les  émancipistes  au-dessus  des  émi- 
grans ,  et  par  là  même  indisposèrent  ceux  qui  auraient, 
probablement  soutenu  son  système.  Au  contraire , 
quel  a  été  le  résultat  d'une  conduite  toute  différente 
adoptée  dans  la  terre  de  Van-Diémen  par  Le  sage  et 
judicieux  Sorell  !  Un  individu,  du  corps  des  émanci- 
pistes, a  été  dernièrement  choisi  pour  directeur  de  la 
banque ,  de  préférence  aux  émigrans  les  plus  respec- 
tables ,  et  cela  par  un  corps  de  propriétaires  dont  la 
majeure  partie  sont  des  émigrans  libres.  Au  départ  du 
gouverneur  Macquarie,  les  émancipistes  rentrèrent 
dans  le  néant,  et  jamais  un  seul  d'entre  eux  ne  se 
trouva  chez  le  gouverneur,  dans  aucune  espèce  de 
réunion;  aucun  même  ne  se  rencontra  jamais  en 
société  avec  lui  nulle  part,  jusqu'au  moment  où  son 
administration  toucha  à  sa  fin ,  où ,  par  politique ,  il 
jugea  à  propos  de  changer  de  manière  d'agir.  Cette 
chute  soudaine  produisit,  comme  on  peut  le  supposer, 
un  effet  très-pénible  sur  l'esprit  du  corps  entier;  je 
sais  que  quelques-uns  des  membres  les  plus  respec- 
tables ressentirent  amèrement  cette  disgrâce  ;  car  ils 
se  regardèrent  par  là ,  eux  et  leurs  descendans  , 
comme  destinés  à  être  pour  toujours,  ainsi  que  les  cn- 
làns  de  Cain,  une  race  réprouvée.  En  effet,  ils  voyaient 
leurs  enfans  même  repoussés  de  la  société  du  gouver- 
neur, et  par  là  jugés  aussi  indignes  d'égard»  qu'eux- 


382  VOYAGE 

mêmes.  Les  choses  restèrent  en  cet  état  jusqu'à  l'ap- 
parition de  l'Australian,  journal  dont  les  suggestions 
déterminèrent  le  corps  des  émancipistes  à  s'opposer  à 
la  marche  suivie  jusqu'alors,  d'omettre  leurs  noms 
sur  les  nouvelles  listes  de  magistrats,  conformément 
à  la  réclamation  du  commissaire  d'enquête,  et  de  les 
repousser  ainsi  du  sein  de  la  société  des  gens  respec- 
tables, en  opposition  cependant  au  désir  évident  de 
ce  même  commissaire. 

»  Les  individus  qui  passaient  pour  avoir  le  plus  in- 
fluencé le  commissaire ,  devinrent  les  principaux  objets 
de  l'attaque,  et,  aux  yeux  de  leurs  ennemis,  des  motifs 
personnels  furent  évidemment  d'un  plus  grand  poids 
que  leur  croyance  publique  et  avérée.  On  commença 
par  établir  que  les  émancipistes  étaient  un  corps  op- 
primé ,  foulé  par  les  émigrans  ,  et  privé  par  des 
moyens  illégitimes  de  ce  qu'il  regardait  comme  ses 
droits.  Dans  le  fait,  ni  la  magistrature  ni  le  conseil  ne 
furent  fermés  aux  émancipistes  par  aucun  acte  légis- 
latif, le  gouvernement  local  ayant  le  pouvoir  de  nom- 
mer à  ces  fonctions  tout  individu ,  soit  émigrant  soit 
émancipiste,  qu'il  en  jugerait  digne.  Le  jury  était 
le  seul  corps  dont  ils  eussent  été  jusqu'alors  légale- 
ment exclus.  Us  furent  très-jaloux  de  lever  cet  obs- 
tacle; mais  le  commissaire  qui  prévit  que  ce  serait 
donner  naissance  à  une  fouie  de  troubles ,  que  d'ad- 
mettre les  émancipistes  ou  les  émigrans  à  siéger  con- 
jointement ou  séparément  dans  lesjuris,  conseilla  d'en 
exclure  ces  deux  partis,  et  de  ne  les  composer,  comme 
auparavant,  que  d'officiers  militaires  et  de  la  marine, 


DE  L'ASTROLABE.  383 

présumés  exempts  de  tous  préjugés  à  l'égard  des 
deux  classes.  Bientôt  un  autre  cri  se  fit  entendre  parmi 
les  émancipistes  pour  réclamer  une  Chambre  repré- 
sentative ;  mais  il  fut  repoussé  avec  force  par  les  émi- 
grans ,  qui  n'y  virent  rien  que  des  semences  de  dé- 
sordre et  de  confusion. 

»  Soutenir  qu'un  privilège  illimité  basé  sur  le  grand 
principe  anglais  ,  de  la  propriété  seule ,  puisse  confé- 
rer à  un  individu  le  droil  de  siéger  sur  le  banc  des  ju- 
rés, serait  une  chose  absurde  dans  une  population 
principalement  composée  de  gens  qui  ont  eux-mêmes 
forfait  à  la  loi. 

»  A  l'égard  des  affaires  civiles ,  celles ,  par  exem- 
ple ,  qui  ont  trait  à  la  propriété ,  la  loi  telle  qu'elle  est 
actuellement  est  la  mieux  appropriée  à  l'état  présent 
de  la  société.  Si  les  deux  parties  y  consentent,  un  jury 
est  convoqué;  mais  si  l'une  d'elles  s'y  refuse,  le  cas 
est  jugé  par  le  juge  et  les  deux  magistrats  assesseurs. 
Dans  les  cas  de  diffamation  et  les  causes  criminelles, 
lesjugemens  par  jury  ne  peuvent  manquer  d'être  aussi 
d'un  grand  avantage  en  faisant  dépendre  la  conduite 
pour  siéger  comme  membres  de  jury,  autant  du  carac- 
tère que  de  la  fortune ,  réduisant  le  nombre  de  ces 
membres  dans  chaque  jury,  dans  chaque  endroit,  sui- 
vant sa  population ,  et  permettant  aux  décisions  d'a- 
voir leur  effet  à  la  majorité  seulement,  et  non  à  l'una- 
nimité. Si  chaque  individu  de  la  colonie  était  appelé 
comme  membre  du  jury  criminel ,  en  raison  seulement 
de  sa  propriété,  il  n'y  aurait  plus  de  moyen  pour  con- 
trôler la  conduite  la  plus  inique,  et  les  suites  les  plus 


384  VOYAGE 

funestes  pourraient  en  résulter  avant  qu'on  pût  chan- 
ger Ja  loi. 

»  En  outre,  ce  même  privilège  accordé  comme  droit  à 
l'individu  qui  fut  convict ,  n'aurait  jamais  la  même  in- 
fluence utile  sur  sa  moralité  que  lorsqu'il  n'est  considéré 
que  comme  une  faveur  accordée  à  sa  bonne  conduite. 
L'homme  qui  pourrait  le  réclamer  comme  un  héritage, 
du  moment  qu'il  aurait  acquis  une  certaine  propriété, 
veillerait  évidemment  moins  à  sa  réputation  qu'il  ne 
le  ferait  en  voyant  que  sans  réputation  sa  fortune  ne 
lui  servirait  à  rien.  Exiger  pour  tous  les  cas  douze 
jurés ,  serait  très-pénible  pour  tous  les  districts  peu 
peuplés.  D'ailleurs,  pour  empêcher  un  seul  coquin 
sur  la  liste  des  jurés  d'arrêter  le  cours  de  la  justice , 
la  majorité  devrait  décider  l'affaire ,  et  le  chef  des 
jurés  certifierait  simplement  au  juge  le  nombre  des 
voix  pour  et  contre.  Du  reste  ,  si  la  propriété  était  la 
seule  condition  à  exiger  d'un  juré  dans  l'état  actuel 
des  choses  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  ,  il  vaudrait 
mieux  que  les  décisions  n'eussent  d'effet  qu'à  l'unani- 
mité, vu  qu'on  aurait  ainsi  la  chance  d'avoir  un  hon- 
nête homme  sur  le  nombre,  dans  le  cas  de  pouvoir 
jeûner  assez  long-temps  pour  forcer  les  autres  à  se 
rendre  d'épuisement  à  une  opinion  équitable.  Per- 
mettre de  nommer  les  jurés  sur  une  échelle  étendue 
serait  très-déplacé  dans  l'état  actuel  des  choses ,  car  il 
faudrait  en  ce  cas  détourner  un  si  grand  nombre  de 
particuliers  aisés  de  la  surveillance  de  leurs  propres 
intérêts,  et  en  même  temps  de  la  surveillance  des  cri- 
minels qui  travaillent  pour  leur  compte  ,  qu'il  en  ré- 


DE  L'ASTROLABE.  385 

sulterait  des  effets  très-pernicieux  pour  la  prospérité 
de  la  colonie.  En  outre,  les  récusations  seraient  aussi 
nécessairement  si  nombreuses  que  peu  d'individus  se- 
raient, assez  hardis  pour  ameuter  contre  eux  la  foule 
d'ennemis  que  soulèverait  une  pareille  entreprise, 
entreprise  qui  produirait  certainement  un  effet  très- 
actif,  semblable  à  celui  qui  était  dû  aux  sons  de  la 
Ivre  d'Orphée,  à  cela  près  que  les  bâtons  et  les  pierres 
au  lieu  de  danser  aux  pieds  danseraient  à  la  tète  du 
pileux  parvenu  (comme  les  patriotes  le  désigneraient 
avec  indignation)  qui  aurait  l'impudence  de  mettre 
leurs  droits  en  question. 

»  Si  les  magistrats  du  comté  avaient  l'ordre  de 
dresser  chaque  année  une  liste  de  tous  les  individus 
de  la  colonie  susceptibles,  par  leur  fortune,  de  figurer 
parmi  les  jurés ,  en  ajoutant  des  marques  distinctives 
en  faveur  de  ceux  qui  jouissent  d'une  bonne  réputa- 
tion, pour  assurer  leur  admission  sur  la  liste,  et 
qu'en  outre,  parmi  les  noms  même  rejetés,  le  gouver- 
neur eût  encore  le  droit  de  choisir  ceux  qu'il  en  juge- 
rait dignes,  pour  s'opposer  à  toute  espèce  de  vexation 
de  la  part  des  magistrats ,  certainement  on  arriverait 
à  un  système  de  jury  très- avantageux  pour  toute  la 
colonie,  et  capable  de  remplir  tout  le  but  qu'on  en  at- 
tend, jusqu'à  ce  que  l'état  de  la  société  permît  de 
n'admettre  que  la  propriété  pour  toute  condition.  Ou 
bien  encore,  en  admettant  tous  les  émigrans,  tous  les 
émancipistes  jouissant  d'un  pardon  libre  ou  condi- 
tionnel dans  la  colonie,  dûment  qualifiés  par  leur  for- 
lune,  à  siéger  comme  jurés,  ainsi  que  tous  les  éman- 


38  G  VOYAGE 

cipistes  libres  par  servitude,  quand  leur  bonne  con- 
duite les  a  rendus  dignes  d'être  réintégrés  par  le  gou- 
verneur dans  l'exercice  des  droits  de  citoyen,  peut-être 
pourrait-on  former  un  système  de  jury  également 
sûr  et  efficace  et  moins  sujet  à  objections  à  certains 
égards  que  l'autre.  Comme  on  a  commencé  dernière- 
ment à  n'accorder  des  pardons  dans  la  colonie  que 
pour  une  bonne  conduite  spéciale  ou  d'importans  ser- 
vices rendus  à  la  société ,  il  n'y  aurait  pas  d'objection 
raisonnable  à  élever  contre  les  émancipistes  de  cette 
classe  comme  jurés;  quant  à  ceux  qui  sont  devenus 
libres  par  servitude,  dont  la  fortune  et  le  caractère 
leur  ont  donné  des  titres  à  la  considération ,  il  se- 
rait également  injuste  de  les  exclure  puisque  ce  n'est 
qu'aux  autres  émancipistes  libres  par  servitude  consi- 
dérés en  masse  qu'on  peut  faire  des  objections,  et 
même  des  objections  d'une  nature  très-réelle.  Dans 
une  colonie ,  en  effet ,  destinée  autant  à  réformer  qu'à 
punir,  le  gouverneur  devrait  avoir  le  pouvoir  de  réin- 
tégrer dans  tous  leurs  droits  de  citoyen ,  ceux  même 
qui  y  ont  été  condamnés,  quand  leur  conduite  ulté- 
rieure les  en  a  rendus  vraiment  dignes. 

»  Quant  à  une  Chambre  de  représentans,  si  on  se 
rappelle  les  dissensions  amères  qui  ont  si  long-temps 
régné  entre  les  émigrans  et  les  émancipistes  ,  et  si  l'on 
fait  attention  que  ces  derniers  composeraient  au  moins 
les  quatre  cinquièmes  des  électeurs,  il  est  évident  que 
non-seulement  une  telle  mesure  ne  tendrait  qu'à  ra- 
nimer ces  discordes  que  le  gouverneur  actuel  a  presque 
assoupies,  mais  encore  qu'elle  livrerait  le  corps  entier 


DE  L'ASTROLABE.  387 

des  émigrans  à  la  merci  de  la  l'action  des  émancipistes. 
Cependant  ces  deux  objets ,  savoir  une  assemblée 
représentative  et  le  véritable  jugement  parjurés,  ont 
été  sérieusement  proposés  comme  les  meilleurs  moyens 
de  rétablir  l'harmonie.  Mais  comme  les  hommes  de 
loi  sont  des  singes,  des  Iopœans,  touchant  cette  pré- 
tendue harmonie,  nous  sommes  naturellement  dis- 
posés à  admirer  quelle  raison  a  pu  tout-à-coup  pro- 
duire cette  réforme  jusqu'alors  inconnue  dans  les 
principes  d'un  corps  dont  la  discorde  même  est  le 
véritable  aliment. 

»  Sans  doute  il  n'y  aura  pas  d'homme  doué  d'un 
jugement  ordinaire  qui  puisse  soutenir  honnêtement 
que,  dans  un  état  de  société  sain,  un  conseil  élu  par  le 
souverain  puisse  être  aussi  utile  et  aussi  agréable  pour 
la  communauté  entière,  qu'un  corps  de  représentans 
élu  par  le  peuple  ;  mais  aussi  personne  n'ose  avancer 
que  cet  état  sain  de  la  société  existe  aujourd'hui  dans 
la  Nouvelle-Galles  du  Sud.  Une  centaine  de  membres, 
au  jugement  des  partisans  d'une  assemblée  élective, 
est  le  moindre  nombre  dont  puisse  se  composer  la 
Chambre,  afin  de  résister  à  l'influence  que  le  gouver- 
neur serait  plus  capable  d'exercer  sur  une  moindre 
quantité,  et  ils  ne  se  donnent  pas  la  peine  de  réfléchir 
un  moment  aux  maux  qui  résulteraient  pour  la  colonie, 
dans  l'état  actuel  des  choses,  de  la  nécessité  où  se 
trouveraient  cent  des  plus  riches  et  des  plus  opulens 
de  s'absenter  chaque  année ,  durant  six  semaines  au 
moins,  de  la  surveillance  des  criminels  employés  pour 
leur  compte,  sans  parler  du  tort  que  leurs  propres 


388  VOYAGE 

intérêts  souffriraient  d'une  aussi  longue  absence  de 
leurs  propriétés.  Ainsi,  les  objections  à  ce  système 
peuvent  se  résumer  ainsi  qu'il  suit  : 

1°.  La  crainte  d'exciter  de  nouvelles  dissensions 
entre  deux  corps  depuis  long-temps  en  discorde  dans 
la  colonie,  de  donner  lieu  avec  les  assemblées  élec- 
tives à  des  rixes  et  à  des  attentats ,  et  enfin  de  placer 
les  non-convicts  à  la  merci  des  convicts  ;  inconvénient 
grave,  et  qui  en  fait  une  épreuve  d'une  nature  si  chan- 
ceuse qu'elle  doit  répugner  à  tout  individu  sans  pré- 
vention, et  doué  d'une  portion  de  sens  commun  suffi- 
sante pour  lui  permettre  de  juger  sainement  et  de 
peser  cette  affaire  avec  tout  le  calme ,  le  poids  et  la 
réflexion  que  réclame  son  importance. 

2°.  Le  défaut  d'individus,  excepté  dans  la  ville  de 
Sydney  ou  la  portion  voisine  du  Cumberland  ,  assez 
riches  pour  supporter  le  tort  que  leur  absence  ferait  à 
leurs  intérêts  ainsi  que  la  dépense  de  leur  voyage  et  de 
leur  résidence  à  Sydney  ;  d'où  il  s'ensuivrait  que  peu 
des  habitans  des  lieux  plus  éloignés  étant  assez  fous 
pour  devenir  volontairement  candidats  à  de  pareilles 
fonctions ,  la  représentation  presque  entière  de  la  co- 
lonie serait  ainsi  dévolue  aux  habitans  actuels  de 
Sydney  ou  des  environs,  à  moins  que  les  autres  ne  fus- 
sent suffisamment  indemnisés  de  leur  déplacement , 
ce  qui  coûterait  chaque  année  une  si  forte  somme  que 
le  public  trouverait  bientôt  qu'ils  sont  payés  trop  cher 
pour  avoir  le  droit  de  siffler. 

»  Un  conseil  formé  sur  une  échelle  plus  étendue 
que  celui  qui  existe  aujourd'hui,  est  le  mode  de  légis- 


DE  L'ASTROLABE.  589 

lation  le  mieux  approprié  à  l'harmonie  et  aux  intérêts 
rie  la  colonie  pour  plusieurs  années  encore  à  venir. 
Mais  ses  séances  devraient  être  publiques ,  ses  pro- 
cédés rapportés  ,  et  tous  les  actes  proposés,  imprimés 
et  distribués  au  moins  un  mois  avant  la  discussion,  si 
bien  qu'ils  pussent  être  digérés  par  le  public  entier, 
et  leurs  vices  rendus  palpables.  Tout  corps  constitué, 
quelque  populaire  qu'il  soit,  dégénérera  bientôt  en 
une  ruche  de  bourdons  fainéans,  si  ceux  qui  le  com- 
posent ne  sont  pas  convenablement  stimulés  par  l'ai- 
guillon  puissant  de  la  publicité.  La  conduite  des  mem- 
bres du  conseil  serait  ainsi  livrée  au  scrutin,  et  les 
motifs  de  chacun  deux  pour  appuyer  ou  repousser  la 
mesure  proposée  seraient  connus  du  public.  Mais  dans 
son  état  actuel  il  continue  d'être  regardé  plutôt  comme 
un  corps  disposé  a  poursuivre  des  intérêts  particuliers 
qu'à  prendre  soin  de  ceux  de  la  communauté.  En  ou- 
tre, la  publicité  stimulerait  les  membres  qui  en  sont 
capables,  à  déployer  leurs  talens  pour  le  bien  public, 
et  inspirerait  au  peuple  de  la  confiance  dans  leurs  déci- 
sions. Il  faut  espérer  que  quelque  disposition  sem- 
blable fournira  des  articles  dans  l'amendement  attendu 
pour  notre  code  colonial. 

»  Bien  que  la  non-participation  aux  vrais  droits  po- 
litiques soit  l'objet  ostensible  des  récriminations  de  nos 
émancipistes,  pourtant  la  non-participation  au  même 
bœuf,  au  même  pudding,  à  la  même  table,  est  le  véri- 
table motif  de  tout  leur  mécontentement  :  beaucoup 
de  bruit  pour  rien,  mue  h  ado  aboat  nothing. 

»  Mais  est-ce  le  corps  entier  des  émancipistes  qui 
tome  i.  a6 


390  VOYAGE 

pousse  de  si  hauts  cris  à  ce  sujet?  Oh!  non,  ce  sont 
seulement  les  émancipistes  purs ,  et  par  excellence , 
ou  bien  ceux  qui  n'ont  été  punis  ni  convaincus  d'au- 
cune offense  dans  la  colonie ,  et  dont  les  réunions  de 
société  sont  aussi  rigoureusement  fermées  aux  émanci- 
pistes impurs  que  les  autres  sont  exclus  des  tables  des 
exclusions  tes.  Lors  d'un  des  dîners  publics  donnés  par 
les  émancipistes  purs,  il  y  a  quelques  années,  un  tu- 
multe épouvantable  s'éleva  parce  qu'un  proscrit  avait 
réussi  à  s'y  introduire  par  inadvertance.  Assailli  d'un 
cri  universel  de  :  Chassez-le,  chassez-le!  il  s'établit 
au  bout  de  la  table ,  et  commença  sa  soupe,  après  s'ê- 
tre adroitement  retranché  dans  sa  posilion  en  roulant 
le  coin  de  la  nappe  autour  de  son  bras,  et  prêt  à  en- 
traîner avec  lui  tout  l'attirail  des  mets  en  cas  qu'on 
continuât  à  le  molester.  Au  repas  que  ce  corps  donna 
aussi  à  sir  Thomas  Brisbane,  une  espèce  de  comité  fut 
établie  pour  recevoir  tous  les  billets  de  demande,  et 
rejeter  tous  ceux  qui  avaient  été  punis  ou  condamnés 
par  une  cour  coloniale,  afin  que  Son  Excellence  ne  fût 
pas  exposée  à  la  chance  fâcheuse  de  frotter  ses  épaules 
immaculées  contre  un  homme  qui  eût  été  flétri  par 
une  double  condamnation.  Ainsi  tandis  que  les  éman- 
cipistes purs  n'admettent  à  dîner  avec  eux  aucun  de 
ceux  condamnés  dans  la  colonie,  les  émigranspursne 
veulent  admettre  aucun  de  ceux  condamnés  au  dehors 
ou  au  dedans.  Bien  que  la  conduite  des  premiers  soit 
tant  soit  peu  inconséquente,  elle  démontre  au  moins 
d'une  manière  satisfaisante  qu'une  portion  con- 
sidérable de   cette    classe    de    notre    communauté 


DE  L'ASTROLABE.  391 

n'est  nullement  avilie  dans  ses  principes;  puisque 
nous  les  voyons,  par  l'effet  d'un  juste  orgueil  dû  au 
sentiment  de  leur  probité  depuis  l'expiation  de  leurs 
torts,  rejeter  de  leur  société  tout  individu  dégradé 
par  une  punition  coloniale  ou  un  châtiment  corporel. 
Si  les  effets  flétrissans  de  la  fustigation  sont  aussi  vi- 
vement ressentis ,  même  par  une  population  de  con- 
damnés ,  ne  devrait-on  pas  prendre  tous  les  moyens 
possibles  d'en  supprimer  l'usage  ? 

»  La  coutume  suivie  en  Angleterre  ne  doit  point  faire 
règle  ici.  Si  ce  pays  continue  à  être  un  lieu  de  réforme 
aussi  bien  que  de  punition  pour  les  coupables,  pourquoi 
continuer  à  regarder  ces  criminels  comme  une  race 
proscrite,  même  après  que  leur  réforme  a  eu  lieu,  que 
leur  temps  a  été  terminé,  ou  leur  pardon  obtenu?  C'est 
un  système  aussi  injuste  qu'impolitique,  parce  qu'en 
élevant  un  homme  dans  la  société,  sous  le  rapport  mo- 
ral, et  lui  inspirant  un  amour-propre  raisonnable,  on  le 
prémunira  puissamment  contre  la  tentation  de  nou- 
veaux crimes;  car  où  est  celui  qui,  pénétré  d'un  juste 
sentiment  d'orgueil  personnel ,  et  capable  d'apprécier 
la  réputation  qu'il  s'est  acquise,  sera  porté  à  se  souiller 
d'une  action  vile?  Appeler  cette  colonie  un  lieu  de  ré- 
forme ,  n'est  qu'un  mot  vide  de  sens  aussi  long-temps 
que  les  réformés  continueront  d'être  considérés  comme 
une  race  de  réprouvés.  Je  ne  vois  aucune  raison  pour 
exclure  un  homme  qui  fut  jadis  convict,  de  tous  les 
emplois  occupés  aujourd'hui  par  les  seuls  individus 
qui  ne  le  furent  jamais,  si  le  temps  de  sa  punition  a  été 
accompli,  et  si  sa  conduite  a  été  méritante.  Les  heu- 

2  G' 


392  VOYAGE 

reux  effets  qui  résulteraient  de  leur  admission  à  l'é- 
galité ne  sont-ils  pas  évidens!  Ce  serait  un  puissant 
encouragement  pour  ceux  qui  ont  déjà  commencé  à 
marcher  sous  de  meilleurs  principes  :  tandis  que  ceux 
qui  sont  encore  corrompus  se  sentiraient  entraînés 
avec  plus  de  force  vers  un  changement  salutaire,  en 
voyant  ceux  qui  avaient  eu  autant  de  tort  qu'eux- 
mêmes,  réintégrés  parmi  les  honnêtes  gens,  et  de- 
venus aussi  utiles  qu'ils  avaient  été  pernicieux  à  la  so- 
ciété. 

»  Ce  système  d'exclusion  est  en  effet  étendu  à  un 
degré  tel  que  peu  de  personnes  en  Angleterre  pour- 
raient l'imaginer;  le  braconnier,  le  simple  coupable 
d'opinions  politiques  ,  et  le  voleur,  sont  tous  regardés 
comme  également  flétris.  11  n'y  a  point  de  différence 
établie  entre  les  crimes  les  plus  odieux  et  les  délits  les 
plus  excusables.  L'homme  qui  ne  dérobe  que  pour 
satisfaire  aux  tourmens  de  la  faim ,  ou  n'y  fut  entraîné 
que  par  une  tentation  soudaine ,  le  coquin  invétéré , 
fier  de  ses  cent  forfaits ,  et  le  malheureux  timide  et 
honteux  d'un  seul  écart,  sont  vus  du  même  œil,  trai- 
tés de  la  même  manière. 

»  Peu,  très-peu  même,  parmi  les  émancipistes 
purs,  ont  des  titres  pour  le  banc  des  jurés  :  c'est  pour- 
quoi l'élévation  de  deux  ou  trois  d'entre  eux  serait  de 
peu  d'importance  pour  le  cours  ordinaire  de  la  justice, 
en  supposant  qu'ils  pussent  par  hasard  déshonorer 
leurs  fonctions  ;  tandis  que  l'admission  de  ce  nombre 
sur  la  liste  ordinaire  des  douze  jurés  aurait  l'avantage 
de  prouver  que  l'obstacle  opposé  à  leur  réhabilitation 


DE  L'ASTROLABE.  393 

morale  a  été  détruit.  Il  est  vrai  que  dernièrement 
quelques  émigrans  libres  ont  assisté  à  des  dîners  don- 
nés par  de  riches  émancipistes,  mais  ils  n'y  furent  guère 
conduits  que  par  des  motifs  particuliers  d'intérêt,  de 
commerce  ou  de  semblable  nature  ;  toutefois  ce  sont 
des  préludes  dont  on  peut  attendre  avec  le  temps  de 
plus  grands  résultats. 

»  Dans  l'exacte  vérité,  notre  classe  émancipisle 
forme  la  portion  la  plus  utile  et  la  plus  active  de  notre 
communauté.  Toutes  les  distilleries,  toutes  les  bras- 
series, et  le  plus  grand  nombre  des  moulins  et  des 
diverses  fabriques  leur  sont  dus;  tandis  qu'ils  non! 
jamais  pris  part,  du  moins  que  je  sache,  aux  nom- 
breuses contrebandes  qui  ont  terni  la  réputation  de 
tant  d'autres,  si  fiers  d'être  venus  hommes  libres  dans 
la  colonie.  Plusieurs  de  nos  plus  respectables  négocians 
m'ont  dit  que  dans  les  nombreuses  affaires  d'intérêt 
où  ils  se  sont  trouvés  en  rapport  avec  les  émancipistes, 
leur  conduite  a  toujours  été  très  -  honorable ,  quoi 
que  certaines  personnes  fassent  pour  infirmer  ce  mé- 
rite de  leur  part ,  en  disant  que  leurs  principes  n'ont 
point  changé ,  que  la  crainte  de  la  loi  et  l'intérêt  per- 
sonnel seuls  les  forcent  à  se  montrer  honnêtes.  Je  sou- 
tiens que  cette  opinion  est  tout  à  la  fois  injuste  et  peu 
généreuse-,  car,  hormis  ces  deux  motifs,  qui  peut  re- 
tenir les  dix-neuf  vingtièmes  du  genre  humain  dans  le 
chemin  de  l'honnêteté?  Les  principes  les  plus  hon- 
nêtes ne  disparaissent-ils  pas  souvent  du  cœur  de  deux 
amis  intimes  quand  l'inlérèt  vient  se  jeter  au  travers 
d'eux  comme  une  pomme  de  discorde.  Aussi  long- 


394  VOYAGE 

temps  que  les  hommes  réussiront  mieux  avec  de  mau- 
vais sentimens  masqués  sous  des  dehors  honnêtes, 
que  par  une  probité  avérée  (sans  compromettre  leur 
cou,  ni  leurs  intérêts  particuliers),  ils  auront  peu  de 
scrupule  à  cet  égard.  En  effet  l'honnêteté  est  autant 
une  habitude  acquise  qu'un  principe  bien  fixe;  quand 
ces  convie ts  l'auront  prise,  telle  que  toutes  les  habi- 
tudes bonnes  ou  mauvaises,  elle  ne  sera  pas  si  vite 
abandonnée.  Quand  nous  voyons  un  peuple  briller  à 
une  époque ,  comme  le  modèle  de  tous  les  sentimens 
nobles  et  vertueux ,  et  dans  un  autre  temps  avili  par 
tous  les  genres  de  vices  et  de  faiblesses,  nous  ne 
voyons  en  cela  qu'un  changement  d'habitude,  et  non 
pas  de  principes  naturellement  inhérens  à  leur  es- 
sence ;  car  tout  ce  qui  est  naturel  à  la  constitution  hu- 
maine, comme  les  passions  dont  nous  sommes  généra- 
lement imbus,  ou  la  couleur  de  notre  peau  ,  restent 
les  mêmes  de  génération  en  génération.  »  [Cunnin- 
gham,  tom.  II>pag.  108  etsuiv.) 


DE  L'ASTROLABE.  395 


CHAPITRE  XI 


IIKS    NATURELS    DE    LA    NOUVELLE-GALLES    DU    SUD. 


Après  avoir  lu  l'histoire  de  la  colonie  anglaise  établie 
dans  cette  partie  de  la  Nouvelle-Hollande  ,  et  vu  quels 
progrès  rapides  elle  a  faits  dans  le  court  espace  de 
quarante  ans ,  on  ne  peut  manquer  de  lire  avec  inté- 
rêt tout  ce  qui  a  trait  aux  malheureux  indigènes  qui 
occupaient  seuls  ces  vastes  contrées  avant  l'arrivée 
des  Anglais.  J'ai  donc  réuni  tout  ce  qui  a  été  écrit  à  ce 
sujet,  en  y  joignant  quelques  documens  plus  récens, 
pour  former  le  sujet  de  ce  chapitre.  Rien  de  com- 
plet ,  à  ma  connaissance ,  n'avait  encore  été  publié  en 
France  sur  cette  matière ,  je  ne  pense  pas  même  qu'au- 
cun voyageur  Tait  traitée  avec  quelques  détails.  Des 
notions  exactes,  sur  une  race  aussi  sauvage,  aussi  dé- 
gradée, m'ont  paru  d'autant  plus  intéressantes  à  con- 
signer dans  l'histoire ,  qu'il  s'écoulera  sans  doute  un 
temps  peu  considérable  avant  que  ces  tribus,  surtout 
celles  qui  avoisinent  les  établissemens  anglais,  (missent 


396  VOYAGE 

par  s'éteindre  entièrement,  après  s'être  par  degrés  af- 
faiblies, grâce  aux  maladies,  aux  excès  et  aux  maux 
de  tout  genre  qu'ils  doivent  à  la  présence  des  Anglais 
parmi  eux.  Triste  et  commune  destinée  des  malheu- 
reuses peuplades  auxquelles  l'Européen  n'a  pu  ap- 
porter que  ses  vices,  sans  leur  communiquer  une 
seule  de  ses  vertus  !  Les  précieuses  relations  de  Col- 
lins  et  de  Barrington  formeront  la  base  du  tableau 
que  je  vais  tracer ,  et  auquel  j'ajouterai  quelques 
articles  extraits  des  journaux  de  la  colonie  et  un  petit 
nombre  d'observations  qui  nous  sont  propres. 

Collins  commence  par  rendre  compte  de  la  manière 
dont  il  arriva  peu  à  peu  à  la  connaissance  des  mœurs 
et  des  coutumes  des  naturels.  «  Après  divers  événe- 
mens  fâcheux ,  dit-il ,  et  un  long  espace  de  temps ,  les 
rapports  d'amitié  qu'on  avait  si  vivement  désirés  avec 
les  naturels ,  furent  à  peu  près  établis  :  comme  on  les 
laissa  parfaitement  libres  ,  ces  insulaires  ne  tardèrent 
pas  à  venir  vivre  en  assez  grand  nombre  parmi  les  ha- 
bitans  de  Sydney,  sans  gène  et  sans  crainte,  à  com- 
prendre leur  langage,  à  s'habituer  à  leurs  manières ,  à 
jouir  des  avantages  de  leurs  vêtemens  et  de  la  variété 
de  leurs  alimens.  On  vit  de  ces  insulaires  mourir 
dans  les  maisons  des  Européens,  et  les  morts  furent 
remplacés  par  d'autres  qui  n'avaient  rien  observé 
dans  le  sort  de  leurs  prédécesseurs  qui  pût  les  dé- 
tourner de  rester  comme  eux  en  toute  sécurité  chez 
leurs  hôtes.  En  général ,  on  les  laissa  parfaitement 
maîtres  de  leurs  actions,  et  rarement  on  porta  obs- 
tacle à  leurs  désirs.  Car  on  sentit  bien  qu'en  leur 


DE  L'ASTROLABE.  397 

permettant  de  vivre  comme  ils  l'avaient  toujours  fait , 
on  parviendrait  bien  plus  vite  à  la  connaissance  de 
leurs  coutumes  et  de  leurs  mœurs ,  qu'en  attendant 
d'avoir  appris  leur  langage.  Aussi  toutes  les  fois  qu'ils 
s'assemblaient  pour  danser  ou  pour  combattre  devant 
les  maisons,  on  ne  les  dispersait  point;  au  contraire, 
ces  rassemblemens  avaient  aussitôt  pour  spectateurs 
les  personnes  les  plus  distinguées  de  rétablissement. 
Cette  attention,  qui  leur  paraissait  agréable,  ne  leur 
était  pas  moins  utile;  car  si  quelqu'un  d'entre  eux 
était  blessé  dans  le  combat,  ils  avaient  coutume  de 
s'adresser  aux  chirurgiens  anglais  en  qui  ils  avaient 
une  pleine  confiance  ,  et  ils  montraient  un  grand  cou- 
rage et  beaucoup  de  fermeté  à  supporter  les  opérations 
de  la  sonde  et  du  bistouri. 

»  Peu  à  peu  les  deux  peuples  commencèrent  à  se 
comprendre  mutuellement  ;  de  leurs  deux  langues  se 
forma  un  dialecte  corrompu  et  mélangé  d'anglais  et 
d'australien ,  qui  seul  par  la  suite  servit  à  leur  usage 
habituel.  C  est  au  moyen  de  ce  langage  et  d'observa- 
tions assidues  que  furent  recueillies  la  plupart  des  dé- 
tails suivans  sur  les  naturels  de  la  Nouvelle-Galles 
du  Sud.  » 

GOUVERNEMENT. 

Les  naturels  qui  habitaient  près  de  Botany-Bay, 
de  Port-Jackson  et  Broken-Bay,  étaient  distingués 
par  familles,  qui  ne  reconnaissaient  d'autre  autorité 
que  celle  du  plus  ancien.  C'est,  ce  que  l'on  eut  oc- 


398  VOYAGE 

casion  de  vérifier  peu  après  la  fondation  de  la  colo- 
nie :  car  lorsqu'on  rencontrait  une  famille  inconnue, 
le  plus  âgé  s'avançait  pour  parler  aux  Européens ,  et 
ces  vieillards  portaient  le  nom  de  biannai  ou  père, 
qu'ils  donnaient  aussi  au  gouverneur  Phillip  et  à  tous 
ceux  des  Anglais  qu'ils  voyaient  pourvus  de  quelque 
autorité. 

On  découvrit  aussi  une  autre  signification  dans  ce 
nom  de  biannai;  car  on  observa  fréquemment  que 
des  en  fans  le  donnaient  à  des  hommes  qui  n'avaient 
jamais  été  pères.  Les  renseignemens  que  l'on  se 
procura  pour  expliquer  ce  fait  apprirent  que,  dans 
le  cas  où  le  père  vient  à  mourir,  son  plus  proche 
parent  ou  son  ami  se  charge  des  orphelins  qui  lui 
donnent  alors  le  titre  de  biannai. 

Chacune  de  ces  familles  est  désignée  par  le  nom 
propre  du  lieu  de  sa  résidence,  en  y  ajoutant  la  syl- 
labe gai.  Ainsi  la  côte  au  sud  de  Botany-Bay  se  nomme 
Gouïa,  et  le  peuple  qui  l'habite  prend  le  nom  de 
Gouïa-Gal.  Ceux  qui  vivent  sur  la  côte  nord  de  Port- 
Jackson  sont  désignés  par  le  nom  de  Kemmir aï-Gai, 
parce  que  cette  partie  de  la  baie  s'appelle  Kemmiraï. 
Avant  que  cette  dernière  tribu  fût  mieux  connue 
des  colons,  on  entendit  souvent  Benilong  et  d'autres 
naturels  en  parler  comme  d'un  peuple  très-puissant , 
qui  les  contraignait  d'obéir  à  toutes  ses  volontés. 
Par  la  suite  on  vit  que  cette  tribu  était  la  plus  nom- 
breuse de  toutes ,  que  ses  membres  étaient  les  plus 
vigoureux  des  insulaires,  et  qu'enfin  c'était  de  son 
sein  que  sortaient  la  plupart  des  singuliers  person- 


DE  L'ASTROLABE.  399 

nages  connus  sous  le  titre  de  kerredaï  et  kerre- 
digang. 

A  cette  tribu  appartenait  aussi  le  privilège  ex- 
clusif et  bizarre  d'exiger  une  dent  de  chacun  des 
hommes  des  autres  tribus  qui  habitent  la  côte,  ou 
de  toutes  celles  qui  se  trouvent  sous  leur  autorité. 
L'exercice  de  ce  droit  place  ce  peuple  sous  un  point 
de  vue  particulier,  et  l'on  ne  peut  douter  de  sa  su- 
périorité prononcée.  Plusieurs  contestations ,  ou  af- 
faires d'honneur,  ont  été  différées  jusqu'à  l'arrivée  de 
quelques-uns  de  ces  personnages;  quand  ils  parais- 
saient, il  était  impossible  de  ne  pas  remarquer  l'in- 
fluence et  l'autorité  que  leur  donnaient  leur  nombre 
et  leur  force  physique. 

Sans  doute  ils  ont  pu  maintenir  cette  supériorité 
depuis  un  grand  nombre  d'années,  et  ce  tribut  d'une 
dent  qu'ils  exigent  de  tous  les  jeunes  gens  des  autres 
familles  est  probablement  le  sceau  authentique  de 
leur  puissance. 

RELIGION. 

Quelques  théologiens  célèbres  ont  affirmé  qu'il 
n'existait  pas  au  monde  un  pays  qui  n'offrit  quelque 
trace  de  religion;  mais  tout  ce  qu'on  peut  observer 
de  ces  insulaires  semble  démontrer  qu'ils  forment 
exception  à  cette  règle.  Ils  n'adorent  ni  le  soleil,  ni 
la  lune ,  ni  les  étoiles  ;  bien  que  le  feu  soit  un  objet 
nécessaire  pour  eux ,  ils  ne  lui  rendent  pas  de  culte; 
ils  n'ont  également  de   respect    pour  aucun  animal 


400  VOYAGE 

particulier,  oiseau  ou  poisson.  Jamais  on  n'a  observé 
qu'aucun  objet  matériel  ou  imaginaire  pût  les  dé- 
terminer à  faire  une  bonne  action,  ou  les  détour- 
ner de  ce  qu'ils  jugent  criminel.  A  la  vérité ,  on 
retrouve  parmi  eux  quelque  idée  d'une  existence 
future,  mais  elle  est  indépendante  de  toute  notion 
religieuse;  car  elle  n'a  nulle  influence  sur  leur  vie 
actuelle  ni  sur  leurs  actions.  On  les  a  souvent  ques- 
tionnés sur  ce  qu'ils  devenaient  après  leur  mort  ; 
quelques-uns  répondaient  qu'ils  se  plongeaient  dans 
la  Grande-Eau  (la  mer)  ou  qu'ils  s'en  allaient  au-delà  ; 
mais ,  sans  contredit ,  la  grande  majorité  indiquait 
qu'ils  s'envolaient  dans  les  nuages.  M.  Collins,  con- 
versant avec  Benilong  à  son  retour  de  l'Angle- 
terre, où  il  avait  acquis  une  grande  connaissance 
des  coutumes  et  des  mœurs  européennes,  désirant 
savoir  d'où  il  supposait  que  ses  concitoyens  pro- 
venaient ,  lui  fit  d'abord  observer  que  tous  les  blancs 
de  Port-Jackson  étaient  venus  d'Angleterre,  et  lui 
demanda  ensuite  d'où  étaient  venus  les  noirs  (  ou 
lord).  L'insulaire  hésita.  Sur  la  question  de  savoir 
si  ces  noirs  venaient  de  quelque  île,  il  répondit  qu'ils 
ne  venaient  d'aucune  île,  mais  des  nuages  [bourou- 
ivi),  et  que,  quand  ils  mouraient,  ils  y  retournaient. 
Benilong  paraissait  vouloir  faire  entendre  que  les 
morts  montaient  à  leur  nouveau  séjour  sous  la  forme 
de  petits  enfans ,  en  voltigeant  d'abord  sur  la  cime 
et  sur  les  branches  des  arbres,  et,  suivant  lui,  en 
cet  état ,  ils  vivaient  de  petits  poissons ,  leur  nour- 
riture favorite. 


