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Full text of "Voyage de Monsieur Le Vaillant dans l'intérieur de l'Afrique : par le Cap de Bonne-Espérance, dans les années 1780, 81, 82, 83, 84 & 85"

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VOYAGE 


DE MONSIEUR LE VAILLANT 
DANS L'IN TÉRIEUR 


DÉ L'AFRIQUE, 
LUS PAR | 
LE CAP DE BONNEESPÉRANCE, 
Dans les Années 1780, 81, 82, 85, 84 6 85. 


TOME SECOND. 


MW PARIS, 


Chez Lrrov, Libraire, rue Saint-Jacques, vis-a- 
vis celle de la Parcheminerie, n°. 15. 


ME le frouve A LIEGE, 


Chez D UMOULIN, Imprimeur-Libraire, fur le grand 
Marché , vis-à-vis Neuvice ; & dans tous les Bureaux 
des Poftes de l’Allemagne & des Pays-Bas. 


MCC LEXXX, 
Av:c Approbation £ Privilège du Roi. 


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7 OYAGE 


DANS L'INTÉRIEUR 


DE L'AFRIQUE 


Me les trente-fix heures que je venois de 
pañler avec ces Gonaquois, j’avois eu le temps 
de faire des obfervations qui me devenoient uti- 

-_ les, particulièrement fur leur parler. J’avois re- 
marqué qu'ils clappent la langue comme les au- 
tres Hottentots : j’expliquerai par la fuite ce que 
c’eft que ce clappement , & la manière dont 
ils le varient. Avec un idiôme femblable , ils 
avoient cependant des finales que ni mes gens 
ni moi ne comprenions pas toujours. 

ls différoient des miens par la teinte de leur 
peau plus foncée , par leur nez moins camus, 
leur taille plus haute, mieux prononcée ; en un 
mot, par un air & des formes plus nobles. Les 
portraits de Narina & du Gonaquois , fidèlement 
copiés, peuvent donner une idée de ces difé: 
rences. à à 

Tome IT. À 


2° | VOYAGE 

Lorfqu'ils ‘abordent quelqu'un , ils préfentent 
la main, en difant Tabé (je vous falue) ! ce mot 
& cette cérémonie, qui font auffi d’ufage chez 
les Caflres , n’ont point lieu parmi les Hotten- 
tots proprement dits. 

Cette affinité d’ufages , de mœurs, & même de 
conformation , le voifinage de la grande Cañffre- 
rie, & les éclaircifflemens que j'ai recus par la 
fuite, m'ont convaincu que ces Hordes de Go- 
naquoiïs , qui tiennent également du Caffre & du 
Hottentot, ne peuvent être que le produit de 
ces deux Nations qui fe feront antérieurement 
croifées. | 

L’habillement des hommes Gonaquois , avec 
plus d’arrangement ou de fymmétrie , a la même 
forme que celui des Hottentots; mais comme 
ceux-là font d’une ftature plus élevée, ce n’eft 
point avec des peaux de Mouton, maïs de Veau, 
qu'ils fe font des manteaux. Ils les nomment 
également Kros : plufieurs d’eatr’eux portent à 
leur cou un morceau d'ivoire, ou bien un os de 
Mouton très-blanc, & cette oppoftion des deux 
couleurs fait un bon effet, & leur fied à merveille. 

Lorfque les chaleurs font excelives, les hom- 
mes fe dépouillent de tout vêtement incommode , 
& ne confervent que ce qu'ils appellent leurs 
Jakals : c’eft un morceäu de peau de l’animal 


ainfi nommé, dont ils couvrent les parties na- 


turelles, & qui tient à la ceinture. Ce voile, 
négligemment placé , n’elt qu'un vain meuble 
qui fert affez mal leur pudeur. 

Les femmes, plus coquette que les hommes, 
fe parent aufli bien davantage : elles portent 
le Kros comme eux. Le tablier qui cache leur 


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EN AFRIQUE. 3 


fexe , eft plus ample que celui des Hottentotes : 
il eft auf très - artiftement travaillé. Dans les 
chaleurs , elles ne confervent que ce tablier avec 
une peau qui defcend par-derrière depuis la cein- 
ture jufqu’ aux molets. 

Les jeunes filles au-deffous de neuf ans, vont 
abfolument nues ; arrivées à cet âge , elles por= 
tent uniquement le petit tablier. 

Je reviendrai bientôt à d’autres particularités 
qui diftinguent cette Nation; je ne Pai point 
encore quittée. 

Il étoit nuit lorfque le Hottentot que j’avois 
envoyé avec Haabas, arriva de fa horde. Il étoit 
accompagné de deux nouveaux Gonaquois, qui 
m'amenoient un Bœuf gras que leur Chef mé 
prioit d’accepter. Narina en me faïfant fouvenir 
de mes promefles , m’envoyoit une corbeille de 
lait de Chèvre : elle favoit que je l’aimois beau- 
coup. Sa fœur avoit vu les préfens qu’elle avoit 
rapportés , & regrettoit de n’être pas venue 
avec elle vifiter mon camp : elle me faifoit re- 
mercier de ceux que je lui avois envoyés par 
fa mère ; je tenois ces détails des deux meffa- 
gers de Haabas ; je reçus le Bœuf & les Mou- 
tons qu'ils me préfentèrent ; ; Je les fis régaler 
de tabac & d’eau-de-vie. L’un deux refflembloit 
à Narina; je le pris pour fon frère ; il n’étoit 
que fon coufin. Des traits pleins de douceur , 
& la taille la mieux deflinée, failoient de cet 
homme un des plus beaux Sauvages que j'euffe 
encore vus. Ce fut lui qui me donna {ur les 
Gonaquois des détails que m'avoit laiflé igno- 
rer Haabas : il m apprit qu'avant la guerre des 
Cafires , fa horde n’étoit compolée que d’une 


À ij 


4 IVe a Re 

feule famille, dont le grand-père de Narina 
avoit été le dernier Chef ; qu’à {a mort elle 
étoit reftée long-temps fans Capitaties ; Mais que, 
la guerre étant furvenue , la Horde de Haa- 
bas , qui habitoit autrefois les bords de la ri- 
vière près de fon embouchure, étoit venue fe 


joindre à la fienne pour réunir leurs forces en 


cas d'attaque de la part de l’ennemi commun; 
que , dans les commencemens, l’arrivée de Haa- 
bas avoit occañonné bien des troubles ; que la 
Horde ne vouloit point le reconnoître ; préten- 
dant qu’elle étoit mafîtreffe de fe choïfir elle- 
même un Chef, & qu’il n’étoit pas jufte que 


des nouveaux-venus fiflent la loi à une Horde 


qui avoit bien voulu les recevoir chez elle : il 
ajoutoit qu’on s’étoit livré de part & d'autre à 
de longues querelles, à quelques combats ; qu'il 
y avoit eu du fang de répandu , quelques Sau- 
vages tués, beaucoup de bleffés ; mais qu’enfin 
l'intérêt commun les ayant un jour obligés de fe 


réunir contre une incurfion fubite des Caffres , 


la conduite courageufe & prudente de Haabas, 
qui avois repouflé cette attaque, l’avoit fait una- 
nimement proclamer Chef de deux Hordes , qui, 
par les alliances, les mariages & la bonne amitié, 
actuellement n’en faifoient plus qu’une feule. 
Mon eau-de-vie commencçoit à opérer fur le 
cerveau de ces deux Gonaquois : ils étoient fi 
fort en train de jaler, qu'ils ne tarifloient point 
dans leurs récits. Il étoit une heure du matin, 
lorfque je les quittai, pour aller repofer ; je re- 
commandai à mes gens d'imiter mon exemple: 
attendu que je deftinois la journée du lende- 


main pour une grande chafle aux oifeaux, & 


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que le point du jour étoit marqué pour le départ. 

Je me mis en marche avec le foleil. Le coufin 

de Narina me demanda la permifhion de me fui- 

vre : il fe faifoit une fête | difoit-il, de me voir 

tirer mon fufl à plufieurs coups : phénomène 
qu'il ne pouvoit concevoir. | 

Je lui avois donné ma carabine à porter, parce 
qu'il pouvoit arriver, chemin faifant , que nous 
rencontraflions du gros gibier. 

La curiofité d’Amiroo (c’étoit le nom du coufin 
de Narina) ne tarda pas à être fatisfaite. A la 
portée ordinaire, nous nous approchâmes d’un 
Vautour que j'avois vu arrêté fur une pointe de 
rocher. Mon premier coup le bleffa ; comme il 
partoit , mon fecond l'abattit. Les camarades 
d’Amiroo , de retour à la Horde, lui avoient bien 
dit que je pouvois tirer plôfieurs coups de fuite ; 
mais, jugeant tout naturellement de mon arme 
par les fiennes , il ne pouvoit croire qu’on pût 
bleffer deux fois avec la même flèche décochée : 
il fut donc étrangement furpris d'entendre mon 
fecond coup, & de voir l'animal abattu. Il au- 
roit bien fouhaité , difoit-1l, pofléder une arme 
pareille , pour fe baitre avec les Cañres ; il for- 
moit ce vœu d’un air & d’un ton à me faire 
préfumer que l’homme , s’il n’eft pas le plus 
fort des animaux, en eft né le plus noble & le 
plus courageux. Il me demanda pourquoi les 
Colons n’avoient point de fufiis femblables : cette 
queftion me parut pleine de fens ; quoi qu'il en 
foit , il me fut impoflible d’y répondre. Non- 
feulement les Colons n’en poffédoient aucun en 
effet, mais même, avant mon arrivée, ils n’en 
avoient jamais vu , & dans toutes les habita- 

A ii 


6 VOYAGE 


tions éloïgnées du Cap , on parloït de mon fufil 
comme d’une merveille + une curiofité fans 
exemple. 

Au milieu de nos converfations , j’avois cru 
m'appercevoir qu’'Amiroo imaginoit qu'il m'é- 
toit poflible de tirer indéfiniment à ma volonté : 
j'en fus convaincu par la queftion embarraffante 
qu'il me fit bientôt. Un Milan pañfla fur nos té- 
tes; je lui envoyai mes deux coups, il fit feu- 
lement un crochet, & continua fa route. Ami- 
roo me demanda pourquoi Je ne tirois pas juf- 
qu'à ce que Je l’eufle tué : je n’eus d’autre ré- 
ponfe à lui faire , finon que Poifeau étoit trop 
commun, & que je ne m'en fouciois pas; que 
tant de bruit d’ailleurs pouvoit en écarter d’au- 
tres , dont j'étois plus curieux. Par ce détour 
tout mal - adroit , j'évitois de lui expliquer ce 
‘qu il étoit prudent qu’il ignorât toujours , & 
J'augmentois le crédit & l’idée de fupériorité 
qu'imprime part-tout un Blanc à toute efpèce 
de Sauvage. 

Ma chafle fut affez heureufe. Entr’autres pièces À 
je tuai un Coucou, qui, dans ce genre, for- 
mera une efpèce nouvelle entièrement Iincon- 
nue. Son plumage n’a rien de remarquable ; il 
eft prefque , par tout le corps, d’un brun noir; 
fon ramage eft compolé de plufieurs fons di- 
verfement accentués ; il fe fait entendre de fort 
loin. Comme il paffe des heures entières à chanter 
fans aucune interruption , il fe trahit lui-même, 
& appelle le chafleur. Je l’ai nommé le Criard 
dans mon Ornythologie. 

Je tuai aufli quelques Gobe-Mouches & beau- 
coup de Touracos, dont nous fîines des frical- 


E NL AGREQUE. ? 


fées bien fupérieures à celles de Pintades & de 
Perdrix , mifes à la même fauce. 

Le je de Narina me voyant abattre auf 
légèrement toutes fortes de petits oifeaux , au- 
près de lui, me pria de lui prêter mon fufil pour 
effayer fon ’adrefle : il n’étoit pas de ma politique 
de lui donner des lecons utiles, Sans chercher à 
pañler pour forcier , je voulois qu’il fe perfuadât 
par fa propre expériencé qu’il exifte une énorme 
diffance entre un Européen & un Hottentot. Je 
chargeai mon fufil , mais fans y mettre de plomb ; 
je le laiffai tirer tant qu'il voulut; il s’'impatien- 
toit de ne rien voir tomber : j’aurois chargé l’arme 
à l'ordinaire , qu'il n’eût pas été pour cela plus 
heureux ; car, dans la crainte d’avoir le viiage 
brûlé par l’amorce , il détournoit la tête en même- 
temps qu'il appuyoit fur la détente ; fa mal-adrefle 
auroit pu néanmoins le fervir : c’eft pourquoi 
J'avois préféré de ne rien donner au hafard ; 
car il eft certain que, s’il avoit tué un feul oi- 
feau , mon crédit baïifloit aufli-tôt dans fon ef- 
prit, & par fuite, dans toute {a Herde : fi lo- 
pinion ne garantifloit pas ma perfonne , elle fer- 
voit du moins mon amour-propre. 

Comme nous regagnions le camp, nous ren- 
contrâmes , à deux cents pas de nous, une troupe 
de Bubales ; j'en tuai un d’un coup de carabine-: 
cela parut bien étrange à mon compagnon. En 
fe rappellant qu’à quinze pas, il n’avoit pu, en 
plufieurs coups , abattre un miférable oifeau ; il 
mefuroit avèc étonnement la diftanceprodigieufe, 
entre le Bubale & nous. Ses réflexions l’attrif- 
toient ; il en étoit accablé. Je le confidérai avec 
attendriffement , & pris foin de le confoler. Bon 

À iv 


8 1 V0PM À Ge 

jeune- homme qui ne favois pas tout ce. qu'a de 
précieux & de touchant cette fimplicité, qui te 
faifoit fi petit devant ton femblable! Ab ! garde 
long -temps ton heureufe ignorance, puñflé - je 
être le dernier Etranger qui, d’un pas téméraire, 
ait ofé fouler tes champs, & que ta folitade ne 
foit plus profanée ! 

Nous couvrimes le Bubale de branchages ; &, 
de retour au logis, je l’envoyai chercher avec 
un Cheval. 

Pour amufer Amiroo & fon camarade, Per 
ployai le refte du jour à dépouiller mes oïfeaux ; 
je les retins pour la nuit, en leur annonçant que, 
le jour fuivant, ils me conduiroient eux-mêmes 
à leur Horde. Cette nouvelle fut le fignal d’une 
joie très-vive ; la foirée fe pafla gaîment ; nous 
primes à l'ordinaire le thé à la crême devant 
un grand feu : | J'avois fait tuer un des Moutons 
que m’avoit envoyés Haabas ; le fouper fut char- 
mant ; on danfa ; on fit de la mufique , & la 
Lyre immortelle ne fut point oubliée, J'en don- 
nai deux à mes hôtes; ils en avoient vu dans 
es mains de tous ceux de la Horde qui m'é- 
toient venu vifiter avant eux : la réputation 
de cet infirument s’étoit bientôt répandue ; ils 
mouroiïent d'envie d'en avoir, & n’avoient ofé 
m'en demander. En allant au- devant de leurs 
“défirs , j’augmentai d'autant plus la confidération 
& lPamitié qu'ils avoient pour moi. 

Lorfque l’heure du fommeil fut venue , je pré- 
vins tout mon monde fur le voyage du lende- 
main, & je recommandai à Klaas que mes deux 
Chevaux fuffent prêts à la pointe du jour. : 

À mon réveil, le camarade d’Amiroo étoit 


EX N AE f UE é) 


parti pour prévenir Haabas de la vilte que j allois 
sn rendre , dans le jour même. 

Quelle que foit l’immenfité des déferts de VA- 
frique , il ne faut pas calculer fa population par 
celle de ces effaims innombrables de noïrs qui 
fourmillent à l’'Oueft, & bordent prefque toutes 
les côtes de l’Océan, depuis les ifles Canaries, 
ou le Royaume de Maroc, jufqu'aux environs 
du Cap de Bonne- Elpérance. Il n’y a certaine- 
ment aucune proportion d’après laquelle on puifle 
établir des apperçus même hafardés. Depuis que, 
par un commerce approuvé par le plus petit nom- 
bre, en horreur au plus grand, de barbares na- 
vigateurs d'Europe ont porté ces Negres par des 
appâts déteftables à livrer leurs prifonniers, ou 
les plus foibles d’entr’eux, ils font devenus, en 
proportion de leurs befoins, des être inhumains 
.& perfides : le Chef a vendu fon fujet ; la mère 
a vendu fon “ils, & la Nature complice a fé- 
condé fes entrailles ! | 

Mais ce trafic révoltant, exécrable, eft en- 
core ignoré dans l’intérieur du Continent. Le dé- 
lert eft ftriétement le défert : ce n’eft qu’à des 
diftances éloignées qu’on y rencontre quelques 
peuplades toujours peu nombreufes, vivant des 
doux fruits dla ere , Ou du produit de leurs 
beftiaux : il faut faire une longue marche, avant 
d'arriver d’une Horde à une autre. La chaleur 
du climat, l’aridité des fables, la ftérilité de la 
terre, la difette d’eau , les montagnes décrépi- 
tes & graniteules, les animaux féroces, & plus 
que tout cela, fans doute, l'humeur un peu phieg- 
matique , & le tempérament froid du Hottentot, 
dont des obfiacles à la-réprodu@ion de l’efpèce: 


10 VOYAGE 


il eft peut-être fans exemple qu’un père ait compté 
fix enfans. 

Auffi le Pays des Gonaquois où je m'étois en- 
foncé, ne raflembloit pas trois mille têtes , fur 
une étendue de trente ou quarante lieues ; & la 
Horde de Haabas qui montoit tout au plus à 
quatre cents perfonnes , de tout âge, de tout 
fexe , pañfloit pour l’une des plus confidérables 
de la Nation. 

Ce n’étoit plus ici ces Hotteutots abâtardis 
& miférables, qui languifflent au fein des Colo- 
nies, habitans méprifables & méprifés, qui ne 
connoiilent de leur antique origine que le vain 
nom, &/ne jouiffent qu'aux dépens de leur li- 
berté d'un peu de paix qu'ils achetent bien 
cher par les travaux exceflifs des habitations , 
& le defpotifme de leurs Chefs, toujours ven- 
dus au Gouvernement! Je pouvois enfin ad- 
mirer un peule libre & brave, n’eftimant rien 
que fon indépendance, ne cédant point à des 
impullions étrangères à la Nature, & faites pour 
bleffér leur caraëtère franc, vraiment philantro- 
pique & magnanime. 

Je ne voulois point me rendre chez cette Na- 
tion refpeétäble comme un Chafleur harraflé, 
que la fatigue & la faim ont contraint de s’ar- 
rêter au premier gîte. J’avois formé le deflein 
de m'y préfenter in fiochi , dans un appareil 
impofant, & tout -à-la-fois honorable pour ce 
peuple & pour moi. 

Dès le matin, je fis une toilette entière : j'ar- 
rangeai mes cheveux. Après leur avoir donné 
une tournure diftinguée , je les furchargeai de 
poudre , comme j'aurois fait pour me rendre 


£E NO A,F R I 6 U E. IT 

dans un cercle d'élégans. Je peignis mia barbe, 
& lui fis prendre le meilleur pli pofhble. Ce 
m’étoit ni par fantailie, mi par un goût bifarre, 
que je l’avois laïffé croître pendant: un an, comme 
on l’a ridiculement débité par le m0 A 
n'étoit pas non plus, comme ces Voyageurs 
herboriftes , pafñlionnés pour la follicule & le 
féné , en punition de ce que je ne découvri- 
rois pas aflez tôt à mon gré telle plante dia- 
phorétique , ou tel infeéte inappercevable. Ma 
politique m'en avoit fait la première loi. La lon- 
gueur de ma barbe n’étoit point abandon, né- 
gligence de moi-même : la propreté Hollandoife 
la plus fcrupuleufe fait mes délices. Ce n’eft pas 
pour un Créole d'Amérique un fmple befoin 
d'habitude , c’eft une volupté. Dans mes cour- 
fes , je changeoïs de linge & de vêtemens Jjuf- 
qu'à trois fois par jour ; mais le projet de laifler 
croître ma barbe avoit été médité long -temps 
avant de partir du Cap. J'’étois inftruit des guer- 
res des Cafires avec les Colons, & que ces der. 
niers {ont en horreur aux Sauvages : je pouvois 
être rencontré des uns ou des autres. Îl étoit 
donc eflentiel, autant par mon extérieur, que 
par ma conduite & mes manières, de me don- 
ner un air abiolument étranger qui prouvât qu'il 
n’y avoit rien de commun entre les Colons & 
moi. Ce plan m'a très-bien réuffi, dans toutes les 
Hordes que j'ai parcourues, je me fuis vu tou- 
Jours, accueïill comme un être extraordinaire 
& d’une efpèce nouvelle. Un dégoût invincible 
pour le tabac & l’eau-de-vie, tant prités des 
Colons & des Sauvages, ajoutoit encore à leur 
étonnement, L'idée de cette prévention favora- 


12 Vo v A Te) 
ble, qui ne pouvoit m'échapper , mé ‘donnoit 
‘une affurance, une intrépidité même qui m'ont 
procuré de grandes Jouiffances inconnues à d’au- 
tres Voyageurs. Rien ne m'’arrêtoit : je marchois 
& me préfentois fans trouble. C’eft ainfi que j’euffe 
traver{é tout le centre d'Afrique , jufqu’en Bar- 
barie, fans la plus légére inquiétude, fi la terre 
ne s’étoit point, pour ain dire, réfufée fous 
mes pas : mais la foif & ja faim cruelle feront 
à jamais une barrière infurmontable à qui vou- 
droit tenter une entreprife aufli hardie. 

Ma barbe étoit donc ma fauvegarde effentielle ; 
mais elle me rendoit un fervice journallier non 
moins précieux. Lorfque j’étois en marche, j’a- 
vois, én la lavant, la précaution d’y laïfler 
toute l’eau qu’elle pouvoit retenir. Durant les 
chaleurs du jour, c’étoit pour mon vifage un 
rafraîchiflement qui me foulageoit beaucoup. 

Cette première partie de ma toilette achevée, 
4e m'habillai le plus proprement poflible. Parmi 
mes veftes de chaffe, j’en avois une d’un brun 
obfcur , garnie de boutons d’acier taillés à facet- 
tes : j'en fis mon habit de cérémonie. Les rayons 
du foleil tombant fur ces boutons dans tous les 
lens , devoient par leur réfraétion, jetter un 
éclat bien propre à me faire admirer par tous 
ces Sauvages. Je mis'un gilet blanc fous cette 
vefle : à défaut de bottes, je me fervis d’un 
pantalon de Nanquin; ce qui m'a toujours paru 
pour le moins aufli noble. J’avois encore, dans 

ma garde-robe une paire de fouliers à l'Euro- 
péenne ; je les chauffai, & n'oubliai point mes 
grandes boucles d'argent, par hafard fort bril- 
lantes, Je délirois ardemment un chapeau bordé 


EN AFRIQUE. 15 
&’or : il fallut s’en pañler. Mon pantalon rendant 
inutiles les boucles de caillou du Rhin de mes 
jarretières, j’en fis une agraphe avec laquelle j j’at- 
tachai fur mon:chapeau, tel qu’il étoit, un ma- 
gnifique panache de plumes d’Autruches de toute. 
leur longueur. 

Mais que j'étois ‘en peine pour l'équipage de 
mon cheval ! Il ne répondoit guères aux orne- 
mens du maître. A Îa place de cette magnifi- 
que peau de Panthère , qu'on eût trouvée. fu- 
perbe en France , & qui ne difoit rien à l'œil 
d’un Sauvage , quelle figure radieufe n’eût pas 
faite fur ma bête la plus mauvaife des houfes 
de drap rouge qui trotté régulièrement toutes 
les femaines de Paris à Poifly , tant il eft vrai 


que la rareté des objets y met fouvent tout le 
Prix, en même-temps qu elle en confiitue le 


mérite ! 

. J'avois annoncé à mon fidèle Klaas qu :] mon- . 
teroit à cheval avec moi, & qu'il me ferviroit 
d’écuyer : il s’étoit loi mère arrangé de fon 
mieux. Mais jaloux de le faire paroître avec 
diftinétion , je lui donnai une de mes vieilles 
culottes, qu'il ne mit pas fans prendre un air 
de vanité qui annoncoit en même -temps le 
plaifir que lui failoit ce cadeau , & l'importance 
qu’il recevoit de cette decocatir: 

Tout étant prêt pour le départ , je dépêchai 
deux de mes Chafleurs avec leurs fufils, pour 
prévenir la Horde de mon arrivée ; & bientôt 
moi-même , après avoir déjeûné , je mis mon poi- 
gnard à ma boutonnière, une paire de piftolets 
à ma ceinture, une autre à l’arçcon de ma elle 
avec mon fufñl à deux coups, & je montai à 


14 VOYAGE | 
cheval. Klaas en fit autant : il portoit ma ca: 
rabine , & me fuivoit conduifant quatre de mes 
chiens. IL étoit fuivi , à fon tour ,; de quatre 
Chafleurs qui efcortoient un autre de mes gens, : 
chargé de porter une caflette qui contenoit deux 
mouchoirs rouges, des anneaux de cuivre , des 
couteaux, briquets, & quelques autres préfens 
que je voulois faire à la Horde. Amiroo mar- 
choït à notre tête ; pour nous guider dans la route. 

Nous côtoyames d’abord la rivière en la re- 
montant pendant près d’une heure; après quoi, 
nous la faifant quitter, Amiroo nous conduifit 
entre deux hautes montagnes, dans une gorge 
étroite , dont la longueur & les finuofñtés n’a- 
voient guères moins de deux lieues. Au bout 
de ce défilé, revenus à cinq ou fix pas de la 
rivière, le Pays s’ouvrit devant nous , & de-là, 
me montrant du doigt une petite éminence fur 
laquelle j'appercevois un Kraal, notre guide 
im’avertit que c'étoit celui de Haabas. Nous 
n’en étions qu'à dix portées de fufil : le che- 
min avoit été plus long que je ne l’avois compté : 
nous avions employé trois grandes heures à cette 
marche. 

Lorique je ne me vis plus qu'à deux cents 
pas de la Horde, je lâchai mes deux coups, 
& j'en fis faire autant à mes quatre Chaffeurs : 
les deux autres que j'avois envoyés en avant 
répondirent à notre falut par leur décharge , & 
ce fut pour toute la Horde le fignal d’un cri de 
joic général. Je n’entremêlerai point de réflexions 
une fcène aufli touchante ; le Leéteur fenfible 
partage les douces émotions de mon ame, & 
préfère un récit tout véridique & tout fimple, 


EN ÂAFRIQUE, 15 
Je voyois tout le monde fortir des huttes, & 
{e raflembler en pelotons ; mais, à mefure que 
j’approche , les femmes, les filles &les enfans dif- 
paroiflent, & chacun rentre chez foi ; les hom- 
mes , reftés feuls, ayant leur Chef à leur tête, 
viennent à ma rencontre : mettant alors pied à 
terre : TABÉ, TABÉ, Haabas, dis-je au bon 
veillard en prenant fa main que je preflai dans 
la mienne. Îl répondit à mon falut avec toute 
l'effufion d’un cœur reconnoïffant, & touché de 
cette marque d'honneur dont il étoit le princi- 
pal objet. J’efluyai le même cérémonial de la 
part de tous les hommes, excepté que, fup- 
primant par refpeét le figne de la main, ils le 
remplacèrent par celui de la tête de bas en-haut ; 
& qu’en prononçant TABÉ, ils accompagnoient 
ce mot d’un clappement plus fenfble. 
Chacun en particulier m’examinoit avec la plus 
grande attention; Jufqu’aux moindres détails de 
_ ma toilette, tout frappoit leurs regards. Haabas 
lui-même, qui ne m'avoit vu qu’en négligé 
dans mon camp ou dans mon équipage de chañe, 
.paroifloit émerveillé de mes rares ajuftemens ; il 
me fembloit qu’il me montroit une déférence 
plus marquée, un air plus refpettueux que par 
le paié. 
- J'avois quitté mon Cheval à l’ombre d’un gros 
arbre, fous lequel on étoit venu me compli- 
menter ; je n’y reftai que quelques minutes pour 
me rafraîchir ; je me faifois une fête de contem- 
pler cette Horde intéreffante, & je m’y rendis 
elcorté de toute la troupe. A mefure que je paf- 
fois devant une des huttes qui, comme celles 
des Hottentots , n’ont qu’une ouverture fort bafle, 


16 | V 0 y A& Er 

la maîtrefile du logis qui s’étoit d’abord montrée 
pour me voir. venir de loin, fe retiroit aufi- 
tôt; de telle forte qu'obligé de me baifler à tous 
momens pour examiner l’intérieur, c’étoit pour 
moi un fpectacle très-curieux que ces: vilages 
bruns ; immobiles & collés, pour ainfi dire, à la 
muraille, dans le plus profond. de la hutte, io 
frant par-tout que des portraits à la Silhouette. 
J'aurois pu me faire écrire chez toutes ces Da- 
mes; car Je n'y avois été recu par aucune. | 

Cependant elles s’apprivoifèrent peu-à-peu, 
& je me vis à la fin entouré. On me préfenta 
du lait de tous les côtés. Narina n’étoit point 
encore du nombre des curieufes : je demaudai 
de fes nouvelles ; on courut pour la chercher ; 
elle arrivoit portant une corbeille de lait de Chè- 
vre tout chaud qu’elle vint m'offrir avec em- 
preflement. J’en bus de préférence » Autant à 
caufe des graces naturelles qu ’elle mit dans ce 
prélent, que de la propreté qu’elle avoit eue 
Pattention de donner à {on vale, que n’avoient 
point, à beaucoup près, ceux, des autres. 

Du pen toutes ces femmes, dans leur plus 
grande parure: graïflées & baighouées à frais, 
les vilages peints de cent manières différentes, 
montroient aflez tout le bruit qu’avoit fait dans 
la Horde la nouvelle de mon arrivée , & la con- 
fidération hngulière qu’elles avoient pour lPE- 
ranger. Narina s'étoit parée des préfens que 
je lui avois faits; mais ce ne fut pas fans une 
extrême {urprife que Je m’appercus qu’elle n’a- 
voit point fuivi l'étiquerte comme es camara- 
des, & qu’elle avoit fupprimé les onétions. Elle 
favoit à quel point me plailoit ce raffinement de 

coquetterie , 


EN ÀÂFRIQUE. 1> 
éoquetterie, & quoi qu’eût dû lui coûter cetté 
privation , elle fe l'étoit impolée pour me plaire. 
Elle me préfenta fa fœur qui me parut jolie ; 
mais, foit qué la prévention tm'aveuglât, foit 
que l'odeur de fes origuens m'eût rebuté, je ne 
lui trouvai point l'air agaçant de Narina, & 
ne fentis rien pour elle. 

Arrivé chez Haabas, il me montra fäi femme : 
élle n’avoit rien qui la diftinguât de autres, & 
je vis là , comme on le voit fouverit ailleurs ; 
que Madame la Commandante étoit richement 
vieille & laide : cela n’empêcha point qu’en courti- 
fan délié, je lui préfenitafle un mouchoir fouge, 
qu’elle reçut fans facon , & dont elle ceignit 
fur le champ fa tête. J’äjoutai à cette offre un 
couteau , un briquet ; mais, comme Jj'ävois eri- 
vie de connoître fon goût, & que j'étois bien- 
aife de voir une femme Sauvage dans l’eimbar- 
ras du choix pour fes ajuftemenñs , je lui mon-' 

_-trai toute ma pacotille de verroterie , là priant 
de choïfir elle-même ce qui lui plairoït davan- 
tage. Je ne jouis pas de la fatisfaétion que je 
m'étois promife ; elle fe jetta fans balancer fur 
des colliers blancs & des rouges ; les autres cou- 

+ leurs, difoit-elle , trop analogues à fa peau , ne 
faifant nul effet ; & n'étant pas de fon goût. 
J'ai toujours remarqué qu’en général, les Sau- 
Vages ne font pas grand cas du noir & du bleu. Je 
lui donnai encore du gros fil de laiton pour deux 
paires de bräcelets : cet article me parut être 
celui qu’elle eftimoit davantage. 

Ces préfens n’étoient point regardés fans envie 
de la part des autres femmes; elles levoient lés 
Mains avec extafe, & déclaroient à haute voix 

Tome IT. | | B | 


1è V,90.y.A4.@5 
dans leur admiration, que l'époufe de Haabas 
étoit la plus heureufe des femmes : & la plus 
brillante en bijoux qu’on eût jamais vue dans 
toutes les Hordes de la Nation Gonaquoife. 
Je fis enfuite diftribution du refte de la ver- 
roterie que J'avois £ apportée , & J'avoue de bonne 
foi que Je manœuvrai de facon, que les Jeunes 
& les plus iolies furent les mieux partagées. 
Je donnai aux hommes des couteaux, des bri- 
quets & des bouts de tabac : mon intention en 
yenant moi - même vifiter ceue Horde, étoit 
que toutes les familles qui la compofoient, fe fentif- 
fent de mes largefles ; & la pacotille que j'a- 
vois apportée ne laifloit pas d’être confidérable. 
Haabas me pria de la part de plufeurs vieil- 
lards impotens qui ne pouvoient fortir de leur 
loge , de le fuivre & de les aller vifiter. Je 
me prétai fans peine à fon défir ; nous entrâmes, 
dans leurs huttes. Ils étoient tous gardés par des 
enfans de huit à dix ans , chargés de leur don- 
ner leur nourriture & tous les foins qu’exige la 
caducité. Cette inftitntion refpeétable chez des 
peuples Sauvages me toucha fortement : j’en té. 
moignai toute ma fatisfaction à mon conduéteur. 
Quoique ces vieillards, pour la plupart 88 
fuflent retenus que par leur grand âge, & non 
par ces infirmités qui {ont l'appanage. ordinaire 
des peuples civils , je remarquai ayec furprife 
que leurs cheveux n’avoient point blanchi, & 
qu’à peine appercevoit-on à leur extrémité une 
légère nuance grifâtre. 
ti fus conduit, après cela, vers une hutte 
abfolument éçariée de toutes les autres ; elle 
renfermoit (quel fpeétacle !) un malheureux cou- 


EN E AE QUE 1e 
vert d’ulcètés, de la tête aux pieds. Je me baif- 
fois pour entrer; une odeur infeéte qui fortoit 
de cette hutte ie fit réculer d’horréur. Ceétte 
pauvre créature étoit Ia, gffante depuis plus d’un 
an, fans qüé pétoine ofàt Päpprocher , tant 
on craignoit Ji comimuonication de fa maladie ss 
qui pafloit pour contagieule ! Sa femme, en efét ;: 
& deux enfans venoient d'en mourir dl n'y Mot 

deux mois. On lui jettoit fa nourriture à 
heñtrée de fa loge ou plutôt de fa tombe ; car 
cé n’étoit plus un être vivant. Son état, vrai- : 
rent déplorable ; ninfpira de la pitié ; il crou- 
pifloit depüis lofg - temps dans l'ordure & fes 
déjeétions. Combien je me fentis peiné dé ne 
pouvoir par un remède efhcace , JPpARres quel- 
qe foûlaigement à fés maux! 

- J'ävois beau me fouvenir qu’à Sutinati nous 
sééubilhôné nous-mêmes IC baume de Copähu, 
& celui dé Racañir ; auf, je crois, eft le Tôli 
dela pharmacie , & qu'avec ce feul fecours nous 
guériffions facilement nos Nègres. Je n’en étois 
_pas pour cela plus avancé ; l’Afrique ne m'of- 
froit aucune des ces plantés falutaires, ou du 
rhoïns fi ellés y croient, dans quef liéu devois-je 
lés aïler chercher ? Il me vint pourtant dans 
l'éfprit un moyen ; finon de guérir entiérément 
fes douleurs ; du HORS dén fofpendre un EE 
là durée. 

* Je commeénçai par tranquillifer té efhits dé 
ces bons Saüvages, en les affurant que la ma- 
lâdie mwétoit Point contapieule ; qu'élle ne pou- 
voit fe communiquer ni par le contaët immé= 
diat du malade , bien moins encore par l'air en. 
-vifonnant.. Pour les perfuader davantage , je 


B ji 


820 Vo yYAGE 


leur dis avec fermeté qu’elle m'étoit très - cori- 
mue. Sans cette précaution, le deflein que je 
formois pour le foulagement du miférable cou- 
roit grand rifque d’avorter, une prévention in- 
vincible leur faifant craindre à tous une épidé- 
mie. Ïls m'en crurent heureufement, & promi- 
rent d’exécuter tout ce que Jj’ordonnerois. 

Je leur dis donc qu’il feroit à propos de faire 
au moribond une friétion générale avec de la 
graifle de Mouton fondue ; que.ce remède inno- 
cent reftitueroit à la peau defléchée de cet hom- 
me, un peu de foupleffle, & lui procureroit du 
moins la facilité de fe mouvoir. Je lui fis don- 
ner plufeurs nattes, en le priant de faire quel- 
ques efforts pour les pafñler fous lui. Tout foi-. 
ble qu’il étoit, il réuflit au gré de mon défr. 
Je propofai alors de lui conftruire une nouvelle 
hutte, & de l’y tranfporter. Cet avis fut recu 
avec des exclamations par tous les afftans. Pour 
ne pas donner à leur bonne volonté le temps de 
fe refroidir, mes gens & moi mîmes la main à. 
l'ouvrage, & la hutte fut bientôt achevée & en 
état de recevoir le malade. | 

J'ai toujours penfé que cet homme avoit été 
atteint du fléau deftruéteur qui empoifonne les 
fources de la vie, .& détruit le plaifir, par le 
plaifir même. Quoiqu” étrangers à ce fléau, ainfi. 
qu'aux Hottentots du Cap qui le connoiffent fi 
bien, les Gonaquois pouvoient l’avoir recu de 
proche en proche : un voyage, une fatale ren-. 
contre , fans doute , avoit caufé le malheur ce 

celui-ci. 

On le fit fortir étendu fur fes nattes. Il fut. 
porté près de fa nouvelle demeure, & l’an- 


EN AFRIQUE. 21 
cienne fut au moment même démolie! J'étois un 
Dieu bienfaifant pour ces bons Sauvages. Avec 
quel intérêt ils fuivoient l’infortuné , les yeux 
fixés tantôt fur fon fauveur , tantôt für le mal- 
heureux, pour la fanté duquel ils concevoient 
déjà beaucoup d’efpérance ; car ce doux ali- 
ment des cœurs rayonnoiït fur tous les fronts, 
& doubloit leur tendre compañflion! Avec quel 
empreflement je les voyois tous accourir , m’en- 
vironner , s’attendrir fur les fouffrances de leur 
frère , & toutes les femmes fur-tout , implorer 
les connoifflances qu’elles me fuppoñoient, afin de 
donner , sil étoit poffible , quelque relâche à fon 
fupplice , & de le rendre à la vie. 

Il n’étoit plus qu’un fquelette mal recouvert 
par une peau rétrécie & {èche, qui laïfloit voir 
à nud des parties d’os aux jambes, aux bras, aux 
“côtés & aux reins : toutes les jointures étoit dé- 
mefurément enflées, & les vers anticipant fur {a 
deftruétion , le rongeoient de toutes parts. 

Après ke friction que j'avois ordonnée, on 
Pintroduifit dans fa hutte : je le recommandai 
aux attentions & aux foins de toute la Horde, 
&je priai qu’on ne lui donnût ir du lait pour 
toute nourriture. 

Je doute fort que ces fecours ayent été fuf- 
fifans pour le réchapper. Malheureufement je 
n'étois pas plus inftruit, &, dans l'intime per- 
fuafñon que fa mort étoit inévitable , J'avois penfé 
que la hâter, auroit été le plus grand fervice 
qu’on eût pu lui rendre. Si j’ai prolongé de quel- 
ques jours {a douloureufe exiftence , le plus cruel 
de fes ennemis n’en eût pas fait davantage. 

De retour Fa demeure de Haabas, fa femme 


B iÿ 


 . "V6 Y 4 GS: 


me préfenta du lait pour me rafraîchir: on avoit 
fait tuer un Mouton pour moi & mes gens. 
_ Je fis rôtit quelques côrelettes fur des char- 
bons devant la hutte ; mais les miafimes qui m’a- 
voient fi , & le {peétacle hideux de ce ca- 
davre encore animé, ne délemparoient pas mon. 
imagination , & m'avoient Ôté l'appétit. Cepen- 
dant, dans la crainte que ces Sauvages ne pen- 
faflent que leurs mêts m’infpiroient du dégoût , 
ce qui les auroit cruellement mortifiés , je pris 
fur moi de manger un peu. De l'endroit où j'é- 
tois. affis, à travers le cercle qui m'environnoit, 
je voyois mes gens, moins délicats que leur maf- 
tre , fe régaler des morceaux qu'on leur avoit 
difiribués, & fe chHerEIT comme sil fe @e agi 
d’une nôce. 
Le dîner fini , il ne me reña que le temps 
néceffaire pour, me rendre chez moï.avant da nuit: 
ainfi, prenant congé de mes bons voifins, après 
une kyrielle de Vabé,, je remontai à cheval, 
Prefque toute la Horde me fuivoit ; mais de 
plus en plus preflé par le temps, je piquai des 
deux ; &, en moins d’une heure, Klaas & moi 
nous fômes rendus au gîte. Le refte de mon 
monde arriva beaucoup plus tard; une ving- 
taine. de Gonaquois.: tant hommes que femmes, 
que la curiofité attachoit. à leurs pas , les accom- 
| pagnoïient. Dans tout autre temps , cette. vifite 
auroit pu, me déplaire ; mais pour le moment, 
J'avois beaucoup; de provifions, &. vingt. bou- 
. ches de plus ne me dérangeoient.en aucune façon, 
On s'attend, fans doute , à retrouver encore 
au nombre Fri arrivans la heile Narina ; mais ce 
qu’on ne devine point, à coup für, & qui fur- 


EN A 6% © SU x, 24 
prendra , c’eft qu’elle garda fi bien l’incognito, 
Mate fut que le lendemain feulement que 
appris par elle-même qu'elle étoit arrivée de 
la veille, La nuit fut entiérement confacrée à 
la danfe & aux chants ; maïs ne voulant pri- 
ver perfonne d’une partie de plaifir que l’occa- 
fion feule avoit formée, je ne me permis pas 
de les interrompre. 

Un des moyens de conferver fur les Sauvages 
la fupériorité que s’arroge de plein droit le pré- 
fompteux Européen, n’eft pas, comme on pour- 
roit le croire, de les intimider, & de répandre 
par-tout la menace & l’eflroi. Ce fyfléme im- 
bécille ne fut imaginé que par un fou témé- 
raire , ou par un lâche à la tête d’une troupe 
notmbreufe , & qui profite de fa force pour im- 
pofer des loix impérieufes & dures. L’exemiple 
récent qu’en offrent nos Voyages, font une preuve 
frappante que ce n'’eft point à coups redoublés 
de tonnerre, & le fabre à la main, qu’on ap- 
ptivoife des hommes. La fin tragique d’un de 
ces navigateurs audacieux doit à jamais fervir 
d’exemple à quiconque oferoit embrafler ces fu- 
neftes maximes. Je me fuis convaincu qu'il ne 
faut point hafarder avec les peuples dé la Na- 
ture ,; des demandes qui leur coûtent trop de 
facrifices ; qu'il eft prudent de fe priver un 
peu , pour obtenir davantage ; que ce n’eft qu’à 
force de complaifance qu’on s’infinue dans leurs 
bonnes graces, & que le point capital, pour 
réuffir auprès d’eux , eft de s’en faire aimer. Avec 
ces principes , on Jugera bien que je ne crois 
point aux zangeurs d'hommes, & qu'il n’eft 
pas de Pays fi défert & fi peu connu, où je né 

B iv 


24 Vovyvacz 

me préfentaffle tranquillement & fans crainte. 
La défiance eft la feule caufe: de leur barba- 
fie, fi l’on peut appeller ainfi ce foin preffant 
d'écarter loin de nous , & même de détruire tout 
ce qui paroît-tendre à troubler notre reve ê 
notre: fûreté. 

: Je:n’avois pu dormir de toute la nuit ; je me 
EP à la pointe du jour. Quel fut mon éton: 
nement quand j’apperçus Narina! Elle avoit l'air 
plus embarraflé, plus honteux que de coutume, 
Ce fut alors feulement, comme je J'ai dit , qu’elle 
m'avoua qu’elle étoit arrivée dès la veille avec 
tous les autres. Je lui fis des reproches de s’é- 
tre ainfi cachée de moi : je la preflai de m'en 
dire la railon; malgré mes vives inflances, je 
ne pus obtenir une réponfe poñitive : {on filence 
là-deflus alla jufqu’à l’obflination. Enfin, comme 
fi elle eût craint d’avoir trop élevé fes ‘efpéran- 
ces, elle devint plus timide , à mefure qu'elle 
devinoit les foupçons que je femblois former fur 
fon compte. Cette réferve. ingénue me la fitai- 
mer davantage : le café étoit prêt Je PRFIREERI 
mon déjeûné avec elle. 

Les danfes & la joie continuèrent encore toute 
cette journée ; ; mais, le lendemain, la curiofité 
amena en détail toute la Horde dan mon camp. 
Les uns arrivoient, d’autres partoient ; on fe 
croifoit de toutes parts fur les chemins. Ce fpec- 
tacle étoit pour moi le tableau mouvant d’une 
fête de village. Je les reçus avec une égale cor- 
dialité, Je demandai des nouvelles du pauvre 
malade : on m'en donna qui me firent plaifir, 
Ji ne cefloit, me dit-on, de parler de moi avec 
les larmes de la reconnoiflance, Il étoit toujours 


EN AFRIQUE. 25 


fouffrant. Mais quel changement dans fa pofi- 
tion ! quel fonlagement ne recevoit-1l pas de 
la propreté que je lui avois procurée ! IT jouif- 
foit du moins de la confolation de voir fes ca- 
marades , & de s’entretenir avec eux. Pleins 
de confiance dans mes avis, ils ne craignoient 
‘plus d’entrer dans fa hutte, & de l’approcher. 
Leurs vifites étoient une diftraétion qui répan- 
-doit fur fes plaies un baume plus falutaire en- 
core que les plantes , & lui faïloit oublier fon 
mal, Je doute fort de fa régénération > Après 
l'état défefpéré où je l'ai vu : mais, s’il étoit 
poñible qu'il fe rétablit , je penfe que ce re- 
mède moral n’y aura pas peu contribué, Ef- 
il un fort plus cruel que de fe voir ainfi dé- 
laiffé par fes amis & par fes proches, & relé- 
gué au loin comme un cadavre abandonné dont 
Ja vue fait horreur ! Chacun me contoit tous ces 
détails à fa manière , & les accompagnoit de 
remercîmens d'autant plus emprellés , qu'ils te- 
moient davantage au malade par les liens du 
fang ou de l’amitié. 

Ce ne fut que l'après-midi du fecond jour 
que cefla la proceffion , & que ces braves Go- 
naquois prirent congé de mon camp, pour re- 
tourner tou-à-fait à leur Horde. Je ne pouvois 
trop léur recommander le malade : je léur dis 
que les foins qu’ils prendroient de lui, étoient 

- la marque d’affe&tion & d’eftime qui me flatte- 
‘ roit le plus. Je chargeai Narina, en particulier 

de lui remettre de ma part une petite provi- 
fion de tabac, Je fis, fur -tout, à cette jeune 
Sauvage , quelques nouveaux prélens, & je la 
is: partir, 


a a Via A ie 

J'avois peu fréquenté cette fille; mais l'atta- 
chement qu’elle m'avoit infpiré étoit fi naturel 
& ü fimple ; je m'étois fi bien habitué à fes 
manières ; & je trouvois tant d’analogie entre 
fon humeur & la miénne |, que je ne pouvois 
me perluader que notre connoiffance dâtât de f 
près, & qu’elle dût finir fi-tôt : je croyois l’ad- 
mirer pour la dernière fois. Gi? d'autres projets, 
d’autres foins ! 

Il eft temps d’obferver que les femmes de 
ce Pays, ne s’étoient point comportées avec 
mes gens , comme avoient fait précédemment 
celles de la rivière Gamtoos. Elles montroient 
la plus grande retenue : dès que leurs hommes 
partoient , aucune d’elles ne reftoit én-arrière. 

J'avoue que ces vifites un peu longues, un 
peu nombreufes, & trop multipliées, commen- 
coient à me déplaire. Je craignois, avec raïlon, 
qu'il n’en réfultât du défordte autour de moi, 
& que mon monde ne prît goût à ces diflipa- 
tions. Chacun déja fe relâchoit de fa befogne ; 
la chaffe les intérefloit beaucoup moins ; la danfe 
occupoit tous leurs momens. Les gens chargés 
de la conduite & de la garde de mes beftiaux 
s’y prétoient à regret, & les laïifloient fe difper- 
fer çà & là : d’autres s’étoient ablentés la nuit, &c 
n’avoient reparu qu’au jour pour fe repoler. Je 
crus qu'il étoit de ma politique de fermer les 
veux fur ces petits abus, & de ramener infen- 
fiblement tout ce monde au devoir, Les cha- 
leurs commencoient à devenir’ infupportables, 
Le foleil, après avoir repafñlé l'équateur ,‘plon- 
seoit à pic fur nous, & nous brüloit au point 
qu’il eût été très-dangereux de s’expoler au jour 


Rs E Ne BR 2 VU E 4 
dans 'lé fort de fon ardeur. Ma tente mème fe 
changeoït dans ces moômens, en une étuve dont 
J'étois obhgé:de: déferter. Que de motifs puiffans 
pour m'engager à changer d'emplacement, & à 
tranfplanter mes pénates dans un local mieux 
ombragé , fous quelque bocage épais! Mais on 
fe. rappelle le rendez - vous convenu avec mes 
Envoyés chez les Caffres. Il fe pouvoit qu’à leur 
retour, ne me trouvant point au Koks-Kraal, ils 
imaginaffent , ou qu'il m'étoit arrivé quelque 
malheur imprévu , ou que , fatigué de les at- 
tendre, j'avois prisle parti de décamper & de con- 
tinuer ma route : cette diverfion les eût jettés dans 
le plus grand embarras. De mon côté , je m'in- 
téreflois trop au fort des deux miens pour les 
abandonner , & n’aurois pas voulu, pour tous les 
oifeaux de l'Afrique , avoir à me reprocher une 
auf lâche aétion. Je me déterminai donc à refter 
jufqu’à leur arrivée , qui néceflairement ne de- 
‘voit pas tarder ; mais Je me promis bien de 
rendre tous mes gens à nos exercices. & j'en 
donnai le premier l'exemple. 

Je ne manquai plus, felon mon ancienne cou: 
tume, de confacrer une partie des foirées à la 
rédaëtion de mon Journal , & c’eft ici que je com- 
mençai à faifir enfin les différences qui diftin- 
guent un, Hottentot d’un Hottentot , & DnPriRe 
_rement les Gonaquois des autres Hordes does j'a- 
vois Jufqu’alors rencontrées. 

Le Kraal de Haabas, à quatre cents pas en- 
viron de la rivière Groot- Vis, étoit fitué fur le 
penchant d’une colline qui s’étendoit par une 
pente infenfble jufqu’au pied d’une chaîne de 
montagnes couvertes, d’une forêt de très-grands 


25 V'o y À°6:r 
arbres ; un petit ruifleau le traverfoit par le mi- 
lieu , & alloit fe perdre à la rivière. Toutes les 
huttes, au nombre à-peu-près de quarante, bi- 
ties fur un efpace de fix cents pieds quarrés, 
formoient pluiieurs demi-cercles. Elles étoient 
liées lune à l’autre par de petits parcs particu- 
liers. C’eft là que chaque famille enferme , pen- 
dant le jour, les Veaux & les Agneaux qu'ils 
ne laiflent jamais fuivre leurs mères, & qui ne. 
tettent que le matin & le‘foir, temps auquel 
les femmes traient les Vaches & les Chèvres. Il 
y avoit, outre cela, trois grands parcs bien en- 
_tourés, deftinés à contenir pendant la nuit feu- 
lement le troupeau général de la Horde 

Les huttes femblables pour la forme à celles 
des Hottentots des Colonies , portent huit à neuf 
pieds de diamètre. Files font couvertes de peaux 
de Rœuf ou de Mouton, mais plus ordinaire- 
ment de nattes. Elles n’ont qu’une feule ouver- 
ture , fort étroite & fort bañfle : c’eft au milieu 
de ce four que la famille entretient fon feu. La 
fumée épaifle qui remplit ces tanières, & qui 
n'a d'autre iffue que la porte , unie à la fétidité 
qu’elles confervent toujours , étoufferoit l’Euro- 
péen qui auroit le courage d’y refter deux mi- 
nutes. L’habitude rend tout cela fuppertable à 
ces Sauvages. À la vérité , ils n’y demeurent 
point pendant le jour ; maïs, à l'approche de la 
nuit, chacun gagne fa demeure , étend fa natte, 
la couvre d'une peau de Mouton , & sy dor- 
lotte aufli-bien que fur le duvet. Quand les nuits 
font trop fraîches\, on fe fert pour couverture 
d'une peau pareille à celle fur laquelle on cou- 
che : le Gonaquois en a toujours de rechange. 


£ ns x À ARE QU à. 26 
Dès que le jour eft venu , tous ces lits font rou- 
lés & placés dans un coin de la hutte: Si le 
temps eft pur, on les expofe à l'air .& au foleil: 
on bat l’un après l’autre tous ces meubles pour 
en faire tomber, fon pas les punaifes comme 
en Europe, mais les infeêtes & une autre ver: 
mine non moins incommode à laquelle la cha- 
leur exceffive du climat rend fort {ujets ces Sau- 
vagés, & dont ils ne font pas maîtres avec tous 
leurs foins d’arrêter la foifon. Lorfqu'ils n’ont 
point , pour l’inftant , d'occupation plus preflée, 
ils font une recherche plus exate & plus fcru- 
puleufe de cette vermine ; un coup de dent les 
délivre l’un après l’autre de ces petits animaux 
malfaifans : cette méthode eft plus facile & plus 
prompte. 1 | j 4 

Je ne fais quel Auteur seft avifé de croire 
que cet ufage étoit pour eux une reflource, une 
partie de leur nourriture, peut-être même une 
délicatefle. Rien n’eft plus faux que cette ridi- 
cule affèrtion : je peux certifier, au contraire, 
qu'ils s’acquittent de cette manière ; d’une céré- 
one pareille ; avec autant de dégoût , que nos 
femmes ou nos fervantes, la rempliflent, d’une 
autre facon, à l’égard de nos enfans. 

. J'ai avancé ; plus haut, que les Gonaquoifes 
mettent dans leur parure un air de coquette- 
rie inconnu aux Hottentotes dés Colonies. Ce- 
pendant leurs habillemens ne diffèrent point par 
Ja forme, fi ce n’eft que Îles premières les por- 
tent plus amples , & que le tablier de la pu- 
deur , qu’elles nomment Neuyp-Kros , eft plus 
large , & defcend prelque jufqu’aux genoux ; mais 
c'elt dans les ornemens ; je pourrois dire dans 


so Vo di Y AGE 


les broderies ; prodigués à ces habillemens , que 
confiftent la richefle & la magnificence dont eiles 
fe piquent ; c’eft dans. l’arrangement fur-tout de 
ce tablier, que brillent l’art & le goût de cha- 
cune d’elles. Les deffins, les compartimens , le 
mélange des couleurs, rien n'eft négligé : plus 
leurs vêtemens, en général, font chargés de grains 
de raffade, plus ils font eftimés : elles en or- 
nent même les bonnets qu’elles portent. Ils font ; 
autant qu'il eft poflible ; de peau de Zèbre , 
parce que la peau blanche de ce qüadrupède , 
tranchée par des bandes brunes où noires, donne 
du relief à leur phyfonomie ; & comme élles 
le difent très-bien, ajoute plus de piquant à leurs 
charmes. Elles font outre cela plus où moins 
fomptueufes en proportion des verroteries qu’elles: 
poffèdent, & dont elles furchargent leurs corps. 
Bracelets, ceinture . colliers . elles ne $s’épar- 
gnent rien lorfqu'’elles veulent paroître. Elles 
font des tiffus dont elles fe garniffent les jambes 
en guile de brodequins. Celles qui ne peuvent 
atteindre à ce degré de magnificence ; fe bor- 
nent , fur-tout pour les jambes , à lés ofner du 
même jonc dont elles fabriquent leurs nattes, 
ou de peaux de Bœuf coupées & arrondies à 
coup de mailler. C’eft cet ufage qui a donné 
lieu à plufeurs Voyageurs. de copier ; l’un de 
l'autre, que ces peuples s'enveloppent les bras 
& les jambes avec des inteftins fraîchement arra- 
chés du corps des animaux, & qu’ils dévorent 
ces garniturés à mefuré qu tolles tombent en pu- 
tréfaétion. Erreur groflière, & qui mérite d’é- 
tre enlevelie avec les livrés qui l’ont produite. 
Il eft peut-être arrivé qu’un Hottentot ; excédé 


E N AFRIQUE. SE 


par la faim, aura faifñi cette reffource, le feul 
moyen de fauver fes jours, & dévoré fes cour- 

roies & fes fandales; mais de ce que les hor- 
reurs d’un liegé ont contraint des hommes civi- 
lifés à fe difputer les plus vils alimens, faut-il 
conclure. que les hommes civilifés fe nourriffent 
ordinairement de pourritures & de lambeaux % 

Dans l’origine , les anneaux de cuir & les 
rofeaux dont les Hottentots entouroient leurs 
jambes , n’étoient qu’un préfervatif indifpenta- 
ble contre la piqûre des ronces , des épines, & 
la morfure des Serpens qui abondent dans ces 
contrées de l’Afrique : mais le luxe transforme 
en abus les inventions les plus utiles A ces 
peaux & à ces anneaux qui les fervoient fi bien, 
les femmes ont fubftithé la verroterie , dont la 
fragilité les préferve fi mal. C’eft ainfñ que, chez 
les Sauvages comme chez les Nations les plus 
éclairées , fe dégradent & fe corrompent à la 
longue les inflitutions les plus fages & les mieux 
<ombinées ! Le luxe des Hottentotes , tout mal 
entendu qu'il paroiffe , annonce aflez que la va- 
nité appartient & s’étend à tous les climats, & 
qu’en dépit même de la Nature, par -tout la 
femme eft toujours femme. 

L'habitude de voir des Hottentotes ne m’a 
jamais familiarié avec l’ufage où elles font de 
fe peindre la figure de mille facons différentes : 
je le trouve hideux & repouffant. Je ne fais 
quels charmes elles prétendent recevoir de ce 
barbouillage , non-feulement ridicule, mais fé- 
tide. Je donne la gravure d’une Hottentote dan: 
tout le luxe de fes plus beaux atours, & j'at- 
tefte qu'il n'y a dans ce portrait ni charge, 
wi eXagération. 


4e Voyager 

Les deux couleurs. dont elles font fur-toût 
très-grand cas, font le rouge & le noir. La pre- 
mière elt compolée avec. une terre ocreufe qui 
fe trouve dans plufieurs endroits : elles la imé- 
lent & la délayent avec de la graiffe : cette 
terre reflemble beaucoup à la brique ; ou au 
tuileau mis en poudre. Le noir n’eft autre chofe 
que de la fuie, ou du charbon de bois tendre. 
Quelques femmes fe contentent , à la vérité, 
de peindre feulement la proéminence des joues ; 
mais le général {e barbouille Ia figure par com- 
partimens fymmétriquement variés, & cette par- 
tie de la toiletté demande beaucoup de temps, 

Ces deux couleurs chéries des Hottentotes , 
font toujours parfumées avec de la poudre de 
Boughou. L’odorat d'un Européen n’en eft pas 
agréablement frappé : peut-être que celui d’on 
Hottentot ne trouveroit pas moins infupportables 
nos odeurs ; nos effences, & tous nos fachets ; 
mais du moins le Boughou a, fur notre rouge 
& nos pâtes , l’avantage de n'être point perni- 
cieux pour la peau. Ïl n’attaque ni ne délabre: 
les poitrines ; & la Hottentote , qui ne connoît ni 
lambre, m le mufc, ni le benjoin, ne connoît 
pas non plus les vapeurs, les fpañmes & la mi 
graine. 

Les hommes ñe peignent jamais leurs vifages : ; 
imaïs fouvent je les ai vus fe fervir de la pré: 
paration des deux couleurs mélangées ; pour 
peindre leur lèvre fupérieure jufqu’aux narines, 
& jouir de Pavantage d'en refpirer incefflamment 
l'odeur. Les jeunes filles accordent quelquefois: 
à leurs amans la faveur de leur en appliquer 
fous le nez; &, fur ce point, elles ont un genre 


EN AFRIQUE, es 
de coquetterie fort touchant pour le cœur den 
novice Hottentot. | | 

Qu'on fe garde bien d’inférer de ce que Jai 
dit des Hottentotes, qu’elles foient tellement adon- 
nées à leur mu. qu’elles négligent les occu- 
pations utiles & journalières , auxquelles la Na- 
ture & leurs ufages les appellent. Je n’ai en- 
tendu parler que de certains jours de fête qui 
reviennent affez rarement. Séparées de l’Europe 
par l’immenfité des mers, & des Colonies Hol- 
landoïfes par des déferts, des montagnes & des 
rochers impraticables , trop de communication 
d'un peuple à l’autre , ne les a point encore 
conduits à ces excès de notre dépravation. Loin 
de cela ; dès qu’elles jouiffent du bonheur d’é- 
tre mères , la Nature leur parle un autre lan- 
gage : elles prennent plus qu’en aucun autre 
Pays , l’efprit de leur état, & fe livrent fans 
Ps aux foins impérieux qu'il exige. 

Aufli-tôt qu'il eft né, l’enfant ne quitte point 
le dos de fa mère ; elle y fixe ce cher fardeau 
avec un tablier qui le preffe contre elle : un 
autre attaché avec des courroies fous le derrière 
de l'enfant, le foutient & l’empêche de gliffer. 
Ce fecond tablier formé , comme l’autre , de 
peau de bête, reffemble aflez à nos carnaffières 
de chaffe : on l’orne ordinairement avec des 
raflades, & voilà tout ce qui compole la layette 
du nouveau né. 

Soit que la mère aille à à l’ouvrage, foit qu’elle 
fe rende au bal, & même qu’elle y danfe, 
elle ne fe débarrafe point de fon enfant. Ce 
marmot , dont on n’apperçoit que la tête, ne 


pleure jamais, ne pouile aucun vagiffement , & 
Tome II, 


34 VOYAGE . LS D 


ee n’eft lorfqu’il éprouve le befoin de tetter. 

La mère alors le fait tourner, & l’attire de côté," 
fans qu’il foit nécelffaire qu *elle le démaillorte ; : 
mais loriqu’elle eft avancée en Âge, où qu’elle 
a eu plufeurs enfans, fans déplacer celui qu’elle 
porte, elle lui pale ‘Ja mamelle par-deflous le 
bras, ou la lui donne par-deflus l'épaule : l’en- 
fant fatisfait ceffe alors de pleurer, & la nour- 
tice continue fa danfe. 

Lorfqu’ enfin on juge qu’il eft en état de s’aider 
& de s’évertuer lui-même, on le pole à terre 
devant la hutte, À force de ramper , il fe dé- 
veloppe , &, de jour en Jour , il s’eflaye à fe tenir 
debout : une première tentative en amène une 
feconde ; il s’enhardit, & bientôt il eft affez fort 

our courir & fuivre fon père ou {a mère. 

Cette méthode fi fimple , fi naturelle, vautbien, 
à ce que je crois, celles de nos bretelles meut- 
trières ; elles écrafent & retréciffent la poitrine. 
La difproportion € entre la force des jambes & la 
pelanteur du corps qui contraint nos enfans à 
peter fur ces bretelles trop officicufes, finit fou- 
Vent par les eftropier, altère leur fanté, & les 
défigure pour le refte de leurs jours. 

Jamais , foit en Amérique, foit en Afrique , 
je n'ai rencontré de boîteux ou de boflus parmi 
les Sauvages. C’eft en Europe qu'il faut voyager 
pour en voir. 

Ce qui contribue encore à donner aux enfans 
des Sauvages cette foupleffe & cette force qui 
les diftinguent , c’eft le foin que prennent les 
tières de les frotter avec de la graïffle de Mou- 
ton. Les hommes faits ont befoin eux - mêmes 
d'uier de cette précaution > qui rend à la peau. 


LU EN AFRIQUE. as 
la flexibilité que lui ôteroient l'impétuofité des 
vents & les ardeurs du Soleil. 

Moins favorifé par les produë@tions des climats 
‘Africains, que les Caraïbes par ceux d’Améri- 
que , le Hottentot n’a pas , comme ces der- 
niers , /e Rocou, qui lui rend un fervice con. 
tinuel. Tout le monde fait que cet arbre donne 
une efpèce de fruit ou de filique, qui s’ouvre 
en deux parties, & laifle échapper une foixan- 
taine de graines, dont la pellicule eft graiffleuffe 
& rougeâtre. L’Indien qui va toujours nud, ne 
manque jamais de s’en frotter tous les matins, 
depuis les pieds jufqu’à la tête ; il fe prélerve 
au moyen de cetteonétion , des atteintes du Soleil, 
& de la piqûre des Moufquittes , & intercepte la 
tranfpiration trop abondante entre les tropiques. 

Lorfqu’une Hottentote touche au moment d’ac- 
coucher , c’eft une vieille femme de la Horde qui 
vient lui prêter un minifière officieux. Ces cou- 
ches font toujours heureufes ; on ne connoît point 
chez les Sauvages l’opération Céfarienne & de 
k Symphyle; on ne confulte point, on rn’agite 
jamais la queftion de favoir s’il faut fauver l’en- 
fant aux dépens des jours de la mère; & fi, 
par un exemple extrêmement rare , on ne pou- 
voit accorder la vie qu’à l’un des deux, cer- 
tes, d’horribles diftinctions n’ordonneroient point 
l'affaffinat d’une mère , & l’enfant ne feroit pas 
épargné. 

Je me fuis informé des Hottentots mêmes, s’il 
étoit vrai qu'une mère qui accouche de deux 
enfans à la fois, en fit périr un fur le champ. 
D'abord ce crime contre nature eft fort rare, 
& révolte ces Nations; mais il de fa fource, 

1) 


36 Voyace 

le croiroit-on ? dans l’amour le plus tendre. C'eft 
la crainte de ne.pouvoir nourrir fes jumeaux , 
& de les voir périr tous deux, qui a porté quel- 
ques mères à en facrifier un. At relte , les Go- 
naquois font exempts de ce reproche, 8 je les 
ai vus s'indigner de ma queftion. Mais de quel 
droit oferoit-on faire un crime à ces Sauvages, 
de cette précaution dont j'ai donné du moins 
un motif plaufble , lorlqu’au fein des Pays les 
plus éclairés, on voit chaque jour, malgré les 
hofpices ouverts par la bienfaïlance, des mères 
aflez dénaturées pour expofer elles-mêmes & aban- 
donner dans les rues le fruit innocent de leurs 
entrailles ? 

C'’eft donc calomnier ces peuples , que de don- 
ner commeune pratique conftante quelques attions 
barbares qu’ils défavouent & démentent fi bien 
par leur conduite : J'ai rencontré dans plus d'une 
Horde, des mères qui nourrifloient leurs jumeaux , 
& ne m’en paroïfloient pas plus embarraflées. 

Des Voyageurs cependant n’ont pas craint d’at- 
tefler l’ufage de cette barbarie : c'eft avec auf 
peu de vérité que M. Sparmann lui-même s’ex- 
prime ainfi dans fon Voyage au Cap, pag. 75 
du Tome IT, touchant le fort des enfans à la 
mamelle qui perdent leur mère. ,;, Une autre 
., coutume non moins horrible qui n’a juiqu’à 
 préfent été remarquée par perionne, mais 
dont l’exiftence chez les Hoittentots m'a été 
pleinement CERTIFIÉE, c’eft en cas de mort 

de la mère, d’enterrer vivant avec elle fon 
enfant à la mamelle. Cette année même , dans 
lendroit où j'étois alors, le fait qu’on va lire 
n'étoit arrivé, == Une Hotteniote étoit morte 


EN ÂFRIQUE. 97 
à cette ferme d’une fièvre épidémique. Les 
» autres Hottentots qui croyoient n'être pas à 
» portée d'élever l'enfant femelle qu’elle avoit 
 laiffé, ou qui ne vouloient pas s’en charger, 
» l’avoient déjà enveloppé vivant dans une peau 
» de mouton pour lenterrer avec ia défunte 
à mère. Quelques fermiers du voifinage les em- 
pêchèrent d'accomplir leur deffein ; mais l’en- 
 fant mourut dans des convulfions. Mon h6- 
à tefle qui commençoit à n'être plus jeune, me 
» dit qu’elle-même, il y avoit feize ou dix-fept 
ans, avoit trouvé dans le quartier de Swel- 
> lendam, un enfant Hottentot empaqueré dans 
> des peaux , attaché fortement à un arbre, 
… près de l’endroit où fa mère avoit été récem- 
:, ment enterrée : il reftoit encore aflez de vie 
51 à cet enfant pour le fauver ; il fut élevé par 
"les parens de Madame Rock: mais. il mourut 
+ à l’âge de huit à neuf ans. ïl rélulte de ces 
» exemples & de plufieurs autres traits que JE 
> TIENS DES CoLons, &c ”. 

