DUKE
UNIVERSITY
LIBRARY
GIFT OF
s.
A. Wainwriaht
IN MEMORY OF
Dr.
Edward C. Horn
%M
VOYAGE
L'ASTROLABE.
LE VOYAGE DE L ASTROLABE,
19 VOLUMES GRAND IN-8°, ÔOO PLANCHES OU CARTES,
se compose des parties suivantes :
première JDiotston.
Histoire du Voyage, rédigée par M. Dumont d'Urville; 5 volumes grand
in-8, papier grand-raisin superfin ; avec plus de ioo Vignettes en bois
ou en taille-douce , 5 Cartes grand in-folio , et un Atlas de au moins
240 Planches lithographiées sur demi-feuille jésus-vélin.
Météorologie, Magnétisme, Température de la Mer, etc., Mémoire
rédigé par M. Arago, de l'Académie des Sciences; 1 volume in-8.
Deuïième JEHnision.
Botanique. Texte par MM. Lesson jeune et A. Richard; 1 volume in-8;
Atlas de 80 Planches au moins en taille-douce, la plupart coloriées, sur
demi-feuille jésus-vélin.
troisième JDiuisioii.
Zoologie, rédigée par MM. Quoy et Gaimard; 5 forts volumes in-8, avec
Atlas de 200 Planches au moins, gravées en taille-douce, imprimées en
couleur , relevées au pinceau ; sur demi-feuille jésus-vélin.
Quatrième JDiobion.
Partie Entomologique , rédigée par M. Latreille , de l'Académie des
Sciences; 1 volume in-8, avec 12 Planches en taille-douce, imprimées
en couleur et relevées au pinceau, sur demi-feuille jésus-vélin.
Cinquième Uioidion.
Hydrographie. Allas d'environ 53 Cartes ou Plans, gravés par les soins
du gouvernement, suivi d'un volume de texte, rédigé par M. Dumont
d'Urville.
imprimerie de .1. tastu.
VOYAGE
LA CORVETTE
L'ASTROLABE
(Êr crutc par (Drï>rc Du Uot ,
PENDANT LES ANNÉES 1826-1827-1828-1829,
SODS I.F CO«MA>DEMt>T
DE M. J. DUMONT D'URVILLE,
ariTHKE DE VAISSEAU.
Pl'DLIL
Par (Driioruianrc be fia fttûjcstc.
HISTOIRE DU VOYAGE.
TOME DEUXIÈME.
*
PARIS
J. TASTU, ÉDITEUR-IMPRIMEUR,
»° 36, RUE DE VAUGIKAR1>.
1830
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in 2011 with funding from
Duke University Libraries
http://www.archive.org/details/voyagedelacorvet12dumo
I,
VOYAGE
L'ASTROLABE
CHAPITRE XII.
TP.AYIKSFE T)E I'ORT-.IVCKSON A LA nAIE TASMAN, FT SEJOUR A I. ANSE
DE I.\\STROr.AISE.
Le pilote arriva à sept heures du matin, on leva 1826.
l'ancre à l'instant, et la corvette fut bientôt sous voiles. *9 décembre.
Nous mîmes en panne devant l'îlot Pinch-Gut pour
embarquer le grand canot, puis nous fîmes route pour
sortir de la baie. Dès huit heures quarante-cinq mi-
nutes nous étions par le travers de la passe , et le pi-
lote nous quitta. Comme je l'ai déjà dit, ce pilote, dont
le nom est Richard Siddins, est un honnête homme,
très-intelligent et fort serviable. C'était lui qui, lors
de notre dernier voyage , avait déjà fait entrer et
sortir cette même corvette, alors la Coquille; il fut
enchanté de lui rendre le même office sous sou nou-
TOME II. 1
2 "VOYAGE
1826. veau nom d'Astrolabe. Siddins avait beaucoup navi-
Décembre. gU£ jans rOcéan-Pacifique, et avait fait notamment
deux ou trois voyages aux îles Fidji, pour le com-
merce du bois de sandal. J'obtins de lui quelques ren-
seignemens utiles louchant la navigation à faire au
travers de cet archipel si dangereux sous toute espèce
de rapports ; mais il ne put me procurer aucun plan,
ni même aucune esquisse propre à éclairer ma route
dans ce labyrinthe. Siddins m'assura qu'il n'existait
aucun document de ce genre, qu'il n'avait d'autres
guides dans ses voyages que les hommes qui y
étaient déjà allés , et il me déclara en outre que
r Astrolabe était un trop grand navire pour tenter
de pareilles reconnaissances avec quelque chance de
succès.
Toutefois , je quittai les côtes de la Nouvelle-Hol-
lande, et me dirigeai vers celles de la Nouvelle-Zé-
lande , livré aux espérances les plus flatteuses. La
campagne de V Astrolabe allait enfin véritablement
commencer, car les travaux importans déjà exécutés
et les collections considérables déjà recueillies n'étaient
à nos yeux que le prélude de notre vaste entreprise.
En effet, si l'on se rappelle les instructions qui m'étaient
données , aucun des points de la Nouvelle-Hollande
déjà visités, à l'exception de Port-Jackson, n'en fai-
sait partie. Une carrière immense se déployait à nos
regards , et nous offrait pour objets de nos efforts les
lieux les moins connus , les côtes les plus vaguement
tracées dans tout l'Océan-Pacifique. Une pareille
perspective était bien capable d'enflammer notre zèle
DE L'ASTROLABE. 3
et de tenir sans cesse notre enthousiasme en haleine. 1826.
Toutes les personnes de l'étal-major, sans exception , Décembre,
partageaient ces nobles sentimens. Les maîtres et les
officiers-mariniers y participaient plus ou moins.
Enfin , il n'y avait pas jusqu'aux gens de l'équipage
qui, séduits sans doute par la douceur du service
qu'ils avaient à remplir, par les soins continuels dont
ils étaient l'objet , et surtout par le bonheur qui avait
présidé à nos premières opérations , ne parussent,
s'attacher à leur navire, et montrer d'assez bonnes
dispositions.
C'était sous d'aussi heureux auspices que nous re-
prenions la mer. Fondant mon opinion sur ce que
j'avais lu dans les divers voyages des navigateurs
qui m'avaient précédé, et surtout sur l'expérience que
j'avais acquise dans l'heureuse et facile campagne de
la Coquille , je pensais , tout en faisant la part des
chances malheureuses, que nous aurions à éprou-
ver plus de jouissances que de revers , et qu'avec
un peu de persévérance il serait facile de surmon-
ter tous les obstacles que la fortune pourrait nous
susciter. Espoir trompeur!.... vaines illusions!
il était écrit qu'elle s'acharnerait à nous poursui-
vre en tous lieux, qu'elle nous persécuterait de
toutes les manières , et que nous ne verrions la fin
de notre tâche qu'après avoir été soumis aux plus
cruelles épreuves.
Hors du port, nous trouvâmes la brise du sud très-
fraîche et la houle grosse et courte, ce qui nous fit
embarquer quelques paquets de mer ; car la corvette
4 VOYAGE
i8a6. très-chargée s élevait plus difficilement qu'auparavant
Décembre, au-dessus de la lame.
La brise mollit beaucoup dans la soirée , et resta
au S. S. E., au S. E., et même à TE. S. E., durant
les deux jours suivans, avec une forte houle du sud
qui retardait beaucoup notre marche.
ai. Aous profitâmes de ce temps pour mettre notre
artillerie en état de servir, pour réparer les filets
d'abordage et les placer , enfin pour exercer de nou-
veau nos marins au maniement des armes à feu.
Les accidens survenus à presque tous les Européens
qui avaient eu des rapports avec les peuples de la Nou-
velle-Zélande nous commandaient ces précautions.
Hier à midi, les observations nous avaient déjà fait
découvrir un courant de vingt-quatre milles au S. E.
dans les vingt-quatre heures précédentes ; et de hier à
aujourd'hui midi, il n'a pas été de moins de soixante
milles au S. S. E.; quantité énorme , et dont il paraît
difficile d'expliquer la cause , eu égard à la houle du
sud et aux vents de la même partie qui régnent depuis
la veille de notre départ : à moins qu'on ne suppose
que ces courans ne soient encore le résultat des vents
violens du nord qui avaient si long-temps soufflé avant
ceux-ci. Ce qu'il y a de non moins singulier, c'est que
l'action de courans aussi violens ne se fasse nullement
remarquer à la surface des eaux de la mer; aucun
clapotis, aucun mouvement sensible dans les ondes
n'accompagne en apparence un déplacement aussi
rapide de leur masse entière. Du reste, leur effet sur
notre route en nous transportant au S. E. atténuait
DE L'ASTROLABE. 6
d'aulant l'immobilité à laquelle les calmes ou les brises 1826.
contraires semblaient condamner notre navire. Décembre.
Ces vents restèrent les mêmes jusqu'au 25, le plus
souvent nous permettant à peine de gouverner, ac-
compagnés d'ailleurs d'un temps superbe et d'une
température délicieuse. Combien je déplorais la fatalité
qui me forçait à passer dans l'inactivité d'aussi belles
journées en pleine mer, au lieu de pouvoir les em-
ployer fructueusement au mouillage ou le long des
côtes !
Le courant avait encore été de quarante milles à
l'E. S. E. du 21 au 22 ; de douze milles le jour suivant
dans la même direction, puis il varia en divers sens.
Bien que les eaux de l'Océan-Pacifique, resserrées dans
ces parages en une espèce de canal qui sépare la Nou-
velle-Zélande de la Nouvelle-Hollande, semblent pro-
mettre au naturaliste une scène plus animée qu'à de
grandes distances des côtes , ceux de V Astrolabe y
trouvèrent peu de chose à moissonner. Quelques pé-
trels bruns et des albatros chlororynques venaient
seulement troubler à de longs intervalles les solitudes
de l'air, et celles de l'Océan ne l'étaient guère que
par les baleines qui venaient rarement apparaître à sa
surface.
Le beau temps cessa ; le soir, il vint de la pluie, et à 25.
la nuit le vent fraîchit considérablement au S. E. Il
força encore le jour suivant en variant au S. ; à la nuit
ce fut un vrai coup de vent avec de fortes rafales et
un ciel très-chargé.
Cette tempête dura quarante-huit heures, sans in-
6 VOYAGE
i8a6. terruption. Quoique nous eussions réduit la voilure à
Décembre. ja grande voile d etai de cape et au petit foc, la corvette
fatigua beaucoup par suite d'une mer très-dure et très-
pesante. Ces deux journées de navigation furent tristes
et maussades au-delà de toute expression. En de tels
momens, le physique est affaissé par les secousses
violentes et continuelles qui viennent l'assaillir, le
moral est ébranlé , et l'imagination , attristée par les
sombres images qui l'entourent, cesse même de nous
offrir ses consolations habituelles. Ces inconvéniens
essentiellement inhérens à la nature de la navigation ,
et si souvent répétés, surtout dans les mers australes,
rendront toujours les campagnes sur mer bien plus
pénibles, bien plus rebutantes que les plus longs
voyages par terre.
Les trois jours suivans , quoique la fureur du vent
se fût un peu apaisée, il fit encore très-mauvais
temps. Il tombait des grains de pluie fréquens , et la
mer restait grosse. Loin de gagner quelque chose en
roule, nous tombions continuellement sous lèvent ; et
3o. le 30 à midi, l'observation des latitudes nous apprit que
nous étions encore à trente milles plus au nord que
nous ne nous estimions; de sorte que depuis le 26 nous
avions réellement perdu plus de cent milles au nord.
C'est ainsi que nous vîmes approcher tristement
le terme de l'année 1 826 , et que , dans ces parages ,
au mois de décembre qui correspond au mois de juin
chez nous , nous éprouvâmes des temps comparables
à ce que l'hiver nous amène de plus mauvais dans nos
climats.
DE L'ASTROLABE. 7
L'année 1827 parut promettre un peu d'adoucisse- 1827.
ment à nos ennuis. Dès le 1er janvier le vent mollit, l Jaavier-
et nous pûmes hasarder un peu plus de toile qu'il
ne nous avait été possible de le faire depuis long-
temps ; le 2 il lit beau , et les zoologistes recueillirent
quelques carinaires vivantes dont les coquilles attei-
gnaient huit à dix lignes de longueur.
Vers deux heures après midi , par un calme parfait,
le thermométrographe n° 7 fut descendu à six cent
dix brasses tout-à-fait à pic , au moyen d'un plomb de
vingt-sept kilogrammes. On ne trouva point de fond.
La température, qui était à l'air libre de 18°, G, et à la
surface de la mer de 19°, 4, descendit à cette profon-
deur jusqu'à 5°, 6. Déjà, pendant le temps qu'il avait
fallu pour ramener le cylindre à bord , le mercure
avait remonté de cinq ou six degrés , ce qui démontre
de nouveau combien les expériences faites simplement
sur de l'eau puisée à de grandes profondeurs étaient
insuffisantes.
Dès le lendemain , pour avoir des données compa- 4.
ratives , à sept heures trente minutes du matin , par
un beau calme , le thermométrographe fut envoyé à
trois cent cinquante brasses avec un plomb de quinze
kilogrammes. Cette fois, le mercure arrêté à 17°, 4 à
l'air libre , et à 1 9° à la surface des eaux , ne descendit
qu'à 7°, 9 à cette distance du niveau des mers. Cette
expérience achève de confirmer ce que toutes les pré-
cédentes annonçaient déjà , savoir : que le refroidisse-
ment des couches sous-marines ne suit pas une simple
loi de proportion , mais bien qu'il tend rapidement
8 VOYAGE
182-. vers la limite de 4 à 5°; de manière qu'au-delà de
janvier. quatre ou cinq cents brasses ce refroidissement n'é-
prouve que des variations peu sensibles.
Bien que le temps fut devenu passable , le vent opi-
niâtrement fixé au S. et S. E., joint aux calmes et à la
houle , nous retenait pour ainsi dire à la même place.
Depuis dix-sept jours que nous avions quitté Port-
Jackson, nous avions à peine avancé de cent trente
lieues en ligne directe , et avec des circonstances ordi-
naires il eût fallu dix jours au plus pour exécuter le
trajet que nous avions à faire. Ce relard aussi surpre-
nant qu'imprévu me força de modifier le plan d'explo-
ration que j'avais conçu pour la Nouvelle-Zélande.
Quoique mes instructions me prescrivissent simple-
ment de passer par le détroit de Cook , et de recon-
naître quelques portions de la côte N. E. de l'île sep-
tentrionale , certain que les travaux de Cook n'avaient
pu être que fort incomplets , et jaloux d'offrir à la géo-
graphie un morceau aussi intéressant, j'avais le dessein
d'attaquer la Nouvelle-Zélande à la baie Chalky, d'y
faire une courte relâche , puis de prolonger toute la
côte occidentale de Tavaï-Pounamou , dépasser parle
détroit de Cook, et de reconnaître toute la côte orien-
tale de Ika-Na-Mawi jusqu'au cap Nord inclusivement.
Mais les quinze jours que nous venions de consumer
si inutilement à lutter contre les calmes, les vents de-
bout , les courans et les tempêtes , étaient autant de
temps enlevé à celui qu'il m'était permis de donner à
cette portion de ma campagne. En conséquence, je
renonçai, quoiqu il m'en coûtât, à la relâche de la baie
DE L'ASTROLABE. A
Chalkv, et me contentai d'atterrir sur quelque point 1827.
de la Nouvelle-Zélande plus rapproché du détroit. 4 Janv,er-
Enfin le 4 , à midi , le vent souffla au N. O. , et fraî-
chit peu à peu de cette partie ; nous pûmes gouverner
au S. E. Du reste , le temps ne s'embellit nullement ,
et dès le surlendemain nous éprouvâmes un nouveau
coup de vent très-violent du N. O. qui ne dura pas
moins de cinquante-trois heures , en variant successi-
vement à l'O., au S. O., au S., et revenant enfin au
S. O. avec une mer fort grosse, un ciel continuelle-
ment chargé et des torrens de pluie II est encore bon
d'observer que le baromètre qui n'avait point varie
avec les vents furieux du S. ressentis ces jours der-
niers, descendit au contraire d'une manière étonnante
avec ceux du N. O. Du 6 à midi jusqu'au 9 à la même
heure, le mercure resta au-dessous de 271' 7 , et le 7 ,
entre quatre heures et demie et six heures du soir, il
fut stationnaire entre 27p O1 et 271' 21.
Ces temps affreux me déterminèrent enfin , le 8 au 8.
soir, à laisser porter à l'E. N. E. , afin d'approcher
plus promptement la cote. INous étions déjà par 43°
environ de latitude sud, et sans doute, avec un peu
plus d'opiniâtreté , il m'eût été possible d'atteindre
les régions australes de la Nouvelle-Zélande. Mais je
ne devais point perdre de vue les autres objets de
ma mission , et le temps commençait à me presser.
Il faisait encore assez mauvais , nous recevions de ro.
fréquens grains de pluie , et il régnait une grosse houle
du S. O. ; quand des nuées de pétrels noirs et blancs,
ft surtout l'apparition de quelques sternes nous annon-
10 VOYAGE
1817. cèrent la proximité des terres. En effet, à sept heures,
jauvier. je ja distinguai clairement à l'E. S. E. et au S. E.
Comme nous en étions alors de trente à quarante milles
de distance au moins , celle du S. E. se montrait
sous la forme d'une île élevée et découpée au sommet.
A mesure que nous en approchions , elle s'étendait
de plus en plus ; mais sa cime restait dentelée en
forme de scie à dents aiguës et inclinées vers le nord
d'une manière très-singulière et très-uniforme , et elle
semblait toujours séparée des terres à gauche, de
manière à faire soupçonner que l'espace intermédiaire
pouvait être occupé par l'entrée d'un port.
ÎNous mîmes le cap droit sur cette partie de la côte ,
et à midi nous n'en étions plus qu'à quatre lieues. Il
nous fut facile de nous convaincre que la côte était
continue , et que notre illusion n'avait été occasionée
que parce qu'elle s'abaissait sensiblement dans l'es-
pace où nous soupçonnions un enfoncement. Les tra-
vaux géographiques furent à l'instant commencés , et
M. Gressien fut chargé de relever toute l'étendue de
la Nouvelle-Zélande, comprise depuis la terre en vue
la plus au sud, située par 42° 28' S. , jusqu'au cap
Farewell. La sonde indiqua cent brasses , fond de
sable fin et vasard, et la température de 16°, 2, à l'air
libre, et de 17°, 2, à la surface, n'était plus que de
13°, 2 à cette profondeur.
Chacun de nous , à la vue de ces côtes sauvages ,
de ces monts sourcilleux et battus par les vents fou-
gueux des mers Antarctiques , se réjouissait d'être
enfin parvenu , après tant de fatigues , au terme de ses
DE L'ASTROLABE.
11
vœux, sur un théâtre digne de ses recherches. Fiers
de marcher sur les traces des Tasman , des Cook, des
Marion, nous aspirions à ajouter à la science de
nouveaux documens sur ces contrées encore si peu
connues, à étudier de plus près les divers règnes de la
nature, et surtout à observer plus scrupuleusement les
coutumes bizarres , les institutions extraordinaires
qui tendent à y donner à l'espèce humaine un carac-
tère si particulier.
Dès que la station de midi fut terminée, nous cin-
glâmes au N. E. et N. N. E. , avec un vent peu assuré
et un temps nuageux , afin de prolonger la côte à cinq
ou six milles de dislance. Les brumes épaisses, qui en-
veloppaient les sommets des montagnes , nous empê-
chaient le plus souvent d'en bien distinguer les ac-
cidens. Nous vîmes seulement que partout le bord de
la mer est très-uniforme et s'élève tout-à-coup en
mornes escarpés, inaccessibles, boisés et dominés à
l'intérieur par des montagnes d'une hauteur considé-
rable et dont plusieurs sommets se divisent en pi-
tons aigus. Un d'eux, remarquable par cinq pointes
imitant assez bien les doigts de la main ouverte ,
1827.
Janvier.
12 VOYAGE
1827. reçut le nom des Cinq-Doigts du milieu , par allusion
janvier. aux Cinq-Doigts de Cook près la baie Dusky.
A trois heures et demie et à cinq heures du soir ,
nous trouvâmes cinquante et quarante brasses , sable
fin et vasard, à moins de quatre milles de la côte. A
cinq heures dix minutes, la brise étant tout-à-fait
tombée, nous laissa à la merci d'une houle énorme du
S. O. et vis-à-vis d'une côte épouvantable où la mer
brisait avec une fureur sans exemple. Déjà je com-
mençais à faire des réflexions assez sérieuses sur
notre situation, quand à sept heures une brise fraîche
du J\T. O. nous permit de serrer le vent tribord pour
écarter un peu la terre.
Au moment où nous prîmes la bordée du large , les
montagnes de la côte se trouvaient interrompues par
un ravin large et profond qui devait être occupé par
une rivière ou au moins par un torrent remarquable.
A trois ou quatre milles de cette coupée et tout au plus
à trois milles de la mer, s'élève le pic des Cinq-Doigts,
tandis qu'à quinze milles dans le N. N. E. nous aper-
cevions une pointe basse qui s'avançait assez loin dans
la mer.
Toute la nuit le vent souffla au N. O. , avec de pe-
santes rafales, un temps pluvieux, un ciel chargé
et de la plus sinistre apparence. En outre la houle
du S. O., que nous attaquions précisément debout,
nous occasionait des coups de tangage très-rudes.
Notre position déjà bien critique sur cette côte de fer
devint encore plus inquiétante vers quatre heures du
matin. Alors le ciel se chargea de toutes parts , la pluie
DE L'ASTROLABE. 13
182;.
tomba par véritables torrens , et le vent souffla grand
frais avec des rafales furieuses du N. O. à l'O. N. O. Jamner-
11 fallut serrer l'artimon et le petit hunier, et, tout en
nous maintenant au plus près , il nous était impossible
de ne pas perdre. Durant quelques heures j'éprouvai
les plus vives anxiétés, car si le vent avait passé à
l'O. S. O. et S. O. pour régner avec la même force et
aussi long-temps que nous l'avions eu quelques jours
auparavant, c'en était fait de la corvette. Forcée par
la tempête de s'affaler peu à peu sur la cote, elle eut
fini par s'y jeter et s'y briser en mille pièces.
Mais , à ma grande satisfaction , sur les sept heures 1 u
et demie la fureur de la tempête s'apaisa ; à dix heures
le vent étant devenu maniable et ayant varié à l'ouest,
nous virâmes lof pour lof et forçâmes de voiles , le cap
au N. iji N. E. et au N. N. E. A midi et demi nous re-
vîmes les terres dentelées en scie à près de quarante
milles de distance, ce qui nous prouva que, malgré le
vent et la lame , nous nous étions considérablement
élevés au vent de la terre durant la nuit. A quatre
heures et demie nous étions sur le parallèle et à douze
milles de la coupée remarquée la veille au soir ; à sept
heures du soir le cap Foul-Wind nous restait au N.
E. *l4 N. à douze ou treize milles de distance , comme
une pointe basse qui s'avance beaucoup à l'ouest et se
termine par un mondrain aplati : devant cette pointe,
le rivage s'abaisse beaucoup , bien que la chaîne des
montagnes intérieures demeure aussi imposante.
Nous continuâmes à courir six à huit milles jus-
qu'à onze heures un quart, où nous prîmes les amures
11 VOYAGE
,8a;. à tribord, ayant trouvé soixante-cinq brasses, sable
janvier, vasard , et ne nous faisant qu'à quatre ou cinq
milles du cap Foul-Wind. Le ciel , assez beau jusqu'à
ce moment , se couvrit ensuite , et la pluie fut pres-
que continuelle de minuit au jour , avec une faible
brise de N. N. O.
12. A quatre heures , le cap Foul-Wind se remontra
dans l'E. N. E. à huit milles environ , et la route fut
donnée pour en passer à quatre ou cinq milles. Quand
nous en fumes près , nous reconnûmes que la pointe
qui le dessine est un terrain bas , couvert de belles
forets, et saillant de deux ou trois lieues en mer. A
un mille et demi dans le nord de son extrémité , sont
situés trois rochers nus , isolés et hauts de soixante
à quatre-vingts pieds. Nous leur donnâmes le nom des
Trois-Clochers , de l'apparence qu'ils ont , vus d'une
certaine distance. Dès que nous nous trouvâmes par
leur travers , à neuf heures vingt-deux minutes du
matin, et à moins d'une lieue de distance, la cor-
vette sillonna des eaux très-fangeuses et jonchées de
troncs d'arbres , de feuilles et de débris de végétaux.
Cela dura jusqu'à quatre heures du soir , l'espace de
dix-huit milles environ , sans que nous pussions
apercevoir au large la limite de ces eaux décolorées.
Quant à leur cause , il y a tout lieu de croire qu'elle
était due à la présence d'une rivière ou d'un fort tor-
rent qui déboucherait sur la partie septentrionale de
la vallée qui forme le cap Foul-Wind. Nous crûmes
même remarquer une coupée par 41° 46' S. , qui pour-
rait bien être l'embouchure de cette rivière, et de là
DE L'ASTROLABE. 15
seraient venus ces nombreux débris de végétaux et 1827.
ces eaux bourbeuses entraînées par le torrent , à la Jatmer-
suite des dernières averses.
Pendant tout ce temps , la sonde rapporta succes-
sivement quatre-vingts , cinquante-trois, Irente-cinq
et même trente brasses , fond de sable vasard et dur.
Sans doute , sur toute cette partie de la côte , les
navires pourraient mouiller à l'abri , tant que les
vents dépendraient de la partie de Test. Mais pour
le faire avec une certaine sécurité , il faudrait avoir
acquis des connaissances locales sur la marche des
vents et les indices qui peuvent annoncer leur durée
et leurs changemens. Jusque-là il serait fort impru-
dent de hasarder un tel mouillage, car toute l'ex-
périence que j'ai acquise en trois mois de séjour sur
ces côtes orageuses , ne m'a que trop appris combien
on doit peu y compter sur le temps le plus beau et
la brise la plus favorable en apparence.
En outre , il est probable que si l'espèce humaine
a trouvé moyen de pénétrer sur cette côte inhospi-
talière , elle a dû s'établir aux environs du cap Foul-
Wind , et la lunette nous faisait apercevoir des sites
agréables et de belles pelouses susceptibles de cul-
ture. Cependant toute notre attention ne put nous
faire découvrir ni cabane , ni trace d'habitans , ni
même nid indice de feux.
Au-delà de ce promontoire , la côte se relève tout-
à-coup en mornes escarpés dès le bord de la mer ,
et n'offre pas la moindre apparence de lisière pra-
ticable aux pas de l'homme. Un peu avant la nuit ,
16 VOYAGE
l8.27 nous passions devant un espace où le rivage au con-
jnnvicr. traire semblait plus abaissé et couvert de grands ar-
bres ; mais d'épaisses brumes qui le couvrirent de
bonne heure nous en cachèrent les détails.
La sonde donna vingt- neuf brasses à cinq heures
quarante-cinq minutes, et quarante à sept heures
trente-cinq minutes. Le suif, chargé d'un peu de vase
sur les bords et sec dans le milieu , avec de fortes
impressions , indiquait une couche légère de vase sur
un fond rocailleux. Cette conjecture se trouvait en
outre confirmée par ce qui était arrivé constamment
à la drague des naturalistes ; jetée plusieurs fois à la
mer avec toutes les précautions possibles , elle n'avait
rien rapporté du tout.
A la nuit le vent tomba et il survint des grains.
Dans une risée fraîche et subite, à onze heures un
quart , le vent sauta au N . E. , puis revint bientôt
au N. O. où il demeura ensuite incertain et fort
irrégulier. Nous passâmes la nuit aux petits bords.
l3 Cette journée fut encore très-peu favorable à nos
opérations , le ciel se chargea de toutes parts , des
grains subits et souvent assez violens de l'O. N. O.
au N. O. se succédèrent sans interruption depuis
quatre heures jusqu'à onze heures du matin, avec
une pluie abondante et une mer très-grosse.
Cependant nous forçâmes de voiles pour doubler
la pointe des Rochers qui est un gros cap émoussé,
accompagné de quelques rocs à sa base , mais fort
rapprochés de terre. A plusieurs milles au sud de cet
endroit, la côte est Irès-roide, haute et couverte
DE L'ASTROLABE. 17
d'arbres , sans apparence de port , de calangues ni
d'habitans. A la pointe même des Rochers , un filet
blanc qui tranchait sur la teinte sombre de la terre
nous indiqua la présence d'une cascade dont les
eaux se précipitaient verticalement dans celles de
l'Océan.
Nous l'avions déjà dépassée de quelques milles ,
quand, à la station de trois heures et demie du soir,
la sonde rapporta soixante brasses , gros sable , à
une lieue et demie de terre. Ensuite poussés par une
belle brise d'ouest , nous filâmes rapidement le long
de la terre dont l'aspect devient de plus en plus
agréable, à mesure qu'on se rapproche du détroit. Les
montagnes se reculent vers l'intérieur , et les bords
de la mer se dessinent en pente plus douce; on dis-
tingue eà et là de belles plages et de jolis bouquets
de bois , mais aucune trace d'habitans.
La mer elle-même devient beaucoup plus tran-
quille, et sa teinte fangeuse annonce partout un fond
peu considérable.
Vers six heures , nous crûmes entrevoir à la cote
un vaste bassin , capable d'offrir un bon mouillage, et
je me flattais de l'espoir d'y entrer le lendemain pour
examiner cette partie de la Nouvelle-Zélande. En
conséquence , je serrai la côte de près pour mieux
reconnaître cette ouverture. Nous n'en passâmes
guère qu'à deux milles; en ce moment, M. Gressien
monta sur les barres pour en avoir une vue plus
exacte. Il s'assura que ce bassin était en effet très-
spacieux ; malheureusement il ne communiquait à la
1827.
Janvier.
18 VOYAGE
«8a;. mer que par un canal étroit et en outre complètement
janvier, barré par des brisans. Il me fallut donc renoncer à
mes espérances sur ce point , et nous lui laissâmes le
nom de Hâvre-Barré.
A sept heures , nous étions arrivés sur le parallèle
du cap Farewell et à trois ou quatre milles de dis-
tance. C'est une terre d'élévation médiocre , en talus
rapide sur le rivage , et là nos montres nous donnè-
rent une énorme différence avec les positions de Cook.
Nous trouvâmes soixante et dix brasses, fond de sable
et vase.
Le temps semblait décidément embelli ; la nuit fut
tranquille et nous la passâmes aux petits bords , avec
une jolie brise d'ouest.
14. A trois heures du matin , je gouvernai sur la direc-
tion où je présumais que devait nous rester le cap
Farewell ; mais , au point du jour , je m'aperçus que le
courant , dans la nuit , nous avait singulièrement
portés à l'E. N. E., et nous étions déjà assez avant
dans le détroit. Je me hâtai de rallier la côte , et
bientôt, favorisée par un temps charmant et une jolie
DE L'ASTKOLABE. 19
brise d'ouest, noire corvette glissait légèrement sur i*»*«
les eaux les plus tranquilles, à moins d'un raille de Janv,er«
la côte. La sonde rapportait assez régulièrement huit,
dix et douze brasses. 11 nous était facile de voir, des
barres surtout, que la terre que nous prolongions
n'était qu'une langue très-étroite , avec de petites
dunes arrondies et quelques touffes d'arbrisseaux
clairsemés. Au-delà régnait un vaste bassin que bor-
naient de toutes parts de hautes montagnes, dont
quelques-unes plus reculées vers L'intérieur étaient
couvertes de neiges.
Cette plage s'étend l'espace de douze à quinze
railles presque E. et O., et se termine en une pointe
étroite et fort basse. Déjà je m'apprêtais à gouverner
au sud pour la serrer de près et donner dans la baie
Tasman , quand nous aperçûmes un brisant qui pro-
longe cette pointe à plus de cinq milles au large.
Presque au même moment , la brise passa au sud et
finit par faire place à un calme absolu. Sans doute, la
marée ayant aussi reversé changea diamétralement
la direction du courant, et, en deux heures de
temps, nous eûmes perdu trois ou quatre milles à
l'ouest. Notre proximité de la côte et l'impossibilité
de gouverner le navire commençaient à ni'inquiéter;
déjà même je m'apprêtais à mouiller en pleine côte ,
quand, à onze heures trente minutes, la brise s'élant
relevée au nord , nous permit de remettre le cap en
route en forçant de voiles. Après avoir contourné à
moins d'un mille le brisant de l'entrée, nous nous
dirigeâmes au sud, dans l'enfoncement que Cook ,
?o VOYAGE
182:. dans son second voyage , avait désigné sous le nom de
janvin. £ajc je Tasman.
Les relâches de ce célèbre navigateur avaient pro-
curé des notions assez étendues sur les baies de l'Ami-
rauté et de la Reine-Charlotte. Je jugeai donc que
nous pourrions rendre plus de services à la géogra-
phie , en conduisant la corvette au mouillage de la
baie Tasman, qu'aucune expédition n'avait encore fait
connaître.
Depuis le matin, M. Guilbert avait succédé à
M. Gressien dans l'exécution des travaux hydrogra-
phiques , et il fut chargé de toute la partie relative
au détroit de Cook.JNous ferons observer ici que la
tâche de l'officier de géographie était extrêmement
pénible.
Depuis la pointe du jour jusqu'à la nuit close , il
restait fixé près du compas, afin de ne laisser échapper
aucun relèvement utile à son travail , et de multiplier
les données nécessaires pour atteindre toute la préci-
sion possible. Rarement il quittait son poste pour
prendre ses repas à la hâte , et des grains violens
pouvaient seuls l'en écarter momentanément. Puis
quand il avait terminé la portion de côte qui lui avait
été assignée , jusqu'au temps où son tour devait
revenir, tous les instans que lui laissait le service
étaient consacrés à en dresser la carte, genre de tra-
vail qui , pour être moins fatigant , n'en était ni moins
délicat, ni moins assujettissant.
En avançant vers le sud , nous vîmes que le vaste
enfoncement compris entre les terres du cap Farewell
DE L'ASTROLABE. 21
d'une part, et celles du cap Stephens de l'autre, et 1827.
que Cook nomma Baie des Aveugles dans son pre- Jauvier-
mier voyage, se divise en deux bassins très-dis-
tincts , par une pointe remarquable que j'ai nommée
Pointe de Séparation. Le bassin de l'ouest, que Cook
appela baie du Massacre , est resté assez vaguement
tracé sur notre carte , attendu qu'à la distance où
nous passâmes nous ne pûmes guère en saisir que
l'ensemble.
Au contraire , le bassin méridional , auquel j'ai con-
servé , d'après Cook dans son second voyage , le nom
de Baie Tasman , devint plus particulièrement l'objet
de notre attention , et c'est de lui seul qu'il sera désor-
mais question.
Nous poursuivions notre route au sud, lorsqu'à
quatre heures le vent sauta subitement au S. S. E. ,
avec apparence de mauvais temps; nous en fûmes
quittes pour quelques grains. Mais peu jaloux de lou-
voyer par un vent contraire , je profitai d'un bon fond
de vase molle pour laisser tomber l'ancre par vingt-six
brasses, afin de passer la nuit. Elle fut belle, et au 15.
calme qui dura jusqu'à une heure du matin , succéda
une petite brise du sud qui augmenta par degrés et
souffla avec assez de force au point du jour.
Au mouillage , une vue imposante s'étendait autour
de nous. Deux côtes élevées bordaient la baie jusqu'au
fond , et celle de l'ouest , plus rapprochée , nous
offrait la verdure la plus riante et d'agréables forets.
Le fond semblait occupé par des terres plus basses , à
peine visibles et que dominait au loin une chaîne
82 VOYAGE
1827. de montagnes blanehies par des neiges perpétuelles.
janvier. Comme le vent ne me permettait guère de m'avancer
vers le fond de la baie , et que j'étais bien aise de pro-
curer à M. Guilbert le moyen de faire une station sur
la pointe de Séparation , dont nous n'étions éloignés
que de deux lieues , à six heures j'y envoyai cet officier
dans la baleinière, avec MM. Quoy , Gaimard et
Dudemaine. La brise de terre cessa à dix heures; un
intervalle de calme eut lieu , et à onze heures et demie
le vent du large survint. Impatient d'en profiter , je
tirai un coup de canon pour rappeler le canot. Bientôt
nous le vîmes déborder de la pointe ; alors nous-mêmes
mimes à la voile, et V Asholabe cingla doucement le
long de la côte pour lui donner le temps de nous
rejoindre. A trois heures il fut de retour à bord.
M. Guilbert avait eu beaucoup de peine à gravir sur
un morne pour effectuer sa station, et il n'avait pas
perdu un seul des instans dont il avait pu disposer.
Les matelots , en rôdant aux environs, avaient décou-
vert des cases abandonnées , dont ils avaient enlevé
divers objets à l'usage des naturels. Je leur adres-
sai de vifs reproches à ce sujet, et les menaçai de
punir sévèrement par la suite ceux qui se permet-
traient de semblables licences. On ne peut guère dou-
ter que la plupart des fâcheuses querelles qui se sont
élevées entre les Sauvages et les Européens n'aient
dû leur origine à des causes de cette nature. Comme
il m'était impossible de renvoyer ces objets à terre, je
les fis déposer à la masse de ceux qui devaient former
la collection du Roi.
DE L'ASTROLABE. 23
lH?.'
Nous prolongeâmes une bonne partie de la côte
occidentale à deux milles de distance et sur un fond Jauvier-
qui décroissait régulièrement de vingt-cinq à vingt,
quinze et dix brasses, toujours de vase. Après avoir
dépassé deux îlots , situés sous terre , la côte s'abaisse
et laisse une large lisière d'un terrain plus bas, sur
laquelle nous distinguâmes quelques cabanes, un l'eu
et des groupes de naturels en mouvement aux envi-
rons. A une demi-lieue au sud du village, s'élevait un
massif considérable d'arbres énormes au port élancé ,
au feuillage d'un vert sombre , semblable à celui du
cyprès, et que je soupçonnais appartenir au genre Po-
docarpus. Désormais la vallée prenait une extension
remarquable, et M. Dudemaine, en vigie sur les
barres , distingua clairement , à un mille au plus de la
foret, un canal étroit qui pénétrait dans les terres.
J'eusse été ravi d'y trouver un mouillage assuré pour
la corvette; mais déjà la sonde ne donnait plus que
sept brasses. En conséquence, je mis en panne, et
envoyai M. Lottin sonder dans cette direction. A
moins d'un mille de la corvette , il ne trouva plus que
quatre brasses et demie. Alors je lui fis le signal de
revenir à bord et je continuai à contourner la côte ,
me dirigeant au S. E., vers un cap blanchâtre, peu
élevé et taillé à pic.
Je ne doutai pas que le canal qu'on voyait du haut
des barres serpenter à une certaine distance dans les
terres, ne fût le cours d'une rivière assez considérable,
alimentée sans doute par les neiges des sommets de
l'intérieur.
24 VOYAGE
iSa-
La nuit approchait, et je désirais trouver un fond
janvier. convenable pour mouiller , d'autant plus qu'il n'était
plus que de six à sept brasses et était devenu de roche
au lieu de vase , ce qui nous eût offert peu de sûreté
pour la nuit. En conséquence, je serrai lèvent bâbord,
et à huit heures dix minutes (nuit close), ayant eu
vingt-sept pieds, vase et gravier, je mouillai l'ancre
de tribord en filant vingt brasses du câble. Peu de
temps après , le vent tomba et la nuit fut belle. L'obs-
curité nous empêchait d'apercevoir le fond du golfe, et
cependant nous avions parcouru près de vingt-huit
milles depuis notre dernière station. Ainsi cette baie,
figurée sur la carte de Cook comme un petit enfonce-
ment de quelques milles de large et de profondeur ,
venait de prendre un développement immense. Cette
découverte inattendue nous causa a tous la plus vive
satisfaction , et nous nous félicitâmes d'être les pre-
miers à donner des notions plus exactes sur ces parages
encore inconnus.
16. En jetant les yeux autour de la corvette , dès que le
jour me permit de distinguer les objets , je fus surpris
de voir que nous avions réellement atteint le fond de la
baie , qui se termine de toutes parts au sud par des
terres basses , souvent dépouillées et en apparence
marécageuses. Le fond manquait à une assez grande
distance du rivage, et nulle part rien n'annonçait un
mouillage sûr et commode pour F Astrolabe. En con-
séquence , aussitôt la station faite , l'ancre fut relevée,
et nous courûmes à l'est jusqu'à trois milles et demi
de la côte opposée. Elle ne tarde pas à se relever en
DE L'ASTROLABE.
25
mornes élevés , escarpés et médiocrement boisés. Deux 1827,
pirogues , parties du fond de la baie, s'étaient dirigées Janv,er-
vers nous, et, comme le vent était très-faible, elles ne Pi. xxxv.
tardèrent pas à nous rejoindre. Je mis en panne et leur
hélai de venir à bord dans leur langue ; les naturels se
tinrent long-temps sur leurs pagaies avec un air de dé-
fiance ; de temps en temps, l'un deux nous adressait une
courte harangue , à laquelle mon unique réponse était
chaque fois : Aire mal ki le pa/u, e oa ana matou
(Venez au vaisseau, nous sommes des amis). Las enfin
de voir mes instances inutiles, je fis servir; alors ils se
décidèrent à accoster, bientôt même ils montèrent à
bord sans défiance. Une des pirogues portait dix na-
turels et l'autre neuf; la moitié de ces gens paraissait
être d'un rang supérieur, à en juger d'après leur ta-
touage, leurs belles formes et l'expression distinguée
de leur visage ; les autres, prives de tatouage, aux
PI. XLH.
H VOYAGE
18a;. traits communs et insigmhans , esclaves sans doute
janvier. ou appartenant à la basse classe, eussent été volon-
tiers pris pour des hommes d'une autre race, tant
ils semblaient différer des chefs au premier abord.
Ces sauvages paraissaient connaître l'effet des armes
à feu , mais très-peu celui du fer et des instrumens de
ce métal, car ils n'attachaient de véritable prix qu'aux
étoffes. Ils n'avaient apporté avec eux aucune sorte
d'armes , et leurs nattes étaient toutes en jonc ou en
PL xli. écorce grossière de mouka ( Phormium tenax ) , une
seule exceptée , d'un tissu fin et soyeux , que son pos-
sesseur livra pour une mauvaise chemise de toile bleue
usée , après avoir refusé de réchanger pour de belles
haches et même pour un sabre.
Après quelques essais , j'eus bientôt reconnu que le
langage de ces insulaires était, au fond, le même que
celui de la baie des Iles , à quelques différences près ,
qui tenaient plus à la prononciation qu'à la nature
même des mots. Ainsi je pus me faire entendre passa-
blement d'eux au moyen des mots que j'avais appris
dans le vocabulaire des missionnaires.
Durant près de quatre heures que le calme leur
permit de passer avec nous, ils ne cessèrent de se
comporter avec la plus grande probité et une réserve
admirable pour un peuple si belliqueux et si avanta-
geusement traité par la nature sous les rapports phy-
siques.
A onze heures , la brise se développa un peu au
N. N. E., et les naturels se trouvaient déjà à deux
lieues de leur village qu'ils nous montrèrent au bord
DE L'ASTROLABE. ïl
de la mer dans un site agréable , et qu'ils nous nommé- is?.;.
rent Skoï-Tehai. Ils nous firent entendre qu'ils allaient JamK>l
nous quitter, mais qu'ils reviendraient nous voir le
jour suivant au mouillage avec leurs femmes. En effet,
ils s'en allèrent dans leurs pirogues, mais quatre chefs
me demandèrent à rester à bord, et j'y consentis avec
le plus grand plaisir, ravi de cette preuve étonnante
de leur hardiesse et de la confiance entière que nous
leur avions inspirée *.
Je ne songeai plus qu'à me diriger vers le mouillage
que j'espérais rencontrer sur la côte occidentale , entre
la terre et les deux îlots près desquels nous avions
passé la veille. Le vent avait fraîchi au N. IX . E. ; il me
fallut courir des bordées , par un fond uniforme de dix
à quinze brasses vase. A cinq heures un quart du
soir, arrivé à un mille de l'île Adèle , j'expédiai M . Lot-
tin en avant pour éclairer ma route. A six heures, je
doublais , à moins d'une demi-encàblure de distance ,
la pointe N. E. de l'île, et quelques minutes après je
laissai tomber l'ancre au milieu de l'anse qui reçut n. xxxvii.
le nom de notre navire, par cinq brasses vase. Celte
fois, nos deux chaînes servirent à nous af fourcher
en ce port, et nous nous en trouvâmes fort bien.
La facilité de leur manœuvre et le peu de place
qu'elles exigeaient à bord , nous les rendaient déjà
fort utiles, et l'on ne tardera pas à voir qu'elles nous
devinrent bien autrement précieuses.
Qu'avec délices nous jouîmes encore une fois du
'inc: note i
iaa-
28 VOYAGE
calme et du repos, après les tourmentes que nous
janvier. avions éprouvées dans le canal de la Nouvelle-Zélande
et les inquiétudes inséparables de la navigation épi-
neuse que nous faisions depuis huit jours le long de
côtes très-dangereuses et souvent inconnues ! Le bassin
où reposait notre corvette, abrité de toutes parts ,
nous offrait le coup-d'œil le plus pittoresque et pro-
mettait à nos avides regards toutes sortes de décou-
vertes. Un terrain agréablement accidenté, quoique
généralement montueux , de fraîches et sombres fo-
rêts , des espaces plus éclaircis recouverts seulement
de hautes fougères, de belles plages de sable, atti-
raient tour à tour notre attention , et nous gémissions
d'être obligés d'attendre jusqu'au lendemain pour sa-
tisfaire notre ardente curiosité.
De leur côté, nos hôtes continuaient à être fort
contens de nous et ne manifestaient aucun regret ,
aucune crainte sur nos intentions à leur égard. Cepen-
dant tout en eux nous portait à croire qu'ils n'avaient
jamais eu de relations immédiates avec les Européens,
mais seulement des notions confuses transmises par
leurs voisins, ou peut-être par des guerriers de
leur tribu qui les avaient rencontrés dans leurs voya-
ges. Ils nous répétaient souvent que leurs pirogues
reviendraient le lendemain avec des femmes , comme
si cela devait être d'un puissant intérêt pour nous. Ils
nous expliquèrent aussi que des voisins , armés de
fusils , venaient souvent du N. O. pour les piller et les
exterminer, et ils les redoutaient singulièrement; sou-
vent ils nous demandaient si nous n'allions pas les tuer
DE L'ASTROLABE. 29
et les manger, témoignant ouvertement le plaisir qu'ils 182:-
en éprouveraient. Ils cultivent la pomme de terre , Janvier-
mais n'ont point de cochons qu'ils ne connaissent que
de nom, Poaaka. Pour lit, je leur fis donner une
voile, dans laquelle ils s'enveloppèrent, et ils dormi-
rent dans la chaloupe d'un sommeil excellent.
Le lendemain de bonne heure, tous les travaux 17.
commencèrent à la fois. MM. Jacquinot et Lottin
allèrent établir leur observatoire sur une petite plage
de sable auprès de laquelle se trouvaient quelques
cases abandonnées. MM. Guilbert et Dudemaine
commencèrent le plan de l'anse de l'Astrolabe, et
une corvée fut envoyée au bois.
Vers huit heures du matin, trois pirogues arrivè-
rent le long du bord, contenant environ quarante
personnes. Deux de ces pirogues étaient celles que
nous avions vues la veille, la troisième contenait de
nouvelles figures. Les sauvages n'amenèrent cette fois
que trois femmes qui restèrent cachées sous des nattes
tant que les pirogues furent près du navire , et qui, à
terre , s'enfuyaient dans les fougères lorsqu'on voulait
approcher d'elles.
Ces insulaires restèrent assez long-temps près de
la corvette , occupés à échanger des nattes , du chan-
vre de leur pays et divers objets pour des bagatelles
d'Europe. Kn général, ils déployèrent beaucoup de
douceur et même de bonne foi dans leurs marchés , et
on n'eut vraiment qu'à se louer de leur conduite.
Quand ils eurent fini , ils gagnèrent la plage de l'obser-
vatoire , tirèrent leurs pirogues à terre et s'établirent
96 VOYAGE
is,:. dans les cases voisines. Il me fut très-agréable de les
janvier. vojr se fîxer près de nous ; rien ne pouvait mieux nous
pi. xxxviii. démontrer leur confiance et la sincérité de leurs inten-
tions. En outre , ainsi placés sous la volée même de nos
canons , le moindre attentat de leur part eût été suivi
d'un châtiment prompt et sévère.
Après m'ètre assuré des dispositions pacifiques des
naturels et avoir d'ailleurs tout préparé, s'ils en té-
moignaient d'autres, pour les réprimer promptement,
je descendis à neuf heures et demie, suivi de M. Les-
son et du matelot Simonet, à la plage qui porte le
pi. xxxix. nom d'Aiguade sur notre carte. En effet, la première
chose que j'y remarquai avec joie, fut un joli ruisseau
de l'eau la plus limpide qui venait en serpentant dans
le sable se décharger à la mer, et où notre chaloupe
pouvait, à marée haute, faire toute notre eau avec
la plus grande facilité.
Le terrain environnant est très-inégal, montueux
et difficile à pratiquer. Au premier abord , je fus frappé
du rôle que jouaient, dans la végétation d'un climat
déjà si éloigné de la ligne , des fougères de toute espèce
identiques avec celles des tropiques , ou du moins par-
faitement analogues. Les espèces ligneuses et même
arborescentes habitent en foule les ravins humides,
tandis que des coteaux tout entiers sont occupés par
celle dont la racine fournit une substance alimentaire
aux habitans de ces régions. Les phanérogames y sont
très-peu variées par rapport aux fougères ; la saison
étant trop avancée, peu d'entre elles offraient des
fleurs ou des fruits. C'est ce qui avait lieu surtout pour
DE L'ASTROLABE. 81
les arbres, dont plusieurs se faisaient remarquer par 1S27.
l'élégance de leurs formes comme par la beauté et la Janvicr-
solidité de leur bois. Parmi les plantes parasites , j'ai
observé de beaux Epidendrum ou Dendrobium ; au-
cune lige de P/iO???u'u??i ne s' est présentée âmes regards.
Aucune espèce d'insectes coléoptères, autre qu'une
cicindèle sabulicole, aucun papillon diurne, ne vient
animer la scène. Il y a cependant bon nombre d'oi-
seaux : j'en tirai de sept à huit espèces, et j'en vis
plusieurs autres que je ne pus atteindre. Il est di-
gne de remarque qu'ils sont tous farouches, à l'ex-
ception d'un mouchcrolle qui est d'une familiarité
excessive.
Dès qu'on s'arrête dans quelque partie d'un bois,
on est sûr de voir paraître au moins un ou deux
de ces oiseaux autour de soi. Ils vous considèrent
en silence et comme avec curiosité; si vous restez
vous-même immobile, ils poussent la confiance jusqu'à
venir se percher sur votre canne ou sur le canon de
votre fusil. Le beau merle à cravate ( Certhia circin-
nata de Forster) est commun dans ces bois. Un rat
fut l'unique quadrupède que j'aperçus.
Le ciel s'est couvert sur les quatre heures après-
midi; bientôt la pluie est tombée et a été continuelle
jusqu'à minuit. Le temps est resté chargé, et la pluie a is.
recommencé au jour pour durer jusqu'à midi.
Une nouvelle pirogue est arrivée, et ceux qui la
montaient se sont réunis aux autres. Ils viennent de
temps en temps à bord pour continuer leurs marchés
aussi paisiblement qu'à l'ordinaire, et s'en retournent
32 VOYAGE
1827. à terre sous leurs huttes , quand ils ont fini ou que la
Janvier. pluie les contrarie.
Quoiqu'elle tombât alors assez abondamment, dès
sept heures et demie du matin , je me fis débarquer
sur la plage qui suit immédiatement celle de l'observa-
toire du côté du sud, et accompagné de Simonet seul,
je m'acheminai vers l'intérieur. Après avoir suivi
quelque temps un ruisseau considérable, qui coule
au fond d'un ravin occupé par de grandes fou-
gères ligneuses et de beaux arbres , je gravis pénible-
blement au sommet des mornes qui dominent la côte.
Dès qu'on est arrivé à cinquante ou soixante toises au-
dessus du niveau de la mer, le sol est très-sec et pres-
que entièrement revêtu par la fougère comestible , dont
les tiges rameuses et entrelacées forment des fourrés
très-épais, souvent hauts de cinq ou six pieds et presque
impénétrables. Quelques Leplospermum et deux ou
trois autres espèces d'arbustes se présentent çà et là
en ces lieux. Point d'oiseaux, point d'insectes, pas
même de reptiles ; cette absence complète de tout être
animé , ce silence absolu , a quelque chose de solennel
et de lugubre. En parcourant ces mornes solitudes ,
on se croirait transporté à cet âge du monde où la
nature, après avoir produit les êtres du règne végétal ,
attendait encore les décrets du pouvoir éternel pour
mettre au jour les races animées. Pour compléter
l'illusion , on ne rencontre pas même de traces hu-
maines sur ces hauteurs ; sans doute les naturels sont
peu jaloux de quitter leurs rivages nourriciers pour
s'égarer dans ces tristes et stériles déserts.
Janvier.
DE L'ASTROLABE. 83
En dépit du mauvais temps et de la fatigue que 18*7.
j'éprouvais à parcourir un terrain si tourmenté, après
avoir atteint le sommet d'un monticule élevé dans le
S. O. du mouillage, je fus bien dédommagé de mes
peines par la vue complète de la baie Tasman et par
la découverte d'un second bassin situé sous mes pieds
et qui me parut offrir un mouillage non moins sur que
L'anse de l'Astrolabe, dont il n'est séparé que par un
isthme de cinq à six cents toises seulement de largeur.
Trois beaux torrens s'y déchargent, une jolie lisière
d'un terrain uni règne dans une partie de son étendue,
et dans le sud une calangue complètement fermée à la
boule extérieure annonce le havre le plus paisible et
le plus commode pour de petits bàtimens. Enfin , une
immense forêt de grands arbres , dont plusieurs ne
sauraient manquer d'être utiles a la construction , oc-
cupe le fond des ravins par où débouchent les torrens.
Sur-le-champ , je me promis de reconnaître moi-même
et de faire lever le plan de ce joli bassin , pour savoir
s'il possédait effectivement les avantages qu'il pro-
mettait.
31 on œil, parcourant successivement tous les détails
de la baie Tasman , put , de la station culminante où
je m'étais placé, s'assurer que, dans toute sa partie
méridionale, elle n'offre aucun accident , aucune anse
propre à servir d'abri aux vaisseaux. Je reconnus le
beau massif de Podocaipus , près du village de
l'ouest , nommé par les naturels Maï-Tehai; un peu
plus loin , la coupée découverte par M. Dudemaine
dessinait parfaitement son cours sous la forme du lit
TOME H. S
34 VOYAGE
1827. d'une rivière bien avant dans les terres , en même
janvier. temps que ses eaux fangeuses communiquaient leur
teinte à celles de la baie , à plus de quatre ou cinq
milles du rivage. Au S. E. , une île file Pépin) située
sur la cote annonçait un canal et peut-être un abri entre
elle et la terre. Plus au nord et directement du côté
de la baie opposé à celui où je me trouvais , une coupée
profonde me faisait déjà soupçonner une communica-
tion de la baie Tasman avec celle de l'Amirauté. Enfin,
au N. E. , la terre se composait de monts déchirés
qui se terminent au cap que Cook nomma Stephens.
Après avoir erré près de huit heures au travers de
ces coteaux sauvages et avoir entièrement contourné
la crête de la montagne , je redescendis au rivage par
les bois qui dominent la plage de l'Aiguade, et je fus
de retour à bord vers quatre heures du soir, enrichi
de plusieurs espèces nouvelles de plantes et d'oiseaux.
Au nombre de ceux-ci se trouvaient deux perroquets
bruns de la Nouvelle-Zélande {Psittacus nesto?-),
oiseau curieux et rare , même dans sa patrie.
Le grand canot a fait dans la journée trois voyages
consécutifs à Faiguade , et ce genre de travail a pu
s'exécuter avec tant de célérité que l'eau qui nous
manquait a été de suite complétée. Le temps a encore
été pluvieux dans la soirée ; à la nuit , il sest éclairci ,
et la journée suivante a été passable.
i<> Dès huit heures , je suis parti dans la baleinière
pour visiter la baie dont j'ai déjà parlé , et que je dési-
gnerai désormais sous le nom d'Anse des Torrens. Je
serrai la côte du nord de notre mouillage, qui offre
DE L'ASTROLABE. 35
constamment cinq à huit brasses de fond à moins 1827.
d'une longueur de navire des rochers même du rivage. Janvier-
Seulement il faut veiller à un écueil isolé distant de
deux encablures au plus de la pointe N. E. de l'entrée,
et sur lequel M. Guilbert ne trouva que dix pieds à
marée haute. Du reste, ce n'est qu'un plateau de
roches de dix à douze toises de diamètre, et entre
ce plateau et la terre il y a un passage sur avec vingt,
trente et quarante pieds , fond de gravier. Après avoir
suivi la côte l'espace d'un miile , nous nous trouvâmes
à la pointe sud du havre des Torrens, formée par une
chaîne étroite de roches qui s'étend à deux cents toises
environ de la terre. Une disposition semblable a lieu
sur la pointe du N. E. ; il en résulte (pie l'entrée du
bassin est par là réduite à moins d'un demi-mille de
large, et l'intérieur en est mieux abrité. Aussi la mer
y est-elle parfaitement calme; je trouvai partout, et
M. Guilbert après moi , un bon iond de vase diminuant
de quarante-cinq à vingt-cinq pieds , depuis l'entrée
jusqu'au petit morne qui domine la presqu'île inté-
rieure. A toucher les côtes presque partout, on ne
trouve pas moins de vingt à vingt-cinq pieds d'eau.
Je recommanderais surtout la calangue du sud , où
les navires de notre dimension et au-dessous trouve-
raient le meilleur mouillage du monde par dix-huit à
vingt pieds , devant une belle plage , dominée par un
coteau en pente assez douce.
Au-delà de la presqu'île intérieure règne une es-
pèce d'arrière-baie qui, à marée haute, forme un vaste
bassin de deux à trois cents toises de diamètre, mais
3'
30 VOYAGE
i8^:. qui assèche en grande partie à marée basse, de ma-
janvier. njere à ne conserver qu'un chenal de quatre ou cinq
pieds de profondeur , formé par les eaux réunies des
trois torrens qui viennent s'y décharger. Je remontai
le cours de deux d'entre eux à un ou deux milles de
distance : bien qu'ils fussent l'un et l'autre peu pro-
fonds , leurs eaux se trouvaient à ce point aussi abon-
dantes qu'à leur embouchure. Seulement comme cela
arrive presque toujours dans les îles de l'Océanie , le
cours de ces torrens se resserre , leur pente devient
rapide, et d'énormes blocs qui barrent à chaque instant
leur lit finissent par arrêter les efforts du voyageur le
plus déterminé.
Au bord même de la mer, on trouve des arbres d'une
hauteur et de dimensions admirables qu'il serait très-
facile d'exploiter. La petite lisière de terrain plat qui
règne le long de la plage et qui a été formée évidem-
ment par les atterrissemens des torrens, semble d'une
prodigieuse fertilité, et l'on trouverait probablement
dans les coteaux voisins des terrains susceptibles de
culture. Il n'est pas douteux que ce point serait con-
venable à un petit établissement. Les plantations plus
considérables ne pourraient avoir lieu que sur les
bords de la rivière de Maï-Tehai et dans les plaines
d'alentour.
MM. Quoy et Lottin qui s'étaient rendus à l'anse
des Torrens par terre , en traversant l'isthme qui sé-
pare ce havre de celui de l'Astrolabe, vinrent nous re-
joindre vers onze heures. Nous parcourûmes ensemble
la petite vallée dont je viens de parler; nous y trou-
DE L'ASTROLABE. 37
vàmes quelques cases où les naturels avaient laissé 1S27.
quelques-uns de leurs ustensiles, et à l'entour des plan- Janvler
tations de pommes de terre. Sans doute ce sont des
stations où les habitans de Maï-Tehai ou de Skoï-Tehai
viennent s établir momentanément pour s'occuper de
la pèche, ou passer le temps de la récolle des pommes
de terre. ÎNous sommes rentrés lous ensemble à bord
à quatre heures et demie du soir.
MM. Guilbert et Dudemaine terminèrent dans la
soirée le plan détaillé de l'anse de l'Astrolabe , et les
sondes nombreuses dont il est accompagné ne laissent
rien à désirer à ce travail.
Le temps resta nébuleux avec de faibles brises. De 20.
cinq a dix heures du malin , il tomba de l'eau, puis il
lit assez beau. Je n'avais que peu de jours à consacrer
à ce mouillage , et je ne voulais pas perdre un instant;
dès neuf heures j'étais à terre avec 31. Lesson et Si-
monet sur la grande plage au sud du mouillage. C'est
l'endroit le plus agréable et le plus riche en oiseaux de
loule la côte. Une bande étroite et sablonneuse, cou-
verte seulement de plantes herbacées , occupe le bord
de la mer ; elle est environnée par une immense et pro-
fonde forêt d'un accès assez facile ; un beau torrent la
traverse dans toute son étendue, roulant ses eaux
abondantes sur un lit formé d'énormes blocs de gra-
nit ; sur divers points de son cours , il offre de belles
cascades au bruyant murmure, aux flots écumans.
De frais et délicieux ombrages retentissent du. chant
varié des oiseaux , et cette image renaissante de la vie
contraste vivement avec Je silence funèbre que j'avais
38 VOYAGE
1827. observé sur les collines voisines , à peine distantes de
janvier. deux à trois milles. La nature de ces lieux , l'aspect
des torrens et des forêts me rappelait parfaitement di-
vers sites de la Nouvelle-Guinée près de Dorei , et la
ressemblance surprenante des fougères me fripait de
plus en plus. L'absence presque complète des insectes
me ramenait seule sur les plages de Tavai-Pounamou :
en effet dans toute ma course , je n'en remarquai qu'un
seul de couleur rouge que je ne pus saisir et que je pris
pour un hyménoptère. Je ne compte pas quelques
petites espèces insignifiantes de locustes, criquets et
cicadaires, habitantes des herbes de la plage. Nous
fîmes, Simonet et moi, une chasse copieuse d'oiseaux,
dont nous rapportâmes plus de quarante individus
de diverses sortes, entre autres une grosse colombe
aux brillans reflets, deux glaucopes à pendeloques
et plusieurs beaux philédons à cravate.
J'avais renvoyé le canot , comptant me rendre faci-
lement par terre devant la corvette , en suivant la côte.
Mais quand il s'agit du retour, nous n'éprouvâmes
que trop combien les naturels fréquentent peu ces
âpres rivages. La mer en montant avait recouvert
presque entièrement la bande étroite et rocailleuse que
j'avais vue à sec le matin ; il nous fallut cheminer pé-
niblement au travers des ravins et des monticules es-
carpés et hérissés de broussailles qui se succédaient
alternativement. A mi-chemin, nous traversâmes une
pointe avancée en passant sous une voûte naturelle
de plus de cent pas de long qui règne dans toute son
épaisseur : mais le morne suivant nous offrit des dif-
DE L'ASTROLABE. V.)
ficultés inouïes, il fallut le gravir presque à pic , nous is-.»7.
accrochant de notre mieux à de faibles arbrisseaux J«i^ét.
ou à de fragiles tiges de fougère , et courant à chaque
instant le risque d'être précipités sur les pointes tran-
chantes des rochers, si ces frêles appuis nous eussent
manqué. Enfin , après des fatigues excessives et de
véritables dangers, nous arrivâmes à la plage de l'ob-
servatoire où nous trouvâmes un canot qui nous porta
à bord de la corvette.
Peu après minuit, la pluie commença à tomber par ai.
torrens et fut ensuite continuelle jusqu'à deux heures
du matin. Au mouillage , nous n'eûmes que de faibles
brises du S. E., et le plus souvent calme : mais la mer
s'était soulevée, et même dans notre anse si bien abritée
nous eûmes un peu de houle et un ressac assez con-
sidérable sur tous les points de la cote. J'en conclus
qu'un coup de vent de sud régnait sans doute en ce
moment hors du détroit, et je m'estimai heureux d'a-
voir au moins échappé à celui-ci. Cela me détermina
aussi à remettre notre appareillage au lendemain ,
d'autant plus que M. Jacquinol avait encore une
observation à faire pour conclure la marche des
montres.
Sans doute notre relâche sera trouvée bien courte;
elle me le paraissait à moi-même. Si je n'eusse con-
sulté que les vœux des naturalistes dont les collec-
tions s'enrichissaient chaque jour des matériaux les
plus intéressans, si je n'eusse écouté que mon propre
désir, j'aurais du moins parcouru les plaines du fond
de la baie où mes regards se reportaient involon-
Janvier.
40 VOYAGE
tairement, et visité les insulaires dans leur propre
village; mais je ne pouvais oublier mes instructions :
les travaux hydrographiques se trouvaient terminés,
notre eau, notre bois étaient remplacés, et d'autres
points de la Nouvelle-Zélande réclamaient également
notre attention. Un plus long séjour n'eût pu se jus-
tifier et pouvait nuire à la suite de nos opérations.
A deux heures après midi, le ciel s'étant un peu
éclairci , je suis allé, avec plusieurs officiers , faire une
dernière promenade à la grande plage. Mais le mau-
vais temps avait relégué les oiseaux dans leurs re-
traites, et on n'a pu en tuer qu'un petit nombre. En
outre , les arbrisseaux encore tout chargés de la pluie
qu'ils venaient de recevoir arrosaient complètement
ceux qui voulaient pénétrer dans les bois. Ainsi nous
sommes retournés de bonne heure à bord , pour faire
nos préparatifs de départ.
Les sauvages ont continué de nous visiter de temps
en temps , et leur conduite a toujours été sans re-
proche. Leurs chefs m'ont offert des femmes à plu-
sieurs reprises, et ont paru surpris de mes refus. 11 est
vrai que, plus galans ou plus courageux, trois de nos
jeunes officiers, bravant la vermine, la puanteur et la
saleté , se rendaient chaque soir sous leurs cases ,
pour passer la nuit avec les belles Zélandaises qui
avaient enfin cédé aux vœux ou plutôt aux cadeaux
de leurs adorateurs.
Ces naturels sont incontestablement bien inférieurs
pour l'industrie comme pour les moyens intellectuels
à ceux de l'île du Nord, dont ils ne sont probablement
DE L'ASTROLABE. 41
que des colonies. Un sol plus ingrat, un climat plus 1827.
rigoureux et de plus grandes privations ont empêché Janv,ei-
l'espèce humaine de prendre ici le même développe-
ment et de se former en tribus puissantes comme on
la trouve sur Ika-Na-Mawi. Ils m'ont paru ignorer
lout-à-fait le chant national du pihe et les autres chan-
sons de la grammaire de M. Kendall. Leur pronon-
ciation est aussi beaucoup plus défectueuse , et ils
n'articulent presque jamais IV dans les mots : ainsi ils
disent koeo pour korero , parler ; taïnga pour fa-
ringa, oreille , etc. ; souvent il en est de même du dy
ce qui rapproche beaucoup leur idiome de celui des
Taïtiens *.
Le mouillage de l'anse de l'Astrolabe dans la baie
Tasman est sans contredit un des meilleurs en ces pa-
rages par la sécurité dont un bâtiment à l'ancre peut
y jouir , son facile accès et sa libre sortie , les res-
sources qu'il offre pour 1 aire de l'eau et du bois, enlin
par l'excellent poisson qu'il peut fournir chaque jour
en abondance. Nous le quittâmes, tous bien porlans,
complètement ravitaillés et enrichis d'une incroyable
quantité d'objets nouveaux. J'ai déjà fait observer
que l'anse des Torrens ne lui cède sous aucun rap-
port et offrirait en outre un espace à la côte plus
dégage et mieux approprié aux travaux à exécuter
dans une longue relâche ou à la suite d'avaries qu'il
faudrait réparer **.
1 oyez notes > el I
Voyez note ',.
4 2 VOYAGE
i8a7. On sait que ce fut le navigateur hollandais Abel
janvier. Tasman qui découvrit la Nouvelle-Zélande , et qui le
18 décembre 1642 mouilla le premier dans la grande
baie de son nom. Le lendemain de son arrivée, les sau-
vages tuèrent quatre hommes de l'équipage d'un de ses
canots, ce qui l'engagea à quitter cet endroit, en lui
laissant le nom de baie des Meurtriers. En jetant les
yeux sur notre carte, il est difficile d'assigner au juste
l'endroit où Tasman pouvait être mouillé. Si sa lati-
tude 40° 50' S. était exacte, ce devait être, comme
je l'ai indiqué, devant un petit ruisseau situé à quatre
milles et demi au sud de la pointe Séparation. 11
pourrait se faire aussi que les vaisseaux de Tasman
eussent doublé cette pointe et se fussent en effet ar-
rêtés dans la baie que nous avons continué de dési-
gner, d'après Cook, sous le nom de baie du Massacre.
Alors il faudrait en conclure qu'elle creuse plus au
sud que nous ne l'avons figuré , et nous devons con-
venir qu'elle l'a été sans documens suffisans. Ce bassin
demande une nouvelle exploration , et on ne peut se
dissimuler que c'est celui qui doit offrir les meilleurs
mouillages , puisque la mer du large ne peut y entrer
d'aucun côté.
Il résulte des observations de M. Jacquinot, que
notre observatoire , dans l'anse de l'Astrolabe , était
situé par ,
4o° 58' 22" latitude méridionale.
1700 35' i5" longitude orientale,
par la moyenne des marches d'arrivée «l de dépari des deu.v montres ,
n. 38 (Motel), et n. S 3 (Berthoud).
DE L'ASTROLABE. 43
Pour des motifs que nous exposerons dans la partie hydrographique, nous jg2-
avons adopté pour longitude définitive une moyenne entre la précédente et janvier
celles qu'on déduirait des résultais obtenus dans les deux derniers voyages de
Cook, par les astronomes Wales et Rayley. Notre observatoire dans l'anse
de l'Astrolabe se trouve ainsi établi par 1700 45' 3o" longitude : c'est à cette
position que se trouvent immédiatement assujetties celles de tous les autres
points du Détroit de Cook.
Déclinaison de l'aiguille aimantée, 1 40 a 5' N. E.
i i VOYAGE
CHAPITRE XIII
TRAVERSEE DE 1. ANSE DE 1. ASTROLABE A LA BAIE HOLA-HOIA.
1827. Une bonne partie de la nuit, le vent souffla avec
22 janvier. force. ;} y eut aussi des grains de pluie abondante. A
deux heures du matin, le vent cessa tout-à-coup, mais
l'eau continua de tomber jusqu'à cinq heures où la brise
s'établit au sud. Aussitôt la dernière ancre fut levée,
et la corvette appareilla. En voyant nos dispositions
de départ , les naturels s'embarquèrent en masse dans
une de leurs pirogues avec leurs femmes et leurs en-
fans au nombre de trente pour nous faire une dernière
visite et obtenir encore quelques bagatelles de notre
part. Leurs cris perpétuels nous assourdissaient, tan-
dis qu'en se jetant élourdiment sous les pas des mate-
lots , ils nous gênaient beaucoup pour la manœuvre.
J'endurai cependant leur présence importune jusqu'au
bout, afin de leur laisser une opinion favorable du
caractère de leurs hôtes. Heureusement la pluie finit
par nous en débarrasser , et nous restâmes en calme à
DE L'ASTROLABE. 45
deux milles au plus de terre. Les sauvages profitèrent 1S27.
encore de cette circonstance pour faire une courte Janvier-
apparition le long du bord vers onze heures. Enfin ,
au moyen d'une faible brise du nord au N. I>. O. , je
m'acheminai lentement vers la coupée que j'avais
remarquée sur la cote orientale. A trois heures qua-
rante-cinq minutes du soir, et à la distance de quinze
milles environ, cette coupée ne se dessinant plus pour
moi que comme une baie peu profonde, je m'étais
déterminé «à serrer le vent jusqu'au N. E. 1ji E., vers
une autre ouverture bien plus prononcée. Cependant ,
une heure après , le premier enfoncement prenant un
nouvel aspect, et M. Guilbert croyant y découvrir
l'existence d'un canal , je laissai porter dessus pour
m'en rapprocher etm'épargner par la suite des regrets
tardifs.
A sept heures quarante minutes du soir, nous étions
par le travers de cette baie et à moins d'une lieue des
deux pointes. De là nous pûmes nous convaincre
qu'elle ne contenait aucun canal praticable à notre
navire. Du reste cette baie à laquelle j'ai laissé le nom
de baie de Croisilles , doit offrir un vaste et bon
mouillage pour tous les vents du S., de l'E. et
même du N. O. , à cause de quelques îles situées près
de la pointe du nord et qui doivent l'abriter parfaite-
ment de ce côté. Près de nous, la côte était très-
raide de toutes parts et le fond se soutenait à vingt-cinq
brasses. 11 était trop tard pour chercher un mouillage
convenable ; en conséquence , je remis le cap au large
pour y passer la nuit ; mais à peine eûmes-nous changé
if, VOYAGE
1S2;. d'amures, que nous tombâmes en eaime plat , tout-à-
jaamtr. fyfa j, ja ,nerc[ du courant et d'une houle assez lourde.
C'est ainsi que nous passâmes la nuit entière , à moins
de trois milles de terre, en proie à la plus vive inquié-
tude et redoutant d'être entraînés malgré nous à la
ente. La sonde jetée régulièrement toutes les demi-
heures nous rapportait constamment vingt-cinq bras-
ses, fond de vase. Mais je reculais à mouiller jusqu'à
l'extrémité , car je craignais d'être surpris à l'ancre par
un vent forcé du N. O., qui nous eût laissés presque
sans ressource.
23. Vers quatre heures du matin , nous reconnûmes
que nous avions, malgré nos soins , beaucoup appro-
ché la terre, et nous en étions à moins d'une demi-
lieue. Vainement je fis armer les avirons de galère et
manœuvrai pour profiter des risées les plus légères ; la
houle continua de nous jeter de plus en plus à la côte,
et à huit heures dix minutes , malgré ma répugnance
et tous les efforts que nous avions tentés , il ne me
resta pas d'autre parti à prendre que de mouiller par
vingt brasses. Nous n'étions pas alors à plus de cinq
cents toises des rochers du rivage sur lesquels la mer
déferlait avec violence.
Il existe une différence étonnante entre l'aspect de
la cote occidentale de la baie Tasman et celui de sa
cote orientale. Celle-ci, battue par les tourmentes de
l'ouest , n'offre qu'une terre escarpée , souvent dé-
pouillée et presque toujours inabordable. Elle nous
rappelait le ton triste et monotone de celle que nous
avions prolongée depuis les Cinq-Doigts jusqu'au cap
DE L'ASTROLABE. 47
des Rochers. D'ailleurs la houle d'ouest y paraît 1827.
presque permanente et en rend la navigation maussade 3myivr-
et dangereuse , autant qu'elle est douce et sûre le long
de la rive opposée.
De huit à neuf heures, une pirogue, montée par
deux naturels , se montra à l'entrée de la haie de Croi-
silles, puis elle disparut. Nous étions tellement fati-
gués de notre position , que nous n'y prêtâmes qu'une
attention légère.
Dès neuf heures un quart , je profitai d'un joli frais
de N. O. pour appareiller en hâte et conduire le
navire vers le canal que j'avais observé la veille dans
le N. N.' E. et qui me semblait établir une communi-
cation entre la baie Tasman et la baie de l'Amirauté.
INous prolongeâmes la côte à moins de deux milles de
distance, bien que la brise fût incertaine et m'eût me-
nue <; diverses fois de me laisser à la merci de la houle.
A quatre heures cinquante minutes après midi, nous
étions parvenus vis-à-vis l'entrée du canal, et je don-
nais dedans à toutes voiles , quand la vigie des barres
annonça que la passe était barrée par des brisans dont
nous n'étions plus qu'à deux ou trois encablures. A
l'instant 31 . Guilbert s'élança dans la hune et confirma
ce rapport. Il n'y avait pas un moment à perdre ; sur1
le-champ, toutes les voiles furent carguées, et l'ancre
de bâbord fut mouillée par dix-sept brasses, à mi-
chenal environ et à un mille au plus de chacune des
deux pointes. Le venl menaçait de fraîchir au N-, O. ,
et la houle ayant beaucoup grossi, je fis sur-le-champ
filer cinquante brasses du câble.
VOYAGE
MM. Lottin et Gressien furent expédiés dans deux
canots pour prolonger chacun de leur côté les deux
bords du canal, en reconnaître les dangers et s'assurer
si la passe pouvait effectivement nous conduire dans
la baie de l'Amirauté.
Ils furent près de quatre heures dans leurs recher-
ches, et, à leur retour, ils m'apprirent qu'à l'exception
du brisant qui se prolongeait à une bonne distance
de la pointe du N. O. , le chenal leur avait paru très-
sain dans toute son étendue. Ils ne pouvaient cepen-
dant garantir qu'il fût encore praticable dans sa partie
ia plus élroite, au lieu même où il débouche dans la
baie de l'Amirauté. M. Lottin, qui s'en était approché
de plus près, l'avait trouvé presque entièrement barré
par des roches à peine saillantes. hors de l'eau; il y
régnait en outre un courant très-violent, accompagné
de remoux et de tourbillons qui avaient failli entraîner
son canot sur les brisans , et ce n'était qu'avec une
peine extrême qu'il avait pu se tirer de ce pas périlleux.
Cette passe était éloignée d'une lieue et demie de notre
mouillage, et, au retour, le courant avait beaucoup
contrarié ces deux officiers ; aussi les canotiers élaienl-
ils exténués de fatigue.
Je m'attendais à voir le vent tomber à la nuit comme
de coutume ; il n'en fut rien ; au contraire , il fraîchit
rapidement au N. O. A neuf heures , quand les canots
rentrèrent, il était déjà si fort et avait soulevé une si
grosse houle qu'on eut beaucoup de peine à les hisser
sans les briser. De dix à onze heures, il ventait grand
Irais, la mer étail devenue très-grosse; la corvette
DE L'ASTROLABE.
49
tanguait avec une extrême violence sur son câble , et
dans les coups les plus forts , la lame , sautant par-
dessus le navire , couvrait en entier le gaillard d'avant.
Nous courions le risque de sancir à lame. A onze
heures , je fis filer jusqu'à soixanle-et-dix brasses du
câble, et quelques minutes après, ayant chassé sensi-
blement, nous mouillâmes l'ancre de tribord , avec la
grosse chaîne achetée à Port-Jackson , enfilant encore
vingt brasses du câble pour la faire travailler.
1827.
Janvier.
Notre position était extrêmement critique, car si
la chaîne et le câble ne pouvaient nous soutenir, la
corvette allait se briser sur une côte de fer dont nous
n'étions pas éloignés de plus de trois ou quatre enca-
blures. La mer y brisait avec une telle fureur, que
s'entr'ouvrir et s'y réduire en morceaux n'eût été pour
P Astrolabe que l'affaire de quelques minutes, flïen
certainement personne de l'équipage n'eût échappé à
cette catastrophe : il est même douteux que la cote
TOME II. i
VOYAGE
(8s*. en cùl pu conserver quelque vestige, tant la destruc-
7amar. tjon <(„ n;ivire eût été complète.
,.,. Toute vive quelle était déjà, notre anxiété devint
plus grande encore , quand , à deux heures qua-
rante-cinq minutes, voyant que nous chassions de
nouveau , nous reconnûmes que le cable de bâbord
«■tait coupé. Nous filâmes à l'instant soixante brasses
de la chaîne qui était devenue notre unique ressource,
et nous étalingâmes un câble neuf sur l'ancre de veille
à tribord, toute prête à mouiller en cas de besoin.
Mais la chaîne seule nous soutint. D'ailleurs le vent
mollit tout-à-coup , la houle s'apaisa , et le temps
s'embellit comme par enchantement. Quiconque s'est
trouvé en pareille situation doit sentir de quel fardeau
nous fûmes soulagés.
À peine le jour commençait à poindre que nous
nous occupâmes de haler à bord le bout du câble cassé:
il avait été coupé à douze brasses de l'étalingure, et en
outre fortement ragué en plusieurs autres endroits.
Ceci nous prouva que le fond était semé de rochers
tranchans , et nous nous félicitâmes de ce que cet
accident n'avait pas eu lieu au fort du mauvais temps.
Le grand canot porta deux grelins sur l'orin de
l'ancre, afin de la sauver. A huit heures nous virâmes
sur la chaîne , et quand l'ancre vint au niveau de l'eau,
nous reconnûmes, avec autant de surprise que de re-
gret, qu'une de ses pattes était cassée , ce qui avait été
au#si occasioné sans doute par la nature du fond. Ainsi
durant plusieurs heures le salut de l'Astrolabe n'avait
pour ainsi dire tenu qu'à un fil !.. .
DE LASTROIATÏE. 51
1027.
Nous virâmes ensuite sur l'ancre du cable coupé,
en avant soin de renforcer l'orin par un solide maillon. Jan>'ier-
Celte précaution nous fut utile , car à peine l'ancre
approchait-elle de la surface de la mer que l'orin rom-
pit, et sans le maillon l'ancre était perdue.
A neuf heures dix minutes , nous commençâmes à
faire route sous petite voilure, pour donner dans le
canal de communication des deux haies : nous lais-
sâmes près de nous , à bâbord , deux roches sous l'eau
fort, dangereuses , puis nous nous trouvâmes dans un
bassin d'une eau paisible et qui n'offrait alors aucune
apparence de courant. Comme la brise dépendait tou-
jours de l'ouest , je serrais la bande occidentale à deux
cents toises de distance , pour me maintenir au vent.
Notre navigation dans ce chenal étroit et encaissé ,
entre deux chaînes de montagnes élevées , avait quel-
que chose d'imposant. D'un côté des forets épaisses ,
de l'autre des taillis ou seulement de hautes fougères ;
derrière nous les côtes de la baie Tasman s'enfuyant
à l'horizon ; devant nous les îles et les îlots de la baie
de l'Amirauté , apparaissant par le travers de la passe
comme par un tube d'optique, et grandissant graduel-
lement à nos yeux : tel était le spectacle extraor-
dinaire dont nous aurions pu jouir, si les soucis du
navire n'étaient venus nous en empêcher.
Parvenu à quatre cents toises environ de la passe ,
je vis qu'elle était presque complètement barrée par
des rochers à fleur-d'eau , et je fus obligé d'envoyer
M. Gressien pour la reconnaître de plus près , tandis
que j'avançais lentement sous une très-faible voilure.
4'
VOYAGE
is2-. Après avoir fait quelques sondes et examiné la passe,
jarni.r. cet 0flpicjer revint m'annoncer qu'elle était praticable
quoique trèsrétrécie , et que le grand fond était du
côté de la rive de l'est; mais que le courant commen-
çait à entrer, et que, sans une forte brise , il serait dif-
ficile de le refouler. Toutefois je voulus tenter l'aven-
ture , je fis servir en augmentant de voiles, et la cor-
vette n'était plus qu'à une encablure de la passe, quand
la barre se souleva tout-à-coup en nappe écumante , et
les eaux se précipitèrent dans le bassin par tourbillons
d'une violence incroyable. A l'instant la corvette obéit
à l'action du courant qui la renvoya rapidement dans
l'intérieur du bassin des Courans , en la faisant pi-
rouetter plusieurs fois sur elle-même.
J'aimais mieux sans doute la voir repoussée dans le
bassin, qu'entraînée sur les brisans de la passe; mais
je fus contrarié autant que surpris quand je m'aper-
çus que le courant, au lieu de la maintenir vers le
milieu du canal, la portait droit à la côte sur un morne
(pointe des Tourbillons) qui nous restait précisément
au sud. Ainsi en deux ou trois minutes, avant que les
ancres pussent être dégagées , l'avant du navire n'était
plus qu'à quelques brasses des rochers de la côte.
11 allait être lancé sur la pointe de toute la vitesse
du courant. Pour amortir du moins la violence du
coup, je fis agir obliquement le grand canot sur la
touline, et au même instant l'ancre enfin dégagée
tomba. Quoiqu'à pic elle nous soutint à flot. Pour-
tant elle n'eût pas empêché la .corvette de talon-
ner, si le tourbillon dans lequel' elle se trouvait ne
DE L'ASTROLABE. .53
l'eût encore fait pirouetter deux ou trois fois sur elle- 1827.
même en la maintenant par un fond de sept à huit Janvier,
brasses, à quelques pieds seulement des rochers, de
manière à les effleurer sans les toucher d'aucune fa-
çon. Il était alors midi précis ; M. Jacquinot était des-
cendu dans le grand canot pour mieux observer la
hauteur méridienne du soleil , à cause de la dépres-
sion ; et tous ces mouvemens furent si instantanés que
cet officier ne s'en aperçut que quand tout fut terminé.
Sur-le-champ l'ancre moyenne fut embarquée dans
le grand canot pour aller la mouiller au large à la lon-
gueur d'un grelin : mais quoique fortement armé
et remorqué en outre par la yole, le canot, entraîné
par le courant, put à peine porter l'ancre à trente ou
quarante toises. Cependant, dès que nous eûmes le
bout du grelin , nous virâmes dessus , en traînant
après nous la grosse ancre qui par bonheur avait lâché
prise. Vers une heure après midi, nous nous trou-
vâmes à long pic de l'ancre moyenne et a vingt brasses
de la cote.
Jaloux de donner à chacun de nos collaborateurs le
moyen d'employer utilement son temps , je fis mettre
sur-le-champ sur la plage voisine les naturalistes et le
peintre de l'expédition, ainsi que MM. Guilbert et
Paris. Ces deux derniers gravirent séparément la cime
de deux mornes , qui dominaient à la fois les baies de
Tasman et de l'Amirauté , pour se procurer une vue
exacte de leurs détails, et prendre des relèvemens
utiles a la géographie du détroit. En agissant ainsi
j'avais un double but : celui d'utiliser le zèle et les
VOYAGE
182;. momens de personnes dont la présence à bord était
janM.r. jnutjl(. aux manœuvres que nous avions à faire,
surtout d'étourdir les matelots sur les dangers que
nous pouvions courir, en leur prouvant que les tra-
vaux se poursuivaient comme dans les circonstances
les plus heureuses de notre navigation. C'est la marche
que j'ai constamment suivie, et je crois quelle était
indispensable, surtout avec des êtres aussi pusillani-
mes que l'étaient la plupart de nos matelots.
Tandis que nos compagnons s'occupaient utilement
à terre , à bord nous redoublions d'efforts pour re-
mettre la corvette en sûreté. Le grand canot ayant re-
pris deux grelins et une ancre à jet , partit pour aller
la mouiller le plus au large possible; mais toujours
maîtrisé par le courant qui l'entraînait avec force vers
la baie Tasman, il ne put guère la porter qu'à une
encablure de terre ; nous virâmes donc en dérapant
l'ancre bâtarde , et le courant nous lit engager celle-ci
avec la grosse qui était encore à la traîne. Les câbles,
les grelins et les orins s'entortillèrent si bien, qu'il
fallut un temps considérable et beaucoup de travail
pour mettre en ordre ce brouillamini. Enfin, à qua-
tre heures tout fut prêt, et nous pûmes laisser re-
tomber l'ancre moyenne avec la petite chaîne par
vingt et une brasses , gravier et coquilles , à une bonne
encablure de la côte. Puis l'ancre à jet fut relevée.
Ce ne fut qu'alors que l'équipage qui travaillait sans
interruption depuis quatre heures du matin, et n'avait
eu qu'un quart d'heure de repos pour déjeuner, put
prendre son dîner. En celle occasion je remarquai
DE L'ASTROLABE. 55
que ces matelots, naturellement paresseux et gron- 1827.
deurs dans les mauvais temps ordinaires, s'étaient Janm'r-
montrés actifs, soumis et même assez résignés dans
les dangers que nous venions de courir. Cette obser-
vation me fit plaisir en me montrant ce dont ils étaient
capables dans les momcns décisifs.
Dans la soirée, on s'occupa de dégager le pont, qui
était plus encombré de cables, de chaînes et de gre-
lins, qu'il ne l'avait jamais été, et à tout préparer poul-
ies manœuvres qu'il nous restait à exécuter pour nous
tirer du bassin des Courans.
Pendant ce temps , accompagné de M. Guilbert qui
était revenu de son excursion , je m'embarquai dans
la baleinière pour aller visiter la passe. Ce que je pus
en voir cette fois me persuada qu'il eût été très-impru-
dent de s'y risquer avant de la bien connaître, ainsi
que la portion de mer au-delà dans la baie de l'Ami-
rauté, et il était impossible pour le moment de sonder
ni l'une ni l'autre. La marée avait reversé et le cou-
rant portait désormais dans la baie de l'Amirauté:
mais son action était trop irrégulière , et la mer tour- .
billonnait d'une manière effrayante. La pointe du
N. O. se prolongeait en une chaîne de roches à fleur
d'eau, qui, en fermant aux trois quarts la passe, arrê-
tait les eaux dans leur cours, et formait une barre
presque perpétuelle dans la seule partie libre. L'effet
de cette contraction dans leur masse se faisait sentir
dans notre bassin , et son niveau était plus élevé
que celui des eaux de la baie de l'Amirauté. Dans
la baleinière il fallait toute' la force de six hommes
06 VOYAGE
[t„. pour surmonter l'effet du courant hors de son lit,
jaanar. ^ l'on peut juger quelle devait être son impétuo-
sité dans sa vraie sphère d'action. Il y avait lieu
de croire que le moment de la basse mer devait
être le plus favorable pour tenter ce passage : mais
alors le courant était contraire , et le secours
d'une brise favorable et bien établie devenait indis-
pensable. Presque à toucher la barre, et contre la
pointe de l'est, je trouvai vingt, vingt-cinq et jusqu'à
quarante brasses sans fond. Une foule de cormorans
perchés sur les arbustes de la rive opposée étaient les
uniques gardiens de ce bassin.
Nous passâmes la nuit sur notre ancre moyenne ,
et quarante-deux brasses de chaîne. Il lit calme jus-
qu'à minuit , puis le ciel se chargea ; il vint des rafales
25. du N. au N. O., et la pluie fut continuelle pendant
quelques heures.
M. Guilbert employa la journée entière à lever le
plan du bassin où nous nous trouvions , et il résulta
de son exploration que partout il y a un fond régulier
de vingt à vingt-cinq brasses, gravier et coquilles,
presque à toucher terre, excepté en quelques endroits
où l'on trouve de la vase. •
Je partis moi-même à dix heures du matin avec
M. Gressien pour aller de nouveau examiner la passe
ou du moins ses abords. La marée était presque basse,
et je reconnus avec plaisir que la mer ne brisait que
faiblement sur les rochers , malgré les tourbillons qui
régnaient encore. Je me hasardai à sonder au beau
milieu de la passe où je trouvai grand fond , et sans
DE L'ASTROLABE. 57
nous en apercevoir, le courant nous emporta rapide- 1827.
ment dans la baie de l'Amirauté. Un moment je fus '"■">■■
inquiet de la manière dont nous pourrions rentrer dans
le bassin des courans , à cause de la barre redoutable
que la marée contraire allait y rétablir. Enfin , je pris
mon parti, certain que nous pourrions toujours y re-
venir par terre en traversant la presqu'île , et qu'après
tout nous en serions quittes pour sacrifier le canot.
Dès-lors je m'avançai avec confiance à un demi-
mille dans la baie de l'Amirauté dont le bassin me parut
très-sûr et beaucoup moins barré d'iles et d'ilôts à son
ouverture que Cook ne l'avait figuré. A la plage nous
vîmes quelques villages de naturels, et même une
pirogue en mer, dont j'aurais volontiers attendu la
visite : mais il était essentiel de ne pas perdre un temps
précieux pour l'objet que je m'étais proposé ; je re-
tournai donc en bâte à la passe où je trouvai la mer
parfaitement calme. C'était le moment précis où le
courant se trouvait étale , et pendant le séjour que
nous avons été obligés de faire dans ce bassin , nous
avons observé que cela durait rarement plus d'un
quart d'heure. C'était pour nous une chose tout-à-fail
extraordinaire de pouvoir circuler paisiblement avec
notre canot dans cet espace que nous avions vu sans
cesse occupé par des tourbillons impétueux et une
barre menaçante. J'en profitai pour le sonder avec
soin. Je reconnus que toute la partie du N. O. était
effectivement barrée par des rochers à fleur d'eau alors
entièrement à découvert , et qu'en outre quelques
roches isolées à huit ou <li\ pieds sous l'eau prolon-
58 VOYAGE
•
1S2-. geaient encore cetle chaîne. Ainsi la seule partie pra-
jmnm. ticable se réduisait à trente ou quarante toises de lar-
geur, près de la pointe du S. E.; duresle , cette pointe
était aussi acore qu'un quai , et pouvait être accostée
à toucher sans aucun danger.
De ce moment je résolus d'y faire passer l'Astro-
labe au premier vent favorable , par la double consi-
dération que ce trajet nous épargnerait un tour long et
désagréable , et qu'il nous procurerait en même temps
le moyen de faire la géographie exacte de la baie de
l'Amirauté. J'appelai M. Guilbert que je vis à quelque
distance sur la route du bord, et l'invitai à se rendre
en hàle à la passe , pour y profiter du calme afin de
placer ses sondes. Mais déjà le courant commençait à
reverser dans notre bassin , et il lui devint impossible
même d'approcher de la passe , malgré tous les efforts
de ses canotiers.
De là , je me portai sur une plage de l'île peu éloi-
gnée de la passe , où je restai une heure à me pro-
mener et à cueillir des plantes. De nouveau je fus
frappé de la ressemblance qui existe , pour le ton
général, entre la végétation de cette partie du monde
et celle de la Polynésie. D'un autre côté, on ne peut
disconvenir que la Nouvelle-Zélande reproduit plu-
sieurs des espèces de l'Australie, malgré la différence
qu'offrent entre elles au premier coup-d'œil les Flores
de ces deux contrées. Cette double observation conduit
naturellement à penser que la Nouvelle-Zélande, mal-
gré sa haute latitude , présente un système de vé-
gétation intermédiaire entre celle de la Polynésie et
DE L'ASTROLABE. 59
celle de la Nouvelle-Hollande, une sorte de transition 18*7.
de Tune à l'autre. Janvier-
Cet endroit m'offrit plusieurs touffes de phor-
înium, et, bien que sa station favorite soit le bord
des torrens, je l'ai vu croître avec vigueur sur les
roches maritimes presque nues. Près de la grève, pi. xliii.
une jolie cascade roule ses eaux à travers les ro-
chers et les débris des arbres qui ont succombé à
l'action des vents ou des siècles, et fournirait facile-
ment aux besoins d'une flotte entière.
De retour à bord , vers une heure , j'envoyai le
grand canot élonger une ancre à jet a deux encablures
au large, vers le milieu du chenal : puis nous nous
halâmes dessus, après avoir relevé l'ancre moyenne,
et nous venions de mouiller celle-ci à la place de l'au-
tre, quand le vent s'étant élevé au N. O. amena des
rafales chargées de pluie , et fît chasser l'ancre. Cin-
quante brasses déchaîne furent filées , et la corvette
s'arrêta à une encablure environ du rivage. Ainsi tout.
M VOYAGE
18a;. notre travail de la journée se trouva inutile, et nous
Umm <■ ne fûmes pas plus avancés qu'auparavant.
A la nuit, le vent força; il souffla grand frais avec
des rafales , de la pluie , des éclairs et du tonnerre.
Pour ménager la petite chaîne qui travaillait beaucoup,
et ne pas tomber à la côte, il fallut mouiller une ancre
de poste avec la grosse chaîne , et nous filâmes trente
brasses de celle-ci.
26. Le vent s'apaisa à minuit : au point du jour, on
se remit au travail. La grosse ancre et la moyenne
furent relevées ; puis on se hala sur une ancre à jet
mouillée à trois encablures au vent par vingt et une
brasses. Nous restâmes sur quatre-vingts brasses de
grelin , attendant un instant favorable pour mettre
à la voile. A neuf heures , je crus l'avoir rencontré
dans le jusant et une jolie brise d'O. S. O., qui
s'annonça d'une manière décidée. Le grelin et l'ancre
à jet furent vivement enlevés , la misaine et les huniers
appareillés à l'instant ; mais à peine finissions-nous
notre abattée que le vent en mollissant sauta du sud
au nord. Alors le courant, nous prenant par le tra-
vers, nous entraîna encore une fois à une demi-enca-
blure du malheureux cap des Tourbillons. Une ancre
à jet ne put nous soutenir , et il fallut ajouter l'ancre
moyenne avec la chaîne.
Nous nous touames ensuite sur trois aussières élon-
gées au large , et qui nous éloignèrent à peine d'une
encablure de terre. Cette dernière manœuvre fut ré-
pétée ; mais nous fûmes tellement contrariés , qu'à
cinq heures du soir il fallut nous contenter de laisser
DE L'ASTROIABE. 61
tomber l'ancre de poste à une encablure et demie 1S27.
de la côte. Nous avions consumé treize heures dans Ja,lvier-
des travaux accablans et continuels , élongé , mouillé,
et relevé une foule d'ancres et de grelins, et nous
étions moins avancés qu'en commençant la journée.
A peine les canots chargés de porter les ancres et
les grelins se trouvaient-ils à une certaine distance
du navire , que le courant les entraînait au sud avec
une violence irrésistible, et les plus longues touées
se réduisaient à un demi-càble ou un câble au plus.
Dans ce funeste bassin , le supplice des Danaïdes
se renouvelait pour nous ; il semblait qu'un malin
génie se plût chaque jour à détruire en un instant le
fruit de nos plus longs efforts.
Depuis quelques jours , je souffrais assez vivement
de douleurs de côté, et les fatigues successives de
la journée n'ont pas contribué à les apaiser. Toute
la nuit il a régné une forte brise de N. O. et O. N. O.
avec des rafales et un temps clair. Nos chaînes déjà
bien éprouvées nous rassurent, autrement notre po-
sition ne serait pas sans inquiétude.
A cinq heures et demie du matin, je sautai dans la 27.
yole , et j'allai chercher un endroit propre à recevoir
une ancre à jet à quatre encablures au vent du navire,
afin de nous haler vers l'autre côté de la baie, et nous
placer définitivement en appareillage avec les vents
régnans. A mon extrême surprise, en sondant à deux
ou trois cents toises de la passe, je trouvai que tout
cet espace était occupé par un banc de sable recouvert
seulement par quinze , douze , et même onze pieds
82 \ OYAGE
181G. d'eau à marée basse. Au-delà le fond reprenait su-
j.M.vi. t. bilement vingt-deux et vingt quatre brasses et formait
un canal étroit le long de l'île. La présence de ce
banc me prouva que la passe était encore plus dan-
gereuse que je ne pensais, à approeber avec un navire
d'un aussi fort tirant d'eau qu'était le notre; mais
d'un autre côté je fus ravi de la découverte , en ce
que le haut -fond m'offrait un point d'appui assuré
pour les ancres à jet que je voudrais y porter.
Dès que je fus de retour à bord, j'envoyai en effet
le grand canot mouiller une ancre à jet vers ce banc,
et il rapportait vers le bord le bout de trois aussières
dont il était muni. J'expédiais en même temps de la
corvette la baleinière avec deux autres aussières pour
joindre à celles du canot , tandis que nous virions sur
notre ancre. Mais, par une nouvelle fatalité, au mo-
ment même où les embarcations s'approchaient l'une
de l'autre , le courant qui jusqu'alors avait été modéré
et nous avait permis d'exécuter les premières opéra-
tions , le courant rentra avec violence dans la baie
Tasman, et. entraîna rapidement les canots chacun
de leur côté. Toute tentative ultérieure devenait inu-
tile pour le moment : ainsi nous restâmes à pic sur
notre ancre ; du bord on haîa la baleinière avec ses
aussières , et je (is donner l'ordre au grand canot de
rembarquer les siennes pour se tenir à pic sur son
ancre.
A onze heures et demie, le courant régnant encore
avec la même force, et craignant que le temps de
l'étalé ne fût trop court pour exécuter notre mouve-
DE L'ASTROLABE. B3
ment, j'expédiai M. Lottin vers le grand canot avec 182?.
l'ordre de relever l'ancre à jet, et de mouiller pins près JanYier-
de la corvette, de manière à pouvoir rapporter à bord
le bout des trois aussières. Cette manœuvre fut exé-
cutée avec succès. A une heure et demie nous eûmes
le bout des aussières : la grosse ancre fut relevée , et
nous virâmes sur l'ancre à jet.
A trois heures, nous laissâmes retomber l'ancre de
poste par cinq brasses et demie , gravier et coquilles,
sur les acores du banc , et à cinq cents toises de cha-
cune des rives du chenal. Nous conservâmes le bout
du grelin à bord, et nous nous trouvâmes enfin en
position d'appareiller au premier vent favorable.
Le soir, accompagné de plusieurs officiers, j'allai de
nouveau visiter la côte de l'île. Je voulus pénétrer dans
l'intérieur, mais les fourrés et la pente trop rapide du
terrain m'eurent bientôt rebuté. De la pointe des
Récifs, j'examinai encore attentivement la passe, et
me promis de la franchir le jour suivant, si le temps,
le permettait. En revenant a bord , notre canot fut
inopinément enveloppé par les tourbillons écumans
de la passe , et nous eûmes quelque peine à nous en
dégager. Toutefois , en cette occasion nous éprou-
vâmes que leur aspect était encore plus effrayant que
leur effet n'était dangereux , du moins en manœu-
vrant convenablement.
Dans la journée, quelques naturels venant de la
baie de l'Amirauté s'avancèrent jusqu'aux récifs de la
passe , et communiquèrent avec nos gens , mais ils
ne voulurent point venir à bord. Lorsque nous en-
CA VOYAGE
1817.
trames dans le bassin des Courans , nous avions re-
j.niM. t. marqué près de la presqu'île Lebrun un petit village ;
lorsque M. Guilbert se trouvait sur le sommet du
mont qui domine les deux baies , il en avait aperçu
un autre sous ses pieds du côté de la baie de l'Ami-
rauté. Aucun des habilans de ces deux villages ne se
montra à nos regards , bien qu'ils ne pussent ignorer
notre présence; les tribus de ces cantons ne connais-
sant probablement les Européens que de tradition,
personne parmi eux n'osa se hasarder à faire avec
nous une plus ample connaissance.
Dans la soirée et la nuit , l'éternel vent d'O. souf-
fla encore avec fureur et par violentes rafales. Cette
fois notre position était encore plus précaire que les
nuits précédentes ; car, si nous eussions chassé , le
vent nous poussait directement sur les récifs de la
passe, et là notre sort ne pouvait être douteux.
28. Je vis enfin arriver le jour qui s'annonça sous
.d'heureux auspices, et me présagea un vent favorable.
Afin de ne négliger aucune des précautions qui étaient
en mon pouvoir, dès quatre heures et demie je me ren-
dis à la pointe du S. E. de la passe, et je gravis jusqu'à
la cime du morne qui la domine. Ce ne fut pas chose
aisée, eu égard à l'escarpement du terrain et aux four-
rés impénétrables de fougères qui le revêtent à une
certaine hauteur. J'en vins pourtant à bout , et de ce
mamelon ma vue plongeant sur la passe me démontra
qu'elle était praticable avec de grandes précautions*.
Pourtant je ne me dissimulais pas que cette entreprise
pouvait avoir des suites funestes. En reportant mes re-
DE L'ASTROLABE. 65
gards sur la corvette , je ne pus m'empêcher de songer 1827.
involontairement que cette machine encore si bien or- JaQvier-
ganisée, si imposante, et destinée à parcourir une si
longue carrière, serait dans quelques instans, parle
seul effet de ma volonté , exposée à trouver sa perte
contre les rochers situés à mes pieds. Dix officiers,
un équipage entier, habitans de cette cité flottante
devenue leur véritable patrie, n 'allaient-ils pas dans
quelques heures se trouver réduits à chercher leur
salut sur une rive stérile et inhospitalière, pour y
traîner une existence misérable, et peut-être y périr
sans revoir leurs païens et leurs amis? De pareilles
réflexions ébranlèrent un moment ma résolution :
mais elle se raffermit bientôt, et je ne retournai à
bord que décidé à tenter la fortune.
A sept heures, l'ancre à jet fut relevée et mouillée
plus près du navire , par six brasses ; peu après , la
brise paraissant établie et modérée à l'O. S. O., la mer
étant en outre étale , je me décidai à appareiller sur-
le-champ afin d'être plus maître de ma manœuvre.
Nous avions pris le grelin par l'arrière , ce qui nous
faisait présenter l'avant en route , et nous mettait ainsi
à même de recevoir de suite le vent dans les voiles en
dérapant; ce qui fut exécuté avec une grande célérité.
Au même instant, l'artimon , le foc d'artimon , la mi- ,
saine et le petit hunier furent appareillés , et durant
quelques minutes nous gouvernâmes très-bien ; mais
au moment où nous allions donner dans la passe,
le vent tomba, et le courant arrivant avec impétuo-
sité nous fit venir sur bâbord. En vain je fis à l'instant
TOME II. 5
GC, VOYAGE
1S9.7. mettre toute la barre au vent, et carguer toutes les
janvier. v0iles de l'arrière afin de rallier la côte de droite à la
toucher pour ainsi dire, comme cela était nécessaire.
La corvette n^obéit point, et, maîtrisée par le courant,
elle ne put éviter d'être emportée sur les roches qui
terminaient les récifs et sur lesquelles je savais qu'il ne
se trouvait que dix à douze pieds d'eau. Bientôt V As-
trolabe touche deux fois ; le premier choc fut léger,
pi. xl. mais la seconde fois un craquement lugubre et général
accompagné d'une secousse prolongée , d'une pause
sensible dans la marche de la corvette et d'une forte
inclinaison sur bâbord , pouvait justement faire re-
douter qu'elle ne restât sur la roche et ne s'y défonçât.
L'équipage, en ce moment, poussa involontairement
un cri d'épouvante. Ce nesl lien, nous sommes parlés ,
m'écriai-je à haute voix pour le rassurer. En effet,
le courant, continuant d'entraîner le navire, l'empêcha
de rester sur la roche fatale ; en outre , la brise se ré-
tablit, nous pûmes gouverner, et bientôt libres de
toutes craintes nous voguâmes à pleines voiles dans
les eaux paisibles de la baie de l'Amirauté. Nous en
fûmes quittes pour quelques fragmens de la contre-
quille que le choc détacha , et qui vinrent flotter dans
le remoux du navire.
Tout entier à la manœuvre du moment , il ne me
fut pas possible de m'occuper de ce qui se passait au-
tour de moi. Mais ceux de mes compagnons qui pu-
rent y prêter plus d'attention m'ont assuré que ce fut
alors un spectacle bien imposant que de voir l'Astro-
labe , d'abord inclinée comme prête à s'engloutir dans
DE L'ASTROLABE. 67
les tourbillons qui l'entouraient, se relever ensuite 1827.
avec grâce et s'avancer noblement au milieu des eaux Janvier-
devenues plus paisibles.
Pour consacrer le souvenir du passage de V Astro-
labe , je laissai à ce dangereux détroit le nom de
Passe des Français : mais, à moins d'un cas urgent, je
ne conseillerais à personne de le tenter, encore fau-
dra il -il avoir une brise bien établie et presque sous
vergue. Du reste, les cartes et les plans que M. Guil-
bert a levés et dressés de toute cette partie du détroit
en faciliteront considérablement la navigation à ceux
qui nous suivront dans les mêmes lieux.
A neuf heures , nous mimes en panne pour faire
une station , par trente et une brasses, vase molle;
nous embarquâmes et saisîmes à poste tous nos ca-
nots. Alors nous contemplâmes tout à notre aise le
beau bassin où nous nous trouvions. Il mérite certai-
nement tous les éloges que Cook en a faits, et je re-
commanderais surtout un joli petit havre , à quelques
milles au sud de l'endroit où mouilla ce capitaine.
Protégé par une pointe avancée (Pointe Bonne) contre
les houles et les vents du nord , il doit offrir un excel-
lent abri pour tous les vents. Je regrettai sincèrement
que le temps qui me pressait ne me permit point de
lui consacrer quelques jours, d'autant plus qu'un vil-
lage de naturels situé précisément en face me pro-
mettait une nouvelle scène d'observations intéres-
santes.
Notre navigation par la passe des Français venait
d'établir positivement l'existence comme île de toute
5*
68 VOYAGE
fSa:. la partie de terre qui se termine au cap Slephens de
janvier. Cook . Elle se trouve divisée de la masse de Tavaï-Pou-
namou par le bassin des Courans. Haute et montueuse
dans toute son étendue , sa côte est triste , escarpée et
sauvage sur la bande de l'ouest qui regarde la baie Tas-
man ; mais son aspect est beaucoup moins repoussant
du côté de la baie de l'Amirauté : il y a même quelques
sites gracieux. Cette île a vingt milles du nord au su<J,
et un peu moins de huit de l'est à l'ouest. Les officiers
de l' Astrolabe, empressés de perpétuer la mémoire de
leur capitaine , ont voulu que son nom fût attaché à
cette partie des découvertes du voyage , et il n'a pas
cru devoir se refuser à cette marque d'estime de la part
de ses braves compagnons. La dénomination d'île
d'Urville pourra donc rester à cette terre jusqu'à
l'époque où l'on connaîtra le nom qu'elle a reçu de ses
habitans *.
La comparaison de notre carte avec celle que dressa
Cook pour le détroit , montrera combien ses travaux
laissaient à désirer. Sans doute les nôtres seront loin
d'être complets, mais nous offrirons du moins un
cadre exact pour y renfermer les détails qui résulte-
ront de nouvelles reconnaissances. Les îles de l'Ami-
rauté ont reçu une configuration toute différente, et un
groupe plus reculé vers l'est prit le nom d'îles Gai-
mard. Il nous fut impossible de voir le terme d'un
canal situé au S. O. de celles-ci, et qui paraît s'en-
foncer assez avant dans les terres.
* Voyez notes 5 et 6.
DE L' ASTROLABE. 69
Accompagnés par une jolie brise d'ouest ei favorisés (897.
par le courant, nous nous somme% rapidement avancés Janvier,
dans le détroit de Cook. A midi précis , nous passions
par le méridien , et à moins d'un mille au nord des
récifs des îles Gaimard ; deux heures après , nous ran-
gions à moins d'une demi-lieue les dangereux brisans
<lu cap Jackson. Laissant sur bâbord l'île de l'entrée,
nous passâmes devant l'ouverture de la baie de la
Reine-Charlotte, asile accoutumé de Cook dans ses
voyages. Dans cette partie du détroit, nous eûmes de
fréquentes alertes , causées par des bandes longitudi-
nales où les eaux de la mer étaient entièrement décolo-
rées et agitées par de forts remoux semblables à ceux
qui sont formés par des brisans. Pourtant, comme la
sonde , envoyée dans un de ces endroits jusqu'à trente-
cinq brasses , n'indiqua point de fond , je conjecturai
que ces apparences n'étaient dues qu'aux courans du
détroit , peut-être aussi aux effets de la mer passant
tout-à-coup de profondeurs immenses à des fonds
beaucoup moindres, quoique considérables encore.
Au moment où nous doublions le cap Koamaro, de
grands feux, allumés sans doute par les naturels, se
firent tout-à-coup remarquer près de sa pointe. Les
rochers des Frères furent serrés de près , et à quatre
heures du soir nous fîmes une station sous les terres
escarpées qui régnent au sud du cap Koamaro. A un
mille des brisans , nous n'eûmes point de fond par
quatre-vingt quinze brasses.
Depuis la station du matin , c'est-à-dire en sept
heures de temps environ, nous avions réellement
70 VOYAGE
1827. parcouru quarante-deux milles de chemin , tandis que
janvier. \e iocn ne nous en af ajt donné que vingt-huit environ.
Cotait la preuve que nous avions été aidés par un fort
courant. Enhardi par ce succès, je me proposais de
pousser dans la soirée jusqu'à la baie Cloudy et de
mouiller à son entrée; nous devions le lendemain
y pénétrer tout-à-fait, visiter ce point encore inconnu,
nous assurer surtout si cette baie ne communique
point avec celle delà Reine- Charlotte, par quelque
canal intérieur, comme je suis disposé à le croire.
Malheureusement, au plus fort de mes espérances,
' le vent m'abandonna tout-à-coup , vers cinq heures
du soir et à deux milles environ d'un morne escarpé ,
dont la terre aride et dépouillée s'échappe en longs
éboulemens jusqu'à la mer. A sa base, une petite anse
semblait communiquer par un chenal étroit et obstrué
de rochers avec la baie de la Reine-Charlotte , dont
les eaux calmes se distinguaient parfaitement du som-
met des mâts. De grands feux se montrèrent aussi sur
la pointe gauche de cette coupée. Avides de nous voir,
il est probable que les sauvages employaient ce moyen
pour nous attirer chez eux.
Nous restâmes une heure dans un calme profond ,
puis je me hâtai de profiter d'une petite brise de N. O.
pour écarter la terre et me mettre dans une position
convenable pour passer la nuit. Nous nous trouvions
dans la partie la plus resserrée du détroit, et je savais
ce que Cook avait écrit de la violence des courans que
les marées y occasionent. A huit heures du soir, c'est-
à-dire à l'entrée de la nuit , j'avais réussi à me placer
DE L' ASTROLABE. 71
à cinq milles de la cote occidentale (près le cap Koa- 1827.
inaro ) et à huit milles de celle du nord ( près le cap Janvier.
Poli-Wero). Alors je mis le cap à TE. N. E., sous
petites voiles , pour écarter doucement la côte. Vers
dix heures la brise fraîchit beaucoup , la houle se fit
sentir, et le courant qui nous entraînait sensiblement
sur les terres de l'île septentrionale nous força à
manœuvrer souvent et à redoubler de vigilance. Heu-
reusement nous avions un beau clair de lune , et les
marins savent quel avantage ils retirent de cette bien-
faisante lumière dans les nuits où la navigation devient
épineuse.
Le reste de la nuit , il souffla une forte brise du nord,
avec des rafales et une mer assez dure travaillée par
l'effet des courans. Dès trois heures et demie du malin, 29.
reconnaissant très-bien toutes les terres du détroit , je
serrai le vent à l'O. S. O. , en forçant de voiles , pour
tenter de donner dans la baie Cloudy. A six heures un
quart, nous n'étions plus qu'à quatre ou cinq lieues
de son entrée; mais depuis le matin le courant nous
rejetait hors du détroit , et je restai convaincu que ce
ne serait qu'avec une peine extrême que je pourrais
réussir dans mon projet, à supposer toutefois qu'il fut
exécutable , tant que le vent resterait de la même
partie.
En conséquence, renonçant à mes premiers des-
seins , je me bornai à faire une station près du cap
Campbell , dont nous n'étions plus qu'à cinq milles ,
puis à rallier la côte d'Ika-Na-Mawi, afin de recon-
naitre la partie du rivage à l'ouest du cap Palliser.
72 VOYAGE
1827. Le cap Campbell est formé par des terres d'une hau-
Janvier. tear modérée qui se terminent en pointe basse. Un
peu plus avant dans l'intérieur s élève un piton cou-
ronné de neige , qui est une excellente reconnais-
sance pour l'entrée du détroit avec des vents de sud.
La côte en dehors fuit au S. O. et paraît très-élevée.
Durant la station, nous n'eûmes point de fond à cent
brasses.
A six heures trente-cinq minutes, nous fîmes servir
et portâmes sur la cote du nord. A mon grand regret,
le vent ne nous permettait point de gagner un grand
enfoncement entre le cap Poli-Wero et le cap Toura-
Kira , où se trouvent des îles rapprochées de terre qui
doivent offrir d'excellens mouillages. Je me contentai
donc de me diriger vers la vaste baie comprise entre
les caps Toura-Kira et Kawa-Kawa. A midi nous n'é-
tions plus qu'à deux milles du premier, et de là, la baie
dont nous ne découvrions pas encore le fond nous
présentait l'aspect le plus séduisant. Point de roches,
point de dangers apparens ; des côtes saines et élevées,
accompagnées , au bord de la mer, d'une lisière de
terrain uniforme , nous promettaient quelque bon
mouillage.
Pleins de confiance , nous nous avancions sur une
mer très-calme , avec un temps délicieux et une douce
brise de N. O. , quand à midi un quart une pirogue
que nous observions depuis quelque temps le long de
la côte, approcha du bord. Sur mon offre, les natu-
rels qui la montaient , au nombre de six , accostèrent
la corvette avec hardiesse, lis n'avaient avec eux ni
DE L'ASTROLABE. 73
armes, ni objets d'échange, et leur chef, s'étant avancé
droit à moi , s'informa sur-le-champ s'il y avait des Zé-
landais à bord. Tangata maod't hi te kaïpoake'. Sur
ma réponse négative, il me demanda la permission
d'v rester lui-même, ce que je lui accordai sans peine,
pensant que ce serait seulement pour quelques mo-
mens, pour la journée au plus. Puis je m'occupai
de la manœuvre sans faire plus d'attention à ces
sauvages.
Une heure après environ, je fus bien surpris de voir
la pirogue partir avec quatre hommes seulement,
tandis que les deux autres restaient à bord. Le chef
était un de ceux-ci; et comme je lui montrais sa piro-
gue cjui s'éloignait, il m'expliqua qu'elle allait chez lui
chercher des provisions , qu'elle reviendrait le lende-
main, et qu'en attendant il voulait demeurer avec nous.
Lui ayant objecté que nous pourrions quitter la baie
sans donner aux siens le temps de revenir, il parut
décidé à me suivre partout où je voudrais le conduire.
Alors les officiers qui avaient observé le départ de la
pirogue, m'apprirent que ses compagnons, après avoir
quelque temps conféré avec lui , avaient pris congé de
leur chef les larmes aux yeux , et par le grand salut
d'étiquette, l'attouchement du nez (sàongui). Lui-
même n'avait pu s'empêcher de laisser échapper quel-
ques larmes , et je lui en fis la remarque : il s'essuya
sur-le-champ les yeux, et, s'efforçant de prendre un air
riant, il me dit que ce n'était rien, et qu'il était très-
content. Ce naturel, qui me parut âgé de trente à
frente-deux ans, était un bel homme, et ne manquait
1827.
Janvier.
74 VOYAGE
18*7. pas d'une certaine dignité ; son caractère était sérieux
janvier. et réfléchi, ses traits avaient même quelque chose de
triste. Il m'apprit que son nom était Tehi-Nouï, et
qu'il était rangalira-nouï et même ariki, c'est-à-dire
PL lui. premier chef et grand-prêtre de son canton, qu'il ap-
pela Tera-Witi. Son compagnon, Koki-Hore, plus
jeune, plus gai et plus insouciant, avait des traits plus
ouverts et plus agréables : son visage était mieux tatoué,
cependant il convenait lui-même qu'il n'était point ran-
gatira , et il semblait s'être volontairement dévoué à
partager la fortune de son chef. Décidé comme je l'é-
tais alors à mouiller dans cette baie, je réfléchis qu'il
leur serait facile de s'en aller, s'ils venaient à changer
d'avis dans la nuit, et je ne fis point d'efforts pour rap-
peler la pirogue qui était déjà loin de nous.
Nous avions dépassé le cap Toura-Kira de quatre
ou cinq milles en prolongeant la côte N. O. de la baie,
et souvent sondé, sans trouver fond, par cinquante
brasses. Ce ne fut qu'à trois heures un quart que nous
commençâmes à avoir un fond de sable fin et noir par
dix-neuf brasses. A cette distance, il nous fut aisé de
reconnaître que cette baie n'était qu'un vaste enfonce-
ment entièrement ouvert au sud, et dépourvu d'au-
cune sorte d'anse ou d'abri propre à devenir un mouil-
lage assuré. En conséquence à quatre heures je pris le
parti de laisser tomber la grosse ancre pour nous
servir durant la nuit.
Des deux côtés, les terres sont élevées, abruptes
et dominées par des montagnes plus hautes encore,
tandis que le fond de la baie n'offre qu'une plage unie
DE L'ASTROLABE. 75
el très-basse; ce n'est qu'à une grande distance que i8*$«
l'œil retrouve des terres un peu plus hautes. Cet as- Janvier-
pect me faisait déjà soupçonner que la plage du fond
n'était qu'un isthme suivi d'un bassin plus au nord : ce
soupçon se trouva confirmé par le rapport de M . Lottin,
qui des barres de perroquet aperçut distinctement l'eau
au-delà de la bande qui terminait la baie. A quelque
distance de la mer on voyait briller des feux immenses
qui annonçaient évidemment la présence des naturels.
A peine mouillé, je m'embarquai dans la balei-
nière avec MM. Quov et Guilbert, pour reconnaître la
nature de ces lieux, et j'emmenai Koki-Hore pour
nous présenter sous des auspices de paix à ses com-
patriotes. Nous conservâmes sept brasses de fond jus-
qu'à une demi-encàblure et quatre brasses à moins de
cinquante pieds du rivage : mais nous eûmes le regret
de voir qu'un ressac énorme brisait partout à la côte ,
et ne nous laissait aucun espoir d'y aborder avec le
canot. Nous la côtoyâmes plus de trois milles sans
trouver un seul endroit où il fui possible d'accoster
sans un danger imminent. Partout la plage est formée
par des galets plus ou moins gros, el bordée par des
falaises à pic et peu élevées. Au-delà régnent des col-
lines entrecoupées de petits vallons recouverts seule-
ment de fougères ou de broussailles. Autant que nous
pouvions en juger du canot , tout ce sol me parut tra-
vaillé par l'action des volcans ; il me rappelait par l'as-
pect, la couleur et les accidens, ce que j'avais jadis ob-
servé sur certaines îles de la Grèce, comme Melos,
beranos et Santorin. .1 éprouvais un vif sentiment (\v
IS27-
Janvier.
76 VOYAGE
dépit de voir l'accès de cette côte singulière interdit à
nies efforts. Un moment j'eus l'envie de me lancer à la
plage au travers des lames qui déferlaient avec fureur,
et mes deux compagnons étaient disposés à m'imiter.
Mais je réfléchis à la difficulté du rembarquement ; en
outre les naturels pouvaient venir nous joindre, et je
ne devais pas oublier que leur audace et leurs pré-
tentions se trouvent d'ordinaire excitées par l'impru-
dence des Européens. Nous étions beaucoup trop
éloignés de la corvette pour en recevoir de prompts
secours en cas de besoin; tout bien considéré, je re-
nonçai à mes desseins sur cette côte inabordable , et
nous la quittâmes devant un torrent situé précisément
au nord de notre mouillage, et dont le lit avait ou-
vert une coupée très-remarquable dans les falaises.
Pour rappeler l'inutilité de nos tentatives , nous impo-
sâmes à ce triste bassin le nom de baie Inutile.
Nos deux hôtes parurent peu contrariés de ce que
nous n'avions pas pu mettre pied a terre ; ils nous in-
diquaient clairement que derrière le cap Poli-Wero
nous rencontrerions un meilleur mouillage , où nous
pourrions nous procurer des patates, mais point de co-
chons, attendu que cet animal ne commence à paraître
que plus loin au nord. Ils me renouvelèrent la prière
instante de les garder à bord : vainement je leur ré-
pétai que nous serions très-long-temps absens et que
probablement ils ne reviendraient jamais chez eux :
cela parut leur être indifférent et ne les détourna
nullement de leur projet. Cependant ils ne laissaient
pas de nous témoigner quelquefois la crainte que
DE L'ASTROLABE. 77
nous n'eussions l'envie de les manger, et ce ne fut i8a7.
qu'après leur avoir lémoigné toute noire horreur pour Jvtrkr.
une pareille idée qu'ils se rassurèrent complètement.
On doit convenir qu'avec de pareilles appréhensions
il fallait un courage peu ordinaire de la part de ces
deux insulaires pour venir se livrer ainsi à la merci
d'étrangers dont ils ne connaissaient nullement les
vraies intentions. Je leur fis donner des alimens et
des toiles pour leur servir de lit; j'étais décidé à
les garder à bord , quitte à les déposer à la première
cote où il leur plairait par la suite d'élire leur domi-
cile. Leur présence pouvait m'ètre doublement utile,
d'abord pour lier connaissance avec les naturels chez
lesquels nous aborderions , puis pour nous donner
en langue du pays les noms des principaux points de
la côte *.
A la nuit , les feux aperçus se sont montrés plus
nombreux , plus étendus et plus éloignés que nous
ne l'avions jugé d'abord. Ils devinrent même telle-
ment actifs et permanens que je crus quelque temps,
avec d'autres personnes, qu'ils pouvaient appartenir
à quelque volcan , persuadé que les sauvages ne pou-
vaient en allumer d'aussi grands, et qu'ils passeraient
la nuit à dormir plutôt qu'à les entretenir. Cependant
comme ils embrasent souvent de grands espaces de
terrain qui continuent de brûler durant plusieurs
jours , il est plus vraisemblable que ces feux n'é-
taient dus qu'à des incendies de cette dernière na-
' J'oyez note 7.
78 VOYAGE
18*9. ture. Quoi qu'il en soir., ils parurent et disparurent
.Limier. alternativement plusieurs fois dans la nuit, et le joui-
su ivant il restait encore une grosse fumée très-visible.
3o. Comme je ne me dissimulais point toute 1 étendue
du danger que nous avions à courir dans cette baie ,
si tout-à-coup nous eussions été surpris par les bour-
rasques du sud , si fréquentes par ces latitudes , dès
cinq heures et demie du matin , je m'empressai de lever
l'ancre et de profiter d'une petite brise de nord , pour
nous éloigner de ce dangereux cul-de-sac. Nous pro-
longeâmes à deux ou trois milles de distance la côte
orientale de la baie Inutile. Elle court assez unifor-
mément du nord au sud sans offrir plus de ressources
que celle de l'ouest. Un peu après neuf heures , nous
eûmes quelque temps calme plat , puis des brises
folles et variables du N. au N . E. , qui nous permirent
à midi de dépasser les roches aiguës qui terminent le
cap Kaw a-Kawa (cap Palliser de Cook). Il est formé
par des montagnes considérables entassées confusé-
ment, fortement déchirées, dont la plupart se terminent
en pitons aigus et séparés par des ravines taillées pres-
que à pic. Celte constitution géologique, qui annonce
un sol tourmenté par de grands déchiremens de la na-
ture , se fait remarquer le long de la côte au nord du
cap Kawa-Kawa jusqu'à une grande distance. Cepen-
dant une bande de terre basse, d'un mille de large
environ , borde assez régulièrement la mer et semble
susceptible de recevoir des habitans. Aussi distinguâ-
mes-nous un feu sous le cap et même un autre à cinq
ou six milles au nord.
DE L'ASTROLABE. 79
En quittant définitivement le détroit de Cook,je 1827.
ne pus m'empècher de témoigner ma surprise des Janvier-
erreurs qui s'étaient glissées dans cette partie des tra-
vaux de ce grand homme. Ses configurations étaient
fort inexactes, et. les erreurs en longitude du premier
voyage se sont élevées à un degré et quelquefois plus.
La correction de quarante minutes qu'il indique dans
son second vovage, rectifie, il est vrai, quelques posi-
tions ; mais, sur d'autres points, elle laisse encore sub-
sister des erreurs de quinze à vingt minutes dans les
positions relatives. C'est ce qui se fera voir plus clai-
rement dans la discussion de ces points , pour la
partie hydrographique*
Hors du détroit, nous trouvâmes une grosse houle
de N. E., et nous fûmes obligés de serrer le plus
près bâbord , avec une faible brise de nord très-va-
riable. A deux heures quarante minutes du soir, nous
n'eûmes plus de fond à cinq ou six milles de la cote
par cinquante brasses.
Au cap Kawa - Kawa s'est terminée la lâche de
M. Guilbert , et le reste du travail géographique à exé-
cuter sur la INouvelle-Zélande est confié aux soins de
M. Lottin. Mon intention est de reconnaître toute
la côte orientale de l'île Ika-Na-Mawi, si le temps me
le permet, et de ne m'arrèter qu'au cap Nord.
Hier et aujourd'hui, dans la baie Inutile, notre
navire s'est trouvé souvent entouré de grandes fu-
cacées flottantes à la surface des eaux : j'en ai recueilli
quelques échantillons que j'ai fait sur-le-champ des-
siner par le jeune Lauvergne, mon secrétaire.
80 VOYAGE
,><,-. Ce matin, nos deux passagers étaient encore de
janvier. bonne humeur et semblaient disposés à nous suivre
au bout du inonde. Cependant leur gaieté semblait les
abandonner à mesure que notre vaisseau cheminait
hors de la baie. Quand nous doublâmes le cap Kawa-
Kawa, ils devinrent rêveurs et mélancoliques, Tehi-
ÎNouï surtout qui demanda bientôt à retourner chez
lui [hou ta). Il versa quelques larmes quand je lui an-
nonçai que cela était devenu impossible. Toutefois ils
consentirent à répondre à quelques questions que je
leur adressai , et j'appris d'eux , à n'en pouvoir douter,
que l'île méridionale ( du moins la partie qu'ils con-
naissent) porte indifféremment le nom de Kaï-Ko-
houraiou de Tavaï-Pounamou , et que celle du nord
s'appelle réellement Ika-Na-Mawi. Le district qui
comprend la côte depuis le cap Poli-Wero jusqu'au
cap Kawa-Kawa se nomme Tera-Witi, et celui où se
trouve le canal de la Reine-Charlotte, Totara-Nouï.
Au lieu des noms de Tera-Witi et Palliser donnés
par Cook , ils me donnèrent ceux de Poli-Wero et
Kawa-Kawa que je restituai sur notre carte aux caps
qui doivent les porter, persuadé qu'il serait ridicule
de ne pas adopter les désignations appliquées à ces
points, depuis des siècles peut-être, par des peuplades
aussi nombreuses et aussi intelligentes que celles de
la Nouvelle-Zélande.
La montagne de neige voisine du cap Campbell est
le mont Tako, et nos deux sauvages me dirent que
c'était dans les environs que se trouvait le pounamou ,
ce jade vert dont ils font leurs ornemens et leurs ins-
Janvier.
DE L'ASTROLABE. 81
trumens les plus précieux. — A diverses reprises ils
m'expliquèrent qu'il y avait du pounamou et point de
cochons sur Tile méridionale , tandis qu'au contraire
on trouvait des cochons et point de pounamou sur
celle du nord. — Le chant du Pihe leur parait inconnu,
bien qu'ils en répétassent exactement les mois après
moi, qu'ils parussent les comprendre et même les écou-
ter avec satisfaction. — Ils ont donné à la chaîne de
hautes montagnes qui se dirigent du cap Poli-Wero
vers le nord , le nom de Waï-Terapa. — Tehi-Nouï
laisse dans son pays trois femmes et quatre en fans.
INous avons déjà dit qu'au large du cap Kawa-Kawa
nous trouvâmes la mer grosse, et nos deux Zélandais
en souffrirent cruellement : ce qui acheva de les ren-
dre tristes et grondeurs. Ils déploraient sans doute
amèrement leur funeste manie de voyage et soupi-
raient après leurs foyers.
La nuit se passa sous petite voilure; au point du 3t.
jour, nous courûmes des bordées pour nous élever
le long de la cèle. Favorisés par le courant , qui
portait évidemment au N. E. , nous gagnâmes plus
que nous n'eussions pu l'espérer.
A mesure que nous avançons vers le nord , les mon-
tagnes de la côte sont moins escarpées, moins tour-
mentées, et prennent des formes plus adoucies : du
reste, on n'aperçoit pas la moindre coupée dans les
terres, pas le moindre accident qui puisse offrir un
abri, même temporaire; partout la mer brise avec
force au rivage.
.l'en suis vraiment contrarié, car je serais bien aise
TOME II. 6
8J VOYAGE
182;. de nie débarrasser de nies deux hôtes devenus fort
janvier. ennuyeux. Tourmentés à la fois par le mal de mer et le
regret du pays, ils n'ont plus gardé de retenue et se
sont abandonnés à toute leur douleur. Tehi-Nouï par-
ticulièrement est de l'humeur la plus maussade et se
plaint continuellement. Il voulait absolument que je
le ramenasse chez lui (Houta). Dans ce but, il em-
ployait d'abord les caresses , les prières et les suppli-
cations, puis les promesses qu'il jugeait le plus de
nature à me séduire. Voyant que je ne me rendais
point à ses instances réitérées pour le reconduire à
houta, il se livra à toute sa colère, et employant les
termes les plus méprisans de sa langue, il me traita de
kaore rangatira, tangata itiiti, tangata wari{$d&
gentilhomme, homme de rien, esclave). Il me parla
beaucoup aussi d'un nommé Kapane, sans doute quel-
que capitaine baleinier qui avait visité sa tribu , qu'il
me disait être son ami, dont il me vantait la puissance
et du ressentiment duquel il me menaçait parfois. Ce
pauvre homme me faisait vraiment pitié, et j'eusse
bien voulu accéder à ses vœux ; mais je n'avais pas de
temps à perdre et la côte n'était pas accessible.