DE  L'ASTROLABE.  401 

Les  jeunes  naturels  qui  résidaient  à  Sydney  ai- 
maient beaucoup  à  se  rendre  à  l'église  le  dimanche , 
mais  sans  s'inquiéter  de  ce  qu'ils  allaient  y  faire. 
On  les  voyait  souvent  prendre  un  livre  et  imiter  très- 
adroitement  le  ministre  dans  ses  gestes  (car  on  ne 
saurait  trouver  de  meilleurs  mimes),  riant  et  jouis- 
sant quand  on  applaudissait  à  leurs  grimaces. 

On  a  parlé,  dans  une  brochure  ou  dans  une  gazette, 
d'un  naturel  qui  s'était  élancé  au-devant  d'un  homme 
qui  allait  tirer  sur  une  corneille,  et  celui  qui  rap- 
portait le  fait,  en  tirait  la  conséquence  que  cet  oiseau 
était  un  objet  de  vénération  pour  les  sauvages.  Mais 
on  peut  assurer  hardiment  que,  bien  loin  d attacher 
aucune  répugnance  à  voir  tuer  des  corneilles ,  ils  sont 
très-friands  de  leur  chair,  et  emploient  le  stratagème 
suivant  pour  les  attraper.  Un  naturel  se  couche  sur 
un  rocher ,  comme  s'il  était  endormi  au  soleil ,  et 
tient  un  morceau  de  poisson  à  la  main.  L'oiseau, 
épervier  ou  corneille ,  voyant  la  proie  et  l'homme 
sans  mouvement,  fond  sur  le  poisson;  au  moment 
de  le  saisir ,  il  est  lui-même  capturé  par  le  sauvage , 
qui  le  jette  vite  sur  des  charbons  et  s'en  fait  un  mets 
qu'il  savoure  avec  délices. 

Du  reste,  disent  Collins  et  Barrington,  on  ne  peut 
douter  qu'ils  ne  sentent  la  différence  entre  le  bien  et 
le  mal ,  entre  le  bon  et  le  mauvais ,  et  ont  des  termes 
pour  l'exprimer.  Ainsi,  qu'on  leur  fasse  tort,  ou  qu'on 
leur  montre  une  raie  puante  dont  ils  ne  mangent 
jamais,  ils  s'écrient  ivbï,  mauvais;  qu'au  contraire 
on  leur  rende  un  service,  ou  qu'ils  voient  un  kangarou, 


402  VOYAGE 

ils  disent  boud-jiri ,  bon.  Du  reste ,  les  qualités 
morales  sont  exprimées  par  les  mêmes  termes  que 
les  qualités  physiques,  et  paraissent  se  confondre  dans 
leurs  idées.  Ainsi  leurs  ennemis  sont  wiri,  et  leurs 
amis  boud-jiri.  Si  on  leur  parlait  de  manger  un 
homme ,  ils  témoignaient  une  grande  horreur  à  cette 
idée  et  disaient  que  c'était  wîri;  en  voyant  punir  ceux 
qui  les  avaient  maltraités,  ils  exprimaient  leur  ap- 
probation en  disant  que  c'était  boud-jiri.  Les  assas- 
sinats nocturnes ,  quoique  fréquens  chez  eux  par  suite 
de  leurs  désirs  de  vengeance,  sont  blâmés,  tandis 
qu'ils  applaudissent  à  des  actions  de  bonté  et  de  gé- 
nérosité dont  ils  sont  capables.  Un  homme  qui  ne 
recevrait  pas  avec  courage  une  lance,  mais  s'enfuirait, 
serait  traité  de  lâche  ou  dji-roun  et  de  wiri.  Mais 
les  notions  de  ces  insulaires  touchant  le  bien  et  le  mal 
bien  certainement  ne  s'étendent  jamais  au-delà  de 
leur  existence  en  ce  monde,  et  ils  ne  s'imaginent  pas 
que  la  pratique  de  l'un  ni  de  l'autre  puisse  avoir  au- 
cun rapport  avec  leur  état  futur.  C'est  ce  que  prouve 
évidemment  leur  opinion  touchant  la  manière  dont 
ils  doivent  quitter  ce  monde  et  entrer  dans  l'autre, 
sous  la  forme  de  petits  enfans,  qui  sera  encore  celle 
sous  laquelle  ils  reparaîtront  un  jour  dans  celui-ci. 

STATURE    ET    EXTERIEUR. 

Les  hommes,  comme  les  femmes,  sont  générale- 
ment d'une  petite  taille,  et,  dans  chaque  sexe, 
très-peu  sont  bien  conformés.  Leurs  membres  sont 


DE  L'ASTROLABE.  191 

longs  et  grêles ,  ce  qui  se  remarque  d'une  manière 
encore  plus  frappante  chez  ceux  qui  habitent  les 
bois,  qui  ont  moins  de  ressources,  et  se  trouvent 
souvent  obligés  de  grimper  sur  les  arbres  pour  y 
recueillir  du  miel  ou  attraper  des  animaux.  Armés 
dune  petite  hache  en  pierre ,  ils  font  sur  les  troncs 
d'arbres  des  entailles  suffisantes  pour  recevoir  le  gros 
doigt  du  pied,  et  c'est  en  se  tenant  de  la  main 
gauche ,  et  continuant  leurs  entailles  avec  la  droite , 
qu'ils  parviennent  aussi  haut  qu'ils  veulent,  souvent 
jusqu'à  quatre-vingts  ou  cent  pieds. 

Les  traits  des  hommes  sont  durs  et  repoussans; 
l'os  ou  roseau  qu'ils  portent  à  la  cloison  du  nez, 
leurs  cheveux  ébouriffés  et  leurs  longues  barbes  leur 
donnent  un  air  effrayant.  Les  femmes  conservent 
quelque  chose  de  la  délicatesse  dont  leur  sexe  peut 
justement  s'enorgueillir  parmi  les  nations  civilisées; 
on  a  même  saisi  quelquefois  le  rouge  de  la  pudeur 
sur  leurs  joues  noircies ,  et  on  les  a  vues  s'efforcer 
de  cacher  par  leur  attitude  ce  que  leur  nudité  eût 
laissé  à  découvert. 

Ils  ont  le  nez  aplati ,  de  larges  narines ,  les 
yeux  enfoncés  dans  la  tète  et  surchargés  d'épais 
sourcils.  En  outre,  ils  portent  autour  de  la  tète  un 
petit  filet  de  poil  d'opossum  de  la  largeur  du  front, 
qu'ils  rabattent  jusque  sur  les  sourcils,  quand  ils 
veulent  y  voir  plus  clairement.  Ils  ont  des  lèvres 
très-épaisses,  avec  une  bouche  d'une  grandeur  dé- 
mesurée, mais  qui  ne  s'ouvre  que  pour  laisser  pa- 
raître des  dents  blanches ,  unies  et  très-saines.  Plu- 


404  VOYAGE 

sieurs  ont  les  mâchoires  très-proéminenles ,  et  l'un 
d'eux,  nommé  le  vieux  ïFiran° ',  eût  fort  bien  pu 
passer  pour  un  orang-outang. 

La  couleur  de  ces  naturels  n'est  pas  toujours  cons- 
tante. On  en  a  vu  qui,  nettoyés  de  la  fumée  et  de 
la  crasse  qu'on  trouve  toujours  sur  leur  corps,  ont 
paru  aussi  noirs  que  les  nègres  d'Afrique ,  tandis 
que  d'autres  n'ont  offert  qu'un  teint  cuivré  comme 
celui  des  Malais.  Leur  tête  ne  porte  point  de  la  laine, 
même  chez  les  individus  noirs ,  mais  de  véritables 
cheveux  ;  c'est  ce  qui  fut  particulièrement  observé 
sur  Benilong  après  son  retour  d'Angleterre,  où  l'on 
avait  porté  quelque  attention  à  sa  toilette.  Il  se  trouva 
avoir  de  longs  cheveux  noirs.  Le  noir  est  en  effet 
la  couleur  ordinaire  des  cheveux  de  ses  compa- 
triotes. Cependant  quelques  -  uns  les  avaient  rou- 
geâtres. 

Leur  vue  est  singulièrement  bonne  :  il  est  vrai 
que  leur  existence  dépend  très-souvent  de  cet  avan- 
tage ;  car  un  homme  qui  aurait  une  vue  courte  (mal- 
heur inconnu  chez  eux)  ne  saurait  jamais  se  mettre 
en  garde  contre  les  lances  qu'ils  savent  envoyer  avec 
une  force  et  une  rapidité  étonnantes. 

Les  deux  sexes  se  frottent  la  peau  d'huile  de  pois- 
son qui  leur  communique  une  puanteur  insupporta- 
ble, mais  qui  les  garantit  de  l'atteinte  des  moustiques, 
dont  quelques-unes,  fort  grosses,  mordent  ou  pi- 
quent cruellement.  Quelques  naturels  pratiquent  cette 
opération  si  malproprement ,  qu'on  voit  les  entrailles 
du  poisson  rôtir  sur  leur  tète  à  l'ardeur  du  soleil, 


DE  L'ASTROLABE.  405 

jusqu'à  ce  que  l'huile  en  découle  sur  leur  visage  et 
sur  leur  corps.  On  apprend  aux  enfans  à  se  frotter 
d'huile  dès  l'âge  de  deux  ans. 

Ces  sauvages  ont  divers  ornemens.  Les  uns ,  au 
moyen  d'une  comme,  se  garnissent  les  cheveux  d'os 
de  poissons  ou  d'oiseaux,  de  plumes,  de  morceaux 
de  bois,  de  queues  de  chien  et  de  dents  de  kangarou. 
D'autres ,  au  sud  de  Botany-Bay  ,  se  tressent  les 
cheveux  avec  de  la  gomme,  ce  qui  les  lait  ressembler 
à  des  bouts  de  corde.  Souvent  ils  se  barbouillent  de 
terre  rouge  ou  blanche,  employant  la  première  quand 
ils  veulent  aller  au  combat,  et  l'autre  pour  se  pré- 
parer à  danser. 

La  forme  de  ces  ornemens  dépend  tout-à-fait  du 
goût  de  la  personne;  et  plusieurs  poussent  cet  art 
si  loin,  qu'ils  se  rendent  vraiment  affreux.  En  effet, 
peut -on  s'imaginer  rien  de  plus  horrible  qu'une 
figure  huileuse  et  noircie ,  avec  un  large  cercle  blanc 
autour  de  chaque  œil ,  des  lignes  de  la  même  couleur 
ondulées  sur  les  bras,  les  cuisses  et  les  jambes?  Quel- 
quefois barbouillés  de  noir ,  avec  les  côtes  marquées 
par  des  lignes  blanches ,  ils  ont  tout-à-fait  l'apparence 
de  spectres. 

Les  cicatrices ,  chez  les  individus  des  deux  sexes , 
sont  considérées  comme  des  ornemens  très-distingués, 
si  bien  qu'ils  se  font  des  plaies  avec  des  coquilles ,  les 
tiennent  ouvertes  pour  laisser  la  chair  se  boursouffler 
sur  les  bords  ;  quand  la  peau  vient  ensuite  à  les  re- 
couvrir, elles  forment  sur  leurs  corps  des  marques 
honorables,  figurant  des  échelons  ou  des  coutures. 


406  VOYAGE 

Cette  opération  ,  qui  s'exécute  ordinairement  dans  la 
jeunesse ,  laisse  des  traces  durables  et  qui  ne  s'ef- 
facent qu'au  déclin  de  l'âge. 

Les  femmes  sont  particulièrement  assujetties  à  une 
opération  bizarre  :  c'est  la  perte  des  deux  phalanges 
du  petit  doigt  de  la  main  gauche.  Elle  a  lieu  quand 
elles  sont  encore  très -jeunes,  et  sous  le  prétexte 
que  ces  phalanges  les  gêneraient  pour  rouler  leur 
ligne  de  pèche  autour  de  leur  main.  On  lie  étroi- 
tement avec  un  cheveu  la  seconde  articulation ,  ce  qui 
arrête  la  circulation  du  sang,  et  le  bout  du  doigt 
tombe  ensuite  en  putréfaction.  Très  -  peu  de  filles 
échappent  à  cette  mutilation,  et  celles  qui  ne  l'ont 
pas  subie  sont  traitées  avec  mépris. 

De  leur  côté,  les  hommes,  surtout  ceux  qui  ha- 
bitent la  côte,  doivent  aussi  perdre  la  dent  de  de- 
vant, et  nous  décrirons  plus  loin  cette  opération. 

Du  reste ,  on  remarque  chez  eux  très-peu  de  dif- 
formités naturelles  ;  on  n'a  vu  sur  le  sable  qu'une 
ou  deux  traces  de  pieds  contrefaits.  Il  n'y  a  ni  bossus 
ni  tortus;  cependant  on  ne  voit  nulle  part  ailleurs 
des  femmes  aussi  négligentes  pour  leurs  enfans , 
auxquels  il  arrive  souvent  de  rouler  dans  le  feu 
et  de  s'y  brûler  horriblement,  quand  leurs  mères 
dorment  près  d'eux.  Ces  peuples  sont  très-difficiles 
à  éveiller  quand  ils  sont  une  fois  endormis. 

HABITATIONS. 

Elles  sont  aussi  grossières  qu'il  soit  possible  de 


DE  L'ASTROLABE.  407 

l'imaginer.  La  hutte  de  l'habitant  des  bois  se  forme 
d'une  simple  écorce  d'arbre,  courbée  dans  le  milieu, 
placée  par  les  deux  bouts  contre  terre,  et  tout  au 
plus  capable  d'abriter  imparfaitement  le  malheureux 
qui  s'en  sert.  Jamais  ils  ne  les  transportent  avec 
eux. 

Sur  le  bord  de  la  mer,  ces  huttes  sont  plus  gran- 
des, formées  de  plusieurs  morceaux  d'écorces  réunis 
au  sommet,  de  manière  à  former  une  espèce  de  four 
avec  une  entrée,  et  assez  grand  pour  contenir  six  à 
huit,  personnes.  Leurs  foyers  sont  plutôt  placés  à 
l'entrée  qu'en  dedans  de  la  hutte,  et  son  intérieur 
est  en  général  le  trou  le  plus  sale  et  le  plus  enfumé. 
Outre  ces  cases  d'écorces ,  ils  se  creusent  aussi  des 
cavernes  dans  les  rochers.  Au  devant  de  ces  grottes, 
le  sol  se  faisait  remarquer  par  sa  fertilité  :  en  creu- 
sant la  terre ,  on  trouva  quantité  de  coquilles  et. 
autres  débris.  Cette  découverte  devint  d'un  grand 
avantage  pour  la  colonie;  des  coquilles  on  fit  de  la 
chaux ,  et  le  reste  servit  d'engrais  pour  les  jardins. 

Les  naturels  s'étendent  pèle  -  mêle  confondus  , 
hommes ,  femmes ,  enfans ,  dans  ces  huttes  et  ces 
grottes  où  ils  jouissent  des  mêmes  avantages  (pie  la 
brute  dans  sa  niche ,  savoir  de  l'abri  contre  le  mau- 
vais temps  et  des  douceurs  du  sommeil,  si  aucun 
ennemi  ne  vient  les  y  troubler. 

Ils  font  très-peu  de  cas  des  maisons  des  Européens, 
ils  n'attachèrent  aucun  prix  à  celles  que  le  gouver- 
neur Macquarie  avait  eu  l'attention  de  leur  faire  bâtir; 
aussi  tombèrent-elles  bientôt  en  ruines.  Un  jour  leur 


408  VOYAGE 

chef  Boungari,  interrogé  :  Quel  cas  il  faisait  des 
maisons?  se  contenta  de  répondre  en  haussant  les 
épaules  :  Mari  boud-jiri,  Massa,  'posse  he  vain. 
Très-bien,  Monsieur,  à  supposer  qu'il  pleuve.  (  Cun- 
ningham,  3e  édition,  tum.  II,  pag.  6.) 

Leur  sommeil  est  si  profond  que  la  jalousie  ou  le 
désir  de  la  vengeance  invile  souvent  leurs  ennemis 
à  en  profiter  pour  les  assassiner  ;  on  a  vu  plusieurs 
exemples  de  cette  perfidie.  Un  de  ces  exemples  eut 
cela  de  remarquable,  que  le  meurtrier,  sur  le  point 
de  percer  sa  victime ,  voulut  d'abord  retirer  l'enfant 
qui  dormait  entre  ses  bras ,  et  le  porta  ensuite  à 
Sydney  pour  en  prendre  soin.  Comme  les  naturels 
n'ignoraient  point  le  danger  qu'ils  couraient  durant 
leur  sommeil,  ils  faisaient  tout  leur  possible  pour  ob- 
tenir des  colons  de  jeunes  épagneuls  ou  des  bassels, 
qu'ils  considéraient  comme  de  précieux  gardiens  du- 
rant la  nuit. 

FAÇON   DE    VIVRE. 

Les  naturels  de  la  côte,  qui  sont  le  mieux  connus, 
n'ont  guère  d'autre  ressource  que  le  poisson;  leur 
principale  occupation  est  de  le  prendre,  mais  les 
moyens  varient  suivant  le  sexe  :  les  hommes  emploient 
le  harpon,  et  les  femmes  la  ligne  et  l'hameçon.  Le 
harpon  est  une  canne  de  quinze  à  vingt  pieds  de  long , 
terminée  par  quatre  pointes  barbelées  ;  les  barbes  sont 
des  morceaux  d'os  soudés  au  bois  avec  de  la  gomme. 
Dans  le  beau  temps ,  ils  se  tiennent  dans  leurs  piro- 


DE  L'ASTROLABE.  Î09 

gués,  le  visage  près  de  la  surface  de  l'eau,  el  prêts 
à  darder  leur  proie  qu'ils  manquent  rarement. 

Les  lignes  qu'emploient  les  femmes  sont  fabriquées 
par  elles-mêmes  avec  l'écorce  d'un  arbuste  du  pays; 
leurs  hameçons  sont  en  écaille  d'huître  perlicre , 
qu'elles  frottent  sur  une  pierre  jusqu'à  lui  donner 
la  forme  convenable.  Quoique  ces  hameçons  n'aient 
point  de  barbes ,  ils  leur  servent  avec  le  plus  grand 
succès. 

Les  femmes  chantent  en  péchant  à  la  ligne  dans 
leurs  pirogues,  qui  ne  sont  que  de  misérables  barques 
dont  les  bords  sont  à  peine  élevés  de  six  pouces  au- 
dessus  de  l'eau.  On  y  trouve  toujours  un  petit  feu  sur 
de  l'herbe  marine  ou  du  sable,  qui  leur  sert  à  faire  tout 
de  suite  cuire  leur  poisson  quand  ils  veulent  le  manger. 

A  l'exception  des  animaux  qui  peuvent  s'y  ren- 
contrer, les  bois  n'offrent  aux  sauvages  que  très-peu 
de  ressources;  quelques  baies,  une  sorte  d'igname,  la 
racine  de  fougère,  les  fleurs  de  différens  banksia,  et 
quelquefois  un  peu  de  miel  :  voilà  tout  ce  que  leur 
donne  le  règne  végétal. 

Les  naturels  qui  vivent  dans  les  bois  el  sur  le  bord 
des  rivières  sont  réduits  à  chercher  d'autres  alimens, 
et  forcés  à  des  exercices  plus  durs  pour  s'en  procurer. 
Nous  avons  donné  un  exemple  de  ces  exercices  en  ci- 
tant la  façon  dont  ils  grimpent  sur  les  arbres.  En  outre, 
ils  ont  des  méthodes  pénibles  pour  prendre  les  ani- 
maux au  piège. 

Les  sauvages  des  bois  font  une  pâte  avec  de  la 
racine  de  fougère  el  des  fourmis  écrasées  ensemble, 


410  VOYAGE 

et,  dans  la  saison ,  y  ajoutent  les  œufs  de  ces  insectes. 
Très-sales  dans  leur  nourriture ,  ils  dévorent  tout  ce 
qui  leur  tombe  entre  les  mains ,  même  les  vers ,  les 
chenilles  et  la  vermine. 

MARIAGE. 

On  a  dit  qu'il  y  avait  une  délicatesse  sensible  chez 
les  femmes.  N'est-il  pas  choquant  de  penser  que,  pour 
elles,  le  prélude  de  l'amour  soit  la  violence,  et  même 
une  violence  de  la  nature  la  plus  brutale?  Ces  mal- 
heureuses victimes  d'une  passion  honteuse  et  barbare 
sont,  à  ce  que  l'on  pense,  toujours  choisies  par  les 
hommes  dans  une  tribu  étrangère  et  même  ennemie  de 
la  leur.  Ainsi  le  secret  est  nécessaire,  et  la  pauvre  in- 
fortunée est  ravie  en  l'absence  de  ses  protecteurs.  Le 
barbare  alors  l'étourdit  à  coups  de  casse-tête  sur  la 
tête,  les  épaules,  la  gorge  et  toutes  les  parties  du 
corps ,  et  chacun  d'eux  fait  jaillir  un  ruisseau  de  sang  ; 
la  saisissant  ensuite  par  un  bras ,  il  l'entraîne  au  tra- 
vers des  bois,  des  pierres  et  des  troncs  d'arbres,  avec 
toute  la  violence  et  la  vitesse  dont  il  est  susceptible. 
L'amant,  ou  plutôt  le  ravisseur,  ne  fait  aucune  atten- 
tion aux  rochers  ,  ni  aux  morceaux  de  bois  qui  peu- 
vent se  trouver  sur  sa  route ,  et  ne  songe  qu'à  traîner 
sa  proie  au  milieu  des  siens.  Là  il  assouvit  sa  passion  ; 
et  la  fille  ainsi  violée  devient  la  femme  de  son  ravis- 
seur ,  et  est  admise  à  ce  titre  dans  sa  tribu. 

La  tribu  de  la  fille  à  son  tour  se  venge  de  cette  in- 
sulte par  le  système  ordinaire  des  représailles ,  quand 


DE  L'ASTROLABE.  ill 

elle  en  trouve  l'occasion.  Pour  la  femme,  elle  se  sou- 
met à  son  sort,  et  quitte  rarement  son  mari  et  sa  nou- 
velle tribu  pour  une  autre.  La  coutume  de  ces  rapts 
est  si  universelle  chez  eux  ,  que  les  enfans  même  s'en 
font  un  amusement  ,  une  sorte  d'exercice. 

Les  femmes  sont,  maintenues  par  les  hommes  dans 
le  plus  grand  assujettissement.  Si  une  tribu  en  voyage 
rencontre  des  Européens,  les  femmes  ont  l'ordre  de 
se  tenir  à  une  certaine  distance,  et  n'en  peuvent  bou- 
ger sans  permission.  La  plus  légère  offense  de  leur 
part,  envers  le  mari,  est  punie  d'un  coup  de  casse-tète 
qui  ne  manque  jamais  de  leur  faire  jaillir  le  sang  et  leur 
fracture  souvent  le  crâne.  Cependant  un  traitement 
si  barbare  semble  plutôt  fortifier  rattachement  de  la 
femme  que  le  diminuer,  et  ces  blessures  même  sont 
montrées  par  elles  comme  des  marques  d'honneur. 
Dans  un  très-petit  nombre  de  cas,  les  femmes  ren- 
dent ces  outrages;  après  leur  dispute,  les  époux  vi- 
vent en  aussi  bonne  intelligence  qu'auparavant. 

Les  hommes  ne  se  bornent  point  à  une  seule  femme, 
mais  les  femmes  se  vengent  en  rendant  la  pareille  au 
mari  et  souvent  en  le  tuant. 

Benilong,  avant  son  voyage  en  Angleterre,  avait 
deux  femmes  qui  vivaient  l'une  et  l'autre  avec  lui  et 
le  suivaient  partout.  L'une,  nommée  Barang-Arou, 
était,  attachée  à  lui  dès  le  temps  où  il  fut  amené  captif  «à 
l'établissement;  avant  même  qu'elle  mourût,  il  avait 
enlevé  à  la  tribu  de  Botany-Bay,  Gorou-Barrou-Boulla, 
de  la  manière  cruelle  que  nous  avons  décrite.  Celle-ci 
continua  de  rester  avec  lui  jusqu'à  son  départ  pour 


412  VOYAGE 

l'Angleterre.  On  a  compris  que  tous  les  naturels  des 
bords  de l'Hawkesbury  ont  deux  femmes,  et  généra- 
lement on  trouve  plus  d'exemples  de  la  pluralité  des 
femmes  que  de  la  monogamie  chez  ces  sauvages.  Ja- 
mais on  n'a  observé  qu'il  existât  dans  la  famille  des 
enfans  des  deux  femmes.  Comme  on  doit  naturelle- 
ment s'y  attendre ,  les  deux  femmes  sont  continuelle- 
ment jalouses,  et  se  querellent  l'une  l'autre.  Cepen- 
dant on  a  cru  remarquer  que  la  première,  eu  égard  à 
la  priorité  d'attachement,  réclamait  le  droit  exclusif 
aux  faveurs  conjugales;  tandis  que  la  seconde,  ou 
celle  du  dernier  choix ,  était  réduite  à  devenir  l'esclave 
et  le  souffre-douleur  de  la  famille. 

Certainement  la  pudeur  n'était  point  une  vertu  dont 
l'un  ni  l'autre  sexe  se  fit  honneur  chez  ces  sauvages. 
Pourtant  quand  les  femmes  se  furent  aperçues  que  les 
blancs  attachaient  une  idée  de  honte  à  se  montrer  à 
nu,  elles  devinrent,  au  moins  plusieurs  d'entre  elles  , 
extrêmement  délicates  et  réservées  à  cet  égard  devant 
les  étrangers  ;  bien  que  la  nudité  continuât  de  leur  être 
parfaitement  indifférente  vis-à-vis  des  hommes  de  leur 
nation. 

Cependant  ces  êtres  ne  sont  pas  toujours  étrangers 
aux  vrais  sentimens  de  l'amour  dans  toute  sa  pureté, 
comme  le  prouve  l'anecdote  suivante  rapportée  par 
Barrington,  qui  a  beaucoup  connu  le  jeune  homme 
dont  il  est  question.  Ce  naturel,  âgé  de  vingt-deux 
ans  environ  ,  appartenait  à  la  tribu  de  Parramatla,  et 
avait  deux  sœurs ,  l'une  de  vingt  ans ,  et  l'autre  seule- 
ment de  quatorze  ans.  Unjour  qu'il  revenait  de  chasser 


DE  L'ASTROLABE.  413 

le  kangarou,  il  ne  vit  pas  ses  sœurs  venir  au  devant 
de  lui  comme  de  coutume.  Imaginant  qu  elles  étaient 
allées  chercher  de  l'eau  ou  quelques  vivres,  sans  en- 
trer dans  sa  demeure,  il  se  décida  à  s'asseoir  au  pied 
d'un  arbre  pour  se  reposer  en  y  attendant  leur  retour. 
Le  soleil  disparut ,  et  la  nuit  ne  tarda  pas  à  étendre 
ses  voiles  ;  des  éclairs  très-vifs  annoncèrent  un  pro- 
chain orage  ;  en  peu  d'instans  la  pluie  tomba  par  tor- 
rens ,  et  força  le  jeune  homme  de  quitter  son  arbre 
pour  chercher  un  abri  dans  sa  grotte.  Mais  à  peine  y 
mettait-il  les  pieds  qu'un  éclair  montra  à  ses  yeux  ef- 
frayés le  corps  de  sa  plus  jeune  sœur  baigné  dans  son 
sang.  Déjà  troublé  par  le  combat  des  élémens ,  à  ce 
spectacle  sa  détresse  fut  au  comble  ;  à  genoux  près  de 
sa  sœur  il  cherchait  à  la  relever,  mais  elle  ne  pouvait 
l'entendre,  carelle  avait  perdu  tout  sentiment.  Il  courut 
chercher  de  l'eau  pour  lui  en  frotter  le  visage ,  ce  qui 
la  fit  revenir  à  elle-même.  «  O  mon  cher  frère!  s'écria- 
t-e!le,  notre  sœur  nous  est  ravie,  et  j'ai  presque  été 
massacrée  pour  m'y  opposer.  Le  méchant,  après  l'a- 
voir frappée  de  son  casse-tète ,  s'est  saisi  d'un  de  ses 
bras  pour  l'entraîner  hors  de  la  grotte ,  je  me  suis  at- 
tachée à  l'autre  pour  la  retenir;  mais  au  moment  que  le 
barbare  s'en  est  aperçu ,  d'un  coup  de  son  casse-tète  il 
m'a  jetée  par  terre ,  dans  l'état  où  vous  m'avez  trou- 
vée. »  En  finissant  ce  récit,  un  torrent  de  larmes 
inonda  ses  joues,  et  son  frère  ne  put  s'empêcher  de 
pleurer  aussi,  en  même  temps  qu'il  méditait  sa  ven- 
geance, et  rêvait  aux  moyens  de  l'exécuter.  Ils  passè- 
rent la  nuit  dans  qe  I liste  entretien.  Hès  que  le  soleil 


414  VOYAGE 

vint  les  éclairer,  ils  se  mirent  en  route  pour  chercher 
la  tribu  du  coupable.  Après  un  voyage  dont  leur  soif 
de  vengeance  abrégea  la  longueur,  ils  atteignirent  les 
lieux  qu'occupait  la  tribu  qu'ils  cherchaient.  Alors  le 
sauvage  aperçut  à  une  petite  distance  la  sœur  de  celui- 
là  même  qui  lui  avait  enlevé  la  sienne ,  et  qui  s'était  un 
peu  écartée  pour  ramasser  du  bois  à  brûler.  C'était  une 
belle  occasion  pour  se  venger;  ainsi  ordonnant  à  sa  sœur 
de  se  cacher,  il  courut  sur  la  jeune  fille,  et  leva  son 
casse-tête  pour  la  terrasser  et  satisfaire  son  ressenti- 
ment. La  victime  trembla,  et  bien  qu'elle  connût  toute 
la  force  de  son  ennemi,  elle  s'arma  de  tout  le  courage 
qu'elle  put  conserver.  Elle  releva  les  yeux  sur  lui,  et 
leurs  regards  s'étant  rencontrés,  tel  fut  l'effet  que 
produisit  son  admirable  beauté  sur  le  jeune  homme , 
qu'il  demeura  immobile  pour  la  contempler.  La  pau- 
vre fille  s'en  aperçut ,  et  se  jeta  à  ses  genoux  pour  im- 
plorer sa  pitié;  mais  avant  qu'elle  pût  parler,  déjà  le 
sentiment  de  la  vengeance  avait  fait  place  à  celui  de 
l'amour.  Il  rejeta  son  casse-tête ,  et  la  serrant  dans  ses 
bras ,  lui  jura  une  constance  éternelle.  Sa  pitié  lui 
valut  l'amour  de  sa  belle,  et  chacun  se  vit  ainsi  payé 
d'un  mutuel  retour.  Il  rappela  sa  sœur  qui  aurait  elle- 
même  assouvi  sa  vengeance  sur  la  jeune  fille ,  sans  son 
frère  qui  lui  déclara  qu'elle  était  désormais  sa  femme. 
Le  jeune  homme  s'étant  informé  de  sa  sœur  aînée,  sa 
nouvelle  épouse  lui  apprit  qu'elle  était  encore  très- 
souffrante,  mais  qu'elle  serait  bientôt  mieux,  et  ex- 
cusa son  frère  sur  les  moyens  qu'il  avait  employés 
pour  en  faire  sa  femme,  sur  ce  que  c'était  la  coutume 


DE  L'ASTROLABE.  415 

suivie  dans  le  pays  :  «  Mais  vous,  ajouta-t-elle ,  vous 
avez  le  cœur  plus  blanc  (faisant  allusion  aux  mœurs 
des  Anglais),  vous  ne  me  battez  point;  moi  je  vous 
aime,  vous  m'aimez,  j'aime  vos  sœurs,  vos  sœurs 
m'aiment;  mon  frère  n'est  pas  un  homme  bon.  »  Cet 
aveu  sans  artifice  lui  valut  l'amour  du  sauvage  et  de 
sa  sœur  qui  étaient  venus  en  ennemis,  et  ils  vécurent 
ensemble  dans  une  petite  cabane  que  Barrington  leur 
fit  élever  à  un  demi-mille  de  sa  propre  maison . 

COUTUMES  ET  MOEURS. 

Au  moment  où  la  femme  accouche ,  personne  ne 
peut  être  présent  que  des  personnes  de  son  sexe. 
Warri-Wir,  sœur  de  Benilong  ,  s'étant  trouvée  prise 
de  mal  d'enfant  tandis  qu'elle  était  en  ville,  ce  fut 
une  occasion  favorable  de  les  voir  agir  dans  cette  im- 
portante conjoncture.  Quelques  femmes  qui  avaient 
gagné  l'amitié  de  cette  jeune  fille  en  profilèrent,  et  ce 
fut  d'elles  qu'on  obtint  les  détails  suivans. 

Durant  l'accouchement  une  femme  était  occupée  à 
lui  répandre  de  l'eau  froide  de  temps  en  temps  sur  le 
bas-ventre,  tandis  qu'une  autre,  qui  avait  attaché  le 
bout  d'une  petite  corde  autour  du  cou  de  Warri-Wir, 
se  frotta  les  lèvres  avec  l'autre  bout  jusqu'à  ce  que  le 
sang  en  coulât.  Elle  ne  reçut  aucun  secours  de  celles 
qui  l'environnaient ,  et  l'enfant  vint  au  monde  par  la 
seule  action  de  la  nature  ;  il  ne  fut  reçu  par  personne 
au  sortir  du  sein  de  sa  mère.  Mais  une  des  Anglaises 
coupa  le  cordon  ombilical,  et  lava  l'enfant,  du  con- 


416  VOYAGE 

sentement  de  la  mère,  bien  que  les  autres  femmes 
du  pays  s'y  opposassent  fortement.  La  pauvre  mal- 
heureuse semblait  tout-à-fait  épuisée. 

On  vit  la  femme  de  Benilong,  quelques  heures 
après  être  accouchée ,  marcher  seule  et  ramasser  du 
bois  pour  entretenir  son  feu.  L'enfant,  dont  la  couleur 
de  la  peau  paraissait  roussâtre,  était  étendu  parterre 
sur  un  morceau  d'écorce. 

Les  enfans  nouvellement  nés  sont  transportés  par 
leurs  mères  sur  un  morceau  d'écorce  tendre;  aussitôt 
qu'ils  ont  acquis  assez  de  force ,  elles  les  placent  sur 
leurs  épaules  avec  leurs  jambes  passées  sur  leur  cou. 
Instruits  par  la  nécessité,  bientôt  ces  petits  êtres  s'ac- 
crochent aux  cheveux  de  leur  mère  pour  s'empêcher 
de  tomber. 

La  teinte  rougeâtre  de  leur  peau  fait  bientôt  place  à 
leur  couleur  habituelle ,  et  ce  changement  est  dû  en 
grande  partie  à  la  fumée  et  à  la  saleté  dans  laquelle  ces 
petits  malheureux  sont  entretenus  dès  le  premier  ins- 
tant de  leur  existence.  Les  parens  commencent  aussi 
de  bonne  heure  à  les  décorer  suivant  la  coutume  na- 
tionale; car  aussitôt  que  leurs  cheveux  sont  assez 
longs  pour  cela,  on  les  garnit  d'os  de  poissons  et  de 
dents  d'animaux  collés  avec  de  la  gomme.  Des  pein- 
tures de  chaux  ornent  leurs  petits  membres ,  et  les 
filles  subissent  l'amputation  bizarre,  qu'ils  nomment 
malgoun,  avant  même  d'avoir  quitté  leur  poste  sur  les 
épaules  de  leur  mère. 

A  peine  âgé  d'un  mois  ou  six  semaines  ,  l'enfant 
reçoit  son  nom.  C'est  ordinairement  celui  de  quel- 


DE  L'ASTROLABE.  4 17 

qu'un  des  objets  qui  sont  continuellement  sous  leurs 
yeux ,  comme  d'un  oiseau ,  d'un  animal ,  d'un  poisson  ; 
il  n'y  a  pour  cela  aucune  cérémonie  accessoire. 

Les  amusemens  des  enfans  sont  en  petit  les  exer- 
cices des  hommes  faits.  Dès  l'âge  le  plus  tendre  ils 
s'habituent  à  jeter  la  lance  et  à  en  parer  les  coups.  A 
peine  âgés  de  huit  ans  ils  s'amusent  à  enlever  les  pe- 
tites filles ,  comme  leurs  pères  ont  fait  pour  leurs 
mères ,  et  ne  les  traitent  guère  mieux.  De  bonne 
heure,  ils  aident  leurs  parens  à  la  chasse  et  à  la  pèche. 

Les  enfans  sont  déjà  sensibles  aux  insultes,  et  si 
dans  leurs  jeux  il  leur  arrive  de  recevoir  d'un  cama- 
rade un  coup  trop  fort ,  ils  le  rendent  aussitôt  dans  le 
même  esprit  de  vengeance  qu'à  un  âge  plus  avancé. 
Ils  ont  beaucoup  de  talent  pour  l'art  mimique ,  et  se 
plaisent  à  contrefaire  la  tournure  du  soldat,  l'air,  l'im- 
portance d'un  officier,  et  le  maintien  oisif  d'un  convict 
paresseux.  Si  l'on  sourit  à  leurs  grimaces ,  ils  en  sont 
enchantés,  et  se  mettent  eux-mêmes  à  rire  aux  éclats. 

A  l'âge  de  douze  à  quinze  ans  ils  subissent  l'opéra- 
tion qu'ils  nomment  gna-noang ,  c'est-à-dire  qu'on 
leur  perce  la  cloison  du  nez  pour  recevoir  un  morceau 
d'os  ou  de  roseau ,  ce  qui ,  à  leurs  yeux ,  passe  pour 
un  grand  ornement,  bien  qu'il  rende  l'articulation 
des  mots  très-imparfaite.  Cette  opération  ne  se  pra- 
tique guère  que  sur  les  hommes,  quoiqu'on  ait  vu 
quelques  femmes  qui  l'avaient  subie. 

C'est  aussi  au  même  âge  que  les  garçons  reçoivent 
les  privilèges  qu'ils  acquièrent  avec  la  perte  d'une  des 
dents  de  devant.  Durant  son  séjour  dans  le  pays, 


418  VOYAGE 

Collins  vit  deux  exemples  de  cet  usage  dont  il  a  pu  , 
la  seconde  fois  ,  nous  retracer  les  différentes  circons- 
tances, grâce  au  crayon  d'une  personne  qui  raccom- 
pagnait. 

Le  25  janvier  1795 ,  les  naturels  s'assemblèrent  en 
grand  nombre  pour  cette  importante  opération;  plu- 
sieurs jeunes  gens,  bien  connus  dans  l'établissement 
pour  ne  l'avoir  jamais  subie,  allaient  être  admis  au  rang 
d'hommes.  Pemoul-Waï,  habitant  des  forêts,  et  plu- 
sieurs étrangers  vinrent  au  rendez-vous  ;  mais  les  prin- 
cipaux acteurs  dans  les  cérémonies  n'étant  point  arrivés 
de  Kemmiraï,  les  nuits  suivantes  s'écoulèrent  au  milieu 
des  danses  ;  à  cette  occasion  les  sauvages  s'ornèrent  de 
leurs  plus  beaux  atours ,  et  déployèrent  certainement 
une  singulière  variété  de  goûts.  L'un  se  peignit  le  milieu 
du  visage  en  blanc ,  excepté  seulement  la  barbe  et 
les  sourcils  ;  d'autres  se  distinguaient  par  de  grands 
cercles  blancs  autour  des  yeux,  qui  les  rendaient 
aussi  affreux  qu'on  peut  se  l'imaginer.  Ce  ne  fut 
que  le  2  février  que  la  réunion  fut  complète.  Le  soir 
ceux  de  la  tribu  de  Kemmiraï  arrivèrent ,  et  parmi  eux 
ceux  mêmes  qui  devaient  exécuter  l'opération.  Ils 
étaient  peints  aux  couleurs  de  leur  tribu ,  la  plupart 
pourvus  de  boucliers ,  et  tous  armés  de  casse-têtes ,  de 
lances  et  de  bâtons  pour  les  jeter  ou  tvomeras.  Le  lieu 
choisi  pour  cette  représentation  extraordinaire  se  trou- 
vait sur  la  pointe  de  Farm-Cove,  et  quelques  jours  aupa- 
ravant on  avait  travaillé  à  le  préparer  convenablement 
en  le  nettoyant  d'herbes ,  de  broussailles ,  de  branches 
d'arbre,  etc.,  etc.  Il  formait  un  ovale  de  vingt-cinq 


DE  L'ASTROLABE.  419 

pieds  de  long  sur  seize  de  large,  et  il  prit  le  nom  de 
Yoa-Lang. 

Quand  L'auteur  y  arriva,  il  trouva  ceux  de  la  tribu 
de  Kemmiraï  debout,  et  en  armes,  à  l'une  des  extré- 
mités du  théâtre,  et  à  l'autre  bout  se  trouvaient  les 
enfans  destinés  à  perdre  chacun  une  dent,  avec  plu- 
sieurs de  leurs  amis  qui  les  avaient  accompagnés. 