Il faut d’abord conclure des paroles de ce Bo- 
tanifle , qu'il n'avoit rien vu de ce qu’il rap- 
porte, puiiqu'il déclare ici comme par-tout fon 
ouvrage, qu'il tient ces détails des Colons. Il 
les a trop fréquentés pour ignorer jufqu’où l’on 
doit compter fur leur mémoire ou leur efprit. 
C’en étoit aflez pour nous épargner beaucoup 
de fables, qu'il étoit au contraire important de 
renverfer, Ce n’eft pas fur des ouï-dire qu’on 
juge les peuples , & que l’on compare. Dans 
le récit le plus véridique , que de nuances même 
vous échappent, qui porteroient la lumière {ur 
des faits tonjogrs malinterprétés, quand on n'en 

C ii} 


38 VoyaiGEr 

a pas été le témoin oculaire. Ne fufifoit-il pas 
que la première mère dont il parle, fût morte , 
comme il le dit, d’une maladie épidémique , pour 
que les Hotténtots allarmés s’éloignaffent du cada- 
vre & de l'enfant , dans la crainte d’une con- 
tagion : motifs & préjugés affez forts chez eux 
pour les porter à tout abandonner à l’inftant, 
jufqu’aux troupeaux , leur feule richeffe. A lé- 
gard du fecond enfant trouvé dans le Canton 
_de Swellendam , les circonftances pouvotent être 
encore les mêmes; &, jufqu’à ce qu’on m'’ait 
fait voir les caufes raïfonnées de cette barba- 
rie, jen purgerai l'hiftoire du peuple le plus 
doux & le plus fenfible que je connoiïfle. Au 
refte, il y a long-temps que tous ces contes ri- 
dicules fur ces pauvres Sauvages , feroient ou- 
bliés avec les hiftoires des forciers & des reve- 
nans, s’il n’y avoit des vieilles pour les REARC 
& des enfans pour les entendre. 

‘Il femble qu’on ait pris à tâche de vilipen- 
de & de décrier la Nation Sauvage, de tout 
le globe connu la plus tranquille & la plus pa- 
tiente , tandis que , pénétrés d’eflime & de ref- 
peét pour les peuples les plus orientaux , les 
Chinois, par exemple, ont gliflé légèrement {ur 
Pufage confiant où font les mères à Pékin , 
d’expofer pendant la nuit, au milieu des rues, 
les enfans dont elles veulent fe défaire, afin 
qu’à la pointe du jour les voitures & les bêtes 
de fomme les écrafent en pañlant ; ou ne aix 
cochons les dévorent. 

Des Voyageurs en Afie nous apprennent que! 
di grands Seigneurs du Thibet vont en pélé- 
zinage à Putola , licu de la réfñidençe du Lame, 


mé 


— E N MÉRIQUE 29 


qu’ ils fe procurent des excrémens de ce Sou- 
verain Grand-Prêtre , qu’ils les portent à leurs cous 
en amulettes , & qu ne en {èment {ur leurs alimens. 

Cette cérémonie naufabonde a-t-elle rien 
de moins révoltant que celle fauflement attri- 
buéé aux Hottentots dans la célébration de leurs 
mariages ? On fuppoie à des maîtres de céré- 
monie qu’ils n’ont pas, ou bien à des Prêtres 
qu'ils connoiffent encore moins , la puiffance {ur- 

naturelle d'immerger par les canaux vrétères, 
deux futurs époux qui, profternés aux pieds de 
larrofoir , reçoivent dévotement la liqueur, & 
s’en frottent avec foin tout le corps, fans en 
perdre une goutte. L’Auteur que j'äi cité plus 
haut , incline fortement à croire ces rapfodies 
fur le fimple rapport des Colons, lortqu’il dit 
que ces bruits populaires, concernant les rites 
matrimoniaux , ne font pas dénués de fonde- 
Rent : ; mais que cette coutume ne fe pratique 
plus que dans l’intérieur des Kraals, & jamais 
en préfence des Colons. : 

Kolbe a parlé de cette cérémonie avec de 
grands détails : il l’a même expofée aux yeux 
de fes leéteurs dans une gravure , afin de lui 
donner une forte d'authenticité. D’autres igno- 
rans ont copié Kolbe, & jufqu’à la traduétion 
françoife de M. Sparmann , à laquelle on s'eft 
permis d’ajouter , pour completier le dernier vo- 
lume, je ne fais quel extrait d’un nouveau 
Syfléme géographique ; je ne connois point de 
Voyage fur l'Afrique qui ne foit entaché des 
abfurdes réveries de ce Kolbe. Ce plagiat, qui 
déshonore. l'ouvrage d'un Savant eftinfable, ne 
mérite aucune foi, On y rapporte , mot pour 

ÿ 1v 


fe. Vovracsz 


, les fonges du Voyageur fédentaire , b- 
. dy y a plus de quatre-vingts ans, non-feule- 
ment touchant les cérémonies du mariage des 
Hottentots, mais même la réception dans un 
ordre de Are , qui fe termine aufh par 
une immerfion générale des Chevaliers. C’eft 
trop m'appelantir fur ces détails ; maïs je dois 
rendre un compte non moins fidèle de ce que 
j'ai vu, que de ce que j'ai penfé. f: is 
Les Hottentotes fout fujettes, ainfi que les 
Européennes, à dés indifpofitions périodiques = 
toutes les circonftances qui les accompagnent 
font abfolument les mêmes. La femme ou fille 
Gonaquoiïfe qui s’appercoit de fon état, quitte 
auffi-tôt la hutte de fon mari ou de Îes parens, 
fe retire à quelque diftance de la Horde , n'a 
plus de communication avec eux ; fe conftruit 
une efpèce de cabane, s’il Fait floid. & s'y tient 
reclufe jufqu’à ce que, puriñée par des bains, 
elle foit en état de fe repréfenter. Comme dans 
ces circonftances , l’habillement fauvage cache 
affez mal l’état d’une femme, elle feroit eXpo- 
fée à des railleries piquantes, fi quelqu’un s’en 
appercevoit. Il n’en faudroit même pas davan- 
tage pour infpirer à l’époux qu’elle s’eft choili, 
des dégoûts qui finiroient par la plus prompte 
féparation. C’eft donc uné honte naturelle, fon- 
dée fur le fentiment de fon imperfeétion, & la 
crainte de déplaire, qui oblige une femme à 
s’éloigner pour quelques jours ; & voilà encore 
un de ces ufages qu'il eût été facile de faire 
pañler pour une cérémonie religieule, par des 
gens qui, ne l'ayant remarqué que fupcrhñcielle- 
ment , n’auroient + PAS Vi, que cette conduite 


. 


| EN ÂFRIQUE. 41 
myftérieufe en apparence, n’eft dans le fond 
qu’un acte de décence & de propreté. 

Les filles n’ont jamais de commerce avec les 
hommes, avant d’être capables d’enfanter. A 
douze. ou treize. ans , elles font nubiles; &, 
dans ce cas, fi-tôt qu’un garçon convient à fon 
cœur , elle reçoit de fes parens la permifhon 
d’habiter avec Qui. 

 Dans,un Pays où tous les individus font égaux 
en naïffant, pourvu qu'ils foient hommes, tou- 
tes les conditions néceffairement font égales , ou 
plutôt il n'y à point de conditions. Le luxe & 
la vanité qui dévorent les fortunes, & leur font 
éprouver tant de variations , {ont nuls pour les 
Sauvages. Bornés à des befoins fimples , les 
moyens par liant ils fe les procurent, n'étant 
pas excluffs , peuvent être, & font effettive- 
ment employés par tous. Ainfi toutes les com- 
binaifons de l’orgueil pour la profpérité des fa- 
milles, & l’entaflement de dix fortunes dans un 
même coffre-fort, n'y produilent aucune intri- 
gue, aucun défordre , aucuns crimes. Les parens 
n'ayant point de railons de s’oppofer aux fen- 
timens de prédile@ions qui entraînent un enfant 
vers un objet plutôt que vers un autre, tous les 
mariages affortis par une inclipation réciproque , 
ont toujours une iffue heureufe ; & , comme 
pour fe foutenir, ils n’ont d'autre loi que l’a- 
mour, ils n’ont pour fe rompre d’autre motif 
que l'indifférence. Mais ces unions formées par 
Ja fimple Nature, font plus durables qu’on ne 
penfe chez ces pafteurs , & leur amour pour 
leurs enfans rend deux époux de jour en jour 
plus néceflaires l’un à l'autre. 


42 7 VOIS 4 2700 | 

La formalité de ces mariages fe réduifant 
donc à une promefe pure & fimple , de vi- 
vre enfemble tant qu’on fe conviendra ; l'enga- 
gement pris, deux jeunes gens font tout-à-coup 
mari & femme; & certdinement cétté alliance 
ne fe folemnife point par ces afperfions ridicu- 
les & mauflades dont j’ai parlé. On tue des 
Moutons , quelquefois un Bœuf pour célébrer 
une petite fête; les parens donnent quelques 
beftiaux aux jeunes gens : ceux-ci fe conftrui- 
‘ent un logement; ils en prennett poñleflion, le 
jour même, pour y vivre enfemble, autant de 
temps que l'amour entretiendra chez eux la 
bonne intelligence : car s’il furvient, comme je 
viens de le dire, quelque différend dans le mé- 
nage qui ne puit s’appaifer que par la fépa- 
ration , elle eft bientôt prononcée : on fe quitte, 
Lila, delon côté, cherchant fortune FA 
eft libre de fe remarier. 

L'ordre exige que les effets de la commu- 
nauté foit partagés amiablemént. Mais s'il ar- 
rive que le mari, en fa qualité dé maître, pré- 
tende retenir le tout, la femme ne manque pas 
pour cela de défenfeurs & d’appui : fa famille 
prend fait & caufe pour elle ; les amis s’en mé- 
lent , quelquefois toute la Horde. Alors grande 
ruieUe à on en vient aux mets & les plus 
forts font la loi. 

La mère garde avec elle les petits enfans, 
fur-tout fi ce font des filles ; les garcons s'ils font 
grands, fuivent le père, & font prefque tou- 
Jens de fon parti. 

Ces malheurs » il faut l’attefter , font affez ra- 
res ; mails te qui n "ef pas moins digne de 1e 


E NM AFRIQUE 43 
marque , c’eft que, dans ces cas aïnfi que dans 
toutes leurs autres querelles , il n’y a aucune loi 
prévue , aucune coutume établie pour y mettre 
ordre.  I1 faut regarder comme des futilités ce 
qu’a dit Kolbe de leurs Cours de juftice, de leur 
fanière de procéder dans les affaires civiles ; du 
Confeil fupérieur de la Nation, des prifons , des 
affemblées publiques ; en un mot, de toutes ces 
inflitutions qui ne conviennent nullement au nom 
Sâüvage, puifqu’un peuple ainfi gouverné ne 
_ différeroit de nous que par fa couleur & {on climat, 

Je n’ai jamais vu, je n’ai point appris qu’une 
querelle ait fini par un meurtre; mais fi ce mal- 
heur arrivoit, & que le mort fût regretté , la fa- 
mille trèssmodérée dans fa vengeance , Îe con- 
tenteroit de la loi du Talion. Pour un crime 
auffi grave , touté la Horde pourfuivroit l’affafhin , 
& le forceroit de s’expatrier, s’il échappoiït à la 
mort. 1 ë 
: La polygamie ne répugne point aux Hotten- 
tots ; maïs il s’en faut de beaucoup qu’elle foit 
généralement établie chez eux : ils prennent au- 
tant de femmes qu’ils veulent; c’eft-à diré en 
proportion de leur tempérament : ce qui réduit 
ordinairement ce befoin à une feule. 

Maïs on ne voit pas une femme vivre en même- 
temps avec deux hommes , & la fage Nature 
qui voulut qu’un père pôût avouer fon fils, im- 
prima dans le cœur d’une Gonaquoïfe, une in- 
vincible horreur de cette infâme proftitution. Elle 
révolte ces peuples au point, qu’un mari qui au- 
Toit connoiflance de la. plus légère infidélité, 
pourroit tuer fa femme fans courir le rifque d’être 
iquiété pour cela, - cl | 


44 Voyacs 

On fent bien que cette remarque fouffte quel- 
ques exceptions, & l’on fe rappelle avec quelle 
familiarité les premiers Hottentots libres que je 
rencontral , Vinrent fe mêler parmi les miens ; 
mais plus voifins de la Colonie , l’exemple. eft 
pour eux un féduéteur bien engageant. J’avoue 
même qu'il feroit rare de voir chez ces demi- 
Sauvages, le nœud conjugal réfifter. aux follici- 
tations & aux cajoleries d’un Européen. La Hot- 
téntote, honorée par fa défaite avec un Blanc, 
me voit plus {on mari qu’avec une forte de hau- 
teur, & le quitte avec mépris : celui- ci, de ion 
côté, fe contole bientôt, & fe laifle aifément ap- 
paifer par de légers DE Clen à ; mais cette reffource 
même eft inutile : &, comme je lai déjà ob- 
fervé , par une fuite de l’altération de leurs mœurs 
primitives, ils: paroïflent peu fenfibles aux at- 
teintes de la jaloufie » & font bien loin d’éprouver 
fes fureurs. 

Le Gonaquoi eft bien moins recherché däns 
fes habillemens que la femme : on a dit que, 
pendant l’hyver, 1l mettoit fon Kros, le poil en- 
dedans, & que, pendant les chaleurs, il le re- 
tournoit. La chofe eft poflible & très indifférente. 
en elle-même ; mais cela n'empêche point que, 
pour l'été , il n’en ait un autre abfolument fans 
poil , & dont la préparation lui coûte bien des 
peines. J’ai fait remarquer que le Gonaquoi eft 
d’une ftature plus élevée que le Hottentot des 
Colonies, & que fon Kros eft fait de peau de 
veau, Il eft rare qu’une feule de ces peaux, 
fufife : on lui donne plus d’ampleur en ajou- 
tant de chaque côté une pièce qui fe coût avec 
des fils de boyaux. Cette coûture eft faite à la, 


EN AFRIQUE. - 45 
façon des cordonniers. Pour former les trous, 
le Sauvage fe 53 d’une alène de fer quand il 
peut en avoir ; à fon défaut, il en fait avec 
des os. Ceux à la jambe d’Autruche étant les 
plus durs qu l connoiïfle, font aufli ceux qu “il 
eftimé davantage. Il y a deux manières d’en- 
lever le poil d’un Kros : quand l'animal eft nou- 
vellement dépouillé , & que la peau en ëft en- 
core fraîche, on fe contente’de la rouler , le. 
poil en - dedans , & de l’oublier pendant deux 
jours. Ce temps fufit pour que la fermentation 
{oit commencée ; c’eft le moment d’arracher le 
poil qui, prefque de lui-même, quitte & fe déra- 
che facilement. On donne par le frottement une 
forte de préparation à la peau ; on la laiffe en- 
fuite, pendant un jour entier, couverte dans : 
toute fa longueur de feuilles de figuicr- Hotten- 
. tot bien macérées & triturées ; on détache , après 
cette opération , les fibres & toutes les parties 
. charnues qu’on appercçoit ; enfin, à force d’être 
. frotté , fatigué avec des graifles de Mouton, ce 
Kros acquiert tout le moëlleux & la flexibilité 
d’une étoffe tiflue, On voit que ce procédé dif- 
fère peu de ceux employés en Europe par les 
Fourreurs & les MécgifMers ; mais, quelqu’habi- 
leté que les Hottentots ayent coutume de met- 
tre dans l’art de préparer leurs fourrures & tou- 
tes leurs peaux, elles n’approcheront jamais des 
nôtres, lorfqu’elles ont pallé par les mains de 
nos Parfumeurs. 

1 Si la peau eft fèche, & qu’ ay dti où n'ayant 
point fervi, elle ait confervé tout fon poil, & 
qu'un Sauvage, à défaut d’un autre, défire s’en 
faire un Kros d'été, ce travail demande d’autres 


46 “ Vo r ass 


foins ; il devient plus minutieux & fort long. On 
fait avec une côte de Mouton une efpèce de ci- 
feau qu’il eft à propos de rendre le plus tran- 
chant poffble : cet outil qui fert à enlever le 
poil, doit fe manier avec pécaution. Il ne fuffit 
pas de raler ; rien ne feroit plus facile ; maïs il 
faut que le poil parte avec fa racine, & que, 
fans endommager le tiflu , il emmène avec lui l’é- 
iderme Cet ouvrage de patience exige infini- 
‘ment d’adrefle , & fait perdre bien du temps: 

Le Goñjqubl à je le répète, n'a d’autre vé- 
tement que fon Kros & fon Jakal ; il marche 
toujours nue tête , À moins qu'il ne pleuve ou 
qu’il n’ait froid : alors il porte un bonnet de cuir, 
Ï1 orne ordinairement fes cheveux de quelques 
grains de verroterie, ou bien il y attache quel- 
ques plumes. J’en ai rencontré qui remplaçoient 
cette décoration par de petits morceaux de cuir 
découpé : d’autres encore ayant tué nes 
petits Quadrupèdes, en enfloient la vefñe, 
fe l’attachoient comme une aïgrette au- aie 
du front. 

Tous, en général, font ufage de faniatset ils 
les fixent avec des courroies : ils ornent auf, 
mais avec moins de profufion que les femmes, 
leurs jambes & leurs bras de bracelets d'ivoire, . 
dont la blancheur les flatte infiniment , mais dont 
ils font pourtant moins de cas que des brace- 
lets de gros laiton. Ils prennent tant de foin 
de ceux-ci , & les frottent fi fouvent , qu’ils devien- 
nent très-brillans , & confervent le plus beau poli. 

Ils font adonnés à la chafñle, & ils y dé- 
ployent beaucoup  d’adreffe. Indépendamment 
des pièges qu'ils tendent au gros gibier , ils le 


EN AFRIQUE, : 47 
* guettent , l’attaquent , le tirent avec leurs fiè- 
ches empoifonnées , Ou Île tuent avec leurs fa- 

ayes. Ces deux armes font les feules dont ils 
FA fervent. L'animal qu’une flèche a touché, ne 
tarde pas à reflentir les effets du poifon qui 
lui coagule Je fang. Il eft plus d’une fois ar- 
rivé à un Eléphant ainfi bleflé, d'aller tom- 
ber à vingt ou trente lieues de l’endroit où il 
avoit reçu le coup mortel. Si-tôt que l'animal eft 
expiré, on fe contente de couper toute la par. 
tie des chairs voifiues de la plaie qu’on regarde 
comme dangereufe ; mais le refte ne fe reffent 
en aucune manière des atteintes du poifon. J'ai 
fouvent mangé de ces viandes fans avoir éprouvé 
la plus légere incommodité ; mais J'avoue que 
je n’aurois pas voulu courir les mêmes rifques 
à l'égard des animaux chez qui le poifon auroit 
(orné quelque temps. 

À la première infpeétion de leurs flèches , on 
ne foupçonneroit pas à quel point elles font 
meurtrières : elles n’ont ni la portée, ni la lon- 
gueur de celles dont lès Caraïbes font ufage en 
Amérique ; mais leur petitefle même les rend 
d'autant plus dangereufés , qu’il eft impoñible 
à l'œit de les appercevoir & de les fuivre, &. 
par conféquent de les éviter. La moindre blef- 
fure qu’elles font eft toujours mortelle, fi 14 
poifon touche le fang & la chair déchirée. Le 
remède le plus für, eft la prompte amputation 
de la partie blefée fi c’eft quelque membre; 
mais fi la plaie eft dans le corps, il faut périr. 
_ Ces flèches font faites de rofeaux . & très- 
artiftement travaillées : elles n’ont guères que 
dix - huit pouces > Ou tout au plus deux pieds 


48 | Nova 
de longueur, au-lieu que celles des Caraïbes 
portent fix pieds. On arrondit un petit os de 
trois à quatre pouces de long , & d’un diamè- 
tre moindre que celui du rofeau, On l’implante 
dans ce rofeau par l’un des bouts , mais fans 
le fixer : de cette manière , lorfque la flèche 
a pénétré dans un corps, on peut bien en re- 
tirer la baguette ; mais le petit os ne vient 
point avec elle : il refte caché dans la plaie 
d'autant plus fürement, qu’il eft encore armé 
d’un petit crochet de fer placé fur fon côté, 
de façon que, par {a réfiftance, & les nouvel- 
les déchirures qu’il fait dans l’intérieur, il rend 
inutiles tous les moyens que l’art voudroit ima- 
giner pour le faire fortir. C’eft ce même os 
qu’on énduit d’un poifon qui a la fermeté du 
maftic, & à la pointe duquel on ajoute  fou- 
vent encore un petit fer triangulaire & bien 
acéré, qui rend l'arme encore plus terrible. 
Chaque Peuplade a fa méthode pour com- 
poler fes poifons , fuivant les diverles plantes 
laiteufes qui croiffent à fa portée : on les ex- 
prime du fuc de ces plantes dangereufes. Cer- 
taines efpèces de Serpens en fourniflent auf; 
& pour l’aétivité, ce font celles que les Sau- 
vages recherchent, & préfèrent fur-tout dans 
leurs expéditions & leurs combats. Il n’eft guè- 
res pollible de leur arracher des éclairciffemens 
certains {ur la préparation du venin extrait des 
Serpens : c’eft un fecret qu’ils fe réfervent obf- 
tinément. Tout ce qu’on peut aflurer, c’eft que 
l'effet en eft très-prompt, & je n’ai pas manqué 
d’occafions d’en faire l'expérience. J'inclinerois 
pourtant Re qu’en vieillifant, ce poifon 
perd 


EN: À ER :IQIUE. 49 
perd beaucoup de fa force, malgré l'épreuve 
qui en a été faite: au Jardin du Roi, & dont 
on garantit le fuccès. Mais tous ces “poifons 
comme je le dis, ne fe reffemblent point. Ce- 
Jui qu'avoit rapporté M. de la Condamine , à fon 
retour du Pérou, ne fait pas loi pour l'Afrique. 
Au refte, c’eft une expérience qu’il feroit fa- 
cile de répéter publiquement fous les yeux de 
plufñeurs Savans, puifque je poflède dans mon 
cabinet, entr’autres armes, un carquois garni de 
fes flèches | que j'ai eu le bonheur d’enléver à un 
Hottentot Bofis , dans une aëtion où je n’ai 
fauvé mes jours qu'aux dépens des fiens. Je 
raconterai ceite hiftoire en fon temps. | 

Les arcs font proportionnés aux fièches | & 
n'ont que deux pieds & demi, ou tout au plus 
trois de hauteur : la corde en ft faite avec des 
boyaux. 

La fagaye ef D lisctuéne une arme bien 
foible dans la main d’un Hottentot ; mais, en 
outre, {a longueur la rend peu dangereufe. 
Comme on la voit fendre l’air, il eft aifé de 
éviter. D'ailleurs, au - delà de quarante pas, 
celui qui la lance n’eft plus für de fon coup , 
quoiqu’on puille l’envoyer beaucoup plus loin. 
C’eft dans la mêlée feulement qu’elle peut être 
de quelqu’utilité. Elle a ia forme d’une lance 
comme la fagaye de tous les Pays : mais def- 
tinée à être jettée à l’ennemi ou au gibier, le 
bois de celle d'Afrique ft plus léger, plus foi- 
ble ,. & va toujours en diminuant. d’épaifleur 
jufqu’à l'extrémité oppofée au fer. 

L’ufage de cette arme eft mal entendu ; car 
le guerrier qui s’en fert avec le plus d’adreffe 2 

Tome IT, | 


BO VoyaAGE 

eft auffi le plutôt défarmé. Les Gonaquois, & 
tous les autres Hottentots, n’en portent jamais 
qu’une ; & l’embarras qu’en général elle leur 
caufe , ainfi que le mauvais parti qu’ils en ti- 
rent , fait aflez connoître qu’elle n’eft pas leur 
défenfe favorite : d’où l’on peut conclure que 
Farc & fes flèches font l’arme naturelle &' pro- 
pre du Hottentot. J’en ai vu quelques-uns plus 
habiles à lancer la fagaye ; ; mais le plus grand 
nombre n’y entend rien. Il n’en eft pas ainf 
des Cafffes qui n’ont point d’autres armes ; j'en 
vais parler inceffamment. 

T'els font donc les reffources ssplo yes. } pour 
J'attaque & pour la défenfe , par quelques-unes 
des Nations Sauvages de l’Afrique : l’Européen 
s’en indignera peut-être ; & les taxera d’atrocité ; 
mais l'Européen oublie qu'avant qu'il employât 
ces foudres terribles qui font en un moment tant 
de ruines & de vaftes tombeaux , il n’avoit d’au- 
tres armes que Île fer, & connoïfloit également 
les moyens d'envoyer un double — à l’en- 
nent. 

Le Hottentot ne fe dote pas des premiers 
élémens de l'Agriculture ; ; jamais il ne fème ni 
ne plante ; jamais il ne fait de récolte : tout ce 
qu’a dit Kolbe de fa manière de travailler la 
terre , de recueillir les grains, de compofer le 
beurre , regarde uniquement les Colons & les 
: Hottentots à leurs gages, Les Sauvages boivent 
leur lait comme la Nature le leur donne : s'ils 
prenoient goût à l’Agriculture, ce feroit cer- 
tainement par le tabac & par la vigne qu'ils 
commenceroient ; car fumer & boire, eft pour 
eux le plaifir dominant, & tous , jeumes ou vieux, 


BN' AFRIQUE. 81 


femmes ou filles, portent à ces deux ques une 
ardeur exceflive. 

Ils font , quand ils veulent s’en doboëk la peine, 
une liqueur enivrante , compolée de miel & d’une 
racine qu'ils laïflent fermenter dans une certaine 
quantité d’eau. C’eft une forte d’hydromel : cette 
liqueur n’eft point leur boiflon ordinaire ; jamais 
ils n’en confervent en provifon; ils boivent 
tout d’un coup ce qu'ils en ont : c’eft un ré- 
gal qu’ils fe procurent de temps en temps. 

Ils fument une plante qu’ils nomment Dagha, 

& non Daka, comme l'ont écrit quelques Au- 
teurs. Cette: plante n’eft point indigène : c’eft le 
chenevis ou chanvre d'Europe. Quelques Colons 
en cultivent ; & lorfqu’ils en ont féché les feuil- 
les, ils les vendent fort cher aux Hottentots, 
& leur échangent contre des Bœufs. Il-y a des 
Sauvages qui préfèrent ces feuilles à celles du 
tabac ; mais le plus grand nombre mêlent vo- 
lontiers les deux enfemble. 
. Ts eftiment moins les pipes qui arrivent d’Eu- 
rope , que celles qu’ils fe fabriquent eux-mêmes : 
les premières leur femblent trop petites. Ils em- 
ployent du Bambou , de la terre cuite, ou de 
la pierre tendre, qu’ils taillent & creufent très- 
profondément fans les endommager. Ils font en 
forte qu’elles ayent beaucoup de capacité. Plus 
elles peuvent recevoir de tabac, plus ils les 
eftiment. Jen ai vu dont le canal par lequel 
ils afpiroient la fumée, avoit plus d’un pouce . 
de diamètre intérieur. 

On nevoit point chez les Gonaquois , des hom- 
mes qui s’'adonnent particuliérement à un gente 
de travail, Four fervir les fantaifies des. autres, 

D ij 


52 ; UV)9 v' A GRMI 


La femme qui veut repofer plus mollement, 
fait elle-même fes nattes ; le befoin d’un vête- 
ment produit un tailleur ; le Chaffleur qui défire 
des armes füres, ne compte que fur celles qu'il 
fe forgera lui- même: un amant enfin, eft lefeul 
architeéte de la Cutiee qui va rot à l'abri 
les charmes de fa compagne. 

J'avoue qu'il feroit difñcile de ne pastrouver 
chez d’autres Nations plus d'intelligence & plus 
d'art. Les feuls meubles en ufage dans le Pays 
que je décris, font une forte de poterie très- 
fragile & peu variée. Rarement les Gonaquois 
font-ils bouillit leurs viandes : ils les préfèrent 
rôties ou grillées. Leur poterie eft principale- 
ment deftinée à fondre les graifles, qu’ils con- 
fervent enfuite dans des calebafles, des facs de 
peau de Mouton, ou dans des veflies. 

Quoiqu'’ils élèvent en Moutons & en Bœufs, 
des beftiaux innombrables, il eft rare qu’ils tuent 
de ceux-ci, à moins qu'ils ne leur arrive quel- 
qu’accident, ou que la vieilleffe ne les ait mis 
hors de fervice. Leur principale nourriture eft 
donc le lait que donnent leurs Vaches & leurs 
Brebis. Ils ont , en outre , les produits de leurs 
chafles, &, de temps en temps, ils égorgent un 
Mouton. Pour engraifler ces animaux, ils font 
ufage d’un procédé , qui, pour ne fe point pra- 
tiquer en Europe, n’en opère pas moins d'effet, 
& à de particulier l’avantage de n’exiger aucun 
foin. Ils fe. contentent d’écrafer entre deux pier- 
res plates la partie que nous leur retranchons: 
ainfi comprimée , elle acquiert avec le temps, 
un volume prodigieux, & devient un mêts très- 
délicat, quand on a réfolu de facrifier l'animal: 


EN AFRIQUE. 5% 

* L’ufage d'élever des Bœuïs pour la guerre ne 
fe pratique point dans cette partie de l'Afrique. 
Je n’ai vu nulle trace d’une pareille coutume dans 
tous les lieux que j’ai parcourus jufqu’à ce mo- 
ment ; elle eft particulière aux grands Namaquois : 
J'en parlerai lorfque je vifiterai ces peuples. Les 
feuls que les Hottentots inftruifent, ne leur fer- 
vent qu’à tran{porter les bagages lorfqu’ils aban. 
donnent un endroit pour ailer s'établir dans un 
autre : le refte eft deftiné aux échanges. 

- Il faut que les Bœufs dont ils veulent faire 
as bêtes de fomme, foient  maniés & flylés de 
bonne heure à cette befogne : autrement ils de- 
viendroient abfolument indociles, & fe refufe- 
roient à cette efpece de fervice. Ainfr, lorfque 
l'animal. eft: jeune encore, on perce la cloifon 
qui fépare les: deux narines; on y pañle un bâ- 
ton de huit à dix pouces de longueur, fur un 
pouce à-peu-près de diamètre. Pour fixer ce 
bâton, &.lempêcher de fortir de cet anneau 
mobile , une:courroie, attachée aux deux bouts, 
Paflujétit. On lui laiffe jufqu’à la mort ce frein 
qui fert à l’arrêter & à le contenir. Lorfque ce 
Bœuf a pris toutes fes forces ou à-peu-près, on 
commence pat l’habituer à une fangle de cuir, 
_ que de temps, en temps on refflerre plus forte- 
ment fans qu’il en foit incommodé : on l'amène 
au point ,que tout autre animal envers qui l’on 
p’auroit pas pris les mêmes précautions, feroit 
à linftant étouffé, & périroit fur la place, On 
charge le jeune élève de quelques fardeaux lé- 
gers, comme des, peaux, des nattes, &c. C’eft 
ainfi qu’en augmentant la charge infenfiblement 
& par degrés, on parvient à lui faire porter, & 


D ii 


g4 Voyacesz 

à fixer fur fon dos jufqu’à trois cents livres pe- 
fant & plus, quine le gênent aucunement lorf- 
qu'on le met en marche. 

La manière de charger un Pœuf ft st fimple. 
Un homme , en fe mettant au-devant de lui, tient 
la courroie “atrichée au petit bâton qui travrefs: 
fes narines : l'animal le plus furieux, arrêté de 
cette facon, feroit tranquille. On couvre fon dos 
de quelques Peaux pour évitér de le bleffer : puis , 
à mefure qu’on y ajoute les effets deftinés pour 
fa charge, deux Hottentots robuftes, placés à 
chacun des côtés, les rangent & les aflurent en 
paflant fous le ventre, & rameuant fur ces ef- 
féts une forte fangle de cuir. Elle a quelquefois 
jufqu’à vingt aunes & plus de longueur. Pour 
la ferrer plus étroitement, à chaque révolution 
qu’elle fait autour des effets & du ventre de l’a- 
nimal, ces deux hommes appuyent le pied ou 
le genou contre fes flancs, & certes on ne voit 
pas avec moins d’étonnement que de peine, la 
pauvre bête, dont le ventre fe réduit à plus de 
moitié de fon volume ordinaire ; endurer ce 
fupplice, & marcher tranquillement. Souvent 
aufli le Bœuf fert dé monture au Hottentot qui 
ne connoît point le Cheval; & dans les Colo- 
nies même ; les Habitans fé fervent quelque- 
fois. Le mouvement du Bœufeft très- doux, fur- 
tout quand il trotte ; & j'en ai vu qui, dreflés 
particuliérement à l'équitation , ne le cédoient 
point pour la viteflé au cheval le plus lefte. 

L’aétion de traire les Breois & les Vaches 
appartient aux femmes. Comme on ne les tour- 
mente Jamais, elles font d’une docilité furpre- 
nante : a n hé point néceffaire de les attacuer. 


EN AFRIQUE. ss 


Ï1 faut obferver qu’en Afrique, une Vache ne 
donne plus de lait, lorfque. , par le fevrage ou 
la mort, elle eft privée de fon Veau. On évite 
avec grand foin ce malheur , qui rendroit la 
mère inutile, & diminueroit la plus chère ref- 
fource de ces Sauvages. L’inftiné@t qui porte 
une Vache àretenir fon lait jufqu’à ce que fon 
Veau l'ait tettée, n’eft pas moins digne de fixer 
V’attention ; mais dans ces occafions, les Hotten- 
tots ont une méthode facile & généralement ré- 
| pandue , toute dézoûtante qu’elle foit. Tandis 
qu’une femme eft en pofture, & tient le pis de 
la Vache, une autre fouffle avec violence dans 
le vagin de la bête : fon ventre alors s’enfle 
démefurément ; elle ne peut plus retenir fon 
lait, & le laiffe échapper avec, profufion. 

S'il arrive que le Veau périfle, on en con- 
ferve. foigneufement la peau, & c’eft avec beau- 
coup d’adreffe qu’on trompe l’'inftinét naïf de 
la Nature : on en habille un autre Veau. Séduite 
par cet artifice, la mère continue de donner 
du lait; mais il eft rare que ce moyen réuflifle 
au- sn d’un mois ;:c’eft une perte réelle pour 
le propriétaire ; car, Jorfque le Veau ne meurt 
pas, la Vache ne tarit qu'environ fix femaines 
avant de mettre bas une autre fois. 

L'elpèce de Vaches Africaines eft abfolument 
la même. & ne diffère point de celle d'Europe. 
Suivant Le divers Cantons, bons ou mauvais, 
elles font plus ou moins groffes. En général, 
elles donnent peu de lait : cellés qui peuvent 
en donner trois ou quatre pintes par jour, font 
des phénomènes extraordinaires. Il paroît que le 
laitage, ce doux préfent de la Nature, devient 

D iv 


56 Voyacs 


plus rare, & tarit prefque tout-à-fait à mefure 
qu’on approche des Pays les plus chauds. Je me 
fouviens qu'à Surinam, très-peu loin de la Li- 
gne, On tenoit pour une CAT merveilleufe celle 
qui fourniflüit une ou deux chopinés pär jour: 
ce qui ajoute encoré à mon aflertion, c’eft qu'au 
Cap même, dans la faifon des pluies où l’ath- 
molphère eft plus rafraichi, on en obtient da- 
vantage, &'le contraire a lieu quand les cha- 
leurs fe rapprochent : c’eft alors aufli que com- 
mence la faïfon la plus dangereufe pour ces 
animaux, & qu “ils font fujets x quatre maladies 
meurtrières qui font dans 1eurs troupeaux de 
éruels dégâts. nt 
_ La première, nommée au Cap Lam-Sikte, ‘ef 
une véritable paralyfie ‘qui furvient tout or 
coup ; & quoique gros & gras, & dans lapparence 
de la meilleure fanté , ces animaux font contraints 
de refter couchés, ë périffent ordinairement en 
quinze jours. Auff-tôt que la maladie fe décla- 
re, on dépayfe ceux qui font encore fur’ “pied: 
comme il n’eft point de remède à ce fléau, on 
fe hâte de tuer tout ce qu'il Attaque ke datant 
plus volontiers, que les Colons n’éprouvent nulle 
répugnance à manger ces viandes mal-faines. Ils 
ne font pas fur-tout difficulté d’en noufrir leurs 
Efclaves & les Hottentots, encore moins délicats. 

Une autre maladie, lé: Tong - Sikre, ‘ef un 
gonflement prodigieux és la langue qui remplit 
alors toute la capacité de la bouche & du gofier: 
l'animal eft à tout moment fur le point d'étouffer. 
/Ce mai eft plus terrible que lPautre par fes fuites : 
il a cependant fon remède; mais on le corinoît 
f peu, ou bien on l'adminifire f mal, qu'il n°0 


EN AFRIQUE. 57 


père aucun bon fuccès : c’eft encore le cas de 
tuer ceux du fort defquels on défefpère, afin du 
moins d’en conferver la viande & jes peaux. 

Le Klauw. Sikfe attaque le pied du Bœuf, le 
fie prodigieufement enfler, & produit fouvent 
Ja fuppuration. : Le fabot fe détache, & ne tient 
preique plus au pied. Lorfque l'animal marche 
& qu’on le voit par- derrière, on croiroit qu’il 
porte des pantoufles, On imagine bien qu’on fe. 
garde dans un pareil état de le déplacer : on le 
faille fe repofer tant que le mal dure : c’eft une 
incommodité peu dangereufe, & qui finit kr 
naïrement dans la quinzaine. 

Il n’en eft pas ainf du Spong-Sikte parmi les 
bêtes à cornes ; fléau terrible & très-allarmant 
même pour les troupeaux des Hordes. Cette 
pete n'épargne rien, &'caufe de prompts rava- 
ges. Heureux célui qui ne perd que la moitié 
de fon troupeau ! C’eft une efpèce de ladrérie 
qui fe communique dans un infiant. Les animaux 
qui en font atteints ont les chairs bourfoufflées:, 
fpongieufcs & livides : on diroit’ qu’elles {bat 
meurtries, & qu’elles fe décomipofent. Ellés fe’ 
rempliflent d’une humeur roufiâtre, vifqueufe, 
& portent un dégoût qui écarte jafau” aux Chiens. 
Sur le premier foupcon des premiers fymptômes: 
de cette pefte, fi l’on n’a pris foit d’écartér au: 
loin les animaux qui en {ont point éncore at- 
taqués, il n’y a ni force ni fanté ka putiône 
le'enärahtin : : HSULINRON LSINT L 

‘Telles font les nHéiale atddies* qui, par 
leurs ravages périodiques, établiffent entre’ la 
multiplication & la mortalité des béftianx d’Afri- 
que, une balance qui s’oppofe à Iür'profpérité ” 


58 Ve. Y ar 


& fans laquelle ces peuples palteurs , très-fobres 
dans leur confommation, deviendroient riches 
& puiflans. 

Les Moutons que les a élèvent dans 
Ja partie de l’Eft, font de l’efpèce connue fous 
le nom de Moutons du Cap. La groffeur de leur 
queue leur a donné de la réputation : mais de 
combien ne la-t-on pas exagérée! Son poids or- 
dinaire n’eft que de,quatre ou cinq livres. Pendant 
un de mes féjours à la Ville, on promenoit, de 
maifon en maïfon, un de ces animaux comme 
une chofe mervsilleute , & fa queue cependant, 
quoiqu’elle fût admirée, ne peloit pas plus de 
neuf livres & demi. Ce n'’eft abfolument..qu'’un 
morceau de graïfle, qui a cela de particulier, qu’é- 
tant fondue , elle n’acquiert point la confiftance 
des autres graifles de l’animal. C’eft une efpèce 

d'huile figée à laquelle les Hottentots donnent 
la préférence pour leurs on@ions, & pour fe 
boughouer. Les Colons l’employent auffi aux fritu- 
res : amalgamée avec d’autres fubftances graif- 
feufes, elle.fe durcit comme le beurre, & le 
remplace, fur-tout dans les Cantons de la Co-, 
logie trop arides pour qu’on y puille élever des 
Vaches : auffi, dans les Pays gras, la nomme- 
t-on par plaifanterie & par dérifon., le beurre de 
tel endroit, au Cap, par exe plie ; beurre de 
Sont Li Canton fec où le laitage eft très-rare. 

: I] n’y a que les Chèvres auxquelles les terreins 
miles & brûlés conviennent : elles y font tou- 
jours d’une très-belle efpèce. Leur taille varie 
fuivant les divers Cantons; mais par-tout elles 
font généralement bonnes, & donnent tout.au- 
tant de lait que les Vaches. Elles mettent bas 


E Nu À E & EL QU 59 
deux fois par an comme les Brebis : celles - ci font 
prefque toujours deux petits à la fois, & les Chè- 
vres trois, aflez fouvent quatre. 

Les Hottentots ne connoiffent point le Cochdn : 6 
les Colons Européens même dédaignent de l'é- 
lever. J’en ai vu cependant dans quelques Can- 
tons particuliers : on les laïfle multiplier, & vi- 
vre en liberté. Pour les prendre, il faut les 
PARA; & les tirer à coups de fufil. 

On n'eftime point la volaille chez les Hot- 
tentots : : ils ne pourroient pas même en élever, 
quand ils le voudroient . puifque, ne femant 
fien , 1ls ne recueillent aucune eipèce de graine. 

Les racines dont ils font plus particuliérement 
ufage ; fe réduifent à un très-petit nombre : ja- 
mais ils ne.les font cuire ; ils les trouvent bon- 
nes mangées crues, &c rent m'a convaincu 
da ils n’ont pas torts 55 hs 

Celle. à Jaquelle je donnois la préférence, 
connûe fous-le nom Hottentot Kamero ; eft de 
la forme d’un radis, grofle comme un melon , 
& d’une faveur agréable & douce , merveilleufe 
{ur - tout pour étancher la foif. Quelle admira- 
ble. précaution dela Nature dans un Pays brûlant, 
où lon périroit à chaque pas, & qui n'offre 
point dans de certaines {aifons, une feule fource 
où l’on puiffe efpérer de fe défaltérer ! Quoi- 
qu’aflez commune , cette racine ne fe ‘trouve 
pasifacilement:, parce que, dans le temps de fa 
maturité parfaite , fes feuilles flétries & fanées 
fe détachent, & que, pour fe la procurer, il 
faut prefque d'avoir remarquée d'avance. Mais, 
avec un peu d'habitude du ‘Pays, on apprend 
à connoître les, places où elle eroït de préférence. 


6o VoraAgcmsr 


Lorfque brûlé par la chaleur & les fatigues 
du JORE + ‘la bouche & le gofer defféchés, cou- 
vert de lueur , de pouflière, haletant, privé 
d'ombre ; & n'en pouvant plus, je foupirois 
après la plus infecte des mares, &. bornoïs là 
tous mes voeux ; lorfque mes vainesæecherches 
& lopiniâtre aidiéé du fol m’avoient enfin Ôté 
toute elpérance , combien je me: félicitois_ alors 
d’une précaution que plus d’un élégant Midas, 
Tur des récits publiés fans mon aveu, a tournée 
en ‘ridicule, auf -bien que mon :Côq , parce 
 qu’entr’autres balourdifes, par exemple, trou- 
vant toujours de l’eau. à la Seine , il conçoit dif: 
ficilement pourquoi cètte rivière ne s’étend pas 
juiqu'aux déferts d'Afrique, & borne fon cours 
à une mince portion d’une très-mince partie de 
la terre, & comment peut-on jamais périr de 
foif & de faim, quand les marchés de la Capi- 
tale font garnis de toutes parts, &:regorgent de 
mille provifions différentes? Combien , dis-je, 
je me félicitois de pofléder dans mes animaux 
domeftiques, les plus inutiles en apparence, d’auffi 
bons furveillans, & dés amis’ fi néceffaires à 
ma confervation! Dans ces momèens de scxife, 
mon fidèle Keès ne quittoit point mes pas; nous 
nous écartions un moment de nos voitures. L’a- 
dreflé de fon inftin&@ l'avoit bientôt conduit à 
quelqu’une de ces plantes ; la toufferqui n’exif- 
toit plus, rendoit fes cabrioles inutiles. Alors 
fes mains labouroient la’ terre; l’attente eût mal 
répondu à fon impatiente avidité ; mais, avec 
mon poignard ou mon couteau ,'je venois à fon 
fecours, & nous partagions loy shement Ne fruit 
précieux qu'il m’avoit: découvert, : °110 f 


E N À FRI Q'U E. Gt 


Deux autres racines de la groffeur du doigt, 
mais fort longues, me procu-oient un égal fou- 
Jagement. Elles étoient douces & tendres, un 
léger parfum de Fenouil: & d’Anis me les fai- 
{oit mir préférer, lorfque j'avois le bonheur 

d'en découvrir. On en trouve dans les. Colo- 

nies : elles y font connues, l’une {oùs le nom 
d’Anys-Wortel, Fonte op haies si Finkele 
Wortel. 

Ih croît dans les cantons pierreux . y ‘une. he 
pèce de pomme de terre que les Sauvages nom- 
ment Kaa-Nap. Sa figure eft irrégulière : elle 
contient un fuc laitéux d’une grande douceur; 

- on fuce uniquement cette efpèce de pulpe, pour 
en extraire & en favourer le lait. J'ai effayé de la 
faire. cuire ; elle valoit beaucoup moins , ainf 
que toutes les autres, attendu la trop prompte 

 décompoftion de la fubftance délicate qui s’é- 
vapore , fe dénature, & ne laife d un: rene 
pe infipide. 

Quelques autres racines cuites fous la pires 
à la manière des châtaignes, en A PURRIANE 
no HREES pour le goût. 

Les fruits fauvages fe dede à un très- 
petit nombre Je n’ai jamais iencontré que des 
arbriffeaux , dont les baies, plus ou moins mau- 
vaifes, ne peuvent guères tenter que des en- 
fans. C’eft ainfi que les nôtres, dans le fond des 

campagnes, fe font un doux régal de tout ce : 
que produifent nos haies fur les chemins. Il eft 
de ces fruits fauvages qui ont la vertu de purger: ; 
& ne fervent qu'à cela. 

Quoiqu’étranger à plus d’une partie intéref- 
fante de l'Hiftoire naturelle . Je me ferois :cru 


- 


62 | Voyase | 
bien répréhenfble de négliger, dans un climat 
fi lointain . dans des contrées qu'on n’a jamais 
parcourues , la plus foible occafñon d'étudier tous 
les objets nouveaux dont je me voyois fans : 
cefle environné. J'avoue que, fans aucune tein- 
ture de Ja Botanique , je n’ai point négligé ce- 
pendant de me livrer à quelques recherches re- 
Hatives à cette Science , qui, pour ne rien dire 
à l’efprit, à ne porter aucun fentiment à l’a- 
me,.n’en a pas moins pour but la bienfaifance & 
le défir d’être utile aux hommes. Lorfque je trou- 
vois quelques plantes bulbeufes ,: quelques ar- 
buftes dont les fleurs ou les fruits attiroient mes 
regards, J'avois grand foin de m’en emparer : 
j'en amañlois jufqu’aux graines ; j'étois même par. 
venu, dans mes divers campemens, à compa- 
rer, à faifir des rapports; cette étude étoit pour 
moi une agréable récréation, un moyen de plus 
de varier mes loifirs. Dans un de mes retours 
à la Ville, j’avois fait, en ce genre, une col- 
leétion affez précieule que M. Percheron, Agent 
de France au Cap, avoit adreflée de ma part 
pour le jardin du Roi, à cette famille recom- 
mandable , dont je n’ofe citer le nom, mais que 
Ja Nature en lui révélant fes doux fecrets, & 
lui confiant le foin particulier de fes tréfors ca- 
chés, place au rang de fes plus chers favoris. 
Ces plantes ne font point parvenues à leur def- 
tination. Je tiens de la bouche de l’Agent de 
France, que le vaifleau qui les portoit a fait. 
naufrage. 

J'ai été plus Rens à l'égard des deffins 
que j'en avols tirés : Je les ai rapportés avec 
moi. Un très - habile Botanifte m'a attefté n’en 


EN AFRIQUE 6” 
pas connottre la plus grande partie : le Public 
en jouira par la fuite. 

Je rentre dans des détails plus facilesike & qui 
font à ma portée. Je veux parler de mes chers 
Gonaquois. 

A la feule infpeétion de ces Sauvages, : ï fe- 
roit difficile de deviner leur âge. À la vérité, 
les vieillards ont des rides : l'extrémité de jeurs 
cheveux grifonne foiblement ; mais jamais ils 
pe blanchiflent , & je préfume qu’ils font très- 
vieux à foixante-dix ans. : 
Les Sauvages mefurent l’année par les épo- 

ques de fécherefle & de pluie : cette divifion 
eft générale pour l'habitant des tropiques ; ils 
la fous-divifent par les lunes ; ils ne comptent 
plus les jours , fi lé nombre excède celui des 
doigts de leurs mains , c’eft-à-dire dix. Paflé 
cela , ils défignent le jour ou le temps par quel- 
qu'époque remarquable ; par exemple , un orage 
extraordinaire, un Eléphant tué, une épizootie, 
une émigration, &c. Ils indiquent les inftans du 
jour par le cours du Soleil. Il vous diront en 
montrant avec le doigt : » Il étoit /2 quand je 
# fuis parti, & /a quand je fuis arrivé ”. Cette 
méthode n’eft guères précife ; mais malgré fon 
inexactitude , elle donne des à-peu-près iufäfans 
à ces peuples, qui n’ayant ni rendez-vous ga- 
Jans, ni procès à fuivre, ni perfidièés à com- 
mettre, ni lâchetés à publier , ni cour flétrif- 
fante & baffle à faire à d’ignares protecteurs, 
& jamais une pièce nouvelle à filer, voyent 
tranquillement le Soleil achever fon cours |, & 
s'inquiètent peu fi vingt mille horloges appor- 
tent aux uns la peine; aux autres le bonbeur. 


C4 VovageE 

Quand Îes Hottentots font malades, outre les 
ligatures dont j’ai parlé, ils ont recours à quel- 
ques plantes médicinales qu’une pratique ufuelle 
leur a fait connoître. Ils ont parmi eux quel- 
ques hommes plus inftruits en cette partie, & 
qu'ils confultent, Cependant , comme il n’y a 
point de fcience plus occulte que la médecine, 
& que les maladies internes ne parlent point aux 
yeux d’une manière fenfble , ils font fort em- 
barraffés pour les gouverner ; mais à cela près de 
quelques victimes , ils en impolent tout autant 
que chez nous par leur grimoire . & démontrent 
clairement que la maladie étoit incurable quand 
le malade eft mort. Is s'entendent un peu mieux 
à panfer & à guérir les plaies, même à remet- 
tre des luxations ou des fractures : il eft rare 
de voir un Hottentot eftropié. 

Un fentiment bien délicat pour des Sauvages 
les fait fe tenir à l'écart lorfqu'ils font malades : 
rarement les appercçoit-on. Il femble qu'ils foient 
honteux d’avoir perdu la fanté. Certes, il n’en- 
tre jamais dans l’imagination d’un Hottentot, d’ex- 
pofer {on état pour exciter les fecours & la com- 
mifération. C’eft un moyen forcé, mais inutile 
dans un Pays où tout le monde eft compatiflant. 

‘ Is n’ont nulle idée de la faignée , & de lPu- 
fage que nous en faifons. Je ne crois pas qu’il 
fe trouvât chez eux un feul homme de bonne 
volonté , qui confentîtt à fe laïfler faire cette 
opération. À l'égard des Hottentots Colons, com- 
me ils fe font habitués aux mœurs Européennes, 
ils en ont aufl gagné les maladies, & adopté 
les remèdes. 

L'opération que font les Médecins dont parle 

ce 


É°Nt À FR 110 UE. 6s 
ce fameux Kolbe, l’ufage qu’il prête aux Hotten- 
tots des déferts, de confulter les entrailles d’un 
Mouton, de pendre au cou du malade la coëffe 
de l'animal , de l'y laïffer pourrir, & tous les 
contes de cette efpèce furent écrits pour le peu- 
ple , & font, tout au plus , dignes d’amufer le 
peuples Là où il n’y a ni religion , ni culte, 
il ne peut exifter de fuperftition. Il eft encore 
moins vrai que, dans la Horde, ces Médecins 
prétendus jouiflent d’un grade fupérieur aux 
Prêtres. Il n’y a, pour être plus exaët, ni 
Médecins, ni grades, ni Prêtres ; & dans l’idiô- 
me Hottéurot ; | aucun mot n’exprime aucune de 
ces choles. 

Pour fentir jufqu’à quel point erra l'imagina- 
tion de ce vifonnaire , il fuit de lire dans fon 
ouvrage, qu'un Médecin Hottentot employa le 
vitriol romain pour guérir un malade de la lè- 
pre. Comment ces Sauvages auroïent-ils appris 
à connoître ce fel, qui ne fe trouve point chez 
eux, puifquil eft le réfultat d’une opération 
chymique ? Il falloit du moins, pour donner quel. 
que vraifemblance à une pareille balourdife, 
fuppoler des connoiffances à ces peuples , leur 
prêter nos arts, nos alämbics, nos fourneaux, 
& tout l’attirail de la Pharmacie. 

Dès qu’un Hottentot expire , on Venfevelit 
dans fon plus mauvais Kros; on ployent fes 
membres de manière que le cadavre en foit en- 
tiérement enveloppé. Ses parens le tranfportent 
à une certaine diftance de la Horde, &le dé- 
pofant dans une fofle creufée à cette intention, 
& qui n'eft jamais profonde ils le couvrent de 


terre, enfuite de picrres s'ils en trouvent dans 
To ome II. E 


“ 


66 TUVorabeE 

le Canton. Il feroit difficile qu’un pareil mau- 
folée fût à l'abri des atteintes du Jakal & de 
J’Hienne :le cadavre eft bientôt déterré & dévoré. 

Quelque .mal rendu que foit ce dernier de- 
voir, le Hottentot fur ce point mérite peu de 
blâme, lorfqu’on fe rappelle les cérémonies fu- 
nèbres de ces anciens & fameux Parfis attachés 
encore aujourd’hui à l’ufage conftant d’expofer 
leurs morts fur des tours élevées , ou dans des 
cimetières découverts , afin que les Corbeaux 
& les Vautours viennent s’en repaître, & les em- 
“ti par lambeaux. 

Le Sauvage, en dépofant avec refped les reftes 
inanimés de fon père , de fon ami dans da terre, 
charge les fels & les fucs diffolvans qu’elle ren- 
ferme, de la tranquille & lente décompofñtion 
du cadavre. S'il ne réuflit pas toujours au gré 
de fon attente , & qu'il ne retrouve plus Îles 
cendres de ce qui lui fut icher, il s’aflige , il fe 
lamente, 8: montre aflez toute la piété de fes 
mœurs, & l'humanité religieufe de fon caraétère. 
Quand c’eftun chef de Horde qu’on a perdu, 

les cérémonies augmentent, c’eft-à-dire que le 
tas de pierres & de terre fous lequel on l’enfe- 
velit eft plus confidérable & plus apparent. 

Si le mort eft regretté, la famille eft plon- 
gée dans le deuil & la confternation. La nuit 
fe pañle dans des cris & des hurlemens mêlés 
d’imprécations contre la mort. Les amis qui 
furviennent augmentent les clameurs, que de 
loin on prendroit autant pour l’ivrefle de lagoie, 
que pour les accens du défefpoir. Quoi qu’il 
en {oit, les fignes de leur douleur ne font pas 
équivoques pour celui qui vit au milieu d'eux; 


E N. À FR I QUE" 67 
j'en ai vu qui verloient des larmes abondantes 
& bien amères. | 

M. Sparmann avoit été témoin dans les Co- 
lonies, d’une fcène qu’il raconte ainfi : » Deux 
» vieilles femmes fecouoient & frappoient à coups 
» de poings un de leurs compatriotes mourant 
» ou même déjà mort, & lui crioient aux oreil- 
» les des reproches & des paroles confolantes ”?, 

Il ne faut pas s’abufer fur un conte de cette 
efpèce. Si ces femmes avoient été perfuadées que 
le jeune homme fût mort, elles auroient cer- 
tainement fupprimé de leurs careffes les tirail- 
_ lemens & les coups de poings; mais ces mou- 
vemens que. le Do&teur préfente comme les agita- 
tions convullives du défefpoir, n’étoient qu’un 
moÿen de remplacer les liqueurs fpiritueufes aux- 
quelles on.a toujours recours en Europe, pour 
éclaircir un doute aufli fâcheux , & dont ces 
peuples font privés. L’agitation violente employée 
par les deux vieilles, eft un remède aufli effi- 
cace, & qui produit apparemment de bons ef 
fets, puifque M. Sparmann ajoute quil opéra 
la réfurreétion du malade. 

La petite-vérole, qui a fi fouvent ravagé les 
Kraals, Hottentots des Colonies, n’a jamais paru 
qu’une feule fois chez les Gonaquois : elle leur 
enleva plus de la moitié de leur monde, Ils la 
redoute.aù point, elle leur infpire tant d’hor- 
reur , qu’à la première nouvelle qu’elle auaque 
une des Colonies, ils abandonnent tout, & s’en- 
fuient dans le plus profond du défert. Malheur 
à ceux de leurs malades qu’ils foupconneroient 
en être atteints ! Convaincus qu'il n’eft aucun 
remède à ce fléau dangereux, que ce foit un 

E i 


68. VOYAGE 
père, une époufe, un enfant , peu importe, la 
voix du fang paroît {e taire : on les abandonne 

à leur malheureux fort. Privés de fecours , il 
faut qu'ils périflent de faim, fi ce n'eft ne ac- 
cès de leur mal. 

Cette frayeur, bien naturelle à des sevbites 
Sauvages, ne contredit point leur piété fi fainte 
& la pureté de leurs mœurs. L'image de la dé- 
vaftation de leurs Hordes, toujours préfente à 
leur imagination , eft bien faite pour les porter 
ün momént à l’abandon des plus facrés devoirs: 
mais on eft révolté de lire dans des Auteurs 
anciens, & d’entendre un Voyageur moderne 
répéter d’après eux, que les Hottentots, lorf- 
qu’il leur prend fantaifie de changer leur do- 
micile, abandonnent , fans pitié comme fans re- 
gret, leurs vieillards, & tout ce qui leur eft inutile 
& pourroit contribuer à retarder leur marche. 
Cette affertion ne doit pas être préfentée comme 
une règle, un ufage général. A moins qu’ils ne 
fe trouvent dans une circonfance aufli impé- 
rieufe & fatale que celle dont je viens de parler, 
ou dans la guerre ; quelles raifons peuvent les 
“contraindre à hâter plutôt: qu’à rallentir leur 
marche ? Au refte , Je ne croirai jamais que le 
Hottentot en agifle ainfi , fans éprouver de longs 
& de mortels règrets. 

Attaqué par un ennemi fupérieur, hors d’état 
de repoufler la force par la force, on fe- dif- 
perfe, on s'éloigne comme on peut , & c’eft dans 
ce cas le feul parti raifonnable qu’on puiffe pren- 
dre. On eft bien forcé, malgré foi, quand on 
_eft furpris par l'ennemi , , de laïffer en-arrière les 
vieillards à les ape les on « tout cé 


EN ÂAFRIQUE. 69 
qui ne peut fuivre. Quel eft l’homme affez mal 


inftruit des fuites défaftreufes de la guerre , pour 
faire au Hottentot un crime d’une néceffité ious 


_ laquelle l’'Européen même ne feroit pas exempt 


de plier. 

Je vais plus loin, & je ne crains pas de tout 
dire. Les Sauvages ne balancent pas à employer 
ce même expédient contre la famine, malheur 
non moins redoutable que la petite- vérole & la 


guerre, quand ils en font attaqués. Dans ce cas, 


l'abandon de quelques individus , que d’ailleurs on 
ne pourroit fauver , devient un facrifice nécef- 
faire au bien de tous. Ceux qui fuyent ne font 
pas für eux-mêmes d'échapper au fléau général. 
Plus des trois quarts périflent dans la route, au 
milieu des fables & des rochers, brûlés par la 
foif, & confumés par la faim. Le petit nombre 
qui Hamvit. fait de longues marches avant d’a- 
voir trouvé quelques légères reffources. 

Tels font les trois moufs qui prêtent aux 
Hottentots une barbarie à laquelle ils fe voyent 
contraints par une force plus invincible que le 
devoir & l’amour. La Nature ne peut rien dans 
ces cœurs timides & fimples; mais, pour s’en- 
dormir un moment, elle n’en eft pas moins 
forte & moins grande , & les calamités publi- 
ques pour des peuples qui n’ont pas l4 première 


des combinaïons de nos arts, & nul moyen 
de les appaifer, fi ce n’eft la plus prompte 


fuite , ne peuvent être le creufet pour les éprou- 
ver, “ni la règle de les juger. 

On ne donnera pas , je l’efpère, pour un 
quatrième exemple de leur barbarie , ces émi- 
grations indifpenfables auxquelles les aflujétit la 


E 


de 'NMOY AN 

différence dés faifons. Une fécherefle extréordi- 
naire a tari les fources & les lagones qui les 
environnoient ; un foleil dévotant à brûlé tous 
les pâturages ; une épizootie fe déclaré däns les 
environs : l’une ou l’autre de ces caufes les 
force à changer de démeure ; maïs cette tranf- 
lation néceflaire fe fait toujours tranquillement, 
fans confufion, quoiqu’avec promptitude. On 
éloigne d’abord les troupeaux ; on place les 
vieillards & les impotens fur des Bœufs ; on 
ne laiffe perfonne derrière foi ; tous les effets 
précieux font en avant ; & tous enfemble, 
voyageant paifiblement , vont planter le piquet, 
& s'établir dans le premier endroït qui convient 
à leur manière de vivre, ainfi qu’à leurs befoins. 
J'ai fouvent rencontré des Hordes qui avoïent 
été obligées de s’expatrier pour quelqu'un de 
ces motifs : les vieillärds , les malades, tout 
étoit de la partie. Combien de fois avec quel- 
ques bouts de tabac, mieux. encore quelques 
verres de hiqueur, qui ranimoient & faifoient 
fourire ces pauvres gens, n’ai-je pas eu la fa- 
tisfaction de voir couler les larmes de Ja recon- 
noiffance ; & lorfque me féparant d’eux, & re- 
prenant ma route, j'arrivois le jour même ou le 
lendemaïn fur la place qu'ils avoient abandon- 
née, j'avois beau examiner ces lieux, & fure- 
ter dans tous les environs, je ne trouvois nulle 
trace de Pinfenfibilité dont on les accufe. Tou- 
tes les huttes étoïent enlevées ; les effets, les 
animaux domeftiques, tout avoit fuivi. 

_ Les enfans, ou à leur défaut, les plus pro- 
ches parens d’un mort, S’émparent de ce qu'il 
laiffe ; mais la qualité de chef n’eft point héré- 


EN ÂAFRIQUE ZE 
ditaite. , Il eft toujours nommé par la Horde : 
fon pouvoir eft bien limité. Maître de. faire le 
bien qu'il veut . il ne left en aucun cas de 
faire le mal ; il ne porte aucune marque exté- 
rieure de diftinétion ; il n’eft pas plus privilégié 
que les autres, fi l’on excepte toutefois l’ufage 
d’aller à fon tour garder les befliaux qui font 
en campagne. Dans les confeils, fon avis pré- 
vaut , s’il eft jugé bon : autrement on n’y «a 
nul égard. Quand il s’agit d’aller au combat, 
on ne connoît ni grade, ni divifons, ni Géné- 
raux, ni Capitaines : tous font Soldats ou Co- 
lonels. Chacun attaque, ou fe défend à fa guife. 
Les plus hardis marchent à la tête ; &, lorf- 
que la viétoire fe déclare , on n’accorde pas à 
un feul homme l'honneur d’une ation que Île 
courage de tous a fait réuflir : c’eft la Nation 
entière qui triomphe. 

De toutes les Nations que j'ai vues s jufqu” ICI s 
la Gonaquoife eft la feule qu ’on puifle regarder 
commé libre. Bientôt peut-être ces peuples feront 
obligés de s'éloigner, ou de recevoir les loix 
du Gouvernement. Toutes lés terres de l'Ef 
étant généralement bonnes, les Colonies cher- 
chent à s'étendre de ce côté, le plus qu’elles peu- 
vent : leur avarice y réuffira fans doute un jour. 
Malheur alors à ces peuplades fortunées & tran- 
quilles ! les invafons &. les maffacres détruiront 
ù jufqu aux traces de la liberté. C’eft ainfi qu'ont 
été traitées toutes ces Hordes dont parlent les 
Auteurs anciens, & qui , par démembremens avi- 
lis & foibles, font tombées dans la dépendance 
ablolue des Hollandois. L’exiftence des Hotten- 
tots, leurs noms & leur hifioire pafleront alors 

E iv 


72 Voyace 

pour des fables, à moins que quelque Voya- 
geur , curieux d’en découvrir les reftes, nait 
affez de courage pour s’enfoncer dans les déferts 
reculés qu’habitent lés grands Namaquois, où 
les rochers de plus en plus durcis par les temps, 
& les montagnes ftériles & décrépites n’offrent 
pas un chétif plant d’arbres digne de fixer l’avi- 
dité fpéculative des Blancs. 

Les peuplades citées par Kolbe, fous les noms 
de Gunjemans & de Koopmans | , n’ont jamais 
extfté. 

Le nom de Gunjemans ne fignifie rien dans 
le langage Hottentot : ce nom fut corrompu par 
quelque Voyageur ,: qui , n’entendant point ce 
langage , l’aura mal écrit. Il falloit écrire Goed- 
mans , deux mots hollandois qui fignifient 4ons- 
hommes ou bonnes-gens ; qualification qu’ont don- 
née les premiers Colons à tous les Hottentots en 
général, parce qu’il les trouvoient etes & 
fort accommodans. 

Koopmans a pareillement été dont à ceux 
qui ont fait les premiers échanges : ce font deux 
mots qui fignifient, en très-bon hollandois, né- 
gociant où marchand ; mais qui ne conviennent 
pas plus à une Nation qu’à toute autre. C’eft 
ainfi que ne comprenant point les langues d’un 
Pays, un Voyageur en retient mal les expref- 
fions, les orthographie plus mal encore, & fait 
un nom Sauvage avec un barbarifme. Les mœurs 
& tout ce qui concerne les divers peuples étran- 
gets; ne feront jamais exatement décrits, fi Pot 
n'en parle les divers langages. | 

© Si, par exemple, les Aureurs qui ont avancé 
que les Hottentots adorent la Lune, avaient 


| EN ABRIQUE 2 
compris le fens des paroles qu’ils chantent à fa 
clarté, ils auroient fenti qu’il n’eft queftion ni 
d’hommages, ni de prières, ni d’'invocations à 
cet aftre paifñble; ils auroient reconnu que le 
fujet de ces chants étoit toujours une aventure 
arrivée à quelqu'un d’entr’eux ou de la Horde 
voifine, & qu’autant improvifateurs que les Nè. 
gres ; ils peuvent chanter toute une nuit fur le 
même fujets en répétant mille fois les mêmes 
mots. Ils préfèrent la nuit au jour, parce qu’elle 
_eft plus fraîche, à qu'elle invite à la danfe, 
aux plaifirs. 

Lorfqu’ils doulont fe livrer à cet exercice, 
ils forment, en fe tenant par la main, un cercle 
plus ou moins grand , en proportion du nombre 
des danfeurs & des danfeufes, toujours fymmé- 
triquement mélés. Cette chaîne fe fait & tour- 
noie de côtés & d’autres. Elle fe quitte par in- 
tervailes, pour marquer la mefure. De temps en 
temps , chacun frappe des mains fans rompre pour 
cela la cadence ; les voix fe réuniilent aux inf- 
trumens, & tent continuellement H00 Hoo! 
C’eft le refrein général. Quelquefois un des dan- 
feurs quittant le cercle, pañle au centre : là, il 
forme à lui feul une efpèce de pas Anglois, dont 
tout le mérite & la beauté confiftént à l’exécuter 
avec autant de vîtefle que de précifion, fans 
bouger de la place où fon pied seft polé : en- 
fuite on les voit tous fe quitter les mains, {e 
fuivre nonchalamment les uns après les autres, 
afeétant un air trifte & confterné , la tête pen- 
chée fur l’épaule , les yeux baïffés vers la terre 
qu'ils fixent attentivement. Le moment qui fuit, 
voit naître les démonftrations de la joie, de la 


FA 


va VOYAGE 

gaîté la plus folle : ce contrafte les enchante, 
quand il eft bien rendu. Tout cela n’eft au fond 
qu’un affemblage alternatif de pantomimes très- 
bouflonnes & très-amufantes. I faut obferver que 
les danfeurs font entendre fans cefle un bour- 
donnement fourd & monotone , qui n'eft inter- 
rompu que lorfqu'ils fe réuniffent aux fpeéta- 
teurs prie share en chorus le merveilleux 
Hoo! Hoo! qui parott être l'ame & le point 
d'orgue de ce magnifique charivari. On finit aflez 
ordinairement par un ballet général ; c’eft-à-dire 
que le cercle fe rompt , & qu’on danfe pêle- 
mêle comme chacun l'entend. On voit alors 
Vadreffe & la force briller dans tout leur jour. 
Les beaux danleurs répètent , à lenvi l’un de 
l’autre, ces fauts périlleux & ces gargouillades, 
qui, dans nos grandes Académies de mufque, 
excitent des Ha Ha tout aufli bien mérités & 
lentis que les Ho Ho d'Afrique. 