Plus sage et plus résigné , Koki-Hore endurait son
mal en patience et ne disait mot. Seulement m'ayant
représenté qu'ils avaient froid , et moi lui ayant fait
comprendre qu'ils pouvaient aller se chauffer au feu de
la cuisine, il me répondit qu'il le pouvait sans danger,
lui qui n'était pas gentilhomme, mais que cela était dé-
fendu à Tehi-Nouï qui, en sa qualité de rangatira et
d'ariki, était Icipoa-tapoii (sacré au plus haut degré), et
DE L'ASTROLABE. 83
que s'il se chauffait au feu commun de nos gens, son 1S27.
Atoua (Dieu) le tuerait. Pour mieux me le confirmer, il Janv,cl-
serrait tendrement son chef dans ses bras et paraissait
désolé à la seule idée de le perdre ; il avait constam-
ment pour lui les plus grands égards et ne se départit
jamais vis-à-vis de lui des sentimens d'un serviteur
fidèle, affectionné et respectueux. Sous tous les rap-
ports, Koki-Hore était beaucoup plus intéressant que
Tehi-Nouï, et je regrettais vivement que celui-ci fût
avec lui, car il se serait certainement accoutumé à
nous et aurait même pu vivre heureux à bord. Au pre-
mier beau temps , je compte accoster la terre et les v
déposer l'un et l'autre.
Dans l'après-midi, nous avons vu un bon nombre
d'albatros , de pétrels bruns au ventre blanc , de petites
sternes, de fous à tète fauve, ainsi que des dauphins à
ventre blanc. Vers neuf heures du soir, à huit milles
de la côte, nous n'eûmes point de fond par cent
brasses. Toute la nuit, il y eut calme ou de folles brises
de la partie du nord, avec une petite pluie presque
continuelle. Nous la passâmes aux petits bords sous
les huniers.
Au jour, nous nous sommes trouvés à douze milles 1 février.
de la côte, peu loin de l'endroit désigné sous le nom de
Pointe Plate sur la carte de Cook (Tehouka-Korc de
nos Zélandais ). La terre, médiocrement élevée, des-
cend ici en pente douce jusqu'à la mer et doit être bien
peuplée , car nous avons vu plusieurs feux à la côte.
Une petite brise de N. N. E. le matin varia au S. E.
vers midi, et me permit enfin de me rapprocher de
6*
84 VOYAGE
1827. terre. A trois heures et demie du soir, nous faisons
Février. notre station à trois lieues environ de la pointe Gastle
de Cook , par soixante et quinze brasses , fond de
sable vasard et coquilles. C'est un gros morne taillé à
pic sur ses flancs , ressemblant un peu à une fortifica-
tion , et près duquel au nord se trouve un rocher
noir, plat et alongé, qui forme une petite île sous la
côte.
Les terres voisines ont encore un aspect assez agréa-
ble, mais on n'aperçoit aucun mouillage praticable.
Les coteaux sont bien boisés, et sur les sommets de
l'intérieur on distingue des arbres qui doivent être
d'une élévation prodigieuse, eu égard à l'angle sous
lequel ils se montrent, malgré leur éloignement.
Les deux naturels, toujours attristés, sont restés
couchés presque toute la journée dans le grand canot ,
les yeux languissamment fixés sur la pointe de Kawa-
Kawa qu'ils voyaient fuir derrière eux , et répétant
souvent le mot Houta du ton le plus dolent. Tehi-
Nouï, oubliant son rang et sa dignité, s'est lamenté de
la manière la plus pileuse. C'était un singulier spec-
tacle que de voir ce sauvage qui, sur le champ de
bataille , eût sans doute affronté la mort sans sour-
ciller, vaincu par la douleur, s'abandonner à toute
son affliction, et pleurnicher d'un ton plaintif comme
aurait fait un enfant boudeur auquel on a refusé
quelque chose. Cependant , il se consola un peu
dans la soirée et soupa de bon appétit. L'aliment que
ces hommes préfèrent à tout autre est le pain trempé
dans le café, et le matin ils font régulièrement la
182'
DE L'ASTROLABE. 85
revue des gamelles pour avaler ce que les matelots
Ont laissé. lévrier,
Durant la nuit, il s'éleva une petite brise de S. S. O.,
qui à onze heures varia et fraîchit à l'O. N. O. ; nous
restâmes en panne. Un feu brillait dans le S. O. et une
longue houle de N. E. régnait encore. A quatre heures i.
du matin , nous limes servir au nord , et la brise
d'ouest nous porta rapidement vers le cap Topolo-
Polo ( cap Tum-Again de Cook) , où elle nous quitta
vers les dix heures, à sept milles de terre, pour nous
laisser en calme et livrés à un courant qui nous repor-
tait au large.
C'est ici le cas de remarquer que la nature des cou-
rans, depuis le cap Kawa-Kawa jusqu'au cap Topolo-
Polo, a été tout-à-fait irrégulicre. Cette raison, jointe
au défaut de latitude observée près du premier de ces
points , a rendu la construction de celte partie de côte
très-difficile. Nonobstant tous les soins qu'a pris
M. Lottin pour approcher le plus possible de la
vérité, nous ne pouvons nous dissimuler que la carte
qu'il a dressée n'offre pas, dans cette portion, toute
la précision désirable , et qu'elle aurait besoin de
nouvelles rectifications.
Le cap Topolo-Polo est formé par une pointe mé-
diocrement élevée que surmonte un morne arrondi,
et de nature évidemment volcanique, ainsi que l'at-
testent ses lianes décharnés, sillonnés verticalement
de larges bandes blanchâtres, et son sommet échan-
cré en forme de cratère éteint. Tout ceci, joint à
une tache blanche peu éloignée dans le sud, le rend
86 VOYAGE
1827. facile à reconnaître; d'ailleurs c'est le seul point de
Février. ja c£te véritablement saillant depuis le détroit. Au
nord le rivage continue d'être très-raide, quoique
assez peu élevé, et l'on voit la chaîne des hautes
montagnes de l'intérieur se prolonger en suivant une
direction parallèle à la côte. A sept heures et à midi ,
quatre-vingt-quinze brasses de ligne ne trouvèrent
point le fond.
Presque toute l'après-midi s'est passée en calme ou
souffles légers et variables , avec un temps superbe et
une longue houle de N. E. qui parait permanente sur
cette bande de la Nouvelle-Zélande , comme celle du
S. O. l'est sur sa côte occidentale. Au soir, une petite
brise d'ouest nous a permis de courir encore huit
milles au nord , puis nous avons mis en panne pour ne
pas perdre de vue les points de la journée. Les terres
hautes dans le voisinage du cap Kidnappers commen-
cent a se découvrir.
Nos deux compagnons, fatigués de gémir inutile-
ment, ont enfin pris le parti de se taire. Nous avons
même remarqué qu'aujourd'hui Koki-Hore était plus
affecté de son voyage, tandis que Tehi-JNouï s'était
tranquillisé et semblait même à demi content de son
sort.
3. La brise mollit par degrés, et à minuit nous eûmes
presque calme. Le vent ne se rétablit qu'à cinq heures
et demie du matin au S. O. et O. où il ne tarda pas à
augmenter. Nous étions alors à quelque distance au
sud de Black-Head; nous eûmes bientôt rallié la côte,
et nous la prolongeâmes à trois ou quatre milles de
DE LASTKOLABE. 87
distance depuis ce point jusqu'au cap Mala-Mawi (cap 18-27.
Kidnappas de Cook). Elle est médiocrement élevée, *^ner-
mais son escarpement et sa nudité lui donnent un as-
pect triste et sauvage. Ce n'est qu'en se rapprochant
du cap Mata-Mawi que l'on entrevoit de nouveau quel-
ques vallons verdoyans.
A dix heures dix minutes du matin , nous rangions
rapidement à une demi-lieue environ l'île Stérile de
Cook , dont le vrai nom est Motou-Okoura. Ce n'est
qu'un rocher escarpé , nu et éloigné d'un mille au plus
de terre. \]\vpâ (ou forteresse) considérahle en occupe
la cime, et doit se trouver dans une position inexpu-
gnable. On voit, en outre, quelques cases disséminées
sur la pente de l'îlot. A la lunette nous distinguâmes
aisément les habitans en mouvement sur leur forte-
resse, et occupés à nous regarder passer attentive-
ment. Comme sur les autres points de la cote, ils
avaient eu soin d'allumer un grand feu au sommet
pour attirer nos regards.
Une pirogue bien armée se détacha de Motou-
Okoura, et vogua avec vigueur à notre rencontre. On
m'avait rapporté qu'à cet aspect nos deux naturels
avaient poussé des cris de joie ; charmé de pouvoir
leur offrir les moyens de sortir de leur captivité, je
m'empressai de mettre en panne. Déjà la pirogue n'était
plus qu'à une encablure du bord , et je leur annonçai
qu'ils étaient maîtres de saisir cette occasion pour des-
cendre à terre : quelle fut ma surprise de les voir l'un
et l'autre, à cette proposition, se désoler, couvrir
leur visage et se rouler par terre avec toutes les mar-
88 VOYAGE
1027.
ques du désespoir, déclarant avec énergie qu'ils vou-
Février. laient absolument rester à bord ! Alors ils m'apprirent
que les habitans d'Okoura étaient leurs ennemis, et
que, s'ils tombaient en leur pouvoir, ils ne pouvaient
manquer d'être mis à mort et dévorés. Ils nous invi-
taient de la manière la moins équivoque à tirer sur eux
et à les tuer. Les premiers transports de nos hôtes ne
provenaient , à ce que je sus bientôt , que de la persua-
sion où ils étaient que nous allions combattre et exter-
miner ces nouveaux venus , et de l'espoir du repas
délicieux qui, suivant leurs idées, allait devenir le
prix de la victoire.
On sent bien que je n'étais pas disposé à satis-
faire les appétits singuliers de mes deux compagnons.
J'eusse été au contraire flatté de communiquer paisi-
blement avec les habitans du rocher Okoura, pour
connaître leurs dispositions , et me former une idée de
leurs ressources. Mais le temps me pressait , je vou-
lais profiter du vent favorable , et chercher avant la
nuit un lieu propre à mouiller la corvette dans la vaste
baie d'Hawke.
En conséquence , sans attendre davantage ceux de
la pirogue qui , par une fausse manœuvre , étaient
restés assez loin derrière nous, je forçai de voiles;
après avoir suivi de très-près l'espace de huit à dix
milles une jolie grève qui règne depuis l'île Okoura jus-
qu'au cap Mata-Mawi, nous nous trouvâmes a midi à
quatre ou cinq milles au sud de celle-ci.
Le cap Mata-Mawi , pointe méridionale de la baie
d'Hawke , est très-remarquable par sa coupe étroite,
DE L'ASTROLABE. 80
angulaire , taillée à pic et complètement dépouillée de 1827.
verdure. Il en est de même des deux rochers qui Tac- Fevner-
compagnent ; ils ne sont que des fragmens détachés
de la masse du cap : vus du sud ils ressemblent à des
cônes un peu inclinés , tandis qu'aperçus du nord ils
ont plutôt l'air de pyramides quadranguIaires.Des ro-
ches à fleur d'eau forment un brisant qui s'étend à
près d'un demi-mille au large.
Depuis l'île Okoura les eaux de la mer avaient pris
une teinte évidemment moins pure ; cependant nous
trouvâmes soixante-cinq et soixanle-neuf brasses à
une lieue de terre au plus. Lorsque nous nous trou-
vâmes par le travers du cap, la couleur fangeuse des
eaux se prononça tellement qu'elle formait une ligne
de démarcation très-remarquable , et semblait annon-
cer un haut-fond. Pourtant à cinquante brasses nous
ne le trouvâmes point, et j'en conclus que cette déco-
loration complète devait plutôt s'attribuer aux eaux
des rivières et des lorrens qui doivent se décharger
au fond de cette grande baie.
D'une heure à deux , nous donnâmes dans ce vaste
bassin avec une jolie brise d'O. et O. S. O. et une
belle mer qui me promettait une navigation agréable
et sûre le long de ces côtes mal connues. Mais à deux
heures le vent sauta subitement à l'E., et vint ren-
verser toutes mes espérances , car la prudence m'obli-
geait désormais à me tenir à une plus grande distance
de terre. Ainsi, nous en prolongeâmes la plus grande
étendue à six à huit milles de distance , par quarante,
trente-quatre et vingt-quatre brasses , fond de sable
90 VOYAGE
1827. vasard , et sur une mer aussi unie que celle du port le
Février. mieux fermé.
Nous avons cru voir une île assez étendue, située le
long de la côte, qui aurait échappé aux recherches de
Cook , mais qui pourrait bien n'être qu'une presqu'île.
Il y a tout lieu de présumer qu'entre elle et la côte il
doit y avoir de bons mouillages.
Dans le sud-ouest, la baie d'Hawke nous laissait voir
de beaux paysages parsemés de bouquets d'arbres, et
sur ses bords de grands bassins d'une eau paisible,
mais qui n'offriraient peut-être pas assez de fond poul-
ies navires d'une certaine grandeur, eu égard aux
atterrissemens des torrens. Sur trois ou quatre plans
divers disposés en amphithéâtre le sol s'élève gra-
duellement jusqu'aux hautes montagnes de l'intérieur,
et dans toute la Nouvelle-Zélande cette partie est sans
contredit celle qui m'a offert l'aspect le plus riche
et le plus attrayant. Ces contrées doivent être bien
peuplées, ainsi que l'annoncent les nombreuses fu-
mées que nous voyons s'élever sur plusieurs points.
Plus au nord la côte se relève en falaises escarpées
dont les flancs, battus des vents et sapés par les Ilots
de la mer, flattent peu les yeux du navigateur, bien
que le fond doive s'y mieux soutenir qu'auprès des
plages plus abaissées au niveau de la mer.
Ce soir, nos deux sauvages étaient de bonne hu-
meur, et m'ont de nouveau déclaré qu'ils voulaient
rester à bord et aller en Europe pour voir Kapane. Il
est vrai que , débarrassés du mal de mer, ils ont re-
trouvé tout leur appétit , et cette nouvelle disposition
DE L'ASTROLABE. 91
du physique a beaucoup influé sur leur moral. Jus- iSaf.
qu'au cap Mala-Mawi , leurs connaissances de la côte Fcvner-
avaient été positives, et ils m'ont donné avec préci-
sion les noms des différens points en vue : au-delà ils
ont d'abord hésité, puis ils sont franchement conve-
nus qu'ils n'y connaissaient plus rien. Les habitans
d'Okoura sont alors leurs ennemis les plus éloignés ,
et leurs notions géographiques se sont arrêtées au cap
Mata-Mawi. Il en résultera que les noms suivans jus-
qu'à Houa-Houa seront encore ceux de Cook, sauf
un petit nombre qui me furent communiqués par les
peuples de ce dernier lieu.
A sept heures du soir, le vent ayant refusé jusqu'au
N. E., je suis resté pour la nuit sous les deux huniers
seuls , deux ris pris, courant de petites bordées sous
la côte. A neuf heures , le vent a subitement repris à
l'O., et j'ai mis en panne. A dix heures et à minuit,
nous avions quarante-trois et cinquante brasses , vase
molle. La brise a beaucoup fraîchi avec des rafales,
un temps couvert et des éclairs vifs et fréquens.
Au point du jour (quatre heures), reconnaissant les 4.
points de la veille , j'ai fait servir et gouverner au N.
IN. E., vers un enfoncement considérable, indiqué par
Cook au nord de la baie d'Hawke, et contre la pres-
qu'île Tera-Kako.
Mais le ciel se chargea de la manière la plus ef-
frayante, et nous présagea une violente bourras-
que du S. O. En conséquence, je fis carguer les basses
voiles , et serrer le perroquet de fougue et le petit hu-
nier, pour ne conserver que le grand hunier, deux ris
m VOYAGE
1827. pris et le petit foc. Cette manœuvre était à peine exé-
Fcvrier. cutée que le grain éclata subitement à l'O. S. O.; le
vent souffla durant une heure avec une violence épou-
vantable , accompagné d'une pluie abondante et très-
froide. Deux bords au plus près remplirent ce temps;
à six heures vingt-cinq minutes , le ciel s'étant éclairci
de nouveau , M. Lottin reprit la suite de son travail,
et tAst) olabe poursuivit sa route.
Vers neuf heures , nous doublions à moins d'une
lieue au sud les récifs de Tea-Houra, île arrondie, de
moyenne hauteur et escarpée de toutes parts. Sa cime
offre un plateau occupé par des buissons ou des herbes
seulement , et j'y remarquai quelques palissades qui
annoncent que cet endroit est quelquefois visité et ha-
bité par les naturels. Tea-Houra n'est séparé de la
presqu'île Tera-Kako que par une passe étroite qui
nous a semblé presque entièrement barrée par des ro-
ches à fleur d'eau.
Nous avons prolongé à moins de quatre milles de
distance la côte orientale de cette presqu'île dont la
crête offre par son élévation et sa coupe horizontale
la continuation parfaite de Tea-Houra. A midi nous
avions dépassé le cap Table qui n'en est qu'une pointe.
Dès-lors nous revîmes très-distinctement de ce côté la
langue de terre basse qui paraît séparer les eaux de la
baie d'Hawke de celles du large. Cette langue se ter-
minait à gauche par une presqu'île élevée dont l'aspect
me donnait lieu de conjecturer qu'il pourrait exister
entre elle et Tera-Kako un canal étroit, il est vrai,
mais suffisant pour faire une île de cette dernière.
DE L'ASTROLABE. 93
C'eût été un fait assez curieux à vérifier, mais auquel
nous ne pouvions songer, poussés comme nous l'é-
tions alors par une brise très-forte de l'O. qui nous
faisait filer cinq à six nœuds sous la misaine seule. Une
brume générale , jointe à ce vent forcé , couvrait
les terres; elle s'unissait aux colonnes de fumée pro-
duites par les grands feux que les naturels allumaient
presque de mille en mille, pour nous annoncer leur
présence. Du reste, un sillage rapide et régulier nous
permettait de tracer des bases certaines et étendues,
et de donner plus de précision aux opérations hydro-
graphiques.
Nous doublions à deux heures du soir le cap Young-
Nicks, mémorable pour avoir été le premier point de
la Nouvelle-Zélande aperçu par l'illustre Cook; nous
passâmes promptement devant l'ouverture de la baie
Taone-Roa dont nous ne distinguâmes que confusé-
ment les terres du fond. A quatre heures, par trente-
cinq brasses , nous fîmes une station à quatre lieues
environ du cap Gable.
On sait que ce nom lui fut donné par Cook, à cause
de sa ressemblance avec la partie du mur d'une maison
comprise entre les deux toits. C'est en effet, quand
on le voit précisément de face, la forme exacte qu'il
affecte , c'est-à-dire celle d'une section verticale et
triangulaire, blanchâtre et tout-à-fait dénudée, dans
un monticule alongé en forme de toit , tandis que ses
deux flancs sont revêtus de verdure.
La côte qui avait conservé un aspect sauvage, depuis
l'île Tea-Houra jusqu'à la pointe S. O. de Taone-Roa,
1S27.
Février.
94 VOYAGE
1827. au-delà de ce point avait repris une teinte moins sévère.
Février. Les alentours du cap Gable sont particulièrement
agréables , et il y a des sites dont une culture bien
entendue ferait sans doute de fertiles campagnes. Là
les fumées se montrèrent encore en plus grand nombre
que partout ailleurs, preuve infaillible d'une popula-
tion plus nombreuse.
Près du cap, nous prîmes un dauphin à ventre
blanc , très-curieux par son museau étroit et pointu ,
comme celui du gavial.
Vers six heures du soir , nous approchions de la
baie Tolaga de Cook, et je comptais la doubler avant
la nuit, quand la brise, qui avait déjà beaucoup molli,
tomba entièrement, et la corvette resta immobile à
trois ou quatre milles de la côte. A sept heures du soir,
nous crûmes voir un petit schooner, qui filait d'abord
le long de terre , reprendre tout-à-coup le large et
disparaître , manœuvre dont je ne pus me rendre
compte qu'en supposant que ce navire avait des motifs
qui lui rendaient notre visite peu agréable.
A huit heures , deux pirogues que nous voyions
depuis quelque temps pagayer vers nous , accostè-
rent le long du bord sans aucune défiance et comme
des gens accoutumés à voir des Européens. Ils nous
vendirent des cochons , des pommes de terre et quel-
ques objets de curiosité pour des haches, des cou-
teaux et autres bagatelles. Quarante-cinq jours s'é-
taient écoulés depuis notre départ de la Nouvelle-
Hollande , et nos provisions fraîches étaient épuisées
depuis long-temps. On peut juger avec quel plaisir
DE L'ASTROLABE. 95
celles-ci furent accueillies , surtout quand on nous eut 18*7.
appris que les cochons étaient abondans à Tolaga , et Flvllcl-
qu'on nous les céderait au plus bas prix. Terangui
Waï-Hetouma , chef des Zélandais qui étaient venus
nous visiter et qui s'annonça pour être l'un des princi-
paux rangatiras du canton , voulait renvoyer ses
pirogues à terre pour chercher des cochons et des
pommes de terre, et passer la nuit avec nous. Je ne
pouvais être que très-satisfait de cette preuve de con-
fiance, mais redoutant pour ce naturel le sort de ceux
de Tera-Witi, je m'y refusai, et le contraignis, quoique
à son grand regret , à se rembarquer dans sa pirogue.
Je lui promis du reste qu'il nous retrouverait le len-
demain matin au même endroit.
Tehi-Nouï et Koki-Hore paraissaient désormais rési-
gnés de bon cœur, car une ration copieuse de chair de
dauphin dont on les avait gratifiés , les avait mis dans
l'enchantement par la perspective du régal qu'ils se
proposaient pour le lendemain ; et le soir, un requin
qui fut aussi capturé leur valut un supplément qui
combla leur ivresse. Séduits par cette abondance , ils
semblèrent peu disposés à acquiescer au désir que
j'avais de les voir rester ici; Koki-Hore particulière-
ment ne goûtait pas du tout cette proposition.
Toute la nuit , il ne régna qu'une faible brise d'ouest
avec un temps superbe. A dix heures du soir, nous
restâmes en panne par cinquante-trois brasses, sable
vasard.
Dans la matinée, la brise ayant passé au N. N. O., 5.
et ne nous permettant plus de prolonger la côte, je me
96 VOYAGE
182-
décidai à mettre à profit ce contre-temps pour faire
Février. une petite station à Tolaga. A sept heures trente mi-
nutes , nous gouvernâmes vers la baie , et à onze
heures l'Astrolabe laissa tomber l'ancre précisément
au même point où V Endeavour mouilla cinquante-cinq
ans auparavant.
Les naturels étaient venus au-devant de nous de
bonne heure, mais je ne permis qu'à un petit nombre
de monter à bord. Arrivés au mouillage, nous fûmes
bientôt environnés de pirogues pleines d'insulaires qui
vinrent commercer avec l'équipage. Quoique turbu-
lens et bruyans dans leurs marchés, ils montrèrent
beaucoup de bonne foi , et nous ne pûmes que nous
féliciter des conditions de nos échanges. Le prix cou-
rant d'un gros cochon était une grande hache ; une
petite hache valait un jeune pourceau. Pour de
méchans couteaux , des hameçons et autres bagatelles ,
nous obtînmes des pommes de terre à profusion. On
peut juger quelle ample provision de vivres frais nous
fîmes pour l'équipage et nos tables.
pi. xlv et Sur-le-champ j'expédiai MM. Jacquinot et Lottin à
xl vi. l'anse de l'Aiguade de Cook, pour observer la latitude
et la longitude. A une heure, M. Paris partit pour
sonder les acores de la passe. Les naturalistes et le
peintre descendirent aussi à terre pour vaquer à leurs
travaux. Pour moi, je restai à bord avec les autres
officiers pour surveiller les mouvemens des naturels ,
précaution que je jugeai plus nécessaire ici que partout
ailleurs, tant à cause de leur nombre que de leur
force physique et de leurs dispositions turbulentes.
DE L'ASTROLABE. 97
Déjà peu s'en était fallu que je ne me fusse attiré i8a7.
l'animosité d'un de ces redoutables sauvages , et c était Fev|,|Pr-
ce que je voulais éviter à tout prix, surtout à cause des
personnes que la nature de leurs travaux obligeait
daller à terre. Ainsi que je l'ai déjà dit, tant que
nous étions sous voiles, j'avais repoussé toutes les
pirogues qui s'approchaient du navire , et n'avais
permis qu'au seul Waï-Hetouma , qui se disait premier
rangatifa de l'endroit, de monter à bord, avec un
autre naturel qu'il m'avait présenté comme un de ses
proches parens. Il est bon de remarquer que ce chef,
qui paraissait avoir reçu tous ses insignes à en juger par
le tatouage complet de sa figure , était un homme paisi-
ble, doux et fort honnête, et qu'il avait applaudi à
ma résolution de ne laisser monter à bord personne
autre que lui-même et son compagnon. La plupart de
ceux qui se présentèrent obtempérèrent de suite à la
défense qui leur fut faite , bien qu'avec une répugnance
visible ; mais il en vint un qui ne voulut point obéir à la
sentinelle et ne céda qu'en frémissant de rage à l'ordre
péremptoire que je lui intimai moi-même; il me fut
même aisé de voir que de sa pirogue il proférait des
menaces contre moi. A sa haute taille, à son maintien pi. lui.
altier, et à l'air de soumission de ceux qui l'entou-
raient , je me doutai que c'était un chef. En outre ,
une fille de sa pirogue qui parlait un anglais corrompu
mêlé de zélandais, ne cessait de me répéter, avec une
volubilité extraordinaire, que Shaki *, son patron,
Nous empruntons des Anglais la forme sh pour représenter ici , et dans
TOME ir. 7
98 VOYAGE
1827.
était, un grand chef, ami des Anglais , et que c'était mal
Fumer. ^ moj jg ne pas |e recevoir. Sans doute , je pouvais
me moquer de ses menaces pour moi-même; mais j'ai
expliqué les motifs qui devaient me porter à ménager
tous ces sauvages et surtout les chefs. Ainsi j'appelai
Waï-Hetouma et lui demandai quel était ce nouveau
venu si exigeant. Il convint qu'en effet Shaki était un
grand chef, et même j'eus bientôt lieu de croire qu'il
était supérieur à Waï-Hetouma pour le rang ou du
moins pour l'influence. Alors je fis signe à Shaki de
monter à bord , je lui expliquai amicalement que je ne
savais pas qu'il fût un rangatira distingué , et je lui fis
même quelques cadeaux qui achevèrent de le ramener
entièrement. De ce moment, nous devînmes les meil-
leurs amis du monde , et il fut un des derniers à quitter
la corvette dont il ne bougea pas un instant. Ce naturel,
qui semblait à peine âgé de trente ans , avait au moins
cinq pieds huit pouces , ses formes étaient athlétiques
tout le cours de l'ouvrage, un son intermédiaire en quelque sorte entre celui
du j et du ch en français. Nous leur empruntons également le w pour rendre
le son de la diphtongue ou au commencement des syllabes. Enfin , nous
ferons observer que, dans tous les mots appartenant aux langues sauvages,
les diverses lettres de l'alphabet, consonnes ou voyelles, doivent toujours
être prononcées à peu près comme nous le pratiquons pour le latin. Cependant
les syllabes gue et gui doivent se prononcer comme dans les mots français
guérir et guidon. Du reste , il est digne de remarque que le son sh ne se
rencontre jamais au milieu des mots ; il n'est même qu'accidentel au commen-
cement, et ne provient que de la collision d'une voyelle avec une autre
voyelle aspirée et initiale. Ainsi , pour écrire ici dans les règles , il faudrait
e Haki, e Hongui, e Houraki, etc., au lieu de Shaki, Shongui, Shouraki, etc.
Lors de la discussion des langues de l'Océanie, nous nous étendrons plus
longuement sur ce singulier cas de prononciation.
DE L'ASTROLABE. 99
et son air tout-à-fait belliqueux. Il me dit avoir vu plu- 1827.
sieurs Anglais et avoir été le compagnon d'armes de Ftv,ici
Pomare de Mata-Ouwi, ce conquérant célèbre de
la Nouvelle-Zélande. Le nom de Shongui-Ika lui était
aussi connu , mais il convenait qu'il ne l'avait jamais vu.
Malgré mes précautions , on voit en cette occasion
combien il s'en fallut peu que je ne me fisse un en-
nemi implacable de Sbaki. De retour à terre il se fût
peut-être vengé sur les officiers ou les naturalistes de
V Astrolabe de ce qu'il eût regardé comme un affront
sanglant fait à sa dignité : c'est ce quia dû arriver sou-
vent aux Européens , surtout chez des peuples aussi
irritables , aussi vindicatifs que ceux de la Nouvelle-
Zélande , où les chefs sont tous indépendans , et très-
jaloux les uns des autres. Ce dernier sentiment qui
rend la position des Européens encore plus délicate,
est porté à l'excès chez ces naturels : ils voudraient
tous profiter exclusivement des avantages qu'ils atten-
dent des visites des étrangers , et sont désespérés de
voir leurs voisins y participer. Nous en eûmes une
preuve bien extraordinaire tandis que nous étions au
mouillage de Houa-Houa.
A mesure qu'il arrivait de nouvelles pirogues, les
premières venues me harcelaient pour me déterminer
à faire feu dessus, et à tuer ceux qui les montaient;
cependant, au moment où ceux-ci arrivaient le long
du bord, les autres allaient aussitôt leur parler et
les accueillir comme des personnes de connaissance.
Ainsi , il était évident que la crainte seule de voir les
arrivans partager nos faveurs et nos échanges pouvait
100 VOYAGE
1827. leur inspirer une demande aussi inhumaine. Je ne fai-
Femer. gajs ^onc qUe r[re Je ce manége singulier, quand tout-
à-coup un mouvement général, une sorte de murmure
confus s'éleva du milieu des naturels ; ils jetèrent des
regards inquiets hors du navire, et bientôt je m'aperçus
que leur trouble était occasioné par l'arrivée d'une
pirogue montée de sept à huit hommes seulement,
parmi lesquels deux semblaient d'un rang supérieur.
Cette fois , nos hôtes me prièrent , me supplièrent avec
instance de tuer les nouveaux venus ; ils allèrent jus-
qu'à me demander des fusils pour tirer eux-mêmes
dessus , en un mot ils employèrent tous les moyens
possibles pour exciter mon courroux contre ces étran-
gers. Loin de me rendre à ces vœux sanguinaires , je
me plus à accueillir amicalement ceux qui en étaient
l'objet, et à leur assurer qu'ils seraient bien reçus.
Ils parurent hésiter quelque temps, et à travers le
désir évident qui les sollicitait de monter à bord se
lisait une nuance visible d'inquiétude et de soupçon.
Cependant la conduite des autres insulaires à leur
égard avait diamétralement changé-, convaincus que
je ne voulais point me rendre à leurs prières , ils pri-
rent à l'égard des nouveaux venus un air très-respec-
tueux; Shaki lui-même, jusqu'alors si fier, et le plus
empressé à me faire tirer sur eux , Shaki changea
tout-à-coup de ton : il devint modeste et silencieux ,
il poussa la déférence jusqu'à aller offrir à deux natu-
rels de la pirogue redoutée quelques grandes haches
qu'il n'avait acquises qu'avec beaucoup de peine, et
auxquelles il semblait tenir presque autant qu'à son
DE L'ASTROLABE. 101
existence. Cette manœuvre fut suivie par tous ceux 1827.
qui Savaient pas eu le temps de cacher assez bien ce Fé*rier-
qu'ils avaient reçu de nous.
Les deux chefs s'étaient enfin décidés à monter à
bord, et j'examinais attentivement leurs faces complè-
tement tatouées et. leur attitude guerrière et farouche.
Chez aucun INouveau-Zélandais je n'avais encore ob-
servé ce double caractère à un degré aussi prononcé,
pas même chez le terrible Hihi de Waï-Mate. Je m'ap-
prêtais à les interroger, après avoir capté leur bienveil-
lance par quelques cadeaux , lorsque je les vis tout-à-
coup me quitter brusquement, sauter dans leurs piro-
gues , et pousser au large. Ayant cherché à connaître
la raison de cette retraite précipitée , j'appris que les
naturels qui se trouvaient déjà à bord , et Shaki à
leur tète , avaient insinué aux compagnons de ces deux
chefs que mon intention étant de les tuer, leur vie
n'était pas en sûreté sur le navire. Voulant à tout prix
les en chasser, ces rusés sauvages n'avaient pas imaginé
de meilleur moyen que ce mensonge, et il avait réussi.
Dépilé de cette supercherie, et inquiet des suites
qu'elle pourrait avoir, je grondai ceux qui l'avaient
inventée , je me hâtai de désabuser les étrangers et les
engageai à revenir à bord. Ils parurent ajouter foi à mes
protestations; mais voyant qu'ils avaient été trompés,
ils entrèrent dans une fureur épouvantable contre les
naturels du bord, et, bien que ceux-ci fussent trois
ou quatre fois plus nombreux, les autres les défièrent
par les paroles et les gestes les plus outrageans , et je
voyais qu'ils les provoquaient à descendre à terre pour
102 VOYAGE
1827. leur rendre raison de leur insulte. Ceux du bord,
Février. mornes et confus , proférèrent à peine quelques pa-
roles.
Du reste, les étrangers ne voulurent point accoster
de nouveau , et ils me demandèrent des haches d'un
ton d'autorité; je leur répondis avec modération que
s'ils apportaient des cochons à bord , ils en auraient
autant qu'ils voudraient. Sur cela ils s'éloignèrent sans
autre communication avec nous : j'en éprouvai un re-
gret sincère, car j'eusse été bien aise de les ques-
tionner et de connaître au juste la raison de leur supé-
riorité sur nos premiers hôtes.
Ma première conjecture fut qu'ils appartenaient à
une tribu ennemie : mais ils s'étaient présentés en trop
pelit nombre pour avoir osé défier, comme ils le firent,
les autres Zélandais réunis à bord. En outre, ceux-ci
nièrent constamment que les hommes de la pirogue
fussent leurs ennemis , ils finirent même par affirmer
que c'étaient au contraire des amis et des parens à eux .
Du reste, il m'élail aisé d'apercevoir que mes ques-
tions à cet égard ne leur plaisaient point ; le plus sou-
vent ils les éludaient, surtout Shaki qui faisait tout
son possible pour détourner la conversation sur tout,
autre sujet.
Par suite de ce que je connaissais déjà des mœurs
et de la constitution politique de ces peuples , voici
l'opinion qui me parut la plus probable. Comme sur
tous les autres points de la Nouvelle-Zélande , les na-
turels de Houa-Houa vivent en petites peuplades in-
dépendantes , sous la direction ou plutôt sous la pro-
DE L'ASTROLABE. 103
tection de leurs chefs particuliers. Sans doute ceux 1827.
qui arrivèrent les premiers à bord n'appartenaient qu'à Fcvner-
des tribus faibles et sans crédit , tandis que ceux de
la dernière pirogue provenaient de quelque tribu puis-
sante et commandée peut-être par quelque ariki re-
douté, comme Shongui à la baie des Iles et Poro sur
la partie nord d'Ika-Na-Mawi. Les premiers, craignant
de voir leurs voisins leur enlever , par leur crédit et
leur opulence, les trésors de l'Europe, et voulant les
écarter, tentèrent de s'en défaire en nous engageant d'a-
bord à faire feu dessus , ensuite en leur persuadant à
eux-mêmes que mon in tention était de les détruire. Ainsi
s'explique l'arrogance des étrangers , comme la pa-
tience surprenante avec laquelle les autres écoutèrent
leurs reproches et leurs provocations. Chez ces peu-
ples, ainsi que partout ailleurs, un allié trop puissant
est souvent plus à craindre qu'un ennemi qu'on pour-
rait combattre à armes égales.
La seule tète préparée qui parut ici [riioko ?nokaï)
fut apportée dans cette pirogue, et achetée par l'agent
comptable pour quelques grains de verre de couleur :
elle était bien préparée, bien conservée, et avait ap-
partenu à quelque personnage distingué. Il est fâ-
cheux qu'elle n'ait point été apportée en France , car
elle donnait très-bien le beau type de ce peuple et les
traits d'un tatouage complet.
Ici le Pihe commence à être connu, quoique Shaki
ne pût m'en réciter que quelques strophes qu'il re-
prenait uniformément et souvent vingt à trente fois
de suite. Mais Ptau-Tangui, jeune fille très-éveillée
1827-
104 VOYAGE
de douze à treize ans, et qui s'était singulièrement
Février. attachée à moi , le récitait presque en entier, tel qu'on
le trouve dans la Grammaire des Missionnaires. L'un
et l'autre s'accordèrent à me confirmer que c'était
la prière adressée au grand Atoua du ciel, quand les
vivres sacrés lui étaient offerts sur le champ de
bataille.
La jeune Rau-Tangui paraissait intimement tenir
à Shaki, mais il me fut impossible de savoir si elle
n'était que son esclave ou si elle était sa sœur. Leurs
réponses à mes questions, variant à chaque instant
dans ces deux sens , me laissèrent constamment dans
l'incertitude à ce sujet. Avec les adoptions en usage
chez eux , il serait possible que l'un et l'autre eut lieu
en même temps , et qu'en effet le père de Shaki eût
épousé l'une de ses prisonnières, mère de Rau-Tangui.
Cette petite fille était extraordinairement vive ; son
corps était sans cesse en mouvement et son imagi-
nation était tout aussi mobile, car on la voyait rire,
puis bientôt après pleurer , et souvent faire l'un et
l'autre presqu'au même instant. Plusieurs de ses com-
pagnes prodiguèrent leurs faveurs indistinctement aux
officiers et aux matelots moyennant toutes sortes de
bagatelles. Mais il était bon d'être sur ses gardes;
car ces belles, fidèles à leurs anciennes habitudes,
non contentes des tributs volontaires qu'on leur accor-
dait , y ajoutaient tout ce qu'elles pouvaient dérober.
Ainsi l'un de nos galans chevaliers vit à sa grande
désolation disparaître tout-à-coup sa montre , et ne la
retrouva qu'entre les mains de l'honnête Shaki , car
DE L'ASTROLABE. 105
c'est ordinairement au chef suprême que finit par re- i8a7.
tourner la propriété absolue de ces objets. Février.
Nos deux voyageurs de Tera-Witi ont fait connais-
sance avec les hàbitans de Houa-Houa, et Tehi-Nouï
parait décidé à rester avec eux ; je me suis empressé de
l'affermir dans cette résolution, en lui accordant,
sur sa demande , une gargousse de poudre afin d'en
gratifier le rangatira qui le prendrait sous sa protec-
tion et lui fournirait une pirogue pour retourner chez
lui. En effet , après les fusils {pou) plus précieux pour
eux que l'or et les diamans chez nous , la poudre est
l'objet le plus essentiel à leurs yeux.
Koki-Hore paraît peu satisfait de cette détermina-
lion et préférerait rester à bord , mais l'honneur lui
prescrit de suivre la fortune de son chef.
Toute la journée il avait fait à peu près calme, et je
m'attendais à passer tranquillement la nuit au mouil-
lage, quand à six heures du soir, dans une légère
risée d'O. N. O. , nous vîmes que notre ancre chas-
sait. Vingt brasses de chaîne que nous filâmes
à l'instant ne pouvant nous arrêter, j'en conclus que
notre ancre était surjalée. Nous approchions rapide-
ment les brisans de Mouï-Tera (île Sporing de Cook),
et je ne me souciais pas de mouiller une seconde ancre,
dans la crainte d'exposer notre câble à s'engager avec
la chaîne au changement de marée. Je me décidai
donc à mettre à la voile et à sortir de la baie. Au
même instant, nos deux canots revenaient de#terre,
et le parti que je prenais était sans doute le phfs sûr.
11 restait à bord une quinzaine de naturels, dont
106 VOYAGE
1827. cinq à six femmes , qui avaient laissé partir leurs pi-
Février. rogues, dans l'intention de passer la nuit avec nous.
Ils éprouvèrent d'abord de grandes inquiétudes , et
furent tourmentés par la crainte que nous ne voulus-
sions les emmener. Je m'empressai de les rassurer en
leur expliquant la raison qui me forçait à quitter le
mouillage si brusquement : alors ils reprirent leur
confiance première , ils nous donnèrent des représen-
tations de leurs danses, et passèrent gaiement la nuit
pi.XLViii. abord.
Shaki, Rau-Tangui et deux autres rangatiras me
donnèrent de la manière la plus précise les noms des
diverses parties de la côte, depuis le cap Gable ( Pa-
Noaï-Tera) jusqu'au cap Est {PVaï-Apou). L'île Spo-
ring est Mouï-Tera , et l'île Blanche , sur la droite de
la baie en entrant , est Motou-Heka. Il est digne de
remarque que les noms de Tolaga et Tegadou leur sont
parfaitement inconnus : mais il est depuis long-temps
avéré que Cook , si plein de sagacité d'ailleurs , avait
très-peu d'aptitude à saisir les noms des peuples qu'il
visitait, et surtout à les représenter par l'écriture. Le
vrai nom de la baie Tolaga ou du moins du district qui
l'environne est Houa-Houa, et c'est celui que nous
avons adopté. Sur l'île Mouï-Tera nous pûmes con-
templer tout à notre aise ces arcades singulières
formées par la nature ou par l'effet des flots, qui
jadis attirèrent l'attention de Cook et de ses com-
pagnons.
Je fegrettai sincèrement d'avoir été contraint de
quitter si promptement cet endroit, car je me promet-
DE L'ASTROLABE.
107
tais beaucoup de plaisir à y faire quelques excursions. i Sa7.
A en juger par le récit de Gook et de son compagnon **■»"■
Banks, le pays d'alentour est très-pittoresque; en
outre , les naturels de ce canton , tout entiers encore à
leurs habitudes primitives , et à peine influencés par
leurs rapports avec les Européens , étaient pour moi
un sujet précieux d'étude et d'observations.
C'est ici que j'obtins les premiers renseignemens
positifs sur la nature du kiwi , au sujet d'une natte
garnie de plumes de cet oiseau , et qui est un des pre-
miers objets de luxe de ces naturels. Suivant eux, le
kiwi serait un oiseau de la grosseur d'un petit dindon,
mais , comme l'autruche et le casoar, privé de la faculté
de voler. Ces animaux sont communs aux environs du
mont Ikou-Rangui. C'est la nuit, aux flambeaux et avec
des chiens, qu'on leur fait la chasse. Il est probable
que ces oiseaux appartiennent à un genre très-voisin
des casoars , et je crois qu'il a déjà reçu de quelques
auteurs le nom ftJpteryx.
M. Quoy me rapporta une feuille d'une espèce de
palmier que j'avais déjà observé dans la baieTasman.
108 VOYAGE
i8a7. Malheureusement il ne portait ni fruits ni fleurs,
lévrier. ei je j^ pU reconnaître à quel genre il apparte-
nait ; tout ce que je puis dire, c'est que je suis disposé
à croire qu'il doit être voisin du Zamia ou Seafor-
thia de l'Australie. C'est le même végétal sans doute
que Cook désigna sous le titre de chou-palmiste, car
il n'y a point de véritables aréquiers dans ces pa-
rages.
La latitude qui a résulté des observations de
MM. Jacquinot etLottin s'est trouvée de 38° 22' 32"S.,
ce qui ne diffère que de 8" de celle trouvée par Cook ,
et la longitude en est de 1 7 6° 5' 35" E.
Quoique nous n'ayons pu tenir en ce mouillage , je
ne l'en regarde pas moins comme fort bon, tant qu'il
n'y a pas d'apparence de vents du N. à l'E. Seulement
il faudrait mouiller à une encablure ou deux plus à
l'ouest , vers le fond de la baie. Ce qui m'en avait em-
pêché fut le double désir d'être plus en appareillage, et
en même temps plus à portée de secourir nos gens à
l'observatoire , si cela eût été nécessaire *.
6. Une légère brise de N. O. régna toute la nuit, et
nous la passâmes paisiblement en panne , par trente-
cinq brasses , fond de sable vasard. Dès quatre heures
cinquante minutes , j'expédiai les deux petites embar-
cations sous les ordres de MM. Lottin et Dudemaine**,
pour aller mesurer une base dans la baie de Houa-
Houa , le seul élément qui manquât encore au premier
Voyez notes 8 el 9.
Voyez note 10.
DE L'ASTROLABE. 109
de ces officiers pour en dresser le plan. En même 1827.
temps , je fis porter à terre onze des naturels dont Février-
nous restions chargés ; dans ce nombre se trouvaient
Tehi-Nouï et Koki-Hore qui prirent enfin congé de
nous , et à qui je fis remettre une quantité de poudre
double de celle que je leur avais promise. En les
voyant partir je fis des vœux sincères pour leur heu-
reux retour : s'ils étaient destinés à revoir leur pa-
trie , j'étais sûr qu'ils oublieraient bientôt leurs en-
nuis à bord, et qu'ils se rappelleraient avec plaisir
les amitiés et les bons traitemens qu'ils y avaient
éprouvés.
Il ne resta plus sur le navire que Shaki, Rau-
Tangui et deux autres chefs que j'étais bien aise de re-
tenir en mon pouvoir jusqu'au retour des deux canots.
Sur ces entrefaites , un grand nombre de pirogues ar-
rivèrent le long du bord , chargées de provisions , et („
les naturels commercèrent paisiblement et avec une
grande bonne foi. Il y eut beaucoup de cochons , de
pommes de terre et de chanvre de phormium acheté a
très-bon compte. Vers onze heures , les embarcations
rentrèrent à bord, et je me hâtai de gagner le large
pour me débarrasser des naturels dont les cris et le
bavardage avec les matelots commençaient à m'ex-
céder. Nous nous quittâmes fort bons amis, quoi-
qu'ils fussent très-affligés de voir que je ne voulais
point retourner à HouaJloua.
J'ai observé que le terme de New-Zealander^ow.-
veau-Zélandais en langue anglaise) est déjà employé
dans ce district : seulement au lieu de Nouï-Tirem,
110 VOYAGE
T827. comme le prononcent les naturels de la baie des Iles,
i.vrier. jjs disent N ouï-Tirangui , ce qui donne à ce mot une
forme encore plus indigène. Le mot pakeha leur sert
aussi à désigner tous les blancs qu'ils nomment égale-
ment Iouropi (Européen). Je n'ai point observé qu'ils
eussent de dénomination spéciale pour désigner les
Anglais. Ils emploient le terme Arikiyovx un grand
chef, et celui de Tohanga (prophète) leur paraît in-
connu.
DE L'ASTROLABE. 111
CHAPITRE XÏV.
TRAVERSEE DE I.A BAIE HOITA-HOUA JUSQC AU HETART DE f.A BAIE WAXGARI.
Nous n'eûmes guère que de faibles brises du N. au 1S27.
N. E. entremêlées de calmes qui ne nous permirent Fevner-
pas de faire beaucoup de chemin. Aussi, à trois
heures du soir, une grande pirogue qui depuis long-
temps se dirigeait vers nous , finit par nous atteindre.
Le principal personnage monta à bord, et m'aborda
avec une aisance et même une grâce qui me prouvè-
rent qu'il était habitué à traiter avec des Européens.
Il m'apprit qu'il se nommait Oroua , et qu'il était ran-
gatira rahi du pâ de Toko-Malou, vraisemblablement
le Tegadou de Cook. Ce chef conservait la connais-
sance par tradition du passage de ce navigateur dans
son pays, à Houa-Houa et à Taone-Roa.
Je fis dîner avec moi Oroua qui parut très-flatté de
cette faveur, et se comporta avec la plus parfaite dé-
cence. A ma demande , il me récita très-exactement la
dernière moitié du Pihe. Nous parlâmes beaucoup
112 VOYAGE
i82:. des divers chefs de la baie des Iles , et il me parut fort
Février. au courant des guerres qui divisent les peuples du
nord. Après le repas, il me pria, me conjura d'aller
mouiller au moins vingt-quatre heures chez lui. Pour
m'y déterminer, il alla jusqu'à m'offrir gratuitement
deux beaux cochons. Je le remerciai poliment, et les
lui fis payer pour le compte de l'équipage. Sa pirogue
contenait plus de vingt de ces animaux : mais comme
nous venions d'en acheter aux naturels de Houa-Houa
tout autant que nous avions pu en loger, personne
ne se présentait pour ceux-ci. Cependant, les com-
pagnons d'Oroua avaient tant d'envie de s'en défaire,
pour n'être pas obligés de les remporter, qu'ils finirent
par les céder pour des couteaux.
A cette occasion je pus juger combien le caractère du
marin peut devenir exigeant et déraisonnable. Depuis
un moment j'examinais un des maîtres suspendu le
long du navire , et engagé dans une discussion très-
animée avec un naturel , au sujet d'un marché de co-
chon. Le maître tenait à la main deux petits couteaux
dont l'un neuf avait bien valu six liards , et l'autre
n'était qu'une vieille lame ajustée à un morceau de
bois , tout au plus propre à décrotter des souliers. En
retour de ces deux objets, le sauvage lui présentait un
cochon de soixante à soixante-dix livres, mais le
maître s'emportait contre lui en invectives dans son
patois provençal qu'heureusement l'autre n'entendait
pas. Surpris de la colère du maître, je lui demandai
s'il n'était pas content de son marché. Non , comman-
dant, reprit-il en me montrant un cochon de quatre-
DE L'ASTROLABE. 113
vingt-dix a cent livres, cest ce cochon-là que je de-
mande, et le coquin ne veut me donner que Vautre
qui est trop petit. Puis , voyant que le naturel ne
voulait point lui livrer le gros cochon , il se retira en
grommelant, et garda ses deux couteaux dont il n'eut
peut-être pas un œuf par la suite.
Les sauvages se montrèrent plus difficiles au sujet
de leurs nattes , car ils ne voulurent recevoir en
échange que des étoffes ou des couvertures, et ils
avaient bien raison.
A sept heures, Oroua, voyant que je ne voulais point
me rendre à ses supplications , suivit mon conseil et
se mit en route pour rejoindre ses foyers , après
avoir demandé et obtenu quelques feuilles de papier
et des balles, car il ajouta que les habitans de cette
côte étaient exposés à des combats fréquens et meur-
triers. Il m'avait témoigné le désir de passer la nuit
à bord, mais instruit par ce qui m'était arrivé à
l'égard de nos voyageurs de Tera-Wili , et peu jaloux
de m'exposer à emmener et à nourrir une vingtaine de
ces naturels , je m'y refusai positivement et le ren-
voyai chez lui. Pour nous, après avoir encore couru
cinq à six milles au N. E. '/4 N., nous restâmes en
panne, par cinquante et soixante brasses, fond de
vase.
Dès que le jour vint nous montrer la côte, nous
reconnûmes que nous étions à huit à neuf milles au
large de la baie de Toko-Malou, et nous profitâmes
d'une petite brise d'O. N. O. et d'O. S. O. pour nous
avancer vers le cap Est ou Waï-Apou,
Février.
114 VOYAGE
1S27. Le rivage, en général haut et montueux depuis la
,,uir- haie Houa-Houa , au-delà de celle de Toko-Malou
s'abaisse et Aient tomber à la mer en pente plus douce.
La contrée environnante présente à l'œil du navigateur
de rians bocages, de jolies vallées et deux ou trois pas
considérables. Un d'eux surtout situé au milieu d'un
espace dégagé d'arbres à une lieue environ de la mer,
par sa teinte blanchâtre, par ses cases alignées et dispo-
sées en amphithéâtre, me rappelait assez bien les petites
villes de l'archipel grec. Ce rapprochement involontaire
du berceau de la haute civilisation européenne avec
ces plages sauvages voisines de nos antipodes, faisait
naître en moi une foule de réflexions sur les destinées
des peuples et sur les causes imprévues qui peuvent
tout-k-coup les faire sortir du néant pour jouer à leur
tour un rôle brillant sur la scène du monde. Je me rap-
pelais les Gaulois , brigands si méprisés par les Grecs
policés ; les Bretons , sorte de sauvages dont Rome
dédaigna la conquête aux temps les plus brillans de
son empire. Vingt siècles ont suffi pour les élever au
premier rang des nations. Les uns viennent de faire
trembler l'Europe au bruit de leurs armes , et les au-
tres aujourd'hui dominent le monde entier par l'in-
fluence de leurs richesses et la toute-puissance de leurs
vaisseaux. Plus récemment encore, les Russes dont le
nom était à peine connu il y a moins de deux siècles,
sortis comme par miracle de l'obscurité où ils étaient
plongés, ne forment-ils pas déjà une puissance formi-
dable? Et les Américains du nord , heureux et fiers
affranchis d'Albion, dont l'existence comme nation
DE L'ASTKOIABE. 115
182-
date à peine d'un demi-siècle ; pour peu qu'ils conser
vent leur simplicité , leur sagesse et leur industrie , ne Flvr"
les verra-t-on pas sous peu de temps disputer aux
Anglais l'empire des mers !
Si, comme tout porte à le croire, l'Australie est
destinée à devenir le siège d'un grand empire , il est
impossible que la Nouvelle-Zélande ne suive pas son
impulsion , et ses en fans , civilisés et confondus avec
la postérité de l'Angleterre, deviendront eux-mêmes
un peuple puissant et redoutable. Tout semble leur
présager particulièrement de hautes destinées sur mer.
Comme la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande en-
vironnée de toutes parts des eaux de l'Océan , et pour-
vue d'excellens ports, possède en outre des forets ca-
pables de produire les plus beaux bois de mâture et de
construction, un végétal dont la fibre est propre à fa-
briquer les meilleurs cordages , et un sol susceptible
de se prêter à toutes les cultures des climats tempérés.
H n'est donc pas douteux que ses habitons ne fassent
des progrès très-rapides vers la civilisation , dès que
les Européens ouïes Australiens voudront s'en donner
sérieusement la peine, ou dès qu'il s'élèvera parmi eux
un génie supérieur qui puisse devenir le législateur de
ses concitoyens et les réunir en un corps de nation.
Alors ces cotes désertes ou peuplées seulement de
quelques pas isolés présenteront des cités florissantes;
ces baies silencieuses ou traversées de temps en temps
par de frêles pirogues , seront sillonnées par des na-
vires de tous les rangs. Et dans quelques siècles , si
la presse n'était pas là désormais pour constater par
8'
Février.
116 VOYAGE
ses indestructibles moyens les faits et les découvertes
des temps modernes , les futurs académiciens de la
Nouvelle-Zélande ne manqueraient pas de révoquer
en doute ou du moins de discuter péniblement les
narrations des premiers navigateurs , quand ils les
verraient parler des déserts, des sauvages de leur
patrie , et surtout de l'absence complète de tous les
animaux utiles à l'homme sur cette grande terre.
Au-delà de la chaîne qui borde cette partie de côte,
à douze milles dans l'intérieur environ , et géant véri-
table au milieu des montagnes secondaires qui l'envi-
ronnent, s'élève le mont Ikou-Rangui dont la cime élan-
cée domine toute cette partie de la Nouvelle-Zélande.
Nous avons continué de le voir durant plusieurs jours
et de tous les côtés du cap Est. Une fois nous l'avons
visiblement distingué à plus de vingt lieues de distance,
et c'est une excellente reconnaissance pour cette partie
de la côte. Malgré son élévation qui doit être prodi-
gieuse , il ne nous a point offert de neige , ce qui tient
sans doute à son isolement.
En se rapprochant du cap Est , la côte est bordée
par une belle plage de sable; mais cet espace doit être
peu habité , car nonobstant un beau temps , une mer
parfaitement calme et notre proximité de la terre ,
nous ne distinguâmes aucune pirogue à flot. A trois
heures et quart, nous fîmes une station, par vingt-six
brasses , sable vasard , à une lieue au sud de l'île Est
dont le vrai nom est Houana-Hokeno. Distante d'un
mille au plus du cap , ce n'est qu'une masse arrondie,
de peu d'étendue, escarpée de tous côtés et qui semble
DE L'ASTROLABE. 117
se réunir au cap par une chaîne de brisans en partie 1827.
submergés , de sorte que le passage entre les deux ne Février.
doit pas être praticable. Le cap lui-même n'est qu'un
morne en forme de cône écrasé , de cinquante à
soixante toises d'élévation , qui ne tient au reste de la
grande terre que par une langue plus basse, de sorte
qu'on le prendrait aussi pour une île à une certaine dis-
tance. Du reste , à droite et à gauche le sol est couvert
d'arbres et annonce une belle végétation.
A peine eûmes-nous doublé le cap que la mer, jus-
qu'alors parfaitement calme, parut agitée par une
houle d'O. assez forte et suffisante pour détruire en
grande partie le peu de vitesse que nous eussions pu
recevoir d'une faible brise d'O. qui continua de se
làire sentir toute la nuit. Au coucher du soleil , les
terres furent enveloppées d'une brume épaisse qui
fut de peu de durée. La sonde rapporta à dix heures
du soir quatre-vingts brasses , fond de vase , puis elle
cessa de trouver le fond.
Toute la journée, de faibles risées mêlées de calme s.
et accompagnées d'un temps charmant nous retinrent
à dix ou douze milles au nord du cap Est, sans qu'il
nous fût possible de nous rapprocher de terre. A
midi , nous commençâmes à distinguer deux grandes
pirogues qui se dirigeaient vers nous , et à deux heures
l'une d'elles montée par vingt-un naturels arriva
près du bord. Tous ces sauvages, exténués par la
longue course qu'ils venaient de faire , étaient en gé-
néral laids , noirs , et l'eau de mer qui les avait sou-
vent baignés en entier, avait, en s'évaporant, déposé
118 VOYAGE
1827. sur leur peau une croûte saline, pulvérulente et blan-
Fémer. châtre, qui leur donnait l'aspect de lépreux. Ils appor-
taient quelques cochons et des patates; mais ils se re-
fusèrent obstinément à rien accepter en échange autre
que des fusils , et ils ne voulurent pas même accoster
le long du bord. Cette défiance nous étonna, et, comme
au fond nous n'avions besoin de rien , nous cessâmes
bientôt de faire attention à eux.
Le maître-voilier tua un fou à tète fauve et deux
alcyons ; le bot fut mis à la mer pour aller les ramasser.
Depuis que nous étions près du cap Est, les fous ne
cessèrent de voltiger autour de la corvette , et depuis
le matin, malgré le beau temps, les pétrels de tem-
pête se montrèrent en foule dans notre sillage , bien
qu'on n'en eût pas vu un seul les jours précédens.
ÎXous nous demandions en riant si ces oiseaux par leur
apparition justifieraient aussi, dans ces parages si op-
posés à ceux de l'Europe , l'opinion vulgaire des ma-
rins
Une seconde pirogue arriva sur ces entrefaites , et
imita la manœuvre de la première; mais dans une
troisième qui la suivait de près , un chef d'une belle
taille et revêtu d'une couverture de laine accosta la
corvette sans hésiter, monta à bord , et ayant sur-le-
champ demandé quel était le rangatira rahi , il me
salua avec aisance , et m'annonça tout de suite qu'il
était Shaki, fils de Pomare, et chef de Waï-Tepori, et
qu'il nous apportait des cochons pour échanger contre
des fusils et de la poudre. Je lui répondis qu'il était le
bien- venu, qu'il aurait de la poudre, mais point de
DE L'ASTROLABE. 119
fusils, parce qu'ils nous étaient nécessaires pour notre
propre défense. Cela parut le contrarier, mais il prit
son parti sur-le-champ , et les marchés ne tardèrent
pas à s'animer. Plusieurs nattes neuves lurent ache-
tées. M. Sainson en eut cinq belles pour un mauvais
fusil dédiasse , et M. Bertrand s'en procura une pour
un pistolet , ou plutôt pour un reste de pistolet. J'a-
chetai moi-même six cochons, dont deux moyens et
quatre très-petits, pour trois litres de poudre. Ici les
désirs des naturels pour obtenir des couvertures de
laine (qu'ils nommaient para- ikel , corruption de
l'anglais, blanket)e,n échange de leurs marchandises
se» montrèrent plus vifs que partout ailleurs ; par mal-
licur personne ne s'était nanti de ces sortes d'objets.
Faisons observer en passant que tous les naturels
que nous avons vus jusqu'ici sur la cèle delà Nouvelle-
Zélande s'accordent h prononcer Astrolabe Atoramou,
etd'Urville Touuii. Certes sous ces nouvelles formes
il serait difficile de reconnaître les noms primitifs.
Shaki de Waï-Tepori m'a confirmé les noms de
Waï-Apou et Houana-Hokeno pour le cap Est et l'île
du même nom. Le cap qui suit immédiatement à l'ouest
est Wareka-Heka; vient ensuite la baie de Waï-Te-
pori, puis celle que Cook nomma baie d'Hicks. Enfin
la pointe la plus saillante au nord, entre le cap Est et
le cap Runaway, est celle qui doit porter le nom de
Wanga-Parawa.
Ce rangatira n'épargna non plus ni prières ni pro-
messes pour me déterminer à aller mouiller à Waï-
Tepori , près de son pà , affirmant que nous y Irouve-
1827.
Février.
1 20 VOYAGE
iSi;
rions quantité de cochons , de pommes de terre , de
Février. nattes et de femmes à notre service. Je crois en effet
que nous eussions été bien reçus , et il n'y a pas de
doute qu'un navire trouverait aujourd'hui beaucoup
plus de ressources sur cette partie de la côte que dans
les parages situés plus au nord , ruinés par les guerres
continuelles des habitans , ou épuisés par les relâches
fréquentes des baleiniers anglais ou américains.
Shaki ne quitta le bord qu'à quatre heures, après
avoir vendu tous ses cochons. Son exemple décida
ceux des deux autres pirogues , et ils finirent aussi par
céder ces animaux pour de la poudre.
À cinq heures , je profitai du calme prolongé pour
envoyer le thermométrographe à trois cent soixante
brasses de profondeur verticale. Le résultat de cette
expérience fut que la température des eaux de la mer
qui était de 1 9°, 6 à leur surface, n'était plus qu'à 7°,
7 à cette profondeur.
Au calme qui avait eu lieu toute la journée , succéda
un vent du IX. O. qui commença à neuf heures, fraî-
chit graduellement, et dès dix heures et demie nous
obligea à prendre le second ris des huniers.
9. Dès quatre heures du matin il soufflait grand frais
avec de violentes rafales. La mer s'était promptement
soulevée en lames courtes , mais creuses et très-fati-
gantes. Il fallut tout serrer et rester à la cape sous le
petit foc seul , dans la crainte de voir toute autre voile
emportée par le vent, tant il était devenu furieux. De
quatre à huit heures il soufflait par tourbillons , et la
surface des eaux ne formait qu'une nappe de pous-
DE L'ASTROLABE. 151
sière blanche; la corvette était cruellement tourmentée 182;.
par la houle , et la baleinière menaçait d'être emportée Fcvr,cr-
par chacune des lames qui venaient briser contre les
flancs du navire.
Ensuite le vent passa a l'O . S . O . , et les lames deve-
nues plus longues devinrent aussi moins dangereuses.
Du reste le coup de vent souffla toute la journée avec
une force égale. Le ciel resta clair, et nous continuâmes
long-temps de voir les terres du S. au S. O. Mais la
dérive qui nous entraînait dans le N. E. , et la brume
qui s'éleva finirent par nous dérober la vue de la
cote.
Au coucher du soleil , le ciel se couvrit , et la tem-
pête s'apaisa. A dix heures une petite pluie acheva de
faire tomber le vent. Mais la houle qui était restée très-
grosse continua de nous secouer horriblement.
Le vent ne nous laissa pas long-temps respirer. Dès i«.
deux heures du matin il reprit au S. O. avec une nou-
velle violence , et de plus accompagné par intervalles
de grains de pluie. A midi le ciel se chargea subite-
ment , et notamment dans le sud où le tonnerre gronda
au loin ; une demi-heure après le vent sauta tout-à-
coup dans cette partie en continuant de souffler grand
frais par rafales et tourbillons. Une mer affreuse s'é-
leva de cette direction , et ses lames se croisant à angle
droit avec celles du jour précédent, occasionèrent des
clapotis et des remoux qui fatiguèrent la corvette plus
qu'elle n'avait encore fait. On eut dit qu'elle se déliait
dans toutes ses parties*, et quelques pièces de l'arrière
ayant cédé, les armoires de ma chambre furent inon-
122 VOYAGE
1S27. dées, ce qui endommagea considérablement mes li-
levnei. Vres , mes effets et les cartes de la mission.
Sans doute en arrivant vent arrière et fuyant devant
la lame , nous eussions évité une grande partie de ces
tourmens. Mais je tenais à ne pas abandonner l'explo-
ration que j'avais entamée ; pour cela il fallait tenir le
travers au vent , et m'écarter le moins possible de la
côte. Nous ne portions que le petit foc sous cette allure,
et la fureur de la tempête fut telle qu'en certaines
bourrasques le navire naturellement mou devenait ar-
dent sous cette unique voile, et fila quelquefois jus-
qu'à cinq nœuds.
Les tourmentes et les averses furent continuelles
jusqu'à trois heures après midi. Alors le ciel se déga-
gea un peu , et le coup de vent s'apaisa vers la fin du
jour. La mer resta cependant excessivement grosse.
1 1. Au jour le vent avait bien diminué , et à huit heures
il ne soufflait plus que modérément de la partie du sud,
avec un très-beau temps. Malheureusement une mer
énorme et irrégulièrement tourmentée nous prenait
droit de l'avant , amortissant notre aire , et nous per-
mettait à peine de filer deux nœuds. A midi , nos ob-
servations nous ont fait connaître que, malgré tous nos
soins , les courans et la dérive, depuis soixante et douze
heures, nous avaient entraînés de plus de cent milles
auN.N. E.
1 2. La brise qui avait repris à l'ouest dans la soirée , dès
minuit , soufflait fortement de cette partie avec des
houles croisées très-pénibles. Cependant je manœuvrai
de manière à me mettre en position de doubler le cap
DE L'ASTROLABE. 12 3
Wanga-Parawa, pour peu que le vent variât au nord. 1827.
Au contraire à trois heures et demie du soir, il sere- ltv,K1-
mit à souffler tempête de l'O. N. O., avec des ra-
fales et une mer excessivement creuse et pesante.
Nous nous vîmes contraints de reprendre la cape sous
le petit foc et la voile d'étai de cape. Durant toute la
nuit , la mer se souleva de plus en plus , et parfois
des lames dune hauteur énorme imprimaient à la cor-
vette des handes effrayantes. Aujourd'hui j'admire
comment nos petites embarcations suspendues aux
flancs du navire ne furent point emportées par ces im-
menses nappes deau.
Ce ne fut que dans la matinée du jour suivant que i5.
ce coup de vent s'apaisa. Un moment vers cinq heures
nous revîmes très-distinctement la cime d'Ikou-Ran-
gui , distante alors de soixante à soixante-dix milles
pour le moins.
A sept heures quarante minutes , le vent qui souf-
flait encore avec force tomba subitement pour faire
place à une brise du S. E. qui s'annonça de manière à
nous faire redouter une nouvelle tempête de cette par-
tie. Cette fois nous en fumes quittes pour la peur ; la
brise même faiblit au point de ne pouvoir nous faire
gouverner au travers des houles qui nous ballottaient
horriblement. Du reste le ciel s'éclaircit complète-
ment, et nous jouîmes du temps le plus délicieux.
Nous avions encore perdu plus de trente-six milles
à l'E. S. E. dans les vingt-quatre heures dernières, el
je reconnus avec douleur qu'avec des vents continuel-
lement opposés et forcés, des romans contraires el
124 VOYAGE
lS*~- une mer si peu maniable, il nous serait impossible de
.Fcvrier
poursuivre notre reconnaissance. Malgré le cruel re-
gret que j'en éprouvais , je fus vivement tenté de cesser
notre travail au cap Est, et de profiter du premier
souffle favorable pour nous rendre à la baie des Iles.
Déjà mes compagnons et moi nous venions d'ap-
prendre par une pénible expérience quelle différence
immense il y avait à exécuter de faciles campagnes
comme celles de l' V farde et de la Coquille , au travers
de mers ouvertes , sans exploration suivie , sans même
une seule station hydrographique ; ou bien à pour-
suivre avec constance un travail géographique sur des
côtes périlleuses et souvent inconnues , et à lutter,
pour remplir le but de ses instructions , contre les élé-
mens conjurés. Malheureusement c'est un genre de
mérite obscur et en général peu apprécié ; mais il est
du moins à l'épreuve du temps et des caprices de
l'homme, comme celui qui rend à la navigation et à
la géographie les plus éminens services.
La nuit fut belle, et je sériai le vent tribord autant
que me le permirent les éternelles houles d'ouest, aux-
quelles venait se joindre insensiblement une lame im-
mense du nord , dont l'apparition m'étonna autant
*4. qu'elle m'inquiétait. A trois heures et demie du matin ,
ne m'estimant plus qu'à dix à douze milles du cap
Wanga-Parawa, je mis en panne pour attendre le jour.
Quand il parut, je ne fus pas médiocrement désap-
pointé de me voir encore à une distance considérable
dans l'est du cap Waï-Apou. Le courant avait à peu
près détruit toute notre route de la nuit; comme la
DE L'ASTROLABE. 125
brise resta toute la matinée faible et variable de l'O. l8a„e
au S. O. et au S. , loin de gagner, nous ne fîmes que Février,
perdre de plus en plus.
Lasse enfin de nous être contraire , à onze heures la
brise s'établit au S. E. , et ne tarda pas à fraîchir et h
nous faire filer huit à neuf milles. Bientôt nous eûmes
rejoint le cap Waï- A pou; nous prolongeâmes ensuite
toute la partie de côte comprise entre ce point et le cap
Runaway à deux ou trois milles de distance. La baie
d'Hicks qui est profonde doit offrir un bon abri contre
tous les vents, ceux du N. E. exceptés; sa pointe
du N. O. est bordée de rochers à fleur d'eau. A trois
heures vingt minutes du soir, nous fîmes une station
à deux milles au nord de cette pointe, et nous ne trou-
vâmes point de fond h quatre-vingts brasses.
Toute cette étendue de côte est généralement élevée,
montueuse et couverte de bois ; cependant elle offre
au rivage une lisière habitable et sans doute habitée ,
bien que nous n'ayons observé que un ou deux feux.
Immédiatement au sud du cap Runaway, la côte
offre un enfoncement assez profond, mais qui ne pour-
rait être utile que dans un cas de nécessité contre les
vents du nord au sud par l'est. Le cap Runaway n'est
lui-même qu'un morne arrondi, bien tranché, et qui
ne tient à la terre que par un isthme très-étroit. La
terre fuit ensuite directement au S. O., pour former
une des côtes de la vaste baie d'Abondance de Cook.
A sept heures du soir, nous venions de reconnaître
à l'ouest l'île Blanche qui n'apparaissait que par inter-
valles au travers des torrens de fumée dont elle était
126
VOYAGE
Février.
enveloppée. Nous les attribuâmes aux incendies des
naturels , et ce fut seulement lors de notre passage à
la baie des Iles que nous apprîmes des missionnaires
que celte ilenomméepar les naturels Poubia-I-Wakadi,
n'est qu'un petit volcan en combustion perpétuelle. Si
j'avais été alors informé de ce fait , j'aurais manœuvré
de manière à reconnaître de près l'ile Blanche, et
même à la visiter, si le temps l'eût permis. Grâce à ce
relard, nous eussions évité peut-être l'une des plus
terribles épreuves qui aient menacé V Astrolabe durant
toute sa campagne.
A sept heures un quart du soir, nous restâmes en
panne par quatre-vingt-dix brasses fond de vase, à
sept milles à l'ouest du cap Runaway. Le vent con-
tinua de souffler durant la nuit au N. E. , bon frais
avec des rafales et une houle immense du nord. Cette
houle extraordinaire était d'un mauvais augure à mes
yeux ; cependant je me décidai à poursuivre mes recon-
naissances; il m'en coùtaittrop d'interrompre un travail
aussi important; j'espérais d'ailleurs que le vent
DE L'ASTROLABE. 127
resterait assez long-temps à l'est pour me permettre i*»$.
de quitter la baie d'Abondance avant qu'il vînt à varier. Fl'vr,,T-
En conséquence, dès quatre heures du matin, i5.
pour ne pas perdre de temps , je fis porter prompte-
ment au sud. A cinq heures , nous pûmes reconnaître
tous les points de la côte , bien qu'elle fût enveloppée
d'une brume totale. Nous laissâmes l'île Blanche à
quatre ou cinq lieues sur tribord. Le ciel s'obscurcis-
sait de plus en plus, et, la houle persistant, je coupai
droit vers Motou-Hora. Toute la côte orientale de la
baie d'Abondance est haute et généralement uniforme ;
à la distance à laquelle nous en passâmes, rien n'indi-
quait qu'on pût y trouver aucun mouillage de quelque
intérêt.
Tout le fond de la baie , depuis cette côte jusqu'à
une pointe un peu plus haute qui s'avance vers Motou-
Hora, offre un terrain presque de niveau avec les
eaux de la mer et qui s'élève par divers plans succes-
sifs jusqu'aux montagnes de l'intérieur.
A midi, nous n'étions qu'à deux ou trois milles au
S. E. de Motou-Hora; c'est une île très-haute quoiqu'à
peine longue d'une demi-lieue sur un mille de large.
Sa partie du S. E. s'élève en un cône immense et très-
régulier, bien boisé et d'un aspect imposant. Comme
Cook , nous avons trouvé que le canal qui la sépare du
confinent avait cinq à six milles de largeur. Ce canal me
donna trente-sept et trente-trois brasses, sable vasard.
Le ciel se chargea de plus en plus, il tomba une
pluie fine , et la brume nous fit perdre de vue le mont
Edgccumbe, autre cône semblable à celui de Motou-
128 VOYAGE
182-
Hora , haut de deux cents toises peut-être et remar-
i évrier. quable surtout par sa position isolée au milieu d'un
pays fort bas, accident de sol très-rare à la Nouvelle-
Zélande.
Il n'y eut point de latitude et ce fut la première fois
depuis le cap Palliser. On entendait la mer briser avec
une fureur extrême le long de la plage de sable qui
borde la côte devant le mont Edgecumbe.
Après midi, la brise, qui avait été tout le matin
molle et variable au S. E. et à l'E. S. E , passa à
l'E. N. E., et fraîchit. La pluie augmenta en même
temps, de sorte qu'à partir d'une heure, ce ne fut
plus qu'une averse continuelle qui gêna considérable-
ment les opérations de M. Lotlin. Cependant il pour-
suivit tous ses relèvemens , et je ne voulus pas encore
abandonner notre exploration.
Nous donnâmes dans le canal formé entre Motou-
Hora et la terre. A cinq à six milles à l'ouest de cette île
nous reconnûmes les îlots et les brisans indiqués par
Cook et qui rendent la navigation de cette côte très-
périlleuse ; elle le devenait doublement pour nous , en
raison des circonstances.
Ici la carte de Cook est défectueuse, et je regrettai
vivement qu'un temps aussi mauvais me privât des
moyens de la rectifier avec toute la précision désirable.
Je prolongeai la plage à deux milles au plus, autant
pour ne pas la perdre de vue que pour ne pas trop me
rapprocher des écueils qui s'étendent parallèlement à
sa direction. D'abord très-basse à la suite du mont
Edgecumbe dans une étendue de six à huit milles , elle
DE L'ASTROLABE. 129
se relève brusquement en falaise escarpée , d'une mé- ,S2-.
diocre hauteur et bordée à sa base par une bande Fétàe*.
étroite de galets sur lesquels la mer brisait avec impé-
tuosité.
De quatre heures à six heures je prolongeais à un
mille et demi au plus cette grève sauvage, en forçant
de voiles malgré le mauvais temps , dans l'espoir de
pouvoir distinguer l'île Plate de Cook avant la nuit.
Dans ce cas j'eusse reconnu notre position , et notre
manœuvre eût pu devenir plus assurée; mais à six
heures onze minutes du soir, n'ayant rien découvert
et le ciel prenant un aspect de plus en plus sinistre,
je vis que je ne pouvais, sans une haute imprudence,
tarder à reprendre le large. Après avoir fait serrer
la grande voile et prendre le bas ris aux huniers , je
serrai le vent tribord , pour écarter directement la
terre.
En effet, notre position sur cette terre inhospita-
lière était tout-à-fait critique ; si le vent eût sauté au
nord, notre perte devenait presque inévitable. Quoi-
que la lame qui venait du N. E. fût prodigieusement
haute, et que nous la prissions presque droit debout,
la corvette se comporta bien et continua de filer cinq
nœuds jusqu'à huit heures, où les rafales devinrent
très-pesantes , accompagnées d'un déluge de pluie et
d'une mer de plus en plus mauvaise. La prudence me
força à serrer la misaine, le petit hunier et le foc d'ar-
timon, pour rester à la cape sous le grand hunier et
le petit foc seuls. Ce fut sous cette voilure que nous
passâmes la nuit , quoique j'eusse tout lieu de craindre
TOME II. [)
130 VOYAGE
iBag, de ne pouvoir doubler l'île qui devait nous restera
Février. très-peu de distance sous le vent. Mais comme nous
tombions inévitablement sur Me Plate de Cook, sur
les brisans de Motou-Hora ou à la côte sur l'autre
bord, je préférai continuer sur celui qui m'offrait au
moins quelques chances de salut.
,6. Au jour, c'est-à-dire vers cinq heures du matin, je
comptais reconnaître l'île Haute que nous devions
avoir doublée à deux ou trois milles au plus dans l'est,
ou au moins l'île Mayor qui vient plus au N. N. O.
Mais le temps était si mauvais et les rafales tellement
chargées de pluie et de brume, que notre horizon ne
s'étendait pas à une encablure de la corvette.
Pourtant à six heures notre position s'empira
encore. Le vent varia au N. E. et N. N. E., en
soufflant par véritables tourbillons , et la mer devint
affreuse. Mon estime me plaçait fort près de l'île
Mayor, et je voulus au moins prendre l'autre bordée
avant qu'il nous devînt impossible de manœuvrer.
Durant l'évolution même , le vent continua de varier
au nord , en augmentant toujours de violence. Ce fut
bientôt un ouragan furieux, les lames s'élevèrent à une
hauteur effrayante , en même temps qu'elles restaient
assez courtes , et parla même plus dangereuses. Long-
temps immobile et sourd à sa barre , le navire resta en
travers exposé comme un roc à toute la fureur des
flots, bien que le grand hunier fût en ralingue et le
foc bordé au vent. Enfin une lame plus puissante le
faisait abattre, quand l'écoute du foc échappant
aux mains de ceux qui la tenaient, cette voile, quoi-
DE L'ASTROLABE. 131
que entièrement neuve, fut à l'instant déchirée. On 1827.
réussit néanmoins h la halerbas et à la sauver. L'As- Féwfc*-.
trolabe continua son évolution et resta en travers sur
l'autre bord, sous le grand hunier seul, et la barre
toute au vent. Situation périlleuse s'il en fut, en ce
que nous pouvions engager à tout instant , sans voile
capable de nous faire arriver, et probablement en ce
cas nous ne nous serions point relevés !
Je m'empressai de faire hisser un coin de la voile
d'étai de cape , et travailler à serrer le grand hu-
nier. En ce moment même les deux poulies d'écoute
manquèrent à la fois, la ralingue de fond fut déchirée,
et la secousse fut si violente que je crus que la mâture
venait à bas.
La tempête qui soufflait par tourbillons du N. au
N- E., et la fureur des lames nous menaçaient à chaque
instant de cette catastrophe. Aussi hésitais-je à envoyer
nos marins sur les vergues, et à exposer leur vie à un
danger aussi imminent; pourtant exaltés parle péril
même, et stimulés par leurs officiers, ils s'élancèrent
avec courage dans les mâts, serrèrent le grand hunier
tant bien que mal , et remplacèrent le foc déchiré par
un autre, bien qu'ils fussent submergés complètement
quand les paquets de mer venaient déferler sur le
beaupré.
Dès-lors je fus tranquille sur le compte de la mâ-
ture; mais la perte de la corvette n'en était pas moins
assurée, si le mauvais temps continuait seulement
toute la journée. Dans ce cas mon unique ressource
était de reculer de tout mon pouvoir l'instant fatal ,
9*
132 VOYAGE
1827. et de faire en sorte que la corvette pût aller s'échouer
Février. sur ]es plages basses dans l'est de la baie d'Abon-
dance, en évitant les côtes escarpées de sa partie occi-
dentale. Ce parti offrait du moins une chance de salut
pour la vie de quelques-uns d'entre nous, c'était beau-
coup alors qu'une telle espérance. Ceux de nos com-
pagnons échappés au naufrage pouvaient rendre té-
moignage de ce que nous avions fait jusqu'à ce mo-
ment, et quelques amis des sciences auraient peut-
être applaudi à nos efforts et plaint notre destinée —
Durant quatre heures entières cet affreux désordre
de la nature nous laissa dans une situation désespérée.
La violence du vent, la fureur des vagues et l'obs-
curité dont nous étions enveloppés nous réduisaient
à la plus triste inactivité et à l'ignorance la plus com-
plète sur notre position. Seulement nous savions que
nous étions entourés de dangers de toutes parts, et
nous sentions qu'il ne fallait que quelques secousses
plus fortes pour abattre notre mâture.
Enfin vers dix heures et demie, les paquets de
brume que l'ouragan chassait, horizontalement com-
mencèrent à s'éclaircir, le zénith se dégagea peu à peu,
le coup de vent devenu plus régulier n'était plus accom-
pagné de ces bourrasques contre lesquelles toute espèce
de précaution serait inutile. En un mot , l'espoir vint
ranimer mon courage presque anéanti , et je pressentis
que nous pourrions échapper à tous les dangers qui
nous avaient menacés , dès que le vent et la mer nous
permettraient d'augmenter de voiles et de gouverner,
dès que surtout j'aurais pu reconnaître ma position.
DE L'ASTROLABE. 133
A onze heures et demie , l'horizon seul était encore 1S27.
couvert d'un rideau de brume impénétrable jusqu'à la Fevnei-
hauteur de vingt à trente degrés, et le vent soufflait
grand frais au N. N. O. , assez régulier. Alors je
descendis dans ma chambre , et j'y passai huit à
dix minutes pour changer de vètemens et jeter un
coup -d'oeil sur la carte. En ce moment mon es-
time ine plaçait à quelque distance de toute terre.
En reparaissant sur le pont et jetant les yeux tout
autour du navire , je restai confondu en découvrant
un affreux brisant qui me paraissait occuper toute
la bande de dessous le vent et distant d'un mille
au plus.
Jusqu'alors la brume nous en avait dérobé l'aspect,
et personne ne l'avait encore aperçu. Mon premier soin
fut de demander si le brisant ne nous dépassait pas de
l'avant : dans ce cas j'étais prêt à virer lof pour lof;
mais je sentais que cette manœuvre lente et incertaine
ne pouvait nous laisser presque aucun espoir de salut.
La vigie répondit qu'il ne s'étendait qu'à deux ou trois
quarts sous le vent : au même instant j'aperçus par le
travers , et à une encablure au plus, un jet de brisant
que nous dépassions à peine. Le péril ne pouvait être
plus imminent, et il n'y avait plus à hésiter. Malgré la
force du vent et au risque de nous engloutir sous une
voilure forcée, je fis larguer toute la toile possible, ri. xliv.
Cette manœuvre fut exécutée avec une admirable cé-
lérité : grâce à l'activité des officiers et de l'équipage ,
en quelques minutes, au lieu d'un chélif coin de la
voile d'élai , la corvette offrit les deux basses voiles >
134 VOYAGE
1S27. l'artimon, le toc d'artimon, le petit foc et les deux
Fémer. huniers au bas ris.
Parfois, il est vrai, cette vaste étendue de toile,
frappée par un vent impétueux , imprimait au navire
une bande effrayante ; suspendu sur la pente d'une
lame escarpée , il plongeait son plat-bord dans l'eau,
tandis que la quille devait au contraire se montrer en
entier au-dessus des flots. Toutefois notre solide cor-
vette subit avec honneur cette nouvelle épreuve, au-
cune avarie n'eut lieu ; à midi précis nous avions laissé
derrière nous les terribles récifs qui pouvaient deve-
nir le tombeau de V Astrolabe , si l'horizon ne se fût
éclairci que quelques minutes plus tard.
Un tel spectacle, horrible pour nous dans ce mo-
ment critique , eut été sans doute admirable pour un
observateur à l'abri de ses dangers. Ce récif était
formé par des tètes de roches peu enfoncées au-des-
sous de la surface de la mer. Les ondes, descendant
avec vitesse du haut de leurs masses mobiles, venaient
se précipiter contre ces pointes menaçantes , et s'y
réduire en monceaux d'écume, pour se relever l'ins-
tant d'après en gerbes arrondies, d'une blancheur
éblouissante, et qui atteignaient souvent quarante à
cinquante pieds de hauteur. Des deux côtés une vaste
nappe d'eau s'élevait et s'abaissait majestueusement et
à de longs intervalles.
Au moment même où nous passions si près de cet
écueil , la décoloration des eaux et leur mouvement
irrégulier me prouvèrent que nous étions sur un petit
fond , et qu'à chaque instant un choc fatal pouvait dé-
DE L'ASTROLABE. t&5
cider de noire sort. Mais je gardai cette observation
pour moi, et ne voulus pas même envoyer la sonde.
C'eût été une précaution inutile et qui n'eût servi qu'à
augmenter l'effroi de l'équipage déjà assez intimidé.
Comme je l'ai déjà dit, ce fut à midi précis Que nous
échappâmes à ce péril , l'un des plus grands sans
doute qu'un navire ait jamais couru. Cependant nous
n'étions pas encore sans inquiétudes , et notre situa-
tion surtout devenait des plus menaçantes si, comme
le pensaient quelques officiers , ces brisans étaient les
mêmes que ceux que nous avions observés la veille
près de Motou-Hora. En ce cas , nous étions à peine à
six ou sept milles de la côte, et en quelques heures
nous y tombions infailliblement *.
Mais ce n'était point mon opinion; j'étais sur de
m'ètre élevé davantage au nord, et je persistais à pen-
ser que durant la nuit nous avions du passer au vent
de l'île Haute. En effet la vue de l'île Mayor, que nous
ne tardâmes pas à apercevoir dans le N. O., et de l'île
Haute au sud, vint confirmer cette conjecture. Tou-
tefois par précaution je continuai à porter le plus de
voile possible et à serrer le vent au plus près bâbord.
Dans l'après-midi, le vent et la mer s'apaisèrent
sensiblement. Dès quatre heures , la brise était mo-
dérée , les lames adoucies avaient cessé de déferler,
et la corvette s'élevait sans efforts sur leurs cimes.
Enfin, à six heures du soir, nous reconnûmes par-
faitement les îles Blanche et Mayor. Nos relèvemens,
l'oyez nolP> i i cl 19..
1827.
levi ier.
136 VOYAGE
l8a7- joints aux observations de la latitude et de la longi-
Kvner. tucje ^ termjn£renl ma longue inquiétude et me prou-
vèrent que nous étions hors de danger. M. Jacquinot,
infatigable à poursuivre les observations astronomi-
ques qm étaient devenues ses attributions spéciales ,
s'était effectivemeut procuré, à midi et à trois heures
du soir, des hauteurs du soleil qui lui avaient donné
le moyen de conclure notre position pour midi. Mais
la hauteur des lames et la violence du roulis atté-
nuaient beaucoup la confiance que je devais accorder
à leurs résultats ; ce ne tut qu'à la vue des deux îles
que je viens de nommer que je fus complètement
rassuré.
Si l'on réfléchit aux circonstances de cette naviga-
tion depuis trente-six heures, on sentira aussi que
notre travail , relativement à la baie d'Abondance , ne
méritera pas la même confiance que sur les autres
parties de la Nouvelle-Zélande. Hier, à midi, la lati-
tude nous a manqué, et nous avons dû recourir à
celle de Cook pour Motou-Hora. En outre, le temps
affreux que nous avons eu depuis hier au soir ne nous
a permis aucune observation suivie.
Malgré la peine que M. Lottin s'est donnée pour
s'écarter le moins possible de la vérité dans cette
partie de sa carte , on doit donc la regarder comme
presque hypothétique , et il faudra une nouvelle re-
connaissance pour la mettre au niveau des autres
parties de ce grand travail. Quoique je sois fort
disposé à croire que nous avons dû passer la nuit der-
nière à très-peu de distance au vent de l'ile Haute ,
DE L'ASTROLABE. 137
j'avoue que je n'ai aucune preuve de ce fait. Aussi les '827*
iles Plate et Haute et la partie de la côte correspon-
dante ne figurent sur notre carte que d'une manière
systématique. Le brisant qui manqua devenir si fu-
neste à F Astrolabe n'est lui-même indiqué que par
approximation.
Durant le coup de vent furieux que nous venons
d'essuyer , l'indication du baromètre s'est encore trou-
vée inutile. Le mercure est descendu , il est vrai, mais
au fort de l'ouragan, et il eût été un peu tard alors
pour prendre les précautions nécessaires. L'énorme et
sourde lame observée près de quarante-huit heures à
l'avance, était un indice beaucoup plus assuré, et
par la suite je ne manquerai pas d'y avoir égard. Du
reste, ces affreuses bourrasques du N. N. E. sont bien
connues des naturels qui leur donnent le nom de ma-
rangai-nouï. Ils en redoutent les effets, et, pour s'y
soustraire, ils se réfugient dans leurs cavernes ou se
tapissent dans leurs huttes. C'est aussi pour éviter de
les voir emportées par ces terribles tourbillons qu'ils
ont soin de donner à celles-ci si peu d'élévation , et de
les abriter autant qu'il est possible par des rochers ou
des arbres situés dans leur voisinage.
Rassuré sur noire position actuelle , à sept heures
du soir, je réglai la voilure pour la nuit et j'allai me
jeter sur ma couchette. Exténué de fatigue, j'avais le
plus grand besoin de repos et j'eus bientôt fermé les
yeux. Je sommeillais à peine depuis un quart-d'heure,
quand on vint m'éveiller de la part de M. Guilbert qui
me taisait avertir qu'on venait encore de découvrir un
138 VOYAGE
i8a:. brisanl au vent, distant de quatre ou cinq milles du
Février. navire. Toute inquiétante que fût cette nouvelle , je
me contentai de recommander à M. Guilbert de ne pas
venir au vent du N . N. O. et de redoubler de vigilance.
En effet, je me sentais si accablé, que je n'eus point le
courage de monter sur le pont ; je pensais d'ailleurs
qu'en cet état ma présence n'y serait d'aucune utilité.
Bientôt on eut perdu de vue ce prétendu danger , car
tout me porte à croire que ce ne fut effectivement
qu'un effet de lumière réfléchie sur les flots de la mer,
et qui leur donnait l'apparence de brisans , comme cela
arrive fréquemment.
A Svdney, M. Marsden, en me pariant de ses voya-
ges à la rivière Tamise, m'avait raconté que du som-
met des monts Moe-Hao qui séparent ce golfe de celui
de l'Abondance , il avait aperçu à la hauteur de la baie
Mercure, et à quarante milles de distance, une île
volcanique dont il avait très-bien distingué les tour-
billons de flamme et de fumée. Le témoignage des natu-
rels lui avait en outre confirmé l'existence de ce volcan
isolé sur les flots de l'Océan. Jaloux d'en assurer la
1 7. position géographique , je courus long-temps dans la
matinée au N . N . E. dans l'espoir de le rencontrer au
lieu qui m'était indiqué. Ma recherche fut inutile, et je
crus alors que ce renseignement de M. Marsden n'avait
aucun fond de vérité et ne devait son origine qu'à
quelque conte fabriqué par les sauvages. Ce ne fut
qu'en apprenant un mois plus tard, à la baie des Iles,
de la bouche des missionnaires de Pahia, que Pouhia-
1-Wakadi (île Blanche deCook) était un véritable vol-
DE L'ASTROLABE. 189
can, que je reconnus la vérité du récit de M. Mars- ii>-:.
den. Il n'y avait d'erreur que sur la dislance de cette icvncr-
île à la côte qui était presque du double; mais l'île est
fort haute, et M. Marsden se trouvait lui-même sur
une montagne fort élevée, ce qui explique le fait.
Vers huit heures un quart du matin, la sonde,
envoyée à cent soixante et dix brasses, ne trouva
point le fond. Le thermométrographe descendit, dans
cette expérience, de 18° , (> qu'il marquait à la sur-
face des mers à 10°, 4 h cette profondeur.
La journée fut belle ; mais le vent, établi à l'ouest ,
nous réduisit à courir des bordées pour nous rappro-
cher des terres de la baie Mercure. A midi , nous
primes celle du sud, et au coucher du soleil nous
reconnûmes distinctement le piton de l'île Touhoua
(île Mai/or) dans le S. S. O. et à huit à dix lieues
de distance. Au-delà et aux bornes de l'horizon comme
une ligne de brume légère , se distinguaient aussi les
montagnes élevées de la côte.
Aujourd'hui j'ai acquis la triste conviction du peu
de confiance que j'avais à fonder sur les marins de
l'Astrolabe , si des circonstances forcées, des mal-
heurs imprévus me réduisaient à ne pouvoir leur pro-
curer leur ration accoutumée. Nos dernières commu-
nications avec les naturels nous avaient procuré du
porc frais et des pommes de terre d'excellente qualité
et en abondance. Depuis huit jours, les matelots rece-
vaient malin et soir de la viande fraîche, et, ayant
égard au vil prix qu'elle avait coulé, j'avais augmenté
la ration. Aujourd'hui, pour économiser les légumes
140 VOYAGE
l8a. (ne sachant pas trop où je pourrais m en procurer de
Février. nouveau) , on leur avait distribué par mon ordre des
pommes de terre , à raison de trois cents grammes par
individu, au lieu de cent vingt grammes de légumes.
Qu'en est-il résulté? Des plaintes générales *. J'en ai
été peu surpris, et comme il n'y avait point nécessité
absolue, j'ai renoncé à cette mesure de précaution.
Mais il m'a été pénible de voir combien l'esprit de nos
marins était mauvais. J'éprouve les tristes conséquen-
ces de l'indifférence qui fut apportée au port à la for-
mation de l'équipage. O Bougainville, La Pérouse,
d'Entrecasleaux , que vous fûtes mieux partagés ! Les
matelots qu'on vous donna se montrèrent dignes de
participer à de pareilles entreprises ; ils endurèrent
avec courage les privations les plus pénibles ; c'étaient
des hommes Mais c'est un maFsans remède et sur
lequel le meilleur est de fermer les yeux. D'ailleurs,
les officiers sont excellens, les maîtres paraissent bons,
et, dans l'équipage, on peut compter jusqu'à cinq ou
six hommes de confiance Avec ces élémens et de
la persévérance, un capitaine peut encore aller loin.
l8. Dès que le jour a paru, nous avons reconnu l'île
Touhoua et en outre les deux «principaux Aldermans.
Les calmes et les folles brises d'ouest ont continué de
s'opposer à notre marche. Toutefois , à six heures du
soir, nous étions parvenus sur le méridien de la pointe
orientale de Touhoua et à dix milles à l'est du groupe
des Aldermans. Ceux-ci sont un amas confus de dix à
* l'oyez noie i3.
DE L'ASTROLABE. 14 1
Nous continuâmes de courir au plus près bâbord,
et vers midi nous passâmes à trois lieues d'un groupe
d'îles situé devant la baie Mercure (Witi-Anga) dont
l'entrée ne se dessina qu'imparfaitement à nos regards.
189.7.
Février.
douze rochers arides et dépouillés , dont deux ou trois
méritent à peine le nom d'îlots.
Les côtes d'Ika-Na-Mawi se montrent dans un éloi-
gnement de sept ou huit lieues , sous la forme d'une
chaîne élevée, peu accidentée, et dont l'uniformité
n'est rompue que par la présence de quelques pitons
plus aigus.
Le thermométrographe envoyé de nouveau vers une
heure après midi, par cent cinquante brasses de pro-
fondeur, ne trouve point de fond, et le mercure ne des-
cend cette fois-ci que de 5°, 3. Il avait marqué à la
surface de la mer 19°, 5.
Le vent d'O. persista et nous continuâmes à fou- r9
voyer. Aux angles horaires du malin, vers huit heures
et demie, nous relevions les Aldermans au sud à dix-
huit milles environ. A cette distance, le plus oriental
de ces îlots se présente sous la forme singulière d'une
aiguille très-aiguë et fort déliée.
li? VOYAGE
i32:. Cependant M. Lottin traça avec soin le plan des îles
Février. qui bordent la côte en ces parages : un groupe en-
tier laissé sans désignation par Cook a reçu plus tard
le nom de iï Haussez , en souvenir de l'intérêt que ce
ministre a paru prendre aux travaux de l'Astrolabe.
Contrarié par l'éternel vent d'O. et pressé par le
temps , je renonce au mouillage de Witi-Anga , et di-
rige la corvette vers la rivière Tamise (baie Shouraki).
Dans la crainte de perdre un moment je me décide
même à contourner l'ile de la Barrière (île Otea) par
l'est, ce qui rendra d'ailleurs notre exploration plus
complète.
Du reste, la température quoiqu'un peu fraîche (le
thermomètre se maintenant entre 1 7 et 1 8°) est déli-
cieuse , la mer est aussi calme que la surface d'un
étang, et la navigation est douce. Aussi l'équipage
n'offre plus un seul malade, et l'on ne se douterait
guère que V Astrolabe cingle à peu près sur les anti-
podes du détroit de Gibraltar.
ao# Au point du jour, la terre qui n'avait cessé d'être
en vue toute la nuit, s'est montrée à moins de deux
lieues au vent très-distinctement, et l'île entière d'Otea
s'est développée dans toute son étendue. Elle est for-
mée par une chaîne de montagnes élevées, sillonnées
par des ravins profonds et généralement stériles. Une
petite île située sur la partie N. E. d'Otea, dont nous
n'avons passé qu'à deux milles et demi , offre cet
aspect aride au plus haut degré. Sur la côte entière
d'Otea nous n'avons remarqué aucun indice d'habitans
ni d'habitations; aucune fumée même n'a signalé la
DE L'ASTROLABE. 148
présence d'un être appartenant à l'espèce humaine. *»->-
Février.
o?
A midi, nous étions précisément à TE., et à moins
d'une lieue de la pointe nord d'Otea. De ce côté, cette
île est terminée par une presqu'île dépouillée de ver-
dure, d'une teinte rembrunie et dont les flancs battus
par la mer ont quelque chose de lugubre et d'impo-
sant. Elle est en outre accompagnée de quelques ro-
chers aigus qui affectent les formes les plus bizarres ,
et dont quelques-uns sont fort déliés au sommet. C'est
ce qui nous a fait donner à cette partie d'Otea le nom
de Pointe des Aiguilles. En ce moment la sonde a in-
diqué soixante-quinze brasses , vase jaune et dure.
A mesure que nous dépassions la Pointe des Ai-
guilles , nous découvrions successivement les nom-
breuses îles dispersées à l'entrée de la baie Shouraki,
coup-d'œil qui produisait l'effet le plus pittoresque
et le plus animé. Ici le travail de Cook était encore
fort inexact , et une nouvelle exploration était in-
dispensable.
Avec le vent d'O . N . O. qui régnait, je me flattais déjà
de pouvoir doubler la pointe nord d'Otea , et de péné-
144 VOYAGE
, ^ . t rer clans la baie Shouraki par lecanal que formententre
Février, elles les îles Otea etShoutourou. Un grain assez noir
qui se forma dans le S. O. m'en empêcha , et je repris
bâbord. A une heure et demie, le grain éclata avec
impétuosité, mais il fut de peu de durée. Bientôt le
ciel s'éclaircit de nouveau; toutefois le vent s'était
rétabli au S. S. O.; il fallut me tenir au large des îles ,
après avoir reconnu la Poule et les Poussins avant la
nuit. A onze heures du soir, un météore très-lumi-
neux brilla d'un vif éclat dans l'est durant quelques
secondes.
2I Quand il a fait jour, nous avons bientôt reconnu
toutes les terres de la veille , et en même temps que le
courant nous avait fait dériver de huit à dix milles au
nord. Aussi, avons-nous commencé à entrevoir les îles
Tawiti-Rahi [Pauvres Chevaliers de Cook) et les som-
mets déchiquetés de Tewara {Bream-Head), quoique
distans les uns et les autres de près de vingt-cinq
milles.
A midi nous passions à six milles au nord des îlots,
en apparence inhabités , de Moko-Hinou. La brise
ayant varié au S. E. et même à l'E. S. E., je condui-
sais la corvette sous toutes voiles vers le havre de
Wangari où je comptais jeter l'ancre avant la nuit.
Malheureusement , au moment où nous arrivâmes par
le méridien de la pointe orientale du groupe de Moro-
Tiri (et il était déjà quatre heures et demie), la brise
mollissant beaucoup nous permit à peine de filer plus
d'un nœud. Il m'était impossible de reprendre le
large, et je me décidai à gagner comme je pourrais le
DE L'ASTROLABE. 145
mouillage de Wangari , avec la sonde à la main. Nous 1827.
prolongeâmes à moins d'une demi-lieue de distance la B'éOTier'
chaîne étroite et sourcilleuse des îles Moro-Tiri. Sur
leurs rives désertes on n'entendait que le bruit mono-
tone des flots venant mourir à la plage, et les cris
d'épouvante de quelques oiseaux de mer.
Jusqu'à minuit nous eûmes successivement qua-
rante-huit , quarante-cinq , trente-huit , trente-cinq ,
trente-deux et trente brasses, gravier et coquilles. Il
nous fallut manœuvrer à chaque instant pour profiter
des moindres souffles , et ne pas accoster la terre de
trop près dans la position resserrée où nous nous trou-
vions. A minuit , le fond décrut progressivement à
vingt-neuf, vingt-six et vingt-deux brasses. A quatre
heures et demie du matin, par dix-sept brasses, je restai 11.
en panne le grand hunier sur le màt; et à six heures,
ayant reconnu la cote à moins de trois milles, je fis
servir pour faire route vers le cap Rodnev. Bientôt le
ciel , jusqu'alors assez beau , se chargea beaucoup
dans l'est, une forte houle de cette partie se souleva, et
parut nous présager un retour complet de mauvais
temps. Instruit par une récente expérience, je ne ju-
geai pas à propos de m'exposer à la fureur du vent
sur une plage ouverte et sans abri : il me parut plus
prudent de l'attendre dans un mouillage où je serais à
couvert.
En conséquence , je fis gouverner vers le fond de
la baie de Wangari où je comptais mettre V Astrolabe
à l'abri du cap Tcwara. Par malheur nous étions tom-
bés déjà trop sous le vent : un banc se présenta sur
TOME IC. tO
IS27.
14Q VOYAGE
noire route , et force nous fut de laisser tomber l'ancre
lévrier. ^ l'ouvert de la baie dans un point mal abrité contre le
vent régnant.
A peine étions-nous mouillés , que le ciel s'étant
chargé de toutes parts , le vent souffla avec force du
S. E., accompagné d'une pluie abondante, et soule-
vant une forte houle. Néanmoins nous ne tardâmes
pas à distinguer une longue pirogue de guerre qui
s'était détachée du fond de la baie , et s'avançait vers
nous de toute la vigueur de ceux qui la montaient ,
car ils manœuvraient avec une extrême habileté. Il
pi. xlix. n'était pas sans intérêt de voir cette longue et frêle
embarcation surgir et disparaître alternativement au
travers d'une lame assez creuse. Les naturels por-
taient tous le costume national de la Nouvelle-Zélande,
c'est-à-dire des nattes en mouka [phoimium te?iax)
plus ou moins grossières , à l'exception d'un seul indi-
vidu proprement vêtu d'habiliemens anglais. Je le
pris d'abord pour quelque déserteur établi parmi ces
insulaires , d'autant plus qu'il accosta la corvette sans
hésiter, monta à bord, demanda le rangatira rahi,
et s'avança vers moi d'un air fort délibéré. Ce ne fut
qu'en l'entendant parler, et examinant de plus près ses
traits à demi tatoués , que je le reconnus pour un véri-
table insulaire.
Bientôt, au moyen d'un langage mi-anglais , mi-
zélandais, qu'aidaient souvent des gestes significatifs,
je parvins à connaître que mon hôte se nommait
Rangui. Il était fils de Tekoke, premier chef de la
tribu de Pahia , sur la baie des Iles, que j'avais eu
DE L'ASTROLABE. Ul
occasion de visiter quatre ans auparavant. Il se disait 1827.
avec orgueil compagnon de Pomare , et , bien qu'il Fcvrier-
s'efforçât de cacher une partie de la vérité , je soup-
çonnai bien vite qu'il se trouvait encore en ce moment
engagé dans quelque expédition militaire contre les
peuplades de la baie Shouraki.
L'un de ses lieutenans nommé Nataï, décoré d'un
tatouage assez régulier, attira notre attention : l'habile
pinceau de M. de Sainson a fidèlement reproduit les
traits, le moka (tatouage) et le caractère de figure
de ce guerrier zélandais. pi. xliii.
Rangui me fit comprendre qu'il avait résidé quelque
temps à Port-Jackson où il avait acquis ses manières
semi-européennes. Pour achever de me convaincre,
il me déploya avec beaucoup de gravité un chiffon de
papier que je pris d'abord pour quelque certificat de
capitaine baleinier. En effet, c'était bien un certificat,
mais au nom de deux individus de Sydney qui attes-
taient avoir hébergé Rangui quelques jours* chez eux,
ajoutant que celui-ci leur avait promis en retour de leur
envoyer des lances, des coquilles et autres objets cu-
rieux de son pays. Ces deux messieurs invitaient en
conséquence tous les capitaines entre les mains des-
quels ce papier viendrait à tomber, à rappeler soi-
gneusement cette promesse au porteur. Cette plai-
sante invitation m'amusa beaucoup, et je pensai que
ceux qui la verraient songeraient à en tirer parti pour
eux-mêmes plutôt que pour les deux camarades de
Port-Jackson. Du reste, je remis à Rangui, d'un air
très-sérieux , son écrit , comme si sa teneur m'eut
148 VOYAGE
18?:.
donné d'utiles renseignemens sur son compte , et il
Février. parut très-satisfait.
Après avoir examiné un moment le temps , notre
navire et notre mouillage, avec autant d'aplomb qu'eût
pu faire le pilote le plus expérimenté , il me déclara
que nous étions fort mal placés , qu'il allait faire très-
mauvais , et que notre navire périrait certainement si
nous ne changions pas de position. En même temps il
m'indiquait le fond de la baie , en m'assurant que nous
y serions parfaitement en sûreté , et déployait toute
son éloquence pour me persuader de m'y rendre. Sans
doute il avait raison, je le savais bien ; et plus que lui
j'eusse désiré pouvoir conduire la corvette à l'abri de
la presqu'île Tewara : mais le temps qui régnait ne me
permettait pas de tenter aucun mouvement. Te Ran-
gui , qui ne pouvait comprendre mes raisons , s'épuisait
en démonstrations pour me faire quitter ce mouillage ,
et y joignait les menaces les plus énergiques d'un pro-
chain naufrage. Voyant enfin qu'il ne pouvait me dé-
terminer, il l'envoya sa pirogue et ses gens à terre et
resta seul avec moi.
Sur le désir que je lui témoignai, il me donna avec
intelligence et complaisance les noms en langue du
pays de toutes les terres et îles voisines, que j'ai subs-
titués comme à l'ordinaire à ceux de Cook. Sur des
côtes occupées par un peuple doué d'autant de saga-
cité , et qui n'avait pas laissé un îlot , un rocher, un
coin de terre sans lui assigner une dénomination, il
devenait bizarre pour le navigateur de ne voir figurer
que des noms anglais , souvent d'assez mauvais goût.
DE L'ASTROLABE. lii)
Il esl beaucoup plus intéressant pour lui de retrouver 1827.
]es noms des naturels. Du moins est-il certain d'être Féw*«Pi
entendu de ceux-ci , et de pouvoir se faire indiquer le
lieu où il compte diriger son navire , la tribu qu'il dé-
sire visiter. Sans doute c'est pour lui un devoir sacré
que de respecter les noms imposés par le premier dé-
couvreur à des lieux inhabités ; mais partout ailleurs
je pense que ceux des indigènes doivent prévaloir dès
qu'ils sont une fois connus ; il vient d'ailleurs un temps
où ces noms sont pour le pays les seuls vestiges du lan-
gage que parlaient ses primitifs habitons.
Immédiatement après avoir mouillé , j'envoyai
M. Paris pour sonder tout autour du navire du N. O.
au S. O. , et déterminer la limite des cinq brasses. Le
résultat de son opération fut qu'il y avait fond presque,
à toucher la côte. Comme nous en étions à plus de
deux milles de distance, cette certitude me rassura en
me faisant voir qu'en cas d'accident, nous aurions
beaucoup de chasse.
Le temps menaçait de plus en plus ; à onze heures
je tentai d'appareiller pour m'avancer un peu plus dans
la baie; mais notre cabestan, naturellement mauvais,
laissait glisser la tournevire à chaque secousse vio-
lente que la lame imprimait à cette dernière. Je crai-
gnis que cette manœuvre , au lieu de nous être avan-
tageuse, ne nous devînt funeste ; ainsi je me décidai à
garder notre poste, d'autant plus que l'ancre avait
tenu bon , quoique nous n'eussions encore que qua-
rante brasses de chaîne à l'eau.
Le temps s'étant un peu amélioré vers trois heures,
1,0 VOYAGE
1827. j'expédiai M. Lotliii vers le fond de la baie pour en
Février. lever le plan. Il revint sur les cinq heures et demie ,
après avoir reconnu un excellent mouillage et l'entrée
d'un beau canal qui doit être l'embouchure de la rivière
Wangari.
Te Rangui a passé joyeusement la journée à bord ,
et se décide à y passer aussi la nuit. Mais rien n'a pu
le déterminer à nous accompagner au fond de la baie
Shouraki. L'idée seule de communiquer avec les habi-
tans de cette contrée a semblé lui causer une véritable
terreur. Ni prières , ni promesses n'ont pu vaincre sa
répugnance , pas même l'offre d'un fusil , appât si
puissant sur l'esprit du Nouveau-Zélandais. Il m'a ap-
pris que Temarangai, chef distingué dans ces cantons,
habitait les bords du Wangari ; il a ajouté qu'il allait
lui annoncer notre arrivée , et l'inviter à nous apporter
des cochons, si nous voulions seulement l'attendre
trois ou quatre jours.
Toute la nuit , la houle a été très-forte , la brise fraî-
che et inégale , et le ciel chargé. V Astrolabe roulait
bord sur bord, mais sans trop fatiguer.
23. Sur les cinq heures du matin, voyant que le vent
et la houle ne me permettaient pas d'appareiller, j'ai
voulu mettre à profit ce retard forcé pour visiter la
baie , l'entrée de la rivière et l'établissement de Rangui.
Suivi de MM. Quoy, Lottin, Lauvergne et de Rangui,
je me suis dirigé avec la baleinière vers la pointe de
sable située au N. N. O. de notre mouillage.
PL xl. Sur notre route , nous avons rencontré les trois pi-
rogues de Rangui qui se rendaient à bord. La plus
DE L'ASTROLABE.
151
grande, ornée sur l'avant et sur l'arrière, de plumes
et de touffes de poil , offrait le long de son plat-bord ,
une suite de sculptures en bas-reliefs, peintes en rouge,
souvent enrichies d'incrustations de nacre, le tout
exécuté dans le meilleur goût zélandais. Rangui
1827.
Février;
adressa quelques mots à ses guerriers; puis il per-
sista à m'accompagner dans mon excursion, malgré
l'offre que je lui fis de le déposer sur ses pirogues. Un
banc considérable qui s'étend à près d'un mille de la
plage de sable rétrécit l'entrée de la baie de Wangari
de manière à ne lui laisser qu'un demi-mille de lar-
geur. Son intérieur offre un excellent mouillage, on y
est abrité de toutes parts , et le vent du sud qui pour-
rait seul y pénétrer ne peut y amener de houle à cause
de la configuration des terres voisines. Le long de la
terre haute, vers le nord, on trouve dix à douze brasses
jusqu'à loucher la côle.
L'entrée de la rivière elle-même a un demi-mille
d'ouverture , et s'étend ensuite en un vaste bassin de
152 VOYAGE
1827. deux ou trois milles de large, où des navires comme le
Février. nôtre pourraient sans doute entrer. Nous avons dé-
barqué près de la pointe du nord , et j'ai gravi avec
M. Lottin jusqu'à la cime d'un petit morne qui domine
à la fois le bassin extérieur et le bassin intérieur. De ce
point, ma vue pouvait errer à son gré sur les sommets
ombragés de Tewara , que surmontent des pitons dé-
charnés et souvent disposés comme les doigts de la
main , sur les plages basses et sablonneuses qui bor-
daient du côté opposé le canal situé à mes pieds , et
surtout sur le vaste et paisible bassin des eaux du
Wangari, environnées de toutes parts d'une végétation
robuste. De riantes îles s'élèvent à sa surface, et le
cours de la rivière disparaît au travers des montagnes
situées au couchant.
Probablement , comme tous ceux qui ont été re-
connus jusqu'à ce jour dans ces îles, ce fleuve, malgré
l'aspect imposant de son embouchure , n'est qu'une
large crique d'eau salée aboutissant bientôt à un tor-
rent plus ou moins volumineux , qui , dans les cha-
leurs et à basse mer, n'offre souvent qu'un filet d'eau.
Cette disposition des rivières de la Nouvelle-Zélande,
si conforme en apparence à ce qui a lieu dans la Nou-
velle-Hollande, tient pourtant, suivant moi, à une
cause toute différente. A la Nouvelle-Zélande, je l'at-
tribuerais tout naturellement à l'extrême irrégularité
du sol , à la hauteur des montagnes , et surtout au
peu de largeur des îles dont se compose cette terre et
qui ne permet point aux cours d'eau d'atteindre un
volume considérable avant de s'épancher dans la
DE L'ASTROLABE. 153
mer. Il est inutile de prouver que la même raison ne 18*7.
serait point admissible pour le continent australien. ll'vril'r
Tout en admirant la beauté de la scène qui nous
environnait et la vigueur de la végétation , je m'éton-
nais du silence qui régnait de tous côtés et de l'absence
de toute créature humaine sur un sol aussi fertile.
Mais je me rappelai les habitudes belliqueuses des
Zélandais et surtout les guerres d'extermination que
les peuples du Nord viennent déclarer chaque année
aux malheureuses tribus de la baie Shouraki. En
effet, en rôdant aux environs, j'eus bientôt décou-
vert, au travers des broussailles qui recouvraient le
sol , les débris épars de nombreuses cases. Un village
avait naguère occupé cette éminence , et ses habitans
avaient été détruits ou s'étaient enfuis vers l'intérieur,
afin de se soustraire aux fureurs des tribus de la baie
des Iles, guidées successivement par Koro-Koro,
Pomare, Shongui, etc.
Ici , malgré la circonstance la plus favorable aux
recherches entomologiques , un soleil piquant après
une longue pluie , j'eus occasion de remarquer de
nouveau la disette singulière de diverses espèces d'in-
sectes sur le sol de la Nouvelle-Zélande. Point de co-
léoptères, ni de lépidoptères, seulement quelques
orthoptères, hémiptères et diptères, comme locustes,
criquets, punaises et mouches, etc. Les oiseaux
étaient plus nombreux, mais très-farouches. D'ex-
cellentes huîtres recouvraient les rochers , et de
larges fucacées tapissaient les intervalles que ceux-ci
laissaient entre eux au fond de la iner près du rivage.
154 VOYAGE
1827. Dès que M. Lottin eut terminé son travail, qui
1 evner. dura une heure environ, je m'acheminai vers la station
de Rangui, qui s'était établi dans une petite plaine
sous les flancs mêmes de la presqu'île Tewara et à
l'abri de tous les vents. Un rapide coup-d'œil, jeté
sur son établissement, m'eut bientôt convaincu qu'il
n'était que temporaire; ce n'était qu'un camp volant
dans lequel ce rangatira s'était placé avec sa troupe
comme en vedette, en attendant le reste de l'armée.
Deux ou trois huttes en branchages servaient de ten-
tes ; une grande quantité de corbeilles , remplies de
racines de fougères [Nga doua)\ nombre de poissons
suspendus à l'air pour sécher, et dont la plupart, à
demi corrompus , exhalaient une odeur infecte , des
paquets de lances et quelques fusils couverts de nattes ;
voilà quel était le bagage de ces aventuriers. Point de
cochons , aucune apparence de terre cultivée , seule-
ment un beau coq dont je fis l'emplette.
Comme ils s'étaient presque tous rendus à bord, il
ne restait à la garde du camp qu'un homme , deux ou
trois femmes et quelques enfans.
Ayant questionné Rangui d'une manière plus précise,
après quelques faux-fuyans , il finit par m'avouer qu'il
conduisait en effet l'avant-garde de l'expédition mili-
taire dirigée cette année par les peuplades de la baie
des lies contre ceux de Waï-Kato, dont ils avaient
juré la ruine. 11 attendait de jour en jour l'arrivée des
autres chefs ses alliés pour s'avancer vers le sud. 11
fut ravi d'apprendre que je devais aller mouiller à
Paroa ; ses yeux se remplirent de larmes quand je lui
DE L'ASTROLABE. 155
dis que je verrais son père Tekoke , et il m'en exprima
sa joie par toutes sortes de témoignages d'amitié.
Etrange réunion , chez ces sauvages , d'affections si
tendres avec les mœurs les plus féroces !
Comme je jugeai que le temps allait me permettre
de mettre à la voile , je dissuadai Rangui de revenir
avec nous , et pris congé de lui. A mi-chemin , je ren-
contrai les trois pirogues qui retournaient à terre.
Déjà je me félicitais d'être débarrassé de ces hôtes si
importuns au moment d'un appareillage, quand, à mon
arrivée, je fus tout-à-fait contrarié d'apprendre que
six d'entre eux étaient restés à bord. Sur-le-champ ,
je les fis rembarquer dans la baleinière et jeter à terre
sur le point le plus voisin. Toutefois ce mouvement
entraîna un retard de deux longues heures , et il était
midi précis quand nous appareillâmes.
1S27.
Février.
15G VOYAGE
CHAPITRE XV.
EXPLORATION DE i.A BAIE SUOIJRAKI, DIXOU VERTE DU CANAJ.
DE 7,'aSTROLAUE.
1S27. Nous gouvernâmes au S. E. !/4 E. avec une jolie
Février. petite brise de nord, en prolongeant la côte à deux ou
trois milles au large. Depuis le mouillage jusqu'au cap
Papaï-Outou qui forme la pointe méridionale de la
baie Wangari, la côte est basse et nue et ne se relève
qu'auprès du cap où elle devient en même temps un
peu boisée. Au-delà, ce n'est qu'une suite de dunes
uniformes et presque dépouillées jusqu'à quatre ou
cinq milles du cap Tokatou-Wenoua (cap Rodney de
Cook). Alors la terre se relève encore et prend un
aspect moins triste. Sur notre gauche , nous laissâmes
les sommets élevés de Moro-Tiri , Taranga et le rocher
Toutourou , semblable à un coin de mire isolé, et
sans apparence de verdure.
A sept heures du soir , nous passions précisément
entre le cap Tokatou-Wenoua et la haute île Shou-
DE I/ASTROLABE. 157
tourou , à moins d'une demi-lieue du premier et en- i8?.:.
viron à dix milles de l'autre. Février.
La pointe de Tokatou-Wenoua n'est pas elle-même
bien élevée , et ce n'est qu'à quatre à cinq milles dans
l'intérieur qu'elle est surmontée par un piton de cent
cinquante toises environ de hauteur.
La sonde qui, toute L'après-midi, avait indiqué trente-
deux et trente-trois brasses, descendit à quarante près
du cap, bien que la distance à la côte fût deux fois
moindre. Après l'avoir dépassé, son indication rede-
vint uniforme et de trente-une à trente-trois brasses ,
comme auparavant , jusqu'à mi-chenal entre la grande
terre et Shoutourou. La nuit fut très-belle , et nous la
passâmes paisiblement en panne.
Dès quatre heures du matin je gouvernai à l'O. S. •.>.'..
O. pour nous rapprocher du cap Tokatou-Wenoua.
Quand le jour nous permit de reconnaître les terres,
je vis que le courant nous avait entraînés durant la
nuit de six à sept milles vers le cap Moe-Hao (cap Col-
ville de Cook). Je manœuvrai pour suivre la côte
d'aussi près qu'il me serait possible , car mon intention
était de m'en foncer dans les îles de l'ouest que Cook
n'avait vues qu'à la hâte et d'une manière fort vague ,
tant je tenais à compléter le travail de ce grand navi-
gateur.
Quoique le vent fût devenu très-mou, à huit heures
nous passâmes vis-à-vis d'une pointe très-avancée,
terminée par quelques îlots , et derrière laquelle doit
se trouver un excellent mouillage. Un instant après ,
un écueil à fleur d'eau se montra sur l'avant du na-
158 VOYAGE
1S27. vire : nous en passâmes à quatre cents toises, tandis
Fevner. qUe ^j Giùlbert allait le reconnaître. Ce n'est qu'un
petit plateau peu étendu et qui n'offre point de danger,
ayant tout à l'enlour dix-sept brasses d'eau.
Nous cinglâmes ensuite devant un vaste enfonce-
ment qui doit contenir plusieurs îles , baies et canaux.
Vers deux heures , nous donnions à pleines voiles
entre une île située sur bâbord (Tiri-Tiri-Matangui)
et une presqu'île sur la droite qui ne tient à la grande
terre que par un isthme fort étroit. Dans ce canal qui
a deux ou trois milles de largeur, le fond décroissait
régulièrement de vingt à dix-sept brasses. Ensuite
nous nous trouvâmes dans un golfe spacieux sur la
bande occidentale de la baie Shouraki, où nous
fûmes obligés de courir des bordées pour nous élever
dans le S. O.
Ce beau bassin a dix à douze milles d'étendue en
tout sens. Au S. E. il est bordé par une chaîne d'îles
médiocrement élevées et bien boisées; àl'O. par une
côte uniforme , taillée à pic , triste et stérile ; au N. N.
O. un large canal parait s'enfoncer dans les terres :
mais je préférai diriger mes recherches vers une autre
ouverture dans le sud , qui devait, suivant mon calcul,
me rapprocher de la côte opposée de la Nouvelle-Zé-
lande , et réduire à très-peu de chose la largeur d'Ika-
Na-Mawi sur ce point. Je n'étais pas même éloigné de
penser qu'il pouvait exister ici un canal qui partagerait
cette terre en deux îles.
Nous n'avons remarqué aucune trace d'habitans ,
seulement deux ou trois fumées fort loin dans l'inté-
DE L'ASTROLABE. 159
rieur. On ne peut douter que cette extrême dépopu- i»a^
lation ne provienne des ravages de la guerre. Fewiw*
La brise ayant beaucoup molli et varié à l'O. S. O.,
dans la soirée, nous laissâmes tomber l'ancre par
douze brasses , vase molle , à quatre milles de la
côte. En peu d'inslans l'équipage pécha à la ligne une
immense quantité de beaux poissons et de la chair
la plus exquise. Dans l'après-midi, un petit squale
marteau avait quelque temps suivi la corvette.
Le branlebas se fait à cinq heures, et quelques mi- ->.5.
nutes après l'Astrolabe est sous voiles. Le vent fixé
au S. S. O. nous réduisait encore à louvoyer, et je
prévis qu'il nous faudrait une bonne partie de la jour-
née pour atteindre la passe du sud. Afin de mettre
ce temps à profit , je sautai dans la baleinière avec
MM. Lottin, Gaimard et Lesson, pour aller explorer
les canaux intérieurs , laissant la corvette , sous la
conduite de M. Jacquinot , s'avancer à petites bordées
vers la passe. A la distance d'une demi-lieue environ,
nous prîmes plaisir à voir l Astrolabe sillonnant les
eaux tranquilles d'un bassin environné de terre de
tous côtés : son corps légèrement balancé sur la sur-
face des flots , ses voiles doucement enflées par une
brise légère , contrastaient vivement avec le silence
absolu de la nature. Perdue comme un point sur l'im-
mensité des mers, la niasse d'un navire reprend toute
son importance dès qu'elle est rapprochée d'objets
qu'on puisse lui comparer. L'effet que ce spectacle
produit est peut-être plus frappant encore pour le na-
vigateur qui, renfermé dans cette demeure flottante,
l<; ii VOYAGE
i.sa;. en trouve d'ordinaire les dimensions rétrécies en raison
1 . vricr. (je }a g£ne qU'i] y éprouve.
Au bout de deux heures nous donnâmes dans la
passe qui avait excité notre curiosité. Sur la gauche
se trouve une île (Rangui-Toto) basse à ses extrémités,
surmontée d'un piton au centre, et dont la végétation
très-active contraste d'une manière singulière avec la
nudité des terres qui occupent la rive opposée. Nous
nous trouvâmes ensuite dans un beau bassin intérieur
qui nous offrit régulièrement six à huit brasses
d'eau , et se divisait bientôt en deux canaux : l'un se
dirige vers l'est, et nous ne pouvions en distinguer
l'extrémité*, l'autre qui courait à l'ouest nous sem-
blait borné par des terres à deux ou trois lieues de
distance.
INous pénétrâmes dans celui-ci , et débarquâmes sur
sa rive droite. Tandis que M. Lottin faisait une station
géographique sur le sommet d'un piton que dès la
veille nous avions remarqué de très-loin , je jetais un
coup-d'œil sur la campagne d'alentour. Recouverte en
abondance par des plantes herbacées , il n'y croissait
que des buissons et point d'arbres. Déjà les chaleurs
semblaient avoir détruit une grande partie des végé-
taux , et ce sol quoique assez fertile en apparence me
parut privé d'eau douce , car je ne pus y découvrir
qu'une mare d'eau saumâtre. Les oiseaux y étaient
fort rares : nous ne pûmes tirer que quelques espèces
de rivage; nous devons noter cependant une caille
analogue à celle d'Europe. Le long de cette plage
nous éprouvâmes une chaleur à laquelle nous n'étions
iSa-
DE V ASTROLABE. 161
plus accoutumés depuis notre arrivée sur les côtes de
la Nouvelle-Zélande. Février-
A midi et demi , nous nous sommes rembarques ,
pour traverser le bras de mer, et nous avons mis pied
à terre sur la rive du sud. Au bord de l'eau nous trou-
vâmes un village abandonné , composé de plus de cent
cabanes ; mais nous vîmes que ce n'était que des huttes
en simples branchages , construites seulement pour
servir momentanément d'abris aux naturels dans leurs
grandes parties de pêche ou lors de leurs excursions
militaires.
Toujours préoccupé de l'idée que la mer devait se
retrouver à une très-petite distance au sud , je résolus
de franchir l'isthme étroit qui nous en séparait , ou du
moins d'atteindre un monticule éloigné de deux lieues
environ , du sommet duquel j'espérais découvrir les
deux mers. Je pris Simonet avec moi, et MM. Loti in
et Gaimard, à qui je communiquai mon projet, voulu-
rent m'accompagner. Celte société m'était aussi utile
qu'agréable : car au travers de ces solitudes inconnues
on court le risque d'être rencontré à chaque instant
par des sauvages dont les intentions peuvent être
suspectes. Du reste, je plaçais ma confiance sur ce
que je n'emportais rien qui pût exciter leur cupidité.
Simonet seul avait un mauvais fusil, et je l'aurais
cédé promplement pour peu que je me fusse vu serré
de trop près ou par une troupe nombreuse.
Nous fûmes d'abord favorisés par un petit sentier
bien battu qui se dirigeait précisément vers l'endroit
où je voulais aller. Long-temps même je crus qu'il
102 VOYAGE
1 827. allait nous conduire à quelque habitation. Durant une
février. heure environ , nous cheminâmes au travers de co-
teaux couverts de hautes fougères, d'arbrisseaux et
quelquefois de bois taillis , coupés par des ravines où
coulaient des ruisseaux d'une eau très-fraîche. A
noire grand regret, notre sentier s'effaça peu à peu
et finit par disparaître aux approches d'un petit bois
plus touffu que les autres. Toutefois, comme nous n'é-
tions plus qu'à deux milles de l'éminence que je vou-
lais atteindre , nous tentâmes de poursuivre notre
route. Mais après une demi-heure d'efforts inouïs ,
de fatigues extraordinaires qui nous permirent à peine
d'avancer de deux cents pas , nous nous trouvâmes
dans un lieu si marécageux , si enlacé de fougères ,
broussailles sèches et arbrisseaux, qu'il nous devint
impossible de poser un pied devant l'autre. Dans une
tentative qu'il fit pour pénétrer plus avant, M. Gai-
mard fit une chute et faillit se blesser dangereuse-
ment*. D'ailleurs il ne suffisait pas d'aller, il eût fallu
revenir, tâche encore plus difficile quand nos forces
auraient été épuisées. Quoiqu'il m'en coûtât, je voyais
la nécessité de nous en retourner, ce que nous exécu-
tâmes d'un pas plus modéré. Les véroniques ligneu-
ses, les leptospermes, les épacridées, quelques cypé-
racées, et surtout la fougère comestible, forment la
principale végétation de ces déserts. Aucune trace de
culture ne s'offrit à nos regards. Outre le sentier que
nous suivions, nous n'observâmes d'autres vestiges
* forez note 14-
DE L'ASTROLABE. 163
du passage de l'homme que quelques arbres abattus
et divers espaces de terrain fraîchement remues pour
arracher des racines de fougère [nga doua) , une des
bases principales de la nourriture des habilans de ces
régions.
Des hauteurs voisines, nous remarquâmes que le
canal où se trouvait notre canot débouquait à l'ouest
dans un vaste bassin qui s'étendait indéfiniment au
nord. Il est très-probable que celui-ci doit communi-
quer avec le canal que nous avions observé la veille
au soir dans le N. N. O. de noire mouillage. Tout in-
dique qu'en ces parages l'île Ika-?va-Ma\vi est morcelée
par une foule de canaux et de criques qui doivent
former des baies et des havres meilleurs les uns que
les autres.
Vers trois heures et demie, nous quittâmes cet
endroit , et une heure après nous étions de retour à
bord. Profilant de la marée qui lui était favorable,
M. Jaequinot avait amené la corvette à l'entrée de la
passe, entre l'île Rangui-Toto et les terres de Taka-
Pouni. Dès que la baleinière fut hissée, je fis servir
les amures à tribord, décidé à donner de suite dans le
canal oriental. Poussé par un» jolie brise de S. O., je
doublai rapidement au vent l'île Rangui-Toto. A cinq
heures trente-cinq minutes , au moment où nous dé-
passions sa pointe méridionale à moins de trois cents
toises de distance, la sonde qu'on jetait alternative-
ment des deux bords et sans discontinuer, diminua
rapidement de six à cinq, cinq et demie et même
moins de quatre brasses. Inquiet, j'allais virer de
1 r
I 8 -J! 7 .
Février
164 VOYAGE
1827. bord , malgré des brisans qui nous cernaient de près
revner. dans le sud , quand le jet suivant nous donna six
brasses , puis le fond augmenta successivement jus-
qu'à huit brasses. Cependant , à six heures et demie ,
je me voyais entouré de terres de toutes parts et le
canal s'était beaucoup resserré. Craignant de tomber
dans un lieu moins favorable pour mouiller, et ne
voulant pas aller plus loin , je laissai tomber l'ancre de
tribord par huit brasses , fond de vase. Vingt brasses
de chaîne à la mer suffirent pour nous mettre à l'abri
de toute inquiétude. La nuit fut très-douce , et je pus
enfin goûter un repos parfait *.
26. Dès cinq heures du matin , impatient de pour-
suivre nos découvertes, avec une petite fraîcheur de
S. O. accompagnée d'un temps charmant, je remis à
la voile pour avancer dans le canal où nous avions pé-
nétré. Mais le vent , après avoir varié au S. et S. E.,
tomba tout-à-fait à sept heures et demie , et nous
laissa en calme plat. Au même instant , trois pirogues
que nous observions depuis long-temps , et qui étaient
parties de la plage du sud , arrivèrent le long du bord.