Alors  la  cérémonie  commença  :  les  hommes  armés 
s'avancèrent  en  chantant,  ou  plutôt  en  poussant  un  cri 
propre  à  la  circonstance ,  et  faisant  retentir  leurs  bou- 
cliers et  leurs  lances,  tandis  que  de  leurs  pieds  ils  fai- 
saient jaillir  la  poussière  de  manière  à  en  couvrir  ceux 
qui  les  environnaient.  Aumomentoù  ils  arrivèrent  près 
des  enfans,  un  des  hommes  armés,  se  détachant  de  la 
troupe,  avança  de  quelques  pas,  et,  saisissant  un  gar- 
çon, retourna  vers  ses  collègues ,  qui  le  saluèrent  par 
un  cri,  montrant  en  même  temps  le  dessein  de  recevoir 
et  de  protéger  la  victime.  C'est  de  la  même  manière 
que  chacun  des  quinze  enfans  présens  fut  tour  à  tour 
saisi  et  porté  à  l'autre  extrémité  du  You-Lang ,  où  ils 
restèrent  assis ,  les  jambes  croisées  sous  leurs  corps , 
la  tète  basse  et  les  mains  jointes.  Quelque  pénible  que 
fût  cette  position,  on  assura  que  de  toute  la  nuit 
ils  ne  devaient  point  en  bouger  ni  lever  les  yeux  en 
l'air,  et  que  jusqu'à  la  fin  de  la  cérémonie  on  ne  leur 
donnait  aucune  nourriture. 

Les  herredais  exécutèrent  ensuite  quelques-uns  de 
leurs  rits  mystérieux.  Tout-à-coup  l'un  d'eux  tomba 
par  terre,  s'y  roula  en  prenant  toute  sorte  d'attitudes 
forcées ,  comme  s'il  eût  été  tourmenté  par  des  douleurs 


420  VOYAGE 

inouies ,  et  parut  à  la  fin  délivré  d'un  os  qui  devait 
servir  pour  la  cérémonie  suivante.  Durant  tout  ce 
temps  il  était  entouré  d'une  foule  de  naturels  qui  dan- 
saient autour  de  lui  en  chantant  à  grands  cris ,  tandis 
que  quelques-uns  le  frappaient  sur  le  dos  jusqu'à  ce 
qu'il  eut  produit  l'os  merveilleux  ;  puis  il  était  délivré 
de  toute  souffrance. 

Celui-ci  ne  se  fut  pas  plutôt  relevé ,  épuisé  de  fa- 
tigue et  baigné  de  sueur,  qu'un  autre  à  son  tour  re- 
commença la  même  cérémonie ,  qui  se  termina  égale- 
ment par  l'exhibition  d'un  os  dont  il  s'était  prudemment 
pourvu  d'avance,  et  qu'il  avait  caché  dans  sa  ceinture. 
Cette  farce  grossière  a  pour  but  de  convaincre  les 
jeunes  gens  que  l'opération  qu'ils  ont  à  subir  ne  leur 
causera  qu'une  faible  douleur;  car  plus  les  kerredais 
auront  souffert,  moins  ils  auront  eux-mêmes  de  mal  à 
éprouver. 

Il  était  déjà  tout-à-fait  nuit,  et  l'auteur  se  retira 
avec  l'invitation  de  revenir  de  bonne  heure  le  matin 
suivant.  Au  point  du  jour  ,  il  trouva  les  naturels 
dormant  par  petits  pelotons  détachés,  et  ce  ne  fut 
qu'au  moment  où  le  soleil  se  montra  qu'ils  commen- 
cèrent à  se  relever.  Les  habitans  de  la  côte  nord  dor- 
maient à  part;  les  jeunes  garçons  dormaient  aussi  sé- 
parément ,  bien  qu'on  eût  dit  qu'ils  ne  devaient  point 
bouger  de  leur  position.  Bientôt  après  le  lever  du  so- 
leil, les  kerredais  et  leurs  compagnons  s'avancèrent  à 
pas  précipités  vers  le  You-Lang,  l'un  à  la  suite  de 
l'autre  ,  poussant  des  cris  en  y  arrivant,  et  courant 
deux  ou  trois  fois  tout  à  l'entour.  On  conduisit  les 


y 


v\ 


^V 


> 

X 


X 


X 

K 


NS 


, 


y 


«) 


> 
X 


X 


x 


5 


^ 


V 


« 


1 

N 


•V 


- 

3 


I 

\ 

■s 

I 

V 
s* 


sP 


^ 


S\ 


^ 


\ 


X 


DE  L'ASTROLABE.  421 

garçons  au  you-lang,  la  tète  basse  et  les  mains 
jointes.  Dès  qu'ils  lurent  assis  dans  cette  attitude ,  les 
cérémonies  commencèrent;  les  principaux  acteurs, 
au  nombre  de  vingt  environ,  étaient  tous  de  la  tribu 
de  Kemmiraï. 

Ces  diverses  scènes  furent  nombreuses  et  variées  ; 
mais  toutes  se  rapportaient  directement  aux  jeunes 
gens,  et  avaient  quelque  trait  au  principal  acte  de 
la  journée  qui  devait  terminer  cette  représentation. 
Les  gravures  ci-jointes  en  donneront  une  idée  assez 
exacte. 

N.  1 .  Les  jeunes  gens,  au  nombre  de  quinze,  étaient 
assis  au  haut  du  you-lang,  tandis  que  ceux  qui  de- 
vaient faire  l'opération  défilaient  plusieurs  fois  la  pa- 
rade autour  de  ce  terrain,  en  courant  à  quatre  pattes, 
et  imitant  l'allure  de  leurs  chiens.  Leur  costume  était 
conforme  à  ce  but,  l'épée  de  bois  passée  par  derrière  la 
ceinture  qu'ils  portent  autour  du  corps ,  ne  figurant 
pas  mal  la  queue  de  cet  animal,  tandis  qu'ils  mar- 
chaient à  quatre  pattes.  Chaque  fois  qu'ils  passaient 
devant  l'endroit  où  étaient  assis  les  pauvres  enfans 
qui  avaient  une  assez  piteuse  mine,  ils  faisaient  sauter 
sur  ceux-ci  le  sable  et  la  poussière  avec  les  pieds  et  les 
mains.  Durant  ce  temps,  les  garçons  restaient  immo- 
biles et  silencieux,  sans  bouger  de  la  position  qu'ils 
avaient  prise,  et  sans  paraître  faire  aucune  attention 
aux  ridicules  gestes  des  kerredais  et  de  leurs  com- 
pagnons. 

On  comprit  que,  par  cette  cérémonie,  on  leur  don- 
nait le  pouvoir  sur  le  chien,  et  qu'on  les  douait  de 

TOMF.     I.  28 


422  VOYAGE 

imites  les  qualités  utiles  que  cet  animal  pouvait  pos- 
séder. 

N.  2.  Les  jeunes  gens  sont  encore  assis  comme  ci- 
dessus.  La  principale  figure  représente  un  naturel  vi- 
goureux et  d'une  belle  taille,  portant  sur  ses  épaules 
un  pattagorang  ou  kangarou  en  herbe;  le  second  porte 
un  paquet  de  broussailles.  Les  autres  naturels,  assis  à 
quelque  distance,  sont  occupés  à  chanter  et  à  battre 
la  mesure ,  selon  les  pas  des  deux  hommes  chargés  : 
ceux-ci  semblaient  presque  incapables  de  se  remuer 
sous  le  poids  des  fardeaux  qu'ils  portaient  sur  leurs 
épaules.  Ils  s'arrêtaient  à  chaque  instant  et  boitaient 
tout  bas  en  marchant;  enfin,  ils  déposèrent  leurs 
charges  aux  pieds  des  garçons ,  et  se  retirèrent  du 
you-lang  comme  accablés  de  la  corvée  qu'ils  venaient 
de  faire.  11  faut  observer  que  celui  qui  s'était  chargé 
du  paquet  de  broussailles  s'était  fourré  deux  branches 
de  fleurs  au  travers  de  la  cloison  du  nez,  ce  qui  lui 
donnait  un  aspect  tout-à-fait  extraordinaire. 

Le  kangarou  mort  désignait  le  pouvoir  qui  leur 
était  donné  de  tuer  cet  animal,  et  les  broussailles 
figuraient  sa  retraite. 

N.  3.  Les  enfans  restèrent  assis  au  bout  du  you- 
lang  durant  une  heure  entière.  Durant  ce  temps,  les  ac- 
teurs se  retirèrent  dans  une  vallée  voisine ,  et  s'ajus- 
tèrent par  derrière  une  ceinture  de  longues  touffes 
d'herbes  pour  remplacer  l'épée  de  bois  qu'ils  avaient 
quittée.  Puis  ils  se  remirent  en  mouvement  comme 
un  troupeau  de  kangarous,  tantôt  bondissant  sur  leurs 
pattes  de  derrière,  tantôt  se  posant  et  se  grattant  avec 


DE  L'ASTROLABE.  423 

leurs  patles  à  la  manière  de  ces  animaux.  En  même 
temps ,  un  naturel  battait  la  mesure  sur  un  bouclier 
avec  un  casse-tête,  tandis  que  deux  autres  hommes 
armés  les  suivaient  attentivement,  comme  pour  tomber 
sur  eux  h  l'improviste  et  les  percer  de  leurs  lances. 

Ceci  était,  l'emblème  d'un  de  leurs  futurs  exercices , 
la  chasse  du  kangarou,  et  formait  une  scène  à  la  fois 
curieuse  et  grotesque  ;  car  la  vallée  où  ils  se  dégui- 
saient avait  quelque  chose  de  très-romantique ,  et  ce 
spectacle  était  entièrement  neuf. 

N.  4.  En  arrivant  à  la  place  du  you-lang,  cette 
troupe  bizarre  passa  près  des  enfans  ,  comme  un  trou- 
peau de  kangarous  ;  puis  arrachant  soudain  et  rejetant 
leurs  queues  d'herbes ,  chacun  d'eux  saisit  un  petit 
vairon,  et,  le  plaçant  sur  ses  épaules,  lemporta  en 
triomphe  au  lieu  où  devait  se  passer  la  dernière  scène 
de  cette  singulière  comédie.  On  doit  observer  que  les 
parcns  et  les  amis  des  jeunes  gens  n'essayèrent  nulle- 
ment de  gêner  les  naturels  de  Kemmiraï  dans  l'exer- 
cice de  leurs  fonctions ,  et  que  même  ils  ne  s'en 
mêlèrent  en  aucune  manière. 

IV.  5.  Après  avoir  cheminé  quelques  pas,  les  enfans 
furent  retirés  de  dessus  les  épaules  des  hommes  et 
réunis  en  un  peloton,  debout,  la  tète  baissée  sur  la 
poitrine  et  les  mains  jointes.  Quelques-uns  des  ac- 
teurs disparurent  alors  pour  dix  minutes  environ, 
afin  de  préparer  la  scène  suivante.  Ou  ne  permit  point 
à  l'auteur  d'être  présent  à  cette  cérémonie ,  pour  la- 
quelle les  naturels  semblaient  observer  un  plus  grand 
degré  de  mystère  et  d'apprêt  qu'ils  ne  l'avaient  fait 

«8* 


42i  VOYAGE 

pour  aucune  des  précédentes.  Enfin  on  l'invita  à 
s'approcher,  et  il  trouva  les  personnages  disposés 
comme  dans  le  n°  5. 

Le  groupe  de  gauche  représente  les  garçons  et 
ceux  qui  les  accompagnaient;  devant  eux  se  trou- 
vaient deux  hommes,  dont  fun,  assis  sur  le  tronc  d'un 
arbre ,  portait  l'autre  sur  ses  épaules ,  et  tous  deux 
avaient  les  bras  étendus.  Derrière  eux  on  voyait 
plusieurs  corps  couchés  à  plat,  la  face  contre  terre, 
aussi  près  que  possible  l'un  de  l'autre  et  au  pied  d'un 
autre  tronc  d'arbre ,  sur  lequel  étaient  placés  deux 
naturels  dans  la  même  attitude  que  les  deux  pre- 
miers. 

A  mesure  que  les  enfans  el  ceux  qui  les  condui- 
saient approchèrent  de  ces  deux  premiers  groupes, 
les  deux  hommes  qui  le  formaient  commencèrent  à  se 
tourner  d'un  côté  et  d'autre ,  en  tirant  la  langue  hors 
de  la  bouche ,  ouvrant  de  grands  yeux  et  leur  donnant 
l'aspect  le  plus  horrible  possible.   Quand  celte  gri- 
mace eut  duré  quelques  minutes ,  les  hommes   se 
séparèrent  pour  laisser  passer  les  enfans  qui  furent 
conduits   par -dessus   les  corps   couchés  par   terre. 
Ceux-ci  commencèrent  à  se  remuer,   se  tortillant 
comme  s'ils  eussent  été  à  l'agonie,  et  faisant  un  bruit 
sourd  et  semblable  à  celui  du  tonnerre  grondant  à 
une  grande  distance.  Après  avoir  passé  par-dessus 
ces  corps ,  les  enfans  furent  présentés  aux  deux  indi- 
vidus assis  sur  l'autre  tronc,  qui  renouvelèrent  les 
grimaces  déjà  faites  par  les  deux  premiers  ;  puis  toute 
la  troupe  se  mit  en  marche. 


DE  L'ASTROLARE.  42o 

Un  nom  particulier,  Bourou-Afenronng ,  fut  donne 
à  cette  scène;  mais  on  ne  peut  connaître  que  très- 
peu  de  choses  de  son  objet.  Aux  questions  faites  à 
cet  égard,  on  ne  put  obtenir  d'autre  réponse  que 
c'était  très-bon,  et  que  dorénavant  les  jeunes  gens 
seraient  des  hommes  braves ,  qu'ils  y  verraient  clair 
et  se  battraient  bien. 

N.  6.  Toute  la  troupe  s'arrêta  à  une  petite  distance 
de  la  scène  précédente.  On  fit  asseoir  les  jeunes  gens 
près  l'un  de  l'autre,  tandis  que  devant  eux  les  hom- 
mes se  rangèrent  en  demi-cercle,  désormais  armés 
de  leurs  lances  et  de  leurs  boucliers.  Au  centre  de  la 
troupe ,  et  le  visage  tourné  vis-à-vis  d'eux ,  se  trou- 
vait Boudirro ,  le  naturel  qui  avait  été  constamment 
le  principal  acteur  de  la  cérémonie.  Il  tenait  un  bou- 
clier d'une  main  et  de  l'autre  un  casse-tète ,  avec 
lequel  il  marquait  la  mesure  en  frappant  l'un  contre 
l'autre.  A  chaque  troisième  coup,  tous  les  autres, 
après  avoir  balancé  et  dirigé  leurs  lances  vers  lui ,  les 
pointaient  en  avant  et  touchaient  le  centre  de  son 
bouclier. 

Ceci  terminait  les  cérémonies  qui  devaient  précé- 
der l'opération,  et  semblait  faire  allusion  à  un  exer- 
cice qui  allait  devenir  la  principale  affaire  de  leur  vie, 
l'usage  de  la  lance. 

N.  7.  Maintenant  ils  se  préparèrent  à  faire  sauter 
les  dents  des  jeunes  gens.  Le  premier  qu'ils  prirent  fut 
un  enfant  de  dix  ans  -,  et  il  fut  assis  sur  les  épaules 
d'un  autre  naturel  lui-même  assis  sur  l'herbe,  ainsi 
que  le  montre  la  planche  n°  7. 


426  VOYAGE 

On  représenta  d'abord  l'os  que  l'on  prétendait 
avoir  extrait  de  l'estomac  d'un  des  naturels,  la  veille 
au  soir.  On  avait  eu  soin  de  l'aiguiser  par  le  bout, 
afin  de  couper  la  gencive,  car,  sans  cette  précaution, 
il  leur  serait  impossible  de  faire  sauter  la  dent  sans 
briser  la  mâchoire  entière.  On  s'occupa  ensuite  de 
couper  un  womera ,  à  huit  à  dix  pouces  du  bout ,  et 
pour  cela  il  faut  de  grandes  cérémonies.  Le  bâton  est 
posé  sur  un  arbre ,  et  l'on  essaie  trois  fois  avant  de 
frapper  dessus.  Le  bois  étant  très-dur  et  l'instrument 
coupant  très-mal,  il  fallut  plusieurs  coups  pour  en 
venir  à  bout  ;  cependant  on  fît  constamment  trois 
feintes  avant  que  chaque  coup  fût  donné.  Quand  la 
gencive  fut  convenablement  préparée  avec  l'os  aigu, 
le  petit  bout  du  bâton  fut  posé  sur  la  dent  aussi  haut 
que  le  permit  la  gencive ,  tandis  que  l'opérateur  se 
prépara  à  abattre  la  dent  avec  une  grosse  pierre  qu'il 
avait  de  l'autre  main.  Là ,  leur  attention  au  nombre 
trois  fut  encore  remarquable ,  car  aucun  coup  ne  fut 
frappé  sur  le  bâton  avant  qu'on  eût  d'abord  ajusté 
par  trois  fois.  Cette  première  opération  dura  dix  mi- 
nutes entières,  car,  malheureusement  pour  le  pauvre 
enfant ,  la  dent  tenait  fort  dans  sa  gencive.  Enfin ,  elle 
sauta ,  et  le  patient  fut  emmené  à  une  petite  distance , 
où  sa  gencive  fut  raffermie  par  ses  amis ,  et  il  fut 
bientôt  revêtu ,  grâce  à  leurs  soins ,  du  costume 
qu'il  devait  garder  durant  quelques  jours.  On  lui 
passa  autour  du  corps  une  ceinture  où  tenait  une 
épée  de  bois  ;  sa  tête  fut  entourée  d'un  bandeau 
surmonté  de  bandelettes  de  xanthorrhœa  qui ,  par  la 


DE  L'ASTROLABE.  127 

blancheur  de  leur  couleur,  produisaient  un  effet  cu- 
rieux et  qui  n'était  point  désagréable.  Le  pal  ici  il 
avait  la  main  gauche  posée  sur  la  bouche  qui  devait 
rester  fermée ,  il  lui  était  défendu  de  parler  cl  de 
manger  de  tout  le  jour o  Tous  les  enfans  lurent  traités 
de  la  même  manière,  excepté  un  seul  joli  petit  garçon 
de  huit  ou  neuf  ans,  qui,  après  s  être  laissé  couper  la 
gencive,  ne  voulut  pas  supporter  plus  d'un  coup  de 
la  pierre,  et,  se  sauvant  d'entre  les  mains  des  opéra- 
leurs,  réussit  à  s'échapper.  Durant  toute  l'opération, 
les  spectateurs  tirent  aux  oreilles  des  patiens  un  bruil 
épouvantable  (en  criant  iwâh-iwdh,  gaga-gaga  sans 
relâche),  suffisant  pour  distraire  leur  attention,  et 
étouffer  toutes  les  plaintes  qui  eussent  pu  leur  éehap 
per  ;  mais  ceux-ci  se  faisaient  un  point  d'honneur  de 
supporter  leur  douleur  sans  pousser  un  soupir. 

Du  reste,  on  observa  quelques  autres  singularités. 
On  n'essuya  point  le  sang  qui  sortait  de  la  gencive 
déchirée,  mais  on  le  laissa  couler  le  long  de  la  poi- 
trine de  chaque  enfant,  et  tomber  sur  la  tête  de 
l'homme  sur  lequel  il  était  assis,  et  dont  le  nom  lui 
ensuite  ajouté  au  sien.  Ce  sang  desséché  resta  sur  la 
tète  des  hommes  et  la  poitrine  des  enfans  durant 
quelques  jours.  Les  garçons  furent  ensuite  désignés 
par  le  titre  de  kebarra,  nom  qui  par  son  étymologie 
a  rapport  à  l'un  des  instrumens  employés  dans  celle 
cérémonie ,  car  hebah  dans  leur  langue  signifie  une 
pierre  ou  un  rocher. 

N.  8.  Cette  planche  représente  les  jeunes  gens 
ajustés  et  assis  sur  un  troue  d'arbre,  comme  ils  paru- 


1 28  VOYAGE 

rent  le  soir  même  qui  suivit  l'opération.  L'homme  est 
Kol-bi  qui  applique  un  poisson  grillé  contre  la  gen- 
cive de  son  cousin  ZSanbarry  qui  a  plus  souffert  qu'au- 
cun des  autres. 

Tout-à-coup,  à  un  signal  donné,  les  patiens  se  le- 
vèrent et  se  précipitèrent  vers  la  ville,  chassant  devant 
eux  les  hommes,  les  femmes  et  les  enfans  qui  se  hâtaient 
de  s'écarter  de  leur  chemin.  A  dater  de  ce  moment  ils 
étaient  admis  au  rang  d'hommes  ;  ils  avaient  le  droit 
de  se  servir  de  la  lance  et  du  casse-tète,  et  de  figurer 
de  leurs  personnes  dans  les  combats;  ils  pouvaient 
aussi  enlever  telles  filles  qu'ils  voudraient  pour  en 
faire  leurs  femmes.  Pour  mieux  dire,  il  était  entendu 
que  s'étant  soumis  à  l'opération  ,  ou  ayant  enduré  la 
douleur  sans  murmurer,  et  ayant  perdu  une  dent  de 
devant,  ils  avaient  acquis  un  titre  qu'ils  avaient  le 
droit  d'exercer  dès  que  leur  âge  et  leur  force  leur  per- 
mettraient de  le  faire. 

La  sœur  de  Benilong  et  Daringha  femme  de  Kol-bi, 
apprenant  que  M.  Collins  témoignait  un  grand  désir 
de  posséder  quelques-unes  de  ces  dents,  s'en  procu- 
rèrent trois  qu'elles  lui  remirent  avec  beaucoup  de 
mystère ,  et  sous  la  promesse  qu'il  ne  ferait  pas  con- 
naître qu'elles  lui  avaient  fait  un  pareil  présent;  elles 
tremblaient  beaucoup  d'être  découvertes ,  à  cause  du 
ressentiment  inévitable  de  la  tribu  de  Kemmiraï  à  la- 
quelle ces  dents  devaient  être  livrées. 

Les  médecins  auxquels  on  montra  ces  dents  dé- 
clarèrent qu'elles  n'auraient  pas  été  mieux  arrachées 
par  un  dentiste  pourvu  des  instrumens  nécessaires , 


DE  L'ASTROLABE.  138 

quelles  ne  l'avaient  été  par  ces  sauvages  au  movcn 
seulement  d'une  pierre  et  d'un  morceau  de  bois. 

Un  des  garçons  qui  avaient  subi  l'opération  avait 
autrefois  vécu  chez  le  chirurgien  principal  de  l'éta- 
blissement jusqu'à  son  départ  pour  l'Angleterre.  Une 
parente  de  ce  garçon  apporta  sa  dent  à  M.  Collins , 
avec  prière  de  l'envoyer  à  M.  White,  témoignant 
ainsi  sa  reconnaissance,  après  quelques  années  d'inter- 
valle, pour  les  soins  qu'il  avait  eus  de  son  parent.  Les 
femmes  invitèrent  ensuite  M.  Collins  à  s'éloigner  de  cet 
endroit,  car  elles  ne  savaient  pas  ce  qui  allait  se  passer. 
En  effet ,  il  avait  observé  que  les  naturels  prenaient 
leurs  armes  ;  le  tumulte  et  la  confusion  se  déclarè- 
rent bientôt  parmi  eux  ,  et  ils  parurent  se  livrer  à  tout 
leur  naturel  sauvage.  Comme  l'Anglais  se  retirait,  on 
donna  le  signal  qui  devait  inspirer  aux  jeunes  gens 
l'esprit  belliqueux  qui  avait  été  le  but  de  toute  la  cé- 
rémonie du  jour  ;  ils  s'élancèrent  vers  la  ville  de  la 
manière  que  nous  venons  de  décrire ,  mettant  le  feu 
aux  broussailles  partout  où  ils  passaient. 

En  songeant  à  ces  diverses  circonstances  nous 
n'eussions  considéré  cette  cérémonie  que  comme  un 
tribut  dû  à  la  peuplade  de  Kemmiraï;  mais  il  nous 
fallut  suspendre  ce  jugement  quand  nous  eûmes  ob- 
servé que  tous  les  hommes  de  cette  tribu  avaient  eux- 
mêmes  subi  cette  opération,  chacun  d'eux  ayant  perdu 
la  dent  de  devant.  Benilong ,  quand  on  le  connut  et 
qu'on  put  comprendre  son  langage ,  dit  d'abord  à  ses 
amis  qu'un  homme  du  nom  de  Kemmira-Gal  portait 
toutes  ces  dents  autour  de  son  cou.  Mais  par  la  suite  on 


430  VOYAGE 

reconnut  que  ce  mot  n'était  autre  chose  que  le  litre 
distinctif  de  la  tribu  chargée  d'exécuter  les  cérémo- 
nies de  l'opération  ci-dessus.  Benilong  en  d'autres 
temps  raconta  que  sa  propre  dent  avait  été  boarbilli 
pemoul,  cachée  en  terre,  et  que  d'autres  avaient  été 
jetées  à  la  mer. 

Les  naturels,  questionnés  sur  la  perte  de  cette  denl, 
ont  toujours  eu  coutume  d'employer  les  mots  yoa-lang 
irah-badiang  ;  mais  pour  exprimer  celle  de  toute  autre 
dent ,  l'expression  boal-bagga  était  usitée.  Le  terme 
you-lang  irah-badiang  doit  donc  s'appliquer  seule- 
ment à  cette  occasion.  Il  paraît  se  composer  du  nom 
donné  au  lieu  où  se  passe  la  scène  principale ,  et  du 
privilège  le  plus  matériel  qui  dérive  de  la  cérémonie 
entière,  celui  de  jeter  la  lance  ;  c'est  ce  que  semblent 
désigner  les  mots  irah-badiangy  irah  étant  un  temps 
du  verbe  lancer,  ù'ah,  lance;  iraelli,  lancer. 

Dès  que  les  jeunes  gens  ont  ainsi  acquis  les  privilè- 
ges de  la  virilité ,  ils  poursuivent  l'exercice  de  leurs 
droits  aussitôt  que  leurs  facultés  le  leur  permettent. 
L'affaire  de  la  nourriture  ne  parait  réellement  que  se- 
condaire chez  cette  race  d'hommes  ;  l'usage  de  la  lance 
et  du  bouclier,  se  dresser  à  manier  les  divers  casse-tètes 
employés  chez  eux,  l'agilité  à  attaquer  ou  se  défendre,  et 
la  constance  à  endurer  les  douleurs,  semblent  occuper 
le  premier  rang  dans  les  intérêts  de  leur  existence. 
Les  femmes  sont  aussi  accoutumées  à  porter  sur  leurs 
têtes  les  traces  de  la  supériorité  des  hommes ,  et  ceux- 
ci  les  en  décorent  presque  aussitôt  que  leur  bras  a 
acquis  assez  de  force  pour  le  faire.  On  a  vu  quelques- 


DE  L'ASTROLAHE.  481 

unes  de  ces  misérables  créatures  porter  sur  leurs 
tètes  tondues  tant  de  cicatrices  taillées  en  tous  sens, 
qu'il  était  impossible  de  les  compter  ni  de  les  distin- 
guer. 

Quoiqu'elles  ne  soient  que  les  esclaves  des  hommes, 
on  a  observé,  en  recherchant  les  motifs  de  leurs 
débats,  qu'elles  en  étaient  généralement  la  cause 
principale,  bien  que  quelquefois  ce  fût  d'une  ma- 
nière très-éloignée.  Elles  prenaient  part  à  tous  les 
combats  des  hommes  ;  et ,  dans  une  de  ces  querelles 
qui  fut  précédée  de  quelques  cérémonies ,  ce  fut  une 
femme  qui  débuta.  Comme  ils  avaient  choisi  pour 
théâtre  un  terrain  dégagé  près  de  la  ville ,  il  s'y  rendit 
beaucoup  de  curieux.  Les  parties  en  contestation  se 
composaient  pour  la  plupart  des  naturels  bien  connus 
à  Sydney  et  de  quelques-uns  de  la  tribu  au  sud  de 
Botany-Bay,  dans  laquelle  était  Gom-Back.  Les 
assistans  arrivèrent  sur  le  terrain  une  heure  avant 
le  soleil  couchant,  et  trouvèrent  les  naturels  assis  les 
uns  devant  les  autres  dans  une  espèce  de  vallée 
entre  deux  collines.  Comme  prélude  de  l'affaire,  les 
naturels  de  Sydney,  après  avoir  attendu  quelque 
temps,  se  levèrent,  et  chacun  d'eux  s'étant  ensuite 
baissé  puisa  de  l'eau  dans  le  creux  de  sa  main  et  en 
but.  Une  femme  âgée,  dont  les  épaules  étaient  cou- 
vertes d'un  manteau  en  peaux  d'opossum  très-pro- 
prement cousues  ensemble,  et  armée  d'un  casse-tète, 
s'avança  du  côté  opposé,  et,  proférant  une  foule  d'in- 
jures, courut  à  Kol-bi  qui  était  à  sa  droite,  et  lui 
donna  un  coup  violent   sur  la  tète,  qu'il  lui  tendit 


132  VOYAGE 

exprès  avec  un  mépris  affecté.  Elle  en  agit  de  même 
à  l'égard  de  tous.  Les  autres  ne  firent  aucune  résis- 
tance jusqu'au  moment  où  elle  arriva  à  Yera-Nebi , 
un  très-joli  garçon  qui  se  trouvait  à  sa  gauche.  Celui-ci, 
peu  jaloux  des  coups  que  ses  compagnons  avaient 
reçus  et  qui  avaient  été  suivis  de  sang,  lutta  avec 
elle;  s'il  ne  se  fût  pas  montré  très-agile,  elle  l'eût 
tué  avec  sa  propre  lance  qu'elle  lui  avait  arrachée 
des  mains.  Alors  les  hommes  s'avancèrent,  et  four- 
nirent aux  spectateurs  plusieurs  occasions  d'admirer 
la  force  et  l'adresse  avec  laquelle  ils  envoyaient  leurs 
lances,  et  la  rapidité  du  coup-d'œil  nécessaire  pour 
en  éviter  les  atteintes.  Le  combat  dura  jusqu'à  la  nuit. 
Alors  l'usage  de  la  lance  ne  leur  parut  plus  loyal ,  et 
ils  combattirent  avec  les  casse-têtes,  jusqu'au  moment 
où  ils  convinrent  de  se  quitter  d'un  mutuel  accord. 
Dans  cette  dernière  partie  du  combat,  plusieurs 
reçurent  des  blessures  cruelles,  et  de  chaque  côté  il  y 
eut  plus  d'une  tète  ensanglantée.  Cependant  rien  de 
sérieux  n'était  arrivé,  tant  qu'il  avait  fait  assez  clair 
pour  éviter  les  traits  des  lances. 

Le  sang  versé  parmi  ces  sauvages  entraîne  toujours 
une  punition  à  sa  suite  ;  le  coupable  est  obligé  de  res- 
ter exposé  aux  lances  de  tous  ceux  qui  veulent  le 
frapper,  car  dans  ces  sortes  d'exécutions  les  liens 
du  sang  ou  de  l'amitié  n'ont  plus  d'empire.  A  la  mort 
d'une  personne,  homme  ou  femme,  vieille  ou  jeune, 
les  amis  du  défunt  reçoivent  un  châtiment ,  comme  si 
sa  mort  avait  été  occasionée  par  leur  négligence.  On  a 
vu  des  exemples  très-barbares  de  cette  coutume. 


f 


DE  L'ASTROLABE.  m 

Un  naturel  avait  été  assassiné.  Sa  veuve,  obligée 
de  venger  sa  mort  sur  quelques-uns  des  parens  du 
meurtrier  et  rencontrant  une  petite  fille  qui  lui  était 
tant  soit  peu  alliée ,  l'emmena  dans  un  lieu  retiré  ; 
là  avec  un  casse-tète  et  une  pierre  acérée  elle  la  frappa 
si  cruellement ,  qu'on  fut  obligé  de  l'emmener  mou- 
rante à  la  ville.  L'enfant  avait  six  ou  sept  incisions  très- 
profondes  ,  et  une  oreille  qui  avait  été  coupée  jusqu'à 
l'os  se  trouvait  dans  un  très-mauvais  état,  par  la  na- 
ture de  l'instrument  dont  on  s'était  servi.  La  pauvre 
petite  iille  mourut  au  bout  de  quelques  jours.  Les 
naturels  à  qui  cet  événement  fut  raconté  n'y  prirent 
aucun  intérêt,  mais  parurent  persuadés  que  la  chose 
avait  été  tout-à-fait  juste  ,  nécessaire  et  inévitable. 
On  remarqua  que  toutes  les  fois  que  des  femmes 
avaient  une  vengeance  de  ce  genre  à  exercer  ,  elles 
ne  la  consommaient  jamais  que  sur  des  individus  de 
leur  propre  sexe  ,  n'osant  pas  frapper  un  mâle.  La 
petite  victime  de  celte  barbarie  était  chérie  dans  la 
ville  à  cause  de  ses  manières  douces  et  paisibles  ; 
et  ce  qu'il  y  eut  de  plus  révoltant  dans  l'inhumanité 
de  ce  procédé,  c'est  qi^à  la  mort  de  l'homme  l'enfant 
avait  demandé  que  sa  veuve  fût  reçue  et  nourrie  dans 
la  cabane  de  l'officier  où  elle  demeurait  elle-même.  Sa 
mort  ne  fut  pas  vengée,  car  peut-être  on  la  considéra 
comme  un  sacrifice  expiatoire. 

Watti-wal ,  1  homme  qui  commit  le  crime  dont 
cette  petite  innocente  fut  la  victime,  échappa  sans 
accident  aux  lances  de  Benilong,  de  Kol-bi  et  de  plu- 
sieurs autres  naturels.  Ensuite  il  fut  reçu  parmi  eux 


434  VOYAGE 

comme  de  coutume  ,  et  6nit  même  par  vivre  avec 
la  veuve  de  celui  qu'il  avait  tué,  jusqu'au  moment 
où  il  fut  lui-même  assassiné  par  Kol-bi  durant  la 
nuit. 

Le  sentiment  de  la  vengeance  et  les  idées  d'hon- 
neur que  ces  sauvages  se  sont  formées,  produisent 
quelquefois  des  événemens  bizarres.  Un  naturel  de 
Botany-Bay  ayant  été  maltraité  par  deux  hommes 
d'une  autre  tribu ,  un  de  ceux-ci  devait  à  son  tour 
être  battu  par  le  premier.  Pour  cela,  une  troupe  de 
naturels  se  réunit  sur  les  bords  d'un  ruisseau  près 
de  l'établissement  pour  danser,  ce  qu'ils  firent  jusqu'à 
minuit  passé;  l'homme  destinéà  être  battu  dansa  comme 
les  autres,  puis  se  coucha  au  milieu  d'eux.  Le  matin 
suivant,  tandis  qu'il  sommeillait  encore  au  pied  d'un 
arbre,  celui  qui  devait  le  battre  et  un  de  ses  compa- 
gnons, armés  de  lances  etde  casse-têtes,  se  jetèrent  sur 
lui;  un  d'eux  lui  envoya  sa  lance,  mais  le  manqua  ; 
alors  l'autre  lui  donna  deux  coups  de  son  casse-tête. 
Cela  l'éveilla,  il  se  releva  ;  mais,  se  voyant  désarmé,  il 
baissa  tristement  la  tète.  On  ne  lui  fit  plus  de  mal , 
et  son  ennemi  essuya  lui-même  le  sang  de  sa  bles- 
sure avec  de  l'herbe.  Ensuite  ils  furent  bons  amis , 
car  celui  qui  avait  été  offensé,  se  trouvant  vengé,  ou- 
blia l'injure  qu'il  avait  reçue. 

Voici  un  exemple  plus  remarquable  encore  de 
leurs  idées  de  vengeance  au  sujet  des  insultes  reçues 
et  de  la  réparation  qu'ils  exigent  en  pareil  cas. 

Le  10  décembre  1797,  deux  naturels  bien  con- 
nus l'un  et  l'autre  dans  l'établissement,  savoir  Kol-bi, 


DE  L'ASTROLABE.  435 

ami  de  Benilong,  et  un  guerrier  d'une  autre  tribu 
se  rencontrant  à  Sidoey,  s'attaquèrent  l'un  l'autre. 
Kol-hi  était  remarquable  par  sa  vigueur ,  mais  son 
adversaire  était  beaucoup  plus  jeune  et  bien  capable 
de  lui  tenir  tête.  Kol-bi  n'avait  encore  obtenu  aucun 
avantage  sur  son  ennemi  quand  la  poignée  du  bou- 
clier de  celui-ci  vint  à  manquer,  et  le  bouclier  lui 
échappa  des  mains.  Il  se  baissait  pour  le  ramas- 
ser ,  lorsque  Kol-bi  le  frappa  sur  la  tête,  le  fit 
chanceler  et  redoubla  ses  coups  tandis  qu'il  était 
abattu. 

Kol-bi,  certain  que  cette  action  lui  mériterait  le 
nom  de  dji-roun  ou  de  lâche,  et  que  les  suites  en  se- 
raient sérieuses  pour  lui  si  le  guerrier  venait  à  mourir, 
parce  que  ses  amis  ne  manqueraient  pas  de  venger  sa 
cause  ;  Kol-bi  jugea  à  propos  de  se  cacher.  On  prit 
soin  du  pauvre  diable  ,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de 
succomber  le  1G.  Pendant  sa  maladie  il  fut  assisté  par 
quelques  hommes  et  quelques  femmes  qui  lui  étaient 
attachés,  particulièrement  par  Collins  et  Moroubra. 
lTne  des  nuits  où  le  chant  de  deuil  avait  été  répété  au- 
tour de  lui  par  les  femmes,  les  hommes  qui  étaient  ses 
amis,  après  avoir  écouté  avec  une  grande  attention,  se 
levèrent  toul-à-coup,  et,  saisissant  leurs  armes,  se  déci- 
dèrent à  venger  leur  camarade.  Sachant  le  lieu  où  ils 
pourraient  trouver  Kol-bi,  ils  y  coururent,  le  batti- 
rent et  réservèrent  la  satisfaction  de  le  tuer  pour  le 
dernier  acte  de  leur  vengeance  ,  jusqu'au  moment 
où  le  sort  de  leur  camarade  serait  décidé.  La  nuit 
suivante  Collins  et  Moroubra  attaquèrent  un  parent 


43G  VOYAGE 

de  Kol-bi  nommé  Boura-wanaï  et  le  frappèrent  à  la 
tète  de  la  manière  la  plus  barbare. 

Le  naturel  assassiné  fut  enterré  le  jour  qui  suivit 
sa  mort,  le  long  de  la  route,  au-dessous  des  baraques 
des  militaires.  Ses  amis  le  placèrent  sur  un  grand  mor- 
ceau d'écorce  et  le  déposèrent  dans  une  tombe.  Beni- 
long  se  trouva  au  nombre  des  assistans  ;  ce  fut  lui  qui 
plaça  la  tète  du  cadavre  près  de  laquelle  il  planta  un 
beau  ivarratau ,  et  recouvrit  le  corps  de  la  couverture 
sur  laquelle  le  malheureux  était  mort.  La  terre  fut  re- 
jetée sur  le  corps  avec  des  épées  de  bois,  et  durant 
toute  la  cérémonie  les  femmes  ne  cessèrent  de  pous- 
ser des  cris  et  des  hurlemens.  Les  hommes  eux- 
mêmes  entrèrent  dans  une  telle  colère  qu'ils  s'en- 
voyèrent plusieurs  lances  et  échangèrent  quelques 
coups  de  casse-tète;  mais  cette  émeute  n'eut  point 
de  suites  ,  car  chacun  parut  déterminé  à  faire  périr 
Kol-bi  pour  avoir  si  lâchement  tué  un  homme  si 
généralement  aimé.  Dans  ce  but ,  un  bon  nombre 
de  naturels  se  réunirent  en  peu  de  jours  près  des 
baraques  ;  un  jeune  homme,  parent  de  Kol-bi,  reçut 
plusieurs  blessures.  Un  petit  garçon  de  sa  famille, 
qui  avait  autrefois  vécu  chez  M.  White  le  chirur- 
gien ,  aurait  péri ,  s'il  n'eut  été  sauvé  par  l'apparition 
d'un  soldat  envoyé  pour  le  protéger  ;  car  on  conjec- 
turait que  quand  la  rage  commune  contre  son  oncle 
Kol-bi  se  serait  apaisée,  on  ne  penserait  plus  à  l'enfant. 

Kol-bi,  sachant  qu'il  lui  fallait  se  soumettre  à  l'é- 
preuve ordinaire  en  pareille  circonstance  ,  ou  vivre 
dans  la  crainte  continuelle  d'être  assassiné,  se  décida  à 


DE  L'ASTKOLABE.  i  17 

subir  son  jugement.  Ayant  fait  connaître  sa  résolu- 
tion, le  jour  désigné  il  se  rendit  en  armes  sur  le  terrain 
près  des  baraques.  La  fureur  déployée  par  les  amis 
du  défunt  était  inexprimable,  et  Kol-bi  eût  certai- 
nement perdu  la  vie  ,  sans  la  présence  des  militaires. 
Quelque  agile  qu'il  fut  à  se  couvrir  avec  son  bouclier, 
le  nombre  l'accabla ,  et,  succombant  sous  les  coups 
des  lances ,  il  eut  été  immolé  sur  le  terrain  si  plu- 
sieurs soldats  ne  s'étaient  précipités  pour  le  sauver; 
car  les  cruelles  blessures  qu'il  venait  de  recevoir 
l'avaient  rendu  incapable  de  faire  aucune  résis- 
tance. Les  soldats  le  relevèrent  et  le  transportèrent 
dans  leurs  baraques. 