Les inftrumens qui brillent là par excellence. 
font le Goura , le Joum-Joum, le KRabouquin 
& le Romelpot. 

Le Goura a la forme d’un arc de Hottentot 
Sauvage. Il eft de la même grandeur ; on attache 
une corde de boyau à l’une de fes extrémités , 
& l’autre bout de la corde s'arrête par unnœud 
dans un tuyau de plume applatie & fendue. 
Cette plume déployée forme un triangle ifocèle 
très-allongé , qui peut avoir environ deux pou- 
ces de longueur : c’eft à la bafe de ce triangle 
qu’eft percé le trou qui retient la corde; & la 
pointe , fe replant fur elle-même, s attache avec 
une courroie fort mince à l’autre bout de l’arc. 
Cette corde peut être plus ou moins tendue fe- 


EN AFRIQUE. "5 
for la volonté du muficien. Lorfque plufieurs 
Gouras jouent enfemble , ïls ne font jamais 
montés à l’uniflon. Tel eft ce premier inftrument 
qu’on ne foupconneroit point être un inftrument 
à vent, quoiqu'il ne foit certainement que cela. 
On peut en voir la figure, dans la planche VIE, 
à côté de la Hottentote. On le tient à-peu- près 
coéin lé cor de chaffe ; le bout de larc où fe 
trouve la plume eft à la portée dé la bouche du 
joueur. Il l’appuie fur cette plume ; &, foit en 
afpirant, foit en expirant, il en tiré des fons 
aflez mélodieux ; mais les Sauvages qui réuflif- 
fent le mieux, ne favent ÿ jouer aucun air : ils 
ne font entertdre que des fons flûtés ou lour- 
rés, tels qué ceux qu’on tire, d’une certaine 
manièré, du violon & du violoncelle. Je pre- 
nois plaifir à voir l’un de mes compagnons nom- 
mé Jean, qui pafloit pour un virtuole , régaler 
pendant dés heures entières fes camarades, qui, 
tranfportés, ravis, l’interrompoient de temps en 
temps , en s’écriant : » Ho ! que celle-là eft char- 
#" mante!... recommence-la ” ! Jean recommen- 
coït; mais ce n’étoit plus la même; car, com- 
me je le difois, on ne peut fuivre aucun air 
ur cet inftrument dont tous les tons ne font dus 
qu’au hafard & à la qualité de la plume. Les 
meilleures font celles qu’on tire de laîle d’une 
efpèce d’Outarde. Quand il m’arrivoit d’abattre 
un de ces animaux , j'étoïis toujours follicité à 
faire un petit facrifice pour l'entretien de notre 
orcheftre. 

Le Goura change de nom quand il eft joué 
par une femme, uniquement parce qu’elle change 
fa manière de s’en fervir. U fe transforme ca 


76 Wu AGE 

Joum-Joum : affife à terre, elle le place per- 
pendiculairement devant elle, de la même fa- 
con qu'on tient les Harpes en Europe : elle 


lV'aflujétit par le bas en pañlant un pied entre 


l’arc & la corde , obfervant de ne point la tou- 
cher : la main gauché tient l’arc par le milieu ; 
& , tandis que la bouche foufHle fur la plume, 
de l’autre main, la mufcienne frappe la corde 
en différens endroits avec une petite baguette de 
cinq ou fix pouces : ce qui opère quelque va- 
riété dans la modulation ; mais il faut appro- 
cher l'oreille pour faifir diftinétement la dégra- 
dation des fons. Au refte, cette manière de 
tenir l'infirument m'a frappé : elle prête des 
graces à la Hottentote qui en joue. 

Le Rabouquin eft une planche triangulaire , 
fur laquelle font attachées trois cordes de boyau 
foutenues par un chevalet , & qui fe tendent 
à volonté , par le moyen de chevilles, comme 
nos inftrumens Européens. Ce n’eft autre chofe 
qu’une guitarre à trois cordes : tout autre qu’un 


Hottentot en tireroit peut-être quelque parti, 


& le rendroit agréable ; mais celui-ci fe contente 
de le pincer avec fes doigts, & le fait fans 
fuite , fans art, & même fans intention. 

. Le Romelpot eft le plus bruyant de tous les 
inftrumens de ces Sauvages : c’eft un.tronc d’ar- 
bre creufé qui porte deux ou trois pieds, plus 
ou moins, de hauteur. À l’un des bouts, on 
a tendu une peau de Mouton bien tanée, qu’on 
frappe avec les mains, ou pour parler plus claire- 


ment, avec les poings. quelquefois même avec 


un bâton. Cet inftrument qui fe fait entendre 
de fort loin, n’eft pas à coup für un chet- 


FR 


EN ÂFRI QUE. 7%. 
d'œuvre d'invention ; mais, dans quelque Pays 
que ce foit, c’eft aflez la méthode de rempla- 
cer par du aa ce qu’on ne peut obtenir du 
goût. 

Peut-être me fuis-je un peu trop appefanti 
fur la defcription des danfes & des divers inf- 
trumens des Hottentots. Ceux-ci, comme on le 
voit, ne font pas bien curieux ; mais ce détail 
qui tient par quelque côté aux mœurs des Sau- 
vages, ne méritoit pas non plus d’être entiére- 
ment négligé. 

- Tout près de la Nature, & fous fa dei im- 
iare le Sauvage n'a nul befloin de nos or- 
cheftres bruyans & harmonieux pour s’exciter, 
dans fes fêtes, aux vives démonftrations du plai- 
fir & de la joie. La modulation bornée & mo- 
notone de fa mufique lui fufait ,; & je crois 
même qu’il s’en pañléroit volontiers, & ne fau- 
teroit pas moins bien. 

- Dans fon Choix de Lectures géographiques F 
un de nos Auteurs modernes , qui s’eft fait une 
loi d'étudier les hommes en Hé this qu'il 
décrivoit les lieux, obferve avec beaucoup de 
fagacité ,, que, dans un Etat policé, la danfe 
3 & le chant font deux arts ; mais qu’au fond 
>» des forêts, ce font prefque dès fignes naturels 
» de la concorde, de l’amitié, de la tendrefle 
» & du plaifir. Nous apprenons , fous des mat: 
>> tres, ajoute ce Savant, à déployer notre 
> VOIX, à mouvoir nos membres en cadence. 
» Le Sauvage n’a d’autre maître que fa paf- 
» fion; fon cœur & la Nature. Ce qu'il fent, 
» nous le fimulons : auffi le Sauvage qui chante - 
» Où qui danfe , eft-il toujours heureux ”. 


7b VovaAczx 

J'ai fait remarquer que les Hottentots ne s’af- 
femblent guères qüe la nuit pour fe divertir : 
_les occupations journalières ne leur Jaiffent point 
d'autre temps. Chacun a fes devoirs à remplir, 
11 faut furveiller fans cefle les troupeaux épars 
dans lesichamps , non-feulement pour empêcher | 
qu'ils ne s’égarent, mais pour les garantir de 
l'atteinte des animaux carnafliers qui les épient 
continuellement. Îl faut les panfer & les traire 
deux fois par jour ; il faut travailler aux nattes, 
amafler le bois fec pour les feux du foir ; il faut 
pourvoir à fa fubfiftance , & chercher des raci- 
mes : ces dernières occupations appartiennent 
particulièrement aux femmes. Les hommes, de 
leur côté, vont à la chafle, font la revue des 
pièges qu ils ont tendus en divers endroits , fa- 
briquent les flèches, & tous les inftrumens dont 
ils ont befoin; & avoique ces inftrumens & tous 
les ouvrages de leurs mains foient en général 
affez mal tournés & grofhers, ils exigent de 
leur part beaucoup de temps & de peines, 
parce qu’ils font privés d’une foule d'outils G. 
néceflaires pour abréger le travail ; & toujours. 
l’adréfle chez eux, eft bien moins admirable que 
la patience. 4 

Il feroit étonnant que ces peuples que j'ai 
f fouvent fréquentés , avec lefquels j'ai vécu 
fi long-temps, euflent été aflez adroits ou affez 
faux pour fe cacher, de moi, au point que je ne 
me fuffe jamais apperçu, ni par leurs difcours, 
ni dans leur pratique de vivre, d’aucun figne ou 
d'aucun ate de fuperftition : je me garderai bien 
” de donner comme des ufages religieux, certaines 
privations qu'ils s'impolent eux-mêmes, & qui 


Æ N: À 6 R 3 QUE. F0 


paroïfent fi naturelles & fi fimples quand on s’eft 
donné la peine de les approfondi r. Par exemple À 
ils ne mangent preique jamais du Lièvre ni de 
la Gazelle nommée Duykers. Le Lièvre eft à 
leurs yeux un animal informe qui les dégoûte ÿ 
la viande du Duykers leur femble trop noire: 
en outre, ces deux animaux font toujours d’une 
maigreur ‘extrême ; raifon fufhfante pour qu'ils 
les rejettent : maïs la preuve 1a plus frappane 
que nulle idée chimérique ne les prive de cette 
reflource , c'eft qu’au befoin & dans les momens 
de difette, je les ai vus fe tenir heureux d’y 
pouvoir recourir. De ce qu’un Hollandois 1e 
révolteroit à la vue du plat de Limacons de vignes 
ou de Grenouilles le mieux apprêté, tandis que 
le François s’accommode de ce mèêts peu délicat, 
s’enfuit-il que le dégoût du Batave doive être 
regardé comme une abftinence religieufe Of- 
donnée par le Confiftoire ? 

Ayant d'annoncer, comme un des rites ef- 
fentiels des Hottentots, la cérémonie de fe cou- 
per une phalange, foit du doigt, foit du pied, 
avant de lui attribuer la femi-caftration pour le 
même motif , il étoit raifonnable de conftater 
d’abord la vérité de ces deux faits. Kolbe les 
avoit oui raconter comme bien d’autres ; mais 
il ne les avoit jamais éciaircis. Il le prouve 
aflez , loriquil attribue ces ufages à tous Îles 
Hottentots indiflinétement ; ce qui n’eft pas moins 
faux que toutes les autres afarridn de cet Auteur. 
M: Sparmann tombe également dans la plus 
étrange des erreurs , lors même qu’il foutient, 
contreice Kolbe, que la femi-caftration nef 
pour nulle part. Ces deux cérémonies ont 


6o VOYAGE | 
lieu encore actuellement chez deux Hordes 
fiuées au Nord du Cap, fous le vingt-huitième 
dégré de latitude : favoir, les Geifiquois & les 
Koraquois . Cantons dans lefquels j'ai trouvé 
les Giraffes , dont je parlerai dans mon fecond 
Voyage. Affürément le Philofophe Kolbe n’a 
jamais pénétré jufques là , fi ce n’eft en fonge. 

Le Docteur Sparmann s’eft toujours laiffé trom- 
per, loriqu’au fujet des Gonaquois, il penche à 


croire que ces Hordes fe circoncifent. Les Co- 


lons me l’avoient affuré comme à Jui : c’étoit 
une puiflante raïfon d’en douter ; mais jufqu’ici 
plus à la portée que perfonne de m'éclairer fur un 
fait auili important , J'attefte au contraire que 
cette Nation, & tous les Hottentots fans excep- 
tion , ont le prépuce d’une grandeur démelu- 
rée ; caractère qui les diftingue aflez des autres 
Sauvages , & qui n’a point été certainement res 
marqué: 

Ïl en eft de même de ce tablier révoliinté des 


Hottentotes , auquel on a fait jouer fi long-temps 


un rôle ridiule dans l’hiftoire, ou plutôt la 
fable de ces peuples. Une autre bizarrerie qui 
découle toujours de la même fource, le leur a 
retranché non moins légèrement , quoiqu'il 
foit toujours de mode chez une Horde dont 
je vais parler inceffamment. Je dis qu'il eft de 
mode; car bien loin qu'il foit un préfent de la 
Nature , on doit le regarder comme un des raf- 
Re les plus monftrueux qu’ait jamais in- 
ventés je ne fais quelle coquetterie toute parti- 
culière à un très-petit coin du monde connu. 
Quelques Auteurs anciens ont écrit que les 
familles de Sauvages couche pêle - mêle dans 


une 


EN A FRTQUS. 8r 
une énié hutte, & ne connoïiffent point les 
différences de l’Âge, ni cette horreur invincible 
qui féparé les êtres rapprochés par le fans. A 
la vérité, ) CES Sauvages bornés au ftriéte He. 
faire, n’ont point imaginé de fauvér par une dé- 
cence apparente , toute la turpitade d’une in- 
clination monftrueufe , & l’on ne voit point chez 
eux appartement pour % frère, appartement pour 
la fœur, appartémens pour fa mère & le fils ; 
“mais conclure de ce qu'ils n'ont qu'un même 
toit, qu’un même grabat, qu’une même natte 
pour fe délaffer des travaux du jour, ‘qu ils Vi- 
vent à Pinftar des animaux , c’eft Outrager la 
Nature , & calomnier l'innocence. Il n’y a qu’un 
Auteur “mal inftruit ou mal intentionné , qui fi 
foit permis d’accréditer ces foupçons AAA. 
Oui, toute une famille habite une même hutte ; 
oui, le père fe couche avec fa fille, le frère avec 
fa 1œur, la mère avec fon fils; is ‘au retour 
de l'auroté , chacun fe lève avecun cœur pur 
& fans avoir À rougir devant l’Auteur dés êtres 
où Pune dés créatures qu’il a marquées du fceau 
de fa reflemblance. Le Sauvage n’eft ni brute 
ni barbare. Le vrai monfire eft celui qui voit 
le crime par-tout où il le fuppofe , & qui l’afirme 
fur l’odieux témoignage de fa confcience. | 

 J'ü vifité plus d’une peuplade de Säuvages, 
& n'ii trouvé par-tout que retenue & circonf- 
peétion chez les femmes : je puis. ajouter aufñ 
chez les Hommes. L’Auteur que j'ai fi fouvent 
conttédit, rend hommage à la vérité, lorfqu'il 
confeffe que , d’après la nudité des Sauvages > ON 
lès jugeroït mal , fi l’on croyoit qu’ils ont auffi 


peu de modeftie que de voile, qu’il a eu de la 
Tome LI, 


82 VOYAGE 
peine à trouver des hommes qui, fous l’appit 
même des préfens, confentiffent à déranger aflez 
leurs Jackals pour qu'il pût fe convaincre par 
fes yeux, s ils étoient ou n'étoient point circoncis. 
J'ai dit ailleurs que le commerce avec les 
Blancs étoit la ruine & le fléau des mœurs. Les 
Hottentots des Colonies en fourniflent une preuve 
trop frappante : ceux du défert n'étant point 
d’une nature différente, céderont peut-être un 
jour à la féduétion, fi elle arrive jufqu’à eux, 
& fe laifferont entraîner par l'exemple. Lorfque 
M. Forfter, dans fon Voyage autour du Monde 
avec le Capitaine Cook, nous apprend que les 
femmes de l'ile de Pâques étoient des Courti- 
fanes lubriques, il ne nous cache pas que les 
Matelots de fon équipage fe livroient ouverte- 
ment & fans pudeur, aux plus infâmes débau- 
ches avec elles : mais ce qu’il falloit ajouter 
fans crainte, c’eft que les femmes Sauvages, une 
fois vifitées par des Européens corrompus, & trop 
inftruites de leurs inclinations perverles , {e li- 
vrent fans. réferve à tous ceux à qui il plaît 
de s’en emparer , & les fervent à leur goût, 
fans doute, dans la feule frayeur des extrémités 
cruelles dont les Blancs font capables. 

Par-tout où l’envie de m’inftruire m’a fait enta- 
mer cette matière avec les femmes que J'ai ren- 
contrées , j'en ai toujours reçu la réponfe uni- 
forme & fimple qu’elles adreffent à tous ceux qui 
les foupçonnant de communications inceftueufes, 
cherchent à s’en éclaircir par leurs propres aveux. 
» Vous nous aflimilez donc aux bêtes, me di- 
.» foient-elles; les bêtes feules font capables de 

n faire ce que vous dites ?”. 


EN-AÂÀFRI QU E. 83 

Puiflé-je ne pas me tromper! je crois à la 
vertu pour ceux même qui ne connoiflent pas 
ce mot, & n'ont point fait d'immenfes com- 
mentaires fur l’idée qu’il renferme. Ce fentiment 
inné dans le cœur de l’homme, quand l’exem- 
ple &.l’éducation ne l'ont pas corrompu, lui fut 
donné en figne de fa noblefle & de fa difinc- 
tion. L'horreur de sunir à fon propre fang, 
eft un des plus. grands caraétères par. lequel le 
Créateur voulut féparer l’efpèce humaine de ja 
_ claffe des animaux; & la plus infâme dépravation 

brifa feule cette banrère infurmontable. 

. J'ofe donc attefter que, s’il eft un coin de la 
terre où la décence dans la conduite & dans les 
mœurs foit encore honorée , il faut aller cher- 
cher fon temple au fond des déferts. Le Sau- 
vage n a recu ces principes ni de l'éducation, 
ni des préjugés : il les doit à la Nature. L'amour 
en lui n’eft qu’un befoin tres-borné; il n’en a 
point fait, comme dans les Pays civilifés, une 
paflion tumultueufe, qui traîne Je défordre & 
le ravage après elle, En vain, à l’exemple de 
Buflon, tenterois-je de He cette fièvre de 
lame, cette maladie des imaginations exaltées ; 
je, ne briferai point un autel couvert des riches 
préfens des Romanciers & des Poëtes : j’aurois 
trop à combattre ; & la Divinité qui doit fa naïf- 
fance à d’aufli belles chimères , ameûteroit con- 
tre moi fes Brames, & ne me PAR pas 
ce grand facrilège. 

Un phyfionomifte , ou fi l’on veut, un bel 
efprit moderne, réjouiroit les cercles en affgnant 
au, Hottentot | dans la chaîne des êtres, une 
place entre l’homme & l’Orang-outan. Je ne 


Fi 


84 Vo v À'ée rx 

puis confentir à lui donner ce portraits les qua- 
lités que j'eftime en lui ne fauroient ke dégrader 
à ce point, & je lui ai trouvé la figure affez 
belle , parce que je lui connoïs l'ame afléz bonne. 
Ii faut pourtant convênir qu’il a dans les traits 
un caractère particulier qui le fépare enquelque 
forte du commun des hommes. Les pommiettes 
de fes joues font très-proéminentes, dé telle forte 
que fon vifage étant fort large dans cette par- 
fie, & la mâchoire au contraire exceffivement 
étroite . fa phyfonomie va toujours en dimi- 
nuant jufqu’au bout du menton. Cette configu- 
ration lui donne un air de maïgreur qui fait pa- 
roître fa tête très-difproportionnée , & trop pe- 
tite pour un corps gras & bien fourni, Son néz plat 
a quelquefois pas fix lignes dans fa plus grande 
élévation ; fes narines, en revanche, font très- 
ouvertes, & dépañlent fouvent, en hauteur, le 
dos de fon nez; fa bouche eft grande, & meu- 
bléé de dents petites, bien perlées, & d’une 
blancheur éblouïffante ; fés veux très-beaux & 
bien ouverts, mclinent un peu du côté du nez 
comme ceux des Chinois. A l'œil ainfi qu’au 
toucher, on voit que fes cheveux reflemblent 
à de la laine : ils font courts , friés & d’un 
noir d'ébène. Ïl ne porte que très-peu dé poil; 
encore a-t-il foin de s’épiler : fes fourcils, na- 
turellement dégarnis, font exempts de ce foin. 
La barbe ne lui croît que fous le nez & à l’extré- 
inité du menton: il ne manque point de l’arra- 
cher, à mefure qu’elle fe montre : cela li. 
donne un air efféminé, qui, joint à la douceur 
naturelle qui le caraétérife , lui énlève cette 
impofante fierté commune à tous les hommes 


EN AFRIQUE. 85 


de la Nature , & qui leur a mérité le fuperbe 
titre de Roi. 

Quant aux proportions du corps , le Hottentot 
eft parfaitement moulé. Sa démarche eft gra- 
cieufe & fouple; tous fes mouvemens font ai- 
fés ; bien diflérens des Sauvages de F'Amériqué 

méridionale, qui ne paroïflent avoir été qu’é- 
bauchés par la Nature. 

Les femmes, avec des traits plus fins, ont ce- 
_ pendant le même carattère de figure : elles font 
également très-bien faites, ont la gorge admi- 
rablement placée, & de la plus belle forme dans 
la fraîcheur des ans ; les mains petites, & les 
pieds bien modelés, quoiqu elles ne portent 
point de fandales ; le timbre de leur voix eft 
doux , & leur idiôme, en paflant par leur gofier, 
ne manque pas d'agrément. Elles fe livrent, 
lorfqu? elles parlent, à une infinité de geftes qui 
_ prêtent à leurs bras du développement & des 
graces. | 

Le Hottentot, naturellement timide , eft éga- 
lement très - peu entreprenant. Son fang- froid 
phlegmatique & fon maintien réfléchi lui don- 
nent un air de réferve qu'il ne dépofe même 
pas dans les momens de fa plus grande joie, 
tandis qu’au contraire toutes les Nations noires 
& bafanées fe livrent au plaifir avec l'abandon 
le plus expanfif & la gaîté la plus vive. 

Une infouciance profonde le porte à l’inac- 
tion & à la parefle ; la garde de fes troupeaux 
& le foin de fa fubfiftance, voilà fa plus grande 
affaire. Ilne fe livre point. à la chaffe en chaf- 
feur , maïs en homme que fon eftomac prefle 
& tourmente, Du refte, oubliant le _paité, fans 


F ii] 


20 SN VovAG#. 
inquiétude fur l’avenir, le préfent feul le frappe 
& l’intéreile. 

Mais il eft bon, Rerviabie* & le plus généreux 
comme le plus Hofpitalier des Peuples. Quicon- 
que voyage chez lui, eft afluré d’y trouver le 
gîte & la nourriture ; ils reçoivent, mais n’exi- 
gent pas. Si le Voyageur'a une longue route à 
faire , fi d’après les éclairciffemens qu’il demande, 
on connoît qu’il eft fans efpoir de rencontrer 
de fi-tôt d’autres Hordes, celle qu’il va quitter 
Papprovifionne , autant que fes moyens le lui 
permettent, de toutes les chofes dont il à be- 
foin pour continuer fa marche & gagner pays. 

Avant l’arrivée des Européens au Cap, les 
Hottentots ne connoïfloient point le commerce: 
peut-être même n’avoient-ils entr’eux nulle idée 
des échanges ; mais, à l'apparition du tabac & 
de la quincaillerie , ils fe furent bientôt immif- 
cés dans une partie des myflères mercantiles. 
Ces objets quin’étoient d’abord que des nouveau- 
tés agréables, avec le temps font devenus des 
befoins : ce font les Hottentots des Colonies qui 
les Îeur apportent, quand ils viennent à man- 
quer ; car il eft bon d’obferver que , quelqu’em- 
preffés qu’ils foient de jouir de ces bagatelles, 
ils ne fe donneroient pas la peine de faire un 
pas pour les aller chercher eux-mêmes , & pré- 
féreroient de s’en pafler : léçon utile à ceux qui 
traînent leur vie dans l'agitation pour courir 
après des chimères. 

T'els font ces peuples, ou du moins tels ir m'ont 
paru, dans toute l'innocence des mœurs & de 
la vie pañtorale. Ils offrent encore l’idée de l’ef- 
pèce humaine en fon enfance. Un ‘irait fublime 


EN AFRIQUE. 187 
que je place ici, quoiqu'il appartienne à mon 
fecond Voyage beaucoup plus au Nord du Cap 
& vers la côte Oueft, achevera ce tableau que 
j'ai tracé dans toute la candeur & la vérité de 
mon ame , fans éloquence , il eft vrai , mais 
fans enthoufiafme , fans vaines déclamations, 
avec cette naïveté de franchie qui m’eft fi chère, 
& que j'aime à profefler fans celle. 

Une Horde affez confidérable de Kaminou-Kois 
étoit venue viliter mon camp avec cette con- 
fiance que donnent toujours des intentions hon- 
nêtes & droites, & que poflèdent les hommes que 
leurs femblables n’ont point encore trompés. Forcé 
de ménager mes provifons ; 1l ne m'étoit pas 
pofible de régaler tout ce monde avec de l’eau- 
de-vie ; la troupe étoit trop nombreufe : je ne 
pouvois , fans imprudence , me montrer géné- 
feux; J'en fis donner un verre au Chef & à 
ceux qui, par leur figure & plutôt encore par 
leur âge, me paroifloient les plus refpeétables. 
Mais à quelles reflources , à quels moyens n’a 
pas recours la bienfaifance , & qu'elle eft ingé- 
nieufe quand elle veut fe communiquer ! Quel 
fut mon étonnement , lorfque m'’appercevant 
qu'ils confervoient la liqueur fans l’avaler, je 
les vis tous s’approcher de leurs camarades qui 
n'en avoient point recu, & la leur diftribuer de 
bouche à bouche de la même manière dont les 
tendres oifeaux du Ciel fe donnent la becquée ! 
Je l’avouerai, cette aétion inattendue me troubla ; 
J'en demeurai flupéfait. À la vue de cette fcène 
touchante , quel cœur dénaturé n’eût point fenti 
couler les larmes de l’attendriffement ! Plein d’ad- 
miration & de refpeët, ému juiques au fond de 

je SE iv | 


65 VoYaAGEs 


lame, j’allai me jetter dans les bras du Chef, 
qui, comme les autres, venoit de partager la 
liqueur à ceux qui l’entouroient, & J'inondai 
de mes pleurs fa figure vénérable. Beaux di- 
feurs, élégantes coquettes parfumées d’ambre & 
de mufc, criez à l'horreur , & livrez-vous à vos 
charmantes grimaces ; les maux d’effomac, les 
vapeurs, @c tous les miafmes d'une fanté débile, 
fruits ordinaires d’une vie honteule confumée à 
trente ans, n’offroient rien de repouflant à mes 
céleftes Kaäminou-Koïs dans cette communica- 
tion fi douce & fi fraternelle. 

Je ne me fuis jamaiïs rappellé, fans émotion ï 
ce peuple refpeétable y À plufieurs autres encore 
chez qui j'ai vu répéter la même cérémonie ; & 
lorfqu’en nous féparant je les voyois s’en retour- 
ner fatisfaits & tranquilles : Mortels heureux, 
me difoisje , confervez long-temps cette pré- 
cieufe innocence ; mais vivez ignorés ! Pauvres 
Sauvages , ne regrettez point d'être nés fous 
un ciel brûlant , {ur un fol aride & defléché 
qui produit à peine des bruyères & des ron- 
ces ; regardez, ah! plutôt regardez votre fitua- 
tion comme une faveur fignalée du Ciel; vos 
déferts ne tenteront jamais la cupidité des Blancs ; 
uniflez-vous aux peuplades fortunées qui n'ont 
pas plus que. vous le bonheur de les connof- 
tre; détruilez , effacez jufqu’aux moindres tra- 
ces de cette poudre jaune qui fe métallife dans 
vos ravines & dans vos roches; vous êtes pers. 
dus s S'ils la découvrent. AhDtence qu’elle eft 
le fléau de la terre. la fource de tous les cri- 
mes , & redoutez fur-tout l’anproche d’un Al- 
magro, d’un Pizarre , d’un Fernand- Cortez , & 
l'étole ‘enfanglantée des Vanverdes, 


VEN. A ER LU E. 89 
Dans l’état de nature , l’homme eft effen- 
ticilement bon. Pourquoi le Hottentot feroit- 
il une des exceptions de cette règle? C’eft mal- 
 à-propos qu'on l’accufe d’être cruel ; il n’eft 
que vindicatif : trop fenfible au mal qu’on lui 
fait qu'y a-t-il de plus naiurel que de repouf- 
fer la force par la force ? Il nous fied bien 
d’ordonner aux peuples de la Nature la prati- 
que de nos vertus faétices, quand les noms 
nous em font à peine connus, & que leur ré: 
gime n’eft confenti par perfonne ; & la peine 
_ même du talion, la feule en ufage avant que 
nous nous fuffions avifés d’être des Philofophes, 
qu’eft-ce autre chofe que le droit de rendre 
oifenfe pour offenfe, & d’ôter la vie à qui ne 
craint pas d’attenter à la nôtre ? 
Si les Sauvages d’Afrique ou d'Amérique 
s'avifoient quelque jour de rêver qu'ils vivent 
“on lie privés de nos arts, de nos ri- 
cheffes,, & de toutes les reflources de notre génie, 
& qu’unis eniemble , armés d’un triple fer, 
ils accouruffent pour inonder l’Europe, & nous en 
chaffer, de quel front recevrions-nous ces bar- 
Dares, & de quels traitemens nous verroit-on 
payer leur audace ? Telle eft cependant leur hif- 
toire ou la nôtre ; telles font nos tentatives en- 
treprifes dans les trois mondes avec des fuc- 
cès trop heureux. Par-tout où il nous a plu de 
nous établir , nous avons réduit ces malheu- 
reux perlécutés à l’efclavage, à la fuite : nous 
nous fommes approprié, fans fcrupule , tout ce 
que nous avons trouvé à notre bienféance : & 
quand Vheure de la. vengeance a fonné pour 
eux, @&, qu'ils ont mefuré leurs coups à Îa 


99 Vo Ÿ AGE 


grandeur de nos torts, fans retour fur nous- 
mêmes, trop aveuglés par l’intérêt ou le fana- 
tifme , nous avons ofé les nommer des barba- 
res, des antropophages, des bêtes féroces nour- 
ries de meurtrés, altérées de fang. 

A quelle imprudence ne faut-il pas attribuer 
la mort du célèbre navigateur Cook ? J’aime à 
croire que le fentimeñt de fa force, & fon ca- 
raûtère entreprenant , altier , ne le portèrent Ja- 
mais aux excès coupables dont il périt à fon 
tour la viétime ; mais le défir ardent de fe ven- 
ger de l'équipage indifcipliné qui marchoit à fa 
fuite , arma contre lui les infulaires. Ses Mate- 
lots épioient les femmes, ofoïent s’en emparer 
en tous lieux, en toute occafñon : c’en étoit 
trop pour garder plus long-temps le filence. 
Rien n’eft capable d'arrêter ces Sauvages ou- 
tragés. À travers la fumée des canons, au mi- 
lieu du bruit de fon artillerie menaçante , le 
Chef eft reconnu : on s’en empare ; il eft maf: 
facré à la vue même de fes Soldats, pour n’a- 
voir pas fu réprimer à temps leurs défordres. 

Le premier fentimént qu’on doive infpirer 
aux Sauvages, quand on veut voyager chezeux, 
c’eft la confiance. Pour gagner la leur, il faut 
être humain, bienfaifant, n’abufer jamais de 
leur foiblefle , ne leur infpirer aucune crainte, 
& n’en pas prendre à leur afpeét : ils accor- 
dent tout, lorfqu’on n’exige rien. Il faut être 
affez {ür de fes paflions pour garder la plus 
févère continence, & ne pas convoiter leurs 
femmes. S'ils font jaloux, vous avez en eux 
des ennemis implacables : s'ils ne le font pas, 


D! 


leur complaifance à votre égard les met trop 


_ 


1 


EN AFRIQUE. Ot 
de niveau, & l’on perd à leurs yeux l’utile fu- 
périorité qui les avoit éblouis. Quand cette paf- 
fion ne feroit pas générale, il eft toujours quel- 
ques individus qu’elle tourmente , & l’on obferve, 
avec raifon, que les Nations qui font le moins 
fujettes , ont aufi les mœurs plus diflolues , & 
s’éloignent davantage de la Nature. 

Pour fe faire connoître avantageufement des 
Sauvages, il faut que la fupériorité du côté de 
Ja force foit toujours la dernière des facultés par 
lefquels on fe fafle valoir, parce qu il n’eft pas 
naturel de fe défier de ceux qu’on ne craint 
pas. Tout en prenant des précautions, on doit 
conferver un air calme & ferein, ne faire con- 
noître & n’employer des armes, lorfqu’on voyage 
chez eux, que pour leur rendre des fervices, 
foit en leur procurant du gibier, foit en les ai- 
dant à détruire les bêtes féroces ennemies de 
leurs troupeaux. On peut , après, quitter une 
Horde en toute fécurité, certain de n’y laïffer 


que des regrets, & que la reconnoïffance vous 


rappellera fans ceffe à fon fouvenir. Plufeurs 
d’entr’eux ne pourront fe réfoudre à fe féparer 
de vous: ils fe détacheront pour vous accom- 
pagner. & vous conduire vers une autre Horde, 
chez laquelle , fur les témoïgnages avantageux 
de vos guides, vous êtes afluré de trouver le 
même amour, le même emprefflement , les mê- 
mes fêtes, & ous les foins de la confiante hof- 
pitalité, 

C’eft avec ces principes de paix, fi Lou 
mes à mon humeur, que j'ai traverfé une pe- 
tite partie d’une immenfe portion de la terre, 
& que J'auroïs parcouru l'Afrique entière, fans 


92 . VV OQYAGE 


des obftacles infurmontables que tout mon zèle 
n'a pu franchir, & dont il eft inutile ici de ren- 
dre compte. | 

C’eift encore d’après ces maximes que J'ai de 
plus en plus fenti qu’on ne peut aflocier per- 
{onne à ces entrepriles, fans courir le rifque de 
les voir avorter. J'étois für de ma facon d’en- 
vilager les dangers & les moyens d'y remédier. 


Entouré de monde & d'amis égaux en pou- 


voir, je n’aurois pas dù me flatter , dans des 
fituations épineufes, de leur faire embrafler pô 
avis. La fottife d’un feul pouvoit caufer la pert 
de tous : en me trompant , je n’avois à me re- 
procher que la mienne. | 


On repréfente les Hottentots comme une Na- 


tion miférable & pauvre ; fuperftitieufe & fé- 
rocé , indolente & mal-propre à l'excès : enfin, 
on la ravale de toutes ies manières. Quand üil 
y auroit dans ces affertions légères, une affer- 
tion qui approchôt de la vérité, il valoit mieux 
pour en fupprimer l’exagération outrée, s’en te- 
nir fimplement aux contes déja fi abiurdes de 


ces ennuyeux Colons , qui fe plaifent à trom- 


per un Etranger, par cela feul qu’il efpère 
s’infiruire en les écoutant. Il failoit parler d’a- 
près fa propre expérience, & ne rien dire de 
plus que ce qu’on n’avoit vu. C'’eft alors, par 
exemple, que, dans l'ouvrage du Doéteur Spar- 


mann , très-eftimable à plus d’un égard, les 


obfervations intéreflantes, & qu’il a bien décri- 
tes , ne fe trouveroient point noyées dans un 
déluge de récits très-apocryphes de chaffes , de 
Lions , d'Eléphans, &c. plus invraifemblables 
& mal-adroits les uns que les autres. C’eft alors, 


B'NIANER OU EE 93 


en un mot, qu’il n’eût point parlé de la Licorne, 
peût-être deflinée par un Colon fur on ne fait 
quelle roche inhabitée, & qu'il fe für aufh gardé 
de fubftituer la fortne carrée , à la forme ronde 
des’huttes de la Caffrerie , qu’il n’a jamais vi- 
fitée. Je dois convenir, en ER de ce Savant, 

que fa candeur & fa probité lui préfenitoient 
toutes ces chofes comme’inconteftables, du mo- 
ment qu elles lai étoient certifiées par un Colon. 

Jan - Kock , particuliérement ; quil annonce 
comme l'obfervateur le plus habile & le plus ju- 
dicieux qu'il aît connu, ne s’attendoit pas fans 
doute aux éloges butée qu’il lui prodigue à la 
face d’une Colonie, d’une Ville eñtière qui lés 
réprouve À & ne balance pas, pour ces erreurs 
feulément , à ranger auprès de Kolbe un livre 
utile à plis d’un tite, fi l’Auteur avoit fu le 
réduire aux matières qui ui étoient plus fami- 
lières. 

. Je tends- hommage à la vérité, quand je la 
trouve dans le Doéteur Sparmann, & rejette 
fur fon obfervateur les menfonges qui me ré- 
vôltent. Mais, quand l’un ou Tautre m’aflure 
TC qu'il n’a jamais va les Sauvages s’efluyer, 
5 nettoyer leur peau ;' que ,; pour fe détachér 
5 es mains | ils les frottent avec de la bouze 
tr : de Vache ; ‘qu’ils s’en frottent auf les bras 
}, jufqu'aux épaules ; que cette onétion ; qui 
5 “meft pas néceflaire , eft de pur orhement : 5 
5x. qu’ainfi la pouffière & les ordures , fe mé- 
5 Jant à léur onguent de fuié ; & à la fueur 
:, ‘de leurs corps’, s’attachent à leur peau , la cor- 
> rodént continuellèment , &c. ” Ge que M. Spar- 
mann viènt enfuite confeffer qu’il n’a jamais vu 


O4 V0: V: AG Et 


ces Sauvages s’eMuyer, nettoyer leur peau, je 
trouve cette facon de raïfonner fort légère, & 
cette logique très -inexaéte ; car fi j'atteftois à 
mon tour que je n’ai jamais remarqué que la 
bouze de Vache fût un pur ornement pour le 
Hottentot, que je n'ai point vu leur peau fe 
corroder par la fueur, les onguents & les or- 
dures , cette aflertion négative ne perfuaderoit 
perfonne , & n’éclairciroit pas la queftion. 

On ne contefte point à ces Sauvages une qua- 
lité qu'ils poffèdent tous fans exception . hom- 
mes, femmes, enfans : c’eft d’être les nageurs 
& les plongeurs les plus adroits qu’on connoifle. 
Que doit-on conclure de ce que j'ai rapporté 
des femmes que je furpris nagcant & plongeant 
comme des poiflons, finon que cet ufage qu'ils 
obfervent plufieurs fois dans le jour , les con- 
duit néceffairement à un genre de propreté qui 
laifle peu de pouvoir aux onguents, ainfi qu’à 
la pouflière, de corroder & de gâter la peau ? 

Les foins & l’exaétitude aflidus des Gona- 
quois pour leur toilette, prouvent affez qu’ils 
aiment la propreté. Tout ce qu’on peut dire, 
c’eft qu’elle eft mal entendue : encore | pour 
aller juiques-là, feroit -il. néceffaire d’expliquer 
s’ils ne font pas contraints à fe boughouer ainf, 
foit par la température du climat , foit par le 
défaut des reflources que la Nature ne leur a 
point indiquées. Leurs habillemens, à la vérité, 
ne font que des dépouilles d'animaux privés ou 
fauvages ; mais , comme je l’ai fait voir, ‘ils 
ne négligent pas , ainfi qu’on a voulu le faire 
accroire, le foin de les purger, & de les ap- 
prêter avant de s’en faire des vêtemens. 


BUN. À FR TI OIQUU.E. .9$ 

Le Hottentot n’eft ni pauvre, ni miférable: 
il n’eft pas pauvre , parce que {es défirs ne 
paffant point fes connoiffances qui font trop bor- 
nées , il ne fent jamais l’aiguillon de la nécef- 
fité. La mifère eft un point de comparaifon 
qu'il né conçoit pas : une parfaite uniformité 
& les mêmes reflources rendant le {ort de tous 
parfaitement égal , quand l’abondance regne , 
ils font tous un Dans la difette , ils ont 
tous des privations : : l’oppoñtion révoitante de 
la richeffe portée fur un char d’or, & de la mi- 
fère qui traîne fes haïillons dans la boue , ne 
fauroit affiger fon cœur : c’eft une idée qu'il 
ne comprend pas. Le fpectacle de l’indigence 
aux abois, ce füpplice des ames compatiflantes, 
ne fe reproduit point à fes yeux fous mille for- 
mes lugubres : c'eft une mortification que l’homme 
fauvage n’effuye jamais. Si l’homme focial sy 
habitue avec le temps ; s’il parvient à ce de- 
gré d’endurciffement qui lui fait traiter d’opti- 
mifme cette inégalité des conditions fi révoltante 
& fi défaftreufe , ce n’eft plus un enfant avoué 
de la Nature ; elle le méconnoît , le repouffe, 
honteufe de fon propre ouvrage qu’ont défiguré 
d’autres mains. 

Après avoir interrompu fi longtemps le fil 
des petits évènemens de mon Voyage, pour 
établir une fois des apperçus certains fur ces 
Hottentots trop peu connus jufqu’à nos jours, 
il manqueroit quelque chofe aux éclaircifflemens 
que J'ai donnés, fi je ne parlois pas d’une ef- 
pèce particulière qu’on pourroit appeller cor- 
pofite, & qui ne date tout au plus que d’un 
fiècle, Je ne crois pas qu'aucun Voyageur en 


46 | A A es 

ait fait mention. Cette nouvelle efpèce , ‘un jour, 
en effacera d'anciennes, & l’époque de fa pui 
fance amenera fans doute de grands changemens 
dans la Colonie, & hâtera fa ruine. La multi- 


plication dé ces individus’, qui peut devenir: 


infinie , devroit allarmer la politique des Hol- 
landoïs ; mais elle dort, & femble fe fouciet 
fort peu des conféquences funeftes de fon inertie. 

Je veux parler des enfans naturels provenus 


dù mélange des Blancs avec les femmes Hotten- 


totes, & de ces mêmes femmes avec les Nèpres. 
On les nomme communément au Cap, Baffers : 
cette dénomination appartient néanmoins plus 
particuliérement aux premiers , parce que les 
feconds font moins nombreux. Les Hottentotes 
ne fe livrant pas facilement aux Nègres, pout 
lefquels elles ont une forte de mépris, atténdu, 
difent - elles, qu’ils fe laiffent vendre comme 
des bêtes , aulieu, d’un autre côté, qu’elles fe 
regardent comme honorées d'avoir un commerce 
avec les Blancs, & de porter le titre de leurs 
maîtreffes. C’eft cette race provenue de ces def- 
nières unions qui gagne & multiplie confidéra- 


_blement ; elle eft libre comme le Flottentot ; 


mais elle s’eftime au-deffus de lui, malgré le 
mépris qu'on en fait au Cap, où l’on n’éft pas 
même dans l’ufage de les baptifer. Le caractère 
de ces individus tient plus de l’Européen que du 
Hottentot ; ïls ont plus de courage, plus d’é- 
ñergie que ce dernier : le travail ne les rebute 
point. En revanche , plus bovillans, plus en- 
treprenans , ils ont plus de méchanceté, Îl n ’eft 
pas rare de les voir aflaffiner les maîtres aux- 
quels ils ont vendu leurs fervices : ce font eux 

encore 


EN. À &.R L' QUE; 07 


éncore plutôt que les Nègres qui fe déclarent 
les premiers machinateurs des trahifons de toute 
efpèce qui fe commettent, chaque jour, fur les 
habitations. Le Hottentot, trop doux , trop apa- 
thique pour fe livrer à des entreprifes atroces, 
n’auroit pas même affez de force pour fe char- 
ger de leur exécution ; les plus mauvais traite- 
mens ne font point capables de lui en infpirer 
la penfée. En un mot, le Colon, qui n’a chez 
lui que des di Mios à fon fervice, peut dor- 
mir tranquille , certain qu’il feroit averti bien- 
tôt du danger, s’il en étoit menacé. 

Le Bafter-Blanc eft bien fait, robufte ; fa peau, 
d’un jaune plus clair que celle du Hottentot , 
a la couleur d’une écorce de citron défléché : la 
vue en eft défagréable. Ses cheveux font noirs 
plus longs & moins crépus ; la communication des 
femmes de cette nouvelle fabrique rend , comme 
il eft naturel de le croire, une éfpèce encore 
plus blanche dont la chevelure eft auffi d’au- 
tant moins frifée ; & quoiqu ’en allant toujours 

gscduellement , il n’y ait plus à la fin de dif- 
ne - fenfible avec les cheveux & la blancheur 
de la peau des Européens, la proéminence des 
pommettes des joues {e fait toujours remarquer: 
c’eft un caraétère indélébile qu’on reconnoît juf- 
qu'après la quatrième génération. 

La copulation des femmes Hottentotes avec 
les Nègres donne naïffance à des individus bien 
fupérieurs à ceux dont je viens de parler. Ils 
ont d’une flature plus belle & plus diftinguée ; 
ils ont une figure plus agréable & plus revenante ; 
Jeur couleur qui tient le milieu entre le noir du 
père , & le fond olivâtre de la mère, eft bien 

Tome IT. G 


08 VovAGz), 

moins choquante pour les yeux; leurs. quälités 
phyfques & morales font aufli très-différentes - 
on les recherche pour le travail ; mais ce qui 
les rend fur-tout eftimables & trésprécieur. c'eft 
qu'ils joignent à beaucoup d'aétivité, fans tut- 
bulence, le mérite d’une fidélité qu” ne fe dé- 
ment jamais, & qui n’eft guères le partage d’au- 
cun Bafter - Blanc. Malheureufement cette ef- 
pèce-là n’eft pas la dominante, à caufe de la dif- 
ficuité d’unir ces Hottentotes aux Nèores, dont 
elles ne font aucun cas. 

Il eût été depuis long-temps de l'intérêt public 
& particulier des Colons d’exciter Padminiftration 
à prapager cette elpèce d'hommes: les facrifices 
n’auroient pas été bien onéreux, & le Prix des 
avances & des fraix fe feroit retrouvé re la 
fuite au centuple. | 

Nous ne fommes plus dans ces fiècles d'igno- 
rance factée, où tout ce qui étoit noir étoit an- 
thropophage.Les Ffpagnols eux-mêmes ne croyent 
plus aujourd’hui, comme au temps de léurs bar- 
bares incurfions au Pérou , qu’une belle amé 
ne puille exifter que dans un corps blanc. Les 
Voyageurs, &, plus qu'eux, une faine philofo- 
phie, nous apprennent qu’une vilaine enveloppe 
peut couvrir un diamant précieux. Parmi les 
diverfes Nations Nègres qui bordent les côtes 
occidentales de l'Afrique , quelques-unés fe dif- 
tinguent des autres par un naturel plus focial, 
par des inclinations plus nobles, par une apti- 
tude & une énergie plus grandes. C’eft cette ef- 
pèce qu'il etc fall préférer pour la répartir dans 
la Colonie , en lui accordant toute frarchife; les 
Colons auroïient favorifé de tout leur pouvoir , 


E Ni À ER s Q U % 09 


l'union de ces nouveaux - venus avec les Hot- 
tentotes. Ces femmes les voyant libres, ne les 
auroient plus dédaignés , & fe feroient bientôt ac- 
coutumées avec eux : c'eft alors que fe fût ac- 
crue une génération d’hommes qui, réuniffant 
au naturel pacifique & doux de leurs mères les 
qualités eflentielles des meilleurs Nègres de la 
Guinée , euflent fait tomber comme inutiles & 
même dangereux , les fers cruels de l’efclavage 
dans toute cette partie fi précieufe de l’Afrique. 

Mais ces moyens faciles & naturels, dont l’exé- 
cution n’auroit rencontré ci-devant aucun obf- 
tacle, ne feront jamais employés : il eft trop tard 
maintenant ; la race turbulente des bâtards biancs 
l'emporte, & l’on peut prévoir qu’un Jour elle 
deviendra la dominante au Cap de Bonne-Ef. 
pérance. 

Au refte, quand ce projet feroit encore pra- 
ticable, le ouoment & la bonne volonté de 
la Compagnie Hollandoïle échoueroit contre les 
obftacles. Exa@te jufqu’au fcrupule dans fes en. 
gagemens, on fait qu’elle eft d’une générofité 
que toutes les aflociations de commerce , pour 
leur bonneur & leur profpérité, devroient pren- 
dre pour modèle. On ne doute point qu’elle ne 
fît, fans balancer , tous les facrifices néceffairés 
à l'exécution de ce beau plan fi digne de l'im- 
mortalifer : un vice radical, le vice du Gou- 
vernement s’y oppole. Il Énidnait . Avant tout, 
expatrier les Habitans du Gus & des Colonies, 
ou refondre au moins leur e{prit pour y détruire 
les préjugés ridicules & anti-patriotiques qui les 
affectent tous. 

On fouffre, parce qu'il n’eft plus poffible d'ar-, 

- G 1] 


100 Voyager 


rêter les progrès du mal, que ces Colons fi vains 
de leur couleur, & qu'aucun mérite perfonnel 
ne diftingue de leurs efclaves : on fouffre, dis- 
je, que ces ineptes Payfans, fiers d’une fortune 
médiocre qu'ils ne fe {ont pas même donné la 
peine d'acquérir par leurs travaux , regardent 
& traitent avec mépris des hommes qui ayant 
bien mérité de la Compagnie par les fervices qu'ils 
lui ont rendus, foit comme Soldats, foit comme 
Matelots , viennent s'établir au Cap en vertu 
de la permiflion que leur a oëtroyée le Gou- 
vernement ; de telle forte que le dernier ,le plus 
inutile des Colons ne voit jamaïs dans cet ha- 
bile Matelot ou ce brave Soldat qu’un être en 
quelque facon dégradé , auquel il rougiroit d’ac- 
corder fa fille ; & cette fille même, élevée dans 
ces principes, périroit de douleur plutôt que de 
devenir la compagne d’un de ces défenfeurs de 
la Patrie, 

Dans ces circonftances , un brave Matelot ou 
Militaire foumis comme tous les autres hommes 
aux befoins & aux loix impérieufes de la Na- 
ture, plus eXigeante encore dans les climats brü- 
lans que dans les Pays tempérés, dans l’im- 
puiffance d’aflocier fon fort à celui d’une Blan- 
che qui le rendroit heureux, n’a d’autre parti 
que de s’unir à une Hottentote. De-là cette 
prodigieufe quantité de Bafter-Blancs qui inon- 
dent aétuellement les Colonies : le fang turbu- 
lent de l’Européen circule & fermente dans leurs 
veines ; il en peut à tous momens réfulter des 
troubles que les Colons trop difperlés pour fe 
réunir allez tôt, n'auront ni le temps ni le pou- 
voir de prévenir. | 


EN À BRIQUE. IOI 


On fait monter cette race bâtarde à un fixième 
de tout ce qu’il y a de Hottentots dans les Co- 
lonies : l'époque de ce mélange remonte tout 
au plus à celle de l’établiffement Hollandois, 
c’eft-à-dire à cent trente-fix ans. Il n’eft pas 
dificile de préfumer que lors même que la com- 
munication avec les Hottentotes encore Sauva- 
ges n’auroit pas tardé à s'établir, elle n’a dû être 

ni auf facile , ni aufi générale que ‘de nos jours ; 
& certes, d'un autre côté, la population de la 
Colonie ne montoit pas comme aujourd’hui à 
vingt-quatre millé Blancs. Cette obfervation fuf- 
firoit feule pour donner une idée de la progref- 
fion identique des uns & des autres. Chaque jour 
la race Hottentote foumile aux Colonies s’éloi- 
gne de fon caraëtère & de fon origine ; elle s’a- 
bâtardit & fe confond par fon mêlange des Nè- 
gres & des Blancs ; fa dégénération s’accélère ; 
elle difparoîtra tout-à-fait. Le tempérament phleg- 
matique & froid du Hottentot arrête aflez déjà 
les progrès de fa poftérité , tandis que la même 
caufe chez la femme produit un effet tout con- 
traire , & la rend très-féconde : les Hottentotes 
obtiennent de leurs maris trois ou quatre enfans 
tout au plus ; avec les Nègres, elles triplent ce 
nombre , & plus encore avec les Blancs. 

Si le Bafter eft d’un naturel méchant, sil eft 
hardi, vindicatif, entreprenant, perfide, feroit- 
ce, hélas! parce qu'il eft le produit d’un Blanc 
& d’une Hottentote , & que les enfans tiennent 
plus du père que de la mère? Cette préfomp- 
tion toute affigeante qu’elle foit pour notre ef- 
pèce, ne fera pas contredite, S'il arrive , ce qui 
eft bien rare , qu'une femme Blanche ait des 

G il 


102 Vio + Aale 

privautés avec un Hottentot , le fruit qui en 
provient a toujours la bonhommie , les inclinations 
douces & bienfailantes de fon père. Ces exem- 
ples , je le répète , ne {ont pas fréquens. En 
matière d'amour , au Cap comme en Europe, 
les femmes montrent plus de réferve, de rete- 
nue & de délicatefle que les hommes : ceux-ci 
au contraire ne balancent point à fatisfaire leurs 
fantaifies , quel qu’en foit l’objet ; & les dangers 
qui en réfultent ne font pas non plus les mêmes 
pour l’un & pour l’autre fexe ; maïs les bâtards 
des Blancs & des Hottentotes portent au con- 
traire le germe de tous les vices & de tous les 
défordres. 

T'elles font , en général , les connoïiffances que 
j'ai acquifes par moi-même en vivant avec les 
Hottentots. Je m’arrête, de peur de fatiguer l'at- 
tention par ces détails iidob & je n’y revien- 
drai que lorfque l’occafion d'en parler fans en- 
nui {e préfentera d’elle-même au milieu de mes 
courfes & des événemens de mon Voyage. 

Comme je me propofois de pañler plus d’un 
jour en Afrique , mon premier foin fut d’étu- 
dier la langue de ces Peuples : je réuffis dans 
mon projet au-delà de mon défir. Cette langue, 
à la vérité fort pauvre, n’a point-beloin de mots 
pour exprimer des idées abfiraites & trop mé- 
taphyfiques ; elle n’eft fufceptible d'aucun orne- 
ment; mais, pour n’avoir ni fleurs bien élégan- 
tes, ni fyntaxe bien exacte , fes difhicultés n’en 
font pas moins inextricables à qui n’apporteroit, 
dans cette étude, ni goût, ni patience. Durefte, 
Jai trop recu le prix de mes peines dans cette 
partie de mes travaux, par toutes les jouiflances 


L 


Ë N À FRIQGUE. 105 
que. m'a procurées le pouvoir de m’entretenir li- 
brement avec eux, pour que j’aye à me repen- 
tir d’avoir ajouté la connoïflance de cet idiôme 
fingulier, aux diverfes langues, dont les pré- 
ceptes ont fait le principal objet de l’éducation 
très-févère que J'ai reçue. 

La langue Hottentote ne reffemble point, 
comme l’ont écrit plufieurs Auteurs anciens, ., au 
» glouflement des Dindors , au bruit confus que 

, font les Dindes qui fe battent, aux cris d’une 
" . Pie , aux huées d’un Chat - Eluant ” ; leurs 
fons imitent encore moins le cri des Cubes 
Souris ; ce qu'ont avancé Pline & Hérodote. 
Il fuffit de comparer entr’elles toutes ces diver- 
fes affimilations pour juger qu’il eft impofñible 
qu’une langue puifle reffembler à toutes ces cho- 
fes en même-temps ; il n’eft pas moins faux qu’à 
entendre les Hottentots converfer enfemble, on 
puifle les prendre pour un peuple de bègues, 
De toutes ces aflertions qui fe heurtent & Î{e 
contredifent , on eft néceflairement conduit à 
penfer qu'aucun des Voyageurs qui ont parlé 
du langage Elottentot, n’y a fait une attention 
aflez férieufe pour en donner une idée nette & 
précife , & que, par conféquent, fans que je pé- 
nètre les motifs de leur ignorance profonde, ils 
fe font trompés avec autant de bonne foi, qu'ils 

hous trompent nous-mêmes. 

Cette langue , malgré fa fingularité & la dif- 
ficulté de fa prononciation , n’eft pas fi rebutante 
qu’elle le paroît d’abord : elle s’apprend avec de 
la perfévérance. J'ai connu des Colons qui la par- 
Joient couramment, &je fuis parvenu moi-même 
à me faire entendre en peu de temps. Elle ejt 

G iv 


104 VoyaAGr=z 


en général très-difficile pour tout Européen, mais 
plus encore pour un François que pour un Hol- 
landois, un Allemand, &c. attendu que lu, l’x 
& le G@ ne fe prononcent pas autrement que 
dans ces deux dernières langues; c’eft-à-dire l’u 
par lou , & les deux autres lettres par des ex- 
pirations ‘auquel le gofier françois n’eit pas fait, 
& qu'il faifit avec peine. 

De tous les vocabulaires publiés dans différens 
ouvrages, il n’en eft pas un dont on puille com- 
prendre un feul mot : c’eft en vain qu’on vou- 
droit en faire ufage , on ne feroit point entendu; 
& jamais un Hottentot ne foupconneroit même 
que ce fût fa langue qu’on lui parlât. Ib femble 
qu ‘on fe foit plu, dans tous ces vocabulaires, 
à retrancher le feul caraëtère qui fouvent fait 
toute Îa fignification d'un mot; on n’y a fait 
nulle mention des différens clappemens de la lan- 
gue : fignes indifpenfables qui précèdent ou fé- 
parent les mots, & fans lefquels ils n’ont aucun 
ens clair & précis, 

Ces clappemens font de trois efpèces bien 
diftinétes : le premier que je défigne ainfi (A), 
celui dont on fait le plus d’ufage, le plus fim- 
ple, le plus doux , & le plus facile à exécu- 
ter , s'opère en appuyant la langue fur le pa- 
lais contre les dents incifives , la bouche: étant 
fermée : c’eft alors que détachant la langue avec 
vîteile en même-temps qu’on ouvre la bouche, 
ce clappement fe fait fentir. Ce n’eft rien autre 
chofe que ce petit bruit qui nous eft aflez fami- 
lier , lorfqu’obfédés par un ennuyeux, nous 
voulons témoigner , fans parler, qu'il nous im- 
patiente. 


EN AFRIQUE 105 


Le fecond clappement (v) eft plus fonore que 
le premier : il fuffit de détacher la langue du 
milieu du palais, & d’imiter parfaitement la ma- 
nière qu’emploié un écuyer pour faire partir 
des chevaux , ou pour accélérer leur marche. 
Il ne faut dans ce cas employer aucune force ; 
mais détacher fimplement la langue, & le fon 
fe produit de lui-même. Si le fon étoit trop ar- 
ticulé ,; il feroit alors impoflible , ou tout au 
moins très-difucile de le lier comme il faut avec 
la première fyllabe du mot qui doit fuivre im- 
médiatement. 

C’eft au ciappement de la troifième efpèce (A) 
qu’il faut donner le plus de force ; il fe pro- 
nonce avec plus d'énergie, & fe fait bien en- 
tendre : c’eft celui dont on fait le moins d’ula- 
ge, & qui femble le plus difcile. Il demande 
beaucoup de peine & d’attention pour ladap- 
ter, comme il faut, au mot qu’il précède, at- 
tendu qu’il s'exécute par une contraétion fingu- 
lière de la langue qu’on retire au fond du pa- 
lais près de la gorge. On conçoit bien qu’après 
cette collifion, elle emploie un grand mouve- 
ment pour revenir , près des lèvrés , articuler 
les mots qui doivent la fuivre, fans aucun figne 
de repos & fans intérruption. 

Ces divers clappemens ont encore une mo- 
dulation différente , & peuvent être plus ou 
moins difficiles à exécuter, fuivant la lettre ou 
la tyllabe qu'ils frappent , & avec lefquelles, 
comme Je l'ai dit, il faut qu'ils foient liés pour 
ne pas faire de contre-fens. C’eft-là ce qu’on 
peut appeller les tons de force de la langue. 

Toutes ces différences paroiffent peu praii- 


‘ 06 Vo + a 8% 


cables, & fur-tout bien dures à l'oreille d’un 
Européen : telles elles m’ont peut-être paru à 
moi-même dans les commencemens ; mais on 
s’y habitue, & je puis aïlurer que ce langage 
à la fin, n’eft pas tout-à-fait dénué d’harmo- 
nie, & PR dans la bouche d’une Hottentote, 
il a fur-tout fes agrémens , comme l’Allemand 
aslesifiens dans: ecllé d’une aimable Saxonne. 

Je conçois que fi, d’après les vocabulaires 
qui ont paru jufqu'ici, on vouloit fe mêler d’é- 
tudier cette langue, & de la parler fans être au- 
trement inftruit de {es principes, on fe perdroit 
dans des mots vuides de fens : ce ne feroit plus 
que confufion, que chaos rebutant, où l’ima- 
gination Éaiuée ne verroit que du ridicule & 
de l’abfardité. 

Il eft à la vérité quelques mots qu’on ide 

fans ce clappement ; mais ces exceptions font 
très-rares. 
… Pour prouver combien les divers fons produits 
par la langue, font néceffaires à la figmfication 
des mots, & comment ils en déterminent le fens 
& les divers fynonymes, je vais citer un exem- 
ple qui rendra ce principe plus facile à com- 
prendre. Le nom d’un Cheval eft Aap en Hiot- 
tentot : c’cft aufli celui d’une rivière. Il eft en- 
core celui d’une flèche : la feule différence du 
clappement de la langue détermine celle de ces 
divers objets. Naturellement prononcé fans col- 
lifion, ce mot fignifie CuevaL ; avec le fecond 
clappement dont j'ai parlé, Rivière; avec le 
troifième, FLÈCHE, de même A ou xp eft un 
rocher ; A-ou1P eft le nom de l'Outarde; A-Ka rr, 
celui d'un Serpent venimeux, & A-Ka 1, du 
Pafan, efpèce de Gazelle d'Afrique, 


EN ÂÀ ER I QU E. 107 
Indépendamment de ces trois efpèces de clap- 
pemens dont la néceflité , comme on le voit, 
eft indifpenfable , il eft encore des parties de 
mots qui ne {ont exactement que des fons pro- 
duits par la gorge ; mais il eft impoñlble de 
les décrire : une longue habitude peut feule les 
graver dans la mémoire ; je les défignerai par 
une petite croix placée au-deflus de la lettre 
où il faudra en faire en ufage. | 

J'ajouterai , pour être plus fcupuleufement 
exat , qu’un feul mot prend fouvent deux figni- 
fications différentes , par la briéveté ou la te- 
nue de fes voyelles. 

D’après ce que je viens de dire , on peut 

_fe figurer aïfément à quel point cette langue 
feroit difücile à écrire, de facon qu’on pût la 
lire & la prononcer avec la préciñion qu’elle 
infpire.. Il faudroit préalablement lui compolfer 
un alphabet paruculier ; & l'habitude des clap- 

| pemens feroit le premier pas d’où dépendroit 

_ le fuccès; mais, comme l'étude de cette lan- 
pue n’entrera Jamais au nombre des beaux plans 
d'éducation de nos élézans , qu’on n’eft pas cu- 
rieux d’envoÿer fi loin pour les former aux 
ufages de la bonne compagnie , & que , d’un 
autre côté , 1l eft inutile de fatiguer le Ieéteur 
par un diétionnaire ennuyeux, qu'il ne lira pas, 
je le fupprime , & le borne tout fimplement, 
en faveur de quelques curieux , aux mots qui 
ne concernent que l’Hiftoire naturelle. 

S'il prenoit envie à quelque Naturalifte de 
parcourir les mêmes Ho d’où je fors , il fe- 
roit trop flatté de pouvoir nommer aux Hot- 
tentots lanimal ou la chofe qu'il auroit envie 


108 VOYAGE 


de fe procurer. Une nomenclature exafte & 
bien accentuée de tous les objets qui l’intéref- 
feront par préférence, ne peut, je crois , que 
lui être utile , & ne fauroit même ici déplaire 
à perfonne. J’eufle été trop heureux qu’un au- 
tre m'eût également applani les premières dif- 
ficultés : ce dictionnaire auroit rendu le com- 
mencement de mes recherches moins rebutant 
& moins pénible. Je me fais un devoir de préfen- 
ter aujourd’hui ce qu’autrefois j'ai fi fort fouhaité 
pour moi-même. On trouvera ci-après les noms 
primitifs de la plus grande partie des animaux 
de l'Afrique, tels qu’ils ont toujours été con- 
nus , & défignés par les Hottentots des déferts : 
J'y joins aufli ceux que leur donnent les Co- 
lons du Cap de Bonne-Efpérance. 

Il faut obferver que les Hottentots des Co- 
lonies , ayant oublié une partie de leur langue, 
défigurent ce qui leur en refte, par un mêlange 
de mauvais Hollandois : en forte que , fans en- 
trer dans les autres inconvéniens que cela oc- 
cañonne , les animaux, par exemple, changent 
de nom, ou en ont plufeurs, fuivant les dif- 
férens Cantons ou les différentes Colonies': ce 
qui produit une confufñion qu’il eft bien difh- 
cile d’éclaircir |, & c’eft une des raïfons de la 
préférence que mérite la nomenclature des peu- 
ples, dont le langage toujours le même , eft à 
labri de tout changement & de toute altération. 


EN ÀÂFÉIQUE. 


 NOMS 
FRANÇOIS. 
poses 


L'Kléphant. 

Le Rhinocéros. 
L’'Hippopotame. 
La Giraffe. : 

Le Buñfle. 
L’'Eland-Gazelle, 
Le Fafan. 

|Le Condouma. 


Le Buballe. 
Le Zèbre. 
Le Kwaga, 


Le Liévre. 


Une Marmotte, 

Le Sanglier. 

1Le Tamanoir, 

Le Porc-Épic. 

Un Chien. 

Des Chiens. 

Un Rat. 

Une Chauve- 
Souris, 

Un Lion. 

Un Tigre, 


Un Chat-Tigre. 
La Hienne. 
Le Chien-Sauva- 


ge. 
Le Jakal. 
Le Cheval. 
Le Taureau. 
Une Vache, 


NOMS 


HOLLANDOIS, 


Oliphant. 
Renoîfter. 
Zee-Koe. 


Kameel-Paerd, 


Beufile. 
Eeland. 
Gems-Bock. 
Couoe, 


Harte-Beeft. 
Welde-Paerd, 


Kwaga , ou wel. 


de-Ezel, 


Haaze, 


Das. 


|[Welde-Varke. 


Erd-Varke. 
Yzer-Vark. 
Hond. 
Honden. 


[Rott. 


Vicer-Muyfe. 


Leuw. 
Tyger, 


Tyger-Kat. 
Wolf. 


Welde-Hond. 


Jakaiïs. 
Paerd, 


Beull, 


Koe. 


| Aap. 


109 


NOMS 


HOTTENTOTS.! 


A---Goap. 
V---Nabap. 
V-.-Kaous. 
A---Naïp. 
a---Ka-opp. 
A---Kaana, 
A---Kaïp.  ‘ | 
V--Koudou, ou 
Gaïp. 
À---Kamap. 
V---Kouarep. 
V-nouV-kouarfep 


+ 
A-=Ou amp. 


+ 
V---Ka oump. 
V.- Kou-Goop. 
A---Goup. 
V---Nou ap. 
A---Harip. 
A---Harina. 
Douroup. | 
A---Nouga-Bou- ! 

TOUp. 

Gamma. 
Garou-Gamma. 

Er 
A-—Ou amp. 
A---Hirop. 
A-.-Goup, 


A---Dirip. 


Karamap. 
Goumas, 


10 


NOMS 


FRANÇOIS. 


Un Bœuf, 

Un Mouton. 
Des Moutons. 
Un Bouc. 

Une Chèvre, 
Un Oïfeau. 

1 L’Outarde. 

La Canne-Pétière 
Un Faifan. 


Un Martinet, 


La Perdrix. 
Une Caiïlle. 
[Un Moineau. 
Un Vautour. 


 LOie-Sauvage. 


Canard de Mon- 
tagne. 
Le Phénicoptère. 
Une Tourterelle. 
Une Montagne. 


Un Rocher. 


Une Rivière. 
Une Fontaine. 
La Mer. 

Un Arbre. 
Un Chariot, 
Ure Fleur. 
Du Lait. 

De PÆFau. 
De la Viande, 


HOLLANDOIS. |HOTTENTOTS. 


Of. 
Schaap. 
Schaapen. 
Bock. 
Gytt. 
Voogel, 
Trap.-Gans. 
Kor-Haan. 
Fefant. 


Welde. Swaluw. 


| M of]. 
 Aas-Voogel. 


'Welde-Gans. 


Berg-Rend. 


Flamingo. 
Tortel-Duyf, 


Berg. 


Klep. 


Rivier. 
Fontyn. 
Lée. 
Boom. 
Waage. 
Blom. 
MelckK. 
Waater. 
Vleefch. 


{Koa Ko, 


[Goumap. 


Goou. 

Goouna, 

Bri-i. 

Tararé bris. 

A---Kanip. 

A---Ou ip. 

A---Haragap. 

ou 
V-Kabos. 

A-O-atfà A-nam- 
bronsir: 

A---Cari-Kinas,. 

A---Kabip. 

V--.Kabari. 

A---Gha ip. 


} + \ 
Gaamp. 


AKaro heigaamp 


À---Oumma. 


A--Ou ip. 


.A---Karip. 
V-.-Aap, 
A---Aaup. 
Hourip. 
Haïp. 
Kouri-ip, 
/\---Narina 
Ueip. 

V-- Kama. 
V--Gaaus. 


ENT AE RETQUE. III 
Dot MUR A Ou CR CRE a 
NOMS | NOMS NOMS 


FRANÇOIS. HOLLANDOCIS. HOTTENTOTS. 