Bientôt j'appris qu'elles appartenaient à Rangui , chef
puissant de cette côte : Un-même, revêtu d'une tunique
écossaise, se trouvait dans la plus grande de ces em-
barcations. Sur mon invitation il monta à bord sur-le-
champ et sans défiance , s'avança vers moi d'un pas
grave et assuré, et me proposa le salut d'étiquette
(shongui). J'exigeai que tous ses guerriers restassent
* Voyez note 1 5.
DE L'ASTROLABE. 165
dans leurs pirogues, et ne permis qu'à lui et h son !827.
frère et compagnon d'armes, Tawiti, de monter sur la Février.
corvette, ce qui ne parut lui causer aucune répu-
gnance.
Te Kangui , dont la taille atteignait cinq pieds neuf pi. i,xxi.
pouces, était un fort bel homme dans toute l'étendue du
mol; sa démarche était noble et imposante, et les traits
de son visage, quoique ornés déjà de sillons nom-
breux, marques de son rang, respiraient un air de
calme , de confiance et de dignité remarquables. Nous
ne tardâmes pas à être ensemble le mieux du monde ,
et dans le cours de la longue conversation qui eut lieu
entre lui et moi , voici les principaux renseignemens
que je pus saisir.
Les naturels de Shouraki se trouvent engagés dans
des guerres continuelles avec les peuples du nord, qui
viennent chaque année ravager leur territoire. — Les
armes à feu donnent un immense avantage à ceux-ci ,
et Rangui témoignait le plus vif désir d'en obtenir pour
sa tribu. — Un an s'était à peine écoulé depuis qu'il
avait combattu à coups de fusil contre le redoutable
Pomare. — Après avoir échangé plusieurs balles, Po-
mare avait enfin succombé ; comme de coutume , son
corps avait été dévoré sur le champ de bataille , et sa
tète préparée en moJw-mokaï était conservée dans le
pâ de Waï-Kato, principale forteresse de la ligue des
peuples de la baie Shouraki. — Je pouvais en devenir
maître pour quelques livres de poudre ; il ne s'agissait
que d'attendre quatre ou cinq jours, temps rigoureu-
sement nécessaire pour envoyer un messager chercher
If, fi VOYAGE
1837, cette tète à Waï-Kato.... Cette proposition était assu-
Février. rément séduisante pour moi , et j'aurais été jaloux
de rapporter en Europe la dépouille dernière d'un
guerrier devenu si fameux dans ces régions antarcti-
ques. Malheureusement l'exploration de la Nouvelle-
Zélande n'était pour la campagne qu'une opération
du second ordre, et mes instructions me prescrivaient
de me l'endre entre les tropiques.
Rangui etTawiti, empressés de satisfaire à mes ques-
tions , me donnèrent en outre les noms des districts ,
des canaux et des îles dont nous étions environnés.
Cest ainsi que les noms suivans vinrent figurer sur
notre carte, savoir : Rangui-Toto pour l'île volcanique
située au N. O. du mouillage, Taka-Pouni pour la
plage opposée , Waï-Tamata pour le canal de l'ouest ,
Waï-Mogoïa pour un canal au sud, et Waï-Roa pour
un troisième situé à l'est. On me confirma que le
Waï-Tamata ne communiquait point avec la mer oc-
cidentale; mais on me répéta à diverses reprises et
d'une manière positive , qu'en suivant le cours du
Waï-Mogoïa on pouvait arriver en un endroit séparé
seulement par une marche très-courte des bords du
Manoukao , grand port situé sur la cote ouest de la
Nouvelle-Zélande.
Ce renseignement me parut si important que je
conçus à l'instant le projet d'en vérifier l'exactitude.
Aussitôt je proposai à Rangui de rester à bord avec
Tawiti , tandis que j'enverrais quelques-uns de nos
officiers à Manoukao, sous l'escorte de ses guerriers.
Tl y consentit de si bonne grâce et d'un air si ouvert,
DE L'ASTROLABE. 167
que je ne pensai pas qu'il y eut le moindre danger pour 1827.
mes compagnons. En conséquence je laissai retomber *«*■""•
l'ancre à très-peu de distance de l'endroit où nous
avions passé la nuit : puis à dix heures la baleinière
partit sous les ordres de M. Lottin , qu'accompa-
gnaient MM. Guilbert, Gaimard , Bertrand et Fa-
raguet. Un guide donné par Rangui était chargé
de les conduire et de les faire respecter au nom de
ce chef.
M. Lottin avait ordre de s'avancer jusqu'à Manou-
kao afin de reconnaître la mer occidentale , mais en
combinant ses opérations de manière à être de retour
au canot avant la nuit. La plus grande circonspection
dans leurs rapports avec les naturels leur était re-
commandée à tous. Trop de catastrophes funestes , à
dater d£ la découverte de Tasman , jusqu'à l'enlève-
ment du Boydh. "Wangaroa, avaient tristement signalé
le passage des Européens en ces parages , pour me
permettre d'être parfaitement tranquille sur les dispo-
sitions de ces peuples aussi faciles à irriter que bar-
bares dans leurs vengeances.
En même temps , j'envoyai la yole , sous les ordres
du maître d'équipage , faire du bois sur une petite île
voisine , nommée Koreha. Son sommet en forme de
cratère et les pierres ponces trouvées à sa base attes-
tent que son origine est également volcanique , bien
qu'elle soit aujourd'hui presque entièrement recou-
verte d'épais tapis d'une herbe très-verte.
Rangui déjeuna avec moi et se comporta fort dé-
cemment à table; puis il renvoya tous ses gens avec
1 68 VOYAGE
i8j:. leurs pirogues à terre, restant seul à bord avec
Février. Tawiti. Parmi diverses choses qu'il me raconta , voici
celles que je notai avec plus de soin.
Il n'avait connaissance que de trois navires venus
avant nous dans ce même endroit , savoir : le Koro-
man (Coromandel , capitaine Downie) ; le Pateriki
(sans doute , suivant ce que j'ai soupçonné depuis , le
Saint- Patrick que montait M. Dillon); enfin le Loui-
siarm que je supposai un navire américain. — Ce der-
nier avait échoué et manqua périr en voulant passer
par le canal de Pakii. — Le district de Tamaki qui
avoisine les bords du Mogoïa reconnaît pour chefs
principaux Rangui, Kaïwaka et Tawiti, tandis que
Manoukao est sous les ordres d'un grand rangatira
nommé Toupaïa , que mes deux hôtes appelaient leur
père. — Sans doute ce n'était qu'un titre de .respect
ou d'adoption, puisqu'ils m'expliquèrent un peu plus
tard que leur véritable père était Houpâ, chef puis-
sant, naguère établi près de l'embouchure du Waï-
Kahourounga (rivière Tamise} , mais qui avait suc-
combé avec une foule de ses guerriers à une épi-
démie crueile qu'ils attribuaient à la colère du Dieu
des Anglais. — Dans leurs idées superstitieuses ,
c'était l'apparition de M. Marsden parmi eux et l'in-
tercession de ce tohunga ou prophète puissant, qui
leur avaient valu ce terrible fléau ; mais ils ne pou-
vaient assigner aucun motif spécieux à cette ab-
surde opinion. On sait d'ailleurs que, durant tout son
voyage dans ces contrées , M. Marsden vécut dans la
plus parfaite intelligence avec ces peuples. Quoi qu'il
DE L'ASTROLABE. 169
en soit , regardant désormais ces lieux comme dévoués 1 8a7-
à la vengeance céleste , les enfans de Houpâ et leurs
compagnons frappèrent leurs antiques demeures d'un
éternel tapou, et vinrent s'établir plus au nord delà rive
gauche du golfe Shouraki. — Toute cette cote prend
le nom de Ware-Kawa, tandis que celle de Test retient
plus particulièrement celui de Shouraki. Waï-Kato,
situé à trois ou quatre journées de distance vers le
S. S. E. et l'arsenal de ces insulaires, est commandé
par Kanawa et défendu par mille guerriers , qui sur-
le-champ se mettraient en marche , dès qu'on aurait
des nouvelles de l'arrivée de Shongui à la baie Shou-
raki. — Rangui me raconta la mort misérable de Hihi,
l'un des plus redoutables compagnons de Shongui ,
qui s'était noyé l'année précédente dans le bassin
même où nous étions mouillés. Sa pirogue avait cha-
viré dans un grain violent, et son corps était devenu la
pâture des poissons , destinée la plus funeste pour un
guerrier dans les idées de ce peuple. — 31 on hôte sur-
tout ne cessait de répéter avec emphase qu'il avait tué
et mangé Pomare, montrant avec orgueil sa tunique
écossaise, comme trophée de sa victoire, exuvias
indutus Achillis... A l'entendre, il préparait le même
sort à Shongui, dès (pie cel ui-ci oserait se mesurer avec
lui. — Cependant quand je vins à parler par hasard
de Rangui de Pallia , que j'avais rencontré à Wangari ,
la jactance de mon héros diminua tout-à-coup pour
faire place à une inquiétude très-marquée et qui avait
quelque chose de comique. Il s'informa à diverses re-
prises des forces de cet ennemi, de ses projets, et sur-
170 VOYAGE
i9»j* tout demanda plus de vingt t'ois de suite s'il n'allait
Février. pas arrjver incessamment. Tout annonçait que cette
nouvelle l'agitait cruellement et qu'il était vivement
tourmenté de savoir son ennemi déjà si près de lui.
Ayant voulu connaître quelle serait ma conduite dans
le cas où Rangui qu'il surnommait avec mépris Touke
pour le distinguer de lui-même , viendrait à paraître
près de la corvette , je lui répondis qu'étant égale-
ment l'ami de tous les Zélandais , je ne lui ferais aucun
mal, mais que je ne souffrirais point non plus qu'au-
cun de mes hôtes fût attaqué ou même insulté sur
mon vaisseau. J'ajoutai que tant que lui Rangui de
Tamaki et les siens seraient sous ma protection, il
ne pouvait leur arriver rien de fâcheux. Cette pro-
messe lui fit plaisir et parut calmer un peu les vives
inquiétudes qu'il éprouvait. — Le sentier que nous
avions suivi long-temps la veille conduisait aussi à
Manoukao , bien qu'il fut interrompu en certains en-
droits. — Kaï-Para, résidence de Moudi-Panga, chef
célèbre de ces régions , n'est éloignée que de trois
jours de Tamaki, et ce rangatira valeureux, qui avait
si long-temps résisté avec succès à Shongui , a enfin
succombé sous les coups de celui-ci , et lui a servi de
pâture ainsi qu'à ses guerriers. — Kapou-Hoka, dont
Touaï me montra quelques années auparavant la tête
préparée à Paroa , était frère ou cousin aîné de Ran-
gui. — En définitif, je crus comprendre que Kanawa,
chef de Waï-Kato , était toupouna ou grand-père de
Rangui et père de Tawiti , d'où il s'ensuivrait que
celui-ci serait l'oncle et non le frère de Rangui. En
DE L'ASTROLABE. 171
général les litres de frère , oncle ou neveu , et 18*7.
même cousin , sont souvent confondus chez ces peu- Féwtap'
pies, et les adoptions, aussi fréquentes parmi eux
qu'elles l'étaient chez les anciens Romains, ajoutent
encore à cette confusion.
Rangui n'a pu me désigner que six principaux airs
de vents, savoir : N. , moudi; N. E. , marangaï; E. ,
tonga; S., hawa-ourou ; O., tou-araki; et N. ()., kau-
raki. Il m'a récité en entier le fameux chant du Pihe,
et a été fort étonné de me le voir répéter après lui, en
le lisant dans la grammaire. Ce chef portait en guise
de sceptre une côte de baleine sculptée qu'il nommait
patou-waïroa et dont j'ai fait l'acquisition , ainsi que
d'un beau manteau garni en poil de chien de diverses
couleurs appartenant à Tawiti. Ce dernier avait amené ri. lvii.
sa femme avec lui , elle portait dans ses bras un enfant
qui paraissait aussi tendrement chéri du père que de
la mère. Comme nous l'avions vu en d'autres endroits,
les esclaves ou filles du peuple prodiguaient leurs
faveurs au premier venu pour la moindre bagatelle,
tandis que les femmes mariées étaient inaccessibles.
Pour éprouver jusqu'où pouvaient s'étendre leurs
scrupules touchant la fidélité conjugale, M. Gaimard
fit toutes sortes d'offres à Tawiti pour obtenir les
faveurs de sa femme; ce rangatira lut sourd h toutes
les séductions, même à l'offre d'un fusil ordinaire,
se contentant de répondre chaque fois : tapou [sacré
ou défendu). Seulement quand le docteur vint à offrir,
en plaisantant, un fusil h deux coups, le chef sauvage,
incapable de résister à une offre si séduisante , se con-
172 VOYAGE
i8a7. tenta de pousser sa femme entre les bras de l'étranger,
Février. tandis qu'il tendait l'autre main pour recevoir le fusil. . .
Avant de juger trop sévèrement ces enfans de la na-
ture , il ne faut pas oublier qu'à leurs yeux une arme
de cette espèce est aujourd'hui d'un plus grand prix
que ne le serait aux yeux d'un Européen une clef de
chambellan, un bâton de maréchal, ou même un
porte-feuille de ministre.
Comme je l'avais déjà observé à la baie des Iles , la
femme de Tawiti montrait la plus grande répugnance
à se défaire d'une dent de requin qu'elle portait à l'o-
reille. L'unique raison qu'elle opposait à mes refus était
que cette dent lui venait d'un étranger [tangata ké] ; ré-
ponse qui m'avait été souvent faite à Paroa. Il faut con-
venir que ces naturels tiennent singulièrement aux
souvenirs d'amitié qui leur ont été laissés , si toutefois
ce n'est point l'effet d'un sentiment superstitieux.
Sur les cinq heures , les pirogues sont revenues à
bord , apportant une immense quantité de beaux pois-
sons. Les insulaires les ont cédés aux matelots pour
des bribes de biscuit, et ont toujours montré une
grande probité dans leurs marchés. La yole a apporté
deux charges de bois qui se fait facilement sur l'île
Koreha.
La baleinière est rentrée à bord à sept heures un
quart du soir, avec tous nos voyageurs. Après avoir
remonté la rivière Mogoïa , l'espace de trois ou quatre
milles , ils ont mis pied à terre sur les bords d'un isthme
étroit qu'ils ont traversé, et se sont ensuite trouvés
sur les bords du bassin de Manoukao. Ils n'ont eu qu'à
DE L'ASTROLABE. 173
se louer des procédés des naturels, et ont été reçus ,82T.
par eux avec tous les honneurs imaginables. Je ren- Février.
verrai au récit de M. Lottin* touchant les détails de
cette intéressante excursion, et les fruits qu'il a pu re-
tirer de son exploration : du reste il est maintenant
constant que l'île Ika-Na-Mawi en cette partie se trouve
réduite à une langue de terre très-étroite.
Cette découverte peut devenir d'un grand intérêt
pour les établissemens qui auront lieu h la baie Shou-
raki , et cet intérêt augmentera encore si de nouvelles
reconnaissances peuvent démontrer que le port de
Manoukao estsusceptible de recevoir des navires d'une
certaine dimension ; car un pareil établissement se
trouverait alors à la portée des deux mers orientale et
occidentale.
Toupaïa , le principal chef, ne devait venir à bord
quelelendemain; mais Inaki, ra?igatira para parao** ,
qui avait reçu ces messieurs à Manoukao, les avait ac-
compagnés à leur retour. C'était un homme d'une taille
moyenne , mais très-bien pris dans toutes ses propor-
tions, dont la figure était expressive, l'altitude fière et
l'air vraiment belliqueux.
Il me parut tout-a-fait indépendant de Rangui , qui
de son côté affectait de le traiter avec hauteur. Celui-ci
ne cessait de me répéter qu'Inaki lui était bien infé-
rieur pour le rang, et qu'il n'était que rangatira para
* T'oyez notes 16 et 17.
** Titre qui parait répondre à celui de premier lieutenant du chef princi-
pal , et surtout conférer les fonctions de chef des guerriers.
174 VOYAGE
1827. parao , convenant du reste que c'était un guerrier très-
Fevner. brave. J'en conclus que, comme en tant d'autres pays
du globe, Inaki, quoique inférieur à Rangui pour la
naissance , avait peut-être acquis par sa bravoure et ses
exploits le droit de commander aux guerriers de Ma-
noukao. Il me fît hommage de son bâton de comman-
dement, sculpté à son extrémité , incrusté en nacre et
enrichi de plumes précieuses.
Te Rangui, étant devenu tout-à-fait mon hôte, cou-
cha dans ma chambre , tandis que Inaki et Tawiti
étaient traités sur le même pied par les officiers. Rangui
s'était étendu fort tranquillement sur son matelas et se
préparait à dormir honnêtement , quand il entendit
dans la chambre voisine (le carré des officiers) ses
deux compagnons occupés à négocier l'introduction
de quelques femmes qui leur avaient été demandées.
Mon rangatira me demanda alors avec empressement
si je n'en désirais point; sur ma réponse négative, il se
tut en poussant un soupir : puis saisissant le moment
où il me supposa endormi , il s'esquiva tout douce-
ment de ma chambre , et alla prendre une part très-
active aux négociations galantes de ses deux compa-
gnons , afin sans doute de participer aux profits qui
devaient leur en revenir.
a7. Dès cinq heures un quart du matin, désirant pro-
fiter d'une petite brise de S. S. O., pour reprendre
notre travail , je fis hisser les huniers , et une demi-
heure après nous faisions route à l'E. S. E. vers
Pakii.
Nos nobles amis Rangui, Tawiti et Inaki , avant de
DE L'ASTROLABE. 175
nous quitter, nous promirent positivement de revenir i8ay.
nous voir à Shouraki. Au moyen d'un petit ruban , je Ftvrier-
suspendis au cou de Rangui et d'Inaki des médailles
de l'expédition en signe de protection et d'amitié , té-
moignage auquel ils parurent très-sensibles. Rangui,
m'ayant prévenu que le passage de Pakii n'était pas sain
et qu'il fallait en prendre un autre entre les îles , m'of-
frit un de ses esclaves {koukï) pour me servir de pilote,
assurant que cet homme connaissait parfaitement toutes
les localités. Tout en témoignant au chef ma reconnais-
sance pour cette marque d'attention , on sent bien que
j'étais peu disposé à placer une grande confiance dans
les connaissances nautiques d'un pareil individu, qui
après tout ne pouvait avoir piloté que des pirogues ti-
rant deux ou trois pieds d'eau.
A l'instant même où les chefs s'embarquaient
dans leurs pirogues, il arriva une petite aventure
propre à faire connaître le caractère de ces peuples.
J'ai déjà dit que durant tout le temps que la corvette
était restée mouillée devant la rivière Mogoïa, non-
seulement Rangui et les autres rangatiras s'étaient
comportés avec beaucoup de décence, mais encore
leurs sujets avaient commercé le long du bord avec
une bonne foi digne d'éloges. Comme je mettais à la
voile, on vint m'averlir qu'un des naturels venait
d'enlever un plomb de sonde laissé négligemment à la
traîne dans les porte-haubans. Pris sur le fait, il le
rendit sans aucune résistance et se hâta de s'esquiver.
Alors , m'adressant à Rangui , je lui dis à haute
voix et d'un ton sévère qu'il était indigne d'honnèles
' 176 VOYAGE
1S27. P,'ens de commettre de pareils larcins, et que nous châ-
Février. tierions les voleurs sans pitié. Ce reproche et cette
menace parurent l'affecter profondément ; il s'excusa
en alléguant que ce crime avait été commis à son insu
par un étranger, par un esclave. Puis d'un air soumis ,
il me demanda si je n'allais pas le punir pour cette
action. Je lui répondis qu'il n'en serait rien pour cette
fois, et lui souhaitai le bonjour amicalement, pour
m'occuper uniquement de la manœuvre. Un instant
après , le bruit de coups frappés avec force et de cris
pitoyables partant de la pirogue de Rangui attirèrent
de nouveau mes regards de ce côté. Alors je vis Ran-
gui et Tawiti frappant à coups redoublés avec leurs
pagaies sur un manteau qui semblait recouvrir un
homme. Mais il me fut facile de distinguer que les
deux chefs astucieux ne frappaient que sur un des
bancs de la pirogue. Après avoir joué quelque temps
cette farce, la pagaie de Rangui se brisa entre ses
mains , l'homme fit semblant de tomber par terre , et
Rangui, m'interpellant, me dit qu'il venait d'assommer
le voleur, et me demanda si j'étais satisfait. Je lui
répondis affirmativement , riant en moi-même de la
ruse de ces sauvages , ruse au reste dont il s'est trouvé
souvent des exemples chez beaucoup de peuples
plus avancés en civilisation.
On saura que Rangui et ses compagnons m'avaient
souvent demandé avec instance du plomb pour faire
des balles, objet que je n'avais pu leur accorder,
puisque nous en avions à peine suffisamment pour
notre usage. Sans doute , il fut impossible à ce chef
DE L'ASTROLABE. 177
de résister à la tentation d'en posséder une si grosse 1827.
masse à la fois , et c était par ses ordres que la sonde FiVr,PI'
avait été enlevée. Voyant le larcin découvert , il n'avait
pas hésité à le laisser sur le compte de l'esclave, et il
résolut d'apaiser ma colère par un simulacre de satis-
faction.
Le vent faible et variable ne me permit d'avancer
que très-lentement par un fond de cinq ou six brasses ,
le long de la belle île de Waï-Heke. En approchant de
la passe, j'envoyai M. Guilbert sonder le canal Pakii,
et bientôt le pavillon rouge qu'il hissa m'annonça qu'il
avait trouvé moins de quatre brasses ; alors je me
déterminai à donner dans un canal situé sur bâbord et
que mon pilote Makara m'assura être praticable pour
notre corvette.
Ce nouveau canal na guère plus d'une demi-lieue
de large et se trouve encore resserré par un îlot
(Takoupou) situé vers son milieu. Je passai par le
bras du nord à moins de deux encablures de ce rocher,
et n'ayant, durant long-temps, que qualre brasses
d'eau sous la quille, ce qui ne laissait pas que de me
causer quelque inquiétude. Bientôt le fond remonla à
sept ou huit brasses , la brise s'établit plus fraîche à
l'ouest, et nous blâmes rapidement sur des canaux
inconnus, dont une A'égétation riante décorait les
bords, et qui nous offraient à chaque instant les
plus agréables effets de perspective. C'est ainsi que
nous naviguâmes , durant deux heures environ , au
travers d'iles , tantôt hautes , accidentées et cou-
vertes de magnifiques forets, tantôt plus basses et
178 VOYAGE
i8a7. tapissées seulement d'une verdure plus modeste.
Février. jj n'Y a pas fie d0llie qU'on ne trouvât facilement au
travers de ces agréables îles , les lieux les plus conve-
nables pour former des établissemens. Je remarquai
particulièrement , sur la rive de Waï-Heke , des
stations qui me parurent admirablement propres à
une semblable destination. Il est inutile de répéter
quici j'étais encore désolé d'avoir quitté ces beaux
sites sans pouvoir les explorer plus attentivement ,
sans y prélever un nouveau tribut sur toutes les pro-
ductions de la nature. Mais le temps me talonnait, et
d'autres travaux nous appelaient loin de ces côtes.
Je dois dire que notre guide Makara déploya, dans
cette navigation délicate , un sang-froid , une attention
et une intelligence qui eussent vraiment fait honneur
à plus d'un pilote européen. 11 ne m'arriva pas une
fois de le trouver en défaut dans ses indications , et
c'était un spectacle aussi nouveau qu'intéressant pour
nous de voir un sauvage, un antropophage nous
tenir lieu, dans ces canaux solitaires, du pilote le plus
attentif et le plus dévoué. 11 me donna les noms des
îles et des terres voisines avec beaucoup de complai-
sance. Si j'avais été en état de mieux comprendre sa
langue , je ne doute pas que je n'eusse reçu de lui une
foule d'autres détails fort importans.
Tout en nous pilotant , il me rapporta que c'était
bien le dieu des blancs qui avait tué Houpà et les an-
ciens habitans de Shouraki. Quand je lui demandai
quel était ce dieu des blancs , il me désigna la montre
de l'habitacle , et ce n'était pas la première fois que des
DE L'ASTHOIARE. 179
naturels avaient à nos yeux accordé les honneurs di- 1827.
vins à cette machine singulière et si fort au-dessus de F^vrier-
la sphère intellectuelle d'un pauvre sauvage.
A trois heures du soir enfin, nous rentrâmes dans
le hassin de la baie Shouraki , un peu au sud de
l'endroit que Cook désigna sous le nom d'îles de
l'Ouest. D'une voix unanime, nous décernâmes le
nom de notre navire au beau canal que nous venions
de parcourir dans toute son étendue et d'explorer
avec tant de succès. Si on voulait l'estimer, à partir
de File Tiri-Tiri-Matangui où commencent effective^
ment nos découvertes, le canal de l'Astrolabe n'aurait
pas moins de cinquante milles de long; mais en lui
donnant seulement pour origine l'île de Rangui-Tolo,
où, resserré entre deux rives très-rapprochées, il peut
offrir en tout temps les meilleurs mouillages du monde
aux navires de toutes les dimensions , à partir de ce
point, dis-je, il présente encore un développement
de près de trente milles de côtes, sans y comprendre
la branche du "Waï-Tamata , dont nous n'avons pu
assigner l'étendue réelle. Il n'est pas douteux qu'un
jour ces canauxjouerontleroleleplus important dans
la navigation , lorsque la colonie de la INouvelle-Galles
du Sud aura pris le développement dont elle est sus-
ceptible. Les travaux de V Astrolabe , jusqu'alors dé-
daignés , reviendront dans la mémoire des hommes ,
comme ceux de M. d'Entrecasteaux qui déjà intéres-
sent une colonie entière , établie sur les lieux que ce
navigateur trouva naguère complètement déserts.
A un mille au large de l'endroit où le canal de l'As-
180 VOYAGE
1827. trolabe débouque dans la baie Shouraki, gît un rocher
Février. [s0\^ ^ tout-à-fait nu , sauvage et habité par des my-
riades de cormorans. Les habitans lui ont donné le
nom de Tara-Kaï (de tara, cormoran , et haï, vivre).
Nous fîmes une station près de ce rocher, par treize
brasses sable et vase, puis nous poursuivîmes notre
route au sud avec de faibles brises de S. O. qui passè-
rent au S. à six heures du soir, et nous contraignirent
à laisser tomber l'ancre par dix brasses , à moins d'une
demi-lieue des côtes de Ware-Kawa , et près d'un cap
assez remarquable , nommé Waï-Mango.
28. La nuit fut belle et tranquille. Le jour suivant, dès
six heures du matin , l'astrolabe avait remis à la voile,
et je tentai de m'avancer vers la bouche du Waï-Ka-
hourounga. Mais la brise qui régnait d'abord à l'E. S.
E., varia successivement au S. E., S. et même S. S.
O.; ainsi, renonçant au projet de m'avancer davan-
tage vers le fond de la baie , a huit heures et demie, je
laissai retomber l'ancre par huit brasses vase , à deux
milles environ de la côte , et à sept milles et demi de
l'embouchure de la rivière. Du mouillage nous distin-
guions parfaitement les deux pointes de l'entrée ; mais
DE L'ASTROLABE. 181
le fond de la baie qui n'est sans doute qu'une plaine 1S27.
d'alluvion , est occupé par un terrain si bas que ce Fî'vrier-
n'était que des hunes qu'on pouvait distinguer claire-
ment les immenses forets de podocarpus qui en cou-
vrent une grande partie. Dès que la corvette fut
mouillée , j'expédiai M. Loltin sur la côte voisine pour
faire une station géographique , et en même temps
pour y déposer notre fidèle pilote Makara. Quoique
appartenant à la classe des esclaves ou kouki , ce
garçon mérita par sa conduite à bord toute notre es-
time. En le quittant , je le gratifiai d'un paquet de pou-
dre , d'une grande hache et de quelques autres baga-
telles qui le rendirent le plus heureux des hommes. Il
n'épargna ni instances ni promesses pour me détermi-
ner a attendre ses chefs qui allaient revenir, me disait-
il, de \Yaï-Kato avec d'immenses provisions de co-
chons, de pommes de terre et de patates. Autant et
plus que lui j'eusse désiré prolonger mon séjour dans
ces intéressans parages, mais le temps me pressait , et
V Astrolabe avait à visiter une foule d'autres lieux que
la Nouvelle-Zélande.
En conséquence , dès que le canot fut de retour à
bord , nous remîmes à la voile , et je me dirigeai sur
la côte de Shouraki pour la prolonger de près. Elle
est beaucoup plus élevée, et surtout plus abrupte que
celle de Ware-Kawa, et le terrain n'est nullement
propre à la culture. INous ferons observer ici qu'à l'en-
droit où débarqua M. Lottin il ne trouva au rivage
que des galets sur lesquels la mer brisait avec force,
et, un peu au-delà, des marais impraticables et jonchés
1527.
Février.
182 VOYAGE
de phormium . En général , cette partie de la baie Shou-
raki ne vautnullement, pour le coup-d'œil et la fertilité
apparente du sol, les rives du canal de l'Astrolabe.
A six heures vingt minutes , le vent ayant passé au
IN. N. E., et le courant reportant vers le fond de la
baie, nous mouillâmes par quinze brasses vase, à
deux milles de la terre. Toute la journée nous ne re-
marquâmes qu'un grand feu sur la côte Shouraki, et
aucune pirogue ne se dirigea vers nous , ce qui nous
prouva que la tribu qui habite ce district devait être
pauvre et peu nombreuse.
Il souffla toute la nuit un vent d'E. assez frais dont
nous profitâmes dès cinq heures vingt minutes du
matin pour continuer notre route en suivant la côte à
deux ou trois milles de distance, de manière à en saisir
tous les détails. A midi, nous faisions une station par
le parallèle de la plus septentrionale des îles de l'Est
de Cook, îles Waï-Hao, Waï-Mate, Fapa-Roa et
Motou-Kawao en langue du pays. Ces îles doivent
offrir d'excellens mouillages , ainsi que divers enfon-
cemens assez marqués le long de la côte. Celle-ci
s'élève partout et rapidement en montagnes escarpées
et couvertes d'arbres. Le sommet. Moe-Hao qui do-
mine le cap du même nom (cap Colville de Cook) est
surtout remarquable par son élévation. Tout ce ter-
rain nous sembla inhabité, et nous ne vîmes point
d'autre feu que celui dont j'ai déjà parlé.
Nous avions un temps charmant et une mer très-
douce , mais la brise qui était faible ne nous permit
d'avancer que lentement. Toutefois, nous réussîmes
DE L'ASTROLABE. 183
à nous élever au nord du canal formé par le cap Moe- 1837.
Hao et l'île Otea : nous passâmes à cinq milles de l'îlot RIars-
de la passe , et à six heures du soir nous étions par-
venus presque à mi-chenal entre Shoutourou et Otea.
Le calme nous surprit dans cette position, et nous
fûmes obligés de passer la nuit entière à veiller ces
deux terres , et à faire tous nos efforts pour éviter de
tomber sur Tune ou sur l'autre.
Toutes les fois que nous restons en calme , l'équi-
page prend aussitôt à la ligne une quantité étonnante
de beaux poissons appartenant à l'espèce dorade uni-
colo?e, et qui sont un mets délicieux. C'est le même
poisson que Cook nomma brème de mer; il parait être
prodigieusement abondant en ces parages. Lors de
notre mouillage devant la rivière Mogoïa , les naturels
de Ta maki en chargèrent leurs pirogues dans l'espace
de quelques heures. Aujourd'hui l'équipage en eut
bientôt pris par centaines, et il y en eut assez pour
que chaque plat pût en saler une ample provision.
A deux heures après minuit, nous reconnûmes que 2.
le courant nous avait beaucoup rapprochés de la côte
de Shoutourou , puis il nous reporta vers le détroit de
Moe-Hao. Au jour, le calme persista, et force nous
fut de rester encore dans la même position. Le canal
qui sépare les deux îles de Shoutourou et d'Otea a
sept à huit milles de largeur, et paraît fort sain , avec
un fond régulier de trente brasses.
Shoutourou s'élève rapidement de tous côtés en
un mont conique d'une hauteur très-considérable, et
de manière à être vu facilement de toutes les parties
184 VOYAGE
1837. de la baie Shouraki. Un ressac assez violent règne
Mars- tout à l'entour et la rendrait difficile à accoster pour de
petites embarcations. Il en est de mèmed'Otea, dont la
côte est encore plus escarpée, déchirée, -et souvent en-
tièrement dépouillée de verdure ; cependant les navires
trouveraient probablement quelque abri entre les peti-
tes îles situées près de la grande. A deux ou trois milles
au sud du cap O. d'Otea, que nous avons nommé cap
Krusenslern , gît un petit groupe de rochers nus ,
isolés, et qui de loin nous offraient l'apparence de
pirogues à la voile, ce qui nous a engagé à leur en
donner le nom.
Une petite brise de S. O. s'étant enfin élevée dans
la soirée , nous en avons profité pour continuer notre
3. route au nord. A minuit, parvenu à trois milles en-
viron à l'est des îles Moko-Hinou , je mis en travers
pour attendre le jour. Puis je gouvernai au plus près
de l'ouest possible , afin de rallier la côte près de
Wangari , et reprendre la suite des explorations ter-
minées quelques jours auparavant près de ce point.
Mais le vent se maintint à l'O., et je fus réduit toute
la journée à courir des bordées pour rapprocher la
côte.
Sur les six heures et demie du soir, nous virâmes
de bord à six milles au S. E. des îlots Tawiti-Rahi
{Pauvres Chevaliers de Cook). Vus de ce côté, ils
semblent se composer d'une île d'un mille environ de
diamètre, arrondie , rocailleuse et escarpée sur ses
bords , et de trois ou quatre rochers isolés , plus voi-
sins de terre , escarpés et tout-à-fait nus.
DE L'ASTROLABE.
18.
Le vent fraîchit beaucoup dans la nuit, et nous la
passâmes aux petits bords afin de ne pas interrompre
notre reconnaissance.
Dès que nous pûmes entrevoir la terre , nous fîmes
servir en forçant de voiles, et le vent ayant adonné
jusqu'au S., nous pûmes doubler les îles Tawiti-Rahi
isj.7.
Mars.
au vent. A la station de huit heures et demie du
malin, nous nous trouvions à trois ou quatre milles
au sud des îles méridionales de ce groupe; et, vu
de ce côté, l'un de ces rochers nous offrait l'appa-
rence d'une aiguille très -déliée. Malgré la brume,
nous distinguions aussi toute l'étendue de côte qui
vient au nord du cap Wangari. Elle est médiocrement
élevée , mais partout âpre , escarpée , et même sapée
sur ses bords par les flots de la mer.
Vers onze heures et demie du matin , sous la terre
et dans le S. S. O., nous distinguâmes une flottille de
vingt à trente pirogues qui s'avançaient vers le sud.
Nous ne pûmes douter qu'elles ne portassent les guer-
riers de la baie des Iles. Ils allaient ouvrir leur cam-
pagne de l'année contre les malheureuses tribus de la
1827.
Mars.
186 VOYAGE
baie Shouraki, et joindre à Wangari le détachement
de Rangui. Dans l'affreux espoir de dévorer les corps
de leurs ennemis, et de s'emparer de leurs dépouilles,
ils bravaient sur leurs frêles pirogues les dangers de
la mer et d'une navigation hasardeuse , pour aller atta-
quer des tribus que la nature avait séparées d'eux par
une immense barrière , tant il est vrai que sous tous
les degrés de latitude , à tous les degrés de civilisation,
la race humaine est la même , susceptible , aux deux
extrémités du diamètre de la terre, des mêmes pas-
sions et des mêmes fureurs. Au même instant nous
vîmes s'élever sur les cimes du cap Wangari d'épaisses
fumées , signaux de reconnaissance adressés sans
doute à leurs compagnons d'armes par les guerriers
de Rangui.
A midi précis , nous fîmes une station à une demi-
lieue à l'ouest de la plus méridionale des îles Tawiti-
Rahi. Alors nous pûmes reconnaître que l'île du nord,
qui est la plus grande, était réellement divisée en deux
par un canal fort resserré. Le rocher du sud se mon-
trait alors sous la forme très-régulière d'une tour
immense, arrondie et tout-à-fait dépouillée. Le flot
qui passait sous notre corvette allait expirer l'instant
d'après, avec un mugissement lugubre, sous les flancs
de cette citadelle de la nature , et chacun de nous
épiait avec une inquiète attention si quelque roc in-
visible ne viendrait pas se présenter sur notre route.
Le vent très-faible et très-mou à l'E. et à l'E. S. E.
m'empêcha de prolonger la côte d'aussi près que je
l'eusse désiré , de peur de ne pouvoir doubler le cap
5 mars.
DE L'ASTROLABE. 187
Rakau-Manga-Manga. Cependant nous passâmes à 1827.
moins de deux lieues de la presqu'île de Molou-Aro,
facile à reconnaître par un piton très-élevé qui la
domine à cinq milles dans l'intérieur. Au sud de cette
presqu'île on voit plusieurs petites îles près du rivage,
et au nord la côte se redresse en falaises élevées, de
l'aspect le plus triste et le plus sauvage. Le cap
lui - même est accompagné de quelques îlots qui
affectent ordinairement la forme de coins à sommets
aigus, et dont l'arête verticale est tournée vers le large.
Le principal de ces îlots a reçu le nom de Kokako ,
de l'asile qu'il offre à certains oiseaux de mer ainsi ap-
pelés.
Depuis quelques jours , la surface des eaux est jon-
chée de magnifiques fucacécs dont je conserve des
échantillons desséchés, et que je fais sur-le-champ
figurer par mon secrétaire.
Dans l'après-midi , nous nous trouvions à huit
milles à lest du cap Rakau-Manga-Manga, et je pou-
vais conduire V Astrolabe au mouillage de la haie des
lies avec la conscience d'avoir rempli mes instructions
touchant la Nouvelle-Zélande : mais je me rappelais
(jue la Coquille, en venant à ce mouillage, n'avait abso-
lument rien vu de cette côte ; je crus , en outre , qu'il y
aurait quelque mérite, et que les marins nous sauraient
gré de poursuivre jusqu'au cap Nord la reconnais-
sance que nous avions entamée. Ce parti, d'ailleurs,
nous offrait le moyen de lier nos travaux en ce point
avec ceux de M. d'Entrecasteaux. Je me décidai donc
à terminer la partie N. E. dTka-Na-Ma\vi, comme
1 88 VOYAGE
1827. nous avions déjà traité sa côte de l'E. et du S. E.
Mars Toute la nuit je profitai d'une brise assez fraîche du
S. au S. S. O., accompagnée d'un temps couvert,
pour m'avancer vers l'O., tellement qu'à la naissance
6. du jour nous nous trouvâmes à sept ou huit milles des
îles Motou-Kawa et Panaki (îles Cavallcs de Cook).
Tandis que M. Lottin poursuivait ses opérations
sur la côte , je cherchais à rallier le plus rapidement
possible le cap Nord. Par malheur, la brise mollit, et
dès midi nous pûmes à peine gouverner. Cependant
nous commencions à découvrir, du haut des mâts, les
hauteurs du cap Nord , à la distance de trente à trente-
six milles. Par le travers se montraient les deux pointes
de la vaste baie d'Oudoudou (baie Lauriston de Sur-
ville), et plus au nord l'œil ne pouvait saisir que le
mont Ohoura (mont Camelào, Cook) remarquable par
son isolement au milieu des dunes de sable qui unis-
sent en cet endroit la partie méridionale d'Ika-Na-
Mawi à la presqu'île du Nord.
D'immenses paquets de belles fucacées couvrent sou-
vent les flots de la mer, et l'on voit beaucoup de fous et
de gros marsouins bruns. La température se maintient
assez régulièrement entre dix-huit et vingt degrés.
C'est la plus favorable à l'homme de mer; aussi l'équi-
page entier se porte à merveille , et l'on ne se douterait
guère que , depuis plus de trois mois , il n'a pour ainsi
dire pas eu un seul jour de véritable repos.
Des calmes et des brises à peine sensibles nous
7. arrêtèrent durant la soirée et la nuit. Aussi , dès que
nous pûmes distinguer la terre, nous vîmes que,
DE L'ASTROLABE. 189
malgré nos efforts, nous n'avions approché le cap is*;.
Nord que de huit à dix milles au plus. Mars
Nous filâmes cent brasses de ligne à huit heures et à
midi sans trouver fond. A cette dernière heure , nous
nous trouvions à huit milles de terre , et le cap se pré-
sentait sous la forme d'un morne arrondi, s'abaissant
en pente douce sur la gauche et réuni aux hauteurs
de la presqu'île par une langue de terre fort basse ,
d'où s'élevaient nombre de feux. Tout l'espace compris
entre la péninsule entière et le mont Ohoura se com-
pose de terres fort peu élevées , bordées à la mer par
des dunes d'une blancheur si éblouissante que l'œil
est fatigué de les contempler.
Au moyen d'un léger souffle de la partie de l'est,
V Astrolabe s'avança doucement sur le méridien du
cap Nord ou Otou. Sur les deux heures du soir, trois
ou quatre pirogues , qui s'étaient détachées des envi-
rons du cap , accostèrent le bord et nous vendirent
des poissons , des hameçons et des lignes. Les naturels
qui les montaient étaient en général laids, mal faits,
d'une couleur très-sombre , d'une saleté dégoûtante.
Toutefois ils se comportèrent décemment et me don-
nèrent volontiers les noms des divers points de la côte
en vue.
C'est ainsi que j'appris que le cap Nord ou Otou
était terminé à lest par la petite île Moudi-Molou , qui
s'y réunit par une chaîne de rochers à fleur d'eau. Le
cap qui vient après Otou se nomme Otahe, et le der-
nier, au N. O., le cap Maria-Van-Diemen deTasman,
est le fameux Reinga, véritable Ténare des Nouveaux-
190 VOYAGE
1827. Zélandais , dernier terme de leur monde connu ; c'est
Mars. j^ qQe }es ames (ies morts, les Waïdouas , viennent se
rendre de tous les points d'Ika-Na-Mawi pour prendre
leur dernier essor vers la gloire ou les ténèbres éter-
nelles. La presqu'île où se trouve le cap Nord porte le
nom de Moudi-Wenoua (dernière terre), et reconnaît
pour chef Shongui-Kepa , qui réside à Pakohou sous
les flancs du cap Otou.
A quatre heures du soir, nous fîmes une station à
deux milles et précisément au nord de ce promontoire
par soixante et dix brasses, sable vasard. De toutes
parts ses flancs sont escarpés , sapés par la lame , et sa
cime se termine en une espèce de plateau uni. Otahe
offre un aspect à peu près semblable , et Reinga se ter-
mine par un rocher en forme de coin , qui est le véri-
table point de départ des Waïdouas *.
Peu après , les naturels nous quittèrent. L'un d'eux
seulement , rangatira subalterne nommé Pako , solli-
cita la faveur de nous accompagner à la baie des Iles ,
où il avait, disait-il, beaucoup d'amis. Comme à l'or-
dinaire , j'y consentis pour me procurer les noms de la
côte en langue du pays. Pako semblait un homme doux
et fort complaisant, quoique peu agréable dans ses
manières , et quant au physique bien inférieur à tous
les chefs que nous avions vus jusqu'à ce moment sur
cette terre. Il connaissait parfaitement les îles Ma-
nawa-Tawi (îles des Bois de Tasman), dont il m'indiqua
sur-le-champ legissement. Il y possédait même, ajouta-
* Voyez notes 18 et 19.
DE L'ASTROIARE. 191
t-il, des esclaves qui cultivaient des champs de patates. 1827.
Les habitans de Moudi-Wenoua sont en paix avec tous Mars#
ceux de la baie des Iles, à l'exception de Shongui-Ika,
dont ils ne parlaient qu'avec horreur, et qui serait tué,
assuraient-ils , s'il tombait en leur pouvoir. Les co-
chons sont nombreux sur ce point , et les naturels
apportèrent quelques pastèques , dont ils paraissaient
faire un grand cas, car ils ne voulaient les céder que
pour de la poudre.
Au coucher du soleil , les sommités de Manawa-
Tawi furent un instant visibles dans l'ouest du compas,
aux bornes de l'horizon. Nous devions alors en être
éloignés, d'après M. d'Entrecasteaux , de quarante
milles environ.
Toute la nuit, il fit calme avec une belle mer et une
température délicieuse. La journée suivante , nous
n'eûmes encore que de faibles brises variables en tous
sens, qui nie forcèrent de rester à six ou sept milles
du cap JXord ; les observations astronomiques furent
répétées pour mieux fixer sa position. Profitant du
calme, d'innombrables troupes de marsouins à long
museau, de fous à tète fauve, de pétrels, d'alcyons, et
quelques requins avides , de grande taille , se jouaient
à la surface des ondes. Ce nest jamais que le long des
cotes et par un beau temps que l'Océan peut offrir ces
scènes animées , ces espèces de luttes d'agilité entre
les familles aériennes et celles qui vivent sous les
eaux.
Notre hôte Pako parait fort content de sa navigation.
Surtout il est ravi de la promesse que je lui donne
192 VOYAGE
1827. d'aller mouiller à Paroa et non à Kidi-Kidi. Il déteste
Mars. jes habitans de cette tribu , Waï-Kato seul excepté , qui
est son ami particulier. Il m'a raconté en outre que
Shongui étant allé attaquer ceux de Wangaroa avait
reçu une balle qui lui avait traversé la gorge , et qu'il
venait de succomber aux suites de cette blessure. J'a-
joute peu de foi à cette nouvelle , qui aurait dû être con-
nue des babitans du Sbouraki, et surtout de Rangui-
Touke et de ses compagnons , alliés de Shongui. Mon
hôte m'apprit en outre que le chef de Wangaroa se nom-
mait Père, et que la houle seule [wara) avait pu empê-
cher Shongui-Kepa de venir aujourd'hui me rendre
visite à bord.
9. Nous sommes encore restés en calme toute la nuit ,
de sorte qu'à neuf heures du matin nous nous retrou-
vons presque au même point que le 7 à midi , à
huit milles au S. E. de Moudi-Motou. Ces circons-
tances m'empêchent d'accoster la plage de Sandy-Bay
et de me présenter à l'entrée des baies de Nanga-Ounou
et Oudoudou, comme je le projetais. Ce serait une
manœuvre imprudente avec des vents qui ne permet-
tent point de gouverner , et dans des parages comme
ceux-ci, où les plus furieuses tempêtes succèdent
presque instantanément au temps le plus beau en ap-
parence.
Une pirogue , montée par huit à dix naturels , ac-
costa la corvette. Ils apportaient six beaux cochons
qu'ils échangèrent avec joie pour un mousqueton. Les
provisions acquises à si bon compte vers le cap Waï-
Apou étaient épuisées depuis quelques jours, et ce
DE L'ASTHOLARE. 193
renfort de vivres frais pour l'équipage eut à nos yeux 1827.
un grand prix , car je prévoyais déjà qu'à la baie des Mars-
Iles nous trouverions peu de ressources en ce genre.
Les insulaires qui nous ont visités aujourd'hui sont
aussi laids , aussi malpropres que ceux que nous
vîmes il y a deux jours. Sous prétexte d'aller prendre
des cochons et des patates à terre, pour revenir nous
les vendre, notre ami Pako me demanda la permis-
sion de descendre avec ses compatriotes. Je ne pou-
vais la lui refuser, mais je soupçonnai fort que , déjà
ennuyé de la lenteur de notre navigation , il était bien
aise de saisir cette occasion pour retourner chez lui.
Nous trouvâmes quatre-vingt-dix et soixante-
quinze brasses , sable vasard , à trois heures et demie
et à six heures du soir. Lors de cette dernière sonde,
nous n'étions qu'à six milles au nord des petites îles
voisines de la pointe Kari-Kari (pointe Knuckle de
Cook) qui forme la partie orientale de la baie Nanga-
Ounou. Cette baie s'enfonce considérablement au sud
où elle est terminée par des terres peu élevées , et
formerait un bassin excellent , si la mer du Nord n'y
entrait directement.
Comme si les vents étaient conjurés contre notre 10.
navigation , ils continuent de rester très-mous et va-
riables de l'E. S. E. à l'E. N. E., c'est-à-dire dans
une direction diamétralement opposée à la route que
nous avons à faire. Nous sommes donc réduits à cou-
rir des bordées devant la pointe Kari-Kari. Le soir,
nous avons viré à une lieue de terre environ ; vers
neuf heures, il y eut un souffle de veut du nord, dont
TOME II. l3
19i VOYAGE
i.sa7. j'ai profité pour m'avancer durant la nuit de neuf
Mars- milles à l'est.
ii. En conséquence, quand le jour a paru , nous nous
sommes trouvés à cinq milles au large et précisément
devant l'entrée de la vaste baie d'Oudoudou (baie
Laariston de Surville et Doablless de Cook). Cette
baie n'offre qu'un vaste enfoncement tout-à-fait ouvert
aux vents du N. E. et environné vers le fond de terres
basses dont on pouvait apercevoir la majeure partie
des hunes.
J'ai voulu me diriger vers la pointe du S. E.; mais
la houle et le vent d'est m'ont encore contrarié. Un
moment même le temps a pris une mauvaise appa-
rence et le ciel s'est beaucoup chargé dans le nord.
Puis il s'est éclairci et nous en avons été quittes pour
courir de nouveau d'ennuyeuses bordées contre la
brise incertaine du N. E.
Toutefois à quatre heures nous pûmes faire une
station à six milles et à l'est de l'île Didi-Houa qui gît
précisément en face et à moins de trois milles de
l'entrée de Wangaroa. Celte entrée est extrêmement
étroite, et à la distance où nous nous en trouvions ,
nous pûmes à peine la distinguer ; mais les mission-
naires de la baie des Iles m'assurèrent qu'en s'enfon-
çant dans les terres , elle s'élargit en un vaste bassin
où toutes sortes de navires peuvent trouver d'excel-
lens mouillages. Malgré la réputation de férocité
qu'ont acquise les naturels de cette tribu , j'aurais
essayé de conduire l'Astrolabe dans cette baie cu-
rieuse, si je n'en avais été détourné par la même raison
DE LASTROLA.BE. t95
qui déjà m'avait tant de fois arrêté dans mes desseins is?7.
le long de cette terre. Ce qui diminue du reste les Mars
dangers de l'entrée de Wangaroa , c'est qu'on as-
sure qu'entre Didi-Houa et la côte on trouve partout
bon fond pour laisser tomber l'ancre et attendre le
vent et la marée favorables pour entrer.
Didi-Houa se compose de deux ilôts escarpés , dé-
nudés, d'une hauteur médiocre, et de deux milles
d'étendue du S. E. au N. O. La passe du S. E. me pa-
rait préférable à l'autre, l'île se prolongeant, de ce der-
nier côté en un brisant. Didi-Houa est une excellente
reconnaissance pour les navires qui veulent se rendre
à Wangaroa, de quelque côté qu'ils viennent. D'un
côté les îles Molou-Kawa et Panaki , de l'autre l'en-
trée de la vasle baie d'Oudoudou seront très-propres
à leur signaler l'approche de Didi-Houa.
A six heures du soir , ne me trouvant qu'à cinq
milles du groupe des îles Motou-Kawa et Panaki [Ca-
valles de Cook), je pris les amures à tribord et les gar-
dai long-temps , à cause de la houle, des vents de N.
N. E. et du courant qui auraient pu, malgré moi ,
me forcer sur la côte entre les îles et la terre. Ce ne
fut qu'à minuit que je remis le cap à l'est , le vent
ayant varié au nord. Au jour, je vis que nous avions '2.
considérablement gagné au nord et que par consé-
quent nous nous trouvions de beaucoup au vent des
îles Motou-Kawa et Panaki. Ainsi je laissai porter de
manière à les ranger à quatre ou cinq milles , pour en
faire la géographie détaillée.
Grâce à une belle brise du nord , nous avançâmes
19G VOYAGE
1827. rapidement vers la baie des Iles. A huit heures du
Mars. matin nous fîmes encore une station par quatre-vingt-
quinze brasses, sable vasard ; à dix heures nous don-
nions dans la baie. Au même instant un navire anglais
courait des bordées pour sortir. En passant près de
lui, nous lûmes le nom iïAsia écrit sur sa poupe, et
à son tirant d'eau nous conjecturâmes que ce devait
être un baleinier dont la pèche était à peu près termi-
née. Plus heureux que nous , il allait bientôt revoir
sa patrie, tandis que nous n'étions encore qu'au début
d'une longue et dangereuse expédition !...
Sur la Coquille on n'avait pu voir ni fixer le brisant
qui faillit devenir si funeste au célèbre Cook. Nous le
distinguâmes parfaitement à une demi-lieue sous le
vent, car la mer brisait dessus avec force : M. Lottin
put donc le placer avec précision sur sa carte. Je pas-
sai à moins d'un demi-câble de la pointe S. O. de
Motou-Aroliia , et je me dirigeai vers le mouillage de
Manawa , plein de confiance dans un croquis du plan
levé en 1824 à bord de la Coquille , qui indiquait
quinze pieds pour le moindre fond sur la route du
mouillage. A midi vingt et une minutes , la corvette
s'arrêta tout-à-coup sur un banc qui doit barrer en
partie l'entrée de la baie Manawa et n'offre en cet en-
droit que onze pieds et demi d'eau. Du reste il faut
qu'il soit très-étroit, car notre arrière comme notre
avant flottaient sur un fond de quinze à seize pieds.
Jeter le grand canot et la chaloupe à l'eau, élonger
une ancre à jet de l'arrière , virer sur le grelin et nous
remettre à flot , furent à peine l'affaire d'une demi-
DE L'ASTROLABE. 197
heure. C'est assez dire quelle activité fut déployée 1827.
en cette occasion , où tout le monde sans distinction Mais*
mit également la main à l'œuvre!... L'ancre à jet fut
ensuite relevée , et je me dirigeai lentement vers le
mouillage , tandis que deux canots éclairaient la route
pour éviter un nouvel accident. Après que la sonde
eut long-temps encore annoncé trois brasses et demie
et quatre brasses d'eau, nous pûmes enfin laisser tom-
ber l'ancre par six brasses , sable vasard. Une heure
après, la corvette fut affourchée N. E. et S. O. avec
cent brasses de chaque chaîne , presqu'au même en-
droit où sous le nom de Coquille elle se trouvait trois
ans auparavant *.
* Voyez note 20.
198 VOYAGE
CHAPITRE XVI.
SE.TOUR DANS LA BAIE DES U.ES
1827. A notre grande satisfaction d'abord, aucune piro-
Mars. gUe jetait, venue nous déranger durant les opérations
importantes et pressées qu'avait nécessitées notre
échouage ; mais notre surprise augmenta , quand nous
vîmes cet isolement durer long-temps encore après
notre mouillage. Lors du séjour de la Coquille en
cette baie, nous n'avions cessé d'avoir des relations
journalières avec les habilans du pâ voisin, et j'y avais
pour ma part laissé de nombreuses connaissances.
Nous ne savions à quoi attribuer cette réserve singu-
lière, quand après avoir examiné attentivement le vil-
lage à l'aide des lunettes , nous nous assurâmes qu'il
était lui-même abandonné entièrement et toutes ses
cases à demi ruinées. Nous en conclûmes que le pà de
Kahou-Wera naguère occupé par une population si
active avait cessé d'exister. La fortune n'avait pas
mieux respecté ses humbles toits que les palais brillans
DE L'ASTROLABE.
199
de tant de cités florissantes dont il ne nous reste plus
que les noms , et soudain je me rappelai involontaire-
ment ces beaux vers du protégé de Mécène :
1S27.
Mars.
Pallida mors icquo puisât pede
Pauperum tabernas
Regumquc turres....
CVt.
Le long d'une petite anse au sud de Motou-Doua ,
nous distinguâmes quatre grandes pirogues échouées
sur la plage ; deux se remplirent de monde , poussè-
rent au large et se dirigèrent évidemment de notre
côté. Puis au bout de quelques instans, par une raison
que nous ne pûmes deviner, elles reprirent le chemin
de l'île, et ceux qui les montaient descendirent de
nouveau à terre.
Enfin sur les cinq heures du soir, je remarquai une
embarcation à la voile qui doublait la pointe Tapeka ,
pour s'avancer vers la corvette. Au premier moment,
je soupçonnai qu'elle était expédiée par les mission-
200 VOYAGE
18*7. naires de Pahia ; mais lorsqu'elle arriva à bord , il se
Mars. trouva qu'elle était montée par King-Harey*, ranga-
tira de Korora-Reka qui me reconnut de suite, et par
le neveu du fameux Pomare de Mata-Ouwi. Le pre-
mier a débuté par me solliciter de la manière la plus
pressante , d'aller mouiller devant son village , répé-
tant sans cesse que nous étions fort mal à Paroa et
que nous ne pourrions nous procurer ni cochons ni
patates. Puis , voyant qu'il ne pouvait m'ébranler, il
s'est mis h me demander coup sur coup des fusils, de
la poudre, des haches , du pain , etc., en un mot tout
ce qui lui a passé par la tête. Ses demandes ne furent
point écoutées , mais je lui annonçai qu'il pourrait ob-
tenir tous ces articles , s'il nous envoyait les vivres
dont nous avions besoin. Il me fit de belles promesses,
* J'ignorais alors que ce chef fût ce même Moïangui si fameux, dans les an-
nales de la Nouvelle-Zélande , par son voyage en Angleterre avec M. Savage ,
et dont M. Marsden a souvent fait mention dans.ses Mémoires. Cependant
j'avais été frappé de son affectation singulière à imiter les manières européen-
nes , de son ton presque courtisan et de sa facilité à s'exprimer en anglais. Si
j'eusse été instruit que je parlais à Moïangui, je lui aurais adressé un plus
grand nombre de questions et je me serais peut-être procuré par sa bouche des
renseignemens curieux sur les vrais motifs des guerres actuelles entre les ha-
bitans de la baie des Iles et ceux de Shouraki. Mais j'avais lu jadis que ce na-
turel avait été banni de Korora-Reka pour cause de vol, par l'ariki tara, et
je le croyais encore à Pa-lka-Nake, pi es Wangari , où il s'était réfugié. Ce
n'a été qu'à mon retour en France, et en lisant le récit de M. Dillon , que j'ai
appris que Moïangui avait pris le nom de King-Charley, que les naturels pro-
noncent par corruption King-IIarey, et qu'il était revenu à Korora-Reka.
Sans doute il avait dû son rappel d'exil à sa parenté avec Kicg-Jorri (King-
Georges), rangatira rahi de Korora-Reka, et dont la mère était la sœur de
Moïangui.
DE L' ASTHOLA.BE. 201
mais je vis facilement qu'il n avait guère plus le pou-
voir que la volonté de les remplir. Alors je lui adressai
diverses questions, et je tirai à peu près de ses ré-
ponses les résultats suivans.
La tribu de Shongui, qui depuis long-temps avait
juré la ruine de celle de Paroa, a profité de la mort de
Touaï arrivée l'année dernière, pour mettre son projet
à exécution. Après ce chef, il ne s'en est trouvé aucun
qui fût capable de soutenir la dignité des guerriers de
Kahou-Wera, et ceux de Kidi-Kidi sont venus à main
armée leur signifier qu'ils eussent à évacuer leur pâ.
Ils se soumirent à cette cruelle condition; personne
ne fut tué , mais les propriétés furent pillées, et les
membres de cette malheureuse tribu sont aujourd'hui
dispersés parmi ceux de leurs voisins qui ont consenti
à leur donner un asile. — Du reste, Shongui n'était
point mort, comme me l'avaient affirmé les habitans
de Moudi-Wenoua, mais très-souffrant de ses blessu-
res àWangaroa où il était alors. — La tribu de Wan-
garoa a été complètement exterminée après une défense
très-opiniàtre. — La flotte que nous avons rencon-
trée près de Wangari était effectivement celle de King-
Jorri de Korora-Reka qui allait faire la guerre à Kaï-
Waka et à Rangui sur les bords du Shouraki. — Un
sauvage ajoutait que les missionnaires de Wangaroa
avaient quitté leur établissement , ainsi que ceux de
Kidi-Kidi, et que tous les Européens se trouvaient en
ce moment réunis à Pahia, au nombre de quarante
environ. Ces nouvelles annonçaient que de grands
troubles avaient eu lieu dans le pays, ce qui m'en-
1827.
Murs.
IÎJ27-
202 VOYAGE
gagea à redoubler de prudence dans nos relations avec
Mars. |es insulaires.
Wetoï , neveu de Pomare, était un jeune et beau
garçon de vingt à vingt-cinq ans , dont l'extérieur an-
nonçait un caractère sociable et des dispositions
douces et bienveillantes. Le léger tatouage qui ornait
ses traits prouvait qu'il n'avait encore pris que peu de
part aux combats. Il m'était triste de songer que le
point d'honneur militaire tout-puissant sur l'esprit de
ces malheureux sauvages devait anéantir dans ce jeune
homme toutes ces heureuses qualités , ou le condam-
ner, s'il les conservait, à subir le mépris de ses compa-
triotes et par suite à renoncer aux droits de sa nais-
sance.
A la nuit nos hôtes nous ont quittés et n'ont laissé à
bord qu'un enfant de dix à douze ans qui a demandé à
y rester.
l3# Toute la matinée, nous avons eu un très-mauvais
temps. Une pluie abondante a été accompagnée de
fortes rafales du N. O., et tout semblait présager un
coup de vent violent. La chaloupe a fait néanmoins
deux voyages à l'eau , à l'aiguade située au fond de la
pi. l. baie. Moi-même vers midi , voyant le vent s'apaiser et
tourner au sud, je me suis décidé à rendre visite aux
missionnaires de Pahia , pour obtenir sans retard les
renseignemens indispensables à notre sécurité, tou-
chant les dispositions des naturels envers les Euro-
péens.
Vers une heure après midi , je m'embarquai avec
M. Gressien dans la baleinière. Jusqu'à la pointe Ta-
DE LASTKOLABE. 203
peka nous avançâmes sans beaucoup de peine; mais 1827,
en doublant cette pointe , une boule très-dure et fort Mars*
creuse jointe au vent contraire nous opposa les plus
grands obstacles. Sans la marée qui était pour nous,
jamais nous n'eussions franchi les trois milles que
nous avions à faire jusqu'à Pahia. Là , nous fûmes ac-
cueillis poliment par les missionnaires, dont l'établis-
sement me parut fort embelli depuis la visite que j'y
avais faite quatre ans auparavant. Ils avaient surtout
formé des jardins nombreux et bien tenus , où crois- ri. lvi.
saient avec succès plusieurs de nos productions d'Eu-
rope , telles que plantes potagères , arbres fruitiers et
grains divers.
Cependant M. Williams (Henri) possédait seul une
petite maison à l'européenne; son frère et M. Davis
leur collègue , plus récemment établis sur ces plages
reculées, n'avaient encore pour habitation que des
cases à la mode du pays , formées de simples treillis
et tapissées par des feuilles de typha , qui pour l'u-
sage remplacent à la Nouvelle-Zélande les feuilles de
canne à sucre si utiles aux insulaires des tropiques.
Les missionnaires me confirmèrent la vérité du
récit qui m'avait été fait par King-Harey au sujet des
habitans de Kahou-Wera. Ils avaient perdu depuis
plus de deux années leur chef Touaï, que j'avais
particulièrement connu; Touao son cousin, qui lui
avait succédé, n'avait ni les talens ni le crédit né-
cessaires pour faire respecter son peuple ; en outre ,
il ne restait plus de la famille de Koro-Koro que
deux frères et un fils incapables par leur âge ou par
Mars.
204 VOYAGE
leurs infirmités de conduire la tribu aux combats.
De tout temps les peuples de Kidi-Kidi s'étaient
montrés jaloux de l'influence que ceux de Paroa
avaient acquise sous la sage conduite de Koro-Koro,
et souvent ils avaient médité leur perte. Après la
mort deTouai, ne voyant aucun chef capable de main-
tenir le rang de leurs rivaux , ils n'eurent garde de
laisser échapper une aussi belle occasion de consom-
mer leur ruine. Les napouïs , les rangatiras les plus
opulens et les plus influens de Kidi-Kidi, demandèrent
à Shongui la permission d'accomplir ce projet , et elle
leur fut accordée. Ils marchèrent sur Kahou-Wera avec
les guerriers de Waï-Male, et la résistancene fut ni lon-
gue ni opiniâtre. Il y eut à peine deux ou trois indivi-
dus tués, et, cédant à la loi du plus fort, le reste des
habitans de Paroa fut dispersé parmi les tribus voisines.
C'est ainsi que ce pâ, si florissant sous les lois de
Koro-Koro et dont la position semblait inexpugnable,
est devenu tout-à-coup un désert et n'a laissé aux
lieux qu'il occupait qu'un amas confus de cases à demi
détruites.
Shongui a été très-grièvement blessé à la poitrine ,
à la gorge et au bras, par plusieurs coups de feu qu'il
a reçus dans ses combats contre les naturels de Wan-
garoa. Il a définitivement exterminé cette tribu ; le ter-
rain qu'elle occupait est devenu sa conquête, et c'est
là qu'il attend aujourd'hui la guérison de ses blessures.
Quand bien même il en réchapperait, ce qui est fort
douteux, il n'y a nulle apparence qu'il puisse jamais
prendre part à de nouveaux combats.
DE L'ASTROLABE. 205
Les naturels de Wàngaroa se distinguaient par des i8s7.
dispositions féroces et turbulentes , et avaient déployé Mars#
de tout temps une grande animosité contre les Euro-
péens. C'est par eux que fut détruit, en 1809, l'équi-
page entier du Bot/ ri ; ils s'étaient emparés , il y a
moins de deux ans, d'un petit schooner [le Mercury),
dont les marins se sauvèrent dans un canot a la baie
des Iles. Enfin, si l'on doit en croire les traditions
aujourd'hui accréditées dans le pavs , eux seuls furent
les auteurs de la funeste catastrophe qui causa la fin
déplorable de Marion et de ses compagnons en 1772.
Les missionnaires de Wàngaroa, abandonnant leur
établissement, s'en étaient retournés à Port-Jackson.
Ceux de Kidi-Kidi et de Pahia avaient aussi expédié
vers ce port leurs effets les plus précieux , et s'atten-
daient de jour en jour à être contraints de quitter leur
résidence, et de chercher leur salut dans une prompte
retraite. En effet, les sauvages s'étaient promis de les
dépouiller complètement de leurs propriétés, si Shon-
gui venait à périr de ses blessures ; en pareille circons-
tance , l'existence même de ces Européens eût pu se
trouver sérieusement compromise. Maintenant ils pla-
cent toute leur confiance dans le petit schooner qu'ils
ont construit et équipé à la baie des Iles , et qui, dans
un danger imprévu , leur offrirait sur-le-champ un re-
fuge assuré.
Tekoke , chef suprême de Pahia et père de Rangui-
Touke, que j'avais vu à Wangari, venait de partir avec
tout son monde pour rejoindre son fils. Presque tous
les guerriers de la baie des Iles , au nombre de deux
1827-
Mars.
20G VOYAGE
mille environ, avaient suivi la même destination.
Tout annonçait une campagne sanglante et destructive
pour les misérables habitans de la baie Shouraki.
Taï-Wanga , l'un de ces naturels que nous ramenâ-
mes sut la Coquille de Port-Jackson à la Nouvelle-Zé-
lande, vivait avec les missionnaires de Pahia. Sur sa
figure tatouée et dans tous ses gestes, je vis briller la
satisfaction et l'orgueil qu'il éprouvait en voyant que
je me souvenais de lui et que je lui adressais quelques
mots d'amitié.
J'appris que mon ami, M. Cunningham, était re-
parti depuis deux mois pour Port-Jackson. Il s'était
trouvé à la Nouvelle-Zélande dans la vraie saison de
l'inflorescence des plantes , qui aurait ainsi lieu en
octobre , novembre et décembre ; mais il s'était plaint
du peu de variété des espèces ; fait qui m'a frappé moi-
même dans mes nombreuses excursions. Ce natura-
liste s'était avancé vers le sud jusqu'à l'île volcanique
Pouhia-I-Wakadi (ile Blanche de Cook), et avait
visité une petite baie nommée Tauranga , située direc-
tement au sud de l'île Mayor, dont les rives sont peu-
plées et bien cultivées. Aujourd'hui , les habitans de la
baie des Iles , dans leurs pirogues , poussent quelque-
fois leurs invasions jusqu'en ces contrées éloignées.
Aidé par Taï-Wanga , qui avait parcouru toutes ces
plages dans ses expéditions militaires, M. Williams
me confirma l'exactitude de plusieurs noms de lieux
en langue du pays que j'avais déjà consignés; il m'en
donna en outre un grand nombre d'autres que je n'a-
vais pas encore pu me procurer. Malgré toutes mes
DE L'ASTROLABE. 207
questions , je n'ai pu obtenir de désignation générale et 1827.
collective pour le territoire qui environne la baie des Mars-
Iles. II est probable qu'il n'en existe pas , chaque tribu
ne reconnaît que le nom qui lui est propre ; et il faut
s'en tenir pour la baie à celui qui lui fut imposé par
l'immortel Cook.
L'établissement que la Société d'agriculture avait
voulu former sur les bords de la rivière Shouki-Anga,
n'a pas eu de suites ; il a été abandonné après avoir
occasioné une dépense de plus de vingt mille pounds de
frais préliminaires.
Les missionnaires m'ont assuré que nous n'avions
rien à craindre de la part des naturels qui redoutent
singulièrement l'effet du canon. Toutefois, je veillerai
à ce qu'il n'y ait entre eux et nos matelots que le moins
de rapports possible à terre ; car c'est la source iné-
vitable des querelles et des malheurs divers qu'ont
éprouvés les navigateurs qui ont visité ces peuples.
Quoiqu'il soit presque impossible de déterminer d'où
proviennent les premiers torts, il v a lieu de croire
que les Européens n'ont pas toujours été sans repro-
ches , ou du moins que leur conduite n'a pas toujours
été assez circonspecte.
Je me promenai quelque temps dans l'établissement,
et les missionnaires me firent voir en détail leurs plan-
tations , leurs constructions, et surtout leurs ateliers
situés dans une petite esplanade au bord de la mer.
A ce sujet , ils me racontèrent que dans une tempête
furieuse du nord , qui avait eu lieu peu de temps au-
paravant, la houle énorme qui était entrée dans la rade
208 VOYAGE
1827. s'était soulevée à une hauteur inconnue jusqu'alors,
Mars- et qu'après avoir submergé une partie de ces ateliers ,
elle était parvenue jusqu'à la porte des maisons, au
grand étonnement des naturels. En recherchant en-
semble la date de ce phénomène, nous reconnûmes
a. qu'elle répondait précisément au jour de l'ouragan
mémorable qui, un mois auparavant, dans la baie
d'Abondance nous avait mis à deux doigts de notre
perte. Ainsi ce coup de vent sortait des circonstances
habituelles, même pour ces parages où ils sont d'or-
dinaire si furieux. Cette observation suffira pour en
donner une idée à ceux qui ont fréquenté les côtes
de la Nouvelle-Zélande.
Les missionnaires me promirent de se charger de
mon courrier pour l'Europe , et de l'expédier par un
navire baleinier qu'ils attendaient sous deux mois et qui
devait se rendre directement en Angleterre. Après les
avoir remerciés , je pris congé d'eux , vers six heures
du soir, et cette fois , favorisés par le vent , le courant
et une belle mer, nous fûmes rapidement ramenés vers
notre corvette.
L'héritier de Pomare coucha à bord, ainsi que plu-
sieurs femmes de ses esclaves qui trafiquèrent de leurs
charmes avec les Français galans de l' Astrolabe.
Comme nous l'avions déjà remarqué sur la Coquille,
ces malheureuses rapportaient en général à leur patron
le produit de leurs faveurs , et ne gardaient pour elles
que le biscuit ou les vivres qu'elles pouvaient se pro-
curer par-dessus le marché. Ce commerce dura pen-
dant tout notre séjour à Paroa. Malgré les inconvé-
DE L'ASTROLABE. 209
niens et le dégoût qu'il entraine à certains égards, je 1827.
ne crus point devoir m'y opposer ouvertement, tant Mars
pour laisser goûter un moment à nos marins l'oubli
de leurs maux passés et de leurs longues privations,
que pour conserver en ma puissance une utile garantie
contre les complots des naturels.
.lavais toujours eu envie de me procurer une de ces
fameuses tètes ( moko mokaï), préparées par le pro-
cédé particulier aux peuples de ces contrées, dans l'in-
tention de l'offrir au musée de Caen, déjà si riche sous
plusieurs rapports, grâce ati goût éclairé et à 1 émula-
tion de mes honorables compatriotes. Cette occasion
ne s était présentée qu'une seule fois , et l'on a vu que
M. Bertrand m'avait alors prévenu. D'ailleurs je n'osais
m'en ouvrir le premier avec les chefs que je rencon-
trais , dans la crainte que la cupidité ne les portât à
sacrifier sans pitié quelqu'un de leurs esclaves pour
préparer sur-le-champ sa tête et me l'apporter; ce qui
est arrivé plus d'une fois. Wetoï vint me montrer avec
mystère une de ces tètes, qu'à son tatouage compliqué
je jugeai avoir appartenu à un personnage distingué.
A cela près d'une forte déchirure sur la joue gauche,
occasionée par une blessure, elle se trouvait alors en
bon état, et je témoignai à Wetoï le désir d'en de-
venir possesseur. Long-temps il exigea en échange
un mousquet que je ne pouvais lui donner. Enfin , la
vue d'une robe bien chamarrée, qui excita vivement les
désirs de sa femme présente à notre marché, et l'affec-
tion sincère que Wetoï semblait lui porter, le détermi-
nèrent, et la tète en question resta en mon pouvoir.
TOME ir. l4
210 VOYAGE
1827. Comme je témoignai à Wetoï l'envie de connaître
Mars. l'histoire de cette tète , il me raconta qu'elle avait ap-
partenu à un rangatira puissant des bords du Waï-
Tamata, nommé Hou, qu'il avait lui-même tué un mois
auparavant. Ce Hou était le père du noble et fameux
guerrier Inaki , dont plusieurs Anglais m'avaient
parlé avec éloges , et qui périt si malheureusement
quelques années auparavant sous les coups du féroce
Shongui. Dans les orbites des yeux , et au lieu de la
résine que les naturels employaient jadis , ils avaient
coulé de la cire rouge quife s'étaient procurée par les
Européens , et dont ils font un grand cas , tant à cause
de sa facile liquéfaction , que de son poli , de sa belle
couleur et de son odeur. J'ai rapporté cette tête en
France , et selon mon projet j'en ai fait hommage au
musée de Caen où elle se trouve aujourd'hui ; mais
l'humidité qu'elle a si souvent éprouvée à bord l'a
beaucoup dégradée. Dans cet état elle ne peut donc
donner qu'un faible exemple des étonnans résultats
qu'obtiennent les Nouveaux-Zélandais dans les prépa-
rations qu'ils emploient pour conserver les dernières
dépouilles de leurs chefs.
Un moment après , Wetoï me présenta le frère de
Pako , jeune homme de bonne mine , alors en visite à
Korora-Reka ; il fut enchanté d'apprendre que son
frère était venu à bord, et surtout que j'eusse été
content de lui. Une autre connaissance que je fus plus
flatté de faire, fut celle du fils de Moudi-Panga, qui
me fut aussi présenté par Wetoï. Moudi-Panga était
ce sage et belliqueux chef de K aï-Para , que les récils
DE L'ASTROLABE. 211
de M. Marsden avaient représenté sous des couleurs 1827.
si intéressantes , et qui sut résister si long-temps avec Ma,s
honneur aux armes meurtrières de Shongui et de
ses compagnons. C'était ce guerrier célèbre et malheu-
reux dont l'histoire m'avait suggéré la première idée
d'un petit ouvrage d'imagination sur les Nouveaux-
Zélandais , et dont quelques traits m'avaient servi de
cadre pour le caractère de mon héros. Dans un com-
bat livré trois ans auparavant , il avait succombé sous
les coups de Tepouna , chef de Rangui-Hou. Quand je
témoignai à Wetoï mon étonncment de voir le fils de
Moudi-Panga au milieu des habitans de la baie des
lies , et pour ainsi dire à la merci de ses plus cruels
ennemis, je lui demandai si c'était à titre d'esclave. Il
repoussa vivement ce soupçon , comme injurieux à sa
réputation , et répliqua que ce jeune rangatira vivait à
Mata-Ouwi chez lui sous le double titre de parent et
d'ami. Suivant les lois de la guerre, le père avait du
succomber sous les coups de Tepouna, mais la vie et la
liberté du fils n'en étaient pas moins à l'abri de toute
atteinte dans la baie des Iles. Quoi qu'il en soit, ce
jeune chef dont l'aspect annonçait une trentaine d'an-
nées , offrait l'extérieur le plus agréable, une figure à
la fois douce , grave et spirituelle. Autant qu'il est
possible de juger du moral par le physique et surtout
par les manières, il est très-probable qu'avec des soins
et de l'éducation on eût pu faire de ce jeune homme
un sujet distingué, car tout en lui annonçait d'heu-
reuses dispositions et une véritable intelligence. Au
nom de son père, je lui fis quelques présens qu'il
i4*
212 VOYAGE
1827. reçut avec tous les indices d'une vive reconnais-
Mars, sance.
AYetoï me quitta de bonne heure avec tous ses guer-
riers , en m'annonçant qu'il partait le lendemain pour
la baie Shouraki où l'appelaient les lois de l'honneur et
ses devoirs de chef. Il laissa à bord toutes ses esclaves,
en ayant soin de les recommander à ma bienveillance
et à celle des officiers.
Peu après, j'ai reçu la visite de MM. Williams et
Davis à qui j'ai montré la route que nous avions tenue
le long de la côte. Ils en ont paru très-surpris , ainsi
que des détails que je leur ai donnés touchant nos
communications avec les naturels. Au sujet des arbres
que j'avais observés dans labaieTasman et au fond de
la baie Shouraki, la conversation est tombée sur les
bois de construction de cette partie du monde. Les
missionnaires m'ont assuré que le meilleur était le bois
de koudi. D'après la description que je leur ai donnée,
ils ont pensé que celui dont je parlais était le kaï-
katea , habitant des lieux marécageux , arbre très-
élevé , très-droit et d'un bel aspect , mais dont le bois
est beaucoup trop léger et trop cassant pour cire em-
ployé avec succès, soit pour les constructions, soit
pour la mâture. Ces messieurs ajoutèrent que les deux
espèces croissaient en abondance dans les forêts de
Kawa-Kawa, et s'offrirent fort obligeamment à m'y
conduire, si j'étais curieux de les examiner moi-même.
Malgré les occupations dont j'étais accablé, cette offre
me parut si séduisante que je l'acceptai avec empres-
sement ; je leur promis d'aller les prendre le lende-
1327.
DE L'ASTROLABE. 213
main matin au soleil levant. Ils m'assurèrent qu'ils ne
connaissaient aucune carte de la Nouvelle-Zélande Mars
postérieure à celle de Cook ; les découvertes acciden-
telles faites par quelques navires n'ont point été pu-
bliées , et le chirurgien Fairfold seul s'est occupé de
donner une esquisse du plan de la haie des Iles ;
c'est celui dont ils se servent aujourd'hui.
La chaloupe a encore fait deux voyages à l'eau, et
on a commencé à couper du bois. Ces travaux ont été
favorisés par le calme et un assez beau temps.
Dès trois heures du matin , accompagné de *5.
MM. Lotlin, Gaimard et Lauvergne, je m'embarquai
dans le grand canot , et je me dirigeai vers Pahia. Une
jolie brise de S. E. nous poussa prompt ement près de
Tapeka ; ensuite à l'aviron, et favorisés par la marée , »
nous atteignîmes facilement l'ilot situé devant l'em-
bouchure du Waï-ïangui. Le jour commençait à peine
à poindre , et nous fûmes étonnés d'entendre un mur-
mure confus de voix qui semblaient partir du sein des
flots. Un moment après , nous aperçûmes un grand
nombre de pirogues , les unes immobiles , les autres
en mouvement, qui couvraient les rives de file. J'appris
plus tard que ces pirogues formaient un détachement
de la flotte entière de la baie des Iles, qui avait tenté
de sortir la veille, mais qu'une brise contraire avait
forcée de rentrer. Comme les Grecs en Aulide, ces
insulaires attendaient des vents plus propices, et
peut-être pour ressembler de tous points aux vain-
queurs de Troie , il ne manquait à leurs héros qu'un
Homère. Il est sûr, du moins , que le sacrifice d'une
i8a7-
2U VOYAGE
jeune fille leur eût peu coûté pour se rendre les dieux
Mars. favorables.
Au même instant , à travers la brume , et tel qu'une
ombre légère , un schooner courait des bords dans la
rade pour atteindre le mouillage. Ce navire était le
Herald, que les missionnaires avaient construit à
Pahia, et qui revenait en ce moment de Port-Jackson
où il avait fait un voyage. On pouvait être ému de ce
contraste : ainsi ce petit navire , faible parcelle de la
civilisation européenne , monté seulement par quel-
ques Anglais paisibles, ne servait que des projets
pieux et pbilanlropiques ; tandis que ces longues pi-
rogues, dernier effort de l'industrie sauvage, allaient,
surchargées de guerriers avides de sang , porter le fer
. et la flamme sur des plages voisines.
Il était cinq heures un quart quand nous arrivâmes
à Pahia. M. H. Williams nous dit qu'une indisposi-
tion qui était survenue à sa femme l'empêcherait de
nous accompagner; il nous donna pour guide son
frère, M. W. Williams, qui fit preuve à notre égard
de la plus grande complaisance , mais dont la société
ne pouvait nous offrir les mêmes avantages : car, plus
récemment établi dans ces contrées, il était encore loin
d'avoir acquis le même usage de la langue et les mêmes
connaissances locales que son frère.
Nous fîmes route vers l'embouchure du Waï-Kawa.
Dans l'étendue de trois ou quatre milles , cette rivière
offre un superbe bassin de plus d'un mille de largeur,
et sur ses bords se dessinent parfois des sites agréables
et de jolis vallons qui sembleraient susceptibles de cul-
DE L'ASTROLABE. 215
ture. M. Williams me fit remarquer le village de 1827.
Shiomi, résidence de Toï-Tapou qui a su joindre à son Mais-
titre de rangatira l'influence du tohunga ou du pro-
phète le plus renommé et le plus accrédité de tous les
environs.
Le lit du fleuve se détourne brusquement sur la
gauche, et les rives qui s'élèvent le forcent à s'en-
caisser et à se resserrer davantage. Bientôt il s'élargit
de nouveau pour former un second bassin; ici une
branche du fleuve lui arrive du S. E., tandis que l'au-
tre découle du S. O. Cette dernière seulement con-
serve le nom de Kawa-Kawa, et à cinq ou six milles
de Pahia , n'offre plus que l'apparence d'une belle et
tranquille rivière de trente à quarante toises de large.
Chemin faisant nous rencontrâmes de nombreuses
bandes de canards déjà tellement instruits des effets
des armes à feu , qu'il nous fut impossible d'en tirer
un seul. De temps en temps des pirogues voguaient à
quelque distance du canot : mais les insulaires de ces
lieux sont également si familiarisés avec les visites
des Européens, que notre apparition excitait à peine
leur attention ; le plus souvent ils passaient le long du
canot sans se détourner de leur route. Leurs projets
de guerre absorbaient toutes leurs facultés , et M. Wil-
liams m'apprit que la plupart de ces pirogues étaient
occupées à porter des vivres pour les guerriers en
partance.
Enfin, le fleuve n'est plus qu'un torrent peu pro-
fond , et dont le cours est même souvent embarrassé
par des troncs d'arbres , des pirogues coulées à fond,
216 VOYAGE
i8a7. et des plantes fluviatiles. Nous nous arrêtâmes à une
Mais. petite distance des premières maisons du village , et
nous mîmes pied à terre. Un petit nombre de naturels
vinrent nous recevoir au bord de la rivière, et paru-
rent satisfaits de nous voir en la compagnie de leur
missionnaire. Celui-ci m'apprit que nous étions sur un
morceau de terrain acheté au nom de la société, et où
M. Davis devait s'établir avec sa famille. M. Davis
était cultivateur de profession , et par son exemple il
comptait inspirer aux naturels quelque goût pour les
travaux de l'agriculture.
Dès que nous eûmes mangé un morceau à la hâte ,
je priai M. Williams de me conduire aux forêts où je
pourrais observer les arbres que je désirais connaître.
Nous traversâmes le village de Kawa-Kawa qui me
parut contenir une centaine de cases très-bien cons-
truites; elles sont disposées dans une belle et riche
vallée arrosée par les eaux de deux torrens , et soi-
gneusement plantée en patates, pommes de terre,
maïs, pastèques et citrouilles. On me fit voir les mai-
sons, les champs, les femmes et les en fan s deTeKoke,
chef de la tribu , et de Rangui-Touke son fils.
L'inviolable tapou établi sur les champs de kou-
maras (ou patates douces) jusqu'à une certaine époque
de leur crue , nous contraignit à faire de longs et en-
nuyeux circuits avant d'arriver aux bois en question.
Vainement M. W. Williams s'était flatté que son in-
fluence pourrait nous soustraire à ces ridicules entra-
ves , vainement il employa près des naturels toute sa
logique pour leur démontrer que nous autres étrangers
DE L'ASTROLABE. 217
et hommes blancs ne pouvions être raisonnablement as- 1827.
sujettis à ces réglemens. Ils furent sourds à toutes ses Mars'
raisons, et lui répondirent constamment que les kou-
maras étaient tapou-tapou , que l'atoua se fâcherait et
les ferait périr s'ils souffraient qu'on en approchât,
et que, dans tous les cas, à leur retour Te Koke et
Rangui les tueraient. Il fallut bien nous rendre à
d'aussi puissantes raisons, et chaque fois qu'un champ
de koumaras se présentait sur notre route, nous étions
forcés de faire un long détour pour ne pas le souiller
par notre contact , et je crois même par notre simple
regard.
Cet exemple de la profonde superstition des Nou-
veaux-Zélandais me rappelait en outre combien Cook,
et même les savans qui l'accompagnaient, étaient dans
l'erreur quand ils avancèrent que ce peuple paraissait
peu soumis à l'influence des prêtres et de la religion.
Il m'expliquait en même temps quelle pouvait avoir
été la source de plusieurs des malheurs éprouvés par
les Européens sur ces plages , malheurs qu'on avait
uniquement attribués au caractère féroce des insu-
laires, tandis qu'ils n'étaient peut-être dus qu'à des
préjugés religieux aussi profondément enracinés dans
leurs cœurs que grossiers et incompréhensibles pour
un étranger. Qu'au temps de Cook ou de Marion
un matelot eut eu la fantaisie d'approcher d'un
champ de koumaras ou de tout autre terrain con-
sacré, l'insulaire n'eût pas manqué de le repousser.
Le blanc se croyant insulté sans motif pouvait avoir
recours à des voies de fait; et de là des querelles
218 VOYAGE
1827. dont il est facile de deviner les dangereuses con-
Mars- séquences.
Quant à nous , instruits des opinions de nos hôtes,
nous sûmes les respecter , tout en les maudissant ;
nous fîmes tous les détours que nos guides jugèrent
convenables. Par cette raison nous traversâmes plu-
sieurs fois la rivière qui n'est plus qu'un torrent sou-
vent guéable. Enfin, nous parvînmes aune vallée très-
humide que les eaux de la rivière doivent submerger
complètement au temps des pluies. Elle était pres-
que entièrement couverte d'immenses kaï-kateas , et je
reconnus au premier coup-d'œil que ce devait être
une espèce de podocarpus. C'est un fort bel arbre
dont le port et le feuillage rappellent assez bien le cy-
près, mais qui atteint de bien plus grandes dimen-
sions.
De là, nos guides, avec de nouveaux circuits , nous
menèrent vers le terrain du Koudi. Sur une petite
éminence j'examinai quelque temps de fort belles
huttes construites avec un soin extrême et ornées de
sculptures bizarres, mais d'un travail remarquable
pour ces régions. Ces cases sont destinées à servir
de magasins pour les patates de la récolte prochaine,
et se nomment doua-koumara. C'est pour ce genre
d'édifice que le Nouveau-Zélandais réserve tout le
goût, tout le luxe qu'il peut déployer. Les habitations
des chefs eux-mêmes ne marchent qu'en seconde li-
gne; sans doute parce que les unes sont utiles à la
communauté entière, tandis que les autres ne sont que
des objets d'intérêt particulier. Peut-être est-ce là
DE LASTKOLABE. 219
une des preuves les plus irrécusables de l'esprit vrai- 1827.
ment républicain de ces peuplades. Mars-
Après avoir gravi un coteau couvert d'arbrisseaux
et de bautes fougères , nous entrâmes dans le lit d'un
torrent peu considérable qu'ombrageaient diverses es-
pèces d'arbres de la plus grande taille. Encore une fois
j'admirai combien le ton général de la végétation , et
surtout des fougères, me rappelait celle des tropiques,
principalement de la petite île d'Ualan, malgré un inter-
valle de mille lieues terrestres , en latitude seulement.
Quatre ou cinq naturels nous suivaient en babillant
gaiement, et témoignant de tout leur pouvoir leur
empressement à m'ètre agréables. Il suffisait que je ma-
nifestasse le désir d'avoir un échantillon de plante, de
pierre ou d'insecte , pour les voir à l'instant se préci-
piter, le recueillir et me le présenter en souriant. Ils
répétaient à chaque instant le nom de Marion, et me
le donnaient , supposant probablement que je devais
être un de ses enfans. Ils m'assurèrent que c'était aux
environs de ces mêmes forets que cet infortuné navi-
gateur avait envoyé couper les mâtures dont il avait eu
besoin. Du reste , il n'était pas douteux que les habi-
tans de Kawa-Kawa n'eussent eu de fréquens rap-
ports avec lui et ses compagnons ; la mémoire de Ma-
rion paraissait leur être chère, et ils repoussaient avec
horreur le soupçon d'avoir trempé dans son assassinat.
Sur un des flancs de la colline , au milieu de plu-
sieurs autres espèces , on me montra le koudi , qui
donne le bois par excellence de toute la Zélande , au
jugement des naturels , comme à celui des mission-
220 VOYAGE
1827. naires. Ceux-ci l'emploient dans leurs constructions
Mars. jg tout genre ^ ei |es autres en l'ont leurs plus belles
pirogues de guerre. C'est un arbre superbe , de forme
pyramidale, qui atteint jusqu'à cent cinquante et cent,
quatre-vingts pieds de hauteur, et dont le tronc s'élève
quelquefois jusqu'à cent pieds sans porter une seule
branche. Nos contrées d'Europe n'offrent pas de plus
belles pièces de bois pour la mâture de nos vaisseaux.
A mon grand regret, il me fut impossible de constater
son genre , à défaut de parties caractéristiques ; il y a
tout lieu de supposer néanmoins qu'il doit beaucoup se
rapprocher des Araucaria.
M. Williams me fit ensuite remarquer le dimou ,
arbre admirable pour sa taille , son port et son feuil-
lage. Il atteint, me dit-on, des dimensions encore plus
considérables que le précédent; mais son bois a le
défaut d'être trop lourd , ce qui le rend peu propre aux
besoins de la marine. Ses branches retombent vers la
terre comme celles du mélèze et du casuarina, et ses
feuilles menues, sétiformes et pointues, semblent le
ranger parmi les conifères. Je ne cessais de m'étonner
de ce que dans une saison encore si peu avancée, el
qui correspondait à peine à notre mois de septembre,
ces arbres ne m'offrissent déjà plus ni fleurs ni fruits.
D'un autre côté, ces belles forêts, qui me donnaient
une idée exacte de l'intérieur de la Nouvelle-Zélande ,
excitaient vivement mon admiration. Jusqu'alors con-
finé sur le littoral , mes observations s'étaient à peu
près bornées à la côte. Ici déjà distant de la mer de six
à huit milles, je pouvais, d'après ce que je voyais, me
DE L'ASTROLABE. 221
faire une idée plus précise de l'intérieur de cette .*>.-.
grande terre. Que de fois je désirai consacrer un temps Mais-
plus considérable à l'examen d'une contrée qui me
semblait si digne d'intérêt à tous égards , et qui ne
pouvait manquer de jouer un jour un rôle important
dans la civilisation ! Mais j'étais commandé par d'autres
devoirs, et je dus m'arracher de ces lieux , après avoir
terminé les observations qui m'y avaient appelé.
ISous prîmes pour revenir au canot un cbemin diffé-
rent de celui que nous avions suivi, mais presque aussi
long, par égard pour les plantations sacrées. Quel-
ques poteaux , fichés en terre dans un lieu écarté sur
le bord du sentier, barbouillés d'ocre rouge et entou-
rés d'un petit espace de terre fraîchement remuée,
attirèrent tout-à-coup mon attention. Mon premier
mouvement fut d'aller voir ce que c'était; mais je fus
retenu par les sauvages qui se jetèrent avec précipita-
tion au devant de moi , et d'une manière très-énergi-
que me firent signe de continuer ma roule. Je m'adres-
sai à M. "Williams pour savoir quel était cet emblème,
et pourquoi il m'était défendu d'en approcher. Mon
missionnaire échangea quelques mots avec les natu-
rels ; mais je vis qu'il voulait éviter de me donner aucun
éclaircissement , car , à toutes mes questions , il se
contenta de me répondre d'un air contraint et embar-
rassé qu'il y avait là quelque chose que je ne devais pas
voir — A l'opposition des naturels, à l'embarras du
missionnaire et surtout à la forme et à la couleur des
poteaux , je conjecturai qu'un sacrifice humain avait eu
lieu récemment en cet endroit, et que peut-être les
222 VOYAGE
1827. tristes restes de la victime y étaient encore exposés
Mars. Tout en persistant dans leurs rits sanguinaires, les
Nouveaux-Zélandais , par un sentiment de honte assez
naturel, n'aiment point à en rendre témoins les Eu-
ropéens, car ils redoutent ajuste titre leur mépris et
leurs reproches. Par un sentiment semblable, quoique
beaucoup plus honorable, les missionnaires ne se sou-
cient pas que des étrangers , et surtout des Français ,
acquièrent, par de semblables faits , la preuve du* peu
de progrès qu'ils ont faits jusqu'à présent sur l'esprit
de ces peuples barbares.
Enfin , nous rejoignîmes notre embarcation , et nous
nous étendîmes sur l'herbe fraîche pour rétablir nos
forces affaiblies par la course que nous venions de faire.
Une foule nombreuse d'indigènes nous environnait,
et nous regardait paisiblement prendre notre repas.
D'un œil avide, ils suivaient les morceaux que nous
portions à la bouche , et celui qui avait le bonheur de
recevoir de l'un de nous un peu de pain ou de viande ,
savourait avec délices cet aliment inusité. Je regrettai
sincèrement que la modicité de nos provisions , à peine
suffisantes pour nous-mêmes , ne nous permît pas de
faire un plus grand nombre d'heureux ; je me contentai
donc d'offrir aux femmes et aux enfans de notre ami
Rangui les restes du repas , préférence qui fit plus
d'un jaloux, mais qui trouvait son excuse dans le
rang de celui qui en était l'objet indirect. Je voulus
ensuite faire savoir à ces insulaires que s'ils voulaient
porter à bord des cochons et des pommes de terre , ils
recevraient en retour les objets qui leur seraient le plus
DE L'ASTROLABE. 223
agréables; mais M. Williams m'expliqua qu'à Kawa- 1827.
Kawa ils ne cultivaient guère que la patate douce, Mars-
dont la récolte était encore éloignée, et qu'ils ne vou-
laient pas même élever de cochons , parce qu'ils redou-
taient les ravages de cet animal dans leurs champs de
patates. Ce même motif les a fait jusqu'à présent s'op-
poser aux efforts des missionnaires pour introduire
des bètes à corne le long des bords du Kawa-Kawa.
Pendant de longues années encore, la ridicule supers-
tition du tapou s'opposera à ce que ce peuple puisse
faire aucun progrès dans l'agriculture, ni dans les
arts qui en dépendent.
Nous nous sommes rembarques vers midi et demi ;
la marée était tout-à-fait basse , et bientôt nous avons
trouvé la rivière réduite à un filet de six à huit pouces
d'eau seulement. Il a fallu traîner le canot l'espace de
près de deux milles. Durant ce temps, M. Gaimard
et moi, nous nous sommes enfoncés dans de vastes
marais sur la gauche de la rivière; couverts d'eau à
haute mer , ils étaient alors entièrement à sec. Sur ce
sol fangeux, nous recueillîmes une espèce d'ampullaire
quis'y trouve très-commune, et n'observâmes quequel-
ques oiseaux de rivage, comme canards, chevaliers, etc.
Une seule espèce d'arbre , disposée en touffe peu
élevée, habite ces plaines submergées.
Après beaucoup de peine , le canot parvint dans l'en-
droit où le lit du torrent , devenu un peu plus profond ,
permit aux canotiers de faire usage des avirons. Malgré
la résistance que nous fit éprouver le flot qui entrait
avec force, nous atteignîmes l'entrée de la baie de
224 VOYAGE
1827. Korora-Reka, et à trois heures et demie nous dépo-
Mars. sâmes M. Williams chez lui.
Afin d'employer avec fruit le reste de la journée ,
je me dirigeai sur-le-champ vers le village de Korora-
R.eka que je désirais visiter. La vue de quelques cases,
pi. xli. garnies de cheminées , élevées par les mains des marins
ou des ouvriers qui ont résidé en cet endroit, an-
nonce au navigateur les premiers effets de la civilisa-
tion européenne. En parcourant ce hameau , on ne
tarde pas à s'apercevoir que les fréquens rapports des
naturels avec les étrangers ont déjà modifié leur
crovance#, ils sont devenus plus tolérans, et commen-
cent même à secouer une partie de leurs supersti-
tieuses pratiques.
Presque tous les hommes de la tribu de Korora-
Reka étaient partis pour la guerre , et plusieurs des
maisons qui sont agréablement situées le long de la
plage, étaient complètement désertes. Il me prit envie
de revoir le village de Mata-Ouwi, où commandait
naguère le redoutable Pomare, où j'avais reçu trois
ans auparavant l'hospitalité de 31. Kendall.
Comme ce village est à peine distant de trois à
quatre cents toises de celui de Korora-Reka, nous y
fumes bientôt rendus, et je fus frappé du nouvel aspect
qu'il m'offrait. En 1824, ses cases étaient éparses,
suivant l'ancienne coutume, sur l'arête d'un coteau
voisin qui s'avance en forme de promontoire dans
les eaux de la baie. Effrayés sans doute par les trou-
bles qui venaient d'avoir lieu dans toute cette partie de
la Nouvelle-Zélande , et voulant se maintenir en état
DE L'ASTROLABE. 2U
de défense contre une attaque imprévue, les habi- 1827.
tans de Mata-Ouwi avaient groupé leurs nouvelles Mars>
cabanes au pied du coteau, sur le bord même de la
mer, et les avaient environnées de palissades élevées,
et de distance en distance fortifiées par des pieux très-
solides.
Une troupe armée vint nous recevoir à la porte du
pà et nous conduisit vers l'habitation du chef. Wetoï,
revêtu de ses plus beaux habits , nous reçut avec gra-
vité, assis à la porte de la cabane, son fusil à deux
coups près de lui. A ses cotés se tenaient sa femme
Ehana, le frère de Pako, le fds de JVloudi-Panga et
ses principaux cliens. Il m'apprit que le vent l'avait
contrarié dans ses projets, et que son départ était
remis au lendemain. Je me plus à examiner quelque
temps le jeune Heikaï, fils aîné de Pomare, à peine
âgé de dix-huit ans , doué par la nature de la plus in-
téressante figure ; aucun tatouage n'avait encore altéré
l'harmonie de ses traits. Dans son maintien , comme
dans ses expressions, rien ne trahissait encore ce
caractère farouche, ce courage sanguinaire qui peu-
vent seuls lui obtenir la considération de ses compa-
triotes.
Sa case , et celle de Wetoï , ornées l'une et l'autre de pi. lxv
figures sculptées en bois et de bas-reliefs d'un goût
très-bizarre et de formes curieuses , attirèrent aussi
mon attention , et je les lis dessiner dans le plus grand
détail par le jeune Lauvergne.
On me montra à cent pas du village la maisonnette
d'un capitaine baleinier nommé Brimm qui a épousé
TOME II. l5
22G VOYAGE
1827. une fille de ces contrées, et qui a, dit-on, conçu un
Mars. ic\ g0ut pour ce pays , qu'il a résolu d'y fixer sa ré-
sidence. D'énormes piles de bois de koudi dispo-
sées aux environs avaient été amassées à ses frais et
devaient lui servir à construire une habitation spa-
cieuse et commode.
La modeste maison de 31 . K endall avait été détruite ,
et les naturels n'avaient épargné que le petit cimetière
fondé par ce missionnaire, qui restait enclos, comme
au temps où je le visitai. Leur profond respect pour
les restes des morts avait assuré à ce terrain les pri-
vilèges du Tapou.
En revenant au canot par Korora-Reka , je fis mar-
ché avec un charpentier anglais établi dans ce vil-
lage, et il s'engagea à me livrer trois cents pieds de
planches en bois de koudi , moyennant trois pounds
(environ 75 francs) , ou trente livres de poudre de
guerre. En ce moment , je ne songeais qu'aux besoins
du bord, et je ne me doutais guère de l'emploi auquel
ces planches devaient être un jour destinées.
Sur ma route , on me fit remarquer la case de
King-George, chef de Korora-Reka ; elle est très-pe-
tite et dépourvue de toute espèce d'ornement. Près de
celle-ci on en construisait une pour sa fille, dans un
goût à demi européen et qui sera infiniment plus
agréable.
Nous nous rembarquâmes, et vers sept heures et
demie nous étions de retour à bord aussi satisfaits que
harassés de notre longue excursion*.
* Voyez note si.
DE L'ASTROLABE. 227
Tant que le missionnaire s'est trouvé avec nous , je 1S27.
l'ai questionné sur divers sujets et en ai obtenu les Rlais'
renseignemens suivans .
Le baron Thierry, qui se prétendait propriétaire
de toutes les îles de la Nouvelle-Zélande, et qui
avait offert à quelques gouvernemens de l'Europe
de rétrocéder ses droits , moyennant des conditions
plus ou moins étranges, avait réellement acquis sur
les bords de la rivière Shouki-Anga environ quatorze
mille arpens de terre des sauvages. Ce marché s était
opéré par l'entremise d'un capitaine baleinier ; dans
ce cas M. Williams m'assura qu'on avait suivi les
mêmes formalités qui avaient été déjà mises en usage,
lorsque les missionnaires voulurent acquérir des pro-
priétés à la baie des Iles. A cet égard, le récit que je
tenais déjà de la bouche de M. Marsden me fut posi-
tivement confirmé.
Lorsque la proposition de ce marché fut faite par
les Européens , les chefs sauvages du canton s'assem-
blèrent pour délibérer en conseil solennel si cette de-
mande pouvait être accordée. La question ayant été
résolue par l'affirmative , les Européens livrèrent les
armes , les ustensiles et les outils stipulés dans le
marché , et prirent possession du terrain convenu.
Tandis qu'ils dressaient le contrat d'acquisition par
écrit, les principaux chefs se faisaient tracer sur la
figure un moho (espèce de dessin en tatouage) d'une
forme particulière. Puis ils apposèrent ce même moko
au pied du contrat , en guise de signature. Suivant
M. Marsden, un pacte assujetti à ces formes solen-
i5"
22S VOYAGE
1827. nelles est désormais inviolable. M. Williams, qui eon-
Ma«. na[t mieux ces insulaires, pense qu'une possession
constante est nécessaire aux acquéreurs pour ne pas
perdre leurs droits, et que s'ils étaient obliges de faire
une longue absence, ils courraient grandement le ris-
que de payer une seconde fois leurs propriétés pour
en recouvrer la jouissance. Quoi qu'il en soit, dans
le cas d'une invasion étrangère , ces droits seraient
absolument nuls aux yeux des vainqueurs , puisqu'ils
ne regardent le plus souvent les missionnaires eux-
mêmes que comme les premiers sujets du chef de la
tribu.
Du reste, ajouta M. Williams, le baron Thierry
dont les projets n'avaient pu faire fortune chez les
Français casaniers et peu accoutumés à franchir les
mers , avait mieux réussi à Londres. L'Anglais est
naturellement aventureux, et sans crainte il trans-
porte ses pénates aux extrémités du monde. Nom-
bre d'ouvriers s'étaient enrôlés sous les drapeaux de
M. Thierry pour aller, sous ses auspices, prendre
possession de la Nouvelle-Zélande. Mais on avait
enfin reconnu que le baron, soi-disant souverain de
nos antipodes , n'avait pas les moyens de remplir ses
engagemens , et les dernières nouvelles qu'on en avait
reçues annonçaient que tous ses projets s'en étaient
allés en fumée. On sent tout ce que devaient avoir
d'absurde les prétentions d'un individu qui se disait
possesseur de toute la Nouvelle-Zélande, pour avoir
acheté d'une seule tribu quelques arpens de terrain.
Une société mieux entendue s'était formée sous le
DE L'ASTROLAKK. 229
titre modeste de New-Zealand Jlax society, et avait 1827.
tenté tout récemment de fonder un établissement dans Ma,s-
ces contrées pour cultiver en grand le Phormiam le-
nax, et exploiter les bois de construction. La nouvelle
colonie était composée de soixante et dix personnes, et
dirigée par M. Shepherd qu'un long séjour à la Nou-
velle-Zélande rendait très-propre à cet emploi. La co-
lonie fut débarquée par le capitaine Hurd dans la baie
Sbouraki, et eboisit d'abord pour s'y fixer une position
qui parut convenir au but qu'on se proposait ; mais
bientôt instruits que les naturels avaient formé le com-
plot de les attaquer à l'improviste et de s'emparer de
tous les objets qu'ils avaient apportés, les nouveaux co-
lons décampèrent précipitamment. Ils se rendirent en-
suite sur les bords duShouki-Angaoùilsrestèrent quel-
ques jours à prendre connaissance des lieux. S'aper-
cevant enfin que les avantages prétendus qu'on leur
avait tant vantés ne répondaient nullement à leurs es-
pérances , ils reprirent le cbemin de la Nouvelle-
Galles du Sud , sans même avoir débarqué.
Avant ensuite questionné M. Williams sur les opi-
nions et les mœurs des naturels , il me dit que , sui-
vant ces insulaires , toutes les ames des morts restent
encore trois jours après le trépas de l'homme à vol-
tiger autour de sa dépouille mortelle, puis elles se
rendent par un cbemin qui leur est tracé au cap
Reinga pour se précipiter sans distinction dans le Po-
7ioui (nuit, éternelle). — Un chef de Rangui-Hou ,
étant revenu d'un sommeil léthargique qui dura
deux jours, assura que son ame était déjà partie
230 VOYAGE
1827. pour le cap Reinga , que là elle fut arrêtée par le vaï-
Mars- doua d'une jeune fille de sa tribu morte quelque
temps auparavant. Celle-ci lui avait déclaré qu'il avait
encore vingt-quatre heures à passer parmi les siens,
puis qu'alors elle le recevrait et le conduirait elle-
même dans le Pô-nouï. En effet il mourut le surlen-
demain. — Les corps des morts sont placés debout
dans des coffres de bois hermétiquement fermés, et
restent en cet état le temps nécessaire pour opérer la
décomposition complète des chairs; puis les os sont
retirés avec les cérémonies requises et déposés dans le
tombeau de la famille.
Suivant ce missionnaire, pour les mariages l'homme
n'a pas besoin du consentement de la femme. Celui du
père ou des frères suffit; alors la fille peut être enlevée
de vive force par son amant , ce qui ne s'accorde guère
avec le récit galant que m'avait fait Touaï, et l'affection
sincère qui règne souvent entre les époux. Au mo-
ment du mariage, comme à celui de la mort (toujours
selon M. Williams), les voisins accourent pour ravager
et piller les propriétés du mari ou du défunt. Sans
doute cela est arrivé dans une foule de cas, et surtout
dans les mariages où les convenances paraissent vio-
lées ; mais je ne crois pas que ce soit une coutume
invariable.
Quoique traitées en général avec une grande rigueur,
il se trouve cependant des femmes qui se concilient
toute l'affection de leurs époux, et obtiennent même
un grand empire sur leur esprit. Ainsi Etoudi, femme
de Shongui, qui est morte dernièrement, quoique
DE L'ASTROLABE. 2*1
aveugle et déjà d'un certain âge, avait captivé toute la 1827.
confiance de ce farouche guerrier. Elle raccompagnait Mar*-
constamment aux combats, y prenait part et influait
souvent sur les délibérations publiques. Les mission-
naires s'accordent à convenir qu'Ltoudi était une femme
de beaucoup de tète et de jugement.
Les Nouveaux-Zélandais ont une espèce de baptême
pour imposer un nom au nouveau-né, et M. Williams
conjecture qu'ils ont en outre quelque idée de circon-
cision.
Ce missionnaire porte à cinq cent mille âmes le
nombre des habit ans de l'île Ika->"a-Ma\vi; il estime
qu'un dixième seulement des terres qui composent sa
superficie serait, susceptible d'être labouré. — Quoi-
que la fougère occupe la plus grande partie des hau-
teurs qui ne sont pas boisées, il est cependant des lieux
dans l'intérieur où le phormium croît en abondance.
— Ces îles ne nourrissent ni serpens ni insectes ve-
nimeux, seulement quelques lézards assez gros. On
n'y trouve non plus, ajoute-t-il , ni coquilles terrestres
ni poissons deau douce, ce qui est difficile à croire
quand on songe aux vastes lacs de M au père et de
Roto-Doua. — Il y a seize à dix-sept milles de Kidi-
Kidi à Waï-Male, et seize à dix-huit milles de Kawa-
Kawa à Tae-Ame. — Ce dernier district est fort peu-
plé, et riche en terres labourables : Temarangai est un
de ses principaux rangatiras. — De petits bàtimens
pourraient remonter assez avant dans la rivière de
Kawa-Kawa. — Cette désignation lui vient de l'arbris-
seau de ce nom , espèce de poivre», qui croît en abon-
232 VOYAGE
1827. dance sur ses bords , mais dont les naturels ne sa-
Mars. vaient point extraire une boisson enivrante comme on
le fait dans les îleséquatoriales. Ils savaient cependant
en composer une autre avec les petites baies noires
qui croissent par grappes sur un arbrisseau que
Forster a nommé Coriaria sarmentosa. — L'ile
Blancbe ( Pouhia-i-ïJ^akadi) est certainement un vol-
can en activité que M. Williams visita tout récem-
ment avec son frère et M. Cunningham; quelques
arbres frappèrent leurs regards , le reste est à nu.
D'ailleurs l'odeur sulfureuse et suffocante qui s'en
exhalait les força à se rembarquer promptement.
M. Quoy reçut quelques échantillons de roches qui
provenaient de ce volcan. Ainsi s'expliquent naturelle-
ment les torrens de fumée qui enveloppaient cette
île au moment de notre passage, et les nombreuses
pierres ponces que nous vîmes flotter sur les eaux
de la baie d'Abondance.
16. Ce matin tous les hommes de l'équipage sont allés
laver leur linge à l'aiguade. J'ai gardé le bord toute la
journée pour terminer mon courrier. Dans un rapport
fort détaillé, je rends compte au ministre de toutes
nos opérations depuis notre départ de Port-Jackson
jusqu'à notre arrivée à la baie des Iles. Sans doute il est
fort à craindre que des nouvelles expédiées en France
d'un pays situé à ses antipodes , ne parviennent pas à
leur destination. C'est pour moi, je l'avoue, un sujet
de vive inquiétude ; car au travers des nouveaux ha-
sards que nous allons affronter, être certain que la
marine et les amis des sciences pourront connaître de
DE L'ASTROLABE. 233
la-
quelle manière nous avons employé notre temps le
long des côtes delà Nouvelle-Zélande, serait du moins Mars-
une satisfaction. Au moment de périr sur les redou-
tables brisans de la baie d'Abondance, l'idée la plus
triste qui put s'offrir un instant à mon imagination, fut
que nous allions tous disparaître sans laisser même la
moindre trace de nos travaux.
Le grand canot est allé jeter la seine sur la pres-
<fh île de l'observatoire , et n'a rapporté qu'un peu de
menu poisson. Il est venu deux pirogues le long du
bord avec des pommes de terre et quelques légumes ;
mais les prix des naturels sont exorbitans. Ils ne
rougissaient pas de demander une livre de poudre
pour quelques oignons et à proportion du reste , re-
fusant toute autre espèce d'article en échange.
Les tribus de la baie des Iles sont tout-à-fait cor-
rompues par le commerce des baleiniers , et je ne con-
çois pas comment les missionnaires persistent à sé-
journer là, plutôt que d'aller vivre sur d'autres points
dans le sud d'Ika-Na-3Iawi, où ils auraient bien plus
de chances de voir leurs efforts couronnés de quelques
succès.
L'eau et le bois ont été continués. J'ai envoyé
M. Paris porter mon courrier aux missionnaires de
Pahia ; le dessinateur l'a accompagne afin de prendre
la vue de leur petit établissement. Vers onze heures
du matin, une pirogue a accosté le long du bord, et
j'ai reconnu avec plaisir le vieux Jack Rangui, frère de
Koro-Roro et de Touaï , qui nous avait jadis servi de
garde sur la Coquille. Accablé d'infirmités et courbé
234 VOYAGE
1S27. sous le poids de l'infortune, ce malheureux insulaire
Mars. m'aborda les larmes aux yeux, et parut éprouver
beaucoup de satisfaction de ce que je me souvenais
de lui : je l'entretins de son séjour à bord et je
lui fis quelques présens. Il me confirma que c'était
effectivement les gens de Shongui qui avaient chassé
de leurs foyers les habitans de Kakou-Wera. Peu de
temps après la mort de Touaï, sa femme Ehidi et son
petit enfant avaient eux-mêmes succombé. L'ariÉi
Touao et sa femme étaient encore vivans et réfugiés ,
ainsi que lui Rangui, à Waï-Tangui ; mais il se plaignait
amèrement des procédés peu généreux du chef et des
membres de cette tribu. Te Rangui apportait quatre
cochons dans sa pirogue, mais comme il exigeait abso-
lument une couverture de laine en retour, et que per-
sonne ne pouvait lui en donner, il fut obligé de rem-
porter sa marchandise.
A midi, je quittai la corvette, accompagné de
MM. Quoy, Gaimard, Gressien et Lesson, pour vi-
siter les ruines du pâ voisin ; en conséquence nous dé-
barquâmes dans l'anse située derrière la presqu'île qui
le renfermait. Une plage assez basse entoure celte cri-
que dans sa plus grande étendue. Diverses éminences
qu'on aperçoit aux environs portent évidemment
l'empreinte du travail des hommes, et il est très-
probable qu'elles ont été jadis occupées aussi par des
citadelles zélandaises qui ont précédé celle de Kahou-
Wera et qui auront été abandonnées comme elle. Chez
ces peuples, serviles esclaves du Tapou, mille raisons,
indépendammentdes vicissitudes des combats, peuvent
DE LASTROLA.BE. 235
amener une Iribuà quitter volontairement sa résidence, 1827.
Mars.
et ce n'est pas chez eux qu'il faudrait chercher des sites
consacrés par plusieurs générations successives.
Quelques cases en ruines , des débris de tombeaux
et des palissades enfouies sous l'herbe attirèrent quel-
que temps mes regards sur le rivage. A peu de dis-
tance, dans une position assez agréable et ombragée de
quelques grands arbres, chose assez rare sur ce point M. lv.
de la côte, on voyait encore la maison de campagne de
Koro-Koro. Proprement construite, elle n'avait pas
moins de dix à douze pieds en carré, et je pouvais fa-
cilement m'y promener debout; ce qui est presque un
luxe pour ces peuples dont les cases ont rarement plus
de cinq à six pieds de hauteur. Il est vrai que Touaï
ayant vécu à Sydney et même à Londres , ses idées
s'étaient un peu agrandies* et le palais de son frère
avait pu s'en ressentir.
Nous gravîmes ensuite le coteau sur la cime duquel
était assis le pà ruiné. Les immenses fossés dont il était
environné, le chemin couvert et une partie des palis-
sades existaient encore ; mais le silence du désert y
régnait. Quatre ans auparavant, conduit par Touaï, j'y
avais été reçu avec les honneurs de la guerre par Fariki
Touao son cousin qui en son absence commandait le
fort. En ce moment même la femme de celui-ci su-
bissait l'opération du tatouage sur une épaule. Je
m'étais arrêté un instant près d'elle, puis j'avais par-
couru avec intérêt les cases du pà échelonnées par pi. li
gradins sur la pente d'un coteau escarpé et occupées *' L1L
par une population active et nombreuse. Il n'y restait
236 VOYAGE
1827. pas un être animé ; six mois avaient suffi pour conver-
Mars. tjr en rujnes des cases fragiles dont les matériaux n'é-
taient que des branches, des feuilles, et quelques
planches; partout l'herbe remplissait leurs intervalles.
Avant qu'il se soit écoulé deux ou trois années, les
voyageurs pourront à peine distinguer si ce coteau fut
habité ; tant s'effacent rapidement les traces des peu-
ples demeurés étrangers aux arts de la civilisation *J
Je fis prendre par mon secrétaire trois ou quatre
vues différentes de ce village abandonné ; je méditai
quelque temps sur ses ruines, et, ramenant mes yeux
sur la corvette mouillée paisiblement sous mes regards,
je me rappelai les épreuves qu'elle venait déjà de subir.
Une année seulement s'était écoulée depuis notre dé-
part de France , c'était à peine le tiers de la carrière
qu'elle avait à fournir. En outre, les parages que nous
allions parcourir étaient bien plus dangereux que ceux
que nous avions traversés , la Nouvelle-Zélande ex-
ceptée. Il y avait lieu sans doute à de graves ré-
flexions... Mais je me relevai brusquement sans vou-
loir m'y livrer ; je repris le chemin de la plage, et je
m'embarquai à l'endroit même où Touaï m'avait mon-
tré avec orgueil ses immenses filets , quatre ou cinq
fois plus grands que notre seine. Il ne restait plus
que les poteaux du hangar où on les ramassait.
Je fis dîner avec moi l'infortuné Rangui, honneur
que je n'avais accordé à aucun des autres chefs de la
baie des Iles , et le questionnai de nouveau sur ce que
* Voyez note 11.
ioa?.
DE L'ASTROLABE. 237
la tradition lui avait appris touchant le meurtre de
Marion. Ainsi que me l'avait déjà raconté son frère Mars
Touai, Rangui déclara que Tekouri, qui s'en était rendu
coupable, n'appartenait point à la baie des Iles , mais
à Wangaroa , ainsi que ses guerriers. Toupahia ou
Malou était chef de Rawiti où Marion se trouvait
mouillé, et Kotahi commandait dans l'île Molou-Doua
où les malades avaient été déposés. Celui-ci, grand-
père de Koro-Koro, fut la première victime des Fran-
çais. Rangui assure positivement que c'est à Marion
que ses compatriotes doivent les cochons, les oignons,
les raves , les choux et les navets qu'ils possèdent au-
jourd'hui. Malgré les injustes réclamations des An-
glais , la chose paraîtra plus que probable quand on
voudra bien réfléchir que Marion séjourna plus de
deux mois sur ce point, qu'il y fit défricher un jardin
et planter toutes sortes de graines. Cook au contraire,
qui n'y parut que dans son premier voyage, n'y passa
que cinq ou six jours, et il ne dit nulle part qu'il ait
laissé aux naturels aucune de ces productions , ce
qu'il n'eût pas manqué de mentionner, dans le cas con-
traire. — Manawa-Oura est un terrain situé au fond
de la baie de Manawa et à deux milles seulement des
bois où croit le koudi ; c'est là que M. Marsden comp-
tait former un établissement du temps de Koro-Koro.
— Rangui m'a appris que l'île Motou-Doua est un
apanage particulier de sa famille, dontKahou, fils de
Koro-Koro, plus connu sous le nom de Williams, est
aujourd'hui le légitime héritier. Il m'assura qu'elle
nourrissait beaucoup de cochons sauvages, et m'invita
238 VOYAGE
1827. à aller en tuer quelques-uns pour l'équipage de UAs-
Mars- trolabe. — Rangui et sa suite eurent la permission spé-
ciale de passer la nuit à bord , qu'on leur accorda par
égard pour leur infortune et pour les liens de l'an-
cienne hospitalité que nous avions contractés ensemble
sur la Coquille.
r8. Il ne vint à bord dans la malinée que trois pirogues
chargées de phormium et de pommes de terre. Les
hommes qui les montaient ne consentaient d'abord à
livrer ces objets que pour des fusils ; ce ne fut qu'après
s'être convaincus que nous n'étions pas disposés à leur
en donner, qu'ils voulurent bien recevoir de la poudre.
L etoupe commençait à tirer à sa fin ; je fis acheter
une bonne quantité de chanvre de phormium pour le
service de l'histoire naturelle. Les sauvages de ces pi-
rogues, appartenant pour la plupart à la tribu de Kidi-
Kidi, montraient ce ton d'arrogance, cet air de fé-
rocité et cette duplicité dans leurs marchés qui m'a-
vaient déjà frappé autrefois. Aussi donnai-je l'ordre
de les surveiller avec soin, en même temps que je leur
fis interdire l'accès du bord.
Curieux de vérifier ce qu'il y avait de vrai dans le
récit de Rangui touchant les cochons de Motou-Doua,
je partis accompagné de M. Dudemaine, du maître-
commis et du maître-voilier , les chasseurs les plus
déterminés du bord ; et, guidé par le fils de Rangui
et un jeune naturel nommé Kokako , je me fis trans-
porter sur cette île. J'ai contemplé avec intérêt le petit
vallon situé au sud , car ce fut là que Marion établit
son hôpital et son jardin. Il n'en reste aucun vestige
DE L'ASTROLABE. 239
apparent; les choux et les raves y croissent en abon- 18?:.
dance, et ce petit morceau de terre qui est très-borné Mars"
semble d'une grande fertilité.
Nos chasseurs s'empressèrent de parcourir File dans
toutes ses parties pour se mettre à la quête des co-
chons. Pour moi,je gravis paisiblcmentjusqu'à sa cime,
glanant ça et là quelques plantes , car la végétation
n'en est ni variée, ni active, et se compose en grande
parlie de fougères et de broussailles peu remarqua-
bles. Du sommet, j'admirai la vue magnifique de la baie
entière, de ses ramifications et des îles nombreuses
qui lui firent donner son nom par Cook. En réfléchis-
sant aux avantages que ce beau havre offre aux navires,
je ne pus m'empècher de songer au rôle important qu'il
jouera un jour, lorsque la Nouvelle-Galles du Sud sera
devenue un Etat puissant. Après la baie Shouraki et
le détroit de Cook , la baie des lies sera l'un des points
les plus fréquentés par les navires qui sillonneront
alors en tout sens l'Océan-Pacifique.
Fatigué de l'inutilité de mes recherches en botanique
et en entomologie , je m'étendis sur la fougère pour
me livrer à ces réflexions. Après m'ètre élancé dans
l'avenir, après avoir en quelque sorte assisté en ima-
gination au spectacle que les siècles et la civilisation
préparent à ces contrées , mon esprit fatigué de sa
longue excursion vint se reposer sur la corvette. Je
me rappelai que j'avais fixé le départ au lendemain ,
et je me décidai à reprendre le chemin du navire pour
en hâter les préparatifs.
Les chasseurs n'avaient cessé de courir après les
240 VOYAGE
1827. cochons sauvages; ils en aperçurent trois, mais ils
Mars. n-en atteignirent aucun. Pour réussir dans cette
chasse , il faudrait avoir des chiens ou se tenir a l'affût
dès la pointe du jour. Ces animaux sont très-défians
et fort agiles. Je pense d'ailleurs que depuis l'expul-
sion des habitans de Kahou-Wera , les naturels des
tribus voisines ont dû leur donner fréquemment la
*
chasse et en réduire beaucoup le nombre. En effet,
Motou-Doua semble être devenu le rendez-vous des
guerriers qui vont à la baie Shouraki , leur dernier
point de départ.
Vers onze heures du matin , l'Anglais qui m'avait
vendu du bois l'a apporté : notre maître charpentier
l'a trouvé d'une excellente qualité. Pour trois cents
soixante pieds de koudi, cet homme a reçu trente-
six livres de poudre, qu'il débitera aux naturels à
haut prix. Il m'a indiqué les qualités des bois de la
Nouvelle-Zélande dans l'ordre suivant: 1° Koudi,
supérieur à tous sous tous les rapports, et propre
à faire d'excellentes mâtures ; 2° Tanakea , a le dé-
faut d'être plus pesant ; 3° Totara , a l'inconvénient
opposé; 4° Poudi-kovea, encore plus lourd que le
tanakea; 5° enfin, le Dimou, qui ressemble pour le
port au mélèze , est le bois le plus pesant de la Nou-
velle - Zélande. Il m'a encore cité plusieurs autres
espèces dont j'ai oublié les noms. Cet homme m'avait
apporté une tête tatouée après la mort , dans l'espoir
de me la vendre ; mais elle était si mal conservée que
je n'en ai pas voulu, et je crois qu'un matelot en a fait
l'acquisition pour quelques nippes.
DE L'ASTROLABE. 241
D'après une noie que j'avais demandée à M. \\ il- is?;.
liains et que je reçois à l'instant , il paraîtrait que le Mars-
moyen employé par les naturels pour parvenir à une
conservation aussi étonnante , consiste seulement à
exposer d'abord ees tètes à la chaleur de leurs fours
de terre , après en avoir enlevé la cervelle et avoir mis
en place des pierres chaudes. Quand ils ont fait évapo-
rer tous les corps gazeux , de manière à ne point enta-
mer la chair, ils exposent encore les tètes à la chaleur
<lu soleil jusqu'à parfaite dessiccation. Convenablement
préparées, elles peuvent ensuite se conserver vingt,
trente et cinquante années dans le même état, en
ayant soin de ne point les exposer à l'humidité.
M. Williams assure qu'aucune substance étrangère
n'est employée dans ce procédé qui serait ainsi de la
plus grande simplicité.
Les douze à quinze femmes, qui s'étaient établies
à bord presqu a poste fixe depuis notre arrivée , s'y
trouvaient encore ce soir, et je pressentis un surcroît
d'embarras quand il s'agirait de nous en défaire le len-
demain matin au moment d'appareiller. Je crus qu'il
valait mieux en être débarrassé d'avance , et je leur
fis signifier d'embarquer toutes dans une grande piro-
gue qui était restée près du navire. Comme on pouvait
s'y attendre, il y eut des larmes répandues, car ces
pauvres créatures s'attachent réellement aux Euri
péens malgré le peu de jours qu'elles ont à passer avec
eux. Enfin, à six heures du soir, M. Jacquinol
m'annonça que tous les naturels, hommes el fem-
mes, avaient évacué la corvette, et qu'il n'y restait
TOME II. l(i
1827.
Mars.
242 VOYAGE
plus qu'un jeune homme qui avait résisté à tous les
efforts tentés pour le renvoyer, en déclarant qu'il
voulait nous suivre partout.
Alors les maîtres s'avancèrent pour réappren-
dre qu'en effet, dès le moment où la corvette avait
mouillé , ce jeune insulaire s'était établi à bord , tra-
vaillant comme un véritable matelot et. se contentant
du reste des plats. Soumis , actif et intelligent, il avait
annoncé la détermination de rester sur l Astrolabe
jusqu'au moment où on le jetterait hors du bord.
Déjà, par ses manières et son heureux caractère, il
avait su captiver l'amitié et l'intérêt de tous les mate-
lots. Je le fis appeler, et je vis un petit homme trapu ,
alerte et dégourdi , qui , à cela près de deux ou trois
légers traits de tatouage sur les lèvres , aurait pu aisé-
ment passer pour un Provençal ou un Sicilien très-
brun. Je le questionnai dans son langage moitié zélan-
dais , moitié anglais corrompu. J'appris qu'il n'était
point né à la baie des Iles. Dès son enfance , il avait
été esclave dans la tribu de Korora-Reka. Après
avoir vu sacrifier ses compagnons aux obsèques des
derniers rangatiras , il redoutait de voir arriver son
tour qui devait être le premier. Il avait déjà servi
sur deux navires baleiniers et ne se plaignait point
de ce métier. Toutes les prières , les promesses et
les supplications qu'il put imaginer, il les employa
pour me déterminer à l'emmener avec moi. Attendri
par ses instances et touché du sort qui le menaçait, j'ai
pensé que ce serait un acte d'humanité que de le pren-
dre avec nous , sauf à le laisser ailleurs , si cela lui plai-
DE L'ASTROLABE. 243
sait. Dès qu'il a eu l'autorisation de rester avec nous, ce 1827.
pauvre garçon s'est livré d'abord aux démonstrations Mars-
de la joie la plus extravagante; puis il s'est remis, a
piis un maintien plus assuré, et a déclaré d'un ton
fort résolu aux naturels qui l'attendaient dans leur
pirogue , qu'à présent il était Youroupi ( Européen ) ,
en conséquence tapou-tapou, et que personne n'avait
droit sur lui que le rangatira rahi du Kaïpouke. Les
autres ont paru faire peu d'attention à cette nouvelle ;
au moment de prendre définitivement congé de nous ,
une femme esclave seule s'est approchée de Kokako,
lui a fait ses adieux par le salut shongui en versant
quelques larmes, et tout a été fini. Je l'ai fait inscrire
sur le rôle comme domestique , et lui ai fait donner des
hardes qu'il a tout de suite portées avec la même ai-
sance que s'il les eût mises toute sa vie.
MM. Jacquinot et Lottin sont encore allés prendre
ce matin des angles horaires pour conclure la marche
des montres , tandis que tout se préparait pour l'appa-
reillage. A dix heures vingt minutes , nous avons dé-
rapé et fait route pour sortir de la baie : il était alors
pleine mer, et nous avons trouvé vingt pieds sur le
banc qui nous avait arrêtés en entrant. La brise souf-
flait au N. E., il a fallu courir des bordées pour sortir
de la baie, et ce n'est qu'à la troisième que nous avons
pu atteindre le large en passant à trois encablures du
singulier rocher Wiwia. Nous avons revu très-distinc-
tement l'écueil de Cook , au N. O. de l'îlot Okahou , et
M. Lottin a pris dessus de nouveaux relèvemens.
Enfin , F Astrolabe quitte les côtes orageuses de la
244
VOYAGE
1827.
Mars.
Nouvelle-Zélande, et va se diriger vers les parages plus
tranquilles de la zone équaloriale. Si nous en croyons
les récits de la plupart de nos prédécesseurs, si nous
nous fions à ce que nous avons nous-mêmes éprouvé
durant la tranquille navigation de la Coquille ; dans
cette zone où régnent habituellement les agréables bri-
ses de l'E. et du S. E., nous allons enfin nous reposer
de nos longues fatigues ; notre imagination, souriant
d'avance à cette douce perspective, s'efforce d'oublier
les terribles épreuves que nous venons de subir. Trois
fois déjà l'expédition a été menacée d'une ruine com-
plète : à l'entrée du bassin des Courans , à la passe
des Français, et surtout près des récifs de la baie d'A-
bondance. Vingt fois elle a été assaillie par des vents
furieux , et ce n'est qu'avec la plus grande peine
que nous sommes venus à bout de la tâche importante
que nous avions entreprise. Mais nous emportons
l'idée d'avoir consacré par d'honorables travaux no-
tre séjour sur les cotes de la Nouvelle-Zélande. Un
développement immense de ces côtes a été tracé dans
le plus grand détail et de la manière la plus scrupu-
leuse. Désormais la géographie ne pourra plus traiter
de ces grandes îles australes sans rappeler les travaux
et les découvertes de l'Astrolabe. Quels sont les périls,
quelles sont les privations qu'un semblable résultat
ne puisse faire oublier * ! —
* Voyez note 2 3.
NOTES.
TOMF. tl. >7
NOTES.
Extraits des Journaux des Officiers de l'Expédition.
page 27.
Ravi de cette preuve étonnante de leur hardiesse
et de la confiance entière que nous leur avions ins-
pirée.