Benilong,  l'ami  de  Kol-bi,  était  au  nombre  des  spec- 
tateurs, mais  avec  l'intention  de  ne  prendre  parti  d'au- 
cun côté.  La  conduite  de  son  ami  avait  été  si  indigne 
qu'il  n'eût  pu  ouvertement  épouser  sa  querelle.  Peut- 
être  en  effet  n'avait-il  pas  envie  de  combattre,  si  un 
moyen  s'offrait  d'éviter  celte  extrémité  ;  il  désirait  en 
paraissant  contre  lui  ne  pas  augmenter  le  nombre  de 
ses  ennemis.  Du  reste  il  était  armé  et  complètement 
nu  ,  et  il  resta  silencieux  spectateur  de  l'affaire  ,  jus- 
qu'au moment  où  les  soldats  se  jetèrent  sur  Kol-bi 
pour  lui  sauver  la  vie.  Alors  il  entra  tout-à-coup  en 
fureur  ,  et  décoeba  sa  lance  au  travers  des  soldats 
avec  une  telle  violence  qu'elle  entra  par  le  dos  de  l'un 
d'eux  et  sortit  par  le  ventre  près  du  nombril.  Il  de- 
vait tomber  massacré  au  moment  même,  car  ii  avait 
déjà  reçu  sur  la  tète  un  coup  de  crosse  de  fusil ,  mais 
le  prévôt  -maréchal  vint  à  son  secours  et  l'emmena. 

TOME     I.  2<J 


438  VOYAGE 

On  se  vit  obligé  de  le  renfermer  toute  la  nuit  pour 
le  soustraire  à  la  rage  des  blancs  et  le  sauver  de  la 
fureur  des  militaires  ;  le  matin  suivant  il  quitta  la 
ville. 

Avant  la  mort  du  pauvre  diable  tué  par  Kol-bi,  les 
naturels  de  Sydney  avaient  été  convoqués  pour  célé- 
brer la  cérémonie  du  you-lang  irah-badiang. 

Nonobstant  le  châtiment  que  Kol-bi  avait  déjà  subi 
pour  la  manière  déloyale  dont  il  avait  frappé  son 
ennemi ,  les  amis  de  celui-ci  ne  crurent  pas  sa  mort 
suffisamment  vengée.  Moroubra,  de  concert  avec 
quelques  camarades ,  courut  à  la  rencontre  de  Kol-bi 
et  l'attaqua,  déterminé  à  le  tuer.  Kol-bi,  encore  affaibli 
par  les  blessures  qu'il  avait  dernièrement  reçues,  ne 
put  leur  résister  ;  après  avoir  encore  reçu  plusieurs 
coups  sur  la  tète,  il  fut  enfin  laissé  pour  mort; 
Moroubra ,  au  moment  où  ils  le  quittaient ,  le  voyant 
se  remuer  et  tenter  de  se  relever,  retourna  pour 
l'achever.  Ceci  indigna  tellement  un  autre  naturel 
qu'il  sauta  sur  sa  lance,  et  dans  un  transport  de 
fureur  l'envoya  sur  Moroubra  :  elle  lui  entra  par  le 
côté  droit  au-dessus  de  la  hanche,  et  lui  traversa 
tout  le  corps  ;  ce  qui  le  fit  périr  en  une  heure  environ. 
Le  soir  même  ce  vaillant  champion  fut  attaqué  à  la 
manière  ordinaire ,  et  se  défendit  avec  un  prodigieux 
courage.  Il  fut  percé  de  coups  de  lance,  deux  fois  à  la 
cuisse,  une  fois  à  la  jambe,  et  reçut  une  blessure 
dangereuse  à  la  main  droite. 

Six  mois  après  ,  une  jeune  femme  appelée  Warri- 
Wir,  parente  de  Benilong,  qui  avait  résidé  depuis  son 


DE  L'ASTROLABE.  439 

enfance  à  Sydney,  lut  cruellement  assassinée,  et  un 
naturel  de  Botanv-Bay  perça  de  sa  lance  le  corps  d'un 
garçon  nommé  Nanberreï.  Ces  deux  attentats  excitè- 
rent l'indignation  de  leurs  amis,  du  nombre  desquels 
étaient  Kol-bi  et  Benilong.  Le  premier,  se  trouvant aux 
prises  avec  l'homme  qui  avait  blessé  l'enfant,  se 
vengea  si  bien  du  traitement  qu'il  en  avait  reçu  autre- 
fois que  son  adversaire  mourut,  le  matin  suivant,  des 
blessures  qu'il  lui  Ht.  Par  suite  de  cette  affaire,  Beni- 
long fut  attaqué  par  deux  hommes  ,  un  jour  qu'il  se 
trouvait  seul  ;  il  se  défendit  avec  le  plus  grand  succès, 
et  les  eut  terrassés  tous  les  deux  s'ils  eussent  continué 
de  le  combattre  loyalement  :  mais  un  d'eux,  se  glissant 
derrière  lui,  lui  envoya  une  lance  avec  tant  de  vio- 
lence qu'entrant  par  le  coté,  elle  lui  pénétra  de  sept 
pouces  dans  le  corps.  Il  fut  recueilli  à  bord  du  Re- 
liance,  où  sa  blessure  parut  d'abord  accompagnée  de 
symptômes  très-dangereux  :  rien  de  ce  qu'il  prenait  ne 
pouvait  rester  dans  son  estomac. 

Comme  la  mort  de  ce  jeune  homme  que  Kol-bi  ve- 
nait de  tuer  devait  être  expiée,  guidée  par  la  soif  de 
la  vengeance ,  une  troupe  de  naturels  du  sud  vint 
combattre  contre  ceux  de  Sydney  peu  de  jours  après. 
On  se  battit  avec  acharnement  des  deux  côtés  :  trois 
naturels  lurent  tués,  et  plusieurs  blessés;  parmi  ceux- 
ci  se  trouvait  Benilong,  qui,  rétabli  de  sa  blessure, 
parut  et  combattit  en  cette  occasion  pour  Kol-bi 
comme  un  bon,  fidèle  et  honnête  ami. 

Vers  la  fin  de  décembre  1703,  les  habitans  de  la 
nouvelle  colonie  avaient   été  témoins  d'une  de  ces 

29' 


iio  VOYAGE 

sortes  de  jugemens  publics  qui  dura  trois  soirées  etue 
laissa  pas  ({ue  d'avoir  quelque  chose  de  tragique, 
puisqu'il  y  eut  beaucoup  de  sang  versé.  Les  naturels 
choisirent  pour  le  théâtre  un  espace  dégagé  de  brous- 
sailles entre  Sydney  et  Parramatta.  D'après  les  meil- 
leurs renseignemens  qu'on  put  se  procurer,  il  paraît 
que  quelques  assassinats  ayant  eu  lieu  durant  la  nuit, 
les  coupables,  qui  furent  immédiatement  connus,  reçu- 
rent ,  suivant,  l'usage  du  pays ,  une  sommation  de  se 
présenter  devant  les  parens  des  défunts ,  qui  devaient 
venger  leur  mort  à  coups  de  lance  et  en  faisant 
couler  du  sang.  Un  très-beau  garçon ,  natif  de  la  tribu 
de  Kemmiraï  et  nommé  Kerredai,  qui  en  avait  poi- 
gnardé un  autre  de  nuit ,  quoique  la  blessure  n'eut 
pas  entraîné  la  mort,  fut  obligé  de  rester  durant  deux 
soirées  exposé  aux  coups  de  lance  que  lui  envoyait 
non-seulement  l'homme  qu'il  avait  blessé,  mais  en- 
core plusieurs  autres  naturels.  Du  reste,  on  lui  per- 
mit de  se  couvrir  avec  un  bouclier  d'écorce,  et  il 
montra  beaucoup  de  courage  et  de  résolution.  Soit 
que  son  principal  assaillant,  l'homme  qu'il  avait 
blessé ,  le  trouvât  trop  adroit  pour  espérer  de  l'attein- 
dre, ou  que  ce  fût  une  condition  de  sa  punition,  ce  qui 
est  toujours  resté  douteux  :  le  second  jour  que  Kerredai 
se  présenta  devant  son  ennemi  lui  et  ceux  de  son  parti, 
après  avoir  reçu  un  grand  nombre  de  leurs  lances 
sur  son  bouclier,  sans  en  avoir  été  aucunement  atteint, 
il  souffrit  que  l'autre  lui  attachât  le  bras  gauche  au- 
dessous  du  coude  le  long  du  corps ,  sans  faire  aucune 
résistance.  Peut-être  était-il  arrêté  par  les  lances  des 


DE  L'ASTROLABE.  i  1 1 

autres  naturels  levées  sur  lui,  el  qui  l'eussent  bientôt 
exterminé  en  l'atteignant  de  tous  cotés.  Quelque 
temps  encore  après  cela,  Kerredai  continua  de  se  dé- 
fendre, quoique  blessé  au  bras  qui  tenait  le  bouclier, 
jusqu'au  moment  où  il  ne  resta  plus  de  lances  à  ses  en- 
nemis ,  qui  se  retirèrent  pour  en  ramasser  les  mor- 
ceaux et  les  rajuster.  S'étant  assis  par  terre ,  sa  main 
gauche  parut  très-grièvement  blessée,  et  le  premier 
chirurgien  de  la  colonie  jugea  que  la  lance  avait  tra- 
versé un  des  nerfs.  L'exécution  fui  reprise  quand  ils 
eurent  réparé  leurs  armes,  et  l'affaire  parut  devenir 
générale;  les  hommes,  les  femmes  et  les  en  fans  s'y 
étant  mêlés ,  donnant  et  recevant  plusieurs  blessures 
dangereuses,  jusqu'au  moment  où  la  nuit  vint  les  sé- 
parer. 

Cette  espèce  de  combat  parut  aussi  inexplicable  qu'il 
était  extraordinaire,  attendu  l'amitié  et  l'alliance  qui 
existaient  entre  plusieurs  de  ceux  qui  se  trouvaient 
engagés  les  uns  contre  les  autres.  Ils  combattirent  avec 
toute  l'ardeur  des  ennemis  les  plus  acharnés,  cl  ce- 
pendant les  blessés  déclarèrent  que  le  parti  opposé 
ne  se  composait  que  de  bons  el  braves  gens  de  leurs 
amis. 

Doués  par  la  nature  d'une  bonne  constitution  , 
les  combattans  guérirent  bientôt  de  leurs  blessures  ; 
mais  l'on  comprit  que  Kerredai  n'avait  pas  encore 
tout-à-fait  expié  son  crime  ,  et  qu'il  lui  restait  une 
nouvelle  punition  à  subir  de  la  part  de  quelques  na- 
turels qui  n'avaient  pu  assister  aux  cérémonies  «le 
ces  soirées. 


U2  VOYAGE 

Trois  ou  quatre  mois  plus  tard ,  tandis  qu'il  était 
endormi,  quelques  naturels  de  la  tribu  ennemie  de 
la  sienne  lui  donnèrent  la  mort. 

Voici  une  exécution  du  même  genre  que  je  vis  moi- 
même,  lors  de  mon  passage  à  Port-Jackson  en  1824, 
et  qui  fut  accompagnée  d'accidens  remarquables  : 

Le  28  février  1824,  au  soir,  j'étais  allé  voir,  avec 
M.  Uniacke  (employé  de  la  colonie)  et  le  major 
Marlay,  le  camp  de  Boungari ,  sur  la  péninsule  au 
nord  du  canal  de  Sydney.  Plusieurs  autres  tribus 
se  trouvaient  réunies  avec  la  sienne ,  et  il  nous  ap- 
prit que  le  lendemain  une  grande  assemblée  aurait 
lieu  près  de  Sydney,  à  l'effet  de  punir  plusieurs 
naturels  accusés  de  divers  crimes.  Je  lui  promis  de 
l'eau-de-vie  qu'il  aimait  à  la  folie,  et  il  s'engagea  à  me 
prévenir  le  lendemain  en  passant  le  long  du  bord 
pour  se  rendre  au  champ  de  bataille. 

En  effet,  le  29  dès  six  heures  du  matin,  les  deux 
canots  qui  portaient  la  tribu  de  Boungari  et  ses  al- 
liés passèrent  près  de  la  corvette  ;  je  m'acquittai  de 
ma  promesse,  et,  suivi  de  quelques  autres  personnes 
du  bord,  je  me  dirigeai  chez  M.  Uniacke.  Nous 
fîmes  un  tour  dans  la  ville ,  et  quelques  naturels  que 
nous  vîmes  errans  dans  les  rues  nous  apprirent  que 
la  séance  n'aurait  lieu  qu'a  dix  heures.  Boungari 
nous  ayant  encore  promis  de  nous  avertir  avant  son 
départ,  nous  déjeunâmes  chez  M.  Uniacke.  A  peine 
avions-nous  fini,  que  ce  chef,  suivi  de  sa  femme  et 
d'un  de  ses  amis ,  vint  nous  dire  qu'il  était  temps 
de  partir.  En  effet ,  en  sortant  de  la  ville  ,  nous  le 


DE  L'ASTROLABE.  443 

vîmes  à  la  tète  des  guerriers  de  sa  tribu  défiler  en 
sautant  et  caracollant  au  travers  des  broussailles  et 
suivant  différentes  directions  obliques.  Il  en  résul- 
tait un  coup-d'œil  très-bizarre  et  vraiment  pittores- 
que, ressemblant  assez  bien  à  celui  qu'offrent  parfois 
nos  troupes  de  diablotins  dans  nos  opéras.  Nous  le 
suivîmes  de  loin  et  arrivâmes  ainsi  sur  une  hauteur  à 
deux  milles  environ  de  la  mer,  d'où  l'œil  peut  embrasser 
tour  à  tour  les  rades  immenses  de  Port-Jackson  et 
de  Botany-Bay.  Sans  doute  les  combattans  avaient 
choisi  cette  position  parce  qu'elle  offrait  une  vaste 
étendue  de  terrain  très-uniforme  et  dégagé  de  buis- 
sons. Plusieurs  tribus  se  trouvaient  déjà  campées  à 
l'entour  dans  les  broussailles  ;  celle  de  Boungari  ar- 
riva sur  le  champ  de  bataille  en  exécutant  certaines 
danses  guerrières  et  certaines  parades  menaçantes, 
comme  pour  défier  leurs  ennemis  et  s'exciter  au 
combat.  D'autres  qui  la  suivirent  en  firent  autant  à 
leur  arrivée.  A  un  signal  général ,  toutes  les  tribus 
se  levèrent  et  se  rendirent  à  l'arène  par  groupes  de 
quinze  à  vingt  hommes  chaque,  tous  armés  de  lan- 
ces ,  de  boucliers ,  de  casse-tètes  et  de  womeremgt. 
Là  se  trouvaient  les  peuples  de  Parramatta,  Kissing- 
Poinl,  Sydney,  Liverpool,  Windsor,  Emu,  Bro- 
ken-Bay,  Five-Islands  ,  Botany-Bay,  et  même  de 
Hunter's  River,  etc.,  etc.  Tous  étaient  distingués 
par  la  forme  de  leurs  dessins  ,  noirs ,  rouges  ou 
blancs  :  mais  cinq  ou  six  tribus  seules  étaient  com- 
plètes ,  les  autres  n'avaient  envoyé  que  des  députés 
qui  s'étaient  réunis  sous  les  chefs  de  leurs  alliés.   Au 


444  VOYAGE 

milieu  de  ces  hordes  diverses,  se  distinguaient  d'une 
manière  surprenante  celles  de  Cow-Pasture  ,  toutes 
composées  d'hommes  assez  petits ,  mais  trapus  , 
vigoureux  et  parfaitement  conformés.  Les  peintures 
de  leurs  corps,  qui  imitaient  des  espèces  de  cottes-de- 
mailles  ,  ajoutaient  encore  à  leur  attitude  martiale ,  à 
leur  maintien  belliqueux. 

Pour  commencer,  six  femmes  furent  placées  en 
demi-cercle  dans  l'arène ,  munies  chacune  d'un  long 
bâton  destiné  à  les  soutenir  et  en  même  temps  à  pa- 
rer les  coups  qu'elles  allaient  recevoir  ;  tandis  que 
deux  hommes  furent  établis  à  peu  de  distance  sur 
une  même  ligne  et  défendus  seulement  par  ce  long 
bouclier  étroit  en  bois  qu'ils  nomment  heloman. 
Autant  qu'il  nous  fut  possible  de  comprendre  leur 
langage ,  on  accusait  ces  divers  individus  d'avoir 
fait  périr  un  homme  de  la  tribu  de  Windsor  alliée 
de  celle  de  Liverpool  que  commande  Cogai,  et 
tous  devaient  recevoir  le  châtiment  de  leur  crime. 
Pour  les  femmes ,  il  consistait  à  essuyer  un  certain 
nombre  de  coups  de  casse-tête  assénés  avec  force, 
et  les  hommes  des  coups  de  lances  envoyées  avec 
vigueur.  Cogai  et  ses  guerriers  étaient  chargés  de 
cette  vengeance.  Quelques  naturels  discoururent , 
puis  l'exécution  commença.  D'abord  un  homme  s'ap- 
procha des  femmes  pour  les  frapper ,  mais  elles 
n'eurent  qu'à  présenter  leur  bâton  en  travers,  et  il 
se  contenta  de  frapper  dessus  :  pourtant  à  la  cin- 
quième ,  au  lieu  de  diriger  le  coup  sur  le  bâton ,  il 
l'asséna  droit  au  milieu  de  sa  gorge  ;  sur-le-champ 


DE  L'ASTROLABE.  445 

la  malheureuse  tomba  par  terre  et  ne  tarda  pas  à  se 
relever,  pour  essuyer  le  reste  de  sa  punition.  La 
sixième  fut  traitée  comme  les  premières.  Plusieurs 
hommes  et  femmes  qui  suivirent  en  firent  autant , 
et  je  remarquai  que  chacun  d'eux  s'acharnait  davan- 
tage contre  celle  qui  avait  été  déjà  si  maltraitée  : 
néanmoins  deux  assaillans  seulement ,  un  homme  et 
une  femme,  eurent  encore  la  cruauté  de  la  frapper 
avec  leur  casse-tèlc,  l'un  sur  la  poitrine,  l'autre  sur 
le  sommet  de  la  tète.  A  chaque  coup ,  elle  se  laissait 
tomber  et  se  relevait  bientôt  en  se  soutenant  avec 
son  bâton.  Le  tour  des  hommes  étant  arrivé,  une 
quinzaine  de  sauvages  se  présentèrent  et  leur  en- 
voyèrent tour  à  tour  leurs  lances  que  les  patiens 
parèrent  avec  une  dextérité  vraiment  surprenante, 
et  d'autant  plus  salutaire  pour  eux  que ,  de  ces  traits, 
les  uns  allaient  s'enfoncer  en  terre  à  trente  pas  plus 
loin,  et  les  autres  pénétraient  d'un  pouce  ou  deux 
dans  l'heloman.  Un  homme ,  chargé  de  ramasser 
ces  lances ,  les  renvoyait  aux  propriétaires.  Souvent 
les  deux  naturels  en  punition  les  renvoyaient  eux- 
mêmes  en  défiant  leurs  ennemis  et  les  raillant  de 
leur  maladresse.  Sur  ces  entrefaites,  on  reprenait 
de  temps  en  temps  le  châtiment  des  femmes,  et, 
par  momens ,  les  sauvages  faisaient  serpenter  et  gron- 
der leurs  womerangs  tout  autour  d'elles  ;  d'ailleurs 
cet  instrument  singulier  est  plus  propre  à  effrayer 
qu'à  faire  réellement  du  mal.  Enfin,  lorsque  les  deux 
hommes  eurent  essuyé  à  peu  près  la  bordée  d'une 
soixantaine  de  zagaies  chacun  ,  on  les  mit  en  liberté, 


446  VOYAGE 

akisi  que  les  femmes,  et  l'on  cessa  de  s'occuper  d'eux. 
Seulement  la  malheureuse  que  j'ai  désignée  semblait 
accablée  des  coups  qu'elle  avait  reçus ,  elle  pouvait 
à  peine  se  soutenir,  et  fut  entraînée  dans  les  bois  par 
les  femmes  de  sa  tribu.  On  motiva  cet  excès  de  ri- 
gueur sur  un  autre  crime  que  celui  qui  lui  était  com- 
mun avec  ses  complices ,  que  l'on  s'était  contenté 
d'effrayer  et  d'humilier  publiquement. 

La  cérémonie  avait  commencé  à  dix  heures ,  et  la 
punition  des  coupables  avait  duré  une  demi-heure 
environ.  Quelques  minutes  après,  plusieurs  guerriers 
entrèrent  en  lice  et  furent  successivement  suivis  par 
d'autres ,  de  sorte  qu'un  combat  général  s'engagea 
d'une  vingtaine  d'hommes  contre  un  égal  nombre  ; 
du  reste  les  lances  s'envoyaient  de  chaque  côté  avec  un 
ordre  et  une  précision  admirables  ,  et  ce  combat  res- 
semblait bien  plutôt  à  un  tournoi  en  règle  qu'à  un 
engagement  confus.  Les  sauvages  combattaient  avec 
une  gravité ,  un  sang-froid  et  un  courage  vraiment 
dignes  d'éloges  ;  tous  les  coups  étaient  attendus  et 
parés  sans  jamais  reculer,  tandis  que  des  femmes 
parcouraient  souvent  les  rangs  pour  exciter  les  hom- 
mes. J'en  distinguai  une  entièrement  nue  ,  dont  les 
formes  et  la  tournure  offraient  un  ensemble  parfait. 
Elle  s'avança  vers  un  guerrier  qui  baissa  la  tête  de- 
vant elle  et  auquel  elle  asséna  deux  coups  de  casse- 
tète  avec  beaucoup  de  calme  et  de  dignité;  elle 
revint  encore  deux  ou  trois  fois  à  la  charge,  puis 
elle  disparut  de  l'assemblée  ,  et  je  ne  pus  m'assurer 
si  les  traits  de  sa  figure  répondaient  à  la  beauté  de 


DE  L'ASTROLABE.  447 

ses  formes.  Tandis  que  les  lances  volaient  envoyées 
des  deux  cotés  à  peu  près  en  nombre  égal ,  je  remar- 
quai un  jeune  homme  des  Cinq-Iles,  contre  lequel  tous 
les  traits  du  parti  opposé  semblaient  se  concentrer,  et 
qui  paraissait  privé  du  droit  de  représailles,  car  il  ne 
put  en  user  que  deux  ou  trois  fois.  Bidgi-Bidgi,  chef 
de  Kissing-Point ,  semblait  particulièrement  acharné 
contre  lui,  et  provoquait  ses  guerriers  à  la  vengeance. 
Comme  les  deux  partis  changeaient  à  chaque  instant 
de  position,  et  par  conséquent  les  lances  de  direction, 
pour  éviter  leurs  atteintes  les  spectateurs  étaient  sou- 
vent obligés  de  manœuvrer  avec  souplesse ,  et  pour 
cela  personne  ne  se  faisait  prier.  La  force  avec  la- 
quelle ces  lances  pénétraient  les  boucliers  nous  faisait 
juger  qu'il  y  aurait  eu  plus  (pic  de  l'imprudence  à  ris- 
quer d'être  frappé.  D'ailleurs  les  combattans  ne  fai- 
saient pas  la  moindre  attention  aux  Européens  qui  les 
environnaient  ;  les  chefs  seuls  des  tribus  inactives 
avaient  quelquefois  l'attention  de  nous  avertir  et  de 
nous  engager  à  nous  tenir  sur  nos  gardes.  Depuis 
quinze  à  vingt  minutes,  ce  combat  durait  sans  incident 
remarquable  ;  je  me  décidai  à  faire  seul  le  tour  du 
champ  de  bataille  et  à  visiter  les  groupes  de  femmes 
et  d'enfans  épars  dans  les  bois  d'alentour.  J'examinai 
quelque  temps  leurs  ligures  désagréables  ,  leurs  nez 
aplatis  ,  leurs  belles  dents ,  leurs  yeux  sauvages  , 
leurs  formes  rarement  gracieuses  dans  les  jeunes 
femmes ,  toujours  affreuses  dans  celles  qui  avaient 
nourri ,  leurs  enfans  alertes  et  vigoureux  et  leurs 
nombreux  chiens.  Dans  un  boisa  l'écart,  je  trouvai 


448  VOYAGE 

un  de  ces  robustes  sauvages ,  dont  la  vigueur  et 
l'encolure  avaient  déjà  excité  ma  surprise.  Des  ré- 
ponses brusques  et  évasives  furent  d'abord  tout  ce 
qu'il  opposa  à  mes  questions  réitérées  ;  ma  curiosité 
ne  semblait  nullement  l'intéresser,  et  je  le  quittais 
déjà,  voyant  que  je  ne  pouvais  rien  en  obtenir,  quand 
il  s'avisa  tout-à-coup  ,  comme  par  ressouvenir ,  de 
me  demander  de  l'argent  pour  acheter  du  pain.  Un 
schelling  que  je  lui  donnai  produisit  un  effet  merveil- 
leux ,  sa  figure  se  dérida  ,  ses  traits  s'épanouirent , 
il  me  traita  avec  considération,  et  répondit  de  ce  mo- 
ment avec  précision  et  intelligence  aux  questions 
que  je  lui  adressai  en  anglais.  J'appris  ainsi  qu'il  se 
nommait  Douel  et  qu'il  était  chef  de  la  belliqueuse 
tribu  Mericon ,  qui  habite  les  plaines  de  Gow-Pas- 
ture  ;  il  commandait  à  seize  guerriers  tous  aussi  vi- 
goureux que  lui.  Les  plaines  de  son  pays ,  bien  plus 
fertiles  que  celles  de  Sydney,  abondent  en  kangarous 
et  en  opossums.  Sa  tribu  ne  mange  point  de  chair  hu- 
maine, mais  les  habitans  des  montagnes  ne  se  font  au- 
cun scrupule  d'user  de  cet  aliment.  Enfin  il  n'était 
point  intéressé  au  combat  présent  dont  il  restait  simple 
spectateur.  Quelques  Anglais  qui  s'approchèrent  mirent 
lin  à  notre  conversation,  et  je  poursuivis  ma  tournée  : 
je  voulais  voir  dans  quel  état  se  trouvait  la  malheu- 
reuse femme  si  cruellement  traitée,  mais  je  ne  pus  la 
rencontrer,  elle  avait  été  sans  doute  emmenée  loin  du 
champ  de  bataille.  Je  cherchais  le  lieu  de  sa  re- 
traite ,  lorsque  des  cris  perçans  et  des  gémissemens 
lugubres    s'élevèrent   tout  -  à  -  coup    du  milieu  d'un 


DE  L'ASTROLABE.  449 

groupe  peu  éloigné  de  moi.  En  même  temps  un  bruit 
confus  ,  un  murmure  général  et  de  grands  cris  re- 
tentirent au  milieu  de  l'arène  ;  je  crus  un  instant  que 
toutes  les  conventions  allaient  être  rompues  et  le 
combat  devenir  sérieux ,  comme  je  savais  que  cela 
arrivait  quelquefois.  Déjà  la  plus  grande  partie  des 
spectateurs  s'apprêtaient  à  une  prudente  retraite ,  et 
moi-même  je  cherchais  des  yeux  au  travers  des  Lois 
L'endroit  par  où  j'allais  m'esquiver.  Mais  le  silence 
fut  bientôt  rétabli,  et  je  vis  un  homme  grièvement 
blessé  que  d'autres  emmenaient  du  champ  de  ba- 
taille ,  tandis  que  les  lances  continuaient  de  voler  de 
part  et  d'autre.  Je  reconnus  alors  que  les  parens 
seuls  du  blessé  continuaient  de  pousser  de  pitoyables 
gémissemens ,  tandis  que  les  autres  restaient  tranquil- 
les. Je  m'approchai  de  lui  et  je  vis  qu'un  demi-tour 
qu'il  avait  fait  pour  éviter  le  coup,  le  lui  avait  fait 
recevoir  près  des  reins  où  la  lance  s'était  enfoncée 
assez  profondément.  Un  de  ses  amis  le  soutenait  dans 
ses  bras;  le  bois  avait  été  retiré,  et  Ton  avait  sucé 
le  sang  de  la  plaie  ;  après  quoi  elle  avait  été  bandée 
par  un  linge.  Cet  infortuné  cependant  quoique  pâle 
et  affaibli  ne  poussait  pas  un  soupir  et  tentait  même 
de  marcher  en  s'appuyant  sur  sa  lance.  J'appris  alors 
que  ce  jeune  homme,  d'une  figure  plus  agréable  et 
plus  régulière  que  la  plupart  de  ses  compagnons  et 
natif  comme  les  autres  coupables  de  Five-Islands, 
était  accusé  par  Bidgi-Bidgi  d'avoir  étranglé  son  ne- 
veu à  l  école  de  Parramatta  pour  s'emparer  de  ses 
habits.   Ce  qu'il  y  a  de  bizarre,  c'est  que  bien  qu'il 


450  VOYAGE 

y  eût  effectivement  d'assez  fortes  présomptions ,  la 
preuve  la  plus  convaincante  qu'on  alléguât  pour  le 
condamner,  reposait  sur  un  rêve  fait  par  un  des  chefs. 
Voilà  le  motif  qui  l'avait  fait  condamner  à  recevoir  au- 
tant de  coups  de  lances  sans  avoir  le  droit  de  les 
rendre  ;  ceux  qui  combattaient  avec  lui ,  tous  ses  amis 
ou  ses  parais  ,  le  faisaient  par  point  d'honneur  ou 
par  amour-propre  plutôt  que  par  aucun  sentiment  de 
vengeance  bien  positif.  En  effet  dès  qu'il  eut  reçu  sa 
blessure,  le  combat  fut  bien  moins  animé  et  dura  à 
peine  huit  à  dix  minutes  sans  aucun  incident  digne 
d'attention.  Probablement  il  suffisait  à  la  tribu  offensée 
d'avoir  répandu  le  sang  du  coupable  dont  les  alliés  ne 
se  soucièrent  point  de  pousser  plus  loin  l'affaire.  Quel- 
ques naturels  parlèrent  encore,  des  femmes  gémirent, 
et  de  nouveaux  guerriers  firent  quelques  menaces  de  la 
lance  et  du  womerang;  mais  tout  cela  s'apaisa  promp- 
tement  ;  à  onze  heures  quarante-cinq  minutes  cha- 
cun se  retirait  de  son  côté  au  travers  des  bois. 

Après  avoir  observé  encore  quelque  temps  cette 
race  bizarre,  M.  Uniacke  me  fit  remarquer  un  na- 
turel qui  passait  pour  être  fort  habile  à  lancer  le  wo- 
merang. Je  n'avais  aucune  idée  de  cet  instrument,  et, 
à  ma  demande,  le  sauvage  l'envoya  quatre  ou  cinq  fois. 
Lancé  d'abord  horizontalement,  ce  projectile,  qui 
figure  un  sabre  de  bois  courbé  vers  le  milieu  sur  deux 
plans  divers ,  ne  tarde  pas  à  s'élever,  en  tournant  de 
droite  à  gauche,  à  une  hauteur  extraordinaire,  et 
bien  en  avant  de  celui  qui  l'envoie.  J'estime  à  peu  près 
à  46°  l'angle  sous  lequel  il  s'élève  lentement,  et  à  cent 


DE  L'ASTROLABE.  451 

cinquante  pieds  au  moins  la  distance  à  laquelle  il 
s  écarte.  Après  avoir  décrit  en  pirouettant  et  oscillant 
sans  cesse  cet  immense  intervalle  ,  il  retourne  sur  lui- 
même  en  suivant  une  marche  semblable ,  et  revient 
tomber  près  de  l'homme  qui  l'a  jeté  :  de  sorte  que  ceux 
qui  se  trouvent  à  ses  côtés  ne  savent  que  faire  d'abord 
pour  éviter  le  womerang  ;  mais  on  ne  tarde  pas  à  saisir 
la  direction  de  sa  marche ,  et  alors  il  devient  facile  de 
l'esquiver.  Le  sauvage  en  question  ne  manquait  jamais 
de  le  faire  revenir  directement  à  ses  pieds ,  et  il  faut 
pour  cela  une  longue  habitude.  Boungari  m'avait  pro- 
mis un  de  ces  bizarres  instrumens  ;  au  moment  de  mon 
départ  il  me  manqua  de  parole  sur  ce  point  comme  sur 
plusieurs  autres. 

Par  la  suite ,  en  lisant  avec  attention  les  ouvrages 
de  Collins  et  de  Barrington ,  j'ai  été  bien  surpris  de 
n'v  pas  voir  seulement  mentionner  l'usage  de  ce  sin- 
gulier projectile.  Les  noms  de  womerang  et  wo- 
merra  s'y  trouvent  bien  ,  mais  le  dernier  pour  dési- 
gner le  bâton  à  jeter  la  lance,  et  l'autre  simplement 
une  espèce  de  casse-lète.  Serait-ce  une  invention  nou- 
velle de  la  part  de  ces  sauvages ,  ou,  ce  qui  parait  plus 
vraisemblable ,  une  arme  particulière  à  quelques  peu- 
plades éloignées  de  Port-Jackson ,  dont  ces  auteurs 
n'auraient  point  eu  connaissance?  Du  reste,  la  plupart 
des  Anglais  à  qui  j'en  parlai  m'assurèrent  que  cet 
instrument  leur  appartenait  positivement  *. 


*  Au  moment  de  livrer  cet  ouvrage  à  l'impression,  j'ai  enfin  vu  mention- 
ner cet  instrument  singulier  dans  un  excellent  ouvrage ,  imprime  à  Londres 


152  VOYAGE 

Tout  était  à  peu  près  tranquille ,  et  nous  nous  reti- 
rions avec  M.  Uniacke,  lorsque  tout-à-coup  nous 
vîmes  un  naturel,  que  des  femmes  voulaient  retenir  en 
poussant  de  grands  cris,  s'agiter  avec  force,  et  à 
quelque  distance  un  autre  sauvage  s'avancer  en  gesti- 
culant avec  sa  lance  et  s'écriant  qu'il  voulait  com- 
battre. En  même  temps  ,  deux  hommes  s'étaient  em- 
parés de  vive  force  d'une  jeune  femme ,  et,  malgré  ses 
cris  et  sa  résistance,  l'entraînaient  vers  le  champ  de 
bataille.  Incertains  de  ce  qui  allait  se  passer,  nous 
nous  rapprochâmes  delà  scène;  M.  Uniacke  m'ayant 
assuré  que  c'était  les  préludes  d'un  mariage ,  je  m'ap- 
prêtai à  en  suivre  les  détails.  Tandis  que  nos  deux 
sauvages  se  préparaient  à  combattre ,  et  que  d'autres 
parlaient  au  milieu  d'eux  avec  véhémence ,  un  Anglais 

en  1829,  et  intitulé  Picture  of  Australla,  etc.,  page  2.4G.  Voici  ce  qu'on  y 
lit  à  ce  sujet  : 

«  Ces  gens  ont  aussi  un  autre  projectile  aussi  curieux  dans  sa  forme  que 
par  la  manière  dont  on  s'en  sert.  C'est  le  boumerang,  fait  avec  un  bois 
naturellement  très-dur  et  très-pesant,  qui  le  devient  encore  davantage  par 
son  exposition  au  feu  :  sa  forme  est  en  quelque  sorte  celle  d'une  lunette, 
ou  plutôt  de  deux  bras  légèrement  courbés  formant  un  angle  très-ouvert  au 
centre.  Cependant  il  est  formé  d'un  seul  morceau  de  bois;  les  deux  côtés 
sont  aiguisés,  et  leur  tranchant  est  d'autant  meilleur  que  leur  direction 
est  oblique  par  rapport  au  ni  du  bois.  Le  boumerang  se  lance  dans  une 
direction  oblique  de  bas  en  haut  :  sa  forme  et  la  manière  dont  il  est  envoyé 
lui  impriment  un  mouvement  circulaire  accompagné  d'un  sifflement  en  tra- 
versant l'air.  Après  s'être  élevé,  en  retombant  il  vient  frapper  avec  toute 
la  force  de  sa  vitesse.  Il  faut  une  gi-ande  habitude  pour  lancer  cet  instrument 
avec  précision;  mais  ceux  contre  lesquels  il  est  dirigé,  en  voulant  l'éviter, 
courent  le  risque  de  se  jeter  à  sa  rencontre ,  car  il  n'y  a  que  celui  qui  l'a 
envoyé  qui  sache  où  il  devra  tomber.  On  s'en  sert  à  la  chasse  aussi  bien 
qu'au  combat.  » 


DE  L'ASTROLABE.  ',,:>, 

se  précipite  sur  la. femme,  l'entraîne,  cl,  muni  d'un 
solide  gourdin,  repousse  vigoureusement  les  sau- 
vages qui  veulent  fondre  sur  lui.  Désespérée,  la 
pauvre  femme  l'embrassait  étroitement,  et  semblait 
attendre  son  unique  salut  de  ses  efforts.  3Iais  un  mur- 
mure général  d'improbation  s'éleva  de  tous  les  côtés , 
les  sauvages  s'ameutèrent  en  troupe  autour  du 
couple  fugitif,  et  déjà  menaçaient  le  ravisseur  de 
toute  leur  fureur;  des  camarades  de  celui-ci  s'inter- 
posèrent, lui  firent  des  représentations,  et  il  lâcha 
enfin  sa  proie.  Toutefois ,  il  suivit  encore  quelque 
temps  les  sauvages  qui  saisirent  la  femme,  en  les 
menaçant  et  vomissant  contre  eux  toutes  sortes  d'im- 
précations. Ceux-ci  ramenèrent  leur  captive  en  triom- 
phe :  une  lutte  de  deux  hommes  corps  à  corps  eut 
lieu  durant  quelques  minutes ,  et  se  termina  à  l'amia- 
ble. Il  y  eut  encore  des  menaces,  des  provocations, 
mais  sans  résultat.  Enfin ,  couverte  de  sang  et  de 
poussière ,  la  malheureuse  fut  traînée  près  d'un  tronc 
d'arbre  contre  lequel  elle  resta  collée ,  sans  force  et 
sans  mouvement,  tandis  que  le  chef  de  la  tribu  qui 
l'avait  enlevée  se  promenait  près  d'elle  en  long  et  en 
large ,  comme  pour  provoquer  au  combat  quiconque 
eût  été  disposé  à  la  réclamer.  C'était  le  vigoureux 
Douel,  et  personne ,  à  ce  qu'il  paraît ,  ne  se  soucia  de 
se  mesurer  contre  lui.  Je  voulus  m'en  approcher  pour 
lui  parler,  mais  il  était  tout  entier  à  son  rôle ,  et  il  ne 
daigna  pas  même  faire  la  moindre  attention  à  moi. 
Autant  qu'il  est  possible  de  compter  sur  ce  genre  d'ex- 
plications, quelques  Anglais  qui  m'entouraient  ra'ap- 


TOME    I. 


3o 


i.Si  VOYAGE 

prirent  que  la  tribu  de  Douel  avait. perdu  deux  jeunes 
filles  qui  avaient  été  enlevées  par  les  sauvages  du  nord 
de  la  baie  de  Port-Jackson ,  et  par  représailles  elle 
avait  projeté  d'en  enlever  deux  à  son  tour  à  ses 
agresseurs.  Un  cordonnier  de  Sydney  (c'était  notre 
vaillant  Paris)  avait  déjà  sauvé  Tune  d'entre  elles  qui 
vivait  en  ville  avec  lui  ;  non  content  de  cet  exploit  ga- 
lant, en  preux  chevalier  il  revenait  sur  le  champ  de 
bataille  pour  délivrer  aussi  l'autre,  lorsqu'il  fut 
obligé  de  céder  au  nombre.  D'ailleurs ,  il  paraît  que 
tout  cela  se  passait  conformément  aux  usages  et  cou- 
tumes établis ,  car  personne  ne  se  présentant  pour  ré- 
clamer la  belle  affligée ,  tout  rentra  dans  l'ordre  et  le 
silence ,  et  plusieurs  tribus  firent  aussitôt  leurs  pré- 
paratifs de  départ.  Tandis  que  les  hommes  préparaient 
leurs  armes ,  les  femmes  entassaient  dans  leurs  sacs 
en  filet  leurs  provisions  de  pain ,  viandes ,  poisson  , 
chiffons ,  jusqu'à  des  têts  de  bouteille,  etc. 

Boungari,  Bidgi-Bidgi  et  Cogai  nous  assurèrent 
pourtant  qu'il  y  aurait  le  soir  même  un  marri-corro- 
bori,  c'est-à-dire  une  danse  générale  de  toutes  les 
tribus  rassemblées ,  et  je  m'apprêtais  à  jouir  de  ce 
spectacle,  plus  curieux  pour  moi  que  tous  les  bals 
de  l'Europe  :  mais  ce  jour  et  les  suivans  nous 
eûmes  un  temps  affreux ,  et  ces  sauvages ,  ennuyés 
d'attendre ,  et  peu  jaloux  de  danser  quand  il  fait 
mauvais  temps,  se  débandèrent  et  reprirent  la  route 
de  leurs  foyers ,  laissant  comme  de  coutume  la  tribu 
de  Boungari  et  celle  de  Sydney  habiter  seules  ces 
régions. 


DE  L'ASTROLABE.  455 

Voyons  maintenant  ce  qui  se  passe  quand  un  sau- 
vage a  péri  de  mort  naturelle. 