Un Poiflon,  |Vis. A--Ko oup. 
Une Araignée. |Spen. A---Hous. 
| Un Caméléon. V-.-Karou-Koup, 
Un Papillon. Kapelle. Tabou Tabou. 
" | L 
| Trois différentes ] ee HORS uen 
. Gazelles, Duyker. A--A oump. 
Steen-Bock. A---Harip. 
Une Mouche. Vlig. A---Dinaap. 
Un Serpent, Slang, Â-- Sa 
Une Tortue.  |Schil-Pad, A---Ouna. 
Un Crapaud. Pade. A ne der 
Le Légouan. L'Egouane, V.--Nafeep. 
Un Fufñl. Snaphan. A---Kabooup. 
[Une Flèche. Peyl, Â---Aap. 
Un Arc. Boog. Kgaap. 
Une Sagai. Sagaye. A---Aure-Koop. 
Un Européen. Europées. V.--Orée-Goep. 
Un Nègre. Swarte-Jonge Kabop. 
+ Fr 
Un Hottentot, |Hottentot. Khoé-Khoep, 


. 
Une Hottentote. | Hottentoten. Tararé-Khoes, 


Er 


D'après ce que jai dit des mœurs & de la 
fimplicité de cette Nation, on peut facilement 
fe convaincre que fa langue eft pauvre ; & qu’a- 
vant l’arrivée des Européens , elle a dû l'être en- 
core davantage. Ces derniers ont apporté des 
objets nouveaux auxquels il a fallu donner des 
noms ; ce qui fait en même-temps que le Hot- 


19 VOYAGE 


tentot des Colonies a des expreffMons que n’em- 
ploie point, & que n’entendroit pas le Hotten- 
tot Sauvage, à qui la plus grande partie de ces 
objets eft inconnue. 

Quoi qu'il en foit , il y a toujours , dans cette 
langue, beaucoup d’analogie entre la chofe & 
le mot, pour la défigner. Par exemple , ils nom- 
ment le fufil A Ka-Booup : de la maniere dont 
il faut le prononcer , le clappement & la première 
fyllabe À Ka imitent le bruit de la détente du 
chien, & celui de l’ouverture du baflinet : le 
refte du mot Boop défigne, on ne peut mieux, 
l'explofon du coup. 

En général, la langue Hottentote eft très-ex- 
preflive ; & comme, en parlant, ces peuples gef- 
ticulent toujours ) & qu’is repréfentent pour ainfi 
dire, la pantomime de ce qu’ils difent , il fuffit 
d’avoir une connoiffance fuperficielle de leur 
idiôme, pour comprendre aifément les chofes 
les plus importantes. 

Trois femaines bien révolues s’étoient enfin 
écoulées depuis le départ de mes Envoyés ; je 
n'en étois pas à faire les premières réflexions fur 
les caufes qui pouvoient ainfi prolonger leur ab- 
fence ; je concentrois en moi-même toutes mes 
onstides, ne voulant pas en donner à ceux 
qui m'entourolent; c’eût été leur fournir des ar- 
mes contre mes projets; On ne voyoit pas fans 
chagrin ma réfolution déterminée de pénétrer 
plus avant dans la Caffrerie. Je furprenois quel- 
quefois mes gens s’entretenant fur cet article, & 
murmurant plus ou moins contre leur maître : ce- 
pendant ils m’étoient dans le fond toujours at- 
tachés ; &, dans leurs difcours, j’étois le prin- 

ddr 


E NA FPR I QU E 13 
cipal objet de leurs agitations & de leuts crainte 
Ïls ne balançoient point à me regarder Lonie 
un téméraire : qui, {e fouciant apparemment fort 
peu de la vie, vouloit obftinément leur faire 
partager le plus trifte fort en les conduifant à 
la boucherie. Je devois trop preffentir qu'ils étoient 
tous d’accofd pour me quitter, fi je perfiftois 
dans mes réfolutions : je ne les jugeois embarraf- 
fés que dans la manière dont ils exécuteroient , 
ce complot ; je lur vingt-cinq de ces conjurés , 
j'avois découvert qu'il n’y avoit pas deux avis 
femblables. Ceux que javois attachés à mon 
fervice durant la route, ne voyoient point à ce 
départ furtif de grandes difficultés ; mais ceux 
que j’avois engagés chez le Commandant Mul- 
der au Pays d’Auténiqua, & plus encore au Cap 
fous les aufpices du Fifcal ,; étoient dans le doute 
de favoir s’ils retourneroient ou ne reteurneroient 
point à la Ville; en un mot, ils ne pouvoient 
s’accorder ni prendre aucun parti. 

Cependant ils m’acculoient d’avoir facrifié mes 
Envoyés. A la vérité ce retard me paroïffoit ex- 
traordinaire : d’après ce qui m’avoit été dit par 
Hans , il ne leur avoit fallu que trois ou qua- 
tre jours tout au plus, pour fe rendre chez le 
Roi Pharoo. En fuppofant un pareil nombre pour 
y refter, & autant pour revenir, je trouvois, 
par un calcul fimple , qu'ils avoient employé plus 
que le double du temps néceffaire à ce voyage, 
Il falloit donc que quelqu’accident les eût re- 
tardés, ou qu’en effet les foupcons dés Caffres 
euflent été funeftes à ces malheureux ? Je ne per- 
dois pas encore toute efpérance de les revoir ; 


j'allois, flottant dans une mer d'incertitudes, &e 
Tome IT. 


114 VoyYaAGeE 
ne favois à quelle idée m’arrêter, ni quels ordres 
donner au refte de ma troupe pour mettre fin 
à leurs débats, ainfi qu’à leur inquiétude. Mon 
brave Klaas étoit d’avis d'attendre encore, & de 
laiffer partir ceux des rebelles qui montroient le 
plus d'impatience & d'humeur, 

Quoi qu'il en foit, j’affeétois un aïr mt } 
& continuois de chafler à l’ordinaire ; mais une 
pente fecrete me conduifoit machinalement du 
côté par où J'efpérois de voir arriver mes dé- 
putés. Le foir , défolé de n'avoir rien vu parof- 
tre, je regagnois mon gîte pour recommencer 
le lendemain la même promenade inutile & fi 
trifte. C’eft ainfi que nous abufe l'imagination, 
dans l'attente d’un objet ardemment défiré. 

Enfin, Klaas , un foir, vint s’enfermer avec moi 
dans ma tente, & mettre le comble à mes cha- 
grins, en me témoignant qu'il perdoit tout ef- 
poir, & qu'infailliblement Hans & fes camarades 
étoient affafMfinés ; que les”fufils , les munitions 
& les armes dont ïls s’étoient chargés avoïent 
tenté les Caffres ; qu’il n’en falloit pas davan- 
tage pour que cette Nation , actuellement en 
guerre | & manquant de toute efpèce de dé- 
fenfe , & fur-tout de fer, fe fût, fur le champ, 
déterminé à commettre ces meurtres, pour fe 
procurer les dépouilles de ces malheureux; qu'il 
me confeilloit de ne pas laffer plus long-temps 
le refte de ma troupe, puifque, fans leurs fe- 
cours, nous nous verrions hors d'état d'avancer 
ni He revenir. | 

Je ne. fentis que trop toute la force de ce 
raifonnement diété par le plus vif intérêt pour 
ma perfonne, & la füreté de mes in que J’au- 


} 


PNTABER TOURS) ITS 
rois été contraint de laïffer à l’abandon, faute 
de bras & de fecours. J’allois peut-être me lail- 
fer entraîner , & renoncer à mon engagement 


facré de ne point quitter Koks-Kraal, l'unique 


rendez-vous où ces généreux Envoyés pufñent 
rejoindreleur maître , lorfque nous vîmes de loin 
un des quatre gardiens qui furveilloient mes Bef- 
tiaux, accourir vers mon ea , etlrayé & hors 
d'halciné. Il mapprit qu’on venoit d’apperce- 
Voir, de l’autre côté de la rivière, une troupe 
confidérable de Caffres qui fe difpofoient à Ja 
traverfer. Cette nouvelle effraya d’abord tout 
mon monde ; la confternation fe lifoit fur toutes 


les figures : moi feul, toujours bercé de l’efpoir 


chimérique de revoir mes gens, ma première 
peniée fe tourna vers eux; mais cé grand nom. 
bre qu’on venoit de m’annoncer ne cadroit guè- 
yes avec ces préfomptions flatteufes, & détrui- 
foit toute l’illufion. Je dépêchai d’abord quatre 
fafñliers fous les ordres de Klaas , pour aller 
chercher & faire rentrer tous mes Bœufs dans 
le camp: je leur recommandai d'examiner , après 
cela , fans {e découvrir, ces Etrangers, qui, s'ils 
étoient en aufñi grand nombre qu’on vouloit 
me le perfuader : devoient en effet me devenir 
fufpeéts ; de les épier, & de juger par leurs dé- 
marches quelle pouvoit être leur intention. J’a- 
vois en outre expreflément recommandé à Klaas, 
dans le cas où il reconnoîtroit mes Envoyés, 
de me le faire entendre aufli-tôt par une dé- 
charge de fes fufiliers ; maïs au contraire de ne 
fe pas montrer, fi la troupe étoit de Cafñres, 
de ie mettre en embufcade, & de me dépêcher 
un de fes gens, Comme il partoit , arriva le trou- 
H :} 


116 Voyaerz 
peau que ramenoient pr écipitamment au logis les 
trois autres gardiens , qui, comme leurs camara- 
des, avoient Pris l’épouvante. 

De mon côté, je pañlai en revue toutes nos 
armes , & les fis charger : mon intention n’étoit 
pas de commencer moi-même les premiers aétes 
d’hoftilité ; mais, déterminé à attendre l'ennemi 
de pied ne je l’étois encore à le repoufler 
de tout mon pouvoir , & je devois m’y préparer. 

J'avoue que Je n’étois pas tranquille, non 
que je craignille l’événement d’un combat ; mes 
armès me donnoient trop de confiance dans ma 
{upériorité. Mais j’eufle été défefpéré de me voir 
contraint à en venir aux mains avant de m'être 
expliqué. Par-là , je ruinoïis toutes mes efpéran- 
ces ; les intentions pacifiques que j’avois annon- 
cées, & qui pouvoient feules me mériter la fa- 
veur de. parcourir , en liberté , toute la Caffre- 
rie , fe trouvant démenties par ces actes hofti- 
les, je rentrois dans la clafle des Colons, ces 
vils affaflins des Sauvages, & n'’allois plus être 
regardé que comme un ennemi de plus dont il 
falloit exterminer toute la caravane. 

Tout en faifant mes préparatifs, une foule de 
réflexions contraires s’entrechoquoient dans mon 
efprit ; j’en fus tout d’un coup diftrait par une 
décharge qui fut pour tout mon camp un fignal 
de joie. D’après la configne que j'avois donnée 
à Klaas, il n'étoit pas douteux qu’il n’eût re- 
connu mes gens. Cependant un refte de frayeur 
inquiétoit encore mon monde, & j'eus toutes 
les peines imaginables à les raflurer entière- 
ment. Les trois gardiens de mes troupeaux fur- 
tout afirmoient que, dans la troupe des Caf- 


\ 


EN AFRIQUE. Uivé 
fres, ils n’avoient pas appercu un feul Hotten- 
tot : c’eft ainfi que, paffant tout-à-coup de l’ef- 
poir à la crainte , ils répandoient à préfent que 
les coups de fufil qu’on venoit d'entendre , n’an- 
noncoient que trop une action , & que Klaas 
étoit aux prifes avec l’ennemi. 

Mais, à deux ou trois cents pas de nous, au 
détour d’une petite colline , je vis débouquer 
Klaas lui-même : il étoit feul. Je diftinguai fa- 
cilement à l’aide de ma lunette, & fon main- 
tien tranquille , & jufqu’aux traïts de fon vilage. 
Il ne paroïfloit avoir rien d’effrayant à nous an- 
noncer ; j’en fus convaincu lorfque j’eus apperçu, 
quelques minutes après , toute la troupe qui , dé- 
filant par le même chemin, s’avançoit paiñble- 
ment & en bon ordre vers notre camp. Mes 
Hottentots , mêlés parmi les Caffres , annoncçoient 
la bonne intelligence ; je reconnus Hans; ils ap- 
prochoiïent de plus en plus. Je fis mettre bas les 
armes, & recommandai à tout mon monde de 
montrer un front calme & ferein. 

Combien j'étois impatient de recevoir’ ces dé- 
putés , & d’apprendre de leurs propres bouches 
ce que je pouvois ofer fans péril pour eux & 
pour moi! Cependant je ne voulus point aller 

à leur rencontre , ni quitter mon petit arfenal, 
que je n’eufle entendu ces Voyageurs. Lürfque 
les Caffres fe virent à portée de la fagaye, ils 
s’arrêtèrent tous; & Hans, fe détachant de la 
troupe , vint droit à mei. Il m’apprit en quatre 
mots que j'étois libre de voyager dans la Caf- 
frerie; que je n’avois aucun rifque à courir ; que 
j'y ferois refpe‘té comme un ami; que la Nation 
qu'il quittoit, ne pouvoit trop m'inviter à ne 

H ii] 


118 Vo vaAË6E#E 


pas différer plus long-temps, & qu’elle me ver- 
roit avec plaifir ; que je pouvois juger de l’in- 
tention générale, par la confiance qu'ils me té- 
moignoiert eux-mêmes, & la liberté qu’avoient 
prile pluleurs d’entr'eux de venir me vifiter ; 
qu'ils m’offroient toute leur amitié, & me de- 
mandoient la mienne ; qu’en un mot, ils s’étoient 
mis en route dans l’affurance qu’on leur avoit 
donnée”que je les recevrois bien. 

Quant au retard qui nous avoit caufé tant d’al- 
Jarmes , Hans m’apprenoiït qu’arrivé chez les Caf- 
fres, il n’avoit pu rencontrer le Roi Pharoo, 
qui s’étoit retiré à trente lieues plus loin de l’en- 
droit de fa réfidence ; qu’après s'être arrêté quel. 
quetemps, dans l’efpérance de le voir revenir, 
& chagrin de ne pas remplir plus heureufement 
fa miflion , il avoit réfolu de l'aller joindre ; mais 
qu’il avoit appris d’une nouvelle Horde que ce 
Chef étoit encore reparti, & qu’on ignoroit la 
route qu'il tiendroit , & le temps de fon abfence. 
Les uns le croyoient vers les Colonies, d’autres 
chez les Tambouchis, Nation hmitrophe de la 
Caffrerie, où l’on trouvoit à négocier du fer 
& des armes. Îl ajoutoit enfin que, dans l’im- 
poñibilité de remplir mes ordres, & ne fachañt 
quel parti prendre, il avoit préféré de revenir 
vers moi, & de me ramener mes deux Hotten- 
tots; mais que, fur le récit avantageux qu’il 
avoit fait aux Cafires de mon caraétère & de 
mes difpoñtions pacifiques , plufieurs s’étoient 
offerts d'eux-mêmes à l’accompagner , & à venir, 
à leur tour, en députation chez moi, pour m’af- 
furer de la bienveillance générale du Pays qui, 
bien convaincu que Je ne pouvois pas étre ua 


EN ÀAFRIQUZz. 119 
Colon , me recevroit comme un ami, & même 
comme un protecteur. 

Ces Caffres comptoient fur-tout que j’aurois 
le pouvoir de les venger d’un certain Colon du 
Bruyntjes-Hooëgte , dont ils avoient des plaintes 
cruelles à me faire, & dont le nom feul infpi- 
toit l'horreur. J’ai recu effeétivement dans la 
fuite quelques détails fur la vie de ce fcélérat. 
Des confidérations particulières m’empêchent de 
flétrir ici fon odieux nom; mais les crimes qui 
lui ont acquis la célébrité au monftres ne font 
ignorés d’aucun habitant du Cap. C’eft en vain 
que le Gouvernement l’a fommé plus d’une fois 
de comparoître à fon tribunal, pour y rendre 
compte de fa conduite : retranché fur les limites 
où les loix font inertes & fans force, les ordres 
du Gouverneur, & les menaces des Satellites, 
& tous les décrets n’ont été pour lui Ave le fignal 
de nouveaux forfaits. 

Sans de plus longs difcours & de queftions 
ultérieurs qui n’étoient point encore de faïfon, 
je permis qu’on fît avancer ces Cafires. Hans 
leur fit un figne de la main ; &, dans un mo- 

ent , Je fus entouré. Ils étoient, non compris 
M: Envoyés, dix-neuf hommes, cinq femmes 
& deux jeunes enfans : ils me faluèrent, l’un 
après l'autre , par le T'abé que je connoïflois auffi 
bien qu'eux , & qui fut toute ma réponfe à leurs 
complimens. Je comprenois mal leur langage ; ils 
n’emploÿoient point dans leur prononciation , le 
clappement ufité chez les Hottentots; c’étoit dans 
leur. manière de faluer la feule différence avec 
les Gonaquois qui fût fenfible ; mais ils me par- 
loient tous, enfemble , & mettoient dans leurs 

ET iv 


320 Vovasrz 
difcours une précipitation, une volubilité qui 
me fembloit d'autant plus étrange , que, depuis 


près d’un an, je m'étois fait une habitude de la 


lenteur en tout genre de mes inactifs Hotten- 
tots ; je ne pouvois concevoir à quelle caufe im- 
puter ce bourdonnement confus qué bruifloit à 
mes oreilles, & m’impatientois de n’en pouvoir 
démêler aucun fon diftinét. 

Je ne devinois rien de tout ce que fe di- 
foient entr’eux ces Caffres ; mais je remarquois 
qu'ils étoient fort occupés, foit de mon camp, 
{oit de ma perlonne, foit de mon monde, & de 
leurs divers mouvemens. Leurs yeux fe repor- 
toient rapidement d’un objet à un autre : tout 
imprimoit la furprife autour d’eux. J'ai lu 
quelque part que l'étonnement fuppofe l’igno- 
rance ; mais l'ignorance ne prouve pas l’inca- 
pacité. Cette réflexion convient aux Cañfres; 
car on ne peut affurément les accufer d'inep- 
tie, & 1l y à d'eux aux Hottentots, pour la. 
drefle & l’induftrie, une diftance prodigieufe, 
Hans leur avoit beaucoup vanté mes fufls & 
mes piftolets à deux coups : fur fon récit, ils 


étoient difpofés à regarder mes armes comme 
des merveilles. Un d’eux me fit demander , a@, 
nom de tous , fi je ne permettroiïs pas qu'ils les 


viflent : je les fis apporter , & les leur remis 
moi-même fans montrer de défiance : elles paf: 
fèrent de mains en mains, furent examinées &e 
retournées avec l'attention la plus minutieufe ; 
mais leur curiofñté pétulante demandoit quel- 
que chofe de plus je m'y étois attendu : le 
hafard me fervit à propos. Je tirai coup fur 
coup deux Hirondelles qui filoient devant nous, 


EN ÂFRIQUE. 125 


& les fis tomber à quelques pas. Cette aétion 
fubite, mais tranquille , les émerveilla double- 
ment ; ils ne favoient lequel admirer davan- 
tage, ou l’arme ou le Chafleur. Il eft certain 
que ce coup très-heureux qui pouvoit fort bien 
ne pas réuflir , leur donna la plus haute idée 
de mon adrefle, & que j'en profitai pour leur 
en impofer de plus en plus. Je leur demandaï 
par figne , s'ils ne pouvoient pas en faire au- 
tant avec leurs fagayes ; mais ils fecouèrent les 
oreilles en fouriant, & me faïfant entendre que 
cette arme étoit impuiflante pour atteindre des 
oifeaux au vol. Un feul d’entr'eux ie leva, me 
montrant mes Moutons qui paifloient à quelques 
centaines de pas , & me fit entendre que fes cama- 
rades & lui étoient en état de les percer à la 
courfe , ainfi que les autres Quadrupèdes plus 
ou moins grands. Hans fit approcher, & me 
préfenta un jeune Caffre : il étoit parfaitement 
moulé , & d’une figure qui m'intéreffa fur le 
champ. Jufques-là je n’avois vu , pour ainfi 
dire, ces gens qu’en bloc ; je ne pouvois me 
laffer de contempler celui-ci : on m'aflura qu'il 
pañoit dans le Pays, pour un de ceux qui lan- 
côtent, avec le plus de dextérité , la fagaye & 
la mañlue courte (*), & que fon adrefle lui 
avoit acquis une grande réputation. J’avois tant 
de fois entendu parler de la Caffrerie , & de 
fes armes redoutables ,; que je ne voulus pas 
différer ne long-temps de voir par moi-même 


_ ff) C’eft une arme dont ils font ufage de la mîme manière que 


de le fagaye, J'en poffède pne grande & une petite dans mon ca 
in£t, . 


12e VO Y AIGLE L 


ce dont étoit capable un Cafire de dix-huit ans, 
qui fe vantoit Îui-même fi naïvement. L'heure 
du dîner approchoit ; ; Je me propolois de régaler 
tout ce monde.: J’envoyai chercher un Mou- 
ton; &., le montrant du doigt au jeune homme, 
je lui permis de le tirer. Ïl portoit cinq fagayes 
dans la main gauche ; fur mon invitation, il 
en faifit une de fa droite, fait lâcher le Mou- 
ton qui fe met à galopper pour rejoindre le 
troupeau ; en même-temps il brandit {a fagaye 
avec force, & s’élançant en-avant par quatre 
ou cinq fauts rapides, il la décoche : la fagaye 
fie , fend l’air, & va fe perdre dans les flancs 
de l'animal , qui chancèle & tombe mort fur la 
place. 

Je ne pus lui cacher ma furprife & ma Joie: 
tant d’adrefle unie à la force, à la grace, en- 
chanta tout mon monde. L’amour-propre eft un 
fentiment univerfel ; mais il fe modifie fuivant 
les mœurs & les climats. En Europe , il brille 
dans les er , dans tous les traits d’une belle 
femme, & leur donne de la fierté ; il eft l’ame 
des Mis & fait naître des chefs-d'œuvres. Il fe 
cache même fous la bure & les haïllons. En Afri- 
que, un Sauvage ne fait pain le déguifer. Les 
témoignages d’admiration qu’excitoit parmi nous 
mon jeune Chafleur, agrandifloient fon regard , 
& développoient les mufcles de fon vifage. Fier 
d’un pateil triomphe & de mes applaudiffemens, 
fes pieds ne touchoient plus terre ; il mefuroit 
ma taille , fe rangeoït à mes côtés ; il fembloit 
mé dire : TOI, MOI. 

Les gens de fa Nation n’étoient pas moins char- 
més qu'il eût fi bien réufli ; ils me fixoient & 


EN AFRIQUE. 129 


cherchoïent à pénétrer ans ma penfée pour y 
voir tout l’effet qu’avoit produit cet échantillon 
de leur adreffe. 

J'ai eu dans la fuite plus d'une occafion de 
remarquer qu’il ne faudroit à la tête de ces gens, 
qu’un Chef habile & de l’ordre pour culbuter 
& détruire ; dans un moment, la Nation Hotten- 
tote & toutes les Colonies ; mais la fupériorité 
de nos armes rendra nuls leur courage , ieur 
adrefle , tant qu’ils n’auront que des fagayes pour 
défenfe. 

Après avoir retiré fa lance du corps de l’a- 
nimal , le jeune Caffre en ficha plufeurs fois le 
fer dans le fable , & l’effuya foigneufement avec 
ue poignée d'herbe, 

J’étois fâché de ne pouvoir m'expliquer direc- 
tement avec ces-nouveaux-venus; les longueurs 
_de l'interprétation, peut-être aufli la concep- 
tion bornée de l'interprète , me caufoient des 
impatiences que je modérois à peine. D'un autre 
côté , plus vifs, plus ouverts, n'ayant rien dans 
leur caraétère qui approchät de la taciturnité filen- 
cieuie des Hotrentots, ces gens me gagnoient 
de viîteffe ; &, depuis “leur. arrivée , je n’avois 
encore fait que répondre aux queftions dont leur 
curiolité ne cefloit de m’accabler. J’avois beau- 
coup moins de chofes à leur apprendre qu’à 
leur demander; je me flatiois de voir bientôt 
{e calmer cette volubilité de paroles & de geftes 
confus , & que j’aurois enfin mon tour quand ces 
premiers momens d’effervefcence feroient amortis, 

Plus prévoyans que les Hoitentots, donnant 
moins au halard pour leur nourriture, ils ne 
s’'étoient point embarqués, comme on dit, fans 


124 Vovacer 

bifcuits ; ils avoient amené avec eux plufeurs 
Bœufs deftinés pour leur cuifine, & quatre au- 
tres pour porter leur toilctte de jour & de nuit, 
en un mot tous leurs bagages. Ils n’avoient pas 
oublié non plus quelques-uns de ces paniers que 
j'avois admirés chez les Gonaquois, & dont ils 
fe propofoient de faire , en route ou bien avec 
nous, des échanges avantageux. Ils avoient en- 
core quelques Vaches avec leurs Veaux ; au 
moyen de quoi cette caravane portoit un air 
d’aifance & de fomptuofité qu’on fe flatteroit vai- 
nement de rencontrer au fein des vallées lugu- 
bres de la Savoye. 

Je marquai à quelque diflance de mon camp 
l'endroit précis où je voulois qu'ils fe iogeaffent ; 
&, pius heureux ou mieux obéi qu'Idoménée, 
lorfau”’il bâtifloit la ville de Salante, en un demi- 
quart d'heure, je vis s'élever, fous mes yeux, 
leur petite colonie. 

Les feux furent allumés ; on coupa le Mou- 
ton par morceaux ; il fut rôti; & bientôt il n’en 
refta plus que la peau. Je n’ignorois pas com- 
bien l'intérêt eft un agent puiffant pour faire mou- 
voir tous les hommes ; combien fur-tout il les: 
difpofe à la bienveillance. Je fis, dans les cir- 
conftances où Je me trou vois , l'application de 
ce principe qui m'avoit plus d’une fois réufñ: 
je voulois m'’attacher les Caffres comme j’avois 
fait les premiers Sauvages que j'avois rencon- 
trés , & fur-tout les Gonaquois. Je diftribuai 
donc à mes hôtes diverfes efpèces de quincail- 
leries & du tabac. Ils reçurent mes prélens avec 
fatisfaétion ; &, fur le champ, chacun fe mit 
en devoir d'en faire ufage. 


SN AMIE I Q@ U E. la 


Mais ce qui fixoit davantage leur imagination, 
& qu’ils m’auroient efcamotté de bon cœur, c’é- 
toit du fer. Ils le dévoroient dés yeux, le van- 
toient exceffivement , & fembloient l’eftimer par- 
deflus tout. Leurs regards étoient tombés fur des 
haches, des pioches, de grofles tarrières, des 
outils de toute efpèce qui fe trouvoient à l’ar- 
rière de mes chariots ; ils les convoitoient avec 
une forte d’impatience ; il n’y avoit, pour ainf 
dire, qu’à mettre la main deflus. J'étois fi bien 
fait déjà à la manière de traiter avec les Sau- 
vages., & je les craignoïs fi peu , puifqu'il faut 
Je dire, même quand je n’aurois point été fi 
puifflamment armé , que je leur aurois volon- 
tiers abandonné ces objets; mais avec tout l’at- 
tirail que Je traînois à ma fuite, ils m’étoient 
devenus d’un ufage tellement indifpenfable , qu'il 
m’eût été impoñhble d’en faire fi généreufement 
le facrifice. Afin de leur Ôter tous défirs, ou du 
moins d’en diminuer l’ardeur , puifqu’il n’étoit 
plus temps de leur dérober la connoiïffance de 
ces outils précieux , J’ordonnai qu’on les cachât 
avec foin. D’après tout ce que j’avois appris des 
embarras de ces Sauvages , relativement à leurs 
armes, il étoit en effet très- dangereux d’exci- 
ter plus long - temps leur envie; elle pouvoit 
leur fuggérer des intentions nuifibles à mon re- 
pos. & le moyen tout fimple de s’en emparer 
par la rufe, s'ils ne le pouvoient par la force. 
Tel eft en général le caractère du vrai Sauvage: 
& telle eft la Nature : nul n’a le droit de re- 
tenir Ce qui appartient à tous , & la moindre iné- 
galité feroit la fource des plus grands malheurs, 
Quiconque a lu le Foyage du Capitaine Cook 


Ld 
#9 


6 VO Y A GE 


dans les mers du Sud, a dù remarquer que ce 
Marin & toutes les perfonnes de fon équipage, 
ne mettoient Jamais pied à terre , fans faire quel- 
ques pertes. Les Infulaires venoient les voler juf- 
ques fur leur vaifleau ; on enlevoit aux Chaf- 
feurs leurs armes . aux Matelots leurs habille- 
mens, &c. Le Naturalifte Forfter raconte dû 
Doëteur Sparmann, qu'après qu’on lui eut volé 
fon épée, il perdit encore dans la même courfe 
les deux tiers de fon habit. Les Caffres & les 
Hottentots ne font point encore parvenus à ce 
degré d’adrefle ; mais ïls ne font pas fur ce point 
exempts de tout reproche. Afin de bien vivre 
avec eux, il faut apprendre à devenir'tolérant 
fur cet article, ou ferrer foigneufement. 

La preuve du befoin preflant qu’avoient les 
Caffres de fe procurer du fer, venoit de fe con- 
firmer fous mes yeux : je me reprochois de les 
avoir fait avancer, peut-être un peu trop tôt, 
& de n'avoir pas affez pris mes précautions. 
Cependant je les fuivois & les faifois épier de 
fort près; nous ne voyions pas fans inquiétude, 
Klaas & moi, par la façon dont ils fe parloïent 
entr'eux, dont ils mefuroient la longueur & 
l'épaifleur des bandes qui bordoiïent les jantes 
de mes roues, à quel point ce trélor les eût 
fatisfaits. Si ces gens avoïent fu lire, & qu’on 
leur eût appris dans les livres pleins de décence 
de nos femmes du bel air, que le plus fimple 
moyen de réfifter à la tentation, eft d’y fuc- 
comber, cette penfée un peu trop philofophique 
n’eût point à coup fûr été prifc par les Cafires 
pour une plaïfanterie, moins encore pour une 
abfurdité; & ma ruine eût été complète. 


DL 'PUN A DUR TL QUE 127 
Les yeux méfans & jaloux de mes Hotten- 
tots ne perdoient rien de tout ce qu'ils voyoient; 
& comme fi mes propres remarques n’euflent 
pas été fuffifantes , ils venoient à tous momens y 
ajouter les leurs , & me faire quelque fcène nou- 
velle. Je pénétrois aflez leurs motifs : de mo- 
ment en moment, je voyois un efprit de haine 
& de difcorde fermenter parmi eux : c’eft alors 
que, rejettant fur moi toute la faute, je me 
teprochai juftement la caufe du refroidiffement 
fenfible de mes gens, qu’avoit fait naître un 
peu trop de précipitation dans mes démar- 
ches , & regrettai de m’èwe mal-à-propos arrêté 
quelques heures au Bruyntjes-Hloogte, pour y 
folliciter les fecours des Colons affemblés, qui, 
par leurs difcours , avoient cffrayé tout mon 
monde , & troublé la bonne intelligence de ma 
caravane : tant ileft vrai que le fuccès en toute 
entreprife dépend du fecret! | 
Dans le moment aëtuel, je ne voyois rien 
cependant qui dût {1 fort allarmer mon efprit: 
nous étions trop fupérieurs à nos hôtes en armes 
& en force, dans le cas où il auroit fallu recou- 
rit à Ja violence, le dernier des moyens à em-. 
ployer avec des Sauvages. Je ne pouvois craindre, 
de leur part, aucune furprife ; l’emplacement 
que je leur avoïs affigné , fe trouvoit fitué de 
facon, que la moindre tentative eût caufé leur 
perte; mais je n’en redoublois pas moins de pré- 
cautions & de févérité, autant pour forcer mes 
gens à continuer leurs devoirs, que pour ôter à 
mes’ hôtes toute idée d'attaque, & la facilité de 
me tendre des pièges. Si j’excepte deux Chaf- 
feurs que j’envoyois régulièrement, tous les 


| 


126 Vovags= 

jours , à la provilion, & quatre autres hommes 
qui gardoient le troupeau fur les pâturages , le 
refte ne s’écartoit point hors de vue. Moi-mê- 
me, je me ténois affiduement au camp; je paf- 
fois des journées entières au milieu des Caffres, 
converfant avec eux, & me faifant expliquer 
par l'interprète commun leurs réponfes aux dif- 
férentes queftions que failoit naître à tous mo- 
mens le défir de m'inftruire, & de recevoir des 
détails exaëts fur cette Nation, moins connue 
encore que celle des Hottentots. L’embarras & les 
difficultés de la traduétion abforboient à la vérité 
‘beaucoup de temps ; les connoïffances dé chaque 
jour arrivoient lentement, & la fomme n'en 
étoit pas bien volumineufe. J’employai à ces 
converfations pénibles une femaine entière; &, 
ne voyant enfin que franchife & bonhommie de 
part & d’autre, convaincu qu’ils agifloient na- 
turellement & fans détours avec moi,Jje me gê- 
nai beaucoup moins; je diminuai quelque chofe 
de ma réferve, & forçai tout mon monde à fe 
mettre à fon aife avec eux. 
Bientôt aufli plus d’habitude de ane langage 
rendit nos entretiens plus intéreffans. Je com- 
mençois à me faire comprendre , & je les en- 
tendois mieux encore. 

Ils ne cefloient de me conjurer de les fuivre 
dans leur Pays; ils revenoïent continuellement 
à la charge fur ce point. Vingt fois on m'’avoit 
répété tout ce que m’avoit appris d’engageant 
mon ‘interprète à {on arrivée : Je n’étois que 
trop emprefté de me rendre à ces invitations fé- 
duifantes; mais mon intention n’avoit Jamais été 
de partir avec eux. On en verra bientôt la pu 

on 


EN: À ER 4, QU k 129 

fon. Je m'excufai, en leur difant qu’il ne m’étoit 
pas poflible de me mettre en marche aufü-tôt 
qu'ils-paroifloient le défirer : puis, les examinant 
tous avec beaucoup d'attention ; j’ajoutai que 
ne connoiffant point leur Pays par moi-même, 
on m’avoit informé qu'il étoit rempli de monta- 
gnes & de bois difficiles à traverfer ; qu’ainfi je 
ne conduirois point mes voitures & mes Bœufs 
avec moi. Cette déclaration ne parut pas les 
affe@er ; &., par le plaifir que leur fit ma parole 
engagée d’aller les voir bientôt, je pus juger qu’ils 
ne comptoient pas infiniment fur mes grofles 
tarrières , .& lur le fer de mes roues. 
_ Mais, à melure que je les comblois d’amitié 
& de promefles, je voyois la vengeance éclater 
dans leurs regards, & qu'ils fondoient fur moi 
leur unique falut. Ils fe parloient , fe prefoient 
les uns fur les autres, & me montroient affez 
par leurs geftes , la haute opinion qu’ils avoient 
conçue de mes forces & de mon empreflement 
à les fervir. Le nom du féroce habitant de Bruynt- 
jes-Hoogte étoit fans cefle à leur bouche : l’un 
des ces Caïfres fe frappoit la tête de défefpoir 
& de rage, en me racontant qu’entr'autres vic- 
times , fa femme enceinte & deux enfans avoient 
été égorgés de la propre main de ce-Colon, & 
que la foif du fang portoit ce tigre au crime , pour 
le plaifir feul de le commettre. Quelque révol- 
tante que paroîtra l’anecdote fuivante , je la place 
ici, comme ils me la racontèrent, & comme on 
me l’a depuis vingt fois certifiée. 

Dars un moment où les Colonies & les Caffres 
pacihés vivoient en bonne intelligence, & n'’a- 
voient plus lieu de fe craindre & de fe perfé- 

Tome Il, | 


150 VOLE 

cuter , le tigre du Bruyntjes-Hoogte » que cette 
harmonie déconcertoit , & qui ne pouvoit fe 
plaire qu’au fein du carnage & des meurtres, 
dans l’efpoir de ranimer les étincelles de la guerre, 
& de faire renaître d’anciennes querelles , ima- 
gina de fe procurer de la Ville quelques canons 
de fufil qui n’étoient plus bons que comme vieux 
fer. Ïl trouva facilement à les échanger avec 
les Cafffes qui en ont toujours befoin. Le mar- 
ché conclu avant de livrer ces canons, il en en- 
cloue les lumières, met dans chacun double 
charge de poudre, les emplit en outre de mi- 
trailles & de morceaux de fer qu’il y fait en- 
trer de force jufqu’à la bouche. Les malheureux 
Sauvages, qui ne connoiflent l’arme à feu que 
pat fes funeftes effets, & nullement par fon mé- 
canifme , emportent chez eux cés canons, & fe 
difpofent bientôt à les faconner pour en faire 
des fagayes. Les feux font allumés ; on y dépofe 
les fatals canons : ils s’échauffent ; la poudre s’em- 
brafe , & produit une détonation épouvantable qui 
éparpille dans un moment l’immenfe brafier, les 
inftrumens , les hommes, & va en eftropier un 
grand nombre à des diftances éloignées. Un 
d’entre ceux qui me citoient cet événement , 
dont toute la Horde avoit été témoin | me 
faifoit compter toutes les bleflures qu'il avoit 
recues dans cette expérience tragique, & les 
cicatrices ineffaçables dont fon corps étoit cou- 
vert. 

Un trait de cette nature fuffit feul pour juf- 
tifier les Caffres de la haïne implacable qui fer- 
mente dans leurs cœurs ulcérés, & dont ils fu- 
cent le levain en naïflant, Pourquoi donnercomme 


ÉN-A RE ET Qu À L5E 


les effets d’un caratère naturellement atroce, 
ces attaques imprévues & fubites, qui ne font 
dans le fond que de juftes repréfailles ? La Na- 
ture n’a pas été marâtre pour le Caffre plus que 
pour les autres Sauvages : l’injuftice & la ty- 
tannie les révoltent tous également ; l'être le 
plus tranquille, le plus infouciant qu’on con- 
noifle, le Caraïbe des côtes méridionales d’A- 
mérique , fe transformeroit en un Lion furieux, 
fi quelque téméraire ofoit feulement attaquer la 
chétive retraite dont ils fe contente. 

Si, fatigués par les perlécutions , continuel- 
lement harcelés & dépouillés , le défefpoir a quel- 
quefois conduit les Caffres à la cruauté ; fi quel- 
quefois leurs projets de vengeance ont réuffi; 
s'ils ont foulé, ravagé des récoltes, brülé des 
habitations , maflacré les propriétaires, la Na- 
tion blanche leur avoit prêté fa fureur en leur 
donnant l'exemple des plus affreux excès. 

La haine du Caffre, malheureufement s'étend 
encore fur une partie des Hottentots que la po- 
litique infidieufe & perfide des Colons n’a pas 
manqué de pervertir & de faire entrer dans fes 
conjurations, afin de diminuer les rifques aux- 
quels la façon de manœuvrer des Caffres les ex- 
pole, & pour leur oppofer des forces égales. Mais 
ces précautions {ouvent échouent contre l’adreffe 
& l'aétive vigilance de l'ennemi des Colons. Le 
Hottento®, trop timide & trop mal armé pour fe 
montrer à découvert, compte beaucoup fur la 
rufe. Chargé de l’efpionnage , il va fourdement 
reconnoître les lieux occupés par l'Ennemi , fur- 
tout ceux où fes richeffes font en réferve ; l'œil 
perçant du Caffre a bientôt éventé ces marches 

| li 


192 VovaAces 
obliques:; il fond comme un trait fur l’efpion, 
& l’immole à l’inftant. 

Je Me en l'étudiant chaque jour da- 
vantage , à prendre de cette Nation fi calomniée, 
une opinion non moins favorable que de celle 
des Hlottentots ; & toujours d’après mes princi- 
pes, & ma manière de traiter avec les Sauva- 
ges, je n’en faurois imaginer avec qui j’eufle eu 
des périls à courir. Mes journées, dont je va- 
riois les occupations & les plaifirs, s’écouloient 
comme par le pañlé, fans inquiétude & fans trou- 
bles. J’avois recommencé mes chaffles ; mes hôtes 
m'y fuivoient alternativement ; mais jeme fai- 
fois accompagner de préférence par le jeune 
Caffre qui me donnoit le plaïlir de voir tomber 
tantôt un Gnou , tantôt une autre pièce qu’il 
abattoit de fa fagaye redoutable, avec autant 
d’adrefle qu'il en avoit montré pour abattre le 
Mouton. Dans une de nos courles, 1l m’aida à 
tuer un Hippopotame mâle & de la plus grande 
taille : ce fut le feul que nous rencontrâmes, 
peut-être aufli le feul qui fût à dix lieues à la 
ronde. Les coups de fufil qui tonnoient de tous 
côtés, depuis le matin juiqu’au foir, avoient fans 
doute écarté tous les autres. Je ne trouvai point à 
celui-ci le goût qui m’avoit tant flatté dans la 
première femelle que nous avions tuée ; mes gens 
prétendoient qu'il étoit trop vieux, & que d’ail- 
leurs les femelles l’emportent pour la délicatefle. 
Son lard étoit d’une confiftance plus folide, mais 
moins épais que celui des femelles, qui ne dif- 
:fère en rien de ce que nous appellons en France 
petit falé ; & , par.- deffus tout , il portoit une 
rancidité rebutante , Pour un gofer qui n’eft pas 


EN AFRIQUE, 130 
Hottentot. Les Caffres, qui d’ailleurs n’aiment 
point la graiffe autant que les Hottentots, n’en 
faifoient pas beaucoup de cas , & préféroient 
leurs Bœufs : le Mouton même ne les tentoit 
guères : raifon fufifante pour n’en point élever 
chez eux. 

Je n’avois point encore remarqué de près les 
bêtes à cornes qu'ils avoient amenées, parce que, 
dès la pointe du jour, elles s’égaroient dans les 
raillis & les pâturages, & n’étoient ramenées 
qu’à la nuit par leurs conduéteurs ; mais, un jour , 
m'étant rendu de fort bonne heure Fa leur 
Kraal , je fus étrangement furpris au premier af- 
pet de quelques-uns de ces animaux. J’avois 
peine à les reconnoître pour des Bœufs ou des 
Vaches , non parce qu'ils étoient infiniment 
plus petits que les nôtres, puifque je leur re- 
connoiflois les mêmes formes & les caractères 
primordiaux , auxquels je ne pouvois pas me 
tromper, mais à caufe de la variété des divers 
contours, & de la multiplicité de leurs cornes. 
Elles reflembloient aflez à ces Lithophytes marins 
connus des Naturaliftes {ous le nom de Bois de 
Cerf. Perfuadé dans le moment que ces con- 
crétions dont je n’avois nulle idée, étoient un 
préfent particulier de la Nature , je regardois 
les Bœufs Caffres comme une variété de let 
pèce ; mais je fus défabufé par mes hôtes. Ils 
m'apprirent que ce n’étoit qu’un chef-d'œuvre 
de leur invention & de leur goût; qu’au moyen 
des procédés qui leur étoient familiers, ils mul- 
tiplioient non-feulement ces cornes, mais qu'ils 
leur donnoient encore toutes les formes que leur 
luggéroit leur imagination, Ils m’offrirent de les 

XL üj 


134 Vo Y A '6.E" 
travailler en ma préfence , fi j'étois curieux de 
connoîtré leur méthode : elle me paroïfloit fi 
neuve & fi rare, que j'en voulus fairé Pappren- 
tifflage , & fuivis pendant piufeurs jours un cours 
en règle fur cette matière. 

Ils prennent, autant qu'il eft poflible, l'animal 
dans l’âge le plus tendre. Dès que la corne com- 
mence à fe montrer , ils lui donnent verticale- 
ment un petit trait de fcie , ou d’un autre outil 
qui la remplace & la partage en deux : cette 
double divifion qui eft encore tendre, s’ifole d’elle- 
même , de facon qu'avec le témps l’animal porte 
quatre cornes bien diftinétes. Si l’on veut qu’il 
en ait fix ou même plus, le trait de fcie croifé 
plufieurs fois en fournit autant qu’on en défire ; 
mais s'agit-il de forcer l’une de ces divifñons, 
ou la corne entière à former, par exemple, un 
cercle parfait, on enlève alors à côté de la pointe 
qu’il ne faut pas offenfer , une partie lécère de 
Ton épaifleur. Cette amputation , renouvellée fou- 
vent & avec beaucoup de patience , conduit la 
corne à fe courber dans un fens contraire , & 
fa pointe , venant fe joindre à la racine, offre 
un cercle parfaitement égal. Bien convaincu que 
lPincifion détermine toujours une courbure plus 
ou moins forte, on conçoit que, par ce moyen 
fimple , on peut avoir à Pinfini toutes les variations 
que le caprice imagine. | 

Au furplus, il faut être né Caffre, avoir fon 
goût & fa patience pour s'aflujétir aux détails 
minutieux, à l'attention foutenue qu’exige cette 
opération , qui, dans le pays, peut n'être qu'inu- 
tile , mais qui feroit nuifible en d’autres climats ; 
car la corne ainfi défigurée deviendroit impuif- 


EN AFRIQUE. 135 
fante , tandis que , confervée dans toute fa force 
& fon intégrité, elle en impofe à l’Ours & aux 
Loups affamés de l'Europe. 

Pendant que je vifñitois chez ces Caffres leurs 
Bœufs , leurs uftenfiles, & que je les épuifois 
de queftions fur leur Pays, leurs mœurs, leurs 
ufages , un bruit fourd qui dembloit arriver d’un 
peu loin, & revenoit par intervalles frapper mon 
oreille , “fixa mon attention. Je leur demandai 
ce que ce pouvoit être, & s'ils ne l’entendoient 
pas ainfi que moi. Ils m’apprirent que trois ou 
quatre de leurs camarades s’occupoient au pied 
d’une petite roche voifine qu’ils avoient décou- 
verte, à forger quelques armes, des morceaux 
de vieux fer qu’ils avoient apportés de chez eux, 
ou échangés durant leur voyage. Autant inquiet 
de favoir par moi même s'ils ne m’avoient point 
dérobé quelques outils, que curieux de connot- 
tre la manière dont ils s’y prennent dans une 
opération auf difficile pour des Sauvages pri- 
vés des outils même les plus fimples , j'engageal 
deux d’entr’eux à fe détacher , & à vouloir bien, 
me conduire à la forge, Cette vilite inopinée 
qui me fournit l’occafñon de donner à ces Do 
ples des éclairciflemens fur le premier mécaniime 
de la forge dont ils ne fe doutoient même pas, 
aura peut-être eu des fuites trop remarquables, 
& Je ne dois pas omettre les moindres détails 
d’une fcène aufli neuve pour ces Sauvages que 
pour moi. 

Les Caffres travaillent & forgent eux-mêmes 
leurs fagayes ; maïs ne connoïffant du fer que 
fa malléabilité | leur art ne remonte pas jufqu’à 
_fa premntrs fonte : ainfi c’eft du fer déjà tra- 
Liv 


136 Vovace 

vaillé qu'il leur faut. Ils tirént admirablement 
bien parti des vieux canons de fufils, des cer- 
cles de tonneaux, & de toute autre ferraille de 
ce genre. Îls portent des fagayes de deux ef- 
pèces : les unes ont la tige du fer unie & tout- 
à-fait ronde ; les autres, plus artiftement, je de- 
vrois dire plus crucllement travaillées’, ‘ont cette 
tige quarrée ; les quatre angles en font décou- 
pés en pointes qui s’inclinent, tandis que les al- 
ternes remontent en fens contraire : ce qui né- 
ceflite le déchirement des chairs , foit qu’elles 
entrent dans le corps, foit qu’on les en retire. 
On ne peut qu’admirer leur patience Jlorfqu'on 
fonge qu’avec un bloc de granit, ou la roche 
même qui leur fert d’enclume , & un morceau 
de la même matière pour marteau, on voit {or- 
tir de leurs maïns des pièces aufi bien finies que 
fi la main du plus habile armurier y avoit pañié. 
Je lui défierois avec toute l’adreffe & les combi- 
naïfons de fon génie , de rien faire avec les deux 
feuls inftrumens dont je viens de parler, qui ap- 
sprochât de ce que font ces Sauvages. 

Ceux auprès de qui je. me trouvois aétuelle- 
ment, étoient réunis autour d’un grand feu au 
pied d’une colline graniteufe ; ils retiroient du 
brafier une barre de fer afflez groffle & profon- 
dément rougie; ils la pofèrent fur une enclume, 
& fe mirent à la battre avec des pierres fort 
dures, & de la forme la plus favorable & la plus. 
aifée à faifir. Ils s’y prenoïent fort adroïtement ; 
mais ce fut leur foufflet qui me parut bien ex- 
traordinaire , & qui fournit fur le champ une 
belle occafion de leur donner fur ce mécanifme 
utile, des notions quileur auront été bien pro- 


J 


‘EN AFRIQUE. 197 
fitables , s'ils ont fu les mettre en œuvre. Leur 
fouet: étoit donc un meuble bien miférable ; il 
étoit fait d’une peau de Mouton foigneufement 
vuidée par une légère incifion & bien recoufue. 
Les parties de Porigine dés quatre pattes qu ils 
avoient retranchées comme inutiles & même em- 
barraffantes ; étoient nouées. Ils avoient évale- 
ment tranché la tête, & fubflisué en place un 
bout de canen , autour duquel ils avoient ramafñlé 
& fortement attaché la peau du cou. Le fouReur 
préfentant d’une main ce canon au foyer, éloi- 
gnoit & rapprochoit avec l’autre main l’extré- 
mité de cette peau. Cette méthode fatigante ne 
donnoit pas toujours affezrd’aétivité au feu pour 
faire rougir le fer ; mais n’en fachant pas da- 
Vantage , ces pauvres Cyclopes ne fe rebutoient 
point : j'avois pitié d'eux, & le mal que je les 
voyois {e donner, doubla le plaifir que je me 
promettois dé leur indiquer fur le champ un moyen 
plus facile. J’avois beaucoup de peine à leur 
faire comprendre combien étoit fupérieure à leur 
invention celle des foufflets de nos forgcrons 
d'Europe. Perfuadé que le: peu qu’ils faiifloient 
de ma démonftration s’échapperoit bientôt de 
leur mémoire , & ne leur feroit d’aucun profit, 
je réfolus de joindre l’exemple à la lecon, & 
de les faire opérer devant moi. Je dépêchai un 
des miens à mon camp, & lui dis de m’appor- 
tèr deux fonds de caille, un morceau de Kros 
d'été, un cercle, des petits cloux , marteaux , 
fcie, & tous les outils dont: j’avois béfoinio Avec 
tout ‘cela ; lorfque mon homme fut de retour, 
je leur compofai à la hâte: & fort groffièrement 
ua foufllet ; qui n'étoit guères plus fort que cevx 


130 VoyYaces 

qu’on emploie ordinairement dans nos cuifines. 
Deux morceaux de cercle que je plaçai dans l’in- 
térieur , fervirent à retenir la peau dans un écar- 
tement toujours égal : je n’oubliai point de faire, 
dans la partie inférieure, un évent ou foupape 
pour l’afpiration plus prompte de l’air: moyen 
fimple dont ils ne fe doutoïient même pas, & qui 
les forçoit d'employer un temps confidérable à 
remplir leur peau de Mouton. Je n’avois point 
de tuyau de fer ; mais, comme il n’étoit ici quef- 
tion que d’un modèle, j'attachai au cuir de la 
charnière du mien le fond d’un étui à cure-dent 
dont je fciai le bout. Après quoi pofant mon 
chef-d'œuvre à plate-terre aflez près du feu. je 
fichai avec force une croffette fur laquelle je pofai 
vne traverfe ou efpèce de bafcule qui tenoit par 
une ficelle au-deflus de mon foufflet, fur lequel 
pefoit encore un faumon de plomb de 7 à 6 li- 
vres que j'y avois fixé. Il faudroit avoir vu l’at- 
tention que prêtoient ces Caffres à toutes mes 
opérations , & l’incertitude, ou plutôt le défir où 
ils étoient, de favoir à quoi tout cela devoit 
aboutir, pour fe faire une jufte idée de leur fur- 
prife. Ils ne purent retenir leurs cris lorlqu’ils 
me virent, avec quelques mouvemens faciles , 
d’une feule main donner tout d’un coup à leur 
feu la plus grande activité par la précipitation 
avec laquelle je faifois afpirer & rendre l'air à 
ma machine. J’effayai de jetter au feu quelques 
morceaux de leur fer, & je parvins à rougir, 
en trois minutes ,.ce qu’ils n’auroient certaine- 
ment pas obtenu en une demi-heure. Cette fois , 
je portai leur étonnement au comble ; il tenoit, 
j'ofe le dire , de la convulfion, du délire; ils 


EN AFRIQUE 159 


fautoient autour du foufllet, l’eflayoient tour-à- 
tour , frappoient des mains pour exprimer leur 
joie. Ils me fupplièrent de leur faire préfent de 
cette machine merveilleuie , & fembloient atten- 
dre ma réponfe avec inquiétude, n’imaginant pas 
apparemment que je puffe me détacher fans peine 
d’un meuble aufli précieux. Je {crois enchanté 
d'apprendre quelque jour qu’ils font ufage de 
mon foufllet, qu'ils Pont perfeétionné , & fur- 
tout qu'ils fe {ouviennent de l'Etranger qui, le 
premier , leur donna le plus effentiel inftrument 
de la métallurgie. 

L’habitant de la Caffrerie vit fi familièrement 
au milieu de fes beftiaux ; & leur parle avec 
tant de douceur, qu’ils obéiflent ponétuellement 
à fa voix. Comme ils ne font jamais tourmentés 
ni maltraités par leurs conduéteurs , ces animaux 
pacifiques ne font jamais ufage des armes que 


leur a données la Nature. Le maître . chargé 
, se. 


du foin de les inftruire & de les panfer, n’atta- 
che pas même les femelles pour les traire : fi ce- 
pendant le fentiment de la maternité parle avec 
force à leur inftinét, & les engage à retenir leur 
lait pour leurs petits, le moyen dont fe fervent 
les Caffres pour les contraindre à le lâcher, eft 
plus fimple & moins dégoûtant que celui du Hot- 
tentot. On pañle un entrave à l’un des pieds 
de derrière de la bête ; un homme robufte l’attire 
en s’éloignant ; gênée par cette attitude , elle laifle 
auf - tÔt couler fon lait: on emploie le même 
moyen lorfqu’une Vache eft privée de fon Veau. 
Que cette différence avec les Vaches d'Europe 
provienne de la nature, de l’éfpèce ou du cl- 
mat, il n’en eft pas moins vrai. qu’elle exifte, & 


140 Vo v' A G\Em a. 
que l’expédient dont je viens de parler eft né- 
ceflaire , & généralement ufté par ces Sauvages. 
On reçoit le lait dans les paniers que j'ai dé- 
crits, & qui font particulièrement. l’ouvrage des 
femmes. Leur capacité dépend de la fantaifie ; 
mais leur forme eft toujours la même. Très-lé- 
gers & ne rifquant jamais de fe rompre, ils font 
{ans contredit préférables à nos vafes, quelle qu’en 
foit la matière. Les femmes que j'avois alors 
dans mon camp, n’avoient point oublié leurs 
outils; elles avoient apporté des jones, pour ne 
pas refter oifives ; je m’amufois à voir fabriquer 
ces jolis paniers, qu’elles s’emprefloient d’échan- 
ger avec moi contre de la quincaillerie , dès 
qu’elles y avoient mis la dernière main. 
Avant de faire couler le lait dans ces vafes, 
on avoit foin de les bien laver ; mais c'étoit 
moins dans un efprit de propreté, que dans le 
deffein d’en refferrer la texture : car enfin, quel- 
que prévenu que je fois pour les Sauvages, en 
fafant profeffion de tout dire, je ne dois pas 
me taire, même fur leurs défauts. Avouons 
donc que les Cañffres font dans l’ufage conftant 
d'échauder leurs uftenfiles avec leur propre urine, 
& qu’ils ne fe donnent pas la peine d’aller cher- 
cher de l’eau , lorfqu'ilsn’en ont point à leur portée. 
Ce procédé qu’on mettoit en ufage fous mes 
yeux n’étoient guères ragoûtant : on avoit at- 
tention , tous les foirs, de m'apporter un pa- 
nier de laitage, dont mes gens & mon Kèes, 
moins diiiciles que leur maître, trouvoient à 
faire leur profit. J’évitois cependantavec foin de 
laiffer voir à mes voifins la répugnance invin- 
cible que m'infpiroient leurs cadeaux Journa- 


æ 


E NA ER'1 ONU E. 147 
liers ; & j’aurois préféré de m’empoifonner pour 
quelques momens , plutôt que de les affliger 
ou de les humilier par un refus : car telle a 
toujours été ma maxime, de ne jamais contra- 
rier les ufages reçus, dans tous les lieux où je 
me fuis trouvé. Rien ne blefle & n’indifpofe 
autant un peuple, que d'attaquer fes opinions , 
fes goûts , fes ufages, par la critique & le ri- 
dicule ; & rien n'’eft en effet plus abfurde & 
plus indécent. Je m'aflige d'avoir ce reproche 
à faire à la plus aimable & la pius fociale des 
Nations, & de la voir par-tout fur ce point 
l'objet du blâme , même de fes plus proches 
voifins. Peut-on trouver étrange de ne point 
voir à Londres les airs, les façons, & les gen- 
tilleffes de l’agréable étourdi des bords de la 
Seine ? L'homme fenfé n’improuve jamais d’une 
manière oftenfible rien de ce qui fe pratique 
dans le Pays qu'il parcourt. Quelque ridicules 
qu’en foient les préjugés , 1l a l’air de les ref- 
peter, parce qu’il na pas le droit de les con- 
tredire. Cette méthode qui laiffe un champ li- 
bre à fes réflexions , ne préfentant rien d’of- 
fenfant , lui procure l’accueil flatteur & les 
prévenances que {e doivent tous les hommes, 
quelles que foient leurs patries diverfes. S'il eft 
un cas où l'application de ces principes foit 
indifpenfable , c’eft {ur-tout à l'égard des peu 
ples Sauvages. Pour moi, rien n’eft au-deflus 
du Rosbif & du Pouding , quand je les mange 
en Angleterre : je fableroïs l'huile de baleine 
avec les Lapons. Chez les Hottentots , content 
de leurs grillades , j'oublie aifément le pain, 
:& trouve le bled fort inutile. 


142 Vovaces 

Quelque dit l’anachement du Caffre pour 
fes troupeaux , il n’eft cependant pas exclufif, 
Une affection prédominante |, & qui va même 
jufqu’à la pañlion, le porte vers le chien; il a 
pour cet animal des attentions & des complai- 
iances outrées : auf la reconnoiflance en fait- 
elle bientôt fon meilleur ami. Ma meûte ne fut 
jamais autant carefflée, ni fi bien nourrie que 
pendant le féjour de la petite Horde que j'avois 
avec moi; mon grand Vager étoit fur-tout pour. 
elle un fujet d’admiration : on ne pouvoit voir (ne 
cefloit-on de me répéter ) une plus magnifique 
bête. L’engouement à fon égard s’étoit. fi fort 
emparé des efprits, qu'il n’y avoit pas un feul 
homme dans la troupe qui ne fe füt empreflé, 
fi je l’avois voulu , de le troquer contre un at- 
telage de douze Bœufs. Il faut convenir qu’Vager 
étoit le Chien le plus fort, le mieux fait qui 
_ füt dans toutes les Colonies. 

Ïl ne quittoit plus nos hôtes ainfi que fes ca- 
marades ; ils pafloient tous la plus grande partie 
des journées dans leurs Kraals. Ces bonnes gens 
les laifloient boire tranquillement le iait, de leurs 
paniers, auxquels ils n’auroient pas ofé toucher 
que ces parafites, toujours altérés, ne fuffent raf- 
fafiés & contens. Je fuis perfuadé que ces ani- 
maux , qui fe rendoient pourtant tous Îles foirs 
affduement au gîte , n’auroient été pour nous 
d'aucun fecours, fi nous avions eu quelque dan- 
ger à craindre de la part de ces Sauvages. Ils 
s’étoient fi fort attachés aux Cafires, & avoient 
tellement perdu l’habitude de mes gens, que, 
lorfqu'il arrivoit qu’un d’entr’eux fe fût un peu 
trop écarté. & rentrât au camp plus tard qu’à 


E NS A FR QUE 145 
l'ordinaire , il étoit forcé de crier à fes cama. 
rades de retenir les Chiens, pour éviter d'en être 
aflilli, peut-être même déchiré. 

Au plus léger fignal d’une intention perfide de 
la part des Caffres , j'eufle fait mettre toute la 
meûte à l’attache ; mais comme je n’apperce- 
vois rien, qui dût éveiller ma défiance, c’eût été 
les mortifier en vain ,& les priver d'une fatisfac- 
tion qui les attachoit davantage à ma perfonne, 
& détruire cette douce franchife qui la leur ren- 
doit, de moment en moment, plus facrée. 

Du refte , je ne partageoïs cette manière de 
voir avèc perionne : J’aurois vainement eflayé 


de la faire adopter à mes Hottentots ; une ter- 


reur panique les tenant dans une crainte conti- 
nuelle & fur leurs gardes , toutes mes repréfen- 


_tations ,; toutes les marques de franchife, de 


bonhommie , d’aveux même indifcrets de la part 
de ces nouveaux-venus, rien n’étoit capable de 
déraciner leur prévention. La Cañrerie, à les 
entendre , alloïit être bientôt le tombeau que je 
prenois plaifir à creufer de mes propres mains; 
& , comme ils refuloient d’être les complices 
de mon imprudence & de ma mort, ils ne con- 
fentoient point du tout à s’en voir les viétimes. 
Ni la crainte des châtimens , lorfque je ferois ren- 
tré {ous la domination des Hoïllandois, ni mes 
menaces de punir moi-même d’aufh lâches dé- 
ferteurs, n’étoient point capables de leur en im- 
pofer. | 

Ce changement me parotfoit toujours nou- 
veau ; Je ne pouvois m’accoutumer à tant d’obf- 
tination , de réfftance , & d’oubli de tous leurs 
devoirs. Je les avois déja trouvés, il eft vrai, 


144 VovYaAGe | 
récalcitrans & difüciles, avant d’arriver au Bruynt- 
jes-Hoogte, lorfque je m'étois vu cruellement 
délaiflé par la Horde qui avoit voyagé avec 
moi, & le détachement qui m’avoit joint pen- 
dant la nuit. Mais que ces circonftances étoient 
ici différentes ! nous n’avions , ni les affurances, 
ni la parole des Caffres : nous n’en avions Jja- 
mais rencontré. Leurs mœurs, leur caraétère & 
leur facon de vivre ne nous étoient point connus k 
le préjugé , qui redouble par l’abfence du péril, 
nous les avoit toujours préfentés comme des peu- 
plades féroces & fanguinaires; la propofñtion de 
gagner leur Pays juiqu’à la mer, pouyoit rai- 
fonnablement alors effrayer des hommes qui man- 
quent d'énergie & d’intrépidité ; mais à préfent 
je ne pouvois plus voir que de l’entêtement & 
de la délobéiflance dans leur refus , & je ne 
fais quel efprit d'infubordination que leur fouf- 
floient fans doute le dégoût, la fatigue & l’en- 
nui d’un fi long Voyage. D'autres caules auffi 
pouvoient y contribuer , que je ne foupçonnois 
pas alors, & que je découvris trop tard. 
Cependant, bien déterminé à fuivre mon plan, 
& ne voulant pas que des gens qui, jufqu’a- 
lors, n’avoient jamais ofé fourciller devant moi, 
puffent fe flatter d’avoir mis des obftacles à mes 
volontés, & de diéter à leur chef comme des 
loix de la prudence ce qui n’étoit que les pré- 
cautions de leur crainte & de leur pulfilani- 
mité , je tourmentois , fi Je puis parler ain, 
de plus en plus mon imagination, & ii 
mille efforts pour qu elle me fuggérât les moyens 
de tirer parti du mauvais pas dans lequel je me 


trouvois embarqué, 
Je 


k 2 


LE 


EN AFRTQUS. 4145 

Je comptois fur Klaas comme fur moi même; 
j'érois für pareïllement du vicux Swanepoël , du 
chaffeur Zean, qui me fuivoit depuis le Soet- 
Melk-Valley , & m'avoit tué le premier Tzei. 
ran. Pit & Adam étoient encore deux hommes de 
bonne volonté. Le coufin de Narina , & deux 
de fes camarades m’avoient offert leurs fervices ; 
mais ces trois derniers, n'ayant aucune connoif- 
fance du maniement des armes à feu, pouvoient 
craindre autant de tirer un coup de fufil , que de 
le recevoir : cependant ils faifoient nombre, & 
j'elpérois, de quelque manière, en tirer parti, 
Les Grecs qui incendièrent la ville de Troye , n’a- 
voient ni le bras ni les armes d’Achille. 

Je réfolus de tenter ce voyage avec ces 
huit hommes; mais mon plan n'étant pas en- 
core bien digéré , je penfai qu'il falloit différer 
d’en donner connoïfflance à mon camp , jufqu’au 
départ des Caïfres que je ne voulois pas {ur 
tout en inftuire, 

Mais un fecret qui Jufqu’alors m'avoit échappé, 
malgré toute ma prévoyance & mes foins, vint 
tout d’un coup éclaircir une partie de mes foup- 
cons. Klaas arrivant, un après-dîné, de la chafle, 
entre dans ma tente, & m'avertit que quatre 
Hottentots Bafisr iont cachés dans mon camp 
depuis le matin ; qu’il les foupconne d’être des 
efpions du Bruyntjes-Hoogte , envoyés par les 
Colons. Ii avoit compris, me difoit-il, par tout 
ce quil avoit pu entendre de la converfation 
de ces quatre coquins , que les Blancs étoient 
inftruits de l’arrivéé & du iéjour des Caffres dans 
mon camp ; qu'ils murmuroient tous, & s’éron- 
noient que J’eufle recu chez moi avec autant de 

Tome II, et si K 


146 Vovyace 


cordialité leurs ennemis mortels. Kilaas m'’en- 
gagea à me tenir fur mes gardes > jufqu’à ce 
qu'il en eût appris davantage, m'invitant fur- 
tout à me défier de l’un de mes gens nommé 
Slinger , qu'il croyoit être d'intelligence, & ma- 
nœuvrer fourdement avec les quatre émiflaires. 
Irrité de lPaudace de ces gens, & de la har- 
diefle qu’ils avoient eue d’entrer dans mon camp, 
j'ordonnai qu’on les amenât devant moi. A leur 
démarche timide , embarraflée , je jugeai trop 
qu’ils étoient coupables : je les interrogeai bruf- 
quement , & leur demandai de quel droit & par 
quel ordre ils avoient ofé s’introduire chez moi. 
& s'y tenir cachés , fans que j'en fufle prévenu, 
comme s'ils avoient pu s'attendre à n'être point 
découverts. Cette apoftrophe un peu vive, la 
menace de les punir à l’inftant , & la colère 
dont tous mes traits étoient animés, les effraya 
de telle forte, qu’il leur füt impofñfible de répon- 
dre. J’ajoutai que je ne foufrois pas d’efpions 
près de moi; que quiconque s’introduifoit four- 
dement , étoit fufpeét à mes yeux, & méritoit 
d’être puni comme un tratre; que je ne faifois 
pas d'eux aflez de cas pour en venir à ces ex- 
trêémités ; mais qu’ils pouvoient , quelque fût leur 
miflion , aller apprendre à ceux qui les avoient 
envoyés , tout ce qu’ils avoient vu chez moi; 
que, maître indépendant de mes volontés, je 
n'avais nul compte à rendre de mesaétions ; qu’une 
conduite fans reproche placoit mon ame au-def- 
fus de la crainte ; qu'ami de tous les hom- 
mes, je déteftois tous les traîtres ; que, n’épou- 
fant aucune querelle qui me fût étrangère , je 
n'avois nulle raifon d’en vouloir à ces Cafires dont 


im 


BON, À EE I QUE r4? 
j'étois environné , & auxquels je m'emprefferois dé 
rendre tous les fervices que de bons peuples 
& des amis avoient le droit d'attendre de tout 
être bumain , compatiffant C Jufte ; que je ré 
pondois d’eux , & les prenois fous ma garde, au- 

tant de temps qu'ils refteroient avec moi; mais 
que l'équité qui me portoit à les défendre , me 
feroit également une loi de tourner contr'eux 
mes armes, fi je les voyois entreprendre la plus 
légère tentative contre les Colons ; que j'étois 
aflez inftruit de la conduite des uns & des au- 
tres, pour être affuré que ces Sauvages, quine 
refpiroient que la paix & le repos, ne donne- 
roient jamais le fignal des premières hoftilités. 
Après ce difcours un peu vif & preflé, je don- 
nai ordre à ces quatre Bañfters de déguerpir à 
l’inftant, & les fis elcorter par quatre fufiliers, 
juiqu’à ce qu'ils fufent hors de vue. Je les avois 
avertis que fi jamais, fous quelque prétexte que 
ce fût, ils s’avifoient de reparoître chez moi, je 
les pourfuivroïis comme les bêtes féroces, eux & 
quiconque fe préfenteroit dans des intentions pa- 
reilles à celles qui les avoient âmenés. Ces der- 
nières menaces firent quelqu'impreflion {ur mes 
Hoïttentots que tout ce bruit avoit affemblés au- 
tour de ma tente. Quand leur tour fut venu 
d’être interrogés fur le fecret criminel qu'ils m’a- 
voient fait du féjour de ces efpions dans mon 
camp, aucun d’eux n’ofa proférer un feul mot 
de défenfe & d’excufe. Je m'exhalai en repro- 
ches très-vifs & très-amers ; je leur déclarai que 
je ferois battre & chafler le premier d’entr’eux 
qui tourneroït fes pas du côté qu'habitoient les 
Colons, avec lefquels je ne voulois avoir au- 


K :] 


140 VOYAGE 


cune communication ; je traitai Slinger avec du- 
reté , & lui défendis de quitter fon poîte, fans mon 
ordre. 