Le i5 janvier, l'ancre fut levée au point du jour; les vents
étaient sans force, et la corvette, toutes ses voiles déployées,
avait à peine changé de place lorsqu'on aperçut deux pirogues
qui , parties du rivage, faisaient force de rames pour nous at-
teindre. Chacune de ces légères embarcations était montée par
huit ou dix hommes, et l'un d'entre eux se tenait debout au
milieu, tandis que les autres maniaient la pagaie. Arrivés à
peu de distance du bâtiment, ils s'arrêtèrent et demeurèrent
quelque temps à nous considérer. 11 fallut leur faire bien des
signes et des démonstrations amicales avant qu'ils se déci
dassent à approcher la corvette; enfin la voix du commandant
qui les engageait dans leur langue à venir à bord , fixa leurs
irrésolutions. On leur jeta une corde pour amarrer leur piro-
gue le long du navire, et ils montèrent aussitôt sur le pont.
248 NOTES.
La présence de ces hommes au milieu de nous excita dans
tout l'équipage une vive curiosité. Grâce aux relations des
voyageurs, les guerriers de la Nouvelle-Zélande apparaissent
toujours aux Européens grandis de toute cette terrible renom-
mée que de nombreux actes de barbarie ne leur ont que trop
justement acquise. Les parages même que nous visitions ont
fait payer bien cher leur découverte aux premiers navigateurs.
Nous avions à peu de distance dans l'est ce canal de la Reine-
Charlotte , sanglant théâtre de la mort affreuse des compa-
gnons de Furneaux; derrière nous, à peine à quelques milles
s'étendait l'anse du Massacre , dont le nom de sinistre mé-
moire atteste encore la cruauté des indigènes et la fin malheu-
reuse des matelots de Tasman. Quelle que fût cependant la
puissance de nos souvenirs, les impressions de la première vue
ne furent point défavorables à nos hôtes. Si leurs yeux un peu
farouches et leurs formidables râteliers éclatans de blancheur
arrêtèrent nos pensées sur quelques tragiques images, nous
dûmes convenir aussi que l'expression de leurs traits , leur atti-
tude et leurs manières, portaient l'empreinte d'un caractère
franc et décidé et d'une fierté qui a la conscience de sa force.
Réunis sur le pont , entourés de notre équipage , ils ne té-
moignaient aucun embarras, et même quelques-uns se livraient
à de bruyans accès de gaieté. Ils nous serraient les mains affec-
tueusement en répétant sans cesse le mot Kapaï, qui dans leur
idiome signifie bon ou beau ; puis ils riaient aux éclats , puis
ils s'appelaient entre eux à grands cris et parcouraient le navire
en courant ou en sautant. Tout était pour eux un sujet d'éton-
nement : situés au fond d'une immense baie qu'avant nous au-
cune exploration n'avait fait connaître, peut-être ces naturels
voyaient-ils pour la première fois un navire si près de leurs
rivages ; aussi leur admiration était-elle excitée sans cesse par
une foule d'objets nouveaux; mais autant leur surprise était
vive, autant elle était passagère. On l'a déjà souvent remarqué,
nos arts, résultats d'une civilisation très-avancée, ne peuvent
affecter que les organes extérieurs des hommes vivans dans
NOTES. 249
l\kat sauvage ; leur esprit s'inquiète peu des causes d'un méca-
nisme dont l'effet frappe leurs sens; c'est ainsi qu'ils attachent
le même degré d'importance à des objets qui dans l'échelle de
nos inventions se trouvent «placés à des distances extrêmes.
Notre mâture, par exemple , et les mouvemens des voiles cap-
tivaient vivement l'intérêt de ces sauvages ; dans les inslans où
on manœuvrait, rien ne paraissait devoir les distraire; mais si
le sifflet du maître se faisait entendre, tout était oublié, et ils se
pressaient autour de ce merveilleux instrument qui avait sans
doute pour leurs oreilles un charme particulier, car presque
tous voulaient essayer d'en tirer quelques sons, et le moindre
succès dans cette tentative les mettait dans le ravissement.
Ce qui se passait dans l'intérieur du navire les occupait
beaucoup , et d'autant plus peut-être qu'on ne leur permettait
pas de descendre dans l'entrepont. Ils se tenaient groupés au-
tour des panneaux, et considéraient curieusement cet arrange-
ment intérieur qui a le droit d'étonner même un homme civi-
lisé, s'il jouit pour la première fois de ce spectacle; l'usage
des fusils ne leur paraissait pas inconnu , ils avaient pu en voir
entre les mains de leurs compatriotes de l'île du Nord qui at-
tachent aujourd'hui un grand prix à la possession des armes à
feu et qui s'en procurent par le moyen d'échanges avec les na-
vires baleiniers. Nul doute que l'emploi de ce prompt moyen
de destruction n'ait un jour la plus grande influence sur les
mœurs et les destinées de ces belliqueux antropophages. Peut-
être cette meurtrière importation les amènera-t-ellc dans des
temps bien éloignés encore à jouir des bienfaits de la civilisa-
tion ; mais en attendant, que de victimes succomberont à ce
nouveau genre de combat, plus destructeur cent fois que ceux
où ces peuples s'en rapportaient, pour vider leurs querelles, au
courage aveugle et aux forces corporelles dont la nature les a
doués !
LesZélandais sont en général grands et bien faits; sans être
pourvus d'embonpoint, leurs muscles fermes et arrondis in-
diquent qu'ils joignent la vigueur à la souplesse. Ils portent la
250 NOTES.
tète haute , les épaules effacées , et leur port ne manquerait
pas d'une certaine fierté sans l'habitude de vivre accro.upis
dans leurs cabanes ; cette posture accoutume leurs jarrets à
une flexion qui détruit la grâce de la démarche.
Les traits de ces hommes sont fortement prononcés , et ils
m'ont paru chez plusieurs individus offrir quelque analogie
avec ce type indélébile qui dans nos climats distingue la race
juive. La plupart avaient la face presque entièrement cou-
verte d'un tatouage symétrique gravé avec un goût et une
finesse admirables. Ces stigmates dont ils sont glorieux sont un
brevet de valeur guerrière ; aussi remarquâmes-nous que les
hommes d'un âge mûr étaient seuls décorés du tatouage com-
plet, tandis que les jeunes gens n'avaient encore que quelques
dessins légers sur les ailes du nez ou vers le menton. Les guer-
riers portent la chevelure relevée et nouée sur le sommet de la
tête. Cette coiffure d'un beau caractère est souvent ornée de
quelques plumes d'oiseaux marins. Ils aiment à se parer de
pendans d'oreilles ou de colliers composés communément de
petits os humains ou de quelques dents, trophées d'une san-
glante victoire.
La peau de ces insulaires est brune, et l'ocre dont ils se frot-
tent souvent leur imprime une teinte rougeâtre qui n'est point
désagréable ; les nattes dont ils sont revêtus contractent par le
frottement une couleur semblable. Ces vêtemens tissus du lin
soyeux que le sol de ces contrées produit en abondance, sont
de véritables chefs-d'œuvre d'art et de patience , si l'on songe
à la simplicité des moyens que les naturels emploient pour
leur fabrication.
Parmi les hommes que nous avions à bord trois ou quatre
nous parurent appartenir à une race différente. Maigres, ché-
tifs et sales, ils ne portaient point de tatouage; leurs traits
étaient ignobles, leurs cheveux en désordre; et quelques brins
de phormium grossièrement tressés formaient leur unique vê-
tement. Nous conjecturâmes que le sort de la guerre les avait
livrés à la tribu qui habite la plage voisine. Ces malheureux
NOTES. 251
ne possédaient rien, et cependant les objets que nous offrions
en échange à leurs compatriotes excitaient vivement leur en-
vie; ils nous demandaient avec instance quelque part à nos
générosités. S'il arrivait qu'ils fussent refusés , ils revenaient à
la charge avec un air si pileux, si misérable, que nous cédions
à leurs importunités. Nous vîmes que dans tout les pays la mi-
sère s'empare des mêmes moyens d'émouvoir la pitié, et que
partout aussi elle dégrade l'espèce humaine , et engendre la
bassesse et l'abjection.
Nos matelots se montraient fort empressés auprès d'un jeune
homme que la beauté de ses traits et des yeux pleins de dou-
ceur leur faisaient prendre pour une fcnfme. Ses cheveux longs
et rassemblés au haut de la tète ajoutaient à la ressemblance
Au même instant les naturels étaient tombés dans une erreur
semblable à l'égard de l'un de nos jeunes domestiques qui ,
malgré ses protestations, eut quelque peine à se soustraire aux
perquisitions des incrédules.
Bientôt après l'arrivée des sauvages, les échanges s'établi-
rent et se continuèrent avec beaucoup de bonne foi de part et
d'autre. Ceux qui nous visitaient n'avaient point apporté de
vivres; mais ils nous cédaient volontiers des nattes , des cein-
tures, des lignes de pèche très-bien faites, pour des couteaux,
des mouchoirs et des hameçons. Ce dernier objet semblait sur-
tout leur agréer. Ce peuple qui vil de pèche doit éprouve t Le
besoin de se servir d'un instrument plus parfait que ces lourds
hameçons qu'ils fabriquent avec de la nacre ou des os de pois-
son. Ces pièges sont si grossiers, qu'il est surprenant qu'on
puisse faire quelques captures par leur moven.
Pendant que notre commandant essavait d'obtenir de nos
hôtes quelques renseignemens relatifs à la géographie, M. Gai-
mard commençait avec succès son Vocabulaire, et prenait les
mesures exactes des membres des naturels pour établir l'his-
toire physique de l'homme de ces contrées. Je tentai aussi
d'esquisser deux ou trois portraits, que la continuelle mo-
bilité des modèles me donna quelque peine à achever. Mon
252 NOTES.
action les faisait beaucoup rire ; à chaque instant ils voulaient
m'échapper , mais je les remettais aussitôt en place. Ils n'a-
vaient pas l'air de se prêter de bien bon cœur à une opération
qui leur coûtait quelques minutes d'immobilité , et je suppose
que les paroles qu'ils m'adressaient dans leur impatience au-
raient eu en français de singuliers équivalens.
Un spectacle qui nous frappa par son caractère imposant
fut la danse ou plutôt le cbant mesuré des sauvages , exercice
pour lequel ils semblent passionnés. A peine l'un d'entre eux
eut-il donné le signal connu , que tous ses compagnons accou-
rurent se placer sur une seule ligne à ses côtés. Les uns jettent
leur natte sur le pont ,* d'autres se contentent de l'arranger de
manière à laisser libre le mouvement des bras ; alors au milieu
d'un silence qui a quelque chose de solennel ils préludent à
leur chant en battant les pieds l'un après l'autre avec une me-
sure parfaite et en se frappant en même temps le dessus des
cuisses avec la paume de la main. Au bout d'un instant un
homme seul , d'une voix gutturale et d'un ton qui a quelque
chose de triste, commence une espèce de psalmodie sur une
seule note dont toute l'harmonie est due à la mesure des paro-
les qui sont distinctement scandées. Dans le commencement
les syllabes longues dominent, puis elles se précipitent peu à
peu sans que la mesure soit changée ; bientôt le chorus est de-
venu général et les chanteurs mettent plus d'émotion dans leur
accent. Petit à petit leur corps se penche en arrière , leurs ge-
noux se frappent entre eux , les muscles du cou se gonflent et
la tête s'agite par des mouvemens qu'on dirait convulsifs ; leurs
yeux horriblement tournés cachent entièrement leur prunelle
sous la paupière , et en même temps ils remuent vivement de-
vant leur visage leurs mains dont les doigts sont écartés. C'est
alors que cette étrange mélodie a pris un caractère impossible
à rendre par des paroles , mais qui pénètre tout le corps d'un
frémissement involontaire. Il faut avoir entendu pour s'en
faire une idée cet incroyable crescendo où chacun des acteurs
nous paraissait possédé de quelque esprit infernal; et cepen-
NOTES. 253
dant quels effets beaux et terribles résultent de ces accords sau-
vages ! Lorsque par un dernier effort le délire des hurlemens et
des contorsions est porté à son comble, tout-à-coup la troupe
entière pousse un profond gémissement, les ebanteurs vaincus
par la fatigue laissent tous à la fois retomber leurs mains sur
leurs cuisses, et, rompant la ligne qu'ils ont formée, ils cber-
cbent un repos de quelques minutes dont ils ont le plus grand
besoin.
Est-ce un ebant de guerre qu'ils nous firent entendre? L'ex-
pression grave et profonde de leur barmonic pouvait nous le
faire croire ; cependant quelques gestes paraissaient aussi con-
venir à la peinture d'un combat amoureux. Quelle que soit du
reste leur intention , qu'ils célèbrent ainsi leurs A'ictoircs ou
leurs amours , ils n'en ont pas moins une musique très-redou-
table, et ce n'est point de celle-là qu'on pourrait dire qu'elle
amollit les ames par des sons efféminés.
Nous voyant enchantés de ce spectacle , nos sauvages en
moins de deux heures nous en donnèrent plusieurs représen-
tations , et chaque fois avec le même degré de précision et d'é-
nergie.
Vers le milieu du jour, la brise s'était élevée et le navire mar-
chait avec rapidité. Les naturels descendirent dans leur pirogue
et laissèrent parmi nous quatre de leurs compatriotes qui ne
témoignèrent pas la moindre inquiétude.
Après quelques bordées nous nous rapprochâmes d'une île
élevée que nous avions aperçue la veille. A l'abri de cette île
on reconnut une belle anse; un canot fut expédié pour en
sonder les abords; vers le soir nous doublâmes de très-près les
rochers qui forment la pointe de l'île, et un moment après
l'ancre tomba , par six brasses , dans un beau mouillage qui
reçut le nom d'Anse de l'Astrolabe.
{Extrait du Journal de M. de Sainson.}
2o 4 NOTES.
PAGE 41
Ce qui rapproche beaucoup leur idiome de celui
des Taïtiens.
Quoique mouillés non loin de la baie du Massacre, où Tas-
man perdit plusieurs de ses compagnons, nos communications
avec les Zélandais de la baie Tasman furent très-fréquentes et
constamment amicales. Nous leur témoignâmes beaucoup de
confiance; et, ce qui est toujours fort heureux, nous n'eûmes
point à nous en repentir. MM. de Sainson et Faraguet ayant
accepté la proposition que je leur fis d'aller passer la nuit au
milieu de la nombreuse tribu qui habitait momentanément
l'anse de l'Astrolabe , nous descendîmes à terre , sans armes , le
20 janvier, à sept heures du soir. C'était nous mettre à leur discré-
tion , mais c'était avoir aussi le moyen de les étudier. Il est vrai
que quelques-uns des leurs restèrent sur notre navire. Ils nous
accueillirent avec une gaieté extrêmement bruyante, en pous-
sant de grands cris , en faisant des contorsions, et en exécutant
des danses et des chants de guerre dont plusieurs respirent la
férocité. Nous leur répondîmes par quelques-uns de nos grands
airs patriotiques qu'ils applaudirent vivement. Les En/ans de
la France et le Chœur des Chasseurs de Robin des Bois obtin-
rent aussi leurs suffrages d'une manière non équivoque.
Nous fûmes bientôt parfaitement bons amis, et quelques ca-
deaux , faits aux chefs des pirogues et aux jeunes filles , augmen-
tèrent singulièrement la satisfaction générale. Nous couchâmes
sur la grève, au milieu d'eux, auprès d'un grand feu qu'ils eu-
rent soin d'entretenir pendant presque toute la nuit. Ils nous
donnèrent un assez grand nombre de mots de leur vocabulaire ;
et le lendemain matin nous quittâmes nos hôtes, très-contens
de l'hospitalité qu'ils nous avaient accordée.
Nous pûmes en cette circonstance nous convaincre de la pas-
NOTES. 255
s*ion que 1rs hommes, les femmes et les en f;ms ont pour la 4jfttl.se
et pour le chant. Si parfois quelques-uns d'eux n'y prennent
point une part active , on voit toujours que ec spectacle les
émeut, et qu'ils suivent d'un œil ardent les divers mouvemens
des acteurs. Une natte faite avec le lin de la Nouvelle-Zélande
forme leur vêlement ordinaire. Des cheveux rougis par l'ocre,
souvent noués par derrière et ornés de quelques plumes noires,
composent leur toilette de cérémonie. Leurs armes ordinaires
sont des casse-tètes d'un Lois très-dur dans lequel sont im-
plantées des dents humaines. Ils ont aussi des haches d'un heau
jade vert que la rareté de la matière et son extrême dureté ren-
dent à leurs yeux d'un prix inesliraahle. Ils ne connaissent ni
l'arc ni les flèches , et ils n'ont point encore reçu le funeste pré-
sent des armes à feu. Leur nourriture la plus commune est la
racine de fougère en arbre , à laquelle il fautjoindre le poisson
et la patate douce. Leurs cabanes, grossièrement faites avec des
branches d'arbres, ont à peine trois à quatre pieds d'élévation.
Les principaux Oiseaux que nous avons recueillis, pendant
notre séjour à l'anse de l'Astrolabe, sont les suivans : le
Glaucope cendré, le Troupialc à caroncules , l'Huîtrier noir
et celui à manteau, le Sphénisque nain, ainsi que plusieurs
espèces nouvelles des genres Chevêche, Tangara , Fauvette,
Mésange, Siltelle, Synallaxe et Grimpereau. Les Mollusques,
beaucoup plus nombreux , qui furent tous peints sur le vivant
par M. Quoy, appartenaient surtout aux genres Onehidie,
Turritelle , Ampullaire , Ancillaire, Murex, Fuseau, Strtt-
thiolaire, Oscabrion, Modiolc, Moule, Telline, Vénus, etc.
(Extrait du Journal Je M. Gaimard.^)
Depuis que les naturels attirés par notre présence avaient
élevé une espèce de village sur la longue plage de sable la plus
voisine, nos communications avec eux étaient très-actives, mais
elles cessaient toujours aux derniers rayons du soleil. Renfermés
à bord chaque soir, nous pouvions apercevoir à terre beau-
256 NOTES.
coup de mouvement. Plusieurs grands feux s'allumaient à l'ap-
proche des ténèbres. De nombreux cercles se formaient autour
des feux , et sans doute ces scènes du soir étaient très-animées ,
car souvent la brise apportait jusqu'à bord les rires, les cris et
les chansons de la plage. M. Gaimard me communiqua le désir
qu'il ressentait de connaître de plus près les habitudes noc-
turnes de nos voisins; je partageai vivement cette curiosité,
M. Faraguet se joignit à nous , et le commandant ayant mis à
nos ordres la petite baleinière, nous fumes portés à terre le
20 janvier, à la tombée de la nuit. Nous n'emportions aucune
arme , aucun objet qui pût exciter la crainte ou la cupidité des
indigènes : seulement, par un plaisant hasard, M. Gaimard se
trouva muni d'une bougie fine , et nous rîmes d'avance du
projet d'allumer en plein air sur cette plage lointaine , cette
cire façonnée à Paris pour le luxe de nos salons.
A notre débarquement sur le sable, nous fûmes accueillis
par des cris de joie et des caresses incroyables , surtout lorsque
les sauvages virent le canot reprendre le large, et nous aban-
donner au milieu d'eux. C'était à qui nous serrerait les mains
en répétant kapaï^ et il nous fallut subir bien des applications
de nez qui écrasaient les nôtres : car c'est ainsi qu'on s'embrasse
à la Nouvelle-Zélande. Plus de cent naturels se pressaient au-
tour de nous , et en peu de minutes nous fûmes séparés. On
nous éloignait peu à peu du village, et les groupes qui nous
entouraient nous conduisaient vers la lisière de la forêt , à l'en-
droit où un joli ruisseau, s'écoulant du sein des bois, traversait
le sable pour se joindre à la mer. Je n'apercevais plus la troupe
qui accompagnait M. Gaimard ; M. Faraguet avait aussi dis-
paru; pour moi, serré de près par ma bruyante escorte, j'avais
déjà fait quelques pas sous les arbres, où l'obscurité devenait
plus épaisse, lorsqu'un homme à l'air vénérable portant la
main à mon cou en détacha sans façon la cravate de soie qui
l'entourait. Dans ma position je n'avais garde de réclamer contre
les manières libres du vieillard, je me promettais même de
laisser passer en sa possession toutes les pièces de mon habille-
NOTES. 257
ment, l'une après l'autre, si telle était sa fantaisie; mais com-
bien je me repentis d'avoir jugé trop légèrement un honnête
sauvage! Loin de prétendre à me dépouiller, comme je pouvais
m'y attendre , il m'offrit aussitôt en échange de la cravate un
objet de quelque prix pour lui, je le suppose, car cet objet
c'était sa fille.
Elle était très-jeune, sa fille; des cheveux noirs et bouclés
tombaient sur son front et cachaient de grands yeux brillans
de vivacité. Sa grâce encore enfantine n'empruntait rien de
l'art ; son unique vêtement consistait en quelques feuilles
de phormium , voile peu discret dérobé aux plantes du ri-
vage. Le père devenait pressant, et ma position était réelle-
ment critique , mais en prenant la main de la jeune fille , je
m'aperçus qu'elle pleurait : les grâces, dit-on, sont encore
embellies par les pleurs, il n'en était pas tout-à-fait ainsi de la
jeune sauvage. Je ne fus plus frappé alors que de l'abus de pou-
voir révoltant dont le père se rendait coupable; j'essayai même
de le gronder, mais je ne vis pas que mon sermon produisît
grande impression sur son esprit, car il redoublait de prières
auprès de moi, et, il faut bien le dire , de menaces envers sa
fille. Me voyant cependant inflexible, il m'offrit de me rendre
cette précieuse cravate à laquelle il avait voulu mettre un si
haut prix. Ce trait d'honnêteté lui en valut la possession : je la
lui donnai comme un gage d'estime, il l'accepta avec joie; sa
fille se mit aussitôt à rire , et tous deux disparurent à travers
les arbres. Je me trouvai seul alors, car, durant mon colloque
avec le vieillard, tous les autres naturels avaient eu la discré-
tion de se retirer.
Ils n'étaient pas toujours aussi discrets, car, non loin du
ruisseau dont j'ai parlé , une réunion nombreuse d'indigènes
manifestait une bruyante gaieté par des rires et des gestes
approbateurs. Telle fut jadis la joyeuse clameur qui s'éleva
dans l'Olympe , lorsque les filets jaloux de Vulcain livrèrent
deux amans surpris à la risée des dieux assemblés. A part
les filets et l'époux irrité , l'étrange scène qui se passait alors
258 NOTES.
rappelait en tous points ce scandale fameux dans la mytho-
logie. La bougie apportée de V Astrolabe , tenue par un
grave guerrier , colorait de ses reflets vacillans vingt têtes ex-
pressives, et prêtait des formes fantastiques à un tableau digne
de Callot ou de notre Charlet. Mais soudain tout rentra
dans l'obscurité. L'homme qui portait la bougie, enchanté de
cette charmante invention , n'avait pu résister au désir de se
l'approprier, et, soufflant dessus, il avait pris sa course vers la
forêt, laissant les curieux dans un singulier désappointement.
Cependant, sur la plage les feux étaient allumés , et de toutes
parts se faisaient les apprêts du souper. Nous nous approchâmes
tous trois d'un cercle où l'on nous fit place , et bientôt notre
présence attira la majeure partie des habitans qui voulaient
jouir de notre vue. Les naturels étaient accroupis sur le sable ;
les uns mangeaient du poisson cru, séché au soleil; d'autres
écrasaient des racines de fougère dans de petites auges de bois.
Lorsqu'ils ont réduit cette racine en filamens nombreux , ils en
forment des boules qu'ils tiennent dans la bouche jusqu'à ce
qu'ils en aient exprimé tout le suc. Nos hôtes ne manquèrent
pas de nous offrir notre part de ce frugal repas , et , nous voyant
peu empressés d'accepter, plusieurs d'entre eux poussèrent la
prévenance jusqu'à mâcher d'avance des morceaux de poisson
qu'ils nous présentaient ensuite dans le creux de leur main.
Après souper vinrent les chansons graves et monotones des
naturels; nous leur répondîmes par quelques airs français et le
chœur de Robin des Bois • ils parurent fort contens de nous.
Nous essayâmes aussi leurs organes en leur faisant prononcer
un grand nombre de noms propres français; la plupart étaient
singulièrement estropiés, mais quelques-uns étaient répétés
exactement. C'était un plaisir piquant pour nous de faire re-
dire aux échos de La Nouvelle-Zélande des noms illustres qui
font chez nous la gloire desarmes , de la tribune ou de la scène.
On ne se fait pas d'idée de quel charme s'environne dans notre
position le plus léger souvenir qui rappelle la patrie.
La soirée s'écoula gaiement. Quand l'heure du sommeil ar-
NOTES. 259
riva, les sauvages nous offrirent d'entrer dans leurs cabanes,
mais nous nous gardâmes bien d'accepter leur proposition.
Les buttes de la Nouvelle-Zélande sont liantes à peine de trois
à quatre pieds; il faut y entrer en rampant, et il s'en exhale
presque toujours une odeur extrêmement fétide. Nous préfé-
râmes nous étendre sur le sable, au pied d'un petit arbre qui
bornait la plage , mais nous n'y trouvâmes guère de repos. A
notre grand regret, un certain nombre de naturels vint nous
tenir compagnie , et nous eûmes l'agrément de servir d'oreillers
à ces messieurs qui trouvèrent commode d'appuyer leurs tètes
sur nos membres étendus. Le moyen de dormir au milieu des
ronflemens et des mouvemens continuels de pareils voisins!
Il faut ajouter encore que, tourmentés par des insectes dont
ils sont abondamment pourvus, ils se grattaient d'une manière
horrible. Un sybarite serait mort de douleur dans notre posi-
tion.
Vers deux heures , une grosse pluie nous fit quitter la place ,
et nous allâmes nous abriter sous les flancs d'une pirogue qu'on
avait halée à terre. La mer était mauvaise , et le vent soufflait
assez fort ; nous attendîmes le jour un peu plus tranquillement,
car les sauvages nous avaient abandonnés pour chercher un
meilleur asile que le nôtre. A cinq heures, une embarcation
nous fut envoyée ; en approchant de la côte , une lame la rem-
plit , et les matelots, renversés , tombèrent à l'eau. Nous eûmes
quelque peine à vider le canot et à le tirer à terre ; les sauvages
nous aidèrent avec beaucoup de complaisance dans cette opé-
ration , malgré la pluie qui tombait par torrens. Enfin , à six
heures nous montâmes à bord où notre accoutrement excita la
gaieté de nos camarades. Trempés par la pluie, couverts de
sable et de bouc , nous avions besoin de quelques heures de
repos pour réparer les fatigues d'une nuit dont, cependant,
nous ne regrettâmes pas l'emploi.
( Extrait du Journal de M. de Sainson.^)
260 NOTES.
PAGE 41-
Dans une longue relâche ou à la suite d'avaries
qu'il faudrait réparer.
Cette grande baie présente une foule de bons mouillages
dans de petits bâvres ; et, comme le sol est granitique, on peut
approcher la côte de près. Partout on trouve de bonne eau
assez facile à faire. Tout à côté de nous était un port plus spa-
cieux et encore plus sûr que celui que nous laissions.
{Extrait du Journal de M. Quoy. )
page 68.
Jusqu'à l'époque où l'on connaîtra le nom qu'elle
a reçu de ses habitans.
Le commandant soupçonnant que la baie Tasman commu-
niquait avec celle de l'Amirauté, et ayant cru voir de loin une
coupée dans les terres où cela pouvait avoir lieu, y dirigea la
corvette. Ce ne fut pointprécisément là que nous trouvâmes le
passage, mais un peu plus loin. Afin de le reconnaître il fallut
mouiller à l'entrée ; c'était le soir, et nous nous trouvâmes sous
la terre exposés à une forte houle qui venait du détroit. Deux
embarcations envoyées pour savoir s'il y avait passage ne re-
vinrent que fort tard ; elles rapportèrent qu'arrivées au fond
de la petite baie à l'entrée de laquelle nous étions, elles furent
entraînées avec une vitesse extrême par un courant formant des
tourbillons, qui allait les jeter sur des roches à fleur d'eau,
malgré tous les efforts des rameurs , si un vent favorable ne
fût venu à leur secours en permettant de se servir des voiles.
Là, fut sur le point de se renouveler pour nous la catastrophe
NOTES. 261
«irrivée autrefois , au port des Français , aux frères Labordc ,
de l'expédition de La Pérousc. MM. Lottin et Gressien qui
commandaient nos canots ne purent donc s'assurer s'il y avait
passage ou non. Ils arrivèrent à bord pour se trouver dans une
position non moins critique. Dans la nuit, la mer augmentant
avec le vent fatiguait tellement le navire, que l'eau qui entrait
par l'avant couvrait le pont. Bientôt un des câbles rompit, et la
sûreté du navire ne tenait plus qu'à une chaîne en fer dont les
anneaux recevaient de si violentes secousses du tangage, qu'une
des pattes de la seule ancre qui nous tenait se brisa, et ce fut le
moignon restant qui résista à l'effort du vent. Ce ne fut que le
lendemain, en levant l'ancre, que nous connûmes cette der-
nière circonstance, et le danger que nous avions couru d'être
jetés sur une côte sauvage où le navire et la plus grande partie
de l'équipage eussent péri. Ce sont de ces nuits à faire blan-
chir les cheveux.
Le lendemain le temps permit de nous porter vers l'enfon-
cement où se trouvait la passe ; la mer y était calme , mais la
tenue mauvaise et les courans d'une grande activité. A peine
mouillés , nous chassâmes et nous fûmes emportés avec notre
ancre , en pirouettant sur nous-mêmes comme je ne l'avais
jamais vu, sur les rochers de la côte. On aurait presque pu
sauter à terre , et il nous est impossible de dire comment nous
ne lésa vons pas heurtés à plusieurs reprises. On en voyait d'isolés
sous le beaupré qui n'étaient pas recouverts de plus de trois
ou quatre pieds d'eau. Des ancres mouillées au large , sur les-
quelles on se hala , nous tirèrent de ce mauvais pas , et une
heure après les géographes étaient sur le sommet des monta-
gnes à reconnaître les environs, et nous occupés d'histoire
naturelle. Voilà l'existence de l'homme de mer : elle en vaut
bien une autre.
Bientôt on ne douta plus que la baie Tasman ne communi-
quât avec celle de l'Amirauté par l'anse dans laquelle nous nous
trouvions; mais la passe excessivement étroite pour un navire
de notre grandeur était hérissée de rochers au travers desquels
tomr il. 18
262 NOTES.
les marées ne laissaient qu'à peine un quart d'heure de calme ,
après quoi les courans se faisaient sentir avec une excessive
violence. Malgré la petitesse de ce havre entouré de hautes
montagnes , les fortes brises qui se mirent à souffler nous col-
lèrent sur la terre sans pouvoir appareiller de plusieurs jours.
Nous chassâmes même souvent, ce qui donna beaucoup de tra-
vail à l'équipage. Enfin nous parvînmes à nous placer au mi-
lieu du canal assez près de la passe et sur une seule ancre. Les
rafales qui curent lieu la nuit, jointes à la mauvaise tenue et
à la force du courant, ne rendirent pas cette position beau-
coup plus belle que les précédentes; car en chassant nous
étions directement entraînés au travers des rochers de la passe.
Le lendemain , au commencement du descendant de la ma-
rée, on appareilla à l'aide d'une petite brise, qui, ayant man-
qué, nous laissa à la merci du courant qui nous eut bientôt
portés dans la passe. La corvette ne pouvant se servir de ses
voiles toucha deux fois avec force , en inclinant beaucoup à la
seconde, sur les rochers de gauche dont la chaîne était à dé-
couvert; mais elle para par la violence même du courant et
descendit majestueusement dans une vraie cascade de remoux
et de tourbillons. Dans cette circonstance le capitaine d'Ur-
ville montra une persévérance et une ténacité dignes des plus
célèbres navigateurs, et sa manœuvre fut une manœuvre in-
trépide. Pendant cette scène rapide et dramatique de notre na-
vigation du 28 janvier, il n'était pas sans intérêt de n'entendre
d'autre bruit que celui de la mer sur les rochers qui nous en-
touraient, et de voir sur ces figures brûlées par le soleil régner
la sorte d'anxiété que comportait la circonstance. Passerons-
nous ou y resterons-nous? telle était la question qu'un instant
devait décider; car si la corvette fût demeurée dix minutes sur
la roche où elle toucha , la marée baissait si rapidement qu'elle
pouvait s'y perdre et la campagne se terminer là. L'équipage
aurait pu se sauver et gagner en partie , avec beaucoup de
peine, la baie des Iles, distante de deux cents lieues, que fré-
quentent les navires anglais.
NOTES. 363
Ce passage , qui prit le nom de Passe des Français, nous évita
de rentrer dans le détroit de Cook et de contourner une île
considérable dont l'existence n'était pas constatée.
( Extrait du Journal de M. Quoy. )
Le 22 janvier, après avoir fait une ample récolte d'objets
d'histoire naturelle, nous quittâmes l'anse de l'Astrolabe. Le
a3, nous mouillâmes sur un autre point de la baie Tasman ,
qui est saine, profonde et d'une quarantaine de lieues de tour.
Pendant la nuit, un vent très-violent fit casser le câble, et nous
: :it infailliblement jetés à la côte sans la chaîne en fer qui nous
retint. Le 24, nous fumes de nouveau dans une position très-
critique; mais la journée la plus mémorable de notre séjour
dans le détroit de Cook fut celle du 28 janvier.
Près de l'anse des Torrens, où nous étions, une petite île, non
indiquée sur les cartes, est séparée de la partie méridionale de la
[Nouvelle-Zélande ou Tavaï-Pounamou par un passage étroit,
bordé de récifs, où des eourans très-forts et irréguliers se font
sentir, et forment des lourbillonsextrèmement remarquables. Ce
passage, découvert par M. d'Urville, établit une commun i cation
«Titre la baie Tasman et la baie de l'Amirauté. Tous les lieux
voisins furent sondésavec soin, et l'on s'assura quenotrenavire, à
marée haute, pourrait passer s'il rangeait bien exactement la
côte de la grande terre. Le 9.8 janvier, à huit heures un quart
du matin , nous appareillons , aidés d'une brise légère. A peine
engagés dans ce passage , le vent calme aussitôt, et nous laisse
livrés aux eourans qui nous portent avec rapidité sur les bri-
sans. Deux fois la corvette touche a\ec assez, de violence; deux
fois elle incline assez fortement ; des fragmens de la contre-quille
paraissent sur l'eau et sont entraînés par les tourbillons des
eourans. Notre position était pénible, j'en conviens, mais le
spectacle que nous avions sous les yeux , joint au silence pro-
fond de l'équipage et à l'impression si variée que le danger
produit sur la physionomie de l'homme, nous offrait tout l'in-
térêt d'un drame dont rien ne pouvait retarder le dénouement.
18'
264 NOTES.
Ce ne fut qu'une scène rapide, mais elle suffit pour porter
dans l'a me une émotion vive, et pour donner à la vie une in-
tensité que ne connaît pas le paisible habitant des villes.
M. d'Urville montra, dans cette circonstance critique, beau-
coup de sang-froid et de présence d'esprit. Une brise favorable
se leva; ce qui, joint à une bonne manœuvre, nous éloigna
promptement de ce lieu qui a reçu le nom de Passe des Fran-
çais.
C'est à l'anse des Torrens que nous vîmes des nids de Cor-
morans sur des arbres assez élevés. Les Mollusques que nous
procura ce mouillage furent des Pourpres, des Tritons , des
Troques , des Monodontes , des Volutes , des Patelles , des
Patelloïdes, etc. , etc.
(Extrait du Journal de M. Gaimard.*)
page 77.
Puis pour nous donner en langue du pays les
noms des principaux points de la côte.
Nous ne fîmes que passer dans la baie de l'Amirauté et en-
trevoir l'entrée de celle de la Reine-Charlotte. Dans tous ces
lieux qui donnent dans le détroit nous ressentîmes la force des
courans, qui en calme nous jetaient sur les terres. Après avoir
laissé l'île sud de la Nouvelle-Zélande , nous nous portâmes
sur celle du nord et pénétrâmes dans un vaste enfoncement ,
où, malgré le peu de vent que nous avions, nous ne pûmes des-
cendre, tant il y avait de ressac à terre. Toute cette extrémité
est volcanique, et une lueur considérable que nous vîmes la
nuit pourrait peut-être bien appartenir à quelque volcan en
action ; cependant il ne faut pas oublier que les naturels em-
brasent quelquefois des espaces considérables.
Ce fut à l'entrée de cette baie qu'il nous vint une pirogue ;
ceux qui la montaient hésitèrent un instant à venir à bord, ce
NOTES. 265
qui nous parut d'autant plus surprenant que, lorsqu'elle partit,
deux naturels, dont un était chef, témoignèrent une ferme in-
tention de venir avec nous. Ils firent leurs adieux à leurs com-
pagnons qui pleurèrent un peu, et puis ce fut fini. Nous conti-
nuâmes la géographie de la côte dons ils nous donnèrent même
les noms du pays ; mais deux jours après, soit que nos deux
voyageurs eussent le mal de mer ou se repentissent de s'être
ainsi aventurés, ils devinrent tristes, et le chef même ne fit
que pleurer en priant de les mettre à terre, ce qui n'était pas
possible. Il se calma cependant au point que des pirogues
s'étant un soir rapprochées de nous, il refusa le comman-
dant qui lui proposait de le faire mettre à terre , sous prétexte
queceshabitans, les considérant comme étrangers, les tueraient.
Nous ne nous en débarrassâmes qu'à la baie de Houa-Houa où
nous jetâmes l'ancre pendant quelques heures.
(Extrait du Journal de M. Quoy. )
page 108.
Et en même temps plus à portée de secourir nos
gens à l'observatoire , si cela eût été nécessaire.
Une relâche de quelques heures dans la petite baie de Houa-
Houa (baie Tolaga de Cook) nous fut utile sous plus d'un
rapport. La course que nous fîmes à l'aiguade de Cook nous
procura le Pluvier de la Nouvelle-Zélande et quelques Halio-
tides. Les naturels qui vinrent nous visiter dans leurs élégantes
pirogues, nous apportèrent des nattes de phormium, des co-
chons et des pommes de terre qu'ils échangeaient contre des
haches , des couteaux , différentes étoffes , des hameçons et de la
poudre. Ce dernier article indique suffisamment que les armes
à feu leur sont connues; c'est aussi l'objet d'échange qu'ils ap-
précient le plus. Les cochons étaient en si grande abondance
que quelquefois on a pu en obtenir un du poids d'une soixan-
266 NOTES.
taine de livres pour un mauvais couteau de deux ou trois
sous.
Un objet de commerce non moins important peut-être, ce
sont leurs jeunes filles, et quelquefois même leurs femmes,
qu'ils offrent aux étrangers pour des colliers, des mouchoirs et
de la poudre. Plusieurs Zélandaises passèrent la nuit à bord
où elles trafiquèrent de leurs charmes. Ce qui les caractérisait
spécialement, c'est qu'elles dérobaient avec un singulier plaisir
tout ce qui leur tombait sous la main, surtout lorsque le hasard
les conduisait dans quelqu'une des chambres de l'état-major.
Montres, draps de lit, oreillers, etc., elles faisaient main basse
sur tout. Il est bon de dire que ce qu'on leur donne et ce
qu'elles peuvent dérober devient bientôt la propriété du chef,
heureuses lorsque celui-ci se borne à les dépouiller sans les
maltraiter.
Le dessin que M. de Sainson a fait de l'aiguade de Cook en
donne une excellente idée.
(Extrait du Journal de M. Gaimard.
Cette petite baie est trop ouverte pour être bien peuplée.
Nous fûmes entourés d'un assez grand nombre de pirogues ,
parmi lesquelles il y en avait de fort belles portant environ
trente rameurs. La manière dont ils nagent étant assis donne
à ces embarcations autant d'élégance que de majesté ; elles
n'ont point de balanciers et leur fond est fait d'un seul tronc
d'arbre. Nous achetâmes pour des haches et des hameçons
des pommes de terre et plus de cochons que nous ne pouvions
en nourrir. On en obtint même pour des couteaux. Les
femmes de leur côté échangeaient leurs faveurs contre des
colliers et des mouchoirs, mais jamais autrement, et toutes
étaient portées à ce commerce par le seul désir d'obtenir ce
qu'on leur offrait, et de plus ce qu'elles pouvaient attraper; car
elles sont très-voleuses. C'est ainsi, par exemple, que dans des
instans où l'on fait peu d'attention à ce qui se passé autour de
NOTES 263
soi , elles au contraire s'occupaient à désenfiler les boucles des
rideaux qui se trouvaient au-dessus de leur tète pour les em-
porter, à prendre tout ce qui se trouvait à leur portée, ser-
viettes, bonnets, draps de lit, jusqu'à un énorme oreiller en
plume que l'une d'elles cherchait à dissimuler sous son bra>.
Un de nos Messieurs eut sa montre, qui était de prix, enlevée;
il la retrouva heureusement dans les mains d'un chef, car c'est
à eux que finissent par revenir les choses qu'on donne à ces
malheureuses, ou qu'elles volent.
{Extrait du Journal de M. Quoy.^)
PAGE 108.
J'expédiai les deux petites embarcations sous les
ordres de MM. Loltin et Dudemaine.
Le calme qui régnait permit aux deux canots de s'avancer
rapidement vers la baie. Nos passagers considéraient avec cu-
riosité chacun des objets de la baleinière, s'en expliquaient
l'usage, et se communiquaient vivement leurs réflexions; nos
longs avirons attirèrent d'abord leur attention : ils suivaient
avec la tête leur mouvement cadencé, poussant des exclama-
tions pour exciter l'ardeur des matelots, et bientôt, mettant la
main à l'œuvre avec une gaieté bruyante, ils firent tellement
plier les rames , que , dans la crainte de les voir en morceaux ,
je priai les naturels de rester tranquilles spectateurs de la manœu-
vre. Un d'eux, avec une pantomime expressive, entreprit alors
de nous démontrer la supériorité des pagaies sur les avirons ; ces
derniers lui paraissaient d'une longueur incommode, et exiger
plusieurs hommes pour conduire un canot, tandis qu'une seule
pagaie fait voler une pirogue , en la passant alternativement
d'un côté à l'autre. Un second naturel fit observer que chaque
matelot tournait le dos à l'endroit où il voulait aller, ce qui
268 NOTES.
les fit tous partir d'un éclat de rire , et leur attention se porta
sur d'autres objets. Le gouvernail les frappa; ils parlèrent gra-
vement de son utilité, avec de fréquentes marques d'approba-
tion; il fallut confier un moment la barre à l'orateur, et la
promptitude avec laquelle il fit ebanger le canot de direction ,
vu sa grande vitesse , les ravit d'admiration.
Je me dirigeai vers la pointe nord de la baie. Cette route
nous fit prolonger les récifs qui partent de Motou-Héka et s'é-
tendent à tm mille et quart dans le N. E.; c'est une traînée de
roebes près desquelles on trouve de sept à douze brasses d'eau :
nous en passâmes à quelques pieds. Ces écueils à fleur d'eau
étaient couverts de diverses espèces de Lépas, et je regrettai de
n'avoir pas le temps d'y mettre le pied. N'ayant que quelques
minutes à passer à terre , je sortis de son étui le micromètre de
Rochon dont j'avais besoin ; la couleur brillante du cuivre at-
tira soudain les regards des naturels; je posai devant la lunette
un verre de couleur, et, l'approcbant de l'œil de mon voisin,
je parvins avec assez de peine à lui faire apercevoir le disque
du soleil ; il expliqua de suite à ses compagnons qu'il voyait le
soleil de couleur rouge, et sans être ébloui. Je plaçai un verre
vert : nouvelle surprise ; puis je fis mareber le prisme de cristal,
et le disque paraissant double excita un cri d'étonnement.
Chacun d'eux voulait avoir la lunette entre les mains, mais
nous approebions de terre et leur curiosité ne fut pas satisfaite.
Je voulais débarquer nos passagers devant un village peu
considérable; vingt cases et buit pirogues tirées sur la plage
annonçaient une centaine d'babitans : ils accoururent tous
pour nous recevoir, sans aucune arme. Quelques rochers bor-
daient le rivage , et nous empêchaient d'aborder; ils nous offri-
rent de tirer notre canot à terre : cet usage est probablement
un honneur dans le pays , car nos anciens hôtes en accueillirent
la proposition avec des cris de joie. Mais je n'avais nulle envie
de m'abandonner à la discrétion d'une cinquantaine de gaillards
vigoureux qui étaient déjà dans l'eau jusqu'à la ceinture.
Voyant qu'ils insistaient, j'usai de ruse pour m'en débarrasser;
NOTES. 2G9
je traversai rapidement une calangue assez profonde, je débar-
quai sur-le-champ les naturels, je pris les distances mieromé-
triques dont j'avais besoin , et remontai dans le canot au grand
désappointement de la foule qui avait été forcée de faire en
courant le tour de la ealangue , et qui arrivait pour nous voir
partir. Quelques jeunes gens nous défièrent en entonnant leur
chanson de guerre; mais nous étions désormais tranquilles, il
n'y avait pas même une seule pierre sur ces rochers que la ma-
rée balaie chaque jour.
Je tirai un coup de fusil pour prévenir le second canot que
notre opération était terminée; il me rejoignit, et nous fîmes
route pour la corvette. M. Dudemaine, qui le commandait,
avait été inquiété par les naturels; ceux-ci, nombreux et ar-
més, entouraient le canot avec leurs pirogues, s'efforçant d'en
dérober les objets qui tombaient sous leurs mains, et refusant
obstinément de céder aucune de leurs armes; les fusils surtout
excitaient leur cupidité. L'éloignement de la corvette les ren-
dait entreprenans, et nul doute que, si le canot eût été seul, ils
ne se fussent portés à quelque violence.
(Extrait du Journal de M. Lottin.^)
tage i35.
Et en quelques heures nous y tombions infailli-
blement .
Le lendemain 9, après que les naturels nous eurent quittés,
nous fûmes pris par un violent coup de vent qui dura quarante-
huit heures et nous força d'abandonner les travaux géographi-
ques en nous jetant heureusement au large. Quatre jours se
passèrent avant de pouvoir les reprendre. Bientôt nous en-
trâmes dans l'immense baie, ou plutôt le golfe que Cook a
nommé de l'Abondance ; elle est parsemée d'îles et ne paraît
point avoir de port. Le 1 h au soir, par un temps de brume
270 NOTES.
mêlé de pluie, nous paraissions être tout-à-fait au fond et fort
près de terre. A la nuit on prit le large pour revenir le lende-
main au point que nous quittions. Nous ne faisions que peu de
route faute de vent, lorsque nous fûmes assaillis par une tem-
pête comme nous n'en avions point encore éprouvé. C'étaient
des tourbillons mêlés de pluie allant toujours en augmentant,
au point de ne pouvoir plus conserver que la voile du grand
étai , malgré la nécessité dans laquelle nous étions de faire
voile pour sortir de l'enfoncement où nous nous trouvions et
passer au travers d'îles et de rochers peu connus. Au jour l'ho-
rizon était tellement obscurci par la brume, qu'on ne voyait pas
les objets à cinquante toises. La mer à laquelle nous étions forcés
de prêter le côté était prodigieusement grosse. Le 16 , un
peu avant midi, le ciel s'éclaircit pour nous montrer des bri-
sans, devant et à côté de nous, sous le vent, à la distance d'un
mille, et sur lesquels le vent et la grosse mer nous jetaient. Ils
étaient inconnus et au moins à cinq lieues de la côte. Jamais
navire ne fut plus près de sa perte totale , et pendant vingt
minutes que dura la manoeuvre nécessaire pour nous tirer de
cet immense péril , nous eûmes sous les yeux le spectacle de
notre destruction la plus complète et sans que jamais il fût
resté de nous ou de notre navire les moindres vestiges , tant la
mer était grosse et brisait avec fureur en srélevant en écume à
la hauteur de cinquante à soixante pieds. Lorsqu'on cria des
brisans devant , le commandant voulut virer de bord; mais
aussitôt on vit qu'ils se prolongeaient sur les côtés et presque
de l'arrière ; nous ne pouvions manquer de tomber dessus. La
seule ressource qui restait était de tenter de les doubler. L'As-
trolabe fut à l'instant couverte d'autant de voiles qu'elle en
pouvait porter et se sauva par cette manœuvre. Quelques mi-
nutes plus tard , c'en était fait, et l'on eût toujours ignoré quel
avait été son sort. Ainsi auront péri, sans doute, les deux na-
vires de La Pérouse.
( Extrait du Journal de M. Quoy.')
NOTES. 271
Après avoir doublé le cap Waï-Apou (cap Est de Cook), en
continuant à faire la géographie de la côte orientale de la partie
nord de la Nouvelle-Zélande, que les indigènes désignent sous
le nom d'Ika-Na-Mawi, nous nous trouvions, le i5 février, au
milieu de la vaste baie d'Abondance. Le grand nombre d'îles et
de récifs que l'on y rencontre en rendent la navigation très-diffi-
cile. Pendant la nuit, nous reçûmes un coup de vent d'une vio-
lence peu commune. Le lendemain à 1 1 heures du matin, la tem-
pête continuait toujours, et l'horizon était tellement embrumé
que l'on ne distinguait rien à quelques toises du navire, lorsque,
le ciel s'éclaireissant tout-à-coup , nous entendîmes aussitôt la
vigie s'écrier: Des brisans devant nous! Nous vîmes en effet
à quelques encablures, et sous le vent, une longue chaîne de
brisans sur lesquels nous étions rapidement portés par le vent
et par une grosse mer qui, en les frappant, s'élevait en tour-
billons d'écume à une hauteur prodigieuse. Notre position
était éminemment périlleuse. Dans l'impossibilité de virer de
bord, M. d'Urville força de voiles, au risque de voir tomber
la mâture, et pendant plus d'un quart d'heure que nous mîmes
à doubler ces brisans , nous eûmes constamment la mort sous
les yeux.
C'est surtout à la vue de ce spectacle magnifique et de tant
d'autres scènes qui ont profondément ému notre ame, que nous
avons vivement regretté que des hommes tels que Chateau-
briand ou Lamartine n'en fussent les témoins. Que ne produi-
rait pas le génie avec de tels souvenirs!
Jamais, jamais l'écho de la céleste voûte,
Jamais ces harpes d'or que Dieu lui-même écoute,
Jamais des Séraphins les chœurs mélodieux
De plus divins accords n'auraient ravi les cieux!
LAMARTINE A I.ORn BYRO*.
(Extrait du Journal de M. Gairnard.}
272 NOTES.
PAGE l4o.
Des plaintes générales.
A bord de l'Astrolabe, le 17 février 1837.
Commandant,
J'ai l'honneur de vous rendre compte que, conformément à
vos désirs, j'ai ordonné ce matin au commis aux vivres de dis-
tribuer des pommes de terre pour le souper de l'équipage, et
de porter la ration à la quantité de trois cents grammes en rem-
placement de cent vingt grammes de légumes secs. M. Imbert,
commis aux vivres, vient de m'informer que la distribution
venait d'avoir lieu , mais que les matelots avaient fortement
murmuré contre cette nourriture qui , quoique beaucoup plus
saine que les légumes secs , paraît ne pas leur convenir.
Etonné de cette bizarrerie , j'ai questionné plusieurs hommes
de l'équipage, et je me suis convaincu de la vérité du rapport
du commis aux vivres.
Je vous prie, mon Commandant, de me donner vos ordres
pour la distribution du souper de demain , et notamment si je
dois continuer de leur faire distribuer les dîners en viande
fraîche , sur le pied de cinq cents grammes au lieu de deux
cent cinquante grammes alloués par le règlement.
J'ai l'honneur, etc.
Le Commis aux revues et aux approvïsionnemens ,
Bertrand.
NOTES. 273
PAGE l62.
M. Gaimard fit une chute et faillit se blesser dan-
gereusement.
Le ?.5 février, MM. d'Urville, Lottin et moi, nous fîmes
par terre, sur les bords de la baie Shouraki (rivière Tamise de
Cook), une eourse extrêmement pénible, sans obtenir le ré-
sultat que nous désirions , qui était de savoir si une rivière que
nous avions sous les yeux , nommée Waï-Tamata , communi-
quait avec la mer de l'Ouest. Des Zélandais qui vinrent à bord
de l'Astrolabe nous apprirent que cette communication n'exis-
tait pas.
( Extrait du Journal de M. Gaimard. )
page 164.
La nuit fut très-douce, et je pus enfin goûter un
repos parfait.
Ici, tout ce que nous avons vu du sol était volcanique<et an-
cien , de même que celui de la baie des Brèmes. Une de ces
îles surtout, quoique très-boisée, laisse apercevoir de gros
massifs de scories noires. Ce qui appartient à la grande terre
est médiocrement élevé et offre de nombreux cônes isolés ,
éteints depuis long-temps et la plupart recouverts de fougères.
Le coup-d'œil que présente cette contrée ressemble assez à
certaines parties de nos côtes de France , et elle serait suscep-
tible d'être cultivée.
( Extrait du Journal de M. Quoy- )
274 NOTES.
PAGE ij?>.
Je renverrai au récit de M. Lottin.
Le calme nous ayant forcé de laisser retomber l'ancre pou
après notre appareillage , le commandant voulut utiliser le
temps que nous allions passer dans ces parages inconnus. Les
naturels, dans leurs pirogues, paraissaient avoir des intentions
pacifiques ; leur chef, qui était sur le pont, nous racontait ses
exploits, sa victoire récente sur le malheureux Pomare , et
peignait avec une énergie féroce sa joie en dévorant le cada-
vre de ce redoutable ennemi. Il consentit volontiers à passer
la journée sur la corvette, assurant ainsi la tranquillité des
canots envoyés hors de vue du navire.
A neuf heures et demie, je partis dans la baleinière , avec
MM. Guilbert, Gaimard et Faraguet ; nous devions remonter
le Waï-Mogoïa, et vérifier l'assertion des indigènes qui affir-
maient qu'en cet endroit la terre do la Nouvelle-Zélande pou-
vait se traverser en peu d'instans , et qu'on arrivait ainsi à la
mer qui baigne ses côtes occidentales.
A onze heures, nous entrions dans la rivière ; après son em-
bouchure , rétrécie par une langue de sable , elle formait un
vaste bassin d'un mille et demi de largeur sur deux de longueur,
où l'eau était saumâtre , et au-delà duquel la mer, basse alors,
laissait voir les bancs de vase qui obstruent son lit et le rédui-
sent à un canal sinueux dont la largeur varie de 5o à 200 toi-
ses, et navigable seulement pour les petites embarcations.
A midi , nous avions traversé le premier bassin ; l'eau était
potable ; les sinuosités de la rivière nous firent passer au pied
d'un village ou lieu de repos (moe-moe) , situé sur la rive
gauche et nommé Ourouroa ; une immense quantité de pois-
sons séchait à l'air , étendue sur des perches, et exhalait une
odeur insupportable. Les naturels accoururent sur le sommet
NOTES. 276
de la falaise, attirés par la curiosité : ils causèrent bruyamment
avec notre guide tant que le permit la vitesse de notre route,
et plusieurs enfans nous suivirent en courant sur le rivage.
En avançant , le terrain devint bas , couvert de hautes her-
bes , et coupé de petits ruisseaux d'une eau presque stagnante;
plusieurs monticules isolés et peu élevés dominaient la plaine,
rappelant les tumulus de la Grèce.
A midi cinquante minutes, la rivière se terminait subitement
par un bassin de 200 toises de largeur, n'offrant plus au-delà
qu'un simple filet d'eau. Nous débarquâmes sur la vase, et la
garde du canot fut confiée à M. Faraguet ; nous étions alors
à sept milles de la corvette et à environ trois milles et demi en
droite ligne de l'embouchure du Mogoïa , dont la direction
générale est du S. 1/4 S. O. au N. 1/4 N. E.
A midi cinquante-cinq minutes, nous prîmes un sentier
frayé à travers les hautes herbes et qui paraissait une route
fréquentée par les naturels ; la disposition du terrain nous
empêchait de voir au loin devant nous , et à une heure cin-
quante minutes, nous nous trouvâmes sur le bord de la mer,
de l'autre côté; nous avions donc mis cinquante-cinq minu-
tes à traverser la Nouvelle-Zélande qui peut avoir à cet endroit
deux milles de largeur. Nous avions sous les yeux l'apparence
d'un lac immense ; nous goûtâmes l'eau qui était salée, et aper-
cevant une colline dans les environs, nous nous dirigeâmes de
ec côté dans l'intention de prendre une idée plus exacte des
localités. Une pirogue était à la pèche ; les yeux perçans des
naturels nous eurent bientôt découverts, ils ramèrent sur-le-
champ vers la côte , et aussitôt une troupe nombreuse et armée
nous environna ; après quelques momens d'entretien avec notre
guide , cette bruyante escorte nous accompagna devant le cheJ
du paAS.
Nous passâmes près de quelques huttes d'où s'exhalait l'o-
deur infecte de poisson en putréfaction; aucune palissade ne
les protégeait, c'était une espèce de camp volant prêt à être
quitte h la première annonce de l'ennemi. Plusieurs jeunes
276 NOTES.
filles en sortirent et vinrent grossir noire cortège ; une foule
d'enfans nous considéraient avec empressement, bravant les
coups de crosse de fusil que leur distribuaient quelques-uns
de leurs compatriotes fiers de posséder une pareille arme. Enfin
nous aperçûmes le chef : c'était Inaki , un des beaux hommes
de la Nouvelle-Zélande. Il commandait sous celui qui était
resté à bord cette partie de l'île , ayant le titre de rangatira
paraparoa , général en chef des guerriers. Il s'était avantageu-
sement placé à la partie supérieure d'un terrain incliné, à l'ex-
trémité d'une double haie de ses guerriers, vêtu d'un beau man-
teau de peaux de chiens, debout, appuyé sur une lance ornée
de plumes et de fourrures. Je lui fis cadeau de quelques étoffes
et d'une médaille de l'expédition que m'avait remise à cet effet
M. d'Urville ; le guide lui expliqua nos intentions, et il nous
permit de gravir la colline qui était sacrée , et sur laquelle ef-
fectivement aucun naturel n'osa nous suivre.
Arrivés au sommet , nous eûmes le chagrin de ne pas voir
l'entrée qui devait conduire à la pleine mer. A l'endroit dési-
gné par les natifs, vers l'ouest, était une coupure bien pro-
noncée dans les montagnes qui bornaient notre vue; mais un
îlot, entre elles et nous , empêchait de la suivre jusqu'à la mer.
Cette baie immense paraissait entièrement saine ; seulement ,
près du rivage , plusieurs bancs de vase étaient à découvert,
indiquant ainsi la nature du fond qui doit être bon pour les
ancres. Nous prîmes quelques relèvemens pour donner de
l'exactitude à notre croquis, et nous redescendîmes, pressés par
l'heure avancée qui empêchait de faire en pirogue une course
bien intéressante.
Les naturels donnent à cette baie le nom de Manoukao ; ils
nous affirmèrent cent fois qu'elle communiquait avec la pleine
mer, et il ne me reste pas le moindre doute à cet égard. Il est
probable que c'est le fond de False-Bay de Cook.
Nous distribuâmes divers objets de quincaillerie et quelques
petites pièces de monnaie française , et nous partîmes avec
Inaki qui témoigna le désir de voir le commandant.
NOTES. 277
Nous traversâmes rapidement l'isthme étroit qui nous sépa-
rait du canot, et, refoulanl un reste de flot, nous descendîmes
assez lentement le Mogoïa; un grand nombre de naturels cher-
chaient des coquillages dans la vase , et les roehers de l'entrée
étaient couverts de pêcheurs.
A la nuit nous mettions le pied à bord de l'Astrolabe.
Extrait du Journal de M. Lottin.)
Le '26, MM. Lottin, Guilbert, Bertrand, Faraguet et moi,
accompagnés du chasseur Simonet et d'un guide zélandais, nous
pénétrâmes en canot au fond d'une rivière salée, Waï-Mogoïa,
sur la rive gauche de laquelle nous vîmes le village d'Ourouroa,
plusieurs pirogues et beaucoup d'habitans. Après avoir traversé
un isthme de deux milles à peu près d'étendue, nous arrivâmes
sur la côte occidentale de la Nouvelle-Zélande, à un village
nommé Manoukao dont le chef, Inaki, grand et bel homme,
nous reçut en grand costume et d'une manière brillante, au
milieu de ses guerriers. Nous lui fîmes quelques cadeaux, et
entre autres on lui offrit une des médailles de l'expédition , que
lui donna M. Lottin, et un mouchoir bleu que je le priai d'ac-
cepter. Une danse de guerre, vraiment imposante, fut exécutée
en notre honneur par une centaine de Zélandais armés de fusils,
de haches, de lances et de patous-palous. Les hommes que nous
avions sous les yeux étaient en général grands, bien faits et
fortement constitués. Leur physionomie, belle, régulière et mar-
tiale, offre chez les chefs et les guerriers distingués, ce tatouage
profond qui est le résultat d'incisions douloureuses, et la
preuve authentique de leur noblesse et de leur gloire militaire.
Ils ont le nez aquilin , un peu élargi par le bas; la sclérotique
d'un blanc jaunâtre; les dents d'une admirable blancheur ; les
cheveux longs, noirs, ordinairement lisses et quelquefois
bouclés; la barbe noire ainsi que les moustaches.
Les femmes, en général petites, bien faites, ont le nez un
peu épaté; telles des chefs seules ont un tatouage particulier
tome 11. 19
278 NOTES.
aux lèvres et sur les épaules. Les femmes du peuple et les jeu-
nes filles n'ont pas le droit de remplacer la couleur vermeille
de leurs lèvres par le bleu foncé que donne le tatouage , cou-
leur qui paraît être la plus belle à leurs yeux , et dont l'emploi
forme le privilège exclusif de la classe patricienne. Elles se
montrèrent, dans leurs habitudes, les mêmes qu'à Tolaga.
Une des plus jeunes, nommée Iétoutou, remarquable par la
beauté et l'élégance de ses formes , nous parut plus gracieuse
que celles que nous avions vues dans nos précédentes relâches.
Un mouchoir de batiste, qui lui fut donné par l'un de nous,
la rendit tout-à-fait heureuse , et sa joie se manifesta de la
manière la plus expressive.
Cette excursion nous prouva sans réplique que la Nouvelle-
Zélande forme en cette partie une grande péninsule à laquelle
appartient la baie des Iles , ainsi que plusieurs capitaines balei-
niers l'avaient déjà indiqué à M. de Blosseville.
La baie Shouraki renferme d'excellens ports qui tôt ou tard
deviendront le siège d'établissemens européens. Les Zélandais
avec lesquels nous avons communiqué paraissent fort belli-
queux. Ils aiment par-dessus tout les armes à feu. Le chef prin-
cipal que nous avons vu en ce lieu, Terangui, se vantait
d'avoir vaincu , tué et mangé Pomare , rangatira ou grand
chef très-redouté , dont il portait les dépouilles qu'il nous
montrait avec ostentation , en racontant lui-même ses hauts
faits d'armes. Il espère vaincre et manger de même Shongui,
qui est actuellement le rangatira le plus puissant de la baie
des Iles.
{Extrait du Journal de M. Gaimard.^)
PAGE I90.
Qui est le véritable point de départ des Waïdouas.
Nous reprîmes la mer en passant devant la baie des Iles , et
NOTES. 279
nous allâmes directement au cap Nord. Là se terminait ce que
M. d'Urvillc avait voulu faire de géographie sur la Nouvelle-
Zélande , ce qui donnait un développement de côtes de trois
cent soixante lieues environ , sans jamais perdre la terre de
vue à plus de trois ou quatre milles.
{Extrait du Journal de M. Quoy.')
Le 1er mars nous avons quitté la baie Shouraki et continué la
géographie de la côte jusqu'au cap Nord. De ce dernier au cap
du Vent-Contraire, où furent commencés les travaux hydro-
graphiques, nous avons suivi un développement de côtes d'en-
viron trois cent soixante lieues , à quatre milles de distance et
souvent plus près, ce qui sans doute sera regardé comme un
assez beau commencement de vovage.
{Extrait du Journal de M. Gaimard.
PAGE 197.
Presqu'au même endroit où, sous le nom de Co-
quille, elle se trouvait trois ans auparavant.
Le 12 mars, nous mouillâmes dans la baie des lies. Là se
trouvaient des missionnaires anglais dont l'influence est resta
nulle jusqu'à présent sur des hommes passionnés pour l'indé-
pendance, livrés entre eux à une guerre d'extermination, et
chez lesquels rien encore n'a pu détruire la funeste coutume
de manger les ennemis tués dans le combat. Ces niissionnaire.--
avaient leurs femmes avec eux comme les Anglais le font tou-
jours et avec tant de raison. Ils donnent ainsi journellement
aux hommes qui les entourent l'exemple de l'union conjugale;
et, ce qui est si important pour la civilisation des peuples sau-
vages, celui de la protection et des égards que l'homme doit à sa
compagne.
{Extrait du Journal de il/. Gaimard. )
280 NOTES.
F AGE 2 26.
Nous étions de retour à bord aussi satisfaits que
harassés de notre longue excursion.
Le io mars, après avoir visité l'établissement des mission-
naires, MM. d'Urville, Lottin et moi, accompagnés de M. Wil-
liams jeune, frère du chef des missionnaires de la Nouvelle-
Zélande, nous remontâmes en canot la rivière de Kawa-Kawa.
Nous vîmes des cultures en très-bon état, des champs de pom-
mes de terre, taboues ou sacrés (c'est-à-dire qu'il était sévère-
ment défendu de traverser), ce qui, en nous obligeant à faire
de nombreux détours, prolongea de beaucoup notre prome-
nade. Nous eûmes souvent à nous louer de l'obligeance des na-
turels : si nous rencontrions un bras de rivière, ils s'emparaient
aussitôt de nous; ils nous portaient sur le dos, ou nous pla-
çaient à cheval sur leurs épaules, et nos vêtemens restaient em-
preints de la couleur jaunâtre dont ces Nouveaux-Zélandais se
peignent le corps. Souvent, à notre approche, on voyait se
former des groupes de jeunes filles qui, à demi nues et se te -
nant par la main , faisaient entendre des chants d'amour et se
livraient avec une gaieté charmante à des danses pleines de
grâces et de volupté. Nous parcourûmes avec délices ces
belles forêts qui furent si utiles à Marion. Là, nous apprîmes
quelques détails sur le meurtre de notre malheureux compa-
triote. 11 paraît qu'il a été assassiné par les habitans de la baie
d'Oudoudou qui avaient eu tant à se plaindre de Surville, et
qui vinrent à la baie des Iles pour se livrer à cet acte de ven-
geance. Les Zélandais qui habitent les bords de la rivière
Kawa-Kawa nous appelaient nous-mêmes des Marions, ce qui
montre qu'ils n'ont point oublié le passage et la fin si funeste
de cet habile navigateur. Nous recueillîmes sur les bords ma-
récageux de la rivière plusieurs centaines de jolies coquilles,
NOTES. 281
toutes de la même espèce, et que les naturalistes connaissent
sous le nom d'Ampullaire aveline.
En visitant avec M. d'Urville le village de Pomare , nous
vîmes que les diverses sculptures qui ornent les maisons
des naturels ne le cèdent pas en élégance et en perfection à
celles que l'on remarque sur le devant de leurs pirogues.
Nous nous abstiendrons de les décrire, persuadés que, pour en
avoir une bonne idée, il vaut mieux jeter un coup-d'œil sur
les dessins qui en ont été faits avec soin que d'en lire la des-
cription la plus minutieuse.
(Extrait du Journal de M. Gairnard.}
PAGE 236.
Tant s'effacent rapidement les traces des peuples
demeurés étrangers aux arts de la civilisation.
Le 17 mars, nous gravîmes le pâ de la tribu de Touï. Cette
forteresse, qui venait d'être abandonnée, est placée sur le som-
met d'un roeber très-élevé. Inaccessible du côté de la mer, on
ne peut y arriver du côté de la terre que par un sentier très-
étroit et découvert. Un fossé profond», un double rang de palis-
sades hautes , fortes et serrées, en défendent l'approche et de-
vaient rendre ce fort vraiment inexpugnable avant l'introduc-
tion des armes à feu. Les maisons qu'on y a construites sont très-
basses et très-nombreuses ; elles contenaient, en temps de guerre,
désarmes et des provisions en abondance, de manière à pou-
voir soutenir ces longs et mémorables sièges qui ont eu lieu
d'après le récit des Zélandais , et qui devinrent l'occasion de tant
de faits glorieux que l'on conçoit facilement quand on connaît
la force physique et la rare intrépidité de ces braves insulaires.
Mais, pour qu'un peuple obtienne la célébrité qu'il mérite, de
belles actions ne suffisent pas, il lui faut encore un historien
pour en consacrer le souvenir.
282 NOTES.
Lors de notre séjour à la baie des Iles, la plupart des
guerriers étaient partis pour une expédition militaire que l'on
nous dit être dirigée contre les habitans delà baie Shouraki.
C'était sans doute cette armée composée d'une quarantaine de
grandes pirogues portant chacune de vingt à quarante hommes,
que nous avions vue, le 4 mars, lorsque nous étions par le
travers du cap Kokako (cap Bret de Cook). Réduire en escla-
vage tous les prisonniers et manger tous les ennemis tués dans
le combat, tel est le double but de ces expéditions qui sont
fréquentes et ardemment désirées. Un Zélandais appartenant
à la tribu au milieu.de laquelle habitent les missionnaires,
fut mis à mort peu de jours avant notre arrivée, uniquement
pour avoir désapprouvé cette dernière guerre.
Ce n'est point ici le lieu de parler de la langue des habitans
de la Nouvelle-Zélande; mais une remarque que l'on ne peut
s'empêcher de faire à la baie des Iles, c'est que dans la numé-
ration les Zélandais comptent par onzaines au lieu de compter
par dizaines.
(Extrait du Journal de M. Gaimard.}
page 244-
Quelles sont les privations qu'un semblable résul-
tat ne puisse faire oublier !
Après avoir parcouru la moitié des côtes de la Nouvelle-
Zélande et vu un assez grand nombre de ses habitans , nous
réunissons ici ce que nous avons à en dire. Cette terre par sa
grandeur, comme par sa nombreuse population , est certaine-
ment une des plus importantes de l'Océan austral , malgré sa
position reculée vers le sud. Sa température ni trop chaude ,
ai trop froide , est aussi saine qu'elle est propre à la culture
de toutes les productions d'Europe. Sur plusieurs points, sa
NOTES. 283
végétation, dans laquelle on distingue des fougères en arbres et
des Dracénas qui figurent des palmiers, ressemble à eelle des
tropiques par son abondanee et sa vigueur; et malgré la pri-
vation des plantes qui fournissent à l'homme une nourriture
abondante , les heureuses influences dont nous venons de par-
ler ont contribué au développement d'une des plus belles races
de la Polynésie. En effet les navigateurs ont remarqué qu'en
général les Zélandais étaient grands , robustes , d'une physio-
nomie agréable, quoiqu'ils la défigurassent, surtout les chefs,
par un tatouage en incision , dont la disposition ne contribue
pas peu à leur faire paraître à tous le nez aquilin , forme ce-
pendant assez commune parmi eux et qui est jointe à l'écarte-
ment des narines. Leurs cheveux sont longs , noirs et lisses ,
ainsi que la barbe, et leurs dents sont admirables. Le caractère
de la physionomie est aussi varié qu'en Europe, et, pour tout dire
en un mot, nous trouvions dans ces insulaires des ressemblances
avec celles qu'on nous a transmises de Brutus, de Socrate, ete.
La basse elasse a les formes plus petites et moins belles ; peu
des individus en sont tatoués , privilège qui semble appartenir
aux guerriers, et par conséquent aux chefs qui sont tous guer-
riers. Il faut voir cet ornement pour juger combien il doit être
douloureux à acquérir. Les femmes sont loin d'approcher des
hommes en beauté. Presque toutes petites, elles n'ont rien de
ce naturel gracieux qu'on trouve quelquefois parmi les peu-
plades non civilisées, que nous avons souvent rencontré aux
îles Sandwich. Les femmes des chefs sont seules tatouées aux
lèvres et sur les épaules d'une manière particulière.
Le peu qu'on sait sur le gouvernement des Zélandais offre
le plus grand intérêt pour ceux qui aiment à descendre dans
ces eommencemens de civilisation. Ces deux grandes îles n'ont
point de chef possédant une grande domination. Elles sont di-
visées en tribus innombrables qui ont chacune le leur particu-
lier indépendant du voisin. Ce chef, loin d'être absolu sur ceux
qu'il dirige , ne paraîtrait avoir d'autre pouvoir que celui que
lui donne l'opinion, et ne peut , dans tous les cas, forcer un
284 NOTES.
homme libre d'agir contre sa volonté, à peu près comme < e
que nous rapporte César des Gaulois qui suivaient leurs prin-
ces à l'armée, guidés plutôt par l'opinion que par la force; de
sorte que chaque tribu représente une sorte de petite république
se fédérant quelquefois momentanément avec d'autres et obéis-
sant alors à un seul chef pour faire la guerre , comme nous
le dirons bientôt. Ne semble-t-il pas qu'on retrouve ici , mais
en miniature, toutes ces petites républiques de la Grèce? Je viens
de parler tout à l'heure d'hommes libres ; c'est qu'il paraît
qu'outre les esclaves faits à la guerre et qui restent après qu'on
en a mangé le plus qu'on a pu , il y aurait parmi le peuple
des individus qui ne jouiraient pas de toute leur liberté. Sont-
ils serviteurs ou esclaves ? C'est ce que nous ignorons et ce que
des missionnaires instruits de la langue et des coutumes de ces
peuples pourront seuls nous dire. M. d'Urville possède à ce
sujet d'assez bons documens que lui a fournis M. Marsden, mi-
nistre à Port-Jackson , homme de beaucoup de jugement , qui
a visité assez long-temps la Nouvelle-Zélande.
Si ces divisions à l'infini de peuplades assurent leur indépen-
dance en les empêchant de tomber sous la domination d'un
seul, elles nuisent aux progrès de la civilisation , entretiennent
des rivalités et des guerres éternelles. On peut même dire que
tous ces insulaires sont dans un état perpétuel d'hostilité.
Chaque tribu a sa forteresse nommée pâ ou hépa , placée dans
une île ou sur un lieu plus ou moins inaccessible , gardée par
une partie des habitans et dans laquelle tous se réfugient dans
le danger. J'ai vu le pâ abandonné de la tribu de Toui; il était
placé au sommet d'un rocher inaccessible au bord de la mer.
Du côté de la terre il en était séparé par un fossé profond,
garni de doubles palissades de vingt pieds de haut , formées de
troncs d'arbres entiers à se toucher; les nôtres ne sontpas mieux
entendues. On y montait par un sentier étroit; l'intérieur qui
allait en pente contenait un grand nombre de maisons aban-
données, mais intactes pour la plupart, très-basses, à toits
arrondis, ayant un petit péristyle et une porte ressemblant à
NOTES. 28à
une fenêtre, et si étroite, qu'il fallait se mettre à plat ventre
pour pénétrer dans l'intérieur. Des choux d'Europe , des lise-
rons couvraient les toits de chaume de cette Sparte australe.
Jadis , avant que les Zélandais eussent connu les Européens ,
ils se bravaient sur ces sommets inexpugnables et soutenaient
des sièges interminables et qui n'auraient demandé qu'un Ho-
mère pour être aussi célèbres que celui de Troie ; mais depuis
que nous leur avons fait connaître les armes à feu, et que les
baleiniers anglais leur en fournissent abondamment , leurs ci-
tadelles ne présentent plus la même résistance, et comme les
fusils leur sont inégalement répartis , il en résulte que certai-
nes tribus plus favorisées en exterminent d'autres. Plus qu'au-
cuns Polynésiens ils sont adonnés à cette horrible coutume de
manger leurs prisonniers après le combat , et ils paraissent y
attacher une idée religieuse qui va jusqu'à faire désirer cet hon-
neur aux chefs qui succombent dans l'action. Leurs têtes sont
conservées avec soin à l'aide de la dessiccation, et ce sont celles
que l'on voit assez fréquemment en Europe. Je ne connais rien de
leurs opinions religieuses. L'absence de tout signe extérieur
semblerait indiquer qu'elles auraient plus de perfection que
celles de leurs voisins. Les tètes tirant la langue sculptées au-
devant de leurs pirogues et ailleurs, les mêmes qu'ils portent
au cou incrustées sur du jade, les statues qui montrent des
phallus, ne sont que des emblèmes. Nous n'avons vu que très-
rarement des ornemens en bois sur les tombeaux.
Ils ne connaissent d'autres arts que ceux que demandent la
construction de leurs cabanes, de leurs pirogues qu'ils sculp-
tent avec beaucoup de soins et d'agrémens, et la confection
de leurs nattes de phormium qui sont très-belles et aussi chau-
des que le demande le pays. Leur casse-tète et la hache en beau
jade vert demandent beaucoup de temps et de soin pour être
confectionnés; aussi y tiennent-ils beaucoup et ne les échan-
gent-ils que contre des armes à feu. Il est à remarquer que l'arc
et les flèches ne sont point des armes qu'on trouve dans la mer
du Sud; c'est toujours un moyen rapide de destruction de moins.
tome il. 20
286 NOTES.
Nous n'en avons encore vu qu'aux Sandwich , mais faibles et
servant seulement à l'amusement.
Les Zélandais sont bruyans , parlent beaucoup et comme en
se disputant ; les chefs seuls sont graves. On pourrait même
les distinguer à ce signe. Ils aiment la danse et le chant qu'ils
exécutent en chœur avec une précision, et on peut dire un agré-
ment, que nous n'avons rencontré nulle part chez ces peuples.
Aussitôt que le drame commence, tous, hommes, femmes,
enfans, accourent se réunir sur plusieurs lignes et l'exécutent
avec un ensemble admirable ; toutefois leur danse la plus com-
mune se fait avec des contorsions et des cris affreux. Ceux pré-
sens, qui par hasard n'y participent pas avec les autres, dan-
sent seuls et suivent la mesure.
Leur costume se compose de nattes de différentes espèces
qu'ils placent très-bien ; ils en ont de très-épaisses couvertes
de longs brins de phormium. Lorsqu'ils s'accroupissent sous
ce vêtement, ils ressemblent à une ruche qui serait surmontée
d'une tête. Plusieurs nouent leurs cheveux derrière et les or-
nent de deux plumes noires ; d'autres les enduisent d'ocre rouge
par devant. C'est une toilette de cérémonie qu'ils faisaient avant
de nous aborder. Se couvrir les épaules de leurs vêtemens est
aussi une marque de respect qu'ils pratiquaient. Leur nourri-
ture est le poisson et la patate douce. L'approche des champs
est défendue et sacrée , ou tabouée , lorsque la plante est jeune.
Celui qui violerait cette interdiction courrait le risque d'être as-
sommé. Le peuple mange la racine des fougères qui couvrent
le pays , nourriture de tous les instans , mais peu substantielle ;
il faut y joindre les cochons et les choux qu'ils doivent aux
Européens, et sans aucun doute à Surville et à Marion, prin-
cipalement à ce dernier qui a séjourné long-temps à la baie des
Iles où il a été assassiné bien malheureusement et en repré-
saille de l'abominable action qu'avait commise quelque temps
auparavant Surville , en enlevant un chef dont il avait reçu
toutes sortes de secours. Les habitans de la baie des Iles, qui
paraissent très-bien au fait de ce qui s'est passé , ont assuré
NOTES. 287
M. d'Urville que c'étaient ceux de la tribu où Surville avait
relâché qui étaient venus tout-à-coup fondre sur Marion, sans
qu'on pût les en empêcher; ce qui dans le faitparaît très-vraisem-
blable en voyant les marques d'estime et d'affection que Marion
avait reçues, jusqu'au dernier moment, de ceux de la baie des
Iles. (Voyez la relation de ces événemens.)
Si d'un côté les Européens ont apporté à ce peuple leurs
maladies et leurs armes destructives; de l'autre, ils lui ont
laissé d'utiles productions, parmi lesquelles la pomme de terre
tient le premier rang. Son utilité a été bientôt appréciée, car
partout nous en avons trouvé autour des habitations. Il faut y
joindre les pêches , les oignons , etc. Le bien l'emporte-t-il sur
le mal? Nous ne le pensons pas; et tant que la Nouvelle-Zé-
lande ne sera pas soumise à un ou deux chefs , ce qui, vu son
état politique, sera aussi long que difficile, ses habitans n'au-
ront acquis qu'une plus grande facilité à se détruire.
Chaque jour quelques chefs amenaient à bord plusieurs
femmes qui servaient à tout le monde, sans jamais aucun désir
de leur part, mais toujours moyennant une rétribution que le
chef se faisait remettre, lorsque lui-même ne l'attendait pas
à la porte. Plusieurs personnes recueillirent des fruits amers de
leur cohabitation avec ces femmes.
L'abandon de la baie des Iles par une grande partie des natu-
rels nous empêcha d'y avoir les vivres sur lesquels nous comp-
tions. Nous n'y prîmes même pas le poisson que les habitans
savent se procurer.
Nous n'entrerons ici dans aucun détail relatif à l'histoire
naturelle , cette partie devant être traitée ailleurs.
(Extrait du Journal de M. Quor.^
VOYAGE
DE
L'ASTROLABE.
ESSAI
SUR
LA NOUVELLE-ZÉLANDE.
CHAPITRE XVII.
DECOUVERTE ET HISTOIRE DE LA NOtIVEI.r.E-ZEr,ANDF.
Considérée antérieurement à l'époque qui a mis les
nations sauvages de la mer du Sud en rapport avec des
peuples civilisés, l'histoire de ces nations se réduit à
bien peu chose. Privés de tout autre moyen que celui
de la parole pour communiquer leurs idées, ces hom-
mes n'avaient même rien imaginé qui ressemblât aux
symboles hiéroglyphiques, aux nœuds, aux quipos
adoptés par divers peuples encore bien voisins de l'état
de nature. Aussi leurs notions du passé n'offrent-elles
en général que des traditions très-confuses qui n'ont
ni suite ni cohérence.
TOME II. 21
290 VOYAGE
La Nouvelle-Zélande se trouve particulièrement
dans ce cas. Distribués en tribus peu nombreuses,
entièrement indépendantes les unes des autres et sou-
vent divisées par des guerres sanglantes et destruc-
tives , ses habitans étaient restés étrangers à toute
forme régulière de gouvernement , tandis que les na-
turels des îles de Taïti, Tonga et Hawaii, réunis en
monarchies plus ou moins puissantes, conservaient
un souvenir plus distinct des exploits de leurs anciens
souverains.
En effet , dans tous les pays , ce qu'avant la nais-
sance de l'écriture on est convenu d'appeler l'his-
toire, s'est presque toujours borné à la tradition des
faits et des gestes des rois ou des chefs de la nation.
Or, la mémoire de ces faits n'a pu se conserver qu'au-
tant qu'elle intéressait l'ambition et l'orgueil des
dynasties , et qu'en outre ces dynasties avaient une
certaine durée. Chez les Nouveaux-Zélandais , sujets
par la nature même de leurs institutions à des révolu-
tions continuelles , cette mémoire se bornait presque
toujours aux exploits des pères ou des aïeux de la
génération vivante; rarement elle remontait jusqu'à
la troisième ou quatrième génération. Leurs opinions
même touchant leur origine étaient vagues et diver-
gentes. Suivant Cook, ils la rapportaient tous à un
pays qu'ils nommaient, dit-il, Heawise '.Ne serait-
ce pas plutôt Iwi qui signifie à la fois os et tribu , et
dont nous signalerons la ressemblance avec le mot
• Cook, premier Vonage, III, p. 298.
DE L'ASTROLABE. 291
Eve y mère du genre humain, selon la Genèse? Quel-
ques-uns, et Touai partageait cette opinion, prétendent
qu'ils descendent de deux frères Mawi-Moua et Mawi
Potikiy que L'aîné Mawi-Moua tua et mangea le cadet
Mawi-Pvtiki, d'où provient chez eux la coutume de
manger les corps de leurs ennemis. D'autres enfin
soutiennent que Mawi, chassé de son pays natal par
suite de dissensions civiles , s'embarqua avec quel-
ques-uns de ses compatriotes, et que guidé par le dieu
du tonnerre, Taurahi y il vint s'établir sur les bords
du Shouraki i. Il est probable qu'en ce cas il aurait
amené des femmes avec lui, bien que la chronique
n'en parle pas.
Une tradition plus remarquable , et qui nous sem-
blerait plus positive , est celle que Cook trouva en vi-
gueur au détroit qui porte son nom , comme aux en-
virons du cap Nord. Elle aurait rapport à une grande
contrée située au N. N. O. de la Nouvelle-Zélande,
fertile en cochons et nommée Ulimaraa ( qu'il faut
lire sans doute Oadi-Mara 2, peuple d'un lieu exposé
à la chaleur du soleil ). Suivant ceux du cap Nord ,
leurs ancêtres y seraient allés dans une grosse pirogue,
et il ne serait revenu au bout d'un mois qu'une partie
d'entre eux 5. Au dire des habitans de Totara-Nouï, un
petit bâtiment venant de ce même pays avait louché
chez eux, et quatre hommes débarqués de ce navire
avaient été massacrés sur-le-champ. Cook ajoute que
' Marsden , d'Urville, III, p. 352. — • Crammar of Ifew-Zealand. ,
p. i45, 176. — 3 Cook, d'i'rv. , III, p. 19.
21*
292 VOYAGE
les habitans de la baie des Iles lui avaient parle de ce
pays RUlimaraa ». Les Nouveaux-Zélandais auraient-
ils en effet conservé quelques notions des îles situées
près de la ligne, auraient-ils eu quelques communica-
tions avec leurs habitans depuis l'époque où ils furent
condamnés à occuper des régions aussi éloignées les
unes des autres? C'est un fait à signaler à l'attention
des missionnaires établis a la Nouvelle-Zélande ou des
voyageurs qui pourront interroger d'une manière pré-
cise et détaillée ces insulaires.
Durant tout le temps que la Nouvelle-Zélande est
demeurée inconnue aux Européens , les générations
qui ont occupé ce sol se sont succédées , sans laisser
aucune trace de leur existence : aucun monument
même ne peut témoigner de leur industrie ou de leurs
efforts. Laissant donc de côté cette longue suite de
siècles de ténèbres, nous nous hâtons d'arriver à l'épo-
que qui fit connaître ces contrées à l'Europe civilisée.
A Tasman fut due la découverte de la Nouvelle-Zé-
lande ; quittant le chemin frayé pour la première fois
par Magellan, et que durant plus d'un siècle presque
tous ses successeurs avaient suivi de près , sans s'éloi-
gner des deux tropiques , Tasman, dès l'année 1642,
poussa ses recherches vers les mers refroidies qui cei-
gnent le pôle antarctique. La terre de Van-Diémen fut
le premier fruit de ses courageux efforts ; mais la dé-
couverte de la Nouvelle-Zélande en fut le plus impor-
tant résultat. Le 1 3 décembre 1 642 , ce navigateur
' Cook, d'Urv., III, p. 2d.
DE L'ASTROLABE. 293
aperçut les montagnes de Tavai-Pounamou pour la
première fois , un peu au sud du cap Foul-Wind et
presque au même endroit ou V Astrolabe vint plus tard
attérir sur cette côte orageuse. Il prolongea la terre
d'assez près en se dirigeant au N. E. ; le 17, il
donna dans le détroit de Cook qu'il prit pour un golfe
et qu'il nomma Zeehaaiis-Bocht; et le 18 il mouilla
sur une baie qui reçut le nom de Moordenaar s-Bay ,
en mémoire de l'événement funeste qui signala cette
relâche ».
Les efforts de Tasman pour gagner la confiance et
l'amitié des insulaires furent inutiles; les sauvages
se précipitèrent sur un de ses canots , tuèrent trois
Hollandais et en blessèrent mortellement un qua-
trième. Tasman fut obligé de faire jouer son artille-
rie et de renoncer à descendre à terre > comme il
l'avait projeté. Les vents violens de l'O. et du N. O.
le retinrent encore quelques jours au mouillage ;
puis il continua sa route au N. en prolongeant la
côte occidentale de Ika-na-Mawi, et le 4 janvier 1613
il découvrit les îlots Manawa-Tawi. Il tenta vaine-
ment d'y faire de l'eau, et le 6 janvier il quitta cette
terre dont il avait reconnu la côte dans une étendue
de plus de 200 lieues 2.
Le continent inconnu du Sud était alors la chimère
des géographes, et Tasman crut en avoir vu une partie.
Il soupçonna même que les terres qu'il venait de dé-
couvrir se joignaient auStaten-Land, signalé par Le
' Tasir.an, d'Urv., III, p. 1 et suiv. — ' Tasman, d'Urv. , III , p. ii.
29,4 VOYAGE
Maire et Schouten à l'est de la terre de feu, et il
donna en conséquence le même nom à sa découverte.
Mais , comme on ne tarda pas à reconnaître que les
terres de Le Maire et Schouten ne formaient qu'une
île assez limitée , les côtes vues par Tasman reçurent
alors le nom de Nouvelle-Zélande, pour les distin-
guer de celles de Le Maire. On ignore quel fut le pre-
mier qui leur imposa ce nom ; quoi qu'il en soit , il a
prévalu, et c'est celui qui est resté à ces grandes îles
australes t.
Un vieillard fort âgé des bords du Shouki-Anga
raconta, en 1820, aux marins du Dromedary, qu'il
tenait de son père qu'à une époque fort ancienne un
canot monté par les hommes blancs et armés de mous-
quets sans ressorts , était entré dans la rivière. Long-
temps après cet événement , un navire s'était perdu
sur la côte ; l'équipage d'un canot étant venu à terre
pour prendre des provisions , fut massacré par les
naturels. Personne ne vit les débris de ce naufrage 2.
Ces traditions auraient-elles quelque fondement? ou
bien ne seraient-elles qu'un souvenir confus et altéré
par le temps du passage de Tasman sur les côtes de
ces îles ?
Cependant, près de cent trente années s'écoulèrent
après la découverte de Tasman , avant qu'on connût
autre chose de ces terres que leur existence. Leur
forme , leur étendue, leurs productions , les mœurs,
les coutumes et le langage de leurs habitans , étaient
i Burney , d'Urv. , III, p. 9. — a Cruise, p. 87.
DE L'ASTROLABE. 296
encore autant de problèmes pour les géographes. 11
était réserve à l'immortel Cook de les résoudre. Le
6 octobre I7G9, la côte orientale de la Nouvelle-
Zélande fut reconnue à bord de l'Endeavour, près de
la baie Taone-Roa, à l'endroit que Cook nomma cap
Young-Nicks '. Six mois d'une navigation laborieuse
et intrépide donnèrent à ce grand capitaine le moyen
de tracer une carte complète de la configuration de
ces côtes. Le premier, il constata que la Nouvelle-
Zélande se composait de deux grandes îles d'égale
étendue à peu près , et que séparait un canal étroit ;
il découvrit plusieurs mouillages , savoir : ceux de la
baie de Pauvreté, de Tolaga , de la baie Mercure , de
la rivière Tamise , de la baie des Iles , du canal de la
Reine-Charlotte et de la baie de l'Amirauté. Ses com-
pagnons Banks et Solander donnèrent d'utiles ren-
seignemens sur les mœurs et les coutumes des habi-
tans, comme aussi sur toutes les productions du pays.
Tandis que Cook , au mois de décembre 17G9, re-
connaissait la côte N. E. de Ika-na-Mawi, le navi-
gateur Surville était mouillé dans la vaste baie d'Ou-
dou-Oudou, dont il traça un plan estimable pour son
temps, mais aujourd'hui bien imparfait. Du reste,
cette expédition ne rendit guère d'autres services
aux connaissances humaines : nous regrettons même
d'elle obligé de dire que la conduite injuste et vio-
lente du capitaine français envers le chef Nagui-Nouï
fut peut-être la première cause des actes de cruauté
i Cook, prem. v<>\., III, p. 44 ti suiv.
296 VOYAGE
que les Européens eurent à essuyer par la suite de la
part des habitans de Wangaroa ■ . Surville est proba-
blement le navigateur dont le nom est resté dans la
mémoire des naturels sous le tilre de Stïvers.
Deux ans plus tard son compatriote Marion con-
duisait ses navires dans les mêmes parages. Il attérit
devant le mont Egmont le 24 mars 1772; comme
Tasman , il prolongea la côte ouest d'Ika-na-Mawi ,
doubla le cap Nord, et vint mouiller le 4 mai sur la
baie des Iles 2. Les vaisseaux français avaient éprouvé
des avaries considérables , et Marion voulut profiter
des bonnes dispositions des naturels et des beaux bois
de mâture qui croissaient dans leurs forêts pour ré-
parer ces avaries. Durant quarante jours environ , la
bonne intelligence qui régnait entre les insulaires et
les Européens ne fut pas un seul instant troublée ; la
confiance de ceux-ci envers leurs hôtes était parvenue
au plus haut degré d'abandon et de sécurité. Mais, dans
les journées du 12 et du 13 juin, Marion fut massacré,
ainsi que vingt-sept hommes des deux équipages , sans
qu'aucun motif eût pu , même en apparence , provo-
quer cet affreux attentat de la part des Nouveaux-Zé-
landais 3.
Déjà Rochon , en donnant au public le récit du
voyage de Marion, avait attribué cette catastrophe à
l'injuste conduite tenue par Sur ville deux ans aupara-
vant à l'égard de Nagui-Nouï. Son opinion acquerra un
i Rochon, d'Urv., III, p. 26 et suiv. — 2 Rochon, d'Urv , III, p. 3i et
32. — 3 Rochon , III, p. 32 et suiv.
DE L'ASTROLABE. 297
nouveau degré de vraisemblance, quand on saura que
les habitans de la baie des lies ont déclare d'une voix
unanime que Tekouri , l'auteur principal du meurtre
de Marion et de ses compagnons, appartenait, ainsi
que ses guerriers , à la tribu de Wangaroa. Nagui-
Nouï était de ce pays, et peut-être parent de Tekouri;
alors la vengeance de celui-ci n'avait rien que de
juste et d'bonorable , suivant les idées reçues par ces
peuples. Il est même possible que Tekouri ne se soit
porté à cet acte indispensable de satisfaction , que lors-
qu'il aura été bien convaincu que Marion appartenait
à la même nation que Surville ; et cette raison pourrait
expliquer comment la conduite, en apparence la plus
affectueuse et la plus liospitalière de la part de ce
chef, fit tout-à-coup place à la plus atroce bar-
barie.
Quoi qu'il en soit, les Français, à leur tour, ven-
gèrent d'une manière éclatante le meurtre de leurs
compatriotes; plusieurs villages furent livrés aux
flammes ; des centaines de naturels payèrent de leur
vie leur perfidie ! ; et encore aujourd'hui leurs des-
cendans ne parlent de cet événement qu'avec une ter-
reur respectueuse.
Ce fut à Marion que les habitans de la baie des lies
durent la plupart des plantes potagères dont leur sol
est actuellement couvert, telles que navets, raves, oi-
gnons, choux 2, etc. Les sauvages en ont gardé le
souvenir, et ils en rendent témoignage aux étrangers.
i Rochon , d'Un., III, p. 42 et suiv. — = liochon, d'ilrv., III, p. 72.
298 VOYAGE
Il parait qu'ils n'ont dû les cochons qu'à des voyages
beaucoup plus récens.
Duclesmeur et Crozet, capitaines des deux navires
français, quittèrent la baie des Iles le 14 juillet 1772.
Cette expédition n'ajouta rien à la géographie de la
Nouvelle-Zélande ; mais on dut à Crozet des détails
précis sur les mœurs et les coutumes de ses habitans,
comme sur les diverses productions du sol. Il est
même juste de dire que les observations recueillies par
cet officier furent beaucoup plus complètes et plus
exactes que celles qui résultaient déjà du premier
voyage deCook *.
Dans son second voyage, au mois de mars 1773,
Cook ramène ses vaisseaux sur les côtes de la Nou-
velle-Zélande, et découvre la baie Dusky. Il relâche
ensuite dans le canal de la Reine-Charlotte, et y dé-
pose cette fois des cochons et des chèvres 2. Cinq mois
plus tard il reparaît sur la côte de Ika-na-Mawi ; près
de Black-Head il gratifie deux chefs de ces cantons
d'une foule d'animaux et de plantes utiles ; puis il fait
une nouvelle station dans le détroit qui porte son
nom 3. De son côté, son compagnon Furneaux mouille
à Tolaga, puis au canal de la Reine-Charlotte , où les
naturels massacrent dix hommes de son équipage 4.
Enfin, Cook mouilla une troisième fois sur ce point,
au mois d'octobre 1774, et y passa une vingtaine de
jours5. Les observations des deux Forsler jettent une
• Rochon, d'Urv. , III, p. 52 et suiv. — 2 Cook, deuxième Voyage, I,
p. i5î et 241. — i Ccok, II, p. 99 et suiv. — 4 Cook, IV, p. 137 et suiv.
— 5 Cook, III, p. 345 et suiv.
DE L'ASTROLABE. 299
vive lumière sur les productions naturelles de la Nou-
velle-Zélande ; mais l'état moral , politique et religieux
des habitans, demeure presque inconnu. Ces deux sa-
vans restèrent surtout dans une ignorance complète
touchant les idées religieuses de ces peuples I.
En février 1777, lors de son troisième voyage, Cook
mouille encore dans le canal de la Reine-Charlotte2.
Le chirurgien Anderson ajoute quelques détails rela-
tifs aux habitudes des naturels, et le capitaine re-
marque les idées superstitieuses des Zélandais sur leur
chevelure 5.
Au mois d'octobre 1791, Vancouver relâcha à la
baie Dusky; mais son séjour dans ce havre n'ajouta
presque rien à ce que Cook avait fait. Vancouver ne
vit même aucun des habitans de cette contrée.
Le général d'Entrecasteaux , en mars 1793, recon-
nut les îles des Rois et la côte septentrionale de Ika-
na-Mawi , dans une étendue de vingt-cinq milles envi-
ron, avec son exactitude accoutumée. On commu-
niqua avec les naturels ; mais il n'en résulta aucun
document nouveau 4.
Le mois suivant, le capitaine Hanson, du Dœdalus,
revenant de porter des vivres à l'expédition de Van-
couver, enlève deux naturels , Oudou et Touki, dans
le voisinage de Wangaroa, et les conduit à l'île Nor-
folk. Le but des Anglais était de se procurer de la part
de ces insulaires des instructions positives pour ex-
i Cook, prem. Voy., III, p. i3l. — * Cook, troisième Voyage, I, p. i53 et
suiv. — 3 Cook, I, p. 176 et suiv. — 4 1)' Etwccasieaux , I, p. 270 et suiv.
300 VOYAGE
traire le chanvre du phormium. Leur espoir, à cet
égard, fut trompé ; mais on obtint de Touki et d'Ou-
dou des renseignemens curieux sur leur pays. Les
bons procédés du gouverneur King envers ces insu-
laires devinrent aussi le principe des dispositions favo-
rables de leurs compatriotes à l'égard des Européens ' .
Le capitaine King eut la complaisance de reconduire
lui-même ces deux sauvages dans leur patrie , en no-
vembre 1793. Leurs relations firent connaître qu'à cette
époque Moudi-Waï commandait à Oudou-Oudou,
Pawariki à Tera-Witi, et Tekoke à Moudi-Motou 2,
Deux ans après, en décembre 1795, le capitaine
Dell, du Fancy, mouilla sur la baie d'Oudoudou, et
trouva Touki et sa femme en bonne santé.
Ce fut à peu près vers cette époque que les balei-
niers et surtout les pêcheurs de phoques commencè-
rent à fréquenter les côtes de la Nouvelle-Zélande. On
dut à quelques-uns de ces aventuriers la découverte
du détroit de Foveaux, qui sépare l'ile Stewart de Ta-
vaï-Pounamou , la transformation de l'île Banks de
Cook en une simple presqu'île, et la découverte des
havres Milford, Chalky, Préservation, Macquarie,
Molineux, Williams , Pegazus , etc.
Des relations plus fréquentes et plus intimes s'éta-
blirent entre les Européens et les Nouveaux-Zélan-
dais. On reconnut que si les derniers étaient des hom-
mes fiers, irascibles et implacables dans leurs ven-
geances, ils pourraient, traités avec douceur, devenir
1 Marsden, d'Urv., III, p. 284. — a Collins , d'Urv. , III, p. 76 et suiv.
DE L'ASTROLABE. 301
des amis sûrs, dévoués el constans. Malheureusement,
et cela n'était que trop fréquent , leurs hôtes man-
quaient de procédés et les traitaient plutôt en escla-
ves qu'en alliés. Ordinairement la terreur des armes
à feu comprimait l'indignation des insulaires ; mais dès
qu'ils en trouvaient l'occasion , ils se hâtaient de ven-
ger leurs injures, d'après leurs idées d'honneur , en
massacrant leurs ennemis et dévorant leurs corps.
Toutefois, il accueillirent, en général, avec joie les
Européens, charmés de pouvoir se procurer par eux
les outils en fer qui leur étaient si nécessaires. En
outre, quand ils eurent commencé à reconnaître la
supériorité des armes à feu, ils firent toutes sortes de
sacrifices pour en obtenir ; et les premiers fusils ven-
dus par les baleiniers et les pécheurs de phoques, tout
défectueux qu'ils étaient, furent quelquefois payés au
prix de trente ou quarante cochons et de plusieurs
centaines de corbeilles de patates l.
Tepahi, chef de Rangui-Hou , et l'un des plus puis-
sans Rangaliras de la baie des Iles , sentit particuliè-
rement de quel avantage serait pour lui l'amitié des
Européens. Pour en resserrer les nœuds, il exprima
le désir de faire un voyage à Port-Jackson ; le capi-
taine Slewart consentit à le transporter lui et cinq de
ses fils h l'île Norfolk, d'où ils passèrent, sur le brick
le Buffalo, à Port -Jackson (en 1804 ou 1805).
Tepahi resta quelque temps dans cette colonie ,
où il fut comblé d'amitiés et de présens par le gou-
■ Turnbull, d'Urv., III, |>. 87 el 88.
302 VOYAGE
verneur King et plusieurs personnes de distinction.
Le gouverneur renvoya Tepahi chez lui , sur le na-
vire le Lady Nelson, après l'avoir pourvu d'une foule
d'outils et d'instrumens utiles. Tepahi demanda et
obtint qu'un jeune Anglais nommé Georges Bruce
restât avec lui à la Nouvelle-Zélande. Ce jeune homme,
ayant par sa conduite mérité la confiance du chef,
reçut sa fille en mariage , après avoir été tatoué con-
venablement et admis au rang des guerriers. Son in-
fluence devint très-utile aux navires anglais qui relâ-
chèrent par la suite sur la baie des îles et auxquels il
rendit toutes sortes de services. Le capitaine Dalrym-
ple, du navire General ïVellesley, paya de la plus
noire ingratitude les bons offices que Bruce lui avait
rendus ; non content de l'entraîner avec sa femme loin
de sa patrie d'adoption, il abandonna Bruce à Malacca
au mois de décembre 1808 et vendit sa femme à Pe-
nang. Grâce à l'intervention du commandant de Ma-
lacca, Bruce put recouvrer sa femme et même se
rendre avec elle à la Nouvelle-Zélande. Cependant, il
est probable qu'un pareil acte de perfidie dut inspirer
aux insulaires une assez mauvaise opinion de la foi
européenne v.
L'imprudence et la brutalité d'un autre capitaine
furent la cause d'un événement bien plus affligeant
encore. John Thompson, commandant le navire
Boyd> qui comptait charger d'espars à la Nouvelle-
Zélande, s'engagea à reconduire plusieurs naturels
i Tumbu.ll, d'Urv., III, p. 88 i:t suiv.
DE L'ASTROLABE. 303
dans leur pairie. Dans le nombre se trouvait le fils
d'un des principaux chefs de Wangaroa , nomme
Taara, mais plus connu par la suite sous le nom de
Georges. Ce naturel étant tombé malade durant la
traversée ne put faire son service. Feignant de ne
point ajouter foi h sa maladie, le capitaine Thompson
le fit fouetter et maltraiter cruellement. Lorsque le
navire fut mouillé à Wangaroa, Taara excita ses com-
patriotes à venger l'insulte qu'il avait reçue ; ils tom-
bèrent sur l'équipage , le massacrèrent en entier, et
dévorèrent leurs victimes au nombre de soixante-dix
personnes. Deux femmes et deux enfans seulement
échappèrent à cette épouvantable catastrophe. Après
s'être emparé du navire , le père de Taara voulut es-
sayer son fusil sur le pont , près d'un baril de poudre ;
ce baril s'enflamma , fit périr le père de Taara , et mit
le feu au navire. Il en résulta que Taara , loin de re-
garder sa vengeance comme assouvie , mit encore la
mort de son père sur le compte des Européens, et ne
cessa de leur en vouloir pour ce motif *.
Au moment où le Boyd fut enlevé , Tepahi se trou-
vait à Wangaroa pour affaires de commerce , et il
tenta de sauver quelques victimes. Mais les habitans
de Wangaroa s'y opposèrent, et ses efforts furent in-
fructueux. Loin de recevoir la récompense due à ses
généreuses intentions , par suite de rapports insi-
dieux , et par la ressemblance de son nom avec celui
i Turnbult , d'I'rv., III, p. <i<i 61 suiv. Marsdcn, d'Urv., III, p. m.
Vichoku, dllrv., III, p. 588.
304 VOYAGE
de Tepouhi, frère aîné de Taara ', et chef de Wanga-
roa , Tepahi passa d'abord pour l'un des principaux
auteurs de cet attentat. Pour en tirer vengeance , peu
de temps après, et dans le cours de 1810, plusieurs
capitaines baleiniers mouillés sur la baie des Iles réu-
nirent leurs forces et attaquèrent l'île où Tepahi et
son peuple étaient établis devant Rangui-Hou 2. L'af-
faire fut sanglante pour les naturels ; plusieurs péri-
rent, un plus grand nombre fut blessé, et le village
fut complètement ruiné. Tepahi lui-même reçut plu-
sieurs blessures 3, et fut tué peu de temps après dans
un combat contre les habitans de Wangaroa, dont
l'affaire du Boyd fut aussi le premier motif 4.
Cependant plusieurs Nouveaux-Zélandais avaient
suivi l'exemple de Tepahi, et avaient quitté leur pa-
trie pour suivre des blancs. Dans ce nombre on re-
marque Maounga 5, de Rorora-Reka, qui, en 1805 ,
consentit k se rendre en Angleterre sous les auspices
du docteur Savage , et fut présenté à plusieurs per-
sonnes de distinction , et même à la famille royale 6.
Ce naturel ne répondit point aux espérance de son
mentor ; de retour dans sa patrie , à Korora-Reka , il
fut banni par l'ariki Tara pour un vol qu'il se permit à
bord du navire anglais Ferret, et qui fut découvert
par Toupe. Défense lui fut signifiée de reparaître à
Korora-Reka sous peine de mort 7.
> Cruise , p. 161. — 2 Kendall , d'Urv., III, p. 227. — 3 Kendall,
d'Urv., III, p. 232. — 4 Nicholas, I, p. 198. Kendall, d'Urv., III, p. 122.
Marsdcn, d'Urv., p. 146 et 149. — 5 Savage, d'Urv., III, p. 783 et suiv.
— 0 Dillon, I, p. 189. — 7 Nicholas, I, p. 43i. D'Unille, II, p. 200.
DE L'ASTROLABE. 805
D'autres s'embarquèrent sur des navires baleiniers
en qualité de simples matelots , et servirent des années
entières sur des navires anglais ou américains , heu-
reux quand ils pouvaient rapporter chez eux quelques
objets d'Europe en retour de leurs longues fatigues. Tel
fut Mawi de Korora-Reka, qui , à peine âgé de dix ou
douze ans, s'embarqua sur un de ces bâtimens , vécut
long-temps à Port-Jackson, fut utile aux mission-
naires, et mourut enfin à Paddington en Angleterre,
de la manière la plus édifiante, à la fin de l'année
1816 i.
Tel fut encore Doua-Tara, neveu de Tepabi, qui
dès l'année 1805 embarqua comme simple matelot
sur le baleinier VArgo, et durant plusieurs années
consécutives remplit le même service sur d'autres
bâtimens. Ce malheureux insulaire éprouva souvent
la mauvaise foi des capitaines anglais. Au bout de
quatre années, son mauvais sort l'amena sur les bords
de la Tamise , où il resta en butte à la misère et aux
maladies. Heureusement, sur le navire qui allait le re-
porter à Port-Jackson, il trouva M. Marsden qui le
prit sous sa protection; il arriva à Port-Jackson en
février 1810, et resta chez M. Marsden jusqu'au mois
de novembre. Alors Doua-Tara s'embarqua sur le
baleinier le Frederick, dans l'espoir de retourner
chez lui ; mais ce ne fut qu'après avoir encore souffert
toutes sortes de traverses et d'injustices , et avoir été
contraint de faire un second séjour chez M. Marsden,
■ Missionnary Réguler, il'Urv. , III, p. 221 et stiiv.
TOME II. A2
306 VOYAGE
qu'il eut enfin, dans l'année 1812, l'avantage de rc
voir son pays natal. Sa naissance l'ayant appelé à
succéder à son oncle Tepahi , il prit le commandement
de la tribu de Rangui-Hou, et porta tous ses soins à
inspirer à ses compatriotes le goût des arts utiles , et
surtout de l'agriculture à laquelle il se dévoua presque
exclusivement I .
Cependant la société des missionnaires de l'Église,
qui avait déjà envoyé des députés sur divers points
de l'Océan-Pacifique , avait jeté les yeux sur la Nou-
velle-Zélande dès l'année 1808. MM. Hall et King
accompagnèrent M. Marsden à son retour à la Nou-
velle-Zélande en 1810, pour remplir cet objet. Mais
la catastrophe du Boijd engagea M. Marsden à sus-
pendre pour un temps l'établissement de la mission.
Les nouveaux excès en tout genre commis par les
Européens sur les Nouveaux-Zélandais ne pouvaient
qu'ulcérer de plus en plus ces sauvages contre les
étrangers. Ces excès devinrent si crians que M. Mars-
den, chapelain principal de la Nouvelle-Galles du
Sud , mu par les sentimens de la simple humanité et
de l'équité publique, se crut obligé de les signaler à
l'attention et à la sévérité du gouverneur de cette
colonie2. Le général Macquarie fit droit à sa requête
et promulgua, dans le cours de 1814, un ordre qui
assujettissait à toute la rigueur des lois tous les ma-
rins anglais qui useraient de mauvais traitemens envers
les Nouveaux-Zélandais -\
i Marsden, d'Urv., III, p. 25;>. et suiv. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. 109
et suiv. — 3 Missionnàry Regisler, d'Urv., III, p. 129.
DE L'ASTROLABE. 307
L'empressement que témoignait Doua-Tara pour
introduire la civilisation et les arts utiles parmi ses
compatriotes, et la bienveillance qu'il montrait en
toute occasion aux Européens , parurent à M. Mars-
den d'un heureux présage pour l'établissement de la
mission. 11 se décida à envoyer MM. Kcndall et Hall
à la baie des Iles , pour sonder les intentions des na-
turels et préparer les voies. Ces deux missionnaires
s'embarquèrent, le 1 4 mars 1 8 1 4, sur le navire l'Active,
dont le maître était M. Dillon, qui le premier dans la
suite découvrit les vestiges du naufrage de Lapérouse.
Ils arrivèrent à Tcpouna le 10 juillet suivant, et du-
rant les six semaines qu'ils passèrent à la Nouvelle-
Zélande , ils purent se convaincre que , loin d'avoir
rien à redouter de la part des naturels , ceux-ci étaient
disposés à les recevoir à bras ouverts. Pour gage in-
faillible de leurs bonnes intentions , les chefs les plus
influens de la baie des Iles, savoir : Shongui, Koro-
Koro, Doua-Tara et Touai, s'empressèrent d'accom-
pagner les missionnaires à leur retour à la Nouvelle-
Zélande. Shongui et Doua-Tara appartenaient à la
partie septentrionale de la baie des Iles, tandis que
Koro-Koro et Touai étaient établis sur la partie méri-
dionale de la même baie «.
Pour mettre à profit d'aussi favorables disposi-
tions, M.Marsden, dès le 19 novembre 1814, s'em-
barqua avec MM. Kendall, Hall et King et leurs
familles, afin d'aller les établir à la baie des Iles. Cet
■ Kendall, dIJrv., III, p. nfi ri mh\.
308 VOYAGE
ecclésiastique a donné un récit de son voyage auquel
nous renvoyons pour les détails; nous devons nous
contenter de dire ici que, le 24 janvier 1825, il acheta,
des chefs de Rangui-Hou , une étendue de terrain de
200 acres environ , moyennant douze haches. Ce lo-
cal devint le siège du nouvel établissement , et pour
ainsi dire le berceau des missions futures sur cette
partie du globe *.
Des cases furent promptement élevées , et les Eu-
ropéens destinés à rester à la Nouvelle-Zélande, au
nombre de vingt-cinq personnes , furent bientôt ins-
tallés dans cette petite colonie 2. Sur-le-champ ils
s'occupèrent de défricher et d'ensemencer leurs ter-
res , d'enseigner à lire et à écrire aux enfans et de
travailler à la conversion des parens. La terre se
prêta aux efforts des nouveaux colons , et paya leurs
sueurs par d'abondantes récoltes. Il n'en fut pas de
même des naturels : tout entiers aux fureurs de la
guerre , et dévorés par la soif des combats , ils ne
prêtèrent qu'une bien faible attention aux exhorta-
tions des chrétiens , et tous leurs désirs ne tendaient
qu'à se procurer des fusils et de la poudre pour
exterminer plus facilement leurs ennemis.
M. Marsden consacra les deux mois qu'il passa
dans cette contrée à parcourir les environs de la baie
des Iles, et à faire part aux divers chefs du but et
des projets des missionnaires. Il visita successivement
i Marsden, d'Urv. , III, p. i32 et suiv. — 3 Marsden, d'Urv. , III,
p. 170.
DE L' ASTROLABE. 309
les tribus de Korora-Reka, Kawa-Kawa, Waï-Kadi,
Paroa , Kidi-Kidi , Wai-Mate et les bords du lac Mau-
pere. Ensuite , accompagné d'une foule de chefs de la
baie des Iles , il s'avança jusqu'aux rives de la baie
Shouraki et fit connaissance avec plusieurs chefs puis-
sans de ces cantons. Partout il fut bien accueilli;
presque toujours il trouva les insulaires empressés de
posséder dans leur sein des Européens, pour leur ap-
prendre les arts utiles et surtout ceux de l'agriculture.
M. Liddiard ÎXicholas accompagna M. Marsden dans
ces diverses excursions , et il a publié de son côté
un récit de son voyage qui offre le plus vif inté-
rêt. M. Marsden fut de retour à Port -Jackson le
23 mars 1815 '.
Quelques jours après le départ de M. Marsden,
Doua-Tara mourut 2, et ce fut une grande perle pour
les missionnaires , qui plaçaient en lui presque toutes
leurs espérances pour l'accomplissement de leurs des-
seins. Protégées par les autres chefs de Rangui-Hou
et surtout par Shongui , leurs propriétés furent ce-
pendant respectées, et ils purent se livrer à leurs pieux
travaux. Le plus grand obstacle qu'ils éprouvaient
dans la réussite de leurs vues, provenait des visites
fréquentes que les baleiniers de leur nation faisaient
à la baie des Iles , pour se procurer des vivres. Ces
navigateurs ne balançaient point à livrer en échange
aux naturels des fusils et de la poudre. Comme les
i Marsden, d'Urv., III, p. 1 36 et suiv. — a Marsden, d'Urv. , HT,
p. 257.
310 VOYAGE
missionnaires se refusaient absolument à ce com-
merce , il en résultait que les insulaires réservaient
toutes leurs provisions pour les vendre aux balei-
niers. Souvent même ils témoignaient , par des actes
de violence envers les colons , combien ils étaient mé-
contens de ce que ceux-ci se refusaient à leur procurer
des munitions de guerre.
Le 20 août 1815, les naturels d'une baie voisine
du cap Colville attaquèrent les deux navires Trial et
Brothers, et s'en rendirent maîtres; mais les Anglais
réussirent ensuite à les chasser. Cinq Européens et
une centaine de naturels périrent dans ce combat : il
paraît que les blancs eurent les premiers torts l .
M. Hall ayant trouvé qu'à Waï-Tangui la qualité
du sol était beaucoup meilleure, et que le bois était
plus facile à se procurer, était allé s'y établir. Mais,
à la mort du chef Waraki, les naturels le dépouillèrent
d'une partie de ses effets, et il retourna à Rangui-Hou
le 15 janvier 1816 2.
Non loin du cap Est, les habitans deToko-Malou, le
1 1 mars suivant, font main-basse sur le brick améri-
cain l'Agnes mouillé sur leur rade; ils massacrent
presque tout l'équipage , et l'Anglais Rutherford pa-
raît avoir été le seul qui ait survécu à cette horrible
boucherie. Epargné par la compassion de son chef, il
est successivement tatoué, marié et naturalisé dans sa
tribu ; durant dix années entières il se soumet aux
' Missionnary Remisier, d'Urv. , III, p. 217-240. — 2 Kertdall, d'Urv.,
III, p. 238.
DE LASTKOLABE. 311
coutumes de ces sauvages, el partage leur singulière
existence. Enfin, le 9 mars 1827, il réussit à se sous-
traire à sa longue captivité, et reparait quelque temps
après en Angleterre où ses aventures ont été publiées '.
L école de M. Kendall prend un accroissement assez
remarquable. A son ouverture, au mois d'août 1816,
elle ne comptait que trente-trois enfans-, en septembre
il y en eut quarante-sept ; en octobre, cinquante-un ;
en janvier 1817 le nombre en fut de soixante, et au
mois d'avril de soixante-dix, dont moitié d'un sexe et
moitié de l'autre. M. Kendall observa que leur faci-
lité pour apprendre était au moins égale à celle des
enfans anglais2.
Au commencement de 1817, une expédition navale,
forte de trente pirogues et d'environ huit cents guer-
riers, se dirige, sous les ordres de Shongui, vers le
cap ISord. Elle s'arrête à Wangaroa pour prendre des
vivres; les habitans de cet endroit ont querelle avec
les gens de Shongui, et ce chef est obligé de revenir à
la baie des Iles, sans avoir accompli ses desseins 5.
Au mois d'avril de cette année, M. Marsden fait
porter à la Nouvelle-Zélande six bètes à cornes par le
navire t Active 4.
En février, Shongui, à la tète de huit cents guer-
riers , fait voile pour le sud ; il réunit ses forces à
celles de Houpa, chef deShouraki, et déclare la guerre
i Ruihcrford, d'Urv., III, p. 7Z1 et suiv. — s Kendall, iTL'rv. , III,
p. a44. — B Aendall, d'Urv., III, p. •>',(>. — 4 Missionnary Register ,
J l TV. , 111, p. 9.43.
312 VOYAGE
aux habitans de la baie d'Abondance. Cinq cents vil-
lages sont brûlés , une foule de naturels sont massa-
crés , et les vainqueurs ramènent avec eux plus de
deux mille prisonniers de tout sexe et de tout âge I .
Dans cette année, les chenilles font des ravages
énormes dans les plantations de la baie des Iles ; les
naturels consultent le grand-prêtre deKawa-Kawa qui
leur ordonne d'élever des arcades sacrées à leur dieu.
Les chenilles s'en vont, et les arcades sont conservées
comme monumens de l'intervention divine 2.
Au mois de mars 1817, Touai et Titari s'étaient
embarqués à Port-Jackson sur le brick de guerre le
Kanguroo pour visiter l'Angleterre et y recueillir des
notions utiles pour la civilisation de leur patrie. Ils ar-
rivèrent à Londres au commencement de 1818, et y
passèrent huit à dix mois sous les yeux de la société ;
ils s'occupèrent volontiers des arts mécaniques, mais
ils ne firent que peu de progrès sous le rapport intel-
lectuel3. Au mois de décembre ils s'embarquèrent sur
le Baring, avec MM. Butler, F. Hall et J. Kemp,
destinés , avec leurs familles , pour la Nouvelle-Zé-
lande; ils partent le 27 janvier 1819, et arrivent à
Port-Jackson le 27 juin suivant.
M. Marsden se décide à accompagner ces deux
chefs et les nouveaux missionnaires à la baie des Iles ,
sur le General Gates, brick américain, et ils arrivent
tous à bon port au mouillage de Rangui-Hou, le
» Marsden, d'Urv., III, p. 3 12. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. 321.
3 Jllissionnary Rcgislcr, d'Urv., III. p. 242.
DE L'ASTROLABE. 313
l2aoùt 1819 '.M. Marsden ne passe cette fois que trois
mois à la Nouvelle-Zélande ; mais il fonde un nouvel
établissement plus considérable que le premier à Kidi-
Kidi , sous la protection de Shongui , le plus puissant
chef de la contrée. Pour cela, une étendue de terrain
de treize mille acres environ est achetée de Shongui ,
moyennant quarante-huit haches ! 2... Une petite sta-
tion est aussi établie à Manawa-Oura , sur le territoire
de Koro-Koro5.
Les habitans de Wangaroa violent la tombe du beau-
père de Shongui , et font des hameçons avec les osse-
mens du mort. Shongui marche contre les naturels de
Wangaroa à la tète de ses guerriers , pour demander
satisfaction ; il fait feu sur les sacrilèges, en tue cinq ,
et l'affaire est ainsi arrangée 4.
En octobre, M. Marsden traverse la Nouvelle-Zé-
lande, et s'avance jusqu'à l'embouchure de la rivière
Shouki-Anga. Il est accueilli à bras ouverts par toutes
les tribus de la côte occidentale , et le premier il donne
des détails exacts sur ces peuplades. Il assiste à la
querelle de Moudi-Waï et de Matangui, chefs de Ka-
raka et de Houta-Koura, et visite plusieurs villages le
long de la rivière 5. M. Marsden parcourt ensuite
Tae-Ame, district fertile et populeux situé dans le sud-
ouest de Kidi-K idi , où il trouve un vieillard qui avait
vu les vaisseaux de Cook et de Marion<5. Il examine la
« Marsîcn, d'Urv., III, p. 267 et suiv. — = Missionnary Regisicr,
d'Urv., III, p. 390. — 3 Marsden, d'Urv., III, p. 272-278. — 4 Marsden,
d'Urv., III, p. 286-293. — 5 Marsden, d'Urv., III, p. 33o et suiv. —
^ Marsden, d'Urv., III, p. 372.
314 VOYAGE
source deau chaude et le lac Blanc. Le 9 novembre, il
quille la Nouvelle-Zélande pour retourner à Parra-
matta.
A la fin du même mois , Temarangai déclara la
guerre à Shongui et à ses amis, pour quelques coquil-
lages que les gens du dernier avaient ramassés sur un
terrain taboue appartenant à l'autre chef. Il y eut un
combat livré, dans lequel trois hommes de Shongui
furent tués et huit du côté opposé. Shongui vit en ou-
tre toutes ses pirogues brûlées et ses champs de pa-
tates ravagés. Quelques jours après, la paix fut con-
clue entre ces différens chefs r .
Le 7 décembre, à l'instigation du rév. John Butler,
Shongui et les autres chefs de sa tribu rassemblent
tous leurs gens à Kidi-Kidi ; ils leur enjoignent publi-
quement de ne plus commettre de vol, et menacent
des chatimens les plus sévères ceux qui se rendront
désormais coupables d'un pareil crime 2.
En janvier 1820, Temarangai, chef de Tae-Ame,
ayant réuni les guerriers de sa tribu à ceux de la baie
des Iles et de Wangari , marcha contre Warou , chef
de Witi-Anga, pour lui demander réparation de ce
qu'une de ses nièces avait été tuée et mangée par les
guerriers de Warou. Grâce aux armes à feu dont sa
troupe était pourvue , Temarangai eut bientôt le des-
sus ; trois ou quatre cents de ses ennemis furent tués
et mangés sur le champ de bataille, et deux cent
soixante fails prisonniers par les alliés. Ensuite Tema-
> J. Butler, d'Urv., III, p. 394. — ?- ./. Butler, d'Urv., III, pt 3g8.
DE L'ASTROLABE. 315
rangai accorda la paix à Warou , et lui rendit même
sa femme et ses enfans qui étaient tombés en son pou-
voir «.
Dès le mois de février 1820, M. Marsden fait un
troisième voyage à la Nouvelle-Zélande sur le Dro-
medary. La dernière quinzaine de mars fut consacrée
à visiter de nouveau les bords du Shouki-Anga. Au
mois de mai, il parcourut les districts de Waï-Mate,
Pouke-Nouïet Tae-Ame. Au mois de juin, il s'embar-
qua sur le Coromandcl pour la baie Shouraki, et s'a-
vança, guidé par Temarangai , jusqu'à la baie Witi-
Anga (baie Mercure). En juillet, il navigua sur les ca-
naux duWaï-Roa et duWaï-Tamala , visita pour la
première fois les tribus établies sur le Kaï-Para, et fit
la connaissance du célèbre Moudi-Panga, le plus vail-
lant des rivaux de Sliongui. Au mois d'août, il tra-
versa l'île , et passa de la côte occidentale à la côte
orientale, où il arriva près deWangari. En septem-
bre , il fut de retour à la baie des Iles. Au mois d'oc-
tobre, il retourna à la baie Shouraki, visita une
seconde fois les tribus de Mogoïa, de Kaï-Para,
remonta leWaï-Roa, atteignit le Shouki-Anga qu'il
remonta aussi, et arriva enfin le 25 novembre àWan-
garoa, où il s'embarqua sur le Dromedary pour re-
tourner à la Nouvelle-Galles du Sud. M. Marsden re-
cueillit encore dans ce voyage une foule d'observations
neuves et intéressantes. M. Richard Cruise, capitaine
au 84e régiment d'infanterie , fut aussi de ce voyage ,
♦ Marsden, d'I'rv. , III, p. 4a5 et sui\.
316 VOYAGE
et publia une relation de son séjour à la Nouvelle-Zé-
lande , qui n est pas sans intérêt sous quelques rap-
ports I.
Tandis que M. Marsden se trouvait à bord du Coro-
mandel, dans la baie Shouraki , il eut l'occasion de ré-
concilier deux chefs puissans de cette contrée, Inaki
et Tepouhi , qui s'étaient déclaré la guerre , et qui pa-
raissaient fort irrités l'un contre l'autre 2. 11 apaisa
également la fureur de l'Ariki contre Mapa, et termina
leurs différends à l'amiable 3.
Parmi les chefs de la baie des Iles, Shongui s'était
élevé au premier rang par sa réputation de bravoure
et ses succès dans les combats , par son influence sur
ses compatriotes et par ses possessions considérables.
La plupart des chefs du cap Nord et de la baie Shou-
raki , qui avaient osé lui tenir tète , avaient payé cher
leur témérité, et plusieurs tribus avaient été complè-
tement exterminées par les guerriers de cet heureux
rangatira. Seul, sur la côte occidentale, Moudi-
Panga , chef de Kaï-Para, avait pu lui résister avec
succès , et quelquefois il avait humilié l'orgueil de
Shongui. Dans une affaire sanglante qui avait eu lieu
peu de temps avant le désastre du Boyd, en 1 808 ,
Shongui fut blessé, deux de ses frères 4 périrent ainsi
que la plupart des officiers et des guerriers , et le reste
de l'armée ne put trouver son salut que dans la fuite 5.
i Marsden, d'Urv. , III, p. 401 et suiv. — 2 Marsden, d'Urv. , III,
p. 432. — 3 Marsden, d'Urv., III, p. 434. — 4 Cruise , p. 129. —
5 Marsden , d'Urv., III, p. 436.
DE L'ASTROLABE. 317
Long-temps après cette affaire , les chefs de la baie
des Iles réunirent leurs forces et marchèrent de nou-
veau contre Moudi-Panga , pleins de confiance en
leurs armes à feu. Mais, par un stratagème habile,
Moudi-Panga rendit presque nul l'effet de ces armes,
et tomba sur ses ennemis qu'il tailla en pièces. De
près de mille hommes qui étaient partis pour cette ex-
pédition de la baie des Iles, il n'en échappa qu'une
quinzaine , le reste ayant été massacré ou fait prison-
nier. Il parait que Shongui ne se trouva point à ce fu-
neste combat '.
Malgré ses défaites , Shongui ne renonça point à
l'espoir de tirer une vengeance éclatante de Moudi-
Panga , et il s'occupa sans relâche d'augmenter le
nombre des armes à feu dont sa tribu était déjà pour-
vue. Ce motif l'engagea à se maintenir constamment
en bonne intelligence avec les capitaines des navires
baleiniers qui venaient mouiller à la baie des Iles. Ce
fut encore le même motif qui le détermina à accueillir
favorablement les missionnaires sur son territoire ,
pour réparer et tenir toujours en état ses armes à
feu , car il était du reste parfaitement indifférent aux
avantages de la civilisation, et il se moquait des exhor-
tations religieuses de ses hôles 2.
Pour arriver plus promplement à ses fins, Shongui
jugea qu'un voyage en Angleterre lui serait fort utile.
En conséquence , au mois de mars 1 820 , malgré les
représentations de ses parens et de tous les hommes
> Marsden, d'Urv., III, p. ',30. — - P,,,ihrrford, d'Un., III, p. :5C.
318 VOYAGE
de son peuple , et avec un courage bien remarquable
dans un sauvage , Shongui s'embarqua avec Waï
Kato, l'un de ses guerriers, et M. Kendall, sur le
New-Zealander pour se rendre en Angleterre. Il
voulait , disait-il , visiter le roi Georges , mais dans le
fond son unique but était de se procurer des fusils et
de la poudre *. Shongui arriva à Londres dans le mois
d'août suivant : le climat de l'Angleterre éprouva
cruellement sa santé ; cependant il se rétablit , et le
1 5 décembre de la même année il se rembarqua sur
le Speke pour s'en retourner chez lui. Durant son
séjour à Londres , il fut présenté au roi : M. Kendall
m'a assuré qu'en cette occasion Shongui ne parut
nullement ébloui de tout le faste qui l'environnait ; il
conserva devant le puissant souverain de l'Angleterre
la même dignité , le même sang-froid que devant ses
compatriotes. Le roi Georges lui fit de riches pré-
sens , mais il ne fut vraiment sensible quaux armes ,
à la cuirasse et à l'uniforme qui en faisaient partie.
On assure même qu'à son arrivée à Port-Jackson il
échangea contre des fusils et de la poudre tous les
autres objets de prix qu'il avait reçus du roi et des di-
verses personnes auxquelles il avait été présenté 2.
Pendant son absence , les missionnaires avaient eu
quelquefois à souffrir de l'esprit turbulent et de l'avi-
dité des sauvages ; cependant leurs propriétés avaient
été généralement respectées. Plusieurs naturels
• Missionnary Register, d'TJrv. , III , p. 15S. — a Missionnnary liegister,
d'Urv., III, p. 453.
DE L'ASTROLABE. 319
avaient consenti à leur prêter leurs services moyen-
nant une mince rétribution ; leurs cultures avaient
pris un développement considérable , et toutes les
productions d'Europe avaient réussi à merveille sur
ce sol vierge et fécond. En un mot , les élablissemens
de la mission donnaient les plus flatteuses espé-
rances '.
Au retour de Shongui à la baie des lies, qui eut lieu
le 1 1 juillet 1821 , tout changea rapidement de face.
Ce chef, irrité de voir que les missionnaires persis-
taient dans leur refus de lui vendre de la poudre et
des armes à feu , défendit à ses sujets de travailler
pour les colons à moins d'être payés en objets de
cette espèce ou en argent pour en acheter; en outre
il affecta de traiter ces étrangers avec plus de rigueur
et même de dédain qu'il ne l'avait fait auparavant.
Il en résulta pour les colons une foule de désagré-
mens et de persécutions. Cependant Shongui sentit
qu'il y aurait de l'imprudence et peu de politique de
sa part à les forcer de quitter son territoire, et il linit
par tenir une sorte de conduite mixte à l'égard des
missionnaires , c'est-à-dire par les tolérer, et même
les protéger jusqu'à un certain point contre les vio-
lences de ses sujets , sans toutefois leur accorder
aucune sorte d'influence ni d'autorité positive 2. Il
aimait leur thé, leur café, leur cuisine, et leur faisait
souvent l'honneur d'être leur convive.
Du reste il reprit avec ardeur ses anciens projets
• Reports, d'Urv. , III, p. 45 3 et suiv. — a Reports, idem. Mission*
nary Registcr, d'Urv., III, p. J.5^ <'t suiv. Idrm , p. 490.
320 VOYAGE
de conquête. Au mois de septembre 1821 , il partit de
la baie des Iles à la tète d'une armée de trois mille
eombattans dont une centaine étaient munis de fusils.