Un  très-beau  jeune  homme  nommé  Boni  -  Dai 
mourut  d'un  refroidissement  suivi  d'une  fluxion  sur 
la  figure.  On  apprit  qu'il  devait  y  avoir  du  sang  versé 
dans  cette  circonstance  :  et,  quelques  semaines  après, 
une  troupe  considérable  de  naturels  appartenant  à 
différentes  tribus  s'assembla  à  Panni-Rong,  nom  du 
terrain  qu'ils  avaient  souvent  choisi  pour  leurs  com- 
bats,  et  qui,  dans  leur  langage,  signifie  sang.  Après 
avoir  dansé  et  s'être  régalés  toute  la  nuit,  le  lendemain 
de  bon  matin,  Moroubra  et  Kol-bi,  le  premier  frère  et 
le  second  parent  du  jeune  défunt,  se  saisirent  d'un 
garçon  nommé  Tarra-Bilong,  et  avec  leurs  casse-tètes 
lui  firent  chacun  une  blessure  qui  lui  ouvrit  le  crâne. 
La  sœur  de  Boni-Dai  prit  aussi  part  à  ce  rit  sangui- 
naire ,  en  frappant  le  petit  innocent  avec  une  lance 
courte,  et  le  laissant  dans  un  tel  état  que  les  chirur- 
giens de  rétablissement  décidèrent,  d'après  la  nature 
de  ses  blessures,  qu'on  ne  pouvait  guère  espérer 
de  guérison.  Lorsqu'on  lui  parlait  de  cet  événement 
il  disait  qu'il  n'avait  ni  pleuré  ni  gémi  comme  un  en- 
fant, mais  qu'il  avait  crié  kai-ia  à  chaque  coup  qu'il 
avait  reçu  :  que  les  personnes  qui  l'avaient  si  bien 
maltraité  n'étaient  pas  ses  ennemis,  mais  qu'A  boirait 
et  mangerait  avec  eux,  et  les  considérait  encore 
comme  ses  amis.  Peu  de  jours  après ,  un  parent  de 
Boni-Dai  (un  homme  âgé'  reçut  une  blessure  grave 
sur  le  derrière  de  la  tète,  à  cause  de  la  mort  de  Tarra- 
Bilong.  La  jeunesse,  ni  le  grand  âge,  les  liens  de  la 


456  VOYAGE 

parenté ,  ni  ceux  de  l'amitié ,  ne  semblent  opposer 
d'exception  à  ces  coutumes  sanguinaires. 

Quand  la  femme  de  Benilong  mourut ,  il  y  eut  plu- 
sieurs lances  envoyées  et  plusieurs  naturels  blessés. 
Benilong  lui-même  eut  une  rude  affaire  avec  Willi- 
Miring,  et  le  blessa  à  la  cuisse.  Tandis  que  sa  femme 
était  malade ,  Benilong  avait  envoyé  chercher  Willi- 
Miring  pour  l'assister  en  sa  qualité  de  kerredai;  celui- 
ci  ne  put  pas ,  ou  ne  voulut  pas  obéir  à  sa  réquisition. 
Pour  célébrer  des  jeux  funéraires  en  l'honneur  de  sa 
défunte  femme ,  Benilong  avait  choisi  le  temps  qu'un 
régal  de  baleine  avait  attiré  une  foule  considérable  de 
peuples ,  dont  plusieurs  venus  du  nord  parlaient  un 
dialecte  bien  différent  de  celui  qui  est  employé  aux 
environs  de  Port-Jackson. 

Quelques  officiers  se  trouvant  un  jour  présens  à  la 
mort  d'un  enfant  vers  le  fond  de  la  baie ,  virent  les 
hommes  se  retirer  à  l'écart  et  se  lancer  leurs  zagaies 
les  uns  aux  autres  avec  une  grande  colère  en  appa- 
rence ,  tandis  que  les  femmes  continuaient  leurs  la- 
mentations habituelles. 

Quand  le  petit  enfant  de  Benilong  mourut ,  il  y  eut 
plusieurs  zagaies  lancées,  et  à  la  mort  de  la  mère  il 
répéta  plusieurs  fois  qu'il  ne  serait  point  satisfait  jus- 
qu'à ce  qu'il  eût  sacrifié  quelqu'un  à  ses  mânes. 

Un  naturel  ayant  blessé  une  jeune  femme  mariée  à 
un  autre  homme,  et,  peu  de  temps  après,  celle-ci  ayant 
échangé  une  vie  triste  et  misérable  pour  la  paix  du 
tombeau,  cette  mort  devint  le  motif  d'un  combat.  Le 
coupable  fut  grièvement  blessé,  et  peu  après  conduit 


DE  L'ASTKOLABE.  457 

à  l'hôpital  par  celui-là  même  qui  l'avait  mis  dans  cet 
état. 

Un  naturel  de  Botany-Bay  s'éïant  emparé  de  la 
femme  d'un  sauvage  de  Port-Jackson ,  il  s'ensuivit 
un  combat  accompagne  de  quelques  cérémonies  in- 
accoutumées. Le  coupable  parut  escorté  d'une  troupe 
considérable  de  ses  amis  au  sud  de  Botany-Bay.  Plu- 
sieurs de  ses  compagnons  en  armes  étaient  tout-à-fait 
étrangers  à  Sydney;  et  le  you-lang  fut  le  lieu  du 
rendez- vous. 

Au  soir,  les  deux  partis  se  mirent  à  danser,  mais 
sans  se  mélanger  :  un  d'eux  attendant  pour  commencer 
que  l'autre  eût  fini.  Dans  leur  manière  de  danser, 
d'annoncer  qu'ils  étaient  prêts,  et  même  dans  leur 
chant ,  on  remarquait  des  différences  sensibles. 

Les  naturels  de  Sydney  parurent  avoir  quelque 
crainte  que  l'événement  ne  leur  fut  pas  favorable  ;  car 
apercevant  un  officier  qui  avait  un  fusil ,  un  d'eux  le 
pressa  instamment  de  faire  feu  sur  ceux  de  Botany- 
Bay  s'il  lui  arrivait  quelque  chose  de  désagréable. 
Quelques  autres  fusils  s'étant  montrés,  les  étrangers 
furent  inquiets  et  alarmés  jusqu'au  moment  où  on  les 
assura  qu'on  ne  les  avait  pris  que  pour  la  sûreté  per- 
sonnelle de  ceux  qui  les  portaient. 

L'affaire  commença  à  dix  heures  précises  du  ma- 
tin. Karuei  et  Kol-bi  s'assirent  à  un  bout  du  you-lang, 
tous  deux  armés  d'une  lance  et  d'un  womerra ,  et 
munis  d'un  bouclier.  Ils  demeurèrent  assis  jusqu'au 
moment  où  un  de  leurs  adversaires  s'avança  vers 
eux  ;  alors  ils  se  levèrent  aussi  et  se  mirent  en  garde. 


468  VOYAGE 

Parmi  les  zagaies  qui  leur  furent  lancées ,  quelques- 
unes  furent  simplement  ramassées  et  deux  rendues 
par  eux-mêmes ,  tandis  qu'ils  en  renvoyèrent  d'au- 
tres avec  une  extrême  violence.  L'affaire  était  terminée 
avant  deux  heures  après-midi ,  et  avec  moins  de  mal 
qu'à  l'ordinaire.  Du  reste ,  on  sut  qu'il  y  aurait  une 
nouvelle  réunion  pour  le  même  sujet. 

Cette  fois ,  comme  dans  la  plupart  de  leurs  com- 
bats, le  point  d'honneur  fut  rigoureusement  observé. 
Mais  les  lances  ne  sont  pas  toujours  les  seules  armes 
qu'on  emploie  dans  ces  luttes;  les  discours  y  jouent 
souvent  un  rôle  essentiel ,  surtout  quand  les  femmes 
sont  en  scène.  Durant  ce  dernier  engagement,  quand 
un  mot  très-offensant  venait  frapper  leurs  oreilles, 
toul-à-coup  les  naturels  se  mettaient  en  position  de 
darder  leurs  lances  ,  et  puis  quelquefois  les  laissaient 
retomber  par  terre  sans  les  envoyer  ;  mais  ils  ne  man- 
quaient jamais  d'observer  scrupuleusement  la  posi- 
tion de  leur  ennemi ,  et  ne  lui  eussent  jamais  envoyé 
leurs  traits  avant  qu'il  se  fût  couvert  de  son  bou- 
clier. Ce  qu'il  y  avait  de  plus  extraordinaire  ,  c'était 
de  voir  celui  qui  était  exposé  aux  lances  des  autres 
fournir  des  armes  à  ses  propres  ennemis  ;  car  bien 
des  fois ,  quand  une  lance  tombait  derrière  lui  sans 
lui  faire  de  mal ,  on  le  voyait  la  ramasser  et  la  ren- 
voyer négligemment  à  son  adversaire.  On  n'a  point 
su  si  cette  coutume  provenait  d'un  sentiment  de  mé- 
pris ou  bien  de  la  rareté  des  lances. 

Cette  attention  scrupuleuse  des  sauvages  au  point 
d'honneur,   quand  ils  combattent  loyalement  entre 


DE  L'ASTROLABE.  i  v.i 

eux,  est  difficile  à  concilier  avec  Leurs  assassinats  per- 
fides el  nocturnes. 


ARMES. 

Leurs  armes  offensives  et  défensives  sonl  la  lance, 
le  bâton  pour  la  darder  ou  uwmerra,  le  bouclier  el 
le  casse-tèle. 

Ils  ont  jusqu'à  huit  sortes  de  lances  distinguées  par 
le  nombre  des  barbes  ,  el  qui  portent  toutes  des  dards 
différons .  Quelques-unes  sont  simplement  pointues, 
d'autres  ont  une  ou  plusieurs  barbes ,  et  quelques- 
unes  sont  armées  de  morceaux  de  coquilles  d'huîtres 
brisées.  Du  reste,  ils  sont  fort  adroits  à  les  envoyer, 
et  frappent  souvent  leur  but  à  cinquante,  soixante  et 
soixante-dix  pieds  ;  ils  savent  aussi  imprimer  une 
grande  violence  à  leurs  lances,  et  quand  elles  sont  bar- 
belées ce  sont  des  armes  vraiment  redoutables. 

Le  bâton  pour  les  jeter  ou  wvmerra  porte  trois  pieds 
de  long  environ,  avec  un  croc  à  un  boulet  une  coquille 
à  l'autre  fixée  avec  de  la  gomme.  Ce  bâton  reste  à  la 
main  quand  la  lance  est  partie.  Il  y  en  a  de  deux  sortes  : 
Tune  est  armée  d'une  coquille  qui  lui  sert  de  couteau, 
l'autre  a  un  croc  mais  sans  coquille,  et  est  arrondie  par 
le  bout.  C'est  avec  celle-ci  qu'ils  déterrent  la  racine  de 
fougère  et  l'igname. 

Leurs  boucliers  sont  de  deux  espèces  :  l'une  en 
écorce  qui  ne  peut  résister  aux  coups  de  lance  comme 
l'autre  qui  est  fabriquée  avec  un  bois  solide  el  durcie 


460  VOYAGE 

au  feu ,  mais  qui  n'est  pas  aussi  usitée  à  cause  de  sa 
pesanteur. 

Ils  ont  des  casse-têtes  ou  waddis  de  plusieurs  gen- 
res ;  un  d'eux  est  d'une  très-grande  dimension  ;  quel- 
ques-uns sont  très-larges  et  très-longs ,  et  assènent 
des  coups  très-pesans,  qui  souvent  suffisent  pour 
fracturer  le  crâne,  et  toujours  pour  terrasser  une 
femme.  Ils  ont  encore  un  instrument  qu'ils  nomment 
ta-warrang.  Il  a  trois  pieds  environ,  et  est  étroit, 
mais  il  a  trois  côtés ,  et  sur  un  d'eux  un  manche  a  été 
pratiqué  en  le  creusant  par  le  feu  ;  les  autres  côtés 
sont  grossièrement  ornés  de  lignes  courbes  et  ondu- 
lées ;  ils  en  font  usage  dans  leurs  danses  en  frappant 
dessus  avec  un  casse-tête,    s 

Leurs  haches  en  pierre  ont  de  la  réputation  parce 
que  de  toutes  leurs  armes  ce  furent  les  plus  funestes 
aux  Anglais  au  commencement  de  la  colonie.  La  pierre 
qui  tient  lieu  de  fer  est  soudée  au  manche  avec  une 
gomme  fort  tenace. 

Leurs  instrumens  sont  ordinairement  ornés  de  gra- 
vures dont  les  dessins  varient  généralement  suivant 
les  diverses  tribus  principales ,  et  servent  à  les  dis- 
tinguer. On  observe  la  même  particularité  pour  leurs 
lignes  de  pèche,  leurs  filets,  et  même  pour  leurs 
danses,  leurs  chants  et  leurs  dialectes. 

Ils  portent  souvent  avec  eux  du  feu  à  cause  de  la 
difficulté  qu'ils  éprouvent  pour  le  rallumer.  Quand  ils 
veulent  faire  du  feu  ,  plusieurs  se  rassemblent  en 
cercle,  et,  comme  c'est  une  opération  pénible,  chacun 
agit  à  son  tour  pour  remplacer  celui  qui  est  fatigué. 


DE  L'ASTROLABE.  ici 

Ils  parviennent  à  leur  but  en  faisant  tourner  rapide- 
ment avec  les  mains  une  pièce  de  bois  sur  un  trou  pra- 
tiqué dans  une  planche  jusqu'à  ce  que  le  feu  y  prenne. 

Ces  hommes,  d'ailleurs  si  dépourvus  de  jugement, 
montrent  sous  quelques  rapports  une  adresse  singu- 
lière. On  a  trouvé  certaines  ligures  de  leur  façon ,  tail- 
lées sur  de  larges  pierres  représentant  des  individus 
de  leur  race  en  diverses  attitudes,  des  pirogues,  des 
poissons  et  des  animaux.  Quand  on  fait  attention  à  la 
grossièreté  des  instrumens  qu'ils  peuvent  employer, 
ces  figures  offrent  un  travail  bien  loin  d'être  mépri- 
sable. 

Les  naturels,  dans  le  principe  n'avaient  aucune  idée 
de  fean  bouillante.  Un  jour  l'équipage  d'un  canot 
faisant  bouillir  du  poisson ,  un  sauvage  en  l'absence 
des  Anglais  y  porta  la  main  pour  en  prendre  et  se 
brûla ,  ce  qui  le  surprit  beaucoup. 

SUPERSTITION. 

Ces  peuples  obéissent  en  esclaves  à  une  foule 
de  superstitions.  La  jonglerie  du  kemmiraï  kerredai 
lorsqu'il  produit  l'os  pour  arracher  la  dent  en  est  un 
exemple  frappant ,  et  n'est  pas  le  seul.  Après  sa  bles- 
sure, Kol-bi  accompagna  le  gouverneur  Phillip  sur 
les  bords  de  l'Hawkesbury,  et  rencontra  un  kerredai 
qui,  avec  beaucoup  de  gestes  et  de  grimaces,  prétendit 
extraire  les  barbes  de  deux  lances  de  son  côté  ;  jamais 
Kol-bi  n'avait  eu  de  lances  dans  le  côté,  et  d'ailleurs 
pour  les  retirer,  au  besoin,  il  aurait  fallu  avoir  recours 


462  VOYAGE 

au  scalpel  plutôt  qu'aux  enchantemens  ;  niais  le  patient 
fut  satisfait  et  se  crut  lui-même  parfaitement  guéri. 

Lorsque  Bou-Roung ,  jeune  naturelle ,    vivait   à 
Sydney,  elle  faisait  souvent  des  courses  vers  le  fond 
de  la  baie  :  un  jour  elle  en  revint  très-mal  à  son  aise , 
sans  aucun  symptôme  apparent.  Interrogée  sur  la  cause 
de  sa  maladie,  elle  déclara  qu'une  femme  kemmiraï 
avait  uriné  dans  un  sentier  où  elle  devait  passer,  et 
attribua  l'origine  de  son  mal  à  ce  maléfice.  Ces  femmes 
étaient  d'une  tribu  ennemie  de  la  sienne ,  car  elle  ap- 
partenait à  celle  de  Botany-Bay,  et  quand  Bou-Roung 
leur  annonça  qu'elle  était  très-malade ,  elles  se  vantè- 
rent avec  orgueil  de  ce  qu'elles  avaient  fait.  Cependant, 
l'effet  de  cette  idée  bizarre  fut  telle  sur  l'imagination 
affaiblie  de  Bou-Roung  qu'elle  ne  se  rétablissait  point, 
bien  que  M.  White  l'eût  saignée.  Le  mal  causé  par 
cette  superstition  ne  put  être  vaincu  que  par  une  su- 
perstition aussi  ridicule  qui  fit  plus  souffrir  l'opéra- 
teur que  la  patiente.  On  la  fit  asseoir  par  terre,  sa 
tête  fut  ceinte  par  un  de  ces  cordons  que  les  hommes 
avaient  portés  autour  de  la  leur  ;  on  eut  soin  de  placer 
le  nœud  au  milieu  du  front ,  puis  une  autre  fille  en 
prit  le  bout  qu'elle  frotta  contre  ses  lèvres  pour  les 
écorcher  jusqu'à  ce  qu'elles  vinssent  à  saigner.  Celle- 
ci  se  mit  alors  à  rejeter  le  sang  qui  en  découlait  en 
abondance  dans  de  l'eau  placée  près  d'elle ,  et  la  pau- 
vre Bou-Roung  crut  tout  simplement  que  ce  sang 
sortait  de  sa  tète,  et  que  le  cordon  le  conduisait  dans 
la  bouche  de  l'autre.  Cette  opération  se  nomme  bi- 
annaï,  et  est  du  ressort  particulier  des  femmes. 


DE  LASTKOLAIJE.  ,t,; 

L'équipage  de  quelqu'un  des  eanots  de  la  colonie , 
retenu  au  fond  du  porl  par  le  vent,  eut  lieu  de  con- 
naître un  autre  genre  de  superstition.  Les  matelots 
avaient  ramasse  quelques  coquillages,  et  se  prépa- 
raient à  les  faire  rôtir  de  nuit,  quand  un  naturel  qui 
les  observait  secoua  la  tète  et  s'écria  que  le  vent 
qu'ils  attendaient  ne  viendrait  point  s'ils  faisaient 
cuire  leurs  poissons.  Son  argument  n'empêcha  point 
les  matelots  de  faire  leur  régal,  et  le  vent  étant  réel- 
lement resté  contraire,  ceux-ci  à  leur  tour  donnèrent 
un  exemple  de  leur  propre  superstition  en  maltraitant 
le  naturel ,  et  lui  attribuant  le  mauvais  vent  qui  les  ar- 
rêtait. Quand  on  questionna  le  sauvage  sur  cet  inci- 
dent, on  apprit  qu'ils  ne  faisaient  jamais  rôtir  leur 
poisson  durant  la  nuit.  Ces  sauvages  racontent  aussi 
l'histoire  d'une  roche  qui  tomba  et  écrasa  quelques 
naturels  qui  sifflaient  au-dessous  ;  c'est  pourquoi  c'est 
une  règle  invariable  pour  eux  de  ne  jamais  siffler  sous 
un  rocher. 

Ils  croient  aux  esprits ,  et  voici  ce  que  leur  cré- 
dulité en  raconte.  Lorsque  les  esprits  apparaissent , 
ils  s'avancent  doucement,  le  corps  courbé,  les  bras 
étendus  devant  la  figure ,  et  saisissent  à  la  gorge  la 
personne  qu'ils  viennent  visiter.  Les  naturels  sont  gé- 
néralement persuadés  que  celui  qui  peut  dormir  près 
de  la  tombe  d'un  mort,  peut,  en  vertu  de  ce  qui  lui 
arrive,  être  délivré  pour  le  reste  de  sa  vie  de  toute 
crainte  touchant  ces  apparitions  ;  car,  durant  ce  terri- 
ble sommeil,  l'esprit  du  défunt  vient  le  trouver,  le 
saisit  à  la  gorge,  lui  ouvre  le  corps  ,  en  relire  les  en- 


464  VOYAGE 

trailles,  les  replace  ensuite,  et  referme  la  plaie.  Ils 
convenaient  en  même  temps  que  très-peu  d'entre  eux 
avaient  le  courage  de  s'exposer  aux  ténèbres  delà  nuit, 
à  la  solennité  des  tombeaux  et  à  la  visite  de  l'esprit  ; 
aussi  ceux  qui  étaient  capables  de  cet  effort  devenaient 
aussitôt  kerredais  ,  et.  tous  ceux  qui  en  exerçaient  les 
fonctions  avaient  dû  passer  par  ces  épreuves. 

«  Ils  reconnaissent  un  bon  esprit  qu'ils  nomment 
Koyan,  et  un  mauvais  esprit  qu'ils  appellent  Po- 
toyan.  Le  premier  passe  pour  veiller  sur  eux ,  pour  les 
proléger  contre  les  pièges  du  dernier,  et  les  aider  à 
recouvrer  les  enfans  que  l'autre  surprend  pour  les 
dévorer.  D'abord  ils  se  rendent  Koyan  favorable  par 
une  offrande  de  lances ,  puis  ils  se  mettent  à  la  re- 
cherche de  l'enfant  perdu  ;  s'ils  le  retrouvent ,  ils  en 
savent  gré  à  Koyan  ;  mais  si  le  contraire  arrive,  ils  en 
concluent  que  quelque  chose  leur  a  mérité  sa  disgrâce. 
Potoyan  rôde  pendant  la  nuit  pour  chercher  sa  proie, 
mais  la  vue  du  feu  le  repousse  et  est  une  sauvegarde 
contre  ses  attaques  :  voilà  pourquoi  on  ne  rencontre 
jamais  les  naturelsmarchantdurantlanuit,  ni  dormant, 
sans  un  feu  près  d'eux.  Les  naturels  de  Sydney  font 
de  grands  feux ,  et  dorment  à  l'entour,  mais  ceux  de 
l'intérieur  n'en  font  que  de  très-petits. 

»  On  peut  provoquer  Potoyan  en  l'interpellant  et 
tournant  rapidement  autour  de  sa  tête  un  bâton  brû- 
lant. D'ordinaire  il  annonce  son  approche  par  un  sif- 
flement bas  et  prolongé ,  semblable  à  celui  de  la  brise 
résonnant  au  travers  des  branches  d'un  arbre  :  c'est 
bien  certainement  alors  le  sifflement  de  Potoyan.  Un 


DE  L'ASTROLABE.  465 

habitant  de  Norfolk  profita  un  jour  de  eette  idée  pour 
débarrasser  sa  galerie  d'un  groupe  de  ces  croyans 
dans  le  pouvoir  de  Potoyan  ;  ils  s'y  étaient  réunis  pour 
passer  la  nuit,  mais  le  roulement  perpétuel  et  discor- 
dant de  leurs  langues  ne  permettait  pas  à  leur  hôte  de 
fermer  les  yeux.  Ne  voyant  aucune  apparence  que 
cela  finît,  il  ouvrit  la  fenêtre  tout  doucement,  et 
poussa  le  merveilleux  sifflet  de  Potoyan.  Un  chuchot- 
lement  bas  et  confus  se  fit  d'abord  entendre ,  et  fut 
suivi  d'un  silence  mortel  :  ceci  annonçait  que  toutes 
les  oreilles  étaient  aux  aguets.  Bientôt  le  sifflement 
ayant  recommencé ,  ils  se  levèrent  en  sursaut ,  et  dé- 
campèrent tous  delà  manière  la  plus  leste,  bien  réso- 
lus à  ne  plus  faire  leur  chambre  à  coucher  de  cette 
même  galerie.  »  (Cunningham,  frc'dit.,  t.  2,  p.  36.) 

Je  tiens  de  la  complaisance  de  M.  Cunningham, 
botaniste  à  Sydney,  la  note  suivante  touchant  deux 
cires  qu'il  regarde  comme  tout-à-fait  chimériques ,  et 
qui  n'ont  d'existence  que  dans  l'imagination  des  indi- 
gènes ,  surtout  de  ceux  qui  habitent  les  environs  de 
Bathurst ,  savoir  : 

Dans  l'eau  ,  le  JVar-wi,  monstre  amphibie  qu'ils 
décrivent  comme  un  crocodile  pour  la  longueur,  et 
qu'ils  disent  habiter  les  rivières  d'eau  douce,  d'où  il 
sort  quand  il  lui  plaît,  pour  se  saisir  des  enfans,  et  qui 
retourne  ensuite  sous  l'eau  pour  les  dévorer. 

Sur  terre,  le  Coapir,  monstre  à  forme  humaine, 
qui  habite  les  cavernes  des  collines  rocailleuses.  Il  a 
le  pouvoir  de  se  saisir  des  noirs,  mais  laisse  passer 
les  blancs  sans  leur  faire  de  mal. 


466  VOYAGE 

Ils  attachent  beaucoup  d'importance  à  l'aspect  d'un 
météore.  Le  tonnerre  et  les  éclairs  leur  causent  aussi 
une  grande  frayeur,  mais  ils  pensent  qu'en  chantant 
certaines  paroles ,  et  respirant  avec  force,  ils  peuvent 
les  faire  cesser. 

MALADIES. 

Les  naturels  qui  vivent  sur  la  côte,  et  surtout 
ceux  qui  se  nourrissent  particulièrement  de  pois- 
son ,  sont  sujets  à  un  mal  très-voisin  de  la  gale, 
qu'ils  nomment  djiball-djiball,  et  qui  devient  quel- 
quefois général.  En  1791  il  fît  tant  de  ravages  que 
plusieurs  de  ceux  qui  venaient  à  l'établissement  se 
trouvaient  dans  l'état  le  plus  dégoûtant ,  et  tous  étaient 
attaqués  du  mal  à  un  degré  plus  ou  moins  fort  *. 

En  1 789 ,  une  maladie  sévit  parmi  eux  avec  tous  les 
symptômes  de  la  petite- vérole.  D'après  leurs  propres 
récits,  elle  fit  périr  un  nombre  incroyable  de  person- 
nes. À  ce  triste  spectacle ,  un  naturel  qui  résidait  alors 
à  Sydney,  et  qui  était  allé  visiter  ses  anciens  compa- 
gnons ,  fut  représenté  par  ceux  qui  l'accompagnèrent, 
comme  livré  aux  émotions  les  plus  déchirantes.  Il  par- 
courait avec  anxiété  les  diverses  grottes  qu'ils  avaient 
coutume  de  fréquenter.  Le  sable  n'offrait  pas  une  seule 
empreinte  de  pas  humains  ;  les  excavations  des  rochers 


*  Barrington  et  Collins  parlent  ici  de  cette  sorte  de  lèpre  si  commune 
chez  toutes  les  races  océaniennes,  et  surtout  chez  celles  de  couleur  plus  ou 
moins  foncée. 


DE  L'ASTROLABE.  it,7 

étaient  remplies  des  corps  putréfiés  des  malheureuses 
victimes  de  la  maladie  ;  pas  un  être  vivant  ne  s'offrait  à 
ses  recherches.  11  semblait  qu'en  fuyant  la  contagion, 
les  naturels  n'eussent  laissé  que  des  morts  pour  en- 
terrer les  morts.  Le  pauvre  sauvage  leva  ses  mains  et 
ses  yeux  vers  le  ciel  dans  un  silence  voisin  de  l'agonie, 
et  à  la  fin  s'écria  :  «  Tous  morts ,  tous  morts  !  »  puis  il 
laissa  retomber  sa  tète  en  gardant  un  profond  silence 
pendant  tout  le  reste  de  son  excursion.  Quelquesjours 
après  il  apprit  que  le  petit  nombre  de  ceux  qui  avaient 
survécu  à  cet  affreux  fléau  s'étaient  enfuis  vers  le  haut 
de  la  baie  pour  en  éviter  la  fureur.  Il  succomba  bien- 
tôt lui-même  victime  de  son  humanité,  en  prodiguant 
ses  soins  à  ceux  de  ses  compatriotes  qui  avaient  été 
recueillis  dans  la  ville.  Le  mal  ne  borna  point  ses 
effets  aux  environs  de  Port-Jackson,  car  en  visitant 
Broken-Bay  on  vit  en  plusieurs  endroits  le  chemin 
couvert  de  squelettes  ,  et  le  même  spectacle  se  repré- 
senta dans  les  cavités  de  la  plupart  des  rochers  de 
cette  baie. 

Quoique  la  ville  de  Sydney  fût  alors  remplie  d'en- 
fans  dont  plusieurs  visitaient  souvent  les  naturels  qui 
étaient  atteints  de  cette  maladie,  aucun  n'en  fut  atta- 
qué qu'un  Indien  de  l'Amérique  septentrionale ,  ap- 
partenant au  brik  le  Suppbj,  qui  mourut. 

Les  naturels  donnèrent  à  ce  mal  le  nom  de  gai- 
gala  ;  on  ne  peut  guère  douter  que  ce  ne  fût  la  petite- 
vérole,  car  les  personnes  qui  en  étaient  saisies  of- 
fraient tout-à-fait  les  mêmes  symptômes  que  les  Euro- 
péens qui  ont  cette  maladie;  plusieurs  de  ceux  qui 


468  VOYAGE 

échappèrent  en  conservèrent  des  traces  ,  et  quelques- 
uns  même  les  marques  sur  la  figure. 

Pour  se  guérir  du  mal  de  ventre ,  jadis  ils  s'échauf- 
faient la  main  de  leur  haleine  et  l'appliquaient  contre 
cet  endroit  du  corps  en  chantant  une  chanson  propre 
à  la  circonstance.  Ils  appliquaient  aussi  la  bouche 
contre  la  partie  malade,  s'arrêtant  souvent  pour 
souffler,  et  s'interrompant  quelquefois  pour  faire  un 
bruit  semblable  à  celui  d'un  chien  qui  aboie.  Depuis 
l'arrivée  des  Anglais ,  ceux-ci  leur  ont  appris  l'usage 
de  la  rhubarbe  qui  leur  épargne  celte  peine. 

Quand  ils  éprouvent  quelque  douleur  sur  une 
partie  du  corps,  ils  font  une  ligature  très-serrée  au- 
tour de  cet  endroit,  et  diminuent  ainsi  l'intensité  du 
mal  en  arrêtant  la  circulation  du  sang.  En  général  ils 
se  rétablissent  très-promptement  de  leurs  blessures  ; 
une  fracture  au  crâne  ne  les  arrête  même  que  fort 
peu  de  temps.  On  ne  doit  guère  s'étonner  qu'ils  reçoi- 
vent autant  de  fractures  au  crâne,  quand  on  saura 
qu'ils  ne  visent  qu'à  la  tête  avec  leurs  massues.  Les 
femmes  qui  sont  frappées  de  cette  arme  tombent  tou- 
jours par  terre ,  mais  cela  arrive  rarement  aux 
hommes. 

Leurs  communications  avec  les  Européens  leur  ont 
fait  connaître  les  maladies  vénériennes  qui  font  sou- 
vent encore  de  grands  ravages  chez  eux  et  les  rédui- 
sent quelquefois  à  l'état  le  plus  pitoyable. 


DE  L'ASTROLABE.  lfiî) 


PROPRIETES. 


Elles  se  bornent  à  leurs  lances,  boucliers,  casse- 
tètes  cl  instrumens  de  pèche ,  etc.  ;  ce  sont  eux- 
mêmes  qui  fabriquent  ces  divers  objets  qui  consti- 
tuent tout  leur  véritable  avoir.  Cependant,  quelque 
étrange  que  cela  paraisse,  ils  ont  aussi  quelquefois 
un  véritable  domaine.  Benilong  répétait  fort  souvent 
que  file  Mcmel  (connue  des  Anglais  sous  le  nom  de 
Goat-Island) ,  près  Sydney-Cove  ,  était  sa  propriété 
particulière ,  quelle  avait  été  celle  de  son  père  et 
qu'il  la  donnerait  à  Baï-gôn,  son  ami  intime  et  son 
fidèle  compagnon.  Il  semblait  tenir  beaucoup  à  ce 
petit  coin  de  terre ,  et  nommait  divers  individus  qui 
possédaient  également  des  propriétés  héréditaires  de 
ce  genre  sans  aucune  opposition. 


DISPOSITIONS. 


Il  serait  bien  difficile  d'assigner  à  ces  bizarres 
humains  un  caractère  national,  vu  qu'ils  réunissent 
les  dispositions  les  plus  disparates.  L'Australien  est 
tout  à  la  fois  cruel  et  généreux,  égoïste  et  libéral, 
avide  de  vengeance  et  prompt  à  pardonner,  jaloux  et 
confiant,  courageux  et  lâche,  sincère  et  dissimulé. 
Leur  ardeur  à  se  venger  par  la  mort  de  leur  ennemi, 
aussi  bien  que  la  manière  barbare  dont  les  hommes 
traitent  les  femmes  ,  doit  les  faire  détester  des  nations 
civilisées;  cependant  ils  montrent  de  la  constance  à 

TOME    r.  3l 


470  VOYAGE 

souffrir  la  douleur  et  du  courage  à  combattre  seul  à 
seul  ou  en  troupe. 

Bien  instruits  du  mensonge  et  de  ses  effets ,  ils 
tachent  de  vous  convaincre  que  tout  ce  qu'ils  disent 
est  la  vérité,  et  qu'au  contraire  tout  ce  que  vous 
entendez  d'autre  part  est  faux.  L'amitié  et  les  cha- 
grins ne  leur  sont  pas  étrangers  ,  mais  ces  sentimens 
ne  sont  jamais  durables.  Aux  funérailles  d'un  jeune 
naturel ,  on  a  vu  la  figure  noircie  de  son  père  se 
couvrir  de  larmes  abondantes  et  silencieuses  ;  mais 
quelques  momens  après ,  elle  était  sèche  et  ne  conser- 
vait que  les  rides  de  la  vieillesse. 

Le  soin  même  de  leur  propre  existence  ne  va  jamais 
au-delà  du  moment  présent,  et  pour  eux  il  n'est  point 
de  lendemain.  Ils  mangent  et  s'endorment;  ils  s'é- 
veillent et  cherchent  leur  nourriture  ;  voilà  leur 
vie.  Cependant,  il  n'est  pas  rare  de  voir  les  femmes, 
assises  dans  leurs  pirogues  durant  des  heures  entières 
à  l'ardeur  du  soleil,  chantant  leur  petite  chanson, 
et  occupées  à  pêcher  ;  tandis  que  leurs  maris ,  étendus 
près  d'elles  à  quelque  distance ,  dorment  tout  à  leur 
aise;  car  si  elles  ne  pouvaient  leur  fournir  au  réveil  de 
quoi  satisfaire  leur  appétit,  elles  risqueraient  fort 
d'être  cruellement  maltraitées. 

L'air  soumis  avec  lequel  ils  abordent  ceux  qu'ils 
rencontrent  armés ,  ferait  croire  à  ceux-ci  qu'ils  n'ont 
à  faire  qu'à  des  amis  ;  mais  il  en  est  tout  autrement 
si  l'on  se  trouve  sans  armes ,  car  on  court  grand 
risque  d'être  attaqué. 

Ils  ont  quelques  notions  légères  d'astronomie,  mais 


DE  L'ASTROLABE.  ,Tl 

aucune  de  la  forme  de  la  terre  ;  ils  croient  que  durant 
la  nuit  le  soleil  revient  au  point  d'où  il  était  parti  le 
malin  précédent. 

Le  respect  qu'ils  témoignent  à  la  vieillesse,  quelle 
qu'en  soit  la  cause ,  leur  fait  beaucoup  d'honneur,  et 
ils  le  poussent  au  plus  haut  degré,  si  celui  qui  en 
est  l'objet  est  aveugle  ;  car,  dans  ce  cas ,  on  ne  permet 
à  personne  de  se  tenir  devant  lui,  et,  quand  il  est  dans 
une  pirogue,  celui  qui  rame  est  obligé  de  se  tenir 
derrière  lui. 

HABILLEMENT. 

Les  femmes,  dans  le  jeune  âge,  portent  un  petit 
tablier  de  peau  d'opossum  ou  de  kangarou  ,  coupé  en 
lanières  et  pendant  de  quelques  pouces  au-dessous  de 
la  ceinture.  Elles  le  gardent  jusqu'à  ce  qu'elles  soient 
nubiles  et  enlevées  par  un  homme  ;  alors  elles  le 
quittent.  Il  est  singulier  que  des  parens  qui  trouvent 
convenable  de  couvrir  leurs  enfans  de  ce  léger  vête- 
ment ,  les  laissent  ensuite  aller  dans  le  pur  état  de 
nature ,  en  leur  donnant  eux-mêmes  l'exemple  d'une 
nudité  complète. 

Les  hommes  et  les  femmes  portent  rarement  aucun 
vêtement,  et,  bien  qu'on  leur  en  ait  souvent  donné, 
ils  ont  fini  toujours  par  les  abandonner.  Quelques- 
nos  seulement,  habitués  à  vivre  avec  les  Anglais,  s. 
couvrent  de  guenilles  ou  se  ceignent  le  corps  d'un 
morceau  d'étoffe  qui  dérobe  h  peine  leur  nudité. 


3i* 


472  VOYAGE 


Les  hommes  se  brûlent  souvent  la  barbe ,  opération 
qu'ils  regardent  comme  fort  douloureuse. 


FUNERAILLES. 


La  première  chose  à  remarquer  dans  ces  cérémo- 
nies est  la  manière  dont  ils  disposent  de  leurs  morts  ; 
ils  enterrent  les  jeunes  gens ,  ils  brûlent  les  individus 
qui  ont  passé  l'âge  moyen  de  l'homme.  Benilong  brûla 
le  corps  de  sa  première  femme,  Barang-Arou,  qui ,  à 
l'époque  de  sa  mort,  avait  plus  de  cinquante  ans.  L'en- 
terrement de  Balouderrai ,  jeune  garçon  dont  nous 
avons  déjà  parlé,  fut  accompagné  de  plusieurs  cérémo- 
nies. Un  jour,  après  avoir  joui  d'une  santé  robuste,  il 
se  trouva  extrêmement  mal  ;  sur-le-champ  on  le  trans- 
porta à  l'hôpital ,  où  il  reçut  les  soins  de  Benilong  qui 
se  mit  à  chanter  près  du  malade  et  à  mettre  en  prati- 
que tous  les  moyens  que  l'ignorance  et  la  superstition 
purent  lui  suggérer.  Le  patient  était  étendu  par  terre, 
en  proie  à  de  violentes  douleurs.  Benilong  appliqua  sa 
bouche  contre  les  diverses  parties  du  corps  qu'il  crut 
affectées  par  la  maladie ,  en  soufflant  fortement  dessus 
et  en  chantant.  D'autres  fois  il  balançait  sur  le  lit  de  Ba- 
louderrai des  branches  trempées  dans  l'eau,  et  en 
tenant  une  de  chaque  main ,  il  semblait  apporter  un 
grand  recueillement  à  cette  pratique.  Le  matin  suivant, 
le  malade  fut  visité  par  un  kerredai  venu  tout  exprès 
de  la  côte  du  nord.  Cet  homme  exécuta  diverses  con- 
torsions, appliqua  sa  bouche  à  diverses  parties  du 
corps  du  malade-,  à  la  fin,  après  avoir  souffert  en 


DE  L'ASTROLABE.  473 

apparence  de  grandes  douleurs  et  après  beaucoup  d'ef- 
forts ,  il  cracha  un  morceau  d'os  qu'il  s'était  procuré 
d'avance.  Là  finit  la  farce,  et  le  kerredai  se  retira  alors 
pour  se  régaler  des  mets  que  lui  avaient  donnés  les  amis 
du  patient.  Durant  la  nuit,  la  fièvre  de  Baloudcrrai 
augmenta,  et,  le  jour  suivant,  de  bonne  heure, 
il  expira.  Sa  mort  fut  bientôt  annoncée  par  de  grands 
cris  poussés  par  les  femmes  et  les  en  fans  ;  Benilong 
s'étant  rendu  au  gouvernement ,  il  fut  convenu  entre 
lui  et  le  gouverneur  que  le  corps  serait  enterré  dans 
le  jardin  de  celui-ci. 

Dans  l'après-midi ,  on  le  déposa  dans  une  hutte 
près  du  lieu  destiné  pour  l'inhumer.  Plusieurs  natu- 
rels australiens,  les  femmes  et  les  enfans,  se  lamen- 
taient et  poussaient  des  cris  aigus ,  quand  tout-à-coup , 
sans  aucune  provocation ,  deux  hommes  s'attaquèrent 
à  coups  de  casse-tête  ;  en  même  temps  quelques  coups 
furent  échangés  entre  les  femmes  ;  il  y  eut  aussi 
quelques  zagaics  lancées  ,  mais  évidemment  comme 
une  simple  formalité  de  la  cérémonie  et  sans  intention 
de  faire  mal  à  personne.  A  la  requête  de  Benilong, 
une  couverture  fut  étendue  sur  le  cadavre ,  et  Kol-bi , 
son  ami,  resta  assis  près  du  corps  toute  la  nuit,  sans 
que  rien  pût  l'engager  à  s'en  éloigner. 