Les Caffres , témoins de cette fcène, “RES 
remarqué que je les avois plus d’une fois dé- 
fignés par mes geftes; ils en paroifloient intri- 
gués à lair enflammé de mes traits, à la conf- 
ternation qui régnoit parmi mes Hottentots ; ils 
pouvaient fentir combien ce qui venoit de fe 
pañler dans mon camp , m’avoit donné d’humeur 
& d’animofté contre mes gens ; mais, entendant 
moins encore notre langue que je ne compre- 
nois la leur , ils paroïfloient autant furpris qu’in- 
quiets de tout ce bruit ; ils exprimoïent., par 
leurs regards errans de tous côtés & fur nos 
vifages , la perplexité qui tenoit en fufpens leurs 
efprits. Hans prit foin de leur expliquer cette 
énigme ; il me fembla que cette ouverture les 
rafluroit un peu; mais lorfqu'il les eut inftruits 
que les Colons s’étoient réfugiés fi près de nous, 
cette nouvelle les contrifta. Ils craignoïent que, 
prévenus de leur féjour chez moi par le rap- 
port des quatre efpions que je venois de chaf- 
fer, ces Blancs perfñides & vindicatifs n’accou- 
ruffent aufhi-tôt, dans l’intention de les attaquer 
& de les détruire jufques dans mon camp. J’eus 
beau les raffurer & leur promettre appui , fü- 
reté., protection, je ne vis plus en eux cette 
gaîté franche & naïve, qui naît de la tranquillité 
de lefprit. Ils fe parloient beaucoup plus en- 
tr'eux , & fembloïent concerter leurs mefures, & 
ne défirec que le départ & la fuite. Hans, qui 
les avoit accompagnés ce foir-là, lorfqu'is s’é- 
toient retirés dans leur Kraal, m’avoua, le len- 


EU 


EN AFRIQUE. 149. 
demain, qu'ils le foupçonnoient d’être un traf- 
tre, qui les avoit amenés chez moi pour les y 
faire égorger, & que conféquemment je n’étois 
pas moi-même à l’abri de tout foupcon ; qu ils 
avoient reconnu l’un des quatre Bafters pour être 
venu fouvent dans leur Pays, fous prétexte d’é- 
changer des. beftiaux ; que le croyant un ami 
fidèle & fûr, ils lui avoient accordé toute con- 
fiance, & ne le voyoient jamais arriver fans lui 
témoigner combien fa vue leur caufoit de fatif- 
faction ; mais que bientôt le monftre les avoit 
vendus lchement ; que depuis il n’ofoit plus re- 
paroître chez eux, de peur d'y trouver, dans la 
mort la plus prompte, la punition dûe à fes 
pertidies. 

Hans me fit part, en outre, de la réfolution 
qu’ils avoient prife de s’en retourner ; ils me 
prioient , par fa médiation, de vouloir bien tro- 
quer quelques-uns des Bœufs qu’ils avoient ame- 
nés, contre de la vieille ferraille. Je leur refu- 
fai nettement cet article, & leur fis enténdre 
qu'il m'étoit impofñlible d’acquiefcer à leur de- 
mande , attendu que je ne voulois pas être ac- 
culé d’avoir fourni des armes contre les Colons; 
que, fans aucune vue d'intérêt, mais pour le 
plaifir feul de les obliger, je me ferois, dans 
toute autre circonftance , empreflé de leur don- 
ner cette marque d’amitié ; mais qu'ils devoient 
fentit que, dans l’état aûtuel des chofes , j’avois 
les bras liés par l'honneur ; qu’à lexception du 
fer , tout ce que je potlédois étoit, de ce mo- 
ment , à leur fervice ; qu'avant Eu départ , Je 
leur en donnerois la preuve; & pour adoucir 
lamertume de mon refus, j’ajoutai que, vou- 


K ii 


150 VoyvAcer 

ant refter l'ami de tout le monde, & conferver 
à leur égard ainfñi qu’envers les Colons l’exaëte 
neutralité dont j'avois toujours fait profeflion, 
j'érois prêt, en toute rencontre , à faire la même 
réponfe à leurs ennemis, s'il arrivoit que, man- 
quant ou d’armes ou de munitions, ils vinflent, 
à leur tour, implorer mon afliftance Pour con- 
tinuer Ja guerre. 

Quoique cette réponfe & ces explications fuf- 
fent ciaires & préciles , ces Sauvages qui ne fe 
rébutent pas pour un premiet refus, revinrent en- 
core à la charge, & me renouvelièrent plus d’une 
fois leurs inffances. J’avois trop bien pris mon 
parti; je fus intraitable fur ce point : je con- 
noïflois trop bien l’efprit exagérateur des Colons, 
.qui n’aufoient pas manqué dé crier à la perfidie, 
pour la moindre bagatelle arrachée par l’impor- 
tunité , pour montrer de la condefcendance & 
de la foibleffe en cette circonftance délicate. Je 
ne doute pas même qu'ils n’euffent faifi avec em- 
preffement cette occafion de fe venger du mé- 
pris que je leur avois plus d’une fois témoigné : 
ils n’auroient plus alors manqué de prétexte pour 
m'en faire un crime. Quelque puiflanté que füt 
cette politique prudente à léur égard, J’avois un 
motif plus déterminant encore : trop au- defflus 
des atteintes de ces bandits dangereux . & de 
leurs confpirations atroces, ên refufant aux Sau- 
vages des armes contre ces Colons, & à ceux-ci 
des reflources contre les Sauvages , j’empêchois 
que ces brigandages affreux ne fe perpétual- 
fent, dans le cas où les uns & les autres vien- 
droient à à s’épuiler , comme cela étoit plus d’üne 
fois arrivé, Je ne pouvois donc'les férvir qu’en 


EN ÀAFRIQUE. 151 


ne prenant aucune part à leurs démêlés ; & cette 
conduite fecondoit à merveille la droiture & les 
affections de mon cœur. Je me ferois fait même 
un fcrupule d’accepter quelques beftiaux que 
les Caffres m'offrirent en échange d’une quantité 
de verroterie & de quincaillerie que je leur 
diftribuai au moment de leur départ. 

J’avois ardemment fouhaité que le jeune Caf- 
fre reftât avec moi : il ne me fut pas plus pof- 
fible de le féduire, qu’il ne lavoit été à fes ca- 
marades de m'’ébranler pour obténir mon fer. 
Ni mes préfens, ni mes promefles de le rendre 
à lui-même , s’il ne fe plaïiloit point avec moi, 
ne purent rien fur lui; il oppoñoit à toutes mes 
follicitations une trop forte réfiftance, pour que 
je puffe efpérer d’en rien obtenir. ,, Je connois, 
» me difoit-11, trop bien les Blancs, pour me 
ss fier à eux ; ils nous ont fait & nous feront 
«, toujours trop de mal, Si j'étois aflez fimple 
>> pour vous fuivre , une fois réduit en efcla- 
., Vage, jaurois beau réclamer vos promefles, 
» il ne me feroit plus permis de revoir mon 
.» Pays ”. Il craignoit, d’après les préjugés rai- 
fonnables de fa Nation, qui, dans des temps dé 
paix , avoit quelquefois fréquenté le Bruyntjes- 
Hoogte , d’être traité comme les Colons qui ha- 
bitent cette Contrée, en agiflent efleétivement 
avec leurs Efclaves ; & quand, par attachement 
pour moi, il fe feroit livré de bonne grace, & 
auroit confenti de me fuivre , il n’étoit point 
afluré , diloit-il, que je fuffe toujours maître 
de le défendre & de le renvoyer. Je fs mille 
efforts pour détruire fa prévention, & lui dis 
qu’A ne falloit pas confondre tous les Hollan-' 

K iv 


162 VovraAes : 
dois avee ces Colons fanguinaires & perfides ; 
qu'il étoit à même de juger fi les hommes que 
j'avois à mon fervice étoient malheureux & en 
droit de Îe plaindre ; que tous pouvoient ufer 
de leur liberté , & me quitter à l’inflant. Ce jeune- 
homme m'étonna par fa fermeté , & n’en fut que 
plus obftiné dans {on refus. Je renonçai à le 
{olliciter davantage, GA 
Nos chaîfes continuelles & les petites alterca- 
tions furvenues dans mon camp'avoient bien'in- 
terrompu nos converlations familières & paiñbles 
avec les Caffres ; mais elles ne m’avoient pas 
fait entièrement négliger le foin de mon“inftruc- 
tion. J'y revenois de temps en temps; ils s’y 
prétoient avec cette cordialité queleur avoit ini- 
piré la reconnoïflance pour mes bienfaits. La 
nouvelle de leur départ me rendit encore plus 
empreflé de leur faire des queftions ; je n’avois 
pas fur-tout perdu de vue mes malheureux nau- 
fragés ; ils ne purent me donner tous les détails 
que je leur demandoïs : ïls avoient fimplement 
connoïffance du fait; mais, établis au Nord- 
Oueft, plus éloisnés encore que moi de la mer, 
ils ne favoient rien de politif{ur cette maiheureufe 
cataftrophe. A la vérité, la plupart des effets en- 
levés des débris du Navipe leur étoient connus; 
plufieurs Hordes en avoient troqué contre des 
beftiaux : ceux même que j'avois dans mon 
camp poflédoient quelques parcelles de ces effets. 
L'un me fit voirune pièce de monnoie d’argent 
qui pendoit à fon cou ; un autre portoit une 
petite clef d'acier : ils me firent, comme ils pu- 
rent, la defcription d’un bijou dont ils s’étaient 
partagé les morceaux. Je devinai bientôt que ce 


EN ÀÂFRIQUE. 153 


devoit être une montre dont on avoit démonté 
les rouages & les autres pièces pour s’en faire 
des parures & des ornemens. J’en fus mieux con- 
vaincu , lorfque leur ayant montré la mienne, 
ils s’écrièrent tous, que c’étoit la même choîe, 
avec cette différence qu'ils ne connoiffoient point 
la couleur qui reflembloit, difaient-ils , à la pièce 
de monnoïie que le Caffre portoit à fon cou. Ils 
ajoutoient que Îles plus beaux effets provenus de 
ce Navire avoient été la proie d’un grand nom- 
bre de Caffres plus voilins de la mer; qu'ils pof- 
fédoient {ur-tout beaucoup de ces monnoies, A 
l’égard des hommes échappés au naufrage, ils 
avoient ouï dire que les uns avoient été trouvés 
morts fur le fable, & que les autres, plus heu- 
reux , s’étoient retirés dans un Pays habité par 
des Blancs comme moi. 

Mes entretiens avec ces Cafres finifloient tou- 
jours par des follicitations réitérées de partir 
avec eux. Cet arrangement, quand il auroit 
été de mon goût , ne pouvoit s’accorder avec 
ma prudence; car fi je ne les croyois pas ca- 
pables de me tromper, d’attenter à mes jours, 
& de voler mes effets. je ne devois point les 
inftruire de mes démêlés avec mes gens, & 
leur faire connoître qu'il ne m'étoit pas pofibie 
d'emmener avec moi que huit hommes, les 
autres refufant de me fuivre. J'étois, au con- 
traire , charmé que, de retour chez eux, ils 
‘appriflent aux leurs que nous étions en force 
& en nombre, & n'avions rien à redouter de 
leur part. Cette divifion pouvoit leur fuggérer 
de mauvais deffeins. Rien n’empêéchoit , tandis 
qu'ils m'auroient amufé chez eux , qu’un dé- 


LA 


154 Voyages 
tachement ne partit pour s'emparer de mon 
camp , & maflacrer ceux à qui j'en aurois con- 
fié la garde. Tant d’horreurs commifes par les 
Biancs me failoient une loi de prendre mes fü- 
retés avec ces Sauvages , dont je n’aurois eu 
rien à craindre dans toute autre circonftance. 
C’eft ainfi, par exemple, que j'obfervai à leur 
égard, avec encore plus de rigueur, la loi de 
ne laifler aucun Etranger s’introduire , la nuit, 
dans mon camp. Mon vieux Swanepoël veilloit 
à ce que cette difcipline s’obfervât religieufe- 
ment : nous dormions toujours ifolés & murés 
dans nos parcs ; il étoit encore moins permis de 
{ortir dans la nuit, ce temps étant toujours ce- 
lui que chaiïfifient les Sauvages pour former 
leurs attaques contre les Blancs, que leur cou- 
leur & leurs vêtemens décèlent bientôt, & qu’on 
apperçoit de fort loin. Mon abfence bien con- 
hue de ces Caffres., tout m'’auroit allarmé fur 
le fort de ceux qui ne m'auroient pas fuivi. 
En ne leur faifant point connoître le moment 
précis de mon départ, ils s’en alloient avec Îa 
certitude, que , lorfque je me remettrois en 
marche , je ne laiflerois rien après moi; car Je 
leur avois dit que je renverrois mes chariots 
dans la Colonie. | 
Enfin, le 21 Novembre, ils vinrent tous me 
prévenir qu'ils s’étoient arrangés pour partir le 
jour même. Ils renouvellèrent leurs proteftations 
de reconnoiffance & de bonne amitié , & me 
promirent que par-tout où ils pañleroient , leur 
premier foin feroit de publier ce qu'ils avoient 
vu, combien ils avoient à fe louer de moi, & 
la facon affedueufe & familière avec laquelle 


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(LE CAFIRÉ. | 


"M BEN AFÉIGUE. 155 
HN je les avois traités pendant un affez long fé- 
… jour; que les richefles dont je les avois com- 
blés , feroient plus d’un jaloux, & que tou- 
tes les Hordes m'attendroient avec la plus vi- 
ve impatience, @& me verroient atrivet avec 
joie. La defcription qu'ils fe promettoient de 
faire de mon camp, de ma perfonne , & fur: 
tout de ma barbe, deévoit, ajoutent-iis, fer: 
vir dé fignalement à ceux qui ne mé connoif: 
joient pas, & me faire accueillir tout autrement 
qu’un Colon. Ils fe tournèrent enfuite, comme 
de concert, du côté de ma tente, fur laquelle 
flottoit un pavillon ; & me demandèrent fi je re 
le porterais pas avec moi, afin qu’on m'apper- 
cût de plus loin. Sur ma répoñfe afirmative , ils 
jettèrent des cris de Joie, comme fi, non con- 
tent de l’efpoir que je leur avois donné d’aller 
les viliter, ils n’avoient craint encore que je fufle 
confondu parmi leurs indignes perfécuteurs, & 
-qué, pat un fentiment d'amour pour ma per- 
fonne , ils euflent voulu me garantir de toute ef. 
pèce de méprife. Après les tabés d’ufage , je les 
accompaghai jufqu’à la rivière , qu'ils thaverfèrent 
tous à la nage, ainf que leurs Beftiaux : & lort- 
qu'ils eurent mis pied à térre à l’autre dort PA Li 
les faluai pour 14 dernière fois par une décharge 
générale de toute ma moufquéterie ; les favines 
& les taillis dans lefquels ils s’enfoncèrent, les 
eurent bientôt dérobés à ma vue. | 

J'ai tiré deux deffins dé ces peuples qui fe 
ptétoient à mon opération avec autant d'étonne- 
ment'que de complaifance : ce font les N°. y” 
& VI des Planches. 

Ces Cafres une fois partis, je m'étois fatié 


156 VoTtace…s 


que mes gens feroiént quelques réflexions fur ia 
manière tranquille avec laquelle ils avoient vécu 
avec eux pendant mon féjour; qu'ils reconnof- 
troient combien leur frayeur étoit mal fondée, 
& qu'ils finiroient peut-être par confentir à m’ac- 
compagner. Pour ne point paroître m'occuper 
d'eux & de mon projet avec trop d’acharne- 
ment, & afin de les mettre en état d’agir d’eux- 
mêmes , je rélolus de partir aufli fur le champ, 
pour aller rendre viñte au vénérable Haabas, 
parce qu’à mon retour, à la première ouverture 
qu’on me feroit de quelque changement, je le- 
verois le piquet, & me remettroïs ensmarche . 
pour ne donner le temps à perlonne de fe re- 
froidir. Pendant le féjour des Caffres , je n’a- 
vois vu qu'une feule fois deux Gonaquois chez 
moi : il me tardoit de renouer connoïflance avec 
mes bons voifins, & de les inftruire de ce qui 
s'étoit palfé depuis notre {éparation. Je me rendis 
feul à leur Kraal. Leur joie fut extrême quand 
ils m’eurent reconnu ; tous s’empreffèrent autour 
de moi ; ils s’'appelloient les uns les autres, ac- 
couroient de tous les côtés : je fus bientôt en- 
touré. Haabas me fit part de fes craintes & de 
celles de {a Horde, pendant le féjour des Caf- 
fres chez moi. Il me demanda cent fois fi J’é- 
tois certain que fa retraite ne fût point connue 
d'eux; je fis tous mes efforts pour le tranquilli- 
fer , & lui appris que je tenois des Caïffres mé- 
mes, qu’ils n’avoient aucun fujet de haine con- 
tre les Hottentots Gonaquois, qu’ils favoient n’a- 
voir aucune communication avec les Blancs & 
les autres Hottentots, & vivre au contraire en 
Horde & tout-à-fait ifolés ; que d’ailleurs la po- 


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| EN AFÉTQUE. 157 
fition précife de leurs Kraals ne leur étoit point 
connue ; mais qu’en tout cas, il étoit plus fim- 
ple & plus facile, pour la fûreté commune, de 
déloger , & d’aller s'établir ailleurs. Haabas em- 
braffa ce projet avec d’autant plus d’empreffe- 
ment , qu'il ne s’en fioit point. diloit-il, aux belles 
paroles des Caffres, puifqu’il n’y avoit pas long- 
temps qu’ils l’avoient forcé d’en venir aux mains 
avec eux; qul étoit prudent de prendre fes 
précautions, & d’écarter un pareil malheur. Il 
eut aflez de confiance en moi, pour me deman- 
der des avis fur le nouvel tétabliffement qu'il 
alloit former , & la réfolution fut prile de ga- 
gner au plus tôt les montagnes de l’Oueft, & 
de s'éloigner tout-à-fait des terres de la Cafñire- 
rie qui s'étendent au Nord-Eff. 

Les bords du Sondag étoient ci - devant les 
limites des Caffres, qui avoient leurs habitations | 
principales fur le Bruyntjes-Hoogte : on en dé- 
couvre encore de foibles veftiges. Les ordres 
exprès & l'intention du Gouvernement, qui vou- 
loit vivre en paix avec ces Sauvages, étoient 
que ces limites fuflent toujours facrées ; mais le 
Colon qui n’a ni la fagefle , ni les vues d’une ad- 
miniftration politique, trouvant les terres de ces 
voifins impuiflans , fupérieures aux fiennes, eft 
parvenu avec le temps à s’en emparer, & a re- 
culé impunément ces peuples au-delà du Groot- 
Vis. Les ordres des Gouverneurs, de plus en 
plus méprifés ; font demeurés fans effet, & l’ex- 
trême éloignement a rendu ces abus tolérables, 
& , de Jour en jour, plus fréquens. 

* J’étois incognito chez Haabas ; & plufieurs mo- 
tifs m’engageoïent à n’y point féjourner, Je vou- 


155 | VoYyYaAGE 

lois favoir de lui s'il ne pourroit point décider 
plufieurs de fes gens à fe réunir aux trois qui 
s’étoient offerts de bonne grace , lors de mon 
premier Voyage. Un feul balança, & finit par 
un refus. Pour ne rien arracher de force, & ne 
donner à ces bonnes-gens aucun fujet de plainte, 
y’affignai le rendez - vous dans mon camp aux 
trois hommes de bonne v«lonté qui s’étoient en- 
gagés à mefuivre , & je leur donnai quatre jours. 
Par ce moyen, ils avoient plus de temps qu'il 
n'en falloit pour mettre ordre à leurs affaires, 
& fe préparer des armes. 

Je ne pouvois emmener mes chariots avec 
moi, puiique je ne devois compter tout au plus 
que {ur huit hommes pour m’accompagner dans 
mon Voyage en Caïfrerie. Il me falloit quelques 
Bœufs de charge ; je n’en avois qu’un feul qui 
fût accoutumé à cet exercice : nous arrangeà- 
mes un échange , &je promis de l’effeétuer aufli- 
tôt que Je ferois de retour chez moi. Tout cela 
fut l’affaire d’un moment. Malgré les vives inf- 
tances du chef & de tous ceux de la Horde que 
je trouvai au Kraal , je réfolus de les quitter 
aufli-tôt , & je prétextai mille affaires auprès des 
miens. Je ne fais quelle triftefle s’étoit emparée 
de mon ame ; je nè revoyois point ce iéjour 
du même œil que par le pañlé : j’étois contrarié 
de toutes manières. Les obftacles fembloient s’ac- 
croître à chaque pas. Je me fentois épuifé de 
fatigues.... Avant de quitter Haabas, je n’ou- 
bliai pas de lui demander des nouvelles de lin- 
fortuné malade; je ne voulus point le revoir: 
on m’affura que tous les foins qu’on lui avoit 
jufqu'à ce moment prodigués, n’avoient abouti 


EN, Ar Ar QU 159 


qu’à entretenir autour de lui la propreté; mais 
que fes douleurs n’avoient point diminué , & 


qu'enfin on défefpéroit de fa vie. Je demandai 


des nouvelles de la jeune Narina ; elle étoit ab- 
fente avec {a mère ; je foupçonnois que quelqu'un 
de la Horde s’étoit détaché pour aller la cher- 
cher : je n’en fus que plus empreflé de partir; 
je faluai Haabas, & je rejoignis mon camp. 
De retour dans ma tente, je fis approcher mes 
gens l’un après l’autre , & je voulus favoir de leur 
propre bouche, les intentions de chacun, afin de 
découvrir s’il n’y avoit point parmi eux quelques 
mutins qui foufaflent la zizanie & l’efprit d'in- 


furbordination. Leurs réponfes furent uniformes ; 


ils appuyoient leur réfiftance de la feule frayeur 
où les jettoit ma témérité. Quelqu'humeur que 
je reflentifle de cette défobéiffance |, quelques 
défagrémens qui duffent en être la fuite , je n’eus 
pas même la force de les réprimander : trop de 
motifs combattoient pour eux dans mon cœur, 
& je fentis que je leur étois encore trop forte- 
ment attaché. Nul autre deflein ne les avoit f6- 
duits ; la peur avoit feule dérangé leurs têtes: 
ils ne vouloient point, difoient-ils , aller dans un 
Pays d’où l’on n’avoit jamais vu revenir ni Blancs 


ni Hottentots. Je leur recommandai du moins 


de me refter fidèles, & qu’en mon abience, ils 
n’oubliafflent point mes bontés, & tout ce qu’ils 
devoient à leur maître. Je vis trop dans leurs 
geftes & leur contenance, tout ce que ces der- 
niers mots faifoient d'imprellion fur eux , & ce 
que j'aurois pu exiger de leur amour, f j'avois 
renoncé à vouloir lescontraindre à ce fatal voyage. 
Je leur promis une égale affeétion pour l'avenir, 


160 No TAGS 

& je m'enfermai feu} dans ma tente. Je m'oc- 
cupai, pendant une partie de la nuit, de mon 
plan & des moyens de l’exécuter le plus fage- 
ment & le plus promptement qu'il me feroit 
poffible ; &, le lendemain , dès le matin, je fis 
appeller les Hottentots iur lefquels je comptois. 
Je leur : répétai que j’étois, à la fin, réfolu de 
partir avec eux, s'ils étoient toujours réfolus de 
me fuivre. Pour mieux écarter de leur efprit, 
toute efpèce de nuages , & leur prouver que 
je n’en agiflois point témérairement avec eux, 
je leur déclarai que je n'avois l'intention de pé- 
nétrer fort avant dans la Caffrerie, qu’autant que 
je ne rencontrerois point d’obftacles {ur mes pas, 
. & que je n’éprouverois nul mécontentement de 
leur part; que , puifque nous ne devions pas 
efpérer Îur le rapport de mes Envoyés , de ren- 
contrer aifément le Roi Pharoo, j'étois d'avis 
d'aller fimplement vifiter les Caffres qui m’at- 
tendoient avec tant d'impatience , & de tourner 
à lEft pour nous rapprocher de la Mer où nous 
pourrions découvrir le vaiffeau naufragé. Ils per- 
fiftèrent tous dans la promefle qu'ils m’avoient 
faite ; je m’adreffai enfuite à Swanepoël, & lui 
dis que je le regardois comme un autre moi-mé- 
me, & lui confiois toute mon autorité pendant 
mon abfence. Je le conjurai de veiller fur mon 
camp, d'y maintenir le bon ordre, puiiqu’il ne 

m'étoit plus permis de compter fur les autres. 
me trois Gonaquois arrivèrent à Jour nom- 
: dès-lors il ne fut plus queftion que des pré- 
rte & des provifons néceffaires pour le Voya- 
ge. J’emplis deux facs de peau de poudre à ti- 
rer ; ces {acs furent enfermés dans un troifième, 
afin 


/ 


EN AFRIQUE. 261 


afin de-les préferver de l'humidité ; nous coulà- 

mes des balles de calibre & de la dragée; J'em- 
portai huit fufils, & laiffai les huit autres pour 
la défenfe du camp ; j'affemblai différentes ef- 
pèces de verroteries & de quinquailleries, dont 
je fis des aflortimens féparés dans des fachets 
& des petites boîtes ; ma canonnière , une cou- 
verture de laine, un gros manteau, & quelques 
autres effets indifpenfables devoient me fuivre : 
nous emportions pour la cuifine une feule mar- 
mite, une bouilloire, du thé, du fel, du fu- 
cre, &c. De leur côté, mes compagnons s’oc- 
cupèrent à rouler leurs peaux, leurs nattes, leurs 
uftenfiles ; ils n’avoient point oublié de me de- 
mander une bonne provifion de tabac & d’eau- 
de-vie. Ce remuement , cette agitation, les allées 
& les venues que néceflitoient tous ces prépa- 
ratifs , m'auroient oflert un tableau piquant, fi 
j'avois eu, l’efprit tranquille , & que tout mon 
monde eût voulu me fuivre. C’étoit, comme 
on le dit, le déménagement du Peintre : d'un 
autre côté, l’air étonné, contrit des poltrons qui 
reftoient . bréfentoit un contrafte fingulier ; les 
partans haufloient la voix ,: & les regardoïient en 
pitié : on eût dit qu'ils ne fe connoïffoient plus; 
qu'ils n’étoient plus de la même efpèce : ceux-là 
montroient aflez toute l'inquiétude que leur cau- 
foient ce départ, & le chagrin de ne me plus 
voir à leur tête. Ils auroient été charmés de 
connoître la durée de ce Voyage: ce qui n’étoit 
pas plus en mon pouvoir qu’au leur. 

Nos emballages achevés , & n'ayant plus qu’à 
charger . nous fixâmes le départ au lendemain 
matin , 3 Novembre. 

Tone EI. L 


162 VoyaAGce 

Lorfque les feux du foir furent allumés, je 
m'y plaçai à l’ordinaire avec tout mon monde, 
pour prendre le thé ; Je faifis ce moment pour 
faire une douce exhortation à ceux que je laïf- 
fois dans mon camp ; je ne leur montrai plus au- 
cun figne de mécontentement ; je feignis même 
d'approuver leurs raïfons , bien aforé que je né 
changerois rien aux réfolutions de ceux qui par- 
toient avec moi. Quant aux nouvelles marques 
d'inquiétude qu’ils montroient pour ma perlonne, 
je leur dis que je devois trop compter fur les 
Braves qui m'accompagnoient pour n'être pas 
tranquille ; je leur recommandai la M 
obéifflance aux ordres du fage Swanepoël , 
qui je remettoiïs toute mon autorité : je leur vies 
mis de récompenfer tous ceux dont la conduite 
répondroit à la bonte opinion qu'ils m’avoient 
fait prendre jufqu’ici; enfin, pour ne leur laif 
fer aucun regret dans l'ame, & effacer jufqu’au 
fouverir de tout défagrément réciproque , je fis 
verfer une rafade générale : ôn bat à notre 
Voyage , & chacun fe retira chez foi. 

Je ne pus fermer l'œil de toute cette nuit : 
dès la pointe du jour, je fonhai moi-même l'appel ; 
tout le camp fut én l'air ; on chargea ; l’on em- 

maillotta nos quatre Bœuf. 

Tandis qu’on déjeünoit, je fis mettre À l’atta- 
che tous mes chiens ; fans cette précaution, la 
meûte entière qui préffentoit le moment du dé- 
part, & qui s’en réjouifloit, comme cela étort 
arrivé toutes les fois que nous avions changé 
de campement, n’auroit pas manqué de pren- 
dre les devans, & de fe répandre dans la cam- 
pagne. Je n’en emmenai que cinq avec moi, 


EN AFRIQUE. 163 

‘Avant de nous faire nos adieux , je pris Swa- 
nepoël à l'écart, & lui dis que, fi Je ne voyois 
point de füreté , ni de pofibilité de traverier 
toute la Caffrerie , je ferois infailliblement de 
retour fous quinze jours ; que , fi je ne l’étois 
pas après fix femaines bien révolues , il pouvait 
lever le camp, & fe rendre dans le Camdebo 
fa patrie ; que je Île laiflois le maître de pren- 
dre cette route, même avant le terme écoulé, 
s'il voyoit le moindre rifque à courir, en ref- 
tant dans l’endroit où je le laïffois , & que je 
faurois le joindre. Je le priois de veiller {ur mes 
gens , fur mes chariots , fur mes Colle&ions ; 
en un mot , au premier fignal du danger , de 
fonger à mettre tout à l'abri. Si, ne me voyant 
point revenir. ajoutai-je avec une émotion dont 
je ne pus me défendre en ce moment, & que 
vous ayez fujet de défelpérer de mon fort, vous 
reprendrez la route du Cap avec tout mon monde, 
& remettrez tous mes effets à mon ami Monfieur 
Boers. 

Ce brave vieillard ne put entendre ces derniè- 
res paroles fans verfer des larmes ; fes fanglots 
le fufloquoient : je le raffurai, & lui promis de 
ne rien tenter que de raïfonnable. Vainement 
auroit-il cherché à me retenir plus long-temps ; 
je me dérobai à fes fupplications affeueules, 
& rejoignis mes Chevaux , mes Bœufs & mes 
Chiens. 

Déjà Keès avoit pris les devants : efcorté de 
mes huit hommes dont l’un portoit le pavillon, 
Je.me mis en marche, & perdis bientôt de vue 
mon camp: ilfaliur remonter la rivière l’efpace 
d’une lieue & demie pour la traverfer ; une pat- 

L i] 


Se 


164 Vo vaAGs= 


tie de mes gens qui m’avoient accompagné juf- 
ques- là, rebroufèrent chemin , lorfque nous 
eùmes gagné l’autre bord. 

Nous quittâmes cette rivière, & prîmes notre 
route droit au Nord-Eft : c’étoit, fuivant mon 
fyftême qui s’accordoit aflez avec les éclaircif- 
femens de Hans, entamer la Caffrerie par fa 
plus grande profondeur ; nous marchions conti- 
nuellement fous la même efpèce d’arbres (le Mi- 
mofa Nilotica) dont toutes les parties du Canton 
font pariemées ; la terre étoit couverte d'herbes 
très-hautes qui nous fatiguoient extrêmement ; mes 
gens en fouffroient plus que moi, attendu que 
comme elles étoient en même-temps fort deflé- 
chées , leurs jambes s’enfanglantoient à chaque 
pas. Ils y remédièrent en fe faifant des bortti- 
nes avec des peaux & des herbes treflées. Mes 
Bœufs feuls paroïfloient charmés de l’aventure, 
& , tout en marchant, fe faturoïient à leur gré, 
fans avoir la peine de baïffer la tête jufqu’à terre. 
Nous avions toujours fous les yeux des Gazelles 
de différentes efpèces, notamment celles de Pa- 
rade ou Spring-Bock; mes Chiens firent lever 
une Outarde, que je tuai; elle formera encore 
une efpèce nouvelle à décrire : plus groffe que 
la Canne Pétière d'Europe, elle a le plumage 
du cou par-devant, ainfi que la poitrine & le 
ventre , d’un gris bleu uniforme. Toute la partie 


fupérieure du corps , eft d’une teinte rouffâtre 


pointillée , & rayée d’une couleur prefque noire ; 
fon ramage imite aflez le cri du Crapaud, mais 
il eft plus fort. | 
Nous marchâmes ainfi pendant cinq heures 
par une chaleur exceflive, qui nous força d’ar- 


\ 


EN ÀÂÀAFRIQUE, 165 
rêter ; nous étions, il eft vrai , continuellement pro- 
tégés par des arbres affez rapprochés ; mais les 
feuilles du Mimofa font fi petites & fi rares, que 
fon ombre , qui ne noircit Jamais la place qu'il 
occupe , doit être à-peu-près comptée pour rien: 
nous n’en rencontrâmes aucun autre dans toute 
la plaine , & je remarquoiïs que les beaux arbres, 
comme au Pays d’Auténiquoi , étoient adoflés 
aux hautes montagnes qu’il falloit aller chercher 
beaucoup plus loin. 

Je m'étois apperçu, chemin faifant , que mon 
Singe s’arrêtoit fort fouvent au Mimofa ; qu’il en 
détachoit des épines dont ces arbres font garnis,. 
& les mangeoït avec plaifir : je voulus partager 
encore ce régal avec lui. Je m’en fiois à {on 
goût. Les plus vertes de ces épines, les feules 
qu’on puiflc manger , longues à-peu-près de deux 
à trois pouces, font caflantes comme les afper- 
ges. Je fus trompé dans mon attente ; je les trou- 
vai d’abord agréables & fucrées; mais, le mo- 
ment d’après, une odeur d’ail infupportable qui 
me brüloit la bouche, & que le plus vigoureux 
Marfeillois n’auroit pas fupportée , me les fit re- 
jetter. Leur graine à laquelle Keëès fembloit don- 
ner la préférence, opéroit le même effet {ur mon 
palais. Cette odeur étoit fi forte & fi âpre, que, 
de très-loin, les urines du Singe m’avertifloient 
qu’il avoit mangé des épines du Mimoïfa. 

Je trouvai fur cet arbre une Chénille magni- 
fique , & de la plus grande taille : fon corps étoit 
entouré de bandes d’un noir de velours fur un 
beau fond vert. La Phalène qu’elle produit n’eft 
pas moins brillante ; elles a les aîles prefqu’en- 
tièrement blanches avec quelques bandes & des 


L ij 


166 VoYiÀiGE 

taches brunes ; fon corps eft tellement velouté, 
qu'il en paroît cotonneux. J'ai eu plus d’une 
fois occalon de remarquer dans la fuite, que 
lorfque le Mimofa fleurit (c’eft ordinairement 
aux approches de Janvier), fes fleurs font cou- 
vertes de quantité d’iniectes de différentes efpè- 
ces : auf les Cantons où croiffent ces arbres 
font-ils ceux où l’on rencontre en plus grande 
abondance une partie des différens individus qui 
compofent cette clafle de l’Hiftoire naturelle, 
& , par une conféquence nécélfaire ; une infinité 
d'oifeaux attirés par ces infeétes dont ils font 
leur principale nourriture. 

Je profitai de cette première ‘halte , pour écor- 
cher l’Outarde que J'avois tuée : {a “chair fervit 
À mon repas; ma fuite dîna des provifions que 
nous avions apportées ; mes Bœuf s’étoient fi 
bien régalés chemin faifant, qu’à peine arrivés, 
ils ie couchèrent, malgré la charge qu'ils por- 
toient : on ne les voyoit point dans l'herbe, tant 
elle étoit haute & fournie. Dans l'après - midi, 
le ciel s’obfcurcit ; nous fûmes aflaillis par un 
orage affreux, accompagné de tonnerré ; nous 
n’en continuâmes pas moins notre route ; caf , 
ne voulant point décharger nos Bœufs avant la 
nuit, & privés d’abris dans l’endroit où nous 
avions dîné , la pluie ne nous eût pas plus épar- 
gnés en reflant tranquilles qu’en marchant ; mais, 
vers cinq heures du foir , nous nous fentions 
tellement harraflés , qu'il ne nous fut pas poffible 
d’allér plus loin : je fis dreffer fur le a ma 
canonnière. On alluma de grands feux ; lorique 
nous nous fümes féchés, je gagnai mon gfre, 
& mèês gens s’arrargèrent comme ils purent fous 


EN ÀÂFRIQUE. 167 


leurs peaux & leurs nattes, qu’ils inclinoient du 
côté de la pluie, à-peu-près comme on place 
des perfiennes ou des abats-jours pour fe ga- 
rantir des ardeurs du foleil. L’humidité de la 
terre eut bientôt pénétré la couverture de laine 
fur laquelle je m'étois vainement étendu pour 
repoler ; & la pluie qui tomba fans relâche, 
s’infiltra de tous côtés dans la toilé de ma tente: 
je fus inondé aufi-bien que mes gens : nous 
nous réunîmes avant la pointe du jour pour partir. 

Hans m'avoit averti que nous ne devions pas 
être fort loin d’un Kraal de Caffres détruits par 
les Colons ; le lever du foleil avoit diflipé les 
nuées ; je repris courage , & je réfolus de mar- 
cher jufqu’à ce que nous trouvaflions ce Kraal 
qui nous promettoit un abri commode ; mais {ept 
heures de marche , trois lieucs à faire encore 
pour arriver jufques-là, nos Bœufs excédés de 
fatigue , l’approche du foir, & fur-tout le voi- 
finage d’un charmant ruifleau , m’engagerent à 
planter le piquet. 

Le Mimofa devenoit de lieue en lieue plus 
rare , plus petit & plus rachitique que dans le 
terrein que nous avionslaiffé derrière nous; l'herbe 
étoit aufi moins haute : à la vérité, nous nous 
trouvions fur une terre plus élevée. De notre 
campement , mes gens me firent appercevoir 
dans le lointain une montagne fort haute qu'ils 
croyoient reconnoître ; je la diftinguai mieux avec 
le fecours de ma lunette ; elle étoit la plus voi- 
fine du camp de Koks-Kraal, & je l’avois plus 
d'une fois arpentée dans mes chafles ; elle pou- 
voit être à douze ou quinze lieues de nous. 

Loriqu'on eut déchargé les Bœufs & dreflé 

LU. : 


168 VovaAGEe 


ma tente, je fuivis, en me promenant , les bords 
du ruiffeau, qui, probablement après bien des 
détours , alloit fe perdre dans la rivière Groot- 
Vis. J'abattis un oïfeau rare & nouveau pour 
moi : c’étoit un Coucou; malgré {on affinité avec 
celui dont j'ai parlé, & qu’a décrit Buffon, fous 
le nom de Coucou Verd-Doré du Cap, j'ai de 
fortes raifons d’en faire une autre efpèce. Son 
ramage d’ailleurs eft tout-à-fait différent ; fa fe- 
melle!, plus rufée , me fit perdre beaucoup de 
temps à la pourfuivre ; fon manège, que je pour- 
Re comparer à celui d’une Coquette, m ’offroit 
à tous momens beau jeu pour mieux tromper 
ce elpoir. Quand je croyois Ja tenir, elle vo- 
loit au moment précis à vingt pas plus loin , pour 
recommencer fes agaceries : après m'avoir ainfi 
leurré pendant plus d’une heure , elle gagna l’é- 
paifleur du bois, & j’en fus pour mes fraix. 
. J’arrivaiau campement en même -temps qu'un 
de mes chafleurs qui rapportoit une Gazelle Gnou 
qu'il avoit tuée. C’eft M. Gordon qui, le pre- 
micr , a fait connoître cette charmante & rare 
ce La defcription qu’il en avoit envoyée 
à M. le Profefleur Allaman, & que ce Savant 
: publiée , eft de la plus ‘grande exactitude. 
On regrette cependant que la figure qu’on en 
a donnée en même-temps , foit défeétueule & 
mal rendue. Cet animal qui, par lés formes, 
reflemble à un petit Bœuf, ne fe fait pas mieux 
connoître au les piandhés de la traduétion 
Françoife du Doéteur Sparmann, en ce que 
l'Auteur de ces planchés ou des deflins qui les 
ont produites, non content de lui donner l’en- 
colure & la crouppe du Cheval, a encore ajouté 


F 


ENVATRIQUE. 169 


fa queue ; ce qui n’eft pas vrai, le Gnou ayant 
précifément celle du Bœuf. Les Hottentots nom- 
ment cette Gazelle Now , précédé du clappe- 
ment de la feconde efpèce que j'ai indiqué plus 
haut. C’eft probablement ce clappement qui a 
engagé le Colonel Gordon à ajouter un G au 
nom propre ; ce qui produit à-peu-près la même 
manière de le prononcer. Le Docteur Sparmann 
écrit Gnu,, parce que l’U Suédois & Allemand 
fe prononce Ou. Les traduéteurs devroient pren- 
dre en confidération ces petites différences qui 
peuvent occafonner des erreurs , relativement 
aux noms propres des animaux qu’il eft eilen- 
tiel de ne pas défigurer. 

Cette nuit fut tranquille ; nos Bœufs étoient 
attachés près de nous avec leurs grandes cour- 
roies , &'nos Chevaux avec leurs longes. Le 
hurlement de quelques Lions, qui fe faifoient 
entendre dans les montagnes, ne nous allarmoit 
point pour eux : en général, nos inquiétudes 
& nos embarras a cet égard, avoient diminué 
en proportion du train qui nous fuivoit. 

Le 5 du mois, étant partis de grand matin, 
nous arrivâmes au Kraal des Caffres que nous 
avions cru rencontrer la veille ; nous n’y trou- 
vâmes pas un feul Habitant ; la plupart des 
huttes étoient encore entières ; quelques - unes 
feulement avoient été brülées : j'en vis fept, 
rapprothées & grouppées. Le furpius , qui pou- 
voit monter à cinquante ou foixante , étoit épars 
de côté & d’autre dans l’étendue d’une demi-. 
lieue. C’eft là que je m’appercus pour la pre- 
mière fois que ces peuples font un peu cuiti- 
vateurs ; ils fèment une efpèce de milliet, connu 


370 VOYAGE 

fous le nom de blé Cafe. Pour la plus grande 
facilité de l’exploitation , chacun chaiïfit le ter- 
rein qui lui paroît le plus favorable à fes vues, 
& place fa hutte au centre : c’eft pour cela que 
les Kraals ne font point dans une feule & même 
place, comme ceux des Gonaquoïs ou des Hot- 
tentots. Il éft probable que ceux chez lefquels 
nous étions, avoient été furpris par les Colons; 
car nous trouvions de tous côtés des cadavres 
& des membres épars, que les bêtes féroces 
avoient à moitié dévorés. Plufieurs champs de 
blé étoient en état d'être récoltés ; mais la foule 
des Gazelles qui abondent auffi-tôt qu’elles ne 
font plus effrayées par des épouvantails, les 
avoient endommagés : on lâcha mes Bœufs, qui 
achevèrent le dégût. 

Quant à nous, nous nous établîmes, moi dans 
ta tente, mes "Hottentots dans les fept huttes 
dont ils s’emparèrent : le fite me paroïfoit fort 
agréable ; je décidai que nous pañlerions là plu- 
fieurs jours; on coupa de grofles branches avec 
lefquelles ma tente fut fi bien mafquée, qu'il 
eût été difficile de la découvrir. Nous avions 
à deux pas, un ruiffleau dont les eaux limpidés 
rouloient fur un fond de cailloutage ; quelques 
Mimofa , çà & là diftribués, nous donnoient un 
peu de fraîcheur. À cent pas de notre camp, 
nous pouvions jouir, au befoin , d’un abri plus 
délicieux dans une forêt immenfe de fuperbes 
& grands arbres. J’allois m'y promener, {ur-tout 
dans la plus grande chaleur du jour ; divers fen- 
tiers qui fe croifoient en mille fens divers, dé- 
notoient clairement que ces lieux avoient été de- 
puis long-temps très-fréquentés. 


SNA GRA QU. Gr 

_ J'y reconnus plufeurs arbres que j'’avois déjà 
rencontrés dans le Pays d’Auténiquoi Le Stini- 
Houtt (bois puant) abondoït de tous côtés : on le 
rencontre auf, comme je l'ai fait remarquer, 
dans la Baie Lagon , d’où les Habitans du Cap 
le font venir pour le travailler, & l’employer 
à l’'ébénifterie ; mais les fraix qu’occafonne l’é- 
loignement, le rendent très-rare & très-cher. Ou- 
tre qu’il eft fulceptible dé recevoir le plus beau 
poli, il a le mérite d’être inacceffible aux at- 
teintes du ver. À mefure qu'il vieillit, il prend 
une couleur marron, dont les veines, fort lar- 
ges, fe nuancent d’une teinte plus ou moins fon- 
cée. Lorfqu’on le coupe, & qu’il n’eft pas en- 
core fec , il répand une odeur d’excrémens qui 
caufe des naulées, principalement dans les temps 
humides, & lorfqu'l eft imprégné d’eau. Il perd 
cette mauvaïfe qualité, à melure qu'il fèche : 
comme tous les arbres lourds & compaëtes, il 
croît lentement ; il s'élève , groflit, & dépañle les 
plus hauts chênes. 

Je remarquai auffi le Geele- Houtt (bois jaune). 
Il tient fon nom de fa couleur. On en fait moins 
de cas que de l’autre pour les meubles ; mais 
comme il eft d’une belle forme & facile à débi- 
ter, On en fait de fuperbes mâdriers, des pou- 
tres & des folives pour la bâtiffe. Il donne des 
fraits jaunes de la groffeur des mirabelles, mais 
couverts de tubercules afflez épaiffles L’amande 
. du noyau qui eft fort dure, eft la feule chote 
qu’on puille manger. 

Un autre arbre Roye-Houtt (bois rouge) tire 
__ encore fon nom du rouge foncé de fon écorce; 
_ elle eft épaiffe, mais fort tendre, & l’on pour- 


172 VoYaAGE 


roit en extraire la teinture. Son fruit, de la grof- 
feur d’une forte olive, eft également rouge, Lorf- 
qu’il eft mûr, on le mange avec plaifir, & les 
Habitans en font une efpèce d’eau-de-vie. 

Je m'arrêtai devant un Kaerfin- -Boom (ceri- 
fier), qui n’eut d'autre mérite à mes yeux, que 
de me rappeller le jour, le lieu où j'avois tué 
mes quatre Elépkhans. Je me fouvins qu'ils en 
mangeoient avec plaifir les fruits & les feuilles. 
Je ne les avois point encore goûtés. Je faifis 
vie occalion qui les mettoit fi bien à ma por- 

, & je jugeai qu'il falloit être Eléphant foi- 
même pour trouver ces fruits fu pportables. 

Mes Hottentots me firent remarquer un arbre 
que je n’avois pas encore vu, & qui ci-devant, 
étoit, à ce qu'ils me ditenth aflez commun 
dans les Colonies. On le deftinoit, de préfé- 
rence, au charronnage ; mais exclufivement pour 
Ja Coipaemie : qui avoit fait des défenfes expref- 
les & très-févères de l’employer autrement qu’à 
Ton fervice. Cette exclufion a caufé fa ruine, 
& l’on n’en voit plus que dans les lieux éloi- 
onés des Colonies. D'un autre côté , l’indolence 
des Colons l’a laïflé tout-à-fait périr; de telle 
forte qu’on le regarde maintenant comme une 
efpèce perdue. On nomme cet arbre au Cap, 
Boeken-Houtt. 

La Caffrerie offre fouvent, dans le voifinage , 
des petites rivières, & dans les endroits maré- 
cageux , des arbres très-reflemblans à nos Sau- 
les. J'y ai fouvent aufli rencontré des Amandiers 
fauvages (W/ilde- Amandel) , dont les feuilles étroi- 
tes, & les fruits de la même forme que les nôtres, 
n’en difléroient que par le rouge-brun de leur brou. 


EN LA Fi E ONU EE 173 

Hi appartiendroit à un Botanifte éclairé, de 
parcourir la belle contrée que je décris; il Y 
trouveroit certainement des objets dignes de fixer 
fon attention, & qui tourneroient au profit de 
la Science. Pour moi, je ne marrétois qu’à ce 
qui me paroïffoit extraordinaire , & que je n’a- 
vois point encore vu. Incapable d'afigner aux 
plantes, aux arbuftes, aux arbres, leur vérita- 
ble mérite, je n’étois guères émerveillé que des 
différences frappantes , telles , par exemple, 
qu’une moufle ou lichen jaune qui les garnit ; 
toutes les pouffes de fes brins portant fouvent 
dix àdouze pieds de long. Mes gens, dans leur 
langue , le qualifioient de chevelure ; dans cer- 
tains Cantons , les arbres en étoient tellement gar- 
nis, qu’on ne diftinguoit ni tronc , ni branche , ni 
même une feule feuille ; ce qui me paroifloit 
bien extraordinaire. 

Cette moufle m'a fingulièrement fervi dans 
l’apprêt de mes oifeaux : je conieille fort aux 
Oruythologiftes , à qui il prendra fantaifie d’aller 
vifiter cette partie très - curieufe de l’Afrique, 
de s’épargner l’embarras des étoupes , du coton 
& autres ingrédiens {emblables. Afin de m’ap- 
provifionner pour tout mon Voyage , dans la 
crainte de n’en plus retrouver ailleurs, je fis 
abattre , ici même, un de ces arbres, & on le 
dépouilla de toute fa chevelure. La plus déliée 
eft en même-temps la plus jeune & la plus courte ; 
celle de fix ou dix pieds eft plus dure , & ne 
peut guères lervir que pour les NijadrupÊdes êc 
de très-gros oïfeaux. 

On trouve aufli prefque par-tout des Liannes, 
qui, parvenues juiqu’aux fommets & aux moin- 


174 VOYAGE 
dres branches des arbres, laifent tomber des filets 
qui pendent jufqu’à terre. "l'rès-foibles dans leurs 
commencements , ils atteignent à la longue juf- 
qu’à la grofleur du bras, comme ceux qu’on voit 
en Amérique. Ces filets font innombrables , ils 
ne portent point de feuilles ; les Naturels de ce 
Pays les nomment Bavyians - Touw (cordes du 
Bavian) , parce que les Singes s’en fervent pour 
grimper au fommet des arbres, & arriver au 
fruit de la Läianne, qui ne croît qu'aux ex- 
trémités de la plante, à la nañlance des filets. 
Ce fruit, de la groffeur de la cerile & d’un rouge 
cramoif, dont les oïfeaux, notamment les! T'ou- 
racos , font très-friands , renferme dans fa ‘pulpe 
quelques femences rondes & plates : je parle ici 
de l’efpèce particulière de la Lianne , à laquelle 
on a donné le nom de raïfin Sauvage, à caufe 
de la reffemblance de fa feuille avec celle de 
la vigne. Ces cordes naturelles peuvent aifément 
foutenir un homme , fi la branche de laquelle 
elles defcendent, eft affez forte. Cette cerile eft 
très-bonne , & propre à donner de l’eau-de-vie. 
En confiture , elle vaut mieux encore ; jai fou- 
vent imité les Bavians, & grimpé par. Les cordes 
aux fommets des arbres, pour en cueillir les fruits, 
quelquefois pour y chercher des intectes. 

Au iurplus, ces bois étoient peuplés de deux 
efpèces de Gazelles peu farouches , le Bos-bock 
que je connoïflois d’ailleurs , & celle nommée 
par les Hottentots, Noumees. Je n'avois fait 
qu'appercevoir celle-ci dans le Pays d’Auténi- 
quoi ; elle n’eft pas rare, mais 1l elt difficile de 
Papprocher afflez pour la tirer. Elle ne fe mon- 
tre poiat non plus en plaine , & fe tient au con- 


EN À FRIQUE. 175 
traire cachée dans les taillis & la plus profonde 
épaifleur des forèts ; elle porte tout au plus douze 
à quinze pouces de hauteur ; le mâle a des cor- 
nes droites , liffles & faillantes d’un travers de 
main. Ce petit animal eff d’une couleur gris-de- 
fouris ; il prend une teinte rouffâtre fur l’épiné 
du dos: le ventre & l’intérieur des jambes font 
blancs :il fuit de voir l'élégance de fa forme, 
pour juger de fa légèreté ; il fe livre à des bonds 
qui furprennent , il fe blottit comme un Fièvre. 
Lorfqu’on a pu l’approcher , & qu’on en eft ap- 
percu , il part avec la rapidité de léclair, &, 
s’arrêtant à quelque diftance , il examine le Chaf- 
feur ; c’eft le feul moment de le tirer : encore 
faut-il le faifir ; car ce n’eft qu’un moment. Son 
cri, que je devrois nommer fon ramage , eft 
fort long & très-aigu : j'eflayerois vainement de 
le rendre ; il commence par un fifilement coupé 
de fons pareils à ceux d’un tambour de bafque 
garni de fes grelots, & fes {ons chevrotés les 
imitent affez bien. On ne conçoit pas qu’un fi 
petit animal puille faire à lui feul un bruit auffi 
fort ; je croyois rêver, lorfque je l’entendis pour 
la première fois. Du refte fa viande, la plus dé- 
licate de toutes les Gazelles , étoit pour nous 
un manger friand : je donnerai la figure & la 
defcription de cet animal. 

Eatr’autres oifeaux neufs de ce Canton, je 
tirai un petit Aigle qui avoit une huppe fort 
. Jongue & pendante derrière la tête , & je nom- 
mai Martin -Chaffleur un autre oïfeau, à caufe 
de fon analogie , quant à la forme, avec celui 
nommé ÂMartin- Pécheur : fon béc allongé eft 
rouge ; le dos , les aîfles & la queue font d'un 


176 V,0 Y A GLE, 
bleu vifs il vit d’infeétes, n’habite que les bois, 
& fait fon nid dans des creux d’arbres : ‘je n'ou- 
blierai pas ce bel animal dans mon Ornythologie. 
Il ne nous arriva rien de remarquable dans ce 
campement : tant que dura notre féjour, nous 
éprouvâmes, tous les foirs, régulièrement entre 
trois & quatre heures, des orages qui nous incom- 
modèrent peu , parce qu'ils ne duroient pas long- 
temps; mais le o du mois, nous pliâmes enfin 
bagage, & reprîmes notre route. Mes Hotten- 
tots , {uivant leur ufage de donner aux lieux le 
nom d’un événement qui s’y foit pañlé, avoient 
nommé le Kraal que nous quittions, le Camp du 
mnaffacre. Nons avançcâmes droit à l'EÂt, & tra- 
verlämes un Canton dont toutes les herbes avoient 
été la proie des flammes. Une nouvelle verdure 
qui commencoit à pointiller, nous offroit le: plus 
beau tapis verd : nous rencontrions, à chaque 
pas, des troupes de Spring-Bock ; de Gnous & 
d’Autruches : comme nous avions plus de vivres 
qu’il ne nous en falloit, nous ne tirâmes point 
fur les Gazelles ; j’envoyai feulement quelques 
coups de fufil aux Autruches ; mais trop méfan- 
tes pour fe laiffer joindre d’aflez près, je-ne réufflis 
à en abattre aucune. À mefure que nous avan- 
cions, les Gazelles fe réunifloient jpour nous voir 
pafler; la chaleur étoit exceflive, & la tranipi- 
ration fi abondante , qu’il s’élevoit un nuage de 
vapeurs du milieu de ces troupes innombra- 
bles. Je tirai, en marchant, aflez de perdrix 
pour le dîner de tout mon monde. Nous ne nous 
arrêtâmes pour les apprêter qu'après cinq gran- 
des heures de fatigue. L’orage furvint à l'or- 


dinaire , & fervit à nous rafraîchir ; tous ces can- 
| | tons 


E Nu À E'D:E QUE. 177 
tons étoient marqués de pas de Bœufs à la vé- 
rité fort anciens ; mais j'étois furpris qu’un aufl 
beau pays fût entièrement délert, & que nous 
ne rencontraflions pas un feul Caffre, Hans pré- 
tendoit que l’allarme avoit été trop générale ; 
& , quoique nous euflions déjà fait trente lieues, 
je commencois à défefpérer de rencontrer au- 
cun Kraal : tout annoncoit que ces peuplades 
s’étoient retirées fort avant vers le centre ; ou, 
s’il arrivoit que nous fiflions quelque découverte , 
ce ne pouvoit être que des efpions des Hordes, 
qui, dévoués au bien général, rôdoient dans la 
campagne , ou fe tenoient cachés dans des em- 
buicades. 

En caufant familièrement avec mes gens, j'ap- 
perçus une petite troupe de Gazelles, qui, fri- 
{ant notre côté , détaloient à toutes jambes : une 
meûte de dix-fept chiens fauvages étoit à leur 
pouriuite. À l’inftant je fautai fur mon Cheval, 
_ & piquai des deux pour défendre les Gazelles, 
& attaquer les chiens : malheureulement je per- 
dis bientôt de vue les uns & les autres. Les 
cailloux recouverts par l’herbe , contre lefquels 
mon Cheval heurtoit à tous momens, faillirent 
à nous rompre le cou à tous les deux ; je re- 
tournois bride , pour rejoindre mon monde, lorf- 
qu'il s’éleva .. dans le même moment, une Au- 
truche à vingt pas de moi. Dans le doute fi ce 
n’étoit point une couveule, je m’empreffai d’ar- 
river à l'endroit d’où elle étoit partie, & je trou- 
val effeétivement onze œufs encore chauds, & qua- 
tre autres diiperfés à deux & trois pieds du nid. 
J'appellai mes compagnons, qui accoururent à 
linftant ; je fis cafler un des œufs chauds ; nous 

Forme EH M 


178 Vovy2x:é6rer 


trouvâmes un petit tout formé, de la groffeur 
d’un poulet prêt à {ortir de fa coquille. Je croyois 
tous les œufs gâtés ; mes gens penfèrent bien dif- 
féremment; chacun s’empreffa de tomber fur le 
nid ; mais Amiroo s'empara des quatre autres, 
voulant m’enrégaler , & m’aflurant que je les trou- 
veroïs excellens. C’eft alors feulement que j’ap- 
pris de ce Sauvage , ce que mes Hottentots eux- 
mêmes ignorolent, ce qui n’eft point connu des. 
Naturaliftes, puifqu’aucun que je fache n’en a 
parlé, & ce que j'ai eu plus d’une fois dans la 
fuite l’occafñon de vérifier : favoir que l’Autru- 
che place toujours à portée de fon nid*un cer- 
tain nombre d’œufs proportionné à ceux qu’elle 
deftine à l'incubation. Ces œufs n’étant point 
couvés , fe confervent frais très-lons-temps, & 
l'inftinét prévoyant de la mère les deftine à la 
première nourriture de ceux qui vont éclore, 
L'expérience m'a convaincu de la vérité de cette 
affertion ; & , toutes les fois que j’ai rencontré 
des nids d’Autruches, plufeurs œufs en étoient 
 féparés comme à celui-ci. Lorfque je donnerai 
la defcription des mœurs de ce fingulier animal, 
je m'’étendrai davantage fur cet article intéreffant. 
A fept heures & demie du foir, je fis arrêé- 
ter près d’une lagune confidérable , formée des 
eaux de l’orage. Nos bœufs en avoient manqué 
à la halte du midi, & rien ne m’afluroit que 
je duffe en trbbver plus loin. Les feux faits, 
chacun accommoda fes œufs à fa manière ; on 
enleva la calotte de l’un de ceux qui m’étoient 
réfervés ; on y introduifit un peu de graïffe après 
l'avoir enterré à moitié dans des cendres brû- 
lantes ; & le remuant avec une petite cuillière 


V 


ENT NÉRTOLE 179 


de bois, ôn en fit ce qu’on appelle un œuf 
brouillé, qui , fi ma mémoire eft fidèle, pou- 
voit équivaloir au moins à deux douzaines d'œufs 
de poules. Malgré la voracité de mon appétit, 
& le goût exquis de ce nouveau mêts, je ne 
pus en manger que la moitié ; plufieurs de mes 
gens , après Avoir Ôté le petit qu'ils trouvoient 
dans le leur , faïloient une omelette du refte : 
je les examinois en les plaifantant fur ces fins 
ragoûts d'œufs couvés ; je ne pouvois croire 
qu'ils ne fuflent pas infects ; j'en voulus goù- 
ter : fans la prévention qui m’aveugloit, je ne 
leur aurois pas trouvé de différence avec le mien, 
& j'en aurois mangé tout comme eux. | 

La foirée fe palñla fort gaîment : il n’en fut 
pas ainfi de la nuit ; les aboïiemens continuels 
de nos chiens nous tinrent tous éveillés ; l’in- 
quiétude que nous caufoit leur vacarme, étoit 
d’autant plus forte , qu'aucun autre bruit ne frap- 
poit nos oreilles. Ce n’étoit donc aucune bête 
féroce ; elle fe fût décelée tôt ou tard ; nos foup- 
cons s’arrêtèrent fur les Sauvages, & je craignis 
quelqu’embufcade. Le jour parut enfin, mais il 
ne ramena pas la tranquillité ; nous furetâmes 
inutilement de tous côtés ; nous ignorions fi c’é- 
toient ou des Caffres ou ces Pirates de Boffif- 
mans. Le terrein aride & les herbes fèches fur 
léfquels nous étions campés, ne nous permet- 
toient pas de découvrir leurs traces : ainfi le 10, 
fans avoir appris davantage, nous partimes, en 
nous orientant toujours à l'ER. Cette dire&tion 
nous conduifit dans un canton où les Mimoia 
fe trouvèrent én fi grande abondance, fi hauts 
& fi touffus, qu'ils formoient une véritable fo- 


M ji 


180 VovAGE 


rêt. Après l'avoir traverfée , nous rencontrâmes 
une petite rivière que nous eûmes l'avantage 
de pouvoir pañler à gué ; nous fuivîmes fes bords 
pendant l’efpace dé deux grandes lieues, après 
quoi nous campämes , lorfque nous vîimes que 
nous allions êtr. furpris par la nuit. 

J'avois été averti par notre guide que, trois 
lieues plus loin ,; nous rencontrerions enfin le 
Kraal de ces Caffres qui m’avoient follicité de 
me rendre chez eux : je défirois d’autant plus 
de le voir, qu’il étoit très-ancien, très-curieux ; 
que rarement cette place, fort commode & très- 
connue des Sauvages , reftoit vacante ; & que 
la Horde de ceux-ci étoit fort nombreufe. Pour 
ne pas nous trahir nous-mêmes , je défendis de 
tirer un feul coup de fufñl fur le gibier ; je fis 
dreffler ma tente , allumer du feu , & nous y 
reflâmes autour fort avant dans la nuit : après 
quoi, pour tromper l’ennemi à la parole de qui 
je ne me fois qu'avec prudence, lorfque j’eus 
fait jetter de nouvelles branches dans ces feux 
pour l’alimenter jufqu’au jour , nous allimes nous 
établir & nous coucher fur des nattes. à cin- 
quante pas plus loin. Notre fommeil ne fut point 
interrompu ; le lendemain , Hans fe détacha avec 
deux de mes Hottentots bien armés pour aller 
en avant ; je leur donnai rendez-vous à deux 
lieues plus loin, c’eft-à-dire à une lieue de ce 
Kraal, & leur dis de venir aufli-tôt m'y ren- 
dre compte de ce qu'ils auroient vu. Ils furent 
de retour à deux heures, & m’apprirent, avec 
un étonnement mêlé de douleur, qu'ils l’avoient 
effectivement trouvé en fort bon état ; mais qu’il 
étoit , comme les autres, abfolument déferté. 


SN AURA QUE 181 


Alors je continuai ma route jufques là , & nous 
primes pofleffion de ce nouvel Empire. Il étoit 
ample & vañfte ; nous trouvâmes plus de cent 
Huttes très-anciennes , & folidement conftruites ; 
elles étoient efpacées à la manière ordinaire : il 
étoit probable que les habitans avoient pris l’al- 
larmè mal-à-propos:; nous n’appercûmes aucun 
débris , & pas un feul cadavre. Ils avoient oublié 
dans une de ces Huttes, deux Sagayes dont le 
fer étroit rouillé, & dans un autre, un petit ta- 
blier de femme , des outils de bois pour le la- 
_ bourage , & quelques bagatelles de peu de con- 
féquence. Je m’emparai de ces divers objets. 
Les petits champs de bled n’offroient point comme 
dans le premier Kraal où nous nous étions ar- 
rêtés , l’image de la défolation & du malheur : 
il paroïfloit au contraire que la récolte en avoit 
été paifiblement enlevée. Nous décidâmes que 
nous nous arrêterions là pendant deux ou trois 
jours , afin de diftribuer au loin quelques pa- 
trouilles , & de voir fi dans les environs nous ne 
découvririons point quelques Caffres, Je favois 
fort bien qu’en tirant direétement au nord, je 
tombois dans le centre de la Caffrerie : c’eft ce 
que je voulois éviter fans cefle, préférant de 
gagner peu-à-peu par de longs circuits, & de 
ne me haïarder qu’en proportion des dangers que 
J'appercevroïs, ainfi que des connoïflances que 
je feroïs durant la route. 

Toutes nos recherches & toutes nos rufes n’a- 
boutirent à rien : nul Caffre ne fe préfenta. 

Je ne diffimulerai point que d’après mes pré- 
jugés perfonnels, & les defcriptions faftueufes de 
la magnificence & du luxe des Defpotes Afiati- 

M ü 


182 VoyYaAGEz 


ques, j’avois penfé que j'en retrouverais au moins 
J'efquifle dans les Etats d’un Roi des Caffres : 
c’étoit ce qui.m'avoit fuggéré le plus vif défir 
de voir Pharoo ; mais ma curiofité n’avoit plus 
le même aliment, depuis que les derniers hôtes 
que J'avois recus dans mon camp , & qui demeur- 
roient ordinairement près de lui, m'avoient ap- 
pris que cet homme , fans aucune fuite particu- 
lière , habitoit, comme le dernier de fès Sujets, 
une huite qui n’étoit ni plus grande , ni mieux or- 
née que les autres; qu'il pouvoit, tout comme 
eux, devenir très-pauvre, fi la mortalité s’in- 
troduiloit parmi fes troupeaux ; que fes Sujets ne 
lui devoient ni fubfides ni impôts ; qu’il n’avoit 
nul droit d’attenter à leur propriété ; qu’en un 
mot, ce n’étoit qu’un fimple Chef comme chez 
les Hottentots ; que la feule différence remar- 
quable entre ce Chef & les autres, étoit qu'il 
commande à une Nation plus nombreule , & que 
fa place eft héréditaire ; mais que néivé. d’ail- 
leurs de tout autre décoration extérieure & de 
tout appareil de royauté, il ne jouit que d’un 
pouvoir très-limité. 

D'après ces détails , mon imagination avoit 
beaucoup rabattu des idées brillantes qu’elle s’é- 
toit faites du Roi : ne pouvant rien gagner à le 
voir , & défefpérant de le rencontrer, tous mes 
vœux ne fe tournèrent plus que vers le vaiffeau 
naufragé. Sur le rapport de mes Caffres, je n’a- 
vois pas plus d’efpoir de me fatisfaire : cepen- 
dant je tournois mes pas vers la côte . toujours 
bercé de l'idée chimérique , que j'en obtien- 
drois des nouvelles plus certaines. 

Nous ne trouvâmes par-tout que des huttes 


E N. À FR EQUE. 163 
défertes ; nul Habitant , nulles traces d’humains 


ne s’ofifrirent à nos regards. En revanche , le 
Buffle, la Gazelle, & généralement toutes les ef- 
pèces de gibier abondoient dans tous les lieux 
que nous parcourions : ce qui prouve mieux 
que de vains raifonnemens, que le Caffre n’eft 
point autant Chaffleur que le Hottentot ; qu'il 
vit moins que lui d’efpérance, & qu’il compte 
plus fur fon blé & {ur fon troupeau , que fur les 
reflources de l’adreffe & de fon habileté à manier 
la fagaye & la maflue. Plufieurs Eléphans que 
nous appercûmes, ne nous donnèrent pas le temps 
de les joindre pour les tirer. 

Depuis moñ départ de Koks-Kraal , j’avois 
déjà fait , en oïfeaux , une colleétion fi confidé- 
rable, que je ne favois plus où la placer : elle 
éroit certainement plus embarraflante par fon vo- 
 lume que par fa pefanteur, quoique j’eufle tou- 
_ Jours pris foin, après avoir apprêté chaque in- 
dividu , de le coucher à plat pour ménager la place. 