Jamais armement aussi formidable n'avait paru sur
ces rives éloignées. Les malheureux habitans de la
baie Shouraki contre lesquels il se dirigea furent sac-
cagés et perdirent beaucoup de monde. Plus de mille
guerriers furent tués et trois cents mangés sur le
champ de bataille ; de ce nombre fut le brave et gé-
néreux Inaki, l'un de leurs principaux chefs. Plus de
deux mille prisonniers tombèrent au pouvoir des
peuples du Nord ï . Shongui , tout en remportant la
victoire, éprouva de nombreuses pertes, entre autres
il eut à regretter son gendre Tête et le jeune Pou ,
frère de ce chef2.
Dès le mois de février suivant , Shongui se remit
en campagne et recommença les hostilités contre les
peuplades de la baie Shouraki. Deux de ses pirogues
tombèrent au pouvoir de l'ennemi , qui tua et mangea
tous ceux qui les montaient. Mais Shongui et ses
guerriers exterminèrent près de quinze cents person-
nes sur les bords du Waï-Kato 3.
En juin 1828 , Touai reparut à la baie des Iles
après avoir été absent durant près de deux années.
Il avait passé presque tout ce temps dans des guerres
continuelles contre les peuplades des environs du
cap Est 4.
ï Reports, dUrv. , III, p. 456. Lcigli, d'Urv., III, p. 470. — 1 F. Hall,
d'Urv. , III, p. 462. — 3 F. Hall, d'Urv., III, p. 466. — 4 F. Hall,
d'Urv., III, p. 465.
DE L'ASTROLABE. 321
Au mois de novembre de la même année, Koro-Koro
eut querelle avec Shongui. Cependant il n'y eut point
de combat. Le premier en fut quitte pour être cruelle-
ment battu et pour voir toutes ses patates volées " .
En 1823, MM. Leigh et White de la société de
Wesley tentent de s établir à Wangari , mais ils trou-
vent le pays ruiné et dépeuplé par suite des dernières
guerres. En conséquence , au mois de juin , ils fon-
dent leur établissement à Wangaroa , sur un terrain
qu'ils achètent du chef Georges , de la tribu des
Ngate-Oudou. Peu après, MM. Turner et Hobbs
viennent se joindre à eux 2.
Au mois de juillet , M. Marsden se rendit pour la
quatrième fois à la Nouvelle - Zélande sur le navire le
Bramplon, et y passa trois mois environ. Il avait
rembarqué le 23 août sur le Brampton pour effectuer
son retour ; mais ce navire fît naufrage dans la baie
des Iles le 7 septembre , et M. Marsden fut retenu
dans ce pays jusqu'au 14 novembre. Ce jour il fit
voile sur le Dragon pour Sydney où il arriva au com-
mencement du mois de décembre 3.
Lors du naufrage du Brampton, les naturels mon-
trèrent tous des dispositions d'humanité , de probité
et de modération , qui eussent fait honneur à un peu-
ple civilisé. Ils ne commirent aucune action blâma-
ble , et les effets des Européens furent constamment
respectés 4.
• F. Hall, d'Urv., IK, p. 468. — ■>■ Missionnaiy Remisier, d'Urv. , III,
p. 487. — 3 Marsden , d'Urv., III, p. 472 et suiv. — 4 Marsden , d'Urv. ,
III, p. 479-
TOME If. 23
322 VOYAGE
Dans la même année mourut Koro-Koro, le chef le
plus influent de la partie méridionale de la baie des
Iles ; la mort le surprit comme il revenait d'une expé-
dition vers les bords du Shouraki, où son frère Touai
l'avait accompagné *. Dans la même expédition périt
aussi Kaïpo , leur oncle , qui n'était qu'un jeune
homme quand Cook parut à la baie des Iles , et qui
était devenu un beau vieillard et un guerrier célèbre 2.
Ce Kaïpo était probablement fils du chef Malou qui
commandait à Motou-Doua , et qui périt sous les
coups des compagnons de Marion ; car Touai me ré-
pétait souvent que Malou était son grand-père.
Pomare , dont le véritable nom était Wetoï , égale-
ment oncle de Touai, chef de Mata-Ouwi, et guerrier
audacieux et intrépide , poursuivit ses exploits vers le
Sud à la tète de cent trente guerriers d'élite. Il s'a-
vança, dit-on , jusqu'au détroit de Cook , et revint en
faisant le tour de la Nouvelle-Zélande , saccageant et
détruisant tout sur son passage 3. Cette étonnante
expédition éleva son nom au plus haut degré de gloire
parmi ses compatriotes.
Touai succède à son frère Koro-Koro , et prend le
commandement de la tribu de Paroa. M. H. Williams
fonde un établissement à Pahia sous la protection du
chef Tekoke.
Au mois d'avril 1824 , la corvette française la Co-
quille paraît à la baie des Iles, amenant de Port-
i Marsden, d'Urv. , III, p. 482. — 2 Marsden , idem. — - 3 Cruise,
d'Urv., III, p. 667. Rutherford, d'Urv., III, p. 752.
DE L'ASTKOLABE. 323
Jackson M. Clarkc et sa famille, Taï-Wanga parent
de Shongui, et un homme du peuple nommé Pahi. La
bonne intelligence ne cesse de régner entre les Fran-
çais et les Zélandais. Touai passe la plus grande par-
tie de son temps à bord de la Coquille et me donne
une foule de détails curieux. Nous recevons la visite
de Shongui, et quelques officiers vont visiter sa tribu,
mais ils n'ont guère à se louer de la conduite et des
procédés de son peuple.
A cette époque, M. Kcndall , détaché de la société,
vivait à Mata-Ouwi sous la protection de Pomare , et
s'occupait à recueillir des matériaux intéressans sur
les mœurs et surtout sur la langue des naturels.
Six mois après le départ de la Coquille , le 1 7 octo-
bre 1824, Touai périt de misère et de maladie l, et
Touao, son cousin, lui succéda. Mais sa tribu, depuis
long-temps un objet de jalousie pour les peuples de
Kidi-Kidi, perd toute son influence. Dès l'année sui-
vante , les Ngapouïs , joints aux guerriers de Waï-
Mate , tombent sur le pà de K ahou-Wera , ravagent
ses habitans et les obligent à se disperser , en aban-
donnant leur fort si long-temps respecté sous les lois
de Koro-Koro "*.
Le 2 i janvier 1 825 fut lancé le schooner le Herald,
de soixante tonneaux, construit par les missionnaires
de Pahia 5. Ce petit navire qui avait de bonnes quali-
tés se perdit à l'entrée du Shouki-Anga, le 0 mai 1828.
• Missionnary liegistcr , d'Urv., III, p. 487. — ■>■ D'Urville, II, j>. 204,
— i Missionnary Register, d'Urv. , III, p. 497-
2 3'
324 VOYAGE
En cette circonstance les naturels de ce canton furent
bien loin de tenir une aussi belle conduite que les
habitans de la baie des Iles, lors du naufrage du
B vamp ton 1.
En février 1825, Shongui ayant uni ses forces à
celles de ses alliés , marche contre Kaï-Para. Ses ar-
mes à feu lui donnent enfin la victoire , et le vaillant
Moudi-Panga devient la pâture de son féroce rival 2.
Néanmoins celui-ci perdit son fils aîné et plusieurs de
ses officiers 5.
Dans le mois suivant , les habitans de Wangaroa
firent main basse sur le baleinier le Mercury qu'ils
pillèrent complètement, et l'équipage ne se sauva
qu'avec peine à la baie des Iles. Déjà les missionnaires
établis sur ce point avaient reçu des outrages de la
part des insulaires ; mais le chef Georges étant tombé
malade, ils se réfugièrent chez leurs confrères à Kidi-
Kidi dans la crainte d'être massacrés 4. Georges mou-
rut en avril, et les habitans de Wangaroa rappelèrent
les Européens chez eux.
Pomare étant allé en 1826, avec ses hommes, sur
les bords du Shouraki, dans l'intention de couper des
espars pour M. Dillon , maître d'un navire anglais ,
les guerriers de ce chef se permirent d'outrager les
habitans du pays. Ceux-ci s'en vengèrent en tombant
à l'improviste sur leurs ennemis. Dans cette affaire
1 W. Williams, d'Urv. , III, p. 545. — a Dillon, I, p. 45o. —
3 Missionnary Register, d'Urv., III, p. 489. — 4 Missionnary Register-,
d'Urv., III, p. 491. Dillon, I, p. 191.
DE L'ASTROLABE. 325
le redoutable Pomare succomba sous les coups de
Rangui, l'un des chefs du Waï-Kato >. Hihi, l'un des
plus formidables partisans de Shongui , se noya dans
le Waï-Tamata, où sa pirogue chavira dans un grain a.
Cette même année , les missionnaires de Pahia
eurent à souffrir des violences de Toï-Tapou, chef de
Shiomi sur le Kawa-Kawa, qui est en même temps le
Tohounga ou grand-prèlre le plus accrédité de ces
contrées 5.
A la fin de cette année 1 826 , une société commer-
ciale, qui avait pris le titre de New-Z ealand-Flax-so-
ciety, tente de fonder un établissement à la Nouvelle-
Zélande pour exploiter en grand le phormium et le
bois de construction. Le capitaine Hurd conduit d'a-
bord les nouveaux colons à la baie Shouraki; mais les
intentions des naturels leur paraissant suspectes, ils
se décident à quitter cet endroit , et se dirigent vers
le Shouki-Anga. Ce point ne leur promettant pas des
avantages suffisans pour les engager à s'y fixer, les
colons s'en retournent sans débarquer, et rétablisse-
ment échoue 4.
Le 4 janvier 1 827 , Shongui arriva à la tête de ses
guerriers dans la baie de Wangaroa pour chasser les
Ngate-Po de leur position. Les Ngate-Oudou chez qui
les missionnaires étaient établis prirent l'alarme ,
et leurs chefs s'enfuirent à Shouki-Anga. Quelques
• Dillon, d'Urv., III, p. 707. — 2 D'Uiville, U, p. 159. — S Madame
Williams, d'Urv., III, p. 492 et suiv. — 4 Dillon, I, p. 188. D'Uiville,
II , p. 229.
326 VOYAGE
partisans de Shongui , voyant les missionnaires aban-
donnés par leurs chefs, tombèrent sur leur établisse-
ment , le pillèrent complètement et le réduisirent en
cendres. Les colons furent heureux de pouvoir opé-
rer sans accident leur retraite sur Kidi-Kidi : ce fut
ainsi que périt la mission de Wangaroa après avoir
duré seulement trois ans et demi l.
Après une résistance assez opiniâtre , Shongui
s'empara du pâ des Ngate-Po , et extermina pres-
qu'en entier cette malheureuse tribu. Mais il paya
cher sa conquête ; à l'assaut de la forteresse , il reçut
un coup de feu dont la balle lui perça le corps de part
en part. Cette blessure le réduisit à la dernière ex-
trémité , et le mit pour jamais hors d'état de com-
battre2.
La crainte de voir mourir Shongui et la perspec-
tive des suites funestes qui pouvaient résulter pour
eux de cet événement, placent les missionnaires de
la baie des Iles dans l'état le plus inquiétant. Ils se
décident à faire passer à Port-Jackson leurs effets
les plus précieux, et ils se tiennent tout prêts à quit-
ter eux-mêmes la Nouvelle-Zélande , sur le Herald,
dès que le danger deviendrait imminent 3.
Telle était la position où ils se trouvaient , quand
V Astrolabe parut à la baie des lies , au mois de
mars 1827. Ce navire venait d'exécuter la reconnais-
i Missionnary Register, d'Urv., III, p. 497 et suiv. — à Missionnary
Register, d'Urv., III, p. 5og. — 3 Missionnary Register, d'Urv., III,
p. 5x1.
DE L'ASTROLABE. 327
sance suivie de plus de trois cents lieues des côtes
de la Nouvelle-Zélande ; il avait découvert des ca-
naux et des mouillages encore inconnus , et avait
souvent communiqué avec les naturels de ces para-
ges. L Astrolabe ne passa que cinq ou six jours sur
la baie des Iles , et nous ne vîmes guère que Wetoï ,
neveu et successeur de Pomare , et Maounga , oncle
de King-George , chef de Korora-Reka , qui se trou-
vaient en partance pour la baie Shouraki. Tekoke de
Pahia et son fils Rangui-Touke étaient déjà en marche
avec leurs guerriers r .
31. Davis , l'un des missionnaires de Pahia , avait
voulu former un établissement d'agriculture à Kawa-
Kawa et y élever des bestiaux. Les naturels s'y op-
posèrent formellement , dans la crainte que ces ani-
maux ne profanassentleurs tapons et leurs plantations
de patates douces ou hou mayas 2.
Vers la lin de 1827 , MM. Hobbs et Stack rétabli-
rent la mission de Wesley sur les bords du Shouki-
Anga , dans un lieu nommé Mangounga , non loin
de la résidence de Patou-One , chef puissant de ce
canton 5.
Enfin le redoutable Shongui meurt à Wangaroa ,
le 6 mars 1828 , des suites de ses blessures. Dans ses
derniers momens il montre un grand courage, exhorte
ses enfans à l'union , leur recommande les mission-
naires , et leur défend d'immoler personne pour ac-
i D'Unillc, H, p. 200 cl Miiv. — 2 D'Urvillc , II, p. 216. — ? Mis-
ïionnnry llrgistcr , dT'rv., MI, p. 539.
328 VOYAGE
compagner son esprit ' . Son cousin Rewa lui succède
dans le commandement de Kidi-Kidi.
De grands troubles ont lieu après la mort de ce
chef, et les missionnaires sont quelque temps plon-
gés dans une cruelle perplexité. Cependant leur si-
tuation s'améliore peu à peu , et ils finissent même
par obtenir une influence plus marquée sur l'esprit
des naturels.
Sur la (in de février, les Ngapouïs , commandés
par Rewa , menacèrent la tribu de Kawa-Kawa de
tout leur ressentiment. Tekoke eut recours aux mis-
sionnaires, W. Williams et Davis ; et grâce à leur mé-
diation , Rewa se borna à faire une visite amicale au
peuple de Kawa-Kawa 2.
Quelques jours après la mort de Shongui, une ba-
taille avait eu lieu entre les naturels du Shouki-Anga
et ceux de la baie des Iles. Ceux-ci avaient eu le des-
sous , et les Ngapouïs avaient été mis dans une dé-
route complète. Ils craignirent que leurs ennemis ne
profitassent de leur victoire pour achever de les écra-
ser, et ils s'adressèrent aux missionnaires pour leur
servir de conciliateurs. MM. H. Williams et Davis
réussirent encore à rétablir la paix , le 26 mars , entre
Palou-One et ses rivaux 3.
Rewa , successeur de Shongui , qui avait toujours
témoigné un caractère plus pacifique que ses collè-
i G. Clarke, d'Urv., III, p. 5i8. Stock, d'Urv., III, p. 539. — 2 R.
Davis, d'Urv., III, p. 536. W. Williams, d'Urv., III, p. 538. — 3 tf.
Williams, d'Urv., III, p. 52 1 et suiv.
DE L'ASTROLABE. 329
gués , semble disposé à vivre en paix avec tous ses
voisins; sa fille s'est mariée à l'un des principaux chefs
du Sud , et cette union promet d'être un nouveau
gage de bonne intelligence '. Dans ses dernières let-
tres écrites de Parramatta , en date du 1er jan-
vier 1829, M. Marsden annonce que tous les natu-
rels de la baie des Iles se trouvaient en paix les uns
avec les autres et même avec les habitans des régions
méridionales , et qu'ils faisaient de véritables progrès
dans les voies de l'Evangile et de la civilisation. Il
venait de recevoir plusieurs fils de chefs des envi-
rons du détroit de Cook que leurs parens lui en-
voyaient pour les instruire. Toutes ces nouvelles
donnent enfin lieu d'espérer que les Nouveaux Zélan-
dais pourront un jour renoncer à leurs guerres d'ex-
termination pour s'occuper sérieusement des arts utiles
et de l'agriculture '-*. Nul doute qu'alors ces sauvages
seront à même* de former une véritable nation, du
moins est-il certain qu'aucun peuple dans l'Océanie
ne semble réunir autant de conditions favorables pour
atteindre ce but.
Nota. L'espoir des missionnaires fut trompé. Au mois de
mars i83o, la mauvaise conduite d'un capitaine baleinier, que
l'on ne nomme pas, fut cause que les habitans du Nord , gui-
dés par Oudou-Roa , marchèrent contre les naturels de la
partie méridionale de la baie des Iles, réunis sous les ordres
de Rewi-Rewi. Le 6 mars, les deux armées en vinrent aux
mains ; un combat sanglant eut lieu à Korora-Reka , où péri-
i /{. Datis, d'Urv. , III, p. 537. — 2 Marsden, d'Urv. , III, p. 54i.
330 VOYAGE
rent une centaine d'hommes et un chef nommé Tako. Le sur-
lendemain, M. Marsden arriva à la baie des Iles, et, de concert
avec les missionnaires de Pahia , il réussit à rétablir la paix
entre les deux partis ennemis. Elle fut conclue définitivement
le 18 ..
Les dernières nouvelles des missionnaires, en date des mois
d'août et septembre i83o, et février i83i, représentaient les
naturels comme mieux disposés que jamais à les écouter et à
adopter la religion chrétienne. Ils ont même la satisfaction de
conférer de temps en temps le baptême à quelques insulaires
dont la foi leur paraît désormais bien établie 2.
M. W. Yate avait porté une presse à la Nouvelle-Zélande,
et il avait déjà imprimé cinq cent cinquante exemplaires de
divers chapitres tant de l'Ancien que du Nouveau Testament ,
en langue du pays. Les naturels étaient, dit-on, fort empressés
de se procurer ce petit volume qu'ils nommaient Maore 3.
Un nouvel établissement allait être formé à Waï-Mate, sur
un terrain fertile et bien arrosé, où les Missionnaires se flat-
taient de l'espoir de cultiver avec succès toutes sortes de grains
et de productions utiles. Ils se proposaient d'établir une bonne
route de communication, pour des chariots, de ce point à
Kidi-Kidi , et de construire un moulin à eau. Déjà un pont
solide avait été jeté sur une rivière de soixante pieds de lar-
geur. MM. Clarke, Hamlin et Prcece étaient destinés pour
cette nouvelle station, qui promet d'être la plus importante de
toutes celles qui ont été formées à la Nouvelle-Zélande 4.
1 W. Williams , Davis , Marsden , d'Urv. , III, p. 55g et suiv. — = Mis-
sionnary Register , janvier i83i, p. 5g et suiv. — 3 Missionnarr Register,
d'Urv., III, p. 574. — 4 Missionnarj Register, février i83i , p. 109 et
suiv.; juillet i83i , p. 333.
DE L ASTROLABE. 331
CHAPITRE XVIII.
DESCairTION GEOGRAPHIQUE I)E LA KOUVELLE-ZELANDE.
Les géographes sont convenus de désigner sous le
titre de Nouvelle-Zélande les grandes îles australes
renfermées entre le 164 et le 17 6e degré de longitude
à l'est de Paris, qui s'étendent depuis 34° 12' jusqu'à
48° de latitude S. Il s'en faut de beaucoup néanmoins
que ces îles occupent la majeure partie de la surface
indiquée par cette espèce de trapèze. Leur superficie
se réduit à peu près à celle d'une bande de terre de
quatre cents lieues terrestres environ de longueur,
sur vingt-cinq à trente lieues de largeur moyenne.
Cette bande est interrompue vers son centre par un
canal ( détroit de Cook ) dont la largeur varie de qua-
tre à vingt-cinq lieues ; elle est en outre disposée de
manière à former un espèce d'arc irès-courbé , dont
la concavité se présente au N. O. De cette partie
soufflent aussi les vents les plus fréquens et les plus
furieux dans ces parages, et il n'est pas douteux que
c'est à leur action qu'est due la configuration des côtes
332 VOYAGE
de la Nouvelle-Zélande. Sans cesse répétée pendant
la durée des siècles , cette action des vents sera par-
venue , à la longue , à pratiquer le canal qui sépare
cette terre en deux îles , pour laisser en cet endroit
un libre cours aux flots de la mer continuellement
chassés vers le S. E.
Quant aux noms que doivent porter ces deux
grandes îles dans l'idiome du pays , Cook avait déjà
annoncé ceux de Tovy-Poenammou et A'Eahi-No-
Mauwe l avec une sorte d'incertitude. V Astrolabe ,
en 1827, constata qu'au détroit de Cook au moins
les naturels désignaient par ces noms les terres situées
respectivement au S. O.etauN.E. du détroit2. Sans
doute il y eut une erreur de transcription sur le ma-
nuscritde Cook pour le dernier de ces noms ; en outre,
pour éviter les inconvéniens de l'orthographe anglaise,
j'ai adopté définitivement Tavaï-Pounamou pour l'île
australe, et Ika-Na-Mawi pour l'île septentrionale.
Il est possible néanmoins que ces désignations ne
doivent réellement s'appliquer qu'aux districts voi-
sins du détroit de Cook , mais nous les emploierons,
du moins jusqu'à ce que l'on connaisse positive-
ment ceux qui sont usités parmi les naturels. Touai
voulait que les habitans de l'île Nord se nommas-
sent Kaïnga-Maodiy c'est-à-dire qui habitent dans
la patrie, et ceux de l'île Sud Kaï-Kohoura,m2XL-
geurs d'écrevisses. Suivant M. Kendall, le vrai nom
i Cook, preni. Voy. , III, p. 201. — 2 D'Unnlk, II, p. 80. Nicholas,
dUrv.,III,p. 628.
DE L'ASTROLABE. 333
de l'île Nord était Ika-Na-Mawi, et celui de l'autre
Kaï-Kohoura. On sait que l'île la plus australe, dé-
couverte seulement au commencement de ce siècle , a
reçu des Anglais le nom d'île Stewart.
Ainsi qu'on l'a observé de la plupart des terres si-
tuées sous une latitude méridionale plus ou moins avan-
cée, ces îles jouissent d'une température moyenne,
bien plus froide que celle des terres situées dans
l'hémisphère septentrional , à une distance égale de
l'équateur. Cependant cette température est aussi
plus constante , et la marche du thermomètre n'offre
jamais ces différences qu'on observe dans nos cli-
mats d'Europe, entre ses indications en hiver et
celles de l'été *. Dans son premier voyage, Cook,
au mois de mai , qui répond à notre mois de novem-
bre, observa 46° de Fahrenheit à la baie Dusky, et
53° % au cap Foul-Wind, ou bien 7°, 8 et 10°, 8 du
thermomètre centigrade. Jusqu'au 6 juin, Forster
n'avait point vu de gelée dans le canal de la Reine-
Charlotte 2, et il pensait que l'hiver y était fort doux 5.
Anderson jugea que les deux saisons devaient y être
fort tempérées 4.
Pendant tout le mois de mars en 1820 , M. Cruise
observa constamment le thermomètre de Fahrenheit
à la baie des Iles et à Wangaroa entre 68 et 73°, c'est-
à-dire entre 20 et 22° cent. En avril, il descend graduel-
lement jusqu'à 60° F. ou 16°, 7 cent. En mai, l'indica-
1 Cook, deux. Voy., II, p. 107. — ■* Cook, deux. Voy., I , p. 242.
3 Cook, deux. Voy., I, 104. — 4 Cook, trois. Voy., I, p. i85.
334 VOYAGE
tion moyenne est de 13°. En juin, de 12° cent. En
juillet, la moyenne est la même ; mais le mercure des-
cend jusqua 5°, dans certains jours. En août, il
se maintient entre 12 et 16°; en septembre, il varie
dans les mêmes limites; en octobre, il se soutient
entre 1 6 et 1 8° ; en novembre , la station est la même,
et il monte une seule fois jusqu'à 25°. Dans les pre-
miers jours de décembre, il ne dépassait pas encore
17 et 18°. Le 3 juillet, M. Cruise avait observé de
la glace de l'épaisseur d'un schelling *.
La Coquille, dans son séjour à la baie des Iles, du
3 au 1 7 avril 1 824 , vit habituellement le thermomè-
tre entre 19 et 21°; il ne passa point 24° , et ne des-
cendit pas au-dessous de 1 8°. La plus grande diffé-
rence observée entre le minimum et le maximum de
chaleur dans le cours de la journée a été de 4 à 5°.
V Astrolabe en 1827 nous offre une suite d'expé-
riences de température bien plus complète. Durant
tout le mois de janvier, par 42 et 41° lat. S. , le ther-
momètre ne s'élève jamais au-dessus de 18° ; il est ha-
bituellement fixé entre 1 5 et 1 6° : le matin , lors du
minimum , il ne marque souvent que 12 et 13°. Dans
la première quinzaine de février, entre 4 1 et 37° lat. S.,
le thermomètre se maintient constamment entre 1 8 et
20°; une seule fois, au mouillage de Houa-Houa, il
s'élève à midi jusqu'à 21°, 7. Durant les quinze der-
niers jours de février, il occupe la même station entre
36 et 37° lat. S. , tant que nous sommes au large de la
« Cruise, p. 173.
DE L'ASTROLABE.
335
cote ; mais lorsque nous parvenons au milieu des îles
de la baie Shouraki, il s'élève jusqu'à 21 et 22°. Enfin,
durant les vingt premiers jours de mars , entre 34 et
36° lat. S. , sa station habituelle est encore entre 19
et 21°, il s'écarte à peine de ces limites, et la tempéra-
ture est très-uniforme.
Des considérations précédentes , et jusqu'à ce que
l'on possède des observations plus suivies et plus po-
sitives , on peut conclure que :
La Température moyenne
OE LA NOUVELLE-ZÉLANDE,
Par 35° 3o' lat. S. pourrait être re-
présentée pour chaque mois de
l'année par :
( Pour midi chaque jour)
Juillet 12° therm.
Août 14
Septembre. . . x4
Octobre .... 17
Novembre ... 17
Décembre ... 18
Janvier 19
Février 21
Mars 20
Avril 18
Mai i3
Juin 12
Moyenne. . . r4°, 7
La Température moyenne
DE PARIS,
Par 480 5o' lat. N. ( connaissance
des temps, année 1829) est de :
( Pour raidi chaque jour)
centig.
5,0. .
Janvier.
6,5. .
Février.
8,5.
Mars.
16,0.
Avril.
18,0. .
Mai.
21,0. .
Juin.
2 5,o. .
Juillet.
23, 0.
Août.
21,0.
Septembre.
i5,o.
Octobre.
9.o.
Novembre .
8,0.
Décembre.
16,7.
Moyenne.
Du premier coup-d'œil , ce tableau indique que la
336 VOYAGE
baie des Iles , bien que située à plus de 1 3° plus près
de l'équateur que Paris , ne jouirait que d'une tempé-
rature de 2° plus basse que cette ville. Ce tableau
démontre en même temps que le climat de la baie
des Iles n'est point sujet en hiver à des froids aussi
intenses , aussi prolongés que celui de Paris , de
même qu'au fort de l'été les chaleurs sont moins con-
sidérables.
On objectera peut-être que le tableau précédent
n'offre guère que les maxima de température de cha-
que mois , comparés dans les deux stations de Paris
et de la baie des Iles. Mais il est probable que quand
on aura pu se procurer aussi les minima du thermo-
mètre pour cette dernière station, comparés aux mi-
nima de Paris, ils offriront des résultats analogues.
Cette uniformité de température explique pour-
quoi les arbres à la Nouvelle-Zélande conservent leurs
feuilles jusqu'au milieu de l'hiver, et comment, aux
mois d'avril et de mai , on y voit encore en pleine fleu-
raison des plantes potagères qui, dans nos climats,
sont depuis long-temps desséchées, à une époque
correspondante de l'année.
Toutefois , on ne doit pas perdre de vue que toutes
les indications thermométriques jusqu'à ce jour ob-
servées à la Nouvelle-Zélande, ne l'ont été qu'à la mer
ou sur la côte. Nul doute qu'en pénétrant à une cer-
taine distance dans les terres , on n'observât des cha-
leurs plus intenses et des froids plus rigoureux. Quoi
qu'il en soit , aucun des voyageurs qui ont visité la
Nouvelle-Zélande au milieu de l'hiver, même dans ses
DE L'ASTROLABE. 337
parties australes , n'a vu la neige séjourner dans les
plaines, ni la glace prendre la moindre consistance.
Nulle part dans le monde , les vents ne régnent avec
autant de fureur que sur les côtes de la Nouvelle-
Zélande, et, si elles avaient été connues des anciens,
il est bien certain que c'est là qu'ils eussent établi l'em-
pire d'Eole. Sans doute, comme partout ailleurs, les
vents doivent être plus redoutables dans les mois
d'biver : cependant il n'est pas de saison de l'année
où ils ne puissent assaillir le navigateur. Le temps en
apparence le plus beau , le ciel le plus pur, ne peuvent
offrir de garanties contre leur violence. Souvent ,
quand ces vents semblent un peu s'apaiser, ils se
raniment tout-à-coup pour souffler avec la même
fureur, soit du même côté, soit du bord opposé. En
un mot, les navigateurs appelés à fréquenter ces
côtes orageuses ne sauraient apporter trop de vigi-
lance dans leurs manœuvres.
Tasman, le premier , éprouva la violence des vents
qui régnent dans ces parages. Cook , dans sa belle re-
connaissance , manqua plus d'une fois en être la vic-
time. Ils mirent Surville à deux doigts de sa perte , et
n'épargnèrent point Marion. En janvier , février et
mars 1823 , le sebooner le Snapper fut accueilli près
du détroit de Foveaux par des ouragans furieux :
M. de Blosscville a tracé le tableau des temps affreux
que ce navire essuya durant les trois mois qui forment
l'été de ces contrées australes « .
i Bivt$ariîie , p. 14 et suiv.
TOME H. i]
338 VOYAGE
La Coquille, en juin 1823, vit un rude échantillon
de ces tourmentes , bien qu'elle ne fùl encore que par
33° lat. S. ; enfin sur l' Astrolabe ces bourrasques
terribles nous tourmentèrent cruellement , quoique
nous fussions alors au milieu de l'été. Cependant
nous devons aussi convenir que, depuis le 16 février
jusqu'à la fin de mars , nous cessâmes d'éprouver des
temps aussi mauvais : par conséquent nous serions
disposés à croire que ce serait là l'époque la plus fa-
vorable pour la navigation de ces côtes.
Nous allons maintenant procéder à la description
géographique de la Nouvelle-Zélande , autant du
moins qu'il nous sera possible de le faire , par suite
des découvertes et des reconnaissances opérées jus-
qu'à ce jour. On doit présumer d'avance que nos con-
naissances se bornent à peu près au littoral; l'intérieur
de ces terres nous est encore inconnu, et M. Mars-
den seul a traversé File de Ika-Na-Mawi ; encore ses
voyages n'ont-ils eu lieu que dans la portion la plus
resserrée de cette île, où elle n'offre guère que douze
ou quinze lieues de largeur. Nous allons commencer
par les régions australes de la Nouvelle-Zélande , et
nous poursuivrons notre description en nous avan-
çant progressivement vers le nord.
Les premières terres qui annoncent l'approche de
la Nouvelle-Zélande du côté du sud sont les Embû-
ches , Snares , qui forment un groupe de sept petites
îles escarpées , occupant un espace de six milles envi-
ron de l'E. N. E. à l'O. N. O. , et situées par
48° 3' lat. S., suivant Vancouver qui les découvrit.
DE L'ASTROLABE. 339
La plus grande située au N. E. a trois lieues de cir-
cuit , et peut s'apercevoir à la distance de huit à neuf
lieues par un temps clair.
A vingt lieues à TE. N. E. de ces îlots gisent deux
groupes de rochers fort dangereux , éloignés l'un de
l'autre de trois lieues , et dont le plus septentrional
n'est lui-même qu'à trois lieues au sud de la côte.
Cook , en 1769 , passa entre ces deux écueils, et les
nomma les Pièges, Traps '.
Le cap Sud de la Nouvelle-Zélande de Cook forme
aujourd'hui la pointe la plus australe d'une ile qui a
pris le nom de Stewart , et qui s'est trouvée détachée
de Tavaï-Pounamou par la découverte du détroit de
Fo veaux 2. Cette île , qui offre un contour de cin-
quante à soixante lieues d'étendue , est encore très-
imparfaitement connue , et je ne puis dire si elle est
habitée. Cook nota simplement que c'était une terre
élevée et stérile avec quelques arbrisseaux et arbres.
Il y remarqua plusieurs taches blanches qui réfléchis-
saient les rayons du soleil 5.
Dans une petite carte dressée par M. de Blosseville,
en 1826, d'après les indications du capitaine Edward-
son, je vois figurer sur la cote de l'île Stewart les îles
Longue, Kackahow, Ernest, Fenoua-Ho et Chase,
ainsi que les ports Facile , Mason , Williams et Pega-
sus. M. de Blosseville rapporte qu'en 1823 M. Ed-
wardson trouva un bon abri pour son petit navire
i Cook, preni. Voy., III, p. 22g. — » n/osswillc, p. 9.4. — 3 Cook,
pran. Voy., m, p. 229.
24'
340 VOYAGE
dans le port Facile et dans le port Mason. Aux envi-
rons du premier , ce capitaine rencontra de l'eau
douce, mais stagnante et de mauvaise qualité , des
buissons touffus et mêlés de ronces et de fougères , et
pas un seul arbre. On tua un grand nombre d'oi-
seaux de diverses espèces, et l'on observa des feuilles
de phormium de quinze pieds de longueur. Tous les
pêcheurs de phoques font un grand éloge de Port-
Williams où l'on a huit ou dix brasses , fond de sa-
ble l. Sur les bords d'une crique d'eau douce s'étend
une grande plaine couverte de beaux arbres du genre
des pins qui sont d'une excellente qualité ; mais il n'y
a point de phormium.
Le détroit de Foveaux sépare file Slewart de la
grande île Tavaï-Pounamou. Ce canal a une lar-
geur assez uniforme de dix ou douze milles ; mais
les îles dont il est parsemé à son entrée comme à sa
sortie , et les courans impétueux qui y régnent en
rendent la navigation épineuse. L'établissement de la
pleine mer, dit M. de Blosseville, est à trois heures
après midi , et la marée s'y élève de dix pieds.
A l'est , une chaîne de petites îles , îles Bench, qui
s'étendent devant le Port- Williams , puis un groupe
considérable d'autres îles situées au sud de Port-Mac-
quarie , barrent presque entièrement le détroit de
Foveaux , et ne laissent guère entre elles qu'un pas-
sagede trois ou quatre milles d'ouverture. La grande île
Roua-Bouki possède sur sa bande occidentale un pe-
i Blosseville , p. 2 3.
DE L'ASTROLABE. 341
lit mouillage, Port-Snapper, qui passe pour être bon ' .
Le détroit est ensuite libre dans une étendue de vingt-
cinq milles environ, puis il offre, à quatre ou cinq
milles de la côte de la grande terre , un groupe de
rochers , nommés les Triangles , dangereux en ce
qu'ils ne découvrent que de basse mer. Le passage le
plus sûr à l'ouest est entre la petite île du centre et la
pointe N. O. de l'île Stewart.
Nous voilà arrivés sur la côte de la grande île mé-
ridionale qui a reçu le nom de Tavaï-Pounamou.
Nous partirons du Port-Macquarie, et nous ferons
le tour entier de l'île , en nous dirigeant d'abord à
l'ouest, puis au nord.
SuivantM. Edwardson, le Port-Macquarie, quoique
vaste en apparence , ne serait qu'une mauvaise baie
ouverte aux vents , encombrée de bancs de sable, où
régneraient sans cesse des marées très-violentes a.
Sur la presqu'île qui la sépare , dans le sud , du dé-
troit de Foveaux , se trouve le village dont Towara
était le chef en 1823. Cette partie de la côte produit
du phormium en abondance, mais il n'y a pas de
bois.
A vingt-cinq milles à l'O. N. O. de ce village, l'on
en voit un autre situé au pied d'une colline que Paihi
commandait à la même époque. C'est de là sans doute
que provenaient les familles isolées que Cook rencon-
tra dans la baie Duskv. Devant ce village, la côte
forme une petite anse ouverte aux vents du sud ,
' Bfotsei'illc , p. }. J. — » Blosseville , idem.
342 VOYAGE
et où il serait imprudent de mouiller avec un gros
navire.
A vingt milles à TO. S. O. de la baie de Paihi , se
trouve l'île élevée et stérile que Cook nomma île So-
lander ». Dans ces derniers temps on a reconnu
qu'elle se composait de deux îlots distincts 2.
A vingt-cinq milles à l'O. N. O. de la baie de Paihi,
la rivière Windsor décharge ses eaux dans la mer;
c'est la seule que l'on remarque sur cette côte , et elle
peut recevoir des chaloupes 5.
Toute cette partie de la côte offre des montagnes
escarpées d'une hauteur considérable , et souvent
couvertes de neiges au sommet. Il y a des bois dans
les vallées et même sur les terrains élevés 4.
A treize milles de la rivière Windsor, et par 46°
lat. S. se trouve l'entrée de la baie Préservation , qui
n'est qu'un chenal dirigé à l'E. N. E., puis au N. ,
de douze ou quinze milles de longueur sur trois ou
quatre de large 5.
La baie Chalky n'est séparée de la précédente que
par une presqu'île peu considérable; elle s'étend aussi à
quinze ou seize milles dans les terres. Elle contient une
foule de bons mouillages par toutes sortes de fonds,
et l'on recommande surtout les ports du nord et du
sud. La tenue y est bonne, les côtes sont acores , et
une foule de ruisseaux et de cascades offrent de faciles
» Cook, prcm. Voy. , III, p. 2 3 1, — 2 Blosseville , p. 24. — 3 Blos-
seville , p. 22. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 23i. — 5 Blosseville,
p. 22.
DE L'ASTROLABE. 343
aiguades. Elle tire son nom d'une île de craie qui se
trouve au milieu de son entrée : le passage le plus sûr
est au sud entre cette île et le rocher de la Table *.
Une nouvelle presqu'île sur laquelle se trouve le
cap Ouest de la Nouvelle-Zélande sépare encore la baie
Chalky de la baie Dusky de Cook 2. Celle-ci forme une
espèce de labyrinthe d'îles et de canaux , où l'on ren-
contre les meilleurs mouillages du monde ">. Elle s'é-
tend l'espace à peu près de quinze milles du nord au
sud , et autant de l'ouest à l'est. L'entrée du sud est
par 45° 4?' Lat. S., et celle du nord par 45° 39' lat. S.
d'après le plan de Cook.
Le terrain qui environne la baie Dusky est mon-
tucux et couvert d'arbres et de broussailles. A Tinté-
rieur s'élèvent des montagnes d'une hauteur étonnante
avec des sommets pelés ou couverts de neige 4. Cook
fait un grand éloge des diverses qualités de bois qu'on
peut facilement se procurer dans cette baie 5. Forster
y observa le dracœna australis, dont les marins du
vaisseau mangeaient les sommités en guise de chou-
palmiste (i. Dans la partie méridionale se trouve une
cascade d'un effet admirable;. En mars 1773, deux
ou trois familles de Zélandais végétaient sur les bords
de ce bassin y, mais elles n'y étaient plus quand Van-
couver y mouilla en octobre 1791 .
A partir de la baie Dusky, la côte de Tavaï-Pouna-
« Blosseville , p. ai. — 2 Cook, prem. Voy., HT, p. 233. — 3 Cook,
deux. Voy., I, p. 201 et suiv. — 4 Cook, deux. Voy., I, p. 188, 195,
204. — à Cook , deux. Voy., I , p. ao5. — 6 Cook, deux. Voy. , I, p. 189.
— 7 Cook , deux. Voy. , p. 171. — s Cook , deux. Voy. , I, p. i65 et suiv.
344 VOYAGE
mou court désormais assez uniformément au N. E.
Elle continue d'être raide et monlueuse. Par 45° 16'
lat. S., Cook aperçut une ouverture qu'il soupçonna
être celle d'une baie , et il la nomma Baie Douteuse.
Sur les deux bords de l'ouverture , une côte escarpée
s'élève à pic à une hauteur prodigieuse l.
Par 44° 35' lat. S. , le havre Milford présente un bon
mouillage depuis dix jusqu'à cinq brasses de fond. Ses
rives sont inhabitées, mais ses forêts contiennent d'ex-
cellens bois de construction. M. de Blosseville ne dit
rien autre chose de la configuration de ce bassin, si-
non qu'un rocher semblable à un navire sous voiles se
trouve à cinq milles de son entrée , et qu'il faut choisir
la passe du sud pour aller ensuite mouiller dans la
partie méridionale de la baie 2.
Par 44° 15' lat. S., une vallée profonde entre deux
hautes terres offrit à Cook l'apparence d'un canal ;
aussi nomma-t-il cet endroitBaie Trompeuse. Sa pointe
du nord, formée par des rochers élevés et rougeàtres,
se distinguait par une cascade, et reçut son nom de
cette circonstance. Cook signale une petite île basse
contre la côte, par 43° 58' lat. S. 5.
A partir de ce point, et en allant jusqu'à la pointe
des Rochers, ce navigateur ne donne plus aucun dé-
tail sur la côte qu'il ne vit que très-confusément. Il se
contente de dire qu'elle est formée par des terres es-
carpées et boisées , dominées à l'intérieur par une
i look, pretD. V'oy. , III, p. 2 3 4. — a Bhsseville , p. 20. — 3 Cook
prem. Voy. , III, p. 235.
DE L'ASTROLABE. 345
chaîne de montagnes énormes dont les cimes sont
stériles, dépouillées et souvent couvertes de neiges. Il
indique cependant des vallées boisées et en apparence
fertiles depuis 44° 20' lat. S., jusqu'à 42° 8' lat. S.
Plus au nord les montagnes s'élèvent directement du
rivage !.
Mais l'Astrolabe commence son exploration par
42° 20' lat. S., et nous fournira désormais des no-
tions plus positives. Depuis cette hauteur jusqu'au
cap Foul-Wind, la cote court au N. '/* N. E. ; elle
est escarpée et médiocrement boisée , avec de hautes
montagnes par derrière. Par 42° 7' lat. S., un ravin
très-profond, situé sous un sommet à cinq pitons,
offre l'apparence trompeuse d'un canal étroit 2. Situé
par 41° 46' lat. S. et 169° 8' long. E. , le cap Foul-
Wind est beaucoup plus remarquable que Cook ne
l'a figuré , et forme une vallée de six ou sept milles de
largeur qui saille à peu près d'autant en dehors de
la côte. Des bois magnifiques la couvrent en grande
partie , et quelques clairières tapissées de gazon an-
noncent la fertilité du sol. Cette vallée paraît formée
de terres d'alluvion entraînées des montagnes par un
torrent considérable qui débouche sur sa partie sep-
tentrionale , et donne une teinte fangeuse aux eaux
de la mer. Dans toute cette portion et à une assez
grande distance de la terre la sonde rapporte un bon
fond de vase. Sans doute on pourrait mouiller près de
terre, parfaitement à l'abri de tous les vents du sud
i Cook, prem. Vov., p. a36 ol sniv. — 2 jyVtville, II, p. i>.
346 VOYAGE
et de l'est , mais on courrait les plus grands risques
dès qu'il varierait à l'ouest ou au nord J .
Bientôt la côte se relève en falaises escarpées et
peu boisées pour courir au N. E. ]/4 N. l'espace de
vingt milles environ. Elle s'abaisse encore par 41° 25'
lat. S. , se relève de nouveau et court presque droit
au nord jusqu'à la Pointe des Rochers de Cook, par
40° 56' lat. S. Cette pointe est élevée , boisée, peu
saillante , et reconnaissable seulement par quelques
rochers situés tout près de terre 2. Au-delà la côte
se dirige au N. E. dans une étendue de trente-cinq
milles jusqu'au cap Farewell ; elle prend un ton moins
sauvage, les mouvemens du sol s'adoucissent, parfois
même on aperçoit des grèves de sable d'un aspect
agréable 3.
Par 40° 35' lat. S. un bassin considérable se mon-
tre sur la côte ; mais V Astrolabe qui n'en passa qu'à
deux milles et demi, trouva son entrée barrée par des
brisans , et le nomma pour ce motif Havre Barré 4.
Nous devons rappeler que Cook n'avait observé
aucun indice d'habitans sur toute la côte occidentale
de Tavaï-Pounamou , depuis la baie Dusky jusqu'au
cap Farewell 5. L' Astrolabe , qui examina la côte
avec soin dans un développement de près de cent
cinquante milles, n'en vit pas davantage.
Jusqu'à quatorze milles à l'E. S. E. du cap Fare-
well règne une bande de terre étroite qui se termine
i D'Urville, II, p. i5. — 2 D'U, ville, II, p. 16. — 3 D'Uiville, II,
p. 17. — 4 D'Uiville, idem. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. a5o.
DE L'ASTROLABE. 347
en une pointe basse et sablonneuse l. Cette pointe
forme avec le cap Slepliens l'entrée de la baie Tas-
man , reconnue pour la première fois par V Astrolabe
qui lui trouva quarante milles de largeur de lest à
l'ouest sur quarante -cinq milles de profondeur du
nord au sud. Le bassin du Massacre, situé immédia-
tement au sud de la pointe des Sables, est encore im-
parfaitement connu 2.
L'expédition de P Astrolabe fit connaître deux bons
mouillages sur la côte occidentale de la baie Tasman ,
savoir l'anse de l'Astrolabe et celle des Torrens. Il
est probable qu'elle en contient d'autres , notamment
derrière File Pépin et dans la baie de Croisilles. La
baie Tasman offre de belles forêts et de nombreux
torrens d'une eau très-limpide. Elle est terminée dans
le sud par une vaste plaine qu'environnent dans le
lointain d'énormes montagnes couronnées de neiges
éternelles. Les Français observèrent sur ses bords
deux villages que les babitans leur nommèrent Skoï-
Tehe et Maï-Tehe 5.
Cette grande baie communique par un canal, le
bassin des Courans , et par une passe étroite et fort
dangereuse , la passe des Français , avec la baie de
l'Amirauté. La passe des Français sépare de la
grande terre l'île d'Urville , longue de vingt milles
environ sur cinq ou six inilîes de large. Cette île est
très-montueuse et couverte de forets ; cependant elle
i D'Urville , 11, p. ly. — a Cook, deux. Voy. , I, p. 221. — 3 D'Ur-
sule, II, p. 20 et suiv.
348 VOYAGE
offre quelques villages sur sa bande orientale. Au
nord elle est terminée par le cap Stephens, et accom-
pagnée de quelques petites îles » .
La baie de l'Amirauté qui vient à l'est de celle de
Tasman a quinze milles environ de largeur sur une
profondeur à peu près égale. L'étendue du bras
qui se dirige au S. O. des îles Gaimard est encore in-
connue. Sur les bords de cette baie les terres sont gé-
néralement fort acores 2.
Les caps Jackson et Koamaro , distans l'un de
l'autre de huit milles , forment l'entrée du canal de la
Reine-Charlotte , si bien connu par les diverses relâ-
ches du célèbre Cook 5. Une foule de criques et dan-
ses y présentent des mouillages meilleurs les uns que
les autres. Ce canal s'enfonce à vingt-cinq milles au
loin dans les terres , et pénètre peut-être plus avant
encore ; il ne serait pas impossible qu'il se réunît à
quelque ramification de la baie de l'Amirauté ou de la
baie Cloudy. Le canton qui entoure ce canal porte le
nom de Totara-Nouï. Il est assez peuplé, Cook eut.
de fréquens rapports avec ses habitans, et l' Astrolabe
en 1827 vit leurs feux 4. Cook en 1770 estima leur
nombre à quatre cents 5. Dans son second voyage , il
en vit à peine le tiers 6 ; cependant, peu de jours après
son départ, ces sauvages massacrèrent dix hommes
de l'équipage de Furneaux , et le lieutenant Burney
i D'Urville, II, p. 47 et suiv. — 2 Cook, prem. Voy. , III, p. 242 et
suiv. D'Urville, II, p. 68. — 3 Cook, prem. Voy., lit, p. 200, 2o5. —
4 D'Urville, II, p. 6g. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. 207. — 6 Cook,
deux. Voy., I, p. 267.
DE L'ASTROLABE. 349
estima à quinze cents ou deux mille le nombre des sau-
vages qu'il trouva rassemblés dans l'anse des Nigauds
par suite de cet attentat *. D'immenses et profondes
forets environnent les bords du canal de la Reine-
Cbarlotte ; le terrain en est montueux ; Forsler y re-
cueillit plusieurs substances d'origine volcanique 2.
Depuis le cap Koamaro, la côte qui est fort abrupte
court l'espace de vingt-deux milles au S. S. O. jus-
qu'à l'entrée de la baie Cloudy qui a cinq milles en-
viron d'ouverture. Tout est encore inconnu dans cette
baie qui doit offrir, comme celles de la Reine-Char-
lotte et de l'Amirauté, des havres sûrs et commodes
pour les navires. J'eusse été bien curieux de les visi-
ter à cause du mont Tako3 situé sur ses bords, et près
duquel se trouverait le Pounamou , au dire des habi-
tans de Tera-Witi 4.
Le cap Campbell , situé à douze milles à l'E. S. E.
de cette baie , forme l'extrémité N. E. de Tavaï-Pou-
namou , et se termine par une pointe basse que pré-
cède un terrain plus élevé 5.
A partir de ce cap la cote fuit au S. O. , et nous
sommes contraints de nous contenter de ce que nous
a dit Cook qui ne la vit que de loin et fort imparfaite-
ment 6.
A vingt-deux lieues du cap Campbell , Cook fait
mention d'une terre qui lui parut être une île située
i Cook, deux. Voy. , IV, p. 147. — » Cook, preoi. Voy., III, p. 208.
Doux. Voy., I, p. 245. Trois. Voy. , I, p. 184. — 3 Cook, prem. Voy. ,
TU, p. 210. — 4 D'i'rvillc, II, p. 80. — S DTivillc, II, p. 72. —
i Cook , prem. Aroy. , m, p. 210.
350 VOYAGE
sous une côte fort élevée et à laquelle il donna le nom
de Lookers-On, parce qu'il y reçut la visite d'une
soixantaine de naturels qui s'approchèrent de son
navire et se contentèrent de l'examiner sans vouloir
l'accoster « .
Une chaîne de montagnes fort hautes suit la direc-
tion de la côte à une certaine distance dans les terres,
et Cook signale un pic plus élevé que les autres som-
mets situé par 42° lat. S. environ 2.
Par 43° 45' lat. S. , Cook rencontra une terre assez
considérable , à peu près circulaire et médiocrement
haute , qu'il crut séparée de Tavaï-Pounamou , et à
laquelle il donna le nom d'ile Banks 3, Ce navigateur
lui assigna vingt-quatre lieues de tour, et malgré sa
stérilité apparente , les fumées qui s'en élevaient vin-
rent lui confirmer qu'elle était habitée. Des voyages
plus récens ont prouvé que cette île prétendue tenait
réellement à la terre par un isthme bas et sablonneux
que Cook ne put apercevoir 4.
Depuis la presqu'île de Banks , dans une étendue
de plus de vingt lieues , la reconnaissance de Cook
laisse beaucoup de vague sur la nature de la côte. Il
ne s'en rapprocha que par 44° 30' lat. S. , où il trouva
qu'elle était fort basse à la mer, d'une apparence très-
stérile , et sans aucun indice d'habitans 5.
Ensuite jusqu'au cap Saunders , sa navigation nous
i Cook, prem. Voy. , III, p. 218. Deux. Voy. , II, p. 0,5. — 2 Cook,
prem. Voy., III, p. 216, 219. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 220. —
4 Blossei'ille, p. 18. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. 222.
DE LASTUOLABE. 351
apprend encore peu de chose , seulement que les
terres sont largement entrecoupées de vallées et de
montagnes *. Cook place le cap Saunders sur sa
carte par 45° 55' lat. S. , et il en parle comme d'une
pointe ronde, élevée dans le sud , près de laquelle la
côte semble former deux ou trois bons mouillages
contre les vents du S. O. et du N. O. 2.
Par 46° 24' lat. S. environ , la carte de Cook indi-
que un enfoncement sous le nom de havre Molineux,
et son texte annonce qu'il vit des fumées aux envi-
rons. On ne possède encore aucune donnée sur la
nature de la côte entre le havre Molineux et l'Ile
Roua-Bouki. Elle est probablement dépourvue de tout
accident remarquable. La petite carte de M. de Blos-
seville donne au havre Molineux une configuration
propre à en faire un mouillage intéressant, si le bras-
siage est bon.
Nous venons de terminer la revue complète de Ta-
vaï-Pounamou , et cette revue démontre que nos con-
naissances sont bornées au littoral, où souvent même
elles sont fort incomplètes. La côte occidentale de
cette grande île est déserte ; ce n'est qu'à l'est du cap
Farewell d'une part , et à lest du cap Ouest de l'au-
tre , que les habitans commencent à paraître. Sans
aucun doute cela tient aux vents furieux de l'ouest
qui désolent la côte occidentale, et en rendent le sé-
jour peu agréable à l'homme ; tandis que les hautes
montagnes de l'intérieur protègent la côte orientale
i Cook, prem. Vov. , III, p. ?.?..',. — ■> Cook, prem. Vov., III, p. 225.
352 VOYAGE
contre la violence de ces vents. Celte disposition na-
turelle du sol doit en outre établir une grande diffé-
rence entre la température habituelle de ces deux
côtes : nous en éprouvâmes nous-mêmes les effets
lors de notre navigation sur l' Astrolabe en 1827.
Avant de passer à l'île Ika-Na-Mawi , nous dirons
d'abord quelques mots du détroit de Cook qui la sé-
pare de Tavaï-Pounamou.
Ce détroit , qui a près de trente lieues de large
entre les caps Farewell et Borell , affecte une direc-
tion générale du N. O. au S. E. , en se resserrant
promptement et graduellement pour former une es-
pèce d'entonnoir qui n'a guère plus de dix milles de
large dans l'endroit le plus resserré , entre le cap
Poli-Wero et le morne des Eboulemens. Au-delà de ce
point il s'élargit de nouveau avec rapidité , et n'a pas
moins de quarante milles d'ouverture à son entrée du
côté du sud , entre les caps Kawa-Kawa et Campbell.
On sent bien qu'une telle configuration jointe aux
vastes bassins situés sur ses côtes , surtout sur les
bords de Tavaï-Pounamou, doit y rendre les ma-
rées très-violentes et fort irrégulières , particulière-
ment dans l'endroit le plus étroit. C'est ce qui a lieu
effectivement , et cela rendrait la navigation de ce dé-
troit fort dangereuse si ses côtes n'étaient pas aussi
saines ; les seuls écueils que l'on y connaisse sont ,
les rochers à fleur-d'eau situés à deux ou trois milles
au S. O. du cap Koamaro, les brisans à une demi-
lieue au large du cap Jackson , et le banc de l'entrée à
quatre ou cinq milles au large de la pointe des Sables.
DE L'ASTROLABE. 353
Le flot arrive dans le détroit de Cook du S. E. au
N. O. avec une grande rapidité , et le jusant s'en
retourne du N. O. au S. E. avec une violence plus
grande encore.
Nous allons attaquer l'île du Nord au cap Kawa-
Kawa , puis nous nous dirigerons à l'ouest et au nord
comme nous avons fait pour Tavaï-Pounamou.
Le cap Kawa-Kawa , situé par 41° 37' lat. S. , qui
forme l'extrémité méridionale de Ika-Na-Mawi , est
composé de montagnes élevées et fortement acciden-
tées qui se terminent au sud en une pointe obtuse.
Cette poinle est accompagnée par une lisière étroite
d'un terrain plus bas et par quelques rochers aigus
éloignés à peine d'une ou deux encablures du rivage '.
Immédiatement à l'ouest du cap , la côte remonte di-
rectement au nord l'espace de seize milles pour for-
mer un des côtés de la vasle baie Inutile 2.
La baie Inutile , large de vingt milles environ sur
dix de profondeur, est entièrement ouverte aux venls
du sud , et le ressac est si violent au rivage que le ca-
not de V Astrolabe ne put y trouver un point où l'on
put débarquer en sûreté. Le fond de cette baie est
occupé par un terrain fort bas où se trouve un lagon.
A une grande distance dans l'intérieur, de hautes mon-
tagnes offrirent aux marins de V Astrolabe des feux si
vifs et si permanens qu'ils restèrent indécis si ces
feux n'appartenaient point à quelque volcan. Le cap
Toura-Kira forme la pointe N. O. de la baie Inutile 5.
1 D'Vn'ilk, II, p. 78. — a Cook, deux. Voy. , II, p. 134. — 3 D'Ur-
vilte, II, p. 79. et suiv.
TOME H. 25
354 VOYAGE
Entre le cap Toura-Kira et la partie méridionale du
cap Poli-Wero, la côte forme un nouvel enfoncement
où l'Astrolabe crut apercevoir des îles et des pres-
qu'îles (. Tehi-Noui et Koki-Hore m'assurèrent qu'il
s'y trouvait de bons mouillages, et que leurs compa-
triotes habitaient sur les bords de cette baie : les mis-
sionnaires de Pahia me confirmèrent l'existence de ce
havre. En novembre 1773, Cook mouilla sur cette
baie qui parut à Forster s'enfoncer si avant dans les
terres , qu'il douta si le cap Poli-Wero n'était pas une
île séparée d'Ika-Na-Mawi. Les environs sont occupés
par des montagnes noirâtres , fort élevées et presque
nues 2. Tout ce pays prend le nom de Tera-Witi.
Toute la portion de côte comprise entre le cap
Poli-Wero et le cap Borell est encore fort mal con-
nue. On sait seulement que sa direction , après avoir
été l'espace de douze ou treize lieues le N. N. E. ,
court ensuite au N. N. O. , à quelque distance de l'île
Entry. Cette île, située près de terre, est d'une éléva-
tion moyenne , et se voit facilement de l'entrée du ca-
nal de la Reine-Charlotte.
Suivant Toupe-Koupa , près de l'île Entry, deux
bras de mer s'enfoncent très-avant dans les terres et
forment de vastes bassins où les navires trouveraient
d'excellens mouillages , et dont les bords sont cou-
verts de magnifiques forêts de koudi , kaï-katea et au-
tres bois de construction 3.
i D'Urville, II, p. 72. — 2 Cook, deux. Voy. , II, p. 98, i35.
3 Toupe-Koupa, d'Urv. ,111, p. 779.
DE L'ASTROLABE. 855
Par 39° 48' lat. S., M. de Blosseville place sur
cette cote l'entrée d'un port considérable qu'il nomma
Tara-Nake », dont il est question dans le récit de Ru-
therford 2. Il n'est pas encore décidé si ce havre est
bon ou mauvais , on sait seulement qu'il reçoit une
rivière qui vient de l'E. S. E. , et que ses rives sont
couvertes de bois d'une excellente qualité. Ce havre de
Tara-Nake ne serait-il pas identique avec les canaux
indiqués par Toupe-Koupa ?
Le cap Borcll est un des quatre grands caps d'Ika-
Na-Mawi, et le mont Egmont, en langue du pays
Pouke-e-AupapUy qui le couronne, forme un pic isolé
très-remarquable 5. Les premiers navigateurs avaient
cependant fort exagéré son élévation en l'assimilant
au pic de Ténériffe, s'il n'a réellement que 7000 pieds,
d'après les mesures de M. Simonoff. Le pays qui l'en-
vironne est plat, boisé et d'un aspect agréable. Des
feux furent observés par Cook , et Marion aperçut les
habitans sur la côte.
Sur la partie nord du cap Borell, une pointe termi-
née en pain de sucre s'avance au large, et tout au-
près sont de petites îles que Cook nomma îles du
Pain de Sucre. Désormais la côte fuit au N.N. E. ,
et l'on n'en connaît rien dans une étendue de plus de
vingt lieues, jusqu'à la pointe Albatros, que Cook
annonce tout simplement être élevée et escarpée, en
ajoutant q^ sur sa partie septentrionale et derrière
i Blosseville , p. 10. — a Hutherfard , d'Un., III, p. 75 r. — 3 Cooh ,
prem. Voy., TU, p. 17s. Deux. Voy., ni, p. 34'4. Idem , V, p. ?.\.
2.y
356 VOYAGE
une petite île , île Gannet , la côte semble former un
bon mouillage ». Ne serait-ce pas là l'embouchure
d'une grande rivière, Waï-Pa, dont la source est
voisine du montEgmont? M. de Blosseville y place le
havre de Waï-Kato, qui est rempli de bas-fonds 3, et
que je renvoie plus loin au nord. La pointe Alba-
tros est probablement aussi cette montagne que Tas-
man mentionne par 38° lat. S. , et qu'il prit d'abord
pour une île.
A dix-huit milles au nord d'Albatros - Point se
trouve Woody-Head, autre pointe couverte de bois ,
et qui s'élève doucement de la mer jusqu'à une hau-
teur considérable 3 ; c'est derrière cette pointe que je
place l'embouchure du Waï-K.alo , rivière célèbre du
pays , qui, au dire des habitans du nord, s'enfonce à
une distance considérable dans les terres , et dont les
eaux arrosent des cantons fertiles et très -peuplés 4.
Les tribus de ces contrées jouissaient d'une haute ré-
putation de bravoure et de férocité; long-temps en
guerre avec elles , Houpa n'avait pu en obtenir la paix
qu'en donnant sa fille en mariage à leur chef 5. Près
de l'embouchure de ce fleuve est situé le pâ de Waï-
Kato, qui, en 1827, sous le commandement de Ka-
nawa, semblait être le chef-lieu des peuples de ce
district G. Du reste, toutes ces positions ne sont guère
que conjecturales.
* •
' Cook , prem. Voy., III, p. 176. — 2 Blosseville , p. 10. — 3 Cook ,
prem. Voy.,III, p. 176. — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 3/fo, 362, 388. —
5 Nicholas , I, p. 394. — 6 D'Uiville , II, p. 169.
DE L'ASTKOLAIŒ. 357
A partir de Woody-Head , la côte d'Ika-Na-Mawi
commence à courir assez régulièrement au N. N. O.
jusqu'au cap Reïnga ; elle est en outre généralement
occupée par des dunes de sable de l'aspect le plus
triste et le plus lugubre.
Par 37° lat. S. doit se trouver l'entrée de la baie de
Manoukao, qui senfonce fort avant dans les terres ,
et de concert avec le canal de Mogoïa réduit la partie
N. O. d'Ika-Na-Mawi à une presqu'île qui ne tient à
la partie méridionale de cette ile que par un isthme
de deux milles de largeur. Suivant M. de Blosseville,
le bassin de Manoukao est obstrué par des bancs nom-
breux , et reçoit les eaux de deux rivières l. #
M. de Blosseville, d'après la carte des mission-
naires, place par 36° 38' lat. S. l'entrée de la baie de
Kaï-Para, qui ne serait que le confluent de quatre ri-
vières assez considérables qui viennent se décharger
sur ce point dans la mer. La première de ces rivières
arrive du nord , en prolongeant la côte de près , et se
nomme le Waï-Roa; la seconde, appelée le Kotainata,
a sa source près du Wangari ; la troisième découle de
TE. et la quatrième du S. E. a. Le havre de Kaï-Para
offre de six à seize brasses d'eau, fond de vase, mais
on ne sait si l'entrée en est praticable. Ce bassin est en-
vironné de dunes hautes et sablonneuses 5.
A vingt-six lieues au N. N. O. du Kaï-Para , et par
35° 32' lat. S., se trouve l'embouchure du Shouki-
• Blosseville, p. 9. — 2 Marsdcn , d'Urv. , III, p. 404. — ' Çlasseville ,
p. 8 et g.
358 VOYAGE
Anga , rivière importante , et dont les rives sont bien
peuplées. Il n'est pas douteux que ce canal ne soit le
False-Bay de Cook '. Par malheur, son entrée est oc-
cupée par une barre sur laquelle il n'existe que neuf
pieds d'eau à basse mer, autrement il offrirait un
excellent mouillage, et d'autant plus intéressant que
le cours de la rivière est navigable pour de grands na-
vires , fort avant dans les terres 2.
L'établissement de la marée sur la barre, dit M. de
Blosseville, est à 9h 30', et elle marne de sept à dix
pieds. A trois milles de l'embouchure et sur la rive
méridionale de la rivière, on trouve le pà de Widia.
M. Marsden vante la fertilité de plusieurs sites le long
du Shouki-Anga.
Depuis cet endroit jusqu'au cap Reïnga , dans un
développement de soixante-quinze miiles , la côte
n'offre qu'une suite de dunes de sables blancs, de l'as-
pect le plus triste et le plus rebutant 3 • le mont
Ohoura seul, situé par 34° 50' lat. S. , rompt l'unifor-
mité de cette terre stérile , qui sur ce point n'a que
quelques milles de largeur, ce qui réduit encore à une
presqu'île toute la partie d'Ika-Na-Mawi qui reste vers
le nord.
Enfin le cap Reïnga (cap M aria-Van- Diemen de
Tasman ), situé par 34° 27' lat. S. , et par 170° 16'
long. E., nous ramène sur les parties les mieux con-
nues de Ika-Na-Mawi. Nos descriptions seront désor-
i Cook, prem. Voy. , III, p. 173. — 3 Blosseville, p. 8. Dillon , II,
p. 272. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 172 et 174.
DE L'ASTROLABE. 359
mais beaucoup plus précises, quant à la nature de la
côte et des mouillages qui s'y trouvent placés.
Avant de passer outre , nous ne dirons qu'un mot
des îles Manawa-Tawi, pelit groupe situé par 34° 12'
lai . S. et 1 69° 48' long. E. , et qui se compose de trois
îlots accompagnés de plusieurs rochers dépouillés " ;
l'un d'eux est cependant habité et cultivé en certains
endroits. L'étendue du groupe entier n'est pas de
plus de six milles en longueur, suivant d'Entrecas-
teaux 2. En langue du pays, tawi exprime la suite
des lames qui viennent se briser à la plage , et manawa
indique un souffle violent. La réunion de ces deux
mots fait allusion à l'effet des fortes houles poussées
à la plage par la tempête , et indique le ressac violent
qui règne communément sur ces rochers isolés au
milieu des flots 5.
Du cap Reïnga au cap Otou, la direction générale
de la côte estE. '/4N. E.; elle est escarpée et d'une hau-
teur médiocre. Entre Reïoga et Otahe , la terre se
creuse en une espèce de baie ouverte a tous les vents
de la partie du nord 4. Au S. O. du cap Otou se
trouve une petite anse ouverte aux vents du N. O. et
environnée d'une plage de sable: sur ses bords et du
côté oriental est situé le village de Pakohou.
Le cap Otou ou cap Nord fait partie d'une pres-
qu'île de cinq ou six milles de circonférence, nommée
par les naturels Moudi-Wcnoua, et qui termine au
' Cook, jirem. Voy., III, p. 168. — » D'Enlrccasieaux , I, p. 270. —
3 Grammar of Neu-y,raland, p. 174, 211. — t D'Urville, II, p. 190.
360 VOYAGE
nord Ika-Na-Mawi, en ne tenant au reste de l'ileque
par un isthme étroit et sablonneux J . Ce cap est si-
tué par 34° 24' lat. S., et 170° 41' long. E., et peut se
voir de huit à dix lieues de dislance. Un îlot situé près
de sa partie orientale porte le nom de Moudi-Motou 2.
MM. Marsden et. Nicholas ont vanté la beauté du
paysage et la belle tenue des plantations aux environs
du cap Nord 5.
La côte court au S. ^ S.O. l'espace de six milles;
elle creuse ensuite de manière à former une petite anse
dans un endroit nommé Pa-Reïnga-Reïnga. On m'a
dit qu'il s'y trouvait un bon mouillage, mais je ne sais
rien de plus positif à cet égard.
Désormais la côte , jusqu'au mont Ohoura , n'est
plus qu'une suite de dunes de sable d'une blancheur
éblouissante , et sa concavité forme cette vaste baie
que Cook nomma Sandy-Bay, et sur laquelle on
trouve fond jusqu'à une grande distance de terre 4.
Immédiatement au sud du mont Ohoura, se trouve
la baie Nanga-Ounou, dont le fond doit presque at-
teindre la côte occidentale de Ika-Na-Mawi , et qui
offrirait un excellent mouillage si elle n'était ouverte
aux vents du N. au N. N. E.
Une presqu'île étroite , terminée par la pointe Kari-
Kari et de petites îles, sépare la baie de Nanga-
Ounou de celle d'Oudou-Oudou, où Surville mouilla le
1 Cook, prem. Voy. , III, p. 167. — 2 D'Urville, II, p. i8y. —
3 Nicholas, II, p. 210. Marsden, d'Urv., III, p. 208 et 209. — 4 Cook,
prem. Voy., III, p. 164. D'Urville, II, p. 189.
DE L'ASTUOLAlïE. 361
premier ». Cette baie est encore moins sûre que la
précédente , puisqu'elle est plus ouverte aux vents du
N» E. Deux rivières navigables se déchargent sur sa
côte méridionale ; elle est environnée de beaux bois
de construction, et ses bords sont peuplés. La pointe
Surville termine cette baie à l'est.
A onze milles au S.O. J/4 O. de la pointe Surville, se
trouve l'entrée de la belle baie de Wangaroa , large à
peine d'un quart de mille à son ouverture , mais qui
s'élargit bientôt en un vaste bassin de cinq ou six mil-
les de longueur, où pourraient mouiller toutes sortes
de navires, par six et dix brasses d'eau 2. Le fond de
la baie se termine par des marécages , mais au nord
et au sud les côtes sont escarpées et présentent en re-
gard l'une de l'autre deux monlagnes fort remarqua-
bles. Au S. S. O. se trouve l'embouchure d'une belle
rivière, qui conduisait à l'établissement qu'avaient
formé les missionnaires de la société de Wesley, dans
la tribu des Nga-Te-Oudou. La tribu de Georges ou
Taara habitait les bords de ce fleuve , nommé dans
le pays Kamimi 5 ; dans la partie de l'O. habitaient les
Nga-Te-Po, qui furent exterminés par Shongui en
1827 4. Suivant M. Nicholas, rien n'est plus pitto-
resque , plus admirable que la vue des sites voisins de
l'entrée de Wangaroa.
La petite île Didi-Houa, située à trois milles de
l'entrée de cette baie , contribue à la défendre de la
■ Cooh, prem. Voy., TU, p. 162. D'Unillc, II, p. 193. — a D'Unille,
II , p. 194. — 3 Cruisc , p. i58. Blosscfille , p. 7. — 4 Missionnan' llcgis-
ter, d'Urv. , III, p. 498.
362 VOYAGE
houle du large, et l'on peut mouiller entre elle et la
terre ».
A cinq ou six milles à Test de Didi-Houa, vient un
groupe d'une quinzaine d'ilôts de quatre milles d'é-
tendue ; le plus grand , qui n'a pas plus de trois ou
quatre milles de circuit , se nomme Motou-K awa , et
celui qui le suit , beaucoup plus petit , se nomme Pa-
nake. Tous deux sont habités; en 1795, le premier
était gouverné par Tea-Wariki , et le second par son
fils a.
Entre ce groupe et la terre est un canal à peine
large d'un demi-mille, praticable pour de petits navi-
res seulement. M. de Blosseville dit qu'on peut mouil-
ler par huit ou neuf brasses sous la plus grande de
ces îles.
A seize milles à l'E. J/4 S. E. de l'entrée de Wan-
garoa, se trouve la pointe Ngatoka-Rarangui qui peut
se reconnaître à trois rochers situés sous terre. Qua-
tre milles plus loin est le cap Wivia qui est une des
pointes de l'entrée de la baie des Iles. Contre ce cap
sont trois petits îlots dont le plus au large , qui porte
le nom deTiki-Tiki, n'est qu'un rocher noir, dépouillé
et planté debout comme une pyramide.
La baie des Iles n'a pas moins de dix milles d'où-
verture entre les deux caps Wivia et Rakau-Manga-
Manga, sur une profondeur moyenne de huit milles.
Ouverte comme elle l'est aux vents du N. E., elle se-
i D'VrvMe, II, p. 194 et 195. — 2 Cook, prem. Voy., III, p. 149.
Blosseville , p. 7. D'Uiville, II, p. ig5.
DE L'ASTROLABE. 363
rait peu sûre si les nombreuses îles et presqu'îles qui
s'y trouvent dispersées ne formaient d'excellens mouil-
lages pour les navires '.
Sur la cote du nord , se trouve la petite anse de
Rangui-Hou, fort commode pour les petits navires qui
s'y tiennent toujours en appareillage. Suivent les îlots
de Tepahi, puis le port de Tepouna, beaucoup mieux
fermé que le précédent. Sur la côte occidentale, on
remarque d'abord le canal de Kidi-Kidi, impraticable
aux navires, mais très-utile pour les communications
en pirogue avec l'intérieur ; l'île Motou-Roa avec les
îlots dépouillés qui l'accompagnent à l'est, et l'entrée
de la rivière Waï-Tangui. Enfin, sur la cote du sud-
est se trouvent l'embouchure du Kawa-Kawa, celle du
Waï-Kadi 2, une presqu'île fort avancée qui forme de
bons mouillages sur sa côte occidentale dans les anses
de Korora-Reka et Mata-Ouwi, et que termine la
pointe Tapeka. L'anse de Paroa ne peut recevoir que
des embarcations , mais la baie Manawa est très-sùrc
et fort commode pour des navires qui ne dépassent
pas trois ou quatre cents tonneaux , car des bancs de
sable situés devant l'entrée en interdisent l'accès à
de plus forts bâtimens. Une nouvelle presqu'île fort
étroite sépare la baie Manawa de la baie Rawiti où
Marion mouilla le premier. Celle-ci forme un vaste
bassin abrité des vents du large par les îles Motou-
Arohia, Motou-Doua, 3Iotou-Kiakia et une foule
d'autres qui ont valu à cette baie le nom que Cook lui
« Cook, prem. Voy. , III, p. i5g. — 3 Cruise, p. 35.
364 VOYAGE
donna. Enfin, une longue terre haute, aride, sauvage
et abrupte, s étend depuis ces îles jusqu'au cap Rakau.
La baie des Iles est un des points les plus peuplés
de la Nouvelle-Zélande. En partant du cap Wiwia on
rencontre successivement le village de Rangui-Hou,
naguère commandé par Tepahi, puis par Doua-Tara,
et le premier endroit où s'établirent les missionnaires;
Tepouna qui appartenait à Shongui; Kidi-Kidi situé
au fond du canal de ce nom appartenant au même ran-
gatira, et chef-lieu des missions ; Pahia soumis à Te-
koke qui possède aussi aujourd'hui un florissant éta-
blissement ; Mata-Ouwi , que gouvernait Pomare ;
Korora-Reka, résidence de King-George et de plu-
sieurs Anglais, ouvriers ou marins, fixés dans ce can-
ton ï ; Kahou-Wera, jadis commandé par Koro-Koro
et Touais, aujourd'hui abandonné ; quelques cases au
fond de la baie Manawa ; enfin les ruines de Koro-
Kawa près l'isthme de Tangata-Mate où périt Marion.
Jadis on voyait aussi un village sur Motou-Doua, mais
il fut ruiné la première fois par les compagnons de
Marion, et dans ces derniers temps il a partagé le sort
de la tribu de Paroa.
En outre on doit citer les villages de Waï-Tangui ,
Shiomi , Kawa-Kawa et Waï-Kadi 5, situés à quelque
distance de la côte et sur les rivières ou canaux du
même nom. Le Waï-Kadi se termine par une rivière
nommée Waï-Kino , navigable pour des canots l'es-
i D'Urville , II, j). 224. — a D'Utvillc, II, p. 198. — 3 Nichohis, I,
p. 25o.
DE I /ASTROLABE. 365
pace de trois milles , et là on trouve le village où ré-
gnait Kawera-Popo en 1820 i. En 1829 les chefs les
plus influens de la baie des Iles étaient Rewa à Kidi-
Kidi, Toï-Tapou à Shiomi, et King-George à Korora-
Reka.
Le capRakau-Manga-Manga, qui est une pointe très-
haute et très-saillante en mer, a près de lui trois petits
ilôts en forme de coin dont le principal a reçu des na-
turels le nom de Kokako. Il est percé par une arcade
naturelle où Ion trouve cinq brasses d'eau et sous
laquelle les canots peuvent passer en temps de calme 2.
Après ce cap la côte court à peu près uniformé-
ment au S. '/, S. E. jusqu'au cap Wangari, haute,
escarpée et peu accidentée. Dans cet espace de qua-
rante milles de longueur, je citerai seulement les villa-
ges de Wanga-Maumau, Wanga-Oudou, la presqu'île
Motou-Aro , et le pâ Ika-Nake entouré de rochers de
l'aspect le plus imposant et le plus curieux 5. Vis-à-
vis ce dernier lieu , à dix milles de terre et par 35° 28'
lat. S., sont les îlots inhabités et sauvages de Tawiti-
Rahi ; l'un d'eux vu du sud semble être une tour im-
mense et inaccessible 4.
Par 35° 51' lat. S. se trouve le cap Tewara, remar-
quable par sa hauteur et ses pitons déchirés en forme
de stalactites cylindriques. Derrière la presqu'île dont
ce cap fait partie est la bonne baie de Wangari qui
i Cruise, p. 1 3 4 . — > Cruisc , p. 207. D'Urvitle , II, p. 187. —
ï Marsden , d'Urv. , III, p. i85 et 186, 449 et 45o. — 4 Cook, prem.
\ov . . III, p. i',-.. D'Utville, II, p. 18 ',, i85, 188.
366 VOYAGE
communique par une passe étroite au fleuve du même
nom ».
Le cap Tewara , avec la pointe nord de l'île Otea ,
forme l'entrée de la baie Shouraki qui a plus de
soixante-dix milles de profondeur sur une largeur
moyenne de vingt à vingt-cinq milles. Devant l'ouver-
ture de ce golfe sont les îlots de Moko-Inou, le Fanal ,
le Navire, les îles élevées de Moro-Tiri et Taranga, et
le rocher escarpé de Toutourou 2.
Une plage basse et sablonneuse règne depuis la ri-
vière Wangari jusqu'au cap Tokatou-AVenoua que
domine un morne de médiocre hauteur 3. Ici le canal
de la baie, naturellement resserré, est encore diminué
en partie par l'île Shoutourou, d'environ dix milles de
circuit , couverte de bois et couronnée par une cime
fort élevée que l'on distingue de toutes les parties de
la baie 4.
Entre les presqu'îles Malte-Brun et Buache , la baie
Gaultier contient plusieurs îlots et sans doute de bons
mouillages. Entre la presqu'île Buache et l'île Tiri-
Tiri-Matangui est un canal sûr qui conduit à un vaste
et beau bassin , bordé à l'ouest et au nord par une côte
nue et déserte , au sud par l'île Rangui-Toto , et à l'est
par les îles Motou-Tabou , Koura-Kia et Otata. La
baie Tofino s'enfonce peut-être fort avant dans les
terres 5.
» Look, prem. Voy. , III, p. 144. D'Urville, II, p. i5i et suiv. —
» D'Urville, II, p. 144. — 3 Look, prem. Voy., III, p. i43. — 4 D'Ur-
ville, II, p. i56 et suiv. — 5 D'Urville, II, p. i58.
DE L'ASTROLABE. 367
Entre Rangui-Toto et la presqu'île Taka-Pouni
commence le beau canal de l'Astrolabe qui court
ensuite dans une étendue de vingt-cinq milles entre
la côte de la grande terre et les îles de l'ouest , avant
d'aboutir dans la baie Shouraki. Dans ce canal, de-
vant File Rangui-Toto d'une part et l'embouchure du
Mogoïa de l'autre, s'élève la petite île Koreha dont le
piton conique surmonté par un cratère bien dessiné
et environné de cendres et de pierres ponces annonce
l'origine volcanique '.
Le canal du Waï-Tamata se dirige à l'ouest et dé-
bouche dans un vaste bassin séparé par des isthmes
fort étroits de la mer occidentale et d'une branche du
Kaï-Para 2.
Le Waï<- Mogoïa se dirige au sud et conduit à un
isthme de deux milles seulement de large qui sépare
ce canal du fond du bassin de Manoukao 5. Le canton
de Tamaki s'étend sur la rive méridionale du canal de
l'Astrolabe, et sa population diminue tous les jours
par les incursions des peuples du Nord ; MM. Mars-
den et INicholas virent encore ce pays fort peuplé
en 1820 , et M. Cruise trouva que les femmes de ces
contrées étaient supérieures à toutes celles qu'il avait
vues jusqu'alors, par leurs agrémens extérieurs, l'har-
monie de leur voix et la grâce de leurs mouvemens.
Ce même voyageur représente la place de Mogoïa
comme n'ayant pas moins d'un mille de long sur un
• Cruise, p. 225. D'I'nille, II, p. l63, 167. — 2 D'Urville , II, p. 166.
• 3 D'Urville, II, p. 172. Loiiin, d'Urv. , II, p. 274 et suiv.
368 VOYAGE
demi-mille de largeur. Sa population était considéra-
ble, ses cases plus grandes et plus ornées que partout
ailleurs. Chaque famille occupait un enclos entouré
de palissades; ces enclos étaient séparés par des ruelles
très-propres ; sur un coteau voisin et de nature volca-
nique était situé le pâ ou la citadelle. En février 1 827
rien de tout cela n'existait plus » ; au même endroit
M. Lottin et ses compagnons n'observèrent que des
huttes qui semblaient n'être que des abris temporaires.
A treize milles à TE. S. E. du Mogoïa coule le Waï-
Roa dont l'embouchure est obstruée par des bancs de
sable.
La grande et verdoyante île Waï-Heka borde au
nord et au nord-ouest le canal de l'Astrolabe , tan-
dis qu'à l'est l'île Po-Noui le divise en deux 'branches.
Celle qui coule au nord est la seule praticable pour
les navires , et débouque dans la baie Shouraki près
du rocher Tara-Kaï, en formant un bon mouillage sous
Waï-Heka. La branche orientale est en partie occupée
par l'îlot Pakii et le rocher Kara-Mouramou; des bancs
obstruent le reste de ce passage 2.
En 1820, un pâ existait encore sur Waï-Heka , oc-
cupé par une population considérable 3; mais l'Astro-
labe a trouvé ces lieux déserts.
Au nord et au sud du cap Waï-Mango règne une
côte, nommée Ware-Kawa, triste et en apparence peu
fertile. Vers le fond du golfe , elle se termine par des
' Cruise , p. 226. — * D'L'iville , II, p. 177 et 178. — 'S Cruise ,
p. 217.
DE L'ASTROLABE. 369
terrains fort bas et souvent couverts d'immenses fo-
rêts de podocarpus l. EnQn on arrive à l'embouchure
de la vraie rivière Tamise de Cook, Waï-Kahourounga
de l'Astrolabe. Cook qui remonta cette rivière à plus
de dix milles dans les terres, la trouva navigable pour
de petits bàtimens , et bordée de magnifiques forets
contenant les plus beaux bois de construction 9. Près
de l'embouchure il observa un village construit sur un
banc de sable sec et environné de vases molles.
La cote E. de la baie , qui porte plus particulière-
ment le nom de Shouraki , est en général escarpée et
inhabitée, depuis la rivière jusqu'au parallèle de 36°
51' lat. S. Là se trouve une pointe derrière laquelle
s'étend un bras de mer-, probablement c'est là qu'était
situé un village indiqué par M. Marsden , et près de ce
village doit couler la rivière Manane que remonta cet
ecclésiastique, quand il traversa la presqu'île pour se
rendre à la baie Mercure 5. Malheureusement à défaut
d'indications précises pour les routes qu'il suivit , soit
pour leur gisement, soit pour leur longueur, on ne
peut guère former que des hypothèses sur ses
voyages.
Au nord de cet endroit , une suite d'îles et de pres-
qu'îles situées sous la côte de Shouraki forment de
bons mouillages qui ont été fréquentés par les navires
anglais. Cependant on ne possède point de détails pré-
cis sur ces localités. Plusieurs villages populeux exis-
i D'Uiville, II, p. 181. — 2 Cook, prem. Voy. , II, p. 137. —
3 Marsden , d'Urv. , III, p. 422.
TOME II. 26
370 VOYAGE
taient dans ce district lors du passage de M. Cruise
en 1820 '.
La terre qui borde la baie Shouraki du côté de TE.
n'est qu'une longue presqu'île, étroite, mais fort élevée,
couronnée de pitons, dont le dernier au nord est le
mont Moe-Hao , et qui se termine par 36° 27' lat. S.
au cap du même nom 2.
A quatre milles au N. O. de ce cap gît le petit îlot
de la Passe , et à neuf milles au N. N. E. de ce même
cap la pointe méridionale de l'île Otea. Cette île
montueuse et très-déchirée dans sa configuration 5
a vingt milles de longueur du nord au sud sur
huit milles dans sa plus grande largeur de Test à
l'ouest. Quelques îlots sont dispersés sur sa bande
occidentale : au nord elle est terminée par la pointe
des Aiguilles, composée de rochers aigus et dépouillés.
Au nord-est s'élève une petite île aride de quatre ou cinq
milles de circuit. Un peu plus petite et tout-à-fait iso-
lée gît une autre île , située à onze milles à l'E. S. E.
du cap de la Barrière 4. L Astrolabe n'observa aucun
indice de population sur l'île Otea ; néanmoins , sui-
vant M. Nicholas, en 1814, elle était encore la rési-
dence d'un chef puissant nommé Koreo 5.
A cinq ou six milles au S. S. E. du cap Moe-Hao,
l'on voit sur la côte un enfoncement désigné dans la
carte de Cook sous le nom de Port-Charles ; à douze
milles au S. S. E. du Port-Charles, la carte de Cook
• Cruise, p. 222. — a Cook, prem. Voy., III, p. i4r. D'Urville, II,
p. 182. — 3 n'Civille, II, p. 184. — 4 D'1'ivil/e, II, p. 142 et suiv. —
5 \lcholas , I, p. 390.
DE L'ASTROLABE. 371
indique un autre enfoncement plus considérable qui
serait peut-être ce port-Trial où les navires Trial et
Brothers furent attaqués en 1816 par les naturels du
pays t.
Au sud de cette dernière anse règne une pointe
très-saillante, accompagnée de plusieurs îlots rappro-
chés de terre , que Cook nomma îles Mercure. Un
groupe d'îles plus considérable, situé au nord et plus
au large , mérite d'être exploré de nouveau 2.
Immédiatement au sud de la pointe Mercure se
trouve Tentrée de la baie Witi-Anga qui offrit un bon
mouillage à Cook par cinq et six brasses d'eau. Ce
navigateur trouva le pays habité , mais inculte et sté-
rile. 11 n'y observa qu'un demi-acre de terrain planté
en citrouilles et patates douces. Un petit courant
d eau, qu'il nomma rivière des Huîtres , coule près de
l'entrée du havre, sur la côte méridionale ; le fond de
la baie se prolonge lui-même en un chenal qui pénètre
fort avant dans les terres , et dans lequel se déchar-
gent plusieurs torrens qui descendent des monta-
gnes 5. Au commencement de l'année 1 820, les habi-
tans de cette contrée furent en grande partie extermi-
nés par Temarangai et ses compagnons 4.
La côte qui vient à la suite de la baie Mercure est
très-imparfaitement connue; on sait seulement, par le
récit de Cook , qu'elle est peuplée et bordée d'îlots peu
considérables. Par 36° 59'lat.S., et à cinq milles de la
1 D'Uiville, m, p. 236, 240. — ' D'Unnlle, II, p. 142. — 3 Cook,
prem. Voy. , III, p. n3, 129. — 4 Marsden, d'Urv. , III, p. 425 et suiv.
26'
372 VOYAGE
terre, gît un groupe de rochers nus, déchirés et poin-
tus , que ce navigateur nomma les Aldermans * .
Au S. S. E. de ces îlots , et à quinze milles de la
côte, par 36° 17' lat. S., est située l'île Touhoua, qui a
cinq ou six milles de circonférence 2. A cinq milles
au sud de la partie orientale de Touhoua s'étend la
chaîne des brisans sur lesquels V Astrolabe faillit périr
le 16 février 1827, à la suite d'un ouragan furieux 3.
Au S. S. E. et à dix-sept milles environ de Touhoua,
vient l'île Haute de Cook , devant laquelle se trouve ,
sur la grande terre , un cap rond et élevé. Suivant les
missionnaires, précisément au sud de l'île Touhoua ,
existerait une baie Tauranga , dont l'entrée est fort
étroite; mais en s'élargissant considérablement à l'in-
térieur, elle offre un très-bon mouillage pour les pe-
tits bâtimens , et ses rives sont couvertes de peuples 4.
A vingt-cinq milles environ et au S. E. */4 E. de l'île
Haute , doit se trouver l'île Basse de Cook , qu'il ne
disait éloignée que de quatre milles de la côte. La plus
grande incertitude règne sur la géographie de cette
partie de la Nouvelle-Zélande ; les indications de Cook
sont fort vagues 5, et V Astrolabe , tourmentée par
des temps affreux qui la mirent à deux doigts de sa
perte , ne put éclaircir les doutes qu'il avait laissés 6.
A vingt milles à l'O. N. O. du mont Edgecumbe,
nous rentrons dans l'exploration de V Astrolabe. De-
i Cook, prem. Voy., III, p. lo5. D'Urville, II, p. 140. — 2 D'Utville,
II, p. i3g. — 3 D'Urville, II, p. i32. — 4 Revue Britannique , d'Urv. ,
III, p. 7i3. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. io3. — 6 D'Uiville, 11,41. 129
et stiiv.
DE L'ASTROLABE. 373
puis cet endroit, la côte offre , dans l'étendue de neuf
milles, une falaise escarpée, sauvage et inhabitée;
puis tout-à-coup elle fait place à un terrain bas , très-
uniforme , et bordé par une belle grève de sable. Cook
observa dans cet endroit de nombreux villages , bien
fortifiés et entourés de palissades l. U Astrolabe , qui
prolongea cette plage à moins de deux milles de dis-
tance , ne put rien distinguer à cause de la pluie et de
la brume 2.
Le mont Edgecumbe est un sommet conique , situé
à trois milles du rivage , et d'une élévation médiocre.
Biais son isolement au milieu d'une plaine immense le
rend fort remarquable. Au N. IN. E. de ce mont, et à
dix milles de distance, se trouve l'île Motou-Hora ,
qui n'a pas plus de trois milles de circuit , bien qu'elle
soit dominée par un piton d'une grande hauteur ; à
cinq milles à l'O. V* N. O. de cette île, gît un groupe
de rochers h fleur d'eau, fort dangereux ; mais entre
ces rochers et Motou-Hora d'une part, et la côte de
l'autre, le passage est sur par dix et quinze brasses
d'eau , et il a cinq milles de largeur 5.
Au N. '/4 N. E. et à dix-huit milles de Motou-Hora,
s'élève l'île Pouhia-I-Wakadi , couverte de fumées
épaisses, et de quatre ou cinq milles de tour. C'est un
volcan en activité, qui a été visité par les missionnai-
res de Pahia 4.
Ni Cook ni V Astrolabe n'ont donné de détails
i Coofi, prem. Voy., III, p. 104. — 2 D'If /ville, II, p. 128 ei 12g. —
3 D'Uivillc, II, p. 127 et 128. — 4 D'Uniltc, il, p. 126, 232.
374 VOYAGE
sur l'étendue de cote qui règne depuis Motou-Hora
jusqu'au cap Runaway , seulement l'Astrolabe re-
marqua que , dans l'espace de vingt milles environ ,
cette côte est fort basse près de la mer, avec trois ou
quatre plans de montagnes qui s'élèvent l'un au-
dessus de l'autre dans l'intérieur '. Puis, quand la
terre commence à courir au N. N. E., elle devient plus
raide. Ces régions doivent être fort peuplées , puis-
que Cook vit un jour jusqu'à quarante-cinq pirogues
pleines de monde qui s'avançaient à la fois sur son
navire.
Le vaste enfoncement terminé à l'ouest par le cap
Moe-Hao et à l'est par le cap Runaway, reçut de Cook
le nom de Plenty-Bay ou baie d'Abondance. Ce na-
vigateur trouva, en mars 1770, ses côtes bien peu-
plées , et il crut comprendre qu'elles reconnaissaient
les lois d'un chef puissant nommé Teratou, dont l'au-
torité s'étendait depuis Witi-Anga jusqu'au cap Mata-
Mawi, dans une étendue de plus de quatre-vingts
lieues 2. Depuis dix ou douze ans, ces peuplades ont
beaucoup souffert des incursions de Shongui , Koro-
Koro et Pomare, et plusieurs villages naguère flo-
rissans ont complètement disparu.
Le cap Runaway, situé par 37° 33' lat. S. et 1 75° 48'
long. E., est formé par une presqu'île élevée, presque
entièrement détachée de la terre, et terminée au nord
par une pointe fort déliée. A l'est, la côte est haute,
escarpée, et à sept milles de distance elle offre une
« D'Urville, II, p. 127. — * Cook, prem. Voy. , III, p. 293.
DE L'ASTROLABE. 375
anse assez creuse. Sept milles encore plus loin à l'est,
se dessine le cap Wanga-Parawa en pointe fortement
prononcée et dirigée vers Test. Immédiatement après,
la côte fuit au sud l'espace de six milles et forme une
baie assez profonde, qui porte le nom de Waï-Tepori
et aux environs de laquelle Cook observa une grande
population I. Les babitans de celte contrée passent
pour être industrieux , adonnés à l'agriculture et
moins guerriers que ceux du nord.
Le cap Est de Cook n'est éloigné que de huit milles
de cette baie, et son véritable nom est Waï-Apou. La
petite île Houana-Hokeno qui se trouve tout auprès
n'est qu'un morne arrondi , stérile et inaccessible, lié
au cap par une chaîne de brisans2. Le cap Waï-Apou
gît par 176° 19' long. E. , et par 37° 42' lat. S.
A la suite du cap Waï-Apou, la cote court au S. S.
O., en formant des anses et des plages de sables par
intervalles. Les terres voisines de la côte sont médio-
crement élevées 5, niais elles sont dominées à l'inté-
rieur par de hautes montagnes , parmi lesquelles on
distingue la cime élancée du mont Ikau-Rangui; c'est
bien certainement l'un des points culminans de Ika-
Na-Mawi , et nous l'avons vu de la mer à plus de
soixante-dix milles de distance 4.
La baie Toko-Malou , où mouilla Cook , située par
38° 9' lat. S. , n'est qu'une anse assez prononcée dans
i Cook, pieni. Voy., III, p. 98. D'il/ville, II, p. 125. — 2 Cook, prem.
Voy. , III, p. 97. IflnilL-, II, p. ï 1 7. — 3 D'Urviile, 11, p. 114. —
4 D'Unille, II, p. 1 ifi.
376 VOYAGE
la cote, mais fort peu abritée contre les vents et la
houle du large J. Oroua était chef de ce pays en 1827.
La pointe du sud de Toko-Malou se termine en une
presqu'île assez saillante 2.
A douze milles au sud se trouve la petite baie de
Houa-Houa, qui présente un meilleur abri contre tous
les vents, ceux du N. E. exceptés. Le pays environ-
nant est pittoresque et bien peuplé. Les cochons
étaient si abondans sur cette partie de la côte , qu'en
1827 on pouvait s'en procurer à discrétion pour des
couteaux ou un peu de poudre. Près de la pointe sud
sont deux rochers percés en arcades par les flots de
la mer 3.
A huit milles de cette baie, le cap Gable, vu du
large , présente l'aspect du pignon d'une maison ; à
vingt milles au S. O. de ce cap vient l'entrée de la
baie Taone-Roa, qui n'a pas été revue depuis Cook.
Ce capitaine ne fait pas l'éloge de ce mouillage, mais
il dit que le pays lui parut fort peuplé, et que le ter-
rain s'élevait en amphithéâtre jusqu'à des montagnes
fort hautes situées dans l'intérieur 4.
La côte, dans l'étendue de dix-huit milles au S. S.O.
de la baie Taone-Roa , est escarpée et boisée. Puis on
arrive à la presqu'île Tera-Kako , longue de quinze
milles du nord au sud , avec une largeur moyenne de
cinq milles de l'est à l'ouest. Son élévation est médiocre
et son sommet se termine en un plateau très-uni, qui fit
i Cook, prem. Voy., III, p. 88. — 2 D'Uiville, II, p. ni. — 3 D'Ur-
ville, II, p. 96 et suiv. — 4 Cook, prem. Voy. , III, p. 61. D'UrviUe, II,
p. 93.
DE L'ASTROLABE. 377
donner à sa pointe orientale le nom de cap Table par
Cook . A bord de V Astrolabe , on fut disposé à penser
que Tera-Kako pouvait être séparé de la grande terre
par un canal resserré ; c'est un fait à constater, tou-
jours est-il sûr qu'elle ne peut s'y réunir que par un
isthme bas et étroit l .
La petite île Tea-Houra , située au sud de Tera-
Kako, n'en est séparée que par un canal d'une demi-
lieue de large , presque entièrement barré par des
brisans 2.
Tea-Houra forme la pointe N. E. de la vaste baie
d'Hawke , qui n'a pas moins de quarante milles d'ou-
verture. Les détails en sont encore inconnus , le vent
n'ayant point permis à V Astrolabe de suivre le rivage
d'aussi près qu'on l'eût désiré, et Cook , qui parait
l'avoir prolongée de plus près , n'en a laissé qu'une
description très-vague 5. On peut présumer cepen-
dant que l'anse formée entre la presqu'île Tera-Kako
et la terre offrirait quelques mouillages. Dans la
partie N. E. de la baie d'Hawke la terre est médio-
crement élevée; elle parait s'abaisser à l'O. et au
S. O. où elle offre des sites agréablement acci-
dentés et d'un aspect fertile. Quelque rivière con-
sidérable doit se décharger dans cette baie, et V As-
trolabe, par 39° 33' lat. S., crut voir une île où
Cook n'indiqua qu'une presqu'île. Du reste, il est
certain que la baie d'Hawke tout entière exige une
i D'Ùrville, II, p. 92. — 2 D'Urville, II, p. 92. — i Cook, prem.
Voy. , III, p. 70 et suiv.
378 VOYAGE
nouvelle exploration pour être bien connue *,
Le cap Mata-Mawi, situé par 39° 41' lat. S. , et
174° 48' long. E., termine au S. O. la baie d'Hawke ;
c'est une pointe élevée , dépouillée et taillée à pic , en
forme de coin posé sur le côté ; deux rochers aigus
et pareillement nus en sont tout voisins ; des brisans
se prolongent au large de sa partie septentrionale,
jusqu'à près d'un mille de distance 2.
Dans une étendue de onze milles, au S. S. O. de ce
cap, la côte, en partie formée de grèves sablonneuses,
offre un aspect assez agréable. Par 39° 51' lat. S., gît
l'îlot Motou-Okoura , couronné par un pâ dont les
cases sont échelonnées sur la pente du monticule ;
derrière cet îlot, la côte forme une crique où l'on
pourrait probablement mouiller, car une pointe assez
avancée la défend des vents du S. O. et du S. 3.
A partir de ce point, la terre continue de courir
assez uniformément au S. S. O., sans offrir aucun ac-
cident remarquable ; seulement, de 40° 10' à 40° 20'
lat. S. , elle forme une saillie peu sensible et fort
émoussée , qui parait répondre au Black-Head de
Gook. Ce capitaine vit des villages tout le long de la
côte 4.
Par 40° 32' lat. S. gît lecapTopolo-Polo, formé par
une pointe peu élevée que couronne un piton conique
et d'origine évidemment volcanique. Une petite anse
i D'Urville, II, p. 89 et suiv. — 2 Cook, prem. Voy. , III, p. 7 5-
D'Urville, U, p. 89. — 3 D'Uiville, II, p. 87 et 88. — 4 Cook, prem.
Voy., III, p. 77. D'Urville, II, p. 86.
DE L'ASTBOEABE. 37?»
lout-à-fait ouverte aux vents du S.E. l'accompagne
dans le S. r.
Depuis le cap Topolo-Polo, la direction de la côte
devient S.O. ^S.j pendant près de quarante-cinq mil-
les; toujours médiocrement élevée, elle est d'ailleurs
dominée par de hautes montagnes à l'intérieur. Quel-
quefois le rivage s'abaisse et présente des sites plus
agréables 2.
Castle-Point de Cook, situé par 40° 57' lat. S., est
un rocher saillant en mer, presque détaché de la côte,
et qui offre quelque ressemblance de loin avec un
château-fort. Un îlot noir, plat et alongé, se trouve
sous la côte, à un mille au nord de Castle-Point 3.
Treize milles plus loin, et par 4 1 ° 9' lat. S., se trouve
la pointe Tehouka-Rore, formée par un terrain bas,
boisé et habité. Sur la carte de Cook, cet endroit
porte le nom de Pointe Plate 4.
De ce point jusqu'au cap Kawa-Kawa, dans une
étendue de plus de cinquante milles , la côte court au
S. O., et à l'O. S. O., sans rien offrir de particulier au
navigateur. Les montagnes s'élèvent à mesure qu'on
se rapproche du cap Kawa-Kawa, et le rivage n'est
qu'une lisière étroite d'un terrain bas, où se distin-
guent çà et là quelques fumées 5. Partout la mer brise
avec force sur cette plage uniforme 6.
Après avoir parcouru toutes les côtes de la Nou-
i D'Untl/e, II, p. 85. — 2 D'Unùlle, II, p. 84. — 3 D'Un Me, II,
p. 8'». — 4 D'Unillc, II, p. 83. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. ?.i5. —
fi D'Urville, II, p. 81.
380 VOYAGE
velle-Zélande , nous allons maintenant exposer le peu
que l'on connaît de la topographie intérieure de Ika-
Na-Mawi , car tout est encore inconnu dans Tavaï-
Pounamou. Il faut même convenir que les données
que nous possédons sur la première de ces deux îles
sont encore bien vagues et bien incomplètes ; cepen-
dant nous nous empressons de les consigner : notre
travail aura du moins le mérite d'être le premier, et
peut-être déterminera-t-il d'autres voyageurs à le per-
fectionner en fixant leur attention sur une matière
qu'ils auraient pu négliger sans ce précédent.
En partant du nord , on voit que les environs de
Moudi-Wenoua sont habités et contiennent plusieurs
villages -, mais Pakohou , près du cap Otou , est le seul
dont le nom soit parvenu à notre connaissance. Les
sables stériles qui viennent au S. E., et qui bordent
Sandy-Bay, doivent être déserts. La tribu commandée
par le puissant Poro habite probablement les bords
de la baie Nanga-Ounou.
Les bords de la baie de Wangaroa étaient occupés
par deux peuplades peu importantes; les Nga-Te-Po
au N. O., et les Nga-Te-Oudou au S. E. La première
fut exterminée en 1827 par Shongui , qui prit posses-
sion de ce territoire , et à la même époque les Nga-
Te-Oudou quittèrent leur résidence pour chercher
un asile parmi leurs alliés de la rivière Shouki-
Anga.
Le Shouki-Anga , qui se jette sur la côte occiden-
tale, est une rivière considérable, dont le cours se di-
rige du N . E. au S . O . , et dont les rives sont occupées
DE L'ASTROLABE. 381
par diverses tribus : ces tribus sont cantonnées dans
plusieurs villages dont je vais donner les noms d'a-
près M. Marsden.
A trois ou quatre milles de l'embouchure , et sur
la rive gauche du fleuve, est le village de Widia, si-
lué dans une riche et fertile vallée. Mou-Ina le gou-
vernait en 1 8 1 9, et Temanguina, prêtre des pointes du
Shouki-Anga , y résidait ».
A huit ou neuf milles plus loin , on rencontre le
village de Widi-Nake, situé au fond d'une crique d'eau
salée qui se jette dans la rivière ; derrière sont de
hautes moutagnes. Aux environs l'on voyait encore
un autre beau village , au milieu d'une riche et grande
vallée , et près d'une chute d'eau de vingt pieds de
hauteur. Là demeurait, en 1819, le chef de la tribu ,
et M. Marsden compta dans cet endroit une centaine
d'enfans en âge de recevoir l'instruction 2.
Le village de Witi-Waï-Iti gît à dix milles environ
plus loin sur les bords de la rivière. Le chef de cet en-
droit était Tara-Heka, et son pâ était situé sur un pi-
ton d'où l'on avait une vue. magnifique du Shouki-
Anga et des alentours 5.
Près de Witi-Waï-Iti , une rivière venant du sud,
et qui se nomme Pounake-Tere, se jette dans le Shouki-
Anga. Plusieurs villages sont situés sur les bords du
Pounake-Tere, entre autres ceux d'Otaïti et de Ran-
gui-Waka-Taka. La rivière est belle, et serait naviga-
i Marsden, d'Urv. , III, p. 33g. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. 343 et
-uiv. — 3 Marsden , dliv. , III, p. 3/jQ.
382 VOYAGE
ble pour de petits navires. M. Marsden y observa de
nombreux champs de patates *.
A quelque distance au-dessus de Witi-Waï-Iti , il
parait que le Shouki-Anga se divise en deux branches,
dont l'une se dirige au nord , et conduirait au village
de Tepapa que commandait Patou-One. Ce chef
s'occupait avec zèle de la culture du blé 2.
Au confluent des deux rivières est une petite île ,
dont la surface n'est que d'une acre, et qui contient ce-
pendant un petit village rempli d'habitans.
L'autre branche, qui court au N.E. , mène aux
villages de Karaka et de Houta-Koura, commandés en
1819, le premier par Ware-Madou, et le second par
Moudi-Waï. Karaka est situé au pied de hautes mon-
tagnes couvertes de bois , qui séparent le district du
Shouki-Anga de celui du Waï-Mate. Houta-Koura est
un endroit populeux situé dans une fertile vallée 3.
A l'est du Shouki-Anga, et dans l'intérieur des
terres , vient le territoire de Waï-Mate , naguère sou-
mis à Shongui, et défendu par un pà très-fortifié. A
deux ou trois milles de Waï-Mate, le fameux lac
Maupere déploie ses eaux tranquilles dans une éten-
due de huit à dix milles de circuit; il est très-poisson-
neux et nourrit beaucoup de canards sauvages. Le
Kidi-Kidi n'en passe qu'à deux ou trois milles et en
découle peut-être 4. A mi-chemin du lac , à Waï-Mate,
i Marsden, d'TJrv. , TII , p. 35i. — 2 Marsden, d'Urv. , III, p. 355.
— 3 Marsden, d'Urv., III, p. 336 et suiv. — 4 Nicholas , I, p. 346.
Marsden, d'Urv., III, p. 166. Butler, d'Urv. , III, p. 39g.
DE L'ASTROLABE. 383
est un hameau qui appartenait aussi à Shongui , et qui
était entouré de cultures.
Sur la route de Waï-Mate à Kidi-Kidi , et à deux ou
trois milles du premier pâ , se trouvait le village de
Tareha , situé sur les bords d'un cours d'eau douce ,
et environné de plantations >.
Enfin Kidi-Kidi, établi près d'une belle cascade
d'eau douce 2, est situé sur la côte orientale, au fond
d'une crique d'eau salée. Sur les bords du canal est le
village de Motou-Iti, que commandait le chef Shou-
raki.
La reconnaissance de Cook , qu'il nous a fallu
adopter pour esquisser sur notre carte la côte occi-
dentale de Ika-Na-Mawi , ne donne que trente-un
milles de largeur à cette île , devant Kidi-Kidi. Cepen-
dant les distances données par M. Marsden assigne-
raient une bien plus grande étendue à ces contrées.
Sans doute la fatigue, les privations et les mauvais
chemins que cet ecclésiastique eut à parcourir , lui
firent trouver la route deux ou trois fois plus longue
qu'elle ne l'était réellement. En général, pour placer
les lieux qu'il indique, j'ai été obligé de réduire les
évaluations itinéraires de M. Marsden dans le rapport
de cinq a deux.
Dans le S. O. de Kidi-Kidi, et à une vingtaine de
milles , commence le territoire de Tae-Ame , qui con-
tient plusieurs villages. L'un d'eux est situé près d'une
très-haute montagne nommée Pouke-Nouï, et Tou-
l Marsden , d'Urv. , III, p. 164. — a Marsden , d'Urv., III, p. 162.
384 VOYAGE
hou en était le chef. Temarangai commandait dans un
autre endroit ' . Le territoire de Tae-Ame , qui parait
s'étendre jusqu'aux environs de Wangari, est en
général fertile, boisé et bien arrosé. On y rencontre
un espace couvert de traces volcaniques toutes récen-
tes, et l'on y voit une source d'eau chaude d'une teinte
rougeâtre , et d'où s'exhalent des vapeurs qui répan-
dent une odeur sulfureuse. A trois ou quatre milles
de cette source est un lac , dont les eaux de couleur
blanchâtre sont chargées de matières bitumineuses.
Tout à lentour le sol offre un aspect stérile et tour-
menté , comme on le remarque communément dans
le voisinage des volcans en activité. Grand nombre de
pierres semblent avoir subi une sorte de vitrifica-
tion 2.
Près de Kidi-Kidi est le village d'Okoura, com-
mandé par Waï-Tarou 3. A deux ou trois milles de
Pahia est celui de Waï-Tangui , situé sur la rivière de
ce nom, et dont Waraki était le chef en 1815 4.
J'ai déjà parlé des villages situés sur les bords du
Kaï-Para et du Shouraki ; il ne me reste plus à men-
tionner que le village de Te-Poua-Rahi situé, suivant
M. Marsden, à quelques milles dans l'intérieur, sur la
cote Shouraki, et qui domine par sa position le beau
bassin de ce nom.
C'est d'après M. de Blosseville que j'ai indiqué le
lac Roto-Doua , n'ayant point d'autorité suffisante
i Nicholas , II, p. 80. — 2 Marsden, d'Urv. , III, p. 5^5 et suiv. —
3 Marsden, d'Urv., III, p. 365. — 1 Kendall, d'Urv., III, p. a3i.
DE L'ASTROLABE. 385
pour le placer ailleurs. Cependant je crois fort qu'il
doit être plus voisin de la côte , autrement les guer-
riers de la haie des Iles n'auraient guère pu s'enfoncer
aussi avant dans les terres pour aller massacrer ses
habitans. Ce lac avait, dit M. Blosseville, de soixante
à soixante-dix milles de circonférence , ce qui est pro-
bablement exagéré ; sa profondeur est de vingt à vingt-
six brasses, ses eaux sont douces, alimentées par
une dizaine de rivières et par une source d'eau chaude
placée au N. E. La petite île Mokoïa, située au milieu
de ce bassin , a trois milles dans sa plus grande éten-
due. Enfin , au sud du lac , s'élèvent plusieurs collines
volcanisées, au pied desquelles l'eau bouillonne sou-
vent '. Ces faits , joints aux diverses observations que
nous avons déjà citées touchant la baie Inutile, l'île
Pouhia-I-Wakadi , et le canton de Tae-Ame , annon-
cent que Ika-Na-Mawi a fréquemment éprouvé l'ac-
tion des volcans.
Tout îe reste d'Ika-Na-Mawi est encore inconnu ,
et du premier coup-d'œil on voit que c'est la partie la
plus considérable ; c'est une belle carrière à explorer,
et il y a de quoi tenter des voyageurs curieux et déter-
minés. Le plus difficile est de se faire transporter sur
les lieux ; une fois qu'on s'y trouvera , il restera peu
d'obstacles à surmonter. Les Zélandais sont naturel-
lement hospitaliers , et l'expérience de MM. Marsden,
Nicholas, Cruise, Cunningham , et des divers mis-
sionnaires qui ont visité ce pays, démontrent qu'on
• Bbtset'iiU , p. 1 .
TOME II. 27
386 VOYAGE
peut voyager au milieu des anthropophages de la
Nouvelle-Zélande avec autant et plus de sécurité
qu'on ne le ferait aujourd'hui en certaines contrées de
l'Europe.
DE L'ASTROLABE. 38:
CHAPITRE XIX.
DES HABITANS I>E T.A NOUVELLE-ZELANDE.
I.
RAPPORT PHYSIQUE.
Les voyageurs qui visitèrent ces grandes îles aus- Deux races
traies remarquèrent sans peine dans leur population
deux variétés assez distinctes. Les individus qui appar-
tiennent à Tune de ces variétés sont des hommes bien
faits, d'une taille élevée, qui dépasse souvent cinq
pieds quatre pouces. Leur teint n'est guère plus foncé
en couleur que celui d'un Sicilien ou d'un Espagnol
très-brun; leurs cheveux sont longs, plats, lisses et
quelquefois châtains , leurs yeux sont grands et bien
fendus ; enfin ils ont peu de poil sur le corps.
Les hommes de l'autre variété sont plus petits , plus
trapus, et généralement plus larges de carrure; leur
couleur est aussi foncée que celle des mulâtres , et
souvent bien davantage; ils ont des cheveux crépus,
une barbe frisée ; enfin leurs yeux sont plus petits ,
388 VOYAGE
plus perçans , et toutes les parties de leur corps sont
beaucoup plus velues ».
Les assertions de Touai et de quelques autres na-
turels m'avaient porté à croire, en 1824, que la variété
de couleur foncée était plus répandue dans les con-
trées méridionales, tandis que les individus d'un teint
plus clair étaient plutôt affectés à la partie nord d'Ika-
Na-Mawi. Le voyage de l'Astrolabe m'a prouvé que
j'étais dans l'erreur ; nous avons trouvé sur les bords
de la baie Tasman , par 41° lait. S., des naturels tout
aussi blancs, tout aussi bien faits qu'à la baie des Iles.
Les habitans de Houa-Houa ne le cédaient non plus
en aucune manière , sous les rapports pliysiques , à
ceux des contrées plus septentrionales.
Loin de partager l'opinion de Crozet 2 touchant l'o-
rigine de ces deux races , je crois au contraire que la
race des individus plus foncés en couleur est celle
des véritables aborigènes ( Aùro^Qoveç ) du pays , de
ceux au moins qui y ont paru les premiers. Les blancs
sont de la race des conquérans , et sont arrivés beau-
coup plus tard dans ces contrées. Cette opinion , du
reste, se rattache à un système particulier sur la po-
pulation des îles de l'Océanie, que je compte dévelop-
per plus amplement lorsque je m'occuperai de ce sujet
à la suite du voyage proprement dit 3.
Du mélange continuel de ces deux races, on sent
bien qu'il a dû résulter une foule de nuances diverses
i D'Unnlle, II, p. 25, 26. Sainson , d'Urv., II, p. 25o. Revue Britan-
nique, d'Urv. , III, p. 722. — 2 Crozet, d'Urv. , III, p. fo. — 3 Voyez la
note à la fin du volume.
DE L'ASTROLABE. 380
dans la constitution , le teint et les caractères physi-
ques des habitans de la Nouvelle-Zélande. Ce sera
une de ces nuances , sans doute celle qui participait
h peu près également des deux races primitives, que
Crozet crut devoir signaler comme une troisième es-
pèce d'hommes vraiment distincte , d'autant plus qu'il
nous a semblé exagérer les caractères des races blan-
che et noire.
Du reste, nous convenons avec ce navigateur que Conformation
tous ces insulaires sont généralement beaux, bien pris s,,HlalL-
dans leur taille, doués par la nature de membres
vigoureux et bien proportionnés. Tous ont les dents
superbes, les mains fortes, la voix haute, et le ventre
peu proéminent l.
Le caractère de leur figure est presque aussi varié
que celui des Européens, et comme l'observe M. Quoy,
nous nous plaisions , a bord de l'Astrolabe , à leur
trouver des ressemblances avec les grands hommes de
l'antiquité. Plusieurs, comme le dit M. Sainson, pré-
sentent ce type de figure qu'on remarque si communé-
ment dans la race juive 2 ; peut-être aussi leur manière
de disposer la barbe contribue-t-elle à leur donner
celte ressemblance.
Il n'est pas douteux que la coutume qu'ont prise
• Crozet, d'Urv. , III, p. Si. Cook, prem. Voy. , III, p. 261. Deux.
Voy. , III, p. 365. Trois. Voy., I,,p. 196, 197. D'il ville, III, p. 18.
Savage, p. 16. Nicholas, d'Urv., III, p. 585, 595, 6i3. Cruise, p. 7.
tyUrviOe, III, p. 657. Gaimard, d'Urv., II, p. 275. Quoy, d'Urv., II,
p. 283. Revue Britannique, d'Urv., III, p. 722. — a Sainson, d'Urv., II,
p. 2 5o.
390 VOYAGE
ces insulaires de s'enduire le corps et le visage d'huile
de poisson et d'ocre, jointe à leur exposition habi-
tuelle aux intempéries de l'air, ne fasse, à la longue,
contracter à leur peau une couleur plus foncée qu'elle
ne le serait s'ils suivaient les mœurs européennes. Cro-
zet avait déjà observé, en 1773, un jeune homme
d'un teint très-clair, et une jeune fille aussi blanche
qu'une Française. Moi-même , en 1824 , je remarquai
une jeune fille de chef qui eût fort bien pu passer pour
une Espagnole médiocrement brune. M. Cruise a vu
des hommes avec les cheveux rouges 1 .
Femmes. Les femmes sont loin d'être aussi bien que les
hommes ; elles sont , en général , proportionnellement
courtes et ramassées dans leur taille; elles ont les
cuisses et lesjambes fort grosses , les seins très-forts ,
et les traits du visage sans expression 2. En outre , les
privations qu'elles ont à subir à la fin de leur gros-
sesse, et les épreuves cruelles auxquelles elles sont
exposées au moment de leurs couches 5, font dispa-
raître , dès leur premier enfant , le peu de fraîcheur
et d'attraits qu'elles pouvaient avoir étant filles. Sous
ce rapport, les jeunes esclaves sont en général plus
favorisées que les femmes des chefs , et cela tient
probablement à ce qu'elles sont beaucoup moins su-
jettes à avoir des enfans. Quelques-unes parmi elles,
par leurs traits réguliers et gracieux , leurs longs che-
veux noirs , leurs yeux vifs et pleins d'expression ,
i Cruise, p. 3o8. — 2 Cook, deux. Voy., I, p. 25o. Forsier , d'Urv. ,
ifl, p. 22. — 3 Marsdcn , d'Urv., III, p. 196.
DE L'ASTROLABE. 301
leur pétulance el leur enjouement , pourraient passer
pour fort agréables, en dépit de leur teint foncé et de
leur tatouage '. M. Nicholas a fait un grand éloge
des grâces et des attraits des deux belles-sœurs de
Doua-Tara 2.
Bien que ces insulaires soient exposés aux plus Maladie*.
étranges vicissitudes de température , proportion gar-
dée, ils n'éprouvent pas plus de maladies, peut-être
même ils en éprouvent moins que les Européens 3.
Celles auxquelles ils sont le plus sujets, sont les dou-
leurs d'entrailles, les maux de tète et les maux d'yeux 4,
les catarrhes, les marasmes5, les pustules suppuran-
tes 6, les phthisies et diverses espèces de fièvres 7. Les
Européens leur ont apporté la maladie vénérienne,
qui cause souvent de grands ravages chez eux 8.
Crozet convient qu'il n'avait observé à son arrivée
à la Nouvelle-Zélande aucune trace de ce mal funeste,
et que les matelots français durent le communiquer
aux naturels 9 ; mais il est indubitable que les habi-
tans du détroit de Cook furent redevables de ce fléau
aux marins anglais. Ainsi les deux nations n'ont rien
à se reprocher à ce sujet ro.
1 Crozet, d'Urv. , III, p. 53. Savage, p. 18. Cruisc, d'Urv. , III, p. 65g.
Gaimard , d'Urv., II, p. 275. Revue Britannique , d'Urv., III, p. 723. —
a Xicholas , d'Urv., III, p. 592. — 3 Cook, prem. Voy. ,111, p. 280.
Deux Voy., III, p. 372. — 4 Kendall , d'Urv. , III, p. 229. Nicholas,
d'Urv., III, p. 620. Cruise , d'Urv., III, p. 658. — 5 Blossevillc, d'Urv.,
III, p. 697. — G Lesson, Voyage médical, p. 118. — 7 Cruise, d'Urv.,
III, p. 66g. — s Cook, deux. Voy., I, p. 276 et suiv. Trois. Voy., I,
p. 17g. Savage, p. 90. Cruisc, d'Urv. , III, p. 663. — <j Crozet, d'Urv.,
III, p. 54. — 10 Forster , Cook, deux. Voy., I, p. 276 et suiv.
392 VOYAGE
Les superstitions des naturels louchant la cause des
maladies , et le traitement qu'ils font subir aux mala-
des, quand le mal est arrivé à un certain degré d'in-
tensité , ne leur permettent presque jamais d'en ré-
chapper.
Longévité. Ces hommes sont sujets à une foule de privations ;
cependant, contre l'ordinaire de ce qu'on observe
parmi les nations sauvages , ils parviennent souvent à
une grande vieillesse '. Dans ce cas, leurs facultés se
conservent d'une manière étonnante ; leurs cheveux
ne tombent point et blanchissent très-peu 2 ; leurs
dents s'usent plus qu'elles ne se gâtent , et les rides
de l'âge se cachent sous les dessins du tatouage. Plu-
sieurs de ces avantages paraissent tenir à la salubrité
du climat , qui a été souvent remarquée 3.
IT.
CARACTERE.
Préventions Les premiers voyageurs nous ont représenté les
des Européens. Nouveaux-Zélandais sous des couleurs peu flatteuses,
et l'on doit convenir que ceux-ci y ont donné souvent
lieu ; mais cela a tenu principalement à la conduite des
Européens eux-mêmes envers ces enfans de la na-
ture 4; à leurs mauvais procédés, surtout à leur igno-
i Crozel, d'Urv., III, p. 53. Cook , prem. Voy. , III, p. 281. Savage,
p. 17. Nicholas, II, p. 38. Blosseville , d'Urv., III, p. 696. — = Cruise ,
d'Urv., III, p. 658. — 3 Savage, p. 88. — 4 Cook, deux. Voy., I,
p. 252. III, p. 36o. Surville , d'Urv., III, p. 28 et suiv. Savage , p. 89.
Nicholas, II, p. 162. D'Ui-ville, III, p. 577. Kendall , d'Urv., III, p. Î22.
Marsden, d'Urv., III, p. 109 et suiv. — p. 2i3. — p. 369. Cruise , d'Urv.,
m, p. 671. mirville, III, p. 673.
DE L'ASTROLABE. 303
rance complète des coutumes et des usages de leurs
hôtes. Ainsi, quand les Nouveaux-Zélandais reçoi-
vent la visite de personnes étrangères, ils ont cou-
tume de les accueillir par une sorte de parade mili-
taire , qui ressemble plutôt à un défi ou à une provo-
cation qu'à toute autre chose. Forster nous en cite
un exemple fort remarquable dans la visite que le
chef Teï-Ratou rendit à Cook à Ïotara-Nouï '. Alors
il est de rigueur que les étrangers rendent cette espèce
de salut avant que d'en venir, de chaque côté, à une
libre communication 2.
Loin de se conformer à cet usage , les Européens
ne répondaient souvent à cette cérémonie , qu'ils pre-
naient pour une insulte , que par des boulets , ou du
moins par des balles. Si quelque naturel succombait
dans la lutte , ses parens et ses amis étaient obligés ,
par les lois de l'honneur et de la religion , de sacrifier
à leur tour des Européens pour apaiser l'esprit du
mort 3.
Qu'on joigne à cela toutes les occasions où les Eu-
ropéens pouvaient, sans même s'en douter, offenser
ces insulaires dans leurs opinions religieuses , et l'on
se fera une idée des suites funestes qui pouvaient en ré-
sulter 4. De là, sans doute, les catastrophes san-
glantes qui signalèrent souvent l'apparition des blancs
dans ces climats; de là l'opinion de barbarie , de féro-
i Cook, deux. Voy. , I, p. 26 t. — = Cook, prem. Voy., III, p. 182,
2R9. Deux. Voy., I, p. 260. Cruisc , p. 114. — 3 Savage , p. 89. —
4 D'Unille, II, p. 217.
391 VOYAGE
cité et de perfidie , qui resta si long-temps attachée au
caractère du Nouveau-Zélandais l .
Les quatre attentats les plus graves qu'on ait pu re-
procher à ces peuples peuvent se justifier, ou du moins
s'excuser jusqu'à un certain degré. L'attaque des natu-
rels contre les compagnons de Tasman , dans laquelle
périrent quatre Hollandais , eut certainement pour
motifs l'ignorance et la défiance où se trouvaient les
insulaires sur les intentions et même sur la nature de
leurs hôtes. Il est très-probable qu'ils les prirent pour
des esprits malfaisans et ennemis , surtout quand ils
virent que ces étrangers ne répondaient point à leurs
saluts et à leurs questions 2.
Le massacre des dix matelots de Furneaux , dans
le canal delà Reine-Charlotte, fut occasioné par un
malentendu , dans lequel les Anglais eurent peut-
être les premiers torts ; au moins montrèrent-ils beau-
coup d'imprudence dans cette circonstance 3.
Quant à la mort funeste de Marion et de ses com-
pagnons, il est indubitable que la conduite inique de
Surville envers Nagui-Nouï en fut la première cause 4,
surtout si, comme les habitans de la baie des Iles
s'accordent à le dire aujourd'hui, Tekouri , l'auteur
de ce massacre , était le compatriote et peut-être le
parent de Nagui-Nouï. N'est-il pas possible aussi que
quelque acte de violence inconnu commis par les Fran-
i Dillon, I, p. 22 3. — 2 Tasman, d'Urv., III, p. 8 et suiv. — 3 Cook,
deux. Voy. ,iV, p. 1 46. Trois. Voy.,I, p. 162 et suiv. — 4 Suiville , d'Urv.,
III, p. 28 et suiv. Crozet, d'Urv., III, p. 41 et suiv.
DE L'ASTROLABE. 395
çais ait en outre provoqué ces affreuses représailles
de la part des sauvages > ?
Il est bien avéré aujourd'hui que le désastre du
Boyd fut causé par la conduite imprudente du capi-
taine Thompson , et par ses violences envers Taara
ou Georges , fils du principal chef de Wangaroa. La
vengeance des naturels occasiona la mort de Thomp-
son et de tous ses compagnons 2.
Nous pourrions encore citer la conduite infâme des
capitaines du JeffersonzX, du King-George à l'égard
de l'ariki Tara et de sa femme 5, du capitaine du
Panamatta envers les habitans de la baie des Iles 4,
et des pirates qui enlevèrent le Venus envers diverses
tribus de la Nouvelle-Zélande 5.
Maigre les préventions fâcheuses qui régnaient dès- Moral.
lors contre les Nouveaux-Zélandais , on voit Banks ,
Forster et Anderson rendre successivement justice à
leurs bonnes qualités , tout en mentionant leurs dé-
fauts. Le premier dit que ces hommes lui ont paru
être d'un caractère doux et affable, et il vante leurs
bons procédés à l'égard les uns des autres , entre al-
liés et amis bien entendu G* Forster dit positivement
que cette nation est hospitalière et généreuse, qu'elle
• Cook, deux. Voy. , III, p. 35;. Marsden , d'Urv. , III, p. 372. D'L'r-
iilk, II, p. 237. Gaimard, d'Urv , II, p. 280. Quor , d'Urv., II, p. 286.
Dillon, d'Urv., III, p. 705. — a Marsden, d'Urv., III, p. m, 112, i5o.
Nicholas , d'Urv., III, p. 588 et suiv. Dillon, I, p. 214 et suiv. —
3 Sicholas, II , p. 164. — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 1 1 1 , 1 1 3 , 140 et
suiv. — 5 Marsden, d'Urv., III, p. i83. — 6 Cook, prem. Voy., III,
p. 162.
396 VOYAGE
connaît les senlimens de bienfaisance et d'humanité ,
que les guerriers y sont intrépides et hardis, et qu'en
général les individus ont un jugement sain, du goût
et de l'industrie *. Enfin , Anderson fait remarquer la
vive affection qu'ils portent à leurs parens et à leurs
amis , et les marques de sensibilité qu'ils donnent lors-
qu'ils viennent à les perdre 2.
Les communications fréquentes que les Européens
ont eues avec ces contrées depuis une quarantaine
d'années, surtout les voyages de M. Marsden et les
rapports des missionnaires ont fait connaître d'une
manière plus positive le caractère de ces insulaires 3.
Tous s'accordent à dire que si les Nouveaux-Zélandais
sont fiers , orgueilleux, jaloux les uns des autres, très-
irritables , terribles et implacables dans leurs ven-
geances 4; ils sont cependant sensibles5, généreux,
sincères , probes 6, hospitaliers 7, amis fidèles 8, dé-
voués et constans, et surtout parens tendres et affec-
tueux 9. M. Nicholas dit en propres termes que, dans
les relations privées, il n'est pas d'homme plus aimant
que le Nouveau-Zélandais IO, et il vante leur bonne foi
entre gens de la même tribu l ' .
• Cook, deux. Voy. , I, p. 279. II, p. ii5. — 2 anderson, d'Urv.,
III , p. 24. — 3 Savage , p. 3. — 4 Cook, deux. Voy. , III, p. 353. Trois.
Voy., I, p. 204. — 5 Savage, p. 37 , 38. — 6 Nicholas, I, p. 246. —
7 Cook, prem. Voy., III, p. 266. Cvozei, d'Urv., III, p. 36, 37. — 8 Col-
lins , d'Urv., III, p. 84. — 9 Savage, p. 43. Nicholas, I, p. 180.
D'Urv., III, p. 632. Marsden, d'Urv. , III, p. 21 3, 241. Davis , d'Urv ,
III, p. 486. IV. Yate, d'Urv., III, p. 542. Blosseville, d'Urv., III, p. 6y6.
New-Zealanders , d'Urv., III, p. 771. — 10 Nicholas, II, p. 3o6. —
> 1 Nicholas , II , p. 3g.
DE L'ASTROLABE. 397
Tout cela doit s'entendre particulièrement des hom-
mes de la classe des rangatiras : car ceux du peuple ,
par une suite naturelle de leur position dépendante ,
sont plus avides, plus dissimulés, et se portent plus
facilement à des actions criminelles pour satisfaire
leurs penchans.
Bien que ces hommes soient généralement doux , Colère,
honnêtes., obligeans et même complaisans dans leurs
relations habituelles, ils s'emportent facilement, et
dans ces momens on les voit passer tout-à-coup à des
transports de colère et de rage qui semblent leur ôter
entièrement l'usage de leur raison '. Cela arrive sur-
tout lorsque leur vanité est blessée ou qu'ils croient
leur dignité offensée. Cependant , quelque redouta-
bles qu'ils paraissent dans ces occasions , il est rare
qu'ils se portent à des voies de fait; surtout si l'on op-
pose à leur rage beaucoup de calme et de sang-froid2.
Alors ils s'apaisent rapidement et se montrent aussi
doux, aussi paisibles qu'ils étaient turbulens l'instant
d'auparavant 5. Ces transitions sont si subites, si éton-
nantes, que l'on serait tenté de croire que leur fureur
n'est souvent qu'artificielle4, et qu'ils n'en font la dé-
monstration que pour sonder le courage de leur enne-
mi, et voir quelle impression leurs menaces pourront
opérer sur son cœur. Eux-mêmes sont les premiers à
vous dire en riant que toutes leurs provocations et
• Cruise, p. 170. — 2 Cook , deux. Voy. , III, p. 565. Cruise, p. 517.
Madame Willlan s , d'Urv. , III , p. 492 et suiv. Xcw-Zealanders , d'Urv. ,
III, p. 7OS. — s Nicholas, I, p. i»5. — \ Mchoias , d'Urv., III,
p. S79.
398 VOYAGE
leurs insultes n étaient que angaraka , plaisanterie ,
et à vous assurer qu'ils n'avaient aucune intention
hostile.
Il est nécessaire que les Européens qui ont affaire à
ces naturels connaissent cette disposition de leur ca-
ractère , afin d'agir en conséquence. Les missionnaires
nous ont cité une foule d'exemples de ces fureurs sou-
daines et éphémères, et ils ont appris à ne pas y atta-
cher plus d'importance qu'elles n'en méritent. Je n'en
citerai qu'un seul cas dont j'ai été moi-même témoin.