Ils  gardèrent  le  silence  jusqu'à  une  heure  du  matin, 
où  les  femmes  commencèrent  à  crier,  et  cela  dura 
quelque  temps.  Au  point  du  jour,  Benilong  apporta 
sa  pirogue ,  et  l'ayant  coupée  de  la  longueur  conve- 
nable ,  le  corps  y  fut  placé ,  avec  une  lance ,  un 
harpon ,  un  bâton  pour  jeter  la  lance ,  et  une  ligne 


474  VOYAGE 

que  Balouderrai  avait  à  sa  ceinture.  Durant  tous  ces 
préparatifs ,  les  hommes  restèrent  silencieux ,  mais  les 
femmes,  les  jeunes  gens  et  les  enfans  poussaient  les 
cris  les  plus  lamentables.  Le  père  était  debout,  à 
l'écart ,  sans  occupation  et  silencieux  observateur  de 
ce  qui  se  passait  près  du  corps  de  son  fils  ;  parfaite 
image  de  la  douleur  profonde  et  sans  affectation. 
Quand  tout  fut  prêt ,  les  hommes  et  les  jeunes  gens 
aidèrent  tous  à  soulever  de  terre  le  corps  avec  la  piro- 
gue et  à  les  placer  sur  la  tête  de  deux  naturels.  Quel- 
ques-uns des  assistans  portaient  dans  les  mains  des 
touffes  d'herbes  qu'ils  agitaient  en  avant  et  en  arrière 
au-dessus  de  la  pirogue,  tandis  qu'on  la  levait  de 
terre ,  comme  s'ils  eussent  voulu  exorciser  quelque 
malin  esprit.  Aussitôt  qu'elle  fut  placée  sur  la  tête  des 
porteurs,  ils  se  mirent  en  marche,  précédés  par  Be- 
nilong  et  un  autre  homme  ,  tous  deux  marchant  d'un 
pas  précipité.  Maugo-Ran,  le  père  du  mort,  les  suivait 
armé  de  sa  lance  et  du  womerra ,  tandis  que  Beni- 
long  et  son  compagnon  ne  portaient  que  des  touffes 
d'herbes  qu'ils  agitaient  en  marchant,  tantôt  en  se 
retournant  et  faisant  face  au  cadavre ,  et  tantôt  en 
les  secouant  au  travers  des  broussailles.  Quand  ils 
faisaient  face  au  corps ,  dont  la  tête  était  en  avant ,  les 
porteurs  faisaient  un  mouvement  avec  leurs  têtes  d'un 
côté  à  l'autre,  comme  s'ils  eussent  voulu  éviter  les  re- 
gards de  ceux  qui  se  trouvaient  devant  eux.  Après 
s'être  avancé  ainsi  à  une  petite  distance,  le  compa- 
gnon de  Benilong  se  détourna  un  peu  du  chemin  , 
s'enfonça  dans  le  bois  ,  et  sembla  regarder  avec  beau- 


DE  L'ASTROLABE.  475 

coup  d'attention,  comme  s'il  cherchait  quelque  chose 
qu'il  ne  pouvait  trouver,  et  ne  cessa  d'agiter  les  touffes 
d'herbes  qu'il  portait  dans  chaque  main.  Après  cette 
inutile  recherche,  tous  revinrent  sur  leurs  pas,  et 
marchèrent  un  peu  plus  vite  qu'auparavant.  En  se 
rapprochant  du  terrain  où  les  femmes  et  les  enfans 
étaient  assis  avec  les  autres  hommes,  Maugo-Ran 
envoya  deux  lances  sur  eux ,  mais  évidemment  de 
manière  à  ne  pas  les  atteindre.  Ici  Benilong  prit  son 
enfant,  la  petite  Dilboung,  dans  ses  bras,  et  la  pré- 
senta au  cadavre,  tandis  que  les  porteurs  cherchaient 
à  éviter  sa  vue,  comme  on  l'a  déjà  dit.  Bidiai-Bidiai , 
frère  du  défunt,  petit  garçon  de  cinq  ans,  fut  alors 
appelé;  il  vint  avec  une  répugnance  très-visible  et 
fut  présenté  de  la  même  manière  que  l'autre  enfant. 
Ensuite  ils  s'avancèrent  vers  la  tombe,  qui  avait  été 
préparée  dans  le  jardin  du  gouverneur.  Onrelevadeux 
fois  le  porteur  qui  marchait  en  avant  ;  mais  l'ami  du 
mort,  Kol-bi,  le  porta  durant  toute  la  roule.  Yellou-wai 
aplanit  le  fond  de  la  fosse ,  et  y  sema  de  l'herbe  ; 
ensuite  il  s'y  étendit  lui-même  tout  de  son  long , 
couché  d'abord  sur  le  dos ,  puis  sur  le  côté  droit.  A 
la  prière  de  Benilong ,  quelques  tambours  s'étaient 
rendus  à  cette  cérémonie;  ils  battirent  deux  ou  trois 
marches  ,  tandis  qu'on  préparait  la  tombe.  Cela  lui 
lit  beaucoup  de  plaisir  cl  parfois  il  montra  le  mort, 
puis  le  ciel,  comme  s'il  voulait  indiquer  qu'en  ce  mo- 
ment il  se  trouvait  quelque  rapport  entre  ces  deux 
objets.  En  déposant  le  corps  dans  la  fosse,  on  eut 
grand  soin  de  le  placer  de  manière  que  le  soleil  dans 


476  VOYAGE 

son  cours  pût  donner  dessus ,  et  dans  ce  but  les  natu- 
rels ne  manquèrent  pas  de  couper  tous  les  arbustes 
qui  auraient  pu  s'opposer  au  passage  des  rayons  de 
l'astre.  On  plaça  le  mort  sur  le  côté  droit ,  la  tète  vers 
le  nord-ouest.  La  tombe  recouverte  de  terre,  on  ran- 
gea plusieurs  branches  d'arbustes  en  demi-cercle  du 
côté  du  sud,  en  les  étendant  des  pieds  à  la  tète.  Des 
branches  et  de  l'herbe  furent  aussi  étendues  sur  la 
tète  de  la  tombe  et  recouvertes  par  une  large  planche. 
Ce  morceau  de  bois  semblait  jouer  un  certain  rôle  dans 
la  cérémonie  ;  car  après  avoir  tapissé  la  tombe  d'herbe, 
celui  qui  l'avait  mis  en  place  s'y  étendit  lui-même  de 
toute  sa  longueur,  la  figure  tournée  vers  le  ciel.  Tout 
étant  fini ,  la  troupe  se  relira  après  que  les  hommes 
eurent  d'abord  parlé  d'un  ton  menaçant  aux  femmes. 
Kol-bi  et  Watti-Wal ,  qui  avaient  été  les  principaux 
acteurs  de  cette  cérémonie,  furent  peints  en  rouge  et 
en  blanc  sur  la  poitrine  et  les  épaules ,  et  distingués 
par  le  titre  de  moubaX;  on  apprit  que  cet  honneur 
leur  imposait  le  devoir  d'être  très-réservés  dans  leurs 
alimens. 

On  défendit  aux  spectateurs  de  mentionner  sous 
aucun  prétexte  le  nom  du  défunt  ;  c'est  une  coutume 
observée  rigoureusement  par  les  naturels  toutes  les 
fois  qu'il  meurt  quelqu'un  d'entre  eux. 

Telles  furent  les  cérémonies  qui  eurent  lieu  à  l'en- 
terrement de  Balouderrai.  Quand  Barang-Àrou  Da- 
ringha,  femme  de  Benilong,  mourut,  celui-ci  se  dé- 
termina à  la  brûler,  et  pria  le  gouverneur,  le  juge- 
avocat  et  le  chirurgien  d'assister  à  cet  acte  religieux. 


DE  L'ASTROLABE.  477 

Benilong  fut  accompagné  par  ses  parens  et  un  petit 
nombre  d'autres  naturels,  pour  la  plupart  des  femmes. 
Le  naturel  Collins  prépara  l'endroit  où  Ton  devait 
élever  le  bûcher  en  creusant  la  terre  avec  un  bâton  , 
h  la  profondeur  de  trois  ou  quatre  pouces  ;  sur  l'es- 
pace ainsi  creusé  on  plaça  d'abord  de  petits  bàlons 
et  de  légères  broussailles;  puis  on  rangea  sur  les 
côtés  de  plus  gros  morceaux  de  bois  :  le  bûcher  pou- 
vait avoir  ainsi  environ  trois  pieds  de  haut ,  ayant  les 
bouts  et  les  cotés  formés  de  pièces  de  bois  sec  ,  tan- 
dis cpie  le  milieu  n'était  composé  que  de  broussailles 
et  de  branches  rompues  exprès  et  entassées.  Quand 
on  eut  fini  d'arranger  le  bois ,  on  répandit  un  peu 
d'herbe  sur  le  bûcher ,  puis  on  y  plaça  le  cadavre 
couvert  d'une  vieille  couverture  qui  servait  à  cette 
pauvre  femme,  et  la  tète  fut  tournée  vers  le  nord. 
Une  corbeille  avec  les  instrumens  de  pèche  et  d'au- 
tres petits  ustensiles  de  la  défunte  furent  disposés  à 
ses  côtés,  etBenilong  ayant  placé  quelques  gros  mor- 
ceaux de  bois  sur  le  corps ,  quelqu'un  de  la  troupe 
mit  le  feu  au  bûcher.  Comme  il  était  construit  en  bois 
sec,  il  fut  bientôt  enflammé,  et  Benilong  lui-même  fit 
observer  à  ses  amis  de  Sydney  une  fumée  noire  qui 
s'élevait  du  centre  du  bûcher  où  reposait  le  corps  et 
qui  annonçait  que  le  feu  l'avait  atteint.  Le  terrain  fut 
abandonné  long-temps  avant  que  la  dernière  bûche 
fût  consumée,  et  Benilong  parut  tout  le  jour  plus 
joyeux  qu'on  n'aurait  pu  s'y  attendre;  il  parla  de  cher- 
cher une  nourrice  parmi  les  Anglaises  de  la  colonie 
pour  allaiter  son  enfant. 


178  VOYAGE 

Le  jour  suivant  il  invita  les  mêmes  personnes  à  le 
voir  recueillir  les  cendres  de  sa  femme;  elles  l'ac- 
compagnèrent au  terrain  en  question  où  il  se  rendit 
seul  et  sans  suite.  Là  il  se  tint  à  la  tète  de  ses  com- 
pagnons dans  une  sorte  de  silence  solennel  et  sans 
parler  à  personne  jusqu'au  moment  où  il  eut  rempli 
envers  Barang-Arou  les  derniers  devoirs  d'un  mari. 
Il  avait  à  la  main  la  lance  avec  laquelle  il  se  propo- 
sait de  punir  le  kerredai  qui  n'était  point  venu  près 
de  sa  femme  quand  elle  se  trouva  mal,  et  c'est  avec 
la  pointe  de  cette  arme  qu'il  ramassa  en  un  monceau 
les  cendres  et  les  os  calcinés.  Alors,  déposant  sa  lance 
par  terre ,  avec  un  morceau  d'écorce  il  dressa  un  tu- 
mulus  qui  eût  fait  honneur  au  plus  habile  fossoyeur, 
arrondissant  avec  soin  la  terre,  aplanissant  les  moin- 
dres inégalités  et  portant  une  attention  scrupuleuse 
à  donner  à  celte  sorte  de  monument  une  forme  régu- 
lière. De  chaque  côté  de  la  tombe  il  plaça  un  morceau 
de  bois,  et  sur  le  sommet  le  morceau  d'écorce  qui  lui 
avait  servi  à  l'élever.  Le  travail  achevé  ,  il  demanda  à 
ses  amis  si  c'était  bien,  et  parut  satisfait  de  leur  ré- 
ponse affirmative. 

Dans  cette  circonstance  son  maintien  fut  mâle  et 
solennel,  et  un  silence  expressif  caractérisa  sa  con- 
duite pendant  toute  la  durée  de  cette  scène.  Les  An- 
glais gardèrent  le  même  silence  et  l'observaient  avec 
beaucoup  d'attention.  Rien  ne  put  le  distraire  de  la 
cérémonie  à  laquelle  il  était  livré  tout  entier  ;  il  ne 
parut  pas  avoir  le  moindre  désir  de  la  finir  plus  vite , 
mais  il  l'accomplit  dans  tous  ses  détails  avec  un  re- 


DE  L'ASTROLABE.  fc?| 

cueillenient  qui  faisait  honneur  k  ses  sentimens 
comme  homme;  car  ce  recueillement  semblait  être 
l'effet  et  la  preuve  d'une  affection  sincère  pour  l'objel 
dont  il  ne  restait  plus  rien  qu'un  ou  deux  fragmens 
d'os  calcinés.  Quand  son  triste  ouvrage  fut  terminé  , 
il  resta  quelques  momens  debout  devant  cette  tombe, 
les  mains  jointes  sur  sa  poitrine  et  dans  l'attitude  d'un 
homme  profondément  livré  à  ses  pensées. 

Pour  se  conformer  à  la  coutume  de  ne  point  pro- 
noncer le  nom  des  morts,  deux  femmes  nommées 
Barang-Arou  le  quittèrent  pour  en  prendre  d'autres  ; 
l'une  d'elles,  la  femme  de  Kol-bi,  ne  survécut  à  celle 
de  Benilong  que  fort  peu  de  temps ,  et  mourut  d'une 
consomption  qu'elle  gagna  en  nourrissant  une  petite 
fille  qu'elle  avait  au  sein  à  celle  époque.  Cet  événe- 
ment fil  connaître  une  coutume  curieuse  mais  hor- 
rible en  usage  chez  ces  peuples.  La  mère  mourut 
dans  la  ville,  et  quand  on  la  conduisit  au  tombeau  , 
son  cadavre  fut  présenté  devant  la  porte  de  chacune 
des  maisons  et  des  cases  où  elle  avait  eu  coutume 
d'entrer  durant  les  derniers  jours  de  sa  maladie  ;  ses 
porteurs  observaient  les  mêmes  cérémonies  que  celles 
que  nous  avions  vues  aux  funérailles  de  Balouderrai, 
quand  la  petite  Dilboung  et  le  petit  Bidiai-Bidiai 
furent  placés  devant  son  cadavre.  Le  corps  descendu 
dans  la  tombe,  les  spectateurs  furent  bien  surpris  de 
voir  le  père  lui-même  placer  l'enfant  vivant  avec  la 
mère.  Immédiatement  après  il  jeta  dessus  une  grosse 
pierre,  et  la  tombe  fut  à  l'instant  remplie  de  terre  par 
les  naturels.  Cette  opération  se  fit  en  si  peu  de  temps 


480  VOYAGE 

que  les  Européens  présens  n'eurent  ni  le  temps ,  ni 
la  présence  d'esprit  nécessaires  pour  l'empêcher.  Lors- 
qu'on en  parla  à  Koi-bi ,  au  lieu  de  la  trouver  inhu- 
maine, il  la  justifia  en  disant  que  comme  il  n'aurait  pu 
trouver  personne  pour  nourrir  l'enfant,  celui-ci  aurait 
péri  d'une  mort  bien  plus  cruelle  que  celle  qu'on  lui 
avait  fait  subir.  Ces  exemples  s'étant  renouvelés  par 
la  suite ,  on  doit  penser  que  ce  sacrifice  des  enfans  est 
une  coutume  générale  chez  eux  ;  du  reste  on  évite  ce 
malheur  si  l'on  peut  trouver  une  nourrice,  ou  si  quel- 
qu'un s'engage  à  devenir  le  père  de  l'enfant ,  quand 
bien  même  le  véritable  père  serait  vivant. 


LANGAGE. 

Leur  langage  est  très-agréable  à  l'oreille ,  car  il  est 
en  plusieurs  circonstances  expressif  et  sonore  ;  il  n'a 
certainement  nulle  analogie  avec  aucune  des  langues 
connues ,  deux  ou  trois  mots  seuls  exceptés.  Le  dia- 
lecte que  parlent  les  naturels  de  Sydney  non-seule- 
ment diffère  complètement  de  celui  que  le  capitaine 
Cook  trouva  chez  les  peuples  du  nord  sur  les  bords 
de  la  rivière  Endeavour ,  mais  même  de  celui  qui  est 
usité  par  ceux  qui  habitent  Port-Stephen  et  par  les  ha- 
bitans  du  sud  de  Botany-Bay,  même  par  ceux  des  bords 
de  l'Hawkesbury.  On  a  vu  des  sauvages  du  nord  qui 
ne  pouvaient  nullement  se  faire  comprendre  par  ceux 
de  Sydney  ;  mais  ce  fait  n'est  pas  si  surprenant  que  de 
voir  des  peuples  éloignés  de  cinquante  ou  soixante 


DE  L'ASTROLABE.  481 

milles  seulement  donner  des  noms  différens  au  soleil 
et  à  la  lune. 

Deux  hommes  de  la  même  tribu  prononcent  sou- 
vent le  même  mot  d'une  manière  différente;  les  lettres 
b  et/?,  g  et  c  particulièrement,  sont  souvent  em- 
ployées Tune  pour  l'autre.  Leur  alphabet  ne  reconnaît 
ni  s  ni  v,  et  quelques-uns  de  leurs  sons  exigeraient 
des  caractères  particuliers  pour  les  rendre  avec  plus 
de  précision. 

Après  avoir  lu  tout  ce  qui  précède,  on  ne  peut  s'em- 
pêcher de  convenir  de  la  justesse  de  l'observation  que 
faisait  déjà  Collins  il  y  a  plus  de  vingt-cinq  ans.  «Lors- 
qu'on a  mieux  connu  les  habitudes  barbares  et  les 
coutumes  inhumaines  des  indigènes  de  la  Nouvelle- 
Galles  du  Sud  ,  on  a  cessé  de  s'étonner  de  la  faiblesse 
de  leur  population.  Plusieurs  causes  contribuent  à  cet 
état  de  choses  :  la  guerre  continuelle  dans  laquelle  ils 
vivent,  la  façon  brutale  dont  ils  traitent  leurs  femmes  , 
l'horrible  et  cruelle  coutume  qu'elles  ont  de  se  faire 
avorter  en  se  faisant  fouler  le  ventre  pour  écraser  l'en- 
fant, ce  qui  cause  souvent  aussi  la  mort  de  la  mère. 
Les  femmes  ont  recours  à  cette  opération  pour  éviter 
l'ennui  de  porter  leur  enfant,  et  ils  la  nomment  Mibra. 
La  coutume  d'enterrer  l'enfant  avec  sa  mère ,  quand 
il  est  à  la  mamelle,  lorsqu'elle  vient  à  mourir,  est  en- 
core un  motif  de  plus  pour  empêcher  la  population  de 
s'accroître.  (Collins,  p.  451.) 

Dans  les  premiers  mois  de  l'année  1 826,  et  surtout 


482  VOYAGE 

en  avril  et  mai ,  les  naturels  de  l'intérieur,  particuliè- 
rement du  pays  d'Argyle ,  se  portèrent  souvent  à  des 
actes  hostiles  envers  les  cultivateurs  et  les  bergers  ; 
ils  commirent  même  quelques  meurtres.  A  cette  occa- 
sion un  habitant  de  la  colonie  inséra  dans  le  Monitov 
un  article  où  il  affirmait  que  toutes  les  mesures  de  dou- 
ceur qu'on  emploierait  vis-à-vis  des  naturels  seraient 
inutiles  et  même  funestes  :  qu'en  conséquence  il  fallait 
avoir  recours  de  suite  à  des  mesures  de  rigueur  pour 
les  épouvanter  et  arrêter  leurs  excès. 

Le  rédacteur  du  Monitor  répondit  à  ces  conseils 
par  l'article  suivant.  (2  juin  1826,  n.  37.) 

«  Nous  avons  inséré  une  lettre  d'un  de  nos  corres- 
pondans,  touchant  la  conduite  à  observer  à  l'égard 
des  indigènes  dans  les  temps  d'hostilité ,  parce  que 
nous  aimons  les  avis,  même  quand  nous  croyons  la 
thèse  erronée  et  la  conclusion  plus  que  douteuse. 
Nous  sommes  d'accord  avec  l'auteur  sur  la  partie  de 
sa  note  qui  décrit  le  caractère  et  les  habitudes  politi- 
ques (si  toutefois  on  peut  accorder  cette  épithète  à 
leurs  notions  confuses  d'obéissance  politique)  des  na- 
turels d'Argyle,  ainsi  que  de  ceux  de  Bathurst,  de 
Hunter's-River  et  de  Cow-Pastures.  Au  reste,  le 
moyen  péremptoire  qu'il  indique  nous  déplaît  extrê- 
mement. A  l'égard  de  ceux  qui  ont  à  l'employer,  il 
peut  être  admirablement  expéditif  et  commode,  mais 
sa  nature  tient  de  trop  près  au  pouvoir  absolu  pour 
nous  convenir.  Nous  sommes ,  au  contraire ,  pour  la 
modération ,  la  magnanimité  et  l'oubli,  précisément 


Dl<   L'ASTROLABE.  |$| 

dans  le  même  rapport  que  notre  pouvoir  dépasse  celui 
de  ces  pauvres  noirs ,  peuple  généralement  innocent, 
simple  et  d'un  bon  naturel,  peuple  dont  nous  avons 
occupé  le  territoire  sans  prendre  même  la  peine  de 
dire  aux  possesseurs:  Av<c  voire  permission;  et  cjui 
nous  ont  aidés  de  leur  personne  à  exploiter  les  plus 
belles  portions  de  leur  territoire,  se  contentant  en 
retour  de  visiter  deux  ou  trois  fois  par  an  nos  huttes 
nouvellement  construites ,  et  de  recevoir  avec  un  sou- 
rire de  satisfaction,  comme  prix  de  leurs  plus  riches 
domaines,  quelques  gallons  de  raie ,  quelques  choux, 
ou  une  once  de  tabac  pour  le  chef  et  un  peu  de  sucre 
pour  sa  femme.  Nous  nous  rappelons  d'avoir  voyagé 
seul  dans  le  district  d'Argy  le,  peu  de  temps  après  sa  dé- 
couverte; nous  avions  établi  une  case  vingt  milles  au- 
delà  d'une  station  qui  se  trouvait  elle-même  à  trente 
milles  de  rétablissement  le  plus  voisin  et  d'un  seul  côté. 
Les  bergers  dans  ces  temps  étaient  complètement  à  la 
merci  des  naturels ,  et  le  voyageur  isolé  Tétait  encore 
bien  davantage.  Cependant  l'amour  de  la  paix  et  la 
fidélité  caractérisaient  la  conduite  de  ces  tribus  bien- 
veillantes et  faciles  à  contenter.  Nous  avons  souvent 
été  charmés  de  la  confiance  absolue  qu'ils  accordaient 
à  nos  paroles ,  prenant  ce  que  nous  disions  pour  la 
vérité  même  de  l'Évangile.  Cette  confiance  a  duré  jus- 
qu'à l'époque  où  nos  bergers,  étourdis  avec  leur  ridicule 
amour  des  plaisanteries ,  leur  ont  raconté  tant  d'insi- 
gnes mensonges  que  maintenant  ils  vous  répondront 
souvent  d'un  ton  interrogatif  :  Plaisantez-vous?  Néan- 
moins ces  peuples  ne  se  fâchent  jamais  de  ce  pi 


484  VOYAGE 

tendu  à  leur  crédulité  ;  et  quelque  peu  habitués  qu'ils 
aient  été  à  regarder  le  mensonge  comme  un  sujet  légi- 
time de  plaisir  et  de  divertissement,  ils  s'efforcent 
pourtant  en  rivalisant  de  plaisanterie  de  se  conformer 
à  nos  coutumes  nationales ,  et  de  se  montrer  aussi  con- 
tens  de  nos  fripons  de  valets  et  de  bergers ,  qu'il  leur 
est  possible  de  le  feindre. 

»  Nous  avons  connu  personnellement  Merangtom 
(un  des  bergers  tués  par  les  sauvages).  C'était  un  ami  des 
noirs ,  mais  il  compromettait  toujours  l'amitié  qu'ils 
lui  témoignaient  en  prenant  de  trop  grandes  libertés 
avec  leurs  femmes.  Nous  ne  doutons  pas  le  moins  du 
monde  que,  dans  la  circonstance  qui  amena  sa  mort, 
il  n'ait  violé  leurs  lois  ;  ce  qu'après  tout  il  n'avait  aucun 
droit  de  faire.  Tant  que  nous  n'aurons  pas  complète- 
ment envahi  et  occupé  des  déserts  aussi  éloignés  que 
ceux  de  Bathurst,  et  tant  que  nous  dépendrons  autant 
des  bonnes  dispositions  de  ces  anciens  propriétaires 
du  sol ,  c'est  aller  trop  loin  que  de  dire  que  nous  pou- 
vons impunément  traiter  leurs  lois  avec  dérision , 
offenser  tous  leurs  préjugés  nationaux ,  et  les  exas- 
pérer à  notre  bon  plaisir  pour  récompense  de  toute 
leur  bienveillance. 

»  Quant  à  l'idée  d'amener  ces  indépendans  rôdeurs 
des  forêts  de  l'Australie  à  recourir  à  nos  lois  pour 
venger  leurs  injures  au  moyen  des  magistrats  de  dis- 
tricts, nous  prions  notre  correspondant  d'examiner 
les  difficultés  d'un  pareil  plan.  Sans  interprètes, 
comment  ces  simples  enfans  de  la  vérité  pourraient-ils 
devant  la  Cour  résister  aux  détours  de  nos  filous 


DE  LASTROLAHK.  \M 

d'Anglais  accoutumés  dès  leur  enfance  à  la  chicane  ci 
à  couvrir  leurs  mauvais  coups  de  prétextes  plausibles? 
J'omets  de  mentionner  ici  une  foule  d'autres  objections 
également  solides,  et  qui  ne  manqueront  pas  de  frapper 
nos  lecteurs.  » 

La  feuille  suivante  du  même  journal  contient  des 
détails  très-curieux  sur  la  manière  dont  la  force  armée 
envoyée  à  la  poursuite  de  quelques-uns  des  coupa- 
bles parvint  à  s'en  saisir  et  à  les  conduire  à  Sydney. 
[^  juin  1826,  n.  4.) 

«  Le  capitaine  Bishop,  qui  fut  dépêché  par  le  gou- 
verneur, il  va  quelques  semaines,  à  la  tète  d'une  troupe 
à  cheval  (désignée,  à  ce  que  nous  croyons,  par  le  nom 
de  police  à  cheval),  et  chargé  de  pénétrer  dans  les 
nouveaux  pays  assez  avant  pour  parvenir  jusqu'à  la 
tribu  qui  comptait  parmi  ses  membres  les  auteurs  du 
dernier  meurtre  de  Thomas  Taylor,  est  de  retour  au 
quartier-général  avec  ses  gens.  Il  surprit  la  tribu  en 
question ,  et  se  saisit  de  l'assassin  et  de  ses  deux  com- 
plices. Les  derniers  s'échappèrent  par  la  suite,  mais 
le  naturel  qui  perça  Taylor  de  sa  lance  fut  amené  en 
sûreté  dans  la  prison  de  Sydney  où  on  le  garde  main- 
tenant ,  et  nous  espérons  qu'il  subira  bientôt  son  procès 
pour  son  crime.  Cet  homme  ainsi  que  ses  deux  compa- 
gnons, avec  cette  babitude  de  vérité  qui  caractérise 
ces  naturels  dans  leur  état  primitif,  avouèrent  les  dé- 
tails du  tragique  événement.  Il  paraît  que  deux  ou  trois 
individus  de  cette  classe  d'hommes  dont  l'office,  parmi 

TOME    I. 


486  VOYAGE 

les  sauvages,  est  d'arracher  ladentantérieure  des  jeunes 
gens  arrivés  à  un  certain  âge ,  étaient  venus  des  lieux 
au-delà  du  lac  Georges  à  Argyle  et  Boung-Boung, 
pour  satisfaire  à  cette  très-importante  coutume  natio- 
nale. Comme  ils  passaient  ou  s'en  retournaient  par  la 
case  de  madame  Sherwin ,  située  un  peu  au  nord  du  lac 
Bathurst,  ils  y  entrèrent  suivant  leur  usage,  et  Taylor 
avec  la  courtoisie  qui  a  ordinairement  lieu  entre  les 
blancs  et  les  naturels  d' Argyle ,  leur  offrit  toute  l'hos- 
pitalité qui  était  en  son  pouvoir.  Mais  les  destructeurs 
de  dents  lui  demandèrent  d'un  ton  farouche  d'autres 
mets  que  ceux  que  le  pauvre  Taylor  avait  à  leur  offrir; 
dans  leurs  gestes  de  colère  et  de  dépit ,  ils  lui  montrè- 
rent un  nombre  de  dents  restant  de  toute  espèce  bien 
suffisant  pour  arracher  la  chair  de  ses  os.  Il  eut  recours 
à  la  mesure  qui  a  toujours  été  éprouvée  comme  la  plus 
dangereuse  au  monde  quand  il  a  fallu  traiter  avec  ces 
sauvages  humains,  savoir  :  de  commencer  à  manifester 
sa  terreur,  et,  ce  qui  est  encore  plus  dangereux,  de 
s'enfuir.  Le  sauvage  aujourd'hui  en  prison,  sans  plus 
d'embarras ,  ajusta  son  arme  destructive,  et  d'un  coup 
fatal  perça  le  corps  du  malheureux  fuyard.  Le  sque- 
lette de  la  main  de  Taylor  a  été  vu  chez  les  noirs.  Ce 
témoignage ,  joint  à  d'autres  indications  ,  a  convaincu 
le  capitaine  Bishop  que  le  malheureux  homme  a  servi 
de  pâture  aux  naturels ,  et  qu'ils  ont  été  amenés  à 
l'horrible  action  de  le  dévorer  par  son  impossibilité  de 
leur  fournir  les  alimens  qu'ils  avaient  désirés. 

»  Le  capitaine  Bishop,  au  reste,  avec  cette  modé- 
ration humaine  et  sage  qui  distingue  toujours  le  véri- 


DE  L'ASTROLABK.  is; 

lahle  brave ,  était  résolu  à  ne  point  verser  de  sang ,  ri 
à  ne  faire  d'autre  mal  aux  naturels  que  de  se  saisir  du 
ehef  de  la  tribu  et  des  trois  naturels  ci-dessus  men- 
tionnés. Le  sort  des  derniers  a  été  rapporté. 'On  mon- 
tra au  chef  les  carabines  et  les  sabres  de  la  troupe 
anglaise  qui  accomplit  en  outre  ses  évolutions  rapides, 
spectacle  bien  étonnant  pour  le  simple  guerrier  du  si  k  I . 
On  se  donna  beaucoup  de  peine  pour  lui  expliquer  le 
pouvoir  irrésistible  des  militaires  ,  si  jamais  ils  étaient 
obligés  d'agir  hostilement  contre  ses  sujets  armés  seu- 
lement de  lances  et  de  waddis.  Par  bonheur,  l'aide 
d'un  interprète  intelligent  fit  que  les  explications  ,  les 
menaces ,  les  avertissemens  et  les  offres  de  bonne 
amitié  du  capitaine  Bishop  en  cas  de  paix,  furent  clai- 
rement comprises  par  le  roi  bronzé  des  montagnes 
neigeuses  ;  autant  que  sa  contenance  étonnée  et  stu- 
péfiée d'accord  avec  "ses  protestations  ferventes  de  re- 
pentir sincère  pour  l'offense  commise  par  ses  trois 
cannibales  ,  pouvait  donner  de  preuves  de  sa  sincé- 
rité et  de  la  conviction  qu'il  avait  de  sa  propre  inca- 
pacité comme  monarque  belligérant ,  autant  le  ca- 
pitaine Bishop  fut  parfaitement  satisfait  de  la  péni- 
tence royale  et  de  sa  bonne  foi.  Le  capitaine  Bishop 
alors,  avec  beaucoup  de  politique  et  une  discrète 
bienveillance,  fit  entendre  à  l'humble  chef  que  Son 
Excellence  avait  bien  voulu  lui  pardonner.  Après  cette 
cérémonie ,  on  congédia  le  roi  sauvage  avec  les  mar- 
ques convenables  et  naturelles  d'une  cordiale  réconci- 
liation. C'est  l'opinion  de  tous  ceux  qui  habitent  ce 
pays  neuf,  que  l'expédition  du  capitaine  Bishop  sera 


488  VOYAGE 

suivie  d'une  paix  permanente ,  les  craintes  des  natu- 
rels ayant  été  excitées  par  ces  événemens  à  un  degré 
tel  qu'il  faudra  une  génération  pour  les  dissiper.  » 

Si  la  lettre  qui  suit  n'est  pas  supposée,  elle  rend 
compte  d'un  fait  assez  bizarre  :  l'existence  volontaire 
et  prolongée  d'une  Européenne  au  milieu  des  naturels 
de  l'Australie. 

A  V éditeur  du  Monitor. 

«  Monsieur,  il  peut  être  intéressant  pour  quelques- 
uns  de  vos  lecteurs  d'apprendre  que  la  femme  qui 
échappa  au  naufrage  du  brick  T/y al  sur  cette  côte, 
au  nord  de  Port-Macquarie,  est  encore  ou  du  moins 
était  tout  dernièrement  encore  en  vie ,  et  habitait  avec 
une  tribu  de  naturels,  ainsi  que  sa  fille  aujourd'hui 
Agée  de  douze  à  treize  ans. 

»  Elle  fut  épousée  (ou  plutôt  possédée)  par  un 
homme  de  la  tribu  dont  elle  eut  deux  enfans ,  un  de 
chaque  sexe.  Le  mâle ,  suivant  la  coutume*,  a  été  mis 
à  mort ,  la  petite  fille  est  vivante.  Cette  femme  fait 
l'office  de  corrar-gai  ou  sage-femme  près  des  femmes 
de  la  tribu,  qui  la  respectent  à  ce  titre.  Ces  naturels 
ont  tant  de  peur  qu'elle  ne  voie  un  Européen  et  qu'elle 
ne  soit  par  là  tentée  de  les  quitter,  qu'ils  ont  madi- 

*  Peut-être  ne  sait-on  pas  généralement  que  les  naturels  font  périr  les 
enfans  mâles  d'origine  mélangée  :  tel  est  cependant  le  fait,  qu'il  faut  sans 
doute  attribuer  à  la  crainte  qu'ils  ont  de  la  supériorité  des  êtres  procréés  par 
le  croisement  avec  la  race  blanche. 


DE  L'ASTROLABE.  489 

boarc  ou  lue  trois  Anglais  qu'ils  supposaient  occupés 
à  la  chercher.  Sa  fille,  celle  qui  fit  naufrage  avec  elle, 
ajoute  celui  qui  me  donne  ces  renseignemens ,  sera 
ivienna  ou  nubile  le  printemps  prochain. 

»  Le  naturel  dont  j'ai  obtenu  le  récit  précédent 
appartient  à  une  tribu  établie  dans  les  plaines  de 
Liverpool;  il  dit  qu'il  a  souvent  vu  la  femme  blanche 
avec  sa  fille  et  sa  petite  Piccanine.  Son  histoire  est 
très-bien  circonstanciée;  il  ajoute  qu'il  a  un  frère 
marié  dans  la  même  tribu,  et  qu'il  montrera  ces 
femmes  blanches  à  ceux  qui  le  désireront  ,  pourvu 
que.  l'on  ne  tue  pas  son  frère.  »  (Monitor,  18  août 
1826,».  14.) 

La  narration  qui  suit,  écrite  par  un  colon  des  plaines 
de  Bathurst  et  insérée  dans  V  Australian  {  1 4  octobre 
1826,  n.  135)  peu  de  temps  avant  notre  passage  à 
Sydney,  est  encore  fort  intéressante,  en  ce  qu'elle 
offre  une  description  tout  à  la  fois  récente  et  exempte 
de  préjugés  des  mœurs  des  naturels  de  l'intérieur. 

Aux  éditeurs  de  V Australian. 

Brucedale.  près  P.atlinrst,  a5  août  [8a6. 

«  Messieurs,  je  vous  transmets  une  esquisse  des 
manières  et  des  coutumes  des  aborigènes  de  la  Nou- 
velle-Hollande, habitant  le  pays  voisin  de  Bathurst, 
où  j'ai  eu  de  fréquentes  occasions  d'observer  ces  sau- 
vages enfans  de  la  nature  ;  j'ai  pensé  que  ces  détails 


1!)0  VOYAGE 

pourraient  intéresser  quelques-uns  de  vos  lecteurs, 
qui ,  de  même  que  votre  humble  serviteur,  sont  admi- 
rateurs des  œuvres  de  la  nature ,  ou ,  pour  mieux 
m'exprimer,  des  œuvres  de  Dieu. 

»  Les  naturels  sont  en  général  grands  et  bien  con- 
formés. Leur  chef,  qui  a  reçu  le  nom  de  Saturday 
(samedi),  est  d'une  très-belle  figure,  bien  musclé, 
et  ses  membres  sont  dans  les  belles  proportions  ;  il 
paraît  connaître  sa  supériorité  sur  ses  frères  de  cou- 
leur. Sa  personne  pourrait  servir  de  modèle  pour  une 
statue  d'Apollon.  Un  autre  naturel  que  j'ai  vu,  nommé 
Sanday  (dimanche  ) ,  a  un  corps  moulé  d'une  manière 
remarquable ,  et  quand  il  tient  sa  massue  ou  son 
waddi,  il  ne  représenterait  pas  mal  un  Hercule. 
D'après  la  douceur  de  leur  peau ,  ces  naturels  sem- 
blent en  possession  d'une  nourriture  abondante.  Une 
petite  espèce  d'opossum ,  joli  petit  animal  qui  vit  des 
feuilles  d'une  sorte  d'eucalyptus,  connu  dans  la 
colonie  sous  le  nom  de  gum-trec,  est  leur  principal 
aliment  ;  parfois  ils  chassent  le  kangarou  et  se  nour- 
rissent de  cigales  qu'ils  tirent  de  terre,  quand  elles 
sont  engourdies. 

»  Les  opossums  ,  disent-ils  ,  sont  très-gras  en  été 
et  font  un  excellent  manger.  Avec  la  graisse  de  ce 
petit  animal ,  ils  se  frottent  la  tète  et  le  ventre ,  sur- 
tout quand  ils  vont  combattre.  Cela,  disent-ils,  les 
rend  plus  alertes.  Les  opossums  sont  très-nombreux 
et  se  prennent  facilement  dans  les  troncs  d'arbres.  Les 
naturels  n'ont  point  de  lignes  de  pèche  ,  chose  éton- 
nante ,  puisque  les  rivières  ici  abondent  en  poisson , 


DE  L'ASTROLABE.  .'M 

mais  ils  l'attrapent  quelquefois  avec  leurs  lances.  Ils 
apprêtent  leur  nourriture  en  la  faisant  griller  sur  le  feu. 
Avec  les  peaux  d'opossums  ils  se  font  des  manteaux 
très-chauds,  assez  larges  pour  couvrir  leur  corps  en- 
tier, proprement  cousus  avec  une  aiguille  en  os,  et  les 
poils  des  queues  d'opossums.  En  hiver,  ils  incitent  le 
côté  du  poil  contre  le  corps  ;  en  été ,  ils  le  retournent. 
Ils  sont  très-adroits  à  dépouiller  les  animaux  avec  une 
pierre  tranchante.  Ils  ne  travaillent  ni  ne  filent ,  et  ce- 
pendant leur  père  céleste  prend  soin  de  les  nourrir. 
Leur  caractère  est  généralement  gai  ;  ils  sont  grands 
chanteurs  et  ont  fait  de  courtes  chansons  sur  plusieurs 
hahitans  du  pays.  Dans  leurs  chansons ,  quelques-uns 
sont  loués ,  et  d'autres  tournés  en  ridicule  ;  très- 
attachés  à  ceux  qui  leur  montrent  quelque  espèce  d'a- 
mitié ou  d'égards ,  ils  admirent  un  caractère  brave  et 
généreux ,  mais  ont  une  grande  aversion  pour  ceux  qui 
sont  cruels  et  moroses.  Ils  regardent  comme  une  lâ- 
cheté de  maltraiter  ou  de  tuer  les  femmes  et  les  en  fans 
à  la  guerre.  Ils  pleurent  avec  amertume  la  mort  de 
leurs  femmes  et  de  leurs  enfans  tués  par  nos  gens. 
Les  naturels  qui  ont  été  détenus  à  Sydney  se  ressou- 
viennent parfaitement  des  politesses  que  leur  fit 
le  gouvernement;  ils  mentionnent  particulièrement 
M.  S.  Bannister,  le  procureur-général,  et  parlent  de 
son  humanité  à  leur  égard  dans  les  termes  les  plus 
vifs.  Je  prends  ici  la  liberté  de  donner  mon  opinion 
sur  la  cause  des  troubles  qui  se  sont  malheureusement 
élevés  entre  nous  et  les  aborigènes  ;  et  j'attribue  la 
perte  de  ceux  qui  périrent  des  deux  côtés  à  la  con- 


492  VOYAGE 

duite  imprudente  et  cruelle  de  quelques-uns  de  nos 
gens.  Les  naturels  sont  réellement  passionnés  pour 
les  blancs,  et  admirent  beaucoup  nos  arts  et  notre 
industrie  ;  mais  ils  ont  une  grande  aversion  pour  les 
Bushrangers  (  vagabonds  des  bois  )  ou  Croppis,  ainsi 
qu'ils  les  appellent.  Ces  malheureux  leur  enlèvent 
quelquefois  leurs  femmes  et  leur  sont  à  charge  de 
toutes  les  manières. 

»  Toutes  les  fois  qu'on  jugerait  nécessaire  de  châtier 
les  naturels  ,  il  faudrait  que  ce  fût  toujours  sous  l'au- 
torité d'un  officier  militaire,  ou  de  quelque  personne 
respectable,  autorisée  à  cet  effet  et  responsable  de 
ses  actions.  Les  cultivateurs  ne  devraient  jamais  être 
autorisés  à  armer  leurs  domestiques  et  à  courir  sur 
les  naturels.  Il  n'y  a  que  des  mesures  défensives  qui 
puissent  être  justifiées  en  ces  occasions. 

»  Ces  naturels  ont  quelques  idées  imparfaites  de  la 
propriété  et  du  droit  de  possession  ;  ils  disent  que  tous 
les  animaux  sauvages  sont  à  eux ,  que  tout  ce  qui  est 
cultivé  ou  apprivoisé  est  à  nous  ;  tout  ce  que  la  terre 
produit  spontanément  ou  sans  travail  leur  appartient 
aussi.  Les  choses  qu'elle  produit  par  ai*ifice  ou  par 
effort  sont  aux  hommes  blancs  ,  comme  ils  nous  ap- 
pellent. Les  songes  ont  un  effet  puissant  sur  leur  ima- 
gination et  souvent  dirigent  leurs  actions.  Ils  ont  des 
idées  très-confuses  d'un  bon  et  d'un  mauvais  esprit , 
mais  semblent  n'avoir  aucune  notion  d'une  puissance 
protectrice.  Ils  ont  parfois  les  terreurs  les  plus  gran- 
des d'un  mauvais  esprit  qui  hante  leurs  forêts,  et 
pensent  qu'il  vient  quelquefois  ,  durant  leur  sommeil, 


DE  L'ASTROLABE.  i93 

les  exterminer  et  enlever  leurs  femmes  et  leurs  en- 
fans.  Il  est  difficile  de  prononcer  s'il  y  a  réellement 
dans  ces  bois  aucune  espèce  de  créature  capable  de 
détruire  un  homme  ,  et  rien  de  ce  genre  n'a  jamais 
été  vu  par  aucun  des  nôtres.  Je  suis  disposé  à  croire 
que  cet  esprit  qu'ils  redoutent  tant  et  qu'ils  nomment 
Coppir  est  un  de  leurs  êtres  imaginaires.  Très-rarement 
ils  réfléchissent  ou  méditent  avec  attention;  leurs  no- 
lions  des  objets  sont  très-grossières,  et  chaque  sensa- 
tion produite  par  un  effet  passé  cède  promptement 
la  place  à  une  sensation  nouvelle. 