Le 15 , nous traverfâmes la petite rivière 
que nous avions fuivie jufques-là, afin d’éviter 
des montagnes ftériles & trop efcarpées qui fe 
préfentoient à nous. Nous fûmes enfuite obligés 
de décliner du côté du Sud, parce que, ne trou- 
vant aucun chemin frayé, les circonftances & 
le local déterminoïent feuls notre marche. Je fis 
lever, à mes pieds, une grande Outarde, que 
je tuai ; elle couvoit deux œufs, dont les petits 
prêts à éclore, étoient entièrement couverts de 
leur premier duvet. J’étois charmé que le ha- 
fard m’eût procuré cet oifeau neuf pour moi ;il 
me parut que le mâle & la femelle couvoient al- 
ternativement leurs œufs, Celui que je venois de 


M iv 


104 V'ovr le al 
mettre à bas étoit le mâle ; il portoit, derrière 
Ja tête, une huppe très-grande & trè--touffue en 
forme de capuchon. La femelle ne tarda pas à 
venir fôder autour de nous; elle fembloit nous 
oblferver, & jettoit de temps à autre un cri fort 
rauque : je m'étois flatté de l’abattre ; c’eft dans 
ce defféin qué j'avois laïflé les deux œufs dans 
le nid ; mais comme, dans tous les environs, 
il n’y avoit pas d’endroit où Je pufle me mettre à 
Paffüt {ans qu'elle me vît, elle n’approcha point : 
je renorçai à mon projet, & continuai ma route. 

Il ef probable qu'il n’exiftoit pas un feul Catfre 
dans toute la partie que nous avions traver{ée 
jufqu'alors; car les coups de fufil que depuis 
quelques jours nous tirions continuellement, foit 
dans nos marches, foit dans nos divers campe- 
mens , auroïient dù nous découvrir, & les amener 
fur nous, puifqu'ils font fi peu craintifs. Nous 
n'étions pas tous de même avis fur cet objet, 
qui faifoit, durant la marche, la matière ordi- 
maire de nos converfations : les uns prétendoient 
qu'il devoit y avoir des Cafires ; mais que , n’étant 
pas en force, ils n’ofoient fe montrer ; les autres 
foutenoient qu’il n’y en avoit point, puifque nous 
n’en étions pas affaillis ; mais lorfqu'il étoit quef- 
tion de la conduite que nous devions tenir fi nous 
en rencontrions, tous déraifonnoient, & formoient 
les plans de défenfe les plus ridicules & les moins 
praticables. Seul , je penfois qu’il falloit effuyer 
la- première décharge fans ripofter , & tâcher 
d’en venir, par la douceur , à des explications, 
avant que de nous fervir de nos armes, qui. 
nous afluroïient l'avantage , fi nous étions forcés 
d'y recourir. Je ne doutois point que ce moyen 


EN “A'FIRI QUE 105 


ne réuffit , fi nous nous voyions attaqués pen- 
dant le jour. Pour la nuit, c’étoit autre chole : 
dans ce fage projet d’accommodement , je voyois 
des difficultés prefque infurmontables, & c’étoit 
pour éviter toute efpèce de malheur, que nous 
avions conftamment pris le parti de coucher à 
cinquante pas de ma tente, fur laquelle j'avais 
grand foin de laiffer flotter mon pavillon, qui 
s’'appercevoit d’affez loin. Cette petite rule nous 
mettoit du moins à l'abri de la première furprite. 

Nous ne ceffions point, pour cela, nos cour- 
fes & nos chafles ; l’eau devenoit moins abon- 
dante : je commencois à éprouver des craintes 
terribles. Un jour que le temps étoit refté cou- 
vert, Ce qui nous avoit procuré une marche 
de plus de fix heures fort agréable & douce, 
J'appercois Keès qui, tout-à-coup , s'arrête, & 
qui ,; portant les yeux & le nez au vent fur 
le côté, fe met à courir, entraînant tous mes 
chiens à fa fuite, {ans qu'aucun d'eux donnûât 
de la voix. Fionne de ce manège fi nouveau, 
n'appercevant rien qui pût les attirer fi fingu- 
lièrement, je pique des deux pour les joindre. 
Que Jje fus étonné de les trouver raffemblés 
autour d’une jolie fontaine éloignée de plus de 
trois cents pas de lendroit d’où ïls venoient 
de détaler ! Je fis figne à mes gens de s'appro- 
cher : ils arrivèrent, & nous campämes près 
de cette fource bienfaifante , qui se à fur le 
champ , le nom du magicien qui l’avoit décou- 
verte. 

J'aurai plus d’une fois occafion de sriges 
des circonftances dans lefquelles Pinftinét c 
animaux que j'avois avéc moi, m'a rendu oi 


166 LNVovAIS 


fignalés fervices : ils m'ont tiré de plus d’une 
angoifle cruelle , fous lefquelles J'aurois fuc- 
combé fans leurs fecours. Je n’ai jamais douté 
que l'homme n'ait reçu du Créateur, en égale 
portion , les mêmes facultés ; fa corruption in- 
fenfiblement lui a fait tout perdre. Les Sauva- 
ges, d'autant plus près de la Nature qu'ils s’é- 
loignent de nous, ont aufli les fens bien plus 
fubftils : enfin, moi-même, & je me flatte d’inf- 
pirer quelque croyance , après avoir pañlé cinq 
ou fix mois dans les forêts & les déferts, lorf- 
qu’à leur imitation , je préfentois le vifage de 
côté & d’autre , j’étois parvenu à fentir, à de- 
viner comme eux, fôit une rivière, foit une 
marre : nous ne manquions Jamais d'y arriver. 

Réfolu de pañfer la nuit à Keès- Fontein ) je 
profitai de ces momens de repos, pour prépa- 
rer l’Outarde que j’avois tuée. Des nuages amon- 
celés dans le lointain nous annoncçoient un vio- 
lent orage : je fis décharger les bœufs, & ma 
tente fut dreffée. 

La pluie vint en abondance avant la nuit; 
mais elle ne dura pas long-temps : elle étoit à 
peine ceflée , que déja je rôdois de côté & 
d'autre pour épier de petits oïfeaux. Dans un 
endroit peu écarté du campement, Je vis tout- 
à-coup fe lever à mes pieds deux de ces Ser- 
pens d’un jaune doré, communs, & fi connus 
dans les Colonies fous le nom de Kooper-Capel. 
Ces reptiles fe dreffèrent à ma vue, enflant 
prodigieufement leurs têtes, & fifflant de ma- 
_nière à m’effrayer. Je lâchai mon coup; je fa- 
vois que la morfure de ces animaux eft mor- 
telle, & que la faculté de s’élancer les rend 


EN ÀÂFRIQUE. 187 


d’autant plus dangereux. L’un des deux tomba 
mort : l’autre rentra dans fon trou. Je m'aflu- 
rai de celui qui me reftoit ; il avoit cinq pieds 
trois pouces de longueur, & neuf pouces de 
circonférence dans fa plus forte épaiffeur. Ou- 
tre une infinité de petites dents très-aiguës, & 
difficiles à diftinguer , qui garnifloient {a gueule, 
il portoit de chaque côté de la mâchoire fupé- 
rieure , à la hauteur des narines, un crochet de 
cinq lignes de long, jouant dans fa charnière, 
 & qu'il pouvoit retirer comme les grifles du 
chat ou du tigre. Mes Hottentots en caffèrent 
un. Comme Jj’aimois beaucoup à les entendre 
diflerter {ur l’Hiftoire naturelle, peut-être parce 
que je trouvois plus de vérités dans les raifonne- 
mens tout grofliers de l'habitude & de l’expé- 
rience, que dans les ingénieufes fpéculations de 
nos Savans, je leur fis, fur mon ferpent, des 
queftions auxquelles ils répondirent d’une façon 
plus fatisfaifante encore que je ne m'y étois at- 
tendu. Ils ne manquèrent pas de me faire obfer- 
ver , entr’autres fingularités , que cette dent creu- 
fée en gouttière , étoit le conduéteur qui verfoit 
le venin dans la plaie qu’elle-même avoit faite. 
Telle eft, fi je ne me trompe, l’hiftoire du 
Boicininga , autrement Serpent à fonnettes, que 
_j’aifouvent rencontré dans l'Amérique méridionale. 
\ Je remarquai, dans cette occafon , toute la 
frayeur que ces animaux infpirent aux Singes: 
il n’étoit pas pofhble de faire APPAOPRES Keës 
du Serpent dont je venois de m ‘emparer , quoi- 
qu'il fût entièrement expiré. Je parvins cepen- 
dant, pour m’amufer un moment, à le lui at- 
tacher à la queue : alors ne faïfant pas un mou- 


188 VOYAGE 


vement que le Serpent n’en fît un autre, il eft 
aifé de juger à quels fauts, à quels bonds , à quelle 
impatience , à quelle fureur fe livra mon Keès 
pendant tout le temps que Jje laiffai fon fatal en- 
nemi attaché à fa queue. | 

Lorique la nuit fut clofe, nous appercûmes, 
dans le lointain , un feu qui devoit être , autant 
que l’obfcurité nous permettoit d’en juger, fur 
le fommet de quelque montagne, à trois lieues, 
plus ou moins, de diftance. Malgré cet éloigne- 
ment, dont nous n’étions pas fdrs , mecs Hotten- 
tots croyoient appercevoir Îles ombres de quel- 
ques hommes qui pafloient & repañloient devant 
le feu ; ma lunette m’eut bientôt convaincu qu'ils 
avoient raïlon ; mais étoient-ce des Caffres ? 
étoient - ce ces déteftables Boflifmans ; ennemis 
de toutes Îles Nations indiftin@tement , voleurs 
de profeflion, avec lefquels il n’y a aucune ef- 

èce d’accommodement à efpérer ? Nous nous 
‘arrêtâmes à ce dernier foupcon , attendu que 
jamais les Caffres n’habitent la hauteur des’mon- 
tagnes ; nous eümes la précaution d’éteindre nos 
feux , & le refte de la nuit fe pafla tranquillement. 

Le premier foin , à notre réveil, fut de tà- 
cher de découvrir plus poñtivement d’où & de 
qui étoient les feux que nous avions apperçus: 
on ne pouvoit défirer de temps plus favorable 
pour découvrir la fumée. Il nous parut que les 
feux étoient éteints; elle ne fe montroit plus: 
ainfi, privés d’un point fixe de dire&tion, nous 
allions nous engager dans des gorges & des dé- 
filés où nous rifquions de ne plus nous recon- 
noître : cependant , comme mes gens, dans la 
perfuafion que ce m’étoient point des Caffres, 


A à DO à CD OM 10 ALU Lee 109 
paroifloient répugner moins à fuivre notre route 
de ce côté, aux rifques de tout ce qui pouvoit 
en arriver ,s& que nos defleins nous y condui- 
foient aflez naturellement, nous empaquetimes 
à l’inftant nos équipages, & fîmes nos adieux 
à Keës- Fontein. 

Nous eûmes cher uné efpèce de bois 
où les Mimofa Ent en fi grand nombre, tei- 
lement épais & fi remplis d’ailleurs de brouflail- 
les, qu'à peine pouvions-nous faire dix pas fans 
être obligés de nous arrêter, pour nous frayer 
un pañage. J’en étois cruellement contrarié , iur- 
tout à caufe de nos bœufs qui s’écartoient fans 
cefle pour fe tracer des chemins de côtés & 
d’autres. Nous fortîmes à la fin de cette cruelle 
forêt ; mais je fuis perfuadé qu’après tant de 
fatigues, de tours & de détours qui durèrent 
l’efpace de trois heures , nous ne nous trou- 
vions pas à plus d’une lieue de Keëès-Fontein. 
Nous avions devant nous un fourré à-peu-près 
pareil à celui que nous venions de traverfer ; 
pour l’éviter, nous le longeâmes, en prenant 
notre direétion plus au Sud-Oueft. 

Couverts de fueur & de pouffère, accablés 
de chaleur, après plus de fix heures de marche, 
nous nous Amétimes à côté d’une Lagune qui 
fe préfentoit à nous fort à propos. Un de mes 
chiens qui s’étoit confidérablement échauffé à la 
pourfuite du gibier, faillit de périr ; je le per- 
dois, fi Jan, qui l’apperçut dans l’eau , ne s'y 
ft lancé fur le champ pour l’en tirer. J'appuie 
fur cette circonftance , qui paroîtra tout au moins 
indifférente au Sun des Lecieurs, pour éta- 
blir un fait dont je n’ai été témoin qu’en Afri- 


100 : VovyvAGE 

que. Si-tôt qu’un chien très-échauffé fe jette à 
Veau pour fe rafraîchir , il meurt le moment d’a- 
près, s’il n’eft fecouru à temps. Dans une chafle 
avec M. Boers, un grand lévrier précédoit fa 
voiture d’une centaine de pas ; il entra dans un 
petit rulfleau que nous devions traverfer après 
lui; il expiroit lorfque nous arrivämes. 

A peine campés & rafraîchis , j'envoyai quel- 
ques Hottentots à la découverte du côté fur- 
tout qui nous avoit inquiétés pendant la nuit. 
En moins d’une heure, j’eus des nouvelles de 
ce meflage. Je vis arriver un de mes gens ac- 
“courant pour me dire qu’il avoit apperçu une 
troupe de Caïfres en marche. Aufli-tôt il nous 
conduifit Hans & moi par des détours , & nous 
mit à portée de nous inftruire, par nos yeux, 
de ce que ce pouvoit être. Nous vîmes , en effet, 
dix hommes qui conduifoient paifblement quel- 
ques bêtes à cornes : n'ayant rien à craindre 
d’un fi petit nombre, nous nous préfentâmes à 
une certaine diftance. Le premier mouvement 
de ces gens effrayés, fur-tout par nos armes à 
feu, fut de prendre la fuite; maïs Hans leur 
criant, dans leur langue, qu’ils pouvoient s’ap- 
procher avec confiance, les fit arrêter fur le 
champ : il fe détacha pour aller leur parler. 
Lorfqu’il les eut convaincus que Jj'étois l’ami 
des Cafres, ils approchèrent tous : je les reçus 
familièrement, & leur préfentai la main en les 
faluant d’un tabé. Leur frayeur difparut à la 
vue de ma barbe; ils avoient ouï parler de 
moi par ceux que j’avois reçus dans mon camp 
de Koks-Kraal. L'un deux étoit de la connoif- 
fance de Hans,. qui lPavoit vu dans fon pays. 


EN AFRIQUE. TOL 


Je les ramenai tous à mon campement avec 
leurs beftiaux , & je les régalai de tabac & d’eau- 
de-vie. Ils me montroient mon pavillon pour 


me faire comprendre qu'ils étoient bien inftruits ; 


ils s’'étonnoient de ne point voir mes voitures & 
foute ma troupe ; mais ne voulant pas qu'ils 
fuffent à quel point ils étoient redoutés des Hot- 
tentots, je leur fis entendre que Javois voulu 
faire feulement une petite tournée dans leur 
pays, pour y prendre langue , & le parcourir 
enfuite plus à mon aife. 

Ils me parurent empreflés de favoir où fe 
trouvoient atuellement les Colons ; s'ils les 
cherchoïent encore ; en un mot, quelles pou- 
voient être leurs intentions. Je les inftruifis là- 
deffus comme îil convenoit que je le fifle. J’a- 
vois vu les Colons retirés tous au Bruyntjes- 
Hoogte , s’y tenir fur la défenfive, & agités 
de terreurs non moins fortes, que les Cafñfres 
mêmes. Ceux-ci venoient de m'’apprendre que, 
pour regagner les Hordes de leurs Nations les 
plus voifines , il leur falloit encore, de len- 
_ droit où j'étois, cinq grandes journées de mar- 
che : ainfi , calculant la diftance qui les fépa- 
roit les uns des autres, & qué je portois à-peu- 
près à une foixantaine de lieues, je pouvois, 
fans les tromper, diminuer leur crainte , & leur 
faire entendre que les Colons n’étoient , ni en 
état, ni dans la difpoñtion d’entreprendre un 
fi long voyage. Cette déclaration les raflura. Ces 
pauvres gens étoient trop malheureux pour ne pas 
exciter ma pitié ; jamais les Caïfres n’avoient été 
moleftés comme ïls l’étoient alors : outre les 
pertes èn hommes & en beftiaux qu’ils avoient 


e 


102 VOYAGE 

efluyées de la part des Blancs, ils en faifoient 
encore journellement. du côté des Tamboukis, 
Nation voifine, qui, profitant de leur fituation 
critique, Îe répandoient dans pluñeurs cantons 
de la Caffrerie , égorgeoient tout ce qui s’offroit 
à leur rencontre. Aiïnfi, preflés des deux côtés 
par cette diverfion , les Caffres manquant de 
muniuons de guerre , & hors d'état de fe dé- 
fendre , battoient en retraite le plus qu'il leur 
étoit poflible , & s’enfoncçoient au plus loin vers 
le Nord, pour éviter. deux ennemis auxquels ils 
ne pouvoient rélifter. Un troifième non moins 
«redoutable , le Boflifman, les pilloit &.les maf- 

facroit par-tout où 1l les rencontroit, | 
J'étois étonné , d’après ce que m’avoient ap- 
pris ces gens, qu’ils fe fuflent f fort éloignés de 
leurs hordes ; qu'ils erraflent à l'aventure , ans 
trop favoir où porter leurs pas : ils me dirent 
qu’au moment de la première incurfon des Blancs, 
on avoit fait refluer précipitamment & pêle-mêle 
tous les troupeaux, foit du côté de la mer, 
{oit dans d’autres endroits enfoncés de la Caffre- 
ne; mais que n’entendant plus parler d’hoffilités 
nouvelles, ils avoient rifqué de quitter leurs 
hordes, & d’aller reconnoître & ramener les bef- 
tiaux difperfés à l'aventure. Îls en avoient, en 
effet, une trentaine avec eux. Lorfque je leur 
parlai des feux que nous avions appercus pen- 
dant la nuit, ils m'’aflurèrent que c’étoient les 
leurs ; mais qu'ils n'avoient point vu les miens, 
qui les auroient fort inquiétés. Je les queftion- 
nai auf fur le navire naufragé ; ils ne firent 
que me répéter ce que m'avoient appris les au- 
ures ; c'efi-i ä-dire que ce navire avoit effeétive- 
ment 


EN ÀAFRIQUE. 193 


ment péri au-deffüs des côtes de la Caffrerie. 
D'après ces indices, je jugeois que ce malheu- 
reux événement étoit arrivé au-delà du pays des 
Tamboukis, à la hauteur de Madagaicar , vers 
le canal de Mofambique. Ils ajoutoient que, fans 
favoir les difficultés qu’on pouvoit rencontrer, 
après leurs limites , il falloit entr’autres rivières ; 
en franchir une trop large pour la traverfer à la 
nage ,ou bien remonter beaucoup au Nord pour 
la trouver guéable ; que cependant , on avoit vu 
plufñieurs Blancs chez les Tamboukis ; que pour 
eux ils avoient échangé quelques marchandifes 
avec les mêmes ‘T'amboukis, & fur -tout beau- . 
coup de cloux provenus du déchirage du navire ; 
‘mais qu’étant maintenant en guerre avec ces Peu- 
ples , ils ne pouvoient plus en tirer le fer dont 
ils avoient fi grand befoin : alors ils me prièrent 
de ieur en Hofinet: ; refrein ordinaire de ces mal- 
heureux, auquel je m’étois attendu ! trifte prière 
que Je spa d'un -cruel refus ! 

En revanche , je leur. difiribuai de. tout ce 
que je portois avec moi, foit verroterie , foit 
colifichets, briquets , amadoue, & force tabac: 
Ys mofirirent & me conjurèrent d’accepter une 
couple de leurs Bœufs ; je leur fis répondre que 
loin de penfer à les priver d’un bien aufli pré- 
cieux à d'infortunés humains, j'aurois défiré me 
trouver en fituation d'augmenter leurs beftiaux. 
Cette marque de bonté les toucha d’autant plus, 
qu'ils regardent le Blanc comme l'être lé plus 
dangereux & le plus mal-faifant qui foit fur la 
terre. Ils me firent , avec cette timidité ingénue 
qui craint même de fâcher celui qu’on va louer, 
un aveu dont l’impreffion m'’eft long-temps ref” 

Tome IT 


| 


194 Voyacsz 

tée dans l’ame. Hans me déclara, de leur part, 
en termes très - énergiques, que je reffemblois 
au feul honnéte-homme de ma race qu’ils euf- 
fent jamais rencontré ; ïls l’avoient vu, cet hon- 
nête-homme, quelques années auparavant, fur 
la rivière des Boffifmans , lorfqu’ils l’habitoient ; 
& que les Colons n’avoient pu réuflir encore à 
les en chaffer. C’étoit, me difoient-ils , un homme 
qui, comme moi, voyageoit par curiofité. Je 
n’eus pas de peine à reconnoître le Colonel Gor- 
don ; ils furent enchantés d’apprendre que nous 
étions liés d'amitié ; ils me chargèrent même de 
l'intéreffer pour eux lorfque je ferois de retour 
au Cap, de faire au Gouvernement le rapport 
véridique & le tableau le plus touchant de leur 
mifère & du cruel abandon où les avoit jettés 
l'injuftice atroce de leurs perfécuteurs. 

Je paffai cette journée entière à m’entretenir 
avec ces Caffres de tout ce qui pouvoit m'in- 
térefler touchant leurs mœurs, leurs ufages, leur 
religion , leurs goûts , leurs reflources , & je 
trouvois leurs réponfes toujours conformes à ce 
que m'avoient appris déjà les premiers que j’a- 
vois vus ; ils me contoient, avec autant de bonne 
foi, ce qui pouvoit les inculper, que ce qui pou- 
voit leur faire honneur. Mes Hottentots eux- 
mêmes les trouvoient fi paifñbles & fi confans, 
qu’ils m’engagèrent, lorfque la nuit fut venue, 
à leur permettre de refter tous au milieu de 
nous. Je converfai encore quelque temps avec 
eux , & j’allai m’enfermer dans ma tente, afin 
de me difpofer aux fatigues du lendemain. 

Dès que le jour fut venu, tandis que les Caf- 
fres faifoient les préparatifs de leur départ, j’af- 


EN. A'ÉEUL QUE 105 


femblai mes Hottentots: les réflexions que cette 
familiarité avec des Sauvages qu’ils redoutent plus 
que les bêtes féroces même , les avoit mis à por- 
tée de faire. Leurs difcours entr’eux , lorfque je 
m'étois retiré dans ma canonnière, ave achevé 
de me décider. Ne voulant point leur laiffer le 
mérite du parti le plus fage que nous euffions à 
prendre dans les circonftances préfentes ; mais, 
au contraire, très-Jaloux qu'ils priflent de moi 
des idées de prudence & de fang-froid , utiles 
à mes projets, quels qu’ils fuffent dans la fuite, 
je leur dis qu'après ce qu'ils avoient ouï, comme 
moi, la veille, fur les difficultés de pouffer plus 
loin, fur les rifques d’être affalli par les T'am- 
boukis & les Boffifmans qui parcouroient la Caf- 
frerie . mon intention étoit de me rapprocher 
de Koks - Kraal ; qu’en conféquence , fi nous 
dirigions notre route droit à l'Oueft , nous ne 
pouvions manquer la rivière Groot-Vis ; qu’alors 
en la remontant , fuivant les apparences, plu 
fieurs jours , nous devions immanquablement 
nous revoir bientôt dans notre camp ; qu'au fur- 
plus chacun pourroit dire librement ce qu’il pen- 
foit de ma propofñtion. Je voyois trop fur les 
vifages de tout mon monde le plaifir qu'il en 
reflentoit, pour n'être pas für de le trouver de 
mon avis: & l’on me fit unanimement les hon- 
neurs d’une idée à laquelle ils avoient tous au- 
tant de prétention que moi : j'oblerverai ici que 
je ne pouvois plus efpérer d’accroître ma col- 
lection, que je ne favois plus où placer, tant 
elle étoit volumineufe. 
Je déclarai enfuite que , rendus à Koks-Kraal ; 

je n'y ferois d'autre HFJous que celui qui feroit 


N i 


196 VOYAGE 


néceffaire pour réparer nos équipages, & nous 
mettre en route vers Îles montagnes de neige ; 
de-là retourner au Cap, en pañant encore plus 
à l'Oueñt. Je favois que ce plan n’étoit du goût 
de perfonne , parce que, traverfant ces déferts 
arides & dépouillés dans le temps de la grande 
féchereffe , chacun de nous devoit s'attendre à 
plus d’une difgrace fâcheufe ; maïs , impatient de 
connoître les curiofités naturelles que renferment 
ce pays , j'avois formé le deflein irrévocable 
de le traverfer, & l’ouverture que j'en faifois 
a@uellement n’étoit qu’une rufe par laquelle je 
voulois familiarifer de bonne heure , avec-cette 
idée , ceux de mes gens que j’avois avec moi, 
afin que , de retour au camp , ils pufñent en 
faire plus naturellement la confidence à leurs 
camarades , & s'étonner davantage de leur ré- 
fiftance , s'ils devoient en montrer. 

Avant de me fépafer des Caffres, je leur fis 
encore ainfi qu’à mes Hottentots, une forte dif- 
tribution de tabac, & je n’en confetvai que ce 
qu’il nous en falloit pour nous rendre au camp: 
cela me procura de la place pour les oïfeaux 
qui m'embarrafloient , & ceux que je pourrois ren- 
contrer fur la route. Ces dix Sauvages nous ai- 
dèrent à empaqueter , à charger nos bœufs ; après 
quoi, nous fouhaitant réciproquement bon voya- 
ge, nous fuivimes deux chemins oppofés, eux 
vers le Nord, nous vers le Sud. 

IN oËE métier die jours entiers, pendant lef.. 
quels il ne nous arriva rien de remarquable , à 
oagner les bords tant defirés du Groot-Vis : cetté 
marche forcée avoit confidérablement fatigué nos 
porteurs & nous-mêmes ; nous étions cruellement 


À: 
EN AFRIQUE, 107 


. harraffés : je réfolus, autant pour reprendre ha- 
leine que pour voir fi Je ne découvrirois rien 
dans les environs , de pafñler tout le lendemain 
fur les bords de cette rivière. Nous étions aétuelle- 
ment fans inquiétude relativement à l’eau, quoi- 
qu’à la vérité , nous n’en euflions pas manqué 
pendant les trois jours que nous avions mis à 
chercher le fleuve qui devoit nous reconduire 
chez nous : mais nous ne pouvions : afligner pré- 
cifément le temps que nous employérions à fui- 
vre fon cours jufqu’à notre camp. Il étoit pof- 
fible que de hautes montagnes, & d’autres cau- 
fes forçcaffent le Groot-Vis , avant de fe jetter 
à la mer, de former quelques coudes qui nous 
autoient contraints à prolonger notre marche. 
Nous le her ie affez paifiblement pendant 
trois autres journées , mais toujours en le cô- 
toyant ; enfin , dans la matinée du quatrième, 
nous reconnümes la haute montagne dont nous 
avions vu le revers dans les premiers jours de 
notre départ. Cette vue excita des cris de joie : 
nous allions retrouver nos foyers, notre camp, 
‘nos troupeaux , toutes nos richefles & tout no- 
tre monde ! nous forcâmesla marche , & le foir, 
un peu tard à la vérité, fans qu'on nous eût 
découverts, nous arrivâmes au camp. Tout étoit 
plongé dans le plus grand calme ; je ne pus jouir 
de l’étonnement délicieux de cette arrivée pré- 
cipitée; le vacarme affreux des chiens donna 
fur le champ l'éveil; on accourut à nous ; on 
reconnut nos voix : pr aux bêtes les plus in- 
fenfbles , tout fembloit prendre part à la joie 
commune; nous ne pouvions fur-tout nous dé- 
barrafler des ps qui nous étourdifloient de 

N üi 


109 VovYAGE 
leurs fauts & de leurs aboiemens précipités. Mais 
un autre ipeétacle ne me parut pas moins in- 
téreflant : ma famille s’étoit confidérablement ac- 
crue. À mon départ, un petit détachement de 
la Colonie de ces bons Gonaquoïs avoit quitté 
la Horde , & étoit venu s'établir à l'endroit même 
ge J'avois affigné aux Cafires. Ils y avoient conf- 
truit plulieurs huttes nouvelles ; on m apprit ê 
je vis aflez par l’ordre admirable qui régnoit 
dans le camp , que tout avoit été tranquille pen- 
dant mon abience : on s’étoit entretenu dé nous 
tous les foirs. Swanepoël me rendit, de cha- 
cun en particulier , les meilleurs témoignages. 
Après la première quinzaine écoulée ; fans ap- 
prendre de mes nouvelles , il n’avoit pu, me 
dit-il, fe défendre d’un peu de terreur ; il craie 
gnoit de ne me plus revoir. qu’au Cap, per- 
fuadé qu’à moins que je ne rencontrafle des obf- 
tacles invincibles , je percerois toujours en avant, 
tant que les munitions ne me manqueroient pas. 
J’avouerai bonnement que , privé pendant près 
d’un mois de l’aifance & des douceurs de mon 
camp, J'étois enchanté de m'y voir de retour. 
Quelle fatisfation nc reffentois-je pas au-dedans, 
de tout l’attachement & de la fidélité de ces 
Hottentots, fi timides & fi foibles, que je n’a- 
vois pas craint d'abandonner à eux-mêmes! Il étoit 
temps de leur prouver ma reconnoiïlance ; J’an- 
noncai, à haute voix, qu’il étoit /amedi. Cette 
déclaration . qui courut bientôt de bouche en 
bouche jufqu’aux Gonaquois mêmes, mit le com- 
ble à l’effervefcence qui les agitoit. Cette cir- 
conftance exige une explication , & je m'y prête, 
avec un nouveau plaifr; çar le fouvenir des 


\ 
( 


EN ÂÀAFRIQUE 199 
ces petits, mais délicieux moyens, par lefquels 
je favois varier mes loifirs, & me faire, dans un 
défert inhabitable , du plus fimple objet un ob- 
jet de plaifanterie & d’amufement , annonce une 
grande tranquillité, & fait qu’au fi même des 
arts & de routes les agitations de l’amour - pro- 
pre, je me cherche fouvent, & gémis de ne me 
point reconnoître. 

En partant du Cap, j’avois négligé de pren- 
dre un Almanach : cependant, afin de pouvoir 
compter fur quelque chofe, & que mon Jour- 
nal fût exact, j'avois fixé tous les moïs à trente 
jours. Comme je n’en paflois jamais un fans me 
rendre compte, il m'étoit affez indifférent de 
diftinguer les femaines, & de connoître chaque 
jour par fon nom ; mâis j’étois convenu de dif. 
tribuer à mes Hottentots leurs rations de tabac 
tous les famedis : s’il arrivoit que, ne voulant 
pas me donner : la peine de confulter mon Li- 
vre , je leur demandafle le jour que nous te- 
nions , j’aurois fait d’avance la réponfe. Sui- 
vant leur calcul, c’étoit famedi ; de telle forte 
qu’en compulfant mon regiftre, après quinze 
mois de voyage, j'ai trouvé fept ou huit de 
ces famedis qui n’avoient point de femaine. 

Je me vis donc , comme parle pañlé, entouré 
de ma nombreule famille ; &, tandis que tout 
fumoit fa pipe près d’un grand feu, jufqu’aux 
fémmes Gonaquoifes , & que chacun favouroit 
fa double ration d’eau-de-vie, je reprenois avec, 
plaifir le régime de la crême & du thé. 

Je parlai, le lendemain, de la route que je 
com ptois tenir; chaéun en étoit déjà informé : 
je n’efluyai pas autant de da ce & d’ob- 

iv 


200 Voyager | 

jetons que je m'y étois attendu ; je fentois que 
mon voyage touchoit à fon terme, & que tout 
ce monde , épuilé de fatigues , trouvoit bon 
tous les chemins qui paroiffoiént nous: rappro- 
cher du Cap: cependant le pallage par les mon- 
tagnes du Sneuw - Bergen. , repaire; des -Bofff- 
mans, failoient trembler plus d’un de mes Bra- 
ves. Je fixai ce départ à la huitaine, -afin d’a- 
voir le temps de réparer nos voitures, faire une 
nouvelle charpente pour la tente de la mienne, 
en couvrirla toile avec des nattes fraîches, rem- 
placer les vieux traits avec des peaux de Buffles 
tués pendant mon abfence; enfin, couler des 
balles & du petit plomb; ce qui demandoit beau- 
coup de temps : il n’en falloit pas moins non 
plus pour mettre ordre:à: la. Colleétion: que. j'a- 
vois faite en Caffrerie , & configner ; dans mon 
Journal , le réfultat de. mes cap fur ce 
Pays & “ur fes Peuples. Nos - amis:mirent la 
main à l'ouvrage pour l'accélérer un peu. , & 
moi je m’enfonçai dans ma tente, 8m ’empref- 
fai, tandis que mamémoiïre en étroit encore cine 
de rédiger mes obfervations. 

À juger les Caffres, d’après ceux que j'ai vus, 
leur taille eft généralement plus haute que celle 
des Hottentots & même des Gonaquois.. Hs fe 
rapprochent cependant beaucoup de ces derniers ; 
mais ils paroïffent plus robuftes, plus fiers, 
hardis; leur figure eft aufi plus agréable ; 
ne leur voit point de ces vifages rétrécis A 
le bas , ni cette faillie des pommettes de la 
joue , fi défagréable chez les Hottentots ; ils n’ont 
point cette face large & plate, & les lèvres épait- 
les de leurs voifins, les Nègres du Mofambi- 


Eù No FRA 0 A En £0OI 
que ; une fivure ronde, un nez pas trop épaté, 
un grand front , . de grands yeux leur donnent 
un air ouvert &. fpirituel; & f.le préjugé fait 
. grace: à la couleur de la peau , il eft telle femme 
. Caffre qui peut pañler pour très-Jolie à côté d’une 
Européenne. Les planches 5 & 6 repréfentent 
un. Caffre &.une Caffre deflinés d’après nature; 
ils ne rendent point leurs vifages ridicules en 
épilant, leurs fourcils comme les Hottentots ; ils 
fe tatouent beaucoup, particulièrement la figure ; 
leurs cheveux., très-crépus » ne font Jamais graif- 
fés : il n’en eft pas de même du refte de leur 
corps ; c’eft un moyen qu'ils employent dans la 
feule vue d'entretenir la fouplefle & la vigueur. 

Dans la_parure, les hommes en général font 
plus recherchés que les femmes ; ils aiment beau- 
coup la. verroterie & les anneaux de cuivre: 
prelque toujours, on leur voit, foit aux bras, 
foit aux jambes... des bracelets faits avec des dé- 
fenfes d’Hléphant ; ils en fcient en rouelles la 
partie. creufe, :& laïflent à ces anneaux naturels 
plus ou .moins énilens… Il neft plus quef- 
tion que de les polir & de les. arrondir extérieu- 
rement ; Ces. gros anneaux ne pouvant s'ouvrir , 
il faut que la main puifle y paffer pour les cou- 
ler au bras: ce qui fait qu’ils font toujours aifés, 
& qu'ils jouent continuellement Jun {ur l’autre. 
Si d'on donne à des enfans : des anneaux moins 
larges , à. melure. qu'ils grandiflent, le vuide fe 
remplit, & :cette prefqu” adhérence cft ua luxe 


_: qui.flatte. beaucoup ceux qu’on 4 ainfi décorés 


dès leur jeune âge. Ils fe font encore des col- 
liers avec, des os. d'animaux enfilés, auxquels ils 
- favent: donner. la blancheur :& le poli le plus 


202 5 Vo vue 

parfait. Quelques-uns fe contentent de los en- 

tier d’une jambe de mouton; &' cet ornement 

figure aflez bien fur la poitrine : c’eftune mou- 

che fur le vifage d’une jolie femme. Le Gona- 

quois , comme on le peut voir dans la planche 

qui le repréfente , a la même coquetterie. Quel- 

quefois auffi ils remplacent cet os par une corne 

de Gazelle ou toute autre chofe , felon leur ca- 

price. On verroit, Je crois, autant de variétés 
& de bizarreries dans leurs ajuftemens, qu’on 

en voit en Europe, s’ils avoient les mêmes moyens 

& les mêmes reflources : ils font affez conftans 

dans leurs habillemens , parce qu'ils ne pour- 

roient remplacer , par aucune étoffe , les peaux 
dont ils fe couvrent. Il paroîtroit qu’ils font moins 
pudiques que les Hottentots, parce qu'ils ne font 
point ufage du Jakal pour cacher les parties na- 
turelles ; un petit capuchon de peau , qui ne 
couvre que le gland , loin de paroître modefte, 
annonce la plus grande indécence. Ce petit ca- 
puchon tient à une courroie qui s ’attache à la 
ceinture, uniquement pour ne pas le perdre; 
car, s’il ne craint point de piqûres ou de mor- 
fures d’infectes, le Caffre s'inquiète peu que le 
capuchon foit en place ou non. Je n’ai vu qu’un 
feul homme qui portât, au-lieu du capuchon, 
un étui de bois fculpté ; c’étoit une nouvelle & 
ridicule mode qu'il avoit prife chez un peuple 
de Noirs éloigné de la Caffrerie. Dans la fai- 
fon des chaleurs, le Caffre va toujours nud ; il 
ne conferve que fes orneméns : dans les jours 

froids, il porte un Kros de peau de Veau ou 

de Bœuf, qui fouvent defcend juiqu’à terre. 

J'en donne ure idée exaûte, dans les planches 


EN ÀÂFRIQUE, 20% 

5 & 6, qui offre un jeune Caffre , tenant fon 
Paifccau de fagayes, & une femme donnant à 
tetter à fon enfant. 

Une particularité qui, peut-être, ne et ren- 
contre nulle part , & qui mérite dé fixer l’at- 
tention , c'eft que les femmes Caffres ne font 
aucun cas de la parure; comme elles font, en 
comparaifon des autres Sauvages, bien faites & 
jolies, auroïent -elles donc de plus le bon ef- 
. prit de croire que les ornemens font moins faits 
pour ajouter à la beauté ; que pour mafquer des 
imperfections. Quoi qu'il en puïlle être, on ne 
leur voit jamais l'étalage & la profufon de !a 
coquetterie Hottentore. Elles ne portent pas mêmé 
de bracelets de cuivre ; leurs petits tabliers, 
plus courts encore que ceux des Gonaquoifes | 
font bordés de quelques rangs de verroterie : 
voilà leur plus grand luxe. La peau que les Hot- 
tentotes portent fur les reins, par- -derrière , les 
femmes Caffres la font rémontér jufqu’ aûx aif- 
felles, & lattachent au-deffus de la gorge qui 
en eft couverte. Elles ont aufli, comme leurs 
maris, le Kros ou Manteau, foit de Veau, foit 
de Bœuf, mais prefque toujours ras ; les uns & 
lès autres ne $’en fervent que dans la faifon plu- 
vieufe , ou lorfqu’il fait froid. Ces peaux font auffi 
maniables, aufli moëlleufes que nos plus fines 
étoffes : quant aux procédés de la mégifferie des 
Caïfres , ils font à-peu-près les mêmes que ceux 
des Hottentots. 

Quel que foit le temps ‘quelle que foit la fai- 
fon , jamais les deux {exes ne couvrent leur tête: 
j'ai quelquefois rémarqué une plume fichée dans 
C5 cheveux; encore cette fantaifie eft-elle fortrare. 


204 + AVOYAGE 


Les précautions des femmes Caffrés, dans leurs 
accouchemens & dans leurs incommodités pério- 
diques, font abfolument femblables à celles des 
Gonaquoifes ou‘Hottentotes, 

Leurs occupations journalières fe bornent à 
façonner de la. poterie, qu’elles travaillent auf 
adroitement que.leurs maris.: celles que J'avois 
eues dans mon, Camp, y ayant trouvé de la 
térre-glaife qui leur convenoit, n’avoient point 
perdu cette. occafon de fe, faire des marmites 
& autres vaillelles à leur ufage ; elles n’avoient 
même pas manqué , à leur départ ? d’emporter 
une grande provifon de cette terre, dont elles 
avoient chargé leurs Bœufs : ce font encore ces 
femmes comme je l'ai dit, qui travaillent les 
paniers ; ce font elles qui préparent les champs 
à recevoir les femences ; elles grattent la terre 
avec des pioches de bois, RHOE qu elles ne a 
labourent. 

Les cabanes Caffres , plus pere & plus 
élevées que celles. des Hottentots., ont aufli la 
forme plus régulière : c’eft abfolument un .demi- 
globe parfaitement arrondi; la carçaffe en eft 
faite avec une efpèce de treillage bien folide & 
bien uni, parce qu'il doit durer. long- temps: on 
l’enduit enfuite, tant en-dedans  qu’en-dehors, 
d’une efpèce de “torchis ou. d’algamafle de bouze 
& de glaïfe battus enfemble , & bien uniment ré- 
pandus. Cés  huttes offrent à l'œil un air de 
propreté que n’ont certainément point les de- 
meures Hottentotes ; on les.;croiroit badigeon- 
nées ; la feule ouverture qui foit à ces cabanes, 
eft tellement étroite &.bañle , qu'il faut fe met- 
tre à plat- ventre pour y pénétrer. Cette cou- 


EN AFRIQUE. 205 


tume me parut d’abord extravagante & FF 
rir beaucoup fur celle des Hottentots ; mais, 
comme ces huttes ne fervent LOIRE qu’à 
palier la nuit. il eft plus facile de s’y clore & 
de s'y défendre, foit contre les animaux, foit 
contre les furprifes de lennemi. Le fol intérieur 
eft enduit comme les murs ; dans le centre, on 
ménage un petit âtre ou Esÿer circulairement 
entouré d’un rebord faillant de deux ou trois 
pouces, pour contenir le feu , & mettre la cabane 
à l'abri de fes atteintes ; dns le tour extérieur 
& à cinq ou fix pouces de la cabane , on creufe 
un petit canal profond d’un demi-pied, & qui 
porte autant de largeur. Ce canal eft deftiné à 
recevoir les eaux : cette précaution éloigne toute 
efpèce d'humidité. J'ai vifité & parcouru , dans 
différens cantons, plus de fept à huit cents hut- 
tes ; jamais je n’en ai vu une feule qui fût quar- 
rée, comme on l’a dit. D'ailleurs, je crois qu’il 
importe peu au Lecteur de favoir fi ces Sau- 
vages font logés quarément ou rondement ; maïs 
c'eft une remarque qui m’a prouvé que cette 
manière de vouloir tout dire, décèle, tôt. ou 
tard , ie Voyageur qui n’a pas tout vü. 

Les terres de la Caffrerie étant, foit par elles- 
mêmes, foit par leurs politions, foie auffi par la 
quantité de petites rivières qui les rafraîchif- 
fent, beaucoup plus fertiles que celles des Hot- 
tentots , 1l fuit néceffairement que les Caffres 
qui , d’ailleurs , s’entendent à la culture, font auf 
Nomades ; & c’eft ce qui arrive quand on ne 
va point troubler leur repos. Le terrein qui les 
a vu nâître les voit mourir, à moins qu'ils ne 
foient affailis , je ne dis pas feulement par de 


206 Voyage | 
barbares perfécuteurs avides de leur fang, mais 
par quelques-uns de ces fléaux deftruéteurs qui 
n’épargnent pas plus les hommes que les ani- 
maux, & qui, dans un moment, couvrent de 
deuil d’immenfes pays. Un logement agréable 
& folide, placé près d’un ruifleau, au milieu du 
champ défriché qu’on a recu de fes pères, n’en 
eft-ce pas afflez pour enrichir l’idiôme Caffre du 
doux nom de Patrie, que ne connoîtra jamais 
l’errante infouciance du Hottentot ? 

J'ai cependant fait une remarque qui, pour 
être étrange , n’en eft pas moins certaine & gé- 
nérale ; ee les forêts & les bois fuperbes qui 
couvrent la Caffrerie , maloré ces pâturages ma- 
gnifiques qui s'élèvent de façon à dérober aux 
| yeux les troupeaux épars dans les champs, mal- 
gré les rivières, les ruiffeaux qui fe croiféat en 
mille fens divers pour les rendre féconds & rians, 
les Bœufs , les Vaches & prefque tous les animaux 
y font plus petits que ceux des Hottentots. Cette 
différence provient aflurément de la nature de 
la fève, & d’un goût fur qui prédomine dans 
toutes les efpèces d’herbages. J'ai fait cette ob- 
fervation non-feulement fur les animaux domef- 
tiques des cantons qui me font connus, mais auffi 
fur tous ceux qui font Sauvages, & Je les ai 
trouvés réellement plus petits que ceux que J’a- 
vois précédemment vus dans des Pays fecs & 
arides ; j'ai remarqué , dans mon Voyage chez les 
Namaquois qui n'habitent que des rochers & la 
terre la plus ingrate peut-être de l'Afrique en- 
tière , qu'ils avoient les plus beaux Bœufs que 
j’euffe rencontrés , & qu’il n’eft pas, jufqu’aux 
Eléphans & Hippopotames, qui ne fuffent plus 


CEE 


EN AFRIQUE. 207 
forts que par-tout ailleurs. Aufli le peu de pà- 
turage qui fe trouve dans ces lieux maudits, 
eft-il fort doux & fort fuave. Cette qualité des 
plantes fe diftingue aifément ; javois, pour cela , 
un moyen infaillible, lorfque j’arrivois dans un 
canton nouveau. Quand mon troupeau reve- 
noit de la pâture, je jugeois de l’âprêté des her- 
bes , par l’empreflement avec lequel il fe ré- 
pandoit dans mon camp pour y chercher , de 
tous côtés, les os que mes chiens avoient aban- 
donnés : ils foulageoient leurs dents, vivement 
agacées, en rongeant ces os, qui, par leur na- 
ture calcaire, devoient en effet émouñler & étein- 
dre l'agacement & l'acidité qui les tourmentoient. 
Jamais nous ne jettions les os dans le feu : lorf- 
que nous en manquions, du bois fec, ou même 
des pierres, y fuppléoient ; & même à défaut 
de tout cela , ils fe rongeoiént mutuellement les 
cornes; quand les pâturages étoient excellens, 
cette cérémonie n’avoit Jamais lieu. 

Une induftrie mieux caraétérifée » quelques 
arts de néceflité première , il eft vrai, un peu 
de culture, quelques dogmes religieux, annon- 
cent, dans le Caffre, une Nation plus civili- 
fée que celles du côté du Sud. La circoncifion 
qu'ils pratiquent généralement prouveroit affez, 
ou qu’ils doivent leur origine à d’anciens Peu- 
ples dont ils ont dégénéré, ou qu'ils l'ont fim- 
plement imité de voifins du ils ne fe fouvien- 
nent plus; car, lorfqu’on leur parle de cette 
cérémonie, ce n’eft, felon eux, ni par religion, 
ni par aucune autre caufe myflique qu'ils la. 
pratiquent. Îls ont pourtant une très-haute idée 
de l’Auteur des êtres & de fa puiffance ; ils 


208 Vo v A°GE! 

croyent à une autre vie, à la punition des mé- 
chans , à la récompenfe des bons ; maïs ils n’ont 
point d’idée de la création : ils penfent que 
le monde a toujours exifté, qu'il fera toujours 
ce qu'il eft. [ls ne fe livrent, du refte, à au- 
cune pratique religieufe ; ne prient jamais ; en 
forte qu’on pourroit très-bien dire qu'ils n’ont 
pas de religion, sil n’y a point de religion 
fans’ culte : ils font eux-mêmes les inftituteurs 
de leurs enfans, & n’ont point de Prêtres. En 

revanche, ils ont des forciers que la plus grande 
partie révère ; & craint beaucoup : je n'ai ja- 
mais joui de la farisfaction d’en joindre un feul. 

Je doute fort, malgré tout leur crédit, qu’ils 
en impofent, autant que les nôtres, à a mul 
titude. 

Les Caffres fe laïflent gouverner par un Chef 
général, ou, fi l’on veut, une efpèce de Roi. 
Son pouvoir, comme J'ai eu occafon de lob- 
ferver , eft très-borné ; ne recevant point de fub- 
fides, ilne peut avoir aucunes troupes à fa folde : 
il eft loin du defpotifme. C’eft le père d’un 
Peuple libre ; il n’eft ni refpeété, ni craint: il 
eft aimé. Souvent il eft le moins riche de fes 
Sujets, parce que , maître de prendre autant 
de femmes qu’il en veut, & ces femmes fe 
faifant un honneur de lui appartenir , la dé- 
penfe que fon train royal occafonne, & qu’il 
eft obligé de prendre dans fa caille particulie- 
re, je veux dire, dans fon champ, fes beftiaux, 
fes fourrages « &c. fouvent: ‘le ruine, & réduit 
fes propriétés à rien. Sa cabane nef ni plus 
haute, ni mieux décorée que les autres. Il raf- 


femble fa famille & fon ferrail autour de lui: 
ce 


\ 


_ 


/ 
/ 


EN. À E & L'OUR 209 
ce qui compofe un gtouppe de douze ou quinze 
huttes tout au plus. Les terres qui l’environnent 
font ordinairement celles qu'il cultive : c’eft un 
ufage que chacun récolte lui- même fes grains 
pour en difpofer à fa manière ; c’eft la nourri- 
ture favorite des Caïires ; ils les écrafent & les 
broyent entre deux pierres : c’eft auf, pour cette 
raifon, que chaque famille s’ifolant pour avoir 
fes produétions à fa portée, une Horde feule 
qui ne feroit pas fort nombreule , peut cceuper 
fouvent une lieue quarrée de terrein : ce qu’on 
ne voit jamais chez les Hottentots ni les Go- 
naquois. 

_ Cet éloignement des différentes Hordes en- 
tr'elles, exige qu’on leur donne des Chefs. C’eft 
le Roi qui les nomme. Lorfqu'il a à leur com- 
muniquer des avis intéreflans pour la Nation, 
il les fait venir, & leur donne fes ordres que je 
devrois appeller fes nouvelles : les différens Chets 
porteurs de ces nouvelles, retournent chez eux 
pour en faire part aux leurs. | 

L’arme du Caffre , la fimple lance ou us 
- annonce en lui un caradère intrépide & grand; 
il méprife & regarde comme indigne de fon cou- 
rage les flèches empoifonnées , fi fort en ufage 
chez fes voilins; il cherche toujours {on ennemi 
face à face ; il ne peut lancer fa fagaye, qu’il 
ne foit à découvert. Le Hottentot , au con- 
traire , caché fous une roche, ou derrière un 
buiflon , envoie la mort, fans s’expofer à la re- 
cevoir ; l’un eft le Tigre perfide qui ford traî- 
tretfement fur fa proie ; l’autre eft le Lion gé- 
néreux qui s'annonce , fe montre , attaque & pé- 
rit, s'il nef pas vainqueur. L'inégalité des ar- 

Tome IT. 0 


210 VoyaAGEr 

mes n'eft point capable de le faire balancer : 
fon courage & fon cœur font tout pour lui. En 
guerre ; à la vérité, il porte un bouclier d’en- 
viron trois pieds de hauteur, fait de peau de 
de Buffle prife dans Îa partie la plus épaiffe : 
cela lui fuffit pour le défendre des flèches & 
même des fagayes ; mais cette arme défenfive 
ne le met pas à l'abri de la balle: le Caffre ma- 
nie encore, avec beaucoup d’adrefle , une arme 
non moins terrible que la fagaye , "lorfqu’ il a 
joint fon ennemi ; c’eft une maflue de deux pieds 
& demi de hauteur , faite d’un feul morceau 
de bois ou racine de trois à quatre pouces de 
diamètre , dans fa plus grande épaiïfleur ; & qui 
va en diminuant par l’une des extrémités. Il 
frappe avec cet affommoir ; quelquefois même 
il le lance à quinze ou vingt pas : il eft rare 
qu’il n’atteigne pas au but qu’il s’eft propofé. 
* J'ai vu l’un de ces Sauvages tuer ainfi une per- 
drix dans le moment où elle s’élevoit pour s’envoler. 

Le pouvoir fouverain eft héréditaire dans la 
famille du Roi; fon fils aîné lui fuceède tou- 
jours ; mais , à défaut d’héritiers mâles , ce ne font 
point les Frères, mais les plus proches neveux qui 
fuccèdent. Dans le cas où le Souverain ne laif- 
feroit ni enfans ni neveux, c’eft alors parmi les 
Chefs des différentes Hordes qu ’on choifit un 
Roi : quelquefois l’efprit de parti s’en mêle ; de-là 
la fermentation & les brigues, qui finiffent tou- 
jours par des fcènes fanglantes. 

La polygamie eft d’ufage chez les Caffres ; leurs 
mariages font encore plus fimples que ceux des 
Hottentots; les parens du futur font toujours 
contens du choix qu’il a fait; ceux de la future 


EN AFRIQUE. Qtt 


y regardent d’un peu plus près; mais il eft rare 
qu'ils faffent de grandes difficultés. On fe réjouit ; 

on boit; on danfe pendant des femaines entiè- 
res, plus ou moins, felon la richefle des deux 
familles : ces fêtes n’ont jamais lieu que pour de 
premières époufailles 3 les autres fe font, te 
ainfi parler, à la fourdine. 

Les Caflies ne font pas plus de mufque, n’ont 
pas d’autres inftrumens que les Hottentots , fi 
ce n’eft que j'ai vu, chez l’un d’eux, une mau- 
vaife flûte qui ne tiérite pas qu’on en parle : à 
exception du pas Anglois, leurs danfes font à- 
peu-près les mêmes. 

_ À la mort du père , les enfans mâles: & la 
mère partagent entr'eux la fuccefion; les filles 
n’héritent point; elles reftent avec dont frèe 
res où leur mère, jufqu’à ce qu’elles conviennent 
à quelqu'homme. Si cependant elles fe marient 
du vivant de leurs parens, elles ne reçoivent : 
pour dot, que quelques pièces de bétail , 

proportion de la richefñle des uns & des autres. 

On n’enterre point ordinairement les morts 
ils font tranfportés hors du Kraal par la Éinsiller , 
& dépofés dans une foffle ouverte & commune 
à toute la Horde. C'eft là que les animaux vien- 
nent fe repaître à loifir : ce qui purge l’air que 
gâteroit bientôt la corruption de plufeurs cada- 
vres entaflés. Les honneurs de la fépulture ne 
font dus qu’au Roi & aux Chefs de chaque 
Horde : on couvre leurs corps d’un tas de pier- 
res amaflées en forme de dôme ; c’eft de là que 
provient cette fuite de petites monticules qu’on 
voyee autrefois rangées fur une même ligne , 


A19 Voo: VA QE ( 
dans les environs du Bruyntjes-Hoogte ) ancienne 
domination des Cañres.. 

Je ne connois point le caraétère de Galles, ; 
relativement à l'amour, & ne fais pas s'ils font 
jaloux. Tout ce que je crois, c’eft qu’ils ne con- 
noiffent cette fureur que par rapport à leurs fem- 
blables ; car ils cèdent volontiers leurs femmes, 
moyennant une petite rétribution , au premier 
Blanc qui paroît la défirer. Hans m’avoit fait 
plus d’une fois entendre que toutes celles que 
J'avois recues dans mon camp, étoient à mon 
fervice, & que je pouvois choïfir. En effet , il 
n’étoit forte d’agaceries auxquelles elles ne fe li- 
vraflent devant leurs hommes pour m'attirer dans 
leurs pièges, & ceux-ci n’étoient peut-être fcan- 
dalifés que de la froideur avec laquelle je pa- 
roiflois recevoir ces carefles. 

Je ne poufferai pas plus loin ces détails, j'en 
ai dit affez pour montrer à quel point un Peu- 
pie diffère du Peuple fon voifin, quand il n'y 
a point d’autre communication entr’eux que celle 
qu'établiffent des guerres langiantens à d’éter- 
nelles inimitiés. 

Le huitième jour, ce jour Have l qui de- 
voit nous rapprocher du Cap, parut#enfin. Je 
is une revue générale de mes chariots , équi- 
pages, Bœufs, attelages, &cc.; j’avois mis en or- 
dre mes nouvelles colleétions , & repañlé les plus 
anciennes ; les balles que j’avois commandées, 
& le plomb néceflaire à la chafle, étoient cou- 
lés; mes Bœuf qui, depuis long-temps, fe re- 
pofoient & n’avoient pas manqué d’excellens pâ- 
turages ; éroient à pleine peau & dans le meil- 
leur état poflible. En un mot, j'étois RE par- 


| , EN AFRIQUE. 21 
tir ; j'accordai deux jours de plus pour prendre 
congé dé nos bons voifins & nous divertir avec eux. 

La: nouvelle de ce départ définitif s’étoit ré- 
pandue ; je vis bientôt arriver toute la Horde 
par peletons, hommes & femmes. Haabas étoit 
à leur tête : tout ce qui avoit pu marcher, le 
fuivoit ; ils accouroient pour nous faire leurs 
adieux, & recevoir les nôtres. Que] J étois aife qu'ils 
| violent pafler ces deux derniers jours avec moi! 
Le bon Flaabas me préfenta quatre ou cinq Go- 
naquois d’une autre Horde que la fienne, & qui 
ayant ouï parler de moi, avoient été’ députés 
pour in’engager à aller vifiter. leur canton. ‘Il 
étoit trop tard ; mais J'adoucis mon refus, en 
leur promettant de me fouvenir de leur tendre 
invitation , ‘au premier voyage que j'entrepren- 
drois_ dans ces contrées. : 

Tant que durèrent.ces quarante- ie heures, 
on fe: livra, de part & d’autre, à tous les ex- 
cès de da-folie & du ‘plaïfir : mon eau - de - vie 
ne ‘fut pas: ‘épargnée, non plus que l’hydromel 
que’ Haabas. avoit fait exprès préparer & ap- 
porter aveclui; maisla.belle Narina & fa fœur, 
qui étoient: de la partie, ne prenoient aucune 
part 1 ces 'orgies , tout innocentes qu’elles fuf- 
fent : la trifteffe avoit fur-tout voilé les traits 
de Narina ; je la confolai comme je pus , je 
l’accablai de” préfens ; je lui en remis pour fa 
fœur , fa mère & tous fes amis : ; en un mot, 
je medéfis', : dans ce moment de prefque tous 
mes bijoux; 3 mais laparuré n’étoit pas ce qui 
loccupoit:en ce moment..... Je donnai à Haa- 
bas &'à: tout fon monde tout ce qu'il me fut 
pofible de leur donner, fans me faire de tort à 

O iÿ 


CRT | Voyager. 

moi-même , & me priver de toutes reffources pour 
mon retour. Le tabac fut fur-tout réparti entre 
ces braves gens jufqu’à profufon ; je n’en paies 
que pour les miens & le temps du retour. 

Enfuite je pris à part le vénérable- Hañbas, & 
le preffai avec tendreffe, même avec émotion À 
de fuivre les confeils que je lui avois donnés 
pour fon falut & celui de toute.fa Horde. Je 
tm’efforçai de lui perfuader que la tranquillité 
apparente des Colons, toujours affemblés dans le 
même endroit, couvoit quelque nouveau ‘projet, 
& par. conféquent de nouvelles trahifons ; que 
fon Kraal étant placé précifément entrées Co- 
lons &les Caffres, il pouvoit, tôt ourtard ; de- 
veuir la victime des uns ou des autres. 

Il me promit qu'il. s’éloigneroit lorique je {e- 
rois parti; qu'il ne s’y étoit pas déterminé plu- 
tôt , pour fe ménager le plaiir de me:voir encore 
une fois, à mon retour de-la Caffrerie:; mais il 
ajouta, avec cette. cordialité , cet amour dont il 
m'avoit déjà donné tant de preuves; que: fi 
les temps -devenoiïent. plus heureux , c’éft:âtdire, 
fi la paix fe rétablifloit , fa réfolution-étoit prife 
de venir s'inftaller dansinon camp, tant:en mé- 
moire d’un bienfaiteur; que parce qu’on n€ pou- 
voit choifir un endroit. plus agréable, ; :i : 

Le 4 Décembre arriva ;-Jje partis. ."Jeténte- 
rois vainement de peindre -la : confternation dé 
ces malheureux Gonaquois : on eût:dit que-Je 
les livroïs aux bêtes féroces, &. qu'ils. perdoient 
tout, en me perdant. Je, peindrois moins encore 
ce qui fe. pañloir dans mom ame; j’avois:-donnéde 
fignal;. mes, hommes , mes: chariots: tou# mes 
troupeaux déjà étoient en marçhe ; je {uivis ce 


EN AFRIQUE. 21 


convoi avec lenteur, traînant mon cheval par 
la bride ; je ne regardait plus derrière moi ; je ne 
prononcai plus un feul mot, & je laiffai mes lar- 
mes foulager la vive oppreff on de mon Cœur. 

Mes bons amis, mes vrais amis, je ne vous 
reverrai plus!.. Quelle que foit la caufe des ten- 
dres fentimens que vous m’aviez jurés, foyez tran- 
quilles ; la fource n’en eft pas plus pure en Eu- 
rope que parmi vous : foyez tranquilles ; aucune 
force n’eft capable d’en afloiblir la mémoire. 
Pleins de confiance en mes adieux, mes regrets 
& mes larmes, vous m’aurez peut-être attendu 
long-temps ! Dans vos calamités, votre fimplicité 
décevante vous aura peut-être plus d’une fois 
ramenés aux lieux chéris de nos rendez-vous , de 
nos fêtes ; vous m’aurez vainement cherché; vaine- 
ment vous m'’aurez appellé à votre finis à | 
p’aurai pu ni vous confoler , ni vous défendre ! 
D’immenfes pays nous féparent pour jamais. ... 
Oubliez-moi ; qu’un fol efpoir ne trouble pas la 
tranquillité de vos Jours; cette idée feroit le tour- 

ment de ma vie ; j'ai repris lés chaînes de la So- 
ciété; je mourrai, comme tant d’ autres, appe- 
fanti fous leur poids énorme ; mais je pourrai 
du moins m’écrier à mon heure dernière : ,, Mon 
nom déjà s ’efface chez les miens , quand la trace 
de mes pas eft encore empreinte chez-les Go- 
paquois ”! 

D'après les indications que j'avois reçues, jef- 
timois que nous trouverions les Sneuw - Bergen 
à l’Oueft : qu'ainfi, laiffant le Bruyntjes-Hoogte 

à ma gauche, & traverfant la chaîne de monta- 
gnes qui en porte encore le nom , quoiqu’elle s’en 
éloigne beaucoup; nous devions infailiblement 
O iv 


216. VovaAcr 

arriver à celles de neige à quarante ou cinquante 
licues, plus ou moins, fuivant les détours que 
me forceroient de prendre mes voitures &. tout 
mon bagage. 

 J’avois ouï parler fi diverfement de ces gattes 
ou montagnes , que , dévoré du plus ardent défir 
de les voir par moi- même, & de les traverfer à 
mon aile, Jene pouvois y arriver affez tôt à mon 
gré. Prévenu d’ailleurs que leur élévation & la 
froidure de leurs fommets les rendent inhabita- 
bles pendant pluñeurs mois de l’année, ce cli- 
mat nouveau me promettoit des produétions nou- 
velles, & des variétés de plus d’un genre, bien: 
dignes aflurément de piquer ma ‘curiofité. 

La chaleur étoit excefive; nous n’en f îmes 
pas moins fix grandes lieues : à une heure après 
midi , nous nous arrêtâmes fur les. reftes d’un 
Kraal horriblement dévafté ; fa trifle Horde 
avoit probablement été furprife & maflacrée fur 
la place ; la terre étoit jonchée d’offemens hu- 
mains & de parties de cadavres : révoltant fpec- 
tacle que nous nous empreffèmes de fuir! 

Remis en route , à quatre heures du foir, 
trois heures de marche nous. conduifirent à une, 
habitation délaiflée » dont on avoit feulement en- 
levé les meubles ; je me propofai d'y pañler la 
nuit ; mal à peine nous y fümes-nous établis, 
que des démangeaifons extraordinaires parcou- 
rurent tout mon Corps; je me découvris la poi- 
trine ; elle étoit noircie d’eflaims innombrables, 
de puces. Mes Hottentots ne furent pas nonplus 
entièrement exempts des atteintes de cetie ver- 
mine importune : nous quittâmes , fur le champ, 
ces lieux empoilonnés, que mes géns nommé: 


E N*A FR ? QU E. 217 
rent le Camp des puces, pour aller nous éta- 
blir plus loin, fur les bords d’un ruifleau lim- 
pide-& très - riant: Je m'y plongeai tout entier, 
fans me donner même le temps de me déshabiller : : 
j'avois le corps ablolument truité. Klaas me con- 
feillai} au fortir/de ce bain, de me laiflér frot- 
ter à la manière des Sauvages ; je fus donc oraïflé 
& -boughoué: pour la première fois de ma vie, 
& je m'en trouvai foulagé. Quoique nous ne 
nous! fuflions arrêtés: qu’un quart-d’heure dans 
cét endroit malencontreux . , mes chiens & mes 
chariots étoient couverts de ces infeétes ; Popé- 
ration balfamique à daquelle Joie venois de me 
livrer , étoit le. feul moyen de m'en garantir, juf- 
qu’à. ce que le temps ou le premier. orage 'euf- 
{eut achevé denous en purger tout-à-fait. En rai- 
fon : dè ce procédé. familier à : mes. Hottentots:,: 
ils en avoient: été moins affaillis. que leur maître! 

Le. nouveau: fite. que nous. -venions OCSUPEr:,: 
& fur. lequel. nous paffâmes. la nuit, :n’étoit.pas 
ans. agrémens.: Nous étions flanqués au Nord. 
par. des forêts: immenfes_de,.ces mêmes axbies: 
dont j'ai parlé cii- deflus ; : Ja. plaine étoit.:cou- 
verte.de Mimofa:,.que les Colons nomment Doc- 
ren-Boom. J'eus, le plaifir de les voir: en pleiné: 
fleur : circonftance : heureufe pour :moi,.&; que, 
je. n’avois garde de négliger ; ‘car. cômme je 
l'ai dit . les fleurs de cet arbre. attirent une.quan-; 
tité d'infeétes. fares qu'on he trouve communé-. 
ment que dans ceite fation, & ces mêmes-in- 
feftes font arriver des: ide .de.‘toute. cfpèce 
d’oileaux auxquelsilsi fervent. de, nourriture : je 
me fixai donc dans cette plaine «Qùje uramufai: 
à varier mes. Campemens. J'eus, lieu de préfus 


216 Vovacr 

mer que toute cette lifière, qui bordé la forêt, 
avoit été autrefois habitée par les Cafires. Nous n’y 
pouvions faire un pas, fans rencontrer des reftes 
de huttes antiques plus ou moins dégradées par 
le temps ; j'y trouvai fans peine les deux efpè- 
ces de Gazelles Gnou & Spring-bock. Le filence 
des nuits ne me parut jamais plus majeftueux 
qu'en cet. endroit; les tugiflemens des Lions ré- 
fonnoient autour de nous à des intervalles égaux; 
mais les converfations de ces dangereufes bêtes 
féroces ne POUVOIENT Kous effrayer après plus 
de douze ms d'habitude au milieu d’elles , & 
n'INErrompoient nullement notre fommeil. Nous 
nè nous relâchions cependant pas de nos pré- 
cautions ordinaires. J’augmentois, de jour en 
jour ; mes colle@tions, & je les’ enrichis là d’un 
oïfeau magnifique, inconnu des Ornytholopiftes. 
Mes gens lui donnèrent le nom Uyt-Lager (le 
moqueur). Il fufffoit qu'il apperçôt l’un de nous, 
ou même un de nos animaux, pour que ‘fon 
éfpèce ‘arrivât par vingtaine fur les branches 
qui nous avoifinoient le plus; & là, dreffés per- 
pendiculairement fur leurs pieds:, & fe balançant 
tout le corps de' côtés & d’autres, ils nous af 
fourdifloient de ces fyllabes répétées avec pré- 
cipitation GRA ; GA, GA, GA. es pauvres bé- 
tes fembloient fe livrer à difcrétion. Nous en 
tuâmes tant que nous en voulûmes. Cet oifeau 
eft, à-peu-près, de la groffeur du Merle : fon 
plumage verd-doré a le reflet pourpre ; fa queue 
Jongue a la forme d’un fer dé lance; elle eft, 
de même que les pennes de l’aîle agréablement 
tachetée de blanc ; le bec courbe & long, ef 
‘remarquable , aïinfi que fés pieds, par une cou- 


E N AFRIQUE. 219 
leur du plus beau rouge; il grimpe le long des 
branches pour y chercher des infeétes dont il fe 
nourrit, & qui fe cache fous l'écorce qu'il dé- 
tache très-adroitement avec fon bec. 1 

Il ne faut pas croire que ce foit un Grim- 
pereau , quoiqu'il paroïfe y refflembler. Des ca- 
raclères effentiels. comme on le verra, le 1ép9 
xent de cette clafe. 