En 1824, nous ramenions de Sydney dans sa patrie
Taï-Wanga, petit-neveu de Shongui. Ce jeune homme
était gai et facétieux ; ses plaisanteries et ses grimaces
amusaient beaucoup les gens de l'équipage, qui se plai-
saient quelquefois à lui faire des niches. Cela réussit
durant un temps , mais un matelot s'étant avisé de
saupoudrer de farine un vieil habit que ce naturel
rapportait de Port- Jackson, et qui lui servait à faire le
gentleman, cette espièglerie le mit dans une colère
épouvantable. Dans sa rage, il s'arrachait les cheveux,
trépignait, proférait mille menaces, et pleurait comme
un enfant; il finit par lancer son habit à la mer. J'eus
connaissance du désespoir de Taï-Wanga, je le fis ap-
peler, et le questionnai : il me répondit qu'il n'était pas
juste de le traiter ainsi, attendu qu'il était rangatira de
naissance, que c'était bon pour son compagnon Pahi
qui n'était qu'un esclave ; et qu'à son arrivée chez lui
il se vengerait de ces insultes. Je tâchai de l'apaiser,
et défendis sévèrement aux matelots de le molester
davantage. Mais ce qui consola le mieux le pauvre
DE L'ASTROLABE. 399
Taï-Wanga , ce fut de recevoir une bonne capote
grise qu'il endossa à l'instant même pour remplacer
son vieil habit : car il sécha sur-le-champ ses larmes,
et reprit toute sa bonne humeur. Ce naturel avait
conçu beaucoup daffection pour moi ; comme j'avais
témoigné le désir de faire une longue incursion dans
l'intérieur, il s'était offert à me servir de guide et
d'otage parmi ses compatriotes. Il revint même deux
ou trois fois à bord , malgré la distance de Kidi-
Kidi au mouillage , pour me renouveler ses offres de
services ; mais des raisons particulières m'empêchè-
rent d'exécuter mon projet.
Ces hommes montrent beaucoup de courage l dans
les combats ; ils savent affronter la mort avec intrépi-
dité 2, et, bien qu'ils soient convaincus que les résul-
tats les plus ordinaires de ces guerres sont pour eux
d'être tués et dévorés par leurs ennemis , ils savent
envisager de sang-froid cet instant fatal, et ils en par-
lent entre eux comme d'une chose assez naturelle 5.
La vengeance a pour eux les plus grands attraits, Générosité,
et ce sentiment est même fondé sur des idées supers-
titieuses de l'ordre le plus extraordinaire : cependant,
on les voit quelquefois se montrer généreux envers
leurs ennemis vaincus.
Ainsi, malgré les insultes graves qu'il en avait re-
çues, Temarangai pardonne àWarou, lui rend sa
femme et ses enfans tombés en son pouvoir, et fait
• Cook , prem. Voy. , III, p. 52. Savage , p. 17. — 2 Cook , doux. Voy. ,
V, p. 282. — 3 Marsdrn, d'Urv. , III, p. 444.
400 VOYAGE
même présent à son ennemi d'un fusil pour le consoler
de la mort de son père x .
Koro-Koro , si violent de son naturel , si passionné
pour les combats, afin de célébrer le retour de son frère
Touai dans sa patrie , suspend sa vengeance contre
deux chefs du Shouraki qui avaient tué un de ses pa-
rens 2.
Le féroce Taara , altéré de sang et de carnage, et
consommant la ruine du Boyd et de son équipage ,
se souvient néanmoins des bons procédés d'un jeune
mousse à son égard; il l'accueille et lui conserve la
vie 3.
Un chef du Shouraki avait fait prisonniers deux fils
de Pomare et deux autres personnages importans de
leur tribu , dont il avait eu beaucoup à se plaindre.
Peu de temps après , il leur rendit la liberté , et leur
fournit même une pirogue pour retourner chez eux 4.
La paix cependant ne fut point une condition de cette
faveur, ce chef savait en outre que par cette action il
allait renforcer le nombre de ses ennemis.
Touai me montra un jour un prisonnier qu'il avait
ramené d'une de ses expéditions vers les contrées mé-
ridionales , c'était un personnage de distinction dans
sa tribu. Au lieu de le tuer , comme il en avait le
droit , Touai lui avait donné une femme et une mai-
son , et cet homme était en quelque sorte devenu l'a-
gent de Touai dans ses affaires de commerce avec les
Européens.
i Marsdcn , d'Urv., III, p. 428. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. 278. —
3 Nicholas, d'Urv., III, p. 5gi. — 4 Dillun, d'Urv., III, p. 70.0, 709.
DE L'ASTROLABE. iOl
La confiance des Zélandais dans la parole de leurs
ennemis a quelque chose de noble, et prouve qu'ils
ont une idée positive du droit des gens *. Kahoura,
chef des guerriers qui avaient tué les marins de Fur-
neaux , n'hésite pas à se mettre à la discrétion de
Cook , et se repose sur le pardon que ce navigateur
lui accorde ». On voit Temarangai marcher seul,
sans crainte et sans défiance à la suite de M. Marsden,
au milieu de peuplades où il venait de porter le fer et
le feu , et qui avaient toutes sortes de motifs pour se
venger de lui 5. Les chefs de Wangaroa , coupables
du meurtre des Anglais du Boi/d, osent se rendre à
l'invitation de M. Marsden et l'accompagner sur son
navire 4.
Ces insulaires aiment souvent à rire; leur esprit est
porté à la plaisanterie , et l'un de leurs plus grands
amusemens est de copier dans leurs gestes la tournure
et les manières des Européens , ce qu'ils font d'une
façon très-comique et avec un véritable talent 5.
Toutefois leur extérieur est habituellement sérieux,
grave et réfléchi ; on ne retrouve pas chez eux cette
mobilité , cette légèreté qui semblent caractériser la
plupart des sauvages des îles de l'Océanie, particuliè-
rement ceux de Taïti. Les Zélandais sont actifs , in-
dustrieux 6, susceptibles de constance et d'applica-
tion 7. On les voit quelquefois poursuivre leurs pro-
i Cook, deux. Voy. , III, p. 35o. — * Cook, trois. Voy., I, p. 169 et
suiv. — 3 Marsden, d'Urv., III, p. 420 et suiv. — 4 Marsden, d'Urv. ,
III, p. i54. — 5 Savage, d'Urv. , III, p. 784. Cri/isc, p. i3. — 6 Nicho-
las, II, p. 5o. — 7 Marsden, d'Urv., III, p. l3i.
TOME II. 28
i02 VOYAGE
jets durant des années entières , travailler pendant
tout ce temps à se procurer les moyens de réussir ;
enfin les mettre à exécution au moment où ils semble-
raient les avoir oubliés depuis long-temps.
Ainsi Doua-Tara consent à se livrer trois ou quatre
fois de suite à la discrétion des baleiniers anglais ,
malgré la triste expérience qu'il avait acquise de leur
mauvaise foi ; il s'abaisse aux fonctions pénibles de
simple matelot, afin de réussir dans ses projets de ci-
vilisation pour son peuple , et surtout pour se procu-
rer les moyens d'introduire la culture du blé dans son
pays i.
Animé par des sentimens bien différens, Shongui
poursuit durant douze ou quinze ans ses projets de
vengeance et de destruction contre Moudi-Panga et
le peuple de Kaï-Para. Il caresse les baleiniers qu'il
n'aime point , il accueille les missionnaires dont il mé-
prise la religion 2, et dont il paralyse constamment les
desseins ; enfin il quitte son peuple et se dépouille de
sa puissance pour aller jusqu'en Angleterre, tout cela
dans le seul but de se procurer de la poudre et des
fusils 3. Muni de ces précieux objets qu'il a recueillis
au prix de tant de maux, de fatigues et de privations ,
Shongui revient chez lui ; il marche contre son en-
nemi, et consomme sa vengeance 4.
M. Kendall , qui servait de guide à ce chef intré-
i Marsden, d'Urv., III, p. 252 et suiv. Nicholas, d'Urv., III, p. 5?8.
— 2 D'Urville, III, p. 676. — 3 Cruise , d'Urv., III, p. 638. — 4 Mis-
sionnarY Register, d'Urv., III, p. 489.
DE L'ASTROLABE. 403
pide , m'a raconté qu'au moment de sa présentation à
Georges IV, Shongui ne parut nullement ému du
faste et de la pompe qui l'environnaient , et qu'il con-
serva autant de calme et de sang-froid en face du
monarque européen , que s'il se fût trouvé avec un de
ses collègues de la Nouvelle-Zélande.
La nature semble avoir doué ces hommes de dis- intelligence,
positions égales à celles des Européens pour tous les
arts mécaniques « . Les missionnaires ont vanté leur
aptitude à toutes sortes de métiers , comme charpen-
tier, scieur, maçon, forgeron 2, armurier, etc. , et ils
ont observé que les enfans , pour apprendre à lire et
à écrire , déploient une facilité au moins égale à celle
des enfans anglais 5.
Ils s'entendent très-bien aux affaires de commerce.
M. Nicholas nous représente Pomare comme un né-
gociant habile, intelligent et rusé ; il admire surtout
sa constance et son activité pour accroître , par tous
les moyens qu'il peut inventer, ses ressources en
poudre et en armes à feu 4. En général ceux qui ont eu
des relations fréquentes avec les Européens sont de-
venus extrêmement défians et fort difficiles dans leurs
opérations commerciales, cela provient de ce qu'ils
ont été souvent trompés. Cependant en ayant soin de
stipuler d'une manière très-ponctuelle ses conditions,
avant de conclure avec eux aucune sorte de conven-
i Coolc, trois. Voy., I, p. 2o3. Kendall, d'Urv. , III, p. 124. Davis,
d'Urv., III, p. 486. — ■>- Cruise, p. i5i. — 3 Kendall, d'Urv., III,
p. 244. — 4 Sicholas . I , p. 9 ', 1 ; d'Urv. , III, p. 602.
2 8*
i04 VOYAGE
tion , il est rare qu'ils se montrent infidèles à leurs
engagemens ».
Affections. Quoique le Nouveau-Zélandais aime à voyager et
s'aventure facilement et avec confiance vers des con-
trées lointaines, il conserve toujours une tendre affec-
tion pour sa patrie, il en parle souvent avec attendris-
sement, et quand il revoit les cotes qui l'ont vu naître,
il se livre à des transports de joie en reconnaissant
les diverses parties de son île 2.
Il n'est pas de voyageur qui n'ait rendu justice à
l'affection extraordinaire que ces naturels portent à
leurs enfans , à leurs parens et a leurs amis 3. Sensi-
bles aux bienfaits et aux marques d'amitié qu'ils ont
reçus , ils en gardent religieusement le souvenir, et
l'on peut compter sur leur reconnaissance. A la mort
d'une personne qui leur est chère, ils s'abandonnent
aux regrets les plus vifs , à la désolation la plus pro-
fonde. C'est ce sentiment , poussé à l'excès , qui les
porte en ces circonstances à se déchirer cruellement
le visage et le corps avec des pierres ou des coquilles
tranchantes 4. Dans leur opinion , ce n'est qu'en fai-
sant jaillir leur propre sang et le mêlant aux larmes
qu'ils répandent , qu'ils croient témoigner dignement
toute la douleur qu'ils éprouvent. Ils ne peuvent s'i-
maginer que les Européens , plus modérés dans leurs
témoignages de deuil , aient des sentimens d'affection
bien sincères et bien profonds 5.
i Nicholas, II, p. i5g. — 2 Cruise , p. 18. — 3 Marsden , d'Urv. , III,
p. 290. D'Uiville, II, p. i54; III, p. 674. — 4 Jnderson, dTJrv., III,
p. 25. Marsdun, d'Urv., III, p. 349. — 5 Marsden, d'Urv., III, p. 385, 412.
DE L'ASTROLABE. 405
Ils s'abandonnent aussi aux regrets les plus vifs,
quand ils se séparent de leurs parens et de leurs amis
pour une longue absence. M. Nicholas , qui fut sou-
vent frappé de l'affection des parens pour leurs en-
fans et des marques de douleur amère qu'ils donnaient
en se séparant deux, fait remarquer que Pomare seul
lui parut insensible aux tendres senlimens de la na-
ture , et se sépara de son fils sans verser une larme ,
sans donner aucun signe d'émotion ». Cette froideur
offre un singulier contraste avec la sensibilité tou-
chante que montrèrent d'autres chefs non moins
distingués, tels que Shongui, Inaki 2, le père de
Maounga 5, etc., en se séparant de leurs enfans ; sur-
tout avec la douleur et le désespoir qu'éprouva Hie-
toro en apprenant la mort de son neveu à Port-
Jackson 4.
Les récits de MM. Marsden, Nicholas, et des
missionnaires, démentent formellement l'opinion que
Forster avait émise touchant la conduite des Zélandais
envers leurs femmes 5. Loin d'être violons et brutaux
envers elles, il parait qu'ils sont en général affectueux,
et qu'on voit très-rarement les hommes se porter à
des excès blâmables envers le sexe le plus faible , à
moins d'y être provoqués par quelque puissant motif.
Ce que Forster raconte de l'insolence des enfans en-
vers leurs mères paraît être également dénué de fon-
i Nicholas , H, p. 199. — 2 ('mise, p 2 3 3. — 3 Savage, p. 41. —
4 Cruisc, p. 238. — 5 Cook, deux. Voy. , II, p. 120; V, p. 282. Nicho-
las, d'L'rv. , III, p. 607. Mcholas, II, p. 3o2. Marsden, d'Urv. , III,
p. 47«-
406 VOYAGE
dément. Il se pourrait que dans l'exemple unique que
mentionne ce voyageur il eût été dans l'erreur, et
que la femme dont il est question n'ait point été la
mère de l'enfant , mais seulement une esclave de la
maison. Les premiers voyageurs ont été souvent in-
duits en erreur, en confondant de simples esclaves
avec les femmes ou les filles des chefs.
C'est par suite d'une méprise semblable que plu-
sieurs navigateurs ont répété les uns après les autres
que ces peuples s'empressaient de prostituer leurs
femmes et leurs filles aux marins européens, moyen-
nant des bagatelles de toute espèce. Le fait n'était pas
exact. Nulle part les femmes mariées ne se montrè-
rent moins accessibles qu'à la Nouvelle-Zélande, et les
compagnons de Marion avaient déjà fait cette observa-
tion. Ces naturels n'offrent jamais aux Européens que
des filles et presque toujours de la classe du bas
peuple et des esclaves. Ordinairement les chefs d'un
certain rang ont toujours éprouvé une vraie répugnan-
ce à livrer leurs propres filles aux désirs des étran-
gers, sans pourtant y attacher aucune idée criminelle
ou illicite *. Les chefs de Mogoïa se seraient crus po-
sitivement déshonorés , en prostituant leurs filles aux
Européens 2.
Un sentiment qui fait beaucoup d'honneur à ces
sauvages , est leur profond respect pour la vieillesse.
Aux repas, aux conseils, dans toutes les occasions so-
lennelles, les places d'honneur sont réservées aux
i Cruise, p. 172. — 2 Cruise, d'Urv., III, p. 654.
DE LASTROLA.BE. 407
vieillards. Les jeunes gens les écoutent avec respect;
quoique les chefs parvenus à un certain âge résignent
d'eux-mêmes leur pouvoir et le commandement de
la tribu à leurs (ils ou à leurs neveux, néanmoins ils
conservent la plus grande influence au conseil, et il
est rare qu'on décide jamais aucune entreprise sans
les consulter l . Ce respect pour l'âge s'étend jusqu'aux
hommes du peuple et même aux esclaves ; on voit des
chefs nourrir des individus de cette classe bien qu'ils
n'en retirent aucune sorte d'utilité et uniquement pour
leur âge avancé2.
Leurs dispositions hospitalières ont été attestées HosP1,allle-
par tous les voyageurs sans exception 5, mais les re-
lations de M. Marsden en fournissent sans cesse des
preuves irrécusables; et la réception qu'il éprouvait
partout où il portait ses pas, nous rappelle en quelque
sorte les mœurs des anciens patriarches 4. On peut
citer également le voyage de cet Américain , Clarke,
qui se rendit par terre et tout seul des bords duShou-
raki à la baie des lies. Partout il fut bien accueilli,
comblé de politesses , et l'on avait même soin de lui
donner des guides pour lui indiquer le chemin qu'il
devait suivre 5.
Les naturels qui avaient visité la colonie anglaise
se plaisaient à dépeindre l'égoïsme et l'avarice des Eu-
ropéens , en opposition avec la générosité des Zélan-
« Savage, p. 29. — 2 Xicholas, I, p. 160. Blosseinlle , d'Un'. , III ,
p. 696. — 3 ('mise, d'Urv., III, p. 671. — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 327,
357. — ■> Cruisr , p. 249.
408 VOYAGE
dais. Tenana, à son retour de Port-Jackson, faisait
observer à ses compatriotes qu'en ce pays on pouvait
mourir de faim à la vue de vivres de toute espèce, sans
que personne vint vous rien offrir l . Taï-Wanga pre-
nant à discrétion des patates cuites dans la pirogue de
Shongui , me les offrit ainsi qu'aux canotiers, et pour
mieux nous déterminer à les accepter, il ajoutait qu'à
la Nouvelle-Zélande ce n'était pas comme à Port-Jack-
son , et qu'il n'était pas nécessaire de donner de l'ar-
gent pour avoir de quoi manger.
Quand ces naturels ont prononcé à des étrangers
les mots : Aïre mal, aire maC2, on peut compter sur
un bon accueil de leur part , car chez eux cette invita-
tion est sacrée et inviolable. Tant que ces mots ne sont
point sortis de leur bouche, leurs intentions sont sus-
pectes 5. Du moins, les voyageurs peuvent agir en con-
séquence, et c'est à eux de se retirer s'ils n'ont pas
obtenu le salut favorable.
Les fréquens rapports des Nouveaux-Zélandais avec
les Européens , et l'introduction des armes à feu , ont
modifié leur caractère d'une manière peu avanta-
geuse. Ils sont devenus dissimulés , avares , dedans ,
exigeans et arrogans 4. De tous les peuples de la Nou-
velle-Zélande que j'ai eu l'occasion de fréquenter, au-
jourd'hui les plus vicieux et les moins sociables m'ont
paru être ceux de la baie des Iles, et parmi ceux-ci
les plus insupportables appartiennent aux tribus de
' Nicholas, I, p. 35o. — = Nicholas, I, p. 127. — 3 Cruise, d'Urv.,
III, p. 656. — 4 D'Urville, III, p. 673.
DE L'ASTROLABE. 409
Rangui-Hou et de Kidi-Kidi, tout-k-fait corrompues
par le commerce continuel des Européens, et par les
munitions de guerre dont ils sont devenus posses-
seurs >. On sent que je ne veux point parler du com-
merce des missionnaires, mais bien de celui des balei-
niers anglais et américains, gens en général grossiers,
brutaux, sans mœurs et souvent sans bonne foi.
III.
CONSTITUTION POLITIQUE.
Rien ne rappelle mieux les anciens clans d'Ecosse Rangs.
ou les septes de l'Irlande, que les peuplades de la Nou-
velle-Zélande'^. Chaque tribu n'est en quelque sorte
qu'une grande famille qui reconnaît un chef5, auquel
tous les autres membres prêtent plutôt déférence et
respect qu'une véritable obéissance. Les rangatiras
ou nobles ont d'autant plus d'influence ou de crédit
qu'ils tiennent de plus près au chef, et qu'ils ont plus
de domaines et d'esclaves. Il y a des rangatiras de tous
les ordres , depuis celui qui possède de grandes pro-
priétés et beaucoup d'esclaves, jusqu'à celui qui ne
possède que son titre de simple guerrier. J'ai cru re-
marquer que quiconque était par sa naissance indé-
pendant , pouvait prendre le titre de rangatira , sans
cependant rien affirmer de positif à cet égard. Le peu-
ple se compose des esclaves 4, des enfans d'esclaves,
i Cruise, p. 58. D'L'iville, II, p. 233, 238. — a Savage, p. 26. —
3 Cook , deux. Voy. , III, p. 371. — 4 Hctuc Britannique, d'Urv. , III,
p. 722.
Chefs.
410 VOYAGE
et probablement de ceux qui, par des malheurs arrivés
à leur famille , ou par suite de condamnalions encou-
rues, sont obligés de se mettre au service d'un autre
afin de pouvoir exister.
Les chefs principaux, rangatira-rahi ou ranga-
tira-nouï, m'ont toujours paru indépendans, chacun
dans leur tribu , et la diriger à leur gré sans recon-
naître d'autorité supérieure à la leur. Il peut arriver
sans doute qu'un chef soit influencé, même dominé
dans sa conduite et dans ses actions par un chef plus
puissant ou plus énergique, mais c'est une simple af-
faire de circonstance et non pas de droit. La même
chose a lieu en Europe quand le chef d'un petit Etat
est contraint de subordonner sa volonté à celle d'un
monarque plus puissant.
M. Nicholas avait cru découvrir que tous les chefs
de la partie nord d'Ika-Na-Mawi reconnaissaient trois
chefs supérieurs qui portaient le titre d'ari'ki l : mais
ce titre ne s'accorde en général à la baie des Iles
qu'aux prêtres, et n'entraîne aucune idée de pouvoir.
Sur les bords du Shouraki et dans les contrées méri-
dionales , il paraît qu'effectivement certains chefs le
prennent, peut-être parce qu'à leur autorité de chef ils
joignent le caractère de prêtre. Du reste, si le titre
d'ariki confère quelque distinction aux chefs qui en
sont revêtus, je suis porté à croire qu'elle serait plutôt
honorifique que positive 2. Ce titre répondrait en quel-
que sorte à ceux de doyen, primat, ancien, président,
i Nicholas, d'Urv. , III, p. 5g8 et suiv. — 2 Cruise , p. 110.
DE L'ASTROLABE. 411
parmi nous. En effet, ce sont presque toujours des
chefs fort avancés en âge qu'on en a vus décorés.
L'autorité des chefs sur leurs subordonnés immé-
diats est elle-même fort indéterminée et souvent d'une
nature équivoque ». Elle dépend bien plutôt de l'in-
fluence que le chef a su obtenir sur l'esprit de ses
compatriotes que d'aucun droit légal et explicite2.
Cette influence peut s'obtenir ou par des exploits si-
gnalés dans les combats , ou par une haute réputation
de sagesse et d'expérience comme prêtre et prophète,
ou bien par de grandes possessions en terres et en
esclaves. On sent bien que la dernière de ces condi-
tions a presque toujours eu pour origine les conquêtes
faites à main armée.
Dans l'état de paix , les chefs ne paraissent avoir
presque aucun moyen direct pour se faire obéir de leurs
sujets 5 5 dans ce cas, leur autorité se trouve à peu près
restreinte aux privilèges du tapou, qu'ils peuvent im-
poser à leur gré : c'est une sorte de veto dont les ef-
fets sont, chez ces peuples, beaucoup plus importans
qu on ne le penserait au premier abord, ainsi qu'on le
verra plus tard. En guerre, l'autorité du premier des
chefs de la tribu prend un grand degré d'extension ,
elle devient presque absolue , et les guerriers lui ac-
cordent une obéissance passive 4.
Le droit de succession à l'autorité passe ordinaire-
• Marsdcn, d'Urv., III, p. 199. — 2 Nicholas, d'Urv., III, p. 599.
Quoy, d'Urv., II, p. ?.8/|. — 3 Cook, deux. Voy. , III, p. 371. Nicholas,
II, p. 141. — i Marsdcn , d'Urv., III, p. 199.
412 VOYAGE
ment du frère aîné aux cadets, et revient ensuite aux
enfans des aînés l. Chez toutes les nations du nord,
il ne paraît pas que les femmes soient susceptibles
d'occuper le rang suprême ; les hommes même qui ne
peuvent conduire leurs guerriers au combat, par suite
de blessures ou d'infirmités, résignent le pouvoir, et
cèdent leurs droits à celui de leurs parens qui peut
remplir ces fonctions 2. Dans les régions méridiona-
les , le contraire semble avoir lieu, car on cite des
femmes en possession de l'autorité supérieure ; la
puissante Hina-Mate-Oro en offrait un exemple5. Sans
doute, en ce cas, c'est le rangatira-para-parao qui con-
duit les guerriers aux combats.
Malgré la vénération profonde que ces insulaires
ont pour la valeur guerrière , et bien qu'elle soit pour
eux la plus éminente des vertus, peut-être même la
seule qu'ils estiment en ce monde, le préjugé de la
naissance est si puissamment établi chez eux qu'il est
impossible à un homme de la dernière classe de par-
venir au rang de noble ou rangatira. Aussi les chefs
faisaient observer aux missionnaires qu'il était fort
inutile d'instruire les enfans du peuple, attendu qu'ils
devaient rester dans la même classe que leurs parens,
mais qu'il était fort bon de donner de l'éducation aux
enfans des chefs 4.
Il m'a semblé néanmoins que le dernier des guer-
1 Cruise, d'Urv. , III, p. 665. — 2 Cook, deux. Voy., I, p. 266. D'Ur-
villc, III, p. 6S1. — 3 Kendcdl, d'Urv., III, p. a3?. Marsden , d'Urv. , UI,
p. 3i5. — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 19g.
DE L'ASTROLABE. 413
riers pouvait, par ses exploits, devenir rangatira-pa-
ra-parao, c'est-à-dire généralissime de l'année ou lieu-
tenant du chef principal dans le commandement des
guerriers, titre qui confère un grand pouvoir en temps
de guerre , mais qui laisse cependant celui qui en est
revêtu au-dessous des rangatiras de naissance. Tel
était Koupanga près du chef Kaï-Waka , à Pa-Ika-
ÎNake ' ; Inaki à Mogoïa, près de Toupaïa 2; Shongui à
Kidi-Kidi , près de son frère Kangaroa tant qu'il fut
en vie , et Toupe près de son frère Tara à Korora-
Reka 3.
Les rangatiras sont très-fiers de leurs prérogatives ; Étiquette.
ils ne manquent jamais d'instruire les Européens de
leur propre dignité en les abordant 4, et demandent
ensuite aux étrangers quel est leur rang. Il était curieux
de voir avec quelle promptitude, avec quel discerne-
ment ils savaient établir parmi les personnes de notre
équipage des assimilations aux divers ordres de la so-
ciété chez eux. Le capitaine était le ra?igatùa->ahi,
le second le rangatira-para-parao, les divers officiers
ranga(iray les autres personnes de l'état-major sans
autorité, les élèves et les maîtres, rangatira-iti, et les
autres hommes de l'équipage tangata , tangata-iti ',
tangata-wari çX kouki, suivant qu'ils étaient ofticiers-
mariniers , matelots ou domestiques. Ils s'elïorçaient
d'abord de conserver leur rang en affectant une supé-
riorité grotesque à l'égard des Européens des derniè-
• Maisden, d'Urv. , III, p. 186. Mcholas , II, p. 5. — 2 D'Urvillc,
H, p. i;3. — i Mcholas , d'Urv., III, p. 600, 611. — 4 Nicholas , II ,
l>. 9if>. D'Urville, III, p. 68 1.
414 VOYAGE
res classes ; mais comme ces Européens, tout inférieurs
qu'ils étaient aux yeux des chefs pour le rang , leur
montraient bientôt des objets qui étaient pour eux de
véritables trésors , ces orgueilleux rangatiras ne tar-
daient pas à dépouiller leur fierté et à déroger en se
familiarisant avec les simples matelots. Toutefois, dès
qu'ils se retrouvaient à terre et parmi leurs sujets , ils
reprenaient toute leur importance , et dans ce cas il
était rare qu'ils eussent voulu compromettre leur di-
gnité avec des Européens trop au-dessous d'eux.
Les chefs de la Nouvelle-Zélande sont si chatouil-
leux sur l'article de la préséance et du rang *, qu'ils
vivent dans une rivalité continuelle , dans un état de
jalousie poussée à l'excès les uns à l'égard des autres.
La médisance, la calomnie, les mensonges les plus
grossiers ne leur coûtent pas à l'égard de leurs rivaux,
et ils excitent sans cesse le courroux des Européens
contre eux. C'est un fait qui a été observé par une foule
de voyageurs 2.
Ce fut cet odieux sentiment qui porta Tara et Toupe
à accuser, près des Anglais, leur rival Tepahi d'avoir
dirigé l'attentat commis sur le Boyd , accusation qui
lui devint si funeste ainsi qu'à son peuple 3. J'ai ra-
conté tous les efforts que tentèrent les chefs de Houa-
Houa , et Shaki à leur tête , pour me porter à massa-
crer des chefs étrangers qui étaient venus me rendre
visite 4.
i Nicholas, d'Urv., III , p. 600. D'Un-ille, III, p. 680. — 2 Cook, trois.
Voy., I, p. i5g. Nicholas, I, p. 296. — 3 Nicholas, H, p. 76. — 4 D'Uv-
1 ille , II, p. 100 et suiv.
DE L'ASTROLABE. 415
Scrupuleux observateurs du cérémonial, ces natu-
rels n'abordent jamais un chef qu'en le traitant de
rangatira; mais ils apostrophent un homme du com-
mun par l'épithète de Tangata, homme, et plus sou-
vent Koro , jeune garçon. Il était plaisant de voira
bord les jeunes filles esclaves courir après les person-
nes avec lesquelles elles s'étaient familiarisées , en ré-
pétant à chaque instant : E Koro. ( E est le signe de
l'appellatif. )
La guerre est aux yeux des Nouveaux-Zélandais Motifs
l'état le plus honorable pour l'homme, et toutes leurs de guerre.
pensées sont presque toujours dirigées vers les moyens
de la faire avec succès ». Le motif ordinaire ou du
moins le prétexte apparent de toutes leurs guerres est
toujours de réclamer de leur ennemi une satisfaction,
outou, pour une offense réelle ou supposée de la part
de cet ennemi 2. S'il consent à donner cette satisfac-
tion , l'agresseur se retire 5 ; sinon les fureurs de la
guerre continuent jusqu'au moment où l'un des partis
est complètement défait ou exterminé. Quand les deux
partis viennent à faire la paix, il est bien rare que l'un
des deux n'offre pas un dédommagement à l'autre en
guise de satisfaction, et ce gage ou outou parait seul
susceptible de consolider la paix d'une manière stable.
Après la guerre que Shongui et Temarangai eurent
ensemble en 1820, et où le premier perdit vingt piro-
i (mise, d'Urv., III, p. 640. — » Marsden, d'Urv., III, p. 283, 295,
3i6, 414. — 3 Marsden, d'Urv., III, p. 336. ./. King , d'Urv., III,
p. !;|3. Madame Williams, d'Urv., III, p. 4g3.
416 VOYAGE
gués ; son ennemi , en faisant la paix , lui offrit une
pirogue de guerre en guise ftoutou pour sceller leur
réconciliation i. Dans leurs disputes avec les Euro-
péens , et même après qu'elles sont terminées, on les
voit presque toujours réclamer outou comme une
chose qui leur est due.
Les Zélandais poursuivent avec une constance opi-
niâtre leurs projets de vengeance; un fils ne pardonne
jamais l'injure faite à son père. La nécessité seule
pourra le forcer à la laisser impunie durant un temps,
mais il en tirera satisfaction dès qu'il en verra la possi-
bilité 2. On sent bien qu'avec de pareilles dispositions
ces peuples ne peuvent jamais vivre dans un état pai-
sible 5 -, aussi sont-ils continuellement sur leurs gar-
des 4, et l'on trouve bien rarement un guerrier zélan-
dais qui ne soit pas armé de toutes pièces.
Ces gens ne peuvent concevoir que les Européens
n'aient pas les mêmes opinions 5, et Taara se refusait
à croire que les Anglais eussent renoncé à toute idée
de vengeance contre lui en punition de l'attentat qu'il
avait commis sur le Boyd§.
Les guerres fréquentes où ces peuples sont engagés
et la faiblesse des tribus sont cause qu'elles se réunis-
sent d'ordinaire plusieurs ensemble pour former des
ligues offensives et défensives contre leurs ennemis 7.
Jadis les tribus de la baie des Iles et celles de Shou-
i Omise, p. 58. — 2 Marsden , d'Urv. , III, p. 476. — 3 Missionnary
Jlegister, d'Urv., III, p. 529. — 4 Cook, trois. Voy. , I, p. 174, 17^.
— 5 W. Williams, d'Urv., III, p. 547. — G Marsden, d'Urv., III,
p. 485. — 7 Quor, d'Urv., II, p. 284.
DE L'ASTROLABE. 417
ki-Anga s'unissaient habituellement avec celles du
Shouraki pour aller ravager les peuplades de la baie
d'Abondance et du cap Est. Dans les dernières an-
nées, les deux premiers peuples allaient combattre
chaque année contre ceux du Shouraki et du Waï-
Kato, ligués ensemble '. Dernièrement les guerriers
de la baie des Iles en sont venus aux mains avec ceux
du Shouki-Anga ; enfin on a vu des tribus combattre
isolément l'une contre l'autre, comme quand Shongui
alla attaquer les habitans de Wangaroa, quand Tema-
rangai entra sur les terres de Kidi-K idi 9, quand Moudi-
Waï et Matangui eurent querelle ensemble 3, etc.
Dans les guerres importantes où il s'agit du sort de
plusieurs tribus réunies, avant d'entrer en campagne,
tous les chefs d'un certain rang se réunissent en un
conseil solennel, etdélibèrent gravement sur les avan-
tages et les inconvéniens de la guerre 4. Ils parlent
l'un après l'autre avec noblesse et dignité , debout et
en marchant, et leurs discours sont toujours écoutés
dans le plus profond silence 5. Ces conseils durent
quelquefois des journées entières ; ils ont lieu en plein
air; les chefs sont accroupis sur leurs genoux, en for-
mant le cercle, et se tiennent dans un grand recueil-
lement 6. Les prêtres y sont appelés et y exercent
souvent une grande influence.
On a reproché à ces insulaires leur perfidie et leurs
i D'Urt'illc, II, p. i65. — ' ./. Butler, d'Urv., III, p. 39',. — 3 Mars-
den , d'Urv. , III, p. 3 3i et suiv. — 4 Sarage, p. 28. — 5 Marsdcn , dl i\.,
III, p. 322. W. Williams. . d'Urv., III, p. 55çf. — r, Marîàen , d'Urv., III,
p. ',09.
TOME II. ->■[)
H 8 VOYAGE
ruses pour tâcher de surprendre leurs ennemis. Il
est cependant certain qu'un chef se met rarement en
campagne sans avoir envoyé à ses ennemis des messa-
gers pour leur signifier ses intentions, pour leur ex-
poser les motifs qui lui ont fait prendre les armes , et
leur demander s'ils sont disposés à lui donner satis-
faction de l'injure ou du grief qui leur est imputé , ou
bien s'ils sont déterminés à en venir à un appel aux
armes « ; de la réponse faite aux envoyés dépend or-
dinairement le parti que prendra l'assaillant.
Quand la guerre a été déclarée suivant les formes
requises, et que l'ennemi s'est refusé aux réclamations
qui lui ont été adressées, les assaillans se dirigent par
mer ou par terre vers les contrées qu'ils veulent at-
taquer. On a vu , dans les dernières années, les peu-
ples du nord d'Ika-Na-Mawi lever des armées de deux
ou trois mille combattans , quantité prodigieuse , eu
égard à la faible population de chaque tribu , aux dis-
tances à parcourir, et au peu de ressources dont les
troupes pouvaient disposer dans le chemin 2.
Lorsque ces troupes sont en marche, elles campent
sous des huttes en branchages et en fougères , que
chaque tribu construit pour son usage ; ou bien les
guerriers se couchent en plein air et sur la terre quand
ils sont favorisés par le beau temps 3. Le poisson sec
et la racine de fougère sont à peu près les seules pro-
visions dont ils font usage en ces circonstances ,
i Marsden , d'Urv. , III, p. 3o8. — 3 Cruise, d'Urv. , III, p. 667.
3 Cook, prem. Voy. , III, p. 9.78. Rutherford , d'Urv. , III, p. 753.
DE L'ASTROLABE. 419
comme les plus faciles à se procurer et à transporter.
Quands ils sont vainqueurs , ils se dédommagent aux
dépens des vaincus de la diète forcée à laquelle ils ont
été assujettis.
Quelquefois des bandes nombreuses d'esclaves sont
employées à porter à de grandes distances les provi-
sions nécessaires l, puis on les renvoie dans la tribu
quand on n'a plus besoin deux.
Leurs campagnes de guerre se passent le plus sou- Combats.
vent en escarmouches, en embuscades, où ils tachent
d'attirer l'ennemi et de lui faire le plus de tort possi-
ble 2. Cependant ils en viennent quelquefois à des
batailles rangées , dans lesquelles ils déploient un
grand acharnement et beaucoup de vaillance 3, bien
qu'ils soient le plus souvent réduits à combattre corps
à corps. En effet, après avoir employé leurs lances,
ils en viennent immédiatement au patou et au mère 4;
c'est à la tète principalement, qu'ils cherchent à se
porter des coups 5. Quelques-unes de ces affaires ont
été si meurtrières , que sur douze ou quinze cents
combattans de chaque coté il est resté plusieurs cen-
taines de morts sur le champ de bataille G.
Quand le combat est bien acharné, les femmes elles-
mêmes y prennent quelquefois une part active, bien
que cela ne soit pas habituel 7.
i Cruise, d'Urv.,III, p. 653. D'Uiville, III , p. C79. Hutherford, d'Un.,
III, p. 754. — 2 Cruise, d'Urv. , III, p. 666. — 3 Savage, p. 28. —
4 Nicholas, I, p. 198. — 5 Cruise, p. i38. — »> Marsden , d'Urv., III,
p. 3i3, 427. Hutherford , d'Urv., III, p. 757. — 7 Marsden, d'Urv., III,
p. 335.
"9"
420 VOYAGE
Au moment d'en venir aux mains , comme prélude
indispensable du combat ', les guerriers exécutent
leur chant de guerre , et ils s'accompagnent de cris ,
de gestes et de grimaces plus horribles les unes que
les autres 2. Surtout, il leur arrive souvent de faire
sortir leur langue de leur bouche d'une manière ex-
traordinaire , et de relever leurs paupières au point de
montrer tout le blanc de l'œil qui forme alors un cer-
cle tout autour de l'iris 5. Cette attitude de la figure
humaine est , suivant eux , l'emblème de la gloire ,
oudou ; aussi c'est celle qu'ils donnent habituellement
à leurs figures sculptées 4.
Le plus souvent ils n'accordent point de merci aux
hommes qui tombent entre leurs mains au milieu du
combat5, surtout si ce sont des chefs de quelque dis-
tinction. Alors ces malheureux sont presque toujours
assommés et dévorés sur le champ de bataille. Les
femmes et les enfans sont réduits en esclavage , et
emmenés par les vainqueurs en guise de butin 6.
Quand Shongui s'empara du pâ des Nga-te-po , à
Wangaroa , il n'épargna aucun des habitans , et les
esclaves seuls eurent la vie sauve 7.
Ces hommes sont tellement convaincus que le sort
des prisonniers qui tombent entre leurs mains dé-
i Cook, prem. Voy. , III, p. \5n , 9.89. — 2 Cooh, deux. Voy. , V,
p. 286. Savage, p. 68. ILut/ieiford, d'Urv. , ni, p. 732, 757. — 3 Cook,
prem. Voy., III, p. 290. Anderson , d'Urv., III, p. 24- — 4 Cook, deux.
Voy., I, p. 264. — B Cook, trois. Voy., I, p. 175. Nicholas , d'Urv., III,
p. 633. — 6 Reports, d'Urv., III, p. 456. — 7 Missionnarr Ilegisier,
d'Urv., III, p. 529.
DE L'ASTROLABE. 421
pend complètement de leur caprice , qu'un jour des
naturels qui venaient d'arrêter un déserteur du Dro-
medanj, sur la demande du capitaine, en le remet-
tant aux Anglais, demandèrent à l'officier comman-
dant s'ils ne pouvaient pas actuellement tuer leur pri-
sonnier ». Il est probable qu'ils l'eussent ensuite rôti
et mangé sans scrupule.
Quand la tribu offensée croit avoir tiré une ven-
geance suffisante de son ennemi , ses guerriers se
retirent , après avoir partagé entre eux les prisonniers
et le butin qu'ils ont faits dans le cours de la guerre 2.
Souvent les tempêtes dispersent et submergent leurs
frêles pirogues, et le triomphe des vainqueurs est plus
d'une fois troublé par les revers que les élémens leur
suscitent.
Naguère, quand les Zélandais ne combattaient
qu'avec leurs armes nationales , telles que la lance, le
casse-tête, \epatou , le mère, etc., les chances de la
guerre étaient à peu près balancées, et les diverses
tribus avaient alternativement le dessus ou le dessous ;
mais depuis l'introduction des armes à feu , que le
hasard a fort inégalement réparties parmi eux, les
tribus du nord, beaucoup plus favorisées dans ce par-
tage, ont un avantage immense sur les peuplades du
Shouraki, et surtout sur celles de la baie d'Abon-
dance et du cap Est. Chaque année , les premiers
l'ont des incursions chez les malheureux habitans des
contrées du sud , et malgré la résistance que ceux-ci
' ('mise, [t. u't?.. — » Marsden . d'Urv. , III, p. 21 5.
422 VOYAGE
s'efforcent d'opposer aux ravages de leurs ennemis,
ils finiront par être complètement exterminés *, à
moins qu'à leur tour ils ne réussissent à s'approvision-
ner de ces armes qui leur sont aujourd'hui si fatales.
Pauapati. Ces peuples ont une si haute idée de la valeur guer-
rière, qu'aux yeux de Touai, dans toute l'Europe,
l'homme le plus illustre , le plus digne de ses respects
et de son admiration, était Bonaparte, dont il avait
entendu raconter les exploits. A son passage à Sainte-
Hélène , Touai avait été présenté à ce grand capitaine,
et il se rappelait souvent ce jour, comme un des plus
glorieux de sa vie. Quand Shongui vint nous rendre
visite , escorté de ses principaux guerriers , j'en re-
marquai un que sa haute taille , ses formes athléti-
ques et son attitude belliqueuse faisaient distinguer
parmi tous ses compagnons. Je demandai son nom à
Touai, il me répondit que ce guerrier se nommait
Hihi, et il ajouta avec emphase qu'il était le Panapati
de la Nouvelle-Zélande. Je ne compris pas d'abord ce
qu'il entendait par cette épithète ; mais il proféra le
mot Sainte-Hélène , et je vis bientôt qu'il proclamait
Hihi le Bonaparte de la Nouvelle-Zélande , et par là
il m'en faisait dans son idée l'éloge le plus brillant. Ce
Hihi est le même qui, l'année suivante , se noya dans
les eaux du Waï-Tamata, pendant qu'il combattait
contre les habitans du Shouraki.
Revue. H parait qu'à certaines époques de l'année les chefs
passent la revue des hommes en état de porter les
i Cruise, d'Urv. , III, p. 6t>6. D'Urville, II, p. i65.
DE L'ASTROLABE. 423
armes dans la tribu. Les guerriers sont rangés par
compagnies de cent hommes , et chaque compagnie
est commandée par un rangatira; de sorte que ce
mot rangatira désigne aussi une compagnie de cent
guerriers. Un chef a cinq, six, dix rangaliras sous
ses ordres , suivant qu'il a cinq , six cents ou mille
guerriers à conduire aux combats. Cette revue a
toujours lieu lorsque la tribu va se mettre en campa-
gne, et elle est opérée par les soins du rangatira para-
parao , sous les yeux du chef principal ! .
Quand un Chef vient k commettre quelque action Dch,s
, I et punitions.
contraire aux coutumes du pays ou au droit reconnu,
ses voisins se rassemblent et le punissent, soit en le
dépouillant en tout ou en partie de ses propriétés ,
soit même en le maltraitant et le battant 2. Dans ces
occasions, son peuple partage ordinairement son sort,
et subit aussi les conséquences de sa faute.
Souvent aussi les chefs décident leurs querelles par
un appel aux armes, par une sorte de jugement de
Dieu , qui a lieu devant les chefs des nations voisines
et leurs guerriers rassemblés, pour servir à la fois de
conciliateurs ou de juges, suivant que les coutumes
du pays le permettent. M. Nicholas nous a tracé une
description fort intéressante d'un de ces tournois,
dans la circonstance où Hinou accusa Wiwia d'avoir
séduit sa femme, et le traduisit devant rassemblée so-
lennelle des guerriers de la baie des Iles 5.
' Mcholas , d'Urv. , Ui , p. <io6. — a Savage , p. 3o. — 3 Nichoiat
J'Urv., III, p. 607 et suiv.
kH VOYAGE
C'est faire une grande insulte à un rangatira que
de le traiter de voleur, taehae i, et il s'en formalise
d'une manière étrange. Cependant la probité de ces
nobles personnages ne répond pas toujours a cette
extrême susceptibilité; il en est qui résistent difficile-
ment à l'occasion quand elle se présente à eux 2.
La peine du talion paraît être la plus usitée parmi
ces sauvages. La mort doit être payée par la mort , le
sang par le sang , et le vol par le pillage 3. Ils sont plus
rigoureux pour l'adultère , puisqu'il entraîne la peine
de mort pour les deux coupables 4. Suivant M. Ni-
cholas ils distingueraient cependant le cas où le crime
serait commis chez l'homme et celui où il serait com-
mis chez la femme. Dans le premier cas , la femme
serait seule mise à mort ; dans l'autre ce serait
l'homme 5. D'ailleurs il est des circonstances où Té-
poux offensé se contente de renvoyer la femme infi-
dèle à ses parens.
D'ordinaire les coupables sont cités devant un con-
seil de chefs 6, jugés et exécutés séance tenante. Le
bannissement de la tribu est souvent infligé aux indi-
vidus convaincus de vol ou d'adultère. Il paraît
qu'en certaines occasions, après avoir subi la peine
de mort, le corps 7 ou du moins la tête 8 des vo-
i Madame Williams, d'Urv., III, p. 492. — 2 Savage , p. 3i. Nicholas ,
II, p. 146. D'Urville, III, p. 5g4. D'Urville, II, p. 176. — 3 Marsden ,
d'Urv., III, p. 336. Dillou, d'Urv., III, p. 704, 710. — 4 Savage,
p. 3o. Marsden, d'Urv. , III, p. 18g. — 5 Nicholas, d'Urv., III, p. 5g3.
— 6 Marsden, cl'Urv., III, p. 170, 434. — 7 Nicholas, I, p. 227. Mars-
den, d'Urv., III, p. 189. — " Cruise , p. 94.
DE L'ASTROLABE. 425
leurs est suspendue à un poteau en forme de croix.
Les formalités du jugement ne sont guère admises
qu'à l'égard des coupables d'un certain rang; car pour
les esclaves et même pour les hommes du peuple
privés de protection , le caprice des chefs est la loi
suprême l.
IV.
OCCUPATIONS.
Nous avons déjà parlé de l'existence des Nouveaux-
Zélandais en temps de guerre ; dans letat de paix, leur
vie est bien moins agitée , et ils jouissent de beau-
coup de loisir. Leurs occupations sont peu réglées,
ils mangent et dorment le plus souvent quand l'envie
leur en prend a.
Le principal soin du chef ou de son premier lieu-
tenant est de veiller à la défense du pâ. Les autres
rangatiras surveillent la culture de leurs champs , et
y prennent souvent part avec leurs femmes et leurs
serviteurs. Mais comme leurs plantations sont tou-
jours fort peu étendues , il en résulte que ce travail
demande peu de temps.
Quelquefois ils vont à la chasse ou à la pêche; sou-
vent ils se plaisent à fabriquer artistement divers ob-
jetsenbois ou en pierre, comme coffrets, (lûtes, casse-
têtes, etc. , ou bien des hameçons en nacre ou en os.
Ils excellent dans ce genre de travaux , ils exécu-
« Marsdcn , d'Urv. , III, p. 47.Ç. — • Mcholas, II, p. 3n.
420 VOYAGE
lent des bas-reliefs très-réguliers et d'un fini admira-
ble , tout bizarres , tout monstrueux que soient d'ail-
leurs les sujets qu'ils représentent. Quand on fait
attention que la plupart de ces ouvrages exécutés
avant l'introduction du fer dans ces îles, l'ont été par
conséquent avec de misérables instrumens en pierre
ou coquillages , on ne peut s'empêcher d'admirer l'in-
dustrie de ces insulaires, et surtout leur patience
surprenante.
On trouve souvent les chefs assis sous le vestibule
de leurs cabanes, au milieu de leur peuple, et les es-
claves leur apportent de temps en temps des patates
ou de la racine de fougère. Les femmes assistent à ces
réunions et y participent gaîment et sans restriction 1 .
Enfin les chefs aiment à jouir entre eux des plaisirs
de la conversation ; alors ils se mettent en cercle, ra-
content les exploits de leurs pères , leurs propres
combats , leurs voyages , discutent paisiblement sur
des sujets relatifs à l'agriculture , au commerce et à la
religion. Ces hommes parlent avec gravité l'un après
l'autre , et il leur arrive très-rarement de s'interrom-
pre mutuellement.
Les enfans, dès l'âge de cinq à six ans, assis sur les
genoux de leurs pères , assistent à leurs réunions et
même à leurs grands conseils. Ils s'y montrent fort
attentifs , et s'habituent de bonne heure à méditer sur
les objets qui , suivant leur manière de voir, doivent
influer sur leur honneur et leurs intérêts.
> Nicholas, II, p. 3 12.
DE L'ASTROLAUE. 427
Les femmes , de leur coté , mènent une vie beau-
coup plus laborieuse que les hommes ; car ce sont
elles qui sont particulièrement chargées d'exploiter
les cultures, de ramasser les coquillages I, d'apporter
les vivres et l'eau dans les maisons. Enfin elles sont
en outre exclusivement employées à extraire le chan-
vre du phormium et à en faire des nattes de différen-
tes qualités 2.
On a observé que ces naturels faisaient habituelle- Repas.
ment deux repas ; l'un au lever du soleil 5, et l'autre
peu de temps avant son coucher. Par une exception
remarquable à la coutume invariable de plusieurs au-
tres peuples de la Polynésie, aucune loi n'interdit
aux femmes de manger avec les hommes 4. Sou-
vent , il est vrai , elles prennent leurs repas à part ,
mais c'est uniquement parce qu'elles le trouvent plus
commode. Les esclaves ne peuvent manger avec les
personnes de condition libre 5.
Les hommes du peuple , ou les ràngatiras des der-
niers rangs , mangent sans aucune cérémonie ce qu'ils
ont pu se procurer pour leurs repas. Chez les chefs
d'un certain rang, les vivres sont apportés par les es-
claves , et chaque famille reçoit sa portion parti-
culière dans une corbeille qui ne peut servir qu'une
seule fois 6. Personne ne peut toucher à la portion
i Marsden , d'Urv. , III, p. 324. — 2 Cook, prcm. Voy. , III, p. 295.
Deux. Voy., V, p. 35o. Crozet, d'Urv., III, p. 53. Marsden, d'Urv., III,
p. 373. — 3 Crozet, d'Urv., UI , p. 60. Nicliolas , I, p. 276. — 4 Cook,
prem. Voy., III, p. 295. — 5 Cruisc, d'Urv., III, p. 642. RutherforJ,
d'Urv., III, p. 737. — 6 Iiuthcrforâ, d'Urv. , III, p. 738.
428 VOYAGE
de son voisin. S'il y a des étrangers conviés au repas,
ceux-ci emportent les mets qu'ils n'ont pu consom-
mer l.
Dans les festins d'apparat , une ration de patates
ou de pommes de terre, jointe à une portion de cochon
ou de poisson, forme ordinairement la part de chaque
personne 2. De temps en temps les esclaves font cir-
culer des courges pleines d'eau ; chaque convive boit
à même , ayant soin de ne point porter les lèvres au
vase , mais faisant couler l'eau dans leur bouche 5.
C'est ce qu'on appelle boire à la régalade en certaines
provinces de la France.
Des feuilles de fougère leur tiennent lieu de vais-
selle et leurs doigts de fourchettes. Cependant, admis
à la table des Européens , ces hommes s'accoutument
facilement et promptement à se servir des assiettes ,
des verres , des cuillères , des couteaux et des four-
chettes.
Outre les deux repas d'habitude , ces insulaires
mangent plusieurs fois par jour. En général ils sont
grands mangeurs 4, et supportent difficilement la
faim 5.
Sommeil. Les Nouveaux-Zélandais ont ordinairement dans
un coin de leur cabane une petite plate-forme rectan-
gulaire, ou un monceau de fougère qui leur sert de lit.
Souvent aussi , et cela se pratique toutes les fois
i Cruise, d'Urv., III, p. 642. Rutherford , d'Urv., III, p. 743. —
2 Marsden, d'Urv., III, p. 346. Rutherford, d'Urv., III, p. 736. —
i Rutherford, d'Urv., III , p. 738. — 4 Crozet, d'Urv., III, p. 61. —
5 Nicholas, II, p. 1.
DE L'ASTROLABE. 429
qu'ils couchent plusieurs ensemble dans une case, un
morceau de bois arrondi est placé dans le milieu de la
cabane et occupe toute sa longueur. Ce morceau de
bois sert d'oreiller aux naturels qui s'étendent des
deux côtés, tout nus en été et recouverts de leurs nat-
tes en hiver '. Du reste, en cette dernière saison même,
ces cases ferment si bien que le moindre feu suffît
pour y entretenir une chaleur presque semblable à
celle d'un four.
Ces sauvages veillent quelquefois fort avant dans la
nuit en été; quand il fait froid ils se couchent de meil-
leure heure, et dans toutes les saisons ils sont debout
au point du jour.
Ces peuples sembleraient posséder quelques no- Astronomie.
fions grossières d'astronomie , au moins d'uranogra-
phie. Doua-Tara racontait à M. Nicholas que ses com-
patriotes passaient souvent plusieurs heures à con-
templer les étoiles. Ils ont assigné à chacune d'elles
des noms particuliers 2; ces noms rappellent certaines
traditions anciennes et en grande vénération dans le
pays.
Durant l'été, ils consacrent des nuits entières à
étudier les mouvemens célestes, et à veiller le moment
où telle ou telle étoile va paraître à l'horizon. S'il leur
arrive de ne pas voir paraître l'étoile qu'ils attendent
à l'instant présumé , ils s'inquiètent de son absence ,
et ils ont recours aux traditions que leurs prêtres leur
ont transmises h cet égard 3.
i Manden , d'I'rv. , TU, p. iy5. — * Savage, p. ai. — 3 Nicholas , I,
p. ;■> r.
430 VOYAGE
La ceinture d'Orion se nomme chez eux PFaka ou
la pirogue. Ils croient que les Pléiades furent autre-
fois sept de leurs compatriotes qui , après leur mort ,
se fixèrent dans cette partie du ciel , et chaque étoile
représente un de leurs yeux, la seule partie de leur
être désormais visible. Les deux groupes d'étoiles
que nous nommons nuages magellaniques sont pour
eux Firabou et Aretc, et diverses opinions supersti-
tieuses s'y rattachent. Enfin une autre constellation
porte le nom de X Ancre • .
Les Nouveaux-Zélandais savent très-bien reconnaî-
tre leur direction , durant le jour, par la position du
soleil , et la nuit par celle des étoiles. Guidés par le
même moyen, ils indiquent avec une grande exacti-
tude le gisement de leur île , lorsqu'à la mer on les
interroge à cet égard 3.
Voyages. Ils aiment beaucoup à voyager, et ils se rendent
souvent à des distances considérables de leurs rési-
dences et pour de longs intervalles de temps 3. Le
plus souvent leurs voyages ont pour but quelque com-
merce ; ils vont échanger des nattes , des pounamous
contre des vivres , des armes ou d'autres objets 4.
D'autres fois ces voyages ont une fin politique 5 ; ce sont
des députés envoyés par leurs chefs pour solliciter l'al-
liance d'autres tribus et les inviter à leur porter se-
cours dans leurs projets de guerre, ou bien ils vont de-
i Nicholas, I, p. 52. — 2 Cruise , d'Urv. , III, p. 636. — 3 Marsden ,
d'Urv., III, p. 340.— 4 Kendall, d'Urv., III, p. 126. — 5 Marsden,
d'Urv., III, p. 47 3.
DE L'ASTROLABE. 431
mander satisfaction pour des outrages commis par des
membres de ces tribus sur des individus appartenant
à celle de renvoyé; ou bien, espions déguisés, ils vont
pour examiner les forces , les mouvemens et les dis-
positions de l'ennemi. Enfin plusieurs de ces sauvages
se décident à visiter des contrées éloignées , unique-
ment par des motifs de curiosité.
Malgré l'esprit soupçonneux de ces peuples et l'é-
tal habituel de guerre où ils vivent , les voyageurs
sont ordinairement bien reçus, et même fêtés et réga-
lés par les tribus dont ils traversent le territoire. Les
devoirs de l'hospitalité sont généreusement accomplis
envers ces étrangers; on leur fournit des guides, mais
on exige qu'ils ne séjournent pas plus de temps qu'il
n'en faut pour terminer leurs affaires 1 .
V.
MARIAGE.
A la Nouvelle-Zélande , les jeunes gens se marient Décence,
de bonne heure, ordinairement entre vingt et vingt-
quatre ans. Quels que soient les excès auxquels la
cupidité et le désir de se procurer des objets de fabri-
que européenne puissent porter les femmes zélan-
daises à l'égard des étrangers , dans leurs rapports
habituels , les deux sexes semblent vivre entre eux
avec beaucoup de retenue , chose remarquable chez
un peuple aussi près de l'état de nature.
i Cooh , trois. Voy. , I , p. 176 et 177.
4 32 VOYAGE
Banks a fait l'éloge le plus sincère de la décence
et de la modestie des femmes 1 . Les voyageurs n'ont
jamais observé , dans ces contrées , ces assemblées de
débauche et de corruption, ces traits de cynisme et de
lubricité publique , si fréquens chez les habitans de
Taïti et de Hawaii. Un préjugé établi chez ces natu-
rels leur fait regarder comme infâme toute espèce de
relation intime entre un chef et ses esclaves 2, et ce
préjugé , quelle qu'ait été son origine , a dû puissam-
ment contribuer au maintien de la morale publique.
Toutefois il est certain que les jeunes filles , tant
qu'elles ne sont point mariées, peuvent accorder leurs
faveurs à qui leur plaît. Aucune idée de crime n'est
attachée à leurs galanteries , pourvu que les conve-
nances de rang soient observées 3. Je ne sais ce qui a
lieu pour les enfans qui proviendraient de liaisons
illicites , et quels seraient leurs droits. Peut-être les
filles s'arrangent-elles de manière à prévenir ces sortes
de cas; peut-être les pères consentent-ils à épouser
celles qui ont donné le jour à leurs enfans. Quand je
questionnais Touai à ce sujet , je ne pouvais en obte-
nir de réponse précise ; il avait seulement l'air de re-
garder comme une monstruosité impossible qu'un
père pût abandonner ses enfans , en disant qu'un
homme ne pouvait jamais abandonner sa chair el son
sang.
Fidélité Du moment où la femme s'est engagée envers un
conjugale, homme, toute espèce de relation intime avec tout au-
i Cook, prem. "Voy., III, p. 267. — 2 Lesson, Voyage médical, p. 119.
— i Nicholas, d'Urv., III, p. 5g5. Cruise, d'ITrw, III, p. G5g.
DE L'ASTROLABE. 433
tre homme lui est sévèrement interdite ». Il n'est peut-
être pas de pays au monde où les femmes soient plus
sincèrement pénétrées de cette obligation et où elles y
restent plus scrupuleusement assujetties , lors même
qu'en violant leurs devoirs elles sauraient échapper
à tous les regards 2. Elles poussent si loin le senti-
ment de la fidélité conjugale , que les malheureuses
esclaves qui venaient vivre à bord de nos navires , et
qui ne faisaient aucune difficulté de se livrer à tous
les hommes du bord , sans distinction de rang ni
d'âge , du moment, qu'elles avaient contracté un en-
gagement particulier avec quelques personnes de l'é-
quipage, leur devenaient tout aussi fidèles que si elles
eussent été leurs véritables épouses 3. Ni prières, ni
promesses, ni présens ne pouvaient les engager à vio-
ler la foi promise , et le mot lapon était l'unique ré-
ponse qu'elles opposaient à tous les efforts que l'on
tentait pour les rendre infidèles. Déjà Forster avait
fait la même observation 4.
Quant à la cérémonie du mariage en elle-même, Fiançailles.
les opinions sont divisées sur ce chapitre. La plupart
des voyageurs ont assuré que l'homme peut choisir
parmi toutes les jeunes filles qui sont libres, et le con-
sentement des plus proches parens de celle-ci lui suf-
fit , quelles que soient d'ailleurs les dispositions de la
future 5. Le jeune homme en est quitte pour faire les
i yicholas, d'Urv., III, p. 5g5. Cruise, d'Urv. , III, p. 65g. — 2 D'Ur-
ville, III, p. 686. — 3 Cruise, d'Urv., III, p. 655. —4 Cook , deux.
Voy., II, p. m. — 5 Cruise, d'Urv. , III, p. 665. D'Utville, II, p. a3o.
IXuthvrford, d'Urv., III, p. 748.
TOME il. 30
AU VOYAGE
cadeaux d'usage aux parens , puis il emmène chez lui
celle qui a fixé son choix.
Cette manière de choisir et d'emmener sa future est
sans doute un peu cavalière et ne ressemble guère à
ce que m'avait raconté M. Kendall touchant la même
cérémonie. Souvent , disait ce missionnaire , le jeune
homme choisit sa future tandis qu'elle est encore fort
jeune, et va la demander à ses parens. Si ceux-ci con-
sentent à l'union , il applique sa main sur l'épaule de
sa future, en signe d'engagement, ce qui correspond
parfaitement à ce que nous nommions jadis fiançail-
les. Lorsque la jeune personne est nubile , accompa-
gné de ses amis, l'époux va la chercher au logis de ses
parens et l'emmène chez lui. Deux ou trois parentes
de la future sont désignées pour l'accompagner et
veiller sur elle jusqu'à la consommation du mariage.
Alors c'est à l'époux à obtenir par adresse ou par per-
suasion les faveurs de sa belle; pour éprouver l'amour
de son mari, celle-ci le fait soupirer des jours et des
nuits entières, dit-on. Dès qu'il est heureux, il appelle
les gardes de la jeune fille qui, après s'être assurées du
fait , se retirent ; leurs fonctions cessent, et elles s'en
retournent chez elles. De ce moment seulement le ma-
riage est définitivement ratifié.
La version de Doua-Tara aurait quelque rapport
avec la précédente, sans supposer cependant une déli-
catesse aussi raffinée. 11 disait simplement que l'amant
doit se procurer d'abord le consentement des parens
de sa future. S'ils le donnent et que la jeune fille ne
pleure point à la proposition qui lui est faite , le ma-
DE L'ASTROLABE. i35
liage a lieu sur-le-champ ; mais si elle pleure la pre-
mière fois qu'il fait sa visite et qu'elle persiste dans
ses refus à la seconde et à la troisième visite, le calant
est obligé de renoncer à ses desseins « .
Probablement c'est cette façon de se marier que
M. Kendalla désignée dans sa grammaire sous le nom
de Adou-Kanga , épousailles par serment, de adou
faire la cour, et kanga serment. Touai m'assura que
c'était ainsi qu'il avait été obligé d'en agir pour obtenir
la main de sa femme Ehidi, et qu'il avait en outre fait
présent à ses parens de trois fusils, de deux esclaves,
de trois canots et. d'une portion de terre.
Déjà Banks avait fait touchant la conduite à tenir
envers les jeunes filles, et les égards qu'il fallait leur
témoigner pour obtenir leurs faveurs, une observation
qui donnerait lieu de penser que les assertions de
M. Rendall et de Doua-Tara ne seraient pas dénuées
de fondement 2.
Peut-être ces égards extraordinaires et cette déli-
catesse extrême pour des sauvages , mentionnés par
31. Kendall, ne s'observent-ils qu'envers les femmes
d'une haute naissance ; tandis que pour les autres la
demande et les présens aux parens de la future suf-
fisent tout simplement pour obtenir sa main. Quoi
qu'il en soit , il est certain que dans le choix de leurs
femmes , surtout de la principale , les chefs font beau-
coup plus d'attention au rang et à l'influence de la
i Kendall, d'Urv. , III, p. i23. — s l'ook , prem. Voy., III, p. 267,
368.
30*
436 VOYAGE
famille à laquelle elle appartient qu'à sa jeunesse ou
à sa beauté. Touai me répétait souvent que sa femme
qu'il chérissait tendrement appartenait à l'une des
plus nobles familles de la Zélande. Shongui avait aussi
beaucoup d'affection et de considération pour sa pre-
mière femme , qui était aveugle et dépourvue d'at-
traits personnels , mais qui était d'une naissance
illustre.
polygamie. Ordinairement les époux vivent ensemble de bonne
amitié , et les querelles sont rares entre eux l. Si le
mari veut prendre plusieurs femmes , ce qui lui est
permis 2, il est obligé , disait Touai, de fournir à cha-
cune d'elles un logement , et rarement il arrive que
deux femmes habitent ensemble. Quelques rangati-
ras opulens ont eu jusqu'à dix femmes, comme Ta-
reha 5; Shongui en avait sept , Koro-Koro trois ; mais
Touai n'en avait jamais pris qu'une seule, et quand je
lui en demandai la raison , c'était , disait-il, pour ne
pas faire de peine à Ehidi.
Parmi ces diverses femmes , il en est toujours une
qui occupe le premier rang , et c'est celle qui sort de
la famille la plus distinguée. Elle participe seule aux
honneurs et aux dignités de son mari, et ses enfans
sont destinés à succéder au père dans ses possessions
et dans son pouvoir 4.
Les chefs épousent souvent plusieurs sœurs à la
i Ruiherford, d'Urv. , III, p. 75o. — 2 Cook, trois. Voy., I, p. 178.
Savage, p. 44. — 3 Marsden , d'Urv., III, p. 164. — 4 Nicholas, I,
p. 177. Marsden, d'Urv., III, p. 407. Cruise , d'Urv., III, p. 665. Revue
Britannique, d'Urv., III, p. 723.
DE L'ASTROLABE. 437
fois. Tepahi , quoique très-àgé et paralytique , avait
épousé les quatre sœurs , et avait en outre plusieurs
autres femmes ' . Rutherford épousa à la fois les deux
filles de son chef Emaï, Eshou et Epeka 2.
Toute espèce de relation est sévèrement interdite
entre les personnes de famille noble et les esclaves 5.
Le traitement barbare que Tepahi (it subir à sa propre
fille, en la renfermant durant des années entières dans
une cage étroite, démontre à quels excès l'orgueil no-
biliaire offensé peut se porter même sur les plages
sauvages de la Nouvelle-Zélande 4. Rutherford assure
néanmoins qu'un chef peut épouser une esclave, mais
qu'il est exposé à être dépouillé de ses biens pour
avoir violé la coutume. L'enfant d'une esclave est
esclave , quand même son père serait un chef 5.
Nous avons déjà annoncé que les rangatiras ne
semblaient voir qu'avec une sorte d'horreur toute es-
pèce de communication intime avec leurs esclaves 6.
S'il arrivait cependant , me disait Touai , qu'un chef
vînt à avoir un enfant d'une de ses esclaves , sous
peine d'être déshonoré aux yeux des siens , il serait
obligé de l'épouser. Pour cela il lui donnerait la li-
berté ou l'achèterait 7, et irait ensuite la demander à
ses parens avec les formalités requises. Nous ferons
observer d'abord qu'une telle manière d'agir démon-
trerait un scrupule d'honneur bien étonnant pour de
' Savage , p. 44. — 2 Rutherford, d'Urv. , III , p. 749- — ( Xiiholas,
d'Urv., III, p. 601. Rutherford, d'Urv., III, p. 75o. — 4 Savage, d'Urv.,
III, p. 782. — 5 Uuthetford , d'Urv., III, p. 750. — i'< J.esson , Voyage
médiriil, p. iiy. — 7 Diilon , II, p. 281.
438 VOYAGE
pareils hommes; qu'ensuite, fût-elle sérieusement obli-
gatoire par les coutumes du pays, elle n'obligerait les
chefs qui se trouveraient dans ce cas qu'autant qu'ils
le voudraient bien. En effet, comme ils sont maîtres
absolus de la vie de leurs esclaves, on sent bien qu'un
rangatira serait toujours libre de faire disparaître la
malheureuse fille dont il aurait abusé plutôt que de se
laisser contraindre à l'épouser, si cela ne lui conve-
nait point. Du reste il arrive souvent que des chefs
épousent leurs prisonnières de guerre x, et c'est peut-
être en ces occasions qu'ils les mettent en liberté et
en font la demande à leurs parens.
M. Dillon nous apprend que certaines prêtresses,
et il cite Wanga-Taï pour exemple , sont d'une dignité
trop éminente pour honorer de leur main un homme
de leur nation 2. Alors elles jettent le mouchoir aux
Européens qu'elles veulent bien gratifier de leurs fa-
veurs. Cela rappelle naturellement le cas d'exception
tout semblable où se trouve à Tonga-Tabou la Ta-
maha, dont aucun homme ne peut devenir l'époux
avéré. Reste à savoir si la conduite adoptée par Wan-
ga-Taï n'est pas un pur effet de son caprice, et n'a pas
pour but de donner à ses compatriotes une plus haute
opinion de son caractère sacré ; peut-être pareille res-
triction n'avait-elle jamais eu lieu avant l'apparition
des Européens dans ces contrées.
L'adultère entraîne presque toujours la peine de
i Marsden, d'Urv., III, p. 32i. Cruise, d'Urv., III, p. 665. — = Dillon,
I, p. 223.
DE L'ASTROLABE. 439
mort pour la femme qui s'en rend coupable r . Cepen-
dant le mari se contente quelquefois de la répudier et
de la renvoyer chez ses parens quand il craint leur
ressentiment 2. «
Bien que ce ne soit pas une loi inexorable , ime né- Suicide.
cessité impérieuse qui les porte à cet acte , comme au
Bengale et dans l'Inde, cependant on voit souvent les
femmes des chefs de la INouvelle-Zélande renoncer à
la vie lorsqu'elles perdent leurs époux. D'ordinaire
elles mettent fin à leurs jours, et se pendent à un ar-
bre; cette action est toujours admirée et applaudie par
leurs amis et leurs propres parens, comme la plus
grande preuve d'attachement qu'elles puissent donner
à la mémoire de leur mari 5.
Quand Touai se décida à faire un voyage en Angle-
terre, son frère Koro-Koro désirait qu'il emmenât sa
femme avec lui; M. Kendall voulait l'en dissuader,
représentant combien la position de cette femme de-
viendrait fâcheuse si son mari venait à périr dans le
voyage ; Koro-Koro se contenta de répliquer qu'en
pareil cas la femme de Touai ferait tics-bien de se
pendre, suivant la coutume des Nouveaux-Zélandais 4.
Quoique cette action soit bien plus rare de la part
des hommes, on en a vu qui n'ont pas voulu survivre
à la perte d'une femme tendrement aimée, ou d'un
« Kendall, d'Urv., III, p. iî3. Ruthrrfoid, d'Urv. , III, p. 75o. —
s Marsden , d'Urv., III, p. 36o. ('mise, d'Urv., III, p. 665. — 3 yicholas,
d'Urv., III, p. 626. Croise, d'Urv., III, p. 665. 1-. Hall, d'Urv., III,
p. 468, 469. Revue Britannique, d'Urv., III, p. 723. — 4 kendall,
d'Urv., III, p. 2 33.
440 VOYAGE
parent chéri. Shongui tenta, dit-on, deux fois de se
pendre à la mort de son frère Kangaroa J .
Si la loi du pays n'oblige point formellement la
fenmte à se détruire à la mort de son mari , elle lui
interdit du moins de se remarier avant qu'elle ait re-
levé les os du défunt ; car ce n'est que de ce moment
qu'elle a acquitté tous ses devoirs envers son époux.
Il paraît même qu'après ce délai, elle ne peut contrac-
ter de nouveaux liens sans imposer une sorte de ta-
che sur sa réputation ; pour la conserver intacte, elle
doit rester fidèle à la mémoire de son mari 2. Pour
empêcher que la veuve ne profane cette mémoire par
un mariage illégal, les parens du défunt poussent
quelquefois la barbarie jusqu'à l'immoler à cette
crainte 3.
La femme qui viole les coutumes de son pays en se
remariant avant le délai prescrit, est punie de sa faute
en se voyant dépouillée de tout ce qu'elle possède par
ses voisins. On en voit un exemple frappant dans la
personne de la veuve de Tara, malgré son haut rang,
et dans celle de King-George, son second époux, qui
partagea le châtiment qui lui fut infligé 4.
Les femmes sont très-sensibles aux reproches que
leurs maris leur adressent , et il leur arrive quelque-
fois d'aller se pendre immédiatement après en avoir
reçu 5. Touai m'a assuré qu'une femme à qui il arri-
i Kendall, d'Urv., III, p. 234. — 2 Kendall, d'Urv., III, p. 237. —
3 F. Hall, d'Urv., III, p. 468. — 4 Marsden , d'Urv., III, p. 286, 288.
— 5 ColUns, d'Urv., III, p. 81.
DE L'ASTROLABE. 441
verait de lâcher par mégarde un pet devant son mari,
irait sur-le-champ se pendre , et il me raconta un fait
de cette nature récemment arrivé. Les missionnaires
n'en avaient aucune connaissance , non plus que du
cas lui-même. J'ai d'autant plus de peine à admettre
cette excessive délicatesse, que les jeunes esclaves qui
vivaient avec nos matelots à bord ne se gênaient en
aucune façon sur ce point.
Quand une femme est près d'accoucher , elle de- Couches.
vient tapou ; elle est en conséquence privée de toute
communication avec les autres personnes, et reléguée
sous un petit abri temporaire qui a été préparé pour
elle. Là, elle est servie, suivant son rang, par une ou
plusieurs femmes qui sont tabouées comme elle. Cet
état d'exclusion de la société dure quelques jours
après l'accouchement. La durée précise de cette es-
pèce de quarantaine et les formalités que la femme
doit subir pour reparaître librement dans la société
sont encore inconnues.
On a remarqué que les femmes de ce pays cessent
de bonne heure d'avoir des enfans I ; cela tient sans
doute aux travaux pénibles auxquels elles sont as-
sujetties , surtout aux privations qu'elles ont à subir
pendant leur grossesse et au moment de leurs couches.
VI.
EXFANS.
Par suite des préjugés adoptés par ces peuples , la Naissance.
» Nicholas, II, p. 3ot.
442 VOYAGE
mère devant être reléguée dans les derniers jours de
sa grossesse loin de son habitation, sous un simple
abri de branchages et de feuilles presque entièrement
exposé à la pluie , au vent et aux ardeurs du soleil ;
c'est là naturellement que le nouveau -né vient au
monde; c'est là qu'il doit rester encore plusieurs jours
après sa naissance exposé à toutes les intempéries de
la saison l.
Suivant M. Nicholas , les femmes accouchent en
plein air, devant une assemblée de personnes des deux
sexes et sans pousser un seul cri. Les assistans épient
avec attention l'instant où l'enfant arrive au monde ,
et s'écrient à sa vue : Tane Tane. La mère elle-même
coupe le cordon ombilical, se lève ensuite , et reprend
ses travaux ordinaires, comme si de rien n'était 2.
Si d'une part des épreuves aussi rigoureuses doi-
vent emporter au moment de leur naissance plusieurs
de ces enfans , il faut convenir , d'un autre côté ,
qu'elles doivent affermir la constitution de ceux qui
peuvent y résister, et leur donner de bonne heure
cette force de corps , cette vigueur de tempérament
et cette aptitude à endurer toutes sortes de privations,
qui leur deviendront si nécessaires par la suite dans
l'existence active et pénible à laquelle ils sont destinés.
Crozet , en voyant tous ces insulaires grands , ro-
bustes et bien faits , soupçonnait presque que l'on ne
conservait point les enfans qui venaient au monde
i Marsden, d'Urv. , III, p. ig5. — 2 Nicholas, II, p. 172. Marsden ,
d'Urv., III, p. 196.
DE V ASTROLABE. 443
faibles ou difformes ». Celte conjecture ne s'est point
vérifiée , et les missionnaires n'ont rien découvert qui
annonçât quelque chose de semblable dans les coutu-
mes du pays. Sans doute il est certaines occasions où
Ton ne se fait aucun scrupule de détruire les enfans ,
surtout quand le nombre des tilles dépasse le désir des
parens 2. Alors c'est la mère elle-même qui fait périr
son enfant aussitôt qu'il est né, en appuyant fortement
son doigt sur la partie supérieure du crâne 5, à l'en-
droit nommé fontanelle. Mais cela est indépendant
de la conformation de l'enfant. Quoi qu'il en soit , les
personnes difformes et contrefaites sont fort rares à
la Nouvelle-Zélande; dans le grand nombre de ceux
que nous vîmes pendant tout le voyage de l Astro-
labe, qui peut bien se monter à deux ou trois mille,
nous n'observâmes qu'un bossu que M. Sainson a
dessiné.
Les missionnaires avaient déjà remarqué que ces Baptême.
insulaires avaient une espèce de baptême 4, et la for-
mule en avait même été rapportée dans le vocabulaire
dressé sur les matériaux fournis par M. Kendall.
Touai, que j'interrogeai à ce sujet, me dit que, cinq ou
six jours après la naissance de son fils, cette cérémonie
avait été accomplie par la mère, assistée de ses amies.
Toutes ces femmes aspergent l'enfant au front avec
une branche trempée dans de l'eau , et c'est en cemo-
• Crozet, d'Urv., III, p. 53. — » Cntisè, d'Urv. , III, p. 664. —
3 Revue Britannique , d'Urv., III , p. 723. — 4 Nicholas, d'Urv., III,
p. 583. D'Unille, III, p. 682 et suiv.
4 H VOYAGE
ment qu'on lui impose le nom qu'il doit porter par la
suite l . Ce nom est une affaire importante et sacrée
pour ces peuples , il fait pour ainsi dire partie de leur
être qu'il représente d'une manière intellectuelle. Ils
en changent cependant en quelques circonstances
extraordinaires, et alors le baptême est, dit-on, re-
nouvelé 2.
Touai ajouta qu'au moment où l'on baptise l'enfant,
on plante aussi un arbre qui devient l'emblème de son
existence ; la croissance et la taille de l'arbre ont un
certain rapport prophétique avec l'âge du nouveau-
né et le développement graduel de ses facultés. Si
l'arbre prospère et devient vigoureux , c'est d'un heu-
reux augure pour l'enfant ; si, au contraire, il dépérit
et meurt, les parens regardent cet événement comme
du plus fâcheux présage pour l'objet de leur ten-
dresse. Il en résulte, suivant Touai, entre les diverses
circonstances de l'existence humaine et celles de la
vie d'un arbre , certaines allusions singulières qui se
reproduisent parfois dans leur langage.
Éducation. Les enfans reçoivent toutes sortes de soins de la
part de leurs mères qui sont pour eux des nourrices
tendres et fort attentives 5. Quand les femmes de ce
pays veulent sevrer leurs enfans, suivant M. Edward-
son, elles se frottent l'extrémité du sein avec la partie
de la tige du phormium voisine de la racine , qui est
fort amère 4.
i Cruise, d'Uiv., III, p. 664. — 2 D'Urville, III, p. 683. — 3 Savage,
p. 44. Cruise, d'Urv., III, p. 664. Revue Britannique, d'Uiv., III , p. 273.
— 4 Blosseville , p. 29.
DE L'ASTROLABE. 445
Les pères eux-mêmes s'accoutument à porter de
bonne heure leurs en fans sur leur dos , à jouer avec
eux, et à mâcher les alimeus qui seraient encore trop
durs pour leurs petites dents '. Le plus grand plaisir
qu'un Européen puisse faire à un Nouveau-Zélandais,
homme ou femme, c'est de s'occuper de son enfant,
de le caresser et de lui faire quelques présens 2- c'est
peut-être le meilleur moyen pour gagner sur-le-champ
son amitié.
Les enfans croissent paisiblement sous les yeux de
leurs parens , sans être assujettis dans le bas âge à
aucune espèce de contrainte 5, de leçons ou d'exerci-
ces particuliers. Nonobstant la liberté illimitée dont
ils jouissent , il est juste d'observer qu'ils sont en gé-
néral joyeux , d'une humeur égale , et d'un caractère
aimable. Ilsne sont point sujets à ces caprices bizarres,
à ces dispositions fantasques qui rendent tant d'enfans
maussades et haïssables dans nos sociétés civilisées.
Ils s'accoutument promptement à la vue des étran-
gers , et recherchent leur société sans cependant se
rendre importuns ni indiscrets 4.
Quand ils sont arrivés à l'âge où ils peuvent dé-
ployer leurs petites forces , les (illes se forment peu à
peu , sous la direction de leurs mères , aux travaux
qui seront un jour l'apanage de leur sexe; les gar-
çons s'attachent plus particulièrement à la société de
leurs pères, ils les suivent aux assemblées publiques,
» Nicholas , d'Urv. , III, p. 632. — a Cook , deux. Voy. , I, p. 25<).
Croeel, d'ITrv ,111, p. 53. — 3 Savage, p. 45. — 4 Kendall, d'Urv., III,
p. 124.
446 VOYAGE
à la chasse , et même quelquefois à la guerre » . Sous
leurs yeux , ils se dressent à l'exercice de la lance , du
paton, du mère, et ils apprennent de bonne heure
les chants et les danses guerrières du pays 2.
Le jeu favori des enfans était celui du pol. Le poï
est une balle en étoffe du pays, garnie intérieure-
ment avec le duvet d'une certaine plante semblable
au jonc , et à laquelle pend un bout de corde.
On envoie la balle en l'air, et l'adresse consiste à la
retenir par le bout de corde tandis qu'elle retombe 5.
Du reste les jeunes Zélandais ont bientôt adopté tous
les amusemens des jeunes Européens ; aujourd'hui ils
savent jouer à la toupie, au volant, au cerf-volant, etc. ;
ils sont surtout passionnés pour ce dernier divertis-
sement, auquel ils ont donné le nom de pakaiikau.
Adoption. Les adoptions paraissent fréquentes chez les Nou-
veaux-Zélandais 4, car j'ai vu souvent des jeunes gens
donner le titre de père à des hommes âgés qui n'a-
vaient point d'enfans , et avoir pour eux le respect et
le dévouement de véritables fils. Du restej'ignore s'il
existe pour cela quelque formalité préliminaire. Il est
certain, du reste, que chez eux l'adoption confère
tous les droits de la paternité effective ; la preuve s'en
trouve dans ce chef qui pressait M. Marsden de lui
envoyer un de ses fils pour l'adopter en place du sien
qui était mort à Port-Jackson , et laisser à cet étran-
i Marsden, d'Urv. , III, p. 348. — a Andevson , d'Urv. , III, p. 25.
Crulse, d'Urv., III, p. 664. — 3 Nicholas, I, p. 3 18. — 4 D'Urville, II,
p. 170.
DE L'ASTROLABE. 447
ger ses titres et ses domaines , au préjudice de ses hé-
ritiers naturels ' .
Ceci nous conduit à faire une autre observation.
Bien que les chefs aient en général beaucoup d'affec-
tion pour tous leurs enfans , néanmoins ils ont tou-
jours une prédilection marquée pour ceux qui pro-
viennent de la femme principale , et surtout pour
l'aîné. En effet, c'est lui qui est destiné à succéder à
son père; sur lui seul reposent, en quelque sorte, les
espérances de la tribu tout entière 2. Les autres en-
fans sont censés rangaliras de droit, et prennent rang
entre eux , d'abord suivant la dignité de leur mère,
ensuite par rang d'âge.
VII.
MOKO OU TATOUAGE.
On appelle moko, ou tatouage, ces dessins bizarres
que les Nouveaux-Zélandais impriment sur leur vi-
sage et sur les diverses parties de leur corps 3. Cet
usage est généralement répandu parmi tous les insu-
laires de l'Océanie , mais ceux de la Nouvelle-Zélande
se distinguent en creusant en véritables sillons cet
ornement qui partout ailleurs n'entame que la super-
ficie de la peau 4. Ils emploient pour l'exécuter une
manière de taille au ciseau , au lieu d'une simple suite
de piqûres, comme le font les autres peuples. Ils pa-
raissent aussi attacher à celte décoration des idées de
» Mandat, d'Urv. , III, p. 41 3. — 2 Marsden, d'Urv. , III, p. 407. —
3 Croset, d'I'rv., III, p. 63. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 269.
448 VOYAGE
distinction et de privilège bien plus positives qu'à
Taïti, Tonga-Tabou, Hawaii, etc.
Opération. L'opérateur commence par tracer sur la peau avec
du charbon les dessins qu'il a l'intention d'exécuter ' ;
puis il prend un instrument composé d'un os d'alba-
tros , ajusté à angle droit à un petit manche en bois
de trois ou quatre pouces de long, dans la forme
d'une lancette de vétérinaire. L'os est tantôt simple-
ment tranchant à son extrémité , tantôt aplati et muni
de plusieurs dents aiguës comme un peigne. Il appli-
que cet instrument contre la peau, et frappe avec un
petit bâton sur le dos du ciseau pour le faire pénétrer
dans l'épiderme et l'entailler d'une manière suffisante,
en suivant le dessin préparatoire. On conçoit que le
sang doit couler en abondance, mais l'opérateur a soin
de l'essuyer à mesure avec le revers de sa main ou
avec une petite spatule en bois. A mesure que la peau
est entaillée, la couleur ou le moko est introduite dans
la coupure au moyen d'un petit pinceau. Elle se com-
pose de charbon pilé 2, de manganèse , suivant Ni-
cholas, ou enfin d'une teinture végétale 3. Après quoi
Je patient reste taboue durant trois jours 4.
Rien n'est plus douloureux à subir que cette opéra-
tion, il faut quelquefois plusieurs mois pour terminer
un moko 5; les suites en sont souvent plus pénibles
que l'opération elle-même 6, à cause des plaies qui en
i Savage , p. 46. NicJwlas , II, p. i53. Cruise, p. i3g. — 2 Revue Sri'
tannique, d'Urv. , III, p. 722. — 3 Crozet, d'Urv. , III, p. 63. Marsden,
d'Urv. , III, p. 3 10. — 4 Rutherford , d'Urv., III, p. 740. — 5 Savage,
p. 46. — 6 yicholas , I, p. 36o. Blosseville , d'Urv., III, p. 6<)5.
DE L'ASTROLABE. 449
résultent et que certaines circonstances peuvent en-
venimer d'une manière effrayante. Les naturels nous
exprimaient par des gestes très-significatifs les dou-
leurs intolérables que l'opérateur leur faisait éprou-
ver quand il venait à attaquer le bord des lèvres , le
coin de l'œil, et surtout la cloison des narines.
Les jeunes gens ne subissent guère les premières
opérations du moko avant l'âge de vingt ans; il est
rare aussi qu'ils soient admis à cet honneur avant d'a-
voir assisté à quelques combats.
Il est impossible de prétendre à aucune considéra-
tion , à aucune influence dans sa tribu, sans avoir été
soumis à celte opération. Le jeune homme qui s'y re-
fuse , quand même il appartient à une famille distin-
guée , est regardé comme un être pusillanime , effé-
miné, et indigne de participer aux honneurs militai-
res ' ; aussi est-il fort rare que ce cas se présente. Cet
usage semble généralement répandu dans toute la
Nouvelle-Zélande , et les habitans du détroit de Cook
nous ont paru aussi vains de leur tatouage que ceux
des parties septentrionales d'Ika-Na-Mawi.
Cet ornement est interdit aux koukis , aux hommes Signe
du peuple , et même à ceux qui n'osent se présenter aux de d,stin<>,ion'
combats, à moins qu'ils ne soient autorisés à le porter
par une haute naissance. Touai m'assurait que les hom-
mes du peuple acquéraient le droit du moko par des
exploits à la guerre 2, et qu'après une campagne ho-
i Marsden , d'Urv. , III, p. 291, 3o3. Cruise, d'Urv., III, p. 657. D'Ur-
fille , II, p. 1(02. Revue Britannique , d'Urv., III, p. 722. — a Turnbull,
d'Urv., III, p. 93.
tomi: 11. 3i
450 VOYAGE
norable, les chefs se faisaient d'ordinaire ajouter quel-
que nouveau dessin pour en consacrer le souvenir. Il
me disait aussi qu'on repassait sur les mêmes dessins
plusieurs fois dans la vie », quelquefois jusqu'à quatre
ou cinq reprises différentes. Shongui, disait-il, avait
reçu tous ses mokos , car sa figure avait subi cinq ta-
touages. Lui-même n'était arrivé qu'à son second ta-
touage , et il comptait obtenir le troisième au retour
d'une expédition qu'il méditait alors. Peut-être ces
gradations dans les honneurs du moko ne sont-elles
pas aussi précises que Touai voulait les établir à mes
yeux ; au moins est-il certain que ses privilèges sont
limités aux hommes d'une naissance distinguée ou aux
guerriers célèbres par leurs hauts faits 2, et qu'un
rangatira se croit d'autant plus honoré que son visage
est plus décoré des dessins du moko 3.
Cette distinction n'est permise aux femmes, sur la
figure, qu'aux sourcils, aux lèvres et au menton, et ne
peut consister qu'en quelques traits de peu d'impor-
lance4; mais elles peuvent se faire imprimer des des-
sins plus compliqués sur les épaules et d'autres par-
ties de leur corps 5.
Quand j'allai visiter avec Touai le village de Kahou-
Wera , l'ariki Touao me montra sa femme qui rece-
vait la suite de son moko sur les épaules. Une moitié
de son dos était déjà sillonnée de dessins profonds ,
« Cook, prem. Voy. , III, p. 269. Cruise, d'Urv. , III, p. 657. —
a Savage, p. 46. Sainson, d'Urv., II, p. i5o. New-Zealanders , d'Urv.,
III, p. 776. — 3 Rutherford , d'Urv., III, p. 740. — 4 Savage, p. 4 7-
Cook, prem. Vov. , III, p. 269. — 5 Cruise, d'Urv., III, p. 65g.
DE L'ASTROLABE. iôt
semblables à ceux qui ornent le visage des parens de
Koro-Koro, et une esclave travaillait à décorer l'autre
dans le même goût. Coucbée sur le ventre , la mal-
heureuse femme semblait beaucoup souffrir, et le
sang ruisselait abondamment de ses plaies; cependant
elle ne poussait pas même un soupir , et elle se con-
tenta de me regarder d'un air riant, sans se déranger,
non plus que la femme qui était chargée de cette im-
portante opération. Touao semblait tout glorieux de
l'honneur nouveau que sa femme allait acquérir par
ces décorations , tandis que Touai ne faisait qu'en
rire pour montrer sa supériorité sur ses compatriotes.
Parmi ces peuplades , le moko m'a paru précisé-
ment l'équivalent de ces armoiries dont tant de fa-
milles européennes étaient si vaines dans les siècles
de barbarie , et dont quelques-unes sont encore ridi-
culement infatuées aujourd'hui malgré les progrès des
lumières. Entre ces deux inventions il y a pourtant
une différence remarquable , c'est que les armoiries
des Européens n'attestaient que le mérite individuel
de celui qui le premier avait su les obtenir, sans rien
prouver quant au mérite de ses enfans ; tandis que la
décoration du Nouvcau-Zélandais atteste d'une ma-
nière authentique que, pour avoir le droit de la por-
ter, il a dû faire preuve d'un courage et d'une patience
personnelle extraordinaire.
Rien ne pourra mieux démontrer les idées que les
Nouveaux-Zélandais attachent aux dessins du moko
et leur analogie avec nos armoiries que les observa-
tions suivantes. Touai me faisait remarquer r.n jour
3i*
462 VOYAGE
avec orgueil quelques dessins bizarres gravés sur son
front ; comme je lui demandais ce qu'ils avaient de si
remarquable : « La famille de Koro-Koro, reprit-il, a
seule , dans la Nouvelle-Zélande , le droit de porter
ces dessins; Shongui, tout -puissant qu'il est, ne
pourrait pas les prendre, caria famille de Koro-Koro
est beaucoup plus illustre que la sienne. » Un Zélan-
dais, considérant un jour le cachet d'un officier an-
glais , vit des armes gravées sur ce cachet , et sur-le-
champ il demanda à l'officier si c'était le moko de sa
famille ».
Ces dessins leur tiennent aussi aujourd'hui lieu de
signature 2, comme cela se pratiqua lors du marché
que M. Marsden contracta avec le chef Okouna ,
quand il voulut acquérir un terrain pour la mission.
Lorsque les Européens eurent apposé leur seing au
bas du contrat, le moko d'Okouna y fut appliqué en
guise de signature , et ce fut Shongui qui se chargea
de le tracer 3. Toupe-Koupa avait coutume de dire
que son nom était représenté par un des dessins par-
ticuliers de sa figure 4.
Effets Tout bizarre , tout grotesque que soit au premier
du moko. abord l'effet de ces dessins sur une figure humaine,
je dois convenir , et l'on en sera sans doute surpris ,
que l'œil s'y accoutume promptement, et finit par
trouver que l'aspect n'en est point du tout désagréa-
ble. Il y a plus, il me semblait que ces marques im-
i Cruise, d'Urv., III, p. 656. — 2 D'Unille, II, p. 227. — 3 Nicholas,
II, p. 193. Marsden, d'Urv., III, p. i33 et suiv. — 4 New-Zealanders »
d'Urv., III, p. 776.
DE L'ASTROLABE. 453
primaient au visage de ces hommes un caractère de
noblesse et de dignité très-prononcé ; ils suppléaient
en quelque sorte au défaut d'ornemens étrangers et à
la nudité habituelle de leurs corps. Par un sentiment
involontaire et dont j'aurais eu souvent peine à me
rendre compte , ceux de ces naturels dont le visage
n'était point tatoué me paraissaient effectivement d'une
condition inférieure et destinés à être les esclaves de
ceux qui avaient reçu leurs insignes.
En outre, l'opération du moko, en donnant au sys-
tème cutané un surcroît d'épaisseur et de solidité ,
rend ces insulaires plus en état de résister aux piqûres
des moustiques , aux intempéries des saisons , aux
coups de leurs ennemis, en un mot à tous les accidens
auxquels l'homme sauvage est incessamment exposé.
Les souillures de la saleté , les traces des maladies et
jusqu'aux rides de la vieillesse sont peu sensibles ï
sur ces peaux gravées , endurcies et fréquemment
ointes d'huile. Enfin ces décorations étranges ont l'a-
vantage d'annoncer sur-le-champ et d'une manière
authentique le rang de chaque individu, et de lui assu-
rer la considération à laquelle il a droit.
VIII.
ESCLAVES.
Les esclaves se composent des prisonniers faits à
la guerre, de leurs enfans, et des individus libres qui,
■ Croise, d'Urv. , III, p. 657.
454 VOYAGE
par des malheurs imprévus ou comme punition de
certains crimes, ont été réduits à cette triste condition.
Dans ces contrées, comme chez les anciens peuples
de la Grèce et de l'Asie , il paraîtrait que la condition
d'esclave imprime une sorte de tache indélébile à ceux
qui ont été obligés d'en subir l'humiliation. Aussi les
malheureux réduits en servitude par leurs ennemis
cherchent-ils rarement à se soustraire à leur triste des-
tinée J, bien que cela leur soit souvent assez facile, eu
égard à la surveillance peu sévère que l'on exerce sur
eux , aux forêts et aux déserts dont la Zélande est
semée. Ils se résignent à leur position , et deviennent
quelquefois des membres fidèles de leurs nouvelles
tribus, soit par alliance, soit par adoption, soit par le
simple effet de l'habitude et de la nécessité.
Occupations. Les esclaves ou serviteurs travaillent de concert
avec les femmes et sous leur direction à la culture des
champs ; ils vont à la pèche , ce sont eux surtout qui
font cuire les alimens et les présentent à leurs maî-
tres 2. Cette dernière fonction leur a fait donner, dans
ces derniers temps , le nom de kouki ( corruption de
l'anglais cook ou cuisinie?), au lieu de wcui, servi-
teur , qu'ils portaient plus habituellement aupara-
vant 3.
Aujourd'hui les chefs tirent parti de leurs jeunes
esclaves du sexe féminin , en les envoyant à bord des
navires européens pour trafiquer de leurs charmes
i W. Williams, d'Urv., III, p. 53o. — 2 Marsden, d'Urv. , III, p. 199.
— 3 D'Uiville, III, p. 679.
DE L'ASTROLABE. 46. S
avec les gens de l'équipage. Ces pauvres malheureu-
ses sont obligées de rapporter à leurs maîtres le fruit
de leur prostitution, ou elles courraient le risque
d'être maltraitées par eux l.
Bien que la vie des esclaves soit entièrement à la Condition,
discrétion de leurs maîtres 2, et que ceux-ci puissent
les mettre à mort sans plus de difficulté qu'un Euro-
péen n'en éprouverait à assommer son chien ou son
âne"», et sans qu'il en résultat pour eux des suites
plus fâcheuses ; cependant la condition de ces infor-
tunés n'est pas aussi pénible qu'on pourrait se l'ima-
giner. Quand ils ont une fois recueilli et préparé de
quoi manger pour leurs maîtres, ils peuvent le reste
du temps danser, chanter et se divertir à leur fan-
taisie 4. Certainement leur sort est beaucoup moins à
plaindre que celui des malheureux noirs condamnés
à servir les Européens dans les colonies , et à épui-
ser du matin au soir leurs forces dans un travail acca-
blant et sans cesse renaissant , pour satisfaire à la cu-
pidité de leurs maîtres. Sous ce rapport, le Nouveau-
Zélandais, tout sauvage qu'il est, se montre un maître
plus humain ; il maltraite rarement son esclave ,
malgré le mépris qu'il lui porte , et la différence des
hommes libres aux esclaves est si peu sensible aux
yeux d'un étranger, qu'il nous était souvent fort dilli-
cile de distinguer les uns des autres 5.
• Cook , deux. Voy., I, p. 25i, 271; V, p. 35i. Cruise, p. 140, 172.
D'UrvMe, II, p. 174. Quoj , d'Urv., II, p. 287. — ? Marsdcn , d'Urv.,
III, p. 475. — 3 /. Butler j d'Urv., III, p. 400. — 4 D'VrviUe, III, p. 679.
— S Mcholas, d'Urv., III, p. 600.
456 VOYAGE
Pour les esclaves qui ont été libres , le plus grand
malheur de leur état doit consister dans le souvenir
de leur ancienne dignité et dans le sentiment de leur
humiliation actuelle. Pour ceux qui sont nés dans l'es-
clavage , le premier de ces tourmens n'existe point,
par conséquent l'autre est à peine sensible; aussi sem-
blent-ils en général fort indifférens sur leur situation.
Pour les uns et les autres, il est pourtant une consé-
quence terrible de leur condition, c'est d'être à chaque
instant exposés à être sacrifiés aux obsèques des
principaux chefs de la tribu en général et de leurs
maîtres en particulier *. Nous reviendrons plus tard
sur ce chapitre.
IX.
HABITATIONS.
Les habitans de la Nouvelle-Zélande, si actifs , si
industrieux à d'autres égards, sous le rapport de l'ar-
chitecture étaient restés bien au-dessous des peuples
Cases. de Taïti , de Tonga et même de Hawaii. Les maisons
des rangatiras des dernières classes et des hommes
du peuple ont rarement plus de sept ou huit pieds de
long sur cinq ou six de large, et quatre ou cinq de
hauteur. Celle qu'habitait Koro-Koro dans le pâ de
Kahou-Wera n'était pas plus spacieuse 2. Une per-
sonne ne saurait se tenir debout dans ces cabanes.
Elles sont construites avec des pieux rapprochés les
i D'Urville, II, p. 242. — 2 Cruise, p. 49.
DE L'ASTROLABE. 457
uns des autres et entrelacés de branches plus minces ;
ces treillis sont en outre recouverts extérieurement et
intérieurement de tapis épais en forme de paillassons
fabriqués avec diverses plantes marécageuses , et no-
tamment avec les feuilles longues et flexibles du typha;
une pièce de bois plus forte forme le faite du toit
qui est composé des mêmes matériaux que les parois,
et qui imite assez bien celui des chaumières de paysans
en Normandie ou en Bretagne , à cela près que le dos
en est plus arrondi.
Les cases des chefs sont plus grandes , elles attei-
gnent quelquefois de quinze à dix-huit pieds de long
sur huit ou dix de large, et six de hauteur l. Alors, à
l'intérieur, des piliers soutiennent le toit, et la char-
pente de la maison , dont la coupe horizontale est un
rectangle régulier, se compose de pièces de bois écar-
ries , artistement assemblées à tenons et à mortaises ,
et chevillées. A l'une des extrémités existe en guise de
porte une ouverture qui n'a pas plus de trois pieds de
hauteur sur deux de large, et qui se ferme par un bat-
tant à bascule ; ce battant consiste en une planche ou
une natte épaisse de la même dimension que l'ouver-
ture. A côté et un peu plus haut que la porte, est per-
cée la fenêtre qui a deux pieds en carré et qui ferme
également par un treillis de jonc 2.
• Cook, preni. Voy., III, p. 276. Xicholas , d'Urv. , III, p. 5g4. D'Ur-
\ille, II, p. 235. — 2 Cook, prem. Voy., III, p. 276. Trois. Voy., I,
p. 199. Crozet, d'Urv., III, p. 58. Savage, d'Urv., III, p. 783. Cruise,
d'Urv. , III, p. 638. Blosscvillc , d'Urv., III, p. 697. Revue Britannique,
d'Urv. , III, p. 714-
458 VOYAGE
Du coté où se trouve la porte , le toit se prolonge
en dehors de la paroi de trois ou quatre pieds de lon-
gueur, de manière à former une espèce d'appentis ou
d'auvent , où se tiennent habituellement les maîtres
de la maison; c'est aussi là qu'ils prennent leurs repas,
car un préjugé religieux leur défend de manger dans
l'intérieur de leurs maisons *.
Les maisons des chefs sont ordinairement ornées
de ligures sculptées , tant au dehors qu'au dedans ;
souvent une de ces grotesques figures est placée près
de la porte , et semblerait en être le dieu lare ou pé-
nate, s'il n'était à peu près reconnu que les habitans
ne rendent à ces statues aucun culte , et n'ont même
pour elles aucune sorte de vénération particulière.
Seul , Rutherford a prétendu que ces effigies sont pla-
cées à la porte des chefs pour en interdire l'entrée aux
esclaves , ou hommes du peuple , qui seraient punis
de mort en cas d'infraction à cette règle 2. Quelque-
fois les châssis des portes et des fenêtres sont formés
de planches épaisses artistement travaillées en bas-
reliefs 5. Les maisons du fils et du neveu de Pomare ,
à Mata-Ouwi, offraient un exemple remarquable de
ce genre de luxe.
Le plancher de la maison est formé par de la terre
rapportée bien battue, et rehaussée de dix ou douze
pouces au-dessus du sol environnant 4 ; un petit carré
« Cook, prem. Voy. , III, p. 277. Mcliolas, d'Urv. , III, p. 5g6. —
2 hutheiford, d'Urv., III, p. 7 38. — 3 Nicholas, I, p. 110. — 4 Crozet ,
d'Urv., III, p. 58.
DE L'ASTROLABE.
459
creux , quelquefois environné de pierres , indique la
place du foyer, et la fumée n'a d'autre issue que la fe-
nêtre , ou la porte quand la fenêtre manque. Aussi ces
cases sont-elles toujours fort enfumées à l'intérieur,
et l'habitude qu'ont les naturels de vivre dans cette
atmosphère doit beaucoup contribuer à rembrunir
leur teint.
Un simple tas de feuilles de fougères ou de typha
leur sert de lit ; quelquefois ces feuilles sont arrêtées
dans une espèce de cadre en planches bien assemblées,
d'environ six pieds de longueur sur deux de large ;
leurs nattes leur servent de couverture ! . D'ailleurs
ces cases sont si chaudes par elles-mêmes , qu'en hi-
ver, et par le plus grand froid , le moindre feu suffit
pour en élever singulièrement la température.
» Crozct, d'Urv. , III, p. "><).
460
VOYAGE
Le mobilier de ces maisons se borne à quelques
instrumens grossiers en pierre ou en os , à des cor-
beilles pour les provisions 1 ; à des courges pour con-
tenir l'eau douce, et à des nattes en phormium ou en
jonc; ces dernières sont suspendues aux parois 2. Les
objets plus minces, comme hameçons, aiguilles, poin-
çons, etc., sont contenus dans de petits coffrets taillés
dans un bloc de bois massif, souvent ingénieusement
travaillés, en forme de pirogues et ornés de bas-
reliefs. Les maillets à battre la fougère restent d'ordi-
naire sous le vestibule 5.
Les chefs d'un rang élevé, quand ils ont une nom-
breuse famille , possèdent plusieurs cases enfermées
d'une seule palissade-, ces palissades, destinées à abri-
ter les maisons contre le vent et la pluie , ont quel-
quefois douze ou quinze pieds de haut, et sont garnies
d'épais paillassons en feuilles de typha 4.
i Cook, trois. Voy., I, p. 200. — 2 Crozet, d'Urv., III, p. 5g. —
3 Cook, prem. Voy., III, p. 277. — 4 Cook, prem. Voy. , III, p. 277.
DE L'ASTROLABE. 461
Sans contredit, c'est pour la construction des ma- Magasins
gasins publics , surtout pour ceux qui sont destinés à p,ll),lcs-
contenir leur substance favorite, les koamara, que
ces peuples réservent toute leur habileté ' . Ces édifices
atteignent quelquefois de vingt-quatre à trente pieds
de longueur, sur douze ou quinze de largeur, et dix
ou douze de hauteur. Cruise nous dépeint un de ces
magasins , à Waï-Kadi , comme élevé de quatre pieds
au-dessus du sol, environné dans tout son pourtour
d'une galerie ornée d'une foule de bas-reliefs bien exé-
cutés , et il ajoute que pour le construire on avait fait
venir l'architecte des bords du Shouraki 2. Les maga-
sins de houmara que j'observai en 1 827 à Kawa-
Kawa fixèrent toute mon attention par leur propreté
et l'élégance de leur construction 3. H est vrai que les
insulaires de Waï-Kadi et de Kawa-Kawa possèdent
aujourd'hui des instruniens en fer qui facilitent beau-
coup l'exécution de ces grands travaux ; mais la des-
cription que fait Crozet de l'état où il trouva leurs ma-
gasins atteste qu'ils y portaient déjà toute leur indus-
trie. Son récit, en outre , démontre de la part de ces
peuples un esprit d'ordre et de prévoyance publique
fort remarquable. « Trois magasins, dit-il, occupaient
l'espace que laissaient entre elles les deux rangées de
maisons dont se composait le village ; le premier
renfermait les armes de toute nature. Des provisions
en tout genre , telles que patates , racines de fougère ,
• Croise, d'Urv., III, p. 638. — 2 Cruise, p. 27. — 3 D'Unil/e, II,
p. ■>. t S.
162 VOYAGE
poissons et coquillages cuits et desséchés , et gourdes
remplies d'eau , occupaient le second magasin. Enfin
le troisième était réservé pour tous les instrumens
de pêche , le chanvre à fabriquer les filets , les pa-
gaies, etc. J »
Quoique les maisons des Nouveaux -Zélandais
soient communément rectangulaires, M. Nicholas en
observa une de forme circulaire à la baie Shouraki ,
près le village de Houpa2. C'est aussi là qu'il vit un
bâtiment de quatre-vingts pieds de longueur, divisé en
deux par une cloison qui régnait dans toute son éten-
due, et ce voyageur supposa qu'il était destiné à loger
des cochons 3.
Outre les cases permanentes que nous avons dé-
crites et qui exigent un certain temps et quelque tra-
vail pour les élever, ces insulaires en construisent qui
sont purement temporaires et en simples branches
d'arbre , pour les mettre à l'abri quand ils sont en
marche pour combattre , quand ils vont à la pêche ,
ou qu'enfin une raison quelconque les force à sé-
journer à une certaine distance de leur résidence ha-
bituelle 4. Ces abris les garantissent parfaitement du
vent et de la pluie.
Les cabanes qu'occupent ces naturels dans l'état
de paix sont ordinairement disséminées dans la cam-
pagne par hameaux peu considérables, et placées à
la portée de leurs plantations de patates douces et de
i Crozet, d'Urv. , III, p. 56 et suiv. — 2 Nicholas, I, p. 401. —
î Nicholas, I, p. 4o5. — 4 Cook, trois. Voy. , I, p. i56. Marsden ,
d'Urv., III, p. 3a8.
DE L'ASTROLABE. 463
pommes de terre ; en outre , chaque tribu a son pd,
ou village fortifié , dans lequel tous les membres de la
tribu viennent se retrancher à l'approche de l'ennemi.
Ces pas , par la manière dont ils sont placés et Pas
fortifiés, annoncent, de la part des Nouveaux-Zé-011 forteiesses-
landais, beaucoup de discernement et de sagacité. Les
descriptions de Cook et de Crozet prouvent que l'ar-
rivée des Européens ne leur a rien appris à cet égard ,
et qu'au contraire l'introduction des armes à feu leur a
beaucoup fait perdre de leur industrie primitive. Une
funeste expérience leur a fait connaître que ces for-
teresses , imprenables avec leurs armes habituelles,
étaient devenues insuffisantes contre l'atteinte des
balles '.
Presque toujours ces forts étaient établis sur des
pointes de terre avancées en mer, ou sur des rochers
escarpés et presque inaccessibles. A main d'homme,
on avait achevé de rendre impraticables les parties les
plus faciles à gravir. Une double ou triple rangée de
fortes palissades , avec des fossés intermédiaires ,
ceignait le village ; une seule porte fort étroite don-
nait accès dans la forteresse, et se trouvait défendue
par une plate-forme élevée à quinze ou vingt pieds au-
dessus du sol , et capable de recevoir au besoin une
vingtaine de combattans. On y montait par un pieu
solide et entaillé dans toute sa longueur ; cette espèce
i Cook, prem. Voy. , III, p. 92, 120; deux. Voy. , I, p. 242, d'Urv.,
III, p. i5 et suiv. Nicholas , I, p. 174. Marsdcn , d'Urv., III, p. i65,
',ifi. Cruise, p. 46. D'Vrville, III, p. 636. Gaimard , d'Urv., II, p. 281.
<Jum . d'Urv., II, p. 284.
4G4 VOYAGE
de cavalier était en tout temps munie de projectiles ,
comme pierres , piques et javelots ; au moindre soup-
çon d'attaque de la part de l'ennemi , des sentinelles y
faisaient sans cesse une garde vigilante r.
En outre , au-devant du pâ , en guise d'ouvrage
avancé , régnait d'ordinaire une enceinte également
palissadée , et défendue par un fossé capable de rece-
voir trois , quatre ou cinq cents hommes , suivant la
force de la tribu. Cette espèce de bastion protégeait
l'entrée du pâ, et on ne l'abandonnait pour se réfu-
gier dans le fort que lorsqu'on y était contraint par
une force supérieure 2.
Dans l'intérieur du pâ, chaque famille avait son
habitation particulière, et l'on y voyait en outre les
magasins d'armes , de vivres et d'instrumens de pê-
che. Par la disposition du terrain , ces cases , éche-
lonnées sur la pente d'un monticule , et plus ou moins
rapprochées du sommet, suivant la dignité des pro-
priétaires , étaient toujours tenues avec propreté , et
présentaient un coup-d'œil pittoresque.
Ces sauvages ne souffrent jamais d'ordures autour
de leurs maisons , et , plus avancés sur ce point que
beaucoup de peuples civilisés , ils ont toujours soin
de réserver, dans la partie la plus reculée et la plus
escarpée du village, un lieu public de commodités3.
Au sommet du pâ de V aï-Mate, M. Nicholas re-
t Cook, prem. Voy., III, p. 292. Crozet, d'Urv. , III, p. 55 et suiv.
Nicholas, d'Urv., III, p. 336. — 2 Crozet, d'Urv., III, p. 55. — 3 Cook,
prem. Voy., III, p. 85. Crozet, d'Urv., III, p. 59. Nicholas, I, p. 355.
DE L'ASTROLABE. 465
marqua une sorte de plate-forme élevée à cinq pieds
au-dessus du sol et ornée de sculptures. Cette estrade
servait de trône à Kangaroa : c'était de là qu'il don-
nait ses ordres à son peuple, et lui dictait ses volon-
tés. Une seconde plate-forme se trouvait près de la
première , et servait exclusivement à la reine douai-
rière , mère de Kangaroa > .
Jadis les Nouveaux-Zélandais , retranchés dans
leurs pas , bravaient les assauts de leurs ennemis el
soutenaient quelquefois des sièges de plusieurs mois.
Combien d'exploits ignorés !... Combien de traits de
vaillance, combien de prouesses ont dû éclater parmi
ces peuples guerriers, pour être condamnés à un
éternel oubli! L'adoption des armes à feu a mis un
terme à ces luttes prolongées , comme naguère en
Europe elle détruisit tout-à-coup la supériorité et l'in-
fluence de nos chevaliers bardés de fer el d'acier.
V
AOURRITURE.
La base de la nourriture des Nouveaux-Zélandais, Racine
leur aliment de tous les jours , en un mol celui qui de fou&'
répond au pain pour les nations de l'Europe , au riz
pour celles de l'Orient, à la cassave pour une foule
de peuples de l'xVmérique , c'est la racine d'une
espèce de fougère qui ressemble fort à la nôtre, et
qui couvre de ses feuilles ramifiées tous les coteaux
• .Vicholas, d'Frv. , 111, p. jGS.
TOME II. 32
VIT
166 VOYAGE
incultes et déboisés « . Cette fougère a reçu des natu-
ralistes le nom depteris esculenta, et c'est la même
qui, dans toute l'Australie, fournit aussi l'aliment habi-
tuel des indigènes. C'est peut-être l'unique trait de
ressemblance que les fiers insulaires de la Nouvelle-
Zélande aient avec les misérables créatures clair-
semées sur la surface de la Nouvelle-Hollande.
Comme les racines de cette plante s'enfoncent pro-
fondément en terre , les Zélandais se servent pour
les arracher de pieux aiguisés et munis d'une espèce
d'étrier afin d'y appuyer le pied , ce qui leur donne
tout-à-fait la forme d'échasses 2. Ils mettent en bottes
ces racines qu'ils laissent sécher quelques jours à la
chaleur du soleil; une fois desséchées , elles se con-
servent plus ou moins long-temps sous le nom de
nga doue. Quand on veut s'en servir, on présente
la racine au feu pour la griller légèrement , puis on
la bat quelque temps sur une pierre avec un petit
maillet particulièrement destiné à cet emploi pour la
ramollir. C'est à cet état que les naturels la mâchent
entre leurs dents : en temps de disette et à défaut
d'autre nourriture ils avalent tout ; autrement ils se
contentent de la mâcher jusqu'à ce qu'ils en aient ex-
trait tout le principe nutritif et sucré, et rejettent la
partie fibreuse 3.
i Cook, prem. Voy. , III., p. 278. Crozet, d'Urv. , III, p. 59. Savage,
p. 57. Nicholas , d'Urv., III, p. 5g4. — 2 Crozet, d'Urv., III, p. 64. —
3 Cook, deux. Voy., II, p. 120. Trois. Voy., I, p. 202. Crozet, d'Urv.,
III, p. 60. Savage, p. 9. Sainson , d'Urv., II, p. 258. hutherford , d'Urv.,
III, p. 7 36.
DE L'ASTROLABE. 467
M. Nicholas trouve à celte racine chaude un goût
doux et agréable , et dit qu'après un long séjour dans
l'eau elle dépose une substance glutineuse qui ressem-
ble à de la gelée ï . D'autres Européens en ont mangé
avec plaisir, et les Anglais qui se fixent dans ces con-
trées éloignées s'accoutument promptement à ce genre
de nourriture. Un jour que je visitais avecTouai le pâ
de Kahou-Wera , je voulus goûter de cette racine , et
ce chef m'en choisit dans une corbeille un morceau
qu'il m'assura être de la meilleure qualité. Un goût
faiblement mucilagineux, une pâte visqueuse, du reste
parfaitement insipide, et une consistance coriace, fu-
rent tout ce que je sentis , et il me fut impossible d'a-
valer le morceau que je portai à ma bouche. Touai ,
au contraire , qui venait de déjeuner copieusement
avec moi , en mangea sur-le-champ plusieurs mor-
ceaux avec une satisfaction évidente , et il m'assura
que c'était fort bon , bien qu'inférieur pour la qualité
à notre tan?, pain.
Quoi qu'il en soit, les esclaves mangent rarement
autre chose que de la racine de fougère, et dans toutes
les circonstances possibles , c'est la ressource immé-
diate de toutes les classes de la société. Ces insulaires
en font des récoltes considérables qu'ils conservent
en magasin 2 toutes prêtes à leur servir d'approvi-
sionnement en cas de siège de la part de leurs enne-
mis, ou de provisions de campagne quand ils vont les
attaquer sur leurs pirogues.
■ Xirholas. d'I'rv. , III, p. 5g4- — 2 Cronet, dUrv., III, p. 57.
32*
468 VOYAGE
Outre \eptetis esculenla , il est une autre sorte de
fougère en arbre que Forster nomme aspidiam far-
catam , et que les botanistes modernes ont appelée
ci/athea medullaris , qui fournit aux insulaires un
aliment plus substantiel que la précédente. C'est la
partie inférieure de la tige , voisine de la racine , qu'ils
font cuire dans leurs fours en terre. Anderson com-
pare cette substance cuite à de la poudre de sagou
bouillie , mais sa consistance est plus ferme. Cette
fougère est beaucoup moins commune que l'autre;
je n'ai point eu occasion de l'observer ni de goûter
de cet aliment : ainsi je ne puis point prononcer
sur sa qualité. Suivant Forster , la moelle de cya-
thea porterait à Totara-Nouï le nom de mama-
gou, tandis que la racine de fougère se nommerait
pongaï ».
raiate. La patate douce, convolvalas batatas , nommée
par les Zélandais koumara , était le végétal le plus
généralement cultivé dans ces contrées, avant que les
Européens en eussent fait la découverte. Cette racine,
inconnue dans les autres îles de la Polynésie, était-elle
propre au sol de la Nouvelle-Zélande , ou bien y avait-
elle été importée à une époque qui nous est demeurée
inconnue? C'est ce qu'il serait difficile de décider
aujourd'hui. Toutefois , les superstitions dont sa cul-
ture est environnée sembleraient lui assigner une ori-
gine étrangère et rappeler en même temps les précau-
tions minutieuses qu'imaginèrent ceux qui l'introdui-
i Cook, deux. Voy. , II, p. 120.
DE L'ASTROLABE. 4-69
sirent dans le pays, pour en assurer la propagation et
la conservation.
Nonobstant les diverses plantes que les Européens
ont introduites dans Ika-Na-Ma\vi, la patate douce csi
demeurée pour les habitans de cette île le mets le plus
délicieux , l'aliment le plus délicat parmi tous ceux
qu'ils connaissent. Soit qu'ils veuillent faire bonneur à
des étrangers, soit qu'ils doivent se régaler entre eux,
la patate douce forme la base principale de leurs fes-
tins. Il est certain que les hommes du peuple n'en
mangent que dans les occasions solennelles , ou bien
quand ils peuvent piller les magasins de leurs enne-
mis. On doit convenir que cette racine est d'une
excellente qualité dans la Nouvelle-Zélande , et nulle
part je n'en ai mangé qu'on puisse comparer à celles
qui croissent dans ce pays ».
Quoique ces insulaires fissent beaucoup moins
d'usage des racines de Y arum escnlcntnm , ta/o,
cette plante existait chez eux avant l'arrivée des Eu-
ropéens, et ils la cultivaient en certains endroits. C'est
cette plante que Banks cite, dans le premier Voyage
de Cook, sous le nom <¥eddas J, et que le capitaine
lui-même nomme cocos 5. Nous ne savons point quelle
était la racine qu'il désigne par le nom d'igname ,
attendu que nous ne pensons point que le dioscorea
saliva fût connu de ces peuples.
Les habitans de la partie septentrionale dTka-Na- Pommes
Mawi doivent certainement les choux , les navets , les dc ,"lt
■ Savage, p. 54. — ■ Bank», <l'l "rv. , III, p. i5. — 3 Cook, prem. Voy.,
[II, p. 25;.
470 VOYAGE
oignons au long séjour que Marion fit parmi eux P ;
tandis que ceux des contrées plus au sud doivent ces
utiles plantes à Cook et aux navigateurs qui l'ont
suivi. La pomme de terre , qui a été nommée kapana ,
a été introduite plus tard ; sa saveur et la facilité de sa
préparation la firent promplement apprécier par ces
sauvages ; ils cultivèrent cette racine avec le plus
grand soin , et elle est devenue si abondante sur cer-
tains points de l'île du Nord, que les navires peuvent
s'en procurer à vil prix des provisions considérables.
Il est douteux qu'elle soit répandue avec autant de
profusion sur Tavaï-Pounamou, et les habitans de la
baie Tasman n'en possédaient encore que de très-
petites plantations lors du passage de l'Astrolabe.
Animaux. Les seuls quadrupèdes vraiment indigènes étaient
le chien et le rat. La chair du premier était regardée
comme une friandise 2, et les naturels mangeaient
aussi celle du rat 5. Un chef, ayant remarqué un jour
que l'espèce d'Europe était plus grosse que celle de
son pays, témoigna le désir qu'on l'introduisît à la
Nouvelle-Zélande pour accroître ses ressources ali-
mentaires 4. La race du chien natif est aujourd'hui
devenue rare dans les cantons du nord , surtout dans
ceux que fréquentent les Européens.
On connaît tous les efforts que tenta à diverses re-
prises l'illustre Cook pour enrichir cette contrée de
• Crozel, d'Urv., III, p. 72. D'Urville, U, p. 237. — 2 Cook, prem.
Voy. , III, p. g5, 25i. Deux. Voy., I, p. 256. Trois. Voy. , I, p. 202.
Crozel, d'Urv., III, p. 60. Savage, p. 61. Dillon, I, p. 249. — 3 Crozel,
d'Urv. , III, p. 7 3.-4 Cruise, d'Urv., III, p. 661.
DE L'ASTROLABE. 471
chèvres et de cochons ■ . Il est probable que c'est à
lui que les Nouveaux-Zélandais doivent ces derniers
animaux. Leur espèce n'a pas tardé à se propager
avec une grande rapidité, et le récit du voyage de V As-
trolabe prouve à quel point elle est devenue abon-
dante aux environs du cap Est. Quelle que soit son
abondance , sa chair n'est jamais un aliment habituel ,
même pour les chefs. Ils ne s'en permettent l'usage
qu'en certaines solennités 2, et les hommes du peu-
ple prennent bien rarement part à ce régal , h moins
que ce ne soit aux dépens de l'ennemi.
Les Zélandais réussissent à prendre aux lacets ou oiseaux,
à l'affût pendant la nuit certaines espèces d'oiseaux,
surtout la grosse colombe, nommée koakoupa 3, qui
habite les forêts ; des canards , des cormorans , des
albatros et autres oiseaux de mer 4. Le premier de
ces volatiles offre un excellent mets. Mais ces ressour-
ces sont bien éventuelles.
Dans ces derniers temps, les Zélandais ont reçu
des Européens les poules qu'ils nomment kakatoiui,
et ils commencent à les élever : ils n'en font cependant
pas un grands cas comme ressource alimentaire; mais
ils aiment beaucoup les coqs pour leurs longues
plumes flottantes, surtout pour leur chant qui les
égaie \ Leur affection pour cet oiseau est telle qu'ils
en ont souvent à bord de leurs pirogues dans leurs
i Cook, deux. Voy., I, ]>. î58. — » Mcliolas, I, p. 217. Cruise ,
d'I'rv. , III, p. 661. — î Mcholas, I, p. 355. — 4 Cook, prem. Voy.
III, p. 278. Trois. Voy., I, p. 202. Cromt, d'Urv., III, p. 60, 67. liu-
therford, d'I rv. , III, p. 1 S 1 . — S Cruise, p. 34.
172 VOYAGE
excursions militaires. Mais à terre ces animaux leur
causent de grandes inquiétudes, en profanant étour-
diment leurs sépultures et autres lieux voués au
tapou l. Comme étant sujets au même crime, les
cochons sont ordinairement tenus loin des villages et
des lieux consacrés. Le même motif leur a fait s'op-
poser aux efforts des missionnaires pour introduire
les bêtes à cornes dans leur île 2.
Poissons. Dans le règne animal, la mer seule pourrait offrir
à ces sauvages une ressource plus constante et plus
assurée. Leurs cotes nourrissent d'incroyables quan-
tités de poissons de la plus belle espèce et de la chair
la plus exquise 3. Au moyen de leurs immenses filets,
de leurs lignes et de leurs hameçons, ces hommes
réussissent à se procurer des pêches abondantes.
En été , ils mangent le poisson tout frais , après
l'avoir vidé et fait rôtir sur les charbons, ou cuire
dans leurs fours en terre, enveloppé de feuilles vertes.
Aux approches de l'hiver, ils en dessèchent des pro-
visions considérables, pour leur servir durant la mau-
vaise saison , surtout diverses espèces de raies et de
chiens de mer 4. Ils mangent de grand appétit ce pois-
son sec, bien que les vers y pullulent5. Leur prépa-
ration se borne à le tenir durant quelques jours ex-
posé à l'ardeur du soleil, sur des plate-formes plus
ou moins élevées au-dessus du sol.
i Marsden , d'Urv. , III, p. 192. — ^ D'Urv Me, II, p. 223. — 3 Coo/i ,
prem. Voy., III, p. 253. Deux. Voy., III, p. 372. Trois. Voy. , I, p. ig3.
Turnhull, d'Urv., III, p. 98. Savage, p. 5<j. — 4 Nicholas, I, p. 269.
Rutherford, d'U»v. , III, p. 730. — 5 Nicholas , I, p. 267.
DE L'ASTI\OLABE.
473
Les coquillages de toute espèce et les crustacés
qui abondent sur leurs côtes leur offrent encore une
ressource journalière , dont ils savent tirer un grand
parti i.
Quand il arrive que quelqu'un des immenses céta-
cés qui vivent dans ces parages vient à échouer sur
leurs rivages , sa chair est regardée par les Zélandais
comme l'un des mets les plus délicieux. Ils accourent
en foule sur le corps du monstre marin, et festoient
à ses dépens durant plusieurs jours, même quand sa
chair corrompue répand déjà une infection suffisante
pour en repousser l'Européen le moins délicat. On a
vu des tribus rivales se livrer des combats sanglans
pour se disputer la possession d'une baleine échouée 2.
Le goût des Zélandais pour la chair de ce cétacé per-
siste chez ceux même qui ont participé aux douceurs
i Cook , prem. Voy. , III, p. 254 et 255. Trois. Voy. , I, p. 194. —
" Marsden, d'Urv. , III, p. 26p.
474 VOYAGE
de la civilisation l, La chair du requin ou mange n'est
pas moins estimée 2.
Crozet, Cook et Anderson avaient déjà observé que
ces naturels savouraient avec un plaisir extrême le
suif et la graisse des veaux marins. Les huiles de
poisson puantes, leur écume même , étaient pour eux
une friandise très-recherchée 3.
Cl,air Enfin, par une barbarie qui les séparait de toutes
humaine, les autres tribus de la race polynésienne et qui les
rangeait au même niveau que les races noires océa-
niennes , les Nouveaux-Zélandais mangeaient avec dé-
lices la chair de leurs ennemis tués dans le combat.
La superstition entrait , il est vrai , pour beaucoup
dans ces horribles festins, et l'on aurait aimé à croire
qu'ils n'avaient lieu qu'à la suite des combats et dans
un but religieux. Malheureusement les derniers ré-
cits des missionnaires ne nous permettent guère de
douter que ces naturels n'égorgent quelquefois leurs
esclaves de sang-froid et dans l'unique intention d'as-
souvir, aux dépens de leurs victimes, leurs mons-
trueux appétits. Ces exemples sont rares , mais ils
suffisent pour démontrer que la religion seule n'est
pas la cause de ces affreuses coutumes 4.
Il faut même que ces festins aient un grand attrait
pour eux, carTouai, à demi-civilisé par un long séjour
chez les Anglais , tout en convenant que c'était une
i Omise, d'Urv., III, p. 654. — 2 D'Unùlle, II, p. o,5. Dillon, I,
p. 178. — 3 Cuok , trois. Voy., I, p. 166, 202. Crozel, d'Urv., III, p. 61 .
— 4 Cruise , d'Urv., III, p. 662.
DE L'ASTROLABE. 475
fort mauvaise action , avouait qu'il éprouvait le plus
grand plaisir à manger la chair de ses ennemis , et
qu'il soupirait impatiemment après l'époque où il
pourrait de nouveau se procurer cette jouissance. Il
assurait que la chair de l'homme avait absolument le
même goût que celle du porc ; dite porka — comme
du cochon — me disait- il avec le plus grand sérieux.
Dans ce moment pourtant , il se trouvait à une table
bien servie où rien ne manquait a ses désirs.
Ordinairement ces sauvages se contentent de man-
ger la cervelle des corps qu'ils dévorent et rejettent
le reste de la tète '. M. Nicholas cite néanmoins une
circonstance où Pomare et ses compagnons man-
gèrent jusqu'aux tètes de six hommes qu'ils massa-
crèrent sur le territoire de Doua-Tara 2.
La chair d'une femme ou d'un enfant est ce qu'ils
connaissent de plus délicieux 3 ; suivant eux, la chair
des IVouveaux-Zélandais est bien préférable pour le
goût à celle des Européens ; ils attribuent cette diffé-
rence au sel dont ceux-ci font un grand usage 4.
Quelques voyageurs ont observé que ces hommes
mangeaient une espèce de gomme verte dont ils pa-
raissaient faire un grand cas. On ne sait pas encore
bien quel arbre le fournit. Crozet et ses compagnons
en goûtèrent, et lui trouvèrent une qualité fort échauf-
fante ; elle fondait facilement dans la bouche 5.
» Cook , prem. Vov. , III, p. 188. — - Nieholas , I, p. 295. — 3 Cruise,
d'Un., III, p. 662. — ( Marsden, d'Urv., III, p. 333. Cruise, dUrv.,
III, p. 662. — 5 Crozet, d'Urv., III, p. fio.
4 76 VOYAGE
En général ces insulaires , surtout les esclaves , ne
font aucune difficulté de manger les entrailles et tou-
tes les parties des animaux que les Européens rejet-
tent « ; ils dévorent avec avidité le biscuit pourri 2 ;
enfin plusieurs d'entre eux se régalent, avec empres-
sement de la vermine dont leur tète est souvent co-
pieusement garnie 3.
Dans leurs alimens , les Zélandais ne se servent
jamais de sel , ni d'aucune sorte d'épicerie 4. Ils n'ai-
ment point les viandes ni les poissons salés des Euro-
Boisson, péens. Un fait fort remarquable, c'est qu'ils ne con-
naissaient aucune sorte de boisson spiritueuse ^, et
ne buvaient jamais que de l'eau. En général ils détes-
tent toutes les liqueurs fortes des Européens 6 ; mais
ils savourent avec délices toutes leurs boissons su-
crées, comme thé, café, chocolat, et sont très-friands
de sucre. Ce n'est qu'à la longue et par une sorte
d'éducation nouvelle qu'ils peuvent s'accoutumer à
l'usage du vin et du rhum ; encore dans ce cas renon-
cent-ils rarement à leur sobriété habituelle, et s'a-
donnent-ils très-rarement à l'ivresse. C'est un vice
du moins qu'ils ne partagent point avec toutes les au-
tres tribus polynésiennes, familiarisées avec ses effets
par un usage immodéré du kava 7. La plante qui
1 yicholas, I, p. 67. — 2 Cook, deux. Voy., II, p. i32. Cruise , d'Urv.,
HT, p. 66r. — 3 Cook, trois. Voy., I, p. 202. Nicholas, d'Urv., III,
p. 5g8. Rut/ierjbrd, d'Urv., III, p. 75o. — 4 Savage, p. 60. — 5 Cook,
prcm. Voy. , III , p. 280. Savage, p. 17. — 6 Cook, deux. Voy., I, p. 246.
Crozet, d'Urv., III, p. 61. Cruise, p. i3 ; d'Urv., III, p. 655. — 7 KauhiU ,
d'Urv., III, p. 12 3.
DK L'ASTROLABE. 477
donne cette boisson , du moins une très - voisine
( le piper excelsum ) , croît cependant à la Nouvelle-
Zélande, où elle porte le même nom; mais les naturels
n'en font aucun usage l .
M. H. Williams m'assura, il est vrai, qu'ils faisaient
quelquefois une liqueur spiritueuse avec les baies d'une
espèce d'arbrisseau [cotiatia sarmentosa , Forster);
mais des naturels que j'interrogeai à ce sujet, me
dirent au contraire que ces fruits étaient un poison ,
ce qui rend ce fait au moins très-douteux 2.