»  Leurs  lois  sont  celles  de  la  nature.  Ils  n'ont , 
que  je  sache,  aucun  autre  code;  leurs  chefs  pos- 
sèdent évidemment  une  grande  influence  parmi  eux , 
et  plus  spécialement  en  temps  de  guerre.  Si  les  con- 
naissances marchent  progressivement  dans  l'esprit 
humain ,  dans  le  leur  elles  ont  tout  au  plus  fait  le  pre- 
mier pas  ,  et  leurs  idées  ont  à  peine  commencé  à 
éclore. 

But  knowledge  to  t/icir  ères  lier  ample  page 
Rich  wîth  the  spoils  of  time  did  nc'er  extol. 

I\!ais  la  science  à  leurs  yeux  ne  déroula  jamais  ses  pages  immenses  enrichi*  - 
par  les  dépouilles  du  temps. 

»  De  temps  en  temps  les  passions  de  l'amour  et  de 
la  jalousie  tourmentent  leurs  cœurs;  et  l'amitié',  ils 
la  connaissent  aussi;  car  quand  une  personne  pour 
laquelle  ils  ont  une  véritable  affection  meurt  ou  suc- 
combe dans  un  combat ,  ils  pleurent  jusqu'au  tom- 
beau la  perte  de  leur  ami  mort. 


494  VOYAGE 

»  Ils  aiment  beaucoup  le  pain  el  le  lait ,  le  tabac 
et  le  sucre ,  mais  ils  se  soucient  peu  des  liqueurs 
fortes.  J'offris  un  jour  à  Saturday  un  verre  de  rhum 
et  d'eau ,  mais  il  refusa  de  le  boire ,  et,  me  montrant 
sa  tète ,  il  me  fit  connaître  qu'il  en  avait  ressenti  les 
effets  pernicieux.  Ils  sont  très-jaloux  d'être  rasés  et 
d'avoir  leurs  cheveux  coupés  comme  un  gentleman  ; 
j'en  observai  un  dans  le  nombre  dont  la  chevelure 
était  proprement  peignée,  et  qui  vient  souvent  em- 
prunter un  peigne  pour  cela. 

»  Leur  langage  se  compose  principalement  de  pa- 
latales. Les  naturels,  près  de  Bathurst ,  ont  appris 
de  nos  gens  une  espèce  de  jargon  que  ceux-ci  em- 
ployaient avec  eux ,  à  leur  arrivée  ici ,  en  mêlant ,  à  ce 
qu'ils  connaissaient  du  langage  des  sauvages  d'en  bas , 
quelques  mots  anglais.  C'est  ainsi  qu'ils  ont  à  leur 
tour  attrapé  quelques  termes  anglais  et  d'autres  du 
langage  des  naturels  de  Sydney  ;  en  s'adressant  à 
nous,  ils  y  mêlent  leur  propre  langue.  Les  indigènes 
de  cette  partie  de  la  Nouvelle-Hollande  ne  peuvent 
comprendre  ceux  du  bord  de  la  mer,  ni  se  faire 
entendre  deux.  Les  noms  qu'ils  donnent  aux  mêmes 
objets  diffèrent  entièrement. 

»  On  doit  fort  regretter  que  ces  naturels,  par  leurs 
relations  avec  les  Anglais,  aient  appris  toutes  les 
expressions  indécentes  et  dégoûtantes ,  si  communes 
dans  la  bouche  des  convicts ,  et  aient  été  plutôt  cor- 
rompus que  civilisés  par  leurs  nouvelles  connais- 
sances. Mais  ils  possèdent  dans  toute  l'étendue  du 
mot  une  chose  du  plus  grand  prix ,  la  liberté  ;  elle 


DE  j: ASTROLABE.  495 

compense  en  grande  partie  pour  eux  les  avantages 
et  les  jouissances  dont  les  Européens  sont  favorisés. 
Ils  n'ont  que  très-peu  de  soucis,  et  leur  esprit  néan- 
moins est  certainement  en  proie  aux  craintes  et  aux 
terreurs  delà  superstition.  J'observais  dernièrement 
une  tribu,  qui  était  venue  de  Moud/aï  pour  rendre 
visite  à  Saturday  et  à  ceux  de  sa  tribu  ;  les  nouveaux 
venus  campèrent  près  de  ma  maison ,  et  de  bonne 
heure,  dans  la  soirée,  j'eus  la  curiosité  de  les  examiner 
de  près.  Ils  étaient  disposés  autour  d'un  coteau  voisin, 
et  parurent  très-satisfaits  de  la  visite  que  je  leur  faisais. 
Ils  étaient  assis  par  terre  autour  de  plusieurs  petits 
feux  (car  je  ne  leur  en  ai  jamais  vu  faire  de  grands), 
très-près  les  uns  des  autres,  et  chaque  famille  généra- 
lement a  son  feu  particulier  ;  mais  à  quelques-uns  de 
ces  feux  je  ne  vis  que  des  femmes  et  des  enfans.  En 
certains  endroits ,  il  y  avait  des  groupes  d'hommes 
qui  chantaient  des  chansons  ou  causaient  amicalement  ; 
mais  je  n'ai  jamais  entendu  les  femmes  chanter.  Elles 
sont  beaucoup  plus  nombreuses  que  les  hommes.  Je 
vis  plusieurs  de  ceux-ci  qui  avaient  trois  ou  quatre 
femmes.  Magpaï,  chef  de  Moudjaï,  en  avait  cinq,  et 
dans  la  visite  qu'il  nous  fit  quelque  temps  auparavant 
il  en  avait  sept.  Je  fis  plus  particulièrement  connais- 
sance avec  une  famille  composée  du  mari ,  de  ses  deux 
femmes  et  de  plusieurs  enfans.  La  favorite  se  tenait 
assise  près  de  son  mari ,  appuyée  sur  son  bras  ,  tandis 
que  l'autre  était  assise  près  d'un  feu,  à  une  petite  dis- 
lance d'eux  avec  les  enfans.  J'estimai  le  nombre  entier 
des  naturels  présens  à  cent  cinquante;  mais  toute  la 


496  VOYAGE 

tribu  n'était  point  présente.  Les  naturels  qui  ont  plu- 
sieurs femmes  en  donnent  quelquefois  une  ou  deux  à 
un  ami  qui  s'en  trouve  dépourvu.  Il  est  difficile  d'ex- 
pliquer pourquoi  le  nombre  des  femmes  dépasse  au- 
tant celui  des  hommes ,  à  moins  que  cela  ne  provienne 
de  ce  que  les  derniers  se  trouvent  souvent  entraînés 
dans  des  combats  où  ils  perdent  la  vie.  Dans  les  ba- 
tailles ,  ils  ne  font  point  de  prisonniers  ;  ils  tuent  leurs 
ennemis  ou  les  mettent  en  déroute.  Les  femmes  sont 
au  reste  le  jouet  de  la  guerre  ;  celles  qu'ils  prennent 
sur  leurs  ennemis  sont  rangées  parmi  leurs  propres 
femmes  et  quelquefois  renvoyées  à  leur  tribu  ou  à  leur 
famille.  Il  arrive  souvent  que  les  tribus  se  mélangent. 

»  Il  est  difficile  de  fixer  l'étendue  de  terrain  exacte 
que  chaque  tribu  occupe.  On  pourrait  supposer  que 
cette  étendue  n'excède  point  un  rayon  de  quarante 
milles.  D'après  ce  que  nous  connaissons  d'elles ,  les 
différentes  tribus  semblent  former  une  chaîne  étendue 
sur  la  Nouvelle-Hollande;  il  y  a  tout  lieu  de  croire 
que  les  habitans  sont  divisés  en  un  grand  nombre  de 
petites  tribus  qui  composent  les  anneaux  de  cette 
chaîne ,  et  conservent  une  espèce  de  communication 
les  unes  avec  les  autres. 

»  Le  nombre  des  tribus  voisines  de  Bathurst ,  qui 
s'étendent  jusqu'à  Wellington -Valley ,  Coal- River 
et  Lachlan-River ,  est  de  huit;  en  différens  temps, 
nous  avons  été  visités  par  des  individus  de  chacune 
d'entre  elles.  Elles  sont  connues  sous  les  noms  sui- 
vans ,  d'après  les  portions  de  pays  qu'elles  habitent 
le  plus  :  1  °  Tribu  de  Parramatta  ou  Bathurst  ;  2°  Moue- 


DE  I/ASTROIABE.  437 

Moue  ou  de  KingWallcy;  3°  Rille-Biarra  ;  4'1  ^  <|- 
lington-Valley  ;  5°  Bingoum;  8°  Moudjaï;  7°  Non- 
douraï;  8°  Pialong. 

»  Les  naturels  n'ont  point  d'habitations ,  mais  ils 
mènent  une  espèce  de  vie  errante.  Quand  le  temps  est 
très-humide,  ils  font  un  abri  avec  lecorce  des  arbres, 
qu'ils  coupent  et  enlèvent  très-proprement ,  et  la  pla- 
cent par  terre,  de  manière  à  se  mettre  à  couvert.  J'ai 
vu  quelques  hommes  avec  des  chapeaux  sur  leur  tète. 
Leurs  pieds  sont  toujours  nus.  Mais  je  n'ai  jamais  vu 
les  femmes  avoir  la  tète  ou  les  pieds  couverts.  Je  m'a- 
musai beaucoup  l'autre  jour,  qui  était  une  très-belle 
journée  d'hiver,  de  voir  Saturday,  sa  tribu  et  ses  amis 
étendus  par  terre,  disposés  en  groupes  d'hommes  et 
de  femmes ,  tournant  leurs  corps  aux  ravons  réchauf- 
fans  du  soleil  ;  ils  semblaient  jouir  de  la  félicité  su- 
prême ,  chantant  et  faisant  entendre  un  murmure 
joyeux  durant  près  de  trois  heures.  Je  ne  parle  que 
des  hommes,  je  n'ai  jamais  entendu  les  femmes  chan- 
ter, mais  parfois  elles  rient  de  bon  cœur. 

»  Les  hommes  sont  beaucoup  plus  recherchés  dans 
leur  nourriture  que  les  femmes.  Ainsi,  par  exemple , 
une  de  mes  vaches  était  morte  et  son  corps  était  sur 
les  bords  de  la  crique  ;  les  femmes  des  naturels  l'ap- 
prirent, et  plusieurs  d'entre  elles  vinrent  chercher 
des  morceaux  de  la  vache,  majs  les  hommes  n'en 
voulurent  point.  Dans  tous  les  cas,  j'ai  observé  que 
les  hommes  se  servent  les  premiers,  puis  les  femmes 
et  les  enfans  prennent  ce  que  les  hommes  ont  laissé 
ou  ce   qu'ils  ont  pu   se  procurer  eux-mêmes.    Les 


498  VOYAGE 

femmes  vont  souvent  sur  les  arbres  pour  attraper 
les  opossums ,  et  sont  presque  aussi  habiles  à  couper 
l'écorce  et  à  grimper  que  leurs  vigoureux  maîtres. 
Les  garçons ,  avant  d'arriver  à  l'âge  de  puberté ,  sont 
très-alertes  à  chercher  leur  nourriture;  de  très-bonne 
heure  ils  s'exercent  à  combattre  avec  leurs  casse-tètes, 
leurs  lances  et  leurs  épées  de  bois. 

»  Les  armes  employées  par  les  différentes  tribus 
varient  considérablement  pour  la  forme  et  la  manière 
de  s'en  servir,  et  il  est  évident  que  le  choix  et  l'usage 
de  ces  armes  dépendent  des  matériaux  que  le  pays 
leur  fournit.  Un  naturel  de  la  contrée  au-delà  des 
plaines  de  Liverpool ,  qui  était  ici  l'été  dernier ,  nous 
dit  qu'il  avait  vu  des  naturels  avec  des  arcs  et  des 
flèches. 

»  Il  parait  y  avoir  parmi  eux  diverses  nuances  de 
constitution;  la  couleur  de  leurs  cheveux  offre  de 
grandes  différences.  Quelques-uns,  après  avoir  été 
nettoyés  ,  se  sont  trouvés  avoir  les  cheveux  d'un  brun 
clair.  Les  tribus  des  environs  ont  plusieurs  beaux 
enfans ,  dont  les  pères  étaient  des  blancs  ;  mais  ce 
n'est  pas  d'eux  qu'il  s'agit.  C'est  une  habitude  géné- 
rale chez  eux  de  s'accroupir  sur  des  foyers  enfumés , 
qui  donne  à  leurs  cheveux  et  à  leur  peau  une  couleur 
uniforme. 

»  Comme  ils  n'apprécient  point  leurs  femmes  et 
qu'ils  n'ont  point  pour  elles  les  égards  qu'ils  devraient 
avoir,  nous  ne  devons  point  chercher  en  elles  ces 
vertus  et  ces  grâces  qui  ornent  le  sexe  et  captivent 
l'homme  dans  les  sociétés  civilisées.  Mais  au  milieu 


DE  L'ASTROLAlîE.  i.i.) 

de  leurs  pénibles  souffrances ,  elles  poussent  la  pa- 
tience et  l'humilité  au  degré  le  plus  éminent,  car 
elles  sont  en  effet  assujetties  à  loutes  les  misères  pos- 
sibles, et  cependant  je  n'ai  jamais  vu  d'exemple  de 
suicide  parmi  elles. 

»  Ce  n'est  que  dans  les  sociétés  civilisées  que  les 
femmes,  celte  portion  charmante  de  la  création, 
peuvent  être  contemplées  dans  leur  perfection  ou 
obtenir  la  place  qui  leur  est  due.  Dans  l'état  de 
nature,  elles  ne  sont  que  la  pure  propriété  et  les 
esclaves  des  hommes;  voilà  leur  pitoyable  condi- 
tion chez  les  aborigènes  de  la  Nouvelle-Hollande.  Les 
femmes  font  tout  l'ouvrage  et  sont  faites  pour  porter 
tous  les  fardeaux.  Les  hommes  sont  extrêmement 
indolens  et  font  porter  à  leurs  femmes  jusqu'à  leurs 
armes.  Les  pauvres  créatures  ont  généralement  de 
grands  sacs  ou  de  larges  poches ,  suspendues  à  leurs 
épaules,  dans  lesquelles  les  hommes  logent  tout  ce 
qui  leur  est  nécessaire.  En  outre  ,  elles  portent  leurs 
jeunes  enfans  suspendus  derrière  leur  dos.  Elles  pa- 
raissent tellement  accablées  de  leurs  fardeaux  qu'elles 
ont  perdu  l'habitude  de  se  tenir  droites,  et  contrac- 
tent une  certaine  allure  gauche  et  très-courbée  ;  tan- 
dis que,  créature  plus  fière,  l'homme  marche  droit  et 
sans  entraves  au  travers  de  ses  forets  ,  esclave  seule- 
ment de  ses  passions. 

»  Les  hommes  trouvent  quelques-unes  de  leurs 
femmes  très-jolies  ;  en  effet  j'en  ai  vu  dans  le  nombre 
dont  les  traits  m'ont  semblé  animés  et  agréables.  Elles 
ont  de  grands  yeux  d'un  très-beau  brun  ou  d'un  noir 


500  VOYAGE 

foncé ,  des  lèvres  minces  et  de  belles  dénis  blanches 
et  régulières.  Veulent-elles  quelque  chose,  elles  sa- 
vent accompagner  leur  demande  de  regards  très-ca- 
ressans.  Quelquefois  le  son  de  leur  voix  est  singu- 
lièrement doux  et  mélodieux  quand  il  se  fait  entendre 
au  travers  de  leurs  bois  solitaires.  On  voit  peu  de  ces 
naturels  qui  soient  affectés  de  rhumes.  Ils  semblenl 
généralement  jouir  dune  bonne  santé ,  mais  on  doit 
déplorer  que  parmi  les  autres  calamités  que  leur  ont 
apportées  les  colons,  se  trouve  l'horrible  maladie  vé- 
nérienne; il  est.  à  craindre  qu'elle  ne  leur  cause  de 
longs  tourmens ,  vu  qu'ils  peuvent  souffrir  long-temps 
sans  soulagement.  J'ai  vu  quelques-unes  des  pauvres 
créatures  attaquées  par  ce  mal  qui  étaient  devenues 
des  objets  d'horreur. 

»  A  mon  avis,  leurs  manières  ont  beaucoup  changé 
en  mieux  ;  ils  ne  prennent  plus  la  moindre  chose  dans 
les  fermes  sans  permission;  en  effet,  ils  viennent 
emprunter  les  pots  d'étain,  etc.,  dans  les  cuisines  et 
les  maisons  ,  mais  les  remettent  toujours  à  leur  place 
en  quittant  l'endroit.  Mon  jardin  contenant  quelques 
plantations  de  navets ,  ils  sont  très-friands  de  ces  lé- 
gumes; cependant  ils  n'ont  jamais  tenté  d'en  prendre 
sans  demander  auparavant  la  permission;  même  ils  de- 
mandaient le  nombre  qu'ils  pouvaient  prendre,  en  le- 
vant autant  de  leurs  doigts. 

»  Il  n'est  permis  aux  femmes  d'entrer  dans  les  mai- 
sons qu'après  que  les  hommes  ont  d'abord  satisfait 
leur  curiosité  et  pris  ce  qu'ils  peuvent  obtenir.  Alors 
les  pauvres  femmes  font  leur  humble  apparition.  Après 


DE  L'ASTROLABE.  .501 

la  dernière  récolte,  les  femmes  et  les  enfans  glanè- 
rent dans  mes  champs  et  mangèrent  tant  de  blé,  que 
cet  excès  de  nourriture  joint  à  l'humidité  du  temps  les 
rendit  si  malades,  qu'ils  se  roulaient  par  terredans  leurs 
souffrances;  mais  ils  furent  promptement  rétablis. 

»  Ils  aiment  beaucoup  les  alimens  chauds.  Une 
femme  venait  de  recevoir  un  pot  de  lait  qu'on  lui  di- 
sait de  boire.  Oui,  dit-elle,  mais  il  faudrait  d'abord 
le  faire  bouillir.  Les  femmes  durant  long-temps  furent 
très-effrayées  à  la  vue  d'un  homme  à  cheval ,  disant 
qu'elles  prenaient  l'homme  et  le  cheval  pour  un  seul 
animal  ;  maintenant  elles  admirent  beaucoup  les  che- 
vaux. Rien  ne  plaît  tant  aux  hommes  et  aux  garçons 
qu'une  course  à  cheval  ;  ils  aiment  aussi  beaucoup  nos 
chiens  ;  une  femme  ici ,  ces  jours  derniers  ,  s'était 
chargée  de  tous  nos  petits  chiens. 

»Les  colons  feront  très-bien  d'éviter  toute  espèce  de 
querelle  avec  les  naturels  et  de  les  traiter  avec  dou- 
ceur, ce  sera  le  moyen  d'assurer  leur  propre  repos. 
C'est  être  sage  que  d'être  humain  ,  j'en  parle  d'après 
ma  propre  expérience.  Nous  n'avons  jamais  éprouvé 
la  moindre  insulte  de  leur  part  ;  ils  viennent  même 
nous  avertir,  dès  qu'ils  ont  vu  quelqu'une  de  nos  bêtes 
égarée.  Si  jamais  les  naturels  sont  traités  avec  cruauté, 
il  est  sûr  qu'ils  se  vengeront  sur  la  première  victime 
sans  défense  qu'ils  rencontreront  ;  ils  attaquent  rare- 
ment et  seulement  quand  ils  sont  sûrs  d'être  les  plus 
for! s.  Il  peut  résulter  un  grand  bien  de  nous  mainte- 
nir avec  eux  sur  un  pied  amical ,  et  on  peut  obtenir 
d'eux   des  renseignemens  précieux  touchant  l'inté- 

TOME    I.  33 


iij  VOYAGE 

rieur.  Espérons  que  puisque  le  peuple  breton  fait  des 
progrès  si  étonnans  dans  les  sciences  et  les  connais- 
sances ,  il  accroîtra  encore  son  amour  pour  le  genre 
humain,  quelque  grand  qu'il  soit  déjà,  et  l'étendra  aux 
sauvages  habitans  des  forêts.  Je  me  soucie  peu  d'écrire, 
et  je  n'en  ai  ni  le  temps  ni  les  moyens;  mais  les  enfans 
des  bois  m'intéressent  tellement  que  je  ne  puis  résister 
au  désir  que  j'éprouve  de  plaider  leur  cause.  Un  jeune 
naturel  est  chez  nous  depuis  près  de  cinq  mois  et  paraît 
désirer  d'y  rester  et  de  se  rendre  utile  ;  il  n'appartient 
point  à  ceux  de  Bathurst.  C'est  un  orphelin  d'une  tribu 
éloignée  ;  son  père  fut  tué  par  les  naturels  qui  emme- 
nèrent sa  mère  et  sa  sœur.  Je  mentionne  ce  fait ,  parce 
qu'il  m'a  appris  que  les  sauvages  peuvent  finir  par  avoir 
de  la  confiance  en  nous,  et  je  trouve  en  lui  toute  la  do- 
cilité des  jeunes  indigènes.  Quelques-uns  d'entre  eux 
pourraient  être  instruits  et  devenir  des  serviteurs  uti- 
les et  fidèles.  Nous  avons  lieu  d'espérer  beaucoup  d'a- 
vantages du  digne  représentant  actuel  de  notre  gra- 
cieux et  bon  souverain ,  que  l'innocent  sera  protégé 
et  le  coupable  réprimé  et  puni.  Grâces  à  Dieu,  la  vi- 
gilance de  nos  soldats  à  cheval  a  mis  un  frein  ici  poul- 
ie moment  aux  Bush-rangers.  » 

Nous  allons  faire  suivre  cette  description  des  indi- 
gènes de  l'intérieur  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  par 
quelques  détails  non  moins  intéressans  sur  les  mœurs 
et  les  coutumes  de  ceux  qui  habitent  les  environs  de 
la  baie  Moreton.  Quoique  éloignés  de  près  de  cent 
cinquante  lieues,  dans  le  nord,  des  naturels  de  Port- 


\)E  L'ASTROÏABE.  *0J 

Jackson  ,  on  sera  frappé  de  la  conformité  de  leurs  ha- 
bitudes ,  à  quelques  modifications  près.  C'est  à  l'obli- 
geance de  M.  Uniacke  que  je  dois  le  fragment  curieux 
que  j'insérerai  ici  textuellement.  M.  Fniacke  ,  au  mois 
de  novembre  1823  ,  avait  accompagné  M.  Oxley  dans 
sa  reconnaissance  de  la  rivière  Brisbane  près  Morcton- 
Bay,  et  ce  fut  là  qu'ils  rencontrèrent  les  deux  Anglais 
Th.  Pamphlet  et  John  Finnegam,  cités  dans  ce  récit. 
Ces  deux  individus  échappés  dans  le  mois  de  mars 
précédent  au  naufrage  du  bateau  qui  les  portait,  furent 
jetés  par  la  tempête  sur  cette  partie  de  la  côte  et  re- 
cueillis amicalement  par  les  sauvages  chez  lesquels  ils 
résidèrent  huit  mois,  ce  qui  leur  avait  donné  le  moyen 
d'assister  à  plusieurs  des  cérémonies  et  ii  la  plupart 
des  actions  de  la  vie  privée  de  celte  race  d'hommes. 

1er  décembre  1 823.  —  « Cette  circonstance  me 

donna  aussi  le  moyen  de  faire  connaissance  avec  les 
naturels  qui,  tant  dans  leurs  dispositions  que  dans 
leurs  manières,  étaient  très-supérieurs  à  ceux  du  voi- 
sinage de  Sydney,  même  à  tous  ceux  que  j'avais  pu 
jusque-là  observer  dans  ces  contrées.  Leur  station 
principale  était  à  deux  milles  environ  de  notre  mouil- 
lage, le  long  de  la  rivière  Pumice  :  mais  comme  le 
poisson  fait  la  base  essentielle  de  leur  subsistance,  ils 
ont  différentes  huttes  à  la  distance  de  trois  ou  quatre 
milles  l'une  de  l'autre  ,  où  ils  émigrent  de  temps  en 
temps  suivant  que  le  poisson  devient  plus  ou  moins 
rare.  Dans  ces  voyages  les  femmes  sont  obligées  de 
porter  les  fardeaux  les  plus  pesans,  savoir:  tous  les 

33* 


504  VOYAGE 

ustensiles  grossiers  que  les  sauvages  peuvent  possé- 
der, une  bonne  provision  de  racines  de  fougère  qui 
forme  encore  une  partie  de  leur  nourriture  journalière, 
et  souvent  en  outre  deux  ou  trois  enfans. 

»  Du  reste,  les  hommes  ne  portent  rien  qu'une 
lance  et  peut-être  un  tison  allumé;  leur  seul  travail 
est  d'attraper  le  poisson  ,  ce  qu'ils  font  avec  beaucoup 
d'adresse  au  moyen  d'une  espèce  de  filet  quils  em- 
ploient de  la  manière  suivante.  Ils  se  divisent  en  deux 
bandes  de  quatre,  six,  huit  hommes,  chacun  ayant 
deux  filets  à  la  main  ;  alors  ils  marchent  le  long  du 
rivage  jusqu'à  ce  qu'ils  aperçoivent  le  poisson  au  bord 
de  la  rivière ,  ce  qu'ils  peuvent  faire  à  la  profondeur 
de  quatre  ou  cinq  pieds  par  la  longue  expérience  qu'ils 
en  ont  acquise.  Aussitôt  qu'ils  ont  choisi  un  endroit 
convenable,  un  petit  garçon  qui  accompagne  chaque 
bande  rampe  vers  l'eau  sur  ses  mains  et  ses  genoux. 
La  bande  se  divise  en  formant  deux  lignes ,  une  de 
chaque  côté  de  l'enfant  à  la  distance  de  deux  ou  trois 
verges,  et  dès  que  le  poisson  se  trouve  assez  près, 
le  petit  garçon  lance  dessus  une  poignée  de  sable  pour 
distraire  son  attention  ;  aussitôt  les  hommes  s'élan- 
cent dans  l'eau  en  formant  un  demi-cercle  autour  du 
poisson,  chaque  homme  se  tenant  au  milieu  de  ses 
deux  filets  qu'il  joint  à  ceux  de  ses  voisins.  De  cette 
manière  ils  manquent  rarement  leur  coup,  et  prennent 
souvent  du  poisson  plus  qu'ils  ne  peuvent  en  consom- 
mer. Comme  ils  ne  voyagent  jamais  sans  feu ,  à  peine 
le  poisson  sorti  de  l'eau,  ils  se  mettent  à  le  faire  rôtir  et 
à  le  manger  sans  le  vider  ni  le  préparer  en  aucune 


DE  L'ASTROLABE.  5fô 

manière.  Quand  ils  sont  rassasiés,  ils  rapportent  chez 
eux  le  reste  de  la  provision  pour  les  femmes  et  les 
enfans  ;  ceux-ci  ont  passé  la  journée  à  ramasser  de  la 
racine  de  fougère,  qu'ils  appellent  dinqowi,  et  en 
échange  du  poisson  ils  en  cèdent  une  partie  aux  hommes. 
Leurs  huttes  sont  construites  avec  de  petites  brandies 
entrelacées  et  couvertes  de  l'écorce  du  Tea-free ;  plu- 
sieurs d'entre  elles  sont  assez  grandes  pour  contenir 
dix  ou  douze  personnes,  et  ils  paraissent  les  tenir 
très-proprement  et  en  bon  état.  Quand  Pamphlet  et 
ses  compagnons  arrivèrent  au  milieu  d'eux ,  ils  ne  pou- 
vaient pas  plus  comprendre  que  l'eau  put  être  rendue 
chaude  que  solide  ;  ces  Anglais  ayant  voulu  en  chauffer 
un  peu  dans  un  pot  d'étain  qu'ils  avaient  sauvé  de  leur 
naufrage,  toute  la  tribu  se  rassembla  autour  d'eux  et 
guetta  le  pot  jusqu'au  moment  où  l'eau  commença  à 
bouillir.  Alors  tous,  tant  qu'ils  étaient,  hommes, 
femmes  et  enfans,  s'enfuirent  vers  leurs  cabanes  en 
poussant  des  cris  affreux,  et  on  ne  put  jamais  leur 
persuader  de  revenir  jusqu'au  moment  où  ils  eurent 
vu  les  Anglais  jeter  l'eau  hors  du  pot  et  le  nettoyer. 
Ils  se  hasardèrent  alors  à  revenir  lentement,  et  cou- 
vrirent soigneusement  de  sable  la  place  où  l'eau  avait 
été  jetée  ;  pendant  tout  le  temps  que  Pamphlet  et  son 
compagnon  résidèrent  avec  les  naturels,  jamais  ceux- 
ci  ne  purent  se  familiariser  avec  cette  opération. 

»  Les  femmes  tressent  une  espèce  de  forte  natte  ou 
filet  avec  des  joncs ,  et  chacune  d'elles  en  a  une  ou 
deux  dans  lesquelles  elles  portent  leur  poisson  ,  leur 
dingowi  ou  toute  autre  espèce  de  chose  qu'elles  peu- 


.506  VOYAGE 

vent  ramasser.  Les  filets  employés  dans  leurs  pèches 
sont  fabriqués  par  les  hommes  avec  l'écorce  de  Yhoiu- 
ragotig,  et  au  premier  abord  il  est  difficile  de  les  dis- 
tinguer de  ceux  qui  sont  faits  avec  du  chanvre.  Ils  ont 
aussi  des  filets  d'une  bien  plus  grande  taille  quand  ils 
vont  à  la  chasse  du  kangarou.  Les  deux  sexes  vont  par- 
faitement nus ,  à  l'exception  de  petites  lanières  de  peau 
de  kangarou  ou  d'opossum ,  dont  ils  s'enveloppent  les 
mains  et  les  bras  ;  les  femmes  n'ont  pas  la  moindre 
honte  de  paraître  en  cet  état  devant  un  étranger. 

»  Ils  semblent  n'avoir  aucune  espèce  d'ornement  y 
bien  qu'ils  parussent  très-satisfaits  des  bandes  de  drap 
rouge  dont  nous  parions  leurs  tètes  ;  quelques  plumes 
rouges  de  la  queue  d'un  cacatoès  noir  que  je  leur 
distribuai  pensèrent  occasioner  unequerelle.  Plusieurs 
objets  d'habillement  leur  furent  donnés ,  mais  ils  les 
emportèrent  et  les  cachèrent  constamment  à  leur 
arrivée  dans  leur  camp,  si  bien  qu'on  ne  revit  jamais 
aucun  de  ces  objets  du  moment  où  ils  en  devinrent 
possesseurs. 

»  Cinq  semaines  après  leur  établissement  parmi  les 
sauvages,  Pamphlet  et  ses  compagnons  assistèrent  à 
un  combat  qui,  par  suite  d'une  vieille  querelle,  eut 
lieu  entre  un  homme  de  cette  tribu  et  celui  d'une 
autre  distante  du  camp  de  cinquante  milles.  Dans 
une  rencontre  qui  avait  eu  lieu  trois  mois  à  peu  près 
auparavant,  l'homme  de  la  tribu  dePumice-River  avait 
reçu  un  coup  de  lance  au  genou,  et  s'étant  rétabli  de 
sa  blessure  il  était  allé  demander  satisfaction.  Le  ter- 
rain désigné  pour  le  combat  était  un  petit  espace  cir- 


DE  L'ASTROLABE.  SOI 

culaire  de  vingt-cinq  pieds  de  diamètre  à  peu  près  sur 
trois  pieds  de  profondeur,  et  entouré  d'une  palissade 
de  petits  pieux.  La  foule  assemblée  pour  assister  au 
combat  montait  environ  à  500  personnes  ,  hommes , 
femmes  et  enfans  ;  les  deux  tribus  avec  les  étrangères 
qui  leur  étaient  alliées  se  rangèrent  dîme  manière 
très-régulière  sur  les  côtés  opposés  du  cercle  :  tous 
étaient  bien  armés  ;  plusieurs  d'entre  eux  avant  cinq 
ou  six  lances  chacun.  Alors  les  deux  combattans  entrè- 
rent dans  l'arène  ;  après  avoir  posé  leurs  lances  à  terre 
vis-à-vis  les  unes  des  autres  et  pointe  contre  pointe,  ils 
commencèrent  à  marcher  en  avant  et  en  arrière ,  se 
parlant  avec  feu  l'un  à  l'autre,  et  faisant  de  violentes 
gesticulations  comme  s'ils  eussent  voulu  exciter  leur 
fureur  au  degré  convenable. 

•  Au  moment  où  ils  étaient  entrés  dans  le  cercle, 
les  femmes  avaient  déjà  reçu  Tordre  de  se  retirer  à 
quelque  distance,  et  le  plus  profond  silence  régnait 
dans  tout  le  reste  de  l'assemblée.  Au  bout  de  dix  mi- 
nutes environ  ils  relevèrent  leurs  lances  avec  leurs 
pieds,  tenant  toujours  les  yeux  fixés  l'un  sur  l'autre, 
et  cela  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  chacun  trois  lances 
qu'ils  plantèrent  en  terre,  toutes  prêtes  pour  sVn 
servir  immédiatement.  Lorsqu'ils  commencèrent  à 
relever  leurs  lances,  un  effroyable  cri  s'éleva  du 
sein  des  spectateurs  assemblés;  immédiatement  après 
ils  redevinrent  aussi  silencieux  qu'auparavant.  Tout 
étant  prêt,  un  ou  deux  des  amis  de  chaque  tribu 
parlèrent  dans  l'arène  durant  quelques  minutes;  aus- 
sitôt qu'ils  eurent  fini,  l'homme  de  l'umiee-River  en- 


.508  VOYAGE 

vova  sa  lance  de  toutes  ses  forces  contre  son  adver- 
saire qui  réussit  à  la  parer  avec  une  espèce  de  bouclier 
de  bois  nommé  heioman,  dans  lequel  cependant  elle 
pénétra  de  trois  ou  quatre  pouces.  L'autre  à  son  tour 
envoya  la  sienne ,  et  le  coup  fut  évité  de  la  même  ma- 
nière. Cependant  la  troisième  lance  de  l'homme  de 
Pumice-River  traversa  l'épaule  de  son  ennemi  qui  aus- 
sitôt tomba  par  terre.  Alors  un  ou  deux  de  ses  amis 
sautèrent  dans  l'arène ,  et  ayant  retiré  la  lance  la  ren- 
voyèrent à  son  possesseur,  et  toute  la  cérémonie  finit 
par  trois  bruyantes  acclamations.  Toute  l'assemblée  se 
retira  alors  dans  les  cabanes  qui  avaient  été  construites 
à  la  hâte  pour  cette  circonstance  ;  le  jour  suivant  ils 
retournèrent  tous  au  même  endroit  afin  de  donner 
aux  amis  du  blessé  le  moyen  de  se  venger  :  mais  il  pa- 
rait que  personne  n'en  eut  le  désir,  car  chacun  des 
naturels  avait  blessé  son  adversaire.  Une  réconcilia- 
tion solennelle  eut  lieu  entre  les  deux  tribus ,  ce  qui 
fut  annoncé  par  des  cris  de  joie ,  des  danses ,  etc.  Trois 
jeunes  gens  de  chaque  tribu  furent  choisis  et  envoyés 
dans  l'arène  pour  lutter  ensemble  et  par  forme  de  di- 
vertissement. Ensuite  les  deux  tribus  se  réunirent 
pour  une  expédition  de  chasse  qui  dura  une  semaine 
entière  ,  et  pendant  laquelle  Pamphlet  dont  les  pieds 
étaient  enflés  fut  consigné  à  la  garde  des  femmes. 

»  Chacun  des  individus  de  cette  tribu  que  j'ai  pu  voir, 
au-dessus  de  l'âge  de  six  ans ,  avait  le  cartilage  du  nez 
percé  d'un  trou;  plusieurs  d'entre  eux,  spécialement 
les  enfans  ,  avaient  de  grands  morceaux  de  bois  et  d'os 
passés  dans  ce  trou,  de  manière  à  boucher  entière- 


DE  L'ASTROLABE.  509 

ment  les  narines.  Cette  opération  est  toujours  exécutée 
par  la  même  personne ,  et  son  office  est  héréditaire  et 
comporte  certains  avantages,  tels  que  d'avoir  droit  à 
du  poisson,  du  dingowi,  etc.,  que  lui  fournissent  les 
autres.  Cet  office  était  occupé  dans  cette  tribu  par  le 
jeune  homme  que  Pamphlet  vit  au  combat ,  tandis  que 
son  père  exerçait  une  charge  semblable  dans  une  autre 
tribu  sur  le  bord  méridional  de  la  rivière.  Ces  tribus 
sont  distinguées  l'une  de  l'autre  par  les  différentes 
couleurs  qu'elles  emploient  en  se  peignant  le  corps. 
Ceux  de  la  rive  au  nord  de  la  rivière  se  noircissent  entiè- 
rement avec  du  charbon  et  de  la  cire  qu'ils  se  procurent 
en  abondance ,  ainsi  que  du  miel  sauvage  ;  et  ceux  de 
la  rive  du  sud  se  peignent  en  rouge  avec  une  espèce 
de  terre  rouge  qu'ils  brûlent  et  qu'ils  réduisent  en 
poudre.  D'autres  font  usage  d'une  préparation  blan- 
che ;  après  s'être  noircis  ils  s'en  barbouillent  diverses 
parties  du  corps. 

»  Leur  chef  semble  jouir  d'un  autorité  illimitée  sur 
eux.  C'était  un  homme  d'une  belle  taille  et  d'un  âge 
moyen  ;  son  air  était  intelligent  et  spirituel  ;  il  avait 
deux  femmes  (ce  qui,  malgré  quelques  exemples, 
ne  parait  pas  du  tout  commun  chez  eux).  Au  reste, 
une  d'elles  seulement  vivait  avec  lui  sur  le  pied 
d  épouse  ;  l'autre  était  occupée ,  tandis  qu'il  mangeait 
ou  qu'il  dormait ,  à  rôder  de  cabane  en  cabane  et  à 
demander  aux  autres  du  poisson ,  de  la  racine  de 
fougère ,  etc.  :  cest  une  espèce  de  tribut  que  l'on  paie 
journellement  au  chef  sans  murmurer,  bien  qu'il  en 
résulte  que  les  autres  se  trouvent  souvent  à  court  pour 


510  VOYAGE 

leurs  provisions.  Ce  chef  possède  des  tilets  aussi  bien 
pour  le  poisson  que  pour  le  kangarou,  mais  il  s'en  sert 
rarement  et  seulement  pour  son  amusement;  sa  femme 
ne  sort  point  non  plus  avec  les  autres  pour  ramasser 
la  racine  de  fougère.  La  coutume  de  se  faire  des  inci- 
sions avec  des  coquilles  aiguisées  a  lieu  ici  comme  à 
Sydney,  excepté  qu'ici  la  plupart  paraissent  bien  plus 
profondes ,  et  toutes  sont  bien  plus  régulières.  Les 
femmes  ont  perdu  aussi  les  deux  premières  phalanges 
du  petit  doigt  de  la  main  gauche.  Ces  opérations  sont 
exécutées  par  le  même  opérateur  qui  perce  les  narines. 
Pamphlet  et  Finnegam,  durant  leur  séjour  dans  la  tribu, 
furent  régulièrement  peints  deux  fois  par  jour  ;  sou- 
vent ils  furent  sollicités  de  se  laisser  orner  davantage, 
soit  en  se  laissant  tatouer,  soit  en  se  laissant  percer  les 
narines  ;  mais  comme  ils  témoignaient  par  leurs  gestes 
que  cela  ne  leur  plaisait  point,  les  naturels  se  désistè- 
rent constamment ,  et  il  ne  leur  arriva  jamais  d'exer- 
cer contre  leurs  hôtes  en  aucune  occasion  le  moin- 
dre acte  de  contrainte  ou  de  violence. 