Ayaht, un foir wonsrqué 9 que , fans préqaur 
tions , & fans que notre préfence lévr infpirât 
la moindre crainte, ils venoient tous fe coucher 
en foule dans différens trous creufés autour d’un 
très-gros arbre, près duquel nous étions campés ; 
je fis boucher plufeures de ces trous. Le lende- 
main, en levant avec précaution le fcellé , j’eus 
le plaifir de les prendre par le bec, à mefure 
qu’ils fe préfentoient pour fortir. Cette chafe 
eft affürément facile & bien fimple : on peut 
fe procurer, de la même façon, toutes les ef- 
pèces.de Pics & de Barbuss; mais ceux ci fe cou- 
chant plis: myftérieufement que les premiers, 
font auffi plus difhciles à découvrir. Il eft une 
règle que je crois aflez générale : c’eft que tous 
les Oïfeaux qui ont deux doigts devant & deux 
derrière , fe retirent dans des creux d'arbres , 
pout y. pañfer la nuit :- ce qui né prive pas de 
cet inftinct d’autres clpècés ; telles que Es Mé- 
fanges , les. Toréhes-Pot ; Ge F0. 

of Séroix ‘imprudent de’ foûrrer la main se 
Ai trous dont je viens de parler, fans être bien 
für: dece qu'on va y trouver; car fouventits’y 
rcticontre dé petits aquadrépedes de là groffeur 
du Rat :-fouvent auf des- -férpens s’y introdui- 
fent pour dévorer les œufs ou les Oifeaux : &, 


220 MAUVE TAGS 
quoique ces reptiles, pour la plupart, ne foient 
point mal-faifans , ils ne laiffent pas de caufer 
vae grande frayeur dont on n'’eft pas le maf- 
tre. L’efpèce nommée Kooper- Kapel, dont j'ai 
déjà parlé, monte fort bien dans les rbresil A ÈT 
pourroit aufli fe réfugier dans quelques - uns de 
ces trous: ce feroit alors plus qu’une épouvante, 
& l’on payeroit cher fon imprudente curiofité. 

Le 16, nous nous remîmes en route. En cinq 
campemens différens, j’avois battu.tout le can- 
ton. que nous quittions. Après..trois. heures de 
marche , je trouvai le Klein-Vis-Rivier ;,je ne 
pus aller plus loin ce jour-là; nous perdîmes 
beaucoup de temps à chercher un-.endroit de la 
rivière qui fût guéable pour nos voitures : elles 
avoilent déjà failli d’y culbuter.…. 1 

Le jour fuivant, nous la travetfmes Lu 
fement ; une habitation délaiflée vint encore-s’of 
frir à mes regards; je ne fus pas même tenté 
d’en approcher. Quelques lieues plus loin, nous 
retrouvâmes des Mimofa en très-grande quan- 
tité ,: & tout aufli fleuris que ceux que je venois 
d'abandonner la veille. Je réfiflai d'autant moins 
à la tentation de m’arrêter aux. .bords de ces 
forêts, que j'y rencontrai des oifeaux queje-n’a- 
vois vus nulle part, & . pour la feconde fois, 
ce genre de Perroquet ; dont; J'ai-parlé plus haut. 
Je m’écartai un peu, & me trouvai dans une, ef- 
pèce de petite prairie, au.milieu..d’un bois de 
baute-futaie : ce défert paifble favorifoit. mes 
opérations » & me.parut, commode pour mes équi- . 
pages ; mais comment les y faire arriver à trar 
vers des brouflailles , des arbres & des branches 
qui fe croifoient en mille fens divers ?, Nous : 


EN AFXTIQUE. 2e 


| avions franchi des obftacles plus infurmüntables ; 
celui- ci céda, comme tous les autres, à nos ef- 
forts. Le dix-neuf, après beaucoup de peines 
& de fatigues, nous en vînmes à bout : {eule- 
ment ] ’eus le malheur de perdre un de mes bons 
timoniers , qu’une voiture entraîna avec tant de 
violence contre un Mimofa, que les épines de 
cet arbre pénétrèrent & fe tompirent dans l’o- 
moplate de l'animal. Nous retirâmes , comme 
nous pûmes , toutes celles qui étoient encore ap- 
parentés, ou que nous pouvions mordre avec nos 
tenailles ; mais tout notre art n’allant pas au- 
delà , celles qui s ’étoient plus enfoncées, & que 
nous ne pouvions faifir ni même appercevoir , 
- occafonnèrent une inflammation telle , que, 
vingt- quatre heures après , toutes les confulta- 
tions de mes meilleurs efculapes fe réduifirent 
au parti d’aflommer le malade : ce qui fut exé- 
cuté fur le champ. | 

Les Touracos dotés également aise ce 
bois ; ils y éroient moins fauvages, & me pa- 
roifloient plus grands que ceux. des forêts d’Au. 
téniquoi. J'y trouvai une efpèce nouvelle de Ca- 
lao ; &, parmi d’autres que je n’avois point vues 
ju{ques-là , je diftinguai un Merle à ventre orangé, 
qui, outre le plaifir que me caufoit fa décou- 
verte, me fournit encore l’occañon de juger de 
la fimplicité des Hottentots. r 

Ce fut Pit qui, le premier , m'apporta cet 
Oïfeau : il étoit femelle ; j’ordonnai à ce Chaf- 
feur de retourner, fur le champ, dans l’endroit 
où il l’avoit tué, ne doutant point qu’il n'y ren- 
contrât le mâle ; mais il me pria de l’en difpen- 
fer, n’ofant pas, ajoutoit-il ,: prendre fur lui de 


222 5 UM) a v A Gen 

le tirer. J'infiftai ; quel fut mon étonnement lorf. 
que je le vis d’un air affligé & d’un ton pref. 
que lamentable, m'attefter qu'il lui arriveroit cer: 
tainement quelque malheur ; qu’à peine avoitil 
mis bas la femelle, le mâle s’étoit acharné à le 
pourfuivre , en lui répétant fans ceffe : Prr-wE 
wroOU, Pir-ME wrou ! Il faut obferver que ces 
deux mois font en eflet les cris de cet Oifeau: 
je m'en fuis mieux convaincu que par les vaines 
terreurs de ce Pit, lorfque j'ai eu dans la fuite 
l’occafion de tirer moi-même de ces Merles. Les 
fyilabes qu’il prononce, & qui avoient effrayé 
on chaffeur, font trois mots Hollandois qui figni- 
fient Pit ou pierre; ma femme ; il s’étoit imaginé 
que lOifeau l’appellant par fon nom, lui rede- 
mandoiît fa moitié. Il me fut impoffible de tran- 
quillifer l’imagination frappée de cet homme , qui 
refufa toujours confiamment de tirer fur ces oi- 
feaux. S'il lui fût malheureufement arrivé un 
accident durant nos marches & nos chafles , quelle 
qu’en fût la caufe, fes camarades n’euffent pas 
manqué de l’attribuer au maflacre du premier de 
ces Merles. Cette croyance, fondée fur des faits 
que j'eufle été moi-même en état d’attefter, au- 
roit pu confacrer , au fein des déferts d'Afrique, 
le premier miracle d’une religion naïflante. 

Je rencontrai , par-tout dans dla forêt , une 
efpèce de Singes Cercopithèques à face noire; 
mais je ne pouvois jamais les atteindre. Sautant 
d’un arbre à l’autre, comme pour me narguer, 
un clin-d'œil voyoit, tour-à-tour , paroître & 
difparoître ces Cercopithèques turbulens. Je me 
fatiguois vainement à leur pourfuite : cependant, 
un matin que je rôdois aux environs de mon 


E NO A F A I Q'U E:. 24 
camp, j'en apperçus une trentaine afis fur les 
branches d’un arbre , & prélentant leurs ven- 
tres blancs aux premiers rayons du foleil. Ce- 

lui qu'ils avoient choifi étoit affez ifolé pour 
que l'ombre des autres ne les gênât pas. Je ga- 
gnai, par le taillis, l'endroit qui m'en approchoit 
le plus, fans être découvert; & de-là, prenant 
_ma courfe, j'arrivai à leur arbre avant qu'ils 
euffent eu le temps d’en defcendre. J’étois cer- 
tain qu'aucun d’eux ne s'étoit échappé ; malgré 
cela, je n’en pus appercevoir un feul, quoique 
je tournaffe de tous côtés & mes regards & mes 
pas, & que je fifle le plus févère examen de 
l'arbre où je favois qu'ils étoient cachés. Je pris 
le parti de m’affeoir à quelque diftance du pied, 
& de guetter de l’œil, jufqu’à ce que j’apperçuffe 
quelque mouvement. Je fus payé de ma conf- 
tance, après,un affez long efpace de temps. Je 
vis enfin une tête qui s’allongeoit pour décou- 
vrir apparemment ce que Jj'étois devenu : je l’a- 
juftai ; l’animal tomba ; je m'étois attendu que 
le bruit du coup alloit faire déguerpir toute la 
troupe : c’eft ce qui n’arriva cependant pas, & 
pendant plus d’une demi-heure encore que je 
gardai mon pofte , rien ne remua, rien ne parut. 
Laïñé de ce manège fatiguant , je tirai au hafard 
plufieurs coups dans les branches de l’arbre, & 
j'eus le plaifir d’en voir tomber deux autres. Un 
troïfième , qui n’étoit que bleffé, s’accrocha , par 
la queue, à une petite branche. Un nouveau 
coup le fit arriver à fon tour. Content de ce 
qué je m'étois procuré, je ramaflai mes quatre 
Singes, & je marchai vers mon camp. Lorfque 
je fus à une certaine diftance de l'arbre, je vis 


224 V 0 y À G B: 

toute la troupe, qui avoit calculé mon éloigne- 
ment, defcendre avec précipitation, & gagner 
l'épaiffeur du bois, en pouflant de grands cris. 
Je jugeai, à quelques traîneurs qui fuivoient pé- 
niblement , boîtant du devant ou du derrière , 
que mes plombs. en avoient bleflé plufieurs ; 
mais, dans cette fuite précipitée, je ne remar- 
quai point, comme. l'ont dit quelques Voya- 
geurs, que les mieux. portans aïdaffent les ef- 
tropiés, en les chargeant fur leurs épaules, pour 
ne point retarder la marche commune, & je 
crois qu’à leur égard, ainfi qu’à celui des Hot- 
tentois, pourfuivis en guerre, la Nature eft Ja 
même, & qu’on a déjà trop de veiller à fon 
propre falut, pour s’occuper de celui des autres. 
_ De retour à ma tente , j’examindi ma chafñle, 
Cette efpèce de Singe eft d'une grandeur moyen- 
ne; fon poil, affez long, eft généralement d’une 
teinte verdâtre. [il a le venire blanc , comme 
je lai déjà dit, & la face entièrement noire; 
fes fefles font calleules : cette partie nue eff, 
ainfi que celles de la génération du mâle, d’un 
très-beau bleu. Dans le moment où j'examinois 
ces animaux , Keès entre dans ma tente; Je. 
crois qu’il va Jjetter les hauts cris, en apperce- 
vant fes camarades, quoique d’une elpèce difté- 
rente de Ja fienne. Il me parut qu'il ne crai- 
gnoit pas autant les morts que les vivans. Il mon- 
tre de l’étonnement ; 1l les confidère l’un après 
l’autre, les tourne & retourne en tous fens pour 
les examiner, comme ïl me l’avoit vu faire. 
Il n'étoit pas, je crois, le premier Singe qui 
voulût trancher du Naturalifte ; maïs un fecret 


motif, beaucoup moins généreux, le preiloit 
fortement ; 


EN AFRIQUE, 285 
fortement ; il avoit découvert des tréfors en tà- 
tant les joues des quatre défunts. Je le vis bientôt 
fe hafarder à leur ouvrir la bouche, l’un après 
l'autre, & tirer de leurs falles (*) des amandes 
toutes “épluchées de l'arbre Géel- Hour, & les 
entaflér dans les fiennes. 

Le campement que J ’occupois devenoit inté- 
reffant & riche pour moi; il étoit, de plus, agréa- 
ble à mes gens, & Résa bondant pour mes bef- 
taux: auf Ty FeRER jufqu’au 26, & ne le quittai 
Ex ‘avec beaucoup de regret. C'eft un de ceux 
où je fens qu'il m’eût été facile d’oublier qu'il 
eft d’autres climats Ù d’autres mœurs , d’autres 
plaïlirs. 

Dès le matin du jour fuivant , neus délogeà- 
mes ; &, trois heures plus tard, quelques Sau- 
vages Hottentots s’offrirent à notre rencontre : 
ils conduifoient devant eux des Moutons , & 
faifoient route pour rejoindre leurs Hordes ref- 
peétives ; dont ils s’éroient éloignés dans je ne 
fais quel deffein. Je leur payai généreufement 
une couple de leurs bêtes dont j’avois befoin ; 
nous marchâmes avec eux pendant plus d’une 
heure ; après quoi, leur deftination n'étant plus 
la nôtre, 1ls nous quittèrent pour regagner leurs 
Kraals, à quelques lieues de là : nous fûmes ar- 
rêtés. trois heures après , par le Klein-Vis, qui, 
depuis que nous l’avions traverfé, s'offroit à nous 
pour la troifième fois. Les roues d’une de mes 


(*) Les Naturalifes nomment fälles ces efpèces de poches qu'ont 
les finges entre les joues & les mâchoires inférieures : c’eft une forte 
de magafin dans: lequel ils confervent , pour Poccafion, les fruits 
gw’ils wouvent , lorfqu’ils n’ont ni le temps ni le befoin de les mangers 


Lome IL, 


226 V.0..Y.Aa9e0E 


voitures commencoïent à fe déboîter ; les rayons 
jouoient, tellement dans les moyeux, que le moin- 
dre cahot nous faifoit trembler : un plus long 
retard eût augmenté le mal; il fat réfolu que 
nous reftcrions _campés quelques jours pour les 
réparer. C’eft à cette place que , deux jours 
après, fuivant le nouveau ftyle de mon Calen- 
drier, nous paflâmes le premier jour de l'an. 1782. 

Les Hottentots , qui ne comprennent rien à 
année folaire, font éloignés de connoître l’éti- 
quette du premier jour qui la commence : ainf 
point de complimens de notre part, & par con- 
féquent point de faux fermens & d'hypocrites 
proteftations : : je me donnai feulement .. pour 
mes étrennes, un chapeau neuf que je n'avois 
pas. encore retappé, & l’on tira au blanc celui 
que je quittois. Klaas fit voler, la bouteille en 
mille pièces ; ; 1e pe faurois peindre la joie qu il 
reffentit d'avoir remporté ce prix, qui ajoutoit, 

à fa garderobe, un meuble précieux, une, par 
rure plus magnifique encore que la culotte ufée 
dont je lui avois fait cadeau , lors de, mon en- 
trée FR chez les Gonaquois. e 

Le lendemain , tandis que nous. étions OCCu- 
pés de notre chariot & de fes roues, la joie fe 
répandit, tout d’un coup, fur tous les vifages. 
Lorfque] je demandai la caufe de cette:viye émo- 
tion , on s’approcha de moi pour me faire re- 
marquer >, dans le lointain, un nuage qui S’är 
vançoit vers nous. Je ne voyois rien à ce phé- 
nomène qui dût fi fort nous réjouir ; ce ne fat 
que lorfque ce prétendu. nuage nous eut-gagnés, 
que je diftinguai qu'il n’étoit. formé que par des 
millions de fauterelles qui faifoient route: On 


% 


EN, À FE 1XRUE. 227 
imavoit beaucoup parlé lc l'émigration de ces 
infcétes, qui s ’aflemblent tous les ans par bandes 
innombrables, & quittent les lieux qui les ont vu 
naître pour aller s'établir ailleurs ; mais je les 
voyois pour la première fois : celles - ci VOya=. 
geoient en fi grand nombre, que l'air en étoit 
réellement obfcurci. Elles ne s'élevoient point 
beaucoup au- -deflus de. nos têtes ; elles formoient 
une colonne qui pouvoit embraffer deux à trois 
mille. pieds. en largeur, &, montre à [a main, 
elles. mirent plus d’une Le à pañler. Ce nue 
taillon. étoit tellement ferré , qu'il en tombvoit 
comme, une grêle des pelotons étonflés ou dé- 
montés ;.mon Keès es groduoit. à plaifir en mê- 
me-temps. qu à en. farfoit provifion.. | 

Mes gens s’en firent auffi un régal ; ils me van- 
tèrent fi fort l'excellence de cette manne, que 
cédant. à: la. spntatiop ,Je voulus m'en régaler 
comme, EUX ,:, MAIS ». sil eft vrai, comme on 
Pafure., qu} en à Grèce , & nommément dans Athè- 
nes, . les marchés. publics étoient toujours four- 
nis. de cette nourriture, & qu elle faitoit les dé- 
lices des. gourmets de ce temps ,j avoue de bonne- 
foi que. j’aurois mal figuré parmi ces Acridopha- 
ges,tà moins qu'avec le goût des Grecs , le 
Ciel ne m’eût fait jouir d’une conftitution diflé- 
rentes: is 
-Nogs. partimes enfin, le » Janvier ; &, laif- 
fant: derrière nous la. haine des montagnes du 
Bruyntjes:Hoogte , nous appercûmes, au Nord, 
celles de Sneuwberg après lefquelles nous afpi- 
Tions depuis. fi long-temps. Quoique nous fuffions 
parvenus à la faifon des pins fortes chaleurs , nous 


découvrions ençore.de 11. neige dans les anfrac- 
P 3 


228 - VoyvaAGr 
tuofités & les enfoncemens les plus rapprochés 
du fommet de ces formidables montagnes, Tan- 
dis que je m’amufois à fes 'confdérer avec ma 
lunette , mes Hottentots m'annoncèrent qu'ils 
voyoient paroître un blanc : cette nouvelle m'inf- 
pira le plus vif intérêt ; il y aVoit tant de: temps 
que je n'avois vu des hommes de cette cou- 
leur ! Celui-ci avoit fait un affez longue route, 
uniquement dans le deflein de fe procuter du 
fel dans un lac fitué près de Swart- Kops-Rivier. 
Je le joignis, & m’entretins quelque temps avec 
lui ; il ne put retenir fes larmes en me contant 
que, dans les commencemens de la guerre avec 
la Caffrerie contre laquelle il n’avoit jatnais voulu 
fe liguer à l’exemple des autres Colons, il avoit 
eu le malheur lui, fa femme , fon fils unique 
& quelques Hottentots, d’être attaqués, > pendant 
la nuit , par ces Céfres qu il avoit toujours mé- 
nagés ; que chacun s'étoit précipitamment ‘caché 
dans des buiffons : ; mais que, le jour venu, la 
troupe s'étant rejointe , il avoit trouvé Tonfils' 
percé de mille coups de fagayes , à la place 
même où nous étions actuellement arrêtés l’un 
& l’autre. Le récit de cet infortuné père! mé pé-' 
nétra de douleur ; je n’effayai point de calmer: 
Îa fienue ; le plus morne filence exprimoit ‘mieux 
que de vains difcours tout ce qu'il devoit at. 
tendre de confolations de la part d’un'têtre fén- 
fible : il avouoit cependant que les Caffres étoient. 
fondés dans leurs haïnes ; mais qu’il étoit bien 
malheureux pour les innocens, que les effets n’en 
retombaflent pas fur les feuls coupables. ” 4 
‘‘yele priai, pour le diftraire un peu, de pañfer 
la nuit D de moi : Je le traitai de mon mieux ; 


AN, À FRIOQ UE 229 


je le régalai de mon meilleur thé, & lui donnai 
d’excellent tabac. Les écarts de la converfation 
nous. conduifirent , je ne fais comment, fur l’ar- 
ticle des chevaux : il me dit qu’un de fes amis , 
habitant du Swart-Kops , lui en avoit fait voir 
un qu'il avoit pris à la chaffe, & que, n'ayant 
pu découvrir à qui 1l appartenoit , il le gardoit 
chez lui : cela me rappella celui que J’avois aban- 
donné fur les bords du Krom-Rivier à la for- 
tie du Lange - Kloof , il y avoit fept on huit 
mois. D’après le fignalement que Je lui en don- 
nai, il demeura fi convaincu que c’étoit mon 
cheval, qu’il m’offrit aufli-tôt de me laiffer choifir 
une couple de fes Bœufs, fi je voulois le lui 
céder , & lui donner un mot de letire pour 
qu'il pût l'envoyer chercher. Mon cheval va- 
loit certainement plus que ce qu’il m’offroit ; mais 
calculant, d’un côté, les difficultés & les retards 
d’une route longue & pénible, & de l’autre, 
le fervice que je pouvois, fur le champ, tirer 
des deux bœufs qu’il m’offroit, voulant d’ail- 
leurs lui donner une marque d’eftime & d’ami- 
tié, Je ne balançai point à accepter fa propo- 
fition , & lui donnai un billet pour réclamer 
mon cheval. ; 
-.Je pris toujours ma marche vers les Sneuw- 
berg que nous ne perdions pas de vue , au pied 
defquelles je me flattois d'arriver le jour même; 
mais , vers les onze heures , une chaleur des 
‘ plus exceflives nous arrêta fur les bords de Bly- 
Rivier, où nous fûmes obligés de pañfer la nuit. 
Ce torrent ne fut pas pour nous d’une grande 
reflource ; il ne couloit plus ; la féchereffe l'a- 
voit tari; nous n’eûmes d'autre reflource , pour 


P à} 


230 F VO Tr AGO) 
étancher la foif dont nous étions dévorés, éu'une 
eau ftagnante & de mauvais goût qui croupil- 
Loit dans les endroits les plus profonds de fon lit. 
À la pointe du jour, nous nous empreflämes dé 
quitter ce défagréable gite , & trois heures & 
demie dé marche nous firent rencontrer une au- 
tre rivière nommée Vogel - Rivier (rivière des 
oïfeaux). Jé remarquois entr’autres fingularirés, 
que, plus nous approchions dés montagnes de 
neige . plus la chaleur devenôît accablante ; les 
focs amoncelés qui compofent ces pies foureil- 
leux , échauffés, fans doute, pat les râyons ar- 
dens du foleil, les réfléchit, & les concentré dans 
les vallées qui les avoifinent : le mal- aile gé- 
néral de toute la caravane ne nous Au pas 
d'aller plus loin. 

Dans le court efpace que nous vénions de par: 
courir pour gagner d’une rivière à l’autte , nous 
n'avions rencontré qu’une feule troupe de Ga- 
Zelles Springbock ; maïs il faut dire qu’elle oc- 
cupoit toute la plaine ; c’étoit une émigration 
dont nous n’avions vu ni le commencement ni la 
fin ; nous étions précilément dans la faifon où 
ces animaux abandonnent les terres {èches & ro- 
cailleufes de la pointe d’Afrique, pour tefluer 
vers le Nord, foit dans la Caffrerie, foit dans 
d’autres pays couverts & bien arrofés 4 tentet 
d'en calculer le nombre, le porter à vingt , à 
trente, à cinquante mille, cé n'cft rien dité 
qui approche dé ja vérité ; il faut avoir vu le 
pañlage de ces animaux , pour le croire. Nous 
marchions au milieu d'eux , fans que cela Îles 
dérangeit beaucoup ; ils étoient fi peu farou- 
ches , que j'en tirai trois , fans fotur de mon 


EN “A FR TO UE. 291 
chariot ; il nous eût été facile au Befoih d’en 
fournir pour long - temps à des armées innom- 
brables. Au furplus, la retraite de ces Gazelles 
qui quittoient le pays que nous allions parcou- 
tir, nous annoncçoïit , plus fürement que l’A/- 
manach de Liège , les fécherefles auxquelles nous 
devions nous attendre. 

Remis en route dans la matinée du 6, & re- 
montant la rivière des oifeaux, qui prend là fource 
dans les montagnes de neige, un accident, qui 
pouvoit devenir férieux , nous arrêta quelque 
temps : le conduéteur d'une de mes voitures , Vou- 
lant fe remettre en fiège , fut retenu par des 
épines auxquelles il n'avoit pas fait attention. 
Il tomba ; la roue de la voiture , qui continuoit 
fa marche , pañla fur fa jambe : j'accourus & 
fas mille fois heureux lorique je m'apperçus , 
après l'avoir bien examinée . qu 4] n’y avoit au- 
cune fraêtüre ; je baffinai moi-même la contu- 
fion , je l'enveloppai de plufieurs bandages. im- 
bibés d’eau-de-vie ; &, de peur que le malade 
n’en regrettât lufage , je lui en fis avaler un 
grand gobelet : il fut porté, pendant quelques 
jours , fur mes chariots ; & fon accident n'eut 
pas d’autres fuites. 

I! fembloit que les Sneuwberg fuffent pour moi 
là terre promife ; je ne pouvois y arriver. Les 
obflacles fe fuccédoient. Le 7, au moment de 
partir, je m'appercus, en faifant le dénombre- 
ment de mes Beftiaux, qu'il en manquoit trois : 
mes gens fe répandirent de tous côtés pour les 
chercher ; on les retrouva ; mais cette Opéra- 
tion avoit demandé tant de temps, que nous ne 
pômes atteler qu’à fept heures du foir. Nous 

P iv 


212 VovyaGce 
étions encore dans les plus grands ; jours de l'an- 
née ; la fraîcheur des nuits étoit : attrayante ; nous 
ne devions être qu’à quatre ou cinq, lieues de 
Platte - Rivière ; 5 & notre intention, fi nous y 
arrivions, n’étoit pas de pouffer plus avant. 
Nous avions à peine fait deux ou trois lieues, 
qu'un des Hottentots de l’arrière-garde, emporté 
par fon cheval, tombe fur nous à toute bride, 
fuivi de tous les relais qui arrivent dans le plus 
grand défordre.'L’effroi fe communique aux douze 
bœufs du chariot de Pampoën-Kraal, qui, dans 
ce moment n’ayant point de Hottentots en tête 
pour retenir & gouverner les deux prémiers , 
comme il eft d’ufage, prennent lépouvante , fe 
jettent en s’écartant fur le côté ; le timon cafe; 
&. toujours attelés, îls le traînent après eux, 
s’enfoncent & vont fe perdre dans les buiflons. 
La confufion devient de plus en plus générale. 
Au mugiflement des Bœufs , il n’y avoit pas à 
douter que nous ne fuflions pourfuivis par des 
Lions : on court aux armes ; tandis que les uns 
s'eHorcent d'arrêter les Bœufs des deux autres 
<hariots qui fe laïfloient emporter comme ceux 
du troifième , que d’autres s'occupent à ramaf- 
fer & à raflembler tout ce qui leur tombe fous 
Ja main pour allumer les feux, je pars ..accom- 
pagné de mes plus habiles Chaffèurs , & nous 
rétrogradons fur la route pour faire face aux cruels 
animaux , retarder leur marche, & donner le 
temps de fe livrer aux autres Nu aies La nuit 
n’étoit pas encore bien obfcure ; nous étions dans 
une plaine fablonneufe, qui nous aidoit à diftin- 
tinguer les objets à une certaine difiance. Lorf- 
que je vis nos chiens s ‘approcher de nous; à 


EN AFRIQUE, ag 


nous ferrer de près, je ne doutai plus-de la pré- 
fence des Lions. Tout-à-coup j'en apperçois deux 
élevés fur un petit tertre, & qui fembloient nous 
attendre ; nous lâchons tous nos coups enfem- 
ble, mais fans autre, effet que de les voir.dife. 
paroître. Nous avancions toujours dans. Pefpé- 
rance d’en abattre au moins un, & nous conti- 
nuyons, par précaution ; nos décharges : ; ils ne 
s’offrirent plus à nos regards ; ;.c'eft en vain que, 
aous nous fuffions obftinés à les pourfuivre plus 
long-temps ; ils étoient déjà loin. Les feux étoient 
bien allumés ; nous nous en rapprochâmes ; nos 
Bœufs difperfés en faifoient autant ; ils arrivoient 
à notre halte les uns après les autres, & bientôt 
1] ne manqua plus que l’attelage de Pampoën- 
Kraal. Nous entendions beugler à une certaine. 
diftance ; aucun de mes gens ne fe foucioit de 
courir à la voix; j'en engageai cependant plu- 
fleurs à me nn ; chacun de nous prit un.ti- 
fon enflammé d’une main, un fufil de l’autre ; 
& … fous la conduite des Chiens qui nous précé- 
doient , nous allâmes à la recherche, & arrivà- 
mes fur la placé. Le morceau de timon que ces 
Bœufs avoient traîné avec eux. s’étoit pris entre 
deux arbres , & les avoit année à ; ils étoient tous 
ep peloton , & tellement embarraflés dans les. 
traits, qu'il n'y.eut d'autre moyen que de les 
mettre en pièces : trois de ces Bœuis manquoient ;: 
‘ils étoient parvenus à brifer leur joug ; nous les 
croyions dévorés ; mais, de retour à nos feux, 
j'appris qu'ils s’y étoient Ras ne faifoicat 
que: d'arriver. 
Un infiné pur & machinal avoitil appris À 
ces animaux , que, fous la fauve-garde du feu, 


sn: VOYAGE 

ils n’avoient rien à craindre de leurs ennemis % 
L’habitude leur avoïit-ellé infpiré cette réflexion , 
que, depuis plus d’un an qu'ils voyageoient 
avec moi, les bêtes carnaflières qui, dans les 
commencemens, leur avoient caufé tant d’in- 
quiétude , n’a voient jamais ofé les attaquer , même 
approcher dé tout près, ou bien prenoient-ils 
des hommes une aflez haute idée pour ne voir 
en eux que des protecteurs puiffans, ‘des dé- 
fenfeurs inexpugnables ? Je ne l’expliquerai pas; 
mais je fais que la Nature, qui fournit indif- 
tinftement à tous les animaux ünñe portion fuf- 
fifante d'intelligence pour veiller à leur confer- 
vation , fembloit exprès pour tout ce qui m’en- 
touroit, en avoir doublé la mefure, & j'ai fait, 
fur cé point. en plus d’une rencontre, des re- 
marques qui m'ont toujours frappé d’étonnement 
& d’admiration. La morale de l'Hiftoire natu- 
relle s'étend plus loin qu’on ne penfe. L’oil de 
la métaphyfique pénètre, de jour en jour, plus 
avant. L'aveugle curiofité qui formoit feule au- 
trefois nos colle&ions , cède aujourd’hui la place 
à des motifs plus nobles & plus précieux. Il n’eft 
plus de petits objets aux regards du Philofo- 
phe ; le génie des découvertes fait tout agran- 
dir ; les infeétes, par exemple , regardés, ay 
a vingt ans , comme des objets minutieux & 
bornés, occupent une place brillante dans la chaîne 
des êtres (9: 


Çt) I paroîtra bientôt un Traité complet d'Onthologie, digne d'ho= 
nôrer Île Savant qui a. jetté les premiers fondemens de ce grand Ou- 
vrage; & l’Amateur eflimable qui protège & foutient de fa fortune 
une auffi belle entréprife. 


ENT A RÉÈTQUE, ‘ans 

A la pointe du jour, re tétourhai à la place 
où j'avois tiré la veille : jy reconnus le pas 
d’un Lion, & celui de fa femelie, qui, quoi- 
qu'également prononcé , eft toujours plus petit. 
Je fuivis quelque temps la trace; par un nd 
détour , ellé me ramena près de mes gens : 
qui noûs prouva que nous avions été épiés dé 
fott près. Nous nous félicitimes d’avoir été 
Jufqu’au jour fur nos gardes. Ce fut pour moi 
uf ‘utile avertiflément de ne plus , à l'avenir, 
voyager de nuit dans des Contrées que je con- 
hoiflois fi peu, & qüi, comme je l'ai appris 
par la fuité, font les pas de l'Afrique les plus 
dangereux à franchir. 

J’avois , fous més voituté:, des timons de 
réchange , coupés dans les forêts d’Autemiquoi ; 
mais, comme à la plate où nous venions de 
nous ârtêter , l’eau nous-mänquoit abfolument, 
& qu'il n'y avoit pas de temps à perdté pour 
nôus én procurer, je fis répatret provifoirement 
les traits déchirés : on attachä, comme on put, 
avéc deux jumellés, le timon .brifé, & nous 
partîmés. Quel fut notre chagrin, lorfque , par- 
vénus au bord de la rivière plate, nous la trou- 
Vimes à fec! Nous la remontâfties pendant en- 
viron trois quarts d'heure, toujours mourahs de 
foif, excédés, hors d’haleiné, & nous cûmes 
enfin le bonhetir d'arriver à des fondrières qui 
Confervoienñt un peu d’eau bourbeufé que k {o- 
leil n'avoit pas encore dévorée. | 

Nous ne voyions plus ici ce charmant & ima- 
gnifique Pays de la Caffrerie ; nous avions tout- 
à-fait perdu de vue ces gras pâturages, & ces 
forêts majeftueufes fur lefquellés nos yeux avoient 


256 VoyaA6cer 

tant de plaifir à..fe repofer! Des roches amon- 
celées, des fables arides fuccédoïent chaque jour 
fous des formes toujours plus hideufes à ces 
doux fpeétacles.. Nous nous voyions de toutes 
parts circonfcrits par des montagnes, dont les 
formes bizarrement inclinés, .& les pics fouvent 
fufpendus fur nos têtes , répandoient dans l’ame 
cette terreur profonde qui traîne le décourage- 
ment après elle, & réveille les triftes fouvenirs. 
Celles des Sneuwberg, au pied defquelles nous 
nous trouvions, s’élancçoient beaucoup au-deflus 
de toutes les autres, & les hyvers aflis fur leurs 
fommets , fembloient difputer au foleil l'empire 
de ces affreux climats. - 

Mon intention étant de parcourir & de 
der une partie de cette fameufe cordilière., pré- 
venu que les Boffifmans y avoient établi , comme 
les Lions , leurs repaires, & voulant me mettre 
à l'abri de toutes furpriles de la part. des uns & 
des autres, je plaçai mon camp tout à décou- 
vert , & le fortifiai de mon mieux. 

Un pas de Rhinoceros que ] ’avois rencontré , 
avoit , en un inftant , ranimé l’ardeur de:mes 
anciennes chaffes. J’avois afluré d’une forte prime 
le premier de mes gens qui me procureroit un 
de ces coloffes : nous n’eûmes ce bonheur , ni 
les uns, ni les autres : rien ne parut; mais, 
fans m'y être attendu , je tombai fur un petit 
grouppe de huit Elans. Je n’en avois point en- 
core tué ; je les pourfuivis à la courfe : j’en fis 
tomber un fur la place. Cet animal eft parfaite- 
ment décrit par le Doéteur Sparmann : les Sau- 
vages le nomment Kana. Ce n’eft point. du tout 
l'Elan dont Buffon a donné la defcription; il en 


EN ÂFRIQUE. 247 
diffère effentiellement : c’eft uniquement la plus 
grande efpèce des Gazelles du Cap. | 

De retour au camp, je vis arriver tous mes 
chaffeurs qui s’étoient répandus de côtés & d’au- 
trés pour gagner Ja prime ; ils étoient harraflés 
&' fort mécontens: L'un deux m'avertit qu'il 
avoitrencontré une Horde fauvage, dontle Kraal 
étôit fitué abfolumént au pied de la montagne ; $ 
jé réfolus! de l’aller reconnoître ; mais je n’em- 
ménai avec moi que trois bons tireurs, & celui 
qui-m'avoit donné cet avis. Le lendemain > à la 
pointe du jour, nous étions à peine à moitié 
chemin , que nous rencontiÂmes cinq de ces 
gens qui venoienñt eux-mêmes à mon camp pour 
me voir. Ik ‘rebrouffèrent , & me conduifirent 
chez eux. Les enfans, en "me voyant arriver .: 
fé mirent à fuir pour fe cacher, en pouflant des 
cris horribles. Cét <effroi général me paroifloit 
hors de la Nature, & déconcertoit mes idées: 
Eorfque j'étois pour la première fois entré dans 
14 Horde de Haabas & dans plufieurs autres , 
les femmes & les ‘enfans à la ‘vérité s'étoient 
retirés ,; mais n ’avoient montré ni crainte ni hor- 
réurt J'étois curieux de connoître la caufe de 
dèt effroi ; j ’appris d’abord que ces gens n’étoient 
vénus ‘que depuis très- peu de temps s’établir: 
dans l’endroït où je les voyois ; qu’ils avoient 
éprouvé dans le Camdebo , leur patrie , mille 
perfécutions de la part des Colons , & qu'’ani- 
més contre les Blancs d’une haine cruelle & fan- 
guinaire , ils infpiroient cette horreur à leurs en: 
Fans’, : afin qu'elle s’accrût avec l’âge , & qu'ils 
n'étoient pas fâchés de les avoit vus dans cette 
rencontre réciter auffi bien le catéchifime de la ven- 
geance, 


238 +1) Q.Y 4 & EX 

Quant aux, hommes. ils furirent à mon- ap: 
proche, & ne parurent point étonnés de me‘voir; 
ils étoient prévenus , dèsla veille, qu ‘infaillible- 
ment je les irois vifiter; leur Horde ne montoit 
guères qu’à cent où cent trente hommes, En me 
rendant chez eux; J'avois rencontré leurs trou> 
peaux ; une centaine de bêtes à cornes , & peut- 
être trois cents À laine, n’annoncçoient pas une 
grande aifance : aufli je trouvai ces, milérables 
occupés à faire fécher , fur des nattes, des rs 
terglles, auxquelles il: retranchoient des aîles & 
les pattes. Comme lamas de ces provifons tou 
choit à la plus grande fermentation, Je fus con- 
traint .de prendre; le deffus du vent pour évier. 
les exhalaifons infeétes qui s’en. É Mrnie PRE: 
intervalles. 9 RE 

H n’y avoit pas: fx mois do ces. pauvres 
Hotrentots s’'étoient confinés dans cet endroit: 
pour échapper aux cruautés des Colons ; ils ve- 
noïent, fans le favoir , fe livrer à des afracités 
d’un autre genre. Outre les Boflifmans dange- 
reux qui pouvoient à tous momens les. décou- 
vrir, ils avoient encore à fe défendre des bêtes. 
féroces, & particulièrement des Chiens Sauva- 
ges qui dévaftoient leurs troupeaux. Je: leur 
donuai quelques :confeils pour leur tranquillité ; 
& leur fis des préfens. Je leur propofai en ou- 
tre l'échange de quelques Moutons, qu'ils me 
promirent de-m 'amener le lendemain. Comme. 
je me difpofois à prendre congé d’eux, je fus 
obhgé d'entrer: dans une de leurs huttes, pour 
me mettre à l'abri d’un orage affreux , qui fon- 
dit fur nous comme un trait, & qui dura trois 
grandes heures. Je n’en fus pas moins inondé ; 


EN ÀFRIQIUE. M 
le Kraal entier faillit d'être emporté; des hut- 
tes furent ébranlées ; les torrens charioient devant 
nous des fables, des terres ébon}ées & des. ar- 
bres déracinés. Le lieu que j'occupois étoit mieux 
abrité ; ; je contemplois avec extafe, quoique noyé 
jufqu’au SENOUX , : des cafcades & les colonnes 
d’eau qui ‘s’échappoient avec fracas du haut des 
montagnes G & s’entre-choquant dans leur chôte, 
gagnoient la terre en mille gerbes variées, & la 
couvroient de vapeurs & d'écume. Les bords de 
la rivière plate, que j: ’avois à deux pas, difpa- 
rutent en un moment à mes regards; je donnai 
le temps auxplus gros amas de s’écouler. In- 
quiet pour mOn camp, je profitai du premier in- 
tervalle que nous laiffa la pluie, &)] Je partis pour 
m'y rendre. J’avois eu beaucoup à fouffrir dans 
cette hutte remplie ce facs de Sauterelles déjà 
féchées, mails qui n’en rendoient pas moins une 
odeur féride , infupportable. La pluie continua 
par orage, toute la nuit; le jour fuivant, les 
inondations groffirent , & ces Hottentots ne pu- 
rent joindre mon camp, comme ils me l’avoient 
RFO 

. Nous ne craignions plus de manquer d'eau : 
cependant nous ne fîmes aucun ufage de celle 
de la rivière , parce qu’elle étoit fale & trou- 
blée ; 3. NOUS, préférimes de recourir aux lagunes 
qui avoient eu le temps de dépofer leur fable 
[V4 leur Jlimon. 

. Le jour d’enfuite fut plus tranquille ; une ving- 
taine, d'hommes & quelques femmes m’amenè- 
rent quatre, Moutons & une vieille Vache, qui 

n’étoit plus bonne, que pour la boucherie. Is ne 
con voitèrent pas infiniment mes verrotcries ; les 


240 NE OT À GET 


femmes en étoicnt à la vérité furchargées : ils fe 
jettèrent de préférence fur le tabac. Comme c’é- 
toit celle de mes provifions la plus facile à ré- 
parer en rentrant dans la Colonie, je né la leur 
épargnai pas : cette prodigalité les féduifit ; ils 
‘m’amenèrent encore onze Moutons que jé payai 
largement | 

Faftruit que j'allois traverfer un “péi difficile 
& bien fec, je confervai ces différentes acquifi- 
tions comme une reffource précieufe au befoin. 

«Un jour que’ j’avois beaucoup de ces Etran- 
gers, un des gardièns de mon troupeau vint m’a- 
vertir que plufieurs Boffifmans defééhdus des mon- 
tagnes , s’étoient approchés d° euxtmais qu'ils les 
avoient tenus en refpeét avec quelques coups dé 
fufil. Klaas & moi nous montons à cheval; &, 
fuivis de quatre autres Chaffeurs ; nous HarcHou 
à fèur pourfuite; nous ne tardons pas effeive- 
ment à découvrir treize de ces dangereux Pira- 
tes ; mais la rapidité de notre courfe & notre air 
détertiné les mettent bientôt en fuite. Nous vo- 
lions vers eux à bride abattue ; nos balles fifè- 
rent à leurs oreilles ; nous ne pûmes cependant 
tes approcher afez pour les ajufter. T1 me fuf- 
fifoit, & c’étoit beaucoup pour ma fûreté , de 
Feur aÿbit donné l’épouvante. Nous lés vies 
tous ; par des fentiers différens s'engager dans 
les montagnes, & difparoître éntièrement. J’ad- 
mirois l’agilité avec laquelle ils gravifloient , au(fi 
vâe ‘que les Singes, lés rochers les plus efcar- 
pés ? Je ne m’avilai point de m ‘attacher plus long- 
temps à leurs pas; il y eût eu de l'imprudence 
à prétendre les atraquer dans leur fort, & leurs 


embafcades impénétrables, Ces gens ne nous au- 
rojent 


EN AFRIQUE. A4T 
soient, affurément pas manqués : ils étoient tout- 
_à-fair nuds; je jugeai à leurs traces qu'ils por- 
toient des fandales : cette petite alerte fut un 
bien; elle fervit à.nous rendre plus métians; | je 
doublai les gardes ; Swanepoël & moi nous ft- 
mes alternativement la ronde , tandis que mon 
fidèle Klaas, à la tête d’un petit détachement, 
vifitoit la vallée & tous nos environs, De temps 
en temps, on tiroit du camp un coup de cara- 
bine, auquel mes pâtres étoient obligés de ré- 
pondre. J'étois par ce moyen afluré qu’ils ne s’é- 
toient pas endormis, & qu'ils faifoient févère- 
ment leur garde : du refte, cette précaution que 
ÿ obfervois , par amour de l’ordre, & pour n’a- 
voir rien à me reprocher, devenoit dans la cir- 
conftance aflez inutile. Le Hottentot craint moins 
un Lion qu'un Boffifman; cette frayeur falu- 
taire tenoit tous les miens aux aguets , & dans 
les lieux les plus découverts; ce qui les faifoit 
cruellement fouffrir ; car la chaleur étoit deve- 
nue exceflive. J'y étois pour le moins autant 
expofé qu'eux, & ne m’exemptois pas pour cela 
de mes.chaffes. Il m'étoit affez indifférent de mar- 
cher.ou de refter tranquille : ma tente n’étoit 
point habitable ; c’eft dans ces occafions que ma 
barbe bien imbibée me procuroit quelque fou- 
lagement ; j'en tirois aufli de la forme de. mon 
chapeau, que j'humcétois de même. Dans ces mo- 
mens, de crife 2 J'AI, fur-tout dévoré d’une foif 
ardente ; comme j’avois remarqué que la apantité 
d’eau que, je buvois, loin de me délaltérer , m'é- 
chauffoit au contraire beaucoup, j'imaginai de 
ne plus boire qu’à l’inftar des Chiens, c’eft-à- 


dire de lapper. Cette Étange manière me {ervit 
Tome IT Q 


242  VMoYyaGeE 
merveilleufement bien. Très-peu d'eau fufifoit 
alors pour étancher ma foif, & je ne craignois 
plus d’en être incommodé. 

Tant que nous reftâmes fur les bords de Platte- 
Rivier , les Lions nous inquiétoient fort peu; 
notre artillerie , qui ronfloit de tous côtés, pen- 
dant le jour, les tenoit écartés ; nous les enten- 
dions , à la vérité, rugir toutes les nuits; mais 
Jamais, fi ce n’eft une feule fois, ils n’ofèrent 
nous approcher aflez pour nous allarmer, Les 
Panthères s’annoncoient aufli au lever & au cou- 
cher du Soleil, fur les bords de la rivière ; mais 
elles fe tenoient à des diftances éloignées. Au 
fort des nuits, elles s’'avançoïent davantage ; nous 
étions conftamment avertis par les chiens; &, 
le lendemaïn , nous jugions à leurs traces, juf- 
qu’à quel point elles s’étoient hafardées. C’eft la 
nécefité feule qui rend audacieufes toutes ces 
efpèces carnivores, naturellement craintives à l’af- 
peét de l’homme : & je crois qu’on a trop exa- 
géré les dangers qu’on court dans leur voif- 
nage : rarement rencontre-t-on ces animaux dans 
les bois ; les deux feules efpèces de Gazelles qui 
s’y trouvent, n’y abondent point aflez pour {a- 
tisfaire leur voracité. Ils préfèrent de pourfui- 
vre les Hordes nombreufes qui voyagent d’un 
canton dans un autre : c’eft alors qu’ils peuvent 
choifir & faire un affreux carnage. | 

Mes voifins, me voyant difpofé à gravir les 
Sneuwberg , me confeillèrent de me tenir fur 
mes gardes, & de n’y pas faire un long féjour, 
attendu que les Boflifmans étoient en force. Mon 
intention m'étoit pas d’y conduire toute ma ca- 
ravane ; Ce projet infenfé n'eût pas même été 


: D 


c EN AFRIQUE. 245 


praticäble ; mais, ne voulant que reconnoître 
quelques-uns de leurs fommets, & le parcourir 
avec mes Chafleurs entre deux foleils , je me 
rapprochai de leur pied le plus qu'il me fut pof- 
fible |; & vins placer mon Camp à trois cents 
_-:pas dela Horde fauvage. Je m'’attendois à trou- 
Ver fur la hauteur , comme on me l’avoit an 
noncé , un volcan confidérable qui vomit de la 
fumée & des flammes ; je ne vis rien qui ref- 
femblât à ce phénomène. Avec l’aide de ma 
lunette , je découvris d’immenfes Pays, qui fe 
prolongeoient au Nord, & qui n’étoient bornés 
que par l’horifon ; je trouvois fréquemment, 
fur les platres- formes & fur les crêtes les plus 
élevées, des monticules de caïlloutage & de fable 
tout-à-fait femblables à des Dunes. J’y cherchai, 
mais vainement, quelques coquillages ; il n’y en 
avoit ni de fruftres , ni même aucuns débris qui 
me paruflent tenir à la Conchiologie. Je m’at- 
tachai davantage à la pourfuite des oifeaux ; j’eus 
le bonheur d’en rencontrer & d’en tuer dé fort 
rares, notamment une très-belle efpèce de Veuve, 
qui fe tenoit dans les herbages fort élevés, qui 
tapifloient prefque par-tout ces hautes montagnes. 
Dans toutes mes courfes , qui finifloient tou- 
jours avec le foleil , je ne vis qu’une feule fois 
des Boflifmans : ils étoient trois qui traverfoient 
le revers d'une montagne oppofée à celle fur 
laquelle nous étions ; ils ne fongèrent point à 
nous venir attaquer. Nous ne trafnions rien après 
nous qui dût les tenter, & peut-être ces trois 
fcélérats étoient -ils du nombre de ceux à qui 
J'avois donné fi vertement la chafle, & fe ref- 
fouvenoient-ils de l'épouvante que je leur avois 


Q5 


244 Vo vs 4 GE 

caufée. Ces vagabonds ne font point ,/ comme 
on l’a fauflement avancé, une Nation. fauvage 
particulière , une Peuplade originaire de. l’en- 
droit même où on les rencontre. Boffifman font 
deux mots Hollandois, qui fignifient: hommes des 
bois ou des buifflons : c’eft fous cette qualifica- 
tion que les Habitans du Cap, & généralement 
tous les Holiandoïis , foit en Afrique, foit en 
Amérique, défignent tous les malfaiteurs ou les 
affaflins qui défertent la Colonie, pour fe fouf- 
traire au châtiment ; c’eft , en un mot, ce que, 
dans les Ifles Françoifes, on appelle Nègres mar- 
rons. Ainfi donc - loin que ces Boflifmans fa{- 
fent une efpèce à part ; comme on la dit en- 
core fort récemment, ce n’eft qu’un {ramas in- 
forme de Mulâtres , de Nègres, de Métis de 
toute efpèce , quelquefois de Hottentots, de Baf- 
ters, qui, tous différens par la couleur, n’ont 
de reflemblance que par. la fcélérateffe : ce font 
de vrais pirates de terre, vivant fans Chef, fans 
loix & fans ordre, abandonnés à tous les excès 
du défefpoir & de la mifère : lâches déferteurs 
qui n’ont de reffource pour fubffter, que dans 
lé pillage & le crime. C’eft dans les rochers les 
plus efcarpés, & dans les cavernes les moins ac- 
cefibles , qu’ils fe retirent & pañlent leur vie. De 
ces endroits élevés, leur vue domine au loin fur 
la plaine, épie les Voyageurs &. les troupeaux 
épars ; ils fondent comme un trait , &. tombent 
à l’improvifte fur les habitans & : dés beftiaux 
qu'ils égorgent indiftinétement, Chargés de leurs 
proies & de tout ce :qu'ils peuvent emporter 
ils regagnent leurs antres affreux , qu'ils ne quit- 
tent , pareils aux Läons, que lorfqu’ils s'en font 


L 


- 


E N ASTRA QU E. 245 


raffafés , & que de nouveaux befoins les pouf- 
fent à de nouveaux maffacres ; mais, comme la 
trahifon marche toujours en tremblant , & que 
la feule préfence d’un homme déterminé fuffit 
fouvent pour en impofer à ces troupes de ban- 
dits, ils évitent, avec foin, les habitations où 


ils font affurés que réfide le maître. [’artifice 


& la rufe , reflources ordinaires des ames foi- 


bles, font les moyens qu'ils employent & les 


feuls guides qui les accompagnent dans leurs 
expéditions. Dans les lieux où la trace de leurs 
pas , trop bien imprimée, pourroit donner lal- 
larme aux habitans, & les attirer à leur pour- 
fuite, ils employent à la déguifer une adreffe 
merveilleufe à laquelle nos brigands d'Europe, 
plus téméraires ou moins patiens , font éloignés 
de fe plier ; ils marchent en reculant, s'ils ne 
font pas chauflés, &, s'ils ont des fandales , ils 
fe les attachent de facon que le talon répond 
aux doigts de leurs pieds. Lorfqu’ils enlèvent 
un troupeau confidérable d'animaux vivans, ils 
le divifent fous la conduite de plufieurs d’en- 
tr'eux , en petites bandes auxquelles ils font pren- 


dre dés routes différentes. Par ce moyen, s'ils 


font pourfuivis , ils s’affurent toujours la plus 
grande portion du pillage qu'ils ont fait. 

On confond encore, fous le nom de Bo/ffman, 
une Nation différente, en effet, des Hottentots. 
Quoique , dans fon langage, elle ait le clappe- 
ment de ces derniers, elle a cependant une pro- 
nonciation & des termes qui lui font particuliers. 
Dans quelques cantons, on les connoît fous le 
nom de Chuineefe Hottentot (Hottentots Chinois) , 
que leur couleur approche de celle des 


Q ii 


846 Vo v av # 


Chinois qu’on rencontre au Cap , & que, comme 
eux, ils font d’une flature médiocre. Attendu 
l’ainité du langage, je confidère ces Peuples, 
ainfi que les grands & les petits Namaquois, dont 
j'aurai bientôt occalion de parler , comme une 
race particulière de Hottentots : & , quoique les 
Colons confondent les premiers fous la dénomi- 
nation générale de Boffifmans , 1l n’eft pas moins 
vrai que les Sauvages du défert , qui n’ont au- 
cune communication avec les poflefions Hollan- 
doifes ne les connoiflent que fous le nom de 
Houfiwaana. 

Cette Nation, shétius nom qu’on veuille lui 
donner, habitoit autrefois le Camdebo, le Boc- 
ke-Veld, le Rogge-Veld; muis les ufurpations 
des Blancs, dont ils ont été viétimes, comme 
les autres Sauvages, les ont contraints de fuir 
& de fe réfugier très - loin. Ils habitent aujour- 
d’hui le vafte Pays compris entre les Caffres, & 
les grands Namaquois. De tous les Peuples , que 
Pavarice infatiable des Européens a le plus mal- 
traités , il n’en eft point qui en conferve de plus 
amer reflouvenir , & à quila couleur & le nom 
de Blanc {oient plus en horreur. Jamais ils n’ou- 
blieront les perfidies des Colons, & ce prix in- 
fâme qu'ils en ont recu, des fervices fignalés 
qu'ils leur avoient cent fois rendus : leur reflen- 
timent eft tel, qu’ils ont toujours le terrible mot 
de vengeance à la bouche, & le moment de 
lui donner carrière fe préfente toujours trop tard, 
quoiqu'ls l’épient fans cefle. Je dirai quelque 
chofe de ces Houfwaana, l’orfqu’en pañlant fous 
le tropique, je vifiterai leurs Hordes, 

Un foir que, retiré dans ma tente, je repor- 


EN AFRIQUE. 247 


-tois., fur mon journal, les événemens du jour, 
tandis que tout mon monde faifoit cercle autour 
du feu , fumoit fa pipe , des éclats de rire mul- 
tipliés, qui vinrent frapper mon oreille, exci- 
tèrent ma curiofité. J’entendis un de mes Ma- 
tadors qui racontoit aux autres une découverte 
qui excitoit d'autant plus leurs éclats, qu’elle les 
furprenoit davantage, & qu'ils la prenoient pour 
un conte forgé à plaifir par mon bel-efprit. Ce- 
lui-ci s'efforcçoit cependant de la leur perfua- 
der ; il leur difoit fur-tout que, lorfqu’il m’en 
auroit fait part, je ne tiendrois plus en place, 
que je ne m'en fufle convaincu par mes pro- 
pres yeux ; leur rire immodéré recommencoit 
alors de plus belle ; ils parloïent tous à la fois, 
& paroifloient s’impatienter que mon heure de 
prendre mon lait, ne fût point encore arrivée. 
J’appellai Klaas, & j'appris , par lui , que le 
Chaffeur Jan les affuroit avoir découvert , dans 
l’après-dînée , qu’une des Hottentotes de la Horde 
avoit cette conformation particulière , que, juf- 
qu’à ce moment, J’avois pris pour une fable , parce 
que je ne l’avois vue dans aucun des Pays par 
où nous avions paflé , malgré toutes mes in- 
formations & mes recherches , quoiqu’un autre 
de mes gens m’eût précédemment attefté le même 
fait , & que toute ma troupe en eût connoif- 
fance par des ouï-dire & par une vieille tradi- 
tion aflez généralement répandue. Je vis venir 
Jan, qui me raconta avec le plus grand détail 
& dans toute l'énergie , je devrois dire toute 
lingénuité de fon langage , ce que le hafard 
le plus inattendu , difoit-il , lui avoit permis 
d'examiner à fon aife, & bien à découvert. 


Q iv 


248 Voyacez | 

J'étois, en effct, très-curieux d’éclaircir au 
plutôt ce point très-intéreffant d’Hiftoire natu- 
relle & de l'Hifloire, que j’avois plus d’une fois 
trouvé configné dans divers Ouvrages & dans 
des Romans , tels entr’autres que les Voyages de 
Jean Strueys. En conféquence , dès le lendemain, 
je me rendis à la Horde voifine avec mon Hot- 
tentot, qui reconnut, fur le champ , la femme 
dont la conformation l’avoit fi mervcilleufement 
étonné. Il mela fit remarquer ; ellelétoit mariée, 
inère de plufieurs enfans, & déjà dans la force 
de l’âge. Je failis adroitement différens prétextes 
de lui faire des cadeaux, afin de la préveniren 
ma faveur , & de me lttathièr. En un mot, afin 
de la féduire, je n’avois point affaire ici à ces 
Hottentotes impudentes & débordées des Colo- 
nies, toujours trop difpofées à fatisfaire, à pré- 
venir même les Blancs & leurs honteufes fan- 
taifies. Je devois m’attendre à rencontrer ici bien 
des dificultés; je favois que les femmes fauva- 
ges refufent preique toujours à la curiofñté ce 
qu’elles accordent à l’amour ; diftinétion délicate 
qu'on ne s’aitend pas à trouver dans un défert, 
lorfqu’on y porte fes préjugés & la prévention 
de l’orgueil. 

Mères honnêtes & prévoyantes fi vous lifez 
cet Ouvrage, vous ne croirez jamais que les 
chaftes enfans que vous élevez dans l’efpérance 
de vos vertus, fuffent autant à l'abri de [a cor- 
ruption & du pernicieux exemple au milieu des 
Sauvages d'Afrique, qu’au fein de ces demeures 
profondes & filencicutes , où la fagefle, dit-on, 
veille fur l'innocence, & repoufle au loin tout 
çe qui pourroit initruire & bleffer les regards. 


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À 


HOTTE 


N'EOTE 


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| EN ‘AFE TOUTE 240 
Ah ! n’accufez point la Nature, & ne vantez 
pas trop haut vos préceptes & vos grandes inf- 
titutions ; vous ne les devez qu’au Des de 
fes Loix ! 

Je dois le dire & le publier fans tete : l'offre 
de tout ce que Te pouvois donner , toutes mes 
rufes, toutes mes fuppliques alloient échouer fans 
le fecours de mes gens, & l’empreflement vingt 
fois réitéré de saarider à cette femme que j’é- 
tois un curieux d’une race fort étrangère à la 
fienne & fort éloignée; que d’autres Hottento- 
tes, des Gonaquoifes, des Cañrines avoient con- 
fenti de bonne grace à ce que je lui deman- 
dois ; enfin, que je ne la tiendrois qu’un moment 
dans cette attitude humiliante : quelques hom- 
mes même de fa Horde vinrent à l’appui de ces 
difcours , & infifièrent en ma faveur. Alors, 
confufe , embarraflée , tremblante , & fe couvrant 
le sage de fes deux mains , eMe° laïlBi dE 
cher fon petit tablier, & me pérmit de contem- 
pler tranquillement ée- que le Lecteur verra lui- 
même däns la copie fidèle que j'en ai tirée, & 
qui forme la planche VII de ce fecond volume. 

Pour détruire l'opinion générale que la Na- 
ture, exclufivement à toutes les autres femmes, 
avoit gratifié les Hottentotes d'un tablier natu- 
rel qui fervoit à cacher lé figné de leur fexe, 
un Auteur moderne a avancé que cette fingu- 
larité m’étoit autre chofe qu’un prolongement con- 
fdérable des nymphes; ce qui avoit mal-à-pro- 
pos répandu cette croyance. Il a préfenté ce ta- 
blier prefque comme une infirmité occafñionnée ; 
foit par la vidilleffe & la chaleur’ du climat, la 
vie inactive & l'afagetdes sraifles, &e. Je ne fini- 


250 Voyaræe LL 

rois pas, fi je voulois entafler toutes les objec- 
tions qui naïfflent d’elles-mèmes pour renverfer 
ces aflertions. Il en eft une feule qui vient s’of- 
frir d’abord à l’efprit, & que le Lecteur fe fera 


faite aufli bien que moi? Pourquoi la chaleur du 


climat, la vie inactive, & l’ufage des graifles 
agiflant à-peu-près au même degré d’habitude & 
de force {ur toutes les Contrées de cette portion 
de l'Afrique , quelques hordes particulières fe ver- 
roient-elles fujettes à cette infirmité ? Pourquoi 
ne feroit-elle pas départie à toutes les Hottento- 
tes? On fait trop, au Cap & dans lès Colonies, 
qu’il ne leur arrive rien de femblable, quelle 
que foit leur conduite, à quelque manière de 
vivre qu’elles fe livrent, à quelques dangers qu’el- 


les s’expofent. Ne cherchons point à tordre nos 


imaginations fur cette bizarrerie, qui, pour être 
rare, n’a rien d’extraordinaire, & n'allons pas 
expliquer, comme un phénomène, l’ouvrage du 
caprice & de la mode. Oui, Leéteur, ce fameux 
tablier n’eft qu’une mode, une affaire de goût; 
je ne dirai pas dépravé. Les fignes de la pudeur 
‘ n’en fauroient conftituer l’effence ; mais original, 
mais extravagant, mais, fi l’on veut, abiurde, 
& tel que fa feule vue fuffroit au plus monf- 
trueux libertin pour chafler de fon efprit toute 
idée d’une atteinte profane ; & trompant d’une 
facon nouvelle & trop claire le raffinement de fes 
befoins , feroit fuccéder le rire le plus inextingui- 
ble aux tranfports de la paññion la plus eflténée. 

Je voulois être modefte : il faut être vrai; je 
ne confens point à détacher de mon Livre ces 
traits curieux de mon Voyage; & puifque ma 
Hoitentote a bien voulu faire le facrifice de 12 


Le M ne = 


EN AFRIQUE. 251 


pudeur au progrès de mes études , une plus lon- 
eue retenue de ma part, à la fin pañleroit pour 
une difcrétion puérile. Le fcrupule fied mal où 
la Nature n’a point placé la honte, 

Le tablier naturel n’eft en effet, comme le dit 
mon Auteur, qu’une prolongation , non pas des 
nymphes, mais des grandes lèvres des parties 
de la femme. Elles peuvent arriver jufqu’à neuf 
pouces plus ou moins, fuivant l’âge de la per- 
{onne, ou les foins aflidus qu’elle donne à cette 
décoration fingulière. J’ai vu une jeune fille de 
quinze ans qui avoit déjà fes lèvres de 4 pouces 
de longueur. Jufques-là ce font les frottemens & 
les tiraillemens qui commencent à diftendre ; des 
poids fufpendus achèvent le reite. J’ai dit que 
c’eft un goût particulier, un caprice aflez rare 
de la mode, un raffinement de coquetterie. Dans 
la horde où je me trouvois, il n‘y avoit que 
quatre femmes & la jeune fille dont je viens de 
parler qui fuflent dans cet état ridicule. Quicon- 
que a lu Dionis, reconnoîtra fans peine combien 
cette opération peut être facile. Pour moi je n’y 
vois rien de merveilleux. fi ce n’eft la bizarre- 
re de l'invention. Peut-être qu’autrefois on ren- 
controit jufques dans les lieux qu’occupent au- 
Jourd’hui les Colonies., des hordes entières de 
Sauvages diftinguées par cette particularités & 
c’eft probablement ce qui aura donné naïflance 
aux erreurs qu’on a débitées fur ce chapitre ; mais 
la difperfion éteint bientôt les anciens ufages parmi 
les hommes. Celui-ci n’eft pratiqué que, de loin 
en loin , par quelques individus attachés par tra- 
dition aux mœurs antiques , & qui fe font un mérite 
fcrupuleux de les fuivre encore. 


ar" Vo v «Aer 


Lorfque J'eus finis toutes mes obfetvations, 
& parcouru, autant. que Îles précautions que 
j'avois à prendre me le permettoïent, différen- 
tes chaînes, & les plus beaux fites des Sneuw- 
berg , je fongeai enfin à quitter tout-à-fait ces 
noirs Pays. Mes gens me follicitoient vivement 
de les conduire au Caronw , & de me hâter 
de le traverfer , avant que les chaleurs euffent 
entièrement defléché le peu d’eau flagnante 
qu'il étoit poñlible que nous y trouvaffions, & 
de peur aufli de ne plus rencontrer de pâtura- 
ges pour nos beftiaux , qui , déjà depuis long- 
temps, avoient eu beaucoup à foufirir des ar- 
deurs de la faifon. Ainfi donc, autant empreflé 
que jalonx de rejoindre mes foyers, & ne trou- 
vant plus dans mes courfes les mêmes charmes, 
les mêmes amufemens que par le pañlé , foit 
que la fatigué eût rallenti mon ardeur , foit 
que d’autres projets & de puiffans reflouvenirs 
euffent repris fur mon imagination l’empiresque 
leur avoit fait perdre le fpectacle des plus 
grandes nouveautés , je me remis en route le 
2 Février, en me dirigeant vers le Sud - Sud- 
Oueft. Une partie de la Horde nous accompa- 
gna pour nous aider à traverfer à 3 lieues plus 
loin Îa rivière Jubers , qu’on jugeoit devoir 
être enflée par les orages. En y arrivant, déja 
nous fongions à faire des radeaux ; mais nos 
conduéteurs qui connoiffoient , à un quart de 
licue au-deffous , des bas-fgnds commodes , nous 
épargnèrent un travail inutile, & qui nous eût 
fait perdre beaucoup de temps. J’allai recon- 
noître avec eux les bas-fonds, & je jugeai, 
après les avoir fondés avec mon cheval, qu’en 


EN AFRIQUE. 25" 


To 


exhauffant feulement , mais avec précaution, de 
huit à dix pouces, les caifles & le left de mes 
trois. voitures par le moyen de branchages, & 
de: bûches , nous pafferions fans avoir rien d’a- 
varié : ce.que. nous exécutâmes en effet avec 
autant d’adreile que de bonheur. Nos compa- 
gnons nous. fervirent., à la vérité , beaucoup 
dans cette opération ; ils traverfèrent la riviè- 
re, & vinrent pañler la nuit avec nous , pour 
nous aider, le lendemain matin, à rétablir nos 
équipages , - & remettre en place nos effets. Je 
reconnus d’une façon généreufe les fervices qu’ils 
venoient de.me rendre , & nous nous féparâmes. 
- Je trouvar- dans le Canton que j’entamois 
une prodisieufe quantité de ces Coucous verds- 
dorés, dont j'ai parlé ci-devant , & plufieurs 
efpèces: nouvelles que Je joignis À ma collec- 
tion. Dans la même journée, 1e rencontrai un 
fecond fleuve fans nom connu : je lui donnai 
celui de mon refpe“table ami. M. Boers.: Ici 
commencoient les plaines arides du Carouw ; 
des plantes grafles & fruftres couvroient cette 
terre ingrate ,:ou pour mieux dire, ces fables, 
dans toute l'étendue de l’horifon : d’un autre: 
côté, des rochers non moins ftériles,. offroient 
par-tout, à nos regards attriftés, l’image de 
labandon & de la mort : on ne voyoit que 
quelques herbes éparfes qui fembloient croître 
âsregret pour le falut de nos troupeaux. 

:. Le 4; cinq grandes heures, de marche nous 
firent arriver à la rivière de Voogel , qui va fe 
jetter dans celle du Sondag. ; Ce. fleuve que nous 
avions travetfé , il n’y avoit pas long-temps.vers 
lon embouchure, & que nous devions. bientôt 


254 VovaAGEs 

voir près de fa fource. Nos fouffrances augmen- 
roient de jour en jour avec les chaleurs, & la 
marche nous étoit devenue bien pénible : cepen- 
dant j'amulois toujours mes loifirs par la chafle : 
je tuai encore, chemin faifant, une Cane-Petière 
d’une efpèce noûvelle. Le ; jour fuivant , nous fü- 
mes rendus de bonne heure à Îa Holèré du Son- 
dag. Ce féjour moins affreux fervit du moins à 
ranimer mon efpérance. De fuperbes avenues de 
Mimofa , que le fleuve arrofoit, offroient de tou- 
tes parts un coup d'œil magnifique : ils étoient 
en pleine fleur, & répandoiïent autour de nous 
leurs fuaves & délicieux parfums; mille efpèces 
d’oifeaux & d’infeétes fuperbes, attirés dans ces 
beaux lieux, m’y retinrent jufqu’au 8. Malgré 
la forte provifion d'épingles que J'avois empor- 
tée du Cap, je m'appercus que Jj'allois en man- 
quer : il me vint dans l’efprit de les remplacer 
par les plus petites épines du Mimofa, qui me 
rendirent le même office. 