La cuisine de ces peuples est en général fort sim- Cuisine.
pie, et se réduit à faire rôtir au four ou griller leurs
alimens "\ Dans le dernier cas, il suffit de les placer
quelque temps sur des charbons ardens , et c'est le
moyen qu'on emploie pour les petites pièces, comme
oiseaux , poissons , coquillages , ou bien quand le
temps dont on peut disposer ne permet pas de les
préparer avec plus de soin.
Le poisson , une fois nettoyé , est enfilé dans une
broche en bois fichée en terre près du foyer; on a
soin de la tourner de coté et d'autre jusqu'à ce que
le poisson soit cuit 4.
Quand il s'agit de pièces plus importantes, et même
pour faire cuire à la fois une plus grande quantité de
patates douces , de taros ou de pommes de terre , ils
ont recours à leurs fours 5. Ce sont des trous circu-
■ l)'l nillc, II, p. a3i. — a D'Urville, II, p. 23a. — 3 Cruise , d'Urv.,
III, p. 661. Iilossevilh' , d'Urv., III, p. 698. — 4 Cook, prem. Voy. , III,
p. îrS, 279. yicholas , I, p. 237. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. 279.
Trois. Voy., I, p. îo'î. Crozet, d'Urv., III, p. 60. Cruise, d'Urv., III, p. Mir ,
478 VOYAGE
laires , creusés en terre , de deux pieds de diamètre
sur un ou deux pieds de profondeur. Quand les na-
turels veulent s'en servir, ils commencent par les rem-
plir de pierres et ordinairement de galets qu'ils pré-
fèrent à tout autre pour cet usage. Les pierres une
fois chauffées à rouge, on relire tous les tisons , en ne
laissant que les charbons et la braise que l'on en-
toure de broussailles trempées dans l'eau, et que l'on
recouvre d'un lit de feuilles vertes. Sur ce lit sont
placés les pièces de viande , le poisson et les patates
que l'on veut apprêter; ces objets sont encore recou-
verts de feuilles vertes , et quelquefois d'une natte
grossière en paille. On jette deux ou trois pintes d'eau
par-dessus, puis on recouvre aussitôt le four de terre.
On laisse cuire le tout, et quand on juge qu'il s'est
écoulé pour cela un temps suffisant , on ouvre le four
et l'on retire les mets ' .
Préparés suivant ce procédé , leurs vivres ont un
goût délicieux. Je n'ai jamais mangé rien de meilleur
que leurs patates douces et leur porc cuit de cette ma-
nière s. On ne pouvait reprocher à la viande d'autre
desagrément que d'être un peu charbonnée à l'exté-
rieur 5. Les naturels la découpent ensuite avec des
couteaux faits de coquilles de moules.
Chaque maison a toujours près d'elle un ou plu-
sieurs fours de cette espèce pour le service de ses ha-
bitans. Comme nous l'avons déjà mentionné, la cuisine
i Nicholas, I, p. 326, 352. Blosscville, d'Urv., III, p. 698. Rutlierford ,
d'Urv. , III, p. 7 36. — ■■•■ Cruise, d'Urv., III, p. 661. — 3 Sicholas , I,
n. 153.
DE L'ASTROLABE. 479
est du ressort habituel des esclaves , et c'est de là
qu'ils ont pris le nom de koaki. Dans les familles qui
n'ont point d'esclaves , les femmes sont chargées de
ces fonctions, qui ont quelque chose d'humiliant aux
yeux des hommes.
Ils ont encore une manière fort simple d'apprêter le
poisson et qui équivaut à le faire bouillir. Après l'avoir
nettoyé , ils l'enveloppent dans plusieurs feuilles de
chou ; ils le placent sur une pierre plate chauffée d'a-
vance , et ont soin de le tourner de temps en temps,
de façon que la vapeur qui s'exhale des feuilles opère
l'effet de l'eau bouillante. Ainsi préparé, le poisson,
dit M. Savage, a un excellent goût '.
Comme en beaucoup d'autres lieux , les sauvages
de la Nouvelle-Zélande allument du feu en faisant
tourner verticalement et rapidement un morceau de
bois dur dans un trou fait dans une pièce d'un bois
plus mou ; ce mouvement ressemble à celui du mous-
soir à chocolat2. Le premier de ces morceaux de bois
se nomme kau-ouie, et l'autre kau-weti^.
XI.
HABILLEMENT.
Dans l'usage ordinaire de la vie, l'habillement pour
les deux sexes se réduit à deux nattes carrées en chan-
vre de phormium , d'un tissu assez grossier, mais
' Savage, p. 60. — » Nicholas, I, p. 324. — 3 Grammar of tfew-
Zealand, p. tfn.
480 VOYAGE
assez serré pour les mettre à l'abri des injures de
Tair > . L'une d'elles enveloppe les reins , descend
jusqu'à mi-jambes , et est retenue par une ceinture
autour du corps. L'autre, jetée simplement sur les
épaules , est arrêtée par une attache sur le devant de
la poitrine , et descend rarement plus bas que les ge-
noux 2. Cette dernière natte est souvent fabriquée en
chanvre grossier de phormium , entrelacée avec une
espèce de jonc menu , aigu et flexible, noirci au feu.
Les pointes des joncs sortent par dehors , et leurs
tiges sont rabattues les unes contre les autres comme
les soies du porc-épic ; l'eau glisse sur ces nattes sans
pénétrer leur tissu comme sur un toit de chaume. En
voyant ces naturels accroupis sous ces singuliers man-
teaux , leur tête seulement paraissant en dehors , les
voyageurs se sont plu souvent à les comparer à des
ruches d'abeilles disséminées çà et là sur le sol 5.
Dans les occasions solennelles, dans les fêtes, lors-
qu'ils reçoivent des étrangers de distinction , les Nou-
veaux-Zélandais portent des nattes d'un tissu fin et
soyeux 4 , tantôt d'une blancheur éclatante , avec des
bordures élégantes et variées 5 ; tantôt couvertes de
dessins sur toute leur surface; tantôt enfin garnies
de poils de chien 6, ou des plumes précieuses de l'oi-
1 Savage, p. 69. — = Cook, prem. Voy., III, p. 271. Crozet, d'Urv., III,
p. 62. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 272. Savage, p. 48, 68. Cruise.
d'Urv., III, p. 638, 658. Quoy , d'Urv., II, p. 286. Revue Britannique,
d'Urv. , III, p. 722. — 4 Cook , prem. Voy., III , p. 273. Cruise , p. 25. —
5 Savage, p. 70. — 6 Cook, prem. Voy., III, p. 273. Deux. Voy., I,
p. 262 et suiv. ; V, p. 283. Trois. Voy., I, p. 197. Crozet, d'Urv., III,
p. 63. Nicholas, d'Urv., III, p. 686, 610.
DE L'ASTROLABE. 481
seau nommé kiwi. Cette dernière espèce de nattes est
la plus estimée, et ne se fabrique qu'aux environs du
cap Est où se trouve le kiwi ' .
Ils ne portent aucune espèce de chaussure ni de
coiffure 2, mais les chefs ont soin de relever leurs che-
veux vers le sommet de la tète, et de les réunir en une
touffe reployée comme le chignon que portent les
femmes en certaines contrées d'Europe 5. Trois ou
quatre plumes blanches, fichées sur ce chignon , sont
l'attribut spécial des chefs ou des guerriers d'un rang
distingué , et le complément nécessaire de leur grand
costume 4. Les jeunes filles coupent leurs cheveux ou
les laissent flotter sur leurs épaules 5 -y les femmes
mariées ont seules le droit de les attacher sur le som-
met de la tète 6.
Le rouge semble être la couleur privilégiée parmi
ces peuples. Suivant Rutherford, les guerriers seuls
avaient le droit de porter la natte rouge 7. Les femmes
seulement se servent des natles noires , et les esclaves
n'ont ordinairement que des nattes d'un tissu fort
grossier, assez ressemblant à notre étoupe.
Les enfans restent entièrement nus jusqu'à l'âge de
huit ans environ 8 ; sous leur natte inférieure, les jeu-
nes filles portent souvent une ceinture d'herbes forte-
ment par fumées, et à cette ceinture est suspendue une
i Cruise, d'Urv., III, p. 656. — a Cruise , d'Urv , III, p. 658. —
3 Crozet, d'Urv., III, p. 6i. Savage, p. 49. — 4 Cook , deux. Voy. , II,
p. 87. — 5 Cook, preni. Voy., III, p. 274. Crozet, d'Urv. , III, p. 62. —
<< Crozet, d'Urv., III, p. 35. — - Rutherford, d'Urv., III, p. 748. —
s Savage, p. 53.
TOME II. 33
482 VOYAGE
petite touffe de feuilles très-odoriférantes , qui sert
comme de dernier rempart à leur modestie l.
En opposition à la coutume suivie par diverses
peuplades de la mer du Sud, qui pratiquent l'incision
du prépuce pour l'empêcher de recouvrir le gland,
comme ceux des îles Tonga, par exemple, Banks
avait observé que les Zélandais tenaient beaucoup à
ne jamais laisser à découvert cette partie du corps.
Pour empêcher que cela n'arrivât, une petite corde
suspendue à leur ceinture leur servait à nouer la peau
du prépuce au-dessus du gland. En effet , cette par-
tie semblait être la seule de leur corps qu'ils fussent
soigneux de cacher ; ils se dépouillaient sans aucun
scrupule de tous leurs vêtemens , excepté de la cein-
ture et du cordon ; mais ils paraissaient fort confus
lorsque , pour satisfaire leur curiosité, les Européens
les priaient de dénouer le cordon, et ils n'y consen-
taient jamais qu'avec des marques de répugnance et
de honte très-prononcées 2.
Bien que les hommes n'attachent aucun sentiment
de honte à quitter leurs vêtemens devant les femmes,
celles-ci se tiennent toujours couvertes 5 : surtout
elles ne quittent jamais leurs nattes de dessous; car
elles paraissent attacher peu d'importance à laisser
voir leur gorge. Nous avons déjà fait la remarque
i Cook , prem. Voy., III, p. 84. — * Cook, prem. Voy. , III, p. 272.
— Nous lisous dans la relation de Porter qu'à Nouka-Hiva, dans les îles
Marquises, les insulaires éprouvent un sentiment de honte semblable à laisser
voir la même partie, bien que l'incision soit pratiquée chez eux. — 3 Cruise,
d'Urv., III, p. 65g.
DE L'ASTROLABE. 483
qu'elles montraient en général beaucoup plus de ré-
serve et de modestie que dans les autres îles de la
Polynésie *.
Aujourd'hui ces insulaires sont jaloux de se procu-
rer des vêtemens européens; quand ils ont pu obtenir
quelques méchantes guenilles, ils croient, en s'en
affublant, acquérir une haute importance. Le vieux
Moudi-Waï suppliait M. Marsden de lui envoyer une
chemise de flanelle rouge, un bonnet de nuit et une
paire de lunettes , ajoutant que cela suffirait pour
faire de lui un grand homme 2.
On ne peut cependant s'empêcher de convenir que
le costume des Nouveaux-Zélandais a une sorte de
dignité sauvage et naturelle qui impose aux yeux de
l'étranger 5. Ces hommes perdent beaucoup en adop-
tant les habillemens européens, dans lesquels ils sem-
blent étriqués et rapetisses 4.
Presque tous les voyageurs nous ont dépeint les
Nouveaux-Zélandais comme moins propres que les
habitans des autres archipels de la Polynésie; cela
vient de ce qu'ils se baignent et se lavent moins fré-
quemment, et c'est assez naturel , eu égard à la tem-
pérature beaucoup plus froide de leur pays 5. Il en ré-
sulte qu'ils sont bien plus sujets à la vermine 6, et leur
chevelure en est habituellement pourvue. Les fem-
mes sont souvent occupées à donner la chasse à ces
i Cook, prem. Voy. , III, p. 274. Blosseville , d'Urv. , III, p. 6g5. —
3 Marsden, d'Urv., III, p. 355. — 3 yicholas, d'Urv., III, p. 585. —
4 Cruisc, p. 12. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. «S5 , 268. — (< Cook , deux.
Voy., I, p. 254. Cruisc, p. 7.
33'
iSi VOYAGE
dégoûtans insectes , et elles se font un régal de cro-
quer tous ceux qui leur tombent entre les mains.
XII.
ORNEMENS.
Outre les plumes dont nous avons déjà fait men-
tion , les hommes et les femmes garnissent souvent
leur chevelure de dents de requin, de morceaux de
bois , de petits coquillages , et des bagatelles qu'ils ont
pu se procurer de la part des Européens *. Leurs
oreilles sont percées depuis l'âge le plus tendre 2 , et
reçoivent de même divers objets , suivant le goût et
les moyens des individus , comme morceaux de bois
sculptés, dents humaines, pierres précieuses, rou-
leaux d'étoffes, plumes d'albatros 5, etc.
Nous ferons observer cependant que les pendans
d'oreilles les plus précieux sont formés des dents
tranchantes d'une espèce de requin. M. Cruise assure
que cet ornement est exclusivement réservé pour les
personnes d'un certain rang, et qu'il est rigoureuse-
ment interdit aux esclaves 4. Il est certain que ceux
qui en sont décorés y tiennent singulièrement, et je
les ai vu refuser des objets d'un très-grand prix à
leurs yeux qu'on leur offrait en échange. Le motif de
leur attachement à ces dents tenait-il à un sentiment
religieux, ou bien au souvenir des personnes qui les
i Savage, p. 5i. — 2 Savage, p. 53. — 3 Cook, prem. Voy., III,
p. 275. Crozet, d'Urv., III, p. 62. — 4 Cruise, d'Urv. , III, p. <îr>().
DE L'ASTROLABE. 185
leur ont données ou transmises •? M. Marsden attri-
bue cet attachement au premier de ces deux motifs.
Touai disait que le prix de ces dents dépendait de leur
rareté et de la difficulté de s'en procurer; M. Rendait
les considérait simplement comme des souvenirs d'a-
mitié sacrés pour eux. Pour moi , je crois que tous ces
motifs peuvent se réunir dans l'opinion de ces hom-
mes pour faire de ces dents des bijoux aussi précieux.
En guise de pendans , ces sauvages portent aussi
aux oreilles un petit poisson desséché, syngnathus
hippocampus, sans doute à cause de sa forme bi-
zarre 2.
Cook fait mention d'un naturel qui avait la cloison du
nez percée et traversée par une plume dont les deux
bouts s'avançaient sur les joues 5. Anderson en ob-
serva quelques-uns chez lesquels la partie inférieure
de ce cartilage était percée d'un trou 4. Nous croyons
cependant que cet usage , si fréquent parmi les races
noires, était fort rare à la Nouvelle-Zélande.
Ces sauvages portent des colliers , et pour les fa-
briquer ils emploient de préférence des petits mor-
ceaux de roseau, d'os et de serlulaires, wangaroa ,
dont ils assortissent les couleurs de manière à pro-
duire l'effet le plus agréable 5. C'est aussi au cou qu'ils
suspendent ces figures bizarres en jade vert , pou-
namou , auxquelles ils attachent un grand prix 6 ,
• D'Unille, II, p. 172. — ' Nichoîas, II, p. 83 . — 3 Cook , preni. Voy.,
III, p. 275. — 4 Cook, trois. Voy., I, 19S. — 5 Cook, trois. Voy., 1,
p. njS. Savage, p. Si. — <"' Cook, prem. Voy., III , p. 277. Croset, d'1 1 \.-
III, p. 62. Savage, p. 21,
186 VOYAGE
quoiqu'il paraisse certain que ce prix tient plutôt au
souvenir des personnes d'où viennent ces objets qu'à
aucune notion vraiment religieuse ».
A l'angle supérieur de leur natte de dessus, et près
de l'endroit où ses deux bouts se rattachent devant
la poitrine, suivant le rang de l'individu, sont aussi
suspendues de petites baguettes recourbées de deux
ou trois pouces de long, en serpentine ou en dents
de sanglier. Quand un chef terrasse sous ses coups
un guerrier de quelque distinction , il ajoute d'ordi-
naire les décorations du vaincu à celles qu'il portait
déjà.
Ils ont quelquefois des bracelets de la même ma-
tière que les colliers. Mais l'attribut spécial du guer-
rier zélandais , l'instrument qui ne le quitte presque
jamais , en paix comme en guerre , c'est le mère, cette
espèce de casse-tète court et ovale, en serpentine,
granit , basalte , ou en os de baleine , qu'ils portent
suspendu au poignet droit avec un petit cordon. Chez
eux il est le substitut naturel du poignard et du
cuchillo chez les Italiens et les Espagnols 2.
Comme tous les insulaires de la Polynésie, les Zé-
landais ne croient avoir fait une toilette complète
qu'après s'être oints copieusement sur toutes les parties
du corps, et surtout le visage et les cheveux , d'huile
de poisson 5. En outre, ils se barbouillent fréquemment
> Cruise, d'Urv. , III, p. 659. Revue Britannique , d'Urv. , III, p. 723.
— 2 Savage, p. 52. Nicholas , d'Urv., III, p. 586. — 3 Cook, prem. Voy.,
III, p. 268. Crozet, d'Urv., III, p. 61.
DE L'ASTROLABE. 487
la figure de rouge d'ocre , kokohai ', qu'ils ont délayé
dans cette huile l. En cet état, leur approche est sou-
vent importune à l'Européen en salissant tous ses vète-
mens de ce fard désagréable, et leur communiquant
une odeur qui n'est nullement suave 2.
Les guerriers ne se présentent jamais au combat
qu'après avoir relevé leurs cheveux en touffe au som-
met de la tète , les avoir ornés de plumes blanches ,
et s'èlre complètement frottés d'ocre délayée dans
l'huile de poisson 5. Cette grande toilette est de ri-
gueur avant de se livrer à l'acte le plus solennel et le
plus glorieux de leur existence, suivant leurs idées
sur l'honneur.
XIII.
INDUSTRIE.
L'industrie de ces peuples a pour objets principaux
la culture de leurs champs de patates , la pèche , la
construction des maisons, des canots et des divers
instrumens de guerre et de pèche; enfin la fabrication
des nattes.
C'est aux femmes que sont dévolus la plupart de
ces travaux 4; car les hommes, et les guerriers parti-
culièrement, croiraient déroger s'ils vaquaient aux
« Look, prem. Voy., III, p. 270. Deux. Voy. , I, p. 263. Savage, p. 52.
— * Cook , trois. Voy., i, p. 202. — 3 Cook, deux. Voy., II, p. 217.
Sicholas, 11, p. 19. Cruise , d'Urv., III, p. 658. Blosscvillc , d'Urv. , III,
p. 6g5. Revue Britannique, d'Urv., III, p. 723. — UW/i;u, d'Urv,, III,
p. 7S.
488 VOYAGE
fonctions domestiques , surtout à celles qui ont trait
à l'agriculture, à la pêche et à la fabrication des nattes.
Mais ils travaillent volontiers à celle des instruraens
de guerre qui se rapportent à leur profession.
Agriculture. Quand ces naturels ont l'intention de planter un
espace de terre en patates , pommes de terre ou au-
tres productions , ils commencent par mettre le feu
aux broussailles ou aux arbres qui couvrent le sol * ,
ce qui occasione souvent d'immenses incendies ? ; puis
ils remuent la terre avec des bêches ou des pieux en
bois de diverses formes , suivant qu'elle est plus ou
moins compacte 3. Us entourent le champ de haies ,
l'ensemencent , et ont soin d'en enlever de temps en
temps les mauvaises herbes. Les voyageurs ont vanté
la belle tenue de ces plantations , surtout de celles de
patates douces , qui sont traversées par de jolis sen-
tiers et enceintes de palissades fort propres 4; cer-
tains préjugés religieux se rattachent à leur culture.
M. Marsden fait le tableau le plus agréable des plan-
talions de Shongui à Waï-Mate en 1 81 5 5.
Le climat est si tempéré et le sol si fertile, qu'on
peut obtenir dans l'année deux récoltes de patates 6.
Le moment de la récolte est une réjouissance pour
la tribu qui célèbre ordinairement cette époque par
i Nicholas, I , p. 342. — 2 Cruise , p. 254. — 3 Cook, prem. Voy., III,
p. 287. Savage, p. 55. Kendall, d'Urv. , III, p. 118. Marsden, d'Urv., III,
p. 280, 3oo, 3oi. Davis, d'Urv., III, p. 5i4. Cruise, d'Urv., III, p. 669.
— 4 Cook, prem. Voy., III, p. 286. Banks , d'Urv., III, p. i5. Savage,
p. 55. Nicholas, I, p. 171 , 245, 333. — 5 Marsden, d'Urv., III, p. 166.
— 6 Savage, p. 57. Cruise, p. 2Ô3.
DE L'ASTROLABE. 489
des festins et des danses auxquelles tous ses membres
prennent part l. Dès qu'on les a retirées de terre , les
patates sont étendues sur les plate-formes dressées à
huit ou dix pieds au-dessus du sol, et soigneusement
recouvertes de fougère 2. Quand elles sont sèches, on
les ramasse dans les magasins qui ont été préparés
pour cet objet. Les plus petites sont toujours réservées
pour semer 5.
Pour transporter et conserver les patates et les
pommes de terre , ils se servent habituellement de
petites corbeilles en feuilles vertes de phormium ;
elles contiennent de huit à trente livres de patates 4,
mais leur mesure moyenne et la plus commune est de
dix-sept livres 5.
Quelles que soient les dispositions et l'aptitude des
Zélandais pour la culture des terres, cette culture,
avant l'arrivée des Européens , n'avait jamais lieu que
sur une très-petite échelle ; les patates douces et les
tares qui en étaient les seuls objets , loin de leur offrir
un aliment habituel, pouvaient tout au plus leur suf-
fire dans quelques-unes de leurs solennités.
Aujourd'hui même , malgré les efforts et les encou-
ragemens des missionnaires et les facilités qu'a pro-
curées à ces naturels l'introduction des instrumens en
fer de toute espèce , les défrichemens sont encore
très-bornés. Les plantations se réduisent ordinaire-
ment à de petits morceaux de terre de peu d'étendue,
< Cruise, d'Lrv. , III, p. 644. — 2 Savage, p. 56. Xicholas, I,p. 3i5.
— i Savage, p. 55. — 4 Savage, p. 56. — 5 Dillon , I, p. 193.
490 VOYAGE
et nullement en rapport avec leurs besoins et la ferti-
lité du sol. Les penchans belliqueux de ces insulaires
leur donnent de l'éloignement pour les paisibles tra-
vaux de l'agriculture. En outre, ils redoutent les ir-
ruptions de leurs voisins qui se réuniraient pour les
dépouiller, s'ils étaient tentés par le pillage d'une ré-
colte abondante. Cette considération sera long-temps
un obstacle à leurs progrès; c'était ce motif que m'al-
léguait Touai , toutes les fois que je lui reprochais
d'avoir aussi peu de champs de patates et de pommes
de terre.
Outre la patate douce, les naturels cultivaient aussi
primitivement le taro, et les courges qu'ils mangeaient
tant qu'elles étaient tendres , et dont ils fabriquaient
la plupart de leurs vases r. Toutes ces productions
étaient rares sur l'ile méridionale 2.
Quelquefois encore , ils cultivaient le phormium
Lenax 5, en prenant des rejetons et les plantant trois à
trois à certaine distance les uns des autres dans les
terrains marécageux 4, à peu près comme l'on cultive
les cannes à sucre dans les colonies. Mais ils se don-
naient rarement cette peine , attendu qu'ils aimaient
mieux se contenter des plantes de cette espèce qui
croissaient naturellement.
D'après ce que nous venons de dire des cultures de
la Nouvelle-Zélande, on voit que ces insulaires avaient
j Cook, prem. Voy. , III, p. 257. Banks, d'Urv. , III, p. i5. Crozet,
d'Urv., III, p. 64. — 2 Cook, deux. Voy. , I, p. 256. — ■'• Crozet, d'Urv.,
III, p. 64. — 4 Collins, d'Urv., III, p. 81.
DE L'ASTROLABE. 491
une idée très-positive du droit de propriété. En effet
chaque tribu , chaque famille connaît parfaitement les
limites de son territoire , et ceux qui voudraient y
porter atteinte seraient exposés au ressentiment des
propriétaires >.
Tous les navigateurs ont successivement admiré le Pèche,
travail et les dimensions immenses des filets employés
par ces sauvages. En effet, plusieurs de ces filets at-
teignent jusqu'à trois ou quatre cents brasses de lon-
gueur , sur quinze ou vingt pieds de largeur 2. Ils
remplacent le liège par de petits morceaux d'un bois
blanc fort léger , et le plomb par de petits cailloux
très-lourds "». Les filets les plus précieux sont en
chanvre de phormium 4, mais ils en ont aussi en jonc
pour des pèches d'une nature particulière , et ils se
servent très-adroitement des uns et des autres.
Avec lecorce de l'arbre mangai-mangai , ils fa-
briquent des espèces de paniers ou filets circulaires
semblables à nos verveux, et qui sont employés par-
ticulièrement pour pécher sur le lac Maupere 5.
Des rangées de piquets plantés dans l'eau indiquent
les limites respectives des espaces où chaque tribu a
le droit exclusif de pécher. Leurs membres sont fort
pointilleux sur ces prérogatives, et la moindre infrac-
tion peut entraîner des guerres sérieuses 6.
Ils pèchent à la ligne avec succès , malgré fimper-
i Xicholas, II, p. 32i. — 2 Cook , prem. Voy., III, p. 159, 286. Blos-
saille, d'Urv., III, p. 698. — 3 Crozet , d'Orv. , III, p. 65. — 4 Savage,
p. 58. — 5 Xicholas , il'IJrv., III, p. 6o5. — ,; Xicholas, I, p. 235.
492
VOYAGE
Phoques.
feclion de leurs hameçons dont le corps est un mor-
ceau de nacre ou autre coquillage taillé ou poli avec
une pointe en os acéré, munie d'une barbe. Les lignes
sont en chanvre de phormium , d'une durée et d'une
force extraordinaires * . Les hameçons portent le nom
de mat au.
Enfin, si l'on en croit Rutherford , ils sont si habi-
les plongeurs , qu'ils sont capables d'aller surprendre
le poisson à de grandes profondeurs et de le saisir
sans autre moyen que leur adresse et leur agilité 2.
Il est certain que c'est dans la construction de leurs
pirogues que ces insulaires avaient poussé le plus loin
leur industrie ; car nous avons déjà fait observer que
leurs maisons étaient toujours d'une construction fort
mesquine et ne répondaient guère à leur intelligence
naturelle.
On remarque deux sortes de pirogues : les unes
longues de vingt à trente pieds seulement sur deux ou
trois de large , et destinées à porter de dix à vingt
personnes, appartenaient à des particuliers ou du
moins à certaines familles, et d'ordinaire chaque tribu
comptait un grand nombre de ces pirogues. Les au-
tres atteignent jusqu'à soixante et quatre-vingts pieds
de longueur , sur cinq à six de largeur , et quatre de
profondeur 3, et peuvent porter jusqu'à quatre-vingts
et cent hommes. Ces dernières sont réservées pour
i Cook , prem. Voy., III, p. 2S6. Crozel, d'Urv., III, p. 65. Savage,
p. 58. — 2 IXutherford , d'Urv., III, p. 744. — 3 Cook, prem. Voy., III,
p. 93.
DE L'ASTROLABE. 493
les combats , et appartiennent à toute la tribu qui en
possède rarement plus de trois ou quatre à la t'ois '.
Une des pirogues de Tepere deWangaroa avait plus
de soixante - douze pieds de longueur , et contenait
soixante-sept personnes 2.
Du reste, toutes ces pirogues sont semblables par
la forme générale et par les détails de la construc-
tion. Elles se composent d'un énorme tronc de koudi,
creusé intérieurement dans toute sa longueur, et sur-
haussé de chaque coté par une planche d'un pied de
largeur environ, adroitement cousue au corps de la
pirogue dans toute sa longueur. La couture est en
outre remplie par du chanvre ou des broussailles, et
calfeutrée avec une espèce de résine 5.
Ces pirogues sont pourvues de bancs pour les ra-
meurs, qui se servent toujours de pagaies bien taillées,
et susceptibles d'ajouter, par l'élasticité du bois, à la
force d'impulsion qu'on peut leur donner 4. Une pierre
fort pesante sert d'ancre 5. Les voiles, qui sont trian-
gulaires , se composent de nattes en paille cousues
ensemble 6. Ces pirogues manœuvrent fort bien , et
peuvent filer sept nœuds dans une belle mer. On
a vu des armées de plusieurs centaines de guerriers
exécuter des voyages de quatre ou cinq cents milles
i Crooet, d'Urv. , III, p. 66. — a Kendall, d'Urv., III, p. 229. —
< Cook, prem. Voy., III, p. 282. Savage, p. 62. Cruise, d'Urv., III,
p. 668. Iluiherford, d'Urv., III, p. 760. — 4 Cook, prem. Voy., III,
p. 284. Crozet, d'Urv., III, p. 66. Marsden , d'Urv., III, p. 169. —
■ Savage, p. 63. — fi Cuok , prem. Voy., III, p. 284. Deux. Voy., I,
p. »55. Trois. Voy., I, p. 201.
494 VOYAGE
le long de la côte sur ces frêles embarcations ».
Les pirogues de guerre sont ordinairement sur-
chargées de bas-reliefs, très-adroitement exécutés sur
l'avant et sur l'arrière et quelquefois tout le long de
leurs plats-bords 2. Les ornemens de la poupe et de
la proue sont particulièrement remarquables par la
forme et la main-d'œuvre 3. Celui de Tavant saille en
forme d'éperon en dehors de l'embarcation, et se relève
de quatre ou cinq pieds. Celui de l'arrière a de douze
à quinze pieds de hauteur, deux de large, et un pouce
ou deux d'épaisseur. Ils sont l'un et l'autre chargés
de bas-reliefs du goût le plus bizarre , et entièrement
découpés à jour 4.
Ces pirogues sont en outre ornées de touffes de
plumes, de poils et de feuillages de diverses sortes.
Quelquefois elles sont réunies deux à deux, et une
douzaine de ces doubles pirogues peut former une
puissante escadre.
Souvent deux familles se réunissent ensemble pour
armer une pirogue ordinaire. Dans ce cas , un treillis
sépare l'intérieur en deux parties , pour empêcher que
les effets et les marchandises des deux familles ne se
confondent ensemble 5.
Aussitôt que ces naturels mettent pied à terre , ils
ont soin de tirer aussi leurs pirogues sur le rivage, et
quelquefois ils les traînent à une distance considéra-
• Iiutherford , d'Urv., III, p 760. — 2 Cook, prem. Voy., III, p. 283.
D'Urville, H, p. i5r. — 3 Cook, trois. Voy., I, p. 2o3. — 4 Cook, prem.
Voy., III, p. 283. Rutherford, d'Urv., III, p. 760. — S Savage, p. 63.
DE L'ASTROLABE. 495
ble de la mer, pour éviter qu'elles ne soient volées par
leurs ennemis.
Pour construire ces pirogues , ainsi que leurs mai-
sons, les naturels ne pouvaient employer, avant l'ar-
rivée des Européens , que des instrumens en pierres
de jade, granit ou basalte, taillées et emmanchées en
forme de haches, ciseaux et herminettes '. Il leur
fallait un temps et une patience infinie pour venir à
bout de ces ouvrages 2. Aujourd'hui r grâce à l'acqui-
sition du fer, ces travaux sont devenus bien moins
pénibles pour eux.
Pour peindre leurs pirogues et leurs maisons à
Thuile et à l'ocre, les naturels se servent d'une espèce
de pinceau fait avec une touffe de plumes 5.
Leurs armes principales sont les lances , les casse- Armes.
tètes et les haches d'armes 4. Les lances sont de tou-
tes sortes de formes et de longueurs. Il en est qui
ont jusqu'à trente pieds de long , en bois très-dur,
pointues à une extrémité, avec un bouton arrondi
à l'autre bout. Quelquefois elles sont garnies d'os
acérés, d'autres fois la pointe est munie de fortes
barbes qui rendent très-dangereuses les blessures
qu'elles font 5. Quelques-unes de ces lances n'ont que
cinq ou six pieds de long, et le bout le plus pesant
est alors garni d'une espèce de masse G. Enfin , il en
est de plus légères que l'on lance au moyen d'une
i Crozel, d'Urv. , III, p. 66. Savage, p. 70. — ■>■ Marsden , d'Urv. , III,
p. 317, 3 18. — 3 Xicholas, I, p. 35g. — 4 ('mise, d'Urv., III, p. 668.
— S Çpokt prem. Voy., III, p. 9.87. Savage, p. 66. — 6 Nieholas , d'I'rv.,
111, p. '587.
496 VOYAGE
corde fixée au bout d'un bâton, à peu près comme on
fait d'une pierre avec la fronde.
Les casse-tètes sont en jade, basalte, os de baleine,
ou simplement en bois dur, suivant les moyens de
l'individu l. Ces armes ont la figure d'un ovale de
dix-huit ou vingt pouces de long sur quatre ou cinq
de large; elles sont plus épaisses dans le milieu et
tranchantes sur les bords ; leur manche est percé d'un
trou pour recevoir un cordon qui sert à les suspen-
dre au poignet. Les Zélandais s'en servent quand ils
en viennent aux mains dans le combat 2, surtout pour
assommer les esclaves qu'ils veulent sacrifier. Cet
instrument porte spécialement le nom de mère, et l'on
peut dire que c est vraiment l'arme nationale du Nou-
veau-Zélandais , car un homme de distinction ne mar-
che presque jamais sans son mère 3.
Les haches d'armes ont ordinairement cinq pieds
de long ; elles sont en bois dur , et terminées à une
extrémité par une sorte de quart de cercle de huit
pouces de rayon et tranchant sur les bords , tandis
que l'autre bout se termine en pointe. Ainsi , cette
arme peut servir tour à tour de hache et de pique.
C'est avec celle-là que, dans le combat, les naturels
coupent la tête de leurs ennemis 4. Quelques-unes sont
terminées simplement par une masse plus ou moins
épaisse, arrondie, anguleuse, ou contournée en forme
i Cook, d'Urv., III, p. 68. — a Savage, p. 66. Nicholas, d'Urv. , III,
p. 586. Ruiherford, d'Urv., III, p. 732. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 288.
Mosseville, d'Urv., III, p. 694. — 4 Anderson , d'Urv., III, p. 2/,.
Savage } p. 66.
DE L'ASTROLUîE. 497
de bec ou de crochet. Toutes portent indistinctement
le nom de patou.
Souvent aussi les chefs portent une espèce de hal-
lebarde de cinq ou six pieds de long, un peu aplatie
par un bout , et terminée de l'autre en façon de fer de
lance aplati , travaillé avec art et enrichi de touffes de
plumes de perroquet l. Quelques-uns portent encore
de longues côtes de baleine artistement ciselées sur
les bords, parfaitement polies, et dont l'aspect rap-
pelle celui d'un long sceptre 2. Nicholas nomme le
premier de ces instrumens he?ii^, et Rangui de Shou-
raki m'a dit que le sceptre en os de baleine prenait le
nom de patoa-waïroa. Il m'a semblé que ces deux
armes servaient en même temps de moyens d'attaque
et d'insignes de commandement pour ceux qui les
possédaient.
Tous ces instrumens étaient parfaitement exécutés;
ils avaient un poli admirable et souvent étaient enri-
chis de bas-reliefs tres-artistement travaillés. Ces ou-
vrages faisaient d'autant plus d'honneur à l'industrie
des naturels qu'ils n'avaient autre chose pour les exé-
cuter que des outils en pierre ou en coquilles 4. Ceux
qu'ils estimaient le plus étaient en jade, et l'on rie
peut qu'admirer l'adresse des sauvages pour donner
promptement le tranchant à ces outils et même y pra-
tiquer des trous pour y passer des cordons. INous
i Cook, prem. Voy%, III, p. 128. — a Cook , prem. Voy. , III, p. 146,
■>. 88. D'Uiville, II, p. 171. — 3 Nicholas , I , p. 193. — A Cook , prem.
Yn\., III, p. 285. Sa^a^c, p. 70. Nicholas, d'Urv. , III, p. .'187.
TOMK II. 34
i98 VOYAGE
supposerons volontiers avec Banks qu'ils n'en venaient
à bout qu'en les frottant avec de la poussière de la
même matière 1 .
Outre les javelots dont nous avons parlé, les seuls
projectiles de ces naturels étaient les pierres , dont
leurs pas , leurs retranchemens et leurs pirogues
étaient toujours abondamment pourvus 2.
Il est digne de remarque que ces insulaires ne con-
naissaient l'usage ni de l'arc 3, ni du bouclier 4, ni de
la fronde 5.
Aujourd'hui que ces peuples ont reconnu l'immense
supériorité des armes à feu , ces deux objets , la pou-
dre et des fusils , poudra et pou , sont devenus le but
constant et presque unique des vœux du Zélandais et
de ses demandes aux Européens. Ce sont les pre-
miers mots qui sortent de sa bouche, quand on lui de-
mande le prix d'un objet quel qu'il soit. Si vous le
refusez, sa figure s'attriste; si vous lui donnez quelque
espoir, l'inquiétude , le désir et l'avidité se peignent
sur ses traits. Je ne sais vraiment pas ce qu'il serait
capable de faire pour se procurer ces articles si ar-
demment désirés 6. Il ne faut pas perdre de vue que
ces sentimens tiennent à l'idée de pouvoir, au moyen
de ces armes , détruire et dévorer plus facilement son
ennemi.
Les fusils à deux coups surtout sont devenus pour
i Cook, prem. Voy. , III, p. 286. — a Cook, prem. Voy., III, p. 2 S 7.
— 3 Crozet, d'Urv., III, p. 67. Quoj, d'Urv. , II, p. 285. New-Zealan-
ders, d'Urv., III, p. 773. — 4 Savage, p. 67. — 5 Cook, prem. Voy. ,
III, p. 127- — 6 D'Urville, II, p. io5.
DE L'ASTROLABE. 499
eux les objets les plus désirables du monde ■ ; car ils
peuvent tuer deux hommes à la fois : aussi ces armes
ont reçu pour ce motif le nom de pou doua tança ta,
fusil a deux hommes.
Nous avons déjà dit que les belles nattes se fabri- Naites.
quaient avec le chanvre extrait du phormium. Les na-
turels coupent les feuilles de cette plante et les appor-
tent chez eux par paquets ; à cet état les feuilles por-
tent le nom de kovadi. On les racle fortement avec
de grandes coquilles de moules, et on achève de séparer
le chanvre de la paille avec les ongles des orteils que
Ton laisse croître exprès pour cet objet. Les sauvages
ont imaginé des peignes qui ressemblent plus ou moins
à ceux dont se servent les tisserands pour achever de
nettoyer le chanvre. Une fois préparé, il prend le
nom de mouka, et c'est en le laissant exposé plusieurs
jours à la rosée qu'il acquiert enfin cette blancheur
éclatante que les Européens ont souvent admirée a.
Avec le mouka , les Zélandais fabriquent leurs nat-
tes. Pour cela ils emploient un métier fort simple qui
consiste en un châssis rectangulaire de la dimension
de la natte. Les fils de la chaîne sont attachés aux
deux extrémités du châssis , à des distances plus ou
moins rapprochées les uns des autres; puis la trame
est alternativement conduite à la main au travers de
ces fils au moyen d'une espèce d'aiguille qui leur sert
de navette 3.
» D'Unille, II, p. 172. — 2 (00k , preni. Voy., III, p. 258. Crotei,
d'Urv. , III, p. 67. Blosseiille , p. 9. — ï Cook , prcm. Voy., III, p. 27 3.
Crozel, d'Urv., III, p. 67. Savage, p. 69.
34H
ÔOO VOYAGE
Les nattes des Zélandais sont de différentes dimen-
sions et de tissus très-variés; dans les unes, les fils ne
sont point tordus , tandis qu'ils le sont dans d'autres
dont le tissu est alors beaucoup plus compacte ». Elles
sont souvent ornées de bordures à dessins, dont les
fils sont en grande partie formés de cheveux ou poils
de chien peints de diverses couleurs, réunis et tordus
plusieurs ensemble. Quelques-unes de ces nattes ont
jusqu'à douze et quinze pieds de longueur sur cinq
ou six de largeur ; quand elles sont en outre d'un
tissu très-fin et enrichies de bordures et de dessins ,
elles ont dû coûter cinq ou six mois de travail et sou-
vent davantage 2; plusieurs femmes travaillent quel-
quefois ensemble à la même natte 5.
Les étoffes papvriformes des Taïtiens et des autres
habitans de l'Océanie m'ont paru totalement incon-
nues des Zélandais ; cependant Cook assure qu'ils en
fabriquaient quelquefois en très-petite quantité, et
comme ornement 4. Ils font souvent des nattes en
peaux de chien cousues ensemble, mais il est rare que
ces peaux ne soient pas au moins doublées en nattes
ordinaires de phormium. Leurs aiguilles sont en os,
et leur fil en chanvre qu'ils tordent sur leurs genoux
ou avec un métier très-simple.
XIV.
MUSIQUE ET DANSE.
lustrumens. Les instrumens de musique de ces sauvages se
• Savage p. 53, 69. — * Nicholas , d'Urv. , III, p. 6o5. — 3 yicholas ,
I, p. 192. — 4 Cook, prem. Voy. , III, p. 257.
DE L'ASTROLABE. 50 1
bornent à deux ou trois espèces de flûtes dont ils
tirent seulement des sons avec le souffle des narines.
Les unes sont des tubes de six ou sept pouces de
long ouverts aux deux extrémités , pourvus de trois
trous d'un coté, et d'un seul de l'autre '. D'autres
sont composées de deux pièces de bois réunies her-
métiquement par des Hures très-serrées, de manière à
former un tube renflé dans le milieu, où se trouve un
seul trou assez large. On souffle par un des bouts , tan-
dis qu'en fermant plus ou moins l'autre on obtient di-
verses modulations. D'autres flûtes ontenfin des trous
de chaque coté outre ceux des deux bouts. Le plus sou-
vent ces instrumens sont en bois; quelquefois cepen-
dant ils sont en os humains, et presque toujours ornés
de gravures bizarres artistement exécutées , et d'in-
crustations de nacre a.
Les Zélandais tirent de ces flûtes des sons plaintifs
et assez doux quoique discordans 5, et les compa-
gnons de Marion les ont vus danser au son de ces
instrumens 4. J'ai aussi observé entre leurs mains des
espèces de lyres grossières à trois ou quatre cordes
qui ne rendaient qu'un son sourd et peu agréable.
Ils se servent de la trompette marine, murex Lii-
tom's , percée d'un trou, en guise de cornet pour
s'appeler a de grandes distances , et pour exciter leur
ardeur dans le combat 5.
» Coo/i, prem. Voy., III, p. 291. Crozet, d'Urv. , III, p. 68. — = Cooh,
ilcux. Voy., I, p. »68. Savage, p. 83. — 3 Cruisc , p. 312. — 4 Crozet,
d'Urv., III, p. 68. — 5 Cook, deux. Voy., I, p. 264.
502 VOYAGE
chants. Leurs chanls sont plus varies que leur musique
instrumentale, et mieux appropriés aux sentimens
qu'ils veulent exprimer; ils sont en outre accompa-
gnés de gestes très-expressifs qui ajoutent beaucoup à
la signification des paroles. Sous ce rapport, Forster
reconnaît chez les Nouveaux-Zélandais une supério-
rité très-marquée sur tous les autres peuples de la
mer Pacifique. Leurs accens, dit-il , semblent animés
d'une étincelle de génie; et ces avantages sont à ses
yeux de fortes preuves de la bonté de leur cœur ».
Ces naturels ont des chants particuliers pour cé-
lébrer les plaisirs de l'amour 2 ? les fureurs de la
guerre 3 , les traditions de leurs aïeux 4 , la perte de
leurs parens et de leurs amis morts, ainsi que leur
absence 5. Ils en ont aussi de satiriques pour exciter
le rire aux dépens de certaines personnes qu'ils pren-
nent pour objet de leurs plaisanteries 6. Enfin , il est
des circonstances où ils improvisent en quelque façon
des chansons pour célébrer l'arrivée des étrangers,
ou toute espèce d'événement qu'ils ont jugé digne de
leur attention.
Souvent ils accompagnent ces chants en battant
la mesure sur leur poitrine, de manière a s'en faire
une espèce de tambour. L'effet n'en serait pas désa-
gréable, s'il n'était pas toujours croissant, de manière
à produire à la fin un bruit si violent et des effets
1 Cook, deux. Voy., III, p. 369. — 2 Savage, p. 81. — 3 Cook, prem.
Voy., III, p. g3. — 4 Anderson, d'Urv. , III, p. 25. — 5 Savage, p. 83.
Nicholas, d'Urv., III, p. 5 80. — 6 Savage, p. 84.
DE L'ASTKOLAKE. mYA
si pénibles, que l'on serait tenté de craindre pour le
salut de celui qui exécute cette singulière musique « .
Quand ils sont réunis plusieurs ensemble, l'un
d'eux commence le chant qu'ils veulent exécuter , et
vers la fin de chaque couplet tous les autres font
chorus en battant leurs poitrines a. Ces chorus ont
souvent lieu pour un refrein commun à tous les cou-
plets ; d'autres fois cest seulement la fin même des
couplets qu'on répète en chœur.
Savage crut remarquer que les Zélandais avaient
deux chants pour saluer le lever et le coucher du
soleil. Le premier roule sur un air joyeux , et s'exé-
cute, les bras tendus en avant, comme pour saluer
l'astre du jour, et tous ces gestes annoncent une joie
sans mélange : le chant du soir s'accomplit au con-
traire d'un ton dolent , la tète baissée, et toute l'ac-
tion qui s'y joint exprime le regret que l'ait éprouver
l'absence du soleil 3. Le chant qu'ils adressent à la
lune est plaintif, et les gestes qui raccompagnent sont
un mélange de crainte et de vénération 4.
M. Kendall, dans la Grammaire imprimée à Lon-
dres en 1820, a rapporté plusieurs de leurs chants,
[f'aï-j4ta, qui ne manquent ni d'harmonie ni d'inven-
tion 5. Pour échantillon de cette poésie sauvage, je ne
citerai ici que la pièce suivante à laquelle M. Kendall
a joint une traduction anglaise fi. A mon tour j'ai fait
i Savage, p. 81. — 2 Savage, p. 22, 82. — 3 Savage, p. 21, 22, 82.
— i Savage, p. 22. — 5 Cook , prem. Voy. , III, p. 290. — 6 C.rammai-
of XcW'Zcaland , n, 107.
504 VOYAGE
en sorte d'en rendre fidèlement le sens en français :
(£ toko to r au kt te tiou morongai
3 luiotto moi ni koingo oou ongo,
3 ai rama net ki te pottke ki eve ittnu
<É tata te ititoxutgo te toi kt a totuui,
lu a koe, e taoua , ka minuit, kt te tongn.
Watt t o mot e kah,ou, c tottrtki,
(Ê tokoroe c o mo tokou net langni ,
Ho toi ki reiro, okott rottgut ottroki.
Le fort et irrésistible vent qui souffle du nord orageux a
fait une impression si profonde sur mon esprit, en pensant à
toi, o Taoua, que j'ai gravi la montagne jusqu'au sommet le
plus élevé pour être témoin de ton départ. Les vagues rou-
lantes vont presque aussi loin que Stivers '. Tu es entraîné
vers l'est , loin au large. Tu m'as donné une natte pour la
porter par amour pour toi , et ee souvenir de ta part me ren-
dra heureux quand je la nouerai sur mes épaules. Quand tu
seras arrivé au port où tu veux aller, mes affections y seront
avec toi.
Je regrette vivement de n'avoir pu me procurer la
traduction du fameux hymne Pihe, qui s'exécute dans
toutes les occasions solennelles , surtout au commen-
cement du combat , avant le sacrifice et dans toutes
les cérémonies funéraires 2.
M. Nicholas cite aussi quelques exemples fort cu-
rieux de leurs chants, comme ceux où l'on dépeint
i C'est un homme qui , dit-on , a visité la baie des Iles avant le capitaine
Cook. Tout me porte à croire que par ce nom ils veulent désigner Surville.
— 2 D'Urville, III, p. 687 et suiv.
DE L'ASTKOIABE. 505
les ravages d'une tempête parmi les plantations de
patates , la mort d'un naturel surpris par son en-
nemi, etc. '. Ce même voyageur a remarqué aussi
(pie dans les pirogues les naturels règlent le mou-
vement de leurs pagaies sur un chant dont les paroles
sont : fal)f \)a pa\)i \)ia , I)ia l)a , rtoki , rtoki , paroles
qu'ils modulent de toutes sortes de façons 2.
Les chants de ces naturels sont presque toujours Dause.
accompagnes de danses dont les temps et les figures
se marient avec la précision la plus rigoureuse au
rythme et aux paroles du chant. Ces danses sont
toujours caractéristiques, et, pour les exécuter, les
naturels se rangent sur une ou deux files. L'un d'eux,
placé à l'écart , entonne le chant d'un ton d'abord mo-
déré ; alors les danseurs s'agitent peu à peu , leur
corps se penche en arrière , leur tète acquiert par de-
grés des mouvemens si vifs , si brusques , qu'on les
croirait convulsifs; les yeux roulent d'une manière
affreuse dans leurs orbites , la langue sort de la bou-
che d'une longueur démesurée; enfin à certains pas-
sages, et sans jamais changer de place, les danseurs
frappent du pied la terre si lourdement qu'elle ré-
sonne au loin sous leurs pas 5. Quand une douzaine de
ces insulaires dansaient à bord , on aurait cru que le
pont allait s'enfoncer sous leurs pieds 4.
On ne saurait trop admirer l'ensemble , l'harmonie
i Nicholas , d'Urv., III, p. 584. — 2 Nicholas, I, p. 243. Cruise, d'Urv.,
III, p. 669. — 3 Cook , deux. Voy., I, p. 257. Cruise, p. 3i. Sainson ,
d'Urv. , II, p. 252. Quoy, d'Urv., II, p. 286. — 4 Crozet, d'Urv., III,
p. 54.
50C VOYAGE
parfaite avec laquelle tous ces mouvemens , tous ces
gestes sont exécutés. Quelque soit le nombre des
danseurs , on croirait qu'ils ne forment qu'un seul et
même individu , tant ils sont accoutumés à suivre la
même mesure l. La danse des marins anglais sem-
blait ridicule aux Zélandais , et ils s'en moquaient en
disant qu'il n'y avait jamais deux hommes parmi les
Européens qui pussent exécuter ensemble les mêmes
ligures et les mêmes poses 2.
Leurs gestes acquièrent une expression d'autant
plus terrible que la danse a trait à une action plus im-
portante. Quand ils veulent figurer une danse guer-
rière , il est difficile d'imaginer rien de plus épouvan-
table que les grimaces qu'ils font 3. Les danses amou-
reuses sont accompagnées de gestes et de postures
lascives et très-indécentes 4.
L'action qui s'unit au chant du Pihe , toute mo-
dérée qu'elle est , participe néanmoins de l'expression
sombre, lugubre et solennelle de cet hymne sacré.
L'effet m'en a toujours semblé imposant. Que ne
doit-il pas être , quand le Pihe est entonné par un ou
deux milliers de guerriers prêts à s'élancer les uns
sur les autres pour se détruire et s'entre-dévorer !
Ces naturels sont tous passionnés pour la danse ,
mais ils s'y livrent avec une telle ardeur qu'ils sont
souvent obligés de se reposer, tant ils sont exténués
i Cook, prem. Voy. , III, p. 290. — 2 Cruise, d'Urv., III, p. 63ç>. —
3 Cook, deux. Voy., II, p. 88. — 4 Savage, p. 85. D'Unille, III,
p. 690.
DE L'ASTROLABE. 507
de lassitude par les gestes frénétiques et les violens
efforts auxquels ils s'abandonnent en ces sortes d'oc-
casions '. Les femmes préfèrent les danses qui retra-
cent les plaisirs de l'amour 2, tandis que les guerriers
n'estiment que celles qui ont trait aux exploits mili-
taires. Cependant les femmes et les jeunes filles se
joignent aussi aux danses militaires. Je me suis sou-
vent amusé à considérer les efforts qu'elles font pour
imiter l'énergie des hommes, autant que peut le leur
permettre la faiblesse de leur sexe.
XV.
MESURES.
Les Zélandais mesurent le temps par jours, ou
plutôt par nuits , po ; par lunes , marama ; enfin par
années, tau. Suivant Collins , la période tau se com-
posait de cent lunes 5. En général ces supputations
étaient fort inexactes , et il était difficile d'obtenir l'é-
poque précise d'un événement déjà éloigné , quand
cette époque dépassait vingt ou trente lunes. Alors ils
ont plus souvent recours à quelque circonstance im-
portante et à peu près simultanée qu'ils citent pour
rappeler la date de l'événement en question.
C'est ainsi qu'en 1824 j'appris que Shongui devait
alors avoir environ cinquante-deux ans , en rappro-
chant sa naissance de la mort de Marion. Car on me
i Savage, p. 85. Sainson , d'Urv. , H, p. 253. Gairnard, d'Urv. , II,
p. 255. — ■> Gairnard, d'Urv., II, p. 280. — 3 Collins, d'Urv., III,
p. S,.
o08 VOYAGE
répondit positivement qu'à l'époque de cette catas-
trophe , Shongui se trouvait encore dans le ventre de
sa mère ». D'après le calcul de ce chef en lunes ou
?nara??ia, je lui aurais donné cinquante-six ans : en-
core il faudrait pour cela regarder les lunes comme
des mois , en retranchant la différence pour tout cet
intervalle , c'est-à-dire deux ans environ ; sa suppu-
tation donnerait cinquante-quatre ans , compte très-
voisin de la vérité. Quand ces hommes veulent tenir
note du temps écoulé , ils le font au moyen de petits
morceaux de bois ou de petites pierres qu'ils ajoutent
l'une à l'autre, jour par jour, et lune par lune. Les dis-
tances itinéraires s'estiment, par terre comme par mer,
par journées et demi-journées de marche. Pour les
distances plus petites, et surtout pour mesurer les pro-
fondeurs de la mer, les naturels emploient îe koumoa,
ou mesure de dix brasses suivant M. Kendall : cepen-
dant j'ai vu désigner aussi de ce nom la simple brasse,
qui est pour eux la mesure la plus naturelle. Ils se
servent aussi quelquefois de la longueur du corps
humain avec le bras droit alongé devant lui ; témoin
ce naturel qui mesura un navire européen en s'éten-
dant sur le pont, et se relevant successivement pour
connaître quelle était sa longueur de l'arrière à l'a-
vant. Tel fut aussi le moyen qu'employa Shongui du
cap Nord pour mesurer la longueur du Dromedary
en 1820 2.
On ne leur connaît pas d'autres mesures de capa-
i Missionnary Register , d'Urv. , III, p. 45l. — 2 Ci aise, p. 116.
DE L'ASTROLABE. 509
cité que les corbeilles en feuilles de koradi , qui leur
servent à transporter et à conserver leurs patates ;
leurs dimensions varient, mais la moyenne est du
poids de dix-sept livres *.
XVI.
RELIGION.
Nous aurions à traiter actuellement de l'article le
plus curieux et le plus important chez ces sauvages,
c'est-à-dire de leurs opinions religieuses et du culte
qu'ils rendent à la divinité. Malheureusement nous
sommes loin de posséder des documens suffisans sur
cette matière. Comme il est arrivé pour tous les peu-
ples sauvages, les notions des Zélandais sur la divinité
et sur ses attributs positifs offrent jusqu'à présent une
grande confusion et un dédale presque inextricable.
La plupart des voyageurs qui ont visité cette contrée
n'avaient qu'une connaissance trop imparfaite de la
langue , pour parvenir à des résultats satisfaisans tou-
chant un sujet par lui-même aussi abstrait , aussi em-
brouillé. Enfin les missionnaires établis depuis douze
ou quinze ans parmi ces peuples auraient pu nous
procurer des détails assez intéressans ; mais la nature
même de leur institution, la tournure de leur esprit, et
il faut bien le dire, le peu d'étendue de leurs lumières
et leur défaut d'éducation, les ont jusqu'à présent em-
pêchés d'aborder franchement cette matière. M. Ken-
i Ditlon , l , p. 193.
510 VOYAGE
dall seul, plus éclairé que la plupart de ses collègues,
eût pu se livrer à ce genre de recherches; mais il était
circonvenu par l'idée fixe de trouver dans les opinions
religieuses des Nouveaux-Zélandais une analogie cons-
tante avec les dogmes judaïques; c'était dans l'Ancien
Testament qu'il allait chercher l'origine des cou-
tumes , des emblèmes et même des expressions mys-
tiques des Nouveaux-Zélandais. On sent combien une
pareille disposition devait nuire aux recherches de ce
missionnaire. Sans doute il parvenait quelquefois à
des rappi ochemens surprenans , à des allusions sin-
gulières : mais on sait à quels écarts peut se porter
une imagination préoccupée sans cesse d'une idée sys-
tématique. D'ailleurs M. Kendall a quitté depuis long-
temps ces contrées , il lui a donc fallu renoncer à ces
observations. Aujourd'hui MM. H. et W. Williams
seraient seuls capables de les poursuivre avec quel-
que succès ; mais cette étude entrera-t-elle dans leurs
vues et dans leurs idées ? C'est ce dont je doute très-
fort.
En attendant qu'un observateur aussi judicieux
qu'assidu veuille se donner la peine d'étudier sur les
lieux même cette matière à fond , nous allons offrir au
lecteur tout ce que nous avons pu recueillir de plus
complet et de plus positif sur ce sujet dans les divers
voyageurs , dans nos entretiens avec les mission-
naires , enfin dans nos propres communications avec
les Zélandais. Le tableau que nous allons présenter
aura du moins le mérite de mettre sur la voie et de
fixer sur ce chapitre intéressant l'attention de ceux
DE L'ASTROLABE. 511
qui nous suivront dans ces parages, avec plus de
moyens pour atteindre le but de leurs recherches.
Les Nouveaux-Zélandais donnent à leurs dieux le Atouas.
nom générique iïAtoua « , et quelques savans ont
cru trouver l'origine de ce mot dans celui de Dewa 2,
qui exprime aussi le nom de dieu dans le sanscrit,
d'où il a passé dans le malais.
Il m'est impossible de donner une idée précise de
ce qu'ils entendent par atoaa, ni de leur théogonie.
Suivant MM. Marsden et Kendall, leur religion serait
purement métaphysique , et ils ne reconnaîtraient
qu'un seul dieu tout-puvsant 3, éternel , immatériel
et présidant à la conservation du monde en général 4,
à peu près tel que le Jupiter des Grecs. Mais comme
cette divinité suprême resterait en quelque sorte
étrangère aux destinées particulières des diverses par-
ties de l'univers et à celles des hommes, ils reconnaî-
traient en outre une foule d'autres divinités subal-
ternes chargées de présider aux élémens , aux diverses
localités et à toutes sortes de fonctions spéciales 5.
A travers toutes ces ténèbres, j'ai cru démêler en
eux l'idée d'un dieu supérieur à tous les autres , unique
et essentiellement spirituel 6. Ensuite les autres divi-
nités seraient à peu près, à leurs yeux, ce que sont
les bons et les mauvais anges pour les chrétiens , ce
1 Crozci, d'Urv., 111, p. G8. — a Mcholas , II, p. 288. — 3 Mcholas ,
d'Urv., III, p. 5So. (mise, d'Urv., III, p. 660. — 4 Turrtbull, d'Urv.,
III, p. g3. Blosseville, d'Urv , III, p. 698. — r> Cook , deux. Voy. , V
p. 283. Forster, d'Urv., III, p. 21. Vicholas, d'Urv., III, p. 58 1. —
6 Cook, pran. Voy., III, p. 296.
.512 VOYAGE
qu'étaient pour les anciens les bons et les mauvais gé-
nies. Ce qu'il y a de certain , c'est que ces insulaires
ont la plus profonde vénération pour les esprits de
leurs parens et de leurs chefs trépassés , auxquels ils
accordent communément les honneurs et le titre dVz-
toaa » . En certaines occasions , ils accordent aussi ces
honneurs à leurs premiers chefs, même de leur vi-
vant. Shongui était souvent traité iïatoua par ses
compatriotes 2.
Il est également certain que ces peuples n'adorent
jamais de dieux en bois ou en pierre. Ces effigies hi-
deuses que l'on observe entre leurs mains , et aux
portes de leurs cabanes et de leurs tombeaux 3, ne
sont que des emblèmes , des signes mystiques qui ne
peuvent pas être considérés comme de vraies idoles 2,
pas plus du moins que les effigies de saints vénérées
par les rites de la religion catholique 4.
Il en est de même de ces pounamo us qu'ils portent
au cou et dont ils font un grand cas. Sans doute ils y
attachent quelques idées superstitieuses , mais ils ne
leur accordent aucun culte positif5. Forster avait con-
sidéré ces pierres comme des amulettes, et il raconta
qu'elles étaient connues sous le nom de tiki chez les
Zélandais : aussi les comparait-il aux tii des Taïliens 6.
Il est possible qu'à Totara-Nouï ces emblèmes por-
i Marsden , d'Urv. , III, p. 32g. — 2 Kendall , d'Urv. , III, p. 246.
Marsden, d'Urv., III, p. 3ig. — 3 B. JVoodd , d'Urv., III, p. 226. Ken-
dall, d'Urv., III, p. 246. Marsden, d'Urv., III, p. 44a. Quoy , d'Urv., II,
j). 285. — 4 Crozet, d'Urv., III, p. 69. — 5 Missionnary Register, d'Urv.,
III, p. 220. — 6 Forster, d'Urv. , III, p. 21,
DE L'ASTROLABE. Ô13
tassent le nom de tikï, mais je ne crois pas que cette
désignation soit en usage chez les peuplades du Nord.
Il faut observer en outre que tiki signifie aussi voir,
et qu'il peut y avoir eu confusion.
J'ai déjà dit que, suivant les uns, Mawi-Moaa et
Mawi-Polihi , leurs deux principales divinités, étaient
deux frères dont le premier tua et mangea le cadet ;
d'où dériverait leur habitude de manger le corps de
leurs ennemis tués dans le combat.
Suivant M. Nicholas, le premier des dieux, le vé-
ritable Jupiter des Zélandais, serait Mawi-Ranga-
Ra?igui, dont le nom signifie littéralement Mawi,
habitant du ciel. Tipokv , dieu de la colère et de la
mort, marche immédiatement après lui; comme le
plus redoutable, c'est celui qui aurait le plus de part
aux hommages des hommes. Towaki, suivant d'au-
tres Taurahi ' (peut-être plus exactement Taa-fï^ati),
comme maître direct des élémens , jouerait aussi un
rôle important. C'est au courroux de ce dieu que sont
dus les orages et les tempêtes : dans un coup de vent
violent qu'essuya M. Kicholas dans la baie Shouraki ,
les naturels décidèrent que le dieu de Houpa était
nouï nouï kadidi, très-courroucé contre ce chef2.
Après ces trois divinités seulement, marcheraient
Mawi-Moaa et Mawi-P otiki , dont le premier n'a
guère eu d'autre emploi que de former la terre , tant
qu'elle est restée au-dessous des eaux, et de la tenir
i Marsden, d'Urv., III, p. 353. Nicholas , d'Urv., III, p. 58 1. —
• \ iiholas , I , p. 3ç)0.
TOME II. 35
5li VOYAGE
toute prête à être attirée à la surface au moyen d'un
hameçon qui la tenait attachée à un immense rocher.
Mawi-Potiki la reçut ainsi préparée des mains de son
frère, l'entraîna à la surface de l'eau et lui donna la
forme qu'elle a aujourd'hui : il préside en outre aux
maladies humaines, et le plus important de ses privi-
lèges est de pouvoir donner la vie que Tipoko seul
peut retirer *. Connu sous le nom seulement de
Mawi, ce dieu joue un très-grand rôle dans les opi-
nions superstitieuses de ces peuples ; car on conçoit
facilement que les fonctions des trois Mawi peuvent
se confondre et se réunir sur un seul et même être
dans leurs idées. Suivant Forster 2, Mawi était aussi
adoré aux îles de la Société; suivant M. Ellis , Mawi
n'aurait été qu'un prophète très-célèbre dans ces
mêmes îles 5. Enfin, selon Mariner, Mawi, nouvel
Atlas, supportait la terre, et ses mouvemens occa-
sionaient les tremblemens de terre 4.
Heko-Toro , dieu des charmes et des enchante-
mens , perdit jadis sa femme; il alla la chercher en
plusieurs endroits inutilement , et ne la trouva enfin
qu'à la Nouvelle-Zélande. Au moyen d'une pirogue
suspendue au ciel par les deux bouts, ces deux époux
rejoignirent leur demeure céleste , où ils brillent en-
core sous la forme d'une constellation 5.
Serait-il vrai que les Zélandais croient que le pre-
i Nicholas, d'Urv., III, p. 58i. — 2 Cook, deux. Voy. , V, p. 143. —
3 W. Ellis, Polynes. Research., II, p. 53 et suiv. — 4 Mariner, Account
i.'f Tonga, II, p. iro. — 5 Nicholas, d'Urv., III, p. 582.
DE L'ASTROLABE. 615
mier homme fut créé par le concours des trois Mawi ,
que le premier eut la plus grande part à cette œuvre,
et qu'enfin la première femme fut formée d'une des
côtes de l'homme?... Ce serait un rapprochement
bien singulier avec les traditions de la Genèse. Ce qui
rendrait cette analogie plus remarquable encore , se-
rait le nom d'Iwi, que ces insulaires donnent aux os
en général , et qui pourrait bien n'être qu'une corrup-
tion du nom de la mère du genre humain, suivant les
écrits de Moïse ».
L'histoire de Roua qui tomba dans un puits , s'ac-
crocha à un arbre et fut ensuite transporté dans la
lune , où on le voit encore aujourd'hui , est moins re-
marquable. Elle rappelle cependant les contes de
bonne femme accrédités en certains pays touchant
l'homme dans la lune 2, man in ihe moon 3, et dé-
montre qu'aux deux bouts du diamètre de la terre ,
l'esprit humain a le même penchant aux fables les
plus ridicules , aux croyances les plus absurdes. Ce
serait peut-être le meilleur argument à opposer au sys-
tème de ceux qui veulent que la race humaine ait eu
autant de berceaux distincts que de nuances marquées
dans sa constitution et dans son organisation phy-
sique.
Les naturels ont des dieux qui président à cer-
taines localités , comme celui qui habite la caverne
des îles Manawa-Tawi 4 , celui qui préside aux deux
i Sicholas, d'Urv., III, p. 58a. — 2 Savaqc , p. 9.1. Illossevillc, d'Urv.,
III, p. 699. — 3 Nicholas, d'Urv., III, p. 583. — \ Rendait, d'Urv.,
III, p. 2 36.
35'
S 16 VOYAGE
rochers de l'embouchure du Shouki-Anga, elc, l.
M. Marsdeu nous apprend de quelle manière ce der-
nier Atoua, offensé par les marins du Cossack, se
vengea de l'outrage commis envers les rochers sacrés,
en causant la perte de ce navire 2.
La première fois que les Zélandais virent les Euro-
péens , ils les prirent aussi pour des divinités ou des
esprits armés du tonnerre et des éclairs 5. Ces insu-
laires désignent tous les Européens , ou plutôt tous
les blancs, par le nom générique de pakeha. Je n'ai
jamais pu savoir d'où cette désignation tirait son ori-
gine; ce qui m'a surpris, c'est qu'elle m'a semblé
adoptée sur les divers points delà Nouvelle-Zélande,
et cela donne lieu de croire que cette dénomination
existait, même avant les voyages de Cook. Les Nou-
veaux-Zélandais avaient donc depuis long-temps con-
naissance d'une race d'hommes distincte de celle à la-
quelle ils appartenaient.
Tout récemment, ces sauvages ont souvent accordé
les honneurs divins à nos montres , dont le mouve-
ment et le mécanisme surpassent la portée de leur in-
telligence, et qu'ils ne peuvent considérer que comme
des êtres surnaturels 4.
M. Marsden demandait un jour à un insulaire com-
ment il se figurait l'Atoua ; celui-ci répondit : « Comme
une ombre immortelle5. » Quand j'adressais la même
i Marsden, d'Urv. , III, p. 34a. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. 475. —
3 Blosseville , d'Urv., III, p. 699. Dillon, d'Urv., III, p. 706, 709. —
4 Nicholas, d'Urv., III, p. 596. D'Uiville, II, p. 178. — 5 Marsden,
d'Urv. , III , p. 196.
DE L'ASTROLABE. >17
question à Touai; ce chef disait que l'A loua était un
esprit , un souffle tout-puissant , en laissant échapper
tout doucement son haleine pour mieux exprimer sa
pensée.
Cependant les Zélandais croient que l'Atoua revêt
quelquefois une forme matérielle. Par exemple, ils sont
convaincus qu'une personne , attaquée d'une maladie
mortelle, est tombée au pouvoir de l'Atoua, qui s'est
introduit dans son corps sous la forme d'un lézard , et
qui lui ronge les entrailles *, sans qu'il soit possible à
aucun pouvoir humain de lui résister 2. En général
l'aspect du lézard impose à ces hommes une frayeur
superstitieuse très -remarquable , et pour rien au
monde ils ne voudraient toucher à ce reptile 3.
La présence de l'Atoua s'annonce le plus souvent,
dit-on, par un sifflement bas et sourd. Du moins c'est
ainsi que celui de Kaï-Para révélait son approche, au
dire du prêtre Moudi-Akou 4. On sait que la même
opinion régnait à Taïti.
Les roulemens du tonnerre leur inspirent une ter-
reur religieuse , ce bruit présage les batailles 5. Les
naturels s'imaginent que l'Atoua , sous la forme d'un
immense poisson, produit ce bruit, et ils lui adressent
des prières pour le supplier de ne point leur faire de
mal non plus qu'à leurs amis. Cette opinion n'aurait-
elle pas son origine dans les explosions volcaniques ,
« Nicholas, d'Urv., III, p. 6a3. Cruise , d'Urv., III, p. 660. Kendall ,
d'Urv., III, p. 234. — • Nicholas, II, p. 3o3. J.eigh , d'Urv., III, p. 4:1-
— 3 Nicholas, II, p. 125. Cruise, p. 320. — 4 Marsden , d'Urv., III,
p. \^x. — 5 //. Jf'illiams, d'Urv., III, p. 5a5.
518 VOYAGE
fréquentes sur leur île, surtout sur P ouhia-i-wahadi,
située au milieu des eaux , et dans cette fable on re-
trouverait encore le germe de celles qui furent jadis
accréditées chez les Grecs, sur Encelade, Typhon,
Biïarée, etc. Le nom iïlka-Na- Ma wi pour l'île sep-
tentrionale semble avoir trait à l'existence du poisson
monstrueux.
A cette fable se rattache sans doute l'opinion bizarre
qu'ils se sont formée relativement à l'origine du pou-
namou, le jade vert qu'ils emploient à la fabrication de
leurs outils et de leurs ornemens les plus précieux.
Déjà Cook avait appris qu'on le ramassait dans un
grand lac situé à une ou deux journées des bords du
canal de la Reine-Charlotte. Il provient, disaient-ils,
d'un poisson qu'on harponne et qu'on traîne au ri-
vage, où il se change par la suite en pierre. Ce lac se
nomme Tavaï-P ounamou , et ce serait ce lieu qui au-
rait donné son nom à l'île méridionale *. M. Nicho-
las , trente années plus tard , trouva la même opinion
accréditée parmi les habitans de Moudi-Wenoua 2.
Les Nouveaux-Zélandais sont parfaitement disposés
à reconnaître et à adorer le Dieu des chrétiens , mais
pour cela ils ne veulent point renoncer à leurs propres
Atouas. Ils conviennent même que le Dieu des blancs
peut être tout-puissant hors de la Nouvelle-Zélande ;
mais ils se refusent à croire que leurs dieux soient
impuissans dans leur propre pays 3. En outre ils ne
i Cook, trois. Voy. , I, p. 177. — 2 Nicholas , d'Urv., III, p. 627. —
3 Marsden, d'Urv., III, p. 421. Missionnaiy Register , d'Urv., III, p. 48g.
DE L'ASTROLABE. 519
sauraient concevoir que ce soit le même Dieu qui ait
formé les blancs et eux-mêmes *, Quelques-uns s'ima-
ginent que l'introduction du Dieu des blancs a excité
la jalousie et le courroux des Alouas du pays qui ont
fait périr quantité de naturels 2. Enfin , la coqueluche
ayant fait des ravages terribles à la baie des Iles en
1 828, les naturels ont attribué ce fléau à la colère du
Dieu des chrétiens, et lui ont reproché d'être un Dieu
cruel, ajoutant qu'avant son arrivée tous les habitans
parvenaient à un grand âge, mais que depuis qu'il
avait paru chez eux , tous , jeunes comme vieux , suc-
combaient sous ses coups 3.
En certaines occasions, surtout quand ils redoutent
la colère de leurs dieux , les Zélandais leur adressent
des prières 4. Crozct avait cru remarquer qu'ils se ré-
veillaient vers le milieu de la nuit pour se mettre sur
leur séant et marmotter quelques mots qui ressem-
blaient à des prières 5. Ils ont une prière pour invo-
quer le vent quand ils sont en calme CK Dans une vio-
lente tempête , Toupe adressait de ferventes prières à
l'Aloua pour calmer les élémens , et paraissait placer
une grande confiance en son existence, tandis que son
compagnon, Temarangai, doué d'une dose de foi moins
grande, s'abandonnait au désespoir 7. D'autres fois ,
au lieu de prier l'Atoua, ils le chargent d'injures et
i Marsden , d'Urv., III, p. 248, 443. — ' Lcigh , d'Urv., III, p. 471.
VI ni/le, II, p. i63. — 3 Kemp, d'Urv., III, p. 54;- — 4 Marsden,
d'Urv., III, p. 414. Cruise, d'Urv., III, p. 660. New-Zealanders , d'Urv.»
III, p. 775. — 5 Ci-ozet, d'Urv., III, p. 69. — 0 Cruise, d'1 rv., III,
p. 660. — : Marsden, d'Urv., III, p, 212.
520 VOYAGE
d'imprécations , comme s'ils comptaient par là l'ef-
frayer et le chasser; en un mot ils semblent employer
contre lui une sorte de conjuration i. La prêtresse
Wanga-Taï, à ce que rapporte M. Dillon , pria les
dieux de la Nouvelle-Zélande de protéger la navigation
de son bâtiment, quand il quitta la baie des Iles 2.
Prêtres. Pour correspondre avec la Divinité , pour l'apaiser
par des prières, pour expliquer ses volontés, ces peu-
ples ont des prêtres qu'ils nomment arikis aux en-
virons de la baie des Iles , mais dont le véritable nom
parait être tohoanga , d'un mot qui signifie concevoir ,
comprendre. Ces tohoungas sont toujours consultés
dans les occasions importantes ; leurs décisions sont
d'un grand poids dans toutes les entreprises , et pour
rien au monde les naturels n'oseraient s'opposer aux
volontés que l'Atoua leur intime par la bouche des
tohoungas 3. Ces hommes ont aussi le pouvoir de
prédire l'avenir, et leur influence devient d'autant plus
positive sur leurs concitoyens que leurs prédictions se
trouvent plus souvent vérifiées par l'événement. Ils
jouissent du privilège de pouvoir calmer les orages,
apaiser les vents 4, arrêter les maladies 5, chasser cer-
tains maux, etc. , etc.
Les prêtres ayant le don de prophétie, sans doute
c'est par quelque prédiction de ce genre que l'on peut
expliquer le trait singulier qu'a raconté M. Cruise,
i Kendall , d'Ui'v. , III, p. 245.— 2 Dillon, I, p. 242. — 3 Fors ter,
d'Urv. , III, p. 11. Dillon , d'Urv. , III, p. 706. Revue Britannique, d'Urv.,
III, p. 720. — 4 Nicholas, II, p. 718. — 5 H. Williams, d'Urv., III,
p. 535.
DE L'ASTROLABE. 521
au sujet de Tepere, l'un des chefs de Wangaroa. Ce
chef demandait à l'un des officiers du Dromedary
quand ce navire reviendrait à la Nouvelle-Zélande , et
l'Anglais lui répondit : « Dans douze lunes. — Alors
» je ne vous reverrai jamais, car je mourrai avant cette
» époque. » Toutes les personnes de sa famille , sur-
tout les femmes, s'écrièrent : « Oui, oui, avant douze
« lunes Tepere sera mort. » Ce chef entendait de
sang-froid cet étrange arrêt et semblait y être préparé,
bien qu'aucun motif ne parût devoir justifier son ac-
complissement aux yeux de l'Anglais '.
Le prêtre le plus célèbre de la baie des Iles dans
ces derniers temps était Toï-Tapou , chef de Shiomi ,
qui était consulté dans toutes les circonstances les
plus importantes ou les plus délicates 2, A Shouki-
Anga, Te Manguina jouissait d'une réputation plus
grande encore comme grand -prêtre des pointes de
l'embouchure de ce fleuve. Il avait un pouvoir ab-
solu sur les vents et sur les flots , et ces attributions
lui valaient une haute influence parmi ses compatrio-
tes. Ce qu'il y a de singulier, c'est que Te Manguina
semblait lui-même convaincu de son propre pouvoir
sur les élémens , et de sa communication immédiate
avec la Divinité 5.
Souvent les chefs unissent à leur autorité civile et
militaire les fonctions du sacerdoce. Pour ajouter à la
considération dont sa personne était déjà entourée ,
i ('mise, p. 261. — a D'i'rvi/le, II, p. 2i5. — 3 Mars dm , d'Urv., III,
p. 34o, 342.
Ô22 VOYAGE
Shongui fit un voyage à Moudi-Wenoua , et s'avança
jusqu'à la caverne des Esprils, près du rocher Reinga.
Après cette espèce de pèlerinage, sa réputation comme
prêtre et prophète acquit un nouveau lustre, et Touai
m'assura qu'il avait institué de nouvelles cérémonies
jusqu'alors inconnues à ces peuples. Le fait est très-
croyable, et peut expliquer jusqu'à quel point les rites
et les opinions religieuses peuvent varier dans ces îles,
même chez des tribus voisines.
Les fonctions des prêtres sont héréditaires l ; les
pères sont chargés d'enseigner à leurs en fans les céré-
monies et les fonctions de leur ministère. Touai me
disait un jour que Touao, son cousin, avait hérité de
son père le titre d'Ariki , mais qu'il était loin d'avoir
ses connaissances et son influence.
Par suite de la vénération qu'ils ont pour les divini-
tés de toutes les nations, aux yeux des Zélandais tout
homme qui a des rapports avec Dieu devient pour
eux un être inviolable , quelle que soit d'ailleurs sa
religion. C'est à ce titre qu'ils ont toujours respecté la
personne des missionnaires , même dans les momens
où leur colère et leur fureur, parvenues au plus haut
degré d'exaspération , semblaient disposer ces sauva-
ges aux derniers excès.
Médecins. Comme dans presque toutes les peuplades encore
dans l'enfance de la civilisation , là les prêtres unis-
sent à leurs fonctions particulières celles de médecin.
Dès qu'une personne tombe dangereusement malade,
« Marsden, d'Urv., III, p. 348.
DE L'ASTROLABE. 523
le prêtre médecin est appelé et ne quille plus son ma-
lade qu'il ne soit guéri ou enterré. Ses moyens cura-
tifs se bornent le plus souvent à des prières à l'Atoua,
h des jongleries de diverses natures , surtout à faire
observer rigoureusement les préceptes du tapou i.
Cependant ils prescrivent souvent une diète abso-
lue qui peut être quelquefois salutaire au patient,
mais qui en d'autres occasions suffit pour le tuer. Les
fièvres chroniques sont fréquentes dans ces pays ; les
naturels n'ont aucune idée ni de leurs causes ni de
leurs effets 2, et ils les attribuent simplement aux ra-
vages d'un feu intérieur. Pour l'éteindre , ils laissent
le palient exposé à toute la rigueur de la saison et lui
font prendre de l'eau froide \ ce qui ne tarde pas à
aggraver son mal.
Les médecins sont responsables de ce qui peut ar-
river au malade. Quand celui-ci appartient au premier
rang de la tribu , cette responsabilité devient très-sé-
rieuse, s'il vient à mourir. Alors un conseil est cbargé
d'examiner la conduite du médecin; on passe en revue
les moindres circonstances de la maladie , et , si l'on
venait à découvrir que le médecin , par ignorance ou
par malveillance , eût manqué à quelques-unes des
lois du tapou, il serait exposé à un châtiment sévère.
Dans ce dernier cas, il courrait fort le risque de payer
sa faute de sa tète, et pourrait bien être sacrifié à l'es-
prit du défunt , pour apaiser son ressentiment 4.
• Marsden , d'Urv. , III, p. 377. Kemp , d'Urv. , III, p. 5 1 3. — a Ren-
dait, d'Urv., III, p. 234. — 3 Rendait, d'Urv., III, p. a36. Marsden,
d'Urv-, III, p. 378. — 4 Rutherford , d'Urv. , III, p. 745.
524 VOYAGE
Un jour, dans le canal de la Reine-Charlotte, Cook
observa une fille occupée à faire chauffer des pierres.
Curieux de savoir l'usage auquel elle les destinait, il
resta près d'elle. Dès que les pierres furent suffisam-
ment chaudes , elle les retira du feu et les donna à
une vieille femme assise dans la cabane. Celle-ci en
fit un monceau qu'elle recouvrit d'une poignée de cé-
leri , puis d'une natte grossière ; ensuite elle se tint ac-
croupie sur ce tas de pierres comme sur une chauffe-
rette , et ramassée comme un lièvre dans son gîte.
Cook pensa que c'était un remède pour guérir quel-
que maladie , contre laquelle la vapeur du céleri pou-
vait être un spécifique , d'autant plus que la vieille
femme lui parut indisposée I .
Tout ce qui a trait à l'art de guérir se nomme ron-
goa, et les médecins sont en conséquence nommés
tangata-rongoa. Ils ont quelque idée des opérations
chirurgicales, et savent extraire adroitement les poin-
tes des lances qui ont pénétré dans les chairs , en fai-
sant de profondes incisions avec des coquilles tran-
chantes.
Waidouas. Les Zélandais ont des idées bien plus positives
touchant l'immortalité de l'ame et son existence future
qu'on ne l'attendrait de leur état de civilisation. L'ame
ou esprit qu'ils nomment waidoua est un souffle inté-
rieur, parfaitement distinct de la substance ou enve-
loppe matérielle qui forme le corps. Au moment de la
mort, ces deux substances, jusqu'alors étroitement
> Cook, deux. Voy. , III, p. 371.
DE L'ASTROLABE. 525
unies , se séparent par un déchirement violent. Le
waidoua reste encore trois jours après la mort à pla-
ner autour du corps », puis il se rend directement vers
une route fictive qui s'étend d'un bout à l'autre de l'île
Ika-ISTa-Mawi , et qui aboutit au rocher Reinga (Dé-
part), vraiTénare de ces peuples 2.
Là, un Atoua emporte dans les régions supérieures
du ciel ou le séjour de la gloire , rangui, la partie la
plus pure du waidoua, tandis que la partie impure est
précipitée dans les ténèbres, Po-nouï ou Po-kino. Du
reste , il ne faut pas croire qu'aux mots de pur et im-
pur , ces hommes attachent aucune idée positive de
crime et de vertu , ou de bien et de mal. Pour eux ,
ces distinctions morales sont vides de sens, ils ne con-
naissent que l'honneur et le déshonneur, la gloire ou
la honte. L'un est pour le vainqueur, l'autre pour le
vaincu 5; superstition terrible, et dont il est facile de
saisir tout de suite toutes les conséquences. C'est bien
là le cas de s'écrier : Vœ vie lis!..
En effet, ils sont intimement convaincus qu'en dé-
vorant le corps de leur ennemi, non-seulement ils
détruisent sa substance matérielle , mais qu'en outre
ils absorbent, ils assimilent à leur ame, à leur esprit,
la partie immatérielle , le waidoua de ce même en-
nemi. Leur propre waidoua reçoit un nouveau degré
de gloire et d'honneur par cette aggrégation , et plus
un chef aura dévoré d'ennemis d'un rang distingué
« //. Williams, d'Urv. , III, p. 53r. D'L'n-ille, 11, p. 229. — 2 Collins,
d'Urv., III, p. 81. — 3 Cooh, trois. Vov., I, p- 17$.
626 VOYAGE
dans ce monde , plus dans l'autre son waidoua triom-
phant sera heureux et digne d'envie.
Du reste , ils n'ont qu'une idée très-vague du genre
de bonheur dont ils jouiront dans cette existence fu-
ture ». Il parait cependant qu'ils le font principale-
ment consister dans de grands festins en poissons et
en patates , et dans des combats où les waidouas élus
seront toujours vainqueurs 2.
Les waidouas des morts peuvent communiquer
accidentellement avec les vivans ; le plus souvent ils
le font sous la forme d'ombres légères , de rayons du
soleil 3, de souffles violens 4, etc. Ces apparitions sont
très-fréquentes , et rien ne pourrait persuader à ces
naturels que ce ne sont que des illusions de leur ima-
gination. Il en résulte que ces hommes éprouvent , à
l'approche des tombeaux , la même terreur religieuse
que nombre d'Européens dans les classes du peuple.
Okouna n'osa jamais approcher de la tombe d'un
mort, dans la crainte de voir apparaître son waidoua 5.
Ces naturels s'imaginent que le siège de l'âme est
dans l'œil gauche, et les chefs pensent que cet œil , à
son tour, est représenté par une étoile particulière du
firmament. Ainsi leur esprit ou waidoua a pour repré-
sentant un astre du ciel ; de là une foule d'allusions
entre l'état de cette étoile et celui du waidoua dont elle
est l'image 6. L'astre acquiert ou perd de son éclat,
' Savage, p. 24. — 2 Rendait, d'Urv. , III, p. 236. — 3 Marsden ,
d'Urv. , III, p. 329. — 4 Cruise, d'Urv., III, p. 647. — 5 Cruise , p. 186.
— G KendaU, d'Urv., III, p. 235.
DE L'ASTROLABE. 527
suivant que le chef est plus ou moins favorisé par la
fortune, et son vvaidoua est soumis aux mêmes modi-
fications. D'autres imaginent que cet astre ne parait
qu'à la mort du chef qu'il représente. IXos aïeux ne
croyaient-ils pas aussi naguère qu'une constellation
ou une étoile du ciel présidait à la destinée de chaque
homme sur la terre? Et les anciens Grecs, les anciens
Romains ne voyaient-ils pas dans certaines constella-
tions l'emblème de leurs souverains ou de leurs héros
décédés?
C'est pour mieux anéantir le waidoua de son en-
nemi que souvent un chef , au moment où il vient de
terrasser un rival redouté, lui arrache l'œil gauche
et l'avale. D'autres se contentent de boire le sang fu-
mant de leur ennemi, pour éviter la fureur du wai-
doua vaincu , persuadés que par cette action ce wai-
doua s'identifie avec celui du vainqueur, et dès-lors
ne peut plus lui être nuisible l.
XVII.
CÉRÉMONIES ET COUTUMES DIVERSES.
Le tabou ou plus correctement tapou , à la Xou- Tapou.
velle-Zélande, est une superstition bizarre et vraiment
caractéristique pour tous les peuples de la race poly-
nésienne , depuis les grandes îles qui nous occupent
jusqu'aux îles Hawaii , en suivant une zone inclinée à
la méridienne, et dont les habitans parlent tous une
langue commune dans son origine.
' Marsden, d'Urv. , Ul , p. 3o5.
S 28 VOYAGE
Sans nul doute , le but primitif du tapou fut tou-
jours l'intention d'apaiser la colère de la Divinité et
de se la rendre favorable, en s'imposant une privation
volontaire , proportionnée à la grandeur de l'offense
ou à la colère présumée du Dieu en question l . Proba-
blement il n'est guère de système de religion où cette
croyance n'ait pénétré , où elle n'ait été caractérisée
par des actes plus ou moins extravagans. En tous temps,
en tous lieux , l'homme a presque toujours fait son
Dieu à son image, et lui a prêté naturellement ses pas-
sions et ses caprices. Il a jugé d'ailleurs plus facile et
plus prompt d'expier ses crimes et ses offenses envers
la Divinité par des privations temporaires qui dégé-
nèrent souvent en une vaine forme, que de chercher à
lui plaire en devenant meilleur et en faisant du bien à
ses semblables. Il est inutile de citer des exemples de
cette déplorable erreur, l'histoire religieuse de tous
les peuples n'est guère qu'un long et triste recueil de
toutes les folies de l'homme.
Plus que tout autre habitant de la Polynésie, le Zé-
landais est aveuglément soumis aux superstitions du
tapou , et cela sans avoir conservé en aucune façon
l'idée du principe de morale sur lequel cette pratique
était fondée. Il croit seulement que le tapou est agréa-
ble àl'Atoua, et ce motif lui suffit. En outre il est con-
vaincu que tout objet, soit être vivant, soit matière
inanimée , frappé d'un tapou , se trouve dès-lors au
pouvoir immédiat de la Divinité, et par là même inter-
i Marsden, d'Urv,, III., p. 440, 446.
DE L'ASTROLABE. 529
dit à tout contact profane. Quiconque porterait une
main sacrilège sur un objet soumis à un pareil interdit
provoquerait le courroux de l'Atoua, qui ne manque-
rait pas de l'en punir en le faisant périr , non-seule-
ment lui-même, mais encore celui ou ceux qui au-
raient établi le tapou ou en faveur desquels il a été
institué. C'est ainsi que l'Atoua se vengea, dit-on, sur
M. INicholas du sacrilège que cet Anglais avait com-
mis en maniant un pistolet taboue pour avoir servi au
chef Doua-Tara, a l'époque de sa mort.
Mais le plus souvent les naturels s'empressent de
prévenir les effets du courroux céleste en punissant
sévèrement le coupable. S'il appartient à une classe
élevée, il est exposé à être dépouillé de toutes ses pro-
priétés , et même de son rang , pour être relégué dans
les dernières classes de la société. Si c'est un homme
du peuple ou un esclave , il peut arriver que la mort
seule puisse expier son offense.
Pour concilier certaines idées de justice avec le
respect dû aux réglemens du tapou, Touai me disait
que ses compatriotes avaient arrêté que les étrangers
seraient excusables d'y manquer, quand ils se trou-
veraient pour la première fois chez eux, mais que
leurs fautes ne seraient pas tolérées dans un second
voyage.
Un mot du prêtre , un songe ou quelque pressen-
timent involontaire donne-t-il à penser à un naturel
que son dieu est irrité ; soudain il impose le tapou sur
sa maison , sur ses champs , sur sa pirogue , etc. ,
c'est-à-dire qu'il se prive de l'usage de lous ces ob-
tome ir. 36
Ô30 VOYAGE
jets, malgré la gène et la détresse auxquelles cette
privation le réduit.
Tantôt le tapou est absolu et s'applique à tout le
monde , alors personne ne peut approcher de l'objet
taboue sans encourir les peines les plus sévères. Tan-
tôt le tapou n'est que relatif et n'affecte qu'une ou
plusieurs personnes désignées ». L'individu soumis
personnellement à l'action du tapou est exclu de toute
communication avec ses compatriotes, il ne peut se
servir de ses mains pour porter ses alimens à sa
bouche. Appartient-il à la classe noble, un ou plu-
sieurs serviteurs sont assignés à son service , et parti-
cipent a son état d'interdiction ; n'est-il qu'un homme
du peuple , il est obligé de ramasser ses alimens avec
sa bouche , à la manière des animaux 2.
On sent bien que le tapou sera d'autant plus so-
lennel et plus respectable qu'il émanera d'un person-
nage plus important. L'homme du peuple, sujet à
tous les tapous des divers chefs de la tribu , n'a guère
d'autre pouvoir que de se l'imposer à lui-même. Le
rangatira, selon son rang , peut assujettir à son tapou
ceux qui dépendent de son autorité directe. Enfin la
tribu tout entière respecte aveuglément les tapous
imposés par le chef principal.
D'après cela , il est facile de prévoir quelle res-
source les chefs peuvent tirer de cette institution pour
assurer leurs droits et faire respecter leurs volontés.
C'est une sorte de veto d'une extension indéfinie, dont
i Mursden, d'Urv., III, p. 168. — s Niclwlas, d'Urv. , III, p. 624.
DE L'ASTROLABE. 531
le pouvoir est consacré par un préjugé religieux de la
nature la plus intime. Aux siècles d'ignorance, les
foudres spirituelles du Vatican n'eurent pas des effets
plus rapides , plus absolus sur les consciences timo-
rées des chrétiens, et leurs décrets n'obtenaient pas
une obéissance plus complète que ceux du tapou à la
Nouvelle-Zélande. A défaut de lois positives pour
sceller leur puissance , et de moyens directs pour
appuyer leurs ordres , les chefs n'ont d'autre garantie
que le tapou. Ainsi qu'un chef craigne de voir les co-
chons , le poisson, les coquillages, etc., manquer
un jour à sa tribu , par une consommation impré-
voyante et prématurée de la part de ses sujets , il im-
posera le tapou sur ces divers objets , et cela pour
tel espace de temps qu'il jugera convenable. Veut-il
écarter de sa maison , de ses champs , des voisins im-
portuns , il taboue sa maison, ses champs '. Désire-
t-il s'assurer le monopole d'un navire européen mouillé
sur son territoire, un tapou a partiel en écartera tous
ceux avec qui il ne veut point partager un commerce
aussi lucratif. Est-il mécontent du capitaine, et a-t-il
résolu de le priver de toute espèce de rafraîchisse-
mens , un tapou absolu interdira l'accès du navire à
tous les hommes de sa tribu. Au moyen de cette
arme mystique et redoutable , et en ménageant adroi-
tement son emploi , un chef peut amener ses sujets à
une obéissance passive.
Il est bien entendu que les chefs et les arikis ou
« Cruise, d Irv., III, p. 638. — ■> Cuise , p. 88.
36*
632 VOYAGE
prêtres savent toujours se concerter ensemble pour
assurer aux tapous toute leur inviolabilité. D'ailleurs
les chefs sont le plus souvent arikis eux-mêmes , ou
du moins les arikis tiennent de très-près aux chefs
par les liens du sang ou des alliances. Ils ont donc
un intérêt tout naturel à se soutenir réciproque-
ment.
Le plus souvent , le tapou n'est qu'accidentel et
temporaire. Alors certaines paroles prononcées , cer-
taines formalités en déterminent l'action, comme elles
en suspendent le pouvoir et en terminent la durée.
Nous n'avons que très-peu de données à l'égard de
ces cérémonies, il est sans doute réservé aux mission-
naires de lever un jour les ténèbres dont cette ma-
tière est encore enveloppée.
Seulement il m'a semblé que pour détruire l'effet
restrictif du tapou , le principe de la cérémonie con-
sistait dans l'action d'attirer et de concentrer sur un
objet déterminé, comme une pierre , une patate , un
morceau de bois , toute la vertu mystique , étendue
d'abord sur les êtres taboues , puis à cacher cet objet
dans un lieu à l'abri de tout contact de la part des
hommes *,
Jusqu'aujourd'hui M. Nicholas seul nous a cité un
exemple de ces rites mystiques , ceux dont il fut té-
moin quand Wiwia, après beaucoup d'instances, con-
sentit à se dessaisir en sa faveur du peigne taboue qui
avait servi à ce chef pour se couper les cheveux 2.
■ D'Un'ille, m, p. 685. — 2 Nicholas, d'Urv., III, p. 619.
DE L'ASTROLABE. 533
Mais il faudrait plusieurs exemples de celle nature ,
surtout il faudrait des explications motivées de ces
différens rites pour se former une idée exacte des opi-
nions religieuses de ce peuple.
Certains objets sont essentiellement tapoa ou sa-
crés par eux-mêmes, comme les dépouilles des morts,
surtout de ceux qui ont occupe un rang distingué.
Dans l'homme la tète Test au plus haut degré , et par
conséquent les cheveux qui lui appartiennent. C'est
une importante affaire pour un de ces sauvages que
de se couper les cheveux ' ; quand cette opération est
terminée, on veille avec un soin extrême à ce que les
cheveux coupés ne soient pas abandonnés dans un lieu
où l'on pourrait marcher dessus. L'individu tondu
reste taboue durant quelques jours et ne peut tou-
cher ses alimens avec les mains a. M. Savage qui
ignorait la véritable cause de cette restriction l'attri-
buait à un motif de propreté 5. 11 en est de même de
la personne qui vient d'être tatouée , car l'opération
du moko entraine également un tapoude trois jours 4.
C'est pour la même raison que ces insulaires ne
peuvent souffrir aucune sorte de provisions dans
leurs cabanes , surtout de celles qui viennent d'être
animées , comme viande , poisson , coquillages , etc. ;
car si leur tête venait à se trouver, même en passant ,
sous un de ces objets, un pareil malheur pourrait en-
traîner des suites funestes pour eux 5. M. Savage, le
• Cook, trois. Voy. , I, p. 176. Cruisc , p. 14. Nicholas, d'Urv., III,
p. 6a5. — s Cmisc, d'Urv., III, p. 656, 660. — 3 Savage, p. 23. —
1 Riaherford, d'Urv., III, p. 740. — 5 IUuhcrford , d'Urv., III, p. 737.
534 VOYAGE
premier, remarqua que ces sauvages ne s'asseyaient
qu'avec beaucoup de répugnance sous des filets char-
gés de pommes déterre l. Les premiers Européens
qui les visitèrent mirent à profit cette superstition
pour se débarrasser de l'importunité de leurs hôtes.
Pour cela ils n'eurent qu'à suspendre au plafond de
leurs cabanes un morceau de viande; de ce moment
les naturels n'eurent garde d'en approcher 2. Ce
préjugé es.t tellement enraciné chez eux que certains
chefs faisaient quelquefois difficulté de descendre dans
les chambres des navires , parce qu'ils redoutaient
qu'on ne vînt en ce moment à passer par-dessus leur
tète, en se promenant sur le pont.
Jamais il ne leur arrive de prendre leurs repas
dans l'intérieur de leurs maisons , et ils ne peuvent
souffrir que les Européens prennent cette liberté chez
eux 3. Si ceux-ci ont besoin de se rafraîchir, ils sont
obligés de sortir de la cabane pour avaler même un
verre d'eau.
C'est un crime que d'allumer du feu dans un endroit
où des provisions se trouvent déposées 4.
Un chef ne peut pas se chauffer au même feu qu'un
homme d'un rang inférieur 5 ; il ne peut pas même al-
lumer son feu à celui d'un autre, etc., etc., sous peine
d'encourir le courroux de l'Atoua 6.
i Savage, p. i§. — 2 Cruise, d'Urv. , III, p. 647. — 3 Marsden ,
d'Urv. , III, p. 196. Rutherford, d'Urv., III, p. 749. Nicholas , d'Urv.»
III, p. 596. — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 376. — 5 D'Uiville, II, p. 82.
— G Marsden, d'Urv., III, p. 440.
DE L' ASTROLABE. 635
Les malades atteints d'une maladie jugée mortelle r,
les femmes près d'accoucher sont mis sous l'empire
du tapou <>. Dès-lors ces personnes sont reléguées sous
de simples hangars en plein air, et isolées de toute
communication avec leurs parens et leurs amis. Cer-
tains alimens leur sont rigoureusement interdits ;
quelquefois ils sont condamnés plusieurs jours de
suite à une diète ahsolue 5, et croient que la moindre
infraction à ces règles causerait à l'instant même leur
mort. Les malades riches sont assistés par un cer-
tain nombre d'esclaves qui, de ce moment, partagent
toutes les conséquences de leur position 4. Pauvres,
ils sont réduits à la situation la plus déplorable, et
contraints de ramasser avec leur bouche les vivres
qu'on leur porte. L'accès des cases ou des malades
taboues est aussi rigoureusement interdit aux étran-
gers qu'aux habitans du pays 5.
C'est ainsi que M. JNicholas nous dépeint l'état où
se trouva Doua-Tara du moment où sa maladie fut
déclarée mortelle. L'Atoua s'était établi dans son esto-
mac , et nul pouvoir humain n'eût pu l'en chasser 6.
Doua-Tara était rigoureusement séquestré de toute
communication avec les profanes , et M. Psicholas eut
été massacré sur-le-champ s'il eût voulu violer le ta-
pou?. Par une exception spéciale, M. Marsden ne
put jouir de ce privilège qu'à son double titre d'ariki
i Marsden, d'Urv , III, p. 196, 4 1 S. — 2 yicholas , d'Urv , III,
p. 5<)6. yicholas, II, p. i.3o, 166. — ï Marsden, d'Urv., III, p. 2o'5.
— 4 Savage, p. 24. — 5 yicholas, l, p. 358. — <i Nicltolas, d'Urv., II f ,
p. Gi'i. — 7 Nicltolas, II, p. 167.
o36 VOYAGE
et de tohounga ; encore, cela n'eût peut-être pas suffi
s'il n'eût menacé les naturels de canonner Rangui-
Hou dans le cas où ils eussent persisté dans leurs
refus '.
L'Atoua, disaient-ils, était occupé à dévorer les en-
trailles de Doua-Tara , et ce chef périrait, mate moe,
dès qu'elles seraient toutes dévorées 2. Pour mieux le
soustraire à tout rapport avec les étrangers , ses amis
voulaient d'avance le transporter sur l'île isolée où il
devait être inhumé : mais Doua-Tara les en empêcha
au moyen d'un pistolet dont il était armé et dont il les
menaçait quand ils voulaient s'approcher de lui. Quel-
que temps avant sa mort , ses femmes et ses parens
veillaient autour de lui et attendaient en silence le mo-
ment où il allait expirer. Le prêtre ne le quittait point
non plus ; il veillait à l'accomplissement de toutes les
cérémonies requises en pareille circonstance, et ne
permettait pas que rien se fit sans son entremise 3.
Ils croyaient en général que la mort de Doua-Tara
avait été causée par les prières de Ware qui s'était
ainsi vengé de ce chef pour les coups de fouet qu'il en
avait reçus 4.
Tous les ustensiles qui ont servi à une personne du-
rant sa maladie sont taboues et ne peuvent plus servir
à nul autre au monde \ ils sont brisés ou déposés près
du corps du défunt. A la mort de Doua-Tara, les mis-
sionnaires furent obligés de renoncer aux vases dans
i Marsden, d'Urv., III, p. 2o3. — 2 Nicholas , II, p. 170. — 3 Nicho-
las, II, p. 180. — 4 Nicholas, H, p. 9.17.
DE L'ASTROLABE. 537
lesquels ils lui avaient apporté des vivres ou des po-
tions '.
Tout homme qui travaille à construire une pirogue,
une maison, est soumis au tapou ; mais en ce cas l'in-
terdiction se réduit à lui défendre de se servir de ses
propres mains pour manger ; il n'est pas exclu de la
société de ses concitoyens 2.
Les plantations de patates douces ou koumaras sont
essentiellement tapou , et l'accès en est soigneusement
interdit à qui que ce soit durant une certaine période
de leur crue. Des hommes sont préposés à leur garde
et en éloignent tous les étrangers. De grandes céré-
monies accompagnent toujours la plantation et la ré-
colte de ces précieuses racines 3.
Pour les planter, les chefs se revêtent de leurs plus
beaux atours, et procèdent à cette importante opéra-
tion avec toute la gravité possible. Un de ces chefs
voyant un jour le ciel sillonné de nuages blancs , dis-
posés d'une façon particulière, fit observera 31. Ken-
dall que TAtoua plantait ses patates dans le ciel, et
qu'en sa qualité d'Atoua sur la terre il devait imiter
l'Atoua du ciel en ces occasions 4.
Lorsque je visitai le village et les forets de Kawa-
Kawa, toutes les instances, tout le crédit du mission-
naire qui m'accompagnait ne purent obtenir des natu-
rels la permission de nous laisser passer en vue de
ces cultures sacrées 5.
i Nicholas, d'Urv. , III, p. 6î5. Marsden, d'Urv., III, p. 2o5. —
s Sicholas, d'Urv., III, p. 596, 624. — 3 Cruise , d'Urv., III, p. 63g,
(i'i5. — 4 Kendall, d'Urv., III, p. 246. — :"> D'Unille, II, p. 216.
)38 VOYAGE
On se condamne au tapou , au départ d'une per-
sonne chérie , pour attirer sur elle la protection de la
Divinité '. On voit que lanière de Shongui se taboua
lorsque ce chef partit pour l'Angleterre , et une femme
était chargée de la faire manger2, ^lors le tapou re-
présente assez bien ce que quelques dévots catholi-
ques entendent par le mot de vœu.
Quand une tribu entreprend la guerre , une prê-
tresse se taboue , elle s'interdit toute nourriture du-
rant deux jours ; le troisième , elle accomplit certaines
cérémonies pour attirer la bénédiction divine sur les
armes de la tribu 3.
Il est des saisons et des circonstances où tout le
poisson qu'on pèche est tapou 4, surtout quand il s'a-
git de faire des provisions d'hiver 5. Là on retrouve le
but politique qui fît instituer les carêmes et autres in-
terdictions semblables en Europe et ailleurs.
Un jour M. Kendall ayant offert du porc à Wa-
raki qui était venu le visiter tandis qu'il dînait , ce
chef en mit un morceau entre ses dents , fit une lon-
gue prière et le jeta ensuite. Puis il dit qu'il allait
manger comme à l'ordinaire 6.
C'est par le tapou que les Zélandais scellent un
marché d'une manière inviolable. Quand ils ont ar-
rêté leur choix sur un objet qu'ils n'ont pas le moyen
de payer sur-le-champ, ils y attachent un fil en pro-
t Marsden, d'Urv. , III, p. 207. — - Cruise, p. 45. — 3 Critise, d'Urv.,
III, p. 660. — 4 Leigh, d'Urv. , III, p. 471. — 5 Marsden, d'Urv., III,
p. 268. — 6 Kendall, d'Urv., III, p. 23i.
DE L'ASTROLABE. 539
férant le mot tapou; on est certain qu'ils viendront le
reprendre du moment où ils pourront en livrer la
valeur » .
Le tapou joue ainsi le rôle le plus important dans
l'existence du Nouveau-Zélandais. Il dirige, déter-
mine ou modifie la plupart de ses actions. Par le ta-
pou, la Divinité intervient toujours dans les moindres
actes de sa vie publique et privée, et Ton sent quelle
influence une telle considération doit avoir sur l'ima-
gination d'hommes pénétrés dès leur plus tendre en-
fance d'un préjugé aussi puissant. M. Nicholas m'a
paru être le premier voyageur qui ait bien saisi toute
la valeur et toutes les conséquences du tapou chez
les Nouveaux-Zélandais. Voici dans quels termes il
s'exprime sur cette institution : « Pour suivre la va-
leur du mot tabou dans ses acceptions nombreuses et
variées, il faudrait détailler minutieusement toutes les
circonstances de l'économie politique de ce peuple ,
tâche au-dessus de mes forces. Il règle non-seulement
leurs institutions, mais encore leurs travaux journa-
liers , et il y a à peine un seul acte de leur vie auquel
cet important dissyllabe ne se trouve mêlé. Bien que
le tabou les assujettisse, comme on a pu voir, a une
foule de restrictions absurdes et pénibles , il est néan-
moins fort utile par le fait dans une nation si irrégu-
lièrement constituée. En l'absence des lois, il leur
offre la seule garantie capable de protéger les per-
sonnes et les propriétés en leur donnant un caractère
• Cruisc, p. 8. D'Urv., III, p. 655.
540 VOYAGE
authentique que personne n'ose violer. Sa puissante
influence peut même arrêter les pillards les plus cruels
et les plus avides « . »
Makoutou. Les jNouveaux-Zélandais croient fermement aux
enchantemens qu'ils nomment makoutou 2. C'est une
source intarissable de craintes et d'inquiétudes pour
ces malheureux insulaires , car c'est à cette cause
qu'ils attribuent la plupart des maladies qu'ils éprou-
vent, des morts qui arrivent parmi eux3. Certaines
prières adressées à l'Atoua, certains mots prononcés
d'une manière particulière , surtout certaines grima-
ces , certains gestes , sont les moyens par lesquels ces
enchantemens s'opèrent 4. Nouvel argument pour at-
tester que partout les hommes se ressemblent plus
qu'on ne le pense! —
Toutes les fois que les missionnaires, pour démon-
trer aux naturels l'absurdité de leurs croyances tou-
chant le tapou et le makoutou, leur ont offert d'en
braver impunément les effets dans leurs propres per-
sonnes, les Zélandais ont répondu que les mission-
naires en leur qualité d'arikis et protégés par un dieu
très-puissant, pourraient bien défier la colère des
dieux du pays , mais que ceux-ci tourneraient leur
courroux contre les habitans, et les feraient périr
sans pitié , si on leur faisait une semblable insulte.
Songes. Les songes , surtout ceux des prêtres , sont d'une
i yicholas, d'Urv., III, p. 633 et 634. — 2 Dillon, d'Urv., III, p. 706.
-•- 3 Marsden, d'Urv., III, p. 3i5. Kemp , d'Urv., III, p. 5i2. —
h Marsden, d'Urv., III, p. 43g. Hall, d'Urv., HI, p. 492. Madame
Williams, d'Urv., III, p. 495.
DE L'ASTROLABE. 541
haute importance pour les décisions de ces sauvages.
On a vu des entreprises concertées depuis long-temps,
arrêtées tout-à-coup par l'effet d'un songe, et les
guerriers reprendre le chemin de leurs foyers au mo-
ment où ils se repaissaient de l'espoir d'exterminer
leurs ennemis et de se régaler de leurs corps. Résis-
ter aux inspirations d'un songe serait une offense di-
recte à l'Atoua qui l'a envoyé *.
M. Dillon ne put se débarrasser des importunités
d'un naturel qui voulait s'embarquer sur son navire
pour se rendre en Angleterre, qu'en assurant à cet
homme qu'un songe lui avait annoncé qu'il périrait
infailliblement s'il entreprenait ce voyage2.
Les Zélandais rendent de grands honneurs aux Funérailles,
restes de leurs parens , surtout quand ils sont d'un
rang distingué. D'abord on garde le corps durant trois
jours , par suite de l'opinion que l'ame n'abandonne
définitivement sa dépouille mortelle que le troisième
jour après le trépas. Ce troisième jour, le corps est
revêtu de ses plus beaux habits , frotté d'huile, orné
et paré comme de son vivant. Les parens et les amis
sont admis en sa présence, et témoignent leur douleur
de la mort du défunt par des pleurs, des cris, des
plaintes et notamment en se déchirant la figure et les
épaules de manière à faire jaillir le sang 3. Plus encore
i Marsden, d'Urv., III, p. 420, 421. — 2 Dillon, I, p. 240 et 241. —
3 Cook, prem. Voy. , III, p. 118, 297. Crozcl, d'Urv., III, p. 54- Jnder-
son, d'Urv., III, p. 25. Kendall , dTJrv. , III, p. 119, 235. Marsden,
d'Urv., III, p. 412. Nicholas, d'Urv., III, p. 622. Stock, d'Urv., III,
p. 54i. liuihcrfovd , d'Urv., III, p. 745.
5é2 VOYAGE
que les hommes , les femmes sont assujetties à ces de
monstrations cruelles de sensibilité. Malheur à celles
qui viennent à perdre consécutivement plusieurs pro-
ches parens : leur figure et leur gorge ne seront du-
rant long-temps qu'une plaie sanglante , car ces dé-
monstrations se renouvellent plusieurs fois pour cha-
que personne.
Au lieu de laisser le cadavre étendu tout de son
long , comme en Europe , les membres sont ordinai-
rement ployés contre le ventre et ramassés en pa-
quet *. Le corps est ensuite porté et inhumé dans
quelque endroit isolé, entouré de palissades et ta-
boue. Des pieux, des croix 2 ou des figures sculp-
tées et rougies à l'ocre , annoncent la tombe d'un chef :
celle d'un homme du commun n'est indiquée que par
un tas de pierres 3. Ces tombes portent le nom de
oadoii pa , maison de gloire.
On dépose sur la tombe du mort des vivres pour
nourrir son waidoua ; car bien qu'immatériel , il est
encore , dans la croyance de ces peuples , susceptible
de prendre des alimens. Un jeune homme à toute
extrémité ne pouvait plus consommer le pain qu'un
missionnaire lui offrait , mais il le réserva pour son
esprit qui reviendrait s'en nourrir, disait le moribond,
après avoir quitté son corps et avant de se mettre en
route pour le cap Nord 4.
i Ke/idall, d'Urv., III, p. 119. Cruise, d'Urv., III, p. 643. — 2 Cook ,
prem. Voy., III, p. 194. — 3 Savage, p. 24. Nicholas , I, p. 327, d'Urv.,
III, p. 5g3. Cruise, d'Urv., III, p. 645. Blosseville, d'Urv., III, p. 696.
— 4 Leigh , d'Urv., III, p. 471.
DE L'ASTKOL.VBE. 543
Un festin général de toute la tribu termine ordi-
nairement la cérémonie ; on s'y régale de porc , de
poisson et de patates , suivant les moyens du défunt.
Les païens et les amis des tribus voisines y sont
conviés ».
Le corps ne reste en terre que le temps nécessaire
pour que la corruption des chairs leur permette de se
détacher facilement des os. Il n'y a pas d'époque fixe
pour cette opération ; car cet intervalle paraît varier
depuis trois mois jusqu'à six mois , et même un au.
Quoi qu'il en soit, au temps désigné, les personnes
chargées de cette cérémonie se rendent à la tombe ,
en retirent les os, et ont soin de les nettoyer avec
soin : un nouveau deuil a lieu sur ces dépouilles sa-
crées , certaines cérémonies religieuses sont accom-
plies 2 ; enfin les os sont portés et solennellement dé-
posés dans le sépulcre de la famille. Dans ces sépul-
cres qui sont des caveaux ou des grottes formées par
la nature, les ossemens sont communément étendus
sur de petites plates-formes élevées à deux ou trois
pieds au-dessus du sol 5.
Il paraît qu'il y a des circonstances où les cadavres
ne seraient point inhumés , et où ils seraient conservés
dans des coffres hermétiquement fermés , ou déposés
immédiatement sur des plates-formes, comme cela eut
lieu pour le père de Wiwia 4 , pour cet enfant que
i Kendall, d'Urv., III, p. 119. — » Kendall, d'Urv., III, p. 228.
(mise, d'Urv., III, p. f>45. D'UrviUe, II, p. 2 3o. — 3 Marsdrn , d'Urv.,
III, p. 324. — 'i Mftrsdcn , d'Urv., III, p. 197.
544
VOYAGE
M. Cruise vit à Kawera-Popo », et sans doute aussi
pour le corps que Koro-Koro montra à ce voyageur 2.
1
B§^W&
Probablement cela ne se pratique que pour les corps
qui ont été préparés après la mort, et dont on ne
craint point la putréfaction ; tandis que, pour les au-
tres , on attend que la chair puisse se détacher des
os par un séjour suffisant dans la tombe.
Non-seulement les restes des morts sont essentiel-
lement taboues, mais en outre les objets et les per-
sonnes employés dans les cérémonies funéraires sont
assujettis au tapou le plus rigoureux 3. Avant de
rentrer dans le commerce habituel de leurs compa-
triotes, ils ont à subir des purifications particulières
dont la nature et les détails nous sont encore in-
connus.
i Cruise, d'Urv., III, p. 646. -
S V'Vnnlle, II, p. îii ; III, p. 685.
Cruise, d'Urv., III, p. 643. —
DE L'ASTROLABE. 545
La cérémonie de relever les os des morts joue le
plus grand rôle chez ces sauvages. Les paréos n'ont
acquitté leurs devoirs envers leurs enfans, les enfans
envers leurs parens , et les époux entre eux , qu'après
avoir accompli cette indispensable opération '. D'a-
près l'idée que j'ai pu m'en former, l'enterrement ne
serait qu'un état provisoire pour donner au corps le
temps de se dépouiller de sa partie corruptible et im-
pure; pour le défunt , l'état de repos définitif n'aurait
lieu que du moment où ses os seraient déposés dans
le sépulcre dé ses ancêtres. Ces naturels bravent les
périls les plus grands , les fatigues les plus pénibles
pour rendre ces devoirs à une personne qui leur est
chère, quelle que soit la distance où elle aura péri,
pourvu seulement qu'ils aient l'espoir de réussir. Les
parens ont toujours eu soin de réclamer les os de leurs
enfans qui sont morts pendant leur séjour à Port-
Jackson 2, et la possession de ces dépouilles chéries
apaise considérablement leurs regrets.
C'est faire un outrage sanglant à une famille, à une
tribu, que de violer la tombe et de profaner les restes
d'un de ses membres. Le sang seul peut payer une
pareille insulte, et l'on connaît la vengeance terrible
que Shongui exerça sur les habitans de Wangaroa ,
(jui s'étaient permis de violer la tombe de son beau-
père 3.
Les cadavres des hommes du peuple sont enterrés
i Marsden, d'Urv. , III, p. a8y. — > Marstlen, d'Urv., III, p. f,o-j.
■ Marsden, d'1 rv., III, p. a8fi, 29/,, 355, 356.
TOME II. '.',-
ViC VOYAGE
sans cérémonie. Ceux des esclaves ne peuvent jouir
de ce privilège; ordinairement ils sont jetés à l'eau »
ou abandonnés en plein air 2. Quand les esclaves ont
été tués pour crimes vrais ou prétendus , leurs corps
sont quelquefois dévorés par les hommes de la
tribu 3.
Une des coutumes les plus extraordinaires de la
Nouvelle-Zélande, c'est qu'à la mort d'un chef, ses
voisins se réunissent pour venir piller ses propriétés ,
et chacun s'empare de ce qui lui tombe sous la main.
Quand c'est le premier chef d'une tribu qui vient à
mourir, la tribu tout entière s'attend à être saccagée
par les tribus voisines 4. Aussi c'est pour elle un mo-
ment d'alarme et de désolation universelle-, à moins
qu'elle ne soit puissante et qu'elle ne compte un grand
nombre de guerriers disposés à la défendre, la mort
d'un chef entraine souvent la ruine de sa peuplade 5.
Peut-être les ennemis ou les voisins d'une tribu choi-
sissent-ils de préférence cette occasion pour l'oppri-
mer, parce qu'en ce moment, outre la perte de son
chef qui doit naturellement affecter son moral , un
devoir religieux et indispensable commande à ses en-
fans et à tous ses parens de se livrer à un deuil absolu,
et les empêche par conséquent de veiller à leur propre
défense.
> Cook, prem. Voy. , III, p. i85. (rozet, d'Urv., III, p. 54. F. Hall,
d'Urv., III, p. 467. — 2 Cuise, d'Urv., III, p. 645. — 3 Omise, p. 184.
Blossevïlle, d'Urv., III, p. 696. — 4 //. Williams, d'Urv., III, p. 5iG.
G. Clarhe , d'Urv., III, p. 520. Stack , d'Urv , III, p. 54o. D'Uiville, II,
p. 23o — 5 Kendall , d'Urv., III, p. 289.
DE L'ASTROLABE. 547
D'après les idées de ces hommes sur la nature de Anthropophi
l'ame, on conçoit facilement que le plus grand ou- sLe-
trage qu'un Zélandais puisse faire à son ennemi est de
le dévorer après avoir réussi à le mettre à mort , puis-
que par cette action non-seulement il détruit l'être
actuel , mais il anéantit la partie spirituelle , le wai-
doua de son ennemi , qu'il fait servir à l'accroissement
de son propre waidoua. A cette superstition , la plus
horrible sans doute de toutes celles que l'homme a
pu se créer, Ton doit attribuer l'habitude qu'ont con-
tractée ces peuples de manger les corps de leurs
ennemis. Sur le champ de bataille, les cadavres des
chefs les plus distingués , bien que desséchés par 1 âge
ou les infirmités, seront toujours mangés les premiers
et de préférence aux corps plus appétissans des jeunes
guerriers d'un rang obscur. Ceci démontre que les
préjugés superstitieux et les plaisirs de la vengeance
dirigent ces sauvages dans leurs festins barbares bien
plus encore que les simples besoins de l'appétit phy-
sique ». A cet égard, nous partageons complètement
les idées de Forster , Savage , Nicholas , Marsden ,
Kendall, etc. 2
Ces naturels si empressés de se repaître de la chair
de leurs ennemis , interrogés par les Européens s'ils
mangeaient aussi quelquefois les corps de leurs amis
ou de leurs parens , ont toujours répondu à cette ques-
tion avec les signes d'une indignation non équivoque3.
i Cook, deux. Voy. , V, .«.87. Sai'.Tge, p. 35. Nicholas, II, p. 68. —
2 Cook, piem. Voy., III, p. 263. Deux. Voy., II, p. 128. — i Cook,
prem. Voy., III, p. t86. Trois. Voy., I, p. 170.
37*
5 18 VOYAGE
Ils ne pouvaient concevoir comment on leur adressait
une pareille question , mais ils ne concevaient pas
davantage l'horreur que les Européens témoignaient
en apprenant que les Zélandais mangeaient la chair de
leurs ennemis ». Ils ont souvent répondu qu'il n'y
avait aucun mal à manger son ennemi quand on l'avait
tué , et que cela valait beaucoup mieux que de laisser
pourrir son corps ou de le voir dévorer par les ani-
maux 2.
Un jour que je m'entretenais avec Shongui et Touai
deces coutumes inhumaines, le premier me fit observer
avec un grand sang-froid qu'il n'y avait rien d'extraor-
dinaire à cela ; que tous les êtres du monde en agis-
saient de même; que les grands poissons de la mer
mangeaient les petits ; que les oiseaux mangeaient les
insectes , que les hommes mangeaient les animaux ,
que Dieu lui-même mangeait les hommes (en faisant
allusion à leur opinion particulière sur la cause de
la mort); qu'ainsi il était tout naturel que l'homme
mangeât son ennemi 3.
La plus grande calamité qu'une famille ou une tribu
puisse éprouver, est de voir tomber son chef au pou-
voir de ses ennemis, et d'apprendre que son corps a
été mangé par eux 4. Ceux-ci ne se contentent point
de cet acte de vengeance, mais ils réservent la tète du
chef vaincu qu'ils préparent suivant un procédé qui
» Marsden, d'Urv. , III, p. 21 5. — ' Cook, deux. Voy. , II , p. 125 et
126. — 3 Marsden, d'Urv., III, p. 383.-4 Marsden, d'ITrv., III,
p. 2i5, /, ; 5.
DE L'ASTROLABE. 549
leur est propre, afin de la garder comme un trophée
de leur victoire « .
Pour conserver les tètes de leurs ennemis, les Nou- Moko mokaï
veaux-Zélandais les vicient et les font chauffer douce-
ment à la chaleur de leurs fours en terre, de manière à
faire évaporer totalement les principes gazeux et pu-
troXiables; puis ils les exposent durant plusieurs jours
à la chaleur du soleil 2. Il faut beaucoup de précau-
tions pour réussir complètement dans cette opération,
et quelques-uns d enlr§ eux sont renommés pour ce
genre d'industrie5. Du reste, ces tètes, une fois conve-
nablement préparées, retiennent tous les traits qu'elles
avaient du vivant des personnes auxquelles elles ap-
partenaient; les cheveux, la barbe et les sourcils
restent intacts 4, et l'on ne remarque qu'un léger ra-
cornissement dans les parties cartilagineuses, comme
les oreilles et le nez. Elles peuvent aussi se conserver
pendant un temps indéfini , pourvu qu'on ait soin de
ne point les exposer à l'humidité*
Ces tètes portent dans le pays le nom de moko-mo-
kai, des deux mots : moko, tète tatouée, et mokaï,
pauvre, misérable; ainsi la réunion de ces deux mots
exprime l'état d'avilissement dans lequel sont tombées
ces tètes naguère si distinguées. En effet , ces sauva-
ges ne se donnaient jamais la peine de préparer les
' Cook , prem. Voy., III, p. 291. — » Cruise, p. 5o. — 3 Cook, deux.
Voy., IV, p. 1 37. D'L'n-ille , II, p. 210 , 24 1. Revue Britannique , d'Urv. ,
III, p. 721, 722. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 191. Marsden, d'Urv.,
III, p. J.S2, 320. Jliiiherford, dViv. , III, p. 753.
560 VOYAGE
lètes dépourvues de tatouage, qui ne leur offraient
aucune sorte d'intérêt.
Quand une famille ou une tribu apprenait que l'en-
nemi avait préparé et conservait la tète de son chef,
c'était pour elle une consolation dans sa détresse.
Si elk gardait l'espoir de lutter avec succès contre
l'ennemi , elle n'avait point de repos qu'elle ne l'eût
contraint par la force des armes à lui rendre cette
précieuse dépouille. Sinon, par des présens ou des of-
fres avantageuses , elle faisait ^n sorte de le détermi-
ner à lui donner cette satisfaction.
Ainsi les moko-mokaï devenaient en quelque sorte
des gages de paix et de réconciliation entre des tribus
ennemies et mutuellement acharnées à leur perte.
Après de longs efforts , des guerres sanglantes , on a
vu quelquefois des peuples long-temps rivaux cesser
leurs querelles et cimenter leur union future par l'é-
change de ces précieuses reliques l .
Quand une de ces têtes est restituée aux parens de
celui à qui elle appartenait, ceux-ci se livrent , en la
revoyant, aux mêmes démonstrations de douleur2, ils
lui rendent les mêmes honneurs que si la personne
venait de mourir et qu'ils possédassent son corps en-
tier. Il faut croire qu'en ce cas les parens du défunt
imaginent que son waidoua est rétabli dans ses droits
primitifs en tout ou en partie.
Au milieu du combat, si l'un des partis vient tout-
i Cpuise, d'Urv., III, p. 643. D'UivilIe, III, p. 691. Revue Britannique,
d'Urv. , III, p. 722. — 2 Cruise , d'Urv,, III, p. 641.
DE L'ASTROLABE. 5ol
à-coup à présenter à ses ennemis les tètes de leurs
chefs, c'est une preuve que ce parti désire la paix et
qu'il est prêt h l'accorder à telles conditions que l'on
voudra lui imposer. Si à la vue de ces dépouilles l'en-
nemi pousse une acclamation , c'est une preuve qu'il
veut aussi la paix, et elle est sur-le-champ proclamée
des deux côtés avec les cérémonies usitées. Si l'ennemi
garde le silence, c'est une preuve qu'il veut tenter jus-
qu'au bout le sort des armes, et le combat continue ».
Depuis que les Européens se sont montrés curieux
d'acquérir ces tètes conservées , les naturels en ont
fait un objet de commerce2. On sent bien que la nou-
velle destinai ion qu'ils ont donnée à ces trophées n'a
pas du contribuer à rendre leurs guerres ni moins fré-
quentes, ni moins sanglantes.
Non content de manger le corps de son ennemi et
de préparer sa tète en moko-mokaï, le Nouveau-Zé-
landais se plaît encore à transformer les ossemens de
sa victime en toutes sortes d'objets, tels que flûtes,
hameçons, fourchettes et ornemens divers. Puis il les
conserve comme des monumens authentiques de sa
vengeance, ou il les vend aujourd'hui aux Européens
moyennant des prix plus ou moins élevés, suivant le
rang de l'individu auquel ils avaient appartenu.
Suivant M. Marsden, il existerait parmi eux une
convention bien extraordinaire. Lorsque deux armées
ou deux troupes en sont aux mains et que le chef de
' Marsden, d'Lrv. , III, p. 3o3. — a Cruise, d'LJrv. . III, p. 643.
Rutherford, ilTrv., III, p. 752.
552 VOYAGE
l'une des deux vient à succomber sous un coup mor-
tel, l'ennemi pousse aussitôt le cri : «A nous l'homme! »
A ce cri fatal , les guerriers dont le chef a été tué li-
vrent son corps , quand bien même il serait tombé
dans leurs rangs. Les deux armées se retirent en si-
lence , chacune de son côté, et vont consulter les
dieux pour savoir s'ils doivent continuer la guerre.
Dans ce cas, le vainqueur réclame aussi la femme
du chef qui a succombé, et M. Marsden ajoute qu'elle
ne fait aucune difficulté de se livrer à ses ennemis, car
elle désire partager le sort de son mari , surtout si elle
lui est sincèrement attachée. Les enfans eux-mêmes
sont souvent obligés de subir la même destinée ».
Sacrifices. Le parti vainqueur procède alors au sacrifice qu'il
doit faire à ses dieux. L'ariki ou grand-prètre , de con-
cert avec les chefs , se charge d'apprêter le corps du
chef , tandis que la prêtresse et les femmes des chefs
sont chargées des mêmes fonctions sur le corps de la
femme. Ces corps sont dépecés, placés sur les feux et
rôtis. Certaines parties sont réservées pour être of-
fertes aux dieux avec des prières et des rites particu-
liers .
De temps en temps les arikis prennent de petits
morceaux de cette chair sacrée et la mangent avec
beaucoup de recueillement ; c'est pendant ce temps
qu'ils consultent les dieux sur l'issue de la guerre ac-
tuelle. Si les offrandes sont accueillies favorablement,
le combat recommence ; sinon , quelle que soit sa su-
j Marsden, d'Urv., III, p. 3o4, 3i4.
DE L'ASTROLABE. 553
périorilé , le parti vainqueur renonce à combattre da-
vantage , et reprend le chemin de ses foyers.
Tandis que les arikis accomplissent leurs cérémo-
nies, les chefs sont assis en cercle autour des victimes,
la tète cachée dans leurs nattes, et gardant un pro-
fond silence pour éviter de troubler ces augustes mys-
tères ou de jeter sur eux un regard profane. Ils sont
convaincus que l'Atoua punirait sévèrement le moin-
dre acte de mépris ou de négligence de leur part.
Quand les cérémonies sont terminées, les restes des
corps sont distribués entre les chefs et les principaux
guerriers, suivant leur nombre. Tous mangent de
cette chair avec une satisfaction très-visible ».
Le premier chef réserve aussi des morceaux de
cette chair pour les distribuer à son retour à ses amis;
car c'est la plus haute marque de distinction, la faveur
la plus signalée qu'il puisse leur faire 2.
Lorsque la distance est trop grande pour qu'on Rakau tapou.
puisse espérer de rapporter cette chair sans être gâ-
tée , ils ont imaginé une sorte de substitution ou plu-
tôt de transubstantiation d'une nature fort remarqua-
ble. Le prêtre met en contact avec la chair consacrée
un morceau de bois qui prend le nom de rakau ta-
pou, et l'y laisse un certain temps durant lequel il ré-
cite diverses prières; puis il retire ce bois, l'enveloppe
soigneusement dans une natte , et durant tout le
temps qui doit s'écouler jusqu'au retour, une personne
tabouée est commise à la surveillance de cet objet sacré.
• Mandai, J'Urv., III, p. 3o4 , 3i4, 3i5. — 2 Dillon, I, p. a5i.
554 VOYAGE
Lorsque ia troupe se trouve de retour dans ses
Foyers, on apporte, soit un morceau de porc, soit des
patates, soit des pommes de terre; l'ariki retire le ra-
kau tapou de ses enveloppes , le met de nouveau en
contact avec ces vivres , en répétant ses prières mys-
tiques. Quand tout est terminé, le rakau tapou est
jeté dans les broussailles ou dans un lieu où il ne soit
point exposé aux regards ni au toucher des profanes.
Les vivres ont reçu la vertu des viandes sacrées , et
les naturels qui sont restés au village s'en régalent
avec autant de joie et de satisfaction mentale que s'ils
se repaissaient de la chair même de leur ennemi. Du
moins c'est ce que m'assurait gravement Touai quand
il me donnait ces détails.
Esclaves Quand un chef ou quelque personne de distinction
immolés, vient à mourir en temps de paix , des sacrifices hu-
mains ont aussi lieu. Un ou plusieurs esclaves, sui-
vant le rang du défunt , sont immolés sur son corps.
En cela ces naturels paraissent avoir un double but ,
d'abord d'apaiser le waidoua du défunt et d'arrêter
l'effet de son courroux sur ceux qui lui survivent,
ensuite le désir d'offrir au mort les moyens d'être
servi dans l'autre vie comme il l'était dans celle-ci ».
Lorsque le fils de Pere-Ika mourut à Parramatta
chez M. Marsden, cet ecclésiastique fut obligé d'inter-
poser son autorité pour empêcher les compagnons
de ce jeune homme de sacrifier deux ou trois jeunes
» Marsden, d'Urv. , III, p. 285. Cotise, d'Urv., III, p. 642. W. Wil-
liams, d'Urv. , III, p. 53 1.