»  Durant  notre  séjour  nous  n'eûmes  qu'une  seule 
fois  l'occasion  de  leur  voir  quelque  penchant  pour  le 
vol,  quoiqu'ils  nous  demandassentsouventtoutce  qu'ils 
voyaient ,  même  les  habits  que  nous  portions  sur  le 
corps.  Ce  fut  au  sujet  d'une  hache  qu'ils  dérobèrent  à 
nos  ouvriers  occupés  à  couper  du  bois  sur  le  rivage; 
mais  leur  ayant  signifié  formellement  que  nous  vou- 
lions ravoir  cet  instrument,  ils  nous  le  rapportèrent 
dès  le  lendemain  :  ce  petit  événement,  loin  de  rompre 
l'harmonie  qui  existait  entre  nous,  ne  fit  que  rendre 


DE  L'ASTROLABE.  511 

notre  confiance  mutuelle  encore  plus  complète,  car 
de  ce  jour  même,  pour  la  première  fois,  plusieurs 
des  naturels  se  hasardèrent  à  venir  à  bord,  tandis 
que  jusqu'alors  ils  s'étaient  toujours  refusés  avec  des 
signes  de  frayeur  aux  invitations  qu'on  leur  avait  faites; 
depuis  ce  moment  il  ne  se  passa  pas  un  seul  jour  sans 
que  nous  en  eussions  dix  à  douze  avec  nous.  Ils  pa- 
raissaient fort  curieux  et  s'informaient  de  l'usage  de 
tout  ce  qu'ils  voyaient,  mais  il  fallut  du  temps  pour  les 
décider  à  manger  des  mêmes  mets  que  nous  :  du  reste 
quand  ils  l'eurent  fait  une  fois ,  après  leur  premier 
essai  en  ce  genre,  rien  ne  fut  moins  facile  que  de  les 
satisfaire.  Les  chèvres  et  le  bouc  les  frappèrent  d'un 
étonnement  particulier  ;  ils  ne  pouvaient  prendre  sur 
eux  d'approcher  du  dernier  dont  les  cornes  semblaient 
leur  inspirer  un  grand  respect ,  mais  ils  étaient  sans 
cesse  à  caresser  les  chats  et  à  les  montrer  à  leurs  com- 
pagnons à  terre  pour  les  leur  faire  admirer. 

»  Il  me  fut  impossible  de  rien  apprendre,  concer- 
nant leurs  mariages  ,  des  Anglais  que  nous  trouvâmes 
avec  eux.  Au  reste  ,  j'ai  des  raisons  de  croire  qu'ils  ne 
se  procurent  pas  leurs  femmes  de  la  manière  barbare 
qui  a  lieu  à  Port-Jackson  et  dans  ses  environs ,  car, 
durant  tout  l'intervalle  de  leur  séjour  qui  fut  de  neuf 
mois  ,  mes  compatriotes  ne  virent  jamais  frapper  ou 
maltraiter  les  femmes,  excepté  une  seule  qui  le  fut  par 
une  personne  de  son  propre  sexe.  Il  y  a  plus,  si  ce  n'est 
parmi  les  femmes,  ils  ne  furent  jamais  témoins  d'une 
querelle  dans  cette  tribu,  ni  parmi  les  autres  qu'ils  eu- 
rent occasion  de  visiter.  Les  femmes  que  je  vis,  sous 


512  VOYAGE 

les  rapports  de  la  beauté  personnelle ,  étaient  bien  su- 
périeures aux  hommes ,  même  à  tous  les  naturels  de 
cette  contrée  que  j'eusse  encore  aperçus.  Plusieurs 
d'entre  elles  sont  grandes ,  droites  et  bien  tournées  ; 
j'en  ai  remarqué  deux  particulièrement  dont  les  traits 
et  les  formes  feraient  honneur  à  plus  d'une  Européenne. 
Cette  tribu  se  composait  d'environ  trente  hommes , 
seize  ou  dix-sept  femmes  et  une  vingtaine  d'en  fans. 

»  Je  n'ai  jamais  pu  m'assurer  si  les  naturels  de  Mo- 
reton-Bay  avaient  quelque  idée  de  religion.  Ils  n'ont 
aucun  souci  ni  de  bons  ni  de  mauvais  génies  ;  les 
Anglais  que  nous  trouvâmes  avec  eux  n'observèrent 
jamais  rien  qui  ressemblât  à  des  prières  ou  à  des  céré- 
monies religieuses  pendant  tout  le  temps  qu'ils  passè- 
rent avec  eux.  A  l'époque  de  la  puberté,  les  hommes 
ne  se  font  point  sauter  une  dent  de  devant ,  comme 
cela  se  pratique  d'une  manière  invariable  aux  environs 
de  Port-Jackson.  » 

Voici  le  récit  du  combat  dont  John  Finnegam  fut 
témoin  chez  les  mêmes  naturels,  en  novembre  1823: 

«  La  tribu  de  Pumice-River,  ayant  eu  querelle  avec 
une  autre  à  la  dislance  de  vingt-cinq  milles  environ 
dans  le  sud-ouest ,  ses  membres  se  mirent  en  route 
vers  le  camp  de  ces  derniers  pour  terminer  leur  diffé- 
rend, et  comme  je  vivais  avec  leur  chef  il  insista  pour 
que  je  le  suivisse. 

»  En  conséquence ,  nous  nous  mîmes  en  voyage  un 
matin,  en  faisant  environ  dix  ou  quinze  milles  par 


DE  L'ASTROLABE.  >13 

jour.  Noire  bande  se  composait  de  dix  hommes,  huit 
à  neu  flemmes  et  quatorze  enfans,  le  roi,  son  fils  et  moi. 
Tous  les  hommes  portaient  leurs  filets  de  pèche  et 
leurs  lances,  les  femmes  étaient  chargées  de  poisson,  de 
racine  de  fougère ,  etc.  Tous  en  outre ,  femmes  comme 
hommes,  étaient  armés  de  lances  et  de  haches  en  bois. 
Le  troisième  matin  nous  fîmes  halte,  et  tous  les 
hommes  allèrent  à  la  pèche  :  elle  fut  très-heureuse; 
après  un  bon  repas  ils  commencèrent  à  se  peindre  et  à 
s'orner  de  plumes.  Le  chef  lui-même  commença  à  me 
couvrir  entièrement  de  cire  et  de  charbon;  quand 
ils  eurent  tous  fini  leur  toilette,  nous  nous  mîmes  en 
marche,  et  en  peu  de  temps  nous  arrivâmes  près  d'un 
grand  nombre  de  huttes  élevées  pour  cette  circons- 
tance. Elles  étaient  si  nombreuses  que  j'eus  de  la  peine 
à  les  compter;  chaque  tribu  (car  plusieurs  s  étaient 
rassemblées  pour  assister  au  combat)  semblait  avoir 
construit  les  siennes  en  groupes  isolés  et  séparés  les 
uns  des  autres.  A  peu  de  distance  de  cette  station 
notre  bande  s'arrêta.  Aussitôt  qu'on  nous  eut  aperçus, 
la  foule  assemblée  poussa  de  grands  cris,  et  peu  après 
nos  compagnons  furent  visités  par  plusieurs  de  leurs 
amis.  Ceux-ci  se  réunirent  aux  nôtres  pour  pousser 
de  profondes  lamentations  ,  et  toute  la  troupe  se  mit 
à  gémir  tristement.  Peu  de  minutes  après,  le  chef  de 
la  tribu  sur  le  terrain  de  laquelle  nous  nous  trouvions 
vint  à  nous  ;  après  avoir  causé  quelque  temps  avec 
notre  chef,  il  nous  désigna  la  position  où  nous  devions 
bâtir  nos  cabanes. 

»  Les  femmes  de  notre  tribu  commencèrent  ce  Ira- 


514  VOYAGE 

vail  ;  en  moins  de  deux  heures  elles  eurent  terminé 
cinq  ou  six  huttes  assez  commodes ,  sous  lesquelles 
nous  nous  reposâmes  durant  cette  nuit.  Le  jour  sui- 
vant ,  de  bon  matin ,  une  troupe  considérable ,  dont 
se  trouvaient  notre  chef  et  ses  hommes  ,  partit  pour  la 
chasse  du  kangarou.  Elle  ne  fut  pas  très-heureuse,  car 
ils  ne  purent  attraper  qu'un  kangarou  d'une  grande 
taille  ;  cependant  ils  eurent  soin  de  m'en  envoyer  un 
bon  morceau  de  derrière,  qui  me  procura  un  excellent 
repas.  Je  dois  observer  qu'ici  comme  en  toute  autre  oc- 
casion ,  ils  eurent  constamment  l'attention ,  soit  qu'ils 
eussent  peu  ou  beaucoup  pour  eux-mêmes ,  tant  en 
poisson ,  kangarou  ou  toute  autre  chose ,  de  me  donner 
de  leurs  provisions  autant  que  j'en  pouvais  manger.  Le 
même  soir,  au  soleil  couchant ,  tous  les  hommes  de  la 
troupe,  munis  chacun  d'un  tison  allumé,  se  rendirent 
à  un  mille  et  demi  de  distance  environ,  à  l'endroit  où  le 
combat  devait  avoir  lieu  le  jour  suivant.  Le  chef  me 
laissa  dans  sa  cabane  avec  sa  femme  et  ses  deux  enfans, 
et  je  ne  tardai  pas  à  m'y  endormir.  Du  reste ,  il  revint 
quelque  temps  après  dans  la  nuit,  car  je  le  trouvai  cou- 
ché près  de  moi  en  m'éveillant  le  lendemain  matin. 
Après  le  déjeuner,  la  cérémonie  de  se  peindre  et  de  se 
décorer  fut  entièrement  renouvelée.  Les  préparatifs 
achevés ,  nous  marchâmes  en  ordre  régulier  ;  notre 
tribu  avait  été  jointe  par  plusieurs  étrangers ,  qui 
semblaient  tous  enchantés  de  nous  tenir  compagnie. 
Nous  nous  trouvâmes  bientôt  sur  une  étendue  de 
terrain  uni ,  où  l'on  avait  préparé  un  espace  circulaire 
de  quarante  pieds  de  diamètre  sur  trois  environ  de 


DE  L'ASTROLABE.  515 

profondeur.  Les  deux  partis  ennemis  se  placèrent  aux 
côtés  opposés  ;  tous  ensemble  pouvaient  monter  à 
cinq  ou  six  cents  personnes.  Alors  on  me  laissa  sous  la 
surveillance  de  la  femme  du  chef,  à  peu  de  distance  de 
la  lice  ;  mais,  poussé  par  l'envie  demieux  voir  lecombat, 
je  m'en  rapprochai  malgré  les  efforts  de  ma  gardienne. 
Néanmoins  elle  me  suivit  en  pleurant  et  criant  après 
moi;  alors  un  des  hommes  de  notre  tribu  vint  à  moi  et 
me  conduisit  vers  l'arène.  Là  je  vis  une  de  nos  femmes 
combattant  contre  celle  d'une  tribu  étrangère  avec  des 
haches  en  bois  et  à  toute  outrance.  Ces  haches  sont 
des  bâtons  d'environ  trente  pouces  de  longueur,  ter- 
mines à  l'une  des  extrémités  par  un  bouton  épais  et. 
pesant.  Le  combat  ne  lut  pas  long ,  car  les  deux  adver- 
saires semblaient  y  déployer  tout  leur  acharnement;  en 
cinq  minutes  environ,  leurs  tètes  ,  leurs  bras  et  leurs 
gorges,  furent  déchirés  et  meurtris  d'une  manière 
affreuse,  et  la  femme  de  notre  parti  déclarée  vic- 
torieuse ,  l'autre  ne  pouvant  plus  lui  résister.  La  vic- 
toire fut  annoncée  par  un  grand  cri  que  tout  le  monde 
poussa ,  et  les  deux  amazones  sortirent  sur-le-champ 
de  la  lice ,  emmenées  par  leurs  amis  respectifs.  La 
femme  du  chef  revint  encore  vers  moi  et  tâcha ,  par 
tous  les  moyens  qui  étaient  en  son  pouvoir ,  de  me  faire 
retirer  ;  mais  voyant  que  je  persistais  dans  ma  réso- 
lution, elle  alla  trouver  son  mari  qui  vint  aussitôt  à  moi, 
et  me  retirant  ma  lance,  me  força  de  sortir  de  l'assem- 
blée. Alors  il  appela  plusieurs  autres  chefs  et  me  mon- 
tra à  eux.  Ils  causèrent  long-temps,  parlant  et  riant 
ensemble)  très-surpris  apparemment  de  ma  couleur  cl 


516  VOYAGE 

de  ma  tournure.  Notre  chef  leur  parla  ensuite  assez 
long- temps  ,  leur  demandant  évidemment  de  ne  pas 
me  faire  de  mal ,  ce  qu'ils  s'empressèrent  aussitôt  de 
promettre  par  leurs  signes.  Puis  on  me  remit  encore  à 
la  femme  du  chef,  qui  me  ramena  à  l'endroit  où  l'on 
m'avait  laissé  la  première  fois  avec  elle.  De  là  cepen- 
dant je  pus  avoir  une  vue  complète  du  cercle  autour 
duquel  la  foule  était  assemblée. 

»  Il  me  parut  que ,  tandis  que  je  me  trouvais  avec  les 
chefs ,  un  autre  combat  s'était  engagé  ;  car  je  vis  un 
homme  emporté  par  ses  amis ,  qui  appartenait  à  la 
tribu  que  j'avais  suivie;  le  sang  coulait  en  abondance 
de  son  côté ,  où  il  venait  de  recevoir  un  coup  de 
lance.  Il  fut  apporté  à  l'endroit  où  je  me  trouvais  et 
placé  sur  les  genoux  de  deux  hommes ,  avec  quelques 
peaux  de  kangarous  étendues  sur  lui.  Les  hommes, 
les  femmes  et  les  enfans  criaient  et  se  lamentaient  à  la 
manière  du  bas  peuple  d'Irlande.  De  temps  en  temps, 
on  le  lavait  copieusement  avec  de  l'eau  ;  mais  la  bles- 
sure était  évidemment  mortelle ,  aussi  en  moins  d'une 
heure  il  expira. 

»  La  femme  du  chef  m'emmena  alors  à  une  petite 
distance  du  cadavre  ;  le  reste  de  la  tribu  se  mit  tout  de 
suite  aie  dépouiller  ;  mais  à  la  distance  où  j'étais,  je  ne 
pus  voir  de  quelle  manière  ils  s'y  prirent.  En  même 
temps,  deux  autres  hommes  venaient  d'entrer  dans 
l'arène  pour  combattre.  (Ici  je  ne  dois  pas  négliger 
de  remarquer  qu'avant  chaque  combat  on  observait 
toujours  la  même  pratique  qu'a  décrite  Pamphlet  dans 
celui  dont  il  fut  témoin.  )  Le  troisième  combat  allait 


DE  L'ASTROLABE.  ôl  7 

commencer,  tandis  que  les  nôtres  s'occupaient  à  dé- 
pouiller leur  compagnon  décédé ,  lorsqu'un  épouvan- 
table cri  annonça  qu'un  incident  imprévu  venait 
d'avoir  lieu  dans  l'arène.  En  effet,  ainsi  que  je  l'appris 
plus  tard,  les  spectateurs  s'aperçurent  qu'une  per- 
fidie avait  eu  lieu  entre  les  deux  champions ,  mais  je 
ne  pus  jamais  me  faire  expliquer  en  quoi  elle  avait 
consisté. 

»  Sur-le-champ  l'assemblée  quitta  l'arène ,  et  notre 
troupe,  suivie  de  ceux  qui  avaient  pris  son  parti ,  se 
forma  sur  une  seule  ligne,  tandis  que  de  leur  part 
les  adversaires  en  firent  autant  sur  le  côté  opposé. 
Le  combat  devint  alors  général  ;  plusieurs  ensemble 
de  chaque  parti  s'avançaient,  et,  après  avoir  envoyé 
leurs  lances,  se  retiraient  dans  leurs  rangs,  ainsi  que 
le  pratiquent  les  soldats  de  l'infanterie  légère.  D'au- 
tres couraient  derrière  des  arbres  et  épiaient,  le  mo- 
ment d'envoyer  leurs  lances  d'une  manière  plus  sûre. 
De  cette  façon  ,  le  combat  dura  plus  de  deux  heures  ; 
pendant  ce  temps  plusieurs  combattans  rentrèrent 
dans  leurs  rangs  grièvement  blessés ,  et  un  autre 
homme  de  notre  parti  fut  tué  ;  mais  je  n'eus  aucun 
moyen  de  m'assurer  combien  l'ennemi  avait  eu  de 
morts.  Les  nôtres  commencèrent  à  plier  ;  ce  mouve- 
ment ayant  été  observé  par  les  femmes  et  les  enfans 
avec  lesquels  je  me  trouvais,  ils  me  firent  signe  de 
les  suivre  et  décampèrent  aussitôt ,  à  l'exception  de 
ceux  qui  étaient  occupés  à  dépouiller  le  corps  mort. 
Ne  pouvant  pas  courir  aussi  vile  que  les  autres,  je 
tombai  bientôt  au  milieu  de  ceux  du  parti  ennemi, 

TOME    I.  34 


518  VOYAGE 

qui,  malgré  mes  craintes  ,  n'essayèrent  point  de  me 
faire  de  mal ,  et  se  contentèrent  de  rire  et  de  me 
montrer  du  doigt,  en  passant  à  côté  de  moi ,  avec  les 
mêmes  marques  d'étonnement  que  les  chefs  avaient 
données  dans  la  matinée.  Je  regagnai  alors  les  huttes 
où  nous  avions  couché  les  nuits  précédentes  ;  mais  je 
n'y  trouvai  personne.  Je  m'assis  près  du  feu.  Vers  le 
soir  ils  commencèrent  à  rallier ,  en  petit  nombre  à  la 
fois.  Précisément  à  l'entrée  de  la  nuit,  je  vis  appro- 
cher un  groupe  considérable  ,  qui  me  parut  porter 
les  corps  des  deux  hommes  qui  avaient  été  tués.  Us 
les  déposèrent  à  vingt  verges  environ  des  cabanes  et 
recommencèrent  là  de  grandes  lamentations.  Le  pre- 
mier cadavre  avait  été  entièrement,  dépouillé ,  mais  ils 
n'avaient  pas  encore  eu  le  temps  d'achever  de  dé- 
pouiller l'autre.  Je  voulus  m'en  approcher,  mais  je 
fus  aussitôt  repoussé  par  la  troupe  entière  et  contraint 
de  retourner  près  de  mon  feu.  Peu  après  notre  chef 
et  sa  femme  revinrent  et  commencèrent  à  faire  sur- 
le-champ  leurs  paquets  pour  décamper.  On  alluma 
deux  grands  feux  ,  les  cadavres  y  furent  déposés ,  et 
ne  tardèrent  pas  à  être  consumés  ainsi  que  j'en  pus 
juger  par  le  bruit  et  l'odeur  désagréable  qui  me  frap- 
pèrent. Cette  opération  terminée  ,  toute  notre  troupe 
décampa;  après  avoir  marché  environ  un  demi-mille, 
nous  nous  arrêtâmes  pour  la  nuit.  De  très -bonne 
heure  le  matin  suivant,  nous  fûmes  debout,  et  toute 
la  journée  nous  cheminâmes  en  grande  hâte ,  sans 
faire  halte,  ni  rien  manger.  Dans  notre  troupe  se  trou- 
vaient quatre  femmes  et  trois  hommes  blessés,  le  der- 


DE  L'ASTROIAKK.  519 

nier  très-cruellement;  néanmoins  ils  faisaientlousleurs 
efforts ,  malgré  leurs  souffrances ,  pour  se  maintenir 
avec  nous.  J'avais  aussi  observé,  durant  la  marche  de 
cette  journée  ,  deux  hommes  dont  l'un  appartenait  à 
notre  tribu  et  l'autre  à  une  tribu  amie  ,  qui  portaient 
chacun  un  fardeau  sur  leurs  épaules  ;  ils  ne  suivaient 
pas  la  même  trace  que  nous  ,  mais  marchaient  dans  le 
bois  h  une  petite  distance  à  l'écart.  Curieux  de  connaî- 
tre ce  qu'ils  portaient,  plusieurs  fois  je  tentai  de  m'en 
approcher,  mais  je  fus  constamment  repoussé  par  les 
autres  qui  observaient  mes  mouvemens  et  nie  criaient 
de  ne  pas  aller  près  de  ces  hommes.  Durant  ce  jour 
nous  parcourûmes  h  peu  près  huit  à  dix  milles  ;  le  soir 
nous  arrivâmes  sur  le  bord  d'un  grand  marais ,  où 
nous  fîmes  halte;  les  femmes  dressèrent  tout  de  suite 
des  huttes ,  puis  elles  s'occupèrent  de  ramasser  de  la 
racine  de  fougère  pour  tout  le  monde  ;  les  hommes  ne 
se  mêlent  jamais  que  d'attraper  le  poisson  et  le  gibier. 
Je  logeais  comme  de  coutume  avec  le  chef;  à  une  pe- 
tite distance  de  sa  cabane,  j'aperçus  mes  deux  hommes 
qui  suspendaient  leurs  paquets  à  des  branches  d'ar- 
bre, et  je  tentai  encore  d'approcher  d'eux,  mais  je  fus 
repoussé  comme  à  l'ordinaire.  Nous  demeurâmes 
deux  jours  en  cet  endroit  ;  pendant  ce  temps  un  grand 
feu  resta  constamment  allumé  au-dessous  des  arbres, 
où  étaient  suspendus  les  fardeaux  sacrés.  Le  second 
jour  au  soir,  j'essayai  encore  une  fois  de  reconnaître 
en  quoi  ils  consistaient,  bien  que  je  soupçonnasse 
fort  que  c'étaient  les  peaux  des  deux  hommes  que 
nous  avions  perdus.  Le  vieux  chef,  me  voyant  aller 


520  VOYAGE 

de  ce  côté,  courut  après  moi  en  me  criant  de  toute 
sa  force  de  retourner  sur  mes  pas;  mais  je  tins  bon, 
et  je  réussis  à  gagner  cet  endroit.  Je  jugeai  alors  de  la 
vérité  de  mes  conjectures  ;  les  deux  peaux  étaient 
étendues  chacune  sur  quatre  lances  et  séchaient  à 
l'action  du  feu  ;  la  peau  de  la  tête  était  fendue  en 
deux  et  pendait  vers  la  terre  avec  les  cheveux  qui 
y  tenaient  encore.  Les  plantes  des  pieds  et  les  pau- 
mes des  mains  pendaient  aussi  avec  les  doigts  qui 
y  tenaient  solidement.  Au-dessous  des  peaux,  plu- 
sieurs hommes  et  femmes  étaient  assis  autour  du  feu 
et  m'invitèrent  alors  à  m'asseoir  avec  eux ,  ce  que  je 
fis.  Ils  me  donnèrent  des  bandelettes  de  peaux  de 
Kangarou  pour  m'en  orner  la  tête  et  les  bras ,  et  dé- 
sirèrent m'entendre  chanter  pour  les  amuser;  mais 
leur  ayant  fait  entendre  que  cela  n'était  pas  conve- 
nable ,  tant  que  les  dépouilles  de  nos  amis  n'étaient 
pas  ensevelies ,  ils  parurent  étonnés  et  bientôt  mon- 
trèrent par  leurs  signes  qu'ils  étaient  enchantés  de 
mon  refus.  Je  restai  assis  avec  eux  une  demi-heure 
environ  ;  la  femme  du  chef  vint  et  me  ramena  dans 
sa  hutte  ;  peu  après,  tous  les  hommes,  parés  de  peaux 
de  kangarou ,  et  un  d'entre  eux  vêtu  de  la  vieille 
jaquette  que  je  portais  sur  moi ,  eurent  avec  une  ou 
deux  des  femmes  une  conférence  autour  du  feu,  tous 
portant  un  tison  allumé  dans  les  mains.  Au  bout 
d'une  demi-heure  de  consultation,  deux  de  la  bande  se 
détachèrent,  et,  ayant  pris  les  peaux,  s'enfoncèrent  à 
toutes  jambes  au  travers  des  bois,  suivis  par  tous  les 
autres  qui  poussaient  de  grands  cris  et  faisaient  beau- 


DE  L'ASTROLABE.  >21 

coup  (le  bruit.  De  ce  moment,  je  ne  revis  plus  les 
peaux  et  je  ne  sais  pas  ce  qu'ils  en  firent.  Au  bout  de 
trois  quarts-d'heure  tous  étaient  de  retour  ;  celui  qui 
avait  pris  ma  vieille  jaquette  me  la  rendit.  Le  lende- 
main matin  ,  nous  nous  remîmes  en  route  et  retour- 
nâmes à  Pumice-River  par  la  même  route  que  nous 
avions  suivie  pour  aller  au  combat.  Ensuite  les  hom- 
mes reprirent  leurs  occupations  ordinaires  de  chasse 
et  de  pèche ,  comme  si  rien  n'était  arrivé.  » 

Quant  à  la  possibilité  d'amener  les  naturels  de  la 
Nouvelle-Galles  du  Sud  à  l'état  de  civilisation,  ou 
même  à  une  condition  moins  sauvage  ,  moins  errante 
que  celle  à  laquelle  la  nature  semble  les  avoir  spécia- 
lement destinés ,  c'est  un  espoir  auquel  les  Anglais 
paraissent  avoir  totalement  renoncé.  L'établissement 
formé  pour  l'éducation  des  jeunes  indigènes,  dû  aux 
vues  bienveillantes  du  gouverneur  Macquarie,  a  été 
peu  à  peu  négligé  et  se  trouve  aujourd'hui  complète- 
ment abandonné.  Malgré  la  multiplication  rapide  des 
Européens  sur  ce  sol  étranger ,  cette  race  bizarre  y 
poursuit  sa  triste  existence  à  peu  près  comme  au  temps 
où  ses  membres  en  étaient  les  seuls  possesseurs.  En 
effet  le  gouvernement  anglais  ne  les  tourmente  en 
aucune  manière  ;  pourvu  qu'ils  ne  se  permettent  rien 
contre  les  lois  ou  la  police  de  la  colonie  ,  on  peut  as- 
surer qu'ils  jouissent  encore  d'une  liberté  pleine  et 
entière.  Du  reste  jaloux  de  m'appuyer  à  ce  sujet  d'un 
témoignage  irrécusable  ,  je  priai  M.  Marsden  ,  chape- 
lain principal  de  la  colonie  où  il  réside  depuis  plus  de 


522  VOYAGE 

trente  années,  de  me  donner  en  peu  de  mots  son  opi- 
nion sur  ces  peuples  singuliers  ;  il  eut  la  complai- 
sance de  me  remettre  quelques  jours  avant  mon  dé- 
part la  note  suivante  qui  terminera  ce  que  je  m'étais 
proposé  d'écrire  à  ce  sujet. 

«  Les  observations  suivantes  sur  la  conduite  des 
aborigènes  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud  répandront 
quelques  lumières  sur  le  caractère  de  cette  race  ex- 
traordinaire de  sauvages. 

»  Benilong  fut  le  premier  naturel  admis  à  la 
table  du  feu  gouverneur  Phillip  ;  cela  eut  lieu  en  l'an- 
née 1788,  peu  après  la  fondation  de  la  colonie.  Le 
gouverneur  retourna  en  Angleterre  en  1792  et  em- 
mena Benilong ,  le  garda  à  Londres  avec  lui  jusqu'en 
1795  où  le  feu  amiral  Hunter  fut  nommé  chef  de  la 
colonie.  Lorsqu'il  quitta  l'Angleterre,  Benilong  l'ac- 
compagna à  la  Nouvelle-Galles  du  Sud.  Après  son 
retour  il  vivait  chez  le  gouverneur  et  dînait  chaque 
jour  à  sa  table  où  il  continua  durant  quelque  temps 
de  se  comporter  de  la  manière  la  plus  décente.  A  la 
fin  il  quitta  tous  ses  vètemens  ,  renonça  aux  manières 
qu'il  avait  acquises  et  se  retira  dans  les  bois  qu'il  ne 
quitta  plus  jusqu'au  jour  de  sa  mort.  Je  l'ai  vu  souvent 
errant  dans  les  forêts  dans  son  ancien  état  de  dégra- 
dation, volontairement  assujetti  à  toutes  les  privations 
et  les  misères  de  sa  tribu  ;  et  il  me  parut  sous  tous  les 
rapports  ce  qu'il  était  avant  que  le  gouverneur  Phillip 
s'en  fût  occupé,  un  sauvage  dans  toute  l'étendue  du 
mot. 


DE  L'ASTROLABE.  .523 

»  Il  y  eut  un  autre  naturel  que  je  connus  dès  son 
enfance,  qui  appartenait  à  la  tribu  de  Parramatta. 
Son  nom  anglais  était  Daniel  ;  c'était  un  fort  beau 
jeune  homme.  M.  Caley  le  botaniste  l'avait  pris  chez 
lui  et  le  garda  quelques  années.  Quand  M.  Caley  re- 
tourna en  Angleterre,  Daniel  l'accompagna  et  v  resta 
long-temps.  Comme  M.  Caley  était  employé  par  feu 
sir.loseph  Banks,  Daniel  fut  introduit  dans  les  pre- 
mières sociétés  de  Londres.  Enfin  il  revint  à  la  Nou- 
velle-Galles du  Sud  ,  et  la  première  fois  que  je  le  vis 
après  son  retour ,  il  était  assis  tout  nu  sur  le  tronc  d'un 
arbre  dans  les  bois  à  huit  milles  environ  au  nord  de 
Parramatta.  Je  lui  exprimai  mon  étonnement  de  le 
voir  en  cet  état  et  lui  demandai  pourquoi  il  avait  quitté 
ses  vètemens  pour  vivre  dans  les  forets  ;  il  me  répon- 
dit que  les  bois  étaient  ce  qu'il  aimait  le  mieux.  Peu 
de  temps  après  Daniel  rencontra  une  jeune  femme 
qui  était  venue  libre  d'Angleterre ,  à  trois  milles  envi- 
ron de  Parramatta ,  comme  elle  retournait  chez  son 
père  ;  il  se  permit  de  l'attaquer  et  de  la  violer.  Il  fut 
arrêté  et  exécuté  pour  ce  crime,  et  mourut  comme  un 
sauvage  ,  malgré  tous  les  avantages  dont  il  avait  joui 
dans  l'état  social  de  la  civilisation. 

»  Pour  montrer  parfaitement  le  caractère  de  ces  na- 
turels ,  je  citerai  encore  un  autre  exemple.  Un  d'eux 
nommé  Mousquito  vivait  il  y  a  plus  de  vingt  ans  sur 
les  bords  de  la  rivière  Hawkesbury  où  résidaient 
quelques  cultivateurs  anglais.  Mousquito  était  un  sau- 
vage forcené,  il  commit  plusieurs  pillages  et  même  des 
meurtres  sur  les  Européens  de  ce  district .  A  In  fin  il  fut 


524  VOYAGE 

arrêté  et  banni  à  l'île  Norfolk  où  il  demeura  confondu 
avec  les  convicts  condamnés  aux  travaux  forcés.  Il 
resta  plusieurs  années  sur  cette  île ,  séparé  de  tous  ses 
compatriotes.  Quand  cet  établissement  fut  transféré 
à  Van-Diemen's-Land  ,  Mousquito  y  suivit  les  Euro- 
péens. Quelque  temps  après  son  arrivée  il  s'enfuit  dans 
les  bois,  se  réunit  aux  naturels  de  cette  île,  se  rendit 
encore  coupable  de  plusieurs  vols  et  meurtres ,  et  fut 
enfin  pris  ,  lié  et  pendu.  Durant  les  vingt  années  qu'il 
avait  été  privé  de  toute  communication  avec  ceux  de 
sa  race,  on  aurait  pu  croire  qu'il  avait  fait  quelques 
progrès  dans  la  civilisation  et  acquis  quelque  chose 
des  mœurs  de  l'état  social  ;  mais ,  suivant  toute  appa- 
rence, il  vécut,  et  mourut  exaclement  avec  le  même 
caractère  sauvage  qu'on  lui  avait  connu  trente  ans 
auparavant  sur  les  bords  de  l'Hawkesbury. 

»  Je  pourrais  mentionner  plusieurs  autres  circons- 
tances où  il  m'a  été  facile  d'observer  des  indigènes  qui 
avaient  joui  de  tous  les  avantages  propres  à  améliorer 
leurs  dispositions  naturelles,  et  qui  semblaient  n'avoir 
profité  en  aucune  manière  du  commerce  des  Euro- 
péens. Ces  exemples  prouveraient  tous  dans  quel  état 
de  dégradation  ces  êtres  sont  plongés ,  et  combien  il  y 
a  peu  d'espoir  de  les  en  faire  sortir.  Ces  sauvages  n'ont 
point  de  besoins  ;  ils  n'ont  ni  réflexion ,  ni  pré- 
voyance. Pour  eux  point  de  lendemain.  Ils  n'ont  ni 
magasins,  ni  greniers.  Le  jour  ils  rôdent  à  l'aventure 
dans  les  bois ,  comme  les  oiseaux  dans  l'air,  et  les 
animaux  sauvages  sur  la  terre  ;  la  nuit  ils  se  couchent 
dans  les  broussailles ,  sous  un  rocher,  un  arbre  ou  un 


DE  L'ASTROIABE.  i2ô 

morceau  d'écorce  ou  tout  autre  abri ,  si  le  temps  est 
pluvieux  ou  orageux.  Depuis  que  les  Européens  habi- 
tent parmi  eux ,  je  n'ai  pas  eu  connaissance  qu'un  seul 
naturel  ait  adopté  les  manières  ou  les  coutumes  de  la 
vie  civilisée,  se  soit  occupé  de  l'agriculture  ou  livré 
au  plus  simple  des  métiers.  Mon  opinion  est  que  les  in- 
digènes disparaîtront  à  mesure  que  les  établissemens 
européens  feront  des  progrès  dans  ce  pays ;  avant  un 
certain  nombre  d'années ,  il  n'y  existera  qu'un  petit 
nombre  de  sauvages,  si  même  il  en  reste.  Ces  malheu- 
reux contractent  tous  nos  maux  et  tous  nos  vices, 
mais  aucune  des  coutumes  et  des  manières  qui  pour- 
raient leur  être  avantageuses. 

V\v-.Sonili-\\  aliN,  december  la™  iS^ti. 

»  Siened  Samuel  JMarsden.  » 


P.  iSi  .rajouterai  encore  à  ce  chapitre  sur  les  in- 
digènes de  l'Australie ,  une  observation  importante 
pour  ceux  qui  attachent  quelque  intérêt  à  l'étude  des 
races  de  l'Océanie.  Tous  les  renseignemens  que  j'ai 
puisés  dans  les  auteurs,  les  questions  et  les  recher- 
ches que  j'ai  moi-même  laites  sur  les  lieux,  m'ont 
conduit  à  penser  que  ces  sauvages  n'ont  aucune  idée 
tl'une  pratique  commune  à  tous  les  peuples  de  la  race 
vraiment  polynésienne,  et  surtout  en  vigueur  au  plus 
haut  degré  chez  leurs  plus  proches  voisins,  les  Nou- 
veaux-Zélandais.  On  sent  <l<jà  que  je  veux  parler 
rom    i  35 


526  VOYAGE 

du  tabou  ou  tapou ,  cette  privation  volontaire  qu'ils 
ont  jugé  à  propos  de  s'imposer  pour  plaire  à  la  di- 
vinité ou  apaiser  sa  colère,  et  qui  donne  une  couleur 
toute  particulière  à  leurs  cérémonies  et  à  la  plupart 
de  leurs  actions.  Cette  superstition  s'est  étendue  des 
iles  Sandwich  aux  rives  de  la  Nouvelle-Zélande,  mais 
elle  n'a  point  pénétré  dans  l'Australie  ;  et  cette  raison 
suffirait  pour  placer  les  tribus  de  ce  continent  dans 
un  système  tout-à-fait  à  part ,  indépendamment  de 
mille  autres  raisons  tirées  de  leur  organisation  phy- 
sique ,  de  leur  langage  et  de  leurs  mœurs.  Bien  que 
je  sois  contraint  de  remettre  à  un  autre  temps  ce  que 
j'ai  à  dire  au  sujet  du  tabou  et  de  ses  suites,  je  m'em- 
presse d'annoncer,  touchant  l'étymologie  de  ce  mot , 
une  conjecture  qui  m'a  paru  fondée.  M.  Adelbert  de 
Chamisso  annonça  il  y  a  quelques  années ,  dans  son 
Appendix  au  Voyage  de  Kotzebue,  que  ce  mot  pa- 
raissait avoir  une  origine  hébraïque  ;  mais  ce  voyageur, 
lors  du  séjour  qu'il  fit  à  Paris  en  1 825 ,  m'avoua  que 
cette  origine  ne  s'était  point  vérifiée.  Comme  j'en 
parlais  un  jour  avec  M.  J.  J.  Marcel,  ce  savant  poly- 
glotte me  fit  observer  sur-le-champ  qu'en  langue  arabe 
le  mot  tabou  signifiait  littéralement,  ils  ont  expié. 
Le  motif  du  tabou  est  toujours  une  expiation  chez 
les  naturels ,  et  il  ne  serait  pas  du  tout  étonnant 
que  le  mot  qui  désignait  le  but  de  l'action  ait  été  par 
la  suite  employé  pour  l'action  elle-même.  C'est  un 
fait  qui  se  renouvelle  chaque  jour  dans  toutes  les 
langues  du  monde.  En  conséquence,  cette  étymo- 
logie  me  semblerait  assez   naturelle,  d'autant  plus 


DE  L'ASTROLABE.  527 

que,  lors  de  la  discussion  des  langues  de  l'Océanie, 
je  me  propose  d'indiquer  quelques  autres  mots  dont 
l'origine  est  évidemment  arabe. 

Voici  les  observations  de  M.  J.  J.  Marcel  lui-même 
touchant  l'origine  du  mot  tabou  . 

«  Le  mot  tabou  peut  avoir  de  l'analogie  avec  les 
mots  de  l'arabe  littéral  tawboun  et  tawbou,  tawba- 
toun  et  tawbatou,  pénitence,  repentir,  expiation  de 
crimes  ou  de  fautes.  Ces  mots  se  retrouvent  dans 
l'arabe  vulgaire  où  l'on  a  taubaà,  pénitence,  repen- 
tir ;  tâyb ,  pénitent ,  repentant.  Ce  dernier  mot  est 
aussi  de  l'arabe  littéral  sous  la  forme  de  tâyboun 
et  tâybou. 

»  Ces  mots  ont  passé  dans  la  langue  persane ,  où 
l'on  trouve  toubah  et  tawbah,  pénitence,  repentir, 
expiation;  tâyb,  un  pénitent,  un  homme  qui  se  re- 
pent  et  qui  expie.  Ces  mots  viennent  de  la  racine 
arabe  tâb ,  qui  est  employée  en  cent  endroits  du 
Koran ,  et  qui  signifie  proprement ,  se  convertir , 
changer  de  vie,  être  repentant,  expier  ses  fautes. 
Ce  terme  s'emploie  même  pour  indiquer  que  Dieu 
accorde  aux  hommes  la  vertu  de  se  repentir  et  qu'il 
agrée  leur  expiation. 

»  Une  expression  arabe,  dérivée  de  la  même  racine 
arabe,  est  tâbout,  qui  signifie  proprement  un  cercueil. 

»  Enfin ,  taouboun  (  la  pénitence  ou  l'expiation  ) 
est  encore  la  lettre  du  chapitre  IX  du  Koran.  » 


Dans  celle  espèce  d'essai  sur   la  Nouvelle  -  Galles  du  Sud ,  on  a  dû  s'a- 
percevoir que  je  ne  suis  entré  dans  aucun  développement  touchant  la  topo- 


528  VOYAGE  DE  L'ASTROLABE. 

graphie,  la  physique,  l'histoire  naturelle,  etc.  Depuis  dix  ans  bientôt  qu'il 
travaille  à  la  publication  de  son  voyage,  M.  Freycinet,  dit-on,  a  préparé 
sur  cette  matière  un  travail  complet  et  qui  probablement  paraîtra  incessam- 
ment. D'ailleurs,  je  pense  qu'il  serait  aujourd'hui  difficile  de  rien  donner  de 
meilleur  sur  un  pareil  sujet  qu'un  excellent  ouvrage  que  je  n'ai  pu  citer 
qu'une  seule  fois  et  dont  voici  le  titre  exact  :  The  Picture  of  Australia 
exhibiting  New-Holland ,  Van-D'iemen's  Land  and  ail  the  settlements ,  front 
ihe  first  at  Sydney,  to  the  last  at  the  Swan-River.  London ,  JJ'hittaker , 
Treaeher  and  C" ,  Âve-Maria  Lane ,   1829. 


il\    !)l    TOMK    L'I'.KMiER. 


TABLE. 


Discours  Pkm.iminaire.  i 

Ktat  nominatif  des  Officiers  et  Marins  i>e  l'Astrolabe.  \\\i\ 

Lettre  du  Ministre  de  la  Marine  a  M.  Dumont  d'Urville.  m  i\ 

Mémoirf  pour  servir  d'Instruction  a  M.  Dumont  d'Urvilt.e.  lvii 

R  \pport  sur   i.a  Navigation   de  l'Astrolabe,  par  M.  le  chevalier 

de  Rossel.  i  w» 

Rapport  de  M.  Cuvjer.  xcvii 

Rapport  de  M.  Cordier.  ,mi 

Rapport  de  M.  Desfontaines.  (\m 

Chapitre  I".  —  Traversée  de  Toulon  à  Gibraltar.  i 

Chapitre  II.  —  Séjour  sur  la   rade  do  Gibraltar  il  traversée  jusqu'à 

Ténériffe.  i<; 

Chapitre  III.  —  Excursion  au  Pic  de  Ténériffe.  211 

Chapitre  IV.  —  De  Ténériffe  à  la  Trinité.  43 

Chapitre  V.  —  De  la  Trinité  au  Port  du  Roi- Georges.  68 

Chapitre  VI.  —  Séjour  au  Port  du  Roi-Georges.  S  S 

Chapitre  VII.  —   Du  Port  du   Roi-Georges  jusqu'au   dépari  du  l'oit 

Western.  1  il. 

Chapitre    VIII.   —  De  Port-Western  à  Port-JacksOD  et  séjour  en   ce 

port.  1  18 

Notes.  i  f>  - 

Chapitre  IX.  —  Histoire  de  la  colonie  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud.  9  1  '• 
Chapitre  X.  —    Ktat  actuel    de  la  colonie  de  la  Nouvelle-Galles  du 

Sud.  j-- 

Chxpitrf  XI.  —  Des  naturels  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud.  Iq5 


PIN     DL    I.A    TAlil.K    DU    PP.KMll.li    MIM'.II 


36 


I 


<  ^ 


k 


*^** 


fc* 


* 


A     ^^1 


**