En laiflant le Sondag derrière moi, je ren- 
contrai feize Hottentots, avec armes & bagages , 
fur les bords du Swart-Rivier (rivière noire ): 
ils quittoient le Camdebo, pour gagner, au pied 
des Sueuwberg , la horde que nous y avions 
laiffée. Ils m’apprirent qu'ils étoient forcés à cette . 
émigration par des troupes formidables de Bof- 
fmans, qui mettoient tout à feu & à fang dans 
le Camdebo, dont ils incendioïent les habita- 
tions, pour en enlever ledmunitions , les. armes 
& toutes les richefles. Rien ne pouvoit me con- 
trariér davantage que cette. nouvelle indifcrette, 
autant qu'inattendue. Elle jetta d’abord l’allarme 
dans tous les efprits, & fit renaître les ancien- 


EN ÂATRIQUE. da 
nes terreurs. Perfuadé que de plus longs éclair- 
ciflemens ne ferviroient qu’à troubler davantage 
ces foibles imaginations , J’ordonnai à tout mon 
monde de me fuivre à l’inftant même. Déjà 
Jon parloit de rebroufler chemin , & je vis 
heure où mon autorité alloit être tout - à -fait 
méconnue. Les plus braves de mes gens, qui 
ne balançoient point à me fuivre, entraînèrent 
heureufement tous les autres. Je m’étois apperçu 
que le nommé Singer , dont j'avois eu à me 
plaindre au Camp de Koks-Kraal , montroit en- 
core ici plus de réliflance ; que dans cette jour- 
née même , il avoit fait fon fervice d’une ma- 
mière équivoque. Je me déterminai, pour la pre- 
mière fois, à faire un exemple qui intimidät les 
lâches camarades qu’il avoit féduits. Arrivé, le 
foir, à cette rivière Camdebo, qui tire fon 
nom du pays qu’elle traverfe , je lui fignifiai 
de quitter à l’inftant ma caravane. Je lui repro- 
chai, ce que j'avois depuis appris, d’avoir été 
le premier moteur des craintes & des troubles 
qui avoient empêché tout mon monde de me 
fuivre en Caffrerie , & de m'avoir forcé, par 
cette coupable réfiftance, d’abandonner la plus 
belle partie de mes projets, faute de bras, 
de courage & de fecours pour les conduire à 
eur fin. Je lui payai fes gages échus ; je luifis 
délivrer fes effets & quelques provifions ; après 
quoi je le menacçai de le pourfuivre comme une 
‘bête féroce , fi jamaisgl fe préfentoit à ma rencon-. 
tre. [Il fut tellement confterné , anéanti de l’apof- 
trophe , & de la véhémence avec laquelle je la 
prononçai, qu'il fe faifit de fon fac, & partit 
précipiamment, Mes gens conjeéturèrent qu'il 


256 Van, des 


alloit gagner les Habitations les plus prochaines, 
ou bien rejoindre les Hottentots. que nous avions 
rencontrés dans la matinée : j’avois penfé qu'il 
auroit cherché à me faire des excufes, ou que 
Tes camarades m’auroient imploré pour lui. Je 
fus trop aife qu L eût pris un autre parti. Cette 
févérité opéra , pour le refte de mon Voyage, 
tout l'effet que j'en avois attendu. 

Le 9 Février, je quittai la rivière Camdebo. 
Plufieurs de mes Bœufs fe virent attaqués de 
Klauw-Sikte :.ce qui leur renduit la route très- 
pénible. La tranquillité & les rafraichiffemens 
étoient le feul remède qui pûtles rétablir prompte- 
ment. Je choifis donc, fur un des détours que 
failoit la rivière au milieu des, Mimola , une clai- 
rière commode où je plaçcai mon ere dans 
l'intention d’y pañer quelques. jours. Je n'eus 
pas beloin de recommander à mes gens de fe 
tenir fur leurs gardes; ils craignoient trop. les 
Boffiimans pour manquer à leur devoir , &, fe 
relâcher de leurs précautions. Nous. étions. juf- 
tement dans le canton où nous avions appris que 
ces brigands jettoient l'épouvante., Nos provI- 
fions tiroient à leur fin, & nous n'avions plus 
de grand te je fongeai à m'en procurer quel- 
ques pièces, pour les faler, & je fis plufieurs 
chaïles qui nous éloignèrent plus: ou moins du 
Camp. Un jour que je m'étois acharné à la pour- 
fuite d’un Elan Gazelle , je m'’écartai confidéra- 
blement , avec un de mes meilleurs Tireurs , qui 
me fuivoit à pied. Au Ne d’un fourré 
fort épais de Mimofa, nous tombâmes, tout-à- 
coup, fur un Hottentot qui cherchoit des nim- 


phes de Fourmis, mêts chéri de ces Sauvages. 
| Il 


E Ni MER Tr 0 Ù 2 257 
{| ne nous eut pas plutôt entrevus , que, ramaf- 
fant avec précipitation fon arc & ion carquois, 
il prit fa courfe pour fuit; mais, rendant la main 
à mon cheval, je Peus bientôt rejoint. Aux fignes 
peu équivoques de fes frayeurs & de fon em- 
barras , je jugeai que c’étoit un Boffifman : fa vie 
étoit entre mes mains ; je pouvois ufer , dans 
ces déferts ; de mon droit de fouveraineté , & 
punir en lui, fi j'euflé été cruel, tous les cri- 
mes de fes égaux , & le tort inexcufable d’appar- 
tenir à des brigands. Jufques-là je n’avois point 
particulièrement à me plaindre d’eux , & je comp- 
tois, au contraire, protier de la rencontre , pour 
recevoir de nouveaux renfeignemens : ce n’eft 
pas ain qu’en eût agi un Colon. Il vit bien, 
à mon air , que mon ‘intention n'’étoit pas de 
lui faire aucun mal ; après quelques queftions re- 
latives à la fituation où nous nous trouvions ref- 
peétivement, & auxquelles il ne répondoit qu’en 
tremblänt , il ferafura, & prit confiance en moi. 
Je me plaignois de la difette de gibier dans les 
lieux que je venois de parcourir; il m’indiqua 
des cantons où je rencontrerois {ûrement celui 
que’ jé cherchois ; j'ordonnai au Hottentot qui 
m'avoit rejoint, de lui faire préfent d’une por- 
tion de fon tabac; &, après lui avoir fouhaité 
plus’ de modération & de probité , ‘pour lui & 
fes compagnons , je tournai bride pour conti- 
nuer …ima chaffe. J’avois fait à peine cinquante 
pas ; mon. Chaffeur toit refté quelques minu- 
tes de plus avec lui pour l’aider à allumer fa 
pipe, & pour achever {a converfation; je l’en- 
tends qui m'appelle à grands cris. Effrayé de 
fes accens, je retourne précipitamment fur luis 

Tome IT. | 


256 V.o v AÿG € 
j'accours, J'arrive ; Je le vois aux prifes avecle trat- 
tre Boflilman, qui, la main armée d’une flèche , 
faifoit tous fes efforts pour le blefler à la tête. 
Le vifage de mon pauvre Hottentot étoit déjà 
couvert de fang ; je faute de cheval, tran{porté 
de colère ; & , me faififlant de mon fafil, d’un 
coup de croffe. dans la poitrine, j'étourdis &ren- 
verfe le traître. Mon Hottentot, dans l'excès de 
fa rage , ramafñle fon arme, achève fon terrible 
adverfaire ; & l’écrafe à mes pieds. Effrayé de 
fa bleflure , il s’attendoit: à périr par. l'effet du 
poifon ; le coquin lui avoit décoché une flèche 
dans le moment où ils fe quittoient ; il avoit recu 
la bleflure précifément au nez; elle me paroif- 
foit plus dangereufe , mais n’étoit heureulement 
que fuperficielle. Il n’avoit été atteint que du 
tranchant du fer, qui n’eft jamais empoifonné ; 
je lavai moi-même fa plaie avec de l'urine; je 
le confolai, bien convaincu. qu'il n’étoit.pas mor- 
tellement bleflé. Je portois toujours fur.moi.un 
flacon d’aikali-volatil que mÿ’avoit donné M. Per- 
cheron, Réfident de France, lors de. mon dé- 
part du Cap. Pour chaffer jufqu’aux. apparences 
du venin, je déchirai des morceaux de ma che. 
inife , dont je fis des. comprelles imbibées de cet 
alkalis ; mais, loin que ces précautions -de ma 
craintive amitié ferviflent à raflurer l’elprit de ce 
malheureux , il s’obfiinoit à attribuer auxeffets 
du poifon les douleurs irèsraigués que lui cau- 
foit mon cauftique. Pour:moi, ce que j'admi- 
rois le plus, & que je régardois corimehl'in- 
fluence de mon heureufe éroile ,:c’eft .qu’il n’eût 
pas été tué fur la place; car, à coup. für ; fon 
afaflin , armé du fufil qu'il lui eût dérobé , n° au- 


EN AFRIQUE. 230 
roit pas manqué de me joindre au plus prochain 
détour , & de me faire fubir le même fort. Je 
m'emparai de l’arc & du carquois du {célérat ; 
& , laiflant là fon cadavre horriblement défiguré , 
je m’empreflai de rejoindre mon Camp. Cette 
aventure y répandit l’allarme ; mon Chafleur, 
perfuadé qu’ilne vivroit pas juiqu’au jour, acheva, 
par {es triftes plaintes, de jetter la confternation 
parmi mes gens. C’eft à tort que j’aurois effayé 
de les tranquilhifer ; ils étoient tous preique per- 
fuadés que le malade ne pañferoit pas la nuit : 
cependant elle s’écoula fans crifes ; &, lorfque 
les plus grandes douleurs fe furent diflipées , il 
fentit ; & commença de convenir qu'il en fe- 
roit quitte pour la peur. À leur réveil, tous fes 
camarades ,: étonnés de le voir vivant, retrou- 
vèrent aufk la parole , & bavardèrent de mille. 
facons différentes , comme il arrive toujours après, 
. Le danger ; ils jugeoïent fur-tout que la mort du 
coupable étoit ce qu'il y avoit de plus heureux. 
pour nous dans cette aventure ; car fi cet homme 
nous eût échappé , & que , nous fuivant à la 
pifte à travers les buiflons & les chemins détour- 
nés, il eût découvert le lieu de notre retraite, 
il n’eût pas manqué d’en aller avertir les au 
tres Boffifmans ; qui, raflemblés en grand nom- 
bre, füflent arrivés fur nous, & nous euflent 
impitoyablement maffacrés. Les diverfes conjec- 
tures de mes Hottentots , & leurs dilcours à 
perte de vue, rie 2e beaucoup, & m'intéref- 
foitent en quelque forte ; j’en concluois qu'ils 
pourroient , à la longue, fe familiariler avec le 
danger , & j’étois charmé qu’ils l’euffent vu d’auffi 
près ; car Je ne connoiflois point se Lt plus 

R. i] 


260 V'oiw A @E 
redoutable à mes deffeins que les terreurs de 
leurs imaginations. | 
Nous délogeñmes le jour foiddat Pendant la 
marche , je m’amufcis, de côtés & d'autres, à 
tirer ; le temps étoit favorable. Je fis lever une 
Autruche femelle ; arrivé fur fon nid, le plus 
confidérable que j’eufle jamais vu , jy trouvai 
trente-huit œufs en un tas, & treize diftribués 
plus loin, chacun dans une petite cavité: Je ne 
pouvois concevoir qu’une feule femelle püût cou- 
ver autant d’œufs; ils me paroïfloient d’ailleurs 
de grandeur inégale. Lorfque je les eûs confidé- 
rés de plus près, J'en trouvai neuf beaucoup 
plus petits que les autres ; cette particularité m'in- 
térefloit vivement ; je fs arrêter & dételer à un 
quart de lieue du nid, & j'allai m’enfoncer dans 
un buiflon d'où je avis à découvert & direc- 
tement à portée de la balle; je n’y fus pas long- 
temps fans voir arriver une femelle qui s’ac- 
croupit fur les œufs ; & , pendant le refte du 
jour que je pañlai dans ce buiffon, trois autres 
fe rendirent au même nid. Elles fe relevoient 
lune après l’autre ; une feule refta un’quart 
d’heure à couver, tandis qu’une nouvelle venue 
s'y étoit mile à côté d'elle; ce qui me fit pen- 
fer que quelquefois, & peut-être dans les nuits 
fraîches ou pluvieufes È elles s’entendent: pour 
couver à deux, & même davantage. Le foleil 
touchoiïit à {on Géblins un mâle arrive qui s’ap- 
proche du nid, pour y prendre place ; car les 
mâles couvent aufli bien que les femelles. Je 
lui envoyai ma balle , qui l’étendit mort. Le bruit. 
du coup fit lever es . qui, dans leur ef: 
froi, caffèrent plufieurs œufs ; je m'approchai & 


N 


EN A HR 10/0 E 261 


vis avec regret que les Autruchons alloient in- 
ceffamment éclore , puilqu’ils étoient couverts 
de tout leur duvet. Le mâle que je venois de 
tuer n’avoit pas une feule belle plume blanche; 
elles étoient déjà toutes dégarnies & toutes fa- 
lies ; Je choïfis parmi les noires celles qui me 
parurent les plus entières, & je quittai la place; 
je détachai plufieurs de mes Hottentots, pour 
aller chercher les treize œufs difperfé fur les 
côtés du nid , & je leur enjoignis de né point 
toucher aux autres, J'étois curieux de favoir fi 
les femelles feroient revenues pendant la nuit; 
je retournai au nid dès que le jour fut venu; 
mais Je trouvai la place entièrement balayée, 
fi ce n’eft de quelques coquilles éparfes qui dé- 
notoient aflez que nous avions apprèté un bon 
repas à quelques Jakals .ou même à des Hiennes. 

Cette particularité touchant les mœurs de l’Au- 
truche , dont la femelle fe réunit avec pluñeurs 
autres pour l’incubation dans un même nid, eft 
d'autant plus faite pour éveiller l'attention du 
Naturalifte, que, n'étant point une règle géné- 
rale, elle prouve que les circonftances peuvent 
quelquefois déterminer les aétions de ces ani- 
MaUX , & modifier leurs fentimens ; ce qui ten- 
droit à rehauffer leur inftinét. en leur donnant 
une prévoyance plus réfléchie qu’on ne la leur 
accorde ordinairement. N'eft-il pas probable que 
ces animaux s’aflocient pour être plus en force, 
& défendre mieux leur progéniture. J’aurai oc- 
cafon ‘de revenir là-deflus, dans la deftription 
que je donnerai de lAutruche ; j'ofe me flatter 
qu'on ne-lira pas: fans intérêt des récits fimples 
_ & véridiques , qui-contiendront plutôt une pein- 
R ü] 


262 . VOYAGE 

ture des mœurs & des habitudes des animaux, 
que les détails faftidieux & trop fouvent répé- 
tés des couleurs du nombre de plumes , des 
mefures, des dimenfions exaétes de toutes leurs 
parties : énumérations ridicules qui n’offrent pas 
plus de variété entre les efpèces, qu’elles ne mon- 
trent de différences dans les caraëtères. 

Fa revenant du nid au camp , mes chiens firent 
lever un Lièvre, & le lancèrent ; je le fuivis au 
galop , & le vis difparoître dans les cavités d’un 
petit monticule qui fe trouvoit fur fa route : 
je m'entétai à fa recherche, & je parvinssà de- 
viner le lieu précis de fa retraite. Il étoit.en- 
tré dans une de ces cavités par un trou que je 
bouchaiïi ; on dérangea les pierres & les gravats 
qui formoient la petite élévation. Je ne peindrai 
point l’étonnement qui me faifit lorfque je re- 
connus que c'’étoit un tornbeau Hottentot; j'y 
trouvai mon Lièvre blotti dans un fquelette ; 
je le pris vivant, & l’emportai ; maïs, dans un 
moment où mes chiens, occupés ailleurs, ne 
pouvoient m'appercevoir , par un mouvement 
de générofité , & comme fi j’eufle dédaigné de 
donner la mort à ce foible animal autrement 
qu'avec larme ufitée de la chaffe , je lui rendis 
la liberté. Ceite aëtion fut interprêtée par mes 
gens d’une facon qui me fit encore plus d'hon- 
neur dans leur efprit ; je me gardai bien en con- 
féquence de chercher à les détromper ; ; ils cru- 
rent avec la plus vive fatisfaétion que j'avois là- 
ché mon Lièvre , non parce que je ne m'en fou- 
ciois pas, mais parce qu äls forent perfuadés que 
l’afyle des morts m’avoit femblé trop- relpeéta- 
ble, & ee F'étoit un hommage naturel que je 


EN AFRIQUE. 264 
venois de rendre au tombeau d’un des leurs. Nous 
recouvrîimes le fquelette des mêmes gravats que 
nous avions éparpillés, & reprîimes une autre 
route. Dans cet intervalle , d’autres chafleurs 
avoient tué de leur côté quatre Gnous, dont la 
falaifon nous occupa trois jours entiers. 

 J'arrivai le 16 fur une habitation occupée par 
deux frères Nègres & libres ; l’un defquels étoit 
marié à une jeune Mulâtre : je fus accueilli par 
ces aimables Naturels avec les tranfports de la 
joie ; ils m’offrirent tout ce qu’ils poflédoient……. 
Le dirai-je! mon. cœur oppreflé de mille fenti- 
mens divers recut froidement & leurs careffes & 
leurs tendres follicitudes ; je retrouvois prefque les 
manières & les ufages du monde; je rentrois 
dans la Société ; je revoyois des champs, des meu- 
bles ; des poflefions, de l’ordre, desmaîtres ;enun 
mot , J’étois dans une habitation. Tant d’aifance me 
devenoit à charge ; un penchant involontaire m'’ar- 
rachoit de ce domaine ; j'en fis plufeurs fois le 
tour , les yeux errans de côtés & d’autres, comme 
pour retrouver mon chemin perdu; j’accablois la 
maïfon de mes plaintes, & l’environnois, fi je 
puis parler ainfi, de mes foupirs. Tout fuyoit , & 
les torrens , & les montagnes, & les forêts ma- 
jeftueufes , & les chemins impraticables, & les 
Hordes de Sauvages, & leurs huttes charmantes, 
tout me fuyoit ; tout me fembloit regrettable, 
jufqu’aux bêtes féroces elles-mêmes, à qui je prê- 
tois en ce moment des fentimens d’habitude & 
de bienveillance pour mot. Je ne fais fi ces bi- 
Zarreries font communes à d’autres hommes; mais 
plus j'y fonge, plus je fens qu’elles appartien- 
gent à la Nature, Charme puiflant de la Liberté, 

KR iv 


264 Vo: v: À: GE 


force invincible qui ne périras qu'avec moi, tu 
transformois en plaifirs les plus cruelles fatigues ; 
en amufemens , les plus grands dangers; en {pec: 
tacles délicienx , les objets les plus noirs, & tu 
femois tous mes pas des fleurs du repos & de 
la félicité, en des temps & dans un âge où la 
deftinée fembloit me contraindre de les chercher 
ailleurs!; 249 | 

Ce fut chez ces deux Nègres que je mangeai 
du pain pour la première fois depuis un an. 
J'en avois tout-à-fait perdu le goût ; je n’avois 
compté m'arrêter ici qu’une journée tout au 
plus; j'y palñlai trois jours. Il nous reftoit encore 
bien du pays à parcourir, quelques montagnes 
énormes à traverfer, de grandes difhcultés à 
vaincre dans ce délert du Camdebo, dont l’af- 
peét vraiment impofant n’offre par-tout, au-lieu 
de la verdure & des jardins fi naturels de Pam- 
poën-Kraal, qu’une face tantôt grife , tantôt rou- 
geñtre Pure . des rochers , du fable, des cail- 
loux. En me rapprochant des “habitations , j je cou- 
rois moins de rifque ; en tenant à mes idées, Je 
me promettois plus de jouiffances. Ainf donc, 
fi j'en excepte les lieux où je venois de m’arrê- 
ter, je fuivis mon plan avec autant de conftance 
pour le retour que pour le départ ; mais Je pro- 
fitai du hafard qui m’avoit fait tomber, chez les 
deux frères, pour pourvoir:à la fubfiftance de 
mon monde, & je pris més précautions. Ils me 
firent une forte provifion de bifcuit; Je reconnus 
ce fervice eflentiel, en leur donnant pour échan- 
ge, de la poudre, du plomb, & des pierres à 
fufil : tous objets RACE qui leur manqüotrent 
depuis long-temps , malgré. le befoin indipenia 


E'N+ À FR 1 QUE. 265 
ble qu’en a toujours une habitation, foit pour 
défendre fes troupeaux , foit pour repouifer les 
Boffifmans. ls m'’auroient tout accordé, à leur 
tout , en reconnoïffance d’un auffi grand bienfait. 

Eie 19, à quatre heures du foir, je repris ma 
route : le foleil le plus ardent nous dévora pen- 
dant deux jours ; nous errâmes fans trouver une 
goutte d’eau ; on eut recours aux jarres que j'a- 
vois fait emplir chez les frères Nègres, & nous 
fûmes réduits à la ration , comme cela nous 
étoit plus d’une fois arrivé. 

Le 21, après avoir traverfé le lit in Kriga 
qui étoit à fec, & que nous avions déjà pañté 
Ja veille, je rencontrai deux habitans du Cam- 
debo qui revenoient du Cap, & faifoient route 
pour leur demeure. Depuis plus d’un an je 
n’avois eu de nouvelles dé cette ville & de 
mes connoïffancés : je fus enchanté d’apprendre 
qu'avec les fecours de la France , le Cap avoit 
été fauvé de toute invañon de la part des Anglois, 
& que la Colonie étoit demeurée {ous la do- 
mination Hollandoife. Le plaifir de cette nou- 
velle fut bientôt effacé par celle de lindifpof:- 
tion de mon bienfaiéteur, que les voyageurs 

m'atieftèrent avoir laiflé dans un état critique, 
& même fixé, lors de leur départ , aux bains 
chauds : dériière reflource des malades en Afri- 
que. Ce rapport acheva de répandre l’amertume 
& le dégoût fur le refte de mon voyage. 

J’allois hâter ma marche , j’aurois voulu vo- 
ler,pour rejoindre un ami qui m'étoit cher à 
tant de titres 3, mais la crainte de je trouver 
languiffant, empoilonnoit le plaifir que je me 
failois de le revoir, Ces deux Colons me pré- 


‘266 UV 0! v'a GE! 
vinrent que Jj'allois infiniment foufirir en route 
par la féchereffe & le manque d’eau; qu’attendu 
la grande quantité de beftiaux que je traînois à ma 
fuite, je n’avois de reflources à efpérer que dans 
les orages qui pourroient furvenir ; que les Bof- 
fifmans d’ailleurs infeftoient le pays; qu'ils leurs 
avoient enlevés à eux-mêmes trente-deux bœufs, 
& maïflacré leurs gardiens au pañlage de la rivière 
noire : cette dernière nouvelle ne m'empêcha pas 
de continuer ma route. Depuis l'exemple de févé- 
rité que Jj'avois été forcé de donner, mes gens 
ne bronchoient plus, & je crois qu’ils auroient 
été capables d’affronter , avec moi, tous les ban- 
dits du Camdebo. Je ne voulois pas cependant 
m’expofer témérairèment ; il m’étoit guères: pof- 
fible de penfer à marcher de nuïit : c’étoit m'ô- 
ter tous mes avantages. La plus grande partie 
de mes bœufs étoient hors de fervice par la ma- 
Jadie du fabot, de façon que, ne pouvant re- 
layer les mieux portans, je les faïifois partir 
avant nous, avec une forte garde, afin que 
nous ne fufMions point retardés dans la marche. 
Arrivé de la forte au Kriga-Fontyn ( Fon- 
taine du Kriga ), nos bœufs y eurent à- peu- 
près autant d’eau qu’il ‘leur en falloit ; mais 
elle étoit fi faumache, que les Hottentots qui 
en burent gagnèrent des coliques & des diar- 
rhées violentes. Comme: je fondois le terrein, 
& examinois fi cette eau ne pouvoit pas nous 
caufer de plus grands maux encore, je fus ex- 
trèmement furpris de voir Keès, qui fe trou- 
voit toujours le premier par-tout , retirer de la 
vafe un crabe d’environ trois à quatre pouces 
de diamètre, Il yavoit effectivement de quoi 


E N “A rRyI QU E. 267 
s'étonner ; car cette fontaine étoit en plein ro- 
cher , fans écoulement apparenr. Mon finge me 
parut manger fon crabe avec tant de plaifir, 
que j'en fis prendre une trentaine que je trouvai 
fort bons après les avoir fait cuire. Quatre ou 
cinq coups de fufil me procurèrent plus de qua- 
rante Gelinottes d’une ‘très-belle efpèce, habi- 
tuées à venir s’abattre par milliers fur les bords 
de cette fontaine. Les Hottentots des Colonies 
les nomment Perdrix Namaguoifes, parce que, 
dans la faifon des pluies, toutes partent pour 
fe rendre vérs le Tropique. À dater du moment 
où nous décampâmes de cette fontaine, nous 
ne trouvâmes plus que des plantes grafles & des 
Sauterelles : nous étions dans un lieu de défo- 
lation. Quatre de mes bœufs n'ayant plus la 
force de {uivre , reftèrent fur la place ; j'eus le 
défagrément de voir que tous mes chiens bot- 
toient , & fe traînoient avec effort, la plante de 
leurs pieds étant ufée & déchirée jufqu'au vif. 
Je les fis graifler , afin qu'ils les léchaflent : on 
les plaça tous fur les voitures; mes chevaux 
avoiïent gagné la même maladie que mes bœufs. 
Je fis faire , avec des peaux, des efpèces de 
petits facs ou bottines, & après avoir bien graiffé 
des pieds de ces chevaux, je les leur attachai 
au-deffus du tarfe. J’aurois bien voulu faire à 
mes Bœufs la même opération; mais ces ani- 
maux indociles ne s’y feroient pas prêtés tran- 
uillement ; d’ailleurs, les peaux & la graifle n’au- 
roient pu fufre ; les roues de mes chariots; que 
je n’avois point baignées depuis - Tong temps, 
jouoient en marchant comme autant de creflelles, 

Diférentes fontaines & plufeurs lits de tor- 


268 V:o1y A °G'E 


rent ou de rivière que nous avions traverfés, 
& fur lefquels nouscomptions encore, nous avoient 
tous trompés ; nos animaux étoient réduits à ap- 
puyer le nez contre terre, & à lécher les en- 
droits qui leur fembloient encore humides. Pri- 
vés d’ailleurs de toute herbe fucculente, il ne 
leur reftoit d'autre reflource que de fe rabattre 
fur quelques plantés graffes qui leur donnoient 
dès tranchées affreufes : ils battoient des flancs, 
& n’étoient plus que des fquélettes. 

Cette fituation défefpérante dura jufqu'’au foir 
du 24. Nous venions de traverfer le Swart-Ri- 
vier (la rivière noire }, qui n’avoit pas plus d’eau 
que les autres ; nous allions dételer , lorfque j’ap- 
perçus un troupeau de Moutons. Je courus vers 
le gardien, qui m’apprit qu’il appartenoit à un 
Colon, dont l'habitation n’étoit qu’à une petite 
lieue de là Nous en prîmes aufh-tôt la route, 
& nous allimes camper près d’un très-grand ma- 
rails, Où nous eùmes enfin la fatisfaétion de trou- 
ver de l’eau en abondance. L'habitation appar- 
tenoit à Adam Robenhymer , &fenommoit Kwcec 
V'aley. Je reçus mille politeffes de la part du 
maître de la maifon & de toute fa famille : elle 
m’étoit pas confidérable, & fe réduifoit à deux 
filles. L'une, Dina-Sagrias-de-Beer , d’un premier 
lit du côté de la mère, étoit une des plus bel- 
les Africaines que j’euffe encore vues. Ces hôtes 
charmans me preffèrent de pañer quelques jours 
avec eux. La féduifante Dina mit des graces fi 
naïves & fi douces dans fon invitation particu- 
lière,: que je me laïiffai facilement aller à fes 
inflances réitérées , & confentis à pafler trois 
jours entiers chez elle. Cependant, le foir, Je 


EN AFRIQUE. | 269 


. ne manquai pas de me retirer dans. mon camp, 
comme je l’avois toujours faits les lieux où je 
me trouvois, & le befoin d’y maintenir l’ordre 
me faifant plus que jamais une loi févère de ne 
point découcher. J’étois d’ailleurs tellement ha- 
bitué à mon dur matelas, qu’un lit moëlleux & 
plus commode m’eût réellement empêché de re- 
pofer. Cette halte agréable étoit fur-tout utile 
à mes pauvres beftiaux, vieillis de milère & de 
fatigue. Je craignois à tout moment d’être obligé 
d'abandonner mes effets & mes chariots. Ce der- 
nier féjour fervit pourtant à les ranimer un peu. 
Le fite étoit à mille égards charmant & varié: 
le voifinage de Phabitation :offfoit à mes Bœufs, 
auffi bien qu’à mes gens, d’abondans fecours 
bien propres à rétablir leurs forces, pour peu 
que j'eufle voulu refter plus long-temps dans cet 
afyle ; mais je fentois de plus en plus le befoin 
de me-rapprocher du Cap, & mon imagination 
épuifée me rendoit à chaque inftant mon re- 
tour plus indifpenfable, Il fallut donc encore une 
fois m'’arracher à tant de féduétions, &: partir. 
La belle Dina , ayant appris de mes gens (car 
elle s’informoit:.de tout} que les bifcuits que j’a- 
vois fait faire chez les Nèyrès, touchoient à leur 
fin, me-prià-d’en accepter .une petite provifon 
qu’elle. m’avoit fait elle-même. Le premier Mars, 
après avoir. fait mes remercîimens à tous mes ai< 
mables hôtes. je les quittai. Îl étoit cinq heures 
du foir;rnous faifons route vers le Garnka, ou 
Leuw-Rivier (Rivière. des: Lions) : nous :y arri- 
vames à neuf heures du:foir, &-l’on y campa. 
Les Lions -autrefois étoient, très- communs fur 
cette rivière, parce que, les. Gazelles. y étoient 


270 Vo YAGE 

auf très abondantes; mais depuis que les habi 
tans s’en font rapprochés, les Gazelles ont pris 
Ja fuite, &les Lions, par conféquent, font de- 
venus beaucoup plus rares. Favois oui dire à 
Kweec Valey , qu'il rôdoit dans les environs du 
heu où je me trouvois, trois troupes formidables 
de Boffifinans. La prudence m’empêcha de pé- 
nétrer plus avant dans cette première nuit. On 
m’avoit informé, de plus, que, pañlé le Gamka 
jufqu’à la rivière des Buffles, je ne verrois pas 
une goutte d’eau : il y avoit vingt-cinq grandes 
lieues’ d’une rivière à Pautre. Pour ne pas périr 
de foif, il falloit faire ce trajet en deux jours. 
Il m’étoit pas queftion de marcher par la chaleur; 
tout auroit été perdu. Je réfolus donc de refter 
deux ‘jours pleins fur la rivière des Lions ; pour 
repofer, & fortifier d’autant mes attelages; &, 
fur lé foir du fecond jour, m’affranchiffant de 
touté efpèce de crainte, & ne tenant nul compte 
àmes gens de leurs terreurs paniques , je conti- 
huai ma route. J’avois eu la précaution de pla- 
cer toute ma caravanc-entre deux chariots qui 
fervoiént d'avant & d’arrière-garde. Deux jours 
ou plütôt deux nuits de marche forcée, mais dans 
le meilleur ordre; nous conduifirent au bordide 
la rivière, après laquelle nous foupirions depuis 
fi longtemps. Nous n'avions pas népligé pendant 
les nuits, de tirer de côté & d’autre des coups 
de fufil, de fix minutes en fix minutes. Javois 
donrié de temps en temps de l'eau de mes jarres 
à mes Chevaux, qui foccomboient à la chaleur 
& à a. fatigue ; mes beftiaux n’avoient ni bu 
ni manvé , ils étoient tous haletans ; & fembloient 
devoir à tout moment refter fur la” placé : ce- 


Bi N “AE UROT QUE Br 


pendant, quoiqu'il fît nuit plus d’une demi-heure 
avant d'arriver au Buffle-Rivier , les relais & tous 
les beftiaux qui marchoient en liberté, ayant 
éventé la rivière , fe mirent tous à courir en 
défordre & à travers champs pour s’y défaltérer. 
Ceux qui traînoient. les voitures, reprirent cou- 
rage, & firent le trajet en moins d’un quart- 
d'heure. Sans l’attention de mes gens qui coupè- 
rent à propos. les traits des plus mutins , mes 
trois voitures aurolent été culbutées dans la ri- 
vière ; NOUS fuivimes tous l'exemple de nos ani- 
maux, & le bain me fit oublier mes fatigues. 

Lorfque les feux furent allumés , une partie 
des animaux nous rejoignit ; j’avois de l’inquié- 
tude. (pOur les autres : cependant nous les enten- 
dions, s 'agiter & marcher dans les brouffailles qui 
nous entouroient ;. fans doute qu'ils y cherchoiïent 
de quoi manger. Îls arrivèrent. tous à la pointe 
du jour, excepté une paire de Bœufs que nous 
n'avons jamais revus ; notre Bouc s'étoit ég: 
lement égaré, & ne. revint que dans le courant 
de, la journée, 

:J'avois été. AE ent ts à mon. Ve 
de me trouver dansun Pays charmant que l’obf- 
curité  m’avoit empêché d’appercevoir : la rivière. 
n'étoit pas large:; mais l’abondance.& la profon- 
deur defes eaux répandoient dans ces lieux une 
fraîcheur d’autant plus délicieufe , s que dla chaleur, 
étoit exceflive ;.cette rivière. Sidait fur ,un.lit 
dé. gazon: coupé par cent’ tours, & détours ; il 
yuavoit long-temps.que je n’avois rencontré un 
auf. agréable-bocage, Une infinité de Perdrix 
& de Gelinottes formoient ,.par leur cri, un 
contrafte' piquantavec des efpèces de Canards, 


, s 4 
NRA E TI", 


re  VoyaA&cEes 
des Hérons, des Cigognes brunes, & des Fla- 
mans , dont la rivière étoit couverte. Il n’ÿ eut 
qu’une voix pour me fupplier de m’arrêter‘quel- 
ques jours ; j'y confentis fans peine , & je fus 
enchanté qu’on m'eût prévenu. C’étoit encore 
un de ces fites. agréables qui prouve que lima- 
gination des Poëtes n’eft pas toujours au-deflus 
de la Nature & de la vérité dans leurs defcrip- 
tions. L'emplacement où nous venions de pañler 
la nuit n’étoit cependant pas le plus favorabie : 
quelques groffes roches dont nous étions voifins 
le couvroient trop , ainfi que nous, & pouvoient 
faciliter à ‘l’ennémi les moyens de’nous fürpren- 
dre ; en conféquence , nous conduifîmes nos 
chariots & nos bagages dans le milieu d’une petite 
prairie, à laquelle le cours fineux de la rivière 
donnoit la forme ‘d’une PRÉ AREES & EP là 
qu’on fixa les tentes. 9 49 
Nous venions de faire une! hutèbe dé dédtre: 
vinets lieues, ‘depuis Vhabitation des deux frè- 
res Nègres dont j’ai parlé: On peut difficilement {e 
faire une idée de ce que nous avions eu à fouf- 
frir dans cette ‘travertée. De quels fecours.ne 
nous avoient pas été les Moutoñs que favois 
échangés! avec’ les’ Hottentôts:de : :Sneuwberg ? 
Depuis ce moment, nous 'n’aviofs pas rencon- 
tré une feule ‘pièce ide gibier , pas une’ lagune 
d’eau affez pure pour'en faire ufage fans pré- 
caution : tout ‘ce qüe nous en: 4ViOns trouvé 
u'étoit potable qu'après qu’onil'avoit fait bouil- 
hr, foit avec du thé , foitiavec du café," pour 
en: \bdétEuire. : ou désuifer av moins Res 
malfaifantes & nanfabondes:" z9haN 29,5 
. L'agrément dû‘ lieu & l'abondance: dé toutes 
chofes , 


5 N  Àr pr RU QUU'E. 27 
chofes, que nous procuroit le Buffle-Rivier , n’é- 
toient pas les feuis motifs qui m’arrêtoient fur. 
fes bords : j'y demeurai juiqu’au r4 du mois; 
tout ce temps fut employé à la réparation de 
mes ‘équipages , dont le délabrement m’inquié- 
toit depuis long-temps; les chariots avoient été 
tellement fecoués, le foleil les avoit tellement 
defféchés , qu'ils ne tenoient prefque plus à rien ; 
les roues: fur - tout avoient befoin de reftaura- 
tionsitous les rayons quittotent leurs moyeux. 
Pour donner plus de reflort au bois, je les fis 
mettre à l’eau ; elle y reftèrent long-temps avant 
que la-hache y touchât. De mon côté, je fis 
la revue de ma colleétion, qui n’étoit pas non 
plus : ‘fans défordre : ce n’étoit pas un petit ou- 
vrage ; j'avois des oïfeaux par-tout; mes boîtes 
à thé, à fucre , à café , tout en étoit rempli. 
Nous allions bientôt arriver dans le gros de la 
Colonie ; réfolu de ne m'y point arrêter un feul 
moment , j'aurois regardé comme un grand mal- 
heur le moindre accident qui fût venu retarder 
ma marche. Perfuadé que nous n'avions plus 
rien à craindre des vagabonds , & voyant tous 
mes gens affez tranquilles & débarraflés de leur 
frayeur, je me propolai de marcher , tant de 
Jour que de nuit : ce que J’exécutai le 14, à 
cinq heures du foir, dans le même ordre que 
par le pallé. Nous fîmes halte à minuit, près de 
Matjes-Fontein : le temps fe couvrit, & nous 
menaçoit d’un orage ; mais 1l s’éloigna de nous. 
Le lendemain, je paffai le Wet- Waater, pour 
dételer à Conffapel : c’eft une habitation affez 
agréable, maïs que la difette d’eau a contraint 
les Colons d'abandonner. Quoique la faifon fût 

Tome IL S 


274 Vox: AG 
avancée , les chaleurs n'avoient pas diminué. For. 
cés de refter inaétifs pendant les plus grandes ar: 
deurs du foleil, il nous brûloit d'autant miéux. 
que .nous étions entièrement privés: d'ombrage 
& de tout abri pour nous en garantir, L’aceable- 
ment où nous étions plongés ne nous permettoit: 
pas même Îles diftraétions de la chañle ;: on: fait: 
trop que les chaleurs étouffantes ne fervent. pas. 
à provoquer l'appétit ; qu’alors les viandes; ou 
fraîches ou falées, ne font que rebuter , & qu'el-. 
les augmentent le dégoût. Ainfi nous ne faifions 
plus de cuiline ; mes Hottentots dormoiént durant. 
la journée ; moi, je ne. vivois que des!bifcuits 
de Mademoifelle Dina , & toute la recherche de 
wa fenfualité confiftoit à:les tremper dans du lait 
de chèvre, que je prenois toujours avec plaifir, 
Je ne. puis trop recommander aux Voyageurs qui. 
entreprendroiént des couries pareilles aux mien- 
nes, de fe procurer un grand nombre de ces ani-: 
maux ü utiles & fi doux ; ils recherchent l’hom-: 
me , s’attachent à lui, le fuivent par-tout ; ne lui 
caufent aucun embarras, & n’exigent aucun foin. 
Hs lui fourniflent tous les jours de quoi fe nour-: 
rir à Ja fois & fé défaltérer ; tout en fe jouant: 
ces pauvres bêtes, qui ne font point difciles 
comme les autrès animaux, s’accommodent de 
tout, peuvent fupporter la loif pendant très-long- 
temps , fans que leurs fources tarillent. | 
Les 16 & 173 après avoir traverlé Touws 
Rivier , je gagnai, fix lieues plus loin , près Ver-: 
kcerde- -Valey , un très -grand lac. ; sit duduel 
étroit une petite habitation que le maîtré ablent, 
avoit confiée à la garde de quelques Hottentots. 
Je vis un Colon, parti nouvellement du Cap pour, 


EN ÀAFRI1IQU E. as 
regagner le Camdebo. Cet homme débarraffa mon 
cœur d’un poids qui P oppreffoit depuis long-temps : 
il m’apprit le rérabliffement de la fanté de M. 
Boers , & fon retour au Cap. J’eus occafñon de 
rencontrer différentés elpèces d’oifeaux , entr'au- 
tres des Foulques pareilles à celles d'Europe ; 
mais les marais du lac me fournirent une telle 
quantité de Bécaflines, que nous en fîmes no- 
tre nourriture ordinaire. 

Il y avoit beaucoup de Goëhôhs fur cette Hé: 
bitation ; j’en achetai un, &; je fus obligé de l'aller 
choifir, & de le tirer parmi les rofeaux, parce 
que, comme je l'ai ob'ervé plus haût en par 
lant de la manière dont on les élève, ceux - ci 
étoient devenus fauvages. J’achetai encore de la 
farine pour régaler ma troupe du premier pain 
qu’elle eût mangé depuis mon départ Ce fut la 
femme de Klaas qui l’appréta, & elle y réuffit 
fort adroitement. Je quitta Werkeerde Valey ; 
ke 2r, nous allions dans un autre pays, le Bo- 
ke-Veld , plaine des Gazelles (Spring-Bock) qui : 
s’y trouvoient fans doute autrefois, mais qui pré- 
fentement ne s’y montrent nulle part. Nous ap- 
percevions , de côtés & d’autres, fur les collis 
nes ; plufieurs habitations : nous nous efforcions 
vainement de nous en éloigner. Plus nous al: 
Hôns , plus elles commencoient à devenir fré: 
 quentes ; je fus contraint de longer celle de Jan- 
Pinar. Je réfiffai aux inftances qu'il me fit de 
me rafraîchir chez lui, & paflai outre ; mais tout 
ce qu'il y avoit d’habitans, foit BB, Æoit Hot- 
tentots ou Nègres, accoururent pour voir défiler 
ma caravane, Àpeu-près comme on vole dans 
nos Villes, pour jouir d'un de ces fpeétacles au- 

S 


276 V:OFY:A GE 4 
quel des fêtes rares ou des événemens imprévus 
ont tout-à-coup donné naiflance. Ma barbe, fur- 
tout pour le Pays qui ne poflède ni Capucin ni 
Juif, parut un phénomène extraordinaire, admi- 
rable, quoiqu’elle mît en fuite les enfans, & 
qu’elle fît peur aux femmes. J’eus beaucoup de 
peine à me débarraflèr des queftions &.des quef- 
tionneurs, pour aller m'ifoler à onze heures 6, 
demie du foir , à trois lieues plus loin, dans une 
retraite inhabitée & paifible ; mais le bruit de mon 
retour s’étoit répandu; &, le lendemain , il fai- 
foit jour à peine, que plus de vingt habitans 
des divers environs raflemblés par Ja curiofité, 
avoient pris place autour de mon camp. afin 
que, quelque route que je prifle, il me fût im- 
poñible de me fouftraire à leurs regards. On avoit 
pris platfir à débiter fur mon compte cent ab- 
furdités différentes; on me faifoit cent queftions 
plus ridicules les unes que les autres; on publioit, 
par exemple, que j’amenois des voitures char- 
gées de poudres d’or & de pierreries trouvées 
dans des rivières ou fur des rochers inconnus. 
Un de ces crédules Payfans me conjuroit de lui 
faire voir cette magnifique pierre précieufe , fu- 
périeure au diamant , grofle comme un, œuf, 
que j'avois trouvée fur la tête d’un énorme fer- 
pent, auquel j'avois livré le plus fanglant com- 
bat. Je ne rapporte ces inepties que pour juf- 
tifier ce que j'ai dit ailleurs de ce ftupide amour 
du merveilleux, dont les Colons nourrifient le 
défœuvrement & les longs ennuis qui les tuent. 
J’avois eu l'intention de refter tranquille dans 
l'endroit où je me trouvois, jufques versie foir; 
mais Ja troupe curicufe groflit tant de minute 


in 


EN AFRIQUE. Moi 
en minüte , que jen pris de l’impatience, & par- 
ts brufquement. J’eus’ beau me dérobér: à trois 
ou quatre habitations fur le territoire defquelles 
il me fallut pañlers lPimportunirté me fuivit par- 
tout , & je n’eus d'autre reffource que de pro- 
fiter ‘de l’obfcurité de la nuit pour aller, pref- 
que comine un profcrit, me cacher au pied d’une 
énorme chaîne de montagnes, nommée C/oof', 
“qui fait la limite d’un autre Pays, le Rooye-Sand. 

Cette montagne, comme un immenie rideau 
que le malheur eut élevé devant moi, fembloit 
appuyée là pour me contrarier davantage , & re- 
doubler mes! chagrins : il falloit cependant ou 
franchir l’obftacle ; ou faire un très-long circuit, 
dont je ne connoïiflois ni la durée ni le terme. 
Ce n'’étoit plus cette ardeur bouillante que j’a- 
vois montrée en partant, cette force, ce cou- 
rage infatigable , que fomentoient dans mon ame 
l'amour des-chofes nouvelles , & l’impatient defñr 
de prendre le premier poñeflion d’un Pays fi 
rare & fi curieux. Je me voyois arrêté , tour- 

à-tour , pat le découragement , & entraîné par 
‘la reconnoïffante amitié : je pris donc mon parti, 
& me décidai à gagner, comme je pourrois, le 
fommet de la montagne; l’efcarpement & les 
fondrières de cette traverfée me parurent effroya- 
bles ; c’eft pourtant le chemin ordinaire des Co- 
lons de ces quartiers-là, qui préfèrent de rif- 
quer de s’y perdre & d’y culbuter, plutôt que 
de s'unir Pour : à faire une route , ou du moins 
quelques réparations : preuve infigne de leur pa- 
reile & de leur indolence !” 
J’ofai me charger de ce foin pour moi-même; 
j'employai la journée du 24 à ". couper des 
ii] 


278 NM ON M Bin 
branches pour combler les «endroits les plus en 


foncés , & les recouvrir avec des terres, des pier- 


res & du fable. Je réuflis dans mon opération; 
& ,le 25, en quatre heures de temps, graces 
aux précautions que nous primes ,; & toutes, les 
peines que fe donna de bien bon gré tout mon 
monde ; à quelques avaries près, nous. eûimes 
linexprimable bonheur de fauter l’afreux. préci- 
pice , le dernier qui dût nous faire trembler. Les 
Colons nomment cet horrible rehaeain: * see. 
Hosk , le Coin de Mofter. 


Mous campâmes au pied de fon revers F Le jour 


vivant, nous arrétÂmes, dans la matinée, à l’en- 
trée dun Roye- Sand ; près des ruines d’une habi- 
tation qui paroïffoit dapgis long-temps abandonnée, 
PA O7 canton , fuivant moi , eft improprement 
nommé Roye-Sand (Sable rouge) ; Je. n'y en ai 
point vu de cette couleur ; j'ai. remarqué qu’au 
contraire il étoit décidément.jaune. 

… Ce Pays eft riche en bled ; Jess moiffons. y 
font fuperbes , & s’v montrent par-tout en abon- 
dance ; des fites heureux. nous offroient , de temps 


en temps , des habitations plus-riantes les unes 


que les autres, & la variété des conftruétions 
répandoit fur toutes ces campagnes.un intérêt dont 
l'œil étoit agréablement frappé. KH eft. poñlible 
.qu'accoutumé , depuis 16 mois, à des fpecta- 
cles. d’une nature plus forte &. mieux pronon- 
£éc , le contrafte des Pays fauvages & de leurs 
due: auf triftes que rares , avec le nou- 
-vel ordre de chofes qui fe. préfentoient. à mes 
regards , fit fur mon imagination une: impreffion 
plus vive : quoi qu'il en foit, jé ne me laflois 
point d'admirer çes beaux lieux. 


ME: 


ËÈ NïÂÀ FR 1: QUU E,. 279 


hottes les idées chimériques & romanefques 
qui. m'avoient bercé ,:tous ces déplaïfirs dont je 
nourriflois mon cœur en quittant les: Sauvages, 
commençoient enfin à fe rallentir ; &:la raifon 
reprenant le deflus, me failoit affez connoître 
que ,-n’étant point né pour ceite vie errante & 
précaire, j'avois d’autres obligations à remplir, 
d’autres.humains:à -chérir. Déjà je fouriois aux 
divers: objets dont l’image me retraçoit mes an- 
ciens: plaifirs & mes habitudes ; l'amitié fur-tout ; 
revêtue de toutes fes graces, & telle qu’elle doit 
plaire aux ames délicates & fenfbles , fembloit 
m’appeller de loin ; &: me tendre les bras. D’au- 
tres fentimens, peut-être, venoient à fon appui 
pour dérider mon front , & prefler de plus en 
plus ma marche:-Certain , comme je l’avois ap- 
pris, que je trouverois M. Boers bien portant 
au Cap chaque pas que je failois vers la Ville 
me donfoit des élans d’impatience que mes Com- 
pagnons partageoient bien fintèrement avec moi. 
Je ne pouvois me favoir fi près fans défirer de 
voir difparoître: derrière moi le chemin qui de- 
voit. .m’y. conduire :: je n’étois plus occupé que 
du plaifir de retrouver des amis; maïs fur-tout 
d’embraffer celui quel mon cœur ae nEN à tant 
de titres. ré 

Le 26, après avoir échappé: fi ; je puis m’ex- 
primer ainfi, à dix habitations qui {e trouvoient 
fursma route ; je traverfai la Breede-Rivier (Ri- 
vière large); une lieue plus loin, le Waater- 
Val: (chûte d’eau); enfuite quelques habitations 
qui, fans doute, m’attendoient au pañlage depuis : 
long: "temps. Car les habitans ÿ, voyant que je 
g'arrétois point, prirent Je parti de me fuivre 


S iv 


f 


280 VOYAGE 
comme une bête curieufe , & ne me quittèrent 
que lorfqu’ils m’eurent confidéré! à leur’ aife. Je 
pañfai le Roye-Sand-Kloof : (fa Vallée :idütfable 
rouge), le Klein-Berg-Rivier {la petité-rivière 
des montagnes). ‘Le lendemain 27, arrivé'au 
Swart-Land ; je’fis feller mes ‘chevaux,' qui ‘de- 
puis long-temps ne me fervoient point , & fuivi 
de mon fidèle Klaas , laïiffant des curiedx-aütour 
de mes chariots &-de mes équipages, je’ prisles 
devants, & me fis un 'plaifir d'arriver le {oïir même 
chez mon antien hôte ; le bon Slaber:, qui m’avoit 
fi noblement accueilli deux ans auparavant; Wers 
de mon affreux délaftre à la «baie: Saldanane 
Je ne puis exprimer toute Ta joie’ "mais fur: 
tout l’étonnement que caufi monr'atrivéelà route 
cette brave famille; elle s’y'atrendoit fi peu ; ma 
barbe: me rendoit: fil méconnoiflable les .rela: 
tions qu'on’avoit faites , (au Cap & danses! en. 
virons ,  devmes courles: lointaines & "des dan- 
gers auxquels je m’étois Hivré: rendoïent mamort 
fi probable, qu'ils furent tous effrayés demon 
approche : les femmes fur -:tout’me' firent une 
guerre cruelle de cette garniture-épaifle/& noire 
qui couvroit ma figure. : ‘Il'y avoit déjà quel- 
que temps. qu elle m'étoit devenue inutile”; &par 
conféquent à charge. Mitje-Slaber , la plusfeune 
des filles, s’offrit obligeamment de m’eñcdébar- 
raffer ; je me mis à fes génoux Fe & j'afis ma 
tête en facrifice. J’étois à peine ‘arrivé danstette 
demeure fortünée , que ‘je dépéchai Klaas ‘vers 
M. Boers, pour lui donner la nouvelle de mon 
retour. Je lui adreflois j'en même-témps,! deux 
petites Gazelles Steen-Bock ; & quelques Perdrix 
que j'avois tuéesen roùte. Dès le Içndemäin ; 


* 


EN AFRIQUE. 28t 


jé teéus dés félicitations de mon ami, qui m’en- 
voyoit deux de’fes meilleurs chévaux ; & me 
on ét vivetient de me rendre auffi-tôt chez lui, 
€" jour même ;-mes gens que j'avois laiffés 
‘en-'arrière , arrivèrent tois avéé mes chariôts. 
‘Le moment: ide” la” féparation approchoit; nous 
âvions , de part & d'autre, oublié nos torts: les 
dns laifloient échapper des: Foupirs : ; d’autres vér- 
foieñt des larmes; je ne pus rétenir les mieñ- 
nés ;‘nôuis/nous confolions par’ Péfpoir d’un fe- 
cond Voyageirfi les circonftances me devenoient 
favérables, Je'diftribuai à ces fidèles compagnons 
de mes fatigués & de mes dvéntures , tout cé 
qui me réfoit ‘& qui ne m'étoit plus d'aucune 
utilité à la ville: Fy'foignis même mon linge & 
encore toutes mes hardes, nè confervant ablo- 
lument que ce que j'avois fur le corps. Je priai 
deux de ces Hottentots de refter quelques jours 
de plus chez Slaber ; pour prendre foin de mes 
chevaux, de mes chèvres, & de ceux de mes 
bœus , niades ou inutiles | que je laiflois fur 
l'habitation jufqu’à nouvel ordre. Je donnai ren- 
dez-vous chez M. Boers au refte de ma cara- 
vane, Klaas & moi nous montâmes à cheval ; &, 
le foir même , j’eus le bonheur de ferrer dans 
“mes bras un bienfaiéteur , un ami, que Jj'avois 
craint de ne plus revoir. 
. Mes équipages arrivèrent le 2 Avril : ce fut 
alors que je remerciai tout - à - fait mes fidèles 
icrviteurs, & que je leur payai leurs gages. Ils 
brûôloient tous di impatience de rejoindre leurs fa- 
milles. J’offris la main à Klaas; il ne pouvoit 
{ce détacher de fon maître. Comme fa horde étoit 
moins éloignée de la ville que celle des autres 


202 + UV OO YA GE m 

Hottentots que je.venois. d’affranchir, . je l’en- 
gageai à me venir vifiter. fouvent , & lui. pro- 
mis toujours le.même appui, la même confiance 
& la même amitié. Je l’affurai particulièrement 
que je ne Janguirois pas long-temps au Cap, & 
que. je comptois fur lui pour: de: nouvelles en- 
treprifes : c’étoit, l’objet de tous.fes. défirs ,.& 
l'unique. contrepoids de fa. douleur. J'avoue que 
je ne pus le voir partir fans être moi-même 
étrangement ému , malgré les difiraétions. que 
me donnoient la foule des arrivans qui fe pref- 
foient. dans la. maifon de mon ami, les -uns at- 
tirés par l'intérêt généreux que leur infpiroit ma 
perfonne ,.un plus grand nombre. PSE le. beloin 
de. fatisfaire. leur avide curiofité.… 


A TS 
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EN: A FRIVU E. 


Je place, à la fuite de ce Volume, les Figu- 
res des Girafes mâle & femelle : je n’ai cepen- 
dant rencontré ces animaux qu'à mon {ecund 
HA gages c'eft donc une anticipation qui peut pa- 
roître irrégulière , mais à laquelle je fuis en quel- 
que façon contraint par des follicitarions & des 
inftances que je dois regarder comme des ordres. 

J'ajoute , par fupplément & pour l’explication 
de ces deux Planches , un apperçu rapide fur les 
animaux qu’elles repréfentent; rélervant des dé- 
tails plus eflentiels & plus fuivis pour l'endroit 
où naturellement ils doivent trouver leurs places. 

On a tant & fi diverfement parlé de la Gi- 
rafe, que, malgré les difertations élégantes & 
cientifiques fur ce fujet, on n'a pas, jufqu'à 
-préfent, une idée nette & précife de fa configu- 
“ration, moins encore de fes mœurs, de fes goûts, 
‘de fon: caraétère & de fon organifätion. 

Si, parmi les Quadrupèdes connus, la pré- 
féance devoit s’accorder à la hauteur , fans dif- 
ficulté Ja Girafe fe verroit au premier rang. Le 
mâle , que je conferve dans mon cabinet & dont 
on voit la figure planche VIT, avoit, lorique 
je lé. mefurai après l'avoir abattu , feize pieds 
-quatre pouces, depuis le fabot jufqu’à l'extrémité 
-de fes cornes ou de fon bois. Je me fers de ces 
deux expreffions uniquement pour me faire en- 
tendres: Car toutes deux font également. impro- 
pres. La Girafe n’a ni bois ni cornes ; mais, en- 
tré fes deux oreilles , à l’extrémité fupérieuré de 
la tête , s'élèvent perpendiculairement & paraliè. 
lement deux parties du srâme, qui, fans aucune 


Da UV S'Ÿ À G EM 

folution de continuité, s’allongent de huit à neuf 
pouces, fe terminent par un arrondiffement con- 
vexe , & bordé d’un rang de poils droits & fer- 
mes qui le dépañfent de plufieurs lignes. 

La femelle eft généralement plus bafle que 
le mâle : celle repréfentée dans la planche fui- 
vante, n’avoit que treize pieds dix pouces; fes 
dents dll , prefque toutes ufées , prouvoient 
inconteftablement qu’elle avoit 8 fa 8 
grande hauteur. 

En conféquence du nombre de ces animaux 
que jai eu loccafñon de voir & de ceux que 
j'ai tués, je puis établir; comme une règle cer- 
taine, que les mâles ont ordinairement quinze à 
feize pieds de hauteur, & les femelles treize à 
‘quatorze. 

Quiconque jugeroit de li fab Gode grof- - 
feur de cet animal , d’après ces dimenfons don- 
nées, fe tromperoit étrangement. On peut pref- 
que dire qu’il n’a qu’un cou & des jambes. Ef- 
feétivement l'œil habitué aux formes replètes & 
“allongées des Quadrupèdes de l’Europe , ne voit 
point de proportion entre une hauteur de feize 
pieds & une longueur de fept, prile depuis la 
queue jufqu’à la poitrine. Une-autre difformité, 
fi cependant c'en eft une, fait contrafter entr’el- 
les la partie antérieure & la poftérieure: La pre- 
mière eft d’une épaifleur confidérable vers les 
épaules; mais l'arrière-train eft fi grêle, fi peu 
fourni, que l’un & l’autre ne ro ‘point 
faits pour aller enfemble. 

Les Naturaliftes & les Voyageurs, en parlant 
de la Girafe, s’accordent tous pour ne donner, 
aux jambes de derrière, que moitié de la lon- 


LL PLIL LL IL 


22 


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42 


GIRAFE, FEMELLE 


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E N+ À FR EL QUE. 285 
gueur de celles de devant; mais, de bonne foi, 
ont-ils vu l'animal? ou, s'ils l’ont vu, Pont-ils 
attentivement confidéré ? 

Un Auteur italien, qui. certes ne ri ja 
mais vu, l’a fait graver, à Venife , dans un Ou- 
vrage fatale Defcrizioni: degli mul 1771. 
Cette ligure eft exactement calque fur tout ce 
qui en a été publié; mais cette exaëlitude mé- 
me la rend fi ridicule, qu'il faut la regarder , de 
la part de l’Auteur Italien, comme une criti- 
que mordante de toutes les defcriptions qui ont 
paru & fe font répétées jufqu’aujourd’hui. 

Parmi les anciennes (*), la plus exaéte que 
je. connoïfle , eft celle de Gilius. Il dit poñtive- 
ment que la Girafe a les quatre jambes de la 
mnême longueur ;.mais que Les cuiffès de devant 
font fi longues-en comparaifon..de celles de der- 
rière, que le dos de lanimal paroft être incliné 
comme un toit. Si, par les cuiffés de devant, 
Gilius entend l’omoplate, HA es: eft juite, 
- & je fuis d'accord avec lui. 

Il n’en eft pas de même fur ce que. nous li- 
fons dans Héliodore. Si nous voulons bien croire 
que ce foit de la Girafe qu'il a parlé, lorfqwil 
ne-donne.à la tête de cet animal que le double 
de la groffeur de celle de l’Autruche, il faudra 
conclure que les chofes ont bien changé depuis, 
&. que, dans ce laps de temps, la Nature a fait 
fouffrir: de grandes variations à l’une ou l’autre 
de ces, deux efpèces. | | 


L 


æ Parmi les modernes ; la gravure Ja pe fidèle eft, fans co, : 
 médit, celle qu'en a fait faire le Docteur Allaman, d’après les 
deffins que lui à fournis Le Colonel Gordon pal 


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290 & UV 6 # À 6 Et 

Les cornes étant adhérentes, & faifant partie 
du crâne, comme je l’ai dit, ne peuvent jamais 
tomber ; elles ne font point folides comme le bois 
du Cerf, ni d’une matière analogue à la corne 


du Bœuf : moins encore font-élles compolées de 


poils réunis, comme le fuppofe Buffon : c’eft 
fimplement uve fubftance offeufe, calcaire, & 
divifée par une infinité de pores ,; comme le 
font tous les os. Elles font recouvertes, dans toute 
leur longueur, d’un poil court & rude , qui ne 
reflemble en rien au duvet velouté du refait des 
Chevreuils ou des Cerfs. 

Les deffins de cet animal placés dans les 6. 
vrages de MM. de Buffon & Vofmar , font géné- 
ralement défectueux. On a fait abéutif les cor- 


nes en pointe ; ce qui eft contraire à la vérité. 


Au-lieu de n’amener la crinière que jufques fur 
les épaules, on l’a prolongée jJufqu’à Ja naiffance 
de la queue :'infidélité qui , jointe à nombre d’au- 


tres, dévrade & rend nulles pour la fcience ces 


repréfentations trompeufes , & mal-à-propos con- 
facrées par la arrete des Auteurs qui les 
avouent. 

Les Girafes mâle & PT font tachctées 
également : cependant , abftraétion faite de l'iné- 
galité de leurs tailles, on les diftingne très-bien 
& de fort loin l’un hé l’autre. Le mâle fur un 
fond gris blane ,:a de grandes taches pan brun 
ébfeur piefaue | noir, & fur un fond femblable, 


les taches de la femelle font d’une! couleur fauve ; 


ce. qui les rend moins tranchantes. Les jeunes 
mâles ont d’abord la couleur de leurs mères ; mais 


leurs taches fe rembrunillent à mefure qu'ils avan- 
cent en âge, & qu’ils prennent de l’accroiffement.. 


' 


E N ÀÂAFRIQUE. 207 


Ces Quadrupèdes fe nourriffent de feuilles 
d'arbres , & par préférence de celle d’un Mimofa 
particulier au canton qu’ils habitent. Les herbages 
des prairies font aufli partie de leurs alimens, 
fans qu’il leur foit néceffaire de s’agenouiller pour 
brouter ou pour boire, comme on l’a cru mal- 
à-propos. Ils fe couchent fouvent, foit pour ru- 
miner, foit pour dormir : ce qui leur occafonne 
une callofité confidérable au fternum, & fait 
que leurs genoux {ont toujours couronnés. 

Si la Nature avoit doué la Girafe d’un ca- 
raère irafcible , celle-ci auroit certainement à 
s’en plaindre; car fes moyens, pour l'attaque ou 
pour la défenfe, fe réduifent à peu de chofe; 
mais elle eft d’un caraëtère paifible & craintif; elle 
fait le danger , & s’éloigne fort vîte en trottant. Un 
bon cheval la joint difficilement à la courfe. 

On a dit qu’elle n’avoit pas la force de fe 
défendre : cependant je fais, à n’en pas douter, 
que, par fes ruades, elle laffe, décourage, & 
peut écarter le Lion. Je n'ai jamais vu qu’en 
aucune occafñon elle fît ufage de fes cornes. 
On pourroit les regarder comme inutiles, s’il 
étoit poflible de douter de la fageffe & des précau- 
tions que la Nature fait employer, & dont ellene 
nous laïffle pas toujours appercevoir les motifs. 

J'ai penfé qu’il étoit effentiel d'accompagner 
ces deux figures , que je livre à l’empreffement 
des perfonnes qui me les ont demandées, d’une 
légère defcription qui pût d’avance en faciliter 
Pexamen; mais on fentira bien que je n'ai pas 
tout dit fur cet animal extraordinaire, 


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( 269 ) 


#%p'p'R OR ATION 


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LA lu, par ordre de Monfeigneur le Garde-des- 
Sceaux ; un Ouvrage intitulé : Voyage duns Pintérieur de 
l'Afrique ,\ par le Cap de Bonne-Epférance ; par M. ze 
VAILLANT. Cét Ouvrage jette un jour fi nouveau & 
fi intéreflant fur cette partie de l’ancien Continent, 
qu'ilkne peut que fatisfaire infiniment les Amateurs 
d’hiftoire ; & la maffe nombreufe de Lecteurs qui cher- 
chent, dans les récits de Voyages , des faits avérés & 
de l'inftruétion. Il eft précieux par le fond , infiniment 
intéreflant par la manière naturelle & philofophique 
de l’ Auteur. Enfin , il me fembie qu'aucun Voyage n’inf. 
pire un. intérêt auffi vif & auffi touchant. À Paris , ce 
28 Mars 1789. : 
| | MENTELLE. 


“PRIVILÈGE DU ROL 


Louis » par ia Grace de Dieu, Roi de France 
& de Navarre. À nos amés & féaux Confeillers, les 
Gens tenant nos Cours de Parlement , Maîtres des 
Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand-Confeil , 
Prévôt de Paris, Baillifs , Sénéchaux , leurs Lieute- 
‘tenans - Civils, & autres nos Jufticiers qu’il appartien- 
dra, SALUT. Notre amé le fieur LEROY, Libraire 
à Paris, Nous a fait expoñfer qu'il défireroit faire im- 
primer & donner au Public les Voyages dans l’intérieur 
de l'Afrique , €ÿ Defcription des Oileaux EŸ Animaux de 
cette partie du Monde, par M. le Vaillant; s’il Nous 
plaifoit lui accorder nos Lettres de Privilège pour ce 
néceffaires. À CES CAUSES, voulant favorablement 
traiter PExpofant, Nous lui avons permis & permet- 
tons , par ces Préfentes, de faire imprimer ledit Ou. 
vrage autant de fois que bon lui femblera , de le ven- 
dre , faire vendre & débiter par tout notre Royaume ; 
Tome IT, | 


( 299 } 
pendant le temps de vingt-cinq années confécutives , 
à compter de la date des Préfentes.. FAISONS défenfes 
à tous Imprimeurs , Libraires & autres perfonnes, de 
quelque qualité & condition qu’elles foient , d’en in- 
troduire d’impreffion étrangère dans aucun lieu de No- 
tre obéiffance : comme aufli d’imprimer , ou faire im- 
primer , vendre, faire vendre , débiter ni contrefaire 
ledit Ouvrage fous quelque prétexte que ce puïfle être, 
fans la permiflion exprefle & par écrit dudit Expofant, 
fes hoirs ou ayans-caufes , à peine de faifie  & de con- 
fifcation des Exemplaires contrefaits , de fix mille lie 
vres d'amende, qui ne pourra être modérée pour la 
première fois, de pareille amende & de déchéance d’é- 
tat en cas de récidives, & de tous dépens , dommages 
& intérêts , conformément à l’Arrêt du Confeildu 30 
Août 1777, concernant les Contrefaçons ; À LA CHARGE 
que ces Préfentes feront enregiftrées tout au long fur 
le Regiftre de la Communauté des Imprimeurs & Li- 
braires de Paris , dans trois mois de la date d’icelle ; 
que l’Impreffion dudit Ouvrage fera faite dans Notre 
Royaume , & non ailleurs, en beau papier & beaux 
caractères , conformément aux Réglemens de la Librai- 
rie, à peine de déchéance du préfent Privilège ; qu’a- 
vant de l’expofer en vente , le Manufcrit qui aura fervi 
de copie à l’impreflion dudit Ouvrage , fera remis 
dans le même état où l’Approbation y aura été. don- 
née , ès mains de Notre très-cher & féal Chevalier, 
Garde . des - Sceaux de France , le Sieur Archevêque 
DE BorDEAUXx ; qu’il en fera enfuite remis. deux 
Exemplaires dans Notre Bibliothèque publique , un 
dans celle de Notre Château du Louvre , un dans celle 
de Notre très - cher & féal Chevalier , Chancelier de 
France , le Sieur DE MaurEou, & un dans celle 
dudit Sieur Archevêque : le tout à peine de nullité 
des Préfentes. Du contenu defquelles Vous mandons 
&enjoignons de faire jouir ledit Expofant & fes 
hoirs, pleinement & paifiblement, fans fouffrir qu'il 
leur foit fait aucun trouble ou empêchement, VouLons 
que Ia copie des FPréfentes, qui fera imprimée, tout 
au long , au commencement où 1 la fin dudit Ouvra- 
ge , foit tenue pour dûment fignifiée , & qu'aux copies 
collationnées par l’un de nos amés & féaux Confeil- 


( 291 ) 

jers - Secretaires ; foi foit ajoutée comme à l’Orizinat, 
Commanpons au premier Notre Huifflier ou Sergent 
fur ce requis, de faire, pour l'exécution d’icelles , 
tous Aétes requis & néceflaires:, fans demander autre 
permiflion , non-obftant clameur de Haro , Charte Nor- 

ande , & Lettres à ce contraires : Car tet eft Notre 
plaifir. Donné à Paris, le vingt-huitième jour du 
mois d'Oétobre , l’an de Grace mil fept cent quatre- 
vingt-neuf, & de notre Regne le feizième. Par le 


Roi en fon Confeil, 
Signé LE BEGUE. 


Regifiré fur le Regifire XXIV de la Chambre Royale € 
Syndicale des Libraires €ÿ Imprimeurs de Paris, N. 1959. 
fol. 215 , conformément aux difpofitions énoncées dans le pré- 
fent Privilège ; €ÿ à la charge de remettre à ladite Cham- 
bre des neuf Exemplüres prefcrits par l’Arrêt du Confeil ; 
_ du 16 Avril 1785, A Paris, le 30 Oûlobre 1789. 


Signé KNAPEN, Syndic. 


AVIS AU RELTEUR 


Pour placer les Figures du Tome fond. 


Lie Hottentot Eohaiuoft, PET F, > RTE à 


Le Caffre, Planche V 155 
La femme Cafñre, Planet SE RE 7 4 
La Hottentote, Planche VIL,..41 : | 249 
La Girafe mûle, Planche 4 IT, a ALT 283 


La Girafe femelle, Planche EX; er i h 284 


i 


+ Be T. 
RACE +