DE L'ASTROLABE. f>3ï
esclaves qui se trouvaient avec eux à la Nouvelle-
Galles du Sud pour apaiser l'esprit du défunt «.
Les esclaves destinés à être offerts en sacrifice sont
ordinairement assommés d'un coup de mère par un
parent du défunt , et celui-ci a soin de choisir le mo-
ment où sa victime semble ne pas se douter du sort
qui lui est réservé 2. Pour diminuer l'horreur d'une
telle action , les Zélandais ont soin de répéter que l'on
choisit communément pour cet objet les esclaves qui
ont commis quelque mauvaise action, comme vol, en-
chantement 3, ou bien ceux qui ne peuvent ou ne veu-
lent point travailler 4.
L'esclave qui a maudit son maître ne peut éviter
d'être sacrifié ; car on croit que c'est l'unique moyen
d'apaiser l'Atoua et d'échapper à la malédiction profé-
rée par la malheureuse victime.
Les corps des esclaves immolés à la mort des chefs
et en leur honneur devraient être à la rigueur déposés
près de ces derniers et subir le même sort , mais il ar-
rive souvent que les sacrificateurs préfèrent les man-
ger ; dans ce cas ils cèdent probablement à leur sen-
sualité plutôt qu'aux dogmes de leur religion.
C'est le cas de faire remarquer que si la vengeance
et la superstition furent sans doute les premiers mo-
tifs qui portèrent ces malheureux peuples à faire des
sacrifices humains , la disette singulière d'animaux
i Cruise, y. 3o8. — s Cruise, d'Urv. , III, p. 643. F. Hall, d'Un., III,
p. 4^2) 466. IV. Williams, d'Urv., III, p. 534. — 3 Cruise, p. 97. F.
Hall, d'Urv., III, p. 492. King, d'Urv., III , p. 392. Marsdcn, d'Urv.,
III, p. 474- — A W. JVtlliams, d'Urv., III, p. 53o.
Accueil.
556 VOYAGE
qui caractérise leurs îles dut pour beaucoup entrer
dans le maintien de ces nouvelles cérémonies, à dé-
faut d'autres victimes propres à y figurer.
Lorsque ces naturels ont à recevoir un étranger,
un parent ou un ami de distinction qu'ils n'ont pas vu
depuis long-temps, le personnage le plus important,
de la tribu s'avance au devant de lui avec une bran-
che d'arbre à la main, et débite d'un ton grave et mo-
déré une harangue plus ou moins longue, mélangée
sans doute de complimens sur son arrivée , et de
prières aux dieux pour lui accorder « protection l. »
Ce n'est qu'après avoir rempli cette formalité qu'il
donne le salut [shongai) à son hôte, et souvent celui-ci
répond par un discours semblable à celui qui lui a été
adressé.
M. Nicholas, se trouvant à Panake avec Touai, ob-
serva la tante de ce chef qui s'avançait à la rencontre
de son neveu, à la tête de sa famille. Tous marchaient
en ordre , dans un profond silence et un grand re-
cueillement, tandis que la tante récitait des invoca-
tions ou prières à la Divinité 2.
M. Cruise nous a représenté Koro-Koro recom-
mandant l'équipage du Dromedary aux soins de Te-
tone , chef du Shouki-Anga , où ce navire devait se
rendre, par un discours grave et solennel. Tetone
répliqua par un autre discours qu'il débita en mar-
chant et gesticulant avec véhémence pour donner plus
de force à ses paroles 3.
i Cook, deux. Voy, I, p. i85. Marsden, d'Urv. , III, p. 38o. —
2 Nicholas, I, p. Ii5. Marsden, d'Urv., III, p. 144. — 3 Cruise, p. 71.
DE L'ASTROLABE. 557
Tous les voyageurs ont remarqué que ces naturels
parlaient avec facilité et énergie ; leur organe est so-
nore, leur maintien simple et aisé, et leurs gestes ont
une dignité naturelle très-remarquable *. Ces discours
sont toujours écoutés de la part du peuple avec une
attention parfaite et dans un profond silence 2.
Leurs saluts ordinaires, d'homme à homme, sont
pour l'arrivée : aïrc mai ra, — viens ici en bonne santé ;
pour le départ : aïl*f atflit ra, — va-t-en en bonne santé ;
ou tkfl M ra, — reste ici, suivant que la personne à
laquelle on s'adresse arrive, s'en va ou reste 3.
Quand deux troupes de guerriers se rencontrent
par hasard, les deux chefs s'avancent ordinairement
l'un au-devant de l'autre, s'adressent la harangue ac-
coutumée, et quand ils ont reconnu que leurs disposi-
tions sont mutuellement amicales, les guerriers des
deux troupes exécutent tour à tour une danse guer-
rière, à la suite de laquelle ils jettent leurs lances.
Depuis qu'ils ont des armes à feu , ils les déchargent
dans ces circonstances : c'est aussi le signal d'une
réconciliation définitive , quand ils veulent terminer
une querelle 4.
La danse guerrière et le simulacre de combat sont
toujours de rigueur, lorsqu'une troupe de guerriers
en marche veut témoigner sa haute considération à un
chef, à une tribu, à des Européens auxquels ils vont
> Nicholas , d'Urv., III, p. 608 et suiv. Cruise, p. i65. — 2 Cruise ,
p. 166. Marsden, d'Urv., III, p. 322, 332 et 333. IV. Yate , d'Urv., III,
p. 542. — 3 Mcholas , I, p. 182. — 4 Nicholas, I, p. 128. Marsden,
d'Urv., III, p. 1 ;q. //. Williams, d'Urv., III, p. 528.
.558 VOYAGE
rendre visite i. Ces malheureuses représentations ,
faussement interprétées comme des menaces et des
provocations par les Européens , ont souvent donné
lieu de leur part à des actes d'hostilité très-fàcheux.
En lisant la relation du premier voyage de Cook , des
exemples de cette nature se représentent à chaque
instant.
Saïut La plus grande marque de considération et d'atta-
shongui. chement qu'un Zélandais puisse vous donner, est le
salut qu'il nomme shongui, c'est-à-dire , de frotter le
bout de son nez contre le vôtre 2. Comme tous les
voyageurs, je pensais d'abord que ce salut bizarre se
bornait à l'attouchement des nez; mais M. Kendall
m'expliqua que ce contact n'était qu'un simple acces-
soire extérieur, et que la base du salut consistait de
la part des deux personnes à exhaler doucement leur
haleine et à la confondre. Leur haleine est en quel-
que sorte l'emblème sensible de leur waidoua , une
émanation directe de leur ame , et il serait difficile de
donner une juste idée de l'importance qu'ils attachent
à cette partie immatérielle de leur être.
En effet , j'ai souvent examiné ces naturels quand
ils se saluaient, et j'ai reconnu la vérité de l'assertion
de M. Kendall. Lorsque je voulus en demander la
raison à Touai , il se contenta de me répondre : brea-
the, haleine, comme il le faisait toujours par une sim-
ple parole , quand il ne pouvait me développer sa
> Marsden , d'Urv. , III, p. i5i, i56, i57, 322, 33g. Cruise , p. 140,
Jluiherfçrd , d'Urv., III, p. 759. Gaimard, d'Urv., II, p. 254, 275. —
2 Collins, d'Urv. , III, p. 84 , 85. Sainson , d'Urv., II, p. 256.
DE L'ASTROLABE. 659
pensée d'une manière satisfaisante. Puis , par des
signes et des gestes , il indiquait que les souffles des
deux personnes se confondaient ensemble.
Au reste, il faut convenir que ces sauvages n'accor-
dent jamais cette marque d'estime et d'attachement
d'une manière légère ou irréfléchie, comme les Eu-
ropéens le font pour leurs saluts ordinaires, et même
pour leurs accolades '. Le plus souvent, ils s'exa-
minent quelque temps, ils semblent étudier leurs
sentimens mutuels , quelquefois même ils parlent
d'objets indifférens avant d'en venir au shongui, et ils
ne se livrent jamais à cet acte qu'avec une gravité et
un recueillement qui peuvent paraître ridicules h l'é-
tranger mal instruit, mais qui ont quelque chose de
solennel pour celui qui connaît l'objet de ce salut. J'ai
vu Touai et Shongui , les premiers chefs des deux tri-
bus rivales deKidi-Kidi et de Paroa, dans la baie des
lies, s'examiner attentivement et causer un moment
ensemble , puis se livrer toul-à-coup à ce témoignage
authentique et sacré de leur union.
Quand M. Marsden annonça à Te Koke , chef de
Pahia , la mort du fils de ce chef arrivée à Port-Jack-
son et dont il venait de recevoir la nouvelle, Te Koke
se fit indiquer l'endroit de la lettre où se trouvait le
nom de son fils, il y appliqua son nez, et après lui
toutes les personnes de sa famille; puis, il se mit à
gémir durant plus de deux heures sur cette perte
cruelle 2.
■ Vew-Zealanders , d'Urv., III, p. 778. — * Cruise, p. 1',-.
560
VOYAGE
Lorsque ce salut s'accorde à des parens, à des amis
dont on a été long-temps éloigné, il est toujours ac-
compagné de soupirs, de gémissemens et même de cris
plaintifs qui durent d'autant plus long-temps que l'af-
fection est plus vive de part et d'autre > . Les voyageurs
se sont plu à nous citer une foule d'exemples de ce
genre , et à retracer les marques de sensibilité mani-
festées par ces sauvages en ces occasions 2. Moi-même
je fus témoin de l'entrevue de Taï-Wanga avec son
oncle Shongui après une absence de dix-huit mois, et
j'avoue que j'en fus véritablement touché3. Souvent
l'excès de cette sensibilité les porte à se déchirer la fi-
gure et diverses parties du corps, pour mieux témoi-
gner leur joie du retour d'une personne chérie, comme
ils le feraient de leur douleur pour sa mort, tant ces
naturels sont persuadés qu'ils ne sauraient assez té-
moigner la vivacité de leurs affections , sans faire
couler leur sang 4.
Le mot shongui doit s'écrire e'hongui, suivant la
forme grammaticale , et c'est de là que le fameux chef
de Kidi-Kidi tirait son nom. Ainsi la réunion des deux
mots shongui et ika signifie littéralement salut
du poisson. On doit se rappeler que les Zélandais ac-
cordent les honneurs divins à certains poissons mons-
trueux.
Ces hommes si pointilleux sur le salut shongui, n'a-
i Savage, p. 43. Nicholas , I, p. 212. Cruise , d'Urv., III, p. 636 et
63;. Rutherford, d'Urv., III, p. 737. — 2 Marsden , d'Urv., III, p. 281.
— 3 D'Uiville, III, p. 674. — 4 Ânderson, d'Urv., III, p. 25. Marsden,
d'Urv., III, p. 145, i55.
DE L'ASTROLABE. 501
vaient aucune idée du baiser ordinaire des Européens.
Ils semblaient même ignorer complètement cette ca-
resse entre personnes de sexe différent.
Leurs noms propres comme ceux des anciens Grecs Noms propres.
sont presque tous significatifs, et expriment tantôt
un animal , une plante , un poisson ; tantôt quelque
qualité du corps et de lame; quelquefois, enfin , ils
rappellent un exploit , une circonstance remarquable
pour l'individu qui le porte. Voici de nombreux exem-
ples de ces diverses sortes de désignations J .
Taiva , espèce d'arbre ; Koudi , autre espèce d'ar-
bre; Ngarara, reptile; Kiwi, espèce de casoar ; Kou-
lou, pou ; Tara.) oiseau de mer; Ika, poisson; 31a-
nou, oiseau ; fVe, chenille, etc.
Kara-Tete, irascible ; Shouraki , qui marche vite ;
Doudou, caché; Didi, en colère; ff'idi, qui tremble
de fureur; Tourna, qui regarde d'un air menaçant;
Kahi, qui foule aux pieds; Ahi-Tou, cri d'un certain
oiseau ; etc.
Dipiro , nom d'une certaine plage; Pakiï-Koura ,
arracher d'une terre rouge (le père de cet individu
avait été tué au moment où il arrachait de la racine de
fougère sur une terre rouge); Tau-Tahi , né la pre-
mière année du mariage; Tau-N ga-Oudou , né la
dixième année du mariage; Tarai, borgne; Hihi ',
rayons du soleil ; Kaï-Koumou, qui mange les mem-
bres de son ennemi; Doua-Tarn, tombe fréquentée
par les oiseaux de mer; Tepahi , le vaisseau; JVare-
■ Kendull , d'i iv. , III, p. H4.
TOME II. 38
562 VOYAGE
Oumou , maison pour cuire les vivres ; Moudi-Waî,
eau située à l'extrémité; Patoa-One , combat sur la
plage, etc.
C'est commettre la plus grave insulte envers une
personne que d'appliquer son nom à quelque objet
que ce soit. Quand cela arrive et que la personne of-
fensée en a le pouvoir, elle ne manque jamais de s'en
venger en détruisant ou en pillant les objets qui ont
reçu le nom ainsi profané. Shongui détruisit un jour
tous les cochons de Wangaroa , parce qu'un naturel
dans sa colère avait donné le nom de Shongui à un de
ces animaux.
M. Glarke, se rendant à la Nouvelle-Zélande sur la
Coquille , en 1 824 , avait eu la fantaisie de donner à
un beau chien qui l'accompagnait le nom de Pomare ;
mais Taï-Wanga le prévint que les amis de Pomare
ne manqueraient pas de tuer son chien dès qu'ils
auraient connaissance de cette profanation. Alors
M. Clarke donna à cet animal le nom de Pahi , l'es-
clave attaché à Taï-Wanga. Tout esclave qu'était Pahi ,
il était facile de voir que cela ne lui plaisait nulle-
ment, et qu'il ne voyait pas d'un bon œil l'animal qui
portait son nom.
Un esclave ayant donné le nom de Tapa-Tapa ,
femme du chef Tekoke , aux patates de Kawa-Kawa ,
les habitans de cet endroit tremblèrent dans la crainte
que leurs voisins ne vinssent leur enlever leurs pa-
tates *.
' W. Williams, d'Urv., III, p. 534.
DE L'ASTROLABE. 563
Ce dernier exemple donnerait lieu de penser que,
dans un pareil cas, non-seulement la personne in-
juriée, mais encore tous les étrangers ont le droit de
punir un semblable délit. Sans doute ils sont per-
suadés qu'une telle profanation est un crime grave
envers l'Atoua , et qu'on ne saurait trop en prévenir
les conséquences.
XVIII.
LANGAGE.
Ainsi qu'on a pu le remarquer déjà par les mots
que nous avons eu occasion de citer dans le cours
de cet Essai , la langue des Nouveaux-Zélandais n'est
nullement dure ni désagréable; dans la bouche des
femmes , elle a une douceur particulière. Cependant
elle acquiert une énergie et une expression vraiment
remarquables dans les discours animés que les chefs
prononcent dans leurs assemblées ou dans leurs né-
gociations politiques. Sans doute, comme toutes celles
des peuples sauvages qui ont toujours ignoré une
foule d'idées et d'objets devenus familiers aux nations
civilisées , cette langue est très-bornée quant au nom-
bre des mots qui la composent. Néanmoins elle a plus
de ressources qu'on ne serait d'abord disposé à lui
en supposer : au moyen de particules heureusement
appliquées , les différens termes du discours se trou-
vent convenablement modifiés. Il en résulte qu'elle
n'a point de déclinaisons ni de conjugaisons propre-
ment dites; sous ce rapport, elle ressemble beaucoup
564 VOYAGE
à la langue anglaise en Europe et à quelques langues
orientales, comme le malais.
Il est certain que le malais nous a paru être la lan-
gue la plus rapprochée du nouveau-zélandais , et il
est incontestable que Tune des langues a reçu de l'au-
tre certains mots par des communications d'une date
déjà bien éloignée. Cependant le nombre des mots vrai-
ment communs aux deux langues est beaucoup moin-
dre qu'on ne le pense généralement. Sur plus de
quinze cents mots cités dans la grammaire anglaise de
MM. Kendall et Lee, je n'ai guère pu en trouver plus
de cinquante qui appartinssent réellement au malais :
or c'est à peine un sur trente. Du reste , lors de la
discussion des langues de l'Océanie, nous reviendrons
plus en détail sur ces rapprochemens. Aujourd'hui
nous allons nous borner à offrir au lecteur un simple
aperçu du génie et des élémens de la langue que par-
lent les insulaires de la Nouvelle-Zélande.
Ils ont toutes nos voyelles , quelquefois même ils
prononcent distinctemeni l'a des Français; pourtant
Vu de la grammaire doit presque toujours avoir le son
de notre ou. Les diphtongues sont, aï, eï, oï, au et ou.
Quant aux consonnes, elles se bornent à d, k, m, n,
p, r, t, et iu prononcé a peu près comme dans l'anglais ;
enfin ng gutturale , qui a chez eux le même son que
dans le malais et dans plusieurs langues de l'Orient.
Les mots ont rarement plus de deux syllabes, et se ter-
minent à très-peu d'exceptions près par des voyelles,
ce qui donne a ce langage une nuance de douceur et de
simplicité qui offre quelque analogie avec l'italien.
DE L'ASTROLABE. 565
Les substantifs sont indéclinables, et, comme dans
la plupart des langues européennes, leurs cas ou rôles
dans le discours sont indiqués par des particules qui
les précèdent, savoir : no au génitif, /v au datif, ^ au
vocatif, et ia. l'ablatif; nga, devant un substantif, dé-
signe le pluriel. Les substantifs comme les adjectifs
n'admettent point de genres ; généralement ceux-ci se
placent après les noms. Les comparatifs et les super-
latifs se forment encore par des particules placées
devant ou après les adjectifs que l'on veut modifier.
Les pronoms sont assez compliqués , et ceux de la
première personne admettent deux espèces de plu-
riels comme deux espèces de duels ; ainsi ahau, moi,
a un premier pluriel tatou , nous tous , en parlant de
toutes sortes de personnes indistinctement, et un se-
cond , matou , quand il s'agit seulement de toutes les
personnes dont je veux parler; il a de même un pre-
mier duel taoua , nous deux, pour moi et la personne
à qui je parle, et maoua, pour moi et la personne dont
je parle. Il en est de même des autres pronoms per-
sonnels et de tous les pronoms possessifs.
Le verbe est un mot invariable , et dont les temps
divers ne sont exprimés que par des particules placées
devant ou après la racine constante. Quant aux per-
sonnes , elles sont indiquées par les pronoms per-
sonnels qui suivent toujours le verbe, excepté au futur
où il les précède.
Ainsi pour kai, manger, on aura ha haï, l'action
mémo, de manger ; c kat aittt ra oki au , (ra ûkt n'est
qu'une espèce de complément pour ajouter de la
566 VOYAGE
force à renonciation , qui , le plus souvent , est sup-
primé dans la conversation), je mange; c kaï ana
iaoua, toi et moi nous mangeons. &oa kaï kc tatou,
nous tous (indistinctement) avons mangé ; va flkt ia t
kaï ai, il mangera. La particule ana est le signe du
présent, ko a celui du passé, et aï, celui du futur.
La langue anglaise présente un cas très-analogue.
De la racine aire , aller , on fait aire mai, arriver ;
et l'on dira, c a'ivc mai koïroua, nous deux arrivons,
hoa tai kc mai marna , moi et celui dont je parle arri-
vâmes (ici, par irrégularité taï est substitué à aire).
lia oki ratou c a'ivc mai aï, ils arriveront.
Quand on ajoute le mot waka devant le verbe,
il répond parfaitement à notre mot faire en
français. Ainsi de rongo , entendre, on fera waka
rongo , faire entendre; de kitea, voir, waka kitea y
faire voir , montrer ; de mataa , connaître , ivaka ma-
tau , faire connaître, enseigner. Souvent on place
ce même mot waka devant les adjectifs dans le même
but ; comme ma , blanc, ivaka rua, faire blanc, blan-
chir, et (au figuré) faire honte, couvrir de confusion;
mahana, chaud , ivaka mahana, faire chaud , chauf-
fer; tata, près, ivaka tata, rendre près, approcher;
tapou, sacré , ivaka tapou, rendre sacré , consacrer,
etc. Ce mot waka est un de ceux qui rendent le plus
de services à la langue des Zélandais.
Les adverbes et les prépositions répondent aux
nôtres ; quant aux conjonctions, elles sont peu nom-
breuses. Les phrases sont presque toujours simple-
ment énonciatives , et ces hommes ignorent les artifi-
DE L'ASTROLABE. 567
ces du discours qui se sont introduits dans les langa-
ges plus perfectionnés.
Ils emploient volontiers la simple négation ha ore
(qu'on doit prononcer à peu près hashiole) pour non.
Mais pour l'affirmative ils répètent presque toujours
la phrase interrogative. Ainsi à ces questions : Es-tu
allé à ff'angawa? Aimes-tu le pain des Européens?
ils répondront : Je suis allé là, j'aime ce pain.
La forme passive des verbes leur étant inconnue ,
leurs propositions ont toujours la tournure active, à
moins qu'ils ne trouvent un mot avec la signification
naturellement passive, ce qui arrive quelquefois :
comme ivera , brûlé, pau, consumé ; poudi, affligé;
poka , couvert; louai, distribué; ngaro , caché;
nguengue , fatigué; noa, délivré, etc. ■
3Ialgré la pauvreté de leur langue , les Zélandais
trouvent le moyen d'exprimer toutes leurs idées et
même celles que leur inspire la vue d'objets jus-
qu'alors étrangers pour eux. Je suis disposé à croire
que celui qui en aurait fait une étude suffisante , et
qui pourrait la comprendre parfaitement, y trouverait
des beautés d'une nature particulière. Mais c'est un
ouvrage de longue haleine et qui exigerait des com-
munications longues et assidues avec ces peuples
singuliers.
XIX.
NUMERATION.
En 1 824 , un grand nombre d'essais et de questions
> l.ramninr of \civ-y.ea/and, p. 227, 191, 195, 194, 2 1 7. 229, 2 io. l85.
568 VOYAGE
adressées aux naturels de la baie des Iles m'avaient
conduit à penser que les Nouveaux-Zélandais , par
une exception unique sur le globe, avaient adopté
la numération ondécimale ou par onze. Tous les offi-
ciers de la Coquille que je rendis témoins de mes
expériences partagèrent alors mon opinion , et je crois
que quelques-uns d'entre eux, au moins MM. Lesson
et Blosseville, l'ont déjà consignée dans quelques
écrits rendus publics.
Cependant cette opinion n'était qu'une erreur, et
la coutume qui y donna lieu paraît limitée aux habi-
tans de la baie des lies. Car toutes les expériences
que j'ai faites sur d'autres insulaires, dans le voyage
de V Astrolabe, m'ont convaincu que ces naturels,
comme tous ceux du reste de la Polynésie, emploient
la numération décimale. Tâchons de mieux expliquer
notre pensée :
D'abord il est certain que les noms des dix pre-
miers nombres sont partout à la Nouvelle-Zélande.
i Tahi. 6 Ono.
2 Doua. 7 Witou.
3 Todou. 8 Wadou.
4 Wa. g Iwa.
5 Dima. 10 Nga oudou.
Souvent la particule ka se place devant le nombre,
et l'on a ha tahi, ka doua, etc. Cette particule équi-
vaut à peu près à notre il y a, ou c'est.
Parvenus à dix, les habitans de la baie des îles qui
avaient placé dix cailloux, dix haricots, en général dix
DE L'ASTROLABE. 569
objets, en plaçaient constamment un onzième qu'ils
nommaient te /eau, et disaient ka te kau. Puis, pour
les nombres suivans , ils disaient ka te kaa ma tahi,
ma doua, etc. ( ma signifie avec, ensemble) jusqu'à
doua te kau. Ils avaient ensuite todou te kau , wa te
kau, etc., jusqu'à 7yz«, qui se trouvait être le nombre
ka te kau , répété autant de fois qu'il y avait d'unités
dans ce nombre même ou onze fois.
Par suite de ce système, il est certain que ka te
kau valant onze , celui qui eut promis ka te kau ma
ma parka (11 et 4), eût été obligé de livrer quinze
cochons , comme celui qui eut demandé trente-cinq
mesures de patates en eût reçu ka toî>ou te kau ma
îtaua (3 fois 11 et 2). En un mot, c'eût été le véritable
système de numération ondécimale. De là notre er-
reur touchant la manière de compter de ces hommes.
Mais, dans le voyage de V Astrolabe, je m'assurai
qu'à une certaine distance de la baie des Iles, à la baie
Shouraki , déjà le nga oudou et le te kau signifiaient
absolument la même chose, dix; plus loin vers le
sud, au détroit de Cook, la dernière désignation te
kau était tout-à-fait inconnue.
Voici ce qu'on doit conclure de tout cela ; et dès
1824 M. Kendall me donna la même explication,
qu'alors je ne jugeai pas à propos d'adopter. Le mot
propre pour représenter le nombre dix est nga ou-
dou, et te kau signifiait simplement que les dix objets
étaient bien comptés , mis à part ; c'était en quelque
sorte un repaire à côté de ces dix objets pour indi-
quer que la dizaine s'y trouvait. Il parait qu'à la baie
570 VOYAGE
des Iles, avec le temps, ce repaire fit partie avec le
nombre lui-même, et devint une onzième unité qui
s'ajoutait à chaque réunion de dix objets. C'est ainsi
qu'en certains cantons de la France, les marchands
ont encore l'habitude de donner le treizième pour
chaque douzaine; et, en d'autres, un vingt-sixième
pour chaque quarteron ou lot de ving-cinq objets.
Un étranger qui verrait accorder ce treizième ou ce
vingt-sixième objet, pourrait commettre une erreur
semblable à celle qui résulta de nos observations à la
baie des Iles.
Du reste, les Nouveaux-Zélandais emploient mano
pour mille ; mais à dix mille cesse leur numération ,
car ils se servent pour exprimer ce nombre , ou plu-
tôt tout nombre très-considérable et au-dessus de
leurs moyens de calcul, du terme indéfini tim, qui
veut dire en général beaucoup plus de mille.
Une expression proverbiale fort usitée chez eux
est celle-ci : ki a tUat-^ato te tint a te tan^ata, ki a
t\auûa te îîiana; sur le Waï-Kato (rivière) il y a dix
mille habitans, sur le Kawia (autre rivière) il y en a
mille ï.
XX.
POPULATION.
Les documens que nous possédons sur ces grandes
îles sont beaucoup trop bornés pour que nous puis-
' Grannrar of }few-Zeat(i/i(/ j p. 19.
DE L'ASTROLABE. 571
sions apprécier d'une manière exacte leur population.
Fors ter ne porta qu'à cent mille le nombre total de
leurs habitans '. Mais il est hors de doute que cet
observateur disposé à l'exagération pour d'autres ar-
chipels, et notamment pour les îles de la Société,
était resté au-dessous de la vérilé pour la Nouvelle-
Zélande. M. Kendall m'a souvent dit que Ika-Na-
Mawi pouvait compter un million d'habitans; j'ai ra-
conté que M. H. Williams estimait ce nombre à cinq
cent mille 2 ; enfin M. Nieholas le réduisait à cent cin-
quante mille 5. Pour moi , je pense qu'en prenant
pour Ika-INa-Mawi le chiffre deux cent mille, on ne
pourra pas commettre une grande erreur. Quant à
Tavaï-Pounamou, on ne peut guère lui donner plus
de cinquante mille habitans. Il en résulterait que la
population de la Nouvelle-Zélande entière pourrait
monter à deux cent cinquante mille âmes. L'intro-
duction des armes à feu a été funeste à certaines par-
ties de cette contrée. Les habitans du Shouraki et des
rives de la baie d'Abondance jusqu'au cap Est en ont
souffert d'une manière cruelle, et des cantons na-
guère occupés par une population nombreuse sont
aujourd'hui presque entièrement déserts.
Nous devons faire observer que le tableau que nous
venons de tracer des coutumes, de l'industrie et des
cérémonies des Nouveaux-Zélandais , doit particuliè-
rement s'appliquer aux habitans de la partie septen-
1 Cook, deux. Voy., V, p. 204. — a D'Uirille, II, p. 7.5 1. — 3 .\icho-
l<is, d'Urv., m, p. 6*r.
572 VOYAGE
trionale de Ika-Na-Mawi, les seuls jusqu'aujourd'hui
que les Européens aient eu le moyen d'étudier avec
quelque succès dans leur vie privée et dans leurs ins-
titutions politiques. Tout porte à croire néanmoins
que toutes ces observations peuvent convenir à tous
les habitans de Ika-Na-Mawi indistinctement, à quel-
ques exceptions , à quelques nuances près ; car tous
ces insulaires, parvenus au même degré de civilisation
et réunis par peuplades presque semblables, avaient
dû adopter des institutions à peu près identiques. En
franchissant le détroit de Cook , en arrivant sur le sol
de Tavaï-Pounamou , on ne tarde pas à reconnaître
une différence énorme, différence due à la fois à la
faiblesse relative des tribus qui habitent cette dernière
île et à la stérilité du sol qu'elles occupent *. Cette dif-
férence paraît devenir d'autant plus grande qu'on s'a-
vance vers le sud, puisqua la baie Dusky Cook ne
trouva plus que des familles isolées réduites à l'exis-
tence la plus misérable. Toutefois c'est la même race
d'hommes qui peuple la surface entière de ces îles
dans une étendue de quatre cents lieues du nord au
sud; ils emploient les mêmes armes, les mêmes vête-
mens ; ils parlent la même langue, et leurs habitudes
au fond sont les mêmes. Je le répète , toute la diffé-
rence paraît consister dans une dégradation conti-
nuelle dans la force des tribus , dans les arts in-
dustriels et agricoles, en même temps que la latitude
augmente. Nul doute que les parties septentrionales
i D'Urvillc, II, p. 40.
DE L'ASTROLABE. 573
de Ika-Na-Mawi, qui sont aussi les plus tempérées,
naient été peuplées les premières, et les contrées plus
australes le furent successivement par des tribus chas-
sées de leur territoire, et réduites à chercher un asile
en des régions encore inhabitées, moins favorisées
par la nature et soumises à un climat plus rigoureux.
574 VOYA.GE
CHAPITRE XX.
PRODUCTIONS DE I.A NOTJVEl.LF.-ZELAXDr..
I.
REGNE MINÉRAL.
Le sol entier de la Nouvelle-Zélande est montueux
et fort irrégulier ; on y rencontre rarement des val-
lées d'une certaine étendue. Cependant Ika-Na-M awi
offre des districts où le terrain est plus uniforme ;
dans d'autres parties, les ondulations du sol, quoique
nombreuses et rapprochées , sont moins brusques ,
et leur pente serait assez douce pour se prêter sans
peine à toutes sortes de cultures. Bien qu'on trouve
des montagnes sur toutes les parties de sa surface , il
est une foule d'endroits où ces montagnes s'abaissent
par degrés et semblent offrir des sites agréables , des
stations susceptibles d'être occupées par des peuples
civilisés. C'est ce que nous avons observé sur les
bords de la baie Hawke, delà baie d'Abondance, de
la baie Shouraki , et sur certains lieux voisins du cap
Est.
DE L'ASTROLABE. 575
Il n'en est pas de même de Tavaï-Pounamou ; tous
les voyageurs se sont accordés à représenter cette île
comme une chaîne de hautes montagnes entassées les
unes sur les autres , de l'aspect le plus sauvage et le
plus repoussant : souvent leurs cimes sont couron-
nées de neiges éternelles, leurs flancs sont escarpés et
dépouillés, tandis que leurs bases seulement sont re-
vêtues de verdure sur la côte occidentale. Presque
toujours ces montagnes descendent à la mer en pente
brusque , ce qui rend l'abord de ces plages inaccessible.
Dans les baies situées dans le détroit de Cook , la
cote offre quelquefois des lisières de terrain plus pra-
ticables. Il est probable qu'il en est de même sur la
côte orientale. Enfin , quel que soit l'aspect que pré-
sentent au navigateur les cimes sourcilleuses de l'inté-
rieur, peut-être les efforts des voyageurs futurs dé-
couvriront-ils dans ces régions inconnues , des vallons
rians , des cantons favorisés par la nature, dont nous
ne soupçonnons pas même l'existence.
Quant aux documens géologiques et minéralogi-
ques que nous possédons sur ces contrées australes ,
ils sont encore fort incomplets. Banks eut été par sa
position, ses connaissances, et par suite des nom-
breuses relâches que Cook fit dans son premier
voyage, celui qui aurait pu recueillir le plus de don-
nées sur ce chapitre, et il ne nous a rien laissé.
Crozet, sans être naturaliste, fut le premier qui
donna quelques détails sur la constitution géologique
de la Nouvelle-Zélande. Il rencontra, dit-il, des traces
de volcans, de la lave mêlée de scories , du basalte, de
576 VOYAGE
la pierre ponce , des blocs de ces verres noirs qu'on
sait n'être qu'une fusion de matières vitrinables au feu
du volcan , des terres cuites sous forme friable ,
comme le tripoli ». Aux environs de la baie des Iles ,
il trouva çà et là des blocs de marbre blanc et de
marbre rouge jaspé, du granit à base de gabbre à
lames plus ou moins noires , du quartz cristallisé , des
pierres à feu , du silex , des agathes calcédoineuses ,
des cailloux cristallisés intérieurement, d'autres trans-
parens. Près du cap Nord, il avait observé une fon-
taine dont les eaux très-limpides, en dégouttant du
rocher, avaient la propriété de pétrifier les objets qui
s'y trouvaieut plongés. On avait découvert de l'argile
propre à faire de la poterie ; partout on avait remarqué
de l'ocre d'un très-beau rouge. Enfin Grozet avait
aussi fait attention au jade vert dont les naturels fa-
briquaient la plupart de leurs instrumens , mais sans
connaître le lieu d'où ils le tiraient 2.
Fors ter rapporte que les rochers et les pierres qui
formaient la belle cascade de Dusky-Bay, étaient du
granit, du saxum et une espèce de pierre de talc
brune et argileuse, dispersée en couches, et com-
mune à toute la Nouvelle-Zélande 3.
Il nous apprend que les pierres de la plupart des
collines du canal de la Reine-Charlotte sont de na-
ture argileuse et contiennent quelquefois des veines
de quartz blanc. Sur quelques-unes des montagnes,
i Crozel, d'Urv., III, p. 69. — 5 Crozet, d'Urv. , III, p. 70. Rochon,
Voyages, p. 367. — 3 Cook, deux. Voy., I, p. 173.
DE L'ASTROLABE. 577
sont de vastes couches de différentes pierres de corne
et d'ardoises argileuses. Il ramassa en outre sur le ri-
vage des pierres à feu , des cailloux , des morceaux
de basalte noir, ferme et pesant , et de petits mor-
ceaux de pierre ponce blanchâtre. Il aperçut aussi, en
certains endroits , des couches de saxum noirâtre ,
composé d'un mica noir et compacte, entremêlé de
petites particules de quartz. L'ardoise argileuse lui
parut souvent rouillée , ce qui lui fit soupçonner la
présence du fer T .
La montagne entière qui sépare l'anse des Indiens
de l'anse des Cormorans , est composée, dit ce natu-
raliste , d'une aYgile talqueuse, ou pierre de talc , qui
tombe en morceaux , et se divise en lames par son ex-
position au soleil et à l'air. Sa couleur est blanche ,
grisâtre, et un peu teinte d'un sale jaune rouge, peut-
être à cause des particules de fer qu'elle contient 2.
Bien que le jade vert ou pounamou des naturels fût
ordinairement apporté de l'intérieur, Forster décou-
vrit sur la petite île Motou- Aro , dans le canal de la
Reine-Charlotte, des veines perpendiculaires et quel-
quefois obliques de cette pierre, d'environ deux pou-
ces d'épaisseur, au milieu des couches de pierres de
talc grisâtre dont on a déjà parlé 3.
Suivant Anderson, les bases des montagnes, dans
le même canal, du moins dans la partie qui regarde
la côte, sont d'un grès cassant et jaunâtre, qui prend
• Cook, deux. Voy. , I, p. 244. — 2 Cook . deux. Voy. , II , p. 1 ro. —
3 Cook, deux. Voy., V, p. 11 et 12.
TOME II. 39
578 VOYAGE
une teinte bleue aux endroits où il est battu par les
flots. Ses couches sont horizontales ou obliques, et il
contient de légères veines d'un quartz grossier, peu
éloignées les unes des autres , et qui affectent la même
direction que le grès. Le terrain qui recouvre ce grès
est jaunâtre, il ressemble à de la marne et a un ou
deux pieds de profondeur ! .
Cook observa beaucoup de sable ferrugineux dans
la baie Mercure 2.
M. Nicholas nous apprend que le bleu employé par
les habitans de la baie des Iles, pour former leur tein-
ture de mokoy était un oxide de manganèse, qui se
trouvait sur les bords de la rivière Krawa-Kawa, et
qu'il fallait creuser assez avant pour l'extraire 3. Sur
les bords du lac Maupere, il observa des stalactites,
du quarlz et des morceaux de cristal incrustés dans
des roches 4.
Dans ces arcades naturelles si fréquentes le long
delà Nouvelle-Zélande, M. Cruise assure qu'on ren-
contre souvent des échantillons de cristal 5.
La description que fait M. Marsden des rochers
qui environnent le pâ de Ika-Nake, près deWangari,
donnerait lieu de penser que quelques-uns de ces ro-
chers seraient des basaltes en cristaux bien pronon-
cés 6. Dans l'espace de plusieurs milles, sur la rive
sud-ouest de la rivière Shouki-Anga, il remarqua que
la plage était jonchée de pierres arrondies, de diverses
i Cook, trois. Voy. , I , p. 184. — 2 Cook, prem. Voy. , III , p. 259. —
3 Nicholas, II, p. i53. — 4 Nicholas, II, p. 25i. — 5 Cruise, p. 207.
— 6 Marsden, d'Urv., III, p. 186.
DE L'ASTROLABE. 579
grosseurs, depuis un jusqu'à six pieds de diamètre ».
Dans le district de Tae-Ame, ce même ecclésias-
tique visita une source d'eau chaude qui répandait
une odeur sulfureuse, et dont la surface était cou-
verte d'une écume semblable à de l'ocre rougeâtre.
Les pierres des environs étaient dures et pesantes ,
probablement basaltiques.
A peu de distance de cette source et près d'un petit
lac dont les eaux sont blanchâtres , toute la nature
du pays porte l'empreinte récente des volcans. Le sol
des environs est spongieux , humide et blanchâtre
comme de la terre de pipe. Un bois entier de pins a
été consumé par l'action du feu ».
Rutherford a déclaré positivement, et il est le seul
qui ait observé ce fait, que plusieurs veines riches de
charbon de terre se montraient sur les flancs des
montagnes de l'intérieur de l'île Ika-Na-Mawi. Il fait
aussi mention de bancs d'écaillés d'huîtres, qu'il a vus
à la profondeur de trois pieds sous terre et à dix
milles de distance de la côte. Les naturels, ajoutait-il
avec sa simplicité caractéristique, ne pouvaient expli-
quer comment ces coquilles se trouvaient en cet en-
droit. Rutherford racontait aussi qu'auprès du cap
Est était une plaine d'un mille carré environ, dont la
surface est couverte d'herbe, mais qu'au-dessous elle
présente une poussière dune couleur jaune brillante
comme du soufre. Cette poussière cautérise la peau,
> Marsden, d'Urv., III, p. 353. — a Marsden , d'Urv. , III, p. 375 et
N1ÎY.
39"
Ô80 VOYAGE
elle est tant soit peu chaude, et se rencontre jusqu'à
la profondeur de plusieurs pieds ! .
Tous les voyageurs, et M. Marsden particulière-
ment, ont vanté la fertilité du sol qui, dans les
plaines , est en général composé de débris végétaux ,
mêlés de sable. Sur les coteaux dépouillés, il est
communément argileux. Enfin, dans les terres sub-
mergées et sur le bord des torrens , à basse mer ,
c'est une vase molle qui couvre quelquefois de grands
espaces de terrain.
Nous avons déjà parlé des traces de volcans qui
existent sur un grand nombre de points, comme dans
le canton de Tae-Ame, sur les bords du lac Mokoïa,
dans le canal de l'Astrolabe, sur les îles Rangui-Toto
et Koreha , dans la baie Inutile , sur les bords du
canal de la Reine-Charlotte. L'île Pouhia-I-Wakadi
est un petit volcan en activité. Tout annonce que des
voyages plus étendus dans l'intérieur, surtout dans
l'île Tavaï-Pounamou, en feront connaître de plus
remarquables .
Il faudra aussi des recherches plus suivies et des ex-
périences plus scrupuleuses pour déterminer quelles
sortes de métaux ces grandes îles australes peuvent
offrir à l'industrie humaine.
En attendant que les progrès de la civilisation ou
les efforts des voyageurs viennent un jour étendre
nos connaissances sur cette matière , je vais joindre
ici l'exposé des observations géologiques recueillies
i Rutherford, d'Urv., III, p. 743.
DE L'ASTROLABE. 581
par mon savant compagnon, M. Quoy, sur le sol de
la Nouvelle-Zélande :
« La Nouvelle-Zélande, comme toutes les grandes
terres , doit , dans sa constitution géologique , recon-
naître plusieurs systèmes de formations. Les latitudes
qu'elle occupe vers le sud ne permettant point le dé-
veloppement de cette vigoureuse végétation qu'on voit
dans la zone torride embrasser le sol et le recouvrir
d'humus depuis le bord de la mer jusqu'au sommet
des plus hautes montagnes, il serait facile à l'observa-
teur qui aurait le temps de parcourir celte île, de l'étu-
dier sous ses rapports géologiques. Nous allons don-
ner une idée succincte des points divers que V Astro-
labe a parcourus et où elle a relâché.
» Du cap des Vents contraires au détroit de Cook ,
la cote est raide, inabordable et sans ports. Les monta-
gnes y sont très-élevées , et descendent jusqu'au bord
de la mer. La plupart se dessinent en pitons sans
former de longs sommets à crêtes , ce qui me fait
soupçonner dans plusieurs une origine volcanique.
Une entre autres se distinguait par cinq digitations en
forme de main , qui couronnaient, son sommet, d'où
le nom de Cinq-Doigts qui lui fut donné.
» Le large détroit qui sépare en deux la Nouvelle-
Zélande présente sur l'île sud la baie Tasman qui, par
son ouverture et son étendue , pourrait plutôt passer
pour un golfe. Une anse de ce vaste enfoncement,
donna refuge à l'Astrolabe, et en prit le nom. Son
contour offre de petites montagnes à sommets arron-
Ô82 VOYAGE
dis , la plupart bien boisées, quelques-unes seulement
recouvertes de fougères très-épaisses. Elles sont for-
mées de granit a grains moyens avec mélange de peg-
matite violette à gros grains. Comme dans tous les
terrains granitiques l'eau sort de toutes parts. Il ap-
partient aussi à cette formation d'offrir des cotes sai-
nes que les vaisseaux peuvent aborder de fort près.
» La pointe nommée de Séparation est aussi grani-
tique , et il est probable que depuis ce lieu jusqu'à
l'anse de l'Astrolabe les falaises grisâtres qu'on aper-
çoit au loin sont de même nature.
» Non loin de là, dans cette même baie Tasman, nous
avons trouvé sur le bord de la mer un bloc de roche
pétrosiliceuse talcifère verte , percée d'un trou, et qui
servait d'ancre à une pirogue. Les environs ne pré-
sentant aucuns débris de cette substance , nous igno-
rons d'où les naturels la tirent.
» Au fond de la baie Tasman est le passage des Fran-
çais qui conduit dans la baie de l'Amirauté. Il est res-
serré entre deux collines fort élevées , très-raides ,
couvertes de bois , mais qui dans certains points de
leurs escarpemens permettent de reconnaître des cou-
ches très-obliques et quelquefois verticales , d'épais-
seur variable , d'une roche talqueuse phylladiforme
violette ou verdâtre passant quelquefois au jaspe. Ces
couches barrent en partie le passage , et, s'étendant
sous les eaux , elles rendent le mouillage très-peu sûr.
On conçoit en effet que lorsque les ancres tombent
dans la ligne des couches elles ne peuvent mordre, et
les forts courans qui régnent dans ce lieu entraînent
DE L'ASTROLABE. 583
le navire dans tous les sens , ainsi que cela arriva au
notre. En général , dans les fonds schisteux, il n'y a
qu'une direction dans laquelle la tenue soit bonne, c'est
celle où l'ancre est transversale au sens des couches.
Encore, le reversement de la marée peut-il détruire
cette disposition. Ce que nous disons ne doit être con-
sidéré que d'une manière fort générale , car un acci-
dent quelconque de terrain, une pointe de rocher peu-
vent rendre dans tous les sens la tenue bonne pour le
moment.
» Les contours de la baie Inutile sont volcaniques.
Il en est de même des terres que nous côtoyâmes pen-
dant un à deux jours après en être sorti. Elles offrent
des pitons isolés , noirs , peu élevés , et qui , dans
plusieurs points, ne paraissent pas encore assez dé-
composés pour que de grands végétaux s'y dévelop-
pent.
» Les échantillons que nous recueillîmes pendant
une relâche de quelques heures à la baie Tolaga sont de
grès calcaire , sorte de Macigno dont les rochers assez
peu élevés de ce lieu sont formés. Par la décomposi-
tion et l'action de la mer ils présentent de ces perfo-
rations en forme de pont , qu'a figurées Cook dans
ses voyages , et que nous avons retrouvées dans un
sol semblable sur la Nouvelle-Hollande, à la baie
Jervis.
» La colline au pied de laquelle se trouvent quelques
maisons parait entièrement composée d'une argile sa-
blonneuse assez peu minéralisée , contenant des co-
quilles fossiles difficiles à reconnaître. Cependant
584 VOYAGE
M. Regley, naturaliste du Jardin du Roi, a distingué
des uni valves et des bivalves. C'est le seul point de
la Nouvelle-Zélande, où nous ayons abordé, qui nous
ait offert des fossiles.
» J'ai lieu de croire, par des échantillons amassés au
fond de la baie des Brèmes , que les montagnes noires
et déchiquetées qui l'entourent , comme les Pauvres-
Chevaliers , la Poule et les Poussins de Cook, sont
de nature ignée. Les blocs entassés sans ordre sur le
rivage étaient formés d'agrégats assez solides de sco-
ries boursoufflées et de fragmens de basalte.
» Près de l'extrémité de l'île nord de la Nouvelle-Zé-
lande, la mer pénètre fort avant dans les terres qu'elle
a découpées de diverses manières. C'est ce que Cook,
qui n'en a connu que l'entrée , a nommé assez impro-
prement rivière Tamise. La mer n'y est pas profonde.
Le sol est peu élevé , coupé en falaises abruptes re-
couvertes d'épaisses fougères. Une seule île assez
grande était bien boisée sur ses flancs , de larges
espaces nus laissaient apercevoir des coulées de la-
ves en scories. Sur la grande terre à droite , près de
la côte, nous vîmes une quantité de petits pitons
coniques isolés , vraies miniatures de volcans bien
anciennement éteints et recouverts d'une végétation
herbeuse. Ils étaient formés d'une brèche volcanique
assez peu consistante de tuffa ou pépérino , avec des
fragmens de basalte et, je crois , d'obsidienne.
» Les îlots peu élevés qui forment la baie des Iles ,
et les terres environnantes qui le sont davantage,
ont pour base un pélrosilex terreux se délitant faci-
DE L'ASTROLABE. 585
lemenl, et affectant dans sa cassure une sorte de
forme rhomboïdale.
» On trouve encore sur les côtes de la Nouvelle-
Zélande des ponces flottantes en assez gros morceaux.
» Des missionnaires anglais nous donnèrent des
échantillons de serpentine imparfaitement schistoïde
d'un vert noirâtre sans indication précise de localité.
Ils y ajoutèrent du soufre cristallisé et des efflores-
cences de sulfate de soude provenant de la petite île
Blanche située dans la baie d'Abondance, et qui est en
ignition. Nous en avons vu sortir une fumée abon-
dante. »
II.
REGNE ANIMAL.
Avant la découverte de ces îles par les Européens,
elles ne nourrissaient que deux sortes de quadru-
pèdes, le chien et le rat. Le premier appartenait à
l'espèce répandue dans les diverses îles de l'Océanie;
l'autre était un peu plus petit que le rat commun d'Eu-
rope. Dans le globe entier, nulle autre contrée d'une
aussi vaste étendue n'avait offert une disette aussi
complète : c'est un fait fort remarquable dans l'his-
toire des migrations des grandes races animales.
Quel est le quadrupède indiqué dans la grammaire
zélandaise sous le nom de tito, puisque le chien est
/eoudi'et le rat hiore ' ?
> Grammar oj ' .Xcw-Zealand, p. 214.
o 8 G VOYAGE
Aujourd'hui les cochons sont répandus sur presque
toute l'île septentrionale, et dans beaucoup d'endroits
ils vivent à l'état sauvage. Les missionnaires ont ré-
cemment introduit aux environs de la baie des lies ,
les chats , les chèvres , les brebis , et même les va-
ches. Mais les scrupules religieux des insulaires, rela-
tivement aux réglemens du tapou, s'opposent à la
propagation de ces espèces.
Les mammifères amphibies étaient plus abondans
et plus variés. Les côtes les plus australes donnaient
particulièrement asile à de nombreuses légions de
phoques, de l'espèce P. Ursina de Linné. Les ba-
leines et diverses espèces de marsouins fréquentaient
les mers qui baignent ces iles. Tous ces animaux ont
beaucoup diminué depuis une trentaine d'années , par
suite des visites continuelles des baleiniers et des
pêcheurs de phoques.
Jusqu'aujourd'hui les Européens n'ont pas observé
sur ces terres d'autres reptiles qu'une petite espèce de
lézard. Cependant les habilans ont quelques notions
de serpens venimeux. Certains rapports de leur part
font aussi mention d'un lézard monstrueux qui vit
dans certains cantons de l'intérieur, et qui enlève et
dévore quelquefois leurs en fans. Ce bruit n'est-il
qu'un conte populaire, analogue à celui du coppir
chez les Australiens? Ou bien leurs rivières nourris-
sent-elles quelque reptile du genre du crocodile ou
du caïman?
Parmi les animaux terrestres qui vivent à la Nou-
velle-Zélande , sans contredit c'est la famille des oi-
DE L'ASTROLABE. 08 7
seaux qui présente le plus grand nombre d'espèces.
Ces îles ont déjà offert aux naturalistes une trentaine
d'espèces bien caractérisées. Les plus communes sont
le philédon à cravate, une ou deux colombes, un
moucherolle, un carouge à caroncules, des cailles,
des alouettes, des mésanges, etc. Les plus remar-
quables sont un gros perroquet à plumage sombre
[Psittacus nesto?-) , une belle colombe à plumage écla-
tant, le glaucops cendré, et surtout cette espèce naine
de casoar qui a reçu le nom iXaptertx, et qui est
encore imparfaitement connue. Cook indique aussi
des faucons et des cbouettes qui diffèrent peu des
espèces d'Europe.
A cela nous devons joindre les oiseaux de mer, tels
que pétrels , albatros , huitriers , fous , mouettes ,
sternes, cormorans, pingouins, hérons, bécassines
et canards. Ces derniers étaient abondans sur les ri-
vières et les lacs de l'intérieur. Les naturels avaient
trouvé le moyen de les prendre au piège, ainsi que
les pigeons et les perroquets. Ils chassaient les apté-
rix au flambeau, et les forçaient à la course avec leurs
chiens. Ils mangeaient la chair de ces divers oiseaux ,
mais ils n'élevaient aucune espèce pour s'en faire une
ressource alimentaire.
Le gros perroquet qu'ils nomment haka, et le phi-
lédon à cravate qu'ils appellent loui, étaient les seuls
oiseaux qu'ils se plussent quelquefois à nourrir, le
premier pour sa forme et son plumage , l'autre pour
sa disposition à siffler et chanter, à peu près comme
le merle ou letourneau en Europe.
588 VOYAGE
Nous ne savons pas trop ce que Cook entendait
par ses poules des bois de la baie Dusky; mais il est
probable que c'étaient simplement des poules d'eau > .
Rien n'est plus mélodieux que le chant du mo-
queur, et nul oiseau n'est plus familier que le mou-
cherolle.
Les insectes sont excessivement rares. Je crois
qu'un de nous a observé un seul papillon diurne, et
nous n'avons remarqué que quelques petites espèces
nocturnes. Les coléoptères recueillis se sont bornés à
trois ou quatre espèces de médiocre dimension. Ainsi,
cette grande tribu du règne animal, si nombreuse en
espèces sur les continens , à la Nouvelle-Zélande n'est
encore représentée que par de très-petites espèces
appartenant aux familles des fourmis, des sauterelles,
des araignées et des mouches.
Les moustiques et les mouches de sable , avec une
espèce très-voisine de notre mouche bleue de la
viande 2, nous ont paru être les seuls insectes impor-
tuns ou malfaisans 3. Forster se plaint beaucoup des
mouches de sable noires qu'il nomme lipula alis in-
cumbentibas. Elles étaient fort nombreuses à la baie
Dusky, et leurs piqûres causaient des démangeaisons
insupportables.
Le mille-pieds , dit-on , se trouve sur les îlots Ma-
nawa-Tawi, et non pas sur la grande terre 4. Enfin
les relations de M. Marsden ont mentionné une espèce
' Cook, deux. Voy., I, p. 164. — 2 Nicholas, II, p. 37. — 3 Cook,
prem. Voy., H, p. 253. Deux. Voy., I, p. an. Trois. Voy., I, p. ig5.
— 4 Nicholas, I, p. 77.
DE L'ASTROLABE. 589
de chenille qui fait quelquefois de grands ravages
dans les plantations de patates douces des naturels.
Les coquilles marines sont nombreuses et variées,
principalement dans les genres onehidie, turritelle,
ancillaire, murex, fuseau, struthiolaire , modiole,
moule, haliotide, patelle, monodonte, telline, etc.
Je n'ai pas connaissance qu'on ait trouvé sur ces
grandes îles aucune coquille vraiment terrestre : les
ampullaires habitent sur les bords fangeux des tor-
rens , et même sur ceux que la marée couvre et dé-
couvre alternativement.
Les crustacés sont abondans en divers points, et
surtout sur les côtes de Tavaï-Pounamou, puisque
les habitans ont tiré leur nom kaï-kohoura de cet ali-
ment; kohoura signifiant homard en langue du pays.
Les naturels font cette pèche en plongeant le long de
la cote, et dégageant avec les pieds ces animaux du
fond où ils se tiennent cramponnés K
La vraie manne des insulaires de la Nouvelle-Zé-
lande est cette profusion de poissons d'excellente qua-
lité qui se rencontre sur presque tous les points de
ces îles. Nous citerons notamment les espèces qui
appartiennent aux genres spare , scombre , serran ,
trigle, labroïde , raie, etc. D'autres se rapprochent
beaucoup des soles , des carrelets , des morues , des
mulets, des congres et des anguilles de nos climats a.
On y trouve aussi diverses espèces de squales dont
» Cook, prem. Voy. , III, p. ?.5.'|. — - Conk , prem. Voy., III, p. 255.
Trois. Voy., I, p. io.3.
590 VOYAGE
plusieurs individus atteignent d'énormes dimensions.
M. Marsden nous apprend que le lac Maupere est
très-poissonneux , mais on ignore quelles sont les es-
pèces qui l'habitent.
Je dois à M. Quoy la note suivante touchant les
animaux divers que l'on rencontre à la Nouvelle-Zé-
lande :
« La Nouvelle-Zélande, par son isolement et sa po-
sition reculée vers le sud , possède dans ses produc-
tions des caractères qui lui sont propres. Sa végéta-
tion a une physionomie toute particulière , et diffère
totalement de celle de la Nouvelle-Hollande, terre
la plus voisine , et avec laquelle on aurait pu lui sup-
poser de grands rapports. Le règne animal n'offre pas
moins de différence dans ses divisions. Les mammi-
fères sont presque nuls : car le chien et le rat peuvent
y avoir été apportés par les premiers habitans ; le chien
surtout dont la race médiocre et abâtardie semble n'a-
voir pu s'isoler de l'homme pour redevenir sauvage.
Il paraît que le cochon, qu'on trouve maintenant en
assez grande abondance sur quelques points , est une
acquisition moderne due aux Européens. Ainsi cette
nombreuse famille de marsupiaux , qu'on rencontre
d'une manière non interrompue dans les îles d'Asie ,
les Moluques, la Nouvelle-Guinée, qui pullule dans
la Nouvelle-Hollande , s'est arrêtée à l'île de Van-
Diémen.
» Les oiseaux, moins bornés dans leurs migrations,
sont cependant peu nombreux , et ne présentent pas
DE L'ASTROLABE. 591
cette diversité qu'on trouve à la Nouvelle-Hollande.
Bien qu'il y ait des genres communs aux deux terres ,
l'ensemble est cependant spécial à la Nouvelle-Zélande.
Ainsi, par exemple, il paraît y avoir peu d'oiseaux de
proie. Le glaucope à caroncules , le philédon à cra-
vate , un nouveau tangara , le grimpereau que nous
avons nommé hétéroclite , l'oiseau connu sous le nom
d'aptérix , sorte de casoar à long bec grêle , notre
genre anarrynque parmi les échassiers, peut-être le
sphénisque nain, etc., sont des êtres qui n'appartien-
nent qu'à cette île. Elle a de commun avec d'autres
contrées d'avoir des philédons , des cailles, des alouet-
tes , des moucherolles , des mésanges , des fauvettes ,
des stournes , des synallaxes , des tourterelles , des
cormorans , des huitriers ; un étourneau à caroncules,
espèce unique dont il faut aller chercher l'analogue en
Amérique; un gros perroquet qui, dans sa forme
toute particulière, a de la ressemblance avec celui de
Madagascar; enfin des perruches. Excepté ces der-
nières et une colombe à reflets métalliques , ces oi-
seaux sont remarquables par la teinte sombre de leur
plumage. De ces divers genres, représentons de ceux
qu'on trouve dans les terres environnantes , celui des
perroquets est sans contredit le plus extraordinaire ,
comme paraissant étranger au milieu de tous les au-
tres , et sous une latitude aussi rigoureuse. Mais, s'il
est vrai qu'il y ait de ces oiseaux au cap Horn , on ne
doit point s'étonner de trouver des perruches à l'ile
Macquarie, située par 55° latit. S. On remarque
que la nature a donné à quelques-uns de ces animaux
592 VOYAGE
de la même famille un duvet et des plumes plus four-
nis , afin de résister à l'intempérie des saisons. C'est ce
qu'on voit très-bien sur le kakatoès blanc de Port-
Jackson comparé avec celui des Moluques ou de la
Nouvelle-Guinée.
» Sauf quelques petites espèces de lézards, nous ne
connaissons point d'autres reptiles. Il est cependant
probable qu'il existe des batraciens dans les lieux fa-
vorables à leur développement. D'après des rapports
assez vagues de naturels , Cook a cru reconnaître le
crocodile , ou du moins une grande espèce de lézard.
Ce fait qui n'est pas incroyable demanderait cependant
à être confirmé. Sans jamais avoir rencontré de ser-
pens , il nous a paru évident qu'il y en avait , et même
de venimeux , par les gestes d'effroi que faisait le Zé-
landais Cocaco, qui a navigué avec nous, lorsque
nous lui présentions de ces reptiles conservés dans
l'esprit-de-vin. Il indiquait précisément que leur mor-
sure faisait enfler. Nous n'avons pu savoir si c'était
un serpent de terre ou de l'espèce qui vit dans la mer,
€t dont la queue est élargie en même temps que com-
primée.
» Certains parages abondent en poissons ; d'autres
semblent en être dépourvus. La rivière Tamise est le
lieu où nous en péchâmes le plus à la ligne. Ils appar-
tenaient à la famille des spares , et étaient de fort bon
goût. Nous ne fumes pas heureux lorsque nous jetâmes
la seine dans la baie des Iles. Les énormes dimensions
que les naturels donnent à ces sortes de filets sem-
blent bien indiquer que le poisson n'est généralement
DE L'ASTROLABE. 593
pas très-commun. Celui que nous obtînmes apparte-
nait aux scombres , aux serrans , aux trigles , aux la-
broïdes , aux squales , et presque tous des espèces
nouvelles. Nous signalerons un petit poisson d'eau
douce voisin des galaxies , qui infeste l'aiguade de la
baie des Iles. 11 est si gluant de sa nature qu'il s'intro-
duit facilement dans les seaux et les tonneaux , et peut
faire gâter l'eau lorsqu'il vient à se corrompre.
» Malgré ses vastes baies , ses découpures , ses pla-
ges et ses rochers battus par la mer, la Nouvelle-Zé-
lande n'offre pas à ses habitans de grandes ressour-
ces dans ses autres productions marines. A l'exception
des haliot ides , des struthiolaires, rares dans les col-
lections avant le voyage de H Astrolabe; de notre nou-
veau genre ampullacère ', encore plus recherché, la
classe des mollusques ne fournit aucun autre aliment.
Sous le rapport de l'histoire naturelle , au contraire,
cette terre encore peu explorée, nous a offert de nom-
breuses espèces nouvelles, soit en mollusques, soit
en annelides. Nous citerons quelques localités pour
faciliter les recherches de ceux qui viendront après
nous.
» L'entrée du détroit de Cook par la baie Tasman
nous a donné dans ses vases le baccinnvi raphantis 2 ,
et une belle espèce d'ancillaire. Nous avons trouvé peu
après dans l'anse de l'Astrolabe un grand nombre de
» Ampullarïa avellana, Lin»., dont il n'y avait que deux individus dans
Parif. — a Fusus raphanus , Lk., mais qui est un vrai buccin d'après l'exa-
men île l'animal.
TOME il. î"
59.4 VOYAGE
turritelles roses, qu'il faut draguer, d'énormes moules
vertes dont les naturels ne font point usage , des mé-
sodesmes, des vénéricardes , de jolies modioles en-
chevêtrées dans leur byssus cotonneux , et cachées
sous les rochers. Sur les redoutables rochers de la
passe des Français nous avons recueilli le purpui a
haustum seulement figuré dans les belles Planches
de Martyn ; le troque de Cook et celui qu'on nomme
empereur, coquille rare et très-recherchée des ama-
teurs. Le buccinum testidaneam abonde sur les plages
caillouteuses de la baie des Iles ; c'est de là aussi que
viennent les struthiolaires, dont les naturels entassent
les débris près de leurs demeures après en avoir
mangé ranimai. Nous ne connaissons point la localité
précise de ce buccin qui doit probablement habiter les
rochers battus par les flots. Partout dans ces mêmes
lieux on rencontre des patelles, des patelloïdes, des
monodontes , des calyptrées , des crépidules , quel-
quefois des vermets , de nombreuses variétés d'osca-
brions et une foule d'autres mollusques à coquilles,
qu'il serait trop long d'énumérer dans un simple
aperçu des choses principales que présente cette con-
trée. Nous ajouterons cependant encore que la baie
de Tolaga est un lieu où les haliotides semblent plus
particulièrement se plaire, comme les nérites dans la
baie des Brèmes. Ce n'est même qu'à celte extrémité
de la Nouvelle-Zélande , se rapprochant davantage des
contrées chaudes , que nous avons trouvé ce dernier
mollusque. Il y était en grand nombre.
» Quant aux mollusques terrestres , ils sont à peu
DE L'ASTROLABE. 593
près nuls sur les divers points du littoral que nous
avons parcourus.
» Les crustacés qui , dans les pays tempérés , four-
nissent ordinairement par leur nombre une nourri-
ture abondante, n'offrent ici que de petites espèces
seulement remarquables pour le naturaliste. Les do-
minantes étaient des crabes , des pagures , des porce-
laines, quelques plagusies.
» Les mêmes remarques s'étendent aux oursins.
Sous des latitudes aussi peu chaudes on ne doit pas
s'attendre à rencontrer un grand nombre de zoophy-
tes, surtout de ceux qui happent par leur éclat ou leur
grandeur. Aussi notre drague n'amenait-elle que des
polypiers flexibles de petite taille , qu'on ne pouvait
étudier qu'à l'aide d'une loupe. La mer rejetait sur les
plages , de même que dans nos contrées , d'assez nom-
breuses médusaires.
» Les insectes sont tellement rares sur les bords de
la mer que je ne puis indiquer que quelques papillons
et une espèce de cicindelle recueillie sur la plage de la
baie Tasman.
» Tl résulte de ce rapide examen que l'intérêt des pro-
ductions de la Nouvelle-Zélande dans le règne animal,
tient moins à leur variété , à leur abondance ou à leur
éclat, qu'à ce quelles ne sont pas encore bien connues
des naturalistes ou répandues dans les collections. »
in.
REGNE VÉGÉTAL.
La végétation de ces îles est. riche et variée. On y
69(5 VOYAGE
rencontre de belles forêts dont les arbres conservent
leur feuillage pendant l'hiver, et plusieurs de ces ar-
bres offrent d'excellens bois de construction. Les
collines dépourvues de bois sont en général tapissées
par la fougère comestible , Pteris esculenta, dont les
tiges rameuses et entrecroisées forment des fourrés
de quatre ou cinq pieds de haut presque impénétra-
bles. Ces localités sont d'une monotonie désolante
pour le botaniste; mais s'il dirige ses pas sur les bords
de la mer, sur les rives des torrens , dans les ravins
humides , surtout dans les forêts ombragées par de
grands arbres, ses récoltes deviennent plus abondan-
tes , et bon nombre de plantes encore peu connues
viennent s'offrir à ses regards. Dans le tableau rapide
que nous nous proposons de tracer de la végétation
de cette contrée, nous allons prendre pour base le
beau travail que M. Achille Richard vient de terminer
sur cette matière :
Forster, le seul naturaliste qui eût jusqu'à ce jour
essayé de tracer le tableau de la végétation de la
Nouvelle-Zélande, ne mentionna que 174 espèces de
plantes propres à ces îles, dont une vingtaine étaient
des Cryptogames appartenant seulement aux familles
des Fougères et des Lycopodes. Agardh décrivit
plus tard diverses Algues rapportées par Banks, et
le professeur Hooker a récemment décrit une foule
de Cryptogames recueillies par Menzies , médecin et
botaniste de l'expédition du capitaine Vancouver.
M. Richard, dans son Essai, a réuni à ces divers
DE L'ASTROLABE. 597
documens toutes les plantes nouvelles rapportées par
l'Astrolabe , et il en résulte aujourd'hui pour la
Nouvelle-Zélande une Flore de 380 espèces , dont
211 sont des Phanérogames.
Sans doute plus d'un botaniste sera étonné au pre-
mier abord de voir qu'une terre située par la latitude
la plus tempérée, et dont la surface est au moins égale
à celle de l'Italie en y joignant la Sicile, n'ait offert
aux recherches des voyageurs qu'un nombre d'es-
pèces aussi borné, tandis que de petites îles en Eu-
rope en présentent souvent un nombre double ou
même triple. Cet élonnement augmentera quand on
apprendra que k Nouvelle-Zélande, loin d'être une
terre aride et stfrile, offre le plus souvent un sol fé-
cond et bien arrosé, et qu'il est généralement tapissé
d'une riche et brillante verdure. Mais il faut regarder
comme un fait à peu près constant que , dans les
Flores locales, les nombres des espèces ne suivent
point précisément les rapports des surfaces du sol,
mais qu'ils sont bien plutôt en raison inverse des dis-
tances des localités aux trois grands continens de
l'Ancien-Monde , du Nouveau et de l'Australie. Ce
n'est que lorsque cette distance devient peu considé-
rable que l'iniluence des surfaces du sol peut agir
plus directement sur le chiffre des espèces , qu'on
peut appeler l'exposant de la Flore.
Les îles de France et de Bourbon , dans la mer des
Indes, nous paraissent être les seules qui sortent de
cette règle générale, attendu que les exposans de
leurs Flores sont infiniment, plus élevés que ne sem-
»ns VOYAGE
Lierait l'annoncer leur grande distance aux terres
de l'Asie ou de l'Afrique.
A la Nouvelle-Zélande, le rapport des Cryptogames
aux Phanérogames est celui de 158 à 211 , environ
de 3 à 4, et l'on doit faire attention que, dans ces
Cryptogames , ne sont point comprises ces plantes
presque microscopiques qui grossissent démesuré-
ment les Flores des pays mieux connus. Ce fait vient
confirmer ce que j'avançais dans un Mémoire sur les
Fougères de l'Océanie , publié en 1 825 , que la végé-
tation primitive du globe terrestre dut se composer
de Lichens et de Mousses , et que le nombre des
Phanérogames est en général d'autant moins consi-
dérable , par rapport à celui des Cryptogames , que
les terres sont d'une formation plus ou moins récente.
Nous ne dirons rien de ces Jungermannies , dont le
nombre des espèces s'élève jusqu'à 27 ; elles pro-
viennent presque toutes des récoltes de Menzies, et
nous n'en avons nous -même observé que deux ou
trois espèces au plus dans le détroit de Cook et dans
les autres lieux que nous avons visités. Il faut sup-
poser que les ravins humides et les roches refroidies
de la baie Dusky sont autrement fertiles en Hépa-
tiques que les contrées plus septentrionales de la
Nouvelle-Zélande.
Mais nous ferons remarquer le nombre des Fou-
gères aujourd'hui connues dans ces îles et qui se
monte déjà à 45 espèces. Son rapport à celui des
Phanérogames est donc de 45 à 21 1, environ 7s; ce
qui est parfaitement d'accord avec ce que j'avais
DE L'ASTROLABE. 599
observé pour la plupart des îles de l'Océanie. Il faut
ajouter à cela que plusieurs de ces Fougères sont iden-
tiques ou du moins analogues à la Nouvelle-Zélande
et dans les régions intertropicales.
Bien quelles soient déjà portées au nombre de 29,
les Algues n'ont été qu'imparfaitement étudiées, et
l'on ne peut douter que ce nombre s'accroîtra beau-
coup pour l'observateur qui voudra faire des reeher-
cbes plus assidues et qui pourra visiter à loisir les
plus riches localités. IS'ous recommanderons le nou-
veau genre Marginaria établi par M. Richard , que
nous avions fait figurer très-exactement par M. Lau-
vergne, mais dont les échantillons se sont trouvés
égarés dans le cours du voyage.
La division des Monocotylédones n'offre rien de
remarquable que la prédominance des Graminées cl
des Cypéracées déjà signalée dans notre Mémoire sur
les Fougères , et l'extrême disette des espèces dans
les autres genres et même dans les autres familles.
En effet, les Graminées et les Cypéracées sont encore
représentées par les exposans 1 5) et 1 5, tandis que les
Joncées et les Orchidées, les plus riches à la suite,
sont réduites à 4 , et que le plus grand nombre n'offre
plus qu'un tvpe unique. Cette division s'accroîtra
sans doute par les recherches des voyageurs, mais
nous doutons que son exposant soit jamais plus que
doublé.
Là comme partout ailleurs , dans les Dicotylédo-
nes , les composées ou synanthérées occupent le pre-
mier rang de la Flore et comptent 27 espèces. Mais la
fiOO VOYAGE
dégradation est rapide; car les Ombellifères , Epacri-
dées, Myrtacées et OEnothérées qui suivent immédia-
tement n'en comptent que 9, 8, 7 et 6; trois autres
familles n'en ont que 5 , 4 et 3 ; douze familles sont
réduites à 2 espèces ; enfin , les vingt qui restent ne
sont plus représentées que par le type unique. Parmi
ces familles si pauvres en espèces , nous citerons no-
tamment les Rosacées, les Malvacées, les Borraginées,
et les Apocinées plus ou moins riches en représentans
sur les autres points du globe.
La Flore de la Nouvelle-Zélande a cela de commun
avec celle des terres équatoriales , que les plantes
annuelles y sont rares et peu nombreuses ; les espèces
vivaces sont plus fréquentes ; enfin , les végétaux li-
gneux et même arborescens occupent le rôle le plus
important. Jusque dans les lieux découverts, les Fou-
gères et les Lycopodes couvrent bien plus souvent le
sol qu'aucune plante herbacée.
Certainement c'est avec celle de l'Australie que
la Flore de la Nouvelle-Zélande a le plus de rapports,
relativement au nombre des espèces; mais le ton gé-
néral de la végétation se rapproche plus de celui des
îles de l'Océanie intertropicale pour la forme des
Fougères , pour \z faciès général des plantes , surtout
pour la teinte verte et prononcée des arbres qui for-
ment les forêts.
Bien qu'elle soit séparée de l'Europe par le dia-
mètre entier du globe, la Nouvelle-Zélande nous offre
1 7 espèces de ce continent , savoir : Tijpha angusti-
folia y Scirpus lacastris , S. acicularis , Triticum
DE L'ASTROLABE. 601
repens , Jane us communis , J. viarilimas , Ramex
crispas , Chenopodiam maritimum , Sais o la frati-
cosa , Plaîitago major , Convolvalas sepiu7n , C.
soldanella, Sonchus oleraceus, Gnaphalium luteo-al-
ùum, Ranunculus acris , Arenaria média, Ahinc
?nedia. Dans la plupart des lieux où j'ai observé ces
plantes, il est impossible de supposer qu'elles y aient
été importées depuis la découverte , comme les pom-
mes de terre , les choux , les raves , les oignons , etc.
On est donc conduit à penser que les mêmes causes
qui amenèrent le développement de leurs germes sur
le sol européen purent aussi déterminer leur appari-
tion sur les plages de la Nouvelle-Zélande. Le nom-
bre de ces espèces est le douzième du nombre total
des Phanérogames, et il s'élèvera jusqu'au dixième,
si l'on v joint les Festuca littoralis, Phalaris phleoï-
des, Apiuni graveolens et Tillœa muscosa mention-
nées par Forster. C'est un fait digne de toute l'atten-
tion du botaniste, dans la distribution des races végé-
tales sur la surface du globe terrestre.
A la Nouvelle-Zélande , le IVeinmannia racemosa
représente le IV. parvi/lora de Taïli ; le Piper exccl-
sum remplace le P. methysticum ; le Convolvalas
soldanella le C. peltatas ; le Gahnia procera tient
lieu du G. shœnoïdes , X Eaphorbia glauca de \E%
Atolo; les Metrosideros diffusa, florida et, tomentosa,
du M. villosa, le Cymbidium autumnale du C. cly-
peolum, l' Urticaferox de F U '. ruderalis , etc. Si l'on
comparait la végétation de la Nouvelle-Zélande avec
celle de la Nouvelle-Calédonie, on trouverait de plus
M VOYAGE
grands rapports ; ce qui est assez naturel , attendu le
rapprochement de ces deux terres et une différence
moins grande dans la nature du sol et dans celle du
climat.
Maintenant voici comment les diverses plantes se
distribuent sur le sol de la Nouvelle-Zélande.
Sur les bords de la mer, on trouve les suivantes:
Festuca littoralis , A^rostis procera, Triticum re-
pens , Juncus maritimus '-, Coriaria sarmentosa ,
Avicennia resinifera , Calyslegia soldanella, Gna-
phalium lateo-album , Senecio neglectus , Petrose-
linum prosti atam , Euphorbia glane a , etc., plus
ou moins fréquemment. Mais le Polygonam pros-
Iratum est certainement l'une des plus communes ,
elle couvre avec profusion les dunes et les rochers
maritimes.
Les JVahlenbeigia gracias, Lobelia alata , Sa-
molas littoralis , et P etro s elinum filiforme préfèrent
les lieux ombreux et humides.
D'immenses étendues de coteaux arides et décou-
verts sont presque exclusivement occupées par les Pte-
risesculenta et Lycopodium d'Uivillœi. Mais lorsque
le sol est moins desséché, dès qu'il est traversé par
des fdets d'eau plus ou moins abondans, on voit bien-
tôt s'y presser en tapis serrés les espèces suivantes ,
savoir : les divers Dracophyllum, les deux Leplo-
spermum , le Leptocarpus simplex , les Pimclea ,
YEpacris paaci/lora et le Leacopogon Forsteri ' , et
sans contredit, ces plantes jointes aux Guallheria
antipoda et Andromeda rupestris constituent la
DE L'ASTROLABE. 603
grande masse de la végétation zéiandaise ; ce sont elles
qui viennent constamment frapper les regards du na-
turaliste , dès qu'il sort des sables maritimes , des
forets épaisses ou des coteaux envahis par la fougère
comestible.
Quelques espaces de terre toul-à-fait dénués de
verdure sur les hauteurs, sont tapissés par ies grands
lichens des genres Sticta, Ce/wtm/ce et Stereocau-
lon. Ce cas est particulièrement fréquent sur les co-
teaux qui dominent l'anse de l'Astrolabe dans le dé-
troit de Cook.
Dans les ravins humides, et à l'ombre des grands
arbres, vivent les deux Cyathées et la plupart des
nombreuses Fougères observées à la Nouvelle-Zé-
lande. Là aussi habitent ces espèces plus remarqua-
bles et jusqu'aujourd'hui particulières aces îles, telles
que les Geniosioma i upestris, Fiscum anlarcticum,
Panax arboicnm, Aralia Schefjlera, Cussonia Les-
soniiy Zantlwxylum Xovœ-Zeelcuidiœ , Tiïcliiliamo-
nophylla , Sutlonia australis , Piper excelsar?i , Car-
podetus serratus, Corynocarpus lœvigata.
Quant aux arbres qui composent les profondes
forêts dont le sol est quelquefois couvert, nous ne
pouvons guère citer que le Podocarpus dacrydoides
propre aux terres basses et marécageuses, le Dacry-
dium cupi essinnm , le Podocarpus zamiœfolius de
Richard , et le Phyllocladus rhumboidalis qui affec-
tionnent les coteaux et les terres élevées. Le Metro-
sideros lucida et le Dodonœa spathulala habitent,
aussi les forêts. Le Melicythus ramiflorus dont le
HOi VOYAGE
port et le feuillage rappellent parfaitement le Moras
alba de l'Europe méridionale , se trouve le plus sou-
vent présides cabanes des naturels.
Nous n'avons observé qu'une seule fois, sur les
bords argileux du Waï-Tamata, l'arbuste gracieux
que M. Richard a nommé Aster farfaraceus. Nous
n'avons vu également qu'une seule fois , près du vil-
lage de Kahou-Wera, la plante que ce botaniste a
désignée sous le nom à'Apeïba australis, et qui ren-
trerait dans un genre que l'on avait cru jusqu'ici con-
finé sur les terres de l'Amérique méridionale.
Le chiffre actuel de 380 est encore loin de repré-
senter toutes les espèces qui doivent entrer dans la
Flore de la Nouvelle-Zélande ; il reste surtout bon
nombre de plantes arborescentes à connaître , attendu
que la plupart n'avaient déjà plus de fleurs ni de
fruits lors de notre passage. Nous ne doutons pas
que le nombre des Phanérogames qui croissent dans
ces îles ne puisse être un jour doublé , et il ira faci-
lement à quatre ou cinq cents. Ce résultat est direc-
tement celui qu'avait annoncé l'illustre Forster , à une
époque où il avait à peine observé le quart de ce
nombre d'espèces l.
Avant que les Européens eussent apporté sur ces
iles une foule de plantes alimentaires de nos climats ,
la patate douce , Convolvulas batatas , le taro, Arum
esculentum , les courges et la moelle de la grande
i Cook, deux. Voy., V, p. i54.
DE L'ASTROLABE. 605
fougère, Cyathea medullaris , étaient les seules subs-
tances végétales réellement comestibles; car la racine
du Pteris escalenta n'était vraiment propre qu'à l'u-
sage des naturels , tant elle était coriace et insipide.
Ils mâchaient, dit Crozet, une sorte de gomme
verte qui avait un goût échauffent. M. JNicholas nous
instruit qne cette gomme provenait du À'oudi, le seul
arbre du pays qui en produise. C'est aussi celui qui
donne le meilleur bois de construction , il atteint les
plus grandes dimensions '. M. Richard l'a rangé
parmi les Podocarpus , je crois plutôt qu'il appartient
au genre Araucaria , ou qu'il en est du moins très-
voisin , attendu que les missionnaires m'ont assuré
que son fruit était une espèce de cône comme celui du
cyprès.
M. Nicholas cite un grand arbre fort touffu, pro-
bablement le Karaka d'Anderson 2, dont les feuilles
d'un vert foncé ressemblent assez à celles de l'oran-
ger. Ses fruits , encore verts , imitent la forme de l'o-
live , et deviennent jaunes en mûrissant. Ils contien-
nent une amande d'une consistance onctueuse et d'une
odeur désagréable. Cuites comme les patates , ces
amandes sont mangées avec plaisir par les naturels ,
quoique leur goût ne puisse plaire à un Européen 5.
Un autre arbre produit des fruits en forme de cône,
d'une saveur chaude , épicée , et assez agréable , que
les habitans aiment beaucoup 4.
Un bel arbre très-touffu produit un fruit sembla-
» Nicholas, I, p. 3o5. — 2 Cook, trois. Voy. , I, p. 186. — 3 Nicha-
las, T, p. 232. — '1 Nichol <s , I, p. 232.
606 VOYAGE
ble à la cerise, pour la couleur el la forme. Les natu-
rels le regardent comme vénéneux ; son goût est très-
amer et désagréable ». Serait-ce le maï-tao d'An-
derson 2?
M. Nicholas parle encore d'une espèce d'arbre
d'un bois très-léger, plein de moelle , à feuilles inci-
sées , et dont l'écorce fibreuse sert aux naturels pour
confectionner leurs plus fortes lignes de pêche.
Comme il ajoute que cet arbre se trouve à Taïti , et
que les insulaires en font des étoffes 3; je suppose que
ce doit être une espèce <X Hibiscus , à moins que ce
ne soit le Morus papyrifera que Cook a indiqué à la
baie des Iles , mais que je n'y ai jamais observé.
Avec l'infusion de l'écorce d'un arbre nommé Hthou,
les Zélandais teignent leurs étoffes en noir 4. Le Tawa
ressemble au sycomore pour le feuillage ; le Rewa-
i eiva au hêtre pour le grain du bois. L'écorce du fVao
est une sorte de liège. Le Kaï-katea et le Koa sont
de grands arbres 5. Une espèce que M. Nicholas
nomme Supple-jack (probablement une sorte de liane
très-forte), se trouve partout dans les forêts, et rampe
à des distances de cinquante à soixante pieds de l'en-
droit d'où sa tige sort de terre 6.
Le Kaï-katea (Podocarpus dacrydoides , Rich.)
habite de préférence les terrains marécageux et inon-
dés en hiver. Il parvient aux plus grandes dimensions,
etc'estl'arbre qui avait particulièrement fixéles regards
» Nicholas, I, p. 281. — 2 Cook, trois. Voy., I, p. 186. — 3 Nicholas ,
I, p. 3oy. — 4 Nicholas, I, p. 34o. — S Nicholas, II, p. 245. —
<* Nicholas, II, p. 246.
DK L'ASTROLABE. 607
de Cook dans son premier voyage '. On a reconnu
par la suite que son bois était trop cassant pour être
utilement employé en mature.
On ne sait pas bien quel est celui que ce voyageur
décrit comme ayant une fleur écarlate qui semble être
l'assemblage de plusieurs fibres. Il est probable néan-
moins que ce doit être quelque Meh osidevos 2.
On sait quel parti son équipage sut tirer des feuil-
les du Tetragonia expansa, bouillies en guise d'épi-
nards , ainsi que du céleri et «d'une crucifère qu'An-
dersen nommait Cochlearia, et qui est le Lepidium
oleraceum de Forster.
Cook et ses compagnons employaient en guise de
thé la décoction des feuilles du Melaleuca scoparia
qu'il nommait, pour ce motif, plante à thé. Anderson
assurait positivement que ce végétal pourrait rempla-
cer le thé qui vient de la Chine et du Japon 3. S'il en
était ainsi, cette production pourrait devenir une
branche de commerce importante, attendu que cet ar-
brisseau est l'un des plus communs de la Nouvelle-
Zélande.
Cook faisait encore un cas tout particulier des jeu-
nes pousses du Dacvydium capressinum qu'il em-
ployait en guise de spruce. En les mêlant avec du
moût de bière et de la mélasse , il en composait une
boisson qu'il jugea très-salutaire a son équipage 4.
Les compagnons de Cook assaisonnaient en guise
i Cook, prem. V«). , I, j>. >5(>. — Cook, prem. Voy. , I, p. 255. —
3 Cook, Irois. Vov. , T, p. rR;. — 4 Cook, doux. Voy., T, p. 1 5ç>.
608
VOYAGE
de chou-palmiste les sommités du Dracœna aastralis ,
auxquelles ils trouvaient le goût de l'amande et un
peu de la saveur du chou *. C'est le Ti des naturels
dont la racine cuite était très-douce 2.
Privés comme nous l'étions de tous végétaux frais ,
nous avons souvent mangé avec plaisir , sur V Astro-
labe , tant en soupe qu'en salade , les jeunes plantes
du Sonchus oleraceas qui croissait en abondance près
de la passe des Français.
Forster recueillit à Totara-Nouï une espèce de poi-
vre dont le goût ressemble à celui du gingembre 3.
C'est le Piper excelsum , nommé par les habitans
Kawa-kawa, comme à Tonga, mais avec lequel ils
ne savaient point faire de liqueur spiritueuse.
i Cook, deux. Voy., I, p. 189. — 2 Grammar of New-Zealand, p. 212.
-+■ 3 Cook, deux. Voy., I, p. 248.
DE L'ASTROLABE. 609
Ce naturaliste rencontra dans les bois du même
district une plante qu'il nomma Areca sapida, d'après
Solander, et dont la tige offrait aussi une espèce de
chou-palmiste *. Toutefois je doute fort que cette
plante soit un véritable Areca, et je pense plutôt
qu'elle doit se rapporter au genre Zamia.
Le Phormium tenax et son beau tissu soyeux sont
aujourd'hui généralement connus. Nous nous con-
tenterons de dire que la Nouvelle-Zélande est la véri-
table patrie de ce beau végétal. Il croit de préférence
sur les bords des torrens; mais on le trouve aussi sur
les rochers maritimes.
Les naturels mentionnent diverses espèces d'ar-
bres, comme le Dimou, le Tôt ara, Poudi-kovea, Ta-
nakea, Akcy Angui, Ka-Ika, Kaï-katoa, Karangou,
Koutou-outou, Mae-oe, Maide, Mira, Pâte (avec le-
quel on allume du feu par le frottement), Poutou-
kawa, Tara-ide, Toupaki , Toupou-toupou (espèce de
manglier), ïVarangui, etc. C'est aux recherches des
voyageurs à venir qu'il est réservé de prononcer sur
ia véritable nomenclature de ces diverses espèces.
Cook et Marion, les premiers, introduisirent dans
la Nouvelle-Zélande plusieurs plantes européennes ,
qui y réussirent parfaitement , et se propagèrent en-
suite naturellement sur diverses parties de l'île Ika-
Na-Mawi. Depuis une quinzaine d'années que les mis-
sionnaires se sont établis sur le sol de cette île, le
nombre de ces plantes s'est bien accru. Dans un dcmi-
i Cook, deux. Voy., III, |>. 3;7.
TOME II. 4l
(>10 VOYAGE DE L'ASTROLABE.
siècle , il en sera de ces contrées voisines de nos anti-
podes , comme de toutes les terres où les Européens
ont formé des colonies \ leur Flore aura subi des modi-
fications considérables , aux espèces réellement indi-
gènes se seront mêlées ces nombreuses plantes dont
les semences, confondues avec d'autres graines plus
utiles , participent aux soins qu'on donne à ces der-
nières, et réussissent le plus souvent beaucoup mieux
dans leur nouvelle patrie. C'est désigner assez claire-
ment les céraistes, anagallis , silène, bidens , plan-
tains et diverses sortes de graminées qu'on trouve au-
jourd'hui dans tous les lieux cultivés en Amérique ,
en Asie, et même dans l'Australie. Il est donc extrê-
mement important de fixer le plutôt possible l'état
de la végétation primitive dans ces contrées lointaines,
afin d'éviter à la géographie botanique de nombreuses
sources d'erreur. Sous ce rapport , l'Essai rédigé par
M. A. Richard sur les récoltes faites par M. A. Lesson
et par moi-même à la Nouvelle-Zélande, mérite donc
tout l'intérêt des botanistes. En outre je suis bien aise
de leur annoncer que dans le même été où j'explorais
les côtes de la Nouvelle-Zélande, mon ami M. Allan
Cunningham , savant et infatigable botaniste de Port-
Jackson , passa deux mois à parcourir ces terres aus-
trales , et pénétra à de grandes distances à l'intérieur.
Sans doute cet habile naturaliste publiera un jour le
résultat de ses observations , et son travail laissera
peu de chose à désirer sur les richesses végétales de
la Nouvelle-Zélande.
FIN DU DEUXIÈME VOLUME ET DE I.'eSSAI SUR I.A NOU VELI.E-ZKI.ANDE.
NOTICE
LES ILES DU GRAND-OCÉAN
£nt a ta Ôorictf ï>c <&rogvnph'c &* $rt"s , ÎMM sa scanrr
ï>u 5 joimicr 1832.
Comme je l'ai déjà annoncé dans la relation du voyage de
l'Astrolabe « , j'avais réservé pour le dernier volume de cet ou-
vrage le Mémoire où je comptais présenter mes idées touchant
les peuples qui habitent le Grand-Océan , et la nomenclature
suivant laquelle je me proposais de classer les nombreuses îles
qui s'y trouvent disséminées. Mais la publication du Voyage
de l'Astrolabe a été déjà retardée bien au-delà de ce que je
pouvais attendre, et les expressions qu'il me faudra quelque-
fois employer dans le cours de ma narration m'ont paru être de
nature à donner lieu à une explication préliminaire pour être
i Cet ouvrage est à sa trente-troisième livraison pour la partie, historique
et à sa sixième pour la partie zoologiquc. Trois volumes de ma relation ont
vu le jour; la Zoologie, ainsi que la Botanique, sont à leurs premières
parties.
Je dois déclarer que, depuis que j'ai pris la haute surveillance de celte
entreprise, elle marche avec une activité peu commune et des soins qui mé-
riteront, je l'espère, les suffrages du public.
4i'
012 VOYAGE
bien comprises du lecteur. A cette considération, déjà assez
puissante pour me déterminer, vient s'en joindre une autre
non moins importante. Dans votre dernière séance vous avez
entendu avec intérêt la lecture d'un Mémoire dans lequel M. de
Rienzi vous a développé ses opinions sur le même sujet ; dès-
lors j'ai cru devoir rompre le silence que je me proposais de
garder, et vous exposer à mon tour le résultat de mes médita-
tions. On voudra bien remarquer que je ne prétends imposer
mes idées à personne; elles sont le fruit de dix années d'études,
de recherches et d'observations , dont la plupart ont été faites
sur les lieux mêmes : toutefois , je conviens qu'elles ne consti-
tuent encore qu'un système. L'expérience , et surtout les fails
recueillis par les voyageurs qui me suivront , décideront s'il
mérite d'être préféré aux autres.
D'abord , à l'exemple du célèbre Malle-Brun , et sans autre
modification qu'un léger changement déjà adopté par M. Brué
dans la terminaison du mot, nous désignerons par Océnnie
l'ensemble des îles, grandes ou petites, éparses sur la surface
du Grand-Océan, nommé par diflférens navigateurs Océan Pa-
cifique.
A l'ouest, les limites de l'Océanie seront le détroit de Ma-
lacca , la mer de la Chine , les côtes orientales de Formose ,
des îles Liou-Kiou et du Japon; au nord, elle sera terminée
par le quarantième degré de latitude septentrionale; à l'est
par les côtes de l'Amérique , et au sud par le cinquante-cin-
quième degré de latitude méridionale. Il est évident que ces
trois dernières limites sont purement systématiques, attendu
qu'on ne trouve plus d'habitans dans toute cette surface, au-
delà du vingt-troisième degré de latitude nord, du cent dixième
degré de longitude ouest, et enfin du quarante-septième degré
de latitude sud.
Parmi les nombreuses variétés de l'espèce humaine qui oc-
cupent les diverses îles de l'Océanie, tous les voyageurs, sans
exception } en ont signalé deux très-différentes l'une de l'autre,
et les traits aussi nombreux qu'essentiels qui les caractérisent,
DE L' ASTROLABE. 613
tant au moral qu'au physique, exigent sans doute qu'on les
regarde comme appartenant à deux races distinctes.
L'une de ces races offre des hommes d'une taille moyenne,
au teint d'un jaune olivâtre plus ou moins clair, aux cheveux
lisses, le plus souvent bruns ou noirs, présentant des formes
assez régulières, des membres bien proportionnés; on les
trouve habituellement réunis en corps de nation et quelquefois
en monarchies considérables. Du reste, cette race offre pres-
que autant de nuances diverses que la race blanche qui habite
l'Europe , race nommée caucasique par Duméril, et japëtiquc
par Bory de Saint-Vincent.
L'autre race se compose d'hommes d'un teint très- rembruni,
souvent couleur de suie, quelquefois presque aussi noir que
celui des Ca fifres , aux cheveux frisés, crépus, floconneux,
mais rarement laineux, avec des traits désagréables, des for-
mes peu régulières, et les extrémités souvent grêles et diffor-
mes. Ces hommes vivent en tribus ou peuplades plus ou moins
nombreuses, mais presque jamais ils ne forment un corps de
nation, et leurs institutions n'atteignent jamais le degré de
perfectionnement que l'on remarque quelquefois parmi les
hommes de la race cuivrée. Toutefois, les noirs de l'Océanie
offrent dans leur couleur, leurs formes et leurs traits, tout au-
tant de variétés que l'on peut en observer parmi les nom-
breuses nations qui habitent le continent africain , et consti-
tuent la race éthiopienne de la plupart des auteurs.
Bien que ce ne soit pas ici le lieu de présenter dans son
entier le système que nous nous sommes créé sur la ma-
nière dont l'Océanie a dû se peupler, ni de l'appuyer par des
raisonnemens plus ou moins plausibles, nous devons cepen-
dant déclarer que nous considérons la race noire comme celle
des véritables indigènes, au moins de ceux qui ont occupé
les premiers le sol de l'Océanie. Les hommes d'un teint plus
clair appartiennent à une race de conquérans qui , provenant
de l'ouest, se répandit peu à peu sur les îles de l'Océanie, et
v fonda successivement des colonies plus ou moins considéra-
614 VOYAGE
blés. Souvent elle expulsa ou détruisit complètement les pre-
miers possesseurs du sol ; d'autres fois les deux races vécurent
ensemble en bonne intelligence, et leurs postérités se confon-
dirent par des unions multipliées. Enfin il put arriver que les
étrangers trouvèrent la place encore vacante. De là cette
foule de nuances diverses qui caractérisent les babitans de cha-
que archipel, sans compter celles qui ont eu pour causes les
climats, les habitudes, le régime alimentaire, en un mot
toutes les circonstances dues aux diverses localités.
Toutefois, parmi les hommes de la première race, on re-
marque tout de suite deux divisions bien prononcées. En effet,
toutes les peuplades, sans exception, qui occupent les îles les
plus orientales de l'Océan Pacifique , depuis les îles Hawaii
jusqu'aux îles de la Nouvelle-Zélande d'une part, et de l'autre
depuis les îles Tonga et Hamoa jusqu'à l'île de Pâque , sem-
blent sortir d'une même origine, et ne former qu'une seule
grande famille dont les membres se trouvent dispersés à des
distances immenses les uns des autres. Le teint, les traits de
la physionomie et les formes, ont toujours des rapports plus
ou moins intimes : la langue est partout exactement la même.
Tous ces peuples sont esclaves de la superstition du tapou ,
presque tous sont adonnés à l'usage du kava, et celui de l'arc
et des flèches leur est inconnu. Enfin ils ont tous des disposi-
tions plus ou moins prononcées pour les arts de la civilisa-
tion ; même avant l'arrivée des Européens, plusieurs d'entre
eux étaient réunis en gouvernemens réguliers; on trouvait
chez eux des dynasties affermies sur le trône, des castes avec
leurs privilèges respectifs; une religion avec ses rites, ses prê-
tres et ses sacrifices; des lois, des us et des coutumes scrupuleu-
sement observés , enfin une étiquette qui, pour la rigueur et
les détails , ne le cédait en rien à celle des nations les plus ci-
vilisées de l'Europe ou de l'Asie.
La seconde division de la race cuivrée a rapport aux hom-
mes répandus sur cette immense chaîne de petites îles qui ont
reçu des navigateurs les noms de Groupe de King'smill , îles
DE L'ASTROLABE. 615
Gilbert , Marshall , Carolines , Mariannes , jusqu'aux îles
Pelew inclusivement. Ces insulaires diffèrent principalement
des Océaniens de l'Orient par une couleur un peu plus fon-
cée, par un visage plus effilé, des yeux moins fendus et des
formes plus sveltes. Ils paraissent aussi étrangers au tapou. La
langue varie d'un archipel à l'autre, et diffère complètement de
celle qui est commune aux nations de l'autre division. Les seuls
traits de conformité entre les deux divisions sont la distribu-
tion de la société en castes, l'absence de l'arc et des flèches
pour armes offensives, et l'usage du kava sur quelques îles;
mais dans celles de l'Occident le kava est remplacé par le
bétel et l'arek.
Cela posé , nous allons passer aux divisions que nous avons
adoptées pour l'Océanie. Ces divisions principales et fonda-
mentales sont au nombre de quatre.
La première sera l'Océanie orientale, à laquelle nous con-
serverons le nom de Polynésie , déjà adopté par divers géo-
graphes; mais nous en limiterons l'acception aux peuples qui
reconnaissent le tapou, parlent la même langue et forment la
première division de la race cuivrée ou basanée.
La seconde division composera l'Océanie boréale, et com-
prendra toute la seconde division de la race cuivrée. Comme
elle n'est composée que d'îles très-petites, dont les plus impor-
tantes sont Gouaham dans les Mariannes , et Baubelthouap
dans les îles Pelew, nous lui imposerons le nom de Micronc-
sie , qui ne diffère que par la terminaison de celui qu'a pro-
posé M. de Rienzi.
La troisième division présentera l'Océanie occidentale, et
renfermera toutes les îles communément connues sous le nom
d'îles des Indes-Orientales. De fortes présomptions autorisent
à croire que de ces îles sortirent primitivement les hardis
navigateurs qui prirent possession des deux premières divisions
de l'Océanie. Nous lui laisserons le nom de Malaisic , déjà em-
ployé par quelques auteurs, et dont nous pensons que l'initia-
tive est due à M. Lesson.
616 VOYAGE
Enfin la quatrième division sera l'Océanie australe, formée
par la grande île de la Nouvelle-Hollande et toutes les terres
qui l'environnent, jusqu'aux limites de la Micronésie et de la
Polynésie. Comme elle est la patrie de la race noire océa-
nienne , elle recevra le nom de Mèlanésie. Déjà M. Bory
de Saint-Vincent avait proposé de désigner une variété des
noirs de l'Océanie par le nom de Mélaniens , et nous avons
conservé volontiers cette désignation en lui donnant une ac-
ception beaucoup plus étendue. Les Mélaniens ou Mélanésiens
occupent, sans contredit, la partie la plus considérable des
terres océaniennes, mais la population de ces grandes îles est
loin d'être en rapport avec leurs vastes dimensions.
Nous allons actuellement revenir sur chacune des divisions
de l'Océanie, tracer leurs limites respectives, et faire con-
naître leurs subdivisions en indiquant rapidement les traits
caractéristiques des peuplades qui les composent.
Une ligne inclinée, par rapport à la méridienne, partant
de l'extrémité N. O. des îles Hawaii , passant entre les îles Viti
et les îles Tonga , et se prolongeant dans l'ouest de la partie la
plus australe de la Nouvelle-Zélande , sera la limite occiden-
tale de la Polynésie; et toutes les îles situées à l'est, jusqu'à
l'île de Pâque inclusivement, feront partie de cette grande
division.
Ainsi la Polynésie comprendra l'archipel de Hawaii ou des
îles Sandwich ; celui de Nouka-Hiva , ou des Marquises ; les
îles Pomotou, ou l'archipel Dangereux; celui deTaïti, ou de la
Société ; celui de Hamoa, ou des Navigateurs ; celui de Tonga,
ou des Amis; enfin les grandes îles de la Nouvelle-Zélande.
En outre, on devra y joindre une foule d'îles semées en
dehors de ces archipels , comme les îles habitées de Fanning,
Roggewein,Mangia, Savage, Rotouma, Niouha, Waï-Hou ou
Pâque, Chatam , etc., et plusieurs îles désertes comme Pal-
myras, Christmas, Pylstart , Sunday, Macauley, Curtis , et les
îlots situés au sud de la Nouvelle-Zélande. Comme nous l'a-
vons déjà dit, toutes ces îles sont habitées par des hommes
DE L'ASTROLABE. 617
dont l'origine est évidemment commune , attendu qu'ils ont
entre eux les plus grands rapports, tant au physique qu'au
moral, que leur langue est la même, et qu'ils sont tous assu-
jettis aux réglemens mystérieux et inviolables du tapou.
Il est certain que les peuples de Hawaii, de Taïti et de
Tonga étaient ceux qui avaient fait le plus de progrès vers la
civilisation ; des monarchies régulièrement constituées, et qui
paraissaient avoir un certain degré d'ancienneté , des castes sé-
parées les unes des autres par des privilèges distincts , des cou-
tumes invariables et des cérémonies religieuses célébrées avec
appareil, sans que leur principe en soit bien connu, attes-
taient que ces hommes avaient depuis long-temps quitté l'état
de nature pour former des sociétés étendues. D'ailleurs les ré-
cits des anciens voyageurs , tels que Mendana, Schouten et
Tasman, sont là pour démontrer que leurs coutumes, leur in-
dustrie, leurs rapports sociaux et leur langue n'ont point varié
depuis deux siècles et même davantage.
Les Nouveaux-Zélandais, au contraire, placés sur une terre
bien plus étendue , et doués par la nature d'un tempérament
plus robuste, d'un caractère plus énergique et d'une plus
grande aptitude pour les arts et les métiers de la civilisation ,
étaient restés plus voisins de leur état primitif. Réunis seule-
ment en peuplades peu considérables, ils n'accordaient à leurs
chefs qu'une autorité incertaine et souvent précaire ; chez eux
tous les arts étaient encore dans l'enfance, et la guerre seule
occupait presque exclusivement tous les instans de leur exis-
tence. L'àpreté du climat, la pénurie de ressources alimen-
taires dans le règne végétal, l'étendue même de leur sol ont
dû contribuer à retarder les progès des Nouveaux-Zélandais
vers la civilisation ; mais tout donne lieu de penser qu'aussi-
tôt qu'ils s'en occuperont sérieusement ils prendront un essor
plus rapide que tous les autres peuples de la Polynésie. Ainsi
l'on a vu les habitans de l'Europe septentrionale , comme les
Fiançais, les Anglais et les Allemands, à peu près sauvages il
y a vingt siècles , sortir promptement de leur état de barbarie ,
618 VOYAGE
égaler et dépasser enfin les nations du Midi, qui les avaient
si long-temps traités avec dédain à cause de leur ignorance.
L'élat politique des insulaires d'Hamoa , aux formes athléti-
ques , est presque inconnu , mais la relation de Lapérouse
donne lieu de présumer qu'il se rapproche beaucoup de celui
de Tonga. La forme du gouvernement aux îles Marquises a de
grands rapports avec celui des îles de la Société, mais il est
plus simple et plus patriarcal. D'autres îles de la Polynésie,
comme Mangia, Waï-Toutaki , Waï-Teroa, Oparo , sont à
peu près dans le même cas. Enfin les habitans des îles Basses,
ou Pomotou, situées dans l'est de Taïti, dénués d'institutions
et dispersés en petites peuplades , vivent dans un état peu dif-
férent de celui qui est propre aux tribus Mélanésiennes, et of-
frent peut-être la transition entre les deux races.
La Micronésie embrasse le groupe de King'smill , les îles
Gilbert, les îles Marshall, ou îles Radak et Ralick, les Ca-
rolines , les Mariannes , les îles Pelew, et en outre les îles inha-
bitées comprises entre le Japon et l'archipel d'Hawaii, la
plupart réunies sous les noms d'archipel d'Anson et d'archipel
de Magellan sur la carte de M. Brué. Cette longue chaîne de
petites îles n'offre point une population homogène comme
celle qui habite les terres de la Polynésie; le langage, les
coutumes et la forme du gouvernement varient d'un archipel
à l'autre, et le tapou , ce caractère moral, essentiel à la fa-
mille polynésienne, paraît être inconnu des Micronésiens,
au moins sa puissance n'est pas la même. Toutefois , une res-
semblance générale dans le teint, leurs cheveux noirs, leur
physionomie plutôt effilée qu'arrondie, leurs formes souples et
flexibles, et la douceur habituelle de leurs mœurs et de leur
caractère semblent leur assigner une origine commune. Sui-
vant nos conjectures, ce serait aux habitans des Philippines
que les Micronésiens pourraient se rapporter, et leur première
patrie dut être dans les îles de Luçon ou de Mindanao. Si l'on
en excepte les îles Pelew, celles des Mariannes et l'île Ua-
lan , les mœurs , les coutumes et les idées religieuses des Mi-
DE L'ASTROLABE. 619
cronésiens sont encore peu connues, et l'on doits'en rapporter
aux récits incomplets des premiers missionnaires espagnols ,
ou bien aux souvenirs du vieux Torrès de Gouaham, successi-
vement recueillis par MM. Chamisso et Freycinet.
La Malaisie offrira toutes les îles que M. Brué a désignées
dans sa carte sous le titre d'îles des Indes-Orientales, savoir :
les îles de la Sonde, les Moluques et les Philippines. Ces terres
sont connues depuis long-temps des Européens, et divers au-
teurs ont écrit sur les coutumes de leurs habitans. La langue
o
tagale est celle de Luçon ; la langue hisaic est celle de Minda-
nao , et l'on suppose généralement que la langue malaise est
celle des îles de la Sonde et des Moluques. Il paraît néanmoins
que le malais était commun seulement aux peuples des rivages
de la mer, car dans l'intérieur des grandes îles, comme Bor-
néo , Célèbcs et Guilolo , on parle d'autres langues, ou du
moins des dialectes tout différens du malais vulgaire. Déjà
l'on savait que le javan différait essentiellement de cette
langue.
Les Malais ont un teint jaunâtre plus ou moins foncé, une
taille moyenne, peu d'embonpoint, le corps souple et agile,
les yeux un peu bridés, les pommettes saillantes, les cheveux
plats et lisses , et très-peu de barbe et de poil. Ils sont adonnés
à l'usage du bétel et de l'opium ; le riz est leur nourriture ha-
bituelle. L'islamisme a pénétré chez eux, mais dans les terres les
plus orientales de cette division, il s'est mêlé et confondu dans
l'esprit des naturels avec leurs superstitions primitives, et les
habitans éloignés des côtes à Ceram , Célèbes et Bornéo , sui-
vent encore aujourd'hui leurs croyances particulières.
La Malaisie se divisera naturellement en deux parties;
l'une sera composée des îles de la Sonde et des Moluques où
règne la langue malaise, et l'autre réunira les Philippines où
les langues tagale et bisaïe sont en usage.
La Mélanésie est séparée de la Malaisie par une ligne qui
passerait à l'ouest de l'île Waigiou, de la pointe occidentale de-
là Nouvelle-Guinée et à l'est des îles Arrou ; de la Mieronésic
fi 20 VOYAGE
par une ligne légèrement oblique à la direction de l'équateur
en fléchissant vers le sud dans l'est, enfin de la Polynésie par
une ligne flexueuse qui , partant de la partie orientale de
Santa-Cruz, s'avancerait jusqu'à l'est des îles Viti et se diri-
gerait ensuite au sud-ouest entre la Nouvelle-Hollande et la
Nouvelle-Zélande.
L'île de Van-Diémen ou Tasmanie sera l'extrémité méri-
dionale de la Mélanésie ; l'île immense de la Nouvelle-Hol -
lande, qu'à l'exemple des Anglais nous appellerons le plus sou-
vent Australie, en est la partie la plus importante, puisqu'à
elle seule elle pourrait constituer un continent. La Nouvelle-
Guinée et les îles qui s'y rattachent en forment encore une
portion considérable; on doit enfin y comprendre les îles de
la Louisiade, de la Nouvelle-Bretagne, de la Nouvelle-Irlande,
l'archipel de Salomon , celui de Santa-Cruz ou Nitendi, les
Nouvelles-Hébrides, les îles Loyalty, la Nouvelle-Calédonie,
enfin l'archipel Viti.
Toutes les nations qui habitent cette grande division de
l'Océanie sont des hommes d'une couleur noirâtre plus ou
moins foncée, à cheveux frisés ou crépus, ou quelquefois
presque laineux, avec un nez épaté, une grande bouche,
des traits désagréables et des membres souvent grêles et rare-
ment bien conformés. Les femmes sont encore plus hideuses
que les hommes, surtout celles qui ont nourri , car leur gorge
devient aussitôt flasque et pendante, et elles perdent sur-le-
champ le peu de fraîcheur qu'elles devaient à leur jeunesse.
Les idiomes très-bornés varient à l'infini et quelquefois dans la
même île. Ces noirs sont presque toujours réunis en peuplades
très-faibles dont le chef jouit souvent d'une autorité arbitraire ,
et qu'il exerce parfois d'une manière aussi tyrannique que la
plupart des petits despotes africains. Bien plus reculés vers
l'état de barbarie que les Polynésiens et les Micronésiens , on
ne trouve chez eux ni forme de gouvernement, ni lois, ni cé-
rémonies religieuses régulièrement établies. Toutes leurs ins-
titutions paraissent être encore dans l'enfance ; leurs disposi-
DE L'ASTROLABE. 621
lions et leur intelligence sont aussi généralement bien infé-
rieures à celles de la race cuivrée.
Il est vrai que plusieurs de ces peuples sont encore très-
imparfaitement connus. Ennemis naturels des blancs , ils ont
toujours montré une défiance opiniâtre et une antipathie pro-
noncée contre les Européens; ceux-ci ont presque toujours eu
lieu de se repentir de leurs communications avec ces hôtes
perfides. Aussi ni Cook, ni Bougainville, ni aucun des navi-
gateurs qui leur ont succédé n'ont eu avec les Mélanésiens
ces relations de bonne amitié qu'ils se plaisaient à entretenir
et à multiplier avec les peuples plus hospitaliers de la Po-
lynésie.
Jusqu'aujourd'hui nous devons nous en tenir aux documens
que nous ont transmis Mendana sur les îles Santa-Cruz et
Salomon; Carterct sur Santa-Cruz ; Cook sur Mallicolo , Er-
romango et Tanna; Labillardière sur la Nouvelle-Calédonie
et les Papous de Waigiou ; MM. Frejcinet et Dupcrrey sur
ces mêmes Papous et sur ceux de Dorci ; M. Dillon sur les
habitans de Viti , de Vanikoro et de Nitendi ; enfin les navi-
gateurs de l'Astrolabe sur les noirs de Viti, Vanikoro, de la
Nouvelle-Irlande et de Dorei. Les insulaires de l'Australie et
de la Tasmanie ont été décrits d'une manière assez exacte,
et il est résulté de ces descriptions que ces hommes sont pro-
bablement les êtres les plus bornés, les plus stupides et les plus
essentiellement rapprochés de la brute.
Nous pensons que, parmi les nombreuses variétés de la race
mélanésienne, celle qui doit occuper le premier rang est celle
qui habite les îles Viti. En effet , malgré leur férocité et leur
penchant au cannibalisme, ces naturels ont des lois, des arts,
et forment quelquefois un corps de nation. On trouve parmi
eux de très-beaux hommes ; leur langue est plus riche, plus
sonore et plus régulière que dans les îles de l'Ouest , et leur
habileté dans la navigation ne le cède pas à celle des hommes
de l'autre race. Dans ce nombre, nous avons trouvé des indi-
\idus doués d'une dose d'intelligence et de jugement fort re-
622 VOYAGE
marquable pour des sauvages. Mais il est évident qu'ils de-
vaient ces avantages à leur voisinage du peuple Tonga , et aux
fréquentes communications qu'ils avaient eues avec la race
polynésienne.
On doit en dire autant des peuples de Nitendi , des îles
Hébrides et des îles Salomon , qui ont eu aussi des rapports
plus ou moins intimes et fréquens avec les Polynésiens, car
on voit ces derniers s'étendre jusque sur les îles Rotouma ,
Anouda , Tikopia , et même Taumako , situées tout près des
îles occupées par les Mélanésiens. A Vanikoro, nous avons pu
nous-mêmes nous convaincre des relations fréquentes qui
existaient entre les deux races, comme des unions plus intimes
qui en étaient souvent les suites. De là ces nombreuses nuan-
ces observées par divers navigateurs dans toutes ces îles , et
qu'ils ont réunies ordinairement sous les trois désignations de
nègres, mulâtres et blancs. Les premiers étaient les Mélané-
siens, les derniers des Polynésiens, et les mulâtres des Hybrides,
issus du croisement des deux races noire et cuivrée. Ce mé-
lange a été observé sur la Nouvelle -Irlande et les îles voisi-
nes; il est probable qu'il existe encore plus loin vers l'occi-
dent sur les côtes de la Nouvelle-Guinée.
Il est bon de remarquer que les Mélanésiens paraissent être
d'autant plus bornés dans leurs institutions qu'ils ont eu
moins de communications avec les Polynésiens. Ainsi les ha-
bitans de la Nouvelle-Irlande , de la Nouvelle-Bretagne, de la
Louisiade et des côtes méridionales de la Nouvelle-Guinée ,
sont bien inférieurs aux peuplades qui habitent les îles situées
plus à l'est. Cependant tous les Mélanésiens (les Australiens et
les Calédoniens exceptés ) connaissaient l'usage de l'arc et des
flèches ; plusieurs savaient même fabriquer des vases en terre.
Ils devaient probablement ces notions à leurs voisins. de l'oc-
cident.
Enfin ceux qui occupent le dernier degré de cette race sont
évidemment les habitans de l'Australie et de la Tasmanie.
Etres chétifs et misérables , réunis en faibles tribus , étrange-
DE L'ASTROLABE. 623
ment disgraciés par la nature, et réduits par la pauvreté de
leur sol comme par leur indolence et leur stupidité à une
existence très-précaire , ils parlent des langues extrêmement
bornées qui varient presque de tribu à tribu , et n'offrent d'a-
nalogie avec aucune de celles dont les règles sont mieux éta-
blies. Toute leur industrie se réduit à fabriquer des filets, des
lances, de misérables pirogues d'écorce , et des manteaux en
peaux à' opossum ou de kangnrou. Quelques-uns savent cons-
truire des huttes en écorecs d'arbres assez bien closes, d'autres
de simples abris avec des branches couvertes de broussailles ;
mais il en est qui , toujours errans et vivant en plein air, se
contentent , durant leur sommeil, d'abriter leurs épaules sous
un morceau d'écorce arraché à l'arbre voisin. Ces hommes
n'ont d'autres traces d'idées religieuses que des notions vagues
touchant l'existence de malins génies toujours disposés à les
tourmenter, et le sentiment confus d'une vie nouvelle qui les
attend après leur mort.
Nous devons faire observer qu'un grand nombre d'Austra-
liens sembleraient se rapprocher des Polynésiens par leur cou-
leur simplement basanée, mais l'examen le plus léger de leurs
traits et de leur conformation suffit pour les replacer dans la
race noire à laquelle ils appartiennent. Ces Australiens sont
au reste des Mélanésiens ce que les Hottentots sont à la
race éthiopienne. On doit même convenir qu'il existe de
grands rapports entre les Hottentots et les Australiens.
Quelque dégradée, quelque misérable que nous paraisse
l'espèce humaine considérée dans cet état, nous pensons que
c'est là l'état primitif et naturel de la race mélanésienne , sauf
les difformités physiques qui résultent des privations alimen-
taires sur un sol aussi ingrat que celui de l'Australie. Le sort de
ces êtres s'est un peu amélioré sur les cotes plus fertiles de la
Nouvelle-Guinée et des îles voisines, leur extérieur est moins
hideux, et leur intelligence s'est un peu développée. Cependant
ce n'est qu'en arrivant sur les îles où les Mélanésiens ont pu
avoir des communications avec les Polynésiens qu'on voit leur
R24 VOYAGE
race quitter peu à peu son type primitif et recevoir une foule
de nuances diverses. Il paraît qu'à la Nouvelle-Calédonie où la
nature du sol se rapproche de celle de l'Australie , malgré la
proximité de cette terre avec celles de Tanna et d'Erromango,
le caractère mélanésien a subi des modifications peu sensibles.
Aussi Labillardière avait naturellement rapproché les Nou-
veaux-Calédoniens des Tasmanicns
Nous devons ajouter qu'à notre avis la race mélanésienne
dut occuper dans le principe la plupart des îles de l'Océanie.
On observe encore aujourd'hui à Taïti, dans les basses classes,
des individus qui , pour la couleur, les formes et les traits du
visage , se rapprochent beaucoup du type mélanésien. Cook
trouva même à Taïti une tradition qui constatait qu'une tribu
entière de noirs très-féroces vivait encore dans les montagnes
de l'île, peu de temps avant son arrivée. C'était probablement
les tristes débris des primitifs possesseurs du sol, et les hommes
du peuple dont nous venons de parler sont des métis issus du
mélange des vaincus avec la race des conquérans.
Les habitans de plusieurs des îles Pomotou ne paraissent être
qu'une race mixte due à un semblable mélange.
A la Nouvelle-Zélande , il existe une quantité d'insulaires
dont les traits, la couleur et la stature se rapportent parfaite-
ment au caractère des Mélanésiens de la Nouvelle-Calédonie
et des Nouvelles-Hébrides.
Dans la Micronésie, on retrouve également des traces de
cette fusion des deux races, surtout dans les îles les plus orien-
tales, dont les habitans paraissent quelquefois appartenir pres-
que autant à l'une des races qu'à l'autre.
A Ualan, comme à Taïti, les hommes des dernières castes,
savoir les neas et les pennmaï , étaient bien inférieurs à ceux
des hautes classes, et quelques individus se rapprochaient du
type mélanésien.
Dès la découverte des Carolines , le père Cantova raconte
qu'on trouvait à Hogoleu et à Ioulai quelques noirs et beau-
coup de muhUres.
DE L'ASTROLABE. G25
Le capitaine Lutke, de la marine russe, vient de trouver, au
milieu même des Carolines, une île haute , l'île Pounipet, en-
tièrement habitée par des hommes noirs.
Enfin il est aujourd'hui presque avéré que les Alfourous de
Timor, de Céram et Bourou , les Negritos del monte ou Actas
de Mindanao, les Indios des Philippines, les Ygolotcs de Luçon,
les Negrillos de Bornéo, les noirs de Formose, des Andamans,
de Sumatra, de Malacca et ceux de la Cochinchine , nommés
Moys ou Kemoys, appartiennent à celte même race primitive de
Mélanésiens qui durent être les premiers occupans de l'Océanie.
Ils y vécurent en petites tribus et dans un état très-voisin de
celui de nature, jusqu'à l'époque où ces îles furent envahies
par de nouveaux peuples également arrivés de l'occident , et
appartenant à la race jaune ou cuivrée. La première irruption,
qui fut sans doute considérable , donna lieu aux colonies po-
lynésiennes sur toute l'étendue des îles les plus reculées vers
l'est. Des migrations postérieures et probablement partielles
peuplèrent successivement les îles de la Micronésie.
Nous n'hésitons pas à croire que les Polynésiens sont arri-
vés de l'occident et même de l'Asie ; mais nous ne croyons point
qu'ils soient des descendans des Hindous actuels. Ils ont eu
probablement une origine commune avec eux , mais les deux
nations étaient déjà séparées depuis long-temps , quand une
d'elles alla peupler l'Océanie.
Il en est de même des conséquences que divers voyageurs
ont tirées des rapports observés entre les Polynésiens et les
Malais. Sans aucun doute ces deux nations ont eu jadis des
relations ensemble, de longues recherches nous ont fait dé-
couvrir environ soixante mots qui sont évidemment communs
entre les deux langues , et c'en est assez pour attester d'ancien-
nes communications. Mais il y a trop de différence dans les
rapports physiques pour qu'on puisse supposer que les Poly-
nésiens ne soient qu'une colonie malaise.
Les hommes qui m'ont paru avoir le plus de rapports avec
la race polynésienne ont été, dans la Malaisie, les habitans de
TOME ii. 4^
626 VOYAGE
l'intérieur de Célèbes, nommés Alfouroxis. Ce dernier mot
avait à l'instant réveillé dans mon imagination l'idée d'hom-
mes au teint noir, aux cheveux crépus, au nez épaté, en un
mot de véritables Mélanésiens. Qu'on juge donc de mon éton-
nement, en voyant des individus dont le teint, les formes et
les traits de la physionomie, me rappelèrent involontairement
les figures que j'avais observées à Taïti , à Tonga et à la Nou-
velle-Zélande. Ces rapports me parurent si frappans, si com-
plets , que j'engageai vivement le gouverneur Merkus qui
m'accompagnait, à faire des recherches suivies sur les coutu-
mes, les idées religieuses et la langue de ces peuples, car ils
parlaient un idiome tout différent du malais. Si la langue des
Alfourous de Célèbes présentait plus de rapports avec le
polynésien que le malais lui-même , je ne balancerais pas à
croire que Célèbes fut un des berceaux de la race polyné-
sienne , ou du moins l'une de ses stations principales dans sa
marche de l'ouest vers l'est.
Sous ce rapport, l'étude approfondie des Dayaks ou Eïda-
hans de Bornéo et des Battas de Sumatra ne serait pas moins
importante. Déjà le voyageur Nicholas a signalé les rapports
nombreux qui existaient entre les coutumes des Battas et des
Nouveaux-Zélandais '.
Il y a tout lieu de croire que les Micronésiens ont dû prin-
cipalement leur origine aux îles de Luçon et de Mindanao; des
colonies chinoises ou japonaises ont pu accidentellement ar-
river sur quelques-unes de ces îles , et leur postérité se sera
confondue avec celle des Tagales.
Quant aux Papous, bien qu'ils ne soient peut-être encore
qu'une belle variété de la race mélanésienne, certaines observa-
tions feraient soupçonner qu'ils seraient venus plus récemment
> Déjà les vocabulaires donnés par M. Marsden indiquent que les dia-
lectes des Batias et des Lampoons ont beaucoup plus de rapports avec la
langue des Polynésiens que le malais proprement dit.
DE L'ASTROLABE. 627
des régions occidentales, peut-être des îles Andaman, de Cey-
lan ou même de Madagascar. Une des plus fortes raisons pour
la croire étrangère aux régions qu'elle occupe aujourd'hui , c'est
qu'on la trouve toujours confinée aux rivages de ces terres, et
qu'avec les Papous, ou du moins tout près d'eux, on trouve
de véritables Mélanésiens qui portent le nom A'Arfakis , Al-
fourous ou Endamcnes . Du mélange des Papous, des Alfourous
et des Malais, il résulte une foule de nuances diverses qui dé-
routent à chaque instant les calculs de l'observateur. Mais on
peut remarquer que les Papous proprement dits n'occupent
qu'une très-petite partie des côtes de la Nouvelle-Guinée, et je
pense qu'ils ne s'étendent guère à l'est de la grande baie du
Geelwinck. Plus loin ce sont de véritables Mélanésiens comme
ceux qui habitent la Nouvelle-Bretagne , la Nouvelle-Ir-
lande, etc.
D'après cet exposé, il est facile de voir que je n'admets point
cette multiplication de racesadoptée par quelques auteurs mo-
dernes. Revenant au système simple et lucide de l'immortel
Forster, si bien continué par mon savant ami Chamisso, je nr
reconnais que deux races vraiment distinctes dans l'Océanic ,
savoir : la race mélanésienne qui n'est elle-même qu'un em-
branchement de la race noire d'Afrique, et la race polyné-
sienne basanée ou cuivrée, qui n'est qu'un rameau de la race
jaune originaire d'Asie.
Et qu'on me permette de remarquer, en passant, que je ne
vois sur toute la surface du globe dans l'espèce humaine que trois
types ou divisions qui me paraissent mériter le titre de races
vraiment distinctes : la première est la blanche plus ou moins
colorée en incarnat, qu'on suppose originaire des environs du
Caucase, et qui occupa bientôt presque toute l'Europe, d'où
elle s'est ensuite répandue sur les diverses parties du globe. La
seconde est la jaune , susceptible de prendre diverses teintes
cuivrées ou bronzées ; on la suppose originaire du plateau cen-
tral de l'Asie, et elle se répandit de proche en proche sur tou-
tes les terres de ce continent, sur les îles voisines, sur celles de
K28 VOYAGE
l'Océanie, et même sur les terres de l'Amérique, en passant
par le détroit de Behring.
La troisième est la race noire qu'on suppose originaire de
l'Afrique qu'elle occupa dans sa majeure partie , et qui se ré-
pandit aussi sur les côtes méridionales de l'Asie, sur les îles de
la mer des Indes, sur celles de la Malaisie , et même de l'O-
céanie.
Nous n'agiterons point ici la question de savoir si ces trois
races ont un égal degré d'ancienneté , ou bien si elles appar-
tiennent à trois créations ou formations différentes et successi-
ves '. Mais nous ferons remarquer que la nature ne les dota
point d'une égale manière sous le rapport moral ; on dirait qu'elle
voulut, dans chacune de ces races, fixer aux facultés intellec-
tuelles de l'homme des limites fort différentes.
De ces différences organiques , il dut naturellement résulter
que partout où les deux dernières races se trouvèrent en con-
currence , la noire dut obéir à l'autre ou disparaître. Mais
quand la blanche entra en lice avec les deux autres , elle dut
dominer, même quand elle se trouvait bien inférieure en
nombre. L'histoire de tous les peuples et les récits de tous les
voyageurs offrent à chaque instant l'accomplissement de cette
loi de la nature. On n'a presque jamais vu une nation de la
race jaune soumise aux lois d'une peuplade de noirs , ni les
blancs courbés sous le joug des hommes des deux autres races ,
sauf un petit nombre de circonstances où la force numérique
se trouvant hors de toute proportion devait l'emporter sur la
supériorité morale. La nation juive est peut-être la seule qui
fasse une exception à cette règle générale.
Vous voyez, Messieurs, que les divisions que je propose
pour les îles de l'Océanie offrent des différences essentielles
avec celles qui vous ont été indiquées par un infatigable
1 Nous dirons seulement que nous partageons l'opinion qui fait remonter
ces trois races à une même souche primitive, et place leur berceau commun
dans le plateau central de l'Asie.
DE L'ASTROLABE. 629
voyageur, M. de Rienzi. Sans m'ériger en juge de son sys-
tème, et tout en proclamant qu'il a su, dans son intéressant
mémoire, présenter une foule de faits curieux touchant les peu-
ples de l'Océanie , il me semble, si je puis m'exprimer ainsi,
que son système est plus artificiel et le mien plus naturel. La
nomenclature de M. de Rienzi , reposant sur des divisions pu-
rement géométriques , offre sans doute des coupes plus régu-
lières; mais la mienne, assujettie à des rapports plus ou moins
intimes , mais toujours positifs, entre les peuplades qui com-
posent chaque division, aural'avantagederappeleravecsa dési-
gnation la nature et le caractère propre de ses habilans. Ainsi
l'on saura sur-le-champ que je veux traiter des peuples cuivrés,
parlant une langue commune et esclaves du tapou, ou des peu-
ples cuivrés, parlant des langues diverses et étrangers au ta-
pou, ou enfin des noirs de l'Océanie , suivant qu'on verra
paraître dans mon récit les désignations de Polynésiens, Mi-
cronésiens et Mélanésiens.
Les limites que j'ai dû m'imposer dans cette notice ne m'ont
point permis d'entrer dans les détails relatifs à chaque archi-
pel, à chaque île de l'Océanie , ni aux noms que je me propose
d'adopler. C'est un sujet que je réserve pour la discussion rai-
sonnée qui accompagnera la carte générale de l'Océanie à
laquelle je travaille en ce moment, de concert avec mon brave
et savant compagnon de voyage, M. Lotlin.
Nota. Apres avoir composé cet écrit, j'ai relu avec attention l'article
public en 1825 par M. Bory de Saint- Vincent sur Y Homme, et pour la pre-
mière fois, j'y ai vu que M. Cuvier ne reconnaissait que trois variétés dans
l'espèce humaine, auxquelles il donne les noms de caucasique ou blanche,
mongolique ou jaune , éihiopïque ou nègre. Il est assez remarquable que
douze années d'études et d'observations et près de soixante mille lieues par-
courues sur la surface du globe m'aient ramené aux opinions que ce célèbre
physiologiste avait adoptées depuis long-temps, sans que j'eusse connaissance
des écrits où il les avait consignées. Seulement si, comme l'avance M. Bory,
630 VOYAGE DE L'ASTROLABE.
M. Cuvier ne sait à laquelle des trois races rapporter les Malais, les Améri-
cains et les Papous, je ne balancerais pas un moment à rapporter les deux
premiers peuples à la race jaune et les Papous à la race noire.
J. D'URVILLE.
Paris, 2- décembre i83i
TABLE.
Pa?ps.
Chapitre XII. Traversée de Porl-Jackson à la baie Tasman, el séjour
à l'anse de l'Astrolabe. i
Chapitre XIII. Traversée de l'anse de l'Astrolabe à la baie Houa-
Houa. 44
Chapitre XIV. Traversée de la baie Houa-Houa, jusqu'au départ de la
baie Wangari. 1 1 1
Chapitre XV. Exploration de la baie Shouraki ; découverte du canal
de l'Astrolabe. i56
Chapitre XVI. Séjour dans la baie des Iles. 198
Notes. 247
Chapitre XVII. Découverte et bistoire de la Nouvelle-Z,élande. 289
Cbapitre XVIIL Description géographique de la Nouvelle-Zélande. 33i
Chapitre XIX. Des habitans de la Nouvelle-Zélande. 387
I. Rapport physique. 387
Deux races, 387. — Conformation générale, 389. — Femmes,
390. — Maladies, 391. — Longévité, 392.
II. Caractère. 392
Préventions des Européens, 392. — Moral, 395. Colère, 397.
Générosité, 399. — Intelligence, 4o3. — Affections, 404.
— Hospitalité, 407.
III. Constitution politique. 409
Rangs, 409. — Chefs, 410. — Étiquette, 4i3. — Motifs de
guerre, 41 5. — Combats, 419. — Panapati, 422. — Revue,
422. — Délits et punitions, 423.
IV. Occupations. 425
Repas, 427. — Sommeil, 428. — Astronomie, 429. — Voyages,
43o.
V. Mariage. 43 1
Décence, 43i. — Fidélité conjugale, 432. — Fiançailles, 433.
— Polygamie, 436. — Suicide, 4^9. — Couches, 441.
VI. En/ans. 441
Naissance, 441. — Baptême, 443. — Education, 444. — Adop-
tion, 4 \<i.
632 TABLE.
VII. Moko ou tatouage. 447
Opération, 448. — Signe de distinction, 449. — Effets du
moko, 452.
VIII. Esclaves. 453
Occupations, 454. — Conditions, 455.
IX. Habitations. 456
Cases, 456. — Magasins publics, 461. — Pas ou forteresses,
463.
X. Nourriture. 465
Racine de fougère, 465. — Patates, 468. — Pommes de terre ,
469. — Animaux, 470. — Oiseaux, 471- — Poissons, 470.
— Chair humaine, 475. — Boisson, 476. — Cuisine, 477.
XI. Habillement. 479
XII. Ornemens. 484
XIII. Industrie. 487
Agriculture, 488. — Pêche, 491. — Pirogues, 492. — Armes,
495. — Nattes, 499.
XIV. Musique et danse. 5oo
Instrumens, 5oo. — Chant, 5o2. — Danse, 5o5.
XV. Mesures. 5o"j
XVI. R.eligion. 5og
Atouas, 5n. — Prêtres, 520. — Médecins, 522. — Waidouas,
524.
XVII. Cérémonies et coutumes diverses. 527
Tapou, 527. — Makoutou, 54o. — Songes, 54o. — Funérailles,
54i. — Anthropophagie, 547. — Moko-mokaï , 54g. —
Sacrifices, 552. — Rakau tapou, 553. — Esclaves immolés,
553. — Accueil, 556. — Salut shongui , 558. — Noms
propres, 56i.
XVIII. Langage. 563
XIX. Numération. 567
XX. Population. 570
Chapitre XX. Productions de la Nouvelle-Zélande. 574
I. Règne minéral. 574
II. Règne animal. 585
III. Règne végétal. 5g5
Notice sur les Iles du Grand-Océan. 611
fin de la table.
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